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Full text of "La "Profession de foi du vicaire savoyard""

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http://www.archive.org/details/laprofessiondefoOOrous 


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Cf.,  dans  cette  édition,  pp.  392  sqq.  —  Réduction  au  17  iS. 


LA  «  PROFESSION  DE  FOI 
DU  VICAIRE  SAVOYARD  » 

DE  JEAN-JACQUES  ROUSSEAU 


ÉDITION  CRITIQUE 
d'après   les   Manuscrits   de    Genève.   Neuchâtel   et    Paris 


AVEC 


UNE   INTRODUCTION  ET  UN  COMMENTAIRE  HISTORIQUES 


PAR 


Pierre-Maurick   MASSON 


FRIBOURG  (Suisse)  PARIS 

LIBRAIRIE     DE     l'uNIVERSITÉ  LIBRAIRIE     HACHETTE    ET     C'' 
lO.  Gschwend)  79,  Boulevard  St-Germain 

1914 


AVANT-PROPOS 


Que  ce  travail  m'ait  coûté  beaucoup  de  temps,  il  importe  peu  : 
«  le  temps  ne  fait  rien  à  l'affaire  »  ;  mieux  vaut,  semble-t-il,  montrer 
son  utilité.  Elle  est  d'abord  négative.  Si  jamais  on  a\"ait  espéré 
pouvoir  établir  une  édition  complète  de  Rousseau,  où  l'on  aurait 
donné,  pour  chacune  de  ses  œuvres,  les  variantes  intégrales  de 
tous  ses  Manuscrits  encore  existants,  j'imagine  que  ce  gros 
volume  découragerait  l'entreprenant  idéaliste  qui  aurait  pu  y 
songer.  Il  faudra  que  les  futurs  éditeurs  de  Rousseau  imposent 
des  limites  à  leurs  scrupules  ou  aux  exigences  de  leurs  lecteurs. 
Cependant  la  méthode  que  je  me  suis  prescrite  ici  peut,  à  mon 
avis,  présenter  des  avantages  pour  un  texte  restreint,  comme  la 
Profession.  On  verra  plus  loin  quelle  est  cette  méthode  :  avec 
ses  inconvénients,  que  je  ne  me  dissimule  pas,  elle  permettra,  si 
je  ne  me  trompe,  de  pénétrer  plus  avant  dans  l'intimité  intel- 
lectuelle et  artistique  de  Jean-Jacques.  Il  n'est  pas  sans  intérêt 
que,  dans  l'œuvre  entière  d'un  grand  écri\ain,  il  \'  ait  un 
texte  privilégié,  dont  on  puisse  suivre  pas  à  pas  la  genèse  et  le 
développement,  où  l'on  puisse  venir  étudier  par  le  menu  son 
vocabulaire,  les  procédés,  j'allais  presque  dire  les  manies,  de  son 
style,  et  l'allure  instinctive  de  sa  pensée.  En  outre,  la  Projession 
de  foi  du  Vicaire  Savo\-ard  n'occupe  pas  seulement  une  place 
capitale  dans  la  vie  et  l'œuvre  de  Rousseau  :  elle  est  aussi  une 
manière  de  centre  spirituel,  où  presque  tous  les  s\stèmes  philo- 
sophiques   et    religieux   du    XVIIl^   siècle   ont,   en    quelque    sorte. 


VI  AVANT-PROPOS 

leur  écho.  Le  copieux  commentaire  dont  je  l'ai  entourée  trouverait 
dans  cette  considération  plus  que  son  excuse  :  sa  légitimité. 

Un  travail  comme  celui-ci  —  même  a\'ec  ses  inévitables 
inexactitudes  —  ne  peut  se  mener  à  terme  sans  le  concours 
de  nombreuses  bonnes  volontés.  Elles  ne  m'ont  point  fait 
défaut.  J'ai  reçu,  dans  tous  les  dépôts  publics  où  sont  conservés 
aujourd'hui  les  Manuscrits  de  Rousseau,  l'accueil  le  plus  courtois. 
La  Bibliothèque  de  la  Chambre  des  Députés,  qui  n'a  point  la 
réputation  d'être  très  hospitalière  aux  tra\'ailleurs  que  le  peuple 
n'a  pas  élus,  m'a  néanmoins  accordé  toutes  les  facilités  désirables 
pour  mes  copies  ou  collations  de  textes  ;  et  je  n'ai  eu  qu'à  me 
louer  de  la  parfaite  obligeance  de  ses  bibliothécaires,  spécialement 
de  AIM.  Constant  Pionnier,  bibliothécaire  en  chef,  Richard  Le  Roy 
et  J.  Mollerives,  attachés  à  la  Bibliothèque.  Les  Archives  de  la 
Société  Jean-Jacques  Rousseau  ont  mis  libéralement  à  ma  dispo- 
sition leurs  livres  et  leurs  manuscrits  :  en  rassemblant  à  portée 
de  la  main  quantité  d'éditions  qu'il  m'eût  été  difficile  de 
rapprocher  et  de  comparer,  elles  ont  beaucoup  abrégé  ma  tâche. 
Je  tiens  à  en  remercier  MAL  Bernard  Bouvier  et  Alexis  François, 
président  et  secrétaire  de  la  Société,  M.  Frédéric  Gardy, 
directeur,  et  surtout  M.  Fernand  Aubert,  sous-conservateur-des- 
Manuscrits  de  la  Bibliothèque  de  Genève.  Même  bonne  grâce  à 
Neuchâtel  :  AL  Charles  Robert,  directeur  de  la  Bibliothèque,  a 
été,  pour  moi,  la  complaisance  même.  MM.  Emile  Lombard 
et  Jacob  Kiinzi,  premier  et  second  bibliothécaires,  ainsi  que  les 
autres  fonctionnaires  de  la  Bibliothèque,  MM.  Louis  Dubois  et 
Raoul  Blanchard,  se  sont  montrés  d'une  amabilité  toujours 
ser\iable,  qu'aucune  demande  importune  n'a  pu   lasser. 

J'ai  plaisir  à  remercier  encore  de  leurs  bons  offices  ou  de 
leurs    bienveillantes    autorisations  '    MM.    les   administrateurs   de 


'  J'ai  fait  place,  dans  ces  remerciements,  à  quelques  personnes  dont  le  concours 
m"a  été  plus  spécialement  utile  pour  mon  étude  sur  La  Religion  de  ./.  J.  Rousseau, 
qui  paraitra  avec  cette  édition,  et  qui  en  est,  pour  ainsi  dire,  le  prolongement. 


AVANT-PROPOS  VU 

l'Arciconfraiernita  dello  Spirito  Santo:  M.  Henri  Gambini,  secré- 
taire-adjoint de  la  Commission  executive  du  Consistoire,  M.  Eugène 
Choisy,  archiviste-bibliothécaire  de  la  Compagnie  des  Pasteurs, 
M.  Paul-E.  Martin,  archixiste  d'État,  à  Genève  ;  M.  le  chanoine 
Rebord,  supérieur  de  l'Ecole  de  théologie  catholique  du  diocèse 
d'Annecy;  M.M.  Gaston  Letonnelier  et  Joseph  Serand,  archixiste 
et  archiviste-aJjoint  de  la  Haute-Savoie;  M.  E.  Blochet,  bibliothé- 
caire au  département  des  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  Nationale. 
Des  renseignements  ou  des  suggestions  utiles  me  sont  venus 
aussi  de  MM.  Gustave  Lanson,  Gusta\e  Michaut,  Daniel  .Mornet 
et  Eugène  Ritter  :  je  leur  en  demeure  très  reconnaissant.  On 
sait  quel  impeccable  érudit  est  M.  Théophile  Dufour  et  quelles 
richesses  encore  inutilisées  ce  Rousseauiste  éminent  garde  dans 
ses  cartons.  Je  n'ai  jamais  tait  appel  en  vain  à  sa  science  si  sûre. 
Bien  des  notes  de  cette  édition  pourront  en  témoigner,  et  elles 
ne  diront  pas  toute   ma   dette. 

Je  dois  enfin  des  remerciements  tout  particuliers  à  M.  Léopold 
Fax're,  qui  conser\e  dans  ses  papiers  de  famille  le  premier  brouillon 
de  VÉinile.  Xon  seulement  il  a  mis  son  Manuscrit  à  ma  disposition 
avec  une  confiance  tout  amicale  ;  mais,  dans  l'étude  approfondie 
qu'il  lui  a  consacrée  l'an  dernier,  il  a  eu  la  gracieuseté  de  laisser 
en  dehors  de  ses  analyses  la  Profession  de  foi  du  Vicaire  savoyard, 
pour  ne  pas  déflorer  mon  édition.  Qu'il  veuille  bien  accepter,  au 
début  de  ce  li\Te,  qui  eût  été  impossible  sans  lui,  l'expression  de 
ma  vive  gratitude. 

Fnbourg-en-Suisse,  le  i5  Décembre  it|i3. 

P.  M.  M. 


INTRODUCTION 


I^  PARTIE 

COMPOSITION    ET    PUBLICATION 
DE  LA  «  PROFESSION  » 


CHAPITRE  I 

LES  PREMIÈRES  ESQUISSES  DE  LA   «  PROFESSION  » 
DANS  L'ŒUVRE  DE  ROUSSEAU 

On  peut  dire  que  le  jour  ou  Jean-Jacques  se  décida  à  demander  sa 
réintégration  dans  l'Eglise  de  Genève,  la  Profession  de  foi  n'était  peut-être 
pas  encore  constituée  dans  toutes  ses  parties,  mais  elle  avait  déjà  trouvé 
son  principe  essentiel.  11  affirmait  ainsi,  en  face  de  la  «  philosophie  » 
incrédule,  sa  croyance  en  Dieu  et  ses  sympathies  chrétiennes:  il  marquait 
en  même  temps  son  indifférence  à  l'égard  des  formes  confessionnelles,  et 
témoignait  par  là  que  le  choix  dune  religion  était  avant  tout,  pour  lui, 
affaire  de  tradition  nationale  et  de  civisme.  Ce  n'était  donc  pas  une 
«  conversion  »,  au  sens  strictement  religieux  du  mot,  l'adhésion  intégrale 
aux  dogmes  d'une  Eglise:  c'était,  du  moins,  une  manifestation,  disons  le 
mot.  une  «  profession  de  foi  ».  par  où  Jean-Jacques  se  posait  avec  une 
franchise  éclatante  et  un  peu  théâtrale  —  solitaire  en  apparence  —  entre 
les  deux  camps  ennemis. 


'  Sur  la   méthode  adoptée  pour   les   citations^  cf.,   plus  loin,  dans  cette  Intru- 
duction,  le  chapitre  m  de  la  lll'  Partie,  p.  cvii.  et  la  Bibliographie  à  la  tin  du  volume. 


X  INTRODUCTION 

l-es  aftîrmations  philosophiques  et  religieuses  implicitement  con- 
tenues dans  un  tel  acte,  Rousseau  ne  pouvait  pas  les  tenir  secrètes  : 
par  tempérament  il  axait  besoin  de  se  confesser,  de  dire  à  tous  toute 
sa  pensée  :  le  succès  de  son  premier  Discours,  où  il  s'était  livré  assez 
ingénument,  et  qui  avait  été  comme  un  essai  de  confidence  au  public,  ne 
"pouvait  que  l'encourager.  Désormais  toute  son  œuvre  ne  sera,  pour  ainsi 
dire,  qu'une  série  de  «  professions  de  foi  »,  en  réponse  aux  divers  pro- 
blèmes qui  lui  seront  posés  par  sa  conscience  ou  par  la  vie.  Le  problème 
religieux,  dans  ses  rapports  avec  la  morale  et  le  bonheur,  était  de  tous 
celui  qui  s'imposait  le  plus  fortement  à  lui.  Son  adolescence  calviniste, 
sa  conversion  au  catholicisme,  qui  n'avait  d'abord  été  qu'une  aventure, 
mais  qu'il  avait  acceptée  sans  regret,  l'influence  de  Mme  de  W'arens,  les 
inquiétudes  et  les  incertitudes  de  sa  vocation,  l'espèce  d  inventaire  intel- 
lectuel et  moral  entrepris  aux  Charmettes,  l'avaient  maintenu  jusqu'à  son 
installation  à  Paris  en  familiarité  constante  avec  les  questions  religieuses. 
Il  était  revenu  de  Venise  catholique  plus  que  tiède,  déjà  détaché  peut-être, 
avant  pourtant  gardé,  à  travers  ses  avatars  confessionnels,  le  goût  de  la 
discussion  théologique  et  un  petit  credo  rudimentaire.  mais  très  sincère, 
semhle-t-ii,  et  surtout  très  vivace  ^  Les  «  philosophes  »  auxquels  il  se 
livra  dès  l'abord  avec  une  si  imprudente  affection,  allaient  mettre  bientôt 
à  l'épreuve  la  résistance  de  ce  credo.  Les  audaces  de  leurs  livres,  même 
subreptices,  ne  trahissent  qu'à  demi  aujourd'hui  les  audaces  de  leurs 
conversations,  qui  devaient  troubler  profondément  Jean-Jacques.  Elles  le 
troublaient,  sans  le  convaincre:  et,  dans  les  jours  où  il  se  sentait  le  plus 
ébranlé,  il  ne  sauvait  sa  foi  de  la  ruine  que  par  une  espèce  d'affirmation 
désespérée,  plus  forte  que  tous  les  raisonnements.  Les  pseudo-.\/e;;!o//-es 
de  Mme  d'Kpinav  nous  ont  conservé  le  tableau  d'une  de  ces  libres 
discussions,  où  tous  les  convives,  hommes  et  femmes,  allaient  joyeuse- 
ment jusqu'au  bout  de  leurs  négations.  Et  devant  ces  jouteurs  habiles, 
beaux  diseurs  et  gens  d'esprit,  Rousseau,  solitaire,  gauche,  désemparé, 
ne  savait  que  se  raidir  :  «  Et  moi,  Messieurs,  leur  disait-il,  je  crois  en 

Dieu Je  sors  si  vous  dites  un  mot  de  plus  »  -. 

Celte  manifestation  courageuse  n'est  peut-être  pas  la  première  «  pro- 


'  Pour  le  développement  de  ces  brèves  indications,  et  de  celles  qui  vont  suivre, 
cl.  mon  livre  sur  /.i7  Religion  de  J.  J.  Rousseau,  Paris.  Hachette,  1914,  in-8. 

■  Mcmoircs  de  Mme  d'Épinay  [2^6],  I,38o-?8i,  surtout  dans  le  texte  intégral  des 
Mémoires  que  j'ai  publié  ^299].  â-ig.  et  qui  rétablit  toutes  les  hardiesses  que  le  prudent 
Brunet  avait  supprimées  sous  la  Restauration. 


PKKMIERES    ESQUISSES    DE    LA    «    PROFESSION    »  XI 

fession  de  foi  »  publique  de  Jean-.lacques  à  Paris  :  mais  c'est  ainsi,  sans 
doute,  qu'il  se  posa  devant  les  «  philosophes  »  au  premier  conflit  avec 
eux.  Dans  un  entrelien  plus  intime,  quelques  jours  après,  il  aurait  avoué 
à  Mme  d'Kpinay  que,  lui  aussi,  dans  le  silence  de  son  cabinet,  il  se 
sentait  atteint  par  la  dialectique  des  «  philosophes  »,  prêt  même  à  se 
laisser  convaincre  par  eux,  mais  que  le  spectacle  de  la  nature  le  guérissait 
de  ses  doutes  :  «  l,e  lever  du  soleil,  disait-il,  en  dissipant  la  vapeur  qui 
couvre  la  terre,  et  en  m'exposant  la  scène  brillante  et  merveilleuse  de  la 
nature,  dissipe  en  même  temps  les  brouillards  de  mon  esprit.  Je  retrouve 
ma  foi,  mon  Dieu,  ma  croyance  en  lui  ;  je  l'admire,  je  l'adore  et  je  me 
prosterne  en  sa  présence  ».  Et,  dans  cette  reprise  des  «  préjut;és  »  de  son 
enfance,  il  ne  s'arrêtait  pas  au  Dieu  de  la  religion  naturelle  :(il  admettait 
des  peines,  des  récompenses,  un  Christianisme  très  simplifié,  qui  restait 
fidèle,  non  à  des  dogmes,  mais  à  des  espérances^  Mme  d'Épinay  avait 
beau  lui  rappeler  tant  de  déclarations  rationalistes,  où  il  semblait  faire 
si  bon  marché  de  toutes  les  théologies  :  «  Madame,  lui  répondait-il,  c'est 
une  de  ces  inconséquences  utiles  à  notre  bonheur  »  '.  Ces  propos  et  ceux 
qui  suivent,  je  les  crois  authentiques.  Il  est  possible  que  Mme  d'fLpina\-  ou 
Diderot,  qui  a  certainement  revu  et  augmenté  le  texte  de  .Mme  d'Kpinav. 
les  ait  un  peu  arrangés  en  les  présentant,  qu'elle  ait  condensé  en  un  seul 
dialogue  des  discussions  plusieurs  fois  reprises,  mais  l'accent  parait  bien 
celui  de  Jean-Jacques.  Si  vraiment  c'est  un  dîner  chez  Mlle  Quinault  qui 
fut  l'occasion  de  ces  entretiens,  il  faudrait  alors  les  dater  de  1754,  car 
c'est  à  cette  époque  que  Jean-Jacques,  brouillé  une  première  fois  avec 
D'Holbach,  fut  introduit  par  Duclos  chez  Mlle  Quinault-. 

Mais  les  Mémoires  de  Mme  d'Épinay  ne  se  bornent  pas  à  ce  récit  : 
ils  nous  apportent  un  «  conte»  de  Jean-Jacques,  qui  lui  aurait  été  suggéré 
par  ces  conversations,  et  qui  exprimerait,  sous  forme  de  «  parabole  »,  sa 
pensée  religieuse  d'alors  :  après  l'avoir  improvisé  devant  Mme  d'Épinav, 
il  l'aurait  rédigé  sur  la  demande  de  son  amie;  et  ce  serait  son  texte 
même  que  nous  auraient  conservé  les  Mémoires  '^.  Tous  les  historiens  de 
Rousseau,  à  ce  que  je  crois,  admettent  l'authenticité  de  ce  morceau  ■*, 
qui  me  paraît,  quant  à  moi,  plus  que  douteuse:  et  voici  pourquoi.  C'est 


'  id.,  1,  394-395,  400-402. 

-  Sur  la  date  réelle  et  la  composition  de  ce  dialogue,  cl.  mon  étude  : 
\lme  d'Épinaw  Jean-Jacques...  et  Diderot  che^  Mlle  (Quinault  ^299],  3-4  note  ■>. 

'  Cf.,  à  la  Bibliographie,  les  n"  20  et  299. 

^  Cf.,  par  e.xemple.  MM.  Ritter  [274],  27S,  note.  Dufour,  avec  quelque  réserve 
49  ,  I.  1S7-18S,  X'alletle    2X71"-',  76-77. 


XII  INTRODl'CTION 

d'abord  que  cette  «  parabole  »  renferme  des  sentiments  qu'il  ne  semble 
pas  que  Rousseau  ait  jamais  éprouvés.  (]elui  qui  l'a  écrite  se  soucie  tort 
peu  de  savoir  s'il  v  a  ou  non  un  Dieu  :  Le  Dieu  qu'il  t'ait  parler.  Dieu 
lointain,  à  la  façon  d'Épicure,  et  qui  ne  saurait  jamais  être  une  Pro\  idence, 
déclare  à  l'homme  qui  le  cherche  :  «  Il  importe  fort  peLi,  mon  ami.  que 
vous  et  vos  pareils  croyiez  ou  n'iiez  mon  existence.  Tranquillisez-vous. 
.\u  reste,  ce  n'est  ni  pour  votre  bien,  ni  pour  votre  mal  »  que  vous  êtes 
sur  la  terre.  Ce  déisme  railleur,  plus  que  voltairien.  n'a  jamais  été,  que  je 
sache,  celui  de  Jean-.lacques.  En  outre,  et,  si  par  hasard  il  avait  adhéré 
un  instant  à  ces  conceptions,  il  n'aurait  pas  choisi,  pour  les  formuler, 
le  moment  même  où  il  les  repoussait  ;  or,  dans  les  conversations  qui 
encadrent  la  «  parabole  ».  ,lean-Jacques  dit  précisément  le  contraire  de 
ce  que  dit  la  «  parabole  »  :  il  défend  avec  éloquence  «  la  cause  de  Dieu  », 
vante  les  consolations  des  croyances  religieuses  ;  déclare  «  qu'il  veut  vivre 
en  bon  chrétien  »,  sans  se  soucier  de  ce  qu'il  peut  y  avoir  d'illusions  dans 
la  foi.  pourvu  que  ces  illusions  aident  à  porter  la  vie  '.  Enfin,  et  depuis 
loni^temps,  les  éditeurs  de  Diderot  ont  revendiqué  pour  ce  dernier  la 
«  parabole  »  des  Mémoirea  -. 

.le  crois  avoir  montré  ailleurs  qu'ils  avaient  raison,  et  qu'il  faut 
restituer  à  l'auteur  de  la  Promenade  du  Sceptique  et  de  VF.nlretien 
avec  la  maréchale  de  ***  un  morceau  qui  est  tout-à-fait  dans  sa  manière 
de  penser  et  d'écrire^.  Pour  quelles  raisons  a-t-il  été  mis  au  compte 
de  .lean-Jacques,  du  Jean-Jacques  d'avant  V  Emile?  l'attribution  est-elle 
volontaire  ou  fortuite?  je  ne  sais  encore,  et.  d'ailleurs,  il  importe  peu  ici. 
Ce  qu'il  importe  de  savoir,  c'est  que,  dans  les  Mémoires  de  Mme  d'Epinay, 
seuls  les  entretiens  du  dîner  Quinaull  et  ceux  qui  encadrent  la  Parabole 
peuvent  être  utilisés  —  et  encore  avec  prudence  —  pour  connaître  le 
Rousseau  d'alors  et  ses  «  professions  de  foi  ».  De  ces  entretiens, 
l'impression  qui  se  dégage  est  une.  Rousseau  est  troublé  par  les  «  philo- 
sophes ».  et  ne  trouve  point-d'argument  rationnel  pour  leur  répondre: 
mais  il  leur  échappe  en  se  réfugiant  dans  un  credo  sentimental. 

Cependant  il  ne  poussait  pas  «  l'inconséquence  »  jusqu'à  sacrifier 
tous  ses  raisonnements,  jusqu'à  suivre  .sans  réserve  la  religion  des 
«  simples  d'esprit  ».  Au  contraire,  il  se  raidissait  contre  les  «  dévots  », 
comme  il  le  faisait  contre  les  «  philosophes  »;  et,  le  cas  échéant,  tout  en 


'  Mémoires  '236  ,  1.  400-402. 

-  Cf.  les  justes  remarques  de  J.  Assézat  dans  son  édition  '58],  IV,  443-444. 

"  Cf.  cet  essai  de  démonstration  dans  mon  article  déià  cité  [299],  22-27. 


PREMIERES    ESQUISSES    DE    LA    u    PROFESSION    »  XIII 

rendant  hommage  «  aux  divins  cl  sublimes  préceptes  du  Christianisme  », 
il  détendait  les  droits  de  la  «  raison  »  avec  une  intransii^eance  un  peu  âpre, 
déclarait  n'avoir  d'autre  règle  de  ses  sentiments  que  «  l'évidence  et  la 
démonstration,  qui  sont,  quelque  doctrine  que  l'on  embrasse,  les  seules 
armes  que  l'on  ait  pour  l'établir  »  '.  La  Lettre  à  laquelle  j'emprunte  cette 
citation  est  de  1748.  Les  entretiens  avec  .Mme  d'Épinay  paraissent  être 
de  1754;  mais  il  ne  faudrait  point  croire  qu'il  y  eût,  pour  Rousseau, 
contradiction  entre  ces  deux  «  professions  de  foi  ».  ou  qu'il  se  fût  défait, 
dans  l'intervalle,  de  ses  scrupules  intellectuels.  Ce  sont  deux  manifes- 
tations d'un  même  état  d'esprit,  complexe,  et  même,  en  apparence,  confus, 
à  la  fois  sentimental  et  rationaliste,  qui  sera  aussi  celui  dLi  N'icaire. 

Un  document  à  peu  près  contemporain  nous  montre  Rousseau  se 
complaisant  dans  cette  double  attitude,  qui  devait  déplaire  aux  deux 
partis,  et  cherchant  même  les  occasions  d'affirmer  en  public  ses  convic- 
tions ambiguës.  Je  pense  à  ce  discours  inachevé,  dont  il  nous  reste  une 
introduction  et  des  fragments,  et  que  Rousseau  avait  intitulé  lui-même  : 
Conseils  à  un  curé-.  Il  v  exalte  la  mission  du  curé  de  campagne,  réclame 
la  crovance  en  Dieu  comme  base  de  la  morale,  mais  ne  ménage  pas  ses 
ironies  au  célibat  ecclésiastique  et  aux  «  balivernes  du  catéchisme  ». 


'  Lettre  à  .Mtuna,  du  3o  Juin  1748,  X,  57. 

-  Cf.,  à  la  Bibliof^i'aphie,  le  n"  2.  Ce  titre  autographe.  «  Conseils  j  un  ciiri;  ■^, 
semble  montrer  qu'il  ne  s'agit  pas  là  d'une  lettre  missive,  mais  d'une  «"profession  de 
loi  ».  morale  et  religieuse,  qui  devait  être  rédigée  sous  forme  épistolaire.  Il  serait  donc 
fort  possible  que  ce  «  curé  »  fût  un  curé  imaginaire.  Jansen,  dans  l'e.xtrait  de  la 
Gegentiiart  joint  à  ses  Fragments  inédits  '2%' ,  assure  que  ces  Conseils  furent  écrits 
pour  l'abbé  .Martin,  curé  de  Deuil  :  mais  les  te.xtes  au.xquels  il  renvoie  prouvent 
simplement  que  l'abbé  .Martin  était  curé  de  Deuil  depuis  1751,  non  que  Rousseau  lui 
ait  adressé  ces  Conseils.  S'il  fallait  chercher  parmi  les  amis  ecclésiastiques  de  Rous- 
seau, je  songerais  plutôt  à  l'abbé  de  L'Étang,  vicaire  de  .Marcoussis.  chez  qui  Rousseau, 
vers  1751,  allait  souvent  villégiaturer  [Confessions,  VIII,  2641  et  qui  était,  semble-t-il. 
en  passe  de  devenir  curé.  C'est  ainsi,  du  moins,  que  j'interprète  ces  vers  que  lui 
écrivait  Rousseau  iVI,  221,  et  qui  lui  auraient  permis  d'écrire  un  peu  plus  tard  :  «  Je 
suis  charmé  d'avoir  été  pour  vous  vcites  ii  tous  égards  »  : 
.Marcoussis,  dont  pourtant  j'espère 
Vous  voir  partir  un  beau  matin. 
Sans  vous  en  pendre  de  chagrin. 

.\u  reste,  on  remarquera  que  Rousseau,  dans  cette  épitre,  l'appelle  «  cher  abbé  ». 
comme  le  curé  auquel  il  voulait  dédier  ses  Conseils.  —  L!ne  des  feuilles  sur  lesquelles 
est  écrite  le  brouillon  de  cet  opuscule  porte  au  verso  un  fragment  de  la  Réponse  à 
M.  Borde,  .\lbert  Jansen  en  conclut  '28',  9,  que  les  Conseils  ont  été  rédigés  entre  le 
Discours  de  Borde  iJuin  173 11  et  la  publication  de  la  Réponse  de  Rousseau  idébut 
de  17521.  C'est  préciser  un  peu  imprudemment.  Tout  au  plus,  peut-on  en  conclure 
qu'il  y  a  des  chances  pour  que  leur  rédaction  se  place  entre  1751  et  \^;?.^. 


XIV  INTRODUCTION 

Quelques  années  plus  tard,  il  s'essayait  à  une  «  parabole  »,  qui,  cette 
fois,  est  bien  de  lui,  puisque  nous  en  avons  le  brouillon  auto^'raphe.  Ce 
Morceau  allégorique  sur  la  Révélation,  dont  on  discute  encore  aujour- 
d'hui la  date  et  la  signification,  me  parait  appartenir  aux  années  ijSb-iySy. 
Je  le  crois,  lui  aussi,  inachevé,  et  c'est,  à  mon  avis,  cet  état  d'inachève- 
ment qui  laisse  peut-être  indécise  sa_,véritable  portée  i.  Cependant  —  sans 
vouloir  essayer  de  la  préciser  ici  — |_tout  lecteur  sentira  que  jamais  Jean- 
Jacques  n'a  donné  au  Christianisme  une  adhésion  qui  parût  plus  voisine 
de  la  foi.  L'existence  de  Dieu  v  est  proclamée  avec  ferveur,  enthousiasme 
et  piété,  non  pas  tant  comme  une  hypothèse  philosophique  que  comme 
une  croyance  religieuse,  car  ce  Dieu  n'est  pas  seulement  «  l'organisateur 
des  mondes  »,  mais  «  le  Père  commun  des  hommes  ».  L'œuvre  éman- 
cipatrice  de  Socrate  est  louée  a\ec  reconnaissance,  mais  sans  excès  de 
sympathie  :  elle  disparaît  dans  la  gloire  du  «  Fils  de  l'homme  »,  qui 
prêche  enfin  au  monde  «  une  morale  divine  »,  et  fait  une  «  révolution  » 
dans  les  àmesJJTous  les  dieux  du  passé  disparaissent  devant  lui  ;  mais 
ce  n'est  pas  un  vainqueur  temporaire  ;  «  il  semblait  prendre  sa  place 
plutôt  qu'usurper  celle  d'autrui;...  on  sentait  que,  le  langage  de  la  vérité 
ne  lui  coûtait  rien,  parce  qu'il  en  avait  la  source  en  lui-même  ».  Et  cette 
formule,  qui  termine  —  au  moins  provisoirement  —  le  morceau,  pourrait 
paraître  l'acte  de  foi  d'un  croyant  -, 

A  vrai  dire,  c'était  moins  un  acte  de  foi  qu'un  acte  de  ferveur,  ou, 
si  l'on  veut  encore,  l'ardent  désir  de  trouver  le  repos  de  l'esprit  dans  les 
croyances  traditionnelles.  Lorsque  Jean-Jacques  s'interrogeait  dans  la 
sincérité  de  son  àme.  il  était  obligé  de  s'avouer  à  lui-même  qu'il  n'avait 
pas  de  principes  fixes  pour  sa  conduite,  que,  malgré  toutes  les  répugnances 
de  sa  nature,  il  restait  troublé  par  les  négations  philosophiques,  et  incer- 


'  Cf..  A  la  Bibliographie,  le  n  3.  —  .M.  Th.  Dul'our  a  indiqué  dans  une  note 
des  Annales  ,49],  I,  182-183,  les  principales  hypothèses  qui  ont  été  formulées  sur  ce 
morceau.  Celle  qui  semble  asoir  le  plus  séduit  les  commentateurs,  c'est  que  la  Fiction 
allégorique  représenterait  la  suprême  pensée  religieuse  de  Rousseau.  M.  Louis 
Thomas  '276  '»•],  36,  va  même  jusqu'à  des  précisions  plus  grandes,  et  place  la 
rédaction  de  ces  quelques  pages  durant  les  dernières  semaines  de  la  vie  de  Jean- 
Jacques,  à  Ermenonville.  J'ai  indiqué  ailleurs  {Questions  de  chronologie  rousseauisle 
[3ooJ,  56-6 1)  pourquoi  cette  hypothèse  était  irrecevable,  et  ce  qui  m'autorisait  à  supposer 
que  ce  morceau  devait  appartenir  au.x  années  lybô-iybj.  Cf.,  sur  cette  question. 
M.M.  Ritter  [274],  278  et  Dufour  [49],  1,  i83,  qui  l'ont  reporté  jusqu'en  1750-1753, 
mais  sans  fournir  leurs  raisons,  et  W.  Cuendet  [298],  196-198,  qui  prouve  judicieu- 
sement que  l'Allégorie  est  antérieure  à  l'Emile,  mais  ne  précise  point  davantage. 

-  Œuvres  inédites  '25],   i83-iS5. 


PREMIERES    ESQUISSES    DE    LA    «    PROFESSION    »  XV 

tain  de  sa  foi.  Laissons-lui  ici  la  parole,  car  il  a  conté  cette  crise  décisive 
en  quelques  pages  très  précieuses,  qui  sont  la  meilleure  introduction  à  la 
Profession  de  foi  :  «  Je  vivais  alors,  écrit-il  dans  la  111'=  Promenade  des 
Rêveries  '.  avec  des  philosophes  modernes  qui  ne  ressemblaient  guère 
aux  anciens  :  au  lieu  de  lever  mes  doutes  et  de  fixer  mes  irrésolutions,  ils 
avaient  ébranlé  toutes  les  certitudes  que  je  croyais  avoir  sur  les  points 
qu'il  m'importait  le  plus  de  connaître  :  car,  ardents  missionnaires 
d'athéisme  et  très-impérieux  dogmatiques,  ils  n'enduraient  point  sans 
colère  que,  sur  quelque  point  que  ce  pût  être,  on  osât  penser  autrement 
qu'eux.  Je  m  étais  détendu  souvent  assez  faiblement,  par  haine  pour  la 
dispute  et  par  peu  de  talent  pour  la  soutenir  :  mais  jamais  je  n'adoptai 
leur  désolante  doctrine:  et  cette  résistance  à  des  hommes  aussi  intolérants, 
qui.  d'ailleurs,  avaient  leurs  vues,  ne  fut  pas  une  des  moindres  causes 
qui  attisèrent  leur  animosité.  Ils  ne  m'avaient  pas  persuadé,  mais  ils 
m'avaient  inquiété.  Leurs  arguments  m'avaient  ébranlé  sans  m'avoir 
jamais  convaincu  ;  je  n'y  trouvais  point  de  bonne  réponse,  mais  je  sentais 
qu'il  y  en  devait  avoir.  Je  m'accusais  moins  d'erreur  que  d'ineptie,  et 
mon  cœur  leur  répondait  mieux  que  ma  raison.  Je  me  dis  enfin  :  Me 
laisserai-je  éternellement  ballotter  par  les  sophismes  des  mieux  disants, 
dont  je  ne  suis  pas  même  sur  que  les  opinions  qu'ils  prêchent  et  qu'ils 
ont  tant  d'ardeur  à  faire  adopter  aux  autres  soient  bien  les  leurs  à  eux- 
mêmes  ?  Leurs  passions,  qui  gouvernent  leur  doctrine,  leur  intérêt  de 
faire  croire  ceci  ou  cela,  rendent  impossible  à  pénétrer  ce  qu'ils  croient 
eux-mêmes.  Peut-on  chercher  de  la  bonne  foi  dans  des  chefs  de  parti  ? 
Leur  philosophie  est  pour  les  autres  :  il  m'en  faudrait  une  pour  moi. 
Cherchons-la  de  toutes  mes  forces,  tandis  qu'il  est  temps  encore,  afin 
d'avoir  une  règle  fixe  de  conduite  pour  le  reste  de  mes  jours.  Me  voilà 
dans  la  maturité  de  l'âge,  dans  toute  la  force  de  lentendement  :  déjà  je 
touche  au  déclin  :  si  j'attends  encore,  je  n'aurai  plus,  dans  ma  délibération 
tardive,  l'usage  de  toutes  mes  forces  :  mes  facultés  intellectuelles  auront 
déjà  perdu  de  leur  activité  :  je  ferai  moins  bien  ce  que  je  puis  faire 
aujourd'hui  de  mon  mieux  possible;  saisissons  ce  moment  favorable  : 
il  est  l'époque  de  ma  réforme  externe  et  matérielle  ;  qu'il  soit  aussi 
celle  de  ma  réforme  intellectuelle  et  morale.  Fixons  une  bonne  fois  mes 
opinions,  mes  principes  :  et  sovons.  pour  le  reste  de  ma  vie,  ce  que 
j'aurai  trouvé  devoir  être  après  v  avoir  bien  pensé.  —  J'exécutai  ce  projet 
lentement  et  à  diverses  reprises,  mais  avec  tout  l'effort  et  toute  l'attention 

'  IX.  341-342. 


XVI  INTRODUCTION 

dont  j'étais  capable.  Je  sentais  vi\ement  que  le  repos  du  reste  de  mes 
jours  et  mon  sort  total  en  dépendaient.  Je  m'y  trouvai  d'abord  dans  un 
tel  labyrinthe  d'embarras,  de  dilHcultés.  d'objections,  de  tortuosités,  de 
ténèbres,  que,  vingt  fois  tenté  de  tout  abandonner,  je  fus  près,  renonçant 
à  de  vaines  recherches,  de  m'en  tenir,  dans  mes  délibérations,  aux  règles 
de  la  prudence  commune,  sans  plus  en  chercher  dans  des  principes  que 
j'avais  tant  de  peine  à  débrouiller;  mais  cette  prudence  même  m'était 
tellement  étrangère,  je  me  sentais  si  peu  propre  à  l'acquérir,  que  la 
prendre  pour  mon  guide  n'était  autre  chose  que  vouloir,  à  travers  les 
mers  et  les  orages,  chercher,  sans  gouvernail,  sans  boussole,  un  fanal 
presque  inaccessible,  et  qui  ne  m'indiquait  aucun  port.  Je  persistai  :  pour 
la  première  t'ois  de  ma  vie  j'eus  du  courage:  et  je  dois  à  son  succès  d'avoir 
pu  soutenir  l'horrible  destinée  qui  des  lors  commençait  à  m'envelopper, 
sans  que  j'en  eusse  le  moindre  soupçon.  Après  les  recherches  les  plus 
ardentes  et  les  plus  sincères  qui  jamais  peut-être  aient  été  faites  par  aucun 
mortel,  je  me  décidai  pour  toute  ma  \ie  sur  tous  les  sentiments  qu'il 
m'importait  d'avoir;  et,  si  j'ai  pu  me  tromper  dans  mes  résultats,  je  suis 
sûr  au  moins  que  mon  erreur  ne  peut  m'étre  imputée  à  crime,  car  j'ai  fait 
tous  mes  efforts  pour  m'en  garantir.  Je  ne  doute  point,  il  est  xrai,  que 
les  préjugés  de  l'enfance  et  les  vœux  secrets  de  mon  ca-ur  n'aient  fait 
pencher  la  balance  du  côté  le  plus  consolant  pour  moi.  On  se  défend 
difficilement  de  croire  ce  qu'on  désire  avec  tant  d'ardeur  :  et  qui  peut 
douter  que  l'intérêt  d'admettre  ou  rejeter  les  jugements  de  laLitre  vie  ne 
détermine  la  toi  de  la  plupart  des  hommes  sur  leur  espérance  ou  leur 
crainte?  Tout  cela  pouvait  fasciner  mon  jugement,  j'en  conviens,  mais 
non  pas  altérer  ma  bonne  foi  ;  car  je  craignais  de  me  tromper  sur  toute 
chose.  Si  tout  consistait  dans  l'usage  de  cette  vie,  il  m'importait  de  le 
savoir,  pour  en  tirer  du  moins  le  meilleur  parti  qu'il  dépendait  de  moi, 
tandis  qu'il  était  encore  temps,  et  n'être  pas  tout-à-fait  dupe.  Mais  ce 
que  j'avais  le  plus  à  redouter  au  monde,  dans  la  disposition  où  je  me 
sentais,  était  d'e.xposer  le  sort  éternel  de  mon  àme  pour  la  jouissance  des 
biens  de  ce  monde,  qui  ne  mont  jamais  paru  d'un  grand  prix.  J'avoue 
encore  que  je  ne  levai  pas  toujours  à  ma  satisfaction  toutes  ces  difficultés 
qui  m'avaient  embarrassé,  et  dont  nos  philosophes  avaient  si  souvent 
rabattu  mes  oreilles.  Mais,  résolu  de  me  décider  enfin  sur  des  matières 
où  l'intelligence  humaine  a  si  peu  de  prise,  et  trouvant  de  toutes  parts 
des  mystères  impénétrables  et  des  objections  insolubles,  j'adoptai  dans 
chaque  question  le  sentiment  qui  me  parut  le  mieux  établi  directement, 
le  plus  crovable  en   lui-même,  sans   m'arrêter  aux  objections  que  je  ne 


PREMIERES    ESQUISSES    DE    LA    .    PROFESSION    ><  XVII 

pouvais  résoudre,  mais  qui  se  rétorquaient  par  d'autres  objections  non 
moins  fortes  dans  le  système  opposé.  Le  ton  dogmatique  sur  ces  matières 
ne  convient  qu'à  des  charlatans  ;  mais  il  importe  d'avoir  un  sentiment 
pour  soi,  et  de  le  choisir  avec  toute  la  maturité  de  jugement  qu'on  v  peut 
mettre.  Si,  malgré  cela,  nous  tombons  dans  l'erreur,  nous  n'en  saurions 
porter  la  peine  en  bonne  justice,  puisque  nous  n'en  aurons  point  la 
coulpe.  Voilà  le  principe  inébranlable  qui  sert  de  base  à  ma  sécurité. 
Le  résultat  de  mes  pénibles  recherches  fut  tel.  à  peu  près,  que  je  l'ai 
consigné  depuis  dans  la  Profession  de  foi  du  Vicaire  sai'ovard  ». 

11  n'arriva  pas  cependant  du  premier  coup  aux  formules  du  \'icaire, 
ou  plutôt,  sentant  désormais  l'impérieux  besoin  de  taire  une  «  profession 
de  foi  ».  il  ne  trouva  pas  dès  l'abord  qui  pourrait  la  «  recevoir  ».  Pendant 
quelques  années.  Rousseau  resta  en  quête  de  confidents.  Avant  de  se 
rappeler  le  «  bon  prêtre  »  de  Turin  et  de  s'incarner  en  lui,  il  aura 
recours  à  d'autres  truchements,  et  il  saisira  toutes  les  occasions,  bonnes 
ou  mauvaises.  «  pour  épancher  dans  le  sein  »  d'un  lecteur  ami  «  tous  les 
sentiments  de  son  cœur»  i.  La  grande  Lettre  à  \'oltaire.  du  18  .Août  1756, 
(àù  on  le  sent  si  heureux  d'avoir  trouvé  un  prétexte  pour  pouvoir  défendre 
«  la  cause  de  Dieu  »  et  soulager  «  son  cœur  »,  est,  à  sa  manière,  une 
«  profession  de  foi  »,  et  trahit  le  même  besoin  '-.  Le  Morceau  allégorique 
sur  la  Révélation  est  peut-être  de  lysy.  Dans  les  derniers  mois  de  cette 
année,  qui  avait  été  à  la  fois  si  douce  et  si  douloureuse  pour  lui,  compre- 
nant enfin  que  l'amour  de  .Mme  d'Houdetot  n'avait  été  qu'un  rêve,  mais 
se  raccrochant  d'autant  plus  désespérément  à  cette  amitié  amoureuse  qui 
lui  échappait,  il  voulut  employer,  pour  la  retenir,  toutes  les  séductions  de 
son  àme  ;  ne  pouvant  être  son  amant,  il  tenta  d'être  son  directeur,  et  com- 
mença pour  elle  des  Lettres  morales'^.  Sous  prétexte  d'y  apprendre  à  Sophie 


'  Expression  du  Vicaire  :  cf.  plus  loin,  p.  33  de  celte  édition. 

'  X.  122-133. 

'  A  .Mme  d'Houdetot,  Lettre  du  28  Janvier  1758  ^34].  237:  cf.  encore  Lettres  des 
3i  Octobre  et  24  Novembre  1757  [34',  157,  189,  et  Lettre  de  .Mme  d'Houdetot  à  Rous- 
seau du  12  Février  1758  [26],  I,  408.  —  Dans  une  Lettre,  qui  doit  être  de  Juillet  1757, 
puisqu'il  y  t'ait  allusion  au  séjour  de  Saint-Lambert  à  Paris,  Rousseau  écrit  à 
.Mme  d'Houdetot,  .\,  i65  :  «  Voici,  .Madame,  les  papiers  que  vous  m'avez  demandés. 
Je  crains  que  vous  ne  puissiez  rien  débrouiller  aux  ratures  des  Lettres.  Si  vous  en 
pouvez  déchiffrer  quelques-unes,  je  vous  prie  de  vouloir  bien  m'indiquer  les  autres, 
afin  que  ie  les  copie  lisiblement.  Quant  au  Catéchisme,  j'y  ai  lait  plusieurs  change- 
ments en  le  récrivant  :  c'est  pourquoi  je  vous  prie  d'en  garder  la  copie  que  je  vous 
envoie,  afin  que  je  puisse  sur  elle  collationner  la  mienne  ».  Quelles  sont  ces  Lettres? 
Il  me  semble  fort  difficile  que  ce  soient  déjà  les  Lettres  à  Sophie .'  Le  Catéchisme  parait 
bien   être   un   autre    ouvrage  ;  et   c'est   un   ouvrage    de  Rousseau,   puisqu'il   y   fait  des 


XVIII  INTRODUCTION 

comment  elle  devait  vivre,  il  lui  disait  surtout  ce  qu'il  pensait,  lui,  Jean- 
Jacques.  «  sur  le  vrai  prix  de  la  vie  »  i  :  c'était  pour  lui  une  occasion  — 
il  en  convenait  lui-même  —  de  formuler  sa  «  profession  de  foi  »  :  «  En 
vous  exposant,  lui  écrit-il,  mes  sentiments  sur  l'usage  de  la  vie,  je 
prétends  moins  vous  damier  des  leçons  que  vous  faire  ma  profession 
de  foi.  A  qui  puis-je  mieux  confier  mes  principes  qua  celle  qui  connaît 
si  bien  tous  mes  sentiments  »2?  Il  nous  reste  aujourd'hui  les  brouillons 
de  six  de  ces  Lettres.  Furent-elles  envoyées  à  leur  destinataire,  je  serais 
tenté  de  l'admettre,  puisque  Rousseau  n'en  a  conservé  que  les  brouillons, 
et  qu'il  n'était  pas  homme  à  laisser  des  œuvres  aussi  travaillées  sans  les 
mettre  au  net.  Mais  il  est  probable  qu'il  n'alla  pas  jusqu'au  bout  de  son 
programme.  La  6<^  Lettre  semble  inachevée  ;  et,  visiblement,  dans  son  état 
actuel,  la  série  n'est  pas  complète.  L'idée  religieuse  pénètre  toutes  les 
considérations  particulières  ;  et  déjà,  en  dépit  de  quelques  contradictions 
superficielles, c'est,  pour  le  fond,  les  principes  mêmes  du  N'icaire;  mais  nulle 
part  les  dogmes  essentiels  qui  sont  la  caution  de  la  loi  morale  ne  sont 
présentés  systématiquement.  Il  est  vraisemblable  que  Rousseau  réservait 
cet  exposé  comme  couronnement  de  sa  direction,  pour  les  dernier^ 
Lettres,  qu'il  ne  rédigea  point.  Se  lassa-t-il  d'écrire,  trouva-t-il  un  accueil 
insuffisamment  compréhensif  et  chaleureux,  ou  plutôt  abandonna-t-il 
ces  premières  esquisses,  parce  qu'il  entrevoyait  déjà  d'autres  œuvres 
où  il  pourrait  s'expliquer  plus  librement  encore,  et  plus  complètement, 
—  je  le  croirais  volontiers. 

11  venait,  en  effet,  sinon  de  terminer  sa  Julie,  du  moins  d'en  arrêter 
le  plan  définitif  pour  les  dernières  parties.  Et  il  pressentait  assez 
ce  que  serait  l'œuvre  pour  savoir  qu'il  pourrait  s'y  mettre  tout  entier. 
Le  problème  moral,  qui  devait  en  faire  le  centre,  non  seulement 
autorisait  la  recherche  religieuse,  mais  semblait  y  inviter.  En  même 
temps,  le  cadre  épistolairc  et  dramatique  du  roman  lui  permettait  de 
rendre  sous  tous  leurs  aspects  les  hésitations  et  parfois  les  contra- 
dictions de  ses  croyances,  sans  pourtant  laisser  douteuse  leur  orien- 
tation générale.  Il  y  a  une  «  profession  de  foi  »  latente,  qui  se  dégage 
de  la  Nouvelle  Héloïse  pour  tout  lecteur  averti  ;  mais,  çà  et  là,  il  v  a  des 
déclarations  et  des  discussions   plus  explicites:  Jean-Jacques,  en  faisant 


chan{,'ements  en  le  recopiant.  Est-ce  un  ouvraf^e  perdu  ?  .Ne  serait-ce  pas  peut-être  une 
première  esquisse  de  la  Profession  rfe /oi  .•' J'inclinerais  vers  cette  hypothèse. 

'   E.xpression  du  Vicaire  :  cf.,  plus  loin,  p.  33  de  cette  édition. 

-  /'■'■'  Lettre  à  Sophie  [3i],  117. 


PREMIERES    ESQUISSES    DE    LA    «    PROFESSION    »  XIX 

parler  complaisamment  les  personnages  de  son  imagination,  a  voulu 
surtout  soulager  son  cœur  et  se  révéler  lui-même.  Et.  par  exemple,  dans 
les  discours  —  les  longs  discours  —  de  .lulie  mourante,  il  v  a  bien  peu 
d'affirmations  qu'il  n'eût  pas  cru  pouvoir  prendre  à  son  compte  :  pro- 
fession de  foi,  d'un  rationalisme  moins  agressif  peut-être  que  celle  du 
Mcaire,  dune  piété  plus  attendrie,  mais  dont  la  substance  reste  identique. 
C'est,  d'ailleurs,  ce  que  Rousseau  reconnaissait  lui-même  ^  :  «  On  trouve, 
dans  VÈiiii/e.  la  profession  de  foi  d'un  prêtre  catholique,  et.  dans 
VHéloïse.  celle  dune  femme  dévote.  Ces  deux  pièces  s'accordent  assez 
pour  qu'on  puisse  expliquer  l'une  par  l'autre  »;  et,  plus  explicitement 
encore  dans  les  Confessions  :  «  La  profession  de  foi  de  cette  Héloi'se 
mourante  est  exactement  la  même  que  celle  du  \'icaire  savovard  »  '-. 

Enfin,  dans  la  Lettre  à  lïAlemberl.  —  dans  cette  espèce  d'intermède, 
tout  pénétré  de  l'esprit  de  la  Xouvelle  Héloïse,  et.  en  quelque  sorte, 
fragment  anticipé  de  l'œuvre  qui  s'achevait —  il  avait  pris  prétexte  du 
Christianisme  des  pasteurs  de  Genève  pour  faire,  en  son  nom  personnel, 
une  déclaration  de  sa  foi  :  «  Les  dix  ou  douze  premières  pages,  écrit-il  ^, 
contiennent  sans  détour,  directement  et  sous  mon  nom,  des  sentiments 
du  moins  aussi  hardis  et  aussi  durement  énoncés  »  que  les  plus  audacieux 
de  VHéloïse.  et.  il  aurait  pu  ajouter,  de  l'Emile. 

Ces  différents  morceaux,  dit-il  encore  *.  «  respirent  les  mêmes 
maximes»  et  les  présentent  sans  plus  de  «  réserve».  Leur  accord  est  d'au- 
tant moins  surprenant  que  je  les  crois  contemporains,  ainsi  que  j'essaierai 
de  le  prouver  plus  loin.  .Mais  la  multiplicité  même  de  ces  démonstrations 
simultanées  suppose  un  besoin  profond.  On  vient  de  voir  que  ce  besoin 
le  travaillait  depuis  fort  longtemps.  Ainsi,  quand  en  1762,  par  la  bouche 
de  son  Vicaire,  il  exposa  publiquement  ce  qu'il  pensait  et  ce  qu'il  était 
décidé  à  penser  désormais  «  sur  le  sort  de  l'homme  et  sur  le  vrai  prix  de 
la  vie  »,  il  répondait  à  une  exigence  essentielle  de  son  âme,  et  il  exécutait 
un  dessein,  dont  il  avait,  bien  des  fois  déjà,  tenté  la  réalisation  fragmen- 
taire. \'ovons  maintenant  comment  il  l'exécuta. 


'  Letlre.'i  de  ta  MunlJ^ne,  III,  I23.  Cf.  encore  /d.,  173,  Lettre  à  .U.  de  BeiTiiiiinnl, 
111.  63. 

'  VIll,  290. 

■'  Observations  sur  tes  retrancliements  que  .\t.  de  Mateslierbes  l'uutait  qu'on  fil 
à  la  «  Xouvetle  Hétoïse  »,  \',  8S. 

■•  Lettre  à  .\l.  de  Beaumont.  111.  Ii2-b3. 


XX  INTRODUCTION 


CHAPITRE  II 

LE    CHOIX    DU    CADRE    ET    LES     SOUVENIRS     PERSONNELS 

I.  Les  précurseurs  de  Jean- Jacques  dans  la  fiction  théologique. 

Si  Rousseau  sonijea  un  instant  à  formuler  directement  en  proposi- 
tions dogmatiques  et  toutes  nues  sa  «  profession  de  foi  »,  comme  allaient 
le  faire  quatre  ans  avant  V Emile  les  pasteurs  de  Genève  S  cette  velléité  fut 
sans  doute  fort  courte.  Il  est  même  improbable  que  l'idée  s'en  soit  jamais 
présentée  à  lui.  Il  sentait  trop  vivement  la  solennité  de  l'acte  qu'il  allait 
oser  pour  ne  pas  chercher  à  l'agrandir  encore  par  une  mise  en  scène,  elle 
aussi,  solennelle.  Il  savait  l'importance  de  la  «  langue  des  signes  »  pour 
émouvoir  «  les  affections  de  l'àme  ».  et  n'avait  garde  de  «  la  négliger  »  -. 
D'ailleurs,  sa  pensée  religieuse,  avant  d'atteindre  la  pleine  sécurité,  avait 
traversé  des  angoisses,  qu'il  était  bon  de  faire  revivre  au  lecteur,  pour  le 
conduire  à  la  même  foi  a.  travers  les  mêmes  émotions.  Tout  semblait 
donc  inviter  Rousseau  à  montrer  ses  cro\ances  en  action,  dans  un  cadre 
dramatique  et  impressionnant.  Si  la  prudence  lui  conseillait  de  ne  pas 
se  compromettre  personnellement  et  nommément,  une  pareille  considé- 
ration n'était  pas,  je  crois,  décisive  pour  un  écrivain  comme  lui.  sincère 
jusqu'à  l'audace,  jusqu'à  la  témérité,  et  qui  méprisait  la  diplomatie  des 
anonvmats  voltairiens.  Mais  il  n'était  pas  encore  d'un  romantisme  assez 
hardi  pour  taire  de  cette  «  profession  de  foi  »  une  «  confession  »  publique 
et  déclarée;  et  il  lui  parut  convenable  d'en  dissimuler  les  aveux  intimes 
derrière  le  voile  léger  d'une  fiction. 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  des  écrivains  français,  ou  accli- 
matés en  France,  avaient  recours  au  roman  pour  présenter  leurs  théories 
et  leurs  rêves  religieux  sous  une  forme  à  la  fois  plus  séduisante  pour 
le   lecteur,   et    moins   dangereuse   pour   eux.    Sans    remonter   à   Thomas 


'  Cf.  leur  Déclaration  dan.s  les  ŒÀii'res  de  Rousseau,  I,  354-H.'iS. 
^  Cf.  IV'  Livre  d'Emile.  Il,  294-296,  Essai  sur  l'origine  des  laiiffues.  I,  370-371, 
et,  ici-même,  dans  la  Professii»!.  p.  37  de  cette  édition,  et  note  6. 


LES    PRECURSEURS    DE    JEAX-JACQUES  XXI 

.Morus.  dont  VUlopie,  vite  populaire  en  France,  présentait  au  lecteur  un 
Christianisme  épuré,  intellii^ible.  proche  de  hi  Nature  et  tolérant  ',  — 
sans  même  s'arrêter  au  bon  Jean  Barclav,  dont  les  Rois  siciliens  et  les 
prêtres  sardes,  quelques  centaines  d'années  avant  le  Christianisme,  {glori- 
fiaient la  Providence  chrétienne  et  célébraient  les  douceurs  de  la  vie 
monastique  -,  —  est-ce  que  Mentor  n'abusait  pas  un  peu  de  la  docilité 
de  son  élève  pour  lui  insinuer  la  doctrine  du  pur  amour  ^? 

Quelques  années  avant  Télémaque.  dès  1676.  Jacques  Sadeur,  qui 
avait  découvert  la  «  Terre  Australe  »  et  y  avait  vécu  «  trente-cinq  ans  », 
en  revenait  avec  une  «  description  de  ce  pavs  inconnu  jusqu'ici,  de  ses 
mœurs  et  de  ses  coutumes  »  :  il  s'v  était  particulièrement  renseigné  sur 
les  crovances  des  Australiens.  «  dont  la  grande  religion  est  de  ne  point 
parler  de  religion  »,  parce  que.  comme  l'expliquait  à  Sadeur.  dans  un 
discours  très  métaphysique,  un  philosophe  de  là-bas,  si  Dieu  existe  —  et 
il  existe  sans  doute.  —  il  est  «  Y  Incompréhensible  ».  et  «  la  raison  nous 
oblige  de  n'en  point  parler  »  *.  L'année  suivante,  le  capitaine  Sirden 
découvrait  une  région  encore  plus  ignorée,  le  pays  des  Sévarambes.  Denis 
Vairasse.  qui  racontait  les  aventures  de  ce  hardi  navigateur,  exposait 
avec  indulgence  la  religion  de  «  ces  peuples  heureux  »,  qui.  «  si  elle 
n'est  pas  la  plus  véritable  de  toutes,  est  du  moins  la  plus  conforme 
à  la  raison  humaine  »  :  il  laissait  deviner  qu'il  penchait,  comme  les 
héros  de  son  histoire,  vers  une  religion  «  raisonnable  »  ;  et  les 
prêtres  giovannites,  dont  il  précisait  complaisamment  les  hérésies,  lui 
étaient  des  porte-paroles  commodes  pour  chercher  noise  au  dogme 
catholique  '. 

.Au  début  du  .Wilh'  siècle,  le  baron  de  la  Hontan  s'était  contenté 
d'explorer  le  Canada  ;  mais  il  y  avait  été  aussi  favorisé  que  Sadeur  ou 
Sirden  dans  leurs  expéditions  plus  périlleuses.  Il  avait  rencontré  en  pleine 
forêt  vierge  un  «  chef  de  sauvages  ».  «  fin  et  politique  »,  auquel  il  avait 
essayé  de  «  découvrir  les  grandes  vérités  du  Christianisme  »;  mais  le 
sauvage   avait   une   dialectique    si    subtile  et   si    embarrassante   dans   sa 


'  Des  différentes  religions  de  l'i'topie,    uô"'-,  2S2-34N. 

-'  Cf.  Argents,  IV  et  VI  [78],  II,  SSo-Sgo,  III,  3io-320,  B^i-Stx). 

^  Cf.  les  rapprochements  entre  le  Télémaque  et  les  Maximes  présentés  par 
.M.  .\Ibert  Cherel  dans  son  édition  critique  des  Maximes  des  Saints,  Paris,  Bloud, 
lyii,    in-i2,    pp.    Q0-Q2. 

*  La  Terre  Australe,  VI    86'''  ,  112,  119-120  sqq. 

"  Histoire  des  Sévarambes  'x-;\  IV,  204.  3ki  sqq. 


XXII  INTRODUCTION 

simplicité,  que  La  Hontan,  déconcerté,  renonçait  à  ses  projets  de  con- 
version, ne  demandait  plus  qu'à  «  se  faire  Huron  »,  à  vivre  innocemment 
de  la  vie  de  la  Nature  sous  «  les  lois  de  l'Instinct  »  et  le  rei,'ard  «  du 
Grand   Ksprit  »  i. 

Jacques  Massé,  lui  aussi,  avait  vovagé  de  par  le  monde.  Kn  1710, 
il  livrait  au  public  le  récit  de  ses  «  aventures  ».  .\  l'une  de  ses  étapes, 
il  avait  rencontré  un  bon  vieillard  chinois,  qui  avait  e.vpérimenté  bien 
des  religions,  et  qui  se  reposait  finalement  dans  un  Christianisme  très 
peu  dogmatique,  mais  très  tolérant,  ou.  pour  mieux  dire.  «  uni\ersa- 
liste  ».  Esclave  chez  des  Turcs,  parmi  ses  compagnons  de  chaîne.  .Massé 
avait  trouvé  «  un  préposant  gascon,  qui  était  bien  le  plus  hardi  athée 
ou  déiste  qu'il  eût  vu  de  ses  veux  »,  au  reste  d'une  douceur  angéliqiie. 
quoique  admirable  ironiste  ''.  Et  le  Gascon,  comme  le  Chinois,  dévelop- 
paient devant  l'innocent  Massé  bien  des  théories  hétérodoxes  ou  liber- 
tines, avec  une  ampleur  satisfaite  qui  aurait  été  inattendue  dans  un 
récit  de  vovage,  si  le  lecteur  n'avait  senti  que  ces  exotiques  philosophes 
n'étaient,  entre  les  mains  de  polémistes  prudents,  que  des  truchements 
dociles. 

Tous  ces  vovages  aux  pavs  des  rêves  théologiques  furent  fort  goûtés  ; 
et  les  romanciers,  en  quête  de  succès,  étaient  sûrs  de  l'obtenir,  s'ils 
glissaient,  parmi  les  aventures  de  leur  héros,  les  discours  de  quelque 
vieux  sage,  qui.  dans  la  solitude  d'une  ile  déserte,  avait  su  retrouver  la 
simplicité  des  lumières  primitives,  ou  ceux  d'un  voyageur  philosophe, 
exilé  chez  de  «  pauvres  sauvages  superstitieux  »,  qui  se  contentait 
discrètement  de  leur  prêcher  la  religion  naturelle.  Qu'on  se  rappelle,  par 
exemple,  les  sermons  du  .Fredelingue  de  Marivaux  (lyaS)  aux  sauvages 
de  son  ile  :  «  C'est  cet  Etre,  leur  dis-je,  qui  a  fait  tout  ce  que  vos  yeux 
vous  font  voir:  il  est  l'admirable  ouvrier  de  toute  la  nature,  de  ce  ciel, 
parsemé  d'éternelles  clartés,  et  de  ce  soleil  qui  réchauffe  les  entrailles 
de  la  terre  et  qui  donne  la  vie  aux  moindres  plantes.  —  Ils  écoutaient 
ces  discours  avec  un  sentiment  intérieur  qui  leur  faisait  connaître  que 
j'avais  raison.  Je  leur  dis  après  :  ...  Cette  àme  qui  vous  anime,  qui  vous 
fait  maintenant  sentir  les  vérités  que  je  vous  apprends,  cette  àme  qui  a 
jugé  qu'il  v  avait  une  puissance  au-dessus  de  vous,  et  qui  ne  s'est  trompée 


'   Xoui'eiîiix    Vo\-iiges   ,.iu    Baron    de    la    Hontan      104,    II,    121.    Dialogues    de 
M.    de   la    Hontan    'lo.SJ,    1,    ïy  sqq. 

-    Vin-age.i  et  aventures  de  Jacques  Massé    iiT,  4i3-4;^.°i.  455-468. 


LES    PRECIRSEURS    DE    JEAN-JACQUES  XXIII 

que  dans  le  choix,  cette  àme  ne  meurt  jamais  :  l'Etre  souverain  l'a  taite 
immortelle  et  capable  de  jouir  de  biens  infinis,  quand  elle  l'a  craint, 
et  capable  de  soutt'rir  un  éternel  malheur,  quand  elle  l'a  méprisé  sur 
terre.  —  C'est  ainsi  que  j'instruisais  ces  sauvages,  et  que,  de  jour  en 
jour,  je  réveillais  dans  leurs  cœurs  ces  sentiments  de  justice  et  de 
religion  que  tous  les  hommes  apportent  en  naissant  »  '.  Le  Sethos 
de  Fabbé  Terrasson  njSii  fait  une  besogne  analogue  chez  les  anthro- 
pophages du  Congo  et  de  la  Guinée.  Il  abolit  leurs  cultes  abominables, 
et  les  remplace  par  une  reli^ôn  plus  douce  :  le  culte  de  la  «  déesse  des 
vertus  ».  «  Peuples  du  Congo,  s'écrie-t-il....  il  ne  suffit  pas  d'avoir  aboli 
un  culte  fau-x  et  criminel,  il  en   faut  élever  sur  ses  ruines  un  qui  soit 

raisonnable   et   digne    de   la   divinité Tous    les    peuples   du    monde 

s'accordent  dans  l'idée  générale  d'un  premier  Etre,  auteur  et  conserva- 
teur de  la  nature.  Si  les  dieux  de  chaque  nation  ne  sont  autre  chose  que 
les  divers  svmboles  sous  lesquels  elles  se  représentent  les  différentes 
perfections  ou  les  différents  dons  de  cet  Etre  unique  et  souverain,  le 
nombre  des  dieux  ne  sera  que  le  nombre  de  ses  attributs  ou  de  ses 
bienfaits  »  '.  L'abbé  Terrasson  fait  remarquer  lui-même  que  quelques- 
unes  de  ces  paroles  «  étaient  un  peu  trop  fortes  pour  ces  sauvages 
ensevelis  dans  une  superstition  dont  les  raisonnements  étaient  incapables 
de  les  tirer  » '^  ;  son  héros  n'en  continue  pas  moins  à  parler  doctement. 
L'année  suivante,  l'abbé  Prévost  publiait  son  Cleveland  (17321.  qui 
impressionna  tellement  Rousseau  que  ce  roman  fut,  en  quelque  sorte, 
l'un  des  événements  de  sa  vie  :  «  La  lecture  des  malheurs  imaginaires 
de  Cleveland.  faite  avec  fureur  et  souvent  interrompue,  m'a  fait  faire,  je 
crois,  plus  de  mauvais  sang  que  les  miens  »  *.  Cleveland,  «  philosophe 
anglais  »  et  protestant,  plus  jeune  que  Sethos  de  quelques  milliers 
d'années,  annonçait  pourtant  aux  «  bons  Abaquis  »  la  même  religion 
que  le  sage  d'Egvpte  aux  cannibales  de  Guinée.  Le  voilà  chez  des  sau- 
vages, qui  lui  ont  confié,  eux  aussi,  la  réforme  et  le  gouvernement  de 
la  nation  :  «  Je  méditais,  dit-il,  sur  la  forme  que  je  devais  faire  prendre 
à  leur  religion.  .Mon  incertitude  ne  dura  pas  longtemps.  Ils  n'avaient 
que  les  lumières  les  plus  simples  de  la  nature,  et  je  ne  les  croyais  pas 
capables  d'en  recevoir  d'autres.  J'examinai  sur  ce  principe  ce  que  l'Etre 


'  Effets  surprenants  de  la  s\tnpjtliie    I  ig,  I,  126-127,  i3i-i32. 

=  Sethos,  VII    134,  11,  170  sqq.,  1H4-1.S3. 

'  Id.,  Il,  173.  " 

*  Confessions.  VIII.  137. 


XXIV  INTRODUCTION 

intinimeni  juste  pouvait  exiger  d'eux.  Il  me  parut  que  le  point  essentiel 
de  leurs  obligations  était  de  reconnaître  un  Dieu  tout-puissant,  leur 
créateur  et  leur  maître  absolu,  de  l'adorer  sans  partage  et  d'espérer  ses 
récompenses.  Telles  furent  les  bornes  que  je  crus  devoir  donner  à  leur 
toi.  Pour  le  culte,  je  résolus  de  bannir  les  cérémonies  mvstérieuses,  parce 
qu'elles  dégénèrent  lot  ou  tard  en  superstition  »;  et  il  leur  prêche  le 
Dieu  de  la  nature  :  «  C'est  lui,  leur  dit-il.  qui  vous  a  donné  la  naissance, 
qui  vous  conserve,  qui  vous  fournit  libéralement  tout  ce  qui  vous 
plaît  et  qui  vous  est  utile.  Ne  sentez-vous  pas  qu'il  faut  aimer  celui 
qui  vous  comble  ainsi  de  ses  bienfaits?  O  bons  .\baquis  !  la  nature 
vous  a  donné  un  cœur:  apprenez-en  à  en  faire  usage;  et,  si  vous  êtes 
sensibles  à  quelque  chose,  soyez-le  à  des  faveurs  que  vous  éprouvez 
continuellement  »  '. 

\'ingt  ans  plus  tard,  ces  divertissements  philosophiques  n'étaient  pas 
encore  épuisés;  et,  presque  simultanément  (lySS  et  1754)  Morell)'  et  le 
roi  de  Pologne  entraînaient  leurs  lecteurs  vers  les  régions  lointaines,  où 
se  sont  réfugiées  les  religions  selon  la  Nature  :  Morelly  décrivait  les  «  îles 
fortunées  ».  où,  «  sous  un  ciel  pur  et  serein,  la  Nature  étale  ses  trésors 
les  plus  précieux  »  et  garde  aux  hommes  leur  innocence  première.  Roi 
de  ces  peuples  heureux,  Zeinzimin  exposait  aux  visiteurs  étrangers  leur 
croyance  en  un  Dieu  bienfaisant,  qui  accorde  à  toutes  ses  créatures  une 
félicité  immortelle,  et  faisait  connaître  leur  cuite,  où  «  les  tables  couvertes 
de  fruits  délicats,  de  breuvages  exquis,  sont  les  autels  et  les  victimes  »  2. 
L'excellent  roi  de  Pologne  Stanislas  émigrait  lui-même,  en  imagination, 
de  son  duché  de  Lorraine,  pour  visiter  le  royaume  de  Dumocala.  Il  y 
trouvait  un  brachmane.  qui,  dans  un  «  temple  majestueux  et  simple  », 
prêchait  le  Dieu  «  de  la  raison  et  du  bon  sens  »,  le  «  Créateur  du  ciel 
et  de  la  terre  ».  Vainement  un  missionnaire  chrétien  était  venu  évangé- 
liser  les  Dumocaliens,  le  brachmane  préférait  se  borner  aux  lumières 
de  la  raison,  et  «  crovait  devoir  s'en  tenir  à  sa  religion,  qui  ne  lui  offrait 
rien  qu'il  ne  pût  entendre  et  rien  en  même  temps  qu'il  ne  fût  possible 
de  pratiquer  »  ■'. 


'  Clevelaïul,  W  j3S^,  V,  ii5.  163-169. 

'  Saufrage  des  îles  flottantes  [206],  1.  ^-b.  Il,  qo-qi,  loo-ioH;  cf..  plus  loin.d;ms 
la  Profession,  pp.  2i5  et  note  2,  217  et  note  1. 

"  Entretien  d'un  Européen  avec  un  insulciire  du  rnyaume  de  Dumocala  ^2[]"i]. 
232-236.  —  On  pourrait  encore  mentionner  l'Iroquois  parisianisé  des  Lettres 
d'Osman  [202'"»],  III.  146-173,  cet  Ij^'li,  qui  «  prétend  sortir  des  mains  de  la  nature», 
qui   frondL-  toutes  les  religions  et  qui   n'est  que  »  l'apôtre  du  déisme  »  iniais  il  faut 


LES    PRECURSEURS    DE    JEAN-JACQUES  XXV 

On  aura  remarque,  sans  doute,  la  parenté  visible  entre  ces  fictions 
romanesques  et  la  fiction  du  Vicaire  Savoyard.  Cadre  et  fond,  il  sem- 
blerait que  tous  ces  récits  enfantins  en  fussent  comme  les  premières 
esquisses. 

La  plupart  des  ouvrages  que  je  viens  de  rappeler,  Rousseau  les  axait 
lus  certainement  K  Nul  doute  que  leur  souvenir  plus  ou  moins  confus 
Tait  poursuivi,  et  même  gêné,  quand  il  faisait  parler  son  Vicaire. 
Cependant  il  ne  crut  pas  devoir  insérer  dans  un  roman  sa  «  profession 
de  foi  ».  La  Nouvelle  Héloïse  lui  a\ait  offert  un  cadre  très  tentant:  et 
Ton  a  vu,  qu'en  effet,  il  avait  mis  dans  la  bouche  de  Julie  mourante 
bien  des  idées  que  le  Vicaire  allait  reprendre.  Mais  un  e.xposé  complet 
ei  méthodique,  avec  les  discussions  très  amples  qu'il  réclamait,  aurait 
déplacé  fâcheusement  le  centre  d'intérêt.  Peut-être  aussi  jugea-t-il  que 
la  gravité  du  sujet  détonnerait  un  peu  dans  cette  atmosphère  amoureuse. 
et  qu'un  livre  où  il  n'osait  inscrire  son  titre  de  citoyen  de  Genève-,  ne 
devait  pas  abriter  le  credo  d'un  homme  qui  avait  repris  sa  religion  pour 
reprendre  sa  patrie. 

.\u  moment  où  il  achevait  de  rédiger  la  Julie,  il  avait  en  chantier 
un  Traité  de  l'éducation.  L'occasion  lui  serait  excellente  de  s'expliquer 
sur  la  religion.  L'élève  qu'il  allait  former  ne  serait-il  pas  là  pour  l'écouter 
et  l'encourager  à  tout  dire?  Autour  de  lui.  les  «  philosophes  »  contem- 
porains essavaient  de  conquérir  la  jeunesse  à  la  «  philosophie  ».  Il 
voulait,  lui,  la  ramener  à  la   religion,  à  sa  religion  ■'•.  En  présentant  au 


noter  ici  que  l'auteur  des  Lettres  d'Osman,  le  chevalier  d"Arcq,  ne  semble  pas  sympa- 
thique aux  idées  de  son  Iglil.  J'ajoute  que.  si  l'on  voulait  chercher  des  ancêtres  au  songe 
de  la  Fiction,  il  ne  faudrait  pas  oublier  les  contes  allégoriques  de  Diderot,  le  songe  que 
Murait  a  raconté  dans  sa  Lettre  sur  l'esprit  fort  (Lettre  qui  se  trouvait  à  la  suite 
de  l'édition  de  1747  des  Lettres  sur  les  Anglais,  que  Rousseau  avait  entre  les  mains 
[121  ''i»],  77sqq.)et  les  Songes  philosophiques  du  .Marquis  d'Argens.  parus  en  1746  à  Berlin 
et  réunis  à  l'édition  de  1755  des  Lettres  chinoises  :  cf.  mes  Questions  de  chronologie 
rousseauiste  [3oo  ,  58-6o.  Enfin,  plus  près  socialement  du  Vicaire,  il  faudrait  faire 
place  au  fantoche  de  l'abbé  de  Saint-Pierre,  à  son  «  Agaton,  archevêque  très  vertueux, 
très  saje  et  très  hureux  »  Isic)  [70],  X,  340-417.  Mais  le  credo  du  Vicaire  serait  encore 
trop  compliqué  pour  Agaton.  Sa  théologie  consiste  surtout  ;i  n'en  point  avoir,  ou,  du 
moins,  a  n'en  pas  parler;  et  sa  «  profession  de  foi  »,  très  rudimentaire,  ne  contient 
qu'une  morale,  ou  plutôt  une  pratique. 

'  Cf.  à  la  Bibliographie,  sous  les  diliérents  numéros  de  ces  ouvrages,  les  textes 
qui  témoignent  ou  permettent  de  supposer  que  Rousseau  les  a  lus. 

^  Cf.  Souvelle  Héloïse,  Seconde  Préface,  IV,  i5. 

'  Lettre  à   M.  de  Beaumont,  111,  82  :  «  Je  dirai  ma  religion   parce  que  j'en  ai 
une....  Il  serait  désirable  qu'elle  fût  celle  du  genre  humain  ». 

3* 


XXVI  INTRODUCTION 

disciple  idéal  le  bréviaire  de  la  vie  morale,  il  pourrait  lui  redire.  —  et 
avec  un  accent  plus  ému  et  plus  grave.  —  ce  que  son  ancien  ami  disait 
à  l'apprenti  philosophe  :  «  Jeune  homme,  prends  et  lis  »  ^  —  La 
Profession  de  foi,  roman  théologique,   tut  insérée  dans  l'Emile. 


2.  La  «  Profession  »  et  les  «  Confessions  ». 

Si  le  cadre  de  la  Profession  est  dramatique  et  romanesque,  tout  le 
récit  n'est  pourtant  pas  une  fiction.  «  Je  garantis,  dit  Rousseau,  la  vérité 
des  faits  qui  vont  être  rapportés  :  ils  sont  réellement  arrivés  à  l'auteur 
du  papier  que  je  vais  transcrire  ».  Les  Confessions  ont  ajouté  à  cette 
déclaration  une  garantie  posthume.  Les  .Manuscrits  sont  là,  d'ailleurs, 
pour  témoigner,  qu'à  certain^  moments  de  la  rédaction,  l'auteur  d'Emile 
et  «  l'auteur  du  papier  »  n'ont  lait  qu'un,  et  que  Rousseau  a  songé,  — 
un  instant  du  moins.  —  a  prendre  tout  le  récit  à  son  compte  -.  Cependant 
le  te.xte  définitif  est  plus  discret.  Quand  on  arrive  à  cet  aveu  :  «  je  me 
lasse  de  parler  en  tierce  personne,  et  c'est  un  soin  fort  superflu,  car  vous 
sentez  bien,  cher  concitovcn,  que  ce  malheureux  fugitif,  c'est  moi-même  », 
—  on  serait  tenté,  à  première  lecture,  de  regarder  cette  interruption  du 
récit  comme  la  brusque  entrée  en  scène  de  Rousseau  ;  et,  dans  le  tond, 
c'est  bien  cela  ;  mais,  à  s'en  tenir  aux  termes  mêmes  du  texte,  cette 
conjecture  ne  nous  est  pas  permise  :  le  «  cher  concitoyen  »,  c'est  Rousseau 
lui-même,  et  «  l'auteur  du  papier  »  lui  dit  :  «  votre  élève  ».  Rousseau  le 
fera  remarquer  plus  tard  avec  une  satisfaction  de  juriste  :  «  Il  est  clair 
par  là.  dira-t-il.  que  la  Profession  de  fii  n'est  pas  un  écrit  que  j'adresse, 
mais  un  écrit  qui  m'est  adressé  »  •'•.  Ce  sont  là,  il  est  vrai,  des  chicanes 
et  des  arguties  d'avocat,  qui  ne  trompaient  personne  dès  l'apparition 
d'Emile*,  et  qui  n'ont  plus  aujourd'hui  qu'un  intérêt  archéologique. 
Depuis  la  publication  des  (Confessions,  le  Prologue  de  la  Profession  de 


'  C'est  le  mot  de  Diderot  en  tète  de  ses  Pensées  sur  l'interpréiation  de  la 
Nature  [210',  7. 

'  Cf.,  plus  loin,  dans  cette  édition  de  la  Profession,  pp.  4.  5  et  note  4.  14  et 
note  12,  i5  et  note  6. 

^  Déclaration  relative  au  Pasteur  Vernes,  IX,  90. 

■•  Cf.  les  Conclusions  de  M.  le  procureur  général  Jean-Robert  Troncliin  sur  le 
«  Contrat  social  »  et  I'  «  Emile  »,  en  Juin  1762  [260J,  17,  où  il  cite  précisément  le 
«  je  me  lisse  de  parler  en  tierce  personne  »,  en  en  faisant  l'application  à  Rousseau. 


LA    «   PROFESSION    »    ET    LES    «   CONFESSIONS    »  XXVII 

/bi  peut  être  considéré  comme  un  fragment  anticipé  de  «  Mémoires  ». 
Sont-ce  des  mémoires  exacts,  et  peut-on  les  annexer  aux  Confessions  en 
guise  de  supplément.  —  le  problème  devient  ici  plus  délicat  et  mérite 
examen. 

Si  Ion  compare  le  récit  de  VÉmile  au  récit  des  Confessions,  on 
s'apercevra  que  les  deux  récits,  là  où  ils  concordent,  ne  s'accordent  pas 
toujours,  et  que  celui  des  Confessions  est  à  la  fois  moins  dramatique  et 
plus  vraisemblable.  Le  «  calviniste  expatrié  »  de  l'Emile.  «  fugitif,  sans 
ressources  »,  entre  chez  les  catéchumènes  «  pour  avoir  du  pain  »;  le 
Jean-Jacques  des  Confessions  n'est  venu,  très  librement  et  très  gaillarde- 
ment. d'Annecv  à  Turin  que  pour  y  entrer.  «  L'hospice  pour  les  prosé- 
lytes »  est  une  manière  de  mauvais  lieu,  dont  les  directeurs  semblent  des 
proxénètes  ;  l'hospice  de  Jean-Jacques  n'est  certes  pas  le  séjour  de  la 
vertu,  et  l'administration  y  est  même  indulgente  au  vice  :  mais,  si  l'on  y 
voit  des  gestes  malpropres,  ce  sont  des  camarades  polissons  qui  les  pro- 
voquent. Le  prosélvte.  pour  s'être  refusé  à  des  propositions  «  infâmes  », 
est  traité  en  «  criminel  »:  on  se  contente  de  rendre  à  Jean-Jacques  «  le 
séjour  de  l'hospice  désagréable  ».  Le  prosélyte  finit  par  s'évader,  et  le 
bon  prêtre  savovard,  qui  s'intéresse  à  lui,  «  n'hésite  pas  à  favoriser  son 
évasion  »;  Jean-Jacques,  qui  ne  connaîtra  l'abbé  Gaime  qu'au  sortir 
de  l'hospice,  fait  une  sortie  très  régulière,  dûment  converti  et  rebaptisé, 
emportant  avec  lui  les  quelque  «  vingt  francs  en  petite  monnaie  qu'avait 
produits  sa  quête  »  '. 

.\u  reste,  le  récit  des  Confessions,  pour  être  moins  romanesque, 
n'offre  pas  beaucoup  plus  de  sécurité;  et  il  est  très  vraisemblable  que  le 
drame  de  l'hospice  a  été  moins  atroce  que  l'imagination  de  Jean-Jacques 
se  l'est  figuré  plus  tard;  en  tous  cas.  il  fut  court,  et  au  prix  d'une 
conversion  promptement  bâclée,  Jean-Jacques  le  réduisit  au  minimum, 
car  il  quittait  l'hospice  onze  jours  après  v  être  entré  '-. 


'  Confessions,  VllI,  41-4S.  Cf.,  plus  loin,  dans  cette  édition  de  la  Profession, 
pp.  3-7.  la  comparaison  détaillée  des  textes. 

'  Depuis  T878,  où  le  pasteur  Jean  Gaberel  avait  publié  un  soi-disant  «  fac-similé 
de  l'acte  d'abjuration  de  Jean-Jacques  Rousseau  à  l'archiconfrérie  du  San-Spirito 
en  1728»  [263.  j55,  les  historiens  de  Rousseau  admettaient  qu'il  était  resté  quatre 
mois  et  onze  jours  à  l'hospice,  du  12  .\vril  au  23  .\oùt  1728  :  cf.,  par  exemple, 
G,  Valleite  '287  ■>'«],  49  et  note  2.  Mais  le  texte  du  registre  avait  été  mal  lu.  J'en  ai 
donné  une  reproduction  photographique  dans  mon  article  :  Le  séjour  de  Jean-Jacques 
Riiusseau  à  l'hospice  du  San  Spirilo  3oi'.  On  v  verra  qu'au  lieu  de  lire  .\gosto,  il  faut 
lire  .iple.  I  barré  (=  Aprilei  et  que  Jean-Jacques,  entré  ;i  l'hospice  le   12  .\vril,  abjura 


XXVIII 


INTRODUCTION 


Cependant,  il  n'est  pas  impossible  que  tel  renseignement,  fourni  par 
le  seul  prologue  de  la  Profession,  puisse  être  utilisé  pour  la  biographie 
de  Rousseau,  et.  par  exemple,  je  serais  tenté  de  croire  que  .lean-Jacques, 
comme  «  le  jeune  homme  »  de  VEinile,  a  pu  demander  à  l'abbé  Gaime 
d'être  inscrit  parmi  les  pauvres  qu'on  avait  charité  le  prêtre  de  secourir  i; 
je  croirais  vraisemblable  aussi  que.  dès  cette  époque,  Rousseau  avait  pris 
l'habitude  de  «  faire  des  extraits  de  livres  choisis  »  -  :  mais,  si  ces  petits 
détails  portent  avec  eux  leur  probabilité,  on  a  vu  qu'il  serait  imprudent 
d'écrire  la  \ie  de  Jean-.lacques  à  Turin  en  acceptant  comme  authentiques 
toutes  les  indications  de  l'Emile.  A  plus  forte  raison,  ne  faut-il  pas 
chercher  dans  ces  mémoires  remaniés  une  biographie  exacte  du  «  Mcaire 
Savoyard  ». 

Si  1  on  en  croit  Rousseau  lui-même,  le  personnage  aurait  un  double 
modèle  :  «  Réunissant  .M.  Gàtier  a\ec  J\l.  Gaime.  je  fis,  dit-il.  de  ces  deux 
dignes  prêtres  l'original  du  Vicaire  Savovard  »  '■'.  Ce  serait  M.  Gaime  qui 
aurait  tourni  pour  ce  portrait  les  éléments  les  plus  nombreux  et  les  plus 


le  21.  el  tut  baptisé  lu  23  du  même  mois,  \oici.  d'ailleurs,  la  transcription  de  la  partie 
du  registre  qui  le  concerne. 


[Aniio      (liilherumîni  |  Ella  |    Ariuo 


I  I  ' 

Parlenza  St>n»  AhjiiiM    it.illes 


I 


jlticpri'he  dello 
H.if  jlf  f  Strcnf 


Rosso 

i6 

12 

l.\éant] 

Caluinista 

2  I 

2:i 

1  Sig.  Giuseppe 

L. 

5.10 

(iioGiacomo 

.\prille 

Aple 

Aplc 

Andréa  Ferrero 

di  Oeneua 

Sig.  Franca 

(^aiuinista 

(^hristina  Rocca 

1 

Ce  registre  nous  apporte  aussi  des  renseignements  très  intéressants  sur  les  com- 
pagnons de  Jean-Jacques  et  nous  permet  de  contrôler  par  le  menu  le  récit  des  Confessiims  : 
ci.,  à  ce  sujet,  mon  article  cité.  —  Sur  l'hospice  même  du  San-Spirito,  son  histoire 
et  son  organisation,  cf.  l'ouvrage  de  Marocco  1264]. 

•  Cf.,  plus  loin,  dans  cette  édition  de  la  Profession,  p.  21  et  note  2. 

-  Id.,  p.  ig  et  note  2. 

'  Confessions.  VIII,  84 


LA    «    PROFESSION    »    ET    LES    «   CONFESSIONS    »  X.XIX 

caractéristiques.  Comme  le  Vicaire,  il  était  prêtre,  et  prêtre  savoyard. 
Précepteur  des  enfants  du  comte  de  .Mellarèdc,  le  jeune  .lean-Jacques  lit 
sa  connaissance  à  Turin:  et  c'est  à  lui  qu'il  dut  de  ne  pas  sombrer 
irrémédiablement  dans  Timmoralité  et  l'irréligion  qui  guettaient  sa  vie 
vagabonde.  .Modeste,  instruit,  dédaigneux  de  l'intrigue  et  sans  crédit 
mondain,  nature  élevée  et  généreuse,  esprit  profondément  religieu.v  sans 
étroitesse.  —  cet  abbé  Gaime  que  font  revivre  les  Confessions,  nous 
apparaît,  sous  tous  ces  aspects,  comme  le  Sosie  du  Vicaire  '.  Mais  le 
Vicaire  a  «  une  figure  intéressante»;  et  ici  l'on  se  rappelle  plutôt  «  la 
physionomie  touchante  »  de  l'abbé  Gàtier.  «  ses  grands  yeux  bleus  »,  dont 
Rousseau  trouvait  si  impressionnant  «  le  mélange  de  douceur,  de  ten- 
dresse et  de  tristesse  ».  Le  Vicaire  a  eu  «  une  aventure  de  jeunesse  »: 
il  n'a  pas  su  résister  à  «  la  voix  de  la  Nature  »  ;  sa  probité  trop 
scrupuleuse,  lui  défendant  les  dissimulations  hvpocrites,  «  a  laissé  ses 
fautes  à  découvert»:  on  lui  a  fait  «  e.fpier  le  scandale  »;  et  il  a  été 
arrêté,  interdit,  chassé  ».  C'est  l'histoire  même  de  l'abbé  Gàtier,  telle,  du 
moins,  que  Rousseau  l'a  entendu  raconter.  Victime  de  «  son  cœur  trop 
tendre  ».  le  jeune  et  candide  prêtre  se  laissa  prendre  au  même  piège 
et  causa  le  même  scandale:  lui  aussi,  «il  fut  mis  en  prison,  diffamé 
chassé  »  ■-. 

Cette  seule  compénétration  des  deux  personnages,  si  l'on  peut  ainsi 
parler,  nous  inviterait  déjà,  il  me  semble,  à  ne  pas  chercher,  pour  tous  les 
épisodes  de  la  biographie  idéale  du  Vicaire,  des  identifications  impossibles. 
Le  schéma  général  peut  rester  vrai,  mais  la  fantaisie  doit  se  retrouver  dans 
les  détails  :  le  travail  d'idéalisation  était,  d'ailleurs,  légitime  dans  un 
ouvrage  qui  n'avait  rien  d'historique,  et  dont  ce  morceau,  en  parti- 
culier, devait  prendre  aux  veux  de  tous  les  lecteurs  une  valeur  de 
symbole.  Essavons  donc  de  démêler,  dans  le  Prologue  de  la  Profession, 
ce  qui  appartient  aux  deux  prêtres  savovards,  et  ce  qui  appartient  à 
la  fiction. 

L'abbé  Gaime  est  connu.  Les  recherches  de  M.  .Mugnier  ont  permis 
de  le  suivre  dans  les  principales  étapes  de  sa  vie  '•.  .Aussi  me  contenterai-je 
de  résumer  brièvement  ce  qui  est  aujourd'hui  acquis,  et  d'y  ajouter 
quelques  indications  nouvelles.  Jean-Claude  Gaime  ou  Gaymoz,  était  né 
à  Hérv-sur-.\lbv.  en  Savoie,  le  2  Septembre  i6q2;  c'est  dire  que.  comme 


'  A/..  63-64. 
'-  Id.,  S3-84. 
'  J.  J.  Ruiisseau  et  Mme  de   Warens  [272].  46-55  et  424-42Q. 


XXX  IXTRODUCTIOX 

le  Vicaire.  «  il  était  né  pauvre  et  paysan,  destiné  par  son  état  à  cultiver  la 
terre  ».  11  fit,  sans  doute,  ses  études  ecclésiastiques  au  séminaire  des 
Lazaristes  d',\nnecy.  En  AntII  172-2.  il  se  trouvait  à  Turin  depuis  déjà 
quelque  temps,  et  avait  passé  Texamen  de  .Maitre-ès-arts  à  l'L'niversité 
de  cette  \ille.  Le  22  .\vril  1723  et  le  24  Février  1724,  il  recevait  d'.\nnecv 
une  double  lettre  dimissoire.  lautorisant  à  se  faire  ordonner  sous-diacre 
et  diacre  en  Piémont  '.  Kn  1725,  il  était  prêtre,  et  toujours  à  Turin.  C'est 
à  ce  moment,  semble-t-il.  qu'il  entra  comme  précepteur  chez  le  Comte 
de  .Mellarède.  De  173s  à  1745,  nous  savons  qu'il  fut  professeur  de 
français  et  sous-prieur  à  l'.Vcadémie  royale  des  jeunes  nobles;  mais,  très 
vraisemblablement,  il  \-  enseignait  dès  1730.  En  1745.  il  quitta  Turin, 
et  revint  en  Savoie,  à  Rumiih'.  11  s'v  trouvait  encore  quand  Rousseau 
composait  la  Profession  de  foi  :  et  c'est  là  qu'il  mourut,  le  i3  Mai  17G1. 
après  avoir  passé  dans  ce  petit  villai^e  quinze  années  d'une  vie  «  autant 
édifiante  qu'intérieure  »  -.  On  jugera,  sans  doute,  inutile  de  vouloir,  avec 
M.  Mugnier,  le  disculper  «  d'une  aventure  de  jeunesse  »  que  Housseau 
ne  lui  a  jamais  imptitée.  .Mais  a-t-il  été  le  «  protestant  déguisé  »  et  le 
chrétien  émancipé  qui  nous  est  présenté  dans  ÏEmile?  On  est  moins  à 
l'aise  pour  répondre.  Qu'il  ait  eu  une  théologie  accommodante,  faisant 
assez  bon  marché  des  dogmes  les  plus  spéculatifs,  pour  s'attacher  surtout 
à  la  morale  et  au.v  «  devoirs  de  pratique  ».  —  la  chose  est  possible,  mais 
je  douterais  fort  qu'il  eût  été  aussi  hardi  que  Rousseau  dans  ses  affirma- 
tions rationalistes,  je  douterais  surtout  qu'il  les  eût  faites  avec  cette  àpreté 
d'accent  qui  est  la  marque  propre  de  Jean-Jacques.  A  s'en  tenir,  d'ailleurs, 
au  seul  récit  des  Confessions,  on  peut  apporter  quelques  retouches  au 
portrait  de  VÉmile  :  l'abbé  Gaime  n'a  pas  offert  ce  spectacle  piquant 
d'un  prêtre  catholique  «  faisant  évader  »  un  calviniste  d'un  hospice  de 
catéchumènes,  puisque  Jean-Jacques,  on  l'a  vu.  ne  s'évada  point  de 
Ihospice,  et  que  les  relations  entre  le  jeune  homme  et  le  prêtre  ne 
semblent  avoir  commencé  que  chez  .Mme  de  N'ercellis.  L'abbé  Gaime 
conseilla  peut-être  à  son  protégé  de  «  retourner  dans  sa  patrie  »  ^,  mais 
il  \-  a  une  nuance  entre  ce  conseil  et  cet  autre  du  \'icaire  :  «  Reprenez 


'  .lu  dois  ce  renseignement  ;i  l'oblif^eance  de  M.  le  Chanoine  Rebord,  qui  prép.nre 
un  Dictionnaire  biographique  du  clergé  savoisien.  M.  Rebord  a  recueilli  ces  indications 
dans  le  registre  des  titres  cléricau.x,  ordinations  et  dimissoires,  qui  se  trouvait  à 
l'évêché  d'Annecy  avant  la  Séparation,  mais  qui  ne  semble  pas  avoir  passé,  avec  les 
autres  documents  épiscopaux.  dans  les  Archives  départementales  de  la  Haute-Savoie. 

-  .\cte  de  décès  de  .M.  Gaime.  dressé  par  .M.  Bugnard.  curé  de  Rumillv  |^272J,  428» 
Confessions,  VIII,  ('14. 


LA    «   PROFESSION    ))   ET   LES    «   CONFESSIONS   »  XXXI 

la  religion  de  vos  pères  »  '.  Rousseau  reconnaît  lui-même  que,  «  la 
prudence  lohligeant  à  parler  avec  plus  de  réserve,  il  s'expliqua  moins 
ouvertement  sur  certains  points  ».  Ne  cherchons  donc  dans  la  Profession 
du  Vicai>-c.  comme  Rousseau  nous  y  invite  encore,  que  «  la  substance 
des  entretiens  »  de  M.  (jaime  -. 

Les  renseignements  sur  .M.  Gàtier  restaient  jusqu'ici  plus  rares. 
«  C'était,  disent  les  Con/essions  ^.  un  jeune  abbé  Faucigneran  »,  et 
M.  Mugnier  avait  retrouvé  la  trace  de  deux  abbés  Gàtier,  tous  deux  du 
Faucigny,  sur  lesquels  il  apportait  la  brève  note  que  voici  :  «  L'un  était 
vicaire  à  Cluses,  et  y  est  mort  en  1725,  après  une  vie  exemplaire;  Tautre 
était  professeur  au  collège  de  la  même  ville  en  1/35.  Ce  dernier  a  pu 
se  trouver  au  séminaire  en  172Q  ou  jySo:  mais  certainement  il  n'a 
pas  été  le  héros  ou  la  victime  de  l'aventure  imaginée  par  Jean-Jacques  »*. 
C'est  effectivement  ce  second  abbé  Gàtier,  qui  a  dû  être,  au  séminaire 
d'Annecv,  le  guide  et  l'ami  de  Rousseau.  Je  suis  parvenu  à  fixer  avec 
quelque  précision  les  principales  étapes  de  sa  carrière.  Ces  documents 
tout  secs  et  ces  dates  toutes  brutes  n'ajoutent  aucune  touche  nouvelle 
au  portrait  esquissé  par  Rousseau  :  ils  permettent,  du  moins,  d'hésiter 
fortement  devant  les  on-dit  qii'il  rapporte. 

Jean-Baptiste  Gàtier  ■'  naquit  à  Cluses  le  i5  Avril  lyoS  ''.  Par  déli- 
bération du  conseil  de  Cluses,  en  date  du  2  Octobre  172g,  il  était  désigné 
comme  boursier  de  la  ville  au  collège  des  provinces,  récemment  fondé  à 
Turin.  L'acte  de  délibération  du  conseil,  qui  le  qualifie  de  «  bourgeois 
de  Cluses  »  et  de  «  sous-diacre  »,  rappelle  qu'il  a  déjà  «  étudié  pendant 
trois  ans  la  théologie  au  Collège  Roval  des  Pères  de  Saint  Dominique  de 
Chambérv  »\  11  est  plus  que  probable  qu'après  ces  trois  ans  de  collège. 


'  et".,  plus  loin,  dans  cette  édition  de  la  Profession,  p.  43g. 

-  Confessions,  VIII,  64.  Il  avoue  encore.  Lettres  de  la  Montagne.  III,  141,  qu'il 
a  fait  parler  son  Vicaire  «  comme  jamais  prêtre  catholique  n'a  parlé  ». 

'  Confessions,  VIII,  83. 

'  J.  ./.  Rousseau  et  Mme  de  Warens  [272^,  59. 

°  On  trouve,  dans  les  documents  ofliciels  que  je  vais  utiliser,  les  orthographes  : 
Gattier,  Gatthier,  Gatier. 

^  Voici  son  acte  de  baptême,  dont  je  dois  la  communication  à  .M.  Joseph  Serand, 
archiviste-adjoint  de  la  Haute-Savoie  :  «  Die  i5  Aprilis  1703  natus  et  baptisatus  fuit 
Joannes  Baptista  filius  Claudi  Gattier  et  Franciscae  Raclez  conjugum.  Susceptores 
Jacobus  Franciscus  Gattier  et  Maria  Gerva  ».  Ce  document  a  été  copié  par  .M.  Perroud, 
instituteur  à  Cluses. 

'  Archives  municipales  de  Cluses,  te.xte  communiqué  par  .M.  Joseph  Serand, 
d'après  une  copie  de  .M.  Perroud.  instituteur  à  Cluses.  Ce  texte  avait  déjà  été  publié, 
mais  fautivement,  par  l'abbé  Lavorel  I271],  203-204.  ^-'^  texte  de  M.   Lavorel  parle  du 


XXXII  INTRODUCTION 

(il  pour  devenir  sous-diacre,  il  passa  par  le  Grand  Séminaire  d'Annecy. 
«  FactLis  sacerdos,  an.  1728  »,  a  écrit  en  marge  de  son  acte  de  baptême 
une  main  inconnue.  Sacerdos  doit  être  entendu  ici  au  sens  large,  et 
signifie  sans  doute  l'entrée  au  séminaire  pour  recevoir  les  ordres.  Ton- 
suré le  12  Mars  1729,  il  dut  devenir  sous-diacre  à  l'automne,  avant  de 
partir  pour  Turin,  d'où  il  revint  à  Annecy,  l'année  suivante,  recevoir  la 
prêtrise  des  mains  de  M.  de  Bernex  (4  mars  1730)  '.  Ces  dates  concordent 
fort  bien  avec  le  récit  des  Confessions  pour  l'année  1729  :  «  Le  temps  des 
ordinations  étant  venu,  M.  Gàtier  s'en  retourna  diacre  dans  sa  province  »  '-. 
On  a  vu  qu'il  n'v  resta  pas  longtemps,  puisqu'en  Octobre  de  cette  même 
année,  il  était  choisi  par  le  conseil  bourgeoisial  de  Cluses  pour  repré- 
senter la  ville  au  collège  des  provinces.  Son  séjour  à  Turin  dura  un 
an  à  peine,  et  encore  tut-il  interrompu  par  le  vovage  d'Annecy  pour 
la  cérémonie  de  l'ordination.  Le  28  Octobre  1730,  le  conseil  de  Cluses 
le  nommait  régent  au  collège  de  Cluses  «  pour  enseigner  la  jeunesse 
et  la  pousser  jusqu'en  troisième  inclusivement  »  ''.  Le  29  Avril  1750, 
il  était  nommé  curé  de  Saint  Pierre  de  Curtille  ',  où  il  mourait  toujours 
curé,  en  Février  i7(")o  ■''.  Resttt-t-il  au  collège  de  Cluses  jusqu'à  sa 
nomination  à  la  paroisse  de  Curtille,  la  chose  n'est  pas  sûre,  mais  elle 
est  vraisemblable.  En  tous  cas,  les  actes  épiscopaux,  registres  des  ordina- 
tions et  des  institLitions.  restent  muets  sur  son  compte  durant  cette 
période.  Aiicune  aventure  de  jeunesse  dans  sa  vie  jusqu'en  1730,  cela  parait 
certain  :  la  nomination  de  régent  de  collège,  à  défaut  d'autre  document, 
semblerait  le  garantir.  .\près  1730.  aucune  trace  de  «  scandale  »,  et,  sans 
doute,  une  existence  régulière.  Jusqu'à  nouvelle  découverte,  il  faut  donc 
regarder  le  récit  de  Rousseau  comme  très  suspect.  Non  pas  certes  que 
l'on  soit  en  droit  de  soupçonner  Rousseau  d'une  invention  calomniatrice; 
et,  s'il  disait  avoir  été  le  témoin  de  «  l'aventure  ».  je  le  croirais  très 
volontiers  :  mais  il  ne  le  tut  pas  :  «  (^)uelques  années  après,  dit-il.  j'appris. 
qu'étant  vicaire,  etc le  ne  sais  s'il  aura  pu,  dans  la  suite,  rétablir  ses 


«  collèj;e  royal  des  RR.  PP.  Dominicains  à  Annecy-^,  alors  que  les  Dominicains  n'ont 
jamais  enseigné  à  Annecy.  C'est  à  Chambéry  qu'était  leur  collège. 

'  Ces  dates  d'ordination  m'ont  été  fournies,  pour  Gatier  comme  pour  Gaime. 
par  M.  le  Chanoine  Rebord.  Elles  proviennent  de  la  même  source. 

-  VIII,  «4. 

'  .Archives  départementales  de  la  ll.iute-Savoie.  Rc^'istres  des  Institutiiins  de 
Ml,')-  de  Bernex  (1728-1734),  f"   Kîô '"-■". 

*  Id.,  Inslitiitions  de  Mgr  Descliamps  11748-1756),  f"  i79'"-i8o''. 

»  Id.,  /d.  (1756-1763),  f"  297 '•. 


LA  REDACTION  ET  LES  SUGGESTIONS  CONTEMPORAINES     XXXIII 

affaires  ».  Ce  sont  là  des  formules  qui  trahissent  une  information  très 
indirecte  et  même  imprécise.  Rousseau  aura  pu  confondre  deux  noms 
analogues:  il  aura  pu  surtout  être  desservi  par  des  souvenirs  déjà  vieux 
de  trente  ans.  Il  avait  jadis  entendu  parler  de  quelque  desservant  de 
Savoie  dont  l'inconduite  avait  fait  scandale.  Pourquoi  ce  prêtre  trop 
sensible  n"aurait-il  pas  été  cet  abbé  Gâtier,  dont  les  «  i^rands  yeux  bleus  » 
semblaient  révéler  un  tempérament  romanesque  ?  Fn  tout  cas,  cette 
défaillance,  si  «  naturelle  »,  d'un  cœur  aimant  méritait  bien  d'être 
attribuée  au  Vicaire  savovard,  à  ce  «  bon  prêtre  ».  qui,  pour  être  prêtre, 
n'en  était  pas  moins  «  homme  ».  et  qui  prêchait  à  son  jeune  disciple  le 
Dieu  de  la  Nature  et  du  cœur?  Plus  tard,  en  rédigeant  ses  Conjessions. 
il  crut  pouvoir  restituer  à  Gàtier  l'aventure  de  son  Vicaire  ;  et,  pas  un 
instant,  sans  doute,  il  ne  se  rendit  compte  que  cette  conjecture,  peut-être 
téméraire,  pouvait  passer  pour  une  calomnie.  D'avoir  apporté  une  nuance 
au  portrait  du  prêtre  idéal  demeurait  à  ses  veux  un  honneur  enviable, 
dont  personne  ne  pouvait  faire  fi,  même  si  cet  honneur  était  injustifié  : 
véridique  ou  non,  devait-il  se  dire  à  lui-même,  «  je  me  flatte  que 
l'imitation  n'a  pas  déshonoré  ses  modèles  »  '. 


CHAPITRÉ  III 

LA  RÉDACTION  ET  LES  SUGGESTIONS  CONTEMPORAINES 

J'ai  essavé  de  montrer  pour  quelle  raison  la  Profession  de  foi  avait 
été  insérée  par  Rousseau  dans  VEiiiile.  Elle  en  est  devenue,  dans  l'état 
définitif  du  livre,  une  partie,  je  ne  dirais  pas  essentielle,  mais  intégrante, 
puisque  c'est  elle  qui  doit  fournir  la  réponse  à  l'une  des  questions  les 
plus  graves  qui  soit  impliquée  dans  le  problème  de  l'éducation  :  Faut-il 
une  religion  à  l'enfant,  et  quelle  doit-elle  être?  Cependant,  si  les  deux 
oeuvres  ne  forment  qu'un  tout  bibliographique,  une  lecture  attentive 
permettra  de  remarquer  que,  primitivement  du  moins,  elles  n'ont  pas 
été  écrites  l'une  pour  l'autre.  La  Profession  semble  parfois  contredire  le 
reste  de  VÉmile.  et  sur  des  points  qui  ne  sont  pas  négligeables.  Nous 
voulons,  écrit  Rousseau  à  la  page  qui  suit  la  Profession,  «  que  l'homme 

'  Confessions.  VIII.  84. 


XXXIV  INTRODUCTION" 

soit  toujours  un.  le  plus  qu'il  est  possible  »  ';  et  telle  doit  être,  en  eH'et. 
la  conséquence  pratique  d'une  philosophie  qui  proclame  la  bonté  de  la 
nature  :  rétablir  dans  l'homme  l'unité  primitive  détruite  par  la  vie  sociale. 
Or  le  Vicaire  n'a  rien  affirmé  plus  fortement,  ni  avec  une  éloquence  plus 
émue,  que  la  dualité  de  l'être  humain  :  «  Non,  l'homme  n'est  point  un  ! 
Je  veux  et  je  ne  veux  pas:  je  me  sens  à  la  fois  esclave  et  libre....  J'ai 
toujours  la  puissance  de  vouloir,  non  la  force  d'exécuter...;  le  sentiment 
de  ma  liberté  ne  s'efface  en  moi  que  quand  je  me  déprave  et  que 
j'empêche  enfin  la  voix  de  l'âme  de  s'élever  contre  la  loi  du  corps  »  -. 
En  formulant  ces  affirmations,  le  Vicaire  n'est  plus  un  philosophe  de  la 
Nature,  il  redevient  un  prêtre  chrétien. 

On  dira  peut-être  que  les  contradictions,  ou,  si  l'on  veut,  les  appa- 
rences de  contradictions,  sont  si  nombreuses  chez  Rousseau,  non  seule- 
ment entre  ses  difî'érentes  œuvres,  mais  dans  l'intérieur  de  chacune 
d'elles,  qu'il  serait  imprudent  d'en  tirer  une  conclusion  quelconque, 
pour  ou  contre  leur  unité  de  comp(jsition.  .Mais  il  \'  a  d'autres  arguments 
internes  qui  témoignent  de  l'indépendance  de  la  Profession  par  rapport 
au  reste  de  VÉmile.  Comme  tous  les  prédicateurs,  Rousseau  ne  craint 
pas  de  se  répéter;  et  c'est  précisément  l'une  de  ses  forces,  de  pouvoir 
lancer,  avec  l'énergie  d'un  paradoxe  tout  neuf,  des  principes  qu'il  a  déjà 
soutenus  plusieurs  fois  ;  mais  ce  sont  alors  des  retours  et  des  sursauts 
d'idées  plutôt  que  des  répétitions  proprement  dites;  et.  en  artiste  soucieux 
d'éviter  la  monotonie,  il  s'ingénie  toujours  à  en  varier  les  formules. 
Au  contraire,  lorsqu'on  arrive  à  la  Profession  après  avoir  lu  les  deux 
premiers  volumes  d'Emile,  on  v  retrouve  jusque  dans  le  détail  —  je  dirais 
même  :  surtout  dans  le  détail.  —  des  idées  qui  ont  déjà  été  exprimées  et 
dans  des  termes  tout  voisins  :  «  .\percevoir  c'est  sentir,  affirme. le  Vicaire, 
comparer  c'est  juger;  juger  et  sentir  ne  sont  pas  la  même  chose...  Je 
cherche  en  vain,  dans  l'être  purement  sensitif.  cette  force  intelligente  qui 
superpose- et  puis  qui  prononce  ;  je  ne  la  saurais  voir  dans  sa  nature.  Cet 
être  passif  sentira  chaque  objet  séparément,  ou  même  il  sentira  l'objet 
total  formé  des  deux  :  mais  n'ayant  aucune  force  pour  les  replier  l'un 
sur  l'autre,  il  ne  les  comparera  jamais,  il  ne  les  jugera  point...  C'est 
que  je  suis  actif  quand  je  juge  »  3,  etc.  .\u  III*^  Livre  d'Emile.  Rousseau 
avait  déjà  dit  :  «  .Notre  élève   n'avait  d'abord  que  des  sensations,  main- 


1  Livre  IV  d'Emile,  11.  287. 

'  Cf.,  plus  loin,  pp.  167-169,  I  85  de  cette  édition,  et  les  notes  qui  s'y  rapportent. 

'  Cf..  plus  loin,  pp.  79-89  de  cette  édition. 


LA   REDACTION  ET  LES   SUGGESTIOXS  CONTEMPORAINES        XXXV 

tenant  il  a  des  idées  :  il  ne  taisait  que  sentir,  maintenant  il  juge....  Dans 
la  sensation,  le  jugement  est  purement  passif,  il  affirme  que  l'on  sent  ce 
qu'on  sent.  Dans  la  perception  ou  idée,  le  jugement  est  actif;  il  rapproche, 
il  compare,  il  détermine  des  rapports  que  le  sens  ne  détermine  pas.  Voilà 
toute  la  diti'érence;  mais  elle  est  grande  »  '.  —  «  Ce  qu'il  v  a  de  plus 
injurieux  à  la  Divinité,  dit  le  Mcaire,  n'est  pas  de  n'v  point  penser,  mais 
d'en  mal  penser  »  -  ;  et  quelques  pages  à  peine  avant  la  Profession, 
Rousseau  avait  déjà  dit  :  «  Il  vaudrait  mieux  n'avoir  aucune  idée  de 
la  Divinité  que  d'en  avoir  des  idées  basses,  fantastiques,  injurieuses, 
indignes  d'elle  :  c'est  un  moindre  mal  de  la  méconnaître  que  de  l'ou- 
trager »  -^  —  «  Celui  qui  peut  tout,  dit  encore  le  X'icaire.  ne  peut  vouloir 
que  ce  qui  est  bien:...  sa  bonté  vient  de  sa  puissance,  il  est  bon  parce 
qu'il  est  grand  »  *.  Au  l'^'"  Livre  d'Emile,  Rousseau  avait  déjà  dit  :  «  Celui 
qui  pourrait  tout  ne  ferait  jamais  de  mal  :  de  tous  les  attributs  de'  la 
Divinité  toute-puissante,  la  bonté  est  celui  sans  lequel  on  la  peut  le 
moins  concevoir  »  ».  Toutes  ces  répétitions  —  et  l'on  pourrait  en  citer 
d'autres  aussi  formelles*^  —  semblent  montrer  qu'il  n'y  a  pas  eu  pour 
l'ensemble  de  l'ouvrage  unité  de  dessein,  mais  que  la  Profession  et 
le  reste  de  VÉmile  ont  été  rédigés  séparément,  à  tout  le  moins  parallè- 
lement. Rousseau  reconnaissait  bien  lui-même  que  la  Profession  formait 
à  elle  seule  un  tout  indépendant,  puisque  nous  le  verrons  envisager 
comme  un  pis-aller  acceptable  l'éventualité  de  la  publier  à  part  '. 

En  fait,  cependant,  VÈmile  et  la  Profession  de  foi  ont  vu  leurs 
destinées  associées.  C'est  en  pleine  impression  que  Rousseau  paraît 
songer  pour  la  première  fois  à  détacher  ce  morceau  de  l'ensemble  ;  et 
c'est  seulement  par  des  conjectures  critiques  que  nous  pouvons  essayer 
de  reconstituer  à  chacune  des  deu.x  œuvres  une  généalogie  différente. 

La  première  mention  qui  soit  faite  par  Rousseau  de  la  Profession  de 
foi  se  trouve,  si  je  ne  me  trompe*,  dans  une  Lettre  au  libraire  Guérin, 


'  II.  175. 

-  Cf.,  plus  loin,  p.  i53  de  cette  i-dition. 

*  Livre  IV  d'Emile,  II.  23o. 

■*  Cf.,  plus  loin.  p.   igg  de  cette  édition. 

--  II,  35. 

^  Cf.,  plus  loin.  pp.  145  et  2H3  de  cette  édition. 

'  Cl'.,  plus  loin,  dans  cette  Introduction,  pp.  li,  lxix-lxx. 

*  Les  éditeurs  de  la  Correspondance  ont  placé  au  début  de  Novembre  i-tK)  un 
fragment  de  Lettre  à  M  **»  (X,  234-235),  où  Rousseau,  faisant  allusion  aux  théories 
irrélij;ieuses  de  Wolmar,    laissait   entendre  qu'elles  trouveraient  une  réponse  dans  la 


XXXVI  INTRODUCTION 

du  2  1  Décembre  1760  :  «  Je  ne  mMmagine  pas,  lui  écrit-il,  que  mon 
Traité  de  l'Éducation  puisse  être  imprimé  dans  le  rovaume,  au  moins 
pour  la  première  fois,  sans 'une  mutilation  à  laquelle  je  ne  consentirai 
jamais,  attendu  que  ce  qu'il  faudrait  ùter  est  précisément  ce  que  le  livre 
a  de  plus  utile  »  ^.  Cette  allusion  précède  de  dix-huit  mois  à  peine 
l'apparition  de  VEmile.  Heureusement  les  Manuscrits  nous  permettent 
de  remonter  plus  haut,  et  de  fixer  une  date  très  probable  à  la  rédaction 
primitive  du  morceau. 

Sous  sa  forme  définitive,  on  le  sait,  la  Profession  de  foi  coniicni, 
à  plusieurs  reprises,  la  réfutation  des  doctrines  d'Helvetius  :  Sou\e- 
rainetc  de  la  sensation  dans  la  vie  spirituelle,  passivité  du  juijement, 
assimilation  de  l'homme  aux  animaux,  puissance  sensitive  de  la  matière, 
inintelligibililé  de  l'idée  de  liberté,  suprématie  de  l'intérêt  en  morale, 
—  quelques-uns  des  paradoxes  les  plus  audacieux  du  livre  De  ilîspnt 
sont  un  à  un  examinés  et  réfutés  par  le  \'icaire  ^.  Or,  toutes  ces 
attaques  contre  Helvetius  manquent  dans  le  plus  ancien  Brouillon  de 
VEmile.  Par  deux  fois,  il  est  vrai,  en  relisant  ce  Brouillon.  Rousseau 
a  noté  en  marge  quelques  formules  d'Helvetius  qu'il  se  proposait  de 
réfuter  3;  mais  ce  sont  là  de  très  brèves  références,  ajoutées  après  coup. 
qui  devaient  amorcer  de  nouveaux  développements,  et  qui  laissent  intact 
le  corps  même  du  texte.  Il  semble  donc  qu'on  en  puisse  légitimement 
conclure  que  cette  Rédaction  de  la  Profession  de  foi  est  antérieure, 
sinon  à  l'apparition  de  l'ouvrage  d'Helvetius,  du  moins  à  sa  lecture  par 
Rousseau.  Nous  ne  savons  pas  quand  Rousseau  a  lu  le  livre  De  l'Esprit. 
Celui-ci  avait  paru  dans  les  premiers  jours  d".\oùt  ijSH.  Le  22  Octobre, 
Rousseau  ne  l'avait  pas  encore  lu  ^.  On  peut  conjecturer  que  l'année  ne 
s'acheva  pas  sans  que  Rousseau  ait  fait  connaissance  avec  cette  œu\re 


Profession  de  fui.  »  Il  reste  là-dessus,  écrivait-il.  d'importantes  vérités  à  dire,  et  qui 
doivent  être  dites  par  un  croyant.  Je  serai  ce  croyant-là  ;  et,  si  je  n'ai  pas  le  talent 
nécessaire,  j'aurai  du  moins  l'intrépidité  ».  Cette  lettre  est  adressée  à  Duclos,  mais  elle 
est  mal  datée.  Le  texte  complet  en  est  conservé  à  Neuchâtel  [12  A],  Rousseau  y 
annonce  à  Duclos  l'envoi  de  la  VI'  Partie  de  la  Nouvelle  Héloïse  :  la  Lettre  est  donc 
postérieure  à  celle  du  19  Novembre  1760  (X,  242),  écrite  au  même  Duclos,  en  lui 
envoyant  la  V*  Partie,  et  doit  se  placer  à  une  date  sensiblement  voisine  de  la  Lettre 
à  Guérin, 

'  X,  247, 

'  Cf.,  plus-loin,  dans  cette  édition,  les  pp,  79-S-,  iSg-iô?,  177-179,  185-191,  243,  2h3. 
2119,  et  les  notes  qui  s'v  rapportent,  où  l'on  trouvera  cités  les  textes  d'Helvetius. 

'  Cf.,  plus  loin,  dans  cette  édition,  pp.  184  et  5o2-5o3. 

■*  Lettre  à  Vernes,  \,   196. 


LA  REDACTION  EL  LES   SUGGESTIONS  CONTEMPONKAINES    XXXVII 

si  discutée  et  dune  célébrité  si  tapageuse.  Autrement  il  lui  eût  été 
difficile  d'écrire  dans  les  Lettres  de  la  Montagne  :  «  Il  y  a  quelques 
années,  qu'à  la  première  apparition  d'un  livre  célèbre,  je  résolus  d'en 
attaquer  les  principes  que  je  croyais  dan_t;ereux.  J'exécutais  l'entreprise 
quand  j'appris  que  l'auteur  était  poursuivi.  A  l'instant  je  jetai  mes 
papiers  au  feu.  jugeant  qu'aucun  de\oir  ne  pouvait  autoriser  la  bassesse 
de  s'unir  à  la  foule  pour  accabler  un  homme  d'honneur  opprimé  »  •. 
L'affirmation  de  Rousseau,  prise  à  la  lettre,  est  inexacte,  puisque  la 
condamnation  de  L  Esprit  est  du  lo  Août  lySS,  et,  qu  à  cette  date,  il 
n'avait  pas  encore  lu  le  livre:  mais  elle  prouve,  semble-t-il.  que  Rousseau 
gardait  le  souvenir  de  l'avoir  lu  peu  après  son  apparition,  .^insi  cette 
Rédaction  primitive  de  la  Profession,  où  Helvetius  est  encore  ignoré, 
serait  antérieure  à  la  fin  de  i/SS  -.  .Mais  je  crois  possible  de  préciser 
davantage. 

On  lit  dans  la  Profession  de  foi  :  «  Si  la  suprême  justice  se  venge. 

vous  et  vos  erreurs,  ô  nations  !  êtes  ses  ministres  ».  Ces  deux  lignes 

sont  empruntées  textuellement  à  un  livre  de  Morelly,  aujourd'hui  com- 
plètement oublié  ;  Le  Naufrage  des  i les  flottantes  '^ :  et  tout  le  dévelop- 
pement qui  accompagne  cette  formule  est  pénétré  des  idées  de  .Morellv 
sur  les  sanctions  ultra-terrestres.  Réminiscence  ou  citation,  la  phrase 
manque  dans  le  plus  ancien  Brouillon  ;  mais  elle  apparaît  dans  le 
second  .Manuscrit,  celui  de  la  Chambre  des  Députés  ii  .  Or  nous 
savons,  par  une  Lettre  de  Rousseau  à  Mme  d'Houdetot.  et  par  la 
réponse  de  celle-ci'*,  quand  il  a  lu  les  Iles  flottantes  pour  la  première 
fois  :  ce  fut  en  .Mars  ou  Avril  1/58.  On  peut  vraisemblablement  conjec- 
turer que  le  texte  de  .Morelly  fut  utilisé  par  Rousseau  peu  de  temps  après 
sa  lecture,  et  que,  par  conséquent,  la  Rédaction  où  il  manque  est 
antérieure  à  Avril  lySS.  J'inclinerais  donc  a  penser  que  la  Profession 
de  foi,  sous  sa  forme  primitive,  a  été  écrite  vers  la  fin  de  lySy  ou 
plutôt  au  début  de  lySS^. 


'     111,    122. 

-  Pour  le  détail  de  cette  démonstration,  cf.  mon  étude  Rousseau  a>ntrc 
Helrelius[2ift  et  l'étude  .M.  Schinz  sur  le  même  sujet  [286]. 

*  Cf.,  plus  loin,  dans  cette  édition  de  la  Profession,  pp,  2i5  et  note  2,  217  et 
note  I,  où  l'on  trouvera  les  références  au  poème  de  .Morelly.  Cf.  encore  ma  note  sur 
Rousseau  et  Morelly  ^290. 

*  Lettre  du  23  .Mars  1758  [34j,  24g  ;  réponse  de  .Mme  d'Houdetot  [26,,  I,  411. 

°  La  Lettre  à  Vernes,  du  18  Février  1758,  X,  179-181,  qui  est  comme  une 
«  Profession  de  foi  »  en  raccourci,  offre  avec  le  te.xte  même  de  la  Profession   de  si 


XXXVHI  IXTRODCCTIOX 

Je  ne  reculerais  pas  aussi  loin  la  composition  de  VEmile  proprement 
dit.  J'ai  t'ait  remarquer  précédemment  que  le  plus  ancien  texte  de  la 
Profession  de  foi  ne  contient  aucune  allusion  à  Helvetius.  11  n'en  est 
pas  de  même  pour  VÈmile.  Le  même  Brouillon,  qui  nous  a  conservé 
une  Profession  de  foi.  d'où  la  pensée  d'Helvetius  est  absente,  nous 
fournit  une  variante  du  II'  Livre  de  VÈmile,  critique  formelle  et  nomi- 
native de  L'Esprit.  Voici  ce  passasse  :  «  Quand  on  imagine,  on  ne  fait 
que  voir:  quand  on  coni;oit.  on  compare.  Nos  sensations  sont  purement 
passives,  au  lieu  que  toutes  nos  perceptions  naissent  d'un  principe  actif 
qui  juge.  Si  l'auteur  de  L  Esprit  eût  fait  ces  distinctions,  je  doute  qu'il 
eût  réduit  au  seul  sentiment  toutes  les  opérations  de  l'entendement 
humain  >>  '.  Cette  lin  de  paragraphe  a  été  supprimée  plus  tard  -:  mais 
elle  implique  déjà,  conçue  et  formulée,  toute  la  théorie  du  jugement  que 
le  Vicaire  exposera  en  détail  dès  le  second  ^Manuscrit  de  la  Profession, 
et  qui  n'est  même  pas  amorcée  dans  celui-ci.  Je  me  crois  en  droit  d'en 
conclure  que  le  texte  de  la  Profession,  tel  qu'on  le  lit  aujourd'liui  dans 
ce  premier  Brouillon,  est  antérieur  au  texte  de  VÈmile.  tel  qu'on  le  lit 
dans  ce  même  Brouillon  :  je  veux  dire,  qu'antérieurement  à  ce  Brouillon 
complet  de  l'Emile,  on  est  invité  à  supposer  une  Rédaction.  —  peut-être 
fragmentaire,  mais  déjà  cohérente,  —  de  la  Profession  de  foi.  qui  aurait 
été  ainsi  méditée  et  composée  avant  VEmile.  C'est  à  cette  Rédaction 
primitive,  aujourd'hui  perdue,  que  j'attribuerais  volontiers  la  date 
de  1757-1738.  Un  peu  plus  tard,  Rousseau  l'aurait  transportée  presque 
telle  quelle  dans  VÈmile  — .  qu'il  commençait  à  rédiger.  —  en  y  faisant 
quelques  retouches  de  détail,  mais  sans  en  modifier  la  doctrine  et 
l'organisation  des  arguments;  et  c'est  seulement  lors  d'une  transcription 
nouvelle  qu'il  aurait  jugé  nécessaire  d'introduire  dans  la  Profession 
des  discussions  qu'il  avait  amorcées  déjà  dans  VEmile,  mais  qui  lui 
semblaient  mieux  à  leur  place  dans  la  bouche  du  Vicaire  •^. 


ll■appa^lc•^    analogies    d'argumentation    et    même    d'eNpression,    qu'on    est    en    droit, 
semble-t-il,   de   supposer    que    les   formules  de   la    Première    Réda  c 
arrêtées  :  cf..  en  particulier,  dans  cette  éd[tion.  pp.  129  et  177. 

'  Manuscrit  Favre  [loj,  81'".  —  Notez  que  ce  passage  n'est  pas  une  addition 
marginale,  mais  qu'il  se  trouve  dans  le  corps  même  du  texte. 

'  Cf.  au  ir  Livre  d'Emile,  11.  76.  I.e  passage  manque  déjà  dans  le  .Manuscrit  du 
Palais-Bourbon  ^11].  I,  65. 

'  Pour  le  détail  de  la  démonstration,  cf.  mon  article  Sur  les  snurces  ife  Roii.'!.':eau 
[292J,  6^2-646.  Cf.  encore,  dans  cette  hilroductiun,  le  chapitre  I  de  la  11"  Partie  sur 
Les  Manuscrits. 


LA  REDACTIONS  ET  LES   SUGGESTIONS  CONTEMPORAINES     XXXIX 

(]c  premier  Brouillon  de  VÉmile.  comparé  à  ceux  qui  le  suivent, 
nous  est  encore  précieux  pour  nous  permettre  d'assister  chez  Rousseau  à 
la  transformation  des  idées  entre  lySy  et  1762.  Le  texte  de  la  Profession 
qu'il  nous  otîre  est,  par  certains  côtés,  plus  conforme  au  tempérament 
profond  de  Jean -Jacques.  Le  spectacle  de  la  Nature,  la  voix  de  la 
Conscience,  tels  étaient  les  deux  seuls  maîtres  auxquels  le  Vicaire  faisait 
d'abord  appel.  Point  de  discussions  subtiles,  et  d'une  philosophie 
technique.  Les  dissertations  qu'il  a  insérées  plus  tard  sur  la  sensation, 
le  jugement,  la  substance,  la  matière  et  le  mouvement  sont  encore 
absentes.  Ainsi  allégée,  il  faut  reconnaître  que  la  Profession  du  Vicaire 
avait  une  allure  plus  émouvante,  plus  populaire,  et.  en  un  certain  sens, 
plus  rousseauiste,  quoique  toute  cette  métaphysique  laborieuse  et  candide 
témoigne  à  sa  façon  de  l'effort  courageux  tenté  par  Rousseau  pour  se 
mettre  en  règle,  une  bonne  fois,  avec  les  difficultés  proprement  intel- 
lectuelles du  problème  de  Dieu.  Sous  sa  forme  première,  la  Profession 
était  aussi  moins  agressive,  et  nous  montrait  peut-être  moins  nettement 
jusqu'où  pouvait  conduire  le  Rousseauisme  religieux.  Certes,  ce  n'était 
point  l'œuvre  d'un  «  philosophe  »  et  les  «  philosophes  »  en  titre  v  étaient 
malmenés  :  mais  ces  déclamations  contre  la  philosophie  et  les  philo- 
sophes, traditionnelles  chez  les  moralistes,  restaient  chez  Rousseau  d'une 
généralité  imprécise.  Aucune  allusion  à  V  Encyclopédie,  à  Diderot,  à 
Helvetius.  à  D'Holbach.  Rousseau  sent  déjà  autrement  qu'eux,  mais 
l'amitié  qu'il  leur  garde  rend  encore  discrète  l'opposition  qu'il  leur  fait. 
Sa  critique  de  la  Révélation  trahissait  un  théiste  respectueux,  qui  pour- 
tant ne  semblait  pas  \ouloir  se  laisser  attendrir  par  la  «  sainteté  de 
l'Evangile  ».  Mais  le  texte  définitif  est  d'un  tout  autre  ton  :  les  «  philo- 
sophes »  sont  devenus  des  «  philosophistes  »,  qu'il  attaque  àprement.  Il 
ne  les  nomme  pas,  mais  les  citations  qu'il  en  fait  les  rendent  reconnais- 
sablés.  Plus  ils  sont  injustes  pour  le  Christianisme,  plus  il  multipliera 
en\ers  Jésus  les  témoignages  d'admiration  et  de  tendresse.  Il  écrit  en 
marge  de  son  Brouillon  :  «  Parler  de  la  beauté  de  l'Évangile  »  '.  amorce 
du  grand  développement  où  il  lancera  la  formule  fameuse  :  «  la  vie  et  la 
mort  de  Jésus  sont  d'un  Dieu  ».  .'Xprès  avoir  songé  un  instant  à  rétablir 
l'équilibre  entre  «  les  deux  partis  »  en  renvovant  dos  à  dos  les  «  dévots  » 
et  les  faux  «  interprètes  de  la  nature  »,  il  supprime  son  réquisitoire  contre 
les  premiers,  conserve  celui  qu'il  a  écrit  contre  les  seconds  et  leurs  «  déso- 
lantes doctrines  »,  et  l'aggrave  encore  par  une  longue  note  linale.  où  il 

'  Cf..  dans  cette  édition,  p.  JiqS,  note. 


XL  INTRODUCTION 

prend  la  défense  du  «  t'anarisme  »  et  détaille  com plaisamment  les  ruines 
accunuilées  par  «  l'esprit  philosophique  »  '. 

Ainsi  les  deux  rédactions,  sans  se  contredire,  disent  pourtant  des 
choses  un  peu  différentes,  avec  un  accent  surtout  très  dirterent.  C'est, 
qu'entre  elles  deux,  un  grand  déchirement  s'est  produit  dans  la  vie  de 
Rousseau.  «  Trahi  »  par  ses  amis,  il  a  rompu  publiquement  avec  eux. 
C'est  en  1758  qu'il  insère  dans  la  I.cttre  à  lïAlembert  la  cruelle  citation 
de  r Ecclésiastique'-,  qui  dénonce  à  tous  la  lorf'aiture  de  Diderot.  Mais 
cette  «  trahison  »  le  libère  en  quelque  sorte,  et  lui  permet  d'être  pleine- 
ment lui.  La  Profession  de  foi.  commencée  par  un  ami  des  Enc3'clopé- 
distes,  finit,  en  se  transformant,  par  sembler  avant  tout  un  anathèmc 
contre  eux.  L'examen  des  Manuscrits  nous  a  rendu  sensible,  dans  la 
pensée  de  Rousseau,  ce  mouvement  d'affranchissement  ■^. 


CHAPITRE  IV 

L'IMPRESSION  ET  LA  CONDAMNATION 

Cette  période  de  l'histoire  A'Émile  est  la  mieux  connue  :  elle  a 
été  bien  étudiée  à  plusieurs  reprises  ;  et  les  principaux  documents  qui 
l'éclairent  ont  été,  pour  la  plupart,  publiés  *.  Aussi  la  résumerai-je 
rapidement,  en  me  réservant  d'insister  sur  les  documents  nouveaux  qui 
me  permettront  d'en  préciser  tel  ou  tel  épisode,  et  en  m 'attachant  surtout 
dans  ce  récit  aux  destinées  de  la  Profession  de  foi.  C'est  elle,  d'ailleurs. 


'  Cf..  dans  cette  édition,  pp.  442  sqq. 
-   I,   iSi. 

*  M.  Albert  Schinz  —  dans  un  article  dont  les  conclusions  sont,  d'ailleurs, 
excessives  et  les  hypothèse,  chronologiques  insoutenables  [296J  —  nous  a  permis 
de  suivre  une  évolution  analogue  à  travers  les  différentes  rédactions  du  Contrat  Social. 
Compléter  ou  rectifier  son  étude  par  celle  de  M.  Beaulavon  [297]  et  par  mes  Questions 
de  chronoliigie  rnusseaiiiste  [3oo],  49-56. 

*  Par  F.  Brunetière  |265J,  G.  Maugras  [3o],  G.  Lanson  [279  .  P.  P.  Plan  [40'<'].  Les 
documents  qu'a  publiés  .M.  John  Viénot  dans  Le  Temps  du  27  Décembre  igo3,  sous  le 
titre  de  ;  J.  ./.  Rousseau  et  Lamoignon  de  Malesherbes  :  Sept  Lettres  de  Rousseau^ 
n'étaient  pas  inédits,  comme  le  croyait  M.  Viénot.  Ils  se  trouvaient  tous  déjà  dans 
Brunetière  et  jMaugras.  M.  Plan  a  commis  la  même  inadvertance  dans  son  J.  ,/.  Rousseau 
et  Malesherbes  :  mais  son  étude  garde  le  mérite  de  réunir  dans  une  seule  publication 
les  te-xtes  inédits  et  les  te.xtes  connus  d'un  important  dossier  [i3j'. 


L  IMPRESSION    ET    LA    CONDAMNATION  XI.I 

qui   rendit   si   angoissante   pour  Rousseau   l'impression  du   livre,  et  qui 
faillit  la  terminer  en  trafrédie. 

Depuis  Tété  de  1754.  Marc-.Michel  Rey,  libraire  à  Amsterdam,  était 
devenu  l'éditeur  de  Rousseau.  C'est  lui  qui  avait  publié  le  Discours  sur 
l'Inégalité,  la  Julie,  et  qui  allait  bientôt  recevoir  le  Contrat  Social. 
Rousseau  prisait  «  son  exactitude,  sa  probité  »  et  sa  franchise:  la  façon 
délicate  et  ingénieuse  dont  il  témoigna  sa  reconnaissance  à  Rousseau 
acheva  de  transformer  en  amitié  cette  liaison  d'affaires  '.  Comme  les 
autres  ouvrages  de  Rousseau,  V Emile  «  lui  était  d'abord  destiné  »  2,  et 
c'est  à  lui  certainement  qu'il  aurait  été  confié,  si  une  brouille  passagère 
n'était  survenue  entre  les  deu.\  amis  au  moment  où  se  joua  le  sort 
d'Emile,  et  si  la  Maréchale  de  Luxembourg  n'était  alors  inter\enue 
auprès  de  son  hôte  de  Montmorencv,  avec  une  insistance,  qui  ne  fut,  sans 
doute,  qu'amicale,  mais  où  Rousseau,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie, 
crut  découvrir  des  intentions  louches  et  je  ne  sais  quelle  manœuvre  d'hypo- 
crite vengeance  3  :  <'  Au  second  voyage  de  .Montmorency  de  l'année  1760, 
écrit-il  dans  les  Confessions*,  la  lecture  de  la  Julie  étant  finie,  j'eus  recours 
à  celle  de  l'Emile,  pour  me  soutenir  auprès  de  Mme  de  Luxembourg; 
mais  cela  ne  réussit  pas  si  bien,  soit  que  la  matière  tût  moins  de  son 
goût,  soit  que  tant  de  lecture  l'ennuvàt  à  la  fin.  Cependant,  comme  elle 
me  reprochait  de  me  laisser  duper  par  mes  libraires,  elle  voulut  que  je 
lui  laissasse  le  soin   de   faire  imprimer  cet  ouvrage,  afin   d'en  tirer  un 


'  Confessions,   IX.   12-1 3. 

-  .\  Duchesne,  Lettre  du  3o  Octobre  1761,  X,  277.  Cf.  surtout  la  Lettre  du 
12  Décembre  1760  ;i  la  .Maréchale  de  Lu-iiembourj;.  X.  245  :  «  Mon  libraire  doit  arriver 
dans  peu  de  jours  à  Paris:  si,  comme  je  le  désire,  il  a  la  préférence,  permettez-vous 
qu'il  aille  vous  porter  notre  accord  et  vous  en  demander  la  ratification  »  ? 

"  G.  H.  Morin.  dans  son  livre  sur  /.  J.  Rousseau  26e J,  84-120,  a  repris,  en  la 
précisant,  l'accusation,  ou  plutôt,  l'insinuation  de  Rousseau.  — car  nulle  part,  dans  les 
Confessions,  la  Maréchale  de  Luxembourg  n'est  accusée  formellement  d'avoir  voulu 
servir  les  vengeances  du  parti  holbachique  — :  et  il  arrive,  après  une  longue  discussion, 
aux  conclusions  suivantes,  dont  je  crois  impossible  de  rien  accepter  :  «  1"  l'obstination 
de  la  Maréchale  à  vouloir  que  VÈmile  fût  imprimé  en  France,  cachait  une  intention 
malveillante,  qui  s'explique  par  les  offenses  involontaires  de  Rousseau;  2'  la  complai- 
sance de  M.  de  .Malesherbes.  les  eftorts  pour  obtenir  de  Rousseau  une  concession  dont 
il  connaissait  le  danger,  sa  conduite  pusillanime  et  peu  généreuse  dans  le  reste  de 
l'artaire.  prouvent  à  quel  point  un  honnête  intimidé  peut  servir  la  cause  de  l'iniquité 
puissante;  3  l'action  du  Parlement  dans  l'artaire  du  décret  est  un  fait  mi.xte,  dans 
lequel  on  doit  reconnaître  une  cause  apparente  et  une  cause  secrète...:  4"  il  est 
extrêmement  probable,  sinon  démontré,  que  ceux  que  Rousseau  appelle  les  Holba- 
chiens  fournirent  le  plan  de  l'intrigue  et  se  chargèrent  de  l'exécution  des  détails  ». 

*  X-  Livre,  VllI,  383-3K4. 

4* 


XLII  INTRODUCTION 

mL'illeur  parti.  J'v  consentis,  sous  l'expresse  condition  qu'il  ne  s'impri- 
merait point  en  France;  et  c'est  sur  quoi  nous  eûmes  une  longtie  dispute; 
moi,  prétendant  que  la  permission  tacite  était  impossible  à  obtenir, 
imprudente  même  à  demander,  et  ne  voulant  point  permettre  autrement 
l'impression  dans  le  royaume:  elle,  soutenant  que  cela  ferait  pas  même 
une  difficulté  à  la  censure,  dans  le  système  que  le  gouvernement  avait 
adopté.  Elle  trouva  le  moyen  de  faire  entrer  dans  ses  vues  M.  de  Malcs- 
herbes.  qui  m'écrivit  à  ce  sujet  une  longue  Lettre,  toute  de  sa  main, 
pour  me  prouver  que  la  Profession  de  foi  du  Vicaire  Savoyard  était 
précisément  une  pièce  faite  pour  avoir  partout  l'approbation  du  genre 
himiain.  et  celle  de  la  cour  dans  la  circonstance,  .le  fus  surpris  de  voir 
ce  magistrat,  toujours  si  craintif,  devenir  si  coulant  dans  cette  affaiie. 
Comme  l'impression  d'un  livre  qu'il  approuvait  était  par  cela  seul  légitime, 
je  n'avais  plus  d'objection  à  faire  contre  celle  de  cet  ouvrage.  Cepen- 
dant, par  un  scrupule  extraordinaire,  j'exigeai  toujours  que  l'ouvrage 
s'imprimerait  en  Hollande,  et  même  par  le  libraire  .Néaulme,  que  je  ne 
me  contentai  pas  d'indiquer,  mais  que  j'en  prévins,  consentant,  au  reste, 
que  l'édition  se  fît  au  profit  d'un  libraire  français,  et  que,  quand  elle 
serait  faite,  on  la  débitât,  soit  à  Paris,  soit  où  l'on  voudrait,  attendu  que 
ce  débit  ne  me  regardait  pas.  Voilà  exactement  ce  qui  tut  convenu  entre 
.Mme  de  Lu.xembourg  et  moi,  après  quoi  je  lui  remis  mon  Manuscrit  ». 

Il  ne  nous  est  plus  possible  aujourd'hui  de  vérifier  toutes 
ces  affirmations  de  Rousseau.  Celles,  du  moins,  que  nous  pouvons 
contrôler  sont  exactes,  et  tout  le  récit  me  parait  vraisemblable.  On  peut 
regretter  de  ne  plus  avoir  l'éloge  de  la  Profession  de  foi  par  le  Directetir 
de  la  librairie,  mais  il  ne  faut  pas  s'étonner  de  ne  point  retrouver  cet 
éloge  dans  les  papiers  de  Rousseau,  parmi  les  autres  Lettres  qu'il  a 
reçues  de  Malesherbes.  «  Avant  la  publication  de  VÈmile.  écrit-il  dans 
les  Confessions  '.  .\L  le  Maréchal  me  redemanda  toutes  les  Lettres  de 
.^L  de  Malesherbes  qui  se  rapportaient  à  cet  ouvrage...  .le  rendis  les 
Lettres,  hors  une  ou  deu.x  qui.  par  mégarde,  étaient  restées  dans  des 
livres  ».  Le  compte  est  trop  modeste  :  Rousseau  a  gardé  huit  Lettres 
de   Malesherbes   concernant    VEmile  -'.    mais  toutes   les    huit   parlent  du 


'   \l'  Livre,  l.\,  22. 

-  Sept  de  ces  Lettres  ont  été  publiées  par  Streckeiscn-Moultou  [26J.  U,  417-42^, 
mais  avec  bien  des  fautes  de  lecture,  et  surtout  une  chronologie  ine.\acte.  M.  Théophile 
lUilour  a  rétabli  sur  les  originau.x  [14"  les  dates  certaines  ou  vraisemblables  ;  et  les 
huit    Lettres    (toutes   de    17IH  1   se   trouvent   ainsi    classées   :   22   Novembre    |N"    X   de 


L  IMPRESSION    ET    LA   CONDAMNATION  XI.III 

livre  en  cours  d'impression,  aucune  de  l'opportunité  de  lu  publication 
ou  du  choix  de  l'éditeur  '.  Il  semble  bien  que  celles-là  aient  été  rendues. 
C'est  à  elles,  sans  doute,  que  Rousseau  faisait  allusion,  quand  il  écrivait 
à  Moultou  au  lendemain  de  sa  fuite  :  «  Je  n'ai  rien  fait  en  tout  ceci  contre 
les  lois;  non  seulement  j'étais  parfaitement  en  règle,  mais  j'en  avais  les 
preuves  les  plus  authentiques;  et,  avant  de  partir,  je  me  suis  défait 
volontairement  de  ces  preuves  pour  la  tranquillité  d'autrui  »  -'. 

Nul  doute,  en  etfet.  que  le  désir  de  Rousseau  eût  été  de  faire 
imprimer  VEmile  à  l'étranger.  Il  sentait  bien  que  la  Profession  de  foi 
était  inacceptable  par  le  gouvernement  français  :  tout  au  plus,  pensait-il, 
pourrait-on  tolérer  la  réimpression  du  livre  en  France,  quand  «  il  aurait 
fait  son  premier  effet  »  ".  Mais  Mme  de  Luxembourg,  espérant  obtenir 
pour  son  protégé  des  conditions  plus  avantageuses  à  Paris,  se  mit  en 
quête  d'un  éditeur.  Il  semble  bien  que  ce  fut  par  l'intermédiaire  de 
.Malesherbes  qu'elle  entreprit  ses  recherches.  Par  ses  fonctions  officielles. 
.Malesherbes  se  trouxait  en  relation  avec  les  principau.x  libraires.  L'un 
d'eux.  Guérin,  était  particulièrement  bien  en  cour  à  la  Direction  de  la 
librairie  :  il  imprimait  pour  la  police,  et  a\ait  l'inspection  de  la  Biblio- 
thèque de  la  Bastille.  Riche,  «  lettré,  aimable,  et  de  la  haute  volée  dans 
son  état  »,  bien  pensant,  d'ailleurs,  et  favorablement  connu  dans  les 
milieux  ecclésiastiques,  «  il  jouissait  —  c'est  Rousseau  lui-même  qui  le 
reconnaît  —  de  l'estime   universelle  et  la   méritait  »  *.  Comme  il  avait 


Streckeisen-.Moultoui,  24  Novembre  iXli.  i  Décembre  (inédite].  7  Décembre  (.\lii, 
14  Décembre  iXV),  t6  Décembre  (XVIi,  18  [?]  Décembre  (XIIIi.  25  Décembre  (XIV). 

'  H  est  vrai  que  Streckeisen-.Moultou  a  cru  voir  une  allusion  à  ['Emile  dans 
deux  Lettres  de  Malesherbes,  du  25  Octobre  et  du  18  Novembre  1761  [26].  Il,  415-416  : 
«  Mme  la  Maréchale  de  Lu.xembourg  m'a  remis,  Monsieur,  l'ouvrage  que  vous  voulez 

bien   me   conlier Je  peux  dès  à   présent  répondre  à   l'article  de  votre  Lettre   par 

lequel  vous  me  consultez  sur  le  projet  de  donner  cette  dissertation  séparément  du 
recueil  de  vos  ouvrages...  Je  crois  que  vous  feriez  grand  tort  au  public  de  l'en  priver 
ou  d'attendre  l'édition  entière  de  vos  œuvres  pour  la  donner  ».  Outre  que  la  date  de- 
ces  Le'tres  indique  assez  qu'il  ne  s'agit  point  de  VF.mile,  déjà  remis  à  Duchesne,  et 
en  cour-,  d'impression,  nous  avons  la  Lettre  de  Rousseau  à  laquelle  .Malesherbes 
répond.  Elle  est  du  25  Septembre  1761  269  ,  5qS  ;  Rousseau  y  annonce  à  .Malesherbes 
l'envoi  d'un  «  petit  écrit  »  :  «  Je  souhaiterais,  dit-il,  qu'il  put  être  donné  à  part,  à 
cause  de  ce  Rameau  qui  continue  à  me  tarabuster  vilainement  ».  Ce  «  petit  écrit  »  est 
y  Essai  sur  l'origine  des  langues,  où.  en  ell'et,  Rameau  est  pris  à  partie,  I,  Sgg.  Les 
Cun/essions.  IX,  12.  confirment  la  conjecture.  Cf.  mes  Questions  de  chronologie 
rousseauiste  [3oo], 

-  Lettre  du  i5  Juin  1762,  -\,  337. 

■'  .\  Guérin.  Lettre  du  21  Décembre  17Ô0.  X.  247. 

■•  Lettres  à  .Moultou.  du  12  Décembre  1761  et  du  18  Janvier  1762  datée  par  erreur 
dans  l'édition  Hachette  de  17^)1.,  X,  287  et  248:  Livre  X  des  Confessions,  X'Ili,  36i. 


XLIV  INTRODUCTION 

une  maison  de  campagne  à  Saint-Brice,  tout  près  de  Montmorency,  il 
lui  était  l'acile  d'entrer  en  relations  a\ec  Rousseau.  C'est  ce  qui  se  fit  sous 
les  auspices  de  Malesherbes.  Quand  le  moment  fut  \cnu  de  chercher  un 
éditeur  à  VÈmile  —  c'était  dans  l'été  de  1761  — ,  Guérin  se  trouva  donc 
fort  à  propos  pour  négocier  la  chose.  Rousseau  put  regretter  plus  tard  de 
n'avoir  pas  traité  avec  Re\  —  et,  sans  les  suggestions  de  ses  amis,  il  est 
infiniment  probable,  qu'il  aurait  fini,  cette  fois  encore,  par  s'adresser  à 
lui  — ,  mais  il  n'était  pas  fâché  de  pouvoir  s'en  passer,  car  les  dernières 
relations  avaient  été  plutôt  aigres  ^  Aussi  se  laissa-t-il  faire  plus  volontiers 
qu'il  se  le  ligurera  rétrospectivement,  (juérin  ne  de\ait  pas  se  charger 
lui-même  de  l'impression,  mais  il  proposa  Duchesne  et  Guy,  deu.x 
libraires  associés  qui  travaillaient  pour  lui  et  «  dépendaient  de  lui  »  -. 
In  projet  de  traité  fut  soumis  à  Rousseau,  puis  communiqué  à  Males- 
herbes. pour  que  celui-ci  pût  se  rendre  compte  par  lui-même  des  condi- 
tions faites  à  son  protégé.  Malesherbes  introduisit  de  sa  main  sur  la 
minute  du  traité  des  clauses  avantageuses  pour  Rousseau  :  deu.x 
copies  en  furent  faites  par  l'un  de  ses  secrétaires  ^  ;  et  ce  fut  Guérin. 
semble-t-il  ■•,  qui  les  porta  le  lendemain  à  Rousseau,  pour  les  lui  faire 
signer.    Par    ce    traité    du    29    Août    1761    '^,    Duchesne    acquérait    pour 


'  Cf.  sa  Lettre  à  Rey  du  9  Août  1761  [24], 
responsabilité  :'mais  IMaiesherbes  la  lui  rappelle  dans  sa  Lettre  du  16  Décembre  1761 
[l'IV,  II,  ^jft.  «  Vous  savez  qu'effectivement,  et  Guérin,  et  moi,  et  vous-même,  n'avons 
point  voulu  qu'il  fDuchesne]  conclût  avec  Rey  ». 

^  Rousseau  à  Moultou,  Lettre  du   12  Décembre  i7t')i,  X,  2H7. 

»  Livre  X.I  des  Confessions,  W.  r  1, 

*  ,1e  le  conjecture,  parce  que  la  minute  du  traité  accepté  par  Rousseau  est  du 
2C|  .Août,  et  que  le  3o  .\oût  (juérin  écrit  à  Malesherbes  pour  lui  rendre  compte  de  sa 
visite  à  .Montmorency  [-lO"''],  257. 

''  De  ce  traité,  il  reste  deux  minutes  dans  le  dossier  de  VEmile  [13  A],  f"  5i-53. 
La  seconde  porte  en  haut,  de  la  main  de  Rousseau  :  Projet  communiqué  à  M'  Rousseau 
le  2g  Août  I/60  \sic\  et  qu'il  approuve.  Il  y  a  évidemment  là  un  lapsus  de  plume, 
comme  le  montre  le  te.xte  du  traité,  et  il  faut  lire  :  lyOï.  Voici  le  texte  [avec 
orthographe  modernisée!  de  la  première  minute  ;  <^  .le  soussigné,  Jean-Jacques 
Rousseau.  Citoyen  de  Genève,  reconnais  avoir  vendu  et  livré  au  Sieur  Nicolas- 
Bonaventure  Duchesne,  Libraire  à  Paris,  un  JVlanuscrit  de  ma  composition  intitule 
Emile,  ou  Traité  d'Éducation,  pour  en  jouir  par  lui  et  ses  ayant  causes  comme  de 
chose  qui  leur  appartient  en  propriété,  et  ce,  moyennant  le  prix  et  somme  de  si.x  mille 
livres,  dont  je  reconnais  avoir  maintenant  reçu  moitié  comptant,  et  les  trois  mille  livres 
restantes  en  trois  billets  du  dit  Sieur  Duchesne.  payables  à  mon  ordre,  aux  termes 
d'avril,  juillet  et  octobre  de  l'année  prochaine,  mil  sept-cent-soixante-deux;  en  outre,  ii 
la  charge,  par  le  dit  Sieur  Duchesne,  de  me  livrer  cent  exemplaires  brochés  de  mon 
dit  ouvrage,  aussitôt  qu'il  sera  imprimé,  et  avant  de  le  mettre  en  vente.  Et  moi, 
Nicolas-Bonaventure  Duchesne,  ai  accepté  ce  que  dessus;  en  conséquence  de  quoi,  j'ai 


L  IMPKI-.^SIUN     HT    LA    COX  DA.M  N  ATIOX  XLV 

1)000  livres   la    propriété   de    VEmile  :  «  Je   suis  assuré,  écrixait   Rey  à 
Rousseau  non  sans  quelque  envie,  qu'il  n'y  perdra  rien  »  '. 

Dans  la  pensée  de  Rousseau,  Duchesne  devait  être  non  l'impriniCLir 
de  VÈmile.  mais  simplement  l'éditeur,  ou,  plus  exactement,  le  déposi- 
taire français.  Duchesne  songea-t-il  un  instant  à  faire  imprimer  en 
Hollande  ou  se  borna-t-il  à  donner  à  Rousseau  de  vaines  assurances? 
.le  ne  sais:  en  tout  cas,  la  bonne  foi  de  Rousseau  ne  semble  faire  aucun 
doute  :  «  Pour  moi,  écrivait-il  à  Duchesne  le  12  Février  1762,  je  sais 
bien  que,  si,  dans  le  temps  de  notre  traité,  l'on  ne  m'eût  pas  assuré  que 
vous  feriez  imprimer  en  Hollande,  je  ne  l'aurais  jamais  signé  »  -.  Du 
reste,  les  Lettres  de  Malesherbes  et  l'attestation  que,  plus  tard,  sur  la 
demande  expresse  de  Rousseau,  il  accepta  de  lui  signer -^  nous  apportent 


payé  comptant  à  mon  dit  Sieur  Rousseau  ladite  somme  de  trois  mille  livres,  et  lui  ai 
remis  pareille  somme  de  trois  inille  livres  en  mes  trois  billets,  payables,  à  son  ordre, 
au.\  termes  stipulés  ci-dessus,  et  ie  promets  délivrer  à  mon  dit  Sieur  Rousseau  la 
quantité  de  cent  e.xemplaires  broches  de  son  dit  ouvrajje,  avant  de  le  mettre  en  vente, 
et  d'en  taire  l'impression  sur  beau  papier  et  en  beau.\  caractères  ».  En  marj^e.  après  le 
premier  paragraphe,  .Malesherbes  a  ajouté  de  sa  main  :  «  Me  réservant  néanmoins, 
moi  Jean-Jacques  Rousseau,  de  comprendre  le  dit  ouvi-age  dans  une  édition  générale  de 
mes  œuvres,  et  à  condition  toutefois  que  je  ne  ferai  point  cette  édition  avant  trois  ans 
à  compter  du  jour  de  la  publication  de  celle  du  présent  ouvrage,  si  ce  n'est  qu'il  ait  été 
autrement  convenu  entre  moi  et  le  Sieur  Duchesne  ».  Dans  cette  clause  de  Malesherbes, 
Guérin,  à  son  tour,  a  introduit  quelques  précisions.  Après  «  édition  générale,  »  il  a 
ajouté  :  «  et  non  autrement  »  ;  il  a  moditié  comme  il  suit  les  dernières  lignes  :  «  et 
promets  de  donner  la  préférence  au  dit  Sieur  Duchesne  de  la  vente  de  cette  édition 
générale,  pour  laquelle  nous  traiterons  dans  le  temps  au  désir  de  tous  les  deu.x  ».  Enfin 
il  a  mis  au  bas  du  projet  :  «Duchesne  demande  à  faire  graver  le  portrait  de  l'auteur». 
Ce  dernier  article  a  été  barré,  sans  doute,  par  Rousseau  ;  et  c'est  ce  texte,  ainsi 
retouché,  qui  est  devenu  le  projet  approuvé  par  Rousseau,  Mais,  à  la  seconde  lecture, 
Malesherbes  a  fait  une  nouvelle  correction,  et  il  a  remplacé  la  clause  de  Duchesne 
concernant  l'édition  générale  par  celle-ci,  beaucoup  moins  astreignante  :  «  Et  je  compte 
donner  la  préférence  au  dit  Sieur  Duchesne  de  la  vente  de  cette  édition  générale,  si, 
lorsque  nous  en  traiterons  dans  le  temps,  nous  sommes  d'accord  sur  les  conditions  ». 
En  tète  de  ce  projet  définitif,  une  main  inconnue,  sans  doute  celle  d'un  secrétaire  de 
.Malesherbes,  a  écrit  :  «  Il  faut  faire  deux  copies  signées  de  cet  acte  :  on  les  fera  signer 
à  .M.  Rousseau  après  la  signature  de  M.  Duchesne  ». 

'  Lettre  du  22  Octobre  ij6\  [t^  C],  i33'". 

2  ^^o"»'»],  !20. 

'  Cet  important  témoignagne.  dont  on  peut  s'étonner  que  Rousseau  ne  se  soit 
pas  servi  pour  se  justifier,  a  été  publié  par  Du  Peyrou  à  la  suite  de  la  Seconde  Partie 
de  son  édition  des  Confessions  et  souvent  reproduit  :  cf.,  par  exemple,  ap.  Alaugras 
269:,  600;  mais  la  date  de  ce  document  a  été  mal  lue  11765  au  lieu  de  17661,  et  l'on  n'a 
pas  pris  soin  de  distinguer  dans  le  texte  ce  qui  est  de  Rousseau  et  ce  qui  est  de 
Malesherbes.  L'original,  qui  se  trouve  à  Neuchàtel  12  B  .  porte  en  tète  cette  indication, 
écrite    d'une    main    du     Wlll"    siècle    :     Mémoire    de    .1.    .1.     Koiisseau,    signé    par 


XLVI  INTRODUCTION 

sur  ce  point  un  témoignage  formel.  Un  a  même  vu,  dans  le  récit  des 
Conjessions,  que  Rousseau  ne  se  serait  pas  contenté  de  vagues  promesses. 
FI  aurait  indiqué  à  Duchesne  l'imprimeur  de  Hollande  qui  devait  être 
chargé  de  l'affaire,  et  il  aurait  prévenu  lui-même  cet  imprimeur.  L'homme 
auquel  Rousseau  entendait  donc  confier  l'impression  d'Emile  n'était  pas. 
—  comme  on  aurait  pu  le  croire,  et  comme  Rev.  pour  sa  consolation 
personnelle,  aimait  se  le  figurer  '.  —  l'imprimeur  de  la  Julie  et  de 
Y  Inégalité,  c'était  Jean  Néaulme.  un  vieux  libraire  de  Hollande,  très  lié 
avec  Guérin.  et  qui  a\ait  été  présenté  par  ce  dernier  à  Montmorency 
quelque  temps  auparavant  -.  En  fait.  Duchesne  négocia  avec  Néaulme. 
mais  sur  d'autres  hases  :  il  entendait  faire  de  Néaulme.  non  son  impri- 


.\/.  de  Malhesherbes.  Les  deux  premiers  paragraphes,  en  eli'et.  ont  été  vraisembla- 
blement rédigés  par  Rousseau  et  recopiés  par  un  secrétaire  de  Malesherbes.  Seules,  les 
dernières  lignes  :  «  Les  faits  contenus  »,  etc..  sont  de  l'écriture  de  .Malesherbes.  Voici 
donc  cette  pièce,  dont  je  modernise  l'orthographe  :  «  Quand  M.  Rousseau  traita  de 
son  ouvrage  intitulé  Emile  ou  de  rÈducaiinn,  ceu.x  avec  qui  il  conclut  son  marché  lui 
dirent  que  leur  intention  était  de  le  (aire  imprimer  en  Hollande.  \'n  libraire,  devenu 
possesseur  du  .Manuscrit,  demanda  la  permission  de  le  faire  imprimer  en  France,  sans 
en  avertir  l'auteur.  On  lui  nomma  un  censeur.  Ce  censeur,  ayant  examiné  les  premiers 
cahiers,  donna  une  liste  de  quelques  changements  qu'il  croyait  nécessaires.  Cette  liste 
fut  communiquée  à  M.  Rousseau,  à  qui  l'on  avait  appris,  quelque  temps  auparavant, 
qu'on  avait  commencé  à  imprimer  son  ouvrage  à  Paris. 

Il  déclara  au  magistrat  chargé  de  la  Librairie  qu'il  était  inutile  de  faire  les 
changements  aux  premiers  cahiers,  parce  que  la  lecture  de  la  suite  ferait  connaître  que 
l'ouvrage  entier  ne  pourrait  jamais  être  permis  en  France.  Il  ajouta  qu'il  ne  voulait 
rien  faire  en  fraude  des  lois,  et  qu'il  n'avait  fait  son  livre  que  pour  être  imprimé  en 
Hollande,  où  il  croyait  qu'il  pouvait  paraître  sans  contrevenir  à  la  loi  du  pays. 

Ce  fut  d'après  cette  déclaration,  faite  par  .M.  Rousseau  lui-même,  que  le  censeur 
eut  ordre  de  discontinuer  l'examen  et  qu'on  dit  au  libraire  qu'il  n'aurait  jamais  de 
permission.  D'après  ces  faits,  qui  sont  très  certains  et  qui  ne  seront  pas  désavoués. 
M.  Rousseau  peut  assurer  que.  si  le  livre  intitulé  Emile  ou  de  l'Éducation  a  été 
imprimé  à  Paris  malgré  les  défenses,  c'est  à  son  insu  et  même  qu'il  a  fait  ce  qui 
dépendait  de  lui  pour  l'empêcher. 

Les  faits  contenus  dans  ce  mémoire  sont  exactement  vrais  ;  et,  puisque 
M.  Rousseau  désire  que  je  les  lui  certifie,  c'est  une  satisfaction  que  je  ne  peux  lui 
refuser.  .A.  Paris,  le  3i  Janvier  171)11.  De  Lamoignon  de  ,Malesherbes  ». 

•  Rey  h  Rousseau.  Lettres  du  \b  Novembre -i/hi  '14  C],  134"  :  «  Il  faut  qu'on 
n'ait  pas  goûté  la  proposition  que  je  suis  sûr  que  vous  juirez  faite  de  s'adresser  à  moi  : 
mais  je  suis  persuadé  qu'on  l'a  mal  conseillé,  en  l'engageant  à  s'adresser  ailleurs  »  ;  et 
du  7  Décembre,  i36"  :  «  J'avais  mandé  à  .M,  Duchesne  que  j'étais  surpris  qu'il  ne  se  fût 
pas  adressé  à  moi  pour  le  Traité  d'éducation.  Voici  sa  réponse  :  Si  j'eusse  suivi  mon 
inclination  pour  l'ouvrage  en  question,  il  est  certain  que  je  ne  me  serais  pas  adressé  à 
ui  autre  qu'à  vous;  des  considérations  m'ont  obligé  de  voir  ailleurs;  c'est  encore  un 
mystère  que  le  temps  vous  éclaircira  ». 

'  Cf.  Livre  X  des  Confesxions.  \'III,  3ùi. 


L  IMPRESSION    ET   LA   CONDAMNATION  XLVII 

meur,  mais  son  coéditeur.  et  cherchait  seulement  à  lui  \cndre  le  plus 
cher  possible  le  droit  d"imprimer  VÉmile  parallèlement  à  l'édition  de 
Paris.  Cette  négociation  est  postérieure  au  traité  de  Duchesne  avec 
Rousseau,  puisqu'elle  ne  fut  conclue  que  vers  la  mi-Novembre  1761  '. 
alors  qu'un  volume  était  déjà,  en  grande  partie,  imprimé.  Ainsi,  dès  les 
premières  épreuves,  Rousseau  aurait  pu  s'apercevoir  que  l'impression  se 
faisait  en  France  et  qu'il  y  aurait,  tout  compte  fait,  deux  éditions,  l'une 
française  et  l'autre  hollandaise:  mais  il  semble  que  c'est  assez  tard  seule- 
ment qu'il  se  rendit  à  l'évidence.  Il  s'en  plaignit  alors  à  Malesherbes, 
qui  fut  fort  surpris  qu'il  s'en  fût  avisé  si  tard  '-. 


'  Rey  à  Rousseau,  Lettres  du  i5  Novembre  1761  [14  C],  134"  :  «  .M.  Duchesne 
aurait  bien  fait  de  s'adresser  à  moi  pour  le  Traité  de  l'éducation...  Il  demande 
2.C00  francs  ici,  à  Amsterdam,  qu'il  n'obtiendra  jamais»:  et,  du  7  Décembre,  i36"  ; 
«  M.  Jean  Ncaulme.  libraire,  a  donné  pouvoir  à  M.  Guérin  pour  conclure  le  marché 
avec  Duchesne,  ce  qu'il  a  fait  pour  la  somme  de  Hîoo  livres  ».  Ce  traité  particulier 
devait  être  accompagné  dune  convention  générale  pour  toutes  les  œuvres  de  Rousseau, 
car  je  retrouve  ce  fragment  dans  les  papiers  de  Neuchàtel  ^^14  B],  i  :  «  Nous  soussignés, 
Nicolas-Bonavanture  Duchesne,  libraire  à  Paris,  d'une  part,  Jean  Néauime,  libraire  à 
.\msterdam,  d'autre  part,  sommes  convenus  de  nous  communiquer  de  bonne  foi  la 
faculté  d'imprimer,  soit  en  société,  soit  chacun  en  notre  particulier,  les  ouvrage.'; 
manuscrits,  que  l'un  de  nous,  ou  nous  deux  conjointement,  pourrons  acquérir 
de  .\f.  .lean-Jacques  Rousseau,  cito\-en  de  Genève  ». 

■  Malesherbes  à  Rousseau,  Lettre  du  14  Décembre  [26  ,  II,  422  :  «  Je  savais  il  v 
a  longtemps  que  l'ouvrage  s'imprimait  en  France  ;  je  croyais  que  vous  le  saviez  aussi  ; 
c'est  pour  cela  que  j'ai  oublié  de  vous  le  mander.  »  Et,  la  semaine  précédente, 
Malesherbes  insinuait  déjà  à  Rousseau.  419  :  «  Je  dois  vous  avertir  que  je  doute  que 
son  marché  ^de  Duchesne^  avec  Néauime  existe,  et  que  j'ai  lieu  de  croire  que  c'est 
ailleurs  qu'il  fait  imprimer  ».  Cependant,  Rousseau  écrit  dans  le  NJ"  Livre  des 
Confessions,  l\,  14  :  «  Durant  tous  ces  essais  [de  Duchesne.  sur  le  choix  du  caractère 
et  du  format',  je  vis  bien  que  l'ouvrage  s'imprimait  en  France  ainsi  qu'en  Hollande,  et 
qu'il  s'en  faisait  à  la  fois  deux  éditions  »  :  et,  en  ert'et,  dès  le  20  Novembre,  il  écrivait 
à  Duchesne,  IX,  282  :  «  Loin  d'être  fâché  de  votre  traité  avec  le  sieur  Néauime,  j'en 
suis  charmé...  J'espère  que  M.  Néauime  voudra  bien  soigner  sa  contrefaçon  »,  ce  qui 
semblerait  impliquer,  dans  l'esprit  de  Rousseau,  que  Néauime  n'imprimait  pas  sur  le 
.Manuscrit  et  que  Duchesne  était  à  lui-même  son  imprimeur.  Mais  Rousseau  gardait  un 
doute,  puisque,  dix  jours  plus  tard,  dans  ses  Propositions  au  Sieur  Duchesne  '269], 
599,  il  met  cette  condition  au  maintien  de  son  traité  avec  lui  :  «  Que,  si  le  Sieur 
Duchesne  a  réellement  un  traité  avec  le  Sieur  Néauime,  ce  traité  soit  révoqué,  et  qu'il 
en  soit  fait  avec  moi  un  semblable,  au  moven  duquel  je  me  chargerai  de  l'édition 
étrangère,  soit  en  Hollande,  soit  ailleurs..*...  Bien  entendu  que  je  ne  serai  point  tenu 
de  suivre  dans  cette  édition  la  lenteur  du  Sieur  Duchesne  ».  Même  dans  le  dernier 
mois  de  l'impression,  Rousseau  se  figure  que  Duchesne  s'est  enfin  décidé  à  faire 
imprimer  hors  de  France  :  cf.  sa  Lettre  à  Moultou,  du  25  .\vril  1762,  .\,  320  :  «  Je  crois 
que  le  libraire  a  pris  le  parti  de  revenir  au  premier  arrangement,  et  de  faire  imprimer 
en  Hollande,  comme  il  s'v  était  d'abord  engagé  ».  Tout  le  détail  de  cette  alïaire  n'est 
pas  facile  à  élucider. 


XLVIII  INTRODUCTION 

Ce  premier  mvslère  l'inquiéta  :  la  lenteur  de  l'impression  acheva  de 
le  troubler.  Le  traité  avait  été  conclu  le  2g  Août.  A  la  fin  d'Octobre  1761, 
il  semble  bien  que  Rousseau  n'avait  encore  reçu  que  la  première  épreuve 
de  la  première  feuille  K  Duchesne  avait  perdu  du  temps  aux  prélimi- 
naires :  format,  caractères,  papier,  i^ravure,  etc  '-.  Pour  des  raisons  que 
nous  ne  connaissons  point,  mais  qui,  sans  doute,  devaient  être  des  raisons 
de  simple  commodité  personnelle,  il  avait  proposé  à  Rousseau  de  com- 
mencer l'impression  par  le  tome  II  '•  :  enfin  il  avait  oublié  de  lui  envoyer 
les  bonnes  feuilles  à  mesure  qu'elles  étaient  tirées  ■*.  Tous  ces  retards, 
négligences  et  maladresses,  affolèrent  un  homme  énervé  par  le  travail 
intellectuel,  enfiévré  par  la  solitude  et  peu  résistant  aux  émotions  :  Jugez, 
écrivait  Rousseau  à  Moultou  ■''.  de  l'effet  que  doivent  faire  ces  procédés 
incompréhensibles  «  sur  un  pauvre  solitaire  qui  n  est  au  fait  de  rien,  sur 
un  pauvre  malade  qui  se  sent  finir  ».  «  Si  quelque  chose  peut  m'excuser, 
dira-t-il  encore  quelques  semaines  plus  tard  *■.  c  est  mon  triste  état,  c'est 
ma  solitude,  c'est  le  silence  de  mes  amis,  c'est  la  négligence  de  mon 
libraire,  qui,  me  laissant  dans  une  ignorance  profonde  de  tout  ce  qui 
se  faisait,  me  livrait  sans  défense  à  l'inquiétude  de  mon  imagination 
effarouchée  par  mille  indices  trompeurs,  qui  me  paraissaient  autant  de 
preuves  ».  Les  mois  de  Novembre  et  de  Décembre  1761  sont  parmi  les  plus 
douloureux  de  la  vie  de  f^otisseau  ;  ils  sont  comme  les  sinistres  précur- 
seurs des  jours  d'hallucinations  et  de  phobies  qu'il  connaîtra  plus  tard 
en  Angleterre,  à  Trve  ou  à  Monquin.  11  faut  lire  ses  Lettres  durant  ces 
sombres  jours.  Lettres  à  Duchesne,  à  Malesherbes,  à  Moultou,  à  la 
Maréchale  de  Luxembourg,  où  il  leur  aflSrme  à  tous,  tantôt  dans  la  plus 
lamentable  des  angoisses,  tantôt  avec  une  ironie  exaspérée,  que  les 
.lésuites  ont  confisqué  son  Manuscrit,  et  qu'ils  n'attendent  plus  que  sa 
mort  imminente  pour  défigurer  son  œuvre  et  déshonorer  sa  mémoire  '  : 
«  Rien   ne  presse,  .Monsieur,  pour  l'impression  de   mon  livre,  écrit-il  à 


>  Rousseau  à  Duclicsnc,  Lettre  du  io  Octobre.  X.  276;  et",  encore  h  Rey.  Lettre 
du  3i  Octobre  '24],  121  :  «  Le  Traité  de  l'éducation  n'est  pas  encore  en  train  ». 

^  Livre  XI  des  Confessions,  IX,  14. 

"  Rousseau  à  Duchesne.  Lettre  du  19  Octobre,  X.  271. 

■*  Id.,  Lettre  du  22  Décembre,  X,  291. 

"  Lettre  du  12  Décembre  1761,  X,  287. 

'•  Au  même.  Lettre  du  18  Janvier  i7r)2  'date  rectifiée!,  X,  248. 

'  CL,  par  e.xemple,  la  Lettre  de  Malesherbes  du  iS  Novembre  1761  [2Ô5],  220  : 
«  Vous  apprendrez,  .Monsieur,  avec  surprise,  le  sort  de  mon  manuscrit  tombé  dans  les 
mains  des  Jésuites  par  les  soins  du  Sieur  Guérin  »,  etc. 


L  IMPRESSION    ET    LA    CONDAMNATION  XLIX 

Diichesne  ;  depuis  que  je  sais  les  raisons  de  votre  retard,  je  vous  excuse: 
même  je  vous  plains.  Quand  Leurs  Révérences  en  auront  fait  l'usage 
qu'elles  souhaitent,  vous  pourrez  procéder  à  l'impression,  si  elles  y 
consentent-:  en  attendant,  restez  tranquille,  aussi  bien  que  moi  »  '. 
Comme  on  devine  le  désarroi  tragique  de  ce  pauvre  homme  derrière  ces 
quelques  lignes  d'un  sang-froid  apparent,  qui  \eulent  être  amères  et  qui- 
ne  sont  que  folles  !  D'autres  déjà  -  ont  raconté  cette  crise  de  démence, 
terminée  par  la  vision  soudaine  et  cruelle  de  la  paisible  vérité  et  par  le 
plus  humble  des  aveux.  11  n'y  a  rien  de  plus  émouvant  que  les  terreurs 
de  Jean-Jacques,  sinon  ses  remords  :  «  Depuis  plus  de  six  semaines, 
avoue-t-il  à  Malesherbes,  ma  conduite  et  mes  lettres  sont  un  tissu 
d'iniquités,  de  folies,  d'impertinences...  J'ouvre,  en  frémissant,  les  yeux 
sur  moi  et  je  me  vois  tout  aussi  méprisable  que  je  le  suis  devenu  »  ^.  La 
crise  passée,  il  redevint  ce  qu'il  était  normalement,  défiant,  inquiet,  mais 
sans  extravagance.  Duchesne  reçut  encore  des  Lettres  discourtoises  et 
soupçonneuses^,  mais  où  le  soupçon  gardait,  au  moins  dans  la  forme, 
une  certaine  mesure,  et  d'où  le  spectre  des  Jésuites  était  absent.  Soyons 
sûrs  que,  dans  le  fond,  Jean-Jacques  n'était  qu'à  demi  rassuré.  Tant  que 
le  livre  ne  fut  pas  paru,  il  dut  continuer  à  craindre  qu'on  abusât  de  son 
.Manuscrit,  et  qu'on  ne  falsifiât  son  œuvre.  11  n'osait  plus,  sans  doute, 
l'avouer,  mais  il  le  redoutait  peut-être  autant. 

.\u  plus  fort  de  ses  accès  de  folie,  .Malesherbes  et  les  Luxembourg 
restaient  indulgents  et  pitovables,  sans  irritation  ni  impatience.  -Males- 
herbes écrivait  à  la  Maréchale  de  Luxembourg,  en  lui  envovant  précisé- 
ment les  pénibles  aveux  dont  j'ai  détaché  quelques  lignes  :  «  J'ai  reçu. 
Madame  la  .Maréchale,  une  nouvelle  Lettre  du  malheureux  Jean-Jacques..  : 
vous  v  verrez...  le  fond  de  son  àme.  et  le  mélange  d'honnêteté,  d'élévation 
et  quelquefois  de  désespoir  '■  qui   fait   le  tourment  de  sa   vie.   mais  qui 


'   Lettre  du  16  Novembre,  X,  282. 

-  Brunetière  et  .\laugra.s  '265  et  269. 

^  Lettre  du  23  Décembre  1761.  X,  295. 

'  Cf.  les  Lettres  des  4  et  26  Mars  1762,  X.  3i5-3i.S.  —  Xu  moment  le  plus  aigu  de 
la  crise,  Rousseau  avait  t'ait  parvenir  à  Duchesne  les  propositions  suivantes  [2119],  5gg  : 
ou  rendre  le  Manuscrit  et  reprendre  l'argent,  ou  accepter  en  échange  le  Dictionnaire 
lie  Musique,  ou  garder  YÈniile  en  s'engageant  ferme  pour  une  date,  passée  laquelle 
Rousseau  serait  en  droit  de  retirer  son  .Manuscrit.  Ces  Propositions  de  ./.  ./.  Rousseau 
au  Sieur  Duchesne  étaient  insérées  dans  sa  Lettre  à  .Malesherbes.  du  29  Novembre  1761 
3o],  160,  et  doivent  dater  de  la  même  semaine. 

'  .Malesherbes  avait  d'abord  écrit  sur  la  minute  de  sa  Lettre  40"''  41')  :  «  et 
souvent  de  fureur  ». 


L  INTRODUCTION 

prodiiil  ses  oiivratjcs.  Je  lui  ai  fait  la  réponse  la  plus  consolante  que  j'ai 
pu  »  '.  Rien  n'est,  en  effet,  plus  touchant  que  les  «  consolations  »  de 
.Malesherbes.  et  son  inlassable  ingéniosité  pour  rassurei'  et  réconforter  «  le 
malheureux  Jean-Jacques  ».  11  lui  écrit  longuement,  lui  expose  minutieu- 
sement la  situation,  répond  une  à  une  à  toutes  ses  folles  questions,  le 
remet  avec  beaucoup  de  douceur  en  lace  des  évidences  -'.  La  Maréchale 
de  Luxembourg  s'associe  de  son  mieux  à  cette  œuvre  d'apaisement  : 
«  Vous  êtes  plein  de  bonté  et  d'humanité.  Monsieur,  écrit-elle  à  Males- 
herbes ;  ce  pauvre  Rousseau  en  a  grand  besoin;  mais  il  est  aussi  bien 
intéressant  »  ^.  Comme  Malesherbes,  elle  est  «  pleine  de  bonté  »  pour  «  ce 
pauvre  Rousseau  ».  Klle  va  voir  Duchesne.  elle  mande  chez  elle  Guy, 
son  associé;  elle  se  fait  certifier  par  eux  qu'ils  n'ont  jamais  montré  le 
Manuscrit  à  cet  intrigant  abbé  de  Graves,  que  Rousseau  croit  être  un 
émissaire  des  Jésuites;  elle  essaie  de  lui  communiquer  l'impression  de 
confiance  et  de  sécurité  que  la  bonne  foi  et  la  candeur  des  libraires  ont 
pi'oduit  sLir  elle  ^.  Malesherbes  fait  plus  encore  :  il  envoie  chez  Duchesne 
un  des  inspecteurs  de  la  librairie;  il  le  charge  «  de  le  suivre  exactement, 
de  convenir  d'abord  avec  lui  du  temps  dans  lequel  il  peut  achever 
l'impression,  et  de  la  quantité  qu'il  en  peut  faire  chaqtie  semaine,  pour 
constater  ensuite,  semaine  par  semaine,  s'il  aura  rempli  la  tâche  à  laquelle 
il  se  sera  obligé  »  5. 

Pendant  les  six  semaines  d  angoisses  où  il  se  crut  trahi  et  son  nom 
déshonoré.  —  n'avant  plus  son  Manuscrit  détlnitif,  et  voulant  néanmoins 
défendre  son  œuvre  contre  des  falsifications  qu'il  crovait  certaines,  — 
Rousseau  «  se  remit  sur  son  brouillon  •»  ",  tout  malade  qu'il  était,  c'est- 
à-dire  qu'il  «  travailla  à  le  mettre  en  état  »,  à  y  rétablir  le  texte  auquel  il 
s'était  arrêté  lors  de  la  dernière  revision,  —  «  ce  qui  n'était  pas  une  petite 
affaire,  la  copie  étant  mise  dans  un  autre  ordre  et  considérablement 
augmentée  »  '.  Je  ne  sais  s'il  put  taire  poin-  tout  l'ouvrage  ce  travail  de 
mise  au  point  sur  son  «  brouillon  »,  mais  il  le  fit,  du  moins,  pour  la 
Profession  de  foi.  Il  la  recopia  ensuite  stir  un  mince  cahier,  et  l'envova 


'  Lettre   du  'b  Décumbre)  [301.  169-170. 

'  Cf.,  par  e.xeniple,  la  Lettre  du  16  Décembre  [26],  11,  422-42S. 

'  Lettre  du  samedi  [26  Décembre]  [265],  224. 

'  Lettre  du  mardi  [i5  Décembre]  [26],  11,  447-4_(S. 

'■  Malesherbes  à  Rousseau.  Lettre  du  16  Décembre  [26J,  H,  426. 

"  Rousseau  à  Moultou,  Lettre  du  12  Décembre  1761,  X,  287. 

'  Rousseau  à  Malesherbes,  Lettre  du  3o  Novembre  [3oj,  160. 


L  IMPRESSION    ET    LA    CONDAMNATION  II 

par  la  poste  à  .Moultoii,  afin  de  parer  à  toute  éventualité  '  :  Il  en\  isayeait 
dès  lors  comme  possible  la  publication  séparée  du  morceau  '-'. 

Cependant  le  livre  s"imprimait.  lentement  sans  doute,  mais  enfin  il 
s'imprimait  ■'.  Le  jour  de  Noël,  Rousseau  écrivait  encore  à  Mme  de 
\'erdelin  qu'  «  il  était  bien  loin  d'avoir  déjà  un  volume  »  ^  ;  mais,  au  début 
do  Février,  semble-t-il,  les  deux  premiers  étaient  à  peu  près  achevés  ^.  On 
ne  voit  pas  très  clairement  quelle  avait  été  jusqu'ici  l'attitude  de  l'auteur 
et  des  libraires  à  l'égard  de  l'administration.  L'ne  Lettre  de  .Malesherbes  à 
Rousseau  laisserait  entendre  que  limpression  fut  toujours  illégale,  et  que 
la  police  se  contenta  de  fermer  les  yeux  sur  un  ouvrage  dont  l'auteur 
avait  refusé  de  lui  soumettre  le  .Manuscrit  •'.  La  déclaration  de  .Males- 
herbes, faite  quatre  ans  plus  tard  \  et  rédigée,  à  ce  que  je  crois,  par 
Rousseau,  affirme  que  le  libraire,  sans  l'aveu  de  l'auteur,  demanda  offi- 
ciellement la  permission  de  faire  imprimer  l'ouvrage  en  France,  qu'on 
lui  nomma  un  censeur,  et  que  la  liste  des  corrections  nécessaires  pour 
les  premiers  cahiers  fut  soumise  à  l'auteur,  qui  déclara  la  précaution 
superflue,  car,  aurait-il  dit.  le  compromis  ne  pourrait  pas  durer  jusqu'à 
la  fin  de  l'impression,  l'ensemble  de  l'ouvrage  étant  certainement  inad- 
missible pour  la  police  rovale.  Enfin  le  li\re  lui-même  et  la  correspon- 
dance de  Rousseau  montrent  bien  que  les  libraires  ne  se  découragèrent 
pas,  qu'ils  restèrent  en  contact  avec  l'administration  durant  l'impression 
des  deux  premiers  volumes  et  qu'ils  gardèrent  longtemps  l'espoir  d'obtenir 
pour  leur  édition  la  permission  tacite.  Rousseau  même  se  montra  rela- 


'  Rousseau  à  Moultou,  Lettres  des  12  ei  aS  Décembre  1701,  1*  Janvier  1762  date 
rectifiée],  \,  287,  292,  248.  Cf.,  plus  loin,  dans  cette  Introduction,  p.  lxix. 

'  Rousseau  à  Rey.  Lettre  du  \i  .Mars  1762  ^24],  147  :  «  Il  y  a,  dans  la  dernière 
moitié,  un  morceau  détaché,  le  plus  considérable  de  tout  l'ouvrage,  qui.  dans  une 
absolue  nécessité,  peut  très  bien  s'imprinner  séparément  et  sous  un  autre  titre  ». 

=  Rousseau  à  Moultou,  Lettre  du  18  Janvier  1762   date  rectifiée",  .\,  247. 

*  Lettre  du  25  Décembre  171Î1  [^22.  21. 

'  Rousseau  à  .Malesherbes,  Lettre  du  8  Kévrier  1762.  \,  3n  ;  à  Rey,  Lettre  du 
iS  Février  1762  ^24.  iiq. 

"  Lettre  du  16  Décembre  1761  26].  Il,  423-424  :  «  Nous  vous  souvenez,  .Monsieur, 
que  vous-même  ne  pensiez  pas  que  votre  livre  put  être  imprimé  publiquement  en 
France.  Vous  ne  le  désiriez  pas  même,  parce  qu'il  aurait  fallu  pour  cela  le  soumettre  à 
la  Censure,  ce  qui  vous  répujjnait  e.vtrêmement.  C'est  pour  cela  qu'il  a  été  nécessaire 
d'envelopper  de  quelques  ténèbres  l'édition  qui  se  faisait  en  France,  et  c'est  ce  qui  a 
donné  lieu  ii  des  malentendus.  L'état  cruel  où  vous  êtes  m'a  obligé  à  avouer  cette 
édition  beaucoup  plus  que  |e  n'aurais  voulu  faire,  puisqu'il  a  fallu  en  parler  à  Duchesne 
pour  vous  tranquilliser.  Voilà  tout  le  nœud  de  cette  intrigue  ». 

'  Cf..  plus  haut.  pp.  .XLV-XLvi.  note  3.  le  texte  de  cette  déclaration. 


LU  INTRODUCTION 

tivement  accommodant,  puisqu'il  accepta  de  mettre  quelques  cartons  '. 
De  ces  divers  renseignements,  qui  ne  concordent  pas  sur  tous  les  points, 
un  seul  t'ait  se  dégage  certain,  c'est  que  les  deux  premiers  volumes 
furent  imprimés  avec  «  l'aveu  du  magistrat  »  -. 

Rousseau  restait,  d'ailleurs,  persuadé  que  le  texte  même  de  sa  Pro- 
fession, impubliable  en  France,  obligerait  Duchesne  à  tenir  ses  premières 
promesses  et  à  faire  imprimer  le  reste  de  l'ouvrage  à  l'étranger -^  Plusieurs 
fois  il  proposa  à  Duchesne  de  résilier  partiellement  leur  contrat  et  de 
traiter  lui-même  avec  Rey  pour  éditer  la  fin  de  l'ouvrage  *.  11  écrivit  à 
Amsterdam  pour  amorcer  cette  combinaison,  qui  ne  devait  pas  déplaire 
à  Rey  ^  :  Les  deux  derniers  volumes,  lui  disait-il,  «  encore  mieux  écrits 
et  plus  intéressants  à  la  lecture,  sont  pleins  de  choses  hardies  et  fortes, 
qui,  malgré  toute  la  faveur  du  magistrat,  ne  peuvent  qu'élever  des 
difficultés  dans  ce  pays.  En  ne  me  prêtant  point  au  moyen  de  lever 
ces  difficultés,  je  les  puis  rendre  insurmontables,  auquel  cas  Duchesne 
n'a  d'autre  parti  à  prendre  que  de  publier  ces  deux  premiers  volumes, 
et  de  faire  imprimer  les  deux  autres  par  Néaulme.  Or,  ce  que  je  puis  faire 
ici,  pour  que  cette  affaire  vous  revienne,  c'est  de  résilier  mon  marché 
avec  Duchesne  pour  la  moitié  de  mon  ouvrage  et  de  vous  substituer  en 
son  lieu  et  place  pour  cette  même  moitié.  Alors  Duchesne  sera  obligé  de 
faire  avec  Néaulme  la  même  résiliation  »  '%  etc.  Naturellement.  Duchesne 
regimba;  les  arguments  ne  lui  manquèrent  pas";  il  donna  à  Rous.seau 
les  assurances  les  plus  formelles  que  son  texte  serait  scrupuleusement 
respecté.  Et,  puisqu'il  devait  renoncer  à  l'espoir  de  la  permission  tacite, 
il  s'abriterait  derrière  le   Privilège  que  demanderait  Néaulme  aux  Etats 


'  Cf.  ses  Lettres  des  S  Février,  4,  aS  Mars  et  4  Avril  1762,  X,  3ii,  3i.ï,  311)  [40'»'', 
123:  et  surtout  la  Lettre  i>  Malesherbes,  du  S  .\vril  1762  [3  BJ  ou  '40"'].  5o  :  «  Voici, 
Monsieur,  les  cartons  que  vous  m'avez  ordonné  de  faire;  j'ai  suivi  fidèlement  ce  que 
vous  m'avez  prescrit,  excepté  que  j'ai  laissé  les  anges  pour  ne  pas  trop  étrangler  la 
période;  mais  j'ai  fait  tomber  sur  leurs  passions  le  doute  qui  tombe  sur  leur  existence, 
et  je  crois  que  c'est  toute  l'orthodoxie  que  l'Église  peut  raisonnablement  exiger  d'un 
hérétique.  Si  vous  v  trouvez  encore  quelques  changements  à  faire,  je  vous  supplie  de 
vouloir  bien  m'indiquer  ces  changements  en  me  renvoyant  les  cartons  ».  Cf.,  plus  loin, 
dans  cette  Introduction,  pp.  lxxiii-lxxxi,  les  descriptions  de  l'édition  originale  et 
de  l'édition  Néaulme. 

'  Livre  ."^il  des  Confessions,  l\,  14. 

'  Cf.  sa  Lettre  à  Moultou,  du  25  .^vril  17112.  X,  320. 

*  Id..  id.  :  à  .Malesherbes.  Lettre  du  8  Février  1762,  X.  3ii. 

^  Cf.  sa  réponse  à  Rousseau  du  6  Mars  1762  [14  C],  160"'. 

"  Lettre  du  iS  Février  1762  [24],  i3g, 

'  Rousseau  à  la  .Maréchale  de  Luxembourg,  Lettre  du  kj  Février  1762,  X,  314. 


L  IMPRESSION    ET    LA    CONDAMNATION  LUI 

de  Hollande'.  Ce  Privilèi^e  tut  accordé  le  lo  Mars.  Dès  lors,  l'adminis- 
iration  bienveillante  de  Malesherbes  ne  pouvait  plus  qu'ignorer  et  fermer 
les  yeux.  La  Censure,  qui  avait  demandé  des  cartons  pour  des  bagatelles 
dans  les  deux  premiers  volumes,  ne  s'occupa  plus  des  deux  derniers  -. 
[.'impression  tut  poussée  activement,  pour  le  plus  grand  soulagement  de 
Rousseau.  Duchesne.  qui  avait  mis  près  de  six  mois  pour  imprimer  les 
tomes  1  et  H.  acheva  l'ouvrage  en  moins  de  trois  mois.  A  la  mi-.\lai, 
tout  était  tîni.  Le  dimanche  23,  les  quelques  cent  personnes  auxquelles 
Rousseau  voulait  ofïrir  son  livre  reçurent  leur  exemplaire  par  les  soins 
de  Duchesne  ou  de  la  Maréchale  de  Luxembourg  •^.  Duchesne,  lui-même, 
mettait  en  vente  le  lendemain  ;  et,  durant  toute  la  semaine  qui  précéda 
la  Pentecôte,  VÉmile  se  vendait  au  Palais-Roval  pour  i()  livres*. 

Tout  de  suite,  le  succès  et  l'émotion  furent  considérables.  Le  26, 
Bachaumont  notait  déjà  que  VEmile  «  faisait  grand  bruit»;  cinq  jours 
plus  tard,  qu  il  «  occasionnait  du  scandale  de  plus  en  plus  »  :  «  le  glaive 
et  l'encensoir,  ajoutait  le  chroniqueur,  se  réunissent  contre  l'auteur  ;  et 
ses  amis  lui  ont  témoigné  qu'il  y  avait  à  craindre  pour  lui  ».  Le  3  Juin, 
le  li\re  était  confisqué  5;  et.  le  4,  Duchesne  écrivait  à  Rousseau  ce  billet 
mélancolique  :  «  Je  vous  apprends  avec  peine  que  nous  sommes  arrêtés 
par  la  police  et  que  je  ne  puis  rien  débiter.  Si  par  hasard,  on  vous 
demandait  quelque  éclaircissement  touchant  notre  traité,  je  vous  prie  de 
garder  là-dessus  un  secret  qui  ne  doit  être  su  que  de  nous  deux  :  Ne 
rendre  aucun  compte  est  le  mieux.  AL  Guérin  me  rassure  sur  votre 
discrétion  »  ".  Les  quelques  exemplaires  qui  pouvaient  se  vendre  en 
fraude  atteignaient  «  des  prix  exorbitants  »  —  Rousseau  le  constatait 
non  sans  plaisir  :  «  Quelqu'un  m'a  dit  hier,  écrivait-il  à  .Moultou.  l'avoir 
vu  paver  42  livres  »  '. 

.Mais  le  scandale   tut  si    bruvant  et   l'opinion   si    impérieuse  que  la 


'  Cf.  les  Lettres  de  Néaulme  à  Rousseau  des  20  et  22  Mai   1762  'ij\  ,  (  '  2     et  i    . 

^  Livre  XI  des  Confessions,  IX,  17  et  ig. 

-  Rousseau  à  la  Maréctiale  de  Lu.xembourj;,  Ltttre  du  19  Mai.  X,  326. 

'  Néaulme  à  Rousseau,  Lettre  du  2  Juin  [14J,  2'".  Pendant  ces  premiers  jours,  seuls 
les  e.xemplaires  de  l'édition  in-8  furent  mis  en  vente  :  cf.  Rousseau  à  Duchesne,  Lettre  du 
16  Mai,  X,  325.  L'ne  Lettre  du  12  (id.)  laisserait  croire  que  Duchesne  était  décidé  à  ne 
pas  mettre  tout  de  suite  en  vente  les  deux  derniers  volumes.  Je  ne  sais  si  Duchesne 
persista  dans  son  idée  ;  mais,  s'il  y  eut  un  intervalle  entre  les  deu.\  lancements,  il  fut  à 
peine  de  quelques  jours. 

=  Mémoires  secrets  [46'"'*],  1,  94,  9.^.  97. 

''  ["14  B],  I.  C'est  Duchesne  qui  souligne. 

'  Lettre  du  7  Juin  1762  '12  B,  volume  spégal  pour  les  Lettres  à  .Moultou],  22'  . 


LIV  INTRODUCTION 

JListice  fut  ohlifi;ée  de  sévir  '.  Le  Parlement,  d'ailleurs,  qui  allait,  deux 
mois  plus  tard,  supprimer  les  .lésuites,  n'était  pas  fâché  de  donner,  pur 
a\'ance  et  en  manière  de  compensation,  une  preuve  de  son  zèle  pour  la 
religion.  Il  agit  avec  une  promptitude  et  une  décision  significatives  -.  Les 
fêtes  de  la  Pentecôte  l'avaient  mis  en  vacance  jusqu'au  7  Juin.  Le  9  Juin 
au  matin,  la  Grand'Chambre  se  réunissait,  décrétait  l'auteur  de  prise  de 
corps,  et  condamnait  l'ouvrage  au  feu  ■'.  Le  surlendemain.  ïl-'inilc  était 
hrùlé  «  avec  le  cérémonial   accoutumé  »  ^.  Mais  on   fut  plus  pressé  de 


'  Nous  avons  un  tL-nioit;n.if;e  précis  des  exigences  de  l'opinion  dans  une  Lettre  à 
laquelle  Rousseau  fait  allusion  i.\[*  Livre  des  Confessions,  LK,  26I,  et  qui  esl  restée,  ie 
crois,  inédite  iusqu'ici.  C'est  une  Lettre  du  curé  de  Deuil,  sans  adresse,  mais 
visiblement  destinée  au  Maréchal  de  Luxembourg.  Elle  se  trouve  aujourd'hui  avec  les 
autres  Lettres  adressées  à  Rousseau  '14J  :  «  Monseigneur,  quoique  ie  n'aie  pas  l'honneur 
d'être  connu  de  N'otre  Grandeur,  i'espère  qu'elle  ne  trouvera  pas  mauvais  que  je  prenne 
la  liberté  de  lui  écrire  pwur  une  alliiire  que  ie  crois  l'intéresser.  \'oici  le  fait.  Je  reçois 
dans  le  moment  une  Lettre  de  Paris  d'une  personne  digne  de  foi,  qui  nie  dit  :  Je  suis 
ù'isuré  que  Jean-Jacques  Rousseau  sera  déféré  aujourd'hui  au  Parlement  Imis  les 
avis  sont  au  plus  violent,  il  sera  décrété,  et  il  >■  a  tout  lieu  de  craindre  qu'on  ne  s'en 
tienne  pas  Ui  ;  il  n'a  pas  de  temps  il  perdre  pour  se  mettre  à  couvert,  et  pour  prendre 
telle  précaution  qu'il  jugera  et  propo'i...  On  dit  tout  haut  au  Palais  qu'il  est  inutile 
de  brûler  les  livres  et  que  c'est  aux  auteurs  qu'il  faut  s'adresser.  Voilà  les  termes  de 
la  Lettre  que  je  reçois:  je  serais  parti  sur  le  champ  pour  en  aller  faire  part  à 
Mr.  Rousseau  dont  i'ai  l'honneur  d'être  ami  depuis  son  séjour  dans  ma  paroisse  '.  mais 
réflexion  faite,  d'après  la  fermeté  que  je  lui  connais,  j'ai  craint  de  ne  pas  pouvoir  le 
déterminer  à  prendre  des  précautions.  C'est  ce  qui  m'a  engagé  à  m'adresser  à  Votre 
Grandeur,  qui  le  déterminera  à  prendre  un  parti  convenable.  J'ai  l'honneur  d'être,  avec 
un  profond  respect,  Monseigneur,  de  Votre  Grandeur,  le  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur,  .Martin,  curé  de  Deuil  »  ij'ai  modernisé  l'orthographei. 

'-  M.  Lanson  [279]  a  justement  mis  en  lumière  cette  prompte  et  énergique  action 
du  Parlement,  et  fait  remarquer  que  les  poursuites  avaient  été  décidées  et  les  jugements 
rendus,  dans  le  minimum  de  temps.  La  liste  des  juges  qu'il  a  publiée  prouve  aussi  que 
Rousseau  n'a  été  condamné  que  par  onze  juges  —  ce  qui  était  le  nombre  strictement 
nécessaire  pour  la  légalité  de  l'arrêt.  Ces  onze  juges  étaient  tous  de  vieux  magistiats 
très  attachés  à  la  tradition  et  peu  tendres  pour  les  nouveautés  philosophiques.  Les 
conseillers  plus  libéraux  ou  même  franchement  sympathiques  à  Rousse.iu,  comme 
llénault,  Malesherbes,  Guébriant,  etc.,  avaient  cru  plus  sage  de  .s'abstenir,  ne  voulant 
pus  s'associer  à  une  condamnation  qu'ils  réprouvaient,  mais  sentant  que  l'opinion 
publique  n'aurait  pas  supporté  une  défaillance  du  Parlement. 

'  A.  Jansen  a  publié  de  soi-disant  Moles  de  Rousseau  sur  l'Arrêt  du  Parlement 
[2SJ,  19-23;  mais  ces  notes  ne  sont  pas  de  Rousseau;  elles  sont  d'un  ami  du  Maréchal 
de  Luxembourg  et  ont  été  communiquées  par  ce  dernier  à  Rousseau  '■2f)'.  I.  4S1.  Jansen 
l'a,  d'ailleurs,  reconnu  lui-même  dans  la  Gegenwart. 

'  Mémoires  secrets  [46'''»],  I,  100.  Bachaumont  enregistre  le  fait  sous  l.i 
date  du  q;  mais  le  post-scriptum  de  V Arrêt  du  Parlement,  signé  d'Étienne-Dagobcrt 
Lsabeau,  «  l'un  des  trois  principaux  commis  pour  la  Grand'Chambre  »,  est  plus  sur 
^26o\  8-9  :  «  Le  Vendredi  11  Juin  1762,  le  dit  écrit  mentionné  ci-dessus  a  été  lacéré  et 
brûlé  au  pied  du  grand  escalier  du  Palais  par  l'exécuteur  de  la  Haute-Justice  ». 


L  IMPRESSION    ET    LA   CONDAMNATION  LV 

s"assurer  de  Rousseau:  et,  si  les  huissiers  du  Parlement  l'avaient  trouvé 
à  Montmorency,  il  est  probable  que  «  la  prise  de  corps  »  aurait  été 
effective  :  et  nul  ne  peut  dire  aujourd'hui  quels  risques  ultérieurs  elle 
comportait.  L  ne  seule  chose  est  certaine,  c'est  que  tout  un  parti  puis- 
sant réclamait  des  sanctions  énergiques  i.  L'anonvmat  aurait  pu  sauver 
Rousseau,  comme  il  en  avait  préservé  bien  d'autres.  Voltaire  et  Diderot 
les  premiers.  Le  nom  qui  s'étalait  fièrement  sur  la  première  page  de 
VEmile,  et  qui.  dans  la  pensée  de  Rousseau,  attestait  surtout  sa  coura- 
geuse sincérité,  parut  aux  magistrats  une  provocation  et  un  défi  à 
l'autorité.  11  leur  parut  que  «  l'auteur  de  ce  livre,  n'ayant  point  craint 
de  se  nommer  lui-même,  ne  saurait  être  trop  promptement  poursuivi  ; 
qu'il  était  important,  puisqu'il  s'était  fait  connaître,  que  la  justice  se  mit 
à  portée  de  faire  un  exemple  »  -.  Quoi  que  semble  insinuer  Rousseau,  il 
ne  tint  pas  au  Parlement  que  cet  «  exemple  ne  fût  fait  »^. 

Je  n'ai  pas  à  suivre  ici  les  infortunes  de  VEmile  dans  les  difFérenis 
pavs  où  il  essava  de  s'acclimater.  Je  rappelle  simplement  les  quelques 
condamnations  qui  intéressent  les  destinées  bibliographiques  du  texie 
français. 

Le  19  Juin.  YHmile  est  condamné  par  le  Petit  Conseil  de  Genève, 
sur  le  réquisitoire  et  conformément  aux  conclusions  du  procureur  général 
Jean-Robert  Tronchin  ;  le  même  jour,  en  compagnie  du  Contrat  Social. 
il  fut  li\ré  et  brûlé  par  l'exécuteur  de  la  Haute-Justice  de\ant  la  porte  de 
l'Hôtel  de  Ville*. 

En  Hollande,  dès  le  23  Juin,  la  vente  du  livre  fut  arrêtée,  et  les 
magistrats  d'Amsterdam  en  confièrent  l'e.xamen  aux  pasteurs  de  l'Eglise 
wallonne.  Ceux-ci  rédigèrent  un  Mémoire,  le  29  du  même  mois,  mémoire 
qui  existe  encore  aux  .Archives  de  La  Hâve,  et  qui  concluait  à  la  révocation 
du  Privilèee.  Conformément  à  cet  avis,  les  États  de  Hollande  et  de 
Westfrise,   par  une  résolution  datée  du   3o  Juillet  i7f')2,   révoquèrent  le 


'  Cf.  le  propos  que  prête  Bachaumont  4Ô  ■'' ,  I.  102.  au  prince  de  Conli  po  ir 
décider  Rousseau  à  prendre  la  fuite  :  «  Le  prince  lui  fit  entendre  qu'il  y  allait  non- 
seulement  de  la  prison,  mais  encore  du  bûcher  ». 

'  Viridel  "260J,  .6-7. 

'  Cependant  il  convient  de  faire  remarquer,  en  faveur  de  l'hvpothèse  de 
Rousseau,  que  Tarrêt  du  Parlement  ajoute  qu'il  faut  faire  «  un  exemple  tant  si.r 
l'auteur  que  sur  ceux  qu'on  pourra  découvrir  avoir  concouru,  soit  à  l'impression,  stit 
à  la  distribution  d'un  ouvrage  digne,  comme  eux,  de  toute  sévérité  »:  que  Duchesiie 
n'a  pas  pris  la  fuite  comme  Rousseau,  et  qu'il  ne  semble  pas  avoir  été  inquiété. 

*  Viridet  ^260  .  i3-io. 


LVI  INTRODUCTION 

Privilège,  ordonnèrent  la  saisie  des  exemplaires,  avec  défense  à  quiconque 
de  réimprimer,  vendre,  distribuer,  ou  traduire  le  dit  ouvrage  sous  peine 
d"une  amende  de  mille  florins  et  même  de  prise  de  corps  i. 

La  Sorbonne  fut  plus  lente.  Dans  son  assemblée  du  ■"'Juillet  1762, 
elle  renvoya  à  la  séance  suivante  Texamen  de  VEmile.  Cette  séance  eut 
lieu  le  lundi  2  Août,  et  dura  trois  jours  :  il  n'y  fut  guère  question  de 
Rousseau.  On  nomma  quatre  commissaires  pour  rédiger  la  censure  de 
l'ouvrage,  les  docteurs  Hoock,  Bonhomme,  Denans  et  Legrand.  Le  texte 
des  commissaires  fut  lu  et  discuté  aux  assemblées  des  17,  20  Août  et 
4  Novembre.  La  Censm-e  de  la  Faculté  de  théologie  [248]  parut  sans 
doute  dans  le  courant  de  Novembre  -.  Par  une  Lettre  aux  Docteurs 
de  Sorbonne  du  26  Octobre  1763,  le  pape  Clément  XI 11  adhéra  à  la 
condamnation  '*.  D'ailleurs,  le  livre  avait  été  mis  à  l'Index  dès  le 
g  Septembre  176a  ■'. 


'  Bossclia  '24],  ibS-iô/.  Par  arrùl  du  27  Janvier  1765.  la  Cour  dt-  llollandi;.  en 
condamnant  les  Lettres  de  la  Montagne  à  être  lacérées  et  brûlées  sur  l'échafaud  par 
les  mains  du  bourreau,  rappela  la  condamnation  de  l'Emile  et  la  maintint  expres- 
sément. Id.,  245. 

-  Cf.  Lanson  [279],  io8-m3. 

'^  Cf.  le  texte  reproduit  par  B.  Bouvier  [279].  i37-i3S.  Au  lieu  de  :  Dilecti  filii, 
lire  :  Dilectis  filiis. 

^  Index  librorum  prohibiloruin  Sanctissimi  Domini  nostri  PU  sexti,  Pontijtcis 
\la.\iiiii.  /Kssit  editiis.  Romae,  T\  pof;rapliia  Rev.  Camerte  Apostolicîe,  1786,  in-8,  p.  25?. 


11^  PARTIE 

HISTOIRE  DU  TEXTE  : 
MANUSCRITS    ET    PRINCIPALES    ÉDITIONS 


CHAPITRE  I 

LES    MANUSCRITS 

Il  existe,  à  ma  connaissance,  quatre  Manuscrits  autographes  de  la 
Profession  de  foi  du  Vicaire  Savoyard.  .Mais,  pour  qui  s'est  familiarisé 
avec  les  méthodes  de  Rousseau,  pour  qui  se  rappelle  ses  scrupules  litté- 
raires d'écrivain  jamais  satisfait,  son  besoin  maladif  de  se  relire  dans 
des  copies  toujours  plus  correctes,  il  serait  imprudent  d'affirmer  que  ces 
quatre  Manuscrits  sont  les  seuls.  «  Mes  manuscrits,  a-t-il  avoué  lui-même, 
raturés,  barbouillés,  mêlés,  indéchiffrables,  attestent  la  peine  qu'ils  m'ont 
coûtée.  11  n'y  en  a  pas  un  qu'il  ne  m'ait  fallu  transcrire  quatre  ou  cinq 
fois  avant  de  le  donner  à  la  presse  »  i.  Ce  que  je  crois  pourtant  vrai- 
semblable, c'est  que  ces  quatre  .Manuscrits  ont  été  les  seuls  à  offrir  un 
texte  complet,  et  que  les  Manuscrits  qui  nous  manquent  ne  devaient 
contenir  que  des  esquisses  ou  des  rédactions  fragmentaires.  11  me  parait 
donc  possible  de  l'econstituer  ainsi  qu'il  suit  la  généalogie  des  Manuscrits 
de  la  Profession. 

I.  Le  Manuscrit  corrigé  des  V"^  et  VI'  «  Lettres  à  Sophie  ». 

On  a  vu  que,  dans  l'automne  de  1 767,  peut-être  même  un  peu  plus  tôt. 
pour  se  «  délasser  de  son  travail  de  copiste  »-  —  il  recopiait  alors  la 
Julie  de  .Mme  d'Houdetot.  —  Rousseau  avait  commencé,  pour  elle  aussi. 


'  Confessions,  VIII,  80. 

•  A  M"'  d'Houdetot.  Lettre  du  28  Janvier  1758  [34].  23/. 


LVIII  INTRODUCTION 

des  Lettres  morales.  Sans  doute  le  projet  fut  accueilli  sans  enthousiasme, 
car  Rousseau  l'abandonna  :  ou  plutôt  l'élargissant,  il  transforma  ces 
«  Lettres  »  sur  la  morale,  en  un  discours  sur  la  morale  et  ses  fondements, 
c'est-à-dire  sur  la  Religion  et  sur  le  code  des  devoirs  qu'elle  soutient. 
Bien  des  paroles  qu'il  avait  adressées  à  Sophie  pouvaient  être  reprises  par 
le  Vicaire.  Retournant  donc  au  brouillon  de  ses  Lettres,  il  les  retoucha 
pour  les  utiliser.  Les  appels  à  «  Sophie  ».  à  «  ma  chère  amie  »  turent 
supprimés.  Au-dessus,  en  surcharge,  il  écrivit  «  bon  jeune  homme  », 
«  ô  mon  bon  ami  »  :  «  remplacement  symbolique  »,  dit  très  justement 
M.  Ritter  :  «  l'image  de  Mme  d'Houdetot  s'est  effacée  dans  le  cœur  de 
Jean-Jacques  .:  le  disciple  idéal  vient  prendre  sa  place  »  '.  Lne  bonne 
partie  des  \'^  et  V'I'^  Lettres  à  Sophie  a  ainsi  passé  dans  la  Profession. 
Le  brouillon  de  ces  Lettres  est  aujourd'hui  conservé  à  la  Bibliothèque 
de  Neuchàtel  sous  le  n"  7890.  Avec  elles,  se  trouve  une  autre  Lettre,  à 
laquelle  Rousseau  n'a  pas  donné  de  numéro  d'ordre,  et  qui  est  également 
adressée  à  Sophie,  comme  l'a  montré  M.  Ritter.  Au  dos  de  cette  dernière, 
une  main  du  XYlIl"^  siècle,  peut-être  un  secrétaire  de  Du  Peyrou,  a 
écrit  :  «  Brouillon  de  quelques  Lettres  de  J.  J.  Rousseau  à  une  dame  de  ses 
amies  ».  Les  deux  Lettres  qui  nous  intéressent  forment  deux  petits  fasci- 
cules indépendants,  chacun  de  quatre  feuillets  petit  in-4"  ciSoXiHo). 
Chaque  côté  de  ces  feuillets  est  également  partagé  en  deux,  la  partie  de 
droite  contenant  le  texte  primitif,  la  partie  de  gauche  les  additions  ou 
corrections.  Rousseau  a  écrit  au  recto  et  au  verso.  Ces  ¥■=  et  VI"^  Lettres 
ont  été  publiées,  ou  plutôt  reconstituées  et  un  peu  simplifiées,  par 
.^L  P^ugène  Ritter,  en  1888,  dans  les  Verliandltingen  der  neunund- 
dreissigsten  t'ersainm/uiig  deutscher  Pbilologen  und  Scliulmaenner  in 
Ziirich  et  reproduites  par  lui,  en  if)o6.  dans  les  Annales  J.  J.  Rousseau 
3i\  On  en  trouvera  plus  loin,  aux  .Appendices.  \,  le  texte  intégral,  il  est 
difiicile,  dans  l'état  actuel  de  ces  brouillons,  de  discerner,  avec  une  entière 
certitude,  ce  qui  appartient  à  la  rédaction  primitive  des  Lettres  à  Sophie 
et  ce  qui  a  été  ajouté  ou  modifié  en  vue  de  l'insertion  dans  la  Profession 
de  foi.  —  D'après  une  note  marginale  du  premier  Manuscrit  de  VEmile  -, 
où  Rousseau  se  rappelle  à  lui-même  qu'il  veut  mettre  dans  la  bouche  du 
N'icaire  ce  qu'il  avait  écrit  à  Sophie,  on  pourrait  supposer  que  cette 
revision    des   V'=  et    \'L'   Lettres   est    postérieure  aux    premiers    plans   et 


'  .l.-J.  Rousseau  et  A/""  d'Huudetot  '49],  II,  111. 

^  F"  164"  :  cf.,  dans  la   présente   édition,   p.   234.   Ce   premier  .Manuscrit  est   le 
Mantiscril  l'civre,  qui  est  décrit  plus  loin  au  5  3. 


«   CAHIERS    »    DE    BROUILLONS  LIX 

ébauches  de  la  Profession.  Néanmoins,  dans  la  mesure  où  ces  Lettres 
contiennent  des  développements  qui  sont  entrés  dans  le  discours  du 
Vicaire,  on  peut  les  considérer  comme  le  premier  Manuscrit  partiel  de 
la  Profession. 

2.  Les  «  cahiers  »  de  brouillons. 

Ce  .Manuscrit  partiel  n'a  pas  dû  être  le  seul.  l,e  premier  .Manuscrit 
complet  de  la  Profession  est  déjà  trop  bien  ordonné,  certains  morceaux 
à  peine  raturés  sont  déjà  d'un  style  trop  soigné  et  trop  savant  pour  ne 
pas  laisser  supposer  des  rédactions  antérieures  :  «  Je  n'ai  jamais  pu  rien 
faire  la  plume  à  la  main,  écrit  Rousseau  dans  les  Confessions  '.  vis-à-vis 
d'une  table  et  de  mon  papier.  C'est  à  la  promenade,  au  milieu  des  rochers 
et  des  bois,  c'est  la  nuit,  dans  mon  lit  et  durant  mes  insomnies,  que 
j'écris  dans  mon  cerveau  :  l'on  peut  juger  avec  quelle  lenteur,  surtout 
pour  un  homme  absolument  dépourvu  de  mémoire  verbale,  et  qui.  de 
la  vie,  n'a  pu  retenir  si.\  vers  par  cœur.  11  y  a  telle  de  mes  périodes  que 
j'ai  tournée  et  retournée  cinq  ou  six  nuits  dans  ma  tète,  avant  qu'elle 
tut  en  état  d'être  mise  sur  le  papier  ».  .\.vec  une  telle  méthode  de  com- 
position, un  écrixain  procède  par  morceaux  séparés,  qu'il  groupe  ei  réunit 
plus  tard  après  divers  tâtonnements  et  transpositions.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  qu'à  l'époque  où  a  été  rédigé  le  premier  .Vlanuscrit  de  VEmile. 
quelques-uns  des  principaux  morceaux  de  la  Profession  n'avaient  pas 
encore  trouvé  leur  place  définitive  -.  Il  est  donc  vraisemblable  que  VÈmile 
a  été  composé  comme  les  autres  ouvrages  de  Rousseau.  Si  c'est  en 
«  s'enfonçant  dans  la  forêt  »  de  .Montmorencv  que  Rousseau  cherchait 
et  trouvait  «  l'homme  de  la  nature  »  '•.  c'est  de  même,  sans  doute,  qu'il 
cherchait  et  trouvait  le  Dieu  de  la  nature.  Chacune  de  ces  promenades  et 
de  ces  méditations  ambulantes  devait  se  transposer  le  soir  en  quelques 
pages  d'attente,  qui  ne  trouvaient  pas  tout  de  suite  leur  emploi.  L'abbé 
Gabriel  Brizard.  qui  a  été,  comme  on  sait,  le  principal  directeur  de  la 
grande  édition  Poingot  1 1788-1703 ),  parle  à  plusieurs  reprises  de  quinze 
ou  seize  cahiers  de  brouillons,  qui  se  seraient  trouvés  en  sa  possession  et 
qui  auraient  contenu  «  les  idées  premières  et  des  fragments  considé- 
rables »  des  principales  oeuvres  de  Jean-Jacques  :  «  Nous  en  avons,  dit-il, 
où  il  y  a  des  idées  éparses  et  des  passages  entiers  de  VHéloïse.  de  VEmile. 


'  Vlll,  80. 

'  Cf..  dans  la  présente  édition,  pp.   122.  147  et  2211. 
'  Confessions,  Vlll,  2711-277. 


LX  INTRODUCTION' 

de  la  Lettre  sur  les  spectacles,  etc.,  avec  des  variantes  et  des  corrections. 
Un  \  voit,  pour  ainsi  dire,  le  creuset  où  Rousseau  jetait  ses  pensées, 
jusqu'au  moment  où  elles  en  jaillissaient  a\'ec  réclut  et  la  pureté  qu'elles 
ont  dans  ses  immortels  écrits  »,  etc  *.  Brizard  écrivait  ces  lignes  en  171)0. 
Seraient-ce  ces  mêmes  cahiers,  qui,  cinq  ans  plus  tard,  se  trouvaient  aux 
mains  de  Lakanal?  La  chose  ne  serait  pas  impossible.  Brizard  étant  mort 
en  1793,  et  les  cahiers  recueillis  par  Lakanal  étant  au  nombre  de  quinze, 
comme  ceux  que  possédait  Brizard  :  «  .le  viens,  disait  Lakanal,  dans  la 
séance  du  28  \'endémiaire.  an  111,  offrir  à  la  Convention  et  à  ma  patrie 
le  fruit  de  mes  recherches  sur  les  Manuscrits  de  .1.  .1.  Rousseau  insérés 
jusqu'ici  dans  des  portefeuilles  particuliers.  Voici  quinze  cahiers  écrits  en 
entier  de  la  main  de  ce  grand  homme;  ils  renferment  divers  morceaux 
qLii  n'ont  jamais  paru  et  les  germes  des  principales  productions  de  son 
génie  :  on  y  voit  les  premiers  jets  des  pensées  de  ce  philosophe,  et  les 
modifications  qu'elles  ont  éprouvées,  avant  d'avoir  cette  perfection  admi- 
rable de  style  qu'on  découvre  dans  tout  ce  qui  est  sorti  de  sa  plume  ». 
Lakanal  ajoute  qu'il  tient  ces  .Manuscrits  de  la  citoyenne  iMaugurier -. 
Si  ce  sont  ceux  de  Brizard,  comment  seraient-ils  venus  échouer  d'abord 
chez  la  dite  citoyenne,  je  ne  me  l'explique  pas.  D'autre  part,  quelques 
années  plus  tard,  (179(1  ou  1707),  ce  même  Lakanal  lançait  le  prospectus 
d'un  recueil  d'inédits  de  Rousseau,  qui  ne  de\ait  jamais  paraître,  et  qui 
aurait  contenu,  semble-t-il.  d'autres  textes  que  ceux  dont  il  avait  parlé  à 
la  séance  du  2S  Vendémiaire,  an  111.  Ce  prospectus  disait  :  «  J'ai  été  chargé, 
par  divers  arrêtés  du  Comité  d'instruction  publique  de  la  Convention 
Nationale,  de  faire  procéder  au  dépouillement  d'un  grand  nombre  de 
.Manuscrits  autographes  de  J.  J.  Rousseau.  Ce  travail  avait  pour  but 
d'extraire  de  ces  Manuscrits  réunis  dans  la  Bibliothèque  du  Comité 
d'instruction  publique  et  dans  plusieurs  autres  dépôts  littéraires,  tout  ce 
qLii  n'avait  pas  été  publié.  Cinq  hommes  de  lettres  avantageusement 
connus  ont  été  chargés  pendant  huit  mois  de  lire  ces  nombreux  Manus- 
crits, de  les  coUationner  sur  les  éditions  les  plus  complètes,  de  noter  tout 
ce  qui  était  inédit.  Ce  travail,  fait  avec  un  soin  éclairé,  a  fourni  dix-sept 
cihiers  de  vingt  pages  chacun.  Deux  renferment  des  additions  considé- 
rables au  Contrat  Social  :  trois  des  additions  à  V  Emile;  trois  à  VHéloïse: 

'  [i(5],  XVIII.  363,  \TI,  240.  Ces  textes  ont  déjà  été  ,sit;n;ilés  par  M.  Th.  Dulbur 
[3/].  182-184.  Dans  ses  notes  manuscrites  inédites  [253 j,  140.  Brizard  parie  de  «  ses 
I  li  cayers  mss  >\ 

-  Moniteur  uniiicrsct.  du  pnniidi  1"  Brumaire,  an  III  iMercredi  22  octobre  1794. 
vieux  style),  n'  3i.  p    228. 


«  CAHIERS  »    DE    BROUILLONS  LXI 

deux  aux  Coii/'essioiis :  un  renferme  des  vues  générales  sur  l'agriculture, 
le  commerce  et  les  finances;  deux  contiennent  des  notes  sur  les  person- 
nages cités  par  l'auteur,  et  la  clef  de  ses  écrits  ou  la  nomenclature  des 
noms  qui  n'y  sont  indiqués  que  par  les  lettres  initiales...  Ce  sont  des 
articles  travaillés  avec  soin  que  nous  nous  proposons  de  donner  au  public 
et  non  des  esquisses  intormes.  Nous  ne  nous  sommes  pas  même  servis 
de  quelques  .Manuscrits  chargés  de  notes  marginales  "interlinéaires,  qui 
contiennent  les  premiers  jets  des  pensées  de  l'auteur;  ces  Manuscrits, 
d'ailleurs,  forment  une  propriété  particulière  réclamée  par  les  proprié- 
taires, et  à  laquelle  nous  ne  nous  permettons  pas  de  toucher.  Aucun  des 
articles  que  nous  publions  n'a  été  imprimé.  Les  Manuscrits,  au  nombre 
de  vingt-six.  dont  ils  sont  tirés,  n'ont  été  confiés  qu'aux  agents  immé- 
diats du  Comité  d'instruction  publique.  Poinçot  pour  l'édition  in-4"  des 
œuvres  de  Rousseau.  Didot  jeune  pour  la  magnifique  édition  de  la 
veuve  .Maisonneuve.  n'ont  eu  à  leur  disposition  et  n'ont  compulsé  que 
les  Manuscrits  qui  ont  appartenu  à  .Mme  de  Luxembourg,  les  fragments 
de  VHéloïse  apportés  du  .lura,  et  l'exemplaire  des  Confessions  offert  à 
la  Convention  nationale  par  la  veuve  de  Jean-Jacques.  Le  travail  des 
commissaires  du  Comité  d'instruction  n'a  porté  sur  aucun  de  ces  .Manus- 
crits déjà  connus  »  '.  Parmi  ces  vingt-six  Manuscrits,  d'où  Lakanal  avait 
tiré  les  morceaux  qu'il  comptait  publier,  les  quinze  .Manuscrits  qu'il 
avait  présentés  à  la  Convention  étaient-ils  compris?  C'est  possible,  sans 
être  certain  :  «  Ce  sont,  disait-il  le  28  \'endémiaire,  an  III,  les  premiers 
jets  de  ses  pensées,  les  modifications  qu'elles  ont  éprouvées  avant  » 
d'avoir  atteint  leur  point  de  perfection.  Ce  sont,  dit-il  plus  tard  dans 
son  prospectus,  des  «  additions  »,  «  additions  considérables  au  Contrat 
Social,  à  YÉmile  ».  etc.  Je  sais  bien  que.  dans  une  langue  peu  précise, 
ce  mot  d'  «  additions  »  pourrait  signifier  simplement  :  morceaux  inuti- 
lisés: mais  le  prospectus  parait  bien  distinguer  les  «  additions  »,  «  articles 
travaillés  avec  soin  »,  des  Manuscrits  «  qui  contiennent  le  premier  jet 
des  pensées  de  l'auteur  »  -.  Quoi  qu'il  en  soit,  que  ces  différents  .Manuscrits 


'  '254 "•■•],  1-6.  —  Quérard.  qui  semble  bien  avoir  eu  connaissance  de  ce  prospectus 
de  Lakanal  pour  rédiger  sa  Xotice  257],  223-224,  déforme,  en  les  résumant,  les 
renseignements  que  contient  ce  prospectus  :  *  Ces  .Manuscrits  de  Rousseau,  écrit-il, 
lormaient  di.\-sept  cahiers  de  vingt  pages  chacun  ».  On  a  vu  que  ces  di.\-sept 
.Manuscrits  n'étaient  pas  les  .Manuscrits  mêmes  de  Rousseau,  mais  les  cahiers  où  les 
gens  de  lettres  qui  travaillaient  sous  la  direction  de  Lakanal  avaient  copié  les 
morceaux  les  plus  intéressants  des  vingt-six  .Manuscrits. 

'  En   outre,    dans    la    séance    du    28    Xendémiaire,    an    III,    Lakanal    avait   t'ait 


LXII  INTRODUCTION 

aient  eu  une  destinée  commune  ou  qu'ils  aient  formé  deux  groupes  indé- 
pendants, je  ne  sais  ce  qu'ils  sont  devenus.  Dans  la  Préface  de  son  édition 
de  ÏÉinile  ^  Petitain  affirme  encore  qu'il  existait,  en  iSig,  des  brouillons 
fragmentaires  de  cet  ouvrage,  et  que  la  Bibliothèque  du  Palais-Bourbon 
en  «  possédait  quelques  parties  sur  feuilles  volantes  ».  Aucun  catalogue 
actuel  n'en  fait  mention.  Nul  doute  cependant  que  ces  premières  ébauches 
aient  existé.  Dans  le  plus  ancien  des  .Manuscrits  de  ÏÉinilc,  on  verra 
Rousseau  lui-même,  à  la  fin  d'un  paragraphe,  mettre  un  signe  d'arrêt, 
écrire  à  côté  :  «  Au  cahier  ».  et  amorcer  le  passage  qu'il  prendra  dans 
le  «  cahier  »  pour  l'insérer  en  cet  endroit  de  sa  rédaction.  .\  la  page 
suivante,  nouveau  signe  d'arrêt:  à  côté  :  «  Rctuiirncr  au  cahier  »;  et 
c'est  au  «  cahier  »,  sans  doute,  qu'est  emprunté  le  développement  qui 
commence  après  cette  indication  -'.  Ce  qu'étaient  ces  «  cahiers  'i,  nous 
pouvons  le  deviner  par  quelques-uns  d'entre  eux.  qui  sont  encore 
conservés  à  Neuchàtel,  et  sur  lesquels  j'aurai  bientôt  à  revenir.  L'un 
d'eux  (n"  7887),  parmi  des  brouillons  de  lettres  et  des  fragments  d'un 
traité  d'astronomie,  contient,  dispersées  çà  et  là,  des  pages  encore  inor- 
ganiques de  la  Lettre  à  M.  de  Beaumont  et  des  Lettres  de  la  Montagne. 
Ce  recueil  n'est  guère,  pour  ainsi  dire,  qu'un  chantier  de  matériaux  à 
peine  dégrossis.  11  est  dommage  que  nous  ne  puissions  plus  apercevoir 
la  Profession  dans  cet  état  cahotique  qui  précède  l'organisation.  Le 
premier  .Manuscrit  qui  nous  la  présente,  nous  la  présente  constituée 
déjà  dans  ses  parties  essentielles  :  c'est  le  iManuscrit  suivant. 

3.  Manuscrit  Favre. 

■l'ai  déjà  présenté  ce  .Manuscrit  à  l'Académie  des  Sciences  Morales  le 
8  Fé\rier  U)  1  2  °;  et  .M.  Léopold  Fa\re  lui  a  consacré  quelques  mois  plus 


«  observer  que  la  librairiu  Poinçot,  qui  prépare  une  édition  complète  de  Jean-Jacques 
'cf.,  à  la  Sibliographie.  la  note  du  n'  iij  ,  aurait  communication  de  ces  .Manuscrit^ 
pour  insérer  dans  son  édition  des  morceaux  que  ces  cahiers  contiennent  et  qui  n'ont 
pas  encore  été  imprimés  »  {Moniteur,  n"  cit.,  p.  22S);  et,  dans  le  prospectus,  il 
distinjîue  les  vingt-six  morceaux  .Manuscrits  des  .Manuscrits  utilisés  par  Poinçot. 

'  Œuvres  [ig],  VIII,  6. 

'  F"'  i59'"  et  160";  cf.,  dans  la  présente  édition,  pp.  64  et  i36.  —  Si  l'hypothèse 
que  j'ai  indiquée  plus  haut,  p.  xvn.  note  3,  était  vérifiable,  peut-être  le  Caléchisiiu' 
dont  il  parlait  à  Mme  d'Houdetot  en  Juillet  [757  (X,  i65l  aurait  contenu  une  première 
esquisse  de  la  Profession. 

'  Cf.  dans  Le  Temps,  du  9  Avril  1912,  l'analyse  de  ma  communication  par 
.M.  Emile  Henriot. 


MANUSCRIT    FAVRE  LXIII 

tard  une  importanie  et  très  minutieuse  notice    294  .  à  laquelle  je  renvoie 
pour  une  description  plus  précise. 

Ce  Manuscrit  faisait  partie  des  papiers  que  Rousseau  confia,  au 
printemps  de  177K.  à  Paul  Moultou.  En  Mai  1825,  Guillaume  Moultou. 
fils  de  Paul,  le  donna  à  son  cousin  Guillaume  Favre,  dit  Favre-Bertrand. 
11  appartient  aujourd'hui  à  .M.  I.éopold  Favre,  de  Genève.  Il  comprend 
262  feuillets,  dont  la  numérotation  a  été  faite  par  Alphonse  Favre,  et 
deux  feuillets,  i24'''s  et  23  i'''^,  que  ce  dernier  a  oublié  de  numéroter  ou 
a  numéroté  en  double.  Les  32  premiers  contiennent  une  Table  d'Emile 
inachevée,  qui  renvoie  au  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  Genève 
(M.  f.  2o5i:  viennent  ensuite  quinze  feuillets  blancs:  puis  une  liste  de 
personnes  connues  de  Rousseau,  celles  vraisemblablement  à  qui  il 
réservait  un  exemplaire  de  la  Julie  ou  de  YEmile.  Le  reste  du  Manuscrit 
est  occupé  par  les  cinq  Livres  d'Emile.  Les  feuillets  sont  écrits  au  recto 
et  au  verso.  Chacun  est  divisé  en  deux  parties  presque  toujours  égales. 
Le  texte  primitif  remplit  lun  des  côtés,  l'autre  était  destiné  à  recevoir,  le 
cas  échéant,  les  additions  et  les  corrections.  Sauf  une  feuille  volante 
(f<*  22C)i.  tous  ces  feuillets  forment  des  cahiers  de  différentes  dimensions  : 
le  plus  grand  mesure  260X200;  le  plus  petit  23oXi75.  Il  y  a  onze  de 
ces  cahiers.  Les  cahiers  2  a  5.  et  6  à  S  sont  groupés  ensemble  et  cousus 
l'un  à  l'autre.  La  Profession  de  foi  occupe,  dans  le  .Manuscrit.  les 
folios  154'° — 174™-  Le  texte  n'en  est  pas  complet,  quoiqu'il  soit  sans 
lacunes  matérielles  :  il  v  manque,  entre  autres  morceaux  importants,  les 
deux  dissertations  sur  la  sensation  et  l'activité  de  la  pensée,  sur  la  matière 
et  le  mouvement  :  mais  c'est  un  texte  organisé,  où  la  plupart  des  argu- 
ments se  présentent  déjà  dans  l'ordre  définitif.  11  semble  bien  que  nous 
ayons  là  —  pour  la  Profession  du  moins  —  la  première  rédaction  suivie. 
Les  renvois  au  «  cahier  »  ou  aux  Lettres  à  Sophie,  que  j'ai  signalés  plus 
haut,  seraient  incompréhensibles,  si  les  emprunts  à  ces  recueils  avaient 
été  déjà  faits  dans  une  rédaction  antérieure.  Ils  ne  s'expliquent  que  dans 
l'hypothèse  où  Rousseau,  «  composant  »  enfin  la  Profession,  en  rédige 
le  texte  à  petites  journées,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  et  note  lui-même,  à 
la  fin  d'une  de  ces  «  journées  »  de  travail,  le  cahier  ou  le  fragment  encore 
inutilisé,  auquel  il  doit  emprunter  le  développement  suivant.  Le  texte 
ainsi  constitué  n'est  donc  pas.  à  proprement  parler,  une  copie  :  C'est 
une  coordination  provisoire  des  matériaux  rassemblés  ;  c'est  un  texte  de 
travail,  qui  peut  servir  de  base  non  seulement  à  une  revision,  mais  à  des 
élargissements  et  à  des  remaniements.  Et,  en  effet,  dans  la  colonne  laissée 
libre,  outre  les  additions  dont  le  point  d'attache  au  texte  est  marqué  par 


LXIV  INTRODUCTION 

des  sii^nes  précis,  on  trouve  des  notes  personnelles,  destinées  à  une 
rédaction  ultérieure,  pour  y  préparer  des  transformations,  ou  v  amorcer 
des  développements  nouveaux.  Rousseau  note,  par  e.xemple.  qu'il  faudra, 
dans  le  récit  du  Prologue,  «  faire  que  le  jeune  homme  parle  lui-même  », 
dans  la  discussion  sur  la  liberté,  réfuter  la  théorie  d'Helvetius,  après  la 
critique  de  la  Révélation  «  parler  de  la  beauté  de  l'Évangile  »,  etc  i. 

Nous  avons  donc  là,  semble-t-il.  la  première  rédaction  d'ensemble. 
Rousseau  pourra  v  ajouter  beaucoup.  11  en  retranchera  relativement  peu  ; 
et  presque  toutes  les  pages  de  ce  te.xte  sont  barrées  de  grands  traits 
transversau.x.  ce  qui  est  pour  Rousseau  la  façon  de  marquer  qu'elles  ont 
été  utilisées  ou,  comme  il  dit.  «  prises  »  2.  Pour  quel  nouveau  Manuscrit 
ont-elles  été  «  prises  »,  c'est  ce  qu'il  nous  faut  voir  maintenant. 

4.  Les  «  Additions  ». 

Entre  le  Manuscrit  Favre  et  celui  du  Palais-Bourbon  faut-il  supposer 
un  Manuscrit  intermédiaire,  qui  serait  perdu?  Je  ne  le  crois  pas.  Sans 
doute,  il  y  a  dans  le  Manuscrit  du  Palais-Bourbon  des  développements 
entiers  qui  font  défaut  dans  le  Manuscrit  Favre.  par  exemple,  la  disser- 
tation sur  la  sensation  et  le  jugement,  celle  sur  l'origine  du  mouvement 
dans  la  matière  :  et  ces  développements  si  considérables  se  présentent 
sous  une  forme  déjà  si  satisfaisante,  qu'il  est  difficile  de  croire  que  ce 
soit  là  leur  premier  état.  .Mais  il  n'est  pas  nécessaire  d'admettre  des 
rédactions  complètes.  Des  brouillons  partiels  ont  pu  suffire  :  feuilles 
volantes,  comme  celle  qu'il  a  collée  sur  le  .Manuscrit  du  Palais-Bourbon  ■■, 
ou  comme  celle  encore  qui  contenait,  sans  doute,  la  première  rédaction 
de  la  grande  note  finale';  morceaux  isolés,  qu'il  écrivait  sur  une  page 
blanche  d'un  autre  Manuscrit,  comme  la  note  sur  l'instinct  °;  cahiers 
de  notes,  comme  ce  recueil  de  Neuchàtel,  dont. j'ai  déjà  parlé  [5^,  où 
Rousseau  a  rangé,  à  la  suite  les  uns  des  autres,  divers  fragments  et 
réflexions  sous  cette  rubrique  :  «  A  placer  dans  le  traité  de  l'Éducation  »  ''. 
EfFectiveirient  quelques-unes  de  ces   notes  y  ont  été  «  placées  ».  L'une 


'  F"  i56'",  162'".   172'":  c(.,  dans  la  présente  édition,  pp.  22,  184,  3y8. 

-  F"  161"  et  164'"  :  cf.,  dans  la  présente  édition,  pp.    170  et  234. 

8  p.  jj2>"  :  cf.,  dans  la  présente  édition,  p.   174. 

'  Cf.,  plus  loin,  dans  ce  chapitre  de  Vlnlriiduction,  le  S  7. 

^  Cf.,  dans  la  présente  édition,  p.  282. 

^  Cf.,  ici  même,  aux  Appendices,  III.  p.  .'io5. 


MANLSCKIT    DU    PALAIS-BOURBON  LXV 

d'elles,  qui  concerne  la  Profession  de  foi.  a  été  un  instant  utilisée  par  le 
.Manuscrit  du  i'alais-Bourbon.  Dans  ce  dernier  texte,  Rousseau  a  copié 
les  premiers  mots  du  morceau  qu'il  avait  consigné  sur  son  cahier,  et  il  a 
ajouté  :  «  \'ovez  les  additions  »  ^  Vraisemblablement  il  y  a  eu  d'autres 
recueils  d'additions  que  ce  cahier  de  Xeuchàtel.  Si.  comme  il  est  à  croir^, 
le  renseignement  de  Lakanal  est  exact,  il  v  aurait  encore  eu  entre  ses 
mains,  au  commencement  du  XIX*-'  siècle,  trois  cahiers  d'additions  pour 
VÈmile.  formant  environ  une  soixantaine  de  pages  -.  En  tout  cas,  il 
n'v  a  pas  lieu,  semble-t-il,  de  supposer  d'autres  intermédiaires  que  ces 
brouillons  partiels  entre  le  .Manuscrit  Favre  et  le  .Manuscrit  suivant. 

5.  Manuscrit  du  Palais-Bourbon. 

Si  l'on  en  croit  Victor  Cousin  ^,  Beuchot  aurait  entendu  dire  à  son 
ami  Landrieux  que  ce  Manuscrit  aurait  appartenu  à  Hérault  de  Séchelles, 
et  serait  entré  à  sa  mort  à  la  Bibliothèque  de  la  Convention.  G.  H.  Morin, 
qui  accepte  cette  tradition,  l'enjolive,  et  reconstitue  ainsi  l'histoire  du 
.Manuscrit.  Le  .Marquis  de  Girardin.  dépositaire  infidèle,  se  serait  appro- 
prié VÈmile  comme  les  Confessions.  11  aurait  donné  l'Emile  à  Hérault 
de  Séchelles.  A  la  mort  d'Hérault,  le  .Manuscrit  serait  tombé  avec 
quelques  autres  aux  mains  de  la  citovenne  Maugurier,  et  Lakanal  les 
aurait  recueillis  tous  pour  les  offrir  à  la  Convention  *.  D'après  Petitain  * 
et  Baillv  de  Lalonde  •',  il  aurait  été  offert  à  la  Convention  par  Thérèse 
Levasseur.  .Mais,  outre  que  ce  don  considérable  n'a  été  enregistré  à 
aucune  des  séances,  alors  que  le  Moniteur  consacre  une  longue  colonne 
au  dépôt  des  Confessions  ',  le  prospectus  de  Lakanal  ne  mentionne  que 
ce  dernier  .Manuscrit  comme  provenant  «  de  la  veuve  de  Jean-Jacques  »*. 


'  Cf.,  d.ins  la  présente  édition,  pp.  442-444. 

'  Cf.  le  prospectus  du  recueil  qu'il  projetait  [2^-^"'',  2. 

'  Du  sl\-le  de  Rnusseiiu  [259]. 

'  J.  .1.  Rousseau  261],  SgS.  .Même  opinion,  plus  développée,  dans  sa  Sote  sur 
les  Manuscrits  de  Rousseau  [262],  18-20.  .M.M.  Coyvecque  et  Débraye,  dans  leur 
Catalogue  [281].  533,  se  sont  ralliés  à  la  même  hypothèse.  .M.  .\dolphe  Badin  [270  . 
415-416,  la  repousse,  sans,  du  reste,  accepter  l'autre  tradition,  qui  ferait  de  Thérèse 
Levasseur  la  donatrice  du  Manuscrit.  D'après  lui,  il  aurait  été  acquis  en  vente  publique 
<  à  une  époque  ou  à  une  autre  ». 

'  Préface  de  VÈmile  '19,  Vlll,  4. 

'  Le  Léman  [258],  471. 

'  Séance  du  5  Vendémiaire  an  111,  Moniteur  universel  d'Octidi  8  Vendémiair,; 
an  III  (Lundi  29  Septembre  1794,  vieux  style),  n"  8.  p.  79. 

*  Prospectus   254'"  ,  6. 


LXVI  INTRODUCTION 

De  ces  deux  traditions,  c'est  la  première  qu'il  l'aut  adopter:  le  Manuscrit 
semble  bien  avoir  passé  directement  de  la  bibliothèque  d'Hérault  dans 
celle  du  Comité  d'Instruction  publique  de  la  Convention.  I.e  procès- 
verbal  de  la  séance  de  ce  Comité  du  i'^''  Floréal  an  II  120  Avril  1794) 
nous  fait  connaître,  qu'après  la  mort  d'Hérault,  le  comité  décida  d'envoyer 
au  domicile  de  ce  dernier  la  Commission  des  arts  pour  v  recueillir  les 
.Manuscrits  de  YEmile  et  de  YHéloïse,  et  «  les  transporter  à  la  Bibliothèque 
nationale  »  ;  mais  le  procès-verbal  de  la  séance  de  la  Commission  des  arts 
du  5  Prairial  an  II  (24  Mai  171)4'  'lo^s  apprend  que  la  décision  fut  modifiée 
et  que  les  Manuscrits  furent  déposés  à  la  bibliothèque  du  Comité  1.  Il  reste 
pourtant  une  petite  difikulté  apparente  :  c'est  que  l'édition  Defer  de  la 
Maisonneuve  contient,  sous  la  date  de  '.793.  un  texte  de  YEmile  avec 
«  variantes,  additions  et  corrections  recueillies  sur  le  Manuscrit  de 
l'Auteur,  déposé  au  Comité  de  l' Instruction  publique  »  -.  Si  cette  date 
était  exacte,  le  Manuscrit  aurait  fait  partie  de  la  bibliothèque  du  Comité 
plusieurs  mois  avant  la  mort  d'Hérault  (  i5  Germinal  an  II  =  4  Avril  1794). 
Mais  la  date  est  suspecte,  car  les  gravures  qui  accompagnent  le  texte, 
soi-disant  de  1793.  portent  les  dates  suivantes  :  an  II,  an  111,  1795;  et 
c'est  vraisemblablement  à  cette  dernière  date  que  l'édition  Defer  de 
YÈmile  dut  être  achevée  "'. 

Le  Manuscrit  appartient  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  de  la  Chambre 
des  Députés,  héritière  de  celle  de  la  Convention.  Il  était  rangé  autrefois 
sous  la  cote  P  7075  :  au  Catalogue  de  1907  *,  on  lui  a  donné  les 
no*  1427-1429.  Il  se  compose  de  trois  volumes  in-8",  reliés  en  maro- 
quin plein  rouge,  dos  plat  orné,  avec  pièces  en  maroquin  sert  pour  le 
titre  et  la  tomaison.  La  reliure  est  ancienne,  et  probablement  de  la  fin 
du  W'ilb'  siècle.  Dimensions  :  140X203  mm.  Ces  trois  volumes  com- 
prennent :  le  premier  les  Livres  I  et  II,  le  second  les  Livres  III  et  W,  le 
troisième  le  Livre  V.  Chacun  de  ces  Livres  a  une  pagination  spéciale,  due 
à  Rousseau  lui-même.  Le  Li\re  I  comprend  62  f"^,  le  Livre  II  i65,  le 
Livre  III  86,  le  Li\re  l\'  266,  le  Livre  V  2o5.  Le  texte  continu  se  trouve 
sur  le  recto  des  feuillets:  les  notes  et  additions  au  verso.  La  Profession 


'  Procès-verbaux  du  Comilé  [254'"*],  287. 

'  T.  V  [17],  543  sqq.  L'Emile  se  trouve  au.\  tomes  IV  et  \'.  qui  portent  tous  deux 
la  date  de  1793. 

'  Il  convient  pourtant  de  noter  que  Lakanal  ne  mentionne  pas  le  Manuscrit  de 
YÈmile  dans  le  prospectus  que  j'ai  cité  plus  haut. 

*  [281],  532-.S33. 


MANUSCRIT    DU    PALAIS-BOURBON  LX^•II 

de  foi  occupe,  dans  le  tome  II,  les  f"*  (j8-20i  '.  Comparé  au  texte  cIli 
Manuscrit  Favre.  le  texte  de  celui-ci.  —  du  moins  au  recto.  —  est  écrit 
très  lisiblement,  d'une  écriture  dabord  très  posée,  puis  un  peu  plus 
rapide.  .Mais  les  notes,  et  surtout  les  additions  du  verso,  sont  souvent 
bien  enchevêtrées,  car  plusieurs  d'entre  elles  se  trouvent  ici  en  première 
ou  seconde  rédaction.  C'est  ce  Manuscrit  que  Rousseau,  dans  ses  Lettres 
à  Duchesne  et  à  .Moultou,  appelait  son  «  brouillon  »  -.  On  verra  bientôt 
comment  la  copie  envovée  à  Moultou  en  apporte  la  preuve.  .Mais  en  voici 
une  qui  suffira.  Dans  les  additions  du  cahier  de  .Xeuchàtel  5  ,  3i*"'. 
on  lit  les  indications  suivantes  :  «  Profession  de  foi  :  \.  le  brouillon. 
p.  iS()  verso.  —  L.  I\'.  p.  65,  chant^ement  à  l'histoire  d'Auguste.  — 
Addition  au  Renvoi  de  la  p.  54,  lequel  est  au  verso  de  la  p.  56  ».  \'ériti- 
cation  faite,  tous  les  numéros  des  «  pages  »  qui  sont  indiqués  dans  cette 
note  sont  bien  ceux  des  «  pages  »  (folios)  du  Manuscrit  de  la  Chambre 
des  Députés  :  c'est  donc  lui  qui  est  le  «  brouillon  ».  C'est  d'après  ce 
«  brouillon  »  que  Rousseau  a  corrigé  ses  épreuves.  Duchesne  oubliait 
parfois  de  joindre  au  paquet  d'épreuves  la  copie  correspondante'^; 
Xéaulme  réclamait  une  partie  de  cette  même  copie,  pour  bien  prouver 
que  son  édition  n'était  pas  contrefaite^;  le  «  brouillon  »  restait  donc  le 
seul  texte  complet  que  Rousseau  eût  à  sa  disposition  durant  l'impression. 
Aussi,  d'un  bout  à  l'autre  du  brouillon,  il  a  noté,  soit  en  marge  du  recto, 
soit  au  verso,  les  lettres  des  différentes  feuilles  qui  étaient  successivement 
imprimées  et  tirées.  Cette  division  par  feuilles  correspond  exactement 
à  celle  de  l'édition  originale  in-12.  mais  les  lettres  n'ont  pas  trou\é 
du  premier  coup  leur  place  définitive  ^.  ce  qui  prouve  qu'il  v  a  eu  sur 
épreuves  des  remaniements  assez  considérables.  C'est  qu'en  effet,  entre 
l'envoi  chez  l'imprimeur  de  la  copie  définitive  et  le  retour  des  premières 
épreuves,  Rousseau  avait  apporté  à  son  «  brouillon  »  de  nouvelles  modi- 
fications ;  en  sorte  que  ce  «  brouillon  ».  antérieur  dans  son  ensemble  à 


'  Kntre  le  folio  qui  porte  le  n'  201  et  celui  qui  porte  le  n'  202,  il  y  a  cinq  folios, 
non  numérotés  dont  le  premier  contient  un  Errata  des  tomes  I  et  11  de  Vlimile, 
d'après  l'édition  orif,'inale. 

'  Correspondance.  X,  278,  287,  248. 

"  k  Duchesne.  Lettre  du  19  Octobre  1761,  X.  272. 

'  \u  même,  i3  Février  et  [4  .Mars  1762,  X.  3i2,  317. 

=  Pour  noter  le  passage  d'une  feuille  à  l'autre,  Rousseau  encadre  le  premier  mot 

de  la  nouvelle  feuille,  et  note  en  marge  ou  en  face  :  V>  g",  etc.  Quelquefois  la  mise  en 

B  E 

pages  a  été  modifiée  ;  il  reporte  alors  ses  signes  ailleurs,  et  écrit  :  le  bon  -^,  le  bon  y.  etc. 


LXVIII  IXTKODLXTIOX 

la  copie  définitive,  offre  pourtant,  dans  certaines  parties,  un  texte  plus 
récent  ^ 

Pour  les  trois  premiers  Livres,  il  avait  marqué  sur  son  brouillon  les 
pages  de  la  copie,  en  sorte  qu'en  l'absence  même  de  ce  dernier  texte,  il 
pouvait  préciser  plus  facilement  à  l'imprimeur  les  passages  qui  appelaient 
une  correction.  Les  Livres  IV  et  V.  sauf  la  Profession  de  foi.  sont 
dépourvus  de  ces  indications;  mais,  comme  on  le  verra,  les  pages  notées 
en  marge  de  la  Profession  renvoient  à  une  autre  copie. 

De  tous  les  Manuscrits  de  VÉmile,  celui-ci  est  le  plus  connu  :  à 
plusieurs  reprises,  depuis  lygS,  il  a  été  utilisé  partiellement.  Quelques 
variantes,  qui  lui  ont  été  empruntées,  figurent  aujourd'hui  dans  toutes 
les  éditions  de  Rousseau.  On  verra  plus  loin  quels  sont  les  éditeurs  qui 
s'en  sont  servi  les  premiers,  soit  pour  corriger  le  texte,  soit  pour  le 
compléter  et  le  commenter.  Les  études  suivantes  en  ont  également 
tiré  parti   : 

Bailh'  de  Lalonde.  Le  Léman    258  ,  I.  471-486. 

Victor  Cousin,  Du  Stvle  de  Rousseau,  particulièrement  dans  la 
«  Profession  de  foi  du  Vicaire  Sai'ovard  »    259  ,    524-52S  et  bho-ljyi. 

Charles  Comte.  Xotes  sur  une  page  de  Jean-Jacques  Rousseau  [2y:]. 

.\ntoine  Albalat,  Le  Travail  du  style    277J,  141-150. 

6.   La  copie  destinée  à  l'impression. 

Il  est  inutile  que  je  m'attarde  à  démontrer,  qu'entre  le  Manuscrit  du 
Palais-Bourbon  et  celui  que  je  vais  décrire,  il  n'v  en  a  pas  eu  d'autre. 
Car,  s'il  v  avait  eu  un  .Manuscrit  intermédiaire,  c'eût  été  sur  celui-là  que 
Rousseau  aurait  corrigé  ses  épreuves,  noté  les  pages  de  sa  copie  et  les 
lettres  des  feuilles  imprimées.  Ce  nouveau  Manuscrit,  qui  est  encore  un 
Manuscrit  complet  de  VÉmile.  se  trouve  aujourd'hui  sous  la  cote  M.  f.  2o5, 
à  la  Bibliothèque  publique  de  Genève,  qui  l'a  reçu,  en  1873,  du  Docteur 
Coindet,  héritier  et  neveu  de  François  Coindet,  l'ami  de  Rousseau.  Ce 
.Manuscrit,  de  188  sur  128  mm.,  forme  aujourd'hui  deux  volumes,  reliés 
en  maroquin  plein  rouge,  avec  dentelle  extérieure  et  intérieure  (reliure 
modernei;  le  premier  volume  comprend  les  Livres  1.  IL  111  et  W  jusqu'à 


'  Cf..  par  exemple,  dans  la  présente  édition,  pp.  i^  (notes  19  et  22).  16  (note  111, 
2-1  (notes  I  et  3l.  etc.,  et,  pour  des  additions  plus  importantes,  pp.  194  (notes  7  et  i-(i. 
224  (note  i),  242  inote  9),  2S0  (note  41,  286  (note  81,  etc. 


COPIE    ENVOYEE    A    MOULTOV  LXIX 

la  Profession.  Le  second  volume  comprend  la  fin  du  Livre  IV'  et  le 
Livre  V.  Chaque  Livre  a  sa  pagination  particulière,  de  la  main  de 
Rousseau.  Ils  ont  respectivement  io5,  ibo,  121.  388  et  841  pages'  : 
ciiaque  feuillet,  étant  écrit  au  recto  et  au  verso,  forme  donc  deux  pages. 
La  Profession  de  /b/ occupe  au  tome  11.  dans  le  Livre  \\ .  les  pages  141-284. 
L'écriture  est  soignée,  haute  et  ferme.  Les  ratures  et  additions  sont  rela- 
tivement peu  nombreuses.  C'est  la  copie  qui  a  été  livrée  à  Duchesne. 
L'aspect  de  plusieurs  pages  semble  prouver  qu'elles  ont  dû  passer  par  les 
mains  des  imprimeurs.  Enfin,  lorsque  Rousseau  eut  en  main  les  bonnes 
feuilles  de  son  livre,  il  s'amusa  à  noter  sur  cette  copie  les  lettres  d'ordre 
des  premières  feuilles,  puis  il  abandonna  cette  tâche,  qu'il  avait  déjà 
accomplie  sur  son  brouillon. 

Ce  Manuscrit,  déjà  signalé  par  Bailly  de  Lalonde  (Le  Léman  258  . 
455-459),  a  été  décrit  par  AL  Eugène  Ritter  dans  sa  Xotice  sur  les 
Manuscrits  de  J.  J.  Rousseau    266  . 


7.  Copie  envoyée  à  Moultou. 

Ce  .Manuscrit  a  été  donné  à  la  Bibliothèque  publique  de  Genève,  où 
il  se  trouve  aujourd'hui  sous  la  cote  AL  f.  224.  par  .Mme  Streckeisen, 
fille  de  Guillaume  .Moultou,  petite-fille  de  Paul,  et  mère  de  (jeorges 
Streckeisen-.Moultou,  qui  a  publié  les  recueils  bien  connus  J.  /.  Rousseau, 
ses  amis  et  ses  ennemis  [26].  J.  J.  Rousseau,  Œuvres  et  correspondances 
inédites  [25].  J'ai  raconté  plus  haut  dans  quelles  circonstances  Rousseau 
avait  cru  devoir  confier  à  des  mains  amies  et  fidèles  le  morceau  essentiel 
de  V Emile:  car  ce  Manuscrit  ne  contient  que  la  Profession  de  foi.  11 
forme  une  mince  plaquette  reliée  en  plein  maroquin  rouge  avec  les 
mêmes  ornements  que  le  .Manuscrit  précédent  1  reliure  moderne).  Il 
comprend  38  feuillets,  de  ig3  sur  i32  mm.  formant  yS  pages  numérotées 
par  Rousseau,  plus  deu.x  feuillets  non  numérotés,  l'un  au  commence- 
ment, l'autre  à  la  fin.  Sur  le  feuillet  de  garde,  Guillaume  .Moultou  a  mis 
la  note  suivante  :  «  .Manuscrit  autographe  de  la  Profession  de  foi  du 
Vicaire  Sai'oyard,  envové  par  J.  J.  Rousseau  à  son'"ami  .Moultou...  Je 
certifie  avoi^  trouvé  ce  .Manuscrit  dans  les  papiers  de  mon  père. 
G""-'  .Moultou   ».   La   note   rappelle  encore   le   passage  du    Livre   XI   des 


'  Il  manque  un  feuillet  au  Livre  11.  et  huit  au  Livre  111,  soit  iS  pages. 


LXX  INTRODUCTION 

Confessions  (IX,  19),  où  Rousseau  semble  avoir  oublié  qu'il  envoya  la 
Profession  de  foi  à  Moultou,  non  seulement  pour  lui  «  marquer  sa 
confiance  »,  mais  surtout  pour  se  tranquilliser  lui-même.  «  C'est  avec 
la  plus  grande  répugnance,  écrivait-il  à  son  jeune  ami.  que  je  vous 
extorque  les  frais  immenses  que  ce  paquet  vous  coûtera  par  la  poste  »  '. 
Il  a  cependant  réduit  le  plus  possible  ces  «  immenses  frais  »  de  port,  et 
il  a  fait  tenir  le  ma.ximum  de  matière  dans  le  minimum  d'espace,  l.e 
texte  est  sans  marge  au  recto  comme  au  verso,  l'écriture  très  lisible,  et 
d'autant  plus  soignée  qu'elle  est  plus  serrée.  Les  ratures  sont  relativement 
peu  nombreuses.  Le  manuscrit  commence  ainsi  (p.  11  :  «  Ali';MoiRh: 
COMMUNIQUÉ.  Il  V  a  trente  ans  que  dans  une  ville  d'Italie,  »  etc..  et  se 
termine  sur  ces  mots  (p.  75)  :  «  Il  n'y  a  que  l'espoir  du  juste  qui  ne 
trompe  point.  Amen  ».  Au  verso  du  dernier  folio,  Rousseau  a  écrit  : 
«  N.  B.  N'ayant  pas  eu  le  temps  de  relire  cette  copie,  et  l'ayant  faite 
avec  beaucoup  de  distraction,  je  la  crois  pleine  de  fautes,  mais  facile  à 
reconnaître.  Elle  diffère  aussi  en  quelques  leçons  de  la  copie  du  traité 
de  l'éducation,  mais  elle  n'en  doit  différer  en  rien  d'essentiel  au  fond 
des  choses,  et  s'il  s'v  trouve  de  telles  différences,  c'est  une  preuve  que 
l'imprimé  n'est  pas  fidelle,  et  alors  ce  sera  le  cas  de  réclamer  sur  cette 
copie.  Mais  on  n'en  doit  faire  aucun  usage  public  jusqu'à  ce  que  le  livre 
ait  paru,  ou  qu'on  soit  assuré  que  le  morceau  ci-joint  ne  paroitra  point 
tel  qu'il  est  ici  :  autrement  ce  seroit  voler  le  libraire.  C'est  un  dépôt  que 
je  ne  confie  qu'à  cette  condition  à  la  droiture  d'un  homme  de  bien.  — 
En  cas  de  publication,  on  lui  donnera  le  titre  suivant  :  Profession  de  foi 
du  Vicaire  saroyard  |  publiée  sur  une  copie  écrite  de  la  \  main  de 
J.  J.  RoussE.vu,  Citoyen  j  de  Genève  \  et  déposée  par  lui-même  entre  j  les 
mains  de  l'Editeur  ».  Si  cette  copie  avait  été  publiée,  on  aurait  vu  que 
«  l'éditeur  »  était  un  familier  de  Rousseau,  car  il  v  est  amicalement 
interpellé  :  «  Vous  saurez  bien  remarquer,  mon  cher  Moultou.  lui  disait 
.lean-Jacques  dans  une  note,  que  cet  écrit  ne  seroit  pas  bon  à  publier  en 
tout  tems,  mais  que  dans  celui-ci  le  public  ne  peut  qu'y  gagner  >■>  '-.  Cette 
copie  a  été  faite  sur  le  «  brouillon  »  de  la  Chambre  des  Députés  :  «  .l'ai 
eu  soin,  écrit  Rousseau  à  Moultou  ''■,  de  coter  sur  mon  brouillon  les  pages 
de  votre  copie  »;  et.  en  effet,  chaque  changement  de  page  de  la  copie 
est  marqué  sur  le  brouillon  par  deux  traits  à  l'encre  rouge,' accompagnés 


'  \  Moultou,  Lettre  du  23  décembre  1761,  \,  292. 

-  P.  72  :  cf.,  dans  la  présente  édition,  p.  430,  note  7. 

'  Lettre  du   iS  Janvier  1762  "classée  par  erreur  en   ijiii  .  X.  24S. 


COPIE    ENVOYÉE    A    MOfLTOU  LXXI 

en  mari;e  du  chiffre  de  la  pa^e  '.  Rousseau  n'avait,  d'ailleurs,  à  sa  dis- 
position que  son  brouillon.  S'il  avait  eu  sous  les  yeux  le  texte  qu'il 
avait  envoyé  à  l'imprimeur,  la  copie  pour  Moultou  aurait  bénéficié  des 
corrections  ou  additions  qu'il  avait  faites  à  tète  reposée.  Or,  il  n'en  est 
rien  :  sauf  quelques  légères  retouches,  dont  il  était  impossible,  à  un 
écrivain  scrupuleux  et  toujours  mal  satisfait,  de  se  priver,  sauf  surtout 
de  nombreuses  étourderies  ou  négligences,  que  Rousseau  avoue  lui-même 
dans  son  Xota-Bene.  et  qui  s'expliquent  par  la  rapidité  du  travail  ou  la 
préoccupation  de  l'auteur  -,  la  copie  pour  .Moultou  se  conforme  toujours 
au  texte  du  brouillon  ;  là  où  la  copie  pour  l'impression  offre  un  texte  plus 
complet  que  le  brouillon,  la  copie  pour  .Moultou  a  conservé  la  lacune  du 
brouillon.  Ainsi  les  notes  sur  l'alchimie  et  l'instinct,  qui  apparaissent 
pour  la  première  fois  dans  la  copie  pour  l'impression,  font  défaut  dans  la 
copie  pour  .Moultou  ■'.  Par  contre,  presque  toutes  les  additions  dont  le 
brouillon  s'était  enrichi  entre  temps,  depuis  l'achès'ement  de  la  copie 
pour  l'imprimeur,  ont  passé  dans  cette  nouvelle  transcription  *.  .Mais  ces 
additions  — on  l'a  vu  -ne  furent  pas  les  dernières;  et,  jusqu'au  moment 
du  «  bon  à  tirer  ».  Rousseau  a  inséré  dans  son  brouillon  des  phrases  ou 
membres  de  phrases,  qu'il  comptait  reporter  sur  ses  épreuves,  .\insi. 
par  rapport  à  ce  brouillon,  la  copie  pour  .Moultou  présente  encore  des 
lacunes  ',  bien  que  son  texte  en  soit  entièrement  dépendant.  .\  la  fin  du 
«  .Mémoire  communiqué  »  à  .Moultou.  —  à  la  place  de  la  si  importante 
dissertation  sur  les  mérites  comparés  de  la  religion  et  de  la  philosophie, 
on  ne  lit  que  cette  brève  indication  :  «  11  y  a  ici  une  grande  note,  dont 
je  n'ai  pas  conservé  copie,  pour  prouver  qu'il  n'est  pas  vrai,  comme 
disent  les  philosophistes,  que  la  religion   soit  inutile  aux   hommes  »  '^. 

'  C'était  une  habitude  familière  à  Rousseau.  Cf.  sa  Lettre  à  .Marc-Michel  Rey, 
du  8  Janvier  1/63  '24J,  180  :  «  Je  me  rappelle  même  des  corrections  à  faire  que  je  ne 
peux  pas  vous  indiquer,  soit  parce  que  ie  n'ai  pas  touiours  coté  sur  mon  brouillon 
les  pages  de  la  copie...  ». 

'Cf..  par  exemple,  dans  la  présente  édition,  pp.  3i2  inote  3).  3.^4  (note  91, 
432  (note  ICI,  etc..  certaines  lacunes  du  texte  pour  Moultou.  qui  ne  semblent 
s'expliquer  que  par  la  distraction  du  copiste. 

'  Cf..  dans  la  présente  édition,  pp.  i3o.  232-23X;  cf.  encore  i2tj,  402,  etc. 

*  Par  exemple,  les  lacunes  que  j'ai  signalées  plus  haut  ip.  lxviii.  note  11  dans  la 
copie  pour  l'impression  par  rapport  au  brouillon  ne  se  retrouvent  pas  dans  la  copie 
pour  .Moultou. 

°  Cf.,  par  exemple,  dans  la  présente  édition,  pp.  270  mote  5i,  200  inote  7), 
3 10  (note  81,  446  (note  4],  etc.  11  semble  bien,  du  reste,  que  presque  toutes  ces 
additions  nouvelles  aient  été  reportées  par  Rousseau,  en  corrigeant  ses  épreuves,  sur 
la  copie  même  qui  lui  revenait  de  l'imprimeur. 

*  P.  73  :  ci.,  dans  la  présente  édition,  p.  448. 


LXXII  INTRODUCTION 

Or  cette  «  grande  note  »  non  seulement  se  retrouve  dans  la  copie  pour 
l'impression,  mais  encore  dans  le  brouillon.  l*"audrait-il  en  conclure  que 
l'aHirmation  de  Rousseau  est  inexacte,  et  qu'il  avait  alors  ses  raisons  de 
supprimer  cette  note?  Evidemment  non.  car  il  eût  été  beaucoup  plus 
simple  de  la  supprimer  sans  en  parler.  Une  seule  hypothèse  apparaît 
donc  possible.  Au  moment  où  Rousseau  copiait  sur  son  brouillon  le 
texte  qu'il  destinait  à  .Moultou.  la  «  grande  note  »,  que  l'on  peut  lire 
aujourd'hui  sur  ce  même  brouillon,  ne  s'y  trouvait  pas  encore.  Elle  était 
rédigée,  puisque  Rousseau  avait  pu  l'envoyer  à  l'imprimeur,  mais,  sans 
doute,  la  prévoyant  trop  longue  pour  se  risquer  à  l'écrire  du  premier  jet 
sur  son  brouillon  déjà  encombré,  il  avait  cru  sage  de  l'élaborer  sur 
quelque  feuille  volante,  comme  il  avait  fait,  par  exemple,  pour  la  note 
sur  la  sensibilité  de  la  matière  ip.  174  de  la  présente  édition].  La  feuille 
était  égarée,  quand  il  recopiait  la  Profession  pour  Moultou  :  le  temps 
passait,  il  se  résigna  à  en  alléger  son  texte.  Une  fois  la  copie  partie,  il 
retrouva  sa  première  ébauche,  ou  il  la  reconstitua  de  souvenir  :  Cette 
seconde  hvpothèse  paraîtra  plus  vraisemblable,  si  l'on  compare  les  deux 
.Manuscrits  ;  le  texte  actuel  du  brouillon  est  beaucoup  plus  loin  de  sa 
forme  définitive  que  celui  de  la  copie.  De  toute  façon,  il  ne  voulut  plus 
risquer  de  perdre  cette  note  si  significative.  On  a  déjà  vu.  qu'après  avoir 
envové  sa  copie  à  l'imprimeur,  il  n'avait  pas  cessé  de  revenir  à  son 
brouillon,  pour  y  apporter  retouches  et  additions  :  cette  fois  encore  il  fit 
de  même  ;  et,  dans  les  parties  laissées  libres  sur  le  verso  des  feuillets,  il 
insinua,  comme  il  put.  le  texte  de  la  «  grande  note  ». 

Ce  long  exposé  permet  de  se  rendre  compte,  que,  si  la  copie  pour 
Moultou  est  chronologiquement  postérieure  à  la  copie  pour  l'impression, 
logiquement,  littérairement,  elle  lui  est  antérieure.  Voulant  aller  vite, 
Rousseau  n'a  pas  fait  ici  la  critique  de  son  brouillon  en  le  recopiant,  et 
kii  est  resté  presque  toujours  fidèle.  J'ai  donc  cru  devoir,  en  établissant 
plus  loin  la  filiation  des  Manuscrits,  faire  passer  le  texte  qu'a  reçu 
.Moultou  avant  celui  qui  fut  envoyé  à  l'imprimeur. 

Dès  1 861,  dans  V Introduction  des  Œuvres  et  (Correspondances  iné- 
dites 2b],  Streckeisen-Moultou  avait  mentionné  cette  copie  écrite  pour 
son  arrière-grand-père;  il  en  avait  même  publié  la  note  finale  ^  M.  Eugène 
Ritter  l'a  reproduite  dans  la  description  sommaire  qu'il  a  donnée  du 
.Manuscrit     2ri6  .    Enfin,    .^L    Charles    Borgeaud.    dans    sa   thèse   sur   la 


'   \'P.  IX-X. 


EDITION    OKI(,INAI.i:  LXXIII 

philosophie  relit;ieuse  de  Rousseau  267",  a  utilisé  ce  texte,  et  en  a  cité 
plusieurs  variantes,  qui.  d'ailleurs,  comme  je  viens  de  l'indiquer,  n'ap- 
partiennent pas  en    propre  à    cette  copie,   mais  doivent  être   rapportées 

au   brouillon. 


CHAPITRE  II 

PRINCIPALES    ÉDITIONS 

11  ne  saurait  être  question  de  \ouloir  donner  ici  une  réplique 
au  considérable  et  minutieux  travail  que  M.  Daniel  Mornet  s'est 
imposé  pour  la  Julie  :  cf.  Le  texte  de  la  «  Xouvelle  Héloïse  »  et  les 
éditions  du  XVIIP  siècle  284  .  Je  voudrais  seulement  —  après  avoir 
présenté  l'édition  originale  de  Duchesne  et  celle  de  Néaulme.  —  faire  un 
dénombrement,  sinon  complet,  du  moins  précis,  des  éditions  et  contre- 
façons publiées  sous  la  date  de  ijti-j.  dénombrement  qui  put  servir  à 
l'histoire  de  la  diffusion  de  Y  Emile:  je  voudrais  ensuite  établir  l'autorité 
de  l'édition  de  Genève,  et  fixer  la  date  du  texte  nouveau  qu'elle  apporte: 
donner  enfin  quelques  brèves  indications  sur  les  éditions  qui  ont  utilisé 
le  Manuscrit  du  Palais- Bourbon  et  sur  les  éditions  séparées  de  la 
Profession  de  foi.  .\u  reste,  l'histoire  des  éditions  de  Y  Emile  offre  bien 
moins  de  complications,  et  aussi  d'intérêt,  que  l'histoire  des  éditions  de 
la  Julie  :  c'est  une  histoire  unilinéaire,  et  qui  se  réduit  à  deux  étapes  '. 

I.  L'édition  originale. 

EMILE,  I  01;  I  DE  l'éducation.  |  TOME  1.  d  EMILE,  01  DE  L'ÉDTJCATION. 
Par  J.  ./.  ROUSSEAU,  j  Citoven  de  Genève.  Sanabilibus  agrotamus 
malis;  ipsaque  nos  in  rectum  !  genitos  natura,  si  emendari  velimus, 
juvat.  i  Sen  :  de  ira.  L.  II.  c.  i3.  TOME  PREMIER  [lleuron]  A 
AMSTERDAM,  ;  Chez  Jean  Néaulme,  Libraire.  ,  M.  DCC,  LXH.  Avec 
Privilège  de  Xosseign.  les  Etals  de  Hollande    &  de  W'estjrise.  \\  [in- 12]  -. 


'  Je  crois  inutile  de  donner,  pour  toutes  les  éditions  que  je  cite,  les  cotes  des 
bibliothèques  où  je  les  ai  trouvées.  Je  n'en  indiquerai  les  cotes  que  pour  les  éditions 
qui  font  défaut  à  la  Bibliothèque  Nationale  et  pour  les  différentes  contrefaçons,  qui 
sont  presque  toutes  indiscernables  sur  les  catalogues  de  librairies  et  de  bibliothèques. 

-  Les  parties  du  titre  imprimées  en  caractères  {feras  sont  en  rouge  dans  les 
éditions  décrites.   —   La    page   du   faux-titre  est  séparée  de    la    page    du   titre   par   un 


I.XXIV  INTRODUCTION 

T.  I.  I Préface  pp.  I-VIII.  —  [Un  feuillet  non  chiffré;  recto^  :  Expli- 
cations des  Figures.  ^Verso]  :  Fautes  d'impression  pour  les  deux  premiers 
tomes\  —  Livre  Premier,  pp.  1-140.  —  Livre  Second,  pp.  141-466. 

T.  II.  L'épigraphe  empruntée  à  Sénèque  manque  sur  le  titre  de  ce 
tome  ainsi  qu'aux  tomes  III  et  l'V'  .  Livre  IIL  pp.  1-170.  —  Livre  /V. 
pp.  i7i-3('>o.  —  Table  des  Matières  pour  les  deux  premiers  volumes, 
pp.   361-407. 

T.  III.  Suite  du  Livre  quatrième,  pp.  i-SSy.  —  [\'erso  de  la  page  857 
en  blanc  .  —  Table  des  Matières  pour  les  deux  derniers  volumes,  pp.  [26 1 
(les  chiffres  350  et  36o  n'avant  pas  été  employés)  -384. 

T.  IV.  Livre  (Cinquième,  pp.  1-455.  —  'Verso  de  la  page  455  en 
blanc].  —  DcLix  feuillets  non  chiffrés,  occupés  par  le^  Privilégie  1  Privi- 
lège des  Etats  de  Hollande  et  de  W'estfrise,  du  10  .Mars  17621  ^et.  au  verso 
du  second  feuillet,  par  les  L\ïutes  à  corriger  dans  les  deux  derniers 
\'()lumes. 

La  Profession  de  foi  occupe,  au  tome  III  de  cette  édition,  les 
pages   1-204. 

Les  cinq  llgiu'es  dessinées  par  Kisen,  gravées  par  Le  (jrand,  de 
Longueil  et  Pasquier.  pour  les  cinq  Li\res  de  cette  édition,  ont  été 
décrites  par  le  Comte  de  Girardin  dans  son  Iconographie  des  Œuvres 
[2S5].  I).  La  quatrième  de  ces  figures,  destinée  à  illustrer  la  Profession 
de  foi  se  trouve  en  tète  du  Tome  III.  Elle  représente  Orphée  enseignant 
aux  hommes  le  culte  des  dieux.  Elle  est  entourée  d'un  double  trait  carré. 
Au-dessus  du  cadre,  on  lit,  à  gauche  :  Tome  IIL:  à  droite  :  Page  12H. 
Au-dessous,  signatures  à  la  pointe:  à  gauche  :  Cli.  Eisen.  inv.  et  f...:  à 
droite  :  De  Longueil.  Se.  IJ62.  Au  milieu,  en  lettres  grises  :  Orphée. 
Liv.  -IVK 

Si  j'étudiais  ici  le  texte  de  VFmile  dans  son  ensemble,  j'aurais  à 
remarquer  que  cette  édition  originale  comporte  un  certain  nombre  de 
cartons,  et  que  l'unique  exemplaire  qui  garde  le  texte  primitif  est 
l'exemplaire  corrigé  de  la  main  de  Rousseau,  qui  est  aujourd'hui  à  la 
Bibliothèque  de  Genève,  et  que  je  décrirai  plus  loin  ;  mais  ces  cartons 
se  trouvent  tous   localisés  dans  les  deux  premiers  tomes -:  et,  comme  le 


double  trait,  et  le  ch.inf,'emeiU  de  ligne  d.ms  les  taux-titre  et  titre  par  un  simple 
trait  vertical. 

'  Cf.,  dans  la  prc'Sente  édition,  p.  2:iq.  note  2,  l;i  Lettre  de  Rousseau  ;i  Duehesne. 
relative  à  cette  planche. 

-  T.  1.  pp.  23-24;  t.  Il,  pp.  117-118,  203-204;  '^'■'  P'"'"  '°'"-  dans  ce  chapitre,  §  2. 


EDITION    ORIGINALE  I.XXV 

fait  justement  observer  Rousseau  lui-même,  la  Profession  de  foi,  qui 
aurait  dû.  semble-t-il.  soulever  tant  d'objections  de  la  part  du  «  magis- 
trat ».  tut  imprimée  «  sans  que  son  contenu  fît  aucun  obstacle  à  sa 
publication  »  '. 

Parmi  les  fautes  d'impression  que  Rousseau  a  cru  devoir  sis^naler 
aux  lecteurs,  voici  les  trois  qu"il  a  rélevées  dans  la  Profession  de  foi. 
et  qui  servent,  pour  ainsi  dire,  de  signes  de  reconnaissance  à  l'édition 
originale  :  P.  4,  ligne  2  :  talent  (au  lieu  de  :  ta/ensi.  —  P.  32.  ligne  iq  : 
matérialisme,  de  toute  espèce  lau  lieu  de  :  matérialisme  de  toute  espèce). 
—  P.  14g,  ligne  14  :  dirai-je   au  lieu  de  ;  dirois-je). 

Cette  édition,  qui  porte  sur  sa  couverture  le  nom  de  Jean  Néaulme, 
libraire  d'Amsterdam,  est  celle-là  même  qui  a  été  imprimée  par  Duchesne 
à  Paris.  Cette  supercherie,  alors  très  fréquente  -.  contraria  vivement 
Rousseau,  qui  jugeait  indécent  que  «  l'ouvrage  d'un  ami  de  la  vérité 
commençât  par  un  mensonge  »  *.  Il  aurait  voulu  que  les  deux  premiers 
tomes  au  moins  portassent  les  noms  de  Duchesne  et  de  Paris,  et  qu'on 
réservât  pour  les  deux  derniers,  les  plus  dangereux,  la  couverture  de 
Néaulme.  «  les  caractères  hollandais  »  et  «  tout  ce  qu'il  fallait  pour 
leur  donner  un  air  étranger  »  *.  .Mais,  dans  toute  cette  affaire  de  V Emile, 
dont  il  n'avait  pas  eu  dès  le  début  la  direction,  Rousseau  préférait 
adopter  une  attitude  passive,  et  mettait  même  une  certaine  coquetterie 
à  se  montrer  résigné.  Les  quatre  volumes  parurent  donc  avec  le  nom 
de  Néaulme  et  les  titres  rouges  familiers  aux  éditions  hollandaises. 

La  plupart  des  exemplaires  étaient  du  format  in-12;  le  reste  in-8°. 
Les  exemplaires  de  ce  dernier  format  ont  exactement  la  même  distribu- 
tion des  matières,  le  même  nombre  de  pages,  la  même  justification,  les 
mêmes  caractères,  les  mêmes  gravures  que  les  exemplaires  in-12.  .Mais  la 
feuille  de  titre  porte  La  Haye  au  lieu  d  .Amsterdam,  les  fleurons  et  culs- 
de-lampe  ne  sont  pas  les  mêmes,  les  chiffres  des  pages  et  les  lettres  des 
titres  courants  sont  d'un  autre  corps:  et  le  reste  du  texte,  bien  qu'offrant 
presque  toujours  un  aspect  identique,  représente  en  réalité  une  autre 
impression  :   et,   j'ajoute,    une    impression    postérieure,   car  cette  édition 


'  Confessions,  I.\,  19  et  17.  Cf.,  plus  haut,  dans  cette  Introduction,  pp.  li-lii. 

-  Cf.  ce  qu'en  dit  Rousseau  lui-même  à  Duchesne.  Lettre  du  28  .Mars  17Ô2,  \,  319: 
«  Je  sais  bien  qu'il  est  d'un  usage  très  commun  d'imprimer  dans  un  lieu  et  de  mettre 
le  nom  d'un  autre  ». 

'  .\u  même,  I.ettrt  du  21'!  Mnrs  \-W2.  X.  3iX. 

*  Id.,  ibiJ. 


LXXVI  INTRODUCTION 

est  sans  carton,  totit  en  offrant  le  texte  des  exemplaires  cartonnés  de 
l'édition  in- 12.  Les  deux  éditions  ont  été  corrit;ées  successivement  par 
Rousseau  lui-même  ;  rorthotjraphc.  la  ponctuation  n'\  sont  pas  iden- 
tiques. Rochebilière  l'avait  déjà  remarqué  '.  La  distinction  n"a  point 
grande  importance  en  elle-même  ;  elle  n'en  a  aucune  pour  la  Profession 
de  foi,  car  je  n'ai  pu  v  noter  aucune  de  ces  menues  variantes  2;  mais, 
d'un  point  de  vue  strictement  biblioi;raphique,  ce  sont  bien  deux  éditions 
différentes,  et  l'édition  véritablement  orit^inale  est  l'édition  in- 12,  quoi- 
qu'elle ait  été  mise  en  vente  après  l'in-B".  «  L'in-12,  écrit  Rousseau  à  son 
éditeur,  a  quelques  fautes  de  moins  »  que  l'in-8  ■''.  Ce  sont  les  lettres  des 
feuilles  de  rin-12,  on  se  le  rappelle,  qu'il  cotait  sur  son  brouillon,  et 
l'on  verra  plus  loin  que  l'exemplaire  sans  cartons  qu'il  a  re\u  et  corrigé 
est  un  exemplaire  de  l'édition  in- 12  *. 

2.  L'édition  de  Néaulme. 

Cette  double  série  in-r2  et  in-S  a  été  imprimée  par  Duchesne.  Mais 
Néaulme  ne  s'était  pas  borné  à  prêter  son  nom  pour  la  couverture  ;  il 
avait  fait  imprimer,  «  en  même  temps  et  sur  les  feuilles  de  Duchesne  », 


'  N'  Il  79  du  Catalogue  des  Livres  rares  et  curieux  [268],  92,  Noies  de 
M.  Riichebiliére  :  «  Page  10  de  ce  même  volume  [exemplaire  in-8  de  l'édition 
origiiKile],  tome  1",  ligne  9,  on  a  imprimé  :  l'essenciel  :  l'in-12  porte  l'essentiel.  Page  (iS, 
l'in-ia  porte  :  Hé!  bien,  au  lieu  de  :   Hé  bien!  qu'on  lit  dans  le  présent  e.\cmplaire  ». 

'-  Sauf  d  insignifiantes  variantes  purement  typographiques,  comme  lettres  chevau- 
chantes,  trop   rapprochées,   etc. 

"  A  Duchesne,  Lettre  du  16  Mai   1762,  \,  826. 

'  Si  nous  n'avions  pas  cet  exemplaire  corrigé  par  Rousseau  lui-même,  on 
pourrait  rester  incertain  sur  la  véritable  édition  originale  in-12,  car  il  existe  des 
exemplaires  de  ce  format,  qui  sont,  à  première  vue,  identiques  à  celui  que  j'ai  décrit, 
et  qui  représentent,  en  réalité,  une  autre  impression,  quoique  le  nombre  des  pages, 
la  numérotation  des  feuilles,  la  justification  du  texte  en  soient  exactement  les  mêmes. 
Cf.,  à  la  Bibliothèque  Nationale,  les  quatre  volumes  rangés  sous  la  cote  R  55346-55349. 
Non  seulement  le  titre  offre  de  très  légères  différences  :  EMII.R,  \  ci  |  l>E  l.'lillli- 
CATIO\  :  ....  Sen.  de  ira...,  —  mais  l'orthographe,  l'accentuation,  la  ponctuation 
ne  sont  pas  les  mêmes.  Cf.,  par  exemple,  dans  la  Profession,  t.  111,  pp.  i  : 
quatrième  (au  lieu  de  :  quatrième),  2  :  prosélytes  lau  lieu  de  :  prosélite.^j. 
ii'i  :  haine  (au  lieu  de  :  hainei.  etc.  En  outre,  il  arrive  quelquefois  que  les 
pages  commencent  par  une  syllabe  ou  un  mot  différents  :  cf.  pp.  16,  22,  etc. 
Aux  pp.  140  et  141,  il  V  a  des  points  de  suspension  presque  entre  chaque  phrase.  La 
faute  :  Matérialisme,  de  toute  espèce  (p.  32)  n'existe  pas.  Enfin  le  titre  courant  est  en 
caractères  d'un  plus  gros  corps,  et  les  notes  en  caractères  d'un  plus  petit.  —  Est-ce 
une  contrefaçon,  ou  une  réimpression  de  Duchesne,  postérieure  de  très  peu  à  l'édition 
originale?  J'adopterais  plutôt  cette  seconde  hypothèse.  —  L'édition  que  M.  G.  E.  Ledos, 


EDITION    NEAULMK  I.XXVII 

«  une  autre  édition  parallèle  »,  destinée  à  «  la  Hollande,  l'Angleterre. 
l'Allemagne  »  ',  et  pour  laquelle  les  Etats  de  Hollande  et  de  Westtrise 
lui  avaient  accordé  un  privilège  le  lo  .Mars  1762.  L'affaire  avant  été 
conclue  directement  entre  les  deux  libraires.  Rousseau  affecta  de  s'en 
désintéresser.  Désintéressement  tout  théorique  :  il  s'agissait  d'une  œuvre 
qui  lui  était  chère,  et  il  ne  voulait  pas  risquer  qu'elle  fût,  par  sa  faute, 
falsifiée  ou  défigurée.  .Non  seulement  il  consentit  à  envover  à  Xéaulme 
quelques  feuilles  du  .Manuscrit  -  pour  lui  permettre  «  de  faire  voir  »  à 
sa  clientèle  «  que  son  édition  n'était  pas  une  simple  contrefaçon  »  ■',  mais 
il  en  corrigea  soigneusement  les  épreuves.'  .Nous  vovons,  par  les  quatre 
Lettres  de  Rousseau  que  Néaulme  avait  conservées  *  et  surtout  par  les 
Lettres  de  .Xéaulme  *,  que  cette  correction  fut  aussi  minutieuse  que  celle 
d'une  édition  originale  :  il  exigea  des  cartons  et  un  Errata.  Les  deux 
éditions  devaient  paraître  à  peu  près  en  même  temps,  pour  que  celle  de 
.Néaulme  put  «  couvrir  »  celle  de  Duchesne  •>.  Cependant  cette  dernière 
parut  d'abord  :  les  premiers  exemplaires  in-8"  icar  les  in- 12  ne  furent 
mis  en  vente  que  quelque  temps  aprèsy  furent  distribués  le  dimanche 
23  .Mai.  A  ce  moment,  .Néaulme  était  encore  dans  l'impression  du 
tome  III  '.  II  semble  bien  que  son  édition  ne  parut  qu'au  milieu  de 
Juillet,  certainement  pas  avant  la  fin  de  Juin.  Dans  l'intervalle,  effravé 
des  audaces  du  \'icaire,  il  avait  multiplié  les  appels  à  Rousseau,  pour 
obtenir  de  lui  la  suppression  de  la  Profession  de  foi,  à  tout  le  moins 
une  déclaration  publique,  où  l'auteur  aurait  pris,  à  la  première  page  du 
livre,  l'entière  responsabilité  du  contenu.  Rousseau  se  refusa  à  toute 
concession.  Rien  n'est  plus  apitovant  que  les  Lettres  du  bon  Néaulme. 
Il  fait    un    peu.   dans   toute   cette  affaire,  figure  de  nigaud.  Ce  sont  des 


dans  son  Catalogue  de  la  Bibliothèque  Nationale  293],  42,  inscrit  tn  tète  des  éditions 
in-12  de  VKmile  n'est  qu'un  exemplaire  incomplet,  qui  réunit  trois  volumes  provenant 
de  deu.\  contrefaçons  différentes.  La  Bibliothèque  Nationale  ne  possède  que  les 
tomes   III   et   IV   de   l'édition   véritablement  originale  in-12   :   R  22355-22350. 

'  .A  Moultou.  Lettre  du  12  Décembre  1761.  \.  28»"). 

'  E.xactement^  35  feuillets  :  cf.  sa  Lettre  à  Ducliesne,  du  i_(  Mars  1762,  X,  317. 

'  .A  Duchesne,  Lettre  du  i3  Février  1762,  X,  3 12. 

*  Cf.  celles  des  29  Janvier  et  5  Juin  1762  [40'>'''  ,  108-1 13. 

5  Cf.  notamment  [14,  Lettres  des  20  Mai,  f"  1",  24  iMai.  f"  1  ,  et  du  to  Juin, 
Posicriplum  :  «  Vous  dites  que,  dans  la  Profession  de  foi,  il  y  a  deux  fautes,  dont  en 
voici  une  que  nous  n'avons  pas  trouvée  ».  etc. 

*  .\  Duchesne  et  Guy,  Lettre  du  4  .Mars  17Ô2,  .\,  3i5. 

'  Cf.  sa  Lettre  du  24  .Mai,  où  il  réclame  la  feuille  P  du  tome  III,  qui  lui  manque 
encore  '14].  2'  . 


LXXVIII  INTRODUCTION 

lamentations  sans  trc\e.  Duchcsne  ne  lui  envoie  pas  ses  feuilles  ;  il 
veut  sans  doute  retarder  Tédilion  de  son  confrère,  et  préfère  favoriser 
des  contrefaçons  lyonnaises  ou  autres  ',  il  abuse  du  Privilège  que  lui. 
Néaulme,  avait  obtenu  des  États  de  Hollande  :  on  était  convenu  de  le 
mettre  seulement  «  à  la  tète  de  quelques  exemplaires  destinés  à  certaines 
personnes  »-;  Duchcsne  le  met  à  presque  tous.  «  pour  ne  pas  dire  à 
tous  »  ^  :  c'est,  sans  doute,  une  excellente  façon  de  se  «  couvrir  »,  mais 
c'est  compromettre  Néaulme  à  plaisir.  Pour  se  venger,  Néaulme  serait 
tenté  de  faire  un  chassé-croisé  de  titres,  et,  puisque  Duchesne  abuse 
du  nom  de  Néaulme  dans  son  édition,  d'abuser,  lui  aussi,  du  nom  de 
Duchesne.  en  le  compromettant  publiquement  auprès  de  la  police 
parisienne.  «  .le  \oulais.  écrit-il  à  Rousseau,  mettre  :  .1  Paris,  c/ic:; 
Duchesne:  mais  on  m'accuserait  peut-être  d'esprit  de  vengeance:  aussi 
je  mettrai  :  Selon  la  copie  de  Paris,  avec  permission  tacile  pour  le 
Libraire  »  '.  Cette  indication  de  Néaulme  nous  permet  de  retrouver 
avec  certitude  son  édition  dans  la  foule  des  contrefaçons  de  17G2. 
La  voici  : 

ÉMIl.E,  I  ou  1  DE  l'ÉDUCAIION.  |    PAR  [   JEAN   JACQUES   ROUSSEAU.    |  CITOYEN 

DE   GENÈVE.  \  Sanabilibus  aegrotamus  malis  :  ipsaque  nos  in  rectum 
genitos  natura,  si  emendari  velimus  juvat.  |  Senec.  de  ira.  L.  11.  c.  i3.  1 
Tome    Pre.vuer  ]   Première   Partie.  |  [Heuron]   Selon   la  copie  de  |  Paris. 
Avec  Permission   tacite  pour  le   Libraire,   i   .^L   DCCLXll.  [tout  le  titre 
en  noir]  ||  [in-SJ. 

T.  I.  Pre.miere  Partie.  [Un  feuillet  non  chiffré]  :  Avis  sur 
cette  Edition.  —  Préface,  pp.  I-\'l.  —  Explications  des  Ei^ures. 
pp.  \'ll-\'lll.  .\vis  au  Lecteur,  p.  VIII  s.  —  Livre  Premier,  pp.  i-tîK. 
—  Livre  Second,  pp.  60-224. 


'  Cf.  Lettres  des  20  et  24  Mai  17(12  [14".  2  '  et  i'". 

-  Lettre  du  22  Mai  1762  [14].  1". 

'  Lettre  du  26  Mai  1762  [14],  1"'. 

*  Lettre  du  2  Juin  1762  [14I.  2'°. 

5  l.'.lj'/.v  au  Lecteur,  p.  vm  Je  la  I"  Partie  du  t.  \.  disait  :  «  l,es  fautes 
d'impression,  qui  forment  des  contre-sens.  tV  qu'on  pourrait  ne  pas  corrif^er  à  la  lecture, 
se  trouvent  à  la  fin  de  l'ouvrage.  Il  sera  facile  de  les  regarder  d'avance  ».  En  fait,  aucun 
des  e.xemplaires  que  j'ai  vus  de  cette  c'dition  n'offre  d'Errata.  Je  croirais  que  Néaulme. 
à  la  fin  de  l'impression,  énervé  de  toutes  les  contrariétés  qu'il  avait  déjà  subies  et  de 
celles  qu'il  prévovait,  a  jugé  la  peine  inutile.  C'est  ainsi,  du  moins,  que  je  comprends  ce 
passage  de  sa  Lettre  à  Rousseau  du  28  Juillet  1762  [14].  f"  i'  :  «  .\  quoi  me  servirait 
aussi  votre  Errata?  Ainsi  je  me  suis  passé  de  tout  ».  —  La  Bibliothèque  Nationale 
(R  22357-2235S)  ne  possède,  de  cette  édition,  que  la  seconde  partie  de  chaque  tome.  J'.ii 


EDITION    XEAILME  LXXIX 

Seconde  Partie.  Livre  troisième,  pp.  1-80.  —  Livre  qualrievie. 
pp.  81-168.  —  Table  des  Matières  pour  le  tome  piemier  en  deux 
Parties,    pp.    169-192. 

T.  II.  Pre.miere  P.\rtie.  Livre  quatrième,  [Depuis  :  «  Il  v  a 
trente  ans  »,  etc.],  pp.    1-168. 

Seconde  P.artie.  Livre  cinquième,  pp.  1-228.  —  Table  des  Matières 
pour  le  tome  second  en  deux  Parties,  pp.  229-243. 

Les  figures  qui  accompagnent  le  te.xte  sont  conformes  aux  dessins 
faits  par  Eisen  pour  Tédition  originale,  mais  ne  sont  pas  gravées  par  les 
artistes  de  Duchesne.  soit  que  Duchesne  n'eût  pas  voulu  prêter  ses 
planches,  soit  que  Néaulme  eût  préféré  recourir  à  un  artiste  hollandais. 
Ce  fut  Schley  qui  fut  chargé  de  graver  à  nouveau  les  dessins  dEisen  ; 
et  ses  lenteurs  contribuèrent  encore  à  retarder  l'apparition  du  livre. 
Néaulme,  voulant  sans  doute  ajouter  à  son  édition  un  attrait  qui 
manquât  à  celle  de  Duchesne.  lui  commanda  aussi  un  frontispice,  et 
cela  a  l'insu  de  Rousseau.  L'auteur  ne  fut  averti  que  quand  tout  était 
terminé  et  qu'il  aurait  été  inhumain  de  ne  pas  utiliser  la  planche  1. 
Rousseau  se  résigna  :  et  l'édition  de  Néaulme  s'ouvrit  par  un  frontispice 
inédit  '-.  Néaulme  eut.  d'ailleurs,  l'honnêteté,  en  le  présentant,  de  dégager 
la  responsabilité  de  Rousseau  :  «  L'Estampe,  qui  porte  le  titre  de  Traité 
d'Éducation,  consacré  au  Temps,  représente  des  Génies  qui  le  lui 
offrent,  et  sert  de  frontispice  à  cet  ouvrage.  Elle  est  de  l'invention  du 
Libraire,  qui  avoue  de  bonne  foi  l'avoir  mise  à  l'insu  de  l'Auteur  »  ■^. 
La  planche  est  signée  :  J.  V.  Schley  inv.  et  fecit  I/62.  Les  autres 
planches  sont  aussi  gravées  par  Schlev.  sauf  précisément  celle  de  la 
Profession  de  foi.  qui  est  la  plus  médiocre  de  toutes.  Elle  est  signée  : 
Cil.  Eisen  inv.  et  del.  —  5.  Fokke  fec.  Néaulme  écrit  à  ce  sujet  à 
Rousseau,  dans  ce  jargon  qui  lui  est  familier  :  «  Schlev,  jaloux  de  son 

trouvé  un  exemplaire  complet  à  Genève,  au.ic  Archives  J.  J.  Rousseau,  O  R  .47. 
Cette  édition  se  rencontre  aussi  avec  le  titre  tiré  en  rouj^e  et  noir,  orné  d'un 
écusson  au.x  armes  dWngleterre,  et  portant  au  bas  :  «  A  Amsterdam.  |  Chez  Jean 
Néaulme.  |  .MDCCLXII.  |  Avec  Privilège.  ».  Les  titres  et  l'au.x-titres  oflrent  encore 
quelques  légères  différences:  le  reste,  y  compris  les  cartons,  est  identique.  .M.  Th. 
Dul'our  possède  un  exemplaire  de  ce  second  état,  et  a  bien  voulu  m'en  donner  la 
description.  Cette  partie  de  l'édition  était  destinée  à  la  clientèle  anglaise  de  Néaulme. 
Le  ib  Novembre  1762,  Rousseau  signale  à  Moultou  «  la  seconde  édition  anglaise  »,  XL  3. 
mais  il  veut  dire  «  traduction  »  :  cf.    26].  II.  72-73. 

•  Lettre  du  20  .Mai  1762  [14].  1"  et   ". 

'  Cf.  V  Iconographie  des  œuvres  lie  J.  J.  Rousseau   285],  lo-ii. 

'  I,  1.  p.  vil  :  Explications  des  figures.  Rousseau  a  protesté  contre  ce  «  solé- 
cisme »  :  Traité  d  Éducation,  dans  sa  Lettre  à  Néaulme  du  i3  Novembre  1762  [40 '''*],  1 17. 


LXXX  INTRODUCTION 

ouvrage,  voulait  absolument  taire  six  planches  :  mais,  sa  maladie  et  le 
travail  lui  ayant  rendu  la  chose  impossible,  il  a  entln  désisté  d'une 
Orphée,  que  voici  :  et,  quoique  ce  graveur  l'^okke,  le  remplaçant  de 
Schlev  est  un  de  nos  meilleurs,  j'y  trouve  une  grande  ditiérence,  et 
j'enrage  de  la  nécessité  ot'i  j'ai  été  de  la  lui  donner;  elle  n'est  pas  à 
beaucoup  près  si  belle,  et  je  la  ferai  adoucir  encore  »  '. 

Rousseau,  comme  on  l'a  vu.  s'était  refusé  à  faire  la  déclaration  que 
Néaulme  lui  demandait,  à  la  fois  pour  authentiquer  son  édition  et 
atténuer  sa  responsabilité.  «  .le  vous  prie,  lui  disait  Néaulme  -,  de  me  faire 
l'honneur  de  m'écrire  que  vous  avouer  mon  édition,  qu'elle  est  conforme, 
non  seulement  à  votre  Manuscrit,  mais  aussi  conforme  à  vos  sentiments 
et  telle  que  vous  ave^  absolument  désiré  de  la  voir  paraître.  Vous  y 
ajouteriez,  si  vous  voulez,  que  vous  désavouerie-;  tout  ce  qui  ne  sera 
pas  conforme,  et  que,  en  conséquence,  vous  prenie-;  sur  vous  seul  toutes 
les  critiques  que  cet  ouvrai^e  pourra  susciter  ■».  A  défaut  de  cette 
déclaration  personnelle,  qui  lui  fiit  refusée,  Néaulme  avait  mis,  en  tête 
du  livre,  r.4)'/s  suivant,  qui  disait  la  même  chose  avec  moins  d'autorité  : 
«  Le  Public  peut  être  assuré  qu'elle  cette  édition  est  parfaitement 
conforme  au  Manu-Script  de  l'Auteur,  et  telle  qu'il  a  désiré  de  la  voir 
paroitre.  Il  en  a  donné  les  assurances  les  plus  fortes  au  Libraire,  en  le 
munissant  de  son  aveu  et  de  son  approbation  ».  L'édition  est,  en  effet, 
si  «  conforme  au  Manuscrit  de  l'auteur  »  que,  sur  bien  des  points,  elle 
rétablit  le  texte  primitif  que  l'édition  originale  n'a  pas  conservé.  Non- 
seulement  la  plupart  des  fautes  qui  formaient  contre-sens  ont  été  corrigées, 
mais  les  cartons,  qui  avaient  été  imposés  dans  les  deux  premiers  tomes 
par  la  direction  de  la  Librairie,  ont  été  négligés  ^,  et  le  texte  primitif 
restitué.  On  lit  donc  au  tome  1,  u,  55  :  «  l'héritier  du  possesseur  de 
trois  Royaumes  »,  et  non  :  «  l'héritier  et  le  Jils  d'un  Roi  des  Rois  »  *  : 

'  /'DSl-scriptuni  de  la  Lettre  du  2  juin  1762  [14].  L'orthof^raplie  du  bon  Néaulme 
est  aussi  déconcertante  que  son  style. 

-  Lettre  du  20  Mai  1762  [14].  2'". 

"  Rousseau  en  avait  prévenu  Maleslierbes  ;  ci.  sa  Lettre  du  .s  Kévrier  1762,  X,  3]  i  : 
«  Une  seule  chose  me  t'ait  de  la  peine,  écrit-il  à  Maleslierbes,  c'est  qu'on  ne  saurait 
e.xiger  de  Néaulme  de  faire  en  Hollande  les  mêmes  cartons,  et  que,  ne  les  faisant  pas, 
son  édition  pourrait  nuire  à  celle  de  Duchesne  ».  —  Il  y  a  pourtant  des  cartons  dans 
l'édition  de  .Néaulme  ;  et  c'est  Rousseau  qui  les  a  e.\igés  pour  réparer  certaines  fautes. 
Cf.  la  Lettre  de  Néaulme  à  Rousseau,  du  24  Mai  1762  [14],  i'°,  où  il  lui  envoie  quatre 
cartons.  Il  y  en  a  neuf  dans  toute  l'édition  :  I,  1.  11-12,  fii-(52,  77-78,  213-214:  1,  11.  41-42. 
127-128.  139-140;  II,  11.  29-30,  49-5o. 

*  ICdition  originale.  Il,  iiS,  avec  la  note  suivante  .  «  Vonone,  lils  de  Pliraate, 
Roi  des  Parthes  ». 


«   EMILE    CHRETIEX    »  LXXXI 

au  lome  I.  ii,  96  :  «  les  passions  de  tous  les  Etres  bornés,  même  des 
Anges,  s  il  y  en  a  ».  et  non  :  «  si/s  en  ont  »  '.  Ainsi  l'édition  Néaulme, 
postérieure  à  l'édition  dite  originale,  dont,  comme  je  l'ai  dit,  tous  les 
exemplaires,  sauf  un.  sont  cartonnés,  devient,  en  quelque  sorte,  une 
seconde  édition  originale,  et  équivaut  pratiquement  à  l'unique  exem- 
plaire sans  cartons  de  l'édition  Duchesne.  Il  \-  a  même  un  passage 
où  elle  devance  l'exemplaire  corrigé,  et  apporte  déjà  le  texte  auquel 
Rousseau  s'arrêtera  définitivement  '-.  Mais  toutes  ces  remarques  inté- 
ressent plutôt  YEmile  proprement  dit  que  la  Profession  de  foi,  où  le 
texte  est  resté  identique  à  celui  de  la  première  édition  '.  —  On  verra  plus 
loin  les  destinées  de  cette  édition  Néaulme. 

3.   L'édition  «  chrétienne  «  de  Formey. 

L'innocent  Néaulme,  que  Duchesne  avait  si  habilement  exploité,  et 
dont  tous  les  contrefacteurs,  avec  un  cynisme  impitoyable  allaient  utiliser 
le  nom,  pava  un  peu  cher  —  on  l'a  vu  —  son  imprudente  complaisance. 
Très  affecté  par  sa  mésaventure,  il  persistait  à  se  croire  coupable,  et 
voulait  réparer  le  scandale  en  soulageant  sa  conscience.  Il  était  vieux 
et  à  demi  retiré  du  commerce*.  C'était  pour  lui  un  vilain  couronnement 
de  carrière  que  cette  atîaire  de  VÉmile.  Quelques  jours  donc  après 
que  les  États  de  Hollande  avaient  révoqué  son  Privilège,  il  battait 
publiquement  sa  coulpe  dans  la  Galette  d  Amsterdam.  «Jean  Néaulme, 
y  lisait-on,  avoue  de  bonne  foi  qu'il  a  eu  l'imprudence  de  confier  (sans 
réflexion  sur  les  conséquences  1  une  copie  de  son  Privilège  sur  Emile 
ou  de  l'Education,  avant  la  publication  de  ce  livre  sous  son  nom  en 
France.  L'auteur  et  les  libraires  peuvent  rendrent  témoignage  pourquoi 
il  n'a  pas  voulu  publier  lui-même  cet  ouvrage  en  Hollande,  leur  en  avant 
représenté  tous  les  inconvénients.  .\ujourd'hui  il  avertit  qu'il  publiera 
dans  peu  un  Xouveau  Traité  de  l'Education,  qui  renfermera  tout  ce 
qu'on  peut  désirer  de  meilleur  sur  cette  matière:  enfin  un  ouvrage  tel 
qu'il  avait  cru  que  serait  Enfile,  dont  il  avait  entrepris  l'impression  sur 


'  Edition  orifîinalc.  II,  204. 

-  Cl.  Edition  originale,  I\',  qj  :  «  dans  les  qualités  communes  au.x  deux  »; 
Édition  Néaulme,  II,  11.  49  :  «  dans  tout  le  reste  ».  Exemplaire  corrigé  :  idem. 

*  Les  trois  fautes  d'impression  de  l'édition  originale  pour  la  Profession  Je  foi 
sont  même  restées  dans  l'édition  Néaulme,  tandis  que,  pour  le  reste  de  l'ouvrage,  elles 
ont  été  presque  partout  corrigées. 

'  Rey  à  Rousseau.  Lettre  du  2.S  iMars  1762  [14  Cj,  166". 


LXXXn  INTRODUCTION 

la  bonne  opinion  qu'il  a\'ait  conclue  du  titre  de  ce  livre,  qui  paraissait  ne 
rien  promettre  que  de  bon  et  d'utile  à  la  société  »  '.  Quelque  temps  après, 
en  effet,  il  annonçait  à  Rousseau  qu'il  se  croyait  oblij^é  de  publier, 
comme  antidote,  «  un  autre  ouvrage  »,  qui  serait  encore  Emile,  mais 
qui  poLirtant  en  présenterait  une  «  honnête  critique  ».  ^'ous  n'aurez  pas 
sujet,  lui  écrivait-il,  «  de  vous  plaindre  des  omissions  :  les  liaisons  seront 
distinguées,  et  je  ne  permettrai  pas  que  Ton  change  rien  à  ce  que  vous 
aurez  dit,  dont  on  fera  usage  ;  pas  un  mot,  pas  une  syllabe  »  -.  Tel  était 
le  plan  d'amende  honorable  que  Néaulme  avait  conçu  :  «  ,1e  n'ai  trouvé, 
écrivait-il  encore  à  Rousseau,  que  M.  Formey  pour  l'exécuter»''.  Formey. 
qui  semblait  oublier  qu'il  avait  été  l'auteur  d'un  très  rationaliste  Essai 
sur  la  nécessité  de  la  Révélation  ,21  i'''^]  *,  venait  précisément  de  s'engager 
avec  un  libraire  de  Berlin  pour  faire  un  Anti-Emile  [244].  Il  était  donc 
toiît  prêt  pour  faire  un  Emile  corrigé  ou  un  Mouveati  Traité  d'Education. 
L'adaptation  de  Formev  fut  d'abord  appelée  Le  Véritable  Emile,  puis 
Néaulme  se  rallia  au  titre  d'Emile  chrétien '•> :  et  l'ouvrage  parut  enfin 
au  début  de  1764.  Rousseau  avait  prémuni  le  public  contre  cette  super- 
cherie littéraire,  en  faisant  insérer  par  Rey  dans  la  Ga;ette  d'Amsterdam. 
une  note  de  protestation  ". 

Emile  Chrétien,  \  consacré  a  l'utilité  |  publique,  ]  Rédigé  |  par 
M.  Formey,  |  Auteur  |  du  Philosophe  chrétien.  |  A  Berlin,  |  chez  Jean 
NÉAULME,  I  MDCCLXIV,  I  4  tomes  en  2  vol.  in-8. 

Néaulme  avait  utilisé  pour  cette  édition  les  six  gravtires  de  l'édition 


'  N    du  10  Août  1/(12  [41],  4. 

2  Lettre  du  26  Octobre  1762  [[4],  1",  2'". 

"  Lettre  du  3i  Janvier  lyôB  [[4],   1'". 

'  Cf.,  dans  la  présente  édition,  les  textes  qui  sont  rappelés  aux  pp.  3oQ  (note  il, 
38i  (note  2(,  $99  (note  3i. 

^  Rev  à  Rousseau,  Lettre  du  23  Août  i-63  [14  C  ,  204';  cf.  encore  Bosscha  [24], 
182,  note. 

^  N"  du  mardi  25  janvier  1763  [-('].  f"  2'  :  «  Le  public  est  averti  que,  sans  l'aveu  ni  la 
participation  de  M.  Rousseau,  citoyen  de  Genève,  on  fait  actuellement  mutiler  son  Emile, 
dans  la  vue  apparemment  de  le  publier,  ainsi  tronqué  et  défi,i;uré,  sous  le  titre  de 
Nouveau  traité  d'éducatiun,  annoncé  il  y  a  quelque  temps  et  qu'il  désavoue  d'avance  »: 
cf.  encore  Rousseau  à  Rev,  Lettre  du  8  Janvier  17(33  [24J.  182  ;  «  Vous  savez,  sans  doute, 
que  M.  Néaulme  fait  mutiler  mon  Emile  par  le  laborieux  M.  Formey,  qui  ne  craint  pas, 
par  une  entreprise  inouïe  jusqu'ici  dans  la  littérature,  de  s'emparer  de  mon  vivant  de  mon 
propre  bien,  pour  l'estropier  et  le  défigurer  à  son  gré  et  peut-être  y  fourrer  sous  mon 
nom  ses  sottes  pensées.  Voilà  les  brigands  qui  s'appellent  Chrétiens;  et  moi,  qui 
chéris  la  justice  et  respecte  en  tout  les  droits  d'autrui,  je  suis  l'impie  et  l'homme 
abominable.  Ils  ont  raison  :  s'ils  sont  Chrétiens,  je  ne  le  suis  pas  ». 


«   EMILE    CHRETIEN   »  LXXXllI 

complète,  et  en  avait  ajouté  quatre  autres,  qu'il  avait  fait  faire  également 
jiar  Schlev.  A  noter,  en  particulier,  celle  du  tome  III,  p.  2  10.  «  qui 
représente  J.  .1.  Rousseau  dans  sa  retraite  agréable,  avec  ce  titre  :  Atirea 
mediocritas  »  '.  Néaulme  se  sentait  si  satisfait  de  cette  publication 
expiatrice.  qu'il  avait  mis  joyeusement  sa  signature  autographe  sur  tous 
les  exemplaires  de  VÉmik  chrétien.  «  Je  suis  si  persuadé,  proclamait-il 
à  la  première  page  du  livre,  qu'il  Formey  aura  rendu  cet  ouvrage 
\\'Émile  tout  court  recommandable  et  estimable,  que  je  ne  fais  nulle 
difficulté  de  signer  tous  les  exemplaires  de  cette  édition  »  -.  —  La 
Profession  de  foi  occupe,  t.  III.  les  pp.  1-144.  -Mais  peut-on  donner 
encore  ce  nom  à  l'étrange  et  plaisant  pot-pourri  que  Formev  a  cuisiné? 
«  Voici  donc,  s'écrie-t-il  en  guise  d'introduction,  ce  morceau  unique 
dans  son  genre,  production  que  l'auteur  a  sans  doute  enfantée  avec 
complaisance  et  qu'on  peut  regarder  comme  le  motif  déterminant  de 
la  composition  d'Emile  »  ^.  Si  ce  morceau  a  fait  scandale,  dit  encore 
Formev,  il  prouve,  du  moins,  combien  la  «  Religion  est  parfaitement  à 
l'abri  des  traits  qu'on  lui  lance  ».  «  Cependant,  pour  répondre  au  but  de 
cette  nouvelle  édition  et  remplir  fidèlement  son  titre,  on  a  substitué  à 
la  déclamation  sophistique  contre  le  Christianisme  qui  fait  partie  de  la 
Profession  de  foi  du  Vicaire,  une  Apologie  de  cette  sainte  Religion, 
propre,  à  ce  que  l'on  espère,  à  la  rendre  respectable  et  précieuse  pour 
tous  ceux  qui  font  usage  de  leur  raison,  et  qui  se  proposent  l'acquisition 
du  vrai  bonheur.  Les  propres  aveux  de  .^L  Rousseau  serviront  ensuite 
à  assurer  le  triomphe  de  la  bonne  cause  »  *.  Suit  la  Profession  de  foi  du 
Vicaire,  dans  son  texte  intégral  pour  la  I''  Partie,  avec,  de  place  en 
place.  «  quelques  remarques  fort  succinctes  sur  les  endroits...  les  plus 
frappants  ou  les  plus  inconséquents  »:  mais,  quand  le  lecteur  arrive  à 
la  phrase  du  N'icaire  :  «  \'ous  ne  voyez  dans  mon  exposé  que  la  Religion 
naturelle...  »,  le  libraire  avertit  honnêtement  ;  Ici  commence  M.  Formey''. 
et  la  phrase  continue  :  «  .Mais  vous  devez  avoir  senti  qu'elle  ne  suffit 


'  Explication  des  di.\  ligures,  t.  IV.  verso  de  la  p.  232. 

'  T.  1.  p.  M. 

*  III.  11. 

«  III.  3-4. 

'  III.  71  :  et  il  ajoute  en  note  171-721  pour  son  propre  compte  :  «  Ici  commence 
cette  fameuse  philippique  contre  le  Christianisme,  qui  aurait  demandé  des  volumes 
entiers  pour  la  réfuter,  si  ces  volumes  n'existaient  déjà  et  n'allaient  fort  au  delà  de  tout 
ce  qu'on  pourrait  dire.  J'ai  tâché  de  concentrer  ce  qu'ils  renferment  d'essentiel  dans  le 
morceau  que  j'ai  substitué  <i  celui  que  M.  Rousseau  n'aurait  iamais  dû  ni  penser 
ni  écrire  ». 


I.XXXIV  INTRODUCTIOX 

pas  ».  etc.  Formey,  ayant  pris  la  parole,  la  garde  lont,'temps  :  il  compile 
et  amalgame  Bossuet,  Abbadie.  \ernet,  Ditton  et  les  autres,  met  aux 
prises  un  incrédule  avec  un  chrétien  ;  et,  la  victoire  étant  restée  sans 
peine  à  celui-ci....  Ici  finit  M.  Formey.  Les  dernières  pages  de  la 
Profession  sur  «  la  sainteté  de  YÉvangile  »,  sur  la  néfaste  influence 
des  «  philosophistes  »  sont  précieusement  conservées  :  et  le  morceau  se 
termine  par  cette  réflexion  édifiante  du  rapetasseur  :  «  L'auteur  continue 
à  se  réfuter  beaucoup  mieux  qu'aucun  autre  n'aurait  pu  le  faire.  Mais, 
après  cela,  comment  ne  craint-il  pas  le  Poul-Serrho  pour  soi-même? 
Quel  compte  n'aura-t-il  pas  à  rendre  de  l'abus  de  ses  talents  »?  — 
L'Emile  Chrétien  fut  tiré  à  55o  exemplaires  seulement,  et  n'eut  aucun 
succès  '. 

4.  Autres  éditions  et  contrefaçons  sous  la  date   de  1762. 

C'était  bien  malgré  lui  que  .Marc-Michel  Rey  avait  dû  renoncer  à 
éditer  Emile.  Il  aurait  désiré,  du  moms.  que  Duchesne  le  choisit  pour 
représentant,  et  que  l'édition  hollandaise  lui  fût  confiée.  ,Mais  Guérin, 
qui  était  très  lié  avec  Néaulme.  avait  imposé  ce  dernier  à  Duchesne. 
Rey  ne  désespérait  pourtant  pas  de  voir  l'affaire  venir  chez  lui.  J'ai 
demandé  à  Néaulme,  écrit-il.  «  de  me  céder  cet  article  en  lui  donnant 
du  bénéfice  sur  son  achat  »  -.  Néaulme  refusa  et  prit  au  contraire  un 
Privilège  à  son  nom.  Un  instant  Rey  eut  l'espoir  que  Duchesne  refuserait 
d'imprimer  les  deux  derniers  volumes,  ou  ne  les  imprimerait  qu'en  les 
tronquant,  et  que  ce  serait  à  lui.  Rev,  que  Rousseau  donnerait  cette 
mission    de    confiance   ".    .Mais    Duchesne    imprimait    hdèlement    tout 


'  Rev  à  Rousseau.  Lettre  du  20  Juin  1764  [14  B],  217'".  Formey  avoTie  lui-même 
d"assez  bonne  grâce  l'insuccès  de  cette  compilation  :  Cf.  ses  Souvenirs  d'un  Citoyen 
^252'"'*],  i3i-i35,  où  il  e.xpose,  de  son  point  de  vue,  toute  cette  affaire  de  VEmite 
chrétien.  11  v  reconnaiu  du  reste,  qu'il  «  avait  eu  tort  de  jeter  sa  faucille  dans  la 
moisson  de  Rousseau  et  qu'il  ne  devait  pas  condescendre  à  la  demande  de  Néaulme». — 
11  ne  faut  pas  confondre  cet  Emile  chrétien,  cuisiné  par  Formey,  avec  un  livre  qui  parut 
la  même  année  sous  le  même  titre  :  Emile  chrétien,  ou  de  l'Éducation,  par  .M.  C-*»** 
de  Leveson,  Licencié  en  la  sacrée  Faculté  de  Paris,  A  Paris,  chez  les  Libraires  .Associés. 
1764,  2  in-12.  L'auteur  a  beau  déclarer  dans  sa  Préface,  t.  1,  p.  [.x,  que,  «  pour  rendre  cet 
ouvrage  plus  intéressant  et  lui  donner  plus  de  perfection,  on  ne  s'est  point  écarté  du 
premier  Emile,  en  ce  qui  s'y  trouve  de  bon  »,  —  le  livre  n'a  aucun  rapport  avec  celui 
de  Rousseau  (ni  emprunts,  ni  discussions),  et  n'a  de  commun  avec  lui  et  avec  l'ouvrage 
de  Formey  que  le 'titre. 

-  Rey  à  Rousseau.  Lettre  du  3i  Décembre  1761  [14  CJ,  141'  . 

'  Rey  à  Rousseau,  Lettre  du  Ij  Mars  1762  '14  C\  \(x>". 


CONTREFAÇONS    DE    1/62  LXX.W 

l'ouvrage.  Rcv  revint  alors  à  Néaulme.  et  offrit  de  lui  acheter  une  partie 
de  son  Privilège.  Xéaulme  finit  par  consentir;  moyennant  450  florins, 
il  cédait  à  Rey  son  droit  sur  Emile  pour  l'imprimer,  en  in-douze,  dans 
la  collection  des  Œuvres,  et  «gardait  pour  lui  seul  son  édition  in-8  »  '. 
Il  semble  même,  que  bientôt  après,  et,  songeant  sans  doute  à  se  retirer. 
Néaulme  avait  accepté  de  laisser  à  Rey  le  dépôt  des  exemplaires  in-8, 
puisqu'on  lisait  dans  la  Galette  d  Amsterdam  l'avis  suivant  :  «  Marc- 
.Michel  Rey,  libraire  à  Amsterdam,  a  imprimé  et  publié  Contrai  Social 
ou  Principes  du  droit  politique,  par  .M.  .1.  J.  Rousseau,  citoven  de 
Genève.  1  vol.  grand  octave.  Le  même  Libraire,  avant  acheté  de  Jean 
Néaulme  son  droit  de  Privilège  concernant  Emile  ou  de  L'Education 
par  le  même  auteur,  avertit  qu'il  en  débitera  le  i"^""  Juillet  une  Edition 
en  4  vol.  in-8,  avec  figures,  et  ensuite  une  in- 12  pour  faire  suite  aux 
Œuvres  qu'il  a  imprimées  avec  Privilège  »  -.  Ainsi  Rev  devait  débiter 
l'édition  Néaulme  in-8.  et  en  imprimer  une  autre  pour  son  compte  en 
in-12.  11  demandait  même  à  Rousseau  de  lui  envoyer  ses  corrections 
ou  additions  pour  cette  édition  nouvelle  ^. 

