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University of Toronto
http://www.archive.org/details/laprofessiondefoOOrous
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Cf., dans cette édition, pp. 392 sqq. — Réduction au 17 iS.
LA « PROFESSION DE FOI
DU VICAIRE SAVOYARD »
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU
ÉDITION CRITIQUE
d'après les Manuscrits de Genève. Neuchâtel et Paris
AVEC
UNE INTRODUCTION ET UN COMMENTAIRE HISTORIQUES
PAR
Pierre-Maurick MASSON
FRIBOURG (Suisse) PARIS
LIBRAIRIE DE l'uNIVERSITÉ LIBRAIRIE HACHETTE ET C''
lO. Gschwend) 79, Boulevard St-Germain
1914
AVANT-PROPOS
Que ce travail m'ait coûté beaucoup de temps, il importe peu :
« le temps ne fait rien à l'affaire » ; mieux vaut, semble-t-il, montrer
son utilité. Elle est d'abord négative. Si jamais on a\"ait espéré
pouvoir établir une édition complète de Rousseau, où l'on aurait
donné, pour chacune de ses œuvres, les variantes intégrales de
tous ses Manuscrits encore existants, j'imagine que ce gros
volume découragerait l'entreprenant idéaliste qui aurait pu y
songer. Il faudra que les futurs éditeurs de Rousseau imposent
des limites à leurs scrupules ou aux exigences de leurs lecteurs.
Cependant la méthode que je me suis prescrite ici peut, à mon
avis, présenter des avantages pour un texte restreint, comme la
Profession. On verra plus loin quelle est cette méthode : avec
ses inconvénients, que je ne me dissimule pas, elle permettra, si
je ne me trompe, de pénétrer plus avant dans l'intimité intel-
lectuelle et artistique de Jean-Jacques. Il n'est pas sans intérêt
que, dans l'œuvre entière d'un grand écri\ain, il \' ait un
texte privilégié, dont on puisse suivre pas à pas la genèse et le
développement, où l'on puisse venir étudier par le menu son
vocabulaire, les procédés, j'allais presque dire les manies, de son
style, et l'allure instinctive de sa pensée. En outre, la Projession
de foi du Vicaire Savo\-ard n'occupe pas seulement une place
capitale dans la vie et l'œuvre de Rousseau : elle est aussi une
manière de centre spirituel, où presque tous les s\stèmes philo-
sophiques et religieux du XVIIl^ siècle ont, en quelque sorte.
VI AVANT-PROPOS
leur écho. Le copieux commentaire dont je l'ai entourée trouverait
dans cette considération plus que son excuse : sa légitimité.
Un travail comme celui-ci — même a\'ec ses inévitables
inexactitudes — ne peut se mener à terme sans le concours
de nombreuses bonnes volontés. Elles ne m'ont point fait
défaut. J'ai reçu, dans tous les dépôts publics où sont conservés
aujourd'hui les Manuscrits de Rousseau, l'accueil le plus courtois.
La Bibliothèque de la Chambre des Députés, qui n'a point la
réputation d'être très hospitalière aux tra\'ailleurs que le peuple
n'a pas élus, m'a néanmoins accordé toutes les facilités désirables
pour mes copies ou collations de textes ; et je n'ai eu qu'à me
louer de la parfaite obligeance de ses bibliothécaires, spécialement
de AIM. Constant Pionnier, bibliothécaire en chef, Richard Le Roy
et J. Mollerives, attachés à la Bibliothèque. Les Archives de la
Société Jean-Jacques Rousseau ont mis libéralement à ma dispo-
sition leurs livres et leurs manuscrits : en rassemblant à portée
de la main quantité d'éditions qu'il m'eût été difficile de
rapprocher et de comparer, elles ont beaucoup abrégé ma tâche.
Je tiens à en remercier MAL Bernard Bouvier et Alexis François,
président et secrétaire de la Société, M. Frédéric Gardy,
directeur, et surtout M. Fernand Aubert, sous-conservateur-des-
Manuscrits de la Bibliothèque de Genève. Même bonne grâce à
Neuchâtel : AL Charles Robert, directeur de la Bibliothèque, a
été, pour moi, la complaisance même. MM. Emile Lombard
et Jacob Kiinzi, premier et second bibliothécaires, ainsi que les
autres fonctionnaires de la Bibliothèque, MM. Louis Dubois et
Raoul Blanchard, se sont montrés d'une amabilité toujours
ser\iable, qu'aucune demande importune n'a pu lasser.
J'ai plaisir à remercier encore de leurs bons offices ou de
leurs bienveillantes autorisations ' MM. les administrateurs de
' J'ai fait place, dans ces remerciements, à quelques personnes dont le concours
m"a été plus spécialement utile pour mon étude sur La Religion de ./. J. Rousseau,
qui paraitra avec cette édition, et qui en est, pour ainsi dire, le prolongement.
AVANT-PROPOS VU
l'Arciconfraiernita dello Spirito Santo: M. Henri Gambini, secré-
taire-adjoint de la Commission executive du Consistoire, M. Eugène
Choisy, archiviste-bibliothécaire de la Compagnie des Pasteurs,
M. Paul-E. Martin, archixiste d'État, à Genève ; M. le chanoine
Rebord, supérieur de l'Ecole de théologie catholique du diocèse
d'Annecy; M.M. Gaston Letonnelier et Joseph Serand, archixiste
et archiviste-aJjoint de la Haute-Savoie; M. E. Blochet, bibliothé-
caire au département des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale.
Des renseignements ou des suggestions utiles me sont venus
aussi de MM. Gustave Lanson, Gusta\e Michaut, Daniel .Mornet
et Eugène Ritter : je leur en demeure très reconnaissant. On
sait quel impeccable érudit est M. Théophile Dufour et quelles
richesses encore inutilisées ce Rousseauiste éminent garde dans
ses cartons. Je n'ai jamais tait appel en vain à sa science si sûre.
Bien des notes de cette édition pourront en témoigner, et elles
ne diront pas toute ma dette.
Je dois enfin des remerciements tout particuliers à M. Léopold
Fax're, qui conser\e dans ses papiers de famille le premier brouillon
de VÉinile. Xon seulement il a mis son Manuscrit à ma disposition
avec une confiance tout amicale ; mais, dans l'étude approfondie
qu'il lui a consacrée l'an dernier, il a eu la gracieuseté de laisser
en dehors de ses analyses la Profession de foi du Vicaire savoyard,
pour ne pas déflorer mon édition. Qu'il veuille bien accepter, au
début de ce li\Te, qui eût été impossible sans lui, l'expression de
ma vive gratitude.
Fnbourg-en-Suisse, le i5 Décembre it|i3.
P. M. M.
INTRODUCTION
I^ PARTIE
COMPOSITION ET PUBLICATION
DE LA « PROFESSION »
CHAPITRE I
LES PREMIÈRES ESQUISSES DE LA « PROFESSION »
DANS L'ŒUVRE DE ROUSSEAU
On peut dire que le jour ou Jean-Jacques se décida à demander sa
réintégration dans l'Eglise de Genève, la Profession de foi n'était peut-être
pas encore constituée dans toutes ses parties, mais elle avait déjà trouvé
son principe essentiel. 11 affirmait ainsi, en face de la « philosophie »
incrédule, sa croyance en Dieu et ses sympathies chrétiennes: il marquait
en même temps son indifférence à l'égard des formes confessionnelles, et
témoignait par là que le choix dune religion était avant tout, pour lui,
affaire de tradition nationale et de civisme. Ce n'était donc pas une
« conversion », au sens strictement religieux du mot, l'adhésion intégrale
aux dogmes d'une Eglise: c'était, du moins, une manifestation, disons le
mot. une « profession de foi ». par où Jean-Jacques se posait avec une
franchise éclatante et un peu théâtrale — solitaire en apparence — entre
les deux camps ennemis.
' Sur la méthode adoptée pour les citations^ cf., plus loin, dans cette Intru-
duction, le chapitre m de la lll' Partie, p. cvii. et la Bibliographie à la tin du volume.
X INTRODUCTION
l-es aftîrmations philosophiques et religieuses implicitement con-
tenues dans un tel acte, Rousseau ne pouvait pas les tenir secrètes :
par tempérament il axait besoin de se confesser, de dire à tous toute
sa pensée : le succès de son premier Discours, où il s'était livré assez
ingénument, et qui avait été comme un essai de confidence au public, ne
"pouvait que l'encourager. Désormais toute son œuvre ne sera, pour ainsi
dire, qu'une série de « professions de foi », en réponse aux divers pro-
blèmes qui lui seront posés par sa conscience ou par la vie. Le problème
religieux, dans ses rapports avec la morale et le bonheur, était de tous
celui qui s'imposait le plus fortement à lui. Son adolescence calviniste,
sa conversion au catholicisme, qui n'avait d'abord été qu'une aventure,
mais qu'il avait acceptée sans regret, l'influence de Mme de W'arens, les
inquiétudes et les incertitudes de sa vocation, l'espèce d inventaire intel-
lectuel et moral entrepris aux Charmettes, l'avaient maintenu jusqu'à son
installation à Paris en familiarité constante avec les questions religieuses.
Il était revenu de Venise catholique plus que tiède, déjà détaché peut-être,
avant pourtant gardé, à travers ses avatars confessionnels, le goût de la
discussion théologique et un petit credo rudimentaire. mais très sincère,
semhle-t-ii, et surtout très vivace ^ Les « philosophes » auxquels il se
livra dès l'abord avec une si imprudente affection, allaient mettre bientôt
à l'épreuve la résistance de ce credo. Les audaces de leurs livres, même
subreptices, ne trahissent qu'à demi aujourd'hui les audaces de leurs
conversations, qui devaient troubler profondément Jean-Jacques. Elles le
troublaient, sans le convaincre: et, dans les jours où il se sentait le plus
ébranlé, il ne sauvait sa foi de la ruine que par une espèce d'affirmation
désespérée, plus forte que tous les raisonnements. Les pseudo-.\/e;;!o//-es
de Mme d'Kpinav nous ont conservé le tableau d'une de ces libres
discussions, où tous les convives, hommes et femmes, allaient joyeuse-
ment jusqu'au bout de leurs négations. Et devant ces jouteurs habiles,
beaux diseurs et gens d'esprit, Rousseau, solitaire, gauche, désemparé,
ne savait que se raidir : « Et moi, Messieurs, leur disait-il, je crois en
Dieu Je sors si vous dites un mot de plus » -.
Celte manifestation courageuse n'est peut-être pas la première « pro-
' Pour le développement de ces brèves indications, et de celles qui vont suivre,
cl. mon livre sur /.i7 Religion de J. J. Rousseau, Paris. Hachette, 1914, in-8.
■ Mcmoircs de Mme d'Épinay [2^6], I,38o-?8i, surtout dans le texte intégral des
Mémoires que j'ai publié ^299]. â-ig. et qui rétablit toutes les hardiesses que le prudent
Brunet avait supprimées sous la Restauration.
PKKMIERES ESQUISSES DE LA « PROFESSION » XI
fession de foi » publique de Jean-.lacques à Paris : mais c'est ainsi, sans
doute, qu'il se posa devant les « philosophes » au premier conflit avec
eux. Dans un entrelien plus intime, quelques jours après, il aurait avoué
à Mme d'Kpinay que, lui aussi, dans le silence de son cabinet, il se
sentait atteint par la dialectique des « philosophes », prêt même à se
laisser convaincre par eux, mais que le spectacle de la nature le guérissait
de ses doutes : « l,e lever du soleil, disait-il, en dissipant la vapeur qui
couvre la terre, et en m'exposant la scène brillante et merveilleuse de la
nature, dissipe en même temps les brouillards de mon esprit. Je retrouve
ma foi, mon Dieu, ma croyance en lui ; je l'admire, je l'adore et je me
prosterne en sa présence ». Et, dans cette reprise des « préjut;és » de son
enfance, il ne s'arrêtait pas au Dieu de la religion naturelle :(il admettait
des peines, des récompenses, un Christianisme très simplifié, qui restait
fidèle, non à des dogmes, mais à des espérances^ Mme d'Épinay avait
beau lui rappeler tant de déclarations rationalistes, où il semblait faire
si bon marché de toutes les théologies : « Madame, lui répondait-il, c'est
une de ces inconséquences utiles à notre bonheur » '. Ces propos et ceux
qui suivent, je les crois authentiques. Il est possible que Mme d'fLpina\- ou
Diderot, qui a certainement revu et augmenté le texte de .Mme d'Kpinav.
les ait un peu arrangés en les présentant, qu'elle ait condensé en un seul
dialogue des discussions plusieurs fois reprises, mais l'accent parait bien
celui de Jean-Jacques. Si vraiment c'est un dîner chez Mlle Quinault qui
fut l'occasion de ces entretiens, il faudrait alors les dater de 1754, car
c'est à cette époque que Jean-Jacques, brouillé une première fois avec
D'Holbach, fut introduit par Duclos chez Mlle Quinault-.
Mais les Mémoires de Mme d'Épinay ne se bornent pas à ce récit :
ils nous apportent un « conte» de Jean-Jacques, qui lui aurait été suggéré
par ces conversations, et qui exprimerait, sous forme de « parabole », sa
pensée religieuse d'alors : après l'avoir improvisé devant Mme d'Épinav,
il l'aurait rédigé sur la demande de son amie; et ce serait son texte
même que nous auraient conservé les Mémoires '^. Tous les historiens de
Rousseau, à ce que je crois, admettent l'authenticité de ce morceau ■*,
qui me paraît, quant à moi, plus que douteuse: et voici pourquoi. C'est
' id., 1, 394-395, 400-402.
- Sur la date réelle et la composition de ce dialogue, cl. mon étude :
\lme d'Épinaw Jean-Jacques... et Diderot che^ Mlle (Quinault ^299], 3-4 note ■>.
' Cf., à la Bibliographie, les n" 20 et 299.
^ Cf., par e.xemple. MM. Ritter [274], 27S, note. Dufour, avec quelque réserve
49 , I. 1S7-18S, X'alletle 2X71"-', 76-77.
XII INTRODl'CTION
d'abord que cette « parabole » renferme des sentiments qu'il ne semble
pas que Rousseau ait jamais éprouvés. (]elui qui l'a écrite se soucie tort
peu de savoir s'il v a ou non un Dieu : Le Dieu qu'il t'ait parler. Dieu
lointain, à la façon d'Épicure, et qui ne saurait jamais être une Pro\ idence,
déclare à l'homme qui le cherche : « Il importe fort peLi, mon ami. que
vous et vos pareils croyiez ou n'iiez mon existence. Tranquillisez-vous.
.\u reste, ce n'est ni pour votre bien, ni pour votre mal » que vous êtes
sur la terre. Ce déisme railleur, plus que voltairien. n'a jamais été, que je
sache, celui de Jean-.lacques. En outre, et, si par hasard il avait adhéré
un instant à ces conceptions, il n'aurait pas choisi, pour les formuler,
le moment même où il les repoussait ; or, dans les conversations qui
encadrent la « parabole ». ,lean-Jacques dit précisément le contraire de
ce que dit la « parabole » : il défend avec éloquence « la cause de Dieu »,
vante les consolations des croyances religieuses ; déclare « qu'il veut vivre
en bon chrétien », sans se soucier de ce qu'il peut y avoir d'illusions dans
la foi. pourvu que ces illusions aident à porter la vie '. Enfin, et depuis
loni^temps, les éditeurs de Diderot ont revendiqué pour ce dernier la
« parabole » des Mémoirea -.
.le crois avoir montré ailleurs qu'ils avaient raison, et qu'il faut
restituer à l'auteur de la Promenade du Sceptique et de VF.nlretien
avec la maréchale de *** un morceau qui est tout-à-fait dans sa manière
de penser et d'écrire^. Pour quelles raisons a-t-il été mis au compte
de .lean-Jacques, du Jean-Jacques d'avant V Emile? l'attribution est-elle
volontaire ou fortuite? je ne sais encore, et. d'ailleurs, il importe peu ici.
Ce qu'il importe de savoir, c'est que, dans les Mémoires de Mme d'Epinay,
seuls les entretiens du dîner Quinaull et ceux qui encadrent la Parabole
peuvent être utilisés — et encore avec prudence — pour connaître le
Rousseau d'alors et ses « professions de foi ». De ces entretiens,
l'impression qui se dégage est une. Rousseau est troublé par les « philo-
sophes ». et ne trouve point-d'argument rationnel pour leur répondre:
mais il leur échappe en se réfugiant dans un credo sentimental.
Cependant il ne poussait pas « l'inconséquence » jusqu'à sacrifier
tous ses raisonnements, jusqu'à suivre .sans réserve la religion des
« simples d'esprit ». Au contraire, il se raidissait contre les « dévots »,
comme il le faisait contre les « philosophes »; et, le cas échéant, tout en
' Mémoires '236 , 1. 400-402.
- Cf. les justes remarques de J. Assézat dans son édition '58], IV, 443-444.
" Cf. cet essai de démonstration dans mon article déià cité [299], 22-27.
PREMIERES ESQUISSES DE LA u PROFESSION » XIII
rendant hommage « aux divins cl sublimes préceptes du Christianisme »,
il détendait les droits de la « raison » avec une intransii^eance un peu âpre,
déclarait n'avoir d'autre règle de ses sentiments que « l'évidence et la
démonstration, qui sont, quelque doctrine que l'on embrasse, les seules
armes que l'on ait pour l'établir » '. La Lettre à laquelle j'emprunte cette
citation est de 1748. Les entretiens avec .Mme d'Épinay paraissent être
de 1754; mais il ne faudrait point croire qu'il y eût, pour Rousseau,
contradiction entre ces deux « professions de foi ». ou qu'il se fût défait,
dans l'intervalle, de ses scrupules intellectuels. Ce sont deux manifes-
tations d'un même état d'esprit, complexe, et même, en apparence, confus,
à la fois sentimental et rationaliste, qui sera aussi celui dLi N'icaire.
Un document à peu près contemporain nous montre Rousseau se
complaisant dans cette double attitude, qui devait déplaire aux deux
partis, et cherchant même les occasions d'affirmer en public ses convic-
tions ambiguës. Je pense à ce discours inachevé, dont il nous reste une
introduction et des fragments, et que Rousseau avait intitulé lui-même :
Conseils à un curé-. Il v exalte la mission du curé de campagne, réclame
la crovance en Dieu comme base de la morale, mais ne ménage pas ses
ironies au célibat ecclésiastique et aux « balivernes du catéchisme ».
' Lettre à .Mtuna, du 3o Juin 1748, X, 57.
- Cf., à la Bibliof^i'aphie, le n" 2. Ce titre autographe. « Conseils j un ciiri; ■^,
semble montrer qu'il ne s'agit pas là d'une lettre missive, mais d'une «"profession de
loi ». morale et religieuse, qui devait être rédigée sous forme épistolaire. Il serait donc
fort possible que ce « curé » fût un curé imaginaire. Jansen, dans l'e.xtrait de la
Gegentiiart joint à ses Fragments inédits '2%' , assure que ces Conseils furent écrits
pour l'abbé .Martin, curé de Deuil : mais les te.xtes au.xquels il renvoie prouvent
simplement que l'abbé .Martin était curé de Deuil depuis 1751, non que Rousseau lui
ait adressé ces Conseils. S'il fallait chercher parmi les amis ecclésiastiques de Rous-
seau, je songerais plutôt à l'abbé de L'Étang, vicaire de .Marcoussis. chez qui Rousseau,
vers 1751, allait souvent villégiaturer [Confessions, VIII, 2641 et qui était, semble-t-il.
en passe de devenir curé. C'est ainsi, du moins, que j'interprète ces vers que lui
écrivait Rousseau iVI, 221, et qui lui auraient permis d'écrire un peu plus tard : « Je
suis charmé d'avoir été pour vous vcites ii tous égards » :
.Marcoussis, dont pourtant j'espère
Vous voir partir un beau matin.
Sans vous en pendre de chagrin.
.\u reste, on remarquera que Rousseau, dans cette épitre, l'appelle « cher abbé ».
comme le curé auquel il voulait dédier ses Conseils. — L!ne des feuilles sur lesquelles
est écrite le brouillon de cet opuscule porte au verso un fragment de la Réponse à
M. Borde, .\lbert Jansen en conclut '28', 9, que les Conseils ont été rédigés entre le
Discours de Borde iJuin 173 11 et la publication de la Réponse de Rousseau idébut
de 17521. C'est préciser un peu imprudemment. Tout au plus, peut-on en conclure
qu'il y a des chances pour que leur rédaction se place entre 1751 et \^;?.^.
XIV INTRODUCTION
Quelques années plus tard, il s'essayait à une « parabole », qui, cette
fois, est bien de lui, puisque nous en avons le brouillon auto^'raphe. Ce
Morceau allégorique sur la Révélation, dont on discute encore aujour-
d'hui la date et la signification, me parait appartenir aux années ijSb-iySy.
Je le crois, lui aussi, inachevé, et c'est, à mon avis, cet état d'inachève-
ment qui laisse peut-être indécise sa_,véritable portée i. Cependant — sans
vouloir essayer de la préciser ici — |_tout lecteur sentira que jamais Jean-
Jacques n'a donné au Christianisme une adhésion qui parût plus voisine
de la foi. L'existence de Dieu v est proclamée avec ferveur, enthousiasme
et piété, non pas tant comme une hypothèse philosophique que comme
une croyance religieuse, car ce Dieu n'est pas seulement « l'organisateur
des mondes », mais « le Père commun des hommes ». L'œuvre éman-
cipatrice de Socrate est louée a\ec reconnaissance, mais sans excès de
sympathie : elle disparaît dans la gloire du « Fils de l'homme », qui
prêche enfin au monde « une morale divine », et fait une « révolution »
dans les àmesJJTous les dieux du passé disparaissent devant lui ; mais
ce n'est pas un vainqueur temporaire ; « il semblait prendre sa place
plutôt qu'usurper celle d'autrui;... on sentait que, le langage de la vérité
ne lui coûtait rien, parce qu'il en avait la source en lui-même ». Et cette
formule, qui termine — au moins provisoirement — le morceau, pourrait
paraître l'acte de foi d'un croyant -,
A vrai dire, c'était moins un acte de foi qu'un acte de ferveur, ou,
si l'on veut encore, l'ardent désir de trouver le repos de l'esprit dans les
croyances traditionnelles. Lorsque Jean-Jacques s'interrogeait dans la
sincérité de son àme. il était obligé de s'avouer à lui-même qu'il n'avait
pas de principes fixes pour sa conduite, que, malgré toutes les répugnances
de sa nature, il restait troublé par les négations philosophiques, et incer-
' Cf.. A la Bibliographie, le n 3. — .M. Th. Dul'our a indiqué dans une note
des Annales ,49], I, 182-183, les principales hypothèses qui ont été formulées sur ce
morceau. Celle qui semble asoir le plus séduit les commentateurs, c'est que la Fiction
allégorique représenterait la suprême pensée religieuse de Rousseau. M. Louis
Thomas '276 '»•], 36, va même jusqu'à des précisions plus grandes, et place la
rédaction de ces quelques pages durant les dernières semaines de la vie de Jean-
Jacques, à Ermenonville. J'ai indiqué ailleurs {Questions de chronologie rousseauisle
[3ooJ, 56-6 1) pourquoi cette hypothèse était irrecevable, et ce qui m'autorisait à supposer
que ce morceau devait appartenir au.x années lybô-iybj. Cf., sur cette question.
M.M. Ritter [274], 278 et Dufour [49], 1, i83, qui l'ont reporté jusqu'en 1750-1753,
mais sans fournir leurs raisons, et W. Cuendet [298], 196-198, qui prouve judicieu-
sement que l'Allégorie est antérieure à l'Emile, mais ne précise point davantage.
- Œuvres inédites '25], i83-iS5.
PREMIERES ESQUISSES DE LA « PROFESSION » XV
tain de sa foi. Laissons-lui ici la parole, car il a conté cette crise décisive
en quelques pages très précieuses, qui sont la meilleure introduction à la
Profession de foi : « Je vivais alors, écrit-il dans la 111'= Promenade des
Rêveries '. avec des philosophes modernes qui ne ressemblaient guère
aux anciens : au lieu de lever mes doutes et de fixer mes irrésolutions, ils
avaient ébranlé toutes les certitudes que je croyais avoir sur les points
qu'il m'importait le plus de connaître : car, ardents missionnaires
d'athéisme et très-impérieux dogmatiques, ils n'enduraient point sans
colère que, sur quelque point que ce pût être, on osât penser autrement
qu'eux. Je m étais détendu souvent assez faiblement, par haine pour la
dispute et par peu de talent pour la soutenir : mais jamais je n'adoptai
leur désolante doctrine: et cette résistance à des hommes aussi intolérants,
qui. d'ailleurs, avaient leurs vues, ne fut pas une des moindres causes
qui attisèrent leur animosité. Ils ne m'avaient pas persuadé, mais ils
m'avaient inquiété. Leurs arguments m'avaient ébranlé sans m'avoir
jamais convaincu ; je n'y trouvais point de bonne réponse, mais je sentais
qu'il y en devait avoir. Je m'accusais moins d'erreur que d'ineptie, et
mon cœur leur répondait mieux que ma raison. Je me dis enfin : Me
laisserai-je éternellement ballotter par les sophismes des mieux disants,
dont je ne suis pas même sur que les opinions qu'ils prêchent et qu'ils
ont tant d'ardeur à faire adopter aux autres soient bien les leurs à eux-
mêmes ? Leurs passions, qui gouvernent leur doctrine, leur intérêt de
faire croire ceci ou cela, rendent impossible à pénétrer ce qu'ils croient
eux-mêmes. Peut-on chercher de la bonne foi dans des chefs de parti ?
Leur philosophie est pour les autres : il m'en faudrait une pour moi.
Cherchons-la de toutes mes forces, tandis qu'il est temps encore, afin
d'avoir une règle fixe de conduite pour le reste de mes jours. Me voilà
dans la maturité de l'âge, dans toute la force de lentendement : déjà je
touche au déclin : si j'attends encore, je n'aurai plus, dans ma délibération
tardive, l'usage de toutes mes forces : mes facultés intellectuelles auront
déjà perdu de leur activité : je ferai moins bien ce que je puis faire
aujourd'hui de mon mieux possible; saisissons ce moment favorable :
il est l'époque de ma réforme externe et matérielle ; qu'il soit aussi
celle de ma réforme intellectuelle et morale. Fixons une bonne fois mes
opinions, mes principes : et sovons. pour le reste de ma vie, ce que
j'aurai trouvé devoir être après v avoir bien pensé. — J'exécutai ce projet
lentement et à diverses reprises, mais avec tout l'effort et toute l'attention
' IX. 341-342.
XVI INTRODUCTION
dont j'étais capable. Je sentais vi\ement que le repos du reste de mes
jours et mon sort total en dépendaient. Je m'y trouvai d'abord dans un
tel labyrinthe d'embarras, de dilHcultés. d'objections, de tortuosités, de
ténèbres, que, vingt fois tenté de tout abandonner, je fus près, renonçant
à de vaines recherches, de m'en tenir, dans mes délibérations, aux règles
de la prudence commune, sans plus en chercher dans des principes que
j'avais tant de peine à débrouiller; mais cette prudence même m'était
tellement étrangère, je me sentais si peu propre à l'acquérir, que la
prendre pour mon guide n'était autre chose que vouloir, à travers les
mers et les orages, chercher, sans gouvernail, sans boussole, un fanal
presque inaccessible, et qui ne m'indiquait aucun port. Je persistai : pour
la première t'ois de ma vie j'eus du courage: et je dois à son succès d'avoir
pu soutenir l'horrible destinée qui des lors commençait à m'envelopper,
sans que j'en eusse le moindre soupçon. Après les recherches les plus
ardentes et les plus sincères qui jamais peut-être aient été faites par aucun
mortel, je me décidai pour toute ma \ie sur tous les sentiments qu'il
m'importait d'avoir; et, si j'ai pu me tromper dans mes résultats, je suis
sûr au moins que mon erreur ne peut m'étre imputée à crime, car j'ai fait
tous mes efforts pour m'en garantir. Je ne doute point, il est xrai, que
les préjugés de l'enfance et les vœux secrets de mon ca-ur n'aient fait
pencher la balance du côté le plus consolant pour moi. On se défend
difficilement de croire ce qu'on désire avec tant d'ardeur : et qui peut
douter que l'intérêt d'admettre ou rejeter les jugements de laLitre vie ne
détermine la toi de la plupart des hommes sur leur espérance ou leur
crainte? Tout cela pouvait fasciner mon jugement, j'en conviens, mais
non pas altérer ma bonne foi ; car je craignais de me tromper sur toute
chose. Si tout consistait dans l'usage de cette vie, il m'importait de le
savoir, pour en tirer du moins le meilleur parti qu'il dépendait de moi,
tandis qu'il était encore temps, et n'être pas tout-à-fait dupe. Mais ce
que j'avais le plus à redouter au monde, dans la disposition où je me
sentais, était d'e.xposer le sort éternel de mon àme pour la jouissance des
biens de ce monde, qui ne mont jamais paru d'un grand prix. J'avoue
encore que je ne levai pas toujours à ma satisfaction toutes ces difficultés
qui m'avaient embarrassé, et dont nos philosophes avaient si souvent
rabattu mes oreilles. Mais, résolu de me décider enfin sur des matières
où l'intelligence humaine a si peu de prise, et trouvant de toutes parts
des mystères impénétrables et des objections insolubles, j'adoptai dans
chaque question le sentiment qui me parut le mieux établi directement,
le plus crovable en lui-même, sans m'arrêter aux objections que je ne
PREMIERES ESQUISSES DE LA . PROFESSION >< XVII
pouvais résoudre, mais qui se rétorquaient par d'autres objections non
moins fortes dans le système opposé. Le ton dogmatique sur ces matières
ne convient qu'à des charlatans ; mais il importe d'avoir un sentiment
pour soi, et de le choisir avec toute la maturité de jugement qu'on v peut
mettre. Si, malgré cela, nous tombons dans l'erreur, nous n'en saurions
porter la peine en bonne justice, puisque nous n'en aurons point la
coulpe. Voilà le principe inébranlable qui sert de base à ma sécurité.
Le résultat de mes pénibles recherches fut tel. à peu près, que je l'ai
consigné depuis dans la Profession de foi du Vicaire sai'ovard ».
11 n'arriva pas cependant du premier coup aux formules du \'icaire,
ou plutôt, sentant désormais l'impérieux besoin de taire une « profession
de foi ». il ne trouva pas dès l'abord qui pourrait la « recevoir ». Pendant
quelques années. Rousseau resta en quête de confidents. Avant de se
rappeler le « bon prêtre » de Turin et de s'incarner en lui, il aura
recours à d'autres truchements, et il saisira toutes les occasions, bonnes
ou mauvaises. « pour épancher dans le sein » d'un lecteur ami « tous les
sentiments de son cœur» i. La grande Lettre à \'oltaire. du 18 .Août 1756,
(àù on le sent si heureux d'avoir trouvé un prétexte pour pouvoir défendre
« la cause de Dieu » et soulager « son cœur », est, à sa manière, une
« profession de foi », et trahit le même besoin '-. Le Morceau allégorique
sur la Révélation est peut-être de lysy. Dans les derniers mois de cette
année, qui avait été à la fois si douce et si douloureuse pour lui, compre-
nant enfin que l'amour de .Mme d'Houdetot n'avait été qu'un rêve, mais
se raccrochant d'autant plus désespérément à cette amitié amoureuse qui
lui échappait, il voulut employer, pour la retenir, toutes les séductions de
son àme ; ne pouvant être son amant, il tenta d'être son directeur, et com-
mença pour elle des Lettres morales'^. Sous prétexte d'y apprendre à Sophie
' Expression du Vicaire : cf. plus loin, p. 33 de celte édition.
' X. 122-133.
' A .Mme d'Houdetot, Lettre du 28 Janvier 1758 ^34]. 237: cf. encore Lettres des
3i Octobre et 24 Novembre 1757 [34', 157, 189, et Lettre de .Mme d'Houdetot à Rous-
seau du 12 Février 1758 [26], I, 408. — Dans une Lettre, qui doit être de Juillet 1757,
puisqu'il y t'ait allusion au séjour de Saint-Lambert à Paris, Rousseau écrit à
.Mme d'Houdetot, .\, i65 : « Voici, .Madame, les papiers que vous m'avez demandés.
Je crains que vous ne puissiez rien débrouiller aux ratures des Lettres. Si vous en
pouvez déchiffrer quelques-unes, je vous prie de vouloir bien m'indiquer les autres,
afin que ie les copie lisiblement. Quant au Catéchisme, j'y ai lait plusieurs change-
ments en le récrivant : c'est pourquoi je vous prie d'en garder la copie que je vous
envoie, afin que je puisse sur elle collationner la mienne ». Quelles sont ces Lettres?
Il me semble fort difficile que ce soient déjà les Lettres à Sophie .' Le Catéchisme parait
bien être un autre ouvrage ; et c'est un ouvrage de Rousseau, puisqu'il y fait des
XVIII INTRODUCTION
comment elle devait vivre, il lui disait surtout ce qu'il pensait, lui, Jean-
Jacques. « sur le vrai prix de la vie » i : c'était pour lui une occasion —
il en convenait lui-même — de formuler sa « profession de foi » : « En
vous exposant, lui écrit-il, mes sentiments sur l'usage de la vie, je
prétends moins vous damier des leçons que vous faire ma profession
de foi. A qui puis-je mieux confier mes principes qua celle qui connaît
si bien tous mes sentiments »2? Il nous reste aujourd'hui les brouillons
de six de ces Lettres. Furent-elles envoyées à leur destinataire, je serais
tenté de l'admettre, puisque Rousseau n'en a conservé que les brouillons,
et qu'il n'était pas homme à laisser des œuvres aussi travaillées sans les
mettre au net. Mais il est probable qu'il n'alla pas jusqu'au bout de son
programme. La 6<^ Lettre semble inachevée ; et, visiblement, dans son état
actuel, la série n'est pas complète. L'idée religieuse pénètre toutes les
considérations particulières ; et déjà, en dépit de quelques contradictions
superficielles, c'est, pour le fond, les principes mêmes du N'icaire; mais nulle
part les dogmes essentiels qui sont la caution de la loi morale ne sont
présentés systématiquement. Il est vraisemblable que Rousseau réservait
cet exposé comme couronnement de sa direction, pour les dernier^
Lettres, qu'il ne rédigea point. Se lassa-t-il d'écrire, trouva-t-il un accueil
insuffisamment compréhensif et chaleureux, ou plutôt abandonna-t-il
ces premières esquisses, parce qu'il entrevoyait déjà d'autres œuvres
où il pourrait s'expliquer plus librement encore, et plus complètement,
— je le croirais volontiers.
11 venait, en effet, sinon de terminer sa Julie, du moins d'en arrêter
le plan définitif pour les dernières parties. Et il pressentait assez
ce que serait l'œuvre pour savoir qu'il pourrait s'y mettre tout entier.
Le problème moral, qui devait en faire le centre, non seulement
autorisait la recherche religieuse, mais semblait y inviter. En même
temps, le cadre épistolairc et dramatique du roman lui permettait de
rendre sous tous leurs aspects les hésitations et parfois les contra-
dictions de ses croyances, sans pourtant laisser douteuse leur orien-
tation générale. Il y a une « profession de foi » latente, qui se dégage
de la Nouvelle Héloïse pour tout lecteur averti ; mais, çà et là, il v a des
déclarations et des discussions plus explicites: Jean-Jacques, en faisant
chan{,'ements en le recopiant. Est-ce un ouvraf^e perdu ? .Ne serait-ce pas peut-être une
première esquisse de la Profession rfe /oi .•' J'inclinerais vers cette hypothèse.
' E.xpression du Vicaire : cf., plus loin, p. 33 de cette édition.
- /'■'■' Lettre à Sophie [3i], 117.
PREMIERES ESQUISSES DE LA « PROFESSION » XIX
parler complaisamment les personnages de son imagination, a voulu
surtout soulager son cœur et se révéler lui-même. Et. par exemple, dans
les discours — les longs discours — de .lulie mourante, il v a bien peu
d'affirmations qu'il n'eût pas cru pouvoir prendre à son compte : pro-
fession de foi, d'un rationalisme moins agressif peut-être que celle du
Mcaire, dune piété plus attendrie, mais dont la substance reste identique.
C'est, d'ailleurs, ce que Rousseau reconnaissait lui-même ^ : « On trouve,
dans VÈiiii/e. la profession de foi d'un prêtre catholique, et. dans
VHéloïse. celle dune femme dévote. Ces deux pièces s'accordent assez
pour qu'on puisse expliquer l'une par l'autre »; et, plus explicitement
encore dans les Confessions : « La profession de foi de cette Héloi'se
mourante est exactement la même que celle du \'icaire savovard » '-.
Enfin, dans la Lettre à lïAlemberl. — dans cette espèce d'intermède,
tout pénétré de l'esprit de la Xouvelle Héloïse, et. en quelque sorte,
fragment anticipé de l'œuvre qui s'achevait — il avait pris prétexte du
Christianisme des pasteurs de Genève pour faire, en son nom personnel,
une déclaration de sa foi : « Les dix ou douze premières pages, écrit-il ^,
contiennent sans détour, directement et sous mon nom, des sentiments
du moins aussi hardis et aussi durement énoncés » que les plus audacieux
de VHéloïse. et. il aurait pu ajouter, de l'Emile.
Ces différents morceaux, dit-il encore *. « respirent les mêmes
maximes» et les présentent sans plus de « réserve». Leur accord est d'au-
tant moins surprenant que je les crois contemporains, ainsi que j'essaierai
de le prouver plus loin. .Mais la multiplicité même de ces démonstrations
simultanées suppose un besoin profond. On vient de voir que ce besoin
le travaillait depuis fort longtemps. Ainsi, quand en 1762, par la bouche
de son Vicaire, il exposa publiquement ce qu'il pensait et ce qu'il était
décidé à penser désormais « sur le sort de l'homme et sur le vrai prix de
la vie », il répondait à une exigence essentielle de son âme, et il exécutait
un dessein, dont il avait, bien des fois déjà, tenté la réalisation fragmen-
taire. \'ovons maintenant comment il l'exécuta.
' Letlre.'i de ta MunlJ^ne, III, I23. Cf. encore /d., 173, Lettre à .U. de BeiTiiiiinnl,
111. 63.
' VIll, 290.
■' Observations sur tes retrancliements que .\t. de Mateslierbes l'uutait qu'on fil
à la « Xouvetle Hétoïse », \', 8S.
■• Lettre à .\l. de Beaumont. 111. Ii2-b3.
XX INTRODUCTION
CHAPITRE II
LE CHOIX DU CADRE ET LES SOUVENIRS PERSONNELS
I. Les précurseurs de Jean- Jacques dans la fiction théologique.
Si Rousseau sonijea un instant à formuler directement en proposi-
tions dogmatiques et toutes nues sa « profession de foi », comme allaient
le faire quatre ans avant V Emile les pasteurs de Genève S cette velléité fut
sans doute fort courte. Il est même improbable que l'idée s'en soit jamais
présentée à lui. Il sentait trop vivement la solennité de l'acte qu'il allait
oser pour ne pas chercher à l'agrandir encore par une mise en scène, elle
aussi, solennelle. Il savait l'importance de la « langue des signes » pour
émouvoir « les affections de l'àme ». et n'avait garde de « la négliger » -.
D'ailleurs, sa pensée religieuse, avant d'atteindre la pleine sécurité, avait
traversé des angoisses, qu'il était bon de faire revivre au lecteur, pour le
conduire à la même foi a. travers les mêmes émotions. Tout semblait
donc inviter Rousseau à montrer ses cro\ances en action, dans un cadre
dramatique et impressionnant. Si la prudence lui conseillait de ne pas
se compromettre personnellement et nommément, une pareille considé-
ration n'était pas, je crois, décisive pour un écrivain comme lui. sincère
jusqu'à l'audace, jusqu'à la témérité, et qui méprisait la diplomatie des
anonvmats voltairiens. Mais il n'était pas encore d'un romantisme assez
hardi pour taire de cette « profession de foi » une « confession » publique
et déclarée; et il lui parut convenable d'en dissimuler les aveux intimes
derrière le voile léger d'une fiction.
Ce n'était pas la première fois que des écrivains français, ou accli-
matés en France, avaient recours au roman pour présenter leurs théories
et leurs rêves religieux sous une forme à la fois plus séduisante pour
le lecteur, et moins dangereuse pour eux. Sans remonter à Thomas
' Cf. leur Déclaration dan.s les ŒÀii'res de Rousseau, I, 354-H.'iS.
^ Cf. IV' Livre d'Emile. Il, 294-296, Essai sur l'origine des laiiffues. I, 370-371,
et, ici-même, dans la Professii»!. p. 37 de cette édition, et note 6.
LES PRECURSEURS DE JEAX-JACQUES XXI
.Morus. dont VUlopie, vite populaire en France, présentait au lecteur un
Christianisme épuré, intellii^ible. proche de hi Nature et tolérant ', —
sans même s'arrêter au bon Jean Barclav, dont les Rois siciliens et les
prêtres sardes, quelques centaines d'années avant le Christianisme, {glori-
fiaient la Providence chrétienne et célébraient les douceurs de la vie
monastique -, — est-ce que Mentor n'abusait pas un peu de la docilité
de son élève pour lui insinuer la doctrine du pur amour ^?
Quelques années avant Télémaque. dès 1676. Jacques Sadeur, qui
avait découvert la « Terre Australe » et y avait vécu « trente-cinq ans »,
en revenait avec une « description de ce pavs inconnu jusqu'ici, de ses
mœurs et de ses coutumes » : il s'v était particulièrement renseigné sur
les crovances des Australiens. « dont la grande religion est de ne point
parler de religion », parce que. comme l'expliquait à Sadeur. dans un
discours très métaphysique, un philosophe de là-bas, si Dieu existe — et
il existe sans doute. — il est « Y Incompréhensible ». et « la raison nous
oblige de n'en point parler » *. L'année suivante, le capitaine Sirden
découvrait une région encore plus ignorée, le pays des Sévarambes. Denis
Vairasse. qui racontait les aventures de ce hardi navigateur, exposait
avec indulgence la religion de « ces peuples heureux », qui. « si elle
n'est pas la plus véritable de toutes, est du moins la plus conforme
à la raison humaine » : il laissait deviner qu'il penchait, comme les
héros de son histoire, vers une religion « raisonnable » ; et les
prêtres giovannites, dont il précisait complaisamment les hérésies, lui
étaient des porte-paroles commodes pour chercher noise au dogme
catholique '.
.Au début du .Wilh' siècle, le baron de la Hontan s'était contenté
d'explorer le Canada ; mais il y avait été aussi favorisé que Sadeur ou
Sirden dans leurs expéditions plus périlleuses. Il avait rencontré en pleine
forêt vierge un « chef de sauvages ». « fin et politique », auquel il avait
essayé de « découvrir les grandes vérités du Christianisme »; mais le
sauvage avait une dialectique si subtile et si embarrassante dans sa
' Des différentes religions de l'i'topie, uô"'-, 2S2-34N.
-' Cf. Argents, IV et VI [78], II, SSo-Sgo, III, 3io-320, B^i-Stx).
^ Cf. les rapprochements entre le Télémaque et les Maximes présentés par
.M. .\Ibert Cherel dans son édition critique des Maximes des Saints, Paris, Bloud,
lyii, in-i2, pp. Q0-Q2.
* La Terre Australe, VI 86''' , 112, 119-120 sqq.
" Histoire des Sévarambes 'x-;\ IV, 204. 3ki sqq.
XXII INTRODUCTION
simplicité, que La Hontan, déconcerté, renonçait à ses projets de con-
version, ne demandait plus qu'à « se faire Huron », à vivre innocemment
de la vie de la Nature sous « les lois de l'Instinct » et le rei,'ard « du
Grand Ksprit » i.
Jacques Massé, lui aussi, avait vovagé de par le monde. Kn 1710,
il livrait au public le récit de ses « aventures ». .\ l'une de ses étapes,
il avait rencontré un bon vieillard chinois, qui avait e.vpérimenté bien
des religions, et qui se reposait finalement dans un Christianisme très
peu dogmatique, mais très tolérant, ou. pour mieux dire. « uni\ersa-
liste ». Esclave chez des Turcs, parmi ses compagnons de chaîne. .Massé
avait trouvé « un préposant gascon, qui était bien le plus hardi athée
ou déiste qu'il eût vu de ses veux », au reste d'une douceur angéliqiie.
quoique admirable ironiste ''. Et le Gascon, comme le Chinois, dévelop-
paient devant l'innocent Massé bien des théories hétérodoxes ou liber-
tines, avec une ampleur satisfaite qui aurait été inattendue dans un
récit de vovage, si le lecteur n'avait senti que ces exotiques philosophes
n'étaient, entre les mains de polémistes prudents, que des truchements
dociles.
Tous ces vovages aux pavs des rêves théologiques furent fort goûtés ;
et les romanciers, en quête de succès, étaient sûrs de l'obtenir, s'ils
glissaient, parmi les aventures de leur héros, les discours de quelque
vieux sage, qui. dans la solitude d'une ile déserte, avait su retrouver la
simplicité des lumières primitives, ou ceux d'un voyageur philosophe,
exilé chez de « pauvres sauvages superstitieux », qui se contentait
discrètement de leur prêcher la religion naturelle. Qu'on se rappelle, par
exemple, les sermons du .Fredelingue de Marivaux (lyaS) aux sauvages
de son ile : « C'est cet Etre, leur dis-je, qui a fait tout ce que vos yeux
vous font voir: il est l'admirable ouvrier de toute la nature, de ce ciel,
parsemé d'éternelles clartés, et de ce soleil qui réchauffe les entrailles
de la terre et qui donne la vie aux moindres plantes. — Ils écoutaient
ces discours avec un sentiment intérieur qui leur faisait connaître que
j'avais raison. Je leur dis après : ... Cette àme qui vous anime, qui vous
fait maintenant sentir les vérités que je vous apprends, cette àme qui a
jugé qu'il v avait une puissance au-dessus de vous, et qui ne s'est trompée
' Xoui'eiîiix Vo\-iiges ,.iu Baron de la Hontan 104, II, 121. Dialogues de
M. de la Hontan 'lo.SJ, 1, ïy sqq.
- Vin-age.i et aventures de Jacques Massé iiT, 4i3-4;^.°i. 455-468.
LES PRECIRSEURS DE JEAN-JACQUES XXIII
que dans le choix, cette àme ne meurt jamais : l'Etre souverain l'a taite
immortelle et capable de jouir de biens infinis, quand elle l'a craint,
et capable de soutt'rir un éternel malheur, quand elle l'a méprisé sur
terre. — C'est ainsi que j'instruisais ces sauvages, et que, de jour en
jour, je réveillais dans leurs cœurs ces sentiments de justice et de
religion que tous les hommes apportent en naissant » '. Le Sethos
de Fabbé Terrasson njSii fait une besogne analogue chez les anthro-
pophages du Congo et de la Guinée. Il abolit leurs cultes abominables,
et les remplace par une reli^ôn plus douce : le culte de la « déesse des
vertus ». « Peuples du Congo, s'écrie-t-il.... il ne suffit pas d'avoir aboli
un culte fau-x et criminel, il en faut élever sur ses ruines un qui soit
raisonnable et digne de la divinité Tous les peuples du monde
s'accordent dans l'idée générale d'un premier Etre, auteur et conserva-
teur de la nature. Si les dieux de chaque nation ne sont autre chose que
les divers svmboles sous lesquels elles se représentent les différentes
perfections ou les différents dons de cet Etre unique et souverain, le
nombre des dieux ne sera que le nombre de ses attributs ou de ses
bienfaits » '. L'abbé Terrasson fait remarquer lui-même que quelques-
unes de ces paroles « étaient un peu trop fortes pour ces sauvages
ensevelis dans une superstition dont les raisonnements étaient incapables
de les tirer » '^ ; son héros n'en continue pas moins à parler doctement.
L'année suivante, l'abbé Prévost publiait son Cleveland (17321. qui
impressionna tellement Rousseau que ce roman fut, en quelque sorte,
l'un des événements de sa vie : « La lecture des malheurs imaginaires
de Cleveland. faite avec fureur et souvent interrompue, m'a fait faire, je
crois, plus de mauvais sang que les miens » *. Cleveland, « philosophe
anglais » et protestant, plus jeune que Sethos de quelques milliers
d'années, annonçait pourtant aux « bons Abaquis » la même religion
que le sage d'Egvpte aux cannibales de Guinée. Le voilà chez des sau-
vages, qui lui ont confié, eux aussi, la réforme et le gouvernement de
la nation : « Je méditais, dit-il, sur la forme que je devais faire prendre
à leur religion. .Mon incertitude ne dura pas longtemps. Ils n'avaient
que les lumières les plus simples de la nature, et je ne les croyais pas
capables d'en recevoir d'autres. J'examinai sur ce principe ce que l'Etre
' Effets surprenants de la s\tnpjtliie I ig, I, 126-127, i3i-i32.
= Sethos, VII 134, 11, 170 sqq., 1H4-1.S3.
' Id., Il, 173. "
* Confessions. VIII. 137.
XXIV INTRODUCTION
intinimeni juste pouvait exiger d'eux. Il me parut que le point essentiel
de leurs obligations était de reconnaître un Dieu tout-puissant, leur
créateur et leur maître absolu, de l'adorer sans partage et d'espérer ses
récompenses. Telles furent les bornes que je crus devoir donner à leur
toi. Pour le culte, je résolus de bannir les cérémonies mvstérieuses, parce
qu'elles dégénèrent lot ou tard en superstition »; et il leur prêche le
Dieu de la nature : « C'est lui, leur dit-il. qui vous a donné la naissance,
qui vous conserve, qui vous fournit libéralement tout ce qui vous
plaît et qui vous est utile. Ne sentez-vous pas qu'il faut aimer celui
qui vous comble ainsi de ses bienfaits? O bons .\baquis ! la nature
vous a donné un cœur: apprenez-en à en faire usage; et, si vous êtes
sensibles à quelque chose, soyez-le à des faveurs que vous éprouvez
continuellement » '.
\'ingt ans plus tard, ces divertissements philosophiques n'étaient pas
encore épuisés; et, presque simultanément (lySS et 1754) Morell)' et le
roi de Pologne entraînaient leurs lecteurs vers les régions lointaines, où
se sont réfugiées les religions selon la Nature : Morelly décrivait les « îles
fortunées ». où, « sous un ciel pur et serein, la Nature étale ses trésors
les plus précieux » et garde aux hommes leur innocence première. Roi
de ces peuples heureux, Zeinzimin exposait aux visiteurs étrangers leur
croyance en un Dieu bienfaisant, qui accorde à toutes ses créatures une
félicité immortelle, et faisait connaître leur cuite, où « les tables couvertes
de fruits délicats, de breuvages exquis, sont les autels et les victimes » 2.
L'excellent roi de Pologne Stanislas émigrait lui-même, en imagination,
de son duché de Lorraine, pour visiter le royaume de Dumocala. Il y
trouvait un brachmane. qui, dans un « temple majestueux et simple »,
prêchait le Dieu « de la raison et du bon sens », le « Créateur du ciel
et de la terre ». Vainement un missionnaire chrétien était venu évangé-
liser les Dumocaliens, le brachmane préférait se borner aux lumières
de la raison, et « crovait devoir s'en tenir à sa religion, qui ne lui offrait
rien qu'il ne pût entendre et rien en même temps qu'il ne fût possible
de pratiquer » ■'.
' Clevelaïul, W j3S^, V, ii5. 163-169.
' Saufrage des îles flottantes [206], 1. ^-b. Il, qo-qi, loo-ioH; cf.. plus loin.d;ms
la Profession, pp. 2i5 et note 2, 217 et note 1.
" Entretien d'un Européen avec un insulciire du rnyaume de Dumocala ^2[]"i].
232-236. — On pourrait encore mentionner l'Iroquois parisianisé des Lettres
d'Osman [202'"»], III. 146-173, cet Ij^'li, qui « prétend sortir des mains de la nature»,
qui frondL- toutes les religions et qui n'est que » l'apôtre du déisme » iniais il faut
LES PRECURSEURS DE JEAN-JACQUES XXV
On aura remarque, sans doute, la parenté visible entre ces fictions
romanesques et la fiction du Vicaire Savoyard. Cadre et fond, il sem-
blerait que tous ces récits enfantins en fussent comme les premières
esquisses.
La plupart des ouvrages que je viens de rappeler, Rousseau les axait
lus certainement K Nul doute que leur souvenir plus ou moins confus
Tait poursuivi, et même gêné, quand il faisait parler son Vicaire.
Cependant il ne crut pas devoir insérer dans un roman sa « profession
de foi ». La Nouvelle Héloïse lui a\ait offert un cadre très tentant: et
Ton a vu, qu'en effet, il avait mis dans la bouche de Julie mourante
bien des idées que le Vicaire allait reprendre. Mais un e.xposé complet
ei méthodique, avec les discussions très amples qu'il réclamait, aurait
déplacé fâcheusement le centre d'intérêt. Peut-être aussi jugea-t-il que
la gravité du sujet détonnerait un peu dans cette atmosphère amoureuse.
et qu'un livre où il n'osait inscrire son titre de citoyen de Genève-, ne
devait pas abriter le credo d'un homme qui avait repris sa religion pour
reprendre sa patrie.
.\u moment où il achevait de rédiger la Julie, il avait en chantier
un Traité de l'éducation. L'occasion lui serait excellente de s'expliquer
sur la religion. L'élève qu'il allait former ne serait-il pas là pour l'écouter
et l'encourager à tout dire? Autour de lui. les « philosophes » contem-
porains essavaient de conquérir la jeunesse à la « philosophie ». Il
voulait, lui, la ramener à la religion, à sa religion ■'•. En présentant au
noter ici que l'auteur des Lettres d'Osman, le chevalier d"Arcq, ne semble pas sympa-
thique aux idées de son Iglil. J'ajoute que. si l'on voulait chercher des ancêtres au songe
de la Fiction, il ne faudrait pas oublier les contes allégoriques de Diderot, le songe que
Murait a raconté dans sa Lettre sur l'esprit fort (Lettre qui se trouvait à la suite
de l'édition de 1747 des Lettres sur les Anglais, que Rousseau avait entre les mains
[121 ''i»], 77sqq.)et les Songes philosophiques du .Marquis d'Argens. parus en 1746 à Berlin
et réunis à l'édition de 1755 des Lettres chinoises : cf. mes Questions de chronologie
rousseauiste [3oo , 58-6o. Enfin, plus près socialement du Vicaire, il faudrait faire
place au fantoche de l'abbé de Saint-Pierre, à son « Agaton, archevêque très vertueux,
très saje et très hureux » Isic) [70], X, 340-417. Mais le credo du Vicaire serait encore
trop compliqué pour Agaton. Sa théologie consiste surtout ;i n'en point avoir, ou, du
moins, a n'en pas parler; et sa « profession de foi », très rudimentaire, ne contient
qu'une morale, ou plutôt une pratique.
' Cf. à la Bibliographie, sous les diliérents numéros de ces ouvrages, les textes
qui témoignent ou permettent de supposer que Rousseau les a lus.
^ Cf. Souvelle Héloïse, Seconde Préface, IV, i5.
' Lettre à M. de Beaumont, 111, 82 : « Je dirai ma religion parce que j'en ai
une.... Il serait désirable qu'elle fût celle du genre humain ».
3*
XXVI INTRODUCTION
disciple idéal le bréviaire de la vie morale, il pourrait lui redire. — et
avec un accent plus ému et plus grave. — ce que son ancien ami disait
à l'apprenti philosophe : « Jeune homme, prends et lis » ^ — La
Profession de foi, roman théologique, tut insérée dans l'Emile.
2. La « Profession » et les « Confessions ».
Si le cadre de la Profession est dramatique et romanesque, tout le
récit n'est pourtant pas une fiction. « Je garantis, dit Rousseau, la vérité
des faits qui vont être rapportés : ils sont réellement arrivés à l'auteur
du papier que je vais transcrire ». Les Confessions ont ajouté à cette
déclaration une garantie posthume. Les .Manuscrits sont là, d'ailleurs,
pour témoigner, qu'à certain^ moments de la rédaction, l'auteur d'Emile
et « l'auteur du papier » n'ont lait qu'un, et que Rousseau a songé, —
un instant du moins. — a prendre tout le récit à son compte -. Cependant
le te.xte définitif est plus discret. Quand on arrive à cet aveu : « je me
lasse de parler en tierce personne, et c'est un soin fort superflu, car vous
sentez bien, cher concitovcn, que ce malheureux fugitif, c'est moi-même »,
— on serait tenté, à première lecture, de regarder cette interruption du
récit comme la brusque entrée en scène de Rousseau ; et, dans le tond,
c'est bien cela ; mais, à s'en tenir aux termes mêmes du texte, cette
conjecture ne nous est pas permise : le « cher concitoyen », c'est Rousseau
lui-même, et « l'auteur du papier » lui dit : « votre élève ». Rousseau le
fera remarquer plus tard avec une satisfaction de juriste : « Il est clair
par là. dira-t-il. que la Profession de fii n'est pas un écrit que j'adresse,
mais un écrit qui m'est adressé » •'•. Ce sont là, il est vrai, des chicanes
et des arguties d'avocat, qui ne trompaient personne dès l'apparition
d'Emile*, et qui n'ont plus aujourd'hui qu'un intérêt archéologique.
Depuis la publication des (Confessions, le Prologue de la Profession de
' C'est le mot de Diderot en tète de ses Pensées sur l'interpréiation de la
Nature [210', 7.
' Cf., plus loin, dans cette édition de la Profession, pp. 4. 5 et note 4. 14 et
note 12, i5 et note 6.
^ Déclaration relative au Pasteur Vernes, IX, 90.
■• Cf. les Conclusions de M. le procureur général Jean-Robert Troncliin sur le
« Contrat social » et I' « Emile », en Juin 1762 [260J, 17, où il cite précisément le
« je me lisse de parler en tierce personne », en en faisant l'application à Rousseau.