La  condamnation  de  VÉmile  à  Paris,  puis  en  Hollande,  vint  changer 
tous  ces  plans.  Néaulme.  pris  de  peur,  écoula  comme  il  put  une  partie 
de  son  édition  à  l'étranger  et  n'osa  pas  en  vendre  un  exemplaire  en 
Hollande  ■*.  Rev  cependant  était  toujours  prêt  «  à  tenir  le  marché  »; 
mais  Néaulme.  scrupuleux,  lui  refusa  toutes  les  feuilles  de  son  édition 
et  «  le  marché  fut  rompu  »  '•>.  11  n'est  pas  alors  question  de  VEmile  dans 
la  correspondance  de  Rousseau  et  de  Rev.  sauf  dans  une  lettre  de  Rey 
du  14  Décembre  1762,  où,  en  annonçant  à  Rousseau  l'envoi  d'un  article 
des  Mémoires  de  Trévoux  sur  Emile,  il  ajoute,  en  une  phrase  ambiguë  : 
«  Je  ne  fais  que  de  finir  l'impression  de  ce  volume  »  ^.  S'agit-il  de 
VÉmile?  la  chose  est  douteuse.  11  est  très  probable  néanmoins,  qu'avec 
ou  sans  le  consentement  de  Rousseau,  Rev  a  dû  imprimer  VÉmile  dans 
ce  format  in-12,  qu'il  aimait  tant  et  qu'il  avait  déjà  employé  pour  d'autres 
œuvres  de  Rousseau.  Cette  édition  Rev,  de  la  fin  de  i7iÎ2,  ou  plutôt  cette 


'  24  .Mai  1762    140  ,  180'". 

'  N*  du  22  Juin   1762  [41'"''*,  4. 

'  Rey  à  Rousseau,  Lettre  du  17  Juin  [14  C],  iS3  . 

*  Rey  à  Rousseau,  Lettre  du  12  Juillet  1762  [14  C^.  i<H6'".  —  Dans  une  Lettre  du 
2S  Septembre,  1"  iqo,  Rey  écrivait  encore  à  Rousseau  :  «  Jusqu'à  présent  i!  ne  m'a  pas 
été  possible  d'en  obtenir  un  exemplaire  "de  l'édition  Néaulme^  ». 

^  Rey  à  Rousseau.  Lettre  du  9  Septembre  1762  J4  C,  187'  . 

^  F"  192". 


I.XXXVI  INTRODUCTION 

contrefaçon,  comment  la  reconnaître?-'  11  est  dilHcile  d'arriver  à  une 
certitude,  car  aucun  des  exemplaires  qui  portent  la  date  de  171)2  ne 
porte  le  nom  de  Rey.  Puisque  Néaulme  avait  pris  pour  lui  le  Privilège 
et  la  condamnation,  Rev,  comme  les  autres  libraires,  trouxait,  sans 
doute,  plus  prudent  de  lui  laisser  la  responsabilité  de  la  couverture. 
Presque  toutes  les  éditions  de  1762,  ou  qui  veulent  passer  pour  telles,  sont 
donc  mises  au  compte  de  Néaulme.  Parmi  ces  pseudo-éditions  .Néaulme, 
il  me  parait  possible  d'en  attribuer  une  à  Rey.  parce  que  les  planches 
en  sont  gravées  par  un  artiste  que  Rey  a  fait  tra\ailler  pour  d'autres 
éditions  de  Rousseau.  ,1.  C.  G.  Fritzsch  '. 

Emile,  I  ov  \  De  TÉducation.  |  h.\r  J.  J.  Rousseau,  |  Citoven  de  Genève.  \ 
Sanabilibus  etc.  |  Tome  Premier  j  [fleuronl  |  A  Amsterdam.  Chez  .Ii;.\n 
Nkaul.me,  Libraire.  ;M.  DCCLXII.  j  Avec  Privilège  de  Nosseigneurs  les 
États  I  de  Hollande  &i  de  Westfrise.  \\  [in- 12].  (Bibliothèque  de  Genève, 
Ce  563). 

Les  quatre  volumes  comprennent  respectivement  :  Le  premier 
vin-272  pages,  le  second  202,  le  troisième  201.  le  quatrième  287.  mais 
avec  une  pagination  qui  est  la  suite  du  t.  il!  (pp.  203-4QO'.  La  Profes- 
sion de  foi  occupe,  au  t.  111.  les  pp.  i-i  iT).  Les  fautes  d'impression  : 
talent.  —  matérialisme,  de  toute  espèce,  ont  disparu.  Le  reste  du  texte  n'a 
pas  été  établi  d'après  l'édition  .Néaulme.  car.  t.  11,  pp.  67  et  ii5.  la 
leçon  des  cartons  de  l'édition  originale  a  été  conservée.  Cependant 
l'éditeur  a  dû  se  faire  communiquer  une  épreuve  du  frontispice  dessiné 
et  gra\é  par  Schlev,  le  Traité  d'éducation  consacré  au  Tems.  car  ce 
frontispice  a  été  réduit  et  gravé  par  Fritzsch.  Les  autres  planches 
reproduisent  les  figures  d'Eisen. 

Si  «  l'honnête  »  Rev  lui-même  s'appropriait  ainsi  le  texte  de  Jean- 
Jacques,  d'autres  libraires,  moins  scrupuleux,  devaient  se  sentir  encore 
plus  à  l'aise.  La  correspondance  de  Néaulme  est  pleine  de  lamentations 
sur  les  contretacteurs  qui  pullulaient  autour  de  lui  et  qui  de\aient 
réduire  singulièrement  le  débit  de  son  édition.  Par  lui  et  par  Rev,  nous 
connaissons  les  principaux  de  ces  libraires  :  c'était  Jean-Marie  Bruyset  à 
Lyon  '-.  Nourse  à  Londres  ■,  Bassompierre  à  Liège*,  De  Hondt  et  Beckker 


'  Cf.  Girardin,  Iconographie  des  œuvres  '2.S.S:,   17-iH. 

^  Néaulme    à     Rousseau.     Lettres    des    :;o.    22    et    24     Mai.    2S    Juillet,    3    Dé- 
cembre   1762,    etc.    [14]. 

'  Id..  Lettre  du  2  Juin  1762,  f"  2". 

*  Id.,  Lettre  du  3  Décembre  1762,  f"  2'". 


CONTREFAÇONS    DE    1/62  LXXXVII 

à  La  Haye  '.  Xéaulnie  était  particulièrement  monté  contre  Bruvset.  dont 
rédition  devança  la  sienne,  grâce  à  la  complicité  de  Duchesne.  qui  lui 
vendit  les  feuilles  d'Emile,  comme  il  les  vendait  à  N'éaulmc  -.  11  est  à 
peu  près  impossible  aujourd'hui  de  restituer  à  chacun  de  ces  libraires 
les  différentes  contrefaçons.  11  faudrait  se  livrer  à  des  comparaisons  de 
caractères  et  de  papiers,  fort  difficiles,  et  qui  ne  seraient  pas  toujours 
décisi\es.  Seule,  l'édition  de  Bruvset  me  paraît  pouvoir  être  reconnue, 
et  serait,  à  mon  avis,  la  suivante  : 

E.milf;  I  ou  1  DE  l'Edl"c.\tion.  '  PAR  J.  J.  RoussE.Ai',  I  Citoyen  de 
Genève.  Sanabilibus  etc\  |  Sen.  de  ira.  L.  II.  c.  i3.  To.me  Pre.mier.  j 
'fleuron  A  Leipsick.  chez  les  Hérit.  de  .M.  G.  \\'eidm.\nn  |  &  Reich.  j 
.M.DCC.LXll.  .Avec  Privilège,  jtout  en  noir  ,  4  vol.  in-12,  de  .x-442, 
383,  328,  463  pp.  Contrefaçons  d"Eisen.  La  Profession  de  foi  occupe, 
t.  ni.  les  pp.  1-188.  Les  trois  fautes  d'impression  de  l'édition  originale 
y  sont  conservées.  (Archives  J.  J.  Rousseau.  O  R  35*. 

Voici  les  raisons  qui  me  font  attribuer  cette  édition  à  Bruvset. 
D'abord  c'est  dans  cette  édition  que  \'oltaire  a  lu  VÈmile.  Nous  avons 
encore  son  exemplaire  annoté-^.  Lvon  est  tout  près  de  Genève.  L'édition 
de  Bruvset.  grâce  à  Duchesne,  parut  en  même  temps  que  celle  de  Paris  : 
ce  fut  elle  qui  dut  arriver  le  plus  tjt  aux  Délices.  En  outre,  elle  ne 
porte  ni  le  nom  de  Néaulme,  ni  celui  d'Amsterdam,  ni  la  mention  du 
Privilège  hollandais.  Or  Néaulme  avait  fait  savoir  à  Bruvset  que.  s'il  avait 
l'audace  de  se  servir  de  son  nom  et  de  son  Privilège,  il  le  désavouerait 
publiquement  dans  les  Gazettes*.  Enfin  le  nom  qui  se  lit  sur  le  litre 
de  cette  édition  est  celui  des  héritiers  de  G.  W'eidmann  et  Reich.  Or, 
dans  une  Lettre  de  Bruvset  à  Rousseau,  le  libraire  lyonnais,  après  avoir 
refusé  d'éditer  la  Lettre  de  M.  de  Beaumont.  —  «  un  père  de  famille, 
disait-il,  ne  doit  pas  s'e.xposer  aux  orages  »  —  lui  conseillait  de  s'adresser 
à  «  un  nommé  Reich.  Imprimeur-Libraire  à  Leipzig.  C'est  un  homme 
très  intelligent,  auquel  j'ai  fait  passer  Emile  feuille  à  feuille  pour  en  faire 
faire  une  traduction  en  allemand  »  ;  et  il  ajoutait  :  «  Si  cette  proposition 
pouvait  vous  convenir,  je  pourrais  même  m'arranger  avec  lui  »  ^.  11  est 
donc  vraisemblable  que  Bruvset,  obligé  de  renoncer  à  la  couverture  de 


'  Rey  à  Rousseau,  Lettre  du  8  .\vril  176?    14  C .  202". 

•'  Néaulme  à  Rousseau,  Lettres  du  28  Juillet,  f"  2",  du  3  Décembre  1762,  C  \". 

*  C'est  celui  des  Archives  J.  J.    Rousseau,   sur  lequel  .i  été  faite  la  description 
de  l'édition. 

*  Néaulme  à  Rousseau.  Lettre  du  24  .Mai  1702         . 

'  Bruvset  à  Rousseau.  Lettre  du  26  Décembre  17112    14  . 


LXXXVin  IXTRODUCTIOX 

Néaulme.   avait  demandé   à   son    confrère   de   Leipzig   d'utiliser   le   nom 
de  la  librairie  Reich   pour  le  titre  de  son  édition. 

Les  autres  contrefaçons  de  1762  que  j'ai  pu  découvrir  sont  les 
suivantes  :  Dans  toutes.  YF.mile  forme  quatre  volumes,  avec  toujours 
ce  même  titre,  sauf  quelques  menues  différences  purement  typogra- 
phiques, que  je  néglige  :  Emile  ou  De  l'Education,  par  .1.  ./.  Rousseau. 
Citoyen  de  Genève.  Sanabilibus  {etc.  .4  Amsterdam,  che^  Jean  Xéau/me. 
Libraire,  MDCCLXII.  .\vec  Privilège  de  Nosseigneurs  les  États  de 
Hollande  et  de  Weslfrise. 

A.  4  vol.  in-8,  de  i\-3ii.  232,  324,  298  pp.  —  Titre  en  noir. 
Caractères  très  fins.  .Mauvaises  contrefaçons  d'Eisen.  Dans  chaque 
volume,  sur  chaque  page  de  titre,  entre  le  n"  du  tome  et  .Amsterdam. 
une  vignette  gravée.  Celle  du  t.  III  reproduit  celle  du  t.  1,  celle  du  t.  I^' 
reproduit  celle  du  t.  II.  Profession  de  foi,  t.  III.  pp.  i-i25.  (Bibliothèque 
de  Genève,  Ce  442). 

B.  4  vol.  in-i2.  de  vii-358.  270,  256,  342  pp.  —  Titre  en  noir  et 
rouge.  Mauvaises  contrefaçons  d'Eisen.  .\u  t.  I.  p.  338,  l'Avis  suivant  ; 
«  La  première  édition  de  cet  ouvrage  présente  un  Errata  qui  devenait 
inutile  en  corrigeant  les  fautes  dans  une  réimpression  ;  et  deu.x  tables 
de  matières  seulement,  une  à  la  fin  du  tome  second,  et  l'autre  à  la  fin 
du  quatrième,  chacune  embrassant  les  articles  des  deux  volumes.  On 
trouvera  dans  celle-ci  un  Errata  de  moins  et  deux  tables  de  plus  ; 
c'est-à-dire  Line  à  la  lin  de  chaque  volume,  et  qui  comprend  taxative- 
ment  fsici  les  objets  qui  v  sont  traités.  Cette  distinction  a  paru  et  plus 
exacte  et  plus  commode,  n'étant  pas  naturel  que  l'indication  soit  dans 
un  tome  et  la  chose  indiquée  dans  un  autre.  Ce  changement,  au  reste,  et 
celui  de  rectifier  les  citations  sou\ent  peu  fidèles  qui  se  rencontrent  dans 
ces  mêmes  tables,  sont  les  seules  que  l'on  se  soit  permis  ».  Et,  en  effet, 
chaque  \olume  est  accompagné  d'une  Table.  Profession  de  foi.  t.  III, 
pp.  1-144.  I  Bibliothèque  de  Genève.  Ce  587). 

C.  4  vol.  in-12,  de  x-442,  383,  328,  463  pp.  —  Titre  en  noir. 
Mauvaises  contrefaçons  d'Eisen.  Profession  de  foi,  t.  111,  pp.  1-188. 
(Bibliothèque  de  Genève,  Ce  44(1,  et  Archives  J.  ,1,  Rousseau,  O  R  24). 

D.  4  vol.  in-8.  de  5  f"^  non  chiffrés  et  298  pp.,  222  pp.  et  i3  f°^  non 
chiffrés,  220  pp.,  292  pp.  et  8  f"^  non  chiffrés.  —  Titre  en  noir  et  rouge. 
Au  titre  :  Par  Jean  ■Jaque.';  Rousseau  (sic).  A  la  fin  du  t.  II,  p.  292, 
dans  une  couronne  de  chêne  :  Vitatn  j  impendere  \  vero  |.  Contrefaçons 
d'Eisen.  Profession  de  foi.  t.  III,  pp.  1-127.  (Bibliothèque  de  l'Arsenal, 
B  L  20863.) 


ÉDITIONS    POSTÉRIEURES    A    I762  LXXXIX 

Cette  dernière  édition  n"a  certainement  pas  été  imprimée  en  1762  : 
les  quatre  volumes  forment  les  tomes  \"II  et  YIII  (chaque  tome  a  deux 
parties)  des  Œuvres  de  Jean  Jaques  Rousseau  publiées  par  Rev  en  1769, 
1 1  vol.  in-8.  Comme  le  reste  de  la  collection,  ils  ont  bien  été  imprimés 
par  Rev  —  la  devise  dans  la  couronne  de  chêne  en  est  comme  le  témoin 
—  et  avec  la  même  disposition,  les  mêmes  caractères.  Il  est  donc  infini- 
ment vraisemblable  qu'ils  ont  été  tirés,  eux  aussi,  en  1769.  Mais  Rev 
trouvait,  sans  doute,  plus  prudent,  puisque  l'ouvrage  était  officiellement 
condamné  en  Hollande,  de  continuer  à  s'abriter  derrière  le  nom  de 
Néaulme,  le  Privilège  maintenant  révoqué  et  la  date  de  la  première 
édition.  Je  croirais  aussi  très  volontiers  que.  parmi  les  contrefaçons  de 
V Èmi le  qu\  portent  le  millésime  de  1762,  quelques-unes  sont  antidatées. 
Ainsi  r.lj'/s  de  l'exemplaire  B  dit  assez  qu'il  s'agit  d'une  seconde 
édition.  Cet  Avis  se  retrouvera  dans  trois  éditions,  qui  porteront  les 
dates  de  1763,  1773  et  1774;  il  se  pourrait  que  ces  quatre  éditions 
fussent  contemporaines,  et  toutes  quatre  de  1773  ou  1774.  De  même, 
l'exemplaire  C  (Archives  J.  J.  Rousseau.  O  R  24 1  est  identique 
pour  la  pagination,  les  caractères,  la  justification  des  lignes  et  le 
nombre  des  feuilles  à  l'édition  dite  de  Leipzig,  que  je  crois  être 
l'édition  faite  par  Bruvset  :  mais  toutes  les  fautes  d'impression  qui 
avaient  été  relevées  dans  VErrata  de  l'édition  de  Leipzig  ont  disparu 
dans  celle-ci.  On  peut  en  conclure  qu'elles  sortent  toutes  deux  de  la 
même  imprimerie,  mais  que  l'exemplaire  C  est  postérieur  et  date  d'une 
époque  où  Bruvset  a  cru  pouvoir  rétablir  sans  crainte  sur  le  titre  de 
son  édition  le  nom  et  le  Privilège  de  Néaulme  '.  Les  deux  éditions 
sont,  d'ailleurs,  sauf  quelques  différences  insignifiantes,  identiques  à  une 
troisième,  qui  porte  aussi  le  nom  de  .Néaulme,  avec,  cette  fois,  la  date 
de  1765,  et  que  je  signalerai  plus  loin.  Cette  constatation  confirme,  ce 
me  semble,  la  conjecture  que  je  viens  de  présenter. 

5.  L'  «  Emile  »    du    vivant   de    Rousseau. 
Editions    postérieures  à    1762. 

Aucune  des  éditions  de  VÉinile  qui  ont  paru  du  vivant  de  Rousseau 
n'avant  été  revue  et  corrigée  par  lui.  leur  histoire  n'offre  qu'un  intérêt 
purement  bibliographique.  Je  les  présenterai  donc  très  rapidement. 


'  li  y  .1  encore  à  la  Bibliothèque  de  Genève,  sous  la  cote  Ce  \'i,  un  e.xemplaire 
identique,   pour  le  titre,   la   pagination,   les  caractères   et   la    justification,   à    l'exem- 


XC  INTRODUCTION 

A.  Emile  etc.;,  Amsterdam,  Néaulme,  1763,  avec  Privilège  ^etc.  J, 
4  vol.  in-12,  de  vii-338,  255,  240,  3 18  pp.  —  Titre  noir  et  rouge. 
Mauvaises  contrefaçons  d'Eisen.  Ali  t.  !.  p.  3 17.  le  même  Avis  que 
dans  l'e.Yemplaire  B  de  1762.  Chaque  volume  est  accompagné  d"une 
Table.  Profession  de  foi,  t.  III,  pp.  1-134.  (Bibliothèque  Nationale. 
R  22359-22362). 

B.  Emile  etc.  ,  Amsterdam,  Néaulme,  1764,  .\vec  Privilège  etc.*, 
4  vol.  in-12,  de  xi-338,  255,  240,  3  18  pp.  —  Sauf  la  date  du  titre  et  la 
pagination  de  la  Préface,  identique  au  précédent.  (Bibliothèque  Nationale, 
R  22363-22365.  —  Manque,  dans  cet  exemplaire,  le  t.  III). 

C.  Emile  [etc.],  Amsterdam,  Néaulme,  1765  ^pas  de  Privilège  indiqué 
sur  le  titre  ,  4  vol.  in-12,  de  x-442,  383,  328,  463  pp.  —  Titre  en  noir. 
Contrefaçons  d'Eisen.  Sauf  la  tin  du  titre,  sauf  quelques  légères  diffé- 
rences dans  les  lettres  ornées  et  la  numérotation  des  notes,  identique  à 
l'exemplaire  C  de  1762.  Bibliothèque  de  Genève,  Ce  447). 

D.  Emile  [etc.],  Amsterdam,  Néaulme,  1766,  Avec  Privilège  [etc.], 
4  vol.  in-12.  de  ?  .  333,  xxiv-265,  ?  pp.  —  Titre  en  noir.  Mauvaises 
contrefaçons  d'Eisen.  La  Table  des  matières  des  t.  III  et  1\'  se  trouve 
en  tète  du  t.  III,  paginée  xxi-xxiv.  Profession  de  foi.  t.  III,  pp.  i-i52. 
(Bibliothèque  Nationale,  R  22366.  —  Manquent,  dans  cet  exemplaire, 
les  t.  I  et  W). 

E.  Emile  [etc.],  Amsterdam,  Néaulme,  1768,  4  tomes  en  2  vol.  in-i  2, 
figures  d'après  Eisen.  —  .le  n'ai  pas  vu  cet  exemplaire,  dont  j'emprunte 
la  description  au  ('alalogue  n"  271)  de  la  librairie  Lucien  Cîougv  in"  1507 
de  ce  Catalogue). 

F.  Emile  [etc.],  Amsterdam.  Néaulme,  1772,  .\vec  Privilège  [etc.], 
4  tomes  en  2  vol.  in-12,  de  5  f"*^  non  chiffrés  et  21)6  pp.,  222  pp.  et 
i3  f"'-  non  chiffrés,  220  pp.,  292  pp.  et  S  f"'*  non  chiffrés.  —  Titre  en 
noir.  Contrefaçons  d'Eisen.  Sur  la  teuille  de  titre  du  t.  I,  avant 
Amsterdam,  une  couronne  de  chêne,  portant  au  centre  la  devise  :  Vitam 
impendere  vero.  Ces  quatre  volumes  forment  les  tomes  VII  et  VIII 
(chaque  tome  a  deux  parties  1  des  Œuvres  de  ./.  J.  Rousseau,  de  Genève, 
Nouvelle  Edition,  Revue,  corrigée  &  augmentée  de  plusieurs  morceaux 
qui  n'avoient  point  encore  paru.  A  .\msterdam.  chez  Marc-Michel  Rey, 
1772,  Avec   Privilège     etc.",    11    vol.  in-8.  tous   datés  de   1772.  Sauf  les 


plaire  C.  mais  les  fautes  d'impression  qui  avaient  été  relevées  dans  l'Errala  de 
l'édition  de  Leipzig  n'ont  pas  été  corrigées  dans  celle-ci.  C'est  donc  l'édition  de 
Leipzig,  avec  une  autre  page  de  titre. 


ÉDITIONS   POSTÉRIEURES   A    I762  XCI 

différences  de  titre,  identique  à  lexemplaire  D  de  1762.  (Bibliothèque 
de  Genève,  H  f  4001). 

G.  Emile  [cx.c.  ,  A  Amsterdam,  chez  Marc-Michel  Rev.  lyyS,  4  vol. 
petit  in-12.  de  vm-278,  207.  199.  267  pp.  —  Titre  en  noir.  .Mauvaises 
contrefaçons  dEisen.  Au  t.  I.  p.  257.  le  même  Avis  que  dans  l'e.xem- 
plaire  B  de  1762.  Profession  de  foi,  t.  111,  pp.  i-iii.  Archives 
.1.  J.  Rousseau.  O  R  191). 

H.  Emile  etc.",  .\  Amsterdam,  chez  .Marc-Mkhel  Rey,  1774,  Avec 
Privilège  etc.  ,  4  vol.  in-12,  de  xi-338.  255,  240.  3 18  pp.  —  Sauf  la  date 
du  litre,  identique  aux  e.xemplaires  A  et  B  de  cette  série.  (Bibliothèque 
de  Genève,  Ce  4481. 

L  Emile  etc.  Vignette  gravée  ,  .A  Londres.  1774,  2  vol.  in  4,  de 
iv-373  et  354  pp.  —  Forment  les  t.  III  et  IV  de  la  faux  titre  :]  Collection  ' 
complette  des  Œuvres  I  de  J.  ./.  Rousseau  \  avec  les  gravures  de 
J.  .M.  .Moreau  le  Jeune  ^  publiée,  de  1774  à  1783.  en  12  vol.  in-4,  sous 
la  rubrique  de  Londres,  mais  imprimée  en  réalité  à  Bruxelles  par  J.  L.  de 
Boubers  ;  cf.  Th.  Dufour  [4g],  IL  1681.  Titre  rouge  et  noir.  Texte  établi 
d'après  l'édition  originale  ;  cf.  non  seulement  :  talent  —  matérialisme, 
de  toute  espèce  —  dirai-je,  mais  encore,  à  la  «  Table  des  .Matières  ». 
Institut  pour  Instinct.  Profession  de  foi,  t.  11,  pp.  i-83.  (Bibliothèque 
Nationale,  Réserve  Z  1 356-1 359). 

Il  est  assez  difficile  de  savoir,  pour  plusieurs  de  ces  éditions,  quels 
ont  été  leurs  véritables  éditeurs.  «  L'imbécile  Néaulme  ».  comme  disait 
Bruyset  à  Rousseau  '.  contitue  à  v  jouer  un  rôle  passif.  11  va  sans  dire, 
qu'après  sa  rétractation  officielle  et  la  publication  de  YÉmile  chrétien,  il 
ne  pouvait  être  question  pour  lui  de  réimprimer  YÉmile  intégral.  E.l. 
d'ailleurs,  à  la  fin  de  1763.  il  avait  complètement  liquidé  son  fonds  de 
commerce  et  renoncé  aux  affaires  -.  Derrière  la  façade  de  Néaulme.  il 
se  dissimule  donc  des  contrefacteurs  avisés,  qui  veulent  donner  à  leur 
édition  une  apparence  d'authenticité,  et  qui  continuent  ainsi  à  faire 
peser  sur  l'imprudent  éditeur  le  poids  de  sa  première  faute.  11  se  pourrait 
que,  parmi  eux.  on  pût  compter  .Marc- .Michel  Rey  :  l'.Ay/s  qu'il  placera 
dans   ses  éditions  de   1773   et  de   1774.  et  qui   se  trouve  déjà  dans  les 


'  Lettre  du  2h  Décembre  1762  j^],  2". 

-  Cf.  son  Avertissement  au  Catalogue  d'une  nombreuse  collection  de  lii'res, 
.Vmsterdam  et  Berlin,  Néaulme,  1763,  2  vol.  in-S.  t.  I.  p.  5.  Le  début  de  \'Avertissemenl 
est  rempli  de  doléances  sur  le  dur  métier  d'éditeur.  irir<;ni]'nn  est  lirmnéte.  L"art'nire  de 
VÈmile  n'y  est  pas  étrangère. 


XCII  INTRODUCTIOX 

pseudo-édilions  Néaulme  datées  de  1762,  1763,  1764,  semblerait  indiquer 
que  ces  dernières  sortent  aussi  de  sa  maison.  Il  aura,  sans  doute,  trouvé 
plus  sage  de  ne  pas  mettre  son  nom  sur  des  exemplaires  de  YÈmile,  tant 
que  le  scandale  n"était  pas  amorti  et  l'interdiction  pratiquement  levée. 

6.  L'exemplaire  corrigé  et  l'édition  de  Genève. 

Rousseau  n'a  publié  de  son  vivant  aucune  édition  corrigée  de 
YÈmile.  mais  il  axait  revu  et  annoté  l'un  des  exemplaires  de  l'édition 
originale  en  vue  d'une  édition  nouvelle.  Cet  exemplaire  existe  encore. 
La  Bibliothèque  de  Genève  l'a  acheté  en  1854  du  docteur  .1.  P.  Maunoir. 
et  il  v  est  conservé  aujourd'hui  sous  la  cote  Ce  12. 

C'est  un  exemplaire  de  l'édition  in-r2.  ou  plus  exactement  des  bonnes 
feuilles  de  cette  édition  '.  11  est  donc  sans  cartons,  ce  qui  le  rend  déjà 
précieux.  Rousseau  a  eu  soin  de  le  faire  remarquer  lui-même  sur  la 
feuille  de  garde  du  t.  1  :  «  N.  [:i.  Cet  exemplaire  est  sans  cartons-,  et 
c'est  le  seul.  Ainsi  indépendamment  des  corrections,  il  importe  qu'il  ne 
soit  pas  changé  ».  Ces  «  corrections  »,  dont  parle  Rousseau,  ne  sont  pas 
simplement  des  notes  d'auteur  en  marge  d'un  lixre  qu'il  relit,  mais  la 
revision  minutieuse  d'un  texte  qui  doit  aller  à  l'imprimerie.  Beaucoup 
de  ces  corrections,  d'ordre  purement  typographique,  sont  accompagnées 
d'instructions  très  précises  pour  la  composition  ou  la  disposition  du 
texte.  Visiblement  les  feuilles  devaient  être  remises  telles  quelles  entre 
les  mains  de  l'imprimeur.  L'exemplaire  corrigé  offre,  d'ailleurs,  plusieurs 
corrections  de  fond,  surtout  des  additions  et  des  répliques  aux  niaises 
remarques  de  Formev.  On  trouvera  plus  loin  toutes  les  variantes  qu'il 
apporte  à  la  Profession  de  foi.  }c  n'v  insiste  donc  point.  Mais  ce  qu'il 
importe  de  fixer,  c'est  la  destination  et  la  date  de  cet  exemplaire. 

Auparavant  je  dois  signaler  un  autre  exemplaire  corrigé,  ou  plutôt 
complété:  exemplaire  aujourd'hui  perdu,  et  dans  lequel,  si  l'on  en  croit 
Corancez.  «  Rousseau  avait  fait  entrer  une  partie  des  idées  qu'il  n'avait 
pu  mettre  dans  la  première  [édition]  à  cause  de  leur  abondance...  Il  les 
avait  écrites  sur  des  cartes,  qu'il  réser\-ait  pour  une  nou\elle  édition. 
Elle  contenait  aussi  le  parallèle  de  l'éducation  publique  et  de  l'éducation 


'  Ces  bonnes  feuilles,  étant  très  grandes  de  marge,  ont  pu  l'aire  croire  qu'il 
s'agissait  de  l'édition  in-H  ;  mais  les  lettres  des  feuilles  sont  bien  celles  de  rin-12. 

'  Sur  ces  cartons,  et  le  texte  qu'ils  substituent  au  te.xte  primitif,  cf..  plus  haut,  ce 
que  j'ai  dit  de  l'édition  originale  et  de  l'édition  Néaulme. 


EDITION    DE    GENEVE  XCIII 

particulière,  morceau  qu'il  me  disait  être  essentiel  au  traité  d'éducation 
et  qui  manque  à  VÉmile  ».  Corancez  ajoutait  que  Rousseau,  à  la  fin  de 
son  séjour  en  Angleterre,  craignant  que  Choiseul  ne  i'v  fit  arrêter,  «  partit 
sans  argent,  sans  vouloir  embarrasser  sa  marche  d  effets  et  de  paquets 
qui  ne  fussent  pas  de  première  nécessité  :  c'est  dans  cette  occasion  qu'il 
brûla  la  nouvelle  édition  d'Emile  dont  j'ai  parlé  et  qu'il  m'avoua  regretter 
beaucoup  »  i.  Si  le  récit  de  Corancez  est  exact.  —  et  il  n'v  a  pas  lieu 
jusqu'ici  de  le  récuser.  —  cette  nouvelle  édition  aurait  été  postérieure  à 
l'exemplaire  corrigé  de  Genève,  qui  doit  se  placer,  comme  je  vais  le 
montrer,  aux  environs  de  lyô^.  Du  reste,  il  est  peu  probable  que  la 
Profession  de  foi  eût  été  beaucoup  modifiée  dans  cette  revision  du 
texte.  Les  conclusions  métaphysiques  auxquelles  Rousseau  était  arrivé 
lui  avaient  coûté  trop  de  peine  pour  qu'il  voulût  v  toucher  :  La  Lettre 
à  .\f.  de  Franquières  est  là  pour  en  témoigner  -. 

En  tout  cas.  l'exemplaire  de  Genève  a  été  revu  et  corrigé  avant  la 
préparation  de  cette  nouvelle  édition  dont  Corancez  nous  signale  la  perte. 
Et  voici,  semble-t-il,  qui  l'établit  avec  précision. 

Deux  ans  après  la  mort  de  Rousseau,  commençait  à  paraître  à 
Genève  une  Collection  complète  des  Œiwres  de  J.  J.  Rousseau  [i5]. 
Les  tomes  IV  et  \'  de  cette  édition  sont  remplis  par  Emile. 

(f"  Il  Collection  ^  Complète  '  des  Œivres  |  de  |  J.  J.  Rousseau.  | 
Tome  Quatrième.  ||  if"  2  Collection  I  complète  j  des  Œuvres  |  de  | 
J.  J.  Rousseau.  '  Citoyen  de  Genève,  j  To.me  Quatrième.  |  contenant 
les  I\  premiers  Livres  d'Emile,  !  ou  de  l'Education.  ;  A  Genève,  j 
.MDCCLXWII.  Il  (f"  3)  E.MILE.  ou  de  l'Education'.  |  To.me  Premier  i 
ii°  4)  Emile.  ;  ou  ,  de  l'Éducation.  |  par  J.  J.  Rousseau,  [  Citoven  de 
Genève    vignette  gravée  ,  Genève  .M.DCC.LXXX.   \ 

Ainsi  les  faux-titres  qui  situent  Emile  dans  la  Collection  portent  la 
date  de  1782,  le  titre  même  de  VEmile  1780.  De  même,  pour  le  t.  \'. 
Emile  remplit  dans  cette  édition  deux  vol.  in-4.  de  485  et  SSj  pp. 
La  Profession  de  foi  occupe,  au  t.  II,  les  pp.  i-i  12.  (Bibliothèque  Natio- 
nale, Réserve  Z  iSôS-iSôg.  L'exemplaire  des  Archives  J.  J.  Rousseau. 
O  R  i32,  ne  porte  pas  les  deux  feuillets  de  faux-titres,  et  VÉmile  occupe 
par  erreur  dans  la  Collection  les  tomes  11  et  IIL. 

Le   texte   de   cette   édition    de    1780   est    par   endroits   sensiblement 


'  De  J.  J.  Rousseau   255  ,  3o.  48. 
-  Çl".,  aux  Appeititces,  v,  p.  5i3  sqq. 


XCIV  INTRODUCTION 

différent  de  l'édition  originale.  Or,  saut  quelques  minuscules  différences, 
dues  à  l'étourderie  ou  à  la  négligence,  toutes  les  variantes  de  cette  édition 
se  retrouvent  dans  l'exemplaire  corrigé,  toutes  celles  de  l'exemplaire 
corrigé  se  retrouvent  dans  cette  édition  ;  et  il  n'y  a  d'autres  variantes 
dans  cette  édition  que  celle  de  l'exemplaire  corrigé.  Nul  doute,  par 
conséquent,  que  l'exemplaire  corrigé  ait  servi  à  préparer  l'édition.  Et 
cette  constatation  nous  permet  de  dater  ces  variantes.  Car,  comme  je 
l'ai  montré  ailleurs ',  l'édition  dite  de  Genève,  imprimée  en  1780-1782 
par  les  soins  de  Du  Peyrou,  représente  le  texte  qu'avait  préparé  Rousseau 
en  1764  pour  l'édition  générale  qu'il  projetait  et  qu'il  ne  réalisa 
pas  :  «  Ma  part  à  cette  contribution,  écrit  Du  Peyrou  à  Barruel-Beauvert. 
s'est  bornée  à  ce  que  l'auteur  lui-même  avait  préparé  pour  son  édition 
projetée  de  1764  (laquelle  ne  put  avoir  son  eff'et  par  une  suite  de 
circonstances  malheureuses),  matériaux  qu'à  son  départ  pour  l'Angle- 
terre il  laissa  entre  mes  mains.  En  les  livrant  à  l'impression  tels  qu'il 
les  avait  disposés  lui-même,  j'ai  rempli  ses  intentions  »  ^.  Ainsi  l'édition 
de  Genève,  postérieure  de  vingt  ans  à  la  première  édition  d'Emile,  nous 
offre  pourtant  une  Profession  de  foi  qui  a  été  revue  deux  ans  à  peine 
après  l'apparition  de  l'original. 

7.  Principales  éditions  revues  sur   les  Manuscrits. 

Toutes  les  éditions  qui  ont  paru  après  1782  ont  été  établies  d'après 
l'édition  de  Genève.  Elles  commencent  à  pulluler  :  et  il  serait  vain  de 
vouloir  ici  les  dénombrer.  J'indiquerai  seulement  —  et  très  brièvement 
—  celles  qui  offrent  un  intérêt  pour  le  texte  de  la  Profession  de  foi. 
Ce  sont  des  éditions  d'Œuvres  complètes. 

A.  L'édition  Poinçot,  dirigée  par  l'abbé  Brizard  M788-17931  [16". 
L'Emile  v  occupe  les  t.  Xi,  XII,  XIII.  et  la  Profession  de  foi,  au  t.  XII. 
(17921  les  pp.  5-173.  Comme  on  l'a  \u.  l'abbé  Brizard  a  eu  en  main 
des  notes  de  Rousseau  pour  son  Emile:  mais  il  ne  les  a  pas  utilisées. 
L'édition  Poinçot  reproduit  donc  simplement  le  texte  de  l'édition  de 
Genève.    Sa    seule    particularité    est    d'avoir    conservé,    à    la    fin    de    la 


'  Dans  une  note  des  .Annales  [49],  VI,  370-371. 

'  Lettre  du  3  Février  1789  [252],  i32.  Cf.  encore  le  témoignage  de  Rousseau  lui- 
même,  dans  une  Lettre  à  l'abbé  M  [aydieu]  (cf.  la  minute  à  Neuchàtel  [12  B]),  du 
14  Mars  1770,  XII,  206  :  «  Depuis  l'impression  de  l'Emile,  je  ne  l'ai  relu  qu'une  Ibis, 
il  y  a  six  ans  [c'est-à-dire  précisément  en  1764],  pour  corrit^er  un  exemplaire  ». 


EDITIONS    REVIES    SUR    LES    MANUSCRITS  XCV 

Pro/t'sxioii  de  foi,  VAmen  que  Du  Peyrou  avait  rétabli,  d'après  Rousseau, 
et  que  toutes  les  autres  éditions  ont  supprimé. 

B.  L'édition  Defer  de  Maisonneuve  (1793-1800)  17].  L'Emile  v 
occupe  les  t.  IN"  et  V  :  et  la  Profession  de  foi.  au  t.  V  (  1793  ?i  les  pp.  8-1 17. 
En  tète  du  t.  \'.  le  faux-titre  porte  :  Edition  collalionnée  sur  les  Manus- 
crits originaux  de  l  Auteur  déposés  au  Comité  d'instruction  publique. 
Le  te.\te  est  cependant  conforme,  sauf  VAmen  de  la  fin  et  de  menues 
différences,  à  l'édition  de  Genève;  mais,  à  la  fin  du  t.  Y,  l'éditeur  a 
publié  des  Variantes,  additions  et  correctiotis  recueillies  sur  le  Manuscrit 
de  l'Auteur  déposé  au  Comité  d'instruction  publique  de  la  Convention  : 
pp.  546-547,  on  trouvera,  en  effet,  cinq  variantes  d'après  le  .Manuscrit 
du  Palais-Bourbon.  Les  deux  premières  n'ont  pas  passé  dans  les  éditions 
suivantes.  —  On  a  vu  plus  haut,  p.  lxvi.  que  la  date  de  ijgS.  qui  se 
trouve  sur  le  titre,  est  très  suspecte  et  que  l'édition  date  vraisemblablement 
de  1795. 

C.  L'édition  Didot  1  1801)  ^18".  L'Emile  v  occupe  les  t.  ^  1  et  ^  IL 
et  la  Profession  de  foi.  au  t.  \'U.  les  pp.  3-io5.  La  base  du  texte  est 
l'édition  de  Genève:  il  n'v  a  pas  de  variantes  comme  dans  l'édition 
précédente;  mais,  à  plusieurs  reprises,  arbitrairement,  et  sans  le  signaler  ', 
l'éditeur  a  remplacé  le  texte  de  l'édition  originale  par  la  leçon  du 
Manuscrit.  J'ai  relevé  ainsi  douze  passages  où  le  lecteur,  sans  en  être 
averti,  n'a  plus  sous  les  yeux  qu'un  texte  rejeté  par  Rousseau  (pp.  23. 
34,  35.  3(î.  48,  84-85,  88,  89,  89-90,  91,  92,  93  notCi.  Inutile  de  s'arrêter 
longuement  à  cette  méthode  absolument  fantaisiste  et  sans  critique. 

D.  Lédition  Petitain  (1818-1S201  19  .  L'Emile  y  occupe  les  t.  Vlll 
et  IX,  et  la  Profession  de  foi,  au  t.  IX  (1820),  les  pp.  1-125.  Le  texte 
est  celui  de  l'édition  de  Genève  :  mais  Petitain  a  emprunté  au  .Manuscrit 
du  Palais-Bourbon  un  certain  nombre  de  variantes  (neufi,  qu'on  trou- 
vera au  bas  des  pages.  La  Préface  de  Petitain,  au  t.  VIII,  apportait 
(pp.  3-9'.  sur  les  éditions  antérieures  et  sur  les  Manuscrits  de  Rousseau, 
des  observations  judicieuses  et  des  renseignements  inexacts. 

Les  éditions  qui  ont  suivi  ont  généralement  utilisé  le  texte  de 
Petitain  ;  et  c'est  à  lui,  en  particulier,  que  la  vulgate  de  l'édition  Hachette 
a   emprunté    ses   quelques    Variantes.    Mais   toutes   ces   variantes,    d'où 


'  Sans  doute,  dans  V  Avertissement,  l'éditeur  reconnaît  volontiers  «  qu'il  n'a  pas 
balancé  à  rétablir  divers  passages  visiblement  altérés  ou  tout  à  l'ait  supprimés  »;  mais, 
après  cette  déclaration  générale,  il  s'est  dispensé  de  toute  indication  particulière. 


XCVI  INTRODUCTION 

qu'elles  viennent,  sont  arbitrairement  choisies,  et  ne  servent  qu'à  donner 
une  fausse  idée  du  Manuscrit  du  Palais-Bourbon.  En  dehors  d'une 
édition  critique  intégrale,  comme  celle  que  Ton  trouvera  ici,  le  seul 
te\te  qu'on  puisse  équitablement  offrir  au  public  est  celui  de  l'édition 
de  Genève,  à  condition  d'en  signaler  les  variantes  et  leur  origine. 


8.  Éditions  séparées  de  la  «  Profession  de  foi  ». 

Cette  édition  de  la  Profession  de  foi.  étant  une  édition  séparée,  je 
crois  devoir  terminer  cet  aperçu  bibliographique  en  rappelant  les  éditions 
partielles  qui  ont  précédé  celle-ci. 

A.  Le  \  Vicaire  \  Savoyard.  \  lire  du  livre  intitulé  j  Emile  \  de 
./.  J.  Rousseau  |  is.  1.  n.  d.),  brochure  in-8,  de  24  pp.  (Bibliothèque 
Nationale,  D  GSySo  .  Le  texte  commence  ainsi  :  «  C'est  le  Vicaire  qui 
parle  :  Oui  sici  toutes  les  religions  sont  bonnes  et  agréables  à  Dieu  », 
et  se  termine  par  :  «  il  faudrait  que  je  fusse  fou  pour  vous  écouter  avant 
ce  tems-là  ».  C'est  donc  une  Profession  de  foi  tronquée  et  purement 
«  philosophique  ».  comme,  d'ailleurs,  le  Recueil  d'où  elle  est  extraite. 
Cette  brochure  est,  en  effet,  le  tirage  à  part  d'un  des  chapitres  du  Recueil 
nécessaire.  \  Leipsik,  1765,  un  vol.  in-8  de  iv-3i.S  pp.  Le  Vicaire 
Savoyard  y  voisine  avec  VAnalvse  de  la  Religion  chrétienne,  par 
Dumarsais.  le  Catéchisme  de  f  honnête  homme,  le  Sermon  des  Cinquante. 
et  autres  tracts  contre  «  l'Infâme  ».  \oltaire,  qui  avait  fabriqué  cet 
«  arsenal  infernal  »  ',  avait  dû  être  fort  aise  de  faire  travailler  Jean-Jacques 
à  la  bonne  cause.  La  Profession  de  foi  occupe,  dans  ce  Recueil,  les 
pp.  61-S6  (Archives  J.  J.  Rousseau,  O  R  421. 

B.  Profession  \  de  foi  j  du  Vicaire  Savoyard.  \  par  ./.  ./.  Rousseau  :  | 
précédée  d'un  |  Essai  sur  la  nécessité  !  d  une  réforme  \  religieuse.  \  Deus 
charitas  est.  |  A  Paris,  |  à  la  Librairie  départementale  ,  de  Persan  et  C'"^,  | 
Rue  Villedot,  n"  4,  |  1822,  ]  un  vol.  in-24,  de  C  [.Avant  propos  et  Intro- 
duction] —  224  pp.  Texte  complet  .  (Bibliothèque  Nationale,  R  495901. 
Extrait  de  Y  Introduction,  pp.  ixxm-i.xxiv  :  «  Le  temps  de  railler  est 
passé,  celui  d'examiner  arrive...  En  provoquant  ces  analyses,  que  l'in- 
dépendance du  siècle  rend,  de  jour  en  jour,  plus  nécessaires,  on  a  pnur 
objet  de  séparer  du  principe  religieux  les  absurdités  qui  le  dégradent  ». 


'   Mcmoires  secrets,  7  Mai   1767  ^4'") '''"],  III.   i^^S. 


EDITIONS    SEPAREES  •  XCVII 

C.  Philosophie  populaire  '  par  X'ictor  Colsin,  |  suivie  de  la  Pre- 
mière Partie  \  de  la  Profession  de  foi  ,  du  |  Vicaire  Savoyard,  ,  sur 
la  morale  et  la  Religion  naturelle.  \  Paris,  j  Pagnerre,  Paulin,  j  Firmin- 
Didot,  I  1848,  I  un  vol.  in-! 2  de  102  pp.  (Bibliothèque  Nationale 
R  32634).  La  «  Première  Partie  »  de  la  Profession  du  Vicaire,  avec 
les  notes,  occupe  les  pp.  25-i02. 

Comme  l'indiquent  assez  les  titres  seuls  de  ces  éditions  partielles, 
elles  étaient  toutes  trois  destinées  à  la  propagande  philosophique  ou 
reliaieuse  '. 


1  La  Correspondance  littéraire  de  Grimm  44],  VI,  33o,  renferme,  à  la  date 
du  1"  .\oùt  1765,  le  renseignement  que  voici  :  «  Les  ouvrages  des  philosophes  franças 
modernes  ont  tous  pénétré  dans  ces  contrées  >n  Italie],  et  contribué  à  éclairer  leurs 
habitants  :  ils  en  sont  au  point  d'asoir  réimprimé  la  Profession  Je  foi  du  Vicaire 
Sai'oyard  sous  le  titre  de  Catéchisme  des  dames  de  Florence  ».  M.  .Mario  Schitt",  dont 
on  connaît  les  recherches  bibliographiques  sur  Rousseau  en  Italie  [283'"*],  6-7,  64-1)5, 
met  en  doute  l'e.xistence  de  cette  réimpression.  Il  croit,  avec  raison,  que  le  rédacteur 
de  la  Correspondance  a  mal  interprété  le  renseignement  qui  lui  avait  été  fourni. 
Il  est  vraisemblable  que  son  informateur  avait  voulu  simplement  lui  dire  que  la 
Pr.ifession  de  foi  était  devenue  comme  le  «  Catéchisme  des  dames  de  Florence  ». 


IIP  PARTIE 

MÉTHODE  DE  LA  PRÉSENTE  ÉDITION 


L'édition  que  je  publie  est  à  la  lois  une  édition  critique  et  une 
édition  historique.  La  richesse  des  matériaux  qui  sont  venus  s"offrir  à 
moi  rendait  impossible  de  présenter  tout  ensemble  les  rédactions 
successi\es  des  Manuscrits,  le  texte  de  l'édition  originale,  les  variantes 
de  l'édition  de  Genève  et  les  longs  c-ommentaires  où  j'essaie,  en  quelque 
sorte,  d'écrire  la  généalogie  intellectuelle  de  la  Profession.  J'ai  dû  diviser 
mon  tra\ail.  pour  le  rendre  à  la  fois  plus  profitable  et  plus  clair:  et  j'ai 
dû  présenter  séparément  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  genèse  du  livre  et 
la  genèse  des  idées.  On  verra  donc,  tout  le  long  de  cette  édition,  le  texte 
de  Rousseau  sous  ses  deux  aspects  extrêmes  se  développer  sur  deux  pages 
parallèles.  La  page  de  gauche,  purement  critique,  permet  de  suivre  la 
progression  de  l'œuvre  de  Rousseau,  depuis  les  débuts  que  nous  pouvons 
atteindre  jusqu'à  son  achèvement.  La  page  de  droite,  qui  est  surtout 
historique,  reproduit  l'édition  originale,  avec  les  quelques  variantes  de 
l'édition  de  Genève,  et  fait  connaître  les  sources  de  Rousseau,  .le  voudrais 
expliquer  brièvement  comment  j'ai  conçu  ces  deux  parties  de  mon 
travail,  et  quelle  espèce  d'enseignement  on  pourra  trouver  dans  cliacune 
d'elles. 


CHAPITRE  I 

PARTIE    CRITIQUE 

En  ce  qui  concerne  les  .Manuscrits,  dont  deux,  —  on  l'a  vu  —  sont 
de  véritables  brouillons,  surchargés,  raturés,  et  destinés  à  des  transfor- 
mations profondes,  j'ai  voulu  tout  à  la  fois  fournir  intégralement  leurs 
rédactions  successives,  et  dégager  de  ce  fouillis  apparent  un  texte  primitif, 
arbitrairement   reconstitué   peut-être,   mais   qui    permît  au    lecteur,   dans 


METHODE    DE    LA    PRESENTE    EDITION  XCIX 

l'état  actuel  des  documents,  d'apercevoir  le  point  de  départ,  d'où,  par 
une  série  d'étapes  contrôlables,  Rousseau  est  arrivé  à  son  texte  définitif. 

Sous  le  titre  de  Rédactions  Manuscrites,  je  donne  donc  le  plus 
ancien  texte  cohérent  et  complet  que  nous  puissions  aujourd'hui  atteindre  : 
c'est-à-dire  que.  si.  derrière  les  ratures,  je  puis  distinguer  un  texte  intelli- 
gible, achevé  et  grammaticalement  correct,  c'est  celui-là  que  je  présente 
d'abord.  Le  plus  souvent  ce  texte  est  fourni  par  le  .Manuscrit  Favre. 
Pour  quelques  pages  très  importantes,  on  peut,  comme  je  l'ai  indiqué, 
atteindre  un  texte  plus  ancien,  les  5^  et  i')'^  Lettres  à  Sop/iie:  mais, 
comme  il  est  impossible  de  faire  sur  ces  brouillons  le  départ  de  ce  qui 
a  été  adressé  à  Sophie  et  de  ce  qui  a  été  retouché  ou  ajouté  en  vue  de 
la  Profession,  je  ne  pouxais  substituer  ce  texte  à  celui  du  Manuscrit 
Favre,  et  j'ai  dû  le  rejeter  aux  Appendices.  Le  .Manuscrit  F"avre  est  un 
.Manuscrit  complet,  c'esi-à-dire  qu'il  ne  lui  manque  aucun  feuillet: 
mais,  par  rapport  au  texte  de  l'édition  originale,  il  offre  bien  des  lacunes  : 
lacunes  souvent  peu  considérables,  d'une  phrase  ou  deux,  qui  laissent 
intacte  la  phvsionomie  d'un  développement  ;  ces  lacunes  sont  alors 
respectées  dans  le  texte  suivi  que  j'essaie  de  reconstituer,  laissant  aux 
notes  le  soin  d'apprendre  au  lecteur  dans  quel  .Manuscrit  il  trouvera  la 
ou  les  phrases  manquantes.  Quand  les  lacunes  sont  plus  importantes, 
quand  il  manque  des  paragraphes  ou  des  développements  entiers,  j'ai 
rétabli  dans  le  texte  ces  paragraphes  et  développements,  en  me  servant 
du  .Manuscrit  où  ils  apparaissent  pour  la  première  fois.  Outre  les  indi- 
cations marginales  qui  font  connaître  ces  changements  de  .Manuscrits, 
la  différence  des  caractères  permettra  facilement  de  distinguer  ces  diffé- 
rents apports,  et  d'en  dégager,  au  premier  coup  d'œil,  le  texte  primitif. 
A  l'aide  de  signes,  dont  on  trouvera  plus  loin  le  tableau,  j'indique  dans 
l'intérieur  même  de  ce  texte  les  mots  et  phrases  barrés,  ajoutés,  ou  repris 
après  avoir  été  barrés.  On  trouvera  dans  les  notes,  —  avec  les  indications 
de  Rousseau  étrangères  au  texte,  —  les  mots  inachevés,  les  premiers 
jets  interrompus,  comme  aussi  les  mots  ou  phrases  substitués  à  ceux 
qu'il  a  barrés. 

On  aura  ainsi  devant  soi  un  texte  un  et  cohérent,  qui  offrira  partout 
la  plus  ancienne  rédaction  saisissable.  mais  qui  sera,  je  ne  me  le  dissi- 
mule pas,  composite  et  arbitraire.  .Xon  seulement  il  groupera  en  un 
tout  des  rédactions  empruntées  à  des  .Manuscrits  différents,  mais,  dans 
l'intérieur  d'un  même  .Manuscrit,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  il  laissera  sur 
le  même  plan  des  rédactions  d'époques  différentes,  des  phrases  du 
premier  jet,  qui  ont  été  barrées,  à  côté  de  phrases  qui  ont  été  ajoutées 


C  INTRODUCTION 

lors  d'une  revision  postérieure.  Enfin  il  semblera  mettre  au  compte 
di  Rousseau  des  formules  malheureuses,  qu'il  a  été  le  premier  à  sup- 
primer aussitôt  écrites.  Ce  serait  évidemment  trahir  l'écrivain  et  le 
philosophe  que  de  présenter  ce  te.xte  comme  ayant,  à  un  moment  quel- 
conque de  la  composition,  traduit  sa  véritable  pensée.  jMais  ces  incon- 
vénients disparaissent,  si  l'on  prend  ce  texte  pour  ce  qu'il  \eut  être, 
pour  un  instrument  de  travail,  qui  permettra  à  un  lecteur  avisé  d'assister 
à  la  genèse  d'une  œuvre  de  première  importance:  car  la  disposition  du 
texte  est  telle,  que  chaque  phrase  et,  pour  ainsi  dire,  chaque  mot  portent 
avec  eux  leur  histoire,  comme  si  on  les  lisait  sur  les  Manuscrits  mêmes. 
Ainsi  ce  texte  est  composite  et  arbitraire,  sans  doute;  mais  il  montre 
lui-même  comment  on  l'a  composé,  et  fournit  le  moyen  d'en  établir  un 
autre,  si  l'établissement  de  celui-ci  ne  paraissait  pas  justifié. 

Voulant  donner  intégralement  les  variantes  des  différentes  rédactions 
OLi  copies,  et  les  donner  dans  leur  succession  chronologique,  sans  toute- 
fois grossir  démesurément  l'appareil  critique,  \oici  comment  j'ai  procédé. 
Les  Manuscrits  ont  été  classés  dans  l'ordre  de  dépendance  réciproque 
que  j'ai  exposé  plus  haut,  et  qui  est.  sauf  pour  le  texte  envové  à  .Moultoti. 
l'ordre  chronologique.  (Chaque  Manuscrit  a  été  désigné  par  Line  lettre 
qui  rappelât  l'une  de  ses  principales  particularités  et  qui  kii  constituât, 
en  quelque  sorte,  une  phvsionomie  facilement  reconnaissablc  :  F, 
.Manuscrit  de  M.  Léopold  Favre  :  B,  «  BroLiillon  »  dLi  Palais-Bourbon  ; 
M,  Copie  envovée  à  Moultou  :  I,  Copie  destinée  à  l'Impression.  ,\insi 
classées,  chacune  de  ces  rédactions  ou  copies  n'a  été  examinée  que  par 
rapport  à  la  précédente,  et  j'ai  pris  comme  principe  que  toute  correc- 
tion ou  addition  faite  dans  l'une  de  ces  rédactions  était  considéiée 
comme  a\ant  passé  dans  la  suivante.  Je  suppose,  par  exemple,  que 
Rousseau  ait  écrit  dans  F  une  phrase  qu'il  ait  ensuite  barrée.  La  dis- 
position du  texte  permettra  de  s'en  rendre  compte.  Si  cette  phrase 
manque  dans  B,  comme  il  arrive  le  plus  souvent,  l'appareil  critique 
n'enregistrera  pas  ce  manque;  il  notera,  au  contraire,  le  cas  beaucoup 
plus  rare  où  Rousseau  serait  revenu  à  son  texte  primitif.  De  inème  pour 
les  [additions  :  leur  passage  de  F  en  B,  puis  en  M,  ne  sera  pas  signalé. 
tandis  [que  leur  disparition  éventuelle  le  sera.  Seul  le  .Manuscrit  I, 
c'est-à-dire  celui  qui  a  servi  à  l'impression,  a  été  examiné,  non  par 
rapport  à  M,  mais  par  rapport  à  l'édition  originale,  dont  il  ne  difiere 
que  rarement:  en  sorte  que  l'appareil  critique  enregistrera  pour  I,  non 
les  modifications  que  cette  dernière  copie  apporte  aux  rédactions  précé- 
dentes,  mais  simplement  les  légères  variantes  où  elle  s'écarte  dii   texte 


r 


METHODE    DE    LA    PRESENTE    EDITION  CI 

imprimé  el  les  lacunes  qu'elle  présente  par  rapport  à  lui.  Ainsi  les  notes 
se  trouveront  très  allégées,  tout  en  permettant  de  reconstituer  toutes  les 
étapes  du  développement. 

Le  spectacle  de  ce  texte  en  formation  pourra  nous  apporter  des 
renseignements  précieux  sur  le  dessein  de  Rousseau  dans  la  Profession. 
sur  sa  psvchologie  d'écrivain  et  sur  les  procédés  de  son  art.  On  a  déjà 
vu  ce  que  ces  différents  .Manuscrits,  rapprochés  l'un  de  l'autre,  pouvaient 
nous  apprendre  sur  la  composition  de  l'œuvre,  sur  l'évolution  philoso- 
phique et  religieuse  de  Rousseau  durant  les  années  où  la  Profession 
lie  foi  est  restée  en  chantier.  Dans  le  détail,  ils  nous  réservent  bien  des 
confidences.  Leurs  phrases  plus  spontanées,  où  l'angoisse  de  la  recherche 
et  l'allégresse  de  la  victoire  se  manifestent  plus  ingénùmeni,  mettent 
davantage  en  valeur  l'importance  du  drame  intime  qui  se  joue  derrière 
le  discours  du  \'icaire:  et.  pour  emplover  précisément  une  formule  qu'ils 
nous  ont  conservée,  ils  nous  font  sentir  que  ce  qui  est  ici  en  question 
pour  Jean-Jacques  c'est  «  le  repos,  l'espoir  et  la  consolation  de  sa  vie  »  '. 
La  rédaction  définitive  a  perdu  certaines  vivacités  de  dialogue  -.  où 
passait  l'ardeur  de  la  dispute  ;  disparus  aussi  les  hvmnes  fervents  en 
l'honneur  de  la  «  \'érité  sainte  ».  entonnés  par  le  pèlerin  sous  le  porche 
du  «  sanctuaire  »  *.  ou  les  cris  de  triomphe  qu'arrache  la  certitude  enfin 
conquise  :  «  \oyez.  disait  Jean-Jacques,  quelles  grandes  découvertes  j'ai 
faites!  ...  \'ovez  que  d'importantes  conséquences  suivent  ma  première 
découverte  »  *  !  Dans  ces  naïves  exclamations,  on  sent  la  joie  d'un 
homme  qui  cherche  à  s'assurer  «  le  vrai  prix  de  la  vie  »  ^  et  qui  l'a 
conquis.  La  Profession  de  foi  abonde  en  redites  :  scrupules  d'une 
honnête  et  candide  intelligence,  qui  craint  toujours  de  ne  pas  «  s'entendre 
elle-même  »  et  de  «  faire  du  galimatias  »  '';  retours  en  arrière  d'une  àme 
inquiète,  hantée  par  certains  problèmes,  qu'elle  ne  croit  jamais  avoir 
assez  résolus.  Les  Manuscrits,  que  l'auteur  n'a  pas  encore  ébranchés, 
nous  révèlent  cet  état  d'esprit  presque  maladif  :  l'argumentation  sur  les 
qualités  essentielles  à  la  matière  y  reparait  comme  un  refrain,  j'allais 
dire    :    comme    une    idée    fixe  ".   Ils    nous    permettent    aussi   de    mieux 


'  Cf.  dans  la  présente  édition,  p.  5S. 

■'  Id.,  178. 

'  Id.,  238-240. 

*  Id..  184,  204. 

5  Id..  33. 

«  Id.,  188. 

^  Id.,  c^•cp.  loo-ioi,  112-113.  114,  170. 


cil  INTRODUCTION 

comprendre  les  inceriitudcs  et  les  illogismes  de  la  pensée  de  Rousseau. 
Tel  passage,  dont  la  place  nous  surprend,  n'est  \enu.  en  elt'et.  l'occuper 
qu'après  avoir  figuré  ailleurs  dans  une  rédaction  plus  ancienne  ^.  Cette 
idée,  qui  semble  mal  s'adapter  à  sa  voisine,  représente,  en  effet,  une 
surcharge  très  postérieure.  L'exemplaire  le  plus  caractéristique,  à  ce  point 
de  vue.  est  la  petite  dissertation  du  X'icaire  sur  l'inimortalité  de  l'âme  et 
les  peines  éternelles.  Tous  les  svsièmes  et  tous  les  sentiments  s'y  trouvent 
mêlés  :  la  révolte  et  l'humilité,  l'intransigeance  rationaliste  et  la  résigna- 
tion pieuse,  la  pitié  humanitaire  et  l'individualisme  égoi'ste,  l'Evangile 
et  Morellv,  Descartes  et  les  Psaumes,  Malebranche  et  Marie  Huber  ^. 
Les  .Manuscrits  nous  rendent  sensibles  ces  apports  disparates,  résidus 
accumulés  et  imparfaitement  fondus  de  lectures  et  d'émotions  diverses 
pendant  trois  ou  quatre  années.  Souvent  aussi,  une  formule  de  premier 
jet  nous  livre  la  pensée  propre  de  Jean-.Iacques.  et  nous  montre  l'effort 
qu'il  doit  s'imposer  pour  intellectualiser  ses  sentiments,  pour  présenter 
en  un  corps  de  doctrine  modérée  ce  qui  est  avant  tout  chez  lui  instinct 
et  impulsivité.  Précisément,  dans  cette  discussion  sur  les  sanctions 
ultra-terrestres,  on  voit,  grâce  aux  .Manuscrits,  Jean-Jacques  se  rebeller, 
comme  «  philosophe  ».  contre  les  peines  éternelles,  mais  accepter  sans 
trop  de  scrupules  un  «  enfer  »  pour  les  «  .Méchants  »,  en  homme  qui  a 
souffert  par  eux  :  «  Que  m'importe  ce  que  deviendront  les  méchants, 
s'écrie  le  V'icaire!  je  ne  prends  aucun  intérêt  à  leur  sort  ».  A  la  réflexion, 
il  se  contentera  d'v  «  prendre  peu  d'intérêt  »  ■'■.  mais  l'espérance  secrète 
s'est  trahie,  et  se  trahit,  de  nouveau,  un  peu  plus  loin  :  «  le  méchant 
seul  veut  le  mal  et  le  prémédite,  le  méchant  seul  sera  puni  »  '.  .Ailleurs 
encore,  Rousseau  supprimera  un  aveu  peut-être  imprudent  :  «  n'est-on 
pas  payé  du  bien  qu'on  a  fait  sitôt  qu'il  est  \u?  il  ne  nous  manque,  pour 
être  justes,  que  d'être  toujours  regardés  »  ^ ;  il  atténuera  ses  ironies  contre 
la  «  philosophie  »  contemporaine,  «  la  plus  sotte  et  la  plus  présomptueuse 
de  toutes  celles  qui  ont  encore  existé  »  ''.  .Mais,  quelque  importantes  que 
puissent  être  ces  retouches  de  sentiment  et  de  pensée,  les  plus  nombreuses 


•  Cf.  le  morcellement  de  l,i  discussion  sur  les  .Tttributs  de  Dieu,  pp.  1^4-1.12 
et  224-229  de  cette  édition. 

■  Cf.  d.Tns  la  présente  édition,  pp.  iqq-219,  et  les  notes  3  de  la  p.  201.  et  de 
lii  p.  21g. 

"  Id.,  214  et  note  fi. 

■'  Id.,  286. 

s  Id..  284. 

"  Id.,  234-236. 


METHODE    DE    LA    PRESENTE    EDITION'  CIII 

sont  des  retouches  dart.  J'ai  dit.  dans  une  autre  étude  ',  quel  était,  à 
ce  point  de  vue.  l'intérêt  des  Manuscrits  de  Rousseau.  Ceux  de  la 
Profession  de  foi.  moins  significatifs,  sans  doute,  que  ceux  de  la  Julie. 
apportent  cependant  un  témoignage  analogue.  On  pourrait,  avec  eux, 
composer  tout  un  dictionnaire  des  svnonymes.  Que  de  fois  nous  voyons 
Jean-Jacques  hésiter  entre  «  pompe  »  et  «  magnificence  ».  entre  «  honorer» 
et  «  vénérer  ».  entre  «  admirer  »,  «  observer  »  et  «  remarquer  »  -,  etc. 
Certains  textes  de  la  Profession  sont  même  privilégiés,  parce  que  les 
Manuscrits  qui  nous  restent  nous  en  conservent,  semble-t-il,  tous  les 
états  successifs  :  par  exemple,  le  .lever  du  soleil  sur  la  plaine  du  Pô, 
l'apostrophe  à  Helvetius,  le  morceau  sur  «  la  beauté  de  l'Évangile  »  •'. 
Ce  dernier  surtout  mérite  notre  attention,  car  nous  pouvons  assister  à 
sa  naissance  dans  une  note  marginale,  et  en  suivre  l'élargissement  et 
l'orchestration  progressi\e  jusqu'au  texte  de  la  dernière  rédaction,  si 
savant,  si  équilibré,  si  artiste,  et  pourtant  si  ému. 


CHAPITRE  II 

PARTIE    HISTORIQUE 

il  V  a  tant  d'atlirmations,  et  de  tant  de  sortes,  dans  la  Profession 
de  foi.  qu'un  commentaire,  qui  voudrait  essaver  d'en  faire  la  critique, 
constituerait  une  xéritable  encyclopédie,  où  le  théologien,  l'exégète,  le 
métaphysicien,  le  psvchologue.  le  physicien,  le  naturaliste,  le  chimiste, 
et  même  l'alchimiste,  devraient  s'entr'aider. ..  et  peut-être  se  nuire.  Outre 
que  les  dimensions  de  ce  volume  ne  me  le  permettaient  guère,  il  eût  été 
pour  moi  aussi  périlleux  qu'impertinent  de  vouloir  jouer  tous  ces  rôles 
à  la  fois.  Mon  commentaîre  est  donc  strictement  historique  :  et  les 
quelques  remarques  grammaticales  ou  linguistiques,  que  j'ai  cru  devoir 
présenter,  sont  toutes  conçues  de  ce  point  de  vue.  Il  fallait  d'abord 
retrouver  les  textes  auxquels  Rousseau  fait  allusion  par  des  on  dit. 
ou    toute    autre    formule    imprécise,    et    qui    sont    empruntés    le    plus 


'  Comment  connaître  .lean-Jacques    291J,  881-882. 

'  Cf.  dans  la  présente  édition,  pp.  34,  note  19,  i32,  note  6,   i5-),  note  10,  etc. 

»  Id.,  32-34.  i-'i4-!5«,  398-415. 


CIV  INTRODUCTION 

souvent  aux  ouvrages  «  philosophiques  »,  qu'il  réfute.  Je  crois  être 
parvenu  à  identifier  presque  toutes  ces  citations  dissimulées  '.  On  verra 
qLic  Rousseau,  dans  ses  ripostes,  ne  vise  pas  seulement  des  ouvrages 
imprimés  :  il  répond  aussi  à  des  ouvrages  manuscrits,  qui  circulaient 
sous  le  manteau,  et  qui  ne  devaient  être  publiés  qu'après  la  Profession, 
mais  que  des  lecteurs  avertis  pouvaient  reconnaître  au  passage.  De  ces 
œuvres  audacieuses  qu'il  avait  lues  et  méditées,  l'une  d'elles.  VExamen 
de  la  Religion  [ijS],  se  trouve  encore  parmi  ses  papiers  7  ;  il  en  lisait 
d'autres,  comme  la  Lettre  de  Tlirasybule  à  Leucippe  189  ,  au  moment 
où  il  critiquait  la  Profession,  et  nous  en  vovons  aujourd'hui  les  extraits 
dans  ses  cahiers  de  brouillons.  Les  rapprochements  qu'on  trouvera  dans 
le  commentaire  attesteront  de  même  qu'il  avait,  sans  doute,  lu  en 
manuscrit  Le  Militaire  philosophe  [i3o'^'^,  l'Examen  critique  des 
Apologistes  [i35],  le  Despotisme  oriental  233],  Le  Christianisme 
dévoilé  234],  peut-être  même  Le  Système  de  la  Xatiire  [248'^"*].  Ainsi 
la  Profession  de  foi  nous  apparaîtra  comme  une  a'U\re  dont  l'actualité 
anticipe  l'avenir,  et  qui  attaque,  derrière  la  «  philosophie  »  du  jour,  le 
«  philosophisme  »  du  lendemain. 

J'ai  essayé,  en  outre,  de  retrouver  les  origines  de  la  science  et  de 
l'érudition  de  Rousseau  :  on  connaîtra  les  livres,  illustres  ou  inconnus, 
qui  ont  alimenté  sa  mémoire,  Montaigne,  Bayle,  Basnage,  Lami,  Calmet, 
Vcrnet.  Beausobre  et  tant  d'autres:  et  l'on  remarquera  que,  si  VEncyclo- 
pédie  lui  a  appris  bien  des  choses,  il  a  gardé  comme  encvclopédie  porta- 
tive celle  qu'il  avait  pratiquée  dès  les  Charmettes,  Saint-.'\ubin  et  son 
Traité  de  l  opinion  ,141]  "■ 

On  verra  aussi  quelles  sont  parfois  les  occasions  biographiques,  si 
l'on  peut  ainsi  parler,  qui  ont  mis  en  branle  sa  sensibilité  ou  enrichi  son 
vocabulaire.  C'est,  par  exemple,  dans  les  Lettres  c?  itiques  de  \'ernet,  qui 
lui  avaient  été  envoyées  par  Rey,  qu'il  a  trouvé,  presque  en  dernière 
heure,  et  le  mot  de  «  philosophiste  ».  et  une  nouvelle  ardeur  pour 
combattre  la  «philosophie»-^.  Comme  il  arrive  souvent  chez  Rousseau, 


'  J'.ii  échoué  pour  l'une  d'elles,  comme  on  s'en  rendra  compte  en  lisant  la  note  2 
de  la  p.  ii3.  «  Quand  on  me  dit,  s'écrie  le  Vicaire,  que  le  mouvement  ne  lui  est  pas 
essentiel  [à  la  matière],  mais  nécessaire,  on  veut  me  donner  le  change  par  des  mots 
qui  seroient  plus  aisés  à  réfuter,  s'ils  avoient  un  peu  plus  de  sens  ».  Cette  formule 
semblerait  indiquer  que  Rousseau  a  en  vue  un  texte  précis.  Je  n'ai  pas  su  le  retrouver. 

'  Sur  cette  influence  de  Saint-.\ubin,  cf.  mon  article  Sur  les  sources  de  Rousseau 
[292],  640-641. 

'  Cf.,  dans  la  présente  édition,  p.  537. 


METHODE    DE    LA    PRESENTE    EDITION'  CV 

le  texte  de  la  Profession  contient  des  allusions  qui  ne  pouvaient  être 
comprises  que  d"un  très  petit  nombre  ;  la  boutade  un  peu  étrange  : 
«  Qu'un  moine  nie  un  dépôt  !  Que  s"ensuit-il,  sinon  qu'un  sot  le  lui  avait 
confié  »?  —  est  une  réponse  directe  à  une  Lettre  de  .M.  d'OftVeville '. 
Le  commentaire  replace  dans  la  vie  ces  formules  générales. 

Le  reste  des  notes  est  fourni  par  les  textes  qui  éclairent  celui  de 
Rousseau,  et.  en  quelque  sorte,  le  commentent.  Sauf  les  remarques  de 
^'oltaire.  trop  caractéristiques  pour  être  négligées,  sauf  quelques  autres 
exceptions  très  rares,  qui,  je  crois,  peuvent  également  se  justifier,  — 
tous  ces  textes  sont  antérieurs  à  la  Pi'ofession  de  foi,  ou,  tout  au  moins, 
ses  contemporains.  La  plupart  ont  été  certainement  lus  par  Rousseau, 
comme  on  pourra  s'en  assurer  en  e.xaminant  les  références  que  j'ai 
apportées  dans  la  1 11^  Partie  de  la  Bibliographie  :  les  autres  ont  pu  être 
lus  par  lui  :  mais,  quand  bien  même  ils  ne  l'auraient  pas  été,  ils  ont 
contribué  à  former  l'atmosphère  intellectuelle  et  morale  où  s'est  mûrie 
la  pensée  de  Rousseau.  Ces  différents  textes  constituent  donc  ce  que  l'on 
pourrait  appeler  les  «sources»  de  Rousseau,  à  condition  de  prendre  ce  mot 
au  sens  large,  et  de  ne  point  voir,  dans  tous  les  rapprochements  que  je 
présente,  des  influences  directes,  à  plus  forte  raison,  des  «  plagiats  ». 
comme  disait  l'incivil  Cajot,  —  il  v  en  a  pourtant  quelques-uns,  —  mais 
plutôt  des  influences  enveloppantes,  des  parentés  qui  permettront  de 
suivre,  à  travers  le  X\'II1<=  siècle,  la  généalogie  d'une  doctrine.  L'expé- 
rience est  décisive,  il  me  semble,  pour  la  Profession  de  foi.  On  s'aper- 
cevra, en  achevant  la  lecture  du  commentaire,  qu'il  n'v  a  guère  une  idée 
formulée  par  le  Vicaire  qui  n'eût  été  formulée  avant  lui  ;  que,  depuis  la 
théorie  du  jugement  jusqu'au  parallèle  de  Socrate  et  de  Jésus,  depuis 
l'exaltation  de  la  Conscience  jusqu'au  réquisitoire  contre  les  «  philoso- 
phistes ».  tout  avait  été  dit  et  redit  par  les  moralistes  ou  les  apologistes 
antérieurs,  et  que  la  seule  originalité  de  la  Profession,  d'ailleurs  si 
originale,  réside  dans  l'accent  et  dans  l'élan  qui  emporte  le  tout.  Le 
commentaire  vérifie,  par  là  même,  la  si  juste  intuition  de  Mme  de 
Staël  :  «  il   n'a  rien  découvert,  mais  il  a  tout  enflammé  »  -. 


'  Id.,  p.  538. 

'  De  La  Littérature,  I.  20  [71  ^^1,  IV.  392. 


S* 


CVI  INTRODUCTION 


CHAPITRE  III 

EXPLICATIONS  PRÉLIMINAIRES  ET  SIGNES  CONVENTIONNELS 

Pour  rendre  intelligibles  tous  les  documents  que  j'ai  ramassés  dans 
cette  édition,  et  les  laisser  parler  eux-mêmes,'  sans  les  entourer  perpé- 
tuellement d'explications  fastidieuses,  j'ai  dû  multiplier  les  signes 
conventionnels  et  les  procédés  graphiques.  Ils  ont  une  valeur  dilférente 
suivant  l'endroit  où  ils  sont  emplovés.   En   voici  le  tableau  : 

I.  Côté  de  r  «  Edition  originale  ». 

Le  texte  de  l'édition  originale  a  été  reprodtiit  scrupuleusement. 
Seules,  les  fautes  d'impression,  signalées  ou  non  par  Rousseau,  ont  été 
corrigées;  mais  le  lecteur  en  a  été  averti,  sauf  quand  ces  fautes,  pure- 
ment tvpographiques,  se  corrigeaient  d'elles-mêmes;  ainsi  :  devoir  pour 
devait  i,  pourtanr  pour  pourtant  '-.  Dans  l'intérieur  de  ce  texte,  la 
ponctuation,  les  guillemets,  les  capitales,  les  caractères  italiques  sont 
conformes  à  l'original.  Pour  permettre  de  s'orienter  plus  facilement 
dans  l'argumentation  du  Vicaire,  j'ai  divisé  son  discours  en  parties  et 
en  développements,  et  j'ai  placé  dans  des  cartouches  les  litres  que  j'ai 
cru  pouvoir  donner  à  chacun  d'eux. 

Les  notes  sont  de  trois  sortes  : 

ai  les  noies  de  Roiisseiiii.  Elles  sont  rattachées  au  texte,  comme  dans 
l'original,  par  un  astérisque  i*). 

h)  les  notes  critiques.  Elles  sont  peu  nombreuses,  et  rattachées  au 
texte  par  des  lettres  minuscules,  a,  b,  c,  etc.  —  Elles  signalent  les  fautes 
d'impression  de  l'édition  originale  qui  n'ont  pas  été  reproduites  dans 
celle-ci,  les  leçons  nouvelles  de  l'exemplaire  corrigé,  qui  sont  devenues, 
presque  toutes,  les  leçons  de  l'édition   de  Genève,  publiée  par  les  soins 


'  P.  94  de  l'édition  originale.  225  de  la  présente  édition. 

'  P.  19S,  note,  de  l'édition  originale,  455  de  la  présente  édition. 


METHODE    DE    LA    PRESENTE    EDITION  CVII 

de  Du  Pe\rou  en  1780-1782     i5  .  L'exemplaire  Corrigé  est  indiqué  dans 
ces  notes  par  la  lettre  C;  l'édition  Du  Peyrou  par  la  lettre  D. 

ICI  les  notes  liixtoriques.  Ce  sont  de  beaucoup  les  plus  nombreuses 
et  les  plus  importantes  :  elles  sont  rattachées  au  texte  par  des  chiffres 
arabes,  /.  2.  3,  etc.  —  Dans  ces  notes,  les  caractères  italiques  ont  été 
emplovés  conformément  aux  habitudes  courantes,  soit  pour  attirer 
l'attention  sur  un  passage  important,  soit  pour  isoler  le  titre  d'un 
ouvrage  ou  d'un  recueil.  Dans  tous  les  textes  cités,  qu'ils  aient  été 
pris  dans  des  livres  imprimés  ou  dans  des  manuscrits  autographes, 
l'orthographe  originale  n'a  pas  été  respectée  :  elle  a  été  partout  uni- 
formisée et  modernisée.  Enfin,  pour  alléger  les  notes,  le  titre  des  ouvrages 
cités  a  été  réduit  au  minimum  :  les  chiffres  entre  crochets  renvoient  au 
numéro  de  la  Bibliographie  sous  lequel  le  texte  ou  le  livre  utilisé  a 
son  signalement  détaillé.  Le  chiffre  romain  qui  vient  après  les  crochets 
désigne,  sauf  indication  contraire,  le  tome,  et  le  chiffre  suivant  la  page 
ou  le  folio  1. 

2.  Côté  des  «  Rédactions  Manuscrites  ». 

J'ai  exposé  plus  haut  les  principes  d'après  lesquels  j'avais  cru  pouvoir 
reconstituer  ce  texte  dit  des  «  Rédactions  manuscrites  ».  Il  me  reste  à 
dire  ici  comment  je  l'ai  transcrit. 

Les  deux  brouillons  auxquels  il  est  le  plus  souvent  emprunté  n'ont 
qu'une  ponctuation  rudimentaire.  J'aurais  pu  me  mettre  à  l'aise  avec 
elle,  en  me  rappelant  la  permission  de  Rousseau  à  Néaulme  :  «  A 
l'égard  des  virgules,  mettez-en  tant  qu'il  vous  plaira:  je  vous  les  aban- 
donne, puisque  cela  vous  fait  plaisir  »  -.  Mais  j'ai  préféré  la  respecter 
partout,  sauf  à  la  fin  des  phrases,  où  j'ai  introduit  le  point  chaque  fois 
qu'il  manquait.  De  même  j'ai  donné  une  majuscule  initiale  au  premier 
mot  de  chaque  phrase.  Je  n'ai  pas  conservé  les  abréviations  familières 
à  Rousseau  :  pr  pour  premier,  h  :  pour  homme,  m  pour  même,  ce  pour 
comme,  q  barré  pour  qui,  etc.  J'ai  développé  tous  ces  sigles. 

Pour  l'orthographe,  j'ai  longtemps  hésité.  Tout  uniformiser  et  moder- 
niser, c'était  enlexer  à  ces  textes  leur  ph\sionomie  propre,  d'autant  plus 
nécessaire  à  conserver  qu'il  s'agissait  de  brouillons.  Adopier,  comme  l'a 


'  Cf.  encore  le  Xota-Bene  qui  se  trouve  à  la  première  paj,'e  du  texte. 
■  Lettre  du  29  janvier  1762    40 '"-  ,  109. 


CVIII  INTRODUCTION 

fait  iM.  Théophile  Dufour  pour  La  Première  Rédaelion  des  «  Confes- 
sions »  38\  lorthographc  du  Dictionnaire  de  l'Académie  française. 
édilion  de  1762,  eût  pu  paraître  tentant  pour  Line  œuvre  qui  a  précisé- 
ment paru  en  1762  :  mais  c'eût  été  supprimer,  arbitrairement  semble-t-il, 
certaines  graphies  particulières  à  Rousseau,  comme  religion,  degré,  etc. 
i,a  même  objection  eût  été  valable,  si  j'avais  emprunté  l'orthographe  de 
l'édition  originale.  Restait  donc  l'orthographe  des  Manuscrits.  11  va 
sans  dire  qu'elle  n'est  pas  constante  :  elle  n'est  pas  la  même  dans  un 
brouillon  rapide  comme  le  Manuscrit  Favre  et  dans  une  copie  à  main 
reposée,  comme  celle  qu'il  destinait  à  l'impression.  11  y  a  plus  :  dans  un 
même  .Manuscrit,  sur  la  même  page,  on  trouve  des  orthographes  différentes  : 
premier  et  premier,  religion  et  religion,  indifférence  et  indifférence,  etc. 
On  pourrait  peut-être  admettre  que,  de  ces  deux  orthographes,  la  plus 
simplifiée  n'est  due  qu'à  une  négligence  de  Rousseau,  et  se  croire  en  droit 
de  rétablir  partout  l'orthographe  la  plus  compliquée.  Mais  il  est  des  cas 
où  visiblement  l'orthographe  de  Rousseau  est  incertaine.  11  écrit,  par 
exemple,  à  quelques  lignes  d'intervalle,  Neiiion  et  Newton  ^:  dans  la  copie 
pour  l'impression,  sur  la  même  page,  essentiel  et  essenciel-,  etc.  J"ai  donc 
cru  devoir  garder  purement  et  simplement  l'orthographe  des  .Manuscrits 
que  je  transcrivais,  avec  ses  bizarreries  et  ses  incohérences  ^.  Les  philo- 
logues pourront  v  trouver  des  indications  utiles.  Les  lecteurs  devront 
seulement  se  rappeler  que  ces  différentes  graphies  n'ont  pas  toutes  la 
même  valeur  pour  représenter  la  véritable  orthographe  de  Rousseau, 
et  qu'ils  n'ont  pas  sous  les  yeux  tous  les  spécimens  de  sa  fantaisie 
orthographique,  car,  si  j'ai  conservé  dans  les  notes  comme  dans  le  texte, 
pour  chaque  mot  ou  chaque  phrase,  l'orthographe  du  .Manuscrit 
auquel  je  les  empruntais,  j'ai  négligé  les  variantes  de  pure  orthographe 
entre  les  différents  Manuscrits. 

Pour  faciliter  l'intelligence  du  texte  et  des  notes,  j'ai  adopté  la 
disposition  duivante  : 

1  Texte.  J'ai  considéré  les  notes  de  Rousseau  comme  faisant  partie 
du  texte.  Elles  sont  imprimées  en  caractères  du  même  corps.  L'ne  ligne 
horizontale  les  sépare  du  texte  principal,  et  un  astérisque  (*)  les  rattache 


'  Cf.,  dans  1,1  présente  édition,  p.   106. 

-  I,  f"  afiQ  (correspond  aux  pp.  -([4-416  de  cette  éditioni. 

'  Pour  les  accents,  je  les  ai  pareillement  respectés  ;  mais,  dans  plusieurs  passages 
très  raturés,  où  l'écriture  est  très  rapide  et  les  lettres  inachevées,  il  est  souvent  difficile 
de  décider  si  tel  accent  est  aifiu  ou  grave. 


MÉTHODE    DE    LA    PRÉSENTE    EDITION  CIX 

à  la  phrase  dont  elles  dépendent.  Mais  texte  et  notes  de  Rousseau,  s'ils 
ne  se  trouvent  pas  dans  le  plus  ancien  manuscrit  intégral,  c'est-à-dire 
dans  le  Manuscrit  Favre,  sont  imprimés  en  plus  petits  caractères,  pour 
permettre  de  reconstituer  plus  facilement  Tensemhle  primitif.  Dans  Tune 
et  l'autre  partie  de  ce  texte,  les  différentes  espèces  de  caractères  et  de 
signes  ont  reçu  les  valeurs  suivantes  : 

(Caractères  romains  :  ce  qui  a  passé  dans  l'édition  originale. 

Caractères  gras  :  ce  qui  n'a  pas  passé  dans  l'édition  originale. 

Lettres  italiques  :  ce  qui  est  souligné  par  Rousseau. 

PETITES  CAPITALES  :  lettres,  fragments  de  mots,  ou  mots  man- 

quant et  suppléés. 

Grandes  parenthèses  (  )  :  développement  barré:   phrase  ou   membre 

de  phrase  barrés,  à  l'intérieur  desquels 
d'autres  mots  ont  été  barrés. 

Grands  crochets  [  ]  :  développement    ajouté    en     marge,    dans 

l'interligne,  ou  au  verso  du  folio  précé- 
dent ;  phrase  ou  membre  de  phrase 
ajoutés,  à  l'intérieur  desquels  d'autres 
mots  ont  été  ajoutés  ou  corrigés. 

Petites  parenthèses  .Mots  ou  phrases  barrés. 

Petits  crochets  .Mots  ou   phrases  ajoutés  en   marge,  dans 

l'interligne,  ou  en  surcharge. 

Guillemets  «  »  :  .Mots  barrés,  puis  repris. 

11  Notes.  Sauf  celles  de  Rousseau,  que  j'ai  assimilées  au  texte  et 
qui  sont  marquées  d'un  astérisque,  elles  sont  de  trois  sortes  : 

a)  Les  notes  qui  donnent  des  renseignements  sur  certaines  particu- 
larités intéressantes  des  Manuscrits  (signes,  renvois,  indications  margi- 
nales, etc.)  :  elles  sont  désignées  par  une  croix  simple,  double,  ou  même 
triple  :  t,  t  et  ^=. 

bl  Les  variantes  des  différents  .Manuscrits  :  elles  sont  désignées  par 
des  chiffres  arabes.  /,  2.  3.  placés  en  tète  des  mots  auxquels  elles  se 
rapportent. 

Cl  Les  notes  accessoires,  dépendant  des  précédentes  et  destinées  à  les 
alléger  :  elles  sont  désignées  par  des  lettres  minuscules,  a,  b,  c.  etc. 

Dans  ces  trois  sortes  de  notes,  les  différentes  espèces  de  caractères 
et  de  signes  n'ont  pas  toutes  reçu  la  même  valeur  que  dans  le  texte  : 
et  d'autres  signes  ont  été  introduits  : 


ex 


INTRODUCTION 


Caractères  romains  : 


\'ariantcs  des  différents  manuscrits,  qu'elles 
aient  passé  ou   non   dans  l'édition  ori- 


Lettres  italiques  : 

PETITES   CAPITALES  \ 

Grandes    et    petites    pa-  ! 


Mes  remarques  et  explications. 


renthèses 
Grands  et  petits  crochets 
Guillemets 
Crochets  ait;us  <  >  : 


Points 


Même  valeur  que  dans  le  texte. 


Mots  ou  phrases  que  les  rédactions  posté- 
rieures à  celle  qui  est  donnée  dans  le 
texte  n'ont  pas  conservés. 

ai  à  l'intérieur  de  crochets  aigus,  pour 
tenir  lieu  des  mots  ou  phrases  qu'il  est 
inutile  de  reproduire. 

bi  à  l'intérieur  des  autres  crochets  et  pa- 
renthèses, pour  séparer  les  variantes 
successives. 


Dans  toutes  ces  notes,  comme  dans  les  marines  du  texte,  les  différents 
Manuscrits,  qui  ont  été  décrits  plus  haut,  sont  désignés  par  des  capitales 
grasses  : 

H  Copie  de  la  Nouvelle  Hdloïse  (Bibliothèque  de  la  Chambre  des 
Députés.  Mss  1496). 

N     ('.allier  de  Neiiclid/el  (Bibliothèque  de  Neuchàtcl.  n"  7842). 

F     ManiiscritFavre  [B'ibWothèquc  de  M.  Léopold  Favre,  à  Genève). 

B  «  Brouillon  »  du  Palais-Bourbon  (Bibliothèque  de  la  Chambre 
des  Députés,  Mss  1428 1. 

M     Copie  envoyée  à  "iHoultou  (Bibliothèque  de  Genève,  M.  f.  2241. 

I      Copie  envoyée  à  l'Impression  1  Bibliothèque  de  Genève,  M.  f.  2o5). 


PROFESSION  DE  FOI 
DU    VICAIRE    SAVOYARD 


PROFESSION  DE  FOI 
DU  VICAIRE  SAVOYARD 


Publiée  sur  une  copie  écrite  de  la 

main   de  J.  J.  ROUSSEAU,    Citoyen 

de  Genève 

et  déposée  par  lui-même  entre  les 

mains  de  l'Editeur. 


[C'est  le  titre  fourni  par  Rousseau  lui-même  à  Moultou, 
en  cas  de  publication  séparée  :  cf.  Introduction,  11"^  Partie,  Chap.   [,  §  j]- 


LA  PROFESSION  DE  FOI  DU  VICAIRE  SAVOYARD 


REDACTIONS     MANUSCRITES 


PROLOGUE. 
1.  Le  Prosélyte  et  le  Vicaire. 


F,  f"  154  ^°  l  II  V  a  trente  ans  ['passés    que  dans   une  ville  d'Italie,   un 

jeune  homme  expatrié  se  -  trouvoit  réduit  à  la  dernière  misère. 
II  ètoit  protestant,  mais  par  'la  suite  d'une  (première)  ètourderie 
se  trouvant  'en  pa\s  étranger  ^sans  aucune  '-'ressource  il  changea 
de  religion  pour  avoir  du  pain.  Il  \'  avoit  dans  cette  ville  un 
hospice  pour  les  nouveaux  convertis.  Il  v  fut  ("  receu  à  ce  titre). 
En  l'instruisant  sur  la  controverse  on  lui  "^apprenoit  le  mal  qu'il 
ne  savoit  (^  pas)   ["encore  et  des  horreurs  qu'il  n'auroit  jamais  du 


J/.-S-    —    ■^'"''   '''    méthode   adoptée   dans    ces    notes,    cf.     Introduction, 
ni'  Partie,  Chap.  III,  §  2. 

'  B.  (passés). 

-'  I.    trouvoit. 

^  B.  l(a)  [es]  suite  [s]. 

■•  B.  fugitif. 

^  M.  sans  amis. 

"  B.  sans  ressources. 

'  [admis]. 

*  B.  donna  des  doutes  qu'il  n'avoit  pas  et  on  lui  apprit  le  mal  qu'il  ignoroit. 

"  [point]. 

'"  B.  <  encore  ....  savoir  >. 


t  Ici,  en  marge,  une  note  inutilisée  pour  le  portrait  du  Vicaire  : 
quoique  catholique  et  prêtre,  il  aimoit  les  bons  livres  des  protestans  :  il 
lisoit  Clarke,  Addison,  Abbadie. 


LÀ  PROFESSION  DE  FOI  DU  VICAIRE  SAVOYARD 

TEXTE  DE  l'Édition  originale 


EMILE  OU  DE  L'ÉDUCATION 

SUITE    DI      I,I\RE    QUATRIÈME 


PROLOGUE \ 
1.  Le  Prosélyte  et  le  Vicaire. 


[1] 


L  V  a  trente  ans  -  que  dans  une  ville  d'Italie,  un  jeune 
homme  expatrié  se  voyoit  réduit  à  la  dernière  misère  •'. 
Il    étoit    né   Calviniste;    mais    par   les   suites   d"une   étour- 


J/.-^.  —  Sur  la  méthode  adoptée  dans  les  notes  et  sur  les  éditions 
auxquelles  ont  été  empruntés  les  textes  qui  s'y  trouvent  cités,  cf.  Introduction, 
III''  Partie,  Chap.  III,  S  /,  et  la  Liste  bibliographique  à  la  fin  de  ce  volume.  —  Les 
chiffres  entre  crochets  dans  les  marges  sont  les  chiffres  des  pages  de  l'édition 
originale.  C'est  d'après  cette  pagination  que  les  notes  ont  été  numérotées  (une 
série  par  page),  et  que  les  différents  passages  de  la  Profession,  qui  poui'aient 
s'éclairer  l'un  par  l'autre,  ont  été  rapprochés. 


'  On  sait  que  la  Profession  de  foi  est  introduite  dans  le  IV'  Livre  d'Emile, 
au  moment  où  se  pose  pour  l'adolescent  le  problème  de  la  croyance  religieuse  : 
«  A  quelle  secte,  se  demande  Rousseau,  agrégerons-nous  l'homme  de  la  Nature  »? 
l£t  il  répond  :  «  Au  lieu  de  vous  dire  ici  de  mon  chef  ce  que  ie  pense,  ie  vous  diiai 
ce  que  pensait  un  homme  qui  valait  mieux  que  moi.  Je  garantis  la  vérité  des  faits 
qui  vont  être  rapportés,  ils  sont  réellement  arrivés  à  l'auteur  du  papier  que  je  vaif 
transcrire  :  c'est  à  vous  de  voir  si  l'on  peut  en  tirer  des  réflexions  utiles  sur  le  su)et 
dont  il  s'agit.  Je  ne  vous  propose  point  le  sentiment  d'un  autre  ou  le  mien  pour 
règle:  je  vous  l'offre  à  examiner  ».  C'est  alors  que  commence  le  récit  :  «  Il  y  a  trente 
ans  »,  etc.  Les  lignes  qui  précèdent  semblent  en  garantir  l'authenticité,  et  en  faire 
comme  un  fragment  anticipé  des  Confessions.  On  en  trouvera  effectivement  le 
commentaire  aux  11'  et  III'  Livres,  VIII,  40-71.  J'ai  essayé  de  montrer  dans  Vlntro- 
duction,  V  Partie,  Chap.  II,  §  2,  quel  travail  d'idéalisation  Rousseau  avait  fait  subir  à 
ses  souvenirs.  Je  me  contenterai  dans  ces  notes  du  Prologue,  de  fournir  les  références 
et  les  rectifications  de  détail. 

'  C'est  le  premier  texte  de  Rousseau,  et  celui  auquel  il  s'est  finalement  arrêté. 
Dans  l'intervalle,  il  avait  ajouté  une  précision  :  «.  trente  ans  passés  ».  Si  l'on  se 
rappelle  que  l'arrivée  à  Turin  est  du  printemps  1728,  le  texte  définitif  ne  se  trouve, 
en  toute  rigueur,  exact,  que  si  l'on  suppose  pour  l'Emile,  comme  j'ai  essayé  de  le 
montrer,  une  première  rédaction  d'ensemble  en  1758. 

'  C'était  strictement  vrai;  cf   Confessions.   VIII,  41   :  «  J'arrive  à  Turin,   sans 


4  REDACTIONS    MANUSCRITES 

savoir!.  Il  entendit  des  dogmes  nouveaux  '  et  des  mœurs  encore 
plus  nouvelles.  ((Le  malheureux  faillit  être  victime  de  son  inno- 
cence et]  "  DE  la  corruption  '  des  ministres  de  l'éternel).  Il  étoit 
encore  dans  cette  époque  heureuse  que  je  (^  m'efforce  de)  prolonger 
pour  mon  Emile,  j  Sa  timide  innocence  ignoroit  (encore)  et  les 
desordres  communs  à  son  âge  et  la  dépravation  ■  non  moins  familière 
dans  les  climats  qu'il  habitoit).  '•  Il  les  vit  et  faillit  en  être  la  victime. 
Il  voulut  tuir  ('il  etoit  retenu;  ^^il  voulut  se  plaindre)  ses  plaintes 
[^n'émouvoientj  personne.  i"Il  ("vit)  bientôt  qu'elles  ne  ('-îaisoient 
qu'augmenter  '^sa  misère  sans  le  dérober  au  danger  "qui  le  me- 
naçoit).  A  la  «  merci  »  de  ses  t\Tans  il  se  \'it  traitter  ('-^  comme 
un)  criminel  pour  n'avoir  pas  voulu  céder  au  crime.  Que  ceux 
qui  savent  combien  la  première  épreuve  de  "'  la  \iolence  et  de 
l'injustice  révolte  un  jeune  ("  homme)  ^^  sans  expérience  se  figurent 
l'état   du   sien,  des    larmes  de   rage  couloient  de   ses  yeux   l'indi- 


'  B.  (à  sa  rais(in),  il  vit  des  mœurs  encore  plus  nouvelles  :  il  les  vit. 
-  et  la  corruption  (sic). 
"  [de  ses  instituteurs]. 
■•  [cherche  à]. 
"  [(plus)]. 

''■  (et  l*vré  presque  à  leurs  attentats  sans  protecteur  et  sans  deffense). 
'  [il  fut...  on  le  retint...  retenoit].  —  B.  on  l'enferma. 
"  [«  il  se  •»  plaignit,  on  le  punit  de]. 

'■'  (ne  communiquoient  à).  —  B.  <  n'émouvoient...  menaçoit  >. 
'"  (l'indignation  dont  il  etoit  enflamé....  Temotion  qui  l'agitoit....  la  colère 
s'empara). 

"  [comprit]. 

'-  [servoient  ?] 

"  [ses  mau.x...  qu'a  aggraver  ?  ses  chaînes  et  ne  le  tireroient  point  d'embarras]. 

'*  (dont  il  ne). 

•=  [en]. 

'°  B.  (l'injustice)  de  la  violence  et  de  l'injustice  irritent  (sic). 

'"  [cœur]. 

'*  M.  <  sans  expérience  >. 


t  Ici,  en  marge,  une  note  inutilisée,  qui,  sans  doute,  était  destinée 
au  portrait  du  Vicaire  :  Vérité  —  il  l'aime  et  il  ose  la  dire.  Il  ne 
s'estimeroit  point  malheureux  de  souffrir  pour  elle. 


EDITION    ORIGINALE  5 

»  derie   *,    se    trouvant    fugitif,    en    pays    étranger,    sans    ressource,    il 

»  changea  de   religion  pour  avoir  du  pain  '■'.  Il  y  avoit  dans  celte  ville 

»  un  hospice  pour  les  |  Prosélites  (^),  il  y   fut  admis  i.   En   l'instruisant  [2] 

»  sur  la  controverse,  on  lui  donna  des  doutes  qu'il  n'avoit  pas  -,  &  on 

»  lui  apprit  le  mal  qu'il  ignoroit  :   il  entendit  des  dogmes  nouveaux, 

»  il  vit  des  mœurs  encore  plus  nouvelles  ';   il  les  vit,  &  faillit  en  être 

»  la  victime  *.   11  voulut  fuir,  on  l'enferma:  il  se  plaignit,  on  le  punit 

»  de  ses  plaintes;  à  la  merci  de  ses  tirans,  il  se  vit  traiter  en  criminel 

»  pour  n'avoir  pas  voulu  céder  au  crime.  Que  ceux  qui  savent  combien 

»  la  première  épreuve  de   la   violence   &   de   l'injustice   irrite   un    jeune 

»  cœur  sans  expérience  '".  se  figurent  l'état  du  sien.  Des  larmes  de  rage 


(a|  C,  D  :  Prosélytes. 

habits,  sans  argent,  sans  linge  ».  La  formule  de  la  Profession  est  cependant 
équivoque,  car  elle  invite  le  lecteur  à  penser  que  Rousseau  ne  se  résigna  à  entrer 
à  l'hospice  que  pour  «  avoir  du  pain  ».  Mais  l'hospice  était  le  seul  but  de  son 
vovage.  et  il  s'était  «  soumis  »  aux  conditions  qui  lui  avaient  été  faites  «  sans 
beaucoup  de  répugnance  ».  Aussi,  arrivé  à  destination,  sans  attendre  la  faim,  il  avait 
été  droit  où  «  ceux  qui  prenaient  soin  de  lui  »  l'envoyaient  :  «  J'avais  des  lettres, 
je  les  portai,  et  tout  de  suite  je  fus  mené  à  l'hospice  »,  Confessions,  VIII,  41. 

'  Le  soir  du  dimanche  14  Mars  1728,  le  jeune  Jean-Jacques,  qui  avait  vagabondé 
dans  la  campagne  genevoise,  trouva  les  portes  de  la  ville  fermées,  et  prit  la  résolution 
de  n'y  plus  rentrer  le  lendemain. 

*  Confessions,  VIII,  41  :  «  La  religion  pour  laquelle  on  me  vendait  ma  sub- 
sistance ». 

'  L'hospice  du  San-Spirito.  On  trouvera  dans  V Introduction  le  texte  du  registre 
de  l'hospice  concernant  Rousseau.  Entré  le  12  Avril  1728,  il  abjura  le  21  Août  et  fut 
baptisé  le  surlendemain. 

^  Dans  les  Confessions,  Rousseau  ne  fait  pas  allusion  à  ces  doutes,  mais  plutôt 
aux  résistances  d'une  foi  protestante  très  vivace,  qui  se  défendait  énergiquement. 
On  conçoit  néanmoins  qu'en  assistant  au  conflit  de  deux  théologies  rivales,  les 
dogmes  fondamentaux  qu'elles  admettaient  en  commun  aient  pu  lui  paraître  ébranlés 
par  contre-coup. 

'  Les  «  mœurs»  du  bandit  Maure,  qui  sont  décrites  dans  les  Confessions,  \'lll,  46. 

*  Noter  ici  dans  la  Première  Rédaction  :  «  il  était  encore  dans  cette  époque 
heureuse  que  je  m'efforce  de  prolonger  pour  mon  Emile  ».  A  moins  que  cette  phrase 
ne  soit  un  lapsus  de  plume,  —  et  la  chose  est  peu  probable,  puisqu'il  a  repris  plus 
loin  celte  formule,  cf.  p.  8,  note  5,  —  elle  semble  indiquer  que  Rousseau  songea  un 
instant  à  prendre  tout  le  récit  à  son  compte.  Pour  le  fond  même  de  ce  texte, 
cf.  Confessions,  VIII,  Sg  ;  «  J'étais  sur  ce  chapitre  d'une  bêtise  qui  a  laissé  à  la 
seule  nature  tout   le  soin  de  mon  instruction  ». 

^  Cf.,  dans  le  11*  Livre  d'Emile,  II,  66,  au  moment  où  Emile  voit  ses  fèves 
arrachées  :  «  Ce  jeune  cœur  se  soulève;  le  premier  sentiment  de  l'injustice  y  vient 
verser  sa  triste  amertume»;  et  surtout,  dans  les  Confessions,  VIII,  11-12,  le  récit  du 
châtiment  immérité  qui  fut  infligé  au  jeune  Jean-Jacques  par  le  pasteur  Lambercier  : 
«  La  douleur  du  corps,  quoique  vive,  m'était  peu  sensible  ;  je  ne  sentais  que  l'indi- 


6  REDACTIONS    MANUSCRITES 

gnation  l'étouffoit.  Il  imploroit  le  ciel  et  les  hommes  il  se  confioil 
à  tout  le  monde  ('  et  tout  le  monde  le  trahissoit).  Il  ne  vovoit 
que  de  vils  domestiques  (-vendus)''  a  l'infâme  qui  l'outrageoit 
ou  des  complices  du  même  crime  qui  M'excitoient  à  le  partager 
f  155  ""^  comme  eux.  Il  etoit  perdu  (sans  doute)  sans  un  honnête  ]|  Ecclé- 
siastique qui  vint  à  l'hospice  pour  quelque  affaire  et  qu'il  trouva 
le  mo\'en  de  consulter  en  secret.  L'Ecclésiastique  etoit  pauvre  et 
avoit  besoin  de  tout  le  monde.  (^  Ah  malheur  à  l'homme  si  indigne 
qui  consulte  la  prudence  en  pareil  cas,  le  prêtre  ne  balança  point 
il  fit  évader  le  jeune  homme). 

«  Echapé  '•  à  la  corruption  pour  rentrer  dans  »  l'indigence  le 
jeune  homme  luttoit  |  "  en  vainj  contre  ("la)  «  destinée»  (et  ne 
pouvoit  s'y  dérober).  Un  moment  il  «  se  »  crut  «  au  »  dessus  d'elle  : 
a  la  première  lueur  de  fortune  ses  mau.x  (et)  ^  son  protecteur 
'"furent  oubliés.  Il  fut  bientôt  puni  de  cette  ingratitude.  Toutes 
ses  espérances  s'évanouirent.  Sa  jeunesse  "  le  îavoris(oit  en  vain 
et)  [ses  idées  romanesques  gâtoient  tout,.  '- N'avant  ni  assès  de 
talent  ni  assès  '^  d'j adresse]  pour  se  faire  un  chemin  facile  [('•'et 
n'étant)  ni  méchant  ni  (modéré)  |  il  '^  prétendoit  à  tant  de  choses 
qu'il    "^n'obtint    rien.    Retombé    dans  sa    première    détresse,   sans 


'  [vainement....  sans...  et  «  et  n'eloit  écouté  «  de  personne].  —  B.  il 
(n'eiriit  écouté  de  personne)  se  confioit  à  tout  le  monde  et  n'etoit  écouté  de 
personne. 

-  [soumis]. 

'  (au.x  infâmes). 

*  B.  se  railloient  de  sa  résistance  et  l'e.xcitoient  à  les  imiter. 

•^  [Mais  l'opprimé  avoit  encore  plus  besoin  de  lui  et  il  n'hésita  pas  à 
favoriser  son  évasion  au  risque  de  se  faire  un  dangereux  ennemi]. 

'■  [au  vice]. 

'  B.  sans  fruit  [en  vain].  —  M.  en  \ain. 

"  [elle....  sa]. 

"  B.  et. 

'"  I.  (étoit...  fut)  [furent]. 

"  [avoit  beau]  le  favoris[er]. 

'-  («  Il  prétendit  »  à  tant  de  choses  qu'il  n'obtint  rien,  il). 

'•''  d(e  méchanceté). 

'■*  [ne  sachant  être  ]  ni  [modéré]  ni  [méchant]. 

'■'  prétend  [it]. 

"'  B.  ne  sut  parvenir  à  rien. 


EDITION   ORIGINALE  7 

»  couloient  de  ses  yeux,   l'indignation   1  etouffoit.   11  imploroit  le  ciel 

»  &  les  hommes,  il  se  confioit  à  tout  le  monde  '',  &  n'étoit  écouté  de 

»  personne.   Il  ne  voyoit  que  de  vils  domestiques  soumis  à  l'infâme  ' 

»  qui  I  l'outrageoit,  ou  des  complices  du  même  crime,  qui  se  railloient  [3] 

»  de  sa   résistance  &  l'excitoient  à  les  imiter  i.   11  étoit  perdu  sans  un 

»  honnête  Ecclésiastique  qui   vint  à   Thospice   pour  quelque  affaire,   & 

»  qu'il  trouva  le  moven  de  consulter  en  secret  -.  L'Ecclésiastique  étoit 

»  pauvre,  &  avoit  besoin  de  tout  le  monde;  mais  l'opprimé  avoit  encore 

»  plus  besoin  de  lui,  &  il  n'hésita  pas  à  favoriser  son  évasion  ^,  au  risque 

»  de  se  faire  un  dangereux  ennemi. 

»  Echappé  au  vice  pour  rentrer  dans  l'indigence  *,  le  jeune  homme 
»  luttoit  sans  succès  contre  sa  destinée  :  un  moment  il  se  crut  au-dessus 
»  d'elle  ^.  A  la  première  lueur  de  fortune,  ses  maux  &  son  protecteur 
»  furent  oubliés.  11  fut  bientôt  puni  de  cette  ingratitude,  toutes  ses 
»  espérances  s'évanouirent  :  sa  jeunesse  avoit  beau  le  favoriser,  ses  idées 


gnation,  la  rage,  le  désespoir.  .Mon  cousin...  se  montait,  pour  ainsi  dire,  à  mon 
unisson;...  nous  étouffions  ;  et  quand  nos  jeunes  cœurs,  un  peu  soulagés,  pouvaient 
exhaler  leur  colère,  nous  nous  levions  sur  notre  séant,  etc..  Ce  premier  sentiment 
de  la  violence  et  de  l'injustice  est  resté  si  profondément  gravé  dans  mon  âme,  que 
toutes  les  idées  qui  s'y  rapportent  me  rendent  ma  première  émotion  ».  11  est  infiniment 
probable  que  Rousseau  fait  ici'allusion  à  cet  épisode  de  son  enfance. 

'  Confessions,  Vlll,  46  :  «  Je  n'eus  rien  de  plus  pressé  que  d'aller  conter  à 
tout    le  monde  ce  qui  m'était  arrivé  ». 

'  »  L'un  des  administrateurs  »  de  l'hospice  :  cf.  Confessions,  Vlll.  47  :  «  J'écoutais 
cet  infâme  avec  un  étonnement  d'autant  plus  grand...  ». 

'  Confessions,  Vlll,  47  :  «  Son  discours  lui  paraissait  si  simple  qu'il  n'avait  pas 
même  cherché  le  secret  du  téte-à-tête  ;  et  nous  avions  en  tiers  un  ecclésiastique  que 
tout  cela  n'effarouchait  pas  plus  que  lui  ».  Si  l'on  compare  tout  ce  récit  à  celui  du 
Livre  II  des  Confessions,  on  remarquera  que  les  faits  y  sont  simplifiés  et  dramatisés  : 
le  bandit  .Maure  a  disparu,  «  l'administrateur  »  seul  est  resté.  Rousseau  semble 
même  laisser  entendre  que  les  propositions  perverses  sont  venues  de  lui,  ce  qui  les 
rendrait  encore  plus  odieuses.  Les  Confessions  ne  disent  pas  non  plus  qu'on  traita 
le  jeune  homme  en  «  criminel  »,  mais  simplement  que  «  l'infâme  »  n'épargna  rien 
pour  lui  rendre  le  séjour  de  l'hospice  désagréable. 

'  Les  Confessions  ne  font  pas  allusion  à  cette  visite  de  l'abbé  à  l'hospice.  C'est 
seulement  chez  .M"  de  Vercellis  que  Rousseau  dit  avoir  rencontré  l'abbé  Gaime,  VIII.  63. 

'  Cette  «  évasion  »  fut  une  sortie  très  régulière,  après  la  cérémonie  du  baptême. 
Cf.  Confessions,  Vlll,  43  :  «  Si  j'avais  un  instant  trouvé  la  porte  ouverte,  je  me 
serais  certainement  évadé  :  mais  il  ne  me  fut  pas  possible,  et  cette  résolution  ne 
tint  pas  non  plus  bien  fortement  ».  Rousseau  semble  avoir  quitté  l'hospice  dans  les 
derniers  jours  d'.\oùt  1728. 

*  Cf.  le  récit  de  ces  premières  tribulations  dans  les  Confessions,  Vlll,  5o-56. 

^  Allusion,  sans  doute,  à  son  entrée  comme  laquais-secrétaire  chez  .M"'  de  Ver- 
cellis, Confessions,  VIII,  56-6i. 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


pain,   sans  azile,    'prés  à  -mourir  de  ^  misère   il  se  ressouvint  de 
(*  l'Ecclésiastique  et  retourna  chez  lui). 


Il  y  retourne,  il  le  trouve,  il  en  est  bien  receu,  sa  vue  *  rappelle 
à  l'Ecclésiastique  une  bonne  action  qu'il  avoit  faite.  C'  Ce)  souvenir 
réjouit  toujours  l'âme  "d'un  (''honnête  homme).  ■'  L'Ecclésiastique 
etoit  ('"pauvre  lui-même),  i(''mais  il  etoit)  humain  et  compa- 
tissant. Il  i-sentoit  les  peines  d'autrui  par  les  siennes  et  le 
bien-être  n'avoit  point  endurci  son  ('^ame  aux  malheurs  d'autrui)]. 
Il  ["lui  cherche  un  giste,  il  l'y  recommande]  ^■'  partage  avec  lui 
son  nécessaire  à  peine  suffisant  pour  deux.  Il  fait  plus  il  l'instruit 
et  le  console.  Il  lui  apprend  l'art  difficile  de  supporter  '■''  patiemment 
l'adversité.  Gens  à  préjugés  est-ce  i'  d'un  prêtre,  est-ce  en  Italie 
que  vous  eussiez  '*  espéré  tout  cela. 

Cet  honnête  ''•'  homme  étoit  un  pauvre  (-"  prêtre)  savovard 
qu'une  avanture  de  jeunesse  avoit  mis  (-'  mal  avec)  son   Evêque 

'  M.  sans  industrie. 

-  M.  périr. 

■'  B.  faim.  —  M.  misère. 

*  [son  bienfaiteur]. 

-'  (lui). 

"  [a....  et....  un  tel]. 

'  B.  <  d'un  honnête  homme...  mais  il  >. 

"  [homme  de  bien]. 

"  (Il  partage  avec  lui  de  bon  cœur)  [la  bien  faisance]  (J'ai  dit  que  cet). 

'"  [trop]. 

"  [naturellement].  —  B.  (Le  bon  Prêtre)  [Cet  homme]  étoit  naturellement 
humain,  compatissant. 

'-  (n'éloit  point). 

"  [cœur]. 

'*  [(plusieurs  mois  barrés  illisibles  à  paver  son  giste demande  ?)] 

■■■'  B.  11. 

'"  B.  (patiemment).  Rousseau  n'a  pas  barré  le  mot,  tnais  a  mis  au-dessus 
le  signe  typographique  de  la  suppression). 

"  B.  [d'un  Prêtre,  est-ce]  en  Italie,  (est-ce  d'un  homme  d'église). 

'*'  B.  (attendu)  [espéré]. 

■'•'  B.   Ecclésiastique. 

-"  [vicaire]. 

-'  [dans  la  disgrâce  de].  —  B.  mal  avec. 


EDITION"   ORIGINALE  9 

■»  romanesques  ®  |  gàtoient  tout.  N'ayant  ni  assez  de  talen  s  t^i,  ni  assez  [4] 

»  d'adresse  pour  se  faire  un  chemin  facile;  ne  sachant  être  ni  modéré,  ni 
»  méchant,  il  prétendit  à  tant  de  choses  qu'il  ne  sut  parvenir  à  rien. 
»  Retombé  dans  sa  première  détresse  i,  sans  pain,  sans  asyle,  prêt  à 
»  mourir  de  faim,  il  se  ressouvint  de  son  bienfaiteur. 

»  11  V  retourne,  il  le  trouve,  il  en  est  bien  reçu  ;  sa  vue  rappelle 
»  à  l'Ecclésiastique  une  bonne  action  qu'il  avoit  faite  ;  un  tel  souvenir 
»  réjouit  toujours  l'ame.  Cet  hornme  éioit  naturellement  humain,  com- 
»  pâtissant;  il  sentoit  les  peines  d'autrui  par  les  siennes,  &  le  bien-être 
»  n'avoit  point  endurci  son  cœur:  enfin  les  leçons  de  la  sagesse  &  une 
»  vertu  éclairée  avoient  affermi  son  bon  naturel.  Il  accueille  le  jeune 
»  homme,  lui  cherche  un  gîte,  l'y  recommande  "-;  il  partage  avec  lui  ,  son  [5] 

»  nécessaire,  à  peine  suffisant  pour  deux.  Il  fait  plus,  il  l'instruit,  le 
»  console,  il  lui  apprend  l'art  difficile  de  supporter  patiemment  l'adver- 
»  site.  Gens  à  préjugés,  est-ce  d'un  Prêtre,  est-ce  en  Italie  que  vous 
»  eussiez  espéré  tout  cela  ? 

»  Cet  honnête  Ecclésiastique  étoit  un  pauvre  Vicaire  Savoyard  i, 
»  qu'une  aventure  de  jeunesse  avoit  mis  mal  avec  son  Evêque  -,  &  qui 
»  avoit  passé  les  monts  pour  chercher  les  ressources  qui  lui  manquoient 


(*)  Le  texte  original  porte  :  talent  :  mais  déjà,  au  ta- 
bleau des  «•  Fautes  à  corriger  ».  placé  à  la  fin  du  T.  IV*,  on 
lit  :  talens.  —  C  :  talent  s,  D  :  n'ayant  ni  asse^  d  adresse 
pour  se  faire  un  chemin  facile,  ne  sachant  'sic).  C'est  une 
simple  faute  d'itapression.  qui  ne  se  retrouve  même  pas 
dans  l'édition  d'Emile  en  4  vol.  in-12.  publiée  à  Genève, 
également  sous  la  date  de  1780.  et  par  les  soins  de  Du  Peyrou. 

'  Rousseau  les  mentionne  dans  les  Confessions,  précisément  en  racontant  cette 
période  de  sa  vie.  Cf.  VIII,  53  ;  «  Voici  encore  une  autre  folie  romanesque...  »;  62  : 
«  je  tirai  de  ma  tête  un  expédient  romanesque  qui  me  réussit  ». 

'  Après  la  mort  de  .M"  de  Vercellis,  si  toutefois  le  récit  n'est  pas  entièrement  fictif. 

'  Cf.  cependant.  Confessions,  VIII,  61  :  «  Je  retournai  chez  mon  ancienne 
hôtesse,  et  j'y  restai  cinq  ou  six  semaines  ». 

'  Sur  ce  portrait  du  Vicaire  Savoyard,  et  les  originaux  dont  Rousseau  s'est 
inspiré,  les  abbés  Gaime  et  Gàtier,  cf.  Introduction,  l'  Panie,  Chap.  II,  §  2.  C'est  l'abbé 
Gaime  qui  semble  avoir  fourni  les  éléments  les  plus  nombreux  et  les  plus  caracté- 
ristiques du  personnage.  —  Il  serait  possible  qu'en  faisant  de  son  porte-parole 
non  seulement  un  vicaire  de  campagne,  mais  un  savoyard,  Rousseau  eût  voulu 
scandaliser  davantage  le  lecteur  «  philosophe  »  et  parisien,  car  le  savoyard  avait 
la  réputation  d'être  volontiers  «  lourdaud  »  :  cf.  Souvelle  Hétoïse  (II,  xxinl,  IV,  196. 
On  peut  se  rappeler  encore  que  le  P.  Castel  avait  plaisanté  Rousseau  sur  «  son  style 
savoisien  »  :  cf.  L'Homme  moral  [217],  245. 

'  Si  l'on  en  croit  Rousseau,  ce  détail  serait  emprunté  à  la  vie  de  l'abbé  Gàtier; 
cf.,  plus  loin,  la  «  confession  »  du  Vicaire. 


10  REDACTIONS    MANUSCRITES 

et  qui  avoir  passé  les  monts  pour  chercher  les  ressources  qui  lui 
manquoient  dans  son  paj'S.  Il  n'étoit  ni  sans  esprit  ni  sans  lettres 
et  avec  une  figure  intéressante  il  avoit  des  protecteurs  qui  '  l'avoient 
placé  chez  un  ministre  (-  comme  précepteur  de)  son  fils.  Il  '■'  pré- 
feroit  la  pauvreté  à  la  dépendance  et  il  ignoroit  comment  il  faut 
se  conduire  chez  les  grands.  Il  ne  resta  pas  longtems  chez  celui-ci, 
^  mais  en  le  quitant  il  ne  perdit  peint  (  ^sa  protection),  et  comme 
il  vivoit  ''  régulièrement  et  se  faisoit  ('  estimer)  de  tout  le  monde, 
il  [*  se  flattoit  dej  rentrer  en  grâce  auprès  de  son  Evéque  et  d'en 
obtenir  quelque  petite  cure  ^  pour  y  passer  le  reste  de  ses  jours. 
Tel  etoit  le  dernier  terme  de  son  ambition. 

(10  Le  désir  de  conserver  son  ouvrage)  1' ^  intéressoit  au  jeune 
1*  homme  et  le  lui  fit  examiner  ".  Il  vit  que  la  mauvaise 
fortune  avoit  déjà  flétri  son  cœur  que  l'opprobre  i*  et  ^^  les 
f°  155'"  mépris  ||  avoient  abatu  son  "'  jeune  [courage]  et  que  sa  fierté 
naturelle  changée  en  ''  dépit  amer  ne  ('"^  lui  laissoit  plus  voir) 
dans  !■'  l'injustice  et  la  dureté  des  hommes  que  [-^^  le  train  naturel 
des  choses  et  la  chimère  de  la  vertu.   Il  avoit  vu  que  la  religion 


'  B.  le  placèrent. 
'  [pour  élever]. 
'  (ignoroit). 
*  B.  <  mais  >. 
^  [son  estime]. 
"  B.  sagement. 
'  [aimer]. 

'  (esperoil  parvenir  à). 
'  B.  dans  les  montagnes. 
'"  [Un  penchant  naturel]. 
"  intressoit  (sic). 
'=  B.  (homme)  [fugitif]. 
"  B.  avec  soin. 

'^  M.  <  et  les  mépris  >  avoit. 
'■'  B.   le  mépris. 
'"  B.  (jeune). 
"  B.  (un). 
"  [lui  montroit]. 
"  B.  [l'injustice  et]. 

-"  (la  chimère  de   l'espoir   qu'il    avoit  fondé  sur  une   bienfaisance  et  sur 
deux  ?nots  illisibles). 


EDITION    ORIGINALE  II 

»  dans  son  pavs.  Il  n'étoit  ni  sans  esprit,  ni  sans  lettres:  &  avec  une 

»  figure  intéressante  ^.  il  avoit  trouvé  des  protecteurs  qui   le   placèrent 

»  chez  un  Ministre  *  pour  élever  son  fils.  Il  préferoit  la  pauvreté  à  la 

»  dépendance.    &    il    ignoroit    comment    il    faut    se  conduire   chez   les 

»  Grands.   11  ne  resta  pas  long-tems  chez  celui-ci  ;  en  le  quittant  il  ne 

»  perdit  point  son   j  estime;  &  comme  il   vivoit  sagement  &  se  faisoit  [6] 

»  aimer  de  tout  le  monde,   il  se  flattoit  de  rentrer  en  grâce  auprès  de 

»  son  Evêque, '&  d'en  obtenir  quelque  petite  Cure  dans  les  montagnes, 

»  pour  v  passer  le  reste  de  ses  jours.  Tel  étoit  le  dernier  terme  de  son 

»  ambition. 


»  Un  penchant  naturel  l'interessoit  au  jeune  fugitif,  &  le  lui  fit 
»  examiner  avec  soin.  Il  vit  que  la  mauvaise  fortune  avoit  déjà  flétri 
»  son  cœur,  que  l'opprobre  &  le  mépris  avoient  abattu  son  courage, 
»  &  que  sa  fierté,  changée  en  dépit  amer,  ne  lui  montroit  dans  l'injustice 
»  &  la  dureté  des  hommes,  que  le  vice  de  leur  nature  &  la  chimère  de 
»  la  vertu.  Il  ^  avoit  vu  que  la  religion  ne  sert  que  de  masque  à  l'intérêt, 
»  &  le  culte  sacré  de  sauve-garde  à  Ihvpocrisie  :  il  avoit  vu  dans  la 
»  subtilité  des  vaines  disputes,   le  Paradis  &  l'Enfer  mis  |  pour  prix  à  [7] 

»  des  jeux   de  motsi;    il   avoit   vu   la   sublime  &  primitive   idée  de   la 
»  Divinité   défigurée    par   les    fantasques  imaginations  des  hommes;  «S: 


'  C'est  sans  doute  à  Gàtier  que  songe  ici  Rousseau;  cf.  Confessions,  VIII.  83  ; 
«  Je  n'ai  jamais  vu  de  physionomie  plus  touchante  que  celle  de  M.  Gàtier.  11  était 
blond  et  sa  barbe  tirait  sur  le  roux....  Il  y  avait  dans  ses  grands  yeux  bleus  un 
mélange  de  douceur,  de  tendresse  et  de  tristesse,  qui  faisait  qu'on  ne  pouvait  le  voir 
sans  s'intéresser  à  lui  ». 

*  Le  Vicaire  Savoyard  nous  apprendra  lui-même  le  nom  de  ce  ministre  à  la 
fin  de  la  Profession  de  foi:  cf.,  plus  loin.  p.  i85  :  «  .\près  un  long  interdit  vous 
savez  que  j'obtins  par  le  crédit  de  jM.  de  .Mellarède.  la  permission  de  reprendre  mes 
fonctions  ».  Cf.  Confessions,  VIII,  63  :  «  J'allais  voir  quelquefois,  entre  autres,  un 
abbé  savoyard  appelé  .M.  Gaime.  précepteur  des  enfants  du  comte  de  .Mellarède.  11 
était  jeune  encore  et  peu  répandu,  mais  plein  de  bon  sens,  de  probité,  de  lumière, 
et  l'un  des  plus  honnêtes  hommes  que  j'ai  connus  ». 

'  Non  pas  l'ecclésiastique,  mais  le  jeune  homme. 

•  Il  est  vraisemblable  que  Rousseau  se  souvient  ici  d'un  passage  de  .Montaigne, 
relatif  à  la  transsubstantiation,  Apologie  [j6].  II,  261-262  :  «  La  plupart  des  occasions 
des  troubles  du  monde  sont  grammairiennes...  Combien  de  querelles,  et  combien 
importantes,  a  produit  au  monde  le  double  sens  de  cette  parole  hoc  ».  Il  est  possible 
aussi  que  Rousseau  ait  songé  au.x  disputes  sur  la  consubstantialité  du  Père  et  du  Fils. 
Il  trouvait  rappelé,  dans  la  Thèse  de  l'abbé  de  Prades  ]2or,  yS,  l'oaooJ^'.o;  du  Concile 
de  Nicée. 


12  REDACTIONS   MANUSCRITES 

ne]  sert  que  de  masque  au  vice  et  le  ('  nom  de  Dieu)  de  sauve- 
garde à  l'hipocrisie.  Il  avoit  vu  dans  la  (-  vanité)  des  vaines 
disputes  l'enfer  et  le  paradis  mis  pour  prix  à  des  ^  jeux  de  mots, 
il  avoit  vu  la  [sublime  et  primitive  idée  de  lai  divinité  défigurée 
par  les  fantasques  imaginations  ■'de  (r)homme,  et  trouvant  que 
pour  croire  en  Dieu  il  faloit  renoncer  au  jugement  qu"on  avoit 
receu  de  lui,  il  «  prit  '"  en  »  dédain  "  (et)  toutes  nos  ridicules 
rêveries  et  l'objet  auquel  nous  les  appliquons.  'Il  dit  dans  son 
cœur  comme  l'insensé  il  n'y  a  point  de  Dieu.  "^  Et  sans  rien  savoir 
de  ce  qui  est  sans  rien  imaginer  sur  la  génération  des  choses 
il  se  plongea  dans  sa  stupide  ignorance  avec  un  profond  mépris 
pour  '•ceux  qui  pensoient  en  savoir  plus  que  lui. 

'<•  L'oubli  de  toute  Religion  conduit  '>  à  l'oubli  des  devoirs 
de  l'homme.  "^  Ce  progrès  i^étoit  déjà]  plus  d'à  moitié  fait  dans 
le  cœur  ('^  de  son  protégé.  '*  II)  n'étoit  pas  ^■^  absolument  un 
enfant  mal  né,  mais  ("■  son  état)  ^'  et  ses  [nouveaux]  principes 
étouffant  peu  à  peu  le  naturel  l'entraînoient  '-  à  sa  perte  et  ne 
lui  préparoient  que  les  mœurs  d'un  gueux  et  la  morale  d'un  athée. 

«  '^  Le  mal  »  (étoit)  presque  inévitable,  -"  mais  (il)  n'étoit  pas 


'  [culte  sacré]. 

-  [subtilité]. 

'  (rai  SONS). 

■*  de[s  hommes]. 

'"  (dans  le  même).  —  B.  dans  le  même. 

"  B.  <  et  toutes  >. 

'  B.  <  il  dit  dans.,.,  de  Dieu  >. 

"  B.  (Et). 

"  B.  [tous]. 

'"  (L'Ecclésiastique  vit  encore  que  le  jeune  homme  ne  s'en  tiendroit  à). 

"  B.  (au  mépris)  [à  l'oubli]. 

'-  (L'Ecclésiastique  vit). 

"  [«■  du  jeune  (homme  ■»  infortuné)  vagabond],  —  B.  du  libertin. 

■-  [Ce]. 

"*  I.  absolument.  » 

"^  [sa  misère],  —  B.  [l'incrédulité,]  la  misère  (et  l'incrédulité). 

''  B.  <  et  ses....  principes  >. 

"*  B.  rapidement. 

">  [(Sa  perte)]. 

-"  B.  <  mais  >. 


EDITION    ORIGINALE  I3 

»  trouvant  que  pour  croire  en  Dieu  il  falioit  renoncer  au  jugement 
»  qu'on  avoit  reçu  de  lui,  il  prit  dans  le  même  dédain  nos  ridicules 
»  rêveries,  &  l'objet  auquel  nous  les  appliquons  '-;  sans  rien  savoir  de 
»  ce  qui  est,  sans  rien  imai;iner  sur  la  génération  des  choses,  il  se  plongea 
»  dans  sa  stupide  ignorance,  avec  un  profond  mépris  pour  tous  ceux 
»  qui  pensoient  en  savoir  plus  que  lui. 


»  L'oubli  de  toute  religion  conduit  à  l'oubli  des  devoirs  de  l'homme  •^. 
»  Ce  progrès  étoit  déjà  plus  d'à  moitié  fait  dans  le  cœur  du  libertin.  Ce 
»  n'étoit  pas  pourtant  un  enfant  mal  né:  mais  l'incrédulité,  la  misère. 
»  étouft'ant  peu-à-peu   le   naturel,  l'entraînoient  rapidement  à  sa  perte,  ]  [8] 

»  &   ne  lui   préparoient  que   les  mœurs  d'un  gueu.x  &  la   morale   d'un 
»  athée. 

»  Le  mal,  presque  inévitable,  n'étoit  pas  absolument  consommé. 
»  Le  jeune  homme  avoit  des  connoissances,  &  son  éducation  n'avoit 
»  pas  été  négligée  ^  11  étoit  dans  cet  âge  heureu.x,  où  le  sang  en  fer- 
»  mentation   commence  -  d'échauffer  l'ame   sans   l'asservir  aux   fureurs 


^  Il  V  a  ici,  dans  la  Première  Rédaction,  une  réminiscence  biblique  :  «  Il  dit 
dans  son  cœur,  comme  l'insensé,  il  n'y  a  point  de  Dieu  »;  cf.  Psaume  XIII,  i  : 
«  Dixit  insipiens  in  corde  suo,  non  est  Deus  ». 

'  A  la  fin  du  paragraphe,  Rousseau  renouvellera  cette  affirmation  dans  une 
autre  formule  :  «  la  morale  d'un  athée  ».  Il  admet  ainsi,  comme  implicitement 
reconnu,  ce  qui  va  faire  l'objet  d'une  des  démonstrations  du  Vicaire  :  «  que.  sans 
la  foi,  nulle  véritable  vertu  n'existe»  :  cf.,  plus  loin,  p.  197,  note  i. 

'  Confessions,  VIII,  42  :  «  J'ai  dit.  je  répète  et  je  répéterai  peut-être  encore 
une  chose  dont  je  suis  tous  les  jours  plus  pénétré,  c'est  que  si  jamais  enfant  reçut 
une  éducation  raisonnable  et  saine,  c'a  été  moi  »  ;  cf.  encore  Rêveries,  IX,  339  :  «  Né 
dans  une  famille  où  régnaient  les  mœurs  et  la  piété,  élevé  ensuite  avec  douceur 
chez  un  ministre  plein  de  sagesse  et  de  religion,  j'avais  reçu  dès  ma  plus  tendre 
enfance  des  principes,  des  ma.ximes,  d'autres  diraient  des  préjugés,  qui  ne  m'ont 
jamais  tout  à  fait  abandonné  ». 

*  Cf.  Féraud  [25o].  I,  487  :  «  Ce  verbe  est  ordinairement  suivi  de  la  préposition 
à  devant  l'infinitif...  Cependant  on  trouve  dans  de  bons  auteurs  commencer  de...  : 
//  ai'ait  ciniimencé  d'écrire  sa  lettre.  De  vaut  mieux  devant  une  voyelle;  si  l'on 
disait,  il  avait  commencé  à  écrire,  cet  à  entre  deux  é  ne  ferait  pas  bon  effet  ».  Richelet 
[227],  I.  529,  donne,  à  peu  de  chose  près,  les  mêmes  conseils.  Il  rappelle  que  Vaugelas 


14  REDACTIONS    MA.NUSCRITES 

'  consommé.  (-  II)  '^  étoit  ^  encore  dans  cet  âge  heureux  où  [°  le 
sang  en  fermentation  commence  d'echautïer  l'ame  sans  l'assujetir 
("encore)^  aux  fureurs  des  sens.  La  sienne  a\oit  encore  tout  son 
ressort.  Une  honte  native,  un  caractère  timide  ("  lui  j*  tenoient 
lieu)  d'une  éducation  plus  soignée  et  «  avoient  ^  prolong(é)  pour  » 
lui  cette  ^°  époque  "  dans  laquelle  '-  je  maintiens  mon  Emile 
avec  «  '■'  tant  de  soins  ».  L'exemple  odieux  d'une  (grossière) 
1^  souillure  '•'•  et  d'un  "'  vice  sans  charme  loin  d'  ^"  éveiller  son 
imagination  1'  ^*  avoit  amortie.  '-'Le  dégoût  -"et  l'horreur  lui 
-'tinrent  -- longtems  lieu  de  vertu  pour  conserver  son  innocence. 
-3  Elle  ne  devoit  succomber  qu'à  (-*  la  plus  douce)  séduction. 


'  B.  absolument. 

-  ^Le  jeune  homme]. 

'  B.  avoit  des  connaissances  et  son  éducation  n'avoit  pas  été  négligée.  II. 

^  B.  <  encore  >. 

^  (l'ame  non  encore  assujetie  atix  fureurs  des  sens  vient....  échauffée  par). 

"  B.  (encore). 

'  [le  dedomageoient].  —  B.  <  lui  tenoient....  soignée  >  (me....  empechoient 
[prevenoient]  l'abus  de  la...  sa  liberté  [lui  tenoientj  lieu  de  contrainte)  [sup- 
pléoient  à  la  gêne]. 

"  (tint). 

"  prolong[eoient]. 

"'  M.  heureuse.  — I.  (heureûsel. 

"  (que  nous). 

'-  B.   (je   maintiens  mon)   [au  crayon,  repassé  à  l'encre  :  vous  maintenez 
vôtre]  élève. 

"  [(une  attention  sans  relâche)]. 

'"*  B.  dépravation. 

'■'  (grossière)  [brutale]. 

"'  B.  (crime)  «  vice  ». 

'■  B.  animer. 

"■'  avoient  (sic). 

'■'  B.  [Longtems].  —  I.  <  Longtems  >. 

-"  B.  <  et  l'horreur  >. 

-'  B.  tint. 

--  B.  (longtems).  —  I.  longtems. 

-^  (Une  conduite  ?...  peu  digne  ?..    débauche). 

-^  (des  séductions  plus  douces)    de  plus  douces  séductions]. 


EDITION    ORIGINALE  1,5 

»  des  sens  ^.  La  sienne  avait  encore  tout  son  ressort.  Une  honte 
»  native*,  un  caractère  timide  suppléoient  à  la  gêne  *,  &  prolongeoient, 
»  pour  lui,  cette  époque  dans  laquelle  vous  maintenez  votre  élevé  i^)  avec 
»  tant  de  soins  ".  L'exemple  odieux  d'une  dépravation  brutale  &  d'un  vice 
»  sans  charme,  loin  d'animer  son  imat^ination,  l'avoit  amortie.  Long- 
»  tems  le  dégoût'  lui  tint  lieu  de  vertu  pour  conserver  son  innocence.- 
»  elle  ne  devoit  succomber  qu'à  de  plus  douces  séductions  *. 


»)  C  :  Elève.  —  C'est  une  correction  à  laquelle  tenait  Rous- 
seau, car  il  Ta  répétée  presque  partout  d'un  bout  à  l'autre  des 
quatre  volumes.  —  D  :  Elevé. 

et  Bouhours  demeurèrent  intransigeants  et  n'admirent  jamais  que  la  préposition  a, 
mais  que  r.\cadémie  est  devenue  plus  tolérante,  et  qu'elle  recommande  même  de 
après  la  3'  personne  du  prétérit  :  ;/  commença  d'avoir,  et  non  à  avoir.  —  Cf.  Nouvelle 
IléloXse  (II,  xxviil,  IV,  168  :  «J'ai  commencé  de  fréquenter  les  spectacles  »,  etc. 

'  Les  Confessions,  VllI,  61,  apportent  un  témoignage  un  peu  diftérent  :  «  .Mon 
sang  allumé  remplissait  incessamment  mon  cerveau  de  tilles  et  de  femmes,...  et  ces 
idées  tenaient  mes  sens  dans  une  activité  incommode  ». 

■■  Richelet  '^227],  II,  697  :  «  .\atif.  Ce  mot  veut  dire  qui  est  né  dans  un  certain 
lieu:  mais  il  vieillit  un  peu  ».  Richelet  ne  connaît  pas  d'autre  sens  à  ce  mot.  En 
l'employant  avec  un  nom  de  chose,  pour  signifier  ce  qu'on  apporte  en  naissant, 
Rousseau  faisait  donc  un  néologisme.  Il  l'avait  déjà  hasardé  au  II'  Livre 
d'Emile,  11.  i3i  :  «  ses  veux  ont  toute  leur  sérénité  native  »;  et  il  l'avait  souligné 
dans  une  note  (j'en  donne  ici  la  première  rédaction  [i  1],  I,  i56>'")  :  «  Natia.  J'ai  pris 
la  liberté  de  franciser  ce  mot  italien,  faute  de  trouver  un  mot  français  qui  rendit  le 
même  sens  ;  mais  si  l'on  m'entend,  je  n'ai  point  fait  de  faute  ».  Cet  emploi  de  natif 
se  généralisa  bientôt  :  cf.,  ap.  Gohin  [278],  326,  les  exemples  de  Thomas  et  de  .Mercier 
h  la  fin  du  XVlll'  siècle. 

^  La  pensée  de  Rousseau  est  exprimée  plus  clairement  dans  une  variante 
de  B  :  lui  tenaient  lieu  de  contrainte,  c'est-à-dire  que  la  timidité  du  jeune  homme 
offrait  à  sa  vertu  cette  protection  efficace  qu'on  trouve  d'ordinaire  dans  une  vie  plus 
disciplinée  ou  plus  surveillée.  Pour  le  fond,  comparer  aux  Confessions,  Vlll,  61  :  «  La 
honte,  compagne  de  la  conscience  du  mal.  était  venue  avec  les  années,  elle  avait  accru 
ma  timidité  naturelle,  au  point  de  la  rendre  invincible  ».  Noter  que  dans  B,  Rousseau 
avait  d'abord  écrit  :  m'empêchaient.  Il  était  déjà  «  las  de  parler  en  tierce  personne  ». 

"  La  Première  Rédaction  reproduit  ici  la  formule  personnelle  que  j'ai  déjà 
signalée  plus  haut,  p.  2,  note  4  :  «  dans  laquelle  je  maintiens  mon  Emile  ».  Ce  Je 
se  retrouve  encore  dans  B.  Ce  sont  là  les  témoins  d'un  premier  état  de  la  Profession, 
où  Rousseau  et  «  l'auteur  du  papier  »  ne  faisaient  officiellement  qu'un.  Cependant 
Rousseau,  s'autorisant  de  ce  passage,  écrit  dans  sa  Déclaration  au  Pasteur  Vernes, 
IX,  90  :  «  Il  est  clair  par  là  que  la  Profession  de  foi  n'est  pas  un  écrit  que  j'adresse, 
mais  un  écrit  qui  m'est  adressé  ». 

'  Le  dégoiit,  et  aussi  «  ce  dangereux  supplément  qui  trompe  la  nature  »  : 
cf.  Confessions,  Vlll,   76. 

'  Aux  «  manèges  »  et  aux  «  agaceries  »  de  Maman,  quand  elle  crut  utile  de 
«  le  traiter  en  homme  »  :  cf.  Confessions,  Vlll,  137. 


l6  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 


2.  L'apostolat  du  Vicaire. 


L'ecclésiastique  \'it  le  danger  et  les  ressources.  Les  difficultés 
ne  le  rebutèrent  ^  point.  Il  se  complaisoit  dans  son  ouvrage  f, 
il  résolut  de  l'achever  (et  à  quelque  prix  que  ce  fut)  et  de  rendre 
à  la  vertu  la  victime  qu'il  avoit  arrachée  à  l'infamie.  11  s'\-  prit 
de  loin  pour  exécuter  son  projet.  La  (-grandeur)  du  motif  animoit 
son  courage  et  lui  inspiroit  des  mo\ens  ■'  proportionnés  à  son 
zélé  (et)  quelque  fut  le  succès,  il  étoit  sur  de  n'a\'oir  pas  perdu 
son  tems.  On  ('  a)  toujours  (réussi)  quand  on  (■'  a  voulu)  bien  faire. 
f°  156 '■°  Il  II   commença    [parj   gagner   la  confiance    ''  de   son   disciple 

en  ne  lui  vendant  point  ses  bienfaits  en  ne  se  rendant  point 
importun,  en  ne  lui  faisant  point  de  sermons  en  se  mettant 
toujours  à  sa  ■  portée  et  se  faisant  petit  pour  s'égaler  à  lui. 
C'étoit  ce  me  semble  un  *•  assès  beau  spectacle  ^  de  voir  un  homme 
1"  sage  devenir  le  camarade  d'un  poliçon  et  la  vertu  se  prêter 
1'  à  des  jeux  d'enîans.  Quand  l'étourdi  venoit  lui  faire  ^'-  (ses) 
confidences  et  s'épancher  avec  lui    «  '-Marnais  »  ('^  une  indiscrette 

'  M.  pas. 

-  [beauté]. 
■''  B.  dignes  de. 
■*   [réussit]. 
^  [ne  veut  que]. 
'•  B.  du  (vagabond)  [prosélite]. 
•  M.  place. 

'  B.  <  assès  beau  >. 
"  B.  assès  touchant. 
'"  B.  grave. 

"  B.  <  à  des   jeu.x  d'enfans  >  au  ton  de  la  licence  [pour  en  triompher  plus 
sûrement].  —  I.  <  pour  en  triompher  plus  sûrement  >. 
'-  B.  ses  (indiscrettes)   [basses]. 
'■'  B.  <  jamais....  coeur  >. 
"   ]d"indiscreites  censures]. 

t  £"«  marge,  à  la  fin  du  paragraphe  précédent  :  Il  se  complaisoit 
dans  son  ouvrage,  il  (desiroit)  n'en  vouloit  pas  perdre  le  fruit.  L'amour 
propre  bien  ou  mal  dirigé  n'est-il  pas  la  source  des  vertus  ainsi  que 
(du  vice)  des  vices. 


EDITION"   ORIGINALE  I7 


2.  L'apostolat  du  Vicaire. 


I    »  L'Ecclésiastique  vit  le  danger  &  et  les  ressources.  Les  difficultés  [gi 

»  ne  le  rebutèrent  point  ;  il  se  complaisoit  dans  son  ouvrage  ^,  il 
»  résolut  de  l'achever,  &  de  rendre  à  la  vertu  la  victime  qu'il  avoit 
»  arrachée  à  l'infamie.  11  s'y  prit  de  loin  pour  exécuter  son  projet; 
»  la  beauté  du  motif  animoit  son  courage,  &  lui  inspiroit  des  moyens 
»  dignes  de  son  zèle.  Quel  que  fût  le  succès  -,  il  étoit  sûr  de  n'avoir  pas 
»  perdu  son  tems  :  on  réussit  toujours  quand  on  ne'veut  que  bien  faire. 


»  Il  commença  par  gagner  la  confiance  du  Prosélite  i^j  en  ne  lui 
»  vendant  point  ses  bienfaits,  en  ne]se  rendant  point  importun,  en  ne 
»  lui  faisant  point  de  sermons,  en  se  mettant  toujours  à  sa  portée, 
»  en  se  faisant  petit  pour  s'égaler  à  lui.  C'étoit,  ce  me  semble,  un 
»  spectacle  assez  touchant,  de  voir  un  homme  grave  devenir  le  |  camarade  [IQ] 
»  d'un  polisson,  &  la  vertu  se  prêter  au  ton  de  la  licence,  pour  en 
»  triompher  plus  sûrement  i.  Quand  l'étourdi  venoit  lui  faire  ses  folles 
»  confidences  &  s'épancher  avec  lui,   le  Prêtre  l'écoutoit,  le  mettoit  à 


»    G,  D  :  Prosélyte. 

'  Dans  la  Première  Rédaction,  Rousseau  avait  ainsi  commenté  cette  remarque  : 
«  L'amour-propre  bien  ou  mal  dirigé  n'est-il  pas  la  source  des  vertus  ainsi  que 
des  vices  »  ?  C'est  une  idée  sur  laquelle  il  reviendra  plusieurs  fois  dans  VÈmile  :  mais, 
sous  cette  forme,  elle  semble  antérieure  à  la  distmciion  entre  l'amour-propre  et 
l'amour  de  soi  que  Rousseau  empruntera  à  Vauvenargues  :  cf..  plus  loin,  p.  67,  note  1. 

-  Quel  que  fût  le  résultat.  Succès  est  très  souvent  employé  avec  ce  sens 
indéterminé  dans  la  langue  du  XVII"  siècle,  beaucoup  plus  rarement  déjà  à 
l'époque  de  l'Emile. 

'  La  méthode  du  Vicaire  est  celle-là  même  que  Rousseau  a  conseillée  aux 
maîtres  dans  le  IV'  Livre  d'Emile,  II,  217  :  «  Je  ne  puis  m'empêcher  de  relever 
ici  la  fausse  dignité  des  gouverneurs  qui,  pour  jouer  sottement  les  sages,  rabaissent 
leurs  élèves,  affectent  de  les  traiter  toujours  en  enfants,  et  de  se  distinguer  toujours 
d'eux  dans  tout  ce  qu'ils  leur  font  faire.  Loin  de  ravaler  ainsi  leurs  jeunes  courages, 
n'épargnez  rien  pour  leur  élever  l'âme:  faites-en  vos  égaux  afin  qu'ils  le  deviennent; 
et,  s'ils  ne  peuvent  encore  s'élever  à  vous,  descendez  à  eux  sans  honte,  sans  scrupule. 
Songez  que  votre  honneur  n'est  plus  dans  vous,  mais  dans  votre  élève  ;  partage;; 
ses  fautes  pour  l'en  corriger:  charge^^-vous  de  sa  honte  pour  l'effacer  ». 


l8  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

réprimande)  ne  ('  venoit  «  resserrer  «  son  cœur).  -  Le  prêtre 
l'écoutoit  le  mettoit  à  son  aise.  Sans  approuver  le  mal  il  s'in- 
teressoit  à  tout  (et  ne  blamoit  rien).  '■>  Le  plaisir  *  que  (^  l'on) 
«  '■  sembloit  prendre  à  »  l'entendre  augmentoit  celui  qu'il  prenoit 
à  '  babiller.  Ainsi  se  fit  sa  confession  générale  sans  qu'il  songeât 
à  rien  confesser.  (Tous  ses  sentimens  s'  *  exhaloi  ent  sans  peine). 
Après  avoir  bien  étudié  ses  sentimens  et  son  caractère  le 
prêtre  vit  ^  clairement  que  ("'  quoi)  qu'il  ne  fut  pas  absolument 
ignorant  pour  son  âge  '^  non  seulement  il  n'avoit  aucune  (idée) 
véritable  ('-  de  religion)  mais  qu'il  (ne)  seroit  ('=*  pas  en  état)  d'en 
concevoir  tant  qu'il  resteroit  dans  l'état  d'avilissement  et  d'opprobre 
où  l'avoit  réduit  la  fortune'^.  11  est  un  degré  d'abbrutissement  qui 
ôte  la  vie  à  l'ame,  et  la  voix  intérieure  ne  '"dit  plus  rien  à  '"  celui 
qui  ne  songe  qu'à   se   nourrir,  f  Pour  garcUitir  le  jeune   '•  homme 

'  [faisoit....  venoientl. 

-  [Le  «  vertueux  »  (bon)  prêtre  se  faisoit  petit  pour  (être  l'égal  de)  l^s'égaler 
à]  son  disciple]. 

'  jamais  une  indiscrette  censure  ne  venoit  resserrer  son  [jeune]  cœur  (et 
suspendre  sa  confession).  —  B.  ne  venoit  arrêter  son  babil  et  resserrer  son  cœur. 

■*  B.  (qu'on  se)  [avec]  lequel  il  se  crovoit  écouté  augmentoit. 

■^  [on]. 

'  [(montroit)]. 

'  B.  tout  dire. 

"  exhaloit  (sic). 

'  (que). 

'"  [bien].  —  B.  sans  être  ignorant. 

'■'  B.  <  non  seulement...  d'avilissement  et  d"  >  il  avoit  oublié  tout  ce  qu'il 
lui  importoit  de  savoir  et  que  1'. 
"  [idée  du  bien  et  du  mal]. 
'^  [même  incapable], 

'*  B.  («   effacoit   »    de   son...    en    lui...    otoii)    [étouffoit  en    lui]    tout  vrai 
sentiment  du  bien  et  du  mal. 

"  B.  sait  point  se  faire  entendre.  —  M.  sait  plus. 
'"  M.  <  celui  >. 
"  B.  infortuné. 

t  Ici,  en  marge,  le  dialogue  suii'ant.  qui  se?-a  repris  plus  loin, 
/'  i3/'"  :  Et  qui  est-ce  donc  qui  est  heureu.x  :  (mon  enfant)  c'est  moi 
répondit  le  prêtre  d'un  ton  qui  frapa  le  jeune  homme,  i  Et  comment 
avez-vous?)  [Vous  êtes  heureu.x?]  vous?  si  peu  fortuné  !,  si  pauvre  !  et 
comment  avez-vous  fait  pour  l'être?  mon  enfant,  je  vous  le  dirai  volontiers. 


EDITION    ORIGINALE  I9 

»  son  aise;  sans  approuver  le  mal  il  s'interessoit  à  toui.  Jamais  une 
»  indiscreite  censure  ne  venoit  arrêter  son  babil  &  resserrer  son  cœur. 
»  Le  plaisir  avec  lequel  il  se  crovoit  écouté,  augmentoit  celui  qu'il 
»  prenoit  à  tout  dire.  .Ainsi  se  fit  sa  confession  générale,  sans  qui! 
»  songeât  à  rien   contesser. 


»  Après  avoir  bien  étudié  ses  sentimens  &  son  caractère,  le  Prêtre 
»  vit  clairement  que,  sans  être  ignorant  pour  son  âge,  il  avoit  oublié 
»  tout  ce  qu'il  lui  importoit  de  savoir,  &  que  l'opprobre  où  lavoit 
»  réduit  la  fortune,  étouffoit  en  lui  tout  vrai  sentiment  du  bien  &  du 
»  mal.  11  est  un  degré  d'abrutissement  qui  ôte  la  |  vie  à  l'ame;  &  la  ril] 
»  voix  intérieure  ne  sait  point  se  faire  entendre  à  celui  qui  ne  songe 
»  qu'à  se  nourrir.  Pour  garantir  le  jeune  infortuné  de  cette  mort 
»  morale  dont  il  étoit  si  près,  il  commença  par  réveiller  en  lui  l'amour- 
»  propre  &  l'estime  de  soi-même  ^.  Il  lui  montroit  un  avenir  plus 
»  heureux  dans  le  bon  emploi  de  ses  talens;  il  ranimoit  dans  son  cœur 
»  une  ardeur  généreuse,  par  le  récit  des  belles  actions  dautrui  :  en  lui 
»  faisant  admirer  ceux  qui  les  avoient  faites,  il  lui  rendoit  le  désir 
»  d'en  faire  de  semblables.  Pour  le  détacher  insensiblement  de  sa  vie 
»  oisive  &  vagabonde,  il  lui  faisoit  faire  des  extraits  de  livres  choisis  '^  ; 
»  &  feignant  d'avoir  besoin  de  ces  extraits,  il  nourissoit  en  lui  le 
»  noble  sentiment  de  la  reconnoissance  ^.    Il   l'instruisoit   indirectement 


'  Les  pages  qui  suivent  —  tableau  de  la  régénération  morale  du  «  jeune 
infortuné  »  au  contact  du  Vicaire  Savoyard  —  concordent  pour  l'essentiel  avec 
celles  des  Confessions,  VllI,  63,  où  Rousseau  raconte  l'influence  bienfaisante  de 
l'abbé  Gaime  sur  lui  :  «  Dans  l'ordre  successif  de  mes  goûts  et  de  mes  idées, 
j'avais  toujours  été  trop  haut  ou  trop  bas,  .\chille  ou  Thersite,  tantôt  héros  et 
tantôt  vaurien.  M.  Gaime  prit  le  soin  de  me  mettre  à  ma  place,  et  de  me  montrer 
à  moi-même,  sans  m'épargner  ni  me  décourager.  Il  me  parla  très  honorablement 
de  mon  naturel  et  de  mes  talents,  mais  il  ajouta  qu'il  en  voyait  naitre  les  obstacles 
qui  m'empêcheraient  d'en  tirer  parti:  de  sorte  qu'ils  devaient,  selon  lui,  bien 
moins  me  servir  de  degrés  pour  monter  à  la  fortune  que  de  ressources  pour 
m'en  passer  », 

'  C'est  un  détail  que  négligent  les  Confessions,  mais  qui  paraît  très  vraisem- 
blable. C'est,  du  moins,  une  habitude  que  Rousseau  conservera  très  longtemps,  et 
dont  il  n'est  pas  impossible  que  l'abbé  Gaime  lui  ait  donné  la  première  idée. 
On  trouvera,  dans  les  .Manuscrits  de  Neuchâtel,  quelques-uns  de  ces  cahiers  d'extrciits 
',5  et  6]. 

•  En  lui  donnant  l'illusion  de  s'acquitter  ainsi  envers  son  bienfaiteur.  —  Ici 
encore  le  Vicaire  suit  la  méthode  de  Rousseau:  cf.  le  IV'  Livre  d'Emile,  II,  2o5  : 
«  Élevez  son  àme  au  noble  sentiment  de  la  reconnaissance  en  ne  lui  parlant 
jamais  que  de  son  intérêt  »;  et  297  :  «J'enflammerai    son   jeune  cœur  de  tous  les 


20  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 

de  cette  mort  morale  dont  il  étoit  ('  tout)  près  il  -  prit  soin  de 
réveiller  en  lui  l'amour  propre  et  l'estime  de  soi-même.  (="  Il  lui 
donna  bonne  opinion)  «  de  ses  talcns  »,  il  ranimoit  dans  son 
cœur  une  ardeur  généreuse  par  le  récit  des  belles  actions  d'autrui. 
En  lui  faisant  admirer  ceux  qui  les  avoient  faites  il  lui  rendoit 
le  désir  '  de  les  faire  (-'  soi) -même.  Pour  "^^  l'occuper  il  lui 
faisoit  faire  des  extraits  de  livres  choisis  et  feignant  "  que  ces 
extraits  (lui  étoient  nécessaires)  il  nourrissoit  en  lui  le  noble  senti- 
ment de  la  reconnoissance.  11  l'instruisoit  indirectement  par  ces 
livres  ^  et  "  il  lui  faisoit  reprendre  assès  bonne  opinion  de  lui- 
même  pour  ne  [('"  plus)  se  croire  ('^  un  être)  absolument  inutile 
et  ne   vouloir  plus  (^^  être)   méprisable  ^^  à  ses  propres  veux. 

"  Unseul  exemple  (''  suffira  pour)  jugerde  l'art  "que  cet  homme 
employoit  pour  élever  '"  le  cœur  de  son  disciple  '■'  sans  (jamais) 
paroitre  songer  à  son  instruction.  '^  L'Ecclésiastique  avoit  une 
probité  si  bien  reconnue  et  -"  un  jugement  si  -'  sain  «  que 
f  156  "'  plusieurs  »  personnes  aimoient  mieux  ||  faire  passer  leurs  --charités 
par  ses  mains  que  par  celles  des  -^  ministres  de  l'Eglise.  L'n  jour 

■  [si]. 

-  B.  commença  par. 

'  [il  lui  montroit  un  avenir  plus  heureux  dans  le  bon  emploi]. 

*  B.  d'en  faire  de  semblables. 
=  [lui]. 

"  B.  le  détacher  insensiblement  de  sa  vie  oisive  et  vagabonde. 
'  [d'avoir  besoin  de]. 

*  B.  <  et  >. 
"  (le). 

'"  [pas]. 

"  B.  un  être  inutile  à  tout  bien  et  pour  ne. 

'-  [se  rendre]. 

'"  (a  pr  ophES  ?). 

'"'  B.  une  bagatelle. 

'^  [fera]. 

"'  B.  (que)  qu'emplovoit  cet  homme  (bienfaisant)  [de  bien]. 

'"  B.  insensiblement. 

'"  B.  au-dessus  de  la  bassesse.  —  M.  <  au-dessus  de  la  bassesse  >. 

'"  (On  lui). 

■"  B.  (une  si  grande  équité)  [un  (jugement)  discernement]. 

-'  B.  sur. 

"  B.  aumônes. 

-^  B.  riches  curés  de  la  ville.  —  M.  des  villes. 


EDITION    ORIGINALE  21 


»  par    ces    livres:    il    lui    faisoit   reprendre    assez    bonne   opi  |  nion    de         (12] 
»  lui-même  pour  ne  pas  se  croire  un  être  inutile  à  tout  bien,  &  pour 
»  ne  vouloir  plus  se  rendre  méprisable  à  ses  propres  veux. 


»  Une  bagatelle  fera  juger  de  l'art  qu'employoit  cet  homme  bien- 
»  faisant  pour  élever  insensiblement  le  cœur  de  son  disciple  au  dessus 
»  de  la  bassesse,  sans  paroitre  songer  à  son  instruction.  L'Ecclésiastique 
»  avoit  une  probité  si  bien  reconnue  &  un  discernement  si  sûr,  que 
»  plusieurs  personnes  aimoient  mieux  faire  passer  leurs  aumônes  par 
»  ses  mains,  que  par  celles  des  riches  Curés  des  villes  i.  Un  jour  qu'on 
»  lui  avoit  donné  quelqu'argent  à  distribuer  aux  pauvres,  le  jeune 
»  homme  eut,  à  ce  titre,  la  lâcheté  de  lui  en  demander  ^.  Non.  dit-il, 
»  nous  sommes  frères,  vous  m'appartenez,  &  je  ne  dois  pas  toucher 
»  à   ce   dépôt   pour   mon   usage.    Ensuite   il   lui   donna  de  son   propre  I  [13] 

»  argent  autant  qu'il  en  avoit  demandé.  Des  leçons  de  cette  espèce 
»  sont  rarement  perdues  dans  le  cœur  des  jeunes  gens  qui  ne  sont 
»  pas  tout-à-fait   corrompus. 


sentiments  d'amitié,  de  générosité,  de  reconnaissance  que  i"ai  déjà  fait  naître  et 
qui  sont  si  doux  à  nourrir  ».  Cf.  encore  Lettre  à  .M"'  d"Houdetot,  5  Janvier  1758  i^'. 
223  :  <  La  seule  reconnaissance  est  encore  un  sentiment  si  doux...  ». 

'  Conseils  à  un  curé  [2],  3"  :  «  Les  curés  de  ville  me  paraissent  déjà  de 
bien  grands  seigneurs  pour  pouvoir  être  d'honnêtes  gens  ». 

'  Ce  détail  ne  se  trouve  pas  dans  le  récit  des  Confessions  :  il  n'est  certes 
pas  conforme  aux  habitudes  ultérieures  de  Jean-Jacques,  qui  aura  pour  l'argent 
un  très  sincère  mépris.  .Mais  il  est  peu  probable  que  Rousseau  se  soit  gratuitement 
attribué  ce  trait  peu  délicat.  Nous  sommes,  d'ailleurs,  à  l'époque  du  vol  du  ruban. 
Je  crois  donc  qu'on  peut  ajouter  ce  petit  épisode  en  appendice  aux  Confessions., 


22  REDACTIONS    MANUSCRITES 

qu'on  lui  avoil  '  donné  quelque  argent  à  distribuer  aux  pauvres, 
~  le  jeune  homme  eut  ^  à  ce  titre  la  *  bassesse  de  lui  en  deman- 
der •'.  Non,  dit-il,  nous  sommes  frères,  vous  m'appartenez  «  et  » 
je  ne  (^veux)  pas  toucher  à  ce  dépôt  pour  mon  "  usage.  C*  Et)  «  il 
lui  donna  de  son  propre  argent  ■'  ».  Qu'on  s'imagine  si  l'on  peut 
une  leçon  plus  touchante  «  plus  honnête  »  (plus  généreuse)j  et  en 
même  tems  plus  sublime  i". 

f  Ce  qui  "  frapoit   le  plus    '=  le  (jeune)  disciple   etoit   de   voir 


'  M.  remis. 

-  M.  l'autre. 

^  B.  (à  ce  litre). 

■*  B.  lâcheté. 

■■'  B.  [à  ce  titre]. 

"  [dois]. 

'  B.  (propre). 

"  [Ensuite].      ' 

'  B.  autant  qu'il  en  avoit  demandé.  —  M.  qu'il  lui  en.  —  B.  <  Qu'on 
imagine...  plus  sublime  >.  Des  leçons  de  cette  espèce  sont  rarement  perdues 
dans  le  cœur  des  jeunes  gens  qui  ne  sont  pas  tout  à  fait  corrompus. 

'"  B.  Je  me  lasse  de  parler  en  tierce  personne,  et  (a  cela  b  seroil)  un  soin 
(c  bien)  superflu;  car  vous  sentez  bien,  cher  concitoyen  que  ce  malheureu.x 
fugitif  c'est  moi-même,  <i  je  me  {«  sensi  assez  loin  des  desordres  de  ma  jeunesse 
pour  oser  ('  les  reconnaître  et  je  dois  ce  tribut  de  ma  reconnaissance  à  la  main 
qui  m'en  a  tirél. 

a     [c'est].  —  M.  c'est,  sans  doute. 

>>    [(ne  mei]. 

c    [fort]. 

«i   (car...  et  c'est  bien  lai. 

"    [crois]. 

f  [les  avouer  et  la  main  qui  m'en  (a  tirél  [tira]  mérite  bien 
qu'aux  dépens  d'un  peu  de  honte  je  rende  lau  moins 
cet...  quelque)  honneur  let)  à  ses  bienfaits]. 

"  B.  me. 

'-  B.  <  le  jeune  disciple  >. 


t  Ici,  en  marge  :  n  b  faire  que  le  jeune  homme  parle  lui-même,  et.  à 
côte',  un  signe  qui  renvoie  au  passage  du  folio  suivant  :  vous  sentez  bien, 
cher  concitoyen,  etc.  —  Dans  B  et  les  autres  Manuscrits,  c'est  dès 
à  présent  que  Rousseau  se  lasse  de  parler  en  tierce  personne.  Aussi 
les  verbes,  pronoms  et  adjectifs  possessifs  y  sont  à  la  première.  C'est 
donc,  cfie^  eux,  par  rapport  à  F,  et  Jusqu'à  la  reprise  du  je,  u?ie 
différence  générale,  que  j'indique  une  fois  pour  toutes. 


EDITION    ORIGINALE  23 


»  Je  me  lasse  de  parler  en  tierce  personne  \  &  c'est  un  soin  fort 
»  superflu;  car  vous  sentez  bien,  ciier  concitoyen  -,  que  ce  malheureux 
»  fugitif  c'est  moi-même;  je  me  crois  assez  loin  des  désordres  de  ma 
y  jeunesse  pour  oser  les  avouer.  &  la  main  qui  m'en  tira  mérite  bien. 
»  qu'aux  dépens  d'un  peu  de  honte  •''.  je  rende,  au  moins,  quelque 
»  honneur  à  ses  bienfaits. 

»  Ce  qui  me  frappoit  le  plus,  étoit  de  voir,  dans  la  vie  privée 
»  de  mon  digne  maître,  la  vertu  sans  hvpocrisie,  l'humanité  sans 
»  foiblesse,  des  discours  toujours  droits  &  simples,  &  une  conduite 
»  toujours  conforme  à  ces  discours.  Je  ne  le  vovois  |  point  s'inquiéter  [14] 
»  si  ceux  qu'il  aidoit  alloient  à  Vêpres;  s'ils  se  confessoient  souvent: 
»  s'il  jeùnoient  les  jours  prescrits:  s'ils  faisoient  maigre  :  ni  leur  im- 
»  poser  d'autres  conditions  semblables,  sans  lesquelles,  dût-on  mourir 
»  de  misère,  on  n'a  nulle  assistance  à  espérer  des  dévots  ^. 


'  On  a  vu  plus  haut,  p.  8,  note  4,  un  premier  symptôme  de  cette  «  lassitude  v>. 

-  C'est  l'appellation  dont  Rousseau  se  servait  quelquefois  en  écrivant  à  des 
amis  Genevois,  comme  Vernes,  Deluc,  etc.  Mais  c'est  surtout  Moultou  qui  affec- 
tionnait cette  formule  en  écrivant  à  Rousseau.  Du  reste,  ici  encore  le  «  cher 
concitoven  »  c'est  Rousseau  lui-même,  car,  d'après  la  fiction,  c'est  à  lui  que 
«  l'auteur  du  papier  »  est  censé  adresser  son  récit;  cf.  sa  Lettre  à  Marcet  du 
24  Juillet  1762,  X,  354:  «  Il  [l'auteur  d'Emile'  déclare  que  c'est  un  écrit  qu'il 
transcrit  dans  son  livre,  et  cet  écrit,  dans  le  préambule,  parait  lui  être  adressé  par 
un  de  ses  cnncito-t-ens  ».  Cf.  encore  Déclaration  relative  au  Pasteur  Vernes^  IX,  go. 

^  C'est  déjà,  chez  Rousseau,  le  besoin  de  «  confession  »  qui  se  manifeste. 

'  Comparer  avec  le  réquisitoire  de  Julie,  Nouvelle  Hélotse  (VI,  viii),  V,  44  : 
«  Ce  qui  m'a  donné  le  plus  d'éloignement  pour  les  dévots  de  profession,  c'est 
cette  àpreté  de  mœurs  qui  les  rend  insensibles  à  l'humanité,  c'est  cet  orgueil 
excessif  qui  leur  fait  regarder  en  pitié  le  reste  du  monde.  Dans  leur  élévation 
sublime,  s'ils  daignent  s'abaisser  à  quelque  acte  de  bonté,  c'est  d'une  manière 
si  humiliante:  ils  plaignent  les  autres  d'un  ton  si  cruel,  leur  justice  est  si  rigoureuse, 
leur  charité  est  si  dure,  leur  zèle  est  si  amer,  leur  mépris  ressemble  si  fort  à  la 
haine,  que  l'insensibilité  même  des  gens  du  monde  est  moins  barbare  que  leur 
commisération.  L'amour  de  Dieu  leur  sert  d'excuse  pour  n'aimer  personne;  ils  ne 
s'aiment  pas  même  l'un  l'autre.  Vit-on  jamais  d'amitié  véritable  entre  les  dévots  ? 
Mais  plus  ils  se  détachent  des  hommes,  plus  ils  en  exigent:  et  l'on  dirait  qu'ils  ne 
s'élèvent  a  Dieu  que  pour  exercer  son  autorité  sur  la  terre  ». 


24 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


dans  la  vie  privée  de  son  '  digne  -  maître  la  vertu  sans  ^  cagoterie 
l'humanité  sans  foiblesse  [des  discours  toujours  droits  et  simples] 
et  *  des  actions  toujours  si  conformes  à  ^  ses  discours.  Il  ne  le 
vovoit  point  s'inquiéter  si  ceux  qu'il  C^  assistoit)  alloient  à  ('  la 
messe)  s'ils  se  confessoient  souvent,  s'ils  C  îaisoient)  '  exactement 
(mai  gre)  les  jours  prescrits  et  d'autres  conditions  semblables  sans 
lesquelles  if"  on  n'a  nulle  assistance  à  espérer  des  ^i  dévots.  [(Tout 
homme  souffrant  avoit  part  à  sa  commisération  i-')j.  Loin  d'étaler 
[lui-mêmei  à  ses  veux  le  zélé  affecté  d'un  nouveau  converti  il 
ne  lui  >3  avoit  point  trop  caché  ses  '^  manières  de  penser  et  ne 
l'en  voyoit  pas  plus  scandalisé.  Quelquefois  «  '^  il  se  seroit  dit  » 
il  (">  me  pardo  nne)  mon  «  ^'  indifférence  »  pour  le  culte  que 
j'ai  embrassé  en  faveur  de  {'"  mon  indifférence  i''  pour  celui)  dans 
lequel  je  suis  né,  il  (-'"voit)  simien  que  mon  dédain  n'est  plus 
une  affaire  de  parti.  Mais  que  '-'- pouvoit-il  penser  quand  il  "'enten- 


'  B.  (charitable)  «  digne  ».  — I.  charitable  patron. 

-  B.  (bienfaiteur)  <i~  maître  ». 

^  B.  (cagoterie)  [hypocrisie],  — I.  cagoterie. 

*  B.  une  conduite  toujours  conforme. 

=  B.  ces. 

"  [aidoit]. 

■  [vêpres]. 

"  [jeunoient]. 

'  B.  <  e.xactement  >  (les  jours  prescrits)  s'ils  faisoient  maigre  (et)  [«■  ni  » 
leur  imposer]  d'autres. 

'"  B.  dût-on  mourir  de  misère. 
"  B.  «  dévots  ». 

'-  [(ce  n'eut  été  que  (en)  dans  une  concurrence?  indispensable)]. — B.  En- 
couragé par  ces  observations. 
"  B.  cachois. 

'"'  B.  (manières  de  penser)  [idées]. 
'^  B.  j'aurois  pu  me  dire. 
'"  [me  passe]. 
''  [dédain]. 

'*"  [celle  que  (j'ai  de  mon)  il  me  voit  aussi  pour  le  culte]. 
'"  (que), 
^o  [sait]. 

'-'  B.  <  bien  >. 
'"  B.  (pouvois-je)  [devois-je]. 
-'  B.  l'entendois. 


EDITION    ORIGINALE  25 

»  Encouragé  par  ces  observations,  loin  d'étaler  moi-même  à  ses 
»  veux  le  zèle  affecté  d'un  nouveau  converti,  je  ne  lui  cachois  point 
»  trop  mes  manières  de  penser,  &  ne  l'en  voyois  pas  plus  scandalisé. 
»  Quelquefois  j'aurois  pu  me  dire:  il  me  passe  mon  indifférence  pour 
»  le  culte  que  j'ai  embrassé,  en  faveur  de  celle  qu'il  me  voit  aussi 
»  pour  le  cuite  dans  lequel  je  suis  né;  il  sait  que  mon  dédain  n'est 
»  plus  une  affaire  de  parti.  .Mais  que  devois-je  penser,  quand  je  leniendois 
»  quelquefois  approuver  des  dogmes  contraires  à  ceux  de  |  l'Eglise  [15] 
»  Romaine,  &  paroître  estimer  médiocrement  toutes  ses  cérémonies? 
»  Je  l'aurois  cru  protestant  déguisé  i,  si  je  l'avois  vu  moins  fidèle  à 
'»  ces  mêmes  usages  dont  il  sembloit  faire  assez  peu  de  cas;  mais 
»  sachant  qu'il  s'acquittoit  sans  témoin  de  ses  devoirs  de  Prêtre  aussi 
»  ponctuellement  que  sous  les  yeux  du  public,  je  ne  savois  plus  que 
»  juger  de  ces  contradictions.  Au  défaut  près,  qui  jadis  avoir  attiré  sa 
»  disgrâce.  &  dont  il  n'étoit  pas  trop  bien  corrigé  -,  sa  vie  étoit  exem- 
»  plaire,    ses    mœurs   étoient    irréprochables,    ses   discours    honnêtes   & 


'  Les  Confessions  ne  font  pas  allusion  à  «  ce  protestantisme  déguisé  ».  A  la 
page  même  où  Rousseau  montre  dans  «  l'honnête  .M.  Gaime  »  l'original  du  Vicaire 
Savovard,  VHI,  64,  il  reconnaît  que,  «  la  prudence  »  obligeant  l'abbé  «  à  parler  avec 
plus  de  réserve  [que  le  Vicaire],  il  s'expliqua  moins  ouvertement  sur  certains  points  ». 

'  Rousseau  a  déjà  employé  une  formule  analogue  en  parlant  des  buveurs. 
Lettre  à  D'Alembert,  I,  25i  :  «  Us  sont  presque  tous...  braves  et  honnêtes  gens, 
à  leur  défaut  prés  ».  .Mais  ici  la  formule  est  obscure  et  imprécise.  11  faut  la 
rapprocher  de  l'aveu  du  Vicaire,  à  la  fin  de  la  Première  Partie  de  la  Professwn. 
au  moment  où  il  vient  de  parler  des  illusions  des  sens;  cf.,  plus  loin.  p.  i25  :  «  Ces 
illusions,  dit-il,  ont  duré  trop  longtemps  pour  moi.  Hélas!  je  les  ai  trop  tard 
connues  et  n'ai  pu  tout-à-fait  les  détruire;  elles  dureront  autant  que  ce  corps 
mortel  qui  les  cause  ».  Cf.  encore,  p.  86  :  «  Hélas!  je  le  sens  trop  par  mes  vice^. 
l'homme  ne  vit  qu'à  moitié  durant  cette  vie,  et  la  vie  de  l'âme  ne  commence  qu'à  la 
mort  du  corps  ».  Ces  aveux  ne  paraissent  laisser  aucun  doute  sur  le  sens  qu'il  faji 
donner  ici  au  mot  défaut,  quoiqu'il  devienne  alors  un  peu  déconcertant  de  décerner 
au  Vicaire  un  certificat  de  «  mœurs  irréprochables  ».  .Mais  ce  qui  avait  «  attiré  s;i  dis- 
grâce »,  c'était  moins,  à  proprement  parler,  un  «  défaut  ».  ou.  pour  reprendre  son  auire 
qualificatif,  un  «  vice  »,  qu'une  «  aventure  de  jeunesse  ».  «  un  scandale  »,  qui  semblait 
ne  s'être  point  renouvelé.  \\x  début  de  la  Profession,  il  affirmera  «  son  respect  pour  le 
lit  d'autrui  ».  S'il  l'avait  conservé  après  sa  première  aventure,  on  comprend  mal  comment 
ce  *  défaut  »  pouvait  se  manifester  sans  le  compromettre;  et.  si  les  conséquences  de  ce 
«défaut»  devenaient  visibles,  on  ne  comprend  pas  mieux  comment  .M.  de  .Mellarède 
avait  pu  intervenir  en  sa  faveur  et  lui  «  obtenir  la  permission  de  reprendre  ses  fonc- 
tions »  :  cf.,  plus  loin,  p.  i85.  Peut-être  le  passage  suivant  du  IV"  Livre  d'Emile, 
11,  323.  pourrait-il  suggérer  une  explication  :  «  Que  si  des  habitudes  mal  combattues 
avaient  tourné  mes  anciens  désirs  en  besoins,  j'y  satisferais  peut-être,  mais  avec 
honte,  mais  en  rougissant  de  moi.  J'ôterais  la  passion  du  besoin,  je  m'assortirais 
le  mieux  qu'il  me  serait  possible,  et  m'en  tiendrais  là  :  je  ne  me  ferais  plus  une 
occupation  de  ma  faiblesse,  et  je  voudrais  surtout   n'en  avoir  qu'un  seul   témoin  ». 


26  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

doit  '  le  prêtre  lui-même  (-  approuver)  des  dogmes  contraires  à 
ceux  de  l'église  Romaine  et  paroitre  ^  îaire  asses  peu  de  cas 
de  toutes  ces  cérémonies,  *  il  l'eut  cru  protestant  (■■  lui-même) 
*^  s'il  l'eut  vu  moins  (■  fidèlement  asservi  même  sans  témoins)  à 
ces  «  mêmes  »  usages  C^  qu'il)  ■'  sembloit  ('"  estimer  si  peu),  i'  Mais 
sachant  qu'il  s'acquitoit  sans  témoin  de  ses  devoirs  Ide  prêtre| 
aussi  (1- fidèlement)  que  sous  les  veux  du  public  le  jeune  homme 
ne  savoit  ^^  plus  que  ^^  penser  de  ces  contradictions  (inexpliquables). 
Au  défaut  près  qui  jadis  avoit  '''  causé  sa  disgrâce  et  dont  il 
n'étoit  pas  ^''' tout  à  fait  corrigé]  sa  vie  eioit  exemplaire  (et)  ses 
mœurs  étoient  irréprochables,  ses  discours  honnêtes  et  judicieux. 
(1"  Après  avoir  vécu)  avec  lui  «  dans  la  plus  grande  »  "fami- 
liarité ('■'  tout  ce  que  le  jeune  homme  avoit  vu  de  lui  le  poussoit 
à  le  respecter)  davantage  :  et  tant  de  bontés  l'axant  -"pénétré 
pour    lui    d'une    tendre    affection    il    attendoit    avec    une    curieuse 


'  B.  quelquefois  lui-même. 

-  [(avancer)  établir].  — B.  approuver. 

'  B.  estimer  médiocrement  toutes  (ces)  [ses]  cérémonies  ? 

^  B.  Je  l'aurois. 

■■*  [déguisé]. 

•^  B.  si  je  l'avois  vu. 

'  [(exact)  fidelle\ 

"  [dont  il]. 

'  M.  paroissoit. 

'"  [ne  point....  faire  (aucune)  si  peu  d'estime].  —  B.  faire  «.  asses  » 
peu    de   cas. 

"  (Il  lui  voyoit  remplir  si  [trop]  fidèlement  ses  devoirs  de  Prêtre)  «  et  ». 

'-  [ponctuellement]. 

'■'  B.  (plus). 

'*  B.  (penser)  [juger]. 

'^  B.  attiré. 

'"  B.  trop  bien. 

'■  [En  vivant]. 

'"  B.  intimité. 

"*  [le  jeune  homme  le  respectoit  chaque  jour].  —  B.  j'apprenois  à  le  respecter 
chaque. 

-"  B.  (pénétré  pour  lui  de  la  plus  tendre  affection)  [tout  à  fait  gagné  le 
coeur].  — I.  pénétré  pour  lui  de  la  plus  tendre  atïection. 


EDITION    ORIGINALE  27 

»  judicieux.  En  vivant  avec  lui  dans  la  plus  grande  intimité,  j'apprenois 

»  à    le    respecter    chaque    jour   davantage;    &   tant   de    bontés   m'ayant 

»  tout-à-t'ait   gagné   le   cœur,    j'attendois   avec    une   curieuse    inquiétude 

»  le    moment   d'apprendre    sur   quel    principe    il    I    fondoit   l'uniformité  16] 

»  d'une  vie  aussi   singulière. 


28  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

fo  157  ro     inquiétude   '  sur   quel   principe   il   ||  2  pouvoit    fonder    l'uniformité 
d'une  vie  aussi  ^  bizarre. 

[*  Vous  sentez  bien,  cher  concitoyen,  que  ce  malheureux  fugitif 
(qui  a  passé  par  toutes  ces  humiliations)  «  c'est  moi  même  »]. 

■^  Ce  qu'il  v  avoit  ('^  au  fond  de)  moi  de  plus  difficile  à  détruire 
étoit  une  orgueilleuse  misantropie  une  «  certaine  aigreur  »  contre 
'  les  heureux  (et  les  riches)  comme  s'ils  l'eussent  été  à  mes  dépends 
et  que  leur  prétendu  bonheur  eût  été  usurpé  sur  *  celui  qui 
m'étoit  du.  La  folle  vanité  de  la  jeunesse  qui  regimbe  contre 
l'humiliation  ne  me  donnoit  que  trop  de  penchant  à  cette 
«  huineur  »  colère,  f  et  '■'  le  sentiment  intérieur  que  mon  mentor 
if"  s'efforcoit  de  réveiller  en  moi  me  portant  à  ("  l'élévation  d'ame) 
*- me  rendoit  les  hommes  ^^  encore  plus  vils  "  et  ne  faisoit  ^'' que 
joindre  pour  eux  le  mépris  à  la  haine.  Sans  combattre  directement 
cet  orgueil  il  l'empêcha  de  se  tourner  en  dureté  d'âme,  et  sans 
m'ôter  l'estime  de  moi-même  il  "'■  la  rendit  moins  dédaigneuse 
pour    ''les   autres.    En    écartant   i**  ces    vaines    apparences    et    me 


'  B.  le  moment  d'apprendre  sur. 

-  B.  Ipouvoil  fonder)  [fondoit]. 

^  B.  singulière. 

■•  B.  <  Vous  sentez...  moi-même  >. 

■■  B.  Ce  moment  ne  vint  pas  sitôt.  Avant  de  s'ouvrir  à  (moi)  [son  disciple] 
il  s'efforça  de  faire  germer  les  semences  de  (bonté...  raison)  [sagesse  et  de  vertu] 
qu'il  jettoit  dans  (mon)  [son]  âme. 

^  [en]. 

'  [les  riches  et]  les  heureu.x  [de  ce  monde].  —  B.  du  monde. 

■*  B.  le  mien. 

^  B.  l'amour  propre. 

'"  B.  làchoit. 

"  [la  fierté]. 

'-  B.  (me  [ne]). 

'■■^  B.  (que)  [encore]. 

"  B.  à  mes  yeux. 

'^  B.  qu'ajouter. 

"'  (me). 

''  B.  mon  prochain. 

'"  B.  toujours  la  vaine  apparence. 

t  Ici.  dans  le  manuscri/.  un  espace  de  quelques  mots  laissé  en  blanc. 


EDITION    ORIGINALE  29 


»  Ce  moment  ne  vint  pas  si-tôt.  Avant  de  s'ouvrir  à  son  disciple, 
»  il  s'efforça  de  faire  germer  les  semences  de  raison  &  et  de  bonté 
»  qu'il  jettoit  dans  son  ame.  Ce  qu'il  v  avoit  en  moi  de  plus  difficile 
»  à  détruire  étoit  une  orgueilleuse  misantropie,  une  certaine  aigreur 
»  contre  les  riches  &  les  heureux  du  monde,  comme  s'ils  l'eussent  été 
»  à  mes  dépens,  &  que  leur  prétendu  bonheur  eût  été  usurpé  sur  le 
»  mien.  La  folle  vanité  de  la  jeunesse  qui  regimbe  contre  l'humiliation, 
»  ne  me  donnoit  que  trop  de  penchant  à  cette  humeur  colère;  &  l'amour- 
»  propre  que  mon  Mentor  tàchoit  de  réveiller  en  moi,  me  portant  à 
»  la  fierté,  rendoit  les  hommes  encore  plus  vils  à  mes  yeux,  &  ne 
»  faisoit  qu'ajouter,  pour  eux,  le  mépris  à  la  haine. 

I  »  Sans  combattre  directement  cet  orgueil,  il  l'empêcha  de  se  tourner  [17] 
»  en  dureté  d'ame,  &  sans  m'ôter  l'estime  de  moi-même,  il  la  rendit 
»  moins  dédaigneuse  pour  mon  prochain.  En  écartant  toujours  la  vaine 
»  apparence  &  me  montrant  les  maux  réels  qu'elle  couvre,  il  m'apprenoit 
»  à  déplorer  les  erreurs  de  mes  semblables,  à  m'attendrir  sur  leurs 
»  misères,  &  à  les  plaindre  plus  qu'à  les  envier.  Ému  de  compassion 
»  sur  les  foiblesses  humaines,  par  le  profond  sentiment  des  siennes, 
»  il  vovoit  par-tout  les  hommes  victimes  de  leurs  propres  vices  &  de 
»  ceux  d'autrui  ;  il  vovoit  les  pauvres  gémir  sous  le  joug  des  riches,  &  les 
»  riches  sous  le  joug  des  préjugés.  Croyez-moi,  disoit-il  i.  nos  illusions, 
»  loin  de  nous  cacher  nos  maux,  les  augmentent,  en  donnant  un  prix  à 
»  ce  qui  n'en  a  point  &  nous  rendant  |  sensibles  à  mille  fausses  pri-  [18] 
»  vations  que  nous  ne  sentirions  pas  sans  elles.  La  paix  de  l'ame 
»  consiste  dans  le  mépris  de  tout  ce  qui  peut  la  troubler;  l'homme 
»  qui  fait  le  plus  de  cas  de  la  vie.  est  celui  qui  sait  !e  moins  en  jouir, 
»  &  celui  qui  aspire  le  plus  avidement  au  bonheur,  est  toujours  le  plus 
»  misérable. 


'  Ces  réflexions  du  Vicaire  concordent  pour  le  fond  avec  celles  que  Rousseau 
met  dans  la  bouche  de  l'abbé  Gaime,  Confessions,  VIII,  63  :  «  Il  me  fit  un  tableau, 
vrai  de  la  vie  humaine,  dont  je  n'avais  que  de  fausses  idées;  il  me  montra  comment, 
dans  un  destin  contraire,  l'homme  sage  peut  toujours  tendre  au  bonheur  et  courir 
au  plus  près  du  vent  pour  y  parvenir;  comment  il  n'y  a  point  de  vrai  bonheur 
sans  sagesse,  et  comment  la  sagesse  est  de  tous  les  états.  H  amortit  beaucoup  mon 
admiration   pour  la  grandeur,   en   me   prouvant  que  ceux  qui  dominaient  les  autres 


30  REDACTIONS    MANUSCRITES 

montrant  les  maux  réels  qu''  elles  couvrent  il  m'apprenoit  à 
déplorer  |-  les]  erreurs  ide  mes  semblables  ,  à  m'attendrir  sur 
leurs  misères,  et  à  les  plaindre  plus  qu'à  les  envier.  Emu  de 
compassion  sur  les  foiblesses  humaines,  par  le  profond  sen- 
timent des  siennes  il  voyoit  par  tout  les  hommes  victimes  de 
leurs  ^  vices  et  de  ceux  ^  des  autres,  il  voyoit  les  pauvres  gémir 
sous  le  joug  des  riches  et  les  riches  sous  le  joug  ^  de  l'opinion. 
Croyez-moi  disoit-il  nos  illusions  "  loin  de  nous  cacher  nos  maux 
les  augmentent.  ■  Elles  nous  rendent  sensibles  à  mille  *  privations 
que  nous  ne  sentirions  ■'  pas  sans  elles.  La  paix  de  l'ame  consiste 
dans  le  mépris  de  tout  ce  qui  peut  la  troubler  '"  et  f"  l'hommej 
qui  ('-jouit  le  moins  des  biens  de  cette  vie  «est  celui  qui  »  suit 
le  mieux  la  nature).  '^  Ah  quels  tristes  tableaux,  m'ecriois-je  avec 
amertume,  '^  que  nous  a  donc  servi  de  naitre  '^  et  f  qui  est-ce 
qui  sait  être  heureux.  C'est  moi   répondit  le  prêtre  d'un  ton  dont 


'  B.  elle  couvre. 

-  (leurs). 

■■  B.  propres. 

'  B.  d'autrui. 

■■  B.  des  préjugés. 

"  [(moins  ?)]. 

'  B.  en  donnant  un  prix  à  ce  qui  n'en  a  point,  et  nous  rendant  sensibles.  — 
M.  en  nous  en  donnant  de  chimériques,  en  mettant  un  pri.\  à. 

"  B.  fausses. 

"  B.  (pas)  [point]. 

'"  B.  la  félicité  fuit  ceux  qui  la  poursuivent;  l'homme. 

"  (le  plus  heureux  des  hommes). 

'-  [(leur)  donne  un  plus  grand  prix  aux  biens  de  la  vie  est  celui  qui  sait  le 
moins  en  jouir].  —  B.  fait  le  plus  de  cas  de  la  vie  est  celui. 

"  (le  néant  de  l'humanité...  des  choses  humaines).  —  B.  «  .\h\  quels  tristes 
tableaux,  m'écriois-je  *. 

"  B.  [s'il  faut  renoncer  à  son  être  pour  en  jouir]  que  nous.  —  M.  toujours 
renoncer  à  soi. 

'■'  B.  (et)  [s'il  faut  ne  tenir  à  rien  pour  vivre  sans  peines]  qui  est-ce.  — 
M.  s'il  ne  faut  tenir. 


t  Ce    dialogue    avait    déjà    été  amorcé  plus  haut,   dans   une    note 
marginale,  /'°  i56  ''". 


EDITION    ORIGINALE  3I 

»  Ah  !  quels  tristes  tableaux,  m"écriois-je  avec  amertume  !  s'il  faut 
»  se  refuser  à  tout,  que  nous  a  donc  servi  de  naître,  &  s'il  faut  mépriser 
»  le  bonheur  même,  qui  est-ce  qui  sait  être  heureux?  C'est  moi,  répondit 
»  un  jour  le  Prêtre,  d'un  ton  dont  je  fus  frappé.  Heureux,  vous!  si  peu 
»  fortuné,  si  pauvre,  exilé,  persécuté;  vous  êtes  heureux!  Et  qu'avez- 
»  vous  fait  pour  l'être?  Mon  entant,  reprit-il,  je  vous  le  dirai  volontiers. 


n'étaient  ni  plus  sages  ni  plus  heureux  qu'eux.  Il  me  dit  une  chose  qui  m'est 
souvent  revenue  à  la  mémoire  :  c'est  que  si  chaque  homme  pouvait  lire  dans  les 
cœurs  de  tous  les  autres,  il  y  aurait  plus  de  gens  qui  voudraient  descendre  que  de 
ceux  qui  voudraient  monter.  Cette  réflexion  dont  la  vérité  frappe  et  qui  n'a  rien 
d'outré,  m'a  été  d'un  grand  usage  dans  le  cours  de  ma  vie  pour  me  faire  tenir  à  ma 
place  paisiblement.  11  me  donna  les  premières  vraies  idées  de  l'honnête,  que  mon 
génie  ampoulé  n'avait  saisi  que  dans  ses  excès  ».  Ce  sont,  à  peu  de  chose  près,  les 
mêmes  maximes  qu'ici  :  mais,  dans  le  résumé  des  Confessions,  le  ton  est  plus 
simple  et  moins  antithétique. 


32  REDACTIONS    MANUSCRITES 

je  fus  frapé.  Heureux,  vous  ?  si  peu  fortuné,  si  pauvre  ('  si) 
persécuté,  \ous  êtes  heureux  !  et  -  comment  avez-vous  fait  pour 
l'être.  Mon  enfant  reprit-il  je  vous  le  dirai  volontiers. 


3.  Le  Rendez-vous. 


(3  Alors)  il  me  fit  entendre  qu'après  avoir  receu  mes  confes- 
sions il  vouloit  me  faire  les  siennes.  J'epancheroi  dans  vôtre  sein 
me  dit-il  en  m'embrassant  tous  les  ^  secrets  de  mon  cœur.  Vous 
me  verrez,  sinon  tel  que  je  suis  ^  au  moins  tel  que  je  me  vois 
moi-même.  Quand  vous  aurez  receu  mon  entière  profession  de 
foi  t  quand  vous  connoitrez  bien  ,  l'état  de  mon  ame,  vous 
C  verrez)  pourquoi  je  m'estime  heureux  et,  si  vous  (en)  pensez 
comme  moi,  ce  que  vous  avez  à  faire  pour  l'être.  Mais  C  ces 
jo  -J57  vo  détails)  ne  sont  pas  l'affaire  d'un  moment.  Il  '*  faut  \\  du  tems  pour 
■'  exposer  tout  ce  que  je  pense.  (^"  Nous  choisirons)  «  un  lieu  » 
commode  pour  nous  livrer  paisiblement  à  cet  entretien. 

"  Alors  il  me  donna  rendez  vous  au  lendemain  matin  ; 
('■-  nous  étions)  en  été  nous  nous  levâmes  à  la  pointe  du 
jour.    Il    me   mena     hors   de    la    ville'    '■' sur    une     haute     colline 


'  rexile'. 

-  B.  qu'avez.  • 

'  'Là-dessus\ 
■*  B.  sentimens. 
^  (au  moins  tel  que  je  suis). 
^  [(connoitrez)  saurez]. 
'  [ces  aveu.x]. 
»  B.  [(me)]. 

"  (entrer  dans  les  détails  que).  —  B.  vous  e.xposer. 
"•  [prenons  un  (moment)  heure]  commode[s]. 

"  B.  Je  marquai  de  l'empressement  à  l'entendre.  (11  me  donna  rendez-vous) 
[le  rendez-vous  ne  fut  pas  renvoyé  plus  tard  qu'au]. 
'-  [on  étoit]. 
"  B.  (et). 

t  Ici.  dans  le  inanuscn't.  un  espace  de  quelques  lignes  laissé  en  blanc. 


ÉDITION    ORIGINALE  33 


3.  Le   Rendez-vous. 


»  Là-dessus  il  me  fit  entendre  qu'a-  |  près  avoir  reçu  mes  confes-  [19] 
»  sions,  il  vouloit  me  faire  les  siennes.  J'épancherai  dans  votre  sein, 
»  me  dit-il  en  m'embrassant,  tous  les  sentimens  de  mon  cœur  '.  \'ous 
»  me  verrez,  si  non  tel  que  je  suis,  au  moins  tel  que  je  me  vois  moi- 
»  même.  Quand  vous  aurez  reçu  mon  entière  profession  de  foi,  quand 
»  vous  connoîtrez  bien  l'état  de  mon  ame,  vous  saurez  pourquoi  je 
»  m'estime  heureux,  &,  si  vous  pensez  comme  moi,  ce  que  vous 
»  avez  à  faire  pour  l'être.  Mais  ces  aveu.x.  ne  sont  pas  l'affaire  d'un 
»  moment;  il  faut  du  tems  pour  vous  exposer  tout  ce  que  je  pense 
»  sur  le  sort  de  l'homme.  &  sur  le  vrai  prix  de  la  vie'-;  prenons  une 
»  heure  un  lieu  commodes  pour  nous  livrer  paisiblement  à  cet  entrelien. 

»  Je   marquai   de    l'empressement  à   l'entendre.    Le   rendez-vous   ne 
»  fut  I  pas  renvové   plutard  qu'au    lendemain   matin.   On   étoit  en   été;  ^20] 

»  nous  nous  levâmes  à  la  pointe  du  jour.  Il  me  mena  hors  de 
»  la  ville,  sur  une  haute  colline,  au-dessous  de  laquelle  passoit  le 
»  Pô  1,  dont    on    voyoit    le    cours    à    travers    les    fertiles    rives    qu'il 


'  Comme  plusieurs  philosophes  du  XVIII"  siècle,  chez  qui  le  prosélytisme  est  un 
besoin  du  tempérament,  Rousseau  est  en  quête  d'un  disciple:  et  c'est  à  un  «  jeune 
homme  »  qu'il  désire,  lui  aussi,  confier  ses  plus  chères  pensées  :  cf.  Vauvenargues, 
Conseils  à  un  jeune  homme  '178',  170  sqq,  et  le  mot  de  Diderot  en  tête  de  ses 
Pensées  sur  l'interprétation  de  la  Sature  210",  7  :  «  Jeune  homme,  prends  et  lis  ». 
Mais  Rousseau  pouvait  aussi  se  rappeler,  dans  les  Entretiens  du  P.  Lami  90  .  368-38o. 
le  discours  du  solitaire  Synèse  à  son  jeune  disciple  Eugène. 

'  Ainsi,  dans  cette  «  Profession  de  foi  ».  les  développements  proprement 
métaphysiques  ou  théologiques  ne  seront  que  des  accessoires,  ou  mieux,  des 
moyens.  C'est  avant  tout  un  art  de  vivre. 

•  Il  y  a,  en  effet,  aux  portes  de  Turin,  deux  éminences,  d'où  l'on  peut  apercevoir 
«  l'immense  chaîne  des  Alpes  »  :  le  Monte  dei  Cappucini,  et,  à  l'est,  un  peu  en 
arrière,  la  Superga.  Le  nom  de  «  haute  colline  »  semblerait  mieux  convenir  à  la 
Superga  (672  m.i  qu'au  Monte  dei  Cappucini  (292  m  ;  5o  m.  au-dessus  du  Pôi; 
mais  c'est  du  Monte  seulement  qu'on  peut  dire  que  «  le  Pô  passe  au-dessous  ». 

3 


34 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


[1  au-dessous  -  de  laquelle  passoit  le  poj  dont  '  on  (^  suivoit) 
le  cours  à  travers  (■'  le  plus  beau  pays,  et)  dans  l'éloignement 
l'immense  chaîne  des  alpes  ('■  terminoit)  le  (plus  superbe)  paysage 
(dont  l'œil  humain  îut  jamais  îrapé).  "  Les  rayons  du|  soleil  levant 
rasoient  déjà  les  plaines  et  ;'*  projettant  «  sur  ('•'  ces)  champs  »j 
('"en?')  longues  ombres,  ("le  dessein  des)  arbres  ('-et  des)  mai- 
sons (dont  "  la  campagne  étoit  couverte)  '^  enrichissoient  (le 
tableau  «  '^par  »  "'cent)  accidens  de  lumière  '".  On  eut  dit  que  la 
nature  '**  étalon  à  nos  yeux  «  toute  »  sa  '■'  magnificence  pour  écarter 
de  (■"  nous)  les  pensées  basses  et  nous  élever  aux  sublimes  contempla- 
tions. Ce  fut  là  qu'après  a\oir  quelque  tems  -'considéré  ces  objets 
en  silence  ^^mon  digne  maitre  (-^  me  parla  ainsi). 


'  (hors  de  la  ville). 

^  (de  laquelle  on  découvroit...  suivoit...   pouvoit  suivre  des  yeu.x  au  loin   le 
mot  illisible  du  Po). 

'  [(l'œil)]. 

■•  [voyoii].  —  B.  (suivoit)  [voyoit]. 

*  [les   fertiles  plaines  qu'il   arrose].  —  B.    (plaines)    ^(coteau.x)   rives]    qu'il 
(arrose)  [baigne]. 

"  [(bornoit)  couronnoit]. 

'  (Le). 

"*  (marquoit  le  ...  projeunient).  —  B.  (projettoient)  [projettant]. 

"  [les]. 

'"  [par  de].  —  B.  par. 
"  [les]. 

'-  [les  coteaux,  les]. 
"  [(ils  étoient  ornés...  entourés)]. 

'*  (elles    étoient    ornées...    qui    donnoient    à    tout    le    pais    un...    les    en- 
touroient). 
■^  [de]. 
"•  [mille]. 

"  lumiere(si   (dont    ,"et    rendoienl]    les   lableau.x  étoient   enrichis)    [le   plus 
beau  tableau  dont  l'a-il  humain  fut  jamais  Irapé].  —  B.  puisse  être  frapé. 
'*  (avoil). 

"  B.  (magnificence)   [pompe]. 
-"  [nos  esprits].  —  B.  nos  amas. 
-'  B.  (regardé)  considéré. 

--  B.  (mon  digne  maitre  commença)  [l'homme  de  pai.\  me  paria]  ainsi.  — 
ï.  mon  digne  maitre  commença. 

-•'  [(tint  ce  discours)  commença  ainsi]. 


EDITION    ORIGINALE  35 

»  baigne.  Dans  1  eloignement,  l'immense  chaîne  des  Alpes  couronnoit 
»  le  païsage.  Les  rayons  du  soleil  levant  rasoient  déjà  les  plaines, 
»  &  projettant  sur  les  champs  par  longues  ombres  les  arbres,  les 
»  coteaux,  les  maisons,  enrichissoient  de  mille  accidens  de  lumière  -, 
»  le  plus  beau  tableau  dont  l'œil  humain  puisse  être  frappé  s.  On 
»  eût  dit  que  la  Nature  étaloit  à  nos  _veux  toute  sa  magnificence  K 
»  pour  en   offrir  le  texte  à  nos  entretiens  '"•.    Ce    fut-là,    qu'après   avoir 


'  Cf.  Xonvelle  Héloïse  iVl,  xxtii),  IV,  5o  :  «  Ajoutez  à  tout  cela  les  illusions  de 
l'optique,  les  pointes  des  monts  différemment  éclairées,  le  clair  obscur  du  soleil  et  des 
ombres,  et  tous  les  accidents  de  lumière  qui  en  résultaient  le  matin  et  le  soir  ». 

•  Il  semblerait  que  la  formule  fût  réservée  pour  le  «  tableau  »  du  lac  de 
Genève:  cf.  Xouvelle  Heloise  (IV.  vu.  IV,  291  :  «Ce  paysage  unique,  le  plus  bea:i 
dont  l'œil  humain  fut  famais  frappe  ». 

'  Cf.  Souvelle  Héloïse  (V,  m.  IV,  38i.  note  :  «  La  véritable  magnificence 
n'est  que  l'ordre  rendu  sensible  dans  le  grand;  ce  qui  fait  que  de  tous  les  spectacles 
imaginables,  le  plus  magnifique  est  celui  de  la  nature  ». 

5  Ce  décor  du  soleil  levant  a  déjà  été  utilisé  au  début  du  111'  Livre  d'Emile, 
II,  iSS-iSg.  C'était,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  un  décor  général,  un  lever  de  soleil  dans 
une  campagne  quelconque  :  «  On  le  voit  s'annoncer  de  loin  par  les  traits  de  feu 
qu'il  lance  au-devant  de  lui.  L'incendie  augmente,  l'orient  paraît  tout  en  flammes  :  à 
leur  éclat,  on  attend  l'astre  longtemps  avant  qu'il  se  montre  :  à  chaque  instant  on 
croit  le  voir  paraître  ;  on  le  voit  enfin.  Un  point  brillant  part  comme  un  éclair,  et 
remplit  aussitôt  tout  l'espace:  le  voile  des  ténèbres  s'efface  et  tombe.  L'homme 
reconnaît  son  séjour,  et  le  trouve  embelli.  La  verdure  a  pris  durant  la  nuit  une 
vigueur  nouvelle;  le  jour  naissant  qui  l'éclairé,  les  premiers  rayons  qui  la  dorent, 
la  montrent  couverte  d'un  brillant  réseau  de  rosée,  qui  réfléchit  à  l'œil  la  lumière 
et  les  couleurs.  Les  oiseaux  en  chœur  se  réunissent  et  saluent  de  concert  le  père  de 
la  vie;  en  ce  moment  pas  un  seul  ne  se  tait:  leur  gazouillement,  faible  encore,  est 
plus  lent  et  plus  doux  que  dans  le  reste  de  la  journée,  il  se  sent  de  la  langueur  d'un 
paisible  réveil.  Le  concours  de  tous  ces  objets  porte  aux  sens  une  impression  de 
fraîcheur  qui  semble  pénétrer  jusqu'à  l'âme.  Il  y  a  là  une  demi-heure  d'enchantement, 
auquel  nul  homme  ne  résiste  :  un  spectacle  si  grand,  si  beau,  si  délicieux,  n'en  laisse 
aucun  de  sang-froid  ».  Ici  c'est  un  lever  de  soleil  particularisé,  dans  un  paysage 
encore  très  sommaire,  où  pourtant  certains  souvenirs  personnels  mettent  une 
précision  pittoresque.  Mais  la  plus  grande  différence  entre  les  deux  morceaux  réside 
surtout  dans  l'état  d'esprit  et  le  langage  des  contemplateurs  :  «  Plein  de  l'enthousiasme 
qu'il  éprouve,  dit  Rousseau  au  III'  Livre,  le  maître  veut  le  communiquer  à  l'enfant  : 
il  croit  l'émouvoir  en  le  rendant  attentif  aux  sensations  dont  il  est  ému  lui-même. 
Pure  bêtise!  C'est  dans  le  cœur  de  l'homme  qu'est  la  vie  du  spectacle  de  la  nature; 
pour  le  voir,  il  faut  le  sentir.  L'enfant  aperçoit  les  objets:  mais  il  ne  peut  apercevoir 
les  rapports  qui  les  lient,  il  ne  peut  entendre  la  douce  harmonie  de  leur  concert.  11 
faut  une  expérience  qu'il  n'a  point  acquise,  il  faut  des  sentiments  qu'il  n'a  point 
éprouvés,    pour   sentir    l'impression    composée    qui    résulte    à   la   fois    de    toutes   ces 

sensations Comment  s'attendrira-t-il   sur  la   beauté  du  spectacle  de  la  nature,  s'il 

ignore  quelle  main  prit  soin  de  l'orner  ?  Ne  tenez  point  à  l'enfant  des  discours  qu'il 
ne  peut  entendre.  Point  de  descriptions,  point  d'éloquence,  point  de  figures,  point  de 
poésie.   Il   n'est  pas   maintenant  question  de   sentiment  ni  de  goût.  Continuez  d'être 


36 


RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


EDITION   ORIGINALE  Z7 

»  quelque  tems    contemplé    ces  objets   en    silence  *,   l'homme  de   paix 
»  me  parla  ainsi. 


clair,  simple,  et  froid  ;  le  temps  ne  viendra  que  trop  tôt  de  prendre  un  autre  langage  ». 
Ce  temps  est  venu  maintenant  :  le  spectacle  du  soleil  levant  n'est  plus  matière  à 
leçon  astronomique,  mais  à  leçon  de  théologie  morale.  —  Il  est  d'ailleurs  possible,  et 
même  probable,  que  le  choix  du  cadre  a  été  suggéré  à  Rousseau  par  Haller.  Celui-ci 
avait  commencé  son  Essai  sur  l'origine  du  mal,  par  une  description  analogue,  dont 
on  remarquera  les  nombreuses  ressemblances  avec  celle  de  la  Profession.  Je  cite  les 
Poésies  de  Haller  d'après  la  traduction  de  1762,  que  Rousseau  avait  lue.  et  dont  on 
retrouve  des  extraits  dans  ses  cahiers  [200],  Sô-Sg  :  «  Invité  par  un  doux  zéphir,  je 
m'arrêtai  un  jour  sur  une  colline  écartée...  Un  large  pays  s'y  étend  sous  nos  pieds, 
borné  par  sa  propre  grandeur...  La  verdure  des  bois  qui  couvrent  les  coteaux  est 
relevée  par  une  agréable  variété,  par  la  couleur  blonde  des  champs.  L'Aare  qui  roule 
ses  eaux  pures  par  les  prairies,  réfléchit,  en  mille  situations  différentes,  une  vive 
lumière...  Ici  la  terre  était  couverte  de  brebis,  dont  les  troupeaux  bigarrés  broutaient 
avec  avidité,  pendant  que  d'un  autre  côté,  des  bœufs  pesants,  mollement  étendus  sur 
l'herbe,  ranimaient  leur  goût  en  ruminant  le  trèfle  fleuri...  le  vert  obscur  des  sapins 
jetait  son  ombrage  sur  la  pâle  verdure  de  la  mousse;  les  rayons  du  soleil  répandaient 
au  travers  des  branches  épaisses  une  lumière  tremblante,  et  une  ombre  verte  se 
confondait  en  diftérentes  nuances  avec  un  éclat  doré...  Là  les  Alpes  élèvent  leurs 
sommets  couronnés  de  nuages  au-dessus  du  .vol  des  oiseaux...  Oui,  tous  les  objets 
que  je  vois  sont  des  dons  du  destin  !  Le  monde  même  est  fait  pour  le  bonheur  de  ses 
citovens.  un  bien-être  universel  anime  la  nature,  et  tout  porte  l'empreinte  d'un  Être 
souverainement  bon  ».  —  Cf.  encore.  Confessions,  VIII,  i68-i6g,  les  prières  de  Jean- 
Jacques  au  soleil  levant,  et  Mémoires  de  Mme  d'Èpinay  [256],  1,  394,  le  mot  qu'elle 
attribue  à  Rousseau  :  «  Le  lever  du  soleil,  en  dissipant  la  vapeur  qui  couvre  la  terre, 
et  en  m'exposant  la  scène  brillante  et  merveilleuse  de  la  nature,  dissipe  en  même, 
temps  les  brouillards  de  mon  esprit.  Je  retrouve  ma  foi.  mon  Dieu,  ma  croyance 
en  lui  ». 

'  Ici  encore  le  Vicaire  suit  la  méthode  conseillée  par  Rousseau.  IV  Livre 
d'Emile,  II,  294-296:  et.  comme  il  veut  agir  «  par  la  persuasion,  par  les  affections  de 
l'âme  »,  il  se  garde  bien  de  «  négliger  la  langue  des  signes  »  :  «  Ce  que  les  .Anciens, 
dit  Rousseau,  ont  fait  avec  l'éloquence  est  prodigieux  ;  mais  cette  éloquence  ne 
consistait  pas  seulement  en  beaux  discours  bien  arrangés;  et  jamais  elle  n'eut  plus 
d'effet  que  quand  l'orateur  parlait  le  moins.  Ce  qu'on  disait  le  plus  vivement  ne 
s'exprimait  pas  par  des  mots,  mais  par  des  signes,  on  ne  le  disait  pas,  on  le  montrait. 
L'objet  qu'on  expose  aux  yeux  ébranle  l'imagination,  excite  la  curiosité,  tient  l'esprit 
dans  l'attente  de  ce  qu'on  va  dire  :  et  souvent  cet  objet  seul  a  tout  dit  ».  C'est  ce  que 
fait  le  Vicaire.  Avant  de  prêcher  Dieu,  il  le  montre.  Il  le  prend  même,  en  quelque 
sorte,  à  témoin,  comme  il  s'était  proposé  de  le  faire  aux  moments  les  plus  solennels 
de  la  vie  de  son  Emile;  cf.  dans  le  Premier  Brouillon  [10],  60'°,  ce  passage  inédit, 
avec,  en  marge,  cette  annotation,  «  Prendre  Dieu  à  témoin  »  :  «  Je  suis  persuadé 
qu'une  chose  qui  nous  étrécit  l'âme,  et  contribue  à  nous  rendre  petits  et  vicieux, 
est  que  nous  ne  mettons  pas  assez  de  solennité  dans  les  actions  importantes  de  notre 
vie.  Je  n'appelle  pas  solennité  ce  qui  se  fait  en  cérémonie  à  la  face  des  hommes,  mais 
dans  une  présence  infiniment  plus  auguste,  qui  est  celle  de  leur  créateur  ». 


38 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


PROFESSION  DE  FOI  DU  VICAIRE  SAVOYARD 


r  PARTIE  :  LA  RELIGION  NATURELLE 
1.  La  Confession  du  Vicaire. 


Mon  enfant  n'attendez  de  moi  ni  des  discours  savans  ni  de 
profonds  raisonnemens.  Je  ne  suis  (-point)  un  grand  philosophe 
et  'ne  me  soucie  ^  point  de  l'être.  Mais  j'ai  quelquefois  du  bon  sens 
et  j'aime  toujours  la  vérité,  (''mon  dessein  n'est  point  de  raisonner 
'•ni  de)  vous  convaincre  ("mais  de)  vous  exposer  ce  que  je  pense 
dans  la  simplicité  de  mon  cœur.  ''Si  je  me  trompe  ''c'est  de  bonne 
foi,  '°  cela  suffit  pour  que  mon  erreur  soit  ("  justifiée).  '-  Si  je  pense 
'■'bien  la  raison  nous  est  commune '■*.  Pourquoi  ne  '-'le  sentiriez- 
vous  pas  comme  moi. 

Je  suis  né  pauvre  et  paysan,  j'étois  îait  pour  cultiver  la  terre. 
1'  Cependant  (à  l'aide  '"de  quelque  ar  gent)  on    i'^  me  fit]  apprendre 


'  (Disco  URs). 

=  [pas]. 

'  B.  (ne).  —  M.  ne. 

*  B.  (point)  [peu].  —  M.  point.  —  I.  point. 

^  [(sans  vouloir)  je  ne  veux  (ni)  pas  argumenter  avec  vous,  je  ne  cherche 
pointa]. — B.  je  ne  veux  (point)  [pas]  argumenter  avec  vous  (et)  je  (n'espère) 
[ne  cherche]  pas  à. 

"  (même). 

'  [(mon  dessein  n'est  pas  de...  je  me  contenterai  de)  il  me  suffit  de]. 

"  (Si  le  vôtre).  —  B.  [Consultez  le  vôtre  durant  mon  discours;  c'est  tout  ce 
que  je  vous  demande].  —  I.  <  consultez...  demande  >. 

"  M.  dans  mes  sentimens. 

'"  M.  c'en  est  assez. 

"  [(pardonnée...  ne  soit  point  criminelle)  ne  me  soit  pas  imputée  «  à  crime  »]. 

'-  B.  *  quand  vous  vous  tromperiez  de  même  il  y  auroit  peu  ■>•>  de  mal  à  cela. 

'"  B.  [(vrai)]. 

'*  B.  [et  nous  avons  le  même  interest  à  (connoître  la  vérité)  l'écouter]. 

"  B.  (le)  penseriez-vous. 

'"  B.  Mais  on  crut  plus  beau  (de  me  faire  apprendre)  [que  j'apprisse]  à 
gagner. 

'"  [(de  la  famille)] 

"  (vint  à  bout  de  me  faire  étudier  «  c'est-à-dire  »  pour). 


ÉDITIOX    ORIGINALE  39 

PROFESSION  DE  FOI  DU  VICAIRE  SAVOYARD         [21] 


r  PARTIE  :  LA  RELIGION  NATURELLE 
1.  La  Confession  du  Vicaire. 


Mon 


enfant,  n'attendez  de  moi  ni  des  discours  savans,  ni  de 
profonds  raisonnemens.  Je  ne  suis  pas  un  grand  Pliilosophe,iS:  je  me 
soucie  peu  de  l'être.  Mais  j'ai  quelquefois  du  bon  sens,  &  j'aime  tou- 
jours la  vérité  i.  Je  ne  veux  pas  argumenter  avec  vous,  ni  même 
tenter  de  vous  convaincre  -;  il  me  suffit  de  vous  exposer  ce  que 
je  pense  dans  la  simplicité  de  mon  cœur.  Consultez  le  vôtre  durant  mon 
discours;  c'est  tout  ce  que  je  vous  demande.  Si  je  me  trompe,  c'est  de 


'  Si,  par  hasard,  il  était  besoin  de  prouver  que  le  Vicaire  et  Rousseau  ne  font 
qu'un,  on  en  trouverait  un  témoignage  décisif  dans  cette  lettre  à  Dom  Deschamps, 
du  8  -Mai  1761  [27],  148,  où  Rousseau  s'approprie  les  paroles  du  Vicaire  :  «  Vous 
croyez  vous  adresser  à  un  philosophe,  et  vous  vous  trompez  :  je  suis  un  homme  très 
peu  instruit,  et  qui  ne  s'est  jamais  soucié  de  l'être,  mais  qui  a  quelquefois  du  bon 
sens  et  qui  aime  toujours  la  vérité  ».  —  Il  y  a 'quelque  analogie,  sinon  dans  les  senti- 
ments, au  moins  dans  les  formules,  entre  les  déclarations  du  Vicaire  et  celles  de 
Descartes,  au  début  du  Discours  de  la  Méthode  ^80],  2  :  «  Je  n'ai  jamais  présumé 
que  mon  esprit  fut  en  rien  plus  parfait  que  ceux  du  commun...  .Mon  dessein  n'est 
pas  d'enseigner  la  méthode  que  chacun  doit  suivre  pour  bien  conduire  sa  raison, 
mais  seulement  de  faire  voir  en  quelle  sorte  j'ai  tâché  de  conduire  la  mienne  ».  — 
C'est  l'attitude  que  Rousseau  avait  déjà  prise  en  s'adressant  à  Sophie,  I"  Lettre  [3i], 
117  :  «  En  vous  exposant  mes  sentiments  sur  l'usage  de  la  vie,  je  prétends  moins 
vous  donner  des  leçons  que  vous  faire  ma  profession  de  foi...  Sans  doute,  avec 
d'importantes  vérités  dont  vous  saurez  faire  usage,  vous  trouverez  ici  des  erreurs 
■involontaires  dont  votre  droiture  de  cœur  et  d'esprit  saura  me  guérir  et  vous  préserver. 
Exammez,  discernez,  choisissez»;  cf.  encore  la  Lettre  sur  la  vertu  [25],  184  :  «  Ne 
vous  attendez  pas  de  trouver  ici  des  dissertations  métaphysiques,  ni  tout  cet  appareil 
de  mots  que  beaucoup  de  lecteurs  y  chercheront  sans  doute,  et  qui  ne  sert  qu'à 
rendre  l'homme  plus  vain,  sans  le  rendre  meilleur  ni  plus  éclairé.  Cette  affectation 
de  doctrine  ne  siérait  ni  à  l'auteur  ni  à  l'ouvrage  dans  une  matière  où  il  est  plus 
question  de  sentir  que  d'apercevoir,  et  que  les  plus  simples  entendent  toujours  mieux 
que  les  plus  savants.  La  nature  nous  a  donné  des  sentiments  et  non  des  lumières,  et 
comme  on  ne  peut  sans  injustice  nous  demander  compte  de  ce  que  nous  n'avons  pas 
reçu,  nous  aurions  trop  à  nous  plaindre,  si  tant  de  savoir  était  nécessaire  pour 
connaître  la  vertu  ». 

'  Il  ne  le  tente  pas,  mais  il  l'espère  :  «  Pourquoi  ne  penseriez-vous  pas  comme 
moi  »?  ou  plutôt  il  fait  bon  marché  de  convaincre,  pourvu  qu'il  persuade.  Comme 
le  dira  son  disciple,  à  la  fin  de  la  Première  Partie,  p.  128-129,  ^"  dépit  «  des  foules 
d'objections  »  qu'on  pourrait  lui  faire,  «  la  persuasion  est  pour  lui  ». 


40  REDACTIONS    MANUSCRITES 

('ce  qu'il  -îaloit  savoir  pour)  gagner  «  ^  mon  »  pain  dans  le  métier 
de  prêtre  *.  Assurément  ni  mes  parens  ni  moi  ne  songions  guère 
^à  chercher  en  cela  ce  qui  étoit  bon  et  \eritable,  mais  ce  qu'il 
faloit  "admettre  comme  tel  pour  être  ordonné.  J'appris  ce  qu'on 
vouioit  que  "j'apprisse,  '^  je  dis  ce  qu'on  vouloit  que  je  disse,  je 
'•'promis  (tout),  (ce)  qu'on  voulut,  et  je  fus  fait  prêtre.  Mais  je  ne 
tardai  pas  à  '<>  m'appercevoir  qu'en  promettant  de  n'être  pas  homme 
j'avois  promis  plus  que  je  ne  pouvois  tenir. 


(Cette  seule  réflexion  m'eut  pu  mener  loin).  On  nous  dit  que 
la  conscience  est  l'ouvrage  '^  des  préjugés.  Cependant  '- 1-' expé- 
rience m'a  fait  sentir  '•'  qu'elle  s'obstine  à  suivre  l'ordre  de  la 
nature  |mêmej  contre  ('^la  voix  des  «  préjugés  »).  On  a  beau  nous 
«  i^detïendre»  ceci  ou  cela,  ("'elle  ^'nous  deîent  )  «  toujours  » 
foiblement  ce  que  nous  permet  la  nature  bien  ordonnée,  a  plus 
jo  j^gg  ro  II  forte  raison  ce  qu'elle  nous  prescrit  (comme  la  cohabitation  des 
deux  sexes).   O  bon  jeune  homme  elle  n'a   rien   dit  encore  à  vos 


■  [à]. 
-  [faut]. 
'  [(son)]. 

*  B.   et   l'on   trouva   le   moyen    de  me   faire   étudier   (à  l'aide  de   quelques 
patrons  qui  m'assistèrent). 
'  B.  (en). 
"  B.  savoir  pour. 
'  (je  disse). 

^  I.  <  je  dis...  disse  >. 

'  [pris  tous  les  engagemens].  —  B.  m'engageai  comme  on. 
'"  B.  sentir  qu'en  (promettant)  [faisant  vœu]  de  n'être. 
"   [(de  l'édu  CATION)]. 
'-  B.  je  sais  par  mon  e,xpérience  qu'elle. 
"  (aussi...  cepend  ant). 

'*  [(les  voix  des  hommes)  les  lois  des  hommes].  —  B.  toutes  les  lois. 
'=  [(prescrire)]. 

'"  [(«  la  conscience»)  le  remords  nous  reproche]. 
'■  (parlé?). 


EDITION   ORIGINALE  4I 

bonne-foi  ;  cela  suffit  pour  que  mon  erreur  ne  me  soii  pas  imputée  à 
crime  ^\  quand  vous  vous  tromperiez  de  même,  il  y  auroit  peu  de  mal 
à  cela  :  si  je  pense  bien,  la  raison  nous  est  commune,  &  nous  avons  le 
même  intérêt  à  l'écouter;  pourquoi  ;  ne  penseriez-vous  pas  comme  moi?         [22] 

Je  suis  né  pauvre  &  paysan  1,  destiné  par  mon  état  à  cultiver  la 
terre:  mais  on  crut  plus  beau  que  j'apprisse  à  gagner  mon  pain  dans  le 
métier  de  Prêtre,  «Se  l'on  trouva  le  moyen  de  me  faire  étudier.  Assurément 
ni  mes  parens,  ni  moi  ne  songions  guère  à  chercher  en  cela  ce  qui  étoit 
bon,  véritable,  utile,  mais  ce  qu'il  falloit  savoir  pour  être  ordonné. 
J'appris  ce  qu'on  vouloit  que  j'apprisse,  je  dis  ce  qu'on  vouloit  que  je 
disse,  je  m'engageai  comme  on  voulut,  &  je  fus  fait  Prêtre.  Mais  je  ne 
tardai  pas  à  sentir  qu'en  m'obligeant  de  n'être  pas  homme,  j'avois  promis 
plus  que  je  ne  pouvois  tenir. 

On  nous  dit  que  la  conscience  est  l'ouvrage  des  préjugés  -;  cependant 
je  sais  par  mon  expérience  qu'elle  s'obstine  à  suivre  l'ordre  de  la  Nature 
contre  toutes  les  loi.x  des  hommes.   On   a  I  beau  nous  défendre  ceci  ou         [23] 
cela,  le  remords  nous  reproche  toujours  foiblement  ce  que  nous  permet 
la  Nature  bien   ordonnée,  à  plus  forte  raison  ce  qu'elle  nous  prescrit  1. 


•  Pensées  philosophiques,  XXIX  [177],  140  :  «  Qu'ai-je  à  craindre,  si  c'est 
innocemment  que   je  me  trompe»?  Et  Voltaire,  dans  ['Èpilre  à   L'ranie  [iSg],  36i  : 

«  Crois  que  de  ton  esprit  lu  naive  candeur 

Ne  sera  point  l'objet  de  sa  haine  immortelle. 

Mais  c'est  surtout  dans  le  système  de  Marie  Huber  que  la  bonne  foi  avait  été 
élevée  à  la  hauteur  d'un  principe;  cf.  Religion  essentielle  \\bi\,  II,  191,  198  :  «  Quoi 
donc  !  la  bonne  foi  pourrait-elle  suffir  à  tout  !...  La  chose  me  parait  très  possible... 
La  bonne  foi  envers  soi-même  est  l'introduction  à  tout  le  reste  »;  et  IV,  122-123  :  «  Ce 
principe  de  droiture  et  de  bonne  foi  qui  fait  l'âme  de  la  religion  essentielle;  principe 
qui  fait  acquiescer  à  toute  vérité  reconnue  pour  telle,  et  à  tout  prix,  sans  égard  à 
l'approbation  ou  à  la  désapprobation  des  hommes;  principe  enfin  qui  retranche  toute 
vaine  curiosité,  toute  spéculation  inutile,  qui  fait  qu'on  se  borne  à  connaître  ce  qui 
est  de  sa  tâche  et  à  la  remplir  de  son  mieux  ». 

'  Ce  dernier  trait  convient  surtout  à  M.  Gaime.  11  était  né,  en  effet,  dans  un 
petit  village  de  Savoie,  à  Héry-sur-Alby.  M.  Gâtier,  au  contraire,  était  bourgeois  de 
Cluses,  capitale  du  Faucigny  :  cf.,  pour  M.  Gaime,  Mugnier,  M^'  de  W'arens  et 
J.  J.  Rousseau  [272],  5i,  et,  pour  jM.  Gâtier.  l'acte  de  naissance  cité  dans  {'Intro- 
duction, \"  Partie,  Chap.  II,  §  2. 

'  Cette  théorie  sera  discutée  plus  loin  par  Rousseau  :  cf.  p.  107-110  et  notes; 
mais  ici.  comme  la  phrase  a  été  écrite  avant  la  lecture  du  livre  De  L'Esprit,  la  pensée 
d'Helvetius  est  absente  de  cet  on  dit,  et  c'est  sans  doute  à  Montaigne,  MandeviUe  et 
autres  «  prétendus  sages  »,  que  Rousseau  fait  allusion. 

'  Les  idées  de  Rousseau  semblent  avoir  varié  sur  ce  point,  au  moins  dans 
l'expression,  et  suivant  les  nécessités  de  la  discussion.  Dans  ce  même  IV  Livre 
d'Emile,  à  deux  reprises,  II,  292,  3o6,  il  conteste  que  «  ce  prétendu  besoin  »  soit  «  un 


42  REDACTIONS    MANUSCRITES 

sens,  (1  vous  êtes  encore)  dans  l'état  heureux  où  sa  voix  est  celle 
de  l'innocence.  Sou\'enez-vous  qu'on  l'offense  encore  plus  quand 
on  la  prévient  que  quand  on  la  (-  réprime).  Il  est  toujours  beau  de 
se  vaincre  et  ^  il  faut  commencer  par  apprendre  à  résister  pour 
savoir  quand  on  peut  céder  sans  crime. 


'   [(Puissiez-vous  vivre  longtems...  Ah!)  vivez  longtems] 

'  [combat]. 

^  (celui  qui  prévient). 


EDITION    ORIGINALE  43 

O  bon  jeune  homme  1  elle  n'a  rien  dit  encore  à  vos  sens;  vivez  long- 
tems  dans  l'état  heureux  où  sa  voix  est  celle  de  l'innocence.  Souvenez- 
vous  qu'on  l'offense  encore  plus  quand  on  la  prévient,  que  quand  on  la 
combat;  il  faut  commencer  par  apprendre  à  résister,  pour  savoir  quand 
on  peut  céder  sans  crime. 


vrai  besoin  »  et  il  parait  admettre  que  la  virginité,  même  perpétuelle,  —  si  elle  sait 
se  défendre  des  tentations  de  l'imagination  et  de  la  société,  —  reste  conforme  à  la 
nature.  Dans  la  Xouvelle  Héloïse  (11,  xxvii),  IV,  209,  Julie  s'indigne  contre  les  hommes 
qui  allèguent  «  je  ne  sai»  quelle  chimérique  nécessité,  qui  n'est  connue  que  des  gens 
de  mauvaise  vie  ;  comme  si  les  deux  sexes  étaient,  sur  ce  point,  de  nature  dinérente, 
et  que.  dans  l'absence  ou  le  célibat,  il  fallût  à  l'honnête  homme  des  ressources  dont 
l'honnête  femme  n'a  pas  besoin  ».  Dans  le  fond  pourtant,  Rousseau  est  d'accord  avec 
le  Vicaire.  Il  dira  dans  le  V*  Livre,  II,  442  :  «  On  me  citera  mille  jeunes  gens,  qui. 
dit-on,  vivent  fort  chastement  sans  amour:  mais  qu'on  me  cite  un  homme  fait,  un 
véritable  homme  qui  dise  avoir  ainsi  passé  sa  jeunesse,  et  qui  soit  de  bonne  foi  ».  En 
ce  qui  concerne  particulièrement  les  prêtres,  il  avait  déjà  dit  dans  ses  Conseils  à  un 
curé  [2],  2™  (je  cite  la  première  rédaction,  qui  était  plus  aggressive  et  plus  tranchante!  : 
«  Vous  savez  tous  mieux  que  moi,  qu'en  obligeant  le  clergé  à  la  continence,  on  lui 
a  rendu  la  chasteté  impossible  ».  Dans  un  brouillon  de  la  S'ouvelle  Héloïse  (VI,  vi) 
[8  B],  %(>'",  cette  même  Julie  s'emporte  avec  une  violence  inattendue  contre  le  célibat 
ecclésiastique  :  «  Voyez  ces  prêtres  téméraires  qui  font  vœu  de  n'être  pas  hommes. 
Pour  les  punir  d'avoir  tenté  Dieu.  Dieu  les  abandonne  à  leurs  mœurs  corrompues: 
leur  feinte  continence  les  mène  aux  plus  infâmes  débauches;  ils  se  disent  saints  et 
sont  déshonnêtes.  et  je  comprends  qu'ils  s'abaissent  au-dessous  des  brutes,  pour  avoir 
dédaigné  l'humanité  ».  Le  texte  définitif  est  légèrement  adouci,  et  la  note,  V,  23, 
apporte  à  cette  affirmation  sans  réserves  quelques  atténuations,  mais  ne  modifie  pas 
l'essentiel  de  la  thèse  :  «  Quelques  hommes  sont  continents  sans  mérite,  d'autres  le 
sont  par  vertu,  el  je  ne  doute  pas  que  plusieurs  prêtres  catholiques  ne  soient  dans 
ce  dernier  cas;  mais  imposer  le  célibat  à  un  corps  aussi  nombreux  que  le  clergé  de 
l'Eglise  Romaine,  ce  n'est  pas  tant  lui  défendre  de  n'avoir  point  de  femmes  que  de  lui 
ordonner  de  se  contenter  de  celles  d'autrui  »  :  cf.  encore  les  mêmes  idées.  Lettre  à 
M.  de  Beaumont,  111,  89,  note.  —  Cette  protestation  contre  le  célibat  ecclésiastique  n'a 
rien  d'étonnant  chez  un  «  citoyen  de  Genève  »  ;  on  la  retrouverait  chez  d'autres 
écrivains  protestants,  familiers  à  Rousseau  :  cf.,  par  exemple,  Beausobre.  Histoire 
du  Manichéisme  [142],  II,  481,  Haller,  Épt'tre  sur  la  fausseté  des  vertus  humaines 
[200],  173-176;  Vernet,  Instruction  chrétienne  [21  3].  III,  369.  Si  Rousseau  n'avait  pas 
encore  tout-à-fait  oublié  L'Histoire  de  l'Église  et  de  l'Empire,  «  qu'il  avait  apprise 
presque  par  cœur  chez  son  père  »  [Confessions,  Vlll,  45),  il  devait  se  rappeler  les 
nombreux  arguments  de  Le  Sueur  en  faveur  du  mariage  des  prêtres  :  cf.  [85^,  111,  462, 
\',  343,  476,  etc.  Mais,  en  outre,  dans  les  milieux  «  philosophiques  »,  depuis  un  demi- 
siècie  environ,  il  se  dessinait  un  mouvement  d'opinion,  hostile  au  célibat  ecclésias- 
tique :  cf.  les  Dialogues  de  La  Hontan  [io5],  25-27,  ^^^  \fœurs  de  Toussaint  [184],  i3, 
les  Lettres  Juives  de  d'.\rgens  j5o],  II,  70-71,  IV,  240-252,  la  Lettre  de  Thrasybule 
de  Fréret  [189].  82-83,  l'article  Célibat,  dans  V Encyclopédie,  par  Diderot  '58],  XI\', 
42-5g,  etc.,  etc.  Il  ne  faut  pas  oublier  surtout  les  théories  de  l'abbé  de  Saint-Pierre, 
que  Rousseau  connaissait  bien,  puisqu'il  avait  été  chargé  de  les  résumer:  cf.  Obser- 
vations politiques  sur  le  célibat  des  prêtres  [70],  II,  i5o-i83.  On  verra  par  la 
note  3  que  le  souvenir  de  l'abbé  de  Saint-Pierre  est  entré  pour  quelque  chose  dans 
le  personnage  du  Vicaire. 


44  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

'J'ai  toujours  regardé  le  mariage  comme  la  première  et  la 
plus  sainte  institution  de  la  nature,  m'étant  ôié  le  '-pouvoir  de  m'v 
soumettre  je  résolus  au  moins  de  ne  (le)  '  pas  *  profaner  car  malgré 
mes  (études  et  mes)  classes  5a^■ant  toujours  mené  une  \'ie  uniforme 
et  simple  'mes  lumières  primitives  avoient  encore  toute  leur  clarté. 
'  Les  majcimes  du  monde  ne  les  avoient  point  obscurcies,  **  et 
ma  pauvreté  (■'  m'avoit  servi  de  sauve-garde  contre  les  '"  illusions) 
du  \ice. 

(Croiriez-vous  qu'une  si  louable)  "  resolution  fut  précisément 
ce  qui  me  perdit.  Mon  respect  pour  le  lit  d'autrui  laissa  «  ^-  mes 
fautes  »  à  découvert.  ('^  Elles  îurent  sévèrement  expiées  et  ^Me 
scandale  ''■mej  îut  "surtout  reproché),  "  «.  je  fus  bien  plus  » 
('■"puni)  «  de  mes  scrupules  que  de  ^^  mon  incontinence  »  et  j'eus 
lieu  de  (-"voir)  aux  reproches  dont  ma  disgrâce  fut  accompagnée 
qu'il  ne  faut  souvent  qu'aggraver  le  crime  pour  échaper  au 
châtiment. 

Peu  d'expérience  s  pareilles  -'  mènent  loin  un  esprit  qui   (en) 


'  B.  (J'ai  toujours  regardé)  [Dès  ma  (première)  jeunesse,  j'ai  respecté]. 

-  B.  droit. 

"  B.  point. 

*  [le]. 

^  [et  mes  études]. 

"  B.  (mes)  [j'avois  conservé  dans  mon  esprit  toute  la  clarté  des]  lumières 
primitives  (avoient  encore  toute  leur  clarté). 

'  (L'habitude). 

«  (la). 

"  [me  (servoit)  tenoit  éloigné  des  pièges].  —  B.  m'éloignoit  des  tentations 
(d'où  naissent)  [qui  dictent]  les  sophismes  du  vice. 

'"  [(sophismes)]. 

"   [Cette]. 

'-'  [(ma  faute)]. 

'"  (et  m'exposa...  on  me  les  fit    elle  fut]). 

■*  (je). 

"  [qui]. 

'"  (pr  mot  inachevé). 

"  [11  fallut  e.vpier  le  scandale  (et).  Arrêté,  interdit,  chassé]. 

'"  [la  victime]. 

"  (mes  fa  utes.''). 

-"  [comprendre]. 

-'  expérience  pareilles  (sic). 


EDITION'    ORIGINALE  45 

Dès  ma  jeunesse  j'ai  respecté  le  mariage  comme  la  première  &  la 
plus  sainte  institution  de  la  Nature  -.  M'étant  ôté  le  droit  de  m'y  sou- 
mettre, je  résolus  de  ne  le  point  profaner  ':  car  malgré  mes  classes  &  mes 
études,  ayant  toujours  mené  une  vie  uniforme  &  simple,  j'avois  con- 
servé dans  mon  esprit  toute  la  clarté  des  lumières  primitives:  les  maximes 
du  monde  ne  |  les  avoient  point  obscurcies,  &  ma  pauvreté  m'éloignoit  [24] 
des  tentations  qui  dictent  les  sophismes  du   vice. 


Cette  résolution  fut  précisément  ce  qui  me  perdit;  mon  respect  pour 
le  lit  d'autrui  laissa  mes  fautes  à  découvert.  Il  fallut  e.xpier  le  scandale  : 
arrêté,  interdit,  chassé,  je  fus  bien  plus  la  victime  de  mes  scrupules  que 
de  mon  incontinence,  &  j'eus  lieu  de  comprendre  aux  reproches  dont  ma 
disgrâce  fut  accompagnée,  qu'il  ne  faut  souvent  qu'aggraver  la  faute  pour 
échapper  au  châtiment  '. 


Peu    d'expériences    pareilles    mènent    loin    un    esprit   qui    réfléchit. 


'  Cf.  Lettre  à  D'Alembert,  I,  264  :  «  Le  premier  et  le  plus  saint  de  tous  les 
liens  de  la  société  est  le  mariage  ». 

'  Voltaire  [242],  274  :  «  Que  m'importe  que  ce  vicaire  ait  eu  ou  non  des  bonnes 
fortunes  »  !  —  Dans  le  troisième  livre  d'Emile,  11,  169,  Rousseau  a  déjà  rappelé,  mais 
sur  un  autre  ton,  le  cas  analogue  de  l'abbé  de  Saint-Pierre  :  «  L'n  célèbre  auteur  de 
ce  siècle,  dont  les  livres  sont  pleins  de  grands  projets  et  de  petites  vues,  avait  fait 
vœu,  comme  tous  les  prêtres  de  sa  communion,  de  n'avoir  point  de  femme  en  propre: 
mais,  se  trouvant  plus  scrupuleux  que  les  autres  sur  l'adultère,  on  dit  qu'il  prit  le 
parti  d'avoir  de  jolies  servantes,  avec  lesquelles  il  réparait  de  son  mieux  l'outrage 
qu'il  avait  fait  à  son  espèce  par  ce  téméraire  engagement  ».  On  trouvera,  sur  ce  point, 
des  détails  plus  précis  dans  les  Xotes  qu'il  avait  prises  pour  son  étude  sur  l'abbé  de 
Saint-Pierre  [37 ,  245-246. 

'  Si  le  récit  des  Confessions,  VIII.  84,  était  exact,  l'abbé  Gàtier  serait  ici  le 
prototype  du  Vicaire;  on  remarquera  la  similitude  de  quelques  expressions  :  »  J'appris 
qu'étant  vicaire  dans  une  paroisse,  il  avait  fait  un  enfant  à  une  fille,  la  seule  dont, 
avec  un  cœur  très  tendre,  il  eût  jamais  été  amoureux.  Ce  fut  un  scandale  effroyable 
dans  un  diocèse  administré  très  sévèrement.  Les  prêtres,  en  bonne  règle,  ne  doivent 
faire  des  enfants  qu'à  des  femmes  mariées.  Pour  avoir  manqué  à  cette  loi  de  con- 
venance, il  fut  mis  en  prison,  diffamé,  chassé.  Je  ne  sais  s'il  aura  pu  dans  la  suite 
rétablir  ses  affaires  :  mais  le  sentiment  de  son  infortune,  profondément  gravé  dans 
mon  cœur,  me  revint  quand  j'écrivis  VÈmile,  et,  réunissant  .M.  Gâtier  avec  .M.  Gaime, 
je  fis  de  ces  deux  dignes  prêtres  l'original  du  Vicaire  Savoyard.  Je  me  flatte  que 
l'imitation  n'a  pas  déshonoré  ses  modèles  ».  —  Sur  l'exactitude  du  récit  de  Rousseau, 
cf.  Introduction,  l*  Partie,  Chap.  II,  |  2. 


46  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

réfléchit.  '  Voyant  'par  de  tristes  observations  (?)  -troubler"  ^  toutes 
*  les  idées  que  j'avois  ■''du  bon,  du  juste,  et  des  devoirs  de  l'iiomme 
je  perdois  chaque  jour  quelqu'une  des  ''  opinions  que  j'avois 
receues,  ^  et  celles  qui  me  festoient  ne  suffisant  plus  pour  faire 
ensemble  un  ("  sistème)  qui  put  se  soutenir  ('■'  de  lui-même)  je 
sentis  peu  à  peu  '"  ébranler  dans  mon  "  entendement  toute  la 
certitude  des  choses,  et  réduit  à  ('-  une  espèce  de  scepticisme  uni- 
versel) je  (•''me  trouvai  peu  à  peu)  au  même  point  (d'incrédulité) 
où  \ous  êtes  a\ec  cette  différence  que  ('*  la  mienne)  '■'  s'étant 
formée  dans  un  âge  plus  mur  s'étoit  •"  établie  ''  avec  plus  de 
peine  «  et  »    •*  devoit  être   plus  difficile   à   dctruirej. 


2.  A  la  recherche  de  la  vérité. 


J'étois    dans  '"cet   état    flotant    d'incertitude  et  de   doute  que 
Descartes  exige  ^"  comme  la  première  disposition  (-'  convenable  dans) 

'  (mot  illisible). 

■  B.  (troubler)  [renverser]. 

■'  (chaque  iour). 

••  B.  (l'ordre)  [les  idées]. 

'■"  (receues). 

"  M.  idées. 

•  B.  <  et  >. 

"  [corps]. 

'  [(seul)  par  lui-même]. 
'"  B.  (ébranler)  [s'obscurcir]. 

"  B.    (cntendementi    [esprit]    <    toute    >    (la    certitude)     [l'évidence]     des 
principes. 

'-  [ne  savoir  que  penser).  —  B.  ne  savoir  plus  que. 
'■'  [(tombai)  parvins]. 
'*  [mon  incrédulité]. 

'■'•  B.  (s'étant  formée...  commença  dans  un)  [fruit  tardif  d'un]. 
"'•  B.  (établie)  [formée]. 

"  (par  une  chaîne  de  «  raisonnemens  »  dont  quelques  contradictions  appa- 
rentes... vous  en  tenir  lieu). 

'"  («  par  »  des...  avec  plus  de  ..  sur  de  meilleurs  principes...  mieu.x). 

''■'  B.  (cet  état  flotant)  [ces  dispositions]. 

''"  B.  <  comme  la  première  disposition  nécessaire  >. 

-'  [nécessaire  pour]. 


EDITION    ORIGINALE  47 

Voyant  par  de  tristes  observations  renverser  les  idées  que  j"avois  du  juste, 
de  l'honnête,  &  de  tous  les  devoirs  de  l'homme,  je  perdois  chaque  jour 
quelqu'une  des  opinions  que  j'avois  reçues,  celles  qui  me  restoient  ne 
suffisant  plus  pour  faire  ensemble  un  corps  qui  pût  se  soutenir  |  par  lui-  [25] 
même,  je  sentis  peu-à-peu  s'obscurcir  dans  mon  esprit  l'évidence  des^ 
principes:  &  réduit  enfin  à  ne  savoir  plus  que  penser,  je  parvins  au 
même  point  où  vous  êtes;  avec  cette  différence,  que  mon  incrédulité,  truit 
tardif  d'un  âge  plus  mûr,  s'étoit  formée  a\ec  plus  de  peine,  &  devoit  être 
plus  difficile  à  détruire. 


2.  A  la  recherche  de  la  vérité. 


J'étois  dans  ces  dispositions  d'incertitude  &  de  doute  ',  que  Descanes 
exige  pour  la  recherche  de  la  vérité  -.  Cet  état  est  peu  fait  pour  durer, 
il  est  inquiétant  et  pénible;  il  n'y  a  que  l'intérêt  du  vice  ou  la  paresse 
de  l'ame  qui  nous  v  laisse.  Je  n'avois  point  le  cœur  assez  corrompu  pour 
m'v  plaire;  &  rien  ne  conserve  mieux  l'habitude  de  réfléchir,  que  d'être 
plus  content  de  soi  que  de  sa  fortune  ^. 


'  Comparer  avec  Marie  Huber,  Reli/fion  essentielle  [i5i],  [.  Lettre  aux  éditeurs 
(non  paginée)  :  «  [L'auteur]  suppose  un  Homme  qui  n'a  point  eu  de  Maître  sur  la 
Religion,  un  Homme  qui  se  consulte  lui-même  pour  découvrir  d'où  il  est  venu  et  où 
il  va,  et  qui  par  une  suite  de  cet  examen  est  amené,  d'une  conséquence  à  l'autre,  à 
reconnaître  un  Premier  Être,  une  Cause  Suprême  ». 

-  Discours  de  la  Méthode,  1'  Partie  [8o],  4  et  10  :  «  Je  me  trouvais  embarrassé 
de  tant  de  doutes  et  d'erreurs  qu'il  me  semblait  n'avoir  fait  autre  protît,  en  tâchant 
de  m'instruire,  sinon  que  j'avais  découvert  de  plus  en  plus  mon  ignorance...  Voyant 
plusieurs  choses  qui,  bien  qu'elles  nous  semblent  fort  e.\travaganies  et  ridicules,  ne 
laissent  pas  d'être  communément  reçues  et  approuvées  par  d'autres  grands  peuples, 
j'apprenais  à  ne  rien  croire  trop  fermement  de  ce  qui  ne  m'avait  été  persuadé  que  par 
l'exemple  et  par  la  coutume  ».  Mais  c'est  volontairement  que  Descartes  fait  de  ces 
incertitudes  partielles  un  doute  universel,  tandis  que  le  doute  de  Rousseau  s'impose 
à  lui  en  dépit  de  ses  désirs  et  de  ses  efforts.  En  outre,  le  doute  de  Descartes  n'est 
nullement  un  «  état  flottant»  (texte  de  F|.  «  peu  fait  pour  durer»,  «  inquiétant  et 
pénible  ».  Descartes  y  est  resté  neuf  ans  llll"  Partie  du  Discours,  p.  281  sans  en  souffrir: 
el,  d'ailleurs,  il  laisse  précisément  hors  de  son  doute  ce  qui  inquiète  surtout  Rousseau, 
et  qui  motive  son  examen  :  les  devoirs  pratiques,  la  morale  et  la  Religion. 

'  Parce  que  la  réflexion,  loin  d'être  importune,  procure  les  satisfactions  de  la 
conscience. 


48  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

la  recherche  de  la  vérité;  cet  état  [est  peu  fait  pour  durer,  ilj  est 
inquiétant  ^  et  pénible.  Il  n'y  a  que  [l'interest  du  vice]  ^  la  paresse 
de  l'ame  qui  nous  v  laisse  :  ^  je  n'avois  *  point  le  coeur  assés  cor- 
rompu pour  m'v  plaire  et  ■  *  rien  *  ne  conserve  mieux  i  l'habitude 
■•  de  réfléchir  que  d'être  plus  content  de  soi  que  de  sa  fortune. 
Je  niéditois  donc  sur  le  triste  sort  des  (*  humains)  -'jettes  sur  cette 
mer  des  opinions  'humaines]  sans  gouvernail  (et)  sans  ('"voiles) 
et  li\Tés  à  leurs  passions  orageuses  sans  autre  guide  qu'un  pilote 
("aveuglé)  qui  méconnoit  sa  route  et  qui  ne  sait  ni  d'où  il  \ient 
ni  où  il  va.  Je  me  disois  "'-j'aime  la  vérité  ('^  la  seule  chose  qui  me 
manque  est  de)  i"  laj  '^  connoitre,  qu'on  me  la  montre  et  j'y 
r  158  ™  demeure  attaché  "'.  ||  Quoique  j'aye  souvent  éprouvé  de  plus 
grands  maux  je  n'ai  jamais  ''  mené  une  \ie  aussi  ''^  desagréable 
que  dans  ces  tems  de  '"  peine  et  d'anxiétés  ou  '-"  flotant  sans  cesse 
de  doute  en  doute  je  ne  raportois  de  mes  longues  méditations 
qu'incertitude,  obscurité,  contradictions  sur  la  cause  de  mon 
(-'  être)   et  sur  --  le  principe   de   mes  devoirs. 


'  M.  <  et  >. 
-  B.  ou  la. 

^  (mais  quand  sic  faire  pour  en  sortir). 
■•  I.  (pas)  [point]. 
'  (pour  deux  mots  illisibles). 
"  (de...  ne  nourrit). 

'  (du  malheur  me  laissoit  cette  disposition). 
'  [mortels]. 
"B.  (jettes)  [flo'.ans]. 
">  [boussole]. 
"  [inexpérimenté]. 

'^  (je  veux  le  bien  [je  sens  qu'il  existe]). 
'^  [je  la  cherche  (sans)  et  ne  puis  la]. 
'*  (le). 

'°  B.  reconnoitre. 

'*  B.  Pourquoi  faut-il  qu'elle  se  dérobe  à  l'empressement  d'un  cœur  fait  pour 
l'adorer  ? 

'"  B.  passé  [(mené)]. 

"  B.  constamment  désagréable.  —  M.  <  constamment  >. 

"  B.  trouble. 

'"  B.  (flotant)  sans  cesse  [errant]. 

^'  [existence].  — B.  être. 

--  B.  la  régie. 


EDITION    ORIGINALE  49 

Je  méditois  donc  sur  le  triste  sort  des  mortels,  flottans  sur  cette  mer 
des  opinions  humaines*,  sans  gouvernail,  j  sans  boussole,  &  livrés  à  leurs  [26] 
passions  orageuses,  sans  autre  guide  qu'un  pilote  inexpérimenté  qui 
méconnoît  sa  route,  &  qui  ne  sait  ni  d'où  il  vient,  ni  où  il  va.  Je  me 
disois;  jaime  la  vérité,  je  la  cherche  &  ne  puis  la  reconnoitre;  qu'on  me 
la  montre,  &  j'y  demeure  attaché  :  pourquoi  faut-il  qu'elle  se  dérobe  à 
l'empressement  d'un  cœur  fait  pour  l'adorer  ? 

Quoique  j'aye  souvent  éprouvé  de  plus  grands  maux,  je  n'ai 
jamais  mené  une  vie  aussi  constament  désagréable  que  dans  ces  tems 
de  trouble  &  d'anxiétés,  où  sans  cesse  errant  de  doute  en  doute,  je 
ne  rapportois  de  mes  longues  méditations  qu'incertitude,  obscurité, 
contradictions  sur  la  cause  de  mon  être  &  sur  la  régie  de  mes  devoirs. 


*  Bossuet  avait  déjà  dit.  Sermon  sur  la  loi  de  Dieu  '53],  VIII,  472-473  :  «  Quand 
je  regarde  quelquefois  en  moi-même  cette  mer  si  vaste  et  si  agitée,  si  j'ose  parler 
de  la  sorte,  des  raisons  et  opinions  humaines  ».  D'ailleurs,  tout  le  premier  point 
de  ce  sermon  n'est  guère  qu'un  réquisitoire  contre  la  Philosophie,  très  voisin  de 
celui  de  Rousseau.  Est-il  besoin  de  rappeler  que  Rousseau  ne  l'a  point  connu, 
puisque  les  Sermons  ne  furent  imprimés  qu'en  1772?  Mais  cette  similitude  d'ar- 
guments et  d'expressions  montre  bien  tout  ce  qu'il  y  a  de  traditionnel  dans  les 
idées  du  Vicaire. 

4 


50  REDACTIONS    MANUSCRITES 

('  J'entends  beaucoup  parler  des  sceptiques^.  Ces  philosophes 
ou  n'existent  pas,  ou  sont  les  plus  malheureux  des  hommes.  Le 
doute  sur  les  choses  qu'il  nous  importe  -de  connoitre  est  un  état 
trop  violent  pour  ^  l'homme.  11  n'v  ^  résiste  pas  longtems,  il  se 
décide  ^  de  manière  ou  d'autre  et  il  aime  mieux  se  tromper  que 
'■  de  ne  rien  croire. 

Ce  qui  '  îaisoit  mon  *  plus  grand  embarras  c'est  qu'étant  né 
dans  une  *  religion  qui  décide  tout,  qui  ne  permet  aucun  doute  un 
seul  point  rejette  (^°  me  faisoit)  rejetter  i'  tout  le  reste  et  que  l'im- 
possibilité d'admettre  tant  de  décisions  absurdes  me  détachoit  aussi 
de  ce  nies!  qui  ne  l'éloient  pas.  En  me  disant  crovez  tout  (ou  rien) 
l'on  ('-  me  îorçoit)  à  ne  rien  croire  et  je  ne  savois  plus  où  m'arrêter. 


'  [(Je  n'imagine  pas  ce  que  c'est  que  d'être  sceptique  par  sistême)  comment 
peut-on  être  sceptique  par  sistême  et  de  bonne  foi.  Je  ne  (l'imagine  pas)  puis 
l'imaginer].  —  B.   saurois  l'imaginer. 

-  B.  si  fort. 

'  B.  (l'homme)  [l'esprit  humain]. 

■*  B.  (résiste  pas)  [sauroit  persévérer]  longtems  [sincèrement]. 

^  B.  [malgré  lui].  — I.  [malgré  lui]. 

"  B.  <  de  >. 

•  B.  redoubloit. 

"  B.  <  plus  grand  >. 

»  B.  Eglise. 

'"  [fait].  —  B.  me  faisoit. 

"  I.  tous  le  (s  autres)  [reste]. 

'-  [m'engageoit].  —  B.  on  (me  forçoit  à  ne)  [m'empèchoit  de].  —  I.  me 
forçoit  à  ne. 


EDITION'    ORIGINALE  51 

Comment  peut-on  être  sceptique  par  système  &  de  bonne-toi  ^  .■'  je 
ne  saurais  le  comprendre  -.  Ces  Philosophes,  ou  n'existent  pas.  ou 
sont  les  I  plus  malheureux  des  hommes.  Le  doute  sur  les  choses  qu'il  [27] 
nous  importe  de  connoitre  i,  est  un  état  trop  violent  pour  l'esprit 
humain  -■.  il  n'y  résiste  pas  lonf,'-tems,  il  se  décide  malgré  lui  de  manière 
ou  d'autre,  &  il  aime  mieux  se  tromper  que  ne  rien  croire  ^. 

Ce  qui  redoubloit  mon  embarras,  étoit  qu'étant  né  dans  une  Eglise 
qui  décide  tout,  qui  ne  permet  aucun  doute,  un  seul  point  rejette  me 
t'aisoit   rejetter  tout   le   reste  *,  &  que  l'impossibilité  d'admettre   tant  de 


■  .\rticle  Evidence  dans  {'Encyclopédie  [218],  146  b  :  «  J'entends  par  évidence 
une  certitude  à  laquelle  il  nous  est  aussi  impossible  de  nous  refuser  qu'il  nous  est 
impossible  d'ignorer  nos  sensations  actuelles.  Cette  définition  suffit  pour  apercevoir 
que  le  pvrrhonisme  général  est  de  mauvaise  foi  ». 

=  \oltaire  [242],  275  :  «  Inutile,  on  est  sceptique  sur  mille  choses  qu'on  ne 
connaît  pas  ».  —  Une  note  inédite  de  la  Nouvelle  Héloïse  (VI,  xi)  [9],  H,  69'",  fournit 
a  ce  passage  un  excellent  commentaire.  La  note  est  accrochée  à  la  phrase  de  Wolmar 
à  Saint-Preux  (cf.  V.  5i)  :  «  Voilà  le  premier  doute  qui  m'ait  fait  flotter  dans  le 
sentiment  que  vous  avez  si  souvent  attaqué  ».  Et  Rousseau  aio.ute  ironiquement  en 
marge  :  «  Le  premier  doute  qui  fasse  flotter  un  sceptique  dans  son  sentiment  !  Ceci 
me  parait  bien  près  du  galimatias.  Je  crois  pourtant  entrevoir  une  espèce  de  sens. 
Jusque  là,  M.  de  Wolmar  vivait  avec  sécurité  dans  ses  doutes;  cette  sécurité  s'ébranle, 
ces  doutes  commencent  à  lui  devenir  suspects.  Il  doute  s'il  lui  est  permis  de  douter. 
Ou  bien  ne  serait-ce  point  que  les  prétendus  sceptiques  sont  au  fond  très  affirmatifs, 
très  décidés  pour  l'avis  contraire  à  celui  qui  leur  parle,  sauf  à  l'abandonner  ensuite 
si  leur  adversaire  le  prend  !  Mais  il  me  semble  que  .M.  de  Wolmar  tel  qu'il  nous  le 
peint,  homme  simple  et  vrai,  toujours  plein  de  candeur  et  de  bonne  foi,  n'était  pas 
sceptique  dans  ce  dernier  sens  ».  J'ai  souligné  dans  cette  note  quelques  épithètes  qui 
ont  été  reprises  ici  par  Rousseau,  à  la  page  suivante. 

'  Il  n'v  avait  guère  de  sceptique  au  XVIII'  siècle  pour  prêcher  ce  doute  absolu, 
destructeur  de  l'action.  Beausobre.  dans  son  Pvrrhonisme  du  sage  [207],  26,  écrivait  : 
«  Ces  idées  ne  doivent  pas  plus  empêcher  de  nous  déclarer  pour  une  hypothèse  ou 
pour  un  sentiment,  que  l'incertitude  des  événements  de  la  vie  ne  nous  doit  laisser 
indéterminés  sur  le  parti  que  nous  avons  à  prendre  »;  il  disait  encore,  104  :  «Que 
l'incertitude  de  nos  connaissances  ne  nous  embarrasse  point,  leur  bonté  et  leur  utilité 
n'en  souffriront  point  ». 

■  Rousseau  à  Voltaire,  lettre  du  18  Août  1756,  X,  i3i  :  «  L'état  de  doute  est  un 
état  trop  violent  pour  mon  âme  ». 

^  Formev,  Examen  de  V  «  Histoire  naturelle  de  la  Religion  »  de  Hume  [190], 
179  :  «  Je  serai  de  son  avis  [qu'on  trouve  la  paix,  comme  dit  Hume,  dans  le  doute 
philosophique]  aussitôt  qu'il  aura  prouvé  que  le  scepticisme  est  un  état  de  repos  et 
que  l'esprit  humain,  environné  de  ténèbres,  flottant  dans  le  doute  et  dans  l'incertitude, 
peut  goûter  une  solide  paix  et  jouir  d'une  tranquillité  durable.  Cela  se  pourrait  peut- 
être  lorsque  le  sujet  est  indifférent;  mais  celui-ci  nous  intéresse  de  trop  près  pour  le 
laisser  ainsi  à  l'abandon  et  pour  ne  pas  désirer  d'en  être  éclairci  ». 

'  Voltaire  [242.  275  :  «  Bon  ».  —  C'est,  d'ailleurs,  une  réminiscence  de  Diderot, 
art.  Éclectisme  ■2\b],  274  a  :  «  Le  Christianisme  ne  soufl're  aucune  exception;  rejeter 
un  de  ses  dogmes,  c'est  n'en  admettre  aucun  ». 


52  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


Je  consultai  les  philosophes,  je  feuilletai  leurs  livres,  j'exa- 
minai leurs  diverses  opinions,  je  les  trouvai  tous  fiers,  '  affir- 
matifs.  '  décisifs,  dogmatiques,  (^  sachant)  tout,  ne  prouvant  rien, 
*  chacun  d'eux  «  se  moquant  »  des  autres  ^  et  je  vis  qu'ils  avoient 
tous  raison.  Ils  triomphent  quand  ils  attaquent,  ''  s'ils  se  deî- 
îendent  ils  sont  sans  vigueur.  Si  \ous  pesez  '  les  raisons  ils  n'en 
ont  que  pour  détruire.  Si  \ous  comptez  les  voix  (*  chacun)  n'a 
que  la  sienne  toutes  les  autres  sont  contre  lui.  Les  ('  consulter) 
n'étoit   pas    le    mo\"en   de   ('"  me  tirer)   de   mon    incertitude. 


'  I.  (dogmatiques)  [affinnatifs],  dogmatiques. 

^  B.  <  décisifs  >. 

'  [n'ignorant  rien].  —  B.  même  dans  leur  scepticisme  prétendu,  n'ignorant. 

■•  B.  <  chacun  d'eux  >  se  moquant  (tous)  les  uns. 

■'■  B.  <  et  je  vis...  triomphent  >.  Et  ce  (seul)  point  coinmun  à  tous  me 
parut  le  seul  sur  lequel  ils  ont  tous  raison.  Triomphans. 

"  B.  ils  sont  sans  vigueur  en  se  defïendant. 

'  B.  (leurs)  [les]. 

'  (tous)  [aucun  d'eux],  —  B.  Chacun  est  réduit  à  la  sienne;  ils  ne  s'ac- 
cordent que  pour  disputer.  Les  écouter. 

"  [écouter]. 

'"  [sortir]. 


EDITION    ORIGINALE  53 

décisions  absurdes,  me  détachoit  aussi  de  celles  qui  ne  l'étoient  pas.  En 
me  disant;  croyez  tout,  on  mempèchoit  de  rien  croire,  &  je  ne  savois 
plus  où  m'arrèter  '^. 

Je  consultai  les  Philosophes  ^,  je  feuilletai  leurs  livres,  j'examinai 
leurs  diverses  opinions;  je  les  trouvai  tous  fiers,  affirmatifs,  dogmatiques, 
même  dans  leur  scepticisme  prétendu  ".  n'ignorant  rien,  ne  prouvant 
rien,  se  moquant  |  les  uns  des  autres:  &  ce  point,  commun  à  tous,  me  ^281 
parut  le  seul  sur  lequel  ils  ont  tous  raison.  Triomphans  quand  ils 
attaquent,  ils  sont  sans  vigueur  en  se  défendant.  Si  vous  pesez  les  raisons, 
ils  n'en  ont  que  pour  détruire  '  ;  si  vous  comptez  les  voi.x.  chacun  est 


^  Comparer  une  note  inédite  de  la  Nouvelle  Héloïse  (VI,  si)  [8  B],  91";  elle 
était  accrochée  à  cette  déclaration  de  Julie  mourante  (V,  55)  :  «  Ce  qu'il  m'était 
impossible  de  croire,  je  n'ai  pu  dire  que  je  le  croyais  ».  Rousseau  ajoutait,  parlant  en 
son  nom  personnel  :  «  Toute  la  plus  grande  docilité  qu'on  peut  avoir  en  matière  de 
foi,  c'est  de  dire  à  un  Pasteur  ou  à  une  Église  :  tout  ce  que  vous  croyez,  je  voudrais  le 
croire  ;  car,  quoiqu'on  fasse,  on  ne  saurait  dire  :  tout  ce  que  vous  croyez,  je  le  crois  — 
sans  s'esposeràdire  un  mensonge,  parce  qu'on  promet  plus  qu'on  n'a  le  pouvoir  de  tenir». 

*  Tout  ce  réquisitoire  est  à  rapprocher  du  récit  des  Rêveries,  l\,  341  :  «  Je 
vivais  alors  avec  des  philosophes  modernes,  qui  ne  ressemblaient  guère  aux  anciens  : 
au  lieu  de  lever  mes  doutes  et  de  lixer  mes  irrésolutions,  ils  avaient  ébranlé  toutes 
les  certitudes  que  je  croyais  avoir  sur  les  points  qu'il  m'importait  le  plus  de  con- 
naître :  car,  ardents  missionnaires  d'athéisme  et  très  impérieux  dogmatiques,  ils 
n'enduraient  point  sans  colère  que  sur  quelque  point  que  ce  pût  être,  on  osât  penser 
autrement  qu'eux  »,  etc.  —  Rousseau  reprend  ici,  avec  plus  de  véhémence,  les  ironies 
de  Descartes  contre  les  philosophes.  Discours  de  la  Méthode,  V  et  H"  Parties  [80],  8,  16  : 
«  Je  ne  dirai  rien  de  la  philosophie,  sinon  que.  voyant  qu'elle  a  été  cultivée  par  les 
plus  excellents  esprits  qui  aient  vécu  depuis  plusieurs  siècles,  et  que  néanmoins  il  ne 
s'y  trouve  encore  aucune  chose  dont  on   ne  dispute,  et  par  conséquent  qui  ne  soit 

douteuse,   etc Ayant  appris  dès   le  collège  qu'on   ne   saurait  rien  imaginer  de  si 

étrange  et  si  peu  croyable  qu'il  n'ait  été  dit  par  quelqu'un  des  philosophes  ».  Dans 
cette  dernière  phrase.  Descartes  fait  allusion  au  texte  de  Cicéron.  De  Divinatione,  II, 
58  ;  «  Nihil  tam  absurde  dici  potest,  quod  non  dicatur  ab  aliquo  Philosophorum  ». 
Voltaire  avait  repris  cette  citation  à  son  compte  dans  l'édition  de  1  756  de  sa  Philo- 
sophie de  Xewton  j53],  434,  note;  et  Rousseau,  qui  lisait  les  Mémoires  de  l'Académie 
des  Inscriptions,  pouvait  la  retrouver  aussi  dans  le  Mémoire  sur  les  sectes  philo- 
sophiques de  l'abbé  Souchay  (17531.  Ce  Mémoire  concluait  ainsi  [43],  XIV,  i5  :  «  Il 
n'y  a  point  d'absurdité  qui  n'ait  été  avancée  et  soutenue  par  quelque  philosophe,  ni 
d'égarement  dont  la  raison  livrée  à  elle-même  ne  soit  capable  ».  Cf.,  plus  haut,  la 
note  4  de  la  p.  25. 

'  Voltaire  [242],  279  :  «  Faux,  lisez  Locke  »  ;  cf.,  en  effet.  Lettres  philoso- 
phiques, XIII  [145],  I,  169  :  «  Il  [Locke]  ose  quelquefois  parler  affirmativement,  mais 
il  ose  aussi  douter  ». 

'  Dialogues,  IX,  143  :  «  Dans  ce  siècle,  oii  la  philosophie  ne  fait  que  détruire  »  ; 
Discours  sur  les  sciences  et  les  arts,  I,  12  :  «  Ils  consacrent  leurs  talents  et  leur 
philosophie  à  détruire  et  avilir  tout  ce  qu'il  y  a  de  sacré  parmi  les  hommes  ». 
Comparer  avec  le  réquisitoire  de  Mirabeau  contre  les  philosophes  et  leurs  ouvrages, 
«  qui  détruisent  tout  et  n'éditîent  rien  ».  L'Ami  des  hommes  [219],  II,  143-145. 


54  REDACTIONS    MANUSCRITES 


Je  conceus  que  l'insuffisance  de  l'esprit  humain  est  la  première 
cause  de  cette  prodigieuse  diversité  de  sentimens  et  que  l'orgueil 
est  la  seconde,  nous  n'avons  point  la  mesure  de  cette  machine 
immense  nous  n'en  pouvons  calculer  les  'proportions,  [nous]  n'en 
connoissons  ni  les  premières  loix  ni  la  cause  finale,  nous  nous 
ignorons  nous-mêmes,  nous  ne  (-  connoissons)  ni  nôtre  (■*  être) 
ni  notre  principe  actif,  *  nous  ne  savons  si  ('nous  sommes)  un 
être  "  composé  (ou  simple).  Des  mistéres  impénétrables  nous  envi- 
ronnent dL'  toutes  parts.  Ils  sont  au  dessus  de  la  région  sensible. 
Pour  les  percer  nous  ('  cro3'ons)  avoir  de  l'intelligence  et  nous 
n'avons  que  des  sens*.  Chacun  se  fraye  '^  une  route  qu'il  croit  la 
bonne.  "'  «  Nul  »  ne  «  peut  ("  voir)  »  si  ('-  elle)  mène  au  but,  cepen- 
dant nous  «  '^  voulons  »  tout  pénétrer  tout  connoitre. 

La  seule  chose  que  nous  ne  sa\'ons  point  est  d'ignorer 
ce  que  nous  ne  pouvons  savoir.  Nous  aimons  mieux  nous  déter- 
miner au  hazard  \ei]  croire  ce  qui  n'est  '^  pas  que  d'avouer 
qu'aucun  de  nous  ne  peut  voir  ce  qui  est.  Petite  partie  d'un 
grand  tout  dont   les  bornes  nous  échapent  ^'  ("'  comment  saurons 


'  B.  (proportions)  [rapports],  — I.  proportions. 

-  [concevons]. 

^  [nature]. 

■•  B.  à  peine  savons-nous  si. 

°  [l'homme  est]. 

"  [simple  ou]. 

'  [pensons].  — B.  (nous  pensons  avoir  de  [nous?  croyons  à  nôtre])  [nous 
croyons  avoir  de]. 

"  B.  (sans  songer  que  1'  [notre]  intelligence  de  l'homme  [elle-même]  ne  va 
pas  plus  loin  que  ses  [nos]  sens)  et  nous  n'avons  que  de  l'imagination.  Chacun. 
—  I.  que  (des  sentimens)  [de  l'imagination]. 

'■'  B.  à  travers  ce  monde  imaginaire. 

'"  B.  (mais). 

"   [juger].  —  B.  savoir. 

'-  [la  sienne]. 

''  B.  (pensons)  [voulons]. 

"  B.  (point)  [pas]. 

'*  I.  et  que  son  auteur  livre  à  nos  vaines  disputes. 

"■'  [nous  sommes  assés  (tous)  vains  pour  vouloir  décider]. 


EDITION"    ORIGINALE  55 

réduit  à   la   sienne:    ils  ne  s'accordent  que  pour  disputer  :   les  écouter 
nëtoit  pas  le  moyen  de  sortir  de  mon  incertitude. 

Je  conçus  que  l'insuffisance  de  l'esprit  humain  est  la  première  cause 
de  cette  prodigieuse  diversité  de  sentimens,  &  que  l'orgueil  est  la  seconde. 
Nous  n'avons  point  les  mesures  de  cette  machine  immense  -,  nous  n'en 
pouvons  calculer  les  rapports;  nous  n'en  connoissons  ni  les  premières 
loix,  ni  la  cause  finale;  nous  nous  ignorons  nous-mêmes;  nous  ne 
connoissons  ni  notre  nature,  ni  notre  principe  actif;  à  peine  savons-nous 
si  l'homme  est  un  |  être  simple  ou  composé  i;  des  misteres  (^'i  impéné-  "29 
trahies  nous  environnent  de  toutes  parts  ;  ils  sont  au-dessus  de  la  région 
sensible:  pour  les  percer  nous  croyons  avoir  de  l'intelligence,  &  nous 
n'avons  que  de  l'imagination  -.  Chacun  se  fraye,  à  travers  ce  monde 
imaginaire,  une  route  qu'il  croit  la  bonne;  nul  ne  peut  savoir  si  la  sienne 
mené  au  but.  Cependant  nous  voulons  tout  pénétrer,  tout  connoître  ^. 
La  seule  chose  que  nous  ne  savons  point,  est  d'ignorer  ce  que  nous 
ne  pouvons  savoir.  Nous  aimons  mieu.x  nous  déterminer  au  hazard, 
&   croire   ce   qui   n'est  pas,    que   d'avouer   qu'aucun   de   nous    ne   peut 


l'y  C,  D  :  mystères. 

-  Cf.  Institutions  chimiques  35\  18  :  «  Surchargés  et  comme  accablés  du  poids 
de  cette  machine  immense,  ils  les  philosophes"  se  contentent  d'en  considérer  quelque 
ressort  qui  se  trouve  à  leur  portée  ».  Cf.  encore,  aux  Appendices,  11.  dans  le  fragment 
inédit.  Comment  s'acquiert  l'idée  de  Dieu  :  *  Une  suprême  intelligence  régit  cette 
machine  immense  ». 

'  C'est-à-dire,  si  l'homme  est  «  un  »,  ou  s'il  est  composé  de  deux  «  substances  ». 
problème  capital,  comme  on  le  verra,  aux  yeux  de  Rousseau,  et  qui  sera  discuté  plus 
loin  :  cf.  p.  6g  et  note  1,  85  et  note  1. 

'  Cf.  Livre  I  d'Emile,  II,  47  :  «  C'est  l'imagination  qui  étend  pour  nous  la 
mesure  des  possibles,  soit  en  bien,  soit  en  mal,  et  qui,  par  conséquent,  excite  et 
nourrit  les  désirs  par  l'espoir  de  les  satisfaire  ». 

'  Voltaire  '2-}2".  275  :  «  Déclamation  trop  commune  ».  Rousseau  avait  pu  lire, 
en  ettet,  dans  plusieurs  auteurs  des  considérations  semblables,  il  avait  même  copié 
(cf.  Pages  inédites  ^36].  218-2191  ""  passage  de  l'abbé  Guyon,  Histoire  des  empires 
et  des  républiques  J47],  I,  Disc,  prélim.,  p.  i,  qui  présente  certaines  analogies  avec 
le  texte  de  la  Profession  :  «  L'une  des  premières  passions  de  l'homme  est  de  chercher 
à  connaître  ce  qui  est  autour  de  lui.  La  capacité  de  son  esprit  est  trop  vaste  pour  se 
contenter  de  soi-même.  11  soutfre  de  se  voir  resserré  dans  les  bornes  étroites  du 
temps,  des  lieux  et  des  personnes  avec  lesquelles  il  passe  le  court  espace  de  sa  vie: 
il  cherche  continuellement  à  prendre  son  essort  dans  une  région  plus  étendue  ».  .Mais 
Rousseau  renouvelle  un  peu  ces  banalités  par  l'accent  de  conviction  qu'il  y  met.  .\u 
reste,  l'influence  de  Pascal  sur  ces  considérations  est  sensible  :  insister  sur  «  l'in- 
suffisance de  l'esprit  humain  »,  sur  la  puissance  mensongère  de  *  l'orgueil  »,  sur  le 
sentiment  des  «  mvstères  impénétrables  qui  nous  environnent  »,  autant  de  façons  de 
rendre  la  raison  suspecte. 


56  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 

nous  jamais)   ce  qu'il  est  en  lui-même  et  ce  que  nous  sommes  par 
raport  à  lui. 

Quand  les  philosophes  iseroient  en  état  de  découvrir  la  vérité 
qui  d'entre  eux  prendroit  intérest  à  elle,  f  Chacun  -  sait  bien  que 
son  sistéme  «  ^  n'est  »  pas  *  plus  vrai  que  celui  des  autres  mais 
il  le  soutient  parce  qu'il  est  à  lui  ^  et  il  n'^'  en  a  pas  un  ^  qui 
(n'aimât  mieux)  le  mensonge  qu'il  a  trouvé  ('que)  la  vérité  decou- 
\erte  par  un  autre.  î'^Et|  ^  où  est  le  philosophe  qui  pour  sa  gloire 
fo  J59  ro  ne  II  «  tromperoit  »  pas  volontiers  tout  le  genre  humain.  Où  est 
celui  qui  dans  le  secret  de  son  cœur  se  propose  un  autre  objet 
que  de  se  distinguer.  Pourveu  qu'il  s'élève  au  dessus  du  vulgaire, 
pourveu  qu'il  efface  l'éclat  de  ses  concurrens  que  demande-t-il 
de  plus.  L'essentiel  est  de  penser  autrement  que  les  autres. 
Chez  ('"un  peuple  croyant)  il  est  "incrédule  chez  '-un  peuple 
athée  il  seroit  crovant. 


'  (pou  braient). 
-  B.  d'eux. 
'  ([ne  vaut]). 

*  B.  mieux  fondé  que  ceux  des. 
'  B.  <  et  >. 

"  [seul   qui  venant  a  connoitre  le  vrai   et  le  faux  ne  préferast  encore].  — 
B.  (encore).  —  M.  venant  à  discerner. 

»  B.  <  et  >. 

"  (le  meilleur). 
'"  [les  croyans]. 
"  B.  (incrédule)  [athéej. 
'-  B.  les  athées. 


t  Ici,  dans  le  manuscrit,  un  espace  de  quelques  lignes  laissé  en  blanc. 


ÉDITION    ORIGINALE  57 

voir  ce  qui  est.  Petite  partie  d"un  grand  tout  dont  les  bornes  nous 
échappent.  &  que  son  auteur  livre  à  nos  folles  disputes  *,  nous  sommes 
assez  vains  pour  vouloir  décider  ce  qu'est  ce  tout  en  lui-même,  &  ce 
que  nous  sommes  par  rapport  à  lui. 

I  Quand  les  Philosophes  seroient  en  état  de  découvrir  la  vérité,  qui  -30] 
d'entre  eux  prendroit  intérêt  à  elle?  Chacun  sait  bien  que  son  système 
n'est  pas  mieux  fondé  que  les  autres:  mais  il  le  soutient  parce  qu'il 
est  à  lui  ^  11  n'v  en  a  pas  un  seul,  qui,  venant  à  connoitre  le  vrai  & 
le  faux,  ne  préférât  le  mensonge  qu'il  a  trouvé  à  la  vérité  découverte 
par  un  autre.  Où  est  le  Philosophe,  qui,  pour  sa  gloire,  ne  tromperoit 
pas  volontiers  le  genre  humain  -?  Où  est  celui,  qui,  dans  le  secret  de 


*  Ecclésiaste,  111.  u  :  «  .Mundum  tradidit  disputationi  eorum  ». 

'  Cf.  Nouvelle  Héloïse  (IV,  vu),  iV,  297  :  «  L'amour  de  la  vériié  l'a  guéri 
Saint-Preux]  de  l'esprit  de  système  ». 

'  Ici  encore  Voltaire  aurait  pu  écrire  :  «  Déclamation  trop  commune  ».  On  la 
retrouve  souvent  chez  les  moralistes  ;  et.  par  exemple,  dans  les  Entretiens  du  P.  Lami, 
dont  Rousseau  avait  fait  aux  Charmettes  son  livre  de  chevet,  il  avait  lu  bien  des  fois 
ceci  [90',  29-34  :  «  La  plus  grande  partie  de  ceux  qui  étudient  ne  recherchent  les 
sciences   que    pour  en   faire   montre...   Ils  n'étudient   que   les   choses   auxquelles   les 

hommes  ont  attaché   de   la  gloire  :  ainsi   ils    négligent  ce  qui  est  nécessaire [Le 

savant  orgueilleux]  n'acquiert  jamais  une  véritable  science,  qui  ne  consiste  que 
dans  la  connaissance  de  la  vérité;  car,  lorsqu'une  fois  il  a  donné  dans  un 
sentiment  faux,  il  faut  de  nécessité  que  tout  le  monde  se  trompe  avec  lui.  II 
voudrait  que  son  intelligence  fût  la  règle  de  l'esprit  des  autres,  que  les  choses 
fussent  vraies  ou  fausses,  selon  qu'elles  conviennent,  ou  qu'elles  sont  contraires 
à  ses  opinions.  Ce  qu'il  a  dit  doit  être  vrai,  il  ne  se  rétracte  jamais:  ainsi,  quand  il 
a  avancé  une  impertinence,  bien  loin  de  s'en  dédire,  il  s'y  enfonce  davantage,  il 
s'abime  dans  des  absurdités  infinies.  Quelquefois  il  se  trompe  de  dessein  prémédité, 
aimant  mieux  s'égarer  que  de  marcher  modestement  par  le  grand  chemin  ».  Cf.  encore 
iMura'.t,  Lettres  fanatiques  [r56].  I,  14  :  «  [Les  disputes  philosophiques]  ne  sont  qu'une 
sorte  de  jeu.  qu'une  lutte,  où,  de  part  et  d'autre,  on  ne  pense  qu'à  avoir  le  dessus, 
qu'à  faire  montre  d'une  habileté,  qui  consiste  principalement  à  ne  pas  demeurer  court, 
et  qui  est  fausse  déjà  par  cela  même  qu'il  n'y  entre  nulle  bonne  foi.  nul  respect  pour 
la  vérité»;  Instinct  Divin  [127],  1  36  :  «  Commençons  dès  à  présent...  à  laisser  là  les 
docteurs  avec  leur  méthodique  verbiage,  et  leurs  pédanteries  raisonnées,  tojs  ceux  qui 
n'ont  rien  à  dire  aux  hommes,  tous  ceux  qui,  sous  de  beaux  titres,  n'écrivent  que  par 
inquiétude  et  par  vaine  gloire,  et  dont  les  lecteurs  sont  dupes  »;  Saint-.\ubin.  Traité 
de  l'opinion  ^141],  I,  3o5-3o6  :  «  Celte  même  philosophie  a  été  une  source  d'erreurs 
et  de  contradictions.  On  se  moqua  autrefois  du  dessein  du  proconsul  Gellius,  qui 
rassembla  tous  les  philosophes  d'Athènes  pour  tâcher  de  mettre  tin  à  leurs  disputes, 
les  exhortant  à  vouloir  se  concilier  entre  eux,  et  à  terminer  tous  leurs  différends  sous 
son  autorité.  Cette  espèce  de  gens  ne  s'accommode  jamais,  parce  que  c'est  la  vanité 
et  la  passion,  qui  sont  les  fondements  de  leur  dispute,  sans  aucun  égard  pour  la 
vérité»;  Condillac,  Traité  des  Animaux,  11,  Introduction  [214],  52i  :  «Des  philo- 
sophes, c'est-à-dire  des  hommes,  qui,  d'ordinaire,  aiment  mieux  une  absurdité  qu'ils 
imaginent    qu'une    vérité    que    tout    le    monde    a    adoptée    ».     .Marivaux,    L'Indigent 


58 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


3.  Méthode  à  suivre. 


[Le  premier  fruit  que  je  tirai  dej  ces  reflexions  '  fut  d'ap- 
prendre à  borner  mes  recherches  aux  seules  connaissances  -néces- 
saires au  (■*  bonheur  et)  à  l'espoir  de  ma  vie,  [a  (savoir)  me  reposer 
dans  une  profonde  ignorance  sur  tout  le  reste]  (*  et  ^  a  ne  pas  même 
*^'  m'inquieter  jusqu'au  doute  "  des  choses  qu'il  ne  m'importoit 
point  de  savoir). 


'  (je). 

-  B.  [utiles,  aux  seules]  nécessaires. 

•■'  [repos].  —  B.  (au  repos)  [à  l'espoir]  et  à  la  consolation  de. 
■•  [et  à  ne  m'inquieter  «  jusqu'au  doute»  que  des  choses  qu'il  m'importoit 
de  savoir]. 
'-  (ne). 

•"'  (élever  mon  ?  . 
'  [(sur  les)]. 


EDITION    ORIGINALE  59 

son  cœur,  se  propose  un  autre  objet  que  de  se  distinguer?  Pourvu 
qu'il  s'élcve  au-dessus  du  vulgaire,  pourvu  qu'il  efface  l'éclat  de  ses 
concurrens.  que  demande-t-il  de  plus  ?  L'essenciel  '  est  de  penser 
autrement  que  les  autres.  Chez  les  croyans  il  est  athée,  chez  les  athées 
il   seroit  croyant  •*. 


3.  Méthode  à  suivre. 


Le   premier   fruit  que  je  tirai  de  ces   réflexions,    fut  d'apprendre   à 
borner  I  mes    recherches   à   ce  qui    m'interessoit  immédiatement;   à    me         [31] 
reposer  dans  une  profonde  ignorance  sur  tout  le  reste,  &  à  ne  m'inquiéter, 
jusqu'au  doute,  que  des  choses  qu'il  m'importoit  de  savoir  '. 


pliilosophe.  b'  feuille,  L'Isle  de  la  Raison,  111,  4  [129J,  io5,  145,  169,  etc.  —  Comparer 
ce  portrait  des  philosophes  avec  celui  que  Rousseau  avait  déjà  tracé  dans  son 
premier  Discours,  I,  17-18  :  «  A  les  entendre,  ne  les  prendrait-on  pas  pour  une 
troupe  de  charlatans,  criant  chacun  de  son  côté  sur  une  place  publique  :  Venez  à 
moi  »,  etc.  Cf.  encore  Nouvelle  Héloïse  (1,  xii),  IV,  36  :  «  Otez  à  nos  savants  le 
plaisir  de  se  faire  écouter,  le  savoir  ne  sera  rien  pour  eu.\.  Ils  n'amassent  dans  le 
cabinet  que  pour  répandre  dans  le  public;  ils  ne  veulent  être  sages  qu'au.i  veux 
d'autrui,  et  ils  ne  se  soucieraient  plus  de  l'étude,  s'ils  n'avaient  plus  d'admirateurs. 
C'est  ainsi  que  pensait  Sénèque  lu'.-mème.  Si  l'on  me  donnait,  dit-il,  la  science  à  con- 
dition de  ne  la  pas  montrer,  je  n'en  voudrais  point.  Sublime  philosophie,  voilà  donc  ton 
usage  »!  .Même  altitude  dans  les  Rêveries,  l.\,  338-339  ■  *  Leur  philosophie  leur  était 
pour  ainsi  dire  étrangère...  :  ils  étudiaient  la  nature  humaine  pour  en  pouvoir  parler 
savamment,  mais  non  pas  pour  se  connaître...  Plusieurs  d'entre  eux  ne  voulaient  que 
faire  un  livre,  n'importait  quel,  pourvu  qu'il  fût  accueilli.  Quand  le  leur  était  fait  et 
publié,  son  contenu  ne  les  intéressait  plus  en  aucune  sorte,  si  ce  n'est  pour  le  faire 
adopter  aux  autres,  et  pour  le  défendre  au  cas  qu'il  fût  attaqué,  mais  du  reste  sans  en 
rien  tirer  pour  leur  propre  usage,  sans  s'embarrasser  même  que  ce  contenu  fût  fau.v 
ou  vrai,  pourvu  qu'il  ne  fût  pas  réfuté  ». 

^  C'est  l'orthographe  à  laquelle  il  s'est  définitivement  rallié  :  cf,  dans  son 
exemplaire  corrigé  C,  1,  74,  il  a  substitué  essenciel  à  essentiel. 

'  Voltaire  [2421,  275  :  «  C'est  le  portrait  du  peintre  ».  —  Préface  du  1"  Dis- 
cours, 1,  12  :  «  Pour  les  ramener  au  pied  des  autels,  il  suffirait  de  les  reléguer  parmi 
les  athées.  O  fureur  de  se  distinguer,  que  ne  pouvez-vous  point  »  ! 

'  Les  premières  rédactions  de  ce  paragraphe  accusent  davantage  ce  que  l'on 
pourrait  appeler  son  accent  «  pragmatiste  »  ;  cf  F  :  borner  mes  recherches  aux 
seules  Connaissances  nécessaires  au  bonheur  et  à  l'espoir  de  ma  l'ie :  B  :  aux  seules 
connaissances  utiles,  aux  seules  nécessaires  au  repos,  à  l'espoir  et  à  la  consolation 
de  ma  vie.  —  Cette  idée  des  exigences  de  l'action,  supérieures  aux  exigences  de  la 
science,  est  une  idée  familière  à  plusieurs  écrivains  du  XVIH"  siècle,  que  Rousseau 


60  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

I  «  Je  compris  ^  que  ■»  loin  de  me  délivrer  -des  doutes 
«  inutiles  »  (qui  m'avoient  tourmenté)  «  les  philosophes  ne 
feroient  que  »  '^  multiplier  (^  mes  doutes)  «  et  n'en  resoudroient 
^jamais  »  aucun,  je  ("résolus  donc  de  prendre)  un(e)  autre  ('route) 
et  je  me  dis  consultons  la  lumière  intérieure  elle  m'égarera  moins 
•''qu'eux  ou  du  moins  -'si  elle  m'égare  mon  erreur  '"sera  plus 
conforme  à  mon  être  et  je  !  "  me^  dépraverai  moins  en  '-  suivant  mes 
propres  illusions  qu'en  me  livrant  à  (tous)  leurs  mensonges.  Alors 
('^comparant)  les  diverses  opinionsqui  m'avoient  '^entraîné  depuis 
ma  naissance,  je  \is  que  bien  qu'aucune  d'  '^ entre  elles  ne  fut 
assés  évidente  '•'par  elle-même  pour  ("entraîner)  immédiatement  la 
"*  persuasion,  elles  a\oient  di\ers  degrés  de  vraisemblance  et  que 
l'assentiment  intérieur  s'y  prétoit  ou  s'y  refusoit  à  différentes  me- 
sures. ('-'Après)  cette  première  observation  comparant  entre  elles 
toutes  ces  différentes  idées  dans  le  silence  des  préjugés  je  trouvai 


'   [encore]. 

-  M.  de  mes. 

■'  B.  (les).  —  I.  (les). 

■*  [(les    autres...    ceux   qui    me    tourmentoient...     m"inquiéloienl  ?   et)j.   — 
B.  ceux  qui  me  tourmentoienl  et  n'en. 

^  B.  <  jamais  >. 

•■'  [pris  donc]. 

'  [(voye)  guide]. 

"  B.  qu'ils  ne  m'égarent  ou. 

°  B.  <  si  elle  m'égare  >. 

'"  B.  ise  rapportera  mieux  à  ma  nature)  [sera  la  mienne]  et  je.  — I.  se  rap- 
portera mieux  à  ma  nature. 
"  (serai  moins). 
'-  B.  (me|. 

'■'  [raprochant].  —  B.  (rapprochant)  [repassant  dans  mon  esprit].  — I.  rap- 
prochant. 

'■"  B.  [tour  à  tourj.  —  I.  <  tour  à  tour  >. 

''  B.  <  entre  >. 

"'  B.  <  par  elle-même  >. 

''  [produire]. 

'"  B.  (persuasion)  [conviction]. 

■'  [Sur]. 

t  Ici,,  dans   le   manuscrit,    un   espace   de  quelques  lignes  laissé  en 
blanc. 


ÉDITION    ORIGINALE  6l 

Je  compris  encore  que,  loin  de  me  délivrer  de  mes  doutes  inutiles, 
les  Philosophes  ne  feroient  que  multiplier  ceux  qui  me  tourmentoient. 
(S;  n'en  résoudroient  aucun.  Je  pris  donc  un  autre  guide,  &  je  me 
dis  ;  consultons  la  lumière  intérieure,  elle  m'égarera  moins  qu'ils  ne 
m'égarent,  ou,  du  moins,  mon  erreur  sera  la  mienne  -,  <!<;  je  me  dépru- 


avaii  lus.  Marie  Huber.  Reiiifion  essentielle  [ibij,  111.  212,  écrit  :  «  Ce  dont  nous 
sommes  très  peu  curieu.x,  c'est  de  bien  connaître  noire  tâche  ».  et  elle  prêche  la 
Religion  de  l'Évangile  comme  étant  précisément  «  un  système  où  tout  aboutit,  non 
à  la  spéculation,  mais  à  l'action  »  (UI,  228).  Cf.  encore  Leclerc,  Entretiens  [93],  227  : 
«  Dieu  a  réglé  la  mesure  de  nos  connaissances  métaphysiques  selon  nos  besoins, 
et  nous  avons  plus  ou  moins  de  connaissance  des  choses  à  proportion  qu'il 
nous  est  utile  de  les  connaître  pour  parvenir  à  la  fin  pour  laquelle  Dieu  nous  a  créés  »  ; 
Marivaux,  Spectateur  français  [129],  I,  3i5-3i7  :  «  Laissez  à  certains  savants,  je  veux 
dire  aux  faiseurs  de  systèmes,  à  ceux  que  le  vulgaire  appelle  philosophes,  laissez- 
leur  entasser  méthodiquement  visions  sur  visions  en  raisonnant  sur  la  nature  des 
deux  substances  et  sur  choses  pareilles  :  à  quoi  servent  leurs  méditations  là-dessus, 
qu'à  multiplier  les  preuves  que  nous  avons  déjà  de  notre  ignorance  invincible. 
Nous  ne  sommes  pas  dans  ce  monde  en  situation  de  devenir  savants;...  ce  n'est 
pas  là  notre  tâche  :  interrogeons  les  hommes,  ils  nous  apprendront  quelle  elle 
doit  être»;  Murait,  Lettres  fanatiques  [i561,  I,  241-242  :  «  A  chaque  production 
savante  que  nous  voyons,  à  chaque  raisonnement  que  font  les  savants,  il  n'y 
a  qu'à  se  demander  :  À  quoi  sert-il,  ou  que  nous  importe  que  cela  soit  ou 
ne  soit  pas  .-•  car  vous  m'accorderez  que  ce  qui  n'aboutit  à  rien,  ce  qui  n'est  de 
nul  usage,  ne  mérite  pas  d'être  su  »;  269  :  «  Le  savoir  ou  plutôt  les  connaissances, 
pour  être  de  la  bonne  sorte,  doivent  contribuer  à  nous  faire  faire  la  tâche  pour 
laquelle  nous  sommes  mis  au  monde  »;  Saint-Aubin,  De  l'usage  de  la  Science  [141], 
I,  25,  etc.  Bonnet  lui-même,  dans  la  Préface  de  son  Essai  de  Psychologie  [20SJ. 
p.  XXIX,  après  avoir  déclaré  qu'il   fallait   bannir  du   Christianisme  toute  spéculation 

inutile,  s'écriait  :  «  Vous  êtes  appelés  à  agir,  agissez  donc Retenez  ceci  ;  tout  dogme 

qui  n'est  point  lié  à  la  pratique  n'est  point  un  dogme  ».  Même  affirmation  dans 
les  Pensées  de  Turrettin,  XXXVIII  et  XXXI.X  [161],  SiS-Sig.  (Rousseau  se  souviendra 
du  conseil,  lorsqu'il  écrira  dans  le  \''  Livre  d'Emile,  11,  353  et  358  :  «  Maintenez 
toujours  vos  enfants  dans  le  cercle  étroit  des  dogmes  qui  tiennent  à  la  morale  »  ; 
à  plusieurs  reprises,  il  a  déclaré  vouloir  se  borner  aux  «  vérités  de  pratique  »  : 
cf.  Lettre  à  D'Atembert,  I,  iSo  et  1S4,  Xouvelle  Héloise  (VI,  viiil,  V,  44).  Mais  c'est 
surtout  dans  les  livres  de  l'abbé  Pluche,  si  familiers  à  Rousseau,  que  l'on  trouverait, 
formulée  avec  plus  de  précision,  cette  théorie,  qu'on  pourrait  appeler,  d'un  terme  trop 
moderne  peut-être,  la  théorie  du  primat  de  l'action  :  cf.  Spectacle  de  la  Nature  [137]. 

IV,  572   :   «  Les   bornes  du   savoir  de  l'homme  sont   les  mêmes  que  ses  besoins»; 

V,  134  :  «  La  science  des  hommes  est  relative  à  leur  activité  »;  VI,  259  :  «  La  raison 
a  été  créée,  non  pour  pénétrer  dans  la  nature  du  monde  qui  marche  sans  elle,  mais 
pour  s'occuper  de  ce  qu'elle  doit  faire  »  ;  etc.  Comme  tous  ces  moralistes,  Rousseau 
entreprend,  lui  aussi,  une  recherche  utilitaire,  mais  où  la  pensée  de  son  propre 
bonheur  est  plus  présente  que  la  pensée  du  bonheur  des  autres. 

^  D'autres  rédactions  disent  plus  clairement  :  «  mon  erreur  sera  plus  conforme 
à  mon  être  »  (F),  «  se  rapportera  mieux  à  ma  nature  »  (B,  1|.  C'est  le  principe 
de  «  l'illusion  consolante  »,  qui  trouvera  si  grande  faveur  à  la  fin  du  XVlll"  siècle, 
et  qui  était  déjà  formulé  un  demi-siècle  avant  Rousseau;  cf.  Ray,  Existence  de  Dieu 
[116],  479  :  Qu'importe  l'erreur,  si  elle  est  «  agréable  »  ! 


62  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

que  la  première  ^  et  la  plus  commune  étoit  aussi  la  plus  -raison- 
nable et  la  plus  ^naturelle  et  qu'il  ne  lui  manquoit  pour  (*  en- 
trainer)  itousj  les  suffrages  que  d'a\'oir  été  proposée  la  dernière. 
Imaginez  tous  vos  philosophes  anciens  et  modernes  ayant  d'abord] 
épuisé  (tous)  leurs  bizarres  sistêmes  =  de  forces  ''réciproques]  de 
'  chances,  de  hazard,  d'atomes,  de  monde  animé,  de  matière  éter- 
nelle (et)  de  mouvement  nécessaire,  et  après  eux  tous  l'illustre  Clarke 
*  annonçant  le  premier  au  monde  le  vrai  theïsme  et  la  religion  natu- 
relle. Avec  quelle  ^universelle  admiration  avec  quel  applaudissement 
'••  unanime  n'eut  point  été  receu  ce  >"  nouveau  sistême  si  grand  si 
consolant,  si  sublime,  si  propre  à  élever  l'ame  "  adonner  une  base  à 
i"  159  ™  la  vertu  et  en  même  tems  jj  si  frapant,  si  lumineux  si  simple,  et  l^-  ce 
me  semble  offrant  moins  de  choses  'Hncomprèhensiblesj  à  l'esprit 
humain  qu'il  n'en  trouve  d"'absurdes  en  tout  autre  sistéme.  ^^  Je 
me  disois  les  objections  insolubles  sont  communes  à  tous  parce 
que  l'esprit  ^''(humain)  "'est  trop  borné ,  pour  les  résoudre, elles  '  '' ne 


'  I.  (étoit)  [et]. 

-  B.  (raisonnable)  [simple].  —  I.  naturelle,  et  qu'il. 
■'  B.  (naturelle)  [raisonnable]. 
^  [obtenir].  • —  B.  réunir. 
■'  sistêmes  [forces  réciproques  sic]. 
"  B.  <  réciproques  >. 

'  B.  de  chances,  de  hazard,  (M.  de  hazards),  [de  fatalité],  d'atomes,  (de 
monde  animé,  de  fa  tamté),  [de  nécessité],  (de  mouvement  nécessaire)  de  monde 
animé,  ^de  fatalités),  de  matérialisme  de  toute  espèce;  et  après.  — I.  de  chances, 
de  fatalité,  d'atomes,  de  mouvement  nécessaire,  de  monde  animé,  de  matière 
(sans)  vivante,  de  matérialisme,  enfin  de  toute  espèce,  et  après. 

"  B.  éclairant  le  monde,  annonçant  (le  premier)  [enfin]  l'être  des  êtres  et  le 
dispensateur  des  choses.  .Avec.  — I.  annonçant  le  premier. 
"  B.  (universel)  [unanime]. 
'"  M.  <  nouveau  >. 
"  (si  a  mot  inachevé). 
'■  (n'offrant  [même  pas  ?]  rien). 
'■'  B.  «  incompréhensibles  ». 
"  (Après  avoir  reconnu  qu'il  y  avoit). 
'^  [de  l'homme]. 
"'■  (n'iest  (pas  suffi  sant). 
'•  (n'en  doivent). 


ÉDITION    ORIGINALE  6^ 


j 


verai  moins  en  suivant  mes  propres  illusions,  qu'en  me  livrant  à  leurs 
mensonges  '^ 

Alors  repassant  dans  mon  esprit  les  diverses  opinions  qui  m'avoient 
tour-à-tour  entraîné  depuis  ma  naissance,  je  vis  que,  bien  qu'aucune 
d'elles  ne  t'ùt  assez  évidente  pour  |  produire  immédiatement  la  conviction.  [32] 

elles  avoient  divers  dégrés  '  de  vraisemblance,  &  que  l'assentiment  inté- 
rieur s'v  prètoit  ou  s'y  refusolt  à  ^  différentes  mesures.  Sur  cette  première 
observation,  comparant  entre  elles  toutes  ces  différentes  idées  dans  le 
silence  des  préjugés,  je  trouvai  que  la  première,  &  la  plus  commune, 
étoit  aussi  la  plus  simple  &  la  plus  raisonnable  ;  &  qu'il  ne  lui 
manquoit,  pour  réunir  tous  les  suffrages,  que  d'avoir  été  proposée 
la  dernière.  Imaginez  tous  vos  Philosophes  Anciens  &  Modernes, 
ayant  d'abord  épuisé  leurs  bizarres  svstêmes  de  forces,  de  chances, 
de    fatalité,    de    nécessité,    d'atomes,    de    monde   animé,    de    matière    vi- 


'  Quoique  le  sentiment  de  Saint-Évremond  soit  très  différent  de  celui  de  Rous- 
seau, on  retrouve  la  même  attitude  dans  le  petit  traité  De  l'L'sage  de  la  vie,  chap.  11, 
De  l'Existence  de  Dieu  [69],  VI,  3i  :  «  Enfin,  rebuté  de  tant  de  secours  étrangers,  je 
me  résolus  à  m'abandonner  à  mes  propres  recherches,  comme  ces  malades  qui,  se 
voyant  abusés  par  les  médecins,  entreprennent  de  se  guérir  eu.x-mêmes.  Ce  fut  là 
que  je  rompis  tout  commerce  avec  les  livres,  où  je  n'avais  trouvé  que  difficultés  et 
Incertitudes.  Ce  fut  là  que  je  résolus  de  rentrer  en  moi-même,  pour  consulter  mes 
propres  sentiments  sur  la  structure  de  l'Univers,  et  sur  l'ordre  admirable  qui  règne 
en  toutes  choses  ». 

'  Le  premier  accent  de  dégrés  ne  se  retrouve  ici  dans  aucun  des  manuscrits, 
mais  il  est  conforme  aux  habitudes  de  Rousseau,  qui  accentue  de  même,  lorsqu'il 
écrit  avec  soin,  religion,  premier,  etc.  On  en  trouvera  de  nombreux  exemples  dans 
le  texte  de  la  Première  Rédaction.  Cf.  encore  Lettre  à  Mme  Boy  de  la  Tour,  du 
20  Juillet  1771  [3i'>''].  245  :  «  Je  me  vois  mourir  par  degré  »,  etc.  11  y  a  dans  ces  graphies 
la  trace  d'une  prononciation,  sinon  spécifiquement  genevoise,  du  moins  archaïque  et 
provinciale  :  cf.  Alexis  François,  Les  Provincialismes  de  J.  J.  Rousseau  '282].  33. 
Remarquons  que  quelques  pages  plus  haut,  p.  10  :  «  il  est  un  degré  d'abrutissement  »,  etc.. 
c'est  le  texte  imprimé  qui  porte  degré,  et  les  manuscrits  degré.  Cela  semblerait 
indiquer  que,  si  Rousseau  exigeait  «  qu'on  respectât  les  moindres  détails  de  son  texte  » 
et  même  ses  fautes  (cf.  D.  Mornet,  Le  Texte  de  la  Nouvelle  Héloise  [284],  19-20),  il 
n'entendait  pas  cependant  imposer  à  son  imprimeur  toutes  les  particularités  de  son 
orthographe.  D'autres  ouvrages  imprimés  du  XVIH'  siècle  pourraient  nous  fournir 
des  remarques  analogues  :  cf.,  en  particulier,  pour  degré  et  degré,  l'édition 
G.  Lanson  des  Lettres  philosophiques  [145],  I,  p.  xlvmi.  Cf.  encore,  plus  loin,  p.  92 
et  note   2. 

-  Cet  emploi  de  la  préposition  à  est  fréquent  chez  Rousseau  ;  à  double,  a  pure 
perte,  etc.  :  cf.  Alexis  François  [282],  60.  —  Comparer  une  expression  analogue.  Lettre 
à  Du  Heyrou,  du  19  Juillet  1766,  XI,  369  :  «  Cependant,  à  toute  mesure,  souffrir 
beaucoup  me  paraît  encore  préférable  à  souffrir  toujours  ». 


64  REDACTIONS    MANUSCRITES 

prouvent]  donc  [^contre]  «  aucun  par  préférence  »  mais  quelle 
différence  entre  les  preuves  ('-directes  'des  uns  et  des  autres].  •'*  Le 
seul  sistéme  de  Clarke  ^  écrase  tous  les  autres,  il  doit  donc  être  préféré 
par  la  raison),  f 


'  (penser?...  faire  rejetter). 

-  [positives].  — I.  (positives)  [directes]. 

'  [(la  seule  Religion  naturelle  est  commune  a  tous...  toutes  s'accordent... 
Le  seul  sistéme)  celui  qui  sert  de  base  à  tous  les  autres  doit  seul  leur  être  préféré]. 
—  B.  (celui  qui  sert  de  base  à  tous  les  autres  doit  seul  leur)  [celui  là  seul  qui 
explique  tout  ne  doit-il  pas]  être  préféré,  quand  il  n'a  pas  plus  de  difficultés  que 
les  autres  ?  —  I.  celui  qui  sert  de  base  à  tous  les  autres  doit  seul  leur  être  préféré. 

'  (les). 


t  ,1  /î  suite  de  ce  paragraphe,  vient  un  signe  de  renvoi,  qui  n'a  pas 
de  correspondance  dans  F,  avec  cette  indication  :  écoutons  etc.  au  cahier. 
Le  paragraphe  suivant  commence,  en  effet,  par  :  Ecoutons  le  sentiment 
intérieur  :  c/.,  plus  loin,  à  la  reprise  de  F. 


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PI.  11. 


F.AC-SI.MILK    Df    PRE.MIER   BROUILLON    DE   LA  .  PKOl  LSSiON    DL    KOI   .   ..\UsLscRirI  Ka%k, 
CL,  dans  cette  édition,  pp.  62  sqq.  —  Réduction  au  17  18. 


EDITION"    ORIGINALE 


vante,  de  matérialisme  (*)  de  toute  espèce  ';  &  après  eux  tous  l'illustre 
Clarke  *,  éclairant  le  monde,  annonçant  enfin  l'Etre  des  Etres  &  le 
dispensateur  des  choses.  Avec  quelle  universelle  admiration,  |  avec  quel         [33] 


(»;  Le  texte  original  porte  :  matetnatisme,  de  toute 
espèce  ;  mais  la  virgule  est  déjà  supprimée  dans  le  tableau 
des  •  Fautes  à  corriger  i»  placé  à  la  fin  du  T.  IV.  —  C,  D  : 
matérialisme  de  toute  espèce. 

'  Il  ne  faut  pas  chercher,  dans  cette  énumération,  des  allusions  précises  à  tel  ou 
tel  système  philosophique;  les  différentes  rédactions  montrent  assez  que  Rousseau, 
dans  le  choix  et  le  groupement  des  différents  termes,  a  été  surtout  guidé  par  le 
sentiment  de  l'harmonie  de  la  phrase.  Si  le  mot  d'atomes  désigne  sans  doute  le 
système  d'Épicure  et  de  Gassendi  iCf.  Pluche,  Histoire  du  ciel  [i58].  II,  210,  «  Le 
monde  d'Épicure  »,  214  «  Le  monde  de  Gassendi  »i,  —  il  est  douteux  qu'en 
parlant  de  monde  animé,  et  de  matière  rivante,  Rousseau  ait  songé  à  la  métaphysique 
stoïcienne  ou  à  l'hylozoîsme  des  premiers  philosophes  grecs,  quoique  Leclerc,  dans 
sa  Bibliothèque  choisie  '42",  II,  20-27,  58-76,  eût  longuement  parlé  de  l'hylozoîsme 
de  Straton  et  des  Stoïciens.  Il  semble  avoir  pris,  un  peu  au  hasard,  dans  les 
matérialistes  contemporains,  et  surtout  dans  Diderot,  les  expressions  qui  étotlaient 
le  mieux  sa  période.  .Mais  Saint-Aubin  a  pu  lui  suggérer  de  réunir  dans  un  tableau 
rapide  toutes  les  bizarreries  des  métaphycisiens  sur  l'origine  des  choses.  Cf.  Traité 
de  l'opinion.  Livre  111,  chap.  I,  Opinions  ridicules  et  insensées  des  philosophes 
sur  la  Divinité,  et  surtout  Livre  IV.  chap.  Il,  Erreurs  des  philosophes  sur  la 
nature  en  général  [141],  II,  21  et  III,  34-35  :  «  Presque  tous  les  philosophes... 
ont  ignoré  ce  que  c'était  en  général  que  cette  Nature  dont  ils  prétendaient  expliquer 
les  opérations.  .Aristote  définit  la  nature  le  principe  du  mouvement  et  du  repos. 
Coelius  .Aurelianus  attribue  à  Asclépiade  le  dogme  des  Stoïciens  que  tout  se  fait 
par  des  lois  naturelles  et  nécessaires,  et  que  la  nature  n'est  autre  chose  que  la 
matière  et  le  mouvement.  Hippocrate  au  contraire  parlait  de  la  nature  comme  d'un 
principe   intelligent,  et  lui  attribuait  des   facultés  dont  l'une  repousse,   l'autre  attire, 

l'autre  retient.  [Serait-ce  là  qu'il  faudrait  chercher  l'idée  de  forces  réciproques  ?  

L°s  uns  ont  entendu  par  elle  un  agent  aveugle,  qui  formait  toutes  choses  au  hasard, 
les  autres  l'ont  regardée  comme  la  matière  animée  par  un  esprit  universel  ;  quelques 
autres  l'ont  prise  pour  Dieu  même  ».  Cf.  encore,  dans  Rollin,  Histoire  ancienne. 
Livre  XXVI,  Seconde  Partie,  chap.  III.  Sentiments  des  anciens  philosophes  sur  la 
métaphysique  et  la  physique  j32],  VII,  109  :  <  Je  suis  las  de  rapporter  tant  d'absur- 
dités »;  114  ;  «  Je  ne  fatiguerai  point  une  seconde  fois  le  lecteur  en  rapportant  ici 
dans  un  grand  détail  les  divers  systèmes  des  philosophes  anciens  sur  la  formation  du 
monde,  qui  varient  infiniment  et  sont  plus  absurdes  les  uns  que  les  autres  ».  —  Déj.T, 
en  écrivant  à  Vernes,  le  18  Février  1758,  X,  180,  Rousseau  disait  en  termes  analogues  : 
«  La  philosophie  n'ayant  sur  ces  matières  ni  fond  ni  rive,  manquant  d'idées 
primitives  et    de    principes     élémentaires,     n'est    qu'une    mer   d'incertitudes    et    de 

doutes,  dont  le  métaphysicien  ne  se  tire    jamais Je  leur  ai   laissé   arranger  leurs 

chances,  leurs  sorts,  leur  mouvement  nécessaire  :  et,  tandis  qu'ils  bâtissaient  le 
monde  à  coups  de  dés.  j'y  voyais,  moi,  cette  unité  d'intentions  qui  me  faisait  voir, 
en  dépit  d'eux,  un  principe  unique  ». 

*  «  L'illustre  Docteur  Clarke  »,  avait  déjà  dit  Voltaire  avec  quelque  ironie, 
Lettres  philosophiques,  VIT  Lettre  [145],  I,  70.  et  Préface  du  Poème  sur  le  désastre 
de  Lisbonne  [221^,  465. 

5 


55  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 


ÉDITION    ORIGINALE  67 

applaudissement  unanime  '  n'eût  point  été  reçu  ce  nouveau  système  si 
grand,  si  consolant  ^,  si  sublime,  si  propre  à  élever  l'ame,  à  donner  une 
base  à  la  vertu,  &  en  même  tems  si  frappant,  si  lumineux,  si  simple, 
&,  ce  me  semble,  offrant  moins  de  choses  incompréhensibles  à  l'esprit 
humain,  qu'il  n'en  trouve  d'absurdes  en  tout  autre  système  ^\   Je  me 


'  Voltaire  [242],  275  :  «  Il  a  raison  sur  le  premier  volume  de  Clarke  :  le  second 
est  ridicule,  comme  le  sujet  ».  Il  serait  plus  exact  de  dire  «  ouvrage  »  que  «  volume  ». 
Voltaire  avait  dit  avec  plus  de  précision,  Lettres  philosophiques^  VU*  Lettre  [145],  I,  79  : 
«  C'est  lui  qui  est  l'auteur  d'un  livre  assez  peu  entendu,  mais  estimé,  sur  l'existence 
de  Dieu,  et  d'un  autre  plus  intelligible,  mais  assez  méprisé,  sur  la  vérité  de  la  religion 
chrétienne  ».  Ces  deux  ouvrages,  A  Discourse  concerning  the  being  and  attributes 
of  God,  London,  1705-1706,  2  vol.  in-8,  et  The  Verity  and  certitude  of  naturai  and 
revealed  Religion,  London,  1705,  in-8,  se  trouvaient  réunis  dans  la  traduction  fran- 
çaise de  Ricotier  sous  le  titre  de  Traités  de  l'existence  et  des  attributs  de  Dieu  :  des 
devoirs  de  la  Religion  naturelle,  et  de  la  vérité  de  la  Religion  chrétienne.  Les 
traités  de  Clarke  avaient  eu  un  très  grand  succès,  non  seulement  en  Angleterre,  où 
un  théologien  disait  :  «  it  was  the  best  book  on  those  subjects  that  had  been  written 
In  any  language  »  (cité  par  G.  Lanson,  Coramentaire  des  Lettres  philosophiques  ''145]. 
I,  84).  mais  encore  en  France,  où  la  traduction  de  Ricotier  avait  eu  deux  éditions  à 
son  apparition.  Une  nouvelle  traduction  avait  été  publiée  à  Avignon  en  1756.  Par 
l'allure  rigoureuse  de  sa  démonstration,  Clarke  donnait  à  ses  lecteurs  l'impression  de 
réfuter  définitivement  Spinoza,  et  par  sa  propre  méthode.  Pendant  tout  le  .XVIII'  siècle, 
il  gardera  une  réputation  considérable;  et  les  ironies  de  Voltaire,  qui  soulèveront 
d'ailleurs  de  vives  protestations  (cf.  G.  Lanson,  I.  cit.,  I,  83)  ne  parviendront  point 
à  l'entamer.  Son  livre  sera  \si  Somme  philosophique  des  théistes.  Dans  l'Encyclopédie, 
on  pouvait  lire  à  l'article  Dieu  ^2 11],  978  a  («article  tiré  des  papiers  de  M.  Formey  »|  : 
«  .M.  Clarke,  par  les  mains  de  qui  les  matières  les  plus  obscures,  les  plus  abstruses 
ne  peuvent  passer  sans  acquérir  de  l'évidence  et  de  l'ordre,  nous  fournira  les  preuves 
métaphysiques  ».  Parlant  à  Githerine  de  Russie  des  «  livres  classiques  en  méta- 
physique, Diderot  écrit.  Plan  d'une  Université  pour  le  gouvernement  de  Russie  '38^, 
111,  491  :  «  Il  y  a  l'ouvrage  de  Clarke.  Son  Traité  de  l'existence  de  Dieu  passe  pour 
le  meilleur  ».  Voltaire,  lui-même,  quand  il  sera  de\'enu  sur  la  fin  de  sa  vie  un  défenseur 
de  l'idée  de  Dieu,  retrouvera  presque  du  respect  et  de  l'admiration  pour  l'œuvre 
de  Clarke;  cf.  Dictionnaire  philosophique  [yS^,  XX,  229  :  «  Parmi  ces  philosophes 
[anglais]  Clarke  est  peut-être  le  plus  profond  ensemble  et  le  plus  clair,  le  plus 
méthodique  et  le  plus  fort,  de  tous  ceux  qui  ont  parlé  de  l'Être  suprême  ».  Il  dira 
ailleurs,  Note  au  Poème  des  Cabales  [7  3],  X,  i83  :  «  Livre  le  plus  profond  et  le  plus 
serré  que  nous  ayons  sur  cette  matière  ».  —  Ces  différents  textes  feront  com- 
prendre au  lecteur  d'aujourd'hui  pourquoi  Rousseau  a  choisi  Clarke  comme  le  repré- 
sentant le  plus  éminent  du  «  théisme  ». 

'  Rousseau  à  Voltaire,  Lettre  du  18  Août  1756,  X,  i3i  :  «  .Mille  sujets  de  pré- 
férence m'attirent  du  côté  le  plus  consolant  »  ;  Rêveries,  IX,  340  :  «  Je  ne  doute  point 
que  les  préjugés  de  l'enfance  et  les  vœux  secrets  de  mon  cœur  n'aient  fait  pencher 
la  balance  du  côté  le  plus  consolant  pour  moi  ».  Rousseau  insistera  davantage  sur 
les  «  consolations  »  de  l'idée  religieuse  à  la  fin  de  la  Profession  :  cf.  p.  198  et  note  i. 

'  Même  mouvement  dans  Claville,  Traité  du  vrai  mérite  [144J.  II,  21g  : 
«  Faites  un  parallèle  de  toutes  les  espèces  de  folies  qui  entrent  dans  leurs  principes 
et  dans  leurs  conséquences,  avec  ce  qu'ont  écrit  feu  M.  de  .Meaux...  et  .^bbadie...,  et 
concluez  ». 


68  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


B   f"  118  '■"  Portant  donc  en   moi    l'amour  de  la  vérité  pour  '  toute  philosophie 

et  pour  toute  méthode  une  règle  facile  et  simple  qui  me-  dispensioit) 
de  la  vaine  subtilité  des  argumens,  je  reprends  sur  cette  régie 
l'examen  des  connoissances  (■'  essentielles  à  l'objet  qui  m'occupe)  résolu 
J  d'admettre  pour  évidentes  toutes  celles  auxquelles  dans  la  sincérité 
de  mon  cœur  je  ne  pourrai  refuser  mon  consentement,  pour  vraies 
toutes  celles  qui  me  paroitront  (de  même)  avoir  une  liaison  nécessaire 
avec  ces  premières,  et  de  laisser  toutes  ^  les  autres  dans  l'incertitude 
sans  les  rejetter  ni  les  admettre,  et  sans  me  tourmenter  à  les  éclaircir 
quand  elles  ne  mènent  à  rien  d'utile  pour  la  pratique. 


'  M.  toutes  (sic). 

'  dispens[e]. 

■'  [qui  m'intéressent]. 

*  (de  n'). 

''  (choses). 


ÉDITION    ORIGINALE  69 

disois  ;  les  objections  insolubles  sont  communes  à  tous,  parce  que 
l'esprit  de  l'homme  est  trop  borné  pour  les  résoudre,  elles  ne  prouvent 
donc  contre  aucun  par  préférence-*:  mais  quelle  différence  entre  les 
preuves  directes  !  Celui-là  seul  qui  explique  tout  ne  doit-il  pas  être 
préféré,  quand  il  n'a  pas  plus  de  difficulté  que  les  autres  5? 

Portant  donc  en  moi  l'amour  de  la  vérité  pour  toute  philosophie, 
&  pour  toute  méthode  une  régie  *"  facile  &  simple,  qui  me  dispense  de  la 
vaine  subtilité  des  argumens,  je  reprens,  sur  cette  j  régie,  l'examen  des  [34] 
connoissances  qui  m'intéressent,  résolu  d'admettre  pour  évidentes  toutes 
celles  auxquelles,  dans  la  sincérité  de  mon  cœur,  je  ne  pourrai  refuser 
mon  consentement;  pour  vraies,  toutes  celles  qui  me  paroitront  avoir  une 
liaison  nécessaire  avec  ces  premières,  &  de  laisser  toutes  les  autres  dans 
l'incertitude,  sans  les  rejetter  ni  les  admettre,  &  sans  me  tourmenter  à 
les  éclaircir,  quand  elles  ne  mènent  à  rien  d'utile  pour  la  pratique  *. 


■•  Féraud  [2bo],  III,  240  :  «  On  dit  adverbialement  par  préférence  et  de  pré- 
férence ;  le  premier  avec  la  préposition  à;  le  second  sans  régime Plusieurs  bons 

écrivains  emploient  le  premier  sans  régime  :  le  second  est  aujourd'hui  le  plus  à  la 
mode;  et  on  s'en  sert  même  avec  le  régime»;  cf.  même  expression,  p.  i5i,  et  Nouvelle 
Héloïse  (V,  m),  IV,  404. 

"  Cf.  lir  «  Promenade  »  des  Rêveries,  IX.  342  ;  «  Trouvant  de  toutes  parts  des 
mvstères  impénétrables  et  des  objections  insolubles,  j'adoptai  dans  chaque  question 
le  sentiment  qui  me  parut  le  mieux  établi  directement,  le  plus  croyable  en  lui-même, 
sans  m'arrêter  aux  objections  que  je  ne  pouvais  résoudre,  mais  qui  se  rétorquaient 
par  d'autres  objections  non  moins  fortes  dans  le  système  opposé  ». 

^  Les  .Manuscrits  et  le  texte  imprimé  donnent  la  même  accentuation  :  régie. 
C'est  une  graphie  qui  trahit,  elle  aussi,  une  prononciation  provinciale.  On  en  remar- 
quera d'analogues  dans  les  Manuscrits  de  la  Profession  :  matière,  dernière,  etc.  ; 
cf.  Alexis  François,  Les  Proinncialismes  de  ./.  J.  Rousseau  [282],  32. 