LA « PROFESSION » ET LES « CONFESSIONS » XXVII
/bi peut être considéré comme un fragment anticipé de « Mémoires ».
Sont-ce des mémoires exacts, et peut-on les annexer aux Confessions en
guise de supplément. — le problème devient ici plus délicat et mérite
examen.
Si Ion compare le récit de VÉmile au récit des Confessions, on
s'apercevra que les deux récits, là où ils concordent, ne s'accordent pas
toujours, et que celui des Confessions est à la fois moins dramatique et
plus vraisemblable. Le « calviniste expatrié » de l'Emile. « fugitif, sans
ressources », entre chez les catéchumènes « pour avoir du pain »; le
Jean-Jacques des Confessions n'est venu, très librement et très gaillarde-
ment. d'Annecv à Turin que pour y entrer. « L'hospice pour les prosé-
lytes » est une manière de mauvais lieu, dont les directeurs semblent des
proxénètes ; l'hospice de Jean-Jacques n'est certes pas le séjour de la
vertu, et l'administration y est même indulgente au vice : mais, si l'on y
voit des gestes malpropres, ce sont des camarades polissons qui les pro-
voquent. Le prosélvte. pour s'être refusé à des propositions « infâmes »,
est traité en « criminel »: on se contente de rendre à Jean-Jacques « le
séjour de l'hospice désagréable ». Le prosélyte finit par s'évader, et le
bon prêtre savovard, qui s'intéresse à lui, « n'hésite pas à favoriser son
évasion »; Jean-Jacques, qui ne connaîtra l'abbé Gaime qu'au sortir
de l'hospice, fait une sortie très régulière, dûment converti et rebaptisé,
emportant avec lui les quelque « vingt francs en petite monnaie qu'avait
produits sa quête » '.
.\u reste, le récit des Confessions, pour être moins romanesque,
n'offre pas beaucoup plus de sécurité; et il est très vraisemblable que le
drame de l'hospice a été moins atroce que l'imagination de Jean-Jacques
se l'est figuré plus tard; en tous cas. il fut court, et au prix d'une
conversion promptement bâclée, Jean-Jacques le réduisit au minimum,
car il quittait l'hospice onze jours après v être entré '-.
' Confessions, VllI, 41-4S. Cf., plus loin, dans cette édition de la Profession,
pp. 3-7. la comparaison détaillée des textes.
' Depuis T878, où le pasteur Jean Gaberel avait publié un soi-disant « fac-similé
de l'acte d'abjuration de Jean-Jacques Rousseau à l'archiconfrérie du San-Spirito
en 1728» [263. j55, les historiens de Rousseau admettaient qu'il était resté quatre
mois et onze jours à l'hospice, du 12 .\vril au 23 .\oùt 1728 : cf., par exemple,
G, Valleite '287 ■>'«], 49 et note 2. Mais le texte du registre avait été mal lu. J'en ai
donné une reproduction photographique dans mon article : Le séjour de Jean-Jacques
Riiusseau à l'hospice du San Spirilo 3oi'. On v verra qu'au lieu de lire .\gosto, il faut
lire .iple. I barré (= Aprilei et que Jean-Jacques, entré ;i l'hospice le 12 .\vril, abjura
XXVIII
INTRODUCTION
Cependant, il n'est pas impossible que tel renseignement, fourni par
le seul prologue de la Profession, puisse être utilisé pour la biographie
de Rousseau, et. par exemple, je serais tenté de croire que .lean-Jacques,
comme « le jeune homme » de VEinile, a pu demander à l'abbé Gaime
d'être inscrit parmi les pauvres qu'on avait charité le prêtre de secourir i;
je croirais vraisemblable aussi que. dès cette époque, Rousseau avait pris
l'habitude de « faire des extraits de livres choisis » - : mais, si ces petits
détails portent avec eux leur probabilité, on a vu qu'il serait imprudent
d'écrire la \ie de Jean-.lacques à Turin en acceptant comme authentiques
toutes les indications de l'Emile. A plus forte raison, ne faut-il pas
chercher dans ces mémoires remaniés une biographie exacte du « Mcaire
Savoyard ».
Si 1 on en croit Rousseau lui-même, le personnage aurait un double
modèle : « Réunissant .M. Gàtier a\ec J\l. Gaime. je fis, dit-il. de ces deux
dignes prêtres l'original du Vicaire Savovard » '■'. Ce serait M. Gaime qui
aurait tourni pour ce portrait les éléments les plus nombreux et les plus
le 21. el tut baptisé lu 23 du même mois, \oici. d'ailleurs, la transcription de la partie
du registre qui le concerne.
[Aniio (liilherumîni | Ella | Ariuo
I I '
Parlenza St>n» AhjiiiM it.illes
I
jlticpri'he dello
H.if jlf f Strcnf
Rosso
i6
12
l.\éant]
Caluinista
2 I
2:i
1 Sig. Giuseppe
L.
5.10
(iioGiacomo
.\prille
Aple
Aplc
Andréa Ferrero
di Oeneua
Sig. Franca
(^aiuinista
(^hristina Rocca
1
Ce registre nous apporte aussi des renseignements très intéressants sur les com-
pagnons de Jean-Jacques et nous permet de contrôler par le menu le récit des Confessiims :
ci., à ce sujet, mon article cité. — Sur l'hospice même du San-Spirito, son histoire
et son organisation, cf. l'ouvrage de Marocco 1264].
• Cf., plus loin, dans cette édition de la Profession, p. 21 et note 2.
- Id., p. ig et note 2.
' Confessions. VIII, 84
LA « PROFESSION » ET LES « CONFESSIONS » X.XIX
caractéristiques. Comme le Vicaire, il était prêtre, et prêtre savoyard.
Précepteur des enfants du comte de .Mellarèdc, le jeune .lean-Jacques lit
sa connaissance à Turin: et c'est à lui qu'il dut de ne pas sombrer
irrémédiablement dans Timmoralité et l'irréligion qui guettaient sa vie
vagabonde. .Modeste, instruit, dédaigneux de l'intrigue et sans crédit
mondain, nature élevée et généreuse, esprit profondément religieu.v sans
étroitesse. — cet abbé Gaime que font revivre les Confessions, nous
apparaît, sous tous ces aspects, comme le Sosie du Vicaire '. Mais le
Vicaire a « une figure intéressante»; et ici l'on se rappelle plutôt « la
physionomie touchante » de l'abbé Gàtier. « ses grands yeux bleus », dont
Rousseau trouvait si impressionnant « le mélange de douceur, de ten-
dresse et de tristesse ». Le Vicaire a eu « une aventure de jeunesse »:
il n'a pas su résister à « la voix de la Nature » ; sa probité trop
scrupuleuse, lui défendant les dissimulations hvpocrites, « a laissé ses
fautes à découvert»: on lui a fait « e.fpier le scandale »; et il a été
arrêté, interdit, chassé ». C'est l'histoire même de l'abbé Gàtier, telle, du
moins, que Rousseau l'a entendu raconter. Victime de « son cœur trop
tendre ». le jeune et candide prêtre se laissa prendre au même piège
et causa le même scandale: lui aussi, «il fut mis en prison, diffamé
chassé » ■-.
Cette seule compénétration des deux personnages, si l'on peut ainsi
parler, nous inviterait déjà, il me semble, à ne pas chercher, pour tous les
épisodes de la biographie idéale du Vicaire, des identifications impossibles.
Le schéma général peut rester vrai, mais la fantaisie doit se retrouver dans
les détails : le travail d'idéalisation était, d'ailleurs, légitime dans un
ouvrage qui n'avait rien d'historique, et dont ce morceau, en parti-
culier, devait prendre aux veux de tous les lecteurs une valeur de
symbole. Essavons donc de démêler, dans le Prologue de la Profession,
ce qui appartient aux deux prêtres savovards, et ce qui appartient à
la fiction.
L'abbé Gaime est connu. Les recherches de M. .Mugnier ont permis
de le suivre dans les principales étapes de sa vie '•. .Aussi me contenterai-je
de résumer brièvement ce qui est aujourd'hui acquis, et d'y ajouter
quelques indications nouvelles. Jean-Claude Gaime ou Gaymoz, était né
à Hérv-sur-.\lbv. en Savoie, le 2 Septembre i6q2; c'est dire que. comme
' A/.. 63-64.
'- Id., S3-84.
' J. J. Ruiisseau et Mme de Warens [272]. 46-55 et 424-42Q.
XXX IXTRODUCTIOX
le Vicaire. « il était né pauvre et paysan, destiné par son état à cultiver la
terre ». 11 fit, sans doute, ses études ecclésiastiques au séminaire des
Lazaristes d',\nnecy. En AntII 172-2. il se trouvait à Turin depuis déjà
quelque temps, et avait passé Texamen de .Maitre-ès-arts à l'L'niversité
de cette \ille. Le 22 .\vril 1723 et le 24 Février 1724, il recevait d'.\nnecv
une double lettre dimissoire. lautorisant à se faire ordonner sous-diacre
et diacre en Piémont '. Kn 1725, il était prêtre, et toujours à Turin. C'est
à ce moment, semble-t-il. qu'il entra comme précepteur chez le Comte
de .Mellarède. De 173s à 1745, nous savons qu'il fut professeur de
français et sous-prieur à l'.Vcadémie royale des jeunes nobles; mais, très
vraisemblablement, il \- enseignait dès 1730. En 1745. il quitta Turin,
et revint en Savoie, à Rumiih'. 11 s'v trouvait encore quand Rousseau
composait la Profession de foi : et c'est là qu'il mourut, le i3 Mai 17G1.
après avoir passé dans ce petit villai^e quinze années d'une vie « autant
édifiante qu'intérieure » -. On jugera, sans doute, inutile de vouloir, avec
M. Mugnier, le disculper « d'une aventure de jeunesse » que Housseau
ne lui a jamais imptitée. .Mais a-t-il été le « protestant déguisé » et le
chrétien émancipé qui nous est présenté dans ÏEmile? On est moins à
l'aise pour répondre. Qu'il ait eu une théologie accommodante, faisant
assez bon marché des dogmes les plus spéculatifs, pour s'attacher surtout
à la morale et au.v « devoirs de pratique ». — la chose est possible, mais
je douterais fort qu'il eût été aussi hardi que Rousseau dans ses affirma-
tions rationalistes, je douterais surtout qu'il les eût faites avec cette àpreté
d'accent qui est la marque propre de Jean-Jacques. A s'en tenir, d'ailleurs,
au seul récit des Confessions, on peut apporter quelques retouches au
portrait de VÉmile : l'abbé Gaime n'a pas offert ce spectacle piquant
d'un prêtre catholique « faisant évader » un calviniste d'un hospice de
catéchumènes, puisque Jean-Jacques, on l'a vu. ne s'évada point de
Ihospice, et que les relations entre le jeune homme et le prêtre ne
semblent avoir commencé que chez .Mme de N'ercellis. L'abbé Gaime
conseilla peut-être à son protégé de « retourner dans sa patrie » ^, mais
il \- a une nuance entre ce conseil et cet autre du \'icaire : « Reprenez
' .lu dois ce renseignement ;i l'oblif^eance de M. le Chanoine Rebord, qui prép.nre
un Dictionnaire biographique du clergé savoisien. M. Rebord a recueilli ces indications
dans le registre des titres cléricau.x, ordinations et dimissoires, qui se trouvait à
l'évêché d'Annecy avant la Séparation, mais qui ne semble pas avoir passé, avec les
autres documents épiscopaux. dans les Archives départementales de la Haute-Savoie.
- .\cte de décès de .M. Gaime. dressé par .M. Bugnard. curé de Rumillv |^272J, 428»
Confessions, VIII, ('14.
LA « PROFESSION )) ET LES « CONFESSIONS » XXXI
la religion de vos pères » '. Rousseau reconnaît lui-même que, « la
prudence lohligeant à parler avec plus de réserve, il s'expliqua moins
ouvertement sur certains points ». Ne cherchons donc dans la Profession
du Vicai>-c. comme Rousseau nous y invite encore, que « la substance
des entretiens » de M. (jaime -.
Les renseignements sur .M. Gàtier restaient jusqu'ici plus rares.
« C'était, disent les Con/essions ^. un jeune abbé Faucigneran », et
M. Mugnier avait retrouvé la trace de deux abbés Gàtier, tous deux du
Faucigny, sur lesquels il apportait la brève note que voici : « L'un était
vicaire à Cluses, et y est mort en 1725, après une vie exemplaire; Tautre
était professeur au collège de la même ville en 1/35. Ce dernier a pu
se trouver au séminaire en 172Q ou jySo: mais certainement il n'a
pas été le héros ou la victime de l'aventure imaginée par Jean-Jacques »*.
C'est effectivement ce second abbé Gàtier, qui a dû être, au séminaire
d'Annecv, le guide et l'ami de Rousseau. Je suis parvenu à fixer avec
quelque précision les principales étapes de sa carrière. Ces documents
tout secs et ces dates toutes brutes n'ajoutent aucune touche nouvelle
au portrait esquissé par Rousseau : ils permettent, du moins, d'hésiter
fortement devant les on-dit qii'il rapporte.
Jean-Baptiste Gàtier ■' naquit à Cluses le i5 Avril lyoS ''. Par déli-
bération du conseil de Cluses, en date du 2 Octobre 172g, il était désigné
comme boursier de la ville au collège des provinces, récemment fondé à
Turin. L'acte de délibération du conseil, qui le qualifie de « bourgeois
de Cluses » et de « sous-diacre », rappelle qu'il a déjà « étudié pendant
trois ans la théologie au Collège Roval des Pères de Saint Dominique de
Chambérv »\ 11 est plus que probable qu'après ces trois ans de collège.
' et"., plus loin, dans cette édition de la Profession, p. 43g.
- Confessions, VIII, 64. Il avoue encore. Lettres de la Montagne. III, 141, qu'il
a fait parler son Vicaire « comme jamais prêtre catholique n'a parlé ».
' Confessions, VIII, 83.
' J. ./. Rousseau et Mme de Warens [272^, 59.
° On trouve, dans les documents ofliciels que je vais utiliser, les orthographes :
Gattier, Gatthier, Gatier.
^ Voici son acte de baptême, dont je dois la communication à .M. Joseph Serand,
archiviste-adjoint de la Haute-Savoie : « Die i5 Aprilis 1703 natus et baptisatus fuit
Joannes Baptista filius Claudi Gattier et Franciscae Raclez conjugum. Susceptores
Jacobus Franciscus Gattier et Maria Gerva ». Ce document a été copié par .M. Perroud,
instituteur à Cluses.
' Archives municipales de Cluses, te.xte communiqué par .M. Joseph Serand,
d'après une copie de .M. Perroud. instituteur à Cluses. Ce texte avait déjà été publié,
mais fautivement, par l'abbé Lavorel I271], 203-204. ^-'^ texte de M. Lavorel parle du
XXXII INTRODUCTION
(il pour devenir sous-diacre, il passa par le Grand Séminaire d'Annecy.
« FactLis sacerdos, an. 1728 », a écrit en marge de son acte de baptême
une main inconnue. Sacerdos doit être entendu ici au sens large, et
signifie sans doute l'entrée au séminaire pour recevoir les ordres. Ton-
suré le 12 Mars 1729, il dut devenir sous-diacre à l'automne, avant de
partir pour Turin, d'où il revint à Annecy, l'année suivante, recevoir la
prêtrise des mains de M. de Bernex (4 mars 1730) '. Ces dates concordent
fort bien avec le récit des Confessions pour l'année 1729 : « Le temps des
ordinations étant venu, M. Gàtier s'en retourna diacre dans sa province » '-.
On a vu qu'il n'v resta pas longtemps, puisqu'en Octobre de cette même
année, il était choisi par le conseil bourgeoisial de Cluses pour repré-
senter la ville au collège des provinces. Son séjour à Turin dura un
an à peine, et encore tut-il interrompu par le vovage d'Annecy pour
la cérémonie de l'ordination. Le 28 Octobre 1730, le conseil de Cluses
le nommait régent au collège de Cluses « pour enseigner la jeunesse
et la pousser jusqu'en troisième inclusivement » ''. Le 29 Avril 1750,
il était nommé curé de Saint Pierre de Curtille ', où il mourait toujours
curé, en Février i7(")o ■''. Resttt-t-il au collège de Cluses jusqu'à sa
nomination à la paroisse de Curtille, la chose n'est pas sûre, mais elle
est vraisemblable. En tous cas, les actes épiscopaux, registres des ordina-
tions et des institLitions. restent muets sur son compte durant cette
période. Aiicune aventure de jeunesse dans sa vie jusqu'en 1730, cela parait
certain : la nomination de régent de collège, à défaut d'autre document,
semblerait le garantir. .\près 1730. aucune trace de « scandale », et, sans
doute, une existence régulière. Jusqu'à nouvelle découverte, il faut donc
regarder le récit de Rousseau comme très suspect. Non pas certes que
l'on soit en droit de soupçonner Rousseau d'une invention calomniatrice;
et, s'il disait avoir été le témoin de « l'aventure ». je le croirais très
volontiers : mais il ne le tut pas : « (^)uelques années après, dit-il. j'appris.
qu'étant vicaire, etc le ne sais s'il aura pu, dans la suite, rétablir ses
« collèj;e royal des RR. PP. Dominicains à Annecy-^, alors que les Dominicains n'ont
jamais enseigné à Annecy. C'est à Chambéry qu'était leur collège.
' Ces dates d'ordination m'ont été fournies, pour Gatier comme pour Gaime.
par M. le Chanoine Rebord. Elles proviennent de la même source.
- VIII, «4.
' .Archives départementales de la ll.iute-Savoie. Rc^'istres des Institutiiins de
Ml,')- de Bernex (1728-1734), f" Kîô '"-■".
* Id., Inslitiitions de Mgr Descliamps 11748-1756), f" i79'"-i8o''.
» Id., /d. (1756-1763), f" 297 '•.
LA REDACTION ET LES SUGGESTIONS CONTEMPORAINES XXXIII
affaires ». Ce sont là des formules qui trahissent une information très
indirecte et même imprécise. Rousseau aura pu confondre deux noms
analogues: il aura pu surtout être desservi par des souvenirs déjà vieux
de trente ans. Il avait jadis entendu parler de quelque desservant de
Savoie dont l'inconduite avait fait scandale. Pourquoi ce prêtre trop
sensible n"aurait-il pas été cet abbé Gâtier, dont les « i^rands yeux bleus »
semblaient révéler un tempérament romanesque ? Fn tout cas, cette
défaillance, si « naturelle », d'un cœur aimant méritait bien d'être
attribuée au Vicaire savovard, à ce « bon prêtre ». qui, pour être prêtre,
n'en était pas moins « homme ». et qui prêchait à son jeune disciple le
Dieu de la Nature et du cœur? Plus tard, en rédigeant ses Conjessions.
il crut pouvoir restituer à Gàtier l'aventure de son Vicaire ; et, pas un
instant, sans doute, il ne se rendit compte que cette conjecture, peut-être
téméraire, pouvait passer pour une calomnie. D'avoir apporté une nuance
au portrait du prêtre idéal demeurait à ses veux un honneur enviable,
dont personne ne pouvait faire fi, même si cet honneur était injustifié :
véridique ou non, devait-il se dire à lui-même, « je me flatte que
l'imitation n'a pas déshonoré ses modèles » '.
CHAPITRÉ III
LA RÉDACTION ET LES SUGGESTIONS CONTEMPORAINES
J'ai essavé de montrer pour quelle raison la Profession de foi avait
été insérée par Rousseau dans VEiiiile. Elle en est devenue, dans l'état
définitif du livre, une partie, je ne dirais pas essentielle, mais intégrante,
puisque c'est elle qui doit fournir la réponse à l'une des questions les
plus graves qui soit impliquée dans le problème de l'éducation : Faut-il
une religion à l'enfant, et quelle doit-elle être? Cependant, si les deux
oeuvres ne forment qu'un tout bibliographique, une lecture attentive
permettra de remarquer que, primitivement du moins, elles n'ont pas
été écrites l'une pour l'autre. La Profession semble parfois contredire le
reste de VÉmile. et sur des points qui ne sont pas négligeables. Nous
voulons, écrit Rousseau à la page qui suit la Profession, « que l'homme
' Confessions. VIII. 84.
XXXIV INTRODUCTION"
soit toujours un. le plus qu'il est possible » '; et telle doit être, en eH'et.
la conséquence pratique d'une philosophie qui proclame la bonté de la
nature : rétablir dans l'homme l'unité primitive détruite par la vie sociale.
Or le Vicaire n'a rien affirmé plus fortement, ni avec une éloquence plus
émue, que la dualité de l'être humain : « Non, l'homme n'est point un !
Je veux et je ne veux pas: je me sens à la fois esclave et libre.... J'ai
toujours la puissance de vouloir, non la force d'exécuter...; le sentiment
de ma liberté ne s'efface en moi que quand je me déprave et que
j'empêche enfin la voix de l'âme de s'élever contre la loi du corps » -.
En formulant ces affirmations, le Vicaire n'est plus un philosophe de la
Nature, il redevient un prêtre chrétien.
On dira peut-être que les contradictions, ou, si l'on veut, les appa-
rences de contradictions, sont si nombreuses chez Rousseau, non seule-
ment entre ses difî'érentes œuvres, mais dans l'intérieur de chacune
d'elles, qu'il serait imprudent d'en tirer une conclusion quelconque,
pour ou contre leur unité de comp(jsition. .Mais il \' a d'autres arguments
internes qui témoignent de l'indépendance de la Profession par rapport
au reste de VÉmile. Comme tous les prédicateurs, Rousseau ne craint
pas de se répéter; et c'est précisément l'une de ses forces, de pouvoir
lancer, avec l'énergie d'un paradoxe tout neuf, des principes qu'il a déjà
soutenus plusieurs fois ; mais ce sont alors des retours et des sursauts
d'idées plutôt que des répétitions proprement dites; et. en artiste soucieux
d'éviter la monotonie, il s'ingénie toujours à en varier les formules.
Au contraire, lorsqu'on arrive à la Profession après avoir lu les deux
premiers volumes d'Emile, on v retrouve jusque dans le détail — je dirais
même : surtout dans le détail. — des idées qui ont déjà été exprimées et
dans des termes tout voisins : « .\percevoir c'est sentir, affirme. le Vicaire,
comparer c'est juger; juger et sentir ne sont pas la même chose... Je
cherche en vain, dans l'être purement sensitif. cette force intelligente qui
superpose- et puis qui prononce ; je ne la saurais voir dans sa nature. Cet
être passif sentira chaque objet séparément, ou même il sentira l'objet
total formé des deux : mais n'ayant aucune force pour les replier l'un
sur l'autre, il ne les comparera jamais, il ne les jugera point... C'est
que je suis actif quand je juge » 3, etc. .\u III*^ Livre d'Emile. Rousseau
avait déjà dit : « .Notre élève n'avait d'abord que des sensations, main-
1 Livre IV d'Emile, 11. 287.
' Cf., plus loin, pp. 167-169, I 85 de cette édition, et les notes qui s'y rapportent.
' Cf.. plus loin, pp. 79-89 de cette édition.
LA REDACTION ET LES SUGGESTIOXS CONTEMPORAINES XXXV
tenant il a des idées : il ne taisait que sentir, maintenant il juge.... Dans
la sensation, le jugement est purement passif, il affirme que l'on sent ce
qu'on sent. Dans la perception ou idée, le jugement est actif; il rapproche,
il compare, il détermine des rapports que le sens ne détermine pas. Voilà
toute la diti'érence; mais elle est grande » '. — « Ce qu'il v a de plus
injurieux à la Divinité, dit le Mcaire, n'est pas de n'v point penser, mais
d'en mal penser » - ; et quelques pages à peine avant la Profession,
Rousseau avait déjà dit : « Il vaudrait mieux n'avoir aucune idée de
la Divinité que d'en avoir des idées basses, fantastiques, injurieuses,
indignes d'elle : c'est un moindre mal de la méconnaître que de l'ou-
trager » -^ — « Celui qui peut tout, dit encore le X'icaire. ne peut vouloir
que ce qui est bien:... sa bonté vient de sa puissance, il est bon parce
qu'il est grand » *. Au l'^'" Livre d'Emile, Rousseau avait déjà dit : « Celui
qui pourrait tout ne ferait jamais de mal : de tous les attributs de' la
Divinité toute-puissante, la bonté est celui sans lequel on la peut le
moins concevoir » ». Toutes ces répétitions — et l'on pourrait en citer
d'autres aussi formelles*^ — semblent montrer qu'il n'y a pas eu pour
l'ensemble de l'ouvrage unité de dessein, mais que la Profession et
le reste de VÉmile ont été rédigés séparément, à tout le moins parallè-
lement. Rousseau reconnaissait bien lui-même que la Profession formait
à elle seule un tout indépendant, puisque nous le verrons envisager
comme un pis-aller acceptable l'éventualité de la publier à part '.
En fait, cependant, VÈmile et la Profession de foi ont vu leurs
destinées associées. C'est en pleine impression que Rousseau paraît
songer pour la première fois à détacher ce morceau de l'ensemble ; et
c'est seulement par des conjectures critiques que nous pouvons essayer
de reconstituer à chacune des deu.x œuvres une généalogie différente.
La première mention qui soit faite par Rousseau de la Profession de
foi se trouve, si je ne me trompe*, dans une Lettre au libraire Guérin,
' II. 175.
- Cf., plus loin, p. i53 de cette i-dition.
* Livre IV d'Emile, II. 23o.
■* Cf., plus loin. p. igg de cette édition.
-- II, 35.
^ Cf., plus loin. pp. 145 et 2H3 de cette édition.
' Cl'., plus loin, dans cette Introduction, pp. li, lxix-lxx.
* Les éditeurs de la Correspondance ont placé au début de Novembre i-tK) un
fragment de Lettre à M **» (X, 234-235), où Rousseau, faisant allusion aux théories
irrélij;ieuses de Wolmar, laissait entendre qu'elles trouveraient une réponse dans la
XXXVI INTRODUCTION
du 2 1 Décembre 1760 : « Je ne mMmagine pas, lui écrit-il, que mon
Traité de l'Éducation puisse être imprimé dans le rovaume, au moins
pour la première fois, sans 'une mutilation à laquelle je ne consentirai
jamais, attendu que ce qu'il faudrait ùter est précisément ce que le livre
a de plus utile » ^. Cette allusion précède de dix-huit mois à peine
l'apparition de VEmile. Heureusement les Manuscrits nous permettent
de remonter plus haut, et de fixer une date très probable à la rédaction
primitive du morceau.
Sous sa forme définitive, on le sait, la Profession de foi coniicni,
à plusieurs reprises, la réfutation des doctrines d'Helvetius : Sou\e-
rainetc de la sensation dans la vie spirituelle, passivité du juijement,
assimilation de l'homme aux animaux, puissance sensitive de la matière,
inintelligibililé de l'idée de liberté, suprématie de l'intérêt en morale,
— quelques-uns des paradoxes les plus audacieux du livre De ilîspnt
sont un à un examinés et réfutés par le \'icaire ^. Or, toutes ces
attaques contre Helvetius manquent dans le plus ancien Brouillon de
VEmile. Par deux fois, il est vrai, en relisant ce Brouillon. Rousseau
a noté en marge quelques formules d'Helvetius qu'il se proposait de
réfuter 3; mais ce sont là de très brèves références, ajoutées après coup.
qui devaient amorcer de nouveaux développements, et qui laissent intact
le corps même du texte. Il semble donc qu'on en puisse légitimement
conclure que cette Rédaction de la Profession de foi est antérieure,
sinon à l'apparition de l'ouvrage d'Helvetius, du moins à sa lecture par
Rousseau. Nous ne savons pas quand Rousseau a lu le livre De l'Esprit.
Celui-ci avait paru dans les premiers jours d".\oùt ijSH. Le 22 Octobre,
Rousseau ne l'avait pas encore lu ^. On peut conjecturer que l'année ne
s'acheva pas sans que Rousseau ait fait connaissance avec cette œu\re
Profession de fui. » Il reste là-dessus, écrivait-il. d'importantes vérités à dire, et qui
doivent être dites par un croyant. Je serai ce croyant-là ; et, si je n'ai pas le talent
nécessaire, j'aurai du moins l'intrépidité ». Cette lettre est adressée à Duclos, mais elle
est mal datée. Le texte complet en est conservé à Neuchâtel [12 A], Rousseau y
annonce à Duclos l'envoi de la VI' Partie de la Nouvelle Héloïse : la Lettre est donc
postérieure à celle du 19 Novembre 1760 (X, 242), écrite au même Duclos, en lui
envoyant la V* Partie, et doit se placer à une date sensiblement voisine de la Lettre
à Guérin,
' X, 247,
' Cf., plus-loin, dans cette édition, les pp, 79-S-, iSg-iô?, 177-179, 185-191, 243, 2h3.
2119, et les notes qui s'v rapportent, où l'on trouvera cités les textes d'Helvetius.
' Cf., plus loin, dans cette édition, pp. 184 et 5o2-5o3.
■* Lettre à Vernes, \, 196.
LA REDACTION EL LES SUGGESTIONS CONTEMPONKAINES XXXVII
si discutée et dune célébrité si tapageuse. Autrement il lui eût été
difficile d'écrire dans les Lettres de la Montagne : « Il y a quelques
années, qu'à la première apparition d'un livre célèbre, je résolus d'en
attaquer les principes que je croyais dan_t;ereux. J'exécutais l'entreprise
quand j'appris que l'auteur était poursuivi. A l'instant je jetai mes
papiers au feu. jugeant qu'aucun de\oir ne pouvait autoriser la bassesse
de s'unir à la foule pour accabler un homme d'honneur opprimé » •.
L'affirmation de Rousseau, prise à la lettre, est inexacte, puisque la
condamnation de L Esprit est du lo Août lySS, et, qu à cette date, il
n'avait pas encore lu le livre: mais elle prouve, semble-t-il. que Rousseau
gardait le souvenir de l'avoir lu peu après son apparition, .^insi cette
Rédaction primitive de la Profession, où Helvetius est encore ignoré,
serait antérieure à la fin de i/SS -. .Mais je crois possible de préciser
davantage.
On lit dans la Profession de foi : « Si la suprême justice se venge.
vous et vos erreurs, ô nations ! êtes ses ministres ». Ces deux lignes
sont empruntées textuellement à un livre de Morelly, aujourd'hui com-
plètement oublié ; Le Naufrage des i les flottantes '^ : et tout le dévelop-
pement qui accompagne cette formule est pénétré des idées de .Morellv
sur les sanctions ultra-terrestres. Réminiscence ou citation, la phrase
manque dans le plus ancien Brouillon ; mais elle apparaît dans le
second .Manuscrit, celui de la Chambre des Députés ii . Or nous
savons, par une Lettre de Rousseau à Mme d'Houdetot. et par la
réponse de celle-ci'*, quand il a lu les Iles flottantes pour la première
fois : ce fut en .Mars ou Avril 1/58. On peut vraisemblablement conjec-
turer que le texte de .Morelly fut utilisé par Rousseau peu de temps après
sa lecture, et que, par conséquent, la Rédaction où il manque est
antérieure à Avril lySS. J'inclinerais donc a penser que la Profession
de foi, sous sa forme primitive, a été écrite vers la fin de lySy ou
plutôt au début de lySS^.
' 111, 122.
- Pour le détail de cette démonstration, cf. mon étude Rousseau a>ntrc
Helrelius[2ift et l'étude .M. Schinz sur le même sujet [286].
* Cf., plus loin, dans cette édition de la Profession, pp, 2i5 et note 2, 217 et
note I, où l'on trouvera les références au poème de .Morelly. Cf. encore ma note sur
Rousseau et Morelly ^290.
* Lettre du 23 .Mars 1758 [34j, 24g ; réponse de .Mme d'Houdetot [26,, I, 411.
° La Lettre à Vernes, du 18 Février 1758, X, 179-181, qui est comme une
« Profession de foi » en raccourci, offre avec le te.xte même de la Profession de si
XXXVHI IXTRODCCTIOX
Je ne reculerais pas aussi loin la composition de VEmile proprement
dit. J'ai t'ait remarquer précédemment que le plus ancien texte de la
Profession de foi ne contient aucune allusion à Helvetius. 11 n'en est
pas de même pour VÈmile. Le même Brouillon, qui nous a conservé
une Profession de foi. d'où la pensée d'Helvetius est absente, nous
fournit une variante du II' Livre de VÈmile, critique formelle et nomi-
native de L'Esprit. Voici ce passasse : « Quand on imagine, on ne fait
que voir: quand on coni;oit. on compare. Nos sensations sont purement
passives, au lieu que toutes nos perceptions naissent d'un principe actif
qui juge. Si l'auteur de L Esprit eût fait ces distinctions, je doute qu'il
eût réduit au seul sentiment toutes les opérations de l'entendement
humain >> '. Cette lin de paragraphe a été supprimée plus tard -: mais
elle implique déjà, conçue et formulée, toute la théorie du jugement que
le Vicaire exposera en détail dès le second ^Manuscrit de la Profession,
et qui n'est même pas amorcée dans celui-ci. Je me crois en droit d'en
conclure que le texte de la Profession, tel qu'on le lit aujourd'liui dans
ce premier Brouillon, est antérieur au texte de VÈmile. tel qu'on le lit
dans ce même Brouillon : je veux dire, qu'antérieurement à ce Brouillon
complet de l'Emile, on est invité à supposer une Rédaction. — peut-être
fragmentaire, mais déjà cohérente, — de la Profession de foi. qui aurait
été ainsi méditée et composée avant VEmile. C'est à cette Rédaction
primitive, aujourd'hui perdue, que j'attribuerais volontiers la date
de 1757-1738. Un peu plus tard, Rousseau l'aurait transportée presque
telle quelle dans VÈmile — . qu'il commençait à rédiger. — en y faisant
quelques retouches de détail, mais sans en modifier la doctrine et
l'organisation des arguments; et c'est seulement lors d'une transcription
nouvelle qu'il aurait jugé nécessaire d'introduire dans la Profession
des discussions qu'il avait amorcées déjà dans VEmile, mais qui lui
semblaient mieux à leur place dans la bouche du Vicaire •^.
ll■appa^lc•^ analogies d'argumentation et même d'eNpression, qu'on est en droit,
semble-t-il, de supposer que les formules de la Première Réda c
arrêtées : cf.. en particulier, dans cette éd[tion. pp. 129 et 177.
' Manuscrit Favre [loj, 81'". — Notez que ce passage n'est pas une addition
marginale, mais qu'il se trouve dans le corps même du texte.
' Cf. au ir Livre d'Emile, 11. 76. I.e passage manque déjà dans le .Manuscrit du
Palais-Bourbon ^11]. I, 65.
' Pour le détail de la démonstration, cf. mon article Sur les snurces ife Roii.'!.':eau
[292J, 6^2-646. Cf. encore, dans cette hilroductiun, le chapitre I de la 11" Partie sur
Les Manuscrits.
LA REDACTIONS ET LES SUGGESTIONS CONTEMPORAINES XXXIX
(]c premier Brouillon de VÉmile. comparé à ceux qui le suivent,
nous est encore précieux pour nous permettre d'assister chez Rousseau à
la transformation des idées entre lySy et 1762. Le texte de la Profession
qu'il nous otîre est, par certains côtés, plus conforme au tempérament
profond de Jean -Jacques. Le spectacle de la Nature, la voix de la
Conscience, tels étaient les deux seuls maîtres auxquels le Vicaire faisait
d'abord appel. Point de discussions subtiles, et d'une philosophie
technique. Les dissertations qu'il a insérées plus tard sur la sensation,
le jugement, la substance, la matière et le mouvement sont encore
absentes. Ainsi allégée, il faut reconnaître que la Profession du Vicaire
avait une allure plus émouvante, plus populaire, et. en un certain sens,
plus rousseauiste, quoique toute cette métaphysique laborieuse et candide
témoigne à sa façon de l'effort courageux tenté par Rousseau pour se
mettre en règle, une bonne fois, avec les difficultés proprement intel-
lectuelles du problème de Dieu. Sous sa forme première, la Profession
était aussi moins agressive, et nous montrait peut-être moins nettement
jusqu'où pouvait conduire le Rousseauisme religieux. Certes, ce n'était
point l'œuvre d'un « philosophe » et les « philosophes » en titre v étaient
malmenés : mais ces déclamations contre la philosophie et les philo-
sophes, traditionnelles chez les moralistes, restaient chez Rousseau d'une
généralité imprécise. Aucune allusion à V Encyclopédie, à Diderot, à
Helvetius. à D'Holbach. Rousseau sent déjà autrement qu'eux, mais
l'amitié qu'il leur garde rend encore discrète l'opposition qu'il leur fait.
Sa critique de la Révélation trahissait un théiste respectueux, qui pour-
tant ne semblait pas \ouloir se laisser attendrir par la « sainteté de
l'Evangile ». Mais le texte définitif est d'un tout autre ton : les « philo-
sophes » sont devenus des « philosophistes », qu'il attaque àprement. Il
ne les nomme pas, mais les citations qu'il en fait les rendent reconnais-
sablés. Plus ils sont injustes pour le Christianisme, plus il multipliera
en\ers Jésus les témoignages d'admiration et de tendresse. Il écrit en
marge de son Brouillon : « Parler de la beauté de l'Évangile » '. amorce
du grand développement où il lancera la formule fameuse : « la vie et la
mort de Jésus sont d'un Dieu ». .'Xprès avoir songé un instant à rétablir
l'équilibre entre « les deux partis » en renvovant dos à dos les « dévots »
et les faux « interprètes de la nature », il supprime son réquisitoire contre
les premiers, conserve celui qu'il a écrit contre les seconds et leurs « déso-
lantes doctrines », et l'aggrave encore par une longue note linale. où il
' Cf.. dans cette édition, p. JiqS, note.
XL INTRODUCTION
prend la défense du « t'anarisme » et détaille com plaisamment les ruines
accunuilées par « l'esprit philosophique » '.
Ainsi les deux rédactions, sans se contredire, disent pourtant des
choses un peu différentes, avec un accent surtout très dirterent. C'est,
qu'entre elles deux, un grand déchirement s'est produit dans la vie de
Rousseau. « Trahi » par ses amis, il a rompu publiquement avec eux.
C'est en 1758 qu'il insère dans la I.cttre à lïAlembert la cruelle citation
de r Ecclésiastique'-, qui dénonce à tous la lorf'aiture de Diderot. Mais
cette « trahison » le libère en quelque sorte, et lui permet d'être pleine-
ment lui. La Profession de foi. commencée par un ami des Enc3'clopé-
distes, finit, en se transformant, par sembler avant tout un anathèmc
contre eux. L'examen des Manuscrits nous a rendu sensible, dans la
pensée de Rousseau, ce mouvement d'affranchissement ■^.
CHAPITRE IV
L'IMPRESSION ET LA CONDAMNATION
Cette période de l'histoire A'Émile est la mieux connue : elle a
été bien étudiée à plusieurs reprises ; et les principaux documents qui
l'éclairent ont été, pour la plupart, publiés *. Aussi la résumerai-je
rapidement, en me réservant d'insister sur les documents nouveaux qui
me permettront d'en préciser tel ou tel épisode, et en m 'attachant surtout
dans ce récit aux destinées de la Profession de foi. C'est elle, d'ailleurs.
' Cf.. dans cette édition, pp. 442 sqq.
- I, iSi.
* M. Albert Schinz — dans un article dont les conclusions sont, d'ailleurs,
excessives et les hypothèse, chronologiques insoutenables [296J — nous a permis
de suivre une évolution analogue à travers les différentes rédactions du Contrat Social.
Compléter ou rectifier son étude par celle de M. Beaulavon [297] et par mes Questions
de chronoliigie rnusseaiiiste [3oo], 49-56.
* Par F. Brunetière |265J, G. Maugras [3o], G. Lanson [279 . P. P. Plan [40'<']. Les
documents qu'a publiés .M. John Viénot dans Le Temps du 27 Décembre igo3, sous le
titre de ; J. ./. Rousseau et Lamoignon de Malesherbes : Sept Lettres de Rousseau^
n'étaient pas inédits, comme le croyait M. Viénot. Ils se trouvaient tous déjà dans
Brunetière et jMaugras. M. Plan a commis la même inadvertance dans son J. ,/. Rousseau
et Malesherbes : mais son étude garde le mérite de réunir dans une seule publication
les te-xtes inédits et les te.xtes connus d'un important dossier [i3j'.
L IMPRESSION ET LA CONDAMNATION XI.I
qui rendit si angoissante pour Rousseau l'impression du livre, et qui
faillit la terminer en trafrédie.
Depuis Tété de 1754. Marc-.Michel Rey, libraire à Amsterdam, était
devenu l'éditeur de Rousseau. C'est lui qui avait publié le Discours sur
l'Inégalité, la Julie, et qui allait bientôt recevoir le Contrat Social.
Rousseau prisait « son exactitude, sa probité » et sa franchise: la façon
délicate et ingénieuse dont il témoigna sa reconnaissance à Rousseau
acheva de transformer en amitié cette liaison d'affaires '. Comme les
autres ouvrages de Rousseau, V Emile « lui était d'abord destiné » 2, et
c'est à lui certainement qu'il aurait été confié, si une brouille passagère
n'était survenue entre les deu.\ amis au moment où se joua le sort
d'Emile, et si la Maréchale de Luxembourg n'était alors inter\enue
auprès de son hôte de Montmorencv, avec une insistance, qui ne fut, sans
doute, qu'amicale, mais où Rousseau, dans les dernières années de sa vie,
crut découvrir des intentions louches et je ne sais quelle manœuvre d'hypo-
crite vengeance 3 : <' Au second voyage de .Montmorency de l'année 1760,
écrit-il dans les Confessions*, la lecture de la Julie étant finie, j'eus recours
à celle de l'Emile, pour me soutenir auprès de Mme de Luxembourg;
mais cela ne réussit pas si bien, soit que la matière tût moins de son
goût, soit que tant de lecture l'ennuvàt à la fin. Cependant, comme elle
me reprochait de me laisser duper par mes libraires, elle voulut que je
lui laissasse le soin de faire imprimer cet ouvrage, afin d'en tirer un
' Confessions, IX. 12-1 3.
- .\ Duchesne, Lettre du 3o Octobre 1761, X, 277. Cf. surtout la Lettre du
12 Décembre 1760 ;i la .Maréchale de Lu-iiembourj;. X. 245 : « Mon libraire doit arriver
dans peu de jours à Paris: si, comme je le désire, il a la préférence, permettez-vous
qu'il aille vous porter notre accord et vous en demander la ratification » ?
" G. H. Morin. dans son livre sur /. J. Rousseau 26e J, 84-120, a repris, en la
précisant, l'accusation, ou plutôt, l'insinuation de Rousseau. — car nulle part, dans les
Confessions, la Maréchale de Luxembourg n'est accusée formellement d'avoir voulu
servir les vengeances du parti holbachique — : et il arrive, après une longue discussion,
aux conclusions suivantes, dont je crois impossible de rien accepter : « 1" l'obstination
de la Maréchale à vouloir que VÈmile fût imprimé en France, cachait une intention
malveillante, qui s'explique par les offenses involontaires de Rousseau; 2' la complai-
sance de M. de .Malesherbes. les eftorts pour obtenir de Rousseau une concession dont
il connaissait le danger, sa conduite pusillanime et peu généreuse dans le reste de
l'artaire. prouvent à quel point un honnête intimidé peut servir la cause de l'iniquité
puissante; 3 l'action du Parlement dans l'artaire du décret est un fait mi.xte, dans
lequel on doit reconnaître une cause apparente et une cause secrète...: 4" il est
extrêmement probable, sinon démontré, que ceux que Rousseau appelle les Holba-
chiens fournirent le plan de l'intrigue et se chargèrent de l'exécution des détails ».
* X- Livre, VllI, 383-3K4.
4*
XLII INTRODUCTION
mL'illeur parti. J'v consentis, sous l'expresse condition qu'il ne s'impri-
merait point en France; et c'est sur quoi nous eûmes une longtie dispute;
moi, prétendant que la permission tacite était impossible à obtenir,
imprudente même à demander, et ne voulant point permettre autrement
l'impression dans le royaume: elle, soutenant que cela ferait pas même
une difficulté à la censure, dans le système que le gouvernement avait
adopté. Elle trouva le moyen de faire entrer dans ses vues M. de Malcs-
herbes. qui m'écrivit à ce sujet une longue Lettre, toute de sa main,
pour me prouver que la Profession de foi du Vicaire Savoyard était
précisément une pièce faite pour avoir partout l'approbation du genre
himiain. et celle de la cour dans la circonstance, .le fus surpris de voir
ce magistrat, toujours si craintif, devenir si coulant dans cette affaiie.
Comme l'impression d'un livre qu'il approuvait était par cela seul légitime,
je n'avais plus d'objection à faire contre celle de cet ouvrage. Cepen-
dant, par un scrupule extraordinaire, j'exigeai toujours que l'ouvrage
s'imprimerait en Hollande, et même par le libraire .Néaulme, que je ne
me contentai pas d'indiquer, mais que j'en prévins, consentant, au reste,
que l'édition se fît au profit d'un libraire français, et que, quand elle
serait faite, on la débitât, soit à Paris, soit où l'on voudrait, attendu que
ce débit ne me regardait pas. Voilà exactement ce qui tut convenu entre
.Mme de Lu.xembourg et moi, après quoi je lui remis mon Manuscrit ».
Il ne nous est plus possible aujourd'hui de vérifier toutes
ces affirmations de Rousseau. Celles, du moins, que nous pouvons
contrôler sont exactes, et tout le récit me parait vraisemblable. On peut
regretter de ne plus avoir l'éloge de la Profession de foi par le Directetir
de la librairie, mais il ne faut pas s'étonner de ne point retrouver cet
éloge dans les papiers de Rousseau, parmi les autres Lettres qu'il a
reçues de Malesherbes. « Avant la publication de VÈmile. écrit-il dans
les Confessions '. .\L le Maréchal me redemanda toutes les Lettres de
.^L de Malesherbes qui se rapportaient à cet ouvrage... .le rendis les
Lettres, hors une ou deu.x qui. par mégarde, étaient restées dans des
livres ». Le compte est trop modeste : Rousseau a gardé huit Lettres
de Malesherbes concernant VEmile -'. mais toutes les huit parlent du
' \l' Livre, l.\, 22.
- Sept de ces Lettres ont été publiées par Streckeiscn-Moultou [26J. U, 417-42^,
mais avec bien des fautes de lecture, et surtout une chronologie ine.\acte. M. Théophile
lUilour a rétabli sur les originau.x [14" les dates certaines ou vraisemblables ; et les
huit Lettres (toutes de 17IH 1 se trouvent ainsi classées : 22 Novembre |N" X de
L IMPRESSION ET LA CONDAMNATION XI.III
livre en cours d'impression, aucune de l'opportunité de lu publication
ou du choix de l'éditeur '. Il semble bien que celles-là aient été rendues.
C'est à elles, sans doute, que Rousseau faisait allusion, quand il écrivait
à Moultou au lendemain de sa fuite : « Je n'ai rien fait en tout ceci contre
les lois; non seulement j'étais parfaitement en règle, mais j'en avais les
preuves les plus authentiques; et, avant de partir, je me suis défait
volontairement de ces preuves pour la tranquillité d'autrui » -'.
Nul doute, en etfet. que le désir de Rousseau eût été de faire
imprimer VEmile à l'étranger. Il sentait bien que la Profession de foi
était inacceptable par le gouvernement français : tout au plus, pensait-il,
pourrait-on tolérer la réimpression du livre en France, quand « il aurait
fait son premier effet » ". Mais Mme de Luxembourg, espérant obtenir
pour son protégé des conditions plus avantageuses à Paris, se mit en
quête d'un éditeur. Il semble bien que ce fut par l'intermédiaire de
.Malesherbes qu'elle entreprit ses recherches. Par ses fonctions officielles.
.Malesherbes se trouxait en relation avec les principau.x libraires. L'un
d'eux. Guérin, était particulièrement bien en cour à la Direction de la
librairie : il imprimait pour la police, et a\ait l'inspection de la Biblio-
thèque de la Bastille. Riche, « lettré, aimable, et de la haute volée dans
son état », bien pensant, d'ailleurs, et favorablement connu dans les
milieux ecclésiastiques, « il jouissait — c'est Rousseau lui-même qui le
reconnaît — de l'estime universelle et la méritait » *. Comme il avait
Streckeisen-.Moultoui, 24 Novembre iXli. i Décembre (inédite]. 7 Décembre (.\lii,
14 Décembre iXV), t6 Décembre (XVIi, 18 [?] Décembre (XIIIi. 25 Décembre (XIV).
' H est vrai que Streckeisen-.Moultou a cru voir une allusion à ['Emile dans
deux Lettres de Malesherbes, du 25 Octobre et du 18 Novembre 1761 [26]. Il, 415-416 :
« Mme la Maréchale de Lu.xembourg m'a remis, Monsieur, l'ouvrage que vous voulez
bien me conlier Je peux dès à présent répondre à l'article de votre Lettre par
lequel vous me consultez sur le projet de donner cette dissertation séparément du
recueil de vos ouvrages... Je crois que vous feriez grand tort au public de l'en priver
ou d'attendre l'édition entière de vos œuvres pour la donner ». Outre que la date de-
ces Le'tres indique assez qu'il ne s'agit point de VF.mile, déjà remis à Duchesne, et
en cour-, d'impression, nous avons la Lettre de Rousseau à laquelle .Malesherbes
répond. Elle est du 25 Septembre 1761 269 , 5qS ; Rousseau y annonce à .Malesherbes
l'envoi d'un « petit écrit » : « Je souhaiterais, dit-il, qu'il put être donné à part, à
cause de ce Rameau qui continue à me tarabuster vilainement ». Ce « petit écrit » est
y Essai sur l'origine des langues, où. en ell'et, Rameau est pris à partie, I, Sgg. Les
Cun/essions. IX, 12. confirment la conjecture. Cf. mes Questions de chronologie
rousseauiste [3oo],
- Lettre du i5 Juin 1762, -\, 337.
■' .\ Guérin. Lettre du 21 Décembre 17Ô0. X. 247.
■• Lettres à .Moultou. du 12 Décembre 1761 et du 18 Janvier 1762 datée par erreur
dans l'édition Hachette de 17^)1., X, 287 et 248: Livre X des Confessions, X'Ili, 36i.
XLIV INTRODUCTION
une maison de campagne à Saint-Brice, tout près de Montmorency, il
lui était l'acile d'entrer en relations a\ec Rousseau. C'est ce qui se fit sous
les auspices de Malesherbes. Quand le moment fut \cnu de chercher un
éditeur à VÈmile — c'était dans l'été de 1761 — , Guérin se trouva donc
fort à propos pour négocier la chose. Rousseau put regretter plus tard de
n'avoir pas traité avec Re\ — et, sans les suggestions de ses amis, il est
infiniment probable, qu'il aurait fini, cette fois encore, par s'adresser à
lui — , mais il n'était pas fâché de pouvoir s'en passer, car les dernières
relations avaient été plutôt aigres ^ Aussi se laissa-t-il faire plus volontiers
qu'il se le ligurera rétrospectivement, (juérin ne de\ait pas se charger
lui-même de l'impression, mais il proposa Duchesne et Guy, deu.x
libraires associés qui travaillaient pour lui et « dépendaient de lui » -.
In projet de traité fut soumis à Rousseau, puis communiqué à Males-
herbes. pour que celui-ci pût se rendre compte par lui-même des condi-
tions faites à son protégé. Malesherbes introduisit de sa main sur la
minute du traité des clauses avantageuses pour Rousseau : deu.x
copies en furent faites par l'un de ses secrétaires ^ ; et ce fut Guérin.
semble-t-il ■•, qui les porta le lendemain à Rousseau, pour les lui faire
signer. Par ce traité du 29 Août 1761 '^, Duchesne acquérait pour
' Cf. sa Lettre à Rey du 9 Août 1761 [24],
responsabilité :'mais IMaiesherbes la lui rappelle dans sa Lettre du 16 Décembre 1761
[l'IV, II, ^jft. « Vous savez qu'effectivement, et Guérin, et moi, et vous-même, n'avons
point voulu qu'il fDuchesne] conclût avec Rey ».
^ Rousseau à Moultou, Lettre du 12 Décembre i7t')i, X, 2H7.
» Livre X.I des Confessions, W. r 1,
* ,1e le conjecture, parce que la minute du traité accepté par Rousseau est du
2C| .Août, et que le 3o .\oût (juérin écrit à Malesherbes pour lui rendre compte de sa
visite à .Montmorency [-lO"''], 257.
'' De ce traité, il reste deux minutes dans le dossier de VEmile [13 A], f" 5i-53.
La seconde porte en haut, de la main de Rousseau : Projet communiqué à M' Rousseau
le 2g Août I/60 \sic\ et qu'il approuve. Il y a évidemment là un lapsus de plume,
comme le montre le te.xte du traité, et il faut lire : lyOï. Voici le texte [avec
orthographe modernisée! de la première minute ; <^ .le soussigné, Jean-Jacques
Rousseau. Citoyen de Genève, reconnais avoir vendu et livré au Sieur Nicolas-
Bonaventure Duchesne, Libraire à Paris, un JVlanuscrit de ma composition intitule
Emile, ou Traité d'Éducation, pour en jouir par lui et ses ayant causes comme de
chose qui leur appartient en propriété, et ce, moyennant le prix et somme de si.x mille
livres, dont je reconnais avoir maintenant reçu moitié comptant, et les trois mille livres
restantes en trois billets du dit Sieur Duchesne. payables à mon ordre, aux termes
d'avril, juillet et octobre de l'année prochaine, mil sept-cent-soixante-deux; en outre, ii
la charge, par le dit Sieur Duchesne, de me livrer cent exemplaires brochés de mon
dit ouvrage, aussitôt qu'il sera imprimé, et avant de le mettre en vente. Et moi,
Nicolas-Bonaventure Duchesne, ai accepté ce que dessus; en conséquence de quoi, j'ai
L IMPKI-.^SIUN HT LA COX DA.M N ATIOX XLV
1)000 livres la propriété de VEmile : « Je suis assuré, écrixait Rey à
Rousseau non sans quelque envie, qu'il n'y perdra rien » '.
Dans la pensée de Rousseau, Duchesne devait être non l'impriniCLir
de VÈmile. mais simplement l'éditeur, ou, plus exactement, le déposi-
taire français. Duchesne songea-t-il un instant à faire imprimer en
Hollande ou se borna-t-il à donner à Rousseau de vaines assurances?
.le ne sais: en tout cas, la bonne foi de Rousseau ne semble faire aucun
doute : « Pour moi, écrivait-il à Duchesne le 12 Février 1762, je sais
bien que, si, dans le temps de notre traité, l'on ne m'eût pas assuré que
vous feriez imprimer en Hollande, je ne l'aurais jamais signé » -. Du
reste, les Lettres de Malesherbes et l'attestation que, plus tard, sur la
demande expresse de Rousseau, il accepta de lui signer -^ nous apportent
payé comptant à mon dit Sieur Rousseau ladite somme de trois mille livres, et lui ai
remis pareille somme de trois inille livres en mes trois billets, payables, à son ordre,
au.\ termes stipulés ci-dessus, et ie promets délivrer à mon dit Sieur Rousseau la
quantité de cent e.xemplaires broches de son dit ouvrajje, avant de le mettre en vente,
et d'en taire l'impression sur beau papier et en beau.\ caractères ». En marj^e. après le
premier paragraphe, .Malesherbes a ajouté de sa main : « Me réservant néanmoins,
moi Jean-Jacques Rousseau, de comprendre le dit ouvi-age dans une édition générale de
mes œuvres, et à condition toutefois que je ne ferai point cette édition avant trois ans
à compter du jour de la publication de celle du présent ouvrage, si ce n'est qu'il ait été
autrement convenu entre moi et le Sieur Duchesne ». Dans cette clause de Malesherbes,
Guérin, à son tour, a introduit quelques précisions. Après « édition générale, » il a
ajouté : « et non autrement » ; il a moditié comme il suit les dernières lignes : « et
promets de donner la préférence au dit Sieur Duchesne de la vente de cette édition
générale, pour laquelle nous traiterons dans le temps au désir de tous les deu.x ». Enfin
il a mis au bas du projet : «Duchesne demande à faire graver le portrait de l'auteur».
Ce dernier article a été barré, sans doute, par Rousseau ; et c'est ce texte, ainsi
retouché, qui est devenu le projet approuvé par Rousseau, Mais, à la seconde lecture,
Malesherbes a fait une nouvelle correction, et il a remplacé la clause de Duchesne
concernant l'édition générale par celle-ci, beaucoup moins astreignante : « Et je compte
donner la préférence au dit Sieur Duchesne de la vente de cette édition générale, si,
lorsque nous en traiterons dans le temps, nous sommes d'accord sur les conditions ».
En tète de ce projet définitif, une main inconnue, sans doute celle d'un secrétaire de
.Malesherbes, a écrit : « Il faut faire deux copies signées de cet acte : on les fera signer
à .M. Rousseau après la signature de M. Duchesne ».
' Lettre du 22 Octobre ij6\ [t^ C], i33'".
2 ^^o"»'»], !20.
' Cet important témoignagne. dont on peut s'étonner que Rousseau ne se soit
pas servi pour se justifier, a été publié par Du Peyrou à la suite de la Seconde Partie
de son édition des Confessions et souvent reproduit : cf., par exemple, ap. Alaugras
269:, 600; mais la date de ce document a été mal lue 11765 au lieu de 17661, et l'on n'a
pas pris soin de distinguer dans le texte ce qui est de Rousseau et ce qui est de
Malesherbes. L'original, qui se trouve à Neuchàtel 12 B . porte en tète cette indication,
écrite d'une main du Wlll" siècle : Mémoire de .1. .1. Koiisseau, signé par
XLVI INTRODUCTION
sur ce point un témoignage formel. Un a même vu, dans le récit des
Conjessions, que Rousseau ne se serait pas contenté de vagues promesses.
FI aurait indiqué à Duchesne l'imprimeur de Hollande qui devait être
chargé de l'affaire, et il aurait prévenu lui-même cet imprimeur. L'homme
auquel Rousseau entendait donc confier l'impression d'Emile n'était pas.
— comme on aurait pu le croire, et comme Rev. pour sa consolation
personnelle, aimait se le figurer '. — l'imprimeur de la Julie et de
Y Inégalité, c'était Jean Néaulme. un vieux libraire de Hollande, très lié
avec Guérin. et qui a\ait été présenté par ce dernier à Montmorency
quelque temps auparavant -. En fait. Duchesne négocia avec Néaulme.
mais sur d'autres hases : il entendait faire de Néaulme. non son impri-
.\/. de Malhesherbes. Les deux premiers paragraphes, en eli'et. ont été vraisembla-
blement rédigés par Rousseau et recopiés par un secrétaire de Malesherbes. Seules, les
dernières lignes : « Les faits contenus », etc.. sont de l'écriture de .Malesherbes. Voici
donc cette pièce, dont je modernise l'orthographe : « Quand M. Rousseau traita de
son ouvrage intitulé Emile ou de rÈducaiinn, ceu.x avec qui il conclut son marché lui
dirent que leur intention était de le (aire imprimer en Hollande. \'n libraire, devenu
possesseur du .Manuscrit, demanda la permission de le faire imprimer en France, sans
en avertir l'auteur. On lui nomma un censeur. Ce censeur, ayant examiné les premiers
cahiers, donna une liste de quelques changements qu'il croyait nécessaires. Cette liste
fut communiquée à M. Rousseau, à qui l'on avait appris, quelque temps auparavant,
qu'on avait commencé à imprimer son ouvrage à Paris.
Il déclara au magistrat chargé de la Librairie qu'il était inutile de faire les
changements aux premiers cahiers, parce que la lecture de la suite ferait connaître que
l'ouvrage entier ne pourrait jamais être permis en France. Il ajouta qu'il ne voulait
rien faire en fraude des lois, et qu'il n'avait fait son livre que pour être imprimé en
Hollande, où il croyait qu'il pouvait paraître sans contrevenir à la loi du pays.
Ce fut d'après cette déclaration, faite par .M. Rousseau lui-même, que le censeur
eut ordre de discontinuer l'examen et qu'on dit au libraire qu'il n'aurait jamais de
permission. D'après ces faits, qui sont très certains et qui ne seront pas désavoués.
M. Rousseau peut assurer que. si le livre intitulé Emile ou de l'Éducation a été
imprimé à Paris malgré les défenses, c'est à son insu et même qu'il a fait ce qui
dépendait de lui pour l'empêcher.
Les faits contenus dans ce mémoire sont exactement vrais ; et, puisque
M. Rousseau désire que je les lui certifie, c'est une satisfaction que je ne peux lui
refuser. .A. Paris, le 3i Janvier 171)11. De Lamoignon de ,Malesherbes ».
• Rey h Rousseau. Lettres du \b Novembre -i/hi '14 C], 134" : « Il faut qu'on
n'ait pas goûté la proposition que je suis sûr que vous juirez faite de s'adresser à moi :
mais je suis persuadé qu'on l'a mal conseillé, en l'engageant à s'adresser ailleurs » ; et
du 7 Décembre, i36" : « J'avais mandé à .M, Duchesne que j'étais surpris qu'il ne se fût
pas adressé à moi pour le Traité d'éducation. Voici sa réponse : Si j'eusse suivi mon
inclination pour l'ouvrage en question, il est certain que je ne me serais pas adressé à
ui autre qu'à vous; des considérations m'ont obligé de voir ailleurs; c'est encore un
mystère que le temps vous éclaircira ».
' Cf. Livre X des Confesxions. \'III, 3ùi.
L IMPRESSION ET LA CONDAMNATION XLVII
meur, mais son coéditeur. et cherchait seulement à lui \cndre le plus
cher possible le droit d"imprimer VÉmile parallèlement à l'édition de
Paris. Cette négociation est postérieure au traité de Duchesne avec
Rousseau, puisqu'elle ne fut conclue que vers la mi-Novembre 1761 '.
alors qu'un volume était déjà, en grande partie, imprimé. Ainsi, dès les
premières épreuves, Rousseau aurait pu s'apercevoir que l'impression se
faisait en France et qu'il y aurait, tout compte fait, deux éditions, l'une
française et l'autre hollandaise: mais il semble que c'est assez tard seule-
ment qu'il se rendit à l'évidence. Il s'en plaignit alors à Malesherbes,
qui fut fort surpris qu'il s'en fût avisé si tard '-.
' Rey à Rousseau, Lettres du i5 Novembre 1761 [14 C], 134" : « .M. Duchesne
aurait bien fait de s'adresser à moi pour le Traité de l'éducation... Il demande
2.C00 francs ici, à Amsterdam, qu'il n'obtiendra jamais»: et, du 7 Décembre, i36" ;
« M. Jean Ncaulme. libraire, a donné pouvoir à M. Guérin pour conclure le marché
avec Duchesne, ce qu'il a fait pour la somme de Hîoo livres ». Ce traité particulier
devait être accompagné dune convention générale pour toutes les œuvres de Rousseau,
car je retrouve ce fragment dans les papiers de Neuchàtel ^^14 B], i : « Nous soussignés,
Nicolas-Bonavanture Duchesne, libraire à Paris, d'une part, Jean Néauime, libraire à
.\msterdam, d'autre part, sommes convenus de nous communiquer de bonne foi la
faculté d'imprimer, soit en société, soit chacun en notre particulier, les ouvrage.';
manuscrits, que l'un de nous, ou nous deux conjointement, pourrons acquérir
de .\f. .lean-Jacques Rousseau, cito\-en de Genève ».
■ Malesherbes à Rousseau, Lettre du 14 Décembre [26 , II, 422 : « Je savais il v
a longtemps que l'ouvrage s'imprimait en France ; je croyais que vous le saviez aussi ;
c'est pour cela que j'ai oublié de vous le mander. » Et, la semaine précédente,
Malesherbes insinuait déjà à Rousseau. 419 : « Je dois vous avertir que je doute que
son marché ^de Duchesne^ avec Néauime existe, et que j'ai lieu de croire que c'est
ailleurs qu'il fait imprimer ». Cependant, Rousseau écrit dans le NJ" Livre des
Confessions, l\, 14 : « Durant tous ces essais [de Duchesne. sur le choix du caractère
et du format', je vis bien que l'ouvrage s'imprimait en France ainsi qu'en Hollande, et
qu'il s'en faisait à la fois deux éditions » : et, en ert'et, dès le 20 Novembre, il écrivait
à Duchesne, IX, 282 : « Loin d'être fâché de votre traité avec le sieur Néauime, j'en
suis charmé... J'espère que M. Néauime voudra bien soigner sa contrefaçon », ce qui
semblerait impliquer, dans l'esprit de Rousseau, que Néauime n'imprimait pas sur le
.Manuscrit et que Duchesne était à lui-même son imprimeur. Mais Rousseau gardait un
doute, puisque, dix jours plus tard, dans ses Propositions au Sieur Duchesne '269],
599, il met cette condition au maintien de son traité avec lui : « Que, si le Sieur
Duchesne a réellement un traité avec le Sieur Néauime, ce traité soit révoqué, et qu'il
en soit fait avec moi un semblable, au moven duquel je me chargerai de l'édition
étrangère, soit en Hollande, soit ailleurs..*... Bien entendu que je ne serai point tenu
de suivre dans cette édition la lenteur du Sieur Duchesne ». Même dans le dernier
mois de l'impression, Rousseau se figure que Duchesne s'est enfin décidé à faire
imprimer hors de France : cf. sa Lettre à Moultou, du 25 .\vril 1762, .\, 320 : « Je crois
que le libraire a pris le parti de revenir au premier arrangement, et de faire imprimer
en Hollande, comme il s'v était d'abord engagé ». Tout le détail de cette alïaire n'est
pas facile à élucider.
XLVIII INTRODUCTION
Ce premier mvslère l'inquiéta : la lenteur de l'impression acheva de
le troubler. Le traité avait été conclu le 2g Août. A la fin d'Octobre 1761,
il semble bien que Rousseau n'avait encore reçu que la première épreuve
de la première feuille K Duchesne avait perdu du temps aux prélimi-
naires : format, caractères, papier, i^ravure, etc '-. Pour des raisons que
nous ne connaissons point, mais qui, sans doute, devaient être des raisons
de simple commodité personnelle, il avait proposé à Rousseau de com-
mencer l'impression par le tome II '• : enfin il avait oublié de lui envoyer
les bonnes feuilles à mesure qu'elles étaient tirées ■*. Tous ces retards,
négligences et maladresses, affolèrent un homme énervé par le travail
intellectuel, enfiévré par la solitude et peu résistant aux émotions : Jugez,
écrivait Rousseau à Moultou ■''. de l'effet que doivent faire ces procédés
incompréhensibles « sur un pauvre solitaire qui n est au fait de rien, sur
un pauvre malade qui se sent finir ». « Si quelque chose peut m'excuser,
dira-t-il encore quelques semaines plus tard *■. c est mon triste état, c'est
ma solitude, c'est le silence de mes amis, c'est la négligence de mon
libraire, qui, me laissant dans une ignorance profonde de tout ce qui
se faisait, me livrait sans défense à l'inquiétude de mon imagination
effarouchée par mille indices trompeurs, qui me paraissaient autant de
preuves ». Les mois de Novembre et de Décembre 1761 sont parmi les plus
douloureux de la vie de f^otisseau ; ils sont comme les sinistres précur-
seurs des jours d'hallucinations et de phobies qu'il connaîtra plus tard
en Angleterre, à Trve ou à Monquin. 11 faut lire ses Lettres durant ces
sombres jours. Lettres à Duchesne, à Malesherbes, à Moultou, à la
Maréchale de Luxembourg, où il leur aflSrme à tous, tantôt dans la plus
lamentable des angoisses, tantôt avec une ironie exaspérée, que les
.lésuites ont confisqué son Manuscrit, et qu'ils n'attendent plus que sa
mort imminente pour défigurer son œuvre et déshonorer sa mémoire ' :
« Rien ne presse, .Monsieur, pour l'impression de mon livre, écrit-il à
> Rousseau à Duclicsnc, Lettre du io Octobre. X. 276; et", encore h Rey. Lettre
du 3i Octobre '24], 121 : « Le Traité de l'éducation n'est pas encore en train ».
^ Livre XI des Confessions, IX, 14.
" Rousseau à Duchesne. Lettre du 19 Octobre, X. 271.
■* Id., Lettre du 22 Décembre, X, 291.
" Lettre du 12 Décembre 1761, X, 287.
'• Au même. Lettre du 18 Janvier i7r)2 'date rectifiée!, X, 248.
' CL, par e.xemple, la Lettre de Malesherbes du iS Novembre 1761 [2Ô5], 220 :
« Vous apprendrez, .Monsieur, avec surprise, le sort de mon manuscrit tombé dans les
mains des Jésuites par les soins du Sieur Guérin », etc.
L IMPRESSION ET LA CONDAMNATION XLIX
Diichesne ; depuis que je sais les raisons de votre retard, je vous excuse:
même je vous plains. Quand Leurs Révérences en auront fait l'usage
qu'elles souhaitent, vous pourrez procéder à l'impression, si elles y
consentent-: en attendant, restez tranquille, aussi bien que moi » '.
Comme on devine le désarroi tragique de ce pauvre homme derrière ces
quelques lignes d'un sang-froid apparent, qui \eulent être amères et qui-
ne sont que folles ! D'autres déjà - ont raconté cette crise de démence,
terminée par la vision soudaine et cruelle de la paisible vérité et par le
plus humble des aveux. 11 n'y a rien de plus émouvant que les terreurs
de Jean-Jacques, sinon ses remords : « Depuis plus de six semaines,
avoue-t-il à Malesherbes, ma conduite et mes lettres sont un tissu
d'iniquités, de folies, d'impertinences... J'ouvre, en frémissant, les yeux
sur moi et je me vois tout aussi méprisable que je le suis devenu » ^. La
crise passée, il redevint ce qu'il était normalement, défiant, inquiet, mais
sans extravagance. Duchesne reçut encore des Lettres discourtoises et
soupçonneuses^, mais où le soupçon gardait, au moins dans la forme,
une certaine mesure, et d'où le spectre des Jésuites était absent. Soyons
sûrs que, dans le fond, Jean-Jacques n'était qu'à demi rassuré. Tant que
le livre ne fut pas paru, il dut continuer à craindre qu'on abusât de son
.Manuscrit, et qu'on ne falsifiât son œuvre. 11 n'osait plus, sans doute,
l'avouer, mais il le redoutait peut-être autant.
.\u plus fort de ses accès de folie, .Malesherbes et les Luxembourg
restaient indulgents et pitovables, sans irritation ni impatience. -Males-
herbes écrivait à la Maréchale de Luxembourg, en lui envovant précisé-
ment les pénibles aveux dont j'ai détaché quelques lignes : « J'ai reçu.
Madame la .Maréchale, une nouvelle Lettre du malheureux Jean-Jacques.. :
vous v verrez... le fond de son àme. et le mélange d'honnêteté, d'élévation
et quelquefois de désespoir '■ qui fait le tourment de sa vie. mais qui
' Lettre du 16 Novembre, X, 282.
- Brunetière et .\laugra.s '265 et 269.
^ Lettre du 23 Décembre 1761. X, 295.
' Cf. les Lettres des 4 et 26 Mars 1762, X. 3i5-3i.S. — Xu moment le plus aigu de
la crise, Rousseau avait t'ait parvenir à Duchesne les propositions suivantes [2119], 5gg :
ou rendre le Manuscrit et reprendre l'argent, ou accepter en échange le Dictionnaire
lie Musique, ou garder YÈniile en s'engageant ferme pour une date, passée laquelle
Rousseau serait en droit de retirer son .Manuscrit. Ces Propositions de ./. ./. Rousseau
au Sieur Duchesne étaient insérées dans sa Lettre à .Malesherbes. du 29 Novembre 1761
3o], 160, et doivent dater de la même semaine.
' .Malesherbes avait d'abord écrit sur la minute de sa Lettre 40"'' 41') : « et
souvent de fureur ».
L INTRODUCTION
prodiiil ses oiivratjcs. Je lui ai fait la réponse la plus consolante que j'ai
pu » '. Rien n'est, en effet, plus touchant que les « consolations » de
.Malesherbes. et son inlassable ingéniosité pour rassurei' et réconforter « le
malheureux Jean-Jacques ». 11 lui écrit longuement, lui expose minutieu-
sement la situation, répond une à une à toutes ses folles questions, le
remet avec beaucoup de douceur en lace des évidences -'. La Maréchale
de Luxembourg s'associe de son mieux à cette œuvre d'apaisement :
« Vous êtes plein de bonté et d'humanité. Monsieur, écrit-elle à Males-
herbes ; ce pauvre Rousseau en a grand besoin; mais il est aussi bien
intéressant » ^. Comme Malesherbes, elle est « pleine de bonté » pour « ce
pauvre Rousseau ». Klle va voir Duchesne. elle mande chez elle Guy,
son associé; elle se fait certifier par eux qu'ils n'ont jamais montré le
Manuscrit à cet intrigant abbé de Graves, que Rousseau croit être un
émissaire des Jésuites; elle essaie de lui communiquer l'impression de
confiance et de sécurité que la bonne foi et la candeur des libraires ont
pi'oduit sLir elle ^. Malesherbes fait plus encore : il envoie chez Duchesne
un des inspecteurs de la librairie; il le charge « de le suivre exactement,
de convenir d'abord avec lui du temps dans lequel il peut achever
l'impression, et de la quantité qu'il en peut faire chaqtie semaine, pour
constater ensuite, semaine par semaine, s'il aura rempli la tâche à laquelle
il se sera obligé » 5.
Pendant les six semaines d angoisses où il se crut trahi et son nom
déshonoré. — n'avant plus son Manuscrit détlnitif, et voulant néanmoins
défendre son œuvre contre des falsifications qu'il crovait certaines, —
Rousseau « se remit sur son brouillon •» ", tout malade qu'il était, c'est-
à-dire qu'il « travailla à le mettre en état », à y rétablir le texte auquel il
s'était arrêté lors de la dernière revision, — « ce qui n'était pas une petite
affaire, la copie étant mise dans un autre ordre et considérablement
augmentée » '. Je ne sais s'il put taire poin- tout l'ouvrage ce travail de
mise au point sur son « brouillon », mais il le fit, du moins, pour la
Profession de foi. Il la recopia ensuite stir un mince cahier, et l'envova
' Lettre du 'b Décumbre) [301. 169-170.
' Cf., par e.xeniple, la Lettre du 16 Décembre [26], 11, 422-42S.
' Lettre du samedi [26 Décembre] [265], 224.
' Lettre du mardi [i5 Décembre] [26], 11, 447-4_(S.
'■ Malesherbes à Rousseau. Lettre du 16 Décembre [26J, H, 426.
" Rousseau à Moultou, Lettre du 12 Décembre 1761, X, 287.
' Rousseau à Malesherbes, Lettre du 3o Novembre [3oj, 160.
L IMPRESSION ET LA CONDAMNATION II
par la poste à .Moultoii, afin de parer à toute éventualité ' : Il en\ isayeait
dès lors comme possible la publication séparée du morceau '-'.
Cependant le livre s"imprimait. lentement sans doute, mais enfin il
s'imprimait ■'. Le jour de Noël, Rousseau écrivait encore à Mme de
\'erdelin qu' « il était bien loin d'avoir déjà un volume » ^ ; mais, au début
do Février, semble-t-il, les deux premiers étaient à peu près achevés ^. On
ne voit pas très clairement quelle avait été jusqu'ici l'attitude de l'auteur
et des libraires à l'égard de l'administration. L'ne Lettre de .Malesherbes à
Rousseau laisserait entendre que limpression fut toujours illégale, et que
la police se contenta de fermer les yeux sur un ouvrage dont l'auteur
avait refusé de lui soumettre le .Manuscrit •'. La déclaration de .Males-
herbes, faite quatre ans plus tard \ et rédigée, à ce que je crois, par
Rousseau, affirme que le libraire, sans l'aveu de l'auteur, demanda offi-
ciellement la permission de faire imprimer l'ouvrage en France, qu'on
lui nomma un censeur, et que la liste des corrections nécessaires pour
les premiers cahiers fut soumise à l'auteur, qui déclara la précaution
superflue, car, aurait-il dit. le compromis ne pourrait pas durer jusqu'à
la fin de l'impression, l'ensemble de l'ouvrage étant certainement inad-
missible pour la police rovale. Enfin le li\re lui-même et la correspon-
dance de Rousseau montrent bien que les libraires ne se découragèrent
pas, qu'ils restèrent en contact avec l'administration durant l'impression
des deux premiers volumes et qu'ils gardèrent longtemps l'espoir d'obtenir
pour leur édition la permission tacite. Rousseau même se montra rela-
' Rousseau à Moultou, Lettres des 12 ei aS Décembre 1701, 1* Janvier 1762 date
rectifiée], \, 287, 292, 248. Cf., plus loin, dans cette Introduction, p. lxix.
' Rousseau à Rey. Lettre du \i .Mars 1762 ^24], 147 : « Il y a, dans la dernière
moitié, un morceau détaché, le plus considérable de tout l'ouvrage, qui. dans une
absolue nécessité, peut très bien s'imprinner séparément et sous un autre titre ».
= Rousseau à Moultou, Lettre du 18 Janvier 1762 date rectifiée", .\, 247.
* Lettre du 25 Décembre 171Î1 [^22. 21.
' Rousseau à .Malesherbes, Lettre du 8 Kévrier 1762. \, 3n ; à Rey, Lettre du
iS Février 1762 ^24. iiq.
" Lettre du 16 Décembre 1761 26]. Il, 423-424 : « Nous vous souvenez, .Monsieur,
que vous-même ne pensiez pas que votre livre put être imprimé publiquement en
France. Vous ne le désiriez pas même, parce qu'il aurait fallu pour cela le soumettre à
la Censure, ce qui vous répujjnait e.vtrêmement. C'est pour cela qu'il a été nécessaire
d'envelopper de quelques ténèbres l'édition qui se faisait en France, et c'est ce qui a
donné lieu ii des malentendus. L'état cruel où vous êtes m'a obligé à avouer cette
édition beaucoup plus que |e n'aurais voulu faire, puisqu'il a fallu en parler à Duchesne
pour vous tranquilliser. Voilà tout le nœud de cette intrigue ».
' Cf.. plus haut. pp. .XLV-XLvi. note 3. le texte de cette déclaration.
LU INTRODUCTION
tivement accommodant, puisqu'il accepta de mettre quelques cartons '.
De ces divers renseignements, qui ne concordent pas sur tous les points,
un seul t'ait se dégage certain, c'est que les deux premiers volumes
furent imprimés avec « l'aveu du magistrat » -.
Rousseau restait, d'ailleurs, persuadé que le texte même de sa Pro-
fession, impubliable en France, obligerait Duchesne à tenir ses premières
promesses et à faire imprimer le reste de l'ouvrage à l'étranger -^ Plusieurs
fois il proposa à Duchesne de résilier partiellement leur contrat et de
traiter lui-même avec Rey pour éditer la fin de l'ouvrage *. 11 écrivit à
Amsterdam pour amorcer cette combinaison, qui ne devait pas déplaire
à Rey ^ : Les deux derniers volumes, lui disait-il, « encore mieux écrits
et plus intéressants à la lecture, sont pleins de choses hardies et fortes,
qui, malgré toute la faveur du magistrat, ne peuvent qu'élever des
difficultés dans ce pays. En ne me prêtant point au moyen de lever
ces difficultés, je les puis rendre insurmontables, auquel cas Duchesne
n'a d'autre parti à prendre que de publier ces deux premiers volumes,
et de faire imprimer les deux autres par Néaulme. Or, ce que je puis faire
ici, pour que cette affaire vous revienne, c'est de résilier mon marché
avec Duchesne pour la moitié de mon ouvrage et de vous substituer en
son lieu et place pour cette même moitié. Alors Duchesne sera obligé de
faire avec Néaulme la même résiliation » '% etc. Naturellement. Duchesne
regimba; les arguments ne lui manquèrent pas"; il donna à Rous.seau
les assurances les plus formelles que son texte serait scrupuleusement
respecté. Et, puisqu'il devait renoncer à l'espoir de la permission tacite,
il s'abriterait derrière le Privilège que demanderait Néaulme aux Etats
' Cf. ses Lettres des S Février, 4, aS Mars et 4 Avril 1762, X, 3ii, 3i.ï, 311) [40'»'',
123: et surtout la Lettre i> Malesherbes, du S .\vril 1762 [3 BJ ou '40"']. 5o : « Voici,
Monsieur, les cartons que vous m'avez ordonné de faire; j'ai suivi fidèlement ce que
vous m'avez prescrit, excepté que j'ai laissé les anges pour ne pas trop étrangler la
période; mais j'ai fait tomber sur leurs passions le doute qui tombe sur leur existence,
et je crois que c'est toute l'orthodoxie que l'Église peut raisonnablement exiger d'un
hérétique. Si vous v trouvez encore quelques changements à faire, je vous supplie de
vouloir bien m'indiquer ces changements en me renvoyant les cartons ». Cf., plus loin,
dans cette Introduction, pp. lxxiii-lxxxi, les descriptions de l'édition originale et
de l'édition Néaulme.
' Livre ."^il des Confessions, l\, 14.
' Cf. sa Lettre à Moultou, du 25 .^vril 17112. X, 320.
* Id.. id. : à .Malesherbes. Lettre du 8 Février 1762, X. 3ii.
^ Cf. sa réponse à Rousseau du 6 Mars 1762 [14 C], 160"'.
" Lettre du iS Février 1762 [24], i3g,
' Rousseau à la .Maréchale de Luxembourg, Lettre du kj Février 1762, X, 314.
L IMPRESSION ET LA CONDAMNATION LUI
de Hollande'. Ce Privilèi^e tut accordé le lo Mars. Dès lors, l'adminis-
iration bienveillante de Malesherbes ne pouvait plus qu'ignorer et fermer
les yeux. La Censure, qui avait demandé des cartons pour des bagatelles
dans les deux premiers volumes, ne s'occupa plus des deux derniers -.
[.'impression tut poussée activement, pour le plus grand soulagement de
Rousseau. Duchesne. qui avait mis près de six mois pour imprimer les
tomes 1 et H. acheva l'ouvrage en moins de trois mois. A la mi-.\lai,
tout était tîni. Le dimanche 23, les quelques cent personnes auxquelles
Rousseau voulait ofïrir son livre reçurent leur exemplaire par les soins
de Duchesne ou de la Maréchale de Luxembourg •^. Duchesne, lui-même,
mettait en vente le lendemain ; et, durant toute la semaine qui précéda
la Pentecôte, VÉmile se vendait au Palais-Roval pour i() livres*.
Tout de suite, le succès et l'émotion furent considérables. Le 26,
Bachaumont notait déjà que VEmile « faisait grand bruit»; cinq jours
plus tard, qu il « occasionnait du scandale de plus en plus » : « le glaive
et l'encensoir, ajoutait le chroniqueur, se réunissent contre l'auteur ; et
ses amis lui ont témoigné qu'il y avait à craindre pour lui ». Le 3 Juin,
le li\re était confisqué 5; et. le 4, Duchesne écrivait à Rousseau ce billet
mélancolique : « Je vous apprends avec peine que nous sommes arrêtés
par la police et que je ne puis rien débiter. Si par hasard, on vous
demandait quelque éclaircissement touchant notre traité, je vous prie de
garder là-dessus un secret qui ne doit être su que de nous deux : Ne
rendre aucun compte est le mieux. AL Guérin me rassure sur votre
discrétion » ". Les quelques exemplaires qui pouvaient se vendre en
fraude atteignaient « des prix exorbitants » — Rousseau le constatait
non sans plaisir : « Quelqu'un m'a dit hier, écrivait-il à .Moultou. l'avoir
vu paver 42 livres » '.
.Mais le scandale tut si bruvant et l'opinion si impérieuse que la
' Cf. les Lettres de Néaulme à Rousseau des 20 et 22 Mai 1762 'ij\ , ( ' 2 et i .
^ Livre XI des Confessions, IX, 17 et ig.
- Rousseau à la Maréctiale de Lu.xembourj;, Ltttre du 19 Mai. X, 326.
' Néaulme à Rousseau, Lettre du 2 Juin [14J, 2'". Pendant ces premiers jours, seuls
les e.xemplaires de l'édition in-8 furent mis en vente : cf. Rousseau à Duchesne, Lettre du
16 Mai, X, 325. L'ne Lettre du 12 (id.) laisserait croire que Duchesne était décidé à ne
pas mettre tout de suite en vente les deux derniers volumes. Je ne sais si Duchesne
persista dans son idée ; mais, s'il y eut un intervalle entre les deu.\ lancements, il fut à
peine de quelques jours.
= Mémoires secrets [46'"'*], 1, 94, 9.^. 97.
'' ["14 B], I. C'est Duchesne qui souligne.
' Lettre du 7 Juin 1762 '12 B, volume spégal pour les Lettres à .Moultou], 22' .
LIV INTRODUCTION
JListice fut ohlifi;ée de sévir '. Le Parlement, d'ailleurs, qui allait, deux
mois plus tard, supprimer les .lésuites, n'était pas fâché de donner, pur
a\'ance et en manière de compensation, une preuve de son zèle pour la
religion. Il agit avec une promptitude et une décision significatives -. Les
fêtes de la Pentecôte l'avaient mis en vacance jusqu'au 7 Juin. Le 9 Juin
au matin, la Grand'Chambre se réunissait, décrétait l'auteur de prise de
corps, et condamnait l'ouvrage au feu ■'. Le surlendemain. ïl-'inilc était
hrùlé « avec le cérémonial accoutumé » ^. Mais on fut plus pressé de
' Nous avons un tL-nioit;n.if;e précis des exigences de l'opinion dans une Lettre à
laquelle Rousseau fait allusion i.\[* Livre des Confessions, LK, 26I, et qui esl restée, ie
crois, inédite iusqu'ici. C'est une Lettre du curé de Deuil, sans adresse, mais
visiblement destinée au Maréchal de Luxembourg. Elle se trouve aujourd'hui avec les
autres Lettres adressées à Rousseau '14J : « Monseigneur, quoique ie n'aie pas l'honneur
d'être connu de N'otre Grandeur, i'espère qu'elle ne trouvera pas mauvais que je prenne
la liberté de lui écrire pwur une alliiire que ie crois l'intéresser. \'oici le fait. Je reçois
dans le moment une Lettre de Paris d'une personne digne de foi, qui nie dit : Je suis
ù'isuré que Jean-Jacques Rousseau sera déféré aujourd'hui au Parlement Imis les
avis sont au plus violent, il sera décrété, et il >■ a tout lieu de craindre qu'on ne s'en
tienne pas Ui ; il n'a pas de temps il perdre pour se mettre à couvert, et pour prendre
telle précaution qu'il jugera et propo'i... On dit tout haut au Palais qu'il est inutile
de brûler les livres et que c'est aux auteurs qu'il faut s'adresser. Voilà les termes de
la Lettre que je reçois: je serais parti sur le champ pour en aller faire part à
Mr. Rousseau dont i'ai l'honneur d'être ami depuis son séjour dans ma paroisse '. mais
réflexion faite, d'après la fermeté que je lui connais, j'ai craint de ne pas pouvoir le
déterminer à prendre des précautions. C'est ce qui m'a engagé à m'adresser à Votre
Grandeur, qui le déterminera à prendre un parti convenable. J'ai l'honneur d'être, avec
un profond respect, Monseigneur, de Votre Grandeur, le très humble et très obéissant
serviteur, .Martin, curé de Deuil » ij'ai modernisé l'orthographei.
'- M. Lanson [279] a justement mis en lumière cette prompte et énergique action
du Parlement, et fait remarquer que les poursuites avaient été décidées et les jugements
rendus, dans le minimum de temps. La liste des juges qu'il a publiée prouve aussi que
Rousseau n'a été condamné que par onze juges — ce qui était le nombre strictement
nécessaire pour la légalité de l'arrêt. Ces onze juges étaient tous de vieux magistiats
très attachés à la tradition et peu tendres pour les nouveautés philosophiques. Les
conseillers plus libéraux ou même franchement sympathiques à Rousse.iu, comme
llénault, Malesherbes, Guébriant, etc., avaient cru plus sage de .s'abstenir, ne voulant
pus s'associer à une condamnation qu'ils réprouvaient, mais sentant que l'opinion
publique n'aurait pas supporté une défaillance du Parlement.
' A. Jansen a publié de soi-disant Moles de Rousseau sur l'Arrêt du Parlement
[2SJ, 19-23; mais ces notes ne sont pas de Rousseau; elles sont d'un ami du Maréchal
de Luxembourg et ont été communiquées par ce dernier à Rousseau '■2f)'. I. 4S1. Jansen
l'a, d'ailleurs, reconnu lui-même dans la Gegenwart.
' Mémoires secrets [46'''»], I, 100. Bachaumont enregistre le fait sous l.i
date du q; mais le post-scriptum de V Arrêt du Parlement, signé d'Étienne-Dagobcrt
Lsabeau, « l'un des trois principaux commis pour la Grand'Chambre », est plus sur
^26o\ 8-9 : « Le Vendredi 11 Juin 1762, le dit écrit mentionné ci-dessus a été lacéré et
brûlé au pied du grand escalier du Palais par l'exécuteur de la Haute-Justice ».
L IMPRESSION ET LA CONDAMNATION LV
s"assurer de Rousseau: et, si les huissiers du Parlement l'avaient trouvé
à Montmorency, il est probable que « la prise de corps » aurait été
effective : et nul ne peut dire aujourd'hui quels risques ultérieurs elle
comportait. L ne seule chose est certaine, c'est que tout un parti puis-
sant réclamait des sanctions énergiques i. L'anonvmat aurait pu sauver
Rousseau, comme il en avait préservé bien d'autres. Voltaire et Diderot
les premiers. Le nom qui s'étalait fièrement sur la première page de
VEmile, et qui. dans la pensée de Rousseau, attestait surtout sa coura-
geuse sincérité, parut aux magistrats une provocation et un défi à
l'autorité. 11 leur parut que « l'auteur de ce livre, n'ayant point craint
de se nommer lui-même, ne saurait être trop promptement poursuivi ;
qu'il était important, puisqu'il s'était fait connaître, que la justice se mit
à portée de faire un exemple » -. Quoi que semble insinuer Rousseau, il
ne tint pas au Parlement que cet « exemple ne fût fait »^.
Je n'ai pas à suivre ici les infortunes de VEmile dans les difFérenis
pavs où il essava de s'acclimater. Je rappelle simplement les quelques
condamnations qui intéressent les destinées bibliographiques du texie
français.
Le 19 Juin. YHmile est condamné par le Petit Conseil de Genève,
sur le réquisitoire et conformément aux conclusions du procureur général
Jean-Robert Tronchin ; le même jour, en compagnie du Contrat Social.
il fut li\ré et brûlé par l'exécuteur de la Haute-Justice de\ant la porte de
l'Hôtel de Ville*.
En Hollande, dès le 23 Juin, la vente du livre fut arrêtée, et les
magistrats d'Amsterdam en confièrent l'e.xamen aux pasteurs de l'Eglise
wallonne. Ceux-ci rédigèrent un Mémoire, le 29 du même mois, mémoire
qui existe encore aux .Archives de La Hâve, et qui concluait à la révocation
du Privilèee. Conformément à cet avis, les États de Hollande et de
Westfrise, par une résolution datée du 3o Juillet i7f')2, révoquèrent le
' Cf. le propos que prête Bachaumont 4Ô ■'' , I. 102. au prince de Conli po ir
décider Rousseau à prendre la fuite : « Le prince lui fit entendre qu'il y allait non-
seulement de la prison, mais encore du bûcher ».
' Viridel "260J, .6-7.
' Cependant il convient de faire remarquer, en faveur de l'hvpothèse de
Rousseau, que Tarrêt du Parlement ajoute qu'il faut faire « un exemple tant si.r
l'auteur que sur ceux qu'on pourra découvrir avoir concouru, soit à l'impression, stit
à la distribution d'un ouvrage digne, comme eux, de toute sévérité »: que Duchesiie
n'a pas pris la fuite comme Rousseau, et qu'il ne semble pas avoir été inquiété.
* Viridet ^260 . i3-io.
LVI INTRODUCTION
Privilège, ordonnèrent la saisie des exemplaires, avec défense à quiconque
de réimprimer, vendre, distribuer, ou traduire le dit ouvrage sous peine
d"une amende de mille florins et même de prise de corps i.
La Sorbonne fut plus lente. Dans son assemblée du ■"'Juillet 1762,
elle renvoya à la séance suivante Texamen de VEmile. Cette séance eut
lieu le lundi 2 Août, et dura trois jours : il n'y fut guère question de
Rousseau. On nomma quatre commissaires pour rédiger la censure de
l'ouvrage, les docteurs Hoock, Bonhomme, Denans et Legrand. Le texte
des commissaires fut lu et discuté aux assemblées des 17, 20 Août et
4 Novembre. La Censm-e de la Faculté de théologie [248] parut sans
doute dans le courant de Novembre -. Par une Lettre aux Docteurs
de Sorbonne du 26 Octobre 1763, le pape Clément XI 11 adhéra à la
condamnation '*. D'ailleurs, le livre avait été mis à l'Index dès le
g Septembre 176a ■'.
' Bossclia '24], ibS-iô/. Par arrùl du 27 Janvier 1765. la Cour dt- llollandi;. en
condamnant les Lettres de la Montagne à être lacérées et brûlées sur l'échafaud par
les mains du bourreau, rappela la condamnation de l'Emile et la maintint expres-
sément. Id., 245.
- Cf. Lanson [279], io8-m3.
'^ Cf. le texte reproduit par B. Bouvier [279]. i37-i3S. Au lieu de : Dilecti filii,
lire : Dilectis filiis.
^ Index librorum prohibiloruin Sanctissimi Domini nostri PU sexti, Pontijtcis
\la.\iiiii. /Kssit editiis. Romae, T\ pof;rapliia Rev. Camerte Apostolicîe, 1786, in-8, p. 25?.
11^ PARTIE
HISTOIRE DU TEXTE :
MANUSCRITS ET PRINCIPALES ÉDITIONS
CHAPITRE I
LES MANUSCRITS
Il existe, à ma connaissance, quatre Manuscrits autographes de la
Profession de foi du Vicaire Savoyard. .Mais, pour qui s'est familiarisé
avec les méthodes de Rousseau, pour qui se rappelle ses scrupules litté-
raires d'écrivain jamais satisfait, son besoin maladif de se relire dans
des copies toujours plus correctes, il serait imprudent d'affirmer que ces
quatre Manuscrits sont les seuls. « Mes manuscrits, a-t-il avoué lui-même,
raturés, barbouillés, mêlés, indéchiffrables, attestent la peine qu'ils m'ont
coûtée. 11 n'y en a pas un qu'il ne m'ait fallu transcrire quatre ou cinq
fois avant de le donner à la presse » i. Ce que je crois pourtant vrai-
semblable, c'est que ces quatre .Manuscrits ont été les seuls à offrir un
texte complet, et que les Manuscrits qui nous manquent ne devaient
contenir que des esquisses ou des rédactions fragmentaires. 11 me parait
donc possible de l'econstituer ainsi qu'il suit la généalogie des Manuscrits
de la Profession.
I. Le Manuscrit corrigé des V"^ et VI' « Lettres à Sophie ».
On a vu que, dans l'automne de 1 767, peut-être même un peu plus tôt.
pour se « délasser de son travail de copiste »- — il recopiait alors la
Julie de .Mme d'Houdetot. — Rousseau avait commencé, pour elle aussi.
' Confessions, VIII, 80.
• A M"' d'Houdetot. Lettre du 28 Janvier 1758 [34]. 23/.
LVIII INTRODUCTION
des Lettres morales. Sans doute le projet fut accueilli sans enthousiasme,
car Rousseau l'abandonna : ou plutôt l'élargissant, il transforma ces
« Lettres » sur la morale, en un discours sur la morale et ses fondements,
c'est-à-dire sur la Religion et sur le code des devoirs qu'elle soutient.
Bien des paroles qu'il avait adressées à Sophie pouvaient être reprises par
le Vicaire. Retournant donc au brouillon de ses Lettres, il les retoucha
pour les utiliser. Les appels à « Sophie ». à « ma chère amie » turent
supprimés. Au-dessus, en surcharge, il écrivit « bon jeune homme »,
« ô mon bon ami » : « remplacement symbolique », dit très justement
M. Ritter : « l'image de Mme d'Houdetot s'est effacée dans le cœur de
Jean-Jacques .: le disciple idéal vient prendre sa place » '. Lne bonne
partie des \'^ et V'I'^ Lettres à Sophie a ainsi passé dans la Profession.
Le brouillon de ces Lettres est aujourd'hui conservé à la Bibliothèque
de Neuchàtel sous le n" 7890. Avec elles, se trouve une autre Lettre, à
laquelle Rousseau n'a pas donné de numéro d'ordre, et qui est également
adressée à Sophie, comme l'a montré M. Ritter. Au dos de cette dernière,
une main du XYlIl"^ siècle, peut-être un secrétaire de Du Peyrou, a
écrit : « Brouillon de quelques Lettres de J. J. Rousseau à une dame de ses
amies ». Les deux Lettres qui nous intéressent forment deux petits fasci-
cules indépendants, chacun de quatre feuillets petit in-4" ciSoXiHo).
Chaque côté de ces feuillets est également partagé en deux, la partie de
droite contenant le texte primitif, la partie de gauche les additions ou
corrections. Rousseau a écrit au recto et au verso. Ces ¥■= et VI"^ Lettres
ont été publiées, ou plutôt reconstituées et un peu simplifiées, par
.^L P^ugène Ritter, en 1888, dans les Verliandltingen der neunund-
dreissigsten t'ersainm/uiig deutscher Pbilologen und Scliulmaenner in
Ziirich et reproduites par lui, en if)o6. dans les Annales J. J. Rousseau
3i\ On en trouvera plus loin, aux .Appendices. \, le texte intégral, il est
difiicile, dans l'état actuel de ces brouillons, de discerner, avec une entière
certitude, ce qui appartient à la rédaction primitive des Lettres à Sophie
et ce qui a été ajouté ou modifié en vue de l'insertion dans la Profession
de foi. — D'après une note marginale du premier Manuscrit de VEmile -,
où Rousseau se rappelle à lui-même qu'il veut mettre dans la bouche du
N'icaire ce qu'il avait écrit à Sophie, on pourrait supposer que cette
revision des V'= et \'L' Lettres est postérieure aux premiers plans et
' .l.-J. Rousseau et A/"" d'Huudetot '49], II, 111.
^ F" 164" : cf., dans la présente édition, p. 234. Ce premier .Manuscrit est le
Mantiscril l'civre, qui est décrit plus loin au 5 3.
« CAHIERS » DE BROUILLONS LIX
ébauches de la Profession. Néanmoins, dans la mesure où ces Lettres
contiennent des développements qui sont entrés dans le discours du
Vicaire, on peut les considérer comme le premier Manuscrit partiel de
la Profession.
2. Les « cahiers » de brouillons.
Ce .Manuscrit partiel n'a pas dû être le seul. l,e premier .Manuscrit
complet de la Profession est déjà trop bien ordonné, certains morceaux
à peine raturés sont déjà d'un style trop soigné et trop savant pour ne
pas laisser supposer des rédactions antérieures : « Je n'ai jamais pu rien
faire la plume à la main, écrit Rousseau dans les Confessions '. vis-à-vis
d'une table et de mon papier. C'est à la promenade, au milieu des rochers
et des bois, c'est la nuit, dans mon lit et durant mes insomnies, que
j'écris dans mon cerveau : l'on peut juger avec quelle lenteur, surtout
pour un homme absolument dépourvu de mémoire verbale, et qui. de
la vie, n'a pu retenir si.\ vers par cœur. 11 y a telle de mes périodes que
j'ai tournée et retournée cinq ou six nuits dans ma tète, avant qu'elle
tut en état d'être mise sur le papier ». .\.vec une telle méthode de com-
position, un écrixain procède par morceaux séparés, qu'il groupe ei réunit
plus tard après divers tâtonnements et transpositions. C'est ainsi, par
exemple, qu'à l'époque où a été rédigé le premier .Vlanuscrit de VEmile.
quelques-uns des principaux morceaux de la Profession n'avaient pas
encore trouvé leur place définitive -. Il est donc vraisemblable que VÈmile
a été composé comme les autres ouvrages de Rousseau. Si c'est en
« s'enfonçant dans la forêt » de .Montmorencv que Rousseau cherchait
et trouvait « l'homme de la nature » '•. c'est de même, sans doute, qu'il
cherchait et trouvait le Dieu de la nature. Chacune de ces promenades et
de ces méditations ambulantes devait se transposer le soir en quelques
pages d'attente, qui ne trouvaient pas tout de suite leur emploi. L'abbé
Gabriel Brizard. qui a été, comme on sait, le principal directeur de la
grande édition Poingot 1 1788-1703 ), parle à plusieurs reprises de quinze
ou seize cahiers de brouillons, qui se seraient trouvés en sa possession et
qui auraient contenu « les idées premières et des fragments considé-
rables » des principales oeuvres de Jean-Jacques : « Nous en avons, dit-il,
où il y a des idées éparses et des passages entiers de VHéloïse. de VEmile.
' Vlll, 80.
' Cf.. dans la présente édition, pp. 122. 147 et 2211.
' Confessions, Vlll, 2711-277.
LX INTRODUCTION'
de la Lettre sur les spectacles, etc., avec des variantes et des corrections.
Un \ voit, pour ainsi dire, le creuset où Rousseau jetait ses pensées,
jusqu'au moment où elles en jaillissaient a\'ec réclut et la pureté qu'elles
ont dans ses immortels écrits », etc *. Brizard écrivait ces lignes en 171)0.
Seraient-ce ces mêmes cahiers, qui, cinq ans plus tard, se trouvaient aux
mains de Lakanal? La chose ne serait pas impossible. Brizard étant mort
en 1793, et les cahiers recueillis par Lakanal étant au nombre de quinze,
comme ceux que possédait Brizard : « .le viens, disait Lakanal, dans la
séance du 28 \'endémiaire. an 111, offrir à la Convention et à ma patrie
le fruit de mes recherches sur les Manuscrits de .1. .1. Rousseau insérés
jusqu'ici dans des portefeuilles particuliers. Voici quinze cahiers écrits en
entier de la main de ce grand homme; ils renferment divers morceaux
qLii n'ont jamais paru et les germes des principales productions de son
génie : on y voit les premiers jets des pensées de ce philosophe, et les
modifications qu'elles ont éprouvées, avant d'avoir cette perfection admi-
rable de style qu'on découvre dans tout ce qui est sorti de sa plume ».
Lakanal ajoute qu'il tient ces .Manuscrits de la citoyenne iMaugurier -.
Si ce sont ceux de Brizard, comment seraient-ils venus échouer d'abord
chez la dite citoyenne, je ne me l'explique pas. D'autre part, quelques
années plus tard, (179(1 ou 1707), ce même Lakanal lançait le prospectus
d'un recueil d'inédits de Rousseau, qui ne de\ait jamais paraître, et qui
aurait contenu, semble-t-il. d'autres textes que ceux dont il avait parlé à
la séance du 2S Vendémiaire, an 111. Ce prospectus disait : « J'ai été chargé,
par divers arrêtés du Comité d'instruction publique de la Convention
Nationale, de faire procéder au dépouillement d'un grand nombre de
.Manuscrits autographes de J. J. Rousseau. Ce travail avait pour but
d'extraire de ces Manuscrits réunis dans la Bibliothèque du Comité
d'instruction publique et dans plusieurs autres dépôts littéraires, tout ce
qLii n'avait pas été publié. Cinq hommes de lettres avantageusement
connus ont été chargés pendant huit mois de lire ces nombreux Manus-
crits, de les coUationner sur les éditions les plus complètes, de noter tout
ce qui était inédit. Ce travail, fait avec un soin éclairé, a fourni dix-sept
cihiers de vingt pages chacun. Deux renferment des additions considé-
rables au Contrat Social : trois des additions à V Emile; trois à VHéloïse:
' [i(5], XVIII. 363, \TI, 240. Ces textes ont déjà été ,sit;n;ilés par M. Th. Dulbur
[3/]. 182-184. Dans ses notes manuscrites inédites [253 j, 140. Brizard parie de « ses
I li cayers mss >\
- Moniteur uniiicrsct. du pnniidi 1" Brumaire, an III iMercredi 22 octobre 1794.
vieux style), n' 3i. p 228.
« CAHIERS » DE BROUILLONS LXI
deux aux Coii/'essioiis : un renferme des vues générales sur l'agriculture,
le commerce et les finances; deux contiennent des notes sur les person-
nages cités par l'auteur, et la clef de ses écrits ou la nomenclature des
noms qui n'y sont indiqués que par les lettres initiales... Ce sont des
articles travaillés avec soin que nous nous proposons de donner au public
et non des esquisses intormes. Nous ne nous sommes pas même servis
de quelques .Manuscrits chargés de notes marginales "interlinéaires, qui
contiennent les premiers jets des pensées de l'auteur; ces Manuscrits,
d'ailleurs, forment une propriété particulière réclamée par les proprié-
taires, et à laquelle nous ne nous permettons pas de toucher. Aucun des
articles que nous publions n'a été imprimé. Les Manuscrits, au nombre
de vingt-six. dont ils sont tirés, n'ont été confiés qu'aux agents immé-
diats du Comité d'instruction publique. Poinçot pour l'édition in-4" des
œuvres de Rousseau. Didot jeune pour la magnifique édition de la
veuve .Maisonneuve. n'ont eu à leur disposition et n'ont compulsé que
les Manuscrits qui ont appartenu à .Mme de Luxembourg, les fragments
de VHéloïse apportés du .lura, et l'exemplaire des Confessions offert à
la Convention nationale par la veuve de Jean-Jacques. Le travail des
commissaires du Comité d'instruction n'a porté sur aucun de ces .Manus-
crits déjà connus » '. Parmi ces vingt-six Manuscrits, d'où Lakanal avait
tiré les morceaux qu'il comptait publier, les quinze .Manuscrits qu'il
avait présentés à la Convention étaient-ils compris? C'est possible, sans
être certain : « Ce sont, disait-il le 28 \'endémiaire, an III, les premiers
jets de ses pensées, les modifications qu'elles ont éprouvées avant »
d'avoir atteint leur point de perfection. Ce sont, dit-il plus tard dans
son prospectus, des « additions », « additions considérables au Contrat
Social, à YÉmile ». etc. Je sais bien que. dans une langue peu précise,
ce mot d' « additions » pourrait signifier simplement : morceaux inuti-
lisés: mais le prospectus parait bien distinguer les « additions », « articles
travaillés avec soin », des Manuscrits « qui contiennent le premier jet
des pensées de l'auteur » -. Quoi qu'il en soit, que ces différents .Manuscrits
' '254 "•■•], 1-6. — Quérard. qui semble bien avoir eu connaissance de ce prospectus
de Lakanal pour rédiger sa Xotice 257], 223-224, déforme, en les résumant, les
renseignements que contient ce prospectus : * Ces .Manuscrits de Rousseau, écrit-il,
lormaient di.\-sept cahiers de vingt pages chacun ». On a vu que ces di.\-sept
.Manuscrits n'étaient pas les .Manuscrits mêmes de Rousseau, mais les cahiers où les
gens de lettres qui travaillaient sous la direction de Lakanal avaient copié les
morceaux les plus intéressants des vingt-six .Manuscrits.
' En outre, dans la séance du 28 Xendémiaire, an III, Lakanal avait t'ait
LXII INTRODUCTION
aient eu une destinée commune ou qu'ils aient formé deux groupes indé-
pendants, je ne sais ce qu'ils sont devenus. Dans la Préface de son édition
de ÏÉinile ^ Petitain affirme encore qu'il existait, en iSig, des brouillons
fragmentaires de cet ouvrage, et que la Bibliothèque du Palais-Bourbon
en « possédait quelques parties sur feuilles volantes ». Aucun catalogue
actuel n'en fait mention. Nul doute cependant que ces premières ébauches
aient existé. Dans le plus ancien des .Manuscrits de ÏÉinilc, on verra
Rousseau lui-même, à la fin d'un paragraphe, mettre un signe d'arrêt,
écrire à côté : « Au cahier ». et amorcer le passage qu'il prendra dans
le « cahier » pour l'insérer en cet endroit de sa rédaction. .\ la page
suivante, nouveau signe d'arrêt: à côté : « Rctuiirncr au cahier »; et
c'est au « cahier », sans doute, qu'est emprunté le développement qui
commence après cette indication -'. Ce qu'étaient ces « cahiers 'i, nous
pouvons le deviner par quelques-uns d'entre eux. qui sont encore
conservés à Neuchàtel, et sur lesquels j'aurai bientôt à revenir. L'un
d'eux (n" 7887), parmi des brouillons de lettres et des fragments d'un
traité d'astronomie, contient, dispersées çà et là, des pages encore inor-
ganiques de la Lettre à M. de Beaumont et des Lettres de la Montagne.
Ce recueil n'est guère, pour ainsi dire, qu'un chantier de matériaux à
peine dégrossis. 11 est dommage que nous ne puissions plus apercevoir
la Profession dans cet état cahotique qui précède l'organisation. Le
premier .Manuscrit qui nous la présente, nous la présente constituée
déjà dans ses parties essentielles : c'est le iManuscrit suivant.
3. Manuscrit Favre.
■l'ai déjà présenté ce .Manuscrit à l'Académie des Sciences Morales le
8 Fé\rier U) 1 2 °; et .M. Léopold Fa\re lui a consacré quelques mois plus
« observer que la librairiu Poinçot, qui prépare une édition complète de Jean-Jacques
'cf., à la Sibliographie. la note du n' iij , aurait communication de ces .Manuscrit^
pour insérer dans son édition des morceaux que ces cahiers contiennent et qui n'ont
pas encore été imprimés » {Moniteur, n" cit., p. 22S); et, dans le prospectus, il
distinjîue les vingt-six morceaux .Manuscrits des .Manuscrits utilisés par Poinçot.
' Œuvres [ig], VIII, 6.
' F"' i59'" et 160"; cf., dans la présente édition, pp. 64 et i36. — Si l'hypothèse
que j'ai indiquée plus haut, p. xvn. note 3, était vérifiable, peut-être le Caléchisiiu'
dont il parlait à Mme d'Houdetot en Juillet [757 (X, i65l aurait contenu une première
esquisse de la Profession.
' Cf. dans Le Temps, du 9 Avril 1912, l'analyse de ma communication par
.M. Emile Henriot.
MANUSCRIT FAVRE LXIII
tard une importanie et très minutieuse notice 294 . à laquelle je renvoie
pour une description plus précise.
Ce Manuscrit faisait partie des papiers que Rousseau confia, au
printemps de 177K. à Paul Moultou. En Mai 1825, Guillaume Moultou.
fils de Paul, le donna à son cousin Guillaume Favre, dit Favre-Bertrand.
11 appartient aujourd'hui à .M. I.éopold Favre, de Genève. Il comprend
262 feuillets, dont la numérotation a été faite par Alphonse Favre, et
deux feuillets, i24'''s et 23 i'''^, que ce dernier a oublié de numéroter ou
a numéroté en double. Les 32 premiers contiennent une Table d'Emile
inachevée, qui renvoie au Manuscrit de la Bibliothèque de Genève
(M. f. 2o5i: viennent ensuite quinze feuillets blancs: puis une liste de
personnes connues de Rousseau, celles vraisemblablement à qui il
réservait un exemplaire de la Julie ou de YEmile. Le reste du Manuscrit
est occupé par les cinq Livres d'Emile. Les feuillets sont écrits au recto
et au verso. Chacun est divisé en deux parties presque toujours égales.
Le texte primitif remplit lun des côtés, l'autre était destiné à recevoir, le
cas échéant, les additions et les corrections. Sauf une feuille volante
(f<* 22C)i. tous ces feuillets forment des cahiers de différentes dimensions :
le plus grand mesure 260X200; le plus petit 23oXi75. Il y a onze de
ces cahiers. Les cahiers 2 a 5. et 6 à S sont groupés ensemble et cousus
l'un à l'autre. La Profession de foi occupe, dans le .Manuscrit. les
folios 154'° — 174™- Le texte n'en est pas complet, quoiqu'il soit sans
lacunes matérielles : il v manque, entre autres morceaux importants, les
deux dissertations sur la sensation et l'activité de la pensée, sur la matière
et le mouvement : mais c'est un texte organisé, où la plupart des argu-
ments se présentent déjà dans l'ordre définitif. 11 semble bien que nous
ayons là — pour la Profession du moins — la première rédaction suivie.
Les renvois au « cahier » ou aux Lettres à Sophie, que j'ai signalés plus
haut, seraient incompréhensibles, si les emprunts à ces recueils avaient
été déjà faits dans une rédaction antérieure. Ils ne s'expliquent que dans
l'hypothèse où Rousseau, « composant » enfin la Profession, en rédige
le texte à petites journées, si l'on peut ainsi parler, et note lui-même, à
la fin d'une de ces « journées » de travail, le cahier ou le fragment encore
inutilisé, auquel il doit emprunter le développement suivant. Le texte
ainsi constitué n'est donc pas. à proprement parler, une copie : C'est
une coordination provisoire des matériaux rassemblés ; c'est un texte de
travail, qui peut servir de base non seulement à une revision, mais à des
élargissements et à des remaniements. Et, en effet, dans la colonne laissée
libre, outre les additions dont le point d'attache au texte est marqué par
LXIV INTRODUCTION
des sii^nes précis, on trouve des notes personnelles, destinées à une
rédaction ultérieure, pour y préparer des transformations, ou v amorcer
des développements nouveaux. Rousseau note, par e.xemple. qu'il faudra,
dans le récit du Prologue, « faire que le jeune homme parle lui-même »,
dans la discussion sur la liberté, réfuter la théorie d'Helvetius, après la
critique de la Révélation « parler de la beauté de l'Évangile », etc i.
Nous avons donc là, semble-t-il. la première rédaction d'ensemble.
Rousseau pourra v ajouter beaucoup. 11 en retranchera relativement peu ;
et presque toutes les pages de ce te.xte sont barrées de grands traits
transversau.x. ce qui est pour Rousseau la façon de marquer qu'elles ont
été utilisées ou, comme il dit. « prises » 2. Pour quel nouveau Manuscrit
ont-elles été « prises », c'est ce qu'il nous faut voir maintenant.
4. Les « Additions ».
Entre le Manuscrit Favre et celui du Palais-Bourbon faut-il supposer
un Manuscrit intermédiaire, qui serait perdu? Je ne le crois pas. Sans
doute, il y a dans le Manuscrit du Palais-Bourbon des développements
entiers qui font défaut dans le Manuscrit Favre. par exemple, la disser-
tation sur la sensation et le jugement, celle sur l'origine du mouvement
dans la matière : et ces développements si considérables se présentent
sous une forme déjà si satisfaisante, qu'il est difficile de croire que ce
soit là leur premier état. .Mais il n'est pas nécessaire d'admettre des
rédactions complètes. Des brouillons partiels ont pu suffire : feuilles
volantes, comme celle qu'il a collée sur le .Manuscrit du Palais-Bourbon ■■,
ou comme celle encore qui contenait, sans doute, la première rédaction
de la grande note finale'; morceaux isolés, qu'il écrivait sur une page
blanche d'un autre Manuscrit, comme la note sur l'instinct °; cahiers
de notes, comme ce recueil de Neuchàtel, dont. j'ai déjà parlé [5^, où
Rousseau a rangé, à la suite les uns des autres, divers fragments et
réflexions sous cette rubrique : « A placer dans le traité de l'Éducation » ''.
EfFectiveirient quelques-unes de ces notes y ont été « placées ». L'une
' F" i56'", 162'". 172'": c(., dans la présente édition, pp. 22, 184, 3y8.
- F" 161" et 164'" : cf., dans la présente édition, pp. 170 et 234.
8 p. jj2>" : cf., dans la présente édition, p. 174.
' Cf., plus loin, dans ce chapitre de Vlnlriiduction, le S 7.