'  On  sent  que  ce  paragraphe  a  été  ajouté  à  la  rédaction  primitive.  Rousseau  y 
revient  avec  insistance  sur  cette  idée,  qu'il  avait  déjà  développée  quelques  pages  plus 
haut,  de  se  borner  à  des  recherches  strictement  utilitaires  et  pratiques  ;  en  même 
temps,  il  formule  la  nouvelle  «  Méthode  »,  dont  l'unique  maxirhe  s'oppose,  plus  ou 
moins  consciemment,  à  la  première  règle  de  la  Méthode  cartésienne;  cf.  Discours  de 
la  Méthode,  II'  Partie  [80],  18  :  «  Le  premier  [de  mes  préceptes]  était  de  ne  recevoir 
jamais  aucune  chose  pour  vraie,  que  je  ne  la  connusse  évidemment  être  telle;  c'est- 
à-dire  d'éviter  soigneusement  la  précipitation  et  la  prévention,  et  de  ne  comprendre 
rien  de  plus  en  mes  jugements  que  ce  qui  se  présenterait  si  clairement  et  si  distincte- 
ment à  mon  esprit,  que  je  n'eusse  aucune  occasion  de  le  mettre  en  doute  ».  Rousseau 
renverse  la  règle  de  Descartes;  et  chez  lui  l'évidence  est.  en  quelque  sorte,  un  point 
d'arrivée  et  non  un  point  de  départ.  L'évidence  n'est  pas  d'ailleurs  de  même  nature 
chez  l'un  et  chez  l'autre.  L'évidence  cartésienne,  tout  intellectuelle,  cherche  «  le  vrai  », 
ce  sur  quoi  on  peut  fonder  la  connaissance  métaphysique;  l'évidence  dont  se  contente 
Rousseau  est  l'évidence  de  cœur,  celle  qui  donne  les  certitudes  pratiques  et  les  règles 
de  vie.  C'est  ce  qu'il  écrit  à  Dom  Deschamps.  Lettre  du  25  Juin  1761  [27],  i5i,  au 
moment  où  il  corrige  les  premières  épreuves  de  YÈmile  :  «  La  vérité  que  j'aime 
n'est  pas  tant  métaphysique  que  morale  ».  L'originalité  de   la  méthode  de  Rousseau 


70 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


4.  La  pensée  et  son  activité. 


«  Mais  »  qui  suis-je,  quel  droit  ai-je  de  juger  les  choses,  et  qu'est-ce 
qui  détermine  mes  jugemens?  S'ils  sont  entraînés  forcés  par  les  impres- 
sions que  je  reçois;  [i  je  me  ^  fatigue  ^en  vain  à*]  ces  recherches,  elles 
[ne  se  feront  jamais  ou  se  feront  (bien)  d'^  elle  s  mêmes  sans  que  je  me 
mêle  de  les  diriger.  Il  faut  donc  '^  tourner  '  d'abord  [*  mes  regards] 
sur  moi-^même  pour  connoître  l'instrument  dont  je  veux  me  servir, 
et  jusqu'à  quel  point  je  puis  me  fier  à  son  usage. 


'  (que...  et  si  chacune  de  ces). 

-  (tourmente). 

"  (assés  vainement  à). 

■*  (sur). 

*  elle  même  (sic). 

"  (les). 

^  [(pre  miérement)]. 

'  I.  (les  yeu.x)  [mes  regards]. 

•'  I.  (même). 


ÉDITION"    ORIGINALE  7I 


4.  La  pensée  et  son  activité  -. 


Mais  qui  suis-je?  Quel  droit  ai-je  de  juger  les  choses,  &  qu'est-ce  qui 
détermine  mes  jugemens?  Sils  sont  entraînés,  forcés  par  les  impressions 
que  je  reçois,  je  me  fatigue  en  vain  à  ces  recherches,  elles  ne  se  feront 


apparaîtra  davantage,  si  on  la  compare  aux  principes  posés  par  Fréret  pour  la  critique 
des  systèmes  religieux  dans  la  Lettre  de  Thrasybule  à  Leucippe  [189J,  125-127.  Ces 
prmcipes  sont  d'un  rationalisme  strictement  cartésien  :  «  Rapportons-nous  en  donc 
sincèrement  et  de  bonne  foi  à  la  raison,  l'unique  juge  de  ces  matières;  ne  croyons 
que  ce  qu'elle  nous  apprendra:  elle  ne  nous  peut  tromper;  si  elle  le  pouvait  faire, 
il  n'y  aurait  plus  de  règle  constante  parmi  les  hommes  ».  L'ouvrage  de  Fréret  ne 
fut  imprimé  que  plusieurs  années  après  VÈmile,  mais  il  circulait  en  manuscrit  depuis 
longtemps,  et  Rousseau  le  lisait  précisément  à  l'époque  où  il  rédigeait  la  Profession  : 
cf.  à  la  Bibliographie,  le  n"  189;  il  notait  même  sur  son  cahier  le  passage  que  je 
viens  de  citer,  et  il  y  répondait  en  «  rapportant  tout  dans  les  connaissances  humaines 
au  sentiment  intérieur  comme  à  son  principe  »  :  cf.,  plus  loin,  p.  114  et  note  i.  — 
Pour  comprendre  dans  quel  courant  de  pensée  Rousseau  vient  se  placer,  il  faut  lire 
dans  la  Révision  de  l'  «  Histoire  du  Ciel  »  [160],  112-121,  quelques  pages  très 
importantes,  où  l'abbé  Pluche  s'efforce  de  montrer  que  la  méthode  cartésienne  de 
«  l'évidence  »  est  insuffisante  et  trompeuse,  ou  du  moins  que,  si  l'on  conserve  ce  mot 
d'évidence  pour  caractériser  la  méthode,  il  faut  admettre  d'autres  «  évidences  »  que 
celle  de  la  «  connaissance  claire  et  distincte  »,  et,  en  particulier.  «  l'évidence  »  que 
donne  «  un  sentiment  intérieur  dont  nous  sommes  tous  insurmontablement  pénétrés  » 
(p.  ii5j.  La  définition  de  «  l'évidence  »,  fournie  par  VEncyclopédie  [218],  14Ô  b, 
n'est  déjà  plus  qu'à  demi  cartésienne,  et  semble  presque  faire  place  aux  nouvelles 
«  évidences  »  dont  parle  Pluche  ;  «  le  terme  évidence  signifie  une  certitude  si  claire 
et  si  manifeste  par  elle-même  que  l'esprit  ne  peut  s'y  refuser  ».  Cf.  encore  la  définition 
de  Bulfier,  Métaphysique,  V  ''121],  I,  87  :  «  J'appelle,  pour  moi,  évidence  ce  qui 
est  tellement  imprimé  dans  l'esprit  de  tous  les  hommes  qu'il  leur  est  impossible 
de  juger  autrement  ».  «  .\insi,  dit  Leclerc,  Entretiens  [gS],  336,  il  faudra  faire 
une  restriction  dans  la  règle  générale  des  Cartésiens  :  tout  ce  que  nous  connaissons 
clairement  et  distinctement  est  vrai.  Il  faudra  ajouter  :  dans  les  choses  pour  la 
connaissance  desquelles  la  Raison  nous  a  été  donnée  ».  Et  l'abbé  de  Lignac,  Témoi- 
gnage du  sens  intime,  1,  i  [281],  I,  72,  présente  la  maxime  suivante  comme  «  la 
règle  essentielle  à  la  recherche  de  la  vérité  :  «  Tous  les  préjugés  naturels  qui  nous 
intéressent,  dont  ni  la  vérité  ni  la  fausseté  ne  peuvent  être  démontrées  quoiqu'on 
en  puisse  douter,  et  qui  demeurent  constamment  dans  notre  esprit  malgré  le  doute 
méthodique,  malgré  le  défaut  de  preuves,  tous  ces  préjugés  doivent  être  exceptés 
dans  l'usage  de  la  méthode  de  M.  Descartes  ». 

-  Ici  commence  un  développement,  qui  faisait  défaut  dans  la  Rédaction  primi- 
tive, et  qui  a  été  suggéré  à  Rousseau  par  des  lectures  d'auteurs  contemporains,  plus  spé- 
cialement par  les  articles  Existence  et  Évidence  dans  VEncyclopédie,  et  par  le  livre  De 


72  REDACTIONS    MANUSCRITES 


J'existe  et  j'ai  des  sens  par  lesquels  je  suis  affecté.  Voila  la  première 
f"  119  '^"  vérité  qui  me  frape,  et  à  laquelle  je  suis  forcé  d'acquiescer.  Ai-je  ||  un 
sentiment  particulier  de  mon  e.xistence,  ou  ne  la  sens-je  que  par  mes 
sensations?  Voila  mon  premier  doute  qu'il  m'est  quant  à  présent  impos- 
sible de  résoudre.  Car  étant  continuellement  affecté  de  sensations  ou 
immédiatement  ou  par  la  mémoire,  comment  puis-je  savoir  si  le  sentiment 
du  mot  est  quelque  chose  hors  de  ces  mêmes  sensations,  et  s'il  peut  être 
indépendant  d'elles? 


EDITION  ORIGINALE  73 

point,  OU  se  feront  delles-mêmes,  sans  que  je  me  mêle  de  les  diriger. 
11    faut    donc    tourner    d'abord    mes   regards   sur   moi    pour   connoitre 
l'instrument  dont   je  |  veux  me  servir,  &  jusqu'à  quel  point  je  puis  me         r^^^ 
fier  à  son  usage. 

J'existe   ',  &  j'ai   des   sens  par   lesquels   je   suis  affecté   -.    Voilà   la 
première  vérité  qui  me  frappe,  &  à  laquelle  je  suis  forcé  d'acquiescer  ^. 


L'Esprit  :  cf.  Introduction,  I'  Partie,  Chap.  III.  Le  problème  qui  est  posé  est  celui  de  la 
passivité  ou  de  l'indépendance  du  jugement.  On  trouvera  les  mêmes  idées  exposées 
par  Rousseau  sous  une  forme  très  voisine  dans  ses  annotations  au  livre  d'Helvetius  : 
elles  peuvent  servir  de  commentaire  à  cette  partie  de  la  Profession.  J"en  ai  publié  le 
texte  intégral  dans  la  Revue  de  l'Histoire  littéraire  de  la  France  de  191 1  [40]  :  cf.,  en 
particulier,  la  note  suivante,  p.  112  :  «  Le  principe...  qu'il  'HelvetiusJ  a  tâché  d'établir 
au  commencement  de  son  ouvrage  est  que  les  jugements  humains  sont  purement 
passifs.  Ce  principe  a  été  établi  et  discuté  avec  beaucoup  de  profondeur  dans 
Y  Encyclopédie,  article  Évidence.  J'ignore  quel  est  l'auteur  de  cet  article  ;  mais  c'est 
certainement  un  très  grand  métaphysicien.  Je  soupçonne  l'abbé  de  Condillac  ou 
M.  de  Buftbn.  Quoiqu'il  en  soit,  j'ai  tâché  de  le  combattre  et  d'établir  l'activité  de 
nos  jugements,  et  dans  les  notes  que  j'ai  écrites  au  commencement  de  ce  livre,  et 
dans  la  Première  Partie  de  la  Profession  de  foi  du  Vicaire  Savoyard  ». 

'  Comparer  avec  Marie  Huber,  Religion  essentielle  [i5i],  I,  24  :  «  La  première 
de  toutes  les  idées  pour  l'homme,  c'est  qu'il  existe  ». 

'  Cf.  I"  Livre  d'Emile,  II,  5  :  «  Nous  naissons  sensibles,  et,  dès  notre  naissance, 
nous  sommes  affectés  de  diverses  manières  par  les  objets  qui  nous  environnent  ». 

'  Voltaire  242],  276  :  «  Ce  n'était  pas  la  peine  de  dire  des  choses  tant  rebattues  ». 
C'est,  en  effet,  un  thème  banal,  chez  les  philosophes  du  XVIII*  siècle,  de  décrire  la 
formation  de  nos  idées  et  la  genèse  du  sentiment  du  moi  :  cf.,  par  exemple,  Fréret 
[189",  128-145;  Condillac,  Essai  sur  l'origine  des  connaissances  humaines,  I,  i,  2  [176", 
26-35.  et  surtout  Traité  des  sensations  ;  Buft'on,  Histoire  naturelle,  «  De  l'homme  » 
[186],  III,  352-370;  Bonnet,  Essai  analytique  sur  les  facultés  de  l'âme  [229], 
Xlll,  i3-i4;  Robinet,  De  la  nature,  IV'  Partie,  «  De  la  physique  des  esprits  » 
[235].  424  sqq,  etc.  Tous  ces  philosophes,  quelles  que  puissent  être  leurs 
divergences  dans  le  détail,  admettent  plus  ou  moins  explicitement,  comme  Helvetius 
et  l'auteur  de  l'article  Évidence,  que  *  toutes  les  idées  nous  viennent  des  sens,  et 
qu'il  n'est  aucune  notion  dans  l'esprit  humain  à  laquelle  il  ne  soit  arrivé  en  partant 
uniquement  des  sensations  »  {Diderot,  art.  Existence  [218],  261  ai.  C'a  été  aussi, 
—  avec  déjà  quelques  réserves,  —  la  théorie  de  Rousseau.  Vers  1756,  il  semble 
encore  reconnaître  dans  la  fiction  de  «  la  statue  de  l'abbé  de  Condillac  »  une 
exacte  explication  de  l'esprit  humain  (III"  Lettre  à  Sophie  "25],  154I;  et,  jusque 
dans  VÉmile.  11,  75,  on  le  verra  placer  Condillac  «  parmi  les  meilleurs  raison- 
neurs et  les  plus  profonds  métaphysiciens  de  son  siècle  ».  Sur  ce  sensualisme 
provisoire  de  Rousseau,  cf.  Discours  sur  l'Inégalité,  I,  89-go  :  «  Tout  animal  a 
des  idées,  puisqu'il  a  des  sens  ;  il  combine  même  ses  idées  jusqu'à  un  certain 
point,  et  l'homme  ne  diffère  à  cet  égard  de  la  bête  que  du  plus  au  moins  »  ; 
II'  Livre  d'Emile,  II,  94  :  «  Comme  tout  ce  qui  entre  dans  l'entendement  humain 
y  vient  par  les  sens,  la  première  raison  de  l'homme  est  une  raison  sensitive  ;  c'est 
elle  qui  sert  de  base  à  la  raison  intellectuelle  »  :  111'  Lettre  à  Sophie  [25],  148-149  :  «  Nos 
sens  sont  les  instruments  de  toutes  nos  connaissances  ;  c'est  d'eux  que  viennent  toutes 
nos  idées,  ou  du  moins  toutes  sont  occasionnées  par  eux  ».  Cette  dernière  formule 


«.  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


EDITION    ORIGINALE  75 

Ai-je  un  sentiment  propre  de  mon  existence,  ou  ne  la  sens-je  que  par 
mes  sensations  ?  Voilà  mon  premier  doute,  qu'il  m'est,  quant  à  présent, 
impossible  de  résoudre.  Car  étant  continuellement  affecté  de  sensations, 
ou  immédiatement,  ou  par  la  mémoire,  comment  puis-je  savoir  si  le  sen- 
timent du  moi  est  quelque  chose  hors  de  ces  mêmes  sensations,  &  s'il 
peut  être  indépendant  d'elles? 


—  qui,  d'ailleurs,  est  de  Condillac,  à  peu  de  chose  près  (cf.  Traité  des  Sensations 
[209],  5i,  noie  :  «  Les  sensations  sont  les  modifications  propres  de  l'âme,  et  les  organes 
n'en  peuvent  être  que  l'occasion  »l  —  semble  réserver  déjà  l'activité  de  la  pensée.  De 
même,  dans  le  Discours  sur  l'Inégalité,  I,  90-91,  il  avait  fait  à  la  liberté  sa  part  dans  la 
vie  intellectuelle  :  «  Ce  n'est  donc  pas  tant  l'entendement  qui  fait  parmi  les  animaux 

la  distinction  spécifique  de  l'homme  que  sa  qualité  d'agent  libre Plus  on  médite 

sur  ce  sujet,  plus  la  distance  des  pures  sensations  aux  plus  simples  connaissances 
s'agrandit  à  nos  yeux  ».  Cette  distance  ira  sans  cesse  s'agrandissant  aux  yeux  de 
Rousseau,  à  mesure  qu'il  apercevra  les  conséquences  pratiques  qu'Helvetius  et  autres 
déduisent  des  théories  condillacistes.  Il  continuera  cependant  à  prendre  comme  point 
de  départ  de  toute  théorie  de  la  connaissance  le  fait  de  la  sensation  ;  et,  tout  en 
acceptant  le  principe  de  Descartes  :  je  pense,  donc  je  suis,  comme  le  seul  «  principe 
incontestable  »  (UI"  Lettre  à  Sophie  [25],  i52  et  157),  il  le  formulera  en  langage 
sensualiste  ;  «  J'existe  et  j'ai  des  sens  par  lesquels  je  suis  affecté  »,  ce  qui  équivaut  à 
un  :  «  je  sens,  donc  je  suis  ».  L'auteur  de  l'article  Évidence  [218],  147  b,  avait  dit 
de  même,  sous  une  autre  forme  :  «  Il  est  certain  que  nos  sensations  nous  indiquent 
nécessairement  un  être  en  nous  qui  a  la  propriété  de  sentir,  car  il  est  évident  que 
nos  sensations  ne  peuvent  exister  que  dans  un  sujet  qui  a  la  propriété  de  sentir  ». 
.Mais  ce  paragraphe  et  les  trois  suivants  sont  surtout  inspirés  par  un  autre  article 
de  VEncvclopédie,  l'article  Existence  [218],  260-267.  Cet  article,  qui  est  de  Diderot 
icf.,  outre  le  stvle,  qui  est  bien  caractéristique,  l'absence  de  signature  et  l'attribution 
formelle  du  Journal  encvclopédique,  i5  Décembre  1756  [46],  26I,  avait  fait  grande 
impression  dans  les  milieux  philosophiques.  Je  ne  sais  pourquoi  il  a  été  omis  dans 
l'édition  de  .M.  .M.  Assézat  et  Tourneux.  Diderot  y  insiste,  en  un  tableau  pittoresque, 
sur  cette  multiplicité  «  des  sensations  qui  affectent  continuellement  »  l'être  humain  : 
«  Je  me  sens  assailli  par  une  foule  de  sensations  et  d'images  que  chacun  de  mes 
sens  m'apporte,  et  dont  l'assemblage  me  présente  un  monde  d'objets,  distincts  les 
uns  des  autres,  et  d'un  autre  obje;  qui  seul  m'est  présent  par  des  sensations  d'une 
certaine  espèce,  et  qui  est  le  même  que  j'apprendrai  dans  la  suite  à  nommer  moi  » 
(p.  261  al.  Puis  il  analvse  longuement  la  genèse  du  sentiment  du  moi  et  de  l'idée 
des  objets  extérieurs.  Enfin,  sans  vouloir  résoudre  le  problème  de  l'idéalisme  posé 
par  «  l'évéque  de  Clovne  »,  il  étudie  quelles  doivent  être  les  «  preuves  de  l'existence 
des  êtres  extérieurs  »:  il  montre  «  qu'aucune  sensation  ne  peut  immédiatement, 
et  par  elle-même,  nous  assurer  de  l'existence  d'aucun  corps  »,  et  que  nous  n'avons 
chance  de  «  pouvoir  sortir  de  nous-mêmes  »  qu'en  nous  aidant  du  principe  de 
causalité  :  «  Les  sensations  sont  des  faits  :...  en  remontant  de  ces  faits  à  leurs  causes  on 
se  trouve  obligé  d'admettre  un  système  d'êtres  intelligents  ou  corporels  existant  hors 
de  nous  »  ip.  266-2671.  C'est  aussi  la  méthode  de  Rousseau  ;  mais  il  l'expose  en 
quelques  mots  rapides,  et  regarde  comme  des  «  chimères  »  toutes  les  difficultés 
purement  métaphvsiques  auxquelles  Diderot  s'attarde  si  complaisamment.  C'est 
que,  du  point  de  vue  de  la  pratique,  les  deux  solutions  «  idéaliste  et  matérialiste  » 

—  il  serait  plus  exact  de  dire  réaliste  —  sont  ici   équivalentes. 


76  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 

Mes  sensations  se  passent  en  moi  puisqu'elles  me  font  sentir  mon 
existence,  mais  leur  cause  m'est  étrangère  puisqu'elles  m'aft'ectent  ('sans 
que  je  le  veuille)  et  qu'il  ne  dépend  de  moi  ni  de  les  produire  ni  de  les 
anéantir.  Je  conçois  donc  clairement  que  ma  sensation  qui  est  moi, 
et  sa  cause  '^  ou  son  objet  qui  est  hors  de  moi  ne  sont  pas  la  même 
chose. 

Ainsi  non  seulement  j'existe;  mais  il  existe  d'autres  êtres,  savoir 
les  objets  de  mes  sensations,  et  quand  ces  objets  ne  seroient  que  des 
idées,  il  n'importe  ;  toujours  est-il  vrai  que  ces  idées  ne  sont  pas  moi. 

Or  tout  ce  que  je  sens  hors  de  moi  et  qui  agit  sur  mes  sens  je 
l'appelle  matière,  et  toutes  les  portions  de  matière  que  je  conçois  réunies 
en  êtres  individuels  je  les  appelle  des  corps.  Ainsi  toutes  les  disputes 
des  idéalistes  et  des  matérialistes  ne  ^signifient  rien  pour  moi.  Leurs 
distinctions  sur  i*les  objets  =  sensibles)  sont  des  chimères. 
î°  120  ^'^  Il  Me  voici  déjà  tout  aussi  sur  de  l'existence  de  l'univers  que  de  la 

mienne.  i^Dès  là),  je  commence  à  réfléchir  sur  les  objets  de  mes  sensa- 
tions, et  trouvant  en  moi  la  faculté  de  les  comparer,  je  me  sens  doué 
d'une  force  active  que  je  ne  '  «  savois  »  pas  avoir  auparavant. 


'  [malgré  (moi,  et)  que  j'en  ayej.  —  I.  malgré  (moi)  que. 

-  I.  [ou  son  objeij. 

'  M.  sont. 

"*  [l'apparence  et  la  réalité  des  (êtres)  corps]. 

^  [(de  nos...  des  sensations)]. 

^  [Ensuite]. 

■  (p  ouvois  ?) 


EDITION    ORIGINALE 


// 


Mes  sensations  se  passent  en  moi,  puisqu'elles  me  font  sentir  mon 
existence;  mais  leur  cause  m'est  étrangère,  puisqu'elles  m'affectent  malgré 
que  j'en  ave  *,  &  qu'il  ne  dépend  de  moi  ni  de  les  produire,  ni  de  les 
anéantir.  Je  conçois  donc  clairement  que  |  ma  sensation  qui  est  moi,  &         [36] 
sa  cause  ou  son  objet  qui  est  hors  de  moi,  ne  sont  pas  la  même  chose  '■. 

Ainsi  non-seulement  j'existe,  mais  il  existe  d'autres  êtres,  savoir  les 
objets  de  mes  sensations;  &  quand  ces  objets  ne  seroient  que  des  idées, 
toujours  est-il  vrai  que  ces  idées  ne  sont  pas  moi. 

Or,  tout  ce  que  je  sens  hors  de  moi  &  qui  agit  sur  mes  sens,  je  l'ap- 
pelle matière;  &  toutes  les  portions  de  matière  que  je  conçois  réunies  en 
êtres  individuels,  je  les  appelle  des  corps.  Ainsi  toutes  les  disputes  des 
idéalistes  &  des  matérialistes  ne  signifient  rien  pour  moi  :  leurs  distinc- 
tions sur  l'apparence  &  la  réalité  des  corps  sont  des  chimères  -. 

Aie  voici  déjà  tout  aussi  sur  de  l'existence  de  l'Univers  que  de  la 
mienne  '^.  Ensuite  je  réfléchis  sur  les  objets  ^  de  mes  sensations;  &  trou- 


•*  Féraud  [aôo],   I,  SgS  :  «  Malgré  que   vous  en  ayie^,  c'est-à-dire,  malgré  tous 

vos  eft'orts L'Académie  ne  met  point  malgré  que  ».  On  retrouvera  plus  loin,  p.  78. 

cette  même  locution  —  très  classique,  du  reste.  Rousseau  semble  l'affectionner  : 
cf.  Emile,  11,  Sgy,  407;  Nouvelle  Hélotse,  IV,  224,  299,  3oo.  415,  435,  V,  3i,  etc. 

'  Rousseau  est  ici  d'accord  avec  l'auteur  de  l'article  Évidence  [218],  i53  a  : 
»  J'avoue  néanmoins  qu'il  m'est  évident  aussi  que  je  ne  suis  pas  moi-même  la  cause 
de  mes  sensations  ». 

-  Parce  qu'encore  une  fois  ce  n'est  pas  «  la  vérité  métaphysique  »  qu'il  cherche. 
Rousseau  avait  lu  Berkeley,  sans  doute  YAlciphron  et  les  Dialogues  d'Hylas  et  de 
Philonoils  [143  et  193]  :  cf.  Nouvelle  Héloïse  {VI,  vu),  V,  34;  mais  le  problème 
métaphysique  du  monde  extérieur  le  laisse  indifférent.  Le  monde  existe  pour  lui  dans 
la  mesure  où  il  est  une  condition  de  son  action  :  cf.,  aux  Appendices,  V,  Lettre  à 
M.  de  Franquières,  du  i5  Janvier  1769,  |  11.  C'est,  d'ailleurs,  sinon  pour  le  fond,  du 
moins  verbalement,  l'attitude  de  Condillac  lui-même,  Traté  des  Sensations,  IV,  vin,  5 
[209^  413-414  :  «  11  importe  peu  de  savoir  avec  certitude  si  ces  choses  les  objets  de  nos 
sensations]  existent  ou  n'existent  pas.  J'ai  des  sensations  agréables  ou  désagréables  ; 
elles  m'affectent  autant  que  si  elles  exprimaient  les  qualités  mêmes  des  objets  auxquels 
je  suis  portée  à  les  attribuer;  et  c'en  est  assez  pour  veiller  à  ma  conservation  ». 

•  Rousseau  reste  provisoirement  d'accord,  —  au  moins  dans  l'expression,  — 
avec  l'auteur  de  l'article  Évidence  I218],  i52  b  :  «  Nous  sommes  aussi  assurés  de 
l'existence,  de  la  durée,  de  la  diversité  et  de  la  multiplicité  des  corps  ou  des  objets 
de  nos  sensations  que  nous  sommes  assurés  de  l'existence  et  de  la  durée  de  notre 
être  sensitif  ». 

'  Sur  ce  rôle  important  de  la  réflexion  dans  l'élaboration  de  la  sensation, 
cf.  Locke,  Entendement  huma  n,  11,  i,  4  [102].  61,  et  surtout  Condillac.  Traité  des 
Sensations,  11.  viii,  14  [209].  216  :  «  Cette  attention  qui  combine  les  sensations,  qui 
en  fait  au-dehors  des  tous,  et  qui,  réfléchissant  pour  ainsi  dire  d'un  objet  sur  un 
autre,  les  compare  sous  différents  rapports,  c'est  ce  que  j'appelle  réflexion  ».  .Mais 
cette  «.réflexion»  n'est  pour  Condillac  qu'une  sensation   prolongée  et  transformée; 


78  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


Appercevoir  c'est  sentir,  comparer  c'est  juger.  Juger  et  sentir  ne  sont 
pas  la  même  chose.  Par  la  sensation  les  (/êtres)  s'offrent  à  moi  séparés, 
isolés,  tels  qu'ils  sont  dans  la  nature.  Par  la  comparaison  je  les  ébranle, 
je  les  remue,  je  les  transporte  pour  ainsi  dire,  (-  je)  les  pose  l'un  sur 
l'autre  pour  prononcer  sur  leur  différence  ou  sur  leur  similitude  et  (^  en 
f°  119'"  général)  sur  tous  leurs  raports  isensiblesi.  ||  [Selon  moi  la  faculté  (*  dis- 
tinctive  de)  l'être  actif  ou  intelligent  est  de  pouvoir  donner  un  sens 
à  ce  mot  est.  Je  cherche  en  vain  dans  l'être  purement  sensitif  cette  force 
intelligente|  qui  ^unit,  je  ne  la  ('^saurois  voir)  dans  ('sa  nature).  Cet  être 
passif  sentira  chaque  objet  séparément  ou  même  il  sentira  l'objet  total 
formé  des  deux  autres,  mais  n'avant  aucune  force  pour  les  replier  l'un 
sur  l'autre  il  ne  les  comparera  jamais  il  ne  les  jugera  point],  t 


'  [objets]. 

=  [et]. 

'  [généralement]. 

■*  [propre  à]. 

°  I.  (unit  qui)  superpose  [et  puis  qui  prononce,]  je  ne. 

"  [vois  point]. 

'  [son  essence]. 


t  On  trouve  une  pi'emière  rédaction  de  ce  développement  dans  une 
autre  partie  du  même  Manuscrit  d'Em'ût  [i  i\  II,  Livre  III,  f"^  j8  r°  et 
yy''"-  Voici  ce  morceau,  qui  avait  été  ajouté  à  la  suite  du  para- 
graphe :  Notre  élève....  que  j'appelle  idée  ledit.  Hachette,  II.  2y5), 
puis    qui   a    été    barré,     sans    doute     lorsqu'il     a     été     utilisé   par    le 

Vicaire  :  il  y  a  dans  l'entendement  humain  une  force  active  qui 
réunit  et  qui  juge,  qui  «  compare  »  (raproche)  deux  images,  qui 
(embrasse?)  «  rassemble  deu.x  »  idées  qui  fonclud  de  deu.x  propositions, 
qui  pose  pour  ainsi  dire  deux  objets  l'un  sur  l'autre  pour  prononcer 
sur  ce  qu'ils  ont  de  commun  (ou  de  différent).  Selon  moi  la  faculté 
distinctive  de  tout  être  actif  ou  spirituel  est  de  pouvoir  donner  un  sens  à 
ce  mot  est.  Je  cherche  en  vain  dans  l'être  purement  sensitif  cette  force 
qui  unit  (dans  l'être  purement  sensitif)  je  ne  la  (trouve)  ^saurois  voir] 
dans   la    nature.    (Il)  [Cet  être   passif  sentira  chaque   objet  séparément 

(OU  il)  ou  même  sentira  l'objet  total  formé  des  deux  autres],  mais  il  ne 
les  comparera  jamais. 


EDITION    ORIGINALE  79 

vant  en   moi  la  faculté  de  les  comparer,  je  me  sens  |  doué  d'une  force         [37] 
active  que  je  ne  savois  pas  avoir  auparavant. 

Appercevoir  c'est  sentir,  comparer  c'est  juger  :  juger  &  sentir  ne  sont 
pas  la  même  chose  1.  Par  la  sensation,  les  objets  s'ottVent  à  moi  séparés, 


Rousseau  v  voit  la  manifestation  d'un  principe  actif.  —  On  trouvera  au.x  Appendices,  II, 
dans  le  fragment  inédit,  Comment  s'acquiert  l'idée  de  Dieu,  des  remarques  de 
Rousseau  sur  la  place  de  la  réflexion  dans  «  la  succession  des  connaissances 
humaines  ». 

'  Cette  distinction  entre  sentir  et  juger  a  été  déjà  formulée  dans  les  H"  et 
III"  Livres  d'Emile  —  et  ceci  montre  bien,  par  parenthèse,  l'indépendance  de  la 
Profession  par  rapport  au  reste  de  l'œuvre;  cf.  II,  76.  178  et  surtout  175  :  «  Notre 
élève  n'avait  d'abord  que  des  sensations,  maintenant  il  a  des  idées  ;  il  ne  faisait  que 

sent  r,  maintenant  il  juge Dans  la  sensation,  le  jugement  est  purement  passif, 

il  affirme  que  l'on  sent  ce  qu'on  sent.  Dans  la  perception  ou  idée,  le  jugement  est 
actif:  il  rapproche,  il  compare,  il  détermine  des  rapports  que  le  sens  ne  détermine 
pas.  Voilà  toute  la  différence;  mais  elle  est  grande  ».  Dans  l'une  des  copies  d'Emile, 
il  avait  même  remplacé  ces  dernières  formules  par  le  texte  qui  a  passé  depuis  dans 
la  Profession  :  cf.  la  note  critique  des  Rédactions  Manuscrites.  —  Tout  ce  paragraphe 
n'est  que  le  développement,  et  la  mise  en  forme,  des  annotations  de  Rousseau  à 
quelques  pages  du  livre  De  l'Esprit,  I,  1  [225  Bl,  7-9.  Helvetius  y  prétend  que  «  la 
capacité  d'apercevoir  les  ressemblances  ou  les  différences  n'est  que  la  sensibilité 
physique  même  »  (p.  7I.  Rousseau  lui  répond  :  «  Voici  qui  est  plaisant!  après  avoir 
légèrement  affirmé  qu'apercevoir  et  comparer  sont  la  même  chose,  l'auteur  conclut 
en  grand  appareil  que  juger  c'est  sentir.  La  conclusion  me  paraît  claire,  mais  c'est  de 
l'antécédent  qu'il  s'agit  ».  —  «  Tout  l'esprit,  dit  encore  Helvetius  Ip.  9),  consiste  à 
comparer  et  nos  sensations  et  nos  idées,  c'est-à-dire  à  voir  les  ressemblances  et  les 
dilïérences,  les  convenances  et  les  disconvenances  qu'elles  ont  entre  elles.  Or.  comme 
le  jugement  n'est  que  cette  apercevance  elle-même,  ou  du  moins  que  le  prononcé  de 
cette  apercevance,  il  s'ensuit  que  toutes  les  opérations  de  l'esprit  se  réduisent  à 
juger  ».  Rousseau  riposte  par  la  formule  même  du  Vicaire  :  «  Apercevoir  les  objets, 
c'est  sentir:  apercevoir  les  rapports,  c'est  juger  ».  —  La  théorie  de  la  passivité  du 
jugement,  sans  restriction  aucune,  n'était  soutenue  que  par  les  purs  matérialistes, 
comme  La  Mettrie;  cf.,  par  exemple.  Traité  de  l'âme,  XIII  [171],  189  :  «  Lorsque 
l'àme  aperçoit  distinctement  et  clairement  un  objet,  elle  est  forcée,  par  l'évidence 
même  des  sensations,  de  consentir  aux  vérités  qui  la  frappent  si  vivement;  et  c'est 
à  cet  acquiescement  passif  que  nous  avons  donné  le  nom  de  jugement.  Je  dis  passif. 
pour  faire  voir  qu'il  ne  part  pas  de  l'action  de  la  volonté,  comme  le  dit  Descartes  ». 
Mais  déjà  les  sensualistes,  eux-mêmes,  avaient  protesté  contre  ces  expressions  impru- 
dentes. Bonnet,  que  Rousseau  traitera  pourtant  de  «  matérialiste  »  (cf.  Confessions, 
IX,  64),  avait  écrit,  deux  ans  avant  la  Profession,  dans  son  Essai  sur  les  facultés  de 
l'àme,  XI  [22g],  111-112  :  «  Il  y  a  une  manière  de  s'exprimer  sur  l'âme,  qui  ne  me 
parait  pas  bonne;  c'est  quand  on  dit  que  l'âme  est  passive  lorsqu'elle  aperçoit  ou 
qu'elle  sent.  La  passivité,  si  je  puis  me  servir  de  ce  mot,  est  directement  opposée  à 
['activité.  Un  être  absolument  passif  est  un  être  dans  lequel  il  ne  peut  s'exercer 
aucune  sorte  d'action.  Agir  c'est  produire  un  certain  eft'et,  une  certaine  modification. 
Comment  un  être  passif  serait-il  susceptible  de  modification  ?...  Je  n'ai  garde  de 
comparer  le  choc  de  deux  corps  à  l'action  du  corps  sur  l'âme...  mais  je  conçois  qu'en 
conséquence  de  l'action  des  fibres  nerveuses,  il  se  passe  dans  l'àme  quelque  chose  qui 
répond  à  cette  action   :   l'àme   réagit  à   sa  manière,   et   l'effet  de  cette  réaction  est  ce 


8o  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION    ORIGINALE  8l 

isolés,  tels  qu'ils  sont  dans  la  Nature;  par  la  comparaison,  je  les  remue, 
je  les  transporte,  pour  ainsi  dire,  je  les  pose  l'un  sur  l'autre  pour  pro- 
noncer sur  leur  difiFerence  ou  sur  leur  similitude,  &  généralement  sur 
tous  leurs  rapports.  Selon  moi  la  faculté  distinctive  de  l'être  actif  ou 
intelligent,  est  de  pouvoir  donner  un  sens  à  ce  mot  est.  Je  cherche  en 
vain,  dans  l'être  purement  sensitif,  cette  force  intelligente  qui  superpose 
&    puis  qui   prononce:    je   ne   la  saurois  voir  dans  sa  nature.   Cet  être 


que  nous  nommons  perception  ou  sensation  ».  Condillac,  Traité  des  sensations,  III, 
XI,  4  [20g],  347,  après  avoir  montré  «  comment  le  toucher  apprenait  aux  autres  sens 
à  juger  des  objets  extérieurs  »,  termine  ainsi  cette  partie  de  l'ouvrage  :  «  Quand  nous 
considérions  l'odorat,  l'ouïe,  la  vue  et  le  goût,  chacun  séparément,  notre  Statue  était 
toute  passive  par  rapport  aux  impressions  qu'ils  lui  transmettaient.  Mais  actuellement 
elle  peut  être  active  à  cet  égard  dans  bien  des  occasions  :  car  elle  a  en  elle  des  moyens 
pour  se  livrer  à  l'impression  des  corps,  ou  pour  s'y  soustraire  ».  Mais,  chez  Bonnet 
comme  chez  Condillac,  cette  activité  n'en  restait  pas  moins  imposée  du  dehors. 
Rousseau,  en  introduisant  dans  la  perception  l'action  organisatrice  du  vouloir,  se 
rallie  au  courant  de  philosophie  cartésienne  qui  persistait  encore  au  XVIIl"  siècle,  et 
qui  était  surtout  représenté  en  France  par  les  disciples  prudents  et  assagis  de 
Malebranche.  Si  l'on  se  rappelle  que  Rousseau  était  alors  très  lié  avec  le  P.  Bertier 
et  ses  confrères  de  l'Oratoire  (cf.  1'"  «  Promenade  »  des  Rêveries,  IX,  329  :  «  les 
oratoriens  que  j'aimais,  que  j'estimais,  en  qui  j'avais  toute  confiance  »  ;  cf.  encore 
Confessions,  VIII,  362,  Correspondance,  S..  329,  etc.i,  —  on  regardera  comme  vrai- 
semblable que  Rousseau,  détaché  de  la  «  clique  philosophique  »  a  dii  subir  volontiers 
l'influence  de  l'Oratoire.  Et  c'est  précisément  dans  le  milieu  oratorien  que  se  t'ont 
entendre  les  plus  énergiques  protestations  contre  le  sensualisme  envahissant  :  cf.,  par 
exemple,  les  ouvrages  de  deux  métaphysiciens,  qui  avaient  appartenu  à  la  congrégation, 
et  qui,  malgré  leurs  divergences  et  leur  polémique,  se  retrouvaient  d'accord  pour 
défendre  les  prérogatives  et  l'activité  de  l'esprit  :  le  P.  Roche,  Traité  de  la  nature 
de  l'âme,  11.  11,  5  et  6  '227'''*],  11,484-495;  et  surtout  l'abbé  de  Lignac,  Éléments  de 
jnétaphysique,  III  [2o5],  46;  Examen  sur  «  l'Esprit  »,  où  il  oppose  à  Helvetius 
les  mêmes  arguments  que  Rousseau.  Je  renvoie,  en  particulier  à  la  II'  Partie  [226],  II, 
259-272  :  «  Par  sensation,  on  entend  ordinairement  une  impression  faite  sur  l'àme 
à  l'occasion  d'un  objet  tracé  dans  le  cerveau,  laquelle  annonce  la  présence  d'un 
objet  extérieur.  L'âme  n'y  met  rien  du  sien  :  elle  est  totalement  passive.  En  ce  sens, 

la  perception  d'un  rapport  n'est  pas  une  sensation fil  y  a  comparaison   dans  le 

jugement].  Je  sens,  à  la  vérité,  que  je  compare,  mais  qu'en  cela  J'agis,  et  que  j'ajoute 
quelque  chose  à  mes  deux  perceptions,  qui  ne  me  vient  d'aucune  d'elles  »  ;  et,  citant 
le  texte  d'Helvetius  :  «J'examinerai  si  juger  n'est  pas  sentir»,  il  ajoute  :  «Le  voilà 
le  point  de  division.  H  veut  qu'un  jugement  soit  une  sensation,  il  veut  que  Juger 

ne  soit  Jamais  que  sentir [Or  la  comparaison,  qui  est  au  fond  de  tout  jugement,]  se 

fait  par  un   tiers ]Ce  tiers]  c'est  le  fond  même  de  ma  substance  toujours  senti; 

C'est  lui   qui   compare  toutes  les   impressions  qu'il  reçoit Mas  comparer,  che^ 

lui,  n'est  pas  un  effet  reçu,  c'est  une  action  de  sa  part,  et  ce  n'est  point  une  sen- 
sation ».  Tout  ce  morceau  est  à  lire  comme  première  exquisse  de  la  Réfutation  de 
Rousseau.  L'Examen  de  l'abbé  de  Lignac  a  paru  en  1759.  Il  est  possible,  je  dirais 
même  probable,  que  Rousseau  l'ait  lu.  En  tout  cas,  je  croirais  volontiers  que  c'est 
dans  cette  atmosphère  oratorienne  et  néo-malebranchiste  que  s'est  formée  sa  théorie 
sur  l'activité  du  jugement. 

6 


82  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


f°  120  II  '(En  effet)j  Voir  deux  objets    à  la  fois"  ce  n'est  pas  voir  leurs  rap- 

ports lHÎ  juger  de  leurs  différences;  (ivoiri  «  plusieurs  objets  »  îles  uns) 
hors  2 des  autres  n'est  pas  les  (^compter  numériquement i  .  Je  puis  avoir  au 
même  instant  l'idée  d'un  grand  bâton  et  d'un  petit  bâton  sans  les  comparer, 
sans  juger  que  l'un  est  plus  petit  que  l'autre,  comme  je  puis  voir  à  la  fois 
*  deux  de  mes  doigts  sans  juger  qu'il  y  en  a  deux  *.  Ces  idées  comparatives, 
plus  grand  plus  petit,  de  même  que  les  idées  numériques  d'un  et  de  deux 
ne  sont  certainement  pas  des  sensations  (=  quoi)  que  mon  esprit  ne  les 
produise  qu'à  l'occasion  de  mes  sensations. 


t°  119^'°  Il  *  [Les  relations  de  .M.  de  la  Condamine  nous  parlent  d'un  peuple 

qui  ne  savoit  compter  que  jusqu'à  trois.  (Cependant)  les  ^hommes  qui 
composoient  ce  peuple  '  ayant  des  mains,  avoient  souvent  appercù  leurs 
doigts  sans  savoir  (*  compter  jusqu'à  cinqi]. 


'  [appercevoir]. 

-  [les  uns]. 

'  [nombrer]. 

■*  I.  ma  main  entière  sans  (avoir  fait)  [faire]  le  compte  de  mes  doigts. 

'  [bien]. 

"  I.  (peup  LES)  hommes. 

'  M.  <  ayant  des  mains  >. 

*  [pourtant  combien  ils  en  avoient  même  à  chaque  main]. 


ÉDITION    ORKilNALE  83 

passif  sentira  chaque  objet  séparément,  ou  même  il  sentira  l'objet  total 
formé  des  deux;  mais  n'ayant  aucune  force  pour  les  replier  l'un  sur 
l'autre,  il  ne  les  com-  |  parera  jamais,  il  ne  les  jugera  point.  [;-i8] 

\'oir  deux  objets  à  la  fois  ce  n'est  pas  voir  leurs  rapports,  ni  juger 
de  leurs  différences;  appercevoir  plusieurs  objets  les  uns  hors  des  autres 
n'est  pas  les  nombrer  '.  Je  puis  avoir  au  même  instant  l'idée  d'un 
grand  bâton  &  d'un  petit  bâton  sans  les  comparer,  sans  juger  que  l'un 
est  plus  petit  que  l'autre,  comme  je  puis  voir  à  la  fois  ma  main  entière 
sans  faire  le  compte  de  mes  doigts  *.  Ces  idées  comparatives,  plus  grand, 
plus  petit,  de  même  que  les  idées  numériques  d'un,  de  deux,  &c.  ne  sont 
certainement  pas  des  sensations,  quoique  mon  esprit  ne  les  produise  qu'à 
l'occasion  de  mes  sensations  -. 


*  Les  relations  de  M.  de  la  Condamine  nous  parlent  d'un  peuple  qui  ne 
savoit  compter  que  jusqu'à  trois.  Cependant  les  hommes  qui  composoient  ce 
peuple  ayant  des  mains,  avoient  souvent  apperçu  leurs  doigts,  sans  savoir 
compter  jusqu'à  cinq  ^. 


'  Féraud  [25o\  II,  737-738  :  «  Sombrer  est  plus  usité  dans  le  moral  que  dans 
le  physique.  Pour  les  sommes,  on  dit  plutôt  compter  ou  supputer  ».  Aussi  Rousseau 
avait-il  écrit  d'abord  compter  numériquement.  C'est  pour  éviter  ce  pléonasme,  en 
mettant  néanmoins  en  valeur  l'idée  de  «  nombre  »,  essentielle  à  sa  démonstration, 
qu'il  a  choisi  nombrer. 

^  Voltaire  [242],  276  :  «  Pourquoi  non  »?  —  Les  idées  qui  sont  ici  combattues 
par  Rousseau  sont  communes  à  Helvetius  et  à  l'auteur  de  l'article  Évidence:  cf.  De 
L'Esprit,  I,  I  [225  A],  9  :  «  Quand  je  juge  de  la  grandeur  ou  de  la  couleur  des  objets 
qu'on  me  présente,  il  est  évident  que  le  jugement  porté  sur  les  différentes  impressions 
que  ces  objets  ont  faites  sur  mes  sens  n'est  proprement  qu'une  sensation  »,  etc.  jMais 
l'exemple  du  petit  et  du  grand  bâton  montre  que  Rousseau  a  eu  surtout  en  vue 
l'article  Èi'idence  [218],  148  b  :  «  Juger  n'est  autre  chose  qu'apercevoir  et  reconnaître 
les  rapports,  les  quantités  et  les  qualités  ou  façons  d'être  des  objets  :  or  ces  attributs 
font  partie  des  sensations  représentatives  des  objets  ;  ...un  grand  bâton  et  un  petit  bâton 
vus  ensemble  font  naître  la  sensation  du  grand  bâton  et  la  sensation  du  petit  bâton  : 
ainsi  juger...  qu'un  bâton  est  plus  grand  qu'un  autre,  n'est  autre  chose  que  sentir  ou 
apercevoir  ces  sensations  telles  qu'elles  sont.   Il   est   donc   évident  que   ce   sont  les 

sensations  elles-mêmes  qui  produisent  les  jugements Ainsi  toutes  ces  appréhensions 

ou  aperceptions  ne  sont  que  des  fonctions  purement  passives  de  l'être  sensitif.  Il 
paraît  cependant  que  les  affirmations,  les  négations  et  les  argumentations  marquent 
de  l'.action  dans  l'esprit.  Mais  c'est  notre  langage,  et  surtout  les  fausses  notions 
puisées  dans  la  logique  scolastique.  qui  nous  en  imposent  ». 

'  Voltaire  [242^,  276  :  «  La  Condamine  a  mal  compté  ».  Voici  le  texte  auquel 
Rousseau  fait  allusion.  Relation  abrégée  d'un  voyage  dans  l'intérieur  de  l'Amérique 
méridionale  [170],  66-67  ■  *  'Les  Yameos]  ont  des  mots  que  nous  ne  pourrions  écrire, 
même  imparfaitement,  sans  employer  moins  de  neuf  ou  dix  syllabes;  et  ces  mots 
prononcés  par  eux  semblent  n'en  avoir  que  trois  ou  quatre.  Poettarrarorincouroac 
signifie  en  leur  langue  le  nombre    Trois  :  heureusement  pour  ceux  qui  ont  aff'aire  à 


84  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 

f°  119  ^°  Il  ['  On  nous  dit  que  l'être  sensitif  distingue  les  sensations  les  unes 

des  autres  par  les  diflerences  (-que  lesi  sensations  (elles-mêmes  ont  entre 
elles  1.  Ceci  demande  explication.  Quand  les  sensations  sont  différentes 
l'être  sensitif  les  distingue  par  leurs  différences,  quand  elles  sont  sem- 
blables il  les  distingue  seulement  parce  qu'il  sent  les  unes  hors  des  autres. 
Autrement  comment  dans  une  sensation  simultanée  distingueroit-il  deu.x 
objets  égaux  ?  Il  faudroit  nécessairement  qu'il  confondit  ces  deux  objets 
et  3  les  prit  pour  le  même;  surtout  dans  un  sistéme  où  l'on  prétend,  que 
les  sensations  représentatives  de  l'étendue  ne  sont  point  étendues]. 

i"  120  ™  Il  Quand  les  deux  sensations  a  comparer  sont  apperçues,  leur  impres- 

sion est  faite,  chaque  objet  est  senti,   les  deux   sont  sentis,   mais  leur 

f"  121  ^  raport  n'est  pas  senti  pour  cela.  Si  le  jugement  ||  de  ce  raport  n'étoit 
qu'une  sensation  et  me  \enoit  uniquement  de  l'objet  même,  mes  jugemens 
ne  me  tromperoient  jamais,  puisqu'il  n'est  jamais  faux  que  je  sente  ce 
que  je  sens. 


'  I.  <  On  nous  dit...  point  étendues  >. 
-  [qu'ont  entre  elles  ces  mêmeSj. 
■■■  (qu'  iL?i. 


ÉDITION    ORIGINALE  85 

On  nous  dit  que  Tètre  sensitit'  dis-  |  tingue  les  sensations  les  unes  [39] 
des  autres  par  les  différences  qu'ont  entre  elles  ces  mêmes  sensations  '  : 
ceci  demande  explication.  Quand  les  sensations  sont  différentes,  l'être 
sensitif  les  distingue  par  leurs  différences  :  quand  elles  sont  semblables, 
il  les  distingue  parce  qu'il  sent  les  unes  hors  des  autres.  .Autrement, 
comment,  dans  une  sensation  simultanée,  distingueroit-il  deu.x  objets 
égau.x  ?  Il  faudroit  nécessairement  qu'il  confondît  ces  deux  objets  &  les 
prit  pour  le  même,  sur-tout  dans  un  système  où  l'on  prétend  que  les 
sensations  représentatives  de  l'étendue  ne  sont  point  étendues  -. 

Quand  les  deux  sensations  à  comparer  sont  apperçues,  leur  impres- 


eux.  leur  arithmétique  ne  va  pas  plus  loin.  Quelque  peu  croyable  que  cela  paraisse, 
ce  n'est  pas  la  seule  nation  indienne  qui  soit  dans  ce  cas.  La  langue  Brasilienne, 
parlée  par  des  peuples  moins  grossiers,  est  dans  la  même  disette,  et,  passé  le  nombre 
Trois,  ils  sont  obligés,  pour  compter,  d'emprunter  le  secours  de  la  langue  portu- 
gaise ».  Il  est  probable  que  c'est  Helvetius  qui  a  suggéré  à  Rousseau  l'idée  de  lire 
La  Condamine,  ou  plutôt  —  car  Rousseau  semblait  déjà  le  connaître  :  cf.  Réponse  au 
Mémoire  anonyme,  XI!,  304  —  qui  lui  a  remis  en  mémoire  le  passage  de  la  Relation; 
et.  De  L'Esprit,  \,  i  [225  A],  4  :  x  Les  idées  des  nombres,  si  simples,  si  faciles  à 
acquérir,  et  vers  lesquelles  le  besoin  nous  porte  sans  cesse,  sont  si  prodigieusement 
bornées  dans  certaines  nations  qu'on  en  trouve  qui  ne  peuvent  compter  que  jusqu'à 
trois,  et  qui  n'expriment  les  nombres  qui  vont  au-delà  de  trois  que  par  le  nombre 
beaucoup  ».  Bonnet,  lui  aussi,  avait  retenu  le  même  fait  dans  son  Essai  de  psycho- 
logie, chap.  xvii  «  De  l'état  moral  de  quelques  peuples  de  l'Amérique  »  [208],  .^5  : 
«  11  n'y  a  point  non  plus  dans  ces  langues  de  termes  propres  pour  les  idées  de  vertu, 
de  justice,  de  liberté,  de  reconnaissance,  d'ingratitude.  L'arithmétique  de  quelques- 
unes  de  ces  contrées  ne  va  pas  au-delà  du  nombre  trois  ». —  Rousseau- était  lié 
personnellement  avec  La  Condamine.  Dans  une  lettre  inédite,  de  1762,  [14!,  adressée  à 
Rousseau  pour  le  remercier  de  son  Emile,  La  Condamine  écrivait  :  «  J'ai  lu  avec  la 
plus  grande  satisfaction  la  leçon  du  prêtre  italien  au  jeune  homme  »;  cf.  encore 
Confessions,  IX,  22. 

'  L'auteur  de  l'article  Évidence  [218],  148  b  :  «  L'être  sensitif  distingue  les 
sensations  les  unes  des  autres  par  les  différences  que  les  sensations  elles-mêmes 
ont  entre  elles.  Ainsi  le  discernement  ou  la  fonction  par  laquelle  l'àme  distingue  les 
sensations  et  les  objets  représentés  par  les  sensations,  s'exécute  par  les  sensations 
mêmes  ». 

"-  Nouvelle  citation  de  l'article  Évidence  [218],  147  a  :  «  Celles  [les  sensations] 
qui  sont  représentatives  des  objets  nous  font  apercevoir  la  grandeur  de  ces  objets, 
leur  forme,  leur  figure,  leur  mouvement  et  leur  repos  ;  elles  sont  toujours  relatives 
à  quelques  sensations  affectives...  De  plus,  si  on  examine  rigoureusement  la  nature 
des  sensations  représentatives,  on  apercevra  qu'elles  ne  sont  elles-mêmes  que  des 
sensations  atlectives  réunies  et  ordonnées  de  manière  qu'elles  forment  des  sensa- 
tions   de    continuité    ou     d'étendue Ainsi     les     idées    représentatives    d'étendue 

ne  sont  composées  que  de  sensations  affectives  de  lumière  ou  de  couleurs  ou  de 
résistance  rassemblées...  de  manière  qu'elles  semblent  former  une  sorte  de  continuité 
qui  produit  l'idée  représentative  d'étendue,  quoique  cette  idée  elle-même  ne  soit 
pas  réellement  étendue  ». 


86  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


Pourquoi  donc  est-ce  que  je  me  trompe  sur  i  le  raport  de  ces  deux 
bâtons,  surtout  s'ils  ne  sont  pas  parallèles?  Pourquoi  dis-je  par  exemple 
que  le  petit  bâton  est  le  «  ^  tiers  »  du  grand,  tandis  ^  qu'il  n'en  est  que  le 
quart?  Pourquoi  l'image  qui  est  la  sensation  n'est  elle  pas  conformée 
son  modèle  qui  est  l'objet?  C'est  que  je  suis  actif  quand  je  juge,  que 
l'opération  qui  compare  est  *  pénible  et  que  mon  entendement  qui  juge 
les  raports  mêle  ses  erreurs  à  la  vérité  des  sensations  qui  ne  montrent 
que  les  objets. 


'  I.  le(s)  rap[p]ort(s). 

-  [(quart]). 

^  [(qu'en  effet  il  en  est)]. 

■*  I.  (pénible)  [fautive]. 


ÉDITION    ORIGINALE  87 

sion   est   faite,  chaque  objet  est  senti,   les  deux   sont  sentis;   mais   leur 
rapport  n'est  pas  senti  pour  cela  '.  Si  le  jugement  de  ce  rapport  n'étoit 
qu'une  sensation,  &  me  venoit  uniquement  de  l'objet,  mes  ju-  |  gemens         |'40' 
ne  me  tromperoient  jamais  i,  puisqu'il  n'est  jamais  faux  que  je  sente  ce 
que  je  sens. 

Pourquoi  donc  est-ce  que  je  me  trompe  sur  le  rapport  de  ces  deux 
bâtons,  sur-tout  s'ils  ne  sont  pas  parallèles  ^  ?  Pourquoi  dis-je,  par 
exemple,  que  le  petit  bâton  est  le  tiers  du  grand,  tandis  qu'il  n'en  est  que 
le  quart?  Pourquoi  l'image,  qui  est  la  sensation,  n'est-elle  pas  conforme 
à  son  modèle,  qui  est  l'objet?  C'est  que  je  suis  actif  quand  je  juge,  que 
l'opération  qui  compare  est  fautive  ^,  &  que  mon  entendement  qui  juge 
les  rapports,  mêle  ses  erreurs  à  la  vérité  des  sensations  qui  ne  montrent 
que  les  objets  *. 


'  Rousseau  revient  à  Helvetius  ;  cf.  De  L'Esprit,  I,  i  [223  B],  9  :  «  Je  puis  dire 
également,  je  juge  ou  je  sens  que,  de  deux  objets,  l'un  que  j'appelle  toise,  fait  sur 
moi  une  impression  différente  de  celui  que  j'appelle  pied  ;  que  la  couleur  que  je 
nomme  rouge  agit  sur  mes  yeux  ditTcremment  de  celle  que  je  nomme  jaune  ».  A  quoi 
Rousseau  répond  comme  dans  la  Profession  :  «  Il  y  a  ici  un  sophisme  très  subtil  et 
très  important  à  remarquer,  .\utre  chose  est  sentir  une  dift'érence  entre  une  toise  et 
un  pied;  et  autre  chose  mesurer  cette  dift'érence.  Dans  la  première  opération  l'esprit 
est  purement  passif,  mais  dans  l'autre  il  est  actif.  Celui  qui  a  plus  de  justesse  dans 
l'esprit  pour  transporter  par  la  pensée  le  pied  sur  la  toise,  et  voir  combien  de  fois  il 
y  est  contenu  est  celui  qui,  en  ce  point,  a  l'esprit  le  plus  juste  et  juge  le  mieux  ». 
«  J'en  conclus,  disait  Helvetius  en  terminant  ce  développement,  qu'en  pareil  cas  juger 
n'est  jamais  que  sentir  ».  Et  Rousseau  :  «  c'est  autre  chose,  parce  que  la  comparaison 
du  jaune  et  du  rouge  n'est  pas  la  sensation  du  jaune  ni  celle  du  rouge  ». 

'  Et  tous  les  esprits  seraient  naturellement  égaux.  C'est  d'ailleurs  ce  que  soutient 
Helvetius,  De  L'Esprit,  111.  1  [225  B],  256  :  «  Ainsi  la  nature  ne  pourrait  donner  aux 
hommes  plus  ou  moins  de  disposition  à  l'esprit,  qu'en  douant  les  uns  préférablement 
aux  autres  d'un  peu  plus  de  finesse  de  sens,  d'étendue  de  mémoire,  et  de  capacité 
d'attention  ».  A  quoi  Rousseau  répond  par  une  note  déjà  citée  :  «  Le  principe  duquel 
l'auteur  déduit  dans  les  chapitres  suivants  l'égalité  naturelle  des  esprits,  et  qu'il  a 
tâché  d'établir  au  commencement  de  son  ouvrage  est  que  les  jugements  humains  sont 
purement  passifs  »,  etc.  Cf.  encore  la  riposte  de  Rousseau  à  la  même  théorie  dans  la 
.\ourelle  Hélo'ise  (V,  111),  IV,  3^-396. 

'  Voltaire  [242],  276  :  «  Obscur  et  faux  ». 

'  L'adjectif  que  Rousseau  avait  d'abord  employé,  «  pénible  »,  montre  bien 
quelle  est  ici  la  signification  de  fautif  :  non  pas  «  coupable  »,  mais  «  sujet  à  faillir  y  ; 
cf.  Descartes,  Méditations,  VI  [5/],  IX,  67  ;  «  11  répugne  autant  à  la  bonté  de  Dieu 
qu'il  [l'homme  malade]  ait  une  nature  tiompeuse  et  fautive  que  l'autre  [l'homme 
sain]  »;  et  Livre  11  d'Emile,  11.  110  :  «  La  vue  est  de  tous  nos  sens  le  plus  fautif  »  : 
ii3  :  «  La  mesure  des  pas  d'un  enfant  est  lente  et  fautive  ». 

*  Rousseau  semble  adopter  ici.  pour  le  problème  de  {'erreur,  la  solution 
cartésienne  (Méditations,  IV  [57],  IX,  45-5o)  et  malebranchiste  {Recherche  de  la 
Vérité,  \,  II,  2  [86],  4-5)  :  l'erreur  est  dans  la  liberté  du  jugement,  c'est-à-dire  dans  la 


88  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

f  120  ''"  Il  [  ^  Ajoutez   à   cela    une    reflexion    qui    vous    frapera,    je    m'assure, 

(2  si  vous  la  méditez  ^  bien)  :  c'est  que  si  nous  étions  purement  passifs 
dans  l'usage  de  nos  sens,  il  n'v  auroit  entre  eux  aucune  communication. 
Il  nous  seroit  impossible  de  (*voir  ce  que  nous  touchons)  nous  ne  sen- 
tirions jamais  rien  hors  de  nous,  (^et)  il  v  auroit  pour  nous  cinq  subs- 
tances sensibles  dont  nous  n'aurions  nul  moven  d'appercevoir  l'identité. 
(Il  y  a  un  point  où  (toutes)  nos  ''sensations  se  réunissent  mais  il  faut  que  ce 
soit  nous  qui  les  y  portions)]. 

[Qu'on  donne  tel  ou  tel  nom  à  cette  force  de  mon  esprit  qui  rap- 
proche et  compare  mes  sensations;  qu'on  l'appelle  attention,  méditation, 
réflexion  ou  comme  on  voudra:  toujours  est-il  vrai  qu'elle  est  en  moi 
et  non  dans  les  choses;  que  c'est  moi  seul  qui  la  produis  quoique  je  ne 
la  produise  peut-être  qu'à  l'occasion  de  l'impression  que  font  sur  moi 
les  objets.  '  Sans  être  maitre  de  sentir  ou  de  ne  pas  sentir,  [*  je  le  suis] 
('■'de  penser)  plus  ou  moins  (sur)  ce  que  je  sens]. 


'  I.  <  Ajoutez  à  cela....  ce  que  je  sens  >. 
-  [quand  vous  y  aurez  bien  pensé]. 
"  [(suffisamment)]. 

*  [connoitre  que  le  corps  que  nous  (voyons  est  de)  touchons  et  l'objet  que 
nous  voyons  sont  le  même.  Ou]. 

'  [ou]. 

^  [diverses]. 

•  (Je  ne  suis). 

"  (on  [mon  esprit]  l'est). 
°  [d'e.xaminer]. 


ÉDITION   ORIGINALE  89 

Ajoutez  à  cela  une  réflexion  qui  vous  frappera,  je  m'assure,  quand 
vous  V  aurez  pensé;  c'est  que  si  nous  étions  purement  passifs  dans  l'usage 
de  nos  sens,  il  n'y  auroit  entre  eux  aucune  communication  '";  il  nous  |  r4i] 
seroit  impossible  de  connoître  que  le  corps  que  nous  touchons  &  l'objet 
que  nous  vovons  sont  le  même.  Ou  nous  ne  sentirions  jamais  rien  hors 
de  nous,  ou  il  y  auroit  pour  nous  cinq  substances  sensibles,  dont  nous 
n'aurions  nul  moyen  dappercevoir  l'identité  1. 

Qu'on  donne  tel  ou  tel  nom  à  cette  force  de  mon  esprit  qui  rap- 
proche &  compare  mes  sensations;  qu'on  l'appelle  attention,  méditation, 
réflexion,  ou  comme  on  voudra  -';  toujours  est-il  vrai  qu'elle  est  en  moi 
&  non  dans  les  choses,  que  c'est  moi  seul  qui  la  produis,  quoique  je  ne 
la  produise  qu'à  l'occasion  de  l'impression  que  font  sur  moi  les  objets. 
Sans  être  maître  de  sentir  ou  de  ne  pas  sentir,  je  le  suis  d'examiner  plus 
ou  moins  ce  que  je  sens  ^. 

volonté.  Rousseau  reviendra  plus  loin,  p.  73,  sur  ces  rapports  de  la  volonté  et  du 
jugement  :  «  Quelle  est  donc  la  cause  qui  détermine  la  volonté  ?  C'est  son  jugement. 
Et  quelle  est  la  cause  qui  détermine  son  jugement  ?  Cest  sa  faculté  intelligente,  c'est 
sa  puissance  de  juger;  la  cause  déterminante  est  en  lui-même.  Passé  cela,  je  n'entends 
plus  rien  ». 

^  Voltaire  [242],  277  :  «  Pourquoi  »  ? 

'  Il  est  vraisemblable  que  ce  paragraphe  est  une  réponse  à  Condillac,  pour  qui 
le  toucher  était  l'initiateur  des  autres  sens,  et  suffisait  à  établir  «  la  communication  » 
entre  eux  :  cf.  la  111'  Partie  du  Traité  des  Sensations  [209],  258-348  :  «  Comment  le 
toucher  apprend  aux  autres  sens  à  juger  des  objets  extérieurs  »  ;  et  le  résumé  de  cette 
thèse  dans  \'Ext>-ait  raisonné  du  Traité  des  Sensations  [56],  III,  32-33  :  «  C'est  le 
toucher  qui  instruit  ces  sens  qui,  par  eux-mêmes,  n'ont  que  la  propriété  de  modifier 
l'âme.  A  peine  les  objets  prennent  sous  sa  main  certaines  formes,  certaines  grandeurs, 
que  l'odorat,  l'ouïe,  la  vue  et  le  gbùt,  répandent  à  l'envi  leurs  sensations  sur  eux,  et 
les  modifications  de  l'âme  deviennent  les  qualités  de  tout  ce  qui  existe  hors  d'elle  ». 
A  quoi  Rousseau  ripostait  par  une  formule  de  sa  Première  Rédaction  :  «  Il  y  a  un 
point  où  toutes  nos  sensations  se  réunissent,  mais  il  faut  que  ce  soit  nous  qui  les 
y  portions  ». 

'  A  la  sensation,  Locke  ajoutait  la  réflexion  pour  expliquer  toutes  nos  idées; 
cf.  Entendement  humain,  II,  i,  2-5  [102],  61-62  :  «  Ce  sont  là,  à  mon  avis,  les  seuls 
principes  d'où  toutes  nos  idées  tirent  leur  origine  ;  savoir,  les  choses  extérieures 
et  matérielles,  qui  sont  les  objets  de  la  sensation,  et  les  opérations  de  notre  esprit, 
qui  sont  les  objets  de  la  réflexion  ».  Condillac  faisait  intervenir  l'attention  dans 
l'élaboration  de  la  sensation,  mais  plutôt  comme  une  étape  que  comme  un  facteur  de 
cette  élaboration  ;  cf.  Traité  des  Sensations,  I,  vu,  2  [209],  121-122  :  «Si  nous  considérons 
que  se  ressous'enir,  comparer,  juger,  discerner,  imaginer,  être  étonné,  avoir  des  idées 
abstraites,  en  avoir  de  nombre  et  de  durée,  connaître  des  vérités  générales  et  parti- 
culières, ne  sont  que  différentes  manières  d'être  attentif;...  et  qu'enfin  être  attentif.. 
n'est  dans  l'origine  que  sentir  :  nous  conclurons  que  la  sensation  enveloppe  toutes 
les  facultés  de  l'âme  ». 

'  Condillac  disait  déjà,  dans  une  formule  analogue  —  au  moins  par  l'expressio.i 


go  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

jo  j^2l  f"  Il  Je  ne  suis  donc  pas  i  seulement  un  être  sensitif  et  passif,  mais  un 

être  actif  et  intelligent,  et  quoiqu'en  dise  la  philosophie,  j'oserai  prétendre 
à  l'honneur  de  penser.  Je  sais  seulement  que  la  vérité  est  dans  les  choses 
et  non  pas  dans  mon  esprit  qui  les  juge,  et  que  moins  je  mets  du  mien 
dans  les  jugemens  que  j'en  porte,  plus  je  suis  sur  d'approcher  de  la 
vérité;  ainsi  ma  régie  de  me  livrer  au  sentiment  plus  qu'à  la  raison  ^est 
confirmée  par  la  raison  même. 


I.  (seulement)  [simplement]. 
M.  se  confirme. 


EDITION    ORIGINALE  QI 

Je  ne  suis  donc  ■•  pas  simplement  un  être  sensitif  &  passif,  mais  un 
être  actif  &  intelligent,  &  quoiqu'en  dise  la  philosophie,  j'oserai  prétendre 
à  Thon-  I  neur  de  penser  •.  Je  sais  seulement  que  la  vérité  est  dans  les  r42] 
choses  &  non  pas  dans  mon  esprit  qui  les  juge,  &  que  moins  je  mets  du 
mien  dans  les  jugemens  que  j'en  porte,  plus  je  suis  sur  d'approcher  de  la 
vérité  :  ainsi  ma  régie  de  me  livrer  au  sentiment  plus  qu'à  la  raison,  est 
confirmée  par  la  raison  même  -. 


—  Traité  des  Sensations,  I,  ii.  ii,  note  [209].  63  :  «  Il  y  a  en  nous  un  principe  de  nos 
actions  que  nous  sentons,  mais  que  nous  ne  pouvons  définir  :  on  l'appelle  force. 
Nous  sommes  éf^alement  actifs  par  rapport  à  tout  ce  que  cette  force  produit  en  nous, 
ou  au  dehors.  Nous  le  sommes,  par  exemple,  lorsque  nous  réfléchissons,  ou  lorsque 
nous  faisons  mouvoir  un  corps.  Par  analogie  nous  supposons  dans  tous  les  objets 
qui  produisent  quelque  changement,  une  force  que  nous  connaissons  encore  moins, 
et  nous  sommes  passifs  par  rapport  aux  impressions  qu'ils  font  sur  nous.  Ainsi  un 
être  est  actif,  ou  passif,  suivant  que  la  cause  de  l'efi'et  produit  est  en  lui  ou  hors  de 
lui  ».  .Mais  les  analogies  verbales  dissimulent  à  peine  les  di:i'érences  de  fond  :  la  force 
dont  parle  ici  Condillac  est  plutôt  une  force  de  réaction  qu'une  force  d'initiative. 

■*  Ce  n'est  pas  seulement  la  conclusion  des  paragraphes  précédents,  c'est  la 
conclusion  —  volontairement  agressive  et  ironique,  —  de  toute  la  dissertation  sur 
l'activité  du  jugement,  dissertation  qui  forme  ainsi  une  enclave  très  nettement 
délimitée. 

'  Voltaire  [242],  277  :  «  Pourquoi  calomnier  les  philosophes  »? 

-  Rousseau  parlera  de  la  raison  sur  un  autre  ton,  lorsqu'il  fera  la  critique  de 
l'idée  de  révélation  :  cf.,  plus  loin,  p.  i5o.  Mais  peut-être  alors  donnera-t-il  au  mot 
de  raison  un  sens  un  peu  différent.  Il  faut,  en  eflét,  se  rappeler  la  note  du  11'  Livre 
d'Emile,  II,  76  :  «  J'ai  fait  cent  fois  réflexion,  en  écrivant,  qu'il  est  impossible, 
dans  un  long  ouvrage,  de  donner  toujours  les  mêmes  sens  aux  mêmes  mots.  Il  n'y 
a  point  de  langue  assez  riche  pour  fournir  autant  de  termes,  de  tours  et  de  phrases, 
que  nos  idées  peuvent  avoir  de  modifications...  Malgré  cela,  je  suis  persuadé  qu'on 
peut  être  clair,  même  dans  la  pauvreté  de  notre  langue,  non  pas  en  donnant  toujours 
les  mêmes  acceptions  aux  mêmes  mots,  mais  en  faisant  en  sorte,  autant  de  fois  qu'on 
emploie  chaque  mot,  que  l'acception  qu'on  lui  donne  soit  suffisamment  déterminée  par 
les  idées  qui  s'y  rapportent,  et  que  chaque  période  où  ce  mot  se  trouve  lui  serve, 

pour  ainsi  dire,  de  définition Je  ne  crois  pas  en  cela  me  contredire  dans  mes  idées, 

mais  je  ne  puis  disconvenir  que  je  ne  me  contredise  souvent  dans  mes  expressions  ».  Ici 
le  sentiment  est  considéré  comme  étant  l'expression  directe  et  fidèle  des  choses  mêmes, 
la  raison  comme  étant  l'apport  personnel,  et  peu  silr,  de  l'esprit  humain. 


92 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


5.  La  matière  et  le  mouvement. 


M'étant,  pour  ainsi  dire,  assuré  de  moi-même,  je  commence  à  regarder 
i°  122  ™  hors  de  moi,  ^  et  je  me  considère  ||  avec  une  sorte  de  frémissement  jette 
perdu  dans  ce  vaste  univers  et  comme  noyé  dans  l'immensité  des  êtres 
sans  rien  savoir  de  ce  qu'ils  sont,  ni  absolument,  ni  entre  eux  ni  par 
raport  à  moi.  Je  les  étudie,  je  les  observe,  et  le  premier  objet  qui  se 
présente  à  moi  pour  les  comparer,  c'est  moi-même. 


■  (je). 


EDITION   ORIGINALE  93 


5.  La  matière  et  le  mouvement. 


iM"étant,  pour  ainsi  dire,  assuré  de  moi-même,  je  commence  à 
regarder  hors  de  moi,  et  je  me  considère  avec  une  sorte  de  frémissement, 
jette,  perdu  dans  ce  vaste  univers,  &  comme  noyé  dans  l'immensité  des 
êtres,  sans  rien  savoir  de  ce  qu'ils  sont,  ni  entre  eux,  ni  par  rapport  à 
moi  *.  Je  les  étudie,  je  les  observe,  &  le  premier  objet  qui  se  présente  à 
moi  pour  les  comparer,  c'est  moi-même. 


^  Nouvelle  dissertation  ajoutée  par  Rousseau  dans  la  révision  de  son  texte 
primitif.  La  dissertation  précédente  s'attaquait  principalement  à  Helvetius  et  aux 
sensualistes  de  VEncvclopédie.  Celle-ci  est  dirigée  contre  les  théoriciens  du  mécanisme 
matérialiste,  contre  La  .Mettrie  [171],  que  Rousseau  semble  avoir  lu,  contre  Maupertuis- 
Baumann  [198  AJ,  qu'il  devait  connaître  au  moins  par  Diderot,  peut-être  même  contre 
Robinet  [2  35],  dont  nous  savons  qu'il  avait  lu  le  livre  De  la  Sature,  paru  vers  la  lin 
de  1761.  Mais  toute  cette  philosophie  matérialiste  se  résume  pratiquement  pour  lui 
<ians  le  petit  livre  de  Diderot  paru  en  1754,  Pensées  sur  l'interprétation  de  la  Nature 
[210].  Il  faut  y  joindre  sans  doute  de  longs  exposés  oraux,  que  Diderot  ne  devait 
point  lui  avoir  épargnés,  et  dont  les  Principes  philosophiques  sur  la  matière  et  le 
mouvement,  bien  que  rédigés  quelques  années  plus  tard  (1770),  peuvent  être  regardés 
avec  vraisemblance  comme  le  résumé.  La  Lettre  à  D'Alembert,  en  rendant  la  rupture 
définitive  et  publique  entre  les  deux  amis,  met  Rousseau  plus  à  l'aise  pour  dire  toute 
sa  pensée  sur  ce  point. 

*  Voltaire  [242],  277  :  «  Imité  des  Pensées  de  Pascal  ».  On  peut,  en  effet, 
rapprocher  de  ce  morceau  la  méditation  sur  les  «  deux  infinis  »,  Pensées,  LXXll 
[83],  I,  72-74.  78  :   «  Que  l'homme  contemple  donc  la  nature  entière  dans  sa  haute 

majesté,  etc Que  l'homme,  étant  revenu  à  soi,  considère  ce  qu'il  est  au  prix  de  ce 

qui  est;  qu'il  se  regarde  comme  égaré  dans  ce  canton  détourné  de  la  nature Qui 

se  considérera  de  la  sorte  s'effraiera  de  soi-même,  et,  se  considérant  soutenu  dans  la 
masse  que  la  nature  lui  a  donnée,  entre  ces  deux  abimes  de  l'infini  et  du  néant,  il 
tremblera  dans  la  vue  de  ces  merveilles  ;  et  je  crois  que,  sa  curiosité  se  changeant  en 
admiration,  il  sera  plus  disposé  à  les  contempler  en  silence  qu'à  les  rechercher  avec 
présomption  »,  etc.  Rousseau  aurait  pu  se  souvenir  aussi  de  La  Bruyère,  Des  Esprits 
Forts  [98],  II,  265  :  «  Me  voilà  donc  sur  la  terre  comme  sur  un  grain  de  sable  qui  ne 
tient  à  rien  »,  etc.  Je  croirais  pourtant  plus  volontiers  que  c'est  Diderot  qui  a  donné 
à  Rousseau  la  suggestion  décisive.  «  Consultez,  disait  Rousseau  dans  la  Lettre  sur  la 
Vertu  et  le  Bonheur  [25].  i33,  le  vertueux  Shaftesbury  et  son  digne  interprète  », 
c'est-à-dire,  lisez  VEssai  sur  le  Mérite  et  la  Vertu,  et  les  notes  de  Diderot.  Or  voici 
l'une  de  ces  notes  [174],  63  :  «  A  mesure  que  l'univers  s'étend  aux  yeux  d'un  phi- 
losophe, tout  ce  qui  l'environne  se  rapetisse.  La  terre  s'évanouit  sous  ses  pieds. 
Lui-même,  que  devient-il  ?  Cependant  il  ressent  un  doux  frémissement  dans  cette 
contemplation  qui  l'anéantit.  Après  s'être  vu  noyé,  pour  ainsi  dire,  et  perdu  dans 
l'immensité  des  êtres,  il  éprouve  une  satisfaction  secrète  à  se  retrouver  sous  les  yeux 
de  la  Divinité  ». 


94  REDACTIONS    MANUSCRITES 

Tout  ce  que  j'apperçois  par  les  sens  est  matière  et  je  déduis 
toutes  les  propriétés  essentielles  de  la  matière  des  qualités  sensibles 
qui  «  ^  me  la  font  appercevoir  et  qui  en  sont  inséparables  ». 
Je  la  vois  tantôt  en  mouvement  et  tantôt  en  repos  *  d"où  j"infére 
que  ni  le  mouvement  ni  le  repos  ne  lui  sont  essentiels,  mais  (^  qu'elle 
est  indifférente  à  l'un  et  l'autre,  et  que  -^  par  conséquent  le  repos  est  ^  son 
état  naturel,  car)  le  mouvement  étant  une  action  est  l'effet  inecessaiie) 
d'une    cause    dont    le    repos     n'est    que    l'absence.    Quand    donc    rien 


jo  121  '■'°  Il  -f  [*  Note.  Ce  repos  n'est    i^  peut-être)    que  relatif  (puisque    il  est 

très  vraisemblable  que  l'univers  entier  est  en  mouvement,  i  '■  sans  cependant 
que)  nous  ('  en  soyons)  rien  moins  que  surs,)  mais  puisque  nous  observons 
du  plus  *  et  du  moins  dans  le  mouvement,  nous  concevons  très  claire- 
ment (^  lei  terme  (du  moins)  qui  est  le  repos,  et  nous  le  concevons  si 
bien  que  nous  sommes  enclins  même  à  prendre  "'pour  absolu  (^'  le) 
repos  qui  n'est  que  relatif.  Or  (si  le  repos  absolu  de  la  matière  peut-être 
conçu)  il  n'est  pas  vrai  que  le  mouvement  ^-  soit  l '^  essentiel  à  la 
matière)]. 


'   [(en  sont  inséparables)]. 

-  [(étant)]. 

^  [(elle  en  est)]. 

■*  [dans]. 

^  [(probablement)  si  l'on  veut]. 

"  [chose  dont  cependant]. 

'  [sommes]. 

"  M.  <  et  >  ou. 

"  [un  des  deux]  terme  [s  e.xtrêmes]. 
'"  (un  repos  rela  tif). 
■'  [un]. 
'■'  (lui). 

"  (de  son  essence)   [de   l'essence  (int  ime  ?)]  de  la  matière  si  (son  repos) 
[elle]  peut  être  conçue  en  repos. 


t  En  face  de  ce  début  de  note.  Rousseau  a  écrit  dans  la  marge  du 
f>  122'":  l'addition  bonne  (cette?).  —  Quelques-unes  des  idées  qu'on 
trouvera  ici  exprimées  sont  empruntées  à  un  passage  inutilisé  de  F, 
qu'on  pourra   lire  plus  loin,  /"  i6i  '". 


ÉDITION    ORIGIXALE  95 

Tout  ce  que  j'apperçois  par  les  sens  est  matière,  &  je  déduis  toutes 
les  propriétés  essencielles  de  la  matière  des  qualités  sensibles  qui  me  la 
font  apper-  |  cevoir,  &  qui  en  sont  inséparables.  Je  la  vois  tantôt  en  "43] 
mouvement  &  tantôt  en  repos  *,  d'où  j'infère  que,  ni  le  repos,  ni  le 
mouvement  ne  lui  sont  essenciels;  mais  le  mouvement  étant  une 
action,  est  l'effet  d'une  cause  dont  le  repos  n'est  que  l'absence.  Quand 
donc  rien  n'agit  sur  la  matière,  elle  ne  se  meut  point;  &  par  cela  même 
qu'elle  est  indifférente  au  repos  &  au  mouvement,  son  état  naturel 
est  d'être  en  repos  ^. 


*  Ce  repos  n'est,  si  l'on  veut,  que  relatif^:  mais  puisque  nous  observons 
du  plus  &  du  moins  dans  le  mouvement,  nous  concevons  très-clairement  un 
des  deux  termes  extrêmes  qui  est  le  repos,  &  nous  le  concevons  si  bien  que 
nous  sommes  enclins  même  à  prendre  pour  absolu  le  repos  qui  n'est  que  relatif. 
Or  il  n'est  pas  vrai  que  le  mouvement  soit  de  l'essence  de  la  matière,  si  elle 
peut  être  conçue  en  repos. 


'  C'est  le  principe  de  Vinerlie  de  la  matière,  c'est-à-dire  de  son  indifférence 
au  mouvement  ou  au  repos,  principe  sur  lequel  tous  les  philosophes  pratiqués 
par  Rousseau,  chrétiens  et  même  spiritualistes,  —  j'entends  spiritualiste  au  sens 
cousinien  du  mot,  et  non  au  sens  du  XVlll'  siècle,  car  il  signifiait  alors  idéaliste 
et  souvent  spino^iste  :  cf.  Lignac  aST,  I,  83,  35i,  etc.  —  se  trouvent  d'accord,  et  presque 
dans  les  mêmes  termes  que  lui.  Newton  lui  en  fournissait  la  formule  technique  ; 
cf.  Principia  mathematica.  Definitio  111  [iSy],  I,  4  :  «  Per  inertiam  materiae.  fit  ut  corpus 
omne  de  statu  suo  vel  quiescendi  vel  mbvendi  difficuller  deturbetur.  Unde  etiam  vis 
insita  noraine  significantissimo  vis  inertiae  dici  possit  ».  Et  les  P.P.  Le  Seur  et  Jacquier 
ajoutaient  dans  leur  Commentaire,  p.  5  :  «  Nihil  fit  sine  causa;  unde  omne  corpus  ut 
pote  iners  et  passivum  in  suo  quocumque  statu  persévérât,  nisi  causa  afiqua.  seu  vi 
externa,  statum  suum  mutare  cogatur».  Cf.  encore  Abbadie,  Religion  chrétienne,  I,  i,  5 
[92],  I,  26,  Fénelon,  Existence  de  Dieu,  1,  79  [114].  Bg,  Clarke,  I,  iv,  3  [i25],  I,  43-46, 
Ditton,  Religion  naturelle  [128],  II,  3o2-3o3,  V'ernet,  Instruction  chrétienne,  II,  i  [2i3], 
I,  27,  etc.  L'auteur  même  de  l'article  Évidence  [2r8],  411  b,  accepte  le  même  principe  : 
«  Le  mouvement  n'est  pas  un  attribut  essentiel  de  ces  objets,  car  ils  peuvent  avoir 
plus  ou  moins  de  mouvement,  et  ils  peuvent  en  être  privés  entièrement;  or  ce  qui 
est  essentiel  à  un  être  en  est  inséparable,  et  n'est  susceptible  ni  d'augmentation,  ni 
de  diminution,  ni  de  cessation  ». 

'  Il  n'est  pas  sûr  qu'il  faille  voir  derrière  ce  si  l'on  veut  une  allusion  précise 
(cf.  les  premières  rédactions  :  peut-être,  probablement).  .Mais  il  est  possible  qu'il  y 
ait  dans  cette  restriction  un  souvenir  des  conversations  de  Diderot  ;  cf.  Principes 
philosophiques  sur  la  Matière  et  le  Mouvement  [58],  II,  65  :  «  Tout  est  dans  un 
repos  relatif  en  un  vaisseau  battu  par  la  tempête:  rien  n'y  est  en  un  repos  absolu, 
pas  même  les  molécules  agrégatives  ni  du  vaisseau,  ni  des  corps  qu'il  renferme  ». 


gô  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

n'agit  sur  la  matière  elle  (^est  en  repos)  et  par  cela  même  qu'elle  est 
indifférente  au  i- mouvemeat)  et  au  (repos),  -^  son  état  naturel  est  d'être 
en  repos. 

J'apperçois  dans  les  corps  deux  sortes  de  mouvement  savoir  mouve- 
ment communiqué  et  mouvement  spontané  ou  volontaire.  (La  différence 
de  ces  deux  mouvemens  est  que)  dans  le  premier  la  cause  motrice  est 
étrangère  au  corps  mu  et  (que)  dans  le  second  elle  est  en  lui-même. 
(*Vous)  ne  concluriez)  pas  de  là  que  le  mouvement  d'une  montre  [^par 
exemple  est  spontané,  car  si  rien  d'étranger  au  ressort  n'agissoit  sur 
lui  il  ne  tendroit  point  à  se  ''redresser  et  ne  tireroit  pas  la  chaîne.  Par 
jo  123  ™  la  même  raison  je  n'accorderai  point  non  plus  la  ||  spontanéité  'aux 
fluides  ni  au  feu  *  même  qui  fait  leur  fluidité  *. 

f  122™  Il  [*  Les   chimistes  (^  reconnoissent)   le   flogistique   ou   l'élément  du 

feu  comme  épars,  immobile  et  stagnant  dans  ('"  les  corps)  jusqu'à  ce 
que  r^i  des  cause  s  étrangères  le  [dégagent  ,  le  «  reunissent»  le  métent 
en  mouvement  et  le  changent  en  feu.  iJe  vois  la  matière  dans  trois  états i] 


'  [ne  se  meut  point]. 

-  [repos]  et  au  [mouvement]. 

'  (elle  es  t). 

*  [Je]  ne  conciuer[ai]. 

^  I.  <  par  exemple  >. 

"  (relac  heb). 

'  M.  au  mouvement  des. 

"  M.  lui-même. 

"  [regardent]. 

'"  (la  mixtion  des)  [les  mixtes  (où  il  entre)  dont  il  fait  partie]. 

"  qu'(une). 


EDITION    ORIGINALE  97 


J'apperçois  dans  les  corps  deux  sortes  de  mouvement,  savoir; 
mouvement  communiqué,  &  mouvement  spontané  ou  volontaire  ^.  Dans 
le  premier,  la  cause  motrice  est  étrangère  au  corps  |  mû;  &  dans  [44] 
le  second  elle  est  en  lui-même.  Je  ne  conclurai  pas  de-là  que  le 
mouvement  d'une  montre,  par  exemple,  est  spontané  ;  car  si  rien 
d'étranger  au  ressort  n'agissoit  sur  lui,  il  ne  tendroit  point  à  se 
redresser,  &  ne  tireroit  pas  la  chaîne.  Par  la  même  raison  je  n'accor- 
derai   point,    non   plus,   la  spontanéité  aux  fluides,  ni  au  feu  même  1 


'  «  Il  V  a  en  nous,  disait  Fréret  [189],  198-199,  deux  sortes  de  mouvement  : 
l'un,  involontaire,' qui  se  fait  sans  le  concours  de  la  volonté,  et  quelquefois  même 
malgré  elle,  et  que  l'on  peut  nommer  mouvement  forcé,  mouvement  contraint  ; 
l'autre  mouvement  est  le  volontaire,  qui  est  accompagné  du  concours  de  la  volonté 
et  que  j'e.xplique  par  cette  supposition  »;  puis,  comparant  l'être  humain  à  une 
girouette,  il  ajoutait  :  «  Nous  n'avons  point  de  preuves  que  nous  soyons  d'une 
autre  nature  que  cette  machine  ».  Il  est  probable  que  la  phrase  de  Rousseau  : 
«  Je  ne  conclurai  pas  de  là  »,  etc.,  est  une  réponse  à  Fréret. 

'  Ces  quelques  mots  sur  le  feu  répandu  dans  les  fluides,  et  la  note  sur  «  le 
Flojîistique  »  sont  une  coquetterie  de  Rousseau,  qui  se  rappelle  avoir  été  un  apprenti 
chimiste,  qui  garde  dans  ses  manuscrits  un  gros  ouvrage  sur  les  Institutions  chimiques 
(17471.  et  qui  n'est  pas  fâché,  à  l'occasion,  de  laisser  deviner  ses  connaissances  sur  ce 
point  :  cf.  déjà  dans  le  111'  Livre  d'Emile,  II.  i53,  la  petite  leçon  de  chimie  pratique 
à  propos  des  falsifications  du  vin.  Au  moment  même  où  il  commençait  à  rédiger 
VÈmile,  le  baron  d'Holbach  s'adressait  encore  à  lui  pour  revoir  «  un  manuscrit  de 
chimie  »  qu'il  voulait  publier  :  cf.  Confessions,  \III,  3  3i.  La  question  qui  est  ici 
effleurée  —  celle  de  la  nature  du  feu  —  est  une  de  celles  qui  ont  été  le  plus  discutées 
dans  la  première  moitié  du  XVlll"  siècle  :  cf.  Nieuwentit.  Il,  6  [122],  Sog  :  «  On 
est  encore  incertain  sur  la  nature  du  feu...  ;  rien  de  si  commun  et  rien  de  moins 
intelligible  »;  et  Rousseau  lui-même.  Institutions  chimiques.  II,  2,  «  Du  feu»  [i].  61  c  : 
«  Rien  n'est  plus  important  à  connaître,  mais  rien  n'est  plus  difficile  à  expliquer  que 
la  nature  du  feu  »;  ii3  b-c  :  «  On  peut  voir  par-là  combien  il  est  difficile  de  connaître 
la  nature  de  l'élément  dû  feu  »,  etc.  On  se  rappelle  que  l'Académie  des  Sciences,  ayant 
mis  cette  question  au  concours  en  1738.  Voltaire  et  Mme  du  Chàtelet  concoururent 
pour  le  prix,  que,  d'ailleurs,  ils  ne  remportèrent  pas.  Le  point  essentiel  du  débat  était 
de  savoir  si  le  feu  était  ou  non  un  élément  :  «  Le  feu,  disait  D'Alembert  dans 
y  Encyclopédie,  art.  Feu  [218],  Sgg  b,  est-il  une  matière  particulière,  ou  n'est-ce  que  la 
matière  des  corps  mise  en  mouvement?  C'est  sur  quoi  les  philosophes  sont  partagés  ». 
Rousseau  pouvait  déjà  lire  ces  deux  hypothèses  dans  son  Saint-Aubin  [141],  III.  46-47. 
Voltaire  les  présentait  encore  au  début  de  son  Essai  sur  la  nature  du  feu  et  sur  sa 
propagation  [i5^].  282-286;  il  se  ralliait  à  la  seconde,  et  soutenait  contre  les  philo- 
sophes cartésiens  que  le  feu  est  «  un  être  élémentaire  ».  C'est  aussi  l'avis  de  Rousseau, 
qui  parle  ici  de  «  Vêlement  du  feu  ».  Cf.  encore  Institutions  chimiques,  1,  i  [1],  26  b  : 
«  Le  P.  Lozeran  de  Fiesc,  jésuite,  dans  un  traité  qui  a  remporté  le  prix  à  l'Académie 

7 


98  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

Vous  me  demanderez  si  les  "mouvemens  des]  animaux  *  sont  spon- 
tanés, je  vous  dirai  que  je  n'en  sais  rien  mais  que  ^^  je  le  pense);  vous 
me  demanderez  encore  comment  je  sais  (donc)  qu'il  v  a  des  mouvemens 
spontanés,  je  vous  répondrai  que  je  le  sais  parce  que  je  (-^l'éprouve).  Je 
veux  mouvoir  mon  bras  et  ■*  je  le  meus;  sans  ^qu'iil  y  ait  à)  ce  mouve- 
ment «  ''d'autre  »  cause  ('  physique)  «  que  ma  volonté  »  (seule  ^).  C'est 
en  vain  qu'on  voudroit  raisonner  pour  détruire  en  moi  ce  sentiment 
(de  spontanéité),  il  est  plus  fort  que  toute  évidence;  autant  vaudroit 
me  prouver  que  je  n'existe  pas. 


'  (ont  des). 

-  [l'analogie  est  pour  l'artîrmative].  — I.  je  le  pense. 

'  [le  sens]. 

'  (que). 

'  qu[e]. 

*  [ait  (aucune)]. 

'  [immédiate].  —  M.  [immédiate].  —  I.  phisique. 

'  (l'a  déterminé). 


JEDITION    ORIGINALE  99 

qui    fait   leur  fluidité  -  *. 

Vous  me  demanderez  si  les  mouvemens  des  animaux  sont  spon- 
tanés; je  vous  dirai  que  je  n"en  sais  rien,  mais  que  l'analogie  est 
pour  l'affirmative  '.  \'ous  me  demanderez  encore  comment  je  sais 
donc   qu'il    v   a   des   mouvemens   spontanés  :    je   vous   dirai   que    je   le 

*  Les  Chimistes  regardent  le  Flogistique  *  ou  l'élément  du  feu  comme 
épars.  immobile,  &  stagnant  dans  les  mixtes  ^  dont  il  fait  partie,  jusqu'à  ce 
que  des  causes  étrangères  le  dégagent,  le  réunissent,  le  mettent  en  mouvement 
&  le  changent  en  feu. 


des  Sciences  [en  i-ÎS,  contre  Voltaire  et  Aime  du  Châtelel].  nie  que  le  feu  soit  un 
élément,  parce  que  les  chimistes  ne  le  démontrent  pas  pur  dans  leurs  analyses.  Il 
soutient,  au  contraire,  que  le  feu  est  un  mixte  composé  de  sels  de  soufre,  d'air  et  de 
matière  éthérée.  et  qui  se  meut  en  tourbillon.  Il  y  a  apparence  que  ce  philosophe  n'a 
pas  d'idée  de  la  combinaison  chimique,  par  laquelle  on  s'assure  de  l'existence  d'un 
Corps  qu'on  ne  saurait  retenir  seul,  tel  que  le  feu  élémentaire  en  le  faisant  passer 
à  son  gré  d'une  substance  dans  une  autre  ». 

'  Rousseau.  Institutions  chimiques,  1.  i  et  11,  2  [i],  27  c  :  «  Tout  ce  qui  a  de  la 
fluidité  en  contient  quelque  portion  [de  phlogistique]  »  ;  et  128  c-d  :  «  Le  feu  est 
un  principe  corporel  :  par  conséquent,  il  est  certain  que  ses  parties  sont  étendues  et 
mobiles,  et  ce  n'est  que  par  le  mouvement  qu'elles  peuvent  se  manifester.  Il  est 
certain,  de  plus,  qu'il  est  le  principe  du  mouvement  de  la  plupart  des  corps  et  surtout 
celui  de  toute  fluidité  ». 

'  Comme  presque  tous  les  philosophes  de  sa  génération,  Rousseau  refuse 
d'admettre  la  théorie  cartésienne  (Discours  de  la  Méthode,  V  Partie  [80].  SS-Sg)  et 
malebranchiste  [Recherche  de  ta  Vérité,  VI.  11,  7  [86],  244-245),  de  «  l'automatisme  des 
bêtes  ».  Cf.,  en  particulier,  Condillac,  Traité  des  Animaux  (que  Rousseau  citera  plus 
loin,  p.  98,  notei,  1.  1  [214],  447  :  «  Le  sentiment  de  Descartes  sur  les  bêtes  commence 
à  être  si  vieux,  qu'on  peut  présumer  qu'il  ne  lui  reste  guère  de  partisans  »;  Gerdil, 
Dissertations,  111  ^23o\  143-144  :  «  On  n'a  pas  cru  qu'un  sentiment  si  étrange  méritât 
d'être  combattu  par  des  raisons:  on  l'a  tourné  en  ridicule  ».  Mais  Rousseau  ne 
se  risque  pas  à  une  aiBrmation  catégorique,  car  D'.\lembert  avait  montré,  dans 
son  article  Forme  substantielle  [224.  176-177,  à  quelles  inquiétantes  conséquences 
on  était  entraîné  lorsqu'on  accorda  t  une  «  âme  »  aux  bétes. 

'  D'Alembert.  art.  Feu  [21^].  609  a  :  «  Stahl  a  désigné  cette  matière  [la  vraie 
matière,  l'être  propre  du  feu]  par  le  mot  grec  phlogiston,  qui  signifie  combustible, 
inflammable,  expression  que  nous  avons  traduite  par  celle  de  phlogistique,  qui  est 
devenue  technique,  et  qui  n'est  pour  nous,  malgré  sa  signification  littérale,  qu'une  de 
ces  dénominations  indéterminées,  qu'on  doit  touiours  sagement  donner  aux  substances 
sur  l'essence  desquelles  régnent  diverses  opinions  très  opposées  ».  Rousseau,  Insti- 
tutions chimiques,  I,  1  [i],  26  a  :  «  Le  second  principe  [terreux],  que  Beccher  appelle 
terre  inflammable  ou  colorante,  et  auquel  Stahl  a  donné  le  nom  grec  de  phlogistique, 
est  proprement  la  matière  du  feu  et  le  principe  des  couleurs  ». 

^  Rousseau,  Institutions  chimiques,  I,  2  :  «  De  la  mixtion  et  composition  des 
corps  »  [î]  39  a  :  «  On  donne  le  nom  de  mixte  à  toute  substance  formée  par  le 
concours  de  deux  ou  plusieurs  principes,  lesquels  par  leur  union  ne  forment  plus 
qu'un  seul  tout  ». 


v^ 


tavier'S^ 


100  REDACTIONS    MANUSCRITES 


CJe  ne  connois  ni  ne  conçois  de  spontanéité  dans  une  matière^  que 
dans  les  corps  organisés,  vivans,  sentans,  animés,  mais)  s'il  n'y  avoit  aucune 
spontanéité  dans  les  actions  des  hommes  ni  dans  rien  de  ce  qui  se  fait 
sur  la  terre  on  n'en  seroit  que  plus  'embarrasséj  à  imaginer  la  première 
cause  de  tout  mouvement.  Pour  moi  je  me  sens  tellement  persuadé 
que  l'état  naturel  de  la  matière  est  d'être  en  repos  ^  et  qu'elle  n'a  par 
elle-même  aucune  force  pour  agir  qu'en  voyant  un  corps  en  mouvement 
je  juge  aussi  tôt  ou  que  c'est  un  corps  (vivant),  animé,  (sensible),  ou  que 
ce  mouvement  lui  a  été  (^  communiqué).  Mon  esprit  refuse  tout  acquies- 
cement à  l'idée  de  la  matière  se  mouvant  d'elle  même  ou  produisant 
quelque  action. 

Cependant  (*l')univers  ^  est  matière,  matière  éparse  et  morte  *  qui 
n'a  rien  [dans  son  tout  ^  de  l'union  de  l'organisation  (' des  corps  animés) 
[puisqu'il  est  certain  que  nous  qui  sommes  parties  ne  nous  sentons 
nullement  dans  le  tout  .  (*  Et  cependant  l'univers)  est  en  mouvement 
et  dans  ses  mouvemens  réglés  uniformes  [assujetis  à  des  loi.\  constantes 
f°  124  '^°     i'  "  <i  rien  de  cette  liberté  "qu'on  remarque  dans  les  mouvemens  ||  spon- 

jo  J22  '°  Il  [  *  J  3i  fait  tous  mes  efforts  pour  concevoir  ce  que  c'est  qu'une 

molécule  vivante,  sans  pouvoir  en  venir  à  bout.  '"  La  matière  sensible 
(11  qui  n'a  pas)  des  sens  me  paroit  (une  idée)  inintelligible  [et  contradic- 
toire], pour  ('-combattre)  cette  idée  il  faudroit  commencer  par  la  com- 
prendre et  j'avoue  que  je  n'ai  pas  ce  bonheur  là]. 


'  Cempe  ché  ?). 

*  (in  EBTE  ?). 

'  [donné]. 

*  [cet]. 

'"  I.  (sensible)  [visible]. 

"  I.  <  de  l'union  >  de  l'organisation  des  corps  animés. 

'  [du  sentiment  commun  des  parties  d'un  corps  animé]. 

"  [(«  cet  »)  Ce  même  univers]. 

^  I.  (qu'on  remarque)  [qui  paroit]. 

">  (Quand)  [L'idée  de]. 

"  [(et)  sans  avoir]. 

'-  [adopter  ou  rejeter].  —  M.  admettre  ou  rejetter. 


ÉDITION    ORIGINALE  lOI 

sais   parce  que   je   le  sens.   Je    veux   mouvoir   mon    bias  &    je  le  meus, 

sans   que   ce    mouve-  |  ment   ait   d'autre   cause   immédiate   que   ma    vo-         [45] 

lonté  '.    C'est  en   vain   qu'on   voudroit   raisonner   pour  détruire  en    moi 

ce   sentiment,    il    est    plus   fort   que   toute   évidence   '-:    autant    vaudroit 

me  prouver  que  je  n'existe  pas. 

S'il  n'v  avoit  aucune  spontanéité  dans  les  actions  des  hommes,  ni 
dans  rien  de  ce  qui  se  fait  sur  la  terre,  on  n'en  seroit  que  plus  embarrassé 
à  imaginer  la  première  cause  de  tout  mouvement.  Pour  moi,  je  me  sens 
tellement  persuadé  que  l'état  naturel  de  la  matière  est  d'être  en  repos, 
&  qu'elle  n'a  par  elle-même  aucune  force  pour  agir,  qu'en  voyant  un 
corps  en  mouvement  je  juge  aussi-tôt,  ou  que  c'est  un  corps  animé,  ou 
que  ce  mouvement  lui  a  été  communiqué.  Mon  esprit  refuse  tout  aquies- 
cement  à  l'idée  de  la  matière  non  organisée,  se  mouvant  d'elle-même,  ou 
produisant  quelque  action  •'. 


Cependant    cet    univers    visible    est  |  matière  :     matière    éparse    &         [46] 


'  Fénelon,  Existence  de  Dieu,  I.  46  [114],  23  :  «Je  dis  en  moi-inènie  cette  parole 
si  intérieure,  si  simple  et  si  momentanée  :  que  mon  corps  se  meuve,  et  il  se  meut  ». 
Rousseau  reprendra  plus  loin,  p.  49.  cette  démonstration  de  la  spontanéité  des 
mouvements  humains  par  Texpérience  intime. 

'  Ou  plutôt,  dans  la  théorie  de  Rousseau,  ce  sentiment  même  est  une  «évidence», 
puisqu'il  a  posé  en  principe,  p.  34,  «  d'admettre  pour  évidentes  »  les  idées  auxquelles 
il  ne  pourrait  «  refuser  son  consentement  ».  Mais  ici  1"  «  évidence  »  à  laquelle  il 
songe,  c'est  la  soi-disant  «  évidence  »,  définie  par  le  rédacteur  de  ['Encyclopédie,  qui 
a  rangé  parmi  les  connaissances  «  évidentes  »  certaines  affirmations  que  le  Vicaire 
vient  de  réfuter. 

'  Cette  théorie  de  l'activité  de  la  matière,  dont  Rousseau  pouvait  savoir  par 
Saint-Aubin  qu'elle  avait  déjà  ses  défenseurs  dans  l'antiquité  [141],  III,  ji  sqq,  avait 
repris  faveur  au  début  du  XV'III"  siècle,  et  Toland  avait  consacré  à  la  soutenir  une 
de  ses  Letlers  to  Serena  (1704I.  L'ouvrage  de  Toland  ne  fut  traduit  qu'en  1768  par 
le  baron  d'Holbach  [248];  mais  il  est  possible  que  Rousseau  en  eût  entendu  parler 
par  le  baron  :  cf.,  à  la  Bibliographie,  les  notes  des  n"  191  et  192.  D'ailleurs.  Rousseau 
pouvait  déjà  connaître  les  théories  de  Toland  par  les  réfutations  de  Clarke  [i25].  I, 
44-46  et  de  Homfroi  Ditton  [128],  II,  3o2-3o3  note.  Mais  le  système  était  formulé  aussi 
précisément  que  possible  dans  le  Traité  de  l'âme  de  La  .Mettrie  (i745(;  cf.,  en 
particulier,  le  chapitre  V  :  «  De  la  puissance  motrice  de  la  matière  »  [171],  75-80  : 
«  Il  est  assez  évident,  disait-il  en  conclusion,  que  la  matière  contient  cette  force 
motrice  qui  l'anime  et  qui  est  la  cause  immédiate  de  toutes  les  lois  du  mouvement  »; 
cf.  encore  L' Homme-machine  [181],  i83  :  «  A  présent  qu'il  est  clairement  démontré 
contre  les  Cartésiens,  les  Stahliens,  les  Malebranchistes,  les  théologiens,  peu  dignes 
d'être  ici  placés,  que  la  matière  se  meut  par  elle-même  »,  etc. 


102  REDACTIONS    MANUSCRITES 

tanés  de  lliomme  et  des  animaux.  Le  monde  n'est  donc  pas  un  grand 
animal  qui  se  meuve  de  lui  même;  il  y  a  donc  de  ses  mouvemens 
quelque  cause  ('motrice)  ^  que  je  n'apperçois  pas;  mais  la  persuasion 
intérieure  me  rend  cette  cause  tellement  sensible  que  je  ne  puis  voir 
rouler  le  soleil  sans  imaginer  une  force  qui  le  pousse,  ou  que  si  la  terre 
tourne  je  crois  sentir  une  main  qui  la  fait  tourner. 


'   [étrangère  à  lui]. 

-  I.  cause  étrangère  que. 


EDITION    ORIGINALE  103 

morte  '  *,  qui  n'a  rien  dans  son  tout  de  l'union,  de  l'organisation,  du 
sentiment  commun  des  parties  d'un  corps  animé;  puisqu'il  est  certain 
que  nous  qui  sommes  parties  ne  nous  sentons  nullement  dans  le  tout. 
Ce  même  univers  est  en  mouvement.  (ît  dans  ses  mouvemens  réglés, 
uniformes,  assujettis  à  des  loix  constantes,  il  n'a  rien  de  cette  liberté  qui 
paroît  dans  les  mouvemens  spontanés  de  l'homme  et  des  animau.x.  Le 
monde  n'est  donc  pas  un  grand  animal  qui  se  meuve  de  lui-même  ^;  il 

*  J'ai  fait  tous  mes  efforts  pour  concevoir  une  molécule  vivante  ^,  sans 
pouvoir  en  venir  à  bout.  L'idée  de  la  matière,  sentant  sans  avoir  des  sens  *,  me 
paroît  inintelligible  &  contradictoire  .''  Pour  adopter  ou  rejetter  cette  idée  il 
faudroit  commencer  par  la  comprendre,  &  j'avoue  que  je  n'ai  pas  ce  bonheur-là. 

'  Je  crois  que  cetie  expression  de  «  matière  morte  »  est  empruntée  à  Diderot; 
cf.  Interprétation  de  la  Sature,  LI,  et  surtout  LVIII,  «  Questions  »  [210],  4g,  58  : 
«  Il  est  évident  que  la  matière  en  général  est  divisée  en  matière  morte  et  matière 
vivante.  .Mais  comment  se  peut-il  faire  que  la  matière  ne  soit  pas  une,  ou  toute 
vivante  ou  toute  morte  ?  La  matière  vivante  est-elle  toujours  vivante  ?  Et  la  matière 
morte  est-elle  toujours  et  réellement  morte  ?  La  matière  vivante  ne  meurt-elle  point? 
La  matière  morte  ne  commence-t-elle  jamais  à  vivre  »  ? 

'  Leclerc,  Bibliothèque  Choisie  ^42],  II,  58-5g,  commentant  un  passage  de 
Sénèque  (Quaest.  Xat.,  III,  291,  avait  rappelé  que,  pour  certains  hylozoïstes  de  la 
Philosophie  grecque,  «  le  monde  était  un  animal  ou  un  corps  animé  par  une  seule 
âme  qui  le  gouvernait  ».  Mais  il  est  plus  vraisemblable  que  tout  ce  passage  est  une 
réponse  à  Diderot,  qui,  sans  oser  les  prendre  franchement  à  son  compte,  avait 
développé  avec  complaisance  les  conséquences  du  système  de  Maupertuis-Baumann, 
Interprétation  de  la  Sature,  L  [210],  48  :  «  Je  lui  demanderai  donc  [à  Baumann]  si 
l'univers  forme  un  tout  ou  non...  S'il  convient  que  c'est  un  tout  où  les  éléments  ne 
sont  pas  moins  ordonnés  que  les  portions,  ou  réellement  distinctes,  ou  seulement 
intelligibles,  le  sont  dans  un  élément,  et  les  éléments  dans  un  animal,  il  faudra  qu'il 
avoue,  qu'en  conséquence  de  cette  copulation  universelle,  le  monde,  semblable  à  un 
grand  animal,  a  une  âme:  que  le  monde,  pouvant  être  infini,  cette  âme  du  monde, 
je  ne  dis  pas  est^  mais  peut  être  un  système  intini  de  perceptions,  et  que  le  monde 
peut  être  Dieu  ». 

'  Le  mot  est  encore  emprunté  à  V Interprétation  de  la  Sature,  LVIII,  12  [210], 
59  :  «  L'énergie  d'une  molécule  vivante  varie-t-elle  par  elle-même,  ou  ne  varie-t-elle 
que  selon  la  quantité,  la  qualité,  les  formes  de  la  matière  morte  ou  vivante  à  laquelle 
elle  s'unit  »  ?  .Moreau  s'était  déjà  égayé  de  ces  formules.  Ses  Cacouacs  [222  •'■s],  35-36, 
demandent  à  leur  jeune  novice  «  si  la  matière  morte  se  combine  avec  la  matière 
vivante  »,  si  les  moules  sont  les  principes  des  formes,  ou  seulement  «  les  limites  intel- 
ligibles d'une  molécule  vivante  ».  Il  ne  faut  pas  confondre  ces  «  molécules  vivantes  » 
avec  les  «  molécules  organiques  dont  il  est  parlé  dans  le  tome  II  de  l'Histoire  natu- 
relle de  .M.  de  Bufl'on  ».  Tel  est  le  conseil  de  Maupertuis  dans  l'Avertissement  de  son 
Essa  sur  la  formation  des  corps  organisés  [igS  A],  p.  iv-v.  Il  ne  prononce  pas  le  mot 
de  «  molécule  vivante  »,  mais  il  tient  à  affirmer  «  qu'il  donne  l'instinct  à  chaque  partie 
la  plus  petite  de  la  matière  et  forme  tout  avec  cela,  sans  cette  distinction  entre 
matière  brute  et  matière  organisée  ».  Quelques  mois  avant  l'apparition  de  ['Emile, 
Robinet  avait  repris  les  mêmes  idées,  De  ta  Sature  [235],  224-225. 

■*  Gerdil,    Dissertations,    11   [23o],   91  :   «  Doit-on   enfin   s'occuper  sérieusement 


104  REDACTIONS    MANUSCRITES 


S'il  faut  admettre  des  loix  générales  dont  je  n'apperçois  point  les 
rapports  essentiels  avec  la  matière,  de  quoi  serai-je  avancé?  '  Ces  lois 
n'étant  point  des  êtres  réels,  des  substances  ont  donc  quelque  autre 
fondement  qui  m'est  inconnu  .  L'expérience  et  l'observation  nous 
-  ont  fait  connoitre  les  loix  du  mouvement,  imais)  ces  loix  déterminent 
les  effets  sans  montrer  les  causes;  elles  ne  suffisent  point  pour  expliquer 
le  sistème  du  monde  et  la  marche  de  l'univers.  Descartes  avec  des  dés 


I.  <  Ces  lois  n'étant...  m'est  inconnu  >. 
M.  font. 


EDITION    ORIGINALE  IO5 

y  a  donc  de  ses  mouvemens  quelque  cause  étrani;ere  à  lui,   laquelle  je 
n'apperçois  pas;  mais  la  persuasion  intérieure  me  rend  cette  cause  telle- 
ment sensible,  que  je  |  ne  puis  voir  rouler  le  soleil  sans  imaginer  une         [47] 
force  qui  le  pousse,  ou  que  si  la  terre  tourne,  je  crois  sentir  une  rrfain  qui 
la  fait  tourner. 

S'il  faut  admettre  des  loix  générales  '  dont  je  n'apperçois  point  les 
rapports  essenciels  avec  la  matière,   de  quoi   serai-je  avancé?  Ces   loix 

à  réfuter  l'absurde  chimère  de  ceux  qui  prêtent  aux  premiers  éléments  des  corps 
des  sentiments  analogues  à  ceux  des  animaux,  sentiments  qui  les  portent  à  s'ap- 
procher où  s'éloigner  par  une  sorte  de  désir  ou  d'aversion  réciproque  »?  —  Sur  ces 
sensations  et  ces  perceptions  de  la  matière,  cf.,  plus  loin,  p.  70  et  note. 

'  Les  exemples  qui  vont  suivre  préciseront  l'allusion  de  Rousseau.  Il  songe 
surtout  aux  «  lois  générales  »  de  Descartes  et  de  Newton,  aux  tourbillons  et  à 
l'attraction.  Rousseau  reste  défiant  à  leur  endroit,  parce  que  ces  explications  simpli- 
ficatrices de  l'univers  risquent  d'en  éliminer  Dieu.  Il  ne  fait  d'ailleurs  que  condenser 
ici  les  arguments  de  Pluche  dans  son  Histoire  du  ciel  [i58].  en  particulier  dans  les 
chapitres  intitulés  «  Le  Monde  de  Descartes  »,  «  le  Monde  de  Newton  »,  II,  236-35i. 
Pluche  est  décidément  très  hostile  au  mécanisme  cartésien;  il  est  beaucoup  plus 
sympathique  à  l'hypothèse  newtonienne.  Mais  aux  deux  systèmes,  il  fait  le  même 
reproche  que  Rousseau,  de  ne  pas  réserver  assez  formellement  la  nécessité  de  l'action 
divine,  de  l'action  initiatrice  et  surtout  organisatrice.  Cf..  par  exemple.  11.  340-341  : 
«  Le  plus  grand  abus  qu'on  puisse  faire  de  l'attraction  n'est  pas  seulement  de  nous 
occuper  de  généralités  stériles  :  ce  serait  surtout  de  se  figurer  que  cette  attraction 
dont  l'existence  est  plus  qu'incertaine,  ait  été  la  cause  formatrice  de  la  terre  ;  ait 
donné  l'être  à  des  comètes,  qui,  par  l'écoulement  de  leur  substance,  vont,  bien  à  propos, 
ravitailler  les  sphères  épuisées  ;  et  ait  enfin  donné  aux  planètes  un  rang  dans  le 
Zodiaque,  un  cortège  plus  ou  moins  grand  de  satellites,  et  une  masse  déterminée.  11 
n'y  a  ni  mouvement  uniforme,  ni  attraction,  soit  centrale,  soit  superficielle,  qui  puisse 
régler  cette  sage  et  magnifique  ordonnance  ».  Sur  Descartes,  cf.  notamment  p.  2-5-279. 
A  plusieurs  reprises,  dans  ses  Institutions  chimiques,  Rousseau  avait  déjà  manifesté 
sa  défiance  à  l'égard  des  grands  systèmes  philosophiques,  qui  prétendent  expliquer 
le  monde  par  des  «  lois  générales  »;  cf.  I,  i  [1],  12  ad  ;  «  11  faut  d'abord  commencer 
par  congédier  les  philosophes  et  leurs  belles  hypothèses.  Ce  n'est  pas  en  bâtissant 
des  systèmes  dans  son  cabinet  qu'on  connaîtra  K  Nature;  et  les  monades,  et  les 
essences  hylarchiques,  et  les  cubes  écornés,  et  la  matière  subtile,  et  les  atomes  crochus 
sont  sans  doute  de  fort  jolies  inventions  :  mais  je  voudrais  bien  demander  à  leurs 
auteurs  comment  ils  s'y  sont  pris  pour  voir  tout  cela  ;  quant  à  moi,  je  n'attends  pour 
admettre  le  système  de  Descartes  que  d'avoir  aperçu  seulement  un  globule  de  lumière. 
L'inutile  travail  des  spéculatifs  oiseux  est  d'imaginer  comment  les  choses  auraient 
pu  se  faire  ;  le  vrai  physicien  recherche  comment  elles  sont  faites  réellement  »  ; 
III,  Introduction,  208  b-c  :  «  Le  magnétisme  particulier  de  quelques  corps,  la  pesan- 
teur de  tous,  la  génération  des  animaux  et  des  végétaux  sont  autant  d'opérations 
qu'on  n'explique  point  par  le  concours  des  éléments  ni  par  les  lois  du  mouvement 
et  de  la  mécanique  :  que  si  l'on  adopte  l'attraction  newtonienne,  voilà  un  agent 
universel  mobile  de  tous  les  autres  et  dans  lequel  réside  la  première  cause  de  toutes 
les  productions  de  la  nature.  .Mais  enfin  cet  agent  lui-même,  s'il  existe,  que  peut-il 
faire  autre  chose  qu'émouvoir  diftéremment  les  corps  à  proportion,  si  vous  voulez,  des 
masses  et  des  distances?  Changera-t-il  la  nature  des  principes  et  ne  les  déterminera-t-il 
pas,  au  contraire,  à   agir  de   la  manière   qui    leur  est  propre  ?  .\insi,  dans  quelque 


I06  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

lormoit  le  ciel  et  la  terre,  mais  i  '  qui  -donna)  le  i^ mouvement)  à  (^  sesj  dés. 
[(5  11  falut  joindre  à  la)  force  centrifuge  *  un  mouvement  de  rotation]. 
'  Neuvton  a  trouvé  la  loi  de  l'attraction  ;  mais  (*  l'jattraction  (seule) 
réduiroit  bientôt  l'univers  en  une  masse  immobile:  à  la  loi  de  l'attraction 
il  a  falu  joindre  un  mouvement  de  projectile  pour  faire  décrire  des 
courbes  aux  corps  célestes.  Que  Descartes  nous  dise  quelle  loi  physique 
a  fait  tourner  ses  tourbillons;  que  ^  Newton  nous  montre  la  main 
qui  lança  les  planètes  sur  la  tangente  de  leurs  orbites  '". 


'  [Il  ne  put  donner]. 
-  [(donnoit)]. 
^  [premier  branle]. 
^  [ces]. 

^  [NI  mettre  en  jeu  sa].  —  I.  <  ni  mettre  en  jeu...  rotation  >. 
"  [qu'à  l'aide  d']. 
'  sic.  —I.  (.\euvton)  [Newton]. 
'  [la  seule]. 

'  sic.  — I.  (Neuvton)  [Newton]. 

'"  [(Quoi    le    mouvement    essentiel    à   la   matière    est-il    un    (mouvement 
composé)  «  simple  »  ou  composé)]. 


EDITION    ORIGINALE  IO7 

n'étant  point  des  êtres  réels,  des  substances  -,  ont  donc  quelqu'autre  fon- 
dement qui  m'est  inconnu.  L'expérience  &  l'observation  nous  ont  fait 
connoitre  les  loix  du  mouvement,  ces  loix  déterminent  les  etfets  sans 
montrer  les  causes;  elles  ne  suffisent  point  pour  expliquer  le  système  du 
monde  <!<:  la  marche  de  l'univers.  Descartes  avec  des  dés  ^  formoit  le 
ciel  &  la  terre,  mais  il  ne  put  donner  le  premier  branle  à  ces  dés,  ni 
mettre  en  jeu  sa  force  centrifuge  ■*  qu'à  l'aide  d'un  mouvement  de 
rotation  ^.  .\ewton  a  trouvé  la  loi  de  l'attraction  :  mais  l'attraction  seule 
ré-  I  duiroit  bientôt  l'univers  en  une  masse  immobile;  à  cette  loi.  il  a  r48] 
fallu  joindre  une  force  projectile  '  pour  faire  décrire  des  courbes  aux  corps 
célestes  -.  Que  Descartes  nous  dise  quelle  loi  phvsique  a  fait  tourner  ses 


système  qu'on  veuille  raisonner,  ces  éléments  seront  bien  toujours  instruments 
naturels  »  ;  cf.  encore  I,  2  et  3.  p.  34  a-35  c  et  43  a-c. 

-  Pour  comprendre  le  raisonnement  de  Rousseau,  il  faut  se  rappeler  sa  théorie 
de  la  substance;  et.,  aux  Appendices,  II.  le  morceau  intitulé  La  genèse  de  l'idée  de 
substance  :   «  Si   la    pensée   et    le    sentiment   sont   des   qualités  j^énérales,   telles   que 

la  couleur  et  la  figure il  faut  nécessairement  les  attribuer  à  quelque  autre  substance, 

dont  nous  n'avons  aucune  idée,  et  dont  elles  doivent  être  elles-mêmes  inséparables, 
comme  la  couleur  et  la  figure  le  sont  de  la  matière  ». 

'  Cf.  Principes,  III,  45  sqq  [81],  I23  sqq,  et  notamment  |  46.  p.  i  25  :  «  Supposons 
donc,  s'il  vous  plaît,  que  Dieu  a  divisé  au  commencement  toute  la  matière  dont  il  a 
composé  le  monde  visible  en  des  parties  aussi  égales  entre  elles  qu'elles  ont  pu 
être,  etc.  »;  cf.  encore.  Traité  de  la  lumière,  VIII  [57],  XI,  48  sqq;  mais  nulle  part, 
à  ce  que- je  crois.  Descartes  ne  donne  le  nom  de  dés  à  ces  parcelles  de  matière. 
Malebranche,  dans  son  exposé  du  système  cartésien  {Recherche  de  la  Vérité,  VI.  ti,  4 
[86],  224)  les  appelle  des  «  boules  ».  Il  se  pourrait  que  Voltaire  fût  le  premier  à 
les  avoir  ainsi  appelées  ironiquement;  cf.  Philosophie  de  Newton,  I,  7  [i53].  427  : 
«  Le  système  qui  imagine  des  dés  mis  sans  intervalle  les  uns  auprès  des  autres,  et 
tournant  je  ne  sais  comment  sur  eux-mêmes  »;  et  III,  4.  p.  523  :  «  Il  a  eu  beau 
imaginer  que  Dieu  avait  créé  des  dés  tournants  les  uns  sur  les  autres,  que  la  raclure 
de  ces  dés,  etc.  ». 

*  C'est  la  force  qui  permet  aux  différents  tourbillons  de  s'organiser  :  cf.  Prin- 
cipes, III,  58-6o  [8r],  i32-i33. 

°  On  se  rappelle  le  mot  de  Pascal,  Pensées,  LXXVII  [83],  I,  98  :  «  Descartes  aurait 
bien  voulu,  dans  toute  sa  philosophie,  pouvoir  se  passer  de  Dieu,  mais  il  n'a  pu 
s'empêcher  de  lui  faire  donner  une  chiquenaude  pour  mettre  le  monde  en  mouve- 
ment ;  après  cela,  il  n'a  plus  que  faire  de  Dieu  ». 

'  Ce  mot  ne  se  trouve  admis  comme  adjectif  dans  aucun  Dictionnaire  du 
X\'lll'  siècle;  et  le  texte  de  Rousseau  est  le  premier  texte  littéraire,  à  ma  connaissance, 
où  il  soit  ainsi  employé.  Cf.  Brisson,  Traité  élémentaire  ou  Principes  de  Physique, 
Paris,  Moutard,  1789.  in-8,  I,  2  25  :  «  Tous  les  corps  jetés  ou  lancés  hors  de  la 
perpendiculaire  à  l'horizon  se  meuvent  d'un  mouvement  composé  de  deux  forces  : 
savoir,  la  force  de  la  pesanteur,  et  la  force  qui  les  lance,  que  l'on  nomme  ordinaire- 
ment force  projectile  ». 

^  Cf.  N'oltaire.  Philosophie  de  Newton,  III,  14  [i53],  582  :  «  La  gravitation  ne 
rend  raison  ni  de  la  rotation  des  planètes  sur  leurs  propres  centres,  ni  de  la  déter- 
mination de  leurs  orbes  en  un  sens  plutôt  qu'en  un  autre  ». 


I08  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


Les  premières  causes  du  mouvement  ne  sont  point  dans  la  matière; 
elle  reçoit  le  mouvement  ('ou)  le  communique,  mais  elle  ne  le  produit 

fo  ;£25  ^"  pas.  Plus  j"observe  ||  l'action  et  reaction  des  forces  de  la  nature  ai^issant 
les  unes  sur  les  autres  plus  je  trouve  que  d'effets  en  effets  il  faut  toujours 
remonter  à  quelque  volonté  pour  première  cause,  ^(^  car  il  n'y  a  point  de) 
progrès  de  causes  à  l'infini].  ^  En  un  mot  •*  tout  mouvement  qui  n'est 
pas  produit  par  un  autre  est  (un  mouvement)  spontané,  (ou)  «  volon- 
taire »,   5  les  corps   inanimés   n'agissent  que    par   le   mouvement    et  '■  il 

fo  124  '''°  "  '^'  a  point  de  "  véritable  action  sans  volonté.  ||  [(En  effet,  C  en  remontant) 
à  un  [premier]  principe  actif  quel  qu'il  soit  je  suis  forcé,  pour  m'entendre  de  le 
supposer  libre  ;  c'est  à  dire  ayant  la  puissance  de  vouloir  ou  de  ne  vouloir  pas. 
Sans  cela  quand  l'Mei  principe  agit  il  faut  que  quelque  chose  l'y  nécessite. 

jo  125  ''°  D  l'est  donc  pas  premier  principe  comme  je  l'avois  supposé)].  ||  Voila  mon 
premier  principe.  Je  crois  donc  qu'une  volonté  meut  l'univers  et  anime 
la  nature.  'Voila  mon  premier  dogme  '"et  mon  premier  article  de  foi. 


'  [et]. 

-  [ou  a  quelque]. 
■'  M.  Je  trouve  que  tout. 

^  I.  tout   «  mouvement  »  [(toute  action)]   qui  n'est   pas   produit   par   un 
autre  ne  peut  (être  que  spontané)  [venir  que  d'un  acte  spontané  ou  volontaire]. 
'"  [que]. 
'••  [qu'il]. 

'  M.  mouvement. 
"  [quand  je  remonte]. 
"  [ce]. 
'"  M.  (et)  [ou]. 


EDITION   ORIGINALE  IO9 

tourbillons;  que  Newton  nous  montre  la  main  qui  lança  les  planètes  sur 
la  tangente  de  leurs  orbites  ^. 

Les  premières  causes  du  mouvement  ne  sont  point  dans  la  matière: 
elle  reçoit  le  mouvement  &  le  communique,  mais  elle  ne  le  produit  pas. 
Plus  j'observe  l'action  &  réaction  des  forces  de  la  Nature  agissant  les  unes 


'  Terrasson.  La  Philosophie  applicable  [212],  2o3  :  «  Newton  avoue  qu'il  ne 
connaît  pas  la  première  cause  de  Tattraction  ;  les  cartésiens  devraient  avouer  qu'ils 
ne  connaissent  pas  la  première  cause  du  tourbillon  ».  Personnellement  Rousseau 
n'était  pas  cartésien  en  physique;  cf.   Verger  des  Charmettes,  VI.  5  : 

Je  tâtonne  Descartes  et  ses  égarements. 
Sublimes  il  est  vrai,  mais  frivoles  romans. 

Dans  les  Institutions  chitniques  [35].  20,  le  système  de  Descartes  lui  parait  surtout 
«  singulier  par  le  ridicule  »,  et  il  reconnaît  que  Newton  a  presque  expliqué  tous  les 
phénomènes  de  la  nature  par  le  seul  principe  de  l'attraction  ».  De  même,  dans  le 
premier  Discours,  I,  11,  note,  il  souligne  ironiquement  l'assurance  fantaisiste  des 
hypothèses  cartésiennes  :  «  Moins  on  sait,  plus  on  croit  savoir...  Descartes  n'a-t-il  pas 
construit  l'univers  avee  des  cubes  et  des  tourbillons»?  Quelques  lignes  plus  loin, 
au  contraire,  il  parle  de  Newton  en  homme  qui  semble  l'admirer  et  s'être  laissé 
convaincre  :  «  Répondez-moi  donc,  philosophes  illustres,  vous  par  qui  nous  savons 
en  quelles  raisons  les  corps  s'attirent  dans  le  vide:  quels  sont  dans  les  révolutions 
des  planètes  les  rapports  des  aires  parcourues  en  temps  égaux  ;  quelles  courbes  ont 
des  points  conjugués,  des  points  d'inflexion  et  de  rebroussement  »;  mais  il  y  a  peut- 
être  dans  ces  formules  admiratives  pius  d'ironie  que  de  conviction.  Dans  la  111'  Lettre 
à  Sophie  [25].  r53-i54,  il  semble  encore  adhérer  au  système  de  Newton,  comme  à  une 
vérité  au  moins  provisoire.  Pourtant,  lorsqu'il  juge  les  deux  systèmes  rivaux,  non  pas 
tant  comme  philosophe  que  comme  moraliste  ou  physicien,  il  atlécte  volontiers  de  les 
mépriser  l'un  et  l'autre:  cf.  Institutions  chimiques,  I,  2  [1],  84  c-35  a  :  «  Un  cartésien 
vous  résoudra  toutes  vos  difficultés  par  des  figures  de  pores,  de  corpuscules  et  par 
des  mouvements  différents;  à  mesure  qu'il  surviendra  de  nouvelles  propriétés,  il  les 
expliquera  par  de  nouveaux  mouvements  et  de  nouvelles  figures.  Un  Newtonien,  la 
plume  à  la  main,  calculerait  des  forces  attractives  et  des  degrés  de  cohésion.  Est-on, 
après  tout  cela,  plus  savant  sur  la  composition  des  corps?  point  du  tout.  Vous  en 
apprendrez  plus  en  un  quart  d'heure  dans  le  laboratoire  d'un  chimiste  qu'en  toute 
votre  vie  parmi  les  systèmes  des  philosophes  »;  Mémoire  à  M.  Dupin  [29],  410-411  : 
«  11  y  a  des  systèmes  de  physique,  c'est-à-dire  des  hypothèses,  suivant  lesquelles, 
supposant  que  le  monde  est  arrangé,  on  part  de  là  pour  rendre  raison  de  tous  les 
phénomènes;  je  lui  expliquerai  [à  son  élève]  les  deux  principaux  qui  sont  à  la  mode 
aujourd'hui,  plutôt  pour  les  lui  faire  connaître,  que  pour  les  lui  faire  adopter.  Je  n'ai 
jamais  pu  concevoir  comment  un  philosophe  pouvait  imaginer  sérieusement  un 
système  de  physique  :  les  cartésiens  me  paraissent  ridicules  de  vouloir  rendre  raison 
de  tous  les  effets  naturels  par  leurs  suppositions,  et  les  newtoniens  encore  plus 
ridicules  de  donner  leurs  suppositions  pour  des  faits.  Contentons-nous  de  savoir  ce 
qui  est,  sans  vouloir  rechercher  comment  les  choses  sont,  puisque  cette  connaissance 
n'est  pas  à  notre  portée  ».  Ici  encore  il  met  une  coquetterie  dédaigneuse  à  tenir  la 
balance  égale  entre  les  deux  grandes  théories  physiques  qui  se  partagent  les  esprits 
de  son  temps.  Qu'on  adopte  l'une  ou  l'autre,  il  restera  toujours  à  résoudre  le 
problème  de  Dieu,   le  problème  de  la  destinée  et  du  bonheur. 


IIO  REDACTIONS    MANUSCRITES 


Comment  une  volonté  produit  elle  une  action  physique  et  corporelle? 
Je  '  n'en  sais  rien;  mais  (-j'en  ai  l'exemple  en  moi-même i.  Je  veux  agir 
et  j'agis,  je  veux  mouvoir  mon  corps  et  mon  corps  se  meut  :  mais  qu'un 
corps  inanimé  et  en  repos  vienne  à  se  mouvoir  de  lui-même  ou  produise 
le  mouvement,  cela  est  incompréhensible  et  sans  exemple.  La  volonté 
[^  m'est  connue  parj  ses  actes  (^  Quoique  je  ne  connoisse  pointi  sa  nature. 
Je  connois  (du  moins i  cette  volonté  comme  ^ cause  (efficiente)  [et  voilà  tout]; 
mais  concevoir  la  matière  (comme)  productrice  du  mouvement  c'est 
^clairement  concevoir  un  effet  sans  cause,  c'est  ne  (rien)  concevoir  ('du 
tout). 
fo  124  ^'^  Il  [Il  ne  m'est  pas  plus  possible  de  concevoir  comment  ma  volonté 

meut  mon  corps  que  comment  mes  sensations  affectent  mon  ame. 
Je  ne  sais  pas  même  pourquoi  l'un  de  ces  mistéres  a  paru  plus  expli- 
quable  que  l'autre.  Quant  à  moi  soit  quand  je  suis  passif,  soit  quand 
je  suis  actif  (^  la  loi  de  1')  union  des  deux  substances  me  paroit  également 
incompréhensible:  il  est  bien  étrange  qu'on  parte  de  cette  incompréhen- 
sibilité  même  pour  confondre  les  deux  substances  comme  si  des  opé- 
rations de  natures  si  différentes  s'expliquoient  mieux  dans  un  seul  sujet 
que  dans  deux]. 


'  M.  l'ignore. 

3  [j'éprouve  en   moi   qu'elle   la   produit].    —   I.   j'en    ai    l'exemple    en    moi- 
même. 

^  [est  un  acte  qui). 

■*  [non  par].  —  I.  quoique  je  ne  connoisse  point. 

'  [première]. 

°  M.  <  clairement  >. 

'  [absolument  rien]. 

"  [le  moven  d']. 


EDITION    ORIGINALE  III 

sur  les  autres,  plus  je  trouve  que  d'effets  en  effets,  il  faut  toujours 
remonter  à  quelque  volonté  pour  première  cause,  car  supposer  un  proj^rès 
de  causes  à  l'infini,  c'est  n'en  point  supposer  du  tout*.  En  un  mot,  tout 
mouvement  qui  n'est  pas  produit  par  un  autre,  ne  peut  venir  que  d'un 
acte  spontané,  j  volontaire;  les  corps  inanimés  n'agissent  que  par  le  [49] 
mouvement,  &  il  n'v  a  point  de  véritable  action  sans  volonté.  Voilà  mon 
premier  principe.  Je  crois  donc  qu'une  volonté  meut  l'L'nivers  &  anime 
la  Nature.  X'oilà  mon  premier  dogme,  ou  mon  premier  article  de  toi  ^. 
Comment  une  volonté  produit-elle  une  action  phvsique  &  corporelle? 
Je  n'en  sais  rien,  mais  j'éprouve  en  moi  qu'elle  la  produit.  Je  veu.x  agir, 
&  j'agis;  je  veux  mouvoir  mon  corps,  &  mon  corps  se  meut  -:  mais 
qu'un  corps  inanimé  &  en  repos  vienne  à  se  mouvoir  de  lui-même  ou 
produise  le  mouvement,  cela  est  incompréhensible  &  sans  exemple.  La 
volonté  m'est  connue  par  ses  actes,  non  par  sa  nature.  Je  connois  cette 
volonté  comme  cause  motrice,  mais  concevoir  la  matière  productrice  du 
mouvement,  c'est  clairement  concevoir  un  effet  sans  cause.  |  c'est  ne  [50] 
concevoir  absolument  rien. 

Il  ne  m'est  pas  plus  possible  de  concevoir  comment  ma  volonté  meut 
mon  corps,  que  comment  mes  sensations  affectent  mon  ame.  Je  ne  sais 
pas  même  pourquoi  l'un  de  ces  misteres  ^  a  paru  plus  e.xpliquable  -que 
l'autre.  Quant  à  moi.  soit  quand  je  suis  passif,  soit  quand  je  suis  actif, 
le  moven  d'union  des  deux  substances  me  paroît  absolument  incompré- 
hensible.   Il   est   bien   étrange   qu'on   parte  de  cette   incompréhensibilité 


'  C'est  la  preuve  bien  connue,  dite  «  du  premier  moteur  »,  et  longuement 
exposée  par  Aristote  dans  le  VIIl"  Livre  de  sa  Physique  :  En  remontant  dans  la  série 
des  causes,  il  faut  enfin  s'arrêter  [ivify.r)  <rrr|Vai)  à  un  premier  moteur,  qui  soit  un 
moteur  immobile  (tt^mtov  -/.ivo-jv.- xivoCv  àxivritov).  La  démonstration  avait  été  reprise 
par  Fénelon,  Existence  de  Dieu,  1,  81  [114],  39,  Bonnet.  Essai  de  Ps}-clwlogie,  LV 
[208],  164,  etc. 

'  Le  théisme  de  Rousseau  est  véritablement  pour  lui  une  religion.  Les  étapes 
intellectuelles  de  la  démonstration  une  fois  franchies,  la  vérité  proprement  philo- 
sophique qu'il  a  conquise  semble  s'évanouir  pour  lui  :  il  reste  une  affirmation 
religieuse,  un  «  dogme  ».  auquel  il  adhère  non  seulement  avec  tout  son  esprit,  mais 
avec  toute  sa  volonté. 

^  Cet  argument  de  l'expérience  intime,  pour  prouver  la  spontanéité  du  mou- 
vement, avait  déjà  été  employé  par  Rousseau,  presque  dans  les  mêmes  termes, 
quelques   pages   plus  haut  :   cf.  p.  44  et  note  6.   11  sera  repris   un   peu  différemment 

P-  73-74- 

'  Le  «  mystère  »  de  la  sensation,  que  les  philosophes  contemporains  semblent 
trouver  inteLigible,  tandis  qu'ils  déclarent  que  «  le  mot  de  liberté  ne  signifie  rien  », 
cf,  plus  loin,  p.  76  et  note  1. 


112  REDACTIONS    MANUSCRITES 


f"  125  "'°  Il  'Si  le  mouvement  étoit  essentiel  à  la  matière  il  en  serait  inséparable, 

fo  124  ™  ''  y  seroit  toujours  en  même  degré,  ||  [(il  seroit)  «  toujours  »  le  même 
dans  chaque  portion  de  matière  lil  ne  pourroit  ni  augmenter  ni  diminuer) 
fo  125  ""^  il  seroit  incommunicable  '-']  |1  et  l'on  ne  pourroit  pas  [même]  «  '*  concevoir  » 
jo  J26  ^°  '^  matière  en  repos.  Quand  on  me  dit  que  le  jj  mouvement  ne  lui  est 
pas  essentiel  mais  nécessaire  on  veut  me  donner  le  change  par  des  mots 
*  gue  je  n'entens  pas.  Car  ou  le  mouvement  de  la  matière  lui  vient  d'elle- 
même  et  alors  il  lui  est  essentiel,  ou  il  lui  vient  d'une  cause  étrangère, 
et  alors  il  n't^etoit)  nécessaire  à  la  matière  qu'autant  que  la  cause  motrice 
agit  sur  elle  :  nous  rentrons  dans  la  première  difficulté. 


'  I.  Le   dogme [à   la    raison,    ni   à  l'observation;] n'est-ii  pas  clair 

que  si. 

-  [*  il  ne  pourroit  augmenter  ni  diminuer  »]. 

^  [(imaginer)]. 

*  I.  qui  (ne  sont  difficiles)  [seroient  plus  aisés]  à  réfuter  (que  parce  qu'ils 
n'ont  aucun)  [s'ils  avoient  un  peu  plus  de]  sens. 

"■  [est]. 


EDITION'    ORIGINALE  113 

même  pour  confondre  les  deux  substances,  comme  si  des  opérations  de 
natures  si  différentes  s'expliquoient  mieux  dans  un  seul  sujet  que  dans 
deux. 

Le  dogme  que  je  viens  d'établir  est  obscur,  il  est  vrai,  mais  enfin  il 
offre  un  sens,  &  il  n'a  rien  qui  répugne  à  la  raison,  ni  à  l'observation; 
en  peut-on  dire  autant  du  matérialisme?  N'est-il  pas  clair  que  si  le  mou- 
vement étoit  I  essenciel  à  la  matière  i,  il  en  seroit  inséparable,  il  y  seroit  [51] 
toujours  en  même  degré,  toujours  le  même  dans  chaque  portion  de 
matière,  il  seroit  incommunicable,  il  ne  pourroit  augmenter  ni  diminuer, 
&  l'on  ne  pourroit  pas  même  concevoir  la  matière  en  repos.  Quand  on 
me  dit  ^  que  le  mouvement  ne  lui  est  pas  essenciel,  mais  nécessaire,  on 


'  Pour  la  troisième  fois  en  quelques  pages  (cf..  plus  haut,  p.  43  et  ^5),  Rousseau 
revient  sur  la  théorie  «  du  mouvement  essentiel  à  la  matière  ».  et  presque  avec  les 
mêmes  arguments.  Il  v  reviendra  plusieurs  fois  encore,  au  moins  dans  son  brouillon, 
car  ces  développements  seront  en  grande  partie  supprimés,  tant  les  redites  y  seront 
manifestes  :  cf,  plus  loin,  dans  B,  f  I25",  et,  dans  F,  f  161".  Ici  même  on  comprend 
mal  cette  reprise  d'une  discussion  qui  semblait  close  par  l'affirmation  précédente  : 
«  Voilà  mon  premier  dogme,  ou  mon  premier  article  de  foi  ».  Nous  avons  déjà 
constaté  chez  Rousseau,  dans  l'allure  de  sa  pensée,  ces  retours  en  arrière  :  cf..  plus 
haut,  p.  44,   note  6.  On  en  verra  d'autres  exemples. 

'  Cette  formule  semblerait  indiquer  que  Rousseau  avait  en  vue  un  texte  précis, 
où  cette  distinction  était  explicitement  formulée  (cf.  d'ailleurs,  dans  B,  f  i25",  la  note 
supprimée |.  Mais  je  n'ai  pu  retrouver  ce  texte,  s'il  existe.  Dans  la  traduction  de  Clarke, 
au  contraire,  Rousseau  pouvait  lire  essentiel  ou  nécessaire  employé  indifléremment, 
ou  simultanément,  comme  des  expressions  synonymes;  cf,  par  exemple  [i25],  1,  45-46  : 
«  Un  auteur  moderne  a  prétendu  prouver  que  le  mouvement  était  nécessaire  à  la 
matière...  Il  faut  que  cet  effort  vers  le  mouvement  qu'il  prétend  être  essentiel  à  la 
matière...  Si  l'athée  suppose  le  mouvement  essentiel  et  nécessaire  à  quelque  partie 
de  la  matière...  etc.  ».  C'est  Toland  qui  est  ici  visé;  or,  dans  Toland  également,  dans 
l'original  comme  dans  la  traduction,  nulle  diftérence  entre  les  deux  termes;  cf.  Letters 
to  Serena,  London,  1714,  in-8,  Letter  V,  p.  166-167  :  «  motion  essential  to  matter  » 
équivaut  à  «  the  necessary  activity  of  matter  »;  et  Lettres  philosophiques  sur  l'ori- 
gine des  préjugés,  V  [248].  190-191  ;  «  Le  mouvement  est  essentiel  à  la  matière  » 
équivaut  à  cette  autre  formule  :  «  l'activité  lui  est  nécessaire  ».  D'après  la  date  de 
cette  traduction  (1768),  il  semblerait  que,  six  ans  après  la  Profession  de  foi,  la 
distinction  rapportée  par  Rousseau  non  seulement  ne  s'était  pas  établie  parmi  les 
philosophes  matérialistes,  mais  que  l'emploi  indistinct  de  l'une  ou  l'autre  expression 
ne  prêtait  à  aucune  équivoque.  Si  donc,  comme  il  est  possible,  la  formule  de  Rousseau 
recouvre  une  allusion  précise,  il  s'agirait  sans  doute  de  quelque  système  récent,  et  dont 
l'influence  fut  brève.  Rousseau  lui-même,  à  l'époque  où  il  écrivait  ses  Institutions 
chimiques,  paraissait  ignorer  cette  distinction  :  cf.  [35],  20  :  «  Nous  voyons  bien 
que  l'agent  universel  est  le  mouvement,  qu'il  concourt  à  tout,  que  rien  ne  se  fait 
sans  lui  et  qu'il  est  capable  de  donner  à  la  matière  un  très  grand  nombre  de 
modifications;  mais,  quand  Descartes  a  prétendu  tirer  de  ce  seul  principe  la  génération 
de  tout  l'univers,  il  a  bâti  un  système  singulier  par  le  ridicule,  et  il  a,  sans. y  penser, 
fourni  des  armes  aux  matérialistes,  qui,  attribuant  à  la  matière  un  mouvement  néces- 


114  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


Les  idées  générales  et  abstraites  sont  la  source  des  plus  grandes 
fo  125  ^°  erreurs  des  hommes.  ||  ['  Defiez-vous  i  -  de  tout)  philosophe  qui  vous  'éblouis- 
sant par  ces  (^propositions  générales  ne  vous  (-'permet)  jamais  ("de  les 
particulariser)  par  des  exemples  sensibles.  '  Dites  moi,  mon  ami,  si  quand 
on  vous  parle  d'une  force  [aveugle]  répandue  dans  toute  la  nature  '^  on 
f°  126  '■°  porte  quelque  [véritable]  idée  à  vôtre  esprit?].  ||  On  croit  dire  quelque 
chose  par  ces  mots  vagues  de  force  ^  universelle  et  de  mouvement 
«  nécessaire  *  »  et  l'on  ne  dit  rien  [du  tout".     i°  L'idée  du  mouvement] 

f°  125  *  °  Il  *  \.^^  °°^®'  (^^^  1^®  ^^  mouvement  est  essentiel  à  la  matière  c'est  dire 

une  chose  manifestement  fausse  car  qui  est-ce  qui  ne  conçoit  pas  distinctement 
la  matière  en  repos  ?  Dire  que  le  mouvement  ne  lui  est  pas  essentiel  mais 
nécessaire,  ce  n'est  au  fond  que  changer  les  termes  car  s'il  n'y  a  nulle  cause 
antérieure  le  mouvement  ne  sauroit  être  nécessaire  à  la  matière  qu'il  ne  lui 
soit  essentiel)]. 


'  I.  (Depuis  que  le  monde  existe)* [(et)  jamais  (mot  illisible)]  le  jargon  de 
la  métaphysique  n'a  (pas)  fait  «  découvrir  »  (démontrer)  une  seule  vérité. 
-  [d'un]. 

'  M.  otTusquant  par  toutes  ces  abstractions. 
■*  [grandes  abstractions]. 
'  [laisse]. 
"  [rien  eclaircir]. 
'  (Vous  ?). 
"  (vous). 
'■'  (et  de).       ^ 
'"  (Sitôt  qu'on  veut  l'appliquer). 


EDITION    ORIGINALE  II5 

veut  me  donner  le  chanj^e  par  des  mots  qui  seroient  plus  aisés  à  réfuter, 
sils  avoient  un  peu  plus  de  sens.  Car  ^,  ou  le  mouvement  de  la  matière 
lui  vient  d'elle-même  &  alors  il  lui  est  essenciel,  ou  s'il  lui  vient  d'une 
cause  étrangère,  il  n'est  nécessaire  à  la  matière  qu'autant  que  la  cause 
motrice  agit  sur  elle  :  nous  rentrons  dans  la  première  difficulté. 

Les    idées  générales  &  abstraites   sont   la  source   des   plus   grandes 
erreurs   des    hommes  ^;   jamais   le  jargon   de   la   métaphysique   n'a   fait 


siiire,  en  ont  fait  le  Dieu  qui  a  créé  et  qui  conserve  le  monde  »;  il  l'ignorait  encore 
en  1756  :  cf.,  plus  loin,  p.  37,  note  3,  le  passage  de  sa  Lettre  à  Voltaire,  où  mouve- 
ment essentiel  et  mouvement  nécessaire  ont  une  valeur  identique  ».  .Mais  le  texte 
des  Institutions  chimiques  pourrait  suggérer  une  autre  hypothèse.  La  formule  du 
Vicaire  ne  contiendrait  aucune  allusion  précise  à  tel  système  récent,  mais  viserait 
en  général  les  matérialistes  qui  se  réclamaient  du  mécanisme  cartésien  ;  Rousseau 
reprendrait,  en  le  serrant  davantage,  un  argument  traditionnel  ;  cf.,  par  exemple, 
Buffier,  Premières  vérités,  466  [120],  II,  68:  «.Si  l'on  prétend  que  les  règles  du 
mouvement,  étant  nécessaires  dans  la  Nature,  il  a  dû  s'en  suivre  nécessairement  un 
ordre  de  choses,  tel  qu'il  sera  en  effet,  je  réponds  que  les  lois  naturelles  du  mouvement 
dans  la  Nature  n'y  sont  nécessaires  que  par  une  volonté  libre  d'une  cause  intel- 
ligente, car.  sans  elle,  la  matière,  étant  indifférente  par  elle-même  à  tel  degré  ou  telle 
direction  de  mouvement,  comment  y  aurait-elle  été  déterminée  »  ? 

'  Cf.  Abbadie,  Religion  chrétienne,  I,  i,  5  [92],  I,  26  :  «  Je  voudrais  bien  savoir 
d'où  son  mouvement  [de  la  matièrej  est  sorti.  Car  il  faut  de  deux  choses  l'une,  qu'il 
soit  essentiel  à  la  matière  de  se  mouvoir,  ou  qu'il  y  ait  un  Dieu  qui  ait  imprimé  le 
mouvement  dans  la  matière.  Ce  mouvement  doit  être  attaché  à  la  nature  de  la  matière 
ou  venir  du  dehors,  il  n'y  a  pas  de  milieu  ». 

*  Cf.  ce  que  Rousseau  répondait  au  métaphysicien  Dom  Deschamps,  abstracteur 
et  généralisateur,  s'il  en  fut,  dans  sa  Lettre  du  8  .Mai  1761  [27],  148-149  :  «  La  méthode 
de  généraliser  et  d'abstraire  m'est  très  suspecte,  comme  trop  peu  proportionnée  à  nos 
facultés».  C'est  là,  d'ailleurs,  une  déclamation  à  la  mode,  non  seulement  chez  la  plupart 
des  philosophes  sensualistes,  mais  chez  tous  ceux  qui  se  piquent  alors  de  science 
expérimentale  et  d'observation  :  cf.  Mornet,  Les  Sciences  de  la  Nature,  11,  i  [289], 
76-80.  Aussi  Rousseau  se  trouve  ici  d'accord  artc  ceux-là  même  qu'il  vient  de  com- 
battre; cf.  Condillac,  Traité  des  Systèmes,  chap.  H  «  De  l'inutilité  des  svstèmes 
abstraits  »,  III  «  Des  abus  des  systèmes  abstraits  »  187],  14-45;  De  L'Esprit,  I,  4, 
«  De  l'abus  des  mots  »  [223  .A],  3i  (Cette  partie  de  la  Profession  a  été  écrite  après 
la  lecture  du  livre  d'Helvetius)  :  «  Je  vais  prouver  qu'en  métaphysique  et  en  morale, 
l'abus  des  mots  et  l'ignorance  de  leur  vraie  signitîcation  est,  si  j'ose  le  dire,  un 
labyrinthe  où  les  plus  grands  génies  se  sont  quelquefois  égarés.  Je  prendrai  pour 
exemple  quelques-uns  de  ces  mots  qui  ont  excité  les  disputes  les  plus  longues  et  les 
plus  vives  entre  les  philosophes;  tels  sont  en  métaphysique,  les  mots  de  matière, 
d'espace  et  d'infini  ».  Mais,  comme  dit  Helvetius  lui-même,  «  M.  Locke  a  si  heureu- 
sement traité  ce  sujet  »  que  c'est  chez  lui  que  tous  les  adversaires  des  «  idées 
abstraites  »  et  du  «  jargon  de  la  métaphysique  »  vont  chercher  leurs  arguments; 
cf.,  en  effet.  Entendement  humain.  Livre  III  «  Des  mots  »,  passim,  et,  en  particulier, 
chap.  X  «  De  l'abus  des  mots  »  [102],  408  :  «  Un  grand  abus  qu'on  fait  des  mots, 
c'est  qu'on  les  prend  pour  des  choses...  Qui  est-ce,  par  exemple,  qui  ayant  été  élevé 
dans  la  philosophie  péripatéticienne...  n'est  pas  persuadé  que  les  Formes  substan- 
tielles, ^es   Ames   végétatives,   V Horreur  du  vide,   les  Espèces   intentionnelles,  etc.. 


Il6  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

1  n'est  autre  chose  que  l'idée  du  transport  d'un  lieu  à  un  autre  i'- selon) 
une  direction  déterminée,  «  car  »  [la  distance  d'un  lieu  à  un  autre  se  mesure 
par  une  ligne  et]  «  un  être  »  individuel  ne  (•'  sauroit)  se  mouvoir  à  la  t'ois 
dans  tous  les  sens.  i*En)  quel  sens  donc  la  matière  se  meut-elle  néces- 
sairement. Toute  la  matière  en  corps  a-t-elle  un  mouvement  (^uniformei 
ou  chaque  atome  a-t-il  son  mouvement  propre?  Selon  la  première  idée 
l'univers  entier  doit  former  une  masse  solide  et  indivisible;  selon  la 
seconde  il  ne  doit  former  qu'un  fluide  épars  et  incohérent  sans  qu'il 
soit  jamais  possible  que  deux  atomes  se  reunissent.  {^  Selon)  quelle  direc- 
tion se  fera  ('lei  mouvement  commun  de  toute  la  matière?  *  ou  de 
chaque  portion  de  matière  ?  Sera-ce  en  droite  ligne  «  ^  ou  circulairement  »  ? 
en  haut,  en  bas,  (à  gauche  oui  à  droite  '".  Si  chaque  "portion  de  matière 
f°  127  ^^  a  sa  direction  différente  ||  des  autres  quelles  seront  les  causes  de  toutes 
f^  126  ^°  ces  directions  et  de  toutes  ces  différences.  ||  [''- Si  chaque  atome  ou 
molécule  de  matière  ('■'  n'avoit  qu'un  mouvement  circulaire)  jamais  rien 
ne  sortiroit  de  sa  place  et  il  n'y  auroit  point  de  mouvement  communiqué  : 
encore  même  faudroit-il  que  ce  mouvement  circulaire  fut  déterminé 
dans  quelque  sens  [et  que  son  axe  eut  ime  direction  précise].  Donner  à 
la  matière  le  mouvement  par  abstraction  c'est  dire  des  mots  qui  ne 
signifient  rien,  et  lui  donner  un  mouvement  déterminé  c'est  supposer 
fo  J27  '"o  une  cause  qui  le  détermine].  ||  Plus  '*  je  multiplie  les  (''mouvemens  dans 
la  nature),  plus  j'ai  de  nouvelles  causes  à  expliquer  sans  jamais  trouver 
aucun  agent  commun  qui  les  dirige.  Loin  de  pouvoir  imaginer  ['■''  aucun 
ordre    dans  le  concours    "  fortuit    des  elemens  je  n'en  puis  pas  même 

'   [(emporte)]. 

'  [(dans)  et  ce  transport  suppose  toujours-]. 

"  [peut]. 

*  [Dans]. 

^  [commun]. 

"  [Sur]. 

'  [ce]. 

'  [(ce  mouvement  particulier)].  — M.  <  ou  de  chaque  portion  de  matière  ;  . 

'  M.  [ou  circulairement]. 

'°  [ou  à  gauche].  —  M.  à  gauche. 

"  I.  (por  TioN)  [molécule]. 

'^  [(Que)]. 

"  [ne  faisoit  que  tourner  sur  son  propre  centre]. 

'*  I.  (j'ai  de)  je  multiplie. 

"*  [(agens)  forces  particulières]. 

'"  (le  concert  [l'accord]  des  élemens). 

''Au  crayon,  l'epassé  à  l'encre. 


ÉDITION    ORIGINALE  11/ 

découvrir  une  ;  seule  vérité,  &  il  a  rempli  la  philosophie  d'absurdités  [^2] 
dont  on  a  honte,  si-tùt  qu'on  les  dépouille  de  leurs  grands  mots.  Dites- 
moi,  mon  ami,  si,  quand  on  vous  parle  d'une  force  '  aveugle  répandue 
dans  toute  la  Nature,  on  porte  quelque  véritable  idée  à  votre  esprit?  On 
croit  dire  quelque  chose  par  ces  mots  vagues  de  force  universelle,  de 
mouvement  nécessaire,  &  l'on  ne  dit  rien  du  tout.  L'idée  du  mouvement 
n'est  autre  chose  que  l'idée  du  transport  d'un  lieu  à  un  autre  2,  il  n'y  a 
point  de  mouvement  sans  quelque  direction  ;  car  un  être  individuel  ne 
sauroit  se  mouvoir  à  la  fois  dans  tous  les  sens.  Dans  quel  sens  donc  la 
matière  se  meut-elle  nécessairement  '?  Toute  la  matière  en  corps  a-t-elle 


.sont  quelque  chose  de  réel?...  Les  Platoniciens  ont  leur  Ame  du  monde,  et  les 
Épicuriens  la  Tendance  de  leurs  atomes  vers  le  moui'ement,  dans  le  temps  qu'ils 
sont  en  repos.  A  peine  v  a-t-il  aucune  secte  de  philosophie  qui  n'ait  un  amas  distinct 
de  termes  que  les  autres  n'entendent  point  ».  «  Depuis  Locke,  remarque  Chaumeix 
en  ij5g,- Pré/ugés  légitimes  f223\  IV,  3o.  déclamer  contre  l'abus  des  mots  est  un 
lieu  commun  où  chacun  abonde  en  son  sens  ». 

'  Cf.  Maupertuis,  Essai  de  cosmologie  '194].  28  :  «  D'autres  ont  cru  avancer 
beaucoup  [pour  e.xpliquer  les  lois  du  mouvement^,  en  adoptant  un  mot  qui  ne  sert 
qu'à  cacher  notre  ignorance  :  ils  ont  attribué  au.x  corps  une  certaine  force  pour 
communiquer  leur  mouvement  aux  autres.  Il  n'y  a  dans  la  philosophie  moderne 
aucun  mot  répété  plus  souvent  que  celui-ci,  aucun  qui  soit  si  peu  exactement  déhni. 
Son  obscurité  l'a  rendu  si  commode,  qu'on  n'en  a  pas  borné  l'usage  aux  corps  que 
nous  connaissons  :  une  école  entière  de  philosophes  attribue  aujourd'hui  à  des  êtres 
qu'elle  n'a  jamais  vus  une  force  qui  ne  se  manifeste  par  aucun  phénomène  ».  Helvetius, 
De  L'Esprit,  III,  9  '225  .\_,  822  :  «  [Dreu]  a  dit  à  la  matière  :  je  te  doue  de  la  force. 
Aussitôt  les  éléments,  soumis  aux  lois  du  mouvement,  mais  errants  et  confondus 
dans  les  déserts  de  l'espace,  ont  formé  mille  assemblages  monstrueux,  ont  produit 
mille  cahos  divers,  jusqu'à  ce  qu'enfin  ils  se  soient  placés  dans  l'équilibre  et  l'ordre 
plivsique  dans  lequel  on  suppose  l'L'nivers  rangé  ».  Il  est  possible  que  ce  soit 
ce  passage  d'Helvetius  qui  ait  inspiré  la  riposte  de  Rousseau. 

'  Il  est  assez  piquant  de  constater  que,  dans  le  paragraphe  même  où  Rousseau 
vient  de  reprendre  les  arguments  de  Locke  contre  les  idées  abstraites,  qui  font 
«  prendre  les  mots  pour  les  choses  ».  il  reprend  aussi  l'une  des  définitions  que  Locke 
avait  critiquées,  comme  étant  de  pseudo-définitions,  une  de  celles  où  l'on  se  sert  de 
l'idée  à  définir  précisément  pour  la  définir;  cf.  Entendement  humain,  III,  iv,  «  Du 
nom  des  idées  simples  »,  |  8  et  9,  «  Exemple  tiré  du  mouvement  »  [102],  SSg  :  «  Nos 
philosophes  modernes,  qui  ont  tâché  de  se  défaire  du  jargon  des  Écoles  et  de  parler 
intelligiblement,  n'ont  pas  mieux  réussi  à  définir  les  idées  simples  par  l'explication 
qu'ils  nous  donnent  de  leurs  causes...  Ainsi  les  partisans  des  atomes  qui  définissent 
le  mouvement,  un  passage  d'un  lieu  dans  un  autre,  ne  font  autre  chose  que  mettre 
un  svnonvme  à  la  place  d'un  autre.  Car  qu'est-ce  qu'un  passage,  sinon  un  mou- 
vement ?...  C'est  traduire  et  non  pas  définir,  que  de  mettre  ainsi  deux  mots  de  la 
même  signification  l'un  à  la  place  de   l'autre  ». 

'  Les  arguments  qui  suivent  sont  empruntés  à  la  réfutation  traditionnelle  de 
l'épicurisme;  cf.  Fénelon,  Existence  de  Dieu,  I,  82  [^114],  40:  «  Le  mouvement  est 
tellement  accidentel  et  surajouté  à   la   nature  des  corps,  que  cette  nature   des  corps 


Il8  REDACTIONS    MANUSCRITES 

imaginer  le  combat,  et  le  cahos    de  l'univers    i  m'est  incompréhensible  -. 
fo  126  '"      Il  [(•'^  comprends  que  le  mécanisme  du  monde  peut  n'être  pas  intelligible 
à  l'esprit  humain,  mais  lorsqu'un  homme  se  mêle  de  l'expliquer,  il  doit 
dire  des  choses  que  les  hommes  entendent)],  t 


'  [(ne)  m'est  (pas  moins....  aussi)  plus].  — I.  aussi  inconcevable. 
^  [que  son  harmonie]. 


t  La  formule,  légèrement  variée,  sera  reprise  plus  loin.  B,  /""  128' 


ÉDITION    ORIGINALE  II9 

un  mouvement  uniforme,  ou  chaque  atome  a-t-il  son  mouvement  propre? 
Selon  la  première  idée.  l'Univers  entier  doit  former  une  masse  solide 
&  indivisible;  |  selon  la  seconde,  il  ne  doit  former  qu'un  fluide  épars  &  [53] 
incohérent,  sans  qu'il  soit  jamais  possible  que  deux  atomes  se  réunissent. 
Sur  quelle  direction  se  fera  ce  mouvement  commun  de  toute  la  matière? 
Sera-ce  en  droite  ligne  (^j,  en  haut,  en  bas,  (''1  à  droite  ou  à  gauche?  Si 
chaque  molécule  de  matière  a  sa  direction  particulière,  quelles  seront  les 
causes  de  toutes  ces  directions  &  de  toutes  ces  différences  ?  Si  chaque 
atome  ou  molécule  de  matière  ne  faisoit  que  tourner  sur  son  propre 
centre,  jamais  rien  ne  sortiroit  de  sa  place,  &  il  n'y  auroit  point  de  mou- 
vement communiqué;  encore  même  faudroit-il  que  ce  mouvement  circu- 
laire fût  déterminé  dans  quelque  sens.  Donner  à  la  matière  le  mouvement 
par  abstraction,  c'est  dire  des  mots  qui  ne  signifient  rien:  &  lui  donner 
un  mouvement  déterminé,  c'est  supposer  une  cause  qui  le  détermine. 
Plus  je  I  multiplie  les  forces  particulières,  plus  j'ai  de  nouvelles  causes  [54] 
à  expliquer,  sans  jamais  trouver  aucun  agent  commun  qui  les  dirige. 
Loin  de  pouvoir  imaginer  aucun  ordre  dans  le  concours  fortuit  des 
é  émens,  je  n'en'  puis   pas  même  imaginer  le  combat,  &  le  cahos  de 


(«)  C,  D  :  ou  circulairement. 
(h)  C,  D  :  â  droite,  à  gauche  r 


ne  nous  montre  point  une  règle  primitis-e  et  immuable,  suivant  laquelle  ils  doivent 
se  mouvoir,  et  encore  moins  se  mouvoir  suivant  certaines  règles.  De  même  que  les 
corps  auraient  pu  ne  se  mouvoir  iamais,  ou  ne  se  communiquer  jamais  de  mouvement 
les  uns  au.x  autres,  ils  auraient  pu  aussi  ne  se  mouvoir  jamais  qu'en  ligne  circulaire  ; 

et   ce   mouvement  aurait   été   aussi   naturel   que   le   mouvement   en    ligne  directe 

D'ailleurs  ce  mouvement  en  ligne  directe  pouvait  être  de  bas  en  haut,  ou  de  haut  en 
bas,  du  côté  droit  au  côté  gauche,  ou  du  côté  gauche  au  droit,  ou  en  ligne  diagonale. 
Qui  est-ce  qui  a  déterminé  le  sens  dans  lequel  la  ligne  droite  serait  suivie  »  ?  Ditton, 
Religion  Naturelle  [128].  II.  804  :  «  Si  la  matière  a  le  pouvoir  du  mouvement  par 
elle-même,  il  faut  que  ce  soit  ou  dans  une  détermination  particulière,  ou  dans  tous 
les  sens  possibles;  ou  dans  les  déterminations  qu'elle  juge  être  les  plus  propres  selon 
l'exigence  des  cas.  Si  c'est  le  premier,  la  matière  ne  pourra  jamais  se  donner  d'autre 
mouvement,  et  suivra  toujours  la  détermination  qui  lui  est  propre.  Cependant  il  n'y 
a  qu'à  ouvrir  les  yeux  pour  se  convaincre  que  la  matière  se  meut  dans  le  monde  en 
une  intînité  de  directions  diftérentes.  Ainsi  donc  cette  première  supposition  est 
visiblement  fausse.  Quant  à  la  seconde,  il  parait  que  le  pouvoir  de  se  donner  toutes 
les  déterminations  possibles  met  la  matière  dans  une  indétermination  et  dans  une 
indifférence  absolues.  C'est  lui  ôter  toute  faculté  de  se  mouvoir  elle-même,  parce  que 
le  pouvoir  de  se  mouvoir  en  tout  sens,  est  le  pouvoir  de  se  mouvoir  en  aucun, 
c'est-à-dire  de  ne  se  point  mouvoir.  Ainsi  cette  autre  supposition  est  une  contradiction 
manifeste  »,  etc. 


120 


REDACTIONS   MANUSCRITES 


6.  La  Nature  et  l'Intelligence  ordonnatrice. 


f°  127  '■"'  Il   Si   la   matière   mue   me   montre    une   volonté,   la    matière    mue 

selon  de  certaines  loix  me  montre  une  intelligence.  C'est  mon  second 
article  de  toi.  Agir  (^  et)  choisir  sont  les  opérations  d'un  être  actif 
et  pensant.  Donc  cet  être  existe.  Où  le  voyez-vous  exister,  m'allez-vous 
dire?  -Non  seulement  dans  les  cieux  qui  roulent,  dans  ^l'astre  qui 
nous  éclaire  :  mais  dans  ^  une  pierre  qui  tombe  dans  *  une  feuille 
qu'emporte  le  vent,  f 


'  [comparer]. 

-  I.  <  Non  seulement...  mais  >. 

^  M.  le  soleil. 

■*  I.  une. 

^  I.  une. 


t  Cf..    plus   loin,    une   indication    marginale   de  F,  /"    i6o''",   qui 
semble  avoir  suggéré  ce  développement. 


EDITION    ORIGINALE  121 

l'Univers  m'est  plus  inconcexable  que  son  harmonie  ^  Je  comprends  que 
le  méchanisme  du  monde  peut  n'être  pas  intelligible  à  l'esprit  humain; 
mais  si-tùt  qu'un  homme  se  mêle  de  l'expliquer,  il  doit  dire  des  choses 
que  les  hommes  entendent. 


6.  La  Nature  et  l'Intelligence  ordonnatrice. 


Si  la  matière  mue  me  montre  une  volonté,  la  matière  mue  selon  de 
certaines  loix  me  montre  une  intelligence  -:  c'est  mon  second  article  de 
foi.  Agir,  comparer,  choisir,  sont  des  opérations  d'un  être  actif  &  pensant: 
donc  cet  être  existe  Où  le  vovez-vous  exister,  m'allez-vous  dire  ?  Xon- 
seulement  dans  les  Cieux  qui  roulent  '\  dans  |  l'astre  qui  nous  éclaire  ;  55] 

non-seulement  dans  moi-même,  mais  dans  la  brebis  qui  paît,  dans  l'oi- 
seau qui  vole,  dans  la  pierre  qui  tombe,  dans  la  feuille  qu'emporte  le 
vent  '. 


'  Diderot,  Pensées  philosophiques,  XXI  [177],  i36  :  «  L'esprit  doit  être  plus 
étonné  de  la  durée  hypothétique  du  cahos  que  de  la  naissance  réelle  de  l'univers  ». 
Cette  formule  avait  retenu  l'attention  de  Rousseau  :  cf.  un  fragment  de  sa  Lettre  à 
Voltaire,  du  18  .\oùt  1756  [25],  876  :  «  Je  me  souviens  que  ce  qui  m'a  frappé  le  plus 
fortement  en  toute  ma  vie,  sur  l'arrangement  fortuit  de  l'univers,  est  la  vingt-et- 
unlème  Pensée  philosophique,  où  l'on  montre  par  les  lois  de  l'analyse  des  sorts, 
que,  quand  la  quantité  des  jets  est  infinie,  la  difficulté  de  l'événement  est  plus  que 
suffisamment  compensée  par  la  multitude  des  jets,  et  que  par  conséquent  l'esprit  doit 
être  plus  étonné  de  la  durée  hypothétique  du  cahos  que  de  la  naissance  réelle  de 
l'univers  ». 

'  Ici  encore  on  notera  que  la  démonstration  qui  commence  n'est  qu'un  nouvel 
a'ipect  de  la  preuve  cosmologique  :  les  preuves  proprement  métaphysiques  sont 
écartées  avec  soin. 

'  Cf.  Nouvelle  Héloïse  (III,  xvini,  IV.  246-247  :  «  Providence  éternelle,  qui  fais 
ramper  l'insecte  et  rouler  les  cieux,  tu  veilles  sur  la  moindre  de  tes  œuvres  »  1 

'  Alême  mouvement  dans  Abbadie,  Religion  chrétienne,  I,  4  ^92],  I.  17  :  «  Pour 
voir  qu'il  y  a  une  sagesse  souveraine,  il  ne  faut  qu'ouvrir  les  yeux  et  les  porter  sur 
les  merveilles  de  la  nature.  Quand  la  considération  des  cieux  et  des  astres,  de  leur 
beauté,  de  leur  lumière,  de  leur  grandeur,  de  leurs  proportions,  de  leur  perpétuel 
mouvement  et  de  ces  révolutions  admirables  qui  les  rendent  si  justes  et  si  constants 
dans  leurs  changements  divers,  ne  nous  convaincraient  point  de  cette  vérité,  nous  la 
trouverions  marquée  dans  les  vagues  et  sur  le  rivage  de  la  mer,  dans  les  plantes, 
dans  la  production  des  herbes  et  des  fruits,  dans  la  diversité  et  dans  l'instinct  des 
animaux,  dans  la  structure  de  notre  corps  et  dans  les  traits  de  notre  visage  ». 


122  REDACTIONS    MANUSCRITES 


[Le  développement  :  Je  juge   de  l'ordre  du  monde impossible 

d'apercevoir,  qui  manque  ici  dans  F.  se  trouve  plus  loin,  au 
bas  du  /"  i5g  i>".  Dans  B,  M  et  I,  il  se  place  comme  dans  l'édition 
originale]. 


EDITION    ORIGINALE  I23 

Je  juge  de  l'ordre  du  monde  quoique  j'en  ignore  la  fin,  parce  que 
pour  juger  de  cet  ordre  il  me  suffit  de  comparer  les  parties  entr'elles, 
d'étudier  leur  concours,  leurs  rapports,  d'en  remarquer  le  concert. 
J'ignore  pourquoi  l'Univers  existe  '-;  mais  je  ne  laisse  pas  de  voir  com- 
ment il  est  modifié;  je  ne  laisse  pas  d'appercevoir  l'intime  correspondance 
par  laquelle  les  êtres  qui  le  composent  se  prêtent  un  secours  mutuel  '*. 
Je  suis  comme  un  homme  qui  verroit,  pour  la  première  fois,  une  montre 
ouverte,  &  qui  ne  laisseroit  pas  d'en  admirer  l'ouvrage,  quoiqu'il  ne 
connût  pas  l'usage  de  la  machine  &  qu'il  n'eût  point  vu  le  cadran.  Je  ne 
sais,  diroit-il,  à  quoi  le  tout  est  bon;  |  mais  je  vois  que  chaque  pièce  est  [56] 
faite  pour  les  autres:  j'admire  l'ouvrier  dans  le  détail  de  son  ouvrage. 
&  je  suis  bien  sûr  que  tous  ces  rouages  ne  marchent  ainsi  de  concert,  que 
pour  une  fin  commune  qu'il  m'est  impossible  d'appercevoir  1. 


'  Cette  prudence  philosophique,  dont  Rousseau  pouvait  trouver  l'exemple  chez 
Descartes  (cf.  Principes,  111,  2  :  «  Qu'on  présumerait  trop  de  soi-même  si  on  entre- 
prenait de  connaître  la  tin  que  Dieu  s'est  proposée  en  créant  le  monde  »  [81],  104), 
semblera  l'abandonner  quelques  pages  plus  loin.  p.  64-65,  quand  il  écrira  ;  «  Qu'y 
a-t-il  de  si  ridicule  à  penser  que  tout  est  fait  pour  moi.  si  ie  suis  le  seul  qui  sache 
tout  rapporter  à  lui  »  ? 

'  Comparez  avec  Abbadie,  Religion  chrétienne,  I,  16  [92].  I,  g8  :  «  Toutes  ces 
choses  nous  montrent  par  leur  grandeur,  par  leur  variété,  par  leur  subordination, 
par  le  tempérament  de  leurs  qualités,  par  leurs  rapports  et  leurs  proportions  admi- 
rables, et  par  cet  ordre  divin  qui  les  lie.  que  le  monde  est  l'ouvrage  de  cette  sagesse 
souveraine  à  laquelle  nous  donnons  le  nom  de  Dieu  ». 

'  On  a  déjà  vu  plus  haut,  p.  44.  cette  comparaison  de  l'horloge,  mais  c'est  ici 
seulement  qu'elle  prend  sa  valeur  démonstrative.  C'est,  je  crois,  chez  Descartes  qu'elle 
apparaît  pour  la  première  fois.  Discours  de  la  Méthode,  V  [80].  Sg.  Entre  Descartes 
et  Rousseau  elle  avait  éié  reprise  bien  souvent,  sinon  toujours  au  service  du  théisme; 
et  il  n'est  pas  nécessaire  de  se  rappeler  que  Rousseau  était  fils  d'horloger  pour  en 
expliquer  la  présence  ici  :  cf.,  parmi  les  ouvrages  que  Rousseau  avait  sans  doute 
lus,  Fénelon,  Existence  de  Dieu,  I,  yS  [114],  3  7-38,  Burtier.  Premières  Vérités.  463 
[120],  11,  67,  Lettres  philosophiques,  XIII  [145].  I,  171.  Spectacle  de  la  nature 
[137],  m,  468-469,  Telliamed  '182],  I.  p.  liv.  La  Mettrie,  L'Hoinme-machine  [i?>\], 
186,  Haller.  Poésies  [200],  i5i-i52,  Bonnet,  Essai  de  Psychologie,  LV  |2o8],  i65, 
Turrettin,  Pensées  sur  la  Religion,  II  [161],  3o5,  Vernet,  Instruction  chrétienne.  II.  2 
fzi3],  I,  33-34,  ^tc.,  etc.  La  preuve  de  «  l'horloge  »  trouvera  quelques  années  plus 
tard  (1772),  sa  forme  la  plus  concise  et  la  plus  populaire,  dans  le  distique  de 
Voltaire,  Les  Cabales  ^^73],  X,  182  : 

L'univers  m'embarrasse,  et  je  ne  puis  songer 
Que  cette  horloge  existe,  et  n'ait  point  d'horloger. 


124  REDACTIONS    MANUSCRITES 

F,  F  159 ''°  'Ecoutons   le  sentiment   intérieur.    Quel   esprit  sain    peut   se 

refuser  à  son  témoignage,  à  quels  yeux  non  prévenus  l'ordre 
sensible  de  l'univers  n'annonce-t-il  pas  une  suprême  intelligence 
et  que  de  -  subtilités  ne  faut-il  point  entasser  (^  pour  se  refuser  à 
l'évidence  (^  d'une  fin  commune)  dans  ('la  construction)  de  cette 
grande  machine  et  du  concours  de  chaque  ('■  chose)  pour  la  conser- 
\ation  (du  tout)),  j  Qu'on  me  parle  tant  qu'on  \-oudra  de  combi- 
naisons et  dé  chances].  ('On  pourra  plus  tôt)  me  réduire  au  silence. 
Si  \ous  ne  pouvez  m'amener  (^  au  consentement)  comment 
m'oterez  vous  ('•'la  persuasion  intérieure)  qui  vous  dément  l'"  tou- 
jours! malgré  moi. 


'  B.  (Ecoutons)  comparons  les  fins  [particulières],  les  moyens,  les  raports 
[ordonnés]  de  toute  espèce,  puis  écoutons. 

-  B.  Isubtililés)  [sophismes].  — I.  subtilités. 

"  [pour  méconnoilre   l'harmonie  (ordonnée)   des   êtres  et  l'admirable  con- 
cours de  chaque  pièce  pour  la  conservation  (du  tout)  [des  autres]]. 

•*  [(de  l'unité  d'intention)]. 

"■  [le  soin  ?].  *■  • 

*  [pièce]. 

'  [(Vous)  Que  vous  sert  de]. 

"  [à  la  persuasion  ei[. 

"  [le  sentiment  involontaire]. 
'"  M.  <  toujours  >. 


t  Ici.  dans  le  Mcinusc/it.  un  espace  de  quelques  lignes  laisse' en  blanc. 


EDITION    ORIGINALE  I25 

Comparons  les  fins  particulières,  les  moyens,  les  rapports  ordonnés 
de  toute  espèce,  puis  écoutons  le  sentiment  intérieur  -;  quel  esprit  sain 
peut  se  refuser  à  son  témoignage;  à  quels  yeux  non  prévenus  l'ordre 
sensible  de  l'Univers  n'annonce-t-il  pas  une  suprême  intelligence,  &  que 
de  sophismes  ne  faut-il  point  entasser  pour  méconnoître  l'harmonie  des 
êtres,  &  l'admirable  concours  de  chaque  pièce  pour  la  conservation  des 
autres  ^?  Qu'on  me  parle  tant  qu'on  voudra  de  combinaisons  &  de 
chances;  que  vous  sert  de  me  réduire  au  silence,  si  vous  ne  pouvez 
m'amener  à  la  persuasion,  &  |  comment  m'ôterez-vous  le  sentiment  invo-  [57] 
lontaire  qui  vous  dément  toujours  malgré  moi?  Si  les  corps  organisés  1 


'  Rousseau  reprend  ici  la  suite  normale  de  son  développement  primitif,  qu'il 
avait  interrompu  par  les  deux  longues  dissertations,  ajoutées  après  coup,  sur  l'activité 
du  jugement,  et  l'origine  du  mouvement  dans  la  matière.  Pour  retrouver  donc  l'allure 
première  de  sa  pensée,  on  doit  rattacher  les  pages  qui  vont  suivre  à  la  déclaration  du 
début,  où  il  se  ralliait,  derrière  Clarke,  au  système  du  théisme,  comme  au  plus  «  con- 
solant »  et  au  plus  «  sublime  ».  Ainsi  allégée,  la  Première  Partie  de  la  Profession 
perd  à  peu  près  tout  caractère  de  démonstration  intellectuelle,  pour  redevenir  ce 
qu'elle  est  surtout,  un  manifeste  sentimental. 

'  Cette  idée  a  été  'développée  longuement  dans  le  paragraphe  précédent  ;  elle 
sera  reprise  dans  le  paragraphe  suivant.  Nous  avons  déjà  vu  cette  insistance  de 
Rousseau  à  revenir  sur  un  argument  qu'il  juge  démonstratif.  Rien  d'étonnant,  d'ail- 
leurs, que,  dans  une  juxtaposition  de  morceaux  composés  à  des  époques  diftérentes, 
il  se  produise  des  redites  de  pensée  ou  d'expression.  La  formule  qu'il  insère  ici  est 
empruntée  à  un  passage  inutilisé  du  Premier  Brouillon  d'Emile  [10]  ;  cf.  aux  Appen- 
dices, II,  le  morceau  intitulé  Comment  se  forme  l'idée  de  Dieu,  et,  en  particulier,  les 
lignes  suivantes  :  «  Il  faut  être  en  état  d'apercevoir  au  moins  par  quelque  côté  le  jeu 
mutuel  des  parties,  les  proportions  de  leurs  masses,  de  leurs  forces,  de  leurs  mouve- 
ments, et  de  connaître  quelques-unes  des  lois  par  lesquelles  chaque  pièce  concourt 
à  la  conservation  du  tout  ». 

'  Ici  commence  une  brève  discussion  des  théories  transformistes,  que  Rousseau 
a  intercalée  dans  son  manuscrit,  presqu'à  la  dernière  heure,  en  recopiant  le  texte  pour 
l'impression.  Ces  quelques  lignes  d'actualité  forment  une  enclave  dans  la  discussion 
traditionnelle  des  théories  épicuriennes  sur  le  hasard  et  la  formation  du  monde.  H 
est  possible  que  Rousseau  fasse  allusion  ici  aux  hypothèses  de  Maillet,  dont  le  livre 
avait  eu  un  vif  succès  de  curiosité  :  cf.  Telliamed,  Vl"  Journée,  «  De  l'origine  de 
l'homme  »  '182],  II,  i5o,  174,  i83-i86,  où  .Maillet  parle  d'  «  hommes  à  queue  », 
d'  «  hommes  sans  barbe  »,  d'  «  hommes  d'une  jambe  et  d'une  seule  main  »,  et  où  il 
s'efforce  de  prouver  que  l'homme  d'aujourd'hui  est  un  être  marin,  transformé,  et 
adapté  aux  nouvelles  conditions  d'existence  qui  résultent  du  retrait  de  la  mer.  Si, 
comme  on  peut  le  supposer,  Rousseau  connaissait  les  oeuvres  de  Maupertuis,  peut- 
être  aussi  songeait-il  à  la  1'"  Partie  de  ['Essai  de  Cosmologie  jg^].  3  sqq,  «  où  l'on 
examine  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu,  tirées  des  merveilles  de  la  Nature  ». 
jMaupertuis  faisait  la  critique  de  ces  preuves  et  opposait  déjà  l'hypothèse  de  la  sélec- 
tion naturelle  à  l'argument  finaliste  de  la  convenance  des  organes  au  besoin.  Il  est 
plus  probable  cependant  qu'ici  encore,  c'est  Diderot  qu'il  a  eu  en  vue;  cf.  Interpréta- 
tion de  la  nature.  XII  et  LVIII  "210].  i5-i6  et  Sy-SS  :  «  Si  la  foi  ne  nous  apprenait  que 


126 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


I    p.  179  '  Si    les    ('-  êtres)  organisés  se  sont  combinés  fortuitement  de  mille 

manières  avant  de  prendre  des  formes  (/* durables i,  s'il  s'est  formé  d'abord 
des  estomac  h^s  sans  bouche,  des  (têtes  sans)  pieds  *,  des  mains  sans  bras 
des  (,=  squelettes  informes)  de  toute  (•>  s  orte;  ^qui  sont  péris  faute  de 
pouvoir  se  conserver  pourquoi  [nul  de]  ces  informes  essais  ne  frape-t-il 
plus  nos  regards,  pourquoi  la  nature  s'est  elle  enfin'  prescrit  des  loix 
'  auxquelles'  elle  n'étoit  pas  d'abord  assujetie? 


F   f"  159  ^°  Je   ne  dois  point  être  surpris  qu'une  chose  arrive  lorsqu'elle 

est  possible  et  que  la  difficulté  de  révénement  est  compensée  par 
la  quantité  des  jets,  je  C"  sais)  cela.  Cependant  ['■•  si  l'on  me 
disoit  qu'un  chimiste  en  '"combinant  des  mixtes  a  fait  un  être 
organisé,  sentant  et  pensant  dans  un  creuset,  «  "  dependroit-il  de» 
moi  de  le  croire.  Bien  loin  de  là  car  ]  «  si  l'on  '-  me  venoit  dire  » 
1^  seulement  «  que  des  caractères  d'imprimerie  ('* en  »  mouvement 
depuis  tant  de  tems  qu'il  vous  plaira)  «  ont  donné  l'eneide  toute  » 
arrangée  je  ne  daignerois  pas  faire  un  pas  pour  aller  vérifier 
('■'  que  cela  n'est  pas  vrai).  Vous  oubliez  me  dira-t-on  la  quantité 
des  "'  jects.  Mais  de  ces  >"  jets-là  (je  n'en  vois  qu'un  dans  la 
construction    de    l'univers).    Combien     '"   prétendez-vous    que    j'en 


(Je  ne  dois...  Je). 

[corps]. 

[constantes]. 

[sans  têtes]. 

[organes  imparfaits]. 

[espèce]. 

auxquejls). 

[vois].  —  B.  <  je  vois  cela  >. 

[Mais].  —  B.  <  Mais  si  l'on  me...  loin  de  là  car  >. 

combina  (ison). 

[loin  qu'il  dépendit]. 

I.  [me]  venoit. 

B.  <  seulement  >. 

[«  projettes  au  hazard  »]. 

[le  mensonge]. 

Sic. 

B.  faut-il. 


EDITION    ORIGINALE  I27 

se  sont  combinés  fortuitement  de  mille  manières  avant  de  prendre  des 
formes  constantes,  s'il  s'est  formé  d'abord  des  estomacs  sans  bouches, 
des  pieds  sans  tètes,  des  mains  sans  bras,  des  organes  imparfaits  de  toute 
espèce  qui  sont  péris  -  faute  de  pouvoir  se  conserver,  pourquoi  nul  de 
ces  informes  essais  ne  frappe-t-il  plus  nos  regards;  pourquoi  la  Nature 
s'est-elle  enfin  prescrit  des  loix  auxquelles  elle  n'étoil  pas  d'abord  assu- 
jettie? Je  ne  dois  point  être  surpris  qu'une  chose  arrive  lorsqu'elle  est 
possible,  <!<:  que  la  difficulté  de  l'événement  est  compensée  par  la  quantité 


les  animaux  sont  sortis  des  mains  du  Créateur  tels  que  nous  les  voyons:  et  s'il  était 
permis  d'avoir  la  moindre  incertitude  sur  leur  commencement  et  sur  leur  tin,  le  phi- 
losophe abandonné  à  ses  conjectures  ne  pourrait-il  pas  soupçonner  que  l'animalité 
avait  de  toute  éternité  ses  éléments  particuliers,  épars  et  confondus  dans  la  masse  de 
la  matière;  qu'il  est  arrivé  à  ces  éléments  de  se  réunir,  parce  qu'il  était  possible  que 
cela  se  fît;  que  l'embryon  formé  de  ces  éléments  a  passé  par  une  infinité  d'organisa- 
tions et  de  développements  ;  qu'il  a  eu,  par  succession,  du  mouvement,  de  la  sensation, 
des  idées,  de  la  pensée,  de  la  réfle.'iion,  de  la  conscience,  des  sentiments,  des  passions, 
des  signes,  des  gestes,  des  sons,  des  sons  articulés,  une  langue,  des  lois,  des  sciences 
et  des  arts;  qu'il  s'est  écoulé  des  millions  d'années  entre  chacun  de  ces  développe- 
ments; qu'il  a  peut-être  encore  d'autres  développements  à  subir  et  d'autres  accroisse- 
ments à  prendre,  qui  nous  sont  inconnus;  qu'il  a  eu  ou  qu'il  aura  un  état  station- 
naire,  qu'il  s'éloigne  ou  qu'il  s'éloignera  de  cet  état  par  un  dépérissement  éternel, 
pendant  lequel  ses  facultés  sortiront  de  lui  comme  elles  y  étaient  entrées;  qu'il  dis- 
paraîtra pour  jamais  de  la  nature,  ou  plutôt  qu'il  continuera  d'y  exister,  mais  sous 
une  forme,  et  avec  des  facultés  tout  autres  que  celles  qu'on  lui  remarque  dans  cet 
instant  de  la  durée  »?  Il  y  a  encore  des  précisions  plus  grandes  dans  le  Rêve  de 
D'Alembert,  qui  a  été  écrit  en  1769  ^58],  II,  i37-i38.  .Mais  il  serait  possible  que  ce 
«  rêve  »  eût  déjà  été  pensé  par  Diderot  devant  son  ami.  Du  reste,  La  .\lettrie  avait 
déjà  dit  dans  son  Sysiéme  d'Épicure,  XIII  [62],  II,  8-9  :  «Les  premières  générations 
ont  dû  être  fort  imparfaites.  Ici  l'œsophage  aura  manqué  ;  là  l'estomac,  le  ventre, 
les  intestins,  etc.  Il  est  évident  que  les  seuls  animaux  qui  auront  pu  vivre,  se  conserver 

et   perpétuer   leur   espèce,    auront  été  ceux  auxquels  aucune    partie  essentielle 

n'aura  manqué.  Réciproquement  ceux  qui  auront  été  privés  de  quelque  partie  d'une 
nécessité  absolue  seront  morts...  sans  se  reproduire.  La  perfection  n'a  pas  plus  été 
l'ouvrage  d'un  jour  pour  la  nature  que  pour  l'art  ».  —  Les  convictions  de  Rousseau 
sur  l'origine  des  espèces  seront  affirmées  plus  fortement  encore  dans  le  paragraphe 
suivant,  où  il  parlera  de  «  la  barrière  insurmontable  que  la  Nature  a  mise  entre 
les  diverses  espèces,  afin  qu'elles  ne  se  confondissent  pas  ». 

'  Féraud  25o],  III,  i32  :  «  Dans  le  Dictionnaire  grammatical  'autre  diction- 
naire de  Féraud,  qui  est  de  1761]  on  condamne  que  vous  fussiez  péri,  et  l'on 
décide  que  périr  prend  toujours  l'auxiliaire  avoir:  mais  il  y  a  un  grand  nombre 
d'exemples  pour  l'auxiliaire  être  :  Il  était  péri  dans  le  naufrage  (  Télémaquei  : 
Sirius  n'était  péri  que  par  leur  ordre  (Vertot);  Les  écrits  impies  des  Leucippes 
et  des  Diagoras  sont  péris  avec  eux  (J.  J.  Rousseau).  —  Suivant  l'.^cadémie  (d'autre- 
fois) ont  péri  est  plus  régulier,  mais  sont  péris  n'est  pas  sans  usage.  Dans  la  dernière 
édition,  elle  dit  indifféremment  a  péri,  ont  péri,  et  est  péri,  sont  péris,  sans 
remarque  ».  Le  texte  de  Rousseau,  que  cite  ici  Féraud,  est  emprunté  au  /"■  Discours, 
I.  18. 


128  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

suppose  pour  rendre  ('  ce  hazard)  vraisemblable.  Pour  moi  -  qui 
(*  n'en  ai  vu  qu'un,  de  ces  jets)  ■'j'ai  M'infini  a  parier  contre 
un  ''qu'il   n'est  point  l'effet  du  hazard  *. 

•  *  J'appelle  hazard  non  seulement  les  effet  dont  nous  ne 
pouvons  assigner  '^  les  causes  mais  l'effet  nécessaire  de  toute 
('  cause  première). 


'   [cette  absurde  combinaison].  —  B.  cette  grande  combinaison. 

-  (je  n"). 

'  [n'en  vois  qu'un  seul]. 

■"  (je  tiens...  trouve...  selon  vous-même). 

^  B.  [(même  dans  vôtre  système)]. 

"  B.  (qu'il)  [que  son  produit]. 

'  B.  <  *  J'appelle  hazard...  première  cause  >. 

"  (ni). 

°  [cause  aveugle  considérée  comme  (active  ou)  première  cause]. 


EDITION    ORIGINALE  I29 

des  jets  \  j'en  conviens.  Cependant  si  l'on  me  venoit  dire  que  des  carac- 
tères d'imprimerie,  projettes  au  hazard,  ont  donné  l'Enéide  toute  arrangée, 
je  ne  daignerois  pas  faire  un  |  pas  pour  aller  vérifier  le  mensonge.  Vous  58] 


'  C'est  une  citation  de  Diderot.  Pensées  philosopliiques,  X\I  1 77J,  i35-i36  : 
«  J'ouvre  les  cahiers  d'un  professeur  célèbre,  et  je  lis  :  Athées,  je  vous  accorde  que  le 
mouvement  est  essentiel  à  la  matière;  qu'en  concluez-vous?...  que  le  monde  résulte 
du  jet  fortuit  des  atomes  ?  J'aimerais  autant  que  vous  me  dissiez  que  l'Iliade  d'Homère, 
ou  la  Henriade  de  Voltaire  est  un  résultat  de  jets  fortuits  de  caractères.  —  Je  me 
garderai  bien  de  faire  ce  raisonnement  à  un  athée  :  cette  comparaison  lui  donnerait 
beau  jeu.  Selon  les  lois  de  l'analyse  des  sorts,  me  dirait-il,  je  ne  dois  point  être  sur- 
pris qu'une  chose  arrive  lorsqu'elle  est  possible,  et  que  la  difficulté  de  l'événement 
est  compensée  par  la  quantité  des  jets  ».  Cet  argument  avait  fait  grande  impression 
sur  Rousseau  :  «  Je  me  souviens,  écrivait-il  à  Voltaire  en  1756  [25].  375-376,  que  ce  qui 
m'a  frappé  le  plus  fortement  en  toute  ma  vie  sur  l'arrangement  fortuit  de  l'univers, 
est  la  vingt-et-unième  Pensée  philosophique...  C'est,  en  supposant  le  mouvement  néces- 
saire, ce  qu'on  a  jamais  dit  de  plus  fort  à  mon  gré  sur  cette  dispute;  et,  quant  à  moi, 
je  déclare  que  je  n'y  sais  pas  la  moindre  réponse  qui  ait  le  sens  commun,  ni  vrai,  ni 
fau.\,  smon  de  nier  comme  fau.\  ce  qu'on  ne  peut  pas  savoir,  que  le  mouvement  soit 
essentiel  à  la  matière.  D'un  autre  côté,  je  ne  sache  pas  qu'on  ait  jainais  expliqué  par 
le  matérialisme  la  génération  des  corps  organisés  et  la  perpétuité  des  germes:  mais  il 
y  a  cette  différence  entre  ces  deu.x  positions  opposées,  que,  bien  que  l'une  et  l'autre 
me  semblent  également  convamcantes,  la  dernière  seule  me  persuade.  Quant  à  la  pre- 
mière, qu'on  vienne  me  dire  que,  d'un  jet  fortuit  de  caractères,  la  Henriade  a  été 
composée,  je  le  nie  sans  balancer;  il  est  plus  possible  au  sort  d'amener  qu'à  mon 
esprit  de  le  croire,  et  je  sens  qu'il  y  a  un  point  où  les  impossibilités  morales  équi- 
valent pour  moi  à  une  certitude  physique.  On  aura  beau  me  parler  de  l'éternité  des 
temps,  je  ne  l'ai  point  parcourue,  de  l'infinité  des  jets,  je  ne  les  ai  point  comptés;  et 
mon  incrédulité,  tout  aussi  peu  philosophique  qu'on  voudra,  triomphera  là-dessus  de 
la  démonstration  même».  On  remarquera  que,  dans  la  Lettre  à  Voltaire,  Rousseau  ne 
craint  pas  d'affirmer  le  caractère  sentimental  de  son  attitude  :  «  Je  n'empêche  pas, 
dit-il,  que,  ce  que  j'appelle  sur  cela  preuve  de  sentiment,  on  ne  l'appelle  préjugé: 
et  je  ne  donne  point  cette  opiniâtreté  de  croyance  comme  un  modèle:  mais,  avec  une 
bonne  foi  peut-être  sans  exemple,  le  la  donne  comme  une  invincible  disposition  de 
mon  âme,  que  jamais  rien  ne  pourra  surmonter,  dont  jusqu'ici  je  n'ai  point  à  me 
plaindre,  et  qu'on  ne  peut  attaquer  sans  cruauté  ».  Ici  l'argumentation  s'efforce  de  rester 
purement  rationnelle,  mais  il  est  amusant  de  constater  que  Rousseau  répond  â  l'ob- 
jection de  Diderot  précisément  par  la  comparaison  dont  celui-ci  vient  de  montrer  le 
faible.  Il  semble  que  Rousseau  ait  fini  par  oublier  le  contenu  propre  de  la  XXI'  Pen- 
sée philosophique,  et  qu'il  ait  porté  à  l'actif  de  Diderot  l'idée  même  que  Diderot  vou- 
lait détruire  :  cf.  aux  Appendices.  V,  la  Lettre  à  M.  de  Franquiéres,  5  11.  Dans  la 
Lettre  à  Voltaire,  la  Henriade  tenait  la  place  qu'occupe  ici  l'Enéide,  mais  le  temps 
des  relations  courtoises  entre  Voltaire  et  Rousseau  est  fini.  —  Il  serait  trop  long  de 
rappeler  ici  toute  l'histoire  de  cet  argument  célèbre,  qui  se  trouve  déjà  dans  Cicéron, 
et  qui  depuis  avait  fait  fortune.  Notons  seulement  que,  parmi  les  livres  que  Rousseau 
avait  sous  la  main,  .\ddison  et  Fénelon  le  lui  offraient  très  complaisamment  exposé  : 
cf.  Spectateur  [117],  V.  372-375  et  Existence  de  Dieu,  l,  74  [114],  36-38;  cf.  encore 
Wollaston,  Religon  naturelle,  V  '124,  139-140.  Rousseau  l'avait  repris  une 
seconde  fois  dans  sa  lettre  à  Vernes  du  18  février  1758,  X,  iSo. 


130  REDACTIONS    MANUSCRITES 

B,  f"  128''"  Ajoutez  que  des  combinaisons  et  des  chances  ne  (^ produiront)  jamais 
que  des  (^  êtres)  de  même  nature  que  les  élémens  combinés,  que  l'orga- 
nisation 5  ne  (résulterai  point  dun  jet  d'atomes,  et  qu'un  chimiste  com- 
binant des  mixtes  ne  les  fera  point  sentir  et  penser  dans  (''un)  creuset  *.  t 

I,  p.  180  *  Croiroit-on,    si    l'on    n'en    a\oit    la    preuve,   que    l'extravagance 

iiumaine  pût  être  portée  à  ce  point?  Amatus  Lusitanus  assuroit  avoir 
vu  un  petit  homme  long  d'un  pouce  enfermé  dans  un  verre,  que 
Julius  Camillus,  comme  un  autre  Prométhée,  avoit  fait  par  la  science 
Alchimique.  Paracelse  de  naturd  rerum  enseigne  la  façon  de  produire 
ces  petits  hommes,  et  soutient  que  les  Pvgmées,  les  Faunes,  les  Satyres 
et  les  Nymphes  ont  été  engendrés  par  la  chymie.  En  effet  je  ne  vois  pas 
trop  qu'il  reste  désormais  autre  chose  à  faire  pour  établir  la  possibilité 
de  ces  faits,  si  ce  n'est  d'avancer  que  la  matière  organique  résiste  à 
l'ardeur  du  feu,  et  que  ses  molécules  peuvent  se  conserver  en  vie  dans  un 
fourneau  de  réverbère. 


'  [donneront]. 

^  [produits]. 

*  [et  la  vie]  ne  [résulteront]. 

*  [son]. 


t  [.'astérisque,  comme  la  note  qu'il  amorce,  ne  se  trouve  que  dans  I. 


ÉDITION    ORIGINALE  I3I 

oubliez,  me  dira-t-on  ',  la  quantité  des  jets;  mais  de  ces  jets-là  combien 
taut-il  que  j'en  suppose  pour  rendre  la  combinaison  vraisemblable?  Pour 
moi,  qui  n'en  vois  qu'un  seul,  j'ai  l'infini  à  parier  contre  un,  que  son 
produit  n'est  point  l'effet  du  hazard.  Ajoutez  que  des  combinaisons  &  des 
chances  ne  donneront  jamais  que  des  produits  de  même  nature  que  les 
élémens  combinés  -,  que  l'organisation  &  la  vie  ne  résulteront  point 
d'un  jet  d'atomes,  &  qu'un  Chymiste  combinant  des  mixtes  *,  ne  les 
fera  point  sentir  &  penser  dans  son  creuset  *. 

*  Croiroit-on,  si  l'on  n'en  avoit  la  preuve,  que  l'extravagance  humaine  pût 
être  portée  à  ce  point  ?  Amatus  Lusitanus  *  assuroit  avoir  vu  un  petit  homme  long 
d'un  pouce  enfermé  dans  un  verre,  que  Julius  |  Camillus,  comme  un  autre  Pro-  rgg] 

méthée,  avoit  fait  par  la  science  Alchimique.  Paracelse,  de  naturd  rerum,  enseigne 
la  façon  de  produire  ces  petits  hommes,  &  soutient  que  les  Pvgmées,  les  Faunes, 
les  Satyres  &  les  Nvmphes  ont  été  engendrés  par  la  chymie.  En  effet  je  ne  vois 
pas  trop  qu'il  reste  désormais  autre  chose  à  faire  pour  établir  la  possibilité  de  ces 
faits,  si  ce  n'est  d'avancer  que  la  matière  organique  résiste  à  l'ardeur  du  feu, 
&  que  ses  molécules  peuvent  se  conserver  en  vie  dans  un  fourneau  de  réverbère  *. 


'  Diderot,  loc.  cit.  :  «  La  possibilité  d'engendrer  fortuitement  l'univers  est  très 
petite,  mais  la  quantité  des  jets  est  infinie,  c'est-à-dire  que  la  difficulté  de  l'événe- 
ment est  plus  que  suffisamment  compensée  par  la  multitude  des  iets  ». 

'  Cf.,  aux  Append  ces,  V,  dans  la  Lettre  à  M.  de  Franquiéres,  \  i3,  le  déve- 
■  loppement  humoristique  de  cette  idée. 

'  Sur  les  «  mixtes  »,  cf.,  plus  haut,  p.  44  et  note,  la  définition  de  Rousseau. 

*  Toute  cette  histoire  est  copiée  à  peu  près  mot  pour  mot  dans  Saint-Aubin, 
Traité  de  l'opinion,  IV,  «  De  la  chimie  »  fM']»  '"•  5i9-520  :  «  La  ténacité  des  alchi- 
mistes a  été  jusqu'à  publier  et  soutenir  que,  par  l'alchimie,  on  pouvait  former  un 
homme.  Amatus  Lusitanus  a  assuré  qu'il  avait  vu  un  petit  homme  long  d'un  pouce 
enfermé  dans  un  verre,  que  Julius  Camillus,  comme  un  autre  Prométhée,  avait  fait 
par  la  science  alchimique.  Cette  doctrine  insensée  et  conforme  aux  dogmes  de  Para- 
celse (De  Natura  rerum,  La  Religion  du  médecin  5  36),  qui  enseigne  la  façon  de  pro- 
duire ces  petits  hommes:  et,  après  plusieurs  impiétés  et  inepties,  il  soutient  que  les 
Pygmées,  les  Faunes,  les  Satyres  et  les  Xymphes  ont  été  engendrés  par  la  chimie*. 
Ce  récit  avait  beaucoup  frappé  Rousseau,  puisqu'il  y  avait  déjà  fait  allusion  dans  ses 
Institutions  chimiques  [35J.  21  :  «  Je  n'imiterai  pas  ce  chimiste  insensé,  qui  osa  entre- 
prendre de  faire  un  homme  par  les  opérations  de  son  art  ». 

*  Féraud  '25o  ,  III.  473-474  :  «  Réverbère  se  dit  ordinairement  dans  cette  phrase, 
feu  de  réverbère,  appliqué  de  manière  que  la  flamme  est  obligée  de  rouler  sur  les 
matières  qu'on  expose  à  son  action  »;  cf.,  Rousseau,  Institutions  chimiques,  III,  i  [i], 
212  a-b  :  «  On  ajoute  des  dômes  à  plusieurs  fourneaux,  soit  pour  renvoyer  exactement 
toute  la  chaleur  sur  les  vaisseaux,  soit  pour  empêcher  la  fracture  par  le  contact  de 
l'air  froid  dans  le  temps  qu'ils  sont  fort  échauftës.  Il  y  a  même  plusieurs  opérations 
où  le  concours  immédiat  de  la  flamme  est  absolument  nécessaire;  alors  on  se  sert  de 
certains  dômes  ou  réverbères  particuliers  le  long  desquels  la  flamme  se  replie,  se 
réfléchit  et  vient  lécher  les  matières  et  leur  communiquer  la  couleur  ou  d'autres 
qualités  qu'elle  ne  peut  recevoir  que  d'elle  ». 


132  REDACTIONS    MANUSCRITES 

F,  f"  159  ™  '  Souvenez-vous,  mon  bon  ami,  que  ceci  n'est  (^  point)  un  raison- 

nement pour  les  philosophes  c'est  celui  de  ma  conscience  et  ('je  n'y 
trouve  rien  qui  le  puisse  réîuter). 

[(Vous  me  demanderez  comment)  je  juge  de  l'ordre  du  monde 
r-iquoi  que  j'en  ignore  la  lîn.  Parce  que  pour  juger  de  cet  ordre 
il  me  suffit  de  comparer  les  parties  entre  elles,  d'étudier  leurs 
concours  leurs  raports  -'et  d'en  ''admirer  le  concert.  ['Et]  j'ignore 
pourquoi  l'univers  existe.  Mais  je  ne  laisse  pas  d'appercevoir  par 
quelle  -admirable  correspondance  (toutes)  les  '-'parties  qui  le  com- 
posent se  prêtent  un  secours  mutuel.  '"  Mon  ignorance  et  ma 
îoiblesse  me  laissent  ignorer  les  (plus)  grands  accords  de  cette 
harmonie  ;  mais  ceux  qui  sont  vus  suffisent  pour  me  faire  juger 
des  autres]. 
fo  iQQ  ro  II  [Je  suis  comme  un  homme  (à)  qui  (^'l'on  montreroit)  «pour 

la  première  fois  »  une  '-  montre  ouverte,  et  qui  ne  laisseroit  pas 
d'en  admirer  l'ouvrage,  'Me  raport  et  le  jeu  des  pièces  quoiqu'il  ne 
connut  pas  l'usage  de  la  machine  et  qu'il  n'eut  '^jamais  vu  le 
cadran.  Je  ne  sais  ^-'pas  diroit-il  à  quoi  le  tout  est  bon,  mais  je 
"■sais  bien  que  chaque  pièce  est  faite  pour  les  autres  ''et  j'admire 
'<*  l'habileté    de     l'ouvrier    dans    le    détail    de    son    ouvrage    et    je 


'  B.  <  Souvenez-vous....  puisse  réfuter  >. 

■  [pas\ 

'  [pour  apprécier  leurs  fargumens)  sillogismes  (?)  je  me  fie  à  elle  plus  qu'à 
ma  raison;. 
*  (parce). 
^  B.  <  et  >. 
'''  B.  (admirer)  '(observer)  remarquer]. 

■  (Quoi).  —  B.  <  Et  >. 

"  B.  (admirable)  [intime]. 

"  B.  (parues)  [éires]. 

'"  B.  <  mon  ignorance....  des  autres  >. 

"  [verroit]. 

'-   (pe  NDULE  ?). 

'^  B.  <  le  raport  et  le  jeu  des  pièces  >. 

'■'  B.  point. 

'■^  B.  <  pas  >. 

"^'  B.  vois  que. 

'•  B.  <  et  >. 

"*  B.  <  l'habileté  de  >. 


EDITION   ORIGINALE  I33 


[Le   développement,   qui,    dans   F,    vient   se   placer   ici.   a 
déjà  passé  dans   Pédition  originale,   p.   55-55]. 


134  REDACTIONS    MANUSCRITES 

'  sais  bien  que  tous  ces  rouages  ne  marchent  -que  pour  une 
fin  commune  ^quoiqu'il  me  soit  impossible  de  l'appercevoir]. 

fo  159  ™  Il  J'ai    lu   Nieuventit  avec  surprise   et   presque  avec  scandale. 

Comment  cet  homme  a-t-il  pu  «  vouloir  »  (*  écrire)  un  livre  des 
merveilles  de  la  nature  qui  montrent  '•"  la  sagesse  de  son  auteur. 
Son  livre  seroit  aussi  gros  que  le  monde  qu'il  n'auroit  pas  épuisé 
son  sujet.  '^  Voyez  cette  herbe  qui  monte  en  graine  auprès  de  vous, 
les  ailes  de  duvet  attachées  autour  de  sa  tête  ronde  '  ne  sont  peut  être 
rien  à  vos  yeux  et  moi  je  vois  ("  une  main)  intelligente  tracer  au  compas 
cette  tête  sphérique  (et)  coller  avec  soinj  ce  duvet  sur  chaque  graine 
puis  [à  leur  maturité  souffler  sur  la  terre  ('  pour)  semer  (le  tout) 
au  loin.   Cette  autre  graine  n'a  point  de  duvet  me  direz-vous,  je  le 

f°  160 ''°  crois  bien,  les  semences  peuvent  prendre  racine  et  H  croître  l'une  à 
côte  de  l'autre  les  îeuilles  ne  s'étendent  pas  de  même  sur  la  terre, 
et  ne  s'étouffent  pas  mutuellement.  Telle  bagatelle  frape  un  homme 
et  n'est  pas  sensible  à  d'autres,  i"mais  chacun  [de  nous,  ('i  trouveroit) 


'  B.  suis  bien  sur  que. 

^  B.  ainsi  de  concert. 

'  B.  (quoi)  qu'il  (me  soit)  [m'est]  impossible  (de  la  connoitre)  [d'appercevoir]. 

'   [faire]. 

"  (les). 

"  B.  <  Voyez  cette  herbe....  qu'un  insensé  >  et  (dès)  sitôt  qu'on  veut 
(par  là  ?)  entrer  dans  les  détails  la  plus  grande  merveille  échape  qui  est  l'har- 
monie et  l'accord  du  tout.  [La  seule  génération  des  «  »  corps  »  b  organisés  est 
(f  un)  abîme  (d'étonnement  pour)  l'esprit  humain  ;  «(et)  la  barrière  »  [insurmon- 
table] «  que  la  nature  a  mise  entre  les  [diverses]  espèces  afin  qu'elles  ne  se 
confondissent  pas  »  montre  («  ''  son  »)  intention  avec  (e  une)  évidence  (dont 
il  m'est  impossible  de  n'être  pas  frapé).  Elle  ne  s'est  pas  contentée  d'établir 
l'ordre  elle  a  pris  des  mesures  certaines  pour  (i  qu'il  ne  put  être  troublé)]. 

a)  [(cspécesi]. 

b)  [vivans  et]. 

e)  [r]  abîme  [de]. 

d)  {mieux)  [lune)  ses]  intention[s]. 

e)  [la  dernière]. 

f)  [que  rien  ne  le  put  troubler].  —  M.  ne  put  le. 

'  (pour  porter  chaque  graine  au  loin). 

'  [un  être]. 

'  [pour  le]. 

'"  [(mais  du  moins  nous  ?...  sont  encore  en  nombre  infini  sur  la  terre)]. 

"  [fera]. 


EDITION    ORIGINALE  I35 


J'ai  lu  Nieuventit  *  avec  surprise,  &  presque  avec  scandale  ^.  Comment 
cet  homme  a-t-il  pu  vouloir  faire  un  livre  des  merveilles  de  la  Nature, 
qui  mon-  |  trent  la  sagesse  de  son  Auteur?  Son  Livre  seroit  aussi  gros         [59] 
que  le  monde,  qu'il  n'auroit  pas  épuisé  son  sujet  i;  &  si-tôt  qu'on  veut 


*  L'Existence  de  Dieu  démontrée  par  les  merveilles  de  la  \ature,  en  trois 
parties,  où  l'on  traite  de  la  structure  du  corps  de  l'homme,  des  Elemens,  des  Astres 
et  de  leurs  divers  effets  [122],  traduction  française,  d'après  la  version  anglaise,  du 
livre  que  le  médecin  hollandais,  Bernard  Nieuwentyt,  avait  publié  en  1716  (Met  recht 
gebruick  der  "H^ereldbeschouwingen  ter  overtuiginge  van  Ongodisten  en  Ongelo- 
vigeni.  Rousseau  a  choisi  ce  livre  comme  étant  le  plus  représentatif  et  le  plus  estimé 
parmi  les  ouvrages  analogues,  traduits  en  français,  que  la  première  moitié  du 
XVlir  siècle  avaient  vu  paraître  si  nombreux,  et  qui  détaillaient  par  le  menu  l'argu- 
ment des  causes  finales.  Cf.,  par  exemple,  Ray,  L'existence  et  la  sagesse  de  Dieu  ma- 
nifestée dans  les  œuvres  de  la  création,  1714  ;ii6],  Derham,  Théologie  physique,  1726 
[i23].  Théologie  astronomique,  172g  'i29'''s],  Fabricius,  Théologie  de  l'eau,  1741  fi63j, 
Lesser,  Théologie  des  insectes,  1742  [idb],  etc.  La  traduction  française  de  Nieuwentyt, 
qui  avait  paru  en  1725,  avait  déjà  été  rééditée  trois  fois.  Sur  le  succès  de  tous  ces 
philosophes  édifiants,  cf.  l'Avertissement  du  Libraire  à  la  Théologie  de  Fabricius 
[i63],  p.  VII,  les  remarques  de  Fréron  sur  le  poème  de  Dulard,  La  Grandeur  de  Dieu 
dans  les  Merveilles  de  la  Sature,  175g  [45  ,  11,  277-281,  et  D.  Mornet,  Les  Sciences  de 
la  Nature,  I,  3  '289],  2g-33.  —  Voltaire  se  moquera  beaucoup  du  docte  médecin  hollandais, 
qu'il  appellera  «ce  bavard  impertinent»  (Histoire  de  Jenni  'j'i],  XXI,  554I;  il  sera 
comme  Rousseau,  «  scandalisé  »  et  agacé  par  ce  cause-finalier  trop  zélé  (cf.  ses  anno- 
tations à  l'Existence  de  Dieu  '"V^,  XXXI,  i35-i5o),  mais  il  parlera  de  son  œuvre  avec 
une  certaine  considération  comme  d'un  bon  «  antidote  »  contre  l'athéisme  (Prix  de  la 
justice  et  de  l'humanité  [73],  XXX,  56i).  Déjà,  avant  Rousseau,  Diderot  avait  fait  à 
Nieuwentyt  l'honneur  de  le  ranger  en  compagnie  de  Newton  parmi  les  grands  savants 
modernes  qui  avaient  fourni  les  premiers  «  des  preuves  satisfaisantes  d'un  être  souve- 
rainement intelligent»  1  Pensées  philosophiques  J77],  i33);  et  l'on  peut  se  rendre 
compte  de  la  réputation  qu'il  conserva  durant  tout  le  XVIII"  siècle  par  le  résumé  qu'en 
donne  encore  Chateaubriand  dans  le  Génie  du  Christianisme,  I,  v,  3.  Quanta  Rousseau, 
non  seulement  «  il  avait  lu  Nieuwentyt  »,  cf.  Verger  des  Charmettes,  VI,  5,  mais  il 
le  faisait  lire  à  ses  élèves  :  cf.  Mémoire  présenté  à  M.  Dupin  "2g],  410. 

^  A  l'époque  où  Rousseau  rédigeait  la  Profession  de  foi,  on  commençait,  même 
parmi  les  philosophes  sincèrement  déistes,  à  se  lasser  et  à  se  «  scandaliser  »  de  cette 
physique  théologique  et  infatigablement  téléologique.  «  C'est  un  sujet  usé,  disait 
en  1760  un  rédacteur  du  Journal  encyclopédique,  1"  Février  [46^,  5g;  il  n'y  a  pres- 
que aucun  physicien  qui  n'ait  analysé  les  diflérentes  parties  de  la  nature  pour  y  faire 
voir  partout  la  main  du  Créateur.  Il  s'en  est  même  trouvé  qui,  peu  délicats  sur  le 
choix  des  preuves  de  son  existence,  ont  cité  pour  la  prouver  les  plis  de  la  peau  du 
rhinocéros,  sans  considérer  que  ces  minuties  indécentes  scandalisent  toujours  les 
esprits  frivoles.  Il  doit  en  être  de  toutes  les  spéculations  sur  la  Divinité  comme  du 
culte;  on  ne  saurait  y  mettre  trop  de  grandeur  et  de  dignité  ». 

'  Ici,  dans  la  Première  Rédaction,  Rousseau  avait  inséré  quelques  remarques  sur 
les  précautions  prises  par  la  Nature  pour  protéger  les  graines  de  certaines  plantes.  On 
pourrait  y  discerner  peut-être,   comme   il   le  dit  lui-même,  «  le  tour  d'esprit  »  d'un 


136  REDACTIONS    MANUSCRITES 

quelque  observation  conforme  à  son  tour  d'esprit,  j  En  un  mot  s'il 
se  trouve  jamais  un  seul  homme  raisonnable  qui  sincèrement  et  de 
bonne  ^koi,  nie  «  après»  avoir  réfléchi  sur  les  ouvrages  de  la 
nature  d'y  (-voir)  une  intelligence  démontrée,  ' jeune  homme  ne 
mécoutez  plus,  je  ne  suis  qu'un  insensé,  f 


'  bonne  nie  Isic). 
-  [reconnoitre]. 
'  (et). 


t  Ici,  en  marge,  le  canevas  d'un  développement  qui  n'a  pas  été' fait, 
mais  qui  semble  avoir  été  utilisé  dans  B  icf.  plus  haui.f°  i2j''°i  :  et  le 
cours  du  soleil  et  le  vol  de  la  mouche,  et  la  mousse  rempanie  et  la 
majesté  du  cèdre. 

t  Ici,  dans  le  manuscrit,  un  signe  de  renvoi,  et  à  côté  :  retourner 
au  cahier. 


EDITION    ORIGINALE  I37 

entrer  dans  les  détails,  la  plus  grande  merveille  échappe,  qui  est  l'har- 
monie &  l'accord  du  tout  -.  La  seule  i;éneration  des  corps  vivans  & 
organisés  est  l'abvme  de  l'esprit  humain  '^:  la  barrière  insurmontable  que 


futur  botaniste:  mais  ces  considérations  étaient  classiques;  cf.  Derliam,  Théologie 
physique.  X  ['^3],  58o  :  «  Dans  cette  vue,  la  Nature]  a  garni  quelques  graines  d'une 
espèce  de  duvet  léger,  ou  d'aigrettes  qui  leur  servent  comme  d'ailes,  pour  pouvoir 
être  emportées  par  le  vent.  11  y  en  a  d'autres  qui  sont  renfermées  dans  des  capsules 
élastiques,  dont  le  ressort  les  écarte,  et  les  jette  à  des  distances  convenables,  faisant 
en  cela  l'ofKce  d'un  bon  laboureur  ».  Cf.  encore  Ray,  Existence  de  Dieu  [116], 
122-123,  Pluche  [137],  11,  479  sqq.  Rousseau  a  sacrifié  ce  développement,  trouvant  sans 
doute  qu'il  ne  fallait  point  reprocher  à  Nieuwentyt  d'accumuler  les  observations  de 
détail,  pour  en  apporter  lui-même. 

'  Déjà  Pluche  avait  déclaré  que  «  les  gros  volumes  qu'on  fait  pour  prouver 
l'existence  de  Dieu...  sont  des  discours  en  quelque  sorte  injurieux  aux  lecteurs  ».  et 
il  avait  invité  les  siens  à  surtout  admirer  dans  le  «  Spectacle  de  la  Nature  »  «  l'unité 
de  dessein  »  [137],  II,  469-473.  De  même  Abbadie,  I,  16  [92],  I,  98,  montrait  la  plus 
«  grande  merveille  »  de  l'univers  dans  la  «  subordination  »,  les  «  rapports  »  et  les 
«  proportions  »  des  différents  éléments  qui  composent  cet  admirable  tout  ».  Rousseau 
s'était  depuis  longtemps  assimilé  cette  idée,  et  l'avait  reprise  pour  son  compte  dans  un 
chapitre  de  ses  Institutions  chimiques,  intitulé  «  Le  Mécanisme  de  la  Nature  »  [35]. 
18  :  «  J'entends  tous  les  hommes  vanter  la  magnificence  du  spectacle  de  la  nature, 
mais  j'en  trouve  fort  peu  qui  la  sachent  voir.  Sur  nos  théâtres  d'opéra,  l'un  admire  la 
beauté  des  voix,  l'autre  celle  des  décorations,  l'autre  celle  des  artistes;  celui-ci  n'écoute 
que  la  musique,  un  autre  ne  s'occupe  que  du  sujet;  et  ceux  qui  se  bornent  à  consi- 
dérer les  rouages,  les  cordes  et  les  poulies  ont  encore  trop  à  faire,  s'ils  en  veulent 
embrasser  la  mécanique  tout  à  la  fois.  Enfin,  chacun  donne  son  attention  à  un  objet 
particulier:  rarement  se  trouve-t-il  quelqu'un  qui  juge  le  tout  sur  chacune  des  parties 
rassemblées  et  comparées.  C'est  ce  qui  arrive  encore  plus  communément  sur  le 
théâtre  de  la  nature,  non  pas  au  peuple,  car  il  admire  sans  savoir  quoi,  mais  aux 
philosophes  mêmes...  Des  papillons,  des  mouches  sont  capables  d'épuiser  les  lumières 
et  les  recherches  du  plus  laborieux  physicien.  Mais  si  chaque  partie,  qui  n'a  qu'une 
fonction  particulière  et  qu'une  perfection  relative,  est  capable  de  ravir  d'étonnement 
et  d'admiration  ceux  qui  prennent  la  peine  de  la  considérer  comme  il  faut,  que  serait- 
ce  de  ceux  qui  connaîtraient  les  rapports  de  toutes  les  pièces  et  qui  jugeraient  par  là 
de  l'harmonie  générale  et  du  jeu  de  toute  la  machine  »  ? 

'  C'était  du  moins  l'une  des  questions  les  plus  discutées  parmi  les  «  physiciens» 
du  X\'I11«  siècle.  Il  est  inutile  d'exposer  ici  les  différents  systèmes  de  Leuwenhœck. 
Hartsœker,  Buffon,  Maupertuis.  Bonnet,  etc.  On  en  trouvera  le  résumé  plaisant  fait  par 
Voltaire  dans  L'//omme  aux  quarante  écus  '73],  XXl,  334-339,  qui  est  postérieur  de  six 
ans  à  la  Profession,  et  qui  montrera  combien  le  mystère  de  la  Vénus  physique,  pour 
employer  l'expression  de  Maupertuis  [172],  intéressait  alors  le  grand  public.  L'Enc\-- 
clopédie  est  d'accord  avec  Rousseau  sur  ce  point  ;  et  le  rédacteur  de  l'article  Génération 
[224],  56o  a.  M.  d'Aumont,  admire  comme  lui  cette  «  grande  merveille  »  inexpliquée  : 
«  Cette  disposition  qui  commence,  entretient  et  finit  la  vie  dans  les  êtres  organisés, 
est  sans  doute  un  ouvrage  bien  merveilleux;  mais,  quelque  étonnant,  quelque  admi- 
rable qu'il  nous  paraisse,  ce  n'est  pas  dans  la  manière  dont  existe  chaque  individu 
qu'est  ta  plus  grande  merveille,  c'est  dans  la  succession,  dans  le  renouvellement  et 
dans  la  durée  des  espèces,  que  la  nature  parait  tout  à  fait  inconcevable,  qu'elle  pré- 
sente un   sujet  d'admiration   tout  opposé  ;  dans  cette  vertu  procréatrice,  qui  s'exerce 


138 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


EDITION    ORIGINALE  139 

la  Nature  a  mise  entre  les  diverses  espèces  afin  qu'elles  ne  se  confon- 
dissent pas,  montre  ses  intentions  avec  la  dernière  évidence.  Elle  ne  s'est 
pas  contentée  d'établir  Tordre,  elle  a  pris  des  mesures  certaines  pour  que 
rien  ne  pût  le  troubler  *. 


perpétuellement  sans  se  détruire  jamais;  dans  cette  faculté  de  produire  son  semblable 
qui  réside  dans  les  animaux  et  dans  les  végétaux,  qui  forme  cette  espèce  d'unité  tou- 
jours subsistante.  C'est  pour  nous  un  mystère,  dont  on  a  si  peu  avancé  jusqu'à 
présent  à  rendre  la  profondeur,  que  les  tentatives  les  plus  multipliées  semblent 
n'avoir  servi  qu'à  convaincre  de  plus  en  plus  de  leur  inutilité  ».  On  remarquera  que 
Rousseau  et  d'.\umont  présentent  tous  deux  comme  solidaires  le  problème  de  la  géné- 
ration et  le  problème  des  espèces.  Dans  ses  Institutions  chimiques  [35],  20,  Rousseau 
s'était  déjà  arrêté  à  ce  double  mystère  comme  à  un  témoignage  en  faveur  de  Dieu  : 
«  Cet  abîme  de  la  génération,  dans  lequel  les  philosophes  se  sont  si  longtemps  perdus, 
est  encore  aujourd'hui  le  désespoir  des  incrédules;  la  construction  d'un  corps 
organisé  par  les  seules  lois  du  mouvement  est  une  chimère,  qu'on  est  contraint 
d'abandonner  à  ceux  qui  se  payent  de  mots.  Et,  s'il  y  eût  jamais  d'hypothèse  qui  dût 
passer  pour  une  vérité  constante,  c'est  sans  doute  celle  des  germes  infinis,  au  moyen 
desquels  la  nature,  par  de  simples  développements  et  un  accroissement  progressif, 
dont  le  mécanisme  ne  passe  pas  entièrement  les  bornes  de  nos  lumières,  peuple  suc- 
cessivement la  terre  des  êtres  que  son  .auteur  a  tous  créés  avec  elle  ».  Dans  la 
III'  Lettre  à  Sophie  "25\  154,  il  avait  encore  fait  allusion  à  la  théorie  de  Bufl'on  :  «  Le 
Pline  de  notre  siècle,  voulant  développer  le  mystère  de  la  génération,  s'est  vu  forcé 
de  recourir  à  un  principe  inintelligible  et  inconciliable  avec  les  lois  de  la  mécanique 
et  du  mouvement  ».   Cf.  encore  Turrettin,  Pensées,  III  fiôi],  3o6. 

*  On  a  vu  par  la  note  précédente  que  Rousseau,  à  l'époque  des  Institutions 
chimiques,  était  déjà  un  partisan  décidé  de  «  l'immutabilité  des  espèces  ».  Le  mot  est 
de  Voltaire,  qui  n'avait  pas.  lui  non  plus,  le  plus  léger  doute  sur  la  question,  et  je 
l'emprunte  à  un  ouvrage  que  Rousseau  avait  dû  lire,  les  Éléments  de  la  philosophie 
de  Newton,  I,  7  [i53],  429-431.  Rousseau  trouvait  dans  le  Spectacle  de  la  Sature, 
[137].  Il,  474-475,  des  considérations  analogues  à  celles  qu'il  présente  ici  :  «  L'unité  du 
principe  créateur  de  toutes  choses,  disait  Pluche,  est  encore  plus  sensible  dans  la 
propagation  des  plantes  et  des  animaux.  Puisque  chaque  espèce  d'animal  et  de  plante 
se  perpétue  toujours  dans  toute  la  suite  des  siècles  avec  la  même  figure  et  avec  les 
mêmes  propriétés,  chaque  espèce  a  donc  été  formée  sur  un  plan  particulier;  et 
l'unité  du  plan  nous  ramène  nécessairement  à  l'unité  de  l'mtelligence  qui  l'a  formé. 
Toutes  ces  espèces  dont  le  nombre  et  la  diversité  sont  un  véritable  prodige  con- 
courent encore  à  nous  faire  connaître  l'unité  de  leur  auteur  par  l'unité  du  moyen  qui 
les  perpétue  toutes  ».  D'ailleurs  la  majorité  des  philosophes,  même  déistes,  ne 
contestaient  point  encore  ce  principe.  Seuls  Diderot  et  les  quelques  «  transformistes  », 
auxquels  Rousseau  a  fait  allusion  plus  haut,  se  refusaient  à  parler,  non  seulement  de 
«  barrière  entre  les  espèces  »,  mais  même  de  «  confins  des  règnes  »  ;  et  ils  se 
demandaient  «  s'il  est  permis  de  se  servir  du  terme  de  confins  0(1  il  n'y  a  aucune 
division  réelle  »  (Interprétation  de  la  nature,  XX  '210],  i5).  Cf.  Panckouke,  De 
l'homme  et  de  la  reproduction  des  différents  individus,  texte  cité  dans  le  Journal 
encyclopédique  du  i5  Avril  1761  [46],  19-21  :  «  Tous  les  êtres  ne  composent  qu'une 
longue  chaîne  qui  descend  par  degrés  de  l'animal  le  plus  composé  à  celui  qui 
l'est   moins,    de    celui-ci   à    un   autre   qui   l'est  encore   moins,   car   les   individus    qui 

Se    suivent   dans   cette    chaîne    n'ont    entre    eux    que    de    légères    différences Les 

bornes  qui  séparent  le  règne  végétal  du  règne  minéral  ne  sont  pas  plus  marquées  »,  etc. 


140  REDACTIONS    MANUSCRITES 

B   f°  128  ■■"  "  "  '•'  ^  P'^^  "-"^  ^'^'"2  dans  l'univers  qu'on  ne  puisse  à  quelque  ét^ard 

ret;arder  comme  le  centre  commun  de  tous  les  autres,  autour  duquel 
ils  sont  tous  ordonnés:  en  sorte  qu'ils  «  'sont  »  tous  réciproquement 
fins  et  moyens  les  uns  (^par  raport)  aux  autres.  L'esprit  se  confond  et  se 
perd  dans  cette  infinité  de  raports  dont  pas  un  n'est  [confondu  m]  perdu 

f  129  '''^  dans  la  foule.  ||  Que  d'absurdes  suppositions  pour  déduire  (toute  cette 
harmonie)  de  l'aveugle  mécanisme  de  la  matière  mue  -M'ortuitement  *. 
Ceux  qui  combattent  l'unité  d'intention  qui  se  manifeste  dans  ^  les  raports 
(Si  bien  concertés)  [de  toutes  '^  les  parties]  de  ce  grand  tout  ont  beau  couvrir 
leur  galimathias,  d'abstractions,  '  de  (»  propositions  générales  1  et  d'un  jargon 
de  métaphysique,  quoiqu'ils  fassent  il  m'est  impossible  de  concevoir  un 
sistême  d'êtres  si  constamment  ordonnés,  que  je  ne  conçoive  une 
("volonté!  qui  l'ordonne.  1°  Il  ne  dépend  pas  de  moi  de  croire  que  la 
matière  morte  a  pu  produire  des  êtres  vivans  et  sentans,  qu'une  fatalité 
aveugle  a  pu  produire  des  êtres  intelligens,  que  ce  qui   ne  pense  point 

{0  128  ^'°  ^  P"^'  produire  des  êtres  qui  pensent.  ||  [Quelque  inconcevable  que  soit  à 
l'esprit  humain  le  mécanisme  de  la  nature,  sitôt  qu'un  philosophe  se  mêle 
de  l'expliquer,  il  doit  dire  des  choses  que  les  hommes  entendent],  j 


F,  f*^  160  "■'  t  [Souvenez  vous  toujours  que  je  n'enseigne  point  mon  sentiment 

je  l'expose]. 


'   [(semblent  être)]. 
-  [relativement].  — I.  par  raport. 
■'  M.  <  fortuitement  >.  — I.  <  fortuitement  >. 
"*  [tous  ces  raports  si  justement  combinés]. 
^  M.  le  concert. 
"  M.  <  les  >. 

'  I.   [de  coordinations,]   de  principes  généraux   (et  d'un)  de   termes   (siste- 
matiques)  [emblématiques]. 
"  [théorèmes  généraux]. 
'■'  [intelligence]. 
'"  (Qu'on  me  puisse  dire). 

t  La  fo?-?7iule  avait  déjà  serri  plus  haut,  'B.  f"  126"°,  et  c'est  là 
finalement  qu'elle  restera. 

t  Cette  parenthèse  marginale  a  été  reportée  dans  B  et  les  autres 
Rédactions  au  début  du  paragraphe  suivant. 


EDITION    ORIGINALE  I4I 

11  n'v  a  pas  un  être  dans  l'L'nivers  qu'on  ne  puisse,  à  quelque  égard,  [60] 
regarder  comme  le  centre  commun  de  tous  les  autres,  autour  duquel  ils 
sont  tous  ordonnés,  en  sorte  qu'ils  sont  tous  réciproquement  fins  & 
moyens  les  uns  relativement  aux  autres.  L'esprit  se  confond  &  se  perd 
dans  cette  infinité  de  rapports,  dont  pas  un  n'est  confondu  ni  perdu  dans 
la  foule.  Que  d'absurdes  suppositions  pour  déduire  toute  cette  harmonie 
de  l'aveugle  méchanisme  de  la  matière  mue  fortuitement!  Ceux  qui  nient 
l'unité  d'intention  qui  se  manifeste  dans  les  rapports  de  toutes  les  parties 
de  ce  grand  tout,  ont  beau  couvrir  leurs  galimathias  d'abstractions,  de 
coordinations,  de  principes  généraux,  de  termes  emblématiques  ';  quoi- 
qu'ils fassent,  il  m'est  impossible  de  concevoir  un  système  d'êtres  si  cons- 
tamment ordonnés,  que  je  ne  conçoive  une  intelligence  qui  l'ordonne. 
11  I  ne  dépend  pas  de  moi  de  croire  que  la  matière  passive  &  morte  a  pu  rgl] 
produire  des  êtres  vivans  &  sentans,  qu'une  fatalité  aveugle  a  pu  produire 
des  être  s  (^i  intelligens,  que  ce  qui  ne  pense  point  a  pu  produire  des  êtres 
qui  pensent  '. 


(»(  Édition  originale  :  être  :  C,  D  :  êtres. 

'  Je  ne  crois  pas  qu'il  faille  chercher  derrière  cette  formule  une  allusion  précise. 
Les  variantes  des  manuscrits  nous  montrent  qu'il  faut  plutôt  y  voir  un  équivalent  de 
«  principes  généraux  »  et  de  «  termes  systématiques  ».  Rousseau  semble  songer  de 
nouveau  à  ces  grands  mots  du  «  {argon  métaphysique  »,  qu'il  a  essayé  de  dégonfler 
plus  haut,  p.  52  :  «  force  universelle  »,  «  mouvement  nécessaire  »,  etc. 

'  Cette  conclusion  partielle,  est,  comme  nous  l'avons  vu  plusieurs  lois,  un 
retour  complaisant  en  arrière  sur  une  idée  déjà  e.-çprimée,  mais  dont  il  ne  lui  semble 
pas  avoir  suffisamment  convaincu  son  lecteur  :  l'impossibilité  d'admettre  l'organisation 
fortuite  du  monde.  Ce  développement  a,  d'ailleurs,  été  ajouté  au  texte  primitif,  et  il 
suffit  d'en  regarder  la  première  rédaction  pour  s'apercevoir  que  Rousseau  avait  repris, 
comme  d'instinct,  les  formules  dont  il  s'était  servi  plus  haut,  p.  5o-54  :  «  jargon  de  la 
métaphysique  »,  «  quelque  inconcevable  que  soit  à  l'esprit  humain,  etc.  ».  En  revisant 
soigneusement  son  texte,  il  a  supprimé  ces  répétitions  de  mots,  mais  non  la  répétition 
des  idées. 


142  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

'  Le  monde  est  -donc  gouverné  par  une  ^intelligence  puissante 
et  sage,  je  le  vois,  ou  plus  tôt  je  le  sens,  et  cela  mimporte  à  savoir. 
Mais  ce  ■'même  monde  est-il  éternel  ou  crée,  ''y  a-t-il  un  principe 
unique  des  choses,  v  en  a-t-il  deux  ou  plusieurs  [el  quelle 
est  leur  naturej  ?  Je  n'en  sais  rien,  (^  mais)  que  m'importe,  a 
mesure  que  ces  connoissances  me  deviendront  "intéressantes,  je 
"m'efforcerai  de  les  acquérir;  f  jusques  là  je  !"  renonce  àj  des 
questions  oiseuses  qui  peuvent  inquiéter  '"  (ma  vanité)  mais 
qui  «  sont  »  (  ''  au  dessus  de  ma  raison,  et)  inutiles  à  ma 
conduite  ^-. 


B   f"  128'"  [*'^Que  la  matière  soit  éternelle  ou    créée    qu'il   y   ait  un   principe 

passif  ou  qu'il  n'y  en  ait  point,  toujours  est  il  certain  que  i^  tout  lest 
'■'ordonné  pan  une  intelligence  unique;  car  je  ne  vois  rien  (dans  "'la 
nature  des  choses  «  qui  se  démente  »)  [qui  ne  soit  ordonné  dans  le  même 


'  B.  [«  Je  crois  donc  »  que]. 
-'  B.  (donc). 

■'  B.  (intelligence)  [volonté]. 
■*  M.  <  même  >. 

^  B.   (y  a-t-il...    nature)   [un    principe   passif  des   choses  e.xiste-t-il   par  lui- 
même  ou  si  tout  doit  son  existence  à  l'unique  principe  actif?]. 

"  [et]. 

'  B.  (utiles)  [intéressantes]. 
"  B.  (m'efforcerai)  [tâcherai]. 
•'  (laisse). 

'"  [mon  amour  propre]. 
"  (inutiles  à). 

'-  [et  supérieures  à  ma  raison]. 

'^  B.  Souvenez-vous    toujours   que   je  n'enseigne    point    mon   sentiment,   je 
l'expose. 

'■'  [le]  tout  [est  un  et  (obéit  à)  annonce]. 

'■''  [(  «  gouverné  »  dirigé)]. 

'"  [(la  marche  des  «  l'ordre  des  choses  »  par  ?...  choses)]. 


t  Ici.   en   marge,   l'indication   suivante,   gui  n'a  pas  été  utilisée 
J'ignore  si  cette  intelligence  à  isici  eu  [un]  commencement^mais. 


EDITION   ORIGINALE  I43 

Je  crois  donc  que  le  monde  est  gouverné  par  une  volonté  puissante 
&  sage;  je  le  vois,  ou  plutôt  je  le  sens,  &  cela  m'importe  à  savoir  :  mais 
ce  même  monde  est-il  éternel  ou  créé?  Y  a-t-il  un  principe  unique 
des  choses?  Y  en  a-t-il  deux  ou  plusieurs  -,  &  quelle  est  leur  nature?  Je 
n'en  sais  rien;  &  que  m'importe?  A  mesure  que  ces  connoissances  me 
deviendront  intéressantes,  je  m'efforcerai  de  les  acquérir;  jusques-là  je 
renonce  à  des  questions  oiseuses  qui  peuvent  inquiéter  mon  amour- 
propre,  mais  qui  sont  inutiles  à  ma  conduite  &  supérieures  à  ma  raison  ^. 


Souvenez-vous  toujours  que  je  n'enseigne  point  mon  sentiment,  je 
l'ex-  I  pose.  Que  la  matière  soit  éternelle  ou  créée,  qu'il  y  ait  un  principe         [62] 
passif  ou  qu'il  n'v  en  ait  point,  toujours  est-il  certain  que  le  tout  est  un. 
&  annonce   une   intelligence   unique;   car   je   ne  vois    rien   qui    ne   soii 
ordonné  dans  le  même  système,  &  qui  ne  concoure  à  la  même  fin,  savoir 


'  .M.  de  Beaumont  avait  feint  de  ne  pas  comprendre  ce  passage,  et  d"v  voir  une 
profession  d'indifférence  par  rapport  à  «  l'unité  de  Dieu  »  ou  «  la  multiplicité  des  dieux  » 
iMandement,  111,  5o-5ii.  Rousseau  n'eut  pas  de  peine  à  montrer  que  cette  interpré- 
tation était  un  peu  abusive.  Lettre  à  M.  de  Beaumont,  III,  78-80  :  «  Celui  qui 
ne  connaît  que  deux  substances  ne  peut  non  plus  imaginer  que  deux  prin- 
cipes; et  le  terme,  ou  plusieurs,  ajouté  dans  l'endroit  cité,  n'est  là  qu'une  espèce 
d'explétif,  servant  tout  au  plus  à  faire  entendre  que  le  nombre  de  ces  principes  n'im- 
porte pas  plus  à  connaître  que  leur  nature  »  (p.  79,  note).  Une  des  rédactions  de  It 
aurait  pu.  du  reste,  dissiper  toute  équivoque  :  «  Un  principe  passif  des  choses  existe- 
t-il  par  lui-même,  ou  si  tout  doit  son  existence  à  l'unique  principe  actif  »  ?  .Mais  la 
formule  imprimée  est,  à  elle  seule,  très  intelligible.  La  question  qui  la  précède  :  «  Ce 
même  monde  est-il  éternel  ou  créé  »,  la  question  qui  la  suit  :  «  qu'il  y  ait  un  principe 
actif  ou  qu'il  n'y  en  ait  point  »,  font  assez  comprendre  qu'il  s'agit  ici  d'amorcer  le 
problème  de  l'éternité  ou  de  la  création  de  la  matière,  problème  qui  sera  traité  moins 
brièvement  p.  93-94.  H  faut  reconnaître  qu'on  se  serait  attendu  à  la  discussion  immé- 
diate de  cette  idée  de  création.  Quand  on  la  retrouvera  plus  loin,  dans  des  considéra- 
tions sur  les  attributs  de  Dieu,  elle  causera  alors  une  surprise,  car  on  pouvait  la 
considérer  comme  close  :  et  les  quelques  mots  qui  lui  sont  consacrés  ici  pouvaient 
paraître  suffisants,  du  point  de  vue  de  la  pratique,  qui  est  toujours  le  point  de  vue 
du  V'icaire. 

'  «  Le  bon  prêtre,  dit  Rousseau  commentant  ce  passage  (Lettre  à  M.  de  Beau- 
mont, m.  791,  demeure  indécis  et  ne  se  tourmente  point  d'un  doute  de  pure  spécu- 
lation, qui  n'influe  en  aucune  manière  sur  ses  devoirs  en  ce  monde:  car  enfin  que 
m'importe  d'expliquer  l'origine  des  êtres,  pourvu  que  je  sache  comment  ils  subsistent, 
quelle  place  j'y  dois  remplir,  et  en  vertu  de  quoi  cette  obligation  m'est  imposée  »!  — 
Ces  formules  d'indift'érence  spéculative  reviennent  comme  un  refrain  dans  la  Profession 
après  chaque  discussion  intellectuelle:  elles  en  font  oublier  la  banalité,  et  donnent  à 
l'ensemble  du  discours  son  accent  personnel. 


144  REDACTIONS    MANUSCRITES 

1  sistême]  «  et  qui  ne  concoure  à  »  -  la  même  fin  [^  savoir  la  conservation 
du  tout^]]. 


F    f^  160  "■  '  t  Cet  être   [qui  veut  et  qui   peut  cet  ètre|  actif  quel  qu'il  soit 

qui  (''gouverne)  l'univers  et  (''préside  à)  toutes  choses  je  l'appelle 
Dieu.  (Connois-je  mieux  par  ce  mot  «  l'essence  de  »  l'être  qu'il 
réprésente.  Non).  "Ce  (""mot  n')  exprime  (lue)  les  idées  [de  puis- 
sance •'  et  de  volontéi  que  j'ai  rassemblées  '"  ("dans  mon  esprit  et 
n'exprime  rien  de  plus  '-'.  Je  sais  que  Dieu  est  l'auteur  de  mon 
existence  et  de  celle  de  tous  les  êtres),  il  ''échape  également  à  mes 
sens  et  à  mon  entendement.  Plus  j'y  pense  plus  je  me  confonds, 
je  sais  très  certainement  qu'il  existe,  ('^  mais  quelle  est  son  essence 
est-il  1  '  (corps  ou)  matière  ou  ne  l'est-il  pas,  le  monde  lui-même  est-il 
dieu).  Je  saisi  que  mon  existence  est  subordonnée  à  la  sienne 
et  "l'ouvrage  de  sa  volonté  et  de  sa  puissance  ;  [je  saisj  que  toutes 
[les]  choses  [qui  me  sont  connuesj  sont   absolument]  dans  le  même 


'  I.  s(i)[y]stême. 
-  (la  conserva  tion). 

^  I.  <  savoir  la  conservation  du  toul  dans  l'ordre  établi  >. 
^  B.  par  lui-même,  cet  être  enfin.  —  I.  <  par  lui-même,  cet  être  enfin  >. 
■'  [meut]. 
"  [ordonne]. 

'  B.  Je  joins  à  ce  nom  les  idées  [d'intelligence]  de  puissance. 
"  [nom]. 
"  M.  <  et  >. 

'"  B.  [et  celle  de  bonté  qui  en  est  une  suite  nécessaire]. 

"  [mais  je  n'en  connois  pas  mieux  (l'essence  de)  l'être  auquel  je  l'ai  donné]  ; 
(un  mot). 

'-  [(et  ne  détermine  rien  encore)]. 

'■■'  I.  (échape)  [se  dérobe]. 

"  B.  [et  qu'il  existe  par  lui-même]. 

'^  [esprit]. 

'°  B.  <  l'ouvrage  de...  je  sais  >. 

t  Ici,  en  marge,  quelques  phrases  d'amorce,  inachevées  et  inutilisées  : 
Est  antérieur  (aux  choses)  a  tout  (il  est  donc  éternel).  Ce  qui  a  commencé 
de  (coexistence  et  qui)  il  est  donc  éternel.  Car  le  néant  [n'ayant  aucune 
ressource  ?]  n'a  nulle  force  [connue?]  pour  donner  l'existence  à  rien. 


EDITION    ORIGINALE  145 

la  conservation  du  tout  dans  l'ordre  établi.  Cet  Etre  qui  veut  &  qui 

peut,  cet  Etre  actif  par  lui-même;  cet  Etre,  enOn,  quel  qu'il  soit,  qui 

meut  l'Univers  &  ordonne  toutes  choses,  je  l'appelle  Dieu  i.  Je  joins 

à  ce   nom    les   idées  d'intelligence,   de   puissance,   de   volonté  que  j'ai 

rassemblées,  &  celle  de  bonté  qui  en  est  une  suite  nécessaire  ;  mais  je  n'en 

connois  pas  mieux  l'Etre  auquel  je  l'ai  donné  ;  il  se  dérobe  également  à 

mes  sens  &  à  mon  entendement;  plus  j'y  pense,  plus  je  me  confonds  :  je 

sais  très-certainement  qu'il  existe,  &  qu'il  existe  par  lui-même;  je  sais 

que  mon  |  existence  est  subordonnée  à  la  sienne,  &  que  toutes  les  choses         [63] 

qui  me  sont  connues  sont  absolument  dans  le  même  cas.  J'apperçois 

Dieu  par-tout  dans  ses  œuvres,  je  le  sens  en  moi,  je  le  vois  tout  autour 

de  moi  :  mais  si-tôt  que  je  veux  le  contempler  en  lui-même,  si-tôt  que 

je   veux  chercher  où   il   est,   ce   qu'il   est,   qu'elle  est   sa   substance,  il 

m'échappe,  &  mon  esprit  troublé  n'apperçoit  plus  rien  i. 


'  Cf.  Buffier.  Premières  Vérités,  465  [120",  II,  67  :  «  Il  est  donc  une  intelligence 
qui  est  la  cause  de  cet  ordre.  Cette  cause  intelligente,  supérieure  à  tout  l'Univers 
et  à  tout  homme,  et  qui  les  a  faits  ce  qu'ils  sont,  est  ce  que  j'appelle  Dieu  ». 

'  Quelques  pages  avant  la  Profession  de  foi.  II,  226,  Rousseau  avait  déjà  dit. 
en  des  termes  presque  identiques,  comme  si  ['Emile  et  la  Profession  avaient  été 
composés  séparément  et  devaient  avoir  des  destinées  distinctes  :  <  L'Etre  incom- 
préhensible qui  embrasse  tout,  qui  donne  le  mouvement  au  monde  et  forme  tout  le 
svstème  des  êtres,  n'est  ni  visible  à  nos  yeux,  ni  palpa'ole  à  nos  mains,  il  échappe  à 
tous  nos  sens  :  l'ouvrage  se  montre,  mais  l'ouvrier  se  cache.  Ce  n'est  pas  une  petite 
affaire  de  connaître  enfin  qu'il  existe;  et,  quand  nous  sommes  parvenus  là,  quand 
nous  nous  demandons  quel  est-il r'  où  est-il?  notre  esprit  se  confond,  s'égare  et  nous 
ne  savons  plus  que  penser  ».  —  Ici  s'arrête  —  provisoirement  —  dans  le  texte  définitif, 
l'analvse  sommaire  des  attributs  de  Dieu;  elle  sera  reprise,  p.  92  sqq.  Dans  la  Pre- 
mière Rédaction,  elle  continue  quelque  temps  encore,  mais  pour  recommencer  aussi 
plus  loin.  On  pourrait  être  étonné  de  ce  morcellement,  si  nous  n'avions  déjà  vu 
que,  chez  Rousseau,  l'allure  de  la  discussion  est  parfois  sinueuse,  et  qu'il  revient 
volontiers  sur  des  questions  qu'il  semblait  avoir  épuisées.  On  voit  cependant  pour 
quelles  raisons  il  a  préféré  fractionner  ce  développement  sur  la  nature  divine.  Au 
point  où  il  en  est  arrivé,  il  n'a  encore  découven  que  «  les  attributs  par  lesquels  il 
connaît  l'existence  de  Dieu  »;  c'est  seulement  quand  il  aura  résolu  le  problème  de 
la  liberté  et  de  l'immortalité,  c'est-à-dire  quand  il  aura  étudié  les  rapports  de  Dieu 
avec  l'homme  et  «  ceux  de  ses  attributs  qu'iV  lui  importait  de  connaître  »  (p.  921,  que 
Rousseau  pourra  dire  tout  ce  qu'il  pense  de  Dieu  ;  cf.,  plus  bas,  p.  68,  note  2.  —  On 
aura  remarqué  dans  la  Première  Rédaction,  1^  160".  que  Rousseau  semble  s'arrêter  un 
instant  à  l'hvpothèse  d'un  Dieu  qui  se  confondrait  avec  le  monde.  Il  la  repoussera  plus 
loin,  p.  92  :  «  La  suprême  intelligence  qui  régit  le  monde  n'est  plus  le  monde  même  ». 

10 


146  RFDACTIOXS    MANUSCRITES 

cas  'car  je  vois  clairement  que  chaque  chose  (-existe)  pour  le  tout 
et  que  le  tout  est  un  et  resuite  d'un  seul  et  même  sistême.  J'apperçois 
Dieu  par  tout  dans  ses  œuvres  ,  je  le  sens  en  moi  je  le  vois  tout 
autour  de  moi,  ('et  quand  je  veux  'savoir)  '■ce  qu'il  est,  où  il  est 
quelle  est  "^  sa  substance  il  m'échape  et  mon  esprit  troublé  n'ap- 
perçoit  plus  rien. 

j('Je  8  ne  le  connoitrai  jamais  par  son  être.  Je  ne  puis  donc 
l'étudier  que  par  ses  attributs,  et  ces  attributs  eux  mêmes  n'ont 
point  leur  idée  juste  dans  mon  entendement.  Je  ne  peux  pas  même 
le  bien  concevoir  par  ses  attributs  'car  '"comment  les  concevrai-je j 
autrement  ("qu'en  les  comparant  aux  facultés)  humaines).  [Jamais 
induction  ne  fut  (tirée)  plus  légitimement  '-%  jamais  on  n'a  plus 
raisonablement  conclud  de  ce  qu'on  aperçoit  à  ce  qu'on  n'apperçoit 
pas],  t  '^  L'homme  est  intelligent  quand  il  raisonne,  et  la  suprême 


'  B.  (car  je  vois  clairement  que même  sistême). 

-  [est  faite]. 

'  [mais  sitôt  que  je  veux  le  contempler  lui-même,  sitôt  que  je  veu.\].  — 
B.  [en]  lui-même.  — I.  en  lui-même,  Imon)  sitôt. 

*  [chercher]. 

^  B.  où  il  est.  ce  qu'il  est,  et. 

■■'  B.  «  sa  substance  »  [(son  essence.,,  sa  nature)]. 

'  B.  <  Je  ne  le  connoitrai...  qu'on  n'aperçoit  pas  >. 

"  (le|. 

'■'  (Je  ne  puis...  Pour  connoitre...  juger). 

'"  (pour  en  juger  il  faut  que). 

"  [que  par  des  notions  purement]. 

■=  [tirée]. 

'^  B.  Dieu  est  intelligent;  mais  comment  l'est-il  ?  L'homme. 

t  Ici,  dans  l'interligne,  l'indication  suivante  :  pénétré  +  ci  après. 
C'est  un  renvoi  au  développement  que  l'on  lira  plus  loin,/"  160  >'"  : 
Pénétré  de  mon  insuffisance,  développement  qui  vient  en  effet  se  placer 
ici  dans  B  et  les  autres  Manuscrits.  —  D'autre  part,  Rousseau  a  écrit 
en  marge  :  Transposer,  )iote  qui  correspond  à  celle  du  f^>  i63""  :  Rétro- 
gradez trois  feuillets. 

t  Par  suite  de  la  transposition  indiquée  par  Rousseau  (cf.  note 
précédente),  le  texte  de  B  et  des  autres  Afanuscrits  correspondant  au  texte 
de  F  qui  commence  ici,  est  reporté  beaucoup  plus  loin,  comme  dans 
l'édition  originale  :  B,  f"   143''":  M,  p.  36;  I.  p.  206. 


EDITION   ORIGINALE  I47 


[Le  développement  sur  les  attributs  de  Dieu  qui,  dans  F, 
vient  se  placer  ici,  a  été  reporté  dans  l'édition  orii;inale, 
p.  94-96]. 


148  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

intelligence  n'a  pas  besoin  de  raisonner.  11  n'y  a  pour  elle  ni 
f°  160  '"  prémice  ni  conséquence  ||  il  n'y  a  pas  même  de  proposition.  ['  Elle 
comprend  à  la  fois  (toutj  ce  qui  est  (et)  [tout]  ce  qui  peut  être]. 
-Toute  (la)  vérité  (des  choses  est  comprise  pour)  elle  (Mans)  une 
seule  idée  comme  tous  les  lieux  ('dans)  un  [seul]  point  et  tous  les 
tems  (dans)  un  [seul]  moment.  La  puissance  ^  de  l'homme  agit 
par  des  moyens,  la  puissance  '"'de  Dieu  'n'agit  que  par  elle  même, 
8 il  peut  parce  qu'il  veut.  Sa  volonté  fait  son  pouvoir.  Dieu  est  bon 
rien  n'est  plus  manifeste  :  Mais  «  f  la  bonté  dans  l'homme  est 
l'amour  de  ses  semblables,  '^  la  bonté  »  '"dans  «  Dieu  est  l'amour 
de  l'ordre  »  [car  c'est  par  l'ordre  qu'il  (*i  donne  à)  ce  qui  existe 
(toute  l'existence  qu'il  peut  avoir)  et  lie  chaque  partie  avec  le  tout]. 
[Dieu  est  juste.  J'en  suis  convaincu.  L'injustice  des  hommes  est  leur 
œuvre  et  non  pas  la  sienne.  Le  desordre  moral  qui  dépose  contre 
la  providence  aux  veux  des  ('-hommes)  ne  fait  que  la  démontrer 
aux  miens.  Mais  la  justice  '^humaine  est  de  rendre  à  chacun  ce 
qui   lui   apartient  et   la   justice  de    Dieu    '*  est    '-'de  redemander  à 


'  B.  Elle  est  purement  intuitive,  elle  voit  également  tout  ce  qui  est  et  tout. 

-  toute  [s  les]  vérité  [s  ne  sont  pour]. 

'  [qu-]. 

^  B.  (La). 

■''  B.  humaine. 

"  B.  divine. 

'  B.  (n')  agit  par. 

"  B.  Dieu. 

"  B.  et. 

">  de. 

"  [maintient]. 

'^  [philosophes]. 

"  B.  de  l'homme. 

'*  B.  de  demander  compte  à  chacun. 

'•■  (la  mot  illisible). 


t  Celte  tnaxime  :  la  bonté...   l'amour  de  l'ordre,   avait  d'abord  été 
notée  en  marge,  au  verso  du  f"  précédent. 


ÉDITION    ORIGINALE  149 


150  REDACTIONS   MANUSCRITES 

chacun  compte  de  ce  qu'il  lui  a  donné,  f  '  Ainsi  plus  je  (*  m'efforce 
de)  contemple(r)  Dieu  dans  ses  attributs  moins  je  le  conçois,  mais 
moins  je  le  conçois  et  plus  je  l'adore.  (^  J')humilie  (ma  vaine 
raison)  *  devant  lui  ('' je)  lui  dis  :  Etre  des  êtres  je  suis  parce 
que  tu  es.  («  Le  plus  digne  »  usage  de  ma  raison  est  de  s'anéantir 
devant  toi)  c'est  m 'élever  à  ma  source  que  de  '■  contempler  ton 
essence  ']. 

(■*  Comment  vois-je)  ces  attributs  dont  je  n'ai  nulle  "  idée, 
('''par)  des  conséquences  ''forcées,  '^  par  le  bon  usage  de  ma 
raison,  mais  je  les  affirme  sans  les  '^ concevoir.  Je  me  dis  Dieu 
est  ainsi,  je  le  sens,  je  me  le  prouve,  ('^mais)  je  n'en  ''comprends 
pas  mieux  "'comment  (''il)  peut  être  ainsi. 


'  B.  («  Ainsi  *)  [Enfin]. 

-  B.  m'efforce  de  contempler  son  essence  infinie,  moins  je  la  conçois;  mais 
elle  est,  cela  me  suffit;  moins  je  la  conçois,  plus  je  l'adore. 

"  [Je  m']humilie. 

*  B.  <  devant  lui  >. 

°  [et]. 

^  B.  [te]  méditer  sans  cesse. 

'  [Le  plus  digne  usage  de  ma  raison  est  de  s'anéantir  devant  toi].  —  B. 
s'anéantir  devant  toi.  (Dans  mes)  [C'est  mon]  ravissement  d'esprit  (et)  [c'est]  le 
charme  de  ma  foiblesse  de  me  sentir  accablé  de  ta  grandeur. 

"  (Tous)  [Que  si  je...  viens-(je)  à  connoitre].  —  B.  à  découvrir  (ainsi  ces) 
[successivement  ces]. 

"  B.  véritable. 

'"  [c'est].  — B.  c'est  par. 

"  B.  (forcées)  [nécessaires]. 

'-  [c'est]. 

'^  B.  (concevoir)  [comprendre],  et  dans  le  fond  c'est  n'affirmer  rien.  J'ai 
beau  me  dire,  Dieu. 

'*  [et].  —  B.  <  et  >. 

"  B.  conçois. 

'"  (qu'aucun  être). 

"  [Dieu]. 


t  Dayts  B  et  les  autres  Maniisc>-its,  la  fin  du  paragraphe  fortne  un 
développement  séparé,  qui  est  reporté  après  le  paragraphe  suivant. 


ÉDITION    ORIGINALE  ^5^ 


152  REDACTIONS    MANUSCRITES 

f  Pénétré  de  mon  insuffisance  je  ne  raisonnerai  jamais  sur 
lia  nature  de  Dieu  que  je  n'y  sois  forcé  par  -raport  à  moi-même, 
ces  raisonnemens  sont  toujours  téméraires.  Un  homme  sage  ne 
doit  les  faire  qu'en  tremblant  |carj  ce  qu'il  y  a  de  plus  inju- 
rieux à  la  divinité  n'est  pas  de  n'y  point  penser,  [mais]  ^  c'est 
de  mal  penser  d'elle. 


7.  La  place  de  l'homme  dans  la  Nature. 


^  Après  avoir  découvert  ^ceux  de  ses  attributs  *  par  lesquels 
je  conçois  son  existence,  ('il  me  reste  a)  cherche(r)  quel  rang 
j'occupe  dans  l'ordre  des  choses  qu'elle  gouverne  et  que  «  je 
puis  examiner  ».  Je  me  trouve  incontestablement  au  premier 
par  mon  espèce  :  car  ^^  par  ma  volonté  ^  et  par  les  instrumens  '"  qui 
sont  en  mon  pouvoir  pour  l'accomplir  j'ai  plus  de  force  pour 
agir  sur  '^tous  les  corps  ['-animés  ou  inanimés]  qui  m'environ- 
nent  '-^qu'aucun   d'eux   n'en   a   pour   agir   sur    moi   par   la   seule 


'  B.  (la  nature  de  Dieu)  [l'essence  divine]. 

-  B.  ses  râpons  avec  moi.  —  I.  [le  sentiment  de]  ses  râpons. 

^  B.  (c'est  de)  [d'en]  mal  penser  (d'elle).  —  I.  c'est  de  mal  penser  d'elle. 

^  [(Je  reviens  à  moi)]. 

^  (son  existence  sa  «  providence  ses  attributs  »). 

"  (qui  me). 

'  [je  reviens  à  moi  et  je]. 

"  M.  tant. 

'■'  M.  que. 

'"  B.  (qui  sont  en  mon  pouvoir  j'ai  plus)  [que  j'ai  receus]  pour  l'exécuter, 


I  ai. 


"  I.  (tout  ce  qui)  [tous  les  corps]. 

'-  B.  <  animés  ou  inanimés  >  «  les  corps  »  (êtres  sensibles  matériels). 

"  B.  [ou  pour  me  f^arantir  de  leur  action]. 

t  Le  paragraphe  qui  commence  ici  se  trouve  dans  B  et  les  autres 
Manuscrits  immédiatement  après  la  phrase  :  et  mon  esprit  troublé 
n'aperçoit  plus  rien  :  cf.,  plus  haut,/"   160''". 


EDITION    ORIGINALE  153 

Pénétré  de  mon  insuffisance,  je  ne  raisonnerai  jamais  sur  la  nature 
de  Dieu,  que  je  n'y  sois  forcé  par  le  sentiment  de  ses  rapports  avec  moi. 
Ces  raisonnemens  sont  toujours  téméraires:  (*,'  un  homme  sage  ne  doit 
s'y  livrer  qu'en  tremblant.  &  sûr  qu'il  n'est  pas  fait  pour  les  approfondir  : 
car  ce  qu'il  y  a  de  plus  injurieu.x  à  la  Divinité  n'est  pas  de  n'y  point 
penser,  mais  d'en  mal  penser  2. 


7.  La  place  de  l'homme  dans  la  Nature. 


Après  avoir  découvert  ceu.x  de  ses  attributs  par  lesquels  je  connois 
son  I  e.xistence,  je  reviens  à  moi  ',  &  je  cherche  quel  rang  j'occupe  dans  [64] 
l'ordre  des  choses  qu'elle  gouverne,  &  que  je  puis  examiner.  Je  me 
trouve  incontestablement  au  premier  par  mon  espèce  ;  car  par  ma 
volonté  &  par  les  instrumens  qui  sont  en  mon  pouvoir  pour  l'e.xécuter, 
j'ai  plus  de  force  pour  agir  sur  tous  les  corps  qui  m'environnent, 
ou  pour   me    prêter   ou    me  dérober  comme    il  me  plaît   à   leur  action, 


!■!  En  marge  de  C.  à  partir  de  cet  endroit  et  jusqu'à  la  fin 
du  paragraphe.  Rousseau  a  mis  un  trait  tremblé. 

'  Quelques  pages  avant  la  Profession  de  foi,  II.  23o,  Rousseau  avait  déià  dit 
—  et  cette  nouvelle  répétition  icf.  note  précédentei  pourrait  témoigner,  elle  aussi,  de 
l'indépendance  de  la  Profession  par  rapport  au  reste  de  VÉmile,  si  Rousseau  s'inter- 
disait plus  soigneusement  les  redites  —  :  «  Il  vaudrait  mieu.\  n'avoir  aucune  idée  de 
la  Divinité  que  d'en  avoir  des  idées  basses,  fantastiques,  iniurieuses,  indignes  d'elle; 
c'est  un  moindre  mal  de  la  méconnaître  que  de  l'outrager.  J'aimerais  mieux,  dit  le 
bon  Plutarque,  qu'on  crût  qu'il  n'y  a  point  de  Plutarque  au  monde,  que  si  l'on  disait 
que  Plutarque  est  injuste,  envieux,  jaloux,  et  si  tyran,  qu'il  exige  plus  qu'il  ne  laisse 
le  pouvoir  de  faire  ».  Ce  texte  de  Plutarque  était  connu  dans  les  milieux  philosophiques  : 
l'abbé  Yvon  l'avait  cite'  dans  son  article  Athées  de  l'Encyclopédie  [196],  I,  802  b. 
Diderot  s'en  était  aussi  servi  dans  les  Pensées  philosophiques,  XII  [177],  i3o.  pour 
appuyer  des  considérations  analogues  à  celles  de  Rousseau  :  «  Oui,  je  le  soutiens,  la 
superstition  est  plus  injurieuse  à  Dieu  que  l'athéisme  :  j'aimerais  mieux,  dit  Plu- 
tarque »,  etc.  Pour  le  fond,  l'idée  est  apparentée  à  la  théorie  que  Bavie  a  rendue 
célèbre,  et  que  Rousseau  rappellera  à  la  fin  de  la  Profession,  p.  198.  note  :  «  le 
fanatisme  est  plus  pernicieux  que  l'athéisme  ».  Mais  il  fera  alors  de  telles  réserves  à  ce 
principe  «  incontestable  »  que,  tout  en  paraissant  s'y  rallier,  il  le  renversera,  ici  au 
contraire,  il  semble  l'accepter  sans  restriction. 

'  A  vrai  dire,  il  n'a  point  à  y  revenir.  C'est  ce  sentiment  du  moi  individuel,  de 
son  bonheur,  de  sa  destinée,  sentiment  perpétuellement  présent  dans  l'âme  de  Rousseau, 
qui  donne  à  cette  *  profession  de  foi  »  l'unité,  sinon  de  doctrine,  du  moins  de  ton. 


154  REDACTIONS    MANUSCRITES 

('action)   physique  -.    ['Je  suis  le  seul  encore  qui  sache  considérer 

tous  les  autres  et  'jouir  de  l'existence  commune  ^  et  particulière. 
Oui  tout  est  fait  pour  moi  seul  si  je  ■'''suis;  le  seul  qui  sache 
raporter  tout  à   ("moi-même)]. 


B    f"  130 ''°  ([Quoi    je    puis    **connoitre    ce    que    c'est   qu'ordre   (vertu)   beauté 

imoralei,  [honnêteté)]  •',  je  puis  contempler  l'univers  et  '"son  auteur 
[je  puis  aimer  le  bien,  le  faire]  et  je  me  compare  aux  bétes  ?  Ame 
('ivilei  (i-tu  n'avilis  point  ton  espèce  pan  ta  !•  moire  philosophie  '*  {^'■>  tu) 
n'avili(s)  que  ("^  ton  individu)  '■]). 


'   [impulsion], 

-  B.  [Et  par  mon  intelligence  je  suis  le  seul  qui  ait  inspection  sur  «  le  tout  » 
(tous  les  autres)]. 

^  B.  (Je  suis  le  seul  encore  qui  sache)  [quel  être  ici  bas  hors  l'homme  sait] 
considérer. 

■■  B.  [étudier]  (juger)  [calculer]  prévoir  leurs  mouvemens,  leurs  effets  et 
(jouir)  [joindre  «  pour  »  ainsi  dire]  (le  sentiment  de)  l'existence.  —  I.  (juger) 
mesurer  leurs  mouvemens....  et  joindre  le  sentiment  de. 

'■  B.  à  (celui  de  mon.,  son  existence  particulière)  [la  sienne]  .''  Qu'y  a-t-il 
[(donc)]  de  si  ridicule  à  (croire)  [penser]  que  tout  est  fait. 

"  (puis). 

'  [lui-même]. 

'  [(admirer,  connoitre)  observer  (la  nature  entière)  [(les  êtres  et  leurs 
râpons)]  [la  nature  et  toutes  ses  productions  ;]  je  puis  sentir  ce  que  c'est],  f 

^  [vertu] . 

'"  [connoitre  (vénérer)  honorerj. 

"  [abjecte]. 

'^  [(ne  crois  pas  par  la)]. 

'"  [sombre]. 

'■*  [(avilir  ton  espèce)  n'avilit  point  ton  espèce]. 

'*  [elle]  n'avili[t]. 

'"  [toi  seul]. 

"  (O  écartons  de  nos  cœurs  cette  abjecte  philosophie  qui  nous). 

t  Ces  corrections  et  additions  ont  été  faites  par  Rousseau,  lorsqu'il 
a  déplacé  le  morceau  :  Quoi  je  puis  connoitre,  etc.,  et  qu'il  l'a  reporté 
après  :  admirer  le  soleil. 


EDITION    ORIGINALE  155 

qu'aucun  d'eux  n'en  a  pour  agir  sur  moi  malgré  moi  par  la  seule 
impulsion  physique,  &.  par  mon  intelligence,  je  suis  le  seul  qui  ait 
inspection  sur  le  tout  -.  Quel  être  ici  bas.  hors  l'homme,  sait  observer 
tous  les  autres,  mesurer,  calculer,  prévoir  leurs  mouvemens,  leurs 
effets,  &  joindre,  pour  ainsi  dire,  le  sentiment  de  l'existence  com- 
mune à  celui  de    son   existence   individuelle  '  ?  Qu'v  a-t-il  de    si   ridi- 


'  La  valeur  qui  prend  ici  cette  formule  est  précisée  par  les  lignes  qui  suivent. 
Rousseau  veut  dire  :  «  ie  suis  le  seul  qui  de  son  regard  sache  embrasser  le  tout  » 
icf,,  d'ailleurs,  le  te.tte  de  la  Première  Rédaction  :  «Je  suis  le  seul  encore  qui  sache 
considérer  tous  les  autres  »).  11  modifie  ainsi  arbitrairement,  —  car  je  n'en  ai  point 
trouvé  d'autre   exemple,   —   le   sens  de  cette   locution   :   «   avoir   inspection    sur  »  .■ 

cf  Féraud  i25o^,  II,  478  :  «  Inspection ,  charge  et  soin  de  veiller  :  On  lui  a  donné 

l'inspection  sur,  il  a  inspection  ou  l'inspection  sur,  etc.  On  sait  a  quel  point  les  biens 
dépérissent,  quand  le  maître  n'a  aucune  inspection  dessus  (Cochin).  Dans  cette 
phrase,  le  mot  me  paraît  impropre,  car  inspection  se  dit  de  la  vigilance  et  de  l'attention 
dont  un  autre  nous  charge,  et  non  de  celle  que  notre  intérêt  nous  inspire  ».  Rousseau 
écrira  plus  tard,  avec  la  signification  traditionnelle,  Lettres  de  la  montagne,  III,  216  : 
«  Le  pouvoir  législatif  consiste  en  deu.x  choses  inséparables,  faire  les  lois  et  les 
maintenir,  c'est-à-dire  avoir  inspection  sur  le  pouvoir  exécutif  »  ;  et  déjà,  dans  la 
Lettre  à  D'Alembert,  I,  217  :  «  La  police  a  sur  tous  une  inspection  facile».  Mais, 
ailleurs  encore,  il  emploie  le  mot  inspection  dans  un  sens  très  voisin  de  celui  qu'il 
lu  donne  ici;  cf.  Institutions  chimiques,  1\',  Introduction  [i],  II,  16  :  «  Quoique  les 
opérations  de  la  nature  soient  peut-être  purement  mécaniques,  cette  mécanique, 
qui  s'exerce  sur  des  particules  insensibles  de  la  matière  n'est  point  soumise  à  notre 
inspection  ■».  Cf.  encore,  Souveile  Héloïse,  IV,  38,  Emile,  II,  176,  etc.;  et,  dans  la 
Profession  même,  p.  iSg. 

'  Cet  éloge  de  l'espèce  humaine  est  un  thème  classique  dans  l'apologétique 
spiritualiste  (cf.,  sur  le  sens  où  je  prends  ce  mot,  la  note  de  la  page  48  .  J'emprunte 
aux  livres  les  plus  familiers  à  Rousseau  quelques  textes  caractéristiques,  qui 
serviront  de  commentaire  à  ce  passage,  et  qui  pourront  éclairer  aussi  les  déve- 
loppements qui  suivent.  Je  souligne  les  phrases  qui  me  paraissent  présenter  avec 
celles  de  Rousseau  le  plus  d'affinités  de  mots  ou  de  pensée,  .\bbadie,  I.  i2-i3 
[92],  I,  79  :  «  Il  ne  faut  pas  nous  imposer  comme  font  ordinairement  les  incrédules 
qui  se  croient  en  droit  de  railler  de  ces  expressions  que  l'homme  est  le  roi  de 
iVnivers  ou  que  le  monde  a  été  fait  pour  lui  »  ;  et  82  :  «  [L'homme]  assernble,  quand  il 
lui  plaît,  dans  un  atome  la  terre  et  les  deux,  ce  que  nous  voyons  et  ce  que  nous  ne 
voyons  pas  des  immenses  espaces  qui  nous  environnent  ;  il  parcourt  toutes  les  parties 
de  l'Univers  sans  se  mouvoir,  d'une  manière  plus  admirable  et  plus  surprenante 
que  s'il  se  mouvait;  il  assemble  dans  la  simplicité  d'un  même  sujet  le  passé,  le  présent, 
et  l'avenir,  la  vie  et  la  mort,  la  lumière  et  les  ténèbres,  les  éléments  les  plus  contraires 
et  les  qualités  les  plus  incompatibles,  et,  encore  qu'il  soit  caché  et  enseveli  dans  un  coin 
de  l'I'nivers,  il  fait  venir  l'inivers  che^  lui,  quand  il  lui  plaît  f:  Spectacle  de  la 
nature  [iSy],  1,  53  2-535  :  «  Il  n'est  rien  autour  de  "l'homme]  qui  n'obéisse  à  ses  lois. 
Tout  petit  qu'il  est,  sa  raison  lui  donne  un  pouvoir  qui  n'a  point  d'autres  bornes  que 
celles  de  la  terre  qu'il  habite.  Ses  désirs  s'accomplissent  dans  les  deux  bouts  du 
monde.  //  en  rapproche,  pour  ainsi  dire,  les  extrémités,  quand  il  lui  plaît,  et  les 

met  en  correspondance  sans  sortir  de  chez  lui Il  rapproche  ainsi   tous  les  êtres  : 

ils  tendent  tous  à  lui.  Sa  présence  est  un  lien  qui  forme  un  tout  de  tant  de  parties 


156  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


EDITION   ORIGINALE  I57 

cule  *  à  penser  que  tout  est  fait  pour  moi,  si  je  suis  ]  le  seul  qui  sache         [35] 
tout  rapporter  à  lui  >  ? 


d  fférenles.  Il  en  est  l'âme.  Enfin,  par  la  raison,  l'homme  non  seulement  est  le  centre 
des  créatures  qui  l'environnent,  mais  il  en  est  encore  le  prêtre  »;  Saint  .Aubin.  111.  3 
'i^r.  II,  193  sqq,  expose  aussi  les  «sentiments  partagés  sur  la  question  si  le  monde 
a  été  créé  pour  l'homme»;  il  se  demande  (p.  197!  «sur  quoi  est  fondée  la  vanité 
de  Ihomme.  Chaque  espèce  de  bête  peut  se  croire  la  plus  favorisée  de  la  nature. 
Pourquoi  un  oison  ne  dira-t-il  pas  :  toutes  les  parties  de  l'univers  sont  faites 
pour  moi»?  etc.;  et  il  conclut  (p.  1981:  «Mais  nous  pouvons  nous  assurer  que 
l'homme  n'est  point  déraisonnable  dans  cette  prétention  que  l'univers  a  été  créé  pour 
lui,  parce  qu'il  a  été  créé  lui-même  pour  Dieu  »,  etc.  Cf.  encore  La  Bruyère,  XVI  [98], 
II.  269-270.  Clarke,  II,  7  [i25],  II,  211-212;  Haller  '200],  iSS-iSg,  etc.  Ils  étaient,  d'ailleurs, 
légion,  auï  environs  de  1760,  les  naturalistes,  physiciens  ou  théologiens,  qui  pensaient 
avec  Rousseau  que  «  tout  est  fait  pour  l'homme  »  :  cf.  quelques  textes  significatifs 
ap.  .Mornet,  Les  Sciences  de  la  nature,  II,  3   289  ,  i5o  sqq. 

♦  Rousseau  se  souvient  sans  doute  des  ironies  de  Pope  et  de  Voltaire  sur  les 
Te  Deum  trop  complaisamment  anthropocentriques  de  la  vanité  humaine;  cf.  Essai 
sur  ihomme,  I  et  III  [i3r,  29,  37-39,  91  :  «  Lorsque  l'homme  crie  :  voyez,  tout  est 
pour  mon   service,  —  Voyez  l'homme  qui  est  pour  le  mien,  réplique  l'oison  qu'on 

engraisse L'homme   'est]   plus   oison   que   l'oison,   lorsqu'il   prétend   que   le   tout 

soit  fait  pour  un,  et  non  pas  un  pour  le  tout  »;  Discours  sur  l'homme,  VI  '152],  417  : 

L'homme  vint  et  cria  :  je  suis  puissant  et  sage, 
Cieux,  terres,  éléments,  tout  est  pour  mon  usage,  etc. 

Presque  tout  ce  VI'  Discours  est  consacré  à  remettre  en  sa  modeste  place  «  l'homme, 
ce  roi  du  monde*  '419).  Cf.  la  note  suivante. 

'  Il  semblerait  pourtant  que  quelques  années  auparavant  Rousseau  fut  de  l'avis 
contraire;  cf.  sa  IV  Lettre  à  Sophie  [23],  i58-i59  :  «  Soyons  humbles  de  notre  espèce, 
pour  pouvoir  nous  enorgueillir  de  notre  individu.  Ne  disons  point,  dans  notre  imbécile 
vanité,  que  l'homme  est  le  roi  du  monde;  que  le  soleil,  les  astres,  le  firmament,  l'air,  la 
terre,  la  mer  sont  faits  pour  lui  ;  que  les  végétaux  germent  pour  sa  subsistance,  que  les 
animaux  vivent  afin  qu'il  les  dévore.  Avec  cette  manière  de  raisonner,  pourquoi  chacun 
ne  croira-t-il  pas  que  le  reste  du  genre  humain  fut  créé  pour  le  servir?....  Si  nous  étions 
privés  de  la  vue.  par  où  pourrions-nous  apprendre  qu'il  existe  des  oiseaux,  des  poissons, 
des  insectes  presque  insensibles  au  toucher?  Plusieurs  de  ces  insectes,  à  leur  tour, 
paraissent  n'avoir  aucune  idée  de  nous.  Pourquoi  donc  n'e.xisterait-il  pas  d'autres  espèces 
plus  excellentes,  que  nous  n'apercevrons  jamais  faute  de  sens  propres  à  les  découvrir, 
et  pour  qui  nous  sommes  peut-être  aussi  méprisables  que  les  vermisseaux  le  sont  à  nos 
yeux  »?  11  est  certain  que  l'état  d'esprit  de  Rousseau  n'était  pas  alors  celui  de  la  Profes- 
sion, et  que  cette  «  humilité  de  l'espèce  »,  qu'il  prêchait  à  Sophie,  se  concilie  mal  avec 
cette  affirmation  qu'on  lira  dans  le  paragraphe  suivant  :  «  je  ne  vois  rien,  après  Dieu;,  de 
meilleur  que  mon  espèce  ».  Néanmoins  les  deux  sentiments  ne  sont  pas  absolument 
contradictoires.  Dans  la  Lettre  à  Sophie,  après  cette  invitation  à  «  l'humilité  »,  Rousseau 
ajoute  :  «  c'est  assez  déprimer  l'homme  »  ;  et  il  commence  à  le  «  relever  »  par  des  argu- 
ments analogues  à  ceux  de  la  Profession.  Enfin,  ici  même.  Rousseau  ne  dit  pas  que 
«  l'homme  est  le  roi  du  monde  »,  mais  «  de  la  terre  qu'il  habite  ».  Il  y  a  entre  les  deux 
formules  une  différence  :  cf.  la  note  suivante. 


158  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

F,  f"  160  '"  Il  est  donc  vrai  que  l'homme  est  le  roi  de  la  nature    (et  de  tous 

les  animaux)  au  moins  sur  la  terre  qu'il  habite  car  'il  dispose 
des  elemens  par  son  industrie  i-et)  lui  seul  en  sait  disposer. 
[(^Enfin'i  il  s'approprie  ^encore  par  la  contemplation  -''des  corps 
célestes    les  ''êtres  mêmes  «  "dont  il  ne  peut  approcher  »  "]. 


'  [non  seulemenl].  — B.  [il  dompte  tous  les  (autres)  animaux,  non  seule- 
ment] il. 

-  [mais]. 

=  [et]. 

'  M.  <  encore  >. 

^  B.  <  des  corps  célestes  >. 

"  B.  astres. 

'  [(sur  lesquels  il  n'a  point  d'action)]. 

"  B.  Qu'on  me  montre  un  autre  »  animal  sur  la  terre  qui  sache  faire  usage 
du  feu  ou  qui  sache  admirer  le  soleil  ?  |  [(!'  C'est  par  un  ingrat  org'ueil  que 
l'homme  se  déprise  lui-même,  il  est  petit  parce  qu'il  veut  l'être.  C'est  sa  muti- 
nerie (P)  qui  l'avilit);  ''  Ame  abjecte!  c'est  ta  ''sombre  philosophie  qui  te  rend 
semblable  à  elles,  ou  plus  tôt  tu  veu.x  en  vain  t'avilir,  ton  (<'  noble)  génie  ''  dépose 
(K  contre  lui-même),  [ton  coeur  h  bienfaisant  dément  ta  doctrine]  «  et  l'abus  » 
même  «.  de  tes  facultés  »  prouve  leur  excellence  en  dépit  de  toi  (et  la  primauté 
de  ton  espèce  est  décidée  par  l'inclination  que  t'a  donné  l'auteur  de  ton  être, 
d'être  comme  lui  le  bienfaiteur  de  tout  ce  qui  t'environne)]. 

n  I  ladm  IRA"  EUR). 

^>)  M.  Quoi  !  je  puis  observer  la  nature  et  toutes  ses  produc- 
tions ie  puis  sentir  ce  que  c'est  qu'ordre,  beauté,  vertu  ;  ie  puis 
contempler  l'univers,  connoitre  fionorer  son  Auteur;  )e  puis 
aimer  le  bien,  le  taire,  et  je  me  compare  aux  bètes  ?  —  I,  con- 
templer l'univers,  (bénir)  m'élcver...  le  faire,  et  je  me  (contemple) 
[comparerois]  aux  bètes. 

c)  (en  méprisant). 

d)  I,  (somt)rei  [triste]. 
')  [(propre,  triste)]. 

f  ;  I.  (dément  ta  doctrine)  [dépose  contre  tes  principes], 
p)  [(en   faveur  de...   contre  tes  dogmes...  toi-même)  contre 
tes  principes]. 
h)  L(noble)]. 


t  Ici,  dans  l'interligne,  au-dessus  de  la  phrase  barrée  :  c'est  par  un 
ingrat  orgueil,  etc..  Rousseau  a  écrit:  Quoi  je  puis  (étudien,  ai'ec  un 
signe  de  renvoi,  qui  attribue  à  tout  ce  passage  qu  on  a  lu  plus  haut  sa 
place  définitive  :  cf.  la  note  précédente. 


EDITION    ORIGINALE  159 

Il  est  donc  \rai  que  l'homme  est  le  Roi  de  la  terre  qu'il  ha- 
bite'^  ;  car  non-seulement  il  dompte  tous  les  animaux,  non-seulement 
il  dispose  des  élémens  par  son  industrie  ;  mais  lui  seul  sur  la 
terre  en  sait  disposer,  &  il  s'approprie  encore,  par  la  contemplation, 
les  astres  mêmes  dont  il  ne  peut  approcher  '*.  Qu'on  me  montre 
un  autre  animal  sur  la  terre  qui  sache  faire  usage  du  feu,  &  qui 
sache  admirer  le    soleil.   Quoi  *  !    je   puis  observer,   connoître  les  êtres 


■  Le  texte  de  la  Première  Rédaction  précisait  davantage  la  pensée  de  Rousseau  : 
«  le  roi  de  la  nature,  au  moins  sur  la  terre  qu'il  habite  ».  Rousseau  réservait  ainsi 
formellement  la  possibilité  d'autres  «  royautés  »  pour  d'autres  êtres  dans  d'autres 
mondes.  Il  trouvait  cette  restriction  chez  ceux-là  mêmes  qui  célébraient  avec  le  plus  de 
conviction  la  royauté  humaine  ;  cf.  Abbadie,  I,  12  [92],  I,  79  :  «  Lorsqu'on  dit  que  toutes 
choses  se  rapportent  à  l'homme,  on  ne  prétend  préjudicier  à  la  gloire  des  autres  créatures 
intelligentes.  Qui  sait,  disent  quelques-uns,  s'il  n'y  a  pas  dans  les  cieux,  qui  sont  d'une 
beauté  et  d'une  perfection  si  élevée  au-dessus  de  ce  globe,  des  intelligences  sans  compa- 
raison plus  parfaites  que  les  nôtres  ?  Mais  plutôt,  qui  est-ce  qui  conteste  cette  vérité  ? 
On  ne  doit  point  objecter  contre  la  Religion  ce  que  la  Religion  même  nous  enseigne  »  ; 
Clarke,  II,  7  [i25],  21  1-212  :  «  Il  faudrait  être  aveugle  pour  ne  pas  voir  que  cette  partie 
inférieure  de  la  création,  à  tout  le  moins,  est  faite  pour  eux  fies  hommes],  et  se 
rapporte  à  leur  usage  »  ;  cf.  encore  le  44'  Discours  du  Tome  V  du  Spectateur  fi  17],  269- 
276;  Spectacle  de  la  Xalure  '137],  II,  473-474,  etc.  Mais  cette  réserve  même  faite  à  la 
royauté  humaine  peut  s'interpréter  de  deux  façons,  soit  par  l'existence  des  anges,  soit 
par  la  pluralité  des  mondes  habités.  II  ne  semble  pas  que  Rousseau  répugne  à  l'une  ou 
l'autre  de  ces  hypothèses.  Il  a  pleinement  adhéré  à  la  seconde  dans  sa  Lettre  à  Voltaire 
du  18  Août  1756,  X,  128  :  «Si  les  planètes  sont  habitées  comme  il  est  probable,  pourquoi 
vaudrais-je  mieux  à  ses  yeux  [de  Dieu]  que  tous  les  habitants  de  Saturne  ?  On  a  beau 
tourner  ces  idées  en  ridicule,  il  est  certain  que  toutes  les  analogies  sont  pour  cette 
population,  et  qu'il  n'y  a  que  l'orgueil  humain  qui  soit  contre  ».  Quant  aux  Anges,  leur 
existence  sera  affirmée  plus  loin  :  cf.  p.  122,  et  les  textes  cités  à  la  note  2.  Mais  les  Anges, 
dont  il  semble  admettre  l'existence,  ne  seraient  pas  relégués  dans  le  ciel  :  «  Pourquoi, 
disait-il  dans  sa  III'  Lettre  à  Sophie  [25],  157,  n'imaginerions-nous  pas  le  vaste  sein  de 
l'univers  plein  d'une  infinité  d'esprits  de  mille  ordres  dilTérents,  éternels  admirateurs  du 
jeu  de  la  nature,  et  spectateurs  invisibles  des  actions  des  hommes  »?  —  A  la  suite  de 
L'Art  de  jouir,  dans  une  note  d'un  de  ces  cahiers  [6],  11"  (cf.  [26],  355|,  Rousseau  avait 
écrit  :  «  Le  plus  noble  des  êtres  créés  est  l'homme;  l'homme  est  (l'ornement)  [la  gloire] 
de  la  terre  qu'il  habite.  Si  Dieu  se  complaît  dans  quelqu'un  de  ses  ouvrages,  c'est 
certainement  dans  le  genre  humain  ». 

'  Cf.,  plus  haut,  p.  64,  note  2.  le  texte  d'Abbadie,  dont  cette  phrase  semble  être 
le  résumé  :  «  Il  assemble,  quand  il  lui  plaît,  dans  un  atome  la  terre  et  les  cieux,  etc.  ». 

*  C'est  à  Helvetius  que  Rousseau  s'adresse  ;  et  toute  cette  fin  de  paragraphe  a  été 
ajoutée  après  la  lecture  de  L'Esprit,  vraisemblablement  dans  les  dernières  semaines 
de  1758  :  «  Il  y  a  quelques  années,  écrit  Rousseau  dans  les  Lettres  de  la  Montagne, 
m,  122,  qu'à  la  première  apparition  d'un  livre  célèbre,  je  résolus  d'en  attaquer  les 
principes  que  je  croyais  dangereux.  J'exécutais  l'entreprise,  quand  j'appris  que  l'auteur 
était  poursuivi.  A  l'instant,  je  jetai  mes  feuilles  au  feu,  jugeant  qu'aucun  devoir  ne 
pouvait  autoriser  la  bassesse  de  s'unir  à  la  foule,  pour  accabler  un  homme  d'honneur 
opprimé.  Quand  tout  fut  pacifié,  j'eus  l'occasion  de  dire  mon  sentiment  sur  le  même 


l60  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION    ORIGINALE  l6l 

<S:  leurs  rapports;  je  puis  sentir  ce  que  c'est  qu'ordre,  beauté,  vertu; 
je  puis  contempler  l'Univers,  m'élever  à  la  main  qui  le  gouverne  ; 
je  puis  aimer  le  bien,  le  faire  *,  &  je  me  comparerois  aux  bêtes  "  ? 
Ame  abjecte,  c'est  ta  triste  philosophie  qui  te  rend  semblable  à 
elles!  ou  plutôt  tu  veux  en  vain  t'avilir  ;  ton  génie  dépose  contre 
tes    principes  ",     ton     cœur     bienfaisant    dément    |    ta    doctrine  *,    &         rgg] 


sujet  dans  d'autres  écrits;  mais  je  l'ai  d  t,  sans  nommer  le  livre  ni  l'auteur».  On  a  vu 
plus  haut,  p.  37  sqq,  les  nombreuses  ripostes  de  Rousseau  aux  théories  sensualistes 
d'Helvetius.  On  en  verra  d'autres  encore  :  cf.  p.  101,  109-112.  Ces  réfutations  partielles 
qui  encadrent,  pour  ainsi  dire,  l'invective  célèbre,  la  préparent  ou  la  commentent  ;  ainsi, 
pour  qui  comprend  toutes  les  allusions  du  texte,  la  violence  indignée  de  l'anathème 
n'est  plus  si  déconcertante,  et  cette  brusque  explosion  de  colère  se  trouve,  sinon 
justifiée,  du  moins  expliquée  :  cf.  mon  article,  Rousseau  contre  Helvetius  [287],  et 
celui  de  M.  Albert  Schinz.  La  1.  Profession  de  foi  du  Vicaire  Savoyard  ■»  et  le  livre 
*  De  L'Esprit  »  [286]. 

°  Cette  formule  générale  prépare  l'allusion  particulière  à  la  bienfaisance  d'Helvetius. 
Mais,  si  Rousseau  avait  voulu  rester  fidèle  à  la  logique  de  sa  démonstration,  il  n'aurait 
pas  emprunté  un  argument  à  la  beauté  de  la  vertu,  quand  il  n'avait  pas  encore  parlé  de 
la  moralité  humaine.  —  Ici  le  Rousseau  de  la  Profession  se  retrouve  pleinement  d'accorJ 
avec  celui  de  la  IV  Lettre  à  Sophie  25],  lâg  :  «  L'hommage  que  le  méchant  rend  au  juste 
en  secret  est  le  vrai  titre  de  noblesse  que  la  nature  a  gravé  dans  le  cœur  de  l'homme  ». 

'  Dès  les  premières  pages  de  L'Esprit  225  X],  2-3.  note.  Helvetius  avait  attribué 
à  des  ditîérences  purement  physiques  mains  et  doigts  flexibles]  la  supériorité  de 
l'homme  sur  les  autres  animaux  :  «  Peut-être,  disait-il,  n'a-t-on  pas  assez  scrupuleu- 
sement cherché  dans  la  différence  du  physique  de  l'homme  et  de  l'animal  la  cause  de 
l'infériorité  de  ce  qu'on  appelle  l'âme  des  animaux  »  ;  et,  venant  à  se  demander  «  pour- 
quoi les  singes  dont  les  pattes  sont,  à  peu  près,  aussi  adroites  que  nos  mains,  ne  font 
pas  des  progrès  égaux  aux  progrès  de  l'homme  ».  —  il  avait  répondu  par  des  considé- 
rations de  ce  genre  :  «  C'est  que  les  singes  sont  frugivores,  qu'ils  ont  moins  de  besoins  et 
par  conséquent  moins  d'invention  que  les  hommes  ;  c'est  que  d'ailleurs  leur  vie  est  plus 
courte...;  c'est  qu'enfin  la  disposition  organique  de  leur  corps  les  tenant,  comme  les 
enfants,  dans  un  mouvement  perpétuel,  même  après  que  leurs  besoins  sont  satisfaits, 
les  singes  ne  sont  pas  susceptibles  de  l'ennui,  qu'on  doit  regarder...  comme  un  des 
principes  de  la  perfectibilité  de  l'esprit  humain  ». 

'  Helvetius  avait  dit  lui-même  dans  sa  Préface,  p.  Il  :  «  Si  je  m'étais  trompé 

ce  serait  une  erreur  de  mon  esprit  et  non  pas  de  mon  cœur  ». 

'  Dans  une  des  Rédactions  .Manuscrites.  Rousseau  avait  rendu  à  la  bienfaisance 
d'Helvetius  un  hommage  encore  plus  précis  et  plus  circonstancié  :  «  La  primauté  de  ton 
espèce  est  décidée  par  l'inclination  que  t'a  donnée  l'auteur  de  ton  être,  d'être,  comme  lui. 
le  bienfaiteur  de  tout  ce  qui  t'entoure  ».  S'il  a  réduit  cet  éloge,  c'est  sans  doute  pour  ne 
pas  accorder  à  un  développement  épisodique  une  importance  disproportionnée.  Dans 
sa  Lettre  à  Deleyre,  du  5  octobre  1758,  X.  194,  il  avait  déjà  dit  :  «  il  est  vrai,  M.  Helvetius 
a  fait  un  livre  dangereux  et  des  rétractations  humiliantes.  Mais  il  a  quitté  la  place  de 
fermier  général  ;  il  a  fait  la  fortune  d'une  honnête  tille  ;  il  s'attache  à  la  rendre  heureuse  : 
il  a,  dans  plus  d'une  occasion,  soulagé  les  malheureux;  ses  actions  valent  mieux  que 
ses  écrits.  .Mon  cher  Deleyre,  tâchons  d'en  faire  dire  autant  de  nous  »  :  et,  quinze  jours 
plus  tard,  à  M.  Vernes,  X,  196  :  «Je  n'ai  point  lu  le  livre  De  L'Esprit:  mais  j'en  aime 
et  estime  l'auteur  ».  Du  reste,  la  bienfaisance  d'Helvetius  était  célèbre.  L'abbé  Sabatier 


102  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


B    f°130^"  [Pour  moi,  (mon  ami)  «  qui  n'ai  point  de  sistême  à  soutenir,  moi 

homme  simple  »  [et  vrai]  que  la  fureur  d'aucun  parti  n'entraine  et 
qui  n'aspire  point  au  triste  honneur  d'être  chef  de  secte,  content  ['de  la 
place  ou  Dieu  m'a  mis],  je  ne  vois  rien  après  lui  de  meilleur  que  mon 
espèce  et,  si  j'avois  à  choisir  (moi-même i  ma  place  dans  l'ordre  des  êtres 
f°  131  ro  [(finis)]  que  pourrois-je  choisir  de  plus  ||  que  d'être  homme '^?  Cette 
reflexion  m'enorgueillit  moins  qu'elle  ne  me  touche  (•''puisque  ce  n'est 
pas  moi  qui  me  suis  ainsi  placé)]. 


'  (d'être  homme). 

"  (et  de). 

'  car  jamais  (?)  mon  [cet]  état. 


ÉDITION    ORIGINALE  163 

l'abus    même    de    tes     facultés    prouve    leur    excellence    en    dépit    de 
toi   2. 

Pour  moi,  qui  n'ai  point  de  système  à  soutenir,  moi,  homme  simple 
et  vrai  que  la  fureur  d'aucun  parti  n'entraîne,  &  qui  n'aspire  point  à 
l'honneur  d'être  chef  de  secte  ^,  content  de  la  place  où  Dieu  m'a  mis,  je 
ne  vois  rien,  après  lui,  de  meilleur  que  mon  espèce;  &  si  j'avois  à 
choisir  ma  place  dans  l'ordre  des  êtres,  que  pourrois-je  choisir  de  plus 
que  d'être  homme  ^? 


de  Castres,  lui-même,  que  Voltaire  ([73],  XXIX,  281)  accusera  «  d'ingratitude  »  pour 
avoir  écrit  l'article  Helvétius  de  ses  Trois  siècles  de  la  Littérature  française,  recon- 
naît pourtant  dans  sa  IV  édition  [249  B],  II,  3o6,  que  «  la  candeur,  la  bienfaisance 
et  les  autres  vertus  de  son  âme  faisaient  pardonner  par  ceux  dont  il  était  connu 
les  illusions  de  sa  philosophie  ».  Les  premières  éditions  [24g  A],  11,  149,  parlaient 
seulement  de  «  la  candeur  et  des  autres  vertus  ».  C'est,  sans  doute,  l'opinion  unanime 
du  public  qui  a  obligé  Sabatier  à  rappeler  «  la  bienfaisance  ».  De  cette  bienfaisance, 
on  trouvera  de  nombreux  exemples  dans  le  livre  d'.AIbert  K.eim,  Helvétius  '283], 
38-41  ;  mais  ie  ne  sais  sur  quels  documents  M.  Keim  s'appuie  pour  affirmer  (p.  456) 
qu'  «  Helvétius  était  le  bienfaiteur  »  de  Rousseau. 

'  Saint-Aubin,  III,  3  141],  II,  199:  «L'abus  qu'il  l'homme]  fait  de  ses  lumières 
n'en  diminue  pas  l'excellence  ».  —  Cette  contradiction  entre  la  doctrine  et  la  per- 
sonne d'Helvetius  avait  été  longuement  soulignée  par  l'abbé  de  Lignac  ^226],  1,  p.  v-viii  : 
«  C'est  un  phénomène  de  notre  siècle  que  le  contraste  de  la  personne  avec  l'auteur 
chez  M.  H...  L'homme  a  des  vertus,  et  l'auteur  a  brisé  tous  les  liens  de  la  société... 
L'homme  est  un  ami  généreux,  et  il  en  a  donné  des  preuves  uniques:  l'auteur 
détruit  toutes  les  notions  de  l'amitié  et  de  la  reconnaissance...  Quand  on  a  bien 
saisi  tous  les  points  de  ce  contraste,  peut-on  imaginer  de  meilleure  censure  de 
L'Esprit  que  la  conduite  de  M.  H.?...  11  faut  donc  rejeter  sur  quelque  travers  de 
l'esprit  une  doctrine  qu'on  ne  peut  attribuer  à  la  perversité  du  cœur  ». 

'  «Souvenez-vous  toujours  que  je  n'enseigne  point  mon  sentiment,  je  l'expose  » 
(p.  61-62). 

*  Ici  encore  Rousseau  semble  oublier  ce  qu'il  a  insinué  plus  haut  («  roi  de  la  terre 
qu'il  habite  »)  et  ce  qu'il  a  formellement  indiqué  dans  la  IV  Lettre  à  Sophie  '25],  1  59  : 
«  Pourquoi  donc  n'existerait-il  pas  d'autres  espèces  plus  excellentes,  que  nous  n'aperce- 
vrons jamais,  faute  de  sens  propres  à  les  découvrir,  et  pour  qui  nous  sommes  peut-être 
aussi  méprisables  que  les  vermisseaux  le  sont  à  nos  yeux  »  ?  .Mais  les  deux  passages 
ne  sont  pas  absolument  contradictoires  :  l'hypothèse  de  la  Lettre  à  Sophie  est  une 
hypothèse  toute  rationnelle,  qui  laisse  intacte  la  suprématie  de  l'âme  humaine  :  quelques 
lignes  après  l'avoir  présentée,  il  ajoute  (p.  160)  :  «  Si  nous  sommes  petits  par  nos 
lumières,  nous  sommes  grands  par  nos  sentiments  »  ;  et  c'est  surtout  du  point  de  vue 
du  sentiment  que  Rousseau  ose  proclamer  :  «  Je  ne  vois  rien,  après  Dieu,  de  meilleur 
que  mon  espèce  ».  Remarquez,  d'ailleurs,  que  cette  constatation  suscite  en  lui  moins  un 
«orgueil  »  intellectuel  qu'un  «  attendrissement  »  bénisseur  :  cf.  le  paragraphe  suivant. 


164  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

F   f°  160  *'°  Puis-je    me    \oir    '  ainsi    distingué    sans    ['■'  me    feliciterj    de 

remplir  ce  poste  •*  honorable  et  sans  bénir  la  main  qui  mN-  a 
placé.  [^  De  la  nait  mon  premier  homage  à  la  divinité  bienfai- 
sante. J'adore  le  pouvoir  de  l'être  suprême  et  je  m'attendris  sur 
sa  bonté  ■'  pour  moi  :  je  n'ai  pas  besoin  qu'on  m'enseigne  ce 
culte,  «  il  m'  »  est  dicté  par  la  nature  elle  même].  \'est-ce 
pas  "un  sentiment  "immédiatement]  dérivé  de  l'amour  propre  et 
par  conséquent  naturel  au  cœur  humain  d'honorer  ce  qui  nous 
protège  et  d'aimer  ce  qui  nous  ("  fait)   du   bien,  j 


8.  Le  problème  du  mal  et  la  liberté. 


Mais  quand  pour  connoitre -'ensuite  ma  place  individuelle  dans 
mon  espèce  j'^**  en  considère]   "  les  divers  rangs  '-  et  les  hommes 


'  B.  «  ainsi  ». 

-  (plaisir). 

'  B.  ](que  je  ne  me  suis)]. 

*  B.  De  (ma  première  réflé.xion  sur  l'auteur  de  mon  être,)  [mon  premier 
retour  sur  moi]  naii  [dans  mon  cœur]  un  sentiment  de  reconnoissance  et  de 
bénédiction  [(envers)]  pour  l'auteur  de  mon  (être)  [espèce]  et  de  ce  sentiment 
mon  premier.  —  I.  <  pour  l'auteur  de  mon  espèce  >. 

^  B.  <  pour  moi  >. 

"'  B.  une  conséquence  naturelle  de  l'amour  de  soi  d'honorer  ce  qui. 

•  (naturel  au). 

'  [veut].  —  B.  (fait)  [veut]. 

'  B.  [ensuite]. 

'°  (je  viens  a  mot  inachevé). 

"  B.  [l'économie]. 

'=  B.  (et). 


t  Ici.  en  marge,  la  notation  d'un  argument  en  faveur  de  l'immor- 
talité personnelle  qui  sera  repris  plus  loin,/"  i63''°  :  1' (unité  1  [identité] 
de  mon  être  sensible  consiste  dans  ma  mémoire.  Si  (la)  je  cessois  d'être 
le  même,  si  je  perdois  la  conscience  de  (mon)  [cette]  identité,  me  résoudre 
dans  un  autre  être  seroit  précisément  m'anéantir. 


ÉDITION    ORIGINALE  165 

Cette  réflexion  m'enorgueillit  moins  qu'elle  ne  me  touche:  car  cet 
état  n'est  point  de  mon  choix,  &  il  n'étoit  pas  dû  au  mérite  d'un  être 
qui  n'existoit  pas  encore.  Puis-je  me  voir  ainsi  distingué  sans  me  féliciter 
de  remplir  ce  poste  honorable,  &  sans  bénir  la  main  qui  m'y  a  placé? 
De  mon  premier  retour  sur  moi  nait  dans  mon  cœur  un  sentiment  de 
reconnoissance  &  de  |  bénédiction  pour  l'Auteur  de  mon  espèce,  &  de  ce  [67] 
sentiment  mon  premier  hommage  à  la  Divinité  bienfaisante.  J'adore  la 
puissance  suprême,  &  je  m'attendris  sur  ses  bienfaits.  Je  n'ai  pas  besoin 
qu'on  m'enseigne  ce  culte,  il  m'est  dicté  par  la  Nature  elle-même.  N'est-ce 
pas  une  conséquence  naturelle  de  l'amour  de  soi  ',  d'honorer  ce  qui 
nous  protège,  &  d'aimer  ce  qui  nous  veut  du  bien  ? 


8.  Le  problème  du  mal  et  la  liberté. 


Mais  quand  pour  connoîlre  ensuite  ma  place  individuelle  dans  mon 
espèce,  j'en  considère  les  divers  rangs,  &  les  hommes  qui  les  remplis- 
sent, que  deviens-je?  Quel  spectacle!  Où  est  l'ordre  que  j'avois  observé? 


'  Rousseau  dira  quelques  pages  plus  loin,  p.  69:  «Se  préférer  à  tout  est  un 
penchant  naturel  à  l'homme  ».  A  plusieurs  reprises,  il  reviendra  sur  cette  idée,  que 
Vamour  de  soi  est  «  l'unique  passion  qui  naisse  avec  l'homme  »,  et  que  ce  sentiment 
est,  en  lui-même,  «  toujours  bon  »  :  cf.  Emile,  11,  182-183,  Lettre  à  M.  de  Beaumont, 
111,  64,  Lettre  à  D'Alembert,  1,  192,  Dialogues,  IX,  107,  etc.  Ici  il  avait  d'abord  écrit  : 
«  N'est-ce  pas  un  sentiment  immédiatement  dérivé  de  \' amour-propre  et  par  conséquent 
naturel  au  cœur  humain  »?  S'il  a  substitué  l'amour  de  soi  à  l'amour-propre,  ce  n'est 
pas  qu'il  ne  les  considère  tous  deu.x  comme  identiques  dans  leur  fond,  ou  plutôt  dans 
leur  point  de  départ.  11  dirait  volontiers  avec  son  Saint-.\ubin,  VI.  9  [141],  V,  2i5  : 
«  L'amour-propre  est  la  passion  unique  et  générale  »  ;  et  il  a  écrit  au  Livre  II  d'Emile,. 
Il,  60  :  «  La  seule  passion  naturelle  à  l'homme  est  l'amour  de  soi-même,  ou  l'amour- 
propre  pris  dans  un  sens  étendu  ».  Mais,  dès  qu'il  se  place  au  point  de  vue  moral,  il 
distingue  ces  deux  amours,  pour  ne  pas  paraître  acquiescer  indirectement  à  la  morale 
de  l'intérêt,  qu'il  va  combattre.  Diderot  et  Helvetius,  sous  prétexte  de  réhabiliter 
l'amour-propre,  affectaient  de  le  confondre  avec  l'amour  de  soi  :  cf.  Essai  sur  le 
mérite  et  la  vertu  [174],  29,  note.  De  l'Esprit,  I,  4  [225  A],  34.  Rousseau,  à  la  suite 
d'Abbadie,  L'art  de  se  connaître  soi-même,  II,  5  [97],  263,  de  Marie  Huber,  Religion 
essentielle  [i5i],  II,  95-106,  et  de  Vauvenargues,  De  l'amour  de  soi  et  de  l'amour  de 
nous-mêmes  [178],  54-57  (cf.  encore  Réjlexions  et  Maximes,  335-336)  a  soigneusement 
distingué  ces  deu.x  formes  voisines  de  sentiments;  cf.  surtout  Emile,  II,  183-184.  Le 
texte  de  Vauvenargues  l'avait  même  assez  frappé  pour  qu'il  le  copiât  dans  un  de  ses 
cahiers  de  notes  [5],  14'". 


l66  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

qui  les  remplissent  que  deviens-je,  quel  spectacle,  f  '  0  justice 
(éternelle)  ou  sont  tes  loix  ô  providence  est-ce  ainsi  que  tu  (-gou- 
vernes) «  le  monde  »  ?  ou  est  l'ordre  que  j'avois  observé.  Le  tableau 
de  la  nature  ne  m'offroit  qu'harmonie  et  proportions,  celui  du 
genre  [humain]  ne  m'offre  que  confusion  desordre  ^  le  concert 
règne  entre  les  elemens  et  les  hommes  sont  (plongés)  dans  le  cahos, 
les  animaux  sont  heureux  leur  roi  seul  est  misérable.  ■•  Etre  bien- 
faisant *  qu'est  devenu  ton  pouvoir  je  \ois  le  mal  sur  la  terre. 

Croiriez-vous  mon  bon  ami,  que  ''  de  ces  tristes  reflexions 
et  de  ces  contradictions  apparentes  se  formèrent  dans  mon  esprit 
fo  |gj  ro  les  II  sublimes  idées  'de  la  divinité  dont  je  n'avois  jusques  là  que 
des  notions  informes.  En  méditant  sur  la  nature  de  l'homme  j'y 
crus  découvrir  deux  principes  distincts  dont  l'un  l'élevoit  à  la 
(* contemplation)  des  vérités  éternelles  (-'au  sentiment)  de  la  justice 
et  du  beau  moral  (et)  ; '"  aux  régions]  "de  ce  monde  intellectuel 
dont  la  (seule)  contemplation  fait  les  délices  du  sage,  et  dont 
l'autre  le  ramenoit  bassement  en  lui-même  'M'assujetissoit  à  l'em- 
pire   des    sens,    (et)    aux    passions    qui    sont    leurs    ministres    et 


'  B.  <  O  justice...  le  monde  >. 

-  [régis  (l'univers)]. 

'  [(les  animaux  sont  heureux)]. 

*  B.  Ô  (Justice)  [Sagesse]  ou  sont  les  loix  ?  ô  providence,  est-ce  ainsi  que 
tu  régis  le  monde  ? 

*  B.  (qu'est  devenu)  [quel  est]. 
"  (ce  furent). 

■  B.  (de  la  divinité  dont  je  n'avois  jusques  là  que  des  notions  informes 
ou  confuses  ?)  [de  l'ame  [(et  de  son)]  qui  n'avoient  point,  jusques  là  résulté  de 
mes  recherches].  —  I.  de  la  Divinité  dont  je  n'avois  jusques-là  que  des  notions 
informes  et  confuses. 

"  [recherche].  — B.  (la  recherche,  connaissa  nce)  [l'étude].  —  M.  la  connois- 
sance.  —  I.  la  recherche. 

'■'  |à  l'amour]. 

'"  (à  ces...  aux  conte  mplations  [à  l'amour]). 

"  B.  du. 

'-  B.  (l'assujetissoit)  [l'asservissoit].  — I.  l'assujetissoit. 

t  //  y  a  ici,  dans  le  manuscrit,  un  signe  de  renvoi  qui  reporte  les 
deux  questions  suivantes  quelques  lignes  plus  loin,  après  :  leur  roi  seul 
est  misérable. 


ÉDITIOX    ORIGINALE  167 

Le  tableau  de  la  Nature  ne  m'offroit  qu'harmonie  &  proportions  -.  celui 
du  genre  humain  ne  m'offre  que  confusion,  désordre!  Le  concert  règne 
entre  les  élemens,  &  les  hommes  sont  dans  le  cahos!  Les  animaux  sont 
heureux,  leur  roi  seul  |  est  misérable!  O!  sagesse,  où  sont  tes  loix  ?  ô  !  [68] 
Providence,  est-ce  ainsi  que  tu  régis  le  monde?  Etre  bienfaisant  qu'est 
devenu  ton  pouvoir?  Je  vois  le  mal  sur  la  terre  i. 


Croiriez-vous,  mon  bon  ami,  que  de  ces  tristes  réflexions,  &  de  ces 
contradictions  apparentes  se  formèrent  dans  mon  esprit  les  sublimes 
idées  de  lame  -,  qui  n'avoient  point  jusques-là  résulté  de  mes  recherches? 
En  méditant  sur  la  nature  de  l'homme,  j'y  crus  découvrir  deux  principes 
distincts,  dont  l'un  l'élevoit  à  l'étude  des  vérités  éternelles,  à  l'amour 
de  la  justice  &  du  beau  moral,  aux  régions  du  monde  intellectuel  dont 
la  contemplation  fait  les  délices  du  sage,  &  dont  l'autre  le  ramenoit 
bassement  en  lui-même,  l'asservissoit  à  l'empire  des  sens,  aux  passions 
qui  sont  leurs  ministres,  &  contrarioit  par  elles  tout  ce  que  lui  inspiroit 
le  sentiment  du  |  premier.  En  se  sentant  entraîné,  combattu  par  ces  rggi 
deux  mouvemens  contraires,  je  me  disois  :  non,  l'homme  n'est  point 
un  1;  je  veux  &  je  ne  veux  pas,  je  me  sens  à  la  fois  esclave  &  libre;  je 
vois  le  bien,  je  l'aime.  &  je  fais  le  mal  :  je  suis  actif  quand  j'écoute  la 


-  Cf.  plus  haut.  p.  59  :  «  La  Nature  ne  s"est  pas  contentée  d'établir  l'ordre,  elle  a 
pris  des  mesures  certaines  pour  que  rien  ne  pût  le  troubler  ».  Par  cette  antithèse 
simplificatrice  de  l'harmonie  cosmique  et  du  cahos  humain,  Rousseau  réduit  le  pro- 
blème de  la  Providence  et  de  son  gouvernement  dans  ce  monde  au  simple  problème 
de  la  souffrance  humaine,  physique  et  surtout  morale.  Cf.,  sur  l'ensemble  de  cette 
discussion,  sa  Lettre  à  Voltaire  du  18  Août  'yôô,  X,  i22-i33. 

'  iMême  mouvement  chez  Haller,  dans  son  Essai  sur  l'origine  du  mal,  l'  Chant. 
Après  avoir  complaisamment  dépeint  la  beauté  harmonieuse  de  l'univers  matériel 
(cf.,  plus  haut,  p.  20,  note  5.  le  début  du  poème,  qui  semble  avoir  inspiré  Rousseau),  il 
s'écrie  i^20o],  40  :  «  Que  sens-je  ?  une  froide  terreur  me  saisit  et  me  glace  ;  le  théâtre  de 
nos  misères  commence  à  se  dévoiler  à  mes  yeu.x.  Je  vois  l'intérieur  du  monde,  il  est 
semblable  à  l'tnfer  ». 

'  Rousseau  avait  d'abord  écrit,  —  et  il  y  est  revenu  pour  l'abandonner  définitive- 
ment :  «  les  sublimes  idées  de  la  divinité  ».  11  semblerait  en  effet  que  ces  réflexions 
dussent  aboutir  à  Dieu  plutôt  qu'à  l'àme  ;  mais  Rousseau  attend  d'avoir  traité  le 
problème  de  la  liberté  pour  revenir  à  Dieu  :  cf.,  plus  haut,  p.  63.  note  i. 

'  C'est  pourtant  à  obtenir  cette  «  unité  »  que  la  pédagogie  de  Rousseau  déclare 
tendre,  sans  peut-être  y  prétendre;  cf.  IV"  Livre  d'Emile,  II,  287  :  «  Le  tempérament 
précède  toujours  la  raison.  C'est  à  retenir  l'un  et  à  exciter  l'autre,  que  nous  avons 
jusqu'ici  donné  tous  nos  soins,  ajin  que  l'homme  fût  toujours  un,  le  plus  qu'il  était 
possible  ».  Cf.  la  note  suivante. 


l68  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

contrarioit  par  elles  tout  ce  que  lui  ('dictoit)  -de  noble  et  de  grand 
le  «sentiment»  ^intérieur  du  premier.  En  me  sentant  entraîné 
combatu  moi-même  par  ces  deux  ^  mouvemens  contraires  je  ^disois 
non  l'homme  n'est  point  un.  Je  ''  veux  et  je  ne  veux  pas  je  me 
sens  à  la  fois  esclave  et  libre  je  vois  le  bien  je  l'aime  et  je  fais  le 
mal.  Je  suis  actif  quand  ("  je  suis)  la  raison,  passif  quand  mes 
passions  m'entraînent  et  mon  (^  plus  grand)  tourment  quand  je 
succombe  est  de  sentir  que  j'ai  pu  résister,  j 

Jeune  homme,  écoutez  avec  confiance,  je  serai  toujours  de 
bonne  foi  (jusqu'au  bout).  Si  la  conscience  est  l'ouvrage  des  pré- 
jugés j'ai  tort  sans  doute  ■'  [mais]  si  se  préférer  à  tout  est  un 
'"penchant  naturel  à  l'homme  et  si  pourtant  le  premier  sentiment 
de  la  justice  est  inné  dans  le  cœur  humain  "que  celui  qui  fait 
de  l'homme  un  être  simple  levé  ces  contradictions  et  je  ne  recon- 
nois  plus  qu'une  substance. 


'  [inspiroit]. 

-  M.  de  grand  et  de  noble. 

^  (du).  —  B.  <  intérieur  >. 

■*  B.  (sentimens)  [mouvemens]. 

^  B.  me. 

"  (me  sens  à). 

'  [j'écoute]. 

"  [pire]. 

"  B.  [et  il  n'y  a  point  de  morale  démontrée]. 

'"  M.  (sentiment)  [penchant].  ■ — I.  (sentiment)  [penchant]. 