^ Cf., dans la présente édition, p. 282.
^ Cf., ici même, aux Appendices, III. p. .'io5.
MANLSCKIT DU PALAIS-BOURBON LXV
d'elles, qui concerne la Profession de foi. a été un instant utilisée par le
.Manuscrit du i'alais-Bourbon. Dans ce dernier texte, Rousseau a copié
les premiers mots du morceau qu'il avait consigné sur son cahier, et il a
ajouté : « \'ovez les additions » ^ Vraisemblablement il y a eu d'autres
recueils d'additions que ce cahier de Xeuchàtel. Si. comme il est à croir^,
le renseignement de Lakanal est exact, il v aurait encore eu entre ses
mains, au commencement du XIX*-' siècle, trois cahiers d'additions pour
VÈmile. formant environ une soixantaine de pages -. En tout cas, il
n'v a pas lieu, semble-t-il, de supposer d'autres intermédiaires que ces
brouillons partiels entre le .Manuscrit Favre et le .Manuscrit suivant.
5. Manuscrit du Palais-Bourbon.
Si l'on en croit Victor Cousin ^, Beuchot aurait entendu dire à son
ami Landrieux que ce Manuscrit aurait appartenu à Hérault de Séchelles,
et serait entré à sa mort à la Bibliothèque de la Convention. G. H. Morin,
qui accepte cette tradition, l'enjolive, et reconstitue ainsi l'histoire du
.Manuscrit. Le .Marquis de Girardin. dépositaire infidèle, se serait appro-
prié VÈmile comme les Confessions. 11 aurait donné l'Emile à Hérault
de Séchelles. A la mort d'Hérault, le .Manuscrit serait tombé avec
quelques autres aux mains de la citovenne Maugurier, et Lakanal les
aurait recueillis tous pour les offrir à la Convention *. D'après Petitain *
et Baillv de Lalonde •', il aurait été offert à la Convention par Thérèse
Levasseur. .Mais, outre que ce don considérable n'a été enregistré à
aucune des séances, alors que le Moniteur consacre une longue colonne
au dépôt des Confessions ', le prospectus de Lakanal ne mentionne que
ce dernier .Manuscrit comme provenant « de la veuve de Jean-Jacques »*.
' Cf., d.ins la présente édition, pp. 442-444.
' Cf. le prospectus du recueil qu'il projetait [2^-^"'', 2.
' Du sl\-le de Rnusseiiu [259].
' J. .1. Rousseau 261], SgS. .Même opinion, plus développée, dans sa Sote sur
les Manuscrits de Rousseau [262], 18-20. .M.M. Coyvecque et Débraye, dans leur
Catalogue [281]. 533, se sont ralliés à la même hypothèse. .M. .\dolphe Badin [270 .
415-416, la repousse, sans, du reste, accepter l'autre tradition, qui ferait de Thérèse
Levasseur la donatrice du Manuscrit. D'après lui, il aurait été acquis en vente publique
< à une époque ou à une autre ».
' Préface de VÈmile '19, Vlll, 4.
' Le Léman [258], 471.
' Séance du 5 Vendémiaire an 111, Moniteur universel d'Octidi 8 Vendémiair,;
an III (Lundi 29 Septembre 1794, vieux style), n" 8. p. 79.
* Prospectus 254'" , 6.
LXVI INTRODUCTION
De ces deux traditions, c'est la première qu'il l'aut adopter: le Manuscrit
semble bien avoir passé directement de la bibliothèque d'Hérault dans
celle du Comité d'Instruction publique de la Convention. I.e procès-
verbal de la séance de ce Comité du i'^'' Floréal an II 120 Avril 1794)
nous fait connaître, qu'après la mort d'Hérault, le comité décida d'envoyer
au domicile de ce dernier la Commission des arts pour v recueillir les
.Manuscrits de YEmile et de YHéloïse, et « les transporter à la Bibliothèque
nationale » ; mais le procès-verbal de la séance de la Commission des arts
du 5 Prairial an II (24 Mai 171)4' 'lo^s apprend que la décision fut modifiée
et que les Manuscrits furent déposés à la bibliothèque du Comité 1. Il reste
pourtant une petite difikulté apparente : c'est que l'édition Defer de la
Maisonneuve contient, sous la date de '.793. un texte de YEmile avec
« variantes, additions et corrections recueillies sur le Manuscrit de
l'Auteur, déposé au Comité de l' Instruction publique » -. Si cette date
était exacte, le Manuscrit aurait fait partie de la bibliothèque du Comité
plusieurs mois avant la mort d'Hérault ( i5 Germinal an II = 4 Avril 1794).
Mais la date est suspecte, car les gravures qui accompagnent le texte,
soi-disant de 1793. portent les dates suivantes : an II, an 111, 1795; et
c'est vraisemblablement à cette dernière date que l'édition Defer de
YÈmile dut être achevée "'.
Le Manuscrit appartient aujourd'hui à la Bibliothèque de la Chambre
des Députés, héritière de celle de la Convention. Il était rangé autrefois
sous la cote P 7075 : au Catalogue de 1907 *, on lui a donné les
no* 1427-1429. Il se compose de trois volumes in-8", reliés en maro-
quin plein rouge, dos plat orné, avec pièces en maroquin sert pour le
titre et la tomaison. La reliure est ancienne, et probablement de la fin
du W'ilb' siècle. Dimensions : 140X203 mm. Ces trois volumes com-
prennent : le premier les Livres I et II, le second les Livres III et W, le
troisième le Livre V. Chacun de ces Livres a une pagination spéciale, due
à Rousseau lui-même. Le Li\re I comprend 62 f"^, le Livre II i65, le
Livre III 86, le Li\re l\' 266, le Livre V 2o5. Le texte continu se trouve
sur le recto des feuillets: les notes et additions au verso. La Profession
' Procès-verbaux du Comilé [254'"*], 287.
' T. V [17], 543 sqq. L'Emile se trouve au.\ tomes IV et \'. qui portent tous deux
la date de 1793.
' Il convient pourtant de noter que Lakanal ne mentionne pas le Manuscrit de
YÈmile dans le prospectus que j'ai cité plus haut.
* [281], 532-.S33.
MANUSCRIT DU PALAIS-BOURBON LX^•II
de foi occupe, dans le tome II, les f"* (j8-20i '. Comparé au texte cIli
Manuscrit Favre. le texte de celui-ci. — du moins au recto. — est écrit
très lisiblement, d'une écriture dabord très posée, puis un peu plus
rapide. .Mais les notes, et surtout les additions du verso, sont souvent
bien enchevêtrées, car plusieurs d'entre elles se trouvent ici en première
ou seconde rédaction. C'est ce Manuscrit que Rousseau, dans ses Lettres
à Duchesne et à .Moultou, appelait son « brouillon » -. On verra bientôt
comment la copie envovée à Moultou en apporte la preuve. .Mais en voici
une qui suffira. Dans les additions du cahier de .Xeuchàtel 5 , 3i*"'.
on lit les indications suivantes : « Profession de foi : \. le brouillon.
p. iS() verso. — L. I\'. p. 65, chant^ement à l'histoire d'Auguste. —
Addition au Renvoi de la p. 54, lequel est au verso de la p. 56 ». \'ériti-
cation faite, tous les numéros des « pages » qui sont indiqués dans cette
note sont bien ceux des « pages » (folios) du Manuscrit de la Chambre
des Députés : c'est donc lui qui est le « brouillon ». C'est d'après ce
« brouillon » que Rousseau a corrigé ses épreuves. Duchesne oubliait
parfois de joindre au paquet d'épreuves la copie correspondante'^;
Xéaulme réclamait une partie de cette même copie, pour bien prouver
que son édition n'était pas contrefaite^; le « brouillon » restait donc le
seul texte complet que Rousseau eût à sa disposition durant l'impression.
Aussi, d'un bout à l'autre du brouillon, il a noté, soit en marge du recto,
soit au verso, les lettres des différentes feuilles qui étaient successivement
imprimées et tirées. Cette division par feuilles correspond exactement
à celle de l'édition originale in-12. mais les lettres n'ont pas trou\é
du premier coup leur place définitive ^. ce qui prouve qu'il v a eu sur
épreuves des remaniements assez considérables. C'est qu'en effet, entre
l'envoi chez l'imprimeur de la copie définitive et le retour des premières
épreuves, Rousseau avait apporté à son « brouillon » de nouvelles modi-
fications ; en sorte que ce « brouillon ». antérieur dans son ensemble à
' Kntre le folio qui porte le n' 201 et celui qui porte le n' 202, il y a cinq folios,
non numérotés dont le premier contient un Errata des tomes I et 11 de Vlimile,
d'après l'édition orif,'inale.
' Correspondance. X, 278, 287, 248.
" k Duchesne. Lettre du 19 Octobre 1761, X. 272.
' \u même, i3 Février et [4 .Mars 1762, X. 3i2, 317.
= Pour noter le passage d'une feuille à l'autre, Rousseau encadre le premier mot
de la nouvelle feuille, et note en marge ou en face : V> g", etc. Quelquefois la mise en
B E
pages a été modifiée ; il reporte alors ses signes ailleurs, et écrit : le bon -^, le bon y. etc.
LXVIII IXTKODLXTIOX
la copie définitive, offre pourtant, dans certaines parties, un texte plus
récent ^
Pour les trois premiers Livres, il avait marqué sur son brouillon les
pages de la copie, en sorte qu'en l'absence même de ce dernier texte, il
pouvait préciser plus facilement à l'imprimeur les passages qui appelaient
une correction. Les Livres IV et V. sauf la Profession de foi. sont
dépourvus de ces indications; mais, comme on le verra, les pages notées
en marge de la Profession renvoient à une autre copie.
De tous les Manuscrits de VÉmile, celui-ci est le plus connu : à
plusieurs reprises, depuis lygS, il a été utilisé partiellement. Quelques
variantes, qui lui ont été empruntées, figurent aujourd'hui dans toutes
les éditions de Rousseau. On verra plus loin quels sont les éditeurs qui
s'en sont servi les premiers, soit pour corriger le texte, soit pour le
compléter et le commenter. Les études suivantes en ont également
tiré parti :
Bailh' de Lalonde. Le Léman 258 , I. 471-486.
Victor Cousin, Du Stvle de Rousseau, particulièrement dans la
« Profession de foi du Vicaire Sai'ovard » 259 , 524-52S et bho-ljyi.
Charles Comte. Xotes sur une page de Jean-Jacques Rousseau [2y:].
.\ntoine Albalat, Le Travail du style 277J, 141-150.
6. La copie destinée à l'impression.
Il est inutile que je m'attarde à démontrer, qu'entre le Manuscrit du
Palais-Bourbon et celui que je vais décrire, il n'v en a pas eu d'autre.
Car, s'il v avait eu un .Manuscrit intermédiaire, c'eût été sur celui-là que
Rousseau aurait corrigé ses épreuves, noté les pages de sa copie et les
lettres des feuilles imprimées. Ce nouveau Manuscrit, qui est encore un
Manuscrit complet de VÉmile. se trouve aujourd'hui sous la cote M. f. 2o5,
à la Bibliothèque publique de Genève, qui l'a reçu, en 1873, du Docteur
Coindet, héritier et neveu de François Coindet, l'ami de Rousseau. Ce
.Manuscrit, de 188 sur 128 mm., forme aujourd'hui deux volumes, reliés
en maroquin plein rouge, avec dentelle extérieure et intérieure (reliure
modernei; le premier volume comprend les Livres 1. IL 111 et W jusqu'à
' Cf.. par exemple, dans la présente édition, pp. i^ (notes 19 et 22). 16 (note 111,
2-1 (notes I et 3l. etc., et, pour des additions plus importantes, pp. 194 (notes 7 et i-(i.
224 (note i), 242 inote 9), 2S0 (note 41, 286 (note 81, etc.
COPIE ENVOYEE A MOULTOV LXIX
la Profession. Le second volume comprend la fin du Livre IV' et le
Livre V. Chaque Livre a sa pagination particulière, de la main de
Rousseau. Ils ont respectivement io5, ibo, 121. 388 et 841 pages' :
ciiaque feuillet, étant écrit au recto et au verso, forme donc deux pages.
La Profession de /b/ occupe au tome 11. dans le Livre \\ . les pages 141-284.
L'écriture est soignée, haute et ferme. Les ratures et additions sont rela-
tivement peu nombreuses. C'est la copie qui a été livrée à Duchesne.
L'aspect de plusieurs pages semble prouver qu'elles ont dû passer par les
mains des imprimeurs. Enfin, lorsque Rousseau eut en main les bonnes
feuilles de son livre, il s'amusa à noter sur cette copie les lettres d'ordre
des premières feuilles, puis il abandonna cette tâche, qu'il avait déjà
accomplie sur son brouillon.
Ce Manuscrit, déjà signalé par Bailly de Lalonde (Le Léman 258 .
455-459), a été décrit par AL Eugène Ritter dans sa Xotice sur les
Manuscrits de J. J. Rousseau 266 .
7. Copie envoyée à Moultou.
Ce .Manuscrit a été donné à la Bibliothèque publique de Genève, où
il se trouve aujourd'hui sous la cote AL f. 224. par .Mme Streckeisen,
fille de Guillaume .Moultou, petite-fille de Paul, et mère de (jeorges
Streckeisen-.Moultou, qui a publié les recueils bien connus J. /. Rousseau,
ses amis et ses ennemis [26]. J. J. Rousseau, Œuvres et correspondances
inédites [25]. J'ai raconté plus haut dans quelles circonstances Rousseau
avait cru devoir confier à des mains amies et fidèles le morceau essentiel
de V Emile: car ce Manuscrit ne contient que la Profession de foi. 11
forme une mince plaquette reliée en plein maroquin rouge avec les
mêmes ornements que le .Manuscrit précédent 1 reliure moderne). Il
comprend 38 feuillets, de ig3 sur i32 mm. formant yS pages numérotées
par Rousseau, plus deu.x feuillets non numérotés, l'un au commence-
ment, l'autre à la fin. Sur le feuillet de garde, Guillaume .Moultou a mis
la note suivante : « .Manuscrit autographe de la Profession de foi du
Vicaire Sai'oyard, envové par J. J. Rousseau à son'"ami .Moultou... Je
certifie avoi^ trouvé ce .Manuscrit dans les papiers de mon père.
G""-' .Moultou ». La note rappelle encore le passage du Livre XI des
' Il manque un feuillet au Livre 11. et huit au Livre 111, soit iS pages.
LXX INTRODUCTION
Confessions (IX, 19), où Rousseau semble avoir oublié qu'il envoya la
Profession de foi à Moultou, non seulement pour lui « marquer sa
confiance », mais surtout pour se tranquilliser lui-même. « C'est avec
la plus grande répugnance, écrivait-il à son jeune ami. que je vous
extorque les frais immenses que ce paquet vous coûtera par la poste » '.
Il a cependant réduit le plus possible ces « immenses frais » de port, et
il a fait tenir le ma.ximum de matière dans le minimum d'espace, l.e
texte est sans marge au recto comme au verso, l'écriture très lisible, et
d'autant plus soignée qu'elle est plus serrée. Les ratures sont relativement
peu nombreuses. Le manuscrit commence ainsi (p. 11 : « Ali';MoiRh:
COMMUNIQUÉ. Il V a trente ans que dans une ville d'Italie, » etc.. et se
termine sur ces mots (p. 75) : « Il n'y a que l'espoir du juste qui ne
trompe point. Amen ». Au verso du dernier folio, Rousseau a écrit :
« N. B. N'ayant pas eu le temps de relire cette copie, et l'ayant faite
avec beaucoup de distraction, je la crois pleine de fautes, mais facile à
reconnaître. Elle diffère aussi en quelques leçons de la copie du traité
de l'éducation, mais elle n'en doit différer en rien d'essentiel au fond
des choses, et s'il s'v trouve de telles différences, c'est une preuve que
l'imprimé n'est pas fidelle, et alors ce sera le cas de réclamer sur cette
copie. Mais on n'en doit faire aucun usage public jusqu'à ce que le livre
ait paru, ou qu'on soit assuré que le morceau ci-joint ne paroitra point
tel qu'il est ici : autrement ce seroit voler le libraire. C'est un dépôt que
je ne confie qu'à cette condition à la droiture d'un homme de bien. —
En cas de publication, on lui donnera le titre suivant : Profession de foi
du Vicaire saroyard | publiée sur une copie écrite de la \ main de
J. J. RoussE.vu, Citoyen j de Genève \ et déposée par lui-même entre j les
mains de l'Editeur ». Si cette copie avait été publiée, on aurait vu que
« l'éditeur » était un familier de Rousseau, car il v est amicalement
interpellé : « Vous saurez bien remarquer, mon cher Moultou. lui disait
.lean-Jacques dans une note, que cet écrit ne seroit pas bon à publier en
tout tems, mais que dans celui-ci le public ne peut qu'y gagner >■> '-. Cette
copie a été faite sur le « brouillon » de la Chambre des Députés : « .l'ai
eu soin, écrit Rousseau à Moultou ''■, de coter sur mon brouillon les pages
de votre copie »; et. en effet, chaque changement de page de la copie
est marqué sur le brouillon par deux traits à l'encre rouge,' accompagnés
' \ Moultou, Lettre du 23 décembre 1761, \, 292.
- P. 72 : cf., dans la présente édition, p. 430, note 7.
' Lettre du iS Janvier 1762 "classée par erreur en ijiii . X. 24S.
COPIE ENVOYÉE A MOfLTOU LXXI
en mari;e du chiffre de la pa^e '. Rousseau n'avait, d'ailleurs, à sa dis-
position que son brouillon. S'il avait eu sous les yeux le texte qu'il
avait envoyé à l'imprimeur, la copie pour Moultou aurait bénéficié des
corrections ou additions qu'il avait faites à tète reposée. Or, il n'en est
rien : sauf quelques légères retouches, dont il était impossible, à un
écrivain scrupuleux et toujours mal satisfait, de se priver, sauf surtout
de nombreuses étourderies ou négligences, que Rousseau avoue lui-même
dans son Xota-Bene. et qui s'expliquent par la rapidité du travail ou la
préoccupation de l'auteur -, la copie pour .Moultou se conforme toujours
au texte du brouillon ; là où la copie pour l'impression offre un texte plus
complet que le brouillon, la copie pour .Moultou a conservé la lacune du
brouillon. Ainsi les notes sur l'alchimie et l'instinct, qui apparaissent
pour la première fois dans la copie pour l'impression, font défaut dans la
copie pour .Moultou ■'. Par contre, presque toutes les additions dont le
brouillon s'était enrichi entre temps, depuis l'achès'ement de la copie
pour l'imprimeur, ont passé dans cette nouvelle transcription *. .Mais ces
additions — on l'a vu -ne furent pas les dernières; et, jusqu'au moment
du « bon à tirer ». Rousseau a inséré dans son brouillon des phrases ou
membres de phrases, qu'il comptait reporter sur ses épreuves, .\insi.
par rapport à ce brouillon, la copie pour .Moultou présente encore des
lacunes ', bien que son texte en soit entièrement dépendant. .\ la fin du
« .Mémoire communiqué » à .Moultou. — à la place de la si importante
dissertation sur les mérites comparés de la religion et de la philosophie,
on ne lit que cette brève indication : « 11 y a ici une grande note, dont
je n'ai pas conservé copie, pour prouver qu'il n'est pas vrai, comme
disent les philosophistes, que la religion soit inutile aux hommes » '^.
' C'était une habitude familière à Rousseau. Cf. sa Lettre à .Marc-Michel Rey,
du 8 Janvier 1/63 '24J, 180 : « Je me rappelle même des corrections à faire que je ne
peux pas vous indiquer, soit parce que ie n'ai pas touiours coté sur mon brouillon
les pages de la copie... ».
'Cf.. par exemple, dans la présente édition, pp. 3i2 inote 3). 3.^4 (note 91,
432 (note ICI, etc.. certaines lacunes du texte pour Moultou. qui ne semblent
s'expliquer que par la distraction du copiste.
' Cf.. dans la présente édition, pp. i3o. 232-23X; cf. encore i2tj, 402, etc.
* Par exemple, les lacunes que j'ai signalées plus haut ip. lxviii. note 11 dans la
copie pour l'impression par rapport au brouillon ne se retrouvent pas dans la copie
pour .Moultou.
° Cf., par exemple, dans la présente édition, pp. 270 mote 5i, 200 inote 7),
3 10 (note 81, 446 (note 4], etc. 11 semble bien, du reste, que presque toutes ces
additions nouvelles aient été reportées par Rousseau, en corrigeant ses épreuves, sur
la copie même qui lui revenait de l'imprimeur.
* P. 73 : ci., dans la présente édition, p. 448.
LXXII INTRODUCTION
Or cette « grande note » non seulement se retrouve dans la copie pour
l'impression, mais encore dans le brouillon. l*"audrait-il en conclure que
l'aHirmation de Rousseau est inexacte, et qu'il avait alors ses raisons de
supprimer cette note? Evidemment non. car il eût été beaucoup plus
simple de la supprimer sans en parler. Une seule hypothèse apparaît
donc possible. Au moment où Rousseau copiait sur son brouillon le
texte qu'il destinait à .Moultou. la « grande note », que l'on peut lire
aujourd'hui sur ce même brouillon, ne s'y trouvait pas encore. Elle était
rédigée, puisque Rousseau avait pu l'envoyer à l'imprimeur, mais, sans
doute, la prévoyant trop longue pour se risquer à l'écrire du premier jet
sur son brouillon déjà encombré, il avait cru sage de l'élaborer sur
quelque feuille volante, comme il avait fait, par exemple, pour la note
sur la sensibilité de la matière ip. 174 de la présente édition]. La feuille
était égarée, quand il recopiait la Profession pour Moultou : le temps
passait, il se résigna à en alléger son texte. Une fois la copie partie, il
retrouva sa première ébauche, ou il la reconstitua de souvenir : Cette
seconde hvpothèse paraîtra plus vraisemblable, si l'on compare les deux
.Manuscrits ; le texte actuel du brouillon est beaucoup plus loin de sa
forme définitive que celui de la copie. De toute façon, il ne voulut plus
risquer de perdre cette note si significative. On a déjà vu. qu'après avoir
envové sa copie à l'imprimeur, il n'avait pas cessé de revenir à son
brouillon, pour y apporter retouches et additions : cette fois encore il fit
de même ; et, dans les parties laissées libres sur le verso des feuillets, il
insinua, comme il put. le texte de la « grande note ».
Ce long exposé permet de se rendre compte, que, si la copie pour
Moultou est chronologiquement postérieure à la copie pour l'impression,
logiquement, littérairement, elle lui est antérieure. Voulant aller vite,
Rousseau n'a pas fait ici la critique de son brouillon en le recopiant, et
kii est resté presque toujours fidèle. J'ai donc cru devoir, en établissant
plus loin la filiation des Manuscrits, faire passer le texte qu'a reçu
.Moultou avant celui qui fut envoyé à l'imprimeur.
Dès 1 861, dans V Introduction des Œuvres et (Correspondances iné-
dites 2b], Streckeisen-Moultou avait mentionné cette copie écrite pour
son arrière-grand-père; il en avait même publié la note finale ^ M. Eugène
Ritter l'a reproduite dans la description sommaire qu'il a donnée du
.Manuscrit 2ri6 . Enfin, .^L Charles Borgeaud. dans sa thèse sur la
' \'P. IX-X.
EDITION OKI(,INAI.i: LXXIII
philosophie relit;ieuse de Rousseau 267", a utilisé ce texte, et en a cité
plusieurs variantes, qui. d'ailleurs, comme je viens de l'indiquer, n'ap-
partiennent pas en propre à cette copie, mais doivent être rapportées
au brouillon.
CHAPITRE II
PRINCIPALES ÉDITIONS
11 ne saurait être question de \ouloir donner ici une réplique
au considérable et minutieux travail que M. Daniel Mornet s'est
imposé pour la Julie : cf. Le texte de la « Xouvelle Héloïse » et les
éditions du XVIIP siècle 284 . Je voudrais seulement — après avoir
présenté l'édition originale de Duchesne et celle de Néaulme. — faire un
dénombrement, sinon complet, du moins précis, des éditions et contre-
façons publiées sous la date de ijti-j. dénombrement qui put servir à
l'histoire de la diffusion de Y Emile: je voudrais ensuite établir l'autorité
de l'édition de Genève, et fixer la date du texte nouveau qu'elle apporte:
donner enfin quelques brèves indications sur les éditions qui ont utilisé
le Manuscrit du Palais- Bourbon et sur les éditions séparées de la
Profession de foi. .\u reste, l'histoire des éditions de Y Emile offre bien
moins de complications, et aussi d'intérêt, que l'histoire des éditions de
la Julie : c'est une histoire unilinéaire, et qui se réduit à deux étapes '.
I. L'édition originale.
EMILE, I 01; I DE l'éducation. | TOME 1. d EMILE, 01 DE L'ÉDTJCATION.
Par J. ./. ROUSSEAU, j Citoven de Genève. Sanabilibus agrotamus
malis; ipsaque nos in rectum ! genitos natura, si emendari velimus,
juvat. i Sen : de ira. L. II. c. i3. TOME PREMIER [lleuron] A
AMSTERDAM, ; Chez Jean Néaulme, Libraire. , M. DCC, LXH. Avec
Privilège de Xosseign. les Etals de Hollande & de W'estjrise. \\ [in- 12] -.
' Je crois inutile de donner, pour toutes les éditions que je cite, les cotes des
bibliothèques où je les ai trouvées. Je n'en indiquerai les cotes que pour les éditions
qui font défaut à la Bibliothèque Nationale et pour les différentes contrefaçons, qui
sont presque toutes indiscernables sur les catalogues de librairies et de bibliothèques.
- Les parties du titre imprimées en caractères {feras sont en rouge dans les
éditions décrites. — La page du faux-titre est séparée de la page du titre par un
I.XXIV INTRODUCTION
T. I. I Préface pp. I-VIII. — [Un feuillet non chiffré; recto^ : Expli-
cations des Figures. ^Verso] : Fautes d'impression pour les deux premiers
tomes\ — Livre Premier, pp. 1-140. — Livre Second, pp. 141-466.
T. II. L'épigraphe empruntée à Sénèque manque sur le titre de ce
tome ainsi qu'aux tomes III et l'V' . Livre IIL pp. 1-170. — Livre /V.
pp. i7i-3('>o. — Table des Matières pour les deux premiers volumes,
pp. 361-407.
T. III. Suite du Livre quatrième, pp. i-SSy. — [\'erso de la page 857
en blanc . — Table des Matières pour les deux derniers volumes, pp. [26 1
(les chiffres 350 et 36o n'avant pas été employés) -384.
T. IV. Livre (Cinquième, pp. 1-455. — 'Verso de la page 455 en
blanc]. — DcLix feuillets non chiffrés, occupés par le^ Privilégie 1 Privi-
lège des Etats de Hollande et de W'estfrise, du 10 .Mars 17621 ^et. au verso
du second feuillet, par les L\ïutes à corriger dans les deux derniers
\'()lumes.
La Profession de foi occupe, au tome III de cette édition, les
pages 1-204.
Les cinq llgiu'es dessinées par Kisen, gravées par Le (jrand, de
Longueil et Pasquier. pour les cinq Li\res de cette édition, ont été
décrites par le Comte de Girardin dans son Iconographie des Œuvres
[2S5]. I). La quatrième de ces figures, destinée à illustrer la Profession
de foi se trouve en tète du Tome III. Elle représente Orphée enseignant
aux hommes le culte des dieux. Elle est entourée d'un double trait carré.
Au-dessus du cadre, on lit, à gauche : Tome IIL: à droite : Page 12H.
Au-dessous, signatures à la pointe: à gauche : Cli. Eisen. inv. et f...: à
droite : De Longueil. Se. IJ62. Au milieu, en lettres grises : Orphée.
Liv. -IVK
Si j'étudiais ici le texte de VFmile dans son ensemble, j'aurais à
remarquer que cette édition originale comporte un certain nombre de
cartons, et que l'unique exemplaire qui garde le texte primitif est
l'exemplaire corrigé de la main de Rousseau, qui est aujourd'hui à la
Bibliothèque de Genève, et que je décrirai plus loin ; mais ces cartons
se trouvent tous localisés dans les deux premiers tomes -: et, comme le
double trait, et le ch.inf,'emeiU de ligne d.ms les taux-titre et titre par un simple
trait vertical.
' Cf., dans la prc'Sente édition, p. 2:iq. note 2, l;i Lettre de Rousseau ;i Duehesne.
relative à cette planche.
- T. 1. pp. 23-24; t. Il, pp. 117-118, 203-204; '^'■' P'"'" '°'"- dans ce chapitre, § 2.
EDITION ORIGINALE I.XXV
fait justement observer Rousseau lui-même, la Profession de foi, qui
aurait dû. semble-t-il. soulever tant d'objections de la part du « magis-
trat ». tut imprimée « sans que son contenu fît aucun obstacle à sa
publication » '.
Parmi les fautes d'impression que Rousseau a cru devoir sis^naler
aux lecteurs, voici les trois qu"il a rélevées dans la Profession de foi.
et qui servent, pour ainsi dire, de signes de reconnaissance à l'édition
originale : P. 4, ligne 2 : talent (au lieu de : ta/ensi. — P. 32. ligne iq :
matérialisme, de toute espèce lau lieu de : matérialisme de toute espèce).
— P. 14g, ligne 14 : dirai-je au lieu de ; dirois-je).
Cette édition, qui porte sur sa couverture le nom de Jean Néaulme,
libraire d'Amsterdam, est celle-là même qui a été imprimée par Duchesne
à Paris. Cette supercherie, alors très fréquente -. contraria vivement
Rousseau, qui jugeait indécent que « l'ouvrage d'un ami de la vérité
commençât par un mensonge » *. Il aurait voulu que les deux premiers
tomes au moins portassent les noms de Duchesne et de Paris, et qu'on
réservât pour les deux derniers, les plus dangereux, la couverture de
Néaulme. « les caractères hollandais » et « tout ce qu'il fallait pour
leur donner un air étranger » *. .Mais, dans toute cette affaire de V Emile,
dont il n'avait pas eu dès le début la direction, Rousseau préférait
adopter une attitude passive, et mettait même une certaine coquetterie
à se montrer résigné. Les quatre volumes parurent donc avec le nom
de Néaulme et les titres rouges familiers aux éditions hollandaises.
La plupart des exemplaires étaient du format in-12; le reste in-8°.
Les exemplaires de ce dernier format ont exactement la même distribu-
tion des matières, le même nombre de pages, la même justification, les
mêmes caractères, les mêmes gravures que les exemplaires in-12. .Mais la
feuille de titre porte La Haye au lieu d .Amsterdam, les fleurons et culs-
de-lampe ne sont pas les mêmes, les chiffres des pages et les lettres des
titres courants sont d'un autre corps: et le reste du texte, bien qu'offrant
presque toujours un aspect identique, représente en réalité une autre
impression : et, j'ajoute, une impression postérieure, car cette édition
' Confessions, I.\, 19 et 17. Cf., plus haut, dans cette Introduction, pp. li-lii.
- Cf. ce qu'en dit Rousseau lui-même à Duchesne. Lettre du 28 .Mars 17Ô2, \, 319:
« Je sais bien qu'il est d'un usage très commun d'imprimer dans un lieu et de mettre
le nom d'un autre ».
' .\u même, I.ettrt du 21'! Mnrs \-W2. X. 3iX.
* Id., ibiJ.
LXXVI INTRODUCTION
est sans carton, totit en offrant le texte des exemplaires cartonnés de
l'édition in- 12. Les deux éditions ont été corrit;ées successivement par
Rousseau lui-même ; rorthotjraphc. la ponctuation n'\ sont pas iden-
tiques. Rochebilière l'avait déjà remarqué '. La distinction n"a point
grande importance en elle-même ; elle n'en a aucune pour la Profession
de foi, car je n'ai pu v noter aucune de ces menues variantes 2; mais,
d'un point de vue strictement biblioi;raphique, ce sont bien deux éditions
différentes, et l'édition véritablement orit^inale est l'édition in- 12, quoi-
qu'elle ait été mise en vente après l'in-B". « L'in-12, écrit Rousseau à son
éditeur, a quelques fautes de moins » que l'in-8 ■''. Ce sont les lettres des
feuilles de rin-12, on se le rappelle, qu'il cotait sur son brouillon, et
l'on verra plus loin que l'exemplaire sans cartons qu'il a re\u et corrigé
est un exemplaire de l'édition in- 12 *.
2. L'édition de Néaulme.
Cette double série in-r2 et in-S a été imprimée par Duchesne. Mais
Néaulme ne s'était pas borné à prêter son nom pour la couverture ; il
avait fait imprimer, « en même temps et sur les feuilles de Duchesne »,
' N' Il 79 du Catalogue des Livres rares et curieux [268], 92, Noies de
M. Riichebiliére : « Page 10 de ce même volume [exemplaire in-8 de l'édition
origiiKile], tome 1", ligne 9, on a imprimé : l'essenciel : l'in-12 porte l'essentiel. Page (iS,
l'in-ia porte : Hé! bien, au lieu de : Hé bien! qu'on lit dans le présent e.\cmplaire ».
'- Sauf d insignifiantes variantes purement typographiques, comme lettres chevau-
chantes, trop rapprochées, etc.
" A Duchesne, Lettre du 16 Mai 1762, \, 826.
' Si nous n'avions pas cet exemplaire corrigé par Rousseau lui-même, on
pourrait rester incertain sur la véritable édition originale in-12, car il existe des
exemplaires de ce format, qui sont, à première vue, identiques à celui que j'ai décrit,
et qui représentent, en réalité, une autre impression, quoique le nombre des pages,
la numérotation des feuilles, la justification du texte en soient exactement les mêmes.
Cf., à la Bibliothèque Nationale, les quatre volumes rangés sous la cote R 55346-55349.
Non seulement le titre offre de très légères différences : EMII.R, \ ci | l>E l.'lillli-
CATIO\ : .... Sen. de ira..., — mais l'orthographe, l'accentuation, la ponctuation
ne sont pas les mêmes. Cf., par exemple, dans la Profession, t. 111, pp. i :
quatrième (au lieu de : quatrième), 2 : prosélytes lau lieu de : prosélite.^j.
ii'i : haine (au lieu de : hainei. etc. En outre, il arrive quelquefois que les
pages commencent par une syllabe ou un mot différents : cf. pp. 16, 22, etc.
Aux pp. 140 et 141, il V a des points de suspension presque entre chaque phrase. La
faute : Matérialisme, de toute espèce (p. 32) n'existe pas. Enfin le titre courant est en
caractères d'un plus gros corps, et les notes en caractères d'un plus petit. — Est-ce
une contrefaçon, ou une réimpression de Duchesne, postérieure de très peu à l'édition
originale? J'adopterais plutôt cette seconde hypothèse. — L'édition que M. G. E. Ledos,
EDITION NEAULMK I.XXVII
« une autre édition parallèle », destinée à « la Hollande, l'Angleterre.
l'Allemagne » ', et pour laquelle les Etats de Hollande et de Westtrise
lui avaient accordé un privilège le lo .Mars 1762. L'affaire avant été
conclue directement entre les deux libraires. Rousseau affecta de s'en
désintéresser. Désintéressement tout théorique : il s'agissait d'une œuvre
qui lui était chère, et il ne voulait pas risquer qu'elle fût, par sa faute,
falsifiée ou défigurée. .Non seulement il consentit à envover à Xéaulme
quelques feuilles du .Manuscrit - pour lui permettre « de faire voir » à
sa clientèle « que son édition n'était pas une simple contrefaçon » ■', mais
il en corrigea soigneusement les épreuves.' .Nous vovons, par les quatre
Lettres de Rousseau que Néaulme avait conservées * et surtout par les
Lettres de .Xéaulme *, que cette correction fut aussi minutieuse que celle
d'une édition originale : il exigea des cartons et un Errata. Les deux
éditions devaient paraître à peu près en même temps, pour que celle de
.Néaulme put « couvrir » celle de Duchesne •>. Cependant cette dernière
parut d'abord : les premiers exemplaires in-8" icar les in- 12 ne furent
mis en vente que quelque temps aprèsy furent distribués le dimanche
23 .Mai. A ce moment, .Néaulme était encore dans l'impression du
tome III '. II semble bien que son édition ne parut qu'au milieu de
Juillet, certainement pas avant la fin de Juin. Dans l'intervalle, effravé
des audaces du \'icaire, il avait multiplié les appels à Rousseau, pour
obtenir de lui la suppression de la Profession de foi, à tout le moins
une déclaration publique, où l'auteur aurait pris, à la première page du
livre, l'entière responsabilité du contenu. Rousseau se refusa à toute
concession. Rien n'est plus apitovant que les Lettres du bon Néaulme.
Il fait un peu. dans toute cette affaire, figure de nigaud. Ce sont des
dans son Catalogue de la Bibliothèque Nationale 293], 42, inscrit tn tète des éditions
in-12 de VKmile n'est qu'un exemplaire incomplet, qui réunit trois volumes provenant
de deu.\ contrefaçons différentes. La Bibliothèque Nationale ne possède que les
tomes III et IV de l'édition véritablement originale in-12 : R 22355-22350.
' .A Moultou. Lettre du 12 Décembre 1761. \. 28»").
' E.xactement^ 35 feuillets : cf. sa Lettre à Ducliesne, du i_( Mars 1762, X, 317.
' .A Duchesne, Lettre du i3 Février 1762, X, 3 12.
* Cf. celles des 29 Janvier et 5 Juin 1762 [40'>''' , 108-1 13.
5 Cf. notamment [14, Lettres des 20 Mai, f" 1", 24 iMai. f" 1 , et du to Juin,
Posicriplum : « Vous dites que, dans la Profession de foi, il y a deux fautes, dont en
voici une que nous n'avons pas trouvée ». etc.
* .\ Duchesne et Guy, Lettre du 4 .Mars 17Ô2, .\, 3i5.
' Cf. sa Lettre du 24 .Mai, où il réclame la feuille P du tome III, qui lui manque
encore '14]. 2' .
LXXVIII INTRODUCTION
lamentations sans trc\e. Duchcsne ne lui envoie pas ses feuilles ; il
veut sans doute retarder Tédilion de son confrère, et préfère favoriser
des contrefaçons lyonnaises ou autres ', il abuse du Privilège que lui.
Néaulme, avait obtenu des États de Hollande : on était convenu de le
mettre seulement « à la tète de quelques exemplaires destinés à certaines
personnes »-; Duchcsne le met à presque tous. « pour ne pas dire à
tous » ^ : c'est, sans doute, une excellente façon de se « couvrir », mais
c'est compromettre Néaulme à plaisir. Pour se venger, Néaulme serait
tenté de faire un chassé-croisé de titres, et, puisque Duchesne abuse
du nom de Néaulme dans son édition, d'abuser, lui aussi, du nom de
Duchesne. en le compromettant publiquement auprès de la police
parisienne. « .le \oulais. écrit-il à Rousseau, mettre : .1 Paris, c/ic:;
Duchesne: mais on m'accuserait peut-être d'esprit de vengeance: aussi
je mettrai : Selon la copie de Paris, avec permission tacile pour le
Libraire » '. Cette indication de Néaulme nous permet de retrouver
avec certitude son édition dans la foule des contrefaçons de 17G2.
La voici :
ÉMIl.E, I ou 1 DE l'ÉDUCAIION. | PAR [ JEAN JACQUES ROUSSEAU. | CITOYEN
DE GENÈVE. \ Sanabilibus aegrotamus malis : ipsaque nos in rectum
genitos natura, si emendari velimus juvat. | Senec. de ira. L. 11. c. i3. 1
Tome Pre.vuer ] Première Partie. | [Heuron] Selon la copie de | Paris.
Avec Permission tacite pour le Libraire, i .^L DCCLXll. [tout le titre
en noir] || [in-SJ.
T. I. Pre.miere Partie. [Un feuillet non chiffré] : Avis sur
cette Edition. — Préface, pp. I-\'l. — Explications des Ei^ures.
pp. \'ll-\'lll. .\vis au Lecteur, p. VIII s. — Livre Premier, pp. i-tîK.
— Livre Second, pp. 60-224.
' Cf. Lettres des 20 et 24 Mai 17(12 [14". 2 ' et i'".
- Lettre du 22 Mai 1762 [14]. 1".
' Lettre du 26 Mai 1762 [14], 1"'.
* Lettre du 2 Juin 1762 [14I. 2'°.
5 l.'.lj'/.v au Lecteur, p. vm Je la I" Partie du t. \. disait : « l,es fautes
d'impression, qui forment des contre-sens. tV qu'on pourrait ne pas corrif^er à la lecture,
se trouvent à la fin de l'ouvrage. Il sera facile de les regarder d'avance ». En fait, aucun
des e.xemplaires que j'ai vus de cette c'dition n'offre d'Errata. Je croirais que Néaulme.
à la fin de l'impression, énervé de toutes les contrariétés qu'il avait déjà subies et de
celles qu'il prévovait, a jugé la peine inutile. C'est ainsi, du moins, que je comprends ce
passage de sa Lettre à Rousseau du 28 Juillet 1762 [14]. f" i' : « .\ quoi me servirait
aussi votre Errata? Ainsi je me suis passé de tout ». — La Bibliothèque Nationale
(R 22357-2235S) ne possède, de cette édition, que la seconde partie de chaque tome. J'.ii
EDITION XEAILME LXXIX
Seconde Partie. Livre troisième, pp. 1-80. — Livre qualrievie.
pp. 81-168. — Table des Matières pour le tome piemier en deux
Parties, pp. 169-192.
T. II. Pre.miere P.\rtie. Livre quatrième, [Depuis : « Il v a
trente ans », etc.], pp. 1-168.
Seconde P.artie. Livre cinquième, pp. 1-228. — Table des Matières
pour le tome second en deux Parties, pp. 229-243.
Les figures qui accompagnent le te.xte sont conformes aux dessins
faits par Eisen pour Tédition originale, mais ne sont pas gravées par les
artistes de Duchesne. soit que Duchesne n'eût pas voulu prêter ses
planches, soit que Néaulme eût préféré recourir à un artiste hollandais.
Ce fut Schley qui fut chargé de graver à nouveau les dessins dEisen ;
et ses lenteurs contribuèrent encore à retarder l'apparition du livre.
Néaulme, voulant sans doute ajouter à son édition un attrait qui
manquât à celle de Duchesne. lui commanda aussi un frontispice, et
cela a l'insu de Rousseau. L'auteur ne fut averti que quand tout était
terminé et qu'il aurait été inhumain de ne pas utiliser la planche 1.
Rousseau se résigna : et l'édition de Néaulme s'ouvrit par un frontispice
inédit '-. Néaulme eut. d'ailleurs, l'honnêteté, en le présentant, de dégager
la responsabilité de Rousseau : « L'Estampe, qui porte le titre de Traité
d'Éducation, consacré au Temps, représente des Génies qui le lui
offrent, et sert de frontispice à cet ouvrage. Elle est de l'invention du
Libraire, qui avoue de bonne foi l'avoir mise à l'insu de l'Auteur » ■^.
La planche est signée : J. V. Schley inv. et fecit I/62. Les autres
planches sont aussi gravées par Schlev. sauf précisément celle de la
Profession de foi. qui est la plus médiocre de toutes. Elle est signée :
Cil. Eisen inv. et del. — 5. Fokke fec. Néaulme écrit à ce sujet à
Rousseau, dans ce jargon qui lui est familier : « Schlev, jaloux de son
trouvé un exemplaire complet à Genève, au.ic Archives J. J. Rousseau, O R .47.
Cette édition se rencontre aussi avec le titre tiré en rouj^e et noir, orné d'un
écusson au.x armes dWngleterre, et portant au bas : « A Amsterdam. | Chez Jean
Néaulme. | .MDCCLXII. | Avec Privilège. ». Les titres et l'au.x-titres oflrent encore
quelques légères différences: le reste, y compris les cartons, est identique. .M. Th.
Dul'our possède un exemplaire de ce second état, et a bien voulu m'en donner la
description. Cette partie de l'édition était destinée à la clientèle anglaise de Néaulme.
Le ib Novembre 1762, Rousseau signale à Moultou « la seconde édition anglaise », XL 3.
mais il veut dire « traduction » : cf. 26]. II. 72-73.
• Lettre du 20 .Mai 1762 [14]. 1" et ".
' Cf. V Iconographie des œuvres lie J. J. Rousseau 285], lo-ii.
' I, 1. p. vil : Explications des figures. Rousseau a protesté contre ce « solé-
cisme » : Traité d Éducation, dans sa Lettre à Néaulme du i3 Novembre 1762 [40 '''*], 1 17.
LXXX INTRODUCTION
ouvrage, voulait absolument taire six planches : mais, sa maladie et le
travail lui ayant rendu la chose impossible, il a entln désisté d'une
Orphée, que voici : et, quoique ce graveur l'^okke, le remplaçant de
Schlev est un de nos meilleurs, j'y trouve une grande ditiérence, et
j'enrage de la nécessité ot'i j'ai été de la lui donner; elle n'est pas à
beaucoup près si belle, et je la ferai adoucir encore » '.
Rousseau, comme on l'a vu. s'était refusé à faire la déclaration que
Néaulme lui demandait, à la fois pour authentiquer son édition et
atténuer sa responsabilité. « .le vous prie, lui disait Néaulme -, de me faire
l'honneur de m'écrire que vous avouer mon édition, qu'elle est conforme,
non seulement à votre Manuscrit, mais aussi conforme à vos sentiments
et telle que vous ave^ absolument désiré de la voir paraître. Vous y
ajouteriez, si vous voulez, que vous désavouerie-; tout ce qui ne sera
pas conforme, et que, en conséquence, vous prenie-; sur vous seul toutes
les critiques que cet ouvrai^e pourra susciter ■». A défaut de cette
déclaration personnelle, qui lui fiit refusée, Néaulme avait mis, en tête
du livre, r.4)'/s suivant, qui disait la même chose avec moins d'autorité :
« Le Public peut être assuré qu'elle cette édition est parfaitement
conforme au Manu-Script de l'Auteur, et telle qu'il a désiré de la voir
paroitre. Il en a donné les assurances les plus fortes au Libraire, en le
munissant de son aveu et de son approbation ». L'édition est, en effet,
si « conforme au Manuscrit de l'auteur » que, sur bien des points, elle
rétablit le texte primitif que l'édition originale n'a pas conservé. Non-
seulement la plupart des fautes qui formaient contre-sens ont été corrigées,
mais les cartons, qui avaient été imposés dans les deux premiers tomes
par la direction de la Librairie, ont été négligés ^, et le texte primitif
restitué. On lit donc au tome 1, u, 55 : « l'héritier du possesseur de
trois Royaumes », et non : « l'héritier et le Jils d'un Roi des Rois » * :
' /'DSl-scriptuni de la Lettre du 2 juin 1762 [14]. L'orthof^raplie du bon Néaulme
est aussi déconcertante que son style.
- Lettre du 20 Mai 1762 [14]. 2'".
" Rousseau en avait prévenu Maleslierbes ; ci. sa Lettre du .s Kévrier 1762, X, 3] i :
« Une seule chose me t'ait de la peine, écrit-il à Maleslierbes, c'est qu'on ne saurait
e.xiger de Néaulme de faire en Hollande les mêmes cartons, et que, ne les faisant pas,
son édition pourrait nuire à celle de Duchesne ». — Il y a pourtant des cartons dans
l'édition de .Néaulme ; et c'est Rousseau qui les a e.\igés pour réparer certaines fautes.
Cf. la Lettre de Néaulme à Rousseau, du 24 Mai 1762 [14], i'°, où il lui envoie quatre
cartons. Il y en a neuf dans toute l'édition : I, 1. 11-12, fii-(52, 77-78, 213-214: 1, 11. 41-42.
127-128. 139-140; II, 11. 29-30, 49-5o.
* ICdition originale. Il, iiS, avec la note suivante . « Vonone, lils de Pliraate,
Roi des Parthes ».
« EMILE CHRETIEX » LXXXI
au lome I. ii, 96 : « les passions de tous les Etres bornés, même des
Anges, s il y en a ». et non : « si/s en ont » '. Ainsi l'édition Néaulme,
postérieure à l'édition dite originale, dont, comme je l'ai dit, tous les
exemplaires, sauf un. sont cartonnés, devient, en quelque sorte, une
seconde édition originale, et équivaut pratiquement à l'unique exem-
plaire sans cartons de l'édition Duchesne. Il \- a même un passage
où elle devance l'exemplaire corrigé, et apporte déjà le texte auquel
Rousseau s'arrêtera définitivement '-. Mais toutes ces remarques inté-
ressent plutôt YEmile proprement dit que la Profession de foi, où le
texte est resté identique à celui de la première édition '. — On verra plus
loin les destinées de cette édition Néaulme.
3. L'édition « chrétienne « de Formey.
L'innocent Néaulme, que Duchesne avait si habilement exploité, et
dont tous les contrefacteurs, avec un cynisme impitoyable allaient utiliser
le nom, pava un peu cher — on l'a vu — son imprudente complaisance.
Très affecté par sa mésaventure, il persistait à se croire coupable, et
voulait réparer le scandale en soulageant sa conscience. Il était vieux
et à demi retiré du commerce*. C'était pour lui un vilain couronnement
de carrière que cette atîaire de VÉmile. Quelques jours donc après
que les États de Hollande avaient révoqué son Privilège, il battait
publiquement sa coulpe dans la Galette d Amsterdam. «Jean Néaulme,
y lisait-on, avoue de bonne foi qu'il a eu l'imprudence de confier (sans
réflexion sur les conséquences 1 une copie de son Privilège sur Emile
ou de l'Education, avant la publication de ce livre sous son nom en
France. L'auteur et les libraires peuvent rendrent témoignage pourquoi
il n'a pas voulu publier lui-même cet ouvrage en Hollande, leur en avant
représenté tous les inconvénients. .\ujourd'hui il avertit qu'il publiera
dans peu un Xouveau Traité de l'Education, qui renfermera tout ce
qu'on peut désirer de meilleur sur cette matière: enfin un ouvrage tel
qu'il avait cru que serait Enfile, dont il avait entrepris l'impression sur
' Edition orifîinalc. II, 204.
- Cl. Edition originale, I\', qj : « dans les qualités communes au.x deux »;
Édition Néaulme, II, 11. 49 : « dans tout le reste ». Exemplaire corrigé : idem.
* Les trois fautes d'impression de l'édition originale pour la Profession Je foi
sont même restées dans l'édition Néaulme, tandis que, pour le reste de l'ouvrage, elles
ont été presque partout corrigées.
' Rey à Rousseau. Lettre du 2.S iMars 1762 [14 Cj, 166".
LXXXn INTRODUCTION
la bonne opinion qu'il a\'ait conclue du titre de ce livre, qui paraissait ne
rien promettre que de bon et d'utile à la société » '. Quelque temps après,
en effet, il annonçait à Rousseau qu'il se croyait oblij^é de publier,
comme antidote, « un autre ouvrage », qui serait encore Emile, mais
qui poLirtant en présenterait une « honnête critique ». ^'ous n'aurez pas
sujet, lui écrivait-il, « de vous plaindre des omissions : les liaisons seront
distinguées, et je ne permettrai pas que Ton change rien à ce que vous
aurez dit, dont on fera usage ; pas un mot, pas une syllabe » -. Tel était
le plan d'amende honorable que Néaulme avait conçu : « ,1e n'ai trouvé,
écrivait-il encore à Rousseau, que M. Formey pour l'exécuter»''. Formey.
qui semblait oublier qu'il avait été l'auteur d'un très rationaliste Essai
sur la nécessité de la Révélation ,21 i'''^] *, venait précisément de s'engager
avec un libraire de Berlin pour faire un Anti-Emile [244]. Il était donc
toiît prêt pour faire un Emile corrigé ou un Mouveati Traité d'Education.
L'adaptation de Formev fut d'abord appelée Le Véritable Emile, puis
Néaulme se rallia au titre d'Emile chrétien '•> : et l'ouvrage parut enfin
au début de 1764. Rousseau avait prémuni le public contre cette super-
cherie littéraire, en faisant insérer par Rey dans la Ga;ette d'Amsterdam.
une note de protestation ".
Emile Chrétien, \ consacré a l'utilité | publique, ] Rédigé | par
M. Formey, | Auteur | du Philosophe chrétien. | A Berlin, | chez Jean
NÉAULME, I MDCCLXIV, I 4 tomes en 2 vol. in-8.
Néaulme avait utilisé pour cette édition les six gravtires de l'édition
' N du 10 Août 1/(12 [41], 4.
2 Lettre du 26 Octobre 1762 [[4], 1", 2'".
" Lettre du 3i Janvier lyôB [[4], 1'".
' Cf., dans la présente édition, les textes qui sont rappelés aux pp. 3oQ (note il,
38i (note 2(, $99 (note 3i.
^ Rev à Rousseau, Lettre du 23 Août i-63 [14 C , 204'; cf. encore Bosscha [24],
182, note.
^ N" du mardi 25 janvier 1763 [-(']. f" 2' : « Le public est averti que, sans l'aveu ni la
participation de M. Rousseau, citoyen de Genève, on fait actuellement mutiler son Emile,
dans la vue apparemment de le publier, ainsi tronqué et défi,i;uré, sous le titre de
Nouveau traité d'éducatiun, annoncé il y a quelque temps et qu'il désavoue d'avance »:
cf. encore Rousseau à Rev, Lettre du 8 Janvier 17(33 [24J. 182 ; « Vous savez, sans doute,
que M. Néaulme fait mutiler mon Emile par le laborieux M. Formey, qui ne craint pas,
par une entreprise inouïe jusqu'ici dans la littérature, de s'emparer de mon vivant de mon
propre bien, pour l'estropier et le défigurer à son gré et peut-être y fourrer sous mon
nom ses sottes pensées. Voilà les brigands qui s'appellent Chrétiens; et moi, qui
chéris la justice et respecte en tout les droits d'autrui, je suis l'impie et l'homme
abominable. Ils ont raison : s'ils sont Chrétiens, je ne le suis pas ».
« EMILE CHRETIEN » LXXXllI
complète, et en avait ajouté quatre autres, qu'il avait fait faire également
jiar Schlev. A noter, en particulier, celle du tome III, p. 2 10. « qui
représente J. .1. Rousseau dans sa retraite agréable, avec ce titre : Atirea
mediocritas » '. Néaulme se sentait si satisfait de cette publication
expiatrice. qu'il avait mis joyeusement sa signature autographe sur tous
les exemplaires de VÉmik chrétien. « Je suis si persuadé, proclamait-il
à la première page du livre, qu'il Formey aura rendu cet ouvrage
\\'Émile tout court recommandable et estimable, que je ne fais nulle
difficulté de signer tous les exemplaires de cette édition » -. — La
Profession de foi occupe, t. III. les pp. 1-144. -Mais peut-on donner
encore ce nom à l'étrange et plaisant pot-pourri que Formev a cuisiné?
« Voici donc, s'écrie-t-il en guise d'introduction, ce morceau unique
dans son genre, production que l'auteur a sans doute enfantée avec
complaisance et qu'on peut regarder comme le motif déterminant de
la composition d'Emile » ^. Si ce morceau a fait scandale, dit encore
Formev, il prouve, du moins, combien la « Religion est parfaitement à
l'abri des traits qu'on lui lance ». « Cependant, pour répondre au but de
cette nouvelle édition et remplir fidèlement son titre, on a substitué à
la déclamation sophistique contre le Christianisme qui fait partie de la
Profession de foi du Vicaire, une Apologie de cette sainte Religion,
propre, à ce que l'on espère, à la rendre respectable et précieuse pour
tous ceux qui font usage de leur raison, et qui se proposent l'acquisition
du vrai bonheur. Les propres aveux de .^L Rousseau serviront ensuite
à assurer le triomphe de la bonne cause » *. Suit la Profession de foi du
Vicaire, dans son texte intégral pour la I'' Partie, avec, de place en
place. « quelques remarques fort succinctes sur les endroits... les plus
frappants ou les plus inconséquents »: mais, quand le lecteur arrive à
la phrase du N'icaire : « \'ous ne voyez dans mon exposé que la Religion
naturelle... », le libraire avertit honnêtement ; Ici commence M. Formey''.
et la phrase continue : « .Mais vous devez avoir senti qu'elle ne suffit
' Explication des di.\ ligures, t. IV. verso de la p. 232.
' T. 1. p. M.
* III. 11.
« III. 3-4.
' III. 71 : et il ajoute en note 171-721 pour son propre compte : « Ici commence
cette fameuse philippique contre le Christianisme, qui aurait demandé des volumes
entiers pour la réfuter, si ces volumes n'existaient déjà et n'allaient fort au delà de tout
ce qu'on pourrait dire. J'ai tâché de concentrer ce qu'ils renferment d'essentiel dans le
morceau que j'ai substitué <i celui que M. Rousseau n'aurait iamais dû ni penser
ni écrire ».
I.XXXIV INTRODUCTIOX
pas ». etc. Formey, ayant pris la parole, la garde lont,'temps : il compile
et amalgame Bossuet, Abbadie. \ernet, Ditton et les autres, met aux
prises un incrédule avec un chrétien ; et, la victoire étant restée sans
peine à celui-ci.... Ici finit M. Formey. Les dernières pages de la
Profession sur « la sainteté de YÉvangile », sur la néfaste influence
des « philosophistes » sont précieusement conservées : et le morceau se
termine par cette réflexion édifiante du rapetasseur : « L'auteur continue
à se réfuter beaucoup mieux qu'aucun autre n'aurait pu le faire. Mais,
après cela, comment ne craint-il pas le Poul-Serrho pour soi-même?
Quel compte n'aura-t-il pas à rendre de l'abus de ses talents »? —
L'Emile Chrétien fut tiré à 55o exemplaires seulement, et n'eut aucun
succès '.
4. Autres éditions et contrefaçons sous la date de 1762.
C'était bien malgré lui que .Marc-Michel Rey avait dû renoncer à
éditer Emile. Il aurait désiré, du moms. que Duchesne le choisit pour
représentant, et que l'édition hollandaise lui fût confiée. ,Mais Guérin,
qui était très lié avec Néaulme. avait imposé ce dernier à Duchesne.