"  (mais). 

t  Ici.  en  marge,  le  fragment  suivant  :  car  la  bonté  est  [dans  un 
être  intelligent]  l'effet  nécessaire  d'une  puissance  sans  borne  et  de  l'amour 
de  soi.  Celui  qui  peut  tout  étend  pour  ainsi  dire  son  existence  avec  celle 
des  êtres.  (Il  se  sent  dans  tous  ses  ouvrages.  Il  produit  et  ne  détruit 
point).  Produire  et  conserver  sont  l'acte  perpétuel  de  sa  puissance  elle 
n'agit  point  sur  ce  qui  n'est  pas.  Mais  (la  bonté  suprême  est  différente 
de  la  nôtre).  L'être  infini  (ne)  peut  (plus)  encore  étendre  son  être  par 
ses  bienfaits.  —  Ce  développement,  déjà  amorcé  plus  haut,/''  i6o"".  sera 
repris  définitivement  au  f"  162  ''".  Il  a  failli  sans  doute  être  employé  ici, 
quand  le  paragraphe,  en  marge  duquel  il  se  trouve,  devait  être  consacré 
non  au.x  deux  principes  de  l'âme,  mais  aux  sublimes  idées  de  la  divinité 
qui  étaient  sorties  de  ces  tristes  réflexions. 


ÉDITION    ORIGINALE  l6<) 

raison,  passif  quand  mes  passions  mentrainent,  &  mon  pire  tourment, 
quand  je  succombe,  est  de  sentir  que  j'ai  pu  résister  -. 


Jeune  homme,  écoutez  avec  confiance,  je  serai  toujours  de  bonne-foi. 
Si  la  conscience  est  l'ouvrage  des  préjugés,  j'ai  tort,  sans  doute,  &  il  n'y 
a  point  de  morale  démontrée:  mais  si  se  préférera  tout  est  un  penchant 
naturel  à  l'homme  ^,  &  si  pourtant  le  premier  sentiment  de  la  justice 
est  inné  dans  le  cœur  humain,  que  celui  qui  fait  de  l'homme  un  être 


•  Il  V  a  dans  ce  développemeni  autre  chose  qu'une  paraphrase  du  traditionnel  : 
«  Video  meliora  proboque,  détériora  sequor  »  (Ovide,  Met.,  VIII.  201.  que  Voltaire 
avait  traduit   dans   sa  Loi  Naturelle,   II   [221],  450: 

On   fuit  le  bien  qu'on  aime,  on  hait  le  mal  qu'on   fait. 

Il  est  difficile  de  n'y  point  reconnaître  un  résidu  proprement  chrétien.  C'est  une  page 
à  joindre  au  cantique  de  Racine  ; 

Mon  Dieu,  quelle  guerre  cruelle  ! 
Je  trouve  deux  hommes  en  moi,  etc. 

et,  par  delà  Racine,  à  S'  Paul,  au  chap.  VII  de  YÉpitre  aux  Romains,  22-23  ;  «  Je 
prends  plaisir  à  la  loi  de  Dieu,  selon  l'homme  intérieur:  mais  je  vois  dans  mes 
membres  une  autre  loi  qui  lutte  contre  la  loi  de  ma  raison,  et  qui  me  rend  captif  de 
la  loi  du  péché  qui  est  dans  mes  membres  ».  La  formule  de  saint  Paul  (/</.,  VI,  6;, 
«  corps  de  péché  »,  traduit  même  exactement  la  pensée  de  Rousseau,  puisque,  d'après 
lui,  c'est  la  seconde  substance,  le  principe  passif  du  composé  humain.  «  la  loi  du 
corps  »,  comme  il  dira  plus  loin.  p.  74,  qui  essaie  de  nous  asservir.  Ce  dualisme 
parait  malaisément  conciliable  avec  la  doctrine  de  la  bonté  de  la  nature,  qui  fait  l'unité 
de  y  Emile,  et  qui  sera  encore  si  énergiquement  affirmée  par  le  Vicaire,  p.  123  :  «  .Ah  ! 
ne  gâtons  point  l'homme,  il  sera  toujours  bon  sans  peine  ••.  .Mais  ce  ne  serait  pas,  dans 
l'œuvre  de  Rousseau,  la  seule  contradiction  qu'il  fut  impossible  de  faire  disparaître.  Je 
crois  donc  qu'on  doit  constater  ici  une  survivance,  plus  ou  moins  inconsciente,  du 
dogme  du  péché  originel.  Dans  sa  Lettre  à  .\f.  de  Beaumont,  III,  64  sqq,  dans  le 
passage  même  où  il  défend  sa  thèse  «  qu'il  n'y  point  de  perversité  originelle  dans  le 
cœur  humain  »,  Rousseau  affirme  encore  que  l'homme  est  «  composé  de  deux 
substances  ».  mais  il  ne  parle  plus  de  leur  conflit,  de  leurs  «  mouvements  contraires  »; 
et  la  «  généalogie  »  qu'il  fait  des  vices  humains  est  une  généalogie  purement  sociale. 
'  Sur  la  conception  de  1'  «  amour  de  soi  »  chez  Rousseau,  cf.,  plus  haut,  p.  67 
et  note  i. 


170  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

-f  •  Tout  ce  que  j 'appercois  par  les  sens  est  (corps  ou  )  matière 
[reconnoissable  aux  propriétés  essentielles  [  ^ qu'on  n'en  peut   séparer 

'  B.  <  Tout  ce  que...  s'arrête  là  >.  (a  Vous  remarquerez)  que  0'  j'entends) 
par  ce  mot  de  '■  substance  ([en  général)  (<i  un)  être  ("  dont  certaines)  qualités 
primitives  sont  inséparables,  (i  Ainsi)  l'étendue,  la  solidité,  l'impénétrabilité  ^).  Si 
[donc]  toutes  les  qualités  primitives  peuvent  se  réunir  dans  un  même  être  il  est 
clair  qu'il  n'y  a  qu'une  substance;  mais  s'il  y  i'  a  [de  ces  qualités]  qui  s'excluent 
mutuellement  il  i  y  a  autant  de  diverses  substances  (J  que)  de  pareilles  exclusions. 
[Je  vous  laisse  réfléchir  sur  (k  ce  point)].  Pour  moi  ([Je  ne  (i  pense)  point  qu'un 
être  dont  on  peut  séparer  quelque  (qualité)  primitive  la  puisse  (jamais  avoir  i").  [Je 
n'ai  "  besoin  [quoiqu'en  dise  Locke]  de  connoitre  la  matière  que  comme  étendue 
divisible  pour  être  assuré  qu'elle  ne  peut  penser],  (car  la  pensée)  "  ne  peut  être 
conçue  étendue  ni  divisible,  le  sujet  de  la  pensée  est  un,  et  tout  corps  (pquel 
qu'il  soit)  n'est  pas  un  il  est  collection  multitude  'i.  Comment  combattre  cet 
argument  si  vulgaire  et  si  invincible  on  répond  r  que  l'homme  ne  pense  point. 
Je  prends  le  parti  de  me  taire  *)]. 

»)  [Remarquez  bien]. 

<>)  I.  (j'enlens). 

c)  [substance  je  n'entends  autre  chose  que  l'être  doué  de 
quelque  qualité  primitive.  —  I.  primitive,  et  abstraction  faite 
de  toutes  (qualités)  [modifications]  particulières. 

il)  [tout]. 

e)  [doué  de  quelques], 

i)  [telles  que]. 

s)  {ce  qui  distingue...  et  comme  toutes  [les]  qualités  primi- 
tives (en)  [sont]  inséparables  de  l'être  qui  «  les  »  a). 

1>)  (en). 

i)  (en  est). 

i  I  [qu'on  peut  faire]. 

k)  [(tout)  cela]. 

I  )  [crois]. 

m)  (et  je  ne  crois  point  que  1'...  qu'un  être  qui  pensant  soit 
matière). 

11)  (pas). 

o)  (n'a). 

p)  [fut-il  un  atome  organisé]. 

q)  (Je...  Quand  pour  répondre  à  cela  on...  quelqu'un 
viendra  me  dire  que  l'homme  ..  cela...  tout  cela  a  été  dit  cent 
mille  fois...  mais  je  ne  désespère...  et  je  suis  étonné  que  pour  le 
refuser  quelque  philosophe  ne  se  soit  pas  [encore]  avisé  de 
soutenir  ...  pour  ...  pour  ...  [et  faute]...  Cet  argument  vulgaire 
ne  peut  être  combatu  qu'en  affirmant  que  l'homme  ne  pense 
point). 

■')  [ou]. 

«)  (ni  qu'un  homme  ne  pense  point  et). 

■-  (dont  l'idée  est  souvent). 

t  Tout  ce  paragraphe  jusqu'à  Quand  un  philosophe,  etc.,  ne  se  trouve 
que  dans  F.  //  n'est  d'ailleurs  pas  barré,  ce  qui  veut  dire  que  Rousseau 
ne  l'a  pas  pris  (c/.,  plus  loin,/"  164''°);  mais  quelques-unes  des  idées 
qui  y  sont  exprimées  ont  été  utilisées  dans  B  et  les  autres  Manuscrits 
pour  la  dissertation  sur  la  Matière  et  le  Mouvement  :  cf.,  plus  haut, 
J"  7  22  '•"  de  B. 


EDITION    ORIGINALE  I7I 

simple,     levé    ces    contradictions,    &    je     ne     reconnois     plus    qu'une 
substance  *. 

I  Vous  remarquerez  que  par  ce  mot  de  substance,  j'entends  en  général  [70] 
l'Etre  doué  de  quelque  qualité  primitive,  &  abstraction  faite  de  toutes 
modifications  particulières  ou  secondaires  1.  Si  donc  toutes  les  qualités 
primitives  qui  nous  sont  connues,  peuvent  se  réunir  dans  un  même 
être,  on  ne  doit  admettre  qu'une  substance;  mais  s'il  y  en  a  qui  s'excluent 
mutuellement,  il  y  a  autant  de  diverses  substances  qu'on  peut  faire  de 
pareilles  exclusions.  \'ous  réfléchirez  sur  cela;  pour  moi  je  n'ai  besoin, 
quoiqu'en  dise  Locke  -.  de  connoître  la  matière  que  comme  étendue  & 


'  Or,  dans  la  psychologie  métaphysique  de  Rousseau,  Ihoinme  est  composé  de 
deux  substances,  entre  lesquelles,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  la  volonté  se  débat,  égoïste 
et  vicieuse  quand  elle  obéit,  comme  il  dira  plus  loin,  p.  74.  à  «  la  loi  du  corps  », 
désintéressée  et  vertueuse,  quand  elle  «  écoute  la  voix  de  l'âme  »;  cf.,  quelques  pages 
avant  la  Profession,  11,  227-228  :  «  On  voit  que,  pour  admettre  une  substance  unique, 
il  lui  faudrait  supposer  des  qualités  incompatibles  qui  s'excluent  mutuellement,  telles 
que  la  pensée  et  l'étendue,  dont  l'une  est  essentiellement  divisible,  et  dont  l'autre 
exclut  toute  divisibilité.  On  conçoit,  d'ailleurs,  que  la  pensée,  ou,  si  l'on  veut,  le 
sentiment,  est  une  qualité  primitive  et  inséparable  de  la  substance  à  laquelle  elle 
appartient,  que  par  conséquent  la  mort  n'est  qu'une  séparation  de  substances,  et  que 
des  êtres  où  ces  deux  qualités  sont  réunies  sont  composés  des  deux  substances 
auxquelles  ces  deux  qualités  appartiennent  ».  —  Gerdil,  Dissertations,  Préface  '23o  , 
p.  III  :  «  Tous  les  systèmes  de  l'athéisme  et  de  l'incrédulité,  anciens  et  nouveaux, 
se  réduisent  à  cette  maxime  fondamentale,  qu'un  savant  philosophe  (Beausobre, 
Hist.  du  Manich.,  Il,  2)  exprime  en  ces  termes  :  savoir  qu'il  n'y  a  dans  l'Univers 
qu'une  seule  substance,  qui  réunit  en  elle-même  tout  ce  qu'il  y  a  de  perfections, 
et  qui,  en  vertu  du  mouvement  qu'elle  tient  de  la  même  nécessité  de  qui  elle 
tient  son  existence,  se  donne  sans  cesse  à  elle-même  et  reçoit  cette  infinité  de 
modifications  différentes  dont  le  monde  est  composé  ».  Cf.  encore  la  note  suivante. 

'  11  y  avait  ici,  dans  la  Première  Rédaction,  un  assez  long  exposé  sur  les  qualités 
de  la  .Matière.  Rousseau  l'a  supprimé;  et  on  a  pu  voir  qu'il  en  avait  employé  les 
principales  idées  dans  sa  dissertation  sur  l'origine  du  mouvement.  Néanmoins,  même 
dans  le  texte  définitif,  où  il  paraît  n'ouvrir  qu'une  brève  parenthèse  pour  définir  ce 
qu'il  entend  par  substance,  Rousseau  revient  une  fois  de  plus  en  arrière,  et  reprend 
sous  une  forme  détournée  le  problème  qu'on  pouvait  croire  définitivement  résolu  :  l'irré- 
ductibilité de  la  pensée  à  la  matière  et  au  mouvement.  —  On  trouvera  aux  Appendices. 
11.  un  fragment  inédit  sur  L'idée  de  substance,  que  Rousseau  avait  d'abord  placé  dans 
\' Emile,  quelques  pages  avant  \aL  Profession,  et  qu'il  a  finalement  sacrifié.  C'est  une  longue 
dissertation  de  métaphysique,  à  la  fois  pénible  et  ingénue,  où  l'on  sent  qu'il  a  fait  tous 
ses  efforts  —  et  de  vains  efforts  —  pour  arriver  à  éclaircir  cette  idée  de  substance,  qui  lui 
paraissait  être  le  centre  proprement  philosophique  du  problème.  11  a  renoncé  à  insérer 
ce  morceau,  soit  dans  la  Profession,  soit  dans  le  reste  de  VÈmile,  le  tr  uvant  sans 
doute  trop  peu  satisfaisant,  et  trop  voisin  de  ce  qu'il  appelait  «  du  galimatias  »;  mais  il 
en  a  utilisé  les  idées  les  plus  nettes,  et  l'on  y  verra  déjà,  sous  une  forme  plus  détaillée 
ou  plus  précise,  les  allusions  à  Locke  et  à  Helvetius  que  le  Vicaire  va  reprendre  ici. 

'  Allusion  au  texte  fameux,  autour  duquel  on  avait  tant  discuté  en  .Angleterre  et 


172  REDACTIONS    MANUSCRITES 

'  de  la  substance  matérielle].  Mais  je  la  vois  cette  -substance  dans 
trois  états  différens  matière  inanimée  insensible  et  morte,  matière 
(vivante  et)  organisée  ■\  matière  animée  pensante,  et  ('  sensible). 
Quelques  portions  de  matière  passent  de  l'un  de  ces  états  à  l'autre 
mais  la  plus  grande  quantité  n'y  passe  point,  celle  qui  reçoit  l'orga- 
nisation le  sentiment  et  la  vie  ne  les  garde  pas  longtems.  Elle  {■'  rentre) 
bientôt  «  dans  »  sa  première  inertie,  l'état  "naturel  à  la  matière  est 
d'être  "insensible  '*et  'morte.  «D'où  lui  »  ('"vient)  «  le  i' mouve- 
ment et  la  vie  d'où  »  lui  ('-vient)  le  sentiment  et  la  pensée  je  n'en 
sais  rien,  ce  que  je  vois  c'est  que  ces  ('Qualités)  ne  lui  «  "sont  pas 
('^  naturelles)  ».  j  [Car  [non  seulement  je  conçois  très  bien  la 
matière  (immobile) ,  «  sans  mouvement  sans  sentiment  »  sans  pensée 
mais  je  ne  la  conçois  pas  douée  de  ces  qualités  etj  je  ne  la  puis 
concevoir  sans  étendue  (et)  sans  solidité  penetrable  .  ("Il  y  a  plus). 
Je  la  puis  concevoir  mue  par  une  cause  externe.  Mais  pensante  et 
sentante  il  m'est  impossible].  [On  peut  expliquer  [au  moins]  par 
hypothèse  tous  les  ressorts  de  la  machine  animale  mais  la  force 
primitive  (et)    le  principe  de  la  vie  echape  à  la  raison  l'entendement 


'  [du  corps]. 
-  (m  atière). 
^  [et  vivante]. 
*  [sentante]. 
^  [retombe]. 
"  (de  mort). 
'  [morte]. 
"  [immobile]. 

"  [sans  [le]  «  mouvement  »  (sponia  né)]. 
'"  [viennent]. 
"  (sentim  ent). 
'-  [viennent]. 
"  [facultés]. 
'*  [(appartiennent  pas)]. 
'^  [essentielles]. 

"■"  [ainsi  ou  mes  plus  simples  (sens  ations)  [notions]  me  trompent  ou  ces 
deu.x  sortes  de  qualités  s'excluent  mutuellement]. 

t  Ce  développement  entre  crochets  est  ajouté  en  marge;  aucun  signe 
ne  précise  l'endroit  oii  il  faut  le  rattacher;  mais  la  suite  des  idées 
semble  le  réclamer  ici . 


EDITION    ORIGINALE  173 

divisible,  pour  être  assuré  qu'elle  ne  peut  penser;  &  quand  un  Philosophe 
viendra  me  dire  que  les  arbres  sentent,  &  que  les  rochers  pensent  ^  *,  il 

*  Il  me  semble  que  loin   de  dire  que  les  rochers  pensent,  la  philosophie 


en  France,  Essai  sur  l'entendement  humain,  IV.  3  '  102  ,  440  sqq  :  «  Nous  avons  des 
idées  de  la  Matière  et  de  la  Pensée;  mais  peut-être  ne  serons-nous  jamais  capables 
de  connaître  si  un  être  purement  matériel  pense  ou  non,  par  la  raison  qu'il  nous 
est  impossible  de  découvrir  par  la  contemplation  de  nos  propres  idées,  sans  Révélation, 
si  Dieu  n'a  point  donné  à  quelques  amas  de  matière  disposés  comme  il  le  trouve  à 
propos,  la  puissance  d'apercevoir  et  de  penser;  ou  s'il  a  joint  et  uni  à  la  .Matière  ainsi 
disposée  une  substance  immatérielle  qui  pense.  Car  par  rapport  à  nos  notions,  il  ne  nous 
est  pas  plus  malaisé  de  concevoir  que  Dieu  peut,  s'il  lui  plaît,  ajouter  à  notre  idée  de  la 
Matière  la  faculté  de  penser  que  de  comprendre  qu'il  y  joigne  une  autre  substance  avec 
la  faculté  de  penser...  Je  ne  vois  pas  quelle  contradictioa  il  y  a,  que  Dieu,  cet  Être  pen- 
sant, éternel  et  tout  puissant,  donne,  s'il  veut,  quelques  degrés  de  sentiment,  de  per- 
ception et  de  pensée  à  certains  amas  de  .Matière  créée  et  insensible  ».  etc.  On  sait  que 
Voltaire  avait  accepté  l'hypothèse  de  Locke  dans  une  de  ses  Lettres  philosophiques  qui 
fit  le  plus  de  scandale,  la  XIII*  [1.45],  I,  172-173.  Rousseau  lui-même  dans  sa  III'  Lettre  à 
Sophie  \2b  ,  i53,  n'avait  pas  encore  trouvé,  comme  il  le  dira  plus  tard  (cf.  aux  Appen- 
dices, V,  la  Lettre  à  -M.  de  Franquières,  |  5|,  «que  la  supposition  de  la  matière  pen- 
sante est  une  véritable  absurdité  »  ;  et  il  paraissait  admettre,  comme  un  fait  acquis  pour 
l'histoire  de  la  philosophie,  que  «  Locke  lit  voir  que  l'essence  de  l'âme  ne  consiste  point 
dans  la  pensée  ».  .Mais  il  présentait  cette  opinion  plutôt  comme  celle  des  philosophes 
contemporains  que  comme  la  sienne  propre.  D'ailleurs  dans  ses  Lettres  à  Sophie  il 
était  encore  beaucoup  plus  détaché  des  problèmes  purement  métaphysiques  que  dans  la 
Profession  même.  Il  y  disait  (p.  i53i  :  «  En  philosophie,  substance,  âme,  corps,  éternité, 
mouvement,  liberté,  nécessité,  contingence,  etc.,  sont  autant  de  mots  qu'on  est  contraint 
d'employer  à  chaque  instant,  et  que  personne  n'a  jamais  conçus  ».  A  grand  etlort.  dans 
la  Profession,  il  est  arrivé  à  concevoir  tous  ces  mots  avec  une  précision  qui  restera 
pour  lui  définitive.  —  Faut-il  remarquer  que,  dans  la  Première  Rédaction  du  passage 
que  celui-ci  remplace,  il  avait  employé  les  e.xpressions  :  «  matière  animée,  sentante, 
pensante  ».  Ce  n'est  pas,  comme  on  pourrait  le  croire,  une  adhésion,  même  provisoire,  à 
l'hypothèse  de  Locke  :  il  veut  dire  seulement  que  la  matière,  dans  l'un  de  «  ses  trois 
états  »,  se  présente  à  l'observateur  comme  accompagnée  de  sensations  et  de  pensée. 
'  Dans  son  Saint-.\ubin  [141],  III,  74,  Rousseau  avait  pu  lire  que  «  Campanella 
attribue  non-seulement  le  mouvement  à  la  matière,  mais  même  le  sentiment  à  toutes 
les  parties  de  la  matière  »,  et  que,  selon  lui,  «  il  n'y  a  rien  dans  la  nature  qui  ne  soit 
animé  et  sensible  ».  Hobbes  semblait  aussi,  dans  sa  Physique,  sinon  accepter  la  même 
doctrine,  du  moins  la  considérer  comme  fort  soutenable  :  cf.  Elementorujn  philosophiœ 
Sectio  I,  Pars  IV,  Physica.  cap.  XXV,  «  De  sensione  et  motu  animali  »,  5  5,  «  Non 
omnia  corpora  sensu  pradiia  esse»  [61],  194-195  :«  Scio  fuisse  Philosophos  quosdam, 
eosdemque  viros  doctos,  qui  corpora  omnia  sensu  praedita  esse  sustinuerunt  ;  nec 
video,  si  natura  sensionis  in  reactione  sola  collocaretur.  quomodo  refutari  possint  ». 
Il  n'est  pas  sur  que  Rousseau  ait  lu  les  Elementa  Philosophiœ,  mais  il  trouvait  ce  texte 
cité  dans  Clarke  ^125,  I,  106-107.  C'est,  disait  Clarke  en  commentant  ce  passage  de 
Hobbes,  «  l'hypothèse  la  plus  absurde  et  la  plus  surprenante,  qui  ait  peut-être  jamais 
été  avancée,  que  la  matière,  en  tant  que  matière,  n'est  pas  seulement  capable  de  figure 
et  de  mouvement,  mais  aussi  de  sentiment  et  de  perception,  et  qu'il  ne  lui  manque 
pour  exprimer  ses  sensations,  que  des  organes  et   une  mémoire,  comme  on  en  voit 


174  REDACTIONS    MANUSCRITES 

épuisé  s'arrête  la].  'Quant  un  philosophe  viendra  me  dire  que  les  - 
montagnes  ^  pensent  et  que  les   rochers  ('  sont  sensibles)  *,  il  aura 

B  f"  133  '"  *  t  En  note.  «  Il  me  semble  ^que  ''  loin  de  dire  que  les  rochers  pensent 
la  philosophie  moderne»  (embarrassée  'soutient)  «au  contraire  que  les 
hommes  ne  pensent  point  ».  (*  H  n'y  a)  «  que  des  êtres  sensitifs  dans  la 
nature,  et  toute  la  différence  qu'il  y  a  »  C  d')  «  un  homme  »  (i"  à)  «  'i  une 
pierre  est  que  12  l'homme  est  un  être  sensitif  qui  a  des  sensations,  et» 
('■n'autre)  «  un  être  sensitif  qui  n'en  a  »  {'*  point).  ['^  Mais  s'il  est  vrai  que 
toute  matière  sente,  où  concevrai-je]  l'unité  sensitive  ou  le  moi  individuel, 
sera-ce  dans  chaque  molécule  de  matière  ou  dans  des  corps  aggrégatifs. 
Placerai-je  également  cette  unité  dans  les  fluides  et  dans  les  solides,  dans 
les  mixtes  et  dans  les  élemens  ?  Il  n'y  a  dit-on  que  des  individus  dans 
la  nature,  mais  quels  sont  ces  individus?  Cette  pierre  est-elle  un  individu 
ou  une  aggregation  d'individus,  est-elle  un  [seul]  être  sensitif  ou  ('^plu- 
sieursi?Si  chaque  atome  élémentaire  est  un  [(seuli]  être  sensitif  com- 
ment concevrai-je  cette  intime  communication  par  laquelle  l'un  se  sent 
dans  l'autre  l'en  sorte  que  leurs  deux  moi  ( '^  n'en  fassent  plus  qu'jun? 

'  B.  (Quand  un  philosophe)  [quoiqu'en  dise  Locke,  «  je  n'ai  besoin  »  de 
connoître  la  matière  que  comme  étendue  et  divisible  pour  être  assuré  qu'elle  ne 
peut  penser  et  quand  un  philosophe]. 

-  I.  (montagnes)  [arbres]. 

■'  B.  sentent. 

*  [sentent].  —  B.  (sentent)  [pensent]. 

■'  M.  qu'au  lieu  de. 

'■■  (l'on). 

'  »  a  découvert  ■». 

"  «  Elle  ne  reconnoit  plus  ». 

"  «  entre  -». 

'"  «  et  •>■>. 

"  [(un  caillou)]. 

'■  (une  p  iebre). 

"  «  la  pierre  »  [(le  caillou)]. 

"  [pas]. 

'-  (Je  ne  m'arrêterai  pas  à  rechercher  ce  que  c'est  qu'un  être  sensitif). 

'"  [«  en  contient-elle  »  (plusieurs),  autant  que  de  grains  de  sable]. 

"  (et  n'a  plus  avec  lui  que). 

'*  [se  confondent  en]. 

t  Plus  exactement.  Rousseau  a  écrit  le  brouillon  des  six  premières 
lignes  /"  i33  "',  et  il-a  mis  au  net  toute  la  note  sur  une  petite  feuille 
qu'il  a  collée  par  quatre  pains  à  cacheter  au  verso  du  folio  i33. 
L'astérisque,  comme  la  note  qu'il  amorce,  manque  dans  F. 


EDITION    ORIGINALE  I75 

aura  beau  m  embarrasser  |  dans  ses  argumens  subtils,  je  ne  puis  voir  en  yjj 

moderne  ■*  a  découvert  au  contraire  que  les  hommes  ne  pensent  point  '.  Elle  ' 

ne  re-  |  connoil  plus  que  des  êtres  sensitifs  dans  la  Nature.  &  toute  la  différence  lit] 

qu'elle  trouve  entre   un    homme   &    une  pierre,  est  que   l'homme   est   un   être 

sensitif  qui  a  des  sensations,  &  la  pierre  un  être  sensitif  qui  n'en  a  pas.   Mais 

s'il  est  vrai  que  toute  matière  sente,  où  concevrai-je  l'unité  sensitive,  ou  le  moi 

individuel  ?  sera-ce  dans  chaque  molécule  de  matière,  ou  dans  des  corps  aggré- 


aux  animau.x  ».  Dans  son  Traité  de  rà.'ne,  La  Mettrie  intitulait  l'un  de  ses  chapitres, 
le  VI',  «  De  la  faculté  sensitive  de  la  Matière»  et  il  ajoutait  '171],  26:  «  Nous  avons 
parlé  de  deux  attributs  essentiels  de  la  matière,  desquels  dépendent  la  plupart  de  ses 
propriétés,  savoir  l'étendue  et  la  force  motrice.  Nous  n'avons  plus  maintenant  qu'à 
prouver  un  troisième  attribut;  je  veux  dire  la  faculté  de  sentir,  que  les  Philosophes 
de  tous  les  siècles  ont  reconnue  dans  cette  même  substance  ».  Quant  à  l'ironie  de  la 
formule  :  «  les  arbres  sentent  et  les  rochers  pensent  »,  il  se  pourrait  bien  qu'elle  eût 
été  suggérée  à  Rousseau  par  une  page  de  Bayle,  Remarque  F  de  l'article  Lucrèce  fioo], 
III,  21 1  a  :  «  Il  y  a  longtemps  que  je  suis  surpris  que  m  Épicure,  ni  aucun  de  ses  secta- 
teurs, n'aient  considéré  que  les  atomes  qui  forment  un  nez,  deux  yeux,  plusieurs  nerfs, 
un  cerveau  n'ont  rien  de  plus  excellent  que  ceux  qui  forment  une  pierre;  et  qu'ainsi 
il  est  très  absurde  de  supposer  que  tout  assemblage  d'atomes,  qui  n'est  pas  un  homme, 
ni  une  bête,  est  destitué  de  connaissance.  Dès  qu'on  nie  que  l'àme  de  l'homme  soit 
une  substance  distincte  de  la  matière,  on  raisonne  puérilement  si  l'on  ne  suppose  pas 
que  tout  l'univers  est  animé,  et  qu'il  y  a  partout  des  êtres  particuliers  qui  pensent;  et 
que,  comme  il  y  en  a  qui  n'égalent  point  les  hommes,  il  y  en  a  aussi  qui  les  surpassent. 
Dans  cette  supposition,  les  plantes,  les  pierres  sont  des  substances  pensantes  ». 

'  Par  ce  mot,  Rousseau  veut  distinguer  des  anciens  matérialistes,  comme  Hobbes 
et  Campanella,  les  nouveaux  matérialistes  dont  il  a  parlé  au  début  de  la  Profession, 
ceux  qui  ne  voient  dans  le  jugement  qu'une  sensation  transformée.  On  verra  en  effet 
que  cette  note  est  toute  pleine  d'allusions  à  Helvetius,  ,Maupertuis  et  Diderot. 

•■  Parce  qu'aux  yeux  de  Rousseau,  il  n'y  a  plus  de  «  pensée  »,  s'il  n'y  a  pas  une 
substance  pensante,  c'est-à-dire  une  substance  qui  ne  soit  pas  par  elle-même  purement 
et  activement  pensante;  cf.,  plus  haut,  p.  41-42  ;  «  Je  ne  suis  donc  pas  seulement  un 
être  sensitif  et  passif,  mais  un  être  intelligent  et  actif;  et,  quoiqu'en  dise  la  philosophie, 
j'oserai  prétendre  à  l'honneur  de  penser  ». 

•  '  Si,  comme  je  le  crois,  c'est  bien  au  système  de  .Maupertuis-Baumann,  connu 
soit  directement,  soit  par  le  résumé  de  Diderot,  que  Rousseau  fait  ici  allusion,  il 
semblerait  que  le  mot  sensitif  fut  insuffisant,  et  que,  dans  ce  système,  la  matière  fut 
véritablement  pensante:  car  ce  que  disait  Maupertuis,  c'est  '198  B],  i55-i56,  «  qu'on 
pouvait  sans  danger  admettre  dans  la  matière  des  propriétés  d'un  autre  ordre  que 
celles  qu'on  appelle  physiques,  qu'on  pouvait  lui  accorder  quelque  degré  d'intelligence, 
de  désir,  d'aversion,  de  mémoire  ».  .Mais,  pour  Rousseau  (cf.  la  note  précédente  1.  censée 
équivaut  à  jugement  actif;  et,  d'autre  part,  pour  Maupertuis  et  Diderot,  ces  propriétés 
qu'ils  attribuent  à  la  matière,  ce  sont  «  toutes  les  qualités  que  nous  reconnaissons 
dans  les  animaux,  que  les  .\nciens  comprenaient  sous  le  nom  d'âme  sensitive,  et  que 
le  docteur  Baumann  admet,  proportion  gardée  des  formes  et  des  masses,  dans  la 
particule  la  plus  petite  de  matière,  comme  dans  le  plus  gros  animal  »  1  Interprétation 
de  la  nature  jao],  46). 


176  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

beau  m'embarrasser  dans  ses  argumens  subtils,  je  ne  'verrai  jamais 
en   lui  qu'un  sophiste   'de  mauvaise  foij  qui  aime  mieux  donner 
le  sentiment  aux  pierres  "que  d'accorder  une  ame  à  l'homme. 
f°  161  ™  Il  ^  Supposons  ^  un  sourd   (de  naissance)    ''qui   nie  l'existence 

des  sons  parce  qu'ils  n'ont  jamais  frapé  son  oreille.  Je  mets  sous 
ses  veux  un  mstrument  à  corde,  dont  (ensuite)  je  fait  sonner 
•■' un  harmonique  par  un  autre  instrument  caché.  Le  sourd  voit 
frémir  la  corde  •,  je  lui  dis  c'est  ^^  un  son  qui  fait  (îremir) 
cela.  Point  du  tout  ■'  me  dit-il,  la  cause  du  frémissement  de 
1"  cette    corde   est   en    elle    même.  ''  Expliquez    (la)    donc    '-  je    ne 

L'attraction  peut  être  une  loi  de  la  nature  dont  le  mistére  nous  est 
inconnu,  mais  nous  concevons  au  moins  que  l'attraction  agissant  selon  les 
masses  [let  les  distances)]  n'a  rien  d'incompatible  avec  l'étendue  et  la 
divisibilité.  Concevez-vous  la  même  chose  du  sentiment?  Les  parties 
sensibles  sont  étendues  mais  l'être  sensitif  est  indivisible  et  un  :  il  ne 
se  partage  pas,  il  est  tout  entier  ou  nul  :  l'être  sensitif  n'est  donc  pas 
un  corps:  je  ne  sais  comment  l'entendent  les  matérialistes,  mais  il  me 
semble  que  les  mêmes  difficultés  qui  leur  ont  fait  rejetter  la  pensée  leur 
(13  doivent)  faire  rejetter  aussi  le  sentiment  et  je  ne  vois  pas  pourquoi 
ayant  fait  le  premier  pas,  il  ne  feroient  pas  aussi  l'autre;  que  leur  en 
coûteroit-il  de  plus,  et  puisqu'ils  sont  surs  qu'ils  ne  pensent  pas  comment 
osent-ils  affirmer  qu'ils  sentent? 

'  B.  (verrai  jamais)  [puis  voir]. 

-  B.  (qu)  [que  d'accorder]  une  ame. 

'  ((Celui  qui  veut  que...  Si  je  veux  que  tout  soit)  [quand  je  soutiens]  que 
tout  est  matière  parce  que  (je  ne  conçois  pas  une  autre  substance)  [une  autre 
substance  ne  frape  pas  mes  sens]). 

^  B.  [qu'un]. 

■'■  B.  (qui). 

"  B.  (l'unisson  harmonique  au  grave)  [(un)  l'unisson]. 

'  M.  sans  que  rien  la  touche. 

^  B.  le. 

^  B.  repond-il. 

'"  B.  la. 

"  B.  (Montrez-moi  donc  la  nature  [et  tous  les  corps  frémissent  comma 
celui-ci]).  [C'est  une  (propriété)  [a  qualité]  commune  à  tous  les  corps  de  frémir 
<de  même)  ainsi].  Montrez-moi  donc  [lui  dirai  je]  ce  frémissement  dans  les 
autres  corps  ou  du  moins  '■  la  cause  dans  cette  corde  ?  Je  ne  puis. 

n)  M.  faculté. 
>>)  M.  sa. 

'^  [cette  cause]. 

"  [devraient]. 


ÉDITION   ORIGINALE  •  I77 

lui  qu'un  sophiste  de  mauvaise  toi,  qui  aime  mieux  donner  le  sentiment 
aux  pierres,  que  d'accorder  une  ame  à  l'homme  '. 

Supposons  un  sourd  qui  nie  l'existence  des  sons,  parce  qu'ils  n'ont 
jamais  frappé  son  oreille.  Je  mets  sous  ses  yeux  un  instrument  à  corde, 
dont  je  fais  sonner  l'unisson  par  un  autre  instrument  caché  :  le  sourd 

gatifs  '?  Placerai-je  également  cette  unité  dans  les  fluides  &  dans  les  solides, 
dans  les  mixtes  '  &  dans  les  élémens  ?  Il  n'y  a,  dit-on  ■*,  que  des  individus  dans 
la  Nature,  mais  quels  sont  ces  individus?  celte  pierre  est-elle  un  individu  ou 
une  agf^régation  d'individus?  est-elle  un  seul  être  sensitit",  ou  en  contient-elle 
autant  que  de  grains  de  sable?  si  chaque  atome  élémentaire  est  un  être  sensitif, 
comment  concevrai-je  cette  intime  communication  par  laquelle  l'un  se  sent  dans 


'  Dans  une  Lettre  à  V'ernes,  du  18  Février  1758,  X,  180,  lettre  par  conséquent 
contemporaine  de  la  Première  Rédaction  de  ce  texte, — après  avoir  réfuté  les  théories 
matérialistes  sur  la  nécessité  du  mouvement,  —  Rousseau  disait  presque  dans  les 
mêmes  termes  qu'ici  :  «  Autre  argumentation  sans  fin  contre  la  distinction  des  deux 
substances;  autre  persuasion  de  ma  part  qu'il  n'j'  a  rien  de  commun  entre  un  arbre 
et  ma  pensée  ;  et  ce  qui  m'a  paru  plaisant  en  ceci,  c'est  de  les  voir  s'acculer  eux-mêmes 
par  leurs  propres  sophismes,  au  point  d'amier  mieux  donner  le  sentiment  aux  pierres 
que  d'accorder  une  âme  à  l'homme  ». 

'  Le  mot  revient  souvent  dans  les  Institutions  chimiques  :  cf.  1,  1  [i],  I,  17  d, 
27  c,  etc.;  cf.  encore,  comme  mot  de  formation  analogue  :  «  fermentatif »,  Id.,  IV, 
Introduction  [i],  II,  5o  d  ;  et,  ici  même,  p.  148  :  «  éventif  ».  Diderot  a  employé  aussi 
«  agrégatif»  :  cf.  le  texte  cité  à  la  note  2  de  la  p.  48. 

'  Sur  les  «  mixtes  »,  cf.,  plus  haut,  la  note  de  la  p.  44. 

*  C'est  une  citation  d'Helvetius,  De  L'Esprit,  I,  4  [225  Al,  3t-32  :  «  L'on  a  de  tout 

temps  et  tour  à  tour  soutenu  que  la  matière  sentait  ou  ne  sentait  pas L'on  s'est  avisé 

très  lard  de  se  demander  sur  quoi  l'on  disputait,  et  d'attacher  une  idée  précise  à  ce 
mot  de  matière.  Si  d'abord  l'on  en  eût  fixé  la  signification,  on  eût  reconnu  que  les 
hommes  étaient,  si  je  l'ose  dire,  les  créateurs  de  la  matière,  que  la  matière  n'était  pas 
un  être,  qu'il  n'y  avait  dans  la  nature  que  des  individus  auxquels  on  avait  donné 
le  nom  de  corps,  et  qu'on  ne  pouvait  entendre  par  le  mot  de  matière  que  la  collection 
des  propriétés  communes  à  tous  les  corps.  La  signification  de  ce  mot  ainsi  déterminée, 
il  ne  s'agissait  plus  que  de  savoir  si  l'étendue,  la  solidité,  l'impénétrabilité  étaient  les 
seules  propriétés  communes  a  tous  les  corps;  et  si  la  découverte  d'une  force,  telle, 
par  exemple,  que  l'attraction,  ne  pouvait  pas  faire  soupçonner  que  les  corps  eussent 
encore  quelques  propriétés  inconnues,  telle  que  la  faculté  de  sentir,  qui,  ne  se  mani- 
festant que  dans  les  corps  organisés  des  animaux,  pouvait  être  cependant  commune  à 
tous  les  individus  ».  Ces  conjectures  d'Helvetius  avaient  troublé  Rousseau,  puisqu'il 
avait  copié  tout  ce  passage,  pour  y  réfléchir  à  loisir,  et  avait  inscrit  en  dessous  :  «  A  bien 
examiner  »  ;  cf.  aux  Appendices,  II,  le  fragment  inédit,  La  Genèse  de  l'idée  de  Substance. 
—  Au  reste,  du  point  de  vue  des  apparences  sensibles,  Rousseau  ne  ferait  pas  difficulté 
d'accepter  l'affirmation  d'Helvetius.  Il  écrivait  à  Dom  Deschamps,  le  8  Mai  1761  [27], 
14g  :  «  Nos  sens  ne  nous  montrent  que  des  individus  ». 

12 


17»  REDACTIONS    MANUSCRITES 

puis  '.  Mais  continue-t-il  parce  que  je  -ne  conçois  pas  ^  comment 
frémit  cette  corde  pourquoi  ^  voulez-vous  que  j'aille  expliquer  cela 
par  vos  sons  ^dont  je  n'ai  pas  la  moindre  idée.  C'est  expliquer  une 
chose  obscure  par  une  cause  encore  plus  obscure.  (Allez  allez  vous 
n'êtes  qu'un  visionnaire.  ''Soyez  sur  que  vos  prétendus  sons  n'existent 
'  que  dans  vôtre  imagination),  f  Plus  je  "^  reflechissois  sur  ^  la 
cause  de  la  pensée  et  sur  la  nature  de  l'esprit  humain,  plus  je 
'"  trouvois  que  le  raisonnement  "  des  matérialistes  '- ressembloit  à 
celui  de  ce  sourd.  Ils  sont  sourds  en  etîet  à  la  voix  intérieure 
qui  leur  crie  d'un  ton  difficile  à  meconnoitre  une  machine  ne 
'^  pense  point  il  n'\'  a  ni  mou\ement  ni  figure  qui  produise  la 
reflexion.  Quelque  chose  en  toi  cherche  à  briser  les  liens  qui  le 
compriment.    '■•  L'espace;  ^^  n'est  pas  ta  mesure,  l'univers  entier  n'est 


'  B.  (reprend-il.   c'est   une   corde   tiemissante.   voilà   tout  ce  que  j'en   sais) 
[(mais  «.  continue  »-t-il.  reprend-il)j  [répliquera-t-il,  mais  parce  que  je  ne  conçois 
pas  comment  frémit].  —  M.  (continue-t-il...  réplique-t-il...  continuera-t-il)  [répli- 
quera-t-il]. —  I.  réplique  (l'aveugle)  [le  sourd]. 
-  je  conçois  pas  (sic).  —  I.  [ne]. 
^  (cette). 
*  B.  faut-il. 

^  B.  (dont  je  n'ai...  plus  obscure)  [que  je  conçois  encore  moins]. 
'''  [ou  rendez-moi  vos  sons  sensibles  ou  (sachez)   [je  dis]   qu'ils   n'e.xistent 
point].  —  B.  n'e.xistent  pas.  —  M.  ou  rendez  moi  ces  sons. 
'  [point]. 

"  B.  réfléchis.  —  I.  (dis  cute)  réfléchis. 
■'  B.  <  la  cause  de  >. 
'"  B.  trouve. 

"  I.  (de  ce  sourd)  [des  matérialistes]. 
'-  B.  ressemble. 

'^  M.  sent  ni  ne  pense  <  point  >. 
'*  (L'univers  en  tier). 
'■"'  B.  (est  trop  petit)  [n'est  pas  ta]. 


t  Ici.  en  marge,  la  réflexion  suivante,  inutilisée,  qui  reprend,  sous 
une  autre  forme,  la  dernière  idée  du  paragraphe  précédent  :  mais  à 
quel  être  appartiennent  donc  ces  qualités  je  l'ignore.  iTout)  la  seule 
chose  que  je  sais  bien  c'est  qu'elles  n'appartiennent  pas  à  la  matière. 


ÉDITION    ORIGINALE  I79 

voit  frémir  :  la  corde:  je  lui  dis,  c'est  le  son  qui  fait  cela  '.  Point  du  tout,         [72] 
répond-il:  la  cause  du  frémissement  de  la  corde  est  en  elle-même;  c'est 
une  qualité  commune  à  tous  les  corps  de  frémir  ainsi    :    montrez-moi 
donc,  reprends-je,  ce  frémissement  dans  les  autres  corps,  ou  du  moins 

l'autre,  en  sorte  que  leurs  |  deux  moi  se  confondent  en  un  '?  L'attraction   peut  r72] 

être  une  loi  de  la  Nature  dont  le  mistere  nous  est  inconnu;  mais  nous  concevons 
au  moins  que  l'attraction,  agissant  selon  les  masses,  n'a  rien  d'incompatible  avec 
l'étendue  &  la  divisibilité.  Concevez-vous  la  même  chose  du  sentiment^?  Les 
parties  sensibles  sont  étendues,  mais  l'être  sensitif  est  indivisible  &  un;  il  ne  se 
partage  pas,  il  est  tout  entier  ou  nul  :  l'être  sensitif  n'est  donc  pas  un  corps  '. 


'  «  C'est  une  observation  connue  de  tous  les  musiciens,  dit  Rousseau,  dans  le 
Dictionnaire  de  \fusique,  art.  Unisson,  VII,  338,  que  celle  du  frémissement  et  de 
la  résonnance  d'une  corde  au  son  d'une  autre  corde  montée  à  l'unisson  de  la  première», 
et  il  donne  à  la  fin  de  l'article  «  Texplication  de  ce  phénomène  ».  Il  la  trouvait  déjà 
dans  son  Saint-Aubin,  IV,  2  [141],  III,  i37-i38.  Diderot  s'était  servi,  lui  aussi,  de  cette 
expérience  classique,  comme  d'un  terme  de  comparaison  pour  l'analyse  des  passions 
humaines  :  cf.  Essai  sur  le  mérite  et  la  vertu  [174].  yS,  note.  .Mais  l'on  serra  par  la 
note  suivante  que  c'est  Clarke  sans  doute  qui  a  suggéré  à  Rousseau  celte  comparaison, 
sinon  dans  ses  détails,  du  moms  dans  son  idée  essentielle. 

'  «  11  semble,  disait  .Maupertuis,  dans  son  Essai  sur  la  formation  des  corps 
organisés  198  A],  5o-3i,  que,  de  toutes  les  perceptions  des  éléments  rassemblées,  il  en 
résulte  une  perception  unique  beaucoup  plus  forte,  beaucoup  plus  parfaite  qu'aucune 
des  perceptions  élémentaires,  et  qui  est  peut-être  à  chacune  de  ces  perceptions  dans 
le  même  rapport  que  le  corps  organisé  est  à  l'élément  »  ;  et  Diderot  développait  ainsi 
la  pensée  de  .Maupertuis,  Interprétation  de  la  Nature,  L  [210],  47:  «  Chaque  élément 
perdra-t-il,  en  s'accumulant  et  en  se  combinant,  son  petit  degré  de  sentiment  et  de 
perception  ?  nullement,  dit  le  docteur  Baumann.  Ces  qualités  lui  sont  essentielles. 
Qu'arrivera-t-il  donc?  le  voici.  De  ces  perceptions  d'éléments  rassemblés  et  com- 
binés, il  en  résultera  une  perception  unique,  proportionnée  à  la  masse  et  à  la 
disposition;  et  ce  système  de  perceptions  dans  lequel  chaque  élément  aura  perdu  la 
mémoire  du  soi  et  concourra  à  former  la  conscience  du  tout,  sera  l'âme  de  l'animal  ». 

*  C'est  encore  une  réponse  directe  à  Helvetius.  Le  texte  du  livre  De  L'Esprit, 
auquel  il  a  déjà  fait  allusion  dans  cette  note,  se  terminait,  on  l'a  vu,  par  une  espèce 
de  raisonnement  analogique,  où  Helvetius  s'autorisait  de  la  récente  découverte  de 
Tattraction  pour  supposer  dans  les  corps  d'autres  propriétés  inconnues,  et,  en  particu- 
lier, la  faculté  de  sentir.  Diderot,  d'ailleurs,  avait  fait  le  même  raisonnement  quelques 
années  plus  tôt,  et  il  est  possible  qu'Helvetius  le  lui  ait  emprunté:  cf.  Interprétation 
de  la  Nature,  L  ^210^,  45  :  «  L'observation  des  corps  célestes  a  démontré  la  nécessité 
d'une  force  par  laquelle  toutes  les  parties  tendissent  ou  pesassent  les  unes  vers  les 
autres  selon  une  certaine  loi;  et  l'on  a  admis  l'attraction...  La  physique  élémentaire 
des  petits  corps  a  fait  recourir  à  des  attractions  qui  suivent  d'autres  lois:  et  l'impossi- 
bilité d'expliquer  la  formation  d'une  plante  ou  d'un  animal,  avec  les  attractions,  l'inertie, 
la  mobilité,  l'impénétrabilité,  le  mouvement,  la  matière  ou  l'étendue,  a  conduit  le 
philosophe  Baumann  à  supposer  encore  d'autres  propriétés  dans  la  nature  ». 

*  Cf.  Bonnet,  Essai  analytique,  XI  [229],  111  :  «  L'âme  n'est  pas  corps:  la 
simplicité  du  sentiment  le  prouve:  le  sentiment  est  un,  le  corps  est  multiple  ».  — 
L'abbé    de    Lignac    avait    fait    aux    matérialistes    contemporains    une   objection    plus 


l8o  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

pas  assés  grand  pour  toi.  Tes  'désirs,  -ta  grandeur,  ion  inquiétude 
^ont  [^  un]  autre  principe  qu'(''un)  corps  C^de  cinq  pieds). 


'  B.  [sentimens,  tes].  — I.  <  tes  seniimens  >. 
^  B.  (ta  grandeur).  —  I.  ta  grandeur. 
'  B.  [ton  orgueil  même].  —  I.  <  ton  orgueil  même  >. 
■*  (une).  —  I.  un(e). 
'-  [e  ce].  —  B.  (le)  [ce].  —I.  le. 

"  [qui  t'enveloppe].  —  B.  (qui  t'enveloppe)  [étroit  dans  lequel  tu  te  sens 
enchaîné].  — I.  qui  t'enveloppe. 


ÉDITION"    OKIGINALE  l8l 

sa  cause  dans  cette  corde?  Je  ne  puis,  réplique  le  sourd;  mais  parce  que 
je  ne  conçois  pas  comment  frémit  cette  corde,  pourquoi  faut-il  que  j"ailie 
expliquer  cela  par  |  vos  sons,  dont  je  n'ai   pas  la  moindre  idée?  C'est         [73] 
expliquer  un  fait  obscur,  par  une  cause  encore  plus  obscure.  Ou  rendez- 
moi  vos  sons  sensibles,  ou  je  dis  qu'ils  n'existent  pas.  * 

Plus  je  réfléchis  sur  la  pensée  «S;  sur  la  nature  de  l'esprit  humain, 
plus  je  trouve  que  le  raisonnement  des  matérialistes  ressemble  à  celui 
de  ce  sourd  ^  Ils  sont  sourds,  en  efl'et,  à  la  voix  intérieure  qui  leur  crie 
d'un  ton  difficile  à  méconnoître  :  Une  machine  ne  pense  point,  il  n'v 
a  ni  mouvement,  ni  figure  qui  produise  la  réflexion  2  :  quelque  chose  en 
toi  cherche  à  briser  les  liens  qui   le  compriment  :    l'espace  n'est  pas  ta 

Je  ne  sais  comment  l'entendent  nos  matérialistes,  mais  il  me  semble  que  les 
mêmes  difficultés  qui  leur  ont  fait  rejetter  la  pensée,  leur  devroient  faire  aussi 
rejetter  le  sentiment.  &  je  ne  vois  pas  pourquoi  ayant  fait  le  premier  pas,  ils  ne 
feroieni  pas  aussi  l'autre:  que  leur  en  coùieroit-il  de  plus,  &  puisqu'ils  sont 
sûrs  qu'ils  ne  pensent  pas,  comment  osent-ils  affirmer  qu'ils  sentent  ? 


personnelle,  mais  inspirée  du  même  esprit,  dans  ses  Éléments  de  mélaplwsique,  XVI 
[2o5j,  389-394,  et  il  la  résumait  ainsi  dans  un  Mémoire  annexé  au  Témoignage  du 
sens  intime  ^23 1-,  I,  3i5-3i6  :  Pour  réfuter  la  théorie  de  Locke  sur  la  possibilité 
d'accorder  la  pensée  à  un  amas  de  matière.  «  ie  démontrais,  qu'en  supposant  même 
chacune  des  parties  de  cette  collection  matérielle,  destituée  de  toute  surface,  de  toutes 
dimensions  indivisibles,  comme  les  .Monades  de  Leibniz:  en  supposant  de  plus  que 
chacune  sentît  son  existence  numérique,  comme  feu  M.  de  .Maupertuis  a  voulu  qu'on 
le  jugeât,  la  collection  de  ces  parties  ne  sentirait  pas  son  existence  totale,  puisque  cet 
amas  serait  composé  de  parties  dont  chacune  sentirait  son  existence  propre,  en 
exclurait  la  réalité  de  toutes  les  autres,  se  sentirait  l'impossibilité  de  douter  de  son 
existence,  et  la  possibilité  de  douter  de  celle  de  toutes  les  autres;  et  qu'ainsi  dans  ce 
tout  qu'on  supposerait  sentir  son  existence  totale,  aucune  de  ses  parties  ne  sentirait 
l'existence  du  tout,  non  plus  que  dans  une  armée  de  cent  mille  hommes,  dont  chaque 
soldat  sent  sa  propre  existence,  on  ne  pourrait  dire  que  la  collection  de  ces  soldats 
se  sent  exister,  comme  chaque  soldat  sent  son  individualité  personnelle  ». 

'  Clarke  [i25],  I,  70,  s'était  servi  de  la  même  comparaison  pour  caractériser  le 
raisonnement  des  athées  :  «  Je  pose  en  fait  qu'un  sourd,  qu'un  aveugle  de  naissance 
•on  remarquera  que  Rousseau,  dans  la  Première  Rédaction,  avait  écrit  :  un  sourd  de 
naissance^  ont  infiniment  plus  de  raison  de  nier  l'existence  et  la  possibilité  du  son 
et  de  la  lumière,  que  n'en  a  l'athée  pour  révoquer  en  doute  l'existence  de  Dieu.  Toute 
la  certitude  que  le  sourd  et  l'aveugle  peuvent  avoir  de  l'existence  du  son  et  de 
la  lumière  se  réduit  au  témoignage  de  personnes  croyables;  du  reste,  il  est  absolument 
impossible  qu'ils  aient  la  moindre  idée,  je  ne  dis  pas  seulement  de  leur  essence, 
mais  même  de  leurs  efléts  et  de  leurs  propriétés.  Il  ne  faut  au  contraire  à  l'athée  qu'un 
peu  de  raisonnement  »,  etc. 

'  L'idée  est  exprimée  par  Rousseau  avec  une  conviction  aussi  neuve  que  s'il  la 
présentait  pour  la  première  fois.  On  l'a  cependant  vu  reparaître  à  plusieurs  reprises, 
cf.  notamment  p.  58. 


162  REDACTIONS    MANUSCRITES 


Nul  'corps  n'est  actif  -et  "moi  je  le  suis.  On  a  beau  me 
Ue  disputer'',  je  le  sens,  et  le  sentiment  qui  ''me  parle  est  plus 
fort  que  la  raison  qui  le  combat.  J'ai  un  corps  sur  lequel  les 
autres  agissent  et  qui  agit  sur  eu.x.  Cette  action  réciproque  n'est 
pas  douteuse,  mais  ma  volonté  est  indépendante  de  mes  sens,  je 
consens  ou  je  résiste,  je  succombe  ou  je  suis  vainqueur  et  je 
«  '  sens  »  **  évidemment  en  moi  même  quand  je  fais  ('■'  ma 
volonté)  ou  quand  je  ('"me  laisse  entraîner)  à  mes  passions.  Je 
("  suis  libre)  de  vouloir  ('-mais  non  pas  de  faire),  (j'agis  selon  l'im- 
pulsion) quand  '^je  me  livre  aux  tentations '\  quand  je  me  reproche 
cette  foiblesse  '^  j'écoute  (la  voix  "'  interne  ?  qui  détermine)  ma 
volonté  (''constante).  Je  suis  esclave  par  mes  vices,  "*je  suis  libre 
par  mes  remords,  (et)   le  sentiment  de  ma  '-'liberté  ne  s'efface  en 


'  B.  (corps)  [être  matérielj.  —  I.  «.  Nui  corps  ». 

-  B.  [par  lui-même].  —  M.  [par  lui-même]. 

■'  I.  moi  moi  (sic). 

'  B.  (le).  —I.  le. 

■•'  B.  [cela]. 

"  B.  (me  parle)  [l'affirme]. 

'  (vois). 

"  B.  parfaitement. 

"  [ce  que  ]'ai  voulu  faire], 
'"  [ne  fais  que  céder]. 

"   [ai  la  puissance].  — B.  J'ai  [toujours]  la. 

'-  [et  non  (pas  d'agir)   celle  d'e.xecuter].  —  B.   mais   non   (celle)   |la  torce; 
d'exécuter.  — I.  mais  non  celle  d'exécuter. 
''  (je  cède  à). 

'■*  [j'agis  selon  l'impulsion  des  objets  externes]. 
'■'  [je  n']  écoute  [que]. 
'"  [secrette]. 
"  [(primitive)]. 
•»  B.  et  libre. 
''■'  B.  (volonté)  [liberté]. 


ÉDITION    ORIGIXALK  183 

mesure  ^,  l'Univers  entier  n'est  pas  assez  grand  pour  toi  ;  tes  sentimens, 
tes  désirs,  ton  inquiétude  *,  ton  orgueil  même,  ont  un  autre  principe 
que  ce  corps  étroit  dans  lequel  tu  te  sens  enchaîné. 

Nul  être  matériel  nest  actif  par  lui-même,  &  moi,  je  le  suis.  On  a  [741 
beau  me  disputer  cela,  je  le  sens.  &  ce  sentiment  qui  me  parle  est  plus 
fort  que  la  raison  qui  le  combat  ^  J'ai  un  corps  sur  lequel  les  autres 
agissent  &  qui  agit  sur  eu.x  ;  cette  action  réciproque  n'est  pas  douteuse; 
mais  ma  volonté  est  indépendante  de  mes  sens,  je  consens  ou  je  résiste, 
je  succombe  ou  je  suis  vainqueur.  &  je  sens  parfaitement  en  moi-même 


'  Cf.  Abbadie,  Religion  chrétienne,  II,  iv,  5  [92].  II,  3i5,  dans  un  développement 
analogue  sur  la  bassesse  et  la  grandeur  de  l'homme  :  «  C'est  un  mortel,  11  est  vrai, 
mais  qui  place  toutes  ses  espérances  au  delà  de  la  mort.  C'est  un  être  fini,  mais  qui  n'a 
aucunes  bornes  dans  ses  vues  et  dans  ses  désirs.  Il  ne  faut  que  quatre  pieds  de  terre 
pour  couvrir  son  corps  ;  il  faut  un  tout  immense  pour  satisfaire  son  âme  ». 

*  Il  est  à  peine  besoin  de  noter  l'allure  pascalienne  de  ce  texte  ;  le  mot  de 
«grandeur»,  qui  se  trouvait  dans  la  Première  Rédaction,  soulignait  davantage  la 
parenté  d'inspiration.  Rousseau  avait  déjà  dit  à  Sophie  avec  le  même  accent.  Lettre  IV 
[25],  i3g  :  «  N'avez-vous  jamais  senti  cette  secrète  inquiétude  qui  nous  tourmente  à  la 
vue  de  notre  misère,  et  qui  s'indigne  de  notre  faiblesse,  comme  d'un  outrage  aux 
facultés  qui  nous  élèvent  ?  N'avez-vous  jamais  éprouvé  ces  transports  involontaires, 
qui  saisissent  quelquefois  une  âme  sensible  à  la  contemplation  du  beau  moral  et  de 
l'ordre  intellectuel  des  choses,  cette  ardeur  dévorante,  qui  vient  tout  à  coup  embraser 
le  cœur  de  l'amour  des  célestes  vertus,  ces  sublimes  égarements,  qui  nous  élèvent 
au-dessus  de  notre  être,  et  nous  portent  dans  l'empyrée  à  côté  de  Dieu  même  »  ? 

'  On  a  déjà  vu  cet  argument:  mais,  cette  fois,  ce  n'est  pas  un  de  ces  retours  en 
arrière,  comme  j'ai  eu  l'occasion  d'en  signaler  plus  d'un.  L'argument  est  ici  bien  à  sa 
place,  puisque  c'est  par  la  liberté  que  Rousseau  résout  le  problème  du  mal  :  ce  serait 
plutôt  dans  la  dissertation  sur  la  matière  et  le  mouvement  que  cette  discussion  sur  la 
spontanéité  des  actions  humaines  formerait  enclave  :  cf..  plus  haut,  p.  49-5o  et  notes. 
—  Cette  preuve  de  la  liberté  par  le  sens  intime.  «  plus  fort  »  que  tous  les  raisonnements, 
avait  déjà  été  présentée  bien  des  fois.  Cf.  quelques  textes  d'un  accent  très  voisin  de 
celui  de  Rousseau,  Berkeley,  Alciphron,  Vil.  21  J43j,  187  :  «  Il  est  évident  que  l'homme 
est  un  agent  libre:  et.  quoique  par  des  raisonnements  abstraits  vous  puissiez  m'embar- 
rasser,  et  paraître  prouver  que  l'homme  est  un  agent  nécessaire,  cependant,  aussi 
longtemps  que  j'aurai  l'idée  de  la  manière  dont  j'agis,  cette  évidence  intérieure  réfutera 
tous  vos  raisonnements,  quelque  subtils  qu'ils  puissent  être.  Si  vous  venez  à  bout  de 
détruire  des  principes  obscurs,  vous  pourrez  bien  vous  persuader  de  votre  habileté, 
mais  nullement  de  la  vérité  de  vos  opinions  »  :  Lignac,  Examen  sur  «  l'Esprit  »  "226], 
I,  16  :  «  La  question  de  la  liberté  n'est  point  un  problème  de  métaphysique,  c'est  une 
question  de  fait  décidée  par  le  sens  intérieur.  Je  sais  que  je  suis  actif  dans  mes  vouloirs, 
parce  que  je  le  sens,  comme  je  sais  que  je  suis  passif  dans  mes  sensations,  encore 
parce  que  je  le  sens.  Quand  on  mettrait  d'ailleurs  la  chose  en  question,  je  ne  deman- 
derais pas  si  je  puis  être  libre,  mais  si  je  le  suis;  si  vous  me  démontrez  la  possibilité 
de  la  liberté,  vous  ne  me  prouvez  pas  que  je  suis  libre.  Au  contraire,  si  je  suis  libre, 
la  possibilité  de  la  liberté  est  démontrée  »;  Sens  intime,  I.  1  '23i].  1,  74  :  «  L'article  de 
la  liberté...  est  une  de  ces  vérités  qui  n'est  du  ressort,  ni  du  doute  méthodique,  ni 
d'aucune  discussion.  Le  sentiment  doit  juger  ici,  et  non  le  raisonnement  ». 


184  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

moi  que  quand  je  me  déprave   et   que   i'(' étouffe)  la  voix  de  (-la 
nature. qui  s'élève)  contre  la  ^  loi  (*de  mon)  corps. 


fo  IQ2  ro  t  II  '^Si   1  est  vrai  que;  l'homme  est  libre  voyez  quelles   grandes 

découvertes  j'ai  îaites.  J'ai  vu  que  la  pensée  a  un  soutien  différent 
de  la  matière.  L'unité  de  substance  étoit  l'ouvrage  de  ma  vanité.  Je 
ne  voulois  admettre  que  la  substance  qui  m 'étoit  conniie  et  je  ne 
voyois  pas  que  par  là  même  je  ne  la  connoissois  plus  ;  car  si  la 
"matière  'pense  (et  se  nt)  je  ne  sais  plus  ce  que  c'est  que  (la) 
matière  car  ces  deux  idées  ne  pouvoient  entrer  dans  la  notion  «.  que  » 
j'ai  de  cette  substance  (et  de  ses  propriétés  exactes).  J'ai  fait  plus 
encore  j'ai  résolu  cette  question  difficile  de  l'origine  du  mal. 


B,  F  135  ™  [*  Je  ne  connois  la  i^  nature  de  la  volonté  que  par  ses  actes,  il  m'est 
impossible  de  remonter  ^"au-delà).  Quand  on  me  demande  quelle  est  la 
cause  qui  détermine  ma  volonté  je  réponds  en  demandant  (à  mon  tour) 
quelle  est  la  cause  qui  détermine  mon  ■jugement,  car  1  "  il  est  certain  qu'en 
donnant  toute  l'attention  possible  à  mes  jugemens  tantôt  je  dis  vrai  et  tantôt 


'   [empêche  enfin]. 
-  [l'àme  de  s'élever]. 
'  B.  (voix)  [loi]. 
'  [du]. 

^  [(Voyez)].  —  B.  <  S'il  est  vrai origine  du  mal  >. 

"  (pe  nse). 

'  [sent  et]. 

"  (Comme  si  je  ne  suis  pas  libre  de  juger  faux). 

"  [volonté  que  par  le  sentiment  de  la  mienne  (mes)]. 

">  [(plus  haut)]. 

"  [il  est  clair  que]. 

t  En  marge,  d'une  autre  encre,  et  d'une  écriture  plus  récente  :  Ici 
sur  la  liberté  voyez  de  l'esprit  p.  3G. 


ÉDITION    ORIGINALE  185 

quand  je  fais  ce  que  jai  voulu  faire,  ou  quand  je  ne  fais  que  céder  à  mes 
passions.  J'ai  toujours  la  puissance  de  vouloir,  non  la  force  d'exécuter. 
Quand  je  me  livre  aux  tentations,  j'agis  selon  l'impulsion  des  objets 
externes.  Quand  je  me  reproche  cette  foiblesse,  je  n'écoute  que  ma 
volonté:  je  suis  esclave  par  mes  vices,  &  libre  par  mes  remords;  le 
sentiment  de  ma  liberté  ne  s'efface  en  moi  que  quand  je  me  déprave, 
&  que  j'empêche  enfin  la  voix  de  l'ame  de  s'élever  contre  la  loi  du  corps  -. 


I  Je  ne  connois  ^  la  volonté  que  par  le  sentiment  de  la  mienne.  &         [75] 


'  Est-ce  lapsus  ou  hésitation  ?  Il  avait  d'abord  écrit  dans  B  :  «  la  pnix  du  corps  », 
formule  qui  traduisait  peut-être  plus  exactement  sa  pensée  que  le  texte  définitif,  car 
«  la  loi  du  corps  »  semble  bien  indiquer  un  déterminisme  physiologique,  malaisément 
conciliable  avec  cette  liberté  toute  spirituelle  que  Rousseau  proclame.  {Remarquez, 
en  eflét,  qu'il  écrira  plus  loin.  p.  98  :  «  la  conscience  est  la  l'oix  de  l'âme,  les  passions 
sont  la  voix  du  corps  »).  C'est,  d'ailleurs,  le  développement  des  constatations  qu'il  a 
faites  plus  haut  :  «  je  me  sens  à  la  fois  esclave  et  libre  »,  etc.  Cf.,  p.  69,  les  remarques 
dont  j'ai  accompagné  ce  texte.  —  Dans  son  Premier  Brouillon,  Rousseau  faisait  ici 
une  pose,  pour  se  féliciter  des  résultats  obtenus  par  sa  dialectique.  Ce  couplet  d'allé- 
gresse n'a  passé  dans  aucun  autre  manuscrit  ;  il  était,  en  effet,  d'un  1  risme  trop 
ingénument  satisfait  :  cette  petite  page  reste  cependant  un  témom  psychologique  très 
instructif;  c'est  un  cri  de  véritable  soulagement  et  de  triomphe,  comme  Rousseau  a  dû 
en  pousser  à  certaines  heures  de  son  enquête  religieuse,  quand,  «  après  les  recherches 
les  plus  ardentes  et  les  plus  sincères  qui  jamais  peut-être  aient  été  faites  par  aucun 
mortel  »,  il  voyait  enfin  apparaître  une  lumière  rassurante  «  dans  le  labyrinthe 
d  embarras,  de  ditïicultés,  d'objections,  de  tortuosités,  de  ténèbres»,  où  il  se  débattait 
douloureusement  ;  c(.  Rê>>eries.  IX,  341-342. 

'  Les  trois  paragraphes  qui  suivent  mterrompent  un  instant  la  marche  normale 
du  développement  :  les  derniers  mots  du  paragraphe  précédent  formaient  une 
transition  naturelle  pour  revenir  au  problème  du  ma!,  en  l'expliquant  par  la  liberté; 
telle  est,  en  effet,  la  disposition  du  texte  dans  le  Premier  Brouillon.  Mais,  après  l'avoir 
rédigé,  Rousseau  a  lu  le  livre  De  l'Esprit,  où  Helvetius,  en  quelques  phrases  rapides, 
classait  l'idée  de  «  liberté  »  parmi  les  idées  inintelligibles.  Rousseau  a  pensé  qu'il  ne 


l86  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

je  me  trompe).  Ces  deux  causes  (isont  la  même),  et  si  l'on  comprend 
bien  que  l'homme  est  actif  dans  ('-le)  jugemenit),  que  (^  l'essence  de)  son 
entendement  c'est  dans;  le  pouvoir  de  comparer  et  de  juger  on  verra 
que  sa  liberté  morale  vient  exactement  de  la  même  source  ;  il  choisit  le 
(■^bieni  comme  il  a  jugé  le  vrai.  [S'il  juge  faux  il  choisit  mai].  Quelle 
est  donc  la  cause  qui  détermine  sa  volonté?  C'est  son  jugement  et 
quelle  est  la  cause  qui  détermine  son  jugement  ?,  c'est  ^  sa  faculté 
intelligente  c'est  sa  puissance  de  juger.  La  cause  déterminante  est  en 
lui-même  :  (  "  on  ne  sauroit  aller  au  delà)]. 


'   [n'en  font  qu'une]. 

"-  [ses]  iugemen[s]. 

'  M.  l'essence  de. 

^  [n'est  que].  —  M.  est  dans. 

^  [bon]. 

*  (son). 

^  [passé  cela  je  n'entends  plus  rien]. 


EDITION'    ORICINAI.I-;  lOJ 

l'entendement  ne  m'est  pas  mieux  connu.  Quand  on  me  demande  quelle 
est  la  cause  qui  détermine  ma  volonté,  je  demande  à  mon  tour,  quelle 
est  la  cause  qui  déterniine  mon  jugement  '-  :  car  il  est  clair  que  ces  deux 
causes  n'en  font  qu'une.  &  si  l'on  comprend  bien  que  l'homme  est  actif 
dans  ses  jugemens,  que  son  entendement  n'est  que  le  pouvoir  de  com- 
parer &  de  juger,  on  verra  que  sa  liberté  n'est  qu'un  pouvoir  semblable, 
oLi  dérivé  de  celui-là:  il  choisit  le  bon  comme  il  a  jugé  le  vrai;  s'il  juge 
faux  il  choisit  mal.  Quelle  est  donc  la  cause  qui  détermine  sa  volonté? 
C'est  son  jugement.  Et  quelle  est  la  cause  qui  détermine  son  jugement? 


pouvait  accepter  cette  exécution  sommaire  sans  compromettre  son  apologie  de  la 
Providence.  Il  s'est  donc  promis  de  riposter  (cf.  la  note  marginale  de  FI  ;  et  c'est 
ce  qu'il  a  fait  dans  la  Rédaction  suivante.  .Mais,  en  établissant  contre  Helvetius 
l'intelligibilité  de  l'idée  de  liberté,  il  a  rencontré  la  théorie  de  Locke,  qui  semble 
soumettre  la  volonté  au  déterminisme  de  l'intelligence,  et  il  a  tenu  à  s'en  séparer.  — 
Des  trois  nouveaux  paragraphes  ajoutés  à  la  Rédaction  primitive,  le  premier  est  une 
réponse  à  Locke,  les  Jeu.x  autres  à  Helvetius.  L'abbé  de  Lignac  avait  déjà  remarqué 
qu'il  y  avait  filiation  de  la  doctrine  de  Locke  au  déterminisme  d'Helvetius  :  cf.  Examen 
sur  l'Esprit.  I,  i  ^226],  1,  i3. 

-  Pour  comprendre  tout  ce  développement,  il  faut  se  rappeler  la  théorie  de 
Locke  :  cf.  Entendement  humain,  II,  xxi,  «  De  la  puissance  »,  et,  en  particulier,  %  29 
1^102],  192  :  «Comme  la  volonté  n'est  autre  chose  que  cette  puissance  que  l'esprit  a 
de  diriger  les  facultés  opératives  de  l'homme,  au  mouvement  ou  au  repos,  autant 
qu'elles  dépendent  d'une  telle  direction,  lorsqu'on  demande  :  qu'est-ce  qui  détermine 
la  volonté,  la  véritable  réponse  qu'on  doit  faire  à  cette  question  consiste  à  dire  que 
c'est  l'esprit  qui  détermine  la  volonté  *  :  et,  un  peu  plus  loin,  au  §  76,  après  avoir 
montré  que  la  volonté  intelligente  se  demandait,  avant  d'agir,  si  tel  bien  particulier, 
produit  par  cette  action,  faisait  partie  de  notre  bonheur  réel,  il  ajoutait,  p.  220  :  «  Le 
résultat  de  notre  jugement,  en  conséquence  de  cet  examen,  c'est  ce  qui,  pour  ainsi 
dire,  détermine  en  dernier  ressort  l'homme,  qui  ne  saurait  être  libre,  si  sa  volonté 
était  déterminée  par  autre  chose  que  par  son  propre  désir,  guidé  par  son  propre 
jugement  ».  Cf.  encore  l'auteur  de  l'article  Évidence,  qui  se  rallie  au  même  système 
[218],  i56  b  :  «  C'est  dans  cet  état  d'intelligence  et  dans  la  force  d'intention  que  consiste 
le  libre  arbitre,  considéré  simplement  en  lui-même.  Ce  n'est,  du  moins,  que  dans 
ce  point  de  vue  que  nous  pouvons  l'envisager  et  le  concevoir  relativement  à  nos 
connaissances    naturelles;    car    c'est    l'intelligence    qui   s'oppose   aux    déterminations 

animales  et  spontanées,  qui  fait  hésiter,  qui  suscite,  soutient  et  dirige  l'intention 

Nous  apercevons  que  c'est  moins  une  faculté  active  qu'une  lumière  qui  éclaire  la  voie 
que  nous  devons  suivre,  et  qui  nous  découvre  les  motifs  légitimes  et  méritoires  qui 
peuvent  régler  dignement  notre  conduite  ».  Rousseau  admet,  lui  aussi,  que  c'est  le 
jugement  qui  détermine  la  volonté,  mais  sa  théorie  du  jugement  qu'il  a  exposée  plus 
haut,  p.  40,  lui  permet  de  ne  pas  s'en  tenir  là.  Le  jugement  a  besoin,  à  son  tour, 
d'être  expliqué  :  «  je  suis  actif  quand  je  juge  ».  Expliquer  la  volonté  par  le  jugement, 
ce  n'est  pas  la  soumettre  au  déterminisme  intellectuel,  c'est  au  contraire  tout  expliquer 
par  la  liberté.  Rousseau  avait  déjà  dit  dans  le  Discours  sur  l'Inégalité,  I,  89:  «Ce 
n'est  pas  tant  l'entendement  qui  fait,  parmi  les  animaux,  la  distinction  spécifique  de 
l'homme,  que  sa  qualité  d'agent  libre  ». 


l88  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


f"  136  ■■"  Sans  doute  je  ne  suis  pas  libre  de  ne  pas  vouloir  mon  propre  bien; 

je  ne  suis  pas  libre  de  vouloir  mon  mal,  mais  ['  ma  liberté  consiste] 
en  cela  même  que  je  ne  puis  vouloir  que  ce  qui  m'est  convenable  ou 
que  je  (-  croisi  tel,  sans  que  rien  d'étranger  à  moi  me  détermine. 
S'ensuit-il  que  je  ne  sois  pas  mon  maitre,  parce  que  je  ne  suis  pas  le 
maitre  «  d'être  »  un  autre  que  moi  ? 

^  La  première  cause  de  toute  action  est  dans  la  volonté  de  quelque 
être  libre,  *  on  ne  sauroit  remonter  au  delà.  Ce  n'est  pas  le  mot  de 
liberté  qui  ne  signifie  rien,  c'est  celui  de  nécessité.  Supposer  quelque 
acte  quelque  effet  qui  ne  dérive  pas  d'un  principe  actif,  c'est  vraiment 
supposer  des  effets  sans  cause,  c'est  tomber  dans  le  cercle  vicieux.  Ou 
il  n"v  a  point  de  première  impulsion,  ou  toute  première  impulsion  (^  vient 
de  la  volonté  d'un  être  libre.  Sitôt  que  je  veux  sortir  de  la  je  ne  m'entends 
plus,  je  ne  fais  plus  que  du  galimathias). 


'  (c'est). 

-  [estime]. 

'■'  [(J'ignore  abso  lumf.nt...  Je  ne  connois  la  nature  de  la  volonté  que  par 
ses  actes  et  (c'en  «  est  »  assez  pour  moi)  [cela  me  suffit])]. 

■*  M.  (d'où  il  suit  que  rien  de  ce  qui  se  fait  ne  se  fait  nécessairement). 

'"  [n'a  nulle  cause  antérieure  et  il  n'y  a  point  de  [■'  véritable]  spontanéité 
sans  liberté.  L'homme  est  donc  libre  dans  ses  actions  [et  comme  tel  animé  d'une 
substance  immatérielle].  C'est  mon  troisième  article  de  foi.  Tous  les  autres 
découlent  des  trois  premiers.  Vous  les  suivrez  aisément  sans  que  je  les  (mon  tre) 
[compte]]. 

«I  I.  (spontanéité)  [véritable  volonté]. 


ÉDITION    ORIGINALE  189 

C'est  sa  faculté  intelligente,  clest  sa  puissance  de  juger;  la  cause  déter- 
minante est  en  lui-même.  Passé  cela,  je  n'entends  plus  rien  ■''. 

Sans  doute  ••  je  ne  suis  pas  libre  de  ne  |  pas  vouloir  mon  propre  ryg] 
bien,  je  ne  suis  pas  libre  de  vouloir  mon  mal  ;  mais  ma  liberté  consiste 
en  cela  même,  que  je  ne  puis  vouloir  que  ce  qui  m'est  convenable,  ou 
que  j'estime  tel,  sans  que  rien  d'étranger  à  moi  me  détermine.  S"ensuit-il 
que  je  ne  sois  pas  mon  maître,  parce  que  je  ne  suis  pas  le  maître  d'être 
un  autre  que  moi? 

Le  principe  de  toute  action  est  dans  la  volonté  d'un  être  libre,  on 
ne  sauroit  remonter  au-delà.  Ce  n"est  pas  le  mot  de  liberté  qui  ne  signifie 
rien,  c'est  celui  de  nécessité  '.  Supposer  quelque  acte,  quelque  effet  qui 


'  Dans  un  fragment  inédit,  qu'il  voulait  rattacher  à  une  réflexion  de  Julie 
(cf.,  plus  loin,  la  note  2  de  la  p.  -6»,  Rousseau  avait  déjà  essayé  de  ramener  le  problème 
de  la  liberté  à  un  problème  plus  général,  celui  de  l'àme  ;  cf.  Nouvelle  Héloïse  (VI,  vil) 
fg],  II,  48™  (je  cite  le  te.xte  primitif):  «S'il  est  bien  vrai  que  Thomme  ait  une 
âme,  ce  qu'il  m'est  absolument  impossible  de  démontrer  et  de  révoquer  en  doute, 
il  faut  nécessairement  que  cette  âme  soit  active,  et  capable  de  produire  par  elle-même 
une  volonté  indépendante  de  toute  détermination  physique;  autrement,  /e  n'entends 
plus  rien  à  ce  mot  d'àme:  il  n'a  plus  aucun  sens  pour  moi  ».  —  Comparer  l'argumen- 
tation de  Rousseau  avec  celle  de  Berkeley,  Alciphron,  VII,  21  [143],  (88  :  «  Ce  ne  serait 
rien  dire  "contre  la  liberté^  que  d'avancer  que  la  volonté  est  gouvernée  par  le  jugement, 
ou  déterminée  par  l'objet,  puisque,  dans  mille  occasions,  je  ne  saurais  séparer  la 
décision  du  jugement  d'avec  le  commandement  de  la  volonté». 

*  Réponse  à  Helvetius,  De  l'Esprit,  I,  4  [226  AJ,  36  (C'est  la  page  même  que 
Rousseau  avait  notée  en  marge  de  son  Premier  Brouilionj  :  «  On  a  donc  une  idée 
nette  de  ce  mot  de  liberté,  pris  dans  une  signification  commune.  II  n'en  est  pas 
ainsi  lorsqu'on  applique  ce  mot  de  liberté  à  la  volonté.  Que  serait-ce  alors  que  la 
liberté  ?  On  ne  pourrait  entendre  par  ce  mot  que  le  pouvoir  libre  de  vouloir  ou  de 

ne  pas  vouloir  une  chose //  faudrait  donc  que  nous  puissions  également  nous 

vouloir  du  bien  et  du  mal,  supposition  absolument  impossible  ». 

'  Nouvelle  réplique  à  Helvetius  '225  A],  3tj-38.  «  En  ce  sens  ^lorsqu'on  applique 
ce  mot  de  liberté  à  la  volonté],  on  ne  peut  donc  attacher  aucune  idée  nette  à  ce  mot 
de  liberté...  On  ne  peut  donc  se  former  aucune  idée  de  ce  mot  de  liberté  appliqué 
à  la  volonté  ».  Fréret  disait  de  même  189],  2o5  :  «  Ceux  qui  font  consister  la  liberté 
dans  quelque  chose  de  plus  que  le  concours  ou  le  consentement  de  la  volonté  n'ont 
point  d'idée  de  ce  qu'ils  disent  ».  Déjà,  dans  la  Souvelle  Héloi'se  (VI,  viii,  V,  33-34. 
Rousseau  avait  fait  allusion  à  ces  formules  dédaigneuses  des  déterministes  :  «  J'entends 
beaucoup  raisonner  contre  la  liberté  de  l'homme,  et  je  méprise  tous  ces  sophismes, 
parce  qu'un  raisonneur  a  beau  me   prouver  que  je   ne  suis  pas  libre,  le  sentiment 

intérieur,  ^jIus  fort  que  tous  ces  arguments,  les  dément  sans  cesse A  entendre  ces 

gens-là,  ...  ce  mot  de  liberté  n'aurait  aucun  sens  ».  —  L'affirmation  de  Rousseau  :  «  ce 
n'est  pas  le  mot  de  liberté  qui  ne  signifie  rien,  c'est  celui  de  nécessité  »,  cette 
affirmation,  une  des  plus  formelles  qu'ait  jamais  prononcées  partisan  de  la  liberté,  se 
trouvait  préparée  dans  .M  par  cette  formule  tout  aussi  catégorique  :  <  rien  de  ce 
qui  se  fait  ne  se  fait  nécessairement  ». 


igO  KEDACTIONS    MANUSCRITES 


F    f°  162 '■°  Si  l'homme  est  actif  et  libre  '  il  ayit  de  lui-même  (-et  [tout  ) 

ce  qu'il  fait  librement  '-'  n'entre  point  dans  le  sistême  ordonné  de 
la  providence  et  ne  peut  ■'lui  être  imputé.  (^La  providence!  ne 
\eut  ni  ne  permet  le  mal  que  fait  l'homme  en  abusant  de  •'sa 
liberté.  Elle  l'a  fait  libre  afin  qu'il  fit  non  le  mal  mais  le  bien 
par  choix,  ('et)  elle  l'a  mis  **en  état  de  faire  ce  choix  en  usant 
bien  des  facultés  •' dont- elle  l'a  doué  ('"et)  elle  a  "borné  ses| 
forces  '-'de  telle  sorte  que  l'abus  de  *'sa  liberté  qu'elle  lui  laisse] 
ne  "puisse  (jamais)  troubler  l'ordre  général  « '■'qu'elle  établit  ». 
Le  mal  que  l'homme  fait  retombe  sur  lui-(même)  «■  "^  mais  cela  » 
(même)  ne  change  rien  au  sistême  '"du  monde,  '*et  n'empêche  pas 


'  M.  <  il  agit  de  lui-même  >. 

-'  B.  tout. 

'  (dans). 

*  lui  imputé  (sic).  —  B.  lui  être. 

=  [KWe. 

"  B.  la  liberté  qu'elle  lui  donne.  [Mais  elle  ne  l'empêche  pas  de  le  faire; 
soit  que  de  la  part  d'un  être  si  foible  ce  mal  soit  nul  à  ses  veux;  soit  qu'elle  ne 
put  l'empêcher  sans  gêner  sa  liberté  et  faire  un  mal  plus  grand  en  dégradant 
sa  nature].  — M.  (sa)  [la]  liberté  qu'elle.  — I.  <  Mais  elle  ne  l'empêche...  dégra- 
dant sa  nature  >. 
■   [(mais)]. 

"  [(par  les  facultés  dont  elle  l'a  doué)]. 

■'  M.  (qu')  [dont]. 

'"  [mais]. 

"  (pourvu  à  ce  que  les).  —  B.  tellement  borné. 

'-  B.  <  de  telle  sorte  >. 

'"  B.  la. 

'■*  B.  (puisse)  [au  crayon,  repassé  à  l'encre  :  peut]. 

'■■'  B.  (qu'elle  établit).  [Le  mal  que]. 

'^  B.  (mais  cela  ne)  [sans  rien]  change[r]  (rien). 

'"  B.  (du  monde)  [universel]. 

'"  B.  (et  n')  [sans]  empêche[r]  (pas).  — I.  et  n'empêche  pas. 


EDITION"    ORIGINALE  I9I 

ne  dérive  pas  d'un  principe  actif,  c'est  vraiment  -  supposer  des  effets 
sans  cause,  c'est  tomber  dans  le  cercle  vicieux.  Ou  il  n'y  a  point  de 
première  impulsion,  ou  toute  première  impulsion  n'a  nulle  cause 
antérieure,  &  il  n'v  a  point  de  véritable  volonté  sans  liberté.  L'homme 
est  donc  libre  dans  ses  actions,  &  |  comme  tel  animé  d'une  substance  [77] 
immatérielle  '  ;  c'est  mon  troisième  article  de  foi  2.  De  ces  trois  premiers 
vous  déduirez  aisément  tous  les  autres,  sans  que  je  continue  à  les  compter. 
Si  l'homme  est  actif  &  libre,  il  agit  de  lui-même;  tout  ce  qu'il  fait 
librement  n'entre  point  dans  le  système  ordonné  de  la  Providence,  &  ne 
peut  lui  être  imputé.  Elle  ne  veut  point  le  mal  que  fait  l'homme,  en 
abusant  de  la  liberté  qu'elle  lui  donne,  mais  elle  ne  l'empêche  pas  de 
le  faire;  soit  que  de  la  part  d'un  être  si  foible  ce  mal  soit  nul  à  ses 
veux;  soit  qu'elle  ne  pût  l'empêcher  sans  gêner  sa  liberté,  &  faire  un 
mal  plus  grand  en  dégradant  sa  nature.  Elle  l'a  fait  libre  afin  qu'il  fit, 
non  le  mal,  mais  le  bien  par  choix.  Elle  l'a  mis  en  état  de  faire  ce 
choix,  en  usant  bien  des  facultés  dont  elle  l'a  doué  :  mais  elle  a  tel- 
lement borné  ses  forces,  que  l'abus  de  la  liberté  |  qu'elle  lui  laisse,  ne  [73] 
peut  troubler  l'ordre  général.  Le  mal  que  l'homme  fait,  retombe  sur 
lui.  sans  rien  changer  au  système  du  monde,  sans  empêcher  que 
l'espèce  humaine  elle-même  ne  se  conserve  malgré  qu'elle  en  ait  '. 
Murmurer  de  ce  que  Dieu  ne  l'empêche  pas  de  faire  le  mal,  c'est 
murmurer  de  ce  qu'il  la  fit  d'une  nature  excellente,  de  ce  qu'il  mit  à 
ses  actions  la  moralité  qui  les' ennoblit,  de  ce  qu'il  lui  donna  droit  à  la 
vertu.  La  suprême  jouissance  est  dans  le  contentement  de  C^i  soi-même  ^  ; 


ta)  C,  D  :   dans  le  contentement  de  soi  :  c'est  poui'  mériter 
et  obtenir  ce  contentement. 

'  Ce  «  vraiment  »  a  pour  but  de  souligner  que  Rousseau  rétorque  contre 
Helvetius  son  propre  argument;  cf.,  en  etîet.  De  l'Esprit  ^225  A,  36-38  :  «  Le  libre 

pouvoir  de  vouloir  ou  de  ne  pas  vouloir  une  chose supposerait  qu'il  peut  v  avoir 

des  volontés  sans  motifs  et,  par  conséquent,  des  effets  sans  cause...  Il  faut...  convenir... 
qu'un  traité  philosophique  de  la  liberté  ne  serait  qu'un  traité  des  effets  sans  cause  ». 

'  Rousseau  avait  déjà  dit.  Discours  sur  l'Inégalité,  I,  90  :  «  C'est  surtout  dans  la 
conscience  de  cette  liberté  que  se  montre  la  spiritualité  de  son  âme»;  cf.  aussi  le 
fragment  inédit,  cité  plus  haut,  à  la  note  3  de  la  p.  75. 

'  On  se  rappelle  que  les  deux  premiers  étaient  les  suivants  :  «  L'ne  volonté  meut 
l'univers  et  anime  la  nature  »  (p.  49I  ;  «  Si  la  matière  mue  me  montre  une  volonté, 
la  matière,  mue  selon  de  certaines  lois,  me  montre  une  intelligence  »  (p.  54I. 

'  Sur  cette  locution,  cf.,  plus  haut,  p.  35,  note  4. 

'  Ce  qui,  dans  la  pensée  de  Rousseau,  implique  comme  corollaire,  cette  autre 
maxime,  beaucoup  plus  rousseauiste  d'esprit  :  «  le  suprême  contentement  est  dans 
la  jouissance  de  soi-même  »  ;  c'est  ce  qu'insinue,  d'ailleurs,  la  conclusion  du  paragraphe. 


iga  REDACTIONS    MANUSCRITES 

que  ('sa  propre  espèce)  ne  se  conserve  (encore)  malgré  (-lui). 
Murmurer  de  ce  que  Dieu  ne  l'''a  pas  empêché  de  (mal)  faire  \ 
c'est  murmurer  de  ce  qu'il  ''  l'a  fait  d'une  nature  excellente  [(de 
ce  qu'il  l'a  îormé  à  son  image)]  de  ce  qu'il  '^a  ['mis]  ^  à.  ses  actions 
la  moralité  qui  les  ennoblit  de  ce  qu'il  lui  ''a  donné  droit  à  la 
vertu.  [La  suprême  jouissance  est  dans  le  contentement  de 
soi-"'  même.  C'est  pour  mériter  et  obtenir  ce  contentement  que 
nous  sommes  placés  sur  la  terre  [et  (que  nous  y  sommes)  doués 
de  la  liberté]  que  nous  sommes  tentés  («  ''de  mal  îaire  »).  |(Et)j 
que  pouvoit  (ïaire)  de  plus  ("'pour  nous)  la  puissance  divine 
elle-même  :  '^  pour  empêcher  l'homme  d'être  méchant  ('*  elle 
pouvoit  il  est  vrai)  le  borner  à  l'instinct  et  le  faire  bête.  Non  Dieu 
de  mon  ame,  je  ne  te  reprocherai  jamais  de  l'avoir  faite  à  ton 
image  afin  que  je  pusse  être  [libre  bon  et]  heureux  comme  toi]. 
'■  Où  peut  être  le  prix  d'avoir  bien  fait  pour  qui  n'a  pas  eu  le 
pouvoir  de  mal  îaire. 

"'C'est   l'abus  ''des  facultés  de  l'homme  qui  "^  le   rend   mal- 
heureux et  méchant.  Nos  chagrins,  nos  soucis  nos  ('-'maux)  nous 


'   [l'homme  lui-même].  —  B.  Tespéce  humaine  elle-même. 

-'  [qu'il  en  ait].  —  B.  qu'elle  en  ait. 

^  B.  (a  pas)  empêche  [pas].  —  I.  (ne  l'a  pas  empêché)   [ne  l'empêche  pas]. 

*  [le  mal]. 

''  B.  la  fit. 

'■'  B.  mit. 

'  (donné  de  la  mora  lité). 

'  (de  la  moralité). 

"  B.  donna. 

'"  B.  (même),  —  M.  (même). 

"  [par  (nos)  les  passions  et  retenus  par  la  conscience]. 
'-'  [en  notre  faveur]. 

'^  [Eh  q  uoi].   —  B.    Pouvoit-elle    mettre   de    la    contradiction   dans    nôtre 
nature,   et  donner  le  prix   d'avoir  bien   fait  à  qui   n'eut  pas  le  pouvoir  de   mal 
faire  ?  Quoi,  pour  empêcher. 
"  [faloit-il]. 

''  B.  <  Où  peut  être...  faire  >. 

'"  (Le  mal  moral  est  incontestablement  l'ouvrage  de  l'homme   et   le   mal 
physique  ou  n'existe  pas  ou  est  encore  son  ouvrage). 
"  B.  de  nos  facultés. 
'"  B.  nous. 
'■'  [peines]. 


EDITION    ORIGINALE  IQ3 

c'est  pour  mériter  ce  contentement  que  nous  sommes  placés  sur  la  terre 
&  doués  de  la  liberté,  que  nous  sommes  tentés  par  les  passions  &  retenus 
par  la  conscience.  Que  pouvoit  de  plus  en  notre  faveur  la  puissance 
Divine  elle-même  ?  pouvoit-elle  mettre  de  la  contradiction  dans  notre 
Nature,  &  donner  le  prix  d'avoir  bien  fait  à  qui  n'eut  pas  le  pouvoir 
de  mal  |  faire?  Quoi!  pour  empêcher  l'homme  d'être  méchant,  falloit-il  [79] 
le  borner  à  l'instinct  &  le  faire  bête?  Non,  Dieu  de  mon  ame,  je  ne  te 
reprocherai  jamais  de  l'avoir  faite  à  ton  image,  afin  que  je  pusse  être 
libre,  bon  &  heureux  comme  toi  M 


C'est  l'abus  de  nos  facultés  qui  nous  rend  malheureux  &  méchans  -. 
Nos  chagrins,  nos  soucis,  nos  peines  nous  viennent  de  nous.  Le  mal 
moral  est  incontestablement  notre  ouvrage.  &  le  mal  phvsique  ne  seroit 
rien  sans  nos  vices  qui  nous  l'ont  rendu  sensible  ^.  N'est-ce  pas  pour 
nous  conserver  que  la  .Nature  nous  fait  sentir  nos  besoins?  La  douleur 
du  corps  n'est-elle  pas  un  signe  que  la  machine  se  dérange,  &  un  aver- 
tissement d'y  pourvoir?  La  mort...  les  méchans  n'empoisonnent-ils  pas 


'  Ces  derniers  mots  donnent  à  ce  développement  traditionnel  sur  la  Providence 
un  accent  personnel.  Comme  le  disait  Rousseau  lui-même,  dans  sa  Lettre  sur  la  vertu 
[2b],  iSg,  «  c'est  Hercule  qui  se  sent  à  la  fois  brûler  sur  son  bûcher  et  devenir  Dieu  ». 
Presque  toutes  les  méditations  religieuses  de  Rousseau  aboutissent  d'instinct,  et  plus 
ou  moins  consciemment,  à  des  déifications  :  cf.,  déjà  la  3'  Lettre  à  ^f.  de  Malesherbes, 
X,  3o6,  Souvelle  Héloïse  ilV,  ï(,  I\',  323:  «Seul  entre  tous  les  mortels,  il  [le  père 
de  famille]  est  maître  de  sa  propre  félicité,  parce  qu'il  est  heureux  comme  Dieu 
même,  sans  rien  désirer  de  plus  que  ce  dont  il  jouit  »,  etc.  ;  mais  c'est  surtout 
dans  les  Rêveries  que  Rousseau  formulera  cet  état  d'âme  avec  le  plus  de  précision  ; 
cf.,  IX,  329:  «  impassible  comme  Dieu  même  »,  363  :  «  se  suffisant  à  soi-même 
comme  Dieu  »,  370  :  «  bienfaisant  et  bon  comme  lui  »,  etc.  Cf.  encore,  plus  loin, 
p.  88  et  note  i ,  p.  127  et  note  2. 

'  Comparer  cette  apologie  de  la  Providence  arec  celles  qu'il  a  déjà  tentées  dans 
la  Lettre  à  Voltaire,  X,  124:  «Je  ne  vois  pas  que  l'on  puisse  chercher  la  source  du 
mal  moral  ailleurs  que  dans  l'homme  libre,  perfectionné,  panant  corrompu  »,  etc.  ; 
et  dans  la  Souvelle  Héloïse  (V,  vl,  IV,  417  :  «Je  tâchais  de  montrer  l'origine  du  mal 
physique  dans  la  matière,  et  du  mal  moral  dans  la  liberté  de  l'homme  »,  etc. 

•  .Marie  Huber  avait  déjà  dit.  État  des  âmes  séparées  des  corps,  XIH'  Lettre 
'i33[,  233  :  «  Le  mal  moral  doit  être  la  cause  du  mal  physique». 

i3 


194  REDACTIONS    MANUSCRITES 

viennent  de  nous.  Le  mal  moral  est  incontestablement  nôtre 
ouvrage  et  (même)  le  mal  physique  ('ou  n'existe  pas  ou  -n'est 
sensible  à  l'homme  que  par  ses  vices)  qui  nous  «  l'ont  »  rendu 
sensible  (et  qui  l'aggravent).  [^  N'est-ce  pas  pour  nous  conserver 
que]  la  nature  nous  ■>  fait  sentir  nos  besoins.  ^  La  douleur  ''^  du 
corps  n'est-elle  pas  un  signe]   que  la  machine  se  dérange  et   un 

avertissement  d'y  pourvoir.  La  mort "  qui  est-ce  qui  voudroit 

toujours  vi\'re  "*  ?  la  mort  est  le  remède  aux  maux  que  vous  vous 
faites,  la  nature  a  voulu  que  vous  ne  •'  souffri(ez)  pas  toujours, 
fo  162  ^'°  '"Combien  l'homme  vivant  dans  la  simplicité  ("de  la  nature)  ||  est 
sujet  à  peu  de  maux,  il  vit  '^sans  maladies  et  '^  ne  sent  pas  la 
mort.  '*Mais  pour  chercher  un  bien  être  imaginaire  nous  nous 
donnons  mille  maux  réels;  qui  ne  sait  pas  supporter  "  la  souf- 
france doit  "'se  résoudre  à  beaucoup  souffrir.  (C'est  la  crainte  de  la 
mort  qui  nous  la  rend  sensible,  qui  n'y  pense  jamais  ne  la  sent  point). 


'  [(est  plus  l'ouvrage)].  —  B.  (nécessaire  [utile]  au  mérite  de  la  vertu). 

-  (doit  encore  [e.xisteroit  à  peine  et])  «  ne  seroit  rien  »  [sans  nos  vices].  — 
B.  ne  seroit  (presque)  rien  (pour  nous)  [encore]  sans  nos  vices. 

'  (je). 

'  (rend). 

^  (La  douleur,  qu'est-ce  que). 

"  (qu'un  avertissement). 

'  B.  [les  méchans  [n"jempoisonnent[-ils  pas]  leur  vie  et  la  nôtre].  — I.  <  les 
méchans la  nôtre  >. 

*  B.  [(au  milieu  des  méchans)  au  milieu  d'eu.x]. 

'  souffri[ssiez]. 

'"  M.  (Dans  la  simplicité  primitive  l'homme  ne  sent  pas  la  mort,  et  quand 
il  la  sent  ses  misères  la  lui  rendent  désirable).  [Combien  l'homme  vivant...  ne  sent 
pas  la  mort]. 

"   [primitive]. 

'-  B.  (presque). 

'^  (même  sans).  —  B.  ne  prévoit  ni  ne  sent. 

'^  B.  [Quand  il  la  sent,  ses  misères  la  lui  rendent  désirable;  dès  lors  elle  n'est 
plus  un  mal  pour  lui.  Si  nous  nous  contentions  d'être  ce  que  nous  sommes, 
nous  n'aurions  point  à  déplorer  nôtre  sort].  —  M.  un  mal  pour  lui.  (Combien 

pour  chercher).  Si  nous  nous  contentions.  —  I.  <  Quand  il  la  sent déplorer 

notre  sort  >. 

''  B.  (la)  [un  peu  de].  —  I.  la. 

'"  B.  (se  résoudre)  [s'attendre].  — I.  se  résoudre. 


EDITION    ORIGINALE  I95 

leur  vie  &  la  notre  *?  Qui  est-ce  qui  voudroit  toujours  vivre  '■>'*  La  mort 
est  le  remède  aux  maux  que  vous  vous  j  faites;  la  Nature  a  voulu  qLie  [80] 
vous  ne  soutFrissiez  pas  toujours.  Combien  l'homme  vivant  dans  la 
simplicité  primitive  est  sujet  à  peu  de  maux  M  11  vit  presque  sans 
maladies  ainsi  que  sans  passions,  &  ne  prévoit  ni  ne  sent  la  mort; 
quand  il  la  sent,  ses  misères  la  lui  rendent  désirable  :  dès-lors  elle  n'est 
plus  un  mal  pour  lui.  Si  nous  nous  contentions  d'être  ce  que  nous  sommes, 
nous   n'aurions   point  à  déplorer   notre  sort;    mais   pour  chercher    un 


'  Cette  question,  qui  interrompt  un  instant  le  mouvement  naturel  de  la  pensée, 
manque  dans  F  et  dans  la  première  rédaction  de  B.  Elle  a,  sans  doute,  été  ajoutée 
par  Rousseau  en  songeant  aux  trahisons  de  Diderot  et  de  la  «  faction  holbachique  ». 

'  11  semblerait  qu'à  cette  même  question  Rousseau  eût  donné  une  réponse 
opposée  dans  sa  Lettre  à  Voltaire,  X,  i  25  :  «  J'ose  poser  en  fait  qu'il  n'v  a  peut-être 
pas  dans  le  haut  Valais  un  seul  montagnard  mécontent  de  sa  vie  presque  automate, 
et  qui  n'acceptât  volontiers,  au  lieu  même  du  paradis  qu'il  attend  et  qui  lui  est  dû, 
le  marché  de  renaître  sans  cesse  pour  végéter  ainsi  perpétuellement.  Ces  différences 
me  font  croire  que  c'est  souvent  l'abus  que  nous  faisons  de  la  vie  qui  nous  la  rend 
à  charge».  Mais  un  passage  de  VÊmile,  II,  48,  montre  qu'il  n'y  a  pas  contradiction 
dans  la  pensée  de  Rousseau  :  «  Si  l'on  nous  offrait  l'immortalité  sur  terre,  se 
demande-t-il  comme  dans  la  Profession,  qui  est-ce  qui  voudrait  accepter  ce  triste 
présent  »?  «  On  conçoit,  fait-il  observer  en  note,  que  je  parle  ici  des  hommes 
qui  réfléchissent  et  non  de  tous  les  hommes  ».  Je  remarque,  d'ailleurs,  que  celte 
note  manque  dans  l'édition  originale.  Elle  a  été  ajoutée  dans  l'exemplaire  corrigé 
de  Genève,  et  n'a  été  imprimée  que  dans  l'édition  de  1780  [r5],  IV,  91.  La  Bruyère 
avait  déjà  dit,  avec  plus  d'hésitation.  Des  Esprits  forts  [98],  II,  25o  ;  «  Si  Dieu 
avait  donné  le  choix  ou  de  mourir  ou  de  toujours  vivre,  après  avoir  médité  profon- 
dément ce  que  c'est  que  de  ne  voir  nulle  fin  à  la  pauvreté,  à  la  dépendance,  à  l'ennui, 
à  la  maladie,  ou  de  n'essayer  des  richesses,  de  la  grandeur,  des  plaisirs  et  de  la  santé 
que  pour  les  voir  changer  inviolablement  et  par  la  révolution  des  temps  en  leurs 
contraires,  et  être  ainsi  le  jouet  des  biens  et  des  maux,  l'on  ne  saurait  guère  à  quoi  se 
résoudre.  La  nature  nous  fixe  et  nous  ôte  l'embarras  de  choisir  ». 

'  Pour  commenter  tout  ce  passage  jusqu'à  la  fin  du  paragraphe,  il  faut  relire 
la  1'  Partie  du  Discours  sur  l'Inégalité,  1,  86-89,  ^t  P'"^  particulièrement  les  lignes 
suivantes,  p.  87  :  «  L'extrême  inégalité  dans  la  manière  de  vivre,  l'excès  d'oisiveté 
dans  les  uns,  l'excès  de  travail  dans  les  autres,  la  facilité  d'irriter  et  de  satisfaire 
nos  appétits  et  notre  sensualité,  les  aliments  trop  recherchés  des  riches,  qui  les 
nourrissent  de  sucs  échauffants  et  les  accablent  d'indigestions,  la  mauvaise  nourriture 
des  pauvres,  dont  ils  manquent  même  souvent,  et  dont  le  défaut  les  porte  à  surcharger 
avidement  leur  estomac  dans  l'occasion,  les  veilles,  les  excès  de  toute  espèce,  les 
transports  immodérés  de  toutes  les  passions,  les  fatigues  et  l'épuisement  d'esprit, 
les  chagrins  et  les  peines  sans  nombre  qu'on  éprouve  dans  tous  les  états,  et  dont 
les  âmes  sont  perpétuellement  rongées  :  voilà  les  funestes  garants  que  la  plupart  de 
nos  maux  sont  notre  propre  ouvrage,  et  que  nous  les  aurions  presque  tous  évités 
en  conservant  la  manière  de  vivre  simple,  uniforme  et  solitaire  qui  nous  était  prescrite 
par  la  nature  ».  .Sur  tous  les  maux  inconnus  à  «  l'homme  dans  l'état  de  nature  »,  et 
encore  aujourd'hui  au  sauvage,  cf.  Dialogues  de  La  Hontan  [io5\  75-85;  et,  dans 
VExamen  des  préjugés  vulgaires  du  P.  Buflîer  [r-iT,  II,  99-137,  le  chapitre  V  :  «Que 
les  peuples  sauvages  sont  pour  le  moms  aussi  heureux  que  les  peuples  polis  ». 


igÔ  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

[Quand  on  a  gâté  sa  constitution  par  une  \\c  déréglée  on  la  veut 
rétablir  par  des  remèdes  ('mal  entendus  et  l'on  s'en  prend  à  la 
nature  du  mal  qu'on  s'est  fait  à  soi-même)]. 


f  Homme,  ne  cherche  plus  l'auteur  du  mal  (-il  vient  de  toi). 
Il  npy  a)  point]  (dans  la  nat  ure)  d'autre  mal  que  celui  que  tu 
tais  et  celui  que  tu  souffres.  (Et)  l'un  et  l'autre  vient  de  toi  ^  seul. 
^  Le  mal  général  '^  ne  peut  être  que  dans  le  desordre  et  je  vois 
dans  '  le  sistéme  de  l'univers  un  ordre  ^  admira[ble  qui  ne  se 
dément  point.  Le  mal  particulier  ('•'  n'est)  dans  le  sentiment  (que) 
de  '"celui  qui  souffre  et  ce  sentiment  l'homme  ne  l'a  pas  receu  de 


'  [au  mal  qu'.in  sent  on  ajoute  celui  qu'on  craint  [-'i  la]  prévoyance  de  la 
mort  la  rend  horrible  et  l'accélère.  Plus  on  la  ''  veut  fuir  plus  on  la  sent  [et] 
l'on  meurt  (enfin  cent  fois)  de  frayeur  ('•  avant  la  mort)  en  murmurant  (toujours) 
contre  la  «  i'  nature  des  maux  qu'  "  on  s'est  fait  en  l'offensant  »]. 

a)  il'horriblei. 

!>)  M.  fuit 

Cl  [durant  toute  la  vie],  —  B.  toute  sa  vie. 

^)  [(mort)]. 

')  (il  faut  n'imputer  qu'à  soi). 


-  [cet  auteur,  c'est  toi-même]. 

^  [existe]. 

^  B.  seul  [(ou  de  ton  espèce)]. 

'"  («  Il  »  n'y  a  point  d'autre). 

"  (n'est). 

'  M.  l'univers. 

"  admira(tion).  —  B.  constant. 

"  [ne  peut  être  que].  —  B.  ne  peut  ;(exister)]  «  être  ».  —  M.  n'est  que. 

'"  B.  l'être. 


t  Ici.    dans    le    manusciit.    un    espace    de   quelques    lignes    laisse' 
en  blanc. 


ÉDITION    ORIGINALE  197 

bien-être  ima,^inaire  nous  nous  donnons  mille  maux  réels.  Qui  ne  sail 
pas  supporter  un  peu  de  souffrance  doit  s'attendre  à  beaucoup  souffrir. 
Quand  on  a  s,îné  sa  constitution  par  une  vie  déréglée,  on  la  veut  rétablir 
par  des  remèdes;  au  mal  qu'on  sent  on  ajoute  celui  qu'on  craint;  la 
prévoyance  de  la  mort  la  rend  horrible  &  l'accélère  ■;  plus  on  la  veut 
fuir,  plus  on  la  sent;  Os;  l'on  meurt  de  fraveur  durant  toute  sa  vie,  |  en  'g-jj 
C)  murmurant,  contre  la  Nature,  des  mau.x  qu'on  s'est  faits  en  l'offensant  ^ 
Homme,  ne  cherche  plus  l'auteur  du  mal;  cet  auteur  c'est  toi-même. 
Il  n'existe  point  d'autre  mal  que  celui  que  lu  fais  ou  que  tu  souffres, 
&  l'un  &  l'autre  te  vient  de  toi.  Le  mal  général  ne  peut  être  que  dans 
le  désordre,  &  je  vois  dans  le  système  du  monde  un  ordre  qui  ne  se 
dément  point.  Le  mal  particulier  n'est  que  dans  le  sentiment  de  l'être 
qui  souffre  ;  &  ce  sentiment,  l'homme  ne  l'a  pas  reçu  de  la  Na- 
ture, il  se  l'est  donné.  La  douleur  a  peu  de  prise  sur  quiconque, 
avant  peu  réfléchi,  n'a  ni   souvenir,  ni   prévoyance  -.   Otez  nos  funestes 

i-'i  C,  D  :  murmurant  contre  la  Xature. 

'  Lettre  à  Voltaire,  \,  i25:  «Des  riches,...  rassasiés  de  fau.x  plaisirs,  mais 
ignorant  les  véritables,  touiours  ennuvés  de  la  vie  et  toujours  tremblants  de  la  perdre  ». 
Cf.  pour  témoigner  du  même  état  d'esprit,  ce  qu'il  dit,  dans  le  I"  Livre  d'Emile,  II,  21, 
de  «  l'empire  de  la  médecine,  art  plus  pernicieu.x  au.x  hommes  que  tous  les  mau.x 
qu'il  prétend  guérir.  Je  ne  sais,  pour  moi,  de  quelle  maladie  nous  guérissent  les 
médecins,  mais  je  sais  qu'ils  nous  en  donnent  de  bien  funestes  :  la  lâcheté,  la 
pusillanimité,  la  crédulité,  la  peur  de  la  mort  ».  Cf.  encore  la  prière  de  Julie  mourante 
à  .M.  du  Bosson,  son  médecin.  Nouvelle  Héloïse   IVI,  xil,  V,  49-50. 

'  Toussaint  avait  déjà  présenté  des  idées  très  analogues,  sous  une  forme  plus 
modérée;  cf.  Des  Mœurs,  11,  11,  i  [184].  i3o:  «Les  incommodités  de  l'enfance,  les 
douleurs  de  l'enfantement,  la  perte  des  personnes  qui  nous  sont  chères,  les  infirmités 
de  la  vieillesse  et  de  la  mort,  voilà,  je  crois,  tous  les  maux  naturels.  Tous  les  autres, 
ou  sont  des  maux  chimériques,  ou  sont  les  fruits  amers  des  désordres  du  genre 
humain.  Je  n'en  excepte  pas  même  les  maladies,  parce  qu'elles  sont  aussi,  pour 
l'ordinaire,  l'ouvrage  de  l'homme,  et  ne  doivent  guère  leur  origine  qu'à  son  impru- 
dence,  à   sa  mollesse  ou  à  son   intempérance  ». 

'  Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  Rousseau  dénonce  ce  que  la  «  réflexion  » 
a  d'antinaturel.  On  se  rappelle  sa  phrase  à  Voltaire  sur  les  gens  de  lettres.  X,  i25  : 
«  De  tous  les  ordres  d'hommes,  le  plus  sédentaire,  le  plus  malsain,  le  plus  réfléchis- 
sant, et  par  conséquent  le  plus  malheureux  i>;  et  surtout  le  fameux  paradoxe  du 
Discotirs  sur  l'Inégalité,  qui  vient  immédiatement  après  le  passage  que  j'ai  cité 
plus  haut,  note  1  de  la  p.  118.  et  qui  en  est  comme  la  conclusion,  1.  87  :«  J'ose 
presque  assurer  que  l'état  de  réflexion  est  un  état  contre  nature,  et  que  l'homme 
qui  médite  est  un  animal  dépravé  ».  Mais  ce  panégyrique  de  l'homme  primitif, 
sans  pensée,  sans  passion,  sans  prévoyance,  sans  réflexion,  est  ici  d'autant  plus 
déconcertant  que  Rousseau  vient  à  peine  de  finir  son  cantique  à  la  gloire  de  l'esprit, 
pour  exalter  l'espèce  humaine  :  *  Une  machine  ne  pense  point  :  il  n'y  a  ni  mouvement 
ni  figure  qui  produise  la  re/?ejcio«  ;...  l'espace  n'est  pas  ta  mesure,...  tes  sentiments, 
tes  désirs,  ton  inquiétude,  ton  orgueil  même,  ont  un  autre  principe  que  ce  corps 
étroit   dans   lequel   tu   te   sens   enchaîné  ». 


igS  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

la    nature    il   se   l'est   donné  '.   Otez   (-  les)    vices    (et    nos  erreurs) 
8  otez  ■*  l'ouvrage  de  l'homme  et  tout  est  bien. 


9.  Les  sanctions  réparatrices  et 
l'immortalité  de  l'âme. 


Où  tout  est  bien  rien  n'est  injuste.  La  justice  est  inséparable 
de  la  bonté,  ■'»  l'être  souverainement  bon  "doit  être  (aussi)  souve- 
rainement juste  autrement  il  se  contrediroit  lui-même.  [Car 
l'amour  de  l'ordre  qui  le  produit  s'appelle  bonté  [et]  l'amour  de 
l'ordre  qui  le  conserve  s'appelle  justice  ']. 


'  B.  La  douleur  a  peu  de  prise  sur  quiconque  (n'a  jam  aïs)  [a  peu]  refléchi. 
Otez  nos  funestes  progrès,  oiez  nos.  — I.  sur  quiconque  (a)  [ayant]  peu  réfléchi 
[n'a  ni  (mémoire)  [souvenir]  ni  prévoyance]. 

-  [nos  erreurs  et  nos]. 

'  (qui). 

■*  [(les  œuvres)].  — •  B.  [ôtez  l'ouvrage  de  l'homme]. 

^  B.  Or  la  bonté  est  l'eff'et  nécessaire  d'une  puissance  sans  borne  et  de 
l'amour  de  soi  essentiel  à  tout  être  qui  se  sent.  Celui  qui  peut  tout  étend  pour 
ainsi  dire  son  existence  avec  celle  des  êtres.  Produire  et  conserver  sont  l'acte 
perpétuel  de  (sa)  [la]  puissance;  elle  n'agit  point  sur  ce  qui  n'est  pas.  [Dieu 
n'est  pas  le  Dieu  des  morts]  ;  il  ne  pourroit  être  (»  méchant)  [destructeur]  et 
(destructeur)  [méchant]  sans  se  nuire.  Celui  qui  peut  tout  ne  peut  vouloir  que 
ce  qui  est  bien.  *  Donc  l'être. 

*  Quand  les  anciens  appelloient  optimus  maximus  le  Dieu  suprême  ils 
disoient  très  vrai,  mais  en  disant  maximus  optimus  ils  auroient  parlé  plus 
e.xactement  puisque  sa  toute  puissance  est  la  cause  de  sa  bonté.  Il  est  bon  parce 
qu'il  est  grand.  • 

^\  1.  méchant  et  destructeur. 

"  B.    (doit-être)    [parce    qu'il    est    souverainement  puissant  est]   aussi   sou- 
verainement. —  I.  <  parce  qu'il...  puissant  est  >  doit  être  aussi. 
'  B.  (Dieu  est  donc  juste  parce  qu'il  est  bon). 


ÉDITION"    ORIGINALE  IQQ 

progrès,    ôtez    nos    erreurs  &    nos    vices,   ôtez   l'ouvrage   de  l'homme, 
&  tout  est  bien  ^. 


9.  Les  sanctions  réparatrices  et 
l'immortalité  de  l'âme. 


Où  tout  est  bien,  rien  n'est  injuste.  La  justice  est  inséparable  de  la 
bonté.  Or  la  bonté  est  l'effet  nécessaire  d'une  |  puissance  sans  borne  [82] 
&  de  l'amour  de  soi,  essenciel  à  tout  être  qui  se  sent.  Celui  qui  peut 
tout,  étend,  pour  ainsi  dire,  son  existence  avec  celle  des  êtres.  Produire 
&  conserver  sont  l'acte  perpétuel  de  la  puissance;  elle  n'agit  point  sur 
ce  qui  n'est  pas;  Dieu  n'est  pas  le  Dieu  des  morts,  il  ne  pourroit  être 
destructeur  &  méchant  sans  se  nuire.  Celui  qui  peut  tout  ne  peut  vouloir 
que  ce  qui  est  bien  ^  *.  Donc  l'Etre  souverainement  bon,  parce  qu'il  est 

*  Quand  les  Anciens  appelloient  Optimus  Maximus  ^,  le  Dieu  suprême, 
ils  disoient  très-vrai  ;  mais  en  disant  Maximus  Optimus,  ils  auroient  parlé  plus 
exactement,  puisque  sa  bonté  vient  de  sa  puissance  :  ii  est  bon  parce  qu'il  est 
grand. 


'  En  dépit  des  réserves  qui  précédent  cette  formule,  elle  est  d'un  optimisme 
plus  audacieux  que  celle  qu'il  soumettait  en  lySô  à  Voltaire,  X,  12g  :  «  L'addition 
d'un  article  rendrait,  ce  semble,  la  proposition  'de  Pope  :  Tout  est  bien]  plus  exacte, 
et  au  lieu  de  tout  est  bien,  il  vaudrait  peut-être  mieux  dire  :  le  tout  est  bien,  ou 
tout  est  bien  pour  le  tout  ».  Deux  ans  plus  tard,  il  disait  de  même,  dans  une  note 
de  sa  Lettre  à  D'Alembert,  I,  25i  :  «  Dans  l'ordre  physique,  il  n'y  a  rien  d'absolument 
mauvais  ;  le  tout  est  bien  ».  Remarquons  pourtant  que,  dans  ces  deux  textes, 
Rousseau  examine  surtout  le  problème  du  mal  dans  son  ensemble,  et  du  point 
de  vue  de  l'Univers  ;  il  défend  alors  «  la  cause  de  Dieu  »,  comme  avait  dit  Leibniz 
(cf.  Théodicée,  Préface  [no],  I,  p.  xxvnl.  par  les  considérations  que  les  philosophes 
optimistes,  et  Leibniz,  en  particulier,  avaient  rendues  traditionnelles  :  cf.  encore 
.Shaftesbury,  Essai  sur  te  mérite  et  la  vertu,  1,  i,  2  et  11,  1  [174],  20-28.  Ici,  envisageant 
le  problème  du  mal  dans  l'homme  seul,  il  peut  être  plus  atfirmatif,  grâce  à  sa  théorie 
de  «  la  bonté  de  la  Nature  »  :  et  la  formule  qui  termine  ce  développement  du 
Vicaire  ne  contient  rien  de  plus  que  celle  qui  ouvre  \' Emile,  11,  3  :  «  Tout  est 
bien  sortant  de   r.\uteur  des  choses,  tout  dégénère  entre  les  mains  de  l'homme  ». 

'  Rousseau  avait  déjà  dit  au  I"  Livre  d'Emile,  11,  35  :  «Celui  qui  pourrait  tout 
ne  ferait  jamais  de  mal.  De  tous  les  attributs  de  la  Divinité  toute  puissante,  la  bonté 
est  celui  sans  lequel  on  la  peut  le  moins  concevoir...  Voyez  ci-après  la  Profession  de 
foi  du  Vicaire  Savoyard  ». 

'  En  tête  de  sa  Prière  Cniverselle  '66],  IV,  3g6,  Pope  avait  mis  la  dédicace 
Deo  Optimo  Maximo.  —  Au  moment  où  Rousseau  achevait  la  rédaction  de  VEmile, 


200  REDACTIONS    MANUSCRITES 


1  Dieu  fdit-on]  ne  doit  rien  à  ses  créatures.  Je  crois  qu'il  leur 
doit  tout  ce  qu'il  (a)  -  promi(s)  «  en  ''les  créant  ».  ^  Or  c'est] 
leur  promettre  (Hous  les)  biens  ("dont  il)  leur  ('a)  donné  l'idée 
et  (^dont  il)  leur  ('■'a)  îai(t)  sentir  le  besoin.  Plus  je  '"  me  consulte 
et  plus  je  lis  «  ces  »  motsi  «  écrits  »  dans  mon  ame  sois  juste 
et  tu  seras  heureux.  Il  n'en  est  rien  pourtant  ".  Le  méchant 
prospère  et  le  juste  reste  opprimé.  \'ovez  aussi  quelle  indigna- 
tion (1^  s'élève)  en  nous  quand  cette  attente  est  frustrée.  La 
conscience  '^  s'élève  ('^  en  murmurant)  contre  son  auteur  elle 
lui  crie  (^^  d'une  voix)  gemissant(e)  tu  m'as  trompé. 


'  [On  dit]. 

-  promi[t].  —  M.  a  promis. 

^  B.  (les  créant)  [leur  donnant  l'être]  (tout  ce  dont  il  [leur  donna  l'idée 
et  dont  il  leur]  fit  sentir  le  besoin.  Il  doit  le  bonheur  à  celui  à  qui  il  (en  a  donné 
l'idée)  [l'a  rendu  nécessaire]).  [Or  c'est  leur  promettre  un  bien  [qu'il  peut  leur 
donner]  que  de  leur  en  (donner)  [imprimer]  l'idée  et  de  leur  en  faire  sentir  le 
besoin].  —  M.  <  en  leur  donnant  l'être  >. 

••  (Et  s'il). 

■'  [un]. 

"  [que  de]. 

'  [en]  donne[r]. 

"  [de]. 

"  [en]  fai[re]. 

'"  B.  rentre  en  moi,  plus  je. 

"  B.  à  considérer  l'état  présent  des  choses. 

'-  [s'allume]. 

"  (mu  PMURE  ?). 

'■*  [et  murmure]. 
'^  [en]. 


EDITION    ORIGINALE  20I 

souverainement  puissant,  doit  être  aussi  souverainement  juste,  autrement 
il  se  contrediroit  lui-même;  car  l'amour  de  l'ordre  qui  le  produit  s'appelle 
bonté,  &  l'amour  de  l'ordre  qui  le  conserve  s'appelle /i<s/R-e  ■^. 

I  Dieu,  dit-on.  ne  doit  rien  à  ses  créatures;  je  crois  qu'il  leur  [83] 
doit  tout  ce  qu'il  leur  promit  en  leur  donnant  l'être.  Or  c'est  leur 
promettre  un  bien,  que  de  leur  en  donner  l'idée  &  de  leur  en  faire 
sentir  le  besoin.  Plus  je  rentre  en  moi,  plus  je  me  consulte,  &  plus 
je  lis  ces  mots  écrits  dans  mon  ame  ;  sois  juste  &  tu  seras  heureux. 
il  n'en  est  rien  pourtant,  à  considérer  l'état  présent  des  choses  :  le 
méchant  prospère,  &  le  juste  reste  opprimé  i.  Voyez  aussi  quelle  indi- 


la  Prière  L'niverselle  était  redevenue  un  morceau  d'actualité.  Lefranc  de  Pompiynan 
venait  de  faire  à  l'Académie,  le  lo  Mars  1760,  un  Discours  très  violent  contre  les 
«  Philosophes»  [282];  JVlorellet,  en  guise  de  réponse,  lui  avait  joué  le  mauvais  tour 
de  rééditer  la  traduction  que  Lefranc  avait  faite  en  1740  de  la  Prière  Universelle,  et 
il  avait  joint  a  cette  réédition  un  commentaire  qui  en  soulignait  les  tendances 
déistes  [232  '''«]. 

'  Cette  petite  dissertation  sur  la  bonté  et  la  justice  de  Dieu  est  un  spécimen 
intéressant  de  la  façon  dont  Rousseau  organise  ses  idées.  Les  éléments  en  sont 
d'origines  très  diverses  et  empruntés  à  ce  «  magasin  d'idées  »  qu'il  s'était  fa't  aux 
Charmettes  par  ses  lectures  de  toute  sorte  :  cf.  Confessions,  VIII,  i5g.  Il  y  a  des 
réminiscences  évangéliques  :  «  Dieu  n'est  pas  le  Dieu  des  morts  »  (Marc,  XII,  27, 
Luc,  XX,  38i  ;  une  réflexion  peut-être  suggérée  par  Pope  lOptimus  Maximus):  la 
théorie  cartésienne  de  la  création  continuée  :  «  produire  et  conserver  sont  l'acte 
perpétuel  de  la  puissance»;  des  principes  malebranchistes,  cf.  Entretiens  sur  la 
Métaphysique,    VIII,    i3   [96],    56  :   «  Il   aime   invinciblement   l'ordre   immuable...    Il 

est  donc  juste  essentiellement  et  par  lui-même Ainsi  Dieu  est  juste  en  lui-même... 

parce  que  ses  volontés  sont  nécessairement  conformes  à  l'ordre  immuable  de  la 
justice  qu'il  se  doit  à  lui-même  »,  etc.  ;  enfin  ces  différents  éléments  sont  unifiés 
par  cette  idée  chère  à  Marie  Huber  que  la  toute-puissance  ne  peut  être  que  la  bonté 
infinie  :  cf.  Religion  essentielle  [i5i],  IV,  83,  note  :  «  Remarque  importante.  Tout  ce 
que  la  Bonté,  la  Sagesse  et  YÉquité  approuvent,  la  Toute-puissance  l'exécute;  et 
c'est  dans  de  tels  cas  qu'il  convient  d'employer  l'interrogation  abusive  à  d'autres 
égards  ;  Dieu  n'est-il  pas  tout  puissant  »  ?  Cf.  encore  le  «  Hiérogliphe 
sur  les  attributs  de  Dieu  »,  qui  termine  le  volume.  Deux  des  quatre  rayons  qui 
partent  du  centre  divin  sont  :  Puissance  sans  bornes  et  Bonté  immense.  L'auteur 
fait  remarquer  que  «  des  lignes  qui  partent  d'un  même  centre  ne  peuvent  jamais 
se  croiser  ou  se  combattre»;  et  il  inscrit  dans  l'arc  de  circonférence,  limité  par 
les  extrémités  des  deux  rayons,  le  titre  suivant  ;  «  Providence  toute  puissante, 
qui  ne  trouve  point  d'obstacle  à  ce  que  la  Bonté,  la  Sagesse  et  l'Équité  approuvent. 
D'ici  Ci!c  =  d'où)  une  confiance  absolue,  une  espérance  bien  fondée». 

■  L'objection  était  classique  parmi  les  moralistes  chrétiens,  comme,  du 
reste,  la  réponse  que  Rousseau  va  y  apporter;  cf.,  par  exemple,  La  Bruyère,  Des 
Esprits  forts  [98],  11,  272-273  :  «  Les  méchants  prospèrent  pendant  qu'ils  vivent.  — 
Quelques  méchants,  je  l'avoue.  —  La  vertu  est  opprimée,  et  le  crime  impuni  sur 
la  terre.  —  Quelquefois,   j'en   conviens.  —  C'est   une  injustice.  —  Point  du   tout.   Il 

faudrait,  pour  tirer  cette  conclusion que  cette  terre fût  le  seul  endroit  de  la 

scène  où  se  doivent  passer  la  punition  et  les  récompenses  ».  Cf.,  plus  loin,  p.  85,  note  i. 


202  REDACTIONS    MANUSCRITES 


Je  t"ai  trompé,  téméraire,  et  qui  te  l'a  dit.  'Ta  carrière  est-elle 
achevée  as-tu  -déjà  cessé  d(' e  vivre).  O  Brutus  ô  mon  fils,  ne 
souille  point  ta  noble  vie  en  la  finissant,  (-'n'enterre)  point  Ma 
''  gloire  avec  ton  corps  aux  champs  de  ("  pharsale).  f  'Tu  dis 
la  vertu  n'est  rien,  quand  tu  vas  -'jouir  du  prix  de  la  tienne,  f  Tu 
vas  mourir,  '"  dis-tu,  non  tu  vas  vivre  ("et)  c'est  alors  que  je 
tiendrai  tout  ce  que  '-j'ai  promis. 


'  B.  (Ta  carrière  est-elle  finie)  ^ton  ame  est-elle  anéantie].  — I.  Ta  carrière 
est-elle  finie,  as-tu  cessé. 
-  B.  <  déjà  >. 
'  [e.xister]. 

*  [ne  laisse]. 

'  B.  ton  (espérance)  [espoir]  et  ta  gloire. 

"  (ve  RTU  ?). 

'  [philippesj. 

*  B.  Pourquoi  dis-tu  :  la  vertu. 
"  (recev  oir). 

'"  B.  (dis)  [penses]. 
"  B.  et. 
'-  B.  je  t'ai. 


t  Ici.  dans  le  manuscrit,  un  espace  de  quelques  lignes  laisse' 
en  blanc. 

t  Ici.  dans  le  manusc7-it.  un  espace  de  quelques  lignes  laissé 
en   blanc. 


EDITION   ORIGINALE  203 

gnation  s"allume  en  nous  quand  cette  attente  est  frustrée!  La  conscience 
s'élève  &  murmure  contre  son  auteur  ;  elle  lui  crie  en  gémissant  ; 
tu  m  "as  trompé  -  ! 

Je  l'ai  trompé,  téméraire!  «Se  qui  te  l'a  dit?  Ton  ame  est-elle  anéantie? 
As-tu  cessé  d'exister?  O  Brutus^!  ô  mon  fils!  ne  souille  point  ta  noble 
vie  en  la  finissant  *  :  ne  laisse  point  ton  espoir  &  ta  gloire  avec  ton 
corps  aux  champs  |  de  Philippes.  Pourquoi  dis-tu  :  la  vertu  n'est  rien,  [84] 
quand  tu  vas  jouir  du  prix  de  la  tienne?  Tu  vas  mourir,  penses-tu;  non, 
tu  vas  vivre,  &;  c'est  alors  que  je  tiendrai  tout  ce  que  je  t'ai  promis. 


'  M.  E.  Ritter  (J.  J.  Rousseau,  Notes  diverses  [49],  III,  21  il  a  déjà  fait  remarquer 
qu'on  trouvait  un  mouvement  analogue  dans  la  Religion  essentielle  [i5i],  I,  34-37. 
Après  avoir  dépeint  l'elîroi  d'un  homme  qui  se  rend  compte  des  injustices  de  la 
terre,  Marie  Huber  ajoute  :  «  Cet  homme,  voyant  que  le  mal  est  sans  remède, 
entre  dans  le  dernier  étonnement...  ^et  conclut  provisoirement^  que  l'.^uteur  de 
la  Nature  est  injuste  lui-même;  [mais,  ayant  découvert  qu'il  y  a  une  justice  au-delà 
de  cette  vie],  il  comprend  que  si  l'Être  souverainement  équitable  consent  que  pour 
un  temps  la  justice  ne  soit  point  rendue,  c'est  qu'il  se  réserve  à  lui-même  le  soin 
de  l'exercer  dans  la  proportion  la  plus  exacte  ». 

'  La  plainte  de  Brutus  était  célèbre  parmi  les  moralistes.  Bayle  avait  essayé 
de  la  détendre  en  se  plaçant  au  point  de  vue  romain  :  cf.  Dictionnaire,  art.  Brutus, 
Rem.  C  et  D  [100],  I,  684-685.  Pour  les  philosophes  spiritualistes  (cf.,  sur  le  sens  que  je 
donne  à  ce  mot,  la  note  1  de  la  p.  431,  cette  plainte  témoignait  au  contraire  de  la 
nécessité  d'une  sanction  ultra-terrestre.  Abbadie,  qui  peut-être  a  suggéré  ce  dévelop- 
pement à  Rousseau,  avait  déjà  dit  :  Vérité  de  la  Religion  chrétienne,  I,  11,  7  [92], 
I,  139  :  «  Si  les  méchants  ne  doivent  être  punis  que  dans  cette  vie,  ii  semble  qu'il 
n'v  aurait  rien  de  mieux  fondé  que  la  plainte  de  Brutus,  lorsqu'il  s'écrie  en 
mourant  que  la  vertu  qu'il  avait  si  religieusement  suivie  n'était  qu'un  fantôme. 
iMais,  si  la  vertu  n'est  qu'un  fantôme,  la  conscience  nous  trompe  »,  etc.  Dans 
V Encyclopédie,  art.  Athéisme  [196].  I,  816  b,  Formey  avait  dit  pareillement  : 
«  L'athéisme  ne  fournit  rien  'à  la  vertu  souffrante]  et  se  trouve  sans  ressource;  dès 
que  la  vertu  est  malheureuse,  il  est  réduit  à  l'exclamation  de  Brutus  :  Vertu  stérile, 
vertu,  à  quoi  m'as-tu  servi  »  ?  Cf.  encore  Helvetius,  De  L'Esprit,  III,  19  [225  .\],  397. 
'  *  La  condamnation  du  suicide  semble  être  ici  formelle.  La  pensée  de  Rousseau 
parait  plus  hésitante  dans  la  Nouvelle  Hélo'ise,  non  seulement  dans  la  fameuse 
apologie  du  suicide  par  Saint-Preux  (III,  xxi),  IV,  262-269,  mais  même  dans  la 
réponse  de  Milord  Edouard,  où  il  ne  peut  refuser  son  admiration  à  certains  suicides 
plus  particulièrement  héroïques;  cf.  IV,  272-273  :  «  Dis-moi,  Brutus  mourut-il  en 
amant  désespéré?  Et  Caton  déchira-t-il  ses  entrailles  pour  sa  maîtresse?...  .\  ce 
nom  saint  et  auguste,  tout  ami  de  la  vertu  doit  mettre  le  front  dans  la  poussière, 
et  honorer  en  silence  la  mémoire  du  plus  grand  des  hommes  ».  Cf.  encore  les 
souvenirs  communs  que  Julie  rappelle  à  Saint-Preux  ill,  xii,  IV,  i52  :  «  Quels  hommes 
contemplais-tu  donc  avec  le  plus  de  plaisir?  Desquels  adorais-tu  les  exemples?... 
C'était  Brutus  mourant  pour  son  pays,  ...  c'était  Caton  déchirant  ses  entrailles, 
c'étaient  tous  ces  vertueux  infortunés  qui  te  faisaient  envie  ».  Dans  le  fond,  Rousseau 
n'a  pas  renoncé  à  ses  anciennes  admirations;  et  ici  même,  quelques  pages  plus 
loin,  p.  to2,  il  dira  :  «  Pourquoi  voudrais-je  être  Caton  qui  déchire  ses  entrailles, 
plutôt  que  César  triomphant»?  —  Le  soi-disant  suicide  de  Rousseau  n'est  qu'une 


204  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

B    f°139^"  [^'^    **   Jiroit   »    aux    murmures   des    impatiens    mortels   que    Dieu 

leur  doit  la  récompense  avant  ('  le  mérite),  et  qu'il  est  obligé  de  payer 
-leur)  vertu  d'avance.  O  soyons  bons  premièrement  et  puis  nous  serons 
heureux.  NV^attendonsi  pas  le  prix  avant  la  victoire  [ni  le  salaire  avant 
le  travail].  Ce  n'est  point  ^  dans  la  lice  [disoit  Plutarque]  que  les  vain- 
queurs ■'  de  nos  jeux  sacrés  sont  couronnés  i''  mais)  après  qu'ils  l'ont 
parcourue]. 


F    F  163  ''°  Il  Si   l'ame   est   immatérielle  elle   peut   survivre    au    corps,   et 

si  elle  lui  survit  "la  providence  est  justifiée.  *  Voyez  qwe  d'im- 
portantes conséquences  suivent  ma  première  découverte.  Ces  consé- 
quences mêmes  servent  de  confirmation  l'une  à  l'autre.  Quand  je 
n'aurois  d'autre  preuve  de  l'immatérialité  de  l'ame  que  le  triomphe 
du  méchant  et  l'oppression  du  juste  ('■'  durant  la  vie)  cela  seul 
m'empêcheroit  d'en  douter.  "'Une  contradiction  si  manifeste  une 
si  choquante  dissonance  dans  l'harmonie  '^  universelle  me  teroit 
chercher  à  la  résoudre.  Je  me  dirois  ('-  cette  contradiction  n'est 
qu'apparente  elle  ne  sauroit  exister)  tout  ne  finit  pas  '^  avec  la  vie 
tout  rentre  dans  l'ordre  à  la  mort.  J'aurois  à  la  vérité  l'embarras 
de  me  demander  où  est  l'homme  quand  tout  ce  qu'il  avoit  de 
sensible  est  détruit.  "  Cette  question  ^■>  n'est  plus  une  difficulté 
pour  moi  sitôt  que  j'ai  reconnu  deux  substances.  Il  est  très  simple 


'   [qu'ils  l'aient  méritée].  —  M.  (le  mérite)  [qu'ils  l'aient  méritée]. 

-  [la]. 

"  [exigeons]. 
*  [(disoit)]. 
^  (sont). 
«  [c'est]. 

■  I.  «  la  providence  est  justifiée  ■»  [(tout  rentre  dans  l'ordre  après  la  mort)]. 
"  B.  <  Voyez  que  d'importantes...  l'une  à  l'autre  >. 
'■'  [en  ce  monde]. 
•"  (Cette). 

"  M.  (des  êtres)  [universelle]. 
'-'  [une  telle]. 
"  B.  pour  nous. 
'■•  B.  (.Mais). 
'^  B.  «  n'est  plus  ■». 


EDITION    ORl(;iNALR  .  205 

On  dirait,  aux  murmures  des  impatiens  mortels,  que  Dieu  leur 
doit  la  récompense  avant  le  mérite,  &  qu'il  est  obligé  de  payer  leur 
vertu  d'avance.  O  !  soyons  bons  premièrement,  &  puis  nous  serons 
heureux.  N'exigeons  pas  le  prix  avant  la  victoire,  ni  le  salaire  avant 
le  travail.  Ce  n'est  point  dans  la  Lice,  disoit  Plutarque  ',  que  les  vain- 
queurs de  nos  jeux  sacrés  sont  couronnés,  c'est  après  qu'ils  l'ont 
parcourue. 


Si  l'ame  est  immatérielle,  elle  peut  survivre  au  corps;  &  si  elle  lui 
survit  la  providence  est  justifiée  2.  Quand  je  n'aurois  d'autre  preuve 
de  l'immatérialité  de  l'ame,  que  le  triomphe  du  méchant,  &  l'oppression 
du  juste  en  ce  |  monde,  cela  seul  m'empêcheroit  d'en  douter  '.   Une  si         [85] 


légende  ;  tout  le  monde,  je  crois,  en  convient  aujourd'hui.  Il  se  pourrait  cependant 
que  Rousseau  eût  toujours  considéré  le  suicide  comme  étant,  dans  certains  cas,  une 
solution  libératrice,  qu'il  ne  fallait  pas  écarter  à  priori.  De  cette  secrète  tendresse, 
le  fragment  inédit  qu'on  va  lire,  et  qui  se  trouve  dans  deu.x  Manuscrits  de  l'Emile 
[10  et  11],  me  parait  très  révélateur  (je  cite  le  texte  le  plus  récent.  Livre  II  [iij. 
1,  iS"!  :  «  Si  l'on  n'était  pas  sur  de  mourir  une  fois,  la  vie  coûterait  trop  à  conserver; 
mais,  aussitôt  qu'elle  est  un  mal,  elle  n'est  plus  un  mal  nécessaire,  puisque  le  mal 
qui  la  termine  est  inévitable,  et,  qu'en  guérissant  l'autre,  il  peut  devenir  un  bien. 
Il  en  est  du  droit  de  mourir  comme  de  la  bisque  des  joueurs  :  l'occasion,  le  moment 
en  fait  l'avantage  ;  et  souvent  c'est  en  perdre  tout  le  pri.\  que  de  tarder  à  s'en  prévaloir 
jusqu'à  la  fin  de  la  partie  ». 

'  Qu'on  ne  saurait  vivre  joyeusement  selon  la  doctrine  d'Épicurus,  XXV  [75], 
1,  gi8  :  «  Les  champions  qui  combattent  es  jeux  sacrés  ne  sont  jamais  couronnés 
tant  qu'ils  combattent,  ains  seulement  après  qu'ils  ont  combattu  et  qu'ils  ont  vaincu  ». 
—  Il  serait  possible  que  Rousseau  eût  pris  cette  citation  dans  quelque  auteur 
moderne  ;  mais  il  est  plus  probable  qu'il  l'a  recueillie  dans  le  texte  même.  Dans 
un  de  ses  cahiers  de  notes  [5],  8-12,  il  a  rempli  toute  une  dizaine  de  pages  avec  des 
citations  de  Plutarque,  empruntées  précisément  aux  petits  traités  des  Moralia. 

'  Ici,  dans  son  Premier  Brouillon,  Rousseau  faisait  encore  une  petite  pose,  pour 
se  féliciter  lui-même  de  sa  démonstration  :  «  Voyez  que  d'importantes  conséquences 
suivent  ma  première  découverte  ».  Cette  première  «  découverte  »  est  celle  qu'il  a 
chantée  plus  haut  avec  un  Ivrisme  si  satisfait,  la  «  découverte  »  de  la  liberté  : 
cf.  p.  74  et  note  2. 

'  C'est  un  argument  traditionnel,  mais  les  malheurs  de  Rousseau  en  font 
pour  lui  une  preuve  vivante  et  décisive.  Dans  le  camp  des- «  philosophes  »  encore 
déistes,  on  répète  aussi  l'argument,  mais  mollement,  et  déjà  avec  des  réserves. 
Cf.  Shaftesbury,  Essai  sur  le  mérite  et  la  vertu,  1,  m,  3  ['74].  52-6o,  qui  ne  veut 
pas  qu'on  exagère  «  le  triomphe  du  méchant  et  l'oppression  du  juste  ».  Et  Diderot 
ajoute  en  note,  p.  60  :  «  Si  l'on  supposait  que  l'honnête  homme  ne  peut  être  que 
malheureux  en  ce  monde,  et  que  la  félicité  temporelle  est  incompatible  avec  la  vertu, 
l'économie  singulière  qui  régnerait  dans  l'univers  ne  le  porterait-elle  pas  à  se  métier 
de  l'ordre  qui  régnera  dans  l'autre  vie  »?  Cf.  plus  haut.  p.  83,  note  1. 


206  .  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

que  durant  ma  \ie  '  n'appercevant  rien  que  par  mes  sens,  ce  qui 
ne  leur  est  point  soumis  m'échape.  Quand  l'union  ('-des  deux 
substances)  est  rompue  je  conçois  que  ■'l'une  peut  se  (^  détruire) 
et  l'autre  se  conserver.  (■'  L'anéantissement)  de  run(e)  (n')  entrai- 
neroit  ("pas  "nécessairement  M 'anéantissement)  de  l'autre.  Au 
contraire  étant  de  natures  si  dilTérentes  (  '  elles)  étoient  par  leur 
union  dans  un  état  \'iolent,  et  quand  cette  union  cesse  (>'-' elles) 
rentrent  tou(te)s  deux  dans  leur  état  naturel.  La  substance  active 
et  \i vante t  regagne  toute  la  force  qu'elle  employoit  à  mouvoir 
'*  et  animer  la  substance  passive  et  morte.  '-  Helas  je  le  sens 
trop  par  '^  ma  îoiblesse].  [("Tandis  que  le  corps  vivoit  l'ame  etoit 
toujours  languissante)  ('  '  c'est  à  la  mort  du  corps  que  commence 
la  vie  de  l'ame). 


Mais  quelle  est  cette  vie  'Ctj  l'ame  est-elle  immortelle  par  sa 
nature;  je   '''n'en  sais  rien.  [Je  ('"sais)  que  l'ame  survit  au  corps 


'  B.  corporelle. 

-  [du  corps  et  de  l'ame]. 

»  B.  l'un.     . 

"*  [dissoudre]. 

^  [Pourquoi  la  destruction]. 

«  [elle]. 

'  (même  ?). 

"  [la  destruction]. 

"  [ils]. 
■°  [ils]. 

"  B.  <  et  animer  >. 
'-'  [(oui  je  le  sens  par  mes  foi  blesses)]. 
'■'  B.  mes  (fautes)  [vices]. 
'*  (l'ame  est  comme  une). 

"  [(ainsi)  l'homme  ne  vit  qu'à  moitié  durant  sa  vie  «  et  »  la  vie  de  l'ame 
«  ne  »  commence  qu'à  la  mort  du  corps]. 

"'■  B.  (n'en  sais  rien)  ["  l'ignore].  Mon  entendement  borné  ne  conçoit  rien 
sans  bornes,  tout  ce  qu'on  appelle  infini  m'échappe;  (''  je  ne)  puis  (nier), 
affirmer  (<"  raisonner)  sur  ce  que  je  ne  ('i  sais)  concevoir.  Je  crois    [que]  l'ame. 

il)  I.  par  sa  nature  ?  Mon  eniendement. 

b)  [que  puis-)e]. 

c)  [nier  ■-  quels  »  raisonnemens  puis-je  fairej. 
^)  [puis]. 

'"  [crois]. 


EDITION    ORIGINALE  207 

choquante  dissonance  dans  l'harmonie  universelle,  me  teroit  chercher 
à  la  résoudre.  Je  me  dirois  :  tout  ne  finit  pas  pour  nous  avec  la  vie,  tout 
rentre  dans  l'ordre  à  la  mort.  J'aurois,  à  la  vérité,  l'embarras  de  me 
demander  où  est  1  homme,  quand  tout  ce  qu'il  avoit  de  sensible  est 
détruit.  Cette  question  n'est  plus  une  difficulté  pour  moi,  si-tôt  que 
j'ai  reconnu  deux  substances  -.  Il  est  très-simple  que  durant  ma  vie 
corporelle,  n'appercevant  rien  que  par  mes  sens,  ce  qui  ne  leur  est 
point  soumis  m'échappe.  Quand  l'union  du  corps  &  de  i'ame  est  rompue, 
je  conçois  que  l'un  peut  se  dissoudre  &  l'autre  se  conserver.  Pourquoi 
la  destruction  de  l'un  entraîneroit-elle  la  destruction  de  l'autre  ?  Au 
contraire,  étant  de  nature  si  différentes,  ils  étoient,  par  leur  union, 
dans  un  état  violent;  &  quand  cette  union  |  cesse,  ils  rentrent  tous  deux  [86] 
dans  leur  état  naturel.  La  substance  active  &  vivante  regagne  toute  la 
force  qu'elle  employoit  à  mouvoir  la  substance  passive  &  morte.  Hélas! 
je  le  sens  trop  par  mes  vices  i;  l'homme  ne  vit  qu'à  moitié  durant  sa 
vie,  &  la  vie  de  l'âme  ne  commence  qu'à  la  mort  du  corps  ~. 

Mais  quelle  est  cette  vie,  &  l'âme  est-elle  immortelle  par  sa  nature  ("1  ? 
Mon  entendement  borné  ne  conçoit  rien  sans  bornes;  tout  ce  qu'on 
appelle  infini  m'échappe.  Que  puis-je  nier,  afl^rmer,  quels  raisonnemens 
puis-je  faire  sur  ce  que  je  ne  puis  concevoir?  Je  crois  que  l'âme  survit 
au  corps  assez  pour  le  maintien  de  l'ordre;  qui  sait  si  c'est  assez  pour 
durer  toujours?  Toutefois  je  conçois  comment  le  corps  s'use  &  se  détruit 
par  la  division  des  parties,  mais  je  ne  puis  concevoir  une  destruction 
pareille  de  l'être  pensant;  &  n'imaginant  point  comment  il  peut  |  mourir,  [g?] 
je  présume  qu'il  ne  meurt  pas.  Puisque  cette  présomption  me  console, 
&  n'a  rien  de  déraisonnable,  pourquoi  craindrois-je  de  m'v  lixrer'? 

«1  C,  D  :  par  sa  tujture  ■•  Je  l'ignore. 

'  Cf.,  plus  liaut,  p.  69-70.  On  voit  maintenant  pourquoi  Rousseau  s'acharnait  à 
établir  cette  distinction  des  «  deux  substances  ».  Ce  qu'il  cherchait,  à  travers  tout 
cet  aride  débat,  c'était  une  assurance  pratique,  et,  comme  il  le  dira  quelques  lignes 
plus  loin,  une  «  présomption  »  qui  put  «  le  consoler  ». 

'  L'expression  paraîtra  peut-être  un  peu  forte,  si  l'on  se  rappelle  que  Rousseau 
avait  dit  plus  haut,  en  parlant  du  Vicaire  ;  «  .-1  h  défaut  prés  qui  avait  attiré  sa 
disgrâce,  et  dont  il  n'était  pas  trop  bien  corrigé,  sa  vie  était  exemplaire,  ses  mœurs 
étaient  irréprochables  •" :  cf.  p.  i5,  et  note  2.  Mais,  à  la  fin  de  la  Première  Partie, 
p.  124-125,  le  Vicaire  avouera  que  «  les  illusions  des  sens  ont  duré  trop  longtemps 
pour  lui  »  Ces  deux  passages  rapprochés  laissent  assez  comprendre  ce  que  Rousseau 
entend  ici  par  «  vices  ». 

'  Les  mêmes  idées  seront  reprises  sous  une  autre  forme  p.  i25  :  «J'aspire  au 
moment  où,  délivré  des  entraves  du  corps,  je  serai  moi,  sans  contradiction,  sans 
partage,   et   n'aurai   besoin   que  de   moi   pour  être   heureux  ». 

'  Cf.   Vairasse.  Sévarambes  '87".  IV.   3i2  :  «Parmi   les  grands   esprits   de   cette 


208  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

asses  pour  le  maintien  de  l'ordre  (moral).  Qui  sait  '  si  c'en  est  assés 
pour  durer  toujours].  -Je  sens  mon  ame  je  la  connois  par  ^quelques 
unes  de  ses  propriétés,  'je  sais  qu'elle  est  (mais  'j'ignore  absolu- 
ment) son  essence  je  ne  puis  raisonner  sur  des  idées  que  je  n'ai 
pas.  Ce  que  je  sais  bien  c'est  que  l'identité  '  de  l'être  pensant 
consistant  dans  la  mémoire  pour  être  le  même  en  elTet  il  faut 
que  je  ^conserve  la  conscience  de  cette  identité.  Je  me  souviendrai 
donc  après  ma  mort  de  ce  que  j'ai  fait  durant  ma  \ie  et  je  ne 
doute  point  que  ce  seul  souvenir  ne  '-'fasse  en  grande  partie  «  la 
félicité  des  bons  et  i"  le  »  ("prix  du  vice).  Ici  bas  mille  passions 
ardentes  '-  absorbent  le  sentiment  '■'  et  donnent  le  change  aux 
remords,  les  ["  humiliations],  les  peines   qu'attire   l'exercice   '^  des 


'  B.  (assés). 

-  B.  Toutefois  je  conçois  comment  le  corps  [s'use  et]  se  détruit  par  la  divi- 
sion des  parties,  (»  et  comme  je  ne  peux)   ''  concevoir  une  destruction  pareille  de 
l'être   pensant  ('   j'ai   quelque    lieu    de)    présume(r)    qu'il    ne    meurt    ('1   point).  . 
Puisque   cette    présomption    (<•■   est    consolante)    et    n'a    rien    de    déraisonnable 
pourquoi  (''  ne)  m'y  livrer(ois-je  pas)  ? 

ft)  [mais  je  ne  {conçois!  puis]. 
>))  (rien  prcsu  mer). 

f)  [(ne  concevanti  et   n'imaginant   point  comment  il  peut 
mourir  (et)  je]  présume, 
d)  [pas]. 

f)  [(flateuse)  me  tlate  me  console]. 
f  )  (craindrois-je  de]. 

■'  B.  le  sentiment  et  par  la  pensée. 

■*  (mais  sans). 

'^  [(sans  concevoir)  sans  savoir  quelle  est]. 

"  [(je  n'ai  nulle  idée  de)]. 

'  B.  (de  l'être  pensant  et  sentant)  [du  moi  ne  se  prolonge]  que  par  la 
mémoire  et  que  pour  être. 

"  B.  me  souvienne  d'avoir  été.  Or  je  ne  saurois  me  rappeller  après  ma  mort 
ce  que  j'ai  été  durant  ma  vie  que  je  ne  me  rappelle  aussi  ce  que  j'ai  senti,  par 
conséquent  ce  que  j'ai  fait,  et  je  ne  doute. 

'■'  B.  (soit  la  source  de)  [fasse  un  jour]  la  félicité. 

'"  B.  (du)  [le]. 

"   [tourment  des  méchans]. 

'-  M.  effacent. 

'■'  B.  [interne]. 

'■*  (maux  qu). 

''-  B.  (de  la)  [des]. 


EDITION   ORIGINALF  2O9 

Je  sens  mon  ame,  je  la  connois  par  le  sentiment  &  par  la  pensée; 
je  sais  qu'elle  est,  sans  savoir  quelle  est  son  essence;  je  ne  puis  raisonner 
sur  des  idées  que  je  n'ai  pas.  Ce  que  je  sais  bien,  c'est  que  l'identité 
du  moi  ne  se  prolonge  que  par  la  mémoire;  &  que  pour  être  le  même 
en  effet,  il  faut  que  je  me  souvienne  d'avoir  été.  Or,  je  ne  saurois  me 
rappeller  après  ma  mort  ce  que  j'ai  été  durant  ma  vie,  que  je  ne  me 
rappelle  aussi  ce  que  j'ai  senti,  par  conséquent  ce  que  j'ai  fait;  &  je  ne 
doute  point  que  ce  souvenir  ne  fasse  un  jour  la  félicité  des  bons  &  le 
tourment  des  médians  2.  Ici  bas  mille  passions  ardentes  absorbent  le 
sentiment  interne,  &  donnent  le  change  aux  remords.  Les  humiliations, 
les  I  disgrâces,  qu'attire  l'exercice  des  vertus,  empêchent  d'en  sentir  tous  [gg] 
les  charmes.  Mais  quand,  délivrés  des  illusions  que  nous  font  le  corps 
&  les  sens,  nous  jouirons  de  la  contemplation  de  l'Etre  suprême  &  des 
vérités  éternelles  dont  il  est  la  source,  quand  la  beauté  de  l'ordre  frappera 
toutes  les  puissances  de  notre  ame,  &  que  nous  serons  uniquement 
occupés  à  comparer  ce  que  nous  avons  fait  avec  ce  que  nous  avons  dû 
faire,  c'est  alors  que  la  voix  de  la  conscience  reprendra  sa  force  &  son 
empire;  c'est  alors  que  la  volupté  pure,  qui  naît  du  contentement  de 
soi-même,  &  le  regret  amer  de  s'être  avili,  distingueront  par  des  sen- 
timens  inépuisables  le  sort  que  chacun  se  sera  préparé  1.  Ne  me  demandez 


nation  'des  Sévarambes],  on  est  fort  partagé  touchant  l'immortalité  de  l'âme,  les 
uns  la  croyant,  les  autres  ne  la  croyant  pas.  .Mais,  parmi  le  peuple,  tout  le  monde 
la  croit  immortelle,  et  c'est  la  Religion  de  l'État,  parce  que  c'était  l'opinion' de 
Sévarias  [législateur  des  Sévarambes  ,  et  quelle  est  plus  plausible  et  plus  agréable 
que   l'autre  ». 

^  C'est  aussi  ce  qu'espère  Julie  mourante;  cf.  Xouvelle  Héloïse  (\'l,  xi),  V,  66: 
«  J'avoue,  dit-elle,  que  je  me  sens  des  affections  si  chères,  qu'il  m'en  coûterait  de 
penser  que  je  ne  les  aurai  plus.  Je  me  suis  même  fait  une  espèce  d'argument  qui 
flatte  mon  espoir.  Je  me  dis  qu'une  partie  de  mon  bonheur  consistera  dans  le 
témoignage  d'une  bonne  conscience.  Je  me  souviendrai  donc  de  ce  que  j'aurai 
fait  sur  la  terre;  je  me  souviendrai  donc  aussi  des  gens  qui  m'y  ont  été  chers; 
ils  me  le  seront  donc  encore.  Ne  les  voir  plus  serait  une  peine,  et  le  séjour  des 
bienheureu.\  n'en  admet  point».  Dans  un  des  Brouillons  de  la  Julie  [9],  II,  89 '^'>, 
Rousseau  avait  ajouté  à  ce  passage  la  note  inédite  suivante,  qui  complète  et  com- 
mente les  affirmations  du  Vicaire  :  «  Pour  être  les  mêmes  dans  l'autre  vie, 
il  faut  nécessairement  que  nous  nous  souvenions  de  ce  que  nous  avons  été  dans 
celle-ci  ;  car  on  ne  conçoit  point  à  quoi  ce  mot  de  même  peut  s'appliquer  dans  un 
être  essentiellement  [Rousîeau  avait  d'abord  écrit  :  purement]  pensant,  si  ce  n'est 
à  la  conscience  de  l'identité,  et  par  conséquent  à  la  mémoire.  S'il  ne  se  souvient 
plus  d'être  le  même,  il  ne  l'est  plus.  On  voit  par  là  que  ceux  qui  soutiennent,  à 
l'exemple  de  Spinoza,  qu'à  la  mort  d'un  homme,  son  âme  se  résout  dans  la  grande 
âme  du  monde,  ne  disent  rien  qui  ait  du  sens.  Ils  font  un  pur  galimatias». 

'  On    remarquera    le    caractère    personnel    du   Paradis    de   Jean-Jacques.   «  La 


210  REDACTIONS    MANUSCRITES 

\ertus  empêchent  d'en  sentir  tous  les  charmes.  Mais  quand  déli- 
vrés des  illusions  que  nous  font  le  corps  et  les  sens  nous  jouirons 
de  la  contemplation  (pure)  de  l'être  suprême  et  des  '  vérités  éter- 
nelles dont  il  est  la  source,  quand  la  beauté  de  l'ordre  frapera 
toutes  les  puissances  de  nôtre  -entendement  et  que  nous  serons 
uniquement  occupés  à  comparer  ce  que  nous  avons  fait  avec  ce 
que  nous  avons  du  faire  c'est  alors  que  la  voix  de  la  conscience 
reprendra  sa  force  et  son  empire  c'est  alors  que  la  volupté  pure 
qui  nait  du  contentement  de  soi-même  et  le  regret  amer  de  s'être 
avili  distingueront  par  des  sentimens  inépuisables  le  sort  des  bons 
de  celui  des  méchans.  \e  me  demandés  point  o  mon  bon  ami  s'il  v 
aura  d'autres  sources  de  bonheur  et  de  peines  *  f  je  ^  l'ignore 
f°  163™  et  c'est  asses  ■'de  ||  celle  que  j'imagine  pour  me  consoler  de  cette 
vie  et  m'en  faire  '^  attendre  une  autre  ''avec  "espoir. 

B,  f°  142  ^"  [  *  s  Qu'importe  à  l'être  inaltérable  le  vice  et  la  perversité  des  hommes  ? 

Leurs  blasphèmes  leurs  impietés  n'offensent  qu'eux-mêmes.  En  abusant  de 
leurs  facultés,  ils  s'ôtent  le  prix  du  bon  usage,  ils  se  préparent  (■'  le  regret 
d'en  avoir  mal  usé  :  mais  a  qui  font-ils  tort  si  ce  n'est  '^  à  eux-mêmes).  [Mais 
comment]  les  hommes  "  peuvent-  «  ils  »  offenser  Dieu.  Ce  mot-même  me 
paroit  absurde]. 


'  M.  (beautés)  [vérités]. 

-  B.  (entendement)  [ame]. 

'  (n-). 

■*  I.  (pour  moi)  de  celles. 

•'*  B.  espérer. 

"  B.  <  avec  espoir  >. 

'  [(plaisir)]. 

"  M.  <  qu'importe  à  l'être...  me  paroit  absurde  >. 

"  (d'en)  [d'inévitables  regrets]. 

•°  [(qu')]. 

"   [(ne)]. 


t  L'astérisque,    comme    la    note    qu'il    amorce,    ne   se   trouve  que 
dans  B. 


EDITION    ORIGINALE  211 


point,  à  mon  bon  ami,  s'il  y  aura  d'autres  sources  de  bonheur  iS:  de 
peines  ^;  je  rij,'nore,  &  c'est  assez  de  celles  que  j'imagine  pour  me  con- 
soler de  I  cette  vie  &  m'en  faire  espérer  une  autre.  Je  ne  dis  point  que  les         rgg] 


contemplation  de  l'Être  suprême  et  des  vérités  éternelles  »  y  est  mentionnée  rapi- 
dement, et  par  une  sorte  de  convenance  traditionnelle.  La  félicité  essentielle,  celle 
qu'il  décrit  le  plus  complaisamment,  sera  cette  «  volupté  pure  qui  nait  du  conten- 
tement de  soi  ».  H  dira  quelques  lignes  plus  loin  :  «  Quel  autre  bien  peut  attendre 
un  être  excellent  que  d'e.\ister  selon  sa  nature»?  Et  déjà,  dans  une  Lettre  à  Vernes 
du  t8  Février  lySS,  X,  180,  il  «  soupçonnait...  qu'être  et  sentir  est  le  premier  prix 
d'une  bonne  vie  ».  Nous  sommes  loin  ici  de  la  vision  béatifique,  telle  que  les 
théologiens  catholiques  essaient  de  se  la  représenter.  La  vie  éternelle,  telle  que 
Rousseau  la  conçoit,  c'est  le  plein  épanouissement  de  cette  divinité  qu'il  sent  en 
lui  :  «  Eh  quoi  !  s'écriera-t-il  quelques  années  plus  tard,  dans  une  Lettre  à  Moultou,  du 
14  Février  1769,  Xll,  i38,  le  juste  infortuné  en  proie  à  tous  les  maus  de  cette  vie... 
n'aurait  nul  dédommagement  à  attendre  après  elle,  et  mourrait  en  bête  après  avoir 
vécu  en  Dieu  i>}  Cf.  plus  haut,  p.  79,  note  i,  les  remarques  que  j'ai  présentées 
sur  le   sentiment  de   la   jouissance  de  soi   chez   Rousseau. 

^  A  cette  question,  Rousseau  avait  accroché,  dans  B,  une  note  sur  «  l'absurdité  » 
de  l'expression  vulgaire  «  offenser  Dieu  ».  11  y  reprenait  les  idées  de  Malebranche, 
Entretiens  sur  la  métaphysique,  VIII,  [5  [96],  5y  :  «Que  Dieu  puisse  en  être  offensé 
^des  créatures],  c'est  ce  qui  ne  me  parait  pas  concevable  »  ;  et  surtout  de  Marie 
Htiber,  Religion  essentielle  [i5i],  I,  8:  «L'Être  infini  ne  peut  être  ofl'ensé  ;  ce  sont 
les  créatures  qui  s'offensent  elles-mêmes,  grand  principe,  qu'on  rappellera  souvent 
dans  la  suite»;  et  5y  :  «S'il  est  une  fois  reconnu  que  l'Être  suffisant  à  soi  ne  peut 
être  offensé,  à  parler  exactement,  par  l'injustice  des  hommes,  s'il  est  vrai  que  cette 
injustice  n'offense  qu'eux-mêmes »  [On  remarquera  la  même  formule  chez  Rous- 
seau :  «  leurs  impiétés  n'offensent  qu'eux-mêmes  »].  Cf.  encore  Tyssot  de  Patot, 
Jacques    Massé  [m],    186-188   :   «  Paillarder,   tuer,   voler,    blasphémer,   ne    sont   pas 

des  crimes  par  lesquels  on  offense  la  majesté  du  Très-Puissant S'il  y  a  quelqu'un 

de  lésé  dans  la  transgression  de  ces  Lois,  c'est  proprement  la  Société,  ou  les  chefs 
qui  la  représentent,  et  nullement  l'Esprit  universel,  qui  ne  peut,  en  aucune  manière 
du  monde,  être  offensé  de  personne»;  Morelly.  Code  de  la  Nature,  111  [216],  126-127. 
Quelques  mois  avant  l'apparition  de  VÉmile,  des  considérations  identiques  pour  le 
fond,  mais  présentées  sur  un  autre  ton,  se  retrouvaient  dans  la  Nature  de  Robinet 
[235],  19,  note  ;  «  L'homme  ne  peut  donc  pas  offenser  Dieu,  sa  nature  étant  trop 
sublime  et  tout  à  fait  inaccessible  aux  traits  de  l'être  fini.  Ses  blasphèmes  ne 
pénètrent  donc  pas  jusqu'au  ciel  ?  Et  celui  qui  peut  tourner  à  son  gré  toutes  nos  facultés 
n'est  pas  fondé  à  se  plaindre  qu'elles  lui  soient  contraires.  Il  serait  aisé  de  pousser 
cette  objection  »,  etc.  On  voit  mal  pourquoi  Rousseau  a  supprimé  ce  petit  développe- 
ment, qui  est  bien  dans  l'esprit  du  Vicaire.  S'il  avait  été  conservé  dans  M  et  dans  1,  on 
pourrait  supposer  que  Rousseau  l'aurait  sacrifié  au  dernier  moment,  après  avoir  lu 
Robinet,  pour  ne  pas  paraître  faire  une  concession  à  un  philosophe  qui  lui  était 
antipathique.  Mais  il  est  infiniment  probable  que  I,  du  moins,  était  déjà  transcrit, 
quand  parut  le  livre  de  Robinet.  Je  croirais  donc  que  Rousseau,  en  recopiant  cette 
page  de  B,  d'ailleurs  très  embrouillée,  a  négligé  cette  note  par  pure  distraction. 
Ce  qui  semblerait  le  prouver,  c'est  que  deux  ans  plus  tard,  dans  une  note  de  la 
V  des  Lettres  de  la  Montagne,  111,  196,  il  commentera  ainsi  une  phrase  de  son 
texte  où  il  avait  parlé  des  «  offenses  faites  à  Dieu  »  :  «  Notez  que  je  me  sers  de  ce 
mot  offenser  Dieu,  selon  l'usage,  quoique  je  sois  très  éloigné  de  l'admettre  dans  son 


212  REDACTIONS    MANUSCRITES 

B   f°  142  "'  V^  "'•'  '^'^  point  que  les  ['  bons]  seront  recompensés  car  (^  en  vivant 

selon  leur  nature  ^ qu'auront-ils  fait  pour  mériter)  récompense;  mais  je 
«  *  dis  »  qu'ils  seront  heureux  parce  que  leur  auteur,  l'auteur  de  toute 
justice  les  ayant  faits  sensibles  ne  les  a  pas  faits  pour  souffrir,  et  que 
n'ayant  point  abusé  de  leur  liberté  (^  dans  ce  monde)  ils  n'ont  •>  pas 
trompé  leur  destination  '  par  leur  faute;  ils  ont  souffert  pourtant  «  dans 
cette  vie  »,  ils  seront  donc  dédomagés  dans  un  e  *  autre.  Ce  sentiment 
8  est  ["*  moins]  fondé  sur  le  mérite  de  l'homme  que  sur  la  notion  de 
justice  et  de  bonté  qui  me  semble  inséparable  de  l'essence  divine.  Quelle 
raison  puis-je  avoir  de  m'y  reîuser?  * 

*  11  Non  pas  pour  nous,  non  pas  pour  nous,  Seigneur 
Mais  pour  ton  nom,  mais  pour  ton  propre  honneur, 
O  Dieu,  fais-nous  revivre!  Ps.  ii5.]. 


'  (mechans). 

-  [vivre  selon  sa  nature  n'est  pas  mériter].  —  M.  (en  vivant  selon  leur 
nature  (qu'auront-ils  fait  pour  mériter)  [le  bonheur  qu'ils  y  trouvent  suffit  pour 
leurj)  [vivre  selon  sa  nature  n'est  pas  mériter]  récompense.  — I.  (en  vivant  selon 
leur  nature  qu'auront-ils  t'ait  pour  mériter  une  récompense?)  [quel(le)  autre 
(récompense)  [bien]  peut  attendre  un  être  excellent  que  (de  vivre)  [d'e.xister] 
selon  sa  nature]. 

^  [(le  bonheur  qu'ils  v  trouvent  suffit  pour  leur)]. 

■*  [(crois)]. 

^  [sur  la  terre]. 

"■'  M.  point. 

'  I.  (sur  la  terre). 

"  un  (sic). 

»  (n'). 

'"  (point). 

"  I.  <  non  pas  pour  nous...  nous  revivre.  Ps.  ii5  >. 


EDITION    ORIGINALE  213 

bons  seront  récompensés;  car  quel  autre  bien  peut  attendre  un  être  excel- 
lent, que  dexister  selon  sa  natufe  '?  Mais  je  dis  qu'ils  seront  heureux, 
parce  que  leur  auteur,  l'auteur  de  toute  justice  les  avant  faits  sensibles, 
ne  les  a  pas  faits  pour  souffrir;  &  que  n'ayant  point  abusé  de  leur  liberté 
sur  la  terre,  ils  n'ont  pas  trompé  leur  destination  par  leur  faute  ;  ils  ont 
souffert  pourtant  dans  cette  vie,  ils  seront  donc  dédommagés  dans  une 
autre.  Ce  sentiment  est  moins  fondé  sur  le  mérite  de  l'homme,  que  sur  la 
notion  de  bonté  qui  me  semble  inséparable  de  l'essence  divine.  Je  ne  fais 
que  supposer  les  loix  de  Tordre  observées,  &  Dieu  constant  à  lui-même  *. 

*  Son  pas  pour  nous,  non  pas  pour  nous,  Seigneur, 
Mais  pour  ton  nom,  mais  pour  ton  propre  honneur, 
O  Dieu!  fais-nous  revivre!  Ps.  ii5.  - 


sens  propre,  et  que  je  le  trouve  très  mal  appliqué;  comme  si  quelque  être  que  ce 
soit,  un  homme,  un  ange,  le  diable  même,  pouvait  jamais  otfenser  Dieu  »  !  La 
remarque  eut  déjà  été  valable  pour  un  passage  de  la  Xourelle  Héloïse  (III,  xvnii, 
IV,  249  :  «  le  premier  offensé  et  le  seul  vrai  juge  ». 

'  Comme  le  montrent  toutes  les  variantes  des  .Manuscrits,  il  ne  s'agit  stricte- 
ment, dans  cette  formule,  que  de  l'existence  terrestre  ;  mais,  la  vie  immortelle 
n'étant  que  l'épanouissement  de  la  vie  présente  dans  ce  qu'elle  a  de  meilleur,  la 
formule  vaut  aussi  par-delà  la  tombe  :  cf.  la  note   1   de  la  page  précédente. 

'  C'est  le  Psaume  ii3  de  la  Vulgate.  —  Ce  qui  fait  le  grand  intérêt  de  cette 
citation,  c'est  la  traduction  à  laquelle  elle  est  empruntée  ;  elle  ne  se  trouve  ni  dans 
les  Psaumes  de  David  mis  en  rime  française  par  Clément  Marot  et  Théodore  de 
Bè^e  (i554  sqq(,  ni  dans  Les  Psaumes  en  vers  français  retouchés...  par  feu  M.  V.  Con- 
rart  (1679  sqql.  qui  étaient  la  version  la  plus  familière  aux  Églises  réformées  de 
langue  française.  Elle  est  prise  textuellement  dans  le  Psautier  genevois,  adaptation 
des  versions  précédentes  par  Pictet,  de  la  Rive  et  Calandrin,  qui  fut  introduit  dans 
les  Écoles  et  les  Temples  de  Genève  à  partir  de  Novembre  1698  :  Les  Psaumes  de 
David,  mis  en  vers  français,  revus  et  approuve^  par  les  Pasteurs  et  les  Professeurs 
de  l'Église  et  de  IWcadémie  de  Genève  [ii5  ,  423.  Cf.,  sur  ce  Psautier,  Féli.x  Bovct. 
Histoire  du  Psautier  des  Églises  Réformées,  Neuch,îtel,  Sandoz,  et  Paris,  Gras- 
sart,  1872,  in-8.  et  Octave  Douen,  Clément  .Marot  et  le  Psautier  Huguenot,  Paris, 
Imprimerie  Nationale,  1879,  2  vol.  in-4.  En  citant  le  texte  de  la  nouvelle  version 
genevoise,  Rousseau  n'était  peut-être  pas  fâché  de  souligner  l'erreur  de  D'Alembert, 
qui  croyait  icf.  note  à  la  Réclamation  des  Pasteurs  [52],  IV,  426I  que  l'on  chantait 
encore  dans  les  temples  de  Genève  «  les  vieux  psaumes  de  Marot  et  de  Béze  ».  Cette 
méprise  avait  été  relevée  aussi  par  Vernet.  Lettre  III  [236\  29  :  «  D'où  sait-il  ce 
qu'il  avance,  lui  qui  n'est  jamais  sorti  de  France,  lui  qui  n'a  jamais  vu  d'Eglises 
Réformées,  lui  qui  les  connaît  si  peu  qu'il  croit  bonnement  que  l'on  y  chante 
encore  les  vieux  Psaumes  de  Clément  Marot  »?  —  Quoiqu'il  en  soit,  cette  citation 
exacte  du  Psautier  national  témoigne  que  Rousseau  en  possédait  encore  un  exemplaire, 
ou,  plus  vraisemblablement,  qu'il  n'avait  pas  oublié  les  cantiques  appris  par  cœur 
étant  enfant.  Il  n'avait  pas  oublié  non  plus  les  «  Prières  ecclésiastiques  »  qui  terminent 
le  recueil  genevois  ;  et  quelques-unes  des  prières  qu'il  a  écrites  aux  Charmettes 
(cf.    Pages    inédites    36],   221-2291  ^n  conservent  d'incontestables   réminiscences.    On 


314  REDACTIONS    MANUSCRITES 

F,  f°  163  ™  ('  Vous)    me  demande(re)z  -  si   les  (■'*  supplices)    des   médians 

seront  éternels  et  s'il  est  de  la  bonté  de  l'auteur  de  leur  être  de  les 
*  destiner  à  souiïrir  toujours.  Je  l'ignore  encore  et  n'ai  point  la 
vaine  curiijsité  d'agiter  ''  ces  questions  inutiles.  Que  m'importe 
(de  savoir)  ce  que  deviendront  les  méchans?  Je  "ne  prends  aucun 
intèrest  à  leur  sort. 


B   F  143  ''°  [<<  '  Toutes  fois  »  j'ai  peine  à  croire  que  Dieu  donne  l'existence  à  des 

fo  142  *°  ^^^^  sensibles  ||  pour  les  condanner  à  des  tourmens  (*  éternels)].  [(Si)  la 
suprême  justice  '■'se  vange  ('"c'est)  dès  cette  vie;  ["vous]  et  vos  erreurs 
ô  Nations  êtes  ses  ministres  (contre  vous  de  ['^sa]  vengeance),  elle  employé 
les  maux  que  vous  vous  faites  à  punir  les  crimes  qui  les  ont  attirés.  C'est 
dans  vos  cœurs  insatiables,  rongés  d"en\ie  d'avarice  et  d'ambition  qu'au 
('■■'milieu)  de  vos  «  '*  prospérités  »  apparentes  les  passions  vengeresses 
punissent  tous  vos  forfaits.  (^'^  L'enfer  est  dans  le  cœur  du  méchant 
qui  prospère)]. 


'  [Ne]. 

-  [pas  non  plus].  —  B.  (point)  [pas]. 

■''  [remords].  — B.  tourmens. 

''  (avoir).  —  B.  condanner. 

^  B.  [avec  chaleur]  des. 

"  B.  (ne)  prends  (aucun)  [peu  d'Jinteresl.  —  M.  (ne)  prends. 
'  (Mais  j'). 

"  [sans  fin]  [(quelque...  quels  que  soient  les  décrets  je  les  ignore...  respecte... 
adore.  O  Etre  clément,  clément  et  bon)]. 

'■•  [ne]. 

"•  [-t-elle  pas]. 

"  (c'est  par  leurs  passions). 

■2  (la). 

'^  [sein]. 

■*  [(félicités?)]. 

'■''  [Qu'est-il  besoin  d'aller  chercher  l'enfer  dans  l'autre  vie  il  est  dès  celle-ci 
dans  le  cœur  (du  méchant)  des  méchans.  (Mais)]. 


EDITION    ORIGINALE  215 

Ne  me  demandez  pas  non  plus  ^  si  |  les  tourmens  des  méchans  rgo] 
seront  éternels  ('')  ;  je  Tignore  encore,  &  n'ai  point  la  vaine  curiosité 
d'éclaircir  des  questions  inutiles.  Que  m'importe  ce  que  deviendront 
les  méchans?  je  prends  peu  d'intérêt  à  leur  sort  1.  Toutefois  j'ai  peine 
à  croire  qu'ils  soient  condamnés  à  des  tourmens  sans  fin.  Si  la  suprême 
justice  se  venge,  elle  se  venge  dès  cette  vie.  Vous  &  vos  erreurs,  ô 
nations  !  êtes  ses  ministres  2.  Elle  emplove  les  mau.x  que  vous  vous  faites,  à 

l'i  C,  D  :  seront  éternels,  et  sil  est  de  la  bonté  de  l'auteur 
de  leur  être  de  les  condanner  [D  :  condamner]  à  souffrir 
toujours.  Je  l'ignore  encore. 

se  rappelle,  d'ailleurs,  que  Rousseau  a  manifesté  à  plusieurs  reprises  sa  piété  admirative 
pour  les  psaumes  de  son  adolescence,  et  «  l'harmonie  forte  et  mâle  »  de  leur  vieille 
musique  :  cf.  Lettre  à  D'Alemberl,  I,  219,  Lettre  à  M.  Perdriau  du  18  Janvier  1756, 
X,  III,  Dictionnaire  de  musique,  art.  Chantre,  VII,  28,  et  surtout  art.  Unité 
de  Mélodie,  \'\\.  339  :  «  Lorsque  j'entends  chanter  nos  psaumes  à  quatre  parties,  je 
commence  toujours  par  être  saisi,  ravi  de  cette  harmonie  pleine  et  nerveuse;  et  les 
premiers  accords,  quand  ils  sont  entonnés  bien  juste,  m'émeuvent  jusqu'à  frissonner  ». 

'  Une  autre  question,  qui  n'est  pas  posée  dans  cet  ordre  de  problèmes,  et  que 
Rousseau  avait  fait  discuter  par  Julie  dans  la  Nouvelle  Hélo'ise  (VI,  xil,  V,  65,  c'est 
celle  de  la  résurrection  des  corps. 

•  Il  avait  d'abord  écrit  :  «  Je  ne  prends  aucun  intérêt  à  leur  sort  ».  La  Première 
Rédaction  nous  livre  ici  le  premier  mouvement.  Rousseau  ne  peut  parler  des  peines 
réservées  au.\  «  méchants  »  en  philosophe  désintéressé;  le  mot  de  «  méchant  » 
éveille  pour  lui  des  images  très  précises  et  une  répulsion  douloureuse.  Il  v  a  donc 
conflit  chez  lui  entre  les  opinions  rationnelles  du  penseur  et  les  réactions  instinctives 
de  l'homme  qui  a  souffert.  Spontanément,  son  imagination  ne  s'arrête  que  sur  la 
félicité  des  «  bons  »,  c'est-à-dire  sur  la  sienne,  et  il  est  visiblement  gêné  que  la 
philosophie  l'oblige  à  poser  le  problème  des  «  méchants  »  :  «  Il  y  des  âmes  si  noires, 
écrit-il  à  Vernes  le  18  Février  1/38,  X.  180,  que  je  ne  puis  concevoir  qu'elles  puissent 
jamais  goûter  cette  éternelle  béatitude  dont  il  me  semble  que  le  plus  doux  sentiment 
doit  être  le  contentement  de  soi-même.  Cela  me  fait  soupçonner  qu'il  se  pourrait 
bien  que  les  âmes  des  méchants  fussent  anéanties  à  leur  mort».  C'est  aussi  l'opinion 
qu'il  prête  à  Alilord  Edouard:  cf.  Nouvelle  Hélo'ise  (VI,  m),  V,  11,  note,  et  celle 
qu'il  semble  accepter  délibérément  pour  lui-même,  au  V  Livre  d'Emile,  II,  418  :  «  La 
mort  est  la  fin  de  la  vie  du  méchant,  et  le  commencement  de  celle  du  juste  ».  M'"*  de 
Warens  avait  été  la  première  à  lui  montrer  la  difficulté;  cf.  Confessions,  VIII,  i63  : 
«  Elle  ne  savait  que  faire  des  âmes  des  méchants,  ne  pouvant  ni  les  damner,  ni 
les  mettre  avec  les  bons,  jusqu'à  ce  qu'ils  le  fussent  devenus;  et  il  faut  avouer, 
qu'en  effet,  et  dans  ce  monde  et  dans  l'autre,  les  méchants  sont  toujours  bien 
embarrassants  ».  Rousseau  pouvait  se  rappeler  que  Marivaux  éprouvait  déjà  le  même 
embarras:  cf.  L'Indigent  philosophe  [129],  II,  76  :  «  Je  ne  sais  où  le  mettre,  le 
méchant;  il  ne  serait  bon  qu'au  néant».  — Cf.,  plus  loin,  p.  121,  note  2,  et  le  texte 
de  Morelly  à  la  note  i  de  la   p.  91. 

'  C'est  une  citation,  presque  textuelle,  de  Morelly;  cf.  Basiliade,  IX  [206],  H, 
io3  :  «  Si  la  justice  suprême  se  venge,  vous  et  vos  erreurs,  ô  Nations  !  êtes  ses 
ministres  ».  Comme  on  le  voit  par  les  variantes  de  B,  Rousseau  a  essayé  de  déguiser 
légèrement  la  formule  de  Morelly,  puis  il  y  est  revenu,  la  trouvant  sans  doute  plus 
expressive.  On  verra  plus  loin,  p.  91,  note  1,  d'autres  réminiscences  de  Morelly. 
Cf.  ma  note  sur  Rousseau  et  Morelly-  [290]. 


2l6  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


[Ou  finissent  (tous)  nos  besoins  'terrestres  (et  passagers  i  ^  ou  cessent 
nos  désirs  (^pervers)  doivent  cesser  aussi  tous  nos  crimes.  i*La  mort  sans 
doute  en  est  le  terme  ainsi  que  de  nos  malheurs).  De  quelle  perversité  ^  de 
purs  esprits  peuvent-ils  être  susceptibles.  C  Si  leur  bonheur  est  dans  la) 
contemplation  des  êtres  ils  ne  ('peuvent)  \ouloir  que  le  bien,  et  quiconque 
cesse  d'être  méchant  (*  ne  sauroit)  être  à  jamais  misérable.  Voilà  ce  que 
j'ai  du  penchant  a  croire  sans  prendre  peine  à  me  ^  décider  là-dessus. 
O  être  clément  et  bon  «  quels  que  soient  tes  décrets  je  les  »  adore.  Si  tu 
punis  ['"éternellement]  les  méchans,  ("  j'adore  en  gémissant)  ta  justice]. 
[«Mais»  si  l'-leursi  remords  doivent  s'éteindre,  ('''quei  leurs  ('*  peines) 
doivent  finir  ( '^  et  quei  la  même  pai.x  nous  attend(e)  tous  également  un 
jour,  je  t'en  loue.  Le  méchant  n'est-il  pas  mon  frère,  combien  de  fois 
j'ai  été  tenté  de  lui  ressembler!  ('*  Si)  délivré  (''desi  misère  si  (de  cette 
vie)   il   ('«a  perdu)   [aussi]   la  malignité  ('^  qui   -'o  en  est  l'ouvragei  qu'il 


'  [passagers  et]. 

-  (doivent  cesser  aussi  tous  nos  crimes). 

^  [insensés]. 

■■  (L'ame  humaine.  Pourquoi  nos  âmes). 

■''  M.  des  esprits  purs. 

"'  [S'ils  (sont)  ne  sont  occupés  qu'à  la].  —  I.  Si  [destitués  de  nos  sens 
grossiers]  tout  leur  bonheur  est  dans  la. 

'  [sauroient]. 

"  [peut-il]. 

'■'  Seul  texte  intelligible  ;  amis  il  ne  semble  pas  qu'on  puisse  lire  sur  le 
manuscrit  un  autre  mot  que  :  destiner.  Il  y  a  sans  doute  eu  lapsus  de  plume. 

'°  M.  [éternellement]. 

"  ((en  tremblant)  j'anéantis  ma  raison  devant]. 

'^  [les]  remords  [de  ces  infortunés].  — I.  (leurs)  [les]  remords  (doivent)  [de 
ces]  infortunés  doivent. 

■^'  [si]. 

'*  [maux]. 

'=  [si]. 

'"  [Que]-  —  !•  (et  combien).  Que  délivré. 

'  '  [de  sa] . 

'"  [perde]. 

'"  [(qu'elles)  dont  elle  est  (la  source...  la  suite...  la  cause  et  l'effet)  le  fruict]. 
—  M.  qui  en  est  le  fruit. 

-"  [(l'a  produite,  l'accompagne)]. 


EDITION    ORIGINALE  217 

punir  les  crimes  qui  les  ont  attirés.  C'est  dans  vos  cœurs  insatiables, 
rongés  d'envie,  d'avarice  &  d'ambition,  qu'au  sein  de  vos  fausses  pros- 
pérités les  passions  vengeresses  punissent  vos  forfaits.  Qu'est-il  besoin 
d'aller  chercher  l'enfer  dans  l'autre  vie?  il  est  dès  celle-ci  dans  le 
cœur  des  méchans  ^. 

Où  finissent  nos  besoins  périssables,  où  cessent  nos  désirs  insensés, 
doivent  cesser  aussi  nos  passions  &  nos  crimes.  |  De  quelle  perversité  [91] 
de  purs  esprits  seroient-ils  susceptibles?  N'ayant  besoin  de  rien,  pourquoi 
seroient-ils  méchans?  Si,  destitués  de  nos  sens  grossiers,  tout  leur 
bonheur  est  dans  la  contemplation  des  êtres,  ils  ne  sauroient  vouloir 
que  le  bien  ;  &  quiconque  cesse  d'être  méchant,  peut-il  être  à  jamais 
misérable  1?  voilà  ce  que  j'ai  du  penchant  à  croire,  sans  prendre  peine 


'  Cf.  .\ddison,  Spectateur  '117^,  IV,  ^Sy.  Il  recommande  la  lecture  de  la  Vie 
chrétienne,  du  D'  Scott,  «  qui  est  le  plus  beau  et  le  plus  raisonnable  système  de 
théologie  qui  soit  écrit  dans  notre  langue  ou  dans  aucune  autre.  Cet  excellent 
auteur  y  a  l'ait  voir  de  quelle  manière  chaque  vertu  en  particulier,  formée  en  habitude, 
produit  naturellement  le  Ciel  ou  un  état  de  bonheur  pour  celui  qui  la  possède;  et 
tout  au  contraire,  chaque  vice  deviendra,  par  une  suite  naturelle,  l'Enfer  de  celui 
qui  en  est  l'esclave  ».  cf.  encore  Saint-.Aubin,  Réponse  aux  objections  contre  la 
Providence  [141],  11,  206  :  «  Quelques  méchants  prospèrent,  la  vertu  est  quelquefois 
opprimée,  et  le  vice  impuni.  Pour  en  conclure  que  c'est  une  injustice,  il  faudrait 
prouver  que  les  méchants  {goûtent  un  véritable  bonheur,  que  le  crime  n'est  pas  à 
soi-même  un  bourreau  implacable  ■!>  :  Haller,  Essai  sur  l'origine  du  mal,  III  [200].  5S  : 
«  Le  vice  nous  fait  un  enfer  de  nous-mêmes  »,  etc. 

'  Ce  développement  est  tout  pénétré  de  .Morelly,  et  en  utilise  souvent  les 
expressions  mêmes;  cf.  Basiliade  [206],  II,  101  et  104:  «  Pourquoi  veut-on  que. 
délivrée  de  ces  maux  [terrestres],  elle  [l'âme]  conserve  encore  quelque  trait  d'une 
malignité  qui  ne  l'intéresse  plus...  Où  il  ne  subsiste  plus  d'erreurs,  il   ne  peut  plus 

subsister  de  vices  ;  où   il  n'y  a  plus  d'égarement,  plus  de  punition Si  la  Divinité 

mène  ses  créatures  à  un  état  qui  ne  change  plus,  il  faut  que,  sitôt  que  les  flots 
de  ce  courant  touchent  les  bords  de  cette  mer  immuable,  toute  erreur  cesse  avec 
le  crime  et  le  châtiment.  Où  règne  l'évidence,  oii  se  terminent  tous  besoins  passagers 
[On  remarquera  que  Rousseau  avait  d'abord  écrit  dans  B  :  «  où  finissent  tous  nos 
besoins...  passagers  »[,  cesse  tout  dessein  criminel.  Non,  mon  cher  Fadilah,  notre 
âme  ne  peut  plus  être  méchante.  Hélas  !  pourquoi  serait-elle  malheureuse  »  ?  Des 
Idées  analogues  se  retrouvent  encore  dans  le  Code  de  la  .\ature  du  même  Morelly, 
III  [216],  i53-j54:  «Si  j'établis  que  l'idée  d'un  Être  infiniment  parfait,  infiniment 
bon,  exclut  absolument  celle  d'un  vengeur  obstiné,  dont  les  rigueurs  perpétueraient 
le  mal,  c'est  que  cette  idée  ne  peut  convenir  qu'à  la  créature...  Que  serait  un  Être 
inaccessible  à  toute  offense,  qui  se  plairait  à  ce  cruel  exercice  ?  Criez  tant  qu'il 
vous  plaira,  imposteurs  ou  fanatiques,  qui  avez  intérêt  de  nous  persuader  d.s 
chimères  ;  vos  vains  raisonnements  ne  pourront  jamais  étouft'er  cette  vérité  aussi 
évidente  que  le  premier  axiome  de  mathématique  :  Si  la  suprême  Puissance  tst 
unie  dans  un  Être  à  une  infinie  sagesse,  elle  ne  punit  point,  elle  perfectionne  ou 
anéantit.  Choisissez  ».  On  notera  que  cette  dernière  hypothèse  est  celle-là  même 
à  laquelle  Rousseau  semble  s'être  arrêté  un  instant  :  cf.  la  note  1  de  la  p.  90. 


2l8  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

soit  heureux  ainsi  que  moi,  loin  d'exciter  ma  jalousie  son   bonheur  ne 
fera  qu'ajouter  au  mien]. 


EDITION    ORIGINALE  2I9 

à  me  décider  là-dessus.  O  Etre  clément  (S:  bon  -1  quels  que  soient  tes 
décrets,  je  les  adore  ;  si  tu  punis  (^i  les  méchans,  j'anéantis  ma  foible 
raison  devant  ta  justice  '.  .Mais  si  les  remords  de  ces  infortunés  doivent 
s'éteindre  avec  le  tems,  si  leurs  maux  doivent  finir,  &  si  la  même 
pai.x  nous  attend  tous  également  un  jour,  je  t'en  loue.  Le  méchant 
n'est-il  pas  mon  t'rere  ?  Combien  de  fois  j'ai  été  tenté  de  lui  ressembler? 
Que,  délivré  de  sa  misère,  il  perde  aussi  la  malignité  qui  l'accompagne; 
qu'il  soit  heureu.x  ainsi  |  que  moi  ;  loin  d'e.xciter  ma  jalousie,  son  [92] 
bonheur  ne  fera  qu'ajouter  au   mien  1. 

I>i  C,  D  :  éternellement. 

'  Comparez  avec  les  déclarations  de  Julie  dans  la  Souvelle  Héloïse  (VI,  viii). 
V,  43  :  «Le  Dieu  que  je. sers  est  un  Dieu  clément,  un  père:  ce  qui  me  touche  est 
sa   bonté;   elle   efface  à  mes  yeux  tous  ses  autres  attributs;   elle  est  le  seul  que  je 

conçois Puisqu'il  est  juste,  il  est  clément.  Le  Dieu  vengeur  est  le  Dieu  des  mt- 

chants;  je  ne  puis  ni  le  craindre  pour  moi  ni  l'implorer  contre  un  autre.  O  Dieu 
de  paix,  Dieu  de  bonté,  c'est  toi  que  j'adore  »  ! 

'  Formule  qui  va  rejoindre  celle  qu'on  lira  quelques  pages  plus  loin.  p.  96  :  «  Le 
plus  digne  usage  de  ma  raison  est  de  s'anéantir  devant  toi  »,  et  qui  parait  difficilement 
conciliable  avec  les  maximes  de  la  Seconde  Partie,  p.  iSg  :  «  Ils  ont  beau  me  crier, 
soumets  ta  raison;...  il  me  faut  des  raisons  pour  soumettre  ma  raison  »  ;  et  p.  i5o: 
«.Me  dire  de  soumettre  ma  raison,  c'est  outrager  son  auteur». 

'  On  sera  frappé,  je  crois,  de  la  ressemblance  entre  la  fin  de  ce  morceau  et 
le  passage  suivant  du  poème  de  Haller,  Essai  sur  l'origine  du  mal,  111  '200  ,  72-73  : 
«  O  Dieu  plein  de  justice  et  de  clémence,  ta  créature  ose-t-elle  te  demander  comment 

ta   bonté   peut   s'accorder  avec  nos  tourments  ? O    Dieu  !   les   voies  de    ta   bonté 

nous  sont  cachées...  Peut-être  qu'un  jour  la  vérité  qui  le  tourmente,  purifiera  notre 
esprit,  refondu  par  de  longs  supplices  ;  peut-être  qu'alors  ennemi  du  vice,  instruit 
par  ses  tristes  fruits,  il  tournera  entièrement  sa  volonté  au  bien,  et  que  Dieu,  satisfait 
enfin  de  notre  tardive  repentance,  nous  retirera  tous  vers  lui,  pour  être  tout  en 
tous  ».  —  Cette  petite  dissertation  de  Rousseau  sur  les  peines  éternelles  est  faite 
de  plusieurs  morceaux  qui  n'ont  pas  été  rédigés  à  la  même  époque  ;  et  l'on  s'en 
aperçoit,  car  les  idées  en  sont  assez  peu  cohérentes.  Les  premières  phrases,  qui 
sont  aussi  les  plus  anciennes,  ne  sont  guère  qu'une  façon  de  se  récuser  devant 
le  problème  :  le  Vicaire  ne  le  résoudra  pas,  parce  qu'il  n'a  pas  de  réponse  à  lui 
apporter,  et  qu'au  fond  cette  réponse  ne  l'intéresserait  point  :  il  ne  veut  songer 
qu'aux  «  bons  ».  Les  phrases  qui  suivent,  et  qui  appartiennent  à  une  rédaction 
postérieure,  disent,  sinon  le  contraire,  du  moins  quelque  chose  de  fort  différent  : 
Le  Vicaire  se  refuse  absolument  à  l'idée  d'un  châtiment  qui  ne  cesserait  point.  Enfin 
la  conclusion  essaie  de  rétablir  l'équilibre  entre  les  deux  hvpothèses,  tout  en  laissant 
voir  la  pensée  personnelle  de  Rousseau,  —  pensée,  qui,  d'ailleurs,  ne  fait  aucun 
doute.  Cf.,  en  effet.  Lettre  à  Vernes  du  18  Février  lySS,  X.  180  :  *  \  l'égard  de 
l'éternité  des  peines,  elles  ne  s'accordent  ni  avec  la  faiblesse  de  l'homme,  ni  avec 
la  justice  de  Dieu  »;  Lettre  à  Voltaire,  X,  i3o  :  «  L'éternité  des  peines,  que  ni 
vous  ni  moi,  ni  jamais  homme  pensant  bien  de  Dieu,  ne  croirons  jamais  »;  Lettre 
à  D'Alembert,  I,  184  :  «  Je  ne  suis  pas  scandalisé  que  ceux  qui  servent  un  Dieu 
clément  rejettent  l'éternité  des  peines,  s'ils  la  trouvent  incompatible  avec  sa  justice»; 
Confess  ons,  Vlll.   i63  :   «  Les  âmes  aimantes  et  douces  n'y  croient  guère  [a  l'enfer  , 


220  REDACTIONS    MANUSCRITES 


10.  L'idée  de  Dieu. 


F,  f'M63  "'  ('Vous  voyez,  mon  enîant,  comment)  contemplant  Dieu  dans 
ses  œuvres  et  l'étudiant  par  -ses  seuls  attributs  qu'il  m'importoit 
de  connoitre  je  suis  parvenu  à  étendre  et  («  •'  perfectionner  »)  *  par 
degrés  (dans  mon  esprit)  l'idée  d'abord  imparfaite  et  (■'  gratuite) 
que  je  m'étois  faite  de  cet  être  immense. 

[["  Mais  sij  cette  idée  est  plus  noble  et  plus  grande  elle  est 
aussi  (plus  obscure  et  plus  incompréhensible  plus  éblouissante  et) 
moins  proportionnée  à  la  raison  humaine.  A  mesure  que  j'ap- 
proche en  esprit  de  l'éternelle  lumière  son  éclat  m'éblouit  "  et 
me  trouble  *  et  je  suis  forcé  d'abandonner  toutes  les  notions 
(■'humaines)  qui  m'aidoient  à  l'imaginer].  Dieu  n'est  plus  corporel 
et  sensible  (""l'être  inteUigent)  qui  régit  le  monde  n'est  plus  le 
monde  même.  J'eléve  «  et  »  fatigue  i  mon  esprit  [à  concevoir] 
(les  notions  de)  "  sa  substance  incompréhensible.  En  concevant 
que  c'est  elle  qui  donne  '-  l'activité  et  la  vie  à  (''M'être  actif  et 
V  ivant)  qui  régit  les  corps  animés  quand  j'entends  dire  que 
mon  ame  est  spirituelle  et  que   Dieu   est   un   esprit   je    m'indigne 


'  (En  con  templant  ?).  [C'est  ainsi  que^. 
-  B.  ceux  de  ses  attributs. 
^  (com  PLÉTER  ?)  [augmenter]. 
■*  (dans). 
^  [bornée]. 
«  (C'est). 
'  B.  <  et  >. 

"  B.  (et  je  suis)  [me]  force. 
"  [terrestres]. 

'"  [ta  suprême  intelligence]. 

"  B.  son  essence  inconcevable.  Quand  je  pense  que  c'est  elle  qui.  — I.  son 
essence.  Quand  je  pense. 
'-  B.  la  vie  et  l'activité. 
'"  [la  substance  active  et  vivante].  —  B.  vivante  et  active. 


ÉDITION    ORIGINALE  221 


10.  L'idée  de  Dieu. 


C'est  ainsi  que,  contemplant  Dieu  dans  ses  œuvres,  &  l'étudiant 
par  ceux  de  ses  attributs  qu'il  m'importoit  de  connoitre,  je  suis  parvenu 
à  étendre  &  augmenter  par  dégrés  ^  l'idée,  d'abord  imparfaite  &  bornée, 
que  je  me  faisois  de  cet  Etre  immense  ^.   Mais  si  cette  idée  est  devenue 


et  l'un  des  étonnements  dont  je  ne  reviens  point  est  de  voir  le  bon  Fénelon  en 
parler  dans  son  Télémaque,  comme  s'il  y  croyait  tout  de  bon  ;  mais  j'espère  qu'il 
mentait  alors,  car  enfin,  quelque  véridique  qu'on  soit,  il  faut  bien  mentir  quelquefois, 
quand  on  est  évêque  ».  Dans  les  milieux  protestants,  et  surtout  philosophiques,  où 
Rousseau  avait  vécu,  le  dogme  de  l'éternité  des  peines  était  l'un  des  plus  discutés 
ou  attaqués.  Cf.  le  livre  du  pasteur  Liomin,  Préservatif  contre  les  opinions  erronées 
qui  se  répand-ent  au  sujet  des  peines  de  la  vie  à  venir,  Heidelberg,  1760.  in-12, 
analysé  dans  le  Journal  encyclopédi-que  du  i"  Avril  176  r  46],  19-24;  et,  en  particulier, 
pour  Genève,  l'article  de  D'.Alembert  et  la  Réclamation  des  Pasteurs  Genevois  [52], 
IV.  421,  427-428;  pour  Neuchàtel,  la  polémique  soulevée  par  le  pasteur  Petitpierre, 
Confessions,  IX,  38,  et  les  Lettres  d'un  magistrat  de  Neuchàtel  au  sujet  des 
disputes  de  religion  survenues  dans  cette  principauté,  publiées  dans  le  Journal 
encyclopédique  du  i"  Septembre  1761  '46],  131-140.  Cf.  encore,  outre  le  fragment  de 
Haller  cité  plus  haut,  et  le  texte  de  Morelly  cité  à  la  note  i  de  la  p.  91,  Marie  Huber, 
État  des  âmes  séparées  [i33],  283-288  :  «  L'idée  de  l'équité  parfaite  est  incomparable 
(sic)  avec  celle  de  la  vengeance,  et  d'une  vengeance  sans  bornes  sur  des  créatures 
bornées  »,  etc.  Le  texte  suivant  de  Toussaint,  Les  Mœurs,  II,  11,  i  [184],  143,  résume 
bien  sur  ce  point  les  idées  «  philosophiques  »  :  «  Dieu  sans  doute  châtie  en  père, 
et  ses  châtiments  ne  sont  vraisemblablement  que  des  moyens  de  nous  améliorer  : 
J'ose  le  dire  de  ceux  mêmes  d'après  cette  vie,  s'ils  ne  sont  point  éternels;  or  la  raison, 
loin  de  m'apprendre  qu'ils  le  soient,  m'insinue  tout  le  contraire.  Je  ne  crois  pas 
que,  semblable  à  un  mortel  vindicatif,  il  afflige  ses  créatures,  même  coupables, 
pour  le  plaisir  barbare  de  les  voir  souffrir.  S'il  les  punit,  c'est  pour  les  détourner 
du  vice,  par  l'expérience  des  maux  qu'il  entraine  à  sa  suite  ;  mais  j'ai  peine  à  con- 
cevoir qu'un  Dieu  juste  et  bon  puisse  punir  par  esprit  de  vengeance;  et  bien  moins 
encore  qu'il  se  venge  éternellement  ».  C'est  au  fond,  comme  on  l'a  vu,  la  conviction 
de  Rousseau.  S'il  l'atténue  au  début  et  à  la  fin,  c'est  peut-être  d'abord  par  un 
sentiment  de  convenance  à  l'égard  du  prêtre  catholique  qu'il  est  censé  faire  parler; 
c'est  aussi,  comme  j'ai  essavé  de  le  montrer  dans  une  des  notes  précédentes,  parce 
que   les   méchants   l'embarrassent  et  qu'il   ne   sait  «  qu'en   faire  ». 

^  Sur  cette  accentuation  de  dégrés,  cf.,  plus  haut,  p.  32  et  note   1. 

'  J'ai  essayé  d'expliquer  plus  haut,  p.  63,  note  i,  ce  retour  à  une  idée  qu'on 
pouvait  croire  épuisée.  Rousseau  attendait,  pour  la  reprendre,  d'avoir  considéré  Dieu 
non  plus  seulement  comme  organisateur  de  l'univers  («  contemplant  Dieu  dans  ses 
œuvres»!,  mais  comme  directeur  de  la  vie  humaine,  comme  le  Dieu  de  la  liberté 
et  des  sanctions  post-terrestres  («  l'étudiant  par  ceux  de  ses  attributs  qu'il  m'importait 
de  connaître  »). 


222  REDACTIONS    MANUSCRITES 

contre  >  cet  avilissement  de  -l'essence  divine  comme  si  Dieu  et 
mon  ^ame  étoient  ^  de  la  même  ^  nature.  Comme  si  Dieu  n'étoii 
pas  le  seul  être  "Nraiment  actif,  "sentant]  pensant  voulant  par 
lui-même  et  **  de  qui  seul  nous  tirons  la  pensée  le  sentiment, 
(l'activité)  la  volonté  '-'la  liberté  '"même.  Nous  ne  sommes  libres 
que  parce  qu'il  veut  que  nous  le  so\"ons,  ''et  sa  substance  inexpli- 
quable  est  '^pour  ainsi  dire]  à  nos  âmes,  ce  que  nos  âmes  sont  à 
nos]  corps.  S'il  a  créé  la  matière,  les  corps,  les  esprits,  le  monde 
je  n'en  sais  rien.  L'idée  de  création  me  confond  et  passe  ma 
portée.  Je  la  crois  autant  que  je  la  puis  concevoir,  mais  je  sais 
qu'il  a  ('''îait)  l'uniNers  et  tout  ce  qui  existe  qu'il  a  tout  fait  "et 
tout  ordonné.  '■'■  Est  (-il)  éternel.  (Ce  mot  me  passe.  Je  le  croirois) 
«  sans  doute  »  ("'  si)  mon  esprit  ('"  pouvoit)  embrasser  l'idée 
de  l'éternité.  ('*Mais)  ce  que  je  conçois  c'est  qu'il  est  avant  les 
choses,  ''et  qu'il  sera  tant  que  les  choses  --'existeront. 


'  cette  avilissement  Isic). 

-  B.  (la  substance)  [(l'essence)  la  nature].  — I.  (la  substance)  [l'essence]. 

^  B.  (ame)  [esprit]. 

*  B.  d'une. 

^  B.  (nature)  [substance]. 

"  B.  absolu,  le  seul  vraiment  actif. 

'  (vou  lant). 

*  B.   duquel    nous    (tirons)    [tenons]    (l'être)    [le   sentiment]    la   pensée  (le 
sentiment). 

"  [l'activité]. 

'"  B.  <  même  >  l'être  1 

"  (nôtre). 

'-  B.  <  pour  ainsi  dire  >. 

'•■'  [formé]. 

'*  B.  <  et  >. 

'^  [Dieu]. 

'"  [mais]. 

'■   [peut-il]. 

'*  B.  Pourquoi  (m'i  me  payer  de  mots  sans  idées  ?  Ce  que  je. 

'"  M.  (et). 

-"  B.  subsisteront.  — I.  (dureront)  [subsisteront]. 


EDITION    ORIGINALE  223 

plus  noble  iS;  plus  grande,  elle  est  aussi  moins  proportionnée  à  la  raison 

humaine.  A  mesure  que  j'approche  en  esprit  de  l'éternelle  lumière,  son 

éclat  m  éblouit,  me  trouble,  &   je  suis    forcé  d'abandonner  toutes  les 

notions  terrestres  qui  m'aidoient  à  l'imaginer.  Dieu   n'est  plus  corporel 

&  sensible;   la  suprême  intelligence  qui   régit  le  monde  n'est   plus  le 

monde  même  :   j'élève  et  fatigue  en  vain  mon  esprit  à  concevoir  son 

essence  *.   Quand   je  pense  que  c'est  elle  qui  donne  la  vie  &  l'activité 

à  la   substance    vivante  |  &   active   qui   régit   les   corps  animés;  quand  ;"93] 

j'entends    dire  '    que    mon    ame    est    spirituelle   &   que    Dieu    est    un 

esprit,  je  m'indigne  contre  cet  avilissement  de  l'essence  divine,  comme 

si  Dieu  &  mon  ame  étoient  de  même  nature  :  comme  si  Dieu   n'étoit 

pas  le  seul  être  absolu,  le  seul  vraiment  actif,  sentant,  pensant,  voulant 

par  lui-même,  &  duquel  nous  tenons  la  pensée,  le  sentiment,  l'activité, 

la   volonté,    la    liberté,    l'être.    Nous   ne   sommes   libres  que   parce  qu'il 

veut  que  nous  le  sovons,  &  sa  substance  inexpliquable  est  à  nos  âmes 

ce  que  nos  âmes  sont  à  nos  corps  ^.  S'il  a  créé  la   matière,   les  corps. 


*  Cette  impuissance  de  l'homme  à  concevoir  l'être  de  Dieu  a  été  exprimée 
bien  des  fois  par  les  théologiens  et  les  philosophes;  cf.,  par  exemple,  parmi  les 
auteurs   qu'avait   lus    Rousseau,    .Malebranche,    Entretiens    métaphysiques,    VIII,    17 

[96],   53  :   «  11   ne   faut  lui  attribuer  que  des  attributs   incompréhensibles Tous 

les  attributs  absolus  de  Dieu  sont  incompréhensibles  à  l'esprit  humain  »,  etc.  ;  Charron, 
De  la  Sagesse,  II,  v,  20  [77  A],  365  :  «  Après  que  nous  l'aurons  orné  de  tous  les 
noms  et  louanges  les  plus  magnifiques  et  excellents  que  notre  esprit  se  peut  imaginer, 
nous  reconnaissons  que  nous  ne  lui  avons  encore  rien  présenté  digne  de  lui  ;  mais 
que  la  faute  est  en  notre  impuissance  et  faiblesse,  qui  ne  peut  rien  concevoir  de 
plus  haut.  Dieu  est  le  dernier  effort  de  notre  imagination  vers  la  perfection,  chacun 
en  amplifiant  l'idée  suivant  sa  capacité,  et,  pour  mieux  dire,  Dieu  est  infiniment 
par-dessus  tous  nos  derniers  et  plus  hauts  efforts  et  imaginations  de  perfection  ». 

'  Rousseau  fait  peut-être  allusion  aux  définitions  des  catéchismes,  sur  les- 
quelles il  a  exercé  son  ironie  aux  IV  et  V  Livres  d'Emile,  II,  228,  349-352.  Peut-être 
aussi  la  réflexion  est-elle  plus  générale  et  lui  a-t-elle  été  suggérée  par  ce  passage 
de  Beausobrc,  qui  mettait  en  valeur  ce  qui  restait  de  matériel  dans  le  mot*  esprit  », 
Histoire  du  Manichéisme,  II,  m,  2  [142],  I,  484  :  «  Les  passages  de  l'Écriture  qui 
témoignent  que  Dieu  est  esprit,  bien  loin  de  prouver  que  l'essence  divine  est  abso- 
lument incorporelle,  feraient  preuve  du  contraire.  Cela  est  si  vrai  que  les  docteurs 
chrétiens,  qui  croyaient  Dieu  corporel,  alléguaient  en  faveur  de  leur  opinion  cette 
parole  du  Seigneur,  Dieu  est  esprit  (Jean,  iv,  241.  L'idée  que  nous  attachons  à  présent 
au  mot  d'esprit  n'est  pas  celle  que  ce  mot  représente  dans  la  langue  grecque,  ni 
celle  qu'en  avaient  les  auteurs  ecclésiastiques  qui  parlaient  cette  langue,  Pouve^-vous, 
disait  Grégoire  de  Nazianze,  concevoir  un  esprit  sans  concevoir  du  mouvement  et 
de  la  diffusion  »?  Des  remarques  analogues,  qui  aboutissent  à  des  conclusions  un  peu 
différentes,  sont  présentées  par  le  P.  Gerdil.  Immatérialité  de  l'âme,  VU,  3  et  VIII,  i 
[180],  177-17861  211-218. 

'  Il  y  a  dans  cette  formule  une  réminiscence  plus  ou  moins  consciente  du 
mot  de  S'  Paul,  Actes,  xvii,  28,  «  in   ipso  enim  vivimus,  et  movemur  et  suinus  »,  et 


224  REDACTIONS    MANUSCRITES 


1  Rien  ne  se  îait  de  rien  quelle  puissance  lui  auroit  donné 
l'être?  rien  ne  retourne  à  rien  comment  pourroit-il  finir?  sa  durée 
est  certair.ement  éternelle  par  raport  à  moi.  (-  Qu'ai-je  besoin  d'en 
chercher  «  davantage  ») .  f 


'  B.  (Rien   ne  se   fait  de  rien que  voudrois-je  savoir  de   plus?  Si  je  ne 

conçois  pas  comment  l'être  actif  (seroit)  [est]  par  lui-même,  je  conçois  (encore) 
[beaucoup]  moins  comment  il  seroit  sorti  du  néant  et  comment  il  pourroity  rentrer) 
[qu'il  seroit  même  au  delà  ■■>  si  tout  devoit  finir  un  jour.  Qu'un  être  que  je  ne 
conçois  pas  donne  ''  l'existence  '"  à  d'autres  Etres,  cela  n'est  qu'obscur  et  incom- 
préhensible. Mais  que  le  néant  et  l'être  se  convertissent  ''  l'un  dans  l'autre  c'est 
une  contradiction  palpable,  c'est  une  claire  absurdité].  —  I.  Rien  ne  se  fait  de 
rien...  et  comment  il  pourroit  y  rentrer  (Preiuier  texte  de  B  conservé). 

")  M.  (des  choses). 

1')  M.  et  Ole. 

c)  M.  aux  autres. 

^)  M.  [d'eux-mémesl  l'un  dans  l'autre. 

-  [Que  voudrois-je  savoir  de  plus  ?] 


t  Ici.  dans  le  manuscrit,  l'amorce  suivante  :  Dieu  est  intelligent 
mais  comment  l'est-il,  un  signe  de  renvoi,  puis  :  rétrogradez  3  teuillets  : 
Cf.,  en  effet,  plus  haut,  f"  i6o  >'",  oit  l'on  trouvera  la  première 
rédaction  du  passage  qui  prend  place  ici  dans  l'édition  originale. 


ÉDITION    ORIGINALE  225 

les  esprits,  le  monde,  je  n'en  sais  rien  '.  L'idée  de  création  me  confond 

&  passe  ma  portée,   je  la  crois  autant  que  je  la  puis  concevoir;    mais 

je  sais  qu'il  a   formé  l'univers  &  tout  ce  qui   existe,   qu'il   a   tout  fait, 

tout  ordonné.   Dieu  est  éternel,   sans  doute:   mais  mon  esprit  peut-  |  il         [94] 

embrasser  l'idée  de  l'éternité  ?  pourquoi  me  payer  de  mots  sans  idée  ? 

Ce  que  je  conçois,  c'est  qu'il  est  avant  les  choses,  qu'il  sera  tant  qu'elles 

subsisteront,  &  qu'il  seroit  même  au  delà,  si  tout  devoit  finir  un  jour. 

Qu'un   être   que   je   ne   conçois   pas    donne   l'existence  à   d'autres  êtres, 

cela   n'est  qu'obscur  &   incompréhensible;   mais  que   l'être  &   le   néant 

se  convertissent  d'eux-mêmes  l'un  dans  l'autre,  c'est  une  contradiction 

palpable,  c'est  une  claire  absurdité. 


surtout  des  théories  de  Malebranche,  qui,  d'ailleurs,  citait  volontiers  le  texte  de 
S"  Paul  ;  cf.,  par  exemple.  Entretiens  métaphysiques,  VII,  i5  [96],  48  :  «  Notre  âme 
n'est  point  unie  à  notre  corps  selon  les  idées  vulgaires.  Elle  n'est  unie  immédia- 
tement et  directement  qu'à   Dieu   seul Comme  nos  corps  vivent  sur  la  terre  et 

se  repaissent  des  fruits  divers  qu'elle  produit,  nos  esprits  se  nourrissent  des  mêmes 
vérités  que  renferme  la  substance  intelligible  et  immuable  du  \'erbe  divin»;  et 
/d.,  VI 11,  4,  p.  5i  :  «  Dieu  n'est  pas  renfermé  dans  son  ouvrage,  mais  son  ouvrage  est 
en  lui,  et  subsiste  dans  sa  substance,  qui  le  conser%e  par  son  efficace  toute-puissan  e. 
C'est  en  lui  que  nous  sommes,  c'est  en  lui  que  nous  avons  le  mouvement  et  la 
vie,   comme   dit   l'apôtre  ». 

•  Rousseau  reprend  en  quelques  mots  la  discussion  de  l'idée  de  «  création  », 
discussion  qu'il  avait  amorcée  précédemment  (cf.  p.  61  et  note  21,  et  qui  parait 
ici  moins  à  sa  place.  Dans  l'un  et  l'autre  passage,  il  reste  aussi  indécis  sur  ce 
point.  H  avait  été  plus  affirmatif  étant  jeune;  cf.  sa  Prière  aux  Charmettes  [36],  22b  : 
«  Quelque  magnificence  qui  règne  dans  la  construction  de  ce  vaste  univers,  je 
conçois  qu'il  n'a  fallu,  pour  le  sortir  du  néant,  qu'un  instant  de  votre  volonté  ». 
Mais,  pour  Rousseau,  ce  problème  de  la  création  n'était  pas  essentiel.  11  avait  pu 
lire  dans  un  de  ses  livres  familiers,  Clarke,  Existence  de  Dieu,  1,  4  [126],  1,  47-61, 
que  la  cause  du  théisme  était  indépendante  des  disputes  sur  l'origine  de  la  matière, 
et  qu'Aristote,  qui  était  «  un  grand  défenseur  de  l'éternité  du  monde  »,  n'en  tenait 
pas  moins  pour  l'existence  de  Dieu.  11  y  a  plus.  Quelques  philosophes  s'efforçaient 
même  de  montrer  que  l'idée  de  création  était  une  invention  récer.te  de  théologiens, 
et  que  le  récit  de  la  Genèse,  à  lui  seul,  signifiait  seulement  que  Dieu  avait  fait  et 
organisé  l'univers  :  cf.  Telliamed  182',  1,  p.  xLix  et  11,  60-61  ;  et  Beausobre,  Histoire 
du  Manichéisme,  11,  v,  5-6  et  vi,  1  [142],  11,  233,  247,  284  sqq.  Beausobre  résumait 
ainsi  lui-même  cette  partie  de  son  ouvrage  dans  sa  Préface,  1,  p.  xix  :  «  J'examine 
si  les  anciens  Juifs  ont  connu  la  création  de  la  matière.  J'allègue  les  raisons  de 
part  et  d'autre  sur  une  question  de  fait,  qui  me  parait  au  moins  fort  problématique. 
Je  vais  plus  loin,  et  après  avoir  montré,  premièrement,  que  l'unité  de  principe  est 
le  seul  sentiment  véritable;  secondement,  que  cette  vérité  étant  établie,  il  est  juste 
d'expliquer  en  conformité  ce  que  l'Écriture  dit  de  la  création,  —  après  ces  deux 
observations,  dis-je,  —  j'examine  si  les  passages  de  l'Écriture,  que  l'on  allègue 
pour  montrer  que  Dieu  a  fait  toutes  choses  de  rien,  ont  une  telle  évidence  qu'ils 
puissent  forcer  à  l'acquiescement  un  homme  prévenu  de  l'erreur  contraire.  Je  rapporte 
les  réponses  qu'un   tel   homme  pourrait   faire  à  ces   passages.  Je  montre  qu'il  n'est 


226  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


[Le  développement  sur  les  attributs  de  Dieu,  qui  prend 
place  ici  dans  les  autres  Manuscrits  et  dans  l'édition 
originale,  se  trouve  plus  haut  dans  F,  f  i6o  v°-r'J. 


ÉDITION    ORIGINALE  22/ 

Dieu  est  intellii;ent  '  :  mais  comment  l'est-il  ?  L'homme  est  intel- 
ligent quand  il  raisonne,  &  la  suprême  intelligence  n'a  pas  besoin  de 
raisonner;  il  n'v  a  pour  elle  ni  prémisses,  ni  conséquences,  il  n'v  a  pas  ■ 
même  de  proposition;  elle  est  purement  intuitive',  elle  voit  également 
tout  ce  qui  est,  &  tout  ce  qui  peut  être;  toutes  les  vérités  ne  sont  pour 
elle  qu'une  seule  idée,  comme  tous  les  lieux  un  seul  point,  &  tous  rggi 
les  tems  un  seul  moment.  La  puissance  humaine  agit  par  des  movens, 
la  puissance  Divine  agit  par  elle-même  :  Dieu  peut,  parce  qu'il  veut, 
sa  volonté  fait  son  pouvoir.  Dieu  est  bon  i,  rien  n'est  plus  manifeste  : 


pas  sur  que  tous  les  anciens  Pères  aient  été  unanimes  sur  la  création  de  la  ma  ière  ». 
On  se  souvient  que  Rousseau  a  lui-même  allégué  l'autorité  de  Beausobre  dans  sa 
Lettre  à  .U.  de  Beaumont,  111,  80.  Leclerc  pouvait,  d'ailleurs,  lui  rappeler,  Senti- 
ments de  quelques  théologiens,  Xlll  [94],  290-292,  que  Richard  Simon  avait  déj.'i 
fait  la  même  remarque  à  propos  du  mot  Bara,  au  début  de  la  Genèse.  Rousseau 
s'intéressait  à  ce  problème  d'exégèse,  puisque,  quelques  années  plus  tard,  nous  le 
voyons  copier  dans  un  de  ses  cahiers  '5\  40",  des  extraits  du  P.  Simon  et  du  Timée 
de  Locres  du  marquis  d'Argens  (17631,  qui  sont  précisément  relatifs  au  véritable 
sens  du  mot  créer  dans  le  texte  biblique.  Deux  ans  avant  YÈmile,  l'abbé  de  Lignac 
écrivait  encore.  Sens  intime,  II,  9  [23  ij.  H,  232  :  «  Combien  de  personnes  éclairées 
et  religieuses  prétendent  que  la  création  est  également  inintelligible  et  incompréhen- 
sible, et  que  naturellement  nous  n'en  avons  aucune  idée,  mais  que  la  foi  seule  nous 
éclaire  sur  ce  point  capital!  Je  rencontrai  dans  mon  voyage  d'Italie  un  homme  de 
condition,  respectant  la  Religion  et  très  connu  par  son  érudition,  qui  pensait  ainsi  ». 
Tous  ces  textes  expliquent  l'attitude  indifférente  de  Rousseau  à  l'égard  de  l'idée  de 
création   proprement  dite. 

'  Ce  développement  sur  les  attributs  de  Dieu,  qui  avait  d'abord  été  placé 
par  Rousseau  avant  la  discussion  sur  la  liberté  et  la  Providence,  a  été  reporté 
ici  dans  toutes  les  Rédactions  postérieures  à  F.  Cf.  p.  53,  note  i,  les  raisons  qui 
ont  dû  décider  Rousseau  à  ce  changement.  —  Da^.s  son  livre  De  ta  Sature,  qui 
a  paru  quelques  mois  avant  Emile,  Robinet  [235],  i5-i6,  exposait  des  idées  tout-à-fait 
semblables  :  «  Nous  sommes  accoutumés  à  dire  :  Dieu  bon,  Dieu  juste,  Dieu  sage. 
Dieu  intelligent.  On  nous  a  encore  appris  que  Dieu  aime,  qu'il  hait,  qu'il  punit, 
qu'il  récompense.  Mais  assurément,  ou  ces  façons  de  parler  sont  vides  de  sens 
dans  notre  bouche,  ou  elles  expriment  mal  les  attributs  de  la  Divinité.  Si  l'on 
entend  par  bonté,  sagesse,  justice  et  intelligence  divines,  des  qualités  semblables, 
à  l'intention  près,  à  celles  qui  se  rencontrent  dans  les  hommes,  on  tombe  dans  un 
anthropomorphisme  subtil  qui  n'en  est  que  plus  dangereux.  Des  traits  si  peu  relevés 
défigurent  la  .Majesté  suprême,  au  lieu  de  la  peindre  ».  Rousseau  va  passer  en 
revue,  lui  aussi,  ces  attributs  classiques  de  Dieu,  pour  en  repousser  le  sens  vulgaire. 
Il  prend  la  liste  traditionnelle,  telle  qu'on  la  trouve,  par  exemple,  dans  Abbadie, 
Religion  chrétienne,  I,  11,  3  [92],  I,  117:  «Que  la  sagesse,  la  justice  et  la  bonté 
entrent  nécessairement   dans   l'idée   de   Dieu  ». 

-  Je  ne  sais  si  c'est  le  premier  emploi  du  mot  dans  la  langue  purement  philo- 
sophique. Du  moins,  en  178S,  Féraud  écrivait  encore,  Dictionnaire  critique  [25o\ 
11,  4J4  :  «  Intuitif,  Intuition,  termes  de  théologie,  qui  ne  se  disent  qpe  de  la 
vision    béatitîque  ». 

'  Cf.    .Malebranclie.    Entretiens    métaph\-siques,    Vlll,    i3    et     i5    [96],    56-57    : 


228  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION    ORIGINALE  22Q 

mais  la  bonté  dans  l'homme  est  l'amour  de  ses  semblables,  &  la  bonté 
de  Dieu  est  l'amour  de  Tordre;  car  c'est  par  l'ordre  qu'il  maintient  ce 
qui  existe,  &  lie  chaque  partie  avec  le  tout.  Dieu  est  juste;  j'en  suis 
convaincu,  c'est  une  suite  de  sa  bonté;  l'injustice  des  hommes  est  leur 
œuvre  &  non  pas  la  sienne  :  le  désordre  moral  qui  dépose  contre  la 
Providence  aux  yeux  des  Philosophes  ne  fait  que  la  démontrer  aux 
miens.  Mais  la  justice  de  l'homme  est  de  rendre  à  chacun  ce  qui  lui 
appartient,  &  la  justice  de  Dieu  de  demander  compte  à  chacun  de  ce 
qu'il  lui  a  donné. 

Que  si  2  je  viens  à  découvrir  successi-  |  vement  ces  attributs  dont  [gg] 
je  n'ai  nulle  idée  absolue,  c'est  par  des  conséquences  forcées,  c'est  par 
le  bon  usage  de  ma  raison  i  :  mais  je  les  affirme  sans  les  comprendre, 
&  dans  le  fond,  c'est  n'affirmer  rien.  J'ai  beau  me  dire,  Dieu  est  ainsi; 
je  le  sens,  je  me  le  prouve;  je  n'en  conçois  pas  mieux  comment  Dieu 
peut  être  ainsi. 

Enfin  plus  je  m'efîorce  de  contempler  son  essence  infinie,  moins 
je  la  conçois;  mais  elle  est,  cela  me  suffit;  moins  je  la  conçois,  plus 
je  l'adore.  Je  m'humilie,  &  lui  dis  :  Etre  des  êtres,  je  suis,  parce  que 
tu  es  ;  c'est  m'élever  à  ma  source  que  de  te  méditer  sans  cesse.  Le 
plus  digne  usage  de  ma  raison  est  de  s'anéantir  devant  toi  :  c'est 
mon  ravissement  d'esprit,  c'est  le  charme  de  ma  foiblesse  de  me  sentir 
accablé  de  ta  grandeur  2. 


«  Dieu  n'est  ni  bon,  ni  miséricordieu.x...  selon  les  idées  vulgaires...  11  aime  invin- 
ciblement l'ordre  immuable  ».  Pour  l'ensemble  du  paragraphe,  cf.  encore  Montaigne, 
Essais,  11,  12  [76],  11,  222  :  «  Nous  disons  que  Dieu  craint,  que  Dieu  se  courrouce, 
que  Dieu  aime...  ;  ce  sont  toutes  agitations  et  émotions  qui  ne  peuvent  loger  en 
Dieu   selon   notre   forme  ». 

-  Rousseau  affectionne  cette  formule  de  transition  :  cf.,  pour  YÉmile  seulement, 
II,  172,  264,  323,  36i,  432,  etc.;  et  plus  lom,  dans  la  Profession,  p.  122,  et  f"  174  '"  de  F. 

'  C'est,  en  effet,  la  méttiode  classique  pour  la  découverte  des  attributs  de 
Dieu:  cf,  .^ddison.  Discours  sur  l'idée  qu'on  doit  avoir  de  Dieu  [117],  V,  32i  : 
«  Comme  nous  n'avons  peint  d'idée  de  ces  perfections,  à  moins  qu'elles  ne  se 
découvrent  dans  nos  âmes,  nous  joignons  à  chacune  le  titre  d'infini,  et  ce  qui 
est  une  faculté  dans  l'esprit  de  l'homme  devient  un  attribut  de  la  Divinité  ».  Cf. 
encore  Spectateur  [117],  IV,  416-417. 

-  Sur  cet  acte  d'humilité  intellectuelle,  qui  contraste  avec  certaines  fiertés 
rationalistes  qu'on  remarquera  plus  loin,  cf.  la  note  2  de  la  page  gt.  Pour  l'accent, 
comparez  avec  la  3"  Lettre  à  M.  de  Malesherbes,  X,  3o6  :  «  J'élevais  mes  idées...  à 
l'être  incompréhensible  qui  embrasse  tout.  Alors,  l'esprit  perdu  dans  cette  immen- 
sité, je  ne  pensais  pas,  je  ne  raisonnais  pas,  je  ne  philosophais  pas,  je  me  sentais, 
avec  une  sorte  de  volupté,  accablé  du  poids  de  cet  univers,  je  me  livrais  avec 
ravissement   à   la   confusion   de   ces  grandes   idées,...   j'aurais   voulu   m'élancer  dans 


230  REDACTIONS    MANUSCRITES 


11.  Le  passage  de  la  métaphysique  à  la  morale  : 
la  conscience. 


«  ^  Apres  »  (2 toutes,  ces  vérités  déduites)  de  l'impression  des 
objets  sensibles  et  du  sentiment  intérieur  ^  qui  me  [porte;  à 
juger  selon  mes  lumières  naturelles  ('en  déterminant  ma  croyance 
sur  [toutj  ce  qu'il  m'importoit  de  connoitre)  'il  me  reste  à] 
«  ^voir  »  quelles  maximes  j'en  dois  tirer  pour  ma  conduite,  et 
quelles  régies  je  dois  me  prescrire  pour  ''remplir  ma  "destinée 
^  SUR  la  terre  selon  l'intention  de  celui  qui  m'\-  a  placé.  En 
suivant  toujours  ma  -'même  méthode  je  ne  ('"déduis)  point  ces 
régies  des  principes  d'une  haute  philosophie  mais  je  les  trouve 
au  fond  de  mon  cœur  écrites  par  la  nature  en  "  caractére[s] 
inefacable  s.  Je  n'ai  qu'à  me  consulter  sur  ce  que  je  veux  faire, 
tout  ce  que  je  sens  être  bien  est  bien,  tout  ce  que  je  sens  être  mal 
est  mal.  Le  meilleur  de  tous  les  casuistes  e^t  la  conscience,  et 
ce  n'est  que  quand  on  marchande  avec  elle  qu'on  ('-  est  contraint 
fo  154  ro  ^e  recourir)  aux  subtilités  ''  de  la  dialectique.  ||  Le  premier  de 
tous  les  soins  est  celui  de  soi-même.   Cependant  combien  de  fois 


'  (En  déterminant  ainsi  ma  crovance  sur  ce  qu'il  m'importe  de  connoitre). 

-  [avoir  ainsi  déduit  (les)].  —  B.  ainsi  (déduit)  de  l'impression. 

■'  B.  (qui  me  porte  à  juger  des  causes  selon  mes  lumières  naturelles)  déduit 
les  [principales]  vérités  qu'il  m'importoit.  —  M.  (qui  me  porte)  déduit  les 
principales  vérités. 

^   [toutes  les  vérités  qu'il  m'importoit  de  connoitre]. 

'■•  [(chercher)]. — B.  chercher. 

"  (répondre). 

'  B.  destination. 

"  destinée  la  terre  (sic). 

"  B.  <  même  >. 

'"  [tire]. 

"  caractére[s]  inefacable  (sic). 

'-  [a  recours]. 

'^  B.  (de  la  dialectique)  [du  raisonement].  — I.  de  la  dialectique. 


EDITION    ORIGINALE  23I 


11.  Le  passage  de  la  métaphysique  à  la  morale 
la  conscience. 


Après  avoir  ainsi  de  rimpression  des  objets  sensibles,  &  du  sen- 
timent inte-  1  rieur  qui  me  porte  à  juger  des  causes  selon  mes  lumières  [97] 
naturelles,  déduit  les  principales  vérités  qu'il  m'importoit  de  connoître; 
il  me  reste  à  chercher  quelles  maximes  j'en  dois  tirer  pour  ma  conduite, 
&  quelles  régies  je  dois  me  prescrire  pour  remplir  ma  destination  sur 
la  terre,  selon  l'intention  de  celui  qui  m'v  a  placé  i.  En  suivant  toujours 
ma  méthode  -,  je  ne  tire  point  ces  régies  des  principes  d'une  haute 
philosophie,  mais  je  les  trouve  au  fond  de  mon  cœur  écrites  par  la 
Nature  en  caractères  ineffaçables^.  Je  n'ai  qu'à  me  consulter  sur  ce 
que  je  veux  faire  :  tout  ce  que  je  sens  être  bien  est  bien,  tout  ce  que 
je  sens  être  mal  est  mal  :  le  meilleur  de  tous  les  Casuistes  est  la  cons- 


l'infini  :...  étourdissante  extase,  à  laquelle  mon  esprit  se  livrait  sans  retenue,  et  qui, 
dans  l'agitation  de  mes  transports,  me  faisait  écrier  quelquefois  :  O  grand  Etre  !  ô 
grand   Être!   ô  grand   Être!   sans   pouvoir  dire   ni  penser  rien  de  plus  ». 

'  Cette  transition  souligne  une  fois  de  plus  le  caractère  pratique  de  cette 
philosophie.  Toutes  les  discussions  métaphysiques  qui  précèdent  n'ont  été  instituées 
que  pour  amener  le  Vicaire  à  la  morale.  Cependant  on  pourrait  être  surpris,  qu'après 
avoir  annoncé  qu'il  allait  «tirer»  de  ces  principes  fondamentaux  les  maximes  de 
sa  conduite,  Rousseau  fit  bon  marché  de  tous  les  «  principes  »,  et  cherchât  directe- 
ment sa  morale  «  au  fond  de  son  cœur  »,  où  il  la  trouve  «  écrite  par  la  Nature 
en  caractères  ineffaçables  ».  La  seule  conclusion  logique  de  l'exposé  antérieur  eût 
été,  semble-t-il,  de  se  rallier  à  une  morale,  dont  les  différentes  prescriptions  eussent 
traduit  la  volonté  divine.  Si  la  conscience  se  suffit  à  elle  seule,  toute  la  préface 
métaphysique  peut  paraître  inutile;  en  tous  cas,  ce  n'est  pas  d'elle  que  la  morale 
sera  «  tirée  ».  .Mais  la  contradiction  n'est  qu'apparente  :  la  morale  garde  son  fonde- 
ment divin,  car  c'est  Dieu  qui  est  la  garantie  de  la  conscience,  qui  en  confirme  les 
sentiments  instinctifs,  qui  l'empêche,  aux  heures  de  doute,  de  reprendre  la  plainte 
de  Brutus  et  de  désespérer  d'elle-même.  Cf.,  plus  loin,  p.  ii8  et  note  2. 

-  Celle  qu'il  a  exposée  au  début  de  la  1"  Partie  :  cf.  p.  34  et  note  1. 

'  Cf.  Turrettin,  Pensées  sur  la  Religion,  Vlll  et  IX  [161],  3o8-3og  :  «  Il  y  a 
des  principes  de   pratique  ou  de   morale,   dont  tout  homme,  qui  est  dans  son  bon 

sens,  doit  sentir  l'évidence Ces   sortes   de   principes  ne  dépendent  pas  de  nous. 

Ils  subsistent  invariablement,  lors  même  que  nous  aurions  quelque  intérêt  à  les 
changer.  C'est  donc  l'Auteur  de  la  Nature  qui  tes  a  imprimés  dans  notre  âme. 
Ce  sont  autant  de  lois,  qui  nous  marquent  assez  clairement  la  volonté  de  Dieu. 
C'est  cette  loi  naturelle,  gravée  dans  le  cœur  de  tous  les  hommes,  dont  parle  S'  Paul 
au    ir  Chapitre   des   Romains,  v.   14  et    i5  ». 


232  REDACTIONS    MANUSCRITES 

('le  sentiment)  intérieur  nous  dit  qu'en  faisant  nôtre  bien  aux 
dépends  d'autrui  nous  faisons  mal.  Nous  cro\ons  suivre  l'im- 
pulsion de  la  nature  et  nous  lui  résistons.  En  écoutant  ce  qu'elle 
dit  a  nos  sens  nous  (-négligeons)  ce  qu'elle  dit  à  nos  cœurs. 
^  L'être  actif  obéit,  l'être  passif  commande,  j  La  conscience  est 
la  \oix  de  l'ame,  les  passions  sont  la  voix  du  corps.  Est-il 
étonant  que  «  souvent  »  ces  deux  langages  se  contredisent  ■* 
et  alors  lequel  faut  il  écouter.  Trop  souvent  la  raison  nous 
trompe  nous  n'avons  que  trop  acquis  le  droit  de  la  récuser, 
mais  la  conscience  ne  (nous)  trompe  jamais  elle  est  le  vrai  guide 
de  l'homme  elle  est  à  l'ame  ce  que   l'instinct  est  au   corps  *  f, 

H,  f°  236  ^°         *  â  J'appelle  instinct  ''  la  force  inconnue  gui  produit  ['  tous  lesi]  mouve- 
mens  [spontanés]  i  *  des  animaux  «  qui  ont  une  fin  »  relative  à  eux  i. 


'  [la  voix]  interieur[e]. 

-  [méprisons]. 

^  (et  il  niot  illisible). 

*  (et  l'être  actif). 

'■'  I.  La  philosophie  moderne selon  l'un  de  nos  plus  (]udicieu.x)  [sages] 

philosophes on  doit  conclure  que  les  «  enfans  »  [(bêtes)]  réfléchissent  (beau- 
coup) «  plus  que  les  hommes  »;  [(et  les  enfans  plus  que  les  grandes  personnes)] 
paradoxe  assez  étrange...  lui  [ait]  appris...  ei  je  [ne]  parlerai  plus  d'instinct. 

'^  [dans  les  animau.x]. 

'  (toutes)  [en  eux  des]. 

'  [dont  (nous  découvrons)  [on  voit]  la  fin  sans  en  (appercevoir)  [pouvoir 
trouver]  le  principe]. 


t  Ici.  dans  le  manuscrit,  un  espace  de  quelques  lignes  laissé  en  blanc. 

t  L'astérisque  et  la  note  qu'il  amorce  manquent  dans  F,  B  et  M.  Ils 
se  trouvent  bien  dans  I,'  mais  la  rédaction  en  est  si  correcte  et  si  voisine 
de  l'édition  originale,  qu'on  était  en  droit  de  supposer  un  texte  antérieur. 
Il  existe,  en  effet,  à  la  fin  d'un  manuscrit  de  la  Nouvelle  Hélo'ise, 
mais,  perdu  dans  le  brouillon  du  grand  développement  qui  termine  le 
IV'  Livre  d'Em'ûe  :  Si  j'étais  riche,  etc.  Rousseau  a  utilisé  le  verso 
blanc  des  dernières  pages  pour  écrire  ces  fragments  destinés  à  prendre 
place  dans  son  prochain  ouvrage.  —  En  tête  du  petit  morceau  que 
je  publie  ici.  et  qui  est  devenu  une  note  de  la  Profession,  //  a 
consigné  quelques  idées  isolées,  qui  s'y  rattachent  visiblement  :  Savoir 
le    sentiment    externe    ou    physique    qui    n'agit    «  qu'a    travers    nos  » 


EDITIOX    ORIGINALE  233 

cicnce,  «S:  ce  n'est  que  quand  on  marchande  avec  elle,  qu'on  a  recours 
aux  subtilités  du  raisonnement.  Le  premier  de  tous  les  soins  est  celui 
de  soi-même;   cependant  com-jbien  de  fois  la  voix  intérieure  nous  dit  98] 

qu'en  faisant  notre  bien  aux  dépens  d'autrui,  nous  faisons  mal!  Nous 
croyons  suivre  l'impulsion  de  la  Nature,  &  nous  lui  résistons  :  en 
écoutant  ce  qu'elle  dit  à  nos  sens,  nous  méprisons  ce  qu'elle  dit 
à  nos  cœurs  ;  l'être  actif  obéit,  l'être  passif  commande  '.  La  cons- 
cience est  la  voix  de  lame,  les  passions  sont  la  voix  du  corps  -. 
Est-il  étonnant  que  souvent  ces  deux  langages  se  contredisent,  <&  alors 
lequel  faut-il  écouter  ?  Trop  souvent  la  raison  nous  trompe,  nous 
n'avons  que  trop  acquis  le  droit  de  la  récuser:  mais  la  conscience  ne 
trompe  jamais,  elle  est  le  vrai  i;uide  de  1  homme  :  elle  est  à  lame 
ce    que   l'instinct  est  au   corps  *  ;  |  qui    le    suit,    obéit   à    la    Nature,         [99] 

*  La  Philosophie  moderne  qui  n'admet  que  ce  qu'elle  explique,  n'a  garde 
d'admettre  cette  obscure  faculté  appellée  instinct,  qui  paroît  guider,  sans  aucune 
connoissance  acquise,  les  animaux  vers  quelque  fin.  L'instinct,  selon  l'un  de 
nos  plus  sages  philosophes  ',  n'est  qu'une  habitude  privée  de  réflexion,  mais 
acquise  en    réfléchissant;   &.   de   la   manière  dont  il   explique  ce   |   progrès,   on  [99] 

doit  conclure  que  les  enfans  réfléchissent  plus  que  les  hommes;  paradoxe  assez 
étrange  pour  valoir  la  peine  d'être  examiné.  Sans  entrer  ici  dans  cette  discussion, 
je  demande  quel  nom  je  dois  donner  à  l'ardeur  avec  laquelle  mon  chien  '  fait 


'  Encore   une  reprise,  et  à  peine  variée;  cf.,  plus  haut,  p.  69  :  «  Non,  l'homme 

n'est  point  un Je  suis  actif  quand  j'écoute  la  raison,  passif  quand  mes  passions 

m'entraînent Si   se   préférer   à   tout   est   un   penchant   naturel   à    l'homme,   et    si 

pourtant  le  premier  sentiment  de  la  justice  est  inné  dans  le  cœur  humain,  que 
celui   qui   fait  de  l'homme   un  être  simple  lève  ces  contradictions  ». 

'  Cf.,   plus  haut,   p.  74   et  note   2  :   «  Le   sentiment  de  ma  liberté  ne   s'eftace 

en   moi  que  quand j'empêche la   voix  de  l'âme  de  s'élever  contre  la  loi  du 

corps  ». 

'  C'est  Condillac  :  cf.  Traité  des  animaux.  II,  5  ^214],  553-555  :  «  Il  v  a  en 
quelque  sorte  deux  moi  dans  chaque  homme  :  le  moi  d'habitude  et  le  moi  de 
réflexion.  C'est  le  premier  qui  touche,  qui  voit;  c'est  lui  qui  dirige  toutes  les 
facultés  animales...;  le  second,  lui  abandonnant  tous  ces  détails,  se  porte  à  d'autres 
objets...,  la  curiosité  le  meut  sans  cesse:  l'industrie  fait  son  caractère...  Le  moi 
d'habitude  suffit  donc  aux  besoins  qui  sont  absolument  nécessaires  à  la  conservation 
de  l'animal.  Or  l'instinct  n'est  que  cette  habitude  privée  de  réflexion.  A  la  vérité, 
c'est  en  réfléchissant  que  les  bêtes  l'acquièrent  ;  mais,  comme  elles  ont  peu  de 
besoins,  le  temps  arrive  bientôt  où  elles  ont  fait  tout  ce  que  la  réflexion  a  pu 
leur  apprendre   ». 

'  C'est  sans  doute  celui  dont  il  parle  dans  les  Confessions,  L\,  9,  qu'on  lui 
avait  donné  «  presque  à  son  arrivée  à  l'Ermitage  »,  qu'il  avait  d'abord  appelé  Duc, 
puis    qu'il    avait    rebaptisé    Turc,    «    par   une    pusillanimité    fort    sotte   »,    quand    il 


234  REDACTIONS   MANUSCRITES 

qui   la  suit    obéit  à  la  nature  etj   ne  [^  craint  point  de  s'jegarer. 

j  (A  la  première  action  bonne  ou  mauvaise  au  premier  sentiment 

du  bien  ou  du  mal  s'eléve  le  cri  de  la  conscience.  Elle  n'est  point 

f°  235  '°  [Nos  (-'  philosophes  nous  apprennent  à)  tout  (expliquer).  Quand  en  viendra- 

t-il  de  moins  dogmatiques  qui  i  '  nous  apprennent  à  ignorer  quelque  chose. 
[^  J'ignore  et  j 'admire  !  '  autant  que  personne  les  beaux  génies  de  notre  siècle  *]. 
Je  ne  sais  par  quelle  i7  fantaisie  i  la  philosophie  de  leiu*  école  est  devenue  la  plus 


'  (pourroit?  point  d')  égarer. 

^  [prétendus  sceptiques  [savent  tout]  expliquent]. 

'  [sachent]. 

■*  (Je  ne  peux  pas  m'empecher  de  croire  que  la  plus  sote  et  la  plus  presomp- 
teuse  de  toutes  les  philosophies  est  celle  de  notre  siècle.  [11  y  a  dans  ce  siècle  de 
1res  beau.x  génies  qui  lui  font  honneur]). 

^  [très  sincèrement]. 

*=  [(mais)]. 

'  [fatalité]. 


sensations  et  le  sentiment  interne  ou  moral  (que  nous  ne  connoissons) 
[qui  ne  nous  est  connu]  que  par  la  conscience  que  nous  avons  du 
notre  ;  puis  :  [Pour  moi  j'axoue  que]  de  toutes  les  sortes  d'orgueil 
l'orgueil  philosophique  qui  prétend  tout  expliquer  me  paroit  le  plus 
bête;  enfin  cette  réflexion,  relative  à  la  définition  de  Condillac.  qu'il 
ne  cite  pas  encore,  mais  à  laquelle  il  songe  déjà  :  D'où  il  suit  qu'il 
n'v  a  que  les  enfans  qui  refiechissent  et  que  des  que  les  hommes 
raisonnent  ils  ne  réfléchissent  plus. 

t  Ici.  en  marge,  d'une  autre  encre  et  d'une  autre  plume,  senible-t-il, 
l'indication  suivante  :  N  B  S'il  est  vrai  que  le  bien  soit  bien.  Lettre  5^ 
à  Sophie;  et.  au-dessus,  la  formule  de  transition  dont  il  se  servira 
pour  introduire  le  morceau  qu'il  veut  utiliser  :  Ce  point  est  important. 
Souffrez  que  (j'étende  un  peu  plus  mes)  [je  m'arrête  un  peu  plus  à 
l'examiner].  La  formule  sera  reprise  et  légèrement  modifiée  au  début 
du  f"  164''".  —  Les  deux  paragraphes  qui  suivent  sont  barrés  comme 
toutes  les  pages  de  la  Profession  dans  F;  mais  partout  ailleurs  c'est  une 
façon  pour  Rousseau  de  se  rappeler  à  lui-même  que  le  morceau  a  été 
repris  et  utilisé  dans  la  copie  suivante,  c'est-à-dire  dans  B,  Ici.  au 
contraire,  il  a  voulu,  en  barrant,  supprimer  tout  ce  passage.  .Aussi  a-t-il 
dressé  une  accolade  devant  les  deux  paragraphes  et  écrit  en  marge  : 
non  pris  mais  effacé  :  Cf.f"  161  »"'. 


EDITION'    ORIGINALE  235 

<S;  ne  |  craint  point  de  s'égarer.  Ce  point  est  miportant,  poursuivit  mon        [100] 

la  guerre  aux  taupes  qu'il  ne  mange  point,  à  la  patience  avec  laquelle  il  les  guette 
quelquefois  des  heures  entières,  &  à  l'habileté  avec  laquelle  il  les  saisit,  les  jette 
hors  terre  au  moment  qu'elles  poussent  -,  &  les  tue  ensuite  pour  les  laisser-là, 
sans  que  jamais  personne  l'ait  dressé  à  cette  chasse,  &  lui  ait  appris  qu'il  y 
avoit-là  des  taupes?  je  demande  encore,  &  ceci  est  plus  important,  pourquoi  la 
première  fois  que  j'ai  menacé  ce  même  chien,  il  s'est  jette  le  dos  contre  terre,  les 
pattes  repliées,  dans  une  attitude  suppliante,  &  la  plus  propre  à  me  toucher; 
posture  dans  laquelle  il  se  fût  bien  gardé  de  rester,  si,  sans  me  laisser  fléchir,  je 
l'eusse  battu  dans  cet  état  ?  Quoi  !  mon  chien  tout  petit  encore,  &  ne  faisant 
presque  que  de  naitre  ^,  avolt-il  acquis  déjà  des  idées  morales,  savoit-il  ce  que 
c'étoit  que  clémence  &  générosité?  sur  quelles  lumières  acquises  esperoit-il 
m'appaiser  en  s'abandonnant  ainsi  à  ma  discrétion  ?  Tous  les  chiens  du 
monde  font  à-peu-près  la  même  chose  dans  le  même  cas,  &  je  ne  dis  rien 
ici  que  chacun  ne  puisse  vérifier.  Que  les  Philosophes,  qui  rejettent  si  dédai- 
gneusement l'instinct,  veuillent  bien  expliquer  ce  fait  par  le  seul  jeu  des 
sensations  &  des  connoissances  qu'elles  nous  font  acquérir  :  qu'ils  l'expliquent 
d'une  manière  satisfaisante  pour  tout  homme  sensé  :  alors  je  n'aurai  plus  rien 
à  dire,  &  je  ne  parlerai  plus  d'instinct  ■•. 


connut  les  Luxembourg,  et  qu'il  craignit  la  susceptibilité  ducale  :  «  Ce  chien,  non 
beau,  mais  rare  en  son  espèce,  duquel  j'avais  fait  mon  compagnon,  mon  ami, 
et  qui  certainement  méritait  mieux  ce  titre  que  la  plupart  de  ceux  qui  l'ont  pris, 
était  devenu  célèbre  au  château  de  Montmorency  par  son  naturel  aimant,  sensible 
et  par  l'attachement  que  nous  avions  l'un  pour  l'autre  ».  Turc  était  mort  pendant 
l'impression  de  l'Emile  :  «  Les  pertes  de  cette  espèce  ne  se  remplacent  point  », 
écrit  Rousseau  à  M"'  de  Lu.xembourg,  le  19  Février  1762,  X,  314.  Cette  partie  de 
la  note  peut  donc  être  considérée  comme  une  page  de  souvenirs  personnels  sur 
l'Ermitage  et   .Montmorency. 

'  C'est-à-dire,  quand  elles  s'approchent  de  l'air  libre,  en  soulevant  la  terre 
qui  les  recouvre.  Cet  emploi  du  verbe  pousser,  dans  ce  sens,  est  très  rare,  et 
parait  emprunté  à  la  langue  rurale.  Je  trouve  dans  un  texte  de  Daubenton  sur 
les  taupes,  texte  contemporain  de  celui-ci  {1760),  quelques  formules  précises,  qui 
font  voir  la  genèse  de  l'expression;  cf  Histoire  naturelle  [186],  VIU,  83-85  :  «  Elles 
commencent  par  pousser,  par  élever  la  terre...  La  taupe  dort  si  peu  pendant  tout 
l'hiver,  qu'elle  pousse  la  terre  comme  en  été,  et  que  les  gens  de  la  campagne  disent, 
comme  par  proverbe  :  les  taupes  poussent,  le  dégel  n'est  pas  loin  ». 

'  Confessions,  IX,  9  :  «  J'avais  un  chien  qu'on  m'avait  donné  tout  jeune  ». 

*  Sur  l'instinct  considéré  comme  une  manifestation  «  mystérieuse  »  de  la 
Providence,  comme  une  «  obscure  faculté  »  qui  «  s'élève  d'un  côté  au-dessus  de 
la  raison  et  qui  de  l'autre  en  est  infiniment  éloignée  »,  Rousseau  trouvait  deux 
dissertations  (Discours  XXI  et  XXllI  dans  \e  Spectateur  [mj],  ]],  iiS-i32. 


236  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

'l'ouvrage  des  préjugés  (comme  le  disent  les  philosophes),  elle  leur 
est  antérieure.  Mais  souvent  ils  s'élèvent  contre  elle   (-'  éto  uFFiiNT) 


sote  et  la  plus  -^  pin's  omptueuse  (de  toutes  celles)  çiui  1*  ont)  encore  existé], 
[iJe  demande  qu'on  m'explique  intelligiblement  cette  seule  action  1.  Mon 
chien  a  une  addresse  extrême  a  prendre  les  taupes,  il  aime  cette  chasse  a  la 
passion  :  [prien  n'égale?)  sa  patience  à  ("laisser  pousser  lai  taupe  quelque- 
fois diuant  plusieurs  heures].  Cependant  [on  ne  l'y  a  point  dressé  [et]  de  sa 
vie  il  n'a  vu  prendre  de  taupe  il  'n'en]  mange  point  et  aucun  animal  ('"ne 
les)  mange,  qu'on  m'expUque  donc  pourquoi    ''il)  les  prend). 

[Je  voudrois  bien  que  (Messieurs)  les  philosophes  prissent  la  peine 
'"  d'expUquer  par  la  seule  sensibiUté  le  mouvement  du  chien  qui  se  couche 
[et  s'étend  sur  le  dos]  devant  son  maître  qui  veut  le  battre.  Ce  mouve- 
ment est  si  touchant  et  [si]  sur  qu'il  n'y  a  presqu 'aucun  maitre  si  féroce 
qu'il  ne  desarme.  Les  jeunes  chiens  le  font  presque  en  naissant  et  il  ne  leur 
faut  pour  cela  d'autre  expérience  que  de  savoir  que  les  coups  suivent  la 
menace.  "  Si  vous  ne  voulez  donc  pas  ['-  attribuer  à]  l'instinct  le  principe  de 
ce  mouvement  '-'■>  il  faut  que  vous  preniez  le  parti  (  "  de  donner  i  au  chien  la 
connoissance  de  la  moraUté  des  actions  humaines.  Il  faut  que  vous  lui  fassiez 
faire  ('■  tout  lei  raisonnement  suivant).  L'homme  est  un  animal  généreux 
qui  s'irrite  contre  la  résistance,  mais  qui  pardonne  quand  on  se  soumet. 
1°  n  est  plus  fort  que  moi,  si  je  résiste  [infailliblement]  je  serai  ''  batu  ; 
mais  si  je  me  ['^  soumets]  peut  être  il  me  fera  grâce.  Prenons  donc  le  parti 
le  plus  sur  :  remarquez  encore  que  le  chien  ne  se  couche  que  devant  l'homme 


'  [comme  disent  les  philosophes]. 
-  [couvrent]. 
■'  plus  omptueuse  (sic). 
'  [ait]. 

^  (la  taupe...  il...   des  les   premières  taupes  qu'il  a  prises  il  a  eu  leur  [il  a 
une  ?  patience]). 

"  [attendre  que  la], 

'  (ne)  mange  point  (de  taupes). 

"  [n'en]. 

"  [celui-ci]. 

"'  (d'appliquer  leurs). 

"  (Je  ne  saurois). 

'-  (appeller). 

'■'  (je  ne  vois). 

'■*  [d'attribuer?]. 

'^  [à  peu  près  ce]. 

'"  (Si  je  résiste). 

"  (pas). 

'"  (remets). 


EDITION    ORIGINALE  237 

bienfaiteur,   voyant   que  j'allois  l'interrompre;   souffrez  que  je  m'arrête 
un   peu  plus  à  i  l'éclaircir  -. 


'  Sur  cet  emploi  de  à  au  sens  de  pour  après  s'arrêter,  cf.  Haase,  124  '273', 
347-348. 

-  Ici  s'ouvre  le  débat  sur  la  conscience  et  son  autorité,  qui  se  terminera  par  la 
fameuse  invocation  :  «  Conscience  !  Conscience  »  !  Rousseau  pose  d'abord  sa  thèse,  puis 
il  la  défend  contre  ses  contradicteurs  contemporains,  et,  la  victoire  gagnée,  pousse 
enfin  son  cri  de  triomphe.  — Ce  recours  à  la  conscience,  comme  au  «  juge  infaillible 
du  bien  et  du  mal  »,  n'était  pas  nouveau  chez  les  moralistes,  quoique,  suivant  la 
juste  remarque  de  Puffendorf.  Droit  de  la  nature,  I,  m,  4  [107  B],  44-45,  «  le  terme 
de  conscience  ne  se  trouve  pas  employé  en  ce  sens  [au  sens  moral]  ni  dans  l'Écriture 
Sainte,  ni  dans  les  anciens  auteurs  latins  ».  «  Les  scolastiques,  ajoute  Putfendorf, 
l'ont  introduit  les  premiers;  et  ce  sont  des  ecclésiastiques  fourbes  et  intéressés  qui, 
dans  ces  derniers  siècles,  ont  inventé  les  cas  de  conscience,  comme  on  parle,  pour 
tourner  à  leur  gré  les  esprits  des  hommes  ».  .Mis  à  la  mode  par  les  casuistes,  le  mot 
avait  été  surtout  retenu  par  les  théologiens  protestants,  qui  exaltaient  dans  la 
«  conscience  »  une  puissance  d'affranchissement  religieux,  et  par  les  philosophes,  qui 
voyaient  en  elle  un  moyen  de  laïciser  la  morale.  Cf.  Calvin,  Institution  chrétienne, 
m,  XIX,  i5  l74j>  692  •  *  Comme  nous  disons  que  les  hommes  savent  ce  que 
leur  esprit  a  compris,  dont  vient  le  mot  de  Science  :  aussi  quand  ils  ont  un  sentiment 
du  jugement  de  Dieu,  qui  leur  est  comme  un  second  témoin,  lequel  ne  souffre  point 
d'ensevelir  leurs  fautes,  mais  les  ajourne  devant  le  siège  du  grand  Juge  et  les  tient 
comme  enferrés  :  un  tel  sentiment  est  appelé  Conscience  ,■  Car  c'est  comme  une 
chose  moyenne  entre  Dieu  et  les  hommes  »  ;  Abbadie,  Religion  chrétienne,  I,  11,  6 
[92],  I,  i3i-i32  :  «  La  Conscience,  qui  enferme  la  loi  naturelle,  puisqu'elle  agit  sur  ses 
principes,  est  naturelle  à  l'homme  dans  le  même  sens  que  la  connaissance  de  Dieu.  Car 
de  même  que  Dieu,  en  nous  donnant  d'un  côté  un  esprit  capable  de  connaissance  et 
de  l'autre  se  manifestant  avec  tant  de  lumière  dans  l'univers,  nous  a  mis  dans  la 
nécessité  de  le  connaître  :  ainsi  Dieu,  en  nous  donnant  d'un  côté  une  raison  qui 
ne  peut  s'empêcher  d'approuver  certains  devoirs  et  de  nous  les  prescrire,  et  de  l'autre 
un  cœur  qui  ne  peut  s'empêcher  de  craindre  lorsque  nous  nous  reprochons  de 
ne  les  avoir  pas  remplis,  nous  met  dans  la  disposition  et  dans  la  nécessité  naturelle 
de  concevoir  les  remords,  lorsque  nous  faisons  le  mal  »:  Clarté,  Existence  de  D  eu. 
Il,  3  125  ,  11,  80;  Barbeyrac.  Xotes  du  Droit  de  ta  Xature  107  B],  I,  45;  Haller, 
Origine  du  mal.  Il  "200,  57:  Cumberland,  Lois  naturelles.  II,  12  [169J,  126-127; 
Duclos,  Considérations  sur  les  moeurs  197",  108-1  10.  Cf.  encore  Claville,  Traité  du 
frai  mérite  '144],  11,  49-5o;  Pluche,  Spectacle  de  la  Nature  [>3jl,  V,  167-170.  .Mais 
pour  ces  différents  moralistes,  comme  on  peut  le  voir,  par  exemple,  dans  le  texte 
d'.\bbadie,  la  conscience  s'identifie  avec  la  raison,  et  ils  accepteraient  volontiers 
cette  définition  que  Rousseau  avait  lue  dans  Vernet,  Instruction  chrétienne.  II,  3 
[2i3],  I,  41  :  «  Le  sentiment  de  la  conscience,  c'est  la  raison  même  en  tant  qu'elle 
s'applique  à  la  morale,  pour  discerner  les  idées  du  bien  et  du  mal,  du  juste  et 
de  l'injuste  ».  ou  encore  cette  maxime  du  P.  Lami,  Morale  chrétienne.  II,  22  [106],  II, 
3oo  :  «  La  conscience  est  une  connaissance  de  ce  que  dicte  la  raison  ».  Rousseau,  se 
rapprochant  en  cela  de  .Marie  Huber  et  de  .Murait,  fait  de  la  conscience  une  faculté 
distincte  de  la  raison  et  supérieure  à  elle  ;  cf.  Le  Monde  fou  préféré  au  monde  sage,  I 
[140],  I,  10  :  «  N'attendez  pas  de  moi  des  définitions  sur  la  Conscience;  je  laisserai  ce 
soin  là  à  .M.  .M.  les  Théologiens,  s'ils  s'en  croient  capables.  Pour  moi,  je  me  contente 
de  la  connaître  par  le  sentiment  et  l'expérience  que  j'en  ai.  Vous  me  demandiez  l'autre 
jour,  Criton,  de  quel  habile  maître  j'étais  devenu  écolier;  je  vous  le  dirai  aujourd'hui  : 


238  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

sa  voix  (et)  prennent  sa  place  et  ('  commandent)  en  son  nom  au 
superstitieux  tous  les  forfaits  qu'elle  (-nous  défend  à  tous).  L'opinion 
change  tout,  elle  déprave  la  nature  elle]  altère  la  conscience  et 
c'est  alors  que  nôtre  vaine  raison  fondant  ^  ses  travaux  sur  ces 
sables  mouvans  ^n'eleve  que  des  édifices  qui  croulent  et  (livre) 
au  vent  les  sistémes  des  philosophes.  Il  est  bien  comode  de  parler 
par  sentences  cela  dispense  de  rien  prouver.  Quand  ils  f/îont  naitre 
la  conscience  des  préjugés  de  l'éducation,  (ils  l'affirment)  et  leur 
hautaine  affirmation  fait  toute  leur  preuve  et  cependant  ils  ne 
voyent  pas  que  (tous)  leurs  paradoxes  «  ne  »  sont  que  des  préjugés 
nouveaux  substitués  aux  préjugés  receus.  Quand  ils  disent  le  senti- 
ment intérieur  qui  vous  ("montre)  un  être  suprême  et  une  autre  vie 
"est  l'effet  de  l'amour  propre  qui  (  '  voudroit)  étendre  vôtre  être 
(au  delà  de  la  mort)  et  vous  faire  croire  ce  que  vous  desirez  ils 
l'affirment  (>"et  ne)  le  prouve (nt  point)  et  cependant  ils  ne  voyent 
pas  qu'on  "  peut  rétorquer  leur  sentence  et  leur  dire  '-vôtre  incrédulité 
n'est  qu'un  effet  de  vôtre  amour  propre  qui  cherche  à  vous  dérober 
au  souverain  juge  et  vous  fait  nier  ce  que  vous  craignez.  —  Vérité 
sainte,  tous  ces  vains  discours  faits  pour  briller  aux  yeux  d 'autrui 
ne  mènent  point  («  '^  à  ton  sanctuaire  »  [auguste  ).  Il  ne  faut  point 

et  jamais  devant  aucun  autre  animal  quoiqu'il  se  sente  à  sa  merci,  (ili  sait 
il*  bien   alors  qu'il  n'est  pas  question  de  clémence] . 


'  [font  faire]. 
-  [improuve]. 
'  (son). 
'  (ne). 
■''  [jette]. 

"  (disent    que   la   conscience...    l'origine   de    la   [fait   naitre   des...    donnent 
aux  préjugés]). 
'  [annonce]. 
"  (n'est  [n'est  qu'un]). 
"  [veut]. 

'"  [sans]  le  prouve[r]. 
"  (leur  peut  dire). 
'-  (l'incr  ÉDULiTÉ). 
'■'  [(jusqu'à  toi)  dans  tes  voves]. 
'*  [il  donc]. 


ÉDITION    ORIGINALE  239 


240  REDACTIONS    MANUSCRITES 

t 'aller  chercher  si  loin,  tu  n'es  point  au  bout  des  argumens  et  des 
sillogismes.  '  Ton  -  temple  est  le  cœur  de  l'homme  juste  c'est  là 
qu'il  trouve  la  régie  de  ('ces)  devoirs  et  toutes  les  connoissances 
dont  il  a  besoin  pour  se  conduire  avec  ses  semblables  selon  les 
préceptes  de  la  raison  et  les  loix  de  l'auteur  de  son  être. 

^J'ai   senti   que   la   conscience   avoit  besoin   d'être   cultivée   et 
qu'elle  avoit  moins  à  craindre  les  sistémes  des  philosophes  que  les 
fo  164'"    sophismes  ||  du  vice  et  des  passions). 

t  Ce  point  est  important,  poursuivit '^ -il  voyant  que  j'allois 
l'interrompre.  Souffrez  que  je  m'arrête  un  peu  plus  à  l'éclaircir. 
[Toute  la  moralité  de  nos  actions  est  dans  le  jugement  que  nous 
en  portons  nous-mêmes].  S'il  est  vrai  que  le  bien  soit  bien  il  doit 
l'être  au  fond  de  nos  cœurs  comme  dans  nos  œuvres  "et  le  premier 
prix  de  la  justice  est  de  sentir  qu'on  la  pratique.  Si  la  bonté 
morale  est  conforme  à  notre  nature,  l'homme  ne  sauroit  être  sain 
d'esprit  ni  bien  constitué  qu'autant  qu'il  est  bon.  Si  elle  ne  l'est 
pas  et  que  l'homme  soit  méchant  naturellement  ['  il  ne  peut 
cesser  de  Fêtre]  sans  se  corrompre  [et]  la  bonté  (*ne  seroit)  en  lui 
qu'un  \ice  contre  nature.  Fait  pour  nuire  à  ses  semblables  comme 
"  le  loup  pour  égorger  sa  p^o^■e,  un  homme  humain  seroit  [i"  un 
animal]  aussi  dépravé  qu'un  loup  pitoyable,  et  la  vertu  seule 
nous   laisseroit   des    remords. 


'   (C'est  dans  le  cœur  que). 
-  (san  ctuaibe). 
'  [ses]. 

■"  (Mais  mon  bon  ami  la  conscience  a  besoin  d'être  cultivée) 
■''  B.  mon  (maiire)  [Bienfaiteur]  en  voyant. 
'■'  M.  nous  devons  le  taire  comme  tel,  et  le  premier. 
•  (nous  laisserons  ?  des  remords). 
"  [n'est]. 

"  B.  (un)  [le].  —  M.  un. 
'"  M.  <  un  animal  >. 

t  On  rt  ini  plus  haut,/"  164''".  une  première  esquisse  de  cette/or- 
mule  de  transition.  —  C'est  ici  que  commencent  les  emprunts  aux 
5'^  et  6<^  Lettres  à  Sophie  :  cf..  aux  Appendices,  I,  le  texte  de  ces  Lettres, 
OM  J'ai  souligné  tous  les  passages  qui  ont  été  utilisés  pour  la  Profession 
de  foi. 


ÉDITION    ORIGINALE  24I 


Toute  la  moralité  '  de  nos  actions  est  dans  le  jugement  que  nous 
en  portons  nous-mêmes  *.  S'il  est  vrai  que  le  bien  soit  bien,  il  doit 
l'être  au  fond  de  nos  cœurs  comme  dans  nos  œuvres;  &  le  premier  prix 
de  la  justice  est  de  sentir  quon  la  pratique.  Si  la  bonté  morale  est 
conforme  à  notre  nature,  l'homme  ne  sauroit  être  sain  d'esprit  ni  bien 
constitué,  qu'autant  qu'il  est  bon.  Si  elle  ne  l'est  pas,  &  que  l'homme 
soit  méchant  naturellement,  il  ne  peut  cesser  de  l'être  sans  se  cor- 
rompre, &  la  bonté  n'est  en  lui  qu'un  vice  contre  Nature.  Fait  pour 
nuire  à  ses  semblables  comme  le  loup  pour  égorger  sa  proie,  un  homme 


ce  maître  est  la  conscience,  je  n'en  connais  et  n'en  veux  point  avoir  d'autre  »; 
cf.  surtout  les  textes  de  Murait  qui  seront  cités  plus  loin,  p.  114,  note  2.  11  faut, 
du  reste,  remarquer  que  le  vocabulaire  philosophique  de  Rousseau  n'est  pas  fixé. 
Il  parle  ici  de  la  raison  comme  d'une  faculté  trompeuse,  que  nous  devons  récuser 
pour  écouter  la  conscience;  ailleurs,  au  contraire,  raison  signifie  exactement  cons- 
cience, comme,  par  exemple,  p.  69  :  «  Je  suis  actif  quand  j'écoute  la  raison,  passif 
quand  mes  passions  m'entraînent  ».  C'est  le  contexte  qui.  chez  lui,  donne  à  chaque 
terme  dans  chaque  passage  son  exacte  valeur.  Cf..  plus  loin,  la  note  4  de  la  p.  i2t5. 
—  Rapprocher  toute  cette  dissertation  du  petit  traité  de  Formey,  De  la  Conscience 
"211  '■'»].  11.  151-196.  où  il  s'élève  par  avance  contre  la  théorie  de  Rousseau.  Il  se  refuse, 
p.  i53.  à  «  faire  de  la  conscience  une  espèce  d'empreinte  originaire,  naturelle,  essentielle, 
immuable,  que  chaque  homme  porte  gravée  dans  son  âme,  qui  s'oft're  à  lui  sans  aucun 
secours  étranger,  et  dont  rien  ne  saurait  détruire  les  impressions  »  ;  et  il  définit  la 
conscience,  p.  168  :  «  le  développement  de  la  raison,  relatif  et  proportionnel  à  la 
connaissance   des   devoirs  ». 

•  Le  développement  qui  vient  ici  dans  la  Première  Rédaction  peut  être  regardé 
comme  un  schéma  plus  sec  de  la  longue  dissertation  sur  la  conscience  qui  a  pris 
sa  place  dans  l'édition  originale.  L'apostrophe  «  Vérité  sainte  »  prépare  et  annonce 
l'invocation  «  Conscience,  conscience  »!  (Comparer  avec  la  note  de  la  Lettre  à 
D'Alembert,  I,  267:  «Sainte  et  pure  Vérité,  à  qui  j'ai  consacré  ma  vie»,  etc.). 
Mais,  après  avoir  rédigé  ce  bref  paragraphe,  Rousseau  l'a  trouvé  un  peu  rudi- 
mentaire  :  «  Ce  point  est  important  »,  se  dit-il,  en  songeant  à  toutes  les  attaques 
contemporaines  contre  l'autorité  de  la  conscience;  et,  se  rappelant  qu'il  avait 
traité  la  question  avec  ampleur  dans  ses  5''  et  6<"  Lettres  à  Sophie,  il  se  décida 
à  employer  ces  morceaux  non  utilisés.  Même  en  les  abrégeant,  l'exposé  restait 
très  long.  M  s'en  excusa  par  l'importance  du  débat  :  «  Souffrez  que  je  m'arrête  un 
peu  plus  à  l'éclaircir  ».  Cette  parenthèse  a,  en  outre,  l'avantage  de  couper  la 
discussion  et  de  rappeler  la  présence  du  disciple,  qu'on  serait  peut-être  tenté  d'oublier. 

*  11  dira  encore  plus  précisément  dans  un  passage  qu'il  a  supprimé  sur  sa 
dernière  copie  (cf.,  plus  loin,  F,  f"  i66'°l  :  «  Pour  être  juste,  je  n'ai  qu'à  vouloir 
l'être,   puisque   tout   le   bien   que   j'ai    voulu    faire   est   réputé   fait  ». 

16 


242  REDACTIONS    MANUSCRITES 


Rentrons  en  nous  mêmes,  ô  mon  'bon  ami,  -  Examinons 
tout  intérest  personnel  à  part  à  quoi  nos  penciians  ^  naturels  nous 
portent.  Quel  spectacle  nous  flate  le  plus,  celui  des  tourmens 
ou  du  bonheur  d'autrui;  qu'est-ce  qui  nous  est  le  plus  doux  à 
faire  et  nous  laisse  une  impression  plus  agréable  après  l'avoir 
fait,  d'un  acte  de  bienfaisance  ou  d'un  acte  de  méchanceté  ? 
Pour  qui  ^  nous  ^  intéress(ons-nous)  sur  (nos)  théâtres,  est-ce 
aux  forfaits  que  '■  nous  'pren(ons)  plaisif,  est  ce  à  leurs  auteurs 
punis  que  ("nous  donnons)  des  larmes.  ^ Entre  le  Héros  malheureux 
et  le  Tyran  triomphant  duquel  des  deux  vos  vœux  i"  secrets  vous 
raprochent-ils  sans  cesse,  et  qui  de  vous  forcé  de  choisir  n'aimeroit 
pas  mieux  encore  être  le  bon  qui  souffre  que  le  méchant  qui  '  '  le 
tourmente?  Tant  l'horreur  de  faire  le  mal  '-' l'emporte  naturellement 
(en  nous)  sur  celle  de  l'endurer  1 


B,  f°  147  *°         t  [['^Tout  nous  est  indiffèrent  disent-ils  hors  nôtre  intérest].  ('*Non) 


'  B.  jeune. 

-  M.  Cherchons,  l'inlerest  personel  mis  à  part. 
"'  B.  <  naturels  >. 
*  B.  vous  (intéressez)  [affectionez]. 
^  interess[ez-vous]  sur  [vos]. 
'  B.  vous. 
'  pren[ez]. 
"  [vous  donnez]. 

"  B.  (Entre  le  Héros  malheureu.x...  sur  celle  de  l'endurer).  —  I.  Entre  le 
Héros  malheureu.x  et  le  tiran  triomphant  duquel  des  deux  vos  voeux  vous  rappro- 
chent-ils sans  cesse Tant  l'horreur  de  faire  le  mal  l'emporte  quelquefois  sur 

celle  de  l'endurer!  (Texte  de  B  conservé). 
'"  B.  <  secrets  >. 
"  B.  (prospère!  [le  tourmente]. 

'''  B.  ([peut])  remporte([r],  même)  (naturellement)  «.  quelquefois  »  sur  celle. 
'^  (Mais   dira-t-on).    —  I.   <    Tout   nous  est   indifférent...   l'innocent   soit 
protégé  >. 

"  TEt  tout  au  contraire]. 


t  En  têle  de  ce  paragraphe  :  N  R  de  suite  (?). 


EDITION    ORIGINALE  243 

humain  seroit  un  animal  aussi  dépravé  qu'un  loup  pitoyable,  &  la  i  vertu         101] 
seule  nous  laisseroit  des  remords  '. 

Rentrons  en  nous-mêmes,  à  mon  jeune  ami  !  examinons,  tout 
intérêt  personnel  à  part,  à  quoi  nos  penchans  nous  portent.  Quel 
spectacle  nous  flatte  le  plus,  celui  des  tourmens  ou  du  bonheur  d'autrui  ? 
Qu'est-ce  qui  nous  est  le  plus  doux  à  faire,  &  nous  laisse  une  impres- 
sion plus  ai^réable  après  l'avoir  fait,  d'un  acte  de  bienfaisance  ou  d'un 
acte  de  méchanceté?  Pour  qui  vous  interessez-vous  sur  vos  théâtres  2? 
Est-ce  aux  forfaits  que  vous  prenez  plaisir:  est-ce  à  leurs  auteurs  punis 
que  vous  donnez  des  larmes^?  Tout  nous  est  indiffèrent,  disent-ils  *, 
hors  notre  intérêt;  &  tout  au  contraire,  les  douceurs  de  l'amitié,  de 
l'humanité,  nous  consolent  dans  nos  peines  ;  &.  même  dans  nos  plaisirs. 


'  La  théorie  de  la  bonté  de  la  nature  se  présente  ici  sous  un  aspect  un  peu 
adouci  :  Là  bonté  humaine  est  moins  une  réalité  qu'un  idéal,  mais  un  idéal  qui 
nous  est  présenté  par  la  Nature:  nous  ne  sommes  peut-être  pa".  bons,  mais  la 
Nature   nous   destine   à   l'être. 

-  Cet  arjjunient  emprunté  au.\  émotions  du  théâtre  se  trouve  déjà  dans  la 
3'  Lettre  à  Sophie,  et  a  donc  dû  très  vraisemblablement  être  rédigé  un  peu  avant 
la  Lettre  à  D'Alembert.  Il  reparait  dans  ce  dernier  ouvrage,  1,  193-194,  mais  cette 
fois  au  service  d'une  thèse  assez  différente  de  celle  qui  est  soutenue  ici  :  «  Au 
l'ond,  quand  un  homme  est  allé  admirer  de  belles  actions  dans  des  Tables  et 
pleurer  des  malheurs  imaginaires,  qu'a-t-on  encore  à  e.xiger  de  lui  ?  N'est-il  pas 
content  de  lui-même?  Ne  s'applaudit-il  pas  de  sa  belle  âme?  Ne  s'est-il  pas  acquitté 
de  tout  ce  qu'il  doit  à  la  vertu  par  l'hommage  qu'il  vient  de  lui  rendre  ?  Que 
voudrait-on  qu'il  fit  de  plus  ?  Qu'il  la  pratiquât  lui-même  ?  il  n'a  point  de  rôle 
à  jouer  :  il  n'est  pas  comédien  »:  et,  en  effet,  quelques  pages  plus  loin,  pp.  200-208, 
ce  que  Rousseau  reproche  au  théâtre,  c'est  de  nous  «  intéresser  malgré  nous  à 
des  misérables  »  et  de  nous  rendre  ainsi  «  complices  dans  le  fond  de  notre  cœur 
des  crimes  que  nous  avons  vu  cominettre  ».  En  reproduisant  ici  l'argument  qu'il 
avait  jadis  employé  pour  «  Sophie  »,  il  ne  se  souvenait  plus  sans  doute  qu'il 
l'avait   depuis   lors   singulièrement   énervé. 

^  Venaient  ensuite,  dans  la  5'  Lettre  à  Sophie  et  dans  la  Première  Rédaction, 
quelques  lignes  que  Rousseau  a  supprimées,  lorsqu'il  en  eut  utilisé  le  contenu 
sous  une  autre  forme  dans  sa  riposte  à  Helvetius  :  cf.  la  note  suivante. 

*  C'est  Helvetius:  cf.  De  L'Esprit,  11,  1  [225  .4],  47-48:  «On  peut  ranger  les 
idées,  ainsi  que  les  actions,  sous  trois  classes  différentes.  Les  idées  utiles...  Les  idées 

nuisibles Les    idées    indifférentes ;   de   pareilles    idées    n'ont   presque   point 

d'existence,  et  ne  peuvent,  pour  ainsi  dire,  porter  qu'un  instant  le  nom  d'indiffé- 
rentes :  leur  durée  ou  leur  succession,  qui  les  rend  ennuyeuses,  les  fait  bientôt 
rentrer  dans  la  classe  des  idées  nuisibles...  Je  prouverai  qu'en  tout  temps,  en  tout 
lieu,  tant  en  matière  de  morale  qu'en  matière  d'esprit,  c'est  l'intérêt  personnel 
qui  dicte  le  jugement  des  particuliers,  et  l'intérêt  général  qui  dicte  celui  des  nations... 
je  considérerai  la  probité  et  l'esprit  à  différents  égards,  ...  et  prenant  toujours 
l'expérience  pour  guide  dans  mes  recherches,  je  montrerai  que  sous  chacun  de 
ces  points  de  vue,  l'intérêt  est  l'unique  juge  de  la  probité  et  de  l'esprit  ».  La  ■ 
riposte    de    Rousseau   a    été  ajoutée   dans   B.    après   la  lecture  du  livre  d'Helvetius. 


244  REDACTIONS    MANUSCRITES 

les  douceurs  '  de  l'humanité  nous  consolent  de  nos  (propres)  peines 
[2  et  même  dans  nos  plaisirs]  nous  serions  trop  [seuls  trop]  misérables 
«  3  si  nous  »  (■•  ne  nous  y  trouvions  qu'avec  nous).  S'il  n'v  a  rien  de 
moral  dans  (^  les  actions  des  hommesi  [d"où  lui]  viennent  [donc]  ces 
transports  d'admiration  ("au  récit  des)  actions  héroi'ques  id'où  lui  vien- 
nent) ces  ravissements  d'amour  «  pour  »  {'ce  qui  est  grand  et  beaui. 
Cet  enthousiasme  de  la  vertu  quel  ^  rapport  a-t-il  avec  notre  interest 
privé  ?  ^  Voudrois-je  être  Caton  qui  déchire  ses  entrailles  plus  tost  que 
César  triomphant.  (Oui).  Otez  ['"de  nos  cœurs  cet  ii  amour  du  beau] 
vous  otez  tout  le  charme  '-de  la  vie.  Celui  dont  les  viles  passions 
ont  étouffé  dans  son  ame  étroitte  ces  sentimens  délicieux  '^  celui  qui 
à  force  de  se  concentrer  '*  au  dedans  de  lui  vient  à  bout  de  n'aimer 
que  lui-même  me  jouit  plus  de  rien  il)  n'a  plus  ['^  de]  transports  '''son 
cœur  ("  îroid)  ne  palpite  plus  (['**  d'attendrissement]  ses  yeux  ne  savent 
plus  verser  des  larmes,  il  ne  vit  plus  il  est  déjà  mort). 
B,  f"  148'"  Il   Mais  quel  (que  grandi    que   soit   le  nombre  des  méchans   sur   la 

terre,  il  est  peu  i' d'ames  cadavéreuses  (-"parvenues  à  ce  degré  d'indiffe- 


'  M.  de  l'amitié,  de  l'humaniié. 

■  (deux  mots  illisibles). 

•'  [(nous?...  dans  nos  tristes  plaisirs)]. 

■*  [n'avions  avec  qui  les  partager]. 

^  [le  cœur  «  de  l'homme  »]. 

"  [pour  les]. 

'  [les  grandes  âmes]. 

"  (inte  rest). 

"  [Pourquoi  (si  le  cœur  de  l'homme  borne)]. 

"•  (l'amour  du  vrai  s'il  n'y  avoit). 

"  M.  attrait. 

'-  (beau). 

■■'  (ne). 

'*  M.  en  lui. 

"  (ni). 

"  (il*- 

■'  (ne)  [glacéj. 

"*  [de  joye  un  dou.\  attendrissement  n'humecte  jamais  ses  yeu.x  ;  (de 
quoi  jouit-il  donc)  [il  ne  jouit  plus  de  rien]  (eti  le  malheureux  ne  sent  plus, 
ne  vit  plus:  il  est  déjà  mort]. 

"  [de  ces]. 

"  [devenues  (indifférentes  et  froides  pour)  insensibles  à  tout  ce  qui  est 
juste  et  bon]. 


EDITION    ORIGINALE  245 

nous   serions   trop   seuls,    trop    misérables,    si    nous   n'avions    avec   qui 

les  partager.  S'il  n'v  a  rien  de  moral  dans  le  coeur  de  l'homme,  d'où  |  lui         102] 

viennent  donc  ces  transports  d'admiration   pour  les  actions  hero'i'ques. 

ces   ravissemens  d'amour   pour   les  grandes   âmes  •?  (^et  enthousiasme 

de    la    vertu,    quel    rapport    a-t-il    avec    notre    intérêt    privé?    Pourquoi 

voudrois-je   être   Caton    qui   déchire   ses   entrailles  -,    plutôt   que   César 

triomphant  ?  Otez  de  nos  cœurs  cet  amour  du   beau,   vous  ôtez  tout 

le   charme   de   la    vie.    Celui    dont   les   viles    passions   ont  étouffé  dans 

son    ame   étroite   ^   ces   sentimens   delicieu.x  ;    celui    qui,    à    force   de   se 

concentrer   au-dedans  de   lui,   vient  à   bout  de   n'aimer  que  lui-même, 

n'a    plus   de   transports,    son    cœur   glacé    ne    palpite    plus   de    joie,    un 

dou.\  attendrissement    n'humecte   jamais   ses   yeu.x,    il    ne   jouit   plus   de 

rien  :  le  malheureux  ne  sent  plus,  ne  vit  plus  ;  il  est  déjà  mort. 


Mais  quel  que  soit  le  nombre  des  méchans  sur  la  terre,  il  est  peu 
de  ces  âmes  cadavéreuses,  devenues  insensi-  |  blés,  hors  leur  intérêt,  à         103] 
tout   ce   qui   est   juste  &   bon.    L'iniquité    ne   plaît   qu'autant   qu'on    en 
profite  :  dans  tout  le  reste  on  veut  que  l'innocent  soit  protégé  '.  Voit-on 


'  Comparez  Nouvelle  Hélvïse  ill,  xn,  1\',  132  :  «  Songe  où  l'intérêt  nous 
porte  en  lisant  l'histoire.  T'avisas-tu  jamais  de  désirer  les  trésors  de  Crésus,  ni 
la  gloire  de  César,  ni  le  pouvoir  de  Néron,  ni  les  plaisirs  d'Héliogabale  ?  Pourquoi, 
s'ils  étaient  heureux,  tes  désirs  ne  te  mettaient-ils  pas  à  leur  place?  C'est  qu'ils 
ne  l'étaient  pas,  et  tu  le  sentais  bien...  Quels  hommes  contemplais-tu  donc  avec 
le  plus  de  plaisir?  Desquels  adorais-tu  les  exemples?  Auxquels  aurais-tu  mieux 
aimé  ressembler?  Charme  inconcevable  de  la  beauté  qui  ne  périt  point!  C'était 
l'Athénien  buvant  la  ciguë,  c'était  Brutus  mourant  pour  son  pays  »,  etc. 

'  «  Caton  qui  déchire  ses  entrailles  ».  c'est  la  formule  chère  à  Rousseau, 
quand  il  parle  du  suicide  de  Caton  :  cl".  Nouvelle  Héloïse,  IV,  i52,  272.  De  tous 
les  héros  célébrés  par  Piutarque,  le  «  grand  et  divin  Caton  »  (Nouvelle  Héloïse, 
IV,  2051  est  celui  auquel  Rousseau  a  donné  la  plus  fidèle  admiration  ;  cf.,  plus  haut, 
p.  83.  note  4,  les  textes  que  j'ai  cités;  cf.  encore.  De  l'Économie  politique,  III,  288. 
le  parallèle  entre  Socrate  et  Caton,  où  visiblement  Rousseau  penche  vers  ce  dernier. 

'  Le  mot  est  heureux  pour  détinir.  par  contraste  et  négativement,  l'âme  de 
celui  qui  a  dit,  3''  Lettre  à  M.  de  Malesherbes,  X,  3o6  :  «  J'aimais  à  me  perdre  en  ima- 
gination dans  l'espace  ;  mon  cœur,  resserré  dans  les  formes  des  êtres,  s'y  trouvait 
trop    à    l'étroit,    j'étoulTais    dans   l'univers,    j'aurais   voulu    m'élancer   dans  l'infini  ». 

'  Le  fait  avait  été  souligné  bien  des  fois  par  les  moralistes  ;  et  Locke  le 
rappelle  encore,  pour  en  contester,  du  reste,  la  valeur.  Entendement  humain,  I,  ii,  2 
fio2j,  25  :  «  C'est  un  principe  qui  est  reçu,  à  ce  qu'on  croit,  dans  les  cavernes 
mêmes  des  brigands  et  parmi  les  sociétés  des  plus  grands  scélérats  ;  de  sorte  que 
ceux  qui  détruisent  le  plus  l'humanité  sont  fidèles  les  uns  aux  autres  et  observent 
entre  eux  les  règles  de  la   justice»;  cf.  aussi   Hutcheson,    II.   4  "iqiI,   II,   217;  «Si 


246  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

rence  pour  ce  qui  est  juste  et  bon.   '  Chacun  pour  son  interest  veut  être 

inique).    L'iniquité    ne    plait   qu'autant    qu'on    en    profite,    dans    tout    le 
reste  -on  veut  que  ■'^  l'innocenp]  soit  protégé  ■"]. 


F,  f"  164  "'  \'oit-on    dans    une    rue    ou    sur    un    chemin    quelqu    acte    de 

violence  et  d'injustice,  à  l'instant  un  mouvement  de  colère  et 
d'indignation  *  s'élève  au  fond  du  cœur  et  nous  porte  à  prendre 
la  deffense  de  l'opprimé  ?  mais  un  devoir  plus  puissant  nous 
retient  et  les  loix  nous  ôtent  le  droit  de  ''  protéger  l'innocence. 
Au  contraire  si  quelque  acte  de  clémence  "et  de  générosité  frape 
nos  veux,  quelle  admiration,  quel  amour  il  nous  inspire!  Qui 
est-ce  qui  ne  se  dit  pas  à  lui-même  j'en  voudrois  avoir  t'ait  autant? 


B,  f°  148  '"  [*  Il  nous  importe  [sûrement  fort]  peu  qu'un  homme  ait  été  méchant 

ou  juste  il  y  a  deux  mille  ans.  Et  cependant  le  même  interest  nous 
«  affecte  »  dans  l'histoire  ancienne  que  si  tout  cela  s'étoit  passé  de  nos 
jours.  ({"  J'ai  la  même  horreur  pour  les  crimes  de  Catilina  que  si  je  craignois 
d'en   être  la  victime.  Nous   ^^  voulons  être  heureux  mais   'i  nous  voulons 


'    (tous  sont  iniques  pour  leur  interest)]. 

-  M.  on  la  hait,  et  l'on  veut. 

'  rinnocen(ce). 

*  iJe  pen  se  ?). 

'  B.  (s'élêve  au  fond  du  coeun  "nous  saisit].  — I.  (del  s'élève. 

"  B.  (protéger)  [secourir\ 

'  B.  ou. 

"  I.  <  11  nous  importe...  on  en  souffre  >. 

■'  (On  a)  [que  (m'importent)  [me  font]  a  moi  les  crimes  de  Catilina.  Ai-je 
peur  d'(en)  être  la  victime.  Pourquoi  donc  ai-je  de  lui  la  même  horreur  que 
s'il  étoit  mon  contemporain].  —  M.  ai-je  peur  d'être  sa  victime.''  Pourquoi  donc 
ai-je  de  lui  la  même  horreur  que  si  j'étois  (sénateur  romain)  [son  contemporain]. 

'°  [(avons  besoin  ?  de  bonheur)]. 

"  [(nous  voulons  qu'on  soit  heureux  avec  nous)]. 


ÉDITION   ORIGINALE  247 

dans  une  rue  ou  sur  un  chemin  quelque  acte  de  violence  &  d'injustice  : 
à  l'instant  un  mouvement  de  colère  &  d'indignation  s'élève  au  fond 
du  cœur,  &  nous  porte  à  prendre  la  défense  de  l'opprimé;  mais  un 
devoir  plus  puissant  nous  retient,  &  les  loix  nous  ôtent  le  droit  de 
protéger  l'innocence  -.  Au  contraire,  si  quelque  acte  de  clémence  ou  de 
générosité  frappe  nos  yeux,  quelle  admiration,  quel  amour  il  nous 
inspire!  Qui  est-ce  qui  ne  se  dit  pas;  j'en  voudrois  avoir  fait  autant? 
il  nous  importe  sûrement  fort  peu  *  qu'un  homme  ait  été  méchant  ou 
juste  il  v  a  deux  mille  ans;  &  cependant  le  même  intérêt  nous  affecte 
dans  l'Histoire  ancienne,  que  si  tout  cela  s'étoit  passé  de  nos  jours. 
Que   me   font  |  à    moi    les   crimes   de   Catilina  '?   Ai-je    peur   d'être   sa        [104] 


nous  pouvions  entrtr  en  liaison  avec  les  voleurs  qui  nous  donnent  des  marques 
de  sentiment  moral  dans  la  division  équitable  et  proportionnelle  de  leur  proie, 
et  dans  la  fidélité  qu'ils  observent  les  uns  envers  les  autres,  nous  reconnaîtrions 
qu'ils  ont  des  idées  morales  de  leur  profession  aussi  sublimes  que  s'ils  avaient 
en  partage  la  vraie  générosité,  le  vrai  courage,  l'honneur  réel  et  même  la  vraie 
probité  »  :  le  P.  Lami,  Morale  chrétienne,  11.  14  îro6],  lyS,  etc.  Cf.,  plus  loin,  la 
note  3  de  la   p.   104. 

-  Il  ne  faut  pas  voir  l.i  une  protestation  d'esprit  anarchique;  c'est  la  consta- 
tation d'un  théoricien  du  «  Contrat  social  »  ;  la  loi  étant  l'expression  de  la  volonté 
générale,  un  simple  citoyen  n'est  pas  juge  de  l'opportunité  qu'il  peut  y  avoir  ou 
non  à  l'appliquer  :  cf.  les  chapitres  IV  à  VI  dans  le  Livre  II  du  Contrat  Social, 
m,  321-32/.  Remarquez,  du  reste,  que  la  première  rédaction  de  la  5*'  Lettre  à  Sophie 
était  ici  plus  précise  :  elle  mettait  cette  impuissance  à  faire  individuellement  la  justice 
parmi  les  tourments  de  «  l'état  civil  ».  —  Cependant,  au  Livre  IV  d'Emile,  II,  221, 
il  avait  paru  permettre  à  son  disciple  des  initiatives  d'une  générosité  plus  hardie  : 
«  Combien  d'opprimés,  qu'on  n'eût  jamais  écoutés,  obtiendront  justice,  quand  il  la 
demandera  pour  eux  avec  cette  intrépide  fermeté  que  donne  l'exercice  de  la  vertu  ; 
quand  11  forcera  les  portes  des  grands  et  des  riches:  quand  il  ira,  s'il  le  faut,  jusqu'au 
pied  du  trône  faire  entendre  la  voix  des  infortunés,  à  qui  tous  les  abords  sont  fermés 
par  leur  misère,  et  que  la  crainte  d'être  punis  des  maux  qu'on  leur  fait,  empêche 
même  d'oser  s'en  plaindre  »  ! 

'  Nouvelle  réponse  à  Helvetius,  qui  a  été  ajoutée,  comme  les  précédentes,  dans 
la  rédaction  de  B  :  cf.  De  L'Esprit,  II,  6  [225  A],  82  :  «  Qu'importe  au  public  la  probité 
d'un  particulier?  Cette  probité  ne  lui  est  de  presqu'aucune  utilité.  Aussi  juge-t-elle 
les  vivants,  comme  la  postérité  juge  les  morts  :  elle  ne  s'informe  point  si  Juvénal 
était  méchant,  Ovide  débauché,  Annibal  cruel,  Lucrèce  impie,  Horace  libertin, 
Auguste  dissimulé  ;  c'est  uniquement  leur  talent  qu'elle  juge  ». 

'  Cf.  Pluche,  Spectacle  de  la  Nature  [iSy],  V,  170  ;  «  Toutes  les  histoires  qui 
nous  restent  des  différents  peuples  et  des  hommes  célèbres  sont  un  tissu  de  reproches 
faits  aux  crimes  et  d'applaudissements  donnés  à  la  vertu.  Qu'est-ce  que  l'intérêt  qu'on 
prend  à  ces  lectures  si  éloignées  de  nos  usages  et  de  nos  .affaires  -^  Ce  n'est  autre 
chose  que  le  jugement  secret  qu'en  porte  la  conscience  »:  Hutcheson.  II,  i  [191J.  "'  21- 
23  :  «  D'où  procède  cet  amour,  cette  compassion,  cette  indignation,  cette  haine  que  l'on 
conçoit  pour  des  caractères  feints  et  imaginaires,  malgré  l'éloignement  des  siècles  et 
des  pays,  selon  qu'ils  paraissent  bienfaisants,  fidèles,  compatissants  ou  d'une  dispo- 


248  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

aussi   le  bonheur   ^  des  autres.   [-  On  a]  malgré  soi   pitié  des  infortunés, 
on  souffre  de  leur  mal  quoiqu'on  fasse  '')]. 


F,  f°  164  ™  Les    ^  âmes   les   plus   corrompues    ne  sauroient   perdre   tout   à 

fait  ce  ^premier  penchant.  '^  Le  voleur  qui  dépouille  les  passans 
couvre  ■  pourtant  la  nudité  du  pauvre  et  (où  est)  le  **  féroce 
assassin  (^  qui  n'accoure  pas  pour  soutenir)  un  homme  tombant 
en  défaillance  ? 


'   jd'autruir. 

-  (Deux  mots  illisibles  :  On  a  ?). 

'  [Nous  ne  haïssons  pas  seulement  les  méchans  parce  qu'ils  nous  nuisent, 
mais  parce  qu'ils  sont  méchans;  non  seulement  nous  voulons  [être  heureu.x  ; 
nous  voulons]  aussi  le  bonheur  d'autrui,  et  quand  ce  bonheur  ne  coûte  rien 
au  nôtre  il  l'augmente.  «  Enfin  (nous  voulons)  l'on  a  malgré  soi  pitié  des 
infortunés  :  quand  on  est  témoin  de  leur  mal  on  en  souffre]. 

a|  M.  Nous  voulons  qu'on  soit  juste,  non  seulement  avec 
nous,  mais  avec  tout  le  monde.  Enfin  l'on  a. 

*  B.  (ames  les;  plus  pervers(es|. 
°  B.  <  premier  >. 

"  B.  [Souvent  il  les  met  en  contradiction  avec  eu.x-mémes].  — I.<  Souvent 
il...  avec  eu.\-mêmes  >. 
'  B.  encore. 
»  [plus]. 
'  [soutient]. 


EDITION    OKI(;iNALE  249 

victime  ?  Pourquoi  donc  ai-je  de  lui  la  même  horreur  que  s'il  étoit 
mon  contemporain  ?  Nous  ne  haïssons  pas  seulement  les  méchans 
parce  qu'ils  nous  nuisent;  mais  parce  qu'ils  sont  méchans.  Non-seule- 
ment nous  voulons  être  heureux,  nous  voulons  aussi  le  bonheur 
d'autrui  ;  &  quand  ce  bonheur  ne  coûte  rien  au  nôtre,  il  l'augmente. 
Enfin  l'on  a,  malgré  soi,  pitié  des  infortunés;  quand  on  est  témoin  de 
leur  mal,  on  en  souffre  ^.  Les  plus  pervers  ne  sauroient  perdre 
tout-à-fait  ce  penchant  :  souvent  il  les  met  en  contradiction  avec  eux- 
mêmes  3.    Le  voleur  qui  dépouille  les  passans,  couvre  encore  la  nudité 


sition  opposée? Pourquoi  n'aimons-nous  point  le  Sinon  ou  le  Pyrrhus  de  V Enéide? 

Pourquoi    sommes-nous   touchés   du    sort   de   Priam  ? C'est  que   nous   avons   un 

sentiment  secret  qui  détermine  notre  approbation  indépendamment  de  notre  intérêt 
personnel.  Sans  cela  nous  nous  rangerions  toujours  du  côté  que  la  Fortune  favorise, 
sans  aucun  égard  pour  la  vertu  et  sans  nous  intéresser  pour  elle  ».  Il  est  assez 
vraisemblable  que  Catilina  a  été  choisi  par  Rousseau  pour  répondre  à  Helvetius,  qui 
en  avait  parlé  avec  une  sympathie  trop  visible;  cf.  De  L'Esprit,  IV,  2  [22b  A], 
495  et  5oo  :  «  Quel  chef  de  conjurés  qu'un  homme  assez  maître  de  lui  pour  être  à  son 
choix  vertueu.x  ou  vicieu.x  »!  et  5i3  :  «  Qu'on  représente  au  théâtre  la  conjuration  de 

Rome; je  dis  que  l'audacieux  Catilina  emportera  presque  toute  notre  admiration: 

la  grandeur  de  son  entreprise  se  réfléchira  sur  son  caractère,  l'agrandira  toujours 
k  nos  veux  ».  — Tout  ce  développement  rejoint  celui  de  la  Lettre  ci  D'Alembert,  1,  192. 

'  Cf.  Addison.  Spectateur  j  17],  VI,  ]45  :  «  La  pitié  qu'on  ressent  k  la  vue  des 
personnes  qui  souffrent  ou  qui  sont  dans  la  misère,  et  le  plaisir  qu'on  goûte  de  les 
avoir  délivrées  de  ce  malheureux  état,  sont  une  preuve  convaincante,  qui  en  vaut 
mille  autres,  qu'il  y  a  une  bienveillance  désintéressée  »,  etc.  ;  Burlamaqui,  Droit 
naturel,  2  '179],  i65  :  «  A  la  vue  d'un  homme  qui  souffre,  nous  avons  d'abord  un 
sentiment  de  compassion  »,  etc.  Cf.  encore  ce  passage  d'.-\bauzit.  qui  peut  servir, 
d'ailleurs,  à  commenter  toute  cette  dissertation  sur  la  conscience,  instinct  de  l'âme. 
Religion  naturelle  i36],  54-55  :  «  Nous  ne  saurions  voir  sans  douleur  une  personne 
qui  soutire,  nos  entrailles  en  sont  émues,  et  ce  vif  sentiment  nous  porte  à  la  soulager, 
tant  il  est  vrai  que  la  nature  nous  sollicite  k  la  compassion...  Ce  sont  là  des  eftéts 
admirables  de  la  sagesse  de  Dieu,  qui  nous  a  faits  les  uns  pour  les  autres,  et  qui,  pour 
suppléer  k  la  lenteur  du  raisonnement,  a  voulu  nous  conduire  tout  d'un  coup  k  notre 
devoir.  Il  serait  k  souhaiter  qu'un  habile  homme  expliquât  en  détail  tout  ce  méca- 
nisme par  rapport  à  la  morale  ;  il  rendrait  un  service  considérable  au  public,  et  c'est 
ce  qu'on  pourrait  appeler  la  Religion  de  l'instinct:  mais  il  faut  prendre  garde  qu'elle 
ne  saurait  guère  avoir  lieu  dans  ceux  k  qui  des  habitudes  contraires  ont  gâté  le 
tempérament,  ou  qui,  par  une  mauvaise  éducation  dont  ils  n'ont  pas  été  les  maîtres, 
ont  dépouillé  toute  sorte  d'humanité.  Alors  il  faut  recourir  à  la  voie  du  raisonnement  ». 

'  Cf.  Vernet,  Vérité  de  la  Religion,  I,  2  [162],  I,  5o  :  «  Il  reste  toujours  dans  les 
cœurs  même  les  plus  vicieux,  une  empreinte  de  la  loi  naturelle,  qui  s'efface  difficile- 
ment. Personne  ne  peut  refuser  son  approbation  k  des  préceptes  de  justice.  On  admire 
les  beaux  exemples  ;  et  ceux  même  qui  ne  pratiquent  pas  la  vertu  ne  peuvent 
s'empêcher  de  l'honorer  ».  Cf.,  plus  haut,  à  la  note  i  de  la  p.  io3,  les  textes  de 
Locke  et  de  Hutcheson  sur  la  justice  des  voleurs.  Rousseau  n'avait  pas  oublié  cet 
exemple  traditionnel,  puisque  dans  la  première  rédaction  de  la  5'  Lettre  <j  Sophie, 
il  l'utilisait,  et  précisément  ici-méme  :  «  Il  n'v  a  point  de  féroce  assassin  qui  ne  coure 


250  REDACTIONS    MANUSCRITES 


On  parle  du  cri  des  remords  qui  punit  en  secret  les  crimes 
cachés  et  les  met  si  souvent  en  évidence.  Helas  !  qui  de  nous 
1  ne  connût  jamais  cette  voix  importune.  On  parle  par  expérience, 
et  l'on  voudroit  -  effacer  ce  sentiment  -^  involontaire  qui  nous 
donne  tant  de  tourment.  Obéissons  à  la  nature,  nous  connoitrons 
avec  quelle  douceur  elle  ^approuve  ce  qu'elle  a  commandé  et  quel 
charme  on  trou\e  ^à  se  rendre  un  bon  témoignage  de  soi.  Le 
méchant  se  craint  et  se  fuit,  il  s'égaye  en  se  jettant  hors  de  lui- 
même,  il  tourne  autour  de  lui  des  \eux  inquiets,  et  cherche  un 
objet  qui  l'amuse,  sans  ''la  raillerie  insultante  il  seroit  toujours 
triste.  Le  ris  moqueur  est  ("toujours  dans  '^  les  yeux  du  méchant). 
Au  contraire  la  sérénité  du  juste  est  intérieure;  son  ris  n'est  point 
de  malignité  mais  de  jo\"e,  il  en  porte  la  source  en  lui  même;  il 
est  aussi  gai  seul  qu'au  milieu  d'un  cercle,  il  ne  tire  pas  son 
contentement  de  ceux  qui  l'aprochent,  il  le  leur  communique. 


'  B.  (ne  connut)  ^n'entendit]. 
-  B.  étouffer. 

■■  B.  (involontaire)  [tiranniquej.  —  I.  involontaire. 

■•  B.  (approuve  ce  qu'elle  a  commandél   [régne].  —  I.  approuve  ce  qu'elle 
a  commandé. 

■'  B.  [après  l'avoir  écoutée]  à  se  rendre.  — I.  <  après  l'avoir  écoutée  >. 
°  B.  [la  satire  amére  sans]. 
'  [son  seul  plaisir]. 
»  [(ses)]. 


ÉDITION    ORIGINALE  25 1 

du   pauvre  ;  &  le  plus  féroce  assassin  soutient  un   homme  tombant  en 
défaillance  *. 

On  parle  ^  du  cri  des  remords,  qui  punit  en  secret  les  crimes 
cachés,  &  les  met  si  souvent  en  évidence.  Hélas!  |  qui  de  nous  n'en-  105] 
tendit  jamais  cette  importune  voix?  On  parle  par  expérience,  &  l'on 
voudroit  étouffer  ce  sentiment  tiranniquc  qui  nous  donne  tant  de 
tourment.  Obéissons  à  la  Nature,  nous  connoitrons  avec  quelle  dou- 
ceur elle  régne.  &  quel  charme  on  trouve  après  l'avoir  écoutée,  à  se 
rendre  un  bon  témoignage  de  soi.  Le  méchant  se  craint  &  se  fuit;  il 
s'égaye  en  se  jettant  hors  de  lui-même  ';  il  tourne  autour  de  lui  des 
yeux  inquiets.  &  cherche  un  objet  qui   l'amuse:  sans  la  satyre  amere. 


soutenir  un  homme  tombant  en  défaillance:  les  traîtres  mêmes  et  les  perfides,  en 
méditant  entre  eux  leurs  complots,  se  touchent  dans  la  main,  se  donnent  leur  parole  et 
respectent  leur  foi  ». 

■*  Rousseau  avait-il  donc  alors  oublié  ce  qu'il  racontera  plus  tard?  Cf.  Confes- 
sions, VIII.  QE  :  «  Deux  jours  après  notre  arrivée  à  Lvon,  comme  nous  passions  dans 
une  petite  rue  non  loin  de  notre  auberge.  Le  Maître  fut  surpris  d'une  de  ses  atteintes 
■^d'épilepsie]  ;  et  celle-là  fut  si  violente  que  j'en  fus  saisi  d'effroi.  Je  fis  des  cris,  appelai 
du  secours,  nommai  son  auberge  et  suppliai  qu'on  l'y  lit  porter;  puis,  tandis  qu'on 
s'assemblait  et  s'empressait  autour  d'un  homme  tombé  sans  sentiment  et  écumant  au 
milieu  de  la  rue,  il  fut  délaissé  du  seul  ami  sur  lequel  il  eût  dû  compter...  Je  tournai 
le  coin  de  la  rue,  et  je  disparus  ». 

*  Il  ne  saurait  s'agir  de  préciser  à  qui  Rousseau  fait  ici  allusion.  11  est  probable 
que  lui-même  ne  mettait  aucun  nom  particulier  derrière  cet  on,  car  l'idée  qu'il  rappe- 
lait était  fort  banale.  Si  pourtant.  —  comme  le  feront  voir  les  notes  suivantes,  —  dans 
cette  dissertation  sur  la  conscience,  le  poème  de  Voltaire  sur  La  Loi  Xaturelle  semble 
avoir  été  présent  à  l'esprit  de  Rousseau,  soit  pour  le  confirmer,  soit  pour  le  réfuter, 
on  pourra  admettre  que  Rousseau  ait  ici  songé  à  ces  vers  de  la  I'  Partie   22  T,  144-145  : 

C'est  la  loi  de  Trajan,  de  Socrate  et  la  vôtre. 
De  ce  culte  éternel  la  nature  est  l'apôtre  ; 
Le  bon  sens  la  reçoit,  et  les  remords  vengeurs, 
\és  de  la  conscience,  en  sont  les  défenseurs. 
Leur  redoutable  voix  partout  se  fait  entendre. 

'  Dans  ce  portrait  du  «  méchant  »,  il  y  a  un  désir  visible  de  riposter  au  mot 
fameux  de  Diderot,  qui  avait  si  fort  troublé  Rousseau,  Fils  Naturel,  VI,  3  [222],  66  : 
«  Vous  renoncez  à  la  société!  J'en  appelle  à  votre  cœur;  interrogez-le,  et  il  vous 
dira  que  l'homme  de  bien  est  dans  la  société  et  qu'il  n'y  a  que  le  méchant  qui  soit 
seul  »;  cf.  Confessions,  VllI,  327.  Déjà,  dans  une  note  du  II"  Livre  d'Emile.  Il,  73,  il 
avait  fait  une  allusion  à  la  maxime  de  Diderot  :  «  Un  auteur  illustre  dit  qu'il  n'y  a 
que  le  méchant  qui  soit  seul  ;  moi  je  dis  qu'il  n'y  a  que  le  bon  qui  soit  seul  »  ; 
Cf.  encore  IV'  Livre,  II,  191  :  «  L'n  être  vraiment  heureux  est  un  être  solitaire  »; 
maxime  qui  paraît  mal  s'accorder  avec  celle  de  \a*Leltre  à  DWlembert,  I,  237  :  «  Le 
plus  méchant  des  hommes  est  celui  qui  s'isole  le  plus  ».  .Mais,  comme  nous  l'avons  vu 
souvent  chez  Rousseau,  la  contradiction  n'est  qu'apparente  ;  et  la  diriérence  des 
contextes  le  montre  facilement  :  cf.,  plus  haut,  la  note  2  de  la  p.   100. 


252  REDACTIONS    MANUSCRITES 


Jeitez  les  yeux  sur  toutes  les  nations  du  monde,  parcourez 
toutes  les  histoires.  Parmi  tant  de  cultes  inhumains  et  bizarres, 
parmi  cette  prodigieuse  diversité  de  mœurs  et  de  caractères,  vous 
trouverez  par  tout  les  mêmes  idées  de  justice  et  d'honnêteté,  par 
tout  les  mêmes  principes  de  morale,  par  tout  les  mêmes  notions 
du  bien  et  du  mal.  L'ancien  paganisme  enfanta  des  Dieux  abomi- 
nables qu'on  eut  punis  ici  bas  comme  des  scélérats  et  qui  n'offroient 
pour  tableau  du  bonheur  suprême  que  des  forfaits  à  commettre 
et  des  passions  à  contenter.  Mais  le  vice  armé  d'une  autorité 
f°  165 ''°  sacrée  descendoit  en  vain  du  séjour  éternel;  lia  'nature  indignée 
le  repoussoit  du  cœur  des  humains.  (-On  celébroit)  les  -'débauches 
de  Jupiter  (mais)  on  (^  respectoit)  la  'tempérance  de  Xénocrate  ; 
la  chaste  lucréce  adoroit  l'impudique  Venus  l'intrépide  Romain 
sacrifioit  à  la  peur  ;  ^  [("  il  servoit)  le  Dieu  qui  mutila  son  père,  (*il 
recevoit)  sans  murmurer  (la  mort)  de  la  main  du  »  père  ].  '"Jamais 
de  si  méprisables  di\'inités  "ne  furent  servies  par  '-de  si  grands 


'  B.  (la  nature  indignée)  riconscience  univ  erselle  ?1  l'instinct  moral]. 

-  [En  célébrant]. 

'  (Die  ux). 

■*  [admiroii]. 

■''  B.  (tempera  nce)  [continence]. 

"  [(il  réveroit  son  père  en  servant  le  fils  de  Saturne  qui ou  jupiier  fut  il 

en  vain...  ou   le  (Dieu)   [fils] Le  fils  de  Saturne  avoit  mutilé Les  enfans 

mouroient  sans   murmurer...   Jupiter  avoit  en   vain le   Dieu   (parricide)  qui 

mutila  son  père  étoit...  ceux...  en  recev(ant)  [oir]  sans  murmurer  la  mort  de  la 
main  (paternelle)  [d'un  père]  il...  isoumis)  en  recevant  sans  murmurer)].  — 
B.  il  invoquoit. 

■   [en  invoquant]. 

"  [et  (soufFroitt   mouroit].  —  B.  et  (recevoiti   [mouroit]    sans   murmure  (la 
mort)  de  la  main. 

°  B.  sien. 

'"  B.  (Jamais  de  sil  [Les  plus    méprisables. 
"  B.  (nei. 
■^  B.  les  plus. 


EDITION    ORIGINALE  253 

sans  la  raillerie  insultante,  il  seroit  toujours  triste;  le  ris  moqueur  est 
son  seul  plaisir.  Au  contraire,  la  sérénité  du  juste  est  intérieure'-;  son 
ris  n'est  point  de  malignité,  mais  de  joie  :  il  en  porte  la  source  en 
lui-même;  il  est  aussi  gai  seul  qu'au  milieu  d'un  cercle;  il  ne  tire 
pas  son  contentement  de  ceux  qui  l'approchent,  il  le  leur  communique. 

I  Jettez  les  yeu.x  sur  toutes  les  Nations  du  monde,  parcourez  toutes  106 
les  Histoires.  Parmi  tant  de  cultes  inhumains  &  bizarres,  parmi  cette 
prodigieuse  diversité  de  mœurs  &  de  caractères,  vous  trouverez  par-tout 
les  mêmes  idées  de  justice  et  d'honnêteté  (^),  par-tout  les  mêmes  notions 
du  bien  &  du  mal  '.  L'ancien  paganisme  enfanta  des  Dieux  abomi- 
nables -  qu'on  eût  punis  ici-bas  comme  des  scélérats.  &  qui  n'oftroient 


laj    C,     D  :    honnêteté;    partout    les    mêmes   principes   de 
morale,  partout  les  mêmes  notions. 

'  Nouvelle  Héloïse  ilV.  iii,  IV,  3^0  :  «  La  jouiss.ince  de  la  venu  est  toute 
intérieure  et  ne  s'aperçoit  que  par  celui  qui  la  sent.  » 

'  Cf.  Vernet.  Instruction  chrétienne.  Il,  3  et  4  [2i3  ,  I.  5o-3i  :  «  D.  Tous  les 
peuples  ont-ils  connu  les  règles  de  morale  dont  vous  venez  de  parler?  —  R.  Tous 
les  peuples  les  connaissent  plus  ou  inoins  selon  qu'ils  sont  plus  ou  moins  accoutumés 

à  réfléchir On  convient  asse^  des  principes  généraux,  quoiqu'on   ne  s'accorde  pas 

touiours  dans  l'application  que  l'on  en  fait  »  ;  Pluche.  Spectacle  de  la  S'ature  [liy], 
V,  170  :  «  Le  cri  de  la  conscience  est  entendu  partout;  il  est  le  même  dans  tous  les 
siècles  et  dans  toutes  les  nations  »;  Abauzit,  Religion  naturelle  [i36  ,  35-38;  etc. 

'  Ce  tableau  de  toutes  les  turpitudes  morales,  consacrées  officiellement  par  les 
ditTérentes  religions  païennes,  était  devenu  un  tableau  banal,  mais  que  les  apologistes 
ou  les  philosophes  reprenaient  complaisamment.  quoiqu'avec  un  dessein  opposé  : 
Cf.,  parmi  les  livres  qu'avait  lus  Rousseau,  Abbadie,  R<:ligion  chrétienne,  I,  11,  7  [92]. 
I,  141-142.  Mandeville,  Origine  de  la  vertu  morale'  lîg].  II,  i2-i3,  Saint-Aubin,  Traité 
de  l'opinion  [141^,  II,  6,  La  Chambre,  Véritable  religion,  I,  7  [149],  1,  393.  Fréret, 
Lettre  de  Thrasybule  [189],  75,  etc.  Il  faut  s'arrêter  de  préférence  à  ceu.x  qui, 
comme  Rousseau,  ne  se  contentent  pas  de  rappeler  ces  bizarreries  cultuelles, 
mais  mettent  en  opposition  la  conduite  infâme  des  dieux  et  celle  des  âmes  honnêtes 
qui  les  invoquaient;  cf.  Bossuet.  Histoire  universelle,  II,  16  '88],  442:  «Toute 
la  Grèce  était  pleine  de  temples  consacrés  à  ce  Dieu  'l'amour  impudique],  et  l'amour 
conjugal  n'en  avait  pas  un  dans  tout  le  pavs.  Cependant  ils  détestaient  l'adultère 
dans  les  hommes  et  dans  les  femmes,  la  société  conjugale  était  sacrée  parmi 
eus»;  Barbeyrac.  Pré/ace  du  Droit  de  la  Sature  [107  .A],  19-20;  D'Espiard  de  la 
Cour,  Pensées  philologiques  [188]^  83-84  •  *  "  6St  étonnant  que  les  Athéniens  qui 
adoraient  des  dieux  scélérats  aient  été  de  si  honnêtes  gens.  11  n'est  aucun  crime  qui  ne 
put  être  justifié  par  l'exemple  de  quelque  divinité.  Jupiter  devait  être  le  protecteur  des 
adultères  et  des  incestueux,  Vénus  présidait  à  la  prostitution,  etc..  Est-il  possible 
que  Cimon,  qu'.A.ristide,  que  Conon  aient  adoré  de  pareilles  divinités?  Les  préjugés 
de  l'enfance  sont-ils  donc  si  puissants  sur  l'esprit  de  l'homme  qu'il  soit  impossible  de 
les  vaincre»?  Le  P.  Lami,  Morale  chrétienne,  II,  17  ]io6],  II,  223-226:  «  ]Les 
philosophes  et  poètes  païens]  professaient  une  religion  dont  les  dieux  adultères 
et  impudiques,  ivrognes,  homicides,  voleurs,  ne  leur  donnaient  point  d'idée  de 
la   vertu   qui   fût   favorable   à   cette   doctrine   [de  l'existence  d'une  loi  naturelle:  et 


254  REDACTIONS    MANUSCRITES 

hommes.  'L'immortelle  \oix  de  la  nature  plus  forte  que  celle 
des  Dieux  "mêmes  se  ^  faisoit  *  respecter  sur  la  terre  et  sembloit 
reléguer  dans  le  ciel  le  crime  a\^ec   les   coupables. 


11  est  donc  au  fond  des  âmes  un  principe  inné  de  justice  et  de 
■'  vérité,  sur  lequel  malgré  nos  propres  maximes  nous  jugeons 
nos  actions  et  celles  d'autrui  comme  bonnes  ou  mauvaises,  et 
c'est  à  ce   principe   que   je   donne   le   nom   de  conscience. 