Rey ne désespérait pourtant pas de voir l'affaire venir chez lui. J'ai
demandé à Néaulme, écrit-il. « de me céder cet article en lui donnant
du bénéfice sur son achat » -. Néaulme refusa et prit au contraire un
Privilège à son nom. Un instant Rey eut l'espoir que Duchesne refuserait
d'imprimer les deux derniers volumes, ou ne les imprimerait qu'en les
tronquant, et que ce serait à lui. Rev, que Rousseau donnerait cette
mission de confiance ". .Mais Duchesne imprimait hdèlement tout
' Rev à Rousseau. Lettre du 20 Juin 1764 [14 B], 217'". Formey avoTie lui-même
d"assez bonne grâce l'insuccès de cette compilation : Cf. ses Souvenirs d'un Citoyen
^252'"'*], i3i-i35, où il e.xpose, de son point de vue, toute cette affaire de VEmite
chrétien. 11 v reconnaiu du reste, qu'il « avait eu tort de jeter sa faucille dans la
moisson de Rousseau et qu'il ne devait pas condescendre à la demande de Néaulme». —
11 ne faut pas confondre cet Emile chrétien, cuisiné par Formey, avec un livre qui parut
la même année sous le même titre : Emile chrétien, ou de l'Éducation, par .M. C-*»**
de Leveson, Licencié en la sacrée Faculté de Paris, A Paris, chez les Libraires .Associés.
1764, 2 in-12. L'auteur a beau déclarer dans sa Préface, t. 1, p. [.x, que, « pour rendre cet
ouvrage plus intéressant et lui donner plus de perfection, on ne s'est point écarté du
premier Emile, en ce qui s'y trouve de bon », — le livre n'a aucun rapport avec celui
de Rousseau (ni emprunts, ni discussions), et n'a de commun avec lui et avec l'ouvrage
de Formey que le 'titre.
- Rey à Rousseau. Lettre du 3i Décembre 1761 [14 CJ, 141' .
' Rey à Rousseau, Lettre du Ij Mars 1762 '14 C\ \(x>".
CONTREFAÇONS DE 1/62 LXX.W
l'ouvrage. Rcv revint alors à Néaulme. et offrit de lui acheter une partie
de son Privilège. Xéaulme finit par consentir; moyennant 450 florins,
il cédait à Rey son droit sur Emile pour l'imprimer, en in-douze, dans
la collection des Œuvres, et «gardait pour lui seul son édition in-8 » '.
Il semble même, que bientôt après, et, songeant sans doute à se retirer.
Néaulme avait accepté de laisser à Rey le dépôt des exemplaires in-8,
puisqu'on lisait dans la Galette d Amsterdam l'avis suivant : « Marc-
.Michel Rey, libraire à Amsterdam, a imprimé et publié Contrai Social
ou Principes du droit politique, par .M. .1. J. Rousseau, citoven de
Genève. 1 vol. grand octave. Le même Libraire, avant acheté de Jean
Néaulme son droit de Privilège concernant Emile ou de L'Education
par le même auteur, avertit qu'il en débitera le i"^"" Juillet une Edition
en 4 vol. in-8, avec figures, et ensuite une in- 12 pour faire suite aux
Œuvres qu'il a imprimées avec Privilège » -. Ainsi Rev devait débiter
l'édition Néaulme in-8. et en imprimer une autre pour son compte en
in-12. 11 demandait même à Rousseau de lui envoyer ses corrections
ou additions pour cette édition nouvelle ^.
La condamnation de VÉmile à Paris, puis en Hollande, vint changer
tous ces plans. Néaulme. pris de peur, écoula comme il put une partie
de son édition à l'étranger et n'osa pas en vendre un exemplaire en
Hollande ■*. Rev cependant était toujours prêt « à tenir le marché »;
mais Néaulme. scrupuleux, lui refusa toutes les feuilles de son édition
et « le marché fut rompu » '•>. 11 n'est pas alors question de VEmile dans
la correspondance de Rousseau et de Rev. sauf dans une lettre de Rey
du 14 Décembre 1762, où, en annonçant à Rousseau l'envoi d'un article
des Mémoires de Trévoux sur Emile, il ajoute, en une phrase ambiguë :
« Je ne fais que de finir l'impression de ce volume » ^. S'agit-il de
VÉmile? la chose est douteuse. 11 est très probable néanmoins, qu'avec
ou sans le consentement de Rousseau, Rev a dû imprimer VÉmile dans
ce format in-12, qu'il aimait tant et qu'il avait déjà employé pour d'autres
œuvres de Rousseau. Cette édition Rev, de la fin de i7iÎ2, ou plutôt cette
' 24 .Mai 1762 140 , 180'".
' N* du 22 Juin 1762 [41'"''*, 4.
' Rey à Rousseau, Lettre du 17 Juin [14 C], iS3 .
* Rey à Rousseau, Lettre du 12 Juillet 1762 [14 C^. i<H6'". — Dans une Lettre du
2S Septembre, 1" iqo, Rey écrivait encore à Rousseau : « Jusqu'à présent i! ne m'a pas
été possible d'en obtenir un exemplaire "de l'édition Néaulme^ ».
^ Rey à Rousseau. Lettre du 9 Septembre 1762 J4 C, 187' .
^ F" 192".
I.XXXVI INTRODUCTION
contrefaçon, comment la reconnaître?-' 11 est dilHcile d'arriver à une
certitude, car aucun des exemplaires qui portent la date de 171)2 ne
porte le nom de Rey. Puisque Néaulme avait pris pour lui le Privilège
et la condamnation, Rev, comme les autres libraires, trouxait, sans
doute, plus prudent de lui laisser la responsabilité de la couverture.
Presque toutes les éditions de 1762, ou qui veulent passer pour telles, sont
donc mises au compte de Néaulme. Parmi ces pseudo-éditions .Néaulme,
il me parait possible d'en attribuer une à Rey. parce que les planches
en sont gravées par un artiste que Rey a fait tra\ailler pour d'autres
éditions de Rousseau. ,1. C. G. Fritzsch '.
Emile, I ov \ De TÉducation. | h.\r J. J. Rousseau, | Citoven de Genève. \
Sanabilibus etc. | Tome Premier j [fleuronl | A Amsterdam. Chez .Ii;.\n
Nkaul.me, Libraire. ;M. DCCLXII. j Avec Privilège de Nosseigneurs les
États I de Hollande &i de Westfrise. \\ [in- 12]. (Bibliothèque de Genève,
Ce 563).
Les quatre volumes comprennent respectivement : Le premier
vin-272 pages, le second 202, le troisième 201. le quatrième 287. mais
avec une pagination qui est la suite du t. il! (pp. 203-4QO'. La Profes-
sion de foi occupe, au t. 111. les pp. i-i iT). Les fautes d'impression :
talent. — matérialisme, de toute espèce, ont disparu. Le reste du texte n'a
pas été établi d'après l'édition .Néaulme. car. t. 11, pp. 67 et ii5. la
leçon des cartons de l'édition originale a été conservée. Cependant
l'éditeur a dû se faire communiquer une épreuve du frontispice dessiné
et gra\é par Schlev, le Traité d'éducation consacré au Tems. car ce
frontispice a été réduit et gravé par Fritzsch. Les autres planches
reproduisent les figures d'Eisen.
Si « l'honnête » Rev lui-même s'appropriait ainsi le texte de Jean-
Jacques, d'autres libraires, moins scrupuleux, devaient se sentir encore
plus à l'aise. La correspondance de Néaulme est pleine de lamentations
sur les contretacteurs qui pullulaient autour de lui et qui de\aient
réduire singulièrement le débit de son édition. Par lui et par Rev, nous
connaissons les principaux de ces libraires : c'était Jean-Marie Bruyset à
Lyon '-. Nourse à Londres ■, Bassompierre à Liège*, De Hondt et Beckker
' Cf. Girardin, Iconographie des œuvres '2.S.S:, 17-iH.
^ Néaulme à Rousseau. Lettres des :;o. 22 et 24 Mai. 2S Juillet, 3 Dé-
cembre 1762, etc. [14].
' Id.. Lettre du 2 Juin 1762, f" 2".
* Id., Lettre du 3 Décembre 1762, f" 2'".
CONTREFAÇONS DE 1/62 LXXXVII
à La Haye '. Xéaulnie était particulièrement monté contre Bruvset. dont
rédition devança la sienne, grâce à la complicité de Duchesne. qui lui
vendit les feuilles d'Emile, comme il les vendait à N'éaulmc -. 11 est à
peu près impossible aujourd'hui de restituer à chacun de ces libraires
les différentes contrefaçons. 11 faudrait se livrer à des comparaisons de
caractères et de papiers, fort difficiles, et qui ne seraient pas toujours
décisi\es. Seule, l'édition de Bruvset me paraît pouvoir être reconnue,
et serait, à mon avis, la suivante :
E.milf; I ou 1 DE l'Edl"c.\tion. ' PAR J. J. RoussE.Ai', I Citoyen de
Genève. Sanabilibus etc\ | Sen. de ira. L. II. c. i3. To.me Pre.mier. j
'fleuron A Leipsick. chez les Hérit. de .M. G. \\'eidm.\nn | & Reich. j
.M.DCC.LXll. .Avec Privilège, jtout en noir , 4 vol. in-12, de .x-442,
383, 328, 463 pp. Contrefaçons d"Eisen. La Profession de foi occupe,
t. ni. les pp. 1-188. Les trois fautes d'impression de l'édition originale
y sont conservées. (Archives J. J. Rousseau. O R 35*.
Voici les raisons qui me font attribuer cette édition à Bruvset.
D'abord c'est dans cette édition que \'oltaire a lu VÈmile. Nous avons
encore son exemplaire annoté-^. Lvon est tout près de Genève. L'édition
de Bruvset. grâce à Duchesne, parut en même temps que celle de Paris :
ce fut elle qui dut arriver le plus tjt aux Délices. En outre, elle ne
porte ni le nom de Néaulme, ni celui d'Amsterdam, ni la mention du
Privilège hollandais. Or Néaulme avait fait savoir à Bruvset que. s'il avait
l'audace de se servir de son nom et de son Privilège, il le désavouerait
publiquement dans les Gazettes*. Enfin le nom qui se lit sur le litre
de cette édition est celui des héritiers de G. W'eidmann et Reich. Or,
dans une Lettre de Bruvset à Rousseau, le libraire lyonnais, après avoir
refusé d'éditer la Lettre de M. de Beaumont. — « un père de famille,
disait-il, ne doit pas s'e.xposer aux orages » — lui conseillait de s'adresser
à « un nommé Reich. Imprimeur-Libraire à Leipzig. C'est un homme
très intelligent, auquel j'ai fait passer Emile feuille à feuille pour en faire
faire une traduction en allemand » ; et il ajoutait : « Si cette proposition
pouvait vous convenir, je pourrais même m'arranger avec lui » ^. 11 est
donc vraisemblable que Bruvset, obligé de renoncer à la couverture de
' Rey à Rousseau, Lettre du 8 .\vril 176? 14 C . 202".
•' Néaulme à Rousseau, Lettres du 28 Juillet, f" 2", du 3 Décembre 1762, C \".
* C'est celui des Archives J. J. Rousseau, sur lequel .i été faite la description
de l'édition.
* Néaulme à Rousseau. Lettre du 24 .Mai 1702 .
' Bruvset à Rousseau. Lettre du 26 Décembre 17112 14 .
LXXXVin IXTRODUCTIOX
Néaulme. avait demandé à son confrère de Leipzig d'utiliser le nom
de la librairie Reich pour le titre de son édition.
Les autres contrefaçons de 1762 que j'ai pu découvrir sont les
suivantes : Dans toutes. YF.mile forme quatre volumes, avec toujours
ce même titre, sauf quelques menues différences purement typogra-
phiques, que je néglige : Emile ou De l'Education, par .1. ./. Rousseau.
Citoyen de Genève. Sanabilibus {etc. .4 Amsterdam, che^ Jean Xéau/me.
Libraire, MDCCLXII. .\vec Privilège de Nosseigneurs les États de
Hollande et de Weslfrise.
A. 4 vol. in-8, de i\-3ii. 232, 324, 298 pp. — Titre en noir.
Caractères très fins. .Mauvaises contrefaçons d'Eisen. Dans chaque
volume, sur chaque page de titre, entre le n" du tome et .Amsterdam.
une vignette gravée. Celle du t. III reproduit celle du t. 1, celle du t. I^'
reproduit celle du t. II. Profession de foi, t. III. pp. i-i25. (Bibliothèque
de Genève, Ce 442).
B. 4 vol. in-i2. de vii-358. 270, 256, 342 pp. — Titre en noir et
rouge. Mauvaises contrefaçons d'Eisen. .\u t. I. p. 338, l'Avis suivant ;
« La première édition de cet ouvrage présente un Errata qui devenait
inutile en corrigeant les fautes dans une réimpression ; et deu.x tables
de matières seulement, une à la fin du tome second, et l'autre à la fin
du quatrième, chacune embrassant les articles des deux volumes. On
trouvera dans celle-ci un Errata de moins et deux tables de plus ;
c'est-à-dire Line à la lin de chaque volume, et qui comprend taxative-
ment fsici les objets qui v sont traités. Cette distinction a paru et plus
exacte et plus commode, n'étant pas naturel que l'indication soit dans
un tome et la chose indiquée dans un autre. Ce changement, au reste, et
celui de rectifier les citations sou\ent peu fidèles qui se rencontrent dans
ces mêmes tables, sont les seules que l'on se soit permis ». Et, en effet,
chaque \olume est accompagné d'une Table. Profession de foi. t. III,
pp. 1-144. I Bibliothèque de Genève. Ce 587).
C. 4 vol. in-12, de x-442, 383, 328, 463 pp. — Titre en noir.
Mauvaises contrefaçons d'Eisen. Profession de foi, t. 111, pp. 1-188.
(Bibliothèque de Genève, Ce 44(1, et Archives J. ,1, Rousseau, O R 24).
D. 4 vol. in-8. de 5 f"^ non chiffrés et 298 pp., 222 pp. et i3 f°^ non
chiffrés, 220 pp., 292 pp. et 8 f"^ non chiffrés. — Titre en noir et rouge.
Au titre : Par Jean ■Jaque.'; Rousseau (sic). A la fin du t. II, p. 292,
dans une couronne de chêne : Vitatn j impendere \ vero |. Contrefaçons
d'Eisen. Profession de foi. t. III, pp. 1-127. (Bibliothèque de l'Arsenal,
B L 20863.)
ÉDITIONS POSTÉRIEURES A I762 LXXXIX
Cette dernière édition n"a certainement pas été imprimée en 1762 :
les quatre volumes forment les tomes \"II et YIII (chaque tome a deux
parties) des Œuvres de Jean Jaques Rousseau publiées par Rev en 1769,
1 1 vol. in-8. Comme le reste de la collection, ils ont bien été imprimés
par Rev — la devise dans la couronne de chêne en est comme le témoin
— et avec la même disposition, les mêmes caractères. Il est donc infini-
ment vraisemblable qu'ils ont été tirés, eux aussi, en 1769. Mais Rev
trouvait, sans doute, plus prudent, puisque l'ouvrage était officiellement
condamné en Hollande, de continuer à s'abriter derrière le nom de
Néaulme, le Privilège maintenant révoqué et la date de la première
édition. Je croirais aussi très volontiers que. parmi les contrefaçons de
V Èmi le qu\ portent le millésime de 1762, quelques-unes sont antidatées.
Ainsi r.lj'/s de l'exemplaire B dit assez qu'il s'agit d'une seconde
édition. Cet Avis se retrouvera dans trois éditions, qui porteront les
dates de 1763, 1773 et 1774; il se pourrait que ces quatre éditions
fussent contemporaines, et toutes quatre de 1773 ou 1774. De même,
l'exemplaire C (Archives J. J. Rousseau. O R 24 1 est identique
pour la pagination, les caractères, la justification des lignes et le
nombre des feuilles à l'édition dite de Leipzig, que je crois être
l'édition faite par Bruvset : mais toutes les fautes d'impression qui
avaient été relevées dans VErrata de l'édition de Leipzig ont disparu
dans celle-ci. On peut en conclure qu'elles sortent toutes deux de la
même imprimerie, mais que l'exemplaire C est postérieur et date d'une
époque où Bruvset a cru pouvoir rétablir sans crainte sur le titre de
son édition le nom et le Privilège de Néaulme '. Les deux éditions
sont, d'ailleurs, sauf quelques différences insignifiantes, identiques à une
troisième, qui porte aussi le nom de .Néaulme, avec, cette fois, la date
de 1765, et que je signalerai plus loin. Cette constatation confirme, ce
me semble, la conjecture que je viens de présenter.
5. L' « Emile » du vivant de Rousseau.
Editions postérieures à 1762.
Aucune des éditions de VÉinile qui ont paru du vivant de Rousseau
n'avant été revue et corrigée par lui. leur histoire n'offre qu'un intérêt
purement bibliographique. Je les présenterai donc très rapidement.
' li y .1 encore à la Bibliothèque de Genève, sous la cote Ce \'i, un e.xemplaire
identique, pour le titre, la pagination, les caractères et la justification, à l'exem-
XC INTRODUCTION
A. Emile etc.;, Amsterdam, Néaulme, 1763, avec Privilège ^etc. J,
4 vol. in-12, de vii-338, 255, 240, 3 18 pp. — Titre noir et rouge.
Mauvaises contrefaçons d'Eisen. Ali t. !. p. 3 17. le même Avis que
dans l'e.Yemplaire B de 1762. Chaque volume est accompagné d"une
Table. Profession de foi, t. III, pp. 1-134. (Bibliothèque Nationale.
R 22359-22362).
B. Emile etc. , Amsterdam, Néaulme, 1764, .\vec Privilège etc.*,
4 vol. in-12, de xi-338, 255, 240, 3 18 pp. — Sauf la date du titre et la
pagination de la Préface, identique au précédent. (Bibliothèque Nationale,
R 22363-22365. — Manque, dans cet exemplaire, le t. III).
C. Emile [etc.], Amsterdam, Néaulme, 1765 ^pas de Privilège indiqué
sur le titre , 4 vol. in-12, de x-442, 383, 328, 463 pp. — Titre en noir.
Contrefaçons d'Eisen. Sauf la tin du titre, sauf quelques légères diffé-
rences dans les lettres ornées et la numérotation des notes, identique à
l'exemplaire C de 1762. Bibliothèque de Genève, Ce 447).
D. Emile [etc.], Amsterdam, Néaulme, 1766, Avec Privilège [etc.],
4 vol. in-12. de ? . 333, xxiv-265, ? pp. — Titre en noir. Mauvaises
contrefaçons d'Eisen. La Table des matières des t. III et 1\' se trouve
en tète du t. III, paginée xxi-xxiv. Profession de foi. t. III, pp. i-i52.
(Bibliothèque Nationale, R 22366. — Manquent, dans cet exemplaire,
les t. I et W).
E. Emile [etc.], Amsterdam, Néaulme, 1768, 4 tomes en 2 vol. in-i 2,
figures d'après Eisen. — .le n'ai pas vu cet exemplaire, dont j'emprunte
la description au ('alalogue n" 271) de la librairie Lucien Cîougv in" 1507
de ce Catalogue).
F. Emile [etc.], Amsterdam. Néaulme, 1772, .\vec Privilège [etc.],
4 tomes en 2 vol. in-12, de 5 f"*^ non chiffrés et 21)6 pp., 222 pp. et
i3 f"'- non chiffrés, 220 pp., 292 pp. et S f"'* non chiffrés. — Titre en
noir. Contrefaçons d'Eisen. Sur la teuille de titre du t. I, avant
Amsterdam, une couronne de chêne, portant au centre la devise : Vitam
impendere vero. Ces quatre volumes forment les tomes VII et VIII
(chaque tome a deux parties 1 des Œuvres de ./. J. Rousseau, de Genève,
Nouvelle Edition, Revue, corrigée & augmentée de plusieurs morceaux
qui n'avoient point encore paru. A .\msterdam. chez Marc-Michel Rey,
1772, Avec Privilège etc.", 11 vol. in-8. tous datés de 1772. Sauf les
plaire C. mais les fautes d'impression qui avaient été relevées dans l'Errala de
l'édition de Leipzig n'ont pas été corrigées dans celle-ci. C'est donc l'édition de
Leipzig, avec une autre page de titre.
ÉDITIONS POSTÉRIEURES A I762 XCI
différences de titre, identique à lexemplaire D de 1762. (Bibliothèque
de Genève, H f 4001).
G. Emile [cx.c. , A Amsterdam, chez Marc-Michel Rev. lyyS, 4 vol.
petit in-12. de vm-278, 207. 199. 267 pp. — Titre en noir. .Mauvaises
contrefaçons dEisen. Au t. I. p. 257. le même Avis que dans l'e.xem-
plaire B de 1762. Profession de foi, t. 111, pp. i-iii. Archives
.1. J. Rousseau. O R 191).
H. Emile etc.", .\ Amsterdam, chez .Marc-Mkhel Rey, 1774, Avec
Privilège etc. , 4 vol. in-12, de xi-338. 255, 240. 3 18 pp. — Sauf la date
du litre, identique aux e.xemplaires A et B de cette série. (Bibliothèque
de Genève, Ce 4481.
L Emile etc. Vignette gravée , .A Londres. 1774, 2 vol. in 4, de
iv-373 et 354 pp. — Forment les t. III et IV de la faux titre :] Collection '
complette des Œuvres I de J. ./. Rousseau \ avec les gravures de
J. .M. .Moreau le Jeune ^ publiée, de 1774 à 1783. en 12 vol. in-4, sous
la rubrique de Londres, mais imprimée en réalité à Bruxelles par J. L. de
Boubers ; cf. Th. Dufour [4g], IL 1681. Titre rouge et noir. Texte établi
d'après l'édition originale ; cf. non seulement : talent — matérialisme,
de toute espèce — dirai-je, mais encore, à la « Table des .Matières ».
Institut pour Instinct. Profession de foi, t. 11, pp. i-83. (Bibliothèque
Nationale, Réserve Z 1 356-1 359).
Il est assez difficile de savoir, pour plusieurs de ces éditions, quels
ont été leurs véritables éditeurs. « L'imbécile Néaulme ». comme disait
Bruyset à Rousseau '. contitue à v jouer un rôle passif. 11 va sans dire,
qu'après sa rétractation officielle et la publication de YÉmile chrétien, il
ne pouvait être question pour lui de réimprimer YÉmile intégral. E.l.
d'ailleurs, à la fin de 1763. il avait complètement liquidé son fonds de
commerce et renoncé aux affaires -. Derrière la façade de Néaulme. il
se dissimule donc des contrefacteurs avisés, qui veulent donner à leur
édition une apparence d'authenticité, et qui continuent ainsi à faire
peser sur l'imprudent éditeur le poids de sa première faute. 11 se pourrait
que, parmi eux. on pût compter .Marc- .Michel Rey : l'.Ay/s qu'il placera
dans ses éditions de 1773 et de 1774. et qui se trouve déjà dans les
' Lettre du 2h Décembre 1762 j^], 2".
- Cf. son Avertissement au Catalogue d'une nombreuse collection de lii'res,
.Vmsterdam et Berlin, Néaulme, 1763, 2 vol. in-S. t. I. p. 5. Le début de \'Avertissemenl
est rempli de doléances sur le dur métier d'éditeur. irir<;ni]'nn est lirmnéte. L"art'nire de
VÈmile n'y est pas étrangère.
XCII INTRODUCTIOX
pseudo-édilions Néaulme datées de 1762, 1763, 1764, semblerait indiquer
que ces dernières sortent aussi de sa maison. Il aura, sans doute, trouvé
plus sage de ne pas mettre son nom sur des exemplaires de YÈmile, tant
que le scandale n"était pas amorti et l'interdiction pratiquement levée.
6. L'exemplaire corrigé et l'édition de Genève.
Rousseau n'a publié de son vivant aucune édition corrigée de
YÈmile. mais il axait revu et annoté l'un des exemplaires de l'édition
originale en vue d'une édition nouvelle. Cet exemplaire existe encore.
La Bibliothèque de Genève l'a acheté en 1854 du docteur .1. P. Maunoir.
et il v est conservé aujourd'hui sous la cote Ce 12.
C'est un exemplaire de l'édition in-r2. ou plus exactement des bonnes
feuilles de cette édition '. 11 est donc sans cartons, ce qui le rend déjà
précieux. Rousseau a eu soin de le faire remarquer lui-même sur la
feuille de garde du t. 1 : « N. [:i. Cet exemplaire est sans cartons-, et
c'est le seul. Ainsi indépendamment des corrections, il importe qu'il ne
soit pas changé ». Ces « corrections », dont parle Rousseau, ne sont pas
simplement des notes d'auteur en marge d'un lixre qu'il relit, mais la
revision minutieuse d'un texte qui doit aller à l'imprimerie. Beaucoup
de ces corrections, d'ordre purement typographique, sont accompagnées
d'instructions très précises pour la composition ou la disposition du
texte. Visiblement les feuilles devaient être remises telles quelles entre
les mains de l'imprimeur. L'exemplaire corrigé offre, d'ailleurs, plusieurs
corrections de fond, surtout des additions et des répliques aux niaises
remarques de Formev. On trouvera plus loin toutes les variantes qu'il
apporte à la Profession de foi. }c n'v insiste donc point. Mais ce qu'il
importe de fixer, c'est la destination et la date de cet exemplaire.
Auparavant je dois signaler un autre exemplaire corrigé, ou plutôt
complété: exemplaire aujourd'hui perdu, et dans lequel, si l'on en croit
Corancez. « Rousseau avait fait entrer une partie des idées qu'il n'avait
pu mettre dans la première [édition] à cause de leur abondance... Il les
avait écrites sur des cartes, qu'il réser\-ait pour une nou\elle édition.
Elle contenait aussi le parallèle de l'éducation publique et de l'éducation
' Ces bonnes feuilles, étant très grandes de marge, ont pu l'aire croire qu'il
s'agissait de l'édition in-H ; mais les lettres des feuilles sont bien celles de rin-12.
' Sur ces cartons, et le texte qu'ils substituent au te.xte primitif, cf.. plus haut, ce
que j'ai dit de l'édition originale et de l'édition Néaulme.
EDITION DE GENEVE XCIII
particulière, morceau qu'il me disait être essentiel au traité d'éducation
et qui manque à VÉmile ». Corancez ajoutait que Rousseau, à la fin de
son séjour en Angleterre, craignant que Choiseul ne i'v fit arrêter, « partit
sans argent, sans vouloir embarrasser sa marche d effets et de paquets
qui ne fussent pas de première nécessité : c'est dans cette occasion qu'il
brûla la nouvelle édition d'Emile dont j'ai parlé et qu'il m'avoua regretter
beaucoup » i. Si le récit de Corancez est exact. — et il n'v a pas lieu
jusqu'ici de le récuser. — cette nouvelle édition aurait été postérieure à
l'exemplaire corrigé de Genève, qui doit se placer, comme je vais le
montrer, aux environs de lyô^. Du reste, il est peu probable que la
Profession de foi eût été beaucoup modifiée dans cette revision du
texte. Les conclusions métaphysiques auxquelles Rousseau était arrivé
lui avaient coûté trop de peine pour qu'il voulût v toucher : La Lettre
à .\f. de Franquières est là pour en témoigner -.
En tout cas. l'exemplaire de Genève a été revu et corrigé avant la
préparation de cette nouvelle édition dont Corancez nous signale la perte.
Et voici, semble-t-il, qui l'établit avec précision.
Deux ans après la mort de Rousseau, commençait à paraître à
Genève une Collection complète des Œiwres de J. J. Rousseau [i5].
Les tomes IV et \' de cette édition sont remplis par Emile.
(f" Il Collection ^ Complète ' des Œivres | de | J. J. Rousseau. |
Tome Quatrième. || if" 2 Collection I complète j des Œuvres | de |
J. J. Rousseau. ' Citoyen de Genève, j To.me Quatrième. | contenant
les I\ premiers Livres d'Emile, ! ou de l'Education. ; A Genève, j
.MDCCLXWII. Il (f" 3) E.MILE. ou de l'Education'. | To.me Premier i
ii° 4) Emile. ; ou , de l'Éducation. | par J. J. Rousseau, [ Citoven de
Genève vignette gravée , Genève .M.DCC.LXXX. \
Ainsi les faux-titres qui situent Emile dans la Collection portent la
date de 1782, le titre même de VEmile 1780. De même, pour le t. \'.
Emile remplit dans cette édition deux vol. in-4. de 485 et SSj pp.
La Profession de foi occupe, au t. II, les pp. i-i 12. (Bibliothèque Natio-
nale, Réserve Z iSôS-iSôg. L'exemplaire des Archives J. J. Rousseau.
O R i32, ne porte pas les deux feuillets de faux-titres, et VÉmile occupe
par erreur dans la Collection les tomes 11 et IIL.
Le texte de cette édition de 1780 est par endroits sensiblement
' De J. J. Rousseau 255 , 3o. 48.
- Çl"., aux Appeititces, v, p. 5i3 sqq.
XCIV INTRODUCTION
différent de l'édition originale. Or, saut quelques minuscules différences,
dues à l'étourderie ou à la négligence, toutes les variantes de cette édition
se retrouvent dans l'exemplaire corrigé, toutes celles de l'exemplaire
corrigé se retrouvent dans cette édition ; et il n'y a d'autres variantes
dans cette édition que celle de l'exemplaire corrigé. Nul doute, par
conséquent, que l'exemplaire corrigé ait servi à préparer l'édition. Et
cette constatation nous permet de dater ces variantes. Car, comme je
l'ai montré ailleurs ', l'édition dite de Genève, imprimée en 1780-1782
par les soins de Du Peyrou, représente le texte qu'avait préparé Rousseau
en 1764 pour l'édition générale qu'il projetait et qu'il ne réalisa
pas : « Ma part à cette contribution, écrit Du Peyrou à Barruel-Beauvert.
s'est bornée à ce que l'auteur lui-même avait préparé pour son édition
projetée de 1764 (laquelle ne put avoir son eff'et par une suite de
circonstances malheureuses), matériaux qu'à son départ pour l'Angle-
terre il laissa entre mes mains. En les livrant à l'impression tels qu'il
les avait disposés lui-même, j'ai rempli ses intentions » ^. Ainsi l'édition
de Genève, postérieure de vingt ans à la première édition d'Emile, nous
offre pourtant une Profession de foi qui a été revue deux ans à peine
après l'apparition de l'original.
7. Principales éditions revues sur les Manuscrits.
Toutes les éditions qui ont paru après 1782 ont été établies d'après
l'édition de Genève. Elles commencent à pulluler : et il serait vain de
vouloir ici les dénombrer. J'indiquerai seulement — et très brièvement
— celles qui offrent un intérêt pour le texte de la Profession de foi.
Ce sont des éditions d'Œuvres complètes.
A. L'édition Poinçot, dirigée par l'abbé Brizard M788-17931 [16".
L'Emile v occupe les t. Xi, XII, XIII. et la Profession de foi, au t. XII.
(17921 les pp. 5-173. Comme on l'a \u. l'abbé Brizard a eu en main
des notes de Rousseau pour son Emile: mais il ne les a pas utilisées.
L'édition Poinçot reproduit donc simplement le texte de l'édition de
Genève. Sa seule particularité est d'avoir conservé, à la fin de la
' Dans une note des .Annales [49], VI, 370-371.
' Lettre du 3 Février 1789 [252], i32. Cf. encore le témoignage de Rousseau lui-
même, dans une Lettre à l'abbé M [aydieu] (cf. la minute à Neuchàtel [12 B]), du
14 Mars 1770, XII, 206 : « Depuis l'impression de l'Emile, je ne l'ai relu qu'une Ibis,
il y a six ans [c'est-à-dire précisément en 1764], pour corrit^er un exemplaire ».
EDITIONS REVIES SUR LES MANUSCRITS XCV
Pro/t'sxioii de foi, VAmen que Du Peyrou avait rétabli, d'après Rousseau,
et que toutes les autres éditions ont supprimé.
B. L'édition Defer de Maisonneuve (1793-1800) 17]. L'Emile v
occupe les t. IN" et V : et la Profession de foi. au t. V ( 1793 ?i les pp. 8-1 17.
En tète du t. \'. le faux-titre porte : Edition collalionnée sur les Manus-
crits originaux de l Auteur déposés au Comité d'instruction publique.
Le te.\te est cependant conforme, sauf VAmen de la fin et de menues
différences, à l'édition de Genève; mais, à la fin du t. Y, l'éditeur a
publié des Variantes, additions et correctiotis recueillies sur le Manuscrit
de l'Auteur déposé au Comité d'instruction publique de la Convention :
pp. 546-547, on trouvera, en effet, cinq variantes d'après le .Manuscrit
du Palais-Bourbon. Les deux premières n'ont pas passé dans les éditions
suivantes. — On a vu plus haut, p. lxvi. que la date de ijgS. qui se
trouve sur le titre, est très suspecte et que l'édition date vraisemblablement
de 1795.
C. L'édition Didot 1 1801) ^18". L'Emile v occupe les t. ^ 1 et ^ IL
et la Profession de foi. au t. \'U. les pp. 3-io5. La base du texte est
l'édition de Genève: il n'v a pas de variantes comme dans l'édition
précédente; mais, à plusieurs reprises, arbitrairement, et sans le signaler ',
l'éditeur a remplacé le texte de l'édition originale par la leçon du
Manuscrit. J'ai relevé ainsi douze passages où le lecteur, sans en être
averti, n'a plus sous les yeux qu'un texte rejeté par Rousseau (pp. 23.
34, 35. 3(î. 48, 84-85, 88, 89, 89-90, 91, 92, 93 notCi. Inutile de s'arrêter
longuement à cette méthode absolument fantaisiste et sans critique.
D. Lédition Petitain (1818-1S201 19 . L'Emile y occupe les t. Vlll
et IX, et la Profession de foi, au t. IX (1820), les pp. 1-125. Le texte
est celui de l'édition de Genève : mais Petitain a emprunté au .Manuscrit
du Palais-Bourbon un certain nombre de variantes (neufi, qu'on trou-
vera au bas des pages. La Préface de Petitain, au t. VIII, apportait
(pp. 3-9'. sur les éditions antérieures et sur les Manuscrits de Rousseau,
des observations judicieuses et des renseignements inexacts.
Les éditions qui ont suivi ont généralement utilisé le texte de
Petitain ; et c'est à lui, en particulier, que la vulgate de l'édition Hachette
a emprunté ses quelques Variantes. Mais toutes ces variantes, d'où
' Sans doute, dans V Avertissement, l'éditeur reconnaît volontiers « qu'il n'a pas
balancé à rétablir divers passages visiblement altérés ou tout à l'ait supprimés »; mais,
après cette déclaration générale, il s'est dispensé de toute indication particulière.
XCVI INTRODUCTION
qu'elles viennent, sont arbitrairement choisies, et ne servent qu'à donner
une fausse idée du Manuscrit du Palais-Bourbon. En dehors d'une
édition critique intégrale, comme celle que Ton trouvera ici, le seul
te\te qu'on puisse équitablement offrir au public est celui de l'édition
de Genève, à condition d'en signaler les variantes et leur origine.
8. Éditions séparées de la « Profession de foi ».
Cette édition de la Profession de foi. étant une édition séparée, je
crois devoir terminer cet aperçu bibliographique en rappelant les éditions
partielles qui ont précédé celle-ci.
A. Le \ Vicaire \ Savoyard. \ lire du livre intitulé j Emile \ de
./. J. Rousseau | is. 1. n. d.), brochure in-8, de 24 pp. (Bibliothèque
Nationale, D GSySo . Le texte commence ainsi : « C'est le Vicaire qui
parle : Oui sici toutes les religions sont bonnes et agréables à Dieu »,
et se termine par : « il faudrait que je fusse fou pour vous écouter avant
ce tems-là ». C'est donc une Profession de foi tronquée et purement
« philosophique ». comme, d'ailleurs, le Recueil d'où elle est extraite.
Cette brochure est, en effet, le tirage à part d'un des chapitres du Recueil
nécessaire. \ Leipsik, 1765, un vol. in-8 de iv-3i.S pp. Le Vicaire
Savoyard y voisine avec VAnalvse de la Religion chrétienne, par
Dumarsais. le Catéchisme de f honnête homme, le Sermon des Cinquante.
et autres tracts contre « l'Infâme ». \oltaire, qui avait fabriqué cet
« arsenal infernal » ', avait dû être fort aise de faire travailler Jean-Jacques
à la bonne cause. La Profession de foi occupe, dans ce Recueil, les
pp. 61-S6 (Archives J. J. Rousseau, O R 421.
B. Profession \ de foi j du Vicaire Savoyard. \ par ./. ./. Rousseau : |
précédée d'un | Essai sur la nécessité ! d une réforme \ religieuse. \ Deus
charitas est. | A Paris, | à la Librairie départementale , de Persan et C'"^, |
Rue Villedot, n" 4, | 1822, ] un vol. in-24, de C [.Avant propos et Intro-
duction] — 224 pp. Texte complet . (Bibliothèque Nationale, R 495901.
Extrait de Y Introduction, pp. ixxm-i.xxiv : « Le temps de railler est
passé, celui d'examiner arrive... En provoquant ces analyses, que l'in-
dépendance du siècle rend, de jour en jour, plus nécessaires, on a pnur
objet de séparer du principe religieux les absurdités qui le dégradent ».
' Mcmoires secrets, 7 Mai 1767 ^4'") '''"], III. i^^S.
EDITIONS SEPAREES • XCVII
C. Philosophie populaire ' par X'ictor Colsin, | suivie de la Pre-
mière Partie \ de la Profession de foi , du | Vicaire Savoyard, , sur
la morale et la Religion naturelle. \ Paris, j Pagnerre, Paulin, j Firmin-
Didot, I 1848, I un vol. in-! 2 de 102 pp. (Bibliothèque Nationale
R 32634). La « Première Partie » de la Profession du Vicaire, avec
les notes, occupe les pp. 25-i02.
Comme l'indiquent assez les titres seuls de ces éditions partielles,
elles étaient toutes trois destinées à la propagande philosophique ou
reliaieuse '.
1 La Correspondance littéraire de Grimm 44], VI, 33o, renferme, à la date
du 1" .\oùt 1765, le renseignement que voici : « Les ouvrages des philosophes franças
modernes ont tous pénétré dans ces contrées >n Italie], et contribué à éclairer leurs
habitants : ils en sont au point d'asoir réimprimé la Profession Je foi du Vicaire
Sai'oyard sous le titre de Catéchisme des dames de Florence ». M. .Mario Schitt", dont
on connaît les recherches bibliographiques sur Rousseau en Italie [283'"*], 6-7, 64-1)5,
met en doute l'e.xistence de cette réimpression. Il croit, avec raison, que le rédacteur
de la Correspondance a mal interprété le renseignement qui lui avait été fourni.
Il est vraisemblable que son informateur avait voulu simplement lui dire que la
Pr.ifession de foi était devenue comme le « Catéchisme des dames de Florence ».
IIP PARTIE
MÉTHODE DE LA PRÉSENTE ÉDITION
L'édition que je publie est à la lois une édition critique et une
édition historique. La richesse des matériaux qui sont venus s"offrir à
moi rendait impossible de présenter tout ensemble les rédactions
successi\es des Manuscrits, le texte de l'édition originale, les variantes
de l'édition de Genève et les longs c-ommentaires où j'essaie, en quelque
sorte, d'écrire la généalogie intellectuelle de la Profession. J'ai dû diviser
mon tra\ail. pour le rendre à la fois plus profitable et plus clair: et j'ai
dû présenter séparément ce qu'on pourrait appeler la genèse du livre et
la genèse des idées. On verra donc, tout le long de cette édition, le texte
de Rousseau sous ses deux aspects extrêmes se développer sur deux pages
parallèles. La page de gauche, purement critique, permet de suivre la
progression de l'œuvre de Rousseau, depuis les débuts que nous pouvons
atteindre jusqu'à son achèvement. La page de droite, qui est surtout
historique, reproduit l'édition originale, avec les quelques variantes de
l'édition de Genève, et fait connaître les sources de Rousseau, .le voudrais
expliquer brièvement comment j'ai conçu ces deux parties de mon
travail, et quelle espèce d'enseignement on pourra trouver dans cliacune
d'elles.
CHAPITRE I
PARTIE CRITIQUE
En ce qui concerne les .Manuscrits, dont deux, — on l'a vu — sont
de véritables brouillons, surchargés, raturés, et destinés à des transfor-
mations profondes, j'ai voulu tout à la fois fournir intégralement leurs
rédactions successives, et dégager de ce fouillis apparent un texte primitif,
arbitrairement reconstitué peut-être, mais qui permît au lecteur, dans
METHODE DE LA PRESENTE EDITION XCIX
l'état actuel des documents, d'apercevoir le point de départ, d'où, par
une série d'étapes contrôlables, Rousseau est arrivé à son texte définitif.
Sous le titre de Rédactions Manuscrites, je donne donc le plus
ancien texte cohérent et complet que nous puissions aujourd'hui atteindre :
c'est-à-dire que. si. derrière les ratures, je puis distinguer un texte intelli-
gible, achevé et grammaticalement correct, c'est celui-là que je présente
d'abord. Le plus souvent ce texte est fourni par le .Manuscrit Favre.
Pour quelques pages très importantes, on peut, comme je l'ai indiqué,
atteindre un texte plus ancien, les 5^ et i')'^ Lettres à Sop/iie: mais,
comme il est impossible de faire sur ces brouillons le départ de ce qui
a été adressé à Sophie et de ce qui a été retouché ou ajouté en vue de
la Profession, je ne pouxais substituer ce texte à celui du Manuscrit
Favre, et j'ai dû le rejeter aux Appendices. Le .Manuscrit F"avre est un
.Manuscrit complet, c'esi-à-dire qu'il ne lui manque aucun feuillet:
mais, par rapport au texte de l'édition originale, il offre bien des lacunes :
lacunes souvent peu considérables, d'une phrase ou deux, qui laissent
intacte la phvsionomie d'un développement ; ces lacunes sont alors
respectées dans le texte suivi que j'essaie de reconstituer, laissant aux
notes le soin d'apprendre au lecteur dans quel .Manuscrit il trouvera la
ou les phrases manquantes. Quand les lacunes sont plus importantes,
quand il manque des paragraphes ou des développements entiers, j'ai
rétabli dans le texte ces paragraphes et développements, en me servant
du .Manuscrit où ils apparaissent pour la première fois. Outre les indi-
cations marginales qui font connaître ces changements de .Manuscrits,
la différence des caractères permettra facilement de distinguer ces diffé-
rents apports, et d'en dégager, au premier coup d'œil, le texte primitif.
A l'aide de signes, dont on trouvera plus loin le tableau, j'indique dans
l'intérieur même de ce texte les mots et phrases barrés, ajoutés, ou repris
après avoir été barrés. On trouvera dans les notes, — avec les indications
de Rousseau étrangères au texte, — les mots inachevés, les premiers
jets interrompus, comme aussi les mots ou phrases substitués à ceux
qu'il a barrés.
On aura ainsi devant soi un texte un et cohérent, qui offrira partout
la plus ancienne rédaction saisissable. mais qui sera, je ne me le dissi-
mule pas, composite et arbitraire. .Xon seulement il groupera en un
tout des rédactions empruntées à des .Manuscrits différents, mais, dans
l'intérieur d'un même .Manuscrit, si l'on peut ainsi parler, il laissera sur
le même plan des rédactions d'époques différentes, des phrases du
premier jet, qui ont été barrées, à côté de phrases qui ont été ajoutées
C INTRODUCTION
lors d'une revision postérieure. Enfin il semblera mettre au compte
di Rousseau des formules malheureuses, qu'il a été le premier à sup-
primer aussitôt écrites. Ce serait évidemment trahir l'écrivain et le
philosophe que de présenter ce te.xte comme ayant, à un moment quel-
conque de la composition, traduit sa véritable pensée. jMais ces incon-
vénients disparaissent, si l'on prend ce texte pour ce qu'il \eut être,
pour un instrument de travail, qui permettra à un lecteur avisé d'assister
à la genèse d'une œuvre de première importance: car la disposition du
texte est telle, que chaque phrase et, pour ainsi dire, chaque mot portent
avec eux leur histoire, comme si on les lisait sur les Manuscrits mêmes.
Ainsi ce texte est composite et arbitraire, sans doute; mais il montre
lui-même comment on l'a composé, et fournit le moyen d'en établir un
autre, si l'établissement de celui-ci ne paraissait pas justifié.
Voulant donner intégralement les variantes des différentes rédactions
OLi copies, et les donner dans leur succession chronologique, sans toute-
fois grossir démesurément l'appareil critique, \oici comment j'ai procédé.
Les Manuscrits ont été classés dans l'ordre de dépendance réciproque
que j'ai exposé plus haut, et qui est. sauf pour le texte envové à .Moultoti.
l'ordre chronologique. (Chaque Manuscrit a été désigné par Line lettre
qui rappelât l'une de ses principales particularités et qui kii constituât,
en quelque sorte, une phvsionomie facilement reconnaissablc : F,
.Manuscrit de M. Léopold Favre : B, « BroLiillon » dLi Palais-Bourbon ;
M, Copie envovée à Moultou : I, Copie destinée à l'Impression. ,\insi
classées, chacune de ces rédactions ou copies n'a été examinée que par
rapport à la précédente, et j'ai pris comme principe que toute correc-
tion ou addition faite dans l'une de ces rédactions était considéiée
comme a\ant passé dans la suivante. Je suppose, par exemple, que
Rousseau ait écrit dans F une phrase qu'il ait ensuite barrée. La dis-
position du texte permettra de s'en rendre compte. Si cette phrase
manque dans B, comme il arrive le plus souvent, l'appareil critique
n'enregistrera pas ce manque; il notera, au contraire, le cas beaucoup
plus rare où Rousseau serait revenu à son texte primitif. De inème pour
les [additions : leur passage de F en B, puis en M, ne sera pas signalé.
tandis [que leur disparition éventuelle le sera. Seul le .Manuscrit I,
c'est-à-dire celui qui a servi à l'impression, a été examiné, non par
rapport à M, mais par rapport à l'édition originale, dont il ne difiere
que rarement: en sorte que l'appareil critique enregistrera pour I, non
les modifications que cette dernière copie apporte aux rédactions précé-
dentes, mais simplement les légères variantes où elle s'écarte dii texte
r
METHODE DE LA PRESENTE EDITION CI
imprimé el les lacunes qu'elle présente par rapport à lui. Ainsi les notes
se trouveront très allégées, tout en permettant de reconstituer toutes les
étapes du développement.
Le spectacle de ce texte en formation pourra nous apporter des
renseignements précieux sur le dessein de Rousseau dans la Profession.
sur sa psvchologie d'écrivain et sur les procédés de son art. On a déjà
vu ce que ces différents .Manuscrits, rapprochés l'un de l'autre, pouvaient
nous apprendre sur la composition de l'œuvre, sur l'évolution philoso-
phique et religieuse de Rousseau durant les années où la Profession
lie foi est restée en chantier. Dans le détail, ils nous réservent bien des
confidences. Leurs phrases plus spontanées, où l'angoisse de la recherche
et l'allégresse de la victoire se manifestent plus ingénùmeni, mettent
davantage en valeur l'importance du drame intime qui se joue derrière
le discours du \'icaire: et. pour emplover précisément une formule qu'ils
nous ont conservée, ils nous font sentir que ce qui est ici en question
pour Jean-Jacques c'est « le repos, l'espoir et la consolation de sa vie » '.
La rédaction définitive a perdu certaines vivacités de dialogue -. où
passait l'ardeur de la dispute ; disparus aussi les hvmnes fervents en
l'honneur de la « \'érité sainte ». entonnés par le pèlerin sous le porche
du « sanctuaire » *. ou les cris de triomphe qu'arrache la certitude enfin
conquise : « \oyez. disait Jean-Jacques, quelles grandes découvertes j'ai
faites! ... \'ovez que d'importantes conséquences suivent ma première
découverte » * ! Dans ces naïves exclamations, on sent la joie d'un
homme qui cherche à s'assurer « le vrai prix de la vie » ^ et qui l'a
conquis. La Profession de foi abonde en redites : scrupules d'une
honnête et candide intelligence, qui craint toujours de ne pas « s'entendre
elle-même » et de « faire du galimatias » ''; retours en arrière d'une àme
inquiète, hantée par certains problèmes, qu'elle ne croit jamais avoir
assez résolus. Les Manuscrits, que l'auteur n'a pas encore ébranchés,
nous révèlent cet état d'esprit presque maladif : l'argumentation sur les
qualités essentielles à la matière y reparait comme un refrain, j'allais
dire : comme une idée fixe ". Ils nous permettent aussi de mieux
' Cf. dans la présente édition, p. 5S.
■' Id., 178.
' Id., 238-240.
* Id.. 184, 204.
5 Id.. 33.
« Id., 188.
^ Id., c^•cp. loo-ioi, 112-113. 114, 170.
cil INTRODUCTION
comprendre les inceriitudcs et les illogismes de la pensée de Rousseau.
Tel passage, dont la place nous surprend, n'est \enu. en elt'et. l'occuper
qu'après avoir figuré ailleurs dans une rédaction plus ancienne ^. Cette
idée, qui semble mal s'adapter à sa voisine, représente, en effet, une
surcharge très postérieure. L'exemplaire le plus caractéristique, à ce point
de vue. est la petite dissertation du X'icaire sur l'inimortalité de l'âme et
les peines éternelles. Tous les svsièmes et tous les sentiments s'y trouvent
mêlés : la révolte et l'humilité, l'intransigeance rationaliste et la résigna-
tion pieuse, la pitié humanitaire et l'individualisme égoi'ste, l'Evangile
et Morellv, Descartes et les Psaumes, Malebranche et Marie Huber ^.
Les .Manuscrits nous rendent sensibles ces apports disparates, résidus
accumulés et imparfaitement fondus de lectures et d'émotions diverses
pendant trois ou quatre années. Souvent aussi, une formule de premier
jet nous livre la pensée propre de Jean-.Iacques. et nous montre l'effort
qu'il doit s'imposer pour intellectualiser ses sentiments, pour présenter
en un corps de doctrine modérée ce qui est avant tout chez lui instinct
et impulsivité. Précisément, dans cette discussion sur les sanctions
ultra-terrestres, on voit, grâce aux .Manuscrits, Jean-Jacques se rebeller,
comme « philosophe ». contre les peines éternelles, mais accepter sans
trop de scrupules un « enfer » pour les « .Méchants », en homme qui a
souffert par eux : « Que m'importe ce que deviendront les méchants,
s'écrie le V'icaire! je ne prends aucun intérêt à leur sort ». A la réflexion,
il se contentera d'v « prendre peu d'intérêt » ■'■. mais l'espérance secrète
s'est trahie, et se trahit, de nouveau, un peu plus loin : « le méchant
seul veut le mal et le prémédite, le méchant seul sera puni » '. .Ailleurs
encore, Rousseau supprimera un aveu peut-être imprudent : « n'est-on
pas payé du bien qu'on a fait sitôt qu'il est \u? il ne nous manque, pour
être justes, que d'être toujours regardés » ^ ; il atténuera ses ironies contre
la « philosophie » contemporaine, « la plus sotte et la plus présomptueuse
de toutes celles qui ont encore existé » ''. .Mais, quelque importantes que
puissent être ces retouches de sentiment et de pensée, les plus nombreuses
• Cf. le morcellement de l,i discussion sur les .Tttributs de Dieu, pp. 1^4-1.12
et 224-229 de cette édition.
■ Cf. d.Tns la présente édition, pp. iqq-219, et les notes 3 de la p. 201. et de
lii p. 21g.
" Id., 214 et note fi.
■' Id., 286.
s Id.. 284.
" Id., 234-236.
METHODE DE LA PRESENTE EDITION' CIII
sont des retouches dart. J'ai dit. dans une autre étude ', quel était, à
ce point de vue. l'intérêt des Manuscrits de Rousseau. Ceux de la
Profession de foi. moins significatifs, sans doute, que ceux de la Julie.
apportent cependant un témoignage analogue. On pourrait, avec eux,
composer tout un dictionnaire des svnonymes. Que de fois nous voyons
Jean-Jacques hésiter entre « pompe » et « magnificence ». entre « honorer»
et « vénérer ». entre « admirer », « observer » et « remarquer » -, etc.
Certains textes de la Profession sont même privilégiés, parce que les
Manuscrits qui nous restent nous en conservent, semble-t-il, tous les
états successifs : par exemple, le .lever du soleil sur la plaine du Pô,
l'apostrophe à Helvetius, le morceau sur « la beauté de l'Évangile » •'.
Ce dernier surtout mérite notre attention, car nous pouvons assister à
sa naissance dans une note marginale, et en suivre l'élargissement et
l'orchestration progressi\e jusqu'au texte de la dernière rédaction, si
savant, si équilibré, si artiste, et pourtant si ému.
CHAPITRE II
PARTIE HISTORIQUE
il V a tant d'atlirmations, et de tant de sortes, dans la Profession
de foi. qu'un commentaire, qui voudrait essaver d'en faire la critique,
constituerait une xéritable encyclopédie, où le théologien, l'exégète, le
métaphysicien, le psvchologue. le physicien, le naturaliste, le chimiste,
et même l'alchimiste, devraient s'entr'aider. .. et peut-être se nuire. Outre
que les dimensions de ce volume ne me le permettaient guère, il eût été
pour moi aussi périlleux qu'impertinent de vouloir jouer tous ces rôles
à la fois. Mon commentaîre est donc strictement historique : et les
quelques remarques grammaticales ou linguistiques, que j'ai cru devoir
présenter, sont toutes conçues de ce point de vue. Il fallait d'abord
retrouver les textes auxquels Rousseau fait allusion par des on dit.
ou toute autre formule imprécise, et qui sont empruntés le plus
' Comment connaître .lean-Jacques 291J, 881-882.
' Cf. dans la présente édition, pp. 34, note 19, i32, note 6, i5-), note 10, etc.
» Id., 32-34. i-'i4-!5«, 398-415.
CIV INTRODUCTION
souvent aux ouvrages « philosophiques », qu'il réfute. Je crois être
parvenu à identifier presque toutes ces citations dissimulées '. On verra
qLic Rousseau, dans ses ripostes, ne vise pas seulement des ouvrages
imprimés : il répond aussi à des ouvrages manuscrits, qui circulaient
sous le manteau, et qui ne devaient être publiés qu'après la Profession,
mais que des lecteurs avertis pouvaient reconnaître au passage. De ces
œuvres audacieuses qu'il avait lues et méditées, l'une d'elles. VExamen
de la Religion [ijS], se trouve encore parmi ses papiers 7 ; il en lisait
d'autres, comme la Lettre de Tlirasybule à Leucippe 189 , au moment
où il critiquait la Profession, et nous en vovons aujourd'hui les extraits
dans ses cahiers de brouillons. Les rapprochements qu'on trouvera dans
le commentaire attesteront de même qu'il avait, sans doute, lu en
manuscrit Le Militaire philosophe [i3o'^'^, l'Examen critique des
Apologistes [i35], le Despotisme oriental 233], Le Christianisme
dévoilé 234], peut-être même Le Système de la Xatiire [248'^"*]. Ainsi
la Profession de foi nous apparaîtra comme une a'U\re dont l'actualité
anticipe l'avenir, et qui attaque, derrière la « philosophie » du jour, le
« philosophisme » du lendemain.
J'ai essayé, en outre, de retrouver les origines de la science et de
l'érudition de Rousseau : on connaîtra les livres, illustres ou inconnus,
qui ont alimenté sa mémoire, Montaigne, Bayle, Basnage, Lami, Calmet,
Vcrnet. Beausobre et tant d'autres: et l'on remarquera que, si VEncyclo-
pédie lui a appris bien des choses, il a gardé comme encvclopédie porta-
tive celle qu'il avait pratiquée dès les Charmettes, Saint-.'\ubin et son
Traité de l opinion ,141] "■
On verra aussi quelles sont parfois les occasions biographiques, si
l'on peut ainsi parler, qui ont mis en branle sa sensibilité ou enrichi son
vocabulaire. C'est, par exemple, dans les Lettres c? itiques de \'ernet, qui
lui avaient été envoyées par Rey, qu'il a trouvé, presque en dernière
heure, et le mot de « philosophiste ». et une nouvelle ardeur pour
combattre la «philosophie»-^. Comme il arrive souvent chez Rousseau,
' J'.ii échoué pour l'une d'elles, comme on s'en rendra compte en lisant la note 2
de la p. ii3. « Quand on me dit, s'écrie le Vicaire, que le mouvement ne lui est pas
essentiel [à la matière], mais nécessaire, on veut me donner le change par des mots
qui seroient plus aisés à réfuter, s'ils avoient un peu plus de sens ». Cette formule
semblerait indiquer que Rousseau a en vue un texte précis. Je n'ai pas su le retrouver.
' Sur cette influence de Saint-.\ubin, cf. mon article Sur les sources de Rousseau
[292], 640-641.
' Cf., dans la présente édition, p. 537.
METHODE DE LA PRESENTE EDITION' CV
le texte de la Profession contient des allusions qui ne pouvaient être
comprises que d"un très petit nombre ; la boutade un peu étrange :
« Qu'un moine nie un dépôt ! Que s"ensuit-il, sinon qu'un sot le lui avait
confié »? — est une réponse directe à une Lettre de .M. d'OftVeville '.
Le commentaire replace dans la vie ces formules générales.
Le reste des notes est fourni par les textes qui éclairent celui de
Rousseau, et. en quelque sorte, le commentent. Sauf les remarques de
^'oltaire. trop caractéristiques pour être négligées, sauf quelques autres
exceptions très rares, qui, je crois, peuvent également se justifier, —
tous ces textes sont antérieurs à la Pi'ofession de foi, ou, tout au moins,
ses contemporains. La plupart ont été certainement lus par Rousseau,
comme on pourra s'en assurer en e.xaminant les références que j'ai
apportées dans la 1 11^ Partie de la Bibliographie : les autres ont pu être
lus par lui : mais, quand bien même ils ne l'auraient pas été, ils ont
contribué à former l'atmosphère intellectuelle et morale où s'est mûrie
la pensée de Rousseau. Ces différents textes constituent donc ce que l'on
pourrait appeler les «sources» de Rousseau, à condition de prendre ce mot
au sens large, et de ne point voir, dans tous les rapprochements que je
présente, des influences directes, à plus forte raison, des « plagiats ».
comme disait l'incivil Cajot, — il v en a pourtant quelques-uns, — mais
plutôt des influences enveloppantes, des parentés qui permettront de
suivre, à travers le X\'II1<= siècle, la généalogie d'une doctrine. L'expé-
rience est décisive, il me semble, pour la Profession de foi. On s'aper-
cevra, en achevant la lecture du commentaire, qu'il n'v a guère une idée
formulée par le Vicaire qui n'eût été formulée avant lui ; que, depuis la
théorie du jugement jusqu'au parallèle de Socrate et de Jésus, depuis
l'exaltation de la Conscience jusqu'au réquisitoire contre les « philoso-
phistes ». tout avait été dit et redit par les moralistes ou les apologistes
antérieurs, et que la seule originalité de la Profession, d'ailleurs si
originale, réside dans l'accent et dans l'élan qui emporte le tout. Le
commentaire vérifie, par là même, la si juste intuition de Mme de
Staël : « il n'a rien découvert, mais il a tout enflammé » -.
' Id., p. 538.
' De La Littérature, I. 20 [71 ^^1, IV. 392.
S*
CVI INTRODUCTION
CHAPITRE III
EXPLICATIONS PRÉLIMINAIRES ET SIGNES CONVENTIONNELS
Pour rendre intelligibles tous les documents que j'ai ramassés dans
cette édition, et les laisser parler eux-mêmes,' sans les entourer perpé-
tuellement d'explications fastidieuses, j'ai dû multiplier les signes
conventionnels et les procédés graphiques. Ils ont une valeur dilférente
suivant l'endroit où ils sont emplovés. En voici le tableau :
I. Côté de r « Edition originale ».
Le texte de l'édition originale a été reprodtiit scrupuleusement.
Seules, les fautes d'impression, signalées ou non par Rousseau, ont été
corrigées; mais le lecteur en a été averti, sauf quand ces fautes, pure-
ment tvpographiques, se corrigeaient d'elles-mêmes; ainsi : devoir pour
devait i, pourtanr pour pourtant '-. Dans l'intérieur de ce texte, la
ponctuation, les guillemets, les capitales, les caractères italiques sont
conformes à l'original. Pour permettre de s'orienter plus facilement
dans l'argumentation du Vicaire, j'ai divisé son discours en parties et
en développements, et j'ai placé dans des cartouches les litres que j'ai
cru pouvoir donner à chacun d'eux.
Les notes sont de trois sortes :
ai les noies de Roiisseiiii. Elles sont rattachées au texte, comme dans
l'original, par un astérisque i*).
h) les notes critiques. Elles sont peu nombreuses, et rattachées au
texte par des lettres minuscules, a, b, c, etc. — Elles signalent les fautes
d'impression de l'édition originale qui n'ont pas été reproduites dans
celle-ci, les leçons nouvelles de l'exemplaire corrigé, qui sont devenues,
presque toutes, les leçons de l'édition de Genève, publiée par les soins
' P. 94 de l'édition originale. 225 de la présente édition.
' P. 19S, note, de l'édition originale, 455 de la présente édition.
METHODE DE LA PRESENTE EDITION CVII
de Du Pe\rou en 1780-1782 i5 . L'exemplaire Corrigé est indiqué dans
ces notes par la lettre C; l'édition Du Peyrou par la lettre D.
ICI les notes liixtoriques. Ce sont de beaucoup les plus nombreuses
et les plus importantes : elles sont rattachées au texte par des chiffres
arabes, /. 2. 3, etc. — Dans ces notes, les caractères italiques ont été
emplovés conformément aux habitudes courantes, soit pour attirer
l'attention sur un passage important, soit pour isoler le titre d'un
ouvrage ou d'un recueil. Dans tous les textes cités, qu'ils aient été
pris dans des livres imprimés ou dans des manuscrits autographes,
l'orthographe originale n'a pas été respectée : elle a été partout uni-
formisée et modernisée. Enfin, pour alléger les notes, le titre des ouvrages
cités a été réduit au minimum : les chiffres entre crochets renvoient au
numéro de la Bibliographie sous lequel le texte ou le livre utilisé a
son signalement détaillé. Le chiffre romain qui vient après les crochets
désigne, sauf indication contraire, le tome, et le chiffre suivant la page
ou le folio 1.
2. Côté des « Rédactions Manuscrites ».
J'ai exposé plus haut les principes d'après lesquels j'avais cru pouvoir
reconstituer ce texte dit des « Rédactions manuscrites ». Il me reste à
dire ici comment je l'ai transcrit.
Les deux brouillons auxquels il est le plus souvent emprunté n'ont
qu'une ponctuation rudimentaire. J'aurais pu me mettre à l'aise avec
elle, en me rappelant la permission de Rousseau à Néaulme : « A
l'égard des virgules, mettez-en tant qu'il vous plaira: je vous les aban-
donne, puisque cela vous fait plaisir » -. Mais j'ai préféré la respecter
partout, sauf à la fin des phrases, où j'ai introduit le point chaque fois
qu'il manquait. De même j'ai donné une majuscule initiale au premier
mot de chaque phrase. Je n'ai pas conservé les abréviations familières
à Rousseau : pr pour premier, h : pour homme, m pour même, ce pour
comme, q barré pour qui, etc. J'ai développé tous ces sigles.
Pour l'orthographe, j'ai longtemps hésité. Tout uniformiser et moder-
niser, c'était enlexer à ces textes leur ph\sionomie propre, d'autant plus
nécessaire à conserver qu'il s'agissait de brouillons. Adopier, comme l'a
' Cf. encore le Xota-Bene qui se trouve à la première paj,'e du texte.
■ Lettre du 29 janvier 1762 40 '"- , 109.
CVIII INTRODUCTION
fait iM. Théophile Dufour pour La Première Rédaelion des « Confes-
sions » 38\ lorthographc du Dictionnaire de l'Académie française.
édilion de 1762, eût pu paraître tentant pour Line œuvre qui a précisé-
ment paru en 1762 : mais c'eût été supprimer, arbitrairement semble-t-il,
certaines graphies particulières à Rousseau, comme religion, degré, etc.
i,a même objection eût été valable, si j'avais emprunté l'orthographe de
l'édition originale. Restait donc l'orthographe des Manuscrits. 11 va
sans dire qu'elle n'est pas constante : elle n'est pas la même dans un
brouillon rapide comme le Manuscrit Favre et dans une copie à main
reposée, comme celle qu'il destinait à l'impression. 11 y a plus : dans un
même .Manuscrit, sur la même page, on trouve des orthographes différentes :
premier et premier, religion et religion, indifférence et indifférence, etc.
On pourrait peut-être admettre que, de ces deux orthographes, la plus
simplifiée n'est due qu'à une négligence de Rousseau, et se croire en droit
de rétablir partout l'orthographe la plus compliquée. Mais il est des cas
où visiblement l'orthographe de Rousseau est incertaine. 11 écrit, par
exemple, à quelques lignes d'intervalle, Neiiion et Newton ^: dans la copie
pour l'impression, sur la même page, essentiel et essenciel-, etc. J"ai donc
cru devoir garder purement et simplement l'orthographe des .Manuscrits
que je transcrivais, avec ses bizarreries et ses incohérences ^. Les philo-
logues pourront v trouver des indications utiles. Les lecteurs devront
seulement se rappeler que ces différentes graphies n'ont pas toutes la
même valeur pour représenter la véritable orthographe de Rousseau,
et qu'ils n'ont pas sous les yeux tous les spécimens de sa fantaisie
orthographique, car, si j'ai conservé dans les notes comme dans le texte,
pour chaque mot ou chaque phrase, l'orthographe du .Manuscrit
auquel je les empruntais, j'ai négligé les variantes de pure orthographe
entre les différents Manuscrits.
Pour faciliter l'intelligence du texte et des notes, j'ai adopté la
disposition duivante :
1 Texte. J'ai considéré les notes de Rousseau comme faisant partie
du texte. Elles sont imprimées en caractères du même corps. L'ne ligne
horizontale les sépare du texte principal, et un astérisque (*) les rattache
' Cf., dans 1,1 présente édition, p. 106.
- I, f" afiQ (correspond aux pp. -([4-416 de cette éditioni.
' Pour les accents, je les ai pareillement respectés ; mais, dans plusieurs passages
très raturés, où l'écriture est très rapide et les lettres inachevées, il est souvent difficile
de décider si tel accent est aifiu ou grave.
MÉTHODE DE LA PRÉSENTE EDITION CIX
à la phrase dont elles dépendent. Mais texte et notes de Rousseau, s'ils
ne se trouvent pas dans le plus ancien manuscrit intégral, c'est-à-dire
dans le Manuscrit Favre, sont imprimés en plus petits caractères, pour
permettre de reconstituer plus facilement Tensemhle primitif. Dans Tune
et l'autre partie de ce texte, les différentes espèces de caractères et de
signes ont reçu les valeurs suivantes :
(Caractères romains : ce qui a passé dans l'édition originale.
Caractères gras : ce qui n'a pas passé dans l'édition originale.
Lettres italiques : ce qui est souligné par Rousseau.
PETITES CAPITALES : lettres, fragments de mots, ou mots man-
quant et suppléés.
Grandes parenthèses ( ) : développement barré: phrase ou membre
de phrase barrés, à l'intérieur desquels
d'autres mots ont été barrés.
Grands crochets [ ] : développement ajouté en marge, dans
l'interligne, ou au verso du folio précé-
dent ; phrase ou membre de phrase
ajoutés, à l'intérieur desquels d'autres
mots ont été ajoutés ou corrigés.
Petites parenthèses .Mots ou phrases barrés.
Petits crochets .Mots ou phrases ajoutés en marge, dans
l'interligne, ou en surcharge.
Guillemets « » : .Mots barrés, puis repris.
11 Notes. Sauf celles de Rousseau, que j'ai assimilées au texte et
qui sont marquées d'un astérisque, elles sont de trois sortes :
a) Les notes qui donnent des renseignements sur certaines particu-
larités intéressantes des Manuscrits (signes, renvois, indications margi-
nales, etc.) : elles sont désignées par une croix simple, double, ou même
triple : t, t et ^=.
bl Les variantes des différents .Manuscrits : elles sont désignées par
des chiffres arabes. /, 2. 3. placés en tète des mots auxquels elles se
rapportent.
Cl Les notes accessoires, dépendant des précédentes et destinées à les
alléger : elles sont désignées par des lettres minuscules, a, b, c. etc.
Dans ces trois sortes de notes, les différentes espèces de caractères
et de signes n'ont pas toutes reçu la même valeur que dans le texte :
et d'autres signes ont été introduits :
ex
INTRODUCTION
Caractères romains :
\'ariantcs des différents manuscrits, qu'elles
aient passé ou non dans l'édition ori-
Lettres italiques :
PETITES CAPITALES \
Grandes et petites pa- !
Mes remarques et explications.
renthèses
Grands et petits crochets
Guillemets
Crochets ait;us < > :
Points
Même valeur que dans le texte.
Mots ou phrases que les rédactions posté-
rieures à celle qui est donnée dans le
texte n'ont pas conservés.
ai à l'intérieur de crochets aigus, pour
tenir lieu des mots ou phrases qu'il est
inutile de reproduire.
bi à l'intérieur des autres crochets et pa-
renthèses, pour séparer les variantes
successives.
Dans toutes ces notes, comme dans les marines du texte, les différents
Manuscrits, qui ont été décrits plus haut, sont désignés par des capitales
grasses :
H Copie de la Nouvelle Hdloïse (Bibliothèque de la Chambre des
Députés. Mss 1496).
N ('.allier de Neiiclid/el (Bibliothèque de Neuchàtcl. n" 7842).
F ManiiscritFavre [B'ibWothèquc de M. Léopold Favre, à Genève).
B « Brouillon » du Palais-Bourbon (Bibliothèque de la Chambre
des Députés, Mss 1428 1.
M Copie envoyée à "iHoultou (Bibliothèque de Genève, M. f. 2241.
I Copie envoyée à l'Impression 1 Bibliothèque de Genève, M. f. 2o5).
PROFESSION DE FOI
DU VICAIRE SAVOYARD
PROFESSION DE FOI
DU VICAIRE SAVOYARD
Publiée sur une copie écrite de la
main de J. J. ROUSSEAU, Citoyen
de Genève
et déposée par lui-même entre les
mains de l'Editeur.
[C'est le titre fourni par Rousseau lui-même à Moultou,
en cas de publication séparée : cf. Introduction, 11"^ Partie, Chap. [, § j]-
LA PROFESSION DE FOI DU VICAIRE SAVOYARD
REDACTIONS MANUSCRITES
PROLOGUE.
1. Le Prosélyte et le Vicaire.
F, f" 154 ^° l II V a trente ans ['passés que dans une ville d'Italie, un
jeune homme expatrié se - trouvoit réduit à la dernière misère.
II ètoit protestant, mais par 'la suite d'une (première) ètourderie
se trouvant 'en pa\s étranger ^sans aucune '-'ressource il changea
de religion pour avoir du pain. Il \' avoit dans cette ville un
hospice pour les nouveaux convertis. Il v fut (" receu à ce titre).
En l'instruisant sur la controverse on lui "^apprenoit le mal qu'il
ne savoit (^ pas) ["encore et des horreurs qu'il n'auroit jamais du
J/.-S- — ■^'"'' ''' méthode adoptée dans ces notes, cf. Introduction,
ni' Partie, Chap. III, § 2.
' B. (passés).
-' I. trouvoit.
^ B. l(a) [es] suite [s].
■• B. fugitif.
^ M. sans amis.
" B. sans ressources.
' [admis].
* B. donna des doutes qu'il n'avoit pas et on lui apprit le mal qu'il ignoroit.
" [point].
'" B. < encore .... savoir >.
t Ici, en marge, une note inutilisée pour le portrait du Vicaire :
quoique catholique et prêtre, il aimoit les bons livres des protestans : il
lisoit Clarke, Addison, Abbadie.
LÀ PROFESSION DE FOI DU VICAIRE SAVOYARD
TEXTE DE l'Édition originale
EMILE OU DE L'ÉDUCATION
SUITE DI I,I\RE QUATRIÈME
PROLOGUE \
1. Le Prosélyte et le Vicaire.
[1]
L V a trente ans - que dans une ville d'Italie, un jeune
homme expatrié se voyoit réduit à la dernière misère •'.
Il étoit né Calviniste; mais par les suites d"une étour-
J/.-^. — Sur la méthode adoptée dans les notes et sur les éditions
auxquelles ont été empruntés les textes qui s'y trouvent cités, cf. Introduction,
III'' Partie, Chap. III, S /, et la Liste bibliographique à la fin de ce volume. — Les
chiffres entre crochets dans les marges sont les chiffres des pages de l'édition
originale. C'est d'après cette pagination que les notes ont été numérotées (une
série par page), et que les différents passages de la Profession, qui poui'aient
s'éclairer l'un par l'autre, ont été rapprochés.
' On sait que la Profession de foi est introduite dans le IV' Livre d'Emile,
au moment où se pose pour l'adolescent le problème de la croyance religieuse :
« A quelle secte, se demande Rousseau, agrégerons-nous l'homme de la Nature »?
l£t il répond : « Au lieu de vous dire ici de mon chef ce que ie pense, ie vous diiai
ce que pensait un homme qui valait mieux que moi. Je garantis la vérité des faits
qui vont être rapportés, ils sont réellement arrivés à l'auteur du papier que je vaif
transcrire : c'est à vous de voir si l'on peut en tirer des réflexions utiles sur le su)et
dont il s'agit. Je ne vous propose point le sentiment d'un autre ou le mien pour
règle: je vous l'offre à examiner ». C'est alors que commence le récit : « Il y a trente
ans », etc. Les lignes qui précèdent semblent en garantir l'authenticité, et en faire
comme un fragment anticipé des Confessions. On en trouvera effectivement le
commentaire aux 11' et III' Livres, VIII, 40-71. J'ai essayé de montrer dans Vlntro-
duction, V Partie, Chap. II, § 2, quel travail d'idéalisation Rousseau avait fait subir à
ses souvenirs. Je me contenterai dans ces notes du Prologue, de fournir les références
et les rectifications de détail.
' C'est le premier texte de Rousseau, et celui auquel il s'est finalement arrêté.
Dans l'intervalle, il avait ajouté une précision : «. trente ans passés ». Si l'on se
rappelle que l'arrivée à Turin est du printemps 1728, le texte définitif ne se trouve,
en toute rigueur, exact, que si l'on suppose pour l'Emile, comme j'ai essayé de le
montrer, une première rédaction d'ensemble en 1758.
' C'était strictement vrai; cf Confessions. VIII, 41 : « J'arrive à Turin, sans
4 REDACTIONS MANUSCRITES
savoir!. Il entendit des dogmes nouveaux ' et des mœurs encore
plus nouvelles. ((Le malheureux faillit être victime de son inno-
cence et] " DE la corruption ' des ministres de l'éternel). Il étoit
encore dans cette époque heureuse que je (^ m'efforce de) prolonger
pour mon Emile, j Sa timide innocence ignoroit (encore) et les
desordres communs à son âge et la dépravation ■ non moins familière
dans les climats qu'il habitoit). '• Il les vit et faillit en être la victime.
Il voulut tuir ('il etoit retenu; ^^il voulut se plaindre) ses plaintes
[^n'émouvoientj personne. i"Il ("vit) bientôt qu'elles ne ('-îaisoient
qu'augmenter '^sa misère sans le dérober au danger "qui le me-
naçoit). A la « merci » de ses t\Tans il se \'it traitter ('-^ comme
un) criminel pour n'avoir pas voulu céder au crime. Que ceux
qui savent combien la première épreuve de "' la \iolence et de
l'injustice révolte un jeune (" homme) ^^ sans expérience se figurent
l'état du sien, des larmes de rage couloient de ses yeux l'indi-
' B. (à sa rais(in), il vit des mœurs encore plus nouvelles : il les vit.
- et la corruption (sic).
" [de ses instituteurs].
■• [cherche à].
" [(plus)].
''■ (et l*vré presque à leurs attentats sans protecteur et sans deffense).
' [il fut... on le retint... retenoit]. — B. on l'enferma.
" [« il se •» plaignit, on le punit de].
'■' (ne communiquoient à). — B. < n'émouvoient... menaçoit >.
'" (l'indignation dont il etoit enflamé.... Temotion qui l'agitoit.... la colère
s'empara).
" [comprit].
'- [servoient ?]
" [ses mau.x... qu'a aggraver ? ses chaînes et ne le tireroient point d'embarras].
'* (dont il ne).
•= [en].
'° B. (l'injustice) de la violence et de l'injustice irritent (sic).
'" [cœur].
'* M. < sans expérience >.
t Ici, en marge, une note inutilisée, qui, sans doute, était destinée
au portrait du Vicaire : Vérité — il l'aime et il ose la dire. Il ne
s'estimeroit point malheureux de souffrir pour elle.
EDITION ORIGINALE 5
» derie *, se trouvant fugitif, en pays étranger, sans ressource, il
» changea de religion pour avoir du pain '■'. Il y avoit dans celte ville
» un hospice pour les | Prosélites (^), il y fut admis i. En l'instruisant [2]
» sur la controverse, on lui donna des doutes qu'il n'avoit pas -, & on
» lui apprit le mal qu'il ignoroit : il entendit des dogmes nouveaux,
» il vit des mœurs encore plus nouvelles '; il les vit, & faillit en être
» la victime *. 11 voulut fuir, on l'enferma: il se plaignit, on le punit
» de ses plaintes; à la merci de ses tirans, il se vit traiter en criminel
» pour n'avoir pas voulu céder au crime. Que ceux qui savent combien
» la première épreuve de la violence & de l'injustice irrite un jeune
» cœur sans expérience '". se figurent l'état du sien. Des larmes de rage
(a| C, D : Prosélytes.
habits, sans argent, sans linge ». La formule de la Profession est cependant
équivoque, car elle invite le lecteur à penser que Rousseau ne se résigna à entrer
à l'hospice que pour « avoir du pain ». Mais l'hospice était le seul but de son
vovage. et il s'était « soumis » aux conditions qui lui avaient été faites « sans
beaucoup de répugnance ». Aussi, arrivé à destination, sans attendre la faim, il avait
été droit où « ceux qui prenaient soin de lui » l'envoyaient : « J'avais des lettres,
je les portai, et tout de suite je fus mené à l'hospice », Confessions, VIII, 41.
' Le soir du dimanche 14 Mars 1728, le jeune Jean-Jacques, qui avait vagabondé
dans la campagne genevoise, trouva les portes de la ville fermées, et prit la résolution
de n'y plus rentrer le lendemain.
* Confessions, VIII, 41 : « La religion pour laquelle on me vendait ma sub-
sistance ».
' L'hospice du San-Spirito. On trouvera dans V Introduction le texte du registre
de l'hospice concernant Rousseau. Entré le 12 Avril 1728, il abjura le 21 Août et fut
baptisé le surlendemain.
^ Dans les Confessions, Rousseau ne fait pas allusion à ces doutes, mais plutôt
aux résistances d'une foi protestante très vivace, qui se défendait énergiquement.
On conçoit néanmoins qu'en assistant au conflit de deux théologies rivales, les
dogmes fondamentaux qu'elles admettaient en commun aient pu lui paraître ébranlés
par contre-coup.
' Les « mœurs» du bandit Maure, qui sont décrites dans les Confessions, \'lll, 46.
* Noter ici dans la Première Rédaction : « il était encore dans cette époque
heureuse que je m'efforce de prolonger pour mon Emile ». A moins que cette phrase
ne soit un lapsus de plume, — et la chose est peu probable, puisqu'il a repris plus
loin celte formule, cf. p. 8, note 5, — elle semble indiquer que Rousseau songea un
instant à prendre tout le récit à son compte. Pour le fond même de ce texte,
cf. Confessions, VIII, Sg ; « J'étais sur ce chapitre d'une bêtise qui a laissé à la
seule nature tout le soin de mon instruction ».
^ Cf., dans le 11* Livre d'Emile, II, 66, au moment où Emile voit ses fèves
arrachées : « Ce jeune cœur se soulève; le premier sentiment de l'injustice y vient
verser sa triste amertume»; et surtout, dans les Confessions, VIII, 11-12, le récit du
châtiment immérité qui fut infligé au jeune Jean-Jacques par le pasteur Lambercier :
« La douleur du corps, quoique vive, m'était peu sensible ; je ne sentais que l'indi-
6 REDACTIONS MANUSCRITES
gnation l'étouffoit. Il imploroit le ciel et les hommes il se confioil
à tout le monde (' et tout le monde le trahissoit). Il ne vovoit
que de vils domestiques (-vendus)'' a l'infâme qui l'outrageoit
ou des complices du même crime qui M'excitoient à le partager
f 155 ""^ comme eux. Il etoit perdu (sans doute) sans un honnête ]| Ecclé-
siastique qui vint à l'hospice pour quelque affaire et qu'il trouva
le mo\'en de consulter en secret. L'Ecclésiastique etoit pauvre et
avoit besoin de tout le monde. (^ Ah malheur à l'homme si indigne
qui consulte la prudence en pareil cas, le prêtre ne balança point
il fit évader le jeune homme).
« Echapé '• à la corruption pour rentrer dans » l'indigence le
jeune homme luttoit | " en vainj contre ("la) « destinée» (et ne
pouvoit s'y dérober). Un moment il « se » crut « au » dessus d'elle :
a la première lueur de fortune ses mau.x (et) ^ son protecteur
'"furent oubliés. Il fut bientôt puni de cette ingratitude. Toutes
ses espérances s'évanouirent. Sa jeunesse " le îavoris(oit en vain
et) [ses idées romanesques gâtoient tout,. '- N'avant ni assès de
talent ni assès '^ d'j adresse] pour se faire un chemin facile [('•'et
n'étant) ni méchant ni (modéré) | il '^ prétendoit à tant de choses
qu'il "^n'obtint rien. Retombé dans sa première détresse, sans
' [vainement.... sans... et « et n'eloit écouté « de personne]. — B. il
(n'eiriit écouté de personne) se confioit à tout le monde et n'etoit écouté de
personne.
- [soumis].
' (au.x infâmes).
* B. se railloient de sa résistance et l'e.xcitoient à les imiter.
•^ [Mais l'opprimé avoit encore plus besoin de lui et il n'hésita pas à
favoriser son évasion au risque de se faire un dangereux ennemi].
'■ [au vice].
' B. sans fruit [en vain]. — M. en \ain.
" [elle.... sa].
" B. et.
'" I. (étoit... fut) [furent].
" [avoit beau] le favoris[er].
'- (« Il prétendit » à tant de choses qu'il n'obtint rien, il).
'•'' d(e méchanceté).
'■* [ne sachant être ] ni [modéré] ni [méchant].
'■' prétend [it].
"' B. ne sut parvenir à rien.
EDITION ORIGINALE 7
» couloient de ses yeux, l'indignation 1 etouffoit. 11 imploroit le ciel
» & les hommes, il se confioit à tout le monde '', & n'étoit écouté de
» personne. Il ne voyoit que de vils domestiques soumis à l'infâme '
» qui I l'outrageoit, ou des complices du même crime, qui se railloient [3]
» de sa résistance & l'excitoient à les imiter i. 11 étoit perdu sans un
» honnête Ecclésiastique qui vint à Thospice pour quelque affaire, &
» qu'il trouva le moven de consulter en secret -. L'Ecclésiastique étoit
» pauvre, & avoit besoin de tout le monde; mais l'opprimé avoit encore
» plus besoin de lui, & il n'hésita pas à favoriser son évasion ^, au risque
» de se faire un dangereux ennemi.
» Echappé au vice pour rentrer dans l'indigence *, le jeune homme
» luttoit sans succès contre sa destinée : un moment il se crut au-dessus
» d'elle ^. A la première lueur de fortune, ses maux & son protecteur
» furent oubliés. 11 fut bientôt puni de cette ingratitude, toutes ses
» espérances s'évanouirent : sa jeunesse avoit beau le favoriser, ses idées
gnation, la rage, le désespoir. .Mon cousin... se montait, pour ainsi dire, à mon
unisson;... nous étouffions ; et quand nos jeunes cœurs, un peu soulagés, pouvaient
exhaler leur colère, nous nous levions sur notre séant, etc.. Ce premier sentiment
de la violence et de l'injustice est resté si profondément gravé dans mon âme, que
toutes les idées qui s'y rapportent me rendent ma première émotion ». 11 est infiniment
probable que Rousseau fait ici'allusion à cet épisode de son enfance.
' Confessions, Vlll, 46 : « Je n'eus rien de plus pressé que d'aller conter à
tout le monde ce qui m'était arrivé ».
' » L'un des administrateurs » de l'hospice : cf. Confessions, Vlll. 47 : « J'écoutais
cet infâme avec un étonnement d'autant plus grand... ».
' Confessions, Vlll, 47 : « Son discours lui paraissait si simple qu'il n'avait pas
même cherché le secret du téte-à-tête ; et nous avions en tiers un ecclésiastique que
tout cela n'effarouchait pas plus que lui ». Si l'on compare tout ce récit à celui du
Livre II des Confessions, on remarquera que les faits y sont simplifiés et dramatisés :
le bandit .Maure a disparu, « l'administrateur » seul est resté. Rousseau semble
même laisser entendre que les propositions perverses sont venues de lui, ce qui les
rendrait encore plus odieuses. Les Confessions ne disent pas non plus qu'on traita
le jeune homme en « criminel », mais simplement que « l'infâme » n'épargna rien
pour lui rendre le séjour de l'hospice désagréable.
' Les Confessions ne font pas allusion à cette visite de l'abbé à l'hospice. C'est
seulement chez .M" de Vercellis que Rousseau dit avoir rencontré l'abbé Gaime, VIII. 63.
' Cette « évasion » fut une sortie très régulière, après la cérémonie du baptême.
Cf. Confessions, Vlll, 43 : « Si j'avais un instant trouvé la porte ouverte, je me
serais certainement évadé : mais il ne me fut pas possible, et cette résolution ne
tint pas non plus bien fortement ». Rousseau semble avoir quitté l'hospice dans les
derniers jours d'.\oùt 1728.
* Cf. le récit de ces premières tribulations dans les Confessions, Vlll, 5o-56.
^ Allusion, sans doute, à son entrée comme laquais-secrétaire chez .M"' de Ver-
cellis, Confessions, VIII, 56-6i.
REDACTIONS MANUSCRITES
pain, sans azile, 'prés à -mourir de ^ misère il se ressouvint de
(* l'Ecclésiastique et retourna chez lui).
Il y retourne, il le trouve, il en est bien receu, sa vue * rappelle
à l'Ecclésiastique une bonne action qu'il avoit faite. C' Ce) souvenir
réjouit toujours l'âme "d'un (''honnête homme). ■' L'Ecclésiastique
etoit ('"pauvre lui-même), i(''mais il etoit) humain et compa-
tissant. Il i-sentoit les peines d'autrui par les siennes et le
bien-être n'avoit point endurci son ('^ame aux malheurs d'autrui)].
Il ["lui cherche un giste, il l'y recommande] ^■' partage avec lui
son nécessaire à peine suffisant pour deux. Il fait plus il l'instruit
et le console. Il lui apprend l'art difficile de supporter '■'' patiemment
l'adversité. Gens à préjugés est-ce i' d'un prêtre, est-ce en Italie
que vous eussiez '* espéré tout cela.
Cet honnête ''•' homme étoit un pauvre (-" prêtre) savovard
qu'une avanture de jeunesse avoit mis (-' mal avec) son Evêque
' M. sans industrie.
- M. périr.
■' B. faim. — M. misère.
* [son bienfaiteur].
-' (lui).
" [a.... et.... un tel].
' B. < d'un honnête homme... mais il >.
" [homme de bien].
" (Il partage avec lui de bon cœur) [la bien faisance] (J'ai dit que cet).
'" [trop].
" [naturellement]. — B. (Le bon Prêtre) [Cet homme] étoit naturellement
humain, compatissant.
'- (n'éloit point).
" [cœur].
'* [(plusieurs mois barrés illisibles à paver son giste demande ?)]
■■■' B. 11.
'" B. (patiemment). Rousseau n'a pas barré le mot, tnais a mis au-dessus
le signe typographique de la suppression).
" B. [d'un Prêtre, est-ce] en Italie, (est-ce d'un homme d'église).
'*' B. (attendu) [espéré].
■'•' B. Ecclésiastique.
-" [vicaire].
-' [dans la disgrâce de]. — B. mal avec.
EDITION" ORIGINALE 9
■» romanesques ® | gàtoient tout. N'ayant ni assez de talen s t^i, ni assez [4]
» d'adresse pour se faire un chemin facile; ne sachant être ni modéré, ni
» méchant, il prétendit à tant de choses qu'il ne sut parvenir à rien.
» Retombé dans sa première détresse i, sans pain, sans asyle, prêt à
» mourir de faim, il se ressouvint de son bienfaiteur.
» 11 V retourne, il le trouve, il en est bien reçu ; sa vue rappelle
» à l'Ecclésiastique une bonne action qu'il avoit faite ; un tel souvenir
» réjouit toujours l'ame. Cet hornme éioit naturellement humain, com-
» pâtissant; il sentoit les peines d'autrui par les siennes, & le bien-être
» n'avoit point endurci son cœur: enfin les leçons de la sagesse & une
» vertu éclairée avoient affermi son bon naturel. Il accueille le jeune
» homme, lui cherche un gîte, l'y recommande "-; il partage avec lui , son [5]
» nécessaire, à peine suffisant pour deux. Il fait plus, il l'instruit, le
» console, il lui apprend l'art difficile de supporter patiemment l'adver-
» site. Gens à préjugés, est-ce d'un Prêtre, est-ce en Italie que vous
» eussiez espéré tout cela ?
» Cet honnête Ecclésiastique étoit un pauvre Vicaire Savoyard i,
» qu'une aventure de jeunesse avoit mis mal avec son Evêque -, & qui
» avoit passé les monts pour chercher les ressources qui lui manquoient
(*) Le texte original porte : talent : mais déjà, au ta-
bleau des «• Fautes à corriger ». placé à la fin du T. IV*, on
lit : talens. — C : talent s, D : n'ayant ni asse^ d adresse
pour se faire un chemin facile, ne sachant 'sic). C'est une
simple faute d'itapression. qui ne se retrouve même pas
dans l'édition d'Emile en 4 vol. in-12. publiée à Genève,
également sous la date de 1780. et par les soins de Du Peyrou.
' Rousseau les mentionne dans les Confessions, précisément en racontant cette
période de sa vie. Cf. VIII, 53 ; « Voici encore une autre folie romanesque... »; 62 :
« je tirai de ma tête un expédient romanesque qui me réussit ».
' Après la mort de .M" de Vercellis, si toutefois le récit n'est pas entièrement fictif.
' Cf. cependant. Confessions, VIII, 61 : « Je retournai chez mon ancienne
hôtesse, et j'y restai cinq ou six semaines ».
' Sur ce portrait du Vicaire Savoyard, et les originaux dont Rousseau s'est
inspiré, les abbés Gaime et Gàtier, cf. Introduction, l' Panie, Chap. II, § 2. C'est l'abbé
Gaime qui semble avoir fourni les éléments les plus nombreux et les plus caracté-
ristiques du personnage. — Il serait possible qu'en faisant de son porte-parole
non seulement un vicaire de campagne, mais un savoyard, Rousseau eût voulu
scandaliser davantage le lecteur « philosophe » et parisien, car le savoyard avait
la réputation d'être volontiers « lourdaud » : cf. Souvelle Hétoïse (II, xxinl, IV, 196.
On peut se rappeler encore que le P. Castel avait plaisanté Rousseau sur « son style
savoisien » : cf. L'Homme moral [217], 245.
' Si l'on en croit Rousseau, ce détail serait emprunté à la vie de l'abbé Gàtier;
cf., plus loin, la « confession » du Vicaire.
10 REDACTIONS MANUSCRITES
et qui avoir passé les monts pour chercher les ressources qui lui
manquoient dans son paj'S. Il n'étoit ni sans esprit ni sans lettres
et avec une figure intéressante il avoit des protecteurs qui ' l'avoient
placé chez un ministre (- comme précepteur de) son fils. Il '■' pré-
feroit la pauvreté à la dépendance et il ignoroit comment il faut
se conduire chez les grands. Il ne resta pas longtems chez celui-ci,
^ mais en le quitant il ne perdit peint ( ^sa protection), et comme
il vivoit '' régulièrement et se faisoit (' estimer) de tout le monde,
il [* se flattoit dej rentrer en grâce auprès de son Evéque et d'en
obtenir quelque petite cure ^ pour y passer le reste de ses jours.
Tel etoit le dernier terme de son ambition.
(10 Le désir de conserver son ouvrage) 1' ^ intéressoit au jeune
1* homme et le lui fit examiner ". Il vit que la mauvaise
fortune avoit déjà flétri son cœur que l'opprobre i* et ^^ les
f° 155'" mépris || avoient abatu son "' jeune [courage] et que sa fierté
naturelle changée en '' dépit amer ne ('"^ lui laissoit plus voir)
dans !■' l'injustice et la dureté des hommes que [-^^ le train naturel
des choses et la chimère de la vertu. Il avoit vu que la religion
' B. le placèrent.
' [pour élever].
' (ignoroit).
* B. < mais >.
^ [son estime].
" B. sagement.
' [aimer].
' (esperoil parvenir à).
' B. dans les montagnes.
'" [Un penchant naturel].
" intressoit (sic).
'= B. (homme) [fugitif].
" B. avec soin.
'^ M. < et les mépris > avoit.
'■' B. le mépris.
'" B. (jeune).
" B. (un).
" [lui montroit].
" B. [l'injustice et].
-" (la chimère de l'espoir qu'il avoit fondé sur une bienfaisance et sur
deux ?nots illisibles).
EDITION ORIGINALE II
» dans son pavs. Il n'étoit ni sans esprit, ni sans lettres: & avec une
» figure intéressante ^. il avoit trouvé des protecteurs qui le placèrent
» chez un Ministre * pour élever son fils. Il préferoit la pauvreté à la
» dépendance. & il ignoroit comment il faut se conduire chez les
» Grands. 11 ne resta pas long-tems chez celui-ci ; en le quittant il ne
» perdit point son j estime; & comme il vivoit sagement & se faisoit [6]
» aimer de tout le monde, il se flattoit de rentrer en grâce auprès de
» son Evêque, '& d'en obtenir quelque petite Cure dans les montagnes,
» pour v passer le reste de ses jours. Tel étoit le dernier terme de son
» ambition.
» Un penchant naturel l'interessoit au jeune fugitif, & le lui fit
» examiner avec soin. Il vit que la mauvaise fortune avoit déjà flétri
» son cœur, que l'opprobre & le mépris avoient abattu son courage,
» & que sa fierté, changée en dépit amer, ne lui montroit dans l'injustice
» & la dureté des hommes, que le vice de leur nature & la chimère de
» la vertu. Il ^ avoit vu que la religion ne sert que de masque à l'intérêt,
» & le culte sacré de sauve-garde à Ihvpocrisie : il avoit vu dans la
» subtilité des vaines disputes, le Paradis & l'Enfer mis | pour prix à [7]
» des jeux de motsi; il avoit vu la sublime & primitive idée de la
» Divinité défigurée par les fantasques imaginations des hommes; «S:
' C'est sans doute à Gàtier que songe ici Rousseau; cf. Confessions, VIII. 83 ;
« Je n'ai jamais vu de physionomie plus touchante que celle de M. Gàtier. 11 était
blond et sa barbe tirait sur le roux.... Il y avait dans ses grands yeux bleus un
mélange de douceur, de tendresse et de tristesse, qui faisait qu'on ne pouvait le voir
sans s'intéresser à lui ».
* Le Vicaire Savoyard nous apprendra lui-même le nom de ce ministre à la
fin de la Profession de foi: cf., plus loin. p. i85 : « .\près un long interdit vous
savez que j'obtins par le crédit de jM. de .Mellarède. la permission de reprendre mes
fonctions ». Cf. Confessions, VIII, 63 : « J'allais voir quelquefois, entre autres, un
abbé savoyard appelé .M. Gaime. précepteur des enfants du comte de .Mellarède. 11
était jeune encore et peu répandu, mais plein de bon sens, de probité, de lumière,
et l'un des plus honnêtes hommes que j'ai connus ».
' Non pas l'ecclésiastique, mais le jeune homme.
• Il est vraisemblable que Rousseau se souvient ici d'un passage de .Montaigne,
relatif à la transsubstantiation, Apologie [j6]. II, 261-262 : « La plupart des occasions
des troubles du monde sont grammairiennes... Combien de querelles, et combien
importantes, a produit au monde le double sens de cette parole hoc ». Il est possible
aussi que Rousseau ait songé au.x disputes sur la consubstantialité du Père et du Fils.
Il trouvait rappelé, dans la Thèse de l'abbé de Prades ]2or, yS, l'oaooJ^'.o; du Concile
de Nicée.
12 REDACTIONS MANUSCRITES
ne] sert que de masque au vice et le (' nom de Dieu) de sauve-
garde à l'hipocrisie. Il avoit vu dans la (- vanité) des vaines
disputes l'enfer et le paradis mis pour prix à des ^ jeux de mots,
il avoit vu la [sublime et primitive idée de lai divinité défigurée
par les fantasques imaginations ■'de (r)homme, et trouvant que
pour croire en Dieu il faloit renoncer au jugement qu"on avoit
receu de lui, il « prit '" en » dédain " (et) toutes nos ridicules
rêveries et l'objet auquel nous les appliquons. 'Il dit dans son
cœur comme l'insensé il n'y a point de Dieu. "^ Et sans rien savoir
de ce qui est sans rien imaginer sur la génération des choses
il se plongea dans sa stupide ignorance avec un profond mépris
pour '•ceux qui pensoient en savoir plus que lui.
'<• L'oubli de toute Religion conduit '> à l'oubli des devoirs
de l'homme. "^ Ce progrès i^étoit déjà] plus d'à moitié fait dans
le cœur ('^ de son protégé. '* II) n'étoit pas ^■^ absolument un
enfant mal né, mais ("■ son état) ^' et ses [nouveaux] principes
étouffant peu à peu le naturel l'entraînoient '- à sa perte et ne
lui préparoient que les mœurs d'un gueux et la morale d'un athée.
« '^ Le mal » (étoit) presque inévitable, -" mais (il) n'étoit pas
' [culte sacré].
- [subtilité].
' (rai SONS).
■* de[s hommes].
'" (dans le même). — B. dans le même.
" B. < et toutes >.
' B. < il dit dans.,., de Dieu >.
" B. (Et).
" B. [tous].
'" (L'Ecclésiastique vit encore que le jeune homme ne s'en tiendroit à).
" B. (au mépris) [à l'oubli].
'- (L'Ecclésiastique vit).
" [«■ du jeune (homme ■» infortuné) vagabond], — B. du libertin.
■- [Ce].
"* I. absolument. »
"^ [sa misère], — B. [l'incrédulité,] la misère (et l'incrédulité).
'' B. < et ses.... principes >.
"* B. rapidement.
"> [(Sa perte)].
-" B. < mais >.
EDITION ORIGINALE I3
» trouvant que pour croire en Dieu il falioit renoncer au jugement
» qu'on avoit reçu de lui, il prit dans le même dédain nos ridicules
» rêveries, & l'objet auquel nous les appliquons '-; sans rien savoir de
» ce qui est, sans rien imai;iner sur la génération des choses, il se plongea
» dans sa stupide ignorance, avec un profond mépris pour tous ceux
» qui pensoient en savoir plus que lui.
» L'oubli de toute religion conduit à l'oubli des devoirs de l'homme •^.
» Ce progrès étoit déjà plus d'à moitié fait dans le cœur du libertin. Ce
» n'étoit pas pourtant un enfant mal né: mais l'incrédulité, la misère.
» étouft'ant peu-à-peu le naturel, l'entraînoient rapidement à sa perte, ] [8]
» & ne lui préparoient que les mœurs d'un gueu.x & la morale d'un
» athée.
» Le mal, presque inévitable, n'étoit pas absolument consommé.
» Le jeune homme avoit des connoissances, & son éducation n'avoit
» pas été négligée ^ 11 étoit dans cet âge heureu.x, où le sang en fer-
» mentation commence - d'échauffer l'ame sans l'asservir aux fureurs
^ Il V a ici, dans la Première Rédaction, une réminiscence biblique : « Il dit
dans son cœur, comme l'insensé, il n'y a point de Dieu »; cf. Psaume XIII, i :
« Dixit insipiens in corde suo, non est Deus ».
' A la fin du paragraphe, Rousseau renouvellera cette affirmation dans une
autre formule : « la morale d'un athée ». Il admet ainsi, comme implicitement
reconnu, ce qui va faire l'objet d'une des démonstrations du Vicaire : « que. sans
la foi, nulle véritable vertu n'existe» : cf., plus loin, p. 197, note i.
' Confessions, VIII, 42 : « J'ai dit. je répète et je répéterai peut-être encore
une chose dont je suis tous les jours plus pénétré, c'est que si jamais enfant reçut
une éducation raisonnable et saine, c'a été moi » ; cf. encore Rêveries, IX, 339 : « Né
dans une famille où régnaient les mœurs et la piété, élevé ensuite avec douceur
chez un ministre plein de sagesse et de religion, j'avais reçu dès ma plus tendre
enfance des principes, des ma.ximes, d'autres diraient des préjugés, qui ne m'ont
jamais tout à fait abandonné ».
* Cf. Féraud [25o]. I, 487 : « Ce verbe est ordinairement suivi de la préposition
à devant l'infinitif... Cependant on trouve dans de bons auteurs commencer de... :
// ai'ait ciniimencé d'écrire sa lettre. De vaut mieux devant une voyelle; si l'on
disait, il avait commencé à écrire, cet à entre deux é ne ferait pas bon effet ». Richelet
[227], I. 529, donne, à peu de chose près, les mêmes conseils. Il rappelle que Vaugelas
14 REDACTIONS MA.NUSCRITES
' consommé. (- II) '^ étoit ^ encore dans cet âge heureux où [° le
sang en fermentation commence d'echautïer l'ame sans l'assujetir
("encore)^ aux fureurs des sens. La sienne a\oit encore tout son
ressort. Une honte native, un caractère timide (" lui j* tenoient
lieu) d'une éducation plus soignée et « avoient ^ prolong(é) pour »
lui cette ^° époque " dans laquelle '- je maintiens mon Emile
avec « '■' tant de soins ». L'exemple odieux d'une (grossière)
1^ souillure '•'• et d'un "' vice sans charme loin d' ^" éveiller son
imagination 1' ^* avoit amortie. '-'Le dégoût -"et l'horreur lui
-'tinrent -- longtems lieu de vertu pour conserver son innocence.
-3 Elle ne devoit succomber qu'à (-* la plus douce) séduction.
' B. absolument.
- ^Le jeune homme].
' B. avoit des connaissances et son éducation n'avoit pas été négligée. II.
^ B. < encore >.
^ (l'ame non encore assujetie atix fureurs des sens vient.... échauffée par).
" B. (encore).
' [le dedomageoient]. — B. < lui tenoient.... soignée > (me.... empechoient
[prevenoient] l'abus de la... sa liberté [lui tenoientj lieu de contrainte) [sup-
pléoient à la gêne].
" (tint).
" prolong[eoient].
"' M. heureuse. — I. (heureûsel.
" (que nous).
'- B. (je maintiens mon) [au crayon, repassé à l'encre : vous maintenez
vôtre] élève.
" [(une attention sans relâche)].
'"* B. dépravation.
'■' (grossière) [brutale].
"' B. (crime) « vice ».
'■ B. animer.
"■' avoient (sic).
'■' B. [Longtems]. — I. < Longtems >.
-" B. < et l'horreur >.
-' B. tint.
-- B. (longtems). — I. longtems.
-^ (Une conduite ?... peu digne ?.. débauche).
-^ (des séductions plus douces) de plus douces séductions].
EDITION ORIGINALE 1,5
» des sens ^. La sienne avait encore tout son ressort. Une honte
» native*, un caractère timide suppléoient à la gêne *, & prolongeoient,
» pour lui, cette époque dans laquelle vous maintenez votre élevé i^) avec
» tant de soins ". L'exemple odieux d'une dépravation brutale & d'un vice
» sans charme, loin d'animer son imat^ination, l'avoit amortie. Long-
» tems le dégoût' lui tint lieu de vertu pour conserver son innocence.-
» elle ne devoit succomber qu'à de plus douces séductions *.
») C : Elève. — C'est une correction à laquelle tenait Rous-
seau, car il Ta répétée presque partout d'un bout à l'autre des
quatre volumes. — D : Elevé.
et Bouhours demeurèrent intransigeants et n'admirent jamais que la préposition a,
mais que r.\cadémie est devenue plus tolérante, et qu'elle recommande même de
après la 3' personne du prétérit : ;/ commença d'avoir, et non à avoir. — Cf. Nouvelle
IléloXse (II, xxviil, IV, 168 : «J'ai commencé de fréquenter les spectacles », etc.
' Les Confessions, VllI, 61, apportent un témoignage un peu diftérent : « .Mon
sang allumé remplissait incessamment mon cerveau de tilles et de femmes,... et ces
idées tenaient mes sens dans une activité incommode ».
■■ Richelet '^227], II, 697 : « .\atif. Ce mot veut dire qui est né dans un certain
lieu: mais il vieillit un peu ». Richelet ne connaît pas d'autre sens à ce mot. En
l'employant avec un nom de chose, pour signifier ce qu'on apporte en naissant,
Rousseau faisait donc un néologisme. Il l'avait déjà hasardé au II' Livre
d'Emile, 11. i3i : « ses veux ont toute leur sérénité native »; et il l'avait souligné
dans une note (j'en donne ici la première rédaction [i 1], I, i56>'") : « Natia. J'ai pris
la liberté de franciser ce mot italien, faute de trouver un mot français qui rendit le
même sens ; mais si l'on m'entend, je n'ai point fait de faute ». Cet emploi de natif
se généralisa bientôt : cf., ap. Gohin [278], 326, les exemples de Thomas et de .Mercier
h la fin du XVlll' siècle.
^ La pensée de Rousseau est exprimée plus clairement dans une variante
de B : lui tenaient lieu de contrainte, c'est-à-dire que la timidité du jeune homme
offrait à sa vertu cette protection efficace qu'on trouve d'ordinaire dans une vie plus
disciplinée ou plus surveillée. Pour le fond, comparer aux Confessions, Vlll, 61 : « La
honte, compagne de la conscience du mal. était venue avec les années, elle avait accru
ma timidité naturelle, au point de la rendre invincible ». Noter que dans B, Rousseau
avait d'abord écrit : m'empêchaient. Il était déjà « las de parler en tierce personne ».
" La Première Rédaction reproduit ici la formule personnelle que j'ai déjà
signalée plus haut, p. 2, note 4 : « dans laquelle je maintiens mon Emile ». Ce Je
se retrouve encore dans B. Ce sont là les témoins d'un premier état de la Profession,
où Rousseau et « l'auteur du papier » ne faisaient officiellement qu'un. Cependant
Rousseau, s'autorisant de ce passage, écrit dans sa Déclaration au Pasteur Vernes,
IX, 90 : « Il est clair par là que la Profession de foi n'est pas un écrit que j'adresse,
mais un écrit qui m'est adressé ».
' Le dégoiit, et aussi « ce dangereux supplément qui trompe la nature » :
cf. Confessions, Vlll, 76.
' Aux « manèges » et aux « agaceries » de Maman, quand elle crut utile de
« le traiter en homme » : cf. Confessions, Vlll, 137.
l6 RÉDACTIONS MANUSCRITES
2. L'apostolat du Vicaire.
L'ecclésiastique \'it le danger et les ressources. Les difficultés
ne le rebutèrent ^ point. Il se complaisoit dans son ouvrage f,
il résolut de l'achever (et à quelque prix que ce fut) et de rendre
à la vertu la victime qu'il avoit arrachée à l'infamie. 11 s'\- prit
de loin pour exécuter son projet. La (-grandeur) du motif animoit
son courage et lui inspiroit des mo\ens ■' proportionnés à son
zélé (et) quelque fut le succès, il étoit sur de n'a\'oir pas perdu
son tems. On (' a) toujours (réussi) quand on (■' a voulu) bien faire.
f° 156 '■° Il II commença [parj gagner la confiance '' de son disciple
en ne lui vendant point ses bienfaits en ne se rendant point
importun, en ne lui faisant point de sermons en se mettant
toujours à sa ■ portée et se faisant petit pour s'égaler à lui.
C'étoit ce me semble un *• assès beau spectacle ^ de voir un homme
1" sage devenir le camarade d'un poliçon et la vertu se prêter
1' à des jeux d'enîans. Quand l'étourdi venoit lui faire ^'- (ses)
confidences et s'épancher avec lui « '-Marnais » ('^ une indiscrette
' M. pas.
- [beauté].
■'' B. dignes de.
■* [réussit].
^ [ne veut que].
'• B. du (vagabond) [prosélite].
• M. place.
' B. < assès beau >.
" B. assès touchant.
'" B. grave.
" B. < à des jeu.x d'enfans > au ton de la licence [pour en triompher plus
sûrement]. — I. < pour en triompher plus sûrement >.
'- B. ses (indiscrettes) [basses].
'■' B. < jamais.... coeur >.
" ]d"indiscreites censures].
t £"« marge, à la fin du paragraphe précédent : Il se complaisoit
dans son ouvrage, il (desiroit) n'en vouloit pas perdre le fruit. L'amour
propre bien ou mal dirigé n'est-il pas la source des vertus ainsi que
(du vice) des vices.
EDITION" ORIGINALE I7
2. L'apostolat du Vicaire.
I » L'Ecclésiastique vit le danger & et les ressources. Les difficultés [gi
» ne le rebutèrent point ; il se complaisoit dans son ouvrage ^, il
» résolut de l'achever, & de rendre à la vertu la victime qu'il avoit
» arrachée à l'infamie. 11 s'y prit de loin pour exécuter son projet;
» la beauté du motif animoit son courage, & lui inspiroit des moyens
» dignes de son zèle. Quel que fût le succès -, il étoit sûr de n'avoir pas
» perdu son tems : on réussit toujours quand on ne'veut que bien faire.
» Il commença par gagner la confiance du Prosélite i^j en ne lui
» vendant point ses bienfaits, en ne]se rendant point importun, en ne
» lui faisant point de sermons, en se mettant toujours à sa portée,
» en se faisant petit pour s'égaler à lui. C'étoit, ce me semble, un
» spectacle assez touchant, de voir un homme grave devenir le | camarade [IQ]
» d'un polisson, & la vertu se prêter au ton de la licence, pour en
» triompher plus sûrement i. Quand l'étourdi venoit lui faire ses folles
» confidences & s'épancher avec lui, le Prêtre l'écoutoit, le mettoit à
» G, D : Prosélyte.
' Dans la Première Rédaction, Rousseau avait ainsi commenté cette remarque :
« L'amour-propre bien ou mal dirigé n'est-il pas la source des vertus ainsi que
des vices » ? C'est une idée sur laquelle il reviendra plusieurs fois dans VÈmile : mais,
sous cette forme, elle semble antérieure à la distmciion entre l'amour-propre et
l'amour de soi que Rousseau empruntera à Vauvenargues : cf.. plus loin, p. 67, note 1.
- Quel que fût le résultat. Succès est très souvent employé avec ce sens
indéterminé dans la langue du XVII" siècle, beaucoup plus rarement déjà à
l'époque de l'Emile.
' La méthode du Vicaire est celle-là même que Rousseau a conseillée aux
maîtres dans le IV' Livre d'Emile, II, 217 : « Je ne puis m'empêcher de relever
ici la fausse dignité des gouverneurs qui, pour jouer sottement les sages, rabaissent
leurs élèves, affectent de les traiter toujours en enfants, et de se distinguer toujours
d'eux dans tout ce qu'ils leur font faire. Loin de ravaler ainsi leurs jeunes courages,
n'épargnez rien pour leur élever l'âme: faites-en vos égaux afin qu'ils le deviennent;
et, s'ils ne peuvent encore s'élever à vous, descendez à eux sans honte, sans scrupule.
Songez que votre honneur n'est plus dans vous, mais dans votre élève ; partage;;
ses fautes pour l'en corriger: charge^^-vous de sa honte pour l'effacer ».
l8 RÉDACTIONS MANUSCRITES
réprimande) ne (' venoit « resserrer « son cœur). - Le prêtre
l'écoutoit le mettoit à son aise. Sans approuver le mal il s'in-
teressoit à tout (et ne blamoit rien). '■> Le plaisir * que (^ l'on)
« '■ sembloit prendre à » l'entendre augmentoit celui qu'il prenoit
à ' babiller. Ainsi se fit sa confession générale sans qu'il songeât
à rien confesser. (Tous ses sentimens s' * exhaloi ent sans peine).
Après avoir bien étudié ses sentimens et son caractère le
prêtre vit ^ clairement que ("' quoi) qu'il ne fut pas absolument
ignorant pour son âge '^ non seulement il n'avoit aucune (idée)
véritable ('- de religion) mais qu'il (ne) seroit ('=* pas en état) d'en
concevoir tant qu'il resteroit dans l'état d'avilissement et d'opprobre
où l'avoit réduit la fortune'^. 11 est un degré d'abbrutissement qui
ôte la vie à l'ame, et la voix intérieure ne '"dit plus rien à '" celui
qui ne songe qu'à se nourrir, f Pour garcUitir le jeune '• homme
' [faisoit.... venoientl.
- [Le « vertueux » (bon) prêtre se faisoit petit pour (être l'égal de) l^s'égaler
à] son disciple].
' jamais une indiscrette censure ne venoit resserrer son [jeune] cœur (et
suspendre sa confession). — B. ne venoit arrêter son babil et resserrer son cœur.
■* B. (qu'on se) [avec] lequel il se crovoit écouté augmentoit.
■^ [on].
' [(montroit)].
' B. tout dire.
" exhaloit (sic).
' (que).
'" [bien]. — B. sans être ignorant.
'■' B. < non seulement... d'avilissement et d" > il avoit oublié tout ce qu'il
lui importoit de savoir et que 1'.
" [idée du bien et du mal].
'^ [même incapable],
'* B. (« effacoit » de son... en lui... otoii) [étouffoit en lui] tout vrai
sentiment du bien et du mal.
" B. sait point se faire entendre. — M. sait plus.
'" M. < celui >.
" B. infortuné.
t Ici, en marge, le dialogue suii'ant. qui se?-a repris plus loin,
/' i3/'" : Et qui est-ce donc qui est heureu.x : (mon enfant) c'est moi
répondit le prêtre d'un ton qui frapa le jeune homme, i Et comment
avez-vous?) [Vous êtes heureu.x?] vous? si peu fortuné !, si pauvre ! et
comment avez-vous fait pour l'être? mon enfant, je vous le dirai volontiers.
EDITION ORIGINALE I9
» son aise; sans approuver le mal il s'interessoit à toui. Jamais une
» indiscreite censure ne venoit arrêter son babil & resserrer son cœur.
» Le plaisir avec lequel il se crovoit écouté, augmentoit celui qu'il
» prenoit à tout dire. .Ainsi se fit sa confession générale, sans qui!
» songeât à rien contesser.