'  B.   (L'immortelle   voix  de)   [(les   droits   sacrés  de)   [la    sainte  voix  de]   la 
nature  plus  &  forte  »  [(forts)]. 
-  B.  (  mêmes  I. 
•*  B.  «  faisoit  «  [(faisoienl)). 

■*    (ho  NOBEP). 

^  B.  vertu. 


EDITION    ORU.IXAI.1-:  255 

pour  tableau  du  bonheur  suprême,  que  des  forfaits  à  commettre  &  des 
passions  à  contenter.  Mais  le  Vice,  armé  d'une  autorité  sacrée,  descendoit 
en  vain  du  séjour  éternel,  l'instinct  moral  le  repoussoit  du  cœur  des 
humains.  En  célébrant  les  débauches  de  Jupiter,  on  admiroit  la  con- 
tinence de  Xénocrate  ■';  la  chaste  Lucrèce  adoroit  l'impudique  Vénus; 
l'intrépide  Romain  sacrifioit  à  la  Peur*:  il  invoquoit  le  Dieu  qui  mutila 
son  I  père  ',  &  mouroit  sans  murmure  de  la  main  du  sien  :  les  plus  .107] 
méprisables  Divinités  furent  servies  par  les  plus  grands  hommes.  La 
sainte  voix  de  la  Nature  '^,  plus  forte  que  celle  des  Dieux,  se  faisoit 
respecter  sur  la  terre,  &  sembloit  reléguer  dans  le  ciel  le  crime  avec 
les  coupables  -^ 

Il  est  donc  au  fond  des  âmes  un  principe  inné  de  justice  &  de 
vertu,  sur  lequel,  malgré  nos  propres  maximes,  nous  jugeons  nos 
actions  &  celles  d'autrui  comme  bonnes  ou  mauvaises;  &  c'est  à  ce 
principe  que  je  donne  le  nom  de  conscience  *. 


cependant  ils  parlent  tous  avec  éloquence  de  la  force  de  ces  sentiments  intérieurs  qui 
nous  font  estimer  la  vertu  et  mépriser  et  haïr  le  vice  »  ;  Toussaint,  Discours  préli- 
minaire des  Sfœurs  [184].  p.  xxxvii  :  «  Jesuis  sûr  qu'à  Rome,  où  l'on  adorait,  comme 
à  Sparte,   un  Jupiter  impudique,  l'adultère  passait  pour  un  crime  ■». 

•  La  continence  de  Xénocrate  était  rappelée  dans  .Montaigne,  Essais.  Il,  33  jd, 
II,  536.  dans  Saint-.Aubin,   Traité  de  l'opinion    141],  V,  82.  ' 

■*  Cette  constatation  antithétique  lui  a  été  probablement  suggérée  par  Saint-Aubin 

!i4i],  II,  6  :  «  Les  Lacédémoniens  ont  élevé  des  autels  à  la  crainte les  Romains  à 

la  terreur  ». 

'  Cet  exemple  manque  dans  la  Lettre  à  Sophie:  il  provient  certainement  d'une 
lecture  faite  par  Rousseau  entre  les  deux  rédactions,  lecture  dont  il  n'a  pas  dû  tirer 
parti  immédiatement,  car  il  se  trompe  en  croyant  que  c'est  Jupiter  qui  a  mutilé 
Saturne  (cf.  les  nombreuses  variantes  de  F  qui  montrent  l'erreur  de  Rousseaui.  Il  a 
pu  noter  le  fait  dans  les.  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscriptions  qu'il  dépouillait 
très  soigneusement  icf.  l'un  de  ses  cahiers  de  notes  5],  1-21.  On  trouve,  en  effet,  tout 
le  récit  de  la  mutilation  de  Saturne  dans  les  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  de  la 
Religion  de  la  Grèce,  par  M.  de  la  Barre  [43],  XVIII,  4.  Je  crois  cependant  plus 
vraisemblable  que  ce  trait  a  été  emprunté  à  Fréret,  précisément  dans  son  réquisitoire 
contre  les  mœurs  des  dieux  antiques,  Lettre  de  Thrasybule  [189],  j5  :  *  Elianus 
mutilé  par  Saturne  et  dépouillé  de  sa  couronne,  le  même  Saturne  chassé  de  son 
trône  par  son  fils  Jupiter  ».  Rousseau  a  confondu  et  fusionné  les  deux  exemples. 

-  Souvelle  Héloïse  illl,  xviiii,  IV,  249  :  «  La  douce  voix  de  la  Nature,  qui 
réclame  au  fond  de  tous  les  coeurs  contre  une  orgueilleuse  philosophie  ». 

•■'  Il  est  assez  piquant  de  remarquer  que  Mandeville,  Recherches  sur  l'origine 
de  la  vertu  morale  lâo].  11,  i2-i3,  après  avoir  signalé  le  même  contraste  entre  les 
vices  des  «  dieux  de  l'ancien  paganisme  »  et  les  vertus  des  hommes  illustres  de 
l'Antiquité,  y  voyait  une  preuve  évidente,  non  point  de  «  la  sainteté  de  la  voix  de 
la  Nature  »,  mais  de  la  toute  puissance  de  l'intérêt. 

'  Comparez  cette  définition  avec  celle  de  Puffendorf,  Droit  de  la  Satwe, 
I,  m.  4    107  Bj,  1,  44  :  «  On  appelle  en  particulier  du  nom  de  conscience,  le   jugement 


256  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

Mais  à  ce  mot  j'entens  s'élever  '  de  toutes  parts  la  voix 
des  philosophes,  erreurs  de  l'enfance,  préjugés  de  l'éducation, 
s'ecrient-ils  tous  '^  comme  de  concert  :  Il  n'\  a  rien  dans  ''l'enten- 
dement humain  que  ce  qui  s'\'  introduit  par  l'expérience,  et  nous 
ne  jugeons  d'aucune  chose  que  sur  des  idées  acquises.  Ils  font 
plus,  cet  accord  évident  et  universel  de  toutes  les  nations,  ils 
l'osent  rejetter  et  contre  ■*  cette  éclatante  uniformité  du  jugement 
des  hommes  ils  vont  chercher  dans  les  ténèbres  quelque  exemple 
obscur  et  connu  d'eux  seuls  comme  [sij  tous  les  penchans  de  la 
nature  étoient  anéantis  par  la  dépravation  ^de  quelques  hommes, 
et  que  sitôt  qu'il  est  des  monstres  (*  1')  espèce  ne  fut  plus  rien. 
Mais  que  servent  au  sceptique  Montagne  les  tourmens  qu'il  se 
donne  pour  déterrer  en  '  un  coin  du  monde  une  coutume  opposée 
aux  notions  de  la  justice?  Que  lui  sert  de  donner  au  plus  "mépri- 
sable et  suspect  voyageur  -'une  autorité  qu'il  refuse  aux  écrivains 
les  plus  célèbres?  Quelques  usages  incertains  et  bizarres  fondés 
sur  des  causes  ('"  particulières)  qui  nous  sont  inconnues  detruiront- 
ils  l'induction  générale  tirée  du  concours  de  tous  les  peuples 
opposés  en  tout  le  reste  et  d'accord  sur  ce  seul  point?  ô  Montagne, 
toi  qui  te  piques  de  franchise  et  de  vérité  sois  sincère  et  vrai  si 
un  philosophe  peut  l'être  et  dis  moi  s'il  est  quelque  "  climat  sur 
la  terre  où  ce  soit  un  crime  de  garder  sa  foi,  d'être  clément, 
bienfaisant,  généreux,  où  l'homme  de  bien  soit  méprisable  et  le 
scélérat  honoré  ? 


'  B.  (de  toules  parts  1  la  clameur  des  prétendus   sages;  erreurs  de  Penfance. 
-  B.  [(corn  me)]. 
^  B.  l'esprit. 

'  B.  r. 

'^  B.  (de  quelques  hommes)  [d'un  peuple]. 

'^  [une].  —  B.  l'espèce. 

'  (quel  que).  —  B.  (quelque)  [un[. 

"  B.  <  méprisable  et  >. 

"  B.  r. 

'"  [locales]. 
"  B.  pays. 


EDITION"    ORIGINALE  257 

Mais  à  ce   mot   j'entends  s'élever  de  toutes  parts  la  clameur  des 
prétendus  sages  ^  :  erreurs  de  l'enfance,  préjugés  de  l'éducation,  s'écrient- 


inlérieur  que  chacun  porte  des  actions  morales,  en  tant  qu'il  est  instruit  de  la  loi, 
et  qu'il  agit  comme  de  concert  avec  le  législateur  dans  la  détermination  de  ce  qui 
est  bon  ou  mauvais,  et  par  conséquent  ce  que  l'on  doit  faire  et  ne  pas  faire  ». 
Pédantisme  en  moins,  la  définition  de  Rousseau  équivaudrait  à  celle  de  Puflendorf, 
si  la  réserve  «  en  tant  qu'il  est  instruit  de  la  loi  »  ne  supposait  chez  Puffendorf, 
dans  la  constitution  de  la  morale,  tout  un  travail  de  réflexion  que  Rousseau 
remplace  par  les  intuitions  de  l'instinct.  Cf.,  plus  haut,  la  note  2  de  la  page  100. 
'  .Même  transition  chez  Voltaire,  Loi  naturelle,  11    22r],  446  : 

J'entends  avec  Cardan  Spinoza  qui  murmure  : 
Ces  remords,  me  dit-il,  ces  cris  de  la  nature, 
Ne  sont  que  l'habitude,  et  les  illusions 
Qu'un  besoin  mutuel  inspire  aux  nations. 


On  insiste,  on  me  dit  :  l'enfant  dans  son  berceau 

N'est  point  illuminé  par  ce  divin  flambeau; 

C'est  l'éducation  qui  forme  ses  pensées; 

Par  l'exemple  d'autrui  ses  mœurs  lui  sont  tracées; 

//  n'a  rien  dans  l'esprit,  il   n'a  rien  dans  le  cœur; 

De  ce  qui  l'environne  il  n'est  qu'imitateur. 

Cf.  encore  chez  .\bbadie.  Religion  chrétienne,  I,  11,  8,  dans  un  chapitre  qui  est 
intitulé  :  «  Où  l'on  établit  qu'il  y  a  une  distinction  nécessaire  et  naturelle  entre  le 
bien  et  le  mal  »  '92^,  1,  145  :  «  C'est  un  préjugé  de  l'éducation,  dira  quelqu'un,  qui 
nous  fait  regarder  ces  actions  comme  des  crimes.  Non,  ce  n'est  point  un  préjugé  »,  etc. 
Rousseau,  lui-même,  quelques  années  auparavant,  semble  avoir  eu.  sur  ce  sujet,  des 
hésitations  ;  cf.  le  passage  suivant  du  I"  Contrat  Social,  où.  sans  adhérer  formellement 
à  l'empirisme  moral,  il  parait  moins  certain  de  la  valeur  absolue  de  la  conscience  [39], 
253  :  «  [L'hommej  écoutera-t-il  la  voix  intérieure  ?  Mais  cette  voix  n'est,  dit-on,  formée 
que  par  l'habitude  de  juger  et  de  sentir  dans  le  sein  de  la  société  et  selon  ses  lois  ;  elle 
ne  peut  donc  servir  à  les  établir.  Et  puis  il  faudrait  qu'il  ne  se  fut  élevé  dans  son  cœur 
aucune  de  ces  passions  qui  parlent  plus  haut  que  la  conscience,  couvrent  sa  timide  voix 
et  font  soutenir  aux  philosophes  que  cette  voix  n'existe  pas  ».  .\  ces  théories  de  scepti- 
cisme moral,  Rousseau  va  opposer  ici  les  arguments  traditionnels.  Si  elles  n'étaient  pas 
toutes  si  longuement  développées,  on  pourrait  mettre  en  regard  de  sa  réponse,  celles  de 
Cumberland,  Lois  naturelles,  I,  1  169,  38  sqq,  Clarke,  Existence  de  Dieu,  11,  3, 
«  Réponse  à  l'objection  prise  de  l'ignorance  entière  de  quelques  nations  barbares  en  fait 
de  morale  »  'i25].  II,  68-69  ^t  126-128,  .Marivaux,  Spectateur  français  [129],  I,  323-324, 
Pluche,  Spectacle  de  la  Sature  'i3f,  V,  142-143,  Barbeyrac,  Préface  du  Droit  de  la 
Nature,  |  IV  :  «  Examen  d'une  autre  objection  tirée  de  la  grande  diversité  de  senti- 
ments qu'il  y  a  parmi  les  hommes  en  matière  de  vertus  et  de  vices  »  [^107  A],  13-14.  Je 
transcris  en  partie  cette  page  de  Barbeyrac,  dont  la  contexture  et  le  mouvement  final 
sont  identiques  chez  Rousseau  :  «  C'est  dans  cette  vue  que  les  Pyrrhoniens  autrefois 

faisaient  une   longue  énumération  des  contrariétés  qu'ils  remarquaient  là-dessus 

C'est  le  raisonnement  de  .Montaigne  qui,  parmi  un  grand  nombre  de  belles  et  judicieuses 
pensées,  a  trop  laissé  voir  un  esprit  de   pyrrhonisme  poussé  au-delà  de   ses   justes 

bornes .'Vlais  tournons  la  chose  autrement:  et  de  cette  objection  même  nous  verrons 

sortir  une  preuve  assez  forte,  ou,  pour  le  moins,  un  préjugé  favorable  de  l'évidence 
naturelle  des    principesde  la   morale...    Il  parait  par  l'histoire,  que  les  peuples,  qui 


258 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION    ORIGINALE  25g 

ils  ''  tous  de  concert  '  !   11   n'v  a  rien  dans  l'esprit  humain  que  ce  qui  s'y 

introduit  par  l'expérience;  &  nous  ne  jugeons  d'aucune  chose  que  sur 

des  idées  acquises  *.  Ils  ]  font  plus  ;  cet  accord  é\  ident  &  universel  de         108] 

toutes  les  Nations,   ils  l'osent  rejetter;  &  contre  l'éclatante  uniformité 

du  jugement  des  hommes,  ils  vont  chercher  dans  les  ténèbres  quelque 

exemple  obscur  &  connu  d'eux  seuls,  comme  si  tous  les  penchans  de 

la  Nature  étoient  anéantis  par  la  dépravation  d'un  peuple,  &  que  si-tôt 

qu'il  est  des  monstres,  l'espèce  ne  fût  plus  rien.   .Mais  que  servent  au 


semblent  n'avoir  eu  aucun  senliment  de  vertu  sont  en  très  petit  nombre.  De  l'aveu 
même  de  .M.  Bavle,  les  régies  les  plus  générales  des  mœurs  se  sont  conservées 
presque  partout  et,  pour  le  moins,  elles  se  sont  maintenues  dans  toutes  les  sociétés 
où  l'on  cultivait  l'esprit.  Y  a-t-il  quelque  nation,  disait  autrefois  un  grand  orateur  et 
philosophe  païen,  où  l'on  n'aime  pas  la  douceur,  la  bonté,  la  reconnaissance  ?  et  où 
l'on  ne  regarde  pas  avec  mépris  et  avec  horreur  les  orgueilleu.x,  ceux  qui  prennent 
plaisir  ji  faire  du  mal  à  autrui,  les  cruels,  les  ingrats?  (Cicer.,  De  Lefç.,  I,  ii)  ». 

*  .Même  mouvement  dans  la  Lettre  à  D'Alembert,  1,  233  :  «  Préjugés  populaires, 
me  crie-t-on.  petites  erreurs  de  l'enfance  !  tromperie  des  lois  et  de  l'éducation  »  ! 

'  «  Tous  »,  c'est-à-dire  tous  les  pyrrhoniens  de  la  morale,  qui  se  résument,  pour 
ainsi  dire,  en  Montaigne.  Rousseau  songe  aussi  à  Locke,  Entendement  humain,  I,  2 
fi02],  24-42,  à  Mandeville,  qu'il  avait  lu,  et  qui  lui  était  si  antipathique,  ai.  Recherches 
sur  la  société  [iSg],  II,  149-151,  et  sans  doute  encore  à  Fréret  ;  cf.  Lettre  de  Thrasybute, 
le  paragraphe  qui  se  termine  par  cette  déclaration  '189],  228  :  «  Les  idées  de  justice 
et  d'injustice,  de  vertus  et  de  vices,  de  gloire  et  d'infamie  sont  absolument  arbitraires 
et  dépendantes  de  l'habitude  ».  (Je  ne  cite  pas  ici  Helvetius,  le  livre  De  L'Esprit  ayant 
paru,  quand  ces  pages  étaient  déjà  rédigées  sous  leur  première  formel.  Montaigne  est 
le  seul  interpellé,  parce  qu'il  est  le  plus  connu  et.  de  l'avis  de  tous,  le  plus  représen- 
tatif. C'est  lui  aussi  que  Barbeyrac  avait  nommé,  lui  encore  sur  qui  Helvetius  s'ap- 
puiera pour  démontrer  qu'  «  une  action  vertueuse  au  nord  est  vicieuse  au  midi  » 
et  que  «  l'idée  de  la  vertu  est  purement  arbitraire  »  :  cf.  De  L'Esprit,  II,  i3  [225  A], 
|33-.  Il  est  inutile  de  rappeler  ici  tous  les  textes  de  Montaigne  où  s'étale  avec  joie  ce 
scepticisme  moral.  Voici  du  moins  les  plus  frappants,  dont  Rousseau  s'est  peut-être 
souvenu.  Essais,  I,  23  [76],  I,  146  :  «  Les  lois  de  la  conscience  que  nous  disons  naître 
de  nature  naissent  de  la  coutume»;  II,  12  [76],  II,  336-337;  «  Ils  sont  plaisants, 
quand,  pour  donner  quelque  certitude  aux  lois,  ils  disent  qu'il  y  en  a  aucunes  fermes, 

perpétuelles  et   immuables   qu'ils   nomment  naturelles Le  meurtre  des  enfants, 

meurtre  des  pères,  communication  de  femmes,  trafic  de  voleries,  licence  à  toutes  sortes 
de  voluptés,  il  n'est  rien  en  somme  si  extrême  qui  ne  se  trouve  reçu  par  l'usage  de 
quelque  nation  ».  On  sait,  d'ailleurs,  combien  Rousseau  avait  pratiqué  .Montaigne,  et 
quelle  est  l'influence  des  Essais  sur  les  deux  premiers  Discours,  et  même  sur  Emile  : 
cf.  le  livre  de  .M.  Pierre  Villey  >88\  Si  l'on  en  croit  sa  fille.  M"'  Corancez 
aurait  possédé  une  édition  de  Montaigne  que  Rousseau  aurait  annotée  tout  exprès 
pour  elle  :  cf.,  à  la  Bibliographie,  la  note  du  n°  76. 

*  Cette  dernière  formule  vise  évidemment  Locke  et  ceux  qui  combattent  les  idées 
innées,  même  en  morale;  cf.  le  titre  du  Chapitre  II  cité  à  la  note  précédente  :  «  Qu'il 
n'y  a  point  de  principes  de  pratique  qui  soient  innés  ».  Rousseau  expliquera  plus  loin 
(cf.  p.  1  12  et  note  3i  ce  qu'il  croit  pouvoir  admettre  d'inné  dans  le  sentiment  moral. 


200  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION    ORUilNALK  201 

sceptique  Montaigne  '  les  tourmens  qu'il  se  donne  pour  déterrer  en 
un  coin  du  monde  une  coutume  opposée  aux  notions  de  la  justice?  Que 
lui  sert  de  donner  aux  plus  suspects  voyageurs  l'autorité  qu'il  refuse 
aux  Ecrivains  les  plus  célèbres  -  ?  Quelques  usages  incertains  &  bizarres, 
fondés  sur  des  causes  locales  qui  nous  sont  inconnues,  détruiront-ils  l'in- 
duction générale  tirée  du  concours  de  tous  les  peuples,  opposés  en  tout 
le  reste,  &  d'accord  i  sur  ce  seul  point?  O  Montaigne!  toi  qui  te  piques  [109] 
de  franchise  &  de  vérité,  sois  sincère  &  vrai  ^  si  un  Philosophe  peut 
l'être,  &  dis-moi  s'il  est  quelque  pavs  sur  la  terre  où  ce  soit  un  crime 
de  garder  sa  foi.  d'être  clément,  bienfaisant,  généreux  :  où  l'homme 
de  bien  soit  méprisable,  &  le  perfide  honoré  -? 


■  Le  nom  de  jMontaigne  se  trouve  deux  fois  dans  ce  paragraphe.  Rousseau  a 
écrit  Montagne  les  deux  fois  dans  F  et  dans  .M,  Montagne  et  Montaigne  dans  B, 
Montaigne  les  deux  fois  dans  I.  Mais  dans  ce  dernier  manuscrit,  qui  est  la  copie  à 
main  reposée  pour  l'impression,  il  hésite  encore  entre  les  deux  orthographes  : 
cf.  Montagne,  I,  126,  i33,  274,  II,  79,  102,  et  Stontaigne ,  II,  3/,  38.  Pourtant  Rousseau 
semble  s'être  rallié  définitivement  à  l'orthographe  Montaigne.  Sur  l'exemplaire  corrigé 
d'Emile,  partout  où  il  avait  laissé  dans  la  première  édition  Montagne,  il  a  corrigé  en 
Montaigne,  I,  325,  344,  II,  283,  111,  217,  283.  Cf.  les  remarques  qu'avait  déjà  faites 
M.  Théophile   Dufour  '38],  274. 

'  Même  remarque  chez  Saint-.\ubin,  Traité  de  l'opinion  '  141  .  Il,  73  :  «  Croi- 
rons-nous si  légèrement,  sur  un  article  de  cette  importance,  des  relations  auxquelles 
souvent  on  ajoute  si  peu  de  foi  en  ce  qui  concerne  les  choses  les  plus  indifférentes? 
un  récit  incertain  et  superficiel  balancera-t-il  le  témoignage  qui  est  au-dedans  de 
nous  »  ? 

'  Cf.  Féraud,  Dictionnaire  critique  [256],  III,  840  ;  «  Vrai...  .Autrefois  on  ne 
le  disait  point  des  personnes  dans  le  sens  de  sincère,  qui  aime  et  qui  dit  la  vérité. 
Du  temps  de  M""  de  Sévigné,  il  était  si  peu  employé  qu'elle  s'en  sert  comme  d'un 
mot  heureux  qu'elle  hasarde  ».  C'est,  au  contraire,  un  emploi  fréquent  chez  Rousseau-: 
Cf.,  plus  loin,  dans  la  Profession,  pp.  197  et  199  («  sincère  et  vrai  »);  cf.  encore, 
Emile,  11,  78,  290.  357,  Nouvelle  Héloïse.  \\.  288  l«  sincère  et  vrai  »i.  347,  413 
(«  sincère  et  vrai  »),  V,  66,  etc. 

'La  question  avait  déjà  été  posée  par  les  plus  illustres  tenants  de  la  morale 
universelle  ;  cf.  Voltaire,  Loi  naturelle,  I  '221],  445  : 

Jamais  un  parricide,  un  calomniateur, 
N'a  dit  tranquillement  dans  le  fond  de  son  cœur  : 
Qu'il  est  beau,  qu'il  est  doux  d'accabler  l'innocence. 
De  déchirer  le  sein  qui  nous  donna  naissance. 

L'affirmation  de  Rousseau  est  encore  plus  prudente,  précisément,  je  crois,  parce  que 
Montaigne  a  rangé  le  parricide  parmi  les  crimes  qui  ne  révoltaient  point  certaines 
nations.  Il  préfère  donc  s'en  tenir  à  la  formule  plus  générale  de  Barbeyrac  {c(.  le  texte 
cité  à  la  note  5  de  la  p.  107)  ou  de  Hutcheson,  II,  4  ^igi],  11,  197  :  «  Il  faudrait  pouvoir 
nous  montrer  des  hommes,  chez  qui  \a  trahison,  l'ingratitude  et  la  cruauté  fussent 
vues   du    même   ceil    que    la  générosité,    l'amitié,    la   fidélité   et  l'humanité  ».    Même 


202  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

B,  f°  152  ''°  Chacun  dit-on  concourt  au  bien  public  pour  son  intérest;  mais  d'où 

vient  donc  que  le  juste  y  concourt  à  son  préjudice?  Qu'est-ce  qu'aller  à 
la  mort  pour  son  intérest  ?  Sans  doute  nul  n'agit  que  pour  son 
bien;  mais  (' c'est  qu'il)  est  un  bien  moral  dont  il  faut  tenir  [(Compte] 
(sans  quoi  1')  on  n'expliquera  j'amais]  par  l'interest  propre  que  les 
fo  -£5^  vo  a(.fiQps  jg^  méchans.  ||  [  ^  Il  est  [même]  à  croire  qu'on  ne  tentera 
(■^  jamais!  serieusementj  d'aller  plus  loin.  «  *  Ce  seroit  une»  ^  philosophie 
C'  bien  abominable)  «  que  »  celle  où  «  l'on  seroit  »  embarrassé  des  (exemples 
d')  actions  vertueuses  (et)  où  l'on  ne  pourroit  se  tirer  d'affaire  qu'en 
leur  controuvant  des  intentions  basses  et  des  motifs  sans  vertu,  ou  l'on 
seroit  forcé  fd'avilir  Socrate  et]  de  calomnier  Regulus.  (''  Abandonnons 
8  ces  vaines  doctrines)  à  l'horreur  ('qu'elles  font  à)  leurs  propres  ('"secta- 
teurs. Jamais)  '^  le  cri  de  la  nature  qui  i'- reclame)  contre  elles  ne  [leur] 
(1^  laissera)  un  seul  «  sectateur  »  de  bonne  foi]. 


F,  f°  165 ''°  '4  Je  n'ai  pas   dessein  d'entrer  ici  dans  des  discussions  meta- 

phisiques  qui  "  ne  mènent  à  rien.  Je  vous  ai  déjà  dit  que  je  ne 


'  [s'il  n']. 

'  (Et). 

'  [point]. 

■*  [(et  quelle  abominable)]. 

'"  [trop  abominable]  philosophie. 

"  [(trop  abominable...  seroit)]. 

'  (Pour  justifier  la  doctrine....  Laissons  s'élever  le  cri  des  cœurs).  [Si 
jamais  de  pareilles  doctrines  (s'elevenl)  pouvoient  germer  parmi  nous  il  suffiroit 
de  les  abandonner]  à  l'horreur. 

»  [les]. 

»  [de]. 

'"  [auteurs  (et)  à  la  contradiction  de  leur  (propre)  conduite  (jamais)  sans 
que  jamais]  le  cri  de.  —  M.  sûr  que  jamais. 

"  (la  voi.x). 

'"  [s'élève], 

"  [(en)  peut  laisser]. 

"  B.  (Je)  Mon  dessein  n'est  pas  d'entrer.  —  I.  Mon  dessein  (de)  n'est 
pas. 

'■''  B.  passent  (ma  portée)  [vôtre  portée  et  la  mienne]  et  qui  dans  le  fond 
ne  mènent. 


ÉDITION   ORIGINALE  263 

Chacun,  dit-on  ^.  concourt  au  bien  public  pour  son  intérêt;  mais 
d"où  vient  donc  que  le  juste  y  concourt  à  son  préjudice  ?  Qu'est-ce 
qu'aller  à  la  mort  pour  son  intérêt?  Sans  doute  nul  n'agit  que  pour 
son  bien  :  mais  s'il  n'est  un  bien  moral  dont  il  faut  tenir  compte,  on 
n'expliquera  jamais  par  l'intérêt  propre  que  les  actions  des  méchans. 
Il  est  même  à  croire  qu'on  ne  tentera  point  d'aller  plus  loin.  Ce  seroit 
une  trop  abominable  philosophie  que  celle  où  l'on  seroit  embarrassé  des 
actions  vertueuses,  où  l'on  ne  |  pourroit  se  tirer  d'affaire  qu'en  leur  [110] 
controuvant  *  des  intentions  basses  &  des  motifs  sans  vertu,  où  l'on 
seroit  forcé  d'avilir  Socrate  &  de  calomnier  Regulus  2.  Si  jamais  de 
pareilles  doctrines  pouvoient  germer  parmi  nous,  la  voix  de  la  Nature, 
ainsi  que  celle  de  la  raison,  s'éleveroient  incessamment  ^  contr'elles,  &  ne  ■ 
laisseroient  jamais  à  un  seul  de  leurs  partisans  l'excuse  de  l'être  de 
bonne  foi. 


Mon  dessein  n'est  pas  d'entrer  ici  dans  des  discussions  métaphysiques 


argumentation  dans  Burlamaqui,  Droit  naturel,  III,  5  [179.  167-168,  Cumberland, 
Lois  naturelles,  1,  26  j6g],  77.  Le  texte  de  Cumberland  était  cité  par  Clarke.  Existence 
de  Dieu,  U,  3  [i25],  H.  127-12S. 

•  Ce  paragraphe  a  été  ajouté  dans  B  après  la  lecture  d'Helvetius  ;  Cf.  De  L'Esprit, 
III,  4  [225  A],  276-277  :  «Je  découvre  facilement  la  source  des  vertus  humaines  :  Je  vois 
que,  sans  la  sensibilité  à  la  douleur  et  au  plaisir  physique,  les  hommes,  sans  désirs, 
sans  passions,  également  indifférents  à  tout,  n'eussent  point  connu  d'intérêt  personnel  ; 
que  sans  intérêt  personnel,  ils  ne  se  fussent  point  rassemblés  en  société,  n'eussent 
point  fait  entr'eux  de  convention,  qu'il  n'y  eut  point  eu  d'intérêt  général,  par  consé- 
quent point  d'actions  justes  ou  injustes:  et  qu'ainsi  la  sensibilité  physique  et  l'intérêt 
personnel  ont  été  les  auteurs  de  toute  justice.  Cette  vérité,  appuyée  sur  cet  axiome 
de  jurisprudence,  l'intérêt  est  la  mesure  des  actions  des  hommes,  et  confirmée 
d'ailleurs  par  mille  faits,  me  prouve  que,  vertueux  ou  vicieux,  selon  que  nos  passions 
ou   nos  goûts  particuliers  sont  conformes  ou   contraires  à    l'intérêt  général,   nous 

tendons nécessairement  à  notre  bien  particulier  ».   Helvetius  ajoutait  en  note  : 

«  On  ne  peut  nier  cette  proposition  'que  la  sensibilité  phvsique  et  l'intérêt  personnel 
ont  été  les  auteurs  de  toute  justice]  sans  admettre  les  idées  innées  ».  Et  c'est,  en  elfet. 
on  le  verra,  sur  l'innéité  de  certaines  idées  morales  que  le  débat  va  bientôt  porter. 

'  Cf.  Féraud,  Dictionnaire  critique  [256],  I,  576  :  «  Controuver,  inventer  une 
fausseté  pour  nuire  à  quelqu'un  ».  Cf.  111*  Livre  d'Emile,  II,  175  :  «  Celui  qui 
conlrouve  des  rapports  imaginaires  »  ;  IV'  Livre,  209  :  «  L'historien  m'en  donne  une 
[cause  des  événements],  mais  il  la  conlrouve»;  Lettre  à  Saint-Germain,  du  26  Fé- 
vrier 1770.  XII,  181  :  «  C'est  à  qui  me  controuvera  le  plus  de  crimes  ». 

'  On  sait  l'antipathie  de  Rousseau  pour  La  Rochefoucauld  ;  cf.  Confess  ons, 
Vlil,  78;  Nouvelle  Héloïse  illl,  xx),  iV,  258,  note  :  «  Jamais  son  triste  livre  ne  sera 
goûté  des  bonnes  gens  ». 

'  Le  mot  était  déjà  un  peu  vieilli  dans  le  sens  où  l'emploie  Rousseau,  c'est-à-dire  : 


264  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

voulois  'point  disputer  avec  les  philosophes,  mais  2 parler  à  vôtre 
cœur.  Quand  tous  les  philosophes  ■'  du  monde  prouveroient  que 
j'ai  tort,  si  vous  sentez  que  j'ai  raison,  je  n'en  veux  pas  davantage. 


Il  ne  faut  pour  cela  que  vous  faire  distinguer  nos  (*  perceptions) 
acquises  de  nos  sentimens  naturels  :  car  nous  sentons  nécessai- 
rement avant  de  connoitre,  et  comme  nous  n'apprenons  point  à 
vouloir  nôtre  bien  ^personnel  et  à  fuir  ''nôtre  mal,  mais  ["que 
nous]  tenons  cette  volonté  de  la  nature,  de  même  l'amour  du 
bon  **  et  la  haine  du  mau\ais  nous  sont  aussi  naturels  que  "nôtre 
propre  existence.  Ainsi  quoique  les  idées  nous  viennent  du  dehors 
les  sentimens  qui  les  apprécient  sont  au  dedans  de  nous  '"et  c'est 
par  eux  seuls  que  nous  "connoissons  la  convenance  ou  discon- 
venance qui  existe  entre  nous  et  les  choses  que  nous  devons 
rechercher  ou  fuir. 

Exister  pour  nous  c'est  sentir,  '-et  nôtre  sensibilité  est  incon- 
testablement antérieure  à   nôtre   '■''  raison   même.    Quelle   que   soit 

'  B.  pas  philosopher  avec  vous,  mais. 

-  B.  (parler  à)  [Vous  aider  à  consulter]  votre  cœur. 

^  I.  <  du  monde  >. 

*  [idées]. 

^  B.  <  personnel  >. 

"  (même  ?). 

'  B.  (que  nous). 

"  B.  (moral  1. 

'■'  B.  (notre  propre  existence  I  [l'amour  de  nous-mêmes.  Les  actes  de  la 
conscience  ne  sont  pas  des  jugemens  mais  des  sentimens].  (Ainsi)  quoique  (les) 
[toutes  nos]   idées. 

'"  B.  ([ils  sont  innés]). 

"  M.  jugeons  de  la. 

'■  B.  (et). 

"  B.  (raison  même)  [intelligence],  et  nous  avons  eu  des  sentimens  avant 
des  idées  *. 

*  [en  note].  .\  certains  égards  les  idées  sont  des  sentimens  et  les  sentimens 
sont  des  idées.  Les  deux  noms  conviennent  à  toute  perception  qui  nous  occupe, 
et  de  son  objet  et  de  nous-mêmes  qui  en  sommes  alïectés  :  il  n'y  a  que  l'ordre  de 
cette  affection  qui  détermine  le  nom  qui  lui  convient.  Lorsque  premièrement 
occupés  de  l'objet  nous  ne  pensons  à  nous  que  par  réflexion,  c'est  une  idée  ;  au 
contraire  quand  l'impression  reçue  excite  nôtre  première  attention,  et  que  nous 
ne  pensons  que  par  réflexion  à  l'objet  qui  la  cause,  c'est  un  sentiment. 


ÉDITION    ORIGINALE  265 

qui  passent  ma  portée  &  la  vôtre,  &  qui,  dans  le  fond,  ne  mènent  à 
rien.  Je  vous  ai  déjà  dit  que  je  ne  voulois  pas  philosopher  avec  vous, 
mais  vous  aider  à  consulter  votre  cœur.  Quand  tous  les  Philosophes 
prouveroient  que  jai  tort,  si  vous  sentez  que  jai  raison,  je  n'en  veux 
pas  davantage  *. 

11  ne  faut  pour  cela  que  vous  faire  distinguer  nos  idées  acquises 
de  nos  sentimens  naturels,  car  nous  sentons  avant  de  connoître  :  &  lIH] 
comme  nous  n'apprenons  point  à  vouloir  notre  bien  &  à  fuir  notre 
mal,  mais  que  nous  tenons  cette  volonté  de  la  Nature,  de  même  l'amour 
du  bon  &  la  haine  du  mauvais  nous  sont  aussi  naturels  que  l'amour  de 
nous-mêmes.  Les  actes  de  la  conscience  ne  sont  pas  des  jugemens,  mais 
des  sentimens  ';  quoique  toutes  nos  idées  nous  viennent  du  dehors,  les 
sentimens  qui  les  apprécient  sont  au-dedans  de  nous,  &  c'est  par  eux 
seuls  que  nous  connoissons  la  convenance  ou  disconvenance  qui  existe 
entre  nous  &  les  choses  que  nous  de\ons  rechercher  ou  fuir. 


Exister  pour  nous,  c'est  sentir.-  notre  sensibilité  est  incontestablement 
antérieure  à  notre  intelligence.  &  nous  avons  eu  des  sentimens  avant 


«  sans  cesse  »  :  cf.  Féraud.  Dictionnaire  critique  25o\  II,  444  :  «  Incessamment  =  au 
plutôt,  sans  délai.  Il  ne  s'emploie  que  pour  désigner  le  futur...  Autrefois,  on  le  faisait 
modirier  tout  au;re  temps  des  verbes  dans  le  sens  de  continuellement  »,  C'est  un 
emploi  fréquent  chez  Rousseau:  cf.  Lettre  à  DWIembert,  1,  187,  Sourelle  Hélotse. 
\\,  227,  228,  314,  etc. 

*  Nouvelle  application  de  la  régie  formulée  plus  haut,  p.  42  :  «  me  livrer  au 
sentiment  plus  qu'à  la  raison  ».  —  Dans  les  fragments  qui  accompagnent  la  5'  Lettre 
à  Sophie  (Cf.,  aux  .Appendices,  Ii.  on  lit  une  déclaration  analogue  pour  le  fond, 
mais  plus  violente  encore  dans  la  forme:  «J'ai  déjà  dit  que  je  voulais  parler  à 
voire  cœur  et  que  je  n'entreprenais  pas  de  disputer  avec  les  philosophes.  Ils  auraient 
beau  me  prouver  qu'ils  ont  raison,  je  sens  qu'ils  mentent  et  je  suis  persuadé  qu'ils 
le  sentent   aussi  ». 

'  Cf.,  dans  La  Souyelle  Héloïse  iV'l,  vin,  V,  33.  la  note  de  Rousseau  sur  un 
passage  de  Saint-Preux  que  j'aurai  bientôt  à  citer  :  «  Saint-Preux  fait  de  la  conscience 
morale  un  sentiment,  et  non  pas  un  jugement:  ce  qui  est  contre  la  définition  des 
philosophes.  Je  crois  pourtant  qu'en  ceci  leur  prétendu  confrère  a  raison  ». 


266  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

la  cause  de  nôtre  '  existence  elle  a  pourvu  à  nôtre  conservation 
en  nous  donnant  des  sentimens  convenables  à  nôtre  nature  et 
l'on  ne  sauroit  nier  qu'au  moins  ceux  là  ne  soient  innés.  Ces 
sentimens  quant  à  l'individu  sont  l'amour  de  soi,  la  crainte  de 
F  165  ™  la  douleur,  ||  l'horreur  de  la  mort  2  et  le  désir  du  bien  être.  Mais  si, 
comme  on  n'en  peut  douter  l'homme  est  ^^un  animal  sociable 
par  sa  nature  ^  ou  du  moins  fait  pour  le  devenir,  il  ne  peut  l'être 
que  par  d'autres  sentimens  innés  relatifs  à  son  espèce  ».  Et  c'est 
du  C'  sentiment)  formé  par  ce  double  raport  à  soi  même  et  à  ses 
semblables  que  nait  l'impulsjon  '  naturelle  de  [la]  conscience. 
Connoitre  le  bien  ce  n'est  pas  l'aimer,  [l'homme  *  n'en  a  pas  la 
connoissance  innée]  mais  sitôt  que  ^  la  raison  ('"nous  le)  fait 
connoitre,   ^^  la  conscience  ('-  nous)   porte  à  l'aimer  ". 


'  B.  (existence)  [être].  — I.  (existence)  [être], 
^  B.  <  et  >. 
'  B.  (un  animal). 
■*  I.  (c'est  à  dire)  [ou]  du  moins. 

^  B.  car  à  ne  considérer  que  le  besoin  pliysique  il  doit  certainement  dis- 
perser les  liommes  au  lieu  de  les  rapprocher.  Or  c'est. 
"  [svstême  moral]. 

'  M.  <  naturelle  >.  — I.  (naturelle). 
"  B.  (n'i  [n'en]  a  pas  (cette)  [la]  connoissance  innée. 
■'  B.  sa. 
">  [le  lui]. 
"  B.  sa. 

"  B.  C'est  (donc)  ce  sentiment  qui  est  inné. 


ÉDITION    ORIGINALE  267 

des  idées  (^)  'K  Quelle  que  soit  la  cause  de  notre  être,  elle  a  pourvu  à 

notre  conserva-  |  tion    en    nous   donnant    des    sentimens   convenables   à  112] 

notre  nature,  &  l'on  ne  sauroit  nier  qu'au  moins  ceux-là  ne  soient  innés. 

Ces  sentimens,  quant  à  l'individu,  sont  l'amour  de  soi,  la  crainte  de  la 

douleur,   l'horreur  de  la   mort,  le   désir  du   bien-être.    Mais   si,   comme 

on  n'en  peut  douter,  l'homme  est  sociable  '  par  sa  nature,  ou  du  moins 


'«)  C  cl  D  rétablissent  la  note  suivante,  qui  apparaît  pour 
la  première  fois  dans  B,  qui  avait  été  conservée  dans  M,  et 
n'avait  sans  doute  été  omise  dans  1  que  par  distraction  :  A 
■certains  égards  les  idées  sont  des  sentimens  et  les  sentimens 
[sont]  des  idées.  Les  deux  noms  omi'iennent  à  toute  perception 
qui  ntius  occupe  et  de  son  objet,  et  de  nous  mêmes  qui  en 
sommes  a^Tectés  :  il  n'y  a  que  l'ordre  de  cette  affection  qui 
détermine  le  nom  qui  lui  confient.  Lorsque,  premièrement  fD  : 
premièrement]  occupés  de  l'objet,  nous  ne  pensons  à  nous  que 
par  réflexion,  c'est  une  idée:  au  contraire  quand  l'impression 
reçue  [D  :  reçue]  excite  notre  première  [D  :  première]  attention, 
et  que  nous  ne  pensons  que  par  réflexion  à  l'objet  qui  la  cause, 
c'est  un  sentiment  '.  [Les  cinq  derniers  mots  ont  été  coupés 
dans  C  à  la  reliurej. 

'  La  Nouvelle  Hélo'ise  (VI,  11,  V,  3,  présente  une  fortnule,  en  apparence,  contra- 
dictoire :  «  Nos  sentiments  dépendent  de  nos  idées  »;  mais,  dans  ce  dernier  passage, 
le  mot  idées  n'a  pas.  comme  dans  la  Profession,  un  contenu  pureinent  intellectuel. 

'  Toutes  les  idées  de  cette  note,  sinon  sous  leur  forme  actuelle,  au  moins 
en  substance,  se  trouvent  déjà  dans  un  des  cahiers  de  notes  de  Rousseau  [5T,  34'"  (je 
ne  donne  pas  les  variantes  du  textei  :  «  La  perception  nous  fait  apercevoir  l'objet 
plutôt  que  riinpression  qu'il  fait  sur  nous.  Au  contraire,  par  le  sentiment,  nous 
pensons  à  l'impression  plus  qu'à  l'objet  qui  la  cause.  Dans  ce  cas  la  sensation 
se  passe  tout  entière  en  nous-mêmes;  dans  l'autre,  nous  la  transportons,  pour  ainsi 
dire,  hors  de  nous.  —  Perceptions  intérieures  et  purement  affectives,  perceptions 
extérieures,  quelquefois  seulement  représentatives  ».  Comme  on  peut  le  conjecturer 
par  la  place  que  ces  remarques  occupent  dans  le  cahier,  elles  ont  dû  être  suggérées 
à  Rousseau  par  la  lecture  de  Fréret.  et  le  chiffre  qui  est  inscrit  en  marge  doit  être 
le  n'  de  la  page  du  manuscrit  oit  il  lisait  la  Lettre  de  Thrasybitle  à  Leucippe.  On 
trouve,  en  effet,  dans  ce  dernier  ouvrage  ^189^,  i38-i39,  sur  le  sentiment  et  la  perception 
simultanés  les  lignes  suivantes,  qui  peuvent  être,  je  crois,  considérées  comme  la 
source  certaine  de  la  note  de  Rousseau  dans  la  Profession  :  «  Ce  sont  néanmoins  deu.x 
choses  différentes  ;  la  perception  nous  fait  penser  principalement  à  l'objet  que  nous 
considérons  ;  et  ce  n'est  que  par  conséquence  que  nous  pensons  à  l'impression  agréable 
ou  désagréable  qu'elle  fait  sur  nous;  quelquefois  même  la  perception  de  l'objet  est  si 
vive  et  l'émotion  si  faible,  que  nous  n'y  pensons  presque  pas.  Le  sentiment,  au 
contraire,  nous  fait  penser  d'abord  et  principalement  à  nous;- et  ce  n'est  que  par 
réfle.xion  que  nous  pensons  à  l'objet  qui  nous  cause  l'impression  agréable  ou 
désagréable  que  nous  ressentons  ».  Comme  Fréret,  Rousseau,  dans  son  cahier,  emploie 
le  mot  «  perception  »  au  lieu  d'  «  idée  »;  mais  on  remarquera  que  dans  la  5'  Lettre 
à  Sophie  et  dans  la  Première  Rédaction,  au  lieu  de  la  formule  qui  a  passé  dans  tous 
les  autres  manuscrits  et  dans  l'édition  originale  :  «  distinguer  nos  idées  acquises  de 
nos  sentiments  naturels  »,  —  on  lit  :  «  distinguer  nos  perceptions  acquises  ». 

'  Dans  la  5'  Lettre  à  Sophie  et  dans  F,  Rousseau  avait  écrit  :  «  un  animal 
sociable  »  ;  il  a  sans  doute  suppriiné  le  mot,  en  songeant  à  Helvetius,  pour  ne  point 
paraître   lui    faire   une  concession   même   verbale  :   cf.   la  note  suivante. 


268  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION    ORIGINALE  269 

lait  pour  le  devenir,  il  ne  peut  l'être  que  par  d'autres  sentimens  innés, 
relatifs  à  son  espèce;  car  à  ne  considérer  que  le  besoin  physique,  il  doit 
certainement  disperser  les  hommes  au  lieu  de  les  rapprocher  '-.  Or  c'est 
du  système  moral,  formé  par  ce  double  rapport,  à  soi-même  &  à  ses 
semblables,  que  naît  l'impulsion  de  la  conscience.  Connoitre  le  bien, 
ce  n'est  pas  l'aimer:  l'homme  n'en  a  pas  la  connoissance  innée;  mais 
si-tôt  que  sa  raison  le  lui  fait  connoftre,  sa  conscience  le  porte  à  l'aimer: 
c'est  ce  sentiment  qui  est  inné  ^. 


-  Cette  courte  parenthèse  a  ete  introduite  dans  B,  pour  répondre  à  Helvetius  ; 
cf.   De  L'Esprit,   III,  4  [223  .V,  322-324  :  «Supposons  que  le  ciel  anime  tout-à-coup 

plusieurs  hommes  :  leur  première  occupation  sera  de  satisfaire  leurs  besoins [De 

ces  besoins  sortira  la  société  et  tous  ses  organes:  par  exemple:  «Le  besoin  de  la 
faim,  en  leur  découvrant  l'art  de  l'agriculture,  leur  enseignera  bientôt  après  l'art  de 

mesurer  et  de  partager  les  terres  »,  etc.] De  là  naîtront,   selon  la  forme  différente 

des  gouvernemen  s,  des  passions  criminelles  ou  vertueuses:  telles  sont  l'envie, 
l'avarice,  l'orgueil,  l'ambition,  l'amour  de  la  patrie,  la  passion  de  la  gloire,  la  ma- 
gnanimité, et  même  l'amour,  qui,  ne  nous  étant  donné  par  la  nature  que  comme 
un  besoin,  deviendra,  en  se  confondant  avec  la  vanité,  une  passion  factice,  qui  ne 
sera,  comme  les  autres,  qu'un  développement  de  la  sensibilité  physique  ».  Cf.,  pour 
le  fond.  Discours  sur  l'Inégalité,  I,  96-103. 

'  Dans  ce  paragraphe  et  le  précédent,  Rousseau  essaie  de  concilier  sa  théorie 
de  la  conscience  spontanée  et  instinctive  avec  le  principe  général,  communément 
admis  par  presque  tous  les  philosophes  du  XVIII'  siècle,  et  qu'il  ne  semble  pas 
lui-même  rejeter  formellement  :  qu'il  n'y  a  point  d'idées  innées.  Comme  je  l'ai  déjà 
rappelé  (cf.,  plus  haut.  p.  107,  note  81,  Locke  avait  employé  tout  un  chapitre  de 
son  1"  Livre  à  appliquer  ce  principe  à  la  morale;  c(.  Entendement  humain,  I,  11. 
«  Qu'il  n'y  a  point  de  principes  de  pratique  qui  soient  innés  »  ^102  .  24-42,  et,  en 
particulier,  le  5  8  (p.  281  :  «  La  conscience  ne  prouve  pas  qu'il  y  ait  aucune  règle 
de  morale  innée  ».  Ces  théories  de  Locke  avaient  été  acceptées  presque  unanimement. 
Cf..  par  e.xemple,  D'Argens,  Philosophie  du  bon  sens,  IV,  2  et  3  J47  '■'■  ,  3iô-322  : 
«  Que  nous  n'avons  point  d'idées  innées.  —  Qu'il  n'y  a  aucune  règle  de  morale  qui  soit 
innée  »;  etc.  Sans  doute  il  y  avait  des  opposants  :  non  seulement  un  polémiste  comme 
Chaumeix  consacrait  deux  volumes  à  défendre  les  idées  innées  it.  V  et  VI  des  Préfugés 
légitimes  223j,  mais  des  métaphysiciens,  comme  l'abbé  Roche,  y  restaient  fidèles 
(cf.  Traité  de  la  nature  de  l'âme,  II,  vi,  3  ^227'''«],  II,  299-3211,  et  des  juristes,  comme 
D'Aguesseau,  pareillement:  cf.,  de  ce  dernier,  l'ouvrage  suivant,  dont  le  titre  renseigne 
assez  sur  le  contenu  :  Méditations  métaphysiques  sur  les  vraies  ou  les  fausses  idées 
de  la  just.ce,  où  l'on  essaie  d'éclaircir  et  de  résoudre  cette  question  importante,  si 
l'homme  peut  trouver  en  lui  des  idées  naturelles  du  1.  juste  ■»  ou  de  «■  l'injuste  »: 
et  si  c'est  par  la  conformité  avec  ces  idées  qu'il  juge  de  la  justice  ou  de  l'injustice 
des  actions  morales,  ou  seulement  par  la  conformité  de  ces  actions  avec  la  volonté 
positive  d'un  supérieur  légitime  et  nécessaire,  ou  avec  le  désir  naturel  de  sa 
conservation.  La  VI'  de'ces  dix  Méditations  bi',  XIV,  164-253  est  une  apologie 
des  idées  innées.  .Mais  ces  rares  opposants  étaient  sans  prise  sur  la  partie  vivante 
de  l'opinion  publique:  et,  parmi  ceu.x-là  mêmes  qui  accordaient  le  plus  à  l'autorité 
de  la  conscience  dans  la  vie  morale,  beaucoup  ne  contestaient  plus  la  doctrine  de 
Locke  :  cf.  Cumberland,  Lois  naturelles,  Disc,  prél.,  II-V  jôgj,  4-8  (avec  les  notes  de 


270  REDACTIONS    MANUSCRITES 

'  Ne  pensez  donc  pas  [mon  ami  |  qu"il  (-  soit)  impossible  d'expli- 
'quer  par  des  conséquences  de  nôtre  nature  le  (^  principe  actif 
intérieur)  *  indépendant  de  la  raison  même.  Et  quand  cela  seroit 
impossible  encore  ne  seroit-il  pas  nécessaire.  Car  puisque  ceux 
qui  nient  ce  principe  "^  ne  prouvent  point  qu'il  n'existe  pas  mais 
se  contentent  de  l'affirmer,  quand  nous  affirmons  qu'il  existe 
nous  sommes  aussi  "avancés  qu'eux  et  nous  avons  de  plus  'toute 
la  force  du  témoignage  intérieur  et  la  voix  de  la  conscience  qui 
dépose  pour  elle-même. 

«  Si  les  »  ^premières]  lueurs  du  jugement  nous  éblouissent 
et  confondent  d'abord  *•  tous  les  objets  à  nos  regards,  attendons 
que  nos  foibles  veux  se  rouvrent  se  '■'  raffermissent,  et  bientôt 
nous  reverrons  ces  mêmes  objets  aux  lumières  de  la  raison  tels 
que  nous  les  montroit  d'abord  la  nature.  Ou  plus  tôt  soyons  plus 
simples  et  moins  vains,  bornons  nous  aux  premiers  sentimens 
que  nous  trouvons  en  nous  mêmes;  puisque  c'est  toujours  à  eux 
que  l'étude  nous  ramène  quand  elle  ne  nous  a  point  égarés. 


'  B.  Je  ne  crois  donc  pas. 

-  [fut].  —  B.  (fut)   [soit].  ♦ 

■'  [(sentiment  intérieur)  principe  actif  de  la  conscience].  —  B.  principe 
immédiat  de  la  conscience. 

'  M.  indépendament. 

■'  B.  [admis  et  reconnu  par  tout  le  genre  liumain].  • — M.  <  admis  et...  genre 
humain  >.  —  I.  [admis  et  reconnu  par  tout  le  genre  humain]. 

"  B.  avancés  [bien  fondés].  —  I.  (avancés)  [bien  fondés]. 

'  B.  <  toute  >.  — M.  <  toute  la  force  du  >  le  témoignage. 

"  B.  (tous).  —  M.  (tousl.  —  I.  (tous). 

'■'    (for  TIFIENT). 


EDITION    ORIGINALE  27I 

I  Je  ne  crois  donc  pas,  mon  ami,  qu'il  soit  impossible  d'expliquer  [113] 
par  des  conséquences  de  notre  nature,  le  principe  immédiat  de  la  cons- 
cience indépendant  de  la  raison  même;  &  quand  cela  seroit  impossible, 
encore  ne  seroit-il  pas  nécessaire  :  car  puisque  ceux  qui  nient  ce 
principe  admis  et  reconnu  par-tout  le  genre  humain,  ne  prouvent  point 
qu'il  n'existe  pas,  mais  se  contentent  de  l'affirmer  ;  quand  nous  affirmons 
qu'il  existe,  nous  sommes  tout  aussi  bien  fondés  qu'eux,  &  nous  avons 
de  plus  le  témoignage  intérieur,  &  la  voix  de  la  conscience  qui  dépose 
pour  elle-même.  Si  les  premières  lueurs  du  jugement  '  nous  éblouissent 
&  confondent  d'abord  les  objets  à  nos  regards,  attendons  que  nos  foibles 
yeux  se  rouvrent,  se  raffermissent,  &  bientôt  nous  reverrons  ces  mêmes 
objets  aux  lumières  de  la  raison,  tels  que  nous  les  montroit  d'abord 
la  Nature:  |  ou  plutôt,  sovons  plus  simples  &  moins  vains:  bornons-  [114] 
nous  aux  premiers  seniimens  que  nous  trouvons  en  nous-mêmes,  puisque 


Barbeyraci  ;  Hutcheson,  11.  i  191  ,  11,  47:  «Ce  sentiment  moral  ne  présuppose 
aucune  proposition  qui  soit  innée  »  :  Barbeyrac,  Préface  du  Droit  de  la  Sature, 
5  4  [107  A],  14;  cf.  encore  Puffendorf.  Devoirs  de  l'homme  et  du  citoyen.  1,  m,  12 
[log],  72-73  :  «  On  dit  ordinairement  que  cette  loi  est  naturellement  connue  à  tout 
le  monde:  ce  qui  ne  doit  pas  s'entendre  comme  si  elle  était  née,  pour  ainsi  dire, 
avec  nous,  et  imprimée  dans  nos  esprits,  dès  le  premier  moment  de  notre  existence, 
en  forme  de  propositions  distinctes  et  actuellement  présentes  à  l'entendement  :  mais 
elle  est  connue  de  chacun  naturellement,  ou,  comme  s'e.\priment  les  écrivains  sacrés, 
gravée  dans  les  cœurs  des  hommes,  en  tant  qu'elle  peut  être  découverte  par  les 
seules  lumières  de  la  raison.  D'ailleurs,  les  maximes  les  plus  générales  et  les  plus 
importantes  en  sont  si  claires  et  si  manifestes,  que  ceux  à  qui  on  les  propose  les 
approuvent  aussitôt,  et  que,  quand  on  les  a  une  fois  conçues,  elles  ne  sauraient 
plus  être  effacées  de  nos  esprits  >.  C'est,  à  peu  de  chose  près,  la  position  adoptée 
par  Rousseau  :  Il  n'y  a  pas,  même  en  morale,  d'  «  idée  innée  »,  mais  il  y  a  en 
nous  un  «  sentiment  inné  »,  un  instinct,  qui  nous  porte  vers  le  bien  et  nous 
détourne  du  mal,  dès  qu'ils  se  présentent  à  nous.  Cependant,  dans  les  exposés  où  il 
surveille  moins  son  expression.  Rousseau  est  plus  formel,  et  fait  de  l'instinct 
moral  chez  l'homme  un  «  principe  inné  »;  c'est,  d'ailleurs,  le  terme  dont  il  s'est 
servi  plus  haut,  p.  107;  cf.  Lettre  a  D'Alembert,  I,  192:  «  Quoiqu'en  disent 
les  philosophes,  cet  amour  [du  beau  moraf  est  inné  dans  l'homme,  et  sert 
de  principe  à  la  conscience  »;  II'  Livre  d'Emile,  II,  68  note  :  «  Quand  ce 
devoir  de  tenir  ses  engagements  ne  serait  pas  atBrmé  dans  l'esprit  de  l'enfant 
par  le  poids  de  son  utilité,  bientôt  le  sentiment  intérieur,  commençant  à  poindre 
le  lui  imposerait  comme  une  loi  de  la  conscience,  comme  un  principe  inné, 
qui  n'attend  pour  se  développer  que  les  connaissances  auxquelles  il  s'applique  ». 
Il  semble  même  insinuer  (V  Livre,  38ol  que  le  travail  de  la  réflexion  est  un  dissolvant 
de  la  conscience,  bien  loin  qu'il  aide  à  la  former.  On  trouvera  plus  loin,  p.  126  et 
note  4,  une  nouvelle  formule,  où  il  a  essayé  de  préciser  les  rapports  de  la  raison 
et  du  sentiment  moral. 

'  Dom  Cajot  avait  déjà  signalé.  Plagiats  de  J.  J.   Rousseau  [247],  280,  l'analogie 
des  considérations  qui  terminent  ce  paragraphe  avec  ces  vers  de   La  Loi  naturelle. 


272  REDACTIONS    MANUSCRITES 


Conscience,  conscience!  instinct  divin,  immortelle  et  céleste 
voix,  guide  assuré  d'un  être  '  ignorant  et  borné,  mais  intelligent 
et  libre,  juge  infaillible  du  bien  et  du  mal  qui  rends  l'homme 
semblable  -aux  Dieux,  c'est  toi  qui  fais  l'excellence  de  (^la)  nature  ■•. 
Sans  toi  je  ne  sens  rien  en  moi  qui  m'élève  au  dessus  des  bétes, 
que  le  triste  privilège  de  m'égarer  d'erreurs  en  erreurs,  à  l'aide 
d'un  entendement  sans  régie  et  '  d'une  raison  sans  principe. 


'  I.  (intelligent)  [ignorant]. 

-  B.  à  Dieu. 

'  [sa]. 

*  B.  et  la  moralité  de  ses  actions. 

•'  B.  «  d'une  ». 


EDITION    ORIC.INALE  273 

c'est  toujours  à   eux   que   l'étude   nous   ramené,   quand   elle   ne   nous  a 
point  éf,'arés  '. 

Conscience!  conscience!  instinct  divin;  immortelle  &  céleste  voix; 
guide  assuré  d'un  être  ignorant  &  borné,  mais  intelligent  &  libre; 
juge  infaillible  du  bien  &  du  mal,  qui  rends  l'homme  semblable  à 
Dieu;  c'est  toi  qui  tais  l'excellence  de  sa  nature  &  la  moralité  de  ses 
actions;  sans  toi  je  ne  sens  rien  en  moi  qui  m'élève  au-dessus  des 
bêtes,  que  le  triste  privilège  de  m'égarer  d'erreurs  en  erreurs  à  l'aide 
d'un  entendement  sans  régie.  &  d'une  raison  sans  principe  ^. 


11  [22  ij,  44H-4^g,  où  Voltaire,  après  avoir  rappelé  les  déviations  du  sens  moral, 
conclut  ainsi  : 

Mais  tout  est  passager,  le  crime  et  le  malheur. 

De  nos  désirs  fougueux  la  tempête  fatale 

Laisse  au  fond  de  nos  cœurs  la  règle  et  la  morale. 

C'est  une  source  pure  :  en  vain  dans  ses  canaux 

Les  vents  contagieux  en  ont  troublé  les  eaux  ; 

En  vain  sur  sa  surface  une  fange  étrangère 

.\pporte  en  bouillonnant  un  limon  qui  l'altère, 

L'homme  le  plus  injuste  et  le  moins  policé 

S'y  contemple  aisément  quand  l'orage  est  passé. 

Tous  ont  reçu  du  ciel  avec  l'intelligence 

Ce  frein  de  la  justice  et  de  la  conscience. 

De  la  raison  nai -santé  elle  est  le  premier  fruit. 

Seulement  il  n'y  a  chez  Voltaire  aucune  réserve  dans  cette  confiance  en  la  raison, 
tandis  que  Rousseau  ne  semble  y  faire  appel  que  pour  la  rabaisser  davantage  : 
cf.  la  note  suivante. 

'  Je  croirais  volontiers  que  ces  derniers  mots  sont  une  réponse  à  Fréret.  car 
dans  un  de  ses  cahiers  de  notes  [5j,  34",  après  avoir  copié  cette  phrase  de  la 
Lettre  de  Thrasybule  ip.  180  du  manuscrit  qu'il  avait  sous  les  yeux,  p.  i25  de 
l'édition  imprimée  [iHg])  :  «  Si  la  raison  pouvait  nous  tromper,  il  n'y  aurait  plus 
de  règle  constante  parmi  les  hommes  ».  —  Rousseau  inscrivit  en-dessous  de  cette 
maxime,  la  réflexion  suivante,  qui  est  visiblement  apparentée  avec  celle  du  Vicaire  : 
«  A/01  'formule  fréquente  dans  les  notes  de  Rousseau,  pour  opposer  sa  pensée  à 
celle  de  l'auteur  qu'il  vient  de  lire].  Au  fond,  tout  dans  les  connaissances  humaines 
se  rapporte  au  sentiment  intérieur  comme  à  son  principe,  puisque  nous  n'avons 
nulle  autre  démonstration  des  vérités  primitives  appelées  axiomes,  desquelles  décou- 
lent toutes  les  autres,  que  ce  sentiment  même  ». 

'  Quoique  Rousseau  ait  tenu  à  déclarer,  Nouvelle  Héloïse  (\'I,  vnl,  V.  35, 
qu'il  ne  partageait  pas  le  mysticisme  de  Murait,  et  particulièrement  de  son  Instinct 
divin,  il  est  indéniable  que  cette  invocation  à  la  Conscience  est  toute  pénétrée  de 
l'esprit  de  Murait.  L'expression  même  d'instinct  divin  semble  contenir  comme  un 
aveu  de  cette  influence;  cf.  dans  YInstinct  divin  [i2y].  23  sqq.  les  pages  oii  Murait 
conseille  à  l'homme  de  n'avoir  d'autre  maître  que  la  conscience,  d'écouter  seule- 
ment cette  «  parole  intérieure...  à  laquelle  nous  devons  nous  tenir  dans  ce  lieu 
de  ténèbres  et  de /<7»sif,ç  lumières,  dans  ce  pays  du  Raisonnement  et  des  incertitudes. 
où.  sans  un  guide  assuré,  et  qui  ne  nous  quitte  point,  nous  ne  saurions  manquer  de 

18 


274  REDACTIONS    MANUSCRITES 


12.  La  Vertu  et  le  Bonheur. 


1  Nous  avons  '•*  un  guide  ^assuré  dans  ce  ^labirinthe  des  opi- 
nions humaines,  mais  ce  n'est  pas  assés  (■'  qu'il)  existe,  il  faut 
"savoir  le  '  connoitre  et  le  suivre.  S'il  parle  à  tous  les  cœurs 
pourquoi  donc  \'  en  a-t-il  si  peu  qui  l'entendent.  Helas  !  il  nous 
parle  la  langue  de  la  nature  que  tout  nous  '  fait  oublier  !  La 
conscience  est  timide  et  craintive;  [elle  ('■'cherche)  la  retraite  et 
la  paix]  le  monde  et  le  bruit  l'épouvantent,  les  préjugés  dont  on 
la  fait  naitre  sont  ses  plus  cruels  ennemis,  elle  fuit  ou  se  tait 
devant  eux.  Leur  voix  bruvante  étouffe  la  sienne  et  l'empêche  de 
se  faire  entendre,  i**  Elle  se  rebute  à  force  d'être  éconduite.  Elle 
ne  nous  parle  plus,  elle  ne  nous  répond  plus  i^et  après  de  si  longs 
mépris  pour  elle,  il  en  coûte  autant  de  la  rappeller  qu'il  en  coûta 
'-  de  la  bannir. 


'  (Enfin  j'ai  dev  ant).  —  B.  Grâce  au  Ciel  nous  voila  délivrés  de  tout  «  cet  •» 
[(terrible)  effrayant]  appareil  de  philosophie,  (et  à  moins  de  frais)  [nous  pouvons 
être  homnnes]  sans  être  savans;  (et  sans)  [dispensés  de]  consumer  notre  vie  à 
l'étude  de  la  (métaphysique)  [au  crayon,  repassé  à  l'encre  :  morale]  nous  avons. 

-'  B.  [à  moindre  frais]. 

^  B.  plus  assuré. 

*  B.  dédale  (obscur)  [immense]  des  opinions. 

"  [que  ce  guide]. 

«  (le). 

'  B.  reconnoilre. 

«  B.  a  fait. 

"  [aime]. 

'"  B.  [Premier  texte  au  crayon,  repassé  à  l'encre  :  Le  fanatisme  (ose?  en) 
[ose  la]  contrefaire  (la  voix)  et  dicter  le  crime  en  son  nom]. 

"  B.  «  et  ». 

■2  B.  (d'abord). 


EDITION    ORIGINALE  275 


12.  La  Vertu  et  le  Bonheur. 


Grâce  au  Ciel,  nous  voilà  délivrés  de  tout  cet  effravant  appareil  de 
philosophie  ;  nous  pouvons  être  hommes  sans  être  savans  :  dispensés 
de  consu-  |  mer  notre  vie  à  l'étude  de  la  morale,  nous  avons  à  moindres  [115] 
fraix  un  guide  plus  assuré  dans  ce  dédale  immense  des  opinions 
humaines  >.  Mais  ce  n'est  pas  assez  que  ce  guide  existe,  il  faut  savoir 
le  reconnoitre  &  le  suivre.  S'il  parle  à  tous  les  cœurs,  pourquoi  donc  y 
en  a-t-il  si  peu  qui  l'entendent?  Eh!  c'est  qu'il  nous  parle  la  langue  de 

nous  égarer  et  de  nous  perdre».  Cf.  encore  Lettres  fanatiques,  VI  fi56],  I,  I23  : 
«  Tout  homme  a  au-dedans  de  soi  la  conscience  qui  lui  parle;  c'est  à  quoi  il  en  faut 
toujours  revenir.  Cette  voix  a  tout  le  caractère  d'une  voix  divine»;  et  c'est  sans 
doute  sous  l'influence  de  Murait  que  Rousseau  se  laisse  entraîner  à  parler  de  la 
raison  sur  ce  ton  méprisant  qu'il  semblera  avoir  oublié  quelques  pages  plus  loin, 
pp.  i39  et  i5o  ;  cf.  la  note  3,  de  la  p.  91.  Cependant  cette  exaltation  du  sentiment 
aux  dépens  de  la  raison  traduit  bien  la  pensée  profonde  de  Jean-Jacques,  et  on  la 
trouverait  exprimée  chez  lui,  à  plusieurs  reprises,  dans  des  formules  moins  mystiques, 
mais  tout  aussi  précises;  cf.  IV'  Livre  d'Emile,  II,  203  et  note:  «Par  la  raison 
seule,  indépendamment  de  la  conscience,  on  ne  peut  établir  aucune  loi  naturelle... 
Le  précepte  même  d'agir  avec  autrui  comme  nous  voulons  qu'on  agisse  avec  nous 
n'a  de  vrai  fondement  que  la  conscience  et  le  sentiment.,.  Il  n'est  pas  vrai  que  les 
préceptes  de  la  loi  naturelle  soient  fondés  sur  la  raison  seule,  ils  ont  une  base 
plus  solide  et  plus  sûre  »;  294  :  «  Jamais  'la  raison]  n'a  rien  fait  de  grand  »:  Souvelie 

Héloïse  (III.  xv),   IV.   23i  :  «  Nature,  ô  douce  Nature! les  penchants  que  tu  m'as 

donnés  seront-ils  plus  trompeurs  qu'une  raison  qui  m'égara  tant  de  fois  »?  cf.  encore 
IV,  233,  261,  3^9,  etc.  Il  est  vrai  qu'on  trouve  dans  cette  même  Souvelie  Héloïse 
(III,  XXI,  IV,  256.  les  maximes  suivantes  qui  semblent  dire  précisément  le  contraire 
de  tous  ces  postulats  sentimentaux  :  «  Le  cœur  nous  trompe  en  mille  manières,  et 
n'agit  que  par  un  principe  toujours  suspect  ;  mais  ia  raison  n'a  d'autre  fin  que  ce 
qui  est  bien;  ses*  règles  sont  sûres,  claires,  faciles  dans  la  conduite  de  la  vie,  et 
jamais  elle  ne  s'égare  que  dans  d'inutiles  spéculations  qui  ne  sont  pas  faites  pour 
elle  ».  Mais  on  peut  remarquer  que,  dans  ce  passage,  le  cœur  n'est  pas  un  équivalent 
exact  du  sentiment,  au  sens  philosophique  du  mot,  que  la  raison  n'est  pas  le  raison- 
nement et  semble  se  fondre  avec  la  conscience,  enfin  que  c'est  Julie  qui  pose  ces 
principes  en  faisant  un  éloge  de  M.  de  Wolmar  plus  volontaire  peut-être  qu'instinctif, 
et  au  moment  même  où  elle  vient  de  reconnaître  qu'elle  «  admire  tant  ».  comme 
Saint-Preux,  «  les  gens  à  sentiment  ».  Cf.  encore  la  note  4  de  la  p.  126. 

'  Cf.  Nouvelle  Héloïse  (I.  xiii,  IV,  3j  :  «  N'allons  donc  pas  chercher  dans  des 
livres  des  principes  et  des  règles  que  nous  trouvons  plus  sûrement  au-dedans  de 
nous.  Laisson .  là  toutes  ces  vaines  disputes  des  philosophes  sur  le  bonheur  et  la 
vertu:  employons  à  nous  rendre  bons  et  heureux  le  temps  qu'ils  perdent  à  chercher 
comment  on  doit  l'être,  et  proposons-nous  de  grands  exemples  à  imiter  plutôt  que 
de  vains  svstèmes  à  suivre  ». 


276  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


Combien  de  fois  (rebuté  de  la  sécheresse  que  ie  sentois  en 
moi-même)  je  me  suis  lassé  dans  mes  recherches  S  combien  de 
fois  la  tristesse  et  l'ennui  versant  leur  poison  sur  mes  premières 
méditations  me  les  rendirent  ^  insuportable  s.  Mon  cœur  aride 
ne  (^ prétoit)  qu'un  zélé  languissant  et  tiède  à  l'amour  de  la  vérité. 
*  Combien  de  fois  je  me  ('suis  dit  je)  me  tourmente  \'' k  chercher 
ce  qui  n'est  pasj,  le  bien  moral  n'est  qu'une  chimère,  il  n'y  a 
rien  de  bon  que  «  "les  plaisirs  »  des  sens.  O  quand  une  fois  on  a 
perdu  le  goût  des  plaisirs  intellectuels,  qu'il  est  >*  difficile  de  le 
reprendre!  Qu'il  est  plus  ^difficile  encore  de  le  prendre  quand 
on  ne  l'a  jamais  eu!  S'il  éxistoit  (au  monde)  un  ('"être)  assès 
misérable  pour  n'a\'oir  rien  fait  dans  tout  le  cours  de  sa  vie 
dont  le  souvenir  le  rendit  content  de  lui-même  et  bien  aise  d'avoir 
vécu,  cet  homme  seroit  ("hors  d'état)  de  jamais  se  connoitre 
et  faute  de  sentir  '^  quelle  '-^  est  la  bonté  '*  qui  convient  à  sa 
nature  il  resteroit  méchant  par  force  et  seroit  éternellement  mal- 


'  [de  la  froideur  que  je  sentois  en  moi]. 

-  insupportable  (sic). 

•''  [(portoil)  donnoit].  —  B.  (savoit)  [donnoit]. 

*  (Je  me  disois).  —  B.  <  Combien  de  fois  >. 

^  [disois  pourquoi]  me  tourmenie[r]. 

'^  (pour  des  chimères). 

'  (la). 

'  I.  (malaisé)   [difficile]. 

'  I.  (pénible)  [difficile]. 

'"  [homme].  —  I.  [seul]  homme. 

"  [incapable]. 

'-  (en  quoi). 

'■'  B.  <  est  la  >. 

'*  B.  <  qui  >. 


EDITION    ORIGINALE  277 

la  Nature,  que  tout  nous  a  fait  oublier.  La  conscience  est  timide  -,  elle 
aime  la  retraite  &  la  paix  :  le  monde  &  le  bruit  l'époux  antent  ;  les  préjugés 
dont  on  la  fait  naître  sont  ses  plus  cruels  ennemis,  elle  fuit  ou  se  tait 
devant  eux;  leur  voix  bruyante  étouffe  la  sienne,  &  l'empêche  de  se 
faire  entendre;  le  fanatisme  ose  la  contrefaire,  &  dicter  le  crime  en  son 
nom.  Elle  se  rebute  enfin  à  force  d'être  éconduite;  elle  ne  nous  parle 
plus,  elle  ne  nous  répond  plus;  &  après  de  si  longs  mépris  pour  elle. 
il  en  coûte  autant  de  la  rappeller  qu'il  en  coûta  de  la  bannir  '. 

I  Combien  de  fois  je  me  suis  lassé  dans  mes  recherches  do  la  froideur  [116] 
que  je  sentois  en  moi  !  Combien  de  fois  la  tristesse  &  l'ennui,  versant 
leur  poison  sur  mes  premières  méditations,  me  les  rendirent  insuppor- 
tables! iMon  cœur  aride  ne  donnoit  qu'un  zèle  languissant  &  tiède  à 
l'amour  de  la  vérité.  Je  me  disois,  pourquoi  me  tourmenter  à  chercher 
ce  qui  n'est  pas?  Le  bien  moral  n'est  qu'une  chimère:  il  n'y  a  rien  de 
bon  que  les  plaisirs  des  sens.  O  quand  i^)  on  a  une  fois  perdu  le  goût 
des  plaisirs  de  l'ame,  qu'il  est  difficile  de  le  reprendre  i.  Qu'il  est  plus 
difficile  encore  de  le  prendre  quand  on  ne  l'a  jamais  eu!  S'il  existoit 
un  homme  assez  misérable  pour  n'avoir  rien  fait  en  toute  sa  vie  dont 
le  souvenir  le  rendît  content  de  lui-même,  &  bien-aise  d'avoir  vécu,  cet 
homme  seroit  incapable  de  jamais  se  connoître  ;  &  faute  de  sentir 
quelle  |  bonté  convient  à  sa  nature,  il  resteroit  méchant  par  force,  &  [HT] 
seroit  éternellement  malheureux.  Mais  croyez-vous  qu'il  y  ait  sur  la 
terre  entière  un  seul   homme  assez  dépravé,    pour   n'avoir   jamais  livré 


-'    CD:  tjuand  une  fois  on  a  perdu. 

-  En  définissant  les  qualités  essentielles  de  la  conscience,  c'est  son  propre 
tempérament  que  Rousseau  analyse,  comme  s'il  se  semait  la  conscience  la  plus 
conforme  à  la  Nature. 

•  Comparez  Sourelle  Héloïse  dll,  xviin,  IV,  248  :  «  Ne  saitMDn  pas  que  les 
affections  désordonnées  corrompent  le  jugement  a'msi  que  la  volonté,  et  que  la 
conscience  s'altère  et  se  modifie  insensiblement  dans  chaque  siècle,  dans  chaque 
peuple,  dans  chaque  individu,  selon  l'inconstance  et  la  variété  des  préjugés  »?  et 
encore  Id.  (II,  xxviil,  IV,  208,  où  il  nous  montre  «  la  voix  de  la  conscience  étouffée 
par  la  clameur  publique  ».  —  Rousseau  répond  peut-être  ici  aux  remarques  de 
Vauvenargues.  qui,  d'accord  avec  lui  sur  le  fond,  trouvait  pourtant  qu'on  décorait 
trop  facilement  du  nom  de  conscience  les  fantaisies  et  les  désirs  de  chacun  ; 
cf.  Réflexions  et  Maximes  [178],  282-283  :  «  La  conscience  est  la  plus  changeante 
des  règles...  La  conscience  est  présomptueuse  dans  les  saints,  timide  dans  les 
faibles  et  les  malheureux,  inquiète  dans  les  indécis,  etc.,  organe  obéissant  du 
sentiment  qui  nous  domine  et  des  opinions  qui  nous  gouvernent  ». 

'  Derrière  les  paroles  du  Vicaire,  on  entend  la  confession  de  Rousseau  lui-même, 
qui  s'est  efforcé  sur  le  tard,  et  si  douloureusement,  de  remonter  à  la  vie  morale. 


278  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 

heureux.  Mais  croyez  vous  qu'il  y  ait  sur  la  terre  un  seul  homme 
assés  dépravé  pour  n"a\oir  jamais  li\Té  son  cœur  à  la  tentation 
de  bien  faire.  Cette  tentation  est  si  naturelle  et  si  douce  qu'il  est 
impossible  de  lui  résister  [toujours^i  '  et  le  souvenir  du  plaisir 
qu'elle  a  produit  ^une  fois  suffit  pour  la  rappeller  sans  cesse. 
Malheureusement  elle  est  d'abord  pénible  à  satisfaire,  on  a  [(d'a- 
bord)] mille  raisons  pour  se  refuser  au  penchant  de  son  cœur, 
la  fausse  prudence  le  resserre  dans  les  bornes  du  moi  humain, 
il  faut  mille  efTorts  de  courage  pour  ^ s'exercer  à  ^  franchir  ses 
bornes.  Se  plaire  à  bien  faire  est  le  prix  d'avoir  bien  fait  et  ■'ce 
prix  ne  s'obtient  qu'après  l'avoir  mérité.  Rien  n'est  plus  aimable 
que  la  vertu,  mais  (*elle  ne  se  montre  ''ainsi  qu'à  ceux  qui  la  pos- 
sèdent). Quand  on  la  veut  embrasser  semblable  au  protée  de  la 
fable  elle  ("se  montre)  d'abord  (sous)  mille  formes  effrayantes,  et 
ne  se  montre  enfin  sous  la  sienne  qu'à  ceux  qui  n'ont  point 
lâché  prise. 
fo  igg  ro  ''Combatu   >  sans  cesse]   par  mes  sentimens   naturels  "qui 

me  ramenoient  'i  au  bien  commun  et  par  ma  raison  qui  raportoit 
tout  '-à  moi  j'aurois  flotté  toute  ma  vie  dans  cette  continuelle 
perplexité,  '^  faisant  le  mal  aimant  le  bien  et  (i-'n'étant  jamais 
d'accord  avec)  moi-même  si  de  nouvelles  lumières  n'eussent 
éclairé  mon  cœur  (et)  si  (^^  le  sentiment)  qui  fixa  mes  opinions 
n'eut  encore  ^'^  assuré  ma  conduite  et  ne  m'eut  mis  d'accord  avec 


'  (elle). 

-  B.  oser  les  franchir. 

^  (les). 

*  (se). 

-''  [il  faut  en  (savoir)  jouir  pour  la  trouver  telle].  —  B.  il  en  faut  jouir. 

"  [(sous  ses  traits)]. 

■  [prend].  —  B.  «  prend  ». 

"  (Après  avoir  longtems). 

"  (contre  moi-même|. 

'"  I.  qui  (me)  parloient. 

"  B.  (au  bien)  [à  l'intérest  commun]. 

'-  B.  <<  à  moi  »  [(au  mien)]. 

'■■'  (si). 

'■*  [toujours  contraire  à]. 

''-  [la  vérité]. 

'"  B.  (éclairé)  [assuré]. 


ÉDITION   ORIGINALE  279 

son  cœur  à  la  tentation  de  bien  faire?  Cette  tentation  est  si  naturelle  &  si 
douce,  qu'il  est  impossible  de  lui  résister  toujours;  &  le  souvenir  du 
plaisir  qu'elle  a  produit  une  fois,  suffit  pour  la  rappeller  sans  cesse. 
Malheureusement  elle  est  d'abord  pénible  à  satisfaire;  on  a  mille  raisons 
pour  se  refuser  au  penchant  de  son  cœur;  la  fausse  prudence  le  resserre 
dans  les  bornes  du  moi  humain  ;  il  faut  mille  efforts  de  courage  pour 
oser  les  franchir.  Se  plaire  à  bien  faire  est  le  pri.x  d'avoir  bien  fait,  &  ce 
prix  ne  s'obtient  qu'après  l'avoir  mérité.  Rien  n'est  plus  aimable  que 
la  vertu,  mais  il  en  faut  jouir  pour  la  trouver  telle.  Quand  on  la  veut 
embrasser,  |  semblable  au  Prothée  (»)  de  la  Fable,  elle  prend  d'abord  [118] 
mille  formes  effrayantes,  &  ne  se  montre  enfin  sous  la  sienne  qu'à  ceu.\ 
qui  n'ont  point  lâché  prise  '. 


Combattu  sans  cesse  par  mes  sentimens  naturels  qui  parloient  pour 
l'intérêt  commun,  &  par  ma  raison  qui  rapportoit  tout  à  moi,  j'aurois 
flotté  toute  ma  vie  dans  cette  continuelle  alternative,  faisant  le  mal, 
aimant  le  bien,  &  toujours  contraire  à  moi-même,  si  de  nouvelles 
lumières  n'eussent  éclairé  mon  cœur;  si  la  vérité  qui  fixa  mes  opinions, 
n'eût  encore  assuré  ma  conduite  &  ne  m'eût  mis  d'accord  avec  moi  -.  On 
a  beau  vouloir  établir  la  vertu  par  la  raison  seule,  quelle  solide  base 
peut-on  lui  donner?  La  vertu,  disent-ils ',  est  l'amour  de  l'ordre  :  mais 

1".  C,  D  :  l'roUe^ 

'  Il  est  probable  qu'il  y  a  dans  cette  comparaison  une  réminiscence  de  Mirabeau, 
L'Ami  des  hommes,  II,  4  [219],  II,  i55-i56  :  «  Mais,  semblables  au  Protée  de  la  Fable, 
les  mœurs  s'échappent  des  mains  qui  les  veulent  forcer,  et  se  transforment  en 
représentations  vaines  pour  éviter  les  chaînes  dont  on  les  voulait  étreindre  ».  Cette 
comparaison  est,  d'ailleurs,  le  dernier  emprunt  que  Rousseau  ait  fait  aux  Lettres  à 
Sophie.  Elles  ne  contiennent  plus  en  effet  que  des  conseils  de  vie  intérieure  et  de 
reploiement  sur  soi,  qui  sans  doute  ont  paru  à  Rousseau  hors  de  place  dans  un 
discours  où  il  prêche  le  dévouement  à  «  l'intérêt  commun  »,  et  où  il  reproche 
précisément  à  la  raison  de  «  rapporter  tout  à  soi  »  :  cf.  le  début  du  parajjraphe  suivant. 

'  C'est  ici  que  reparait  l'idée  de  Dieu,  qui  pouvait  sembler  abandonnée  :  elle  se 
présente  au  terme  de  la  recherche  morale  pour  j^arantir  les  affirmations  de  la  conscience 
et  pour  placer  définitivement  la  conscience  au-dessus  de  la  raison  :  cf.,  plus  haut, 
p.  97.  note  1. 

'  On  serait  peut-être  tenté  de  croire  que  Rousseau  songe  à  Malebranche,  dont 
la  Morale  est,  tout  entière,  une  Morale  de  «  l'ordre  »;  cf.  Traité  de  Morale,  passim, 
et  surtout  I,  11,  1  [91",  404  :  «  L'amour  de  l'ordre  n'est  pas  seulement  la  principale  des 


28o  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

moi.  'On  [^  a  beau  \ouloir]  établir  la  vertu  par  la  raison  seule 
^  quelle  solide  base  peut-on  lui  donner.  La  vertu  disent-ils 
est  l'amour  de  l'ordre,  j^que  signifie  ce  mot?]  moi  je  dis  que  le 
vice  est  aussi  l'amour  de  l'ordre  '  mais  pris  dans  un  sens  différent  ". 
11  V  a  quelque  ordre  moral  par  tout  où  il  y  a  sentiment  et 
intelligence.  'Toute  la  différence  est  que  le  méchant  ordonne  le 
tout  par  raport  à  lui,  et  que  le  bon  s'ordonne  par  raport  au  tout. 
L'un  se  fait  le  centre  de  toutes  choses  l'autre  mesure  son  ra\on 
et  se  tient  à  la  circonférence.  Alors  il  est  ordonné  par  raport  au 
centre  commun  qui  est  Dieu,  et  par  raport  à  tous  les  cercles 
concentriques  qui  sont  les  créatures.  Si  la  di\inité  n'est  pas,  il 
n"v  a  que  le  méchant  qui  raisonne  le  bon  n'est  qu'un  insensé. 


'   (Quand). 

-  (veut). 

^  (Il  est  impo  ssible). 

*  B.  [Mais  cet  amour  est-il  donc  plus  fort  en  moi  que  celui  de  mon  bien- 
être  ?  Qu'ils  me  donnent  une  raison  claire  et  suffisante  pour  le  préférer.  Dans  le 
fond  leur  prétendu  principe  est  un  pur  ]eu  de  mots  :  car]  (moi)  je  dis  aussi  [moi] 
que  le  vice  est. — I.  [Sur  une  étroite  bande  de  papier,  intercalée  entre  les 
pp.  222  et  223  :  addition  p.  222.  Mais  cet  amour  peut-il  donc  et  doit-il  l'emporter 
en  moi  sur  celui...  pur  jeu  de  mots;  car]  (moi)  je  dis  aussi  [moi]  que  le  vice. 

^  B.  (mais).  —  I.  (mais). 

"  (et). 

'  B.  (Toute). 


ÉDITION    ORIGINALE  281 

cet  amour  peut-il  donc  <!<:  doit-il  l'emporter  en   moi  sur  celui  de  mon 
bien-être?  Qu'ils  me  donnent   une    raison    claire   &   suffisante    pour    le 
préférer.  |  Dans  le  fond,  leur  prétendu  principe  est  un  pur  jeu  de  mots;        l119] 
car  je  dis  aussi   moi,  que  le  vice  est  lamour  de  Tordre,   pris  dans  un 

vertus  morales,  c'est  l'unique  vertu,  c'est  la  vertu  mère,  l'ondamentale,  universelle  »,  et 
I.  MI,  20,  p.  411  :  «  L'amour  de  l'ordre  qui  nous  justifie  devant  Dieu  est  un  amour 
habituel,  libre  et  dominant  de  l'ordre  immuable»;  mais  celte  dernière  épithète  fait 
voir  à  elle  seule  que  ce  n'est  pas  la  théorie  malebranchiste  qui  est  visée  par  Rousseau. 
Malebranche  souscrirait  volontiers  à  la  formule  de  Rousseau  :  «Je  dis  aussi,  moi,  que 
le  vice  est  l'amour  de  l'ordre  »,  car  tout  ordre  qui  n'est  pas  conforme  à  la  raison 
universelle,  mais  à  la  raison  particulière,  ne  saurait  servir  de  règle  à  la  morale.  Pour 
Rousseau,  comme  pour  Malebranche,  il  n'y  a  d'ordre  véritable  que  celui  dont  Dieu 
est  le  centre.  Ici  donc,  comme  dans  le  reste  de  la  Profession,  «  ils  »  désigne  les 
«  philosophes  ».  Cf.  Le  Philosophe,  fragment  attribué  à  Dumarsais.  dans  les  Souvelles 
libertés  de  penser  [168^.  189  :  «  Ce  qui  fait  l'honnête  homme,  ce  n'est  point  d'agir  par 
amour  ou  par  haine,  par  espérance  ou  par  crainte,  c'est  d'agir  par  esprit  d'ordre 
ou  par  raison.  Tel  est  le  tempérament  du  philosophe;  or  il  n'y  a  guère  à  compter 
que  sur  les  vertus  du  tempérament  »;  Cf.  encore  Bonnet,  Essai  de  psychologie, 
LVII  [208],  172  :  «  L'homme  vertueu.\  est  celui  qui  se  conforme  à  l'ordre,  l'homme 
vicieux  est  celui  qui  trouble  l'ordre  ».  Mais  je  crois  que  celui  qui  est  ici  surtout  visé, 
c'est  Diderot;  cf.  Le  Fils  Xalurel,  IV,  3  [222],  67  :  «  L'effet  de  la  vertu  sur  notre 
âme  n'est  ni  moins  nécessaire,  ni  moins  puissant  que  celui  de  la  beauté  sur  nos 
sens.  Il  est  dans  le  cœur  de  l'homme  un  goût  de  l'ordre  plus  ancien  qu'aucun 
sentiment  réfléchi,  c'est  ce  goût  qui  nous  rend  sensibles  à  la  honte  »  ;  et  Entretiens  sur 
«  Le  Fils  Xalurel  »,  Il   [222],   127  :  «Je  définis  la  vertu  le  goût  de  l'ordre  dans  les 

choses   morales S'il    pouvait   jamais  être    étouffé,   il    y   aurait   des   hommes  qui 

sentiraient  le  remords  de  la  vertu,  comme  d'autres  sentent  le  remords  du  vice  ». 
Ces  principes  de  Diderot,  Rousseau  les  avait  mis  dans  la  bouche  de  .Milord  Edouard, 
cf.  Nouvelle  Héloïse  ill,  21,  IV,  i3i  :  «  non  par  un  sentiment  de  commisération  qui 
peut  n'être  qu'une  faiblesse,  mais  par  la  considération  de  la  justice  et  de  l'ordre», — 
et  surtout  de  Wolmar  (IV,  xiil,  IV,  342-343  :  «  Mon  seul  principe  actif  est  le  goût 
naturel  de  l'ordre  *:  et  il  les  avait  déjà  fait  combattre  par  Julie  illl,  xviiil,  IV,  247  : 
«  De  la  considération  de  l'ordre  je  tire  la  beauté  de  la  vertu,  et  sa  bonté  de  l'utilité 
commune.  .Mais  que  fait  tout  cela  contre  inon  intérêt  particulier»?  —  Dans  sa  Lettre 
à  M.  d'Offreville,  du  4  octobre  1761,  .\.  267,  Rousseau  songe  sans  doute  à  ce  passage 
de  la  Profession,  quand  il  range  parmi  les  «  questions  dont  la  discussion  passe  les 
bornes  d'une  lettre  »  celle  de  savoir  «si  nous  avons  un  amour  naturel  pour  l'ordre, 
pour  le  beau  moral,  si  cet  amour  peut  être  assez  vif  par  lui-même  pour  primer  sur 
toutes  nos  passions  ».  Mais  il  traitera  la  question  avec  toute  l'ampleur  désirable,  en 
reprenant  d'ailleurs  les  arguments  du  Vicaire,  dans  la  Lettre  à  l'abbé  ^de  Carondelet],  du 
4  Mars  1764,  XI,  121,  où  il  conclut  comme  ici  :  «  Point  de  vertu  possible  par  le  seul 
amour  de  l'ordre  ».  On  trouverait  sans  doute,  chez  Rousseau,  et  dans  l'Emile  même, 
des  te.\tes  qui  semblent  prôner  la  morale  de  «  l'ordre  »;  Cf.  V  Livre,  II,  416  et  445  : 
«  Qu'est-ce  donc  que  l'homme  vertueux  ?  c'est  celui  qui  ;ait  vaincre  ses  affections,  car 

alors  il  suit  sa  raison,  sa  conscience,  il  fait  son  devoir,  il  se  trouve  dans  l'ordre Les 

lois  éternelles  de  la  Nature  et  de  Vordre  existent;  elles  tiennent  lieu  de  lois  positives 
au  sage;  elles  sont  écrites  au  fond  de  son  cœur  par  la  conscience  et  par  la  raison  ». 
Mais,  dans  ces  dernières  formules,  l'amour  de  «l'ordre»  est  pris  avec  son'sens  le 
plus  général  ;  il  est,  en  quelque  sorte,  l'expression  de  la  conscience  et  ne  fait  qu'un 
avec  elle.   C'est,   du  reste,  comme  un  équivalent  de  la  morale  de   la  conscience  que 


282  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


O  mon  enfant,  puissiez  vous  *  sentir  un  jour  de  quel  poids 
on  -  a  le  cœur  ■''soulagé  quand  après  avoir  *  épuisé  la  vanité  des 
opinions  liumaines  et  *  goûté  l'amertume  des  passions  on  trouve 
enfin  la  route  de  la  sagesse,  le  prix  des  travaux  de  cette  "  vie,  et 
la  source  du  bonheur  dont  on  a  desespéré.  Tous  les  devoirs  de 
la  loi  naturelle  presque  effacés  de  mon  cœur  par  l'injustice  des 
hommes  s'y  retracent  au  nom  de  l'éternelle  justice  qui  me  les 
impose  et  qui  me  les  \oit  remplir.  (Bientôt)  je  ne  ('  vois)  plus 
en  moi  qu'(*un)  instrument  p'du]  grand  être  qui  veut  le  bien  qui 
le  fait  "'et  qui  me  donna  la  liberté  pour  le  faire  à  son  exemple.  Je 


'  B.  [sentir]  un  jour  (sentir)  [de  quel]  p>iids.  —  I.  (éprouver)  [sentir]. 

-  I.  (a  le  cœur)  [est]  soulagé. 

^  (est). 

•*  M.  sondé. 

■"'  I.  (senti)  [goûté]. 

"  M.  (courte). 

'  [sens]. 

"  qu'[e  l'ouvrage  et  1']. 

'■'  (des  œuvresU 

'"  B.  (et  qui  me  donna  la  liberté...  de  se  sentir  bien  ordonné)  [fera  le  mien 
par  (mon  concours  au  bien  des  autres)  [le  concours  de  mes  volontés  au.x  siennes] 
et  par  le  bon  usage  de  ma  liberté.  J'acquiesce  à  l'ordre  qu'il  établit,  sûr  de  joijir 
moi-même  un  jour  de  cet  ordre  et  (dans)  d'y  trouver  ma  félicité.  Car  quelle  (plus) 
félicité  plus  douce  que  de  se  sentir  ordonné  «  dans  un  sistéme  où  tout  est 
bien  »].  (Si...  Quand)  en  proye  (au.x  douleurs  de  toute  espèce)  [à  la  douleur] 
je  la  supporte.  . —  M.  et  qui  fera  le  mien  par  mon  concours  au  bien  des  autres. 
Je  tiens  ma  volonté  dans  l'ordre  qu'il  établit  afin  de  jouir  de  cet  ordre,  car  quel 
est  alors  le  vrai  sentiment  du  bien-être  si  ce  n'est  de  se  sentir.  — I.  (et)  qui  (me 
donna  la  liberté  pour  le  faire  à  son  exemple.  Je  tiens  ma  volonté  dans  l'ordre 
qu'il  établit,  afin  de  jouir  de  cet  ordre;  car  quel  est  le  vrai  sentiment  [permanent] 
du  bien-être,  si  ce  n'est  de  se  sentir  bien  ordonné  ?)  [fera  le  mien  par  (mon)  le 
concours  de...  et  d'y  trouver  (mon  bonheur)  [ma  félicité]  :  car  quelle...  où  tout  est 
bien  ?].  «  En  prove  à  la  douleur,  je  la  »  supporte. 


ÉDITION    ORIGINALE  283 

sens  différent.  Il  va  quelque  ordre  moral  par-tout  où  il  y  a  sentiment 
&  intelligence.  La  différence  est,  que  le  bon  s'ordonne  par  rapport  au 
tout,  &  que  le  méchant  ordonne  le  tout  par  rapport  à  lui.  Celui-ci  se  fait 
le  centre  de  toutes  choses,  l'autre  mesure  son  rayon  '  &  se  tient  à  la 
circonférence.  Alors  il  est  ordonné,  par  rapport  au  centre  commun,  qui 
est  Dieu.  &  par  rapport  à  tous  les  cercles  concentriques  -,  qui  sont  les 
créatures.  Si  la  Divinité  n'est  pas,  il  n'y  a  que  le  méchant  qui  raisonne, 
le  bon  n'est  qu'un  insensé  ■'. 

O  mon  enfant!  puissiez-vous  sentir  un   jour  de  quel  poids  on  est 


plusieurs  philosophes  avaient  prêché  la  morale  de  «  Tordre  »  :  cf.,  par  e.\emple, 
Cumberland.  Lois  naturelles,  V.  8  [169],  223.  —  Quelques  mois  avant  l'apparition 
d'Emile,  Robinet,  dans  son  livre  De  la  \attire,  faisait  aussi  le  procès  de  la  morale 
de  l'ordre,  III.  i-3  [235],  337-344  :  «  Quand  je  lui  demandais  "à  la  raison]  en  quoi 
consistait  le  mérite  réel  de  nos  actions  et  leur  démérite  moral,  elle  me  parlait  alors 
d'une  conformité  abstraite  avec  l'ordre  et  la  raison  universelle,  sur  quoi  elle  fondait 
tout  le  moral  de  la  conduite  des  hommes.   .Métaphvsique   bien  peu  à  la  portée  du 

vulgaire Tout  cela  me  semblait  si  peu  conforme  à  l'expérience,   si  au-dessus  de 

l'imbécillité  humaine,  que  je  conclus  qu'il  n'appartenait  pas  au  raisonnement  d'établir 
la  moralité  de  nos  actions  et  je  pris  le  parti  d'avoir  recours  aux  décisions  du  sentiment  ». 
-Mais  «  l'instinct  moral  »  que  Robinet,  à  la  suite  d'Hutcheson,  regarde  comme  le  guide 
certain  de  la  moralité,  «  cette  inclination  naturelle,  involontaire,  indépendante  de  toute 
considération  humaine  et  sacrée,  des  subtilités  de  la  raison  et  des  promesses  de  la 
religion,  des  lois  pénales  et  rémunératrices,  de  l'amour  et  de  l'honneur,  des  préjugés 
et  des  vues  intéressées  de  l'amour-propre  »  —  ne  ressemble  que  de  loin  à  cet  «  instinct 
divin  »  de  la  conscience,  proclamé  par  Jean-Jacques.  Cf.  la  note  2  de  la  p.  120. 

'  Rousseau,  qui  s'était  initié  tout  seul  à  la  géométrie  icf.  Confessions,  VIII,  1701, 
lui  empruntait  volontiers  des  comparaisons:  cf.  V'  Livre  d'Emile,  II,  440:  «  C'est  à 

ces  grandes  distances que  les  bons  et  les  mauvais  effets  du  gouvernement  se  font 

mieux  sentir,  comme  au  bout  d'un  plus  grand  rayon  la  mesure  des  arcs  est  plus 
exacte  >:  et.  Il'  Livre,  48,  dans  une  formule,  dont  la  contradiction  n'est  qu'apparente 
avec  celle  du  Vicaire  :  «  iMesurons  le  rayon  de  notre  sphère  et  restons  au  centre 
comme  l'insecte  au  milieu  de  sa  toile  ».  Reconnaissons,  d'ailleurs,  que  la  pensée 
de  Rousseau  n'est  pas  ici  très  claire.  Il  semble  avoir  voulu  dire  que  «  le  bon  » 
mesure  «  le  rayon  »,  qui  va  de  la  circonférence  «  où  il  se  tient  »  au  «  centre  », 
qui  est  Dieu  ;  en  d'autres  termes,  que  l'idée  de  Dieu  donne  à  son  action  un  centre 
et  le  sens  de  l'ordre  véritable. 

'  Je  serais  tenté  de  supposer,  mais  sans  pouvoir  en  fournir  la  preuve,  que, 
derrière  cette  formule,  il  doit  y  avoir  le  souvenir  d'une  représentation  graphique,  de 
quelque  tableau  schématique  et  symbolique  de  Dieu  et  du  .Monde,  On  peut  s'aider 
à  imaginer  ce  tableau,  grâce,  par  exemple,  au  Hiéroglyphe  sur  les  attributs  divins 
qui  termine  chez  .Marie  Huber  le  t,  IV  de  sa  Religion  essentielle  J3i_,  ou  à  la  Carte 
générale  du  Royaume  de  Dieu  et  de  celui  du  monde,  qu'un  anonyme  envoya  plus 
tard  à  Rousseau  [7''"],  55. 

'  Toutes  les  idées  de  ce  paragraphe  ont  été  reprises,  d'ailleurs  sous  une  forme 
plus  explicite  et  plus  claire,  dans  la  page  qui  suit  la  Profession,  ce  qui  semblerait 
prouver  une  fois  de  plus  que  la  Profession  et  le  reste  d'Emile  ont  été  primitivement 


284  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

tiens  ma  volonté  dans  Tordre  ('  établi  par  lui-même)  afin  (-  d'en) 
jouir,  car  quel  est]  le  [vrai]  sentiment  du  bien  être  si  ce  n'est  de 
se  sentir  bien  ordonné.  ('  Quand)  je  souffre  une  injustice,  je  la 
souffre  avec  patience  sachant  que  j'en  serai  dédomagé,  ('  quand) 
la  douleur  (me  poursuit  et)  m'accable  je  ('■  m'en  console)  en  songeant 
"qu'elle  est  passagère  et  qu'elle  "dépend  d'un  corps  (*que  je  n'aurai 
pas  toujours).  •'  Si  je  fais  une  bonne  action  secrète  je  me  dis  elle 
n'est  pas  sans  témoin  elle  ne  sera  pas  sans  recompense.  N'est-on  pas 
1"  payé  du  bien  qu'on  fait  sitôt  qu'il  est  vu,  il  ne  nous  manque 
pour  être  toujours  justes  que  d'être  toujours  regardés  et  qu'est-ce 
que  l'œil  impuissant  d'un  million  de  spectateurs  auprès  de  l'œil  actif 
de  l'être  suprême  qui  voit,  veut,  agit  d'un  seul  acte  et  rend  "  active 
la  volonté  de  l'homme  même  en  voyant  ('"-comme  «  ''fait  »  tout  le 
bien)  qu'il  a  voulu.  "  Je  suis  ïoible,  il  est  vrai,  mais  qu'importe, 
si  ce  sont  mes  intentions  et  non  mes  actions  qui  sont  comptées  :  fpour 
être  juste  je  n'ai  qu'à  vouloir  l'être  puisque    tout  le  bien  que  j'ai 


'  [qu'il  établit]. 

-  [de]  jouir  [de  cet  ordre]. 

»  [Si]. 

■*  [si  quelquefois  ?]. 

■•  [la  supporte].  —  B.  la  supporte  avec  patience. 

''  [(qu'elle  ne  dure?)]. 

'  B.  vient. 

"  [qui  n'est  point  à  moi]. 

'  [En  faisant  une  bonne  action  sans  témoin  je  prends  acte  pour  l'autre  vie 
de  ma  conduite  en  celle-ci.  En  souffrant  une  injustice  je  me  dis  l'être  «  juste 
qui  II  gouverne  toutes  choses  saura  bien  m'en  dédomager  les  besoins  de  mon 
corps,  les  misères  de  (mon  état)  [ma  vie]  me  rendent  [l'idée  de]  la  ruort  (moins 
redoutable...  affreuse)  [<'  plus  suportable]  ce  seront  autant  de  liens  de  moins  à 
rompre  quand  il  faudra  tout  quiter].  —  B.  <  Si  je  fais  une  bonne  action  secrète... 
ce  qu'il  a  voulu  >.  Si  je  fais  une  bonne  action  sans  témoin  [je  sais  qu'elle  est 
vue  et]  je  prends  acte. 

n)  M.  <  juste  >  . 

'•)  B,  (gouvernei  [régit]  tout  saura. 

c)  M.  moins  affreuse. 

'"  (rec  OM PENSÉ). 

"  (actif  les). 

■2  [ce]. 

'■''  &  accompli  ». 

'''  B.  (Je  suis  foible,  il  est  vrai...   le  méchant  seul  sera  puni).  — I.  (Je  suis 
foible,  il  est  vrai...  le  méchant  seul  sera  puni). 


ÉDITION    Ol^K.IXAI.K  285 

soulagé,    quand.    aprù.s   avoir   épuisé    la    vanité    des   opinions    humaines 

&  goûté  l'amertume  des  passions,  on   trouve  enfin   si   près      de  soi   la        |120] 

route   de    la   sagesse,  le   prix  des  travau.x  de  cette  vie,   &  la  source  du 

bonheur  dont  on  a  désespéré.  Tous  les  devoirs  de  la  loi  naturelle,  presque 

effacés  de  mon  cœur  par  Tinjustice  des  hommes,  s'y  retracent  au  nom 

de  l'éternelle  justice,  qui  me  les  impose  &  qui   me  les  voit  remplir.  Je 

ne  sens  plus  en   moi  que  l'ouvrage  &  l'instrument  du  grand   Etre  qui 

veut  le  bien,  qui  le  fait,  qui  fera  le  mien  par  le  concours  de  mes  volontés 

au.x  siennes  ',  &  par  le  bon  usage  de  ma  liberté  :  j'acquiesce  à  l'ordre 

qu'il  établit,  sûr  de  jouir  moi-même  un  jour  de  cet  ordre  &  d'v  trouver 

ma  félicité;  car  quelle  félicité  plus  douce  que  de  se  sentir  ordonné  dans 

un  système  où  tout  est  bien  -?  En  proie  à  la  douleur  ■',  je  la  supporte  avec 

patience,  en  songeant  qu'elle  est  passagère  &  qu'elle  vient  d'un  corps  qui 

n'est  point  à  moi  *.  Si  je  fais  une  bonne  action  sans  témoin,  je  sais  qu'elle 


rédigés  k  part;  cl.  II.  288  :  «  C'est  alors  absolument  ^quand  l'homme  s'est  élevé 
jusqu'à  Dieu]  qu'il  trouve  son  véritable  intérêt  à  être  bon...  et  à  porter  dans  son  cœur 
la  vertu,  non-seulement  pour  l'amour  de  l'ordre,  auquel  chacun  préfère  toujours 
l'amour  de  soi,  mais  pour  l'amour  de  l'auteur  de  son  être,  amour  qui  se  confond  avec 
ce  même  amour  de  soi,  pour  iouir  enfin  du  bonheur  durable  que  le  repos  d'une  bonne 
conscience  et  la  contemplation  de  cet  Être  suprême  lui  promettent  dans  l'autre  vie, 
après  avoir  bien  usé  de  celle-ci.  Sortez  de  là,  je  ne  vois  plus  qu'injustice,  hypocrisie, 
et  mensonge  parmi  les  hommes  :  l'intérêt  particulier,  qui,  dans  la  concurrence, 
l'emporte  nécessairement  sur  toutes  choses,  apprend  à  chacun  d'eux  à  parer  le  vice 
du  masque  de  la  vertu.  Que  tous  les  autres  hommes  fassent  mon  bien  aux  dépens  du 
leur;  que  tout  se  rapporte  à  moi  seul;  que  tout  le  genre  humain  meure,  s'il  le  faut, 
dans  la  peine  et  dans  la  misère  pour  m'épargner  un  moment  de  douleur  ou  de  faim  : 
tel  est  le  langage  intérieur  de  tout  incrédule  qui  raisonne.  Oui,  je  le  soutiendrai 
toute  ma  vie;  quiconque  a  dit  dans  son  cœur:  //  n'\-  a  point  de  Dieu,  et  parle 
autrement,   n'est   qu'un   menteur   ou    un   insensé  ». 

•  J'ai  déjà  remarqué  plus  haut,  p.  79,  note  1,  que  les  méditations  religieuses  de 
Jean-Jacques  aboutissaient  presque  toujours  à  des  déifications  plus  ou  moins  in- 
conscientes. 

'  Ces  dernières  formules  nous  permettent  de  mieux  comprendre  l'attitude  de 
Rousseau  à  l'égard  de  la  morale  de  «  l'ordre  ».  Il  ne  la  rejette  pas,  mais  il  la  déclare 
insuffisante,  ou  plutôt,  il  accepte  l'idée  d'  «  ordre  »,  à  condition  que  l'âme  «  s'ordonne  » 
par  rapport  à  un  centre,  et  que  ce  centre  soit  Dieu,  Dieu  se  manifestant  par  la 
conscience.  C'était  déjà  l'attitude  de  Pluche  qui  disait,  Spectacle  de  la  Sature  [137], 
V,  167.  que,  pour  donner  à  l'homme  le  frein  de  la  moralité  «  Dieu  lui  avait  uni  la 
conscience  et  le  sentiment  de  tordre  » .-  celle  aussi  de  Barbeyrac,  Préface  du  Droit  de 
la  Sature,  %  VI  [107  A],  18-19,  1"'  reconnaissait  que  «  les  idées  d'ordre,  de  convenance, 
de  conformité  avec  la  raison,  ont  sans  doute  quelque  réalité  »,  mais  que,  pour  conférer 
à  ces  idées  «  toute  leur  force  »,  «  pour  établir  le  devoir  »,  il  fallait  recourir  à  Dieu. 

'  Rousseau  avait  d'abord  écrit  dans  B  :  «  en  proie  aux  douleurs  de  toute  espèce  »,  ce 
qui  laissait  trop  clairement  apercevoir  derrière  le  Vicaire  la  personnalité  de  Jean-Jacques. 

*  C'est  la  même  conception,  chrétienne  dans  son  fond,  —  que  i'ai  déjà  signalée 
plus  haut.  pp.  74.  note  2,  et  98,  note  2,  —  du  corps  instrument  de  servitude  et  de  péché. 


286  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

'  voulu  ïaire  est  réputé  îait.  Les  bons  veulent  -  toujours  le  bien  et 
font  quelqueîois  le  mal  par  îoiblesse.  [Alors  la  clémence  divine  est 
justice.  Dieu  'tel  qu'un  injuste  maître]  «  ne  demande»  pas  plus 
qu'il  n'a  donné].  Le  méchant  seul  '  veut  le  mal  et  le  prémédite,  le 
méchant  seul  sera  puni. 

Pourquoi  mon  ame  est  elle  ^enchaînée  à  ce  corps  qui  ''li  gène 
et  l'assujîtiti  je  n'en  sais  rien.  Suis-je  entré  dans  les  décrets  de 
Dieu.  Mais  ('que  m'importe  d'en  raisonner  sur  ce  que  j'en  puis 
connoltre).  Je  me  dis  si  l'esprit  de  l'homme  fut  resté  libre  et  pur 
quel  mérite  auroit  il  d'aimer  et  suivre  l'ordre  qu'il  \'erroit  établi 
et  qu'il  n'auroit  nul  intérest  à  troubler.  '^  Mais  unis  a  (•'  ce) 
'  -^"^  corps  II  mortel  i"  le  soin  de  la  conservation  i'  de  ce  corps  (les)  '-  porte 
'■■'à  raporter  tout  à  lui  et  lui  donne  un  intérest  contraire  à  l'ordre 
général  qu'elle  est  ''capable  devoir  et  d'aimer,  c'est  alors  que  le 
bon   usage  de  sa  liberté  devient  '■'•un  mérite  et  quelle  se  prépare 


'  B.  véritablement.  — I.  <  véritablement  >. 

-  I.  (quel  QUEFOis). 

•'  B.  <  tel  qu'un  injuste  maitre  >. 

*  B.  (fait)  [veut]. 

'•'  B.  «soumise»  [(asservie)]  à  mes  sens,  et  enchaînée. 

"  B.  I'(assujeiit)  [«  asservit  »  (emprisonne)]  et  la  gêne. 

'  [(par)  ne  puis-je  sans  témérité  former  de  modestes  conjectures],  —  B.  je 
puis  sans  témérité. 

"  B.  [11  seroit  heureu.x,  il  est  vrai,  mais  il  manqueroit  à  son  bonheur  le 
degré  le  plus  sublime;  la  gloire  de  la  vertu  et  le  bon  témoignage  de  soi:  il  ne 
seroit  que  comme  les  anges  et  sans  doute  l'homme  vertueux  sera  plus  qu'eu.xl. 
Mais  unie.  ^  M.  Il  ne  seroit  (heureu.x)  que  comme  les  anges...  plus  qu'eux.  Unie 
à  un  corps.  —  I.  [sur  une  ctroite  bande  de  papier,  intercalée  entre  les  pp.  224 
et  225  :  addition  p.  224.  Il  seroit  heureu.x,  il  est  vrai...  vertueu.x  sera  plus 
qu'eux].  (Mais  unie  à)  [Unie  à]  un  corps. 

■■'   [uni. 

'"  B.  [par  des  liens  [non  moins]  puissans  (mais)  [qu']incompréhensibles]. 

"  B.  |de  ce  corps]. 

'-  B.  (porte)  [excite]. 

'■'  [l'ame]. 

'■•  B.  pourtant. 

'■',M.  (un)  [à  la  fois  le]  mérite  [et  la  récompense].  — I.  (un  mérite)  [à  la  fois 
le  mérite  et  la  récompense]. 


ÉDITION    ORIGINALE  287 

est  I  vue,  (Si:  je  prends  acte  pour  l'autre  vie  de  ma  conduite  en  celle-ci.  Kn        ^121] 
souffrant  une  injustice,  je  me  dis,  l'Etre  juste,  qui  régit  tout,  saura  bien 
m'en  dédommager  ':  les  besoins  de  mon  corps,  les  misères  de  ma  vie  me 
rendent  l'idée  de  la  mort  plus  supportable.  Ce  seront  autant  de  liens  de 
moins  à  rompre,  quand  il  faudra  tout  quitter  -. 

Pourquoi  mon  ame  est-elle  soumise  à  mes  sens  &  enchaînée  à  ce  corps 
qui  l'asservit  &  ta  gène?  Je  n'en  sais  rien;  suis-je  entré  dans  les  décrets 
de  Dieu  ?  .Mais  je  puis,  sans  témérité,  former  de  modestes  conjectures. 
Je  me  dis,  si  l'esprit  de  l'homme  fût  resté  libre  &;  pur,  quel  mérite  auroit-il 
d'aimer  &  suivre  l'ordre  qu'il  verroit  établi  &  qu'il  n'auroit  nul  intérêt  à 
troubler?  il  seroit  heureux,  il  est  vrai  ;  mais  il  manqueroit  à  son  bonheur 
le  degré  le  plus  sublime;  la  gloire  de  la  vertu  &  le  bon  |  témoignage  de  [122] 
soi  '  ;  il  ne  seroit  que  comme  les  Anges,  &  sans  doute  l'homme  vertueux 
sera  plus  qu'eux  -.    L'nie  à   un   corps  mortel,   par  des  liens   non    moins 

'  Cf.  Souvelle  Héloïse  (111.  .xviin,  1\',  248  :  «  C'est  lui  [Dieu]  qui  donne  un  but 
à  la  justice,  une  base  à  la  vertu,  un  prix  à  cette  courte  vie  employée  à  lui  plaire; 
c'est  lui  qui  ne  cesse  de  crier  aux  coupables  que  leurs  crimes  secrets  ont  été  vus,  et 
qui  sait  dire  au  juste  oublié  :  Tes  vertus  ont  un  témoin  ». 

'  Il  y  avait  ici;  dans  la  Première  Rédaction,  un  développement  d'allure  très 
personnelle,  qui  pourrait  servir  à  commenter  et  à  expliquer  certaines  déclarations 
fameuses  du  «  meilleur  de  tous  les  hommes  ».  Si  personne  ne  «  fut  meilleur  que  cet 
homme-là  »  (cf.  Confessions,  VIII,  1),  c'est  que  l'Être  suprême  aura  considéré  comme 
«  fait  »  tout  le  bien  que  Jean-Jacques  aura  «  voulu  »  :  «  Pour  être  juste,  il  n'a  eu  qu'à 
vouloir  l'être.  Il  a  été  faible,  il  est  vrai,  mais  qu'importe,  si  ce  sont  ses  intentions  et 
non  ses  actions  qui  ont  été  comptées  ».  Il  y  a  des  affirmations  analogues  dans  l'œuvre 
de  Rousseau:  cf.  Épitre  à  Parisot,  VI,  18  :  «  De  mes  égarements  mon  cœur  n'est 
point  complice  »;  Lettre  à  .M.  Dupin,  du  10  Avril  1743  [29],  SSg  :  «  11  est  des  retours 
sur  nos  fautes  qui  valent  mieux  que  de  n'en  avoir  point  commis  ».  On  voit  mainte- 
nant quelle  signification  précise  avait  la  maxime  qu'on  a  lue  plus  haut,  p.  100  :  «  Toute 
la  moralité  de  nos  actions  est  dans  le  jugement  que  nous  en  portons  nous-mêmes  ». 
On  remarquera  aussi,  à  la  fin  de  ce  paragraphe  supprimé,  que  Rousseau  est  redevenu 
moms  mdulgent  à  l'égard  des  «  méchants  »,  des  vrais  «  méchants  »,  et  qu'il  semble 
même  se  complaire  dans  l'idée  de  leur  châtiment  :  «  Le  méchant  seul  veut  le  mal  et  le 
prémédite,  le  méchant  seul  sera  puni  ».  Cf.,  plus  haut,  p.  90  et  note  1,  et  plus  loin, 
p.   123  et  note  2. 

'  Sur  le  «  bon  témoignage  de  soi  »,  degré  suprême  du  paradis  rousseauisle, 
cf.,  plus  haut.  p.  88  et  note  i. 

-  On  a  déjà  vu  plus  haut.  p.  65  et  note  2,  que  dans  sa  conception  de  l'univers, 
Rousseau  semble  avoir  admis  l'existence  des  .\nges  ;  cf.  aussi  il"  Livre  d'Emile,  II,  48  : 
«  L'ange  rebelle,  qui  méconnut  sa  nature,  étoit  plus  faible  que  l'heureux  mortel  qui 
Vil  en  paix  selon  la  sienne  ».  Ici  le  texte  est  encore  plus  affirmatif  :  mais  il  parait  y  avoir 
eu,  sur  ce  point,  des  hésitations  dans  la  pensée  de  Rousseau;  cf.  IV'  Livre  d'Emile, 
II.  189  :  «  Ce  sont  les  erreurs  de  l'imagination  qui  transforment  en  vices  les  passions 
de  tous  les  êtres  bornés,  même  des  anges,  s'ils  en  ont  ».  Tel  est  le  texte  de  l'édition 
originale  (11.  204);  mais  la  censure  avait  imposé  à  Rousseau  un  carton,  et  l'exemplaire 
sans  carions   porte  :  «  s'il   y  en   a  ».   Cf.  Introduct  on,   11'  Partie,   chap.  11.  5  i,  2  et  6. 


288  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

un   bonheur  inaltérable  en    '  combatant  ses  passions  terrestres  et 
se  maintenant  dans  sa  première  (-indépendance),  j 


Que  si  même  dans  l'état  d'abaissement  où  nous  sommes 
3  réduits  durant  cette  vie  [tous  nos  premiers  penchans  sont  légi- 
times ^  et  si  tous]  nos  \  ices  'sont  (encore)  nôtre  ouvrage  et  (non 
celui  de  la  nature).  Pourquoi  nous  plaignons-nous  d'être  ("vaincus 
par  des  ennemis)  que  nous  nous  "sommes  faits  et  '*que  nous  (-'avons 
armé)  contre  nous  «  mêmes  »  :  ('"  «  hommes  »  mortels),  ne  ("  gâtez) 
point  (1- l'ouvrage  de  Dieu.  Vous  serez)  toujours  bons  sans  peine  et 
toujours  heureux  sans  remords.  Le  «  s  »  coupable  «  s  »  qui  se 
«  "  disent  »  forcés  au  crime  «  ^*  sont  aussi  »  (^^  mauvais  raisonneurs 
que  méchans  «.  hommes  »).  Comment  ne  "  vo\ent  ils  point  que 
la   foiblesse  dont  ils   se  plaignent    est    leur   propre    ouvrage,    que 


'  ^resi  STANTi. 

-  [liberté].  —  B.  (liberté)  [volonté]. 
^  B.  <  réduits  >. 
'  B.  iet). 

■■  B.  (sont  notre  ouvrage)  [nous  viennent  de  nous]  pourquoi  nous. 
"  [subjugués  par  eu.x  pourquoi  reprochons  nous  à  la  nature  les  maux],  — 
B.  reprochons-nous  à  l'auteur  des  choses  les  mau.x. 

•  B.  (sommes  faits)  [faisons]. 

*  [les  ennemis]. 
^  [armons]. 

'"  [ah]. 

"  [gâtons]. 

'-  [l'homme  nous  serons].  — B.  (son  œuvre)  [l'homme],  il  sera  touiours  bon. 

''  [(dit)]. 

'■*  [(me  semblent...  me  paroit)]. 

''  [menteur  que  méchant]. 

"^  M.  verroient-ils. 


Il  Ici.  en  marge,  l'indication  suivante  qui  n'a  pas  été  utilisée  :  son 
souverain  bonheur  n'est  pas  de  s'assujettir  à  l'ordre  mais  de  (ce  que  l'ordre 
est  son  ouvrage)  [produire]. 


ÉDITION    ORIGINALE  289 

puissans  qu'incompréhensibles,  le  soin  de  la  conservation  de  ce  corps 
exciie  Famé  à  rapporter  tout  à  lui.  &  lui  donne  un  intérêt  contraire  à 
l'ordre  gênerai  qu  elle  est  pourtant  capable  de  voir  &  d'aimer:  c'est  alors 
que  le  bon  usage  de  sa  liberté  devient  à  la  fois  le  mérite  &  la  récompense, 
&  qu'elle  se  prépare  un  bonheur  inaltérable,  en  combattant  ses  passions 
terrestres  &  se  maintenant  dans  sa  première  volonté. 

Que  si  ^  même  {^<,  dans  l'état  d'abbaissement  ■•  où  nous  sommes 
durant  cette  vie,  tous  nos  premiers  penchans  sont  légitimes,  si  tous  nos 
vices  nous  viennent  de  nous,  pourquoi  nous  plaignons-nous  d'être 
subjugués  par  eux  ?  Pourquoi  reprochons-nous  à  l'Auteur  des  |  choses,  [123] 
les  mau.x  que  nous  nous  taisons.  &  les  ennemis  que  nous  armons  contre 
nous-mêmes  '?  Ah!  ne  gâtons  point  l'homme;  il  sera  toujours  bon  sans 
peine  -.  &  toujours  heureux  sans  remords  !  Les  coupables  qui  se  disent 


(a)  C  :  fjue  si.  même  dans  :  D  :  Que  si  même,  dans 

'  Sur  cette  lormule  de  transition,  familière  à  Rousseau,  cf..  plus  haut,  p.  95 
€t  note  2.  Cf.  encore  p.  202.  note,  et  f°  172  "  de  F,  vers  la  fin. 

*  Voilà  encore  une  expression  qui  trahit  plus  ou  moins  consciemment  une 
mentalité  chrétienne,  familière  à  l'idée  de  corruption  orijjinelle.  «  L'état  de  nature  » 
serait-il  donc  un  «  état  d'abaissement  »? 

'■  Cette  argumentation  rejoint  la  défense  de  la  Providence  que  Rousseau  a 
présentée  plus  haut  à  propos  de  la  liberté,  pp.  80-81. 

'  Cette  lormule  transpose,  en  quelque  sorte  sous  son  aspect  pratique,  le  fameux 
principe  si  souvent  affirmé  par  Rousseau  :  «  L'homme  est  naturellement  bon  »; 
cf.  Réponse  à  M.  Borde,  1.  53,  Discours  sur  l'Inégalité,  1,  i33.  II'  Livre  d'Emile, 
II,  60,  Lettre  à  M.  de  Beaumonl,  III,  64,  etc.  Remarquez  que  Rousseau  dit  «  bon  »  et 
non  pas  «  vertueux  »;  c'est  une  distinction  essentielle  dans  sa  pensée,  et  sur  laquelle  il 
est  revenu  à  plusieurs  reprises:  cf.  Dialogues,  IV,  209-210,  Rêveries,  IX,  367-368; 
cf.  surtout  V  Livre  d'Emile.  Il,  416  :  «  Il  n'y  a  pas  de  vertu  sans  combat...  quoique 
nous  appelions  Dieu  bon,  nous  ne  l'appelons  pas  vertueux...  Je  t'ai  fait"  plutôt  bon 
que  vertueux  ».  De  même.  Saint-Preux  écrit  à  Julie,  Nouvelle  Hélo'tse  illl,  xvi|. 
IV,  234  :  «  Hé  bien!  nous  serons  coupables,  mais  nous  ne  serons  pas  méchants; 
nous  serons  coupables,   mais   nous   aimerons   toujours  la   vertu;   loin   d'excuser  nos 

fautes, nous   les  rachèterons  à  force  d'être   bons  ».  Autrement  dit,  l'homme  de  la 

Nature  se  contente  d'être  bon,  mais  il  appartient  seulement  à  l'homme  civil  d'être 
vertueux:  cf.  IV'  Livre  d'Emile,  II,  ib5  :  «  Heureux  les  peuples  chez  lesquels  on 
peut  être  bon  sans  effort  et  juste  sans  vertu  »  ;  et_V'  Livre,  445  :  «  Né  dans  le  fond  d'un 
bois  [l'homme  de  bien]  eût  vécu  plus  heureux  et  plus  libre;  mais,  n'ayant  rien  à 
combattre  pour  suivre  ses  penchants,  il  eût  été  bon  sans  mérite,  il  n'eût  point  été 
vertueux  »;  ou  encore,  pour  prendre  une  formule  plus  concise  que  je  trouve  dans  un 
manuscrit  de  VÉmile,  IV  Livre  [iij,  II,  204^"  :  «  Il  suffit  à  l'homme  naturel  d'être  bon, 
mais  l'homme  social  doit  être  vertueux  ».  Rousseau,  qui  est,  par  excellence,  «  l'homme 
de  la  Nature  »,  est  «  bon  »,  «  bon  comme  Dieu  »  (cf.,  plus  haut,  p.  79).  et  «  bon  sans 
peine»;  mais,  s'il  est  «le  meilleur  de  tous  les  hommes»,  il  est  loin  de  prétendre 
qu'il  est  le  plus  «  vertueux  »  :  cf.,  plus  haut,  p.   121,  note  2. 

'9 


290  REDACTIONS    MANUSCRITES 

(1  l'habitude  seule  (-  donne)  la  îorce  de  leurs  penchans)  qu(e  c'est) 
à  force  de  vouloir  céder  à  leurs  tentations  (qu')ils  (■''  les  rendent 
irrésistibles  et  qu'ils  y)  cèdent  enfin  '  malgré  eux  ^  il  ne  ("  tient)  plus 
(à)  eux  de  n'être  pas  méchans  et  foibles  '  mais  "  il  |"  dépend(oit) 
d'Jeux  de  ne  le  pas  devenir  '".  O  "que  |nous|  resterions  aisément 
maitres  de  nous  et  de  nos  passions  même  durant  cette  vie  si 
lorsque  '-nos  habitudes  ne  sont  point  encore  ('^  prises),  lorsque 
notre  esprit  commence  à  s'ouxrir  nous  sa\ions  l'occuper  des  objets 
qu'il  doit  connoitre  ("et  l'élever  aux  sublimes  contemplations).  Si 
nous  voulions  sincèrement  nous  éclairer,  non  pas  pour  briller  aux 
yeux  des  autres  mais  pour  (^■'  nous  instruire  de  nos  devoirs).  Cette 
étude  nous  paroit  ennuyeuse  et  pénible  parce  que  nous  n'\'  son- 
geons que  déjà  corrompus  par  le  vice  "=  et  déjà  livrés  à  nos 
passions.  [Nous  ('"avons  déjà  fixé)  nos  jugemens  et  nôtre  estime 
-avant  de  connoître  le  bien  'et  le  mal]  et  puis  ('*  appréciant)  tout 
(sur)  celte  fausse  mesure  nous  ne  donnons  à  rien  sa  juste  valeur]. 
Il  est  un  âge  où  le  cœur  libre  encore  mais  ardent  inquiet  avide 
du   bonheur  qu'il   ne  connoit  pas,   le  cherche  avec   une  curieuse 


'  [leur  première  dé  pr  avation  ?  vient  de  leur  volonté]. 

-  [(a  rendu...  fait...  est  venue)]. 

■'  [(finissent  par...  et)  leur]. 

■*  B.  (par  force)  [malgré  eu.x]. 

'  [«  et  les  ■»  rendent  irrésistibles].  —  B.  irrésistibles.  Sans  doute  il. 

"  [dépend]  plus  [d"]eu.\. 

'  (il). 

"  B.  [(la  preuve  qu'il)]. 

"  (est...  de  PENDOiT..  ne  tenoit)  [dépendit]. 

'"  B.   (qu'il  dépend  d'eu.x  encore  de  ne  le  pas  devenir  davantage). 

"  (si  lors  [que  nos  habitudes  ne  sont  point  encore  prises  et  lors]  que  nôtre 
esprit  commence  à  s'ouvrir,  nous). 

'^  (notre  esp  bit).  —  B.  (nous)  [nos]. 

'■'  [acquises]. 

'*  [pour  apprécier  ceu.x  qu'il  ne  connoit  pas]. 

'"  [être  heureu.K  et  bons  selon  nôtre  nature  et  (faire)  pour  nous  rendre 
heureux  en  pratiquant  nos  devoirs].  —  B.  être  (sages  et  bons)  [bons  et  sages] 
selon  nôtre  nature,  pour.  —  M.  sages  et  bons.  —  I.  sages  et  bons. 

'"  B.  <  et  >. 

"  [fixons]. 

'"  [raportantl  tout  [à]. 


ÉDITION    ORIGINALE  29I 

forcés  au  crime,  sont  aussi  menteurs  que  méchans  ;  comment  ne  voyent-ils 
point  que  la  foiblesse  dont  ils  se  plaignent,  est  leur  propre  ouvrage  ;  que 
leur  première  dépravation  vient  de  leur  volonté;  qu'à  force  de  vouloir 
céder  à  leurs  tentations,  ils  leur  cèdent  enfin  malgré  eux  &  les  rendent 
irrésistibles?  Sans  doute  il  ne  dépend  plus  d'eux  de  n'être  pas  méchans  & 
foibles  :  mais  il  dépendit  d'eux  de  ne  le  pas  devenir  i^).  O  que  nous 
resterions  aisément  maîtres  de  nous  &  de  nos  passions,  même  durant 
cette  vie,  si,  lorsque  nos  habitudes  ne  sont  point  encore  acquises,  lorsque 
notre  esprit  commence  à  s'ouvrir,  nous  savions  l'occuper  |  des  objets  qu'il  [124] 
doit  connoître.  pour  apprécier  ceux  qu'il  ne  connoît  pas  ;  si  nous  voulions 
sincèrement  nous  éclairer,  non  pour  briller  aux  yeux  des  autres,  mais 
pour  être  bons  &  sages  selon  notre  nature,  pour  nous  rendre  heureux 
en  pratiquant  nos  devoirs!  Cette  étude  nous  paroit  ennuveuse  &  pénible, 
parce  que  nous  n'y  songeons  que  déjà  corrompus  par  le  vice,  déjà  livrés 
à  nos  passions.  Nous  fixons  nos  jugemens  &  notre  estime  avant  de 
connoître  le  bien  &  le  mal  ;  &  puis  rapportant  tout  à  cette  fausse  mesure, 
nous  ne  donnons  à  rien  sa  juste  valeur  •. 

Il  est  un  âge,  où  le  cœur  libre  encore,  mais  ardent,  inquiet,  avide  du 
bonheur  qu'il  ne  connoît  pas,  le  cherche  avec  une  curieuse  incertitude, 
&  trompé  par  les  sens,  se  fixe  enfin  sur  sa  vaine  image,  &  croit  le  trouver 
où  il  n'est  point.  Ces  illusions  ont  |  duré  trop  long-tems  pour  moi.  [125] 
Hélas  !  je  les  ai  trop  tard  connues.  &  n'ai  pu  tout-à-fait  les  détruire  ;  elles 
dureront  autant  que  ce  corps  mortel  qui  les  cause  i.  .\u  moins  elles  ont 
beau  me  séduire,  elles  ne  m'abusent  plus:  je  les  connois  pour  ce  qu'elles 
sont,  en  les  suivant  je  les  méprise.  Loin  d'y  voir  l'objet  de  mon  bonheur, 
j'y  vois  son  obstacle.  J'aspire  au  moment  où,  délivré  des  entraves  du 
corps,  je  serai  moi  sans  contradiction,  sans  partage,  &  n'aurai  besoin  que 
de  moi  pour  être  heureux  ^:  en  attendant  je  le  suis  dès  cette  vie.  parce 

i»i  C,  D  :  rfe  ne  pas  le  devenir. 

'  Cette  discipline  morale  n'est  pas  une  discipline  strictement  «  négative  ». 
Au  reste,  il  y  a  dans  tout  ce  paragraphe  un  certain  flottement  de  pensée  et  presque  de 
nncohérence.  On  nous  dit  que  «  tous  nos  premiers  penchants  sont  légitimes  »  ;  et 
pourtant,  si  «  nous  fixons  nos  jugements  et  notre  estime  avant  de  connaître  le  bien  et 
le  mal  »,   nous   les   fixons   le   plus   souvent  à   faux. 

'  En  d"autres  termes,  le  Vicaire  n'est  pas  encore  «  trop  bien  corrigé  du  défaut 
qui  avait  attiré  sa  disgrâce  ».  Ceci  confirme  l'indication  du  Prologue,  mais  ne  la 
rend   pas   plus  facile  à  expliquer  :   cf.,   plus   haut,   p.    i5   et   note  2. 

'  J'ai  déjà  noté  que  Jean-Jacques  suffirait  à  remplir  son  Paradis  et  qu'il  en  serait 
lui-même  la  principale  et  presque  l'unique  félicité  :  cf.,  plus  haut,  p.  88  et  note  1. 
La  formule  qui  lui  échappe  ici  est  encore  plus  précise  dans  sa  hardiesse  spontanée, 
probablement   inconsciente. 


2g2  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

incertitude,  et  trompé  par  ['les  sens]  se  fixe  enfin  sur  sa  vaine 
image  et  croit  le  trouver  où  il  n'est  '-pas.  ^  Les  illusions  (de  cet  âge) 
ont  duré  trop  longtems  pour  moi.  Helas  ['^  je  les  ai  trop  tard] 
connues  et  n'ai  pu  tciut  à  fait  les  détruire,  elles  dureront  autant 
que  (moi  et  ne  finiront  qu'avec)  ce  corps  mortel  qui  les  cause.  {'"  Du) 
moins  ("si  je  m'en  laisse  toujours)  séduire  [elles  ne  m'abusent  plus] 
je  les  connois  pour  ce  qu'elles  sont,  •  en  ''  les  suivant  je  les  méprise 
(^je  n'y  vois  point)  l'objet  de  mon  bonheur  j'y  vois  son  obstacle; 
1"  et  [11  j'aspire]  au  moment  ou  délivré  des  entraves  (^-de  la  chair) 
je  serai  moi  sans  contradiction  sans  partage  et  n'aurai  besoin  que 
de  moi  seul  pour  '^  être  heureux  ^*. 

i'' Pour  m'élever  '^autant  qu'il  se  peut  *"  des  cette  vie  à  cet  état 
de  18  force  et  de  liberté  je  m'exerce  aux  sublimes  contemplations. 
Je  médite  sur  l'ordre  de  l'univers  non  pour  l'expliquer  par  de  vains 
systèmes    mais    i-' pour    ('^^  benir)    le   sage    auteur  qui   s'y   «  fait  » 


'  (sa  vaine  image). 

-  B.  (pas)  [point]. 

'  (Trompé  par).  —  B.  Ces  illusions. 

"*  (faute  d'avoir  été  plus  tôt). 

=  [Au]. 

"  (je)  [(mais)  elles  ont  beau  me]. 

'  tie). 

"  (leur). 

■'  [loin  d'y  voir]. 

"•  B.  <  et  >. 

"  (je  soupire). 

'■-'  [du  corps]. 

'•'  (viv  re). 

'''  B.  [En  attendant  je  le  suis  dés  cette  \ie,  parce  que  j'en  compte  pour  peu 
tous  les  mau.\  que  je  la  regarde  comme  presque  étrangère  à  mon  être  et  que 
[(tout)]  le  [vrai]  bien  que  j'en  peu.x  retirer  dépend  de  moi]. 

'■'  (Pour  donner...  étouffer...  Je  m'efforce). 

'"  B.  [d'avance]. 

"  B.  (dès  cette  vie). 

'"  B.  [bonheur  de].  —  I.  bonheur  (et)  de. 

''■'  M.  pour  l'admirer  sans  cesse,  pour  adorer.  — I.  mais  [pour  l'admirer  sans 
cesse,]  pour  adorer. 

'"  [adorer]. 


EDITION-    ORIGINALE  293 

que  j'en  compte  pour  peu  tous  les  maux,  que  je  la  regarde  comme 
presque  étrangère  à  mon  être.  &  que  tout  le  vrai  bien  que  j'en  peux  retirer 
dépend  de  moi. 


Pour  m'élever  d'avance  autant  qu'il  se  peut  à  cet  état  de  bonheur,  de 
force  &  de  liberté,  je  m'e.xerce  aux  sublimes  contemplations  \  Je  médite 
sur  I  l'ordre  de  l'Univers,  non  pour  l'expliquer  par  de  vains  systèmes, 
mais  pour  l'admirer  sans  cesse,  pour  adorer  le  sage  Auteur  qui  s'y  fait 
sentir.  Je  converse  avec  lui,  je  pénétre  toutes  mes  facultés  de  sa  divine 
essence  ;  je  m'attendris  à  ses  bienfaits  •,  je  le  bénis  de  ses  dons,  mais  je 
ne  le  prie  pas  ^■.  que  lui  demanderois-je  ?  qu'il  changeât  pour  moi  le  cours 
des  choses,  qu'il   fît  des  miracles  en    ma   faveur?  .Moi   qui   dois  aimer 


•  Cf.  Souvelle  Héloïse  lUl,  x.\ii,  IV,  264;  «  Le  seul  moyen  qu'ail  trouvé  la 
raison  pour  nous  soustraire  aux  maux  de  Ihumanité,  n'est-il  pas  de  nous  détacher 
des  objets  terrestres  et  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  mortel  en  nous....  de  nous  élever  aux 
sublimes  Lontemplations  »  ? 

'  C'est  une  tournure  rare  que  la  construction  de  s'attendrir  avec  la  préposition 
à.  L'usage  contemporain  aurait  plutôt  demandé  sur  .  cf.  Féraud,  Dictionnaire  critique 
25o\    I.    igo. 

'  Le  mot  prier  est  ici  équivoque,  ou  plutôt,  il  a  le  sens  restreint  de  demander. 
mais  la  prière  d'hummage  et  d'adoration  n'est  pas  condamnée  par  cette  formule 
(cf.  le  premier  texte  de  I"  :  «  ie  converse  avec  lui,  /e  le  prie  »i.  C'est  ce  qui  permet  à 
Rousseau  dans  la  111'  des  Lettres  de  la  Montagne,  111,  i63-r64,  de  présenter  ainsi  la 
défense  de  ce  passage  :  «  Ils  m'accusent,  par  exemple,  de  rejeter  la  prière.  Voyez  le  livre, 
et  vous  trouverez  une  prière  dans  l'endroit  même  dont  il  s'agit.  L'homme  pieux 
qui  parle  ne  croit  pas,  il  est  vrai,  qu'il  soit  absolument  nécessaire  de  demander  à 
Dieu  telle  ou  telle  chose  en  particulier;  il  ne  désapprouve  point  qu'on  le  fasse.  Quant 
à  moi,  dit-il,  je  ne  le  fais  pas,  persuadé  que  Dieu  est  un  bon  père,  qui  sait  mieux  que 
ses  enfants  ce  qui  leur  convient.  .Mais  ne  peut-on  lui  rendre  aucun  autre  culte  aussi 
digne  de  lui  ?  Les  hommages  d'un  cœur  plein  de  zèle,  les  adorations,  les  louanges, 
la  contemplation  de  sa  grandeur,  l'aveu  de  notre  néant,  la  résignation  à  sa  volonté, 
la  soumission  à  ses  lois,  une  vie  pure  et  sainte  ;  tout  cela  ne  vaut-il  pas  des  vœux 
intéressés  et  mercenaires  ?  Près  d'un  Dieu  juste,  la  meilleure  manière  de  demander 
est  de  mériter  d'obtenir.  Les  anges  qui  le  louent  autour  de  son  trône  le  prient-ils  ? 
Qu'auraient-ils  à  lui  demander?  Ce  mot  de  prière  est  souvent  employé  dans  l'Écriture 
pour  hommage,  adoration  :  et  qui  fait  le  plus  est  quitte  du  moins  ». 


[126] 


294  REDACTIONS    MANUSCRITES 

('  admirer).  Je  -converse  avec  lui  (^  je  le  prie).  (Non  que  j'espère) 
qu'il  ^  change(ra)  pour  moi  le  cours  ^ de  la  nature  "et  ('fera)  des 
miracles  (*pour  me  protéger).  [■•  Moi  qui  dois  lo  aimer  "l'ordre  qu'il 
("fait  '^  voudrois-|e  qu'il)  fut  troublé  ("  pour  moi).  Ce  vœu  témé- 
raire '•'  meriteroit  d'être  plustot  puni  qu'exaucé].  Je  ne  lui  demande 
pas  non  plus  le  pouvoir  de  bien  faire.  Pourquoi  lui  demander  ce 
qu'il  m'a  '"déjà  donné?  Ne  m"a-t-il  pas  donné  la  conscience  pour 
("  vouloir)  le  bien,  la  raison  pour  le  connoitre,  "  et  la  liberté 
pour  le  choisir.  [«  '■'  Non  »  si  je  fais  ^o  mal  je  n'ai  point  d'excuse 
je  le  fais  parce  que  je  ^il'ai  voulu.  Lui  demander  de  changer  22  ma 

'  «  sentir  ». 

■'  B.  (ne). 

'  [je  m  (humilie)  [anéantis]  devant  sa  divine  essence,  je  le  bénis  de  ses  dons 
mais  je  ne  le  prie  pas.  Que  lui  demanderois-je].  —  B.  Je  pénétre  toutes  mes  facultés 
de  sa  divine  essence,  je  (le  bénis)  m'attendris  à  bes  bienfaits,  je  le  bénis  de  ses 
dons  ;  mais. 

■•  change  [a]. 

■'  M.  des  choses. 

"  B.  <  et  >. 
'  [qu'il  fit]. 

"  [en  ma  faveur]. 

"  (Qu'il  me  donnât). 

'"  B.  (agir?)  [aimer].  — I.  (par)  aimer  par  dessus. 

"  B.  par  dessus  toutes  choses  l'ordre  —  M.  par  dessus  tout  l'ordre. 

'^  [établit  (dans)].  —  B.  (qu'il  daigne  établir)  [établi  par  sa  sagesse  et  maintenu 
par  sa  providence].  —  M.  qu'il  daigne  établir.  — 1.  (qu'il)  établi(t)  par  (son  pou- 
voir) [sa  sagesse]  (et  qu'il  maintient)  [et  maintenu]  par  sa  providence. 

'■■'  [(veu.x-je)  que  cet  ordre].  —  B.  voudrois-je  que  cet  ordre. 

'*  [voudrois-je  cette  mot  illisible].  —  B.  pour  moi?  «  Non  »,  ce  vœu. 

'"  B.  (meriteroit  d'être)  [seroit].  —  I.  (seroit)  [méritéroit  d'être]  plus  tôt 
[(d'être)]  puni. 

'"  B.  <  déjà  >. 

"  [aimer]. 

'"  M.  <  et  >. 

'"  B.  (Non). 

-"  B.  le. 

-'  B.  le  veu-x. 

--  B.  (ma  volonté,  c'est  ne  vouloir  plus  être  homme);  [c'est  lui  demander  ce 
qu'il  me  demande,  c'est  vouloir  qu'il  fasse  mon  œuvre  et  que  j'en  recueille  le 
salaire  ;  n'être  pas  content  de  mon  état,  c'est  ne  vouloir  plus  être  homme].  —  M.  ma 
volonté,  c'est  lui  demander.  —  I.  ma  volonté,  c'est  (renoncer  au  prix  qu'il  met  à 
ma  portée)  [lui  demander  ce  qu'il  me  demande...  content  de  mon  état]  c'est  ne 
vouloir. 


ÉDITION    ORIGINALE  295 

par-dessus  tout  Tordre  établi  par  sa  sagesse  &  maintenu  par  sa  providence, 
voudrois-je  que  cet  ordre  fût  troublé  pour  moi  ?  Non,  ce  vœu  téméraire 
meriteroit  d'être  plutôt  puni  qu'exaucé.  Je  ne  lui  demande  pas  non  plus 
le  pouvoir  de  bien  taire;  pourquoi  lui  demander  ce  qu'il  m'a  donné-'? 
Ne  m'a-t-il  pas  donné  la  conscience  pour  aimer  le  bien,  la  raison  pour  le 
connoître  ^.  la  liberté  pour  le  choisir?  Si  je  fais  le  |  mal,  je  n'ai  point  [127J 
d'excuse:  je  le  fais  parce  que  je  le  veux:  lui  demander  de  changer  ma 
volonté,  c'est  lui  demander  ce  qu'il  me  demande;  c'est  vouloir  qu'il  fasse 
mon  œuvre,  &  que  j'en  recueille  le  salaire;  n'être  pas  content  de  mon  état 

'  Rousseau  n'a  pas  toujours  pensé  ainsi.  Dans  sa  jeunesse  on  le  voit  faire 
encore  la  prière  de  demande;  cf.  sa  première  Lettre  à  M"' de  Warens.  Il  prie  pour 
la  santé  de  ♦  Maman  »,  pour  obtenir  d'éviter  un  ennui,  X,  6,  18.  Si  l'on  en  croit 
les  Confessions,  VIII,  168-169,  les  prières  qu'il  faisait  aux  Charmettes  «se  passaient 
plus  en  admiration  et  en  contemplation  qu'en  demandes  ».  Cependant  il  reconnaît 
lui-même,  VIII,  85,  que  quelques  années  auparavant,  il  avait  joint  ses  «  plus  ardentes 
prières  »  à  celles  de  iVl.  de  Berne.ï  pour  obtenir  le  miracle  de  l'incendie  éteint. 
D'ailleurs,  nous  avons  encore  les  prières  qu'il  composait  aux  Charmettes;  elles 
contiennent  des  demandes,  et  très  précises  [36],  223-229  ;  «  Donnez-nous  les  lumières 

et  la  volonté  de  vous  servir  de  la  manière  qui  vous  est  le  plus  agréable Daignez 

avoir  pitié  de  mes  faiblesses,  daignez  détruire  en  moi  tous  les  vices  où  elles  m'ont 

entrainé .\ccordez-leur  [a  «  Maman  »  et  à  son  père]  tous  les  secours  dont  ils  ont 

besoin,  pardonnez-leur  tout  le  mal  qu'ils  ont  fait,  inspirez  leur  le  bien  qu'ils  doivent 
faire,  et  leur  donnez  la  force  de  remplir  les  devoirs  de  leur  état  et  ceux  que  vous 
exigez  d'eux  ».  Seule,  la  «  prière  »  qu'on  a  recueillie  dans  ses  Oeuvres,  .\II,  SSg, 
comme  ayant  été  composée  par  lui  pour  .M*'  de  Warens.  correspond  au  type  de  prière 
qu'il  présente  ici;  mais  son  authenticité  est  douteuse.  Plus  tard,  il  réduira  encore  son 
idéal,  et  se  bornera  à  \'0!  ému  et  admiratif  de  la  bonne  vieille,  qu'il  a  vanté  dans  les 
Confessions,  IX,  72.  —  En  mettant  dans  la  bouche  du  Vicaire,  le  petit  réquisitoire 
qu'on  vient  de  lire  contre  la  prière  de  demande,  Rousseau  savait  fort  bien  les 
arguments  qu'une  âme  pieuse  pouvait  lui  opposer,  puisqu'il  a  chargé  Julie  de  les 
faire  valoir  :  cf.,  dans  la  Souvelle  Héloïse  {VI,  vi  et  vu),  V.  26-34. 

*  Pour  ne  pas  se  méprendre  sur  la  signification  de  cette  formule,  et  ne  pas  y 
voir  une  amende  honorable  à  cette  «  raison  sans  principe  »,  qu'il  dédaignait  tout  à 
l'heure,  il  faut  se  rappeler  ce  que  Rousseau  a  dit  plus  haut,  p.  112  :  «  Connaître  le 
bien,  ce  n'est  pas  l'aimer  ».  .^  vrai  dire,  dans  la  pensée  de  Rousseau,  la  raison  ne 
«  connait  »  pas  le  bien,  à  proprement  parler,  elle  «  le  fait  connaître  »,  comme  il  le  dit 
plus  précisément  dans  ce  passage  auquel  je  renvoie,  ou  mieux  encore,  elle  le  présente; 
et  c'est  la  conscience  qui,  mise  en  «  présence  »  de  ce  bien,  le  «  reconnaît  »,  pour  ainsi 
dire,  et  va  vers  lui.  Il  avait  déjà  mis  dans  la  bouche  de  Saint-Preux  la  formule  du 
Vicaire;  cf.  Souvelle  Héloïse  (VI,  vin,  V,  33:  «  Il  nous  a  donné  la  raison  pour 
connaître  ce  qui  est  bien,  la  conscience  pour  l'aimer,  et  la  liberté  pour  le  choisir  ».  La 
première  rédaction  de  ce  texte  ([8  .V,  3oil  disait  déjà  la  même  chose  en  termes  un  peu 
dirtérents  :  «  Il  nous  adonné  la  liberté  pour  suivre  notre  volonté,  la  conscience  pour 
vouloir  ce  qui  est  bien,  et  la  raison  pour  le  connaître  ».  Au  reste,  pour  tous  ces  textes 
de  Rousseau,  oii  reviennent  les  grands  mots  généraux  de  raison,  sentiment,  cœur,  cons- 
cience, cf.,  plus  haut,  note  2  de  la  p.  100,  et  note  du  II'  Livre  d'Emile,  II,  76  :  «J'ai  fait 
cent  fois  réflexion,  en  écrivant,  qu'il  est  impossible  dans  un  long  ouvrage  de  donner 
toujours  les   mêmes  sens  aiix   mêmes  mots  ....   .Malgré  cela,   je  suis  persuadé  qu'on 


296  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

volonté  c'est  '  vouloir  (ç[ue  je  ne  sois)  plus  homme  c'est  vouloir 
autre  chose  que  ce  qui  est  c'est  \ouloir  le  desordre  et  le  mal. 
Source  de  justice  et  de  vérité  Dieu  clément  et  bon  -que  ta  volonté 
soit  faite.  En  \'  joignant  la  mienne  je  fais  ce  que  tu  fais  (^  je 
gouverne  avec  toi  l'univers  et  je  partage  ta)  félicité  (suprême)  qui 
en  est  le  ^  prix  ^]. 

''Mais  dans  la  juste  défiance  de  moi-même,  'je  lui  demande 
jo  jgY  r.y  ^jg  m'éclairer)  si  je  m'(' abuse)  de  redresser  mon  erreur.  ||  (''Je  suis 
de)  bonne  foi  je  ne  (*"  suis)  pas  infaillible.  Mes  opinions  qui  me 
semblent  '^  claires  sont  peut  être  autant  de  mensonges  ^"  et  l'illusion 
qui  m'abuse  a  beau  \enir  de  moi  c'est  lui  seul  qui  (^^  la)  peut 
("détruire),  (je  sais  bien  qu'il  ne  me  ('-'guérira)  pas  d'une  erreur 
involontaire).  J'ai   fait  ce  que   j'ai   pu   pour   "^  découvrir  la   vérité 


'  [ne]  vouloir  plus  [être]  |homme. 

-  B.  (que  ta  volonté  soit  faite,  voila)  [dans  ma  confiance  en  (ton)  toi]  le 
suprême  vœu  de  mon  cœur  [est  que  ta  volonté  soit  faite].  En  y  joignant.  — M.  Que 
ta  volonté  soit  faite  ;  voila  le  suprême  vœu  de  mon  cœur.  En  y  joignant.  — 
I.  dans  ma  confiance  en  toi,  (je  dis;  que  ta  volonté  soit  faite;  voila)  le  suprême 
voeu  de  mon  cœur  [est  que  ta  volonté  soit  faite]  :  «  En  »  y  joignant. 

'  [j'acquiesce  à  ta  bonté  et  je  crois  partager  d'avance  la  suprême]  félicité.  — 
B.  ta  bonté:  je  crois.  — I.  la  «  suprême  v>  félicité. 

*  I.  (l'ouvrage)  «  le  prix  ». 

^  B.  [(En  attendant  je  suis  heureux  dés  cette  vie  parce  que  j'en  compte  pour 
peu  tous  les  maux.  Je  suis  heureux  parce  que  je  me  confie  en  la  justice  divine)]. 

^  B.  <  Mais  >. 

'  B.  la  seule  chose  que  je  lui  demande  (et  celle  là  comprend  tout  le  reste) 
[ou  plus  tôt  que  j'attends  de  sa  justice]  est  de  redresser  mon  erreur  si  je  m'égare 
[et  si  cette  erreur  m'est  dangereuse].  Four  être  de  bonne  foi.  —  M.  <  et  si  cette 
erreur  est  dangereuse  >.  — I.  ou  plutôt  que  j'attends  de  «  sa  justice»  (lui)  est 
de et  si  (cet  égarement)  [cette  erreur]  m'est  dangereu(x)  [se]. 

"  [égare]. 

'■'  (Si  mes  opinions).  [Pour  être  de]. 

'"  (me  crois]. 

"  M.  [les  plus]  vraies  sont  peut-être.  —  I.  (claires)  [les  plus  vraies]. 

'^  (mais).  —  B.  car  quel  homme  ne  lient  pas  aux  siennes  («  comme  »  [il 
tiendroit]  à  la  vérité  même)  [et  combien  d'hommes  sont  d'accord  en  tout  ?] 
L'illusion.  — M.  quel  homme  ne  tient  pas. 

'"  [m'en]. 

'*  [guérir]. 

'■"'  [punira]. 

'"  B.  (découvrir)  [atteindre  à]. 


ÉDITION    ORIGINALE  297 

c"est  ne  vouloir  plus  èire  homme,  c'est  vouloir  autre  chose  que  ce  qui 
est,  c'est  vouloir  le  désordre  &  le  mal.  Source  de  justice  &  de  vérité. 
Dieu  clément  &  bon  !  dans  ma  confiance  en  toi,  le  suprême  vœu  de  mon 
cœur  est  que  ta  volonté  soit  faite  '.  En  y  joignant  la  mienne,  je  fais  ce  que 
tu  fais,  j'acquiesce  à  ta  bonté  2;  je  crois  partager  d'avance  la  suprême 
félicité  qui  en  est  le  prix. 

Dans  la  juste  défiance  de  moi-même  la  seule  chose  que  je  lui  de- 
mande, ou  plutôt  que  j'attends  de  sa  justice,  est  de  redresser  mon  erreur 
si  je  m'égare,  &  si  cette  erreur  m'est  dangereuse.  Pour  être  de  bonne  foi 
je  ne  me  crois  |  pas  infaillible  :  mes  opinions  qui  me  semblent  les  plus  1281 
vraies  sont  peut-être  autant  de  mensonges;  car  quel  homme  ne  tient  pas 
au.K  siennes,  &  combien  d'hommes  sont  d'accord  en  tout?  L'illusion 
qui  m'abuse  a  beau  me  venir  de  moi,  c'est  lui  seul  qui  m'en  peut  guérir. 
J'ai  fait  ce  que  j'ai  pu  pour  atteindre  à  la  vérité:  mais  sa  source  est  trop 
élevée  :  quand  les  forces  me  manquent  pour  aller  plus  loin,  de  quoi 
puis-je  être  coupable  ?  c'est  à  elle  à  s'approcher  1. 

peut  être  clair,  même  dans  la  pauvreté  de  notre  langue,  non  pas  en  donnant  toujours 
les  mêmes  acceptions  aux  mêmes  mots,  mais  en  faisant  en  sorte,  autant  de  fois  qu'on 
emploie  chaque  mot,  que  l'acception  qu'on  lui  donne  soit  suffisamment  déterminée 
par  les  idées  qui  s'v  rapportent,  et  que  chaque  période  où  ce  mot  se  trouve  lui  serve, 

pour  ainsi  dire,  de  définition Je  ne  crois  pas  en  cela  me  contredire  dans  mes  idées, 

mais  je  ne  puis  disconvenir  que  je  ne  me  contredise  souvent  dans  mes  e.xpressions  ». 

'  Cf.  Charron,  De  la  Sagesse,  11.  v.  22  [77  A],  366  :  «  Nos  vœux  et  nos  prières 
à  Dieu  doivent  être  toutes  réglées  et  sujettes  à  sa  volonté  ;  nous  ne  devons  rien  désirer 
ni  demander,  que  suivant  ce  qu'il  a  ordonné,  ayant  toujours  pour  notre  refrain. 
jiat  riiluntas  tua.  Demander  chose  contre  sa  Providence  est  vouloir  corrompre  le  juge 
et  gouverneur  du  monde;  le  penser  flatter  et  gagner  par  des  promesses,  c'est  l'injurier  ». 
—  Dans  la  lll*  des  Lettres  de  la  Montagne.  111,  163-164,  no:e,  Rousseau  a  commenté 
ce  passage  de  la  Profession  :  «  De  toutes  les  formules,  l'Oraison  dominicale  est.  sans 
co.ntredit,  la  plus  parfaite:  mais  ce  qui  est  plus  parfait  encore  est  l'entière  résignation 
aux  volontés  Je  Dieu  :  .Non  point  ce  que  je  veux,  mais  ce  que  tu  veux.  Que  dis-je  ?  c'est 
l'Oraison  dominicale  elle-même.  Elle  est  toute  entière  dans  ces  paroles  :  t^ue  ta  volonté 
soit  faite.  Toute  autre  prière  est  superflue,  et  ne  fait  que  contrarier  celle-là  ».  Et.  de 
f.iit,  on  la  retrouve  souvent  dans  ses  Lettres  :  cf.  à  Vernes.  1758,  -\,  189,  à  D'Ivernois, 
17  Janvier  1765.  XI,  200,  etc.  Ce  sentiment  se  fondait  en  son  âme  avec  celui  de  la 
soumission  à  la  nécessité.  Aussi  a-t-il  pu  écrire  dans  les  Dialogues,  IX.  233  :  «  Je  doute 
que  jamais  morte!  ait  mieux  et  plus  sincèrement  dit  à  Dieu  :  que  ta  volonté  soit  faite  ». 

-  «J'acquiesce  à  ta  bonté,  je  fais  ce  que  tu  fais,...  je  converse  avec  lui  »,  toujours 
cette  assimilation  avec  Dieu,  qui  est  comme  l'allure  spontanée  de  la  méditation 
religieuse  chez  Jean-Jacques  :  cf.,  plus  haut,  p.  79  et  note  i. 

'  Julie  avait  déjà  dit  de  -M.  de  Wolmar.  Nouvelle  lléloïse  iVI.  vint.  V.  44  :  «  En 

quoi  mon  mari  peut-il  être  coupable  devant  Dieu  ? 11  ne  fuit  point  la  vérité,  c'est  la 

vérité  qui  le  fuit  ».  Suivant  la  juste  remarque  de  Dom  Cajot.  Plagiats  de  ./.  J.  Rousseau 
[247].  3o5,  Diderot  a  fait  valoir  cette  même  excuse  pour  son  incrédulité;  cf.  Pensées 
philosophiques.   .\X1X     177  .  140  ;   «  On  doit   exiger  de  moi  que  je  cherche  la  vérité. 


298  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

1  mais  sa  source  est  trop  «  2  élevée  »  'pour  que  j'y  puisse  atteindre. 
[Je  me  suis  efforcé  d'aller  jusqu'à  elle  (^  pour  moi)  les  forces  me 
manquent]  *  c'est  à  elle  à  s'approcher  ".  f 


ir  PARTIE  :  LA  RÉVÉLATION 
1.  La  Religion  naturelle  et  les  Religions  révélées. 


Le  bon  prêtre  '  avoit  parlé  a\ec  véhémence  il  étoit  ému,  je 
l'étois  aussi.  *  Cependant  t  J<2  voyois  ''une  îoule  d'objections  à  lui 
faire  '"et  je  n'en  fis  '^  pas  une  parce  ''^qu'elles  etoient  moins 
('-''sincères)  qu'embarrassantes  et  que  '^  la  persuasion  intérieure  étoit 
pour  lui.  A  mesure  qu'il  me  parloit  selon  sa  conscience  la  mienne 


'  (po  ub). 

''  [(sublime)]. 

'  B.  (pour  que  j'y  puisse  atteindre.  Je  me  suis  efforcé  d'arriver  jusqu'à  elle; 
et)  quand  les  forces. 

''  [quand]. 

■'  B.  (de  quoi)  pour  aller  plus  loin  de  quoi  puis-je  être  coupable  ?  C'est  à  elle. 

'■■  B.  [(En  attendant  je  suis  heureux  parce  que  je  compte  pour  peu  tous  les 
maux  de  la  vie  et  que  le  prix  qui  les  rachette  est  en  mon  pouvoir)]. 

'  (etoit). 

'  B.  [Je  crovois  entendre  (la  voix  du)  [le]  divin  Orphée  (lorsqu'il  chanta) 
[chanter]  les  premières  hymnes  et  (apprit)  [apprendre]  aux  hommes  le  culte  des 
Dieux].  — I.  [Je  croyois  entendre...  le  culte  des  Dieux]. 

'■'  B.  des  foules. 

'"  B.  <  et  >. 

"  M.  aucune. 

'-  M.  que  je  les  sentois  moins. 

"  [solides]. 

'■*  B.  «  la  persuasion  »  (intérieure)  [(l'assentiment)]. 

t  Ici.  dans  le  manuscrit,  un  espace  de  plusieurs  lignes  laissé 
en   blanc. 

t  Ici.  dans  le  manuscrit,  un  espace  d'environ  deux  lignes  laisse' 
en   blanc. 


EDITION"    OKIGIXAI.E  2Ç)9 


ir  PARTIE  :  LA  RÉVÉLATION 
1.  La  Religion  naturelle  et  les  Religions  révélées. 


Le  bon  Prestre  (»)  avoit  parlé  avec  véhémence:  il  étoit  ému.  je  l'étois 
aussi     Je  croyois   entendre   le  divin    Orphée  -   chanter   les   premières   ' 

(•I  C,  D  :  Piètre 

mais  non  que  je  la  trouve.  L  n  sophisme  ne  peut-il  m'ati'ecter  plus  vivement  qu'une 
preuve  solide  »?  Cf.  encore  la  profession  de  foi  de  Julie  mourante  (VI,  xil,  V,  55-56  : 
«  J'ai  pu  me  tromper  dans  ma  recherche  ;  je  n'ai  pas  l'orgueil  de  penser  avoir  toujours 
eu  raison  ;  j'ai  peut-être  eu  toujours  tort,  mais  mon  intention  a  toujours  été  pure,  et 
j'ai  toujours'cru  ce  que  je  disais  croire.  C'était  sur  ce  point  tout  ce  qui  dépendait  de 
moi.  Si  Dieu  n'a  pas  éclairé  ma  raison  au-delà,  il  est  clément  et  juste  :  pourrait-il  me 
demander  compte  d'un  don  qu'il  ne  m'a  pas  fait  »? 

*  Cette  comparaison  a  été  introduite  après  coup  dans  B  et  dans  I.  pour  faire 
plaisir  à  Duchesne,  qui  voulait  illustrer  ['Emile:  cf.  Lettre  à  Duchesne,  du  12  Fé- 
vrier 1762  ^o"»"],  121  :  «  Depuis  que  les  dessins  sont  faits,  vous  ne  m'avez  plus  parlé 
des  planches  Serait-il  possible  que  vous  les  eussiez  oubliées,  ainsi  que  l'édition  que 
vous  aviez  promise?  En  ce  cas  vous  seriez  d'autant  plus  inexcusable  que  c'est  vous  qui 
les  avez  demandés  et  que  cela  m'a  obligé  d'insérer  des  additions  dans  le  texte  pour  en 
amener  les  sujets  ».  —  Je  croirais  volontiers  que  l'attention  de  Rousseau  a  été  attirée 
sur  Orphée  par  la  Dissertation  sur  les  Hymnes  des  Anciens  de  l'abbé  Souchav,  qui 
a  paru  en  deux  parties  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscriptions  '.]3',  XI 1 
{1740I,  1-1 5  et  XVI  (17511,  gS-ioS.  On  voit  par  l'un  des  cahiers  de  Rousseau  "5],  i, 
qu'il  a  fait  précisément  des  extraits  du  T.  XVI.  On  lit  dans  ce  dernier  volume,  p.  102  : 
«  Si  Orphée  a  été  un  sage,  un  théologien,  un  législateur  sacré,  et  que  les  hymnes 
qui  portent  son  nom  renferment  sa  doctrine,  qui  pourra  les  regarder  avec  Heinsius, 
comme  une  liturgie  de  Satan,  ou,  avec  l'auteur  de  la  Bibliothèque  universelle,  comme 
des  évocations  magiques  ?  C'est  avoir  détruit  une  opinion  si  peu  fondée  que  d'avoir 
établi  qu'Orphée  était  un  sage,  et  que  sa  doctrine  est  contenue  dans  les  hymnes 
qui  portent  son  nom  ». 

•  Les  manuscrits  sont  d'accord  avec  l'édition  originale  sur  ce  féminin  :  cf., 
d'ailleurs.   Dictionnaire  de   musique,  VU.    187  :   «   Hymne,  s.   f.,   chant   en   l'honneur 

des  dieux  ou  des  héros ;  Orphée  et  Linus  passaient  chez  les  Grecs  pour  l'auteur 

des  premières  hymnes  ».  Cependant  l'abbé  Souchay,  dans  la  Dissertation  que  j'ai 
citée  à  la  note  précédente,  écrivait,  XVI,  98  :  «Je  passe  donc  aux  hymnes  philo- 
sophiques,   réservant   pour  la   fin   les   hymnes  théurgiques   ou   religieux   parce   que 


300  REDACTIONS    MANUSCRITES 

me  ('répétoit)  ce  qu'il  m'a\oit  dit.  (-La  profession  de  îoi  que  vous 
venez  de  faire)  «  lui  »  ('  répondis)-ie  me  (^  paroit)  «  plus  »  '■  nouvelle 
par  (''les  choses  que)  \ous  avouez  ignorer  que  par  ("celles)  que 
vous  dites  croire.  J'y  vois  à  peu  de  choses  près  le  Théisme  ou  la 
religion  naturelle  que '' les  chrétiens  ("confondent)  avec  l'atheïsme 
1"  et  11  l'impiété  ;  mais  '-'dans  l'état  actuel  de  ma  foi  i^"  j'ai  plus 
à  remonter  qu'à  descendre  pour  adopter  vos  opinions  et  je  trou\-e 
difiicile  de  ('^s'en  tenir)  précisément  au  point  où  vous  êtes  à  moins 
d'être  aussi  sage  que  vous.  Pour  être  *'' du  moins  aussi  sincère,  je 
veux  consulter  avec  moi.  C'est  le  sentiment  intérieur  qui  doit  me 
conduire  à  \'ôtre  exemple  et  xous  m'avez  appris  vous  même 
qu'après  lui  avoir  longtems  imposé  silence  le  rappeller  n'est  pas 
l'alTaire  d'un  moment.  J'emporte  vos  discours  dans  mon  cœur  il 
faut  que  je  les  médite,  si  après  m'être  bien  consulté  j'en  demeure 
aussi  convaincu  que  vous,  vous  serez  mon  dernier  apôtre  et  je 
serai  vôtre  proselite  jusqu'à  la  mort.  Continuez  cependant  à 
m'instruire.  Vous  ne  m'avez  dit  que  la  moitié  de  ce  que  je  dois 
savoir.  Parlez-moi  de  la  ré\élation,  des  écritures  i"  des  dogmes 
[(divers  ?)]  sur  lesquels  je  vais  errant  des  mon  enfapce,  sans 
pouvoir  «   ni   les  concevoir  »    l^~  ni   les  rejeter). 


'   [(confirmoit)  semhloit   me   confirmer].  —  B.    (confirmoit)    [sembloit    me 
confirmer]. 

-  [Les  sentimens  que  vous  venez  de  m'exprimer  .  —  B.  de  m'exposer. 

■'  [dis]. 

■"  [semblent].  —  B.  (semblent)  [au  cravon,  repassé  à  t'encre  :  paroissent]. 

■'  [nouveaux]. 

''  [ce  que]. 

'■  [ce]. 

"  M.  nos. 

'•'  [atTectent  de  confondre]. 
'"  M.  ou.  —I.  (et)  [ou]. 

"  B.  (l'incrédulité)  [l'irréligion],  qui  est  la  doctrine  directement  (contraire^ 
[opposée].  Mais  dans. 
'^  (vous). 

'■'  (vous)  [(pour  adopter)]. 
'■•  [rester], 
">  B  (du)  [au]. 

"'  I.  (des)  [de  ces]  dogmes  [obscurs]. 
''  ni  les  croire  (ni  les  entendre)  [et  sans  savoir  les  admettre  ni  les  rejetter]. 


ÉDITION    ORIGINALE  30I 

Hvmnes,  &  apprendre  aux  hommes  le  culte  des  Dieux.  Cependant  je 
vovois  des  foules  d'objections  à  lui  faire:  je  n'en  fis  pas  une,  parce 
qu'elles  étoient  moins  solides  qu'embarrassantes,  &  que  la  |  persuasion  129] 

éloit  pour  lui.  .A  mesure  qu  il  me  parloit  selon  sa  conscience,  la  mienne 
sembloit  me  confirmer  ce  qu'il  m'avoit  dit  '. 

Les  sentimens  que  vous  venez  de  m'exposer,  lui  dis-je,  me  paroissenl 
plus  nouveaux  par  ce  que  vous  avouez  ij^norer,  que  par  ce  que  vous  dites 
croire  ^.  J'y  vois,  à  peu  de  choses  près,  le  théisme  ou  la  religion  naturelle, 


la  matière  est  plus  intéressante  et  plus  étendue»:  et  il  rangeait  les  hymnes  d'Orphée 
parmi  les  hymnes  religieu.x.  Féraud,  Dictionnaire  critique  [25oJ.  Il,  413,  établit 
une  distinction  :  «  Ce  mot  est  féminin  quand  on  parle  des  cantiques  de  l'Église 
dans  l'office  divin,  et  masculin  quand  on  parle  de  ceux  des  Anciens  en  l'honneur 
de  leurs  dieux  »;  mais  il  semble  oublier  cette  distinction  dans  les  exemples  qu'il 
cite  [peut-être  y  a-t-il  une  faute  d'impression]  :  «  Santeuil  a  fait  de  très  belles  hymnes  ; 
les  hymnes  sacrées  d'Orphée  ». 

'  Rousseau  a  analysé  cet  état  d'esprit  avec  plus  de  détail  dans  la  III'  «  Prome- 
nade »  des  Rêi'eries,  l.\,  3^2,  où  il  raconte  précisément  comment  «il  se  décida  pour 
toute  sa  vie  sur  tous  les  sentiments  qu'il  lui  importait  de  connaître  »  :  «  J'avoue...  que 
je  ne  levai  pas  toujours  à  ma  satisfaction  toutes  ces  difficultés  qui  m'avaient  embar- 
rassé, et  dont  nos  philosophes  avaient  si  souvent  rebattu  mes  oreilles.  .Mais,  résolu 
de  me  décider  enfin  sur  des  matières  où  l'intelligence  humaine  a  si  peu  de  prise, 
et  trouvant  de  toutes  parts  des  mystères  impénétrables  et  des  objections  insolubles, 
j'adoptai  dans  chaque  question  le  sentiment  qui  me  parut  le  mieux  établi  directement, 
le  plus  crovable  en  lui-même,  sans  m'arréter  aux  objections  que  je  ne  pouvais 
résoudre,  mais  qui  se  rétorquaient  par  d'autres  objections  non  moins  fortes  dans 
le  système  opposé.  Le  ton  dogmatique  sur  ces  matières  ne  convient  qu'à  des  char- 
latans ;  mais  il  importe  d'avoir  un  sentiment  pour  soi,  et  de  le  choisir  avec  toute 
la  maturité  de  jugement  qu'on  y  peut  mettre.  Si  malgré  cela  nous  tombons  dans 
l'erreur,  nous  n'en  saurions  porter  la  peine  en  bonne  justice,  puisque  nous  n'en 
aurons  point  la  coulpe.  Voilà  le  principe  inébranlable  qui  sert  de  base  à  ma  sécurité  ». 
Cf.,  plus  haut,  p.  33  et  note  5. 

'  Cependant  Rousseau  a  insisté  à  plusieurs  reprises  sur  le  caractère  «  affirmatif 
et  démonstratil  »  de  cette  I"  Partie  de  la  Profession  :  cf.  1' et  II"  Lettres  de  la  Mon- 
tagne, III,  123,  142.  .Mais  ces  «  affirmations  »  ne  sont  pas  «  nouvelles  »:  ce  sont 
au  contraire  les  affirmations  traditionnelles.  Ce  qui  lui  parait  «  nouveau  »,  c'est 
l'indifférence  du  Vicaire  à  l'égard  de  certaines  questions  «  oiseuses  »,  questions  de  pure 
spéculation  et  sans  rapport  avec  la  pratique;  ce  qui  est  «  nouveau  »,  c'est  la  façon 
dont  il  s'arrête  au  milieu  de  certains  problèmes,  en  refusant  de  les  pousser  jusqu'au 
bout,  parce  qu'il  sent  l'impuissance  de  sa  raison  à  y  atteindre  et  l'inutilité  de  cette 
tentative  :  cf.,  plus  haut,  p.  61.  .\utrement  dit,  Rousseau  laisse  entendre  que  la 
principale  «  nouveauté  »  de  la  Profession,  c'en  est  la  méthode  et  l'accent.  Marie  Huber 
disait  de  même.  Religion  essentielle  [iSi],  («Lettre  introductive  »  du  T.  III,  non 
paginéei,  que  l'originalité  de  son  ouvrage  «  ne  consistait  pas  à  présenter  de  nouveaux 
dogmes  ou  de  nouveaux  préceptes  de  morale  »,  mais  seulement  «  à  écarter  ce  qu'il 
y  a  de  confus,  d'embarrassé,  ou  peut-être  de  contradictoire  à  l'un  et  à  l'autre  égard... 
Il  parait  de  là,  ajoutait-elle,  que  cet  ouvrage  est  plus  négatif  que  positif  >.  Cette 
formule  a  l'air  directement  opposée  à  celle  de  Rousseau  dans  les  Lettres  de  la  Mon- 
tagne, mais  on  voit  par  cette  remarque  du  Vicaire  que  l'esprit  en  est  au  fond  identique. 


302  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


('Oui,  me  dit-il),  j'achèverai  de  vous  dire  ce  que  je  pense, 
je  ne  veux  point  vous  ouvrir  mon  cœur  à  demi.  -  Mais  le  désir 
que  vous  me  témoignez  etoit  nécessaire  pour  m'autoriser  à  n'avoir 
aucune  reserve  avec  vous,  (et)  je  ne  vous  ai  rien  dit  jusqu'ici  que 
je  ne  crusse  [pouvoir]  vous  être  utile  et  dont  je  ne  fusse  intimement 
persuadé;  'l'aveu  qui  me  reste  à  ^  vous  faire  ^  est  bien  différent;  je 
n'y  vois  qu'embarras,  •'doute  obscurité,  je  n'y  porte  qu'incertitude 
et  défiance.  Je  ne  me  détermine  qu'en  tremblant  et  je  vous  ('  fais) 
plus  tôt  (l'histoire  de)  mes  doutes  que  *je  ne  vous  dis  mon  opinion. 
Si  ^  vos  sentimens  étoient  plus  stables  j'hesiterois  de  vous  '"  commu- 
niquer les  miens  mais  dans  l'état  où  vous  êtes  "  vous  gagnerez  *-à 


'  [Oui  mon  enfant  dit-il  en  m'embrassant].  —  M.  me  dit-il  en  m'embrassant. 
-  (Mais  ce  qu'il  me  reste  à  vous). 
■'  (mais  dans)  —  B.  (l'aveu)  [l'examen]. 
*  B.  [(vous)]. 
■•  (tout  me). 
"  B.  (doute)  [mistére]. 
'  [expose].  —  B.  (e.xpose)  [dis]. 
'  B.  (je  ne  vous  dis)  mon  (opinion)  [avis]. 
"  [(je)]. 
'"  B.  e.xposer. 

"  B.  [(je  suis  bien  sur  que)]. 
'-  B.  [(toujours)]. 


EDITION    ORIGINALE  303 

que  les  chrétiens  affectent  de  confondre  avec  l'athéisme  ou  l'irréligion, 
qui  est  la  doctrine  directement  opposée*.  Mais  dans  l'état  actuel  de  ma  foi 
j'ai  plus  à  remonter  qu'à  descendre  ■*  pour  adopter  vos  opinions,  &  je 
trouve  difficile  de  rester  précisément  au  point  où  vous  êtes,  à  moins  d'être 
aussi  sage  que  vous.  Pour  être,  au  moins,  aussi  sincère,  je  veux  consulter 
avec  moi.  C'est  le  sentiment  intérieur  qui  doit  me  conduire  à  votre 
e.xemple.  &  vous  m'avez  appris  vous-même  ^  |  qu'après  lui  avoir  long-  [130] 
tems  imposé  silence,  le  rappeller  n'est  pas  l'affaire  d'un  moment.  J'emporte 
vos  discours  dans  mon  cœur,  il  faut  que  je  les  médite.  Si,  après  m'étre 
bien  consulté,  j'en  demeure  aussi  convaincu  que  vous,  vous  serez  mon 
dernier  apùtre,  &  je  serai  votre  prosélvte  jusqu'à  la  mort.  Continuez, 
cependant,  à  m'instruire;  vous  ne  m'avez  dit  que  la  moitié  de  ce  que 
je  dois  savoir.  Parlez-moi  de  la  révélation,  des  écritures,  de  ces  dogmes 
obscurs,  sur  lesquels  je  vais  errant  dès  mon  enfance,  sans  pouvoir  les 
concevoir  ni  les  croire,  &  sans  savoir  ni  les  admettre  ni  les  rejetter. 

Oui,  mon  enfant,  dit-il  en  m'embrassant,  j'achèverai  de  vous  dire  ce 
que  je  pense;  je  ne  veux  point  vous  ouvrir  mon  cœur  à  demi  :  mais 
le  désir  que  vous  me  témoignez  étoit  nécessaire,  pour  m'autoriser  à 
n'avoir  aucune  réserve  avec  vous.  Je  ne  vous  |  ai  rien  dit  jusqu'ici  '^tSV 
que  je  ne  crusse  pouvoir  vous  être  utile,  &  dont  je  ne  fusse  intimement 
persuadé.  L'examen  qui  me  reste  à  faire  est  bien  différent;  je  n'v  vois 
qu'embarras,  mistere  (^),  obscurité  ;  je  n'v  porte  qu'incertitude  &  défiance. 

(a)   C,  D  :  myfitere. 

'  Dans  les  milieux  «  philosophiques  »,  on  avait  pris  grand  soin  de  distinguer 
le  théisme  du  déisme.  Ce  dernier  terme  avait  une  fâcheuse  réputation  :  il  s'agissait 
qu'elle  n'atteignit  point  le  théisme;  cf.  la  note  de  Diderot  dans  VEssai  sur  le  mérite 
et  la  vertu  [174],  i3  :  «  jM.  S[haftesburyl  a  soigneusement  prévenu  la  confusion  qu'on 
pourrait  faire  des  termes  de  déiste  et  de  théiste.  Le  déiste,  dit-il,  est  celui  qui  croit 
en  Dieu,  mais  qui  nie  toute  révélation;  le  théiste  au  contraire  est  celui  qui  est  près 
d'admettre  la  révélation  et  qui  admet  déjà  l'existence  d'un  Dieu...  pour  devenir  chrétien, 
il  faut  commencer  par  être  théiste.  Le  fondement  de  toute  religion,  c'est  le  théisme  »,  etc. 
—  Au  reste,  tous  les  «  chrétiens  n'affectaient  pas  de  confondre  le  théisme  avec 
l'athéisme  »;  cf.  Lignac,  Sens  intime  [23 ij.  Préface  (non  paginée)  :  «  On  est  étonné  de 
la  différence  que  je  mets  entre  le  déiste  et  le  théiste,  et  on  désirerait  que  je  la  fi.xasse. 
Le  déiste  reconnaît  un  Dieu  oisif,  qui  ne  se  mêle  de  rien  de  ce  qui  se  passe  dans  le 
monde.  11  nie  l'immortalité  de  l'âme  et  toute  attente  de  récompenses  ou  de  peines 
après  la  mort.  Les  théistes  croient  la  Providence;  ils  pensent  que  Dieu  est  attentif  sur 
les  actions  des  hommes,  qu'il  doit  les  récompenser  éternellement  dans  l'autre  vie, 
lorsqu'elles  sont  conformes  à  l'ordre  de  la  société  »,  etc. 

'  Parce  que  le  jeune  homme  n'est  ni  théiste,  ni  même  déiste.  «  L'oubli  de  toute 
religion  »  a  fait  pratiquement  de  lui  un  «  athée  »  :  cf.,  plus  haut,  pp.  7-8. 

'  Cf.,  plus  haut,  p.  ii5  :  «  Elle  [La  conscience]  se  rebute  enfin  à  force  d'être 
éconduite;  elle  ne  nous  parle  plus,  elle  ne  nous  répond  plus,  et  après  de  si  longs 
mépris  pour  elle.  Il  en  colite  autant  de  la  rappeler  qu'il  en  coûta  de  la  bannir  ». 


304  REDACTIONS    MANL^SCRITES 

penser  comme  moi.  Au  reste  ne  donnez  '  à  mes  discours  que 
l'autorité  de  la  raison;  j'ignore  si  je  suis  dans  l'erreur.  -Cherchez 
la  \'érité  nous  même,  pour  moi  je  ne  vous  promets  que  de  la 
■■'  bonne  foi. 


jo  jgy  vo  II  \-QU5  pg  vovez  dans  mon  exposé  que  la  Religion  naturelle. 

'  Par  ou  connoitrai-je  C*  qu'il  en  îaut  une  autre)  ide  quoi  "^serai-je 
coupable  en  servant  Dieu  selon  les  lumières  qu'il  ('m'a  données) 
et  selon  les  sentimens  qu'il  "* imprime  en  mon  cœur|.  |Et]  quelle 
'•'morale  (plus  pure),  quels  dogmes  ('"plus  nécessaires)  à  l'homme 
11  et  honorables  à  la  divinité  puis-je  '- tirer  d'C'Uin  culte)  '^  artificiel 
('5  que  je  ne  trouve  pas  dans  celui)  que  me  prescrit  la  raison  seule. 
KiDe  grâce  montrés  moi  ce  qu'on  peut  ajouter  pour  la  gloire  de 
Dieu  pour  le  bien  de  la  société  et  pour  mon  propre  avantage  aux 


'  B.  (ici). 

'  B.  [II  {'■<  nesl  pas  possible)  de  ne  pas  prendre  [au  crayon,  repassé  à 
l'encre  :  quelquefois]  le  ton  alTirmalif  (''  quand  on  raisonne)  :  mais  souvenez- 
vous  que  toutes  mes  affirmations  ne  sont  que  des  raisons  de  douter]. 

a)  [est  difficile  quand   on   discute].  —  M.  Il  n'est  pas  pos- 
sible, quand  on  discute.  —  I.  11  est  difficile  [quand  on  discute]. 
>>)  I.  quand  on  raisonne. 

'  I.  (sincérit  É)  [bonne  foi]. 
*  [Il  est  bien  étrange  qu'il  en  faille  une  autre]. 
^  [cette  nécessité]. 
•^  B.  puis-je  être. 
■  [donne  à  mon  esprit]. 
"  B.  (imprime)  [inspire]  à. 
'  [pureté  de]. 
'"  [utiles]. 

"  B.  [et  honorable  à  son  auteur]. 
'-  [len)]. 

"  [une  Religion]  ariificiel[le].  —I.  (religion  artificielle)  [doctrine  positive]. 
'^  B.  (naturelle)  [(artificielle)  positive]. 

'■'  [(qui  ne  soit  pas  déduit)  [que  je  ne  déduise  aussi  bien]  de  celle].  —  B.  que 
je  ne  puisse  tirer  (du)  sans  elle  du  bon  usage  de  mes  facultés.  Montrez-moi. 
'^  (.\lontrés-moi). 


EDITION    ORIGINALE  305 

Je  ne  me  détermine  qu'en  tremblant,  &  je  vous  dis  plutôt  mes  doutes 
que  mon  avis.  Si  vos  seniimens  éloient  plus  stables,  j'hésiterois  de  '  vous 
exposer  les  miens;  mais  dans  l'état  où  vous  êtes,  vous  gagnerez  à  penser 
comme  moi  ^  *.  Au  reste,  ne  donnez  à  mes  discours  que  l'autorité  de  la 
raison  •'' ;  j'ignore  si  je  suis  dans  l'erreur.  11  est  difficile,  quand  on  discute, 
de  ne  pas  prendre  quelquefois  le  ton  affirmatit  ;  mais  souvenez-vous  qu'ici 
toutes  mes  affirmations  ne  sont  que  des  raisons  de  douter  *.  Cherchez 
la  I  vérité  vous-même  ;  pour  moi  je  ne  vrfus  promets  que  de  la  bonne  foi  '.        [132] 

Vous  ne  vovez  dans  mon  e.xposé  que  la  religion  naturelle  :  il  est  bien 
€trange  qu'il  en  faille  une  autre-!  Par  où  connoîtrai-je  cette  nécessité? 
De  quoi  puis-je  être  coupable  en  serxant  Dieu  selon  les  lumières  qu'il 
donne  à  mon  esprit.  &  selon  les  sentimens  qu'il  inspire  à  mon  cœur? 
Quelle  pureté  de  morale,  quel  dogme  utile  à  l'homme,  &  honorable  à  son 
auteur,  puis-je  tirer  d'une  doctrine  positive,  que  je  ne  puisse  tirer  sans 


*  Voilà,   le  crois,  ce  que   le  bon   Vicaire  pourroit  dire  à  présent  au   public. 

'  Sur  cette  construction,  cf.  Haase,  Syntaxe  française  du  W'II'  siècle,  112  [275], 
3oi.  Féraud,  Dictionnaire  critique  [25o^,  i,  390,  ne  connaît  plus  cette  construction  : 
«  Hésiter...  régit  à  devant  les  verbes  ». 

'  Comme  le  montre  la  note  de  Rousseau,  le  ieune  disciple  est  devenu  un  auditeur 
svmbolique;  et,  par-dessus  lui.  c'est  à  toute  la  génération  contemporaine  que  le  Vicaire 
s'adresse.  La  note  fait  une  brève  allusion  au  discrédit  général  que  la  propagande  philoso- 
phique avait  ieté  sur  toutts  les  confessions  chrétiennes.  Rousseau  a  développé  sa  pensée 
sur  ce  point  dans  une  page  très  mtéressante  de  la  \"  des  Lettres  de  la  Montagne,  III,  199  : 
«  Considérez  l'état  religieu.x  de  l'Europe  au  moment  où  je  publiai  mon  livre,  et  vous 
verrez  qu'il  était  plus  que  probable  qu'il  serait  partout  accueilli.  La  religion,  discréditée 
en  tout  lieu  par  la  philosophie,  avait  perdu  son  ascendant  jusque  sur  le  peuple.  Les 
gens  d'Église,  obstinés  à  l'étayer  par  son  côté  faible,  avaient  laissé  miner  tout  le  reste  ; 
et  l'édifice  entier,  portant  à  faux,  était  prêt  à  s'écrouler.  Les  controverses  avaient  cessé, 
parce  qu'elles  n'intéressaient  plus  personne;  et  la  paix  régnait  entre  les  différents 
partis,  parce  que  nul  ne  se  souciait  plus  du  sien  ».  Cf.  encore,  plus  loin,  p.  191  et  note  i. 

*  Si  on  interprétait  cette  déclaration  d'après  celle  de  la  I"  Partie,  1'  «  autorité  » 
serait  médiocre,  «  d'un  entendement  sans  règle  et  d'une  raison  sans  principe  »;  mais 
la  discussion  semble  rendre  à  Rousseau  toute  sa  confiance  en  la  valeur  de  l'instrument. 

'  Toutes  ces  précautions  oratoires  traduisent  peut-être  sincèrement  l'état  d'esprit 
personnel  de  Rousseau  ;  mais  la  suite  de  la  Profession,  sauf  les  pages  finales,  laissera  au 
lecteur  l'impression  d'une  pensée  très  affirmative  et  très  décidée  sur  certaines  questions. 

'  Comme  Marie  Huber,  Rousseau  fait  de  la  «  bonne  foi  »  un  article  essentiel 
de  sa  méthode;  cf.,  par  exemple.  Religion  essent  elle  [iSi],  II,  198  :  «  Quoi  donc! 
La  bonne  foi  pourrait-elle  suffire  à  tout?  Envers  Dieu,  envers  le  prochain,  envers 
soi-même?  La  chose  me  parait  très  possible;  et  ce  qu'il  y  de  bien  vrai  encore,  c'est 
que  la  bonne  foi  envers  soi-même  est  l'introduction  à  tout  le  reste  ». 

-  .Marie  Huber.  Religion  essentielle  [i5i],  I,  62  :  «  La  Religion  naturelle,  dit-on, 
est  de  beaucoup  inférieure  il  la  Religion  révélée.  Cette  proposition  me  parait  louche, 
et  je  doute  que  l'on  entende  bien  soi-même  ce  que  l'on  dit.  En  voici  une  qui  sera 
équivalente  :    le   naturel   dans   les  enfants   est   de   beaucoup   inférieur  à    l'éducation  ». 

20 


306  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

devoirs  de  la  loi  naturelle,  et  quelle  vertu  vous  ferez  naitre 
d'un  nouveau  culte  qui  ne  soit  pas  une  conséquence  du  mien. 
1  Je  vois  que  tous  (^vos  divers  cultes)  rendent  l'homme  orgueilleux 
intolérant  inhumain,  persécuteur,  que  loin  d'eclaircir  les  notions 
3  de  la  divinité,  *  ils  les  embrouillent,  [■"  qu'aux  mistéres  incon- 
cevables! qui  l'environnent  ils  ajoutent  ^  des  récits  cent  îois)  plus 
inconcevables  "qu'au  lieu  d'éclairer  la  raison  ils  l'abrutissent,  qu'au 
lieu  d'établir  la  paix  sur  la  terre  ils  y  (»  font  'couler  des  '"torrens 
de  sang  humain)  je  (>•  cherche  en  vain  ce  qu'on  gagne  à  tout  cela), 
je  n"\'  \ois  que  Iles  crimes  des  hommes  et.  '-'les  calamités  ('^  de 
mon  espèce). 


'  B.  (Toutes)  Les  plus  grandes  idées  de  la  divinité  (se)  nous  viennent  par  la 
raison  seule.  [Voyez  le  spectacle  de  la  nature,  écoutez  la  voix  intérieure.  Dieu 
n'a-t-il  pas  tout  dit  à  nos  yeu.x  à  notre  conscience,  à  nôtre  jugement  ?  et  qu'est-ce 
que  les  hommes  nous  diront  de  plus?]  (Jamais)  [Toutes]  les  révélations  ne  font 
que  dégrader  Dieu.  (Je  vois  que  les  dogmes  particuliers  rendent  l'homme  orgueil- 
leu.x.  intolérant,  cruel,  que)  loin  d'eclaircir.  —  M.  ne  font  que  dégrader  Dieu  [en 
lui  donnant  les  passions  humaines];  loin  d'eclaircir.  — I.  Toutes  les  révélations 
ne  font  que  dégrader  Dieu  [en  «  lui  »  donant  les  passions  (des  hommes) 
[humaines]].  Loin  d'eclaircir. 

-  [(religions  e.xclusives...  dogmes)  les  vôtres]. 

■'  B.  du  grand  Etre. 

^  B.  (ils)  [je  vois  que  les  dogmes  particuliers]  les  embrouillent,  que  loin  de 
les  ennoblir  ils  les  avilissent,  qu'au.x  mistéres. 

■'  (qu'ils  l'environnent  de  mistéres  inconcevables). 

"  [mille  contradictions].  —  B.  (mille)  [des]  contradictions  absurdes.  — 
I.  (mille)  [des]  contradictions  absurdes. 

'  B.  (qu'au  lieu  d'éclairer  la  raison  ils  l'abrutissenii  qu'ils  rendent  l'homme 
orgueilleux,  intolérant  crilel,  qu'au  lieu  d'établir. 

"  .[portent  [sans  cesse]  le  fer  et  le  feu  toutes  les  horreurs  des  meurtres  les 
plus  affreux  et  des  guerres  les  plus  cruelles],  —  B.  portent  (sans  cesse)  le  fer  [et] 
le  feu  (les  horreurs  de  tous  les  crimes).  Je  me  demande.  —  I.  portent  (sans  cesse) 
le  fer  et  le  feu. 

'■'  [verser]. 

'"  [flots]. 

"  [«  me  demande  à  quoi  »  bon  tout  cela  sans  savoir  me  repondre]. 

'-  B.  (la  désolation)  [les  misères]. 

'■'  Idu  genre  humain]. 


EDITION    ORIGINALE  307 

elle  du  bon  usaue  de  mes  facultés  ?  Monirez-moi  ce  qu'on  peut  ajouter,  pour 
la  gloire  de  Dieu,  pour  le  bien  de  la  société,  &  pour  mon  propre  avantage, 
aux  devoirs  de  la  loi  naturelle,  &  quelle  vertu  vous  ferez  naître  d'un  nou- 
veau culte,  qui  ne  soit  pas  une  conséquence  du  mien  ?  Les  plus  grandes 
idées  de  la  Divinité  nous  viennent  par  la  raison  |  seule.  Voyez  le  spectacle  [133] 
de  la  Nature,  écoutez  la  voix  intérieure.  Dieu  n'a-t-il  pas  tout  dit  à  nos  yeux, 
à  notre  conscience,  à  notre  jugement  '?  Qu'est-ce  que  les  hommes  nous 
diront  de  plus?  Leurs  révélations  ne  font  que  dégrader  Dieu,  en  lui  don- 
nant les  passions  humaines.  Loin  d'éclaircir  les  notions  du  grand  Etre,  je 
vois  que  les  dogmes  particuliers  les  embrouillent:  que  loin  de  les  ennoblir 
ils  les  avilissent;  qu'aux  misteres  («)  inconcevables  qui  l'environnent  ils 
ajoutent  des  contradictions  absurdes;  qu'ils  rendent  l'homme  orgueilleux, 
intolérant,  cruel  :  qu'au  lieu  d'établir  la  paix  sur  la  terre,  ils  y  portent  le  fer 
&  le  feu.  Je  me  demande  à  quoi  bon  tout  cela,  sans  savoir  me  répondre  2. 
Je  n'v  vois  que  les  crimes  des  hommes  &  les  misères  du  genre  humain  ^. 

I  -'  t  C,  D  :  mystères. 

'  Cl.  IV'  Livre  d'Emile,  II,  182  :  «  Ce  que  Dieu  veut  qu'un  homme  fasse,  il  ne 
le  lui  fait  pas  dire  par  un  autre  homme,  il  le  dit  lui-même,  il  l'écrit  au  fond  de  son 
cicur  »;  el  Le  Militaire  philosophe,  S.  [i3o'"»],  91  :  «  Dieu  ne  dicte  point  de  livres;  il 
parlerait  immédiatement  aux  cœurs  des  hommes,  s'il  avait  des  ordres  à  leur  donner  ». 

-  Rousseau  pose  le  problème  de  la  Révélation,  comme  il  l'avait  vu  faire  dans 
ses  livres  familiers  par  les  croyants  ou  les  déistes:  cf.  Pluche,  Spectacle  de  la  .\'ature 
[137],  VIII,  Première  Partie  :  «  Discours  préliminaire  sur  la  nécessité  d'une  Révélation  », 
p.  14:  «Question  légitime  :  Dieu  a  toujours  montré  sa  présence  et  ses  intentions 
par  le  spectacle  de  l'univers,  par  les  sentiments  de  la  conscience  et  par  les  instructions 
traditionnellement  transmises  des  premiers  hommes  aux  races  suivantes  :  a-t-il  ajouté  à 
cette  révélation  primitive  une  nouvelle  manifestation  qui  nous  instruise  précisément 
de  ses  volontés  et  qui  nous  conduise  au  salut  »?  Dans  une  direction  opposée,  il  pouvait 
lire  chez  Vernet,  Vérité  de  la  Religion,  I.  i  [162],  1,  12,  la  question  du  déiste  Uriel 
Acosta  :  «  Que  ne  s'en  tient-on  à  la  Loi  Naturelle,  qui  est  commune  à  tous  les  hommes..., 
au  lieu  d'y  ajouter  de  nouvelles  doctrines,  qui,  dans  ce  qu'elles  ont  de  bon,  ne  nous 
enseignent  rien  que  la  raison  ne  dicte  également,  et  qui,  par  des  additions  mauvaises 
ou  superflues,  ne  font  que  donner  lieu  à  des  contestations  infinies  »?  etc. 

'  Lui-même  avait  déjà  dit,  avec  moins  de  confiance  dans  «  la  loi  naturelle  »,  mais 
avec  le  même  sentiment  <à  l'égard  des  révélations.  I"  Contrat  Social  [3g],  25i  :  «  Si  les 
notions  du  grand  Être  et  de  la  loi  naturelle  étaient  innées  dans  tous  les  c.eurs.  ce  fut 
un  soin  bien  superflu  d'enseigner  expressément  Tune  et  l'autre;  c'était  nous  apprendre 
ce  que  nous  savions  déjà,  et  la  manière  dont  on  s'y  est  pris  eût  été  bien  plus  propre  à 
nous  les  -faire  oublier.  Si  elles  ne  l'étaient  pas.  tous  ceux  à  qui  Dieu  ne  les  a  point 
données,  sont  dispensés  de  les  savoir;  dès  qu'il  a  fallu  pour  cela  des  instructions  parti- 
culières, chaque  peuple  a  les  siennes,  qu'on  lui  prouve  être  les  seules  bonnes,  et  d'où 
dérivent  plus  souvent  le  carnage  et  les  meurtres  que  la  concorde  et  la  paix  ».  Pourtant, 
quelques  pages  plus  loin,  dans  ce  même  Contrat  Social  [3<f.  280.  et  111,  32y,  il  protestait 
contre  «  l'orgueilleuse  philosophie  ou  l'aveugle  esprit  de  parti  »,  qui  ne  voient  dans  les 
fondateurs  de  religions  que  «  d'heureux  imposteurs  »  :  c(.  encore  Lettre  à  M.  de  Beau- 
mont,  III,  94. 


3o8  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

On  me  dit  qu'il  faloit  une  révélation  pour  apprendre  aux 
hommes  la  manière  dont  Dieu  vouloit  être  servi,  on  ^  allègue  (?) 
('pour)  preuve  la  (^multitude)  *  de  cultes  ^  différens  et  bizarres 
qu'ils  ont  institués  :  et  l'on  ne  \oit  pas  que  cette  di\ersité  même 
«  vient  »  de  «  •>  la  fantaisie  des»  révélations  (et  que)  dès  que  les 
peuples  se  sont  avisés  de  faire  parler  '  les  Dieux  «chacun  «  ^  les  a 
fait  parler  à  sa  »  (i°  fantaisie)  «et  »  "leur  a  fait  dire  ce  qu'il  a 
voulu.  Si  l'on  n'eut  '^  écouté  que  ce  que  Dieu  dit  au  cœur  de 
l'homme  il  n'A"  auroit  fjamais  euj  qu'une  religion  sur  la  terre. 

i  [!'  Si  Dieu  daigne  parler  aux  hommes  c'est  pour  leur  apprendre 
la  vérité.  La  révélation  ('^  lui  sert  de  preuve)  Mais  s'il  îaut  prouver  la 
révélation  même  (^^  de)  quoi  sert  elle.  C'est  [ce  me  semble]  une  grande 
preuve  contre  une  révélation  qu'elle  ait  besoin  d'être  prouvée]. 

Il  faloit  un  culte  uniforme  i«  cela  peut  être.  Mais  "il  ne  îaut 
pas  confondre  la  Religion  avec  le  cérémonial  de  la  Religion.  Le 
culte  que  Dieu  demande  est  celui  du  cœur  et  celui  la  quand  il  est 


'  B.  assigne. 

'  [en]. 

^  [diversité]. 

■'  (bi  zarbb). 

•'  B.  <  différens  et  >. 

"  [(celle  des)]. 

'  B.  Dieu. 

"  (ils  leur  ont  fait  dire). 

"  B.  r. 

'"  [mode]. 

"  B.  lui. 

"  (été). 

"  (L'utilité Quand). 

"  [supplée  aux  preuves]. 

"■  [à]. 

'"  B.  je  le  veux  bien.  Mais  ne  confondons  pas  le  cérémonial  de  la  Religion 
avec  la  Religion.  Le  culte. 

"  M.  [ce  point  étoil-il  donc  si  important  qu'il  falul  tout  l'appareil  de  la 
puissance  divine  pour  l'établir?]  ne  confondons  pas. 

t  Ce  petit  paragraphe  est  écrit  en  marge  du  précédent,  mais  aucun 
signe  n  indique  qu'il  doive  se  placer  ici.  Il  n'est,  d'ailleurs,  pas  barré,  ce 
qui  montre  que  Rousseau,  après  l'avoir  rédigé  et  même  corrigé,  ne  l'a 
pas  pris  ;  cf.,  plus  haut,  /"    164  ™. 


ÉDITION    ORIGINALE  309 

On  me  dit  qu'il  falloit  une  révélation  pour  apprendre  aux  hommes 
la  I  manière  dont  Dieu  vouloit  être  servi  ;  on  assigne  en  preuve  la  [i^i] 
diversité  des  cultes  bizarres  qu'ils  ont  institués  i;  &  l'on  ne  voit  pas  que 
cette  diversité  même  vient  de  la  fantaisie  des  révélations.  Dès  que  les 
peuples  se  sont  avisés  de  faire  parler  Dieu,  chacun  i"a  fait  parler  à  sa  mode, 
&  lui  a  fait  dire  ce  qu'il  a  voulu.  Si  l'on  n'eût  écoulé  que  ce  que  Dieu  dit 
au  cœur  de  l'homme,  il  n'y  auroit  jamais  eu  qu'une  religion  sur  la  terre  -. 


il  falloit  un  culte  uniforme:  je  le  veu.\  bien  :  mais  ce  point  étoit-il 
donc  si  important  qu'il  fallût  tout  l'appareil  de  la  puissance  divine  pour 
l'établir  ?  Ne  confondons  point  le  cérémonial  de  la  religion  avec  la 
religion.  Le  culte  que  Dieu  demande  est  celui  du  cœur  ^  ;  &  celui-là, 
quand  il  est  sincère,  est  toujours  uniforme;  c'est  avoir  une  vanité  bien 

'  Il  est  probable  que,  parmi  tous  les  apologistes  qui  ont  fait  valoir  cet  argument, 
Rousseau  songe  surtout  à  Bossuet,  Histoire  universelle.  11,  16  ^88^,  441-442  :  «  Les 
nations  les  plus  éclairées  et  les  plus  sages...  étaient  les  plus  aveugles  sur  la  religion, 
tant  il  vrai  qu'il  faut  v  être  aidé  par  grâces  particulières  et  sagesse  plus  qu'hu- 
maine ».  etc.;  cf.  encore  .\bbadie,  Vérité  de  la  Religvm,  I,  11,  7.  «  Où  l'on  établit 
la  nécessité  d'une  révélation  ajoutée  à  celle  de  la  nature  »  '92  ,  I,  141  ;  il  y  éhumère 
rapidement  toutes  les  bizarreries  immorales  des  cultes  païens,  et  il  conclut  :  «  La 
religion  naturelle  n'est  pas  seulement  devenue  inutile,  mais  encore  pernicieuse  par 
le  mauvais  usage  que  les  hommes  en  ont  fait  ».  Même  démonstration  dans  Vernet,  De 
l'utilité  d'une  Révélation  '162],  I,  1-198.  Prenant  précisément  ces  pages  de  Vernet  comme 
point  de  départ,  Formev,  dans  son  Essai  sur  la  nécessité  d'une  Révélation  '211  •>■»],  II, 
29^  sqq,  reproduit  à  son  tour  l'argument  traditionnel  :  et.  comme  Rousseau,  et  pour  les 
mêmes  raisons,  il  refuse  de  s'en  contenter  :  «  Tous  les  peuples  privés  du  flambeau  de  la 

Révélation  étaient  ou  sont  encore  dans  l'égarement Donc  il  fallait  une  Révélation. 

Je  ne  suis  pas  encore  convaincu  de  la  justesse  de  la  conséquence...  Si   la   Révélation 

était  d'une  nécessité  indispensable,  c'est  sans  doute  parce  que sans  elle,  tous  les 

hommes  étaient  éternellement  malheureux  ;  mais  pensez  à  ce  que  vous  affirmez  et  voyez 
ce  que  vous  aurez  à  me  répondre.  Dieu  est  le  père  commun  de  tous  les  hommes  :  ils  ont 
tous  avec  lui  la  même  relation  que  j'appelle  primitive  et  essentielle  »,  etc.  (2g5-2g6).  El 
l'argumentation  se  poursuit  dans  un  sens  très  voisin  de  celui  de  Rousseau  :  cf.,  plus 
loin,  la  note  2  de  la  p.  169.  Il  est  d'autant  plus  piquant  de  le  constater  que  Formev 
deviendra  quelques  années  plus  tard  l'auteur  de  VÉmile  Chrétien  :  c(.  Introduction, 
II'  Partie,  chap.  11,  j  3. 

'  Cf.  Toussaint,  Les'ilceurs,  I,  m,  2  [184,  64-65  :  «  Qu'on  me  donne  des  hommes 
sortant  des  mains  de  la  nature...  :  qu'on  les  assemble  de  tous  les  coins  de  la  terre  pour 
conférer  en  commun  sur  l'hommage  qu'on  doit  à  Dieu  :  cette  unité  si  désirable  de 
religion  reparaîtra  bientôt.  Leur  jugement  n'étant  point  encore  dépravé  par  l'aveugle 
prévention,  mais  éclairé  par  les  pures  lumières  de  la  raison,  ou  ils  rejetteront  tous 
les  cultes  établis,  ou,  s'il  en  est  un  qui  mérite  d'être  affermi  sur  les  ruines  des  autres, 
ce   sera  celui-là  qu'ils  choisiront   unanimement  ». 

•  Puisque  Rousseau  a  relu  très  soigneusement  Charron  pour  écrire  cette  Seconde 
Partie  \c(.,  plus  loin,  pp.  i36-i37  et  notesl,  on  peut  rapprocher  de  ces  considérations  le 
passage  suivant  de  La  Sagesse.  II.  v.  20-21   [77  A],  365-366:  «  Il  faut  le  servir  de  cœur 


3IO  REDACTIONS    MANUSCRITES 

sincère  est  toujours  uniforme,  mais  '  il  faut  (-  être  d')une  \anité 
*  bien  (*  aveugle)  et  bien  '■  imbecille  pour  s'imaginer  que  Dieu 
prenne  un  grand  intérest  "à  la  forme  de  l'iiabit  du  prêtre  'et  au 
geste  qu'il  fait  à  l'autel  '.  Dieu  veut  être  adoré  en  esprit  et  en 
vérité.  Ce  devoir  est  de  toutes  les  religions  de  tous  les  pays  de  tous 
les  '■'  hommes.  Quant  au  culte  extérieur  ^"  il  doit  être  uniforme  (''  il 
est  vrai)  ;  '-  mais  c'est  au  gouvernement  à  le  prescrire,  c'est  '■'  une 
affaire  de  pure  police  il  ne  faut  point  de  révélation  pour  cela. 


'  M.  comment  peut  on  croire  que  Dieu  prenne. 

-'  [avoir]. 

'  B.  <  bien  étrange  et  >. 

*  [étrange]. 

^  I.  stupide. 

"  M.  au  choix  des  alimens  qu'on  mange,  à  la  forme. 

■  B.  [à  l'ordre  des  mots  qu'il  prononce]  (et)  au.\  gestes.  —  M.  <  à  l'ordre 
des  mots  qu'il  prononce  >  au-v  gestes.  —  I.  (et)  aux  ge^es. 

"  B.  [et  à  toutes  ses  génuflexions.  Eh  I  mon  ami,  reste  de  toute  ta  hauteur,  tu 
sera  toujours  assés  près  de  terre].  —  M.  <  et  à  toutes  ses...  assés  près  de  terre  >. 
—  I.  [et  à  toutes  ses...  assés  près  de  terre]. 

"    (cuit  ES). 

'"  B.  (s'il). 

"  [pour  le  bon  ordre]. 

'-  B.  <  mais  c'est  au  gouvernement  à  le  prescrire  >. 

"  B.  purement  une  affaire  de  police. 


EDITION    ORIGINALE  3X1 

toile,  de  s'imaj;iner  que  Dieu  prenne  un  si  grand  intérêt  à  |  la  forme  de  l13P] 
l'habit  du  Prêtre,  à  l'ordre  des  mots  qu'il  prononce,  aux  gestes  qu'il  fait  à 
l'autel,  &  à  toutes  ses  génuflexions  '.  Eh!  mon  ami,  reste  de  toute  ta 
hauteur,  tu  seras  toujours  assez  près  de  terre.  Dieu  veut  être  adoré  en 
esprit  &  en  vérité  -  :  ce  devoir  est  de  toutes  les  religions,  de  tous  les  pays, 
de  tous  les  hommes.  Quant  au  culte  extérieur,  s'il  doit  être  uniforme 
pour  le  bon  ordre,  c'est  purement  une  affaire  de  police  ^;  il  ne  faut 
point  de  révélation  pour  cela. 

et  d'esprii...  L'otVrandc  plaisante  à  sa  .Majesté,  c'est  un  cctur  net,  franc  et  humilié 

1,'homme  saf^c  est  un  vrai  sacrificateur  du  grand  Dieu,  son  esprit  est  son  temple,...  son 

plus  grand  et  solennel  sacrifice,  c'est  l'imiter,  le  servir Ne  faut  toutefois  mépriser 

et  dédaigner  le  service  e.xtérieur  et  public,  ...  et  toujours  avec  cette  pensée  que  Dieu 
veut  être  servi  d'esprit  ».  Cf.  encore  Tyssol  de  Patot  [iiij,  426  :  «  Le  culte  n'est  plus 
attaché  à  un  endroit  particulier,  ce  n'est  plus  sur  une  montagne  ou  dans  Jérusalem 
que  l'on  adore  ;  Dieu  ne  se  pave  plus  de  sang  de  génisse  ou  de  contorsions  de  corps  ; 
mon  fils,  nous  crie-t-il,  donne  moi  ton  cœur». 

'  Cf.  Chubb,  Supplément  à  la  qnestion  préliminaire  touclianl  la  religion  [i361, 
162-163  :  «Supposons,  par  e.xemple,  que  d'incliner  son  corps  du  côté  de  l'orient,  ou 
de  fléchir  les  genou.\  devant  une  image  soient  des  actes  qui  en  eux-mêmes  ne  sont 
des  marques  naturelles  ni  de  respect,  ni  de  mépris,  et  qu'il  n'y  eut  probablement 
aucune  suite  fâcheuse  à  craindre  en  pratiquant  l'un  plutôt  que  l'autre.  Supposons 
encore  que  Dieu,  par  un  effet  de  sa  bonté,  pour  prévenir  toute  dispute  et  entretenir 
l'union  parmi  les  hommes,  interposât  son  autorité  et  déclarât  qu'il  veut  que  ses 
créatures  exercent  dans  le  culte  religieux  qu'elles  lui  rendent  l'un  ou  l'autre  des  actes 
ci-dessus  rapportés,  dans  ce  cas,  la  question  est  de  savoir,  s'il  y  a  une  convenance 
morale  que  nous  obéissions  à  un  tel  commandement  ou  s'il  n'y  en  a  pas.  S'il  y  a  de  la 
convenance,  cela  convient  à  la  définition  que  j'ai  donnée  de  la  véritable  religion,  savoir 
qu'elle   consiste  à  faire  ce  qui  est  juste  et  convenable  dans  la   nature  des  choses  ». 

-  Parole  du  Christ  à  la  Samaritaine  (Jean,  IV,  24I,  souvent  reprise  par  les  théistes  : 
cf.  .\bauzit,  Réflexions  sur  l'idolâtrie  [5o],  1,  3i  :  «  Les  vrais  adorateurs  que  Dieu 
demande,  ce  sont  ceux  qui  adorent  en  esprit  et  en  vérité  »  :  Lettre  à  une  dame  de  Dijon 
'bo\  1,  20E  ;  Vernet,  Instruction  chrétienne,  [2i3],  II,  3i.  Mais  c'est  surtout  chez  Tous- 
saint que  cette  formule  évangélique  est  coinmentée  dans  le  même  esprit  que  par  le 
Vicaire;  cf.  Les  Mœurs,  1,  i[i,  1,  «  Du  culte  intérieur  »  [184],  54-55  :  «  Le  culte  intérieur 
réside  dans  l'âme  et  c'est  le  seul  qui  honore  Dieu.  11  est  fondé  sur  l'admiration 
qu'excite*  en  nous  l'idée  de  sa  grandeur  infinie,  sur  le  ressentiment  de  ses  bienfaits 
et  l'aveu  de  sa  souveraineté.  Le  cœur  pénétré  de  ce  sentiment  les  lui  exprime  par  des 
extases  d'admiration,  des  saillies  d'amour,  et  des  protestations  de  reconnaissance  et 
de  soumission.  Voilà  le  langage  du  cœur,  voilà  ses  hym.nes,  ses  prières  et  ses  sacrifices  : 
voilà  le  culte  dont  il  est. capable,  et  le  seul  digne  de  sa  divine  iMajesté.  C'est  aussi 
celui  que  voulait  rétablir  dans  le  monde,  le  destructeur  des  cérémonies  judaïques, 
comme  il  parait  par  cette  belle  réponse  qu'il  fit  à  une  femme  samaritaine,  lorsqu'elle 
lui  demanda  si  c'était  sur  la  montagne  de  Sion  ou  sur  celle  de  Sémeron  qu'il  fallait 
adorer  :  Le  temps  vient,  lui  dit-il,  que  les  vrais  adorateurs  adoreront  en  esprit  et  en 
vérité.  C'est  ainsi  qu'avaient  adoré  les  premiers  pères  du  genre  humain  ».  Le  rappro- 
chement avait  été  déjà  fait  par  Cajot,  Plagiats  de  J.  J.  Rousseau  [247],  285. 

'  Cette  dernière  maxime  ne  surprend  pas  chez  l'auteur  du  Contrat  Social  :  mais 
il  ne  faudrait  pas  confondre  ce  «  culte  extérieur  ».  ce  «  cérémonial  de  la  religion  ». 
avec  la  «  religion  civile  »  :  cf.  111,  388-389. 


312  REDACTIONS    MANUSCRITES 


2.  Critique  de  l'idée  de  révélation. 


Je  ne  commençai  '  point  par  toutes  ces  reflexions.  Entrainé  par 
les  préjugés  de  l'éducation  et  par  ce  dangereux  amour  propre  qui  veut 
toujours  (2  élever)  l'homme  (^  en)  dessus  de  ('sa  nature),  ne  pouvant 
élever  mes  foibles  ^conceptions  jusqu'à  "l'être  suprême  je  m'etTorçois 
fo  168  ^°  de  le  il  ('îaire  descendre)  jusqu'à  moi  ("et  non  content '^  des  relations  qui 
sonf^  «  entre  »  sa  nature  et  la  mienne  "^  je  cherchois  des  moyens  extra- 
ordinaires pour  atteindre  «jusqu'à»  lui,  (''pour  le  mieux  connoitre)  je 
voulois  des  communications  plus  (^^  particulières)  des  instructions 
plus  ('■■'  immédiates),  [''  et  non  content  de  faire  dieu  semblable  à 
l'homme]  ^^pour  être  privilégié  «  '"  même  »  ("dans  mon  espèce),  je 
voulois  1*  des  lumières  surnaturelles,  je  voulois  un  culte  exclusif,  je 
voulois  \«  '"que  Dieu  »]  m'eut  dit  ce  qu'il  n'avoit  pas  dit  à  d'autres 
ou  ce  que  d'autres  n'  -'»  avoient  pas  entendu  (-'si  bien  que)  moi. 

'  B.  (point)  [pas]. 

^  [porter]. 

'  [au]. 

■*  [lui  même]. 

•''  I.  (contemplations)  [conceptions]. 

"  B.  (1")  [au  grand]  Etre  (suprême). 

'  [rabbaisser]. 

'  (je)  [de  raprocher  les  raports  éloignés  qu'il  a  mis].  —  B.  Je  rapprochois 
les  rapports  infiniment  éloignés  qu'il  a  mis. 

"  [(des  raports)]. 

'"  [(je  voulois  raprocher  ces  raports)].  — B.  <  je  cherchois  des...  jusqu'à  lui  >. 

"  [(et  ne  pouvant  m')]. 

'-  [immédiates]. 

"  [particulières]. 

■''  (ne  POUVANT?...  faute  de  pouvoir  (m'élever)  [atteindre]  à  la  divinité,  je 
l'aurois  volontiers...  non  content  de  rapprocher  (la  divinité  de)  à  l'état  d'homme 
la  divinité  (et)).  —  M.  <  et  non  content  de  faire  Dieu...  un  culte  exclusif  >. 

'^  (et). 

"'■  B.  moi-même. 

"  [«  parmi  »  mes  semblables]. 

'"  (savoir  d'elle). 

'■■'  [(qu'il)]. 
-"  B.  auroient. 
-'  [comme]. 


ÉDITION    ORIGINALE  3I3 


I  2.  Critique  de  l'idée  de  révélation. 

Je  ne  commençai  pas  par  toutes  ces  réflexions.  Entraîné  par  les 
préjugés  de  l'éducation,  &  par  ce  dangereux  amour-propre  qui  veut 
toujours  porter  l'homme  au-dessus  de  sa  sphère,  ne  pouvant  élever  mes 
foibles  conceptions  jusqu'au  grand  Etre,  je  m'efforçois  de  le  rabaisser 
jusqu'à  moi  '.  Je  rapprochois  les  rapports  infiniment  éloignés,  qu'il  a 
mis  entre  sa  nature  &  la  |  mienne.  Je  voulois  des  communications  plus  [136] 
immédiates,  des  instructions  plus  particulières  :  &  non  content  de  faire 
Dieu  semblable  à  l'homme:  pour  être  privilégié  moi-même  parmi  mes 
semblables,  je  voulois  des  lumières  surnaturelles;  je  voulois  un  culte 
e.xclusif  ;  je  voulois  que  Dieu  m'eût  dit  ce  qu'il  n'avoit  pas  dit  à  d'autres, 
ou  ce  que  d'autres  n'auroient  pas  entendu  comme  moi  ^. 


'  Cf.  .Montaigne.  Essais.  Il,  12  [76],  II,  241-242  :  «  Qu'est-il  plus  vain  que  de 
vouloir  deviner  Dieu  par  nos  analogies  et  conjectures?...  et,  parce  que  nous  ne 
pouvons  étendre  notre  vue  jusques  en  son  glorieux  siège,  l'avoir  ramené  ça-bàs  a 
notre  corruption   et  à  nos  misères  »  ? 

'  Je  croirais  volontiers  que  Rousseau  ne  reconstitue  pas  artificiellement  un  étal 
d'esprit  qu'il  n'aurait  point  connu,  mais  qu'il  parle  ici  sur  des  impressions  personnelles. 
Tout  ceci  va  rejoindre,  à  quelques  pages  d'intervalle  (p.  141),  le  mot  fameux  :  «Que 
d'hommes  entre   Dieu   et   moi  »  ! 


314  REDACTIONS   MANUSCRITES 

1  Regardant  le  point  où  j'étois  {-  parvenu)  comme  le  point 
commun  d'où  ^  partoient  tous  les  *  hommes  pour  «  '^parvenir  »  à  un 
culte  plus  éclairé  '^  les  dogmes  de  la  religion  naturelle  (ne  me 
sembloient)  que  les  '  élemens  de  toute  Religion.  Je  considerois 
cette  di\ersité  de  sectes  qui  régnent  sur  la  terre  [et  qui  s'accusent 
mutuellement  de  mensonge  et  d'  ^aveuglement  (et)  je  (me)  de- 
mandois  quelle  est  la  bonne.  Chacun  me  répondoit  c'est  la  mienne 
[chacun  disoit]  moi  seul  et  mes  partisans  pensons  juste  tous  les 
autres  sont  dans  l'erreur.  Et  comment  sa\'ez-\ous  que  vôtre  secte 
est  la  bonne.  Parce  que  "  j'y  suis  né.  Mon  (^^  père)  me  dit 
d'ainsi  croire  et  ainsi  je  crois,  il  m'  ''  a  dit  que  tous  ceux  qui 
(vous)  disent  autrement  que  '-  nous  mentent,  et  je  ne  les  écoute 
pas  *.  f  Quoi   "  disois-je  la   '*  vérité  n'est  elle  pas  une,   ^^  ce  qui 


B,  F  167  '°  *  Tous,  l'^dit  '"  un  ("'sagei  et  ('^  vertueux)  Prêtre  (catholique  romain), 
disent  qu'ils  la  tiennent  et  la  crovent  (et  tous  usent  de  ce  jargon.)  que 
non  des  lionunes.  ne  d'aucune  créature,  ains  de  Dieu. 

Mais  à  dire  vrai  sans  rien  flatter  ni  déguiser  il  n'en  est  rien  :  elles 


'  iJe  ne). 

-  [arrivé].  —  B.  (arrivé)  [parvenu]. 
'  B.  parl(eni)  parl[oient]. 
•■  B.  croyans. 
'  B.  arriver  [(parvenir)]. 

"  [et  (ne  trouvant  dans)  je  ne  trouvois  dans]. 
'  B.  (dogmes)  [élemens]. 
'  B.  d'erreur. 

'•'  B.   Dieu   l'a   dit.    Et   qui   vous   dit  que   Dieu   l'a  dit.   Mon    Pasteur.  Mon 
Pasteur  me  dit  d'ainsi  croire. 
'»  [Pasteur]. 
"  B.  assure  que. 
'■-'  B.  lui. 
'•'  B.  pensois-je. 
"  (re  i.igion). 
'^  B.  et  ce. 
"■'  M.  disoit. 
'"  (le  S  aoe). 
"  [(savant)]. 
"  [(pieu.v)  sage  et  bon]. 

t  L'astérisque  et  la  note  qu'il  amorce  ne  se  trouvent  pas  dans  F. 


EDITION    ORIGINALE  315 

Regardant  le  point  où  j  étois  parvenu  comme  le  point  commun  d'où 
partoient  tous  les  croyans  pour  arriver  à  un  culte  plus  éclairé,  je  ne 
trou  vois  dans  la  (=>)  religion  naturelle  que  les  élémens  de  toute  religion. 
Je  considerois  cette  diversité  de  sectes  qui  régnent  sur  la  terre,  &.  qui 
s'accusent  mutuellement  de  mensonge  &  d'erreur;  je  demandois,  quelle 
est   la   bonne--   Chacun    me    répondoit.   c'est  la   mienne  1'')*:  i  chacun        [127] 


Tous,  dit  un  bon  &  sage  Prêtre  -,  disent  qu'ils  |  là  tiennent  &  la  croient,  (K  137] 

tous  usent  de  ce  jargon,)  que  non  des  hommes,  ne  d'aucune  créature,  ains  de  Dieu. 

Mais  à  dire  vrai  sans  rien  flatter  ni  déguiser,  il  n'en  est  rien,  elles  sont, 
quoiqu'on  die,  tenues  par  mains  &  moyens  humains:  tesmoin  premièrement 
la  manière  que  les  Religions  ont  été  reçues  au  monde.  &  sont  encore  tous  les 
/ours  par  les  particuliers  :  la  nation,  le  pays,  le  lieu  donne  la  Religion  :  l'on 
est  de  celle  que  le  lieu  auquel  on  est  né  &  élei'é  tient  :  nous  .sommes  circoncis, 
baptisés,  .lui/s,  Mahometans.  Chrestiens,  avant  que  nous  sachions  que  nous 
sommes  hommes,  la  Religion  n'est  pas  de  notre  choix  &  élection:  tesmoin  après 
la  vie  &  les  mœurs  si  mal  accordantes  avec  la  Religion:  tesmoin  que  par  occa- 
sions humaines  &  bien  légères,  l'on  va  contre  la  teneur  de  sa  Religion.  Charron, 
de  la  sagesse.  L.  II.  Chap.  5.  p.  257.  Edition  de  Bordeaux  1601  '. 

Il  V  a  grande  apparence  que  la  sincère  profession  de  foi  du  vertueux  Théo- 
logal de  Condom.  n'eût  pas  été  fort  différente  de  celle  du  Vicaire  Savoyard. 


a  j  C  D  :  lians  tes  dogmes  de  la  rétigion  [D  :  religinn^, 
naturetle. 

ti)  Dans  C  et  D,  la  noie  n'est  pas  suspendue  à  ce  mot.  Elle 
est  reportée  deux  lignes  plus  loin,  après  ;  Parce  que  Dieu 
la  dU  *. 

'  Rousseau  avait  d"abord  écrit  :  «  Prêtre  catholique  romain  »  ;  et  tes  épithètes 
supprimées  nous  donnent  les  motifs  de  cette  citation.  Rousseau  aurait  pu  trouver 
dans  .Montaigne,  qui  lui  était  si  familier,  les  mêmes  idées  exprimées  sous  une  forme 
plus  vive:  cf.  Essais,  II,  12  [76],  II,  149  :  «  Nous  ne  recevons  notre  religion  qu'à 
nc^re  façon  et  par  nos  mains,  et  non  autrement  que  comme  les  autres  religions  se 
reçoivent,...  nous  nous  sommes  rencontrés  au  pays  où  elle  était  en  usage...  Lne  autre 
région,  d'autres  témoins,  pareilles  promesses  et  menaces  nous  pourraient  imprimer 
par  même  voie  une  croyance  contraire.  Nous  sommes  chrétiens  au  même  titre  que 
nous  sommes  ou  périgourdins  ou  allemands  »  :  mais  il  a  préféré  emprunter  un  texte 
à  Charron,  parce  que  Charron  était  prêtre  catholique,  et  qu'il  pouvait  apparaître 
ainsi  comme  un  ancêtre  authentique  du  Vicaire. 

'  Rousseau  renvoie  à  l'édition  originale  :  et  cette  précision  est  intéressante,  parce 
qu'elle  montre  avec  quel  soin  il  avait  fait  ses  lectures.  Le  fait  mérite  d'autant  plus 
d'être  noté  que  Rousseau  possédait  un  exemplaire  de  La  Sagesse,  édition  de  Rouen.  1618. 
qui  lui  avait  été  donné  par  la  marquise  de  Créqui,  et  sur  lequel  il  avait  même  écrit 
quelques  remarques,  exemplaire  qui  se  trouve  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  Nationale 
^•78;  mais  cette  édition  reproduisait  le  texte  adouci  par  Charron,  et  précisément 
'e  passage  que  Rousseau  désirait  citer  en  avait  disparu;  d'où  la  nécessité  de  se 
reporter  à  l'édition  originale.  —  On  remarquera  que  Rousseau  a  scrupuleusement 
conservé  la  faute  d'impression  de  l'édition  originale,  et  transcrit  :  p.  25  j.  au  lieu 
de  557. 


3l6  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

est  vrai  '  dans  un  pays  peut  il  être  faux  ^  dans  un  autre.  Si  la  méthode 
de  celui  qui  «  ^  suit  »  la  bonne  route  [■*  et  celle  de]  celui  qui  s'égare 
est  la  même  ^quel  mérite  '^a  l'un  de  plus  que  l'autre  leur  choix  est 
l'effet  du  hazard  le  leur  imputer  est  '  une  injustice  c'est  récom- 
penser ^  ou  punir  pour  être  né  dans  «  "  tel  »  ou  dans  «  tel  pays  '"  » 

sont  quoi  qu'on  die  tenues  pj}'  mains  et  moyens  humains  :  té'  s^moin  pre- 
mièrement la  manière  que  les  Religions  ont  ètè  receues  au  monde  et  '^  sont 
encore[s]  tous  les  jours  par  les  particuliers  :  la  nation,  le  pavs.  le  lieu 
donne  la  religion  :  l'on  est  de  celle  ^- que  le  lieu  auquel  Von  est  né  "et 
e  sjevè  tient  :  nous  somme  circoncis,  babtisés,  Juifs,  mahiimetans, 
chrestiens,  avant  que  nous  sachions  que  nous  sommes  hommes  :  la  reli- 
gion n'est  pas  de  «  notre  »  choix  et  élection,  tesmoin  après,  la  vie  et  les 
mœurs  si  mal  accordantes  avec  la  religion,  tesmoin  que  par  occasions 
humaines  '*  et  bien  légères,  l'on  va  contre  la  teneur  de  sa  religion. 
Charron:  de  la  Sagesse  L.  2.  chap.  5.  p.  257.  '■''  Bordeaux.  1601.  Il  v  a 
grande  apparence  que  la  sincère  profession  de  foy  du  i^  Théologal 
{"  Charroni  n'eut  pas  été  fort  différente  de  celle  du  Vicaire  savoyard. 


'  B.  (dans  un  pays)  [chez  moi]. 
^  B.  (dans  un  autre)  [chez  vous  ?]. 
'  (se  trompe). 
■*  (est  la  même  que). 
■''  (quelle  [leur  choi.x  est  l'effet]). 
"  B.  [ou  quel  tort]  a  l'un.  — I.  [ou  quel  tort]  a  l'un. 
'  B.  iniquité  ;  c'est. 
*  B.  (pou  r). 

"  [(telle)]   ou    [(telle   contrée)].  —  B.   dans  tel    (pays   plus   tôt   que  dans  tel 
autre)  [ou  dans  tel  pays].  - 

'"  (Cette  idée  étant  injurieuse  à  la  justice  (de  Dieu)  [divine]  je  la  rejette  et  je 
dis  ou  toutes  les  religions  sont  bonnes  et  agréables  à  Dieu,  ou  si  une  seule  est  la 
véritable  elle  a  des  signes  évidens  qui  la  font  reconnoitre  pour  telle).  [(Celte  idée 
est  trop  injurieuse  à  la  justice  (de  Dieu)  [divine]  pour  qu'on  puisse  l'adopter  sans 
crime.  (Ne  blasphémons  point)  [je  croirois  blasphémer]  contre  la  justice  divine 
(en  croyant)  [en  adoptant]  que  s'il  est  une  religion  (qu'elle...  qu'il)  [que  Dieu] 
prescrive  à  l'homme  il  a  pris  soin  de  la  lui  rendre)]. 
"  M.  (le). 

'-  I.  (à  laquelle)  [que'. 
'^  I.  (tient). 
'^  M.  <  et  >. 
'^  (de  l'e  dition). 
"'  M.  vertueux. 
'  '   [de  Condom]. 


EDITION    ORIGINALE  317 

disoit,  moi  seul  &  mes  partisans  pensons  juste,  tous  les  autres  sont  dans 

l'erreur.  Et  comment  save^-vous  que  votre  secte  est  la  bonne!  Parce  que 

Dieu    l'a   dit.    Kt  qui    vous  dit  que   Dieu    la  dit?  .Mon    Pasteur  qui  le 

sait  bien.  .Mon  Pasteur  me  dit  d'ainsi  croire,  &  ainsi  je  crois;  il  m'assure 

que   tous   ceux  |  qui    disent   autrement   que    lui    mentent,    &    je    ne   les        [138] 

écoute  pas. 

Quoi,  pensois-je,  la  vérité  n'est-elle  pas  une,  &  ce  qui  est  vrai  chez 
moi,  peut-il  être  faux  chez  vous?  si  la  méthode  de  celui  qui  suit  la 
bonne  route  &  celle  de  celui  qui  s'égare  est  la  même,  quel  mérite  ou 
quel  tort  a  l'un  de  plus  que  l'autre?  Leur  choix  est  l'effet  du  hazard,  le 
leur  imputer  est  iniquité  ;  c'est  récompenser  ou  punir,  pour  être  né 
dans  tel  ou  dans  tel  pays  '.  Oser  dire  que  Dieu  nous  juge  ainsi,  c'est 
outrager  sa  justice. 


'  Rousseau  reprend  à  son  compte  l'idée  de  Charron  et  de  .Montaigne.  Il  s'en 
était  servi  quelques  pages  avant  la  Profession,  II,  229  :  «  La  foi  des  enfants  et  de 
beaucoup  d'hommes  est  une  affaire  de  géographie  »,  etc.;  il  y  reviendra  vers  la  fin 
de  la  Profession,  pp.  184,  iqS-igô.  11  l'avait  déjà  présentée  sous  une  forme  dramatique 
dans  son  petit  conte  de  la  Reine  fantasque,  qui  avait  paru  en  1738  (cf.  Journal 
encyclopédique  du  i5  Juin  1758  [46,  1 10-1191,  XII.  268  :  «  Je  sais  bien  que  les  lois 
de  la  géographie,  qui  règlent  toutes  les  religions  du  monde,  veulent  que  les  deux 
nouveaux-nés  soient  musulmans  ».  etc.  L'idée  était,  d'ailleurs,  devenue  banale  dans 
la  discussion  «  philosophique  »;  cf.,  par  exemple.  Le  Militaire  philosophe  j3o''''], 
56-57,  85,  ii5  :  *Je  suis  né  à  Paris,  fe  suis  papiste...;  si  j'étais  né  à  Constantinople,  je 
parlerais  turc,  je  serais  mahométan  »,  etc.  ;  Voltaire,  Religion  naturelle.  Il  1^22 1],  449  : 

Il  agit  en  machine,  et  c'est  par  sa  nourrice 
Qu'il  est  juif  ou  païen,  fidèle  ou  musulman. 


3l8  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

('Ce  n'est  pas  ainsi  que)  Dieu  nous  ju^e  (-je  croirois)  ^blasphémer 
contre  sa  justice,  f 

Ou  toutes  les  Religions  sont  bonnes  et  agréables  à  Dieu  ou  s'il 
en  est  une  (seule)}  qu'il  prescrive  aux  hommes  et  qu'il  les  punisse 
de  méconnoitre,  il  lui  a  donné  des  signes  certains  et  manifestes 
pour  être  distinguée  et  *  reconnue  pour  la  seule  \éritable.  Ces 
signes  (5  doivent  être)  de  tous  les  tems  et  de  tous  les  ('^  pays)  '  éga- 
lement sensibles  **  à  tous  les  hommes  "grands  et  petits,  savans  et 
ignorans,  Européens]  Indiens  ('"américains)  sauvages.  S'il  î'^étoit] 
une  religion  sur  la  terre  ('-dans  laquelle  on  n^putj  dire  hors  de 
l'Eglise  point  de  salut)  et  qu'[en  quelque  lieu  du  mondei  un  seul 
mortel  de  bonne  foi  n'eut  pas  été  frapé  de  son  évidence  le  Dieu  de 
cette  Religion  seroit  le  plus  inique  et  le  plus  cruel  **de  tous  les 
tirans. 

I Cherchons  nous  donc  sincèrement  la  véritéj.  Ne  donnons 
(donc)  rien  '-'^au  droit  de  la  naissance  à  l'autorité  des  '"pères  et  des 


■  [(penser  que  c'est  ainsi)  oser  dire  que]. 

-  [ainsi  c'est]. 

"  B.  (blasphémer  contre)  [outrager].  — I.  i  blasphémer  contre)  [outrager]. 

*  B.  connue. 

^  [sont]. 

'^  [lieux]. 

'  (dans  les). 

"  (et  dans). 

'■'  ([euro  pÉENs]  indiens,  am  éricains). 

'"  [africains]. 

>'  (est). 

'-  [hors  de  laquelle  il  n'y  eut  que  peine(s)  éternellels)]. 

"  (puisse). 

"  B.  (de  toutes  les)  [des].  —  M.  de  tous  les. 

'■'  I.  (à  l'autorité)  [au  droit]. 

"■'  M.  Pasteurs  et  des  Pérès. 

t  Ici,  en  marge,  deux  réflexions  indépendantes,  qui  interrompent  le 
développement  et  qui  seront  utilisées  plus  loin  :  Mais  il  me  faut  des 
raisons  pour  soumettre  ma  raison.  —  Mais  le  livre  de  la  nature  est 
ouvert  à  tous  les  hommes.  Ils  n'ont  pas  peur  qu'il  les  trompe,  ils  n'ont 
pas  besoin  de  le  vérifier. 


EDITION    ORIGINALE  3I9 


Ou  toutes  les  religions  sont  bonnes  &  agréables  à  Dieu.  ou.  s"il  en 
est  une  qu'il  prescrive  au.v  hommes.  &  qu'il  les  punisse  de  méconnoître, 
il  lui  a  donné  des  signes  certains  &  manifestes  pour  être  distinguée 
&  connue  pour  la  seule  véritable.  Ces  signes  sont  de  tous  les  tems  &  de 
tous  les  lieux,  également  sensibles  à  tous  les  hommes,  |  grands  &  petits,  [139] 
savans  &  ignorans.  Européens,  Indiens,  .\friquains.  Sauvages  '.  S'il  étoit 
une  religion  sur  la  terre  hors  de  laquelle  il  n'y  eût  que  peine  éternelle, 
&  qu'en  quelque  lieu  du  monde  un  seul  mortel  de  bonne-foi  n'eût  pas 
été  frappé  de  son  évidence,  le  Dieu  cette  religion  seroit  le  plus  inique  & 
le  plus  cruel  des  tirans  -  i^). 


Cherchons-nous  donc  sincèrement  la  vérité?  Ne  donnons  rien  au 
droit  de  la  naissance  &  à  l'autorité  des  pères  «S:  des  pasteurs,  mais 
rappelions  à  l'examen  de  la  conscience  &  de  la  raison  tout  ce  qu'ils  nous 
ont  appris  dès  notre  enfance  -^  Ils  ont  beau  me  crier,  soumets  ta  raison  : 

l'I  C,  D  :  tyrans. 

•  Cf.  Chubb,  Question  préliminaire  touchant  la  Religion  j36],  125-126:  «  La 
véritable  Religion  est  la  même  dans  tous  les  âges,  dans  tous  les  pays  et  dans  tous 
les  mondes,  s'il  m'est  permis  de  parler  ainsi:  car  si  les  planètes  sont  habitées  pir 
des  créatures  semblables  à  nous,  leur  Religion  doit  par  conséquent  être  la  même  que 
la  nôtre,  la  convenance  morale  des  choses  étant  la  même  dans  tous  les  lieux  et  dans 
tous  les  temps  »  :  Examen  de  la  Religion  du  pseudo-Saint-Évremond  [lyS],  i  12-1  i3  : 
«  Si  Dieu  avait  exigé  de  nous  un  culte  particulier,  dont  il  voulut  être  honoré,  il  l'aurait 
révélé  dès  le  commencement»:  Le  Militaire  philosophe.  Il  [iSo*"'»],  48  :  «  Si  la 
Religion  est  faite  pour  tous  les  hommes,  elle  est  nécessaire  à  chaque  individu  ;  les 
preuves  qui  en  établissent  la  vérité  doivent  donc  être  à  la  portée  des  simples  »,  etc. 

'  Cf.  D'Espiard  de  la  Cour,  Pensées  philologiques  [188],  101-102  :  «  S'il  n'y 
avait  qu'une  Religion  dans  le  monde,  celui  qui  y  serait  réfractaire,  n'aurait  rien  à 
opposer  pour  sa  justification  ;  mais,  lorsqu'il  voit  les  continuelles  contradictions  des 
hommes,  n'est-il  pas  en  droit  de  dire  :  quoiqu'il  en  soit,  la  plus  grande  partie  se 
trompe  ?  Qui  pourra  m'enseigner  ceux  qui  se  trompent  le  moins  ?  Qui  pourra  même 
ni'assurer  que  tous  ne  soient  pas  dans  l'erreur?  S'il  n'v  avait  qu'une  Religion,  je 
n'hésiterais  pas  à  la  suivre  :  ce  serait  une  marque  visible  que  Dieu  l'aurait  gravée 
dans  le  cœur  de  l'homme;  mais,  puisqu'il  v  en  a  mille,  je  suis  en  droit  de  douter  qu'il 
y  en  ait  une  de  véritable.  Dieu  est  trop  juste  pour  faire  naître  des  hommes  dans 
une  religion  fausse,  qu'ils  ne  seront  plus  les  maîtres  de  quitter  lorsqu'elle  aura 
pris  racine  dans  leurs  cœurs  par  la  force  de  l'éducation  et  des  préjugés,  et  pour 
ensuite  les  punir  de  ce  qu'ils  auront  vécu  conformément  à  cette  Religion,  que 
pendant  leurs  vies  ils  ont   cru  la  seule  véritable  ». 

^  Cf.'  Le  Mililaire  philosophe,  V  "i3o*''«],  6.4  :  <  S'e  donnons  rien  a  l'autorité  de 


320  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

*  maîtres  mais  (-  soumetons)  à  l'examen  de  la  conscience  et  de  la 
raison  tout  ce  qu'ils  nous  ont  appris  des  nôtre  enfance.  Ils  ont 
beau  ('nous)  (*  dire)  soumets  ta  raison;  autant  m'en  peut  dire  celui 
qui  me  trompe,  il  me  faut  des  raisons  pour  soumettre  ma  raison. 

Toute  la  théologie  que  je  puis  acquérir  de  moi-même  par  l'ins- 
pection de  l'univers  et  'pari  le  bon  usage  de  mes  facultés  se  borne 
à  ce  que  je  vous  ai  ci-devant  ^exposé.  Pour  en  savoir  davantage  il 
faut  recourir  à  des  [*^  moyens]  extraordinaires.  Ces  moyens  ne  sau- 
jo  igg  vo  pQJgp,^  Il  gtpe  l'autorité  des  hommes.  Car  t(tous)j  «  '  les  »  hommes 
[n']étant  «  *  pas  »  d'une  autre  espèce  que  moi  ;  tout  ce  qu'un  homme 
connoit  "naturellement  je  puis  "> aussi  le  connoitre.  ^^  Un  autre 
homme  peut  se  tromper  '-aussi  bien  que  moi.  Quand  je  crois  ce 
qu'il  dit,  1' ce  n'est  pas  parce  qu'il  le  dit  mais  parce  qu'il  le  prouve. 
»*  Le  «  témoignage  »  des  [''•autres]  hommes  '*  n'est  donc  au  fond 
que  celui  de  ma  raison  [même]  et  n'ajoute  rien  aux  moyens 
naturels  que  Dieu  m'a  donnés  de  ("connoitre)  la  vérité. 

[Apôtre  de  la  véritéj  ("^que)  vous  (reste-t-il)  donc  à  me  dire  **. 
Dieu  lui-même  a  parlé.  (^''Voili)  sa  révélation.  C'est  autre  chose. 
Dieu  a  parlé.  \'oila  certes  un  grand  mot.  Et  à  qui  a-t-il  parlé?  Il  a 


'  B.  (mailres)   [Pasteurs]. 

-  [rapellons]. 

^  [me]. 

^  [crier]. 

•''  M.  expliqué.  —  I.  (exprimé)  [expliqué]. 

"  (voyes). 

'  [(!'...  nul  homme)].  —  B.  nul  homme, 

'  (de  mon).  —  B.  <  pas  >. 

'  (je). 

'"  M.  le  connoitre  aussi.  — I.  (le)  aussi  le  connoitre. 

"  B.  [et]. 

'-  M.  ainsi  que  moi. 

'^  M.  (mais). 

"  L(Au)]. 

"  B.  <  autres  >. 

"  (se  raportant  a). 

'"  [découvrir].  ^  M.  connoitre. 

'"  B.  [Qu'avez]. 

"'  B.  dont  je  ne  reste  pas  le  juge  .'' 

-"  [Ecoutés].. 


EDITION'    ORIGINALE  321 

autant  m'en  peut  dire  celui  qui  me  trompe  ;  il  me  faut  des  raisons  pour 
soumettre  ma  raison  *. 


Toute  la  théologie  que  je  puis  acquérir  de  moi-même  par  l'inspec- 
tion ^  de  l'univers,  &  par  le  bon  usage  de  mes  facultés,  se  borne  à  ce 
que  je  vous  ai  |  ci-devant  expliqué.  Pour  en  savoir  davantage,  il  faut  ^140] 
recourir  à  des  moyens  extraordinaires.  Ces  rfloyens  ne  sauroient  être 
l'autorité  des  hommes  :  car  nul  homme  n'étant  d'une  autre  espèce  que 
moi.  tout  ce  qu'un  homme  connoit  naturellement,  je  puis  aussi  le 
connoître,  &  un  autre  homme  peut  se  tromper  aussi  bien  que  moi  : 
quand  je  crois  ce  qu'il  dit,  ce  n'est  pas  parce  qu'il  le  dit,  mais  parce  qu'il 
le  prouve.  Le  témoignage  des  hommes  n'est  donc  au  fond  que  celui  de 
ma  raison-mème,  &  n'ajoute  rien  'aux  movens  naturels  que  Dieu  m'a 
donnés  de  connoître  la  vérité. 


Apôtre  de  la  vérité,  qu'avez-vous  donc  à  me  dire  dont  je  ne  reste 
pas  le  juge?  Dieu  lui-même  a  parlé;  écoutez  sa  révélation.  C'est  autre 
chose.  Dieu  a  parlé  !  voilà  certe  un  grand  mot  '.  Et  à  qui  a-t-il  parlé?  Il  a 

ceux  qui  proposent  la  question  ;  renonçons  à  toute  espèce  d'opiniâtreté,  formons  la 
résolution  de  nous  rendre  aux  raisons  claires  et  évidentes,  de  recevoir  les  conséquences 
justement  tirées  des  premiers  principes,  des  vérités  métaphysiques,  en  un  mot  de  ces 
vérités  distinctes,  qui  emportent  notre  assentiment  malgré  nous,  et  que  tous  les 
hommes  voient  également  en  quelque  pays  et  en  quelque  temps  que  ce  soit  ». 

*  Cf.  Examen  de  la  Religion  jjS],  20-22  :  «  Si  Dieu  veut  que  je  l'honore  d'un 

culte  particulier,  il  est  de  sa  bonté  et  de  sa  justice  de  me  le  manifester  clairement 

Les  preuves  de  la  Religion  doivent  être  claires,  parce  que  nous  avons  une  raison,  qui, 
nous  venant  de  Dieu,  ne  saurait  être  mauvaise.  Or  cette  raison,  s'opposant  à  ce  que 
les  hommes  nous  disent  de  la  Religion,  nous  ne  devons  pas  étouftér  cette  lumière  sur 
de  simples  probabilités.  Ce  serait  faire  un  très  mauvais  usage  du  plus  précieux  don 
que  Dieu  a  fait  à  l'homme;  il  faut  des  preuves  certaines,  exemptes  de  toute  contra- 
diction pour  soumettre  une  lumière  qui  nous  vient  de  Dieu  et  qui  est  si  uniforme  dans 
tous  les  hommes.  La  vérité  est  exempte  de  toute  contradiction  ».  Rousseau  possédait 
une  copie  de  Y  Examen  de  la  Religion  :  cf.,  à  la  Bibliographie,  les  n"  7  et  ij3.  Il  se  pro- 
posait de  le  «  réfuter»  ;  c'est,  en  effet,  ce  qu'il  fera  plus  loin  :  cf.  p.  179  et  note  3.  Mais  on 
voit  qu'il  l'a  d'abord  utilisé.  Cf.  encore  pp.  i5o  et  note  3,  168  et  note  1,  170  et  note  1,  etc. 

^  Cet  emploi  du  mot  inspection  au  sens  de  contemplation  réfléchie  et  raison- 
nante, aide  à  mieux  comprendre  l'emploi  singulier  que  Rousseau  a  fait  plus  haut  du 
même  mot  :  Cf.  p.  6-)  et  note  2.  Cf.  encore,  dès  1738,  dans  sa  Réponse  au  Mémoire 
anonyme  sur  la  sphéricité  de  la  terre,  XII,  309  :  «  Pour  ce  qui  est  de  l'inspection  de 
la  lune,  il  est  bien  vrai  qu'elle  nous  parait  sphérique  ». 

'  Examen  de  la  Religion  [ijS],  i5  :  «  Toutes  les  questions  de  la  Religion  se 
réduisent  à  celle-ci  :  savoir  si  Dieu  a  parlé,  et  quelles  sont  les  vérités  qu'il  a  révélées  ». 


322  REDACTIONS    MANUSCRITES 

parlé  aux  hommes.  Pourquoi  donc  n'en  ai-je  rien  entendu?''  Il  a 
chargé  d'autres  hommes  de  \ous  rendre  sa  parole.  J'entens;  ce 
sont  des  hommes  qui  vont  me  dire  ce  que  Dieu  a  dit.  J'aimerois 
mieux  avoir  entendu  Dieu  lui-même.  Il  ne  lui  en  auroit  pas  coûté 
davantage  et  j'aurois  été  à  l'abri  de  la  séduction.  Il  vous  en  garantit 
en  '  autorisant  la  mission  de  ses  envoyés.  (Comment  cela|  ?  par  des 
(■-  miracles,  '^  par  des  prophéties).  ^  Je  n"'ai  jamais  (^  vu)  de  prophéties, 
je  n'ai  jamais  vu  de  miracles.  D'autres  hommes  en  ont  été  témoins 
pour  vous  et  l'attestent,  f  Quoi  (''encore)  des  [témoignages  humains 
('  encore)  des]  hommes  qui  me  raportent  ^  que  d'autres  hommes 
ont  rapporté  (la  parole  de  Dieu).  Que  d'hommes  entre  Dieu  et  moi  ! 
Vovons  [toutefois],  examinons,  ''vérifions.  O  si  Dieu  eut  daigné  '"  me 
dispenser  de  tout  ce  travail  l'en  aurois-je  servi  de  moins  bon  cœur. 
Considérez,  mon  ami,  dans  quelle  "  affreuse  discussion  *-  me 
voila  engagé  de  quelle  ^-^  érudition  j'ai  besoin  pour  [remonter  dans 
les  plus  hautes  antiquités  (et)  pourj  examiner  '■'  les  prophéties 
I'-''  les    faits,    tousl    les    monumens    "^  de    foi    ''  qu'on    me    propose 


'  B.  (autorisanti  [manifestant]. 

-  [prodiges  ;  ces  prodiges  n'ont  pas  été  faits  à  mes  yeux].  —  B.  [Et  où  sont] 
ces  prodiges  (n'ont  pas  été  faits  à  mes  yeux.  D'autres  les  ont  vu  pour  vous  et) 
[Dans  les  livres,  et  qui  a  fait  ces  livres,  des  hommes.  Et  qui  a  vu  ces  prodiges 
(d'autres  hommes)  [des]  (peuples)  [hommes]  qui]  les  attestent.  —  M.  Des  peuples 
qui  les  attestent. 

^  (Je  n'ai). 

^  [Qui  est-ce  qui  a]. 

■''  [entendu]. 

"  [toujours]. 

'  [toujours]. 

»  [ce]. 

"  B.  comparons,  vérifions. 

'"  M.  m'exempter. 

"  B.  horrible. 

''■'  B.  (nous)  [me]. 

'^  B.  immense  érudition. 

"  B.  [peser,  confronter].  — M.  <  peser  >. 

''■  B.  [les  révélations,]. 

'"  (qu')- 

'•  B.  (qu'on  me)  propose[s]  dans  tous  les  pays  du  monde. 

t  fc!.  dans  le  manuscrit,  un  espace  de  quelques  lignes  laissé  en  blanc. 


EDITION    ORIGINALE  323 

parlé  aux  hommes.  Pourquoi  donc  n'en  ai-  j  je  rien  entendu?  Il  a  chargé  [141] 
d'autres  hommes  de  vous  rendre  sa  parole.  J'entends  :  ce  sont  des 
hommes  qui  vont  me  dire  ce  que  Dieu  a  dit.  J'aimerois  mieu.\  avoir 
entendu  Dieu  lui-même;  il  ne  lui  en  auroit  pas  coûté  davantage,  & 
j'aurois  été  à  l'abri  de  la  séduction.  11  vous  en  garantit,  en  manifestant 
la  mission  de  ses  envoyés.  Comment  cela?  Par  des  prodiges.  Et  où  sont 
ces  prodiges?  Dans  des  livres.  Et  qui  a  fait  ces  livres?  Des  hommes.  Et 
qui  a  vu  ces  prodiges?  Des  hommes  qui  les  attestent.  Quoi  !  toujours  des 
témoignages  humains?  toujours  des  hommes  qui  me  rapportent  ce  que 
d'autres  hommes  ont  rapporté?  Que  d'hommes  entre  Dieu  &  moi  ^  ! 
V'oyons  toutefois,  examinons,  comparons,  vérifions.  O  si  Dieu  eût  daigné 
me  dispenser  de  tout  ce  travail,  l'en  aurois-je  servi  de  moins  bo/i  cœur  ^? 


Considérez,    mon    ami,    dans   quelle  |  horrible   discussion   me  voilà        [142] 


-  Parmi  les  banalités  de  cette  argumentation,  dont  on  a  vu  que  presque  toutes 
les  idées  se  retrouvaient  chez  les  déistes  du  XVII'  et  du  XVIH'  siècle,  ce  cri 
d'étonnement  ingénu  met  une  note  personnelle,  où  il  entre  à  la  fois  de  l'orgueil 
rousseauiste  et  la  fière  indépendance  d'une  conscience  protestante.  L'archevêque  de 
Paris  ayant  iugé  cette  «  plainte  »  peu  «  sensée  »  (Cf.  Mandement,  111.  5i  1,  Rousseau  la 
développa  avec  une  véhémence  et  une  naïveté  complaisantes,  Lettre  à  .\t.  de  Beaumont, 
111,  100,  101.  106  :  «  Considérez  donc,  de  grâce,  qu'il  est  tout  h  fait  dans  l'ordre  que 
des  faits  humains  soient  attestés  par  des  témoignages  humains;  ils  ne  peuvent  l'être 
par  nulle  autre  voie  :  je  ne  puis  savoir  que  Sparte  et  Rome  ont  existé  que  parce  que 
des  auteurs  contemporains  me  le  disent:  et  entre  moi  et  un  autre  homme  qui  a  vécu 
loin  de  moi,  il  faut  nécessairement  des  intermédiaires.  .Mais  pourquoi  en  faut-il  entre 
Dieu  et  moi  ?  et  pourquoi  en  faut-il  de  si  éloignés,  qui  en  ont  besoin  de  tant  d'autres? 
Est-il  simple,  est-il  naturel  que  Dieu  ait  été  chercher  .Moïse  pour  parler  à  Jean-Jacques 
Rousseau  »  ?  Quelques  lignes  après  la  Profession  de  foi,  il  reprenait  cette  même 
formule  dans  un  tout  autre  e.xposé.  mais  pour  affirmer  comme  ici  l'autonomie  religieuse 
et  morale  de  la  conscience.  11,  288  :  «  C'est  alors  seulement  qu'il  trouve  son  véritable 
intérêt  à  être  bon,  à  faire  le  bien  loin  des  regards  des  hommes  et  sans  y  être  forcé  par 
les  lois,  à  être  juste  entre  Dieu  et  lui  ».  —  Comparez,  sinon  pour  le  contenu  des  idées, 
au  moins  pour  l'accent,  qui  est  le  même,  cette  phrase  de  Calvin,  Institution  chrétienne, 
III,  XIX,  16  '74],  693  :  «Je  suis  coupable  devant  Dieu,  comme  ayant  transgressé  ce  qu'il 
m'avait  défendu  entre  lut  et  moi  ».  Cf  Nouvelle  Héloïse  (IV,  xiiii,  IV.  33i  :  «  Mais  toi, 
Julie,  ô  toi.  qui,  brûlant  d'une  flamme  pure  et  fidèle,  n'étais  coupable  qu'aux  yeux  des 
hommes  et  n'avais  rien  à  te  reprocher  entre  le  ciel  et  toi  »  ;  Confessions,  VIII,  164: 
«  Dans  les  choses  indifférentes,  elle  [.M**  de  Warens]  aimait  à  obéir  ;  et,  s'il  ne  lui  eût  pas 
été  permis,  prescrit  même,  de  faire  gras,  elle  aurait  fait  maigre  entre  Dieu  et  elle,  sans 
que  la  prudence  eût  eu  besoin  d'y  entrer  pour  rien  »  ;  et  298  :  «  Rien  de  grand  et  de  beau 
ne  peut  entrer  dans  un  cœur  d'homme,  dont  je  ne  fusse  capable  entre  le  ciel  et  moi  ». 

'  Comparez  avec  Le  Militaire  Philosophe  [iSo"»"],  i28-i35,  chap.  XV  ;  «  Des 
livres,  des  discours  ne  sont  pas  des  moyens  dont  Dieu  ait  pu  se  servir  pour  instruire 
les  hommes  »,  et  chap.  XVI  :  «  Des  religions  établies  sur  des  livres  et  des  discours 
ne  viennent  point  de  Dieu  ». 


324  REDACTIONS    MANUSCRITES 

[1  pour  en  assigner  les]  tems,  les  lieux,  les  auteurs,  -quelle  justesse 
de  critique  m'est  nécessaire  pour  [distinguer  les  pièces  authentiques 
des  pièces  supposées]  ^  comparer  les  objections  aux  réponses  ["*  les 
traductions  aux  originaux  pour  juger  de  l'impartialité  des  témoins 
*  de  leur  lumières]  pour  savoir  si  l'on  n'a  rien  ''supprimé,  rien 
changé  rien  falsifié,  ^pour  'résoudre  les  contradictions  qui  restent] 
pour  juger  quel  poids  doit  avoir  le  silence  des  adversaires  dans  les 
faits  allégués  contre  eux.  Si  ces  allégations  leur  ont  été  connues, 
s'ils  en  ont  fait  assés  de  cas  pour  daigner  y  répondre,  si  les  livres 
^  étoient  assez  communs  pour  que  les  nôtres  leur  parvinssent  si 
nous  «  ^  avons  »  [été]  d'assés  bonne  foi  pour  ("'laisser)  cours  aux 
leurs  parmi  nous  '*. 


Tous  ces  monumens  reconnus  pour  '^  incontestable  s  il  faut 
'^ensuitte  ('^  examiner)  les  preuves  de  la  mission  '^  divine  de  leur 
auteur  il  faut  "■  connoitre  à  fond  [les  loix  des  sorts  les  probabilités 
eventives    pour    (''  décider)    quelle    prédiction    '*  peut    s'accomplir 


'  (de  quelle  (justesse)  [connoissance]  de  criti  que,  des  langues). 

-  B.  [les  occasions!]  —  I.  [les  occasions]. 

■'  B.  pour  (suivre,)  comparer. 

■*  B.  [les  traductions  aux  originaux]. 

^  B.  de  leur  bon  sens. 

"  B.    (falsifié)    [supprimé    rien   ajoijté   rien   transposé!    (rien)   changé,    (rien 
supprimé)  [falsifié].  —   M.  <    rien  ajouté  >.  —  I.  rien  ajouté,   [rien  transposé,] 
(rien)  changé  (rien)  falsifié. 
■  B.  (résoudre)  [lever]. 

*  (ont  toujours). 

"  [(étions)]. 

'"  (que)  [donner]. 

"  B.  [et   pour  y    laisser  leurs   plus   fortes  objections  tels  qu'ils  les  avoient 
faites].  —  M.  parmi  nous,  etc.  <  et  pour  y  laisser avoient  faites  >. 

'-  incontestable  (sic). 

"  B.  passer  ensuite  aux  preuves. 

•*  [mol  illisible]. 

'■'  B.  <  divine  >  de  leurs  auteurs. 

"'  B.  (étudier)  [(connoitre)  bien  savoir]  les  loix.  —  M.  connoitre  les  loix. 

'■  [juger]. 

'«  B.  [ne]. 


EDITION    ORIGINALE 


325 


eni,'agé  ';  de  quelle  immense  érudition  jai  besoin  pour  remonter  dans 
les  plus  hautes  antiquités;  pour  examiner,  peser,  confronter  les  prophéties, 
les  révélations,  les  faits,  tous  les  monumens  de  foi  proposés  dans  tous 
les  pays  du  monde;  pour  en  assigner  les  tems,  les  lieux,  les  auteurs,  les 
occasions!  Quelle  justesse  de  critique  m"est  nécessaire  pour  distinguer  les 
pièces  authentiques  des  pièces  supposées;  pour  comparer  les  objections 
aux  réponses,  les  traductions  aux  originaux;  pour  juger  de  l'impartialité 
des  témoins,  de  leur  bon  sens,  de  leurs  lumières;  pour  savoir  si  l'on 
n'a  rien  supprimé,  rien  ajouté,  rien  transposé,  changé,  falsifié:  pour  lever 
les  contradictions  qui  restent;  pour  juger  quel  poids  doit  avoir  le  silence 
des  adversaires  dans  les  faits  allégués  contre  eux;  si  ces  allégations  leur 
ont  été  connues;  s'ils  en  ont  fait  assez  de  cas  |  pour  daigner  y  répondre; 
si  les  livres  étoient  assez  communs  pour  que  les  nôtres  leur  parvinssent; 
si  nous  avons  été  d'assez  bonne-foi  pour  donner  cours  aux  leurs  parmi 
nous,  &  pour  v  laisser  .leurs  plus  fortes  objections,  telles  qu'ils  les  avoient 
faites  '. 

Tous  ces   monumens   reconnus   pour   incontestables,   il   faut  passer 
ensuite  aux  preu\es  de  la  mission  de  leurs  auteurs:   il  faut  bien  savoir 


[143] 


'  L'obiection  est  présentée  de  même  par  Marie  Huber,  Re/igion  essentielle  [i5i], 
I,  69-71.  Elle  distingue  deux  méthodes  pour  arriver  à  reconnaître  la  Révélation,  l'une, 
où  l'on  «  supposerait  seulement  que  ce  livre  pourrait  bien  être  divin  dans  son  origme  » 
et  où  on  «  inviterait  à  en  juger  par  les  caractères  qu'il  porte  »;  l'autre,  où  l'on  s'atta- 
cherait aux  preuves  traditionnelles,  miracles,  prédictions,  etc.  Celui  qui  adopterait  cette 
dernière  méthode,  dit  Marie  Huber,  «  serait  engagé  à  des  discussions  sans  fin,  et  ces 
discussions  n'aboutiront  jamais  à  une  évidence  parfaite.  Il  faudrait  qu'en  rétrogradant 
d'une  génération  à  l'autre,  pour  arriver  jusqu'à  ces  hommes  à  qui  Dieu  a  dicté  ce  Livre, 
il  put  s'assurer  sans  équivoque  que  nul  d'entre  eux  n'a  pu  ni  tromper  ni  être  trompé 
lui-même.  Si  l'on  dit  que  ces  hommes  inspirés  ont  prouvé  la  divinité  de  leurs  écrits 
par  des  miracles  »,  etc..  tout  le  développement  continue  comme  chez  Rousseau.  —  Des 
deux  méthodes  indiquées  par  Marie  Huber,  Rousseau  adoptera  la  première  à  la  fin  de  la 
Profession,  quand  il  mettra  en  valeur  «  les  caractères  de  vérité  si  grands,  si  frappants, 
si  parfaitement  inimitables  »  de  l'Évangile.  11  se  rallie  ici  à  la  seconde,  mais  pour  en 
montrer  l'insuffisance.  C'est,  d'ailleurs,  à  ce  point  de  vue  tout  extérieur  et  historique, 
que  se  plaçaient  les  «  philosophes  »  contemporains,  pour  juger  et  récuser  le  Christia- 
nisme. Rousseau  se  séparera  d'eux  dans  son  attitude  finale,  mais  il  commence  par 
utiliser  leur  critique. 

'  Même  argumentation  chez  Diderot;  cf.  Pensées  philosophiques,  L.\  [177],  ii4  : 
«  Vous  présentez  à  un  incrédule  un  volume  d'écrits  dont  vous  prétendez  lui  démontrer 
la  divinité.  Mais  avant  que  d'entrer  dans  l'examen  de  vos  preuves,  il  ne  manquera 

pas  de  vous  questionner  sur  cette  collection.   A-t-elle  toujours  été  la  même? Sur 

quel  fondement  avez-vous  donné  la  préférence  à  ce  manuscrit?  Qui  vous  a  dirigé 
dans  le  choix  entre  tant  de  copies  différentes  »  ?  etc.  Cf.  encore  Meslier  [240],  3o2  : 
«  Il  faudrait  savoir  :  l'i  si  ceux  que  l'on  dit  être  les  premiers  auteurs  de  ces  narrations 
e  sont  véritablement;  2")  s'ils  étaient  gens  de  probité,  dignes  de  foi,  sages  et 
éclairés,  et  s'ils  n'étaient  point  prévenus  en   faveur  de  ceux  dont  ils  parlent  si  avanta- 


326  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

sans  miracle  Me  génie  de  l'éloquence  orientale  pour  (-drcider)  ce 

qui  est  ^  une  prédiction  Idans  ces  languesj  et  ce  qui  n'est  ■■  qu'une 
figure  oratoire]  Mes  loix  de  la  nature  pour  («examiner)  ce  qui  est 
prodige  ou  ce  qui  n'est  pas  pour  '  dire  jusqu'à  quel  point  un  homme 
adroit  peut  fasciner  les  veux  des  simples  '*et|  jusqu'à  quel  point 
il  ne  le  peut  plus.  Chercher  ■*  de  quelle  ("'  nature)  doit  être  un  prodige 
et  laquelle  authenticité  il  doit  avoir  ['^- non-seulement]  pour  être 
cru  mais  pour  qu'^Ml  ne)  soit  ('* permis  a  personne  de  'Me  révoquer 
en  doute)  lsa^'oir?|  comparer  ''Mes  preuves  des  prodiges  qu'il 
faut  admettre  aux  preuves  des  prodiges  qu'il  faut  rejetter  et  trouver 
les  régies  "  à  suivre  en  pareil  cas.  ['*  Dire  enfin  pourquoi  Dieu 
choisit  pour  attester  sa  parole  des  mo\ens  qui  ont  eux  mêmes 
si   grand    besoin   d'attestation.   Comme  s'il    ('■'   étoit  bien  aise  de) 


'  B.  (et  quelle  ne  le  peut  pas)  le  génie  des  [(diverses)]  langues  (orientales) 
[originales].  —  M.  [le  génie  des  langues  orientales]. 

*  [distinguer]. 
■■'  B.  <  une  >. 

*  B.  que  figure  oratoire. 

■''  B.  [quels  faits  sont  dans]  l'ordre  de  la  nature  (dans  toutes  ses  loi.x  pour 
décider  ce  qui  est  prodige  et  ce  qui  ne  l'est  pas)  [et  quels  autres  faits  n'y  sont 
pas].  —  I.  (l'ordre  de  la  nature  dans  toutes  ses  combinaisons  pour  décider  ce 
qui  est  prodige  et  ce  qui  ne  l'est  pas)  [quels  faits  sont  dans  l'ordre  de  la  nature. 
et  quels  autres  n'v  sont  pas]  pour  dire. 

"  [décider]. 

'  B.  (savoir)  [dire]. 

*  B.  (et  je)  [peut  étonner  même  les  gens  éclairés]  chercher.  —  M.  [peut 
étonner  même  les  gens  éclairés].  — I.  (pour)  [peut]  étonner. 

■'  (pourquoi  les  prodiges  faits  Tquelle  authentic  né]). 

'"  [espèce]. 

"  M.  quel  degré  d'authenticité. 

'■  B.  (pour)  non  seulement. 

'•■•  [on]. 

'^  [punissable  d'en  douter]. 

'■'■  [(ne  pas)]. 

'"  B.  les  preuves  des  vrais  et  des  fau.x  prodiges  et  trouver.  —  M.  les  vrais  et 
les  faux  prodiges. 

"  B.  pour  les  (distinguer)  [discerner].  — I.  [sures]  pour  discerner. 

'*  B.  «.  Dire  y  [(trouver)]. 

'"  [se  plaisoit  à].  —  B.  se  jouoit  de  (l'incrédulité)  [la  crédulité].  —  M.  l'incré- 
dulité. 


EDITION    ORIGINALE  327 

les  loix  des  sorts,  les  probabilités  éventives  -.  pour  juger  quelle  prédiction 
ne  peut  s'accomplir  sans  miracle;  le  génie  des  langues  originales,  pour 
distinguer  ce  qui  est  prédiction  dans  ces  langues,  &  ce  qui  n'est  que 
figure  oratoire;  quels  faits  sont  dans  l'ordre  de  la  Nature,  &  quels  autres 
faits  n'y  sont  pas;  pour  dire  jusqu'à  quel  point  un  homme  adroit  peut 
fasciner  les  veux  des  simples,  peut  étonner  même  les  gens  éclairés; 
chercher  de  quelle  espèce  doit  être  un  prodige  |  &  quelle  authenticité  il  [144] 
doit  avoir,  non-seulement  pour  être  cru,  mais  pour  qu'on  soit  punissable 
d'en  douter:  comparer  les  preuves  des  vrais  &  des  faux  prodiges,  & 
trouver  les  régies  sûres  pour  les  discerner';  dire  enfin  pourquoi  Dieu 
choisit,  pour  attester  sa  parole,  des  moyens  qui  ont  eux-mêmes  si 
grand  besoin  d'attestation,  comme  s'il  se  jouoit  de  la  crédulité  des 
hommes,  &  qu'il  évitât  à  dessein  les  vrais  movens  de  les  persuader. 

geusement:  3'l  s'ils  ont  bien  examiné  toutes  les  circonstances  des  faits  qu'ils  rappor- 
tent, s'ils  les  ont  bien  connues,  et  s'ils  les  rapportent  bien  fidèlement;  4*)  si  les  livres 
ou  les  histoires  anciennes  qui  rapportent  tous  ces  grands  miracles  n'ont  pas  été 
corrompus  dans  la  suite  du  temps  comme  quantité  d'autres  l'ont  "été  »;  Examen  de  la. 
Religion  [iji].  87,  etc.  —  Dans  cette  énuniération  des  conditions  requises  par  l'historien 
avant  d'accepter  un  récit,  Rousseau  s'est  sans  doute  souvenu  des  règles  de  Saint-.\ubin 
pour  «  la  bonne  critique  de  l'histoire  »,  Traité  de  l'opinion  [141],  I,  247  :  «  Pour 
démêler  quel  jugement   le  critique  doit   porter   sur    les    histoires   suspectes,   il   doit 

remonter  à  la  première  et  peut-être  à   l'unique  source  qu'elles  ont Il  faut  ensuite 

considérer  diligemment  dans  quel  temps  écrivait  celui  qui  a  le  premier  inventé  le  fait 
incertain,  quelle  était  sa  profession,  quel  parti  il  suivait,  et  surtout  quel  attachement 
il  a  eu  pour  la  vérité  et  quelle  a  été  son  exactitude  dans  tous  ses  ouvrages.  On 
doit  aussi  compter  et  peser  les  témoignages  uniformes  s'il  s'en  trouve  »,  etc.  Il  faut 
se  rappeler,  d'ailleurs,  que  Rousseau  avait  lu  de  très  près  l'Ars  critica  de  Leclerc 
[ri3]  et  en  avait  fait  des  extr.iits.  La  III.'  Partie  de  l'.Ars  critica,  «  De  emendandi 
ratione,  libris  suppositis  et  scriptorum  stvio  »,  contient  précisément  de  nombreux 
exemples  de  méthode  critique  empruntés  à  l'.Ancien  et  au  Nouveau  Testaments.  Les 
plus  significatifs  de  ces  exemples  ont  été  très  soigneusement  notés  par  Rousseau  : 
Cf.  Cahiers  de  Neuchâtel  [5  ,  3o  v".  Sur  la  même  feuille  de  ce  cahier,  Rousseau  a  copié 
un  passage  des  Voyages  de  Moiiconys  ^82],  II,  33o,  où  Samuel  le  Juif  expliquait  au 
voyageur  le  vrai  sens  du  fameux  verset  d'Isaïe  ;  Ecce  virgo  concipiet. 

'  C'est-à-dire  les  probabilités  qui  peuvent  se  réaliser.  C'est  le  seul  exemple  du 
mot  qui  me  soit  connu.  On  trouve  chez  Rousseau  plusieurs  néologismes  de  formation 
analogue  ;  cf.,  plus  haut,  p.  71  et  note  2  :  «  aggrégatif»;  cf.  encore  les  autres  exemples 
de  Rousseau  rassemblés  par  Gohin,  Transformations  de  la  langue  française  [2jii\ 
277-278:  «  compulsif,  confédératif,  retorsif,  inactif».  .M.  Gohin  y  ajoute  à  tort  :  initiât  if. 
Il  emprunte  ce  mot  au  Supplément  de  Littré.  qui  lui-même  renvoie  à  ce  texte  de 
Rousseau,  d'après  un  article  du  Journal  des  Débats  du  12  Décembre  1876  :  «  Pierre 
[le  Grand  avait  le  génie  initiatif-».  .Mais  la  citation  est  fausse.  Le  texte,  qui  appartient 
au  Contrat  Social  lil,  viii),  III,  33o,  est  le  suivant  :  «  Pierre  avait  le  génie  imitatif  i>. 

'  Ces  difl^cultés  —  pratiquement  insurmontables,  pour  qui  veut  «  discerner  » 
par  la  «raison  »  les  «vrais»  miracles  des  prestiges  et  des  faits  extraordinaires,  mais 
naturels,  —  ont  été  longuement  développés  par  Rousseau  dans  la  III'  des  Lettres  de  la 
Montagne,  III,   i53-i62. 


328  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

l'incrédulité  des   hommes  et  qu'il   '  eut  peur   (-'  qu'ils  ne  fussent) 
«  trop  »   aisément   «  persuadés  »]. 
f°  169 ''°  Il  ^    Supposons    que    la    majesté    divine    daigne    s'abbaisser 

asses  pour  rendre  un  homme  l'organe  de  ses  volontés  sacrées 
est  il  raisonnable  est  il  juste  ^  de  vouloir  que  tout  le  genre 
humain  obéisse  à  la  voix  de  ce  ministre  (^  de  Dieu  ''  sans 
'  le  mettre  en  état  de  se  faire)  connoitre  pour  tel  "  à  la  face 
du  genre  humain.  ■'  Y  a-t-il  de  l'équité  à  '«^  ne  lui  donner 
pour  toutes  lettres  dei  créance  que  "quelques  (^'^  petits)  miracles 
particuliers  faits  devant  ('^  des  gens)  obscurs  «  "dont  »  tout  le 
"reste   des   hommes   ne  saura   jamais  [rien]  que  par  oui    dire  1*. 


'  [évitât  les- vrais  moyens  de  les  persuader].  —  B.  évitât  à  dessein  les  vrais 
moyens  de  les  (convaincre)  [persuader].  [C'est  l'ordre  «  inaltérable  de  la  nature 
qui  montre  le  mieux  l'Etre  suprême,  s'il  arrivoit  beaucoup  »  d'e.xceptions  ie  ne 
saurois  plus  qu'en  penser,  et  [pour  moi]  je  crois  trop  en  Dieu  pour  croire  (aux 
miracles)  [à  tant  de  (prodiges)  miracles  si  peu  dignes  de  lui  (surtout)]  (à  ceux  que 
tant  de  gens  [de  toutes  sectes]  ont  [si  souvent]  faits  en  son  nom)].  —  M.  (N'est-ce 

pas  l'ordre l'Etre  suprême  qui  la  régit  i^  S'il  arrivoit...  penser  et  (tropl  pour 

moi  je  crois  trop  sincèrement  en  Dieu  pour  croire  à  tant  de  miracles). 

^  (d'être)  [de  les  voir]. 

^  B.  (.Mais). 

■■  B.  d'exiger. 

■^  [céleste].  — B.  <  céleste  >. 

"  [voulant  le  faire].  —  B.  sans  le  [lui]  faire  connoitre. 

'  [(lui  donner)]. 

'  B.  (à  tous  les  hommes). 

'  (11). 

'"  (vouloir  nous  punir  de  n'avoir  pas  cru  lesl. 

"  M.  des  prophéties  que  ceux  qui  l'écoutent  ne  peuvent  vérifier,  ou  des 
signes  particuliers. 

'-  B.  (miracles  obscurs)  [signes  particuliers]. 
'■■'  [peu  de  gens]. 

"  [«  que  »].  —  B.  et  dont. 

'^  I.  (genre)  reste  des  hommes. 

'"  B.  Par  (tout)  [tous]  les  pays  du  monde  si  l'on  tenoit  pour  vrai[s]  (tout  ce; 
[tous  les  prodiges]  que  le  peuple  et  les  simples  disent  avoir  vu[s]  (il  y  auroit  plus 
de  sectes  [toutes  les  religions  seroient])  [chaque  secte]  seroit  la  bonne  (et)  il  y 
auroit  plus  de  (miracles)  [prodiges]  que  d'evenemens  naturels  et  le  plus  grand  de 
tous  les  miracles  seroit  que  là  où  il  v  a  des  fanatiques  (et  des  friponsi  [persécutés] 


ÉDITION    OKIGINALF  329 


Supposons  que  la  Majesté  divine  daigne  s'abaisser  assez  pour  rendre 
un  homme  l'organe  de  ses  volontés  sacrées;  est  il  raisonnable,  est-il 
juste  d'exiger  que  tout  le  genre  humain  obéisse  à  la  voix  de  ce  ministre, 
sans  le  lui  faire  connoître  pour  tel?  Y  a-t-il  de  l'équité  à  ne  lui  donner 
pour  toutes  lettres  de  créance,  que  quelques  signes  particuliers  faits  devant 
peu  de  gens  obscurs,  &  dont  tout  le  reste  des  |  hommes  ne  saura  jamais  A^^l 
rien  que  par  oui-dire  '?  Par  tous  les  pays  du  monde  si  l'on  tenoit  pour 
vrais  tous  les  prodiges  que  le  peuple  &  les  simples  disent  avoir  vus, 
chaque  secte  seroit  la  bonne,  il  y  auroit  plus  de  prodiges  que  d'événemens 
naturels;  &  le  plus  grand  de  tous  les  miracles  seroit  que,  là  où  il  y  a  des 
fanatiques  persécutés,  il  n'v  eût  point  de  miracles  2.  C'est  l'ordre  inalté- 
rable de  la  Nature  qui  montre  le  mieux  l'Etre  suprême  (^);  s'il  arrivoit 
beaucoup  d'exceptions,  je  ne  saurois  plus  qu'en  penser;  &  pour  moi,  je 
crois  trop  en  Dieu  pour  croire  à  tant  de  miracles  si  peu  dignes  de  lui  '. 

Qu'un    homme    vienne    nous   tenir   ce    langage   :    .Mortels,    je    vous 


I"  I  C,  D  :  montre  le  mieux  la  sage  mai»  qui  la  régit. 

'  (Comparez  ces  réflexions  avec  celles  du  préposant  gascon  que  rencontre  Jacques 
Massé  il  II],  465-466:  «Quelle  idée  pouvez-vous  avoir  de  Dieu,  qui,  selon  vous,  esi 
maître  souverain  de  tout  l'univers,  et  qui  en  peut  disposer  toutes  les  parties  comme 
il  veut,  si  vous  crevez  que,  pour  faire  connaître  sa  volonté  au  ^enre  humain,  il  lui  taille 
employer  des  gens  obscurs,  ignorants  ou  fanatiques,  pour  écrire  des  livres,  ou  pour 
prophétiser,  ou  prêcher,  dans  un  coin  reculé  de  la  terre,  et  parmi  une  troupe  de  gens 
ignorants,  sans  que  les  nations  savantes  et  polies  en  aient  aucune  connaissance. 
Trouvez-vous  que  ce  soit  là  le  vrai  moyen  de  faire  sentir  à  tous  les  hommes  une  chose 
si  nécessaire  que  la  volonté  de  Dieu  »? 

=  Cf.  .Meslier  [240],  3oo  :  «  Il  n'y  a  point  de  religion,  si  fausse  qu'elle  puisse  être, 

qui  ne  prétende  s'appuyer  sur  de  semblables  motifs  de  crédibilité Il  n'y  en  a  point 

qui  n'ait  eu  de  doctes  et  de  zélés  défenseurs,  qui  ont  souften  de  rudes  persécutions 
pour  le  maintien  et  la  délense  de  leur  religion;  et  enlin  il  n'y  en  a  point  qui  ne 
prétende  avoir  des  prodiges  et  des  miracles  qui  ont  été  faits  en  sa  faveur  ». 

"  Voltaire  [242],  278  :  «  Excellent  ».  Cependant  Rousseau  ne  nie  pas  absolument 
toute  espèce  de  miracles:  cf.  la  III"  des  Lettres  de  la  Montagne,  III,  162  :  «  Ces 
objections  ne  sont  pas  des  négations...  Quoi  donc!  celui  qui  n'admet  pas  tous  les 
miracles  rejette-t-il  tous  les  miracles?  Et  faut-il  croire  tous  ceux  de  la  légende  pour 
croire  l'ascension  de  Christ»?  Ce  n'est  pas  là  une  simple  précaution  oratoire:  les 
premières  rédactions  des  manuscrits  semblent  en  certifier  la  sincérité.  Dans  F  et 
dans  I.  il  parle  de  ces  «  petits  miracles»,  «qui  ne  font  que  discréditer  les  grands  ». 
comme  s'il  y  en  avait  quelques-uns  hors  de  pair  auxquels  il  ne  refusait  point  son 
assentiment  :  la  formule  même  qu'il  emploie  :  «  les  vrais  et  les  faux  prodiges  »  (p.  1441, 
«  les  vrais  et  les  faux  miracles  »  IF,  f"  169 '"1,  semble  bien  indiquer  que  dans  sa  pensée, 
il  v  avait  eu  des  miracles  réels;  Cf.  Diderot.  Règne  de  Claude  et  de  Néron  [58],  111,  q<  : 


330  REDACTIONS    MANUSCRITES 

'  Supposons  un  ('-  mortel)  qui  vint  (^  vous)  tenir  ce  langage. 
Mortels,  je  vous  annonce  la  volonté  du  très  haut,  reconnaissez 
à  ma  voix  celui  qui  m'envoye,  ^  j'ordonne  au  soleil  de  changer 
sa  course,  faux  étoiles  de  éprendre  un  autre  arrangement  "aux 
'  alpes  de  (*  se  transporter  à  la  mer)  ;  ■'  à  la  terre  ('"  de  se  couvrir 
tout  à  coup  "  de  fruits  et  de  fleurs).  «  '-  A  la  mer  »  de  s'élever 
dans  les  airs.  («  "  Je  »  vous  parle  au  nom  du)  maitre  de  la 
nature  elle  n'obéit  '^  pas  aux  imposteurs  '"-mais,  (c'est  par  des 
prestiges  particuliers  qu'ils  en  imposent  et  c'est  de  ceux  là  qu'il  faut 
se   défier.    Quel   vrai    miracle   n'a   pas   été   contrefait   par   de   faux 

il  ^  n'y  eut  point  de  miracles.  C'est  l'ordre.  Ci  devant.  (Sic.  Rousseau  renvoie 
par  un  signe  à  la  phrase  qu'il  avait  d'abord  ajoutée  à  la  fin  du  paragraphe 
précédent  b).  Qu'un  homme  vienne  nous  tenir  ce  langage.  — M.  Qu'un  homme 
vienne  nous  dire. 

»)  M.  ne  se  fit  point. 

l'I  M.  C'est  rordre  inaltérable...  le  mieux  la  plus  sage  main 
qui  la  régit.  S'il  arrivoit...  je  crois  trop  sincèrement  en  Dieu... 
de  miracles  si  peu  dignes  de  lui.  —I.  C'est  l'ordre  inaltérable... 
pour  croire  à  tant  de  ipetitsi  miracles  iqui  ne  t'ont  que  decré- 
diter  les  grands)  [si  peu  dignes  de  lui]. 

'  (Prophètes   vous  vous   plaignez  de  n'avoir  pas...  en  coùleroit  il  plus  à  la 
toute  puissance). 
-  [homme]. 
'  [nous]. 

*  B.  (j'ord  ONNE  en  son  noi'n)  j'ordonne  au  soleil. 
'  B.  (prendre)  [former]. 

'■■  M.  au.\  flots  de  s'élever,  au.x  montagnes  de  s'applanir.  —  I.  [(au.x  flots  de 
s'élever)]  au.x  montagnes  de  s'applanir.  aux  flots. 

*  B.  montagnes. 

*  [(s'élever  dans  les  airs...  disparoitre...  de  se  dépêcher...  ne...)  s'aplanir]. 
"  B.  (à  la  mer)  [aux  flots]  de  s'élever,  (dans)  à  la  terre. 

'"  [d'étaler  la  parure  d'une  autre  saison].  —  B.  de  (changer  de  parure) 
[prendre  une  sic  autre  aspect!.  —  M.  un  nouvel  aspect. 

"   [(de  verdure)]. 

'^  [(aux  fleuves)].  —  B.  <  à  la  mer  de  s'élever  dans  les  airs  >. 

"  [(c'est?)  à  ces  prodiges  qui  ne  reconnoitra  pas  à  l'instant  le].  —  B.  A  (ces 
[au  crayon  repassé  à  l'encre  :  de  tels]  prodiges  [non  suspects])  [ces  merveilles] 
qui  ne  reconnoitra. 

"  B.  point. 

'■■  B.  [(mais)]  leurs  miracles  se  font  [(aux)  dans  îles  carrefours  |Ou)  dans  des 
déserts]  dans  des  chambres,  et  c'est  là  qu'ils  ont  bon  marché  des  spectateurs 
[déjà  disposés  à  tout  croire].  Qui  est  ce  qui  m'osera  dire.  —  M.  d'un  petit  nombre 
de  spectateurs.  —  I.  bon  marché  [d'un  petit  nombre]  de(s)  spectateurs  |déja 
disposés  à  tout  croire]. 


EDITION    ORIGINALE  33I 

annonce   la    volonté   du    très-Haut;    reconnoissez   à    ma    voix   celui  qui 

m'envoye.   J'ordonne   au   soleil   de   changer    sa   course,    aux    étoiles   de 

former  un  autre  arrangement,  aux  montagnes  de  s'applanir,  |  aux  flots        [146] 

de  s  élever,  à  la  terre  de  prendre  un  autre  aspect  :  à  ces  merveilles,  qui 

ne  reconnoîtra  pas  à  l'instant  le  maître  de  la  Nature  1?  Elle  n'obéit  point 

aux    imposteurs:   leurs    miracles  se   t'ont  dans  des  carrefours,  dans  des 

déserts,  dans  des  chambres;  &  c'est  là  qu'ils  ont  bon  marché  d'un  petit 

nombre  de  spectateurs  déjà  disposés  à  tout  croire  ^.  Qui  est-ce  qui  m'osera 

dire  combien  il  faut  de  témoins  oculaires  pour  rendre  un  prodige  digne 

de  foi?  Si  vos  miracles  faits  pour  prouver  votre  doctrine  ont  eux-mêmes 

besoin  d'être  prouvés,  de  quoi  servent-ils?  Autant  valoit  n'en  point  faire  '. 


«  Il   [Rousseau     me    protestait    un    )Our que    peu    s'en    fallait   qu'il    ne   crût    ;<    la 

résurrection  ».  —  La  fin  de  ce  paragraphe  fait  défaut  dans  la  Première  Rédaction  :  c'est 
le  résidu  abstrait  du  développement  sur  les  vampires,  qui  a  été  supprimé  depuis  : 
cf.  p.  146  et  note  3. 

'  Voltaire  [242.  278  :  «  Et  moi.  je  reconnaîtrais  le  mauvais  principe,  l'Ariman, 
qui  viendrait  gâter  l'ouvrage  d'Oromaze  ». 

'  Il  est  vraisemblable  qu'en  écrivant  ces  lignes  Rousseau  songeait  aux  convulsion- 
naires  de  Saint-.Médard  et  .lux  miracles  du  diacre  Paris  :  cf.,  en  effet,  ce  qu'il  en  dit 
dans  sa  Lettre  à  M.  de  Beaumont,  III,  101-102. 

'  Dans  la  Première  Rédaction,  cette  phrase  servait  de  conclusion  à  un  dévelop- 
pement d'actualité  sur  les  vampires,  que  Rousseau  a  cru  devoir  sacrifier,  soit  parce  qu'il 
désirait  mamtenir  la  discussion  sur  le  terrain  des  idées  générales,  soit  parce  que  la 
date  des  événements  auxquels  il  faisait  allusion  ne  concordait  pas  avec  la  date  supposée 
de  la  Profession.  Le  sacrifice  a,  d'ailleurs,  été  provisoire,  car  il  a  utilisé  les  notes 
qu'il  avait  prises  sur  ce  sujet  dans  la  Lettre  à  M.  de  Beaumont,  III,  101  :  «  S'il  y  a  dans 
le  monde  une  histoire  attestée,  c'est  celle  des  vampires  ;  rien  n'y  manque,  procès- 
verbaux,  certificats  de  notables,  de  chirurgiens,  de  curés,  de  magistrats  :  la  preuve 
juridique  est  des  plus  complètes.  \\ec  cela,  qui  est-ce  qui  croit  aux  vampires?  Serons- 
nous  tous  damnés  pour  n'y  avoir  pas  cru  »  ?  L'attention  de  Rousseau  pouvait  avoir 
été  attirée  sur  les  vampires  par  Vernet,  Vérité  de  la  Religion  [162  ,  VI,  276-277,  ou 
par  d'.Argens  (dans  la  137*  des  Lettres  Juives  jbo.,  IV,  156-1621,  qui  fournissait 
certificats  et  références.  Je  croirais  cependant  plus  volontiers,  —  puisque,  comme  on  va 
le  voir  par  la  note  suivante,  Rousseau  lisait  les  ouvrages  de  Dom  Calmet  —  que  la 
source  probable  doit  être  cherchée  dans  la  Dissertation  sur  les  Revenants  en  corps,  les 
excommuniés,  les  oupires  ou  vampires,  brucoliques,  etc.,  qui  lait  partie  des  Disser- 
tations sur  les  apparitions  et  sur  les  revenants  et  vampires,  publiés  par  Calmet 
en   1746  '175  A"  :  cf.,  en  particulier,  pp.  274-27S,  ou  nouvelle  édition    173  B  .  II,  3i-39. 


332  REDACTIONS    MANUSCRITES 

miracles  semblables  quel  mensonge  n'a  pas  ('  été  asses  attesté  par) 
des  peuples  fanatiques  (^  comme  les  plus  incontestables  vérités). 
Depuis  quelque  tems  toutes  les  nouvelles  publiques  ne  nous  parlent 
que  des  Wampires  il  n'y  ^  eut  jamais  de  fait  plus  juridiquement j 
attesté  que  leur  existence.  Avec  cela  montrez  moi  dans  toute  l'Europe 
un  seul  homme  de  sens  qui  croye  aux  Wampires  et  qui  daignast 
seulement  en  aller  vérifier  la  fausseté).  Qui  est-ce  qui  m'osera  dire 
combien  ■*  il  faut  de  témoins  oculaires  pour  rendre  un  prodige 
digne  de  foi.  (*  Quelle  preuve  n'est-ce  point  contre  un  miracle  qu'il 
ait)  besoin  d'être  prouvé.  "Autant  valoit  '  n'en  point  faire. 

*  Après  toutes  ces   (^  difficultés)]  il  nous  reste  "  encore   ''  un 
examen  à  faire  dans  '-le  caractère  (de)  la  doctrine  annoncée  car  f 


B,  f"  173  ■""         puisque  ceux   qui  '■■'  disent  que   Dieu  fait  "  des  ('^  prodi  ges)  pré- 

'  [eu  chez]. 

-  [les  plus  authentiques  attestations], 

'  (a  rien  dans  toutes...  tous  les  monumensi. 

^  B.  [il  faut]. 

'  [Si  vos  miracles  ont].  —  B.  Si  vos  miracles  laits  pour  prouver  votre 
doctrine  ont  eu.x-mêmes  besoin  d'être  prouvés.  —  I.  ont  eux-mêmes  [si  grand] 
besoin  de  preuves. 

''  B.  de  quoi  servent-ils  .•'  Auiant. 

'  B.  (d'abord  raisonner  eti  n'en  point  faire. 

*  B.  (Après  toutes  ces  considérations,  il  nous).  —  M.  Après  toutes  ces  consi- 
dérations il  nous  reste  un  ê.\amen.  — I.  (.Vpresi  Reste  enfin. 

"  [considérations]. 

'"  B.  (encore)  [enfin].  —  M.  <  enfin  >. 

"  B.  (un  examen  à  fairel  [(un)  examen  plus  important  (que  tout  autre) 
l'examen  le  plus].  —  M.  un  examen  plus  important  que  tout  autre  dans  la  doctrine. 

'-  B.  <  le  caractère  de  >. 

"  M.  crovent  aux  miracles  de  Dieu  crovent  aussi  aux  prestiges  du  Diable, 
,     avec  les  prodiges  les  mieux. 

'*  I.  (des)  ici  bas  des  miracles. 

''  [miracles], 

t  Le  texte  de  F  n  est  pas  ici  interrompu  :  c'est  moi  qui  l'arrête  à  ce 
mot.  pour  introduire  l'addition  de  B.  qui  s\'  intercale  exactement. 
—  Dans  B.  en  face  de  ce  noui'eau  développement  sur  les  rapports  des 
miracles  et  de  la  doctrine.  Rousseau  a  écrit  au  i"'  du  /'»  ij3  :  N.  B. 
V.  Calmet  dissertation  sur  les  vrais  et  les  fau.x  miracles. 


ÉDITION    OKIGINALE  333 


Reste  enfin  Texamen  le  plus  important  dans  la  doctrine  annoncée  <; 
car  puisque  ceux  qui  disent  ^  que  Dieu  fait  ici-bas  des  miracles,  préten- 
dent que  le   diable   les   imite   quelquefois,   avec   les   prodiges   les   mieux 


'  Comme  on  le  verra  par  la  Première  Rédaction  et  par  la  note  suivante,  Rousseau 
allait  passer  à  l'examen  de  la  doctrine  sans  étudier  les  rapports  de  cette  doctrine 
avec  les  miracles,  si  une  Dissertation  de  Dom  Calmet,  en  essayant  de  résoudre  une 
objection,  n'avait  pas  abouti  au  résultat  contraire  et  ne  lui  en  avait  pas  révélé  toute 
la  force.  Et  pourtant  les  apologistes  avaient  plus  d'une  fois  insisté  sur  l'étude  de 
la  doctrine  comme  confirmation  des  miracles  :  cf.,  par  e.\emple,  Clarke,  Existence  de 
Dieu.  II,  ig  [i25],  111,  [5i-i54,  qui  insistait  précisément  sur  l'épisode  du  magicien  de 
Pharaon  et  traçait  à  ce  propos  les  règles  suivantes  :  «  i)  Si  la  doctrine  attestée  par  les 
miracles  est  impie  en  elle-même,  si  elle  tend  manifestement  à  fomenter  le  vice,  [les 
miracles  sont  fau.x  et  la  doctrine  est  à  rejeter].  2")  Si  la  doctrine,  attestée  par  des  miracles, 

est  indirtérente  de  sa  nature ,  si,  d'ailleurs,  il  se  trouve  qu'il  y  ait  d'un  autre  côté  des 

miracles  plus  grands  et  en  un  plus  grand  nombre,  ou  du  moins  accompagnés  de 
circonstances  qui  fassent  voir  clairement  que  la  puissance  qui  a  opéré  ces  derniers 
est  supérieure  à  la  puissance  qui  a  fait  les  premiers  :  il  est  indubitable  alors  que  la 
doctrine,  à  laquelle  la  plus  grande  puissance  rend  témoignage,  est  celle  qui  vient 
infailliblement  de  Dieu.  C'est  là  précisément  le  cas  de  Moïse  et  des  Magiciens  d'Egypte. 

Ces  magiciens  firent  plusieurs  miracles  pour  prouver  que  Moïse  était  un  imposteur 

Moïse  de  son  côté  fit  d'autres  miracles  plus  grands  et  en  plus  grand  nombre  que 
ceux  des  magiciens,  pour  faire  voir  la  justice  de  sa  prétention  et  de  la  Divinité  de 
sa  mission...  3")  Si  la  doctrine,  pour  la  confirmation  de  laquelle  les  miracles  sont  faits, 
tend  naturellement  à  la  glorification  du  nom  de  Dieu,  et  à  faire  fleurir  la  justice  parmi 
les  hommes...,  alors  on  peut  poser  pour  certains  que  ces  miracles  viennent  de  Dieu  ». 
Rousseau  qui,  sans  doute,  connaissait  cette  page,  n'avait  pas  vu  tout  le  parti  qu'on 
en  pouvait  tirer.  Ce  fut  Dom  Calmet  qui  le  lui  fit  sentir. 

•>  Tout  ce  développement,  et  la  note  qui  s'y  rattache,  ont  été  ajoutés  dans  B  après 
la  lecture  de  Dom  Calmet,  que  Rousseau  a  pris  soin  de  noter  :  «  Dissertation  sur 
les  vrais  et  les  faux  miracles  et  sur  le  pouvoir  des  Démons  et  des  Anges  sur  les  corps  ». 
Rousseau  a  lu  ces  quelque  vingt  pages,  soit  dans  la  grande  Bible  commentée  par 
Calmet  [180'''»],  1,  697-715,  soit  dans  le  recueil  des  Dissertations  gui  peuvent  servir  de 
prolégomènes  ix  l'Écriture  Sainte  "118],  1,  648-665. 


334  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

tendent  que  le  Diable  ('en  fait  aussi),  -avec  les  (^  mi  racles)  les  mieux 
attestés  nous  ne  sommes  pas  plus  avances  qu'auparavant  [et  *  puisque 
les  magiciens  de  pharaon  (Simitoient  les  prodiges  de  «  Moyse  »  l'envoyé  de 
Dieu)  pourquoi  ["^  dans  son  absence  '  n'eussent-ils  pas  i^  exigé)  ^  aux 
«  mêmes  '"  titres  »  "  la  même  autorité  ('-  en  se  disant  envoyés  de 
Dieu).  1^  Ainsi  donc]  ['*  après  avoir  prouvé  la  doctrine  par  le 
i°  174  "■•'  miracle  [*  il  faut  H  '"  prouver  le]  miracle  par  la  doctrine  *  de  peur  de 
prendre  l'œuvre  du  démon  pour  l'œuvre  de  Dieu.  Que  pensez-vous 
de  ce   l' cercle. 


F  173  ^"  Il  *  Cela  est  formel  dans  [mille  endroits  de,  l'écriture.  («  '«Voyez  ») 

«  entre  autres  »  dans  le  Deuteronome  ch  :  i3.  ou  il  est  dit  '» positivement 
que  si  un  (-"îauxj  prophète  annonçant  des  Dieux  étrangers  confirme 
ses  discours  par  des  prodiges  et  (-''par  des  prédictions  on  n'y  doit)  avoir 


'  [les  imitent  quelquefois],  —I.  [quelquefois];  avec  (la  doctrine)  [les  pro- 
diges]. 

-  (s'ils). 

'  [prodiges]. 

■•  (car). 

''  (faisoient)  [osoient]  («.  entrer  en  concurrence  *  avec  <^  imiter  »  si  bien 
même  en  la  présence...  et  faisant...  imiter)  [en  présence  même  de  Moyse  imiter 
les  signes  [(faits)  qu'il  faisoit]  par  l'ordre  exprès  de  Dieu]. 

'■'  (Si  Movse  eût  été  absent  et  [dans  l'absence  de  Moyse]). 

•  (ne  1').  — I.  (ne  pouvoient)  [n"eussent]-ils  pas  aux  mêmes  titres  (prétendre) 
[prétendu]. 

"  (contrefait). 

'■'  [(sur  les)]. 

'°  [(preuves)]. 

"  («  obtenu  »  aussi  exigé  la...  exercé  la...)  [prétendu  la]. 

'-  (sur  les  mêmes  preuves...  qu'il  prétendoit). 

"  M.  <  Ainsi  donc  >. 

'''  (il  faut  donc)  prouve(r). 

'^  (et  le). 

'«  (me). 

"  M.  Dialéle.  — I.  (cercle)  [dialéle]. 

>«  [et]. 

"'  M.  <  positivement  >. 

^"  I.  (faux)  prophète. 

-'   [que  ce  qu'il  prédit  arrive  loin  d'y]. 


EDITION    ORIGINALE  335 

attestés  nous  ne  |  sommes  pas  plus  avancés  qu'auparavant,  &  puisque        [147] 

les   magiciens  de   Pharaon   osoient,  en  présence  même  de  Moïse,  faire 

les  mêmes  signes  qu'il  faisoit  par  l'ordre  exprès  de  Dieu  *,  pourquoi 

dans  son  absence  n'eussent-ils  pas,  aux  mêmes  titres,  prétendu  -  la  même 

autorité?  Ainsi  donc  après  avoir  prouvé   la  doctrine  •'  par  le   miracle, 

il  faut  prouver  le  miracle  par  la  doctrine  *,  de  peur  de  prendre  l'oeuvre  |  du         148] 

Démon  pour  l'œuvre  de  Dieu.  Que  pensez- vous  de  ce  dialéle  ? 


*  Cela  est   formel   en   mille   endroits  de  l'Ecriture,  &  entre  autres   dans  le 


'  On  a  vu  dans  l'avant-dern  ère  note  que  ces  prestiges  des  «  magiciens  d'Égvpte  » 
avaient  déjà  été  rappelés  par  Clarté.  Ils  le  sont  aussi  dans  Calmet  Îii8],  I.  d5i  : 
«  L'Écriture  nous  dit  que  les  magiciens  de  Pharaon  changèrent  en  serpents  les  verges 
qu'ils  tenaient,  qu'ils  changèrent  l'eau  en  sang  et  qu'ils  contrefirent  encore  le  troisième 
des  miracles  que  Moïse  avait  fait  ». 

-  Sur  cet  emploi  de  «  prétendu  »  transitif,  cf.  Haase,  Syntaxe  française,  Sg 
[275],  142  :  cf.  encore  Féraud,  Dictionnaire  critique  ^25o],  III,  25/  :  «  Prétendre, 
c'est  premièrement  demander  avec  assurance,  comme  une  those  qui  est  due.  Il 
est  actif  et  s'emploie  avec  le  régime  simple  (l'accusatifi...  :  il  prétend  le  pas  sur  un 
tel  ».  Rousseau  emploie  aussi  prétendre  intransitivement,  avec  le  sens  un  peu  différent 
qu'il  comporte;  cf.  V'  Livre  d'Emile,  II,  379  :  «  Alors  la  femme  prétendant  à  l'autorité, 
se  rend  le  tyran  de  son  chef  ». 

'  Pascal  avait  déjà  dit.  Pensées,  DCCCXLIII  [83],  III,  279-280  (et  c'est  Vernet 
qui  rappelle  ce  te.\te  dans  sa  Vérité  de  la  Religion,  VIII,  14  [162].  V,  245»  :  «  Il  faut 
juger  de  la  doctrine  par  les  miracles,  il  faut  juger  des  miracles  par  la  doctrine. 
Tout  cela  est  vrai,  mais  cela  ne  se  contredit  pas  »,  etc.  Pourtant  ici  encore,  c'est 
Calmet  qui  a  fourni  naïvement  des  armes  à  Rousseau,  celui-ci  s'étant  contenté  de 
remplacer  les  mots  usuels  de  «  cercle  »  et  de  «  pétition  de  principe  »  par  le  terme 
plus  pédant  et  plus  sonore  de  «  diallèle  »;  cf.  Dissertation  cit.  [118],  I,  660  :  «  Si 
c'est  un  chrétien  déjà  instruit,  qui  se  trouve  entre  deux  faiseurs  de  miracles, 
il  doit  préférer  ri  celui  qui  est  approuvé  par  l'Église;  2")  celui  qui  fait  de  plus 
grands  miracles;  et  3*|  celu'  qui  prêche  une  doctrine  plus  pure  et  plus  saine:  et 
il  doit  rejeter  absolument  celui  qui  est  rejeté  par  l'Église,  qui  prêche  contre  Jésus- 
Christ,  qui  annonce  une  fausse  doctrine  ou  une  morale  corrompue.  Mais,  me  dira-t-on, 
n'y  a-t-il pas  un  cercle  de  raisonnement  et  une  pétition  de  principe  en  cela?  Je  vous 
demande  une  marque  pour  distinguer  les  vrais  et  les  faux  miracles;  et  vous  me 
dites  que  les  vrais  miracles  sont  ceux  qui  servent  à  confirmer  la  saine  doctrine  : 
et.  si  je  vous  demande  des  preuves  de  la  doctrine  de  deux  prédicateurs,  vous  me 
dites  de  m'en  tenir  à  celui  qui  fait  des  miracles;  que  s'ils  en  font  tous  deux,  de 
m'en  rapporter  à  l'Église;  et,  si  je  doute  quelle  est  la  vraie  Église,  vous  me  renvoyez 
aux  miracles  et  à  la  doctrine.  Une  chose  ne  peut  pas  servir  de  preuve  à  elle-même, 
on  ne  doit  pas  donner  pour  principe  ce  qui  est  en  question  ».  Rousseau  ne  s'arrête 
pas  pour  l'instant  à  la  réponse  de  Calmet,  parce  qu'elle  est  faite  du  point  de  vue 
catholique  et  qu'elle  ne  voit  de  solution  que  dans  «l'autorité  de  l'Église»,  mais 
il  s'en  souviendra  plus  loin;  cf.  p.  i65  et  note  i.  Il  a  développé  les  contradictions 
du  «diallèle  »  dans  la  Lettre  à  M.  de  Beaumont,  III,  io3.  et  dans  la  III"  des  Lettres 
de  la  Montagne,  III,  i63,  note. 


336  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

F,  f"  169  "■"  1   N'enant  de   Dieu  elle  doit  porter   '  le  sacré  caractère  de  la 


aucun  égard  ('^  mais)  de)  mettre  *  à  mort.  Quand  donc  (■''  dans  '■  les 
fausses  religions  on  '  mettoiti  à  mort  (^  les  ^  ministres  du  vrai  Dieu  confirmant 
leur  doctrine  par  des  miracles  et  des)  '"prophéties  l' je  ne  vois  pas  («  '^  ce  qu'on  » 
pouvoit  objecter  de  raisonnable.  Es  ne  faisoient  qu'user  de  représailles  sur  les 
principes  ''mêmes  de  l'auteur  sacré).  "Que  (pouvoit-on  donc)  faire  '^  en 
pareil  cas  ("^de  part  et  d'autre).  [«  Revenir  au  raisonnement  »  et]  laisser-Ià 
«  1'  les  »  miracles:  '^  autant  «  '^  eut  valu  »  (-"  n'  21  en  point  îaire).  C'est  là 
du  bon  sens  le  plus  simple  auquel  on  ne  (-'-  repond)  qu'à  force  de  (--^  ruses  qui 
peuvent  étourdir  im  esprit  vulgaire)  mais  Jésus  a  donc  eu  tort  de  promettre 


'  B.  Cette  doctrine  venant  de  Dieu  doit. 

-  la  sacré  caractère  (sic). 

■'  [on  doit]. 

■"  [ce  prophète]. 

■'  [les  payens  mettoient].  — I.  les  (Apôtres  révélant)  payens. 

'■•  [d'autres]. 
'  [eut  mis]. 

"  (aux). 

'  [(prophètes)  Apôtres  (annonçant)  révélant  (un)  au  peuple  un  Dieu  inconnu 
et  (au.\)  prouvant  sa  mission  par  des].  —  M.  Apôtres  annonçant  au  Peuple... 
prouvant  leur  mission. 

'"  M.  prédictions.  — I.  (prophéties)  [prédictions]. 

"   [et  des  miracles]. 

'-  [(quel...  réponse  on  pouvoit  leur  faire)  ce  qu'on  (pouvait  rai  sonnablement) 
avoit  à  leur  objecter  (sans  une  ridi  cule)  de  solide  qu'ils  ne  (rétorquassent) 
pussent  à  l'instant  rétorquer  contre  nous  (sur  nos  propres)].  —  I.  ce  qu'on 
(pouvoit)  [avoit  à]  leur  objecter  de  solide  qu'ils. 

"  (de). 

'■'  [Or]. 

'"•  [(donc)]. 

'"  M.  (laissons-là  les  miracles).  Une  seule  chose.  —  I.  [une  seule  chose  :] 
(Se)  Revenir  au. 

■'  (des). 

'*  («  de  »  part  et  d'autre). 

'"  [(valoit)].  —  M.  eu  valu  (sic). 

-"  [n'y  pas  recourir]. 

-'   [(avoir  pas  à  en  faire  faire)]. 

--  [repondra  jamais]. 

-"  [(subterfuges  et  de  pures)  subtilités].  —  M.  distinctions  tout  au  moins 
très  subtiles.  Des  subtilités  dans  le  christianisme!  Mais  Jésus.  —  I.  qu'à  force 
de  (subtilités)  [distinctions  tout  au  moins  très  subtiles].  Des  subtilités  [dans  le 
christianisme!  Mais]  Jesus-Christ. 


EDITION    ORIGINALE  337 

Cette  doctrine  venant  de  Dieu,  doit  porter  le  sacré  caractère  de  la 

Deuteronome,  Chapitre  XIII  *.  où  il  est  dit  que,  si  un  Prophète  annonçant  des  Dieux 
étrangers  confirme  ses  discours  par  des  prodiges,  &  que  ce  qu'il  prédit  arrive, 
loin  d'v  avoir  aucun  égard  on  doit  mettre  ce  Prophète  à  mort.  Quand  donc 
les  Pavens  mettoient  à  mort  les  Apôtres  leur  annonçant  un  Dieu  étranger,  & 
prouvant  leur  mission  par  des  prédictions  &  des  miracles,  je  ne  vois  pas  ce  qu'on 
avoit  à  leur  objecter  de  solide,  qu'ils  ne  pussent  à  l'instant  rétorquer  contre 
nous  '.  Or  que  faire  en  pareil  cas  ?  Une  seule  chose  :  Revenir  au  raisonnement,  & 
laisser-là  les  miracles.  Mieux  eût  valu  n'y  pas  recourir  '.  C'est  là  du  bon-sens  le 
plus  simple,  qu'on  n'obscurcit  qu'à  force  de  distinctions  tout  au  moins  très- 
subtiles.  Des  subtilités  dans  le  Christianisme!  Mais  Jesus-Christ  |  a  donc  eu  tort  [1481 
de  promettre  le  royaume  des  Cieux  aux  simples  ?  il  a  donc  eu  tort  de  commencer 
le  plus  beau  de  ses  discours  par  féliciter  les  pauvres  d'esprit;  s'il  faut  tant 
d'esprit  pour  entendre  sa  doctrine,  &  pour  apprendre  à  croire  en  lui?  Quand 
vous  m'aurez  prouvé  que  je  dois  me  soumettre,  tout  ira  fort  bien  :  mais  pour  me 
prouver  cela,  mettez-vous  à  ma  portée;  mesurez  vos  raisonnemens  à  la  capacité 


*  Le  texte  a  été  fourni  à  Rousseau  par  Calmet  [ii8],  I,  65i  :  «  Moïse  nous 
précautionne  contre  les  miracles  des  faux  prophètes  (Deuter.  XIII,  i,  sqq.l  d'une 
manière  qui  semble  prouver  qu'il  ne  doutait  pas  que  le  démon  n'en  pût  faire 
par  leur  moyen.  S'il  s'élève,  dit-il.  au  milieu  de  vous  un  Prophète  :  ou  un  homme 
qui  prétend  avoir  eu  des  songes  prophétiques,  et  qui  vous  prédise  un  prodige  et  un 
miracle,  et  que  ce  qu'il  vous  prédise  arrive,  et  qu'après  cela  il  vous  dise  :  Allons 
servir  des  dieux  étrangers  :  n'écoute^,  point  les  discours  de  ce  prophète  ;  car  c'est  que 
le  Seigneur  vous  tente  ». 

*  Voltaire  [242],  278  :  «  Bon  ».  —  C'est  encore  Calmet  qui  a  indirectement 
suggéré  cet  argument  à  Rousseau,  .  en  indiquant  quelle  devait  être,  d'après  lui, 
l'attitude  d'un  «  païen  »  à  l'égard  d'u  1  faiseur  de  miracles;  cf.  Dissertation  '118], 
I,  660  :  «  Lorsqu'on  parle  de  l'impression  que  les  miracles  doivent  faire  sur  les 
esprits,  on  doit  distinguer  divers  états  et  divers  degrés  de  personnes.  Un  homme, 
par  exemple,  qui  est  dans  l'ignorance  de  la  vraie  Religion,  un  Païen,  doit  croire 
la  doctrine  qu'on  lui  propose,  et  qu'on  lui  prouve  par  des  miracles  ;  à  moins  que 
cette  doctrine  ne  soit  contraire  aux  lumières  naturelles,  ou  que  les  miracles  qu'il 
voit  faire,  ne  lui  donnent  juste  sujet  d'y  soupçonner  de  l'illusion.  Que  s'il  vient  un 
second  faiseur  de  miracles,  qui  détruise  la  doctrine  du  premier,  le  paien  doit  suspendre 
son   jugement  et  examiner  la  doctrine  ». 

°  La  fin  de  cette  note  est  toute  pénétrée  de  l'esprit  de  Marie  Huber  ; 
cf  Religion  essentielle  [i5i],  V,  5o-5 1  :  «  Au  lieu  de  juger  que  la  vraie  doctrine 
évangéiique  est  vraie  parce  qu'elle  a  été  écrite  par  inspiration  divine,  et  de 
juger  qu'elle  a  été  écrite  par  inspiration  divine  parce  qu'elle  a  été  confirmée 
par  des  miracles,  je  juge  qu'elle  est  vraie  et  sans  détours,  parce  qu'elle  porte  des 
caractères  de  vérité,  qu'elle  est  établie  sur  des  principes  indubitables,  qu'elle 
n'aboutit  qu'à  y  rappeler  les  hommes,  à  leur  montrer  les  voies  les  plus  sûres  pour 
arriver  au  bonheur  du  siècle  à  venir  »;  et  1,  85  :  «  Jésus-Christ  n'a  donc  point 
prétendu  en  être  cru  sur  parole.  Il  a  invité  les  hommes  à  l'examen.  Il  a  pris  pour 
juges  de  ses  maximes  les  plus  simples  d'entre  eux.  Cet  examen  ne  pouvait  avoir 
lieu  qu'à  l'égard  des  choses  claires,  simples  et  à  la  portée  de  tous  les  hommes  ». 

22 


338  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

divinité,  '  et  non  seulemeni  -  nous  éciaircir  les  idées  ^  confuses  que 
(■lia  raison)  en  trace  dans  nôtre  esprit  mais  elle  doit  aussi  nous 
proposer  un  culte,  une  morale,  ^  et  des  maximes  convenables 
aux  attributs  •'que  nous  concevons  comme  inséparables  de  sa  nature. 

le  rovaume  des  cieux  aux  (esprits)  simples  's'il  (*ne  l'accorde  qu'aux  (^plus) 
subtils).  (L'expédient  de  ('"soumettre  son)  esprit  seroit  admirable  •'  s'il  faloit 
moins  d'esprit).  Quant  ('-on)  m(aura)  prouvé  '^  qu'il  faut  me  soumettre 
tout  ira  fort  bien  "  mais  ['^  pour  me  prouver  cela  i«  mettez  vous  à  ma 
portée  «  "  ou  »  laissez  moi  '^  car  «  '■'  je  suis  trop  grossier  pour  (vous)  entendre  » 
20  et  trop  sensé  pour  me  soumettre  avant  que  vous  m'ayez  prouvé  que  je  le  dois'. 

'  B.  <  et  >. 

-  B.  elle  doit  (nous). 

'  B.  «  confuses  »  [(obscures)]. 

*  [le  raisonnement]. 

'  M.  <  et  >. 

'■  B.  (que)  [par  lesquels  seuls]  nous  concevons  (comme  inséparables  de  sa 
divinité  [sa  nature  divine])  [son  essence].  —  M.  que  nous  concevons  comme 
inséparables  de  son  essence.  —I.  que  (nous  concevons  comme  inséparables  de) 
[par  lesquels  seuls  nous  concevons]  son  essence. 

'  (Il  devoit  le).  —  M.  Il  a  donc  eu  tort  de  commencer  le  plus  beau  de  ses 
discours  par  féliciter  les  pauvres  d'esprit,  s'il  faut  tant.  — I,  [11  a  donc  eu  tort... 
les  pauvres  d'esprit]  s'il  faut. 

'  [faut  tant  d'esprit  pour  [apprendre  à]  croire  en  lui].  —M.  pour  entendre 
sa  doctrine  et  pour  apprendre.  — I.  [entendre  sa  doctrine  et  pour]  apprendre. 

»  [(esprits)]. 

'"  [la  soumission  d']. 

"  (si  les  preuves). 

'-  [vous]  m'[aures]. 

"  I.  (qu'il  faut)  [que  fe  dois]  me  soumettre. 

"  (j'ai). 

"  (j'ai  besoin  de  tant  d'esprit  pour  entendre  vos  preuves...  vous  me  prouvez 
cela  si  subtilement  que  mon  esprit...  il  me  faut...  des  preuves  si  mot  illisible 
subtiles  deux  mois  illisibles  ne  me  persuadent  pas). 

'"  (jusques  là  raisonnez  plus  simplement). 

"  M,  mesurez  vos  raisonemens  à  la  capacité  d'un  pauvre  d'esprit;  ou  je  ne 
reconnois  plus  en  vous  le  vrai  disciple  de  vôtre  maître,  et  ce  n'est  point  vous 
qu'il  a  chargé  du  soin  de  ma  conversion.  — I.  (ou  laissez-moi  :  je  suis  trop  grossier 
pour  entendre  vos  subterfuges,  et  trop  sensé  pour  me  soumettre  avant  que  vous 
m'ayez  prouvé  que  je  le  dois)  [mesurez  vos  raisonemens...  et  ce  n'est  pas  sa 
doctrine  que  vous  m'annoncez]. 

'*  («  mais  »  car  je  ne  saurois  me  soumettre  que  vous  ne  m'ayez). 