» Après avoir bien étudié ses sentimens & son caractère, le Prêtre
» vit clairement que, sans être ignorant pour son âge, il avoit oublié
» tout ce qu'il lui importoit de savoir, & que l'opprobre où lavoit
» réduit la fortune, étouffoit en lui tout vrai sentiment du bien & du
» mal. 11 est un degré d'abrutissement qui ôte la | vie à l'ame; & la ril]
» voix intérieure ne sait point se faire entendre à celui qui ne songe
» qu'à se nourrir. Pour garantir le jeune infortuné de cette mort
» morale dont il étoit si près, il commença par réveiller en lui l'amour-
» propre & l'estime de soi-même ^. Il lui montroit un avenir plus
» heureux dans le bon emploi de ses talens; il ranimoit dans son cœur
» une ardeur généreuse, par le récit des belles actions dautrui : en lui
» faisant admirer ceux qui les avoient faites, il lui rendoit le désir
» d'en faire de semblables. Pour le détacher insensiblement de sa vie
» oisive & vagabonde, il lui faisoit faire des extraits de livres choisis '^ ;
» & feignant d'avoir besoin de ces extraits, il nourissoit en lui le
» noble sentiment de la reconnoissance ^. Il l'instruisoit indirectement
' Les pages qui suivent — tableau de la régénération morale du « jeune
infortuné » au contact du Vicaire Savoyard — concordent pour l'essentiel avec
celles des Confessions, VllI, 63, où Rousseau raconte l'influence bienfaisante de
l'abbé Gaime sur lui : « Dans l'ordre successif de mes goûts et de mes idées,
j'avais toujours été trop haut ou trop bas, .\chille ou Thersite, tantôt héros et
tantôt vaurien. M. Gaime prit le soin de me mettre à ma place, et de me montrer
à moi-même, sans m'épargner ni me décourager. Il me parla très honorablement
de mon naturel et de mes talents, mais il ajouta qu'il en voyait naitre les obstacles
qui m'empêcheraient d'en tirer parti: de sorte qu'ils devaient, selon lui, bien
moins me servir de degrés pour monter à la fortune que de ressources pour
m'en passer »,
' C'est un détail que négligent les Confessions, mais qui paraît très vraisem-
blable. C'est, du moins, une habitude que Rousseau conservera très longtemps, et
dont il n'est pas impossible que l'abbé Gaime lui ait donné la première idée.
On trouvera, dans les .Manuscrits de Neuchâtel, quelques-uns de ces cahiers d'extrciits
',5 et 6].
• En lui donnant l'illusion de s'acquitter ainsi envers son bienfaiteur. — Ici
encore le Vicaire suit la méthode de Rousseau: cf. le IV' Livre d'Emile, II, 2o5 :
« Élevez son àme au noble sentiment de la reconnaissance en ne lui parlant
jamais que de son intérêt »; et 297 : «J'enflammerai son jeune cœur de tous les
20 RÉDACTIONS MANUSCRITES
de cette mort morale dont il étoit (' tout) près il - prit soin de
réveiller en lui l'amour propre et l'estime de soi-même. (=" Il lui
donna bonne opinion) « de ses talcns », il ranimoit dans son
cœur une ardeur généreuse par le récit des belles actions d'autrui.
En lui faisant admirer ceux qui les avoient faites il lui rendoit
le désir ' de les faire (-' soi) -même. Pour "^^ l'occuper il lui
faisoit faire des extraits de livres choisis et feignant " que ces
extraits (lui étoient nécessaires) il nourrissoit en lui le noble senti-
ment de la reconnoissance. 11 l'instruisoit indirectement par ces
livres ^ et " il lui faisoit reprendre assès bonne opinion de lui-
même pour ne [('" plus) se croire ('^ un être) absolument inutile
et ne vouloir plus (^^ être) méprisable ^^ à ses propres veux.
" Unseul exemple ('' suffira pour) jugerde l'art "que cet homme
employoit pour élever '" le cœur de son disciple '■' sans (jamais)
paroitre songer à son instruction. '^ L'Ecclésiastique avoit une
probité si bien reconnue et -" un jugement si -' sain « que
f 156 "' plusieurs » personnes aimoient mieux || faire passer leurs --charités
par ses mains que par celles des -^ ministres de l'Eglise. L'n jour
■ [si].
- B. commença par.
' [il lui montroit un avenir plus heureux dans le bon emploi].
* B. d'en faire de semblables.
= [lui].
" B. le détacher insensiblement de sa vie oisive et vagabonde.
' [d'avoir besoin de].
* B. < et >.
" (le).
'" [pas].
" B. un être inutile à tout bien et pour ne.
'- [se rendre].
'" (a pr ophES ?).
'"' B. une bagatelle.
'^ [fera].
"' B. (que) qu'emplovoit cet homme (bienfaisant) [de bien].
'" B. insensiblement.
'" B. au-dessus de la bassesse. — M. < au-dessus de la bassesse >.
'" (On lui).
■" B. (une si grande équité) [un (jugement) discernement].
-' B. sur.
" B. aumônes.
-^ B. riches curés de la ville. — M. des villes.
EDITION ORIGINALE 21
» par ces livres: il lui faisoit reprendre assez bonne opi | nion de (12]
» lui-même pour ne pas se croire un être inutile à tout bien, & pour
» ne vouloir plus se rendre méprisable à ses propres veux.
» Une bagatelle fera juger de l'art qu'employoit cet homme bien-
» faisant pour élever insensiblement le cœur de son disciple au dessus
» de la bassesse, sans paroitre songer à son instruction. L'Ecclésiastique
» avoit une probité si bien reconnue & un discernement si sûr, que
» plusieurs personnes aimoient mieux faire passer leurs aumônes par
» ses mains, que par celles des riches Curés des villes i. Un jour qu'on
» lui avoit donné quelqu'argent à distribuer aux pauvres, le jeune
» homme eut, à ce titre, la lâcheté de lui en demander ^. Non. dit-il,
» nous sommes frères, vous m'appartenez, & je ne dois pas toucher
» à ce dépôt pour mon usage. Ensuite il lui donna de son propre I [13]
» argent autant qu'il en avoit demandé. Des leçons de cette espèce
» sont rarement perdues dans le cœur des jeunes gens qui ne sont
» pas tout-à-fait corrompus.
sentiments d'amitié, de générosité, de reconnaissance que i"ai déjà fait naître et
qui sont si doux à nourrir ». Cf. encore Lettre à .M"' d"Houdetot, 5 Janvier 1758 i^'.
223 : < La seule reconnaissance est encore un sentiment si doux... ».
' Conseils à un curé [2], 3" : « Les curés de ville me paraissent déjà de
bien grands seigneurs pour pouvoir être d'honnêtes gens ».
' Ce détail ne se trouve pas dans le récit des Confessions : il n'est certes
pas conforme aux habitudes ultérieures de Jean-Jacques, qui aura pour l'argent
un très sincère mépris. .Mais il est peu probable que Rousseau se soit gratuitement
attribué ce trait peu délicat. Nous sommes, d'ailleurs, à l'époque du vol du ruban.
Je crois donc qu'on peut ajouter ce petit épisode en appendice aux Confessions.,
22 REDACTIONS MANUSCRITES
qu'on lui avoil ' donné quelque argent à distribuer aux pauvres,
~ le jeune homme eut ^ à ce titre la * bassesse de lui en deman-
der •'. Non, dit-il, nous sommes frères, vous m'appartenez « et »
je ne (^veux) pas toucher à ce dépôt pour mon " usage. C* Et) « il
lui donna de son propre argent ■' ». Qu'on s'imagine si l'on peut
une leçon plus touchante « plus honnête » (plus généreuse)j et en
même tems plus sublime i".
f Ce qui " frapoit le plus '= le (jeune) disciple etoit de voir
' M. remis.
- M. l'autre.
^ B. (à ce litre).
■* B. lâcheté.
■■' B. [à ce titre].
" [dois].
' B. (propre).
" [Ensuite]. '
' B. autant qu'il en avoit demandé. — M. qu'il lui en. — B. < Qu'on
imagine... plus sublime >. Des leçons de cette espèce sont rarement perdues
dans le cœur des jeunes gens qui ne sont pas tout à fait corrompus.
'" B. Je me lasse de parler en tierce personne, et (a cela b seroil) un soin
(c bien) superflu; car vous sentez bien, cher concitoyen que ce malheureu.x
fugitif c'est moi-même, <i je me {« sensi assez loin des desordres de ma jeunesse
pour oser (' les reconnaître et je dois ce tribut de ma reconnaissance à la main
qui m'en a tirél.
a [c'est]. — M. c'est, sans doute.
>> [(ne mei].
c [fort].
«i (car... et c'est bien lai.
" [crois].
f [les avouer et la main qui m'en (a tirél [tira] mérite bien
qu'aux dépens d'un peu de honte je rende lau moins
cet... quelque) honneur let) à ses bienfaits].
" B. me.
'- B. < le jeune disciple >.
t Ici, en marge : n b faire que le jeune homme parle lui-même, et. à
côte', un signe qui renvoie au passage du folio suivant : vous sentez bien,
cher concitoyen, etc. — Dans B et les autres Manuscrits, c'est dès
à présent que Rousseau se lasse de parler en tierce personne. Aussi
les verbes, pronoms et adjectifs possessifs y sont à la première. C'est
donc, cfie^ eux, par rapport à F, et Jusqu'à la reprise du je, u?ie
différence générale, que j'indique une fois pour toutes.
EDITION ORIGINALE 23
» Je me lasse de parler en tierce personne \ & c'est un soin fort
» superflu; car vous sentez bien, ciier concitoyen -, que ce malheureux
» fugitif c'est moi-même; je me crois assez loin des désordres de ma
y jeunesse pour oser les avouer. & la main qui m'en tira mérite bien.
» qu'aux dépens d'un peu de honte •''. je rende, au moins, quelque
» honneur à ses bienfaits.
» Ce qui me frappoit le plus, étoit de voir, dans la vie privée
» de mon digne maître, la vertu sans hvpocrisie, l'humanité sans
» foiblesse, des discours toujours droits & simples, & une conduite
» toujours conforme à ces discours. Je ne le vovois | point s'inquiéter [14]
» si ceux qu'il aidoit alloient à Vêpres; s'ils se confessoient souvent:
» s'il jeùnoient les jours prescrits: s'ils faisoient maigre : ni leur im-
» poser d'autres conditions semblables, sans lesquelles, dût-on mourir
» de misère, on n'a nulle assistance à espérer des dévots ^.
' On a vu plus haut, p. 8, note 4, un premier symptôme de cette « lassitude v>.
- C'est l'appellation dont Rousseau se servait quelquefois en écrivant à des
amis Genevois, comme Vernes, Deluc, etc. Mais c'est surtout Moultou qui affec-
tionnait cette formule en écrivant à Rousseau. Du reste, ici encore le « cher
concitoven » c'est Rousseau lui-même, car, d'après la fiction, c'est à lui que
« l'auteur du papier » est censé adresser son récit; cf. sa Lettre à Marcet du
24 Juillet 1762, X, 354: « Il [l'auteur d'Emile' déclare que c'est un écrit qu'il
transcrit dans son livre, et cet écrit, dans le préambule, parait lui être adressé par
un de ses cnncito-t-ens ». Cf. encore Déclaration relative au Pasteur Vernes^ IX, go.
^ C'est déjà, chez Rousseau, le besoin de « confession » qui se manifeste.
' Comparer avec le réquisitoire de Julie, Nouvelle Hélotse (VI, viii), V, 44 :
« Ce qui m'a donné le plus d'éloignement pour les dévots de profession, c'est
cette àpreté de mœurs qui les rend insensibles à l'humanité, c'est cet orgueil
excessif qui leur fait regarder en pitié le reste du monde. Dans leur élévation
sublime, s'ils daignent s'abaisser à quelque acte de bonté, c'est d'une manière
si humiliante: ils plaignent les autres d'un ton si cruel, leur justice est si rigoureuse,
leur charité est si dure, leur zèle est si amer, leur mépris ressemble si fort à la
haine, que l'insensibilité même des gens du monde est moins barbare que leur
commisération. L'amour de Dieu leur sert d'excuse pour n'aimer personne; ils ne
s'aiment pas même l'un l'autre. Vit-on jamais d'amitié véritable entre les dévots ?
Mais plus ils se détachent des hommes, plus ils en exigent: et l'on dirait qu'ils ne
s'élèvent a Dieu que pour exercer son autorité sur la terre ».
24
REDACTIONS MANUSCRITES
dans la vie privée de son ' digne - maître la vertu sans ^ cagoterie
l'humanité sans foiblesse [des discours toujours droits et simples]
et * des actions toujours si conformes à ^ ses discours. Il ne le
vovoit point s'inquiéter si ceux qu'il C^ assistoit) alloient à (' la
messe) s'ils se confessoient souvent, s'ils C îaisoient) ' exactement
(mai gre) les jours prescrits et d'autres conditions semblables sans
lesquelles if" on n'a nulle assistance à espérer des ^i dévots. [(Tout
homme souffrant avoit part à sa commisération i-')j. Loin d'étaler
[lui-mêmei à ses veux le zélé affecté d'un nouveau converti il
ne lui >3 avoit point trop caché ses '^ manières de penser et ne
l'en voyoit pas plus scandalisé. Quelquefois « '^ il se seroit dit »
il ("> me pardo nne) mon « ^' indifférence » pour le culte que
j'ai embrassé en faveur de {'" mon indifférence i'' pour celui) dans
lequel je suis né, il (-'"voit) simien que mon dédain n'est plus
une affaire de parti. Mais que '-'- pouvoit-il penser quand il "'enten-
' B. (charitable) « digne ». — I. charitable patron.
- B. (bienfaiteur) <i~ maître ».
^ B. (cagoterie) [hypocrisie], — I. cagoterie.
* B. une conduite toujours conforme.
= B. ces.
" [aidoit].
■ [vêpres].
" [jeunoient].
' B. < e.xactement > (les jours prescrits) s'ils faisoient maigre (et) [«■ ni »
leur imposer] d'autres.
'" B. dût-on mourir de misère.
" B. « dévots ».
'- [(ce n'eut été que (en) dans une concurrence? indispensable)]. — B. En-
couragé par ces observations.
" B. cachois.
'"' B. (manières de penser) [idées].
'^ B. j'aurois pu me dire.
'" [me passe].
'' [dédain].
'*" [celle que (j'ai de mon) il me voit aussi pour le culte].
'" (que),
^o [sait].
'-' B. < bien >.
'" B. (pouvois-je) [devois-je].
-' B. l'entendois.
EDITION ORIGINALE 25
» Encouragé par ces observations, loin d'étaler moi-même à ses
» veux le zèle affecté d'un nouveau converti, je ne lui cachois point
» trop mes manières de penser, & ne l'en voyois pas plus scandalisé.
» Quelquefois j'aurois pu me dire: il me passe mon indifférence pour
» le culte que j'ai embrassé, en faveur de celle qu'il me voit aussi
» pour le cuite dans lequel je suis né; il sait que mon dédain n'est
» plus une affaire de parti. .Mais que devois-je penser, quand je leniendois
» quelquefois approuver des dogmes contraires à ceux de | l'Eglise [15]
» Romaine, & paroître estimer médiocrement toutes ses cérémonies?
» Je l'aurois cru protestant déguisé i, si je l'avois vu moins fidèle à
'» ces mêmes usages dont il sembloit faire assez peu de cas; mais
» sachant qu'il s'acquittoit sans témoin de ses devoirs de Prêtre aussi
» ponctuellement que sous les yeux du public, je ne savois plus que
» juger de ces contradictions. Au défaut près, qui jadis avoir attiré sa
» disgrâce. & dont il n'étoit pas trop bien corrigé -, sa vie étoit exem-
» plaire, ses mœurs étoient irréprochables, ses discours honnêtes &
' Les Confessions ne font pas allusion à « ce protestantisme déguisé ». A la
page même où Rousseau montre dans « l'honnête .M. Gaime » l'original du Vicaire
Savovard, VHI, 64, il reconnaît que, « la prudence » obligeant l'abbé « à parler avec
plus de réserve [que le Vicaire], il s'expliqua moins ouvertement sur certains points ».
' Rousseau a déjà employé une formule analogue en parlant des buveurs.
Lettre à D'Alembert, I, 25i : « Us sont presque tous... braves et honnêtes gens,
à leur défaut prés ». .Mais ici la formule est obscure et imprécise. 11 faut la
rapprocher de l'aveu du Vicaire, à la fin de la Première Partie de la Professwn.
au moment où il vient de parler des illusions des sens; cf., plus loin. p. i25 : « Ces
illusions, dit-il, ont duré trop longtemps pour moi. Hélas! je les ai trop tard
connues et n'ai pu tout-à-fait les détruire; elles dureront autant que ce corps
mortel qui les cause ». Cf. encore, p. 86 : « Hélas! je le sens trop par mes vice^.
l'homme ne vit qu'à moitié durant cette vie, et la vie de l'âme ne commence qu'à la
mort du corps ». Ces aveux ne paraissent laisser aucun doute sur le sens qu'il faji
donner ici au mot défaut, quoiqu'il devienne alors un peu déconcertant de décerner
au Vicaire un certificat de « mœurs irréprochables ». .Mais ce qui avait « attiré s;i dis-
grâce », c'était moins, à proprement parler, un « défaut ». ou. pour reprendre son auire
qualificatif, un « vice », qu'une « aventure de jeunesse ». « un scandale », qui semblait
ne s'être point renouvelé. \\x début de la Profession, il affirmera « son respect pour le
lit d'autrui ». S'il l'avait conservé après sa première aventure, on comprend mal comment
ce * défaut » pouvait se manifester sans le compromettre; et. si les conséquences de ce
«défaut» devenaient visibles, on ne comprend pas mieux comment .M. de .Mellarède
avait pu intervenir en sa faveur et lui « obtenir la permission de reprendre ses fonc-
tions » : cf., plus loin, p. i85. Peut-être le passage suivant du IV" Livre d'Emile,
11, 323. pourrait-il suggérer une explication : « Que si des habitudes mal combattues
avaient tourné mes anciens désirs en besoins, j'y satisferais peut-être, mais avec
honte, mais en rougissant de moi. J'ôterais la passion du besoin, je m'assortirais
le mieux qu'il me serait possible, et m'en tiendrais là : je ne me ferais plus une
occupation de ma faiblesse, et je voudrais surtout n'en avoir qu'un seul témoin ».
26 RÉDACTIONS MANUSCRITES
doit ' le prêtre lui-même (- approuver) des dogmes contraires à
ceux de l'église Romaine et paroitre ^ îaire asses peu de cas
de toutes ces cérémonies, * il l'eut cru protestant (■■ lui-même)
*^ s'il l'eut vu moins (■ fidèlement asservi même sans témoins) à
ces « mêmes » usages C^ qu'il) ■' sembloit ('" estimer si peu), i' Mais
sachant qu'il s'acquitoit sans témoin de ses devoirs Ide prêtre|
aussi (1- fidèlement) que sous les veux du public le jeune homme
ne savoit ^^ plus que ^^ penser de ces contradictions (inexpliquables).
Au défaut près qui jadis avoit ''' causé sa disgrâce et dont il
n'étoit pas ^''' tout à fait corrigé] sa vie eioit exemplaire (et) ses
mœurs étoient irréprochables, ses discours honnêtes et judicieux.
(1" Après avoir vécu) avec lui « dans la plus grande » "fami-
liarité ('■' tout ce que le jeune homme avoit vu de lui le poussoit
à le respecter) davantage : et tant de bontés l'axant -"pénétré
pour lui d'une tendre affection il attendoit avec une curieuse
' B. quelquefois lui-même.
- [(avancer) établir]. — B. approuver.
' B. estimer médiocrement toutes (ces) [ses] cérémonies ?
^ B. Je l'aurois.
■■* [déguisé].
•^ B. si je l'avois vu.
' [(exact) fidelle\
" [dont il].
' M. paroissoit.
'" [ne point.... faire (aucune) si peu d'estime]. — B. faire «. asses »
peu de cas.
" (Il lui voyoit remplir si [trop] fidèlement ses devoirs de Prêtre) « et ».
'- [ponctuellement].
'■' B. (plus).
'* B. (penser) [juger].
'^ B. attiré.
'" B. trop bien.
'■ [En vivant].
'" B. intimité.
"* [le jeune homme le respectoit chaque jour]. — B. j'apprenois à le respecter
chaque.
-" B. (pénétré pour lui de la plus tendre affection) [tout à fait gagné le
coeur]. — I. pénétré pour lui de la plus tendre atïection.
EDITION ORIGINALE 27
» judicieux. En vivant avec lui dans la plus grande intimité, j'apprenois
» à le respecter chaque jour davantage; & tant de bontés m'ayant
» tout-à-t'ait gagné le cœur, j'attendois avec une curieuse inquiétude
» le moment d'apprendre sur quel principe il I fondoit l'uniformité 16]
» d'une vie aussi singulière.
28 RÉDACTIONS MANUSCRITES
fo 157 ro inquiétude ' sur quel principe il || 2 pouvoit fonder l'uniformité
d'une vie aussi ^ bizarre.
[* Vous sentez bien, cher concitoyen, que ce malheureux fugitif
(qui a passé par toutes ces humiliations) « c'est moi même »].
■^ Ce qu'il v avoit ('^ au fond de) moi de plus difficile à détruire
étoit une orgueilleuse misantropie une « certaine aigreur » contre
' les heureux (et les riches) comme s'ils l'eussent été à mes dépends
et que leur prétendu bonheur eût été usurpé sur * celui qui
m'étoit du. La folle vanité de la jeunesse qui regimbe contre
l'humiliation ne me donnoit que trop de penchant à cette
« huineur » colère, f et '■' le sentiment intérieur que mon mentor
if" s'efforcoit de réveiller en moi me portant à (" l'élévation d'ame)
*- me rendoit les hommes ^^ encore plus vils " et ne faisoit ^'' que
joindre pour eux le mépris à la haine. Sans combattre directement
cet orgueil il l'empêcha de se tourner en dureté d'âme, et sans
m'ôter l'estime de moi-même il "'■ la rendit moins dédaigneuse
pour ''les autres. En écartant i** ces vaines apparences et me
' B. le moment d'apprendre sur.
- B. Ipouvoil fonder) [fondoit].
^ B. singulière.
■• B. < Vous sentez... moi-même >.
■■ B. Ce moment ne vint pas sitôt. Avant de s'ouvrir à (moi) [son disciple]
il s'efforça de faire germer les semences de (bonté... raison) [sagesse et de vertu]
qu'il jettoit dans (mon) [son] âme.
^ [en].
' [les riches et] les heureu.x [de ce monde]. — B. du monde.
■* B. le mien.
^ B. l'amour propre.
'" B. làchoit.
" [la fierté].
'- B. (me [ne]).
'■■^ B. (que) [encore].
" B. à mes yeux.
'^ B. qu'ajouter.
"' (me).
'' B. mon prochain.
'" B. toujours la vaine apparence.
t Ici. dans le manuscri/. un espace de quelques mots laissé en blanc.
EDITION ORIGINALE 29
» Ce moment ne vint pas si-tôt. Avant de s'ouvrir à son disciple,
» il s'efforça de faire germer les semences de raison & et de bonté
» qu'il jettoit dans son ame. Ce qu'il v avoit en moi de plus difficile
» à détruire étoit une orgueilleuse misantropie, une certaine aigreur
» contre les riches & les heureux du monde, comme s'ils l'eussent été
» à mes dépens, & que leur prétendu bonheur eût été usurpé sur le
» mien. La folle vanité de la jeunesse qui regimbe contre l'humiliation,
» ne me donnoit que trop de penchant à cette humeur colère; & l'amour-
» propre que mon Mentor tàchoit de réveiller en moi, me portant à
» la fierté, rendoit les hommes encore plus vils à mes yeux, & ne
» faisoit qu'ajouter, pour eux, le mépris à la haine.
I » Sans combattre directement cet orgueil, il l'empêcha de se tourner [17]
» en dureté d'ame, & sans m'ôter l'estime de moi-même, il la rendit
» moins dédaigneuse pour mon prochain. En écartant toujours la vaine
» apparence & me montrant les maux réels qu'elle couvre, il m'apprenoit
» à déplorer les erreurs de mes semblables, à m'attendrir sur leurs
» misères, & à les plaindre plus qu'à les envier. Ému de compassion
» sur les foiblesses humaines, par le profond sentiment des siennes,
» il vovoit par-tout les hommes victimes de leurs propres vices & de
» ceux d'autrui ; il vovoit les pauvres gémir sous le joug des riches, & les
» riches sous le joug des préjugés. Croyez-moi, disoit-il i. nos illusions,
» loin de nous cacher nos maux, les augmentent, en donnant un prix à
» ce qui n'en a point & nous rendant | sensibles à mille fausses pri- [18]
» vations que nous ne sentirions pas sans elles. La paix de l'ame
» consiste dans le mépris de tout ce qui peut la troubler; l'homme
» qui fait le plus de cas de la vie. est celui qui sait !e moins en jouir,
» & celui qui aspire le plus avidement au bonheur, est toujours le plus
» misérable.
' Ces réflexions du Vicaire concordent pour le fond avec celles que Rousseau
met dans la bouche de l'abbé Gaime, Confessions, VIII, 63 : « Il me fit un tableau,
vrai de la vie humaine, dont je n'avais que de fausses idées; il me montra comment,
dans un destin contraire, l'homme sage peut toujours tendre au bonheur et courir
au plus près du vent pour y parvenir; comment il n'y a point de vrai bonheur
sans sagesse, et comment la sagesse est de tous les états. H amortit beaucoup mon
admiration pour la grandeur, en me prouvant que ceux qui dominaient les autres
30 REDACTIONS MANUSCRITES
montrant les maux réels qu'' elles couvrent il m'apprenoit à
déplorer |- les] erreurs ide mes semblables , à m'attendrir sur
leurs misères, et à les plaindre plus qu'à les envier. Emu de
compassion sur les foiblesses humaines, par le profond sen-
timent des siennes il voyoit par tout les hommes victimes de
leurs ^ vices et de ceux ^ des autres, il voyoit les pauvres gémir
sous le joug des riches et les riches sous le joug ^ de l'opinion.
Croyez-moi disoit-il nos illusions " loin de nous cacher nos maux
les augmentent. ■ Elles nous rendent sensibles à mille * privations
que nous ne sentirions ■' pas sans elles. La paix de l'ame consiste
dans le mépris de tout ce qui peut la troubler '" et f" l'hommej
qui ('-jouit le moins des biens de cette vie «est celui qui » suit
le mieux la nature). '^ Ah quels tristes tableaux, m'ecriois-je avec
amertume, '^ que nous a donc servi de naitre '^ et f qui est-ce
qui sait être heureux. C'est moi répondit le prêtre d'un ton dont
' B. elle couvre.
- (leurs).
■■ B. propres.
' B. d'autrui.
■■ B. des préjugés.
" [(moins ?)].
' B. en donnant un prix à ce qui n'en a point, et nous rendant sensibles. —
M. en nous en donnant de chimériques, en mettant un pri.\ à.
" B. fausses.
" B. (pas) [point].
'" B. la félicité fuit ceux qui la poursuivent; l'homme.
" (le plus heureux des hommes).
'- [(leur) donne un plus grand prix aux biens de la vie est celui qui sait le
moins en jouir]. — B. fait le plus de cas de la vie est celui.
" (le néant de l'humanité... des choses humaines). — B. « .\h\ quels tristes
tableaux, m'écriois-je *.
" B. [s'il faut renoncer à son être pour en jouir] que nous. — M. toujours
renoncer à soi.
'■' B. (et) [s'il faut ne tenir à rien pour vivre sans peines] qui est-ce. —
M. s'il ne faut tenir.
t Ce dialogue avait déjà été amorcé plus haut, dans une note
marginale, /'° i56 ''".
EDITION ORIGINALE 3I
» Ah ! quels tristes tableaux, m"écriois-je avec amertume ! s'il faut
» se refuser à tout, que nous a donc servi de naître, & s'il faut mépriser
» le bonheur même, qui est-ce qui sait être heureux? C'est moi, répondit
» un jour le Prêtre, d'un ton dont je fus frappé. Heureux, vous! si peu
» fortuné, si pauvre, exilé, persécuté; vous êtes heureux! Et qu'avez-
» vous fait pour l'être? Mon entant, reprit-il, je vous le dirai volontiers.
n'étaient ni plus sages ni plus heureux qu'eux. Il me dit une chose qui m'est
souvent revenue à la mémoire : c'est que si chaque homme pouvait lire dans les
cœurs de tous les autres, il y aurait plus de gens qui voudraient descendre que de
ceux qui voudraient monter. Cette réflexion dont la vérité frappe et qui n'a rien
d'outré, m'a été d'un grand usage dans le cours de ma vie pour me faire tenir à ma
place paisiblement. 11 me donna les premières vraies idées de l'honnête, que mon
génie ampoulé n'avait saisi que dans ses excès ». Ce sont, à peu de chose près, les
mêmes maximes qu'ici : mais, dans le résumé des Confessions, le ton est plus
simple et moins antithétique.
32 REDACTIONS MANUSCRITES
je fus frapé. Heureux, vous ? si peu fortuné, si pauvre (' si)
persécuté, \ous êtes heureux ! et - comment avez-vous fait pour
l'être. Mon enfant reprit-il je vous le dirai volontiers.
3. Le Rendez-vous.
(3 Alors) il me fit entendre qu'après avoir receu mes confes-
sions il vouloit me faire les siennes. J'epancheroi dans vôtre sein
me dit-il en m'embrassant tous les ^ secrets de mon cœur. Vous
me verrez, sinon tel que je suis ^ au moins tel que je me vois
moi-même. Quand vous aurez receu mon entière profession de
foi t quand vous connoitrez bien , l'état de mon ame, vous
C verrez) pourquoi je m'estime heureux et, si vous (en) pensez
comme moi, ce que vous avez à faire pour l'être. Mais C ces
jo -J57 vo détails) ne sont pas l'affaire d'un moment. Il '* faut \\ du tems pour
■' exposer tout ce que je pense. (^" Nous choisirons) « un lieu »
commode pour nous livrer paisiblement à cet entretien.
" Alors il me donna rendez vous au lendemain matin ;
('■- nous étions) en été nous nous levâmes à la pointe du
jour. Il me mena hors de la ville' '■' sur une haute colline
' rexile'.
- B. qu'avez. •
' 'Là-dessus\
■* B. sentimens.
^ (au moins tel que je suis).
^ [(connoitrez) saurez].
' [ces aveu.x].
» B. [(me)].
" (entrer dans les détails que). — B. vous e.xposer.
"• [prenons un (moment) heure] commode[s].
" B. Je marquai de l'empressement à l'entendre. (11 me donna rendez-vous)
[le rendez-vous ne fut pas renvoyé plus tard qu'au].
'- [on étoit].
" B. (et).
t Ici. dans le inanuscn't. un espace de quelques lignes laissé en blanc.
ÉDITION ORIGINALE 33
3. Le Rendez-vous.
» Là-dessus il me fit entendre qu'a- | près avoir reçu mes confes- [19]
» sions, il vouloit me faire les siennes. J'épancherai dans votre sein,
» me dit-il en m'embrassant, tous les sentimens de mon cœur '. \'ous
» me verrez, si non tel que je suis, au moins tel que je me vois moi-
» même. Quand vous aurez reçu mon entière profession de foi, quand
» vous connoîtrez bien l'état de mon ame, vous saurez pourquoi je
» m'estime heureux, &, si vous pensez comme moi, ce que vous
» avez à faire pour l'être. Mais ces aveu.x. ne sont pas l'affaire d'un
» moment; il faut du tems pour vous exposer tout ce que je pense
» sur le sort de l'homme. & sur le vrai prix de la vie'-; prenons une
» heure un lieu commodes pour nous livrer paisiblement à cet entrelien.
» Je marquai de l'empressement à l'entendre. Le rendez-vous ne
» fut I pas renvové plutard qu'au lendemain matin. On étoit en été; ^20]
» nous nous levâmes à la pointe du jour. Il me mena hors de
» la ville, sur une haute colline, au-dessous de laquelle passoit le
» Pô 1, dont on voyoit le cours à travers les fertiles rives qu'il
' Comme plusieurs philosophes du XVIII" siècle, chez qui le prosélytisme est un
besoin du tempérament, Rousseau est en quête d'un disciple: et c'est à un « jeune
homme » qu'il désire, lui aussi, confier ses plus chères pensées : cf. Vauvenargues,
Conseils à un jeune homme '178', 170 sqq, et le mot de Diderot en tête de ses
Pensées sur l'interprétation de la Sature 210", 7 : « Jeune homme, prends et lis ».
Mais Rousseau pouvait aussi se rappeler, dans les Entretiens du P. Lami 90 . 368-38o.
le discours du solitaire Synèse à son jeune disciple Eugène.
' Ainsi, dans cette « Profession de foi ». les développements proprement
métaphysiques ou théologiques ne seront que des accessoires, ou mieux, des
moyens. C'est avant tout un art de vivre.
• Il y a, en effet, aux portes de Turin, deux éminences, d'où l'on peut apercevoir
« l'immense chaîne des Alpes » : le Monte dei Cappucini, et, à l'est, un peu en
arrière, la Superga. Le nom de « haute colline » semblerait mieux convenir à la
Superga (672 m.i qu'au Monte dei Cappucini (292 m ; 5o m. au-dessus du Pôi;
mais c'est du Monte seulement qu'on peut dire que « le Pô passe au-dessous ».
3
34
REDACTIONS MANUSCRITES
[1 au-dessous - de laquelle passoit le poj dont ' on (^ suivoit)
le cours à travers (■' le plus beau pays, et) dans l'éloignement
l'immense chaîne des alpes ('■ terminoit) le (plus superbe) paysage
(dont l'œil humain îut jamais îrapé). " Les rayons du| soleil levant
rasoient déjà les plaines et ;'* projettant « sur ('•' ces) champs »j
('"en?') longues ombres, ("le dessein des) arbres ('-et des) mai-
sons (dont " la campagne étoit couverte) '^ enrichissoient (le
tableau « '^par » "'cent) accidens de lumière '". On eut dit que la
nature '** étalon à nos yeux « toute » sa '■' magnificence pour écarter
de (■" nous) les pensées basses et nous élever aux sublimes contempla-
tions. Ce fut là qu'après a\oir quelque tems -'considéré ces objets
en silence ^^mon digne maitre (-^ me parla ainsi).
' (hors de la ville).
^ (de laquelle on découvroit... suivoit... pouvoit suivre des yeu.x au loin le
mot illisible du Po).
' [(l'œil)].
■• [voyoii]. — B. (suivoit) [voyoit].
* [les fertiles plaines qu'il arrose]. — B. (plaines) ^(coteau.x) rives] qu'il
(arrose) [baigne].
" [(bornoit) couronnoit].
' (Le).
"* (marquoit le ... projeunient). — B. (projettoient) [projettant].
" [les].
'" [par de]. — B. par.
" [les].
'- [les coteaux, les].
" [(ils étoient ornés... entourés)].
'* (elles étoient ornées... qui donnoient à tout le pais un... les en-
touroient).
■^ [de].
"• [mille].
" lumiere(si (dont ,"et rendoienl] les lableau.x étoient enrichis) [le plus
beau tableau dont l'a-il humain fut jamais Irapé]. — B. puisse être frapé.
'* (avoil).
" B. (magnificence) [pompe].
-" [nos esprits]. — B. nos amas.
-' B. (regardé) considéré.
-- B. (mon digne maitre commença) [l'homme de pai.\ me paria] ainsi. —
ï. mon digne maitre commença.
-•' [(tint ce discours) commença ainsi].
EDITION ORIGINALE 35
» baigne. Dans 1 eloignement, l'immense chaîne des Alpes couronnoit
» le païsage. Les rayons du soleil levant rasoient déjà les plaines,
» & projettant sur les champs par longues ombres les arbres, les
» coteaux, les maisons, enrichissoient de mille accidens de lumière -,
» le plus beau tableau dont l'œil humain puisse être frappé s. On
» eût dit que la Nature étaloit à nos _veux toute sa magnificence K
» pour en offrir le texte à nos entretiens '"•. Ce fut-là, qu'après avoir
' Cf. Xonvelle Héloïse iVl, xxtii), IV, 5o : « Ajoutez à tout cela les illusions de
l'optique, les pointes des monts différemment éclairées, le clair obscur du soleil et des
ombres, et tous les accidents de lumière qui en résultaient le matin et le soir ».
• Il semblerait que la formule fût réservée pour le « tableau » du lac de
Genève: cf. Xouvelle Heloise (IV. vu. IV, 291 : «Ce paysage unique, le plus bea:i
dont l'œil humain fut famais frappe ».
' Cf. Souvelle Héloïse (V, m. IV, 38i. note : « La véritable magnificence
n'est que l'ordre rendu sensible dans le grand; ce qui fait que de tous les spectacles
imaginables, le plus magnifique est celui de la nature ».
5 Ce décor du soleil levant a déjà été utilisé au début du 111' Livre d'Emile,
II, iSS-iSg. C'était, si l'on peut ainsi parler, un décor général, un lever de soleil dans
une campagne quelconque : « On le voit s'annoncer de loin par les traits de feu
qu'il lance au-devant de lui. L'incendie augmente, l'orient paraît tout en flammes : à
leur éclat, on attend l'astre longtemps avant qu'il se montre : à chaque instant on
croit le voir paraître ; on le voit enfin. Un point brillant part comme un éclair, et
remplit aussitôt tout l'espace: le voile des ténèbres s'efface et tombe. L'homme
reconnaît son séjour, et le trouve embelli. La verdure a pris durant la nuit une
vigueur nouvelle; le jour naissant qui l'éclairé, les premiers rayons qui la dorent,
la montrent couverte d'un brillant réseau de rosée, qui réfléchit à l'œil la lumière
et les couleurs. Les oiseaux en chœur se réunissent et saluent de concert le père de
la vie; en ce moment pas un seul ne se tait: leur gazouillement, faible encore, est
plus lent et plus doux que dans le reste de la journée, il se sent de la langueur d'un
paisible réveil. Le concours de tous ces objets porte aux sens une impression de
fraîcheur qui semble pénétrer jusqu'à l'âme. Il y a là une demi-heure d'enchantement,
auquel nul homme ne résiste : un spectacle si grand, si beau, si délicieux, n'en laisse
aucun de sang-froid ». Ici c'est un lever de soleil particularisé, dans un paysage
encore très sommaire, où pourtant certains souvenirs personnels mettent une
précision pittoresque. Mais la plus grande différence entre les deux morceaux réside
surtout dans l'état d'esprit et le langage des contemplateurs : « Plein de l'enthousiasme
qu'il éprouve, dit Rousseau au III' Livre, le maître veut le communiquer à l'enfant :
il croit l'émouvoir en le rendant attentif aux sensations dont il est ému lui-même.
Pure bêtise! C'est dans le cœur de l'homme qu'est la vie du spectacle de la nature;
pour le voir, il faut le sentir. L'enfant aperçoit les objets: mais il ne peut apercevoir
les rapports qui les lient, il ne peut entendre la douce harmonie de leur concert. 11
faut une expérience qu'il n'a point acquise, il faut des sentiments qu'il n'a point
éprouvés, pour sentir l'impression composée qui résulte à la fois de toutes ces
sensations Comment s'attendrira-t-il sur la beauté du spectacle de la nature, s'il
ignore quelle main prit soin de l'orner ? Ne tenez point à l'enfant des discours qu'il
ne peut entendre. Point de descriptions, point d'éloquence, point de figures, point de
poésie. Il n'est pas maintenant question de sentiment ni de goût. Continuez d'être
36
RÉDACTIONS MANUSCRITES
EDITION ORIGINALE Z7
» quelque tems contemplé ces objets en silence *, l'homme de paix
» me parla ainsi.
clair, simple, et froid ; le temps ne viendra que trop tôt de prendre un autre langage ».
Ce temps est venu maintenant : le spectacle du soleil levant n'est plus matière à
leçon astronomique, mais à leçon de théologie morale. — Il est d'ailleurs possible, et
même probable, que le choix du cadre a été suggéré à Rousseau par Haller. Celui-ci
avait commencé son Essai sur l'origine du mal, par une description analogue, dont
on remarquera les nombreuses ressemblances avec celle de la Profession. Je cite les
Poésies de Haller d'après la traduction de 1762, que Rousseau avait lue. et dont on
retrouve des extraits dans ses cahiers [200], Sô-Sg : « Invité par un doux zéphir, je
m'arrêtai un jour sur une colline écartée... Un large pays s'y étend sous nos pieds,
borné par sa propre grandeur... La verdure des bois qui couvrent les coteaux est
relevée par une agréable variété, par la couleur blonde des champs. L'Aare qui roule
ses eaux pures par les prairies, réfléchit, en mille situations différentes, une vive
lumière... Ici la terre était couverte de brebis, dont les troupeaux bigarrés broutaient
avec avidité, pendant que d'un autre côté, des bœufs pesants, mollement étendus sur
l'herbe, ranimaient leur goût en ruminant le trèfle fleuri... le vert obscur des sapins
jetait son ombrage sur la pâle verdure de la mousse; les rayons du soleil répandaient
au travers des branches épaisses une lumière tremblante, et une ombre verte se
confondait en diftérentes nuances avec un éclat doré... Là les Alpes élèvent leurs
sommets couronnés de nuages au-dessus du .vol des oiseaux... Oui, tous les objets
que je vois sont des dons du destin ! Le monde même est fait pour le bonheur de ses
citovens. un bien-être universel anime la nature, et tout porte l'empreinte d'un Être
souverainement bon ». — Cf. encore. Confessions, VIII, i68-i6g, les prières de Jean-
Jacques au soleil levant, et Mémoires de Mme d'Èpinay [256], 1, 394, le mot qu'elle
attribue à Rousseau : « Le lever du soleil, en dissipant la vapeur qui couvre la terre,
et en m'exposant la scène brillante et merveilleuse de la nature, dissipe en même,
temps les brouillards de mon esprit. Je retrouve ma foi. mon Dieu, ma croyance
en lui ».
' Ici encore le Vicaire suit la méthode conseillée par Rousseau. IV Livre
d'Emile, II, 294-296: et. comme il veut agir « par la persuasion, par les affections de
l'âme », il se garde bien de « négliger la langue des signes » : « Ce que les .Anciens,
dit Rousseau, ont fait avec l'éloquence est prodigieux ; mais cette éloquence ne
consistait pas seulement en beaux discours bien arrangés; et jamais elle n'eut plus
d'effet que quand l'orateur parlait le moins. Ce qu'on disait le plus vivement ne
s'exprimait pas par des mots, mais par des signes, on ne le disait pas, on le montrait.
L'objet qu'on expose aux yeux ébranle l'imagination, excite la curiosité, tient l'esprit
dans l'attente de ce qu'on va dire : et souvent cet objet seul a tout dit ». C'est ce que
fait le Vicaire. Avant de prêcher Dieu, il le montre. Il le prend même, en quelque
sorte, à témoin, comme il s'était proposé de le faire aux moments les plus solennels
de la vie de son Emile; cf. dans le Premier Brouillon [10], 60'°, ce passage inédit,
avec, en marge, cette annotation, « Prendre Dieu à témoin » : « Je suis persuadé
qu'une chose qui nous étrécit l'âme, et contribue à nous rendre petits et vicieux,
est que nous ne mettons pas assez de solennité dans les actions importantes de notre
vie. Je n'appelle pas solennité ce qui se fait en cérémonie à la face des hommes, mais
dans une présence infiniment plus auguste, qui est celle de leur créateur ».
38
REDACTIONS MANUSCRITES
PROFESSION DE FOI DU VICAIRE SAVOYARD
r PARTIE : LA RELIGION NATURELLE
1. La Confession du Vicaire.
Mon enfant n'attendez de moi ni des discours savans ni de
profonds raisonnemens. Je ne suis (-point) un grand philosophe
et 'ne me soucie ^ point de l'être. Mais j'ai quelquefois du bon sens
et j'aime toujours la vérité, (''mon dessein n'est point de raisonner
'•ni de) vous convaincre ("mais de) vous exposer ce que je pense
dans la simplicité de mon cœur. ''Si je me trompe ''c'est de bonne
foi, '° cela suffit pour que mon erreur soit (" justifiée). '- Si je pense
'■'bien la raison nous est commune '■*. Pourquoi ne '-'le sentiriez-
vous pas comme moi.
Je suis né pauvre et paysan, j'étois îait pour cultiver la terre.
1' Cependant (à l'aide '"de quelque ar gent) on i'^ me fit] apprendre
' (Disco URs).
= [pas].
' B. (ne). — M. ne.
* B. (point) [peu]. — M. point. — I. point.
^ [(sans vouloir) je ne veux (ni) pas argumenter avec vous, je ne cherche
pointa]. — B. je ne veux (point) [pas] argumenter avec vous (et) je (n'espère)
[ne cherche] pas à.
" (même).
' [(mon dessein n'est pas de... je me contenterai de) il me suffit de].
" (Si le vôtre). — B. [Consultez le vôtre durant mon discours; c'est tout ce
que je vous demande]. — I. < consultez... demande >.
" M. dans mes sentimens.
'" M. c'en est assez.
" [(pardonnée... ne soit point criminelle) ne me soit pas imputée « à crime »].
'- B. * quand vous vous tromperiez de même il y auroit peu ■>•> de mal à cela.
'" B. [(vrai)].
'* B. [et nous avons le même interest à (connoître la vérité) l'écouter].
" B. (le) penseriez-vous.
'" B. Mais on crut plus beau (de me faire apprendre) [que j'apprisse] à
gagner.
'" [(de la famille)]
" (vint à bout de me faire étudier « c'est-à-dire » pour).
ÉDITIOX ORIGINALE 39
PROFESSION DE FOI DU VICAIRE SAVOYARD [21]
r PARTIE : LA RELIGION NATURELLE
1. La Confession du Vicaire.
Mon
enfant, n'attendez de moi ni des discours savans, ni de
profonds raisonnemens. Je ne suis pas un grand Pliilosophe,iS: je me
soucie peu de l'être. Mais j'ai quelquefois du bon sens, & j'aime tou-
jours la vérité i. Je ne veux pas argumenter avec vous, ni même
tenter de vous convaincre -; il me suffit de vous exposer ce que
je pense dans la simplicité de mon cœur. Consultez le vôtre durant mon
discours; c'est tout ce que je vous demande. Si je me trompe, c'est de
' Si, par hasard, il était besoin de prouver que le Vicaire et Rousseau ne font
qu'un, on en trouverait un témoignage décisif dans cette lettre à Dom Deschamps,
du 8 -Mai 1761 [27], 148, où Rousseau s'approprie les paroles du Vicaire : « Vous
croyez vous adresser à un philosophe, et vous vous trompez : je suis un homme très
peu instruit, et qui ne s'est jamais soucié de l'être, mais qui a quelquefois du bon
sens et qui aime toujours la vérité ». — Il y a 'quelque analogie, sinon dans les senti-
ments, au moins dans les formules, entre les déclarations du Vicaire et celles de
Descartes, au début du Discours de la Méthode ^80], 2 : « Je n'ai jamais présumé
que mon esprit fut en rien plus parfait que ceux du commun... .Mon dessein n'est
pas d'enseigner la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison,
mais seulement de faire voir en quelle sorte j'ai tâché de conduire la mienne ». —
C'est l'attitude que Rousseau avait déjà prise en s'adressant à Sophie, I" Lettre [3i],
117 : « En vous exposant mes sentiments sur l'usage de la vie, je prétends moins
vous donner des leçons que vous faire ma profession de foi... Sans doute, avec
d'importantes vérités dont vous saurez faire usage, vous trouverez ici des erreurs
■involontaires dont votre droiture de cœur et d'esprit saura me guérir et vous préserver.
Exammez, discernez, choisissez»; cf. encore la Lettre sur la vertu [25], 184 : « Ne
vous attendez pas de trouver ici des dissertations métaphysiques, ni tout cet appareil
de mots que beaucoup de lecteurs y chercheront sans doute, et qui ne sert qu'à
rendre l'homme plus vain, sans le rendre meilleur ni plus éclairé. Cette affectation
de doctrine ne siérait ni à l'auteur ni à l'ouvrage dans une matière où il est plus
question de sentir que d'apercevoir, et que les plus simples entendent toujours mieux
que les plus savants. La nature nous a donné des sentiments et non des lumières, et
comme on ne peut sans injustice nous demander compte de ce que nous n'avons pas
reçu, nous aurions trop à nous plaindre, si tant de savoir était nécessaire pour
connaître la vertu ».
' Il ne le tente pas, mais il l'espère : « Pourquoi ne penseriez-vous pas comme
moi »? ou plutôt il fait bon marché de convaincre, pourvu qu'il persuade. Comme
le dira son disciple, à la fin de la Première Partie, p. 128-129, ^" dépit « des foules
d'objections » qu'on pourrait lui faire, « la persuasion est pour lui ».
40 REDACTIONS MANUSCRITES
('ce qu'il -îaloit savoir pour) gagner « ^ mon » pain dans le métier
de prêtre *. Assurément ni mes parens ni moi ne songions guère
^à chercher en cela ce qui étoit bon et \eritable, mais ce qu'il
faloit "admettre comme tel pour être ordonné. J'appris ce qu'on
vouioit que "j'apprisse, '^ je dis ce qu'on vouloit que je disse, je
'•'promis (tout), (ce) qu'on voulut, et je fus fait prêtre. Mais je ne
tardai pas à '<> m'appercevoir qu'en promettant de n'être pas homme
j'avois promis plus que je ne pouvois tenir.
(Cette seule réflexion m'eut pu mener loin). On nous dit que
la conscience est l'ouvrage '^ des préjugés. Cependant '- 1-' expé-
rience m'a fait sentir '•' qu'elle s'obstine à suivre l'ordre de la
nature |mêmej contre ('^la voix des « préjugés »). On a beau nous
« i^detïendre» ceci ou cela, ("'elle ^'nous deîent ) « toujours »
foiblement ce que nous permet la nature bien ordonnée, a plus
jo j^gg ro II forte raison ce qu'elle nous prescrit (comme la cohabitation des
deux sexes). O bon jeune homme elle n'a rien dit encore à vos
■ [à].
- [faut].
' [(son)].
* B. et l'on trouva le moyen de me faire étudier (à l'aide de quelques
patrons qui m'assistèrent).
' B. (en).
" B. savoir pour.
' (je disse).
^ I. < je dis... disse >.
' [pris tous les engagemens]. — B. m'engageai comme on.
'" B. sentir qu'en (promettant) [faisant vœu] de n'être.
" [(de l'édu CATION)].
'- B. je sais par mon e,xpérience qu'elle.
" (aussi... cepend ant).
'* [(les voix des hommes) les lois des hommes]. — B. toutes les lois.
'= [(prescrire)].
'" [(« la conscience») le remords nous reproche].
'■ (parlé?).
EDITION ORIGINALE 4I
bonne-foi ; cela suffit pour que mon erreur ne me soii pas imputée à
crime ^\ quand vous vous tromperiez de même, il y auroit peu de mal
à cela : si je pense bien, la raison nous est commune, & nous avons le
même intérêt à l'écouter; pourquoi ; ne penseriez-vous pas comme moi? [22]
Je suis né pauvre & paysan 1, destiné par mon état à cultiver la
terre: mais on crut plus beau que j'apprisse à gagner mon pain dans le
métier de Prêtre, «Se l'on trouva le moyen de me faire étudier. Assurément
ni mes parens, ni moi ne songions guère à chercher en cela ce qui étoit
bon, véritable, utile, mais ce qu'il falloit savoir pour être ordonné.
J'appris ce qu'on vouloit que j'apprisse, je dis ce qu'on vouloit que je
disse, je m'engageai comme on voulut, & je fus fait Prêtre. Mais je ne
tardai pas à sentir qu'en m'obligeant de n'être pas homme, j'avois promis
plus que je ne pouvois tenir.
On nous dit que la conscience est l'ouvrage des préjugés -; cependant
je sais par mon expérience qu'elle s'obstine à suivre l'ordre de la Nature
contre toutes les loi.x des hommes. On a I beau nous défendre ceci ou [23]
cela, le remords nous reproche toujours foiblement ce que nous permet
la Nature bien ordonnée, à plus forte raison ce qu'elle nous prescrit 1.
• Pensées philosophiques, XXIX [177], 140 : « Qu'ai-je à craindre, si c'est
innocemment que je me trompe»? Et Voltaire, dans ['Èpilre à L'ranie [iSg], 36i :
« Crois que de ton esprit lu naive candeur
Ne sera point l'objet de sa haine immortelle.
Mais c'est surtout dans le système de Marie Huber que la bonne foi avait été
élevée à la hauteur d'un principe; cf. Religion essentielle \\bi\, II, 191, 198 : « Quoi
donc ! la bonne foi pourrait-elle suffir à tout !... La chose me parait très possible...
La bonne foi envers soi-même est l'introduction à tout le reste »; et IV, 122-123 : « Ce
principe de droiture et de bonne foi qui fait l'âme de la religion essentielle; principe
qui fait acquiescer à toute vérité reconnue pour telle, et à tout prix, sans égard à
l'approbation ou à la désapprobation des hommes; principe enfin qui retranche toute
vaine curiosité, toute spéculation inutile, qui fait qu'on se borne à connaître ce qui
est de sa tâche et à la remplir de son mieux ».
' Ce dernier trait convient surtout à M. Gaime. 11 était né, en effet, dans un
petit village de Savoie, à Héry-sur-Alby. M. Gâtier, au contraire, était bourgeois de
Cluses, capitale du Faucigny : cf., pour M. Gaime, Mugnier, M^' de W'arens et
J. J. Rousseau [272], 5i, et, pour jM. Gâtier. l'acte de naissance cité dans {'Intro-
duction, \" Partie, Chap. II, § 2.
' Cette théorie sera discutée plus loin par Rousseau : cf. p. 107-110 et notes;
mais ici. comme la phrase a été écrite avant la lecture du livre De L'Esprit, la pensée
d'Helvetius est absente de cet on dit, et c'est sans doute à Montaigne, MandeviUe et
autres « prétendus sages », que Rousseau fait allusion.
' Les idées de Rousseau semblent avoir varié sur ce point, au moins dans
l'expression, et suivant les nécessités de la discussion. Dans ce même IV Livre
d'Emile, à deux reprises, II, 292, 3o6, il conteste que « ce prétendu besoin » soit « un
42 REDACTIONS MANUSCRITES
sens, (1 vous êtes encore) dans l'état heureux où sa voix est celle
de l'innocence. Sou\'enez-vous qu'on l'offense encore plus quand
on la prévient que quand on la (- réprime). Il est toujours beau de
se vaincre et ^ il faut commencer par apprendre à résister pour
savoir quand on peut céder sans crime.
' [(Puissiez-vous vivre longtems... Ah!) vivez longtems]
' [combat].
^ (celui qui prévient).
EDITION ORIGINALE 43
O bon jeune homme 1 elle n'a rien dit encore à vos sens; vivez long-
tems dans l'état heureux où sa voix est celle de l'innocence. Souvenez-
vous qu'on l'offense encore plus quand on la prévient, que quand on la
combat; il faut commencer par apprendre à résister, pour savoir quand
on peut céder sans crime.
vrai besoin » et il parait admettre que la virginité, même perpétuelle, — si elle sait
se défendre des tentations de l'imagination et de la société, — reste conforme à la
nature. Dans la Xouvelle Héloïse (11, xxvii), IV, 209, Julie s'indigne contre les hommes
qui allèguent « je ne sai» quelle chimérique nécessité, qui n'est connue que des gens
de mauvaise vie ; comme si les deux sexes étaient, sur ce point, de nature dinérente,
et que. dans l'absence ou le célibat, il fallût à l'honnête homme des ressources dont
l'honnête femme n'a pas besoin ». Dans le fond pourtant, Rousseau est d'accord avec
le Vicaire. Il dira dans le V* Livre, II, 442 : « On me citera mille jeunes gens, qui.
dit-on, vivent fort chastement sans amour: mais qu'on me cite un homme fait, un
véritable homme qui dise avoir ainsi passé sa jeunesse, et qui soit de bonne foi ». En
ce qui concerne particulièrement les prêtres, il avait déjà dit dans ses Conseils à un
curé [2], 2™ (je cite la première rédaction, qui était plus aggressive et plus tranchante! :
« Vous savez tous mieux que moi, qu'en obligeant le clergé à la continence, on lui
a rendu la chasteté impossible ». Dans un brouillon de la S'ouvelle Héloïse (VI, vi)
[8 B], %(>'", cette même Julie s'emporte avec une violence inattendue contre le célibat
ecclésiastique : « Voyez ces prêtres téméraires qui font vœu de n'être pas hommes.
Pour les punir d'avoir tenté Dieu. Dieu les abandonne à leurs mœurs corrompues:
leur feinte continence les mène aux plus infâmes débauches; ils se disent saints et
sont déshonnêtes. et je comprends qu'ils s'abaissent au-dessous des brutes, pour avoir
dédaigné l'humanité ». Le texte définitif est légèrement adouci, et la note, V, 23,
apporte à cette affirmation sans réserves quelques atténuations, mais ne modifie pas
l'essentiel de la thèse : « Quelques hommes sont continents sans mérite, d'autres le
sont par vertu, el je ne doute pas que plusieurs prêtres catholiques ne soient dans
ce dernier cas; mais imposer le célibat à un corps aussi nombreux que le clergé de
l'Eglise Romaine, ce n'est pas tant lui défendre de n'avoir point de femmes que de lui
ordonner de se contenter de celles d'autrui » : cf. encore les mêmes idées. Lettre à
M. de Beaumont, 111, 89, note. — Cette protestation contre le célibat ecclésiastique n'a
rien d'étonnant chez un « citoyen de Genève » ; on la retrouverait chez d'autres
écrivains protestants, familiers à Rousseau : cf., par exemple, Beausobre. Histoire
du Manichéisme [142], II, 481, Haller, Épt'tre sur la fausseté des vertus humaines
[200], 173-176; Vernet, Instruction chrétienne [21 3]. III, 369. Si Rousseau n'avait pas
encore tout-à-fait oublié L'Histoire de l'Église et de l'Empire, « qu'il avait apprise
presque par cœur chez son père » [Confessions, Vlll, 45), il devait se rappeler les
nombreux arguments de Le Sueur en faveur du mariage des prêtres : cf. [85^, 111, 462,
\', 343, 476, etc. Mais, en outre, dans les milieux « philosophiques », depuis un demi-
siècie environ, il se dessinait un mouvement d'opinion, hostile au célibat ecclésias-
tique : cf. les Dialogues de La Hontan [io5], 25-27, ^^^ \fœurs de Toussaint [184], i3,
les Lettres Juives de d'.\rgens j5o], II, 70-71, IV, 240-252, la Lettre de Thrasybule
de Fréret [189]. 82-83, l'article Célibat, dans V Encyclopédie, par Diderot '58], XI\',
42-5g, etc., etc. Il ne faut pas oublier surtout les théories de l'abbé de Saint-Pierre,
que Rousseau connaissait bien, puisqu'il avait été chargé de les résumer: cf. Obser-
vations politiques sur le célibat des prêtres [70], II, i5o-i83. On verra par la
note 3 que le souvenir de l'abbé de Saint-Pierre est entré pour quelque chose dans
le personnage du Vicaire.