'^  (prouvez  que  je  le  dois). 

-"  [(car  tous?)  vos  subterfuges]. 


EDITION    ORIGINALE  339 

Divinité  ;  non-seulement  elle  doit  nous  éclaircir  les  idées  confuses  que 
le  raisonnement  en  trace  dans  notre  esprit;  mais  elle  doit  aussi  nous 
proposer  un  culte,  une  morale,  &  des  maximes  convenables  aux  attributs 
par  lesquels  seuls  nous  concevons  son  essence  ^  Si  donc  elle  ne  nous 
apprenoit  que  des  choses  absurdes  &  sans  raison,  si  elle  ne  nous  inspiroit 
que  des  scntimens  d'aversion  pour  nos  semblables  &  de  |  frayeur  pour  [149] 
nous-mêmes,  si  elle  ne  nous  peii^noit  qu'un  Dieu  colère,  jaloux,  vendeur, 
partial,  haïssant  les  hommes,  un  Dieu  de  la  guerre  &  des  combats  ^  tou- 
jours prêt  à  détruire  &  foudroyer,  toujours  parlant  de  tourmens,  de  peines, 
&  se  vantant  de  punir  même  les  innocens,  mon  cœur  ne  seroit  point 
attiré  vers  ce  Dieu  terrible,  &  je  me  garderois  de  quitter  la  religion 
naturelle  pour  embrasser  celle-là;   car  vous   voyez   bien    qu'il  faudroit 


d'un  pauvre  d'esprit,  ou  je  ne  reconnois  plus  en  vous  le  vrai  disciple  de  votre 
maître,  &  ce  n'est  pas  sa  doctrine  que  vous  m'annoncez. 


'  Comparez  cette  métliode  de  critique  intrinsèque  avec  celle  de  Chubb  dans  sa 
Question  préliminaire  touchant  la  Religion  [i36],  1 17-119.  Chez  lui,  comme  chez 
Rousseau,  c'est  le  principe  de  la  convenance  morale  qui  est  le  critérium  décisif: 
«  Je  suppose  qu'un  homme  vienne  à  moi  et  qu'il  se  dise  envoyé  de  Dieu,  que  cet 
homme  me  déclare  que   c'est   la  volonté  de   Dieu  que  j'aime  mon  prochain  comme 

moi-même et  qu'il   ajoute   qu'en    me   conformant  à  ce   qu'il   dit,   je   me   rendrai 

digne   de   la   bienveillance  divine ,  je  me  trouve  disposé  à  ajouter  foi   à  ce  qu'il 

dit  qu'il   est,   savoir   un   Envoyé  de  Dieu:  et  quand   même  je  me  tromperais  à  cet 

égard,  l'illusion   ne  me  serait  point  nuisible Je  suppose  à  présent  qu'un  homme 

vienne  à  moi,  qu'il  se  dise,  comme  l'autre,  envoyé  de  Dieu,  et  qu'il  me  déclare  que 
c'est  la  volonté  de  Dieu  que  je  tourmente  et  que  je  persécute  les  autres  hommes 
injustement,  par  exemple,  parce  qu'ils  ne  veulent  pas  convenir  avec  moi  de  certains 

points  spéculatifs que  cet  homme  ajoute  qu'en  faisant  cela  je  me  rendrai  l'objet 

de  la  faveur  divine,  j'examine  ce  qu'il  me  dit,  et  je  le  trouve  si  réellement  opposé 
à  la  nature  des  choses  que  je  conclus  avec  raison  qu'il  n'est  pas  envové  de  Dieu 
et  par  conséquent  que  cet  homme  est  lui-même  dans  l'illusion  ou  bien  que  c'est 
un   imposteur  ». 

'  Ce  titre  biblique  avait  déjà  été  critiqué  par  Tyssot  de  Patot  [m],  221-222  :  La 
preuve,  disait  Massé  au  Roi,  que  Dieu  autorise  les  guerres  justes,  «  qu'il  y  prend 
plaisir,  c'est  qu'il  s'appelle  le  Dieu  des  armées.  —  O  ciel,  interrompit  le   Roi,  que 

dites-vous   là! Vous   êtes   heureux   de   n'avoir   pas   proféré  ces   paroles-là   devant 

quelqu'un  de  nos  juges...,  puisque,  selon  nos  principes,  vous  ne  sauriez  avoir  exprimé 
un  plus  énorme  blasphème...  Je  trouve  cela  extraordinaire  qu'un  Dieu,  qui,  selon 
vous,  défend  de  répandre  le  sang  d'un  seul  particulier,  autorise  une  boucherie 
générale  entre  des  nations  entières  ».  A  première  vue,  cette  violence  agressive  à 
l'égard  du  Dieu  de  la  Bible  parait  mal  s'accorder  avec  l'espèce  de  sympathie  que 
Rousseau  témoignera  plus  loin  au  judaïsme,  pp.  i65-i66;  mais,  cf.  la  note  que  j'ai  mise 
à   cet   endroit. 


340  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

Si  donc  elle  '  ne  nous  -' imprimoit  ^que  des  sentimens  ^  de  haine 
pour  5  les  autres  hommes  et  de  "^  terreur  pour  nous  mêmes  si  elle 
'  ne  nous  peignoit  *  qu'un  Dieu  colère,  jaloux,  vengeur,  partial, 
haïssant  les  hommes  -'et  ne  parlant  jamais  que  de  (ifsupUces)  et  de 
tourment  je  ne  trouverois  pas  qu'il  y  eut  à  gagner  à  quiter  "la 
Religion  naturelle  pour  embrasser  celle-là  car  '^  il  faudroit  bien 
nécessairement  ''  o  pter.  Vôtre  Dieu  n'est  pas  le  nôtre  dirois-je 
fi*à  ses]  sectateurs,  celui  qui  (''se  choisit)  un  seul  peuple  et 
18  proscrit  tout  le  *'  reste  du  genre  humain  n'est  pas  le  père 
commun  des  hommes.  Celui,  qui  destine  '*  aux  tonrmens  éternels 
f°  169  ""  le  plus  grand  nombre  de  ses  créatures  ||  n'est  pas  le  Dieu  (i»  bien- 
faisant) que  ma  raison  m'a  montré. 


'  B.  [ne  nous  apprenoit  que  des  choses  absurdes  et  sans  raison  si  elle].  — 
M.  nous  apprenoit  des  choses  absurdes  et  contradictoires  ;  si  elle  nous. 

-  B.  inspiroit. 

^  M.  <  que  >. 

*  B.  (de  haine)  [d'aversion]. 

■■'  B.  (les  autres  hommes)  [nos  semblables].  — I.  (notre)  [nos]  semblables. 

"  B.  frayeur. 
■  M.  <  ne  >. 

'  M.  <  qu'  >. 

"  B.  un  Dieu  de  la  guerre  et  des  (armées)  [combats],  toujours  prêt  à 
(combattre)  [détruire]  et  foudroyer  (les  hommes),  toujours  parlant  de  (peines  et) 
de  tourmens  [et  de  peines],  (et  punissant)  [et  se  vantant  de]  punir  [même] 
les  innocens  (mêmes),  mon  cœur  ne  seroit  point  attiré  vers  ce  Dieu  terrible,  et  je 
(ne  trouverois  pas  qu'il  y  eut  à  gagner)  [me  garderois]  de  quiter  la  Religion 
naturelle  pour.  —  M.  toujours  parlant  de  tourmens,  de  supplices  et  se  vantant.  — 
I.  Dieu  de  la  guerre  et  des  (armées)  [combats]  toujours  prêt  à  (combattre)  [dé- 
truire] et  foudroyer,  toujours  parlant  de  tourmens,  de  (supplices)  [peines]  et 
se  vantant. 

'"  [peines]. 

"  M.  ma  religion  naturelle. 

'-  B.  [vous  voyez  bien  qu']il  faudroit  nécessairement. 

"  obter  (sic).  —  B.  o(b)ter  o[p]ter. 

"  (au,\). 

"  [commence  par  se]  choisi[r]. 

'*  B.  proscrire. 

"  B.  [reste  du]  genre  humain. 

'"  B.  au  supplice  éternel.  —  M.  aux  tourmens  éternels. 

'"  [clément  et  bon]. 


ÉDITION    ORIGINALE  34 1 

nécessairement  opter.  Votre  Dieu  n'est  pas  le  nôtre,  dir  ois-je  (^)  à  ses 
sectateurs.  Celui  qui  commence  par  se  choisir  un  seul  peuple  &  proscrire 
le  reste  du  genre  humain,  n'est  pas  le  père  commun  des  hommes;  celui 
qui  destine  au  supplice  éternel  le  plus  grand  nombre  de  ses  créatures, 
n'est  pas  le  Dieu  clément  &  bon  que  ma  raison  m'a  montré  'K 


(a)  Le  texte  original  porte  :  dirai-je  ;  mais  la  correction  est 
déjà  faite  dans  le  tableau  des  «  Fautes  à  corriger  yy  placé  à  la 
fin  du  T.  IV  ;  C,  D  :  dirois-je. 


'  Voltaire  [242],  278  :  «  Très  bon  ».  Et,  en  effet,  il  avait  dit  la  même  chose  dans 
VÈpltre  à  Uranie  [iBg],  363-364  : 

Les  Prêtres  de  ce  temple,  avec  un  ton  sévère. 
M'offrent  d'abord  un  dieu  que  je  devrais  haïr. 
Un  dieu  qui  nous  forma  pour  être  misérables. 
Qui  nous  donna  des  cœurs  coupables. 
Pour  avoir  droit  de  nous  punir. 


On  te  fait  un  tyran,  je  cherche  en  toi  mon  père  : 

Je  ne  suis  point  chrétien,  mais  c'est  pour  l'aimer  mieux. 

Cf.  encore  Toussaint,  Les  Mœurs,  I,  1  [184].  8-9  :  «  Et  Dieu  pourrait  ne  pas  aimer 
les  hommes  !  Dans  quels  esprits  un  pareil  soupçon  peut-il  naître,  si  ce  n'est  dans 
ceux  qui  font  de  Dieu  un  Être  capricieu.\  et  barbare,  qui,  avant  qu'ils  soient  nés, 
les  destine  à  l'enfer,  s'en  réservant  un  tout  au  plus  sur  chaque  million,  qui  n'a 
pas  plus  mérité  sa  prédilection  que  les  autres  n'ont  mérité  leur  perte  »  ! 


342  REDACTIONS    MANUSCRITES 


3.  La  raison  et  la  foi. 


A  l'égard  des  dogmes  («  Ma  rai»  son  me  dit  qu'Jils  doivent 
être  clairs,  lumineux  [frapans  par  leur  é\'idence].  Si  la  Religion 
naturelle  est  insuffisante  c'est  par  l'obscurité  qu'elle  laisse  dans 
les  grandes  vérités  -  qu'elle  nous  enseigne,  c'est  à  la  ré\élation 
de  nous  ==  expliquer  ces  vérités  d'une  manière  sensible  à  *  l'homme 
[de  les  mettre  à  [^sai  portée  de  "les  [lui]  faire  concevoir  afin  qu'il 
les  crove].  ('  La  meilleure  manière  d'assurer  vôtre  îoi,  c'est  de 
l'éclairei).  La  meilleure  de  toutes  les  religions  est  infailliblement 
la  plus  C*  raisonnable) .  Celui  qui  ^  vient  charger  de  mistéres,  de 
contradictions  «  d'absurdités  le  culte  qu'il  me  prêche  m'apprend 
par  "  la  même  à  m'en  défier.  '-  Le  Dieu  que  j'adore  n'est  point 
un  Dieu  de  ténèbres,  il  ne  m"a  point  doué  '^  d'intelligence  pour  me 
défendre  de  m'en  servir.  Celui  qui  vient  me  dire  soumets  ta  raison 


'  B.  (la  raison)  [elle  me]  dit. 

-  [(dont)]. 

'  B.  enseigner. 

*  B.  l'esprit  de  l'homme. 

■'  (nôtre). 

'^  (nous). 

'  [La  foi  s'assure  et  s'aflermit  par  l'entendement]. 

"  [claire]. 

"  B.  charge  de  mistéres. 

'"  B.  (de  ténèbres)  [(la  religion)]  «  le  culte  ». 

"  M.  cela-même. 

'-  (celui...  me  dit  de  sou  mettre). 

"  B.  d'un  entendement  pour  m'en  interdire  l'usage;  me  dire  (soumets) 
[au  crayon,  repassé  à  l'encre  :  de  soumetre]  ta  raison  c'est  (blasphémer  contre 
!')  [outrager  son]  auteur  (jles  trois  mots  suivants  barrés  au  crayon  :  de  ma 
raison)  ;  il  n'appartient  qu'au(.\)  ministre(s)  du  rnensonge  de  parler  ainsi  :  le  Dieu 
de  vérité  ne  me  dit  point  (de  soumettre  ma)  [soumets  ta]  raison).  [(Celui)  [le 
ministre]  de  la  vérité  ne  («  me  »  dit  point  ...  au  lieu  de  me  dire  soumets  la 
raison,  le  mi  nistre)  [tirannise  point  ma]  raison  ;  il  l'éclairé].  —  I.  le  ministre  de 
la  vérité  ne  (dit)  [tirannise]  point  (soumets  ta)  [ma]  raison. 


ÉDITION   ORIGINALE  343 


3.  La  raison  et  la  foi. 


A  l'égard  des  dogmes,  elle  me  dit  |  qu'ils  doivent  être  clairs,  lumi-  [150] 
neux.  t'rappans  par  leur  évidence  '.  Si  la  religion  naturelle  est  insuffisante, 
c'est  par  l'obscurité  qu'elle  laisse  dans  les  grandes  vérités  qu'elle  nous 
enseigne  :  c'est  à  la  révélation  de  nous  enseigner  ces  vérités  d'une 
manière  sensible  à  l'esprit  de  l'homme,  de  les  mettre  à  sa  portée,  de 
les  lui  faire  concevoir  afin  qu'il  les  croye  -.  La  foi  s'assure  &  s'affermit 
par  l'entendement:  la  meilleure  de  toutes  les  religions  est  infailliblement 
la   plus  claire  ^  :   celui   qui   charge  de  misteres  {^),  de  contradictions,  le 


(■■1  C,  D  :  mystères. 

'  Tels  sont  ceux  de  la  «  reliyion  civile»:  cf.  Contrat  social,  III.  38K  :  «  Les 
dogmes  de  la  religion  civile  doivent  être  simples,  en  petit  nombre,  énoncés  avec 
précision,  sans  explications  ni  commentaires.  L'existence  de  la  Divinité  puissante, 
intelligente,  bienfaisante,  prévoyante  et  pourvoyante,  la  vie  à  venir,  le  bonheur 
des  justes,  le  châtiment  des  méchants,  la  sainteté  du  contrat  social  et  des  lois; 
voilà  les  dogmes  positifs  ».  Marie  Huber  avait  dit  de  même,  Religion  essentielle  [i5i], 
«  Lettre  aux  éditeurs  »  [non  paginée]  :  «  La  Religion  essentielle  à  l'homme  doit 
être  simple,  évidente,  exempte  de  toute  contradiction  »;  et  I,  ig,  note  :  «  La  Religion 
essentielle  à  l'homme  doit  être  fondée  sur  des  vérités  non  équivoques,  sur  des 
vérités  d'une  nature  si  simple  et  si  évidente  que  tous  les  hommes  soient  obligés 
d'y  acquiescer  unanimement  ».  Cf.  encore  le  sermon  du  Docteur  Sharp,  archevêque 
d'York,  cité  par  Clarke,  Existence  de  Dieu,  II,  17  [i25j,  III,  122-123  :  «Vous  ne 
trouverez  dans  la  Religion  chrétienne  aucun  dogme  qui  tende  à  flatter  la  vaine 
curiosité  de  l'homme,  et  à  l'amuser  par  des  spéculations  subtiles  et  mfructueuses. 
Vous  trouverez  encore  moins  que  les  articles  de  foi  qu'elle  propose  aient  pour 
but  de  donner  de  l'exercice  à  notre  crédulité...  Ses  dogmes  sont  clairs  et  simples, 
et  tout-à-fait  dignes  d'être  crus  à  cause  de  la  conformité  qu'ils  ont  avec  les  facultés 
raisonnables  de  l'homme  ». 

^  Pour  Rousseau,  comme  pour  .Marie  Huber,  Religion  essentielle  [i5i],  V,  .S8, 
«  la  Religion  naturelle  et  la  Religion  révélée  »  doivent  se  «  réunir  ou  se  réduire 
à  une  seule  et  même  religion  »,  la  Révélation  n'étant  que  la  forme  plus  populaire 
et  plus  sensible  de  la  Religion  naturelle.  C'est  ce  que  dit  explicitement  Marie  Huber, 
Id.,  V.  68  :  «  La  Révélation  écrite  ne  sera  donc  que  la  Religion  naturelle  exprimée 
ou  retracée  extérieurement  et  sensiblement  ».  «  Le  vrai  Christianisme,  écrira  encore 
Rousseau  quelques  mois  après  l'apparition  d'Emile,  n'est  que  la  Religion  naturelle 
mieux   expliquée  »    (Lettre  à   M.    Petitpierre,   de    1763.   XI,   34I. 

'  II  avait  d'abord  écrit  «  la  plus  raisonnable  »;  et  les  deux  épithètes  se  commen- 
tent l'une  par  l'autre  :  elles  expriment  de  la  façon  la  plus  consciente  l'idéal  des  déistes  du 


344  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 

blasphème  contre  l'auteur  de  ma  raison.  '  C'est  aux  ministres  du 
mensonge  qu'il  convient  de  parler  ainsi.  Dieu  ne  me  dit  point  de 
soumettre  ma  raison  il  l'éclairé. 


Nous  avons  mis  à  part  toute  autorité  humaine  et  sans  elle  ^  il 
m'est  impossible  de  voir  comment  un  homme  en  peut  jamais 
convaincre  un  autre  en  lui  prêchant  une  doctrine  déraisonnable. 
Mettons  un  moment  ces  deux  hommes  au.\  prises  et  cherchons  ce 
qu'ils  (^  se  diront). 


'  (Celui  qui  me  l"a  donnée...  Celui  qui  me  parle  ainsi). 

-  M.  je  ne  saurois  voir. 

'  [pourront  dire].  — M.  pourront  se  dire  dans  (leur  langue)  cette  àpreté  de 
langage  ordinaire  aux  deux  partis  (dans  la  dispute). — •  I.  dans  (la  dureté  du) 
[cette  àpreté  de]  langage. 


ÉDITION    ORIGINALE  345 

culte  qu'il  me  prêche,  m'apprend  par  cela  même  à  m'en  défier.  Le  Dieu 
que  j'adore  n'est  point  un  Dieu  de  ténèbres,  il  ne  m'a  point  doué  d'un 
entendement  pour  m'en  interdire  l'usage;  me  dire  de  soumettre  ma 
raison,  c'est  outrager  son  auteur.  Le  ministre  de  la  vérité  ne  tirannise  (") 
point  ma  raison  ;  il  l'éclairé  *. 

I  Nous  avons  mis  à  part  toute  autorité  humaine,  &  sans  elle  je  ne        [151j 
saurois  voir  comment  un   homme  en   peut  convaincre  un  autre  en  lui 
prêchant   une   doctrine   déraisonnable.    Mettons    un    moment    ces    deux 
hommes  aux   prises,  &  cherchons  ce  qu'ils  pourront  se  dire  dans  cette 
âpreté  de  langage  ordinaire  aux  deux  partis  '. 

CM  C,  D  :  tyraiitiise. 

XVllI'  siècle.  Ce  n'est  plus  même  le  «Christianisme  raisonnable»  de  Locke  ici",  l'ou- 
vrage de  Locke  qui  a  été  traduit  sous  ce  titre  [99J1,  c'est  une  religion  élémentaire 
et  clarifiée,  débarrassée  de  toute  contradiction  et  réduite  à  quelques  affirmations  très 
simples.  «  En  matière  de  croyance  et  de  foi,  écrit  Aaron  à  Isaac  dans  les  Lettres 
Juives,  XXIX  [i5o],  I,  3 10,  plus  celle  que  nous  professons  est  simple,  plus  elle 
me  parait  louable  ».  Cf.  encore  le  texte  de  l'Examen  de  la  Religion  que  j'ai  cité  à 
la  note  4  de  la  p.  i  Sg.  —  11  est  curieu.x  de  voir  Rousseau,  qui  tout  à  l'heure  défendait 
«  l'instinct  »  contre  «  la  philosophie  moderne  »,  et  qui  admettait  l'existence  de 
«  facultés  obscures  ».  irrationnelles,  avoir  maintenant  des  exigences  intellectuelles 
si  intraitables.  Il  est  difficile  de  combattre  plus  àprement  la  «  philosophie  »  de 
son   siècle,   et  d'en  subir  davantage  l'influence. 

*  Nouveau  sursaut  d'intransigeance  rationaliste,  auquel  n'avaient  guère  préparé 
les  déclarations  de  la  Première  Partie  :  cf.,  plus  haut,  pp.  91,  96,  114  et  139.  —  Pour 
le  fond,  comparez  avec  Abauzit,  Des  mystères  de  la  Religion  [5o],  I,  43  :  «  Si  l'on 
entend  par  mystère  des  dogmes  incompréhensibles,  il  n'y  a  point  de  mystères  de  cet 
ordre  dans  la  Révélation.  H  y  a  même  contradiction  à  dire  qu'un  dogme  est  révélé,  et 
qu'il  est  incompréhensible.  Dire  que  Dieu  nous  révèle  des  dogmes  incompréhensibles, 
c'est  dire  qu'il  nous  donne  des  idées  de  choses  dont  nous  ne  pouvons  avoir  aucune 
idée,  et  dont  il  ne  nous  donne  réellement  aucune  idée  :  cela  est  absolument  impossible  ». 
Pour  l'ensemble  du  développement,  cf.  surtout  Fréret,  Lettre  de  Thrasybule  [189], 
237-238  :  «  Cette  Révélation  doit  porter  avec  elle  des  caractères  qui  fassent  reconnaître 
son  origine  :  r  les  vérités  qu'elle  enseigne  doivent  être  telles  que  les  forces  naturelles 
de  l'esprit  humain  ne  puissent  nous  y  conduire,  car  si  elles  le  pouvaient,  il  serait 
inutile  de  recourir  à  cette  voie  extraordinaire;  2'  elles  doivent  se  trouver  conformes 
aux  autres  vérités  les  plus  communes  et  faire  sentir  leur  force  à  l'esprit  dès  qu'elles 
lui  sont  présentées,  au  moins  de  la  même  manière  que  les  vérités  les  plus  abstraites 
le  sont  aux  esprits  attentifs  ;  3°  elles  doivent  frapper  sensiblement  tous  les  hommes 
auxquels  elles  sont  annoncées  et  faire  une  impression  unanime  sur  tous  les  esprits; 
4'  les  visions,  les  fables,  les  mensonges  ne  doivent  point  porter  les  mêmes  traits 
que  ces   vérités  ». 

'  «  Le  dialogue,  dit  D'AIembert  dans  son  Jugement  sur  Emile  [52],  IV,  417, 
n'est  pas  le  talent  de  l'auteur  ;  des  quatre  qu'il  y  a  dans  son  livre,  celui  du  Jardinier 
est  fort  au-dessous  de  ce  que  le  sujet  fournissait;  celui  du  Gouverneur  et  de  l'Enfant 
très  mauvais;  celui  de  la  Bonne  et  de  la  Petite,  médiocre;  celui-même  de  VInspiré  et 
du  Raisonneur,  moins  bien  qu'il  n'aurait  pu  être  ».  Il  v  a,  en  effet,  quatre  dialogues 
dans  Emile:  cf.   II,   67,    i52-i53.   35o-352.  .Si  D'AIembert  ne  cache  pas  sa  préférence 


346  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

Le  ('  missionnaire). 

-  Dieu  vous  apprend  par  la  raison  qu'il  vous  a  donnée  que  le 

tout  est  plus  grand  que  sa  partie;  mais  moi  ^  je  \ous  apprends  de 
la  part  de  Dieu  que  c'est  la  partie  qui  est  plus  grande  que  le  tout. 

Le  ^  théiste. 

Et  qui  estes-vous  pour  ^m'oser  dire  que  Dieu  se  contredit,  et 
à  qui  croirai-je  par  préférence  ''de  vous  qui  m'annoncez  de  sa  part 
une  absurdité  '  ou  de  lui  même  qui  *  m'instruit  du  contraire? 

Le   (■'  missionnaire). 

A  moi,  car  i"  je  vais  vous  prouver  invinciblement  que  c'est 
lui  qui  m'envoye  '^ 

Le  (i-^Theïste). 

Comment  !  vous  me  prou\'erez  que  c'est  Dieu  qui  vous  envoyé 
déposer  contre  lui  ?  '^  Et  de  que!  genre  seront  vos  preuves  pour 
me  convaincre  qu'il  est  plus  certain  que  Dieu  me  parle  par  vôtre 
bouche  que  par  l'entendement  qu'il  ("  vous)  a  donné  ? 


[Prophète].  —  B.  (L'Apôlre)  [L'inspiré] . 

-  M.  (Dieu  vous  apprend  par)  la  raison  {qu'il  a...  vous  a  donnée)  [vous 
apprend]  que  le  tout. — I.  (Dieu)  [la  raison]  vous  apprend  (par  la  raison  qu'il 
vous  a  donnée)  que  le  tout. 

■'  I.  (l'envoyé  de  Dieu)  je  vous  apprends  de  (sa)  [la]  part  [de  Dieu]  que. 

■*  [homme].  —  B.  (L'homme)  [Le  raisoneur]. 

^  I.  (m'apprendre)  [m'oser  dire]. 

'■  M.  de  lui  qui  m'apprend  par  la  raison  des  vérités  éternelles  ou  de  vous 
qui.  — I.  [de  lui  qui  m'apprend  par  la  raison  les  vérités  éternelles  ou]  de  vous. 

'  M.  <  ou  de  lui-même  qui  m'instruit  du  contraire  >.  — I.  (ou  de  lui-même 
qui  m'apprend  le  contraire?). 

"  B.  m'apprend  le  contraire? 

"  [Prophète].  —  B.  (L'Apôtre)  [L'inspiré]. 

'"  B.  [mon  instruction  est  plus  positive,  et]  je  vois.  —  M.  A  moi  ;  car  je  vais. 

"  M.  exprès  pour  vous  instruire. 

'-'  [l'homme].  —  B.  (L'homme).  [Le  raisoneur]. 

»'  B.  [Et]. 

"  [m']. 


EDITION    ORIGINALE  347 

L'Inspiré  -. 
»  La  raison   vous  apprend  que  le  tout  est  plus  j^rand  que  sa  partie  ; 


pour  le  dialogue  de  ['Inspiré  et  du  Raisonneur,  c'est  que  celui-ci,  par  son  contenu  et 
par  son  ton,  est  tout-à-fait  dans  la  tradition  «  philosophique  »  du  XVIII'  siècle.  Le 
dialogue  oflrait  au  «  philosophe  ■»  un  moyen  commode  de  faire  passer  ses  idées,  sans 
se  compromettre  lui-même  directement.  La  Hontan  et  Tyssot  de  Patot,  par  exemple, 
dans  leurs  pseudo-récits  de  voyage  [104.  io5  et  111]  s'étaient  souvent  mis  en  scène 
avec  de  soi-disant  interlocuteurs  exotiques,  laissant  le  soin  au  lecteur  averti  de  tirer  la 
conclusion  naturelle  qui  se  dégageait  des  deux  thèses  en  présence;  sans  parler  des 
autres  œuvres  que  Diderot  gardait  encore  en  portefeuille,  ses  Pensées  philosophiques 
contenaient  déjà  des  parties  dialoguées;  mais  c'était  surtout  Voltaire  qui,  dans  ses 
Lettres  philosophiques,  dans  ses  premiers  Contes,  et  même  dans  quelques  Dialogues 
proprement  dits,  comme  le  Dialogue  entre  un  Brachmane  et  un  Jésuite  117561  et  les 
Dialogues  chrétiens  (17601  ji^.  \\\\ ,  53-56  et  129-139,  avait  su  donner  le  modèle  du 
genre  et  faire  rendre  au  procédé  le  maximum  d'effet.  (On  se  rappellera  que  dans  une 
Lettre  du  4  Novembre  1760  [264 '"«J,  2o3,  Jacob  Vernet  avait  signalé  à  Rousseau 
l'apparition  des  Dialogues  chrétiens).  Le  dialogue  de  Kousseau  est  un  pastiche 
de  Voltaire,  où  il  entre  plus  d'  «  âpreté  »,  de  grosse  ironie,  moins  de  malice 
et  de  talent.  —  L'archevêque  de  Paris  ayant  reproché  à  Rousseau  d'avoir  voulu 
représenter  le  vrai  chrétien  sous  le  nom  de  «  l'inspiré  »,  et  de  ne  lui  avoir  «  prêté  que 
des  discours  pleins  d'ineptie  »  tc(.  Mandement,  III,  54i,  Rousseau  s'en  défendit  dans 
sa  Lettre.  111.  109,  avec  plus  de  vivacité  que  de  justesse  :  <  Pour  montrer,  dit-il.  qu'on 
ne  peut  s'autoriser  d'une  mission  divine  pour  débiter  des  absurdités,  le  Vicaire  met 
aux  prises  un  inspiré,  qu'il  vous  plait  d'appeler  chrétien,  et  un  raisonneur  qu'il  vous 
plait  d'appeler  incrédule,  et  il  les  fait  disputer  chacun  dans  leur  langage,  qu'il  désap- 
prouve, et  qui,  très  sûrement,  n'est  ni  le  sien  ni  le  mien.  Là-dessus,  vous  me  taxez 
d'une  insigne  mauvaise  foi,  et  vous  prouvez  cela  par  l'ineptie  des  discours  du  premier. 
.Mais,  si  ces  discours  sont  ineptes,  à  quoi  donc  le  reconnaissez-vous  pour  chrétien  ?  et. 
si  le  raisonneur  ne  réfute  que  des  inepties,  quel  droit  avez-vous  de  le  taxer  d'incré- 
dulité? S'ensuit-il  des  inepties  que  débite  un  inspiré  que  ce  soit  un  catholique,  et  de 
celles  que  réfute  un  raisonneur  que  ce  soit  un  mécréant?  Vous  auriez  bien  pu, 
.Monseigneur,  vous  dispenser  de  vous  reconnaître  à  un  langage  si  plein  de  bile  et  de 
déraison;  car  vous  n'aviez  pas  encore  donné  votre  mandement  ».  11  est  certain  que, 
dans  ce  dialogue,  Rousseau  a  essayé  de  dessiner  deux  caricatures.  La  façon  dont  il 
introduit  ses  interlocuteurs  :  «  dans  cette  âpreté  de  langage  ordinaire  aux  deux 
partis  »,  les  noms  qu'il  leur  a  donnés,  semblent,  en  effet,  le  justifier.  .Mais  déjà,  dans 
le  choix  même  de  ces  noms,  les  .Manuscrits  nous  montrent  des  hésitations  intéres- 
santes :  et,  derrière  ces  hésitations,  la  véritable  pensée  de  Rousseau  se  trahit  icf.  la 
note  suivantel.  Au  reste,  le  texte  imprimé  suffit  :  on  ne  peut  nier  que  Rousseau  n'y 
penche  plutôt  du  côté  du  «  Raisonneur  »  :  non  seulement  le  «  Raisonneur  »  semble 
toujours  avoir  «  raison  »,  mais  c'est  lui  qui  clôture  le  dialogue,  et  ce  sont  ses 
arguments  qui  servent  de  point  de  départ  pour  la  reprise  personnelle  de  la  discussion. 
Visiblement  Rousse,i*u  prend  plaisir  à  le  faire  parler.  D'ailleurs,  dans  toute  cette 
Seconde  Partie,  jusqu'à  ce  qu'il  s'arrête  enfin  à  l'Évangile  même,  Rousseau  joue  bien 
pour  son  compte  le  rôle  du  «  Raisonneur  ».  Il  y  a  chez  lui  comme  une  griserie  de 
«  raison  »,  d'autant  plus  violente  qu'il  s'est  plus  longtemps  abstenu  de  la  «  raison  ». 
'  Les  premiers  noms  donnés  aux  interlocuteurs  (cf.  le  texte  de  F  et  de  B|, 
méritent  d'être  relevés.   L'Inspiré  s'est  d'abord  appelé  le  Missionnaire,  le  Prophète, 


348  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

Le  ('  missionnaire.) 

[L'entendement]  qu'il  vous  a  donné!  ^  Quel  orgueil!  Homme 
petit  et  vain,  comme  si  vous  étiez  le  premier  impie  qui  s'égare 
dans  3  sa  raison  corrompue  par  le  péché. 

*  Le  theïste. 

Homme  de  Dieu.  Vous  ne  seriez  pas  non  plus  le  premier 
fourbe  qui  donne  son  arrogance  pour  preuve  de  sa  mission. 

^  Le  missionnaire. 
(•5  Point  d) 'injures,  s'il  vous  plait. 

'  Le  theïste. 
(*  Ne  donnez  donc  pas)  l'exemple. 

^  Le  missionnaire. 

Oh  moi,  j'ai  le  droit  d'en  dire,  je  parle  de  la  part  de  Dieu. 

i°  170  J""  ip«  Le  theïste. 

11  seroit  bon  de  montrer  vos  titres  avant  i'  d'user  de  vos 
privilèges. 

'   [Prophète].  — B.  i  L'Apôtre)  [L'inspiré]. 

-  B.  (Quel  orgueil  !). 

'  B.  (la)  [sa]. 

*  B.  (L'homme)  [Le  raisonneur  x/'c]. 

■'  B.  L".\pôtre.  — M.  L'inspiré. 

'■■  [[Pourquoi  (me  dites-vous)]  [les  Philosophes  disent  ils]  des  (Un  philo- 
sophe dira-t-il  des...  pourquoi)  philosophe  [(impie...  orgueilleux...  emporté)] 
laisse  là  tes  injures].  —  B.  Quoi  1  les  Philosophes  disent  aussi  des  injures  ? 

'  B.  L'homme.  —  M.  Le  raisonneur. 

"  [(je  n'en  dis  qu'à  vôtre)  Non  quand  les  saints  n'en  donnent  pas...  Prophète  ? 
pourquoi  m'en  donnez-(vous)  [tu]  l'e.xemple.  (Un  saint...  Pourquoi  m')  en  donner 
l'exemple...  humble  dévot  ne  donne  [(donc)]  pas  l'exemple].  — B.  Quelquefois  : 
Quand  les  saints  leur  en  donnent  l'exemple. 

■'  B.  L'Apôtre.  —  M.  L'inspiré. 

'"  B.  L'homme.  —  M.  Le  raisonneur. 

"  I.  avant  (que)  d'user. 


EDITION    ORIGINALE  349 

»  mais  moi,  je  vous  apprends  de  la  part  de   Dieu,  que  c'est  la   partie 
»  qui  est  plus  grande  que  le  tout. 


Le  Raisonneur . 

»  Et  qui  êtes-vous,  pour  m'oser  dire  que  Dieu  se  contredit;  &  à 
»  qui  ^  croirai-je  par  préférence  ^,  de  lui  qui  m'apprend  par  la  raison 
»  les  vérités  éternelles,  ou  de  vous  qui  m'annoncez  de  sa  part  une 
»  absurdité  '"  ? 


VApôtre,  c'est-à-dire  qu'il  représente  le  Christianisme  authentique,  l'apostolat  évangé- 
lique.  en  quête  de  prosélytes,  .^u  contraire,  le  Raisonneur  s'est  d'abord  appelé  le 
Théiste.  l'Homme,  c'est-à-dire  l'homme  purement  homme,  l'homme  de  la  nature,  à 
qui  la  religion  naturelle  suffit.  Rousseau  a  modifié  ces  noms  pour  se  donner  une 
apparence  d'impartialité.  Après  s'être  présenté  lui-même  pour  un  champion  du 
«  théisme  »,  appeler  le  théiste  l'un  des  deux  adversaires,  eût  été  prendre  trop  vite 
parti.  Néanmoins  le  fond  de  la  pensée  de  Rousseau  ne  l'ait  aucun  doute  :  cf.  la  note 
précédente. 

•  Cf.  Féraud,  Dictionnaire  critique  [2bo],  I,  635  :  «  Le  datif  régi  par  croire 
donne  souvent  à  ce  verbe  le  sens  de  se  fier  à  ». 

*  Sur  cet  emploi  de  la  locution  adverbiale  «  par  préférence  »  sans  régime, 
cf.,  plus  haut,  p.  33  et  note  4. 

^  C'est  à  des  passages  comme  celui-ci,  qui  semble  viser  le  dogme  catholique  de 
la  transsubstantiation,  que  Rousseau  songeait  sans  doute,  quand  il  écrivait  dans  la 
111'  des  Lettres  de  la  Montagne,  111,  148,  note  :  «  Il  importe  de  remarquer  que  le  Vicaire 
pouvait  trouver  beaucoup  d'objections  comme  catholique,  qui  sont  nulles  pour  un 
protestant  ».  Rapprocher  le  passage  suivant  de  la  Lettre  à  D'.Membert,  I,  184,  qui  est 
comme  le  canevas  du  dialogue  de  la  Profession  :  «  Si  un  docteur  venait  m'ordonner 
de  la  part  de  Dieu  de  croire  que  la  partie  est  plus  grande  que  le  tout,  que  pourrais-je 
penser  en  moi-même,  sinon  que  cet  homme  vient  m'ordonner  d'être  fou?  Sans  doute 
l'orthodoxe  qui  ne  voit  nulle  absurdité  dans  les  mvstères.  est  obligé  de  les  croire  ; 
mais,  si  le  socinien  y  en  trouve,  qu'a-t-on  à  lui  dire?  Lui  prouvera-t-on  qu'il  n'v  en  a 
pas?  Il  commencera,  lui,  par  vous  prouver  que  c'est  une  absurdité  de  raisonner  sur 
ce  qu'on  ne  saurait  entendre.  Que  faire  donc?  Le  laisser  en  repos  ».  Et  Rousseau 
ajoutait  en  note  :  «  Il  faut  se  ressouvenir  que  j'ai  à  répondre  à  un  auteur  qui  n'est 
pas  protestant;  et  je  crois  lui  répondre  en  effet,  en  montrant  que  ce  qu'il  accuse  nos 
ministres  de  faire  dans  notre  Religion  s'y  ferait  inutilement,  et  se  fait  nécessairement 
dans  plusieurs  autres  sans  qu'on  y  songe.  Le  monde  intellectuel,  sans  en  excepter  la 
géométrie,  est  plein  de  vérités  incompréhensibles,  et  pourtant  incontestables,  parce 
que  la  raison  qui  les  démontre  existantes  ne  peut  les  toucher,  pour  ainsi  dire,  à 
tiavers  les  bornes  qui  l'arrêtent,  mais  seulement  les  apercevoir.  Tel  est  le  dogme  de 
l'existence  de  Dieu,  tels  sont  les  mystères  admis  dans  les  communions  protestantes. 
Les  mystères  qui  heurtent  la  raison,  pour  me  servir  des  termes  de  .M.  d'.Membert, 
sont  tout  autre  chose.  Leur  contradiction  même  les  fait  rentrer  dans  ses  bornes,  elle 
a  toutes  les  prises  imaginables  pour  sentir  qu'ils  n'existent  pas  :  car,  bien  qu'on  ne  puisse 
voir  une  chose  absurde,  rien  n'est  si  clair  que  l'absurdité.  Voilà  ce  qui  arrive  lorsqu'on 
soutient  à  la  fois  deux  propositions  contradictoires.  Si  vous  me  dites  qu'un  espace  d'un 
pouce  est  aussi   un  espace  d'un  pied,  vous  ne  dites  point  du  tout  une  chose   mvsté- 


350  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

'  Le  missionnaire. 

Mes  titres  sont  authentiques.  La  terre  et  les  |-cieu\]  dépo- 
seront pour  moi;  sui\ez  bien  mes  raisonnemens,  je  vous  prie. 

^  Le  theïste. 

\'os  raisonnemens!  Nous  n'y  pensez  pas.  M'apprendre  que  ma 
raison  me  trompe  n'est-ce  pas  réfuter  ce  qu'elle  m'aura  dit  pour 
vous.  Quiconque  *  récuse  («  ma»)  raison  doit  («  me  »)  con\aincre 
sans  se  servir  d'elle.  Car  supposons  ^  que  vous  m'avez  convaincu, 
comment  saurai-je  si  ce  n'est  point  ma  raison  corrompue  par  le 
péché  ''■qui  me  fait  acquiescer  à  ce  que  vous  me  dites.  D'ailleurs, 
quelle  preuve,  quelle  démonstration  '  pouvez  vous  jamais  em- 
ployer, plus  évidente  que  l'axiome  qu'elle  doit  détruire?  11  est  tout 
aussi  crovable  qu'un  bon  sillogisme  est  un  mensonge  qu'il  l'est 
que  la  partie  est  plus  grande  que  le  tout. 

**  Le  missionnaire. 

Quelle  ditïérence?  mes  preuves  sont  sans  réplique.  Elles  sont 
d'un  ordre  surnaturel. 

'-'  Le  theïste. 

Surnaturel  !  Que  signifie  ce  mot  ?  Je  ne  l'entends  pas. 


'  B.  L'Apôtre.  —  M.  L'inspiré. 
-  (veux). 

■'  B.  L'homme.  —  M.  Le  raisonneur. 
•*  [veut]  récuse[r  «  la  »]. 

■'  M.   (que   vous)    [qu'en]    raisonant    vous   m'avez    convaincu.    —  I.    qu'en 
raisonant]  vous  m'ayez  convaincu. 

*  B.  \Au  cravon.  repjssé  à  /'encre  :  ou  séduite  par  le  démon]  qui  me  fait. 

'  B.  pourrez. 

"  B.  |L'.'\pôtre)  [L'inspiré]. 

'■'  B.  (L'homme)  [Le  raisoneur]. 


EDITION   ORIGINALE  35 1 


I  i: Inspiré.  [152] 

»  A  moi:  car  mon  instruction  est  plus  positive,  &  je  vais  vous 
»  prouver  invinciblement  que  c'est  lui  qui  m'envove. 

Le  Raisonneur. 

»  Comment!  vous  me  prouverez  que  c'est  Dieu  qui  vous  envoyé 
»  déposer  contre  lui  ?  Et  de  quel  genre  seront  vos  preuves  pour  me 
'»  convaincre  qu'il  est  plus  certain  que  Dieu  me  parle  par  votre  bouche. 
»  que  par  l'entendement  qu'il  m'a  donné'-' 

L  Inspiré. 

»  L'entendement  qu'il  vous  a  donné!  Homme  petit  &  vain  !  comme 
»  si  vous  étiez  le  premier  impie  qui  s'égare  dans  sa  raison  corrompue 
»  par  le  péché  ! 

Le  Raisonneur. 

»  Homme  de  Dieu,  vous  ne  seriez  pas,  non  plus,  le  premier 
»  fourbe  |  qui  donne  son  arrogance  pour  preuve  de  sa  misson.  ll53] 

L'Inspiré. 
»  Quoi  !  les  Philosophes  disent  aussi  des  injures  ! 

Le  Raisonneur. 
»  Quelquefois,  quand  les  Saints  leur  en  donnent  l'exemple. 


rieuse,  obscure,  incompréhensible,  vous  dites  au  contraire  une  .ibsurdité  lumineuse  et 
p.ilpable,  une  chose  évidemment  fausse.  De  quelque  genre  que  soient  les  démons- 
trations qui  l'établissent,  elles  ne  sauraient  l'emporter  sur  celle  qui  la  détruit,  parce 
qu'elle  est  tirée  immédiatement  des  notions  primitives  qui  servent  de  base  à  toute 
certitude  humaine.  .Autrement,  la  raison,  déposant  contre  elle-même,  nous  forcerait  à 
la  récuser:  et,  loin  de  nous  faire  croire  ceci  ou  cela,  elle  nous  empêcherait  de  plus 
rien  croire,  attendu  que  tout  principe  de  foi  serait  détruit.  Tout  homme,  de  quelque 
relifîion  qu'il  soit,  qui  dit  croire  à  de  pareils  mystères,  en  impose  donc,  ou  ne  sait  ce 
qu'il  dit  ». 


352  REDACTIONS    MANUSCRITES 

'  Le  missionnaire. 

Des  *changemens  dans  l'ordre  de  la  nature,  des  prophéties, 
des  miracles,  des  prodiges  de  toute  espèce. 

^  Le  theïste. 
Des  prodiges,  des  miracles!  je  n'ai  jamais  rien  vu  de  tout  cela. 

^  Le  missionnaire. 

D'autres    l'ont   vu    pour    vous.    Des   nuées  de   témoins le 

témoignage  des  peuples 

5  Le  theïste. 

Le  témoignage  des  hommes  est  il  d'un  ordre  surnaturel  ? 

*>  Le  missionnaire. 

Non,  mais  quand  il  est  unanime  il  est  incontestable. 

'  L»  theïste. 
I  ^  Oui  tant  qu'il  roule  sur  des  faits  naturellement  possibles.  Mais 


'  B.  L'Apôtre.  —  M.  L'inspiré. 

-  M.  choses  contre  l'ordre  de  la  nature. 

■'  B.  L'homme.  —  M.  Le  raisonneur. 

*  B.  L'Apôtre.  —  M.  L'inspiré. 

^  B.  L'hornme.  —  M.  Le  raisonneur. 

''■  B.  L'Apôtre.  —  M.  L'inspiré. 

'  B.  L'homme.  —  M.  Le  raisonneur. 

'  B.  <  Oui  tant  qu'il...  ma  première  objection  >.  Il  n'y  a  rien  de  plus 
incontestable  que  les  principes  de  la  raison,  et  l'on  ne  peut  autoriser  une  absurdité 
sur  le  témoignage  des  hommes.  Encore  une  fois,  voyons  des  preuves  surnatu- 
relles :  car  l'attestation  du  genre  humain  n'en  est  pas  une.  —  M.  une  absurdité 
par  le  témoignage. 

•f  Ici,  en  marge,  toute  une  série  de  notations  fragmentaires,  dont 
l'essentiel  a  été  utilisé  en  B.  ;  (de)  [a]  la  raison  plus  qu'à  tout  le  genre 
humain...  (vous  me  trompez  car  vous  m'avez  promis)  [encore  une  fois 
voyons]...  (Vous?)  ...  des  preuves  surnaturelles  (et  vous  ne  m'en  donnez 


ÉDITION   ORIGINALE  353 

L'Inspiré. 

»  Oh  !  moi  j'ai  le  droit  d"en  dire  :  je  parle  de  la  part  de  Dieu. 

Le  Raisonneur. 
»  Il  seroit  bon  de  montrer  vos  titres  avant  d'user  de  vos  privilèges. 

LInspiré. 

»  Mes  titres  sont  authentiques.  La  terre  et  les  cieux  déposeront  pour 
■»  moi.  Suivez  bien  mes  raisonnemens,  je  vous  prie. 

Le  Raisonneur. 

»  Vos  raisonnemens  !  vous  n'y  pensez  pas.  M'apprendre  que  ma 
•»  raison  me  trompe,  n'est-ce  pas  réfuter  |  ce  qu'elle  m'aura  dit  pour  [154] 
»  vous?  Quiconque  veut  récuser  la  raison,  doit  convaincre  sans  se  servir 
»  d'elle.  Car,  supposons  qu'en  raisonnant  vous  m'ayez  convaincu; 
»  comment  saurai-je  si  ce  n'est  point  ma  raison  corrompue  par  le  péché 
»  qui  me  fait  acquiescer  à  ce  que  vous  me  dites?  D'ailleurs,  quelle 
»  preuve,  quelle  démonstration  pourrez-vous  jamais  employer,  plus 
»  évidente  que  l'axiome  qu'elle  doit  détruire?  Il  est  tout  aussi  croyable 
»  qu'un  bon  syllogisme  est  un  mensonge,  qu'il  l'est,  que  la  partie  est 
»  plus  grande  que  le  tout. 

L'Inspiré. 

»  Quelle  différence!  mes  preuves  sont  sans  réplique;  elles  sont  d'un 
»  ordre  surnaturel. 

Le  Raisonneur. 
»  Surnaturel  !  Que  signifie  ce  mot?  Je  ne  l'entends  pas. 

I    L'Inspiré.  [155] 

»  Des  changemens  dans  l'ordre  de  la  Nature,  des  prophéties,  des 
»  miracles,  des  prodiges  de  toute  espèce. 

23 


354  REDACTIONS      MANUSCRITES 

pour  croire  ('  un)  miracle  °  il  ne  faut  pas  en  avoir  vu  des  témoins, 
il  faut  l'avoir  vu  soi-même.  Ou  plus  tôt  il  faut  l'avoir  fait,  car  (^  je 
*  n'admets  point)  des  preuves  (^  naturelles  d'un  '^  événement  surnaturel 
autrement  ce  seroit  ramener  ma  première  '  question). 

»  Le  missionnaire. 

O  cœur  endurci  la  grâce  ne  vous  parle  point.  •'  Mais  que  dites- 
vous  des  prophéties  ? 

»«  Le  Théiste. 

Je  dis  premièrement  que  je  n'ai  pas  plus  entendu  de  prophéties 


'   [plus  tôt  à  des]  miracle[s]. 

^  [(qui  déposent  contre  la  raison  qu')]. 

^  [(ici)  enlin  vous  m'avez  promis]. 

*  [(ne  puis  ?)] 

^  [d'une  ordre  surnaturel  et  les  té  moins]. 

"  [fait  qui  dépose  contre  la  raison]. 

'  [objection]. 

'  B.  l'Apôtre.  —  M.  L'inspiré. 

°  B.  [(L'inspiré)  [Le  raisonneur].  Ce  n'est  pas  ma  faute;  car  selon  vous,  il  faut 
avoir  déjà  receu  la  grâce  pour  savoir  la  demander.  Commencez  donc  à  me  parler 
au  lieu  d'elle.  L'Inspiré.  Ah  c'est  ce  que  je  fais,  et  vous  ne  m'écoutez  pas  :].  — 
M.  <  Le  raisonneur.  Ce  n'est  pas...  ne  m'écoutez  pas  >.  —  I.  (Mais  que  dites- 
vous  des   Prophéties  ?).    Le    Raisoneur.    Ce   n'est    pas la    demander.     (C'est 

donc  à  vous  de  commencer  par  me  parler  pour)  [Commencez  donc  à  me 
parler  au  lieu  d']elle. 

'"  B.  l'Homme.  —  M.  Le  raisonneur. 


point...  parlez?  du  témoignage  des  hommes)  [l'attestation  du  genre  hu- 
main n'est  pas  de  cet  ordre-là] Car  enfin  ce  sont  des  preuves  surnatu- 
relles que  vous  m'avez  promis  et  la  déposition  des  hommes  (des)  n'est  pas 
de  cet  ordre  là...  ou...  (Ce  n'est  pas  de  cela  qu'il  s'agit)  [Encore  une  fois 
dans  l'ordre  de  la  nature]  il  n'y  a  rien  de  plus  incontestable  que  les 
principes  de  la  raison  [et  s'].  (Vouloir  me  faire  croire)  [on  ne  peut  auto- 
riser une  absurdité]  sur  le  témoignage  des  hommes  un  miracle  duquel 
vous  prétendez  autoriser  une  (doctrine  absurde)  [absurdité]  c'est  vouloir 
sur  l'autorité  des  hommes  (me  faire  croire  une)  absurdité  [(me  faire 
renoncer)  que  je  renonce],  et  cela  ne  peut  être  car  malgré  que  j'en  aye  je 
crois  aux  prémisses. 


ÉDITION    ORIGINALE  355 

Le  Raisonneur . 
»  Des  prodiges,  des  miracles!  je  n'ai  jamais  rien  vu  de  tout  cela. 

L  Inspiré. 

»  D'autres  l'ont  vu  pour  vous.  Des  nuées  de  témoins....  le  témoi- 
»  gnage  des  peuples 

Le  Raisonneur. 

»  Le  témoignage  des  peuples  est-il  d'un  ordre  surnaturel  ? 

L  Inspiré. 
»  Non  ;  mais  quand  il  est  unanime,  il  est  incontestable. 

Le  Raisonneur. 

»  Il  n'y  a  rien  de  plus  incontestable  que  les  principes  de  la  raison  >, 
»  &    l'on    ne    peut    autoriser    une    absurdité    sur    le    témoignage    des 
»  hommes.  |  Encore   une   fois,    voyons    des    preuves    surnaturelles,   car        [156] 
»  l'attestation  du  genre  humain  n'en  est  pas  une. 

L'Inspiré. 

»  O  cœur  endurci  !  la  grâce  ne  vous  parle  point. 

Le  Raisonneur. 

»  Ce  n'est  pas  ma  faute:  car  selon  vous,  il  faut  avoir  déjà  reçu  la 
»  grâce  pour  savoir  la  demander.  Commencez  donc  à  me  parler  au 
»  lieu  d'elle. 


'  Le  contraste  est  complet  entre  cette  formule  si  catégorique  et  celle  qui  termine 
l'invocation  à  la  Conscience,  p.  114  :  «Sans  toi.  je  ne  sens  rien  en  moi  qui  m'élève 
au-dessus  des  bètes.  que  le  triste  privilège  de  m' égarer  d'erreurs  en  erreurs  à  l'aide 
d'un  entendement  sans  règle  et  d'une  raison  sans  principe  ».  Il  est  vrai  qu'ici  c'est  le 
«  Raisonneur  »  qui  parle,  et  non  le  Vicaire  ;  mais  j'ai  essayé  de  montrer  plus  haut, 
p.  i5i,  note  1,  que  toute  cette  partie  de  la  Profession  avait  été  écrite  dans  l'esprit  du 
«  Raisonneur  »,  avec  une  fermeté  et  une  intransigeance  de  rationalisme  que  le  Vicaire 
n'avait  guère  montrées  en  édifiant  sa  Religion  naturelle. 


356  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

que  je  n'ai  ['vu]  de  miracles.  Je  dis  de  plus  qu'aucune  prophétie 
ne  sauroit  faire  autorité  pour  moi. 

f°  170  ™  Il  •'  Le  missionnaire. 

^  Homme  possédé  du  démon  !  et  pourquoi  les  prophéties  ne 
font  elles  pas  autorité  pour  vous  ? 

*  le  Théiste. 

Parce  qu'(il  îaudroit)  pour  qu'elles  la  fissent  ^  trois  choses  dont 
le  concours  est  impossible;  savoir  que  j'eusse  été  témoin  de  la 
prophétie,  que  je  fusse  témoin  de  l'événement,  et  qu'il  me  fut 
démontré  que  "^  le  seul  hazard  n'a  pu  '  faire  quadrer  «  l'événement  à 
la  prophétie.  Car  fut-elle  plus  précise  plus  claire,  plus  lumineuse 
qu'(8  une  démonstration)  de  Géométrie,  puisque  la  clarté  d'une 
prédiction  faite  au  hazard  n'en  rend  pas  ''' l'événement  impossible, 
''  quand  un  événement  arrive,  il  ne  prouve  '^  rien  pour  celui  qui 
l'a  prédit. 

Voyez  donc  à  quoi  se  réduisent  vos  prétendues  preuves  surna- 
turelles, vos  miracles,  vos  prestiges,  vos  prophéties;  à  croire  tout 
cela  sur  la  foi  d'autrui,  et  à  soumettre  '^à  l'autorité  des  hommes 
l'autorité  de  Dieu  parlant  à  ma  raison.  [Si  les  vérités  éternelles  que 


'  (entendu). 

-  B.  L'Apôtre.  —  M.  L'inspiré. 

■'  B.  Satellite  du  Démon  I 

*  B.  L'iromme.  —  M.  Le  raisonneur. 

■''  [il  faudroit]. 

"  B.  (le  seul  hazard)  [cet  événement]. 

■  B.  (faire). 

"  B.  (la  proph  étie...  l'événement)  [fortuitement]  à  la  prophétie. 

"  [un  axiome]. 

'"  B.  (l'événement)  [l'accomplissement].  — I.  (l'événement)  [accomplissement]. 

"  B.  (quand)  cet  (événement  arrive  il)  [accomplissement  quand  il  a  lieu  (à  la 
rigueur)]  ne  prouve  «  rien  »  [à  la  rigueur]  pour  celui.  —  M.  Quand  il  arrive  ne 
prouve  rien.  ^  I.  (Quand  cet  événement  arrive  il)  [cet  accomplissement  quand  il 
a  lieu]  ne  prouve  rien  [à  la  rigueur]  pour  celui. 

"  B.  [(point  nécessairement  qu'il  ait  été  prévu)]. 

'^  B.  [à  l'autorité  des  hommes]. 


EDITION    ORIGINALE  357 

L'Inspiré. 

»  Ah  !  c'est  ce  que  je  fais.  &  vous  ne  m  "écoutez  pas  :  mais  que 
•»  dites-vous  des  prophéties  '  ? 

Le  Raisonneur. 

»  Je  dis  premièrement  que  je  n'ai  pas  plus  entendu  de  prophéties, 
»  que  je  n'ai  vu  de  miracles.  Je  dis  de  plus,  qu'aucune  prophétie  ne 
»  sauroit  faire  autorité  pour  moi. 

L'Inspiré. 

»  Satellite  du    Démon!  &  pourquoi  \  les  prophéties  ne  font-elles        [157] 
»  pas  autorité  pour  vous? 

Le  Raisonneur. 

»  Parce  que  pour  qu'elles  la  fissent,  il  faudroit  trois  choses  dont 
»  le  concours  est  impossible;  savoir,  que  j'eusse  été  témoin  de  la  pro- 
»  phétie,  que  je  fusse  témoin  de  l'événement,  &  qu'il  me  fût  démontré 
»  que  cet  événement  n'a  pu  quadrer  fortuitement  avec  la  prophétie  : 
»  car,  fùt-elle  plus  précise,  plus  claire,  plus  lumineuse  qu'un  axiome 
»  de  géométrie:  puisque  la  clarté  d'une  prédiction  faite  au  hazard  n'en 
»  rend  pas  l'accomplissement  impossible,  cet  accomplissement,  quand 
»  il  a  lieu,  ne  prouve  rien  à  la  rigueur  pour  celui  qui  l'a  prédit. 

»  Voyez  donc  à  quoi  se  réduisent  vos  prétendues  preuves  surna- 
»  turelles,  vos  miracles,   vos  prophéties.  A   croire  tout  cela  sur  la  foi 
»  d'au-  I  trui,  &  à  soumettre  à  l'autorité  des  hommes  l'autorité  de  Dieu        ri58"i 
»  parlant  à  ma  raison.  Si  les  vérités  éternelles  que  mon  esprit  conçoit. 


'  On  remarquera,  dans  cette  discussion  sur  les  prophéties,  comme,  d'ailleurs, 
dans  toute  cette  critique  de  la  Révélation,  que  Rousseau  se  borne  à  des  objections  à 
priori  et  n'entre  pas  dans  l'examen  des  faits  particuliers.  Le  seul  fait  qui  sera  étudié 
en  détail,  c'est  l'histoire  de  Jésus;  et  elle  le  sera  avec  une  piété  admirative,  qui  est 
presque  l'acquiescement  d'un  croyant  (cf.,  plus  loin,  pp.  179-1831.  Cette  discrétion 
donne  à  ses  attaques  non  pas  seulement  une  décence,  mais  encore  une  généralité,  qui 
leur  enlève  de  leur  force,  et  qui  réserve  aux  preuves  de  sentiment-  toute  leur  puis- 
sance de  séduction.  Comparer,  en  ce  qui  concerne  les  prophéties,  les  railleries  précises 
et  les  grossièretés  appuyées  des  «  philosophes  >  :  cf.  Meslier  [240].  324-329.  Voltaire, 
Sermon  des  Cinquante  [241J,  447-448,  Dumarsais  [ijg''^,  46-54,  etc.  —  On  trouvera, 
aux  Appendices,  III,  un  petit  morceau  inédit  sur  les  prophéties,  inspiré  de  VExamen  de 
la  Religion  [173],  et  que  probablement  Rousseau  avait  d'abord  destiné  à  la  Profession. 


358  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

mon  esprit  conçoit  pouvoient  souffrir  quelque  ('  exception)  il  n'\- 
auroit  plus  pour  moi  nulle  espèce  de  certitude  et  loin  d'être  sur  que 
vous  me  parlez  de  la  part  de  Dieu  je  ne  serois  pas  même  assuré  {-  de 
son  existence)]. 


4.  Difficultés  pratiques. 


Voila  bien  des  difficultés  mon  ^  bon  ami  et  ce  n'est  ••  pas 
tout.  Parmi  tant  de  religions  diverses  qui  se  proscrivent  et 
s'excluent  mutellement  une  seule  est  la  bonne  si  tant  est  qu'une  le 
soit.  Pour  la  ^  connoitre  il  ne  suffit  pas  d'en  examiner  (une|,  il 
*  les  faut  examiner  toutes.  Il  faut  comparer  '  leurs  objections 
''et  leurs  preuves,  il  faut  savoir  ce  que  ^chacune  dit  ^"contre  les 
autres  et  ce  qu'  ''  elle  leur  répond.  "  11  faudroit  être  bien  simple 
pour  croire  qu'il  suffit  d'écouter  les  docteurs  de  son  parti  pour 
s'instruire  des  raisons  ("  des  autres  *)  f.  Où  sont  les  Théologiens  qui 


B,  f°  178  ""  *    Plutarque     rapporte     ['*  que    les]     Stoïciens     '^   entre    ("=  leurs) 

bizarres   paradoxes  soutenoient  que  dans  un   juf^ement  contradictoire  il 

'  [atteinte]. 

*  [qu'il  existe]. 

'  B.  enfant.  ' 

*  I.( point)  [pas]  tout. 
■''  B.  reconnoitre. 

"  B.  faut  les  e.xaininer. 

'  B.  (leurs)  [les]. 

"  B.  (à  leurs)  [aux]. 

"  B.  chacun(e)  oppose  aux  autres.  —  M.  chacune  oppose. 
'"  (pour). 

"  B.  (elle)  [il].  —  M.  elle.  —  I.  (elle)  [il]. 

'^  I.    Nous   devons   (être  empressés  de  voir)   [chercher  (à  savoir)]   sur  quoi 
(d'autres)  [tant  d'hommes]  se  fondent. 
"  [du  parti  contraire]. 
"  (entre  les  paradoxes  des). 
'■■'  M.  soutenoient  entre.  , 

"''  [autres].  —  M.  leurs. 

t  L'astérisque,  comme  la  note  qu'il  amorce,  manque  dans  F. 


EDITION   ORIGINALE  359 

»  pouvoient  souffrir  quelque  atteinte,  il  n'y  auroit  plus  pour  moi  nulle 
»  espèce  de  certitude,  &  loin  d'être  sûr  que  vous  me  parlez  de  la  part 
»  de  Dieu,  je  ne  serois  pas  même  assuré  qu'il  existe. 


4.  Difficultés  pratiques. 


Voilà  bien  des  difficultés,  mon  enfant,  &  ce  n'est  pas  tout.  Parmi 
tant  de  religions  diverses  qui  se  proscrivent  &  s'e.\cluent  mutuellement, 
une  seule  est  la  bonne,  si  tant  est  qu'une  le  soit  '.  Pour  la  reconnoître, 
il  ne  suffit  pas  d'en  examiner  une,  il  faut  les  examiner  toutes;  &  dans 
quelque  matière  que  ce  soit,  on  ne  doit  point  condamner  sans  en- 
tendre *;  il  faut  comparer]  les  objections  aux  preuves;  il  faut  savoir  {159] 
ce  que  chacun  oppose  aux  autres,  &  ce  qu'il  leur  répond.  Plus  un 
sentiment  nous  paroît  démontré,  plus  nous  devons  chercher  sur  quoi 
tant  d'hommes  se  fondent  pour  ne  pas  le  trouver  tel.  Il  faudroit  être 
bien  simple  pour  croire  qu'il  suffit  d'entendre  les  Docteurs  de  son  parti 
pour  s'instruire  des  raisons  du  parti  contraire.  Où  sont  les  Théologiens 


*  Plutarque  rapporte  ^  que  les  Stoïciens,  entre  autres  bizarres  paradoxes, 
soutenoient  que  dans  un  jugement  contradictoire,  il  étoii  inutile  d'entendre  les 
deux  I  parties;  car,  disoient-ils,  ou  le  premier  a  prouvé  son  dire,  ou  il  ne  l'a  pas  [1591 
prouvé.  S'il  l'a  prouvé,  tout  est  dit,  &  la  partie  adverse  doit  être  condamnée; 
s'il  ne  l'a  pas  prouvé,  il  a  tort,  &  doit  être  débouté.  Je  trouve  que  la  méthode  de 
tous  ceux  qui  admettent  une  révélation  exclusive,  ressemble  beaucoup  à  celle 
de  ces  Stoïciens.  Si-tôt  que  chacun  prétend  avoir  seul  raison,  pour  choisir  entre 
tant  de  partis,  il  les  faut  tous  écouter,  ou  l'on  est  injuste. 


'  Cette  objection  de  la  multiplicité  des  sectes  religieuses  était  traditionnelle 
dans  la  polémique  «  libertine  »  et  «  déiste  »  :  cf.,  à  titre  de  spécimen.  I,i  page  des 
Pensées  philologiques,  qui  a  été  citée  plus  haut,  note  2  de  la  p.  iSg. 

'  Contredits  des  philosophes  stoïques,  VI  [yS],  11,  ôBg.  Il  est  probable  que  ce 
texte  de  Plutarque,  comme  celui  qu'il  a  déjà  rappelé,  provient  d'une  lecture  directe  et 
personnelle  :  cf.,  plus  haut,  la  note  1  de  la  page  84. 


360  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

se  piquent  de  bonne  foi  [où  sont  ceux  qui  pour  réfuter  les  raisons 
de  leurs  adversaires  ne  commencent  pas  par  les  affoiblir].  Chacun 
brille  ['dans  son]  parti.  -Mais  [tel]  au  milieu  ^  de  *  ses  partisans 
est  tout  fier  de  [*  la  force  de  ses]  preuves  qui  feroit  un  C^  fort) 
sot  personnage  avec  ces  mêmes  preuves  ('  au  milieu  des)  gens  d'un 
autre  parti.  (^  Prétendez)  vous  vous  instruire  dans  les  livres,  que 
de  langues  il  faut  apprendre,  ^  que  de  bibliothèques  (immenses) 
il  faut  parcourir,  quelle  '"  immense  lecture  il  faut  faire,  qui  me 
guidera  dans  le  choix.  Difficilement  trouve-t-on  dans  un  pays  les 
meilleurs  livres  du  parti  contraire  '',  quand  on  les  trouveroit  ils 
seroient  '-  bientôt  refutés.  L'absent  a  toujours  tort,  et  de  mauvaises 
raisons  dites  avec  assurance  ('^  balancent)  aisément  les  bonnes 
exposées  avec  mépris.  D'ailleurs  [souvent]  les  livres  nous  trompent 

"  étoit  [(toujours)]  inutile  d'entendre  les  deux  parties;  car  disoient-ils  ou 
«  '^  le  premier  »  a  prouvé  son  dire,  ou  il  ne  l'a  pas  prouvé.  S'il  l'a  prouvé 
(tout  est  dit  et)  par  cela  seul  la  partie  adverse  «  est  condamnée  »  ;  s'il  ne  l'a 
pas  prouvé  ('^  il  n'y  a  point  d'accusation  fondée  et  l'accusé  doit  être  absous). 
«  Je  trouve  »  ("que)  la  méthode  ('**des  [chrétiens  et  notamment  des] 
catholiques)  ressemble  ('-'tout  à  fait)  à  celle  de  ces  stoïciens. 


'  (au  milieu).  — •  M.  parmi  les  siens. 

^  (Sans  doute). 

■*  B.  (de  sa  secte)  [des  siens].  —  M.  de  sa  secte. 

^  ces  (sic). 

■■'  (ces).  —  B.  (la  force  de). 

«  [très].  —  B.  [fort]. 

'  (par)  [parmi  les].  —  B.  parmi  des. 

*  [Voulez]. 

"  (quelle). 

'"  (le  ctube). 

"  B.  [à  plus  forte  raison  ceux  de  tous  les  partis].  — M.  <  à  plus...  les  partis  >. 

'-  B.  (aisément)  [bientôt]. 

'^  [effacent]. 

'*  (n')  étoit  (jamais). 

'■''  [(Taccusateur)]. 

'"  [c'est  lui  qui  a  tort  il  doit  être  débouté]. 

"  M.  que. 

'"  [de  tous  ceux  qui  admettent  une  révélation  exclusive].  —  M.  de  ceux  qui. 

'"  [beaucoup]. 


ÉDITION    ORIGINALE  361 

qui  se  piquent  de  bonne-foi  '?  où  sont  ceux  qui,  pour  réfuter  les  raisons 
de  leurs  adversaires,  ne  commencent  pas  par  les  affoiblir?  Chacun  brille 
dans  son  parti:  mais  tel  au  milieu  des  siens  est  fier  de  ses  preuves,  qui 
feroit  I  un  fort  sot  personnage  avec  ces  mêmes  preuves  parmi  des  gens  l160j 
d'un  autre  parti.  Voulez-vous  vous  instruire  dans  les  livres  ?  quelle 
érudition  il  faut  acquérir,  que  de  langues  il  faut  apprendre,  que  de 
bibliothèques  il  faut  feuilleter,  quelle  immense  lecture  il  faut  faire!  Qui 
me  guidera  dans  le  choix  '  ?  Difficilement  trouvera-t-on  dans  un  pavs  les 
meilleurs  livres  du  parti  contraire,  à  plus  forte  raison  ceux  de  tous  les 
partis  ;  quand  on  les  trouveroit.  ils  seroient  bientôt  réfutés.  L'absent  a 
toujours  tort,  &  de  mauvaises  raisons  dites  avec  assurance,  effacent 
aisément  les  bonnes  exposées  avec  mépris.  D'ailleurs  (^)  souvent  rien 
n'est  plus  trompeur  que  les  livres.  &  ne  rend  moins  lîdellement  les 
sentimens  de  ceux  qui  les  ont  écrits.  Quand  vous  avez  voulu  juger  de  la 
Foi  catholique  sur  le  livre  de  Bossuet  -,  vous  vous  êtes  trouvé  loin  de 


(a)  C,  D  :  souvent  les  livres  nous  trompent  et  ne  rendent 
pas  Jidellemcnt. 

'  Ce  portrait  du  «  théologien  »  forme  comme  une  réplique  au  portrait  du 
«  philosophe  >  qu'il  a  tracé  au  début  de  la  Profession,  p.  3o  :  «  Chacun  sait  bien  que 
son  système  n'est  pas  mieu.\  fondé  que  les  autres;  mais  il  le  soutient  parce  qu'il  est  à 
lui.  II  n'y  en  a  pas  un  seul  qui,  venant  à  connaître  le  vrai  et  le  faux,  ne  préférât  le 
mensonge  qu'il  a  trouvé  à  la  vérité  découverte  par  un  autre.  Oii  est  le  philosophe  qui, 
pour  sa  gloire,  ne  tromperait  pas  volontiers  le  genre  humain?  Où  est  celui  qui,  dans 
le  secret  de  son  cœur,  se  propose  un  autre  objet  que  de  se  distinguer?  »  etc.  On 
saisit  là,  sous  un  double  aspect,  le  but  essentiel  de  la  Profession,  qui  est,  d'ailleurs, 
celui  qu'il  avait  aussi  visé  dans  ses  deux  derniers  ouvrages  :  «  établir  la  paix  », 
«  terminer  à  la  fin  les  dissensions  des  prêtres  et  des  philosophes  »,  en  les  renvoyant 
dos  à  dos,  et  en  laissant  subsister  la  religion  entre  eux  deux  {Lettre  à  D'Alembert, 
I,  i83,  notei. 

'  C'est  la  seconde  fois  que  Rousseau  insiste  sur  les  difficultés  pratiques  de  la 
recherche  érudite  en  matière  de  religion  :  cf..  plus  haut,  pp.  142-143.  .Mais  dans  les 
deux  passages  les  points  de  vue  ne  sont  pas  absolument  identiques.  Dans  l'un,  il 
s'agissait  de  faire  l'examen  critique  d'une  nouvelle  religion:  dans  celui-ci.  d'étudier 
comparativement  les  diverses  religions  existantes. 

'  Ce  sont  là.  sans  doute,  des  souvenirs  de  catéchumène  libéré,  surpris  de  ne 
plus  retrouver,  dans  les  premiers  sermons  qu'il  écoute,  la  sobre  doctrine  qui  lui  a  été 
présentée  dans  les  manuels  de  l'hospice.  Qu'on  relise,  en  effet,  les  chapitres  111,  IV, 
V,  Vlll,  etc.,  de  {'Exposition  [84],  54-59,  67,  etc.  (Le  Culte  Religieux  se  termine  à  Dieu 
seul  —  L'Invocation  des  Saints  —  Les  Images  et  les  Reliques  —  Les  Satisfactions,  te 
Purgatoire  et  les  Indulgences,  etcl,  on  comprendra  que  des  sermons  de  curés  ou  de 
moines  italiens,  tels  que  vraisemblablement  Jean-Jacques  en  entendait  à  Turin, 
devaient  être  moins  intellectuels  et  paraître  rendre  un  autre  son.  Quoique  dans  les 
Confessions.  Vlll,  45,  il  n'ait  cité  que  «  Saint  .\ugustin.  Saint  Grégoire  et  les  autres 
Pères  »  parmi  les  doctes  auteurs  dont  «  le  vénérable  petit  vieux  prêtre  »,  chargé  de  le 


362  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

et  ne  '  nous  disent  pas  I  (toujours)]  fidèlement  les  sentimens  de 
ceux  qui  les  ont  écrit.  ^  Qui  voudroit  juger  de  la  ''doctrine  catho- 
lique *  par  l'exposition  de  Bossuet  se  trouveroit  loin  de  compte 
quand  il  viendroit  vivre  parmi  nous.  Il  verroit  bientôt  que  la 
doctrine  avec  laquelle  on  répond  aux  protestants  n'est  point  celle 
qu'on  enseigne  au  peuple  ('  et  qu'un  pasteur  qui  prendroit  au  pied 
de  la  lettre  '''  le  livre  de  Bossuet  se  feroit  bientôt  des  affaires).  Pour 
bien  juger  '  de  la  Religion  d'un  peuple  '^  c'est  chez  ce  peuple 
qu'il  faut  aller  l'apprendre.  Chacun  a  ses  (■'  opinions)  son  sens  ses 
[coutumesj  ses  "' maximes  [ses  préjugés]  qui  "s'accordent  avec  la 
croyance  et  qu'il  faut  '-  y  joindre  pour  en  juger.  Combien  de 
Igrandsj  peuples  (i^  dans  l'uni  vers  '*  ne  font)  point  de  livres  et  ne 
lisent  pas  les  nôtres,  comment  jugeront-ils  de  nos  opinions 
comment  jugerons  nous  des  leurs.  Nous  les  raillons  ils  nous 
fo  ^7j^  ro  15  raillent.  >"  Nous  ne  savons  pas  leurs  raisons  ils  ||  ^^  ne  savent  pas  les 
nôtres,    et   si    nos   vovageurs   les   tournent    en    ridicule,   il    ne   leur 


'  B.  (nous). 

-  B.  Quand  vous  aurez  voulu  juger.  —  M.  quand  vous  aurez  voulu. 

^  B.  (doctrine)  [au  crayon,  repassé  à  l'encre  :  foi]. 

■*  B.  sur  le  livre  de  Bossuet,  vous  vous  êtes  trouvé  loin  de  compte  après 
avoir  vécu  parmi  nous.  Vous  avez  vu  que  la  doctrine  avec  laquelle. 

'■•  [et  que  (la  doctrine)  [le  livre]  de  Bossuet  ne  ressemble  (point  à  celles  du 
prône)  [guéres]  aux  maximes  du  prône].  —  B.  aux  (maximes)  [instructions]  du 
Prône. 

'■  (de). 

•  B.  (de  la)  [d'une]  Religion  (d'un  peuple).  —  M.  de  la  religion  d  un 
peuple.  —  I.  (de  la)  [d'une]  Religion. 

"  B.  il  ne  faut  pas  l'étudier  «  dans  »  (ses)  [les]  livres  [de  ses  sectateurs]  il 
faut  aller  l'apprendre  chez  (lui)  [eux.  Cela  est  fort  différent].  Chacun  a.  —  M.  il  ne 
faut  pas  l'étudier  dans  ses  livres,  il  faut  aller  l'apprendre  chez  lui.  Chacun. 

'■'  [traditions]. 

'"  B.  <  ses  maximes  >. 

"  (pour).  —  B.  font  l'esprit  de  sa  croyance  et  qu'il  y  faut. 

"  B.  (y). 

'^  [au  monde].  —  B.  <  au  monde  >. 

'■'  [n'impriment]. 

'■'■  B.  (raillent)  [méprisent].  —  M.  raillent.  —I.  (raillent)  [méprisent]. 

'"  (mais  lesquels).  —  B.  (nous  ne  savons)  [ils  ne  savent]  pas  (leurs)  [nos] 
raisons. 

'■  B.  (ils  ne  savent)  [nous  ne  savons]  par  les  (nôtres)  [leurs]. 


ÉDITION    ORIGIXALE  363 

compte  après  avoir  vécu  parmi  |  nous.   Vous  avez    vu   que   la   doctrine        [161] 

avec  laquelle  on  répond  aux  Protestans  n'est  point  celle  qu'on  enseigne' 

au  peuple,  &  que  le  livre  de  Bossuet  ne  ressemble  guère  aux  instructions 

du  prône.  Pour  bien  juger  d'une  religion,  il  ne  faut  pas  l'étudier  dans 

les  livres  de  ses  sectateurs,  il  faut  aller  l'apprendre  chez  eux:  cela  est  fort 

différent.  Chacun  a  ses  traditions,  son  sens,  ses  coutumes,  ses  préjugés, 

qui  font  l'esprit  de  sa  croyance,  &  qu'il  y  faut  joindre  pour  en  juger. 

Combien  de  grands  peuples  n'impriment  point  de  livres  &  ne  lisent 
pas  les  nôtres!  Comment  jugeront-ils  de  nos  opinions  ?  comment  juge- 
rons-nous des  leurs?  Nous  les  raillons,  ils  nous  ('')  méprisent;  &  si  nos 
vovageurs  les  tournent  en  ridicule,  il  ne  leur  manque,  pour  nous  le 
rendre,  que  de  voyager  parmi  nous  1.  Dans  quel  pays  n'y  a-t-il  pas  des 
gens  sensés,  des  gens  |  de  bonne-foi,  d'honnêtes  gens  amis  de  la  vérité,  [162] 
qui,  pour  la  professer,  ne  cherchent  qu'à  la  connoitre?  Cependant  chacun 
la  voit  dans  son  culte,  &  trouve  absurdes  les  cultes  des  autres  Nations; 
donc  ces  cultes  étrangers  ne  sont  pas  si  extravagans  qu'ils  nous  semblent, 
ou  la  raison  que  nous  trouvons  dans  les  nôtres  ne  prouve  rien. 


(  ft  )  C,  D  :  ils  nous  raillent  :  ils  ne  savent  pas  nos  raisons, 
nous  ne  savons  pas  les  leurs  :  et  si. 

convertir,  essayait  d'  «  assommer  »  sa  résistance,  —  il  est  très  probable  que  le  traité  de 
Bossuet  devait  être  au  San  Spirito  le  livre  fondamental  des  catéchistes  :  la  réputation 
de  son  auteur,  les  conversions  dont  il  avait  été  l'occasion,  en  avaient  fait,  au  début  du 
XVllI'  siècle,  comme  le  manuel  international  du  catholicisme.  Le  reproche  que  Rous- 
seau adresse  ici  à  Bossuet  n'était  pas  nouveau,  puisque  Bossuet  l'avait  signalé  lui-même 
dans  VAvertissement  de  sa  seconde  édition  [84],  2  :  «  Il  a  paru  deux  réponses  à  ce 
traité...  [Leurs  deux  auteurs]  affectent  de  dire  que  M.  de  Condom  ne  fait  qu'adoucir 
et  exténuer  les  dcgmes  de  sa  religion.  A  les  entendre  parler,  il  semble  se  relâcher 
partout  :  il  se  rapproche,  il  abandonne  les  sentiments  de  son  Église,  et  il  entre  dans 
ceux  des  prétendus  réformés.  Enfin  son  traité  ne  s'accorde  pas  avec  la  profession  de 
toi  que  l'Église  Romaine  propose  a  tous  ceux  de  sa  communion  ». 

'  Cette  idée  revient  souvent  chez  Montaigne,  Charron,  La  Hontan,  etc.,  d'une 
façon  générale  chez  tous  ceux  qui,  du  XVl'  au  XVIM'  siècle,  se  sont  complus  à  pré- 
senter la  «  philosophie  »  du  «  Sauvage  »  :  cf..  par  exemple.  Dialogues  de  La  Hontan 
I  io5],  1-2.  33-37,  s"^- 


364  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

manque  pour  nous  le  '  rendre  que  de  voyager  (à  leur  toui)  parmi 
nous.  Dans  quel  pays  n'y  a-t-il  pas  des  (-  hommes)  sensés,  des 
gens  de  bonne  foi,  des  amis  de  la  vérité  qui  ^  ne  cherchent  *  qu'à  la 
connoitre  pour  la  professer.  Cependant  chacun  la  voit  dans  son 
culte  et  trouve  absurdes  les  cultes  des  autres  [nations).  Donc  ces 
cultes  [étrangers]  ne  sont  pas  si  extravagans  qu'ils  nous  semblent, 
ou  la  raison  que  nous  trouvons  dans  ^  le  nôtre  ne  prou\e  rien 


6 


5.  Les  grandes  religions  européennes. 


f  Nous  avons  trois  principales  religions  en  Europe.  L'une 
admet  une  seule  révélation,  l'autre  en  admet  deu.x,  l'autre  en 
admet  trois.  ■  Chacune  (*  des  troisi  déteste  (et)  maudit  les  deux 
autres  "  les  accuse  d'aveuglement,  d'endurcissement,  d'opiniâtreté, 
de  mensonge.  Quel  homme  impartial  osera  juger  entrelles  s'il  n'a 
premièrement  bien  pesé  [leurs  preuves]  bien  écouté  leurs  raisons. 
Celle  qui  n'admet  qu'une  révélation   '"  paroit  la  plus  i'  sure  celle 


'  I.  (bien)  rendre. 

-  [gens]. 

"  B.  pour  la  professer  ne  cherchent. 

■■  (pas). 

•''  B.  les  nôtres. 

"  (car  ils  trouvent  en). 

'  (Humainement  parlant  p  mot  inachevé). 

'  B.  (des  trois). 

^  (toutes). 

'"  B.  est  la  plus  ancienne  et  paroit. 

"  (mot  inachevé  ?). 

t  Rousseau  a  songé  un  instant  à  placer  avant  ce  développement  le 
paragraphe  qu'on  lira  pp.  ;6^-i65  de  l'édition  orginale  :  Nos  catholiques 
font  grand  bruit...  vous  rentrez  dans  toutes  nos  discussions.  //  y  a,  en 
effet,  dans  B,/"^  181  ™  et  182  ™,  des  signes  de  renvoi  qui  indiquent  cette 
transposition  à  faire:  ?nais  ces  signes  ont  été  ultérieurement  effacés. 


ÉDITION    ORIGINALE  365 


5.  Les  grandes  religions  européennes. 


Nous  avons  trois  principales  religions  en  Europe  ^  L'une  admet  une 
seule  révélation,  l'autre  en  admet  deux,  l'autre  en  admet  trois.  Chacune 
déleste,  maudit  les  deux  autres,  les  accuse  d'aveuglement,  d'endurcisse- 
ment, d'opiniâtreté,  de  mensonge.  Quel  homme  impartial  osera  juger 
entr'elles,  s'il  n'a  premièrement  bien  pesé  leurs  preuves,  bien  écouté 
leurs  raisons?  Celle  qui  n'admet  qu'une  révélation  est  la  plus  ancienne, 
&  paroit  la  plus  sûre  ^;  celle  qui  en  admet  trois  |  est  la  plus  moderne,  <&  l163] 
paroît  la  plus  conséquente  '  :  celle  qui  en  admet  deux&  rejette  la  troisième 


'  L  ne  critique  rapide  des  deux  grandes  religions  monothéistes  non  chrétiennes 
était  de  tradition  parmi  les  apologistes;  cf.  Grotius,  \'érité  de  la  Religion,  V  :  «  Ré- 
futation du  Judaïsme  >,  VI  :  «Réfutation  du  .Mahométisme  »  [79],  268-3/3;  Clarke, 
Existence  de  Dieu,  II,  11  [i25],  III,  29-31  :  «  Que  la  Religion  chrétienne  est  la  seule 
des  Religions  qui  sont  aujourd'hui  dans  le  monde  qui  puisse  se  vanter  avec  quelque 
apparence  de  raison  de  posséder  cette  révélation  divine,  —  De  la  Religion  de  Mahomet, 
—  De  la  Religion  judaïque  d'aujourd'hui  »;  Pluche,  Spectacle  de  la  Nature  [^'i^^, 
VIII,  Première  Partie,  268-312  :  «  Examen  historique  des  Religions  qui  se  disent 
révélées»;  La  Chambre,  Suite  de  la  Troisième  Partie  [149],  III;  etc.  —  Comparez 
Fréret,  Lettre  de  Thrasybule  [189],  94  :  «  Laquelle  de  ces  différentes  traditions 
égyptiennes  préférerai-je  aux  autres?  Toutes  allèguent  des  révélations  expresses  en 
leur  faveur,  toutes  citent  des  livres  dans  lesquels  elles  prétendent  qu'elles  sont  écrites, 
chacune  prétend  jouir  du  même  privilège,  à  l'exclusion  des  autres.  Mais,  comme 
aucune  ne  peut  prouver  le"  droit  qu'elle  s'attribue,  je  suis  obligé  d'en  revenir  à  la 
raison  dont  on  voulait   m'em pêcher  de  me  servir  ». 

'  Première  manifestation  de  cette  curieuse  svmpathie  de  Rousseau  pour  le 
judaïsme,  dont  on  verra  quelques  pages  plus  lom,  p.  167  et  note  1,  des  témoignages 
significatifs. 

*  La  plus  conséquente,  parce  que,  si  l'on  admet  la  possibilité  d'une  seconde 
révélation,  il  est  plus  conséquent  d'admettre  au -si  la  troisième. 


366  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

qui  '  les  admet  toutes  paroit  la  plus  conséquente.  Celle  qui  en 
admet  deux  et  ^  noa  pas  la  troisième  [peut  'bienj  être  la  meilleure 
mais  elle]  a  certainement  '■'le  piémier  préjugé  contre  elle.  L'incon- 
séquence saute  *  aux  \eux. 


B    i°  181  '"  [Dans  les  trois  révélations  les  livres  sacrés  sont  écrits  en  des  lanf^ues 

inconnues  aux  peuples  qui  les  suivent.  Les  Juifs  n'entendent  plus 
l'Hébreu,  les  chrétiens  n'entendent  ni  l'Hébreu,  ni  le  grec,  les  Turcs 
■'  ni  les  persans  n'entendent  point  l'Arabe,  et  les  Arabes  modernes 
eux-mêmes  (°  n'entendent)  plus  la  langue  de  Mahomet.  Ne  voilà-t-il 
pas  une  manière  bien  simple  d'instruire  les  hommes  i''  de  leur  parler 
toujours  (dans)  une  langue  qu'ils  n'entendent  point].  On  traduit  ces 
livres,  dira-t-on,  belle  réponse!  Qui  me  repondra  que  ces  livres  sont 
fidellement  traduits,  (et)  qu'il  est  même  possible  qu'ils  le  soient.  Et 
quand  Dieu  fait  tant  que  de  parler  aux  hommes,  pourquoi  faut-il  qu'il 
ait  besoin   d'interprète? 

Je  ne  concevrai  jamais  que  ce  [^  que]  tout  homme  est  obligé  de 
savoir  soit  enfermé  dans  des  livres  et  que  celui  qui  n'est  à  portée 
ni  de  ces  livres  ni  des  gens  qui  les  ont  lus  soit  puni  d'une  ignorance 
involontaire.  Toujours  des  livres  !  Quelle  manie.  Parce  que  l'Europe 
est  pleine  de  livres,  les  Européens  les  regardent  comme  indispen- 
sables, sans  songer  que  [sur]  les  trois  quarts  de  la  terre  on  n'en  a 
jamais  vu.  Tous  les  livres  (»  ne  sont-)ils  pas  (l'ouvrage)  des  hommes? 
Comment  donc  l'homme  en  auroit-il  besoin  pour  connoitre  ses  devoirs 
[et]  quels  moyens  i"  auroit-il  de  les  connoitre  avant  que  ces  livres 
fussent  faits?  (Et  maintenant  que  leurs  contradictions  et  leur  multitude 
lui    laissent    l'embarras    du    choix    gue    îera-t-il    pour    (être    sur    de    bien 


'  B.  en  admet  trois  (par  oit)  est  la  plus  moderne  et  paroit. 

-  B.  rejette  la  troisième. 

■'  B.  tous  les  préjugés  contre. 

■'  B.  «  aux  ». 

'-  M.  et. 

'■  [ne  parlent]. 

'  M.  <  de  leur  parler...  n'entendent  point  >. 

"  (qu'on). 

"  [n'ont]-ils  pas  [été  écrits  par]. 

'"  M.  avoit-il. 


ÉDITION    ORIGINALE  367 

peut  bien  èire  la  meilleure,   mais  elle  a  certainement  tous  les  préjugés 
contr'elle  :   l'inconséquence  -  saute  aux  yeux. 


Dans  les  trois  révélations,  les  Livres  sacrés  sont  écrits  en  des  langues 
inconnues  aux  peuples  qui  les  suivent.  Les  Juifs  nentendent  plus 
l'Hébreu,  les  Chrétiens  nentendent  ni  l'Hébreu  ni  le  Grec,  les  Turcs  ni 
les  Persans  n'entendent  point  l'Arabe,  &  les  Arabes  modernes,  eux- 
mêmes,  ne  parlent  plus  la  langue  de  .Mahomet.  Xe  voilà-t-il  pas  une 
manière  bien  simple  d'instruire  les  hommes,  de  leur  parler  toujours  une 
langue  qu'ils  n'entendent  point?  On  traduit  ces  livres,  dira-t-on  ;  belle 
réponse  !  Qui  m'assurera  que  ces  livres  sont  fidellement  traduits,  qu'il  est  • 
même  possible  qu'ils  le  soient  ^,  &  quand  Dieu  fait  tant  que  de  |  parler  [164] 
aux  hommes,  pourquoi  faut-il  qu'il  ait  besoin  d'interprète? 

Je  ne  concevrai  jamais  que  ce  que  tout  homme  est  obligé  de  savoir 
soit  enfermé  dans  des  livres,  &  que  celui  qui  n'est  à  portée  ni  de  ces 
livres,  ni  des  gens  qui  les  entendent,  soit  puni  d'une  ignorance  involon- 
taire. Toujours  des  livres!  Quelle  manie  ^i  Parce  que  l'Europe  est  pleine 
de  livres,  les  Européens  les  regardent  comme  indispensables,  sans  songer 
que  sur  les  trois  quarts  de  la  terre  on  n'en  a  jamais  vu.  Tous  les  livres 
n'ont-ils  pas  été  écrits  par  des  hommes?  Comment  donc  l'homme  en 
auroit-il  besoin  pour  connoitre  ses  devoirs,  &  quels  moyens  avoit-il  de  les 


'  L'inconséquence  d'admettre  deux  révélations  et  de  rejeter  la  troisième. 

'  La  Hontan  avait  déjà  insisté  sur  cette  incertitude  des  traductions,  cf.  Dialogues 
[io5],  6-7  [c'est  un  sauvage  qui  parle  à  un  Européen  :  «  L'invention  de  l'écriture  n'a 
été  trouvée,  à  ce  que  tu  me  dis  un  jour,  que  depuis  trois  mille  ans,  l'imprimerie 
depuis  quatre  ou  cinq  siècles  ;  comment  donc  s'assurer  de  tant  d'événements  divers 

pendant   plusieurs   siècles? Si   nous   voyons   de   nos   propres   yeus  des  faussetés 

imprimées  et  des  choses  différentes  de  ce  qu'elles  sont  sur  le  papier  [dans  les  livres 
écrits  par  les  Jésuites  sur  son  pays[.  —  comment  veux-tu  que  je  croie  la  sincérité  de 
ces  Bibles,  écrites  depuis  tant  de  siècles,  traduites  de  plusieurs  langues  par  des 
ignorants,  qui  n'en  auront  pas  conçu  le  véritable  sens,  ou  par  des  menteurs,  qui 
auront  changé,  augmenté  ou  diminué  les  paroles  qui  s'y  trouvent  aujourd'hui  »  ? 

'  Voici  encore,  dans  ce  défilé  des  vieilles  objections  vulgarisées  par  les  déistes, 
une  réflexion  vraiment  personnelle,  et  qui  rejoint,  pour  l'accent,  celle  que  j'ai  déjà 
soulignée,  p.  141  :  «  Que  d'hommes  entre  Dieu  et  moi»!  C'est  au  fond  le  même 
besoin  d'indépendance  absolue  qui  a  dicté  les  deux  cris;  les  livres  sont,  eux  aussi,  des 


368  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

choisir  ?)).    '    Ou    il    apprendra   ses    devoirs    de    lui-même    ou    il    est 
dispensé  de   les  savoir]. 


F,  f°  171  '■°  f  [Nos  catholiques  font  grand   bruit  de  l'autorité  de  l'Eglise 

mais  «  que  »  (^  gagnez-vous)  à  cela  s'il  ^  faut  f*  tout]  autant  de 
travail  et  de  preuves  pour  établir  (^Dautorité  ('■  de  vôtre  église) 
qu'C  à  nous)  pour  établir  (**  la  vérité  de  nos  sentimens).  ^  La  décision 
de  l'Eglise  n'est  point  une  preuve  que  l'Eglise  ait  droit  de  décider. 
1"  Ainsi  nous  voila  rejettes  dans  les  mêmes  discussions]. 

Connoissez-vous  beaucoup  de  chrétiens  qui  aient  pris  la 
peine  d'examiner  "avec  soin  ce  que  ('-les  Juifs)  allegue(nt)  contre 
le  ("  Christianisme).  Si  quelques  uns  en  ont  vu  quelque  chose 
c'est  dans  les  livres  des  chrétiens.  '*  Belle  manière  de  s'instruire 
('^  des  sentimens)  de  (""'nos)  adversaires.  "Mais  comment  faire. 
(18  On  ne  '"  laisseroit  pas  imprimer)  parmi   nous  des  livres  où  l'on 


'  M.  <  Ou  il  apprendra...  de  les  savoir  >. 
'■*  «  gagnent  »  [ils]. 
■'  [(leur)].  —  B.  leur. 

•*  B.  (tout)  un  aussi  grand  appareil  de  preuves. 
'-  [cette]. 
'•  B.  (même). 
■  [aux  autres  sectes]. 
"  [directement  leur  doctrine]. 
'■'  B.  L'Eglise  décide  que  l'Eglise  a  droit. 

'"  B.  Ne  voilà-t-il  pas  une  autorité  bien  prouvée  ?  Sortez  de  là,  vous  rentrez 
dans  toutes  nos  discussions. 
"  B.  [avec  soin]. 
'-  [le  Judaïsme]. 
'■'  [(leur  doctrine)  «  eu.x  »]. 
"  B.  (Belle)  [Bonne]. 
'■'  [des  raisons]. 
"'  [leurs]. 

"  [Et].  — B.  Mais. 

"  [Si  (nous)  quelqu'un  osoit  publier  parmi]. 
"  [(laissoit)]. 

1  Rousseau  a  songé  un  instant  à  reporter  ce  paragraphe  quelques 
pages  en  arrière  :  cf.,  la  note  précédente. 


ÉDITION    ORIGINALE  369 

connoître  avant  que  ces  livres  fussent  faits?  Ou  il  apprendra  ces  devoirs 
de  lui-même,  ou  il  est  dispensé  de  les  savoir. 


Nos  Catholiques  font  grand  bruit  de  l'autorité  de  l'Église;  mais  que 
ga-'gnent-iis  à  cela,  s'il  leur  faut  un  aussi  grand  appareil  de  preuves  pour  [165] 
établir  cette  autorité,  qu'aux  autres  sectes  pour  établir  directement  leur 
doctrine?-'  L'Église  décide  que  l'Église  a  droit  de  décider.  Ne  voilà-t-il 
pas  une  autorité  bien  prouvée?  Sortez  de-là,  vous  rentrez  dans  toutes  nos 
discussions  '. 

Connoissez-vous  beaucoup  de  Chrétiens  qui  aient  pris  la  peine 
d'e.xaminer  avec  soin  ce  que  le  Judaïsme  allègue  contr'eux  ?  Si  quelques- 
instruments  de  servitude  :  «  Que  de  livres  entre  Dieu  et  moi  »  !  semble-t-il  dire  ici. 
En  outre,  ce  mouvement  de  mauvaise  humeur  contre  les  livres  est  bien  dans  Tesprit 
général  de  son  svstème,  et  rattache  la  Profession  à  l'idéal  des  deux  Discours,  de  la 
Lettre  à  D'.Membert,  et  du  reste  de  VÈmiie  :  cf.  la  maxime  du  III'  Livre,  II,  i55  :  «  Je 
hais  les  livres  ».  On  verra,  quelques  pages  plus  loin,  p.  175,  Rousseau  paraître  un 
instant  oublier  ces  principes,  et  revendiquer  lui-même,  pour  les  «  sciences  humaines  », 
le  droit  d'exister.  Notons  que,  dans  la  Réponse  à  M.  Borde,  il  avait  formellement 
excepté  de  son  anathème  contre  les  livres  ceux  qui  contenaient  la  Révélation,  I,  63  . 
«  Enfin,  pour  quelque  homme  que  ce  soit,  il  n'y  a  de  livres  nécessaires  que  ceux  de 
la  Religion,  les  seuls  que  je  n'ai  jamais  condamnés  ».  Et  ici  même,  après  avoir  protesté 
contre  «  la  manie  des  livres  »,  et  surtout  des  livres  qui  se  disent  sacrés,  le  Vicaire 
fera  une  exception  pour  l'Évangile,  ce  «  livre  à  la  fois  si  sublime  et  si  simple  »  : 
cf.,  plus  loin.  p.  17g. 

■  Cf.  la  seconde  des  Lettres  de  la  Montagne,  111,  i36  :  «  Qu'on  me  prouve 
aujourd'hui  qu'en  matière  de  foi  je  suis  obligé  de  me  soumettre  aux  décisions  de 
quelqu'un,  dès  demain  je  me  fais  catholique  ».  —  Celte  petite  parenthèse  sur  la 
théorie  de  1'  «  autorité  »  dans  le  catholicisme  —  qui  a  d'abord  été  une  note  marginale 
de  F  —  interrompt  le  mouvement  général  de  la  discussion.  Rousseau  s'en  est 
d'ailleurs,  rendu  compte,  puisqu'il  a  longtemps  hésité  sur  la  place  à  lui  attribuer 
(Cf.,  dans  B,  les  signes  de  renvoi,  qu'il  a  plus  tard  eftacési,  et  que  dans  l'un  des  manuscrits 
(H)  il  a  transporté  ces  quelques  lignes  en  tète  du  débat  sur  les  «  trois  principales 
religions  de  l'Europe  ».  —  C'est  vraisemblablement  une  riposte  à  Dom  Calmet.  En 
lisant  la  Dissertation  sur  les  vrais  et  les  faux  miracles  Ji8],  I,  660,  il  put  remarquer 
que  Calmet  se  tirait  du  «  diallèle  »  précisément  par  «  l'autorité  de  l'Eglise  »  :  «  On 
répond  qu'ici  le  principe  sur  lequel  est  fondé  tout  ce  que  nous  disons,  est  que  Dieu, 
étant  la  vérité  même,  ne  peut  nous  induire  en  erreur,  ni  autoriser  l'imposture  et  le 
mensonge  par  son  approbation  et  par  une  suite  de  vrais  miracles;  qu'ayant  promis 
l'infaillibilité  à  son  Église,  il  ne  peut  manquer  à  sa  promesse.  Voilà  le  principe  de 
notre  raisonnement:  principe  incontestable  et  renfermé  dans  l'idée  même  que  nous 
avons  tous  de  la  Divinité,  comme  d'un  être  infiniment  parfait.  Lors  donc  que,  dans 
le  doute  de  la  vérité  d'un  miracle,  ou  dans  le  concours  de  deux  faiseurs  de  miracles, 
je  renvoie  à  l'examen  de  la  doctrine  ou  à  l'autorité  de  l'Église,  je  ne  le  fais  qu'en 
conséquence  du  principe  infaillible  que  l'on  ne  peut  contester,  qui  est  que  Dieu  ne 

24 


370  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

(1  prouveroit   ou   croiroit  prouver)    que   Jésus    Christ  n'est  pas    ^  le 

Messie    (^  on    *  puniroit)    !'[*  auteur],    *  l'imprimeur,    le  libraire, 

(nous    crierions    aux    pieux    blasphèmes).    Cette    "•    police  (^   peut 

être  fort  pieuse  mais  elle  me  paroit   ïort  peu  raisonnable)  il   (^  est 


'  [(voudroit)  affirmeroit].  —  B.  (affirmeroit  où  l'on  s'efforceroit  de  prouver 
que  Jésus  Christ  n'est  pas  le  Messie)  [favoriseroit  ouvertement  le  Judaisme]  nous. 

-  [(Dieu)]. 

'  [nous  punirions]. 

*  (croiroit). 

'^  (éditeur). 

"  B.  <  l'imprimeur  >  l'Editeur. 

'  \{mot  inachevé  et  illisible  pieuse)]. 

"  [est  (surtout)  [fort  aisée]  (et  outre?  fort)  comode  [car]].  — B.  est  (sure) 
comode  et  sûre  pour  avoir  toujours  raison.  Il  y  a  plaisir. 

"  [y  a  plaisir  à]. 


EDITION   ORIGINALE  37 1 

uns  en  ont  vu  quelque  chose,  c'est  dans  les  livres  des  Chrétiens.  Bonne 
manière  de  s'instruire  des  raisons  de  leurs  adversaires  !  Mais  comment 
faire?  Si  quelqu'un  osoit  publier  parmi  nous  des  livres  où  l'on  favori- 
seroit  ouvertement  le  Judaïsme,   nous   punirions  l'Auteur,   l'Éditeur,  le 


peut  tromper,  et  que  la  décision  de  son  Église  est  la  décision  de  son  Saini-Esprit. 
L'Église  tire  donc  sa  force  de  la  parole  de  Jésus-Christ,  Les  miracles  et  la  doctrine 
sont  appuvés  sur  le  même  fondement.  Ce  n'est  point  là  une  pétition  de  principes; 
c'est  un  enchaînement  de  preuves  et  de  principes,  qui  répondent  l'un  à  l'autre,  et  qui 
se  prêtent  mutuellement  de  la  force  et  de  la  lumière  ».  Sans  doute,  c'est  seulement 
dans  B,  comme  on  l'a  vu,  que  se  trouve  mentionnée  la  Disserlation  de  Calmet,  et 
qu'apparaît  pour  la  première  fois  le  développement  sur  le  rapport  des  miracles  avec 
la  doctrine.  Mais,  dans  F  déjà,  Rousseau  semble  avoir  lu  les  ouvrages  de  Calmet, 
comnle  le  montre  la  réflexion  sur  les  vampires.  Au  reste,  ce  paragraphe  sur  l'autorité 
de  l'Église,  ayant  été  ajouté  en  marge  de  F,  a  pu  être  à  peu  près  contemporain  de  la 
rédaction  de  B.  Je  crois  donc  probable  que  c'est  la  lecture  de  Calmet  qui  l'a  suggéré. 
—  Il  est,  d'ailleurs,  possible  que  Morellet  y  ait  aussi  contribué.  On  verra  plus  loin, 
note  1  de  la  p.  176,  que  Rousseau,  en  rédigeant  un  paragraphe  de  B,  utilisait  l'article 
Foi  que  .Morellet  avait  écrit  pour  \' Encyclopédie.  Or,  dans  ce  même  article,  Morellet 
e.<posait  les  difiérents  systèmes  des  théologiens  catholiques  sur  l'autorité  de  l'Église, 
et  montrait  que  certains  d'entre  eux  aboutissaient  à  ce  sophisme,  que  signale  aussi 
Rousseau,  de  prouver  l'autorité  de  l'Église  par  cette  autorité  même  224].  10  a-b  :  «  La 
dilfîculté  en  ceci  vient  de  l'embarras  qu'on  éprouve  à  placer  dans  un  ordre  naturel  et 
raisonnable  deux  motifs  qui.  dans  la  doctrine  catholique,  doivent  entrer  tous  deux 
dans  l'analyse  de  la  foi.  Ces  deux  motifs  sont  l'autorité  de  l'Écriture  et  celle  de 
l'Église  (la  tradition  peut  être  ici  confondue  avec  l'autorité  de  l'Église,  qui  seule  en 

est  dépositaire,  et  qui  parle  pour  elle) Je  crois  tel  dogme,  parce  qu'il  est  révélé.  Je 

crois  qu'il  est  révélé,  parce  que  la  société  religieuse,  dans  laquelle  je  vis,  m'enseigne 
qu'il  est  révélé.  Je  crois  à  son  enseignement,  parce  qu'elle  est  infaillible,  parce  qu'elle 
est  l'Église  de  Jésus-Christ,  et  que  l'Église  de  Jésus-Christ  est  infaillible.  Je  crois 
qu'elle  est  l'Église  de  Jésus-Christ,  parce  que  les  chefs,  les  pasteurs  de  cette  Église  ont 
succédé  à  ceux  que  Jésus-Christ  même  avait  établis;  et  je  crois  que  l'Église  de 
Jésus-Christ  est  infaillible,  parce  que  cette  infaillibilité  lui  est  promise  et  clairement 
contenue  dans  les  Écritures  proto-canoniques  que  tous  les  chrétiens  reçoivent,  et  qui 
sont  la  parole  de  Dieu,  soit  dans  une  infinité  d'endroits  particuliers,  soit  dans  toute 
l'histoire  de  l'établissement  de  la  religion  que  racontent  ces  mêmes  livres  divins  et 
inspirés.  Je  crois  que  les  Écritures  sont  la  parole  de  Dieu,  sont  divines  et  inspirées, 
parce  que  cette  vérité  est  essentiellement  liée  avec  cette  autre,  la  religion  chrétienne 
est  émanée  de  Dieu.  Je  crois  enfin  que  la  religion  chrétienne  est  émanée  de  Dieu,  par 
tous  les  motifs  de  crédibilité  qui  me  le  persuadent.  Cette  méthode  parait  si  simple  et 
SI  naturelle,  qu'on  pourra  s'étonner  de  voir  qu'elle  n'est  pas  embrassée  par  tous  les 
théologiens.  Cependant  un  grand  nombre  d'entre  eux,  dans  leurs  disputes  avec  les 
protestants,  ont  été  jetés  dans  une  route  diti'érente  par  le  désir  d'élever  à  un  plus  haut 
degré,  s'il  était  possible,  l'autorité  de  l'Église.  Ils  ont  prétendu  que  le  fidèle  ne 
croyait  la  vérité  et  l'inspiration  du  corps  même  des  Écritures  des  livres  proto-cano- 
niques, que  par  le  motif  de  l'autorité  infaillible  de  l'Église  qui  les  adopte  :  d'où  ils 
ont  été  obligés,  dans  l'ordre  du  raisonnement  et  dans  l'analyse  de  la  foi,  tantôt  à 
prouver  l'autorité  de  l'Église  par  la  révélation,  en  même  temps  qu'ils  établissaient 
l'autorité  de  la  révélation  sur  celle  de  l'Église,  en  quoi  ils  faisaient  un  cercle 
vicieu.x   bien   sensible,   et  que  les  protestants  n'ont  pas  manqué  de  leur  reprocher  ; 


372  REDACTIONS    MANUSCRITES 

bien    aisé   de)    «■    '  réfuter   »   des   gens    (à)    qui    (^  l'on   ne   permet 
pas  de  parler  *).  f 

Ceux  d'entre  ^  nous  qui  sont  à  portée  de  converser  avec  des 
Juifs  ne  sont  guéres  plus  avancés.  (*  Les  Juifs)  se  sentent  à  notre 
discrétion,  la  ■'  barbare  tirannie  qu'on  exerce  ''  sur  eux  les  rend 
'craintifs,   ils  savent  «combien   peu   "nous  coûtent  les  injustices, 


B,  F  182  ™  [*  10  Voici  un  fait  C  notoire)  qui  ('^  pourra  servir  de  preuve),  i'  Dans  le 

i6«  siècle  les  théologiens  ("de  Cologne)  ayant  condanné  au  feu  tous  les 
lisTcs  des  Juifs  sans  distinction.  L'illustre  et  savant  Reuchlhin  consulté 
C'^la  dessus  s')attira  de  terribles  (affaires)  qui  faillirent  "'le  perdre  pour 
avoir  osé  opiner  qu'on  pouvoit  conserver  ceux  de  ces  livres  qui  ne  faisoient 
rien  contre  le  christianisme  et  "qui  traitioient  de  matières  indifférentes  '«. 
(Jugez  comment  (''^on  s'instruit)  [bien]  des  autres  religions  dans  celle[s]  ou 
l'on  se  conduit  sur  de  «  tels  »  [-"  principes]  ■")]. 


'  [(briller  en  réfutant)]. 

-  [n'osent  (rien  dire)  parler].  —  B.  «  qui  n'osent  »  (rien  direl  parler  [(qu'on 
empêche  de  parler)]. 

'  I.  (eux)  nous  qui. 

*  [(Ils)...  «  Les  malheureux  »]. 

*  M.  <  barbare  >. 

^  B.  envers.  —  M.  contre. 

'  CTSLinùf  (sic). 

^  (en). 

"  B.  l'injustice  et   la  cruauté  coûtent  à  la  charité  chrétienne,  qu'oseront-iis. 
'"  (Tous  les  livres  des...  Chacun...  On  sait  les  terribles  affaires  que  s'attira... 
Le  pauvre...  L'illustre  et  savant  Reuchlin  [«  consulté  »  à  l'occasion  de  la  suppres- 
sion  des   livres  des  Juifs]    pour  avoir  osé  dire...   distinguer  entre  les  livres  des 
Juifs).  —  I.  Entre  mille  faits  (en  voici)  connus  en  voici  un  qui. 
"   [connu].  —  M.  <  connu  >  qui. 
'-  [n'a  pas  besoin  de  commentaire]. 
'■'  (Au  commencement). 
'*  [catholiques]. 
'^  «  sur  »  [cette  affaire  s'en]. 
"'  M.  (barré  au  crayon  :  à)  le  perdre. 
"  M.  <  qui  >. 
"  M.  à  la  Religion. 
'"  [s'instruire]. 
-"  (points  DE  vriE  ?) 
-'  (Veri  mot  inachevé). 

t  L'astérisque,  comme  la  note  qu'il  amorce,  manque  dans  F. 


ÉDITION    ORIGINALE  373 

Libraire  ^  *.    Cette    police   est  |  commode   &    sûre    pour   avoir   toujours        [166] 
raison.   Il  v  a  plaisir  à  réfuter  des  gens  qui  n'osent  parler. 

Ceu.x  d'entre  nous  qui  sont  à  portée  de  converser  avec  des  Juifs  ne 
sont  guère  plus  avancés.  Les  malheureux  se  sentent  à  notre  discrétion  ;  la 

*  Entre  mille  faits  connus,  en  voici  un  qui  n'a  pas  besoin  de  commentaire. 
Dans  le  seizième  siècle,  les  Théologiens  catholiques  ayant  condamné  au  feu 
tous  I  les  livres  des  Juifs,  sans  distinction-,  l'illustre  &  savant  Reuchlin  consulté  [166] 
sur  cette  affaire,  s'en  attira  de  terribles,  qui  faillirent  le  perdre,  pour  avoir 
seulement  été  d'avis  qu'on  pouvoit  conserver  ceux  de  ces  livres  qui  ne  faisoient 
rien  contre  le  Christianisme,  &  qui  trailoient  de  matières  indifférentes  à  la  religion  '. 


tantôt  il  n'établir  le  dogme  capital  de  l'infaillible  autorité  de  l'ICglise,  que  sur  des 
motifs  de  crédibilité  indépendants  de  la  révélation,  dans  la  crainte  de  tomber  dans 
le  sophisme  qu'on  leur  reprochait  :  et  tantôt  enfin  à  prouver  l'autorité  de  l'Église 
par  l'autorité  même  de  l'Église,  ce  qui  est  absolument  insoutenable  ». 

'  Cependant,  si  l'on  ne  peut  citer,  dans  la  librairie  française  du  XVIH'  siècle,  des 
apologies  «  ouvertes  »,  et  surtout  sincères,  du  judaïsme,  il  faut  noter  que  la  propa- 
gande déiste  se  dissimulait  alors  volontiers  derrière  de  pseudo-sympathies  judaïques. 
L'exemple  le  plus  typique  est  fourni  par  les  Lettres  Juives,  où  le  marquis  d'.Argens 
démontre  complaisamment  que  les  plus  intelligents  des  Parisiens  sont  des  Juifs  sans 
le  savoir,  et  que  le  Judaïsme  bien  compris  n'est  qu'un  déisme  fort  raisonnable: 
cf.  IV'  Lettre  'i5o'.  1,  40-41  :  «  Tout  ce  qu'on  appelle  ici  [à  Paris]  esprit  fort,  gens  de 
bel  air,  femme  du  monde,  n'exercent  la  Religion  nazaréenne  que  dans  l'extérieur:  au 
fond  du  cœur,  il  en  est  très  peu  qui  en  soient  persuadés.  Ils  se  contentent  de  croire 
un  Dieu:  plusieurs  pensent  que  l'âme  est  immortelle;  beaucoup  d'autres,  ainsi  que  les 
Saducéens,  soutiennent  qu'elle  est  sujette  à  la  mort.  Je  regarde  ces  derniers  comme 
des  gens  dans  l'erreur;  quant  aux  premiers,  je  ne  sais  si  nous  pouvons  leur  refuser 
le  titre  de  Juifs.  Ils  croient  un  Dieu  qui  a  créé  l'Univers,  qui  récompense  les  bons  et 
punit  les  méchants.  Que  croyons-nous  davantage  ?  N'est-ce  pas  là  toute  notre  religion, 
excepté  quelques  cérémonies  que  nos  docteurs  et  nos  prêtres  nous  ont  ordonnées  i" 

Mais  les  cérémonies  ne  sont  pas  indispensablement  nécessaires Si  tu  réfléchis  à  ce 

que  je  te  dis,  tu  ne  pourras  refuser  de  connaître  ce  nombre  de  Parisiens,  dont  je  te 
parle,  pour  des  Enfants  d'Israël  »;  XXIX'  Lettre,  I.  3i2  :  «  Si  un  Israélite,  dépouillant 
sa  religion  de  l'extérieur,  vient  à  la  lui  montrer  toute  nue  [à  un  philosophe  chinois], 
qu'il  lui  expose  qu'il  croit  un  Dieu,  Esprit  immense,  éternel,  et  souverainement 
puissant,  qui  de  rien  a  tout  fait,  qui  soutient  tout  par  sa  volonté,  qui  punit  le 
mauvais  et  récompense  le  bon;  le  philosophe  alors,  charmé  de  ces  idées,  étonné  de  la 
vérité  dont  il  se  sent  frappé,  reconnaît  que  le  Juif  croit  et  suit  ce  que  la  raison  la  plus 
épurée  démontre  évidemment  »:  dans  la  XXIV"  Lettre.  IV,  i5,  l'éloge  enthousiaste  de 
la  religion  juive  :  «  Plus  je  considère  ma  religion,  mon  cher  Isaac,  plus  je  la  trouve 
admirable  et  magnifique.  L'n  seul  Dieu,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre  ».  etc. 
Cf.  encore  les  textes  cités  dans  les  deux  notes  suivantes. 

'  Il  est  malaisé  de  savoir  à  qui  Rousseau  a  emprunté  ce  fait.  On  ne  le  trouve  ni 
dans  Deslandes.  Histoire  critique  de  la  philosophie  [148],  ni  dans  Saint-.\ubin,  ni  dans 
Bayle,  oii  l'on  serait  tenté  de  le  chercher  tout  d'abord.  Diderot  raconte  sommairement 
la  mésaventure  de  Reuchlin  dans  l'article  Pythagore  de  ['Encyclopédie  [58],  XVI, 
532-533:  mais  l'article  n'avait  pas  encore  paru  en  1762.  A  moins  donc  que  Rousseau 
n'ait  appris  ces  détails   dans   une  conversation  avec   Diderot,   je  ne  vois   que    deux 


374  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

1  qu'oseront  ils  dire  sans  -  nous  faire  crier  au  blasphème.  (Pour  peu 
qu')  5  ils  (*  soient)  riches  (Mis  auront  toujours)  tort.  (D'ailleurs)  les 
plus  sa\ans  les  plus  éclairés  sont  "les  plus  circonspects,  'ils  se 
sentent  opprimés,  ils  se  taisent.  Vous  ferez  parler  quelques  ['  misé- 
rables fripiers,  ("  quel  guES  malheureux  "^  brocanteurs,  etc.)  [qui 
1'  céderont  peut  être  pour  vous  flatter  .  \'ous  triompherez  de  leur 
ignorance  |ou  de  leur  lâcheté]  ('-les)  docteurs  Iriront  en  '-^  secret 
de  vôtre  ineptie  '*  maisj  ne  vous  diront  rien.  ('^  Je  doute)  que]  dans 
les  lieux  où  ils  se  ("=  croyenti  plus  en  sûreté  l'on  ("  ait)  aussi  bon 
marché  d'eux.  En  Sorbonne  il  est  clair  comme  le  jour  que  les 
prédictions  du  Messie  se  raportent  à  Jésus  Christ  chez  les  Rabbins 
d'Amsterdam  il  (n')est  ('*  pas  moins)  clair  qu'elles  n'\-  ont  ('■'  pas  le 
moindre)  raport.  Je  ne  croirai  jamais  avoir  bien  entendu  les 
raisons  des  Juifs  qu'ils  n'aient  un  état  libre,  des  écoles,  des 
universités  ou  ils  puissent  parler  -"  sans  -'  crainte;  alors  seulement 
nous  pourrons  savoir  ce  qu'ils  --ont  à  dire. 


'  (pour  (qu'eux)  qu'ils). 

-  B.  s'exposer  à  nous  faire.  —  M.  nous  faire. 

^  B.  l'avidité  nous  donne  du  zèle  ei  ils  sont  trop  riches. 

**  [sont  trop]. 

'  [pour  n'avoir  pas  toujours'.  —  B.  pour  In'Javoir  (jamais  raison)  [pas 
toujours  tort]. 

"  B.  précisément. 

'  B.  vous  convertirez  quelque  misérable,  pavé  pour  calomnier  la  secte; 
vous  ferez  parler.  —  M.  pour  calomnier  sa  secte:  vous  ferez  parler. 

«  B.  vils. 

■'  quels  malheureux  brocanteurs  ^.sic^ 

'"    (m   ARCHANDS). 

"  B.  (cédèrent!  [céderont;  pour  vous  Hâter. 

'-'  [leurs.]  —  B.  tandis  que  leurs  Docteurs  [sou]riront. 

"  B.  silence. 

"  B.  <  mais  ne  vous  diront  rien  >.  Mais  crovez-vous  que  dans  des. 

'■'  [Aurez  ?-vous]. 

'"  [croiroient].  —  B.  seniiroient  en  sûreté. 

"  [eut]. 

'"  [tout  aussi]. 

"  [nul].  — ■  B.  pas  le  moindre  rapport. 

^^  B.  et  disputer. 

-'  M.  risque.  — I.  (crainte,  sans  sauf  conduit)  [risque]. 

--  M.  auront. 


EDITION'   ORIGINALE  375 

tirannie  [^)  qu'on  exerce  envers  eux  les  rend  craintifs;  ils  savent  combien 
peu  l'injustice  &  la  cruauté  coûtent  à  la  charité  chrétienne  :  qu'oseront-ils 
dire  sans  s'exposer  à  nous  faire  crier  au  blasphème?  L'avidité  nous 
donne  du  zèle,  &  ils  sont  trop  riches  pour  n'avoir  pas  tort.  Les  plus 
savans,  les  plus  éclairés  sont  toujours  les  plus  circonspects.  Vous  con- 
vertirez quelque  misérable  payé  pour  calomnier  sa  secte;  vous  fe-|rez  [167] 
parler  quelques  vils  frippiers,  qui  céderont  pour  vous  flatter;  vous 
triompherez  de  leur  ignorance  ou  de  leur  lâcheté,  tandis  que  leurs 
Docteurs  souriront  en  silence  de  votre  ineptie.  .Mais  croyez-vous  que 
dans  les  lieux  où  ils  se  sentiroient  en  sûreté  l'on  eût  aussi  bon  marché 
d'eux  ?  En  Sorbone  (*>),  il  est  clair  comme  le  jour  que  les  prédictions  du 
Messie  se  rapportent  à  Jesus-Christ.  Chez  les  Rabbins  d'Amsterdam, 
il  est  tout  aussi  clair  qu'elles  n'y  ont  pas  le  moindre  rapport.  Je  ne  croirai 
jamais  avoir  bien  entendu  les  raisons  des  Juifs,  qu'ils  n'aient  un  Etat 
libre,  des  écoles,  des  universités,  où  ils  puissent  parler  &  disputer  sans 
risque.  Alors,  seulement,  nous  pourrons  savoir  ce  qu'ils  ont  à  dire  '. 


t>  »  C,  D  :  tyrannie. 
(  b  )  C,  D  :  Sorbonne. 

ouvrages  OÙ  il  aurait  pu  se  renseigner;  VHistoria  critica  philosophiœ  de  Jacob 
Brucker,  que  Diderot  utilisait  sans  vergogne  pour  ses  articles  sur  l'histoire  de  la 
philosophie,  et  qu'il  avait  peut-être  recommandée  à  son  ami  :  cf.,  dans  la  IIP  Période. 
I,  II,  4  [164],  IV,  Pars  I.  366;  et  plus  vraisemblablement  V Histoire  des  Juifs  de  Basnage, 
oti  toute  l'aft'aire  Reuchlin  est  racontée  par  deux  fois,  et  très  copieusement,  III,  vi,  17  et 
m,  XXX,  12  [108],  II,  721-722  et  V,  2039-2061.  Le  récit  de  Basnage  est  tout-à-fait  dans  l'esprit 
de  Rousseau;  cf.  sa  conclusion,  p.  2060  :  «  Le  bon  sens  voulait  qu'on  raisonnât  ainsi 
[comme  l'avait  fait  Reuchlin]  et  qu'on  étendit  ce  raisonnement  à  tous  les  livres  qui  étaient 
imprimés  et  publiés.  Cependant  on  fit  un  crime  à  Reuchlin  de  parler  ainsi,  et  les  théolo- 
giens commencèrent  à  persécuter  l'auteur  de  ce  sentiment.  Il  suffisait  de  savoir  alors  un 
peu  de  grec  pour  être  suspect,  et  d'entendre  l'hébreu  pour  être  convaincu  d'hérésie  ». 
'  J'ai  déjà  noté  plus  haut.  p.  162,  note  2.  la  sympathie  secrète  qui  se  laisse 
deviner  chez  Rousseau  pour  le  judaïsme.  Lefranc  de  Pompignan  l'avait  remarquée. 
Philosophie  des  incrédules  [246],  I,  348  :  «  A  l'égard  des  Juifs,  le  Citoyen  de  Genève 
paraît,  on  ne  sait  pourquoi,  avoir  une  prédilection  singulière  pour  leur  religion  ». 
Il  est  certain  que  1'  «  étonnant  spectacle  »  des  destinées  juives  avait  plus  d'une  fois 
retenu  la  pensée  de  Rousseau.  Dans  un  de  ses  cahiers  de  brouillons  [6].  8-g,  je  trouve 
sur  la  vitalité  du  peuple  juif  deux  pages  très  curieuses,  qui  se  terminent  ainsi  :  «  Tout 
homme,  quel  qu'il  soit,  y  doit  reconnaître  une  merveille  unique,  dont  les  causes  divines 
ou  humaines,  méritent  certainement  l'étude  et  l'admiration  des  sages,  préférablement  à 
tout  ce  que  la  Grèce  et  Rome  nous  offrent  d'admirable  en  fait  d'institutions  politiques, 
et  d'établissements  humains».  Pourtant  ce  sont  d'autres  sentiments  qui  doivent  expliquer 
ici  cette  «  prédilection  »  de  Jean-Jacques  pour  le  credo  juda'îque.  Il  y  entre  d'abord 
beaucoup  de  cette  compassion  naturelle  chez  lui  pour  tous  les  persécutés.  L'Histoire  des 
Juifs  de  Basnage  qu'il  a  probablement  lue  (cf.  la  note  précédentei  lui  offrait  le  récit  très 
objectif,  sur  un  ton  tolérant  et  presque  sympathique,  de  toutes  les  violences  subies  par 
les  Juifs  modernes.  Elle  lui  expliquait  sous  l'empire  de  quelles  craintes  les  conciles  avaient 


376  REDACTIONS    MANUSCRITES 

jo  171  vo  II  ^  constantinople  les  Turcs  disent  leurs  raisons  mais  nous 

n'osons  dire  les  nôtres.  [Là]  c'est  nôtre  tour  de  ramper.  Si  les 
Turcs  exigent  de  nous  pour  mahomet  auquel  nous  ne  cro^■ons 
point,  le  même  respect  que  nous  exigeons  '  pour  Jésus  Christ 
|des  Juifs]  qui  n'y  croyent  pas  davantage;  les  Turcs  ont-ils  tort 
avons-nous  raison.  Sur  quel  principe  -  raisonable  et  juste  résou- 
drons-nous cette  question. 


'  (des  Juifs).  — I.  (des  J  uiks). 

-  B.   équitable   résoudrons-nous.  —  M.  équitable  au   gré   d'un    tiers   résou- 
drons-nous. —  I.  équitable  [(au  gré  d'un  tiers)]  résoudrons-nous. 


ÉDITION    ORIGINALE  377 

A  Constantinople,  les  Turcs  disent  leurs  raisons,  mais  nous  n'osons 
dire  les  nôtres;  là,  c'est  notre  tour  de  ramper.  Si  les  Turcs  exigent  de 
nous  pour  (  .Mahomet,  auquel  nous  ne  croyons  point,  le  même  respect  l168] 
que  nous  exigeons  pour  Jesus-Christ  des  Juifs  qui  n'y  croyent  pas 
davantage;  les  Turcs  ont-ils  tort,  avons-nous  raison?  Sur  quel  principe 
équitable  i^i  résoudrons-nous  cette  question  ? 

(ai  C  :  équitable  au  gré  d  un  tiers,  puis  Rousseau  a  barré 
cette  addition  ;  D  :  équitable. 

interdit  aux  Juifs  toute  dispute  avec  les  chrétiens;  elle  lui  mettait  enfin  sous  les  veux 
une  «  Profession  de  foi  des  Juifs  »  en  treize  articles,  qui  n'étaient,  à  bien  les  regarder, 
sauf  quatre  où  s'affirmaient  encore  leurs  invincibles  espérances,  que  les  articles  de  foi 
du  théisme  :  cf.  [108],  V,  1665-1667.  1697,  III,  1-4.  Cette  affinité  du  théisme  et  du 
judaïsme  avait  été  sentie  par  bien  des  «  philosophes  ».  De  là  ce  ton  de  courtoisie  avec 
lequel  plusieurs  parlent  de  la  «  Religion  d'Israël  ».  On  en  trouvera  dans  l'avant-dernière 
note  quelques  preuves  typiques,  empruntées  aux  Lettres  Juives.  Il  y  en  a  d'autres; 
cf.  Pensées  philologiques  [188],  22  :  «  M.  de  Saumaise  déclara,  à  l'article  de  la  mort, 
à  un  ami  qui  lui  demanda  quels  étaient  ses  sentiments  dans  ce  dernier  moment,  que. 
si  Dieu  exigeait  un  culte,  la  Religion  juive  était  la  véritable  ».  Cf.  encore  dans  Marie 
Huber,  Le  Monde  fou  ^140].  119-126,  l'histoire  de  deux  Juifs,  qui  seraient  tentés  de  se 
convertir,  et  que  le  Christianisme  sous  sa  forme  actuelle  rebute.  Pour  les  attirer,  le 
Chrétien  sincère  essaie  de  leur  expliquer  «  que  le  Christianisme  n'est  en  substance  que 
la  Religion  d'Abraham  et  de  David  renouvelée  par  Jésus:  une  religion  dont  la  droiture 
et  l'obéissance  à  la  conscience  sont  la  base  ;  dont  tous  les  principes  se  réduisent  à  un 
dévouement  sincère  de  la  créature  envers  le  Créateur  »;  mais  le  spectacle  des  divisions 
chrétiennes  les  décourage  :  «  ils  conser\'ent  le  nom  de  Juifs,  et  cachent  sous  cette 
apparence,  si  méprisable  aux  veux  des  chrétiens  de  nom.  l'intérieur  d'un  véritable 
Chrétien  ou  la  disposition  qui  en  fait  l'essentiel  »  ;  et  l'un  des  personnages  du  dialogue, 
à  qui  l'on  conte  l'histoire  de  ces  deux  Juifs,  en  tire  la  moralité  suivante  :  «  Je  veux 
faire  connaissance  avec  eux  [les  Juifs  Joseph  et  Benjamin]  :  et  tous  Juifs  qu'ils  sont,  je 
n'aurai  point  de  honte  de  recevoir  d'eux  des  leçons  sur  ce  qui  fait  l'essence  du  Chris- 
tianisme ».  Il  ne  faut  pas  se  méprendre  sur  ces  sympathies  juives;  elles  ne  sont, 
semble-t-il,  qu'une  forme  religieuse  du  déisme.  Il  est  possible  que  Rousseau  ait  été 
séduit  par  ce  qu'il  crovait  trouver  d'ancien  et  de  primitif  dans  la  «  Religion 
d'Abraham»;  mais  l'esprit  même  du  judaïsme  ne  pouvait  que  le  choquer;  et  l'on  a 
vu  plus  haut  que  l'une  des  pages  les  plus  agressives  de  la  Profession  (p.  149)  était 
précisément  dirigée  contre  le  »  Dieu  des  combats  »,  le  Dieu  «  jaloux  »  et  «  vengeur  ». 
Si  «  la  majesté  des  Écritures  l'étonné  »  c'est  «  surtout  la  sainteté  de  l'Evangile  »  qui 
«  parle  à  son  cœur  »  :  cf.,  plus  loin,  la  variante  de  M  au  texte  de  la  p.  179.  Aussi  ne 
serais-je  point  éloigné  de  penser  que,  dans  cette  apologie  du  judaïsme,  il  entre  surtout 
le  désir  de  riposter  à  Voltaire.  Celui-ci  avait  publié  en  1736,  au  t.  Vil  de  ses  Œuvres 
[de  l'édition  Cramer],  dans  les  Mélanges  de  littérature,  d'histoire,  et  de  philosophie 
(IV  Partie,  chap.  LX,  pp.  1-181  une  vingtaine  de  pages  intitulées  :  Des  Juifs,  qui 
formèrent  plus  lard  la  Première  Section  de  l'article  Juifs  dans  le  Dictionnaire  philo- 
sophique. Il  y  disait  'ji],  XIX,  5i8  et  52i  :  «  Il  résulte  de  ce  tableau  raccourci  que  les 
Hébreux  ont  presque  toujours  été  ou  errants,  ou  brigands,  ou  esclaves,  ou  séditieux  ; 
ils  sont  encore  vagabonds  aujourd'hui  sur  la  terre  et  en  horreur  aux  hommes,  assurant 

que  le  ciel  et  la  terre  et  tous  les  hommes  ont  été  créés  pour  eux Vous  ne  uouverez 

en  eus  qu'un  peuple  ignorant  et  barbare,  qui  joint  depuis  longtemps  la  plus  sordide 
avarice  à  la  plus  détestable  superstition,  et  à  la  plus  invincible  haine  pour  tous  les 


378  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


6.  La  Révélation  et  le  problème  du  salut. 


Les  deux  tiers  du  genre  humain  ne  sont  ni  Juifs  ni  mahome- 
tans  ni  chrétiens  et  (^  peut  être  des  milHons)  d'hommes  n'ont 
jamais  oui  parler  de  Moïse  de  Jésus  Christ  ni  de  Mahomet.  -  Com- 
ment concevrai-ie  que  |tous|  ces  gens-là  seront  (con;dannés  pour 
n'avoir  pas  cru  en  Dieu  né  et  mort  il  y  a  quatre  mille  ans  dans  une 
petite  ville  appellée  Jérusalem  qui  leur  est  inconnue,  «  dans  un  petit 
pays  appelle  la  Palestine  «  qu'ils  ne  connoissent  pas  mieux  et  dont  les 
propres  habitans  anciens  et  modernes  nient  la  divinité.  ^  Nos  mission- 
naires (me  di(-on)  vont  par  tout,  (*  je  le  nie).  1^*  Vont  ils  dans  le] 
*cœur  de  l'Affrique  [encore  inconnue  et|  «  où  »  jamais  Européen 
[n'Ja  'pénétré  jusqu'  "ici,  vont-ils  dans  la  tartarie  '' mediterranée 
suivre  à  cheval  les  hordes  i"  ambulantes  dont  jamais  étranger 
n'approche  et  qui  "connoissent  à  peine  le  grand  lama.  \'ont  ils 
dans  les  continens  immenses  de  l'amerique  ou  des  nations  entières 
ne  savent  pas  encore  que  des  peuples  de  l'autre  monde  ont  mis 
les  pieds  dans  le  leur.  Vont  ils  '-  dans  les  Harems  des  Princes 
de    l'asie    annoncer    i-'  Jésus    Christ   à   des    milliers   [de   pauvres] 

'   [combien  de  millions]. 

-  B.  <  Comment  concevrai-je...  nient  sa  divinité  >. 

^  [On  le  nie,  on  dit  que]  nos  missionnaires.  —  B.  on  le  nie  on  (d  it... 
affirme)  [soutient]  que  nos  missionnaires. 

■*  [cela  est  bien  lost  dit.  Mais]. 

^  (dans  le  chœur  de  IWffriquel. 

°  {ch  œur). 

'  (point). 

'  B.  à  présent. 

"  M.  (méridionale)  mediterranée. 

'"  B.  (de  Tartares)  ambulantes. 

"  B.  loin  d'avoir  oui  parler  du  Pape  connoissent. 

'-  B.  au  Japon  dont  leurs  manœuvres  les  ont  fait  chasser  [pour]  jamais  et  où 
leurs  prédécesseurs  ne  sont  connus  des  générations  qui  naissent  que  comme  des 
(bandes  d')intrigans  rusés  venus  (sous)  avec  un  zélé  hypocrite  pour  s'emparer 
doucement  de  [(tout)]  l'empire  ?  Vont-ils  dans  les  Harems. 

'■'  (de).  —  B.  (la  foi  chrétienne)  [(Jésus  Christ)  l'évangile]. 


EDITION    ORIGINALE  379 


6.  La  Révélation  et  le  problème  du  salut. 


Les  deux  tiers  du  genre  humain  ne  sont  ni  Juifs,  ni  Mahométans, 
ni  Chrétiens,  &  combien  de  millions  d'hommes  n'ont  jamais  oui  parler 
de  Moïse,  de  Jesus-Christ,  ni  de  .Mahomet  '?  On  le  nie:  on  soutient  que 
nos  Missionnaires  vont  par-tout.  Cela  est  bientôt  dit  -  :  mais  vont-ils  dans 

peuples  qui  les  tolèrent  et  qui  les  enrichissent.  Il  ne  faut  pourtant  pas  les  brûler  ». 
Rousseau  avait  été  fort  choqué  par  le  ton  de  ce  morceau  ;  cf.,  dans  la  \"  des  Lettres 
de  la  Montagne,  111,  197,  où  il  fait  dire  à  Voltaire  :  «  Voyez  mon  chapitre  Des  Juifs, 
voyez  le  même  chapitre  plus  développé  dans  le  Sermon  des  Cinquante:  il  y  a  là  du 
raisonnement,  ou  l'équivalent,  je  pense  ».  Cf.  encore,  dans  les  Dissertations  mêlées 
[1 58  ">'"],  1.  195-197,  la  Lettre  à  M  ***  sur  les  Juifs,  où  il  est  prouvé  que  le  mépris 
dans  lequel  la  Xation  Juive  est  tombée  est  antérieur  à  la  malédiction  de  Jésus- 
Christ,  et  où  Mirabaud,  qui  parait  bien  l'auteur  de  cette  Lettre,  regarde  comme 
universellement  admis  que  «  la  crédulité,  l'opiniâtreté,  l'entêtement,  et,  ce  qu'on 
peut  appeler  sans  déguisement  faiblesse  et  petitesse  d'esprit,  a  été  et  est  encore 
aujourd'hui  le  caractère  particulier  des  Juifs  ».  - 

•  L'argument  qui  va  être  présenté  était  familier  au.x  déistes;  et  Rousseau  en 
trouvait  l'essentiel  dans  Clarke,  Existence  de  Dieu.  Il,  11  ij25],  111,  25  :  «  Un  auteur 
moderne,  écrit-il,  du  nombre  de  ceu.x  qui  nient  la  Révélation  (Voyez  un  livre  anglais 
intitulé  Les  Oracles  de  la  Raison,  p.  197I  [The  oracles  of  Reason,  etc..  by  Charles 
Blount,  Esq.,  ,'Vlr  Gilden  and  others.  London,  1693,  se  trouvent  en  tête  de  The 
Afiscellaneous  M 'orA.ï  of  Charles  Blount,  Esq..  Printed  in  the  year  i6g5,  in-rz],  insiste 
beaucoup  sur  cet  argument  dont  il  fait  son  fort.  Il  dit  que  de  l'aveu  de  tout  le  monde, 
il  n'y  a  jamais  eu  de  Révélation  divine,  reconnue  universellement  pour  telle,  et  reçue 
en  cette  qualité  dans  tous  les  siècles  et  dans  tous  les  pays  de  la  terre.  Il  fait  semblant 
d'avouer  que,  si  la  doctrine  chrétienne  était  universellement  reçue,  il  ne  pourrait 
s'empêcher  de  croire  qu'elle  est  en  effet  la  Religion  de  Dieu  même.  .Mais  voyant,  dit-il, 
qu'il  n'y  a  point  de  Religion  qui  puisse  se  vanter  d'avoir  été  reçue  universellement  sur 
ce  pied-là,  et  qu'il  y  a  plusieurs  nations  à  qui  la  doctrine  chrétienne  n'a  jamais  été  ni 
prêchée,  ni  connue,  il  est  obligé  de  conclure  qu'une  doctrine,  qui  n'est  pas  universelle 
et  qui  n'a  pas  été  donnée  à  connaître  à  tous  les  hommes  également,  ne  peut  pas  être 
regardée  comme  une  doctrine  nécessaire  à  quelques-uns  ».  .Même  argument  dans  Fréret, 
Lettre  de  Thrasybule  à  Leucippe  [18g],  235.  Cf.  encore  Examen  de  la  Religion,  du 
pseudo-Saint-Evremond  [173],  7  :  «  Examinons  un  instant  combien  le  nombre  des 
Chrétiens  est  petit.  La  Terre  a  quatre  Parties,  l'Europe,  r.\sie,  l'Afrique  et  l'Amérique. 
On  doit  compter  pour  peu  de  chose  les  Chrétiens  d'Asie,  d'Afrique  et  d'Amérique; 
encore  damnons-nous  une  partie  de  ces  Chrétiens  qui  ne  sont  pas  catholiques.  Reste 
l'Europe  :  le  Turc  en  occupe  une  partie  ;  le  Moscovite,  que  nous  damnons  aussi,  parce 
qu'il  est  schismatique.  y  possède  un  grand  royaume.  Nous  damnons  encore  l'Angleterre, 
la  Hollande,  la  Suède  »,  etc. 

'  Cf.  le  verset  5  du  Psaume  XVlll,  repris  par  S'  Paul,  .id  Roman.,  X.  17  :  «  In 
omnem  terram  exivit  sonus  eorum  et  in  fines  orbis  terrae  verba  eorum  ».  Ce  sont 
surtout  les  grands  théologiens  protestants  du  .WI"  siècle  qui  avaient   appuvé  leurs 


380  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

'  d'esclaves,  °  qu'ont  fait  toutes  les  femmes  de  cette  partie  du 
monde  pour  (^  que  jamais)  missionnaire  ne  puisse  leur  prêcher 
la  foi.  ■*  Iront-elles  toutes  en  enfer  pour  avoir  été  {^  entérinées). 
[*  En]  vérité  c'est  une  '  bien  pitoyable  réponse  à  l'objection  de 
l'ignorance  invincible  que  d'alléguer  la  mission  de  prêtres  et  de  dire 
que  l'Evangile  est  prêché  par  toute  la  terre.  Car  premièrement  cela  est 
[trèsj  évidemment  faux,  "et  quand  -'cela  seroit  vrai  qu'y  gagneroit 
on.  La  \eille  '"que  le  premier  missionnaire  est  arrivé  dans  un 
pavs  il  y  est  sûrement  mort  quelqu'un  qui  n'a  pu  l'entendre.  Or 
dites-moi  ce  que  nous  ferons  de  ce  quelqu'un  là.  y  '^  Quand  il  n'y 
auroit  dans  tout  l'univers  qu'un  seul  homme  à  qui  l'on  n'auroit 
jamais  prêché  Jésus  Christ  l'objection  seroit  aussi  forte  pour  ce 
seul  homme  que  pour  '-la  moitié  du  genre  humain. 


'  B.  <  d'  >. 

-  B.  (déjà  manires  d'une  chasteté  forcée  [de  la  CDntinencej  I. 

'■'  [qu'aucun]. 

■•  (Faut-il). 

■'  [recluses].  —  B.  recluses  ?  (et  manires  de  la  continence  ?). 

"  (Enfin).  — B.  <  En  vérité  c'est  une évidemment  faux  >. 

'  (qu  estion). 

"  B.  <  et  >  («  Mais  »). 

■■'  B.  il  seroit  vrai  que  l'Évangile  est  (prêché)  Tannoncé]  par  toute  la  terre 
qu'y  gagneroit-on  ? 

"*  M.  [du  jour]  que  le  premier.  — I.  [du  jour]  que  le  premier. 

"  B.  (Quand  il)  n'y  (auroit  sur  la  terre  entière;  leut-il  dans  tout  l'univers] 
qu'un  seul  homme. 

'-  B.  (la  moitié)  [le  quart].  —  M.  la  moitié. 

t  (,'ctte  fin  de  pai-agrap/ie  avait  d  abord  formé  un  petit  développe- 
ment à  part,  que  Rousseau  avait  inscrit  en  marge  vers  le  haut  de  la 
page:  Quand  il  [n'Jy  auroit  qu'un  seul  homme  au  monde  qui  n'eut 
jamais  entendu  parler  de  Jésus  Christ  l'objection  (n'est)  seroit  aussi  forte 
pour  ce  seul  homme  que  pour  la  moitié  du  genre  humain. 


ÉDITION    ORIGINALE  381 

le  cœur  de  l'Afrique  encore  inconnue,  &  où  jamais  Européen  n'a  pénétré 
jusqu'à  présent?  Vont-ils  dans  la  Tartarie  méditerranéen  suivre  à  cheval 
les  Hordes  ambulantes  dont  jamais  étranger  n'approche,  &  qui  loin  d'avoir 
oui  parler  du  Pape,  connoissent  à  peine  le  grand  Lama  ?  \'ont-ils  dans  les 
con-|tinens  immenses  de  l'Amérique,  où  des  Nations  entières  ne  savent  pas  [169] 
encore  que  des  peuples  d'un  autre  monde  ont  mis  les  pieds  dans  le  leur? 
■Vont-ils  au  Japon,  dont  leurs  manœuvres  les  ont  fait  chasser  pour  jamais, 
&  où  leurs  prédécesseurs  ne  sont  connus  des  générations  qui  naissent, 
que  comme  des  intrigans  rusés,  venus  avec  un  zèle  hypocrite  pour  s'em- 
parer doucement  de  l'Empire  '?  Vont-ils  dans  les  Harems  des  Princes  de 
l'Asie,  annoncer  l'Évangile  à  des  milliers  de  pauvres  esclaves?  Qu'ont  fait 
les  femmes  de  cette  partie  du  monde  pour  qu'aucun  Missionnaire  ne  puisse 
leur  prêcher  la  Foi?  Iront-elles  toutes  en  enfer  pour  avoir  été  recluses  -? 
Quand  il  seroit  vrai  que  l'Évangile  est  annoncé  par  toute  la  terre, 
qu'y  gagneroit-on  ?  La  veille  du  jour  que  le  premier  .Missionnaire  est 
arrivé  dans  un  pays,  il  y  est  sûrement  mort  quel-  |  qu'un  qui  n'a  pu  [HO] 
l'entendre.  Or,  dites-moi  ce  que  nous  ferons  de  ce  quelqu'un-là  ?  N'y 
eùt-il  dans  tout  l'univers  qu'un  seul  homme  à  qui  l'on  n'auroit  jamais 
prêché  Jesus-Christ,  l'objection  seroit  aussi  forte  pour  ce  seul  homme, 
que  pour  le  quart  du  genre  humain. 


théories  de  la  prédestination  sur  l'universalité  de  la  prédication  évangélique.  CI',  les 
principales  réponses  sur  ce  sujet  ap.  La  .\lothe  le  Vayer,  Vertu  des  Païens  '80  >"»],  48-49, 
et   L.  Capéran,  Le  problème  du  salut  des  infidèles  iagS],  197-199  et  226-230. 

''  Féraud,  Dictionnaire  critique  [230  ,  1,  628  :  «  Méditerranée,  qui  est  au  milieu 
des  terres  :  les  villes,  les  provinces  méditerranèes  ». 

'  On  reconnaît  ici  Tesprit  de  VEssai  sur  les  mœurs  :  cf.,  par  exemple,  pour  le 
Japon,  Chap.  CXLII  '220],  XII,  365.  Rousseau  pouvait,  d'ailleurs,  trouver  des  réquisi- 
toires encore  plus  précis  contre  les  missionnaires  du  Japon  dans  les  Lettres  chinoises 
XIX  [i35],  I,  183-196.  et  surtout  dans  un  livre  qu'il  avait  lu,  {'Histoire  du  Japon  âe 
Kjempfer  :  cf.  U,  iv,  5  'i3o],  II,  53-56  (Orgueil  et  avarice  des  chrétiens  japonais, 
insolence  des  prélats,  qui  refusent  d'honorer  les  dignitaires  du  pays,  conspiration  des 
convertis  contre  l'empereun.  Je  n'ai  pas  su  retrouver  dans  quel  livre  Rousseau  avait 
pris  les  allusions  de  cette  page  aux  hordes  tartares  et  au  Grand  Lama. 

'  Cf.  Berruyer,  Histoire  du  peuple  de  Dieu  [2o3  .  1,  pp.  clviii-clix  :  «  S'il  est 
donc  vrai  que  la  foi  des  vérités  révélées  est  nécessaire  au  salut,  pourquoi  la  Révélation 
n'est-elle  pas  parvenue  dans  toutes  les  parties  de  l'Univers  ?...  L'état  de  tant  d'hommes, 
qui,  faute  d'une  Révélation.  ...  ont  le  malheur  de  n'être  pas  Chrétiens,  fait  le  fond  d'une 

objection  favorite  cent  fois  rebattue  par  les  incrédules Ils  vous  demandent  à  tout 

propos  si  un  Indien,  un  Chinois,  un  sauvage,  seront  damnés  pour  avoir  ignoré  l'histoire 
de  Jésus-Christ,  et  pour  n'avoir  pas  été  les  membres  d'une  société  qu'ils  n'ont  ni  connue 
ni  pu  connaître  ».  On  sait  que  le  P.  Berruver  fut  lui-même  condamné  pour  avoir  fait  à 
cette  question  une  réponse  trop  pélagienne  :  cf.  L.  Capéran.  Le  problème  du  salut  des 
infidèles  [293],  386-394.  —  Comparez  encore  La  .\lothe  le  Vayer,  Vertu  des  Païens 
[80 '"'»],  5i-55,  Forraev,  Xécessité  de  la  Révélation  [21  1  *>"],  II,  3o3  sqq. 


382  KF.DACÏIONS    MANUSCRITES 

'  Mais  supposons  enfin  que  les  ministres  de  l'évangile  se. 
"  soient  fait  entendre  ■'  à  tous  les  hommes,  que  leur  ont-ils  dit 
qu'on  (*  dut)  ^  croire  sur  *'  leur  parole  et  qui  ne  demandas!  pas 
la  plus  exacte  vérification.  Vous  m'annoncez  un  Dieu  né  et  mort 
il  \'  a  '4  mille  ans  à  l'autre  extrémité  du  monde  dans  *  une  petite 
ville  -'que  je  ne  connois  point  et  vous  me  dites  que  '"ceux  qui 
n'auront  point  cru  à  ce  mistére  seront  "  tous  dannés.  Voila  des 
choses  bien  étranges  ^'^.  Pourquoi  vôtre  Dieu  a-t-il  fait  arriver  si 
loin  de  moi  les  ('^  choses  qu'il  m'obligeoit)  de  croire.  ^*  Suis-je  obligé 
de  savoir  ce  qui  se  passe  dans  ces  antipodes.  Puis-je  deviner 
qu'il  va  eu  [dans  C^le  monde)j  un  peuple  Hébreu  et  une  i'"  petite] 
ville  C  de)  Jérusalem.  "*  Vous  venez  dites  vous  me  l'apprendre, 
f°  172  ^°  mais  pourquoi  n'êtes  vous  '■'  venu  l'apprendre  ||  à  mon  père  ou 
pourquoi  dannez  vous  ceC-'"  t  honnête)  vieillard  pour  n'en  avoir 
f2>jamaiS|  rien  su.  Doit  il  être  éternellement  puni  de  vôtre  paresse 


'  B.  <  Mais  supposons  enfin  >.  (Que)  [Quand]  les  ministres. 

-  B.  sont. 

■'  B.  au.x  peuples  éloignés  que  leur  ont-ils. 

^  [put  raisonnablement]. 

■■'  B.  (croire)  [admettre]. 

'■•  (la). 

■  B.  deux  mille. 

"  B.  (une)  [je  ne  sais  quelle]. 

"  B.  (que  je  ne  connois  point). 
'"  B.  [tous]  ceux. 
"  B.  <  tous  >. 

'-  (que).  —  B.  pour  les  croire  [si  vite]  sur  (l'I  [la  seule]  autorité  d'un 
homme  que  je  ne  connois  point.  Pourquoi.  —  M.  sur  l'autorité  d'un  seul 
homme  que  je  ne. 

"  [événemens   qu'il    vouloit   m'obliger].   — B.    evenemens   dont  il   vouloil 
m'obliger  d'être  instruit  ?  Est-ce  un  crime  d'ignorer  ce  qui  se  passe  au.\  antipodes  ? 
'■'  [(Mon  Père  mort  «  avant  «  vôtre  arrivée  étoit-il  obligé)]. 
'^  [un  autre  monde]. 
'"  B.  (petite). 
'•  [appellée].  —  B.  de. 

'"  B.  Autant  vaudroit  m'obliger  de  savoir  ce  qui  se  fait  dans  la  lune.  Vous 
venez. 

'"  B.  pas. 

'"'  [bon]. 

-'  B.  rjamais]. 


ÉDITION    ORIGINALE  383 

Quand  les  Ministres  de  l'Évangile  se  sont  fait  entendre  aux  peuples 
éloignés,  que  leur  ont-ils  dit  qu'on  pût  raisonnablement  admettre  sur 
leur  parole,  &  qui  ne  demandât  pas  la  plus  exacte  vérification  ?  Vous 
m'annoncez  un  Dieu  né  &  mort  il  y  a  deux  mille  ans  à  l'autre  extrémité 
du  monde,  dans  je  ne  sais  quelle  petite  ville,  &  vous  me  dites  que  tous 
ceux  qui  n'auront  point  cru  à  ce  mistere  (^)  seront  damnés.  Voilà  des 
choses  bien  étranges  pour  les  croire  si  vîte  sur  la  seule  autorité  d'un 
homme  que  je  ne  connois  point  H  Pourquoi  votre  Dieu  a-t-il  fait  arriver 
I  si  loin  de  moi  les  événemens  dont  il  vouloit  m  obliger  d'être  instruit?  [171] 
Est-ce  un  crime  d'ignorer  ce  qui  se  passe  aux  Antipodes  ?  Puis-je  deviner 
qu'il  v  a  eu  dans  un  autre  hémisphère  un  peuple  Hébreu  &  une  ville  de 
Jérusalem  ?  Autant  vaudroit  m'obliger  de  savoir  ce  qui  se  fait  dans 
la  lune.  V'ous  venez,  dites-vous,  me  l'apprendre  ;  mais  pourquoi  n'ètes- 
vous  pas  venu  l'apprendre  à  mon  père  ',  ou,  pourquoi  damnez-vous  ce 
bon  vieillard  pour  n'en  avoir  jamais  rien  su  ?  Doit-il  être  éternellement 
puni  de  votre  paresse,  lui  qui  étoit  si  bon,  si  bienfaisant.  &  qui  ne 
cherchoit  que  la   \érité-?  Soyez  de   bonne-foi,   puis   mettez-vous  à  ma 

I  '<  I  C,  D  :  mystcrc. 

'  Comparez  un  discours  analogue  de  ton.  et  qui  met  en  valeur  des  idées  fami- 
lières au  Vicaire  ici'.,  plus  haut,  pp.  164-165).  dans  VE.xamen  de  la  Religion  [lyS],  64  : 
«  Un"  Indien  de  bonne  foi  arrive  en  Europe.  11  élève  *sa  voix,  et  demande  :  Qui  m'as- 
surera de  la  Révélation  divine?  qui  de  vous  se  prétend  infaillible?  L'Église  Romaine 
paraît:  C'est  moi,  dit-elle,  qui  suis  infaillible.  L'Indien  s'apprête  à  l'écouter;  mais 
auparavant,  il  lui  demande  ;  Quelle  preuve  me  donnez-vous  de  l'infaillibilité  dont  vous 
vous  flattez?  —  C'est  l'Écriture,  répond  l'Église.  —  Mais  qu'est-ce  que  l'Écriture; 
demande  l'Indien  ?  —  C'est  un  livre  inspiré  de  Dieu,  répond  l'Église.  —  A  quelle 
marque  le  connaitrai-je,  réplique  encore  l'Indien  ?  —  C'est  moi  qui  vous  en  assure, 
ajoute  encore  l'Église.  Si  l'Indien  est  d'aussi  bon  sens  que  de  bonne  foi,  a-t-il  encore 
quelque  chose  à  demander  »  ? 

'  L'objection  était  classique  ;  cf.  Diderot,  art.  Chinois,  dans  Y  Encyclopédie 
[58j,  Xl\',  140-141  :  «  A  en  juger  par  les  objections  de  l'empereur  au.x  premiers 
missionnaires,  les  Chinois  ne  l'ont  pas  embrassée  [la  Religion  chrétienne]  en  aveugles  : 
Si  la  connaissance  de  Jésus-Christ  est  nécessaire  au  salut,  disuit  cet  empereur  aux 
missionnaires,  et  que,  d'ailleurs.  Dieu  nous  ait  voulu  sincèrement  sauver,  comment 
nous  a-t-il  laissés  si  longtemps  dans  l'erreur?  Il  y  a  plus  de  seize  siècles  que  votre 
religion  est  établie  dans  le  monde,  et  nous  n'en  avons  rien  su.  La  Chine  est-elle  si 
peu  de  chose,  qu'elle  ne  mérite  pas  qu'on  pense  à  elle,  tandis  que  tant  de  barbares 
sont  éclairés  ?  —  C'est  une  difficulté  qu'on  propose  tous  les  jours  sur  les  bancs  en 
Sorbonne  ». 

'  iVl.  Eugène  Ritter.  La  Famille  et  la  /eunes.se  de  J.  ,/.  Rousseau  [274  .  202.  note  1, 
croit  que,  «  quand  Rousseau  a  mis  dans  la  bouche  d'un  pa'ien  cette  réponse  à  un 
missionnaire,  il  s'est  certainement  rappelé  »,  si  toutefois  son  récit  est  exact,  une 
anecdote  de  sa  jeunesse.  C'est  le  dialogue  entre  le  Révérend  Père  inquisiteur  et 
le    jeune    Jean-Jacques,    au     moment    où    celui-ci  \ient     recevoir   à    l'Inquisition    de 


384  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

lui  qui  étoit  si  ^  doux,  si  bienfaisant  -  si  honnête  et  qui  ne  cherchoit 
que  la  vérité  :  [Soyez  de  bonne  foij  "  mettez-vous  à  ma  place  *  et 
voyez  si  (je)  •'''  puis  sur  vôtre  seule  "  autorité  croire  toutes  les  choses 
incroyables  que  vous  'me  dites  et  concilier  tant  d'injustice  avec 
le  Dieu  juste  que  vous  [m'annoncez].  Laissez  [moi]  de  grâce  aller 
voir  ■'ce  ^merveilleux  pavs  >"où  "  les  [vierges  accouchent  ou  les]  dieux 
naissent  [(comme  des  hommes)  «  et  »  [(où  les  dieux)]  l^- mangent] 
souffrent  et  meurent  '■'.  Que  j'aille  savoir  pourquoi  les  (heureux) 
habitans  de  cette  Jérusalem  ont  '^  laissé  traitter  Dieu  comme  un 
*'  scélérat.  Ils  ne  le  (^'^  connoisscient  pas.  Comment  eux  qui  le  voyoient 
ne  le  connoissoient  [pas]  et  [vous]  voulez  que  je  le  connoisse)  moi  qui 
[''  n'en  ai  jamaisi  entendu  parler  '*■.  llls  ont  été  punis  ils  ont  été 
dispersés,  opprimés  asservis  ''•*  aucun  d'eux  -"  n'approche  plus 
de  la  même  \ille.  Assurément  ils  ont  bien  mérité  tout  celai.  (-'  Et) 


'  B.  bon. 

-  B.  <  si  honnête  >. 

'  B.  puis  mettez-vous. 

*  B.  (et). 

■'  si  (je)  sur  (sic).  —  B.  je  (puis!   [dois]. 

*'  B.  témoignage. 

'  M.  m'annoncez.  Laissez-moi. 

"  B.  ces. 

'■'  M.  <  merveilleu.x  >. 

'"  B.  [au  crayon,  repassé  à  l'encre  :  lointains]. 

"  B.  (les  vierges  accouchent,  où  les  Dieux  naissent,  mangent,  souffrent  et 
meurent)  [au  cravon,  repassé  à  l'encre  :  se  passèrent  tant  de  merveilles 
(inconnues)  [inouies]   dans  celui-ci];  Que  j'aille  savoir. 

'^  (meurent  se  laissent  mourir...  vivre  «  et  se  laissent  traitter  comme  •* 
des  scélérats). 

"  (et  se  laissent  traitter  comme  des  scélérats.  Je). 
"  B.  traitté. 

'^  B.  (scélérat)  [au  crayon,  repassé  à  l'encre  :  brigand]. 
"*  [ont  pas  reconnu  pour  Dieu   et  que  ferai-je  donc].  —  B.  ont  pas,  dites- 
vous,  reconnu  pour  Dieu.  Que  ferai-je  donc. 
"  (des  ce  jour). 

"*  (de).  —  B.   que  par  vous  .''  Vous  ajoutez  qu'ils  ont  été  punis,  dispersés, 
opprimés.  —  M.  punis,  opprimés,  dispersés. 
''■'  B.  qu'aucun  d'eux. 
""  M.  (ne)  n'approche. 
='   [Mais]. 


ÉDITION    ORIGINALE  385 

place  :  voyez  si  je  dois,  sur  votre  seul  témoignage,  croire  toutes  les  choses 

incroyables  que  vous  me  dites,  &  concilier  tant  d'injustices  avec  le  Dieu 

juste  que  vous  m'annoncez.   Laissez-moi,  de  grâce,  aller  voir  ce  pays 

loin-  I  tain,  où  s'opérèrent  tant  de  merveilles  inouies  dans  celui-ci  ';  que        [172] 

j'aille  savoir   pourquoi  les  habitans  de  cette  Jérusalem   ont  traité  Dieu 

comme  un   brigand.    Ils  ne  l'ont  pas,  dites-vous,   reconnu   pour  Dieu  ? 

Que  ferai-je  donc,  moi  qui  n'en  ai  jamais  entendu  parler  que  par  vous? 

Vous  ajoutez  qu'ils  ont  été  punis,  dispersés,  opprimés,  asservis  ;  qu'aucun 

d'eux  n'approche  plus  de  la  même  ville.  Assurément  ils  ont  bien  mérité 

tout  cela  :  mais  les  habitans  d'aujourd'hui,  que  disent-ils  du  déicide  de 

leurs  prédécesseurs?  Ils  le  nient,  ils  ne  reconnoissent  pas  non  plus  Dieu 

pour  Dieu  :  autant  valoit  donc  laisser  les  enfans  des  autres. 


Turin  «  l'absolution  du  crime  d'hérésie  »  ;  cf.  Confessions,  VIII,  48  :  «  Après 
plusieurs  questions  sur  ma  foi.  sur  mon  état,  sur  ma  famille,  il  me  demanda 
brusquement  si  ma  mère  était  damnée.  L'effroi  me  fit  réprimer  le  premier  mou- 
vement de  mon  indignation;  je  me  contentai  de  répondre  que  je  voulais  espérer 
qu'elle  ne  l'était  pas,  et  que  Dieu  avait  pu  l'éclairer  à  sa  dernière  heure.  Le  moine 
se  tut.  mais  il  fit  une  grimace  qui  ne  me  parut  point  du  tout  un  signe  d'approbation  ». 
L'hvpothèse  de  M.  Ritter  n'est  pas  invraisemblable  ;  mais,  quand  bien  même  le 
récit  des  Confessions  serait  scrupuleusement  fidèle.  la  difficulté  était  trop  familière 
aux  théologiens  (cf.  la  note  précédente  1  pour  que  la  suggestion  d'un  fait  précis 
fût  nécessaire.  Et,  s'il  fallait  en  admettre  une,  je  rapprocherais  plus  volontiers  de  ce 
discours  celui  d'un  vieil  Iroquois  au  P.  Joseph,  récollet,  discours  que  rapporte  Le  Beau 
dans  son  Voyage  [i5i  ''"\  I,  267,  et  que  Rousseau  avait  copié  dans  son  cahier  de 
brouillons  [5],  24"  :  «  Grand  Esprit!  Grand  Esprit!  pourquoi  ne  t'es-tu  pas  fait  con- 
naître à  moi  ?  Je  t'ai  si  souvent  dit  :  Qui  es-tu  ?  Où  es-tu  ?  Que  veux-tu  que  je  fasse  ? 
Et  tu  n'as  pas  voulu  me  répondre.  Sans  doute,  j'en  étais  indigne,  parce  que  je  t'avais 
trop  offensé  :  mais  comment  pouvais-je  t'oflenser  sans  te  connaître  ?  Et  présentement, 
que  t'ai-je  fait  pour  m'envoyer  cette  robe  grise  qui  me  console,  en  disant  qui  tu  es  »  ? 
'  Le  texte  de  la  Première  Rédaction  est  ici  d'une  ironie  toute  voltairienne  : 
«  Laissez-moi  de  grâce  aller  voir  ce  merveilleux  pays,  où  les  vierges  accouchent, 
où  les  dieux  naissent  comme  des  hommes,  mangent,  souffrent  et  meurent  ».  Rousseau 
a  sans  doute  supprimé  ces  plaisanteries,  parce  qu'elles  lui  ont  paru  déplacées  dans 
la  bouche  du  Vicaire,  et  qu'elles  s'accordaient  mal  avec  la  formule  célèbre  qu'il 
écrira   plus   loin.    p.    182  :  «  La  vie  et  la  mort  de  Jésus  sont  d'un   Dieu  ». 

25 


386  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

les  (nouveaux)  habitans  '  que  disent- ils  du  Déicide  de  leurs 
(-'  ancêtres).  Ils  (ne)  le  ■'  reconnoissent  pas  non  plus  *.  Autant 
valoit  [donc]  laisser  les  enfans  des  autres. 

Quoi  dans  cette  même  ville  où  Dieu  est  mort  les  anciens  ni 
les  nouveaux  habitans  ne  l'ont  ■"'  point  reconnu  et  vous  voulez 
que  je  le  reconnoisse  moi  qui  suis  né  ["quatre  mille  ans  après] 
à  deux  mille  lieues  de  là.  ('Vous  voulez)  que  j'ajoute  foi  à  ce  livre 
que  vous  appeliez  sacré  (**  avant  ^  de)  [savoiri  (i"  comment  il  s'est 
fait),  comment  il  s'est  conservé,  commeat  il  vous  est  parvenu 
["  ce  que  disent  dans  le  pays  '^ceux  qui  le  rejettent  quoiqu'ils 
"savent  aussi  bien  que  vous  **  ce  que  vous  "  me  dites].  («  ^^  Avant 
Que  je  vous  »  écoute)  [il  faut]  "que  j'aille  en  Europe  en  '*  asie  en 
Palestine  '^  examiner  tout  par  moi  même.  C^"  Je  serois)  fou  de  vous 
écouter  avant  ce  tems-là. 

Non  seulement  ce  discours  me  paroit  raisonnable,  mais  je 
soutiens  que  tout  homme  2*  raisonnable  doit  parler  ainsi  et  renvover 
bien   loin   le   missionnaire   qui   avant   la    vérification    des   preuves 


'  [d'aujourdui]. 

^  [prédécesseurs]. 

■'  [nient  ils  ne].  — I.  (et?)  [ils]  ne  (reconnoissanl)  [reconnoissent]  pas. 

*  [Dieu  pour  Dieu]. 

■'  M.  pas. 

"  B.  deux  mille. 

'  (Et  quelle  preuve  me  donnez)  [ne  voyez  vous  pas  qu'avant]. 

"  [et  auquel  je  ne  comprends  rien  je  dois]  savoir  [par  des  autorités...  d'autres 
que  par  vous].  —  B.  par  d'autres  que  vous. 

'  (d'en  savoir...  d'en  connoitre). 

""  [quand  et  par  quel  autre  il  a  été  fait]. 

"  (comment). 

'^  (trois  mots  illisibles).  —  B.  pour  leurs  raisons. 

"  B.  sachent. 

'*  B.  tout  ce  que. 

"  B.  m'apprenez. 

'*  [(Avant  toute  chose)  Vous  voyez  bien  qu']. 

"  B.  nécessairement. 

"  B.  [asie  en]. 

''  (en). 

^^  [Il  faudroit  que  je  fusse]. 

^'  B.  sensé. 


ÉDITION    ORIGINALE  387 


Quoi  !  dans  cette  même  ville  où  Dieu  est  mort,  les  anciens  ni  les 
nouveaux  habitans  ne  l'ont  point  reconnu,  &  vous  voulez  que  je  le 
reconnoisse,  moi  qui  suis  né  deux  mille  ans  après  à  deux  mille  lieues 
de-ià  !  Ne  voyez-  |  vous  pas  qu'avant  que  j'ajoute  foi  à  ce  livre  que  [173] 
vous  appeliez  sacré,  &  auquel  je  ne  comprends  rien,  je  dois  savoir 
par  d'autres  que  vous  quand  &  par  qui  il  a  été  fait,  comment  il  s'est 
conservé,  comment  il  vous  est  parvenu,  ce  que  disent  dans  le  pays, 
pour  leurs  raisons,  ceux  qui  le  rejettent,  quoiqu'ils  sachent  aussi  bien 
que  vous  tout  ce  que  vous  m'apprenez?  Vous  sentez  bien  qu'il  faut 
nécessairement  que  j'aille  en  Europe,  en  Asie,  en  Palestine,  examiner 
tout  par  moi-même;  il  faudroit  que  je  fusse  fou  pour  vous  écouter 
avant  ce  tems-Ià. 

Non-seulement  ce  discours  >  me  paroit  raisonnable,  mais  je  soutiens 
que  tout  homme  sensé  doit,  en  pareil  cas,  parler  ainsi,  &  renvoyer 
bien  loin  le  Missionnaire,  qui,  avant  la  vérification  des  preuves  veut 
se  dépêcher  de  l'instruire  &  de  le  baptiser.  Or  je  soutiens  qu'il  n'y  a  pas 


'  Voltaire  [242],  279:  «Tout  ce  discours  se  trouve  mot  à  mot  dans  le  poème 
de  la  Religion  naturelle  et  dans  l'Épilre  à  L'ranie  ».  La  remarque  de  Voltaire  est 
e.xacte,  à  condition  de  ne  pas  la  prendre  à  la  lettre.  On  ne  peut  pas  dire  que  «  tout 
ce  discours  »  du  païen  au  Missionnaire  «  se  trouve  mot  à  mot  »  dans  Voltaire, 
mais,  du  moins,  l'esprit  s'v  trouve.  Cf.,  en  particulier,  Èpitre  à   L'ranie  [i^g],  36o-36i  : 

Amérique,   vastes  contrées. 
Peuples  que  Dieu  fit  naître  aux  portes  du  soleil, 

Vous,  nations  hyperborées. 
Que  l'erreur  entretient  dans  un  si  long  sommeil, 
Serez-vous  pour  jamais  à  sa  fureur  livrées 

Pour  n'avoir  pas  su  qu'autrefois. 
Dans  un  autre  hémisphère,  au  fond  de  la  Syrie. 
Le  fils  d'un  charpentier,  enfanté  par  Marie, 
Renié  par  Céphas,  expira  sur  la  croix  ? 

On  a  vu,  d'ailleurs,  par  plusieurs  rapprochements  icf.  p.  21,  note  3,  p.  69,  note  2, 
p.  i38,  note  I,  p.  149,  note  2,  p.  177,  note  i),  que  partout  où  le  déisme  du  Vicaire 
devient  franchement  rationaliste,  ce  sont  les  arguments  et  souvent  les  formules 
de  Voltaire  qui  s'imposent  à  lui.  A  dire  vrai,  ce  ne  sont  pas  «  les  arguments  de 
Voltaire  »;  ce  sont  —  on  a  pu  le  voir  aussi  par  d'autres  citations  —  des  objections 
familières  aux  libertins,  et  que  Voltaire  a  popularisées  par  son  esprit.  Cette  note 
marginale  montre  que  Voltaire  a  bien  senti  cette  dépendance  intellectuelle  du  déisme 
de  Jean-Jacques  à  l'égard  du  sien.  Il  n'en  est  que  plus  violemment  irrité,  lorsque 
le  Vicaire  fait  bon  marché  de  la  «  raison  »,  et  s'abandonne  aux  appels  du  «  cœur  ». 


388  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

veut  se  dépécher  de  l'instruire  et  de  le  baptiser.  [Or  '  il  n'\  a  point 
de  «  Religion»  -révélée  contre  laquelle  (on  ne  puisse  îaire  ^  à  plus 
forte  raison)  [■*  les  mêmes'  (et  plus  d  )fbjections  ■■  (^  que  contre 
le  christianisme)]. 

('  Convenons  donci  que  s'il  v  a  une  «  seule  »  Religion  exclusive 
qui  soit  la  seule  véritable  «  et  »  que  (*  tout  homme)  soit  obligé  de 
|laj  suivre  sous  peine  de  dannation.  Il  faut  passer  sa  vie  à  les 
étudier  toutes;  à  les  approfondir  à  les  comparer  à  parcourir  les 
(divers)  pays  où  elles  sont  établies.  [Nul  n'est  exempt  du  premier 
devoir  de  l'homme  nul  n'a  droit  de  se  fier  au  jugement  d'autrui. 
(3  L')artisan  qui  ne  vit  que  de  son  travail,  (^'^nn)  laboureur  qui  ne 
sait  pas  lire,  la  jeune  fille  délicate  et  timide,  l'infirme  qui  peut  à 
peine  sortir  de  son  lit  tous  [sans  exceptionl  doivent  "  méditer 
disputer,  '-  parcourir  le  monde.  Il  n"\-  aura  plus  de  peuple  fixe 
et  stable  la  terre  entière  ne  sera  couverte  que  "de  i*  voyageurs  et 
de  pèlerins  allant  "  sans  cesse  d'un  pays  à  l'autre  pour  examiner 
par  eux-mêmes  les  [^'^  cultes  ''  différens,  qu'on  y  suit].  ["  Alors] 


'  B.  je  soutiens  qu'il  n'v  a  pas  de  Religion  révélée. 

-  (connue  et). 

'  [(autant)]. 

■*  (les  [mêmes]  objections  qui  se  présente  sic]. 

^  M.  ou  d'autres  équivalentes. 

"  [n'aient  pas  lieu  autant  et  plus  fortement  que  contre  le  christianisme 
et  qui  ne  demande  autant  et  plus  de  discussions  pour  être  admise].  — B.  n'aient 
autant  et  plus  de  force  que  contre  le  Christianisme  <  et  qui  ne...  pour  être 
admise  >. 

'  [D'où  il  suit].  —  B.  D'où  il  suit  que  s'il  n'y  a  qu'une  Religion  véritable  et. 

"  [chacun].  —  B.  tout  homme, 

■'  [Un].  — B.  L'. 
'"  [le]. 

"  M.  étudier,  méditer.  — I.  [étudier]  méditer. 
'-'  B.  voyager,  parcourir. 
"  B.  <  de  voyageurs  et  >. 
"  (pèlerins). 

"  B.  à  grands  frai.\   et  |à  grand  peine)   [avec  de  longues  fatigues]  vérifier, 
[comparer]  é.xaminer  par.  —  I.  [vérifier]  comparer. 
"■'  (notions?  différentes). 
"  B.  [divers]. 
"  (Et  après  avoir  employé). 


ÉDITION    ORIGINALE  38Q 

de  révélation  contre  |  laquelle  les  mêmes  objections  i")  n'ayent  autant  [174] 
&  plus  de  force  que  contre  le  Christianisme.  D'où  il  suit  que  s'il  n'y  a 
qu'une  religion  véritable,  &  que  tout  homme  soit  obligé  de  la  suivre 
sous  peine  de  damnation,  il  faut  passer  sa  vie  à  les  étudier  toutes,  à  les 
approfondir,  à  les  comparer,  à  parcourir  les  pays  où  elles  sont  établies  : 
nul  n'est  exempt  du  premier  devoir  de  l'homme,  nul  n'a  droit  de  se 
fier  au  jugement  d'autrui.  L'artisan  qui  ne  vit  que  de  son  travail,  le 
laboureur  qui  ne  sait  pas  lire,  la  jeune  fille  délicate  et  timide,  l'infirme 
qui  peut  à  peine  sortir  de  son  lit,  tous,  sans  exception,  doivent  étudier, 
méditer,  disputer,  voyager,  parcourir  le  monde  :  il  n'v  aura  plus  de 
peuple  fixe  &  stable:  la  terre  entière  ne  sera  couverte  que  de  pèlerins 
allant,  à  grands  fraix  &  avec  de  longues  fatigues,  vérifier,  comparer, 
examiner  par  eux-  |  mêmes  les  cultes  divers  qu'on  v  suit.  Alors  adieu  [175] 
les  métiers,  les  arts,  les  sciences  humaines,  &  toutes  les  occupations 
civiles  1;  il  ne  peut  plus  y  avoir  d'autre  étude  que  celle  de  religion  :  à 
grand'peine  celui  qui  aura  joui  de  la  santé  la  plus  robuste,  le  mieux 
employé  son  tems,  le  mieux  usé  de  sa  raison,  vécu  le  plus  d'années, 
saura-t-il  dans  sa  vieillesse  à  quoi  s'en  tenir,  &  ce  sera  beaucoup  s'il 
apprend  avant  sa  mort  dans  quel  culte  il  auroit  dû  vivre. 

Voulez-vous  mitiger  cette  méthode.  &  donner  la  moindre  prise  à 
l'autorité  des  hommes?  A  l'instant  vous  lui  rendez  tout;  &  si  le  fils 
d'un  Chrétien  fait  bien  de  suivre,  sans  un  examen  profond  &  impartial, 
la  religion  de  son  père,  pourquoi  le  fils  d'un  Turc  feroit-il  mal  de  suivre 
de  même  la  religion  du  sien  2?  Je  défie  tous  les  intolerans  du  monde 
de  répondre  à  cela  rien  qui  contente  un  homme  sensé. 


I  «  )  C,  D  :  les  mêmes  nbjections  ou  d'autres  équiralentes. 


'  «  La  perte  serait  médiocre  dans  les  principes  de  cet  auteur  »,  fait  remarquer, 
avec  un  sourire,  Lefranc  de  Pompignan,  Philosophie  des  Incrédules  [246],  I,  249  : 
«  il  parait  faire  trop  peu  de  cas  de  tout  ce  qui  occupe  les  hommes  dans  la  société 
civile,  et  en  particulier  des  arts  et  des  sciences,  pour  regretter  le  temps  qu'on  leur 
déroberait  ».  Il  est,  en  effet,  assez  piquant  de  voir  Rousseau,  emporté  par  la 
discussion,  devenir  le  défenseur  de  la  civilisation. 

'  Il  V  avait  ici,  dans  B,  un  petit  développement  sur  les  conditions  géographiques 
des  croyances  religieuses.  Rousseau  l'a  supprimé,  parce  qu'il  faisait  double  emploi 
avec  une  constatation  analogue  qu'il  avait  déjà  faite  p.  i3S. 


390  REDACTIONS   MANUSCRITES 

adieu  '  les  arts  les  métiers •!(-  la  société)]  les  occupations  civiles 
il  ne  peut  plus  y  a\oir  d'  «  autre  »  étude  que  celle  de  la  Religion, 
(et)  à  grand  peine  celui  qui  aura  joui  de  la  santé  la  plus  robuste, 
'le  mieux  usé  de  sa  raison,  le  mieux  employé  *  son  tems  *  et  vécu 
le  plus  («'longtem?)  saura-t-il  dans  sa  vieillesse  à  quoi  s'en  tenir, 
et  ce  sera  beaucoup  s'il  apprend  avant  sa  mort  dans  quel  culte  il 
auroit  dû  vivre.  '  Que  si  vous  voulez  mitiger  la  méthode  et  donner 
la  moindre  *  chose  à  l'autorité  des  hommes  à  l'instant  vous  lui 
rendez  tout  et  si  le  fils  d'un  Chrétien  fait  bien  de  suivre  [sans 
9  examen]  '**  la  Religion  de  son  père  (jamais  on  ne  me  montrera) 
pourquoi  '^  le  fils  d'un  Turc  '^  fait  mal  de  suivre  de  même  la 
religion  du  sien.  '^  Je  défie  tous  les  intolerans  du  monde  de 
jamais  répondre  à  cela  rien  qui  contente   ("  la  raison). 


B,  f°  188  *'°         [<*  '^  Pressés  ('^  a  ce  point)  »  les  uns  ["  aiment^  mieux  faire  Dieu 


'  B.  (les  arts)  les  métiers,  les  arts. 

-  [et  toutes  les  sociétés].  —  B.  les  sciences  [humaines]  et  toutes  les  occupations. 

'  B.  le  mieu.x  employé  son  tems,  le  mieux  usé. 

*  (saura-t-il). 

*  B.  <  et  >. 
'  [d'années]. 

'  B.  Voulez  vous  mitiger  cette  méthode. 

"  B.  prise. 

'  B.  un. 

'"  B.  (judicieu.x)  [au  crayoti,  repassé  à  l'encre  :  profond]  et  impartial  la 
Religion. 

"  I.  (un)  [le  fils  d'un]  Turc. 

•*  B.  (fait)  [feroit]-il. 

'*  B.  [Combien  d'hommes  sont  à  (Londres)  [Rome]  très  bons  (chrétiens) 
[catholiques]  qui  pour  la  même  raison  seroient  très  bons  musulmans  s'ils  fussent 
nés  à  la,  Mecque;  (combien)  et  réciproquement  que  d'honnêtes  gens  sont  très 
bons  Turcs  en  Asie  qui  seroient  très  bons  chrétiens  parmi  nous].  —  M.  très  bons 
catholiques,  qui,  nés  à  la  Mecque  seroient  par  la  même  raison  très  bon  musul- 
mans   d'honnêtes  gens  (qui)  sont  très  bons  Turcs. 

'''  [un  homme  sensé].  —  B.  un  homme  sage. 

"  (On  en  voit...  J'en  vois  pour  se  tirer  d'em  barbas...  Ils  «  sentent  »). 

'"  [par  ces  raisons]. 

"  (osent...  aimant). 


ÉDITION    ORIGINALE  3QI 


I  Pressés  par  ces  raisons,  les  uns  aiment  mieux  faire  Dieu  injuste,        [176] 
&   punir  les  innocens  du   péché  de   leur   père,    que   de   renoncer  à  leur 
barbare  dogme.  Les  autres  se  tirent  d'atTaire,  en  envoyant  obligeamment 
un  ange  instruire  quiconque,  dans  une  ignorance  invincible,  auroit  vécu 
moralement  bien.  La  belle  invention  que  cet  ange  M  Non  contens  de  nous 


'  Pour  ne  citer  ici  que  le  te.\ie  ihéolo^ique  le  plus  autorisé,  voici  ce  que  l'on 
peut  lire  dans  S'  Thomas  d'Aquin,  Quaesliones  disputatae.  De  Veritate  XIV,  art.  ix 
I72],  XV,  39  :  «  Ad  primum  ergo  dicendum  quod  non  sequitur  inconveniens,  posito 
quod  quilibet  teneatur  aliquid  explicite  credere,  si  in  sylvis,  vel  inter  bruta  animalia 
nutriatur;  hoc  enim  ad  divinam  Providentiam  peninet,  ut  cuilibet  provideat  de 
necessariis  ad  salutem,  dummodo  e.x  parte  ejus  non  impediatur.  Si  enim  aliquis 
taliter  nutritus  ductum  naturalis  rationis  sequeretur  in  appetitu  boni  et  fuga  raaii, 
certissime  est  tenendum  quod  ei  Deus,  vel  per  internam  inspirationem  revelaret  ea 
quae  sunt  ad  credendum  necessaria.  vel  atiquem  fidei  praedicatorem  ad  eum  dirigeret, 
sicut  misit  Petrum  ad  Cornelium,  Act.  10,  »  ;  cf.  encore  Secunda  Secundae, 
(luatstio  II,  art.  vu  [72].  III,  qi,  où  le  ministère  des  anges  est  formellement  indiqué  : 
«  Muiti  gentilium  adepti  sunt  salutem  per  ministerium  angelorum,  ut  Dionysus 
dicit  ».  Il  est  infiniment  vraisemblable  que  Rousseau  n'avait  pas  lu  S'  Thomas. 
Mais  plusieurs  auteurs  du  XVIII"  siècle  faisaient  allusion  à  cette  thèse  théologique; 
cf.  Robert  Barclay,  que  peut-être  Rousseau  a  lu  (cf.,  à  la  Bibliographie,  la  note 
du  n'  io3l.  Apologie  de  la  Véritable  Religion.  V  [io3],  120  :  «  Suivant  ce  principe, 
on  peut  aisément  résoudre  toutes  les  objections  contre  l'universalité  de  la  mort 
de  Christ  ;  et  il  n'est  point  besoin  de  recourir  au  ministère  des  Anges,  et  à  tous 
ces  autres  miraculeux  moyens,  dont  on  dit  que  Dieu  se  sert  pour  manifester  la 
doctrine  et  l'histoire  de  la  Passion  de  Christ  à  telles  personnes  qui  ont  bien  profité 
de  cette    première    et   commune    grâce,  Jiabitant    dans    des    lieux   du    monde   où    la 


392  REDACTIONS    MANUSCRITES 

injuste  [^  et  -  punir  les  innocensj  «  ^  du  »  péché  ('  originel)  que  de  renoncer 
à  leur  barbare  dogme;  les  autres  p  se  tirent  «plus  commodément  d'à  lïa  ire 
en  envoyant  libéralement]  un  ange  instruire  quiconque  auroit  vécu  mora- 
lement bien  dajis  une  ignorance  invincible.  La  belle  invention  que  cet  ange! 
("Us  ne  se  contentent  pas)  de  nous  asservir  à  leurs  machines;  ils  mettent 
Dieu  lui  même  dans  la  nécessité  d'en  employer]. 


F,  r  172  ™  .||  Vovez  mon  fils,  à  »  quelles  absurdités  mènent  l'orgueil  et 
l'intolérance  quand  chacun  veut  abonder  dans  son  sens  et  croire 
avoir  raison  exclusivement  *  à  tous  les  autres.  Je  prend  à  témoin 
ce  Dieu  de  paix  que  il'"  e  sers)  et  que  je  vous  annonce  que  toutes 
me  recherches  ont  été  sincères  mais  voyant  qu'elles  "étoient  ("et) 
seroient  [toujours]  '^sans  succès  et  que  je  m'abimois  dans  un 
océan  sans  rives.  Je  suis  revenu  sur  mes  pas  et  j'ai  resserré  ma  foi 
dans  '*  ma  raison  primitive.  Je  n'ai  jamais  pu  croire  que  Dieu 
m'ordonnât  sous  peine  de  l'enfer  d'être  si  savant.  J'ai  "  refermé 
tous  les  livres,  il  en  est  un  seul  ouvert  à  tous  les  C^^  hommes)  c'est 
celui  de  la  nature.  C'est  dans  ce  grand  et  sublime  livre  que 
j'aprens  "à  servir  [et  adorer]  son  divin  auteur.   Nul  n'est  excu- 


'  (que  de  renoncer). 
-  (rendre  coupables  [donner]). 
'  [(pour)]. 
''  [de  leur  père]. 

■■  (ont  recours  à  leur  défaite  ordinaire  et  osent). 
"  M.  <  plus  commodément  >. 
■  [Non  conlens]. 
"  B.  quelle  absurdité. 
'■'  B.  au  reste  du  genre  humain. 
'"  [adore]. 
"  (seroient). 
'^  [qu'elles]. 

"  I.  (vaines)  sans  succès. 
'''  B.  mes  notions  primitives. 
'^  B.  donc  refermé. 
"•'  [yeu.x]. 

'■  M.  à  connoilre   et   servir   <  et  adorer   >.  —  Là  [(connoiire  et)]  servir 
el  adiirer. 


ÉDITION    ORIGINALE  393 

asservir  à  leurs  machines,   ils   mettent  Dieu   lui-même  dans  la  nécessité 
d'en  employer. 


Voyez,  mon  fils,  à  quelle  absurdité  mènent  l'orgueil  &  l'intolérance, 
quand    chacun    veut    abonder    dans    son    sens,    &   croire   avoir    raison 


prédication  extérieure  de  l'Évangile  est  inconnue  ».  Dans  un  livre  qui  a  paru 
quelques    mois   avant    l'Emile,    Toussaint  écrivait  encore.   Éclaircissements  sur   les 

Mœurs  ^238  .  Sy  :   «  Les  théologiens   les   plus  exacts pour   ne   pas   obliger,   sous 

peine  de  damnation  à  la  loi  évangélique,  les  hommes  qui  n'en  auraient  pas  de 
connaissance,  ont  dit  affirmativement  que.  si  quelqu'un,  fidèle  aux  préceptes  de 
la  loi  naturelle,  était  sans  reproche  du  côté  des  mœurs.  Dieu  lui  enverrait  plutôt 
un  ange  pour  l'instruire  des  vérités  révélées  que  de  le  laisser  périr  pour  les  avoir 
ignorées  ».  Si  Rousseau  n'a  pas  lu  Barclay,  ce  qui  reste  douteux,  c'est  sans  doute 
dans  y  Encyclopédie,  comme  Toussaint  lui-même,  qu'il  s'était  renseigné.  A  l'article 
Foi,  l'abbé  .Morellet  avait  rappelé  la  thèse  de  S'  Thomas,  et  en  avait  montré  les 
difficultés  [224],  22  b-23  a  :  «  Cette  proposition,  hors  de  l'Église  et  sans  la  foi  point  de 
salut,  n'est  pas  la  même  que  celle-ci,  hors  de  l'Église  visible  point  de  salut.  Le  dogme 
de  la  nécessité -de  la  foi  ne  reçoit  donc  aucune  atteinte  de  l'opinion  de  ceux  qui  disent 
que  des  païens  et  des  sauvages  se  sont  sauvés  par  la  foi.  Mais,  dit-on,  ces  gens-là  ne 
peuvent  pas  croire,  selon  ce  passage  de  S"  Paul  :  quomodo  credent,  si  non  audierunt  .-^ 
quomodo  audient.  sine  predicante ?  ils  sont  donc  sauvés  sans  la  foi?  Ces  théologiens 
répondent,  que  les  païens  et  les  sauvages  en  question  ne  peuvent  pas  croire  par  les 
voies  ordinaires;  mais  que  rien  n'empêche  que  Dieu  n'éclaire  leur  esprit  extraordi- 
nairement  ;  que  personne  ne  peut  borner  la  puissance  et  la  bonté' de  Dieu  jusqu'il 
décider  qu'il  n'accorde  jamais  ces  secours  extraordinaires,  et  qu'il  est  bien  plus 
raisonnable  de  le  penser,  que  de  s'obstiner  à  croire  que  tous  ceux  à  qui  l'Évangile 
n'a  pas  été  prêché,  et  qui  font  la  plus  grande  partie  du  genre  humain,  périssent 
éternellement,  sans  qu'un  seul  arrive  au  salut,  que  Dieu  veut  pourtant  accorder  à  tous. 
Cependant  on  fait  sur  cela  une  difficulté  .  si  ces  hommes  observaient  la  loi  naturelle, 
leur  mfidélité  négative  ne  leur  étant  pas  imputée  à  péché,  ils  pourraient  éviter  la 
damnation,  et  par  conséquent  arriver  au  salut  sans  la  foi;  et  cette  nécessité  absolue 
de  la  foi  souffrira  quelque  atteinte...  S'  Thomas  répond  que,  si  ces  hommes  observaient 
la  loi  naturelle.  Dieu  leur  enverrait  plutôt  un  ange  du  ciel  pour  leur  annoncer  les 
vérités  qu'il  est  nécessaire  qu'ils  croient  pour  arriver  au  salut,  ou  qu'il  userait  de 
quelque  moyen  extraordinaire  pour  les  conduire  à  la  foi,  et  qu'ainsi  ils  ne  se 
sauveraient  pas  sans  la  foi  ;  ou  s'ils  fermaient  les  yeux  à  la  vérité  après  l'avoir 
entrevue,  leur  mfidélité  cesserait  d'être  purement  négative.  Mais  cette  réponse 
n'est  pas  encore  satisfaisante;  car  on  peut  touiours  demander  si  Dieu  est  obligé, 
par  sa  justice  et   sa   bonté,   d'envoyer  cet   ange  et   d'accorder  ce   secours  :  s'il   v  est 


394 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


sable  de  n'y  pas  lire  parce  qu'il  parle  '  une  langue  *  intelligible  à 
tous  les  ^esprits.  Quand  je  serois  né  dans  une  isle  déserte,  quand 
je  n'aurois  point  vu  ^d'homme,  quand  je  n'aurois  jamais  appris 
ce  qui  s'est  fait  anciennement  dans  un  coin  du  monde  si  j'exerce 
ma  raison  si  je  la  cultive  si  j'use  bien  (*  des  dons  communs  de  Dieu) 
j'apprendrai  de  moi-même,  à  le  connoitre,  à  l'aimer  à  aimer  ses 
*  ouvrages,  à  vouloir  le  bien  qu'il  veut  et  à  remplir  'tous  mes 
devoirs  sur  la  terre.  Qu'est-ce  que  tout  le  savoir  (^  du  monde) 
m'apprendra  de  plus? 


'  B.  à  tous  les  hommes. 
-  B.  (in)  intelligible. 
"  I.  (hom  .MES!  esprits. 
*  B.  d'autre  homme  que  moi. 

•'  [de  toutes  les  facultés  immédiates  (de)  que  Dieu  m'a  données], 
facultés  immédiates  que  Dieu  me  donne. 
"  B.  œuvres. 

'  M.  pour  lui  plaire  tous  mes  devoirs. 
"  [des  hommes]. 


B.  des 


ÉDITION   ORIGINALE  395 

exclusivement  *au  reste  du  genre  humain.  Je  prends  à  témoin  ce  Dieu  de 
paix  que  j"adore  &  que  je  vous  annonce,  que  toutes  mes  recherches  ont 
été  sincères;  mais  voyant  qu'elles  étoient.  qu'elles  seroient  toujours  sans 
succès,  &  que  je  m'abimois  dans  un  océan  sans  rives,  |  je  suis  revenu  [177] 
sur  mes  pas,  &  j'ai  resserré  ma  foi  dans  mes  notions  primitives.  Je  n'ai 
jamais  pu  croire  que'  Dieu  m'ordonnât,  sous  peine  de  l'enfer,  d'être  si 
savant.  J'ai  donc  refermé  tous  les  livres.  II  en  est  un  seul  ouvert  à  tous 
les  veux,  c'est  celui  de  la  Nature  '.  C'est  dans  ce  grand  &  sublime  livre 

obligé,  la  gratuité  de  la  grâce  de  la  foi  est  en  grand  danger;  s'il  n'y  est  pas  obligé, 
on  peut  supposer  qu'il  n'emploie.-a  pas  ces  moyens  extraordinaires  ;  et  dans 
ce  cas,  il  reste  encore  à  demander  si  cet  observateur  fidèle  de  la  loi  naturelle  se 
sauvera  sans  la  foi,  auquel  cas  la  foi  n'est  pas  nécessaire  ;  ou  sera  damné,  ce  qui 
est  bien  dur  ».  Cf.  encore  La  Mothe  le  Vayer,  Vertu  des  Païens  [So*""],  53. 

■  Féraud,  Dictionnaire  critique  [250],  11,  189  :  «  Plusieurs  auteurs  font  régir  à 
exclusif  la  préposition  à  :  comme  s'il  n'y  avait  qu'une  sorte  d'esprit  exclusive  à  toute 
autre.  —  J.  J.  Rousseau  donne  ce  régime  à  l'adverbe  :  exclusivement  à  toutes  sortes 
de  fleurs  ». 

■  Comme  le  fait  remarquer  Cajot,  Plagiats  de  J.  J.  Rousseau  [247],  279,  la  con- 
clusion est  la  même  chez  Rousseau  et  chez  Voltaire  ;  cf.  Religion  naturelle,  I  '221].  444  : 

Sans  e.xpliquer  en  vain  ce  qui  fut  révélé, 
Cherchons  par  la  raison  si  Dieu  n'a  point  parlé. 


Sans  doute  il  a  parlé,  mais  c'est  à  l'Univers. 

Seulement  l'accent  est  tout  autre  chez  Rousseau.  La  «  révélation  de  la  Nature  »  n'est 
pour  Voltaire  qu'un  moyen  d'échapper  à  la  Révélation  chrétienne  ;  pour  Rousseau,  au 
contraire,  elle  est  vraiment  une  Révélation  vivante  et  divine,  qui  a  surtout  cette  vertu, 
de  lui  rendre  inutiles  les  hommes  et  les  livres,  et  de  le  laisser  seul  en  tète  à  tête  avec 
Dieu  :  «  O  nature,  ô  ma  mère  »  !  s'écriera-t-il  ailleurs,  dans  cette  ivresse  de  libération 
{Confessions,  IX,  73),  «  me  voici  sous  ta  seule  garde  ;  il  n'y  a  point  ici  d'homme 
adroit  et  fourbe  qui  s'interpose  entre  toi  et  moi  ».  «  Tant  de  livres  »,  dira-t-il  encore 
au  V"  Livre  d'Emile,  11,  422,  «  nous  font  négliger  le  livre  du  monde  »  :  et  il  écrira  plus 
tard  sur  un  ton  plus  ému,  dans  une  Lettre  à  la  duchesse  de  Portland.  du  20  Octobre  1766, 

VI,  65  :  «  Il  en  est  un.  Madame,  [un  livre] Heureu.x  qui  sait  prendre  assez  de  goût  à 

cette  intéressante  lecture  pour  n'avoir  besoin  d'aucune  autre,  et  qui,  méprisant  les  ins- 
tructions des  hommes,  qui  sont  menteurs,  s'attache  à  celle  de  la  Nature,  qui  ne  ment 
point  »!  Cf.  encore  la  Lettre  à  Vernes,  du  28  Mars  1758.  X,  187- 188  :  «  Non,  mon  digne 
ami,  ce  n'est  point  sur  quelques  feuilles  éparses  qu'il  faut  aller  chercher  la  loi  de  Dieu, 
mais  dans  le  cœur  de  l'homme,  où  sa  main  daigna  l'écrire.  O  homme!  qui  que  tu  sois, 
rentre  en  toi-même,  apprends  à  consulter  ta  conscience  et  tes  facultés  naturelles  :  tu 
seras  juste,  bon,  vertueux,  tu  t'inclineras  devant  ton  maître,  et  tu  participeras  dans 
son  ciel  à  un  bonheur  éternel  ».  —  Comparez,  pour  le  fond  et  pour  l'accent.  Murait, 
Instinct  divin  [127],  128  :  «  11  y  a  encore  un  autre  Livre,  dit  la  Sagesse  divine.  Il  n'est 
pas  moins  précis  que  l'Écriture  :  il  est  plus  général  et  plus  merveilleux  encore, 
puisque  les  hommes  qui  en  sont  les  dépositaires  et  le  feuillettent  sans  cesse  ne  se  sont 
pas  même  aperçus  que  ce  fut  un  Livre,  que  ce  fussent  des  instructions  aussi  bien  que 
des  images  pour  eux.  Ce  Livre  est  la  Nature  écrite  en  lettres  vivantes  ».  Cette  expres- 
sion :  «  le  Livre  du  Monde  »,  «  le  Livre  de  la  Nature  »,  revient  souvent  chez  Rousseau  : 
cf.  Emile,  11,  i32,  1  38.  294-295,  359;  Nouvelle  Héloise,  IV,  406-407,  V,  i3,  etc.  Descartes 


396 


REDACTIONS   MANUSCRITES 


7.  La  Révélation  chrétienne  : 
Beautés  et  objections.  Doute  respectueux. 


A  regard  de  la  révélation  ^  je  ne  Tadmets  ni  ne  la  rejette. 
Jusqu'à  de  plus  amples  lumières  je-  reste  sur  ce  point  dans  un 
doute    respectueux.    Je    n'ai    pas     la    présomption    de    me    croire 


'  B.  (Je  ne  l'admets  ni  ne  la  rejette).  [((;>  Je  [^  peux]  admettre  sa 
vérité  son  utilité)  «  c  je  rejette  seulement  »  (ti  la  nécessité)  «de  la  reconnoître 
•'  pour  être  sauvé;  parce  que  cette  v>  (*"  nécessité)  <t  ^'  est  incompatible  avec  la 


»■)  [«  Si  i'étois  meilleur  raisonneur  ou  mieux  instruit  » 
(j'admettrois  peut-être»  [peut-être  sentirois-je]  «  sa  vérité  son 
utilité  pour  ceux  qui  ont  le  bonheur  de  la  ■»  (re)  «  connoltre  *]. 
—  M,  la  rcconnoitrc.  —  B.  (je  vois  [laussi)  au  crayon,  repassé 
à  l'encre  :  contre  elle]  des  objections  que  je  ne  peux  résoudre, 
je  vois  [au  crayon,  repassé  à  l'encre  :  en  sa  faveur]  des  preuves 
[(de  cette  même  révélation)]  que  je  ne  peux  (détruire)  [com- 
battre]) [mais  si  je  vois  en  sa  faveur  des  preuves  que  je  ne  puis 
combattre  je  vois  aussi  contre  elle  des  objections  que  je  ne  puis 
résoudre.  Il  y  a  tant  de  raisons  solides  pour  et  contre  que  ne 
sachant  à  quoi  me  déterminer  je  ne  l'admets  m  ne  la  rejette;! 
je  rejette  seulement. 

'>)  (je  sais...  j'admettrois  [je  pourrois  admettre]}. 

(■^  (mais  je  rejetterai  toujours). 

'I)  [l'obligaiion], 

'■)  M.   <   pour  être  sauvé  >  .  —  I,  (pour  être  sauvé). 

*l  [obligation  prétendue]. 

g)  M.  lest)  [me  semble]. 


EDITION    ORIGINALE  397 

que  j'apprends  à  servir  &  adorer  son  divin  Auteur.  Nul  n'est  excusable 
de  n'y  pas  lire,  parce  qu'il  parle  à  tous  les  hommes  une  langue  intelli- 
gible à  tous  if  s  esprits.  Quand  je  serois  né  dans  une  isle  déserte,  quand 
je  n'aurois  point  vu  d'autre  homme  que  moi,  quand  je  n'aurois  jamais 
appris  ce  qui  s'est  fait  anciennement  dans  un  coin  du  monde;  si  j'exerce 
ma  raison,  si  je  la  cultive,  si  j'use  bien  des  facultés  immédiates  que  Dieu 
me  donne,  j'apprendrois  de  moi-même  à  le  connoître,  à  l'aimer,  à  aimer 
ses  œuvres,  à  vouloir  le  bien  qu'il  veut,  &  à  rem-  I  plir,  pour  lui  plaire,  [178] 
tous  mes  devoirs  sur  la  terre  '.  Qu'est-ce  que  tout  le  savoir  des  hommes 
m'apprendra  de  plus  ? 


7.  La  Révélation  chrétienne  : 
Beautés  et  objections.  Doute  respectueux. 


A  l'égard  de  la  révélation  -.  si  j'étois  meilleur  raisonneur  ou  mieux 
instruit,   peut-être  sentirois-je  sa  vérité,  son  utilité  ^  pour  ceux  qui  ont 

avait  dé)à  dit,  Discours  de  la  Méthode,  II  [80],  19  :  «  Le  grand  Livre  du  .Monde»:  et 
Saint-Pavin,  ap.  Poésies  choisies,  édit.  G.  Michaut,  Pans,  Sansot,   1912.  in-18.  p.  22  : 

Elle  seule  ^la  Naturej.  dans  son  grand  Livre. 
Nous  enseigne  comme  il  faut  vivre. 

Mais  on  a  vu  que,  derrière  cette  même  e.\pression,  Rousseau  mettait  un  contenu  plus 
riche  et  plus  émouvant.  On  trouverait  peut-être  un  accent  analogue  dans  ces  vers  d'un 
Oratorien.  que  publiait  le  Mercure  en  Juillet   lySS  [41],  i5o3  : 

L'Univers.  Sagesse  infinie. 
Est  un  Livre  que  nous  ouvrent  tes  mains. 
Dans  sa  pompe  et  son  harmonie, 
Tout  parle  sans  cesse  aux  humains,  etc. 

'  C'est  l'idée  qu'on  a  dé)i  vu  exprimée  dans  un  texte  de  Chubb,  que  j'ai  cité  plus 
haut,  p.  rjSg,  note  1. 

'  Rousseau  aborde  le  problème  de  la  Révélation  chrétienne  et  l'examen  de 
l'Évangile,  comme  si  tous  les  arguments  qu'il  vient  d'accumuler  contre  toute  révélation 
n'étaient  pas  valables  contre  la  religion  chrétienne.  Il  semble,  en  effet,  que,  dans  les 
pages  qui  vont  suivre,  Rousseau  fasse  table  rase  de  toute  la  discussion  antérieure, 
laisse  de  côté  «  les  principes  de  la  raison  »,  dont  il  vient  de  dire  qu'  «  il  n'y  a  rien  de 
plus  incontestable  »  ip.  i55(,  et  se  laisse  guider  par  la  seule  voix  du  «  cœur  ».  Cette 
brusque  volte-face,  inexpliquée  et  presque  inconsciente,  témoigne  d'un  bien  curieux 
dédoublement  de  mentalité.  Les  annotations  de  Voltaire  vont  le  souligner. 

•  Cf.  D'Alembert,  art.  Genève,  [52],  IV,  421  :  «  Quand  on  les  presse  [les  pasteurs] 


398  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

infaillible.  D'autres  hommes  '  plus  éclairés  que  moi  -ont  pu  décider 
ce   qui   me  semble   indécis. 


[j  D'ailleurs  je  vous  avoiie  que  ^  la  sainteté  de  l'évangile 
est  un  argument  qui  parle  à  mon  cœur  et  auquel  *  je  n'ai  rien  à 
répondre.  ^  Voyez   ^  tous   les   livres   des   philosophes  '  qu'ils   sont 


justice  de  Dieu  »,  («  «  qui  loin  »  de  nous  ôleri  »  par  »  {^  elle)  «  '■  les  obstacles  au 
salut  'i  les  eut  [e  augmentés  (f  et)  les  eut]  rendus  »  (presque)  «  insurmontables 
pour  f  \[3l]  plus  grand[e]  partie  du  genre  humain.  A  cela  près  »)]  je  reste  sur 
ce  point. 

»)  [et  que  loin  de  lever]. 

*)  [«  là  »]. 

c)  (l'obsta  CLE). 

■I)  (pour]  [il]. 

c)  [(accrus)]. 

')  [il]- 

f?)  (le  plus  grand  nom  bre). 

*  B.  <  plus  éclairés  que  moi  >. 

^  H.  la  (sublimité)  [majesté]  de  l'écriture,  et  surtout  la  sainteté.  —  I.  la 
(sublimité)  [majesté]  des  Ecritures. 

■*  B.  (je  n'ai  rien  à  répondre)  [au  crayon,  repassé  à  l'encre  :  j'aurois  même 
regret  de  trouver  quelque  bonne  réponse]. 

^  (Je  me  demande  s'il  est  possible  qu'un  si  beau  livre  soit  l'ouvrage  des 
hommes.  Tous  les  autres  sont  si  loin  de  celui). 

«  B.  (tous). 

'  B.  avec  (tout)  [toute]  leur  (étalage  [pompe]. 

t  Le  paragraphe  qui  commence  est.  dans  le  texte  de  F,  une  addition 
relativement  récente,  puisqu'on  trouve  enclavé  dans  ce  développement 
marginal  la  note  même  doit  il  est  sorti  plus  tard  :  N.  B.  parler  de  la 
beauté  de  l'évangile. 


EDITION    ORIGINALE  399 

le  bonheur  de  la  reconnoître;  mais  si  je  vois  en  sa  faveur  des  preuves 
que  je  ne  puis  combattre,  je  vois  aussi  contr'eile  des  objections  que  je  ne 
puis  résoudre  *.  11  v  a  tant  de  raisons  solides  pour  &  contre,  que  ne 
sachant  à  quoi  me  déterminer,  je  ne  l'admets  ni  ne  la  rejette;  je  rejette 
seulement  l'obligation  de  la  reconnoître,  parce  que  cette  obligation 
prétendue  (^)  est  incompatible  avec  la  justice  de  Dieu,  &  que,  loin  de 
lever  par-là  les  obstacles  au  salut,  il  les  eût  multipliés,  il  les  eût  rendus 
insurmontables  pour  la  plus  grande  partie  du  genre  humain.  A  cela  près, 
je  reste  |  sur  ce  point  dans  un  doute  respectueux  *.  Je  n'ai  pas  la  présomp-  [179] 
tion  de  me  croire  infaillible  :  d'autres  hommes  ont  pu  décider  ce  qui  me 
semble  indécis;  je  raisonne  pour  moi  &  non  pas  pour  eux;  je  ne  les 
blâme  ni  ne  les  imite  :  leur  jugement  peut  être  meilleur  que  le  mien; 
mais  il  n'y  a  pas  de  ma  faute  si  ce  n'est  pas  le  mien  -. 

Je    vous   aVoue  aussi   '^  que  la    majesté  des   Ecritures   m'étonne,    la 


(«)  C,  D  :   me  semble  incompatible. 

sur  la  nécessité  de  la  Révélation,  ce  dogme  si  essentiel  du  Christianisme,  plusieurs  y 
substituent  le  terme  d'utilité,  qui  leur  parait  plus  doux  ».  D'.-\lembert  faisait  allusion 
à  Vernet,  qui.  dans  la  seconde  édition  de  sa  Vérité  Chrétienne  [2r3",  avait  substitué  à  la 
Wécessilé  de  la  Révélation  (titre  de  la  1"'  Section)  V  Utilité  de  la  Révélation  :  cf.  encore 
Lettre  de  D'.Membert  à  Voltaire,  du  4  Mai  1762  [52],  V,  90,  et  Formey,  Essai  sur  la 
nécessité  d'une  Révélation  [211  '>'">].  Il,  294. 

*  C'était  à  peu  près  avec  cet  état  d'esprit  que  le  prosélyte  avec  accueilli  la  démons- 
tration théiste  du  Vicaire  :  cf..  plus  haut.  pp.  12S-129;  et,  si  Rousseau  restait  fidèle 
à  sa  méthode  de  négliger  les  objections  à  une  doctrine  quand  «  la  persuasion  est  pour 
elle»,  on  voit  mal  pourquoi  il  ne  répondrait  pas  à  l'appel  évangélique.  Cf.  encore,  plus 
haut,  p.  33  :  «  Les  objections  insolubles  sont  communes  à  tous  [les  systèmes],  parce 
que  l'esprit  de  l'homme  est  trop  borné  pour  les  résoudre;  elles  ne  prouvent  donc 
contre  aucun  par  préférence  :  mais  quelle  différence  entre  les  preuves  directes  »  ! 

'  La  Mothe  le  Vayer  avait  déjà  employé  cette  formule  à  propos  du  salut  d'Aristote. 
Vertu  des  Paiens  [80'''»],  142  :  «  Je  demeurerai  dans  un  doute  respectueux,  que  je  pense 
qui  ne  peut  être  désagréable  à  Dieu  ».  —  Comparez  Marie  Huber,  Religion  essen- 
tielle [i5i],  L  146-147  :  «  Mais  quoi  I  anéantirons-nous  tous  les  mystères?  Point  du  tout. 
Je  les  respecte  comme  tels  ;  je  n'ai  garde  de  prononcer  contre  ce  qui  passe  mon  intel- 
ligence... Quelle  réponse  faire  sur  ce  pied-là,  à  des  Juifs,  à  des  Mahométans,  à  des 
déistes,  qui  vous  demanderaient  d'être  éclaircis  sur  les  mystères  ?  Une  réponse  con- 
venable à  tout  homme  qui  connaît  les  bornes  de  son  intelligence,  et  dont  les  gens 
sensés  ne  rougissent  point,  un  /'e  ne  sais  rien,  ou  ;e  ne  comprends  pas». 

'  En  vertu  du  principe  posé  plus  haut,  p.  128  :  «  J'ai  fait  ce  que  j'ai  pu  pour 
atteindre  à  la  vérité ;  c'est  à  elle  à  s'approcher  ». 

'  Ce  développement  sur  l'Évangile  ne  faisait  pas  partie  de  la  rédaction  primitive  : 
après  avoir  dit  pour  quelles  raisons  il  ne  pouvait  se  décider  ni  à  rejeter  ni  à  admettre 
la  Révélation,  Rousseau  concluait  tout  de  suite  :  «  Voilà  le  scepticisme  involontaire  où 
je  suis  resté  ».  C'est  en  relisant  son  premier  manuscrit  qu'il  lui  a  semblé  opportun 
de   «  parler   de   la  beauté  de  l'Évangile   ».   On    verra    par   la   note   suivante   que   les 


400  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

petits  '  ?  coté  de  celui  là.  ^  Esf-il  possible  qu'un  si  beau  livre  soit 
l'ouvrage  des  hommes.  ^  Est-il  possible  que  celui  dont  il  fait 
l'histoire  ne  soit  qu'un  homme  lui  même.  Est-ce  là  le  ton  d'un 
enthousiaste  ou  d'un  ambitieux  sectaire  :  f  quelle  douceur  [*■  qui 
ne  se  dément  jamais,  quelle  pureté  de  morale)  quelle  '■  simplicité 
dans  son  stile  L(™ême)j,  quelle  ele\ation  dans  ses  ^  pensées. 
Quelle  profonde  sagesse  'dans  *  tous  ses  discours  quelle  ''présence 
d'esprit  dans  *"  toutes  ses  réponses,  quel  empire  sur  toutes  ses 
passions  ("  quelle  manière  de)  souffrir  et  (de)  mourir  «  i^  sans 
foiblesse  »   et   sans    ostentation    [(philosophique)      '^.    H    fut    (bien) 


'  B.  auprès  (de  la  simplicité)  de  celui-là. 

-  B.  (Est)  Se  peut-il  qu'un  livre  [à  la  fois]  si  sublime  [et  si  simple]  soit. 

'  B.  Se  peut-il  que  celui  (-cil  dont  il  fait. 

^  [dans  ses  mœurs]. 

'-  B.  (Simplicité)  [grâce  touchante]. 

'■•  B.  maximes. 

'  (et  quelle). 

"  M.  <  tous  >.  —  I.  (tous). 

■'  M.  admirable. 

'"  M.  <  toutes  >. 

"   [ou  est  rhomme  qui  sait  agir]. 

'-  (quelle  différence). 

'^  ((Croyez  vous  que  Socrate  lui  même)  [Point]  de  grands  mots  point 
d'appareil  philosophique  mais  toujours  [de  la]  modération  [de  sic]  patience  et 
dignité.  Crovez  vous  que  Socrate  lui  même  eut  ainsi  supporté).  —  B.  [qui  [couvert 
de  tout(e)  l'opprobre  du  crime]  sait  mériter  tous  les  pri,\  de  la  vertu.  Quel[s 
préjugés  ou  quel]  aveuglement  [ou]  quelle  mauvaise  fois  (sic)  ne  faut  il  point 
avoir  pour  [a  oser]  comparer  le  fils  b  d'fsic)  au  fils  de  Marie.  Quelle  distance 

de  l'un  à  l'autre].  ['•  Quand  Platon  peint  son]  juste  imaginaire  *  J  il  fait  trait  pour 

*  De  Rep.  L.  I.  —  M.  <  De  Rep.  L.  1  >. 

«I  I.  [oser). 

b)  M.  d[e  Sophronisque]. 

c|  (Oui.  le). 

d)  (de  Platon  n'exi.sta  jamaisi.  —  I.  (Il  peint  trait  pour  trait 
Jesus-Christ  qui)  couvert  de  tout  l'opprobre  du  criine  (demeure 
(mais]  ferme  dans  la  vertu  jusqu'là  son  dernier  soupir)  [au  bout 
sait  mériter]  il  peint  trait  pour  trait)  [et  digne  de  tous  les  prix 
de]  la  vertu,  il  (faiti  [peint]  trait  pour  trait  Jésus  Christ  :  la 
ressemblance  est  si  fraiiante  que  tous  les  pères  l'ont  (reconnue! 
[sentie]. 

t  On  lisait  déjà  dans  le  haut  de  la  marge,  barré  et  recouvert  par 
un  autre  développement  :  Quelle  douceur,  quelle. 


EDITION    ORIGINALE  •  4OI 

sainteté  de  l'Evangile  parle  à  mon  cœur.  Voyez  les  livres  des  Philosophes 
avec  toute  leur  pompe;  qu'ils  sont  petits  près  de  celui-là  !  Se  peut-il  qu'un 
livre,  à  la  fois  si  sublime  &  si  simple,  soit  l'ouvrage  des  hommes  *  ?  Se 
peut-il  que  celui  dont  il  fait  l'histoire  ne  soit  qu'un  homme  lui-même? 
Est-ce-là  le  ton  d'un  enthousiaste  ou  d'un  ambitieux  sectaire?  Quelle 
douceur,  quelle  pureté  dans  ses  mœurs  !  quelle  grâce  touchante  dans  ses 
instructions  !  quelle  élévation  dans  |  ses  maximes  !  quelle  profonde  [180] 
sagesse   dans   ses   discours  !    quelle   présence   d'esprit,   quelle   finesse   & 


sentiments  de  Rousseau  à  ce  sujet  avaient  toujours  été  les  mêmes  et  qu'il  les  avait 
déjà  plusieurs  fois  affirmés.  Mais  il  crut  nécessaire  de  les  affirmer  à  nouveau  et  d'une 
façon  plus  explicite,  pour  bien  marquer,  j'imafjine,  que  cette  Seconde  Partie  de  la  Pro- 
fession ne  devait  pas  s'interpréter  comme  un  ralliement  déguisé  aux  idées  et  surtout 
aux  haines  «  pliilosophistes  ».  Un  an  avant  la  publication  d'Emile,  paraissaient  deux 
réquisitoires  très  violents  contre  le  Christianisme,  Recherches  sur  l'origine  du  despo- 
tisme oriental,  par  Boulanger  [233]  et  Le  Christianisme  dévoilé,  par  le  baron  d'Holbach 
[234].  Mais  avant  d'avoir  été  imprimés,  ils  avaient  dû,  comme  tant  d'autres  livres 
aud.icieux  du  XVIH'  siècle,  circuler  en  manuscrits  parmi  les  gens  de  lettres;  nous 
savons,  en  particulier,  que  Rousseau  avait  copié  le  Despotisme  oriental,  évidemment 
avant  sa  publication  :  cf.,  à  la  Bibliographie,  la  note  du  n"  233  ;  et  l'on  verra  plus  loin 
que  certaines  phrases  de  Rousseau  sont  très  vraisemblablement  des  réponses  à 
D'Holbach.  En  cette  même  année  1761,  on  avait  réédité  V Examen  de  la  Religion, 
dont  Rousseau  possédait  déjà  une  copie,  et  dont  le  Chap.  IV,  De  Jésus-Christ  '1/3], 
49  sqq,  n'apportait  qu'une  négation  sans  respect  ;  et  Voltaire,  quelques  mois  avant 
l'apparition  d'Emile,  publiait  les  Sentiments  de  Jean  Sfeslier  [240],  333.  où 
l'attaque  contre  la  personne  même  de  Jésus  était  particulièrement  grossière.  Je 
croirais  donc  que,  dans  cet  éloge  de  l'Évangile,  dans  cet  hommage  attendri  et 
presque  pieux  à  la  morale,  au  caractère  et  à  la  grandeur  de  Jésus,  il  entre  sans 
doute  une  conviction  très  sincère,  mais  tout  autant  peut-être  le  désir  d'exaspérer 
les  «  philosophes  ♦.  Un  passage  des  Confessions  laisse  d'ailleurs  entrevoir  cet 
état  d'esprit.  VllI,  279  :  «  La  lecture  de  la  Bible,  et  surtout  de  l'Évangile,  à  laquelle 
je  m'appliquais  depuis  quelques  années,  m'avait  fait  mépriser  les  basses  et  sottes 
interprétations  que  donnaient  à  Jésus-Christ  les  gens  les  moins  dignes  de  l'entendre  ». 
—  Au  point  de  vue  littéraire,  ce  morceau  est  d'un  intérêt  particulier,  parce  qu'il  est  à 
peu  près  le  seul  dont  on  puisse  suivre  tout  le  développement,  depuis  le  premier 
canevas  un  peu  sec  jusqu'au  texte  actuel,  si  savant,  si  équilibré,  si  artiste,  sans  que 
pourtant  la  sincérité  de  l'émotion  y  perde. 

•  Rousseau,  qui  avait  lu  le  P.  Berruyer,  et  qui  disait  «  ne  l'aimer  guère  » 
/Lettres  de  la  Montagne,  III,  i65!,  s'il  n'en  «  prend  pas  le  ton  »,  en  adopte,  du  moins, 
le  point  de  vue;  cf.  Histoire  du  peuple  de  Dieu  [2o3].  1,  pp.  i.iv-lv  :  «  Pour  moi,  je 
ne  crains  point  de  vous  annoncer  nos  Écritures  comme  le  tableau  d'un  grand  .Maître, 
en  possession,  depuis  bien  des  siècles,  de  l'admiration  de  tous  ceux  des  connaisseurs 
qui  n'en  ont  point  redouté  les  conséquences.  Je  m'assure  que.  dès  la  première  vue. 
l'ordonnance  qui  y  règne,  la  justesse  et  la  proposition  des  objets,  le  naturel  et  la 
force  de  l'expression,  la  suite  et  l'ensemble  de  toutes  les  figures,  saisiront  votre 
suffrage,  et  vous  apprendront  à  vous  défier  de  vous-même,  si,  faute  de  goût  et  de 
discernement,  vous  étiez  tentés  d'y  soupçonner  quelque  défaut.  C'est  par  ce  total, 
aperçu  d'abord  d'un  coup  d'œil  habile,  qu'on  juge  sainement  des  grands  objets  en  tout 

genre J'ai  éprouvé  que,  seulement  à  les  lire,  on  ne  peut  se  dispenser  de  les  croire 

26 


402  '  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

facile  à  Socrate  de  mourir  en  philosophe.  Mais  s'il  <^  ^  fut  >->  (mort) 


trait  Pimage  de  Jésus  Christ,  a  Socrate  mourant  ^  sans  douleur  sans  ignominie 
c  soutient  aisément  ^ï  son  caractère  jusqu'au  bout,  et  [si]  cette  [facile]  mort 
[^  n'eut  honoré]  sa  vie  on  douieroit  si  Socrate  avec  tout  son  esprit  fut  autre 
chose  qu'un  sophiste  f.  «  !^  Il  inventa,  dit-on,  la  morale  »,  (h  non)  il  n'inventa 
rien  il  ne  ht  que  mettre  en  préceptes  ('  ces  grands  modèles  de)  vertus  dont  «  J  les 
grands  »  hommes  {^  de  la  Grèce)  «.  '  avoient  donné  »  l'exemple  ">  au  monde  °. 
"  Aristide  [l' avoit  été  juste  avant]  que  Socrate  eut  dit  ce  que  c'éioit  que  justice  M. 
Mais  où  Jésus  avoit-il  pris  >■  dans  son  siècle  et  dans  son  pays  celle  «  morale 
sublime  [•  dont  lui  seul  a  donné]  les  leçons  et  l'exemple  *  f.  "  Du  sein  du  [plus 
*I,  Voyez  dans  le  discours  sur  la  montagne  (la  comparaison)  [le  parallèle] 
qu'il  fait  lui  même  de  la  morale  de  Moïse  à  la  sienne  fchap.)  [C]  V.  v.  21.  et  seq.  : 
(ce  parallèle  est  de  la  plus  grande). 

a)  (Oui  u  si  »  Socrate  est  mort...  Quelle  différence  de  la 
mon...  maître  de  .'.on  maître...  On  atTecte  bi  en  de  lui  comparer 
...  Socrate  à  lui). 

'\;  I,   sans  dou!eur(s). 

^■)  IVI.  soutint 

<ii  M.  jusqu'au  bout  son  personage.  —  I.  (son  caractère) 
jusqu'au  bout  [son  personage]. 

*■)  (telle  qu'elle  est  mot  illisible  pourtant  nécessaire  pour 
honorer). 

f)  <Sa  morale  (est  belle  mais  (elle)  a-t-elle  la  sublimité  .. 
approchc-l-elle  de  celle  de  l'Evangile)  [est  elle  étonnante  chez] 
(Socrate/  où  Jésus  avoii-il  pris  la  sienne;  étoit  [ce]  dans  son 
siècle  et  parmi  (^a  nation  1). 

S)  [(Qu'a-t-il  tait...  que!  grand  mérite  est-ce  à  lui  d'avoir 
inventé)]. 

1')  [(lorsqu'il  ne  sagissoit  que  de  mettre  en  préceptes  tant 
d'exemples  dont  la  gr  ruei]. 

i;  (les  exemples)  [«  toutes  »  les]. 

j)  ['tant  dei]  grands- 

k)  [de  son  pays]. 

1)  [(donnoient)J. 

m)  M.  <  au  monde  >  . 

n)  I.  mettre  en  leçons  des)  [leurs]  exemples  (d'auirui). 

")  (Ce  fut...  furent  Licurgue  [bien  plusj). 

p)  (Léonida>.  Thémisiocle). 

•1)  M.  Lconidas  éloit  mort  pour  la  patrie  avant  que  Socrate 
eut  du  qu'il  faloit  f'aimer;  avant  (que  Sociatet  [qu'il]  eut  dit 
qu'il  faloit  être  sobre  Lycun^ue  avoii  appris  à  ses  concitoyens 
à  l'être.  Avant  qu'il  eut  dclini  la  vertu,  la  Grèce  abondoit  en 
hommes  vertueux.  —  I.  (Thcmisioc'e  avoit  immolé  sa  vie  à  son 
pays  avant  que  Socrate  [icni]  eut  dit  qu'il  le  faloit  faire) 
[Leonidas  étoit  mort  pour  son  pays  avant  que  Socrate  eut  fait 
un  devoir  d'aimer  la  patrie],  Sparte  étoit  sobre  avant  que 
Socrate  eut  loué  la  sobrii-ié.  [Avant  qu'il  eut  défini  la  vertu  la 
Grèce  abondoit  en  hommes  vertueux]. 

r)  I.  (dans  son  pays»  chez   les  siens. 

s)  [subi  r.ME). 

I  )  ([qui  règne  autant]  dans  sa  vie  (et)  que  dans  ses  discours  i. 

u)  (hieu). 

'   |(eut  (souffert)  «  à  »  mourir)] , 

t  L'astérisque  se  trouve  dans  B.  mais  sans  la  note  correspondante  : 
la  note  n'apparaît  que  dans  I. 


EDITION    ORIGINALE  403 

quelle  justesse  dans  ses  réponses  !  quel  empire  sur  ses  passions  '!  Où  est 
l'homme,  où  est  le  sage  qui  sait  agir,  souffrir  &  mourir  sans  foi- 
blesse   -   &   sans   ostentation  '  ?   Quand    Platon    peint    son    juste    ima- 


de  l'auiheniicité  et  de  l'antiquité  que  les  Chrétiens  leur  attribuent  ».  Sur  un  ton 
moins  esthète,  d'autres  apologistes  avaient  déjà  présenté  des  considérations  analofjues  : 
cf.  Lejeune,  le  traducteur  de  Grotius  [79J.  p.  xiv,  parlant  de  «  la  simplicité  du  style, 
jointe  à  une  majesté  qui  n'a  rien  d'humain  »  ;  Claville,  Traité  du  vrai  mérite  [144], 
11,  242.  etc.  Ce  n'est  pas  la  première  lois  que  Rousseau  témoignait  publiquement  de  son 
respect  pour  l'Évangile:  cf.  Réponse  au  Roi  de  Pologne,  1.  40  :  «  Ce  divin  livre,  le 
seul  nécessaire  à  un  chrétien,  et  le  plus  utile  de  tous  à  quiconque  même  ne  le  serait 
pas.  n'a  besoin  que  d'être  médité  pour  porter  dans  l'ànie  l'amour  de  son  auteur,  et  la 
volonté  d'accomplir  ses  préceptes.  Jamais  la  vertu  n'a  parlé  un  si  dou.x  langage;  jamais 
la  plus  profonde  sagesse  ne  s'est  exprimée  avec  tant  d'énergie  et  de  simplicité.  On  n'en 
quitte  point  la  lecture  sans  se  sentir  meilleur  qu'auparavant  »;  Lettre  à  D'Alembert, 

I,  184  :  «  Nul  n'est  plus  pénétré  que  moi  d'amour  et  de  respect  pour  le  plus  sublime 
de  tous  les  livres  :  il  me  console  et  m'instruit  tous  les  jours,  quand  les  autres  ne 
m'inspirent  plus  que  du  dégoiit  »  ;  cf.  encore.  Lettre  à  Vernes,  du  23  Mars  1758,  X,  187  ; 
«Je  vous  l'ai  dit  bien  des  fois,  nul  homme  au  monde  ne  respecte  plus  que  moi 
l'Évangile:  c'est,  à  mon  gré,  le  plus  sublime  de  tous  les  livres:  quand  tous  les 
autres  m'ennuient,  je  reprends  toujours  celui-là  avec  un  nouveau  plaisir;  et,  quand 
toutes  les  consolât  ons  humaines  m'ont  manqué,  jamais  je  n'ai  recouru  vainement 
au.\  siennes  ».  D'après  les  Confessions,  IX,  27,  à  l'époque  où  Rousseau  composait 
Emile  «  sa  lecture  ordinaire  du  soir  était  la  Bible  »  :  «  je  l'ai  lue  entière,  ajoute-t-il, 
au  moins  cinq  ou  six  fois  de  suite  de  cette  façon  ». 

'  Pour  sentir  tout  ce  qu'il  y  a  d'original  et  de  traditionnel  à  la  fois  dans  le 
portrait  tracé  par  Rousseau,  il  faut  mettre  en  regard  quelques  pages  d'inspiration 
analogue  empruntées  à  des  livres  qu'il  avait  lus;  cf.   .Abbadie,  Religion  chrétienne, 

II,  Cl.  7,  «  De  la  Sainteté  de  Jésus-Christ»  [92^,  11,  6i-63  :  «  Qu'on  assemble  toutes 
les  idées  de  vertu,  que  la  conduite  des  sages  et  l'esprit  de  ceux  qui  les  ont  loués 
avec  le  plus  de  passion  nous  fournissent  ;  qu'on  joigne  ensemble  les  Caton  et  les 
Aristide;  qu'on  sépare  même  leurs  vertus  de  leurs  défauts  et  qu'on  leur  prête  toutes 
les  bonnes  qualités  que  l'on  voit  répandues  dans  les  autres  hommes  :  je  soutiens  que 
toutes  ces  idées  n'approcheront  point  de  cette  perfection  que  les  Évangélistes  nous  font 
concevoir  en  Jésus-Christ  sans  hyperbole  et  sans  art,  mais  par  un  récit  naïf  et  simple 

de  ses  actions Il  est  facile  d'exercer  la  vertu  au  milieu  de  la  prospérité,  et  lorsqu'on 

s'acquiert  par  là  l'estime  générale  des  hommes,  comme  cela  est  arrivé  aux  héros  du 

paganisme Mais  ce  serait  faire  tort  à  Jésus-Christ  que  de  le  comparer  avec  ce  qui  a 

fait  l'admiration  des  siècles  :  ne  le  comparons  qu'à  lui-même  »  ;  et  Vernet,  Instruction 
chrétienne,  IX,  2,  «  Du  caractère  éminent  de  sagesse  et  de  vertu  qui  a  brillé  dans 
la  personne  de  Jésus-Christ»  [2i3].  11.  i55-i56  :  «Ses  pensées  et  ses  discours  ne 
ressentent    point  une   imagination  confuse   et   déréglée.   Ce  sont  des  pensées  justes 

et   bien   appropriées  au    temps,   au   lieu,  et  au  sujet On   ne  voyait  rien   d'affecté 

ni  de  bizarre  dans  son  extérieur  et  dans  ses  manières.  Tout  était  chez  lui  dans  un 
goût  de  simplicité  bienséante  et  raisonnable  ».  Dans  la  111*  des  Lettres  de  la  Montagne, 

III,  i65.  Rousseau  s'écartera  davantage  de  ce  portrait  traditionnel,  pour  nous  présenter 
un  Jésus  plus  renanien. 

'  \  oitairc  [242].  27g  :  «  Et  sa  sueur  de  sang  »  ? 

'  Cf.  Nouvelle  lléloïse  (VI,  xi),  V,  64  :  «  Il  j^le  ministre  qui  assiste  Julie  mourante] 
avait  vu  souvent  mourir  avec  ostentation,  jamais  avec  sérénité  ». 


404  REDACTIONS    MANUSCRITES 

'  comme  Jésus  -  dans  la  douleur  et  dans  l'ignominie  eut  il  comme  lui 
soutenu  jusqu'au  bout  sa  douceur  sa  modération,  sa  dignité.  Après 
tant  d'opprobres  et  de  tourmens  Jésus  en  expirant  est  encore  lui 
même  ;  et  qu'on  ne  suppose  pas  que  l'hihtoire  de  l'Evanj^ile  ''puisse 
être  in\eniée  à  plaisir.  ■*  Ce  n'est  que  reculer  la  diniculté  '■ce  n'est 
pas  la  détruire.  Il  ''seroit  plus  inconcevable  "qu'on  eut  fabriqué 
ce  livre  qu'il  l'est  qu'un  homme  ■  n  ait  fourni  le  su|et.  L'é\'anf^ile  à 
des  caractères    **  si    grands   si   frapans,   ■'  si   vrais   (si  uniques)   que 


furieuxj  fanatisme  la  voi.\  de  la  (suprême)  sagesse  se  fit  entendre  [avec  douceur] 
et  toute  la  simplicité  des  plus  héroïques  vertus  (a  illustra  ['■  le  plus  vil  de  tous 
les  peuples].  [La  mort  de  Socrate  philosophant  tranquillement  avec  [•'  ses]  amis 
est  la  plus  douce  ^  qu'on  puisse  désirer  ;  celle  de  Jésus  [expirant  dans  les  tour- 
mens injurié  <^  maudit  (raillé)de  tout  un  peuple]  est  la  plus  horrible  qu'on  puisse 
craindre,  i"  Socrate  s  prenant  la  coupe  I'  bénit  celui  qui  la  lui  présente  et  qui 
pleure,  (mais)  Jésus  (Christ)  ['  au  milieu]  d'un  supplice  afîVeu.'c  prie  pour  ses 
bourreaux  acharné>].  Oui  si  la  vie  et  la  mort  de  Socrate  sont  d'un  philosophe  la 
vie  et  la  mort  de  Jésus  sont  d'un  Dieu.  [  '  Dirons-nous]  que  l'histoire  de  l'tvanyile. 


»)  [«.  honora  »  (brilla)]. 

b)  (le  siècle). 

c)  (ces). 

it)  (et  la  plus). 
<■)  [raillé]. 

f)  [(il  bénit  [en  prenant   le  puisonj  l'homme  qui  se  plaint 
et  qui)]. 

B)  (avant). 

•')  M.  empoisonnée.  —  I.  (mortelle)  [cmpoisonée]. 

»)  (prie  pour  ceu.x  dont). 

j)  (Dire). 

'  (dans). 

'  (une  mort  douloureuse  et)  [mort]. 

'  B.  (puisse  être)  [est]. 

''  B.  (Non)  [mon  ami]  ce  n'est  pas  ainsi  qu'on  invente  (la  vie  et  la  mort 
[l'histoire])  et  les  faits  de  Socrate  dont  personne  ne  doute  sont  moins  attestés 
que  ceux  de  Jésus-Christ.  Au  fond  c'est  (<.^  plus  tôt  »)  reculer  la. 

•"'  B.  (que  [mais])  [et  non]  la  détruire. 

*  B.  (est)  seroit. 

'  B.  que  quatre  *  hommes  d'accord  eussent  fabriqué  («  ces  fictions  ») 
[ce  livre]  qu'il  ne  l'est  qu'un  seul  en  ail  fourni  le  sujet. 

*  [Je  veux  bien  n'en  pas  compter  davantage  parce  que  leurs  quatre  (Evan- 
giles) [livres]  sont  les  seul[e]s  [vies  de  Jésus  Christ]  qui  nous  sont  restéjejs  du 
grand  nombre  qui  en  avoicnt  été  écrites].  — M.  Il  veut  bien  ..  qui  nous  soient 
restées  du   grand  nombre  qu'on  {barré  au  crayon  :  n')en  avoit  écrit. 

'  B.  de  vérité. 

"  B.  <  si  vraies  >  «  si  »  parfaitement  inimitables  que  l'inventeur. 


EDITION-    ORIGINALE  4O5 

ginairc  *  couvert  de  tout  l'opprobre  du  crime,  &  digne  de  tous 
les  prix  de  la  vertu,  il  peint  trait  pour  trait  Jesus-Christ  :  la  res- 
semblance est  si  frappante,  que  tous  les  Pères  l'ont  sentie,  &  qu'il  n'est 
pas  possible  de  s'y  tromper  *.  Quels  préjugés,  quel  aveuglement  ne 
faut-il  point  avoir  pour  oser  comparer  le  fils  de  Sophronisque  ^  au 
fils  de  Marie  "?  Quelle  dislance  de  l'un  à  l'autre!  Socrate  mourant  sans 


*  De  Rep.  Dial.  I  (a). 


C,  D  :  Dial.  2. 


*  Ce  passage  de  la  République.  II,  pp.  36i-362  d'édition  originale  renvoie  à  tort 
au  Livre  I)  était  en  eflet  regardé  par  les  apologistes  comme  une  sorte  de  prophétie 
païenne.  La  Motlie  le  Vayer  [80''''],  106  et  l'abbé  Guyon  [147J,  XII,  23o-25i,  rappelaient 
que  les  Pères  avaient  surnommé  Platon  «  Moïse  l'Athénien  ».  Rousseau,  qui  sans  doute 
lisait  Platon  dans  le  te.xte  de  Dacier.  avait  pu  noter  ce  rapprochement  entre  le  Juste 
idéal  et  Jésus  dans  le  Discours  sur  Platon  qui  précède  la  traduction  [101],  I,  I"  12"  |non 
paginé).  D'autres  livres  familiers  lui  signalaient  la  ressemblance  :  cf.  Barbeyrac,  Préface 
du  Droit  de  la  nature,  %  21  [107  A],  59-âo,  Vernet,  Vérité  de  la  Religion  [162],  III, 
269-270,  Saint-Aubin,  Traité  de  l'Opinion  [141],  V,  i34-i55,  Beausobre,  Histoire  du  Kfani- 
chéiime.  Il,  i,  6  [1  42],  3]  1  ;  «  Clément  d'.Mexandrie  croit  avoir  découvert  dans  le  même 
philosophe  [Platon]  une  prédiction  très  formelle  de  la  crucifi.xion  de  Jésus-Christ  : 
Platon,  dit-il,  n'a-t-il  pas  prédit  en  quelque  manière  l'économie  salutaire,  lorsque,  dans 
son  second  Livre  de  la  République,  il  a  imité  cette  parole  de  l'Écriture  :  défaisuns-nous 
du  Juste,  car  il  nous  incommode,  et  s'est  exprimé  en  ces  termes  :  Le  Juste  sera  battu 
de  verges,  il  sera  tourmenté,  on  lui  crèvera  les  yeux,  et,  après  avoir  souffert  toutes 
sortes  de  maux,  il  sera  crucifié  ».  Mais  de  tous  ces  textes  qui  comparaient  le  Juste 
idéal  à  Jésus,  celui  de  Beausobre  est  le  seul  qui  s'appuie  sur  l'autorité  d'un  Père 
de  l'É.;Iise.  C'est  donc  vraisemblablement  dans  Beausobre,  —  que  Rousseau  lisait,  — 
qu'il  a  pris  ce  rapprochement. 

*  On  remarquera  que  Rousseau,  cherchant  une  formule  pour  faire  équilibre  au 
«  fils  de  .Marie  »,  ne  trouva  pas  dans  sa  mémoire  de  quoi  la  remplir;  cf.  le  texte  de  B  : 
«  le  fils  d'  au  fils  de  .Marie  ».  Ce  fut  Saint-.\ubin,  qu'il  avait  toujours 
sous  la  main  (cf..  plus  haut,  p.  58,  note  4,  et  mon  article  Sur  les  sources  de  Rousseau 
[232).  640-5421,  qui  lui  fournit  le  nom  dont  il  avait  besoin  ;  cf.  Traité  de  l'opinion 
[141].  I.  332:  «Socrate.  tils  du  sculpteur  Sophronisque  ».  Notons,  qu'ayant  désigné 
Socrate  par  le  nom  de  son  père.  Rousseau  ne  lui  a  pourtant  pas  opposé  «  le  fils  de 
Joseph  ».  II  y  a  là  un  souci  visible  de  ménager  la  conscience  chrétienne. 

'  Je  ne  connais  pas.  dans  la  littérature  «  philosophique  »  an  érieure  à  la  Profes- 
sion, de  «  compa'aison  »  formelle,  ou  pour  parler  plus  précisément,  de  parallèle,  entre 
Socrate  et  Jésus.  .Mais  le  Christianisme  dévoilé  de  D'Holbach  [234]  mettait  en  regard  à 
plusieurs  reprises  les  enseignements  de  Jésus  et  ceux  des  sages  anciens,  notamment 
de  Socrate.  pour  donner  l'avantage  à  ces  derniers  :  cf.  pp.  188  :  *  Nous  trouvons  dans 
Socrate,  dans  Confucius.  dans  ks  Gvmnosophistes  indiens,  des  maximes  qui  ne  le 
cèdent  en  rien  à  celles  du  Messie  des  chrétiens  »;  i33  :  «  Dans  ceux  de  ses  préceptes 
[de  Jésus-Christ]  qui  peuvent  se  pratiquer,  nous  ne  trouvons  rien  qui  ne  fût  mieux 

connu   des  sages  de  l'antiquité  sins  le  secours  de  la  révélation Socrate  dit  dans 

Criton  qu'il   n'est   pas   permis  à   l'homme  qui  a  reçu   une   injure  de  se  venger  par 
une  autre  injure»;  et   quelques   pages  plus   loin.    p.    i5q.   l'auteur  opposait  encore. 


406  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

l'inventeur  en  ^  est  aussi  difficile  à  (-'  concevoir)  que  le  Héros. 
^  Au  milieu  de  tout  cela  ^  ce  même  évanj^ile  est  plem  de  choses 
*  inconcevables  qu'il  est  impossible  à  "l'esprit  de  croire  (et)  à  la 
raison  d'entendre  1"  et  qu'on  traitteroit  volontiers  d'absurdités  |.  Que 
faire  au  milieu  de  *  ces  contradictions.  Etre  [toujours  modestej 
(^  toujours)  de  bonne  foi  mon  enfant.  Respecter  en  silence  ce 
qu'on  ne  «  sauroit  »  '"comprendre  (sans  l'admettre  ni  le  reietter) 
et  s'humilier  devant  le  grand  Etre  qui  seul  sait  la  vérité]. 


1 


'  B.  seroit  plus  étonnant  que  le  Héros  [et  jamais  des  auteurs  juifs  n'eussent 
trouvé  ni  ce  ton  ni  cette  morale]. 
'  [trouver]. 
'  B.  (Au  milieu  de)  [Avec]  tout  cela. 

*  B.  ceit) 

^  B.  incroyables,  de  choses  qui  répugnent  à  la  raison,  et  qu'il  est  impossible. 
"  B.  tout  homme  sensé  de  concevoir  ni  (de  croire)  [d'admettre].  Que  faire 
au  milieu.  —  M.  de  concevoir  et  d'admettre. 
'  (d'expliquer). 

*  B.  toutes  ces  contradictions. 

"  (être)  [et].  —  B.  circonspect,  mon  enfant. 
'"  B.  ni  [rejetter  ni]  comprendre. 


ÉDITION    ORIGINALE  407 

douleur,   sans   ignominie,   soutint  aisément   jusqu'au    bout   son    person- 
nage, I  &  si  cette  facile  mort  n'eût  honoré  sa  vie.  on  douteroit  si  Socrate,        [181] 


aux  fausses  vertus  et  à  «  l'abjection  d'âme  »  des  saints  chrét-ens,  «  les  vertus  réelles 
des  Socrate,  des  Caton,  des  Épictète,  des  Antonin  ».  D'ailleurs,  le  parallèle  devait 
être  devenu  classique  dans  les  conversations  des  «  philosophes  ».  puisque,  peu  après 
la  Profession,  nous  le  verrons  se  présenter  à  plusieurs  reprises,  et  comme  sponta- 
nément, sous  la  plume  de  Voltaire;  cf.  Si  l'intolérance  a  été  enseignée  par  Jésus- 
Christ  fyS],  XXV,  86:  «Si  l'on  compare  le  sacré  avec  le  profane,  et  un  Dieu  avec 
un  homme,  sa  mort,  humainement  parlant,  a  beaucoup  de  rapport  avec  celle  de 
Socrate  ».  etc.  ;  Profession  de  foi  des  théistes,  XXVI,  69  :  «  Nous  révérons  en 
lui  un  théiste  Israélite,  ainsi  que  nous  louons  Socrate.  qui  fut  un  théiste  athénien  »,  etc.  ; 
Homélie  sur  l'inspiration  du  Nouveau  Testament,  .K.WIl.  353  :  «  C'était  le  Socrate  de 
la  Galilée  ».  En  tous  cas,  à  l'époque  où  Rousseau  rédigeait  la  Profession,  il  y  avait 
lonjitemps  que  Socrate  était  considéré  par  tous  comme  le  plus  éminent  des  «  Saints  du 
Paganisme»  {Année  Littéraire  de  ijSg  [^S],  V.  i38);  Richardson  [199].  XXIII,  283. 
l'appelait  «  le  divin  Socrate  »  ;  et  les  «  philosophes  »  répétaient  sur  tous  les  tons 
le  «  Sancte  Socrates,  ora  pro  nobis»  d'Érasme  :  cf.  La  Mothe  le  Vayer,  Vertu  des  Païens 
[80 M«],  74,  Le  Spectateur  [iiy],  IlL  42,  Saint-Aubin,  Traité  de  l'opinion  [141],  1,  359, 
Cooper,  l'ie  de  Socrate  [igS],  183-184,  note.  Voltaire,  Socrate  (1759I  [228],  359  sqq.  La 
pièce  de  Voltaire  montre  assez  qu'au.\  environs  de  1760,  les  derniers  moments  «  du 
plus  sage  de  tous  les  hommes  »  passaient  pour  le  sujet  dramatique  le  plus  émouvant 
qui  pût  tenter  un  «  philosophe  »  (Cf.  Journal  encyclopédique  du  1"  Décembre  ijbg  [46], 
129)  ;  Diderot,  lui  aussi,  avait  tracé  une  esquisse  de  la  mort  de  Socrate,  Poésie  drama- 
tique, XXI  [223  bis].  381-384;  et  le  Journal  encyclopédique  du  i5  mai  1759  [46].  137, 
assurait  que,  «  si  son  génie  le  portait  à  le  remplir,  ce  drame  produirait  un  efi'et  mer- 
veilleux, au  moins  devant  une  assemblée  de  philosophes  ».  Dans  les  milieux  antiphilo- 
sophiques, on  n'avait  pas  attendu  Rousseau  pour  protester  contre  des  louanges  qui 
paraissaient  excessives  :  cf.  Fréron,  qui,  dans  {'Année  Littéraire  de  1759  [45],  V,  i35-i38, 
reproche  à  Socrate  d'avoir  ridiculisé  la  religion  de  son  pays,  et  paraphrase  sans  tendresse 
les  insinuations  de  Boileau  sur  le  «très  équivoque  ami  du  jeune  Alcibiade  »  ;  cf.  déjà 
Saint-Aubin,  Traité  de  l'opinion  [141],  L  358  :  «  Quelle  apparence  d'en  faire  un  saint 
et  un  martyr»!  Rollin,  Histoire  ancienne,  IX,  iv.  8,  «  Réflexions  sur  le  jugement  porté 
contre  Socrate  par  les  Athéniens  et  sur  Socrate  lui-même  »  [i32].  IV.  Seconde  Partie, 
455-456  :  «  On  ne  peut  disconvenir  que  Socrate,  pour  ce  qui  regarde  les  vertus  morales, 
ne  Suit  le  héros  du  paganisme.  Mais,  pour  en  bien  juger,  qu'on  mette  en  parallèle  ce 
prétendu  héros  avec  les  martyrs  du  Christianisme,  c'est-à-dire  souvent  de  faibles 
enfants,  de  tendras  vierges,  qui  n'ont  point  craint  de  répandre  tout  leur  sang  pour 
défendre  et  sceller  les  mêmes  vérités  que  Socrate  connaissait,  mais  qu'il  n'osait 
soutenir  en  public,  je  veux  dire  l'unité  d'un  Dieu  et  la  vanité  des  idoles...  La  philo- 
sophie n'inspire  point  de  ttls  sentiments  :  ils  ne  peuvent  être  l'etlet  que  de  la  grâce  du 
Médiateur,  que  Socrate  ne  méritait  pas  de  connaître  ».  Murait,  à  son  tour,  avait  réclamé 
contre  ce  jugement  trop  sévère  et  présenté  longuement  la  défensede  Socrate  dans  les 
Lettres  fanatiques  [i56].  11.  3o-io5.  Non  seulement  il  faisait  de  lui  «  un  chrétien,  et  un 
chrétien  de  la  bonne  sorte  »  (p.  92),  mais  il  le  saluait  comme  le  plus  pur  représentant  de 
la  religion  naturelle,  «  une  espèce  de  saint,  un  homme  à  qui  plusieurs  ont  donné  le  nom 
de  divin  »  (p.  3i).  Cependant  les  théologiens  chrétiens,  même  protestants,  ne  s'étaient 
pas  laissés  convaincre,  et  Vernet  avait  institué  un  parallèle  en  règle  entre  Socrate 
et  Jésus,  pour  remettre  chacun  à  sa  vraie  place;  cf.  Vérité  de  la  Religion,  VI,  5,  «  Du 
caractère  de  Jésus-Christ,  et  combien  il  a  été  éloigné  du  fanatisme  »  [162],  111,  i32-i35  : 


408  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


EDITION    ORIGINALE  4O9 

avec  tout  son  esprit,  fut  autre  chose  qu'un  sophiste  '.  11  inventa,  dit-on, 
la  morale-.  D'autres  axant  lui  l'avoient  mise  en  pratique;  il  ne  fit  que 
dire  ce  qu'ils  avoient  t'ait,  il  ne  fit  que  mettre  en  leçons  leurs  exemples. 
Aristide  avoit  été  juste  avant  que  Socrate  eût  dit  ce  que  c'étoit  que  justice; 
Léonidas  étoit  mort  pour  son  pays  avant  que  Socrate  eût  fait  un  devoir 
d'aimer  la  patrie;  Sparte  étoit  sobre  avant  que  Socrate  eût  loué  la  sobriété  : 
avant  qu'il  eût  défini  la  vertu,  la  Grèce  abondoit  en  hommes  vertueux. 


«S'il  V  avait  quelque  philosophe  de  l'antiquité  qu'on  osât  lui  comparer  [à  JésuSj  en 
qualité  de  simple  docteur,  ce  serait  Socrate.  Quelques  personnes,  en  effet,  se  sont  plu  à 
remarquer  divers  traits  de  conformité  dans  la  vie  et  le  caractère  de  l'un  et  de  l'autre. 
Tous  deux  ont  fait,  pour  ain  i  dire,  descendre  la  Philosophie  du  ciel  en  terre,  comme 
on  le  disait  de  Socrate,  pour  le  louer  de  ce  qu'il  avait  laissé  la  contemplation  astrono- 
mique, afin  de  rapporter  toute  l'étude  de  la  sagesse  aux  bonnes  mœurs  et  à  l'usage  de 
la  vie  civile.  L'un  et  l'autre  a  trouvé  les  esprits  gâtés  par  de  mauvaises  subtilités.  En 
Judée,  c'était  la  fausse  dévotion  pharisaique  qui  prévalait;  à  Athènes,  c'était  la  vaine 
science  des  sophistes.  Il  fallait  arracher  le  masque  aux  uns  et  aux  autres,  pour  ramener 
les  hommes  au  vrai  et  au  simple;  et  c'est  à  quoi  chacun  d'eux  s'est  appliqué,  par  une 
méthode  assez  semblable.  Ni  l'un  ni  l'autre  n'a  afiecté  un  air  de  singularité:  leur  vie  a 

été  toute  unie,  sociable  et  communicative Ils  se  plaisaient  à  user  d'interrogations, 

de  comparaisons  et  de  paraboles,  et  à  entremêler  leurs  discours  de  maximes  courtes  et 
pleines  de  sel.  Ni  l'un  ni  l'autre  n'ont  rien  laissé  par  écrit,  se  contentant  de  former  des 
disciples  qui  ont  recueilli  et  publié  leurs  enseignements.  Enfin  l'un  et  l'autre,  s'attirant 
très  innocemment  la  haine  des  ennemis  de  la  vérité,  ont  été  publiquement  accusés  et 
condamnés  à  mort,  et  ont  subi  leur  sentence  avec  une  grande  résignation.  Tels  sont 
les  rapports  que  l'on  croit  remarquer  entre  ces  deux  personnages  ;  à  quoi  l'on  pourrait 
aussi  opposer  des  différences  bien  grandes,  toutes  à  l'avantage  du  chef  des  Chrétiens, 
qui  eut  des  vues  beaucoup  plus  relevées  et  des  mœurs  bien  plus  pures,  qui  enseigna 
une  doctrine  bien  plus  excellente,  et  qui  fut  revêtu  d'une  autorité  infiniment  plus 
respectable.  Mais,  en  s'en  tenant  même  au  parallèle  qu'on  vient  de  rapporter,  qui  ne 
voit  au  moins  ce  qui  en  résulte  pour  la  question  dont  il  s'agit  ici?  On  ne  se  lasse 
point  de  louer  Socrate,  jusqu'à  le  mettre  à  la  tête  de  tous  les  sages  de  l'antiquité.  Avec 
quelle  pudeur  refuserait-on  de  donner  au  moins  les  mêmes  éloges  à  celui  qui  le 
surpasse  de  beaucoup  ?  et,  tandis  qu'on  exalte  l'un  h  ce  point  là,  comment  oserait-on 
dégrader  l'autre,  jusqu'à  le  traiter  de  visionnaire  et  d'extravagant.  Je  laisse  à  juger 
s'il  y  eut  jamais  de  partialité  plus  injuste  ».  Il  est  infiniment  vraisemblable  que  c'est 
cette  page  de  Vernet  qui  a  suggéré  celle  de  Rousseau.  —  Rappelons  enfin  que  dans 
l'artic!e  Economie  politique,  111,  288,  Rousseau  avait  comparé  Socrate  et  Caton,  pour 
donner  déjà  la  seconde  place  à  Socrate.  quoiqu'il  s'v  montrât  à  son  égard  plus  sym- 
pathique qu'ici. 

'  La  formule  était  chère  à  Rousseau;  cf.  Discours  sur  la  vertu  essentielle  aux 
héros.  I.  116  :  «  Si  .Socrate  était  mort  dans  son  lit.  on  douterait  aujourd'hui  s'il  fut  rien 
de  plus  qu'un  adroit  sophiste  »;  et,  dans  le  Morceau  allégorique  sur  la  Révélation 
[25],  i83,  il  fait  dire  à  Socrate  mourant  :  «  Je  serais  soupçonné  de  n'avoir  vécu  qu'en 
sophiste,  si  je  craignais  de  mourir  en  philosophe  ». 

'  Voltaire  [242],  279  :  «  Qui  jamais  a  dit  cela»?  Si  Voltaire  avait  été  aussi  familier 
que  Rousseau  avec  Saint-AuDin,  il  n'aurait  pas  posé  la  question  ;  cf.,  en  effet. 
Traité  de  l'opinion  [141],  I,  353  :  «  Socrate  s'appliqua  principalement  à  l'étude 
de  la  morale,  dont  Pvthagore  avait  déjà  donné  quelques  préceptes,  sous  les  mystères 


410  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 


EDITION    ORIGINALE  4II 

Mais  OÙ  Jésus  avoit-il  pris  chez  les  siens  celte  morale  élevée  &  pure,  dont 
lui  seul  a  donné  les  leçons  &  l'exemple**?  Du  sein  du  plus  furieux 
fanatisme  la  plus  haute  |  sagesse  se  fit  entendre,  &  la  simplicité  des  plus  [182] 
héroïques  vertus  honora  le  plus  vil  de  tous  les  peuples.  La  mort  de 
Socrate  philosophant  tranquillement  avec  ses  amis,  est  la  plus  douce  qu'on 
puisse  désirer;  celle  de  Jésus  expirant  dans  les  tourmens,  injurié,  raillé, 
maudit  de  tout  un  peuple,  est  la  plus  horrible  qu'on  puisse  craindre. 
Socrate  prenant  la  coupe  empoisonnée,  bénit  celui  qui  la  lui  présente  & 
qui  pleure;  Jésus  au  milieu  d'un  supplice  affreux  prie  pour  ses  bourreaux 
acharnés  '.  Oui,  si  la  vie  &  la  mort  de  Socrate  sont  d'un  Sage,  la  vie  &  la 
mort  de  Jésus  sont  d'un  Dieu  ''.  Dirons-nous  que  l'histoire  de  l'Evangile 

*  Voyez  dans  le  discours  sur  la  Montagne,  le  parallèle  qu'il  fait  lui-même 
de  la  morale  de  Moïse  à  la  sienne.  Mail.  c.  b.  v.  21.^  seq. 


de  ses  symboles:  mais  Socrate  est  regardé  comme  la  source  de  cette  partie  de  la 
philosophie  la  plus  utile  de  toutes  ».  Et  Saint-Aubin  citait  en  note  deux  textes  de 
Cicéron,  Tusculanes,  III  :  «  A  quo  omnis  quae  est  de  vita  et  moribus  philosophia 
manavit  »,  et  Académiques,  IV  :  «  Socrates  primus  philosophiae  moralis  auctor  fuit  ». 
Ces  deux  textes,  le  second  surtout,  légitiment  la  formule  de  Rousseau;  mais  ils 
ne  se  trouvent  pas,  je  crois,  dans  Cicéron;  et.  si  Saint-Aubin  ne  les  a  pas  pris  ailleurs, 
il  est  probable  que  sa  mémoire  l'a  mal  servi;  car  voici  les  textes  mêmes  auxquels  il 
fait  très  vraisemblablement  'allusion  ;  et,  ils  sont,  comme  on  va  voir,  bien  moins 
affirmatifs  :  Tusculanes,  V.  iv,  10  :  «Socrates  autem  primus  philosophiam  devocavit 
a  cailo  et  in  urbibus  conlocavit  et  in  domus  etiam  introduxit  et  coegit  de  vita  et 
moribus  rebusque  bonis  et  malis  quaerere  »  :  Académiques,  1,  iv,  i5  :  «  Socrates 
mihi  videtur...  primus  a  rébus  occultis  et  ab  ipsa  natura  involutis,  in  quibus  omnes 
ante  eum  philosophi  occupati  fuerunt  avocavisse  philosophiam  et  ad  vitani  communtm 
adduxisse  ».  Ces  textes  se  trouvaient  exactement  cités  ou  utilisés  par  Barbevrac. 
Pré/ace  au  Droit  naturel,  §  20  [107  A],  54  ;  cf.  encore  Vernet,  Vérité  de  la  Religion 
[162],  I.  99. 

'  Voltaire  [242],  280  :  &  Et  Épictète,  Porphyre,  Confutzé,  Pythagore,  tant  d'autres»? 

'  Dans  son  Traité  de  la  vérité  de  la  Religion  [162].  III,  175,  Vernet  citait  ce 
passage  de  la  X"  des  Lettres  de  M.  l'abbé  ***  à  M.  l'abbé  Houteville  au  sujet  du  livre 
intitulé  «  La  Religion  chrétienne  prouvée  par  les  faits  »  ;  «  Même  à  parler  humaine- 
ment et  sans  aucun  égard  aux  sentiments  qu'inspire  la  foi,  il  n'y  eut  jamais  rien  de 
si  grand,  de  si  beau,  de  si  sublime  et  de  si  touchant  que  la  mort  de  Jésus-Christ  ». 

'  Voltaire  [242J,  280  :  «  Qu'est-ce  que  la  mort  d'un  dieu  »!  Cf.  encore  Lettre  de 
Voltaire  à  l'abbé  d'Olivet,  du  5  Janvier  1767  [7$],  XLV,  i3  :  «  Un  charlatan  est  parvenu 
jusqu'à  dire,  dans  je  ne  sais  quelles  lettres,  en  parlant  de  l'angoisse  et  de  la  passion  de 
Jésus-Christ,  que  si  Socrate  mourut  en  sage,  Jésus-Christ  mourut  en  Dieu;  comme 
s'il  y  avait  des  dieux  accoutumés  à  la  mort,  comme  si  on  savait  comment  ils  meurent, 
comme  si  une  sueur  de  sang  était  le  caractère  de  la  mort  d'un  Dieu,  enfin,  comme  si 
c'était  Dieu  qui  fut  mort  ».  Rousseau  s'était,  d'ailleurs,  critiqué  lui-même,  lorsqu'il 
avait  écrit  plus  haut,  dans  une  première  Rédaction  (cf.  la  note  i  de  la  p.  [72)  ;  «  Laissez- 
moi   de  grâce  aller  voir  ce   merveilleux    pays où    les  dieux   naissent  comme  des 


412  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION    ORIGINALE  4I3 

esl  invenlce  à  plaisir?  Mon  ami,  ce  n'est  pas  ainsi  qu'on  invente,  &  les 
faiis  de  Socrate,  dont  personne  ne  doute,  sont  moins  attestés  que  ceux  de 
Jesus-Christ  ^.  Au  fond,  c'est  reculer  la  dilliculté  sans  la  détruire:  il  seroit 
plus  I  inconcevable  que  plusieurs  hommes  d'accord  eussent  fabriqué  ce  [183] 
livre,  qu'il  ne  l'est  qu'un  seul  en  ait  fourni  le  sujet.  Jamais  des  Auteurs 
Juifs  n'eussent  trouvé  ni  ce  ton,  ni  cette  morale,  &  l'Evangile  a  des 
caractères  de  vérité  si  grands,  si  frappans,  si  parfaitement  inimitables,  que 
l'mventeur  en  seroit  plus  étonnant  que  le  héros  '.  Avec  tout  cela,  ce  même 
Évangile  est  plein  de  choses  incroyables,  de  choses  qui  répugnent  à  la 
raison,   &   qu'il    est    impossible   à    tout    homme   sensé   de   concevoir    ni 


hommes,  mangent,  soutirent  et  meurent  ».  —  Quand  encore  le  reste  de  la  Profess-on 
n'empêcherait  pas  d'interpréter  à  contre-sens  la  formule  fameuse  :  «  la  vie  et  la  mort 
de  Jésus  sont  d'un  D  eu  ».  —  un  texte  de  Rousseau  nous  en  préciserait  la  signifi- 
cation véritable;  cf.  Lettre  à  Jean-Ami  Martin,  du  14  Septembre  1759  [33J.  256: 
«  Quoique  ie  n'entende  rien  en  théologie,  il  me  semble  que  n'attribuer  à  Jésus-Christ 
la  divinité  que  par  communication,  c'est  le  déclarer  purement  homme  ».  Cf.  encore 
Religion  essentielle  [i5i  ,  111,96:  Il  faut,  dit  Marie  Huber,  appeler  Jésus-Christ  «non 
l'homme-Dieii,  cela  implique  contradiction,  mais  un  homme  divin...  L'épithète  de  divin 
Jésus,  de  divin  Sauveur  n'est  point  trop  forte  dans  ce  sens  et  n'a  rien  d'opposé  au 
vrai  ».  Mi'me  attitude  dans  Abauzit,  De  l'honneur  qui  e.it  dû  à  Jésus-Christ  [bo].  i34-i35. 

'  Voltaire  [242],  280  :  «  Faux  ».  Dans  une  page  très  véhémente  [25i],  Chénier, 
lui  aussi,  protestera  plus  tard  contre  cette  affirmation  :  «  On  a  peine  à  croire  ses 
yeu.x,  quand  on  lit  cette  décision  tranchante  et  magistrale  »,  etc.  Ce  texte  de  Chénier 
est  très  intéressant,  et  forme,  en  quelque  sorte,  la  contrepartie  «  philosophique  » 
de  ces  quelques  lignes  de  Rousseau.  Au  reste,  avant  la  Profession,  on  se  battait  déjà 
autour  de  ce  raisonnement;  cf.  Duguet,  Principes  de  la  foi,  ill,  3  [146],  11,   34-35  : 

«  L'histoire  d'Alexandre n'est  attestée  par  aucun  auteur  qui  ait  vécu  de  son  temps. 

Il  en  est  ainsi  de  l'histoire  d'Auguste,  de  celle  de  Tibère  et  de  plusieurs  autres, 
dont  on  ne  peut  douter,  quoiqu'elles  n'aient  été  écrites  que  par  des  auteurs  qui 
n'en  avaient  pas  été  les  témoins  ».  Et  D'Holbach  ripostait,  allant  au-devant  de 
l'armimentation  de  Rousseau,  Christianisme  dévoilé  [234],  69-70  :  «  Que  l'on  ne 
nous  dise  point  que  les  miracles  de  Jésus-Christ  sont  aussi  bien  attestés  qu'aucun 
fait  de  l'histoire  profane,  et  que  vouloir  en  douter  est  aussi  ridicule  que  de  douter 
de  l'existence  de  Scipion  ou  de  César,  que  nous  ne  croyons  que  sur  le  rapport  des 

historiens  qui  nous  en  ont  parlé.  L'existence  d'un  homme n'est   pas  incroyable; 

il  n'en  est  pas  de  même  d'un  miracle  ».  Cf.  encore  Berruyer,  Histoire  du  peuple  de 
Dieu  [2o3],  I,  pp,  Lxiv-Lxv  :  «  Voici  ce  que  je  lis  actuellement  dans  un  Manuscrit  de 
leur  façon  et  de  leur  goût  :  Il  y  a  plus  d'apparence  de  raison,  dit  l'auieur,  de  croire 
Philostrate  dans  ce  qu'il  raconte  de  la  vie  d'Apollonius  que  de  croire  tous  les 
Êvangéliste^  ensemble  dans  ce  qu'ils  disent  des  mi'acles  de  Jésus-Christ  »,  etc.  ;  Le 
Militaire  philosophe,  XI  [i3o'''s],  96-97:  «J'ai  lu  quelque  part  ce  beau  raisonnement  : 
Vous  croyez  bien  les  Commentaires  de  César;  pourquoi  ne  croiriez-vous  pas  l'Lvan- 
gile?  Je  dois  donc  croire  aussi  l'Alcoran  ?  La  conséquence  est  égale  »,  etc. 

'  Volta  re  [242'.  280:  «  Pitoyable».  —  L'a  chevéque  de  Paris,  .Mandement.  III, 
53  :  «  Il  serait  difficile,  mes  très  chers  frères,  de  rendre  un  plus  bel  hommage  à 
l'autheniicité  de  l'Évangile  »;  et  Rousseau,  sur  ce  dernier  texte.  Lettre  à  M.  de  lleau- 
monl,    III,    106:   «Je  vous  sais  gré,   Monseigneur,   de  cet   aveu  », 


414 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


8.    Attitude    finale    :    Tolérance 
et  conservatisme  pratique. 


n 


(1  Ce)  scepticisme  ^  involontaire  ('^n'jest  ■'point  pénible,  par  ce 
qu'il  ne  'roule  (''point)  sur  les  points  essentiels  à  (' connoitre)  et 
que  je  suis  bien  décidé  sur  *  tous  les  principes  de  ''mes  de\'oirs 
'"envers  Dieu,  envers  le  prochain  et  envers  moi-même.  Je  ("  respecte) 
toutes  les  religions  '^  comme  autant  '■■  de  sages  institutions  '■'  de 
police  qui  déterminent  dans  chaque  pays  une  manière  uniforme  '^  de 


'  [Voila  le]. 

^  [(où  je  suis  resté  malgré  moi)]. 

^  [ou  je  suis  resté  mais  ce  scepticisme  ne  m']. 

■*  B.  nullement  pénible. 

'  B.  (roule  pas  sur)  [s'étend  pas]  au.'i  points. 

«  [pas]. 

'  [la  pratique]. 

"  B.  <  tous  >. 

"  B.  tous  mes  devoirs. 

'°  B.  [Je  sers  Dieu  dans  la  simplicité  de  mon  cœur.  Je  ne  cherche  à  savoir 
que  ce  qui  importe  à  ma  conduite,  quant  aux  dogmes  qui  n'influent  ni  sur  [les 
actions  ni  sur]  la  morale  [et  après  lesquels  tant  de  gens  se  tourmentent]  je  [ne] 
m'en  mets  (peu)  [nullement]  en  peine].  Je  regarde.  — I.  quant  aux  dogmes  qui 
n'influent  (point)  [ni  sur  les  actions  ni)  sur  la  morale  et  (après  lesquels)  [(suri 
dontj  tant  de  gens. 

"  [(trouve)  regarde]. 

'^  B.  [particulières]. 

"   (d'inS  TITUTIONS). 

'■*  B.  (de  police  qui  déterminent!  [(humaines)  qui  (règlent)  [prescrivent]] 
dans  chaque. 

''■•  B.  (de  servir)  [d'honorer]. 


ÉDITION    ORIGINALE  415 

d'admettre.  Que  faire  au  milieu  de  toutes  ces  contradictions  '■*?  Etre  tou- 
jours modeste  &  circonspect,  mon  enfant;  respecter  en  silence  ce  qu'on 
ne  sauroit  ni  rejetter,  ni  comprendre,  &  s'humilier  devant  le  grand  Etre 
qui  seul  sait  la  vérité  ^. 


8.    Attitude    finale   :    Tolérance 
et  conservatisme  pratique. 


Voilà  le  scepticisme  involontaire  où   je  suis   resté;    mais  ce  scepti- 
cisme   ne    m'est    nullement    pénible,    parce  |  qu'il    ne   s'étend    pas   aux        [184] 
points   essenciels   à    la    pratique.    &   que    je    suis    bien    décidé    sur    les 
principes  de  tous  mes  devoirs  '.  Je  sers  Dieu  dans  la  simplicité  de  mon 


'  Sur  les  «  contradictions  »  des  textes  évangéliques,  cf.  Meslier  [240),  3o7-3i2. 
Dumarsais  [179 '"'=].  14-26.  Fré.'fit,  [189],  121.  etc. 

'  Voltaire  [242],  280  :  «  Si  tu  ne  comprends,  rejette  ».  —  Rousseau  précise  ce 
qu'il  entend  par  le  «  doute  respectueux  »,  dont  il  a  parlé  plus  haut,  p.  179.  C'est 
exactement  l'attitude  de  Marie  Huber.  A  plusieurs  reprises,  dans  la  Religion  essentielle 
[\5i],  III,  148,  i55,  IV,  116,  elle  recommande  «la  sobriété  de  l'esprit  ».  conseille 
de  se  résoudre  à  «  ignorer  ce  qui  nous  passe  et  qui  par  conséquent  n'est  pas  fait  pour 
nous  »,  et  k  «  nous  contenter  de  notre  ignorance  »;  cf.  surtout  I,  81-82;  elle  y  décrit 
l'état  d'àme  d'un  homme  de  bon  sens,  qui  ne  repousse  pas  l'idée  d'une  révélation, 
et  qui  lit  l'Écriture  :  «  Il  y  trouve  des  faits  dont  il  admet  la  possibilité,  mais  il  est 
révolté  contre  une  infinité  de  choses  qui  lui  paraissent  puériles,  absurdes,  contraires 
au  sens  commun  et  même  visiblement  injustes....  Quel  parti  prendre  avec  un  tel 
homme  ?  Suis-je  en  droit  d'exiger  de   lui   de  voir  ce  que  ses  yeux  ne  lui  montrent 

point?  Rien  ne  serait  plus  injuste Tout  ce  que  je  suis  en  droit  de  lui  demander, 

c'est  de  suspendre  son  jugement  sur  les  choses  qu'il  ne  connaît  pas,  et  c'est  ce  qu'il  ne 
peut  me  refuser»;  et  encore  11,  191-192,  où  elle  montre  comment  son  principe  de  la 
bonne  foi  peut  être  «  envisagé  comme  l'unique  base  de  la  foi  ».  «  Ce  principe,  dit-elle, 
nous  fait  acquiescer  à  toute  vérité  d'une  façon  proportionnée  à  l'évidence  qu'elle  a  pour 
nous.  Il  nous  fait  suspendre  nos  jugements  sur  ce  qui  n'i..st  développé  qu'à  demi. 
Il  nous  conduit  à  respecter  ce  qui  nous  parait  divin  dans  son  origine,  quoiqu'il  ne 
nous  soit  pas  possible  d'en  pénétrer  le  vrai  sens  ». 

'  Rousseau  tient  à  distinguer  ce  «  scepticisme  »,  qui  porte  seulement  sur  des 
problèmes  de  spéculation  théologique,  du  «  scepticisme  »  qui  s'attaquait  aux  «  idées 
du  juste,  de  l'honnête  et  de  tous  les  devoirs  de  l'homme  »,  scepticisme  qu'il  a  déclaré 
intolérable;  cf.,  plus  haut,  pp.  25-26  :  «  Comment,  disait-il  alors,  peut-on  être  sceptique 
et  de  bonne  foi? Cet  état  est inquiétant  et  pénible».  Ce  «scepticisme  involon- 
taire »  ne  l'est  pas,  «  parce  qu'il  ne  s'étend  pas  aux  points  essentiels  à  la  pratique  ».  — 
Pour  le  fond.  cf.  Marie  Huber,  Religion  essentielle  [i5ij.  V,  111  :  «Toute  spéculation, 
toute  discussion  d'opinion  k  part,  je  me  contente  d'acquiescer  de  bonne  foi  et 
pratiquement  k  tout  ce  qui  peut  m'être  connu  pour  vrai,  bon  et  juste,  réglant  mes 
jugements   et  ma  conduite  selon  cela   quant  au   jour   présent  ». 


4l6  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

servir  Dieu,  '  je  les  crois  toutes  bonnes  quand  on  -le  sert  ('sin- 
cère ment).  *  Le  culte  essentiel  est  celui  du  cœur.  (Je  ne  crois  pas 
que  jamais  le)  Dieu  (que  j'adore)  ■'  en  rejette  "  l'hommage  quand 
il  est  sincère  sous  quelque  l'orme  qu'il  lui  soit  offert.  Appelle 
dans  celle  que  je  professe  au  ("ministère)  de  l'église  'j'en  remplis 
les  fonctions  qui  me  sont  confiées  avec  toute  l'exactitude  possible 
et  ("avec  toute  la  îoi  qui  dépend  de  moi).  '"  Après  un  long  interdit 
["  vous  savez  que  j'obtins  par  le  crédit  '^  oii  iM.  de  Meliarede]  la 
permission  de  reprendre  mes  fonctions  (de  prêtre)  pour  m'aider 
à  vivre.  Autrefois  je  ('^  célebrois)  la  messe  avec  la  légèreté  qu'on 
met  ('^  assés  volontiers  même)  aux  choses  les  plus  graves  quand 
on  les  fait  l'Mrop  souvent].  «  '"Depuis»  mes  nouveaux  principes, 
je  la  célèbre  avec  plus  de  respect  et  de  ("recueillement).  Je  me 
pénétre  de   la    majesté   de   {^^  Dieu),  de   sa   présence,    ^'■'  de  l'insuf- 


'  je  les  crois  crois  (sic).  —  B.  (je  les  crois  toutes)  et  qui  peuvent  avoir  leurs 
raisons  dans  le  climat  dans  le  gouvernement  dans  le  génie  du  peuple,  ou  dans 
quelque  autre  cause  locale  qui  rend  l'Lme  préférable  à  l'autre  selon  les  Jlieux) 
[tems]  et  les  (tems)  [lieux].  Je  les  crois  toutes  bonnes. 

-  le[s].  —  B.  y  sert  Dieu. 

'  [convenablement]. 

■*  i  L'essentiel). 

'  [n']. 

"  [point]. 

'  [service]. 

"  I.  j'y  remplis  [avec  toute  l'exactitude  possible]  les  soins  qui  me  sont 
prescrits. 

'  [aussi  ponctuellement  quand  je  suis  seul  que  quand  j'ai  des  témoins].  — 
B.  <  aussi  ponctuellement...  des  témoins  >  ma  conscience  me  reprocheroit  d'y 
manquer  (au  moindre)  [volontairement  en  quelque]  point,  .^près  un  long. 

'"  (Depuis). 

"  (j'ai  été  rendu  à  mes  fonctions  dei. 

'-  crédit  M.  de  Meliarede  (sic). 

'^  [disois]. 

■*  [a  la  longue]. 

"  (profession). 

'"  [(Après  une  longue  interruption)]. 

"  [(venera  tion  et  de)  religion]. 

'"  [l'être  suprême]. 

'°  M.  de  son  pouvoir  infini,  de  l'insuffisance. 


ÉDITION    ORIGINALE  4I7 

cœur-.  Je  ne  cherche  à  savoir  que  ce  qui  importe  à  ma  conduite;  quant 
aux  dogmes  qui  n'inlluent  ni  sur  les  actions,  ni  sur  la  morale  •',  &  dont 
tant  de  gens  se  tourmentent,  je  ne  men  mets  nullement  en  peine  *.  Je 
regarde  toutes  les  religions  particulières  comme  autant  d'institutions 
salutaires  qui  prescrivent  dans  chaque  pays  une  manière  uniforme 
d'honorer  Dieu  par  un  culte  public;  &  qui  peuvent  toutes  avoir  leurs 
raisons  dans  le  climat,  dans  le  gouvernement,  dans  le  génie  du  peuple, 
ou  dans  quelqu'autre  cause  locale  qui  rend  l'une  préférable  à  l'autre,  selon 
les  tems  &  les  lieux  =.  Je  les  crois  toutes  bonnes  quand  on  y  sert  Dieu 


'  Murait,  Lettres  fanatiques  [i56J,  11,  i33  :  «  L'homme  qui  y  est  de  bonne  toi 
[dans  la  Religion  naturelle]  dans  la  simplicité  de  son  cœur,  fait  bien  de  la  respecter 
et  de  s'y  tenir  ». 

'  Cf.  la  1""  des  Lettres  de  la  Montagne,  III,  123  :  «  Je  distingue  dans  la  religion 
deux  parties,  outre  la  forme  du  culte  qui  n'est  qu'un  cérémonial.  Ces  deu.x  parties 
sont  le  dogme  et  la  morale.  Je  divise  les  dogmes  encore  en  deux  parties  :  savoir, 
celle  qui,  posant  les  principes  de  nos  devoirs,  sert  de  base  à  la  morale,  et  celle  qui, 
purement  de  foi,  ne  contient  que  des  dogmes  spéculatifs  ». 

'  On  trouvera  le  même  état  d'esprit,  s'alliant  avec  une  profession  de  foi  très 
orthodoxe,  dans  un  sermon  du  Docteur  Sharp,  que  j'ai  déjà  cité,  note  i  de  la  p.  i5o, 
et  que  Clarke  avait  inséré  dans  son  Traité  de  l'existence  de  Dieu,  11,  17  [i25],  111.  122- 
123:  «Vous  ne  trouverez  dans  la  Religion  chrétienne  aucun  dogme  qui  tende  à 
flatter  la   vaine   curiosité  de   l'homme,   et  à   l'amuser   par  des   spéculations   subtiles 

et  infructueuses Ses  dogmes  ont  une  liaison  intime  et  un  rapport  immédiat  avec 

la  pratique,  et  ce  sont  les  vrais  principes  et  les  fondements  solides  sur  lesquels 
tout  ce  qu'il  y  a  de  vertu,  soit  humaine,  soit  divine,  doit  être  naturellement 
appuyé  et  bâti  ».  Cf.  encore  Leclerc,  Sentiments  de  quelques  théologiens,  III 
[94],  38-42  :  «  Il  ne  peut  rien  y  avoir  d'absolument  nécessaire  dans  la  Religion 
que  les  choses  sans  lesquelles  il  n'est  pas  possible  de  connaître  ce  bonheur 
[le  souverain  bonheur  auquel  nous  aspirons  naturellement]  ou  d'y  parvenir;  car  il  est 
visible  que.  cela  étant  l'unique  but  de  la  Religion,  on  a  sujet  d'être  satisfait  de  la 
Religion,  si  elle  nous  apprend  ces  deux  choses,  et  qu'on  n'en  doit  pas  demander 
davantage,  pourvu  qu'elle  nous  fournisse  là-dessus  des  lumières  assez  claires  pour  les 
faire  connaître  à  tout  le  monde.  Il  semble  que  personne  ne  peut  contester  ces  vérités. 
Si  on  trouve  donc  dans  l'Écriture  tout  ce  qu'il  faut  savoir  pour  connaître  notre 
véritable  bonheur,  pour  y  parvenir,  on  sera  contraint  d'avouer  que  la  providence  de 

Dieu  nous  a  laissé  dans  l'Écriture  sainte  tout  ce  qui  est  essentiel  à  la  Religion Cela 

étant  ainsi,  on  voudrait  bien  que  M.  S'imon]  montrât  qu'il  y  a  des  dogmes,  sans 
lesquels  on  ne  peut  pas  parvenir  au  salut,  qui  ne  soient  pas  compris  dans  le  nombre 
de  ceux  dont  on  vient  de  parler.  Car  enfin  il  semble  que,  si  l'on  sait  qu'il  y  a  un 
bonheur  éternel  après  la  mort;  si  l'on  sait  qu'il  faut  se  confier  en  Dieu  et  obéir  à  ses 
commandements,  qui  sont  extrêmement  clairs;  si  l'on  sait  de  Dieu  tout  ce  qu'il  en 
faut  savoir  pour  se  confier  en  lui  et  pour  lui  obéir;  il  semble,  dis-je,  qu'il  n'en  faut  pas 
davantage  pour  être  sauvé,  si  l'on  règle  sa  vie  selon  les  connaissances  que  l'on  a 
de  Dieu  et  de  sa  volonté  ». 

'  Cette  formule  est  d'un  lecteur  de  Montesquieu.  «  On  sent,  je  crois,  a  dit 
Rousseau  dans  les  Confessions,  VIII,  43,  qu'avoir  de  la  religion  pour  un  enfant, 
et  même  pour  un  homme,  c'est  suivre  celle  où  il  est  né». 

27 


4l8  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

fisance  de  l'esprit  humain  '  qui  -  conçoit  si  peu  ce  qui  se  raporte  à 
f°  173  ™  (■■'ce  grand  être).  En  songeant  |1  que  je  lui  •*  présente  les  vœux  du 
peuple  sous  une  forme  prescritte,  je  (^  m'efforce  de  remplir)  avec 
('■  attention)  tous  les  rites.  Je  ('prononce)  ^attentivement  (les  mots), 
"  je  (n'obmets  '"  pas)  la  moindre  cérémonie.  (['•  Quand  même  je 
serois  tout  seul  je  n' [approche  de  la  consécration  ''  qu'avec  un  saint 
effroi)  je  ('-'concentre  toutes  mes  '^  pensées)  "*pour  la  faire  avec  toutes 
les  dispositions  qu''"  exige  l'Eglise,  je  tâche  d'anéantir  ma  raison 
("sous  '^'infinie  '-'puissance),  je  me  dis  qui  [-''es]  tu  pour  (-^  juger 
du  pouvoir  de  Dieu).  Je  prononce  avec  -'crainte  et  tremblement  les 
mots  (-^  redoutables)  [^^  et  je  donne  à  leur  effet  toute  la  foi]  qui 
dépend    de    moi.    Quoiqu'il    en    soit    de   ce    mistére    inconcevable 


'  (si  peu  capable). 

^  M.  [conçoit  si  peu  ce  qui]. 

'  [(cet  être  infini)  lui].  —  B.  son  auteur. 

*  B.  porte. 

^  [remplis]. — I.  (remplis)  [suis]. 

'  [soin]. 

'  [lis  et  recite].  —  B.  <  lis  et  >  récite. 

"  (av  Ec). 

"  [je  m'applique  à  n'obmettre]. 
'"  [jamais  ni  le  moindre  mot  ni]. 

"  (Quand  je  suis)  [(j'approche)  quand  j'approche  du  moment  de  la  consé- 
cration]. 

'^  (je  n'a  pproche). 
"  [me  recueille]. 
'*  [(facultés)]. 
'^  B.  [pour  la  faire]. 

"'  M.  é.xigent  l'Eglise  et  la  grandeur  du  sacrement.  — ■  I.  e.xige[nt]  l'Eglise  [et 
la  grandeur  du  sacrement]. 

"  [devant  son  auteur].  —  B.  devant  [la  suprême]  intelligence. 

'"  [(la  puissance  divine)]. 

'^  [(et  mister  ieuse)]. 

™  es(t). 

"'   [mesurer  la  puissance  Divine]. 

"-  B.  vénération  les  mots  sacramentaux. 

^'  [sacramentaux]. 

-'  (des  cet  instant je  m'efforce et  quoiqu'il  en  soit  [j'y  apporte]).  — 

M.  <  et  >  je  donne. 


ÉDITION    ORIGINALE  4I9 

convenablement  :  le  culte  essenciel  est  celui  du  coeur  *.  Dieu  n'en  |  rejette  [185] 
point  l'hommai^e,  quand  il  est  sincère,  sous  quelque  forme  qu'il  lui  soit 
offert.  Appelle  dans  celle  que  je  professe  au  service  de  rÉi^lise,  j'y  remplis, 
avec  toute  l'exactitude  possible,  les  soins  qui  me  sont  prescrits,  &  ma 
conscience  me  reprocheroit  d'y  manquer  volontairement  en  quelque  point. 
Après  un  long  interd  t,  vous  savez  que  j'obtins,  par  le  crédit  de  M.  de 
Mellarede  '.  la  permission  de  reprendre  mes  fonctions  pour  m'aider  à 
vivre.  Autrefois  je  di^ois  la  .Messe  avec  la  légèreté  qu'on  met  à  la  longue 
aux  choses  les  plus  graves  quand  on  les  fait  trop  souvent.  Depuis  mes 
nouveaux  principes,  je  la  célèbre  avec  plus  de  vénération  ^  :  je  me  pénètre 
de  la  majesté  de  l'Etre  suprême,  de  sa  présence,  de  l'insuffisance  de 
l'esprit  humain  qui  conçoit  si  peu  ce  qui  se  rapporte  à  son  Auteur. 
En  songeant  que  je  lui  porte  les  vœux  du  peuple  sous  une  forme 
[prescrite,  je  suis  avec  soin  tous  les  Rites;  je  récite  attentivement  :  je  [186] 
m'applique  à  n'omettre  jamais  ni  le  moindre  mot,  ni  la  moindre 
cérémonie  ;  quand  j'approche  du  moment  de  la  consécration,  je  me 
recueille  pour  la  faire  avec  toutes  les  dispositions  qu'exige  l'Église  & 
la  grandeur  du  sacrement  i;  je  tâche  d'anéantir  ma  raison  devant  la 
suprême  intelligence-;  je  me  dis,  qui  est-tu,  pour  mesurer  la  puissance 
infinie?  Je  prononce  avec  respect  les  mots  sacramentaux,  &  je  donne 
à  leur  eff^t  toute  la  foi  qui  dépend  de  moi.  Quoiqu'il  en  soit  de  ce 
mistere(^;  inconcevable,  je  ne  crains  pas  qu'au  jour  du  jugement  je  sois 
puni  pour  l'avoir  jamais  profané  dans  mon  cœur^. 


I»)  C,  D  :  myslere. 

"  Cf..  plus  haut,  p.  i34  :  «  Le  culte  que  Dieu  demande   est  celui  du  cœur  ». 

'  Le  Vicaire  savoyard  se  confond  ici  avec  l'abbé  Gaime,  puisque,  d'après  les 
Confessions,  VIII,  63,  c'est  en  ellet  chez  le  comte  de  Mellarede  qu  il  avait  été 
précepteur.  Cf.,  plus  haut.  pp.  5-6,  dans  le  Prologue  de  la  Profession  :  «  Des  protecteurs 

le  pi  icèrent  chez  un  ministre  pour  élever  son  (ils Il  ne  resta  point  longtemps  chez 

celui-ci;  en  le  quittant,  il  ne  perdit  point  son  estime  ». 

'  Voltaire  [242],  280  :  «  Ridicule,  car  tu  ne  crois  pas  à  ta  messe  ». 

•  Voltaire  [242],  280  :  «  Impertinent  ». 

'  Après  une  petite  crise  de  rationalisme,  dont  j'ai  noté  les  principales  mani- 
festations, Rousseau  revient  à  l'état  d'esprit  qui  s'était  si  complaisamment  montré  dans 
la  Première  Partie  de  la  Profession  :  défiance  de  la  raison,  respect  et  soumission 
d'esprit  devant  le  mystère  qui  nous  dépasse  :  cf.,  plus  haut,  p.  96  :  «  Le  plus  digne 
usage  de  ma  raison  est  de  s'anéantir  devant  toi  ». 

•  Pour  mieux  comprendre  la  sincérité  de  cet  étal  d'esprit  si  paradoxal,  et,  en 
apparence,  si  hypocrite,  on  peut  relire  les  conseils  de  Rousseau  à  l'abbé  de  fCarondeletJ 
(cf.,  ap.  12  B  et  14,  les  originaux  de  cette  correspondance);  par  exemple,  Lettre  du 
6  Janvier  1764,  XI,  m  :  «Votre  délicatesse  sur  létat  ecclésiastique  est  sublime  ou 


420  REDACTIONS    MANUSCRITES 

je   ne   crains   pas  qu'au    jour   du   jugement   '  Dieu   me    punisse  de 
l'avoir  [^  jamais]  profané  dans  mon  cœur. 

Honoré  du  ministère  ^  sacré,  quoi  que  dans  le  dernier  rang 
je  ne  ferai  ni  ne  dirai  ^  jamais  rien  qui  me  rende  indigne  d'en 
remplir  les  ^  augustes  devoirs.  (Mon  bon  ami),  je  prêcherai  toujours 
la  \erlu  aux  hommes,  je  les  exhorterai  toujours  à  bien  faire,  et 
tant  que  je  pourrai  je  leur  en  donnerai  l'exemple.  Il  ne  tiendra 
pas  à  moi  de  leur  rendre  la  religion  aimable,  C^  et)  d'affermir 
'toujours  leur  foi  dans  les  [^dogmes]  vraiment  utiles  et  que  tout 
homme  '■'  raisonable  '"  est  obligé  de  croire.  Mais  à  Dieu  ne  plaise 
("qu'ils  apprennent  jamais  de  moi)  le  dogme  cruel  de  l'intolérance, 
que  jamais  je  les  porte  à  détester  leur  prochain  fa  dire  à  d'autres 
hommes  vous  ('^étes)  dannésj,  (^^que  jamais  je  leur  dise)  hors  de 
l'Eglise  point   de  salut  *j.('*  Il  pourroit   m'en   arriver)    «  tost   ou 


B   i°  194  ™  *  C'  Il  6st  «  bien  entendu  »  que)   ">  le  devoir  de  suivre  et  d'aimer  la 

religion  de  son  pa\s  ne  s'étend  pas  jusqu'aux  dogmes  contraires  à  la  bonne 
morale  tel  que  celui  de  l'intolérance  (même  theologique)  car  il  est  bien  évident 
que  ce  dogme  horrible  (et  ridicule)  "  arme  les  hommes  les  uns  contre  les 
autres  et  les  rend  tous  ennemis  du  genre    humain\  La  distinction  entre 


'  B.  je  sois  puni  pour  l'avoir. 

-  M.  [jamais]   prophané. 

■*  [de). 

'  M.  I  rien)  jamais  rien. 

■■'  M.  sublimes.  —  I.  (augustes)  [sublimes], 

"  [il  ne  tiendra  pas  à  moi]. 

'  B.  <  toujours  >. 

*  (choses). 

'  B.  <  raisonnable  >. 
'»  et  (sic). 

"  [que  jamais  je  leur  prêche]. 
''  [serez]. 
"  [à  dire]. 

"  [Si  j'étois  (plus)  dans  un  rang  plus  remarquable  celte  reserve  m'attireroil 
B.  cette  reserve  pourroit  m'attirer  des  affaires. 
•^  [(On)]. 

"^  M.  <  Le  devoir  de  suivre...  ennemis  de  Dieu  >. 
"  (en). 

t  L'astérisque,  comme  la  note  qu'il  amorce,  manque  dans  F. 


ÉDITION   ORIGINALE  42I 


Honoré  du  ministère  sacré,  quoique  dans  le  dernier  rang,  je  ne  ferai, 
ni  ne  dirai  jamais  rien  qui  me  rende  indigne  d'en  remplir  les  sublimes 
devoirs.  Je  prêcherai  toujours  la  vertu   |   aux  hommes,  je  les  exhorterai        ^187] 
toujours   à    bien    faire';   &   tant   que    je    pourrai,    je   leur   en    donnerai 
l'exemple.   11  ne  tiendra  pas  à  moi  de  leur  rendre  la  religion  aimable; 


puérile,  selon  le  degré  de  vertu  que  vous  avez  atteint.  Cette  délicatesse  est  sans  doute 
un  devoir  pour  qu  conque  remplit  tous  les  autres  ;  et  qui  n'est  fau.x  ni  menteur  en  rien 
de  ce  monde  ne  doit  pas  l'être  même  en  cela.  Mais  je  ne  connais  que  Socrate  et  vous  à 
qui  la  raison  put  passer  un  tel  scrupule;  car  à  nous  autres  hommes  vulgairo,  il  serait 
impertinent  et  vain  d'en  o.ser  avoir  un  pareil.  Il  n'y  a  p.is  un  de  nous  qui  ne  s'écarte  de 
la  vérité  cent  fois  le  jour  dans  le  commerce  des  hommes,  en  choses  claires,  importantes, 
et  souvent  préjudiciables;  et.  dans  un  point  de  pure  spéculation,  dans  lequel  nul  ne  voit 
ce  qui  est  vrai  ou  faux,  et  qui  n'importe  ni  à  Dieu  ni  aux  hommes,  nous  nous  ferions  un 
crime  de  condescendre  aux  préjugés  de  nos  frères,  et  de  dire  oui  oij  nul  n'est  en  droit 
de  dire  non!  Je  vous  avoue  qu'un  homme  qui.  d'ailleurs  n'étant  pas  un  saint,  s'aviserait 
tout  de  bon  d'un  scrupule  que  l'abbé  de  Saint-Pierre  et  Fénelon  n'ont  pas  eu,  me 
deviendrait  par  cela  seul  très  suspect.  Quoi  !  dirais -je  en  moi-même,  cet 
homme  refuse  d'embrasser  le  noble  métier  d'officier  de  morale,  un  état  dans  lequel 
il  peut,  être  le  guide  et  le  bienfaiteur  des  hommes,  dans  lequel  il  peut  les 
instruire,  les  soulager,  les  consoler,  les  protéger,  leur  servir  d'exemple,  et  cela  pour 
quelques  énigmes  auxquelles  ni  lui  ni  nous  n'entendons  rien,  et  qu'il  n'avait  qu'à 
prendre  et  donner  pour  ce  qu'elles  valent,  en  ramenant  sans  bruit  le  Christianisme  à  son 
véritable  objet!  Non,  conclurais-je,  cet  homme  ment,  il  nous  trompe;  sa  fausse  vertu 
n'est  point  active,  elle  n'est  que  de  pure  ostentation  ;  il  faut  être  un  hypocrite 
soi-même  pour  oser  taxer  d'hypocrisie  détestable  ce  qui  n'est  au  fond  qu'un  formulaire 
indifférent  en  lui-même,  mais  consacré  par  les  lois.  Sondez  bien  votre  cœur,  .Monsieur, 
je  vous  en  conjure  :  si  vous  y  trouvez  cette  raison  telle  que  vous  me  la  donnez, 
elle  doit  vous  déterminer,  et  je  vous  admire.  Mais  souvenez-vous  bien  qu'alors,  si  vous 
n'êtes  le  plus  digne  des  hommes,  vous  aurez  été  le  plus  fou  ».  .Même  attitude  et  mêmes 
conseils  dans  sa  Lettre  au  même  abbé  de  [Carondelet].  du  11  Novembre  176^. 
XI,  172-173.  —  On  peut  se  rappeler  aussi  ce  passage  de  Y  Histoire  des  variations^ 
VU.  109  [95],  XIV,  Sig,  où  Bossuet  refuse  à  Burnet  de  reconnaître  l'historien  du 
Concile  de  Trente,  Fra  Paolo,  pour  une  autorité  catholique  :  .M.  Burnet,  écrit-il.  nous  le 
représente  comme  un  homme  «  qu  se  voyait  dans  une  Église  corrompue  et  dans  une 
communion  idolâtre,  où  il  ne  laissait  pas  de  demeurer,  qui  écoutait  les  confessions, 
qui  disait  la  messe,  et  adoucissait  les  reproches  de  sa  conscience  en  omettant  une 
grande  partie  du  canon,  et  en  gardant  le  silence  dans  les  parties  de  l'office  qui  étaient 

contre  sa  conscience; protestant  sous  un  froc,  qui  disait  la  messe  sans  y  croire, 

et  qui  demeurait  dans  une  Église  dont  le  culte  lui  paraissait  une  idolâtrie  ».  Ce 
rapprochement,  qui  avait  été  déjà  fait  par  Lefrancde  Pompignan  [246].  I,  2o5,  est.  du 
reste,  tout  superliciel.  On  voit  que  le  catholicisme  du  Vicaire  est  encore  plus  accom- 
modant et  infiniment  moins  dogmatique  que  celui  de  Fra  Paolo.  Cf.  encore  les  prêtres 
Giovannites  de  Denis  Vairasse,  Sévarambes  [87].  IV,  322-326,  qui  ne  croient  ni  la 
Trinité,  ni  la  divinité  de  Jésus-Christ,  ni  la  présence  réelle,  et  «  néanmoins  célèbrent 
la  messe  à  peu  près  de  la  même  manière  que  nous  ». 
'  Voltaire  '2^2'.  280  :  «c  Bon,  cela  ». 


422  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

tard»  des  affaires,  mais  je  suis  trop  ('pauvre)  pour  avoir  =  grand 
chose  à  craindre  el  je  ne  puis  guère  ('  être  pis)  que  je  ne  suis. 
(Mais)  quoi  qu'il  arrive,  je  ne  blasphémerai  ('  jamais)  '  contre  la 
justice  divine  et  ne  mentirai  point  contre  le  Saint  Esprit.  J'ai 
longtems  ambitionné  l'honneur  d'ère  curé,  ^  et  je  l'ambitionne 
encore  mais  je  ne  l'espère  plus.  Mon  bon  ami  ("  il  est)  si  beau 
^d'être  curé,  un  [bon]  curé  est  un  ('magistrat  ^^  de  bienfaisance, 
"il)  n'a  jamais  de  mal  a  faire  ('-et)  s'il  ne  peut  pas  toujours  faire 
le  bien  [par  lui-même]  il  est  toujours  à  sa  place  quand  il  le  sollicite, 
et  sou\ent  il  l'obtient  quand  il  sait  se  faire  respecter.  O  si  jamais 

'Tin tolérance  theologiaue  et  l'intolérance  civile  est  puérile  et  vaine.  Ces 
deux  intolérances  ("se  confondront  toujours).  Des  an^es  eux-mêmes  ne 
vi\roient  pas  en  paix  ;i\ec  des  hoinnics  qu'ils  rcarderoient  comme  \\es] 
ennemis  de  Dieu.  (Il  y  a  des  ■'■pays  en  Allemagne  et  même  encore  '"en 
Suisse  ou  les  catholiques  vivent  si  paisiblement  avec  les  prolestants  qu'Us  font 
les  deux  services  dans  la  même  Eglise  et  que  le  ministre  et  le  curé  '  '  se  traittent] 
de  frère.  Par  tout  ou  les  cathohques  souffrent  les  protestants,  c'est  ou  parce  que 
les  premiers  sont  les  plus  îoibles,  "^  comme  en  plusieius  états  de  l'Allemagne, 
ou  parce  que  leur  bon  naturel  l'emporte  sur  leurs  principes  comme  dans  les 
cantons  mi-partis  de  la  Suisse). 


'  [petit]. 

-  B.  (grand  chose)  [beaucoup]. 

'  [tomber  plus  bas]. 

*  [point]. 

'  M.  <  contre  >. 

*  B.  <  et  >. 

'  [je  ne  trouve  rien  de]. 

'  B.  que. 

'  [ministre  de  bonté  comme   un   magistrat  est  un   ministre  de  justice] 
B.  comme  un  [bon]  magistrat.  — I.  un  ministre  de  ijusiice;  bonté  comme  un. 
'"  (pour  faire). 
"   [un  curé]. 
"  ilquei]. 

'^  I.  (l'in)  [la]  tolérance  civile  et  la  tolérance  theologique. 
"  [soni  inséparables  (le  seront?)]. 
"  [(endroits)]. 
"  [(d..ns  la)]. 
"  (vivent). 
'"  (ou). 


ÉDITION    ORIGINALE  423 

il   ne  tiendra   pas  à   moi  d'affermir  leur   foi  dans  les  dogmes  vraiment 

utiles.  &  que  tout  homme  est  obligé  de  croire  :  mais  à  Dieu  ne  plaise 

que  jamais  je  leur  prêche  le  dogme  ^  cruel  de  l'intolérance,  que  jamais 

je  les  porte  à  détester  leur  prochain,  à  dire  à  d'autres  hommes,  vous 

serez   damnés  (^)   *  ^.   Si   j'étois   dans  un   rang  plus  remarquable,   cette 

réserve    pourroit    m'attirer  des  atïaires  ;   mais    je   suis   |   trop  petit  pour        [188] 

avoir  beaucoup  à  craindre,  &  je  ne  puis  guère  tomber  plus  bas  que  je 

*  Le  devoir  de  suivre  &  d'aimer  la  religion  de  son  pays  ne  s'étend  pas 
jusqu'aux  dogmes  contraires  à  la  bonne  morale,  tels  que  celui  de  l'intolérance. 
C'est  ce  dogme  horrible  qui  arme  les  hommes  les  uns  contre  les  autres,  &  les 
rend  tous  ennemis  du  genre  humain.  La  distinction  entre  la  tolérance  civile 
&  la  tolérance  théologique,  est  puérile  &  vaine*.  Ces  deux  tolérances  sont 
inséparables,  &  l'on  ne  peut  admettre  l'une  sans  l'autre.  Des  Anges  mêmes 
ne    vivroient   pas    en    paix   avec    des    hommes   qu'ils   regarderoient    comme    les 


ennemis  de  Dieu  ^. 


C,  D  :    à  (lire  :  hors  de  l'Eglise  point  de  salut. 


'  L'intolérance  est  rangée  par  Rousseau,  Contrat  social,  111,  388.  D;irmi  «  les 
dogmes  négatifs  ». 

"  Tout  ce  passage  rejoint  le  dernier  ch:ipitre  du  Contrat  Social,  111,  38g  :  «  Main- 
tenant qu'il  n'y  a  plus  et  qu'il  ne  peut  plus  y  avoir  de  religion  nationale  exclusive,  on 
doit  tolérer  toutes  celles  qui  tolèrent  les  autres,  autant  que  leurs  dogmes  n'ont  rien 
de  contraire  aux  devoirs  du  citoyen.  Mais  quiconque  ose  dire  :  Hors  de  l'Eglise  point 
de  salut,  doit  être  chassé  de  l'État,  a  moins  que  l'État  ne  soit  l'Église,  et  que 
le  prince  ne  soit  le  pontife.  Un  tel  dogme  n'est  bon  que  dans  un  gouvernement 
théocratique  ;  dans  tout  autre  il  est  pernicieux». 

*  «  J'entends  dire  sans  cesse  qu'il  faut  admettre  la  tolérance  civile,  non  la 
théologique  »,  dit  Rousseau  dans  sa  Lettre  à  M.  de  BeaumonI,  111,  94.  Les  casuistes 
catholiques  n'étaient  pas  seuls  à  penser  ainsi.  Vernet,  lui  aussi.  Instruction  chrétienne 
[2  13],  IV,  24,  «  a  soin,  en  traitant  du  gouvernement  de  l'Église,  de  distinguer  la 
tolérance  civile  et  la  tolérance  ecclésiastique  ».  C'est  cette  distinction  que  Rousseau 
avait  déjà  repoussée  dans  le  Contrat,  \\l,  382  :  «l'intolérance  théologique  et  civile, 
qui  naturellement  est  la  même  »;  388-389  :  «  Ceux  qui  distinguent  l'intolérance 
civile  et  l'intolérance  théologique  se  trompent,  à  mon  avis.  Ces  deux  intolérances 
sont  inséparables.  Il  est  impossible  de  vivre  en  paix  avec  des  gens  qu'on  croit  damnés  ; 
les  aimer  serait  ha'ir  Dieu,  qui  les  punit  :  il  faut  absolument  qu'on  les  ramène  ou 
qu'on  les  tourmente.  Partout  où  l'intolérance  théologique  est  admise,  il  est  impossible 
qu'elle  n'ait  pas  quelque  effet  civil;  et  sitôt  qu'elle  en  a.  le  souverain  n'est  plus  sou- 
verain, même  au  temporel  :  dès  lors  les  prêtres  sont  les  vrais  maitres  ;  les  rois  ne  sont 
que  leurs  officiers  ».  11  avait  dit  avec  encore  plus  de  précision  dans  une  première 
rédaction  du  Contrat  [32],  299  :  «  L'intolérance  n'est  donc  pas  dans  ce  dogme  :  il  faut 
contraindre  et  punir  les  incrédules  :  elle  est  dans  cet  autre  :  hors  de  l'Eglise,  point 
de  salut.  Quiconque  donne  aussi  libéralement  son  frère  au  diable  dans  l'autre  monde 
ne  se  fera  jamais  grand  scrupule  de  le  tourmenter  dans  celui-ci  ». 

'•  D'Holbach,  Système  social,  III  [249 '''*],  3i  :  «  Comment  un  dévot,  s'il  est 
conséquent  à  ses  principes,  pourrait-il  aimer,  estimer,  fréquenter  celui  qu'il  croit 
l'ennemi  de  son  Dieu  »  ? 


f  173' 


424  REDACTIONS    MANUSCRITES 

dans  nos  montagnes  j'avois  quelque  pau\Te  cure  de  bonnes  gens 
à  ('  gouverner)  -  que  ^je]  serois  heureux  car  il  me  semble  que 
je  ferois  le  bonheur  de  (<*  ma  paroisse)  *  je  ne  les  rendrois  pas 
^puissants  et  riches  mais  je  partagerois  leur  pauvreté,  j'en  ôterois 
(de  tout  mon  pouvoir)  la  flétrissure  et  le  mépris  (''  qui  la  rendent) 
plus  insupportable  [que  les  besoins].  Je  leur  ferois  aimer  la  con- 
corde et  l'égalité  'qui  sont  de  si  grandes  ressources  contre  la  misère. 
Quand  ils  verroient  que  (volontairement)  je  ne  serois  en  rien  mieux 
qu'eux  et  que  pourtant  je  \ivrois  content  ils  *  tipprendroient  ||  à 
^  s'accomoder  de  leur  '"fortune  et  à  vi\Te  contens  comme  moi. 
Dans  mes  instructions  je  m'attacherois  moins  à  l'esprit  de  l'Eglise 
qu'à  celui  de  l'Evangile  ou  le  dogme  est  simple  et  (ou)!  la  morale 
[(est)  I  sublime  [ou  l'on  voit  peu  de  pratiques  religieuses  et  ''beau- 
coup d'œu\re  s  de  charitÉ|.  Avant  de  leur  enseigner  ce  qu'il  faut 
faire  |e  ('-' tâcherois)  toujours  de  '-Me  pratiquer  afin  qu'ils  vissent 
bien  que  tout  ce  que  je  '^  leur  dis  je  le  pense.  Si  j'avois  des 
protestans  dans  mon  voisinage  ou  dans  ma  paroisse  je  ne  les 
distinguerois  point  de  mes  \Tais  paroissiens  ('■'dans)  tout  ce  qui 
tient  à  la  charité  chrétienne,  je  les  porterois  tous  également  à 
s'entr'aimer  à  se  regarder  comme  frères,  à  respecter  toutes  les 
religions  et  à  visre  en  paix  chacun  dans  la  sienne.  Je  pense  que 
solliciter  quelqu'un  de  quitter  celle  où  il  est  né  '* c'est  le  solliciter 


'   [desservir]. 
-  B.  <  que  >. 

■'  [mes  paroissiens].  —  M.  (ma  paroisse  1  [mes  paroissiens]. 

''  (ce  n'est  pas  tant  la  misère  que). 

^  B.  <  puissants  et  >. 

'■  [/deux  mots  illisibles  et...  par  lesquels  elle  est  b  ieni  cent  fois]. 

'  I.'qui  chassent  (bientôtl  [souvent]  la  misère. 

"  (s').  -B.  (S'). 

"  B.  (s'acomoder)  [se  consoler]. 
'"  B.  sort. 

"  beaucoup  d'oeuvre  de  charités  (sic). 
'-  [m'efforceroisj. 
"  B.  (leur). 

"  M.  [leur\  —I.  [leur]. 
'■'•  [enj. 

"'  B.  (c'est  le  solliciter  quelqu'un   de  quiter  celle  où   il  est  né  sic)  c'est  le 
solliciter  à  mal  faire. 


EDITION    ORIGINALE  425 

ne   suis.   Quoiqu'il   arrive,    je    ne   blasphémerai    point   contre   la    justice 
Divine,  &  ne  mentirai  point  contre  le  Saint-Esprit  '. 

J'ai  long-tems  ambitionné  l'honneur  d'être  Curé  ;  je  l'ambitionne 
encore,  mais  je  ne  l'espère  plus-.  Mon  bon  ami.  je  ne  trouve  rien  de 
si    beau   que   d'être   Curé  *.    Un    bon    Curé   est    un    Ministre   de   bonté, 


'  Voltaire  i242j,  280  :  «  Que  veu.x-tu  dire  »?  La  formule  de  Rousseau  est,  en  eflet. 
sinon  obscure,  du  moins  un  peu  insolite.  Le  «  péché  contre  le  Saint-Esprit  ».  dont  il 
est  parlé  dans  l'Évangile.  Marc,  III,  28,  Sfallh..  .KM,  3i.  Luc,  XII.  10,  et  dont  les 
grands  théologiens  scolastiques'  avaient  savamment  discuté  (cf.,  par  exemple, 
S'  Thomas,  Secunda  Secundae,  Quaestio  IV,  art.  iv,  «  De  blasphemia  in  Spiritum 
sanctum  »  'j2\  m,  162-1701,  avait  attiré  tout  particulièremeut  l'attention  de  l'exégèse 
protestante  :  celle-ci  avait  apporté  à  cet  examen  ses  tendances  d'individualisme 
religieux,  et  avait  vu  surtout  dans  «  le  péché  contre  le  Saint-Esprit  »  le  refus  d'une 
conscience  à  l'appel  divin  :  «  Celui-là.  dit  Calvin,  Inslitulion  chrétienne,  III,  m.  22  [74I, 
496,  pèche  contre  le  Saint-Esprit,  lequel  étant  tellement  touché  de  la  lumière  de  la 
vérité  de  Dieu,  qu'il  ne  peut  prétendre  ignorance,  néanmoins  résiste  de  malice 
délibérée,  seulement  pour  y  résister  ».  Cf.  encore  Pictet,  Théologie  chrétienne, 
VI.  12  [103  '>'*',  I.  3o2-3o4  :  «  Le  péché  contre  le  Saint-Esprit  est  une  réjection  malicieuse 
et  un  entier  reniement,  s'il  est  permis  de  parler  ainsi,  des  vérités  de  l'Évangile,  qui 
étaient  connues,  accompagné  de  mépris  et  de  haine,  le  plus  souvent  de  persécution, 
mais  toujours  joint  avec  une  impénitence  finale  ».  D'où  le  conseil  pratique  de  vie 
intérieure  que  donnait  Pictet  :  «  II  faut  particulièrement  se  garder  de  pécher  contre 
sa  conscience  et  de  résister  aux  lumières  qu'elle  nous  donne  de  notre  devoir  ».  De 
même.  Le  Spectateur  '1 17:.  VI,  53  :  «  Nous  devons  mettre  tout  en  œuvre  pour  ne  pas 
contrister  son  Saint-Esprit  ».  Dans  son  petit  opuscule  Du  Saint-Esprit  bo],  145, 
Abauzit  avait  commenté  le  passage  des  Actes,  v,  3,  où  il  est  défendu  de  »  mentir 
au  .Saint-Esprit»,  et  il  avait  essayé  démontrer  par  le  contexte  que  cette  formule 
équivalait  à  «  mentir  à  Dieu  ».  Et  de  fait,  c'est  ainsi  que  Rousseau  l'entendait  :  Dans 
un  passage  des  Confessions,  VIII.  43,  parlant  de  son  abjuration,  il  dit  :  «  j'allais 
au  fond  de  mon  cœur  mentir  au  Saint-Esprit»;  la  Première  Rédaction  [38".  89,  porte 
simplement  :  «  j'allais  au  fond  de  mon  cœur  mentir  3  Dieu  ».  .Mais,  dans  aucun 
de  ces  textes,  on  ne  trouve  la  formule  «  mentir  contre  le  Saint-Esprit  ».  Les  évangiles 
de  Marc  et  Luc  disent  :  «  blasphémer  contre  »,  celui  de  .Matthieu,  < parler  contre», 
les  Actes,  «  mentir  au  Saint-Esprit  ».  Rousseau  a,  en  quelque  sorte,  contaminé  ces 
différentes  expressions,  le  «  contre  »  ayant  été  amené  sans  doute  par  le  voisinage 
de  «  blasphémer  »  :  et  la  formule  qu'il  a  créée  se  trouve  finalement  équivaloir  à 
celle-ci  :  «  Je  ne  mentirai  point,  en  me  refusant  à  l'inspiration  du  Saint-Esprit, 
c'est-à-dire  de  Dieu,  de  ma  conscience  ».  En  tout  cas  l'intérêt  de  cette  phrase  est 
de  montrer  combien  la  phraséologie  protestante  était  restée  familière  à  Rousseau. 

'  Cf.  dans  le  Prologue  de  la  Profession,  p.  6  :  «  Comme  il  vivait  sagement  et  se 
faisait  aimer  de.  tout  le  monde,  il  se  flattait  de  rentrer  en  grâce  auprès  de  son  évêque, 
et  d'en  obtenir  quelque  petite  cure  dans  les  montagnes,  pour  y  passer  le  reste  de 
ses  jours  :  tel  était  le  dernier  terme  de  son  ambition  ». 

'  Rousseau  avait  exprimé  les  mêmes  idées,  sous  une  forme  plus  vive,  dans 
ses  Conseils  à  un  curé,  lettre  réelle  ou  plutôt  fictive  —  le  titre  est  de  Rousseau  — , 
qui  date  vraisemblablement  de  1751  ou  17^2  :  cf.  Jansen  '28],  9.  Il  disait  (je 
donne  le  texte  définitif  du  brouillon  [2],  C  S^»-"!  :  «  Enfin,  mon  cher  abbé,  vous 
voilà   curé:    je    m'en    réiouis   de   tout    mon   cœur .Malgré   mon    mépris   pour   tous 


426  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 

à  mal  faire,  et  par  conséquent  faire  mal  soi-même.  >  En  attendant 
2  de  plus  grandes  lumières  gardons  l'ordre  ^  public;  dans  tout 
pays  honorons  les  loix,  ne  troublons  point  le  culte  qu'elles  pres- 
crivent, ne  portons  point  les  cito^'ens  à  la  désobéissance,  car  nous 
ne  savons  point  ^  très  certainement  si  c'est  un  bien  [pour  eux]  de 
quitter  «*  leurs»  opinions  pour  (x^les  nôtres»)  et  nous  savons 
très  certainement  que  c'est  un  mal  de  désobéir  aux  loix.  f 


'  B.  [(les  missionnaires  de  doctrine  ne  sont  à  mon  gré  que  des  perturbateurs 
du  repos  public)]. 
=  M.  (l'ordre). 
'  B.  public  [prescrit]. 

♦  I.  (très). 
'  [(ses)]. 

*  [d'autres]. 

■f  La  fin  de  ce  paragraphe  devait  d'abord  faire  partie  de  /'Emile 
proprement  dit:  car.  au  /<>  iy4"°.  on  lit  ce  inorceau  d'attente,  qui  a 
été  rédigé  avant  la  dernière  page  de  la  Profession,  où.  il  se  trouve 
maintenant  encastré  :  car  dans  l'institution  de  la  nature  on  ne  peut 
enseigner  que  la  Religion  naturelle.  Et  si  vôtre  élève  en  doit  avoir 
un  autre  c'est  à  lui  seul  de  la  choisir.  Mais  quelque  choix  qu'il  puisse 
faire,  ce  (qui  est  conforme)  qu'il  faut  apprendre  et  à  vôtre  eléve  et  s'il 
se  peut  à  tous  les  hommes  c'est  à  respecter  toutes  les  religions  et  à  vivre 
en  paix  chacun  dans  la  sienne.  Je  pense  que  solliciter  quelqu'un  de 
quitter  celle  où  il  est  né  c'est  le  solliciter  à  mal  faire  et  par  conséquent 
faire  mal  soi-même.  En  attendant  de  plus  grandes  lumières  gardons 
l'ordre  public:  dans  tout  pavs  honorons  les  loix  ne  troublons  point  le 
culte  qu'elles  ont  prescrit,  ne  portons  point  les  Citojens  à  la  désobéis- 
sance, car  nous  ne  savons  point  très  certainement  si  c'est  un  bien  pour 
eux  de  quiter  leurs  opinions  pour  les  nôtres  et  nous  savons  très 
certainement  que  c'est  un  mal  de  désobéir  aux  loix. 


EDITION    ORIGINALE  427 

comme  un  bon  Mat^istrat  est  un  Ministre  de  justice.  Un  Curé  n'a 
jamais  de  mal  à  faire  ;  s'il  ne  peut  pas  toujours  faire  le  bien  par 
lui-même,  il  est  toujours  à  sa  place  quand  il  le  sollicite,  &  souvent  il 
l'obtient  quand  il  sait  se  faire  respecter.  O  si  jamais  dans  nos  montagnes 
j'avois  quelque  Cure  de  bonnes  gens  à  desservir,  je  serois  heureux;  car 
il  me  semble  que  je  ferois  le  bonheur  de  mes  paroissiens  !  Je  ne  les 
rendrois  pas  ri-  |  ches,  mais  je  partagerois  leur  pauvreté  ;  j'en  ôterois  [189] 
la  flétrissure  &  le  mépris  plus  insupportable  que  l'indigence.  Je  leur 
ferois  aimer  la  concorde  et  l'égalité  qui  chassent  souvent  la  misère  &  la 
font  toujours  supporter.  Quand  ils  verroient  que  je  ne  serois  en  rien 
mieux  qu'eux,  &  que  pourtant  je  vivrois  content,  ils  apprendroient  à 
se  consoler  de  leur  sort,  &  à  vivre  coniens  comme  moi.  Dans  mes 
instructions  je  m'attachcrois  moins  à  l'esprit  de  l'Eglise,  qu'à  l'esprit 
de  l'Évangile,  où  le  dogme  est  simple  &  la  morale  sublime,  où  l'on  voit 
peu  de  pratiques  religieuses,  &  beaucoup  d'œuvres  de  charité.  Avant  de 
leur  enseigner  ce  qu'il  faut  taire,  je  m'efforcerois  toujours  de  le  pratiquer, 
afin  qu'ils  vissent  bien  que  tout  ce  que  je  leur  dis,  je  le  pense.  Si  j'avois 
des  Protestans  dans  mon  voisinage  ou  dans  ma  paroisse,  je  ne  les  distin- 


les  titres  et  pour  les  sots  qui  les  portent,  malgré  ma  haine  pour  tout  ce  qu'on 
appelle  place  et  pour  les  fripons  qui  les  occupent,  ie  crois  que  je  vous  verrais  même 
devenir  évêque  sans  cesser  de  vous  aimer.  Assez  d'autres  vous  feront  des  compliments. 
sans  se  souc  er  de  vous.   Pour  moi,  qui  suis   votre  ami,  je  veux   vous  donner  des 

conseils De  tous  les  tristes  liens  qui  attachent   un   homme  au-dessus  des  autres, 

le  vôtre  me  parait  le  plus  supportable.  Vous  allez  être  bienfaisant  par  état,  un 
magistrat  pacifique,  un  père.  Vous  serez  en  droit  de  faire  tout  le  bien  que  vous 
voudrez  sans  que  personne  ose  le  trouver  mauvais,  et  nul  n'aura  le  pouvoir  de 
vous  contraindre  à  mal  faire.  Ces  prérogatives.  Monsieur,  sont  grandes,  rares  et 
n'appartiennent  peut-être  qu'à  un  curé  de  campagne  ;  car,  outre  que  les  curés  de 
ville  me  paraissent  déjà  de  bien  grands  seigneurs  pour  être  d'honnêtes  gens,  ils 
sont  trop  éloignés  de  trouver  dans  leurs  paroissiens  la  simplicité,  la  docilité  nécessaires 
pour  pouvoir  les  faire  vivre  sagement  ».  Et  il  ajoutait  dans  une  marge  de  ce  brouillon, 
f2>":  «  Je  consens  que  vous  leur  appreniez  toutes  les  balivernes  du  catéchisme, 
pourvu  que  vous  leur  appreniez  aussi  à  croire  en  Dieu  et  à  aimer  la  vertu.  Faites  en 
des  chrétiens  puisqu'il  le  faut,  mais  n'oubliez  pas  le  devoir  plus  indispen>able  d'en 
faire  d'honnêtes  gens  »  (Il  avait  d'abord  écrit  :  «  Je  consens  que  vous  en  fassiez 
des  chrétiens,  des  catholiques,  pourvu  que  vous  n'oubliez  pas  d'en  faire  d'honnêtes 
gens  »).  Quelques  mois  avant  VÈmile,  dans  ses  Éclaircissements  sur  les  Mœurs  [238], 
256,  Toussaint,  après  avoir  reproché  à  «  tant  de  bénéficiers  de  donner  tout  au  lu.\e, 
et  rien  à  la  bienfaisance  »,  convenait  pourtant  «  qu'il  y  a  des  hommes  bienfaisants 
dans  l'Église  ».  «  J'iii  connu  entre  autres,  disait-il,  beaucoup  de  curés  charitables.  Ils 
voient  la  misère  de  près,  et  sont  par  conséquent  plus  à  portée  que  les  autres 
ecclésiastiques  de  se  laisser  attendrir.  C'est  un  bel  état  que  celui  de  curé,  pour  le 
grand  nombre  d'occasions  qu'il  fournit  de  faire  du  bien  ;  et  il  y  en  a  qui  savent  les 
saisir  ». 


428  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


EDITION    ORIGINALE  429 

guerois  |  point  de  mes  vrais  paroissiens  en  tout  ce  qui  tient  à  la  charité  [180] 
chrétienne;  je  les  porterois  tous  également  à  s'entr'aimer,  à  se  regarder 
comme  frères,  à  respecter  toutes  les  religions  &  à  vivre  en  paix  chacun 
dans  la  sienne.  Je  pense  '  que  solliciter  quelqu'un  de  quitter  celle 
où  il  est  né,  c'est  le  solliciter  de  mal  faire,  &  par  conséquent  faire 
mal  soi-même.  En  attendant  de  plus  grandes  lumières,  gardons 
l'ordre  public;  dans  tout  pays  respectons  les  loix,  ne  troublons  point 
le  culte  qu'elles  prescrivent,  ne  portons  point  les  Citoyens  à  la  déso- 
béissance :    car   nous    ne    savons    point   certainement   si    c'est   un    bien 


'  «  C'est  une  inexcusable  présomption,  dira-t-il  quelques  pages  plus  loin,  pp.  193- 
196,  de  professer  une  autre  relif^ion  que  celle  où  l'on  est  né  ».  Ainsi,  comme  il  arrive 
souvent  chez  Rousseau,  les  prmcipes  et  l'argumentation  semblent  très  révolution- 
naires, mais  la  conclusion  pratique  est  celle  d'un  paresseu.\  et  d'un  timide,  c'est-à-dire 
très  conservatrice.  Le  premier  Discours  anathématise  les  Sciences  et  les  .Arts,  et  ne  voit 
le  salut  que  dans  les  .Académies;  le  Discours  sur  l'Inégalité  parait  détruire  toute 
autorité,  et  prêche  pourtant.  1.  i38,  «  l'obéissance  scrupuleuse  aux  lois  et  aux  hommes 
qui  en  sont  les  auteurs  et  les  ministres  ».  etc.,  etc.  Cl",  mon  étude.  Comment  connaître 
Jean-Jacques  ?  [291],  go3.  La  Profession  aboutit  à  la  même  inconséquence  apparente  : 
Il  y  établit  longuement  l'inutilité  et  l'invraisemblance  d'une  Révélation  et  conseille  de 
garder  la  religion  établie.  Ce  conseil,  qui  n'est  qu'une  invitation,  du  point  de  vue 
individuel,  devient  un  ordre,  du  point  de  vue  social;  et  l'on  voit  ce  prédicateur  de 
tolérance  devenir  un  théoricien  conscient  de  l'intolérance.  C'est  ainsi  qu'il  ne  craint 
pas  de  dire  à  M.  de  Beaumont,  III,  94  :  «  J'entends  dire  sans  cesse  qu'il  faut  admettre 
la  toli^rance  civile,  non  la  ihéologique.  Je  pense  tout  le  contraire  :  je  crois  qu'un  homme 
de  bien,  dans  quelque  religion  qu'il  vive  de  bonne  foi,  peut  être  sauvé.  Mais  je  ne  crois 
pas  pour  cela  qu'on  puisse  légitimement  introduire  en  un  pays  des  religions  étrangères 
sans  la  permission  du  souverain  :  car,  si  ce  n'est  pas  directement  désobéir  à  Dieu, 
c'est  désobéir  aux  lois  ;  et  qui  désobéit  aux  lois,  désobéit  à  Dieu  ».  Sans  doute,  le 
dernier  chapitre  du  Contrat  Social,  III,  388-389,  semble  réserver  les  droits  de  la 
conscience  individuelle,  dans  la  mesure  où  ils  ne  contredisent  pas  les  dogmes  de  la 
<  Religion  Civile  »:  mais,  comme  cette  «  Religion  Civile  »  ne  saurait  être  que  théorique, 
ce  qui  s'impose  pratiquement  au  citoyen  comme  un  devoir  strict,  c'est  l'adhésion,  au 
moins  extérieure,  à  la  religion  familiale,  nationale  et  traditionnelle  :  «Je  conviens  sans 
détour,  dit  Rousseau  à  M.  de  Beaumont,  111,  qS,  qu'à  sa  naissance  la  religion  réformée 
n'avait  pas  droit  de  s'établir  en  France  malgré  les  lois  ».  —  Sous  une  forme  plus 
adoucie,  Toussaint  avait  donné  les  même  conseils;  cf.  Les  Mœurs,  I.  m.  2  [184].  66  : 
«  Quant  au  culte  extérieur  dans  lequel  il  est  né  [le  sage],  s'il  est  compatible  avec  les 
principes  de  la  Religion  naturelle,  il  doit  Sî  faire  une  loi  de  n'y  jamais  donner  atteinte 
ni  en  le  troublant,  ni  en  l'abjurant».  Cf.  encore  Le  Spectateur  [117],  IV,  i58  : 
«  Les  hommes  les  plus  sages  et  les  plus  habiles  de  tous  les  siècles...  ont  toujours 
suivi  le  culte  public  reçu  dans  leur  pays,  lorsqu'il  n'avait  rien  d'opposé  à  l'honneur  de 
l'Être  infini  ou  de  préjudiciable  aux  intérêts  du  genre  humain  »;  et  la  conclusion 
conservatrice  des  développements  strictement  rationalistes  du  Marquis  de  Lassay  sur 
l'origine  des  religions  [126],  II,  3i8  3i9  :  «Je  suis  pourtant  persuadé  que  je  dois  me 
soumettre,  quant  à  l'extérieur,  à  la  religion  de  mes  pères,...  sans  jamais  parler  contre 
elle,  la  regardant  comme  une  loi  du  pays  et  même  la  première  ». 


430 


REDACTIONS   MANUSCRITES 


CONCLUSION. 
1.  Religion  personnelle  et  religions  traditionnelles. 


Je  viens  mon  ('  bon)  ami  de  vous  reciter  de  bouche  ma 
profession  de  foi  telle  que  Dieu  la  lit  au  fond  de  mon  cœur. 
Vous  êtes  le  premier  à  qui  je  l'ai  faite  -  et  vous  êtes  le  seul 
peut  être  à  qui  je  la  ferai  jamais.  Il  ne  faut  point  troubler 
les  (^consciences)  paisibles  ni  ébranler  la  foi  des  simples  par 
des  difficultés  qu'ils  ne  peuvent  résoudre  et  qui  les  inquiettent 
sans  les  éclairer.  Mais  les  consciences  agitées  •*  allarmées  incer- 
taines ^  et  dans  l'état  ou  "^  je  vois  la  vôtre  ont  besoin  ('d'un 
guide    qui   les    conduise   dans  le   chemin  de   la   vérité  ^).   Cela   ne 


'  [jeune]. 
2  B.  <  et  >. 
'  [âmes]. 

*  B.  <  allarmées  >. 

^  B.  presqu'éleinies. 

*  B.  j'ai  vu. 

'  [d'être  affermies  sur  la  base  [(inébranlable)]  des  vérités  éternelles  (mais)] 
cela.  —  B.  affermies  et  reveillées;  (il  les  faut)  [et  pour  les]  rétablir  sur  la  base  des 
vérités  éternelles  II   faut   (commencer    par)    [achever   d'arracher]    les    pilliers.  — 

M.   affermies  et  réveillées   *,   et   pour  les  rétablir éternelles,   il   faut  arracher 

les  piliers. 

*  Vous  saurez  bien  remarquer,  (mon)  cher  (Moultou)  [Monsieur]  que  cet 
écrit  ne  seroit  pas  bon  à  publier  en  tout  tems,  mais  que  dans  celui-ci  le  public 
ne  peut  plus  qu'y  gagner. 

'  (et  d'un  [et  rassurées  autour  de  l'inébranlable  colonne  de  la  foi]). 


ÉDITION    ORIGINALE 


431 


pour  eux  de  quitter  leurs  opinions  pour  d'autres,  &  nous  savons  très- 
certainement  que  c'est  un  mal  de  désobéir  aux  loi\  -. 


CONCLUSION. 
1.  Relîgion  personnelle  et  religions  traditionnelles. 


Je  viens,  mon  jeune  ami,  de  vous  reciter  de  bouche  ma  profession 
de  foi  telle  que  Dieu  la  lit  dans  mon  cœur  :  |  vous  êtes  le  premier  à  qui  je 
l'ai  faite;  vous  êtes  le  seul  peut-être  à  qui  je  la  ferai  jamais.  Tant  qu'il 
reste  quelque  bonne  croyance  parmi  les  hommes,  il  ne  faut  point  troubler 
les  âmes  paisibles,  ni  allarmer  la  foi  des  simples  par  des  difficultés  qu'ils 
ne  peuvent  résoudre  &  qui  les  inquiettent  sans  les  éclairer.  Mais  quand 
une  fois  tout  est  ébranlé,  on  doit  conserver  le  tronc  aux  dépens  des 
branches;  les  consciences  agitées,  incertaines,  presque  éteintes,  &  dans 
l'état  où  j'ai  vu  la  vôtre,  ont  besoin  d'être  affermies  &  réveillées;  &  pour 
les  rétablir  sur  la  base  des  vérités  éternelles,  il  faut  achever  d'arracher 
les  piliers  flottans,  auxquels  elles  pensent  tenir  encore  1. 


[191] 


'  Rousseau  venait  de  mettre  ces  conseils  en  pratique.  A  M.  Ribote,  qui  le 
priait  d'intervenir,  dans  l'affaire  Rochette,  en  faveur  de  ses  «  frères  »  réformés,  il 
répondait  d'abord  par  une  fin  de  non-recevoir  (Lettre  du  28  Septembre  1761  [23  I,  puis 
par  un  refus  motivé  (Lettre  du  24  Octobre.  X,  273  ;  cf.  [47].  543-546)  :  «  Je  sens 
combien  il  est  dur  de  se  voir  sans  cesse  à  la  merci  d'un  peuple  cruel,  sans  appui,  sans 
ressource,  et  sans  avoir  même  la  consolation  d'entendre  en  paix  la  parole  d  Dieu. 
Mais  cependant.  Monsieur,  cette  même  parole  de  Dieu  est  formelle  sur  le  devoir  d'obéir 
aux  lois  des  princes  La  défense  de  s'assembler  est  incontestablement  dans  leurs  droits; 
et,  après  tout,  ces  assemblées  n'étant  pas  de  l'essence  du  Christianisme,  on  peut  s'en 
abstenir  sans  renoncer  à  sa  foi  »,  etc. 

'  Il  semble  que  le  Vicaire  considère  son  disciple  comme  un  représentant  fidèle 
de  l'esprit  contemporain.  11  avait  déjà  indiqué  d'un  mot,  p.  i3i,  -  le  rappro:hement  est 
de  Rousseau  :  cf.  Lettre  à  J.  Burnand,  du  28  Mars  1763,  XI,  55  —  qu'il  voyait  en  lui  un 
symbole  :  «  Voilà,  je  crois,  disait-il  en  noie,  ce  que  le  bon  vicaire  pourrait  dire  à 
présent  au  public  »;  et  ici  même,  dans  M.  il  souligne  cette  attitude  :  «  Vous  saurez 
bien  remarquer,  cher  Moultou,  que  cet  écrit  ne  serait  pas  bon  à  publier  en  tout  temps, 
mais  que.  dans  celui-ci,  le  public  ne  peut  plus  qu'y  gagner  ».  Ainsi,  par-dessus  la  tête 
du  jeune  homme,  c'est  à  toutes  les  âmes  de  son  temps  que  Rousseau  s'adresse,  car, 
elles  aussi,  pour  la  plupart,  sont  «agitées,  incertaines,  presque  éteintes».  11  avait  eu 
plus  de  scrupules  quelques  années  auparavant,  lorsqu'il  se  proposait  d'écrire  à  Voltaire 


432  REDACTIONS    MANUSCRITES 

peut   se    faire    ('  qu'en    achevant)    d'arracher    les    piliers    rtotan  s 
-  auxqu  ELS   elles   pensent   tenir  encore,  f 
ï    ^7'*  Il  \'ous  êtes  dans  l'âge  ^critique  [ou  l'esprit  s'ouvre  (*  encore) 

à  la  certitude,  fou]  le  cœur  reçoit  (son  caractère  et)  sa  forme  '  ci] 
«  où  l'on  se  »  détermine  pour  toute  la  \'ie  soit  en  bien  soit  en 
mal.  Plus  tard  la  substance  est  durcie  et  les  fnou\'ellesj  empreintes  , 
ne  marquent  plus.  Jeune  homme  recevez  dans  \ôtre  ^ame  encore 
flexible  le  cachet  de  la  vérité.  Si  j'étois  plus  sur  de  moi-même 
i'aurois  pris  un  ton  dogmatique  "et  décisif.  Mais  je  suis  homme 
*et  sujet  à  l'erreur  que  pouvois-je  faire.  Je  vous  ai  ouvert  mon 
cœur  sans  reser\e.  Ce  que  je  tiens  pour  sur,  je  vous  l'ai  donné 
("  comme)  tel,  ^^  je  vous  ai  donné  mes  doutes  pour  des  doutes, 
mes  opmions  pour  des  opinions,  je  vous  ai  dit  mes  raisons  de 
«  douter  et  »  de  croire  ".  Maintenant  c'est  à  vous  de  juger.  [Vous 
12  avez  pris  du  tems  (pour  penser).  Cetie  précaution  est  sage  et  me 
!•'*  donne  bonne  opinion  de  vous.  Commencez  par  mètre  votre 
conscience  en  état  de  vouloir  être  éclairée.  Soyez  sincère  avec 
vous-même].  «  Appropriez  vous  de  »  mes  sentimens  ce  qui  vous 
('^  a)  persuadé  rejetiez  le  reste.  «  Vous  n'  »  êtes  pas  encore 
assez  '*  corrompu  par  le  vice  pour  risquer  de  mal  choisir.  Je 
vous    proposerois    d'en    conférer    entre    nous   :    mais    sitôt    qu'on 


'   [sans  achever]. 

-  flotan  aux  quelles  (sic).  —  1.  aux  quel(le)s. 

"  B.  «  critique  ». 

■*  B.  [(où  se  forme)]. 

''  [et  son  caractère]. 

''  I.  [àme]. 

'  B.  (de?)  [et]. 

*  B.  [ignorant]  (et). 

"  [pour]. 

'"  M.  <  je  vous  ai  donné  mes...  pour  des  opinions  >. 

"  [(et  de  douter)]. 

"  (m'). 

'^  B.  (donne  bonne  opinion)  [fait  bien  penser]  de  vous. 

'*  [aura]. 

"  B.  dépravé. 

t  Ici,  dans  le  manuscrit,  la  fin  de  la  page  est  laissée  en  blanc. 


EDITION    ORIGINALE  433 


Vous  êtes  dans  l'âge  critique  où  l'esprit  s'ouvre  à  la  certitude,  où  le 
cœur  reçoit  sa  forme  &  son  caractère.  &  où  l'on  se  détermine  pour  toute 


ces  lignes,  qu'il  supprima  finalement  [12  0,5"  :  «  [Il  ne  faut  pas]  désoler  les  hommes  à 
pure  perte,  quand  ce  qu'on  veut  leur  apprendre  n'est  bon  à  rien.  Ainsi  je  ne  saurais 
approuver  qu'on  raisonne  publiquement  sur  ces  matières  en  langue  vulgaire  ».  Les 
considérations  qu'il  présente  ici  rapidement  ont  été  développées  par  lui  dans  une 
page  très  importante,  à  laquelle  j'ai  déjà  fait  un  emprunt,  p.  i3i,  note,  et  dont 
voici  la  conclusion,  V  des  Lettres  de  la  Montaigne,  111,  199  :  «  Quel  moment  plus 
heureux  pour  établir  solidement  la  paix  universelle,  que  celui  où  l'animosité  des 
partis  suspendue  laissait  tout  le  monde  en  état  d'écouter  la  raison?  A  qui  pouvait 
déplaire  un  ouvrage  où.  sans  blâmer,  du  moins  sans  exclure  personne,  on  faisait  voir 
qu'au  fond  tous  étaient  d'accord;...  que  chacun  devait  rester  en  repos  dans  son  culte, 
sans  troubler  celui  des  autres:  que  partout  on  devait  servir  Dieu,  aimer  son  prochain, 
obéir  aux  lois,  et  qu'en  cela  seul  consistait  l'essence  de  toute  bonne  religion?  C'était 
établir  à  la  fois  la  liberté  philosophique  et  la  piété  religieuse;  c'était  concilier  l'amour 
de  l'ordre  et  les  égards  pour  les  préjugés  d'autrui  :  c'était,  sans  détruire  les  divers  partis, 
les  ramener  tous  au  terme  commun  de  l'humanité  et  de  la  raison  :  loin  d'exciter  des 
querelles,  c'était  couper  la  racine  à  celles  qui  germent  encore,  et  qui  renaîtront  infail- 
liblement d'un  jour  à  l'autre,  lorsque  le  zèle  du  fanatisme,  qui  n'est  qu'assoupi,  se 
réveillera  :  c'était,  en  un  mot,  dans  ce  siècle  pacifique  par  indifférence,  donner  à  chacun 
des  raisons  très  fortes  d'être  toujours  ce  qu'il  est  maintenant  sans  savoir  pourquoi  ».  — • 
C'est  à  peu  près  de  la  même  façon  que  Marie  Huber  avait  envisagé  le  problème  religieux 
contemporain.  H  y  a  des  cas,  disait-elle.  Religion  essentielle  [i5i],  111,  12,  où  il  faut 
avoir  des  ménagements  pour  les  préjugés  religieux  ;  mais,  quand  les  esprits  sont  prêts 
«  à  recevoir  une  nourriture  plus  solide  ».  les  ménagements  deviennent  inutiles.  «  Notre 
siècle  ne  serait-il  point  dans  ce  dernier  cas  »  ?  Cf.  encore  IV,  1 1 8-1 19  :  «  On  dirait  que 
tout  concourt  à  sa  ruine  |de  la  religion];  d'un  côté  l'irréligion,  l'incrédulité  gagne  une 
bonne  partie  des  hommes,  et  même  ceux  d'entre  eux  qui  passent  pour  les  plus  sensés  : 
de  l'autre  la  division  déchire  les  différents  partis  et  sociétés  chrétiennes  plus  que 
jamais.  Encore  un  coup,  ne  voilà-t-il  pas  d'étranges  acheminements  à  ce  mieux,  ou  à 
ce  retour  d'harmonie  que  vous  espérez!  Il  faut  avouer  que  la  situation  de  notre  siècle 
par  rapport  à  la  religion,  a  quelque  chose  d'assez  paradoxe  c  u  d'indéfinissable  ;  car  enfin, 
malgré  tous  les  coups  qu'on  lui  porte,  on  dirait  qu'elle  regagne  d'un  côté  ce  qu'elle 
perd  de  l'autre;  et  il  se  peut  que  cette  confusion  actuelle  devienne  lumineuse  pour  la 
génération  naissante  :  c'est  que  ces  mêmes  coups  n'atteignent  pomt  jusqu'à  la  religion; 
ils  ne  portent  pour  l'ordinaire  que  sur  ce  qui  n'est  point  elle-même,  sur  le  faux  qu'on 
lui  prête  ».  —  Quant  à  la  comparaison  du  «  tronc  »  et  des  «  branches  »,  Rousseau  s'en 
est  servi  plusieurs  fois.  Dans  le  passage  cité  plus  haut  des  Lettres  de  la  Montagne, 
III,  199,  parlant  de  l'indilTérence  religieuse  qui  envahissait  l'Europe,  il  dira  :  «  Pour 
oter  les  mauvaises  branches,  on  avait  abattu  l'arbre;  pour  le  replanter,  il  fallait  n'y 
laisser  que  le  tronc  ».  Cf.  encore  Notes  a  M.  de  Malesherbes  (1761).  V,  89  :  «  Les 
catholiques,  qui  s'obstinent  à  vouloir  jouer  quitte  ou  double,  ont  grand  tort;  ils  ne 
trouveront  sûrement  pas  leur  compte  à  ce  marché;  or,  pourquoi  serions-nous  tenus 
d'avoir  le  même  tort  qu'eux?  Les  réformés  commencent  à  sentir  la  nécessité  de 
sacrifier  quelques  branches  pour  conserver  le  troncs:  Lettre  à  Duclos,  vraisembla- 
blement de  Décembre  1760  (cf.  la  minute  de  Neuchàtel  [12  A]).  X,  235  :  «  Je  serai  ce 
croyant-là  ;  et.  si  je  n'ai  pas  le  talent  nécessaire,  j'aurai  du  moins  l'intrépidité.  A  Dieu 
ne  plaise  que  je  veuille  ébranler  cet  arbre  sacré  que   je  respecte,  et  que  je  voudrais 

28 


434  REDACTIONS    MANUSCRITES 

dispute,  on  s'  '  opiniâtre  la  vanité  -  s'en  mêle,  la  bonne  foi 
n'\  est  plus.  Mon  ami  ne  disputez  jamais  ;  car  on  n'éclaire 
par  la  dispute  ni  ^  soi  ni  les  autres.  Pour  moi,  [ce  n'est  qu'après 
bien  des  années  de  méditation  que]  «  j'ai  pris  »  {*  ma  forme  et) 
je  m'\'  tiens,  ma  conscience  est  tranquille  mon  cœur  est  content; 
si  je  vouiois  recommencer  un  nou\el  examen  de  mes  (''opinions) 
je  [®  n'v  '  porterois  pas  '  plus  d'amour  (■'  de)  la  vérité]  (que 
je  n'ai  déj  :  fait)  et  mon  esprit  déjà  moins  actif  seroit  moins 
en  état  de  la  connoitre.  Je  '"resterai  comme  "je  suis  de  peur 
qu'insensiblement  le  goût  de  la  contemplation  i-  ne  m'attiédit 
sur  la  pratique  de  mes  devoirs  et  [de  peur  de  retomber  dans 
mon  premier  pvrrhonisme  ("et  de  n'avoir  plus)  la  force  d'en 
sortir  ^'J.  Plus  de  la  moitié  de  ma  vie  est  écoulée  '^  il  ne  me 
reste  que  le  tems  qu'il  '"faut  pour  agir.  "Si  je  me  trompe  Dieu 
me  le  pardonnera  sans  doute,  je  tâcherai  d'effacer  mes  erreurs  par 
mes  vertus. 


'  I.  (opiniâtre)  [(?not  inachevé  illisible)  échauffe]. 

-  B.   [robstination]. 

■'  ni  soit  {sic)  ni  les  autres. 

■"  [mon  parti]. 

'  [sentimens]. 

"  (ne  ferois  peut-être  que  me  rejeter  dans  un  nouveau  pyrrlionisme). 

'  B.  (preterois)  [porterois]. 

*  B.  «  un  »  plus  pur  amour. 

■■'  [pour]. 

'"  (serai). 

"  comme  suis  (sic). 

'-  B.  (ne  devint)  [devenant]  une  passion  oiseuse  (et)  ne  m'attiédit  sur. 

■''  [sans  retrouver]. 

"  (et  de  peur). 

''  I.  il  ne  me  reste  que  le  tems. 

'"  B.  me  faut  pour  en  mettre  à  profit  le  reste.  —  M.  me  faut  pour  mettre 
à  profit. 

"  B.  (Si  je  me  trompe  Dieu erreurs  par  mes  vertus)  [et  pour  effacer  mes 

erreurs  par  mes  venus.  Si  je  me  trompe  c'est  malgré  moi.  Celui  qui  lit  au  fond 
de  mon  cœur  sait  bien  que  je  n'aime  pas  mon  aveuglement.  Dans  l'impuissance 
(•■>  d'en  sortir)  par  mes  propres  lumières  le  seul  moyen  qui  me  reste  pour  en 
sortir  est  une  bonne  vie  et  si  des  pierres  mêmes  Dieu  peut  susciter  des  enfans  à 
Abraham  tout  homme  a  droit  d'espérer  d'être  éclairé  lorsqu'il  s'en  rend  digne]. 

a)  [de  m'en  tirer].  —  M.  (d'en  sortir)  [de  m'en  tirer]. 


ÉDITION    ORIGINALE  435 

la  vie,  soit  en  bien,  soit  en  mal.  Plus  |  tard  la  substance  est  durcie  ',  &  les  [192] 
nouvelles  empreintes  ne  marquent  plus.  Jeune  homme,  recevez  dans 
votre  ame,  encore  flexible,  le  cachet  de  la  vérité.  Si  j'étois  plus  sur  de 
moi-mèmï,  j'aurois  pris  avec  vous  un  ton  dogmatique  &  décisif;  mais  je 
suis  homme,  ii^norant,  sujet  à  l'erreur,  que  pouvois-je  faire?  Je  vous  ai 
ouvert  mon  cœur  sans  réserve;  ce  que  je  tiens  pour  sûr,  je  vous  l'ai 
donné  pour  tel  ;  je  vous  ai  donné  mes  doutes  pour  des  doutes,  mes 
opinions  pour  des  opinions;  je  vous  ai  dit  mes  raisons  de  douter  &  de 
croire.  Maintenant  c'est  à  vous  de  juger  :  vous  avez  pris  du  tems;  cette 
précaution  est  sage,  &  me  fait  bien  penser  de  vous.  Commencez  par 
mettre  votre  conscience  en  état  de  vouloir  être  éclairée.  Soyez  sincère  avec 
vous  même.  Appropriez-vous  de  mes  scntimens  ce  qui  vous  aura  per- 
suadé, rejetiez  le  reste.  Vous  n'êtes  |  pas  encore  assez  dépravé  par  le  vice,  [193] 
pour  risquer  de  mal  choisir.  Je  vous  proposerois  d'en  conférer  entre  nous; 
mais  si-tôt  qu'on  dispute,  on  s'échauff'e;  la  vanité,  l'obstination  s'en 
mêlent,  la  bonne-foi  n'y  est  plus.  Mon  ami,  ne  disputez  jamais;  car  on 
n'éclaire  par  la  dispute  ni  soi,  ni  les  autres.  Pour  moi  ce  n'est  qu'après 
bien  des  années  de  méditation  que  j'ai  pris  mon  parti;  je  m'y  tiens,  ma 
conscience  est   tranquille,   mon  cœur  est  content.   Si  je  voulois  recom- 


cimenier  de  mon  sang;  mais  j'en  voudrais  bien  ôter  les  branches  qu'on  y  a  greffées, 
et  qui  portent  de  si  mauvais  fruits  ».  D'ailleurs,  cette  comparai>on  ne  lui  appartient 
pas;  il  la  trouvait  dans  Marie  Huber.  Religion  essentielle  fi5i],  IV.  5-6  :  «  La  Religion 
toute  entière  tient  à  un  seul  principe,  comme  toutes  les  branches  d'un  arbre  tiennent 
au  tronc.  Prenez-le  par  les  branches,  elles  se  laissent  détacher  de  l'arbre,  mais  vous 
ne  tenez  rien.  Saisissez-vous  du  tronc,  vous  avez  tout,  rien  ne  vous  échappe»;  et 
dans  Vernet,  Vérité  de  la  Religion  [162],  I,  180  (à  propos  des  Mœurs  de  Toussaint)  : 
«  L'auteur,  choqué  de  divers  abus,  n'a  pas  su  séparer  ces  abus  accidentels  d'avec  le 
fond  du  christianisme.  Quelques  branches  le  blessent,  il  coupe  l'arbre  et  met  en  sa 
place  une  partie  de  ce  même  branchage,  destitué  de  ses  racines  ».  Cf.  encore,  dans 
le  P.  Castel,  à  propos  de  la  physique  de  Descartes,  Système  de  Newton,  Discours 
préliminaire  [167].  i5  :  «  Je  m'attachai  fortement,  et  avec  une  sorte  d'àpreté,  au 
corps  de  l'arbre,  au  tronc,  aux  racines,  et,  tout  au  plus,  aux  quatre  ou  cinq  maîtresses 
branches,  qui  ne  peuvent  se  soutenir  ou  tomber,  sans  entraîner  tout  ce  menu  bran- 
chage, qui  ne  mérite  pas,  en  vérité,  qu'on  s'amuse  à  l'éplucher  en  détail  ». 

'  Quelle  «  substance  »?  L'adjectif  employé  semble  indiquer  qu'il  s'agit  du 
cerveau;  mais  la  phrase  suivante  pourrait  laisser  un  doute  :  «  Recevez  dans  votre  âme 
encore  flexible  ■».  La  formule  est  équivoque  et  peu  claire.  Voici  pourtant  un  texte  qui 
ne  laisse  aucun  doute  sur  la  pensée  de  Rousseau,  Lettre  au  .Marquis  de  Mirabeau,  du 
26  Juillet  1767  :  «  Je  sens  que  les  traces  de  mes  vieilles  idées,  racornies  dans  mon 
cerveau,  ne  permettent  plus  à  des  idées  si  nouvelles  d'y  faire  de  fortes  impressions». 
Cf.  encare  11*  Livre  d'Emile,  11,  7D  ;  «  Leur  cerveau  [des  enfants],  lisse  et  poli,  rend 
comme  un  miroir  les  objets  qu'on  lui  présente  »;  et  Souvelle  Héloîse  (V,  iii|.  IV,  406  ; 
«  La  nature  a  donné  au  cerveau  des  enfants  cette  souplesse  qui  le  rend  propre  à 
recevoir  toutes  sortes  d'impressions  ». 


43^ 


RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


I 


ÉDITION   ORIGINALE  437 

mencer  un  nouvel  examen  de  mes  sentimens,  je  n"y  porterais  pas  un  plus 
pur  amour  de  la  vérité,  &  mon  esprit  déjà  moins  actif  serait  moins  en 
état  de  la  connoître  i.  Je  resterai  comme  je  suis,  de  peur  qu'insensiblement 
le  goût  de  la  contemplation  devenant  une  passion  oiseuse,  ne  m'attiédît 
sur  l'exercice  de  mes  devoirs,  &  de"  peur  de  retomber  dans  mon  premier 
pyrrhonisme,  sans  re-  |  trouver  la  force  d'en  sortir.  Plus  de  la  moitié  de  [194] 
ma  vie  est  écoulée;  je  n'ai  plus  que  le  tems  qu'il  me  faut  pour  en  mettre  à 
profit  le  reste,  &  pour  effacer  mes  erreurs  par  mes  vertus.  Si  je  me 
trompe,  c'est  mali,'ré  moi.  Celui  qui  lit  au  fond  de  mon  cœur  sait  bien  que 
je  n'aime  pas  mon  aveuglement  ^  Dans  l'impuissance  de  m'en  tirer  par 


'  Toutes  ces  affirmations  ne  sont  pas  seulement  des  formules  littéraires  pour 
clôturer  une  discussion  embarrassante.  Elles  traduisent  exactement  la  réalité  :  cf.  le  récit 
de  cette  crise  décisive  dans  la  111"  «  Promenade  »  des  Rêveries,  IX,  3-ii-342,  récit  que  j'ai 
déjà  utilisé  plus  haut,  pp.  27,  ote  6  et  129,  note  1.  pour  commenter  les  confessions  du 
Vicaire  :  «Je  me  dis  enfin  :  me  laisseraije  éternellement  balloter  par  les  sophismcs  des 
mieux  disants?...  Leur  philosophie  est  pour  les  autres;  il  m'en  faudrait  une  pour  moi. 
Cherchons-la  de  toutes  mes  forces,  tandis  qu'il  est  temps  encore,  afin  d'avoir  une  règle 
fixe  de  conduite  pour  le  reste  de  mes  jours.  Me  voilà  dans  la  maturité  de  l'âge,  dans 
toute  la  force  de  l'entendement  :  déjà  je  touche  au  déclin  :  si  j'attends  encore,  je  n'aurai 
plus,  dans  ma  délibération  tardive,  l'usage  de  toutes  mes  forces;  mes  facultés  intellec- 
tuelles  auront  déjà  perdu  de  leur  activité  ;  je  ferai  moins  bien  ce  que  je  puis  faire 
aujourd'hui  de  mon  mieux  possible:  saisissons  ce  moment  favorable;  il  tst  l'époque 
de  ma  réforme  externe  et  matérielle;  qu'il  soit  aussi  celle  de  ma  réforme  intellectuelle 
et  morale.  Fixons  une  bonne  fois  mes  opinions,  mes  principes  :  et  soyons  pour  le  reste 
de  ma  vie  ce  que  j'aurai  trouvé  devoir  être  après  y  avoir  bien  pensé.  J'exécutai  ce 
projet  lentement,  et  à  diverses  reprises,  mais  avec  tout  l'efl'ort  et  toute  l'attention  dont 
j'étais  capable.  Je  sentais  vivement  que  le  repos  du  reste  de  mes  jours  et  mon  sort 
total  en  dépendaient.  Je  m'y  trouvai  d'abord  dans  un  tel  labyrinthe  d'embarras,  de 
difficultés,  d'objections,  de  tortuosités,  de  ténèbres,  que  vingt  fois  tenté  de  tout 
abandonner,  je  fus  près,  renonçant  à  de  vaines  recherches,  de  m'en  tenir,  dans  mes 
délibérations,  aux  règles  de  la  prudence  commune,  sans  plus  en  chercher  dans  les 
principes  que  j'avais  tant  de  peine  à  débrouiller;  mais  cette  prudence  même  m'était 
tellement  étrangère,  je  me  sentais  si  peu  propre  à  l'acquérir,  que  la  prendre  pour  mon 
guide  n'était  autre  chose  que  vouloir,  à  travers  les  mers  et  les  orages,  chercher,  sans 
gouvernail,  sans  boussole,  un  fanal  presque  inaccessible,  et  qui  ne  m'indiquait  aucun 
port.  Je  persistai  :  pour  la  première  fois  de  ma  vie.  j'eus  du  courage,  et  je  dois  à  son 
succès  d'avoir  pu  soutenir  l'horrible  destinée  qui  dès  lors  commençait  à  m'envelopper, 
sans  que  j'en  eusse  le  moindre  soupçon.  Après  les  recherches  les  plus  ardentes  et  les 
plus  sincères  qui  jamais  peut-être  aient  été  faites  par  aucun  mortel,  je  me  décidai  pour 
^oute  ma  vie  sur  tous  les  sentiments  qu'il  m'importait  d'avoir;  et,  si  j'ai  pu  me 
tromper  dans  mes  résultats,  je  suis  siir  au  moins  que  mon  erreur  ne  peut  m'être 
imputée  à  crime,  car  j'ai  fait  tous  mes  efforts  pour  m'en  garantir  ». 

'  Au  moment  de  conclure,  Rousseau  revient  encore  sur  ce  principe  de  «  bonne 
foi  »,  qui  est,  dans  sa  pensée,  le  principe  «  antiphilosophique  »  par  excellence,  et  qui 
a  été  pour  lui,  comme  pour  Marie  Huber  (cf.,  plus  haut,  p  i32,  note  i).  l'àme  même  de 
ses  recherches.  Aussi,  d'un  bout  à  l'autre  de  la  Profession,  les  protestations  de  <  bonne 
foi  »,  les  appels  à  la  «  bonne  foi  »,  ont-ils  reparu  de  loin  en  loin,  comme  des  refrains  ■ 


438  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


(Que)  si  *  vos  reflexions  vous  amènent  à  penser  comme  *  je 
pense,  que  mes  sentimens  soient  les  vôtres  et  que  nous  a\ons 
la  même  profession  de  foi  voici  le  conseil  que  je  vous  donne. 
N'exposez  plus  vôtre  ['vie]  aux  (■'tentations)  de  la  misère  et  du 
desespoir.  ^  Ne  la  trainez  plus  avec  ignominie  à  la  merci  des 
étrangers  [et  cessez  de  manger  le  \il  pain  de  l'aumonej.  Retournez 
dans  vôtre  patrie,  reprenez  la  religion  de  vos  pères,  suivez  la  dans 
la  6  simplicité  de  vôtre  cœur  et  ne  la  quitez  plus  '.  [Ne  soN^ez  *  point 
en  peine  du  voyage,  on  »  vous  trouvera  quelque  argent  pour  cela. 
Ne  craignez  pas  non  plus  la  mauvaise  honte  d'un  retour  ('^^ ignomi- 
nieux), "  il  faut  rougir  >'- d'une  faute  et  non  i^pas  de  "la  reparer. 
Vous  êtes  '•'  encore  dans  l'âge  où  (^Ton  les)  pard(jnne.  Quand  vous 
voudrez    (l' sincèrement)    écouter    vôtre    conscience    mille    '*  vains 


'  B.  mes. 

-  M.  (moi)  je  pense. 

■'  (misère). 

■*  B.  tentations. 

^  (Retour  nez). 

°  I.  (simplicité)  [(pureté)  sincérité]. 

'  I.  elle  est  très  simple  et  très  sainte,  je  la  crois  de  toutes  les  religions  qui 
sont  sur  la  terre  celle  dont  la  (conscience  et)  [morale  est  la  plus  pure  et  dont]  la 
raison  se  contente(nt)  le  mieu.x. 

'  B.  pas. 

'  B.  y  pourvoira. 

'"  [humiliant]. 

"  M.  c'est  de  la  faute  qu'il  faut  rougir  et  non  de  la  réparation. 

'■-'  B.  (des)  [d'une]  faute(s). — I.  de  (commettre)  [faire]  «  une»  [(des)]  faute(s). 

'^  B.  <  pas  >. 

»  I.  (les)  [la]. 

'=  (d  ans). 

'"  [tout  se].  — I.  tout(es)  se  pardonne(nt)  mais  où  l'on  ne  (retombe)  [pèche] 
plus  impunément. 

"  [bien].  —  M.  <  bien  >.  — I.  (bien). 

"  M.  <  vains  >. 


ÉDITION    ORIGINALE  439 

mes  propres  lumières,  le  seul  moyen  qui  me  reste  pour  en  sortir  est  une 
bonne  vie;  &  si  des  pierres  mêmes  Dieu  peut  susciter  des  enfans  à 
Abraham  -,  tout  homme  a  droit  d'espérer  d'être  éclairé  lorsqu'il  s'en  rend 
digne. 

Si  mes  réflexions  vous  amènent  à  penser  comme  je  pense,  que  mes 
sentimens  soient  les  vôtres,  &  que  nous  ayons  la  même  profession  de  toi, 
voici  le  conseil  que  je  vous  donne.  N'exposez  plus  votre  vie  aux  tentations 
de  la  misère  &  du  désespoir,  ne  la  traînez  plus  avec  ignominie  à  la  merci 
des  I  étrangers,  &  cessez  de  manger  le  vil  pain  de  l'aumône.  Retournez  [195] 
dans  votre  patrie,  reprenez  la  religion  de  vos  pères  i,  suive/.-la  dans  la 
sincérité  de  votre  cœur.  &  ne  la  quittez  plus;  elle  est  très-simple  &  très- 
sainte;  je  la  crois  de  toutes  les  religions  qui  sont  sur  la  terre,  celle  dont  la 
morale  est  la  plus  pure,  &  dont  la  raison  se  contente  le  mieux  -.  Quant 
aux   fraix  du  voyage  n'en    soyez   point   en    peine,   on   y  pourvoira.    Ne 


cf.  pp.  21  :  »  Si  je  me  trompe,  c'est  de  bonne  foi  »  ;  69  :  «  Jeune  homme,  écoutez  avec 
confiance,  je  serai  toujours  de  bonne  foi  »:  127-128  :  «  Pour  être  de  bonne  foi,  je  ne  me 
crois  pas  infaillible  »  ;  i32  :  «  Je  ne  vous  promets  que  de  la  bonne  foi  ». 

*  Allusion  à  la  parole  de  Jean-Baptiste  aux  foules  qu'il  baptise  :  cf.  Matlh.,  111.  g; 
Luc.  111.  8. 

'  Cf.  Confessions,  VIII,  64  :  «  Ses  sentiments  [de  l'abbé  Gaime],  ses  avis  furent 
les  mêmes  [que  ceux  du  Vicaire];  et,  jusqu'au  conseil  de  retourner  dans  ma  patrie, 
tout  fut  comme  je  l'ai  depuis  rendu  au  public  ».  Si  intimement  liés  que  fassent  à 
Genève  le  civisme  et  le  calvinisme,  il  y  a  pourtant  une  légère  différence  entre  «  con- 
seiller de  retourner  dans  sa  patrie  »  tt  «  conseiller  de  reprendre  la  religion  de  ses  pères  ». 

•  On  remarquera  que  cet  éloge  de  la  religion  de  Genève  manque  dans  tous  les 
manuscrits,  sauf  le  dernier.  Il  a  été  ajouté  dans  la  révision  finale,  comme  un  témoignage 
du  lovalisme  religieux  de  Jean-Jacques  à  l'égard  de  Genève.  Au  prix  d'un  peu  plus 
d'invraisemblance.  Rousseau  a  trouvé  peut-être  piquant  de  faire  faire  l'éloge  du 
calvinisme  par  un  prêtre  catholique.  Mais,  en  ajoutant  cette  phrase,  il  a  sans  doute 
oublié  que  c'était  le  V'icaire  qui  était  censé  parler;  et  sa  déclaration  a  une  valeur  toute 
ptrsonntlle.  Elle  s'accorde,  du  reste,  assez  mal  avec  les  principes  posés  plus  haut  par 
le  Vicaire,  p.  184  :  «  Je  regarde  toutes  les  religions  particulières  comme  autant  d'insti- 
tutions salutaires  qui  prescrivent  dans  chaque  pays  une  manière  uniforme  d'honorer 
Dieu  par  un  culte  public,  et  qui  peuvent  loutes  avoir  leurs  raisons  dans  le  climat, 
dans  le  gouvernement,  dans  le  génie  du  peuple  ou  dans  quelque  autre  cause  locale  qui 
rend  l'une  pré/érable  à  l'autre,  selon  les  temps  et  les  lieux.  Je  les  crois  toutes  bonnes 
quand  on  y  sert  Dieu  convenablement  ».  Dans  la  V"  des  Lettres  de  la  Montagne.  III, 
198-199,  Rousseau  reconnaît  que  la  Profession  est  une  apologie  indirecte  de  la 
théologie  genevoise  de  son  temps  :  «  Pour  moi,  dit-il,  je  regardais  comme  la  gloire  et 
le  bonheur  de  la  patrie  d'avoir  un  clergé  animé  d'un  espnt  si  rare  dans  son  ordre, 
et  qui,  sans  s'attacher  à  la  doctrine  purement  spéculative,  rapportait  tout  à  la  morale  et 
aux  devoirs  de  l'hcmme  et  du  citoyen.  Je  pensais  que.  sans  faire  directement  son  apologie, 
justifier  les  max  mes  que  je  lui  supposais  et  prévenir  les  censures  qu'on  en  pourrait 
fa're.  c'était  un  service  à  rendre  à  l'État.  En  montrant  que  ce  qu'il  négligeait  n'était  ni 
certain,  ni  utile,  j'espérais  contenir  ceux  qui  voudraient  lui  en  faire  un  crime  :  sans  le 


440 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


obstacles  disparoitront  «  'à  sa  voix».  Vous  ^sentirez  que]  dans 
l'incertitude  ou  nous  sommes  c'est  une  inexcusable  présomption 
(■^  de  suivre)  une  autre  Religion  que  *  celle  ou  l'on  est  *  né  *.  Si  l'on 
s'égare  on  s'ôte  une  grande  'excuse  au  tribunal  du  *juge  (suprême 
'qui  sûrement  pardonnera)  plus  ('»  aisément)  l'erreur  où  l'on  fut 
nourri  que  celle  qu'on  (>' choisit)  soi-même. 


2.    Danger   de   la   Philosophie. 

Nécessité  de  la  Religion. 


(Mon  enfant  «  ^-je  »  vous  (''ai  vu)  courir  à  vôtre  perte  [^^  et] 
j'ai  soupiré  de  douleur.  ["Vous  n'êtes  pas  ïait  pour  être  un  bandit?] 
j'ai  consacré  tous  mes  (soins  à  vous  retenir?)  Il  me  tardoit  de  vous 
voir  au  point  de  pouvoir  m'écouter.  En  vous  ouvrant  mon  cœur  je 


'   [(sous  la  ?...  devant)]. 
-  (vous). 

'  [(d'embrasser)  de  professer].  — M.  suivre. 
"•  I.  (la  sien  ne)  [celle]. 
■■■  M.  [né]. 

"  B.  et  une  fausseté  de  ne  pas  pratiquer  sincèrement  celle  qu'on  professe.  Si 
l'on  s'égare.  —  M.  sincèrement  celle  que  l'on  professe. 
'  M.  (ressource)  [e.xcuse]. 
'  [souverain]. 

'  [(il)  ne  pardonnera-t-iL  pas]. 
"'  [tôt]. 

"  [osa  choisir].  — B.  (aura)  [osa]  choisi[r]. 
"  [(en)]. 
"  [voyant]. 

"  (je  n'ai  rien  épargné  pour). 
'^  (En  vous  ouvrant  mon  cœur). 


EDITION    ORIGINALE  441 

craignez  pas,  non  plus,  la  mauvaise  honte  d'un  retour  humiliant;  il  faut 

rougir  de  faire  une  faute,  &  non  de  la  réparer.  Vous  êtes  encore  dans  l'âge 

où  tout  se  pardonne,  mais  où  l'on  ne  pèche  plus  impunément.  Quand 

vous   voudrez    écouter    votre    conscience,    mille    vains    obstacles    dispa- 

roîlront  à  sa  voix.  Vous  sentirez  que,  dans  l'incertitude  où  nous  sommes, 

c'est  une  ine.vcusable  présomption  de  professer  une  autre  religion  |  que        [196] 

celle  où  l'on  est  né,  &  une  fausseté  de  ne  pas  pratiquer  sincèrement  celle 

qu'on  professe  i.  Si  l'on  s'égare,  on  s'ôte  une  grande  excuse  au  tribunal 

du  Souverain  juge.   Ne  pardonnera-t-il  pas  plutôt  l'erreur  où  l'on  fut 

nourri,  que  celle  qu'on  osa  choisir  soi-même  ? 


2.    Danger   de    la    Philosophie. 
Nécessité  de  la  Religion. 


.Mon  tils  ■-.  tenez  votre  ame  en  état  de  désirer  toujours  qu'il  y  ait  un 


nommer,  sans  le  désigner,  sans  compromettre  son  orthodoxie,  c'était  le  donner  en 
exemple  aux  autres  théologiens  ».  En  écrivant  ces  lignes.  Rousseau  ne  parait  plus  se 
rappeler  qu'il  a  inséré  dans  la  Profession  une  «  apologie  directe  »  de  la  religion 
nationale.  Cette  «  apologie  »,  il  est  vrai,  n'est  pas  nouvelle  dans  son  œuvre  :  cf.  l'éloge 
enthousiaste  des  pasteurs  genevois  dans  la  Dédicace  du  Discours  sur  l'Inégalité.  I,  77; 
et,  pour  prendre  des  textes  qui  visent  non  plus  seulement  les  ministres,  mais  la 
doctrine,  cf.  Souvelle  Héloïse,  IV,  Si/,  V,  35  et  62  :  «  Nos  gens  d'Église  aussi 
supérieurs  en  sagesse  à  toutes  sortes  de  prêtres  que  notre  religion  est  supérieure  à 
toutes  les  autres  en  sainteté...  La  communion  prolestante,  qui  tire  son  unique  règle  de 

l'Écriture  Sainte  et  de  la  raison Elle  [Julie]  vanta  l'avantage  d'avoir  été  élevée  dans 

une  religion  raisonnable  et  sainte  ». 

'  Voltaire  [242],  280  :  «  Pourquoi  professer  des  sottises?  Il  n'y  a  qu'à  se  taire  et 
ne  rien  professer  »  !  Cf.,  plus  haut,  p.  iqo  et  note  1. 

'  On  trouve  ici,  dans  la  Première  Rédaction,  un  développement  intéressant,  où 
Rousseau  s'attendrit  sur  sa  jeunesse,  et  semble  regretter  de  ne  pas  l'avoir  gouvernée 
selon  les  conseils  du  Vicaire.  Il  a  supprimé  ce  morceau,  sentant  bien,  qu'arrivé  à  cet 
endroit  de  la  Profession,  le  Vicaire  ne  s'intéresse  plus  guère  au  jeune  prosélyte,  et  que 
la  conclusion  d'un  tel  discours  doit  s'adresser  à  tous.  —  Quoique  le  contenu  des  deux 
discours  ne  soit  pas  le  même,  on  retrouvera  dans  ces  derniers  avis  du  Vicaire  comme 
un  écho  des  Dernières  paroles  de  Synése  à  Eugène  qui  terminent  les  entretiens  du 
P.  Lami,  et  que  Rousseau  avait  lues  et  relues  [90],  369-378  :  «  Mon  fils,  lui  dit-il,  ouvrez 
les  yeux  à  la  vérité,  et  apercevez  l'éternité.  Ceux  de  votre  âge  sont  aveugles,  ils  ne 
voient  ni  le  Paradis  ni  l'Enfer.  Ils  ne  sont  point  encore  convaincus  que  l'on  n'est  pas 
ici  pour  toujours  :  que  la  vie  est  courte  et  que,  si  on  la  regarde  par  rapport  à  l'éternité. 


443  REDACTIONS    MANUSCRITES 

l'ai  soulagé  d'un  grand  poids,  mais  j'en  ai  chargé  [le  vôtre  .  Songez 
que  si  vous  négligez  cet  entretien  vôtre  conscience  ('  en  sera  chargée) 
toute  vôtre  vie  j  '  ilj  peut  devenir  la  source  de  vos  plaisirs  ou  de  vos 
remords  mais  il  ne  peut  plus  être  indifférent  pour  vous.  S'il  vous  a 
persuadé  n'oubliez  jamais  les  devoirs  qu'il  vous  impose). 
f°  174  ""  t  II  '^  Au  reste  quelque  parti  que  vous  épreniez  songez  que  les 

vrais  devoirs  de  la  Religion  sont  indépendans  des  institutions  des 
hommes-'.  Que  ("par  tout)  aimer  Dieu  par  dessus  tout  et  son 
prochain  comme  soi-même  est  le  sommaire  de  la  loi;  qu'il  n'\-  a 
point  de  ^  Religion  qui  dispense  des  devoirs  de  *  morale  et  qu'il 
n'v  a  de  -'véritablement  essentiels  que  ceux-là.  Que  le  culte  ('"de 
Dieu)  est  le  premier  de  ces  devoirs  et  que  sans  ("  ce  culte)  nulle 
véritable  \ertu  n'existe. 


N    f °  32  '■°  t  Ayez  de  la  pieté,  mon  enfant,  aimez  ceux  qui  en  ont  mais  fuyez  les 

dévots,  rien  n'est  si  dangereux  que  leiu"  commerce.  Leur  humble  orgueil  n'est 
point  traittable,  il  faut  qu'  '-ils  dominent  ou  qu'  '-il  s  nuisent  ;  ils  sont  envieux, 

'   [vous  le  reprochera]. 

'  (et). 

'  (Aimez  Dieu  par  dessus  tout  et  le  prochain  comme  vous  même  c'est  le 
sommaire  de  la  loi  el  de  toute  bonne  religion.  Quand  [vous]  serez  dans  le  monde 
et  parmi  les  incrédules  ne  craignez).  —  B.  [Mon  (enfant)  [fils,]  tenez  vôtre  ame 
en  état  de  désirer  toujours  qu'il  y  ait  un  Dieu  el  vous  n'en  dout3rez  jamais].  (  Au) 
[Du]  reste.  —  M.  Mon  enfant,  tenez  toujours  vôtre  ame  en  état  de  djsirer  qu'il  y 
ait.  —  I.  douterez  jamais.  Du  reste  quelque  parti. 

*  B.  (preniez)  [puissiez  prendre]. 

-■■  B.  [que  (le  vrai  temple  de  Dieu  est  le)  [un]  coeur  (de  l'homme)  juste  est  le 
vrai  temple  de  (Dieu)  [la  divinité*].*  Senec.  (in)  fragm.,].  —  M.<  Senec  in  fragm.  >. 

"  [en  tout  pays  et  dans  toute  secte]. 

'  B.  <<  Religion  »  [(culte)]. 

»  B.  la. 

'■'  B.  vraiment. 

'"  [intérieur]. 

"   [la  foi]. 

'-  il  (sic). 

t  Ici,  en  marge,  celte  notation  inutilisée  :  qui  (en)  croyent  en  Dieu 
dans  le  fond  du  cœur  et  roui,'issent  de  l'avouer. 

t  Ce  morceau  est  emprunté  aux  notes  de  Neuchâtel.  Il  était  destiné  à 


EDITION    ORIGINALE  443 

Dieu,  &  vous  n'en  douterez  jamais  *.  Au  surplus,  quelque  parti  que  vous 
puissiez  prendre,  sont;ez  ••  que  les  vrais  devoirs  de  la  religion  sont  indé- 
pendans  des  institutions  des  hommes;  qu'un  cœur  juste  est  le  vrai  temple 
de  la  Divinité*;  qu'en  tout  pays,  &  dans  toute  secte,  aimer  Dieu  par- 
dessus tout  &  son  prochain  comme  soi-même,  est  le  sommaire  de  la  loi  ; 
qu'il  n'y  a  point  de  religion  qui  dispense  des  devoirs  de  la  morale,  qu'il 
n'v  a  de  vraiment  essenciels  que  ceux-là;  que  le  culte  intérieur  est  le 
premier  de  ces  devoirs.  &  que  |  sans  la  foi  nulle  véritable  vertu  n'existe  '.        [197] 


sa  durée  n'est  que  d'un  moment,  que  nous  devons  ménager  pour  acquérir  la  l'élicité 

éternelle Vous  trouverez  dans  l'expérience  qu'il  n'y  a  point  de  vie  plus  douce  que 

celle  de  ceux  qui  servent  Dieu.  L'éloigntment  et  la  privation  du  monde,  bien  loin  de 
causer  de  la  peine,  épargnent  mille  chagrins.  Le  monde   fait   horreur  à  ceux  que  la 

vérité  éclaire Ainsi  la  solitude  est  un  lieu  de  repos  pour  eux,  où  ils  sont  éloignés 

de  la  vue  de  mille  objets  fâcheux  qui  ne  peuvent  qu'allliger  une  âme  qui  aime  la  vérité 
et  la  justice.   Depuis  que   Dieu  a    brisé  les  liens  qui   m'attachaient  au   monde  pour 

m'attirer  à  lui,  je  ne  conçois  pas  comment  on  y  peut  vivre  un  moment Les  gens 

du  monde  sont  malheureux  en  s'attachant  à  des  objets  que  le  temps  ou  quelque 
violence  leur  enlève  malgré  eux.  Le  temps  et  la  puissance  du  siècle  ne  peuvent  ravir 
Dieu  à  celui  qui  l'a  pris  pour  l'objet  de  son  amour  ». 

"  Clarke  avait  consacré  plusieurs  pages  dans  le  1"  chapitre  de  son  Traité  [t25], 

I,  5,  à   prouver   que  «  l'existence  de   Dieu  est  une  chose  désirable Il  n'y  a  point 

d'homme  sage  qui  n'en  dut  être  ravi  pour  le  bien  et  pour  la  félicité  commune  du 
genre  humain  ».  Cf.  encore  Rousseau,  Dialogues,  IX,  3io  :  «  Chacun  est  porté  natu- 
rellement à  croire  ce  qu'il  désire,  et celui  qui  se  sent  digne  du  prix  des  âmes  justes 

ne  peut  s'empêcher  de  l'espérer». 

*  Rousseau  ramasse  en  quelques  phrases  les  idées  essentielles  qu'il  a  développées 
dans  la  Seconde  Par;ie  de  la  Profession,  et  qui,  comme  on  l'a  vu,  ne  diffèrent  guère, 
pour  le  fond,  sinon  pour  l'accent,  de  celles  de  Toussaint,  de  .Marie  Huber,  etc.  : 
c(.,  en  particulier,  p.  i34,  où  l'on  retrouvera  quelques-unes  des  formules  qu'il  a 
reprises  ici. 

*  Comme  Rousseau  l'indiquait  dans  une  note  de  R,  que  n'ont  point  conservée  les 
autres  Rédactions,  cette  maxime  est  empruntée  à  Sénèque,  fragment  conservé  par 
Lactance,  Institut.,  VI,  xxv,  3  :  «  Vultisne  vos,  inquit,  deum  cogitare  magnum  et 
placidum  et  majestate  leni  verendum,  amicum  et  semper  in  proximo,  non  immola- 
tionibus  et  sanguine  multo  colendum  —  quae  enim  ex  trucidatione  immuentium 
volupias  est?  —  sed  mente  pura,  bono  honestoque  proposito.  Non  lempla  illi 
congestis  in  altitudmem  saxis  exstruenda  sunt  :  in  suo  cuique  consecrandus  est 
pectore  ». 

'  L'affirmation  sera  développée  par  Rousseau  dans  les  pages  qui  suivent  la 
Profession,  II,  28S  :  «  Sortez  de  là  de  la  croyance  en  Dieu],  je  ne  vois  plus  qu'injustice, 
hypocrisie,  et  mensonge  parmi  les  hommes  :  l'intérêt  particulier,  qui,  dans  la 
concurrence,  l'emporte  nécessairement  sur  toutes  choses,  apprend  à  chacun  d'eux 
à  parer  le  vice  du  masque  de  la  vertu.  Que  tous  les  autres  hommes  fassent  mon 
bien  aux  dépens  du  leur;  que  tout  se  rapporte  à  moi  seul:  que  tout  le  genre 
humiin  meure,  s'il  le  faut,  dans  la  peine  et  dans  la  misère,  pour  m'épargner  un 
moment  de  douleur  ou  de  faim  :  tel  est  le  langage  intérieur  de  tout  incrédule  qui 
raisonne.  Oui,  je  le  soutiendrai  toute  ma  vie;  quiconque  a  dit  dans  son  cœur  :  iV  n'y 


444  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

jaloux  [sombrei]  vindicatifs,  mistérieux  dans  toutes  leurs  affaires  et  sans  cesse 
épiant  celles  d'autrui.  Leur  amitié  n'est  point  sure  et  leur  haine  est  irréconci- 
liable, et  ils  (  '  font)  une  ligue  entre  eux  à  laquelle  on  échape  difficilement 
Quand  (une  fois)  on  a  le  malheur  de  leur  déplaire  ;  Le  mieux  est  de  s'en 
tenir  loin,  ils  ne  font  que  mépriser  ceux  qui  les  évitent,  mab  (ceux)  qui  les 
quite(-'  nt  ont)  tout  à  redouter. 

D,  1     ùviw  [Fuvez  (sur  tout)  ceux  qui   p  sous  prétexte]   *  d  expliquer   la  nature 

ei  199  ^'°  se  plaisent  à  semer  dans  les  cœurs  des  hommes  mille  doctrines  pernicieuses 
et  dont  «  5  le  »  scepticisme  apparent  est  cent  fois  plus  «  •*  alîirmatit  et  plus 
do-;matique  que  le  ton  »' décidé  de  leurs  adversaires.  Sous  le  hautain 
prétexte  qu'eux  seuls  sont  éclairés.  »  vrais  (et)  de  bonne  foi  ils  nous 
soumettent  impérieusement  à  l'autorité  de  leurs  ('rêveries)  et  '"prétendent 
nous  donner  pour  ("  principes  tous)  les  sistèmes  ['-  inintelliiibles]  qu'ils 
ont  bâtis  dans  leur  imai^ination.  '-^  Du  reste,  renversant,  détruisant, 
[foulant  aux  pieds]  "sans  aucun  s  '^scrupules  tout  ce  que  les  hommes  ('"ont 
respecté  jusqu'ici)  «  ils  ùtent  »  aux  affiit^és  la  dernière  consolation  de  leur 


'   [ont  toujours]. 

-  [en  a]. 

'  ise  vantent  de). 

*  (d'avoir). 

'  [(l'apparent)]. 

"  M.  dogmatique  et  plus  afRrmatif. 

'    (dogm  ATIQUE). 

'  M.  et  vrais  <  et  de  bonne  foi  >. 

'  [sentences]. 

'"  M.  veulent  nous. 

"   [«  les  »  [seuls]  principes  des  choses]. 

'^  (sans)  [inintellibles  sic]. 

"  I.  (Renversant)  [Du  reste  renversant]  détruisant. 

"  I.  (sous)  [tout]  ce  que  les  hommes. 

"■  aucun  scrupules  (sic). 

'^  [respectent]. 

faire  équilibre  au  paragraphe  suirant  :  Fuyez  surtout,  etc.  Le  surtout 
ne  s'explique  même  que  s'il  vient  après  d'autrea  conseils  :  Fuye^  les 
dévots,  fuvey  surtout  les  philosophes.  Dans  B,  /"  200  ''",  devant  Fuyez 
surtout,  Rousseau  a  mis  un  signe  de  renvoi,  et,  à  la  marge,  à  côté  du 
signe,  on  lit  :  Ayez  de  la  piété  mon  enfant.  Voyez  additions  etc.  //  ?i'y  a 
donc,  ce  me  semble,  aucun  doute  sur  la  place  que  Rousseau  a  faite,  pro- 
visoirement du  moins,  à  ce  morceau. 


EDITION    ORIGINALE  445 


Fuyez  '  ceux  qui,  sous  prétexte  d'expliquer  la  Nature  *,  sèment  dans 


a  point  de  Dieu,  et  parle  autrement,  n'est  qu'un  menteur  ou  un  insensé  ».  Il  avait  déjà 
dit  dans  la  Lettre  à  D'Alembert,  I,  243,  note  :  «Je  n'entends  point  par  là  qu'on  puisse  être 
vertueux  sans  religion;  j'eus  longtemps  cette  opinion  trompeuse,  dont  je  suis  trop 
desabusé».  Cette  «opinion  trompeuse  »,  c'est  celle  des  «  philosophes»;  cf.,  pour 
prendre  en  exemple  la  formule  la  plus  catégorique,  celle  de  D'Holbach,  qui  termine 
ainsi  une  discussion  sur  les  rapports  de  la  fleli^ion  et  de  la  .Morale,  Christianisme 
dévoilé  [234.],  128-129  :  «  Ce  qui  vient  d'être  dit  peut  nous  faire  connaître  ce  que  nous 
devons  penser  de  ces  docteurs  qui  prétendent  que  sans  la  religion  chrétienne  nul 
homme  ne  peut  avoir  ni  morale  ni  vertu.  La  proposition  contraire  serait  certainement 
plus  vraie».  Rousseau  revient  amsi  sur  le  tard  à  la  ma.iime  qu'il  avait  lue  étant  jeune 
dans  ses  premiers  traités  de  Morale;  cf.  Claville,  Vrai  tnérit»  [144],  11,  23/ :  «  Point 
d'honnête  homme  sans  Religion  ».  —  Comparez  tout  ce  passage  avec  celui  des  Pensées 
d'un  esprit  droit.  X  [21],  ]8  19  :  «  Sans  Religion,  il  ne  peut  y  avoir  ni  probité  ni 
bonheur  solide.  Mais  peu  de  gens  ont  une  idée  juste  de  la  Religion.  On  la  fait  ordi- 
nairement consister  dans  des  pratiques  extérieures;  et  l'on  ne  remplit  aucun  des 
devoirs  essentiels  qu'elle  prescrit.  Il  faut  sans  doute  observer  les  préceptes  de  l'Église, 
mais  ne  pas  s'imaginer  qu'en   assistant  au   service  divin,  et  en  marmotant  quelques 

prières  où  le  cœur  n'est   pour  rien,  on  a  tout  fait La  véritable   Religion,  c'est  la 

vérité,  la  charité,  la  bienfaisance,  l'humiliié,  la  douceur  dans  le  caractère  et  dans  les 
procédés.  Tout  exercice  de  Religion  qui  n'est  pas  fondé  sur  cette  base,  n'est  qu'illusion 
et  hypocrisie  ». 

'  Comme  on  le  verra  par  la  Première  Rédaction,  Rousseau  avait  d'abord  songé 
à  tenir  la  balance  plus  égale  entre  les  deux  partis;  et,  avant  de  jeter  l'anathème  aux 
soi-disant  «  interprètes  de  la  nature  »,  il  avait  fait  leur  part  aux  «  dévots  »:  le  porirait 
était  assez  noir,  sans  être  inattendu  dans  l'œuvre  de  Rousseau  ;  car,  pour  me  borner  à 
la  Souvelle  Héloise,  il  y  avait  déjà  parlé  sur  le  même  ton  l\'\,  viii|,  V,  44,  des  «  dévots 
de  profession  »  et  de  leur  «  humilité  méprisante  ».  En  supprimant  ce  petit  morceau 
agressif,  Rousseau  fait  décidément  pencher  la  balance  du  cô:é  des  «  dévots  »,  et 
semble  dire  à  son  lecteur  comme  à  la  marquise  de  Créqui,  Lettre  du  i3  Octobre  1758, 
X,  195  ;  «  Pour  moi,  j'aimerais  encore  mieux  être  dévot  que  philosophe  ». 

•  Il  est  possible  qu'en  écrivant  ou  en  relisant  ces  lignes,  Rousseau  ait  songé  un 
instant  au  Code  de  la  S'ature,  par  Morelly  (lySô)  [216],  ou  encore  au  traité  De  ta 
Sature,  par  Robinet  [235J.  Je  croirais  même  que  les  premiers  lecteurs  de  Rousseau  ont 
dû  voir  d'abord  dans  ce  passage  une  allusion  au  livre  de  Robinet,  qui  avait  paru  dans 
les  dern  ers  mois  de  1761  ;  il  venait  d'être  supprimé  par  la  po'.ice,  on  l'attribuait  à 
Helvetius  ou  à  Diderot,  et  tout  le  monde  se  le  disputait  :  cf.  Grimm,  C'irrespondance 
littéraire  [44],  IV,  490.  Nul  doute  cependant  que  ce  ne  soit  Diderot  et  ses  Pensées  sur 
l'interprétation  de  la  nature  [210]  que  Rousseau  ait  voulu  viser  ici.  Le  titre  même  de 
l'ouvrage  était  à  peine  déguisé  dans  la  formule  :  «  sous  prétexte  d'expliquer  la  nature  » 
Cette  invective  contre  les  «  philosophes  de  la  Nature  »  —  Rousseau  l'a  reprise  avec  la 


446  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

misère,  aux  puissans  et  aux  riches  le  seul  frein  de  leurs  passions,  ils 
'  arrachent]  du  fond  des  cœurs  le  [^  remords]  du  crime  ^  et  l'espoir  de  la 
vertu  et  se  vantent  [encore]  d'être  les  bienfaiteurs  du  .t;enre  humain. 
[(Qu'ils  nous  disent  ce)  *  aue  lui  {'  îeroit)  de  pis  (''  le  démon  lui-même)]. 
«   Jamais,    disent-ils  »   la    vérité   n'est    nuisible  aux   hommes.    ('  Us  ont 


'  (leur  font...  détruise  nt). 

'■'  (seul  frein  qui  restoit  à  la  tirannie  et  aux  forfaits). 

'  I.  (et). 

■*  M.  <  que  lui...  acharnés  ennemis  >. 

^  [feroient]. 

"  [ses  plus  acharnés  ennemis]. 

'  [Je  le  dirois  comme  eux].  —  M.  Je  le  crois  comme  eux. 


EDITION    ORIGINALE  447 

les  cœurs  des  hommes  de  désolantes  doctrines;  &  dont  le  scepticisme 
apparent  est  cent  fois  plus  affirmatif  &  plus  dogmatique  que  le  ton  décidé 
de  leurs  adversaires  *.  Sous  le  hautain  prétexte  qu'eux  seuls  sont  éclairés, 
vrais  ^.  de  bonne-foi,  ils  nous  soumettent  impérieusement  à  leurs  décisions 
tranchantes,  &  prétendent  nous  donner,  pour  les  vrais  principes  des 
choses,  les  inintelligibles  systèmes  qu'ils  ont  bâtis  dans  leur  imagination. 
Du  reste,  renversant,  détruisant,  foulant  aux  pieds  tout  ce  que  les 
hommes  respectent,  ils  ùtent  aux  atfligés  la  dernière  consolation  de  leur 
misère,  aux  puissans  &  aux  riches  le  seul  frein  de  leurs  passions;  ils 
arrachent  du  fond  des  cœurs  le  remords  du  crime,  l'espoir  de  la  vertu,  & 
se  vantent  encore  d'être  les  |  bienfaiteurs  du  genre  humain  •.  Jamais,  [198] 
disent-ils  -.  la  vérité  n'est  nuisible  aux  hommes  :  je  le  crois  comme  eux. 


même  àpreté  d'accent  dans  les  Dialogues,  IX,  3io  :  «  En  paraissant  expliquer  la  Nature 
à  leurs  dociles  interprètes,  ils  [les  philosophes]  se  sont  établi  en  son  nom  une  autorité 
non  moins  absolue  que  celle  de  leurs  ennemis»;  et  il  ajoutait  en  note  :  «  Nos  philo- 
sophes ne  manquent  pas  d'étaler  pompeusement  ce  mot  de  Nature  à  la  tête  de  leurs 
écrits.  Mais  ouvrez  le  livre,  et  vous  verrez  quel  jargon  métaphysique  ils  ont  décoré  de 
ce  beau  nom  ». 

*  Voltaire  [242],  280  :  «  Eh  !  pauvre  homme,  n'est-ce  pas  là  ton  caractère  »  ? 

'  Sur  cet  emploi  de  vrai  au  sens  de  sincère,  cf.,  plus  haut,  p.  109  et  note  i. 

'  L'argumentation  de  Rousseau  contre  les  philosophes  vient  se  résumer  en  ces 
deux  mots  qui  se  répondent  :  leur  doctrine  est  désolante  :  celle  qu'ils  veulent  détruire 
est  consolante.  Du  point  de  vue  de  Rousseau,  cette  constatation  est  décisive,  puisqu'on 
a  vu  qu'au  début  de  la  Profession,  p.  3i  et  note  i,  il  entendait  «  borner  ses  recherches 
au.\  seules  connaissances  utiles,  aux  seules  nécessaires  au  repos,  à  l'espoir  et  à  la 
consolation  de  sa  vie  »,  et  qu'il  se  ralliait  au  système  de  Clarke,  comme  au  plus 
«consolant»;  cf.  p.  33,  note  2,  et  les  textes  que  j'y  ai  cités.  On  peut  y  joindre  ce 
passage  d'une  Lettre  à  Dom  Deschamps,  8  Mji  1761  [27],  148  :  «  Peut-être  auriez-vous 
bien  pu  vous  passer  d'altérer  ainsi  la  tranquillité  d'un  solitaire,  qui  n'a  de  consolation, 
dans  ses  maux  de  toute  espèce,  que  la  simplicité  de  sa  foi  et  que  l'espoir  d'une  autre 
vie  peut  seul  consoler  dans  celle-ci  ». 

'  C'est  une  des  idées  sur  lesquelles  le  baron  d'Holbach  insistait  avec  une 
conviction  d'apôtre;  cf.  Système  de  la  Sature  J248'''-'],  II,  201  :  «Non,  dirai-je  à  ces 
enthousiastes  ceux  qui  croient  en  Dieu],  la  Vérité  ne  peut  jamais  vous  rendre 
malheureux  ».  Le  texte  n'a  été  imprimé  qu'en  1770,  mais  il  est  probable  qu'il  était 
composé  quand  Rousseau  rédigeait  la  Profession,  et  que,  comme  tant  d'autres  ouvniges 
«philosophiques»,  il  circulait  en  manuscrit.  Cf.  encore,  dans  le  Système  social,  im- 
primé en  1773  [249  •''sj,  17-24.  le  chap.  Il  :  «  De  la  Raison,  de  la  Vérité  et  de  son  utilité  ». 
D'ailleurs,  dans  Le  Christianisme  dévoilé,  publié  en  1761,  —  et  c'est  sans  doute  ce  texte 
que  vise  Rousseau,  —  D'Holbach  avait  déjà  dit,  «  Lettre  de  l'Auteur»  [234],  p.  v  :  «  Vous 
n'êtes  point.  .Monsieur,  du  nombre  de  ces  penseurs  pusillanimes  qui  croient  que  la 
vérité  soit  capable  de  nuire  .  elle  ne  nuit  qu'à  ceux  qui  trompent  les  hommes,  et  elle 
sera  toujours  utile  au  reste  du  genre  humain  ».  Quand,  en  1768,  ce  même  D'Holbach 
publiera  une  traduction  française  des  Letlers  to  Serena  de  Toland  [248],  il  y  insérera 
quelques  notes  trouvées,  dit-il,  sur  l'exemplaire  anglais  de  Fréret,  exemplaire  qui  pouvait 
donc  depuis  longtemps  être  connu  dans  les  milieux  «  philosophiques  ».  Or  voici  l'une 


448  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

'  raison,  -  sans  doute,)  et  c'est  à  mon  avis  une  grande  preuve  que  ^  ce  qu'ils 
enseignent  n'est  pas  la  vérité  *]. 

B,  f°  199  ^^  t  *  [[*  Si  vous  {*  entreprenez  de)  discuter  avec  eux  cette]  doctrine  *  ils 
supposeront  un  peuple  de  vrais  philosophes  et  l'opposeront  à  Lin  peuple  de 
mauvais  chrétiens.  Plaisante  manière  de  raisonner.  Comme  si]  un  peuple 
(de  vrais  chrétiens  n'etoit  pas  aussi  facile  à  faire  qu'un  peuple)  de  vrais 
philosophes  '.  Dès  qu'il  est  question  de  peuple  l'un  n'est  pas  plus  possible 
que  l'autre.  Il  faut  donc  supposer  des  peuples  qui  abuseront  de  la  philo- 
sophie sans  reli,i,'ion  comme  les  nôtres  abusent  de  la  religion  sans  philo- 
sophie :  Or  suivez  ces  deux  suppositions  dans  leurs  conséquences,  puis  comparez 
les,  et  vous  serez  bientôt  décidés]. 


'   [(en)]. 

*  [{en  cela)]. 

'  I.  (leur  doctrine)  [ce  qu'ils  enseignent]. 

■•  (Leur  manière  d'entrer  dans  cette  discussion...  de  discuter). 

*  [voulez]. 

«  I.  Un  des  plus  familiers  au.\  anli-réligiosistes  est  d'opposer  un  peuple 
supposé  de  bons  philosophes  à  un  peuple  de  mauvais  chrétiens;  (au  lieu  que  dès 
qu'il)  comme  si  un  peuple  de  (bons)  [vrais]  philosophes  étoit. 

'  [étoit  plus  facile  à  faire  qu'un  peuple  de  vrais  chrétiens]. 

t  Toute  cette  note  manque  dans  M.  où  elle  est  remplacée  par  la 
suivante  :  Il  y  a  ici  une  grande  note  dont  je  n'ai  pas  gardé  copie,  pour 
prouver  qu'il  n'est  pas  vrai,  comme  le  disent  les  philosophistes,  que  la 
religion  soit  inutile  au.\  hommes.  —  Sur  la  disposition  de  cette  note  dans 
B,  et  sur  la  date  de  sa  rédaction,  cf.  Introduction.  II'  Partie,  cliap.  I, 
%  5  et  7.  Les  différents  paragraphes  sont  présentés  ici  dans  l'ordre  que 
les  signes  de  renvoi  de  B  leur  ont  provisoirement  assigné. 


ÉDITION    ORIGINALE  449 

&   c'est  à    mcn  avis  une  grande  preuve  que  ce  qu'ils  enseignent  n'est 
pas  la  vérité  '  *. 


*  Les  deux  partis  s'attaquent  réciproquement  par  tant  de  sophismes,  que  ce 
seroit  une  entreprise  immense  &  téméraire  de  vouloir  les  relever  tous;  c'est  déjà 


de  ces  notes,  p.  81  :  «cette  doctrine  fde  la  mortalité  de  l'âme]  si  vraie,  si  conforme 
à  la  saine  mison,  en  un  mot  si  utile  aux  hommes  (car  la  vérité  ne  peut  jamais 
nuire),  ne  saurait  leur  être  enseignée  de  trop  bonne  heure».  Helvetius  avait,  lui  aussi, 
posé  le  même  principe,  en  se  cachant  derrière  un  auteur  rassurant,  De  L'Esprit,  11,  19 
[225  A],  180.  note  :  «  Rien  de  plus  utile  que  d'éclairer  les  hommes.  Les  lumières 
philosophiques,   dit   M.   l'abbé  de   Fleury,  ne  peuvent  jamais    nuire  ». 

'  Comparer  cette  rapide  esquisse  avec  le  tableau,  beaucoup  plus  développé,  qu'il 
présentera  plus  tard  dans  les  Dialogues,  IX,  Sog-SiS  :  «  Us  l'ont  sapée  [la  morale]  par  la 
base,  en  détruisant,  toute  religion,  tout  libre  arbitre,  par  conséquent  tout  remords, 
d'abord  avec  quelque  précaution,  par  la  secrète  prédication  de  leur  doctrine,  et  ensuite 

tout  ouverteinent,  lorsqu'ils  n'ont  plus  eu  de  puissance  réprimante  à  craindre Cette 

commode  philosophie  des  heureux  et  des  riches,  qui  font  leur  paradis  en  ce  monde,  ne 
saurait  être  longtemps  celle  de  la  multitude,  victime  de  leurs  passions,  et  qui,  faute  de 
bonheur  en  cette  vie,  a  besoin  d'y  trouver  au  moins  l'espérance  et  les  consolations  que 
cette  barbare  doctrine  leur  ôte.  Des  hommes  nourris  dès  l'enfance  dans  une  intolérante 
impiété,  poussée  iusqu'au  fanatisme,  dans  un  libertinage  sans  crainte  et  sans  honte  ;  une 
jeunesse  sans  discipline,  des  femmes  sans  mœurs,  des  peuples  sans  foi,  des  rois  sans 
loi,  sans  supérieur  qu'ils  craignent,  et  délivrés  de  toute  espèce  de  frein  ;  tous  les 
devoirs  de  la  conscience  anéantis,  l'amour  de  la  patrie  et  l'attachement  au  prince  éteints 
dans  tous  les  cœurs;  enfin,  nul  autre  lien  social  que  la  force  :  on  peut  prévoir  aisément, 

ce  me  semble,  ce  qui  doit  bientôt  résulter  de  tout  cela.  L'Europe prendra  dans  la 

même  horreur  et  les  professeurs  et  les  disciples,  et  toutes  ces  doctrines  cruelles,  qui, 
laissant  l'empire  absolu  de  l'homme  à  ses  sens,  et  bornant  tout  à  la  jouissance  de  cette 
courte  vie.  rendent  le  siècle  où  elles  régnent  aussi  méprisable  que  malheureux  ».  — ■  En 
écrivant  ce  réquisitoire  contre  les  «  philosophes  »,  Rousseau,  qu'il  le  voulût  ou  non,  se 
rangeait  derrière  ceux  qui,  depuis  quelques  années,  s'attaquaient  âprement  au  parti 
«  philosophique  ».  Cf.,  outre  Fréron  et  les  journalistes  d'Église,  JVloreau,  Nouveau 
Mémoire  sur  les  Cacouacs  [222  M"],  Chaumelx.  Préjugés  légitimes  contre  l'Encyclo- 
pédie [223],  Vernel,  Lettres  critiques  d'un  voyageur  Anglais  [236],  Lefranc  de 
Pompignan,  Discours  de  réception  à  l'Académie  Françai^-e,  le  10  mars  1760  [232],  etc. 
Voici,  de  ce  dernier  Discours,  qui  avait  fait  scandale,  quelques  lignes  caractéristiques, 
pp.  18-19,  qui  feront  yoir  avec  plus  de  précision  à  quel  parti   Rousseau  empruntait  ses 

arguments   :   «   Implora-t-il   [iMaupertuis]  comme  tant    d  autres cette    philosophie 

trompeuse,...  qui  se  dit  l'organe  de  la  vérité  et  sert  d'instrument  à  la  calomnie;  qui 
vante  sa  modestie  et  sa  modération,  et  se  nourrit  d'emportement  et  d'orgueil  ;  cette 
philosophie,  dont  les  sectacteurs.  fiers  et  hard.s  ;i  la  plume,  sont  bas  et  tremblants  dans 
la  conduite  ;  ^ui  n'ont  rien  d'assuré  dans  les  principes,  rien  de  consolant  dans  la  morale, 
point  de  règle  pour  le  présent,  point  d'objet  pour  l'avenir;  qui  se  jouent  de  leurs 
opinions,  les  soutiennent,  les  abandonnent  suivant  leurs  craintes  ou  leurs  besoins, 
et    dont    les   exemples   sont   aussi   dangereux   que    les   leçons  ?   Avec  de   tels    guides, 

vainement  courons-nous  après  le   bonheur Il  ne  nous  reste  que  de  l'inquiétude,  de 

l'agitation,  et  qu'un  vide  immense,  qui  s'agrandit  toujours  devant  nos  désirs  ». 
Cf.  encore  le  texte  du  Marquis  de  Mirabeau  cité  à  la  note  1  de  la  p.  202. 

29 


450 


REDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION   ORIGINALE  45I 


beaucoup  d'en  noter  quelques-uns  à  mesure  qu'ils  se  présentent*.  Un  des  plus 
familiers  au  parti  philosophiste  '  est  d'opposer  un  peuple  supposé  de  bons 
Philosophes  à  un  peuple  de  mauvais  Chrétiens;  comme  si  un  peuple  de  vrais 


'  Rousseau  annonce  qu'il  va  «  relever  quelques-uns  des  sophismes  des  deux 
partis»;  mais,  en  fait,  —  Rousseau  le  constate  lui  même  |cf.,  dans  M,  ce  qu'il  écrit  à 
Moultou)  —  toute  cetts  lonyue  note  est  dirigée  contre  un  seul  parti,  «  pour  prouver  qu'il 
n'est  pas  vrai,  comme  le  disent  les  philoâopliisies,  que  la  religion  soit  inutile  aux 
hommes  ». 

^  Dans  un  seul  des  manuscrits,  dans  I,  ce  mot  est  remplacé  par  cet  autre,  très 
curieux,  et  dont  je  ne  connais  que  ce  seul  exemple  :  «  anti-religiosiste  ».  Celui  que 
Rousseau  a  conservé  est,  d'ailleurs,  assez  intéressant  pour  qu'on  s'y  arrête.  Cf.  Féraud, 
Diitionnnire  critique  [25o],  III,  154:  «  Phitosopiterie,  Philosophesque,  Philosophiser, 
Philosophisme,  Philosophiste,  mots  nouveaux,  et  qui  commencent  à  s'accréditer. 
L'indignation  qu'ont  excitée  dans  les  bons  esprits  les  horribles  écarts  de  certains  faux 
philosophes  modernes  a  fait  inventer  ces  mots  assez  singuliers  Us  ne  sont  bons  que 
dans  le  style  critique  et  moqueur  ou  polémique  et  mordant  :  La  tourbe  philosophesque 
(J.  J.  Rousseau  et  Linguet)  cf ,  en  elïet.  Notes  du  Discours  sur  l'Inégalité,  1,  143]. 
Philotophisme  et  Philosophiste  o  it  été  heureusement  inventés  pour  caractériser  les 
faux  philosophes  et  la  fausse  philosophie.  Les  termes  de  philosophe  et  de  philosophie 
ne  seront  plus  si  souvent  profanés  ;  Voilj  par  queh  secrets  le  philosophisme  avait 
acquis  son  ascendant  et  par  quels  moyens  il  te  conservait  (Linguet).  L'Anglais  Young 
laisse  sur  la  terre  ces  dissertât  ions  philosophistes  et  prend  son  vol  dans  les  deux 
(Année  Littéraire).  Ces  mots  ont  é.é  emplo.és  par  plusieurs  autres  écrivains  ».  A  ma 
connaissance,  c'est  en  1759,  dans  VAnnée  Littéraire,  que  Fréron  se  servit  pour  la 
première  fois  de  philosophiste  :  cf.  [45].  I,  28'9-290  :  «  [L'évêque  du  Puy]  rentre  dans 
la  carrière,  et,  par  un  ouvrage  éner^'ique,  renverse  de  nouveau  les  systèmes  impies 
des  philosophistes  du  jour.  Passe:;  moi  ce  terme,  qui  me  parait  bien  peindre  leur 
caractère  d'esprit  faux  »;  cf.  encore  Id-,  814  :  «  Non  seulement  en  France,  mais  dans 
les  pays  où  l'on  pense  le  plus  librement  en  fait  de  Religion,  un  cri  s'élève  contre 
''absurde  et  séditieuse  impiété  de  nos  philosophistes  »  :  Année  1760,  I.  82  :  «  Il  faut 
applaudir.  Monsieur,  au  zèle  des  écrivains,  qui,  dans  ce  siècle  impie,  élèvent  leur  voix 
pour  soutenir  les  droits  de  la  Religioi  si  auJa-ieusemeht  attaqués  par  les  philosophistes 
du  jour»;  11,  335  :  «  Les  philo^ophistes  moJerne;  qui  se  sont  arrogé  avec  tant 
d'audace  le  nom  respectable  de  philosophes  ».  Un  passage  de  la  1"  des  Lettres 
d'un  voyageur  anglais  [236],  1,  21,  montre,  qu  en  1761,  l'expression  était  encore 
toute  récente  :  «  Quand  j'étais  à  Paris,  avant  la  guerre,  on  nommait  cette  secte  :  les 
Cacouacs.  Comme  ce  nom  les  chique,  et  que,  d'un  autre  côté,  il  n'est  pas  juste  de  leur 
laisser  usurper  celui  de  philosophes,  qui  leur  convient  moins  qu'à  personne,  je  crois 
qu'on  peut  les  nommer  ou  Volt.iiriens,  du  nom  de  leur  chef,  ou  philosophistes,  ainsi 
qu'on  a  commencé  de  le  faire,  eu  égard  à  leur  prétention  ».  Cette  assimilation  de 
Voltairien  et  de  philosophiste  est  déjà  significative;  mais  quelques  lignes  plus  lo'n, 
21-22,  Vernet  précisait  davantage,  en  faisant  le  portrait  de  D  Alembert  :  «  Admirateur 
outré  de  M.  de  Voltaire,  il  en  a  pris  les  sentiments,  le  style,  les  goûts,  les  plaisan- 
teries; sans  lui,  il  serait  philosoph; :  avec  lui,  il  n'est  que  rhéteur,  poète  et  philoso- 
phiste ».  L'expression  survivra  jusqu'au  début  du  XIX"  siècle.  On  la  trouve  encore 
dans  Chiniac,  Essai  de  philosophie  morale  (1801)  [aSô*""].  I,  14,  11,  226,  etc.  -  En 
commençant  sa  note  par  ce  mot  de  pamphlétaire,  Rousseau  en  marque  tout  de 
suite  le  ton. 


452  REDACTIONS    MANUSCRITES 

fo  198  ""  Il  [Baile  a  très  bien  prouvé  que  le  fanatisme  est  plus  i  pernicieux  que 

[-  l'atheïsme]  et  cela  est  ^  incontestable.  Mais  ce  qu'il  n'a  eu  garde  de  dire 
et  qui  n'en  est  pas  moins  vrai  c'est  que  le  fanatisme  *  est  *  une  passion 
(funeste  à  la  vérité  mais)  grande  et  noble  qui  (''laisse  au  cœur  humain  '  tout 
son  ressort)  «  et  qu'il  ne  faut  que  mieux  diriger  pour  en  tirer  les  plus  » 
sublimes  vertus;  au  lieu  que  1  (>*  athéisme)  «  et  »  en  gênerai  "l'esprit 
raisonneur  et  philosophique  ['"attache  à  la  vie,  (avilit)  efféminé  l' l'ame] 
concentre  toutes  les  passions  dans  [la  petitesse  de  l'imerest  particulier  (et) 
dans]  «  l'abjection  du  moi  humain  et  sape  ainsi  (sourdement)  »  tous  les 
vrais  fondemens  de  toute  société  :  car  ce  que  les  intérêts  particuliers  ont 
de  commun  est  si  peu  de  chose  qu'il  ne  balancera  jamais  ce  qu'ils  ont 
d'opposé]. 


'  I.  (cruel)  [(barbare)]  «  pernicieux  ». 

^  (l'im  PIÉTÉ). 

'  I.  incontestable(ment). 

*  [quoique  sanguinaire  et  funeste].  " 

•'  [pourtant]. 

"  [(détache  (l'homme)  [le  cœur]  du  moi  humain...  qui  lui  donne...  laisse) 
eleve  le  cœur  de  l'homme,  qui  lui  fait  mépriser  la  mort  (et)  qui  lui  donne  un 
ressort  prodigieux]. 

'  [(un  grand)]. 

"  [irreligion]. 

'■*  I.  (la  philosophie)  [l'esprit]. 

'"  [(avilit  les  âmes)]. 

"  [avilit]. 


EDITION    ORIGINALE  453 


Philosophes  étoit  plus  facile  à  faire  qu'un  peuple  de  vrais  Chrétiens  °  ?  Je  ne  sais 
si,  parmi  les  individus,  l'un  est  plus  facile  à  trouver  que  l'autre;  mais  je  sais  bien 
que,  dès  qu'il  est  question  de  peuples,  il  en  faut  supposer  qui  abuseront  de  la 
philosophie  sans  religion,  comme  les  nôtres  abusent  de  la  religion  sans  philo- 
sophie, &  cela  me  paroit  changer  bsaucoup  l'état  dj  la  question  '. 

Baile  (a)  a  très-bien  prouvé  que  le  Fanatisme  est  plus  pernicieux  que 
l'Athéisme  ",  &  cela  est  incontestable;  mais  ce  qu'il  n'a  eu  garde  de  dire,  &  qui 
n'est  pas   moins  vrai,  c'est  que  le  Fanatisme,  quoique  sanguinaire  &  cruel,  est 


C"  I  C,  D  :  Uayle. 

'  Cette  affirmation  est  à  retenir  pour  l'Interprétation  du  Contrat  Social.  Elle  se 
trouve,  d'ailleurs,  presque  textuellement  dans  une  note  du  1"  Contrat  [Sg],  245,  note  5  : 
«  Quand  il  y  aurait  de  la  philosophie  à  n'avoir  point  de  religion,  je  trouverais  la 
supposition  d'un  peuple  de  vrais  philosophes  encore  plus  chimérique  que  celle  d'un 
peuple  de  vrais  Chrétiens  ».  On  voit  par  là  que  le  tableau  d'une  «  république  chré- 
tienne »,  si  complaisamment  poussé  au  noir  par  Rousseau,  reste  purement  théorique. 
Lui-même  le  reconnaît  en  commençant  son  tableau,  Contrat  Social,  III.  385-387  •  *  O" 
nous  dit  qu'un  peuple  de  vrais  chrétiens  for.merait  la  plus  parfaite  société  que  l'on 
puisse  imaginer.  Je  ne  vois  à  cette  supposition  qu'une  gr;;nde  difficulté  :  c'est  qu'une 

société  de  vrais  chrétiens  ne  serait  plus  une  société  d'hommes .Mais  ie  me  trompe 

en  disant  une  république  chrétienne  :  chacun  de  ces  deux  mots  exclut  l'autre.  Le 
Christianisme  ne  prêche  que  servitude  et  dépendance...  Les  vrais  chrétiens  sont  faits 
pour  être  esclaves,  ils  le  savent  et  ne  s'en  émeuvent  guère  »,  etc.  A  ce  tableau  tout 
idéal,  et  dont  Rousseau  sait  lui-même  qu'il  restera  toujours  irréalisable,  la  Profession 
oppose  la  contre-partie  pratique,  telle  que  la. fournit  la  réalité  quotidienne. 

'  Cette  distinction  est  d'un  disciple  de  Montesquieu  ;  cf.  Esprit  des  Lois,  XXIV, 
2  [i83J,  V,  118  :  «  La  question  n'est  pas  de  savoir  s'il  vaudrait  mieux  qu'un  certain 
homme  ou  qu'un  certain  peuple  n'eut  point  de  Religion,  que  d'abuser  de  celle  qu'il  a  ; 
mais  de  savoir  quel  est  le  moindre  mal,  que  l'on  abuse  quelquefois  de  la  Religion,  ou 
qu'il  n'y  en  ait  point  du  tout  parmi  les  hommes  ». 

^  Il  n'est  pas  nécessaire  de  chercher  ici  qui  a  pu  suggérer  à  Rousseau  de 
discuter  ce  problème.  Outre  que  Bayle  lui  était  très  familier,  les  livres  qu'il 
avait  le  plus  pratiqués  s'arrêtaient  longuement  au  paradoxe  de  Bayle  :  cf.  Saint- 
Aubin,  Traité  de  l'opinion  [141],  11,  49.  Warburton.  Union  de  la  Religion,  de  la 
Morale  et  de  la  Politique  [ib5],  I,  Deuxième  Dissertation,  et  II,  i63-i83,  Montesquieu, 
Esprit  des  Lois,  XXIV.  2  et  6  [i83],  V,  117-118,  125-126,  Yvon,  article  Athées, 
dans  V Encyclopédie  [196],  I,  8oi-8o5,  Helvetius,  De  L'Esprit,  11,  24  [225  A], 
223-237,  etc.;  cf.  encore  Le  Milita  re  philosophe,  XX  [iSo'''"],  igo-igi,  et,  dans 
VExamen  de  la  Religion  [173].  la  Préface  de  l'éditeur.  —  La  seule  façon  dont  on 
a  vu  que  Montesquieu  envisage  la  question  montre  assez  de  quel  côté  il  penche. 
Helvetius,  en  dépit  de  quelqaes  réserves  ironiques,  se  rallie  à  la  thèse  de  Bayle,  et 
semble  tristement  se  complaire  dans  l'énumération  des  crimes  atroces  qui  se 
sont  commis  au  nom  de  la  Religion.  L'attitude  de  VEncyclopédie  est  plus  ambiguë. 
Elle  laisse  bien  voir  à  quelle  conclusion  la  conduisent  ses  préférences  secrètes,  mais 
n'osant  suivre  Bayle  jusqu'au  bout  par  crainte  de  la  censure,  elle  établit  une  distinction 
entre  la  théorie  et  la  pratique,  pp.  802-804  :  «  Pour  l'athéisme  spéculatif,  il  est  moins 

injurieux  à  Dieu,  et  par  conséquent  un  moindre  mal,  que   le  polythéisme C'est  un 

grand  défaut  d'esprit  de  n'avoir  pas  reconnu  dans  les  ouvrages  de  la  nature  un   Dieu 


454 


RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION   ORIGINALE  455 


pourtant  une  passion  prande  &  forte  qui  élevé  le  cœur  de  l'homme  °,  qui  lui  fait 
mépriser  la  mort,  qui  lui  donne  un  ressort  prodigieux,  &  qu'il  ne  faut  que  mieux 
diriger  pour  en  tirer  les   plus  sublimes  vertus  '";  au  lieu  que  l'irréligion,  &  en 


souverainement  parfait,  mais  c'est  un  plus  gros  défaut  d'esprit  encore,  de  croire  qu'une 
nature  sujette  aux  passions  les  plus  injustes  et  les  plus  sales,  soit  un  Dieu  et  mérite 
nos  adorations  :  le  premier  défaut  est  celui  des  athées,  et  le  second  celui  des  païens»; 
mais,  si  l'on  se  place  au  point  de  vue  social,  dit  l'abbé  Yvon.  la  théorie  de  Bayle 
devient  inacceptable  :  «  Pour  nous,  quo  que  nous  soyons  persuadés  que  les  crimes  de 
lèse-majesté  divine  sont  plus  énormes  djns  le  système  de  la  superstition,  que  dans 
celui  de  l'irréligion,  nous  croyons  cependant  que  ce  dernier  est  plus  pernicieu.x  au 
genre  humain  que  le  premier.  Voici  sur  quoi  nous  nous  fondons  »;  et  l'abbé  Yvon 
poursuit  mollement  la  démonstration  traditionnelle.  11  faut  remarquer,  d'ailleurs,  que 
Rousseau  modifie  sensiblement  les  termes  du  problème,  tel  que  Bayle  l'avait  posé.  Dans 
les  Pensées  sur  la  comète,  dans  les  Additions  et  Continuations  aux  mêmes  «  Pensées  » 
[89],  io3  sqq.,  171  et  183.  ce  que  Bayle  comparait,  c'était,  d'une  part,  l'Athéisme  et, 
d'autre  part,  non  le  Fanatisme,  mais  la  Superstition  ou  l'Idolâtrie.  En  substituant,  plus 
ou  moins  consciemment,  le  «  Fanatisme  »  à  1'  «  Idolâtrie  »,  Rousseau  se  facilite 
beaucoup  sa  réponse.  Mais,  la  question  étant  ainsi  déplacée,  cette  réponse  s'adresse 
moins  à  Bayle,  qu'aux  «  philosophes  »  contemporains,  qui  maudissent  si  volontiers  le 
«  Fanatisme  ».  à  Helvetius,  par  exemple;  ou  plus  encore  à  Deleyre,  dont  l'article 
«  Fanatisme  »,  Encvclopédie  [218].  393-401.  est,  dans  la  littérature  «  philosophique  ». 
ce  qui  s'oppose  le  plus  précisément  à  la  note  de  la  Profession.  Personnellement, 
Rousseau  entretenait  avec  Deleyre  des  relations  cordiales;  mais  «  l'anti-religiosisme  » 
de  son  ami,  pour  employer  son  mot,  le  chagrinait;  cf  sa  Lettre  du  5  Octobre  1758,  X, 

194  :  «  Cher  Deleyre apprenez  à  respecter  la  religion  »,  etc.  Or  voici  ce  qu'écrivait 

Deleyre  dans  son  article,  pp.  400-401  :  «  Le  fanatisme  a  fait  beaucoup  plus  de  mal  au 
monde  que  l'impiété.  Que  prétendent  les  impies  ?  Se  délivrer  d'un  joug,  au  lieu  que 
les  fanatiques  veulent  étendre  leurs  fers  sur  toute  la  terre.  Zélotypie  infernale!  A-t-on 
vu  des  sectes  d'incrédules  s'attrouper  et  marcher  en  armes  contre  la  divinité?  Ce  sont 
des  âmes  trop  faibles  pour  prodiguer  le  sang  humain.  Cependant  il  faut  quelque  force 
pour  pratiquer  le  bien  sans  motif,  sans  espoir  et  sans  intérêt.  11  y  a  de  la  jalousie  et 
de  la  méchanceté  à  troubler  des  âmes  en  possession  d'elles-mêmes,  parce  qu'elles  n'ont 
ni  les  pré. entions  ni  les  moyens  que  vous  avez  ».  Cette  fois,  si  la  solution  est  ditîérente, 
le  problème  est  posé  dans  les  termes  mêmes  où  le  pose  Rousseau. 

'  Voltaire  [242J,  281  :  «Jacques,  pourquoi  insultes-tu  tes  frères  et  toi-même  »? 

'"  Voltaire  '242J,  281  :  «Quoi!  tu  fais  l'hypocrite!  Tu  oublies  les  guerres  contre 
les  Ariens,  contre  les  Albigeois.  Luthériens.  Calvinistes,  .Anabapstes.  etc.,  le  meurtre  de 
Charles  1",  de  Henri  lli.  de  Henri  IV.  la  conspiration  des  poudres,  la  Saint-Barthélémy, 
les  massacres  d'Irlande,  les  Cévennes,  les  Calas  »  !  —  Rousseau  avait  déià  exprimé 
son  admiration  pour  le  vrai  fanatisme,  enthousiaste  et  héroïque,  dans  une  très  curieuse 
page  de  \' Essai  sur  l'origine  des  langues,  1,  395  :  «  Tel,  pour  savoir  lire  un  peu 
l'arabe,  sourit  en  feuilletant  l'AIcoran,  qui,  s'il  eût  entendu  Mahomet  l'annoncer  en 
personne  dans  cette  langue  éloquente  et  cadencée,  avec  cette  voix  sonore  et  persuasive 
qui  séduisait  l'oreille  avant  le  cœur,  et  sans  cesse  animant  ses  sentences  de  l'accent  de 
l'enthousiasme,  se  fût  prosterné  contre  terre  en  criant  :  Grand  prophète,  envoyé  de 
Dieu,  menez-nous  à  la  gloire,  au  martyre  ;  nous  voulons  vaincre  ou  mourir  pour  vous. 
Le  fanatisme  nous  paraît  toujours  risible,  parce  qu'il  n'a  point  de  voix  parmi  nous 
pour  se  laire  entendre  :  nos  fanatiques  mêmes  ne  sont  pas  de  vrais  fanatiques:  ce  ne 


456  RÉnACïioNS  manuscrites 

[('  Bon  jeune  homme)  «  soyez  -sincère  et  vrai  sans  orgueil;  sachez 
être  ignorant;  vous  ne  tromperez  ni  vous  ni  les  autres  »]. 


F,  £°174'°  t  Si    jamais    vos    talens  cultivés  vous   mettent   [^  en]  état  de 

[[Si]    ^  la    philosophie    ne    {=  verse)     pas    le    sang    humain    "  c'est 


'   [Mon  jeune  ami]. 

-  M.  toujours. 

•'  (hors  d'). 

''  I.  (la  philosophie)  [l'athéisme]. 

■''  [fait]  pas  [verser]. 

"  ce  (n')est  (pas  av  ec). 

t  Cette  phrase  vient  immédiatement,  dans  F,  après  la  maxime  :  Sans 
la  toi,  nulle  véritable  vertu  n'existe.  //  n'y  a,  dans  le  manuscrit,  ni 
solution  de  continuité',  ni  même  alinéa. 


EDITION    ORIGINALE  457 

I  Bon   jeune  homme  ',  soyez  sincère  &  vrai  ^  sans  orgueil:  sachez        [199j 
être  igno-  |  rant,  vous  ne  tromperez  ni  vous,  ni  les  autres.  Si  jamais  vos        [200] 

général  l'esprit  raisonneur  &  philosophique  attache  à  la  vie,  effé-  |  mine,  avilit  les  199 

âmes,  concentre  toutes  les  passions  dans  la  bassesse  d->  l'intérêt  particulier,  dans 
l'abjection  du  moi  humain,  &  sape  ainsi  à  petit  bruit  les  vrais  fondemens  de 
toute  société,  car  ce  que  les  intérêts  particuliers  ont  de  commun  est  si  peu  de 
chose,  qu'il  ne  balancera  jamais  ce  qu'ils  ont  d'opposé. 

Si  l'Athéisme  ne  fait  pas  verser  le  sang  des  hommes,  c'est  moins  par 
amour  pour  la  paix  qus  par  indifférence  pour  le  bien  ;  comme  que  tout  aille  ^, 
peu  importe  au  prétendu  sage,  pourvu  qu'il  reste  en  repos  dans  son  cabinet.  Ses 
principes  ne  font  pas  tuer  les  hommes  :  mais  ils  les  empêchent  de  naître,  en 
détruisant  les  mœurs  qui  les  multiplient,  en  les  détachant  de  leur  esp;ce,  en 
réduisant  toutes  leurs  affections  à  un  secret  égoïsme,  aussi  funeste  à  la  popu- 
lation  qu'à  la   vertu  *.   L'indifférence  philosophique   ressemble  à  la  tranquillité 


sont  que  des  fripons  ou  des  fous  ».  Au  contraire,  quelques  années  après  l'Essai,  au 
moment  de  sa  plus  grande  intimité  avec  les  Encyclopédistes,  il  avait  partagé  leurs 
sentiments  sur  le  «  fanatisme»,  et  leur  mépris  pour  «  les  dieu.\  de  la  multitude  »,  si 
différents  du  «  Dieu  des  sages  »:  cf.  1"  Contrat  Social  [Sg],  25 1  :  «  La  terre  entière 
regorgerait  de  sang,  et  le  genre  humain  périrait  bientôt,  si  la  philosophie  et  les  lois  ne 
retenaient  les  fureurs  du  fanatisme,  et  si  la  voi.x  des  hommes  n'était  plus  forte  que 
celle  des  dieux  ». 

'  Il  est  possible  que,  dans  la  pensée  de  Rousseau,  ce  «  bon  jeune  homme  » 
s'oppose  au  «  jeune  homme  »,  perverti  par  la  «  philosophie  »,  que  Diderot  interpelle 
au  début  de  son  Interprétation  Je  la  Sature  [210],  11,  7  :  «  Jeune  homme,  prends  et 
lis  »  !  .Au  reste,  l'appellation  :  Bon  jeune  homme  se  retrouve  déjà  dans  la  Profession, 
p.  23;  cf.  encore,  dans  VÉmile,  II,  212,  299  et  317,  et  dans  la  Souvelle  HéloTse,  V,  20. 

'  Sur  cet  emploi  de  vrai,  cf.,  plus  haut,  pp.  109,  197  et  notes. 

•  Locution  genevoise,  encore  usitée  aujourd'hui  à  Genève,  et  que  l'on  s'étonne 
de  ne  pas  voir  notée  dans  l'intéressante  et  très  précise  étude  de  -M.  Alexis  François. 
Les  Proi'incialismes  de  J.  J.  Rousseau  ^282].  Les  exemples  en  sont  très  rares  au 
XVIll'  siècle  chez  les  écrivains  de  race  purement  française  ;  cf.,  cependant.  Saint-Simon, 
Mémo  res  (1704)  [71],  XII.  65  :  «  L'abbé  d'Estrées  se  promettait,  je  ne  sais  comment, 
une  fortune  en  se  cramponnant,  comme  que  ce  fût,  dans  son  triste  emploi  en  Espagne  ». 
La  tournure  est,  au  contraire,  fréquente  chez  Jean-Jacques,  et  on  l'avait  remarqué; 
cf.  Férjud,  Dictionnaire  critique  [25o',  I,  486  :  «  Comme  que,  de  quelque  manière 
que,  est  vieux  :  Cela  se  fera  bien,  comme  qu'il  soit.  J.  J.  Rousseau  l'a  encore 
employé  :  Comme  que  tout  aille,  peu  importe  au  prétendu  sage.  Il  dit  ailleurs  : 
Comme  qu'on  s'y  prenne  ».  Cf.,  en  effet,  au  IV  Livre  d'Emile,  II,  280  :  «  Tout  ce 
qu'on  fait  par  autrui  se  fait  mal.  comme  qu'on  s'y  prenne»;  l'expression  parait 
étrange  à  Voltaire,  qui  la  note  sur  son  exemplaire  [242].  281  ;  cf.  encore  Première 
Rédaction  des  Confessions  [Si],  5i,  .Nouvelle  Héloïse,  IV.  200,  Correspondance.  X. 
270,  .XII,  143,  Lettres  de  la  Montagne.  111,  235. 

*  Cf.,  au  1"  Livre  d'Emile,   II,    11-12  :   «  Non  contentes  d'avoir  cessé  d'allaiter 

leurs  enfants,  les  femmes  cessent  d'en  vouloir  faire Cet  usage,  ajouté  aux  autres 

causes  de  dépopulation,  annonce  le  sort  prochain  de  l'Europe.  Les  sciences,  les  arts. 
la  philosophie  et  les  mœurs  qu'elle  engendre,  ne  tarderont  pas  d'en  faire  un  désert  ». 


458  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

parler  aux   hommes  ne  leur  parlez  jamais   que  selon   vôtre  cons- 

moins  par  amour  pour  la  paix  que  par  indifférence  pour  le  bien.  Comme 
que  tout  aille  peu  importe  au  philosophe  pourvu  qu'C  on  le  laisse  en  paix) 
«dans  son  cabinet»,  ('^sa  doctrine)  ne  «fait  pas  »  p  tuer]  les  hommes 
mais  elle  les  empêche  de  naître  en  détruisant  les  moeurs  qui  les  mul- 
tiplient [en  les  détachant  de  leur  espèce]  (et)  en  réduisant  toutes  [leurs 
affections]  à  un  [secret]  ei,'oisme  aussi  funeste  à  la  *  population  qu'à 
la  vertu.  La  paix  de  la  philosophie  ressemble  a  celle  (^  du  despotisme). 
*  C'est  la  tranquillité  de  (s  '  agonisans)  elle  est  plus  destructive  que  la 
guerre  môme  *]. 
i°  199  ™  [Nul  homme  ne  suit  de  tout  point  sa  religion   quand   il   en  a  une 

{°  200  ""  cela  est  vrai,  la  plupart  n'en  ont  guère  et  ne  suivent  point  ||  du  tout 
celle  qu'ils  ont  :  ^  cela  est  encore  vrai  :  Mais  enfin  quelques  uns  en  ont 
'"et  la  suivent  du  moins  en  partie;  et  il  est  "incontestable  que  des 
motifs  de  religion  '-  obtiennent  d'eux  des  vertus  '-^  et  des  actions  louables 
"  qui  n'auroient  point  eu  lieu  sans  '^  cela. 


'   [il  reste  en  repos]. 

-  [ses  principes]. 

"  (verser  ?). 

"*  (que). 

■■'  [où  le  despotisme  tient  ses  sujets?]. 

"  (Elle  est  plus). 

'  [la  mort]. 

"  I.  (Le  fanatisme)  Ainsi  le  fanatisme  quoique  plus  funeste  (que  l'atheïsme) 
dans  ses  effets  immédiats  que  ce  qu'on  appelle  aujourdui  l'esprit  philosophique, 
l'est  beaucoup  moins  dans  ses  conséquences.  D'ailleurs  il  est  aisé  d'étaler  de  belles 
maximes  dans  des  livres,  mais  la  question  (seroit)  [est]  de  savoir  si  elles  tiennent 
bien  à  la  doctrine,  si  elles  en  découlent  nécessairement  «.  et  »  [c'est]  ce  qui  ne 
m'a  point  paru  clair  jusqu'ici.  Reste  (par  exemple  [encore])  à  savoir  [encore]  si  la 
philosophie  à  son  aise  et  sur  le  trône  commanderoit  bien  à  [la  gloriole,  à  l'interest, 
à]  l'ambition,  aux  petites  passions  de  l'homme,  et  si  elle  (se  pique  roit)  prati- 
queroit  (bien)  cette  humanité  si  douce  qu'elle  nous  vante  la  plume  à  la  main. 

»  cella  (sic). 

'"  I.  (et), 

"  I.  in  (contes)  [dubi]table. 

"  I.  [les  empêchent  souvent  de  mal  faire,  et]  obtiennent. 

"  I.  (et). 

"  (qu'ils). 

"  [ces  motifs]. 


EDITION"    ORIGINALE  459 

talens  cultivés  |  vous   mettent  en   état  de   parler  aux   hommes,    ne   leur        [201] 

de  l'Élat  sous   le  despotisme  :   c'est   la   tranquillité   de   la   mort;    elle   est    plus 
destructive  que  la  guerre  même. 

Ainsi  le  Fanatisme,  quoique  plus  funeste  dans  ses  effets  immédiats,  que  ce 
qu'on  appelle  aujourd'hui  l'esprit  philosophique,  l'est  beaucoup  moins  dans  ses 
conséquences.  D'ailleurs  il  est  aisé  d'étaler  de  belles  maximes  dans  des  livres  : 
mais  la  question  est  de  savoir  si  elles  tiennent  bien  à  la  doctrine,  si  elles  en 
découlent  nécessairement;  &  c'est  ce  qui  n'a  point  paru  clair  jusqu'ici  ^.  Reste  à 
savoir  encore  si  la  philosophie  à  son  aise  &  sur  le  Trône  commanderoit  bien  à  la 
gloriole,  à  l'mierét,  à  l'ambition,  aux  petites  passions  de  l'homme,  &  si  elle 
pratiqueroit  cette  humanité  si  douce  qu'elle  nous  vante  la  plume  à  la  main. 

Par  les  principes,  la  philosophie  ne  peut  faire  aucun  |  bien,  que  la  religion         '200^ 
ne  le  fasse  encore  mieux,  &  Ja  religion  en  fait  beaucoup,  que  la  philosophie  ne 
sauroit  faire. 

Par  la  pratique,  c'est  autre  chose;  mais  encore  faut-il  examiner.  Nul  homme 
ne  suit  de  tout  point  sa  religion  quand  il  en  a  une;  cela  est  vrai  :  la  plus  part 
n'en  ont  guère  &  ne  suivent  point  du  tout  celle  qu'ils  ont;  cela  est  encore  vrai  : 
mais  enfin  quelques-uns  en  ont  une,  la  suivent  du  moins  en  partie,  &  il  est 
indubitable  que  des  motifs  de  religion  les  empêchent  souvent  de  mal  faire,  & 
obtiennent  d'eux  des  vertus,  des  actions  louables,  qui  n'auroient  point  eu  lieu 
sans  ces  motifs  '. 

'  Rousseau  sera  plus  aflfirmalif  dans  la  111"  des  Lettres  de  la  Montagne,  III,  146. 
note  :  «  Je  ne  s;ils  pourquoi  l'on  veut  attribuer  au  progrès  de  la  philosophie  la  belle 
morale  de  nos  livres.  Cette  morale,  tirée  de  l'Évangile,  était  chrétienne  avant  d'être 
philosophique.  Les  chrétiens  l'enseignent  sans  la  pratiquer,  je  l'avoue:  mais  que  font 
de  plus  les  philosophes,  si  ce  n'est  de  se  donner  à  eux-mêmes  beaucoup  de  louanges, 
qui,  n'étant  répétées  par  personne  autre,  ne  prouvent  pas  grand'chose,  à  mon  avis  »? 

'  Rousseau  prend  le  contrepitd  des  affirmations  «  philosophiques  »  ;  cf.  De 
L'Esprit,  II,  29  [225  A],  232-233,  où  Helvetius,  en  paraissant  se  borner  aux  seules 
constatations  de  l'expérience,  pose  les  principes  suivants  :  «  Des  motifs  d'intérêt 
temporel,  maniés  avec  adresse  par  un  législateur  habile,  suffisent  pour  former  des 
hommes  vertueux.  L'exemple  des  Turcs  qui,  dans  leur  religion,  admettent  le  dogme  de 
la  nécessité,  principe  desiructif  de  toute  religion,  et  qui  peuvent,  en  conséquence,  être 
regardés  comme  des  déisies;  l'exemple  des  Chinois  matérialistes;  celui  des  Saducéens 
qui  niaient  l'immortalité  de  l'âme,  et  qui  recevaient  chez  les  Juifs  le  titre  de  justes  par 
excellence:  enfin  l'exemple  des  Gymnosophistes.  qui,  toujours  accusés  d'athéisme,  et 
toujours  respectés  pour  leur  sagesse  et  hur  retenue,  remplissaient  avec  la  plus  grande 
exactitude  les  devoirs  de  la  société;  tous  ces  exemples,  et  mille  autres  pareils,  prouvent 
que  l'espoir  ou  la  crainte  des  peines  ou  des  plaisirs  temporels  sont  aussi  efficaces, 
aussi  propres  à  former  des  hommes  vertueux,  que  ces  peines  et  ces  plaisirs 
éternels  qui,  considérés  dans  la  perspective  de  l'avenir,  font  communément  une 
impression  trop  faible  pour  y  sacrifier  des  plaisirs  criminels,  mais  présents  ». 
VExamen  de  la  Religion  [lyS]  était  plus  affirmatif  ;  cf.  le  chap.  X,  que  l'on 
ne  s'étonne  pas  que  Rousseau  ait  voulu  «  réfuter  »,  [7],  20  "  «  Que  la  Religion 
Chrétienne  n'est  pas  nécessaire  à  la  société  civile,  qu'elle  tend  à  la  détruire, 
qu'elle  retient  dans  de  légitimer  borner  moins  de  personnes  qu'on  ne  pense  ». 
Cf    encore    la    thèse    du    Militaire    Philosophe    [i3o'''5],     iSy,    «    que    la    Religion 


460  KÉDACTIONS    MANUSCRITES 

cicncc.    '  N'ayez   aucun    égard   à  l'opinion   mais   dites   toujours   ce 


[-'    Les    Mahometans    selon]    Chardin    [disent]    qu'après    ('   le  dernier 

jugement)  Mous  les  corps  -Mront  passer  ''un  pont  appelle  '  poul-serrh(a) 
qui  est  **  étendu  sur  le  feu  éternel  :  Pont  qu'on  peut  appjller,  disent-ils, 
le  3"^  et  dernier  examen  et  le  "  vrai  jugement  final,  parce  que  c'est  là 
où  se  fera  la  séparation  des  bons  d'avec  les  médians,  etc. 

Les  persans  continue  Chardin  sont  fort  infatués  T.  7  p.  50 

qu'on  a  oppressés.  [Voili  ce  que  dit  Chardin].  ('"  On  ne  me 
persuadera  jamais)  que  l'idée  de  ce  "  pont  '-ne  (''fait  point  faire  d'œuvres 
de  miséricorde)  et  ("  ne  retient)  point  d'iniquités.  Que  si  l'on  [''pouvoit 
'"oter  aux  persans  cette  idée  et  leur  persuader  qu'  "  après  la  mort  il  n'y  a 
ni  '■'*  poul-serrlio  ni  rien  de  semblable  [par]  «  où  '■'  les  opprimés  »  '-'"  soient 
vengés  [de  leurs  tirans.  N'est-il  pas  clair  que]  cela  mettroit  [-'  ceux-ci] 
fort  à  leur  aise  et  [('-leur  oteroit  tout  soin)]  d'appaiser  ('--Mes  opprimés).  11 


'  B.  (N'ayez  aucun  [sans]  égard  à  l'opinion  [leurs  jugemens]  mais  dites 
[professez]  toujours  ce  qui  est  bien  [et  ne  suivez  que  celui  de  votre  cœur]). 

^  (Je  lis  actuellement  dans). 

■'  (le  jugement  des  vivans  et  des  morts)  [l'examen  qui  suivra  la  résur- 
rection universelle]. 

"*  (les  Mahometans). 

"  (des). 

"  [(sur)]. 

'  poul-serrh[o]. 

"  I.  (étendu)  [jette]. 

°  (der  nier). 

'"  [Croirai-je]. 

"  point  (sic). 

■2  n'e[n]. 

"  [rend  (elle)  point  de  musulmans  retenus  ?]. 

"  [n"empeche(-t-elle)]. 

'^  (venoit  [convainquoit]). 

"^  (persuader). 

"  (il  n'y  a). 

'"  (point  sic  =  pont). 

"  [(l'oppression  s'élève  ?)]. 

'"  (reclament). 

^'  (les  oppresseurs). 

--  (les  rendroit  moins  circonspects  dans)  [les  delivreroit  du  souci]. 

'-'  [les  malheureux]. 


ÉDITION    ORIGINALE  461 

parlez  jamais  que  |  selon  votre  conscience,  sans  vous  embarrasser  s'ils        [202] 

Qu'un  Moine  nie  un  dépôt-;  que  s'ensuit-il,  si-non  qu'un  sot  le  lui  avoit 
confié  i*  Si  Pascal  en  eût  nié  un,  cela  prouveroii  que  Pascal  éioit  un  hypocrite,  & 

rien  de  plus.  Mais  un  Moine! Les  gens  qui  font  trafic  de  la  religion  sont-ils 

donc  ceux  qui  en  ont?  Tous  les  crimes  qui  se  font  dans  le  Clergé,  comme 
ailleurs,  ne  prouvent  point  que  la  religion  soit  inutile,  mais  que  très-peu  de  gens 
ont  de  la  religion  '. 

Nos  gouvernemens  modernes  doivent  inconiesiablement  au  Christianisme 
leur  plus  solide  autorité  ■*,  &  leurs  révolutions  moins  fréquentes;  ils  les  a  rendus 


factice  [traduisez  :  le  Christianisme]  est  toujours  destructive  de  la  saine  morale, 
nuisible  au  bien-être  des  États,  et  incapable  de  contenir  les  passions  des  hommes  », 
—  thèse  qu'il  développait  copieusement,  et  en  termes  très  violents,  pp.  84-85,  169-178. 
La  ihèse  opposée  était,  au  contraire,  la  thèse  traditionnelle  :  cf.,  parmi  tant  de 
textes  qui  pourraient  être  cités,  celui  de  Turpin  de  Crissé,  dont  les  Lettres  sur 
l'éducation  paraissent  en  même  lemps  que  l'Emile  [239],  I,  176:  «La  Religion,  en  un 
mot,  est  à  tous  égards,  le  lien  le  plus  heureu.x,  le  plus  nécessaire  et  le  plus  solide  qui 
puisse  lier  les  hommes  entre  eu.x;  et  tout  ce  qui  les  unit  par  l'espoir  d'un  bien  commun, 
ou  par  la  crainte  d'une  commune  peine  doit  être  bien  cher  à  la  Société,  et  paraître  bien 
précieu.T  à  la  vraie  sagesse,  au  bon  sens,  à  la  droite  raison  ».  Cf.,  plus  loin,  la  note  4 
de  cette  pa.;e. 

-  Cf.  ce  que  dit  Julie  à  Saint-Preux  dans  la  Nouvelle  Héloïse  (IV,  x),  IV.  317  : 
«  La  pure  morale  est  si  chargée  de  devoirs  sévères,  que,  si  on  la  surcharge  encore  de 
formes  indifférentes,  c'est  presque  toujours  aux  dépens  de  l'essentiel.  On  dit  que  c'est 
le  cas  de  la  plupart  des  moines,  qui,  soumis  à  mille  règles  inutiles,  ne  savent  ce  que 
c'est  qu'honneur  et  vertu  ». 

'  C'était  chez  Rousseau  une  conviction  qu'il  avait  souvent  affirmée  ;  cf.  déjà 
Préface  de  Xarcisse,  V,  loi  :  «  S'il  était  permis  de  tirer  des  actions  des  hommes  la 

preuve  de  leurs  sentiments,  il  faudrait  dire  qu' il   n'y  a  pas  un  seul  Chrétien  sur 

la  terre  ».  Dans  la  Nouvelle  llélntse  (V,  v|,  IV,  412,  il  rapportait  que  Wolmar,  «  après 
bien  du  temps  et  des  recherches,  n'avait  trouvé  de  sa  vie  que  trois  prêtres  qui 
cru'ssent  en  Dieu  ».  Il  se  défendait  en  note  de  «  vouloir  approuver  ces  assertions  dures 
et  téméraires  ».  Mais,  dans  les  Soies  à  Sf.  de  Matesherbes,  V,  89,  parlant  pour  son 
propre  compte,  il  se  montrait  encore  plus  catégorique  :  «  Je  sais  bien,  disait-il,  que 
ce  serait  un  grand  hasard  s'il  y  avait  un  seul  Chrétien  sur  la  terre  ». 

*  Il  avait  déjà  exprimé  cette  idée  dans  le  Discours  sur  l'Inégalité,  où  on  ne 
s'attendait  guère  à  la  trouver  en  manière  de  conclusion;  cf.  I.  82,  126.  et  surtout  121  : 
«  Il  était  nécessaire  au  repos  public  que  la  volonté  divine  intervînt  pour  donner  à 
l'autorité  souveraine  un  caractère  sacré  et  inviolable,  qui  otât  aux  sujets  le  funeste 
droit  d'en  disposer.  Quand  la  Religion  n'aurait  fait  que  ce  bien  aux  hommes,  c'en 
serait  assez  pour  qu'ils  dussent  tous  la  chérir  et  l'adopter,  même  avec  ses  abus, 
puisqu'elle  épargne  encore  plus  de  sang  que  le  fanatisme  n'en  fait  couler  ».  La  thèse 
était  familière  aux  apologistes.  Silhouette  le  constatait  dans  sa  Pré/ace  au  livre  qu'il 
avait  tiré  de  Warburton,  Dissertatinns  sur  l'union  de  la  Religion,  de  la  Morale  et  de 
la  Politique  [\6(>].  I.  3  :  «  On  a  souvent  insisté  sur  son  utilité  [de  la  Religion]  pour  le 
bonheur  de  la  société  civile,  et  ce  sujet  est  si  rebattu  que  c'est  désormais  un  lieu 
commun.  On  fait  donc  ici  quelque  chose  de  plus  :  on  ne  prouve  pas  seulement  qu'elle 
est  utile,  on  prouve  encore  qu'elle  est  nécessaire  ».  Et  Warburton,  vite  populaire  dans 


462  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

qui  est  bien  sans  vous  embarrasser  *  si  l'on  vous  applaudira.  (Ne 

(n')est  donc  (^pas  vrai)  qu'une  telle  doctrine  ne  fut  pas  nuisible.  Elle 
n'est  donc  pas  la  vérité.  Je  réponds  à  Baile  par  son  propre  principe  et  même 
par  sa  manière  d'argumenter]. 

1°  198  '"  [Du   coté  du  bien   la   philosophie  n'en   (^  peut  point)    faire   que  la 

religion  ne  (*  puisse  faire)  encore  mieu.x  ei  la  religion  en  (-■  peut)  beaucoup 
que  la  philosophie  ne  fera  jamais.  '''  Nos  gouvernemens  modernçs  doivent 
incontestablement  au  christianisme  leur  plus  solide  autorité  '.  ("  il  n'y 
a  qu'à)  les  ^  compar(er)  au.x  gouvernemens  anciens  (pour  sentir  la  vérité 
de  ce  principe).  ['"  Que  ("  tontes  les)  œuvres  de  miséricorde  sont  l'ouvrage 
de  lEvangile  personne  n'en  disconviendra].  Qui  est-ce  qui  oseroit  nier  la 

f°  201  '°  multitude  de  restitutions  et  de  réparations  que  la  confession  i|  tait  laire 
chez  les  catholiques  ;  parmi  nous  combien  k-s  approches  des  tems  de 
communions  ('-ne  font-ils)  pas  (faire  d'œuvres  d'aumônes  ei)  de  réconcilia- 
tions '■\  Sortons  du  christianisme,  combien  le  Jub  lé  des  hebreu.\  ne 
rendoit-il  pas  les  usurpateurs  moms  avides,  '*  que  de  misères  ne  pre- 
venoit-il  pas,  on  ne  vovoit  pas  un  mendiant  '*  chez  eu.x.  On  n'en  voit 
point  non  plus  chez  les  Turcs  ou  les  fondations  pieuses  sont  innom- 
brables]. 


'  B.  («.  si  l'on  »)  [«  s'ils  »]  vous  applaudir(a)  [ont]. 

*  [fau.x]. 

'  [sauroit]. 

*  [le  fasse]. 
'  [fait]. 

*  (Qui  est  ce  qui  oseroit  nier  la  multitude...  Toutes  les  œuvres  de  misé- 
ricorde sont  l'ouvrage  de). 

'I.  et  leurs  révolutions  moins  fréquentes;  [il  les  a  rendus  eu.x-mémes 
moins  sanguinaires]  ;  cela  se  prouve  [par  le  fait]  en  les  comparant. 

»  [en]. 

'  compar[ant]. 

'"  I.  (Que)  La  religion  mieux  connue  écartant  le  fanatisme  a  (rendu  les 
chrétiens  moins  sanguinaires  1  [donné  plus  de  douceur  aux  mœurs  chrétiennes]  ; 
(car)  ce  changement  n'est  point  l'ouvrage  des  Lettres,  car  par  tout  où  elles  ont 
brillé  l'humanité  n'en  a  pas  été  plus  respectée;  les  cruautés  des  Athéniens, 
des  Egvpliens.  des  Empereurs  de  Rome  (eti  des  Chinois  en  font  foi. 

»'[d']. 

"  [n'opérenl-elles].  — I.  (ne  font)  n'opérent-elles. 

"  [et  d'aumônes]. 

"  (combien). 

'*  I.  (par  \u)  chez. 


ÉDITION    ORIGINALE  463 

VOUS  applaudiront.  L'abus  du  savoir  produit  l'incrédulité.  |  Tout  savant        [203] 

eux-mêmes  moins  sanguinaires;  cela  se  prouve  par  le  fait  en  les  comparant  aux 
gouvernemens  anciens.  La  religion  mieux  connue  écartant  le  fanatisme  a  donné 


les  milieux  conservateurs,  était  devenu  comme  une  espèce  d'.Anti-Bayle  :  cf.  Contrai 
Social.  I.  385;  on  venait  de  le  réimprimer  en  1760  (cf.  Année  Littéraire  [45],  VIII, 
314323,  où  Fréron  en  fait  grand  éloge).  Sans  aller  aussi  loin.  Montesquieu  avait 
soutenu  la  thèse  traditionnelle  dans  VEsprit  des  Lois,  XXIV,  6  [i83],  V,  i25  :  «  Les 
principes  du  Christianisme  bien  gravés  dans  le  cœur  seraient  infiniment  plus  forts  que 
le  faux  honneur  des  monarchies  ».  etc.  Fréret,  lui-même,  qui  n'est  pas  suspect  de 
tendresse  pour  les  religions,  avait  reconnu  aussi.  Lettre  de  Thrasybule  [189],  283.  que 
«  cette  opinion  [du  )ugement  à  venir]  est  sans  doute  le  plus  ferme  fondement  des 
sociétés;  c'est  elle  qui  porte  les  hommes  à  la  vertu  et  qui  les  éloigne  du  crime.  Tant 
qu'on  ne  l'emploiera  que  pour  le  bonheur  public,  je  la  regarderai  comme  une  erreur 
utile  que  les  honnêtes  gens  doivent  respecter,  qu'ils  doivent  même  inspirer  à  ceux  qui 
ont  besoin  de  ce  motif  pour  être  gens  de  bien  ».  En  faisant  ainsi  l'apologie  de  la 
Religion  au  point  de  vue  politique,  et  plus  spécialement  l'apologie  du  Christianisme. 
Rousseau  semble  se  mettre  en  contradiction  avec  son  Contrat  Social,  III.  383-384,  où 
il  affirme  que  Jésus,  en  «  établissant  sur  la  terre  un  ro\aume  spirituel  »  et  en 
«  séparant  le  système  théologique  du  système  politique,  fit  que  l'État  cessa  d'être  un, 
et  causa  les  divisions  intestines  qui  n'ont  jamais  cessé  d'agiter  les  peuples  chrétiens»; 
»  la  loi  chrétienne,  disait-il  encore,  p.  385,  est  au  fond  plus  nuisible  qu'utile  à  la  forte 
constitution  de  l'État  ».  Or  c'était  là  précisément  la  théorie  de  «  l'impiété  philoso- 
phique »  (cf.  Diderot,  art.  Christianisme  [58],  XIV,  147  :  «  elle  ne  rougit  pas  d'avancer 
que  de  véritables  Chrétiens  ne  formeraient  pas  un  état  qui  put  subsister  »|,  et,  en 
particulier,  de  ce  D'Holbach  que  Rousseau  ne  cesse  de  combattre  dans  ces  dernières 
pages  de  la  Profession  :  cf.  Christianisme  dévoilé  [234],  177-178.  184,  210-211  :  «  Dans 
toutes  les  sociétés  politiques  où  le  Christianisme  est  établi,  il  subsiste  deux  puissances 
rivales,  qui  luttent  continuellement  l'une  contre  l'autre  et  par  le  combat  desquelles 
l'état  est  ordinairement  déchiré.  Les  sujets  se  partagent,  les  uns  combattent  pour  leur 

souverain,  les  autres  combattent  ou  croient  combattre  pour  leur  Dieu En  suivant  à 

la  rigueur  les  maximes  du  Christianisme,  nulle  société  politique  ne  pourrait  subsister. 
Si  l'on  doutait  de  celte  asseriion.  que  l'on  écoute  ce  que  disent  les  premiers  docteurs 
de  l'Église;  on  verra  que  leur  morale  est  totalement  incompatible  avec  la  conservation 
et  la  puissance  d'un  État.  On  verra  que,  selon  Lactance.  nul  homme  ne  peut  être 
soldat  ;  que.  selon  Justin,  nul  homme  ne  peut  être  magistrat;  que,  selon  S'  Chrysos- 
tome,  nul  homme  ne  doit  faire  le  commerce;  que,  suivant  un  très  grand  nombre,  nul 
homme  ne  doit  étudier.  Entin  en  joignant  ces  maximes  à  celles  du  Sauveur  du  monde, 
qui,  comme  il  le  doit,  tend  à  sa  perfection,  est  le  membre  le  plus  inutile  à  son  pays,  à 
sa  famille,  à  tous  ceux  qui  l'entourent.  C'est  un  contemplateur  oisif,  qui  ne  pense  qu'à 
l'autre  vie,  qui  n'a  rien  de  commun  avec  les  intérêts  de  ce  monde,  et  n'a  rien  de  plus 

pressé  que  d'en   sortir  promptement Il  semble  que  partout  la  Religion  n'ait  été 

inventée  que  pour  épargner  aux  Souverains  le  soin  d'être  justes,  de  faire  de  bonnes 

lois  et  de  bien  gouverner C'est  ainsi  que  la  Religion  est  devenue  le   plus  grand 

ressort  d'une  politique  injuste  et  lâche,  qui  a  cru  qu'il  fallait  tromper  les  hommes 
pour  les  gouverner  plus  aisément»;  et  il  terminait  en  invitant  les  rois  à  chercher 
dans  une  législation  rationnelle  le  véritable  stimulant  de  la  morale  publique  et  le 
meilleur  garant  de  leur  autorité.  Helvetius  pensait  de  même.  De  L'Esprit,  II,  24  [225  A], 
236-237  •   *  C'est  uniquement  par  de    bonnes   lois   qu'on    peut   former  des   hommes 


464  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

soyez  ni  flateur  ni  satirique).  L'abus  'des  sciences  mène  à  l'incrédu- 
lité. (-Les)  savan(s)  dédaigne(nt)  le  seniiment  ^  des  autres.  Chacun 
en  veut  avoir  un  a  soi.  L'forgueilleuse]  philosophie  mène  à  l'esprit 
■*  fort,  comme  l'aveugle  dévotion  mène  au  fanatisme.  Restez  tou- 
jours ferme  dans  ^  le  chemin  de  la  vérité,  "  sans  jamais  vous 
'détourner  à  droite  ni  à  gauche.  Osez  confesser  Dieu  ^  parmi  les 
philosophes  osez  prêcher  l'humanité  aux  intolérans.  Vous  serez 
seul  de  vôtre  parti  peut  être.  Mais  vous  porterez  en  vous  même 
un  témoignage  qui  vous  dispensera  de  ceux  des  hommes.  Qu'ils 
vous  aiment   ou    [vous]    haïssent,  qu'ils    lisent   ou    méprisent   vos 


fo  200™  t  [Qu'un  moine  ait  nié  un  dépôt,  ■'  qu'est-ce  que  cela  prouve?   Si 

Pascal  en  eut  nié  un,  cela  prouveroit  ('"peut  être.)  'i  Les  gens  qui  font 
trafic  de  la  Religion  ['-  sont-ils  doncj  ceux  qui  ''^  en  ont.  Tous  les  crimes 
qui  se  lont  ("dans  le  monde  parmi  les  chrétiens)  ne  prouvent  point  que 
la  religion  soit  inutile,  mais  seulement  que  très  peu  de  gens  ont  de  la 
religion]. 


'  B.  (des  connaissances  mené  à)  [du  savoir  produit]. 

-  [Tout]  savan[t]. 

'  B.  (des  autres)  [vulgaire]. 

••  I.  (de)  tort. 

^  B.  les  voyes  de. 

'■'  B.  [de  la  simplicité]  sans. 

■  B.  en  détourner  par  vanité  ni  par  foiblesse. 

"  B.  chez. 

'■'I.    (qu'est-ce   que  cela    prouve...    mois   illisibles)    [que   s"ensuit-ilj    sinon 
qu'un  sot  le  lui  avoit  confié. 
'"  [(plus  tôt...   mieux)]. 
"  I.  (Parce  que).  Les  gens. 

'-  (cela  prouveroit  peut  être).  —  I.  (pour  ?)  sont-ils  donc. 
'•'  I.  (la  croyent)  [en  ont]. 
'*  [dans  le  clergé  comme  ailleurs]. 

•j-  Au-dessus  de  ce  dernier  paragraphe.  Rousseau  a  écril  : 
N.  B.  Addition  à  placer.  —  Dans  I,  ce  petit  développement  a  été  copié 
sur  une  étroite  bande  de  papier,  intercalée  entn  les  pp.  281  et  282, 
avec  cette  indication,  de  la  main  de  Rousseau  :  addition  dans  la  note 
à  la  page  281.  Au  reste,  dans  I,  les  différents  paragraphes  de  cette 
grande  note  sont  disposés  suivant  l'ordre  de  l'édition  originale. 


ÉDITION    ORIGINALE  465 


plus  de  douceur  aux  mœurs  chrétiennes.  Ce  changement  n'est  point  l'ouvrage  des 

lettres;  car  par-tout  où  elles  ont  brillé,  l'humanité  n'en  a  pas  été  plus  respectée; 

les   cruautés   des   Athéniens,   des   Egyptiens,   des   Em-  |  pereurs   de    Rome,   des         [201] 

Chinois,  en  font  foi  '.  Que  d'œuvres  de  miséricorde  sont  l'ouvrage  de  l'Evangile  '! 

Que  de  restitutions,  de  réparations  la  confession  ne  fait-elle  point  faire  chez  les 

Catholiques  '?  Chez   nous   combien    les   approches  des   lems  de  communion 


vertueux  ».  .Ainsi  Helvetlus,  D'Holbach,  et  tout  le  parti  «  philosophique  »,  en  soutenant 
des  thèses  que  Rousseau  réfute  dans  la  Profession,  semblent  rejoindre  les  thèses  que 
soutient  Rousseau  dans  le  Contrat:  mais  la  contradiction  est  plus  apparente  que  réelle 
entre  ces  deux  testes  contemporains,  car,  dans  la  Profession,  Rousseau  se  place 
surtout  a  un  point  de  vue  moral  et  social,  dans  le  Contrat,  à  un  point  de  vue  stricte- 
ment politique.  Ici  il  se  préoccupe  de  «  l'autorité  des  gouvernements  »,  là  de  «  la 
constitution  de  l'État  ». 

'  Cette  phrase  est  comme  un  appendice  au  I"  Discours,  où  Rousseau  n'avait  pas 
envisagé  l'influence  de  la  civilisation  sur  le  développement  des  instincts  cruels.  —  Il 
n'est  pas  nécessaire  de  faire  remarquer  longuement,  qu'en  malmenant  les  Chinois, 
Rousseau  s'en  prenait  à  l'une  des  plus  chères  idoles  du  parti  «  philosophique  »  : 
cf.,  plus  haut,  p.  200,  note  1,  le  texte  cité  d'Helvetius;  cf.  encore  Examen  de  la  Reli- 
gion [173],  pp.  v-vi  :  «  Les  Chinois  sont  un  e.\emple  frappant  de  cette  vérité  [que  de 
bonnes  lois  suffisent  à  faire  un  peuple  heureux].  Cet  empire  immense  ne  se  maintient 
depuis  tant  de  siècles  que  par  ses  lois  et  par  la  morale  du  grand  Confucius,  qui  n'est 
autre  chose  que  les  préceptes  de  la  loi  naturelle  »  ;  Voltaire,  Sermon  des  cinquante 
[241],  433  :  «  Le  peuple  recevra  sans  peine  un  culte  sage  et  simple  d'un  Dieu  unique, 
...  tel  que  tous  les  sages  de  l'antiquité  l'ont  professé,  tel  qu'il  est  reçu  à  la  Chine  par 
tous  les  lettrés  ».  Rousseau  ne  partageait  pas  cet  enthousiasme  pour  les  Chinois. 
Déjà  dans  sa  Réponse  au  Roi  de  Pologne,  1,  34,  il  avait  dénoncé  l'athéisme  lettré 
de  la  moitié  de  la  Chine.  Cf.  encore  V'  Livre  d'Emile.  11.  440.  où,  après  avoir  posé 
ce  principe  :  «  Le  pays  qui  peuple  le  plus,  fut-il  le  plus  pauvre,  est  infailliblement 
le  mieux  gouverné  ».  il  ajoutait  en  note  [10^,252*"  :  «Je  ne  sache  qu'une  seule 
exception  à  cette  règle,  c'est  la  Chine;  et  l'auteur  de  L'Esprit  des  Lois  l'a  aussi 
exceptée  »:  cf.  surtout  ce  crayon  satirique  dans  la  Nouvelle  Héloïse  (IV,  m), 
1\',  287  :  «  J'ai  vu  de  près  ce  peuple  célèbre,  et  n'ai  plus  été  surpris  de  le  trouver 
esclave...  Je  l'ai  trouvé  digne  de  son  sort,  n'ayant  pas  même  le  courage  d'en  gémir. 
Lettré,  lâche,  hypocrite  et  charlatan  :  parlant  beaucoup  sans  rien  dire,  plein  d'esprit 
sans  aucun  génie,  abondant  en  signes  et  stérile  en  idées  ;  poli,  complimenteur,  adroit, 
fourbe  et  fripon;  qui  met  tous  les  devoirs  en  étiquettes,  toute  la  morale  en  simagrées, 
et  ne  connaît  d'autre  humanité  que  les  salutations  et  les  révérences  ».  —  Le  livre  de 
l'amiral  .Anson.  que  Rousseau  avait  lu,  «  réfutait  toutes  ces  fictions  de  jMessieurs  les 
Jésuites  »  sur  la  piété  et  la  morale  chinoises,  et  présentait  le  Céleste  Empire  sous  un 
|Our  peu  favorable  :  cf.   Voyage  autour  du  monde,  111,  9  et  10  'i85j,  3io-328. 

'  Que  ces  «  œuvres  de  miséricorde  fussent  l'ouvrage  de  l'Évangile  »,  c'est  précisé- 
ment ce  que  contestaient  les  «  philosophes  »  ;  cf.,  par  exemple,  Fréret.  Lettre  de  Thra- 
sybule  [189].  243  :  «  Je  demande  que  l'on  me  montre  des  hommes  que  la  Religion  ait 
rendu  doux,  humains,  compatissants  ».  etc.  ;  Helvetius.  De  L'Esprit,  11,  24  223  .V,  236, 
note  :  «  Il  est  peu  de  gens  que  la  Religion  retienne.  Que  de  crimes  commis  même  par 
ceux  qui  sont  chargés  de  nous  guider  dans  la  voie  du  salut.  La  Saint-Barthélémy, 
l'assassinat  de  Henri  III,  le  massacre  des  Templiers,  etc.,  en  sont  la  preuve  ». 

'  Bien  des  «philosophes»  le  niaient;  cf.  le  pseudo-Saint-Évremond,  Examen  de 

3o 


466  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 

écrits  il  n'importe.  ('  En  écrivant  pour  eux  vous  aurez  travaillé  pour 
vous).  Ce  qui  importe  à  l'homme  est  de  ^  faire  son  devoir  sur  la 
terre  [et  c'est  en  s'oubliant  qu'(^il)  travaille  pour  ('lui)  :  mon 
enfant  i'interest  particulier  nous  trompe].  Il  n'\-  a  que  l'espoir  du 
juste  qui  ne  trompe  point. 


M,  p.  75  ^  Amen. 


'  [Dites  ce  qui  est  vrai  faites  ce  qui  est  bien].  C 

■  B.  (suivre  son)  [remplir  ses]  devoir[s].  ^ 

'  [on]. 

*  [soi]. 

'-  I.  Amen. 


ÉDITION    ORIGINALE  467 

n'operent-clles  point  de  réconciliations  &  d'aumônes  ?  Combien  le  jubilé  des 
Hébreux  no  rendoit-il  pas  les  usurpateurs  moins  avides  ?  Que  de  misères  ne 
prévenoit-il  pas  ?  La  fraternité  légale  unissoit  toute  la  nation  ;  on  ne  voyoit  pas  un 
mendiant  chez  eux.  on  n'en  voit  point  non  plus  chez  les  Turcs,  où  les  fondations 
pieuses  sont  innombrables.  Ils  sont  par  principe  de  religion  hospitaliers  même 
envers  les  ennemis  de  leur  culte  ■*. 

»  Les  Mahométans  disent,  selon  -Chardin,  qu'après  l'examen  qui  suivra  la 
»  résurrection  universelle,  tous  les  corps  iront  passer  un  pont  appelle  Poul- 
«  Serrlio  '■".  qui  est  jette  sur  le  feu  éternel,  pont  qu'on  peut  appeller,  disent-ils,  le 
«  troisième  &  dernier  examen  &  le  vrai  jugement  final,  parce  que  c'esl-là  où  se 
«  fera  la  séparation  des  bons  d'avec  bs  méchans i&c. 

»  Les  Persans,  (poursuit  Chardin,)  sont  fort  infatués  de  ce  pont,  &  lorsque 
■■>  quelqu'un  souffre  une  injure  dont,  par  aucune  voye,  ni  dans  aucun  tems,  il  ne 
»  peut  avoir  raison,  sa  dernière  consolation  est  de  dire  :  Eh  !  bien,  par  le  Dieu 
*  l'ii'ant,  tu  me  le  payeras  au  double  au  dernier  jour  ;  lu  ne  passeras  point  le 
■0  Poul-Serrko,  que  tu  ne  me  satisfasses  auparavant  :  je  m'attacherai  au  bord  de 
»  ta  veste  &  me  jetterai  à  tes  jambes.  J'ai  vu  beaucoup  de  gens  éminens,  &  de 


la  Relif^ion  lySj.  139  :  «  11  doit  y  avoir  naturellement  plus  de  probité  dans  une  personne 
persuadée  par  raisonnement  de  la  fausseté  de  la  Religion  Chrétienne  que  dans  un 
Chrétien.  La  confession  autorise  le  crime  par  l'assurance  d'en  être  absous  ;  on  fait  faci- 
lement un  crmie,  lorsqu'on  en  espère  le  pardon,  au  lieu  que  l'homme  d'ordre  ne  trouve 
point  de  ressource  pour  se  pardonner  ses  fautes  ».  —  Rousseau  a  détaillé  ces  avantages 
sociau.x  de  la  confession  dans  sa  Lettre  à  l'abbé  de  [Carondelet],  du  11  Novembre  1764, 
.\l,  172.  Dans  les  Dialogues,  IX,  3ii.  pour  prouver  le  succès  de  la  propagande 
«  philosophique  »,  il  dira  :  «  Ne  voyez-vous  pas  que,  depuis  longtemps,  on  n'entend 
plus  parler  de  restitutions,  de  réparations,  de  réconciliations  au  lit  de  la  mort  »  ? 

■*  On  remarquera  que  Rousseau,  par  le  choix  seul  de  ses  exemples,  tient  à  se 
montrer  une  dernière  fois  impartial  entre  les  différentes  religions,  et  que  ses  éloges 
mettent,  en  quelque  sorte,  sur  le  même  pied,  non  seulement  les  deux  grandes  confes- 
sions chrétiennes,  mais  encore  «  les  trois  principales  religions  que  nous  avons  en 
Europe  ». 

^  Dans  le  premier  Manuscrit  où  Rousseau  a  copié  ce  mot,  il  avait  d'abord  écrit 
Poul-serrha,  puis  délibérément  il  a  barré  l'a  final  et  l'a  remplacé  par  un  o  ;  Poul-serrho. 
Tel  est  le  texte  qui  a  passé  dans  le  Manuscrit  suivant,  dans  l'édition  originale,  et  dans 
l'édition  corrigée.  Or  dans  l'édition  de  Chardin  à  laquelle  Rousseau  renvoie,  à  la  page 
même  qu'il  indique  [1 12  B],  VU,  5o,  on  lit  bien  :  Poul-serrha  :  de  même  dans  l'édition 
originale  des  Voyages  en  Perse  [112  A],  II,  325.  Comment  donc  s'expliquer  cette 
correction  de  Rousseau  ?  On  aurait  pu  peut-être  supposer  qu'il  y  avait  eu  une  erreur 
dans  la  transcription  de  Chardin,  et  qu'averti  par  quelque  orientaliste,  Rousseau  avait 
rétabli  une  forme  plus  correcte.  Il  n'en  est  rien;  M.  E.  Blochet,  dont  on  connaît  la 
compétence  en  philologie  persane,  a  bien  voulu  me  fournir  la  note  suivante  :  «  La 
forme  Serrho  est  certainement  fautive.  Le  nom  de  ce  pont  est  Poul-i-Siral,  t  étant 
prononcé  dans  ce  mot  Strate,  et  non  Sira.  Il  est  probable  que  les  éditeurs  de  Chardin 
ont  pensé  que  Sirat  se  prononçait  .mra,  comme  Soldat  se  prononce  Solda,  et  qu'ils 
ont  enlevé  le  t  comme  inutile.  Quant  à  \'o  de  Rousseau,  il  ne  se  justifie  par  rien  ».  La 
correction  de  Rousseau,  si  visiblement  intentionnelle  qu'elle  soit,  semble  donc  rester 
inexpliquée. 


468  RÉDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION   ORIGINALE  469 


»  louies  sortes  de  professions,  qui,  |  appréhendant  qu'on  ne  criât  ainsi  ffaro  sur         [202] 

«  eux   au   passage  de  ce   pont  redoutable,   soliicitoioni  ceux   qui  se  plaignoicnt 

»  d'eux  de  leur  pardonner  :  cela  m'est  arrivé  cent  fois  à  moi-même.  Des  gens  de 

»  qualité  qui  m'avoient  fait  faire,  par  importunité,  des  démarches  autrement  que 

»  je  n'eusse  voulu,  m'abordoient  au  bout  de  quelque  tems,  qu'ils  pensoient  que 

»  le  chagrin  en  étoit  passé,  &  me  disoient  :  ;e  te  prie,  halal  becon  antchifra, 

»  c'est-à  dire,  rends-moi  cette  affaire  licite  ou  juste.  Quelques-uns  même  m'ont 

■»  fait  des  présens  &  rendu  des  services,  afin  que  je  leur  pardonnasse  en  déclarant 

»  que  je  le  faisois  de  bon  cœur;  de  quoi  la  cause  n'est  autre  que  cette  créance 

»  qu'on  ne  passera  point  le  pont  de  l'Enfer  qu'on  n'ait  rendu  le  dernier  quairin  à 

»  ceux  qu'on  a  oppressés.  T.  7  in-12.  p.  5o. 

Croirai-je  que  l'idie  de  ce  pont  qui  répare  tant  d'iniquités  n'en  prévient 
jamais  ?  Que  si  '  l'on  ôtoit  aux  Persans  celte  idé;,  en  leur  persuaSant  qu'il  n'y  a  ni 
Poul-Serrho,  ni  rien  de  semblable,  où  les  opprimés  soient  vengés  de  leurs  lirans 
après  la  mort,  n'e^t-il  pas  clair  que  cela  meitroit  ceux-ci  fort  à  leur  aise,  &  les 
délivreroit  du  soin  d'appaiser  ces  malheureux  ?  Il  est  donc  faux  que  cette  doctrine 
ne  fût  pas  nuisible;  elle  ne  seroit  donc  pas  la  venté. 

Philosophe,  les  loix  morales  sont  fort  belles,  mais  montre  m'en,  de  grâce, 
la  sanction.  Cesse  un  moment  de  battre  la  campagne,  &  dis-moi  nettement  ce  que 
tu  mets  à  la  place  du  Poul-Serrho  -. 


'  Sur  cette  formule  de  transition,  cf.,  plus  haut.  p.   122,  note  3. 

=  Voltaire  [242],  2S1  :  «  Ce  que  tu  y  mets,  misérable,  qui  te  contredis  sans 
cesse  ».  —  On  verra,  par  la  Première  RéJa:tion.  que  Rousseau  a  remanié  son  texte 
de  façon  à  clore  le  débat  sur  un  argument  qui  lui  parût  décisif,  et  qui  fût  en  même 
temps,  à  l'adresse  des  «  philosophes  »,  une  question  ironique  et  embarrassante. 
Toute  cette  longue  note  —  l'une  des  pages  les  plus  caractéristiques  de  la  Profession, 
l'une  de  celles,  du  moins,  qui  tit  sur  le  public  la  plus  forte  impression  —  est,  dans 
sa  partie  positive,  le  développement  du  mot  célèbre  de  Montesquieu  [i83],  V,  119, 
que  les  apologistes  avaient  vite  recueilli,  et  qui  s'étalera  encore  sur  la  couverture 
de  la  première  édition  du  Génie  du  Chrislianiime  :  «Chose  admirable!  La  Religion 
Chrétienne,  qui  ne  semble  avoir  d'objet  que  la  félicité  de  l'autre  vie,  fait  encore 
notre  bonheur  dans  celle-ci  ».  Mais  à  cette  démonstration  traditionnelle  vient 
s'ajouter  ici  —  et  c'est  ce  qui  donne  au  morceau  son  accent  propre  et  sa  date  — 
une  mise  en  accusation  de  la  «  philosophie  »,  pour  avoir  séduit  les  âmes  par  de 
fausses  promesses.  Or  la  «  philosophie  »  prenait  précisément  pour  devise  le  contrepied 
de  la  maxime  de  M:)ntesquieu  ;  cf.  Diderot,  qui,  avant  de  la  citer,  par  prudence, 
dans  son  art.  Christianisme  [53],  XIV,  i33,  fera,  au  nom  de  son  parti,  la  constatation 
suivante,  p.  147  :  «  Qui  l'eut  cru,  que  le  Christianisme,  en  proposant  aux  hommes 
sa  sublime  morale,  aurait  un  jour  à  se  défendre  du  reproche  de  rendre  les  hommes 
malheureux  dans  cette  vie.  pour  vouloir  les  rendre  heureux  dans  l'autre  »?  Le 
réquisitoire  de  Rousseau,  qui  fut  immidiatement  exploité  par  tous  les  adversaires 
de  la  «  philosophie»  (cf.,  en  particulier,  le  pamphlet  de  Linguet,  Le  Fanatisme  des 
philosophes  ^246  ti-'].  qui  n'est  guère  qu'une  paraphrase  de  Rousseau)  —  ce  réquisitoire 
interprétait  éloquemment  toutes  les  répugnances  et  rancunes  qui  s'amassaient,  contre 
la  philosophie  victorieuse,  chez  certains  esprits  laïques,  point  dévots,  mais  attachés 
à  la  tradition  nationale.  Le  plus  représentatif  de  ces  esprits  était  le  Marquis  de 
.Mirabeau  ;    et    je    crois   très    vraisemblable    que    la    note    de   Rousseau  n'aurait  pas 


470  RÉDACTIONS   MANUSCRITES 


ÉDITION    ORIGINALE  47I 

dédaigne  le  sentiment  vulgaire;  chacun  en  veut  avoir  un  à  soi  •.  L'or- 
gueilleuse philosophie  mené  à  l'esprit  fort,  comme  l'aveugle  dévotion 
mené  au  fanatisme.  ICvitez  ces  extrémités;  restez  toujours  ferme  dans  la 
voie  de  la  vérité  -,  ou  de  ce  qui  vous  paroîtra  l'être  dans  la  simplicité  de 
votre  cœur,  sans  jamais  vous  en  détourner  par  vanité  ni  par  foiblesse. 
Osez  confesser  Dieu  chez  les  Philosophes  ;  osez  prêcher  l'humanité  aux 
intolerans.  Vous  serez  seul  de  votre  parti,  peut-être  ^:  mais  vous  porterez 


été  ce  qu'elle  est,  sans  quelques  pages  agressives  de  \'Ami  des  hommes  [219J,  où 
Rousseau  pouvait  trouver  épars  les  principaux  griefs  qu'il  a  ramassés  ici  ;  cf.  11,  [64-165, 
179-180.  339-340  :  «  Loin  ces  systèmes  vains  et  dangereux,  abus  de  l'esprit  et  d'une 
logique  corrompue,  qui  prétendent  prouver  qu'une  société  d'athées  pourrait  subsister... 
Un  prince  indill'erent  sur  la  Religion  creuse  au-dessous  de  son  trône  une  mine,   qui 

quelque  jour  n'y  laissera  qu'un  monceau  de  ruines Je  demande  si,  parmi  ces  petits 

éclairs  d'anti-prophétes,  il  en  est  un  seul  qui  veuille  soutenir  de  sang-froid  que  la  société 
en  serait  plus  heureuse,  si  l'on  ôtait  ce  frein  à  toute  l'humanité  en  général.  S'il  s'en 
rencontre  un  assez  fol  pour  cela,  vous  le  feriez  convenir  également  que  la  patrie  est  une 
idée,  et  que  ubi  bene,  ibi  palria  :  que  le  respect  dû  aux  souverains  n'est  que  la  loi  du 
plus  fort  civilisée;  que  nos  mères  nous  tirent  sans  penser  à  nous;  que  notre  postérité 
n'est  qu'un  mot...;  qu'en  un  mot  chacun  n'est  ici-bas  que  pour  soi.  Je  ne  crois  pas, 
quelqu'ingénieux  que  puisse  paraître  ce  démonstrateur,  que  personne  soit  tenté  de  le 
prier  de  réformer  la  République  et  de  la  peupler  de  ces  prosélytes.  A  ce  petit  nombre 
près  cependant,  et  plus  petit  qu'on  ne  saurait  croire,  tout  le  reste  conviendra  qu'il  faut 
une  Religion  au  peuple,  et  à  tout  ce  qui  pense  en  vulgaire,  de  quelque  rang  qu'il  puisse 
être...  A  la  place  des  lois  divines  et  humaines,  que  nos  pères  redoutaient  au  moment 
même  où  ils  venaient  de  les  enfreindre,  et  que  notre  prétendue  philosophie  appelle 
préjugés,  elle  [la  nouvelle  morale]  donne  à  l'homme  pour  unique  frein,  je  ne  sais  quelle 
probité  fantastique,  qui  s'étend  et  se  rétrécit  selon  que  les  objets  touchent  plus  ou 
moins  notre  amour-propre;  elle  ne  connaît  de  vertus  qu'au  niveau  des  avantages  de  la 
société,  transposant  ainsi  l'efiét  et  la  cause,  et  se  réservant  d'apprécier-ces  avantages  au 
tarif  de  ses  passions». 

'  La  Profession  se  termine,  comme  elle  s'est  ouverte,  par  une  déclaration 
d'hostilité  à  l'égard  de  la  «  philosophie  »  et  de  la  «  science  »,  qui  ne  savent  point  con- 
fesser «  l'insuffisance  de  l'esprit  humain  »  et  qui  cherchent,  non  la  vérité,  mais  les 
satisfactions  de  l'amour-propre  :  cf.,  plus  haut.  p.  3o. 

-  Voltaire  [242],  281  :  «  Les  fanatiques  en  disent  autant  ». 

'  Cet  isolement  ne  serait  point  pour  déplaire  à  Rousseau  ;  et,  chez  lui,  la  force 
des  convictions  n'implique  nullement  un  besoin  de  prosélytisme;  il  le  constatera  lui- 
même  dans  les  Dialogues,  IX,  200  :  «  De  sa  vie  Jean -Jacques  n'a  tenté de  se  faire 

ni  parti  ni  prosélvtes  ».  Mais,  puisqu'il  reconnaît  qu'il  constitue  à  lui  seul  entre  les 
deux  camps  ennemis  comme  un  tiers  «  parti  ».  on  pourrait  appeler  ce  parti  le  parti  de 
la  «  réconciliation».  Déjà,  si  on  l'en  croit  (cf.  Lettre  à  Vernes.  du  24  Juin  1761,  X, 
260),  la  Nouvelle  Héloïse  avait  pour  «  objet  de  rapprocher  les  partis  opposés  par  une 
estime  réciproque  ».  La  formule  serait  ici  un  peu  inexacte,  car  théologiens  et 
«  philosophes  »  y  sont  plutôt  malmenés  (cf.,  plus  haut,  pp.  3o  et  i5g  note)  ;  mais,  dans 
le  fond,  c'est  la  même  attitude,  celle  qu'il  a  heureusement  caractérisée  dans  deux  des 
Lettres  de  la  Montagne,  111.  I25  ;  unir  «  la  tolérance  du  philosophe  et  la  charité  du 
Chrétien  »,  19g  :  «  établir  a  la  fois  la  liberté  philosophique  et  la  piété  religieuse  ». 
Cependant    il    faut   remarquer   que,   si    Rousseau,   dans   cette   conclusion,   essaye    de 


472  REDACTIONS    MANUSCRITES 


ÉDITION    ORIGINALE  473  , 

en  vous-même  un  témoignage  qui  vous  dispensera  de  ceux  des  hommes. 
Qu'ils  vous  aiment  ou  vous  haïssent,  qu'ils  lisent  ou  méprisent  vos 
écrits,  il  n'importe.  Dites  ce  qui  est  vrai,  faites  ce  qui  est  bien  ;  ce  qui 
importe  à  l'homme  est  de  remplir  ses  devoirs  sur  la  terre,  &  c'est  en 
s'ouhliant  qu'on  travaille  pour  soi.  Mon  enfant,  l'intérêt  parti- |  culier  [204] 
nous  trompe;  il  n'y  a  que  l'espoir  du  juste  qui  ne  trompe  point  {^)  ^ 


(«1  C,  D  :   Amen.  Seule,  à  ma  connaissance,  des   éditions 
suivantes.  Tédition  Hoinçot  (.16]  a  conservé  cet  Amen. 


retrouver  entre  les  deux  partis  l'équilibre  que  la  suppression  du  paragraphe  «  Fuyez 
les  dévots  ».  et  surtout  l'addition  de  la  grande  note  finale,  avaient  rompu,  s'il  combine 
savamment  les  phrases  antithétiques,  où  les  deux  thèses  contraires  sont  une  dernière 
fois  opposées  et  rejetées  toutes  deux  —  «  l'orgueilleuse   philosophie  mène  à   l'esprit 

fort,  comme  l'aveugle  dévotion   mène  au  fanatisme Osez  confesser  Dieu  chez  les 

philosophes,  osez  prêcher  l'humanité  aux  intolérants  ».  —  cet  équilibre  est  provisoire, 
ou  plutôt  fictif  :  c'est  sur  la  «  philosophie  »  qu'a  porté  le  principal  eflort  de  son 
attaque,  c'est  la  «  philosophie  »  qui  reste  surtout  atteinte. 

'  Ainsi  la  Profession  se  termine  sur  une  parole  d'espérance  et  de  foi  ;  et  WAmen, 
que  Rousseau  voulait  y  joindre,  et  qu'il  a  finalement  maintenu,  y  met  encore  comme 
un  accent  sacerdotal.  —  Les  lignes  qui  suivent  immédiatement  dans  Emile  le  texte  de 
la  Profession  forment  une  espèce  de  post-scriptum,  qu'il  convient  de  citer  ici  :  «J'ai 
transcrit  cet  écrit,  non  comme  une  règle  des  sentiments  qu'on  doit  suivre  en  matière 
de  Religion,  mais  comme  un  exemple  de  la  manière  dont  on  peut  raisonner  avec 
son  élève,  pour  ne  point  s'écarter  de  la  méthode  que  j'ai  tâché  d'établir.  Tant  qu'on  ne 
donne  rien  à  l'autorité  des  hommes,  ni  aux  préjugés  du  pays  où  l'on  est  né,  les  seules 
lumières  de  la  raison  ne  peuvent,  dans  l'institution  de  la  nature,  nous  mener  plus  loin 
que  la  Religion  naturelle;  et  c'est  à  quoi  je  me  borne  avec  mon  Emile.  S'il  en  doit  avoir 
une  autre,  je  n'ai  plus  en  cela  le  droit  d'être  son  guide  ;  c'est  à  lui  seul  de  la  choisir  ». 


474 


TABLE    DES    MATIERES 


TABLE  DES  MATIÈRES  DE  LA  «  PROFESSION  DE  FOI  » 

(dressée  par  Rousseau?) 


Dans  l'édition  originale,  le  Tome  III  se  termine  par  une  Table 
des  Matières  pour  les  deux  derniers  volumes,  pp.  36 1-384.  Cette  Table 
manque  dans  l'Exemplaire  corrigé  de  la  Bibliothèque  de  Genève:  mais 
on  V  lit.  H,  36i.  cette  note  manuscrite  de  Rousseau,  au  bas  de  la 
Table  des  Matières  pour  les  deux  premiers  volumes  :  «  Cette  table 
ne  servira  pas,  quant  aux  c/iiff'res:  tnais,  comme  elle  est  bien  faite. 
elle  servira  de  modèle  pour  la  table  générale.  Quant  à  la  table  des 
deux  derniers  volumes,  elle  tie  vaut  rien  du  tout,  il  la  faut  refaire  ».  Et 
c'est  pourquoi,  sans  doute,  Rousseau  l'avait  supprimée  dans  son  Exem- 
plaire corrigé.  D'autre  part,  il  avait  écrit  à  Duschesne,  le  -  mars  ij62. 
X,  3/6  :  «D'aujourd'hui  en  huit,  vous  aure^i  une  table  telle  quelle  des 
deux  premiers  volumes:  mais  je  vous  préviens  qu'il  m'est  impossible  de 
faire  celle  des  deux  derniers:  et  malheureusement  cette  table-là  demande 
plus  d'adresse  et  de  circonspection  que  l'autre,  pour  ne  pas  casser  les 
vitres.  Mais  je  suis  hors  d'étal  de  vaquer  à  ce  travail-là  ».  Il  est  donc 
douteux  que  cette  seconde  Table,  —  qui  d  ailleurs,  est  fort  «  circonspecte  » 
(on  y  chercherait  vainement  le  mot  de  Révélation)  —,  soit  l'œuvre  de 
Rousseau.  Néanmoins  je  crois  devoir  en  reproduire  ici  les  articles  qui 
se  rapportent  à  la  Profession  de  toi.  .k  conserve  les  renvois  aux  pages 
de  l'édition  originale,  puisqu'on  les  trouve  en  marge  de  mon  édition. 


AMATUS  LUSITANUS,  T.   III.  p.  58  n. 

.Ame  de  l'homme,  son  immatérialité  prouvée,  III.  S5 

Sa  destruclion  ne  peut  se  concevoir,  111.  î^'i 

Aristide,  III,    '■'^i 
Athéisme,                                                                                            III.   iqX  é'  ^""'-   "■ 

BAYI.E,  m,   ig8 

CATILINA,  m,   104 

Caton,  111.    102 


DE    L  EDITION    ORIGINALE 


475 


César. 

Charron,  cilé, 

Ctarke. 

Coiidamine.  (M.  de  la)  singularité  qu'il  rapporte, 


iU,     I02 

III,  i37  n. 
III,  32 
m,  38 


Confiance,  moyen  de  gagner  celle  des  personnes  qu'on  veut  ramener  au  bien,  III,   lo 

Conscience,  le  meilleur  des  Casuistes.  111,  97  ^  suiv. 

Autres  notions,  III,   ro;,   114 

Pourquoi  si  peu  écoutée,  III.   ii5 


DESCARTES, 
Deuleronome, 
Dieu,  incompréhensible, 

Puissant,  bon,  juste. 

Immatériel. 

Eternel, 

Intelligent,  &  comment. 


III. 


25,  47  ^  suiv. 

111,   147  n. 
111,  62,  92,  96 

III,  82,  95 

III,  92 
m.  93 
III,  94 


ECRITURES,  (les)  leur  majesté.  III,   179 

/Ti'a/i^i/e,  (T)  sa  sainteté,  III,   r79 

Existe,  {]')  première  vérité  connue,  III,  33 

Existence.  (!')  des  objets,  de  nos  sensations,  seconde  vérité  connue,  Ili,  36 


FANATISME, 
Flogistique, 

HOMME,  quel  rang  il  occupe  dans  l'ordre  des  choses. 
Composé  de  deux  substances. 
Le  moyen  de  leur  union  est  incompréhensible 
Sa  dignité, 

Elle  est  pour  lui  un  motif  de  reconnaissance. 
Auteur  du  mal 


198  ^  SUIV.  n. 
III.  44  n. 

III,  64 
III,  70,  85 
lII,  5o,  122 
III,  65 
III.  67 
III.  81 


IDEALISTES  ^  Matérialistes,  chimère  de  leurs  distinctions, 

Idées,  comparatives  &  numériques,  ne  sont  pas  des  sensations. 
.Abstraites,  sources  des  plus  grandes  erreurs. 
De  justice  &  d'honnêteté,  par-tout  les  mêmes. 
Acquises,  distinguées  des  sentimens  naturels. 

Instinct,  - 

Juger,  diffère  de  sentir,  &  en  quoi, 

N'appartient  qu'à  l'être  actif  ou  intelligent. 

.Iulius  Catnillus, 


III. 


III,  36 

III,  38 

5r.  ^  suit'. 

III,   106 

lïl,   III  ' 

m,  98  n. 

III,  37 

ibid. 

111.  58 


LEONIDAS. 

Liberté,  en  quoi  elle  consiste, 


III,   181 
III.  76 


'  Je  rétablis  ;  /  /  ,  l'édition  originale  porte  :  /  /. 

-  Il  y  a  ici  une  faute  d'impression  dans  l'édition  originale,  qui  porte  :  Institut. 


476  TABLE    DES    MATIÈRES 

Son  principe  immatériel. 

Pourquoi  nous  a  élé  donnée, 

Effets  de  son  bon  ou  mauvais  usage, 
Locke, 
Lucrèce. 

MAGICIENS  DE  PHARAON, 
Mariage,  première  institution  de  la  nature, 
Matérialisme,  son  absurdité, 
Malérialisles, 

Leur  raisonnement  comparé  à  celui  d'un  sourd, 
Matière,  son  état  naturel, 

Ne  peut  penser, 
Missionnaires, 

Moralité  ds  nos  actions,  en  quoi  consiste, 
Mort,  ce  qu'elle  est  par  rapport  au  juste, 
Mouvement,  n'est  pas  de  l'essence  de  la  matière. 

De  deux  sortes. 

Quel  chez  les  animaux, 

Preuve  d'une  première  cause, 

NEWTON, 
Nieuventit, 

ORPHÉE,  111,   128 

PAGANISME,  ses  Dieux  abominables,  111,   106 

Paracelse,  111,   Sg 

Philosophes,  III,  27 

Cause  de  la  diversité  de  leurs  sentimens,  III,  28 

Ne  prennent  point  intérêt  à  la  vérité,  III,  3o 

Leur  unique  objet,  ibid. 

Leurs  bizarres  systèmes,  III,  32,  60,   107 

Philosophie,    son    pouvoir    relativement    aux    mœurs    comparé    à    celui    de    la 

religion,  III,  200  n. 

Platon,  son  juste  imaginaire,  III,   180 

Plutarque,  III,  84 

Poul-Serrho,  ce  que  c'est  chez  les  Mahométans,  III,  201,  j^  suii'. 

Providence,  (la)  considérée  relativement  à  la  liberté  de  l'homme,  III,  77 

Comment  justifiée,  111,  84 

Et  par  rapport  à  quoi,  111,  83 

REGULUS,  III,    MO 

Religion,  son  pouvoir  pour  empêcher  le  mal  &  procurer  le  bien,  III,  200,  jj-  suiv.  n. 

Les  trois  principales  de  l'Europe,  III,   162 

Remords,  III,   104 

Reuchlin,  III,  166 


III. 

77 

m. 

78 

11, 

122, 

^  suiv. 

III, 

70 

m, 

106 

m, 

'47 

III, 

23 

m,  ! 

il,  70 

n. 

m, 

36 

111. 
111, 

73 
43 

III, 

70, 

ibid. 

n. 

111, 

168 

111, 

100, 

"4 

III.  84, 

86 

43 

,  ib, 

\d.  n , 

5i 

m, 

43, 

^  suiv. 

m, 

44 

II 

1,  48, 

54 

m, 

47. 

^'  suiv. 

III, 

58 

DE  l'Édition  originale  477 

SCEPTIQUES,  leur  malheur,  III,  26 

Sensations,  différentes  de  leur  cause  ou  de  leur  objet,  III,  36 

Comment  distinguées  par  l'être  sensiiif,  III.  Sg 

Sens,  dans  leur  usage  nous  ne  sommes  pas  purement  passifs,  III,  40,  ^  suiv. 

Sentimenl  du  moi,  doute  sur  sa  nature,  III,  35 

Se;irjmenM>i<érîeur,relativemeniàrordresensiblede  l'univers,  III,  56,96,  ^suiv. 

difficile  à  rappeller,  111,   i3o 

Sen^mens  na/ure/s,  de  deux  sortes,  III,   112 

Antérieurs  à  notre  intelligence,  111,    m 

Sentir,  en  quoi  diffère  de  juger,  Ili,  37 

Socrate  \                                                                                       III,  110,   180,  ^  suiv. 

Spontanéité,  III,  4^ 

Stoïciens,  l'un  de  leurs  bizarres  paradoxes,  Ili,   i58 

UNIVERS,  son  harmonie  démontre  une  intelligence  suprême,  III,  56,  60 

Ker/u,  (la)  comparée  au  Prothée  de  la  Fable,  III,   118 

XENOCRATE,  111,  106 


Fin  de  la  Table. 


L'édition  originale  place  Spontanéité  et  Stoïciens  avant  Socrate. 


APPENDICES 


CINQUIÈME  ET  SIXIÈME  «  LETTRES  A  SOPHIE  ». 

.1  ai  raconté  plus  haut  icf.  Introduction.  /'  Partie,  c/iap.  Ii  dans 
quelles  circonstances  Rousseau  avait  entrepris,  puis  abandonné  la  ré- 
daction des  Lettres  à  Sophie.  Ces  Lettres  inachevées  traitaient  précisément 
quelques-uns  des  problèmes  moraux  que  le  Vicait-e  Savoyard  ne  pouvait 
négliger  dans  son  système  de  Religion  naturelle.  Aussi,  en  arrivant  à 
ce  point  de  son  exposé.  Rousseau  se  rappela  qu'il  avait  déjà  étudié  la 
question,  et  se  reporta  à  ses  anciennes  notes.  Il  écrivit  en  marge  du 
Brouillon  de  la  Profession  (cf.,  plus  haut,  p.  234)  :  N.  B.  S'il  est  vrai 
que  le  bien  soit  bien.  Lettre  5'=  à  Sophie.  En  effet,  la  V'  et  une  partie 
de  la  Vr  Lettres  ont  été  utilisées  par  le  Vicaire  {cf.,  plus  haut, 
pp.  241-281  j.  Mais,  avant  de  les  transporter  dans  la  Profession,  Rous- 
seau en  a  revisé  le  texte,  et  v  a  substitué  au  nom  de  Sophie  celui  du 
disciple  idéal  (cf.  Introduction.  //'  Partie,  cliap.  I,  i,  i j.  Cette  substi- 
tution est-elle  la  seule  que  Rousseau  ait  fait  subir  à  l'ancien  Manuscrit 
des  Lettres  avant  de  les  utiliser  dans  la  Profession  ?  //  est  difficile 
aujourd'hui  de  distinguer,  parmi  tant  de  corrections  et  d'additions, 
les  di/jérenls  apports:  et  nous  ne  pouvons  avoir  de  certitude  que  pour 
les  quelques  passages  oii  le  disciple  du  Vicaire  est  nommément  interpellé. 
Cependant  il  est  très  probable,  comme  le  montre  la  similitude  des 
écritures  et  des  encres,  que  beaucoup  de  ces  retouches  n'intéressent 
plus  déjà  les  Lettres  à  Sophie,  mais  la  Profession.  La  rareté  même  des 
ratures  dans  le  texte  de  F  semblerait  confirmer  cette  hypothèse. 

Le  Manuscrit  des  V'  et  Vf'  Lettres  à  Sophie  est  conservé  à  la 
Bibliothèque  de  Neuchàtel  sous  le  n"  j8go  [4  A'].  M.  Eugène  Rilter 
en  a  déjà  publié  une  transposition  sommaire,  qui  donne  presque  partout 
le  texte  auquel  ./ean-Jacques  parait  s'être  finalement  arrêté  dans  cette 
Rédaction,  mais  qui  ne  signale  pas  les  premiers  jets  et  les  repentirs  [3i]. 


480  APPENDICES 

On  en  trouvera  ici  le  texte  intégral.  Je  publie  ces  Lettres  avec  la  même 
méthode  que  les  Manuscrits  de  la  Profession  (cf.,  plus  haut.  Introduction, 
IIP  Partie,  chap.  III,  %  i).  Tous  les  développements  qui  ont  été  utilisés 
par  le  Vicaire  sont  imprimés  en  italique:  et,  dans  l'intérieur  de  ces 
développements,  j'ai  détaché  en  caractères  gras  tout  ce  que  l'édition 
originale  ûf 'Emile  a  modifié  ou  n'a  pas  conservé. 


LETTRE  5*= 

f °  1  ro  j   Toute  la  moralité  de  la  vie  humaine  est  dans  ('  la  volonté)  de  rhomme. 

f  S'il  est  vrai  que  te  bien  soit  bien,  il  doit  l'être  au  fond  de  nos  cœurs  comme 
dans  nos  oeuvres,  et  le  premier  prix  de  la  (^  vertu)  est  de  sentir  qu'on  la 
pratique.  Si  la  bonté  morale  est  conforme  à  nôtre  nature  t' homme  ne  sauroit 
être  sain  ni  bien  constitué  ('s'il  n'est  pas)  bon.  Si  elle  ne  t'est  pas  et  que 
l'homme  soit  (fait  pour  être)  méchant  [*  il  ne  peut  cesser  de  l'être  sans  se 
corrompre.  La  bonté  (*  se?oit)  en  lui  un  vice  de  conformation  "l]  ['car]  i!  ("est) 
'fait  pour  nuire  {'"  aux  autres)   comme  (  "  te)  loup  pour  égorger  sa  proye. 


'  [l'intention]. 

^  [justice]. 

'  [qu'autant   qu'il   est]. 

*  [naturellement]  (et  se  déprave  quand  il  est...  [devient]  bon...  [mots  illisibles]). 

»  [(devient)...  «ne»  seroit  en  lui  qu'un  vice  contre  nature  (et)]  fait  pour  nuire, 

«  (ou  de). 

'  let). 

s  (ne). 

3  lait(e). 

'"  [à  ses  semblables]. 

■'  [la]. 


'f  Le  début  de  la  Lettre  V  a  d'abord  été  esquissé  à  la  suite  de  la 
Lettre  IV,  dont  le  Manuscrit  est  à  Genève  [4  B],  f"  33''°  :  Toute  la 
moralité  (des  actions)  [de  la  vie]  liuniaine  est  dans  (l'estimation...  la 
volonté)  [les  intentions]  {de  ceux  qui  les  font)  [des  hommes].  Un  espace 
de  quelques  lignes  laissé  en  blanc,  puis  :  S'il  est  vrai  que  le  bien  soit  bien, 
il  doit  l'être  au  fond  de  (noire)  [nos]  cœur[s|  comme  dans  (les  actions 
de  nôtre  vie)  [nos  œuvres]  et  le  premier  pri.\  de  la  vertu  est  de  sentir 
qu'on  la  pratique. 

t  Ici.  en  marge,  sans  aucun  signe  de  raccord  :  Ses  bonnes  actions 
mêmes  perdent  leur  prix  au  fond  de  son  ame  par  le  défaut  du  motif. 


VP    LETTRE    A    SOPHIE  481 

(Et  comme  un  loup  pitoyable  seroit  un  mauvais  loup,  1  un  homme  humain  seroit  un 
animal  '  dépravé  -  ['  et  la  vertu  seule  nous  laisserait  des  remords]. 

*  Croiriez  vous  qu'il  fut  au  monde  une  question  rlus  facile  à  résoudre  (que 
celle-cil.  v  De  quoi  s'a?it-  il  pour  cela  sinon  de  rentrer  en  soi-même  let)  d'examiner 
tout  intérest  personnel  à  part,  à  quoi  nos  penclians  naturels  nous  parlent.  Quel 
spectacle  nous  Jlate  le  plus,  celui  des  tourmens  ou  du  bonheur  d'autrui; 
['  qu'est]  ce  qui  [*  nous  est]  le  plus  doux  à  faire  et  nous  laisse  une  impression 
plus  a/rréablc  après  l'avoir  fait  d'  '  un  ('  crime  ou  d'une  noble?  action).  Pour  qui 
nous  'intéressions)  nous  sur  ('"nosi  théâtres:  esl-ce  aux  forfaits  que  ("  n)ous 
'-pren(ons)  plaisir,  "  esl-ce  ("aux  coupablesi  que  nous  'donnons  des  larmes  ("'de 
'■  tendresse)  et  de  pitié  ;  entre  le  héros  malheureux  et  le  tyran  triomphant,  duquel  des 
«  deux  «  '"  nos  voeax  secrets  nous  raprochent-ils  «  '  '  sans  cesse  ^^  et  qui  de  ■  "  nous 
forcé  de  c'ioisir  n'aimeroit  pas  mieux  encore  être  le  bon  qui  souffre  que  le  méchant 
qui  prospère  tant  l'horreur  1'-'  du  crime  1  l'emporte  naturellement  en  nous  sur  celle 
(--  de    -'  tous   les  autres  mauxi. 

[l'o/Z-oH  dans  une  rite  ou  sur  un  chemin  (-*  un)  acte  de  violence  et 
d'injustice   à    l'instant   un    -'•'  mouvement   de  colère   et   d'indignation   s'élève 


'    aussi  . 

•  qu'un   loup    pitoyable]. 

'  iVous  semble-t-il,   6   Sophie,   que   cela    puisse   taire   une   quesUoni. 
'  Croriez  (sici. 
^  let). 

*  idonnel. 
'  uniei. 

"    ibienfait...  bonne  action)  acte  de  bienfaisance  ou  d'un  acte  de  méchanceté]. 

'■'  interess[ez]. 

'»  [vos]. 

"    v'ous. 

'-  pren[ez]. 

"  "(les  mall'aiteurs  ont-ils  tous  nos  vœux  secretsi]. 

"  [à  leurs  auteurs  punis]. 

'»  donniez]. 

"  [(d'attendrissementi  . 

"  jpitiéi]. 

'*  ]vosî. 

'"  [(incessammenti  . 

"•  [vous]. 

"  [de  faire  le  mal]. 

"  [(des)  de  l'endurer]. 

"  (toutes). 

"  [quelque]. 

'"  (dépit). 

t  Ici.  en  marge,  d'une  écriture  plus  récente  :  Oh  Rentrons  en  1  moi  1 
nous  même  o  mon  bon  ami.  Examinons  tout  intérest  ;/>?/ /A'  un  signe  de 
raccord  à  personnel. 

3i 


482  APPENDICES 

c!i(  fo'id  du  cœur  et  nous  parle  à  prendre  la  dejj'ense  de  l'opprime.  (['  Un  des 
tourmens]  que  l'état  civil  impose  aux  (-particuliers)  est  de  voir  ('incessamment) 
le  mal  et  de  noser  ^  ni  s'y  opposer  ni  [^  s'en]  plainlre  ''.  Mais  [(quand)]  '  le 
devoir  naturel  nous  y  «  "  porte  »)  ^  un  devoir  plus  puissant  nous  retient  {'"  nous 
avons  perdu)  le  droit  de  protéger  l'innocence  (et  "c'est  un  crime  '-  dans  l'ordre  social 
^^  de  ••>  s'opposer  au  mal  qu'on  voit  îaire)]. 

[.li;  contraire  si  quelque  acte  de  clémence  ou  de  générusité  frape  nos 
veux  quelle  admiration  quel  amour  il  nous  inspire.  Qui  est-ce  qui  ne  se  dit  pas 
à  lui-même  ;  j'en  voudrais  avoir  fait  autant.  Les  âmes  les  plus  corrompues  ne 
sauraient  perdre  tout  à  fait  cef"  t  heureux)  penchant  (au  bien  '^)  ['■■  le  brigand 
qui  ["'  dépouille  les  passons]  couvre  ("  quelquefois)  la  nudité  du  pauvre  '",  il  n'y 
a  point  de  féroce  assassin  qui  ne  (coure)  '■' sout(enir)  un  homme  tombant  en 
défaillance'\  les  traîtres  même  et  les  perfides  en  (-"  meditan  t)  [entre  eux  leurs] 
complots  [^'  se  touchent  dans  la  main]  «  se  ^>  donnent  leur  parole  et  respectent  leur 
foi.  (0)  homme  [-'-  pervers  tu  as  beau  faire  je  ne  vois  en  toi  qu'un  méchant 
[inconséquent  et]  maladroit  car  la  nature  ne  t'a  point  fait  pour  l'être]]. 

On  parle  (beaucoup  -''de  la  voix  '■''des)  remords  qui  punit  en  secret  les 
crimes  cachés  et  les  met  [si]  souvent  en  évidence  (par  la  terreur  des  coupables). 
Helas  !  qui  de  nous  ne  connut  /'amais  -''cette  voix  importune.  On  parle  par 


'  (il  n'y  a  que  l'ordre...  la  considération...  c'est  un  des...  [Le]  plus  grand 
supplice). 

'  [gens  [bien]  nés]. 

'  [toujours]. 

*  (n'y). 

5  (sans). 

'  (et  de  laisser  les  médians  tout  puissansl. 

'  [(ce  penchant)]. 

^  ("(excite)]. 

'  [(en  vain)]. 

'"  [et  les  loi.x  nous  ôtent]. 

"  [dans  l'ordre  social]. 

''  [toujours  sévèrement  puni]. 

'^  [premier]. 

"  (et  celui  qui). 

'*  (les  brigans  [voleurs]). 

•^  (font  tant  de  malheureux)  [dépouille! nti]. 

"  [pourtant]. 

1*  (et  tel  assasin  sur  un  grand  chemin  qui  prend  pitié). 

'^  sout[ienne]. 

■"  [(com  PL0T.4NT)  formant]. 

"  (perfides). 

-^  (qui  que  tu  sois  sonde  ton  cœur  quelque  pervers  que  tu  puisses  être  sonde 
ton  cœur,  sonde). 

■"  [du  cris  des]. 

"  (du). 

"''  (ses). 


\^   LETTRE   A    SOPHIE  483 

expérience  et  l'on  voudroit  effacer  ce  sentiment  involontaire  qui  nous  donne 
['  tant  de  tourment.  Mais  i-  suivonsi  la  nature  (et)  nous  (^  sentirons)  ai'ec 
quelle  douceur  elle  approuve  ce  qu'elle  a  commandé,  et  quel  char/ne  on  trouve  à 
i'  sentir  ^  l'applaudissement)  d'une  âme  contente  d'elle  même,  f  ^^  méchant 
[se  craint  et  se  fuit,  il]  s'egaye  en  se  jettant  hors  de  ''lluii,  il  tourne  autour 
de  lui  des  yeux  inquiets  et  cherche  un  objet  qui  le  lasse  rire;  [sans  la  raillerie 
insultante  il  seroit  toujours  triste],  Mais  au  ['  contraire]  la  sérénité  du  juste 
est  intérieure  :  son  ris  n'est  point  de  malignité  mais  de  joye,  il  en  porte  la 
source  en  lui  même.  Seul  il  est  aussi  gai  qu'au  milieu  d'un  cercle;  et  *  ce 
«  contentement  »  inaltérable  '  qu'on  voit  régner  en  lui  il  ne  le  tire  pas  de  ceux 
qui  l'approchent  (mais)  il  le  leur  communique. 

Il  JettCy  les  yeux  sur  toutes  les  nations  du  monde,  parcoure^  toutes  les  fo  -J  ^■j 
histoires:  parmi  tant  de  cultes  inhumains  et  bigarres,  parmi  cette  prodigieuse 
diversité  de  mœurs  et  de  caractères  «  vous  ■»  '"  trouvere'i  par  tout  les  mêmes 
idées  de  justice  "  et  d(e  '-vertu),  jt>ar  tout  les  mêmes  principes  de  morale,  ([et"  par 
tout)  les  mêmes  notions  du  bien  et  du  mat.  '^  L'ancien  Paganisme  ('*  n'offroit 
aux  hommes  que)  '^  des  Dieux  abominables  '"qu'on  eut  punis  (''sur  la  terre) 
comme  '^  des  scélérats  et  qui  n'offraient  pour  tableau  du  bonheur  suprême  que 
des  forfaits  à  commettre  et  des  passions  (infâmes)  à  contenter.  Mais  le  (''-'  crimei 
revêtu  d'une  autorité  sacrée  (sembloiti  -^' descend(re)  en  vain  (-'du  Ciel  sur  la 


'  idansi. 

'  [(écoutonsi  obéissons  a'. 

•  [connoitrons\ 

'  [goûter. 

'  ria  paix  intérieure]. 

«  [soi:. 

'  (lieu  quel. 

«  ce(tl. 

'  (bonheur». 

'"  [(nei]   trouverez   [ivous    pas)]. 

"  (et  de  morale). 

'•  [honneteié[. 

"  Dans  (sicj. 

'*   enfanta]. 

'5  D. 

'^  «  qu'on  »  icon...i  [adoroit  au]. 

*"  [ici-bas]. 

'«  (lest. 

'^  [vice]. 

">  descend[oit]. 

"  [(de   l'Olympe)   du   séjour  éternel]. 

t  Ici.  en  marge,  eiic/idsse'  dans  le  développement  :  Voit-on  dans  une 

rue s'opposer  au  mal  qu'on  voit  faire,  la  note  suivante  :  Tableau  du 

bonheur  des  justes. 


484  APPENDICES 

terre I  la  ('sainte  empreinte  de  la  verta)  •*  le  repoussoit  »  (■  de  tous  les)  cœurs 
('  des  hommes).  (;•  -lamais  on  ne  vit  (^  une  Religion  1  si  (  '  dépravée  1  et  de  si  saintes 
maximes  'de  si  méprisables  idivinités^  ('adorées)  par  de  si  i,n-ands  honuiics. 
["  Ainsi]  '•'  Jupiter  «  pouvoit  »  être  incestueux,  Xénocrate  n'en  étoit  pas  moins 
["'  tempérant])  [la  cliasle  Lucrèce]  "  adoroil  l'impudique  \'enus.  l'intrépide 
Romain  '-  sacrijioil  à  la  peur:  Aie  grand  Caton  fut  estimé  plus  juste  quel  la 
providencs'  enfin  {''■' lat  voix  de  la  vertu  plus  forte  que  celle  des  dieux  [même 
se  J'aisoit  (en  dépit  d'eux)  respecter  sur  la  terre,  ^*  et  '=  relegu(oit)  au  Ciel  le 
crime  avec  les  coupables. 

Il  est  donc  au  fond  de  toutes  les  âmes  un  principe  1  "' éternel )  de  /'ustice 
et  de  vérité  morale  antérieur  à  tous  les  préjugés  nationnaux  a  toutes  les  maximes  de 
l'éducation.  Ce  principe  est  la  régie  involontaire  sur  ('■  la)  quelle  "nous  iugeoas 
(malgré  nous  de)  nos  actions  ^'^  et  (de)  celles  d 'autrui  et  [c'est  à]  ce  principe 
[inné]  -"  que  ^'  je  donne  le  nom  de  conscience. 

Mais  a  ce  mot  j'entens  s'élever  de  '^  toutes  parts  la  voix  des  philosophes. 
erreurs  de  l'enfance,  préjugés  de  l'éducation  s'écrient-ils  tous  comme  de 
concert.   Il  n'y  a   rien   dans  l'entendement   humain   que   ce  qui  s'y   introduit 


'  [(na  TURE...    saintL-    voix  dei    la    nature]. 
'  [du]. 

*  [humains]. 

*  [des  divinités;. 

*  [impure]. 

*  de(s  Dieux). 

'  [ne  furent  implorées]. 

'  iLa  vertu  triomphoit  dans  les  cœurs  des  mortels...  triomphoit  de  l'exemple 
des  Dieux). 

"  t(Qu'{est  ce  que)  étoient)  les  débauches  de  Jupiter  (n'ôtoient  rient  à  la on 

célebroit  les  débauche  (sic)  de  Jupiter  [(otoient)]  mais  on  admiroit  la  tempérance  de 
Xénocrate;  la  chaste  Lucrèce]. 

1"  ichaste). 

"  [n']adoroit-[elle  pas]. 

"  [(ne)]  sacritîoit[i-il  pas)]. 

"  [l'immortelle]. 

'*  (en  dépit  d'eu.x). 

''  [sembloit]  relegu[er]. 

'^  [(immortel)  inné]. 

"  [le]. 

'^  [malf^ré  nos  propres  maximes]. 

'"  [comme  bonnes  ou  mauvaises]. 

-"  (est  ce). 

"  (j'appelle). 

"  toutes  part  tsic). 

t  Ici,  un  .sif^ne  de  renvoi,  qui  introduit  l'addition  suivante  :  (Le 
grand  Caton  fut  estimé  plus  juste  que);  et,  d'une  écriture  plus  récente  : 
la  providence.  Mais  cette  phrase  a  reçu  plus  loin  sa  place  définitive. 


ye    LETTRE    A    SOPHIE  485 

par  l'expérience  et  nous  ne  /ugeons  ('desi  chose! s  >  que  [-  sur]  des  idées 
acquises.  Ils  font  plus  ;  cet  accord  [éi'ident  et'  universel  "de  toutes  les  nations 
ils  l'osent  rejetter,  et  [contre]  cette  éclatante  uniformité  du  Jugement  des 
hommes  ||  ils  vont  chercher  dans  les  ténèbres  quelque  exempte  obscur  et  connu  l"  2  ' 
d'eux  seuls,  comme  si  '*  tous  les  penchons  de]  la  nature  ctoient  anéantis  par 
la  dépravation  de  quelques  individus  et  que  ['^  parce)  qu'il  est  des  monstres 
il  n'existât  plus  d'espèce  humaine  '■.  1"  Voyez  les  toiirmens  que  se  donne  le> 
sceptique  montagne  ' pour  a}\ei  déterrer  en  ^^' un.  coin  du  monde  ^"'des  maximes 
contraires)]  aux  notions  (communes  I  de  la  justice.  Que  lui  sert  de  donner  au 
("  premier  menteuri  une  autoritéqu'il  refuseaux  écrivains  les  plus  '-respectable  s; 
quelques  usages  incertains  et  bigarres  fondés  (sans  doute  1  sur  des  causes 
particulières  qui  nous  sont  inconnues,  dclruiront-ils  l'induction  générale  tirée 
du  concours  de  tous  les  peuples  {"An  monde >  opposés  en  tout  le  reste  [et 
d'accord  sur  ce  seul  point.  O  Montagne  toi  qui  te  piques  de  franchise  et  de 
vérité],  sois  i"  de  bonne  foil  si  un  philosophe  peut  l'être  et  ''dis-moi  s'il  est 
quelque  climat  1"  au  monde  1  ou  ce  soit  un  crime  de  tenir  sa  foi  ]d'ètre 
1'"  magnanime  bienfaisant]  et  généreux  :  ou  "la  vertu  soit  ''  punie  et  les 
forfaits  récompensés  '•. 

Je  n'ai  i-*  points  dessein  d'entrer  ici  dans  des  discussions  métaphysiques 
qui  ne  mènent  à  rien],  f  -'  J'ai)  déjà  dit  que  je  ne  voulais  point  disputer  avec  les 
philosophes,    mais  parler  à  vôtre  cœur;  quand  tous  tes  philosophes  du  monde 


'  [d'aucune. 

'  (pa  R). 

'  (desi. 

'  (c'étoit  anéantir). 

'  >itot  . 

'  [ne  fut  plus  rien ]. 

'  'Mais  que  iserti  [servent]  au]. 

'  [(del  les  tourmens  qu'il  se  donne". 

'  (quelquel. 

'»  (quelqu'usagei  [une  coutume  opposée. 

"  [plus  méprisable  et  suspect  voyageur  . 

"  respectable  (sicj. 

"  fide  l'univers)]. 

"  [sincère  et  vrai]. 

'^  di-moi  (sic). 

'^  [sur  la  terre]. 

"  [clément]. 

'8  [l'homme  de  bien  soit  méprisable  et  le  scélérat  honoré]. 

•'  (punissa  Br.Ei. 

".  IP^s]- 

"  [Je  vous  ai]. 


t  On  trouvera,  à  la  fin  de  cette  Lettre,  une  première  esquisse  de  ce 
développement. 


486  APPENDICES 

proureroient  que  j'ai  tort,  si  }'ous  senle^  que  j'iii  raison,  [je  n'eu  reux  pas 
darantage]  (j'aurai  fait  touti  es  que  je  ('  voulois)  faire.  -Je  crois  justement 
nécessaire  de)  vous  faire  distinguer  nos  perceptions  acquises  de  nos  sentimens 
naturels,  car  nous  sentons  nécessairement  avant  que  de  connoitre,  et  f  ^  comme 
nous  n'apprenons  point  à  vouloir  nôtre  bien  personnel  [iet]  à  fuir  notre  mal], 
mais  {nous)  tenons  cette  volonté  de  la  nature,  de  même  l'amour  du  bon  et 
la  haine  du  mauvais  nous  sont  aussi  naturels  que  nôtre  propre  existence;  ■*  les 
idées  (il  est  vrai!  nous  viennent  du  dehors  imais)  les  sentimens  qui  les  apprécient 
^  sont  au  dedans  de  nous  et  c'est  par  eux  [seuls]  que  nous  connoissons  la  con- 
venance ou  la  disconvenance  qui  existe  entre  nous  et  les  choses  que  nous 
devons  rechercher  ou  fuir. 

Il  'l^  [Exister  pour  nous  c'est  sentir  :  et  nôtre  sensibilité  est  incontestablement 

antérieure  à  «d/re  raisonnement.  ["  Quelle]  que  soit  la  cause  de  nôtre  existence, 
'  elle  a  pourvu  à  notre  conservation  en  nous  donnant  des  sentimens  conformes 
.  à  nôtre  nature;  et  l'on  ne  saurait  nier  qu'au  moins  ("  ces  sentimens I  "e  soient 
innés.  Ces  sentimens  eu  égard  a  l'individu  sont  l'amour  de  .toi  même,  la  crainte 
de  la  douleur  et  de  la  mort,  et  le  désir  du  bien-être.  Mais  si  '■'  l'homme  est  un 
animal  sociable  [par  sa  nature]  ou  du  moins  fait  pour  le  devenir  icomme  on  n'en 
peut  douter),  il  ne  peut  l'être  que  par  d'autres  sentimens  innés  relatifs  à  son 
espèce.  Et  c'est  du  s\stême  moral  '"  formé  par  ce  double  raport  "  à  ('-nousi 
mêmelsi  et  à  i''nos)  semblables  que  ("dérivent  hs  impulsions  de)  la  conscience'\. 

f°2*"  Il   Ne  pensés  donc  pas,  ô  Sophie,   qu'il  fut  impossible  d'expliquer  par  des 

conséquences  de  notre  nature  le  principe  actif  de  la  conscience,  indépendant  de 
la  raison  même.  Et  quand  cela  serait  impossible  encore  ne  seroit-il  pas 
nécessaire.  Car  les  philosophes  qui  combattent  ce  principe  ne  prouvent  point 
qu'il   n'existe  pas,    mais    se   contentent   de   l'affirmer:   quand   nous  affirmons 


'  [prétendois]. 

'  [(eti  il  ne  faut  pour  cela  que]. 

'  (car). 

*  [ainsi  quoique]. 
°  (qui). 

^  (Quelque). 

'  [(cette  eau  se  ?)]. 

*  [ceu.x  là]. 

'  [comme  on  n'en  peut  douterj. 

10  (qui  dérive  des)  [dérivé]. 

"  (que  la  conscience). 

'2  [soi]. 

"  [ses]. 

"  [(se  forme)  naît  (le  sentiment)  l'impulsion  naturelle  de]. 


t  Ici.  dans  le  manuscrit,  un  espace  de  quelques  lignes  laissé  en  blanc. 
t  Rousseau  a  marqué  la  place  définitive  de  ce  rnorceau  marginal  par 
un  signe  de  renvoi,  accompagné  des  mots  :  page  précédente. 


ve   LETTRE   A    SOPHIE  487 

('le  contraire I  nous  sommes  donc  aussi  avancés  qu'eux  cl  nous  ai'ons  de  plus 
(-/,)  témoignage  intérieur  (qui  'confirme  nôtre  sentiment)  el  la  voix  de  la 
conscience  qui  dépose  pour  elle  même. 

t  *  -Ma  chère  amie;  que  ces  tristes  raisonneurs  sont  à  plaindre,  en  effaçant 
(^  dans  leur  ame)  les  sentimens  de  la  nature  ils  détruisent  la  source  de  tous  leurs 
plaisirs,  et  (''pour)  ['se  délivrer]  du  poids  de  la  conscience  ("ils  '  s'otent  les 
"^  voluptés  mêmes  auxquelles  il  seroit  doux  de  s'immoler),  f  Si  la  foi  des  amans 
n'est  qu'une  chimère,  si  la  pudeur  du  sexe  consiste  en  vains  préjugés:  que 
("  seront)  "  toufs]  les  charmes  de  l'amour;  si  nous  ne  vovons  plus  dans  l'univers 
que  de  la  matière  et  du  mouvement  '^  ou  seront  [donc]  (tous)  les  biens  moraux 
('*  aux  quels)  «  nôtre  •»  ame  est  (''  si  sensible),  «  et  »  quel  sera  le  prix  de  la  vie 
humaine,  si  nous  n'en  jouissons  que  pour  végéter.  (["^  N'  "  est-CE  pas  un  bien 


'  "qu'il  existe". 

'  (del  [toute  la  force  du], 

'  [isoutientr. 

*  TBon  jeune  homme]. 
'  [en  eux]. 

*  [ne  savent  se]. 

'  (vouloir  s'oter). 

'  [qu'en  se  (jettant  dans  l'insensibilitél  se  rendant  insensibles]. 

"  [(effacent  en  eux  tout  sentimentl]. 

"•  [idelicesi]. 

"  [deviendront]. 

'-  tou(t). 

"  (que  devi  endbontI. 

"  [idonti]. 

'*  [toujours  avide]. 

"=   [Que  je]. 

"  est-pas  (sic). 


t  Le  développement  qui  suit,  sur  la  pudeur  et  l'amour,  n'a  pas  été 
utilisé  dans  la  Profession  de  foi;  mais  les  idées,  sinon  les  expressions 
mêmes  ont  passé  dans  la  Lettre  à  D'Alembert.  Cf.  l,  233-236,  et,  en 
particulier,  234,  oit  la  phrase  qu'on  lit  ici,  sur  cet  état  de  toiblesse  et 
d'oubli  d'eu.\-mêmes  qui  les  livre  à  tout  agresseur,  se  retrouve  presque 
textuellement  :  un  état  de  foiblesse  et  d'oubli  d'eux-mêmes  qui  les  livre 
à  la  merci  du  premier  venu. 

t  C'est  ici,  sans  doute,  que  devrait  s'insérer  l  addition  marginale 
suivante,  qu'aucun  signe  de  raccord  ne  vient  rattacher  au  texte.  Si  la 
vertu  n'est  rien,  si  l'amitié  n'est  qu'habitude  (et)  l'intérêt  personnel  quels 
[vrais'  plaisirs  (morau.xi  pouvons  nous  goûter  sur  la  terre  !  Cette  addition 
parait  être  de  la  même  plume  que  la  surcharge  :  Bon  jeune  homme. 


488  APPENDICES 

maladroit  sisteme  que  celui  de  ces  philosophes  qui    pour  (['  oier]  !es|  remords 
('  des  voluptés)  (^  étouffe  à  la  fois  l'un  et  l'autre)]),  f 

Je  reviens  à  ce  sentiment  de  honte  si  charmant  et  si  doux  â  vaincre  [plus 
doux  peut  être  encore  à  respecter],  qui  combat  et  enflamme  les  désirs  d'un 
amant  (''  et  sait  si  bien  ^  dedomager  son  cœur  "  des  plaisirs)  qu'il  refuse  «  '  à  ses  » 
sens.  Pourquoi  rejetterions  nous  le  (*  témoignage)  intérieur  qui  ["  voile  d'une 
modestie]  impénétrable  les  ('"  désirs)  secrets  d'une  fille  pudique  et  ("  son  front) 
d'une  rougeur  [enchanteresse  aux  tendres  discours  d'un  amant  aimé].  '^  L'attaque 
et  la  deffense  '^  sont  des  loix  de  la  nature.  {'''  C'est)  elle  qui  permet  la  résistance 
au  sexe  qui  peut  céder  ('•'  toutes  fois)  qu'il  lui  plait.  ('"  C'est)  elle  qui  prescrit  la 
poursuite  à  celui  qu'elle  "  prend  soin  de  rendre  discret  «  et  modéré  ».  ('*  C'est) 
elle  qui  '"  remet  {-"  leurs  communs)  plaisirs  à  la  garde  de  la  honte  et  du  mistére, 
dans  un  état  de  foiblesse  et  d'oubli  d'eux-mème  qui  les  -'  livre  à  tout  aggresseur. 
jo  g  po        Vous  (-- vovez)   donc  ('' qu')il   (n')est   (^*  pas   vrai)   que   la   pudeur  || '■'"  n'ait   pas 

*  (séparer)  [nous  délivrer  des]. 
"  ([de  la]  volupté  [du  plaisir]!. 

'  [(nous  apprennent  à  n'en  plus  connoitrel  etouft'e  les  voluptés  qui  les  nourris- 
sent... qui  ne  (sait)  peut  séparer  les  remords]. 

*  [et  rend  tant  de  plaisirs  à  son  cœur]. 

'  [(consoler  (son)  un  cœur  tendre...  un  tendre  cœuri]. 

*  [pour  ceux]. 
'  [(aux)]. 

*  [reproche]. 

^  (couvre  nos  désirs  d'un  voilel. 

'"  [vœux]. 

"  [couvre  ses  joues]. 

"  [Quoi  donc]. 

"  [ne]  sont  [elles  pas]. 

"  [N'est-ce  pas]. 

''  [autant]. 

'^  [N'est-ce  pas]. 

"  (a). 

"  [N'est-ce  pas]. 

'"  [les]. 

-"  [durant  leurs]. 

2'  [livreroit]. 

--  [sentez]. 

"  [combien]. 

"  [faux]. 

-^  (ne  soit  qu'une  chimère  faute  de  raison  et  qu'on  n'ait). 

f  Le  texte  de  cette  addition  a  été  repris  un  peu  plus  haut,  dans  la 
même  marge,  sous  la  forme  suivante  :  N'est-ce  pas  un  bien  maladroit 
sistème  que  celui  qui  ne  sait  ôter  le  remords  de  la  volupté  qu'en  étouffant 
à  la  fois  l'un  et  l'autre.  On  voit,  d'ailleurs,  par  les  différents  signes  de 
raccord,  que  Rousseau  a  eu  des  hésitations  sur  la  place  à  donner  à  cette 
phrase.  Il  semble  qu'il  ait  voulu  un  instant  la  placer  avant  :  Si  la  foi 
des  amans,  ou  :  Si  nous  ne  voyons  plus  dans  l'univers. 


V*'   LETTRE    A    SOPHIE  489 

sa  raison  suffisante  et  ne  soit  qu'une  chimère  dans  ['  la]  nature,  et  comment 
seroit-elle  l'ouvrage  «  -  des  -»  préjugés  si  les  préjugés  mêmes  de  l'éducation  la 
détraisent.  Si  vous  la  voyez  dans  toute  sa  force  chez  les  peuples  ignorans  et 
rustiques  et  si  sa  douce  ]voix  ne  s'étouffe  chez  les  ('  peuples)  plus  cultivés  que 
par  les  sophisme  1*  de  la  raison). 

'•'C'est  ainsi  que)  les  premières  lueurs  du  jugement  nous  éblouissent  et 
(''cachent)  »  d'abord  »  tons  les  objets  à  nos  'regards.  (Mais)  attendons  que  nos 
•  faibles]  yeux  se  {"raffermissent}  et  bientôt  nous  reverrons  les  mêmes  objets 
aux  lumières  de  la  raison  tels  que  nous  les  montrait  d'abord  île  seul  intérest  dei 
la  nature.  Ou  plus  lot  soyons  plus  simples  et  moins  vains.  Bornons-nous  en 
'sur  tout)j  aux  premiers  sentimens  que  nous  trouvons  en  nous  mêmes,  puisque 
c'est  toufours  à  eux  que  l'étude  nous  ramène  quand  elle  ne  nous  a  point  égarés,  f 


!'    Conscience,  conscience    instinct  dirin^   "voix   1'"  céleste'   "1"  modèle  du        f  "  4  ro 
'-beaui;  ["guide  ('* unique)  d'un  e7re (intelligent  et  libre,  mais  ignorant  et  borné  '- 
luge  infaillible  du  bien  et  du  mal.  sublime  émanation  de  la  substance  ("divine  , 
qui   rends   l'homme   semblable   aux   Dieux    :    c'est    '■  loi  seule     '^  qui     ''fais 
l'excellence  de  (-"  ma  )  nature. 

Sans  toi  je  ne  (-'  voisi  [rien]  en  moi  qui  m'élève  au-dessus  des  bêtes,  que 
le  triste  privilège  de  m'égarer  «  --  d'erreurs  en  erreurs  »  (^^  à  l'aide  de  ma 
raison). 

'  (sa). 

»  ;(de  la)\ 

'    nations    plus  cultivé[esT. 

*  [du  raisonnement^ 

°  ;si;. 

*  [confondent  . 
'  (foiblessesi. 

*  [rouvrent  ;  (et)  se  fortifient". 

'  (sub  LiMEl  [immortelle  et  céleste]. 

'"  (inl  ERiEiRE  'instinct]). 

"  (sublime  émanation). 

"  [(vrai)]. 

"  [(guide  que  rien)]. 

'■*  [assuré]. 

''  [mais  intelligent  et  libre'. 

'*   éternelle]. 

'■  >]• 

'^  (qu'il  doit  Texc  ellence). 

'^  "montres  . 

"  [sa  . 

"    sens  . 

-'  [isans  cesser. 

='  [à  l'aide  d'un  entendement  sans  régie  et  d'une  raison  sans  principe'. 

^  Le  f°  3''"  est  resté  blanc:   et  les  morceaux  suivants  sont  isolés 
sur  le  f"  4. 


490  APPENDICES 


fo  4  *"  Il    Attachez  vous  à  faire  les  choses  que  vous  aimez  à  voir  faire  aux  autres. 


t  (Mais  j'ai  déjà  dit  que  je  l'oulois  parler  à  vôtre  cœur,  et  ('  que  je  n'entre- 
prenois)  pas  (de)  dispuier  avec  les  philosophes.  Ils  auroient  beau  [me]  prouver  qu'ils 
ont  raison,  je  sens  qu'ils  mentent  et  je  suis  persuadé  qu'ils  le  sentent  aussi). 


B 

'°^r  LETTRE  6 

Enfin  nous  ai'ons  un  guide  assuré  dans  ce  Labirinthe  des  erreurs  humaines, 
mais  ce  n'es!  pas  assés  qu'il  (-  nous  parle)  il  faut  (^  l'entendre,  il  faut  distinguer  sa 
voix  apprendre  à)  le  connaître  et  le  suivre.  S'il  parle  à  tous  les  cœurs  «  ô  » 
[(ma  chère)]  Sophie,  «  *  pourquoi  donc  v  en  a-t-il  si  »  peu  qui  l'entendent.  Helas, 
//  nous  parle  la  langue  de  la  nature  [''  que]  tout  nous  ^  a,  fait  oublier. 

[I^a  conscience  est  timide  et  craintive,  «  ' /e  v>  monde  et  le  bruit  t'épou- 
l'antent  (elle  cherche  la  solitude  et  la  paix)  et  les  préjugés  ("  qu')on  (■'  prétend  être 
son)  ouvrage,  sont  ses  plus  mortels  ennemis,  elle  fuit  ou  se  tait  deranl  eux  (et) 


'  [non]. 

^  [existe]. 

"  [savoir]. 

'  [(mais  il)]. 

^  (et  c'est...  et). 

"  (!■). 

'  «  elle  »  [cherche  la  solitude]. 

«  [dont]. 

.     »  [la  dit  (être)  1']. 

t  Ojx  a  vu,  plus  haut,  /»    2  ™,  la  rédaction  définitive  de  ce  déve- 
loppement. 


vie   LETTRE    A    SOPHIE  49I 

leur  l'oix  bruyante  '  empêche  ila  sienne)  «  -  de  ^  se  faire  entendre  ».  *  Elle  se 
rebute  enfin  1^  après  avoir  été  longtems  '  éconduite  ''  elle  ne  nous  parle  plus  elle 
ne  nous  repond  plus  et  après  1'  de\  si  longs  mépris  "pour  elle  il  en  coûte  autant 
("pour)  la  rappeller  («en  »  soi-mêmei  qu'il  en  coûta  pour  ("M'en)  bannir^. 

Quand  )e  vois  chacun  de  nous  sans  cesse  occupé  de  l'opinion  publique 
étendre  pour  ainsi  dire  son  existence  tout  autour  de  lui  sans  en  réserver  presque 
rien  1"  en  1  son  propre  cœur,  je  crois  voir  un  petit  insecte  former  de  sa  substance 
une  grande  toile  par  (les  fils  dei  laquelle  [seuls]  il  paroit  sensible  tandis  qu'  '-on 
le  croiroit  mort  dans  son  trou.  La  vanité  de  l'homme  est  la  toile  d'araignée 
qu'il  tend  sur  tout  ce  qui  l'environne.  [L'une  est  aussi  solide  que  l'autre]  (le) 
moindre  fil  qu'on  touche  ilei  met  '^  en  mouvement  il  mourroit  ('*  d'épuisement) 
si  Ton  laissoit  la  toile  tranquille,  et  ('^  quand)  d'un  doit  on  la  déchire  il  '°  achève 
de  s'épuiser  plus  tôt  que  de  ne  la  pas  refaire  à  l'instant.  Commençons  par 
[''redevenir]  nous,  par  i"*rentreri  en  nous,  par  circonscrire  nôtre  ame  des 
mêmes  bornes  que  la  nature  a  données  à  notre  être,  commençons  en  un  mot 
par  nous  rassembler  ou  nous  sommes  afin  ['"  qu'en]  cherchant  à  nous  connoitre 
tout  ce  qui  nous  compose  vienne  à  la  fois  se  présenter  à  nous.  Pour  moi  je  pense 
que  celui  qui  (^"connoitl  le  mieux  en  quoi  consiste  le  moi  humain  est  le  plus 
prés  de  la  sagesse  et  que  -'  comme  le  premier  trait  d'un  dessin  se  (--  compose) 
des  lignes  qui  le  terminent  la  première  idée  de  l'homme  est  de  "  le  séparer  de 
tout  ce  qui  n'est  pas  lui. 

Mais  comment  se  fait  cette  séparation.  Cet  art  n'est  pas  si  difficile  qu'on 
pourroit  croire,  ou  du  moins  la  difficulté  n'est  pas  ou  on  la  croit,  et  (-*  tient) 


'  [étouffe  la  sienne  et  l'J. 
'  [id'avoirl]. 

•  [is'élever  dans  nos  làmesi  cœursi]. 

*  lApr  Es). 

^  [à  force  d'être]. 

^  "elle  se  rebute  à  la  tin". 

'  [un". 

»  (il).' 

^  (de  mot  inachevé)  'de]. 

">  [la]. 

"  [dans]. 

"  (ill. 

"  [l'iun  et  l'autre)   insecte]. 

'*  ]de  langueur]. 

•5  [si]. 

'*  acheve[(ra  plus  tôti]. 

"  (rentrer  eni. 

'"  [nous  concentrer]. 

"  (que  dans  la  recherchei. 

^  [sait]. 

"  (le  premier  moyen  de  nous  [bien]  connoitre  consiste  à  nous  bien  rassembler!. 

"  [forme]. 

"  (bien  connoitre  les  bornes  de  la  nature  humaine). 

"  [dépend]. 


492  APPENDICES 

plus  de  la  volonté  que  des  lumières,  il  ne  faut  point  un  appareil  d'études  et  de 
recherches  pour  y  parvenir.  Le  jour  nous  éclaire  et  le  miroir  est  devant  nous; 
mais  pour  le  voir  il  faut  jetter  les  yeux  '. 

[t  Le  moyen  de  les  y  fixer  est  d'écarter  les  objets  qui  nous  en  détournent. 
Recueillez  vous  -  cherchez  la  solitude  voila  d'abord  tout  le  secret  et  par  celui-là 
seul  on  découvre  bientost  les  '  vôtres.  Pensez-vous  [en  effet]  que  la  philosophie 
nous  apprenne  à  rentrer  en  nous  mêmes.  TAh  combien  *  l'orgueil  sous  son 
nom  nous  en  écarte  !j  C'est  tout  le  contraire  ma  charmante  amie,  il  faut 
commencer  par  rentrer  en  soi-iméme)  pour  apprendre  à  philosopher]. 
f  1  ^°  Il  Ne    vous    effrayez    pas   je    vous   conjure;    je    n'ai    pas    dessein   de   vous 

[°  reléguer]  dans  un  cloistre  et  «  "  d'imposer  à  »  une  femme  ["  du]  monde  une 
vie  d'anachorète.  La  solitude  dont  il  [*  s'agit]  est  moins  de  [faire]  fermer  votre 
porte  et  de  rester  dans  votre  appartement  que  de  tirer  votre  ame  de  la  presse 
comme  disoit  l'ahbé  Terrasson  f  et  ('■'  de  la)  fermer  '"  aux  passions  étrangères  qui 
l'assaillent  à  ».haque  instant.  .Mais  l'un  de  ces  moyens  peut  (d'abord |  aider  à 
l'autre,  surtout  au  commencement;  ce  n'est  pas  l'affaire  d'un  jour  de  savoir  être 
seul  au  milieu  du  monde  et  après  une  si  longue  habitude  ["  d'exister  dans  tous] 
('-  les  objets)  qui  vous  entoure(nt)  le  recueillement  de  vôtre  cœur  doit  commencer 
par  celui  de  vos  sens.  Vous  aurez  d'abord  assès  affaire  à  contenir  vôtre  imagi- 
nation sans  être  obligée  encore  de  fermer  vos  veux  et  vos  oreilles.  Eloignez  les 
objets  qui  doivent  vous  distraire;  jusqu'à  ce  que  leur  présence  ne  vous  distraise 
plus.  .Alors  vivez  '^  (s'il  le  fauti  sans  cesse  au  milieu  [d'eux],  vous  saurez  bien 
quand  il  le  faudra  vous  y  retrouver  avec  vous  (même).  [Je  ne  vous  dis  [donc] 
point  quitez  la  société;  je  ne  vous  dis  pas  même  renoncez  à  la  dissipation  et  aux 
vains  plaisirs  du  monde.  Mais  je  vous  dis  aprenez  à  être  seule  sans  ennui.  Vous 
n'entendrez  jamais  la  voix  de  la  nature.  Vous  ne  vous  connoitrez  jamais  sans 
cela.    Ne  craignez  pas  que  [l'exercice  de]  ces  ('*  petites)   retraites   vous  rende 


'  (en  écar  tant). 

'  [ne  fuyez)]. 

^  Sic.  //  y  a  là  sans  dnute  tin  laptsus  de  plume  :  vôtres  pour  autres. 

*  (la  voi  X). 

*  (confi  ner). 

^  (de  (faire  d't  [réduire]). 

'  (d'un). 

'  (est  que  stioni. 

"  [d'en]. 

">  [l'abord]. 

"  (de  vous  trans  porter  ?). 

'-  [ce  (qui)]. 

"  (au  milieu). 

'*  [courtes]. 

t //  semble  qu'il  J'ai /le  place)-  ici  cette  addition  marginale,  que  ne 
précède  ni  ne  suit  aucun  signe  de  raccord. 

t  Sur  cette  citation,  cf.,  à  la  Bibliographie,  la  note  du  n"  212. 


VI^    LETTRE   A    SOPHIE  493 

taciturne  et  sauvage  et  vous  détache  des  habitudes  ('  que)  vous  ne  voudriez 
pas  (-  perdre.  '  Non,  Sophie),  elles  ne  vous  en  seront  que  plus  douces. 

Quand  on  vit  seul  on  en  aime  mieu.x  les  hommes  [un  tendre  instinct  nous 
rapproche  d'eu.x].  L'imagination  nous  montre  la  société  par  [*  ses]  charmes,  et 
l'ennui  même  de  la  solitude  tourne  au  profit  de  l'humanité  '^.  Vous  gagnerez  par 
['■  le  goust  de;  cette  vie  contemplative  i  •  d"aimer  *  mieu.\l  ce  que  vous  ['•■  aimez] 
'"tandis)  que  vous  l'aurez  et  ("  de)  le  perdre  (avec  moins  de  douleur)  quand 
vous  ('-  ne  l'aurez  plus)]. 

Prenez  '*  tous  les  mois  par  exemple,  un  intervalle  de  deux  ou  trois  jours 
sur  vos  plaisirs  et  sur  vos  affaires  pour  le  consacrer  à  la  plus  grande  de  toutes 
(qui  est  de  vous  connoitre).  Faites  vous  ['<  une  loi]  de  ('^  passer)  seule  ces  deu.x 
ou  trois  jours  dussiez-vous  d'abord  vous  ennuyer  beaucoup.  Il  '"vaut  mieu.x 
les  passer  à  la  campagne  qu'à  ('■  la  ville l;  f  ce  sera  si  vous  voulez  une  visitte 
("  que  vous  ferez),  vous  "  irez  voir  Sophie.  La  solitude  est  toujours  triste  à  la 
ville.  **  Comme  tout  ce  qui  nous  environne  montre  la  main  des  hommes  et 
quelque  objet  de  société,  quand  on  n'a  pas  cette  société,  l'on  se  sent  hors  de 
sa  place,  et  une  chambre  où  Ton  (-'  vit)  seul  ressemble  fort  à  une  prison,  f  C'est 
tout  le  contraire  à  la  campagne,  [itousi]  les  objets  "  y  sont  rians  et  agréables, 
ils  excitent  au  recueillement  et  à  la  rêverie,  on  s'y  sent  au  large  hors  des  tristes 


'  [auxquelles]. 
-  [renoncer]. 
'  [.\u  contraire]. 

*  (cesi. 

»  (et  tout  ce  quei. 
°  ',ce  recuei  llementi. 

•  [vous  v  trouverez  plus  d'attachement  pour  ce  qui  vous  est  cher]. 
■*  ip  LLSI. 

'  (gagnez  deux  mots  illisibles  i. 

'»  «  tant  ». 

"  [moins  de  douleur  .<  . 

"  [en  serez  privée]. 

"  (par  e.v  emplei. 

'*  (un  de  VOIR). 

'5  [vivre]. 

'^    (se  BAIT). 

"  [Paris].       , 

'8  [à  faire]. 

'"  lyi. 

">  (L'ne  chambrei. 

--'  [est]. 

"(riansl. 

t  La  phrase  est  reprise  en  marge  :  ce  seroit,  si  vous  voulez,  une 
visitte  que  vous  iriez  faire  :  vous  iriez  voir  Sophie. 

t  Ici,  en  marge  :  ne  refusez  pas  à  vos  propres  mains  l'honneur  d'être 
bienfaisantes. 


494  APPENDICES 

murs  de  la  ville  et  des  entraves  du  préjugé.  •{•  Les  bois,  les  ruisseaux  la  \erdure 
écartent  de  notre  cœur  les  regards  des  hommes  les  oiseaux  ('  chantans  sans  régie 
et  volans)  ca  et  la  selon  leur  caprice  nous  offrent  dans  la  solitude  l'exemple  de 
la  liberté  [on  entend  -  leur  ramage  on  sent  l'odeur  (^  de  l'herbe)  et  (^  des  fleurs)]. 
jo  2  ro  ,  :j=  Knfin)  les  ('  sens)  uniquement  frapés  ||  ''  des  douces  «  '  images  ■»  de  la  nature 
la  raprochent  mieux  de  nôtre  cœur. 

C'est  donc  là  qu'il  faut  commencer  à  converser  avec  elle  et  consulter  ses 
loix  dans  son  propre  empire.  Au  moins  «  l'ennui  ne  viendra-t-il  ■»  pas  sitôt  vous 
poursuivre,  et  sera-t-il  plus  facile  à  supporter  ['  dans]  "  la  variété  des  objets 
champêtres  («  ef»  '"  l'exercice  de  la  promenade)  que  sur  une  chaise  longue  ou 
dans  un  fauteuil.  Je  voudrois  que  vous  évitassiez  de  choisir  les  tems  ou  vôtre 
C(Eur  vivement  affecté  de  quelque  sentiment  de  plaisir  ou  de  peine  en  ("  porte- 
roit)  !'('- impression)  dans  la  retraitte,  »  "ou  •■>  voire  imagination  trop  émue 
vous  rapprocheroit  malgré  vous  des  êtres  que  vous  auriez  cru  fuir  [«  et  ou  » 
['■'  vôtre  esprit  [trop]  préocupé]  «  '■'  se  refuseroit  *  aux  légères  impressions  des 
premiers  retours  sur  vous  même].  =j=  Au  contraire  afin  d'avoir  moins  de  regrets 
à  vous  aller  ennuyer  seule  à  la  campagne,  prenez  ('"le  tems)  où  vous  seriez 
réduite  [à  vous  ennuver]  à  la  ville;  la  vie  la  plus  [''occupée]  de  soins  ou 
d'ainusemens  ne  laisse  encore  que  trop  de  pareils  vuides  et  cette  manière  de 
remplir  les  premiers  qui  se  présenteront  vous  rendra  bientôt  insensible  à  tous  les 


'  [voltigeans]. 

-  leurs  ramage  isic). 

'  [des  prés]. 

*  [des  bois]. 

^  [yeux]. 

^  (enfinl. 

'  [(impressions)]. 

"  («  au  »  [milieu]!. 

"  [l'exercice  de  la  promenade  et]. 

'"  («  la  »  l'agitation). 

"  [garderoit]. 

"  [(la  mot  iltisiblel  émotion]. 

"  [(eti]. 

"  (les  trop  vives  impressions  que). 

'^  [(deroberoit  vôtre  esprit  et)]. 

"  [les  momens]. 

"  (rem  pliei.  • 

•f  Ici,  en  marge  :  une  voix  secrette  parlera  (sans  cesse)  [bientôt] 
à  vôtre  cœur  et  (lui)  [vous]  dira:  tu  n"es  pas  seule,  tes  bonnes  actions 
ont  un  témoin. 

t  Ici,  en  marge,  et  barré  :  (vos)  [les]  yeu.x  uniquement  frapés  des 
(pures)  [douces]  images  de  la  nature  (en  trapant  vos  yeux)  la  raproche- 
ront  mieux  de  vôtre  cœur. 

2|î  Ici,  en  marge  :  dans  la  plus  profonde  solitude  vôtre  cœur  vous 


dit  que  vous  n'êtes  pas  seule. 


vie    LETTRE    A    SOPHIE  495 

autres.  Je  ne  demande  pas  que  vous  vous  livriez  d'abord  à  des  méditations 
profondes,  je  demande  seulement  que  vous  puissiez  maintenir  vôtre  ame  dans 
un  état  de  langueur  et  de  calme  qui  la  laisse  replier  sur  elle  même  et  n"v 
ramène  rien  d'étranger  à  vous,  f 

Dans  cet  étal;  me  direz-vous,  que  ferai-je  ?  Rien.  Laissez  faire  cette  inquié- 
tude naturelle  qui  '  dans  la  solitude  ne  tarde  pas  d'occuper  chacun  de  lui-même 
malgré  qu'il  en  ait. 

f  Je  ne  (-crois  pourtant  pas)  que  [^  cet  état]  doive  (''être  ^  tout  à  fait 
"absolu  et)  que  nous  n'ayons  nul  moyen  de  réveiller  en  nous  le  sentiment 
intérieur.  Comme  on  réchauffe  une  partie  engourdie  avec  des  frictions  légères, 
l'ame  amortie  dans  une  longue  inaction  se  ranime  à  la  douce  chaleur  d'un 
mouvement  modéré,  il  faut  l'émouvoir  par  des  souvenirs  agréables  qui  ne  se 
rapportent  qu'à  elle,  il  faut  lui  rappeller  '  les  affections  qui  Font  flatée,  non  par 
l'entremise  des  sens,  mais  par  un  sentiment  propre  et  par  des  plaisirs  intellectuels. 
S'il  e.xistoii  au  monde  un  être  assés  i  ^  malheureux i  pour  n'avoir  (jamais)  |1  neii  f°  2  ^° 
fait  dans  tout  I3  C3Uts  de  sa  vie  «  ■'  dont  ■»  [le  souvenir]  put  ['"  lui  donner  un 
contentement  intérieur  et  le  rendre  Heu  aise  d'avoir  vécu,  cet  être  n'ayant  que 
des  sentimens  et  des  idées  qui  l'ecarteroient  de  lui  serait  hors  d'état  de  jamais  se 
connuitre,  et  faute  de  savoir  en  quoi  consiste  la  bonté  qui  convient  à  sa  nature, 
il  resterait  méchant  par  force  et  serait  éternellement  «.  "  malheureux  ».  Mais 
je  soutiens  qu'il  n'y  a  point  ['-  sur]  la  terre  i''homme  assès  dépravé  pour  n'avoir 
l'amais  Iwi'é  son  cœur  à  la  tentation  de  bien  faire  :  cette  tentation  est  si  natu- 
turelle  et  si  douce  qu'il  est  impossible  de  lui  résister  tau/ours,  et  il  suffit  ("  d'yi 
céder  une  seule  fois  pour  n'oublier  jamais  la  volupté  qu'C^on  en  a  '^receiie).  O  chère 

'  (nous). 

'  [dis  pas  non  plus]. 
■"  jcette  un  espace  blanc  pour  un  mot  à  trouver  'affaissementll. 

*  [produire  un  affaissement  total  et  je  suis  bien  éloigné  de  croirej. 
'  [(entier  et  parfait...  si  total i[. 

"  absolue  (sic). 
'  (lai. 

*  [«  misérable  »[. 
'  (quii. 

'"  (le  rendre  content  de  lui-mémei. 
"  [imiserabiei]. 

"    (au    MONDE). 

"  [de  lui]. 

'*  '(«  elle  »i  qu'on  goûta  par  elle[. 

''  '( procurée!  [. 

t  [ci,  en  marge  :  [A  cela]  Je  n'ai  rien  à  vous  dire  sinon  que  j'ai 
suivi  (ces  [cette])  [pris  les  mêmes]  moyens,  (que)  qu'ils  m'ont  conduit 
(comme  je  suppose  qu'ils  vous)  par  la  [md'me]  route,  (et)  que  je  crois 
avoir  l'ame  saine  et  que  je  suis  sur  de  ma  bonne  toi. 

t  Ici.  en  marge  :  et  dans  (la  recherche  des)  [les]  objets  de  vos 
plaisirs  donnés  la  préférence  aux  choses  dont  on  jouit  encore  quand 
on  ne  les  possède  plus. 


496  APPENDICES 

Sophie,  combien  d'actions  de  vôtre  vie  vous  suivront  dans  la  solitude  pour 
vous  apprendre  à  l'aimer.  Je  n'ai  pas  besoin  d'en  cherclier  qui  me  soient 
étrangères.  Songez  au  cœur  que  vous  conservâtes  à  la  vertu,  songez  à  moi,  vous 
('  serez  contente  de)  vous. 

Voila  les  moyens  de  -  travailler  dans  le  monde  à  vous  plaire  dans  la 
retraitte  en  vous  y  ménageant  des  souvenirs  agréables  ^  en  ^  vous  y  (^  rendant) 
votre  propre  ("^  amie)  et  ('faisant  que  vous  vous  y  soyez  à  vous  même)  assès 
bonne  compagnie  "  pour  vous  passer  de  toute  autre.  Mais  que  faut-il  faire 
exactement  pour  cela,  ce  n'est  point  encore  ici  le  tems  ['  d'entrer]  la  dessus 
dans  des  détails  qui  supposent  les  connoissances  que  nous  [nousj  proposons 
d'acquérir.  Je  sais  qu'il  ne  faut  point  commencer  un  traité  de  morale  par  la  fin 
ni  donner  pour  premier  précepte,  [la  pratique]  de  ce  qu'on  veut  ('"apprendre). 
Mais  [encore  une  fois]  dans  quelque  état  qu'une  ame  puisse  être  il  reste  un 
sentiment  de  plaisir  à  bien  faire  qui  ne  s'efface  jamais  et  qui  sert  de  première 
prise  ("  pour)  toutes  les  autres  vertus,  c'est  par  ce  sentiment  cultivé  qu'on 
parvient  à  s'aimer  et  à  se  plaire  avec  soi  '-.  «  L'exercice  de  la  bienfaisance  » 
'^  flate  naturellement  l'amour  propre  par  une  idée  de  [(force  et  de)]  supériorité 
on  s'en  rappelle  tous  les  actes  comme  autant  de  '*  témoignages  qu'au  de  là  de  ses 
f°  3  ^°  propres  besoins  on  a  de  la  force  ||  encore  pour  soulager  ceu.x  d'autrui.  Cet  air 
de  puissance  fait  qu'on  ('^  s'en  regarde  avec)  plus  de  plaisir  "'  et  qu'on  habite 
plus  volontiers  avec  soi.  "  Voila  d'abord  tout  ce  que  je  vous  demande  '".  (Je 
puis  réduire  mon  précepte  en  moins  de  mots  ramenez  vous  à  '^  vous  même) 
parez  vous  pour  vous  présenter  à  votre  miroir,  vous  vous  en  regarderez  plus 
volontiers.  (7  -"  Et  pour  vous)   ménager  un   sentiment  de  bien  être  étant  seule 


'  [ivous  plairez!  ainaerez  à  vivre  avec]. 

'    (vous   pré  PARER  ?i. 

'  (et). 

*  (travaillant  ài. 

"  [procurant]. 

°  [amitié]. 

'  [vous  y  rendant]. 

'  [(de  vous)  à  vous  même]. 

^  ide  vous). 

'"  [enseignerl. 

"  [à]. 

"  (parce  qu'il  [qu'à]». 

"  mous  donnei. 

"  témoignage  isic). 

'5  [prend  (le  tems  ?  avec)]. 

'8  [à  exister], 

"  (Et). 

'*  (et  dont  [pour]). 

"  {mot  inachevé). 

'"  [Pensez  toujours  à  vous]. 

t  fci.  en  marge  :   N.  B.  partager  ou  racourcir  la  phrase.  Elle  a  été 
en  effet  partagée  :  cf.  les  notes  critiques. 


vie   LETTRE   A    SOPHIE  497 

'  dans  (tous)   les   objets  de   vos   plaisirs   donnez  toujours   la  préférance  à  ceux 
dont  on  joiiit  encore  quand  on  ne  les  possède  plus. 

Une  femme  de  qualité  est  trop  environnée  de  son  état,  je  voudrois  que  vous 
puissiez  quelques  momens  renoncer  au  vôtre;  ce  seroit  [encore]  un  moyen 
de  vous  entretenir  plus  immédiatement  avec  vous.  Quand  vous  ferez  vos  retraites 
['  laissez  tout  le]  cortège  de  vôtre  maison  ;  n'emmenez  ni  cuisinière  ni  maitre 
d'hôtel.  «  Prenez  un  laquais  et  »  une  femme  de  chambre.  ^  Ce  n'est  que  trop 
encore;  en  un  mot  ne  transportés  point  la  vie  de  la  ville  à  la  campagne;  *  allez 
y  goûter  véritablement  la  vie  retirée  et  champêtre.  .Mais  les  bienséances.  Ah  ! 
toujours  ces  fatales  bienséances  1  Si  vous  les  voulez  (^  toujours)  écouter,  il  ne 
vous  faut  point  d'autre  guide;  choisisses  entre  elles  et  la  sagesse.  Couchez  vous 
de  bonne  heure  levez  vous  matin,  suivez  à  peu  près  la  marche  du  soleil  et  de  la 
nature;  point  de  toilette,  point  de  lecture,  prenez  des  repas  simples  aux  heures 
du  peuple,  "  en  un  mot  soyez  eh  tout  femme  des  champs.  Si  cette  manière  de 
vivre  ['•  vous  devient]  agréable,  vous  {"  aurez  acquis)  un  plaisir  de  plus.  Si  elle 
vous  ennuyé  vous  reprendrez  avec  plus  de  goût  celle  à  laquelle  vous  êtes 
accoutumée. 

Faites  mieu.x  encore.  De  ces  cours  espaces  que  vous  ("  aurez  destinés  à 
vivre)  dans  la  solitude,  employez  en  une  partie  à  vous  rendre  l'autre  agréable. 
Vous  aurez  de  longues  matinées  vuides  de  vos  occupations  ordinaires,  destinez 
les  a  des  ('"  promenad  es)  dans  le  village.  Informez  vous  des  malades,  des 
pauvres,  des  opprimés,  cherchez  à  donner  à  chacun  les  secours  "  dont  il  a  besoin, 
et  ne  pensez  pas  que  ce  soit  assés  de  les  ('-  aider)  de  vôtre  bourse  [si  vous  [ne 
leur]  donnez  encore  de  vôtre  tems  et]  (si  vous)  ne  les  aidez  (encore)  de  vos 
soins.  Supposez  vous  cette  fonction  si  noble  de  faire  qu'il  existe  quelques  maux  de 
moins  sur  la  terre.  ||  f  Et  si  vos  intentions  sont  pures  [et  réelles  ?]  vous  trouverez  fo  3 
bientôt  à  les  accomplir.  .Mille  obstacles  je  le  sens  bien  vous  distrairont  d'abord 


'  >tj- 

'  (n'emmenés  point  tous). 

'  iCestl. 

*  imaisi. 

*  'sans  cesse]. 
"  isoyez-enl. 

'  (vient  à). 

'  [connoitrez]. 

"  rvoudrez  passer]. 

'"  (promenad  sic)  [courses]. 

"  [iqui)]. 

'-  [assister]. 

t  Rouaseau  avait  d'abord  commencé  à  écrire  ce  développement  en 
haut  du  /"  4  >'°,  où  on  lit,  en  ep'et  :  et  si  vos  intentions  sont  pures  vous 
trouverez  bientôt  à  les  accomplir.  Mille  obstacles,  je  le  sens  bien,  vous 
distrairont  d'un  soin  si  noble. 

32 


498  APPENDICES 

d'un  '  soin  (si  nobl^  mais  le  -  zélé  de  bien  faire  les  applanira  facilement)  : 
Des  maisons  mal  propres,  des  gens  ('  grossiers),  des  objets  de  misère  commen- 
ceront par  vous  dégoûter.  Mais  en  entrant  chez  ces  malheureux  dites  vous  je 
suis  leur  sœur  et  l'humanité  triomphera  de  la  répugnance.  Vous  les  trouverez 
menteurs,  intéressés,  pleins  de  vices  qui  [''rebuteront]  votre  zélé,  mais  interrogez 
vous  en  secret,  («  ^  demandez  vous  »  et  moi  suis-je  parfaite).  ("  .\h  si  vous 
1"  attendez  à  secourir)  des  ["  gens]  sans  défaut  allez  {"  e.xercer)  vos  bienfaits 
ailleurs  que  parmi  les  hommes.  [«  '"  Les  vices  »  (grossiers  du  paysan  sont-ils 
plus  "  odieux  que  ceux)  qu'un  peu  d'éducation  couvre  d'un  air  plus  honnête]). 
L'ennui  surtout,  ce  Tyran  [des  gens]  de  vôtre  état,  qui  [leur]  fait  payer  si  cher 
l'exemption  du  travail,  et  dont  on  se  rend  toujours  plus  la  proye  en  s'efforçant 
[de  l'éviter],  l'ennui  seul  vous  détournera  plus  [d'abord]  (de)  ces  occupations 
salutaires  ('^  que  l'humanité  ne  pourra  vous  y  porter  et  vous  dictera  mille 
sophismes  pour  vous  en  dispenser).  Songez  (donc)  que"  se  plaire  à  bien  faire  est 
(déjà)  le  prix  d'ai'oir  bienfait,  et  qu'on  ne  l'obtient  pas  avant  de  l'avoir  mérité. 
"  Rien  n'est  "  plus  aimable  que  la  l'ertu  mais  elle  ne  se  montre  ainsi  qu'à  ceux 
qui  la  possèdent;  (-Juand  on  la  peut  embrasser,  semblable  au  protce  de  la  fable 
elle  prend  [d'abord]  mille  formes  effrayantes,  et  ne  se  montre  enfin  sous  la 
sienne  qu'à  ceux  qui  n'ont  point  lâché  prise.  Résistez  donc  aux  sophismes  de 
l'ennui.  N'écartez  point  de  ("  vos  yeux)  des  objets  ("^  qui  doivent)  vous  attendrir; 
[("  n'ayez  point)  cette  pitié  cruelle  qui  détourne  les  yeux  des  maux  d'autrui 
pour  se  dispenser  de  les  soulager].  Ne  ['*  vous  ('^  dispensez)]  point  [-"  de  ces 
soins   honorables   (-'  pour)]    (les   faire   remplir   par)   des  (-^  Domestiques).   Soyez 


'  ]pareil]. 
2  [désir]. 
^  [brutaux]. 

*  (vous  porteront  à  les  ab  andonner). 

'  [sur  (vos  défauts)  [«  les  vôtres  »]  (et  vous  apprendrez)  [pour  vous  apprendre] 
Tbientôt]  à  pardonner  ceux  d'autruil. 

^  [Et  songez  qu'en  les  couvrant  d'un  air  plus  honnête,  l'éducation  ne  les  rend  que 
plus  dangereux]. 

'  [(n'avez  pitié...  ne  voul  ez)  ne  prenez  intérêt  qu'à]. 

*  (hommesl. 
'  [porter]. 

'"  |Le  paysan...  les  vices  [croyez]). 
"  (au). 

'-  [et    là    force    de    vous    les...    commençant    par  vous   les   rendre)    en    vous    les 
rendant  insupportables  vous  fournira   (bientoti  des  prétextes  pour  vous  en  dispenser]. 
"  (Résistez  donci. 
"  Imot  inachevé  illisible). 
"  [vous]. 
'^  [faits  pour]. 
"  [détestez]. 
"  (pensez). 
"  [reposez]. 

'"  (avoir  rempli  (ces)  [des]  soins  q  ue). 
"  [sur]. 
-'  ""mercenairesl. 


PAGES    INÉDITES    DE    L'    «   EMILE    »  499 

sure  que  les  domestiques  mettent  toujours  à  contribution  les  bienfaits  des 
maitres  ;  ('  qu'ils  trouvent  toujours  l'art  de  se  faire  rendre)  de  manière  ou 
d'autre  (-la  moitié)  de  ce  qu'(' ils)  donne(nt  *  de  la  part  des  maitres)  qu'ils 
exigent  '  une  reconnaissance  très  onéreuse  de  tout  ce  que  le  maitre  a  (ait  gratui- 
tement. Faites  vous  un  devoir  de  porter  partout  avec  une  assistance  réelle 
l'intérest  et  ("  la)  consolation  qui  la  font  valoir  et  qui  souvent  en  tiennent  lieu. 
Que  vos  visites  ne  soient  jamais  infructueuses!  Que  chacun  tressaille  de  joie 
à  vôtre  abord,  que  (partout)  les  bénédictions  publiques  vous  accompagnent  '. 
Bientôt  un  si  doux  cortège  enchantera  vôtre  ame  et  dans  les  nouveaux  plaisirs 
que  vous  apprendrez  a  goûter,  si  quelquefois  vous  perdez  le  bien  que  vous  aurez 
cru  faire,  vous  ne  perdrez  pas  au  moins  celui  que  vous  en  aurez  tiré. 


II 

PAGES  INÉDITES  DE   L'  «  EMILE  » 

Les  pages  inédites  qui  vont  suivre  sont  empruntées  au  Premier 
Brouillon  de  /'Emile,  c'est-à-dire  à  F.  Elles  précèdent  de  quelques 
feuillets  à  peine  le  texte  de  la  Profession  ;  et,  si  Rousseau  les  a  sacrifiées 
dans  les  Manuscrits  suivants,  c'est  que  le  Vicaire  devait  en  utiliser 
les  idées  essentielles  :  cf..  dans  la  présente  édition,  p.  i25,  et  note  3, 
p.  fji  et  note  i.  Cependant  ces  morceaux  restent  intéressants, 
parce  qu'ils  montrent —  le  second  surtout  —  avec  quelle  bonne  volonté, 
pour  ne  pas  dire  avec  quelle  candeur,  Rousseau  a  essayé  d'affronter 
les  problèmes  métaphysiques  qu'il  crovait  apercevoir  sur  son  chemin. 
De  ces  deux  fragments,  le  premier,  qu'on  pourrait  intituler  :  Comment 
s'acquiert  l'idée  de  Dieu,  se  place  dans  le  Livre  IV  après  le  paragraphe 
qui  se  termine  par  :  j'ai  bien  de  la  peine  à  voir  comment  on  s'avise  de  le 
construire  lÉdit.  Hachette,  II,  2261.  Le  second,  qu'on  pourrait  intituler  : 
La  genèse  de  l'idée  de  «  substance  »,  se  lit  à  la  page  suivante,  après  le 
paragraphe  qui  se  termine  par  :  il  est  facile  après  cela  de  leur  faire  dire 
tout  ce  qu'on  veut  '//,  22/ 1,  et  occupe  la  place  que  prennent  dans  l'édi- 


'  [letl  qu'ils  savent  s'approprier]. 

'  [une  partie  . 

'  [on'. 

*  [par  leurs  mains  et'. 

'  [(d'autan  ti]. 

^  [les]  consolation[s]. 

'  [sans  cesse]. 


500  APPENDICES 

lion  originale  les  deux  paragraphes  suivanls.  —  L'un  et  l'autre  frag- 
ments avaient  déjà  paru  à  Moultou  dignes  d'être  recueillis,  sans  doute, 
puisqu'il  les  avait  copiés  lui-même.  Ces  copies,  d'ailleurs  très  incomplètes 
et  fautives,  faites  sur  deux  feuilles  volantes,  se  trouvent  jointes  aujour- 
d'hui au  Manuscrit  Favre. 


lCOMMENT  S'ACQUIERT  L'IDEE  DE  DIEU] 

F,  f°  150  ''°  Quitons   ce   langage  ligure  trouvé    [par   l'ignorance  et]   par  la   vanité  pour 

parler  beaucoup  sans  rien  dire  et  revenons  à  des  considérations  plus  claires  sur 
les  progrès  de  nôtre  Emile. 

['  Reprenons]  la  succession  des  connoissances  humaines,  pour  ciierciier 
comment  je  dois  acquérir  la  plus  importante  de  toutes.  J'ai  dit  que  ce  qui  change 
la  simple  appréhension  des  objets  en  idées;  c'est  quand  à  l'image  absolue  de 
l'objet  -  se  joignent  (^  quelques)  raports  qui  le  déterminent.  La  considération 
particulière  des  raports  des  choses  étend  les  idées  et  produit  la  reflé.xion,  enfin 
quand  la  réflexion  (*  s'élève)  jusqu'à  rassembler  «.  tous  »  les  raports  [connus] 
(des  choses)  en  un  sistême  général,  alors  elle  devient  contemplation  et  de  la 
contemplation  (bien  dirigée)  naissent  les  (idées)  sublimes  ''  de  l'ordre  et  [celles; 
du  beau  ("abstrait  qui  n'est  lui  même  que  l'effet  [qui  resuite])  des  raports 
bien  ordonnés  &  "  pour  une  fin  commune  »  (à  tous)  dans  «  la  chose  »  (*  qu'on 
examine). 

Il  suit  de  là  que  l'esprit  humain  ne  sauroit  s'élever  à  la  contemplation  de 
l'univers  et  de  l'ordre  admirable  qu'on  y  voit  régner  qu'après  avoir  longtems 
examiné  la  structure  des  parties  et  le  concours  des  raports  ''  d'où  nait  le  sistême 
total  réuni  ('"sous)  une  seule  idée  (dans  l'esprit  de  son  "auteur)  pour  sentir 
qu'une  suprême  intelligence  régit  cette  machine  immense  il  faut  être  en  état 
d'appercevoir  au  moins  '-  par  quelque  côté  le  jeu  mutuel  des  parties,  les  propor- 


'  (Si  je  reprends). 

'  [(ne...  la)]. 

'  [des]. 

*  [va]. 

°  [idées]. 

^  [qui  n'est  que  l'apparence]. 

'   (relative  ment). 

^  [dont  il  s'agit]. 

»  (qui). 

'»  [dans]. 

"  (mot  inachevé  illisiblei. 

"  (qu). 


PAGES    INÉDITES    DE    l'    «   EMILE    »  501 

lions  de  leurs  masses,  de  leurs  forces,  de  leurs  inouvemens  et  de  connoitre 
quelques  unes  des  loix  par  lesquelles  '  chaque  ('-  partie)  concourt  à  la  conser- 
vation du  tout.  Tout  cela  ne  demande  pas  tant  une  étude  savante  et  profonde 
qu'un  dévelopement  graduel  des  facultés  de  l'esprit  humain  qui  ne  se  fait  que 
peu  à  peu]  dans  un  certain  ordre  et  •''  dans  une  certaine  suite  d'années. 


B 

[L.-\  GENÈSE  DE  L'IDÉE  DE  «  SUBSTANCE  »] 

L'idée  de  ("•  l'esprit)  n'a  pas  comme  toutes  nos  autres  idées  une  (*  image)  F,  f°  150  ™ 
pour  base,  c'est  une  idée  purement  intellectuelle  ("^  que  nous  n'acquérons)  que 
sur  des  raports.  7  Voici,  ce  me  semble,  comment  elle  nous  vient.  Nôtre  première 
mesure  des  êtres  c'est  nous  mêmes.  L'art  de  trouver  les  premiers  raports  des 
choses  est  de  les  comparer  avec  nous.  L'homme  est  un  être  étendu,  figuré, 
coloré,  pensant  et  ('  sensi  blei.  La  première  chose  dont  il  s'appercoit  après  la 
conscience  de  lui-même,  c'est  qu'il  existe  hors  de  lui  des  choses  qui  ne  sont 
pas  lui.  [*  Sa]  seconde  ["  idée  est]  de  distinguer  '°  ces  choses  "  par  unités  et  par 
nombre  selon  '-  la  quantité  d'images  qu'elles  font  dans  son  cerveau.  La  troisième 
est  de  voir  que  ces  choses  lui  sont  plus  ou  moins  semblables,  que  les  unes  sont 
faites  exactement  comme  lui,  et  que  d'autres  en  différent  davantage.  Ici  vient  la 
première  notion  des  raports  et  "  le  premier  acte  du  raisonnement  qui  est  de 
composer  '*  une  idée  de  deux  autres.  Ensuite  on  examine  plus  particulièrement 
("  par  quelles  qualités  les  autres  êtres  dirfèrent)  ce  qui  nous  mène  aux  premières 


'  itoutesi. 

'  [pièce]. 

'  (dans  peu  à  peui. 

*  [la  substance  spirituelle]. 

»  [sensation]. 

"  [qui  n'est  fondée]. 

'  [sentant], 

»  (La). 

"  (est  de  distinguer  nume  riqlement  que  ces  choses  onti. 

">  (numeriquementi. 

"  (selonl. 

'■-'  lies). 

"  iprémiérementl. 

'*  (dei. 

'5  [les  qualités  par  lesquelles  deu.x  êtres  peuvent  être  différens  ou  semblables]. 

t  fci,  en  marge  :  En  suivant  une  route  (purement)  [entièrement] 
spéculative  et  qui  n'est  point  celle  ou  nous  mène  la  nécessité  de  pourvoir 
à  nos  besoins. 


502  APPENDICES 

abstractions.  Après  avoir  iongtems  considéré  ces  abstractions  sous  certaines 
modifications  particulières  comme  '  le  blanc,  le  noir,  le  rouge  [etc.]  nous  les 
généralisons  enfin  sous  le  mot  (-  gênerai)  de  couleur.  Nous  en  faisons  de  même 
des  '  ronds,  des  quarrés,  des  cubes,  etc  sous  le  nom  commun  de  figures,  (et) 
des  dimentions  diverses  sous  le  nom  commun  de  grandeur.  C'est  seulement 
après  ■*  ces  (diverses)  opérations  que  nous  sommes  en  état  de  ('  diviser)  les  êtres 
en  espèces  et  en  genres  selon  leurs  ("  propriétés)  communes,  et  selon  leurs 
propriétés  particulières,  .\lors  nous  ('  voyons)  qu'il  y  a  des  qualités  communes 
sans  aucune  exception  à  ("des)  êtres  qui  nous  sont  connus  ''savoir  ['"d'être 
étendus,  colores,  figures,  et  formés  d'une  substance  impénétrable]  et  d'autres 
f°  151  ^°  qualités  propres  à  quelques  uns  seulement  savoir  le  sentiment  "  et  ||  la.  pensée; 
nous  voyons  de  plus  que  les  êtres  '-doues  de  ces  propriétés  sont  sujets  à  les 
perdre  sans  [que]  (jamais)  rien  les  leur  puisse  rendre  et  (que)  l'acte  qui  les  en 
prive  s'appelle  mort.  Au  lieu  que  les  qualités  générales  peuvent  bien  se  modifier 
en  accidens  divers  [mais  non  jamais  s'anéantir]  (et)  les  ('^  corps)  changer  de 
couleurs  et  de  figures  mais  ('■*  non)  [''  perdre]  (toute)  '"  couleur  (et  toute  figure). 
[Nous  voyons  encore  qu'il  se  fait  une  circulation  de  substance  entre  les 
divers  rangs  qu'il  passe  quelque  chose  des  uns  dans  les  autres.  Que  ce  quelque 
chose  perd  '"  ou  gagne  certaines  propriétés  particulières  ['"mais]  ('^  qu'il  ^°  a  des) 
qualités  primitives  (qui)  lui  restent  toujours],  t 


'  (la  blancheuri. 

'  icommun], 

'  (mots  de|. 

*  [toutes]. 

^  [rassembler]. 

^  [qualités]. 

'  [trouvons]. 

'  [tous  les]. 

»  (celle). 

"•  (l'étendue,  la  couleur,  la  figure  et  l'impénétrabilité  de  la). 

"  et  pensée  (sic). 

'-  (quii. 

'*  [(êtresl  substances  qui  les  ont  peuvent]. 

"  [elles  ne  sauroient], 

''  (cesser). 

''  [figure  et  toute]. 

"  [(certaines)]. 

'0  (et). 

19  [que  (certaines)  d'autres]. 

'"  (lui  reste...  encore  ?). 

t  Ici,  en  tnarge  :  N  B  citation  d'Helvetius.  Si  d'abord  on  eut  fi.xé 
la  signification  [de  ce  mot  matière]  on  eut  reconnu  que  les  hommes 
étoient,  si  je  l'ose  dire,  les  créateurs  de  la  matière,  que  la  matière  n'étoit 
pas  un  être,  qu'il  n'y  avoit  dans  la  nature  que  des  individus  au.xquels 
on  avoit  donné  [le  nom  de  corps]  et  qu'on  ne  pouvoit  entendre  par  ce 


PAGES    INEDITES    DE    L'    «   EMILE    »  503 

Alors  '  donnant  un  nom  à  la  substance  qui  porte  ces  [premières]  qualités 
que  nous  connoissons  pour  indestructibles  -  nous  l'appelions  matière  :  et  (toutes) 
les  portions  de  matière  reunies  en  êtres  individuels  s'appellent  corps. 

Quand  on  en  est  venu  là  il  se  présente  une  question  à  résoudre.  Ces  deux 
autres  qualités  [savoir  '  la  pensée  et  [le  sentiment]  qualités  que  la  plupart  des 
corps  n'ont  point,  qualités  .-•]  que  certains  corps  acquièrent  sans  que  nous 
puissions  savoir  comment  et  qu'ils  perdent  sans  que  nous  puissions  *  jamais  les 
leur  rendre  appartiennent  elles  à  la  matière  ou  ne  lui  appartiennent-elles  pas. 

On  peut  concevoir  qu'elles  lui  appartiennent  '  lors(que  considérant  la  pensée 
et  le  sentiment)  comme  des  modes  ou  manières  d'être  (et)  "  forcé  de  concevoir 
quelque  substance  qui  serve  de  [soutien  ou  de]  base  a  ces  modes  ('on  *  pense) 
que  la  matière  est  la  seule  substance  ['  qui  nous  soit]  connue  ['"  on  conclut 
qu'elle  est  [aussi]  la  seule  existante].  On  peut  concevoir  qu'elles  ne  lui  appar- 
tiennent pas  ("  lorsqu'on  vient  à  penser)  '-  que  les  propriétés  connues  de  la 
matière,  telles  ["  qu']  étendue,  figure  et  couleur  en  sont  inséparables  [et  qu']  *  on  » 
vient  a  considérer  que  la  pensée  et  le  sentiment  n'étant  pas  dans  le  même  cas, 


'  inousp. 

'  (et). 

'  (le  sentimentl. 

*  isav  oiRi. 

^  [lorsique  l'on  considère...  que  les  consideranti  qu'on  les  considère]. 

"  [que]. 

'  [et  pensant]. 

'  (vienti. 

^  (dont  nous  ayons  quelque...  les  qualitèsi. 
'"  (nous  rend  ?...  donne  quelque  sensi. 
"  [quand  on  pense]. 
"  [lauxi]. 
"  (que  l'|. 

mot  de  matière  que  la  collection  des  propriétés  communes  à  tous  les 
corps.  La  signification  de  ce  mot  ainsi  déterminée,  il  ne  s'agissoit  plus 
que  de  savoir  si  l'étendue,  la  solidité,  l'impénétrabilité  étoient  les  seules 
propriétés  communes  à  tous  les  corps,  et  si  la  découverte  d'une  force 
telle  par  exemple  que  l'attraction  ne  pouvoit  pas  faire  soupçonner  *  que 
les  corps  eussent  encore  quelques  propriétés  inconnues,  telles  que  la 
faculté  de  sentir  qui  ne  se  manifestant  que  dans  les  corps  organisés  des 
animaux  pouvoit  (ne)  être  commune  à  tous  les  individus.  De  l'Esprit. 
p.  32.  —  Sous  cette  citation,  Rousseau  a  écrit  :  N  B  à  bien  examiner;  puis, 
les  rattachant  par  un  astérisque  au  mot  soupçonner,  /'/  a  ajouté  les  deux 
réflexions  suivantes  :  Soupçonner  à  la  bonne  heure;  mais  de  ce  soupçon 
conclure  comme  une  chose  démontrée  que  la  matière  sent  et  qu'il  n'v  a 
point  dame.  —  Locke  le  métoit  en  doute  et  nos  sceptiques  l'affirment  :  je 
ne  connois  personne  de  si  dogmatique  que  les  sceptiques  d'aujourdui. 


504  APPENDICES 

elle  peut  (les  avoir  ou)  ne  les  avoir  point  sans  cesser  '  pour  (-  ça)  d'être  égale- 
ment corps  et  matière.  [Alors  il  est  naturel  de  {'  concevoir)  quelque  autre 
substance  qui  bien  qu'inconnue  à  nos  veux  ne  laisse  pas  d'exister  et  dont  la 
pensée  et  le  sentiment  sont  des  &  propriétés  v>  [ou  qualités]  nécessaires,  comme 
l'étendue  et  la  figure  le  sont  de  la  substance  matérielle]. 

Chacune  de  ces  [deux]  hypothèses  sert  d'objection  à  l'autre  et  (alors) 
quelque  parti  qu'on  prenne  il  faut  distinguer  dans  une  substance  les  qualités 
contingentes  ou  accidentelles  *  telles  que  la  blancheur  la  rougeur  ou  telle  autre 
couleur  particulière;  [^  telle  ou  telle]  figure  [("particulière)]  qu'un  corps  quel- 
f°  151'°  conque  peut  avoir  ou  n'avoir  pas  et  les  qualités  nécessaires  ||  ou  substancielles 
qu'on  ne  peut  séparer  de  la  substance  qui  les  a  sans  l'anéantir,  comme  couleur 
et  figure  dans  la  matière.  Ainsi  (?)  tel  corps  n'aura  pas  telle  figure  ou  telle  couleur 
en  particulier  parce  qu'il  en  aura  un  autre;  mais  il  ne  sera  jamais  sans  figure 
et  sans  couleur.  11  s'agit  donc  de  savoir  si  la  pensée  et  sentiment  sont  des 
qualités  '  générales  ("  telles  que  la)  couleur  et  (la)  figure  ou  des  propriétés 
particulières  telles  '  par  exemple  «  que  »  ('"  le)  rouge  ou  le  vert  et  que  ("  le  cube) 
ou  (la)  pyramide;  car  dans  le  ['-second]  cas  on  pourroit  conclure  qu'elles 
('^  appartiennent)  à  la  matière,  '''  comme  modes  particuliers  de  quelque  autre 
qualité  qui  en  seroit  inséparable  [ou  qu'on  supposeroit  l'être]  («  '■'  telle  »)  par 
exemple  «  que  »  le  mouvement,  *  et  *  dans  le  ["^  premier]  cas  il  faut  nécessai- 
rement les  attribuer  à  quelque  autre  substance  dont  nous  n'avons  aucune  idée 
et  "  dont  elles  doivent  être  [(elles  mêmes)]  inséparables  comme  ("  l'étendue)  et  la 
figure  (le)  sont  '■'  de  la  matière.  Or  -"  quelque  parti  qu'on  prenne  dans  cette 
obscure  question  j'appelle  ame  ou  esprit  la  substance  à  laquelle  appartiennent 
le    sentiment    et   la   pensée    [soit  connus.^   (-'  generiquement)    comme    qualités 


'  (d'). 

2  [cela]. 

■'  [supposer]. 

*  (qu'un  corps  peut  avoir  ou  n'avoir  pas|. 

'>  (la  rondeur  la  figure  angulaire,  ou  telle  autre  ligure  variant  à  l'inllniL 

^  [déterminée]. 

'  [(semblables)]. 

^  [comme  (par  exemple)  celles  qu'expriment  les  mots]. 

■'  (que  la  pa  mot  inachevé  tellesi. 

'"  «  la  »  [couleur  rouge  ou  la  verte]. 

"  [la  forme  cubique]  ou  pyramyd  [aie]. 

'-  (premierl. 

"  [conviennent]. 

"  (et  dans  le  second  qu'elles  appartiennent  à  quelqu'autre  substance  à  laquelle) 

'^  [comme]. 

'*  (second). 

"  (à). 

"*  [la  couleur], 

'■'  [inséparables]. 

-"  quelle  parti  (sic). 

-'  [généralement]. 


FRAGMENTS   INUTILISES  505 

soit  '  spécifiquement  comme  propriétés].  Alors  il  est  évident  qu'à  l'aide  de  cette 
nouvelle  définition  la  dispute  n'a  changé  que  (-  par  les)  mots  et  ('  qu'il  s'agit) 
toujours  (■*  de  savoir)  si  l'esprit  est  matière  '  et  corps  ou  '.bien;  s'il  est  autre 
chose. 

Je  n'é.xamine  point  comment  s'y  prennent  les  philosophes  pour  résoudre 
cette  question.  Ce  n'est  pas  de  cela  qu'il  s'agit  ici,  je  veu.x  seulement  montrer 
quel  ("  chemin)  immense  a  du  faire  l'esprit  humain  [simplement]  pour  (se  la 
proposer  et)  l'entendre  "  route  d'autant  plus, abstruse  et  moins  naturelle  qu'elle 
est  purement  spéculative  et  bien  loin  de  celle  ou  nous  mène  la  nécessité  de 
pourvoir  à  nos  besoins  (de  toute  espèce!  qui  est  la  '  route  naturelle  de  l'instruction. 


FRAGMENTS  INUTILISES- 

De  ces  J'ragmenls,  les  premiers  se  trouvent  dans  l'un  des  cahiers  de 
brouillons  de  Rousseau.  Mss.  de  Neuchdtel,  n"  7842.  Ils  ont  été  écrits 
lorsque  B  était  déjà  entièrement  rédigé.  Ils  sont  rangés  à  la  suite  l'un 
de  l'autre  sous  ce  titre,  de  la  main  de  Rousseau,  f"  3i  r"  :  A  placer 
dans  le  traitté  de  l'éducation.  Quelques-uns  de  ces  morceaux  d'attente 
ont  été.  en  effet,  insérés  dans  /'Emile.  Mais  ceux  qui  devaient  être 
«  placés  »  dans  la  Profession  de  foi  n'ont  pas  été,  —  sauf  un,  et 
encore  provisoirement,  —  utilisés.  On  reconnaît  facilement  qiiils 
étaient  destinés  à  la  Profession,  non  seulement  d'après  leur  contenu, 
mais  grâce  aux  indications  marginales  de  Rousseau  :  L.  I^  ou 
P.  de  t.  —  La  destination  des  auti-es  Jragments  est  moins  certaine: 
mais  ils  rentrent  dans  le  cercle  d'idées  où  se  meut  la  réflexion  du 
Vicaire.  Deux  d'entre  eux  se  trouvent  à  Neuchdtel  sur  un  petit 
carré  de  papier,  parmi  d'autres  fragments  isolés  et  non  numérotés, 
sous  la  cote  générale  78/I  *".  La  remarque  sur  Aristote  avait 
d'abord  été  rédigée  au  crayon,  et  occupait  alors  tout  l'espace  que 
remplissent  maintenant  les  deux  notes  écrites  à  l'encre.  —  Le  dernier 
fragment  est  le  brouillon  d'une  petite  dissertation  sur  les  prophéties. 
Écrit  sur    une  feuille  volante,   il  a  été  collé  plus  tard  à   la  fin  dun 

'  ipi. 
'  [de]. 

*  [(la  questioni  se  réduit]. 

*  [à  décider]. 

'   (OUI. 

*  [route]. 

'  [et  se  la  proposer]. 
'  [véri  Table]. 


506  APPENDICES 

Manuscrit  que  possédait  Rousseau  :  Doutes  sur  la  religion,  dont  on 
cherche  leclaircissement  de  bonne  fov.  Plusieurs  idées  de  Rousseau 
sont,  en  effet,  empruntées  au  chapitre  VII  des  Doutes  'j',  14-16  :  Des 
prophéties  et  des  prophètes. 


N,  f°32''"'  L.  4  Prof,  de  f  :  Il  n'est  pas  possible  que  l'ennemi  (né)  d'une  religion  la 

connoisse  bien,  beaucoup  moins  qu'il  la  fasse  connoitre  aux  autres. 


L.  4  P.   de   f.   Le  sentiment  dit-on.   peut  me  tromper,   mais  d'où   ai-je   la 
preuve  qu'il  me  trompe. 

L.  IV.  Ayez  de  la  pieté,  [etc].  —  C'est  le  fragment  que  j'ai  inséré  plus  haut 
dans  la  Profession,  pp.  442-44.4. 

* 

f°  32  ^^  ^'  '^  ■  '  ^'   '*  divinité  s'est  réellement  annoncée  aux  hommes  par  quelque 

révélation  [expresse],  il  faut  que  cette  révélation  leur  soit  communiquée  également 
à  tous  en  même  tems  avec  la  même  [-  évidence]  (et  la  même  force),  et  de 
(^  manière)  que  la  (*  distance)  des  tems  (ou)  des  lieux,  (la  différence)  des  langues, 
des  coutumes,  des  opinions  n'en  mete  aucune  dans  la  force  des  preuves  sur 
lesquelles  cette  révélation  est  établie.  Je  ne  sache  pas  ('  qu'il  en  soit  fait  mention 
d'aucune)  et  qu'on  en  puisse  même  "  concevoir  qui  soit  marquée  à  ce  caractère 
('  de  vérité)  et  d'uniformité  ('  sans  lequel  (**  la  révélation  ne  seroit)  qu'un 
('"  piège  tendu  à  la  crédulité  des  hommes)). 

* 
L.    IV.    [Prenant  la  volonté  du  premier  être  pour  la  loi  de  nécessité  je  con- 
viens que]  ["  tout  ce  qui  arrive]  sur  la  terre  arrive  nécessairement  excepté  ce  que 


'  (S'il  y  a  unel. 
'  (force). 
'  'telle  sorte]. 
'  [différence]. 

'  [qu'on  lait  jamaisi  en  connoisse]. 
<=  [(en)]. 

'  [d'universalité]. 

^  [qui  convient  à  la  divinité  parlant  à  tous  les  hommes]. 
*  [elle  n'est]. 

'"  [modèle  de  séduction   (entre  les   mains  des)   [pour   les]   fourbes  et  un    piège 
tendu  à  la  crédulité  des  simples]. 
"  (Tous  les  evenemens). 


FRAGMENTS   INUTILISES 


507 


les  hommes  v  font.  Encore  ce  que  les  hommes  y  font  étant  peu  de  chose  rela- 
tivement au  tout  est  nécessité  par  leur  nature  à  ne  ^pas]  passer  certaines  bornes 
('  au  dedans  desquelles  rien  de  ce  qui  arrive  ne  peut)  déranger  l'ordre  total. 


B 


de  Nfochâlel, 
78;i  bis 


Remarquez  qu'Aristote  lui  même  qui  ne  paroit  pas  avoir  trop  bien  pensé 
de  la  Divinité  a  trouvé  absurde  la  supposition  du  mouvement  éternel  de  la 
matière  de  cœlo.  lib  :  3.  cap.  2. 

lEt)  la  Religion  sera  plus  deshonorée  par  ses  détfenseurs  que  par  ses 
ennemis,  et  ils  Toffenseront  plus  par  leurs  crimes  qu'ils  ne  l'honoreront  par  leurs 
hommages. 


Mï^!!.  de  Xeorhàlel, 
7931.  io  23  r> 


S'il  n'étoit  rien  arrivé  de  ce  que  nous  croyons  voir  annoncé  par  les 
prophéties  il  seroit  arrivé  autre  chose  et  nous  l'y  (-  verrions)  annoncé  de  même. 
'  Est-il  bien  étonnant  qu'une  multitude  d'hommes  d'esprit  méditant  sans  cesse 
des  livres  obscurs  v  trouvent  les  sens  qu'il  leur  plait  et  y  fassent  cadrer  des 
evénemens  *  quel[con]ques.  [*  Qu'y  a  t  il  de  plus  naturel  que  d'annoncer  un 
libérateur  à  des  peuples  persécutés  ou  captifs.  Il  n'est  pas  besoin  pour  cela  d'être 
un  oracle  (?)  il  suffit  d'être  consolateur].  Il  n'v  a  rien  de  plus  clair  sur  I*  le  Messie) 
dans  les  prophètes  que  dans  ('  Virgile)  et  dans  ("  Homère),  les  centons  de  ces 
deu.x  poètes  en  font  foi.  Est-ce  à  dire  qu'Homère  et  Virgile  [inspirés  de  Dieu] 
aient  prophétisé  la  venu  du  Messie.  [^  On  dit  tout  quand  on  est  obscur  pour 
ceux  qui  veulent  tout  voir  dans  les  ténèbres].  Sans  être  un  fort  ('"  grand  génie) 
je  ["  me  fais]  fort  de  trouver  tel  événement  qu'on  voudra  ('-  dans  les)  "  pro- 
phe(ties)  tout  aussi  ['*  clairement  qu'aucun  de]  ceu.x  que  nous  y  trouvons. 


'  [et  ces  bornes  empêchent  les  actions  libres  des  hommes  de  pouvoir]. 

'  [trouverions]. 

»  illi. 

*  quel  iquei  que. 

^  (Lisez  les  centons  de  Virgile  recueillis  [De  J.  C on  annonca]i. 

«  ]J.  C. 

'  (les  centons  del  [(recueils  ?)  Homère]. 
'  [Virgile]. 
°  iDonnezi. 
'"  [habile  interprète]. 
"  (suisi. 

"  [prédit  par  nous. 
"  prophe  [tes]. 
'*  (quel. 


508  APPENDICES 

IV 

«  MAXIMES  » 

extraites  par  Rousseau  de  la  «  Profession  de  foi  » 

Sous  ce  titre  de  «  Maximes  »,  Rousseau  a  groupé  dans  l  un  de  ses 
ca/iiers  de  brouillons  i  Mss.  de  Neuchàtel,  n"  yS^J)  un  choix  de  réflexions 
philosophiques  et  morales  empruntées  à  /'Emile.  Les  deux  tiers  de  ces 
«  JVlaximes  »  viennent  de  la  Profession  de  foi.  //  semble,  d'ailleurs,  que 
ce  choix  de  Rousseau  soit  resté  inachevé.  J'ai  cru  pourtant  qu  il  y  aurait 
intérêt  à  retrouver  ici  ce  qui.  dans  la  Profession,  paraissait  à  Rousseau 
lui-même  le  plus  nouveau  ou  le  mieux  formulé.  —  J  ai  souligné  les 
quelques  variantes:  ce  sont  presque  toutes  de  légères  retouches,  que 
Rousseau  a  fait  subir  à  son  texte  pour  lui  donner  l'impersotinalité  des 
maximes.  —  Les  pages  sont  indiquées  par  Rousseau  lui-même  :  ce  sont 
celles  de  l'édition  orieinale. 


f°  67  ''"  ni,  m.  Il  est  un  degré  d'abrutissement  qui  ote  la  vie  à  rame,  et  la  voix 

intérieure  ne  sait  plus  se  faire  entendre  à  celui  qui  ne  cherche  qu'à  se  nourrir. 


V  68  '°  'II'  '7-  En  écartant  toujours  la  vaine  apparence  et  pénétrant  les  mau.x  réels 

qu'elle  couvre  on  apprend  à  déplorer  les  erreurs  de  «ex  semblables,  a  s'attendrir 
sur  leurs  misères,  et  à  les  plaindre  plus  qu'à  les  envier. 

iS.  L'homme  qui  fait  le  plus  de  cas  de  la  vie  est  celui  qui  sait  le  moins 
en  jouir,  et  celui  qui  aspire  le  plus  avidement  au  bonheur  est  toujours  le  plus 
misérable. 

22.  En /a/.sc7;i;  Vfeii  de  n'être  pas  homme  on  promet  plus  qu'oH  ne  peut  tenir. 


23.  Il  faut  commencer  par  apprendre  à  résister  ton/ours,  pour  savoir  quand 
on  peut  céder  sans  crime. 

24.  Il  ne  faut  souvent  qu'agraver  la  faute  pour  échapper  au  châtiment. 


25.  Rien  ne  conserve  mieux  l'habitude  de  réfléchir  que  d'être  plus  content 
de  soi  que  de  sa  fortune. 


«   MAXIMES   »   EXTRAITES    DE    LA    «    PROFESSION    »  509 

27.  Le  doute  sur  les  choses  qu'il  nous  importe  de  connoitre,  est  un  état 
trop  violent  pour  l'esprit  humain;  il  n'y  résiste  pas  longtems;  il  se  décide 
malgré  lui  de  manière  ou  d'autre,  et  il  aime  mieux  se  tromper  que  ne  rien  croire. 


(En   me  disant  croyez   tout  on   empêche  de  rien  croire,  et  le  croyant  ne 
sait  plus  ou  .s'arrêter). 

3o.   11  n'y  a  pas  un  philosophe,  qui,  venant  à  connoitre  le  vrai  et  le  t'au.\,  ne 
préférât  le  mensonge  qu'il  a  trouvé  à  la  vérité  découverte  par  un  autre. 


33.  Les  objections  insolubles  étant  communes  à  tous  les  systèmes  parce  que 
l'esprit  de  l'homme  est  trop  borné  pour  les  résoudre,  ne  prouvent  contre  aucun 
par  préférence:  mais  quelle  différence  entre  les  preuves  directes!  Celui-là  seul 
qui  explique  tout  ne  doit-il  pas  être  préféré,  quand  il  n'a  pas  plus  de  difficulté 
que  les  autres  ? 

37.  La  faculté  distinctive  de  l'Etre  actif  ou  intelligent  est  de  pouvoir 
donner  un   sens  à  ce   mot  est. 


40.  (Ajoutez  à  cela  une  refle.xion  qui  vous  frappera,  je  m'assure,  quand 
vous  y  aurez  pensé).  Si  nous  étions  purement  passifs  dans  l'usage  de  nos  sens, 
il  n'y  auroit  entre  eux  aucune  communication  il  nous  seroit  impossible  de 
connoitre  que  le  corps  que  nous  touchons  et  l'objet  que  nous  voyons  sont  le 
même.  Ou  nous  ne  sentirions  jamais  rien  hors  de  nous,  ou  il  y  auroit  pour  nous 
cinq  substances  sensibles,  dont  nous  n'aurions  nul  moven  d'appercevoir 
l'identité. 


48.   Les  premières  causes  du  mouvement  ne  sont  point  dans  la  matière;  elle 
reçoit  le  mouvement  et  le  communique,  mais  elle  ne  le  produit  pas. 

59.  La    barrière    insurmontable   que   la    nature  a    mise  entre  les  diverses      fo  gg 
espèces  afin  qu'elles  ne  se  confondissent   pas,  montre   ses  intentions  avec   la 
dernière  évidence.   Elle  ne  s'est   pas   contentée  d'établir   l'ordre,   elle  a  pris  des 
mesures  certaines  pour  que  rien  ne  put  le  troubler. 


61.  Il  ne  dépend  pas  de  moi  de  croire  que  la  matière  passive  et  morte  a 

pu  produire  des  êtres  vivans  et  sentans,  qu'une  fatalité  aveugle  a  pu  produire 

des  êtres  intelligens,  que  ce  qui   ne  pense  point  a  pu  produire  des  êtres  qui 
pensent. 

63.  J'apperçois  Dieu  partout  dans  ses  œuvres,  je  le  sens  en  moi,  je  le  vois 
tout  autour  de  moi  :  mais  sitôt  que  je  veux  le  contempler  en  lui-même,  sitôt 


510  APPENDICES 

que  je  veux  chercher  où  il  est,  ce  qu'il  est,  quelle  est  sa  substance,  il  m'échappe, 
et  mon  esprit  troublé  n'apperçoit  plus  rien. 


65.  Qu'y  a-t-il  de  si  ridicule  à  penser  que  tout  est  lait  pour  moi,  si  je  suis 
le  seul  être  qui  sache  tout  rapporter  à  lui  ? 


66.  Content  de  la  place  où  Dieu  m'a  mis,  je  ne  vois  rien,  après  lui  de 
meilleur  que  mon  espèce.  Si  j'avois  à  choisir  ma  place  dans  l'ordre  des  êtres, 
que  pourrois-je  choisir  de  plus  que  d'être  homme  ? 


69.  Si  se  préférer  à  tout  est  un  penchant  naturel  à  l'homme,  et  si  pourtant 
le  premier  sentiment  de  la  justice  est  inné  dans  le  cœur  humain,  que  celui  qui 
fait  de  l'homme  un  être  simple,  lève  ces  contradictions,  et  je  ne  reconnois 
plus   qu'une   substance. 

70.  J'entends  par  le  mol  de  substance  l'Etre  doué  de  quelque  qualité 
primitive,  et  abstraction  faite  de  toutes  modifications  particulières  ou  secondaires. 
Si  donc  toutes  les  qualités 'primitives  qui  nous  sont  connues,  peuvent  se  reunir 
dans  un  même  être,  on  ne  doit  admettre  qu'une  substance;  mais  s'il  y  en  a  qui 
s'excluent  mutuellement,  il  y  a  autant  de  diverses  substances  qu'on  peut  faire  de 
pareilles  e.xclusions. 

71.  Quand  un  philosophe  viendra  me  dire  que  les  arbres  sentent,  et  que 
les  rochers  pensent  il  aura  beau  m'embarrasser  dans  ses  argumens  subtils,  je  ne 
puis  voir  en  lui  qu'un  sophiste  de  mauvaise  foi,  qui  aime  mieu.x  donner  le 
sentiment  aux  pierres  que  d'accorder  une  ame  à  l'homme. 


72.  Je  ne  sais  comment  l'entendent  nos  matérialistes,  mais  il  me  semble 
que  les  mêmes  difficultés  qui  leur  ont  fait  rejetter  la  pensée  leur  devroient  faire 
aussi  rejetter  le  sentiment,  et  je  ne  vois  pas  pourquoi  avant  fait  le  premier  pas, 
ils  ne  feroient  pas  aussi  l'autre.  Que  leur  en  coùteroit-il  de  plus,  et  puisqu'ils 
sont  surs  qu'ils  ne  pensent  pas.  comment  osent-ils  allîrmer  qu'ils  sentent  ? 


75.  Je  ne  connois  la  volonté  que  par  le  sentiment  de  la  mienne,  et  l'enten- 
dement ne  m'est  pas  mieux  connu.  Quand  on  me  demande  quelle  est  la  cause 
qui  détermine  ma  volonté,  je  demande  à  mon  tour,  quelle  est  la  cause  qui 
détermine  mon  jugement  :  car  il  est  clair  que  ces  deux  causes  n'en  sont  qu'une  ; 
et  si  l'on  comprend  bien  que  l'homme  est  actif  dans  ses  jugemens,  que  son 
entendement  n'est  que  le  pouvoir  de  comparer  et  de  juger,  on  verra  que  sa  liberté 
n'est  qu'un  pouvoir  semblable,  ou  dérivé  de  celui-là;  il  choisit  le  bon  comme  il 
a  jugé  le  vrai.  S'il  juge  faux,  il  choisit  mal.  Quelle  est  donc  la  cause  qui 
détermine  sa  volonté?  C'est  son  jugement.  Et  quelle  est  la  cause  qui  détermine 


«   MAXIMES    »    EXTRAITES    DE    LA    «    PROFESSION   »  5II 

son  jugement  ?  C'est  sa  faculté  intelligente,  c'est  sa  puissance  de  juger;  la  cause 
déterminante  est  en  lui-même.  Passé  cela,  je  n'entends  plus  rien. 


76.  Sans  doute  je  ne  suis  pas  libre  de  ne  pas  vouloir  mon  propre  bien, 
je  ne  suis  pas  libre  de  vouloir  mon  mal  ;  mais  ma  liberté  consiste  en  cela  même, 
que  je  ne  puis  vouloir  que  ce  qui  m'est  convenable,  ou  que  j'estime  tel,  sans  que 
rien  d'étranger  à  moi  me  détermine.  S'ensuit-il  que  je  ne  sois  pas  mon  maître, 
parce  que  je  ne  suis  pas  le  maître  d'être  un  autre  que  moi  ? 


Le  principe  de  toute  action  est  dans  la  volonté  d'un  être  libre,  on  ne 
sauroit  remonter  au  delà.  (Il  manque  ici  une  phrase  que  Rousseau  avait  com- 
mencée, puis  barrée,  et  qu'il  a  préféré  détacher  pour  en  faire  une  «  maxime  i) 
à  part  :  c'est  la  «  maxime  »  suivante).  Supposer  quelque  acte  quelque  effet  qui 
ne  dérive  pas  d'un  principe  actif,  c'est  vraiment  supposer  des  effets  sans  cause, 
c'est  tomber  dans  le  cercle  vicieu.x.  Ou  il  n'y  a  point  de  première  impulsion,  ou 
toute  première  impulsion  n'a  nulle  cause  antérieure,  et  il  n'y  a  point  de  véritable 
volonté  sans  liberté. 


«  Ce   n'est   pas    le   mot  de  ■»  liberté   qui    ne    signifie    rien,    c'est   celui   de 
nécessité. 


77.  Tout    ce   que    l'homme   fait    librement   n'entre   point  dans   le  système 
ordonné  de  la  providence  et  ne  peut  lui  être  imputé. 


78.   La  suprême  jouissance  est  dans  le  contentement  de  soi-même. 


79.  Quoi  !  pour  empêcher  l'homme  d'être  méchant,  falloit-il  le  borner  à 
l'instinct  et  le  faire  bête  ?  Non,  Dieu  de  mon  ame,  je  ne  te  reprocherai  jamais  de 
l'avoir  faite  à  ton  image,  afin  que  je  pusse  être  libre,  bon  et  heureu.\  comme  toi  ! 


C'est  l'abus  de  nos  facultés  qui  nous  rend  malheureu.x  et  méchans.  Nos 
chagrins  nos  soucis  nos  peines  nous  viennent  de  nous.  Le  mal  moral  est 
incontestablement  nôtre  ouvrage,  et  le  mal  phvsique  ne  seroit  rien  sans  nos 
(peines)  vices  qui  nous  l'ont  rendu  sensible. 


80,  Qui  ne  sait  pas  supporter  un  peu  de  souffrance  doit  s'attendre  a 
beaucoup  souffrir. 

81.  Homme  ne  cherche  plus  l'auteur  du  mal;  cet  auteur  c'est  toi-même.  Il 
n'e.xiste  point  d'autre  mal  que  celui  que  tu  fais  ou  que  tu  souffres,  et  l'un  et 
l'autre  te  vient  de  toi.  Le  mal  général  ne  peut  être  que  dans  le  desordre,  et  je  vois 
dans  le  système  du  monde  un  ordre  qui  ne  se  dément  point.  Le  mal  particulier 


512  APPENDICES 

n'est  que  dans  le  sentiment  de  l'être  qui  souffre:  et  ce  sentiment  l'homme  ne 
l'a  pas  receu  de  la  nature,  il  se  l'est  donné  (Rousseau  a  passé  une  phrase).  Otez 
nos  funestes  progrès,  otez  nos  erreurs  et  nos  vices,  otez  l'ouvrage  de  l'homme 
et  tout  est  bien. 

8i.  La  bonté  est  l'effet  nécessaire  d'une  puissance  sans  bornes  et  de  l'amour 
de  soi,  essenciel  à  tout  être  qui  se  sent.  Celui  qui  peut  tout  étend  pour  ainsi  dire 
son  e.xistence  avec  celle  des  êtres.  Produire  et  conserver  sont  l'acte  perpétuel  de  la 
puissance;  elle  n'agit  point  sur  ce  qui  n'est  pas.  Dieu  n'est  pas  le  Dieu  des  morts, 
il  ne  pourroit  être  destructeur  et  méchant  sans  se  nuire.  Celui  qui  peut  tout  ne 
peut  vouloir  que  ce  qui  est  bien. 

f°  69  ''"  ^'^-  Quand   les  Anciens   appelloient   optimus   ma.ximus,    le   Dieu   suprême, 

ils  disoient  très  vrai;  mais  en  disant  O.  M.  (sic,  Rousseau  s'est  trompé  en  se 
recopiant)  ils  auroient  parlé  plus  e.\actement,  puisque  sa  bonté  vient  de  sa 
puissance.  Il  est  bon  parce  qu'il  est  grand. 


84.  On  diroit  au.x  murmures  des  impatiens  mortels  que  Dieu  leur  doit  la 
récompense  avant  le  mérite,  et  qu'il  est  obligé  de  payer  leur  vertu  d'avance. 
O  soyons  bons  premièrement  et  puis  nous  serons  heureux.  N'exigeons  pas  le 
prix  avant  la  victoire,  ni  le  salaire  avant  le  travail.  Ce  n'est  point  dans  la  lice, 
disoit  Plutarque,  que  les  vainqueurs  de  nos  jeux  sacrés  sont  couronnez  :  c'est 
après  qu'ils  l'ont  parcourue. 

86.  L'homme  ne  vit  qu'à  moitié  durant  sa  vie.  et  la  vie  de  l'ame  ne  com- 
mence qu'à  la  mort  du  corps. 

96.  Plus  je  m'efforce  de  contempler  /'essence  infinie,  moins  je  la  conçois; 
mais  elle  est,  cela  me  suffit;  moins  je  la  conçois,  plus  je  l'adore.  Je  m'humilie, 
et  lui  dis  :  Etre  des  Etres,  je  suis,  parce  que  tu  es;  c'est  m'elever  à  ma  source 
que  de  te  méditer  sans  cesse.  Le  plus  digne  usage  de  ma  raison  est  de  s'anéantir 
devant  toi.  C'est  mon  ravissement  d'esprit,  c'est  le  charme  de  ma  foiblesse  de 
me  sentir  accablé  de  ta  grandeur. 

98.  La  conscience  est  à  l'ame  ce  que  l'instinct  est  au  corps. 


100.  Si  l'homme  est  méchant  naturellement,  il  ne  peut  cesser  de  l'être  sans 
se  corrompre,  et  la  bonté  n'est  en  lui  qu'un  vice  contre  nature.  Fait  pour  nuire 
à  ses  semblables  comme  (uni  [le]  loup  pour  égorger  sa  prove,  un  homme 
humain  seroit  un  animal  aussi  dépravé  qu'un  loup  pitoyable,  et  la  vertu  seule 
nous  laisseroit  des  remords. 


I.ETTRI-:    A    M.    DE    l-KANQUIERES  513 

V 

LETTRE  A   M.  DE   FRANQUIÈRES 

(17G9) 

Celle  longue  Le  lire,  qui  est  presqu  un  opuscule,  ne  peut  être  séparée 
de  la  Profession  de  toi,  dont  elle  offre,  en  quelque  sorte,  l'essentiel 
condensé.  Ce  qui  en  fait  surtout  l'intérêt,  c'est  qu'elle  vient  confirmer 
la  déclaration  du  Vicaire  :  «  ./'ai  pris  mon  parti,  je  m'y  tiens  ».  La 
Profession  n'est  pas.  en  effet,  une  étape  dans  l'évolution  religieuse  de 
Rousseau.  C'est  le  bilan  de  plusieurs  années  de  «pénibles  recherches  »  ; 
mais  de  recherches  sans  lendemain,  parce  qu'elles  laissaient  derrière 
elles.  —  et  pour  toujours.  —  sinon  l'absolue  conviction  intellectuelle, 
du  moins  la  pleine  sécurité  pratique.  «  .Ap?-ès  les  recherches  les  plus 
ardentes  et  les  plus  sincères  qui  Jamais  peut-être  aient  été  faites  par 
aucun  mortel,  dit  Rousseau  dans  la  «  Troisième  Promenade  »  des 
Rêveries.   IX.   342-343,  je  me  décidai  pour  toute  ma  vie  sur  tous   les 

sentiments  qu'il  m  importait  d'avoir Depuis  lors,  resté  tranquille  dans 

les  principes  que  /'aj'a/.v  adoptés  après  une  méditation  si  longue  et  si 
réfléchie,  j'en  ai  fait  la  règle  immuable  de  ma  conduite  et  de  ma  foi.  sans 
plus  m'inquiéter  ni  des  objections  que  je  n  avais  pu  résoudre,  ni  de  celles 
que  Je  ii'avais  pu  prévoir,  et  qui  se  présentaient  nouvellement  de  temps  à 
autre  à  mon  esprit  ».  .4  ce  point  de  vue,  la  Lettre  suivante  est  caractéris- 
tique :  Rousseau  \-  reprend  les  arguments  du  Vicaire  avec  une  assurance 
plus  tranquille,  et  plus  de  confiance  encore  dans  le  dictamen  du  senli- 
menl  :  c'est  tantôt  un  résumé,  tantôt  un  commentaire  de  la  Profession. 

Cette  Lettre  se  trouve  déjà  dans  la  Correspondance,  A7/,  i4o-i5o: 
mais  le  nom  du  destinataire  n'y  est  pas  indiqué.  La  copie  de  Rous.<:eau, 
que  Je  reproduis  ici.  nous  le  fournit,  mais  sans  nous  apporter  d'autre 
renseignement  sur  ce  M.  de  Franquières.  C'était  probablement  un 
gentilhomme  du  Dauphiné.  On  voit  qu'il  avait  écrit  plusieurs  fois  à 
Rousseau:  mais,  à  partir  de  ij6g.  Rousseau  n'a  plus  conservé  que  de 
très  rares  Lettres  de  ses  correspondants.  La  Bibliothèque  de  Neuchdtel 
possède,  du  moins,  m"  jQoii  la  copie  de  cette  Lettre,  et  le  petit  billet 
qui  accompagnait  l'envoi.  Rousseau,  trouvant,  sans  doute,  la  Lettre 
importante,  avait  voulu  la  conserver,  et  l'avait  recopiée  sur  un  cahier 
spécial.  Le  texte  entier  n'en  est  pourtant  pas  autographe.  Après  la 
première  ligne,  et  durant  un  peu  plus  de  deux  pages,  l'écriture  n  est  pas 
celle  de  Rousseau.  Pour  s'épargner  la  fatigue  de  cette  copie,  il  s  était 
vraisemblablement  adressé  à  quelque  voisin  de  campagne:  puis,  décon- 

33 


514 


APPENDICES 


certé  par   lOrlhographc   de   ce   copiste   d'occasion,    il  préféra  achever 
lui-même  le  travail. 

Il  avait  envové  la  Lettre  avec  le  billet  suivant  if"  i  ''"i  :  «  Le  voila, 
Monsieur,  ce  misérable  radotage  que  mon  amour  propre  humilié  vous 
a  fait  si  longtems  attendre,  faute  de  sentir  qu'un  amour  propre  beau- 
coup plus  noble  devait  m'apprendre  à  surmonter  celui-là.  Qu'importe 
que  mon  verbiage  vous  paroisse  misérable,  pourvu  que  je  sois  content 
du  sentiment  qui  me  l'a  dicté.  Sitôt  que  mon  meilleur  état  m'a  rendu 
quelques  forces,  j'en  ai  proffité  pour  le  relire  et  vous  l'envoyer.  Si  vous 
avez  le  courage  d'aller  jusqu'au  bout,  je  vous  prie  après  cela  de  vouloir 
bien  me  le  renvover,  sans  me  rien  dire  de  ce  que  vous  en  aurez  pensé,  et 
que  je  comprends  de  reste,  .le  vous  salue,  Monsieur  et  vous  embrasse  de 
tout  mon  cœur.  Renou.  A  Monquin  le  25.  Mars  1769  ».  —  Pour  faciliter 
les  citations  de  cette  Lettre  dans  le  commentaire  de  la  Profession,  j'en  ai 
numéroté  les  paragraphes. 

.\   Bourgoin   le   i5  janvier.    1769 

1.  Je  sens,  .Monsieur,  l'inutilité  du  devoir  que  je  remplis  en  répondant  à 
votre  t  dernière  lettre  :  mais  c'est  un  devoir  enfin  que  vous  m'imposes  '  et  je 
le  -  rempli  s  de  bon  coeur,  quoique  mal.  [^  vu]  les  distractions  de  l'état  oij  je  suis. 

2.  Mon  ^  [dessein],  en  vous  disant  ici  mon  opinion  sur  les  principaux 
[^  points]  de  votre  lettre  est  de  vous  la  dire  avec  simplicité,  et  sans  chercher  à 
vous  la  faire  adopter,  cela  seroit  contre  mes  principes  et  même  contre  mon  goût, 
car  je  suis  juste,  et  comme  je  n'aime  ['■  point]  qu'on  cherche  ['  à]  me  subjuguer, 
je  ne  cherche  non  plus  à  subjuguer  personne  :  je  scai  que  la  raison  commune 
est  très  bornée,  qu'aussitôt  qu'on  sort  de  ses  étroites  limites,  chacun  à  la  sienne 
qui  n'est  propre  qu'  ['  à]  lui;  que  les  opinions  se  propagent  par  les  opinions  non 
par  la  raison,  et  que  [''  quiconque]  cède  au  raisonnement  d'un  autre,  chose 
«  déjà  ■»  très  rare,  cède  par  préjugé,  par  ['"  autorité],  par  affection,  par  paresse; 
rarement,  jamais  peut  être,  par  son  propre  jugement. 


'  icest). 

-  remplie  Isic). 

»  vu  le). 

*  (deissin). 
■''  (poientsi. 
"  ipoieiit). 

■  (à). 

*  làl. 

"  iquicomquel. 

'"  lauctontëi. 

t  .4  partir  d'ici,  l'écriture  n'est  plus  celle  de  Rousseau,  sauj  pour 
les  corrections   texte  entre  crochet  .  qui  paraissent  bien  être  de  lui. 


LETTRE    A    M.    DE    FRAXQUIERES  515 

3.  Vous  ms  ['  marquez],  monsieur  que  le  résultat  de  vos  recherches  sur 
l'auteur  des  choses  est  un  état  de  doute.  Je  ne  puis  juger  de  cet  état,  parce  qu'il 
n'a  jamais  été  le  mien.  J'ai  cru  dans  mon  enfance  par  [-autorité],  dans  ma 
jeunesse  par  sentiment,  dans  mon  âge  mur  par  raison;  maintenant  je  crois 
parce  que  j'ai  '  loujour  s  cru.  Tandis  que  ma  mémoire  éteinte  ne  me  remet  plus 
sur  la  trace  de  mes  raisonnements,  tandis  que  ma  judiciaire  alïbiblie  ne  me 
permet  plus  de  les  récommencer,  les  opinions  qui  en  ont  résulté  me  restent 
dans  ■*  toute  leur  force,  et  sans  que  j'âye  la  volonté  [*  ni]  le  courage  de  les 
mettre  derechef  en  délibération,  je  m'y  tiens  en  confiance  et  en  conscience, 
certain  d'avoir  ["  aporté]  dans  la  vigueur  de  mon  jugement  à  leurs  discussions 
toute  l'attention  et  la  bonne  foy  dont  j'étois  capable.  Si  je  me  suis  trompé,  ce 
n'est  pas  ma  faute;  c'est  celle  de  la  nature,  qui  na  pas  donné  a  ma  tête  une  plus 
grande  mesure  d'intelligence  et  de  raison.  Je  nai  rien  de  plus  aujourdhui,  j'ai 
beauc  «  oup  »  de  ['  moins].  Sur  quel  fondement  recommencerois  je  donc  à 
délibérer  ?  le  moment  presse  ;  le  départ  approche.  Je  n'aurois  jamais  le  temps 
['  ni]  la  force  d'achever  le  grand  travail  d'une  ['■'  refonte].  Permettes  qu'à  tout 
événement  j'emporte  avec  mov  la  consistance  et  la  fermeté  d'un  homme,  non 
les  doutes  ]'"  décourageants]  et  timides  d'un  vieux  radoteur. 

4.  A  ce  que  je  puis  me  rapeler  de  mes  ancienes  idées,  à  ce  que  j'aperçois 
de  la  marche  des  vôtres,  je  vois  que  n'avant  pas  "  suivi  dans  nos  récherches  la 
même  route,  il  est  peu  étonnant  que  nous  ne  soyons  pas  arrivés  a  là  même 
conclusion.  [''''  Balançant]  les  preuves  de  l'['^  existence]  de  dieu  avec  les 
difficultés,  vous  n'avez  '■*  trouvé  aucun  des  cotés  assès  prépondérant  pour  vous 

'^décider],  et  vous  êtes   resté  dans  le  doute.   Ce  n'est  pas  comme  cela  que  je 

'"  fis].  J'e.xaminai  tous  les  sistémes  sur  la  formation  de  l'univers  que  j'avois  pu 

]"  con&itre]  je  méditai  sur  ceu.v  que  je  pouvois  imaginer  :  je  les  comparai  tous 

de  mon  mieux  :  et  je  me  décidai,  non  pour  celui  qui  ne  m'offroit  ['"  point]  de  ['■'  dif- 


'  imarquési. 

'  lauctoritéi. 

'  tousour  isici. 

'  toutes  leur  force  isi  (sic) 

"  inyi. 

'■•  laportéet. 

'  imoiensi. 

'  inyi. 

"  I reformel. 

'°  iJégouragantSL 

"  suivi  lel. 

'-  iBalansanti. 

'=  icxistancei. 

"  trouve  (zi. 

'^  idescideri. 

'*  isuisi. 

"   icognoitrei. 

"  ipoienti. 

'"  idifficultéesi. 


5l6  APPENDICES 

fo  2*"  licultésl,  car  ils  m'en  offroient  tous;  Il  mais  pour  celui  qui  me  paroissoil  en 
avoir  le  moins,  je  me  dis  que  ces  ['  difficultés]  étoient  dans  la  nature  de  la  chose, 
que  la  contemplation  de  l'infini  passeroit  -  toujours  les  bornes  de  mon 
entendement,  que,  ne  devant  jamais  espérer  de  concevoir  plainement  le  sistemc 
de  la  nature,  tout  ce  que  je  pouvois  faire  étoit  de  le  ^  considérer  par  les  cotés 
que  je  pouvois  saisir;  qu'il  falloit  scavoir  ignorer  en  paix  «  tout»  le  reste,  et 
j'avoue  que  dans  [*  ces]  recherches,  je  ['  pensai]  comme  les  gens  dont  vous 
"  parlEz  qui  ne  '  rejetteNT  pas  une  vérité  claire  ou  ["  suffisamment]  "  prouvé  e. 
pour  les  difficultés  qui  l'accompagnent,  et  qu'on  ne  scauroit  lever.  J'avois  alors, 
je  l'avoue  une  confiance  si  téméraire,  ou  du  moins  une  si  forte  persuasion,  que 
j'aurois  défié  tout  philosophe  de  proposer  '"  aucun  autre  système  intelligible  sur 
la  nature,  auquel  je  n'eusse  opposé  des  objections  plus  fortes,  plus  invincibles, 
que  celles  qu'il  pouvoit  m'opposer  sur  le  mien,  et  alors  il  falloit  me  résoudre 
à  rester  sans  rien  croire,  comme  vous  faites,  ce  qui  ne  dépendoit  pas  de  moi. 
ou  mal  raisonner,  ou  croire  comme  j'ai  fait. 

5.  L'ne  jdée  qui  me  vint  il  y  à  trente  ans  a  peut  être  plus  contribué 
qu'aucune  autre  â  me  rendre  inébranlable.  Supposons,  me  disois-je,  le  genre 
humain  "  vieil, li  jusqu'à  ce  jour  dans  le  plus  complet  matérialisme,  sans  que 
jamais  idée  de  divinité  ['-ni]  d'âme  soit  antrée  dans  aucun  esprit  humain. 
Supposons  que  l'athéisme  philosophique  ait  épuisé  tous  ses  sistemes  pour 
expliquer  la  formation  et  la  marche  de  l'univers  par  le  seul  jeu  de  la  matière 
et  du  mouvement  [''■  nécessaire],  mot  auquel,  du  reste  je  n'ai  jamais  rien  conçu. 
Dans  cet  état,  monsieur,  '■'  e.xcusEZ  ma  franchise,  je  supposois  encore  ce  que 
j'ai  toujour  vu,  et  ce  que  je  sentois  devoir  être,  qu'au  lieu  de  se  reposeï 
tranquillement  dans  ['■' ces]  sistemes,  comme  dans  le  sein  de  la  vérité,  leurs 
inquiets  partisans  cherchoient  sans  cesse  â  parler  de  leur  doctrine,  à  l'éclaircir,  a 
l'étendre,  à  l'espliquer,  la  pallier,  la  corriger,  et.  comme  celui  qui  sent  trembler 
sous  ses  pieds  la  maison  qu'il  habite,  à  "'  l'etayer  de  nouveau.x  arguments. 
Terminons  enfin  ces  suppositions  par  celle  d'un  platon,  d'un  Clarque  qui,  se 
levant  tout  d'un  coup  au   milieu  d'eux  leur  eut  dit.  Mes  amis,  si  vous  eussies 


'  idillicultéesi. 
-  tousour  (sic). 
'  conciderer  (sici. 

*  (cettel. 

"  (pencois...  pensoisl. 

*  parlé  (sic). 

'  rejette  (sic). 
"  (suffisament). 
"  prouvé  (sic). 
'"  aucune  (sic). 
"  vieille  (sicj. 
"  {ne). 

"  (nesccscaire). 
"  escusé  (sic). 
'»  (ses). 
'«  (ne  la). 


LETTRE    A    M.    DE    FRAXQflERES  3I7 

'  commencé  l'analise  de  cet  univers  par  celle  de  vous-mêmes,  vous  eussies 
-trouvé  dans  la  nature  de  votre  être  la  i' clé^  de  la  constitution  de  ce  même 
univers,  que  vous  cherches  en  vain  sans  cela.  Qu'ensuite  leur  e.xpliquant  la 
distinction  des  deu.x  substances,  il  leur  eut  prouvé  par  les  propriétés  même 
de  la  matière  que,  quoiqu'en  dise  [*  Locke],  la  supposition  de  la  matière 
^  pensante]  est  une  véritable  absurdité.  Qu'il  leur  eut  fait  voir  quelle  est  la 
nature  de  l'être  vraiment  actif  et  pensant,  et  que  de  l'établissement  de  cet  être 
qui  juge,  il  fut  enfin  remonté  au.\  "  notion  s  confuses  mais  sures  de  l'être 
suprême  :  qui  peut  douter  que,  "  frappé  s  de  l'éclat,  de  la  simplicité,  de  la 
vérité,  de  la  beauté  de  cette  ravissante  idée,  les  mortels,  jusqu'alors  aveugles, 
éclairés  des  premiers  rayons  de  la  divinité,  ne  lui  '  eussesT  offert  par  acclamation 
leurs  premiers  hommages,  et  que  les  <^  penseurs  »  surtout  et  les  philosophes 
n'eussent  rougi  d'avoir  contemplé  si  longtemps  les  dehors  de  cette  machine 
immense,  sans  trouver,  sans  soupçonner  même  la  ]' clé]  de  sa  constitution,  et, 
toujours  grossièrement  ]'"  bornés]  par  leurs  ]"  sens],  de  n'avoir  ||  jamais  seu  voir  f  3  ' 
que  matière  où  tout  leur  montroit  qu'une  autre  substance  donnoit  la  vie  à 
l'univers  et  l'intelligence  a  l'homme.  C'est  alors  monsieur  que  la  mode  eut  été 
«  pour  »  cette  nouvelle  philosophie,  que  les  jeunes  gens  et  les  sages  se  fussent 
trouvés  daccord  :  qu'une  doctrine  si  belle,  '-si  sublime,  si  douce  et  si  ]'^  con- 
solante] pour  tout  homme  juste,  eût  réellement  e.xcité  tous  les  hommes  à  la 
vertu;  et  que  ce  beau  mot  d'humanité  ["  rebatu]  maintenant  jusqu'à  la  fadeur, 
jusqu'au  ridicule,  par  les  gens  du  monde  les  moins  humains,  eût  été  plus 
empreint  dans  les  cœurs  que  dans  les  livres.  Il  eut  donc  '^  suffi  d'une  simple 
transposition  de  temps  pour  faire  prendre  tout  le  contrepied  à  la  mode  philoso- 
phique, avec  cette  ]"'  différence]  que  celle  d'aujourdhui,  malgré  son  clinquant 
de  paroles,  ne  nous  ]■'  promet]  pas  une  génération  bien  estimable,  ni  des 
philosophes  bien  vertueu.x. 


'  commencez  'sici. 
-  trouves  (sic/. 
'  iclaii. 

*  iLocei. 

^  ipencantei. 

*  notion  isic). 
'  frappé  (sic. 
'  eusse  (sici. 

"  iclaii. 
"*  (bornéei. 
"  (Sans). 
'-  isi  doucei. 
"  iconsollantei. 
"  irebatuei. 
■'  suffit  (sici. 
"  idifferensei. 
'■   ipromoiii. 


5l8  APPENDICES 

f  6.  Vous  objectez,  Monsieur,  que,  si  Dieu  eut  voulu  obliger  les  hommes 
à  le  connoiire,  il  eût  mis  son  existence  en  évidence  à  tous  les  yeux.  C'est  à  ceux 
qui  font  de  la  foi  en  Dieu  un  dogme  nécessaire  au  salut  de  répondre  à  cette 
objection,  et  ils  y  répondent  par  la  révélation.  Quant  à  moi,  qui  crois  en  Dieu 
sans  croire  cette  foi  nécessaire  je  ne  vois  pas  pourquoi  Dieu  se  seroit  obligé 
de  nous  la  donner.  Je  pense  que  chacun  sera  jugé  non  sur  ce  qu'il  a  cru.  mais 
sur  ce  qu'il  a  fait,  et  je  [ne]  crois  point  qu'un  système  de  doctrine  soit  nécessaire 
aux  œuvres,  parce  que  la  conscience  en  tient  lieu. 

7.  Je  crois  bien,  il  est  vrai,  qu'il  faut  être  de  bonne  foi  dans  sa  croxance, 
et  ne  pas  s'en  faire  un  système  favorable  à  nos  passions.  Comme  nous  ne 
sommes  pas  tout  intelligence,  nous  ne  saurions  philosopher  avec  tant  de 
desintéressement  que  nôtre  volonté  n'influe  un  peu  sur  nos  opinions:  (et)  l'on 
peut  souvent  juger  des  secrètes  inclinations  d'un  homme  par  ses  sentimens 
purement  spéculatifs  :  et  cela  posé,  je  pense  qu'il  se  pourroit  bien  que  celui  qui 
n'a  pas  voulu  croire  fut  puni  pour  n'avoir  pas  cru. 

X.  Cependant  je  crois  que  Dieu  s'est  suffisamment  révélé  aux  hommes 
et  par  ses  œuvres  et  dans  leurs  cœurs,  et  s'il  y  en  a  qui  ne  le  connoissent  pas,  c'est 
selon  moi  parce  qu'ils  ne  veulent  pas  le  connoitre.  ou  parce  qu'ils  n'en  ont 
pas  besoin. 

9.  Dans  ce  dernier  cas  est  l'homme  sauvage  et  sans  culture  qui  n'a  fait 
encore  aucun  usage  de  sa  raison,  (et)  qui  gouverné  seulement  par  ses  appétits, 
n'a  pas  besoin  d'autre  guide;  et  qui.  ne  suivant  que  l'instinct  de  la  nature, 
marche  par  des  mouvemens  toujours  droits.  Cet  homme  ne  connoit  pas  Dieu, 
mais  il  ne  l'offense  pas.  Dans  l'autre  cas  au  contraire  est  le  philosophe  qui,  à 
force  de  vouloir  '  exalter  son  intelligence,  de  rafiner,  de  subtiliser  -  sur  ce  qu'on 
pensa  jusqu'à  lui  ébranle  enlin  tous  les  axiomes  de  la  raison  simple  et  primitive, 
et  pour  vouloir  toujours  savoir  plus  et  mieux  que  les  autres  parvient  à  ne 
rien  savoir  du  tout.  L'homme  à  la  fois  raisonnable  et  (^  modéré),  dont  l'enten- 
dement exercé,  mais  borné,  sent  ses  limites  et  s'y  renferme  trouve  dans  (■*  ses) 
limites  la  notion  de  son  ame  et  celle  de  l'auteur  de  son  être,  sans  pouvoir  passer 
au  delà  pour  rendre  ces  notions  claires,  et  contempler  d'aussi  prés  l'une  et  l'autre 
que  s'il  éloit  lui-même  un  pur  esprit.  Alors,  saisi  de  respect,  il  s'arrête  et  ne 
touche  point  au  voile,  content  de  savoir  que  l'Etre  immense  est  dessous.  Voila 
jusqu'oij  la  philosophie  est  utile  à  la  pratique.  Le  reste  n'est  [plus]  qu'une 
spéculation  oiseuse  ■'  pour  laquelle  l'homme  n'a  point  été  fait,  (et)  dont  le 
raisonneur  modéré  s'abstient,  et  dans  laquelle  n'entre  point  l'homme  vulgaire. 
Cet    homme    qui    n'est   ni    une   brute   ni    un    prodige   est    l'homme   proprement 


'  c.xhalter  (sici. 

'  ide). 

'  [modeste]. 

••  ^ces]. 
■"'  (dont). 


t  Ici  reprend  l'écriliire  de  Rousseau. 


LETTRE    A    M.    DE    FRANQUIERES  519 

dii,  Il  moyen  entre  les  deux  extrêmes,  et  qui  compose  les  '  dix-neuf  vingtièmes       f  3  *" 

du  genre  humain.   C'est  à  cette  classe  nombreuse  de  chanter  le  Pseaume  Cœli 

enarranl  ;  et   c'est   elle   en   effet   qui    le   chante.   Tous    les   peuples  de   la   terre 

connoissent  et  adorent  Dieu,  et,  quoique  chacun  l'habille  à  sa  mode,  sous  tous 

ces  vétemens  divers  on  trouve  pourtant  toujours  Dieu.  Le  petit  nombre  d'élite 

qui  a  de  plus  hautes  prétentions  de  Doctrine,  et  dont  le  génie  ne  se  borne  pas 

au  sens  commun,  en  veut  un    plus  transcendant  :   ce  n'est  pas   de  quoi   je   le 

blàmc  :    mais  qu'il    parte  de   là  pour  se  mettre  à   la  place  du    genre    humain, 

et  dire  que   Dieu    s'est  caché   aux   hommes   parce   que  lui   petit  nombre,  ne  le 

voit   plus,  je  trouve  en   cela  qu'il  a  tort.   Il   peut  arriver,   j'en  conviens,  que  le 

torrent   de   la    mode  et   le   jeu   de    l'intrigue   étendent  la  secte  philosophique, 

et  persuadent  un  moment  à  la  multitude  qu'elle  ne  croit  plus  en    Dieu;  mais 

cette   mode   passagère    ne   peut   durer,   et  comme  qu'on   s'y   prenne  il   faudra 

toujours   à  la  longue  un   Dieu  à   l'homme.   Entin   quand   forçant  la  nature  des 

choses,  la  divinité  augmenteroit  pour  nous  d'évidence,  je  ne  doute  pas  que  dans 

le  nouveau  Lycée  on   n'augmentât  en   même  raison  de  subtilité  pour  la  nier. 

La  raison   prend  à  la  longue  le  pli  que  le  cœur  lui  donne,  et  quand  on  veut 

penser  en  tout  autrement  que  le  peuple,  on  en  vient  à  bout  tôt  ou  tard. 

10.  Tout  ceci.  Monsieur,  ne  vous  paroit  guéres  philosophique:  ni  à  moi 
non  plus:  mais,  toujours  de  bonne  foi  avec  moi-même,  je  sens  se  joindre  à  mes 
raisonnemens  quoique  simples  le  poids  de  l'assentiment  intérieur.  Vous  voulez 
qu'on  s'en  défie;  je  ne  saurois  penser  comme  vous  sur  ce  point,  et  je  trouve 
au  contraire  dans  ce  jugement  interne  [-  une  sauvegarde]  naturelle  contre  les 
sophismes  de  ma  raison.  Je  crains  même  qu'en  cette  occasion  vous  ne  confondiez 
les  penchans  secrets  de  notre  cœur  qui  nous  égarent,  avec  ce  dictamen  plus 
secret,  plus  interne  encore,  qui  réclame  et  murmure  contre  ces  décisions 
intéressées,  et  nous  ramène  en  dépit  de  nous  sur  la  route  de  la  vérité.  Ce 
sentiment  intérieur  est  celui  de  la  nature  elle-même:  c'est  un  appel  de  sa 
part  contre  les  sophismes  de  la  raison;  et  ce  qui  le  prouve  est  qu'il  ne  parle 
jamais  plus  fort  que  quand  notre  volonté  cède  avec  le  plus  de  complaisance  aux 
jugemens  qu'il  s'obstine  à  rejetter.  Loin  de  croire  que  qui  juge  d'après  lui  soit 
sujet  à  se  tromper,  je  crois  que  jamais  il  ne  nous  trompe,  et  qu'il  est  [^  la  lumière] 
de  notre  foible  entendement,  lorsque  nous  voulons  aller  plus  loin  que  ce  que 
nous  pouvons  concevoir. 

11.  Et  après  tout,  combien  de  fois  la  philosophie  elle-même  avec  toute 
sa  fierté  n'est-elle  pas  forcée  de  recourir  à  ce  jugement  interne  qu'elle  affecte 
de  mépriser.  N'étoit-ce  pas  lui  seul  qui  faisoit  marcher  Diogene  pour  toute 
réponse  devant  Zenon  qui  nioit  le  mouvement?  N'étoit-ce  pas  par  lui  que 
toute  l'antiquité  philosophique  rèpondoit  aux  pyrrhoniens  ?  N'allons  pas  si  loin  : 
tandis  que  toute  la  philosophie  moderne  rejette  les  esprits,  tout  d'un  coup 
l'èvèque    (^  Berclev)    s'élève   et    soutient  qu'il   n'v    a   point  de  corps.   Comment 


'  ItrOIS  QU.ABTSi. 

-  (un  contrepoidsi. 

'  iréiati. 

•  Berklev  . 


520  APPENDICES 

est-on  venu  à  bout  de  répondre  à  ce  terrible  logicien  ?  Otez  le  sentiment  intérieur, 
et  je  défie  tous  les  philosophes  modernes  ensemble  de  prouver  à  Berkiey  qu'il  v  a 
des  corps.  Bon  jeune  homme,  qui  me  paroissez  si  bien  né:  de  la  bonne  foi 
je  vous  en  conjure,  et  permettez  que  je  vous  cite  ici  un  auteur  qui  ne  vous 
sera  pas  suspect,  celui  des  pensées  philosophiques.  Qu'un  homme  vienne 
vous  dire  que,  projetant  au  hazard  une  multitude  de  caractères  d'imprimerie, 
il  a  vu  l'Enéide  tout  arrangée  résulter  de  ce  jet  :  convenez  qu'au  lieu  d'aller 
vérifier  cette  merveille,  vous  lui  répondrez  froidement:  .Monsieur,  cela  n'est 
pas  impossible:  mais  vous  meniez.  Kn  \ertu  de  quoi,  je  vous  prie,  lui 
répondrez-vous  ainsi  ? 

12.  Eh  qui  ne  sait  que,  sans  le  sentiment  interne,  il  ne  resteroit  bientôt 
plus  de  traces  de  vérité  sur  la  terre,  que  nous  serions  tous  successivement  le 
jouet  des  opinions  les  plus  monstrueuses,  à  mesure  que  ceu-x  qui  les  soutien- 
fo  4  ro  droient  auroient  plus  de  génie,  d'adresse  ||  et  d'esprit;  et  qu'enfin  réduits  à 
rougir  de  notre  raison  même,  nous  ne  saurions  bientôt  plus  que  croire  ni 
que  penser. 

i3.  Mais   les   objections Sans  doute  il   y  en   a  d'insolubles  pour  nous 

et  beaucoup,  je  le  sais.  Mais  encore  un  coup  donnez-moi  un  sistême  où  il  n'v  en 
ait  pas,  ou  dites-moi  comment  je  dois  me  déterminer.  Bien  plus  :  par  la  nature 
de  mon  système  pourvu  que  mes  preuves  directes  soient  bien  établies,  les 
difficultés  ne  doivent  pas  m'arrêter.  vu  l'impossibilité  où  je  suis,  moi  être 
mi.xte,  de  raisonner  e.xactement  sur  les  esprits  purs  et  d'en  observer  suffisamment 
la  nature.  Mais  vous  matérialistes  qui  me  parlez  d'une  substance  unique, 
palpable,  et  soumise  par  sa  nature  à  l'inspection  des  sens,  vous  êtes  obligé 
[non  seulement]  de  ne  me  rien  dire  que  de  clair,  de  bien  prouvé,  [mais] 
de  résoudre  toutes  mes  difficultés  d'une  façon  pleinement  satisfaisante,  parce 
que  nous  possédons  vous  et  moi  tous  les  instrumens  nécessaires  à  cette 
solution.  El  par  e.xemple  quand  vous  faites  naître  la  pensée  des  combinaisons 
de  la  matière,  vous  devez  me  montrer  sensiblement  ces  combinaisons  '  et 
leur  résultat  par  les  seules  loi.x  de  la  physique  et  de  la  mécanique, 
puisque  vous  n'en  admettez  point  d'autres.  Vous  Epicurien,  vous  composez 
l'ame  d'atomes  subtils.  Mais  qu'appeliez- vous  suhlils.  je  vous  prie  ? 
Vous  savez  que  nous  ne  connoissons  pnint  de  dimenlions  absolues,  et  que 
rien  n'est  petit  ou  grand  que  relativement  à  l'œil  qui  le  regarde.  Je  prends 
par  supposition  un  microscope  suffisant  et  je  regarde  un  de  vos  atomes. 
Je  vois  un  grand  (-  cartier)  de  rocher  crochu  ;  de  la  danse  et  de  l'accrochement 
de  pareils  quartiers  j'attends  de  voir  résulter  la  pensée.  Vous  [^.Moderniste], 
vous  me  montrez  une  molécule  organique.  Je  prends  mon  microscope,  et 
je  vois  un  dragon  grand  comme  la  moitié  de  ma  chambre  :  j'attends  de  voir 
se  mouler  et  s'entortiller  de  pareils  dragons  jusqu'à  ce  que  je  voye  résulter 
du  tout  un  être  non  seulement  organisé  mais  intelligent;  c'est-à-dire  un  être 
non  aggregatif  et  qui  soit  rigoureusement  un  etc.  Vous  me  marquiez,  Monsieur, 


'  (pan. 

'  [quartier]. 

•'  (Réformiste  ?l. 


LETTRE    A    M.    DE    FRANOflERES  521 

que  le  monde  s'étoii  foriuitemeni  arrangé  comme  la  Republique  Romaine. 
Pour  que  la  parité  tut  juste,  il  faudroit  que  la  Republique  romaine  n'eut  pas 
été  composée  avec  des  hommes,  mais  avec  des  morceaux  de  bois.  .Montrez- 
moi  clairement  et  sensiblement  la  génération  purement  matérielle  du  premier 
être  intelligent;  je  ne  vous  demande  rien  de  plus. 

14.  .Mais  si  tout  est  l'œuvre  d'un  être  intelligent,  puissant,  bienfaisant; 
d'oij  vient  le  mal  sur  la  terre  ?  Je  vous  avoue  que  celte  difficulté  si  terrible 
ne  m'a  jamais  beaucoup  frappé  ;  soit  que  je  ne  l'aie  pas  bien  conçue,  soit 
qu'en  effet  elle  n'ait  pas  toute  la  solidité  qu'elle  paroit  avoir.  Xos  philosophes 
se  sont  élevés  contre  les  entités  métaphysiques,  et  je  ne  connois  personne 
qui  en  lasse  tant.  Qu'entendent-ils  par  le  mal r  qu'est-ce  que  le  mal  en  lui- 
même  ?  où  est  le  mal  relativement  à  la  nature  et  à  son  auteur  ?  L'univers 
subsiste,  l'ordre  y  régne  et  s'y  conserve:  tout  y  périt  successivement,  parce 
que  telle  est  la  loi  des  êtres  matériels  et  mus:  mais  tout  s'v  renouvelle  et  rien 
n'v  dégénère,  parce  que  tel  est  l'ordre  de  son  auteur,  et  cet  ordre  ne  se  dément 
point.  Je  ne  vois  aucun  mal  à  tout  cela.  Mais  quand  je  souffre,  n'est-ce  pas 
un  mal  ?  quand  je  meurs,  n'est-ce  pas  un  mal  .''  Doucement  :  je  suis  sujet 
à  la  mort,  parce  que  j'ai  receu  la  vie.  Il  n'y  avoit  pour  moi  qu'un  moven 
de  ne  point  mourir;  c'étoit  de  ne  jamais  naitre.  La  vie  est  un  bien  positif. 
mais  fini  dont  le  terme  s'appelle  mort.  Le  terme  du  positif  n'est  pas  le  négatif, 
il  est  zéro.  La  mon  nous  est  terrible,  et  nous  appelions  celte  terreur  un  mal.  [[  La  f°  4 
douleur  est  encore  un  mal  pour  celui  qui  souffre,  j'en  conviens.  .Mais  la  douleur 
et  le  plaisir  éloienl  les  seuls  moyens  d'attacher  un  être  sensible  et  périssable 
à  sa  propre  conservation,  et  ces  movens  sont  encore  ménagés  avec  une  bonté 
digne  de  l'Etre  suprême.  .\u  moment  même  que  j'écris  ceci  je  viens  encore 
d'éprouver  combien  la  cessation  subite  d'une  douleur  aiguë  est  un  plaisir 
vif  et  délicieu.x.  -M'oseroit-on  dire  que  la  cessation  du  plaisir  le  plus  vif  soit 
une  douleur  aiguë?  La  douce  jouissance  de  la  vie  est  permanente;  il  suffit 
pour  la  goûter  de  ne  pas  souffrir.  La  douleur  n'est  qu'un  avertissement  im- 
portun, mais  nécessaire,  que  ce  bien  qui  nous  est  si  cher  est  en  péril.  Quand 
je  regardois  de  près  à  tout  cela,  je  trouvai,  je  prouvai  peut-être,  que  le 
sentiment  de  la  mort  et  celui  de  la  douleur  est  presque  nul  dans  l'ordre  de 
la  nature  :  Ce  sont  les  hommes  qui  l'ont  aiguisé.  Sans  leurs  rafinemens  insensés, 
sans  leurs  institutions  barbares  les  maux  physiques  ne  nous  atteindroient  '  ne 
nous  affecteroient  guéres,  et  nous  ne  sentirions  point  la  mort. 

i5.  .Mais  le  mal  moral!  autre  ouvrage  de  l'homme,  auquel  ''Dieu  n'a 
d'autre  part  que  de  l'avoir  fait  libre  et  en  cela  semblable  à  lui.  Faudra-t-il  donc 
s'en  prendre  à  Dieu  des  crimes  des  hommes  et  des  maux  qu'ils  leur  attirent  ? 
Faudra-t-il  en  voyant  un  champ  de  bataille  lui  reprocher  d'avoir  créé  tant 
de  jambes  et  de  bras  cassés  ? 

16.  Pourquoi,  direz-vous.  avoir  fait  l'homme  libre,  puisqu'il  devoit  abuser 
de  sa  liberté.''  .Ah!  .Monsieur  de  Franquiéres,  s'il  exista  jamais  un  mortel  qui 
n'en  ait  pas  abusé,  ce  mortel  seul   honore  plus  l'humanité  que  tous  les  scélérats 


let). 
isonl. 


522  APPENDICES 

qui  couvrent  la  terre  ne  la  dégradent.  Mon  Dieu  !  dcjnne-iTKji  des  vertus,  et 
me  place  un  jour  auprès  des  H'enelons,  des  Gâtons,  des  Socrates.  Q)ue  m'im- 
portera le  reste  du  genre  humain  ?  je  ne  rougirai  point  d'avoir  été  homme. 

17.  Je  vous  l'ai  dit,  Monsieur,  il  s'agit  ici  de  mon  sentiment,  non  de  mes 
preuves  et  vous  ne  le  voyez  que  trop.  Je  me  souviens  d'avoir  jadis  rencontré 
sur  mon  chemin  cette  question  de  l'origine  du  mal  et  de  l'avoir  effleurée  ;  mais 
vous  n'avez  point  lu  ces  rabâcheries,  et  moi  je  les  ai  oubliées  :  nous  avons 
très  bien  fait  tous  les  deu.x.  Tout  ce  que  je  sais  est  que  la  facilité  que  je  trouvois 
à  les  résoudre  venoit  de  l'opinion  que  j'ai  toujours  eue  de  '  la  coexistence 
éternelle  de  deux  principes,  l'un  actif  qui  est  Dieu:  l'autre  passif,  qui  est  la 
matière,  que  l'être  actif  combine  et  modilie  avec  une  pleine  puissance,  mais 
pourtant  sans  l'avoir  créée  et  sans  la  pouvoir  anéantir.  Cette  opinion  m'a  fait 
huer  des  philosophes  à  qui  je  l'ai  dite  :  ils  l'ont  décidée  absurde  et  contradictoire. 
Cela  peut  être,  mais  elle  ne  m'a  pas  paru  telle,  et  j'v  ai  trouvé  l'avantage 
d'e.xpliquer  sans  peine  et  clairement  à  mon  gré  tant  de  questions  dans  lesquelles 
ils  s'embrouillent  ;  (et)  entre  autres  celle  que  vous  m'avez  proposée  ici  comme 
insoluble. 

i.S.  .\u  reste,  j'ose  croire  que  mon  sentiment  peu  pondérant  sur  toute 
autre  matière  doit  l'être  un  peu  sur  celle-ci,  et,  quand  vous  connoitrez  mieu.x 
ma  destinée,  quelque  jour  vous  direz  peut-être  en  pensant  à  moi;  quel  autre 
a  droit  d'agrandir  la  mesure  qu'il  a  trouvée  au.x  mau.x  que  l'homme  souffre 
ici-bas. 

11).  X'ous  attribuez  à  la  difficulté  de  celte  même  question  dont  le  fanatisme 
et  la  superstition  ont  abusé  les  mau.x  que  les  religions  ont  causé  sur  la  terre. 
Cela  peut-être,  et  je  vous  avoue  même  que  toutes  les  formules  en  matière 
[de  foi]  ne  me  paroissenl  qu'autant  de  chaînes  d'iniquité,  de  fausseté,  d'hvpocrisie 
et  de  tvrannie.  Mais  ne  soyons  jamais  injustes,  et  pour  aggraver  le  mal  n'ôtons 
pas  le  bien.  Arracher  toute  crovance  en  Dieu  du  cœur  des  hommes,  c'est  v 
détruire  toute  vertu.  C'est  mon  opinion,  Monsieur,  peut-être  elle  est  fausse, 
mais  tant  que  c'est  la  mienne  je  ne  serai  point  assez  lâche  pour  vous  la 
dissimuler. 

'20.   Faire  le  bien   est  l'occupation    la  plus  douce   d'un    homme   bien    [néj. 

fo  5  ro        v^j    probité,    sa    bienfaisance  ||  ne    sont    point    l'ouvrage    de   ses    principes,    mais 

celui  de  son  bon  naturel.  Il  cède  à  ses  penchans  en  pratiquant  la  justice,  comme 

le  méchant  cède  au.x  siens  en  pratiquant  l'iniquité.  Contenter  le  goût  qui   nous 

porte  à  bien  faire  est  bonté,  mais  non  pas  vertu. 

idi.  Ce  mot  de  vertu  signifie  /'o?'ce.  il  n'v  a  point  de  vertu  sans  combat; 
il  n'y  en  a  point  sans  victoire.  La  vertu  ne  consiste  pas  seulement  à  être  juste, 
mais  à  l'être  en  triomphant  de  ses  passions,  en  régnant  sur  son  propre  coeur. 
Titus  rendant  heureu.x  le  peuple  romain,  versant  partout  les  grâces  et  les 
bienfaits,  pouvoit  ne  pas  perdre  un  seul  jour  et  n'être  pas  vertueux  :  il  le  fut 
certainement  en  renvovant  Bérénice.  Brutus  faisant  mourir  ses  enfans  pouvoit 
n'être  que  juste.  Mais  Brutus  étoit  un  tendre  père;  pour  faire  son  devoir  il 
déchira  ses  -  entrailles,  et  Brutus  fut  vertueux. 


'  (l'existeiicei. 
-   iten  nBKS  i^). 


LETTRE    A    M.    DE    FRAXQUIERES  523 

22.  \'ous  voyez  ici  d'avance  la  quesiion  remise  à  son  point.  Ce  divin 
simulacre.donl  vous  me  parlez  s'offre  à  moi  sous  une  image  qui  n'est  pas  ignoble, 
et  je  crois  sentir  à  l'impression  que  cette  image  fait  dans  mon  cœur  la  chaleur 
qu'elle  est  capable  de  produire.  Mais  ce  simulacre  enfin  n'est  encore  qu'une 
de  ces  entités  métaphysiques  dont  vous  ne  voulez  pas  que  les  hommes  se 
fassent  des  Dieux.  C'est  un  pur  objet  de  contemplation.  Jusqu'où  portez-vous 
l'effet  de  cette  contemplation  sublime  ?  Si  vous  ne  voulez  qu'en  tirer  un  nouvel 
encouragement  pour  bien  faire,  je  suis  d'accord  avec  vous  :  mais  ce  n'est 
pas  de  cela  qu'il  s'agit.  Supposons  votre  cœur  honnête  en  proye  au.x  passions 
les  plus  terribles,  dont  vous  n'êtes  pas  à  l'abri,  puisque  enfin  vous  êtes  homme. 
Cette  image  qui  dans  le  calme  s'y  peint  si  ravissante  n'y  perdra-t-elle  rien  de 
ses  charmes,  et  ne  s'y  ternira-t-elle  point  au  milieu  des  fiots  ?  Kcartons  la 
supposition  décourageante  et  terrible  des  périls  qui  peuvent  tenter  la  vertu  mise 
au  desespoir.  Supposons  seulement  qu'un  coeur  trop  sensible  brûle  d'un  amour 
invfilontaire  pour  la  fille  ou  la  femme  de  son  ami,  qu'il  soit  maître  de  jouir 
d'elle  entre  le  ciel  qui  n'en  voit  rien,  et  lui  qui  n'en  veut  rien  dire  à  personne; 
que  sa  figure  charmante  ['  l'attire"  ornée  de  tous  les  attraits  de  la  beauté  et 
de  la  volupté:  au  moment  où  ses  sens  enivrés  sont  prêts  à  se  livrer  à  leurs 
délices,  cette  image  abstraite  de  la  vertu  viendra-t-elle  [-  disputer]  son  cœur 
à  l'objet  réel  qui  le  frappe  ?  lui  paroîtra-t-elle  en  cet  instant  la  plus  belle, 
l'arrachera-t-elle  des  bras  de  celle  qu'il  aime  pour  se  livrer  à  la  vaine  contem- 
plation d'un  fantôme  qu'il  sait  être  sans  réalité.  Finira-t-il  comme  Joseph,  et 
laissera-l-il  son  manteau  ?  ^  Non.  .Monsieur,  il  fermera  les  yeu.v.  et  succombera. 
Le  croyant,  direz-vous,  succombera  de  même.  Oui,  l'homme  foible  :  celui,  par 
exemple,  qui  vous  écrit  :  mais  donnez-leur  à  tous  deux  le  même  degré  de  force, 
et  vovez  la  différence  du  point  d'appui. 

23.  Le  moyen,  .Monsieur,  de  *  résister  à  des  tentati(jns  violentes  quand  on 
peut  leur  céder  sans  crainte,  en  se  disant,  à  quoi  bon  résister .''  Pour  être 
vertueux  le  philosophe  a  besoin  de  l'être  aux  yeux  des  hommes  :  mais  sous 
les  yeux  de  Dieu  le  juste  est  bien  fort;  il  compte  cette  vie  et  ses  biens  et  ses 
maux  et  toute  sa  gloriole  pour  si  peu  de  chose  !  il  apperçoit  tant  au  delà  !  Force 
invincible  de  la  vertu,  nul  ne  te  connoit  que  celui  qui  sent  tout  son  être,  et  qui 
sait  qu'il  n'est  pas  au  pouvoir  des  hommes  d'en  disposer.  Lisez-vous  quelquefois 
la  république  de  Platon  ?  Vovez  dans  le  second  dialogue  avec  quelle  énergie 
l'ami  de  Socrate,  dont  j'ai  oublié  le  nom,  lui  peint  le  juste  accablé  des  outrages 

de  la  fortune  et  des  injustices  des  hommes,  diffamé,  persécuté,  tourmenté, 
en  proye  à  tout  l'opprobre  du  crime,  et  méritant  tous  les  prix  de  la  veau, 
voyant  déjà  la  mort  qui  s'approche,  et  sûr  que  la  haine  des  méchans  n'épargnera 
pas  sa  mémoire,  quand  ils  ne  pourront  plus  rien  sur  sa  personne.  Quel  tableau 
décourageant,  si  rien  pouvoit  décourager  la  vertu.  Socrate  lui-même  effrayé 
s'écrie  et  croit  devoir  invoquer  les  Dieux  avant  de  répondre;  mais  sans  l'espoir 
d'une  autre  vie,  il  auroit  mal  répondu  pour  celle-ci.  "  Toutefois,  tout  dut-il  finir       t°   5 


'  lie  frappei. 

'  larraclieri. 

'  iLe  croyant,  direz-vous,  succom'oera  de  niêmei 

•  iredire  ?i. 


524  APPENDICES 

pour  nous  à  la  mort,  ce  qui  ne  peut  être  si  Dieu  est  juste  et  par  conséquent  s'il 
existe,  l'idée  seule  de  cette  existence  seroit  encore  pour  ['  l'homme]  un  encou- 
ragement à  la  vertu  et  une  consolation  dans  ses  misères,  dont  manque  celui 
qui  se  croyant  isolé  dans  cet  univers  ne  sent  au  fond  de  son  cœur  aucun 
confident  de  ses  pensées.  C'est  toujours  une  douceur  dans  l'adversité  d'avoir 
un  témoin  qu'on  ne  l'a  pas  méritée;  c'est  un  orgueil  vraiment  digne  de  la  vertu 
de  pouvoir  dire  à  Dieu  :  Toi  qui  lis  dans  mon  cœur,  tu  vois  que  j'use  en  ame 
forte  et  en  homme  juste  de  la  liberté  que  tu  m'as  donnée.  Le  vrai  crovatit  qui  se 
sent  partout  sous  l'œil  éternel  aime  à  s'honorer  à  la  face  du  ciel  d'avoir  rempli 
ses  devoirs  sur  la  terre. 

24.  Vous  voyez  que  je  ne  vous  ai  point  disputé  ce  simulacre  ['-  que]  vous 
m'avez  présenté  pour  unique  objet  des  vertus  du  sage.  Mais,  mon  cher  Monsieur, 
revenez  maintenant  à  vous,  et  voyez  combien  cet  objet  est  inaliable  incompatible 
avec  vos  principes.  Comment  ne  sentez-vous  pas  que  cette  même  loi  de  la 
nécessité,  qui  seule  régie  selon  vous  la  marche  du  monde  et  tous  les  évenemens, 
régie  aussi  toutes  les  actions  des  hommes,  toutes  les  pensées  de  leurs  têtes, 
tous  les  [■' sentimens]  de  leurs  cœurs;  que  rien  n'est  libre,  que  tout  est  forcé, 
nécessaire,  inévitable  ;  que  tous  les  [*  mouvemensj  de  l'homme  dirigés  par  la 
matière  aveugle  ne  dépendent  de  sa  volonté  que  parce  que  sa  volonté  même 
dépend  de  la  nécessité  :  qu'il  n'y  a  par  conséquent  ni  vertus,  ni  vices,  ni  mérite, 
ni  démérite,  ni  moralité  dans  les  actions  humaines  et  que  ces  mots  d'honnête 
homme  ou  de  scélérat  doivent  être  pour  vous  totalement  vides  de  sens.  Ils  ne  le 
sont  pas,  toutefois,  j'en  suis  irès-sùr.  \'ôtre  honnête  cœur,  en  dépit  de  vos 
argumens  réclame  contre  votre  triste  philosophie.  Le  sentiment  de  la  liberté, 
le  charme  de  la  vertu,  se  font  sentir  à  vous  malgré  vous  ;  et  voilà  [comment] 
de  toutes  parts  cette  forte  et  salutaire  voix  du  sentiment  intérieur  ["•  rappelle]  au 
sein  de  la  vérité  et  de  la  vertu  tout  homme  que  sa  raison  mal  conduite  égare. 
Bénissez.  Monsieur,  cette  sainte  et  bienfaisante  voix  qui  vous  ramène  aux  devoirs 
de  l'homme,  que  la  philosophie  à  la  mode  finiroit  par  vous  faire  oublier.  .\e  vous 
livrez  à  vos  argumens  que  quand  vous  les  sentez  d'accord  avec  le  dictamen  de 
vôtre  conscience;  et,  toutes  les  ["fois]  que  vous  y  sentirez  de  la  contradiction, 
soyez  sûr  que  ce  sont  eux  qui  vous  trompent. 

25.  Quoique  je  ne  veuille  pas  ergoter  avec  vous,  ni  suivre  pied  à  pied  vos 
deux  lettres,  je  ne  puis  cependant  me  refuser  un  mot  à  dire  sur  le  parallèle  du 
sage  Hébreu  et  du  sage  Grec.  Comme  admirateur  de  l'un  et  de  l'autre  je  ne  puis 
guère  être  suspect  de  préjugés  en  parlant  d'eux.  Je  ne  vous  crois  pas  dans  le 
même  cas.  Je  suis  peu  surpris  que  \'ous  donniez  au  f  premier  tout  l'avantage; 


'  (le  justei. 

=  (del. 

"  imouvemensi. 

■*  isentimens). 

°  iramènel. 

*  isoyezi. 

t  Sic.  Il  y  a  évidemment  un  lapsus  de  plume:  le  reste  du  contexte 
montre  bien  que  Rousseau  voulait  parler  du  second. 


LETTRE    A    M.    DE    FRANQUIERES  525 

vous  n'avez  pas  assez  fait  connoissance  avec  lauire,  et  vous  n'avez  pas  pris  assez 

de  soin  pour  dégager  ce  qui  est  vraiment  à  lui,  de  ce  qui  lui  est  étranger  el  qui  le 

défigure  à  vos  yeux,  comme  à  ceux  de  bien  d'autres  gens  qui,  selon  moi,  n'y  ont 

pas  regardé  de   plus  près  que  vous.   Si  Jésus  fut  né  à  Athènes  et  Socrate  à 

Jérusalem,  que  Platon,  Xénophon  eussent  écrit  la  vie  du  premier,  Luc  et  .Matthieu 

celle  de   l'autre,  vous  changeriez   beaucoup  de  langage  :  et  '  ce  qui  lui  fait  tort 

dans  votre  esprit  est  précisément  ce  qui  rend  son  élévation  d'ame  plus  étonnante 

et   plus   admirable,   savoir,   sa   naissance  en   Judée   chez   le  plus   vil   peuple  qui 

peut  être  existât  alors,  au  lieu  que  Socrate,  né  chez  le  plus  instruit  et  le  plus 

aimable  trouva  tous  les  secours  dont  il  avoit  besoin  pour  s'élever  aisément  au  ton 

qu'il   prit.   Il  s'éleva  contre  les  sophistes,  comme  Jésus  contre  les  Prêtres,  avec 

cette  différence  que  Socrate  imita  souvent  ses  antagonistes  et  que  si   sa  belle  et 

douce  mort  n'eut  honoré  sa  vie  il  eut  passé  pour  un  sophiste  comme  eux.  Pour 

Jésus,  le  vol  sublime  que  prit  sa  grande  1|  ame  l'éleva  toujours  au-dessus  de  tous       f °  6  ''° 

les  mortels,  et  depuis  l'âge  de  douze  ans  jusqu'au  moment  qu'il  expira  dans  la 

plus  cruelle  ainsi  que  dans  la  plus  infâme  de  toutes  les  morts,  il  ne  se  démentit 

pas  un  moment.  Son  noble  projet  étoit  de  relever  son  peuple,  d'en  faire  derechef 

un    peuple   libre  et  digne  de   l'être;   car  c'étoit  par  là  qu'il   falloil  commencer. 

L'étude  profonde   qu'il    fit   de    la    Loi  de  .\lovse,  ses  efforts  pour  en    réveiller 

l'enthousiasme  et  l'amour  dans  les  cœurs  montrèrent  son  but  autant  qu'il  étoit 

possible  pour  ne  pas  effaroucher  les  Romains.  Mais  ses  vils  et  lâches  compatriotes 

au  lieu  de  l'écouter  le  prirent  en  haine  précisément  à  cause  de  son  génie  et  de  sa 

vertu  qui   leur  reprochoient  leur  indignité.   Enfin   ce   ne   fut  qu'après  avoir  vu 

l'impossibilité    d'exécuter    son    projet    qu'il    l'étendit    dans   sa   tête,    et   que,    ne 

pouvant  faire  par  lui-même  une  révolution  chez  son  Peuple,  il  voulut  en  faire 

une   par  ses   disciples   dans   l'Univers.   Ce  qui   l'empêcha  de   réussir   [dans   son 

premier  plan  (même)]  outre  la  bassesse  de  son   peuple  incapable  de  toute  vertu, 

fut  la  trop  grande  douceur  de  son  propre  caractère:  douceur  qui  tient  plus  de 

l'ange  et  du   Dieu  que  de  l'homme,  qui  ne  l'abandonna  pas  un  instant,  même 

sur  la  croix,  et  qui  fait  verser  des  torrens  de  larmes  à  qui  sait  lire  sa  vie  comme 

il  faut,  à  travers  les  fatras  dont  ces  pauvres  gens  l'ont  défigurée.  Heureusement 

ils  ont  -respecté  et  transcrit  fidellement  ses  discours  qu'ils  n'entendoient  pas: 

^  otez  quelques  tours  orientaux  ou  mal  rendus,  on  n'v  voit  pas  un  mot  qui  ne 

soit  digne  de  lui,  et  c'est  là  qu'on  reconnoit  l'homme  divin,  qui,  de  si  piètres 

disciples,  a  fait  pourtant  dans  leur  grossier  mais  fier  enthousiasme,  des  hommes 

éloquens  et  courageux, 

26.  Vous  m'objectez  qu'il  a  fait  des  miracles.  Cette  objection  seroit  terrible 
si  elle  étoit  juste;  mais  vous  savez,  .Monsieur,  ou  du  moins  vous  pourriez  savoir 
que,  selon  moi,  loin  que  Jésus  ait  fait  des  miracles  il  g.  déclaré  très-positivement 
qu'il  n'en  feroit  point,  et  a  marqué  un  très  grand  mépris  pour  ceux  qui  en 
demandoient. 

27.  Que  de  choses  me  resteroient  à  dire  !  .Mais  cette  lettre  est  énorme. 
Il  faut  finir.  \'oici  la  dernière  fois  que  je  reviendrai  sur  ces  matières.  J'ai  voulu  vous 

'  ic'est  précisément!. 
-  (défi  mot  inachevé). 
'  leti. 


526  APPENDICES 

complaire.  Monsieur:  je  ne  m'en  repenls  point;  au  contraire.  Je  vous  remercie 
de  m'avoir  fait  reprendre  un  lii  d'idées  presque  effacées,  mais  dont  les  restes 
peuvent  avoir  pour  moi  leur  usage  dans  l'état  où  je  suis. 

28.  Adieu,  Monsieur,  souvenez-vous  quelquet'ois  d'un  homme  que  vous 
auriez  aimé,  je  m'en  flate,  quand  vous  l'auriez  mieu.x  connu,  et  qui  s'est  occupé 
de  vous  dans  des  momens  où  l'on  ne  s'occupe  guéres  que  de  soi-même. 

Renou. 


VI 
ADDITIONS   ET  CORRECTIONS 

I'.  5.  note  1.  —  .\u  lieu  de  :  2  i  Août,  lire  :  21  Avril.  Les  premières  feuilles 
de  cette  édition  étaient  déjà  tirées,  quand  je  crus  plus  prudent  de  vérifier  par 
moi-même  les  dates  d'abjuration  et  de  baptême  communément  admises, 
depuis  1878,  par  les  biographes  de  Jean-Jacques.  On  trouvera  dans  mon  article 
sur  ./.  ./.  Rousseau  à  l'hospice  du  San-Spirilo  [30 1],  la  photographie  du 
registre,  qui  rétablit  les  dates  e.xactes,  et  qui  montre  que  <•■  le  prosélyte  v>  resta 
à  l'hospice  onze  jours  en  tout.  Les  Confessions  ne  nous  offrent  donc  pas  toute 
garantie  pour  contrôler  le  récit  de  la  Profession.  l-!n  dépit  de  quelques  détails 
d'une  précision  et  d'une  exactitude  très  tidèles.  elles  paraissent,  elles  aussi,  assez 
fortement  romancées. 

P.  7,  note  3.  —  .\u  lieu  de  :  dans  les  derniers  /ours  d'.Xoût  IJ28.  lire  :  le 
23  Avril  I J2S.  le  jour  même  de  son  baptême  ;  cf.  mon  article  cité  [3oi]. 

P.  35.  note  5.  —  .'X jouter  ce  texte  de  Suizer.  Tableau  des  beautés  de  la 
nature  [216'''*].  S-q,  où  l'on  trouve  la  même  mise  en  scène,  pour  inaugurer  une 
méditation  religieuse  :  <.■-  Kucrate  me  fit  traverser  son  jardin,  et  me  conduisit 
sur  une  colline  voisine,  au  sommet  de  laquelle  nous  arrivâmes  au  moment  que 
le  soleil  était  à  son  lever.  Le  temps  était  aussi  serein  que  calme:  et.  si  l'air  était 
agité,  ce  n'était  que  par  le  doux  concert  des  oiseaux  qui  avaient  passé  la  nuit 
dans  les  buissons  d'alentour.  Nous  avions  devant  nous  une  grande  étendue 
de  pays,  où  nous  voyions  dans  l'éloignement  plusieurs  villages,  des  maisons 
isolées,  de  grands  bois,  de  simples  bosquets.  Tout  ce  paysage  recevait  une 
agréable  variété  de  plusieurs  étangs,  qui  étaient  tout  autant  de  bassins  qui 
faisaient  le  plus  bel  effet  du  monde.  Ce  superbe  coup  d'oeil  me  toucha,  et. 
m'arrêtant  tout  court,  je  dis  à  mon  ami:  si  vous  n'avez  pas  quelque  dessein 
plus  important,  je  serais  assez  d'avis  que  nous  nous  arrêtassions  un  peu   ici  ». 

P.  37,  note  6.  —  .\jouter  au  texte  de  VEmile  le  I"  chapitre  de  VEssai  sur 
l'origine  des  langues,  où  l'on  retrouve  la  même  théorie  et  les  mêmes  formules. 
mais  plus  développées.  1,  370-371. 

P.  47,  fin  de  la  ligne  9.  —  Ajouter  la  note  suivante  :  Cet  état  d'esprit  du 
Vicaire  ressemble  à  celui  qu'a  décrit  Marie  Huber  dans  sa  Relation  sur  le  déiste 
(Suite  du  système  sur  l'état  des  dmes,  t.  II  de  l'édition  que  possédait  Rousseau, 
et.  le  n"   1 33  de   la  Bibliographie),  p.    160:   «Je  me  trouvais  de  même  réduit. 


ADDITIONS    ET    CORRECTIONS  527 

par  des  raisonnements  qui  me  paraissaient  démonstratifs,  à  adopter  successi- 
vement les  contraires  et  les  opposés.  Un  succès  si  différent  de  celui  qui  doit 
naturellement  attendre  un  homme  qui  cherche  la  Vérité  me  rebuta  au  point 
de  ne  vouloir  plus  en  entendre  parler.  La  Vérité  m'échappant  toujours,  lorsque 
je  croyais  l'avoir  le  mieux  saisie,  je  fus  tenté  de  penser  que  la  Vérité  ou  la 
Religion  n'étaient  que  chimère.  Je  donnai  enfin  dans  le  Pyrrhonisme;  je  conclus 
qu'il  n'v  avait  rien  de  sur  ni  de  fixe,  que  toutes  choses  étaient  également 
problématiques,  que  le  vrai  ou  le  faux  dépendaient  de  la  manière  de  raisonner  ■>■>. 
P.  57,  note  2.  —  Ajouter  le  long  réquisitoire  de  Murait  dans  la  Lellre  sur 
les  voyages  contre  le  raisonnement  et  ceux  qui  s'en  servent  fiai  '■"],  11,  28-3o  : 
«.  Les  raisonnements,  lorsque  nous  nous  y  abandonnons,  et  que  nous  en  faisons 
notre  principal  langage,  étouffent  les  sentiments:  et,  comme  c'est  d'un  goût 
corrompu  qu'ils  proviennent,  ils  nous  corrompent  le  goût  de  plus  en  plus,  et 
nous  éloignent  de  la  simplicité  où  la  vérité  se  trouve:  ils  nous  sortent  de  nous- 
mêmes  et  nous  font  errer  hors  de  nous.  L'homme  simple  ignore  l'art  de 
raisonner,  et  celui  qui  a  sa  véritable  occupation  le  néglige.  Il  ne  convient  qu'au 
loisir,  à  l'état  oisif  qui  nous  jette  hors  de  l'humanité  et  à  une  fausse  curiosité 
que  le  loisir  engendre.  Il  faudrait  le  laisser  à  ceux  qui  sont  hommes  par  la  tète, 
et  en  qui  il  opère  et  manifeste  ses  merveilles;  au  peuple  des  savants,  qui  font 
de  la  science  leur  capital,  et  qui,  dans  l'ivresse  quelle  leur  cause,  renoncent  aux 
avantages  du  cœur,  qu'ils  ne  connaissent  pas.  qui  se  perdent  en  eux,  et  qu'ils 
détruisent  dans  les  autres.  Je  ne  saurais  m'empêcher  de  regarder  ces  gens-là 
comme  les  auteurs  d'une  des  sources  de  l'égarement  et  des  folies  des  hommes, 
et  le  cas  que  font  ceux-ci  de  leur  science  comme  une  preuve  du  goût  perdu 
parmi  eux.  Que  ne  gagnerions-nous  pas,  si  nous  dédaignions  toute  celte  lecture 
étrangère,  si  nous  laissions  à  la  foule,  de  quelque  espèce  qu'elle  fût,  tant  de  livres 
qui  sont  faits  pour  elle,  et  qui,  je  crois,  seraient  capables  de  la  rendre  foule,  gens 
toujours  hors  de  chez  eux.  si  elle  ne  l'était  déjà  ?  Nous  songerions  à  nous 
rapprocher  de  nous,  à  nous  retrouver  nous-mêmes,  et  nous  en  viendrions  à 
bout.  Nous  aurions  l'esprit  moins  chargé  d'opinions  qui  le  courbent  et  le 
couvrent,  et  moins  accoutumé  aux  riens  qui  l'exténuent,  qui  le  font  devenir 
à  rien  :  nous  serions  plus  près  de  la  vérité,  en  ce  que  nous  nous  abandonnerions 
davantage  à  ce  qui  se  passe  dans  le  cœur,  à  qui  la  vérité  convient,  et  où  elle 
ne  manque  guère  de  faire  impression,  si  on  la  laisse  faire:  nous  ne  la  mesurerions 
pas  à  des  règles  qui  la  bornent,  et  surtout,  nous  gagnerions  beaucoup,  en  ce 
que  nous  cesserions  de  rejeter  ce  qui  ne  s'accorde  pas  avec  ce  que  nous  croyons 
déjà  savoir;  par  là  nous  nous  faisons  cent  fois  plus  de  mal,  que  tout  ce  que 
nous  savons,  par  le  moven  de  la  lecture,  ne  nous  fait  de  bien.  L'homme  n'est 
pas  fait  pour  amasser  des  idées,  et  s'en  faire  un  magasin,  comme  s'il  n'en 
trouvait  pas  dans  son  fond.  Il  est  en  état  de  s'en  former  à  chaque  occasion 
qui  se  présente,  ou,  si  l'on  veut,  de  leur  donner  lieu  à  se  former  en  lui.  Par 
là  il  s'accoutume  en  même  temps  à  faire  de  sa  raison  l'usage  pour  lequel  elle 
lui  est  donnée;  il  développe  par  son  moyen  les  vérités  que  le  sentiment  produit 
en  lui,  et  dont  il  n'aperçoit  pas  dabord  toute  la  justesse  et  toute  l'étendue,  ou 
que  d'autres,  à  qui  il  voudrait  les  faire  recevoir,  n'aperçoivent  pas.  Le  raisonnement, 
soumis  au  sentiment  et  rendu  simple  et  sans  art,  trouve  ici  son  emploi,  et 
l'homme  qui  le  tient  dans  cette  subordination,  conserve  par  là  la  liberté  d'esprit 


528  APPENDICES 

qui  fait  le  fondement  du  vrai  savoir,  la  liberiO  de  se  déterminer  vers  le  vrai, 
indépendamment  des  idées  reçues  et  de  tout  ce  que  le  raisonnement,  par  lui- 
même,  par  ce  qu'il  a  de  spécieux,  peut  établir  ».  Cf.  encore  //'  Lettre  à  Sophie 
[25],  144  :  «  Qu'avons-nous  acquis  à  tout  ce  vain  savoir,  sinon  des  querelles, 
des  haines,  de  l'incertitude  et  des  doutes  .-•  Chaque  secte  est  la  seule  qui  ait  trouvé 
la  vérité;  chaque  livre  contient  exclusivement  les  préceptes  de  la  sagesse: 
chaque  auteur  est  le  seul  qui  nous  enseigne  ce  qui  est  bien.  L'un  nous  prouve 
qu'il  n'y  a  point  de  corps,  un  autre  qu'il  n'y  a  point  d'àmes,  un  autre  que  l'àme 
n'a  nul  rapport  au  corps,  un  autre  que  l'homme  est  une  bête,  un  autre  que  Dieu 
est  un  miroir.  Il  n'y  a  point  de  maxime  si  absurde  que  quelque  auteur  de 
réputation  n'ait  avancée,  ni  d'axiome  si  évident  qui  n'ait  été  combattu  par 
quelqu'un  d'eux.  Tout  est  bien,  pourvu  qu'on  dise  autrement  que  les  autres, 
et  l'on  trouve  toujours  des  raisons  pour  soutenir  ce  qui  est  nouveau  prél'éra- 
blement  à  ce  qui  est  vrai  ». 

P.  61,  note  I.  —  Ajouter  Murait.  Lettre  sur  les  l'oyages.  Il  [121  '■'"],  3o-32  ■ 
*  Tant  de  gens  qui  amassent  leur  science  par  une  vaste  lecture,  tant  de  savants 
de  profession,  et  qui  dépendent  de  toutes  les  opinions  reçues,  de  tous  les 
préjugés  établis,  sont  plus  ignorants  que  le  vulgaire  à  qui  ils  donnent  ce  nom: 
ils  ignorent  davantage  la  véritable  science,  la  science  sans  laquelle  toutes  les 
autres,  bien  loin  d'orner  l'homme,  ne  le  font  que  rendre  hideux,  en  donnant 
une  espèce  de  lustre  à  un  caractèie  qui  n'en  doit  point  avoir,  à  un  caractère 
déjà  difforme  par  cette  ignorance,  et  que  le  lustre  qu'on  lui  donne  ne  fait  que 
rendre  plus  difforme  encore.  Cette  science,  ignorée  des  savants,  est  celle  qui  met 
le  prix  aux  choses,  à  quoi  il  en  faut  toujours  revenir,  comme  à  la  science  de 
l'homme,  qui  influe  dans  toute  la  vie,  et  qui,  en  distinguant  l'homme  sensé  du 
fou,  rectifie  ce  qu'on  appelle  science  et  la  réunit  au  bon  sens...  La  plus  grande 
partie  de  l'érudition  des  savants  fait  voir  combien  ils  en  sont  éloignés;  elle  est 
fondée  sur  leur  ignorance  et  la  prouve.  .\u  lieu  de  chercher  à  savoir  le  prix 
des  choses,  ils  ne  cherchent  qu'à  savoir,  à  savoir  beaucoup,  à  tout  savoir  ». 
Même  principe  chez  le  patron  des  <.^  philosophes  ».  qui  pourtant  n'est  guère 
un  sentimental.  Entendement  humain.  Avant-propos.  S  5  [102],  3  :  «  L'étendue 
de  nos  connaissances  est  proportif»inL'e  à  notre  état  dans  ce  monde  et  à  nos 
besoins...  Quelque  bornées  que  soient  les  connaissances  des  hommes,  ils  ont 
raison  d'être  entièrement  satisfaits  des  grâces  que  Dieu  a  jugées  à  propos  de 
leur  faire,  puisqu'il  leur  a  donné,  comme  dit  Saint  Pierre  (11,  i.  3),  toutes 
les  choses  qui  regardent  la  vie  et  la  piété,  les  avant  mis  en  état  de  découvrir 
par  eux-mêmes  ce  qui  leur  est  nécessaire  pour  les  besoins  de  cette  vie,  et  leur 
ayant  montré  le  chemin  qui  peut  les  conduire  à  une  autre  vie  beaucoup  plus 
heureuse  que  celle  dont  ils  jouissent  dans  ce  monde...  Jamais,  dis-je,  nous 
n'aurons  sujet  de  nous  plaindre  du  peu  d'étendue  de  nos  connaissances,  si 
nous  appliquons  uniquement  notre  esprit  à  ce  qui  peut  nous  être  utile,  car 
en  ce  cas  là,  il  peut  nous  rendre  de  grands  services...  Nous  ferons  toujours 
un  bon  usage  de  notre  entendement,  si  nous  considérons  tous  les  objets  par 
rapport  à  la  proportion  qu'ils  ont  avec  nos  facultés,  pleinement  convaincus 
que  ce  n'est  que  sur  ce  pied-là  que  la  connaissance  peut  nous  en  être  proposée; 
et  si,  au  lieu  de  demander  absolument,  et  par  un  excès  de  délicatesse,  une 
démonstration    et    une   certitude    entière,    nous    nous    contentons    d'une   simple 


ADDITIONS    ET    CORRECTIONS  529 

probabililé,  lorsque  nous  ne  pouvons  obtenir  qu'une  probabilité  et  que  ce 
degré  de  connaissance  suffit  pour  régler  tous  nos  intérêts  dans  ce  monde  ». 

P.  64.  ligne  3.  —  Au  lieu  de  :  écraser,  lire  :  écraser. 

P.  69,  note  4.  —  Ajouter  :  Lettre  à  D'Atembert,  1.  r33. 

P.  71,  note  1.  —  Ajouter  le  texte  suivant  de  Maupertuis,  Essai  de  philo- 
sophie morale  \\g2\,  25i  :  «.  Il  est  un  principe  dans  la  Nature,  plus  universel 
encore  que  ce  qu'on  appelle  lumière  naturelle,  plus  uniforme  encore  pour  tous 
les  hommes,  aussi  présent  au  plus  stupide  qu'au  plus  subtil  :  c'est  le  désir  d'être 
heureux.  Sera-ce  un  paradoxe  de  dire  que  c'est  de  ce  principe  que  nous  devons 
tirer  les  règles  de  conduite  que  nous  devons  observer,  et  que  c'est  par  lui  que 
nous  devons  reconnaître  les  vérités  qu'il  faut  croire  ?  » 

P.  73,  note  3,  ligne  12.  —  J'attribue  l'article  Existence  à  Diderot;  mais 
j'aurais  du  noter  qu'il  est  généralement  attribué  à  Turgot,  et  inséré  dans  ses 
Œuvres  [72'"'''],  1,  5t7-538:  cf.,  en  outre,  dans  ['Avertissement  du  t.  VI  de 
V Encyclopédie  [218],  p.  VI  :  «  Quatre  personnes  que  nous  regrettons  fort  de  ne 
pouvoir  nommer,  mais  qui  ont  exigé  de  nous  cette  condition  nous  ont  donné 
différents  articles.  .Nous  devons  à  la  première  les  mots  Ètymologie,  Existence, 
et  Expansibilité...  ».  Je  crois  pourtant  que  le  Journal  Encyclopédique  devait 
être  bien  informé.  Deleyre,  si  lié  avec  Diderot,  était  alors  l'un  de  ses  principaux 
rédacteurs  (cf.  [26],  I,  144,  178),  et  n'aurait  pas  laissé  passer  sur  ce  sujet  une 
information  inexacte.  Or  voici  ce  que  dit  le  Journal  du  r5  Décembre  1756  [46],  26. 
à  propos  de  l'article  Évidence  :  «.  On  a  attribué  dans  quelques  papiers  publics 
ce  traité  à  .M.  Diderot.  Nous  osons  assurer  qu'il  n'est  point  de  lui.  Premièrement 
il  n'est  pas  dans  ses  principes:...  en  second  lieu,  quoiqu'il  y  ait  des  vues  dans 
cet  article,  il  y  en  aurait  bien  davantage  s'il  partait  du  chef  de  ^Encyclopédie...  ; 
on  n'a  qu'à  comparer  avec  celui-ci  l'article  Existence,  dont  nous  avons  déjà 
rendu  compte  :  c'est  une  autre  manière  de  voir  les  choses  et  de. les  faire  voir  ». 
Je  croirais  donc  que  Diderot  a  bien  rédigé  l'article  Existence,  ou  y  a,  tout  au 
moins,  fortement  collaboré. 

P.  73,  note,  lignes  19-20.  —  Même  remarque. 

P.  gr.  note  2.  —  Ajouter  :  La  formule  de  Rousseau  rejoint  la  maxime 
de  Pascal,  Pensées,  CCLXXII  [83],  II.  198  :  «  11  n'y  a  rien  de  si  conforme  à  la 
raison  que  ce  désaveu  de  la  raison  ».  —  Dans  ce  passage  de  la  Profession, 
la  raison  serait  plutôt  l'équivalent  du  raisonnement,  dont  il  a  dit  ailleurs,  préci- 
sément pour  le  distinguer  de  la  raison.  II'  Lettre  à  Sophie  [25].  145-146  :  «  L'art 
de  raisonner  n'est  point  la  raison,  souvent  il  en  est  l'abus.  La  raison  est  la  faculté 
d'ordonner  toutes  les  facultés  de  notre  àme  convenablement  à  la  nature  des 
choses,  et  à  leurs  rapports  avec  nous.  Le  raisonnement  est  l'art  de  comparer  les 
vérités  connues  pour  en  composer  d'autres  vérités  qu'on  ignorait  et  que  cet  art 
nous  lait  découvrir.  .Mais  il  ne  nous  apprend  point  à  connaître  ces  vérités  primitives 
qui  servent  d'élément  aux  autres;  et.  quand,  à  leur  place,  nous  mettons  nos 
opinions,  nos  passions,  nos  préjugés,  loin  de  nous  éclairer,  il  nous  aveugle;  il 
n'élève  point  l'âme,  il  l'énervé,  et  corrompt  le  jugement  qu'il  devait  perfectionner  ». 

P.  q3.  note  4.  —  Ajouter  la  remarque  suivante  :  Rousseau  s'était  déjà  servi 
d'une  formule  analogue  dans  le  .Morceau  allégorique  sur  la'Révélation  [25].  172  : 
«  Il  considère,  avec  je  ne  sais  quel  frémissement,  la  marche  lente  et  majestueuse 
de  cette  multitude  de  globes,  qui  roulent  en  silence  au-dessus  de  sa  tète  ». 

34 


530 


APPENDICES 


P.  107.  noie  3.  —  Le  P.  Caslel,  Sylùme  de  Newton,  II.  2  [167],  54,  appelle 
ces  parcelles  de  matières,  que  suppose  Descartes  dans  son  explication  du  monde, 
des  «  cubes  ». 

P.  109,  note  I.  ligne  29.  —  Mémoire  à  M.  Dupin.  ou.  plus  exactement,  Mé- 
moireà  A/,  de  M[ably]  :  cf.  mes  Questions  de  chronologie  rousseauiste  [3oo],  41-45. 

P.  ii3,  note  I.  ligne  9.  — Au  lieu  de  :  44.  note  6,  lire  :  45.  note  1. 

P.  128,  ligne  4.  —  Au  lieu  de  :  les  effet,  lire  :  les  effets. 

P.  i35,  note  i.  —  /^jouter  ce  texte  de  Sulzer.  Tableau  des  beautés  de  la 
nature  [216''"],  145,  qui  expose,  en  des  termes  très  voisins  de  la  première 
rédaction  de  Rousseau,  les  merveilles  de  la  génération  des  plantes  ;  «  Il  y  a 
autant  de  merveilleux  dans  les  semences.  La  nature  a  eu  besoin  de  mille  inven- 
tions pour  empêcher  qu'elles  ne  tombassent  pas  toutes  sur  la  même  place  et  que 
les  plantes  qui  en  seraient  provenues  ne  s'étouffassent  pas  l'une  l'autre.  Elle  a 
donné  des  ailes  aux  unes,  aux  autres  de  larges  couronnes  de  plumes  légères,  par 
le  moven  desquelles  elles  sont  en  état  de  voler  de  tous  cotés.  De  sorte  que  les 
plantes,  quelque  immobiles  qu'elles  soient  en  elles-mêmes,  peuvent  envoyer  des 
colonies  dans  d'autres  pays.  11  me  souvient  d'avoir  vu,  entre  autres,  une  plante, 
qui,  après  que  les  graines  de  sa  semence  étaient  parvenues  à  maturité,  les  jetait 
par  éclats  de  côté  et  d'autre,  à  peu  près  comme  des  grenades  ou  des  bombes  ». 
—  Note  5,  ligne  2  :  cf.  l'addition  pour  la  p.  109. 

P.  144,  ligne  2.  —  Reporter  l'appel  de  la  note  4  à  la  ligne  3.  après  :  actif. 

P.  i55.  note  2,  ligne  i.  —  .\u  lieu  de  ;  /(!  valeur  qui,  lire  :  la  valeur  que. 

P.  159,  ligne  6,  au  mol  feu.  —  .Ajouter  la  note  suivante  :  cf.  Origine  des 
langues,  I,  390,  note. 

P.  i63.  fin  de  la  note  i.  —  Si  l'on  en  croit  les  Mémoires  d'une  inconnue 
[cit.  au  n"  76  de  la  Bibliographie],  53-54,  'a  bienfaisance  d'Helvetius  n'aurait  pas 
été  égale  pour  tous  les  malheureux;  il  se  serait  montré  dur  pour  les  paysans  qui 
braconnaient  sur  ses  terres  et  les  aurait  fait,  sans  scrupules,  envoyer  aux  galères. 

P.  169,  note  2,  ligne  6,  —  C'est  le  III'  Cantique  spirituel  [68],  iv.  i56.  — 
Ligne  19.  Au  lieu  de  -.fut,  lire  ■.fût. 

P.  i7r.  note  4.  —  .Xjouter  la  remarque  suivante  ;  Si  les  propos  prêtés 
à  Saint-Lambert  par  les  Mémoires  de  .\l""  d'Épinay  sont  authentiques.  Rous- 
seau aurait  souvent  entendu  ses  amis  les  »  philosophes  »  «  ne  plus  reconnaître 
qu'une  substance  »:  cf.  le  texte  inédit  que  j'ai  publié  [299],  14  :  «Madame, 
dit-il  [Saint- Lambert],  je  n'entends  rien  à  la  distinction  de  deux  substances; 
je  n'en  admets  qu'une,  générale,  universelle,  sans  commencement  ni  fin,  dont 
nous  sommes  des  portions  plus  ou  moins  intelligentes  ». 

P.  173,  note  2.  —  Ajouter  que,  dans  le  Morceau  allégorique  sur  la 
Révélation  [25],  173,  il  avait  employé  une  formule  équivoque,  qui  trahissait 
peut-être  une  adhésion  au  principe  de  Locke  :  «  Que  la  matière  ait  des  propriétés 
que  je  ne  connais  point  et  ne  connaîtrai  peut-être  jamais;  qu'ordonnée,  ou 
organisée  d'une  certaine  manière,  elle  devienne  susceptible  de  sentiment, 
de  réflexion  ou   de  volonté,   je  puis   le  croire  sans   peine  ». 

P.  i85,  note  2.  —  .\jouter  :  Sur  cette  loi  du  corps,  cf.  les  idées  qui  étaient 
familières  à  Rousseau  et  qu'il  se  proposait  de  préciser  dans  la  Morale  sensilive. 
ou  le  Matérialisme  du  sage,  ouvrage  inachevé  et  perdu,  dont  les  Confessions, 
VIII,  292-293,  nous  ont  gardé  le  plan. 


ADDITIONS    ET    CORRECTIONS  531 

I'.  197,  deuxième  note  2.  ligne  <).  —  Au  lieu  de  :  118,  lire  :  80. 

V.  u)g,  note  3.  —  Ajouter  :  1-e  problème  que  Rousseau  essaye  de  résoudre 
ici  est  celui-là  même  que  Voltaire  venait  de  traiter  ironiquement,  trois  ans  plus 
tôt,  dans  son  Candide.  Si  l'affirmation  de  Rousseau  est  exacte  {Confessions,  VllI, 
3o8|,  il  n'a  jamais  lu  Candide  ;  mais  il  a  dû  en  entendre  parler  autour  de  lui  ;  et, 
d'ailleurs,  la  question  est  alors  à  la  mode  ;  cf.  André  .Morize,  Le  «  Candide-^  de 
Voltaire  —  i.a  préparation  du  public  [49'""],  1,  6-10. 

P.  20 1,  ligne  N.  —  Aux  mots  :  sois  juste  et  tu  seras  heureux,  ajouter  la 
remarque  suivante  :  Il  y  a  peut-être  ici  une  réminiscence  de  Morelly,  Code  de  la 
Nature  [216],  i57-i58  :  «  La  bienfaisance  est  le  premier  et  le  plus  sûr  moyen 
de  sa  félicité  présente  [à  l'homme].  Tout  semble  lui  crier  :  7^u  veux  être  homme; 
sois  bienfaisant  *. 

P.  234,  ligne  7.  —  Au  lieu  de  :  j'ignore  et  j'admire,  lire  :  j'honore  et 
j'admire.  —  Dernière  ligne  de  la  note  f.  Au  lieu  de  :  161  ''",  lire  :  i6i  "'. 

P.  235.  ligne  8.  —  Au  mot  suppliante,  dans  :  altitude  suppliante.  ^  la  plus 
propre,  ajouter  la  note  suivante  :  ('i)  C,  D  :  suppliante  et  la  plus  propre.  — 
Note  4.  Ajouter  la  remarque  suivante  :  .\  une  époque,  où  il  était  plus  près  des 
«  philosophes  «,  Rousseau  semblait  bien,  lui  aussi,  ne  vouloir  «■  plus  parler 
d'instinct  »:  cf.  ///■  Lettre  à  Sophie  [25],  i55  :  «  Combien  d'animaux  ont 
des  précautions,  des  prévoyances,  des  ruses  inconcevables,  qu'il  vaudrait  mieux 
peut-être  attribuer  à  quelque  organe  étranger  à  l'homme  qu'à  ce  mot  inintel- 
ligible d'instinct.  Quel  puéril  orgueil  de  régler  les  facultés  de  tous  les  êtres  sur 
les  nôtres,  tandis  que  tout  dément  à  nos  veux  ce  ridicule  préjugé  »  ! 

P.  23/,  note  2,  ligne  6.  —  Au  lieu  de  :  Puffendorf,  lire  :  Pufendorf. 

P.  243.  note  2.  —  Ajouter  la  remarque  suivante  :  Rousseau,  qui  avait  lu 
Le  Méchant  (cf.  Préface  de  Sarcisse,  V,  io3,  note)  pouvait  se  rappelei  ces  vers 
de  Gresset  [60'"*:,  11,  232  1  .Vcte  II.  scène  4)  : 

Consultez,  écoutez  pour  juges,  pour  oracles. 
Les  hommes  rassemblés:  voyez  à  nos  spectacles. 
Quand  on  peint  quelque  trait  de  candeur,  de  bonté, 
Où  brille  en  tout  son  jour  la  tendre  humanité  : 
Tous  les  cœurs  sont  remplis  d'une  volupté  pure. 
Et  c'est  là  qu'on  entend  le  cri  de  la  nature. 

P.  2S1,  note  1.  ligne  2.  —  Au  lieu  de  :  VI,  3,  lire  :  IV,  3. 
P.P.  255-257,  deuxième  note  4,  lignes  t,  4  et  5.  —  .\u  lieu  de  :  Puffendorf, 
lire  :  Pufendorf.  —  Note  5,  ligne  19.  .\u  lieu  de  :  [jfy],  lire  :  [32]. 

P.   265.   note  4.  —  .Ajouter  ce  texte  de   la  //'    Lettre  à  Sophie  [25],   143  : 

*  Pourvu  que  vous  sentiez  que  j'ai  raison,  je  ne  me  soucie  pas  de  vous  le 
prouver  :  je  ne  vous  apprendrai  point  à  résoudre  des  objections,  mais  je 
tâcherai  que  vous  n'en  ayez  point  à  me  faire.  Je  me  fie  plus  à  votre  bonne  foi 
qu'à  mes  arguments:  et,  sans  m'embarrasser  des  règles  de  l'école,  je  n'appellerai 
que  votre  cœur  seul  au  témoignage  de  tout  ce  que  j'ai  à  vous  dire  •>■>. 

P.  27 r,  note  3,  ligne  3.  —  .\u  lieu  de  :  Puffendorf,  lire  :  Pufendorf. 
P.    273,    note    2.    —   Ajouter   le   texte   suivant   de   .Murait,   qui    précise    sa 
théorie   de    la   conscience-instinct.    Lettre  sur  les  voyages  [121 '■'•],    II,    14-15  : 

*  Depuis  que  l'homme  a   perdu   son   occupation   et  sa  dignité,   la  connaissance 


532  APPENDICES 

de  ce  qui  le  regarde  s'est  perdue  de  même;  dans  le  désordre  où  nous  sommes, 
nous  ne  savons  pas  seulement  en  quoi  notre  occupation  et  notre  dignité 
consistent.  Comme  l'ordre  seul  peut  nous  donner  cette  connaissance,  je  pense 
qu'il  y  a  un  seul  moyen  de  rentrer  dans  Tordre,  c'est  de  suivre  l'instinct  qui 
est  en  nous,  l'instinct  divin,  qui  est  peut-être  tout  ce  qui  nous  reste  du  premier 
état  de  l'homme,  et  qui  nous  est  laissé  pour  nous  v  ramener.  Tous  les  êtres 
vivants  que  nous  connaissons  ont  le  leur  qui  ne  les  trompe  point.  L'homme, 
qui  est  de  tous  ces  êtres  le  plus  e.xcellent.  n'aurait-il  point  le  sien,  tel  qu'il 
s'étendît  sur  tout  son  caractère  et  qu'il  lut  aussi  sur  qu'étendu  ?  Il  l'a  sans 
doute,  et  cet  instinct  est  la  voix  de  la  conscience  où  la  divinité  se  fait  connaître 
à  nous,  et  nous  parle.  C'est  pour  ne  pas  suivre  cet  instinct,  que,  sur  toutes 
choses,  nous  devrions  cultiver,  et  dans  nous-mêmes  et  dans  nos  enfants,  c'est 
pour  ne  pas  nous  laisser  aller  au  sentiment  qu'il  produit  en  nous  que  nous 
n'a\'ons  pas  la  connaissance  de  l'homme  v>.  —  Comparer  cette  définition  avec 
la  définition  beaucoup  plus  intellectuelle  de  V  Encyclopédie,  qui  enlève  à  la 
conscience  sa  certitude  et  son  infaillibilité:  cf.  l'article  du  chevalier  de  Jaucourt 
[204],  go2  a  :  <.-.  Conscience,  acte  de  Venlouicmenl  qui  indique  ce  qui  est 
bon  ou  mauvais  dans  les  actions  morales,  et  qui  prononce  sur  les  choses  qu'on 
a  faites  ou  omises,  d'où  il  naît  en  nous-mêmes   une  douce  tranquillité  ou   une 

inquiétude    importune .\insi    la    conscience,   celte   règle    immédiate   de    nos 

actions,  ce  for  intérieur  qui  nous  juge  a  ses  diverses  modifications  suivant 
les  divers  états  de  l'àme.  Elle  peut  être  décisive,  douteuse,  droite,  mauvaise, 
probable,  erronée,  irrésolue,  scrupuleuse,  etc.  ».  —  Rapprocher  de  l'invocation 
de  Rousseau  à  la  Conscience,  l'invocation  suivante  de  G.  de  Bibiena,  qui  se 
détache  en  lettres  capitales  dans  son  livre  Le  triomphe  du  sentiment  [igS'"»]. 
Il,  320  :  «  Lumière  divine,  guide  sur  et  éclairé,  dou.\  lien  des  cœurs,  Sentiment, 
que  n'ai-je  plus  tôt  connu  les  charmes!  ...  Je  l'éprouve  chaque  jour:  plus  on 
suit  a\'ec  scrupule  la  délicatesse  de  les  lei^ons.  plus  on  goûte  une  vraie 
volupté  ■>>. 

P.  275,  note  1.  —  .Ajouter  la  remarque  suivante  :  La  différence  entre  le 
te.xle  définitif  («  nous  avons  à  moindres  frais  un  guide  plus  assuré  dans  ce 
dédale  immense  des  opinions  humaines  »)  et  la  première  rédaction  des  Lettres 
à  Sophie  (cf.,  plus  haut,  aux  Appendices,  p.  490  :  &  enfin  nous  avons  un  /{uide 
assuré  dans  ce  labyrinthe  des  erreurs  humaines  »)  vient  ici  d'une  différence 
de  point  de  vue.  Rousseau  est  obligé  d'apporter  des  atténuations  à  sa  formule 
primitive,  parce  qu'il  ne  peut  pas  tenir  pour  absolument  inefficace  tout  le 
travail  intellectuel  qu'il  vient  de  s'imposer.  Au  contraire,  les  Lettres  à  Sophie 
étant  purement  pratiques  ei  ne  faisant  appel  à  aucun  système  rationnel,  Rousseau 
pouvait  v  affirmer  plus  fortement  la  suprématie  de  la  conscience. 

P.  276,  note  2.  —  Au  lieu  de  :  insupportable,  lire  :  insuportable. 

P.  277.  note  2.  —  .\jouter  celle  note  marginale  du  /""  Contrat  Social  |32], 
253  :  «.  Et  puis,  il  faudrait  qu'il  ne  se  fût  élevé  dans  son  cœur  [de  l'hommej 
aucune  de  ces  passions  qui  parlent  plus  haut  que  la  conscience,  couvrent  sa 
timide  voix  et  font  soutenir  aux  philosophes  que  cette  voix  n'existe  pas  ». 

P.  289,  note  2.  —  ;\jouier  la  remarque  suivante  :  Au  demeurant,  l'idée 
de  la  «.  bonté  de  la  nature  »  n'est  qu'à  peine  indiquée  dans  la  Profession  de  foi, 
et.  comme  on  a  pu  s'en   rendre  compte,   elle  v  est  compromise  ou   neutralisée 


ADDITIONS    ET    CORRECTIONS  533 

par  tant  d'autres  réflexions,  qu'elle  est  pratiquement  absente  de  la  religion 
du  Vicaire.  A  ce  point  de  vue.  la  Profession  forme  une  sorte  d'enclave  dans  V Emile. 

P.  295,  note  4.  ligne  9.  —  Ajouter  cet  autre  texte  de  la  Souvelle  Héloise 
llll.  XXII.  IV.  267,  où.  dans  une  formule  identique  de  pensée,  on  se  rend  mieux 
compte  de  l'imprécision  des  termes  qu'emploie  Rousseau  :  «  [Dieu  a  donné 
à  l'homme^  la  liberté  pour  faire  le  bien,  la  conscience  pour  le  vouloir,  et  la 
raison  pour  le  choisir  ». 

P.  299,  note  I.  —  Ajouter  la  remarque  suivante  :  L'.\gaton  de  l'abbé  de 
Saint-Pierre  [70],  X,  371,  était,  lui  aussi,  *  persuadé  que  les  erreurs  sont  toutes 
involontaires  ■»  et  ne  nuisent  pas  au  salut. 

P.  3o3.  note  3.  —  Ajouter  Marie  Huber,  Religion  essentielle  [i5i],  V,  76  : 
*.  Les  chrétiens  opposent  la  Religion  Chrétienne  à  la  Religion  Naturelle,  en 
quoi   ils  montrent  qu'ils  ne  connaissent  guère  le  véritable  esprit  évangélique  ■». 

P.  307,  note  3,  lignes  2  et  10.  —  Au  lieu  de  :  '_3y].  lire  :  [52\ 

P.  317.  note  I,  ligne  5.  —  Ajouter  le  renseignement  suivant  :  Cette  édition 
de  la  Reine  fantasque  n'était  pas  l'œuvre  de  Rousseau,  et  le  titre  le  dit  assez  : 
La  I  Reine  |  Fantasque.  |  Conte  cacouac.  |  par.  |  M.  R.  C.  de  G.  |  MDCCL  VIII, 
petite  brochure  in-24.  de  3o  pp.  et  un  f.  Le  texte  est  précédé  (pp.  3-4)  d'un 
.Avertissement  très  violent,  où  l'on  présenté  le  conte  de  Jean-Jacques  comme 
l'un  des  spécimens  les  plus  audacieux  de  la  littérature  subversive  des  «  Cacouacs  ». 
Cette  édition  est  rarissime  :  Il  en  existe  un  exemplaire,  qu'a  bien  voulu  me 
signaler  .\L  Th.  Dufour.  à  la  Bibliothèque  de  Neuchàtel.  .Acheté  en  igo5,  il  n'est 
pas  encore  coté,  et  se  trouve  dans  le  carton  70.  2. 

P.  339.  ligne  10.  —  .Ajouter  au  mot  innocens  la  note  suivante  :  Il  est  inutile 
de  rappeler  tous  les  textes  bibliques  qui  peuvent  expliquer  les  épithètes  de 
Rousseau:  ils  sont  trop  connus  et  trop  nombreux;  mais  il  convient  peut-être 
de  signaler  le  texte  de  YExode,  XX.  5.  auquel  Rousseau  semble  avoir  fait  une 
allusion  spéciale  :  «  Ego  sum  Dominus  Deus  tuus  fortis,  zelotes.  visitans  ini- 
quitatem  patrum  in  filios,  in  tertiam  et  quartam  generationem  eorum  qui  oderunt 
me  ».  Il  avait  déjà  dit.  Lettre  à  D'.Alembert.  l.  184-185  :  «  Je  soutiens  que.  si 
l'Écriture  elle-même  nous  donnait  de  Dieu  quelque  idée  indigne  de  lui,  il 
faudrait  la  rejeter  en  cela...  ;  car.  de  quelque  authenticité  que  puisse  être  le  texte 
sacré,  il  est  encore  plus  crovable  que  la  Bible  soit  altérée  que  Dieu  injuste  ou 
malfaisant  ». 

P.  343.  note  2,  ligne  8.  —  ,\u  lieu  de  :  .\/.  Pelitpierre,  de  1  /63.  lire  :  Daniel 
de  Pur\-,  du  3o  Décembre  IJ62  (cf.  Fritz  Berthoud.  J.  J.  Rousseau  au  Val  de 
Travers.  Paris,  Fischbacher,  1881,  in-i6,  pp.  i33-i35).  La  formule  de  cette  Lettre 
rejoint  elle  de  .Moultou,  qui.  à  première  vue,  en  semble  le  contrepied  (Lettre  à 
Rousseau,  du  i5  .Mars  1762  [26],  I,  27)  :  «  \'otre  religion  naturelle  n'est  pas  autre 
chose  que  le  Christianisme  bien  entendu  ».  —  La  thèse  de  Rousseau  sur  les  rapports 
de  la  Révélation  avec  les  grandes  vérités  naturelles  avait  déjà  été  exposée  par  .Marie 
Huber  (Suite  du  système  sur  l'état  des  âmes,  t.  Il  de  l'édition  que  possédait  Rou.s- 
seau,  cf.  le  n'  i33  de  la  Bibliographie)  V'  Lettre  sur  /'  <i  Examen  de  l'Origé- 
nisme»,  p.  126  :  »  Tous  les  hommes  ont  chez  eux  les  vrais  principes  de  la  Religion. 
Ce  sont  ces  premières  idées  ou  notions  naturelles  dont  il  a  été  parlé.  La  Révéla- 
tion n'a  point  été  donnée  pour  rendre  ces  premières  notions  inutiles,  bien  moins 
pour  les  contredire  ;  elle  a  pour  but  d'v  renvover  les  hommes  et  de  les  développer  ». 


534  APPENDICES 

P.  345,  noie  4.  —  Ajouter  la  remarque  suivante  :  C'est  Bayle,  semble-l-il. 
qui  avait  le  premier  posé  avec  vigueur  ces  principes  rationalistes,  en  appliquant 
aux  vérités  religieuses  la  méthode  cartésienne  de  l'évidence.  Cf.  tout  le  premier 
chapitre  de  la  1'  Partie  du  Commentaire  philosophique  sur  le  «  Compelle 
intrare  »  [53],  II,  Sôy-S/o.  qui  aboutit  à  cette  conclusion  :  «  Tout  dogme 
particulier,  soit  qu'on  l'avance  comme  contenu  dans  l'Écriture,  soit  qu'on 
le  propose  autrement,  est  faux,  lorsqu'il  est  réfuté  par  les  notions  claires  et 
distinctes  de  la  lumière  naturelle,  principalement  à  l'égard  de  la  Morale  >■>. 
11  y  a  même  dans  l'intérieur  de  ce  chapitre  (p.  368)  une  formule  encore  plus 
significative  :  «.Tout  dogme  qui  n'est  point  homologué,  pour  ainsi  dire,  vérifié 
et  enregistré  au  parlement  suprême  de  la  raison  et  de  la  lumière  naturelle,  ne 
peut  qu'être  d'une  autorité  chancelante  et  fragile  comme  le  verre  » 

P.  349.  note  5.  —  C'est  bien  au  dogme  de  la  transsubstantiation  que  songe 
Rousseau  dans  ce  début  du  dialogue.  11  le  reconnaît  lui-même  et  précise  son 
objection  dans  sa  Lettre  à  M.  de  Beaumont,  III,  1 10. 

P.  362,  note  2.  M.  —  \u  lieu  de  :  aure^,  lisez  :  ave-;. 

P.  383,  première  note  1.  —  Ajouter  la  remarque  suivante  :  Si  l'on  pouvait 
se  fier  aux  pseudo-A/éî«oîres  de  M"'  d'Épinav,  Rousseau  aurait  déjà  t'ormulé 
toutes  ces  idées  au  dîner  de  .M'"  Quinault  :  cf.  le  texte  inédit  que  j'ai 
publié  [299],  !  1  :  «.  On  cita  avec  admiration  —  je  crois  que  ce  fut  René  [^=  Rous- 
seau] —  le  bon  sens  de  ce  sauvage  qui  disait  à  un  de  nos  missionnaires  :  si  ta 
religion  est  vraie,  il  faut  donc  que  mon  père,  que  mon  grand-père,  qui  étaient  de 
si  honnêtes  gens,  soient  damnés;  c'est  ce  que  tu  ne  me  persuaderas  jamais». 
Mais,  comme  je  l'ai  montré,  il  est  infiniment  vraisemblable  que  c'est  Diderot 
lui-même  qui  a  écrit  ce  passage  en  utilisant  ses  idées  personnelles  et  ses  souvenirs 
de  la  Profession;  cf.  encore  Lettre  à  M'"  Volland,  du  27  Septembre  1760  [58], 
XVIll.  466-467  :  «  Ils  [les  Chinois]  disent  :  Si  votre  religion  est  nécessaire  à  tous 
les  hommes,  il  est  bien  singulier  que  Dieu  ne  nous  l'ait  pas  fait  connaître  plus 
tôt,  car  nous  sommes  des  hommes,  et  nous  sommes  ses  enfants  comme  vous; 
et  puis,  s'il  n'y  a  que  les  Chrétiens  qui  soient  sauvés,  nos  pères  sont  donc 
damnés!  nos  pères  qui  étaient  si  honnêtes  gens!  Oh!  nous  aimons  mieux 
être  damnés  avec  nos  pères  que  sauvés  sans  eux  ». 

P.  391,  note  1.  —  Ajouter  le  texte  suivant  des  Mémoires  de  M""-  d'Épinav. 
en  réservant  toujours  la  question  d'authenticité  [299],  >o  (c'est  Desbarres-Duclos 
qui  est  censé  parler)  :  «  Ils  disent  que,  s'il  v  avait  un  honnête  homme  sur  la 
terre  qui  n'eût  jamais  entendu  parler  de  leur  Dieu,  ce  Dieu  enverrait  plutôt  un 
ange  pour  l'instruire  que  de  le  laisser  périr,  Va-t-en  voir  s'ils  viennent  »  ! 

P.  393,  note, 'ligne  2.  —  Au  lieu  de  :  Éclaircissements,  lire  :  Éclaircissement. 

P.  395,  note  1.  ligne  29.  —  .A  propos  de  cette  expression  «.  livre  du 
monde  »,  ajouter  les  références  suivantes  :  Murait,  Lettre  sur  les  l'oyages  [121  '''*] 
11.  21,  46.  Lettres  fanatiques  [i56],  II,  2o5.  Rapprocher  des  considérations 
de  Rousseau  ce  passage  des  Mémoires  de  Duval,  que  Deleyre  lui  avait  envoyé  le 
3  Mai  1760,  et  que  Rousseau  a  recopié  dans  ses  recueils  [225''''],  I,  57  :  «  Ces 
preuves  [de  la  Providence],  que  les  Scholastiques  ont  ensevelies  sous  des  amas 
immenses  de  svllogismes  et  d'ergoteries.  se  trouvent  partout  répandues  dans  le 
ffrand  Livre  de  la  Nature,  mais  ce  volume,  ouvert  aux  yeux  de  toutes  les 
nations  et  le  plus  intelligible  de  tous,  est,  par  malheur,  celui  que  l'on  consulte 


ADDITIONS    ET    CORRECTIONS  535 

le  moins  ».  —  Note  2.  Ajouter  :  cf.  Emile,  II,  6  :  «  il  aimait  la  patrie  exclusive- 
ment à  lui  ». 

P.  3q8.  note  7.  —  Fermez  la  parenthèse  après  étalage. 

P.  39g.  première  note  3.  ligne  3.  —  .\u  lieu  de  :  Vérité,  lire  ;  Instruction. 

P.  413,  ligne  g.  —  Au  mot  plein,  ajouter  la  note  suivante  :  Rousseau  a 
essayé  de  justifier  son  e.xpression  dans  sa  Déclaration  relative  au  pasteur 
Vernes,  IX.  90  :  «  Après  avoir  loué  avec  la  plus  grande  énergie  la  beauté, 
la  sublimité  de  l'Évangile,  le  Vicaire  ajoute  que  cependant  ce  même  Évangile 
est  plein  de  choses  incroyables.  .M.  Vernes  part  de  là  pour  prendre  au  pied 
de  la  lettre  ce  terme  plein  ;  il  l'écrit  en  italique,  il  le  répète  avec  l'emphase  du 
scandale  :  comme  s'il  voulait  dire  que  l'Évangile  est  tellement  plein  de  ces 
choses  incroyables,  qu'il  n'y  ait  place  pour  nulle  autre  chose.  Supposons, 
qu'entrant  dans  un  salon  poudreux,  vous  disiez  qu'il  est  beau,  mais  plein  de  pous- 
sière; s'il  n'en  est  plein  jusquau  plafond.  .M.  Vernes  vous  accusera  de  mensonge». 

P.  417,  note  4.  —  .Ajouter  la  remarque  suivante  :  Cette  distinction  de  la 
pratique  et  de  la  foi  spéculative  dans  la  Religion,  et  cette  affirmation  de  la 
suprématie  de  la  première  sur  la  seconde,  avaient  été  posées  avec  le  maximum 
de  force  et  de  candeur  dans  un  Discours  du  Spectateur  anglais  [117],  V,  33-37  • 
«  La  Religion  peut  être  considérée  sous  deux  chefs  généraux,  dont  l'un  comprend 
ce  que  nous  devons  croire  et  l'autre  ce  que  nous  devons  pratiquer.  Par  les  choses 
que  nous  devons  croire,  j'entends  tout  ce  qui  nous  est  révélé  dans  la  Sainte 
Ecriture  et  que  les  seules  lumières  de  la  Raison  ne  pouvaient  nous  découvrir; 
par  les  choses  que  nous  devons  pratiquer,  je  veux  dire  tous  ces  devoirs  que  la 
Raison  ou  la  Religion  naturelle  nous  prescrivent.  Je  donnerai  le  nom  de  Foi  aux 
premières,  et  celui  de  Morale  aux  autres. 

...  Quoique  les  devoirs  du  Chrétien  se  réduisent  en  général  à  la  .Morale  et  à 
la  Foi.  et  que  chacune  ait  ses  prérogatives  en  particulier,  la  première  l'emporte 
sur  l'autre  à  divers  égards,  i)  Parce  que  presque  toute  la  .Morale,  suivant  l'idée 
que  je  viens  d'en  établir,  est  d'une  nature  fixe  et  immuable  et  qu'elle  durera  dans 
toute  l'éternité,  lorsque  la  Foi  ne  subsistera  plus  et  qu'elle  sera  changée  en 
conviction.  2)  Parce  qu'on  peut  être  en  état  de  faire  plus  de  bien  et  de  se  rendre 
plus  utile  au  monde,  par  la  .Morale  sans  la  Foi  que  par  la  Foi  sans  la  .Morale. 
3)  Parce  que  la  .Morale  donne  une  plus  grande  perfection  à  la  nature  humaine, 
*n  ce  qu'elle  tranquillise  l'esprit,  qu'elle  calme  les  passions  et  qu'elle  avance 
le  bonheur  de  chacun  en  particulier.  4)  Parce  que  la  règle  pour  la  .Morale  est 
beaucoup  plus  certaine  que  celle  de  la  Foi,  puisque  toutes  les  nations  civilisées 
du  monde  s'accordent  sur  les  points  essentiels,  autant  qu'elles  diffèrent  sur  ceux 
de  la  Foi.  5)  Parce  que  l'incrédulité  n'est  pas  d'une  nature  si  maligne  que  le  vice, 
ou,  pour  envisager  la  même  raison  sous  une  autre  vue,  parce  qu'on  convient 
en  général  qu'un  incrédule  vertueux  peut  être  sauvé,  surtout  dans  le  cas  d'une 
ignorance  invincible  et  qu'il  n'y  a  point  de  salut  pour  un  croyant  vicieux. 
6)  Parce  que  la  Foi  semble  tirer  sa  principale,  si  ce  n'est  pas  même  toute  sa 
vertu,  de  l'intluence  qu'elle  a  sur  la  .Morale... 

En  quoi  consiste  l'excellence  de  la  Foi....  i)..  .  à  expliquer  divers  points 
de  .Morale,  et  à  les  porter  à  un  plus  haut  degré  de  perfection.  2)  A  nous  fournir 
de  nouveaux  et  de  plus  puissants  motifs  pour  nous  encourager  à  la  pratique  de 
la  .Morale.  3)  .A  nous  donner  des  idées  plus  justes  de  l'Être  suprême,  et  à  nous 


536  APPENDICES 

le  rendre  plus  aimable:  à  nous  inspirer  plus  de  tendresse  pour  les  autres,  el 
à  nous  procurer  une  connaissance  plus  exacte  de  nous-mêmes,  soit  par  rapport 
à  la  f^randeur  ou  à  la  bassesse  de  notre  nature.  4)  A  nous  montrer  la  noirceur  et  la 
dirt'ormité  du  vice,  qui,  dans  le  système  chrétien,  est  si  énorme,  que  plusieurs  de 
nos  théologiens  nous  représentent  celui  qui  possède  toutes  les  perfections  et  qui 
en  est  le  souverain  Juge  comme  un  Ktre  qui  hait  autant  le  péché  qu'il  aime  la  per- 
sonne sacrée  qui  en  t'ait  l'expiation.  5)  La  Foi  est  la  méthode  ordinaire  qui  nous 
est  prescrite  pour  rendre  la  Morale  efficace  et  capable  de  nous  obtenir  le  salut 

D'ailleurs,  je  poserai  trois  ou  quatre  maximes  qui  me  paraissent  naitre 
de  ce  que  je  viens  d'avancer  :  i)  Que  nous  devons  bien  prendre  garde  à  n'établir 
pour  un  article  de  Foi  rien  de  tout  ce  qui  ne  sert  pas  à  la  confirmation  ou  au 
progrès  de  la  Morale.  2)  Qu'aucun  article  de  Foi  ne  peut  être  légitime  et  authen- 
tique s'il  affaiblit  ou  renverse  les  devoirs  de  la  Religion,  ou  ce  que  j'ai  appelé 
jusqu'ici  la  Morale.  3)  Que  le  partisan  le  plus  zélé  de  la  .Morale,  ou  de  la  Religion 
naturelle,  ne  saurait  craindre  aucun  danger  de  sa  profession  du  Christianisme, 
tel  qu'il  est  enseigné  dans  sa  pureté  par  notre  Kglise  .Anglicane.  4)  Que,  dans 
tous  les  articles  douteux,  il  faudrait  examiner,  avant  de  les  admettre,  toutes  les 
conséquences  fâcheuses  qui  en   peuvent  résulter,  supposé  qu'ils  soient  erronés  ». 

R.  417.  note  5.  —  .\jouter  la  remarque  suivante  ;  si  les  pseudo-A/é»!0(rt',s- 
de  M""  d'Épinay  étaient  authentiques,  Jean-Jacques  aurait  dit  précisément  le 
contraire  au  dîner  Quinaull:  cf.  le  texte  inédit  que  j'ai  publié  [299],  11-12  : 
«  .M'"  Médéric  [Quinault]  dit,  qu'en  matière  de  religion,  tout  le  monde  avait 
raison;  elles  sont  toutes  bonnes  ou  mauvaises,  comme  ils  voudront,  dit-elle; 
mais  il  faut  que  chacun  demeure  dans  celle  où  il  est  né.  —  Non.  pardieu,  reprit 
René  [Rousseau]  avec  chaleur,  si  elle  est  mauvaise,  si  ce  sont  des  mensonges:  je 
n'en  veux  point  soufiVir  en  moi,  si  je  puis.  Le  mensonge,  et  surtout  celui  qu'on 
garantit  au  nom  de  Dieu,  ne  peut  faire  que  beaucoup  de  mal  >:-. 

R.  423.  note  5.  —  Ajouter  le  texte  suivant  de  la  Nouvelle  Hcln'ise  (VI.  viiii, 
V,  44  :  «  Je  vois  qu'il  est  impossible  que  l'intolérance  n'endurcisse  l'âme. 
Comment  chérir  tendrement  les  gens  qu'on  réprouve  ?  Quelle  charité  peut-on 
conserver  parmi  des  damnés  »? 

P.  427,  note.  —  Ajouter  la  remarque  suivante  :  Cf.  aussi,  sur  cet  idéal  du  curé 
bienfaisant,  l'Agaton  dé  l'abbé  de  Saint-Rierre,  et.  dans  ses  Observations  sur  le 
Gouvernement  intérieur  de  l'Etat,  l'Observation  \'!  ■s  pourfendre  les  habitants 
des  campagnes  plus  raisonnables  et  moins  superstitieux  »  jo|,  .\.  409-410 
VII,  41-43,  73  sqq,  gg-ioo.  etc.  —  Ligne  19.  Au  lieu  de  :  ses  Éclaircissements, 
lire  :  son  Éclaircissement. 

R.  441,  note  2.  —  Il  est  possible  aussi,  qu'en  écrivant  ce  discours,  qui 
commence  par  :  «  Mon  fils,  tenez  votre  àme  »,  etc.,  il  v  ait  eu,  chez  Rousseau, 
le  désir  de  rivaliser  avec  le  discours,  —  qui  fut  un  instant  célèbre  Ici'.  Lettre  de 
X'oltaire  à  Ralissot.  du  4  Juin  1760  [ySj,  XL,  410-41 1|  —  que  Diderot  adresse, 
lui  aussi,  au  disciple  selon  son  cœur,  en  tête  du  Père  de  famille  :  «.  Mon  fils, 
si  vous  voulez  connaître  la  vérité  »,  etc.  lÉpitre  dédicatoire  à  la  Princesse  de 
Nassau-Saarbruck  [223'''-],  182-184).  ^'-  '^  note  i  de  la  p.  467. 

P.  443,  ligne  5.  —  .Ajouter  au  mot  loi  la  note  suivante  :  Faut-il  rappeler 
le  texte  évangélique,  Luc.  \.  27  :  «  Diliges  Dominum  Deum  tuum  et  toto 
corde   tuo...    et   proximum    tuum   sicut   teipsum  •>■>? 


{ 


ADDITIONS    ET    CORRECTIONS  537 

1'.  445,  noie  2.  —  Ajouter  la  remarque  suivante  :  Déjà,  dans  une  note 
marginale  de  la  IV'  Lettre  à  Sophie  23  ,  164,  noie,  il  avait  écrit  :  &  Quel 
horrible  savoir  que  celui  qui  ne  sert  qu'à  lever  les  scrupules,  étouffer  les  remords 
et  multiplier  sur  la  terre  le  nombre  des  méchants  ■»! 

P.  447,  ligne  9.  —  Aux  mots  :  le  seul  frein  de  leurs  passions,  ajouter 
la  note  suivante  :  les  Mémoires  de  M""  d'Épinay  attribuent  à  Rousseau  la 
même  réflexion  [256j,  I,  401  :  «  C'est  pour  eux  ^les  grands!  que  cette  terreur 
est  utile,  et  non  pour  le  peuple,  comme  vous  le  disiez  l'autre  jour  *.  —  Note  2. 
Ajouter  les  références  suivantes  :  Berkeley.  Alciphron,  1,  xv-xvi  li43j,  I,  60-61  : 
«  Ô  Alciphron.  ...  avant  de  vous  donner  la  peine  de  produire  vos  preuves, 
je  serais  charmé  de  savoir  si  les  notions  de  votre  philosophie  sont  dignes  d'être 
prouvées,  je  veux  dire  si  elles  sont  utiles  et  avantageuses  au  genre  humai.i.  — 
Permettez-moi  de  vous  dire  à  cet  égard  qu'une  chose  peut  être  utile  aux  vues 
d'un  homme  sans  l'être  à  celles  d'un  autre.  .Mais,  utile  ou  non,  la  Vérité  est 
Vérité,  et  ne  doit  pas  être  mesurée  par  les  services  qu'elle  rend  à  un  homme 
ou  à  une  société»:  La  Mettrie.  Discours  préliminaire  des  Œuvres  philoso- 
phiques '62',  I,  i5  :  «Quel  funeste  présent  serait  la  Vérité,  si  elle  n'était  pas 
toujours  bonne  à  dire  ■»  ? 

P.  451.  note  5.  —  .Ajouter  la  remarque  suivante  :  Le  mot  philosophiste 
a  été  pris  par  Rousseau,  non  dans  Fréron,  mais  dans  les  Lettres  de  X'ernet  236], 
textes  que  j'ai  cités;  et  voici  ce  qui  me  parait  le  prouver.  L'expression  ne 
se  trouve  ni  dans  B,  ni  dans  I  (ce  dernier  offre  le  terme  si  curieux,  et  peut-être 
unique,  semble-t-il,  A'anti-réligiosiste  :  cf.  p.  448,  note  6).  La  correction 
philosophiste  est  donc  une  correction  de  dernière  heure  sur  épreuves.  Or 
le  22  Octobre  1761.  Rev  écrivait  à  Rousseau  [14  C],  i33  '  :  «.On  a  publié  à 
Utrecht.  il  v  a  quinze  jours,  une  brochure  de  quatre  feuilles,  dont  voici  le 
titre  :  l^ettres  critiques  d'un  voyageur  anglais,  sur  l'article  «.  Genève  »  du 
Dictionnaire  de  l'Encyclopédie  et  sur  la  Lettre  de  Mr  D'Alembert  à  Mr  Rous- 
seau, publiées  avec  une  pré/ace  par  R.  Brown,  ministre  anglais  à  Utrecht.  Je 
l'envoie  aujourd'hui  à  .\lr  .Auboin.  en  lui  faisant  vos  compliments,  afin  qu"il 
vous  la  fasse  parvenir  franc  de  frais,  ce  qu'il  m'a  dit  avoir  occasion  de  faire 
quand  je  voudrais  ».  Et  Rousseau  répond  le  3i  Octobre  [24],  121  :  «  Je  connais 
.M.  Brown;  je  verrai  avec  plaisir  son  ouvrage;  je  vous  remercie  de  vouloir  bien 
me  l'envover»:  et,  le  mois  suivant.  27  Novembre,  pp.  126-127  :  «  l'ai  oublié 
de  vous  remercier  et  de  vous  charger  de  mes  remerciements  pour  SX.  .Auboin 
pour  la  brochure  que  vous  m'avez  envoyée  ».  Ainsi,  en  Novembre  1761.  au 
moment  où  la  Profession  était  encore  chez  l'imprimeur,  Rousseau  venait 
de  recevoir  et  allait  lire,  sans  doute,  le  petit  pamphlet  de  Vernet.  C'est  là  qu'il 
devait  trouver  l'expression  nouvelle,  dont,  quelques  semaines  plus  tard,  il 
faisait  son  profit. 

P.  433,  note  6,  ligne  2.  —  .\u  lieu  de  :  I3g].  lire  :  [32]. 

P.  437,  note  3.  —  Ajouter  :  Lettre  à  .\/.  de  Franquières  (plus  haut,  p   Sigl. 

P.  461.  note  I.  — .Ajouter,  parmi  d'autres  textes  qui  pourraient  être  cités, 
les  Observations  sur  les  savants  incrédules  de  Deluc  l237'  et  notamment  le 
chapitre  XLI,  pp.  403-407.  Ces  pages  sont  d'autant  plus  intéressantes  qu'elles 
sont  d'un  ami  de  Rousseau,  qui  témoigne  à  plusieurs  reprises  sa  sympathie 
pour   ce    »^  vrai    Chrétien    philosophe  »    (p.    275),    mais    qui    ne    peut   admettre 


538  APPENDICES 

l'athée  vertueux  de  la  Sonvelte  Hèlo'isc.  Cette  longue  note  de  la  Profession 
dut  le  satisfaire.  —  Note  2.  En  faisant  allusion  à  ce  «.  moine  qui  avait  nié  un 
dépôt  »,  Rousseau  répond  à  une  objection  que  lui  avait  faite  M.  d'Offreville. 
Celui-ci  lui  avait  écrit,  le  17  Septembre  1761,  une  première  Lettre  à  laquelle 
Rousseau  répondit  le  4  Octobre,  X,  265-269.  Dans  cette  première  Lettre,  il  lui 
disait  [14].  2":  «Je  ne  saurais  offrir  à  votre  imagination  un  exemple  de  la 
dépravation  des  mœurs  de  notre  siècle  qui  soit  moins  de  mon  goût  que  celui 
d'une  personne  avec  laquelle  je  passe,  pour  ainsi  dire,  les  jours»;  et  il  exposait 
à  Rousseau  les  arguments  de  son  «  adversaire  »;  ce  sont  ceux  auxquels  Rousseau 
répond  dans  sa  Lettre.  Dans  la  Lettre  suivante,  du  17  Octobre  1761  [14],  4",  il 
continuait:  «Je  reviens  à  mon  adversaire,  qui,  au  fond,  me  parait  un  fort  honnête 
homme,  et  dont  l'extérieur  simple  et  modeste  me  plait  infiniment,  raison  pour 
laquelle  je  voudrais  bien  pouvoir  le  justifier.  11  prétend  que  la  Religion  honore 
les  bonnes  actions,  mais  qu'elle  seule  ne  peut  les  produire;  qu'une  femme, 
qui  n'est  fidèle  à  son  mari  que  par  dévotion,  cesse  de  l'être,  dès  qu'un  galant 
aimable  se  présente;  qu'au  contraire  une  femme  sans  dévotion,  mais  dont  le 
coeur  est  plein  d'honnêteté,  ne  succombe  point;  que  les  malheureux  tirent  peu 
de  secours  d'un  dévot;  qu'un  bon  cœur  sans  dévotion  ne  cesse  de  donner  que 
quand  il  n'a  plus  rien:  et  enfin,  //  ajoute,  pour  appuyer  son  raisonnement, 
que  le  petit  père  de  la  place  des  Victoires  a  nié  te  dépôt,  tandis  que  Ninon 
Lanclos  avait  oublié  qu'elle  avait  serré  celui  qui  avait  été  confié  dans  son 
garde-meuble,  oii  l'on  trouva  la  cassette  qui  le  renfermait  sans  avoir  été 
ouverte.  J'aurais  beaucoup  de  choses  à  répondre  à  ces  propositions;  mais  il  faut 
finir  ma  Lettre;  vous  jugerez  vous-même  si  elles  sont  ou  non  problématiques  ». 
—  Dans  ses  Amusemens  variés,  ou  Mélanges  de  Littérature,  en  prose  et  en 
vers  ;  avec  une  Lettre  de  .Iean-.Iacques  Rousseau  de  Genève,  Lausanne,  et  Paris. 
Hérissant  [etc.J,  1780,  in-i6,  pp.  i5-2i,  D'Offreville  a  publié,  à  la  suite  de  la 
Lettre  de  Rousseau,  une  Opinion  sur  le  fait  proposé  dans  la  réponse  de  Jean- 
.lacques  Rousseau.  Il  a  présenté  cette  Opinion  sous  la  forme  d'une  Lettre, 
également  datée  du  17  Octobre  1761  ;  mais  c'est  une  Lettre  toute  différente  de 
l'original,  et  le  texte  que  je  viens  de  citer  ne  s'y  trouve  pas.  —  Voltaire  a 
rappelé,  plus  d'une  fois,  cet  épisode  de  la  vie  de  Ninon  :  cf.,  notamment.  Sur 
A/"'  de  Lenclos  [73],  .XXlll,  5io.  Mais  «  le  dévot  »,  qui  aurait  été,  d'après 
Voltaire,  un  dépositaire  infidèle,  ne  saurait  être  «  le  petit  père  de  la  place  des 
Victoires  »,  dont  parle  ici  D'Oft'reville.  Je  ne  sais  à  quelle  anecdote  celui-ci  fait 
allusion. 

P.  465,  note  I.  —  .'Vjouter  la  remarque  suivante  :  On  était  aussi  très 
admirateur  des  Chinois  dans  le  milieu  holbachique  ;  cf.  Lettre  de  Diderot  à 
M'"  Volland,  de  Septembre  1760  [58],  XVIII,  464  :  «  11  s'agissait  des  Chinois. 
Le  Père  Hoop  et  le  Baron  en  sont  enthousiastes:  et  il  y  a  de  quoi  l'être,  si  ce 
que  l'on  raconte  de  la  sagesse  de  ces  peuples  est  vrai  ». 

P.  471,  note  3.  —  .^jouter  la  remarque  suivante  :  D'autres  déjà  avaient  été 
de  ce  «parti  »;  cf.  Vernet,  Instruction  chrétienne  [2i3],  1,  18  :  «  Toutes  les 
plaintes  que  l'on  entend  faire  sur  les  dangereuses  suites  du  fanatisme  et  de 
la  superstition  sont  autant  de  raisons  qui  doivent  faire  sentir  combien  il 
importe  d'avoir   une   Religion   pure  et   une   piété  éclairée  ». 

P.  490,  Lettre  VI,  ligne  i.  —  .'\u  lieu  de  :  erreurs,  lire  :  erreurs. 


BIBLIOGRAPHIE  DES  OUVRAGES 

CITÉS    DANS    LIXTRODUCTIÛX   ET  LE    COMMENTAIRE' 


I 
ŒUVRES    DE    ROUSSEAU 

Sait/'  indication  contraire,  les  textes  de  Rousseau  ont  été  cités 
d  après  la  seule  édition,  dont  le  tirage  continue  encore  aujourd'hui  : 
Œuvres  complètes  de  J.  J.  Rousseau.  Paris,  Hachette.  i3  vol.  in-12. 
(C  est  de  iS65  que  date  la  division  en  treize  volumes  :  cette  édition  avait 
paru,  en  huit  volumes  seulement,  dès  i856).  Les  autres  citations  ont  été 
empruntées  aux  recueils  suivants,  que  l  on  trouvera  rangés  dans  l'ordre 
chronologique.  —  la  chronologie  des  manuscrits  reposant  .■<ur  la  date 
approximative  de  composition,  celle  des  imprimés  sur  la  date  de 
publication. 


MANUSCRITS 

1.  Institutions  chimiques,  quatre  livres  reliés  en  trois  tomes  in-4,  le 
IV«:  livre  a\ant  une  foliotation  indépendante,  Bibliothèque  de  Genève, 
M.  f.  238. 

Extraits  publiés  par  Th.  Dufour  [35]. 

2.  Conseils  à  un  curé.  Bibliothèque  de  Neuchàtel,  78139. 
Insuffisamment  publié  par  A.  Jansen  [28]. 


'  Lians  /Introduction  el  le  Commentaire,  le  titre  de  tuus  ce.'i  ouvrages  a  été 
cité  avec  l'ortlingraphe  muderne.  Ici  j'en  ai  rétabli  l'orthographe  originale,  sans 
toutefois  conserver  l'accentuation  et  In  ponctuation,  qui  sont  le  plus  souvent 
arbitraires  sur  les  pages  de  titre.  —  Pour  les  ouvrages  imprimés,  j'ai  fait  suivre 
le  nom  de  lieu  du  nom  de  l'éditeur:  là  oii  ce  nom  fait  défaut,  c'est  qu'il  n'est  pas 
mentionné  sur  le  titre  ou  que  je  n'ai  pas  su  le  retrouver.  J'ai  mis  entre  crochets  les 
titres,  noms  d'auteur,  de  traducteur  et  d'éditeur  qui  n'étaient  pas  fournis  par  les 
livres  mêmes. 


540  BIBLIOGRAPHIE 

3.  [Morceau  allégorique  sur  la  Révélation'].  Bibliothèque  de  Genève. 
M.  f.  228. 

Insuffisamment  publié  par  G.  Slreckeisen-Moullou  [25]. 

4.  Lettres  à  Sophie. 

.\.  Lettres  I,  V  et  VI,  Bibliothèque  de  Xeuchàtel,  7890. 
Publié  sommairement  par  E.  Ritler  '3r]  ;  cf..  ici  même,  .\ppendicex,  1. 

B.  Lettres  II,  III  et  IV,  Bibliothèque  de  Genève,  M.  f.  228. 
Insuffisamment  publié  par  G.  Streckeisen-.Moultou  [25]. 

5.  [Cahier  de  brouillons,  note.':  et  extraits].  Bibliothèque  de  .Neu- 
chàtel,  7842. 

6.  [Autre  caliicr  iie  brouillons],  Id..  7848. 

7.  Doutes  sur  la  Religion  dont  on  cherche  l  éclaircissement  de  bonne 
fov.  ouvrage  d'un  anonyme,  conservé  par  Rousseau  dans  ses  papiers, 
et  sur  lequel  il  a  écrit,  f"  23  '■'°  :  «  A  réfuter  »,  Bibliothèque  de  Neu- 
chàtel.  7934. 

C'est  l'ouvrage  bien  connu  dans  les  milieu.\  »  philosophiques  »  sous  le 
titre  d'E.\ame)i  de  la  Relif(ion  :  ci.  n"   173. 

"'''S  [Manuscrit  sur  la  Religion],  ouvrage  d'un  piétiste  anonvme. 
adressé  à  Rousseau  postérieurement  à  VHmile.  qui  v  est  discuté,  Biblio- 
thèque de  Neuchàtel,  7933. 

8.  [Brouillons  fragmentaires  de  la  «  Nouvelle  Héloïse  »]. 

A.  Recueil  principal.  1  vol.  in-4.  Bibliothèque  de  la  Chambre 
des  Députés,  .Mss.  1404. 

B.  Fragments  de  trois  Lettres  de  la  V7''  Partie,  manquant  dans 
le  précédent  manuscrit  et  appartenant  à  la  même  Rédaction,  Bibliothèque 
Victor  Cousin,  Collection  d'autographes.  Tome  V,  Littérateurs,  f"'*  81-92. 

9.  [Copie  de  la  «  Nouvelle  Héloï.fe  »  avec  corrections  et  additions], 
2  vol.  in-4,  Bibliothèque  de  la  Chambre  des  Députés,  Mss.  1495-1496. 

10.  [Premier  Brouillon  d'ensemble  de  l  «  Emile  »],  onze  cahiers 
non  reliés,  appartenant  à  la  famille  Favre,  de  Genève. 

Sur  ce  manuscrit,  cf.  Introduction,  II.  i.  3,  l'élude  de  Léopold  Favre  [294; 
et  les  extraits  publiés  par  lui  [40  'i""iwi. 

H.  [Copie  de  /  «  Emile  »,  avec  corrections  et  additions],  3  vol.  in-.8, 
Bibliothèque  de  la  Chambre  des  Députés,  .Mss.  1427-1429. 
Pour  la  description  du  .Manuscrit,  cf.  Inlvaduction,  II,  1,  5. 


ŒyVRES    DE    ROUSSEAU  54I 

12.  [Lellrex  diveî-set:  de  Rousseau],  Bibliotlièque  de  Neuchàtcl. 

A.  Lettres  à  des  correspondants  inajnniis  ou  regardes  comme  tels. 
yyoo. 

B.  Autres  Lettres  ioi"it,'inau.\,  minutes  ou  copies  autographes).  7901. 

C.  Brouillon  de  la  Lettre  à  Voltaire,  du  18  Août  ij56.  7894. 

13.  [Correspondance  avec  M.  de  Maleslierbes].  Bibliothèque  Natio- 
nale. .Mss. 

A.  Nouv.  acq.  fr.  1 183. 

B.  Id.  21 196.  f"  14S. 

Publié  tn  parlio  par  F.  Brunetière  [205]  et  G.  Maugras  [3o],  presque 
intégralement  par  P.  P.  Plan  i40"'j. 

14.  [Lettres  adressées  à  Rousseau'},  rangées  dans  des  cartons  par 
ordre  alphabétique.  Bibliothèque  de  Neuchàtcl.  7002.  —  Parmi  ces  cor- 
respondances, quelques-unes  des  plus  importantes  ont  été  reliées  en 
volumes  séparés,  sans  recevoir,  d'ailleurs,  de  cote  particulière;  cf..  par 
exemple  : 

A.  Lettres  de  Delevre. 

B.  Lettres  de  Duchesne  et  Guérin. 

C.  Lettres  de  Marc-Michel  Rev. 

Plusieurs  de  ces  Lettres  ont  été  publiées,  souvent  inexactement,  par 
G.  Streckeisen-.Moultou   [26]. 


B 


IMPRI.MES 

15.  Collection  complète  des  Œuvres  de  J.  ./.  Rousseau  [édition  Du 
Peyrou],  Genève,  1780-1789,  17  vol.  in-4.  dont  trois  vol.  de  Suppléments 
(  1782),  et  deux  de  Seconds  suppléments  1 17891. 

16.  Œuvres  complètes  de  J.  J.  Rousseau,  Souvelle  Edition,  classée 
par  ordre  de  matières  et  ornées  de  quatre-vingt-dix  gravures  [édit. 
S.  .Mercier,  G.  Brizard  et  S.  de  TAulnaye],  [Paris,  Poinçot],  1 788-1 793, 
38  vol.  in-S. 

17.  Œuvres  de  ./.  ./.  Rousseau.  (Citoyen  de  Genève,  Edition  ornée 
de  superbes  figures  d'après  les  tableaux  de  Cocliin,  Vincent,  Regnault  et 
Monsiau  [pour  quelques  tomes,  le  titre  est  le  suivant  :  Édition  ornée  de 
figures  et  collationnée  sur  les  Manuscrits  originaux  de  l  Auteur  déposés 


542 


BIBLIOGRAPHIE 


au  comité  de  l  Instruction  publique],  Paris,  Defer  de  la  iMaisonneuve  et 
Dufour,  successeur  de  Defer,  Imprimerie  de  Didot  le  Jeune,  lygS-iSoo 
[les  quatorze  premiers  tomes  sont  datés  de  lyqS,  le  tome  X\  de  1797, 
les  trois  derniers  sont  sans  date],  18  vol.  petit  in-f°. 

18.  Œuvres  complètes  de  J.  J.  Rousseau' [éd'w..  Naigeon,  Fayolle  et 
Bancarel],  Paris,  Didot  TAiné,  An  IX- 1801,  20  vol.  in-8. 

19.  Œuvres  de  J.  J.  Rousseau,  avec  des  notes  historiques  [édit. 
G.  Petitain],  Paris.  Lefèvre,  1819-1820,  22  vol.jn-8. 

20.  [Parabole],  attribuée  à  Rousseau  par  les  soi-disant  Mémoires  de 
Mme  d"Épinay,  Paris,  Brunet,  1818,  3  vol.  in-8,  II,  77-83. 

Cité  ici  d'après  l'édition  P.  Boiteau  [256],  I,  395-400.  Je  crois  avoir  montré 
[299],  22-27.  qLie  cette  *  Parabole  »  n'est  pas  de  Rousseau  et  doit  être  restituée 
à  Diderot. 

21.  Pensées  d  un  esprit  droit  et  sentiments  d'un  cœur  vertueux, 
[édit.   \'illenave],   Paris.    Fournier-Kavreu.x,    1826,  in-8. 

22.  Lettres  à  la  Marquise  de  Verdelin,  p.  par  E.  Bergounioux, 
L'Artiste,  Journal  de  littérature  et  des  beaux  arts.  11"=  Série,  t.  V. 
1840,  in-4. 

23.  Une  Lettre  inédite  de  Rousseau  au  sujet  de  la  réhabilitation  de 
Calas,  p.  par  E.  Frossard,  en  iS56  [47],  iV,  240-241. 

Ce  titre  est  inexact;  il  s'agit  de  l'affaire  Pochette:  la  Lettre  adressée  à 
M.  R[ibote]  est  du  28  Septembre  1761,  et  la  mort  de  Calas  du  14  Octobre. 

24.  Lettres  inédites  à  Marc-Michel  Rey,  édit.  J.  Bosscha,  .Amster- 
dam. .MQller  —  Paris.  Didot,  i858.  in-8. 

2.J.  Œuvres  et  Correspondance  inédites,  édit.  G.  Streckeisen-Moul- 
tou.  Paris.  Lévy,  1861,  in-8. 
Cf.  les  n     3  et  4  B. 

26.  ./.  J.    Rousseau,   ses  amis  et   ses   ennemis   [Lettres   adressées  à 
Rousseau],  édit.  G.  Streckeisen-Moultou.  Paris,  Lévy,   i865,  2  vol.  in-S. 

Cf.  le  n"  14. 

27.  Antécédents  de  l'Hégélianisme  dans  la  philosophie  française.  — 
Dom  Deschamps,  son  système  et  son  école  [Correspondance  de  Rousseau 
avec  Dom  Deschamps],  édit.  E.  Beaussire,  Paris,  Germer  Baillière.  i8G5, 
in-i 2. 


ŒUVRES    DE    ROUSSEAU  543 

28.  Fragments  inédits,  édit.  A.  Jansen,  Paris,  Sandoz  —  Berlin, 
W'ilhelmi.  1882.  in-8. 

Cf.  le  n'  2.  V  joindre  les  rectifications  présentées  par  Jansen  lui-même  dans 
la  Revue  Die  Gegenwart,  t.  XXII.  1882,  n'  28. 

2Î>.  Le  Portefeuille  de  Mme  Dupin  [Lettres  et  opuscules  de  Rous- 
seau adressés  aux  Dupin].  édit.  G.  de  \'illeneuve-Guiberi,  Paris,  Calmann- 
Lévy,  s.  d.  [1884],  in-8. 

Y  joindre  les  corrections  que  j'ai  apportées  [3oo],  41-45. 

;10.  Voltaire  et  J.  ./.  Rousseau  [Correspondance  de  Rousseau  avec 
JVlalesherbes,  le  maréchal  de  Lu.xembourg  et  les  libraires  relativement  à 
VÉmile],  édit.  G.  Maugras,  Paris.  Calmann-Lévy,  1886,  in-8. 

Cf.  le  n"  i3. 

31.  Lettres  à  Sophie  Lettres  I,  V"  et  V'I].  p.  par  E.  Ritter  dans  les 
Verliandlungen  der  neunundreissigsten  Versammlung  deuischer  P/iilo- 
logen  und  Schulmaenner  in  Zurich  (18871,  Leipzig,  Teubner.  1888,  in-4. 

Cité  ici  d'après  la  réimpression  faite  par  F.  Ritter,  en  igo6  [49],  11, 
1 1 1-1 36  :  cf.  le  n'  4  .A. 

31  '''\  Correspondance  avec  Mme  Boy  de  la  Tour,  édit.  H.  de 
Rothschild.  Paris,  Calmann-Lévv.  1892,  in-8. 

32.  Du  Contrat  social,  édition  contenant,  avec  le  texte  définitif,  les 
versions  primitives  de  l'ouvrage,  édit.  E.  Dreyfus-Brisac,  Paris,  Alcan, 
i8q6.  in-S. 

33.  Lettres  à  ./ean-.Ami  Martin,  p.  par  E.  Ritter  en  igoo  [47  ,  XLIX. 
254-259. 

34.  La  Comtesse  d'Houdetot  [Lettres  de  Rousseau  à  Mme  d'Hou- 
detot],  édit.  H.  Buffenoir,  Paris,  Leclerc,  lOoS,  in-8. 

3."i.  Les  Institutions  chimiques,  fragments  p.  par  Th.  Dufour. 
Genève.   Imprimerie  du  «Journal  de  Genève  »,    1905.  in-8. 

Extrait,  avec  additions,  de  la  Semaine  littéraire,  du  17  Décembre  1904. 
Cf.  le  n"  I. 

36.  Pages  inédites,  Première  Série,  p.  par  Th.  Dufour  en  iqoS 
[49],  I.  202-245. 

37.  Pages  inédites.  Deuxième  Série,  p.  par  Th.  Dufour  en  1906 
[49],  II,  163-270. 

38.  La  Première  Rédaction  des  «  Confessions  »  {Livres  I-lVi.  p.  par 
Th.  Dufour,  en  1908  [49],  I\',  1-276. 


544  BIBLIOGRAPHIE 

S9.  Correspondance  avec  Léonard  Usteri.  édit.  P.  l'steri  et  K.  Ritter, 
Zurich.  Béer  —  Genève,  Kùndig,  1910,  in-12. 

Déjà  publié  en  partie  par  P.  Usteri,  Brie/wechse/  .1.  .!.  Rousseaus  mit 
Lfoiiliard  l'steri  in  Zurich  und  Daniel  Roguin  in  Yverdnn,  Literarische  Beiiage 
zum  Progranim  der  Kantonsschule  in  Zurich.  18S6,  in-4. 

4((.  Annotations  au  livre  «  De  l'Esprit  »,  p.  par  P.  Maurice  Masson, 
en  11)10  [4<S].  X\'![i.  104-113. 

40'"*.  Lettres  aux  libraires  Néaulme  et  Duc/iesiie,  p.  par  P.  Lent; 
et  .A.  F[rançoi.s],  en  191 1  [49^,  VII.  107-124. 

4()''''.  ./.  J.  Rousseau  et  Malesherbes  [Correspondance  de  Rousseau 
et  de  Malesherbes  à  roccasion  de  VÉmile'],  édit.  P.  P.  Plan,  Paris, 
Fischbacher,  191 2,  in-8. 

Extrait,  avec  additions,  du  Mcrcurt  de  France,  t.  .XCVII,  n    du  i"  .Mai  1012. 

40 'i"''"'''.  Choix  de  passages  inédits  et  de  variantes  du  Manuscrit 
Favre  de  l   «  Emile  ».  p.  par  L.  Favre  en  1912  [49],  VIll,  270-31 5. 


II 

ŒUVRES  ET  COLLECTIONS 

J  ai  rangé  sous  ce  titre  les  publications  périodiques  et  les  recueils 
(f  Œuvres  complètes.  En  règle  générale,  toutes  les  fois  que  ces  recueils 
existaient,  c  est  d  après  eux  que  j  ai  fait  les  citations.  —  Les  publications 
périodiques  ont  été  classées  d'après  la  date  oit  elles  ont  commencé  à 
paraître:  pour  les  Œuvres  complètes,  j'ai  suivi  l'ordre  alphabétique. 

41.  Mercure  de  France  [Suite  du  Mercure  galant,  etc.].  Paris, 
Barbin,  [etc.],  1672-1792,  i6i5  vol.  in-12. 

Rousseau  était  abonné  au  Mercure  dès  lySS  ;  Cf.  Th.  Dufour  [36].  202;  et 
vraisemblablement  il  l'était  resté  :  cf.  Réponse  au  mémoire  anonyme.  XII,  304, 
Confessions,  Mil,  249.  etc. 

41'''%  [Ga^^ette,  dite  d  Amsterdam  ou  de  Hollande].  Amsterdam, 
avec  Privilège  de  Nos  Seigneurs  les  États  de  Hollande  et  de  Westfrise, 
1703-171)2,  in-4. 

42.  Bibliothèque  choisie  pour  servir  de  suite  à  la  Bibliothèque  uni- 
verselle, par  Jean  Le  Clerc,  .\msterdam.  Schelte,  1703-1713,  28  vol.  in-12. 

4S.  Histoire  de  l'Académie  royale  des  Inscriptions  et  Belles- 
Lettres ,  avec  les  Mémoires  de  Littérature  tirés  des  Registres  de  cette 


ŒUVRES    ET   COLLECTIONS  545 

Académie,    Paris,    Imprimerie  Royale-Imprimerie   Impériale.    1717-1809, 
5o  vol.  in-4. 

Rousseau  avait  dépouillé  plusieurs  volumes  de  la  collection  :  cf.  ses  cahiers 
de  notes  [5\  1  et  2. 

44.  Correspondance  littéraire,  philosophique  et  cr i tique,  ^av  Gr\mm, 
Diderot,  Ravnal,  Meister,  etc.,  édit.  M.  Tourneux,  Paris,  Garnier,  1877- 

18S1.   ifi  vol.  in-8. 

45.  L'Année  Littéraire,  ou  Suite  des  Lettres  sur  quelques  Écrits 
de  ce  tetns,  par  M.  Fréron.  Amsterdam  et  Paris,  Lambert,  etc.,  1754- 
1792,  292  vol.  in-i2. 

Cf.  Lettre  à  Fréron.  du  21  Juillet  lySS,  .\,  76:  Lettre  de  J.  B.  Tollot  à 
Seigneux  de  Correvon  [49],  lll,  203-204. 

46.  Journal  encyclopédique,  par  une  société  de  gens  de  lettres 
[Pierre  Rousseau,  Bret,  Castillon,  Chamfort,  Deleyre,  etc.],  Liège, 
1756-1759,  Bouillon,  1760-1793,  288  vol.  in-12. 

M.  Marcelin  Pellet,  dans  un  article  de  La  Révolution  française  [280],  igS, 
affirme  que  J.  J.  Rousseau  a  collaboré  à  ce  journal.  «  Voir,  dit-il,  le  numéro  du 
i5  Avril  1761,  page  178  ■».  Le  numéro  du  i5  .\vril  1761  n'a  que  168  pages;  mais, 
à  la  p.  128,  on  trouve  une  Lettre  adressée  à  M.  Rousseau,  l'un  des  auteurs  de 
ce  journal.  C'est,  sans  doute,  à  cette  Lettre  que  fait  allusion  M.  Pellet;  mais  ce 
Rousseau  est  Pierre  et  non  Jean-Jacques.  Il  est  possible  cependant  que  Jean- 
Jacques  ait  collaboré  au  Journal  :  cf.  Lettre  de  Voltaire  à  Pierre  Rousseau,  du 
3i  Janvier  1756  [78],  XXXVIil,  142  ;  et  précisément,  dans  cette  même  année  1/56. 
au  fascicule  du  i"  Juillet,  pp.  22-3 1,  il  y  a  sur  la  «  bonté  de  la  nature  »,  à  propos 
d'un  livre  obscur,  un  article  très  vigoureux  et  très  ardent,  qui  pourrait  être 
de  Jean-Jacques,  à  moins  qu'il  ne  soit  de  Diderot  ou  de  Morelly. 

46'''*.  Mémoires  secrets  pour  servir  à  l  histoire  de  la  République 
des  Lettres  en  France,  depuis  MDCCLXII  jusqu'à  nos  jours....  [par 
Bachaumont.  etc.",  Londres.  John  .\damson.  1780-1789,  36  vol.  in-t2. 

47.  Bulletin  historique  et  littéraire  de  la  société  de  l  histoire  du 
protestantisme  français.  Paris.  Agence  centrale  de  la  Société,  1 853  sqq,  in-8. 

48.  Revue  d  histoire  littéraire  de  la  France,  publiée  par  la  société 
d'histoire  littéraire  de  la  France.  Paris,  Colin,  1894  sqq.,  in-8. 

49.  Annales  de  la  société  Jean-Jacques  Rousseau.  Genève.  Jullien, 
1905  sqq.,  in-8. 

4Î)'''*.  Revue  au  XVIH'^  siècle.  Paris,  Hachette.  191 3  sqq.,  in-4. 


50.  Abalzit,    Œuvres    Diverses,    Londres-Amsterdam,   Van    Harre- 
velt,   1770-1773,  2  vol.  in-8. 


35 


:546  BIBLIOGRAPHIE 

ôl.  AgleSseal(d'),  Œuvres  complètes,  édit.  Pardessus,  Paris,  Fantin, 
1819,   16  \-ol.  in-8. 

52.  Alembert  (d'i,  Œuvres,  Paris,  Belin,  1821-1S22,  5  vol.  in-8. 

53.  Bayle  (P.),  Œuvres  diverses,  La  Haye,  Husson,  [etc.],  1727-1731, 
4  vol.  in-fo. 

54.  Bonnet  (Charles),  Œuvres  d'histoire  naturelle  et  de  philosophie, 
Neuchâtel.  Fauche,  1779-1783,  18  vol.  in-8. 

55.  BossuET,    Œuvres,    édit.    F.    Lâchât,    Paris,    Vives,     1862-1866, 
3i  vol.  in-8. 

56.  CoNDiLLAC,    Œuvres,   revues,   corrigées  par  lauleur,   imprimées 
sur  ses  manuscrits  autographes,  Paris,  Houel,  An  ^-1798.  23  vol.  in-S. 

57.  Descartes,  Œuvres,  édit.  C.  .\dam  et  P.  Tannery,  Paris,  Cerf, 
1897-1910,  12  vol.  in-4. 

58.  Diderot,  Œuvres  complètes,  édit.  J.  Assézat  et   M.  Tounieu.x, 
Paris,  Garnier,  1875-1877,  20  vol.  in-8. 

59.  DicLOS,   Œuvres  complètes,   édit.    L.   S.    .\uger,    Paris.   Colnet, 
1806,  10  vol.  in-8. 

60.  FÉ.NELON,  Œuvres  complètes,  édit.  [Gosselin],  Paris.  Gaume  — 
Lille,  Lefort,  1848-1852,  10  vol.  in-4. 

60'''*.  Gresset,  Œuvres,  nouvelle  édition   revue,  corrigée  et  considé- 
rablement augmentée,  Londres.  Rermaleck,  1767,  2  vol.  in-12. 

61.  HoBBES,  Opéra  philosophica  qnae  latine  scripsit  omnia.  .\mste- 
lodami,  Blaer.  1668.  in-8. 

62.  La  Mettbie,  Œuvres  philosophiques,  nouvelle  édition,  Berlin  — 
Paris,  Tutot,  1796,  3  vol.  in-8. 

62'''*.  Leszczvnski  (Le  Roi  Stanislas),  Œuvres  du  Philosophe  bien- 
faisant. Paris,  1763,  4  vol.  in-8. 

63.  Malebranche,  Œuvres  complètes,  édit.  E.  de  Genoude  et  H.  de 
Lardoueix.  Paris.  Sapia,  183/,  2  vol.  in-4. 

64.  Maupertlus,   Œuvres,  nouvelle  édition   corrigée   et  augmentée, 
Lyon,  Bruvset,   1756,  4  vol.  in-8. 

D'après  Quérard,  France  Littéraire,  t.  V,  Paris,   Didot,    i.s33,  in-8,  p.  642, 
cette  édition  qui  porte  la  date  de   1756,  serait  en  réalité  de   1768:  mais   VAppro- 


ŒUVRES    ET   COLLECTIONS  547 

bation  et  ie  Privilège,  à  la  fin  du  t.  IV,  sont  tous  les  deux  de  lySS:  et  Lelranc 
de  Pompignan  la  cite  dans  son  Discours  de  1760  [232],  11  et  note. 

65.  Montesquieu,  Œuvres  complètes,  édit.  É.  Laboulaye,  Paris, 
Garnier.   1875-1879,  7  vol.  in-8. 

66.  Pope,  Œuvres  complettes,  traduites  en  françois,  nouvelle  édition 
revue,  corrigée,  augmentée,  Paris,  Duchesne,  1779,  8  vol.  in-8. 

67.  Pbevost  (abbé),  Œuvres  choisies,  .Amsterdam  et  Paris,  lySB- 
1785,  39  vol.  in-8. 

68.  Racine,  Œuvres  complètes,  édit.  Paul  .Mesnard,  2*^  édit.,  Paris, 
Hachette,  i885-i888,  8  vol.  in-8. 

69.  Saint-Evre.mond,  Œuvres,  publiées  sur  ses  manuscrits,  édit. 
Desmaizeau.x,  .\msterdam,  Covens  et  Mortier,  1726,  7  vol.  in- 12,  dont 
deu.x  volumes  de  Mélange  curieux  des  meilleures  pièces  attribuées  à 
M.  de  Saint-Evremond . 

Rousseau  avait  *  trouvé  Saint-Évremond  dans  la  chambre  qu"il  occupait» 
chez  .\1~'  de  W'arens  :  cf.  Confessions.  \  III.  77-78. 

70.  Saint-Piepre  (abbé  oei,  Ouvrajes  de  morale  et  de  politique, 
Rotterdam,  Beman,  1729-1741,  16  vol.  in-12. 

Cf.  Confessions.  VIII,  291,  3o2.  cahiers  de  Rousseau,  .\lss.  de  Neuchàtel, 
n'  7840.  I"'  f'-io"  :  «  Liste  des  manuscrits  contenus  dans  les  cartons  de 
.M.  le  comte  de  Saint-Pierre  ».  Ces  cartons  de  manuscrits  existent  encore  à  la 
Bibliothèque  de  Neuchàtel  sous  le  n*  792g  ;  et  l'on  peut  s'étonner  que  .M.  Joseph 
Drouet  les  ait  complètement  ignorés  dans  sa  thèse  sur  L'Abbé  de  Saint-Pierre, 
l'homme  et  l'œuvre,  Paris.  Champion,  1912,  in-8.  On  trouvera  dans  ce  livre, 
pp.  373-379,  la  liste  détaillée  des  opuscules  contenus  dans  les  Ouvrages  de  morale 
et  de  politique. 

71.  SArNT-Si.vtoN,  Mémoires,  édit.  .\.  de  Boislisle,  L.  Lecestre  et 
,1.  de  Boislisle,  Paris,  Hachette,  1870  sqq..  in-8. 

71'"*.  Staël  iM.me  dei,  Œuvres  complètes,  édit.  Aug.  de  Staël,  Paris. 
Treuttei  et  \\  ûrtz,  1820-1821,  17  vol.  in-8. 

72.  Tho.mas  dWquin  (Saint),  Opéra  omnia.  Paris,  Vives.  1888-1889. 
34  vol.  in-8. 

* 

72'"*.  Tlbgot,  Œuvres  et  Documents  le  concernant,  édit.  G.  Schelle, 
Paris,  .Alcan,  1913  sqq,  in-8. 

73.  Voltaire,  Œuvres  complètes,  édit.  L.  .Moland.  Paris.  Garnier, 
1877-1885,  52  vol.  in-8. 


548  BIBLIOGRAPHIE 


III 

OUVRAGES  ANTÉRIEURS 
A  LA  «  PROFESSION  DE  FOI  » 

On  trouvera  dans  cette  liste  ce  que  ion  pourrait  proprement  appeler 
les  «  Sources  »  de  la  Profession  de  foi  ;  car  la  plupart  de  ces  ouvrages 
ont  été  lus  par  Rousseau  avant  de  l'écrire,  comme  on  s  en  rendra  compte 
par  l  indication  des  textes  qui  en  mentionnent  ou  permettent  d'en  supposer 
la  lecture.  Plusieurs  de  ces  références,  les  plus  démonstratives,  ont  été 
prises  dans  les  cahiers  de  brouillons,  oii  Rousseau  notait  et  copiait  les 
passages  qui  l'avaient  particulièrement  frappé  :  cf.  les  n""  5  et  6. 
Malheureusement  ces  cahiers  n'ont  pas  été  tous  conservés.  On  aurait 
pu  espé/'er  que  les  registres  de  prêt  de  la  Bibliothèque  du  Roi  v  sup- 
pléeraient, car  on  sait  qu'entre  ij5o  et  1/60  «  l'abbé  Sallier  lui 
fournissait  de  la  bibliothèque  du  Roi.  les  livres  et  manuscrits  dont  il 
avait  besoin  »  (Préface  du  Dictionnaire  de  Musique.  VI,  323i.  Mais  les 
registres  de  cette  période  ont  presque  tous  disparu,  et  les  sept  ouvrages 
qui  Jiguivnt  aux  seuls  répertoires  de  i/.5(>  et  i/52  n'intéressent  pas  la 
Profession  de  foi.  Au  reste,  l'œuvre  même  de  .Jean-Jacques  nous  apporte 
à  elle  seule  de  précieuses  indications  sur  ses  lectures. 

J'ai  rangé  tous  ces  ouvrages  par  ordre  chronologique,  —  /e.s  dates, 
sur  lesquelles  repose  le  classement,  étant,  pour  les  livres  français,  les 
dates  des  premières  éditions,  qui  ne  sont  pas  toujours  celles  dont  J'ai  pu 
me  servir,  et,  pour  les  livres  étrangers  —  presque  tous  anglais  — ,  les 
dates  des  premières  traductions  françaises,  puisqu'ils  ne  pouvaient  agir 
directement  sur  Rousseau  qu'après  avoir  été  adaptés  en  français.  On  se 
rappelle,  en  effet,  que  l'italien  était  la  seule  langue  étrangère  qui  fût 
Jamilièrc  à  Rousseau.  En  outre,  il  y  a  toute  une  catégorie  d'ouvrages 
dont  la  chronologie  pourra  paraître  arbitraire  et  sur  lesquels  je  dois 
m'expliquer.  Ce  sont  certains  ouvrages  «  philosophiques  ».  particu- 
lièrement hardis,  qui  ont  longtemps  circulé  en  manuscrits  avant  d'être 
imprimés.  Plusieurs  même,  qui  ont  été  publiés  après  la  Profession  de  foi. 
étaient  connus  de  Rousseau  avant  de  la  composer.  Nous  savons  qu'il  avait 
lu  en  manuscrit  /'Examen  de  la  Religion  [7  et  lyS].  les  ouvrages  de 
Fréret  [189],  de  Boulanger  [233].  //  est  injiniment  vraisemblable  qu'il 
avait  lu  de  même  ceux  de  D'Holbach.  Dumarsais,  Burigny,  etc.  Quand 


AVANT    LA    '<    PROFESSION    DK    FOI    »  549 

ces  oiiiTciges  oui  paru  a)'anl  /'Kmilc.  je  les  ai  i-angds  à  leur  date  d'im- 
pression. Quand  ils  ont  paru  après  /Emile,  et  que  nous  savons  par 
ailleurs  qu'il  en  circulait  auparavant  des  copies,  j'ai  adopté  la  date 
approximative  de  leur  rédaction  ou  de  leur  mise  en  circulation.  Je  me 
suis  souvent  servi,  pour  la  fixer,  des  recherches  de  M.  Lanson  Sur  l'his- 
toire de  l'esprit  philosophique  avant  lySo.  recherches  qui  renouvellent 
en  grande  partie  cette  histoire  [289''"]. 

Parmi  ces  ouvrages,  quelques-uns  .te  retrouvent  déjà  dans  les  recueils 
rf'Œuvres  complètes  indiqués  plus  haut.  Je  les  ai  cependant  rangés  à 
leur  date,  mais  sans  autre  signalement  bibliographique,  en  renvoyant 
au  tome  de  la  collection  d  après  lequel  je  les  ai  cités  ici.  —  Dans  l'inté- 
rieur d'une  même  année,  faute,  pour  la  plupart  des  ouvrages,  de  rensei- 
gnements précis,  sur  le  mois  oii  chacun  d'eux  a  paru,  j'ai  adopté  l  ordre 
alphabétique. 

1541 

74.  Calvin,    Institution   de  la  Religion  Clwestienne.   nouvellement 
mise  en  quatre  livres,  Genève,  Martin.  i565,  in-8. 
CA.  Contrat  Social,  III.  328. 


1572 

75.  [Amyot],  Les  Œuvres  morales  de  Plutarque.  Genève.  Stœr.  1621, 
2  vol.  in-8. 

Cf.  les  nombreu.v  extraits  des  Moralia  de  Plutarque  dans  les  cahiers  de 
Rousseau  [5J,  8-12. 

1595 

76.  MoNT.!\iGNE,  Essais  [édit.  M"'^  de  Gournay  et  P.  de  Brach],  ibgb. 

Cf.  les  e.xtraits  des  E.tsais  dans  les  cachiers  de  Rousseau  [5],  i3,  et  les  nom- 
breuses citations  de  Montaigne  dans  son  œuvre  ;  Corancez  aurait  donné  à  Hérault 
de  Séchelles  un  Montaigne  annoté  par  Rousseau  lui-même  pour  .M'"  Corancez  : 
cf.  [Mme  Cavaignac],  Les  Mémoires  d'une  inconnue,  Paris,  Pion,  1894.  in-8, 
p.  160.  Les  Essais  sont  cités  ici  d"après  l'édition  F.  Strowski,  Bordeaux, 
Pech,  1906  sqq,  in-4. 

77   .A.    Ch.-\rron.    De   la    Sagesse,    Livres   trois,    par    .M<    Pierre    Le 
Charron,  Bourdeaus,  Millanges,  1601,  in-8. 
Cf.,  plus  haut,  dans  la  ProJ'es.iiioii,  p.  3i5. 

77  B.  in.,  Id.,  Rouen,  Le  Villain,  1618.  in-8,  exemplaire  donné  à 
Rousseau  par  la  .Marquise  de  Créqui  et  annoté  par  lui.  Bibliothèque 
Nationale.  Réserve,  R  2082. 


550  BIBLIOGRAPHIE 


1624 

78.  Barclay  (Jean),  L'Argénis.  trad.  nouvelle  par  .Mr.  l'abbé  Josse, 
Chartres,  Besnard,  1782,  3  vol.  in-12. 

Cf.  Verger  des  Charmettes.  VI.  6.  si  loulefois  c'est  bien,  comme  je  le  crois, 
de  .lean  Barclay  qu'il  est  question  dans  ce  vers  :  cf.  le  n    io3. 

1636 

"9.  Groth;s,  Traité  de  la  Vérité  de  la  Religion  chrétienne,  trad. 
P.  Le  Jeune,  nouvelle  édit.,  augmentée  de  deux  Dissertations  de  Al.  Le 
Clerc,  Amstermam.  Ledet.  1728,  in- 12. 

Cf.  Discours  sur  l'Inégalité,  I.  76. 

1637 

80.  Descartes.  Discours  de  la  Méthode. 

Cf.,  plus  haut,  dans  la  Profession,  p.  47.  Confessions.  Vlll,  16g.  Cité  ici 
d'après  le  n*  57,  t.  VI. 

1642 

80'''*.  La  .Mothe  Le  \'aver.  De  la  Verdi  des  Payens,  Paris.  Targa, 
1642,  in-4. 

1647 

81.  Descartes,  Pi'incipes  de  la  philosophie. 

Cf..  plus  haut,  dans  la  Profession,  p.  107,  Verger  des  Charmelles.  VI.  5. 
!■''  Discours,  I,  11,  note,  etc.  Cité  ici  d'après  le  n'  5j,  t.  IX. 

1665] 

82.  MoNCONYS,  \'oyages  [nouvelle  édit.].  Paris,  Delaulne,  i6q5, 
5  tomes  en  4  vol.  in- 12. 

C'est  l'édition  dont  se  servait  Rousseau  :  cf.  ses  cahiers  de  brouillons 
[5],3o-. 

1670 

83.  Pascal,  Pensées  sur  la  Religion  et  sur  quelques  autres  sujets, 
édit.  L.  Brunschwicg.  Paris.  Hachette.  11)04.  ^  vol.  in-8. 

Cf.   Verger  des  Charmettes.  \'I,  5. 

1671 

84.  BossuET.  Exposition  de  la  doctrine  de  l'Église  catholique  sur 
les  matières  de  controverse. 

Cf..  plus  haut,  dans  la  Profession,  pp.  36i-363.  Cité  ici  d'après  le  n'  53, 
t.  XIII. 


AVANT    LA   «    PROFESSION    DE    FOI   »  55 1 


1672 

85.  Le  Sleir  (Jkan),  Histoire  de  l'Église  et  de  l'Empire.  [1672-1679], 
Genève,  Duillier,  i6S6,  6  vol.  in- 12. 

Cf.  Confessions,  \'III,  4,  45. 

1674 

86.  [.Malebranche],  Rec/icrclie  de  la  vérité,  oii  l'on  traite  de  la 
nature  de  l'homme  [etc.]. 

Cf.  Verger  des  Channettcs,  VI.  3,  Confessions,  \")ll,  m'hi.  Cité  ici  d'après  le 
n*63,  t.  I. 

1676 

SB"*'*.  [FoiGNY  (Gabriel  de)],  La  Terre  australe  connue,  par  Mr.  Sa- 
deur.  \'annes.  Verneuil.  1676,  in-12. 

1677 

87.  [V'aibasse  (Denis)],  L'Histoire  des  Sérarambes,  Paris,  Barbin, 
1677-1678,  4  vol.  in-r2. 

Cf.  Lettres  de  ta  Montagne.  III.  2o3.  Lettre  à  Duchesne.  du  24  Dé- 
cembre  17Ô4,  .\l.    186. 

1681 

88.  Bossuet,  Discours  sur  l'histoire  universelle. 
Cf.  Confessions,  VIII.  4.  Cité  ici  d'après  le  n'  55.  t.  X.XIV. 

1683 

89.  [Bayle  (P.)],  Pensées  diverses,  écrites  à  un  docteur  de  Sorbonne 
à  l'occasion  de  la  comète  qui  parut  au  mois  de  Décembre  :68o  et  Con- 
tinuaiioti  des  Pensées  (1683-1704). 

Cf..  plus  haut,  dans  la  Profession,  p.  453,  Contrat  social.  III,  385.  Cité 
ici  d"après  le  n'  53.  t.  III. 

1)0.  [Lami  ILE  P.  Bernardi],  Entretiens  sur  les  sciences,  Grenoble, 
Frémon.  s.  d.  [i683],  in-12. 

Cf.  Confessions,  Vlli,  i65,  Clironologie  universelle  [36],  216-217.  Rousseau 
lisait  les  Entretiens  dans  la  3'  édition,  Lvon,  Certes.  1706,  in-12. 

91.  [Malebranche],  Traité  de  Morale. 
Cf.  le  n"  86,  Cité  ici  d'après  le  n"  53,  t.  I. 


552  BIBLIOGRAPHIE 


1684 

92.  Abbadie,  Traité  de  la  vérité  de  la  Religion  chrétienne.  S"^  édit., 
Rotterdam,  Leers,  lyoS,  3  vol.  in-12. 

Cf.,  plus  haut,  p.  2,  la  note  mari^inale  de  F. 

1685 

yS.  [Le  Cène  (Ch.)  et  Leci.ebc  (J.)],  Entretiens  sur  diverses  matières 
de  Théologie.  Amsterdam,  \\'etstein,  i685,  in-12. 

94.  [Leclerc  iJ.)],  Sentimens  de  quelques  Théologiens  de  Hollande 
sur  L'  «  Histoire  critique  du  Vieu.x  Testament»,  composée  par  M.  Simon, 
prêtre.  Seconde  édit.,  Amsterdam.  .Mortier,  171 1,  in-12. 

1688 

95.  BossLET,  Histoire  des  variations  des  Eglises  protestantes. 
Cité  ici  d'après  le  n"  35,  t.  Xl\'  et  X\". 

1690 

96.  M.\LEBRANCHE.  Entretiens  sur  la  Métaphysique  et  la  Religion. 
Cf.  le  n°  86.  Cité  ici  d'après  le  n°  63.  t.  11, 

1692 

97.  Abbadie.  L'.Arl  de  se  connoitre  soy-même,  ou  la  Recherche  des 
sources  de  la  morale,  Rotterdam,  Van  der  Slaart,  1692,  in-12. 

Cf..  plus  haut,  p.  2,  la  note  marginale  de  F. 

1696 

9S.  [La  Bruyère],  Les  Caractères  de  Théophraste.  traduits  du  grec, 
avec  les  Caractères  ou  les  Mœurs  de  ce  siècle.  Neuvième  édition  reveue 
et  corrigée  [dernière  édition  originale]. 

Cf.  Verger  des  Charmettes.  VI.  2,  Confessions,  \\\\.  4,  78,  etc.  Cité  ici 
d'après  l'édition  G.  Servois  des  Œuvres  complètes,  Paris,  Hachette,  1865-1878, 
3  vol.  in-8. 

99.  [Locke],  Que  la  Religion  chrétienne  est  très  raisonnable,  telle 
qu'elle  nous  est  représentée  dans  l'Écriture  sainte  [trad.  P.  Coste], 
Amsterdam,  Wetstein,   lôgô,  in-12. 


AVANT    LA    «    PROFESSION'    DE    FOI    »  553 


1697 

100.  Bavlk  (P.),  Diclionnaire  historique  cl  critique.  4«édit.,  Amster- 
dam, Brunel,  [etc.]  —  Leide,  Luchtmans,  1730,  4  vol.  in  f°. 

Cf.  Lettre  [de  1737,  au  libraire  Barillot,  d'après  la  conjecture  très  vraisem- 
blable de  Th.  Dufour  [36],  217;,  X,  40,  Confessinns,  VII!.  78. 

1699 

101.  Dacier  (A.),  Les  Œuvres  de  Platon  traduites  en  français, 
avec  des  Remarques  et  la  Vie  de  ce  philosophe,  avec  l'exposition  des 
principaux  dogmes  de  sa  Philosophie,  Paris,  Annison.   1699,  ^  vol.  in-8. 

Cf.,  pour  La  Républiqur.  Emile.  II.  7,  75,  333,  etc. 

1700 

102.  Locke,  Essai  philosophique  concernant  l'entendement  humain. 
trad.  P.  Coste,  4*=  édit.,  .\msterdam,  Mortier,  1742,  in-4. 

Cf.  Verger  des  Charmettes,  VI,  5,  Confessions.  VIII,  i6g. 

1702 

103.  Bahci-av  (Roberti,  Apologie  île  la  véritable  Théologie  chré- 
tienne, Londres,  Sowle,  1702,  in-8. 

Cf.  Verger  des  Charmettes,  VI,  6  (?);  mais  il  est  probable  que  le  Barclay 
auquel  pense  Rousseau  dans  ce  vers  est  Jean  Barciav,  l'auteur  d'Argénis,  d'Eii- 
phormion,  et  du  Tableau  des  Esprits.  Cependant  Voltaire  avait  rendu  célèbre  le 
livre  de  Robert  Barclay  par  deux  de  ses  Lettres  philosophiques  [145],  I.  5  et  35, 
et  Rousseau,  dans  une  Lettre  — ,  il  est  vrai,  badine  — ,  du  10  Juillet  1759,  à 
M.  Cartier,  \,  21 5,  parle  des  Quakers  avec  une  svmpathie  qui  paraît  sincère. 

103'''*.  PicTET  (B.),  La  Théologie  chrétienne  et  la  science  du  salut. 
Amsterdam,  Gallet.  1702,  2  vol.  in-4. 

1703 

104.  La  Hontan,  Nouveaux  'Voyages  de  Mr.  le  Baron  de  la  Hontan 
dans  l'Amérique  septentrionale,  La  Hâve,  L"Honoré.   1703.  2  vol.  in-12. 

Cf.  Des  Poursuites  contre  les  écrivains  rSyi,  269. 

1704 

105.  [La  Hontan  ou  (?)  Gueudeville  ,  Dialogues  de  Monsieur  le  Baron 
de  la  Hontan  et  d'un  sauvage  dans  IWmériquc.  Amsterdam,  Boeteman 
—  Londres,  Mortier,  1704,  in-12. 

Cf.  le  n°  précédent. 


554  BIBLIOGRAPHIE 


1706 

106.  Lami  ILE  p.  Bernard),  Démonstrations  ou  Preuves  évidentes  de 
la  vérité  et  de  la  sainteté  de  la  Morale  chrétienne,  Rouen,  Boucher  — 
Paris.  Pépie,  [etc.],  1706-1711,  5  vol.  in-12. 

Cf.  Confessions.  \'lll.  170. 

107  A.  Bapblvrac  (Jean),  Préface  qui  sert  d'introduction  à  tout 
l  ouvrage  [de  Pufendorf  :  cf.  n»  suivant],  t.  I,  pp.  1-96  (pagination  séparée 
du  reste  de  l'ouvragei. 

Cf.  J.  Morel,  Sources  du  «  Discours  de  l'Inégalité  »  [49],  V,  173-175. 

107  B.  Pufendorf.  Le  Droit  de  la  nature  et  des  gens.  trad.  Bar- 
beyrac,  6"^  édition,  Basle,  Thourneisen,   1750,  2  vol.  in-4. 

Cf.  Discours  sur  l'Inégalité.  1,  <S3,  Projet  pour  l'éducation  de  M.  de  Sainte- 
Marie,  ni.  44.  etc. 

1707 

108.  Basnage,  L  Histoire  et  la  Religion  des  .Juifs  depuis  Jésus- 
Christ  jusqu'à  présent.  Rotterdam,  Leers,  1707,4x0!.  in-12. 

109.  Pl'fendorf,  Les  Devoirs  de  l'homme  et  du  citoien.  tels  qu  ils 
lui  sont  prescrits  par  la  Loi  naturelle,  trad.  Barbexrac,  4"^  édit., 
Amsterdam,  P.  de  Coup.  1718,  in-12. 

Cf.  Première  Rédaction  des  «  Confessions  »  [38],  i5q. 

1710 

110.  Leibniz,  Essais  de  Théodicée  sur  la  bonté  de  Dieu,  la  liberté  de 
l'homme  et  l'origine  du  mal,  édit.  L.  de  N'eufville.  Amsterdam,  Chan- 
j^uion,  1734,  2  vol.  in-12. 

Cf.  Verger  des  CImrmettes.  \'l,  3,  Lettre  à  M.  Philopolis.  I.  ]55,  Confes- 
sions. VIII,  169,  etc. 

111.  [Tyssot  de  Patot],  Voyages  et  avantures  de  Jaques  Massé, 
Bourdeaux,  Jaques  L'Aveugle,  1710.  in-12. 

.laques  Massé  était  cité,  comme   les  Sévaranibes.  par  Vernet  [162],  I,    181. 

1711 

112  .A.  Chardin,  Voyages  de  Mr  le  Chevalier  Chardin  en  Perse  et 
autres  lieux  de  l'Orient,  .Amsterdam.  J.  L.  de  Lorme,   1711.  3  vol.  in-4. 

112  B.  1d.,  Id.  Il  vol.  in-12. 

Cf.,   plus  haut,  dans   la   Profession,   pp.  467-469,   Inégalité,   1,    144,   etc. 


AVANT  LA  «  PROFESSION  DE  FOI  »  555 

1712 

li;l.  Ci-EHici  (JoANMS)  [Jean  Lkci.krc],  Aïs  crilica.  editio  quarta, 
Amsteladami.  apud  Janssoniowaîsbergios,   17 12, -3  vol.  in- 12. 

La  I"  édit.  est  de  1697,  mais  elle  ne  comprend  pas  la  lli'  Partie,  De  lîmen- 
iia)uii  ratione.  libris  suppositis  et  scriptorum  stylo  :  c'est  précisément  sur  celte 
IIP  Partie  que  Rousseau  prend  des  notes  dans  ses  cahiers  [5],  3o  '. 

1713 

114.  [Fénelon].  Démonstration  de  l'existence  de  Dieu. 

Cf.  Siiuvetle  Hclo'ise  i\'\.  vul.  \'.  3,^.  Cité  ici  d'après  le  n"  60.  t.  I. 

115.  Les  Psaumes  de  David,  mis  en  vers  françois.  revus  et  ap- 
prouve^ par  les  Pasteurs  et  les  Professeurs  de  l  Église  et  de  l  Académie 
de  Genève.  Genève,  Querel,  171 3,  in-24. 

Cf.,  plus  haut,  dans  la  Profession,  p.  2i3  et  note  2. 

1714 

116.  R.w  I J.  I.  L'Existence  et  la  Sagesse  de  Dieu  tnanifestées  dans  les 
Œuvres  de  la  Création,  trad.  de  l'anglois.  Utrecht,  Broedelet.  1729.  in- 12. 

116'''*.  MoRLS  iTho.ma.si,  L'Utopie,  trad.  Gueudeville,  Leide,  Vander 
Aa,  1715,  in-12. 

Cf.  Lettres  de  la  Montagne.  111.  2o5,  Lettre  à  Duchesne,  du  24  Décembre 
1764.  XI,  186.  —  11  est  très  vraisemblable  que  Rousseau  a  du  lire  VUtopie. 
dans  la  mauvaise  traduction  de  Gueudeville.  et  non  dans  celles  de  Jean 
Leblond  (i55oi.  de  Barthélémy  .Aneau  (ijSq),  ou  de  Samuel  Sorbières  I1643). 

1716 

117.  [Ad[)1S0n.  Steele,  etc.],  Le  Spectateur,  ou  le  Socrate  moderne, 
oii  l'on  voit  un  portrait  na'if  des  mœurs  de  ce  siècle,  trad.  de  langlois. 
Paris,  Papillon,  [etc.],  1 716-1726,  6  vol.  in-12. 

Cf.  Emile.  11,421,  Confessions,  VIII,  77,  etc.  —  L'exemplaire  de  la  Biblio- 
thèque Nationale,  dont  je  me  suis  servi  (R  20o25-2oo3oi,  est  ainsi  composé  : 
tomes  I  et  II,  Papillon.  1716;  IV,  Frères  Wetstein,  1720:  III  et  V.  V"  Papillon, 
1723;  \'l.  Guillaume  L'Hermitte,  1726. 

1720 

118.  C.-kL.MET  (DoM).  Dissertations  qui  peuvent  servir  de  prolégo- 
mènes de  l'Écriture  sainte,  Paris,  Emerv,  1720,  3  vol.  in-4. 

Cf.,  plus  haut,  p.  338,  la  note  marginale  de  B. 

1723 

llît,  [M.ARiv  .^Lx],  Les  Aventures  de***  ou  les  Effets  surprenans  de 
la  s\-mpathie.  Paris,  Prault,  1 723-1 724.  5  vol.  in-12. 
Cf.  Confessions.  \'l\\.  202. 


556  BIBLIOGRAPHIE 


1724 

120.  BiiFiER  (LE  P.).  Traité  des  Premières  Vérité^  et  de  la  source 
de  nos  juge  mens,  Paris,  Maugé,  1724,  2  tomes  en  un  vol.  in-12. 

1725 

121.  BnnER  (LE  p.),  Additions  au  Traité  des  Premières  Vérité^, 
contenant  les  «  Èlémens  de  Métaphysique  »  et  l  «  Examen  des  Préjuge^ 
vulgaires  ».  Paris,  Giffart  et  Maugc.  1725,  2  tomes  en  i  vol.  in-12. 

121'''*.  .\U  RALT  (BÉAT  de),  Lettres  sur  les  Anglais,  les  François 
et  les  Voyages,  avec  la  Lettre  sur  l'Esprit  fort.  l'Instinct  divin  [etc.', 
La  Haye  et  Paris,  David,  1747,  2  vol.  in-12. 

Cf.  Lettre  à  D'Alembert,  1,  194,  233.  Nouvelle  Hélo'ise  (11.  xiv),  i(')o.  etc. 
C'est  cette  édition,  très  augmentée,  que  lisait  Rousseau  :  cf.  [5],  i6"-2i'°. 

122.  Nieuventyt,  L'Existence  de  Dieu  démontrée  par  les  merveilles 
de  la  Xature.  Amsterdam,  Pauli,  1727.  in-4. 

Cf.,  plus  haut,  dans  la  Profession,  p.  i35,  Verger  des  ('Jiarmellcs.  \l,  5, 
I^rojet  pour  l'éducation  de  M.  de  Saiiilc-Marle.  111,  43,  etc. 

1726 

123.  Derha.m  (G.),  Théologie  physique,  trad.  [Lut'neu],  Rotterdam, 
J.  D.  Beman,  1726,  in-8. 

12-1.  Wollastox,  Ebauche  de  la  Religion  naturelle,  trad.  de 
l'anglois,  La  Haye,  Swarl,  1726,  in-4. 

1727 

125.  Clahke.  Traités  de  l'existence  et  des  attributs  de  Dieu:  des 
devoirs  de  la  Religion  naturelle  et  de  la  vérité  de  la  Religion  chrétienne, 
trad.  Ricotier,  Amsterdam,  Bernard,  1727,  3  tomes  en  2  vol.  in-12. 

Cf.,  plus  haut,  dans  la  Profession,  p.  65  et  la  note  marginale  de  F,  p.  2. 

126.  [Lassay  (M's  DE)],  Recueil  de  différentes  choses.  Château  de 
Lassay,  [1727],  2  vol.  in-4. 

Les  e.xemplaires  de  cette  édition  sont  très  rares  :  cf.  Bibliothèque  Nationale, 
Réserve.  Z  1162.  Réédition  plus  répandue,  Lausanne.  Bousquet,  lySô,  4  vol.  in-8. 

127.  [Muralt  (Biîat  de)],  L  Instinct  divin  recommandé  aux  hommes. 
s,  L,  1727,  in-8. 

CL  Souvetle  Hélo'ise,  (VL  vu),  V.  35.  L'Instinct  divin  se  trouvait,  à  la  suite 
des  Lettres  .«wr  les  Anglais,  dans  l'édition  que  lisait  Rousseau  [121'''*]. 


AVANT    LA   «   PROFESSION    DE    FOI    »  557 

1728 

128.  Du  ION   (lloMFROi).    I.a   Religion  chrétienne  démontrée  par  la 

Résurrection  de  Xotre-Seigneiir  Jéxus-Christ : avec  un  Supplément 

ail  l  on  dévelope  les  principaux  points  de  la  Religion  naturelle,  trad. 
L[a]  C[hapelle],  Amsterdam,  Wetsteins  et  Smith,  1728,  2  vol.  in-8. 

Cf.  les  extraits  pris  par  Rousseau  dans  ses  cahiers  [5],  34".  Il  ne  semble, 
d'ailleurs,  avoir  lu  Dilton  qu'à  .Wotiers  :  cf.  Lettre  à  Deluc,  du  26  Février  1763, 
X,  42. 

129.  .M.ARiv.ALX,  Le  Spectateur  français,  ou  Recueil  de  tout  ce  qui  a 
paru  imprimé  sous  ce  titre,  nouvelle  édit.,  revue,  corrigée  et  augmentée 
de  plusieurs  pièces  détachées  du  même  .•\uteur  [L  Indigent  philosophe, 
L'Isle  de  la  Raison  ou  les  Petits  Hommes],  Paris,  Prault,  1728,  2  vol.  in-12. 

Cf.  les  e.xtraits  pris  sur  cette  édition  dans  les  cahiers  de  Rousseau  ]5],  3i  '  . 

1729 

129'"'.  Dekha.m  (G.),  Théologie  astronomique,  trad.  [Bellanger],  Paris. 
Chaubert,  172g,  in-8. 

D'après  Quérard.  France  Littéraire,  t.  Il,  Paris,  Didot,  1828,  in-8.  p.  486, 
cette  traduction  aurait  paru  dès  1726;  mais  tous  les  exemplaires  que  j'ai  vus  portent 
la  date  de  1729:  et  les  Approbations  et  Privilège  sont  tous  de  1728. 

130.  K..€:.MPFER  (Engelberti,  Histoire  naturelle,  civile  et  ecclésiastique 
de  l  Empire  du  Japon,  trad.  Gaspar  Scheiichzer,  i.a  Haye,  Gosse  et 
Néaulme,  1729,  2  vol.  in  f". 

Cf.  Discours  sur  l'Inégalité,  I,  144. 

1730 

ISO""'*.  Le  Militaire  philosophe,  ou  Difficultés  sur  la  Religion  pro- 
posées au  R.  P.  Malebratiche,  ...  par  un  ancien  officier  [p.  par  Naigeon]. 
Nouvelle  édit..  Londres,  1768. 

Sur  l'auteur  et  la  date  de  composition,  cL  G.  Lanson  [289''''*],  26-29. 

131.  Pope,  Essais  sur  l  homme  et  sur  la  critique,  trad.  en  vers,  par 
Du  Resnel. 

La  traduction,  en  prose,  de  Silhouette  a  paru  en  1736.  Les  deux  traductions 
se  trouvent  au  t.  III  du  n*  66.  d'après  lequel  elles  sont  citées  ici.  Cf.  Verger  des 
Charmettes,  VI.  5,  Lettre  à  Voltaire,  du  18  .Août  1756,  X,  i23,  etc. 

132.  RoLLiN.  Histoire  ancienne  des  Egyptiens,  des  Carthaginois, 
des  .Assyriens,  des  Babyloniens,  des  Mèdes  et  des  Perses,  des  .Macédo- 
niens, des  Grecs,  Paris,  Estienne,  1734-1740,  7  vol.  in-4. 

Cf.  Verger  des  Charmettes,  VI,  6,  Lettre  [de  1737,  au  libraire  Barillot.  d'après 
la  conjecture  très  vraisemblable  de  Th.  Dufour  [36],  217],  X,  41,  Chronologie 
universelle  [36],  21 5-2 16. 


558  BIBLIOGRAPHIE 

1731 

i;i:{.  [HiBER  i.Mariei].  Le  Sistème  des  Anciens  et  des  Modernes  con- 
cilié par  l'Exposition  des  sentimens  differens  de  quelques  théologiens  sur 
l'état  des  âmes  séparées  des  corps,  en  quatorze  Lettres,  édit.  augmentée. 
Amsterdam,  Wetsteins  et  Smith,  lySS,  in-12. 

Cf.  Souvetle  Hélo'ise  (VI,  xi|,  V,  65.  M.  Th.  Dufour  possède  un  exemplaire 
de  la  3'  édition  de  cet  ouvrage.  Le  Sisteme  des  Théologiens  Anciens  et  Modernes 
[etc.],  avec  la  Suite  du  S\-stème  sur  l'Etat  des  Ames  [etc.],  seconde  édition,  Lon- 
dres, lySq.  ensemble  2  vol.  in-12.  Sur  la  feuille  de  garde  du  premier  volume,  on 
lit,  de  la  main  de  Rousseau  :  «  Le  présent  Lirre  appartient  à  Jean  Jaques 
Rousseau.  »  A  la  p.  5i  du  même  volume,  Rousseau  a  écrit  la  référence  d'un  le.xte 
de  saint  Paul  :  «  ;.  Cor.  1 5  v.  14.  28  ■».  Au  verso  de  la  couverture  cartonnée, 
on  lit  :  «  .4  Veure  Schobinger  —  Veure  Scliobinger  née  Girod  i/5i  ». 
.M.  Th.  Dufour  a  pu  fi.xer  la  date  de  la  mort  de  cette  veuve  Schobinger.  Elle 
mourut  à  Genève,  le  6  Décembre  lySS.  Il  semble  donc  en  résulter  que  Jean- 
Jacques  a  acheté  cet  ouvrage  à  Genève  en    1734. 

134.  [Terbasson],  Sethos.  Histoire  ou  vie  tirée  des  monumens  anec- 
dotes de  l'Ancienne  Egypte.  Paris,  Gucrin.  lySi.  3  vol.  in-12. 
Cf.   Verger  des  Charmetles.  \'l.  6. 

1732 

i;J.j.  [Levesqi  E  DE  BuBiGNï].  Examcu  critique  des  Apologistes  de  la 
Religion  chrétienne,  par  .M.  Fréret.  s.  1..  1766,  in-8. 

Sur  l'auteur  et  la  date  de  composition,  cf.  G.  Lanson  [aSg'''»],  2q7-3o3. 

13(5.  Mémoires  concernant  la  Théologie  et  la  Morale.  Amsterdam, 
L  vtwert'.   1732,  in-12. 

On  trouve  dans  ce  recueil,  avec  plusieurs  essais  dWbauzit.  de  Saint- 
Hvacinthe.  etc..  toutes  les  dissertations  de  Chubb,  qui  paraissent  la  même 
année  1732.  en  une  traduction  différente,  sous  le  titre  :  Nouveaux  Essais  sur  ta 
bonté  de  Dieu,  la  liberté  de  l'homme  et  l'orgine  du  mal.  .Amsterdam,  Chan- 
guion.  in-12. 

137.  Pliche,  Le  Spectacle  de  la  Nature  (1732-17491,  nouvelle  édit. 
Paris,  Estienne.  1752,  8  tomes  en  9  vol.  in-12. 

Cf.  Projet  pour  l'éducation  de  \L  de  Sainle-Marie,  III,  43,  .Mémoire 
présenté  à  M.  liupin  [211],  410. 

138.  [Prévost  (abbéij.  Histoire  de  .\t.  Cleveland. 

Cf.  Verger  des  Charmetles,  \'l,  6.  Confessions,  \111,  07,  etc.  Cité  ici 
d'après  le  n"  67,  t.  IV-VIl, 

139.  [Voltaire],  Le  Pour  et  le  Contre  i.\  Mme  de  Ruppelmondei 
[=  Èpître  à  Uranie]. 

C'\lé  ici  d'après  le  n"  73,  t.  IX. 


AVANT   LA   «   PROFESSION    DE    FOI    »  55y 


1733 

140.  [IkuEK  I. Marie  ij.  Le  monde  fou  préféré  au  monde  sage,  nou- 
velle édit.,  Londres,  1744.  2  vol.  in-12. 

Cf.  le  n-  i33. 

141.  [Saixt-Albin  (Legendre,  M'^  de)].  Traité  de  l  opinion  ou  Mé- 
moires pour  servir  à  l'histoire  de  l'esprit  humain,  Paris.  Osmont  et  de 
Bure,  1733,  6^  vol.  in-12. 

Cf.  Verger  dex  Charmettes,  \'l,  6,  Clirunologie  universelle  [36_;,  218.  cl  mon 
article  Sur  les  sources  de  Rousseau  [292],  640-642  ;  E-Klrails  dans  les  cahiers  de 
Rousseau  'S\  36".  L'édition  dont  se  servait  Rousseau  est  la  première. 

1734 

142.  Beaisobre,  Histoire  critique  de  Manichéc  et  du  Manichéisme, 
Amsterdam.  Bernard,   1734-1739,  2  vol.  in-4. 

Cf.  Lettre  à  M.  de  Beaumont.  111.  Xo. 

14:$.  [Berkeley],   Alciphrun.  ou   le  Petit  Philosophe  : contenant 

une  apologie  de  la  religion  chrétienne  contre  ceux  qu  on  nomme  Esprits- 
forts,  [trad.  E.  de  Joncourt],  La  Haye,  Gibert,  1734,  2  vol.  in-12. 

Cf.  Xoui'elle  Hélo'ise  (\'I.  vu).  \'.  34.  et.  plus  haut,  Lettre  à  .\/.  de  l'mn- 
quières,  §11. 

144.  Clavili.e  (Le  .Maître  dei.  Traité  du  vrai  mérite  de  l  homme, 
considéré  dans  tous  les  âges  et  dans  toutes  les  conditions,  avec  des  prin- 
cipes d  éducalion  propres  à  former  les  /'euncs  gens  à  la  vertu.  3*^  édit. 
revue,  corrigée  et  considérablement  augmentée.  Paris,  Saugrain.  1737. 
2  vol.  in-12. 

La  première  édit.,  anonvme  (17341.  ne  comprend  qu'un  volume.  Cf.  Verger 
des  Charmettes.  \'\.  6. 

145.  [Voltaire],  Lettres  philosophiques. 

Cf.  Confessions,  Vill.  i52-i53.  (^ité  ici  d'après  l'édit.  G.  Lanson,  Paris. 
Société  des  textes  français  modernes.  1909.  2  vol.  in-12. 

1736 

146.  [Dlguet  (J.  J.i],  Traité  des  principes  de  la  fov  chrétienne, 
Paris,  Cavellier,  1736.  3  vol.  in-12. 

147.  Gtvo.N  (ABBÉ",  Histoire  des  empires  et  des  républiques,  depuis  le 
Déluge  jusqu'à  Jésus-Christ,  Paris,  Guérin,  etc.,  1736-1741,  12  vol.  in-12. 

Cf.  Chronologie  universelle  [36],  218-219. 


560  BIBLIOGRAPHIE 


1737 

147'''*.  Argens  (M'^  d'),  La  Philosophie  du  Bon-sens,  ou  Réflexions 
philosophiques  sur  l'incertitude  des  connoissances  humaines.  Londres, 
Aux  Dépens  de  la  Compagnie.  lySy.  in-12. 

1-18.  Deslandes.  Histoire  critique  de  la  Philosophie,  nouvelle  édit., 
Amsterdam,  Changuion,  lySô,  4  vol.  in-12. 

1-19.  [La  Chambre  (abbé  V.  Ilharat  de)].  Traité  de  la  Véritable 
Religion  contre  les  athées,  les  déistes  [etc.].  Paris.  Guérin.  lySy,  5  vol. 
in-12. 

1738 

150.  [Argens  i.M'^  d")],  Lettres  Juives,  nouvelle  édit.  augmentée.  La 
Haye.  Paupie,  1742,  6  vol.  in-12. 

151.  [HuBER  (MarieiJ,  Lettres  sur  la  Religion  essentielle  à  l'homme, 
distinguée  de  ce  qui  n'en  est  que  l'accessoire,  nouvelle  édit.  revue  et 
corrigée,  Londres,  lySô,  6  vol.  in-12.  dont  deu.x  de  Supplément. 

Cf.  Lettre  à  M.  de  Beaumont,  111.  94,  Lettre,  du  5  Juin  1763.  à  A[ntoine] 
A[ucloyerJ  (cf.  la  réponse  de  celui-ci  à  Rousseau  [14]).  XI.  67.  E.  Ritter,  J.  J. 
Rousseau  et  Marie  Hiiber  [49".  111.  207-213.  Cf.  encore  le  n"  i33. 

ISli"'*.  Le  Beau  (C),  Avantures  du  S''  C.  Le  Beau.  ...  ou  Voyage 
curieux  et  nouveau  parmi  les  sauvages  de  l'Amérique  septentrionale, 
.\msterdam,  L'ytwerf,  ijSS,  2  vol.  in-12. 

Cf.  Emile.  11,  29.  note;  Nombreux  extraits  dans  les  cahiers  de  Rousseau  [5], 

24"-28'°. 

152.  \'oLTAiRE.  Discours  en  vers  sur  l'homme. 

Cf.  Lettre  à  D'.Membert.  1.  234.  Cité  ici  d'après  le  n"  73.  t.  IX. 

153.  Voltaire,  Elémens  de  la  Philosophie  de  Newton  mis  à  la 
portée  de  tout  le  monde. 

Cité  ici  d'après  le  n"  73.  t.  XXI 1. 

154.  \'oltaire.  Essai  sur  la  nature  du  Jeu  et  sur  sa  propagation. 
Cité  ici  d'après  le  n"  yS.  t.  XXll. 

1739 

155.  [Argens  (M'*  d']).  Lettres  chinoises.  Nouvelle  édit..  La  Haye, 
Paupie.  1755,  6  vol.  in-12. 

156.  [Muralt  (Béat  dej].  Lettres  fanatiques,  Londres,  Aus.  Dépens 
de  la  Compagnie,  lySg.  2  vol.  in-12. 

Cf.  les  n''  i2i'''-  et  127. 


AVANT   LA    «   PROFESSION    DE    FOI    »  561 

1Ô7.  -Newton.  Philosophiae  naturalis  principia  mathematica.  cdit. 
avec  commentaires  des  PP.  Thomas  Le  Seur  et  François  Jaquier.  Genève, 
Barillot,  1739-1742.  3  tomes  en  4  vol.  in-4. 

158.  Pllche,  Histoire  du  Ciel,  considéré  selon  les  idées  des  Poètes, 
des  Philosophes  et  de  Moïse.  Paris,  Estienne.  i73().  2  vol.  in-12. 

Cf.  le  n*  137. 

lôS""'*.  Dissertations  mêlées  sur  divers  sujets  importans  et  curieux 
[p.  par  Jean-Frédéric  Bernard],  Amsterdam.  J.  F.Bernard.  1740.  2  vol.  in-12. 

1740 

159.  [.Mandeville].  La  Fable  des  abeilles,  ou  les  Fripons  devenus 
honnêtes  gens,  avec  le  commentaire  oii  l'on  prouve  que  les  vices  des 
particuliers  tendent  à  l'avantage  du  public,  Londres,  Aux  Dépens  de  la 
Compagnie.  1740,4  vol.  in-12. 

Cf.  Discours  sur  l'Iuéf^alité.  I.  qq.  Préface  de  Sarcisse,  X ,  104. 

HîO.  Pi.LCHE.   Révision   de  l*^  Histoire  du  Ciel  ».  pour  servir  de 
supplément  à  la  première  édition,  Paris,  Estienne,  1740.  in-12. 
Cf.  les  n"  137  et  i58. 

161.  TiRRETTiN  ij.  A.  I,  Pensées  sur  la  Religion  traduites  du  latin. 
trad.  Jacob  \'ernet,  à  la  suite  du  t.  II  de  ledit,  originale  du  Traité  de  la 
Vérité  de  la  Religion  chrétienne  tiré  du  latin  de  Mr.  ,/.  Alphonse  Tur- 
rettin,  Genève,  Gosse,  1740,  in-8,  pp.  3o5-328. 

Cf.  le  n*  suivant. 

1(52.  N'erset  (Jacob I,  Traité  de  la  Vérité  de  la  Religion  chrétienne, 
tiré  principalejnent  du  latin  de  Mr.  J.  Alpli.  Turrettin,  Seconde  édit., 
Genève.  Gosse.  174S-1755,  7  vol.  in-8. 

Les  i.  \1II  et  IX  n'ont  été  imprimés  qu'en  1782  à  Lausanne,  à  la  Société 
Typographique.  A  vrai  dire,  les  quatre  premiers  volumes  seuls  ont  eu  une  seconde 
édition.  Entre  1740.  date  de  la  1"  édition  du  t.  1,  et  1748,  date  de  la  réédition,  les 
Sections  ont  été  changées  en  Livres,  les  titres  ont  été  modifiés  ;  on  y  lit  tantôt  : 
tiré  principalement,  tantôt  tiré  en  partie.  Il  n"v  a  pas.  à  ma  connaissance,  même 
à  la  Bibliothèque  de  Genè\e,  d'exemplaire  complet  d'une  seule  édition.  Celui  que 
j'ai  utilisé  (Fribourg.  Bibliothèque  de  la  Société  Économique,  G  448)  est  en  seconde 
édition  pour  les  t.  I  (1748)  et  IV  (1751).  en  première  pour  les  autres,  II  Ir740). 
Ili  (174?).  \'  (17471.  VI  (1748),  VII  (1755).  Cf.  le  n'  2i3.  —  Sur  l'estime  où  était 
tenu  l'ouvrage  de  \ernet  dans  les  milieux  protestants,  cf.  Bitaubé  [246].  pp.  v-vi. 

1741 

163.  Fabricils,  Théologie  de  l'eau,  ou  Essai  sur  la  bonté,  la  sagesse 
et  la  puissance  de  Dieu,  manifestées  dans  la  création  de  l'eau,  trad. 
[Burnand],  La  Haye.  Paupie,  1741,  in-8. 

36 


562  BIBLIOGRAPHIE 

1742 

164.  Brucker  (Jacob),  Historia  critidi  philosophiae  a  mundi  incti- 
nabulis  ad  nostram  usque  aetatem  dediicta.  Lipsiae,  Breitkopf.  1742-1744, 
5  vol.  in -4. 

165.  Lesser,  Théologie  des  insectes  ou  Démonstration  des  perfections 
de  Dieu  en  ce  qui  concerne  les  insectes,  trad.  P.  Lvonnet.  nouvelle  édit., 
Paris,  Chaubert,  1745,  2  vol.  in-S. 

166.  \\'arburton.  Dissertations  sur  l'union  de  la  Religion,  de  la 
Morale  et  de  la  Politique,  [adapt.  Silhouette],  Londres,  Darès,  1742, 
2  vol.  in-i  2. 

Cf.  Contrat  social.  III,  329  et  385. 

1743 

167.  Castel  (Le  P.  Louis i.  Le  rrai  Système  de  phvsique  générale 
de  \I.  Isaac  Newton,  exposé  et  analysé  en  parallèle  avec  celui  de 
Descartes,  Paris.  Simon  fils.  1743.  in-4. 

Cf.  le  n*  217. 

168.  Nouvelles  libertés  de  penser.  Amsterdam,  1743,  in-24. 

1744 

169.  CiMBERLAND,  Traité  pliilosopliique  des  Loix  naturelles,  trad. 
Barbevrac,  Amsterdam,  Mortier.  1744,  in-4. 

Cf.  Discours  sur  l'Inégalité,  I,  H6. 

1745 

170.  La  Condamine,  Relation  abrégée  d'un  l'ovage  fait  dans  l'inté- 
rieur de  l'Amérique  méridionale.  Paris,  Pissot,  1745,  in-8. 

Cf..  plus  haut,  dans  la  Profession,  p.  83,  Discours  sur  l'Inégalité,  I,  144. 

171.  [La  .Mettrie],  Histoire  naturelle  de  l'âme. 

Cf.,  Déclaration  relative  au  fasteur  Vernes,  IX..  97.  Cité  ici  d'après  le 
n"  62,  t.  I. 

172.  [Malpertlis],  Vénus  physique. 
Cité  ici  d'après  le  n°  64,  t.  II. 

173.  Examen  de  la  Religion  dont  on  cherche  l'éclaircissement  de 
bonne  foy.  Attribué  à  M.  de  Saint-Évremond,  traduit  de  l'anglois  de 
Gilbert  Burnet,  Londres,  G.  Cook,  1761,  in-12. 

Quérard,  Supercheries  Littéraires  dévoilées,  2'  édit.,  Paris,  DafRs.  186g, 
I,  395,  donne  la  description  de  deu.x  éditions  de  cet  ouvrage,  qui  ont  paru 
dès   1745.   11   l'attribue  à  tort  au   lieutenant    Laserre.  Sur  l'auteur  et   la  date   de 


A^■A^■T    LA    0    PROFESSION    DE    FOI    »  563 

composition,  cf.  G.  Lanson  [289 '■'«],  293-297.  Rousseau  possédait  un  exemplaire 
de  cet  ouvrage  en  manuscrit  et  se  proposait  de  le  «  réfuter  «  :  cf.  la  notice  du  n*  7. 
Sauf  quelques  insignifiantes  variantes,  le  te.xte  du  manuscrit  qui  appartenait 
à  Rousseau  et  celui  de  l'édition  de  1761  est  le  même. 

174.  S[haftesblry].  Essai  su?'  k  mérite  et  la  vertu,  [adapt.  Diderotj. 

Cf.  Lettre  sur  la  vertu  et  le  bonheur  [2b],  i33.  L'exemplaire  olfert  à  Rous- 
seau par  Diderot  existe  encore:  cf.  Buffenoir  [297'""],  1,  240.  On  lit  sur  la  feuille 
de  garde  :  «  Ce  Livre  m'a  été  donné  par  l'.Xuteur  ;  le  i6'  de  .Mars.  1745  *.  Cité  ici 
d'après  le  n'  5S,  t.  1. 

1746 

175  A.  Cai-.met  (Dom),  Dissertations  sur  les  apparitions  des  Anges, 
des  Démons  et  des  Esprits  et  sur  les  revenons  et  vampires  de  Hongrie, 
de  Bohême,  de  Moravie  et  de  Silésie.  Paris,  Debure  IWîné,   1746,  in-12. 

Cf..  plus  haut,  dans  la  Profession,  p.  33 1  et  note  3,  et  332.  la  note  m'irgi- 
nale  de  B. 

175  R.  Id.,  Id.,  .Nouvelle  cdit.,  sous  le  titre  de  Traité  sur  les  appa- 
ritions des  Esprits  et  sur  les  Vampires  ou  les  Revenans  de  Hongrie,  de 
Moravie,  etc..  Paris.  Debure  IWinc.  lySi.  2  vol.  in-12. 

176.  [CoNDiLL.\c],  Essai  sur  l'origine  des  connoissances  humaines. 
Cf.   Confessions,  VIII,   246,  Discours  sur  t'Jnégalilé,  I,  93.    144.  J.   Morel, 

Sources  du  «i  Discours  de  t'Inégalité  ■»  [49].  V,  i5o-i6o.  Cité  ici  d'après  le 
n-  56.  t.  1. 

177.  [Diderot].  Pensées  philosophiques. 

Cf.,  plus  haut,  dans  \a  Profession,  p.  129,  Lettre  à  \oltaire.  du  iS  .\oùt  1756 
'25].  375-376.  Cité  ici  d'après  le  n"  58.  t.  1. 

178.  [Vacvenabgles],  Introduction  à  la  cunnoissance  de  l'esprit 
humain,  suivie  de  Réflexions  et  de  Maximes,  Paris,  Briasson,  1747,  in-12. 

Extraits  par  Rousseau  dans  ses  cahiers  ^5".  14".  C'est  celte  seconde  édition 
que  Rousseau  avait  sous  les  yeux. 

1747 

179.  Bl'rlamaqii,  Principes  du  droit  naturel,  Genève.  Barillot. 
1747,  in-4. 

Cf.  Discours  sur  l'Inégalité,  1,  80. 

179'''*.  Dlmabsais,  Analyse  de  la  Religion  chrétienne,  s.  1.  n.  d.,  in-8. 
Sur  l'auteur  et  la  date  de  la  composition,  cf.  G.  Lanson.  [289''''],  3oi-3o3. 

180.  Gerdil  (le  P.),  L'immatérialité  de  l'âme  démontrée  contre 
M.  Locke,  Turin,  Imprimerie  Rovale,  1747,  in-4. 

On  connaît  le  mot  de  Rousseau  à  Conzié.  qui  lui  avait  envové  les  Réfle.xions 
sur  la  théorie  et  la  pratique  de  l'éducation  contre  les  principes  de  Mr  Rousseau. 


564  BIBLIOGRAPHIE 

Turin,  Re\cends  el  Guibert.  1763.  in-12;  cf.  Lettre  du  7  Décembre  1763,  X!,  io3  : 
&  Quoiqu"en  ert'et  cet  écrit  me  paraisse  un  peu  froid,  je  le  trouve  assez  gentil  pour 
un  moine  ».  Il  n"avait  pas  attendu  cette  polémique  personnelle  pour  «.  trouver 
gentils»  d'autres  écrits  du  même  «.  moine»:  cf.,  dans  un  de  ses  cahiers  de 
brouillons  [5],  14".  la  note  suivante  :  «  Disc  :  prononcé  à  Turin  par  le  P.  Gerbil 
(sic)  Profess'  de  Pliil  :  en  1750  p.  1 1  des  cliapitres  (sic).  La  patrie  n'est  pas  le  sol 
où  nous  sommes  nés.  mais  la  forme  de  société  civile  dont  les  Loi.x  nous  gou- 
vernent ».  11  s'agit  très  probablement  d'un  Discours,  dont  je  n'ai  point  trouvé 
d'édition  séparée,  mais  qui  est  inséré  au  t.  VI  des  Opère  édile  ed  inédite  del 
cardinale  Gerdil.  Roma,  Poggioli,  1S06-1821.  20  vol.  in-4  :  «.  Virlulem  politicam 
ad  optimum  slatunt  non  minus  regno  quam  rcipub/icae  necessariam  esse.  — 
Oratio  habita  in  Regia  Taurinensi  Academia  nonis  iioi'cmbris  anno  MDCCL-o. 

1748 

180'''*.  La  Sainte  Bible,  en  latin  et  en  français,  arec  des  notes  litté- 
rales, critiques  et  historiques,  des  préfaces  et  des  dissertations,  tirées  du 
Commentaire  de  Dom  Augustin  Calmet,  etc.  Paris.  .Martin,  etc.,  1748- 
lySo,  17  voL  in-4. 

181.  [La  Mettrik].  L' homme-machine. 

Cf.  le  n"  17/.  Cité  ici  d'après  le  n°  62.  t.  111. 

182.  M^AiLt.ET],  Telliamed  ou  Entretiens  d'un  philosophe  indien 
avec  un  missionnaire  français  sur  la  diminution  de  la  Mer,  la  formation 
de  la  terre,  l'origine  de  l'homme,  etc.,  mis  en  ordre  sur  les  mémoires  de 
feu  .M.  de  .M  ***,  par  J.  A.  Guer,  Amsterdam,  L'Honoré,  1748,  2  voL  in-8. 

183.  [MoNTESQUiEi].  De  L'Esprit  des  Loix. 

Cf.  Discours  sur  l'Inégalité,  I,  86.  Emile.  Il,  ^So,  Lettres  de  la  Montagne. 
III,  182.  Cité  ici  d'après  le  n"  65,  t.  III-VI. 

184.  [Toi  ssaint],  Les  Mœurs.  Amsterdam,  Au.x  Dépens  de  la  Com- 
pagnie, 1748,  in-i2.  [Ce  n'est  pas  l'édition  originale]. 

Cf.  Lettre  de  J.  B.  Tollot  à  Seigneux  de  Correvon.  Juillet  1757  [49].  III, 
2o5.  Toussaint,  Eclaircissement  sur  les  «  Mœurs  »  [238],  307-809. 

1749 

18.5.  AiNSON  (George),  Voyage  autour  du  monde  fait  dans  les  années 
1-/ 40- 1/44,  Amsterdam-Leipzig,  Arkstée  et  Merkus,  1749,  in-4. 

Cf.  Nouvelle  Hélo'ise  (III.  xxv).  VI.  275,  et  Lettres  à  Mme  d'Kpinav, 
de  1757.  X,  i32.    i56. 

ISG.  Brii'O.N  et  Dai  bento.n.  Histoire  naturelle  générale  cl  particu- 
lière, avec  la  description  du  cabinet  du  Roi  [Théorie  de  la  Terre,  Histoire 
de  l'homme  et  des  quadrupède.^],  Paris,  Imprimerie  Rovale,  1749-1767, 
1  5  vol.  in-4. 

C{.  Discours  sur  l'Incgalité.  1,  127.  Emile.  IL  104,  etc. 


AVANT    LA   «    PROFESSION    DE    FOI    »  565 

IS7.  [CoNDiLLAc],  Traité  des  Systèmes. 

t^t".  le  n"  176.  Cité  ici  d'après  le  n"  5h.  t.  II. 

IS-S.  K[si'iARr)]  i)[t:]  i.[a]  C[orR]  (D"),  Œuvres  ineslées,  contenant  des 
Pensées  philologiques  et  quelques  poésies  de  Mr.  E.  D.  L.  C  Amster- 
dam. I  74().  in-12. 

18î).  F[réret],  Lettre  de  T/irasvbuIe  à  Leucippe.  ouvrage  posthume 
de  M.  F....  à  Londres,  s.  d.  [1768?],  in-12. 

Comme  beaucoup  de  livres  hardis  du  XVIH'  siècle,  celui  de  Fréret  a 
commencé  par  circuler  en  manuscrit  chez  les  gens  de  lettres  et  les  amateurs, 
bien  longtemps  avant  d'être  imprimé.  Nous  le  voyons  ainsi  entre  les  mains  de 
Rousseau,  qui  en  fait  des  extraits  dans  ses  cahiers  [5]  32"-34'°.  au  moment  même 
où  il  rédige  la  Profession,  car  ces  e.\traits  se  trouvent  parmi  des  brouillons 
fragmentaires  qu'il  a  rangés  sous  la  rubrique  :  «  A  Placer  dans  le  traitté  de 
l'Education  ».  L'ouvrage  n'est  pas  encore  imprimé,  et  Rousseau  ne  le  connaît 
que  comme  un  «.  manuscrit  attribué  à  .M.  Fréret  ».  On  peut  donc  supposer  que  la 
Lettre  de  Thrasybule,  réservée  du  vivant  de  préret  à  quelques  amis  peu  nom- 
breux, a  dû,  tout  en  restant  manuscrite,  se  répandre  dans  un  cercle  élargi,  peu 
de  temps  après  la  mort  de  son  auteur.  S  .Mars  1749.  C'est  pourquoi  j'ai  cru 
pouvoir  placer  la  mise  en  circulation  de  cet  ouvrage  aux  environs  de  1749. 
Presqu'au  même  moment  que  Rousseau,  l'abbé  de  Lignac  lit  également  la  Lettre 
de  Thrasybule  :  «.C'tsx  un  manuscrit,  dit-il  en  1760  {Sens  intime  [23r],  I.  44) 
qu'on  ne  communique  que  sous  la  consignation  de  deux  louis,  tant  il  parait 
précieux  à  celui  qui  le  possède  ■».  Cf.  encore  G.  Lanson  [289''''-].  3oo-3oi.  .Mêmes 
remarques  pnur  le  n"  suivant. 

ISO""'*.  Fréret,  [Annotations  à  son  exemplaire  anglais  des  «  Lelters 
ta  Serena  »,  de  Toland]  [248],  81-82.  iSô-iSy. 
Cf.  le  n"  précédent. 

1Î(0,  1  II  ME,  Histoire  naturelle  de  la  Religion,  trad.  [J.  B.  de  Merianj, 
avec  un  examen  critique  et  philosophique  de  cet  ouvrage  [par  Formev], 
.\msterdam,  Schneider.  1749.  in-12. 

1!U.  [Hltcheson],  Recherches  sur  l'origine  des  idées  que  nous  avons 
de  la  Beauté  et  de  la  Vertu  [trad.  Guillaume  Laget?],  .\msterdam,  1749, 
2  vol.  in-i  2. 

lî(2.  [Malpertiis].  Essai  de  philosophie  morale. 
Cité  ici  d'après  le  n*  64.  t.  I.  1750. 


1750 

193.  Berkeley.    Dialogues    entre    Hvlas    et   Philonoiis,   contre   les 
sceptiques  et  les  athées,  [trad.  Gua  de  .Malves],  Amsterdam,  1750,  in-12. 


566  BIBLIOGRAPHIE 

lt>3'''\    BiBiENA    (G.    de),    Le    Triomphe    du    sentiment.    La    Hâve, 
Paupic.  lySo.  2  parties  en  un  vol.  in-12. 

19-1.  Malpertlis,  Essai  de  cosmologie. 
Cité  ici  d'après  le  n"  64,  t.  I. 


1751 

195.  CooPER  (JoHN-GiLBEKT),  Vie  de  Socrate  [trad.  de  Combes]. 
.\msterdam,  par  la  Compagnie,  175  1,  in-12. 

190.  Diderot  et  D'Alembert  [etc.].  Encyclopédie,  ou  dictionnaire 
raisonné  des  arts,  des  sciences  et  des  métiers.  Paris,  Briasson,  David. 
Durand  et  Lebreton,  in  f",  t.  1  et  II.  ijSi . 

Cf.  Confes.<iio)is.  Ylll,  247.  Lettre  à  D'Alembert.  du  26  Juin  1754,  X.  84.  etc. 

197.  [DucLOs],  Considérations  sur  les  mcEU?'s  de  ce  siècle. 
Cf.  Discours  sur   t'inégalité;   I.    144.    Confessions,  VIII,  204-205.    Cité  ici 
d'après  le  n'  5m- 

198  A.  [iVlALPERTtis].  Essai  sur  la  formation  des  corps  organisés. 
Berlin,  1754,  in-24. 

Cf.  sur  la  composition  et  la  publication  de  l'ouvrage,  V Avertissement  de 
Trublet,  et,  en  particulier,  pp.  x-xii  :  la  Dissertation  latine  du  soi-disant 
D'  Baumann,  publiée  à  Kriangen  en  1751.  a  été  faite  sur  le  texte  français,  qui 
fut  rédigé  d'abord  et  qui  reste  l'original. 

198  B.  [In.],  Id..  avec  des  additions,  sous  le  titre  de  Système  de  la 
nature. 

Cité  ici  d'après  le  n'  64,  t.  Il  :  ci.,  p.  i3H.  sur  l'histoire  du  texte. 

199.  R;cHARDS0N,  Lettres  anglaises,  ou  Histoire  de  Miss  Clarisse 
Harlowe  [trad.  de  l'abbé  Prévost], 

Cité  ici  d'après  le  n"  67,  t.  X1X-XXI\'. 

1752 

2<)0.  Hai.ler,  Poésies  [trad.  Tscharner],  Zuric,  Heidegger,  1752, 
in-12. 

Cette  traduction,  très  différente  de  celle  qui  parut  à  Berne  en  lyyS,  est 
celle  que  Rousseau  avait  sous  les  veux  :  cf.  les  extraits  qu'il  en  a  faits  dans  ses 
cahiers  [5],  2". 

201.  [L'abbé  de  Prades,  l'abbé  Yvon,  Diderot],  Apologie  de 
AL  l'abbé  de  Prades.  —  Suite  de  l'.Apologie.  [etc.].  Amsterdam,  1752. 
3   parties  en   i   vol.  in-8. 


] 


AVANT  LA  «  PROFESSION  DE  FOI  »  567 

1753 

202.  [D"Alembert],  Mélanges  de  littérature,  d'histoire  et  de  philo- 
sophie, Berlin  [Paris.  Briasson],  lySS,  2  vol.  in-12. 

Cf.  Lettre  à  D"Alcnibert.  du  26  juin  L'75i]  (cf.  ma  note  [287],  io3),  X,  84. 
Une  nouvelle  édition,  augmentée,  a  paru  en  lyôq,  Amsterdam,  Châtelain, 
4  vol.  in-12.  Rousseau  Ta  lue  aussi  :  Cf.  Lettre  à  M.  de  Beaumont.  III.  124.  Cité 
ici  d'après  le  n'  52. 

202'''%  [D'Arcq  (P.  A.  DE  S.\iNTE-Foix,  chevalier)].  Lettres  d'Osman, 
Constantinople  [Paris],  1/53.  3  parties  en  un  vol.  in-12. 

203.  Behrlyer  (Le  P.  i.  Histoire  du  peuple  de  Dieu,  depuis  la  nais- 
sance du  Messie  jusqu  à  la  fin  de  la  Synagogue.  La  Haye.  Xéaulme. 
1755,  4  vol.  in-4. 

Cf.  Souvetle  Héloise,  (11,  xxii.  I\  .  190.  Lettres  de  la  Montagne,  III,  i65. 

20-t.  Diderot  et  DWle.mbert  [etc.].  Encyclopédie  [etc.],  t.  III.   1753. 
Cf.  le  n"  iq6. 

205.  [LiGNAC  lABBÉ  DEi],  Èlémctis  de  .Métaphysique  tirés  de  l'expé- 
rience, ou  Lettres  à  un  matérialiste  sur  la  nature  de  l'âme.  Paris, 
Desaint  et  Saillant,  1753.  in-12. 

20(j.  .M[oRELLy],  Naufrage  des  isles  Jlottantes  ou  Basiliade  du 
célèbre  Pilpai,  traduit  de  l'Indien  par  .Mr.  M******.  .Messine,  par  une 
société  de  Libraires.  2  vol.  in-12. 

Cf.  Lettre  à  .Mme  d"Houdetot.  du  23  .Mars  1758  [34],  249,  la  réponse 
de  .Mme  d'Houdetot  126],  I,  410-41 1.  el  ma  noie  sut  Rousseau  et  Morelly  [290]. 

1754 

207.  [Bealsobre  (Loris  de)].  Le  Pyrrhonisme  du  sage,  Berlin. 
1754,  in-12. 

208.  [Bonnet  (Charles)].  Essai  de  psychologie. 

C(.  Lettre  à  .\L  Philopolis.  I,  i53-i57.  Confe.'<sions,  IX.  64.  Cité  ici  d'après 
le  n-  54.  t.  X\ll. 

209.  CoNDiLLAC,  Traité  des  sensations. 

Cf.  J.  .Morel,  Sources  du  «  Discours  de  l'Inégalité  »  [49],  V,  144-150.  Cité 
ici  d'après  le  n*  56,  t.  111. 

210.  [Diderot],  Pensées  sur  l' interprétation  de  la  Nature. 

Cf.,  plus  haut,  dans  la  Profession,  pp.  12?,  note  i  et  445.  Cité  ici  d'après 
le  n-58.  t.  II. 

211.  Diderot  et  D'.Ale.mbert  [etc.],  Encyclopédie  [etc.],  t.  IV,  1754. 
Cf.  le  n*  196. 


568  BIBLIOGRAPHIE 

211'''*.  FoRMiiY,  Mélanges  philosophiques,  Levde.  Luzac.  1754, 
2  vol .  i  n  - 1 2 . 

Bien  avant  l'affaire  de  VEmi/e  chrétien  et  de  VAnli-Émile  [244].  l'attention 
de  Rousseau  avait  dû  être  attirée  sur  les  compilations  de  Formey.  C'est  lui,  en 
effet,  qui  avait  imprimé  dans  son  journal  la  Lettre  à  Voltaire  :  cf.  Confessions, 
VIII.  387-3.88.  A  cette  occasion,  Formey  avait  écrit  à  Rousseau  une  longue  Lettre, 
le  7  Juillet  1760  [14].  pour  lui  e.xposer  sa  conception  de  la  religion.  Il  a  publié 
la  plus  grande  partie  de  cette  Lettre  dans  ses  Souvenirs  d'un  citoyen,  avec  la 
réponse  de  Rousseau,  du  6  Septembre  1760  [252'"'].  II.  ii.S-i3i.  Cette  réponse, 
mal  datée  et  sans  indication  de  destinataire,  se  trouve  dans  l'édit.  Hachette,  X. 
23o-23;.  Cf..  d'ailleurs.  Nouvelle  Héloïse  (III,  xxi),  IV,  262  et  267,  qui  semble 
bien  prouver  que  Rousseau  a  lu,  dans  les  Mélanges,  la  Dissertation  sur  le 
meurtre  l'olontaire  de  soi-nie'nte.   1.  200,  210,  2[3-2i6. 

211''^'".  [Leszczvnski  (Le  Roi  Stanisl.vs)],  Entrelien  d  un  Européan 
avec  un  insulaire  du  Royaume  de  Dumocala.  par  le  R[oi]  D[e]  P[oloane] 
D[uc]  D[e]  L[orraine]  E[t]  D[e]  B[ar]. 

Cf.  Réponse  au  Roi  de  Pologne.  I.  30-47.  Cité  ici  d'après  le  n"  (J2'''-.  t.  III. 

212.  Terrasson  (.\iîiii';),  La  philosophie  applicable  à  tous  les  objets 
de  l'Esprit  et  de  la  Raison.  Paris,  Prault,  1734.  in-12. 

Cf.  Emile.  II,  3i6.  et.  plus  haut,  6'  Lettre  à  Sophie,  p.  492.  La  mémoire  de 
Rousseau  l'a.  d'ailleurs,  trompé  dans  cette  Lettre.  Le  te.\te  qu'il  y  rappelle  n'est 
pas  de  l'abbé  Terrasson.  mais  de  .Montaigne  {Essais,  III.  3),  cité  par  D'Alembert, 
dans  les  Réjle.xions  que  celui-ci  a  mises  en  tête  de  la  Philosophie  applicable. 
pp.  .\xv-.\.\vi.  Cf.  encore  Essai  sur  l'origine  des  langues.  !,  3q6,  note. 

2i;J.  [X'ernet  (J.\cob)],  Instruction  chrétienne,  La  .Xcuveville.  .Ma- 
roll,  1754.  5  vol.  in-8. 

Cf.  Lettre  à  D\Memberl.  1.  188.  La  même  Lettre,  \,  i85,  fait  allusion  à  un 
chapitre  sur  la  tolérance  qui  se  trouverait  «  dans  l'onzième  Livre  de  la  Doctrine 
chrétienne  de  M.  le  professeur  V'ernet  ».  C'est,  sans  doute,  lapsus  de  plume 
ou  erreur  de  mémoire  :  Vernet  n'a  écrit  aucun  ouvrage  portant  ce 
titre;  Rousseau  songeait  probablement  à  \'Instructio)i  chrétienne.  Livre  XI. 
chap.  XIII,  «  Correction  et  tolérance  chrétienne»,  t.  11.  pp.  432-451.  Au  reste, 
dans  l'édition  originale  de  la  Lettre,  la  note  sur  Vernet,  qui  est  au.\  additions, 
ne  détache  pas  en  italiques  les  mots  Doctrine  chrétienne. 

1755 

214.  CoNDiLLAC,  Traité  des  animau.x. 

Cf..  plus  haut,  dans  la  Profession,  p.  233.  Cité  ici  d'après  le  n    5t'i.  t.  III. 

21.^.  Diderot  et  D'ALEiMBEKr  [etc.].  Encyclopédie  [etc.],  t.  V.  1755. 
Cf.  le  n°  196. 

21(5.  [.Morelly].  Code  de  la  Nature.  Partout,  chez  le  vrai  Sage.  1755, 
in-12. 

Cf.   le  n*  206.   Rousseau   est   pris  vivement  à  partie  dans  le  Code.   169-170. 


AVANT    LA    «    PROFESSION    DE    FOI    »  569 

216'"'*.   Sllzer    (J.    g.),    Tableau   des   beautés   de   la    nature,   trad. 
Roques,  Francfort,  Knoch  ei  Esslinger,  ijSS,  in- 12. 
Cl'.  Lettre  d'Usteri  à  Rousseau,  du  8  Mars  1763  [Sg],  52. 

1756 

217.  [Castll  (Le  P.iJ.  L  Homme  moral  opposé  à  l'homme  physique 
de  Monsieur  R***.  Lettres  philosophiques,  oit  l'on  réfute  le  Déisme  du 
jour.  Toulouse,  lySô,  in-12. 

Cf..  pp.  88-89.  '^s  souvenirs  du  P.  Castel  sur  Rousseau;  cl",  encore  Confes- 
sions. VIII,  2o3  et  23 1. 

218.  DifjEROT  et  D'.\le.mbert  [etc.].  Encyclopédie  [etc.],  t.  \'I.    lybCt. 
Cf.  le  n'  196. 

219.  [MiRABEAf  iiM'''  DE)],  L  Ami  des  hommes  ou  Traité  de  la 
population,  .Avignon,  1756-1758,  5  vol.  in-12. 

Cf.  Réponse  à  une  Lettre  anonyme,  1,  271  ;  Lettre  à  [M.  Tscharnerj,  du 
29  .\vril  1762,  X.  322;  Deleyre.  Lettre  à  Rousseau,  du  2  Juillet  1757  [26],  1.  i5j. 

220.  [\'oltaire],  Essay  sur  l  histoire  générale  et  sur  les  mœurs  et 
l'esprit  des  nations,  depuis  Charlemagne  jusqu'à  nos  jours. 

Cité  ici  d"après  le  n"  73.  t.  XI-XIII. 

221.  [Voltaire],  Poèmes  sur  le  désastre  de  Lisbonne  et  sur  la  Loi 
naturelle. 

Cf.  Lettre  à  \oltaire.  du  18  Août  1756,  X.  1 22-1 33.  Cité  ici  d'après  le 
n-  73.  t.  X. 

1757 

222.  [Diderot],  Le  Fils  Xaturel  ou  les  épreuves  de  la  vertu...  avec 
l'histoire  véritable  de  la  pièce. 

Cf.  Lettre  ii  D'Atembert.  I.  329.  Confessions,  VIII.  326-327.  Cité  ici  d'après 
le  n'  58,  t.  \'ll. 

222'"*.  [.Moreai  J.  N'.i],  Nouveau  mémoire  pour  servir  à  l  histoire 
des  Cacouacs.  .Amsterdam.  1737,  in-.S. 

1758 

223.  Chav.meix  (Abraham-Joseph  de  .  Préjugés  légitimes  contre  l  En- 
cyclopédie et  Essai  de  réfutation  de  ce  Dictionnaire.  Paris,  Hérissant, 
1758-1759,  S  vol.  in-12. 

223'''*.  Diderot,  Le  Père  de  famille....  avec  un  Discours  sur  la 
poésie  dramatique. 

Cf.  Confessions,  \'lll.  33o.  Cité  ici  d'après  le  n    58.  t.  \'II. 

224.  Diderot  et  D".\le,mbert  [etc.].  Encyclopédie  [etc.],  t.  Vil,  1/58. 


570  BIBLIOGRAPHIE 

225  A.  [Helvetius],  De  l  Esprit.  Paris,  Durand,  ijSS.  in-4. 
Cf..  plus   haut,  dans  la  Profession,  pp.   71    sqq,    161,    etc..   et  mon   article 
Rousseau  contre  Helvetius  [287]. 

225  B.  [Id,].  Id..  Exemplaire  annoté  par  Rousseau.  Bibliothèque 
Nationale.  Réserve.  R  8()5. 

Cl",  le  te.xte  de  ces  annotations  [40]. 

1759 

225'''*.  DcvAL  ( Valentin-Jamkbaii.  Vit-  de  M.  Duval,  Bibliothécaire 
de  l'Empereur. 

Des  «.  e.xtraits  »  de  ces  Mémoires  ont  été  communiqués  par  Deleyre  à 
Rousseau  et  annexés  par  lui  à  ses  Lettres  de  1759-1760  [14  A],  f"'  5o  et  60-70  [un 
de  ces  «  e.xtraits  ».  qui  devait  être  joint  à  la  Lettre  du  t2  Décembre  lySg,  manque 
aujourd'hui].  Rousseau  a  recopié  entièrement  ces  *  extraits  »  dans  un  de  ses 
recueils  de  Lettres.  Bibliothèque  de  .N'euchàtel,  7886,  pp.  75-76.  gS-ioo,  i25-i33. 
Cité  ici  d'après  les  Œuvres  de  Valent  in  .lamerai  Duval,  Saint-Pétersbourg  — 
Strasbourg.  Treuttel,  1784.  2  vol.  in-8.  Les  pp.  45-80  du  t.  I  reproduisent  exacte- 
ment le  texte  des  deux  derniers  &  extraits  »  copiés  par  Rousseau. 

22H.  [LiGNAC  lABBÉ  DEi],  Excjmeti  sérieux  et  comique  du  Discours  sur 
l  Esprit,  par  l'auteur  des  Lettres  américaines,  .\msterdam,  ijSg,  2  voL 
in-12. 

227.  RiCHELET  (P.  ),  Dictionnaire  de  la  langue  française  ancienne  et 
moderne,  nouvelle  édit.,  augmentée  d'un  très  grand  nombre  d'articles 
[par  l'abbé  Goujet],  Lvon.  Duplain,  lySq,  3  vol.  in-f". 

227'''*.  [Roche  (le  P.i],  Traité  de  la  nature  de  l'àme  et  de  l'origine 
de  ses  connoissances,  contre  le  système  de  M.  Locke  et  de  ses  partisans. 
Paris.  Lottin,  Butard,  [etc.],  \j5().  2  vol.  in-12. 

228.  [Voltaire],  Socrale.  ouvrage  dramatique  traduit  de  l'anglais 
de  feu  M.  Tompson. 

Cité  ici  d'après  le  n"  73.  t.  \'. 

1760 

229.  Bonnet  (Charles),  Essai  analytique  sur  les  facultés  de  l'âme. 
Cf.  le  n*  208.  Cité  ici  d'après  le  n"  54.  t.  .Xlll  et  XI\'. 

230.  Gerdil  (Le  P.),  Recueil  de  Dissertations  sur  quelques  principes 
de  philosophie  et  de  religion.  Paris,  (^haubert  et  Hérissant,   1760,  in-12. 

Cf.  le  n'  180. 

231.  LiGNAC  (abbé  de),  Le  Témoignage  du  sens  intime  et  de  l'expé- 
rience opposé  à  la  foi  profane  et  ridicule  des  fatalistes  modernes,  Auxerre, 
F"ournier,  1760,  3  vol.  in-12. 


AVANT    LA    «    PROFESSION    DE    FOI    » 


y/^ 


2S2.  Lki  KANC  DE  PoMPiGNAN  (J .  J.).  Discoufs  [pfonoiicé  à  r Académie 
française,  le  lo  Mars  r-jâd]  et  Mémoire  de  M.  de  Pompignan.  s.  1. 
[Paris],  1760.  in- 12. 

232'''*.  [Id.j.  La  Prière  universelle,  traduite  de  l' anglais  de  Mr  Pope, 
par  l'Auteur  du  Discours  prononcé  le  10  Mars  à  l'Académie  françoise 
[p.  par  labbé  Morellet],  s.  1.,  1760.  in-S. 

1761 

2;î:î.  B[ori.ANGER  (N.  A.)].  Recherches  sur  l'origine  du  despotisme 
oriental,  œuvre  posthume  de  Mr.  B[oulanger]  I[ngcnieur]  D[es]  P[onts] 
E[t]  C[haussées],  s.  1..  1761,  in-12. 

Cf.  G.  Brizard.  Sotes  inédiles  sur  Rousseau  [253\  220  :  «  M.  Bergier  a  un 
volume  in-4,  copié  en  entier  par  J.  J.  Rousseau  :  c'est  le  Despotisme  oriental  ». 

234.  [D'Holbach  (B""i],  Le  Christianisme  dévoilé  ou  Examen  des 
principes  et  des  effets  de  la  Religion  chrétienne.  Paris.  Libraires 
.Associés,  1767,  in-12. 

La  première  édition,  qui  porte  le  titre  de  Londres,  1758.  parait  avoir  été 
imprimée  à  Nancy  en  1761;  mais  il  est  probable  que  l'ouvrage  a  dû  circuler  en 
manuscrit  quelques  années  auparavant  comme  ceux  de  Fréret.  Dumarsais,  Buri- 
gnv.  etc. 

235.  [Robinet],  De  la  Nature.  Amsterdam.  Van  Harrevelt.  1761,  in-8. 
Cf.  Lettre  de  1  Unri  .Meisier  à  son  père,  du  6  juin  1764    3q\  164. 

236.  [V'ernet  (Jacoh)].  Lettres  critiques  d'un  voyageur  anglais  sur 
l  article  «  Genève  »  du  Dictionnaire  encyclopédique  et  sur  la  Lettre  de 
Mr.  D'Alembert  à  Mr.  Rousseau,  publiées  avec  une  Préface  parR.  Brown, 
ministre  Anglois  à  Utrecht.  Lettres  I  et  IL  L'trecht,  Ten  Bosch,  s.  d. 
[1761],  in-8. 

Les  Lettres  III.  W.  V  et  VI  ont  paru  en  fascicules  séparés  de  1761  à  la  fin 
de  1762,  et  collectivement  en  1766.  Cf.  toutes  ces  Lettres,  en  édition  originale, 
dans  un  recueil  factijce  de  la  Bibliothèque  de  Genève.  B  A  1625.  Rousseau  a  lu 
les  deu.x  premières  Lettres  en  Octobre  1761  :  cf.,  plus  haut,  p.  537,  l'échange 
de  Lettres  entre  Rev  et  lui  à  ce  sujet. 

1762 

23".  Dell'c  (J.  F.),  Observations  sur  les  savans  incrédules  et  sur 
quelques-uns  de  leurs  écrits,  Genève,  1762,  in-8. 

Cf.  Lettre  de  .\loultou  à  Rousseau,  du  18  Juin  1762  [26].  1.  48. 

23s.  [Tolssaint].  Eclaircissement  sur  les  «  .Mœurs  »  par  L  Auteur 
des  «  Mœurs  »,  .Amsterdam,  Rey,  1762,  in-12. 

231).  [TiRPiN  DE  Crissé  (C"=)].  Lettres  sur  l'Éducation,  Paris. 
Bauche,  1762,  2  voL  in-12. 


572 


BIBLIOGRAPHIE 


240.  [Voltaike],  Testament  de  Jean  Meslier. 

Extraits,  retouchés  par  Voltaire,  du  Testament  du  curé  d'Étrépif^nv.  qui 
circulait,  dans  Paris,  en  manuscrit,  depuis  1-35  :  cl".  G.  Lanson  '289'"'],  8-17.  Cité 
ici  d'après  le  n"  /S.  t.  XX1\'. 

241.  [Voltaire].  Sermon  des  cinquante. 

Cf.  Lettre  à  Mme  de  B[augrand]  (la  lettre  de  M"'  de  Baujjrand  est  à  Neu- 
chàtel  [14]),  de  Décembre  1763,  XI,  loi.  Lettres  de  la  Montagne,  111,  197.  Sur 
la  date  d'impression  du  Sermon  (vraisemblablement  Juillet-.\oùt  1762)  et  sur  sa 
date  de  composition  (Berlin,  1762).  cf.  la  note  d'Eufjène  Ritter  [48].  VII,  3i5.  Cité 
ici  d'après  le  n°  73,  t.  XX1\'. 


IV 

OUVRAGES  POSTÉRIEURS  A  LA 
«  PROFESSION  DE  FOI  » 

Les  ouvrages  qui  suivent  sont  rangés,  eux  aussi,  dans  l'ordre  chro- 
nologique. —  C'est  à  peine  si  l'on  trouvera  dans  cette  liste  quatre  ou 
cinq  des  innombrables  critiques  dont  la  Profession  de  {o\  fut  l'objet  au 
XVIII"  siècle,  et  plus  particulièrement  dans  les  années  1J62-I/J0.  La 
plupart  ont  été  mentionnnés  dans  les  Notices  de  Bri^ard  [254]  et  de 
Barbier  [257].  Elles  sont  presque  toutes  au-dessous  du  médiocre:  et,  si 
plusieurs  peuvent  servir  à  faire  connaître  l'état  d'esprit  d'une  partie  du 
public  français,  il  en  est  t?'ès  peu  qui  puissent  fournir  des  indications 
précises  sur  les  sou/'ces  de  la  pensée  de  Rousseau.  Ce  sont  celles-là  seules 
qui  ont  été  utilisées  ici.  —  Les  autres  ouvrages  cités  ont  contribué  plus 
ou  moins  directement  au  commentaire  du  texte  ou  à  l'histoire  de  /  Kmile. 

242.  Voltaire,  lYotes  inédites  sur  la  «  Profession  de  foi  du  Vicaire 
Sai'oyard  »,  p.  par  Bernard  Bouvier  en  iqoS  f49].  I,  272-284. 

243.  [HoocK,  BoNHO.M.ME,  Denans  et  Legrand  (cf.  G.  Lanson  [279], 
iio-iii)].  Censure  de  la  faculté  de  Théologie  de  Paris  contre  le  livre 
qui  a  pour  titre  <.<  Emile  ou  de  l'Education  ».  Paris,  Le  Prieur,  1762.  in-i  2. 

244.  FoR.MEv.  .\nti-Emile.  Berlin,  Pauli,  1763,  in-12. 

24.J.  BiTAiBÉ  (P.  J.).  Examen  de  la  Confession  de  foi  du  Vicaire 
Savoyard  contenue  dans  Emile,  Berlin,  Pauli,  1763,  in-12. 

Cf.  l'opinion  de  Rousseau  sur  ce  livre  dans  une  Lettre  à  Rev.  du  17  .Mars 
1764  [24],  2o3  ;  cf.  encore  Lettre  à  Bitaubé  lui-même,  du  3  .Mars  1763  [25],  39Ô. 


APRÈS  LA  «  PROFESSION"  DE  FOI  »  573 

24<>.  Lefranc  de  Pompignan  (J.  G.),  Instruction  pastorale  de  Monsei- 
gneur iÈvêque  du  Puy  sur  la  prétendue  Philosophie  des  incrédules 
modernes,  nouvelle  édition,  Le  Puy.  Clet  —  Paris,  Chauben.  1764. 
2  vol.  in-12. 

Rousseau  estimait  cet  ouvrage  :  cf.  le  texte  cité  au  n'  précédent,  et  Lettre 
de  H.  Meister  à  son  père,  du  3o  Mai  1764  [Sgj,  i56. 

24()'''*.  [Lingiet],  Le  fanatisme  des  Philosophes.  Londres  —  Abbeville, 
De  X'érité,  1764.  in-8. 

247.  C[ajoi]  {D[om]),  Les  Plagiats  de  M.  ./.  J.  Rousseau  de  Genève 
sur  l'Éducation  par  D[om]  J[oseph]  C[ajot]  B[énédiclin],  La  Haye—  Paris. 
Durand,  1766,  in-8. 

Quelques  e.vemplaires  ont  un  litre  différent  :  Les  Larcins  littéraires  de 
J.  J.  Rousseau,  citoyen  de  Genève,  ou  ses  plagiats  sur  l'éducation  ;  cf.  l'opinion 
de  Rousseau  surle  livre  dans  une  Lettre  à  .Mme  de  Boufflers.du  5  .^vril  i/ôfS,  X,  32Ô. 

248.  ToLAN!)  (J.),  Lettres  philosophiques  sur  l  origine  des  préjugés 
du  dogme  de  l  immortalité  de  l  âme,  de  l  idolâtrie,  etc.  [trad.  D'Holbach], 
Londres  [.\msterdam,  Rey],  1768,  in-8. 

248'''*.  [D'Holbach  (B°")],  Le  Système  de  la  Sature  ou  des  Loix  du 
monde  physique  et  du  monde  moral,  par  .\L  Mirabaud.  Londres.  1770, 
2  vol.  in-8. 

24î)  A.  [Sabatier  de  Castres  (abbé)],  Les  Trois  Siècles  de  notre 
Littérature  ou  Tableau  de  l'Esprit  de  nos  Écrivains  depuis  François  I" 
jusquen  I/J2,  .\msterdam  et  Paris.  Gueffier,  Dehansi,  1772.  3  vol.  in-8 

249  B.  S[abat!er]  de  Castres  (abbé),  \Jd.'\,  ...  jusqu'en  i//g,  4*^  édit 
corrigée  et  augmentée,  La  Hâve — Paris.  .Moutard  [etc.],  1779,  4  vol.  in-12 

249'»'*.  [D'Holbach  (B°")j,  Système  Social,  ou  Principes  naturels 
de  la  morale  et  de  la  politique.  Londres.  1773,  2  vol.  in-8. 

2.")0.  Férald  (l'abbé).  Dictionnaire  critique  de  la  langue  française. 
Marseille,  .Mossv.  1788.  3  vol.  in-4. 

2.>1.  Chénier  (André),  [Socrate  et  Jésus-Christ],  fragment  inédit 
p.  par  .\bel  Letranc  en  iqoi  [48],VI11.  2o5. 

2.52.  Barruel-Bealvert  (C''  de),  Vie  de  J.  J.  Rousseau,  précédée 
de  quelques  lettres  relatives  au  même  sujet,  Londres  —  Paris,  chez  les 
marchands  de  nouveautés.  1789.  in-8. 

2.J2'''*.  Formey,  Souvenirs  d  un  citoyen.  Berlin,  F.  de  la  Garde,  1789, 
2  vol.  in-8. 


574 


BIBLIOGRAPHIE 


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l'Arsenal.  .Mss.  6099. 

254.  Brizard  (G.),  Des  Écrits  publiés  à  l'occasion  ci'  «  Emile  ». 
t.  XIV  de  redit.  Poinçot  [iTi]  [=  Emile,  t.  V  :  Pièces  relatives  à 
/'«  Emile  »].  pp.  281-371. 

254'''*.  Procès-verbau.x  du  Comité  d'instructio?i  publique  de  la 
Convention  .\ationale.  p.  par  J[ames]  Guillaume,  t.  1\'  d"  Germinal  — 
M   Fructidor  an  II 1,  Paris.  Imprimerie  nationale,  1901,  in-4. 

254'".  Publication  des  Manuscrits  de  J.  J.  Rousseau,  par  Lakanal. 
membre  de  l'Institut  national  de  Erance,  prospectus  de  7  pp.  in- 12.  s.  d. 
[1796  ou  1797],  Bibliothèque  Nationale,  Ln -'  17997. 

2Ô.J.  CoRANCEK.  De  J.  J.  Rousseau,  Extrait  du  Journal  de  Pans, 
an  \'l,  in-8. 

2.JÔ'''*.  Chini.\c  (P.),  Essais  de  Philosophie  morale.  Paris.  Bossange, 
.Masson  et  Besson,  .\n  IX  (i<Soi).  3  vol.  in-8. 

25(j.  Épinay  (.Mme  d').  Mémoires  [publiés  dès  1818  par  J.  G.  Brunet 
et  Parison,  Paris.  Brunet,  3  vol.  in-8],  edit.  P.  Boiteau,  Paris,  Ghar- 
pentier,  i865,  2  \ol.  in-i6. 

Sur  la  valeur  de  ces  prétendus  .Mémoires,  cf.  .Mrs.  .Macdonald  [283 '''''|,  47-6(1, 
et  mon  article  [299]. 

257.  Qlérakd  (J.  .M.),  .\olice  bibliographique  sur  J.  J.  Rousseau, 
dans  La  Erance  littéraire,  t.  X'ill.  Paris,  Didot.  i836,  in-8. 

Cette  Sotice  se  subdivise  en  deu.\  :  l'une,  de  Quérard  lui-même,  sur  les 
Diverses  éditions  des  ouvrages  de  J.-J.  Rousseau,  pp.  192-206;  l'autre,  d'A.  A. 
Barbier,  déjà  revue  par  Petitain  au  t.  .XXl  de  son  édition  [19]  et  augmentée  par 
Quérard.  sur  les  Principau.\-  écrits  relatifs  à  la  personne  et  aux  oui'rages  de 
,/.  ./.  Rousseau,  pp.  207-231. 

258.  Baillv  de  i.a  Londe,  Le  Léman,  ou  Voyage  pittoresque,  histo- 
rique et  littéraire  à  Genève  et  dans  le  (\2nt0n  de  Vaud  (Suisseï,  Paris, 
Dentu,  1842.  2  vol.  in-8. 

259.  GoLSiN  (V.),  Du  stvle  de  Rousseau,  particulièrement  dans  la 
«Profession  de  foi  du  Vicaire  Savoyard»,  d'après  le  Manuscrit  de 
r  «  Emile  ».  conservé  à  la  Bibliothèque  de  la  Chambre  des  Représen- 
tants, dans  le  Journal  des  Savants,  Septembre-Novembre  1848,  pp.  Siy- 
528  et  658-672. 

Reproduit  dans  la  3'  édition  de  la  P/iilosophie  populaire,  Paris,  Pagnerre, 
[849.  in-i2.  et  dans  la  3'  édition,  considérablement  augmentée,  de  Fragments  et 
Souj'eiiirs.  Paris.  Didier.  1857,  in-8. 


APRÈS  LA  «  PROFESSION  DE  FOI  )>  575 

2(>(>.  X'iRiDKi  (M.),  Documents  officiels  et  contemporains  sur  quel- 
ques-unes des  condamnations  dont  l  «  Emile  »  et  le  «  Contrat  Social  » 
ont  été  l  objet  en  1/62,  Genève,  V'aney,   i85o. 

2(>l.  .MoiMN  (G.  H.),  Essai  sur  la  l'ic  et  le  caractère  de./.  ./.  Rous- 
seau, l'aris,  Ledoyer,  i85i,  in-8. 

2(52.  .MoBrs  (G.  H.i.  \ote  sur  les  .Manuscrits  de  J.  J.  Rousseau 
conservés  à  la  Bibliothèque  de  l. Assemblée  nationale,  I^aris,  3  Août  i85i. 
plaquette  manuscrite.  Bibliothèque  de  la  Chambre  des  Députés.  .Mss.  1441. 

263.  Gaberel  (J.),  Calvin  et  Rousseau.  Etude  littéraire,  sociale  et 
religieuse.  Genève.  Ramboz.  1878,  in- 16. 

2fi4.  Marocco  (M.),  Cronistoria  délia  veneranda  .\rciconfraternita 
dello  Spirito  Santo  in  Torino.  Torino,  Bellardi  e  Appiotti.  iS/S.  in-12. 

264'"*.  RiTTER  (E.),  .lean-Jacques  Rousseau  et  Jacob  Vernet,  dans 
les  Étrennes  Chrétiennes,  t.  VIII,  Genève.  Cherbuliez,  1881,  in-8, 
pp.    180-247. 

26.J.  Brinktière  (F.),  Nouvelles  Etudes  critiques  sur  l'histoire  de  la 
littérature  française.  Paris,  Hachette,  1882,  in- 18. 

266.  RiTTER  (E.),  Notice  sur  les  Manuscrits  de  J.  J.  Rousseau, 
légués  à  la  Bibliothèque  publique  par  Mme  Streckeisen-Moultou ,  dans  le 
Supplément  au  .Journal  de  Genève,  du  vendredi  14  .\vril  1882,  n"  88. 

267.  BoRdKAi  D  (Ch.),  j.  j.  Rousseau  s  Religionsphilosophie,  unter 
Benul^ung  bisher  nicht  verôffentlicher  Quellen,  Genève,  Georg —  Leipzig, 
Fock,  i883.  in-8. 

2()S.  Clauimn  (A.),  Bibliothèque  de  feu  M.  A.  Rochebilière.  Deuxième 
Partie  :  Catalogue  de  livres  rares  et  curieux.  Paris.  Claudin,  18S4.  in-i(3. 

269.  .Malgras  (G.).   Querelles  de  philosophes.  —  Voltaire  et  ,/.  ./ 
Rousseau.  Paris,  Calmann-Léw,  i88r).  in-8. 

270.  Badin  {.\.),  Les  Manuscrits  de  J.  J.  Rousseau  de  la  Biblio- 
thèque de  la  Chambre  des  députés,  dans  la  Nouvelle  Revue  du  i5  No- 
vembre 1888.  t.  L\'.  pp.  396-424. 

271.  Lavorel  (J.  .M.).  (Jluses  et  le  Faucignv.  dans  les  Mémoires  et 
Documents  publiés  par  l'Académie  Salésienne.  t.  .\I.  .\nnecv.  Niérat. 
1888,  in-8. 

272.  Mugnier  (F.),  Madame  de  Warens  et  ./.  ./.  Rousseau,  Paris, 
Calmann-Léw,  s.  d.  [iSqi].  in-8. 


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Paris,  Cerf,  1896,  in-8  [Extrait  de  la  Revue  Scolaire,  1895]. 

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Paris.  Picard,  1808,  in-8. 


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manuscrites  des  grands  écrivains,  Paris,  Colin,  1903,  in-i(j. 

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27Î).  Lanson  (G.),  Quelques  documents  inédits  sur  la  condamnation 
et  la  censure  de  /'  «  Emile  »  et  des  «  Lettres  écrites  de  la  Montagne  », 
1905  [49],  I,  95-i36.  —  Appendice,  par  B.  Bouvier,  137-140. 

280.  Pellet  (M.),  Les  Manuscrits  de  J.  J.  Rousseau  au  Palais- 
Bourbon,  dans  La  Révolution  française,  14  Septembre  1906,  t.  LI, 
pp.  ic)3-2o5. 

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Députés,  Paris,  Pion,  1907.  in-8. 

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in-8. 

283'''^  ScHiFF  (M.),  Éditions  et  traductions  italiennes  des  Œuvres 
de  J.  J.  Rousseau.  Paris.  Champion.  1908,  in-8. 

283"'''.  Macdonald  (Fr.),  La  légende  de  J.  J.  Rousseau  rectifiée. 
Paris,  Hachette,  1909,  in-i6. 

284-,  MoRNET  (D.),  Le  texte  de  la  «  Nouvelle  Héloïse  »  et  les  éditions 
du  XVIII'-'  siècle.  1909,  [49]  V,  1-117. 

28.5.  G1RARDIN  (C"-'  de),  Iconographie  des  Œuvres  de  J.  J.  Rousseau, 
Paris,  Eggimann,  iqio,  in-8. 


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28B.  SciiiNz  (A.).  «  [.a  Profession  de  foi  du  Vicaire  Savoyard  »  et 
le  livre  «  De  L'Esprit  ».  1910  [48],  W'II.  225-261. 

2s7.  .Masson   (1^.  Maukice),  Rousseau  contre  Helvetius,   iqii    [48], 

XVIII,  103-124. 

287'''*.  Valleite  (G.),  Jean-Jacques  Rousseau  Genevois,  Genève, 
Jullien  —  Paris.  Pion,  191 1,  in-8. 

28S.  N'ii.LEY  (P.),  Llnfuence  de  Montaigne  sur  la  pédagogie  de 
Locke  et  de  Rousseau,  Paris,  Hachette,  191 1,  in- 16. 

289.  iMoBNEr  (D.).  Les  Sciences  de  la  Nature  en  France  au 
XVIII'-'  siècle:  un  chapitre  de  l'histoire  des  idées.  Paris,  Colin,  191 1, 
in-16. 

289'''*.  Lanson  (<j.).  Questions  diverses  sur  l  histoire  de  l  esprit 
philosophique  en  France  avant  iy5o,  1912  [48],  XIX,  1-29,  2()3-3i7. 

2Î(0.  Masson  (P.  Maikice).  Rousseau  et  Morellv,  19 12  [48],  XIX, 
414-415. 

291.  .Masson  (P.  Malkice).  Comment  connaître  Jean-Jacques?  (A 
l'occasion  du  deuxième  centenaire  de  sa  naissance).  Revue  des  Deux- 
Mondes.  i5  Juin  1912,  pp.  872-()o5. 

292.  -Masson  (P.  Mairice),  Sur  les  Sources  de  Rousseau,  ii)i2  [48]. 

XIX,  640-64fi. 

293.  Capékan  (L.).  Le  problème  du  salut  des  Infidèles,  Essai  histo- 
rique, Paris,  Beauchesne,  1912.  in-8. 

294.  Favre  (L.),  Le  Manuscrit  Favre  de  i  «  Emile  ».  1912  [49]. 
Vin.  233-3i6. 

29.5.  Ledos  i  E.  G.i,  Catalogue  des  ouvrages  de  Jean-Jacques  Rous- 
seau, conservés  dans  les  grandes  Bibliothèques  de  Paris,  Paris,  Cham- 
pion, 1912,  in-8. 

296.  ScHiNz  (A.),  La  Question  du  «  Contrat  Social  ».  1012  [48]. 
XIX,  741-790. 

297.  Beallavon  (G.i,  La  question  du  «  Contrat  Social  ».  Une  fausse 
solution,  1913  [48],  XX,  585-601. 

37 


578  BIBLIOGRAPHIE 

297'''*.  BuKFENOiR  (H.i,  Les  Portraits  de  Jean-Jacques  Rousseau,  t.  I,  j 

Paris,  Leroux.  igiS.  in-4.  : 

298.  Clendet    (W.),    La   philosophie    religieuse   de  Jean-Jacques 
Rousseau  et  ses  sources.  Genève,  Jullien,  1918,  in-8. 

299.  Masson    I  p.    Maurice),   Mme    d'Épinay,    Jean-Jacques tt 

Diderot  che^  Mlle  Quinault,  igiS  1^49],  IX,  1-28. 

300.  Masson  (P.  Maurice),  Questions  de  chronologie  rousseauisle, 
1913  [49  ,  IX,  37-61. 

301.  Masson  (P.  Maurice),  Le  séjour  de  J.  J.  Rousseau  à  l'hospice 
du  San-Spirito,  1914  [48],  XXI  là  paraître  dans  le  n»  de  Janvier-Mars  1. 


INDEX  DES  TEXTES  INEDITS 


CITÉS     or     LTILTSKS      DANS     CETTE      ÉDITION 


.    1 


TEXTES  DE  ROUSSEAU 


Institi'tions  chimiques. 

—  Lirre  I  :  pp.  97,  noie  i  :  99,  no- 
tes 2,  4  et  5;  105-107,  note  i  ;  109, 
note  3  :  177,  note  2. 

—  Lirre  II  :  pp.  97,  note  1  :  99,  note  2. 

—  LiiTe  m  :  pp.  io5-i07,  note  1  :  i3i, 
note  5. 

—  Lii're  IV  :  p.  177,  note  2. 

Cahiers  de  brouillons. 

—  .V"  /840  :  p.  547. 

—  A'"  7842  :  pp.  Lxvii  ;  2Ô7,  note  3: 
273,  note  1  ;  327,  première  note  i  : 
540  :  545  ;  549  ;  55o  ;  555  ;  556  ;  557  ; 
559  :  56o  ;  363  ;  364  :  565  :  566. 

—  N"  7843  :  pp.  \bq,  note  2;  375, 
note  I  ;  540. 

Conseils  a  ln  cubé. 

—  PP.  xm  et  note  2:  21.  note  1  ;  43. 
noie  I  :  425-427,  note  3. 


Notes  diverses  sur  des  livres  ou  des 
manuscrits. 

—  Sur  la  «  Sagesse  •»  de  Charron  : 
p.  549. 

—  Sur  te  «.  Système  des  Anciens  et 
des  Modernes  »  de  Marie  Huber  : 
p.  558. 

—  Sur  les  «  Doutes  sur  la  religion  ■»  : 
pp.  540,  563. 

Nouvelle  Héloïse. 

—  Vh  Partie.  Lettre  VI  :  p.  43. 
note    1 . 

—  VI-  Partie,  Lettre  VIII  :  p.  189, 
note  3. 

—  VI'  Partie,  Lettre  XI  :  pp.  5i. 
note  2  ;  53,  note,  5  ;  209,  note  2. 

É.MILE. 

—  Lirre  I  :  p.  37.  note  6. 

—  Livre  II  :  pp.  .xxxviii  ;  i3.  note  4: 
2o5,  note  4. 


'  Je  n"ai  naturellement  mentionné  dans  cet  Index  ni  les  passages  inédits  que 
contenaient  les  divers  .Manuscrits  de  la  Profession,  ni  les  textes  inédits  publiés 
comme  tels  aux  Appendices,  mais  ceu.x-là  seulement  que  j'ai  cités  ou  utilisés  dans 
['Introduction,  le  Commentaire  ou  la  Bibliographie.  D'autre  part,  quelques-uns 
des  textes  relevés  dans  cet  Index  sont  déjà  en  partie  ou  même  entièrement  connus  ; 
mais  j'ai  cru  devoir  leur  faire  place  ici,  soit  parce  que  la  rédaction  en  était  nouvelle, 
soit  parce  que  le  nom  du  destinataire,  lorsqu'il  s'agissait  de  Lettres,  manquait  dans 
l'édition  des  Œuvres. 


s8o 


IXDEX    DES    TEXTES    INEDITS 


Emile. 

—  Livre  IV  :  p.  289.   noie  2. 

—  Livre  V  :  p.  465,  note  i. 

—  Errata  :  p.  i.xvii,  note  1. 

—  Notes  marginales  du  «  Brouil- 
lon »  ;    p.  Lxvii,   note  5. 

—  Traité  avec  Duchesne  pour  l'im- 
pression d  '  «  Emile  »  ;  pp.  .xliv-.\lv, 
note  5. 

—  Mémoire  sur  l'impression  d'  «  E- 
miley,  contresigné  par  M.  de  Ma- 
lesherbes,  le  3i  Janvier  1/66  : 
pp.  .\Lv-.\Lvi,  note  3. 

Correspondance. 

—  Brouillon  de  la  Lettre  à  Voltaire. 
du   18  Août  iy56  :  p.  433,  note  1. 

—  Lettre    à     Duclos .     de     Décembre 


COBBESPOND.ANCE. 

lyôo  (?)  :   pp.  x.\xv-.\.\xvi.   note  8: 
433-,  note  I. 

—  Lettre  à  A/.  Tscharner  et  aux 
membres  de  la  «  Société  des  Ci- 
loyens-i'de Berne, du 2g  Avril  ij62  : 
p.  569. 

—  Lettre  à  Moultnu.  du  7  .lui)\  1/62  : 
p.  i.m. 

—  Lettre  à  Mme  de  Baugrand,  de 
Décembre  1  y63  :  p.  572. 

—  Lettre  à  l'abbé  de  Carundelet,  du 
li  Janvier  iy6^  :  p.  419,  note  3. 

—  Au  même,  du  4  Mars  1/64  : 
p.  281.  note. 

—  Au  même,  du  1  1  Sovembre  1 /64  : 
pp.  421,  note  3;  467,  note  3. 

—  Lettre  à  l'abbé  Maydieu,  du  14 
Mars  lyyo  :  p.  xciv,  note  2. 


II 


AUTRES  TEXTES 


Baugb.\nd  (.M""  DE). 

— ■  Lettre  à  Rousseau,  du  10  No- 
vembre iy63  :  p.  572. 

Hbiz.^rd  (.Abbé  G.). 

—  Notes  sur  Rousseau  :  pp.  i.\.  note  i  ; 
571. 

Bbuyset  (Jean-Marie). 

—  Lettre  à  Rousseau,  du  26  Décem- 
bre jy62  :  pp.  Lxxxvii  ;  xci. 

Di'CHESNE  (Nicolas-Bonaventube). 

—  Traité  avec  Néaulme  pour  la  pu- 
blication des  Œuvres  de  Rousseau  : 
p.  XLvii.  note  I. 

—  Lettre  à  Rousseau,  du  4.  Juin  iy62: 
p.  i.m,  note  6. 


DuvAL  {Vai.entis-Ja.mebai). 

—  Extraits  de  «  .Mémoires  y  commu- 
niqués par  Deleyre  et  copiés  par 
Rousseau  :  pp.  534;  570. 

Gaime  (.Abbé). 

—  Documents  biographiques  :  p.  xxx. 

GÀTIEB  (.Abbé). 

—  Documents  biographiques  :  pp.  xxxi- 

XXXII. 

La  Condamine. 

—  Lettre  à  Rousseau  de  1/62  :  p.  85. 
note  3. 

Mabtin  (Abbé). 

—  Lettre  au  Maréchal  de  Luxembourg, 
du  8  Juin  iy62  :  p.  liv,  note  i. 


INDEX    DES    TEXTES    INÉDITS 


S'^I 


Maleshebbes  (.m.  de). 

—  Corrections  au  traité  de  Rousseau 
avec  Duchesne.  du  29  Août  iy6i  : 
p.  XLV.  noie  5. 

—  Lettre  à  Rousseau,  du  3  Décem- 
bre 1^61  :  pp.  .KLii-.\Liii,  note  2. 

—  Attestation  donnée  à  Rousseau  le 
3i  Janvier  I/66  :  pp.  xlv-.\i,vi. 
note  3. 

Nëail.me  (Jean). 

—  Lettre  à  Rousseau, du  20  Mai  1/62  : 
pp.  LUI  ;  Lxxvii;  lxxix  :  lxxx  ;  lxxxvi. 

—  Au  même,  du  22  Mai  :  pp.  uni  ; 
LXXVIII  ;  Lxxxvr. 

—  Au  même,  du  24  Mai 
lxxx;  lxxxvi;  lxxxvii. 

—  Au  même,  du  26  Mai  : 

—  .4»   même,   du    2   Juin 
LXXLX  ;  LXXX  ;  lxxxvi. 

—  .4»   même,  du   10  Juin 

—  .4i/  même,  du  28  Juillet  :  pp.  Lxxviii  ; 
lxxxvi. 

—  .4i(  même,  du  26  Octobre  :  p.  lxxxii. 

—  Au  même,  du  3  Décembre:  p.  lxxxvi. 

—  Au   même,  du   3i   Janvier   ij63  : 

p.    LXXXVI. 

Offbeville  (.\l.  d"). 

—  Lettre  à  Rousseau,  du  ij  Sep- 
tembre 1/61  :  p.  538. 

—  Au  même,  du  ly  Octobre  ij6i  : 
p.  538. 


pp.  Lxxvii  ; 

;  p.  Lxxviii. 
pp.    LUI  ; 

p.    LXXVII. 


Rey  (.\1abc-.\1ichel). 

—  Lettre  à   Rousseau,    du    22    Octo- 
bre 1761  :  pp.  XLv;  537. 

—  Au     même,     du     i5    Novembre    : 

pp.  XLVI  ;  XLVII. 

—  .4m  même,  du  7  Décembre  :  p.  xlvi. 

—  .4i(     même,     du     3i     Décembre     : 

p.   LXXXIV. 

—  Au     même,     du     6     Mars     I/62    : 

p.    LXXXIV. 

—  .4i/  même,  du  25  Mars:  p.  lxxxi. 

—  Au  même,  du  8  Avril  :   p.  lxxxvii. 

—  .4i(  mét7ie,  du  24  Mai  :  p.  lxxxv. 

—  Au  même,  du   //  Juin  :  p.  lxxxv. 

—  Au  même,  du  12  Juillet  :  p.  lxxxv. 

—  .4  II  même,  du  g  Septembre:  p.  lxxxv. 

—  Au     même,    du    28    Septembre    : 

p.   LXXXV. 

—  Au     même,     du     14    Décembre    : 

p.    LXXXV. 

—  y4i(    même,    du    8    Avril    iy63    : 

p.    LXXXVII. 

—  ^1/  même,  du  28  Août  :  p.  lxxxm. 

—  .4 II    même,    du    20    Juin     1764    ; 

p.    I.XXXIV. 

Saint-Pierre  (.Abbé  de|. 

—  Manuscrits  confiés  à  Rousseau  par 
le  Comte  de  Saint-Pierre  :  p.  547. 


INDEX  GRAMMATICAL,  ORTHOGRAPHIQUE 
ET  SÉMANTIQUE  ' 


A  (à  toute  mesure,  à  différentes  me- 
sures). 63. 
.Aggrégatif.  177,  327. 
Anti-réligiosiste.  448,  45 1,  537. 
Arrêter  à  (s'),  237. 
Attendrir  à  (s').  293. 

Baile  et  Bayle.  453. 

Cacouac.  449,  46 1. 
Commencer  de.  i3. 
Comme  que,  467. 
Compulsif,  327. 
Confédératif,  327. 
Controuver.  263. 
Croire  à  (=  se  fier  à),  349. 

Degré.  63. 
Déiste,  3o3. 
Dernière,  6g. 

Elève  et  élevé,  i5. 

Essenciel  et  essentiel,  69.  414,  416. 

Estomac  et  estomach,  126. 

Éventif,  177,  327. 

E-Xclusif  à,  393. 

Exclusivement  à.  SgS,  533. 

Fermentatif,  177. 


Flogistique,  99. 

Hvmne,  299.  3oi. 

Imitatif,  327. 

Inactif,  327. 

Incessamment    (=    continuellement), 

265.  482. 
Indifférence  et  indifférence.  24. 
Initiatif,  327. 

Inspection  sur  (avoir).  i55,  32 1. 
Intuitif,  227. 

Ject  et  jet,  126. 

Malgré  que,  77. 

Matière,  69. 

Méditerranée  (=  qui  est  au  milieu  des 

terres),  38 1. 
.Mixte  (substantif),  99,  i3i. 
Moderniste,  520. 

Montagne  et  Montaigne,  261,  486. 
Mistere  et  mystère,  3o3,  307,  343,  383. 

419. 

Natif  (=   ce    qu'on    apporte    en    nais- 
sant), i5. 
Neuton  et  Newton,  106. 
Xombrer,  83. 

Obter  et  opter,  340. 


'  On  ne  trouvera  dans  cet  index  qu'un  très  petit  nombre  des  particularités 
orthographiques  du  texte.  J'y  ai  seulement  relevé  celles  qui  avaient  été.  dans  le 
Commentaire,  l'occasion  de  remarques  générales,  et  celles  qui  témoignaient,  chez 
Kousseau  lui-même,   d'hésitations  ou   de  changements. 


5«4 


INDEX    GRAMMATICAL 


Périr  (avec  l'auxiliaire  élre),  127. 
Philosopherie,  451 . 
Philosophesque,  451. 
Philosophiser,  451. 
Fhilosophisme,  451. 
Philosophiste,  448,  451,  SSy. 
Phlogistique  :  cf.  flogistique. 
Poul-serrha  et  Poul-serrho,  460.  467. 
Pousser  («  les  taupes  poussent  »),  235. 
Préférence  (par),  6g,  349,  527. 
Premier,  63. 
Prestre  et  prêtre.  299. 
Prétendre  (transitif).  335. 
Projectile  (adjectifl,  107. 
Prosélite  et  prosélyte,  5,  17. 
Protée  et  Prothee,  279,  498. 


Que  si,  229,  289.  390,  460. 

Raisoneur  et  raisonneur,  346.  348.  35o. 
Régie.  69. 
Religion,  63. 
Réverbère,  i3i . 

Sorbone  et  Sorbonne.  375. 
Spiritualiste  (=  idéalistei,  95. 
Succès.    17. 

Théiste.  3o3. 
Tiran  et  tyran,  319. 
Tirannie  et  tyrannie.  345. 
Tiranniser  et  tyranniser.  375. 

Voltairien,  45 1. 

Vrai  (=  sincère).  261.  447,  457. 


-3 

I 
I 


INDEX 


DES  NOMS  PROPRES  ET  DES  ŒUVRES 


Aaron,  3.(5. 
Abauzit  (F.). 

—  Essai  de  la  Religion  naturelle,  249, 
253. 

—  Honneur  qui  est  itii  à  Jésus-Christ 
(de  l'i.  41 3. 

—  Lettre  à  une  dame  de  Dijon,  3i  r. 

—  Mémoires  concernant  la  théologie 
et  la  morale,  558. 

—  Mystères  de  la  Religion  (des),  345. 

—  (Eûmes  diverses.  545. 

—  Réjlexions  sur  l'idolâtrie,  3ii. 

—  Saint-Esprit  (du),  425. 
Abbadie,  lxkxiv,  2,  67,  137,  i5g,  237. 

—  Art  de  se  connaître  soi-même  lij, 
i65.  552. 

—  Vérité  de  la  Religion  chrétienne, 
95,  ii5,  121,  123,  i55,  i83,  2o3,  227, 
237,  253,  257,  309,  4o3,  552. 

Abraham,  377,  439. 
.Achille.  19. 
.\costa  (Uriel),  307. 
Adam  (C). 

—  Œuvres  de  Descartes  (édit.  desl.  346. 
.\ddison,  2. 

—  Discours  sur  l'idée  qu'on  doit  avoir 
de  Dieu,  229. 

—  Spectateur  (le),  129,  159,  217,  229, 
235,  249,  407,  425,  429,  535,  555. 
(Cf.  Steele). 


Aguesseau  (D"). 

—  Méditations  métaphysiques,  269. 

—  Œuvres  complètes,  5 16. 
Albalat  (A.). 

—  Travail  du  style  (le),  l.wiii.  57Ô. 
.Albigeois,  455. 

.Alcibiade,  407. 

.Alembert  (D'),  .\ix,  .\l,  25,  45,  61.  93, 
127,  i55,  i65,  199,  21 3,  21 5,  219. 
221,  241,  243,  249,  25 1,  259,  265, 
271,  345,  349,  36 1,  369,  399,  4o3, 
445,  451,  487,  529,  533,  537,  556, 
56o,  567,  568,  569,  571. 

—  Encyclopédie,  566,  567,  568,  569. 

Art.  «  Feu  »,  97,  99. 
.Art.  «.  Genève  »,  397. 

—  Jugement  sur  «  Emile  »,  345. 

—  Mélanges,  567. 

—  Œuvres,  S46. 

—  Réflexions  (sur  l'abbé  Terrasson). 
568. 

.\le.\andre,  413. 

.\ltuna,  xni. 

.Amatus  Lusitanus.  i3i,  474. 

Amyoï. 

—  Œuvres  morales  de  Plutarque 
(irad.  des),  549.  (Cf.  Plutarque). 

.Anabapstes.  455. 
Aneau  (B.),  555. 
Annibal,  247. 


'  Je  n'ai  lait  place  dans  cet  Index  ni  à  Rousseau  ni  à  ses  œuvres.  J'ai  e.xclu 
aussi  les  noms  d'imprimeur  ou  d'éditeur,  quand  ils  ne  servaient  qu'à  donner  le 
signalement  bibliographique  d'un  ouvrage;  les  noms  propres,  mentionnés  dans  les 
«  Rédactions  manuscrites  »,  mais  qui  ont  passé  dans  l'édition  originale;  les  noms 
des  personnages  tictifs,  fournis  par  les  romans,  pièces  de  théâtre,  etc. 


586 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


Anson  (Amiral). 

—  \'ovage  autour  du  monde,  466,  564. 
Anionin  (L'Empereur  Marc-A.),  407. 
Apollonius.  413. 

Arcq  (Chev'  d'). 

■ —  Lettres  d'Osman.  .\.\iv.  xxv.  567. 

Art^ens  (M  "  d'). 

—  Lettres  Chinoises,  x.w,  3Hi.  56o. 

—  Lettres  Juives,    43.    33 1,    345.    373. 
377,  56o. 

—  Philosophie  du  bon  sens,  269,  56o. 

—  Songes  philosophiques,  xxv. 

—  Timée  de  Locres.  227. 
Ariens,  455. 

Ariman  (=Ahriman),  33 1. 
Aristide,  253,  403,  409,  474. 
Arisioie,  65,  225,  399,  5o5.  507. 

—  Physique,  1 1 1. 
.Asclépiade,  65. 
Assézat  (J.),  XII.  75,  546. 
Auberl  (F.),  vi. 
.^uboin,  537. 
Audoyer  (A.),  56o. 
Auger  (L.  S.),  546. 

Auguste     (L'Empereur),     lxvii,     247. 

4i3. 
.Augustin  (S'),  36 1. 
.■\ulnaye  (S.  de),  541. 
.■\umont  (M.  d'). 

—  Art.  «.  Génération  »  de  /'  «  Encyclo- 
pédie »,  137,  iSg. 

Aurelianus  (Cœlius),  65. 

Bachaumonl. 

—  Mémoires  secrets,  lui,  liv,  lv,  545. 
Badin  lA.). 

—  \Ianuscrits  de  Rousseau  (les),  lxv. 

Bailly  de  Lalonde. 

—  Léman  (/e).  lxv,  Lxvni.  lxix,  574. 
Bancarel,  542. 

Barbeyrac  (J.),  257,  259,  261,  271,  554, 
562. 

—  Sotes  du   &  Droit  de  la   Nature  y>, 
237. 

—  Préface  du  *  Droit  de  la  Sature  », 
253.  257,  271,  285,  405,  41 1,  554. 


Barbier  {k.  A.). 

—  Écrits  relatifs  à  Rousseau.  574. 
Barclay  (J.).  55o.  553. 

—  Argénis  (T),  xxi.  55o,  553. 

—  Euphormion,  553. 

—  Tableau  des  esprits,  553. 
Barclay  (R.). 

—  .Apologie  de  la  véritable  Religion, 
391,  393,  553. 

Barillet,  553,  557. 

Barruel-Beauvert  (C"  dei.  xciv,  573. 
Barthélémy  (S').  455,  465. 
Basnage. 

—  Histoire  des  Juifs,  civ,  375,  554. 
Bassom pierre,  lxxxvi. 
Baugrand  (M""  de),  572. 

Baumann  (D'i  (=  Maupertuis),  93.  io3, 

179. 
Bayle,  civ,  i53.  259.  373.  453.  455,  463. 

474- 

—  Commentaire  philosophique.  534. 

—  Dictionnaire,  543. 

art.  «.  Brutus  »,  2o3. 
art.  «  Lucrèce  »,  175. 

—  Œuvres  diverses,  546. 

—  Pensées  sur  la  comète,  455,  55 1. 
Beaulavon  (G.). 

—  Question  du  «  Contrat  social  »  (la). 
XL,  577. 

Beaumont(M.de).  xix,xxv.lxii,  lxxxvii, 
43,  143.  i65,  169.  227.  289,  307,  323, 
33i,  335.  347,  413.  423,  429,  534,  559, 
56o,  567. 

—  Mandement  sur  r  «  Emile  •■■•.  143. 
Beausobre  (1.  dei 

—  Histoire  du  Manichéisme,  civ,  43. 
171,  223,  225.  227,  405,  55g. 

Beausobre  (L.  de). 

—  P-^rrhonisme  du  sage  (le),  5i,  567. 
Beaussire  (E.). 

—  Doni  Deschamps.  542. 
Beccher.  99. 

Beckker.  lxxxvi. 
Bellanger. 

—  Théologie  astronomique  (trad.  de 
la),  557. 

Benjamin,  377. 


INDEX    UKS    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


58 


7 


Bérénice,  522. 
Bergier  (N.),  571. 
Bergounioux  (E.). 

—  Lettres  de  Rousseau  a  M""'  de  \'er- 
delin  (édit.  des).  542. 

Berkeley,  73,  519,  52o. 

—  Alciphron,  77,  i83,  18g,  537,  SSg. 

—  Hylas  et  Philonoïis,  77,  565. 
Bernard  IJ.  F.i,  56 1. 

Bernex  (M.  de),  x.xxii,  295. 
Berruyer  (Le  P.). 

—  Histoire  du  peuple  de  Dieu,   38i. 
401,  4i3,  567. 

Barder  (Le  P.),  81. 
Berlhoud  (F.). 

—  Rousseau  au  \'al  de  Travers,  533. 
Beuchoi,  Lxv. 

Bèze  (Th.  de). 

—  Psaumes  de  David,  21 3. 
Bibiena  (G.  dei. 

—  Triomphe  du  sentiment  (le),  532. 566. 
Bitaubé  (P.  J.). 

—  Examen  du  Vicaire  Sai'ovard.  56i, 
572. 

Blanchard  (R.),  vi. 
Blochet  (E.),  vti,  467. 
Blounl  (Ch.). 

—  Miscellaneous  Works  (the),  379. 

—  Oracles  of  Reason  flhe),  'iyg. 
Boileau,  407. 

Boislisie  (A.  de),  547. 
Boislisle  (J.  de),  547. 
Boiteau  (P.). 

—  Mémoires  de  M""   d'Épinay  ledit, 
des),  542,  574. 

Bonhomme. 

—  Censure  de  l'  *  Emile  »,  lvi,  572. 
Bonnet  (Ch.).  81,  t37.  (Cf.  Philopolis). 

—  Essai  de  psychologie,  61,  85,   ni. 
123,  281,  567. 

—  Essai  sur  les- facultés  de  l'cime,  -3, 
79,  [79,  570. 

—  Œuvres,  546. 

Borde  (Ch.).  xiii,  289,  369. 
Borgeaud  (Ch.). 

—  ./.  ./.  Rousseau's   Religionsphiloso- 
phie.  Lxxii.  575. 


Bosscha  IJ.). 

—  Lettres   de    Rousseau  à  Rev  (édit. 
des),  LVI,  lAXXii,  542. 

Bossuel,  Lxxxiv,  67. 

—  Exposition    de    la  foi   catholique. 
36 1,  363,  55o. 

—  Histoire  des  variations,  421.  552. 

—  Histoire  universelle,  253.  309.  55i. 

—  Œuvres,  546. 

—  Sermon  sur  la  loi  de  Dieu,  49. 
Boubers  (De),  xci. 

Boufflers  (M"'  de).  5/3. 
Bouhours.  i5. 
Boulanger  (N.). 

—  Despotisme  oriental  (le),  civ,  401, 
548,  571. 

Bouvier  (B.),  vi.  lvi,  576. 

—  Notes  de   Voltaire  (édit.  des),  572. 
Bovet  (F.). 

—  Psautier  des  Églises  réformées,  2 1 3. 
Boy  de  la  Tour  (M"').  63.  543. 

Brach  (P.  de).  549. 
Bret  (A.i. 

—  Journal  Encyclopédique,  545. 
Brisson  (M.  J.). 

—  Traité  de  physique,  107. 
Brizard  (G.),  lix.  lx,  xciv,  541. 

—  Écrits  sur  «  Emile  »  (des),  572,  574. 

—  Notes  sur  Rousseau,  lx,  Sji,  574. 
Brown  (R.),  537,  571.  (Cf.  Vernet). 
Brucker  (J.). 

—  Historia   critica  philosophiœ.  ijo. 
562. 

Brunet  (J.  C). 

—  Mémoires  de  M""   d'Epinay  (édit. 
des),  X,  574. 

Brunetière  (F.). 

—  Nouvelles  Éludes,  xl.  xlix,  541,  5/5. 
Brunschwicg  (L.). 

—  &  Peitsées-»  de  Pascal  {éd\l.  des),  55c  1. 
Brutus,  2o3,  23 1.  245,  522. 

Bruvset  (J.  .M.),  lxxxvi.  lxxxvii.  lxxxix. 

xci. 
BufFenoir  (H.). 

—  Comtesse  d'Houdetot  {la/.  543. 

—  Portraits  de  .1.  J.  Rousseau  {lesj, 
563,  578. 


5S,S 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


Budier  (Le  P.). 

—  Examen    des    préjugés    vulgaires, 
195,  556. 

—  Métaphysique,  71,  556. 

—  Traité  des  premières  l'érités.   11 5, 
123,  145.  556. 


Carondelet  (.\bbé  de),  2(Si ,  4 [g,  421,  467. 
Cartier  (M.),  553. 
Casiel  (Le  P.). 

—  Homme  moral  il'},  9,  569. 

—  Système  de  Newton,  435,  53o,  562. 
Castillon  (J.  L.|. 

—  .tournai  Enc\'clopédique,  345. 


Butîon. 

— -  Art.  «.  Evidence  *  de  /'  ^^  Encyclo-  Catherine  (  LMmpératrice),  67. 

pédie  »  (?).  73.  Catilina.  247.  24g.  474. 

—  Histoire  naturelle,  yi,  loi.  li-j,  lig,  Caton,    2o3,    245,    403,   407.    409,   474, 
564.  484,  522. 

Bugnard,  .\.\.\.  Cavaignac  (M"'i. 

Burigny  (Levesque  dei.  —  Mémoires  d'une  inconnue,  53o,  54Q. 

—  Examen   critique   des   apologistes.  Céphas,  3S7. 


civ,  548,  558,  571. 
Burlamaqui. 

—  Droit  naturel,  249,  263,  563. 
Burnand  (J.),  43i ,  56i. 
Burnand  (D'). 

—  7"/iéo/og'(e  iVt' /'t'c7i(  (Lrad.  de  la),  56i .       —   Voyages  en  Perse,  467,554. 
Burnet   (G.),    421.    562.    (Cf.    Laserre,       Charlemagne,  569. 

Saint-Évremond   et   Examen  de   la       Charles  I",  455. 


César,  2o3,  245,  413,  475. 

—  Commentaires  (les),  413. 
Chamfort. 

—  Journal  Encyclopédique,  545. 
Chardin  {\.). 


Charron,  363. 

—  Sagesse  tde  la),  223,  297,  Sog,  3i5, 
317,  475,  549. 

Chateaubriand. 

—  Génie  du   Christianisme,    i35,  469. 
Châtelet  (M"'  du|,  97,  99. 
Chaumeix  (.\.  J.). 

—  Préjugés   légitimes,    117,   269,  449, 
569. 


Religion.) 

Cajot  (Di)m  .L|. 

—  Plagiats   de   ./.    ./.    Rousseau,    cv. 
271,  297,  3i  1 ,  395,  573. 

Calandrin. 

—  Psaumes  en  vers  français,  21 3.  555. 
Calas.  455,  542. 
Calmet  (Dom),  civ,  333,  335,  337. 

—  Dissertations  sur   les   apparitions,  Chénier  {.\.). 

33 1,  563.  —  Socrate  et  .lésus-Chrisl.  413.  573. 

—  Dissertatio)is   sur   les   vrais   et   les  Cherel  (A.). 

faux  miracles,  369,  371.  —  Maximes  des  Saints  (édit.  des),  .x.xi. 

—  Prolégomènes  à  l'Ecriture  Sainte,  Chiniac  (P.). 

333,  335,  337,  555.  —  Essais  de  philosophie  morale,  451, 

—  Sainte  Bible  lia).  333,  564.  574. 
Calvin,  575.  Choiseul,  xciii. 

—  Institution    chrétienne,    237,    323,  Choisv  (E.),  vu. 

425,  5J9.  Chrysostome  (S' Jean),  463. 

Camillus  (Julius),  131,475.  Chubb. 

Campanella.   173,  175.  —  Mémoires  concernant  la  théologie 
Capéran  (L.l.  et  la  morale,  558. 

—  Problème  du  salut  des  injidèles  Ile),  —  Supplément  à  la  question  prélimi- 
38i,  577.  naire    touchant    la    religion,    3ii, 

Cardan,  257.  319,  339,  397- 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES   ET   DES    ŒUVRES 


389 


Cicéron,  129,  4r  r . 

—  Académiques,  411. 

—  Dii'inatione  (de),  53. 

—  Leffibus  tde/.  25q. 

—  Tiisculanes,  411. 
Cimon,  253. 
Clarke. 

—  Existence  el  les  attributs  de  Dieu 
(V).  2,  64,  65,  67.  95,  loi,  ii3,  125. 
157.  159,  173.  179,  181,  225,  237, 
257,  263,  333,  335,  343',  365.  879, 
417.  443.  447,  475,  5i6,  556. 

Claude  (L'Empereun,  329. 
Claudin  (.A.i. 

—  Catalogue  Rochebiliêre.  1  \\vi.  575. 
Claville. 

—  Traité  du  vrai  mérite,  67.  237,  403, 
445.  55q. 

Clément  d'.Mexandrie,  405. 

Clément  XIII,  i.vi. 

Cloyne   (L'tvèque   de)    (^    Berkeley), 

7?- 
Cochin  (H.y,  i55. 
Cochin  (Ch.  N.).  541. 
Coindet  (D'I.  l.wiii. 
Coindet  (Fr.|,  Lxvni. 
Combes  (De). 

—  Vie  de  Socrate  (trad.  de  la),  56(3. 
Comte  (Ch.  1. 

—  S'otes  sur  une  page  de  J.  J.  Rous- 
seau, Lxvrii.  576. 

Condillac. 

—  Art.  «.  Évidence  •*  de  l'  «.  Ency- 
clopédie »  (••),  73. 

—  Essai  sur  l'origine  des  connais- 
sances humaines,  73.  563. 

—  Extrait  raisonné  du  traité  des 
sensations,  89. 

—  Œuvres,  546. 

—  Traité  des  animaux,  ij,  99.  233,  568. 

—  Traité  des  sensations,  73.  75,  77, 
81,  89,  91,  567. 

—  Traité  des  systèmes,  11 5.  565. 
Confucius,  405,  411,  465. 
Conon.  253. 

Conrart  (.\1.  V.). 

—  Psaumes  en  vers  français,  21 3. 


Conii  (P"  de»,  lv. 
Conzié  (.M.  de),  563. 
Cooper  (J.  G.). 

—  Vie  de  Socrate,  407.  566. 
Corancez,  549. 

—  Jean-Jacques   Rousseau  (de/,    xcii. 
xciii,  574. 

Corancez  (M"),  259. 
Corancez  (M'"),  549. 
Cornélius  (Le  Centurion),  391. 
Coste  (P.),  552,  553. 
Cousin  (V.).  95,  540. 

—  Philosophie  populaire,  xcvu. 

—  Style  de  Rousseau  (du/,  lxv,  lxviii, 
574. 

Coyvecque  (E.|. 

—  Manuscrits    de    la     Chambre    des 
Députés,   LXV.   5/6. 

Cramer  (t'h.),  377. 

Créqui  (.M"'  de).  3i5.  445,  540. 

Crésus,  245. 

Criton,  4o5. 

Cuendet  (W.). 

—  Philosophie    religieuse    de    J.    J. 
Rousseau,  xiv.  5yH. 

Cumberland  iR.). 

—  Lois  naturelles.  23/,  257,  263,  269. 
283,  562. 

Dacier  (.A.). 

—  Discours  sur  Platon,  405. 

—  Œuvres  de  Platon  (trad.  des).  553. 
Daubenton. 

—  Histoire  naturelle.  235,  564. 
David,  377.  (Cf.  Psaumest. 
Débraye  (H.). 

—  Manuscrits    de    la     Chambre    des 
Députés,  LXV,  576. 

Defer    de    la    .Maisonneuve,   lxi,    lxvi, 

.xcv. 
Deleyre,    161,  455,   529,  534,  ^41,  544, 

5(39.  570. 

—  Art.  «  Fanatisme  ■»  de  I'  «■  Ency- 
clopédie ».  455. 

Deluc  (J.  F.),  23,  537. 
-  Observations  sur  les  savants  incré- 
dules, 537,  571. 


SQO 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


Denans. 

—  Censuie  de  l'  »  Emile  ■^,   i,vi,  572. 
Derham  (G.). 

—  Théologie  astronomique,  i35,  SSy. 

—  Théologie  physique,   i35,   1 37,556. 
Descartes,  en,  71,  75,  79,  loi,  io5,  107, 

109,  I  r3,  435,  473,  53o,  562. 

—  Discours  de  la  méthode.  Sq,  47.  53, 
69,  99,  123,  395,  397,  55o. 

—  Méditations,  87. 

—  Œuvres,  546. 

—  Principes,  107,  i23,  55o. 

—  Traité  de  la  lumière,  107. 
Deschamps  (Dom),    39,    69,    ii5,    177, 

447.  542. 
Deschamps  (Mgr),  x.x.xu. 
Deslandes  (,\.  F.  Bourreaui. 

—  Histoire  critique  de  la  philosophie, 
373.  56o. 

Desmaizeaux  (P.).  547. 
Deutéronome,  iiy.  475. 
Diagoras,  127. 

Diderot,  xi.  xii.  xxxix.  xl,  i.v.  65.   195, 
373,  375,  445,  529,  545. 

—  Apologie  de  l'Abbé  de  Prades,  201. 
566. 

—  Contes,  XXV, 

— ■  Correspondance  littéraire,  545. 

—  Encyclopédie,  566,  567,  568.  569. 

Art.  «  Célibat  *,  431. 

Art.  «.  Chinois  ■»,  383. 

Art.  «  Christianisme  ■>>,  463.  469 

Art.  <<.  Éclectisme  ».  5i. 

Art.  <•.  E.xislence  »,  -ji,  73.   529, 

Art.  «  P\thagore  •»,  iyi. 

—  Entrelien  arec  la  maréchale  de  *** 

XII. 

—  Epitre  à   la  princesse   de   Nassau 
536. 

—  Essai  sur  le  mérite  et  la  vertu,  (|3 
i65,  179,  2o5,  3o3.  563. 

—  Fils  naturel  (te),  25r.  281,  569. 

—  Lettres  à  A/"'  Volland,  534,  538. 

—  Œuvres  complètes.  546. 

—  &  Parabole  ■»  (la),  542. 

—  Pensées    philosophiques,    41,     119, 
i2().  i3i,  i35.  153.297,325.347,563. 


—  Pensées  sur  l'interprétation  de  la 
nature,  xxvi,  33,  gS,  io3.  i25,  iSg, 
175.  179,445,  457,  567. 

—  Père  de  famille  (le),  536,  569. 

—  Plan  d'une  université,  67. 

—  Principes  philosophiques  sur  la  ma- 
tière   et    le    mouvement,     g3,     q5, 

'77- 

—  Promenade  du  sceptique,  xii. 

—  Règne  de  Claude  et  de  Néron.  329. 

—  Rêve  de  D'.Membert.  127. 
Didot  (l'Aîné),  xcv. 

Didol  (le  Jeune),  lxi. 

Diogène,  519. 

Dionysus  (=  Denis  l'Aréopagiie).  391. 

Dissertations  mêlées,  ijq,  56i. 

Dilton  (H.),  Lxxxiv. 

—  Religion  naturelle,  q5.  101.  iic). 
557. 

Dominique  (S'),  xxxi. 
Douen  (O.). 

—  Clément  Marot  el  le  psautier  hugue- 
not, 2l3. 

Dreyfus-Brisac  (K.). 

—  Contrat  social  (édil.  du).  543. 
Drouet  (J.). 

—  .\bbé  de  Saint-Pierre,  l'homme  et 
l'œuvre  (/'),  547. 

Dubois  (L.).  VI. 

Duchesne,     xi.i,    xtin-Lin,     lv.    i.xvii, 

LXIX,    LXXIII-LXXXI,     LXXXIV,    LXXXVll, 

299,  474,  541,  544,  55 1,  555. 
Duclos,  XI,  XXXVI,  433,  534. 

—  Considérations  sur  les  mœurs,  2'ij. 
566. 

—  Œuvres  complètes.  546. 

Dufour  (Th.),  vu,  xi,  xiv,  xi.ii.  i.x, 
Lxxix,  xci,  261,  533,  539,  343.  553, 
557,  558. 

—  <.-.  Institutions  chimiques  »  (édit. 
des).  543. 

—  Pages  inédites  de  .1.  .1.  Rousseau, 
/'■''  série  (édit.  des),  543. 

—  Pages  inédites  de  ./.  J.  Rousseau. 
II""  série  (édit.  des)..  543. 

—  Première  Rédaction  des  «  Confes- 
sions »  (édit.  de  la),  c\iii,  343. 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    (EUVRES 


391 


Duguei  (J.  J.). 

—  Principes  de  Ij  foi  chrétienne,  413, 
559. 

Dulard  (1>.  A.). 

—  Grandeur  de  Dieu   dans   les    mer- 
l'eilles  de  la  nature  (la),  i35. 

Dumarsais. 

—  Anahse  de  la  Religion  chrétienne, 
xcvi,  415,  548,  563,  571. 

—  Philosophe  (le),  281. 

Du  Peyrou,  xi.v,  i.viii,  xciv,  xcv.  cvii, 

g,  63,  341. 
Dupin  (Cl.),  lOQ.  i35,  287,  53o,  543,  558. 
Dupin  (.M"').  543. 
Du  Resnel. 

—  Essai  sur  l'homme  (trad.  de  1').  557. 
Duval  (V'alentin-Jamerai). 

—  Mémoires,  534,  570. 

—  Œuvres,  5yo. 
Kcclésiasle.  5y. 
Ecclésiastique  II'),  xl. 

Eisen     (Ch.),     lxxiv,     t.xxix.     lxxxvi, 

LXXXVII,     LXXXVIII,    XC,    XCI. 

Élianus,  255. 

Encyclopédie,  xxxix,  civ.  93.  342,  547, 
566.  567,  568.  56q. 

—  Art.  «  .Xthées  ».  i53,  453.  (Cf.  Vvon). 

—  —  «    .Athéisme   »,    67,    2o3.     (Cf. 

Formey). 

—  —  &  Célibat  ».  43.  (Cf.  Diderot). 

—  —  «  Chinois  ».  383.  (Cf.  Diderotl. 

—  —  «    Christianisme    ».    463.    46^. 

(Cf.  Diderot). 

—  —  «  Conscience  »,  532.   (Cf.  Jau- 

courti. 

—  —  »  Éclectisme  ».  51.  (Cf.  Diderot). 

—  —  «  Étymologie  »,   52g.  (Cf.  Tur- 

goi.^). 

—  —  «   Évidence   ».    73,  75,   77,   83. 

85,  95,   101,   187,  529.  (Cf.  Buf- 
fon  et  Condillac  ?). 

—  —  a  Existence  »,  73,  75,  529.  (Cf. 

Diderot  et  Turgot  ?>. 

—  —  «  Expansibilité  »,  529.  (Cf.  Tur- 

got ?). 

—  —  «   Fanatisme  »,   455.   (Cf.    De- 

levre). 


—  —  «    Feu   ».  97,  99.   (Cf.   D'.Mcm- 

bert). 

—  —  «  Foi  »,  371,  393.  (Cf.  .Morellet). 

—  —  «  Génération   »,    137,    139.  (Cf. 

D'Aumont). 

—  —  «  Genève  ».  397.  (Cf.   D'.Mem- 

bert). 

—  —  «Pythagore»,  373.  (Cf.  Diderot). 
Enéide,  129,  249,  520. 

Épictète,  407,  411. 
Épicure,  xii,  65,  127,  175,  2o5. 
Épicuriens,  117,  52o. 
Épinay  (.M""  d'). 

—  Mémoires,  x.  xi,  xii,  xiti,  37.  53o, 
534,  536,  537,  542,  564,  574. 

Érasme,  407. 

Espiard  de  la  Cour  (D"). 

—  Pensées  philologiques,  253,  319. 
359,  377,  565. 

Estrées  (Abbé  d'),  457. 

«  Etymologie  »  (art.  de  VEncyclo- 
pédie),  529.  (Cf.  Turgot  ?). 

Evangile,  eu,  cm,  401-413,  535,  etc. 
(Cf.  S'  Jean,  S'  Luc,  S'  Marc,  S"  .Mat- 
thieu). 

*  Evidence  »  (art.  de  ['Encyclopédie). 
73,  75,  77.  83.  85,  95,  lor.  187. 

Examen  de  la  Religion,  civ,  319.  32i, 
327,  345,  37g,  383,  401,  453,  459, 
465.  467,  540,  548,  562.  (Cf.  Burnet, 
Laserre,  Saiiit-Évremond). 

«  Expansibilité  »  (art.  de  ['Encyclo- 
pédie), 529.  (Cf.  Turgot?). 

Exode.  533. 

Fabricius. 

—  Théologie  de  l'eau,  i35.  56i. 

«.  Fanatisme  »  (art.  de  ['Encyclopédie). 

455.  {C(.  Deleyre). 
Favre  (AI.),  lxiii. 
FavrelL.),  vu,  xxxviii.  Lvni,  Lxm,  lxiv, 

LXV.     LXVM,     XClX.     C.    CVIU,     CIX.     CX, 

540.  544. 

—  Manuscrit  Favre  de  /«  Emile  » 
(le).  Lxni,  544,  577. 

Favre-Bertrand  (G.).  LXiir. 

F"ayolle,  542. 


592 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


Fénelon.  221.  421,  522. 

—  Existence  de  Dieu,  g5.  101,  111. 
1 17,  123,  129,  555. 

—  Maximes  des  Saints,  xxi. 

—  Œuvres  complètes,  546. 

—  Télémaque,  xxi.  127,  221. 
Féraud. 

—  Dictionnaire  critique,  i3,  6g.  77. 
83.  127,  i3i,  i55,  227.  261.  263,  265, 
293,  3oi.  3o5,  335.  349,  38 1,  3q5, 
451.  457.  573. 

—  Dictionnaire  grammatical.  127. 
Ferrero  (G.  A.).  x.\v]ii. 

Fleury  (Abbé  de),  449. 

Foigny  (G.  de). 

• — ■   Terre  australe  lia),   xxi.   55i.  (Cf. 

Sadeur). 
Fokke  (S.),  lxxix,  i.xxx. 
Formey,  lxxxi.  lxxxii.   lxxxiii.  lxxxiv. 

.xcii,  565.  568. 

—  Anti-Emile,  lxxxii,  568,  572. 

—  Art.  «  .Athéisme  •»  de  l'  «.  Encyclo- 
pédie »,  67,  203. 

—  Conscience  (de  la).  241. 

—  Dissertation  sur  le  meurtre  volon- 
taire de  soi-même,  568. 

—  Emile  chrétien,  lxxxi-lxxxiv.  3oq. 
568. 

—  Essai  sur  la  nécessite  d'une  révéla- 
tion, LXXXII.  309,  38i,  39g. 

—  Examen  de  l'  «  Histoire  naturelle 
de  la  Religion  »,  5i. 

—  Mélanges  philosophiques,  568. 

—  Souvenirsd'un  citoyen,  lxxxiv.  573. 
François  (.\.),  vi. 

—  Lettres  de  J.  .1.  Rousseau  a  Séaulnie 
et  Duchesne  (édit.  des),  344. 

—  Provincialismes  de  J.  J.  Rousseau, 
63.  69,  457,  576. 

François  I",  573. 

Franquières  (.M.  de),  xciii,  77,  i2q,  i3i, 

173.  5 13-526.  537.  55g. 
Fréret. 

—  Annotations  aux  «  Letters  to 
Serena  »,  447-44g,  565. 

—  Examen  des  Apologistes,  558.  (Cf. 
Burigny) 


—  Lettre  de  Thrasybule  à  Leucippe, 
civ,  43,  71,  73.  97,  189,  253,  255. 
259,  267,  273.  345,  365.  379,  463. 
465,  548.  565.  571. 

Fréron. 

—  Année  littéraire,  i35,  407,  440,  451. 
463,  537.  545. 

Fritzch  (J.  C.  G.),  lxxxvi. 
Frossard  (E.). 

—  Lettre  inédite  de  Rousseau  (édil. 
d'unej.  542. 

Gaberel  (J.). 

—  Calvin  et  Rousseau,  xxvii,  575. 
Gaime  (Abbé),  xxvii-xxxii.  7.  9.  11,  ig. 

25.  2g,  3i.  41.  45.  41g.  439. 
Gambini  (H.),  vu. 
Gardy  (Fr.),  vi. 
Gassendi.  65. 
Gàlier  {."Xbbéi,  xxxi. 
Gàtier  (.\bbé  J.    B.),   xxviii-xxix.   xxxi- 

xxxiii,  9,  1 1,  4I;  45. 
Gàtier  ou  Gaitier  (CL),  xxxi. 
Gàtier  ou  Gaitier  (J.  Fr.),  xxxi. 
Gellius  (Le  Proconsul),  67. 
Genèse,  225,  227,  547. 
Genoude  (E.  de).  546. 
Gerdil  (Le  P.). 

—  Dissertatiotis  de  philosophie  et  de 
religion,  99.  i()3.  171,  570. 

—  Immatérialité  de  l'ame  (T 1,  223,  563. 

—  Opère,  564. 

—  Réjlexions  sur  l'éducation,  563. 

—  Virtutem  politicam,  etc.,  564. 
Gerva  (M.),  x.\xi. 

Gilden  (.M.|. 

—  Oracles  of  Reason  {the},  iyg. 
Girardin  (C"  de). 

—  Iconographie  des  œuvres  de  ./.  ./. 
Rousseau,  lxxiv,  lxxix,  lxxxvi,  576. 

Girardin  (M"  de),  lxv. 
Girod,  558.  (Cf.  Schobinger). 
Gohin  (F.). 

—  Langue  française  du  W'IIL  siècle 
(lai,  i5.  327,  576. 

Gosselin  (Abbé),  546. 
Gougy  (L.),  xc. 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


593 


Goujel  I  Abbé). 

—  Dictionnaire  tie  la  langue  fran- 
çaise, 570. 

Gournay  (M'"  de),  349. 

Graves  (Abbé  de),  l. 

Gréf;oire  de  Nazianze  (S'),  228.  36i  (?). 

Gresset. 

—  Méchant  Ile),  53i. 

—  Œuvres.  546. 
Grimm  (M.). 

—  Correspondance  littéraire.  xcii,445, 
543. 

Grotius. 

—  Vérité  de  la  Religion,  365.  4o3, 
55o. 

Gua  de  Malves,  565. 

Guébrianl  (C"  de),  liv. 

Guer  (J.  .\.).  564. 

Guérin.   xxxv.    xxxvi,    xliii-xlviii.    lui. 

i.xxxiv,  541 . 
Gueudeville. 

—  Dialogues  de  La  Hontan,  xxii,  553. 

—  l'iopie.  Itrad.  d"),  xxi.  555. 
Guillaume  (J.). 

—  Comité  d'Instruction  publique  de  la 
Convention,  lxvi,  574. 

Guy,  XLIV.   L.   LXXVll. 

Guyon  (.Abbé). 

• —  Histoire  des  Empires  et  des  Répu- 
bliques, 55.  4o5,  55q. 

Haase  (.A.i. 

—  S)-nta.xe  française  du  X\'II'  siècle, 
237,  3o5.  335.  576. 

Haller  (A.  de). 

—  Épitre  sur  la  fausseté  des  vertus 
humaines,  43. 

—  Essai  sur  l'origine  du  mal.  3y.  167, 
217.  219,  221,  237. 

—  Poésies,  37,  123,  157,  566. 
Harlsœker.  137. 
Hégélianisme.  542. 
Héliogabale,  245. 

Helvetius.  xxxix,  cm,  75,  98,  445,  53o. 

—  De  L'Esprit,  xxxvi-xxxviu,  lxiv.  41, 
73,  79,  81,  83,  85,  87,  ii5,  117,  139, 
161,  i63.  i65.  171,  175,  177,  179,  i85. 


187,  189,  191,  203,243,247,249,259. 
263,  267.  269.  449.  453,  455,  469,  463, 
465.  5o2,  5o3,  544,  570,  576. 

Hénauli  (Le  Président),  liv. 

Henri  III.  455,  465. 

Henri  IV,  455. 

Henriot  (É.),  lxii. 

Hérault  de  Séchelles,  lxv.  lxvi.  549. 

Hercule,  193. 

Hippocrate.  65. 

Hobbes.  175. 

—  Opéra  philosophica,  546. 

—  Physique,  173. 

Holbach  (B"  d'),  .xxxix,  97,  538,  548. 

—  Christianisme  dévoilé  (le),  civ,  401. 
405,  413,  445,  447.  463,  465,  571. 

—  Lettres  sur  les  préjugés  (trad.  des), 
loi.  573. 

—  Système  de  la  Nature,  civ,  447,  573. 

—  Système  social,  423,  447,  573. 
Holbachiens.  Holbachique  (parti),  xli, 

195.  538. 
Homère.  507. 

—  Iliade,    129. 
Hondt  {de),  lxxxvi. 
Hoock. 

—  Censure  de  l'  o.  Emile  ■»,  lvi,  572. 
Hoop  (Le  P.).  538. 

Horace.  247. 

Houdetot   (.M"   d'),    xvii,    xxxvii,    lvu. 

LViii,  lxii.  21,  543.  567. 
Houteville  (Abbé),  41 1. 
Huber  (.M),  en,  443. 

—  État  des  âmes  séparées  des  corps, 
193,  221,  526.  533.  558. 

—  Monde  fou  préféré  au  monde  sage 
Ile).  23/,  377.  55g. 

—  Religion  essentielle,  41,  47,  61,  73. 
165,  201.  2o3,  211.  283,  3oi,  3o5. 
325,  337,  343,  399,  4i3,  415,  433. 
435,  437,  533,  56o. 

Hume. 

—  Histoire  naturelle  de  la  Religion. 
5i.  565. 

Hutcheson,  283. 

—  Recherches  sur  l'origine  des  idées, 
24y.  247-  ^49>  261,  271,  565. 

38 


594 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


Isaac.   ,145. 

Isabeau  (É.  D.),  liv. 

Ivernois  (D')  (de  Genève).  297. 


Lagel  (G.),  565. 

La  Hontan.  \\i,  347. 

—  Dialo^nies.  xxii,  43,   195.   363,    367. 

553- 
Jacquier  (Le  P.).  93.  561.  —  Nouveaux  voyages,  xxii,  553. 

Jansen  (A.).  LakanaL  lx,  lxi,  lxv,  lxvi. 

—  Fragments     inédits     de    Rousseau       —  Ma/iuscrits  de  .!.  ./.  Rousseau,  i.xi. 


(édit.  des),  xiii,  liv,  425,  539,  543. 
Jaucourt  (Chev'  de). 

—  Art.  «  Conscience  »  de  /'»  Eiic)'- 
clopédie  »,  532. 

Jean  (S').  223.  31 1. 

Jean-Baptiste  (S').  439. 

Joncourt  (E.  de).  559. 

Joseph  (Le  Patriarche),  533. 

Joseph  (Le  Père),  385. 

Joseph  (S'),  405. 

Josse  (Abbé),  550. 

.lournal  des  Débals.  327. 

.Itiurnal  Encyclopédique.  135.  221.  317. 

407,  52g,  545. 
Jupiter,  253,  255,484. 
Justin  (S').  463. 

Kaempfer  (E.). 

—  Histoire  du  .lapon,  381,  557. 
Keim  (A.). 

—  Heli'étius.  163.  576. 
I<.unzi  (J.|.  VI. 

La  Barre  (L.  F.  J.  de). 

—  Mémoires  pour  servir  a  l'histoire 
de  la  Religion  de  la  Grèce.  255. 

Laboulaye  (É.),  547. 
La  Bruyère. 

—  Caractères  (/es),  552. 

—  Esprits  forts  (des),  g},  157,  195.  201. 
La  Chambre  (Abbé  F.  Ilharat  de). 


574- 
Lambercier  (Le  Pasteur).  5. 
La  Mettrie. 
— •  Histoire  naturelle  de  l'dme.  79,  93. 

loi,  175,  562. 

—  Homme-machine  (T),  loi,  123.  564. 

—  Œuvres  philosophiques,    537,    546. 

—  S)\<ttème  d'Epicure,  127. 
Lami  (Le  P.  B.|,  civ. 

—  Dernières    paroles    de     S)nèse    à 
Eugène,  441. 

—  Entretiens  sur  les  sciences.  }}.  57. 

551- 

—  Morale  chrétienne.   237.   247,  2}^. 

554- 
La  Mothe  le  Vayer. 

—  Vertu  des  païens  (de  la),  381.  395. 
399,  405.  407,  550. 

Landrieux.  lxv. 
Lanson  (G.),  vn. 

—  Documents  sur  la  condamnation  de 
Rousseau,  xl.  liv,  lvi,  576. 

—  Esprit    philosophique    en     France 
avant  iy5o  (l'i,  549,  557,  558.  559, 

563.  5655  57^5  S77- 

—  Lettres  philosophiques  ledit,    des). 
63,  67. 

Landoueix  (H.  de),  546. 
La  Rive  (De). 

—  Psaumes    en     vers    français,    213, 
555- 


—   Véritable   Religion   (la),  253,    365,       La  Rochefoucauld,  263. 


560. 

La  Chapelle  {,\.  Boisbeleau  de).  557. 

Lâchât  (F.),  546. 

La  Condamine,  85.  475. 

—   Voyage  dans  l'Amérique  méridio- 
nale, 83,  85.  562. 

Lactance.  463. 

— •  Institutions  divines,  443. 


Làssay  (M"  de) 

—  Recueil  de  différentes  choses.  429. 
556. 

Laserre  (Le  L'),  562.  (Cf.  Burnel,  Saint- 
Évremond  et  VExamen  de  la  Reli- 
gion). 

Lavorel  (Abbé  J.  M.). 

—  Cluses  et  le  Faucigny,  xxxi.  575. 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


595 


Le  Beau  (C.|. 

—  Voyage   en    Amérique   septentrio- 
nale, 385,  560. 

Le  Blond  (J.),  555. 
Le  Cène  (Ch.). 

—  Entretiens  sur  dii'erses  matières  de 
théologie,  61,  71,  552. 

Lecestre  (L.),  547. 

Le  Charron  (P.)  (=  Charron),  549. 

Lee  1ère  (J.). 

—  Ars  critica.  327.  555. 

—  Bibliothèque  choisie,  65,  103,  544. 

—  Bibliothèque  universelle,  299,  544. 

—  Dissertations,  550.  (Cf.  Grotius). 

—  Entretiens  sur  diverses  matières  de 
théologie,  61,  71,  352. 

—  Sentiments  de  quelques  théologiens, 

227,4^7,  552. 
Ledos  (G.  E.). 

—  Catalogue   des   ouvrages   de  .1.    J. 
Rousseau,  lxxvi-lxxvii,  577. 

Lefranc  (A.),  573. 

Lefranc  de  Pompignan  (J.  G.),  451. 

—  Philosophie  des  incrédules  moder- 
nes (la).  375,  389,  421,  573. 

Lefranc  de  Pompignan  (J.  J.)- 

—  Discours  à   l'Académie  française, 
20K  449.  547,  571. 

—  Prière    universelle  (la).   201,    571. 
(Cf.  .Morellet  et  Pope). 

Legrand. 

—  Censure  de  /'  «  Emile  »,  lvi,  572. 
Legrand  (L.),  lxxiv. 

Le  Jeune  (P.),  403,  550. 
Leibniz,  181. 

—  Théodicée,  199,  554. 
Le  .Maître  (N'.|,  251. 
Lenclos  (Ninon  de),  538. 
Léonidas.  409,  475. 

Le  Roy  (R.),  vi. 

Le  Seur  (Le  P.),  95.  561. 

Lesser. 

—  Théologie  des  insectes.  135.  562. 
Le  Sueur  (J.). 

—  Histoire  de  l'Église  et  de  l'Empire, 

43-  551- 
Leszczviiski  (Le  Roi  Stanislas),  465. 


—  Entretien  d'un  Européen,  x\i\\  568. 

—  Œuvres  du  philosophe  bienfaisant, 
546. 

L'Étang  (Abbé  de),  xiii. 

Letonnelier  (G.),  vu. 

Lettres  de  M.  l'Abbé  de*** à  M.  l'Abbé 

Houteville,  411. 
Leucippe,  127. 
Leuwenhoeck,  137. 
Levasseur  (Th.|,  lxi,  lxv. 
Leveson  (C***  de). 

—  Emile  chrétien,  lxxxiv. 
Lignac  (Abbé  de). 

—  Éléments  de  métaphysique.  Si.  \jij, 
181,567. 

—  Examen  sur  «.L'Esprit  ■»,  Si,  163, 
183,  187,  570. 

—  Témoignage  du  sens  intime,  71.0;, 
181,  183,  227,  303,  565,  570. 

Linguet.  451. 

—  Fanatisme  des  philosophes  (le),  469, 

573- 
Linus,  299. 
Liomin  (Le  Pasteur). 

—  Préservatif  contre  tes  opinions  er- 
ronées, 221 . 

Littré  (Ê.). 

—  Supplément  au  Dictionnaire  de  ta 
langue  française,  327. 

Locke,  53,  171,  181,  476,  503,  S17.  53", 
563,  570,  577- 

—  Christianisme  Raisonnable  (le),  345, 

-  552. 

—  Essai  sur  l'Entendement  humain, 
77,  89,  iij,  117.  173,  187,  245,  249. 
259,  269,  528,  553. 

Lombard  (E.),  %'i. 
Long  (P.). 

—  Lettres  de  Rousseau  à  Néaulme  et 
Duchesne  (édit.  des),  544. 

Longueil  (de),  lxxiv. 
Lozeran  de  Fiesc  (Le  P.),  97,  99. 
Luc  (S').  201,  425,  439,  536. 
Lucrèce,  175,  247,  255,  476,  484. 
Lufneu  (J.). 

—  Théologie  physique  (trad.  de  la|.  556. 
Luthériens,  455. 


596 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


Luxembourg   (M"  de),   xui.  xlix,  liv, 

Luxembourg  (M'"  de),  xli.  xlii,  xliii. 

XLvm,  .XLIX,  L,  LU,  LUI,  lxi,  235. 
Lyonnet  (P.). 

—  Théologie  des  insccles  (irad.  de  la|. 
562. 

Mably  (M.  de),  530. 
Macdonald  (Fr.). 

—  Légende  de  ./.  ./.  Rousseau  rectifiée 
IlitI,  574.  57f>- 

Mahomet,  365,  367,  377,  379,455- 
Mahométans.  379,  476. 
Maillet  (B.  de). 

—  Telliamed.  123,  125.  225.  564. 
Malebranche,  en,  81,  557. 

—  Entretiens    sur    ta    métaphysique, 
201,  211,  223,  225,  227,  552. 

—  Œuvres  complètes.  546. 

—  Recherche  de  la  vérité,  87.  90.  1(17, 

551- 

—  Traité  de  Morale,  279,  2S1.  551- 
.Walebranchistes,  81,  loi,  201. 
Malesherbes  (.M.  de),  xix,  xl-liv,  lxxx, 

193.  229,  245,433,461,  541,  543,  544. 
«  Maman  ■■^  cf.  .M""  de  ^^'arens. 
Mandeville.  41 . 

—  Fable  des  abeilles  (la/,  561. 

— ■   Origine  de  la  rertu  »i07-a/e,  253,255. 

—  Recherches  sur  la  société,  259. 
Manichée.  559. 

Marc  (S'),  201.  425. 
Marcet  (L  A.}.  2}. 
Marie  (La  Vierge).  387,  405. 
.Marivaux. 

—  Effets  surprenants  de  la  sympathie 
(les),  XXII.  xxiii,  555. 

—  Indigent  philosophe  (l'i,  57,  59.  215. 

557- 

—  Spectateur  français  (le),   51,   257, 

557- 
Marot  (CL). 

—  Psaumes  de  Dai'id.  213. 
.\\arocco  (i\L). 

—  Cronistoria    délia    Arciconfrater- 
nita  dello  Spirilo  Santo,  xxviii,  575. 


Martin  (Curé  de  Deuil),  xiii.  liv. 
Martin  (J.  A.].  413.  543. 
.Martin  (P.  E.),  vu. 
Massé  (J.),  cf.  Tyssot  de  Patot. 
Masson  (P.  Maurice). 

—  Annotations  au  lirre  «  fie  [^'Esprit  ■» 
(édit.  des),  544. 

—  Comment  connaître  Jean-.lacques. 
cm,  429,  577- 

—  Mme  d'Èpinay,  Jean-Jacques...  et 
Diderot  che^  Mlle  Quinault.  xi,  xii, 

530.  534,  536,  578. 

—  (Questions  de  chronologie  rous- 
seauiste.  xiv,  xxv,  xl.  xliii,  530,  578. 

—  Religion  de  J.  J.  Rousseau  (la),  x. 

—  Rousseau  a  l'hospice  du  San-Spi- 
rilo,  xxvii.  xxviii,  526.  578. 

—  Rousseau  contre  Helvetius,  xxxvii. 
73.  161,  570,  576. 

—  Rousseau   et  Morelly.  xxxvii,  215. 

S(>7,  S77- 

—  Sources  de  Rousseau  (sur  les). 
XXXVIII.  civ.  4115,  559.  577. 

.Matthieu  (S'i.  411,  425,  439,  525. 
Maugras  (G.). 

—  Voltaire  et  ./.  ./.  Rousseau,  xi,.  xlv. 
XLIX,  541,  543,  575. 

Maugurier  (La  C""').  lx.  lxv. 
Maunoir  (J.  P.),  xcii. 
Maupertuis,  181,449. 

—  Essai  de  cosmologie,  117.  125.  565. 

—  Essai  de  philosophie  morale,  529. 
565. 

—  Essai  sur  la  formation  des  corps 
organisés,  93.  103,  179,  566.  (Cf. 
Baumann). 

—  Œuvres,  546 

—  Système  de  la  nature,  175.  566. 

—  Vénus  Physique,  137,  562. 
Maydieu  (.\bbé),  xciv. 
Meaux  (M.  de),  cf.  Bossuet. 
Médard  (S').  331. 

Meister  1  H.),  571,  •,/}. 

—  Correspondance  littéraire.  545. 
Mellarède  (C"  de),  xxix,  xxx.  11,25,419. 
Mémoires  concernant  la  théologie  et 

la  morale,  558. 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


597 


Mémoire  de  l'Académie  des   Inscrip- 

lions,  255,  299.  544. 
Mercier  (S.).  15,  541. 
Mercure  de  France,  397,  544. 
MériarKJ.  B.),  565. 
Meslier  (l-e  Curé). 

—  Testament  de  Jean  Meslier,  325, 
329,  357,  401,415,  572. 

Mesnard  (P.),  547. 
Michaut  (G.),  vu. 

—  Poésies  choisies  de  Sainl-J'arin 
(édit.  des),  397. 

Militaire  philosophe  (le),  civ,  307.  317, 
319,  323.  413.  453,  459,  557-  (Cf. 
Naigeon). 

.\lirabaud.  ~,7}. 

—  Lettre  à  M***  sur  les  Juifs,  379. 
Mirabeau  (M"  de).  435,  449,  469. 

—  .4»)!  des  Hommes  (/'),  53,  279,  471, 
569. 

Moise.   32i,    ii^y.    ;3--    vv-   4'i>-   4'>- 

525,  561. 
Moland  (L.),  547. 
Mollerives  (J  ),  vi. 
Monconys. 

—  Voyages.  327.  550. 
Monsiau  (N.).  542. 

.Montaigne,  civ.  41.  257.  259.  261.  317, 
363,  485,  577. 

—  Apologie  de  Raymond  Sebond,  11. 

—  Essais.  229.  255.  250.  313.  315.  549, 
568. 

.Vloniesquieu,  417. 

—  Esprit  des  lois,  453. 463, 465 ,  469, 564. 

—  Œuvres  complètes,  547 . 
.Moreau  (J.  N.). 

—  Souveau  Mémoire  sur  les  Cacouacs, 
103,  41.9.  533.  569. 

.Moreau  le  Jeune  (J-  M-)-  -^ci. 
.Morel  (.J.).  563. 

—  Sources  du  «  hiscours  de  l'Inéga- 
lité »,  554.  567. 

Moreliet. 

—  .4)"/.  &  Foi  ■»  de  t'  «  Encyclopédie ■<•, 

371-  393- 

—  Prière  universelle  (la/.  201.  571. 
(Cf.  Lefranc  de  Pompignan  et  Pope). 


•Morelly,  x.xxvii,  eu,  215,  221,  545. 

—  Basiliade  ou  les  Iles  flottantes,  .xxiv, 
XXXVII,  215,  217.  567. 

—  Code  de  la  Nature,  211.  445,  531, 
568. 

.Morin  (G.  H.). 

—  Essai  sur  J.  J.  Rousseau,  xli.  i.xv, 

.v5- 

—  Manuscrits  de  J.  J.  Rousseau  (Note 
sur  les),  Lxv,  575. 

.Morize  (A.). 

—  «  Candide  »  de  Voltaire  (le),  531. 
.Mornet  (D.),  vu. 

—  Sciences  de  la  Nature  au  X  VIII  ■  siè- 
cle (les),  115,  .135.  ^57,  577- 

—  Texte  de  la  «  Nouvelle  Héloise  r> 
lie),  LXXiii,  63,  576. 

.Morus  (Th.). 

— •  Utopie  (l'i.  XX,  xxi.  555. 

.MoultOU  (G.),   LXIII,    LXIX. 

.MoultOU  (P.),  XLIII,  XLIV,  XLVII.  XI.Vlll. 
I.-LIII.  LXIII.  LXVir,  LXIX-LXXU,  LXXVIl, 
LXXIV,  C,  ex,   23,    211.   431,   451.    500. 

533-  571- 
.Mugnier  (F.). 

—  M""  de  Warens  et  J.  ./.  Rousseau. 
xxix-xxxi.  41 .  575. 

.Murait  (Béat  de). 

—  Instinct  divin  (F),  57.  241,  273,  395, 
556. 

—  Lettres  fanatiques,  57,  61.  241.  275, 

407,  417-  S34>  560. 

—  Lettres  sur  les  Anglais,  xxv,  556. 

—  Lettre  sur  l'esprit  fort,  xxv,  556. 

—  Lettre  sur  les  voyages,  527,  528, 
531-  .S 34-.  y?<^- 

Naigeon  (J.  .\.).  542,  557.  (Cf.  Le  Mili- 
taire philosophe). 
Nassau-Saarbruck  (P""  de),  536. 
Néauime  (J.).  xlii,  xlvi,  xlvii,  lu,  lui, 

LXVII,    LXXIIl,    LXXXV-XCII,    CVUl,    544. 

Néron,  245.  329- 
.Neufville  (L.  de).  554. 
Newton,   cviii,  53,   105,   107,  109.  135, 
137,  i39<435-  530,  560,  562. 

—  Principia  mathemalica,  g},  561. 


S98 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


Nieuweniyt  (B.). 

—  Existence    de    Dieu    {l'i,    97.    1  55. 
476,  556. 

Nourse,  lxxxvi. 

Obert  (A.i.  576. 

Offreville  (D"),  cv.  281,  538. 

—  A musemem:  variés,  b'iS. 
Olivet  (Abbé  d"),  411. 
Oromaze  (^  Ormazd),  331. 
Orphée,  lxxiv,  lxxx,  299,  301,  476. 
Ovide.  247. 

—  Métamorphoses,  169. 

Palissot  (Ch.),  536. 
Panckouke  (Ch.  J.). 

—  Homme  et  de  la  reproduction  (de 

O,    139- 
Paolo  (Fra).  421. 
Paracelse. 

—  De  natura  rerum.  131.  476. 
Paris  (Le  Diacre),  331.  ' 
Parison,  574. 

Parisot.  287. 
Pascal.  55,  183-,  461. 

—  Pensées,  93,  107,  335,  529,  550. 
Pasquier  (J.  J.),  lxxiv. 

Paul  (S'I,  393. 

—  Actes,  22^^.  225. 

—  Épitre  aux  Corinthiens,  558. 

—  Èpitre  aux  Romains,  169.  231.  379. 
Pellet  (M.). 

—  Manuscrits  de  ./.  ./.  Rousseau  (les), 
545,  576. 

Perdriau  (J.  1,  215. 
Perroud,  xxxi. 
Petitain  (G.). 

—  Œuvres  de    Rousseau    (édit.    des). 

LXll.  LXV,   XCV,    542.    574. 

Petitpierre  (Le  Minisire  F.  L.|.  221. 

Petiipierre  (Le  Procureur),  343,  533. 

Pharaon.  },t,}„  335,  476. 

Philopolis  (=  Charles  Bonnet),  554.  567. 

Philostrate,  413. 

Phraate,  i.xxx. 

Pictet  (B.). 

—  Psaumes  de  David,  213,  255. 

—  Théologie  chrétienne,  425,  553. 


Pie  VI.  Lvi. 
Pierre  (S'),  391,  528. 
Pierre  le  Grand,  327. 
Pionnier  (C).  vi. 
Plan  (P.  P.). 

—  J.  ./.  Rousseau  et  Malesherbes,  xi,. 

54'-  .^44- 
Platon.  476,  525.  553. 

—  Criton,  405. 

—  République,  403.  405,  i,2i,  553. 
Platoniciens,  1 17. 

Pline  (l'Ancien),  139. 
Pluche  (N.  A.). 

—  Histoire  du  ciel,  65.  105,  561. 

—  Ro'ision  de  l'  <.<  Histoire  du  ciel  ». 
71.  561. 

—  Spectacle  de  la  nature  (le),  61,  123, 
i37,  139.  155.  159.  237-  247,  253. 
257,  285,  307,  365,  558. 

Pluiarque,  153,  245.  476.  (Cf.  Amyot). 

—  Contredits  des  philosophes  sto'iques. 

359- 

—  Moral ia,  549. 

^  Qu'on  ne  saurait  vivre  joyeu- 
sement selon  la  doctrine  d'Epicure. 
205. 

Poinçot.  Lix,  Lxi.  xciv.  473. 

Pope. 

—  Essai     sur     l'homme,      157.      199. 

557- 

—  Œuvres  complètes.  547. 

—  Prière  universelle,  199,  201,  571. 
(Cf.  Lefranc  de  Pompignan  et  Mo- 
rellet). 

Porphyre,  41 1. 
Portland  (D""  de).  395. 
Prades  (.\bbé  de). 

—  Apologie,  II,  566. 
Prévost  (Abbé).  566. 

—  Cleveland,  xxiii,  xxiv,  558. 

—  Œuvres  choisies,  547. 
Priam,  249. 
Promethée,  131. 
Protée,  279,  477. 

Psaumes,  cil,  13,  213,  519.  555.  {Cf. 
Bèze.  Calandrin.  La  Rive.  .Marot. 
Pictet). 


INDKX     OKS    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒIVRES 


599 


Pufendorf.  531. 

—  Devoirs  de  l'homme  et  du  citoyen 
(les).  271,  554. 

—  Droit  de  la  nature  et  des  gens  (le), 
-i/f  255,  257,  554. 

Pury  (D.  de).  533. 
Pyrrhoniens.  257.  259. 
Pvrrhus.  249. 
Pythagore.  4<k).  41 1. 

Quérard  (J.  .\1.|. 

—  France  littéraire,  546,  557. 

—  Notice   bibliographique   sur  ./.    J. 
Rousseau,  l.xi.  574. 

—  Supercheries  littéraires,  562. 
Quinaull  (.M'").  .\i.  534,  536. 

Racine. 

—  Cantiques  spirituels.  169,  530. 

—  Œuvres  complètes,  547. 
Racioz  (Fr.),  x.\.\i. 
Rameau  (J.  P.).  .\liii. 

Ray  (J.) 

—  Existence  et  la  sagesse  de  Dieu  /l'i, 
61.  135.  137.  555. 

Raynal  (Abbé  Th.  G.).  545. 

—  Correspondance  littéraire.  545. 
Rebord  (Chanoine),  vu,  .\.xx,  x.xxii. 
Réclamation    ou     Déclaration    de    la 

Compagnie  des  Pasteurs  de  Genève. 

x\.  213.  221. 
Regnault  (N.  F.).  54. 
Régulus,  263,  376. 
Reich,  Lxxxvii.  lxxxvim. 
Renan  (E.),  403. 

Renou  (=  J.  J.  Rousseau),  514.  526. 
Reuchlin.  373.  375 >  4/6. 
Rev   (.M.   M.),   XLi,   XLiv-xLvni.  li,   lu. 

LXXI.    LXXXl,    LXXXIl.    I.XXXIV-LXXXVII. 

Lxxxix-xci,  civ,   337.  541.   542,  571. 

Riboie.  431.  542. 
Richardson. 

—  Clarisse  Harlowe,  407,  566. 
Richelet  (P.). 

—  Dictionnaire    de   la    langue  fran- 
çaise. 407,  566. 


Ricotier. 

—  Existence  de  Dieu,  de  Clarke  (irad. 
de  I'),  67,  556. 

Riiier  (E.).  vu,  572. 

—  Correspondance  de  Rousseau  avec 
L.  L'steri  (édii.  de  la).  544. 

—  Famille  et  la  jeunesse  de  J.  J.  Rous- 
seau (la),  XI.  xiv.  383.  385,  576. 

—  Lettres  à  .J.  A.  ^Martin  (édit.  des), 

543- 

—  Lettres  à  Sophie  (édit.  des),  lvmi. 
479,  540,  543. 

—  Manuscrits  de  J. ./.  Rousseau,  i.xix, 
Lxxii.  575. 

—  Rousseau  et  M""  d'Houdetot,  i.viii, 

543- 

—  Rousseau  et  Marie  Huber,  560. 

—  Rousseau  et  Vernet,  347,  575. 

—  Rousseau,  Sotes  diverses,  203,  575. 
Robert  (Ch.).  vi. 

Robinet. 

—  Nature  (de   la),   -/i,   93,    103.    211, 
227.  283.  445,  570. 

Rocca  (Fr.  Ch.),  xxvni. 
Roche  (Le  P.). 

—  Traité  de  la  nature  de  l'âme,  81. 
26c).  570. 

Rochebilière  (.A.),   i.xxvi.  575. 
Rochette.  431,  54-' 
Roguin  (D.).  544. 
Rollin  iCh.). 

—  Histoire  ancienne.  65.  407,  557. 
Roques  (J.  E.). 

—  Tableau  des  beautés  de  la  Sature 
(irad.  du).  526,  530,  569. 

Rothschild  (H.  de). 

■ —  Lettres  de  Rousseau  à  M""  Boy  de 

la  Tour  (édit.  des).  543. 
Rousseau  (P.). 

—  Journal  Enc\clopédique,  545. 
Ruppelmonde  (M"'  de).  558. 

Sabatier  de  Castres  (Abbé). 

—  Trois  siècles  de  la  littérature  fran- 
çaise,   161.  163,  573. 

Sadeur  (.Mr.),  xxi,  541.   (Cf.  Foigny  et 
Terre  australe). 


6oo 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


Saint-Aubin  (I.egendre,  M"  de). 

—  Traité  de  l 'opinion,  civ,  57.  61.65, 
97,  101.  131,  157,  163,  165,  173,  179, 
217,  253,  255,  261.  327,  373,  405»  407. 
409.  411,  453,  559. 

Sainte-Marie  |M.  dei,  554.  556.  558. 
Saint-Évremond.  (Cf.   Burnet,   Laserre 
et  Examen  de  la  Religion). 

—  Œuvres,  547. 

—  Usage  de  la  rie  (de  l'i,  63. 
Saint-Germain  (De),  263. 
Saint-Hyacinthe. 

—  Mémoires  concernant  la  théologie 
et  la  morale,  558. 

Saint-Lamhert,  xvii.  530. 
Saint-Pavin. 

—  Poésies  choisies.  ^Qy. 
Saint-Pierre  (Abbé  del,  45,  421. 

—  Agaton,  x.vv,  m,  536. 

—  Gouvernement  intérieur  de  l'État, 
536. 

—  Observations  politiques  sur  le  céli- 
bat des  prélres,  43. 

—  Ouvrages  de  morale  et  de  politique, 

547- 
Saint-Simon. 

—  Mémoires.  457;  547. 
Sallier  (Abbé),  548. 
Samuel,  327. 

Satan.  299. 

Saturne.  159.  252,  255. 
Saumai.se  (.M.  de).  377. 
Schelle  IG.). 

—  Œuvres     de     Turgol    (édit.    des), 

547- 
Scheuzer  (G.).  557. 
Schiff(.\l.). 

—  Editions  et  traductions  italiennes 
de  Rousseau,  xcviii,  576. 

Schinz  [A.]. 

—  *  Profession  de  foi  du  Vicaire  Sa- 
voyard •*  et  le  livre  «.  De  L'Esprit  » 
(la),  .xx.xvii.  161.  577. 

—  Question  du  '.-.  Contrat  Social  »  (la). 
.XL.  577, 

Schley  (J.  van  der).  lxxix,  lxxx,  lxxxiii, 

LX.XXVI. 


Schobinger  (V  *).  558. 
Scipion,  413. 
Scott  (D'). 

—  'Vie  chrétienne  (la),  21/. 
Seigneux     de     Correvon      (G.).     ^4^. 

564. 
Sénèque,  lxxiv,  59,  443. 

—  i^uœstiones  Naturales,  103. 
Serand  (J.),  vu,  xxxi. 
Servois  (G.). 

—  Œuvres  de  La  Bruvère  (édit.  des), 

Sévigné  (.M"'  de),  261. 
Shaftesburv. 

—  Essai  sur  le  mérite  et  la  vertu,  93, 
199.  205,  303,  563.  (Cf.  Diderot).    ^ 

Sharp  (D'i.  343,  417. 
Silhouette  (E.  de). 

—  Essai   sur  l'homme    (traJ.    de    l"). 

557- 

—  Union  de  la  Religion,  de  la  Morale 
et  de  la  Politique  (adapt.  de  P).  461, 
562 

Simon     (Le     P.     R.).     227.     240.     417. 

55^- 

Sirius.  127. 

Socrale.  xiv,  cv,  245,  251,  263,  405, 
407,  409,  411.  413,  421,  477,  522, 
523.     524,     525,      555.     566.     570. 

573- 
Sophronisque.  405. 
Sorbières  (S.).  555. 
.Souchay  (Abbé). 

—  Hymnes  des  anciens  (les),  299. 

—  Sectes  philosophiques  (les),  53. 
Spectateur  fie),  cf.  .'\ddison  et  Steele. 
Spinoza.  67,  95,  209,  257. 

Staél  lA.  de).  547. 
Staël  (.M-  de). 

—  Littérature  (de  la),  cv. 

—  Œuvres  complètes,  547. 
Stahl,  99. 

Stahliens  (les).  loi. 
Steele  (R.). 

—  Spectateur  (le),  555.  (Cf.  .-Vddison). 
Stoïciens.  359. 

Straton.  6;. 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


60 1 


Streckeisen-Moultou  (G.). 

—  Rousseau.  Œuvres  inédites  (édit. 
des),  i.xix,  i.xxii,  540,  542. 

—  Rousseau,  ses  amis  et  ses  ennemis 
(édit.  de),  xi.ii.  xliu.  lxix,  541. 
54.'. 

Streckeisen-Moultou    iM  '    G.),    lxix, 

575- 
Strowski  (F.). 

—  Essais   de   Montaigne   (édit.    des), 

549- 
Sulzer  (J.  G.). 

—  Tableau  des  beautés  de  la  nature, 
526.  530,  569. 

Tannery  (P.). 

—  Œuvresde  Descartes  [éA'xl.  des).  546. 
Temps  Ile),  xl.  lsii. 

Terrasson  (Abbé). 

—  Philosophie  applicable  (la),  log, 
492,  568. 

—  Sethos,  xxiii,  558. 

Terre  australe  connue  (la),  cf.  Sadeur 

et  Foignx . 
Thersile.  ig. 
Thomas  {A.  L.),  115. 
Thomas  (L.). 

—  Dernière  phase  de  la  pensée  reli- 
gieuse    de     Rousseau     lia),     xiv. 

575- 
Thomas  (S'),  391,  393. 
Thomas  dWquin  (S'). 

—  Opéra  omnia,  547. 

—  Quœstiones  disputatœ,  391. 

—  Secunda  Secundœ,  391,  425. 

—  Veritate  Ide),  391. 
Thompson  (J.). 

—  Socrate  (soi-disant  traduit  de  T. 
par  \'oltaire).  570. 

Tibère,  413. 
Titus,  522. 
Toland. 

—  Lelters  lo  Serena.  loi,  113,  447, 
565. 

—  Lettres    philosophiques.    loi,   447, 

373- 
Tollot  (J.  B.).  545.  564. 


Toussaint  (F.  V.). 

—  Éclaircissement    sur     les    Mœurs, 
.^93,4^7.  5.34,  536,  564,  571. 

—  Mœurs  (tes),  43,  197,  221,  225,  yx), 

311,  34i,429>  435.443.  564- 
Tourneux  (M.),  75,  545,  546. 
Trajan,  251. 

Tronchin  (J.  R.),  xxvi.  i.v. 
Trubiet  (Abbé). 

—  Formation  des  corps  organisés  (édit. 
de  la),  566. 

Tscharner  (B.  V.),  569. 

—  Poésies  de  Haller  (trad.  des).  5^). 
Turgot. 

—  .Art.  «  Êtymologie  »,  de  l'  «.  Ency- 
clopédie ■»  (?),  529. 

—  .\rt.  «  Existence  •»,  de  l'  1.  Encyclo- 
pédie »  ^?),  ^29. 

—  .Art.  «  Expansibilité  »,  de  /'  «  En- 
cyclopédie »  (?),  329. 

—  (Euvres,  547. 
Turpin  de  Crissé  (C"). 

— '  Lettres  sur  l'éducation,  461,  571. 
Turretin  iJ.  .A.l. 

—  Pensées  sur  la  Religion,  61,   123, 
139,  231,  561. 

—  Vérité  de  la  Religion  chrétienne. 
561.      . 

Tvssol  de  l^aiot  (S.). 

—  Vovages  de  Jacques    Massé,    xxii. 
211.  311.  329.  339.  347.  554. 

Usteri  (L.),  544.  569. 
Usteri  (P.),  544. 

Vairasse  iD.). 

—  Séi'arambes  (les),  xxi,  207.  209.  421, 

551-  554- 
Vallelte  (G.), 

—  Rousseau  Genevois,   xi.   xxvii.  577. 
Vaugelas,  1 3. 

\'auvenargues.   17. 

—  -Amour  de  soi,  165. 

—  Connaissance   de   l'esprit  humain. 
563. 

— •  Conseils  à  un  jeune  homme,  }ii. 

—  Réflexions  et  maximes,  165.  277. 


602 


IXDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES 


Vénus,  i.v,  484.  562. 

X'ercellis  (M°"  de),  x.xx,  7,  9. 

Verdelin  (M'"  de),  li.  542. 

Vernes  (J.).  xxvi.  xxxvi.  xxxvii.  15,  23, 
65,  129,  161,  177,  211,  215,  219, 
253,  25s,  297.  395,  403,  471,  532, 
562. 

\ernet  (J.l.  lxxxiv.  civ,  347,  575. 

—  Instruction  chrétienne,  43.  95.  123, 

237,   253.   3"-   399-   403-  423-    535? 
538,  568. 

—  Lettres  d'un  l'oyageur  anifidis.  civ. 
213.  449.  459,  537.  571. 

—  Utilité  d'une  Révélation  ide  1'), 
309. 

—  Vérité  de  la  Religion  chrétienne, 

.    249,   307-   331,   335.  405-    407.   409, 

411,435.  554,  561- 
Vertot  (Abbé  de).  127. 
Viénot  (J.). 

—  Rousseau  et  Malesherbes,  xi,. 
\illenave  (G.  Th.),  542. 
N'illeneuve-Guibert  (C"  G.  de),  543. 
\'illey  (P.). 

—  Influence  de  Montaigne  sur  Rous- 
seau, 259.  577. 

Vincent,  541. 
Virgile,  507. 
\'iridet  (M.). 

—  Documents  sur  la  condamnation  de 
r  «  Emile  »,  lv,  575. 

Voiland  (M"").  534,  538. 

Voltaire,  xvii,  lv.  lxxxvii,  cv,  57,  99, 
115.  121,  129.  159,  163,  167,  193, 
'95-  197,  199,  219.  379.  387,  397, 
399,  431,  451-  457-  541-  543.  557. 
563,    568.    569,   575. 

—  Cabales  (les),  67,  123. 

—  Candide,  531. 

—  Catéchisme  de  l'honnête  homme  {le), 
xcvi. 

—  Contes.  347. 

—  Correspondance,  411.  536,  545. 

—  Dialogues  chrétiens,  347. 

—  Dialogue  entre  un  Brachmane  et 
un  Jésuite,  347. 

—  Dictionnaire  philosophique,  6j,  377. 


—  Discours  sur  l'homme,   157.  ^6o. 

—  Eléments  de  la  philosophie  de  New- 
ton. 53,  107,  139,  560. 

—  Epitre  à  l'ranie,  41.  341.  387, 
558. 

—  Essai  sur  la  nature  du  Jeu  et  sur 
sa  propagation,  97,  560. 

—  Essai  sur  les  mœurs,  381.  569. 

—  Henriade  (la),  129. 

• —  Histoire  de  .lenni,  135. 

—  Homélie  sur  l'inspiration  du  Nou- 
veau Testament,  405. 

—  Homme  aux  quarante  écus  (T 1,  137. 

—  Intolérance  a  été  enseignée  par 
.lésus-Christ  (si  /'),  405. 

—  .lui/s  (des).  377,  379. 

—  Lenclos  (sur  A/"'  de).  538. 

—  Lettres  philosophiques,  53,  63.  65, 
67.  i^i,  173,  347,  553.  559. 

—  Loi  ou  Religion  naturelle  (la), 
169.  251.  257,  261.  271.  273.  317. 
395.  56c,. 

—  Mélanges  de  littérature,  d'histoire 
et  de  philosophie,  377. 

—  Notes  sur  /'  «  Existence  de  Dieu  » 
de  Nieuwentyt.  135. 

—  Notes  sur  la  «  Profession  »,  45,  51, 
53.  55-  59.  67-  73,  83.  87,  89,  91, 
93,  329,  331.  337-  34'!  3^7'  403.  409- 
411,  413.  415,  419,  421.  425,  441. 
447.  455.  469,  471,  572. 

—  Œuvres,  377. 

— ■  Œuvres  complètes.  547. 

—  Philosophie  de  Newton,  53,  107. 

—  Poème  sur  le  désastre  de  Lisbonne, 
65,  569. 

—  Pour  et  le  Contre  (le),  cf.  Epitre  à 
L'ranie. 

—  Prix  de  la  justice  et  de  l'humanité. 
135. 

—  Profession  de  foi  des  théistes, 
405. 

—  Sentiments  de  .lean   Meslier,  401. 

i7-- 

—  Sermon  des  cinquante.  357,  379,  672. 
Voltairiens  (les),  457. 

Vonone,  i.xxx. 


INDEX    DES    NOMS    PROPRES    ET    DES    ŒUVRES  603 

Warburton.  XénoCrate,  255,  484. 

—  Union     de     la     Religion,    de    la  Xénophon,  525. 
Morale    et    de   la    Politique,   453. 

461,  562.  Yvon  (Abbé). 

Warens  (Mme  de),  x,  xxix,  xxx,  xxxr.  Apologie  de  l'Abbé  Prades,   566. 

15.  41,  215,  295,  323,  547,  575.  Art.  «  Athées  *  de  l'  «.  Encyclo- 

W'eidmann  (G.|,  lxxxvii.  pédie  »,  153,  453,  455. 

W'ollaston.  Young  (E.),  451 . 

—  Religion    naturelle    (de    la),    129, 

556.  Zenon.  519. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages 

AVANT-PROPOS.  v 

INTRODUCTION.  ix 

r   P.\RT1E.    CO.MPOSITION   ET  PI'BLICATION   DE  LA  «  PROFESSION  DE  FOI  ».  I.\ 

Chap.  I  Les  premières  esquisses  de  la  «■  Profession  »  dans 

l'œuvre  de  Rousseau.  i.\ 

Chap.  Il  Le  choix  du  cadre  et  les  souvenirs  personnels.  xx 

§   I    Les    précurseurs    de   Jean -Jacques    dans    la 

fiction  théologique.  xx 

S  2   La  «  Profession  »  et  les  »  Confessions  ».  'xxvi 

Chap.  III  La  Rédaclion  et  les  suggestions  contemporaines.  xxxiii 

Chap.  IV  L'impression  et  la  condamnation.  xl 

il"  Partie.  Histoire  or  texte  :  .\L\nuscrits  et  Principales  éditions.  lviii 

Chap.  I  Manuscrits.  i.viii 

§   I   Le  .Manuscrit  corrigé  des  V  et  \  T  <^  Lettres 

à  Sophie  ».  lviii 

S  2  Les  «  cahiers  »  de  brouillons.  lix 

I  3  .Manuscrit  Favre.  lxii 

§  4  Les  «  Additions  ».  lxiv 

§  5  .Manuscrit  du  Palais-Bourbon.  lxv 

§  6  La  copie  destinée  à  l'impression.  lxvtii 

§  7  Copie  envoyée  à  Moultou.  i.xix 

Chap.  II  Principales  éditions.  lxxiii 

g   I    L'édition  originale.  lxxiii 

§  2  L'édition  de  Néaulme.  lxxvi 

§  3  L'édition  «  chrétienne  »  de  Former.  lxxxi 
S  4  Autres  éditions  et  contrefaçons  sous  la  date 

de  1762.  Lxx.Mv 
§  5  L'  «  Emile  »  du  vivant  de  Rousseau  :  Éditions 

postérieures  à  1762.  lxxxix 

§  6  L'exemplaire  corrigé  et  l'édition  de  Genève.  xcii 

§  7  Principales  éditions  revues  sur  les  Manuscrits.  xciv 

S  S  Éditions  séparées  de  la  *  Profession  de  foi  ».  xcvi 


6o6 


TABLE    DES    MATIERES 


Iir  Partie.  Méthode  de  la  présente  édition. 
Chap.  I  Partie  crilique. 
Chap.  Il  Partie  liistorique. 

Chap.  III  Explications  préliminaires  et  signes  conventionnels. 

%  I  Côté  de  r  &  Édition  originale  «. 

S  2  Côté  des  «  Rédactions  manuscrites  ». 


Pages 

XCVlll 

XCVlll 

cm 

cvi 
cvi 

CVII 


■PROFESSION  DI-:  FOI  DL'  VICAIRE  SAVOYARD,  Publiée  sur  une 
copie  écrite  de  la  main  J .  J .  Rousseau,  Citoyen  de  Genève  et 
déposée  par  lui-même  entre  les  mains  de  l'éditeur. 


Prolooue. 


1  Le  Prosélyte  et  le  \'icaire. 

2  L'Apostolat  du  Vicaire. 

3  Le  Rendez-vous. 


2 

i6 

32 


r  i^ARTiE.  La  Religion  naturelle.  3S 

1  La  Confession  du  Vicaire.  (S3 

2  A  la  recherche  de  la  Vérité.  46 

3  Méthode  à  suivre.  ?S 

4  La  pensée  et  son  activité.  70 

5  La  matière  et  le  mouvement.  92 

6  La  Nature  et  l'intelligence  ordonnatrice.  120 

7  La  place  de  l'homme  dans  la  Nature.  i52 
S  Le  problème  du  mal  et  la  liberté.  164 
9  Les  sanctions  réparatrices  et  l'immortalité  de  l'âme.  198 

10  L'idée  de  Dieu.  220 

1 1  Le  passage  de  la  métaphysique  à  la  morale  :  La  Conscience.  23o 

12  La  vertu  et  le  bonheur.  274 


11'  Partie.   La  Révélation.  298 

1  La  Religion  naturelle  et  les  Religions  révélées.  298 

2  Critique  de  l'idée  de  révélation.  3j2 

3  La  raison  et  la  foi.  342 

4  Difficultés  pratiques.  358 

5  Les  grandes  religions  européennes.  364 
h  La  Révélation  et  le  problème  du  salut.  378 

7  La   Révélation   chrétienne   :    Beautés   et   objections.    Doute 
respectueux.  3g6 

8  .Attitude  finale  :  Tolérance  et  conservatisme  pratique.  4i5 


TABLE    DES    MATIÈRES  607 

Pages 

Conclusion.  43  j 

1  Religion  personnelle  et  Religions  traditionnelles.  43 1 

2  Danger  de  la  philosophie;  nécessité  de  la  Religion.  440 

Table    des   Matières    de    la  «.  Profession    de   koi  »   (dressée  par 

Rousseau  ?).  474 


APPENDICES.  479 

I    CiNQlIÈ.ME    ET  Sl.XIÈME  «    LETTRES  A  SoPHlE  ».  479 

.A  Lettre  5".  480 

B  Lettre  6.  490 

Il   Pages  inédites  de  l'  «.  Emile  ».  499 

A  [Comment  s'acquiert  l'idée  de  Dieu].  5oo 

B  [La  genèse  de  l'idée  de  «  substance  >»].  5oi 

III  Fragments  inutilisés  de  la  «  Profession   de  foi  ».                               5o5 

l\'  .Maxi.mes  e.xtraites  par  Rousseau  de  la  «  Profession  de  foi  ».  5o8 

V  Lettre  à   i\L  de   Franquières  (17691.  5i3 

VI  .Additions  et  i.orrections.  526 


BIBLIOGRAPHIE    DES    OUVRAGES    CITÉS    DANS    L' «  INTRO- 
DUCTION  ^v    ET    LE    «  COMME.NTAIRE  ».  539 

LISTE    DES  TEXTES   INÉDITS   CITÉS  OU    UTILISÉS  DANS  LA 

PRÉSENTE  ÉDITION.  579 

I  Rousseau.  579 

Il  .\utbes  textes.  58o 


6o8  TABLE    DES    MATIÈRES 

Pages 
INDEX  GRAMMATICAL,  ORTHOGRAPHIQUE  ET  SÉMANTIQUE.  583 

INDEX  DES  NOMS  PROPRES  ET  DES  ŒUVRES.  585 

TABLE  DES  MATIÈRES.  6o5 


TABLE  DES  PLANCHES 


1^1.     I   Fac-similé  du    premier    Brouillon    de    la   «  Profession    de   foi  »     en  regard 
(Manuscrit  Favre)  :  cf.,  dans  cette  édition,  pp.  392  sqq.  du  titre 

PI.   II   Id.  :  cf.,  dans  cette  édition,  p.  62  sqq.  64 


Fribourg,  Suisse.  —  Imprimerie  Saint-Paul. 
C^Mavrwnsi* 


Bibliothèques 

Université  d'Ottawa 

Echéance 

Libraries 

University  of  Ottawa 

Date  Due 

,12  FEM.  19Sb 

UFEM.^996 

OCT  1  7  1995 
SEP  2  6  1996 

U018NAR200e 

UPÎ  z     2olO 

\  OV  1  !  fiOo 

4  a  t)£C,|9e 

UÛV  Z  1  1997 

J0N22  1999 

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