44 RÉDACTIONS MANUSCRITES
'J'ai toujours regardé le mariage comme la première et la
plus sainte institution de la nature, m'étant ôié le '-pouvoir de m'v
soumettre je résolus au moins de ne (le) ' pas * profaner car malgré
mes (études et mes) classes 5a^■ant toujours mené une \'ie uniforme
et simple 'mes lumières primitives avoient encore toute leur clarté.
' Les majcimes du monde ne les avoient point obscurcies, ** et
ma pauvreté (■' m'avoit servi de sauve-garde contre les '" illusions)
du \ice.
(Croiriez-vous qu'une si louable) " resolution fut précisément
ce qui me perdit. Mon respect pour le lit d'autrui laissa « ^- mes
fautes » à découvert. ('^ Elles îurent sévèrement expiées et ^Me
scandale ''■mej îut "surtout reproché), " «. je fus bien plus »
('■"puni) « de mes scrupules que de ^^ mon incontinence » et j'eus
lieu de (-"voir) aux reproches dont ma disgrâce fut accompagnée
qu'il ne faut souvent qu'aggraver le crime pour échaper au
châtiment.
Peu d'expérience s pareilles -' mènent loin un esprit qui (en)
' B. (J'ai toujours regardé) [Dès ma (première) jeunesse, j'ai respecté].
- B. droit.
" B. point.
* [le].
^ [et mes études].
" B. (mes) [j'avois conservé dans mon esprit toute la clarté des] lumières
primitives (avoient encore toute leur clarté).
' (L'habitude).
« (la).
" [me (servoit) tenoit éloigné des pièges]. — B. m'éloignoit des tentations
(d'où naissent) [qui dictent] les sophismes du vice.
'" [(sophismes)].
" [Cette].
'-' [(ma faute)].
'" (et m'exposa... on me les fit elle fut]).
■* (je).
" [qui].
'" (pr mot inachevé).
" [11 fallut e.vpier le scandale (et). Arrêté, interdit, chassé].
'" [la victime].
" (mes fa utes.'').
-" [comprendre].
-' expérience pareilles (sic).
EDITION' ORIGINALE 45
Dès ma jeunesse j'ai respecté le mariage comme la première & la
plus sainte institution de la Nature -. M'étant ôté le droit de m'y sou-
mettre, je résolus de ne le point profaner ': car malgré mes classes & mes
études, ayant toujours mené une vie uniforme & simple, j'avois con-
servé dans mon esprit toute la clarté des lumières primitives: les maximes
du monde ne | les avoient point obscurcies, & ma pauvreté m'éloignoit [24]
des tentations qui dictent les sophismes du vice.
Cette résolution fut précisément ce qui me perdit; mon respect pour
le lit d'autrui laissa mes fautes à découvert. Il fallut e.xpier le scandale :
arrêté, interdit, chassé, je fus bien plus la victime de mes scrupules que
de mon incontinence, & j'eus lieu de comprendre aux reproches dont ma
disgrâce fut accompagnée, qu'il ne faut souvent qu'aggraver la faute pour
échapper au châtiment '.
Peu d'expériences pareilles mènent loin un esprit qui réfléchit.
' Cf. Lettre à D'Alembert, I, 264 : « Le premier et le plus saint de tous les
liens de la société est le mariage ».
' Voltaire [242], 274 : « Que m'importe que ce vicaire ait eu ou non des bonnes
fortunes » ! — Dans le troisième livre d'Emile, 11, 169, Rousseau a déjà rappelé, mais
sur un autre ton, le cas analogue de l'abbé de Saint-Pierre : « L'n célèbre auteur de
ce siècle, dont les livres sont pleins de grands projets et de petites vues, avait fait
vœu, comme tous les prêtres de sa communion, de n'avoir point de femme en propre:
mais, se trouvant plus scrupuleux que les autres sur l'adultère, on dit qu'il prit le
parti d'avoir de jolies servantes, avec lesquelles il réparait de son mieux l'outrage
qu'il avait fait à son espèce par ce téméraire engagement ». On trouvera, sur ce point,
des détails plus précis dans les Xotes qu'il avait prises pour son étude sur l'abbé de
Saint-Pierre [37 , 245-246.
' Si le récit des Confessions, VIII. 84, était exact, l'abbé Gàtier serait ici le
prototype du Vicaire; on remarquera la similitude de quelques expressions : » J'appris
qu'étant vicaire dans une paroisse, il avait fait un enfant à une fille, la seule dont,
avec un cœur très tendre, il eût jamais été amoureux. Ce fut un scandale effroyable
dans un diocèse administré très sévèrement. Les prêtres, en bonne règle, ne doivent
faire des enfants qu'à des femmes mariées. Pour avoir manqué à cette loi de con-
venance, il fut mis en prison, diffamé, chassé. Je ne sais s'il aura pu dans la suite
rétablir ses affaires : mais le sentiment de son infortune, profondément gravé dans
mon cœur, me revint quand j'écrivis VÈmile, et, réunissant .M. Gâtier avec .M. Gaime,
je fis de ces deux dignes prêtres l'original du Vicaire Savoyard. Je me flatte que
l'imitation n'a pas déshonoré ses modèles ». — Sur l'exactitude du récit de Rousseau,
cf. Introduction, l* Partie, Chap. II, | 2.
46 RÉDACTIONS MANUSCRITES
réfléchit. ' Voyant 'par de tristes observations (?) -troubler" ^ toutes
* les idées que j'avois ■''du bon, du juste, et des devoirs de l'iiomme
je perdois chaque jour quelqu'une des '' opinions que j'avois
receues, ^ et celles qui me festoient ne suffisant plus pour faire
ensemble un (" sistème) qui put se soutenir ('■' de lui-même) je
sentis peu à peu '" ébranler dans mon " entendement toute la
certitude des choses, et réduit à ('- une espèce de scepticisme uni-
versel) je (•''me trouvai peu à peu) au même point (d'incrédulité)
où \ous êtes a\ec cette différence que ('* la mienne) '■' s'étant
formée dans un âge plus mur s'étoit •" établie '' avec plus de
peine « et » •* devoit être plus difficile à dctruirej.
2. A la recherche de la vérité.
J'étois dans '"cet état flotant d'incertitude et de doute que
Descartes exige ^" comme la première disposition (-' convenable dans)
' (mot illisible).
■ B. (troubler) [renverser].
■' (chaque iour).
•• B. (l'ordre) [les idées].
'■" (receues).
" M. idées.
• B. < et >.
" [corps].
' [(seul) par lui-même].
'" B. (ébranler) [s'obscurcir].
" B. (cntendementi [esprit] < toute > (la certitude) [l'évidence] des
principes.
'- [ne savoir que penser). — B. ne savoir plus que.
'■' [(tombai) parvins].
'* [mon incrédulité].
'■'• B. (s'étant formée... commença dans un) [fruit tardif d'un].
"'• B. (établie) [formée].
" (par une chaîne de « raisonnemens » dont quelques contradictions appa-
rentes... vous en tenir lieu).
'" (« par » des... avec plus de .. sur de meilleurs principes... mieu.x).
''■' B. (cet état flotant) [ces dispositions].
''" B. < comme la première disposition nécessaire >.
-' [nécessaire pour].
EDITION ORIGINALE 47
Voyant par de tristes observations renverser les idées que j"avois du juste,
de l'honnête, & de tous les devoirs de l'homme, je perdois chaque jour
quelqu'une des opinions que j'avois reçues, celles qui me restoient ne
suffisant plus pour faire ensemble un corps qui pût se soutenir | par lui- [25]
même, je sentis peu-à-peu s'obscurcir dans mon esprit l'évidence des^
principes: & réduit enfin à ne savoir plus que penser, je parvins au
même point où vous êtes; avec cette différence, que mon incrédulité, truit
tardif d'un âge plus mûr, s'étoit formée a\ec plus de peine, & devoit être
plus difficile à détruire.
2. A la recherche de la vérité.
J'étois dans ces dispositions d'incertitude & de doute ', que Descanes
exige pour la recherche de la vérité -. Cet état est peu fait pour durer,
il est inquiétant et pénible; il n'y a que l'intérêt du vice ou la paresse
de l'ame qui nous v laisse. Je n'avois point le cœur assez corrompu pour
m'v plaire; & rien ne conserve mieux l'habitude de réfléchir, que d'être
plus content de soi que de sa fortune ^.
' Comparer avec Marie Huber, Reli/fion essentielle [i5i], [. Lettre aux éditeurs
(non paginée) : « [L'auteur] suppose un Homme qui n'a point eu de Maître sur la
Religion, un Homme qui se consulte lui-même pour découvrir d'où il est venu et où
il va, et qui par une suite de cet examen est amené, d'une conséquence à l'autre, à
reconnaître un Premier Être, une Cause Suprême ».
- Discours de la Méthode, 1' Partie [8o], 4 et 10 : « Je me trouvais embarrassé
de tant de doutes et d'erreurs qu'il me semblait n'avoir fait autre protît, en tâchant
de m'instruire, sinon que j'avais découvert de plus en plus mon ignorance... Voyant
plusieurs choses qui, bien qu'elles nous semblent fort e.\travaganies et ridicules, ne
laissent pas d'être communément reçues et approuvées par d'autres grands peuples,
j'apprenais à ne rien croire trop fermement de ce qui ne m'avait été persuadé que par
l'exemple et par la coutume ». Mais c'est volontairement que Descartes fait de ces
incertitudes partielles un doute universel, tandis que le doute de Rousseau s'impose
à lui en dépit de ses désirs et de ses efforts. En outre, le doute de Descartes n'est
nullement un « état flottant» (texte de F|. « peu fait pour durer», « inquiétant et
pénible ». Descartes y est resté neuf ans llll" Partie du Discours, p. 281 sans en souffrir:
el, d'ailleurs, il laisse précisément hors de son doute ce qui inquiète surtout Rousseau,
et qui motive son examen : les devoirs pratiques, la morale et la Religion.
' Parce que la réflexion, loin d'être importune, procure les satisfactions de la
conscience.
48 RÉDACTIONS MANUSCRITES
la recherche de la vérité; cet état [est peu fait pour durer, ilj est
inquiétant ^ et pénible. Il n'y a que [l'interest du vice] ^ la paresse
de l'ame qui nous v laisse : ^ je n'avois * point le coeur assés cor-
rompu pour m'v plaire et ■ * rien * ne conserve mieux i l'habitude
■• de réfléchir que d'être plus content de soi que de sa fortune.
Je niéditois donc sur le triste sort des (* humains) -'jettes sur cette
mer des opinions 'humaines] sans gouvernail (et) sans ('"voiles)
et li\Tés à leurs passions orageuses sans autre guide qu'un pilote
("aveuglé) qui méconnoit sa route et qui ne sait ni d'où il \ient
ni où il va. Je me disois "'-j'aime la vérité ('^ la seule chose qui me
manque est de) i" laj '^ connoitre, qu'on me la montre et j'y
r 158 ™ demeure attaché "'. || Quoique j'aye souvent éprouvé de plus
grands maux je n'ai jamais '' mené une \ie aussi ''^ desagréable
que dans ces tems de '" peine et d'anxiétés ou '-" flotant sans cesse
de doute en doute je ne raportois de mes longues méditations
qu'incertitude, obscurité, contradictions sur la cause de mon
(-' être) et sur -- le principe de mes devoirs.
' M. < et >.
- B. ou la.
^ (mais quand sic faire pour en sortir).
■• I. (pas) [point].
' (pour deux mots illisibles).
" (de... ne nourrit).
' (du malheur me laissoit cette disposition).
' [mortels].
"B. (jettes) [flo'.ans].
"> [boussole].
" [inexpérimenté].
'^ (je veux le bien [je sens qu'il existe]).
'^ [je la cherche (sans) et ne puis la].
'* (le).
'° B. reconnoitre.
'* B. Pourquoi faut-il qu'elle se dérobe à l'empressement d'un cœur fait pour
l'adorer ?
'" B. passé [(mené)].
" B. constamment désagréable. — M. < constamment >.
" B. trouble.
'" B. (flotant) sans cesse [errant].
^' [existence]. — B. être.
-- B. la régie.
EDITION ORIGINALE 49
Je méditois donc sur le triste sort des mortels, flottans sur cette mer
des opinions humaines*, sans gouvernail, j sans boussole, & livrés à leurs [26]
passions orageuses, sans autre guide qu'un pilote inexpérimenté qui
méconnoît sa route, & qui ne sait ni d'où il vient, ni où il va. Je me
disois; jaime la vérité, je la cherche & ne puis la reconnoitre; qu'on me
la montre, & j'y demeure attaché : pourquoi faut-il qu'elle se dérobe à
l'empressement d'un cœur fait pour l'adorer ?
Quoique j'aye souvent éprouvé de plus grands maux, je n'ai
jamais mené une vie aussi constament désagréable que dans ces tems
de trouble & d'anxiétés, où sans cesse errant de doute en doute, je
ne rapportois de mes longues méditations qu'incertitude, obscurité,
contradictions sur la cause de mon être & sur la régie de mes devoirs.
* Bossuet avait déjà dit. Sermon sur la loi de Dieu '53], VIII, 472-473 : « Quand
je regarde quelquefois en moi-même cette mer si vaste et si agitée, si j'ose parler
de la sorte, des raisons et opinions humaines ». D'ailleurs, tout le premier point
de ce sermon n'est guère qu'un réquisitoire contre la Philosophie, très voisin de
celui de Rousseau. Est-il besoin de rappeler que Rousseau ne l'a point connu,
puisque les Sermons ne furent imprimés qu'en 1772? Mais cette similitude d'ar-
guments et d'expressions montre bien tout ce qu'il y a de traditionnel dans les
idées du Vicaire.
4
50 REDACTIONS MANUSCRITES
(' J'entends beaucoup parler des sceptiques^. Ces philosophes
ou n'existent pas, ou sont les plus malheureux des hommes. Le
doute sur les choses qu'il nous importe -de connoitre est un état
trop violent pour ^ l'homme. 11 n'v ^ résiste pas longtems, il se
décide ^ de manière ou d'autre et il aime mieux se tromper que
'■ de ne rien croire.
Ce qui ' îaisoit mon * plus grand embarras c'est qu'étant né
dans une * religion qui décide tout, qui ne permet aucun doute un
seul point rejette (^° me faisoit) rejetter i' tout le reste et que l'im-
possibilité d'admettre tant de décisions absurdes me détachoit aussi
de ce nies! qui ne l'éloient pas. En me disant crovez tout (ou rien)
l'on ('- me îorçoit) à ne rien croire et je ne savois plus où m'arrêter.
' [(Je n'imagine pas ce que c'est que d'être sceptique par sistême) comment
peut-on être sceptique par sistême et de bonne foi. Je ne (l'imagine pas) puis
l'imaginer]. — B. saurois l'imaginer.
- B. si fort.
' B. (l'homme) [l'esprit humain].
■* B. (résiste pas) [sauroit persévérer] longtems [sincèrement].
^ B. [malgré lui]. — I. [malgré lui].
" B. < de >.
• B. redoubloit.
" B. < plus grand >.
» B. Eglise.
'" [fait]. — B. me faisoit.
" I. tous le (s autres) [reste].
'- [m'engageoit]. — B. on (me forçoit à ne) [m'empèchoit de]. — I. me
forçoit à ne.
EDITION' ORIGINALE 51
Comment peut-on être sceptique par système & de bonne-toi ^ .■' je
ne saurais le comprendre -. Ces Philosophes, ou n'existent pas. ou
sont les I plus malheureux des hommes. Le doute sur les choses qu'il [27]
nous importe de connoitre i, est un état trop violent pour l'esprit
humain -■. il n'y résiste pas lonf,'-tems, il se décide malgré lui de manière
ou d'autre, & il aime mieux se tromper que ne rien croire ^.
Ce qui redoubloit mon embarras, étoit qu'étant né dans une Eglise
qui décide tout, qui ne permet aucun doute, un seul point rejette me
t'aisoit rejetter tout le reste *, & que l'impossibilité d'admettre tant de
■ .\rticle Evidence dans {'Encyclopédie [218], 146 b : « J'entends par évidence
une certitude à laquelle il nous est aussi impossible de nous refuser qu'il nous est
impossible d'ignorer nos sensations actuelles. Cette définition suffit pour apercevoir
que le pvrrhonisme général est de mauvaise foi ».
= \oltaire [242], 275 : « Inutile, on est sceptique sur mille choses qu'on ne
connaît pas ». — Une note inédite de la Nouvelle Héloïse (VI, xi) [9], H, 69'", fournit
a ce passage un excellent commentaire. La note est accrochée à la phrase de Wolmar
à Saint-Preux (cf. V. 5i) : « Voilà le premier doute qui m'ait fait flotter dans le
sentiment que vous avez si souvent attaqué ». Et Rousseau aio.ute ironiquement en
marge : « Le premier doute qui fasse flotter un sceptique dans son sentiment ! Ceci
me parait bien près du galimatias. Je crois pourtant entrevoir une espèce de sens.
Jusque là, M. de Wolmar vivait avec sécurité dans ses doutes; cette sécurité s'ébranle,
ces doutes commencent à lui devenir suspects. Il doute s'il lui est permis de douter.
Ou bien ne serait-ce point que les prétendus sceptiques sont au fond très affirmatifs,
très décidés pour l'avis contraire à celui qui leur parle, sauf à l'abandonner ensuite
si leur adversaire le prend ! Mais il me semble que .M. de Wolmar tel qu'il nous le
peint, homme simple et vrai, toujours plein de candeur et de bonne foi, n'était pas
sceptique dans ce dernier sens ». J'ai souligné dans cette note quelques épithètes qui
ont été reprises ici par Rousseau, à la page suivante.
' Il n'v avait guère de sceptique au XVIII' siècle pour prêcher ce doute absolu,
destructeur de l'action. Beausobre. dans son Pvrrhonisme du sage [207], 26, écrivait :
« Ces idées ne doivent pas plus empêcher de nous déclarer pour une hypothèse ou
pour un sentiment, que l'incertitude des événements de la vie ne nous doit laisser
indéterminés sur le parti que nous avons à prendre »; il disait encore, 104 : «Que
l'incertitude de nos connaissances ne nous embarrasse point, leur bonté et leur utilité
n'en souffriront point ».
■ Rousseau à Voltaire, lettre du 18 Août 1756, X, i3i : « L'état de doute est un
état trop violent pour mon âme ».
^ Formev, Examen de V « Histoire naturelle de la Religion » de Hume [190],
179 : « Je serai de son avis [qu'on trouve la paix, comme dit Hume, dans le doute
philosophique] aussitôt qu'il aura prouvé que le scepticisme est un état de repos et
que l'esprit humain, environné de ténèbres, flottant dans le doute et dans l'incertitude,
peut goûter une solide paix et jouir d'une tranquillité durable. Cela se pourrait peut-
être lorsque le sujet est indifférent; mais celui-ci nous intéresse de trop près pour le
laisser ainsi à l'abandon et pour ne pas désirer d'en être éclairci ».
' Voltaire [242. 275 : « Bon ». — C'est, d'ailleurs, une réminiscence de Diderot,
art. Éclectisme ■2\b], 274 a : « Le Christianisme ne soufl're aucune exception; rejeter
un de ses dogmes, c'est n'en admettre aucun ».
52 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Je consultai les philosophes, je feuilletai leurs livres, j'exa-
minai leurs diverses opinions, je les trouvai tous fiers, ' affir-
matifs. ' décisifs, dogmatiques, (^ sachant) tout, ne prouvant rien,
* chacun d'eux « se moquant » des autres ^ et je vis qu'ils avoient
tous raison. Ils triomphent quand ils attaquent, '' s'ils se deî-
îendent ils sont sans vigueur. Si \ous pesez ' les raisons ils n'en
ont que pour détruire. Si \ous comptez les voix (* chacun) n'a
que la sienne toutes les autres sont contre lui. Les (' consulter)
n'étoit pas le mo\"en de ('" me tirer) de mon incertitude.
' I. (dogmatiques) [affinnatifs], dogmatiques.
^ B. < décisifs >.
' [n'ignorant rien]. — B. même dans leur scepticisme prétendu, n'ignorant.
■• B. < chacun d'eux > se moquant (tous) les uns.
■'■ B. < et je vis... triomphent >. Et ce (seul) point coinmun à tous me
parut le seul sur lequel ils ont tous raison. Triomphans.
" B. ils sont sans vigueur en se defïendant.
' B. (leurs) [les].
' (tous) [aucun d'eux], — B. Chacun est réduit à la sienne; ils ne s'ac-
cordent que pour disputer. Les écouter.
" [écouter].
'" [sortir].
EDITION ORIGINALE 53
décisions absurdes, me détachoit aussi de celles qui ne l'étoient pas. En
me disant; croyez tout, on mempèchoit de rien croire, & je ne savois
plus où m'arrèter '^.
Je consultai les Philosophes ^, je feuilletai leurs livres, j'examinai
leurs diverses opinions; je les trouvai tous fiers, affirmatifs, dogmatiques,
même dans leur scepticisme prétendu ". n'ignorant rien, ne prouvant
rien, se moquant | les uns des autres: & ce point, commun à tous, me ^281
parut le seul sur lequel ils ont tous raison. Triomphans quand ils
attaquent, ils sont sans vigueur en se défendant. Si vous pesez les raisons,
ils n'en ont que pour détruire ' ; si vous comptez les voi.x. chacun est
^ Comparer une note inédite de la Nouvelle Héloïse (VI, si) [8 B], 91"; elle
était accrochée à cette déclaration de Julie mourante (V, 55) : « Ce qu'il m'était
impossible de croire, je n'ai pu dire que je le croyais ». Rousseau ajoutait, parlant en
son nom personnel : « Toute la plus grande docilité qu'on peut avoir en matière de
foi, c'est de dire à un Pasteur ou à une Église : tout ce que vous croyez, je voudrais le
croire ; car, quoiqu'on fasse, on ne saurait dire : tout ce que vous croyez, je le crois —
sans s'esposeràdire un mensonge, parce qu'on promet plus qu'on n'a le pouvoir de tenir».
* Tout ce réquisitoire est à rapprocher du récit des Rêveries, l\, 341 : « Je
vivais alors avec des philosophes modernes, qui ne ressemblaient guère aux anciens :
au lieu de lever mes doutes et de lixer mes irrésolutions, ils avaient ébranlé toutes
les certitudes que je croyais avoir sur les points qu'il m'importait le plus de con-
naître : car, ardents missionnaires d'athéisme et très impérieux dogmatiques, ils
n'enduraient point sans colère que sur quelque point que ce pût être, on osât penser
autrement qu'eux », etc. — Rousseau reprend ici, avec plus de véhémence, les ironies
de Descartes contre les philosophes. Discours de la Méthode, V et H" Parties [80], 8, 16 :
« Je ne dirai rien de la philosophie, sinon que. voyant qu'elle a été cultivée par les
plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins il ne
s'y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit
douteuse, etc Ayant appris dès le collège qu'on ne saurait rien imaginer de si
étrange et si peu croyable qu'il n'ait été dit par quelqu'un des philosophes ». Dans
cette dernière phrase. Descartes fait allusion au texte de Cicéron. De Divinatione, II,
58 ; « Nihil tam absurde dici potest, quod non dicatur ab aliquo Philosophorum ».
Voltaire avait repris cette citation à son compte dans l'édition de 1 756 de sa Philo-
sophie de Xewton j53], 434, note; et Rousseau, qui lisait les Mémoires de l'Académie
des Inscriptions, pouvait la retrouver aussi dans le Mémoire sur les sectes philo-
sophiques de l'abbé Souchay (17531. Ce Mémoire concluait ainsi [43], XIV, i5 : « Il
n'y a point d'absurdité qui n'ait été avancée et soutenue par quelque philosophe, ni
d'égarement dont la raison livrée à elle-même ne soit capable ». Cf., plus haut, la
note 4 de la p. 25.
' Voltaire [242], 279 : « Faux, lisez Locke » ; cf., en effet. Lettres philoso-
phiques, XIII [145], I, 169 : « Il [Locke] ose quelquefois parler affirmativement, mais
il ose aussi douter ».
' Dialogues, IX, 143 : « Dans ce siècle, oii la philosophie ne fait que détruire » ;
Discours sur les sciences et les arts, I, 12 : « Ils consacrent leurs talents et leur
philosophie à détruire et avilir tout ce qu'il y a de sacré parmi les hommes ».
Comparer avec le réquisitoire de Mirabeau contre les philosophes et leurs ouvrages,
« qui détruisent tout et n'éditîent rien ». L'Ami des hommes [219], II, 143-145.
54 REDACTIONS MANUSCRITES
Je conceus que l'insuffisance de l'esprit humain est la première
cause de cette prodigieuse diversité de sentimens et que l'orgueil
est la seconde, nous n'avons point la mesure de cette machine
immense nous n'en pouvons calculer les 'proportions, [nous] n'en
connoissons ni les premières loix ni la cause finale, nous nous
ignorons nous-mêmes, nous ne (- connoissons) ni nôtre (■* être)
ni notre principe actif, * nous ne savons si ('nous sommes) un
être " composé (ou simple). Des mistéres impénétrables nous envi-
ronnent dL' toutes parts. Ils sont au dessus de la région sensible.
Pour les percer nous (' cro3'ons) avoir de l'intelligence et nous
n'avons que des sens*. Chacun se fraye '^ une route qu'il croit la
bonne. "' « Nul » ne « peut (" voir) » si ('- elle) mène au but, cepen-
dant nous « '^ voulons » tout pénétrer tout connoitre.
La seule chose que nous ne sa\'ons point est d'ignorer
ce que nous ne pouvons savoir. Nous aimons mieux nous déter-
miner au hazard \ei] croire ce qui n'est '^ pas que d'avouer
qu'aucun de nous ne peut voir ce qui est. Petite partie d'un
grand tout dont les bornes nous échapent ^' ("' comment saurons
' B. (proportions) [rapports], — I. proportions.
- [concevons].
^ [nature].
■• B. à peine savons-nous si.
° [l'homme est].
" [simple ou].
' [pensons]. — B. (nous pensons avoir de [nous? croyons à nôtre]) [nous
croyons avoir de].
" B. (sans songer que 1' [notre] intelligence de l'homme [elle-même] ne va
pas plus loin que ses [nos] sens) et nous n'avons que de l'imagination. Chacun.
— I. que (des sentimens) [de l'imagination].
'■' B. à travers ce monde imaginaire.
'" B. (mais).
" [juger]. — B. savoir.
'- [la sienne].
'' B. (pensons) [voulons].
" B. (point) [pas].
'* I. et que son auteur livre à nos vaines disputes.
"■' [nous sommes assés (tous) vains pour vouloir décider].
EDITION" ORIGINALE 55
réduit à la sienne: ils ne s'accordent que pour disputer : les écouter
nëtoit pas le moyen de sortir de mon incertitude.
Je conçus que l'insuffisance de l'esprit humain est la première cause
de cette prodigieuse diversité de sentimens, & que l'orgueil est la seconde.
Nous n'avons point les mesures de cette machine immense -, nous n'en
pouvons calculer les rapports; nous n'en connoissons ni les premières
loix, ni la cause finale; nous nous ignorons nous-mêmes; nous ne
connoissons ni notre nature, ni notre principe actif; à peine savons-nous
si l'homme est un | être simple ou composé i; des misteres (^'i impéné- "29
trahies nous environnent de toutes parts ; ils sont au-dessus de la région
sensible: pour les percer nous croyons avoir de l'intelligence, & nous
n'avons que de l'imagination -. Chacun se fraye, à travers ce monde
imaginaire, une route qu'il croit la bonne; nul ne peut savoir si la sienne
mené au but. Cependant nous voulons tout pénétrer, tout connoître ^.
La seule chose que nous ne savons point, est d'ignorer ce que nous
ne pouvons savoir. Nous aimons mieu.x nous déterminer au hazard,
& croire ce qui n'est pas, que d'avouer qu'aucun de nous ne peut
l'y C, D : mystères.
- Cf. Institutions chimiques 35\ 18 : « Surchargés et comme accablés du poids
de cette machine immense, ils les philosophes" se contentent d'en considérer quelque
ressort qui se trouve à leur portée ». Cf. encore, aux Appendices, 11. dans le fragment
inédit. Comment s'acquiert l'idée de Dieu : * Une suprême intelligence régit cette
machine immense ».
' C'est-à-dire, si l'homme est « un », ou s'il est composé de deux « substances ».
problème capital, comme on le verra, aux yeux de Rousseau, et qui sera discuté plus
loin : cf. p. 6g et note 1, 85 et note 1.
' Cf. Livre I d'Emile, II, 47 : « C'est l'imagination qui étend pour nous la
mesure des possibles, soit en bien, soit en mal, et qui, par conséquent, excite et
nourrit les désirs par l'espoir de les satisfaire ».
' Voltaire '2-}2". 275 : « Déclamation trop commune ». Rousseau avait pu lire,
en ettet, dans plusieurs auteurs des considérations semblables, il avait même copié
(cf. Pages inédites ^36]. 218-2191 "" passage de l'abbé Guyon, Histoire des empires
et des républiques J47], I, Disc, prélim., p. i, qui présente certaines analogies avec
le texte de la Profession : « L'une des premières passions de l'homme est de chercher
à connaître ce qui est autour de lui. La capacité de son esprit est trop vaste pour se
contenter de soi-même. 11 soutfre de se voir resserré dans les bornes étroites du
temps, des lieux et des personnes avec lesquelles il passe le court espace de sa vie:
il cherche continuellement à prendre son essort dans une région plus étendue ». .Mais
Rousseau renouvelle un peu ces banalités par l'accent de conviction qu'il y met. .\u
reste, l'influence de Pascal sur ces considérations est sensible : insister sur « l'in-
suffisance de l'esprit humain », sur la puissance mensongère de * l'orgueil », sur le
sentiment des « mvstères impénétrables qui nous environnent », autant de façons de
rendre la raison suspecte.
56 RÉDACTIONS MANUSCRITES
nous jamais) ce qu'il est en lui-même et ce que nous sommes par
raport à lui.
Quand les philosophes iseroient en état de découvrir la vérité
qui d'entre eux prendroit intérest à elle, f Chacun - sait bien que
son sistéme « ^ n'est » pas * plus vrai que celui des autres mais
il le soutient parce qu'il est à lui ^ et il n'^' en a pas un ^ qui
(n'aimât mieux) le mensonge qu'il a trouvé ('que) la vérité decou-
\erte par un autre. î'^Et| ^ où est le philosophe qui pour sa gloire
fo J59 ro ne II « tromperoit » pas volontiers tout le genre humain. Où est
celui qui dans le secret de son cœur se propose un autre objet
que de se distinguer. Pourveu qu'il s'élève au dessus du vulgaire,
pourveu qu'il efface l'éclat de ses concurrens que demande-t-il
de plus. L'essentiel est de penser autrement que les autres.
Chez ('"un peuple croyant) il est "incrédule chez '-un peuple
athée il seroit crovant.
' (pou braient).
- B. d'eux.
' ([ne vaut]).
* B. mieux fondé que ceux des.
' B. < et >.
" [seul qui venant a connoitre le vrai et le faux ne préferast encore]. —
B. (encore). — M. venant à discerner.
» B. < et >.
" (le meilleur).
'" [les croyans].
" B. (incrédule) [athéej.
'- B. les athées.
t Ici, dans le manuscrit, un espace de quelques lignes laissé en blanc.
ÉDITION ORIGINALE 57
voir ce qui est. Petite partie d"un grand tout dont les bornes nous
échappent. & que son auteur livre à nos folles disputes *, nous sommes
assez vains pour vouloir décider ce qu'est ce tout en lui-même, & ce
que nous sommes par rapport à lui.
I Quand les Philosophes seroient en état de découvrir la vérité, qui -30]
d'entre eux prendroit intérêt à elle? Chacun sait bien que son système
n'est pas mieux fondé que les autres: mais il le soutient parce qu'il
est à lui ^ 11 n'v en a pas un seul, qui, venant à connoitre le vrai &
le faux, ne préférât le mensonge qu'il a trouvé à la vérité découverte
par un autre. Où est le Philosophe, qui, pour sa gloire, ne tromperoit
pas volontiers le genre humain -? Où est celui, qui, dans le secret de
* Ecclésiaste, 111. u : « .Mundum tradidit disputationi eorum ».
' Cf. Nouvelle Héloïse (IV, vu), iV, 297 : « L'amour de la vériié l'a guéri
Saint-Preux] de l'esprit de système ».
' Ici encore Voltaire aurait pu écrire : « Déclamation trop commune ». On la
retrouve souvent chez les moralistes ; et. par exemple, dans les Entretiens du P. Lami,
dont Rousseau avait fait aux Charmettes son livre de chevet, il avait lu bien des fois
ceci [90', 29-34 : « La plus grande partie de ceux qui étudient ne recherchent les
sciences que pour en faire montre... Ils n'étudient que les choses auxquelles les
hommes ont attaché de la gloire : ainsi ils négligent ce qui est nécessaire [Le
savant orgueilleux] n'acquiert jamais une véritable science, qui ne consiste que
dans la connaissance de la vérité; car, lorsqu'une fois il a donné dans un
sentiment faux, il faut de nécessité que tout le monde se trompe avec lui. II
voudrait que son intelligence fût la règle de l'esprit des autres, que les choses
fussent vraies ou fausses, selon qu'elles conviennent, ou qu'elles sont contraires
à ses opinions. Ce qu'il a dit doit être vrai, il ne se rétracte jamais: ainsi, quand il
a avancé une impertinence, bien loin de s'en dédire, il s'y enfonce davantage, il
s'abime dans des absurdités infinies. Quelquefois il se trompe de dessein prémédité,
aimant mieux s'égarer que de marcher modestement par le grand chemin ». Cf. encore
iMura'.t, Lettres fanatiques [r56]. I, 14 : « [Les disputes philosophiques] ne sont qu'une
sorte de jeu. qu'une lutte, où, de part et d'autre, on ne pense qu'à avoir le dessus,
qu'à faire montre d'une habileté, qui consiste principalement à ne pas demeurer court,
et qui est fausse déjà par cela même qu'il n'y entre nulle bonne foi. nul respect pour
la vérité»; Instinct Divin [127], 1 36 : « Commençons dès à présent... à laisser là les
docteurs avec leur méthodique verbiage, et leurs pédanteries raisonnées, tojs ceux qui
n'ont rien à dire aux hommes, tous ceux qui, sous de beaux titres, n'écrivent que par
inquiétude et par vaine gloire, et dont les lecteurs sont dupes »; Saint-.\ubin. Traité
de l'opinion ^141], I, 3o5-3o6 : « Celte même philosophie a été une source d'erreurs
et de contradictions. On se moqua autrefois du dessein du proconsul Gellius, qui
rassembla tous les philosophes d'Athènes pour tâcher de mettre tin à leurs disputes,
les exhortant à vouloir se concilier entre eux, et à terminer tous leurs différends sous
son autorité. Cette espèce de gens ne s'accommode jamais, parce que c'est la vanité
et la passion, qui sont les fondements de leur dispute, sans aucun égard pour la
vérité»; Condillac, Traité des Animaux, 11, Introduction [214], 52i : «Des philo-
sophes, c'est-à-dire des hommes, qui, d'ordinaire, aiment mieux une absurdité qu'ils
imaginent qu'une vérité que tout le monde a adoptée ». .Marivaux, L'Indigent
58
REDACTIONS MANUSCRITES
3. Méthode à suivre.
[Le premier fruit que je tirai dej ces reflexions ' fut d'ap-
prendre à borner mes recherches aux seules connaissances -néces-
saires au (■* bonheur et) à l'espoir de ma vie, [a (savoir) me reposer
dans une profonde ignorance sur tout le reste] (* et ^ a ne pas même
*^' m'inquieter jusqu'au doute " des choses qu'il ne m'importoit
point de savoir).
' (je).
- B. [utiles, aux seules] nécessaires.
•■' [repos]. — B. (au repos) [à l'espoir] et à la consolation de.
■• [et à ne m'inquieter « jusqu'au doute» que des choses qu'il m'importoit
de savoir].
'- (ne).
•"' (élever mon ? .
' [(sur les)].
EDITION ORIGINALE 59
son cœur, se propose un autre objet que de se distinguer? Pourvu
qu'il s'élcve au-dessus du vulgaire, pourvu qu'il efface l'éclat de ses
concurrens. que demande-t-il de plus ? L'essenciel ' est de penser
autrement que les autres. Chez les croyans il est athée, chez les athées
il seroit croyant •*.
3. Méthode à suivre.
Le premier fruit que je tirai de ces réflexions, fut d'apprendre à
borner I mes recherches à ce qui m'interessoit immédiatement; à me [31]
reposer dans une profonde ignorance sur tout le reste, & à ne m'inquiéter,
jusqu'au doute, que des choses qu'il m'importoit de savoir '.
pliilosophe. b' feuille, L'Isle de la Raison, 111, 4 [129J, io5, 145, 169, etc. — Comparer
ce portrait des philosophes avec celui que Rousseau avait déjà tracé dans son
premier Discours, I, 17-18 : « A les entendre, ne les prendrait-on pas pour une
troupe de charlatans, criant chacun de son côté sur une place publique : Venez à
moi », etc. Cf. encore Nouvelle Héloïse (1, xii), IV, 36 : « Otez à nos savants le
plaisir de se faire écouter, le savoir ne sera rien pour eu.\. Ils n'amassent dans le
cabinet que pour répandre dans le public; ils ne veulent être sages qu'au.i veux
d'autrui, et ils ne se soucieraient plus de l'étude, s'ils n'avaient plus d'admirateurs.
C'est ainsi que pensait Sénèque lu'.-mème. Si l'on me donnait, dit-il, la science à con-
dition de ne la pas montrer, je n'en voudrais point. Sublime philosophie, voilà donc ton
usage »! .Même altitude dans les Rêveries, l.\, 338-339 ■ * Leur philosophie leur était
pour ainsi dire étrangère... : ils étudiaient la nature humaine pour en pouvoir parler
savamment, mais non pas pour se connaître... Plusieurs d'entre eux ne voulaient que
faire un livre, n'importait quel, pourvu qu'il fût accueilli. Quand le leur était fait et
publié, son contenu ne les intéressait plus en aucune sorte, si ce n'est pour le faire
adopter aux autres, et pour le défendre au cas qu'il fût attaqué, mais du reste sans en
rien tirer pour leur propre usage, sans s'embarrasser même que ce contenu fût fau.v
ou vrai, pourvu qu'il ne fût pas réfuté ».
^ C'est l'orthographe à laquelle il s'est définitivement rallié : cf, dans son
exemplaire corrigé C, 1, 74, il a substitué essenciel à essentiel.
' Voltaire [2421, 275 : « C'est le portrait du peintre ». — Préface du 1" Dis-
cours, 1, 12 : « Pour les ramener au pied des autels, il suffirait de les reléguer parmi
les athées. O fureur de se distinguer, que ne pouvez-vous point » !
' Les premières rédactions de ce paragraphe accusent davantage ce que l'on
pourrait appeler son accent « pragmatiste » ; cf F : borner mes recherches aux
seules Connaissances nécessaires au bonheur et à l'espoir de ma l'ie : B : aux seules
connaissances utiles, aux seules nécessaires au repos, à l'espoir et à la consolation
de ma vie. — Cette idée des exigences de l'action, supérieures aux exigences de la
science, est une idée familière à plusieurs écrivains du XVIH" siècle, que Rousseau
60 RÉDACTIONS MANUSCRITES
I « Je compris ^ que ■» loin de me délivrer -des doutes
« inutiles » (qui m'avoient tourmenté) « les philosophes ne
feroient que » '^ multiplier (^ mes doutes) « et n'en resoudroient
^jamais » aucun, je ("résolus donc de prendre) un(e) autre ('route)
et je me dis consultons la lumière intérieure elle m'égarera moins
•''qu'eux ou du moins -'si elle m'égare mon erreur '"sera plus
conforme à mon être et je ! " me^ dépraverai moins en '- suivant mes
propres illusions qu'en me livrant à (tous) leurs mensonges. Alors
('^comparant) les diverses opinionsqui m'avoient '^entraîné depuis
ma naissance, je \is que bien qu'aucune d' '^ entre elles ne fut
assés évidente '•'par elle-même pour ("entraîner) immédiatement la
"* persuasion, elles a\oient di\ers degrés de vraisemblance et que
l'assentiment intérieur s'y prétoit ou s'y refusoit à différentes me-
sures. ('-'Après) cette première observation comparant entre elles
toutes ces différentes idées dans le silence des préjugés je trouvai
' [encore].
- M. de mes.
■' B. (les). — I. (les).
■* [(les autres... ceux qui me tourmentoient... m"inquiéloienl ? et)j. —
B. ceux qui me tourmentoienl et n'en.
^ B. < jamais >.
•■' [pris donc].
' [(voye) guide].
" B. qu'ils ne m'égarent ou.
° B. < si elle m'égare >.
'" B. ise rapportera mieux à ma nature) [sera la mienne] et je. — I. se rap-
portera mieux à ma nature.
" (serai moins).
'- B. (me|.
'■' [raprochant]. — B. (rapprochant) [repassant dans mon esprit]. — I. rap-
prochant.
'■" B. [tour à tourj. — I. < tour à tour >.
'' B. < entre >.
"' B. < par elle-même >.
'' [produire].
'" B. (persuasion) [conviction].
■' [Sur].
t Ici,, dans le manuscrit, un espace de quelques lignes laissé en
blanc.
ÉDITION ORIGINALE 6l
Je compris encore que, loin de me délivrer de mes doutes inutiles,
les Philosophes ne feroient que multiplier ceux qui me tourmentoient.
(S; n'en résoudroient aucun. Je pris donc un autre guide, & je me
dis ; consultons la lumière intérieure, elle m'égarera moins qu'ils ne
m'égarent, ou, du moins, mon erreur sera la mienne -, <!<; je me dépru-
avaii lus. Marie Huber. Reiiifion essentielle [ibij, 111. 212, écrit : « Ce dont nous
sommes très peu curieu.x, c'est de bien connaître noire tâche ». et elle prêche la
Religion de l'Évangile comme étant précisément « un système où tout aboutit, non
à la spéculation, mais à l'action » (UI, 228). Cf. encore Leclerc, Entretiens [93], 227 :
« Dieu a réglé la mesure de nos connaissances métaphysiques selon nos besoins,
et nous avons plus ou moins de connaissance des choses à proportion qu'il
nous est utile de les connaître pour parvenir à la fin pour laquelle Dieu nous a créés » ;
Marivaux, Spectateur français [129], I, 3i5-3i7 : « Laissez à certains savants, je veux
dire aux faiseurs de systèmes, à ceux que le vulgaire appelle philosophes, laissez-
leur entasser méthodiquement visions sur visions en raisonnant sur la nature des
deux substances et sur choses pareilles : à quoi servent leurs méditations là-dessus,
qu'à multiplier les preuves que nous avons déjà de notre ignorance invincible.
Nous ne sommes pas dans ce monde en situation de devenir savants;... ce n'est
pas là notre tâche : interrogeons les hommes, ils nous apprendront quelle elle
doit être»; Murait, Lettres fanatiques [i561, I, 241-242 : « A chaque production
savante que nous voyons, à chaque raisonnement que font les savants, il n'y
a qu'à se demander : À quoi sert-il, ou que nous importe que cela soit ou
ne soit pas .-• car vous m'accorderez que ce qui n'aboutit à rien, ce qui n'est de
nul usage, ne mérite pas d'être su »; 269 : « Le savoir ou plutôt les connaissances,
pour être de la bonne sorte, doivent contribuer à nous faire faire la tâche pour
laquelle nous sommes mis au monde »; Saint-Aubin, De l'usage de la Science [141],
I, 25, etc. Bonnet lui-même, dans la Préface de son Essai de Psychologie [20SJ.
p. XXIX, après avoir déclaré qu'il fallait bannir du Christianisme toute spéculation
inutile, s'écriait : « Vous êtes appelés à agir, agissez donc Retenez ceci ; tout dogme
qui n'est point lié à la pratique n'est point un dogme ». Même affirmation dans
les Pensées de Turrettin, XXXVIII et XXXI.X [161], SiS-Sig. (Rousseau se souviendra
du conseil, lorsqu'il écrira dans le \'' Livre d'Emile, 11, 353 et 358 : « Maintenez
toujours vos enfants dans le cercle étroit des dogmes qui tiennent à la morale » ;
à plusieurs reprises, il a déclaré vouloir se borner aux « vérités de pratique » :
cf. Lettre à D'Atembert, I, iSo et 1S4, Xouvelle Héloise (VI, viiil, V, 44). Mais c'est
surtout dans les livres de l'abbé Pluche, si familiers à Rousseau, que l'on trouverait,
formulée avec plus de précision, cette théorie, qu'on pourrait appeler, d'un terme trop
moderne peut-être, la théorie du primat de l'action : cf. Spectacle de la Nature [137].
IV, 572 : « Les bornes du savoir de l'homme sont les mêmes que ses besoins»;
V, 134 : « La science des hommes est relative à leur activité »; VI, 259 : « La raison
a été créée, non pour pénétrer dans la nature du monde qui marche sans elle, mais
pour s'occuper de ce qu'elle doit faire » ; etc. Comme tous ces moralistes, Rousseau
entreprend, lui aussi, une recherche utilitaire, mais où la pensée de son propre
bonheur est plus présente que la pensée du bonheur des autres.
^ D'autres rédactions disent plus clairement : « mon erreur sera plus conforme
à mon être » (F), « se rapportera mieux à ma nature » (B, 1|. C'est le principe
de « l'illusion consolante », qui trouvera si grande faveur à la fin du XVlll" siècle,
et qui était déjà formulé un demi-siècle avant Rousseau; cf. Ray, Existence de Dieu
[116], 479 : Qu'importe l'erreur, si elle est « agréable » !
62 RÉDACTIONS MANUSCRITES
que la première ^ et la plus commune étoit aussi la plus -raison-
nable et la plus ^naturelle et qu'il ne lui manquoit pour (* en-
trainer) itousj les suffrages que d'a\'oir été proposée la dernière.
Imaginez tous vos philosophes anciens et modernes ayant d'abord]
épuisé (tous) leurs bizarres sistêmes = de forces ''réciproques] de
' chances, de hazard, d'atomes, de monde animé, de matière éter-
nelle (et) de mouvement nécessaire, et après eux tous l'illustre Clarke
* annonçant le premier au monde le vrai theïsme et la religion natu-
relle. Avec quelle ^universelle admiration avec quel applaudissement
'•• unanime n'eut point été receu ce >" nouveau sistême si grand si
consolant, si sublime, si propre à élever l'ame " adonner une base à
i" 159 ™ la vertu et en même tems jj si frapant, si lumineux si simple, et l^- ce
me semble offrant moins de choses 'Hncomprèhensiblesj à l'esprit
humain qu'il n'en trouve d"'absurdes en tout autre sistéme. ^^ Je
me disois les objections insolubles sont communes à tous parce
que l'esprit ^''(humain) "'est trop borné , pour les résoudre, elles ' '' ne
' I. (étoit) [et].
- B. (raisonnable) [simple]. — I. naturelle, et qu'il.
■' B. (naturelle) [raisonnable].
^ [obtenir]. • — B. réunir.
■' sistêmes [forces réciproques sic].
" B. < réciproques >.
' B. de chances, de hazard, (M. de hazards), [de fatalité], d'atomes, (de
monde animé, de fa tamté), [de nécessité], (de mouvement nécessaire) de monde
animé, ^de fatalités), de matérialisme de toute espèce; et après. — I. de chances,
de fatalité, d'atomes, de mouvement nécessaire, de monde animé, de matière
(sans) vivante, de matérialisme, enfin de toute espèce, et après.
" B. éclairant le monde, annonçant (le premier) [enfin] l'être des êtres et le
dispensateur des choses. .Avec. — I. annonçant le premier.
" B. (universel) [unanime].
'" M. < nouveau >.
" (si a mot inachevé).
'■ (n'offrant [même pas ?] rien).
'■' B. « incompréhensibles ».
" (Après avoir reconnu qu'il y avoit).
'^ [de l'homme].
"'■ (n'iest (pas suffi sant).
'• (n'en doivent).
ÉDITION ORIGINALE 6^
j
verai moins en suivant mes propres illusions, qu'en me livrant à leurs
mensonges '^
Alors repassant dans mon esprit les diverses opinions qui m'avoient
tour-à-tour entraîné depuis ma naissance, je vis que, bien qu'aucune
d'elles ne t'ùt assez évidente pour | produire immédiatement la conviction. [32]
elles avoient divers dégrés ' de vraisemblance, & que l'assentiment inté-
rieur s'v prètoit ou s'y refusolt à ^ différentes mesures. Sur cette première
observation, comparant entre elles toutes ces différentes idées dans le
silence des préjugés, je trouvai que la première, & la plus commune,
étoit aussi la plus simple & la plus raisonnable ; & qu'il ne lui
manquoit, pour réunir tous les suffrages, que d'avoir été proposée
la dernière. Imaginez tous vos Philosophes Anciens & Modernes,
ayant d'abord épuisé leurs bizarres svstêmes de forces, de chances,
de fatalité, de nécessité, d'atomes, de monde animé, de matière vi-
' Quoique le sentiment de Saint-Évremond soit très différent de celui de Rous-
seau, on retrouve la même attitude dans le petit traité De l'L'sage de la vie, chap. 11,
De l'Existence de Dieu [69], VI, 3i : « Enfin, rebuté de tant de secours étrangers, je
me résolus à m'abandonner à mes propres recherches, comme ces malades qui, se
voyant abusés par les médecins, entreprennent de se guérir eu.x-mêmes. Ce fut là
que je rompis tout commerce avec les livres, où je n'avais trouvé que difficultés et
Incertitudes. Ce fut là que je résolus de rentrer en moi-même, pour consulter mes
propres sentiments sur la structure de l'Univers, et sur l'ordre admirable qui règne
en toutes choses ».
' Le premier accent de dégrés ne se retrouve ici dans aucun des manuscrits,
mais il est conforme aux habitudes de Rousseau, qui accentue de même, lorsqu'il
écrit avec soin, religion, premier, etc. On en trouvera de nombreux exemples dans
le texte de la Première Rédaction. Cf. encore Lettre à Mme Boy de la Tour, du
20 Juillet 1771 [3i'>'']. 245 : « Je me vois mourir par degré », etc. 11 y a dans ces graphies
la trace d'une prononciation, sinon spécifiquement genevoise, du moins archaïque et
provinciale : cf. Alexis François, Les Provincialismes de J. J. Rousseau '282]. 33.
Remarquons que quelques pages plus haut, p. 10 : « il est un degré d'abrutissement », etc..
c'est le texte imprimé qui porte degré, et les manuscrits degré. Cela semblerait
indiquer que, si Rousseau exigeait « qu'on respectât les moindres détails de son texte »
et même ses fautes (cf. D. Mornet, Le Texte de la Nouvelle Héloise [284], 19-20), il
n'entendait pas cependant imposer à son imprimeur toutes les particularités de son
orthographe. D'autres ouvrages imprimés du XVIH' siècle pourraient nous fournir
des remarques analogues : cf., en particulier, pour degré et degré, l'édition
G. Lanson des Lettres philosophiques [145], I, p. xlvmi. Cf. encore, plus loin, p. 92
et note 2.
- Cet emploi de la préposition à est fréquent chez Rousseau ; à double, a pure
perte, etc. : cf. Alexis François [282], 60. — Comparer une expression analogue. Lettre
à Du Heyrou, du 19 Juillet 1766, XI, 369 : « Cependant, à toute mesure, souffrir
beaucoup me paraît encore préférable à souffrir toujours ».
64 REDACTIONS MANUSCRITES
prouvent] donc [^contre] « aucun par préférence » mais quelle
différence entre les preuves ('-directes 'des uns et des autres]. •'* Le
seul sistéme de Clarke ^ écrase tous les autres, il doit donc être préféré
par la raison), f
' (penser?... faire rejetter).
- [positives]. — I. (positives) [directes].
' [(la seule Religion naturelle est commune a tous... toutes s'accordent...
Le seul sistéme) celui qui sert de base à tous les autres doit seul leur être préféré].
— B. (celui qui sert de base à tous les autres doit seul leur) [celui là seul qui
explique tout ne doit-il pas] être préféré, quand il n'a pas plus de difficultés que
les autres ? — I. celui qui sert de base à tous les autres doit seul leur être préféré.
' (les).
t ,1 /î suite de ce paragraphe, vient un signe de renvoi, qui n'a pas
de correspondance dans F, avec cette indication : écoutons etc. au cahier.
Le paragraphe suivant commence, en effet, par : Ecoutons le sentiment
intérieur : c/., plus loin, à la reprise de F.
■«C-» ■■'» /rfl/y^,,,,!^!,..
- <>VV»*** - Hi*,
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- .JH ,'|Ml> I
JL**'^ Wi^»* V^'f***'
, /t*»». ^ /u.'>t*vŒr .
t»
PI. 11.
F.AC-SI.MILK Df PRE.MIER BROUILLON DE LA . PKOl LSSiON DL KOI . ..\UsLscRirI Ka%k,
CL, dans cette édition, pp. 62 sqq. — Réduction au 17 18.
EDITION" ORIGINALE
vante, de matérialisme (*) de toute espèce '; & après eux tous l'illustre
Clarke *, éclairant le monde, annonçant enfin l'Etre des Etres & le
dispensateur des choses. Avec quelle universelle admiration, | avec quel [33]
(»; Le texte original porte : matetnatisme, de toute
espèce ; mais la virgule est déjà supprimée dans le tableau
des • Fautes à corriger i» placé à la fin du T. IV. — C, D :
matérialisme de toute espèce.
' Il ne faut pas chercher, dans cette énumération, des allusions précises à tel ou
tel système philosophique; les différentes rédactions montrent assez que Rousseau,
dans le choix et le groupement des différents termes, a été surtout guidé par le
sentiment de l'harmonie de la phrase. Si le mot d'atomes désigne sans doute le
système d'Épicure et de Gassendi iCf. Pluche, Histoire du ciel [i58]. II, 210, « Le
monde d'Épicure », 214 « Le monde de Gassendi »i, — il est douteux qu'en
parlant de monde animé, et de matière rivante, Rousseau ait songé à la métaphysique
stoïcienne ou à l'hylozoîsme des premiers philosophes grecs, quoique Leclerc, dans
sa Bibliothèque choisie '42", II, 20-27, 58-76, eût longuement parlé de l'hylozoîsme
de Straton et des Stoïciens. Il semble avoir pris, un peu au hasard, dans les
matérialistes contemporains, et surtout dans Diderot, les expressions qui étotlaient
le mieux sa période. .Mais Saint-Aubin a pu lui suggérer de réunir dans un tableau
rapide toutes les bizarreries des métaphycisiens sur l'origine des choses. Cf. Traité
de l'opinion. Livre 111, chap. I, Opinions ridicules et insensées des philosophes
sur la Divinité, et surtout Livre IV. chap. Il, Erreurs des philosophes sur la
nature en général [141], II, 21 et III, 34-35 : « Presque tous les philosophes...
ont ignoré ce que c'était en général que cette Nature dont ils prétendaient expliquer
les opérations. .Aristote définit la nature le principe du mouvement et du repos.
Coelius .Aurelianus attribue à Asclépiade le dogme des Stoïciens que tout se fait
par des lois naturelles et nécessaires, et que la nature n'est autre chose que la
matière et le mouvement. Hippocrate au contraire parlait de la nature comme d'un
principe intelligent, et lui attribuait des facultés dont l'une repousse, l'autre attire,
l'autre retient. [Serait-ce là qu'il faudrait chercher l'idée de forces réciproques ?
L°s uns ont entendu par elle un agent aveugle, qui formait toutes choses au hasard,
les autres l'ont regardée comme la matière animée par un esprit universel ; quelques
autres l'ont prise pour Dieu même ». Cf. encore, dans Rollin, Histoire ancienne.
Livre XXVI, Seconde Partie, chap. III. Sentiments des anciens philosophes sur la
métaphysique et la physique j32], VII, 109 : < Je suis las de rapporter tant d'absur-
dités »; 114 ; « Je ne fatiguerai point une seconde fois le lecteur en rapportant ici
dans un grand détail les divers systèmes des philosophes anciens sur la formation du
monde, qui varient infiniment et sont plus absurdes les uns que les autres ». — Déj.T,
en écrivant à Vernes, le 18 Février 1758, X, 180, Rousseau disait en termes analogues :
« La philosophie n'ayant sur ces matières ni fond ni rive, manquant d'idées
primitives et de principes élémentaires, n'est qu'une mer d'incertitudes et de
doutes, dont le métaphysicien ne se tire jamais Je leur ai laissé arranger leurs
chances, leurs sorts, leur mouvement nécessaire : et, tandis qu'ils bâtissaient le
monde à coups de dés. j'y voyais, moi, cette unité d'intentions qui me faisait voir,
en dépit d'eux, un principe unique ».
* « L'illustre Docteur Clarke », avait déjà dit Voltaire avec quelque ironie,
Lettres philosophiques, VIT Lettre [145], I, 70. et Préface du Poème sur le désastre
de Lisbonne [221^, 465.
5
55 RÉDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 67
applaudissement unanime ' n'eût point été reçu ce nouveau système si
grand, si consolant ^, si sublime, si propre à élever l'ame, à donner une
base à la vertu, & en même tems si frappant, si lumineux, si simple,
&, ce me semble, offrant moins de choses incompréhensibles à l'esprit
humain, qu'il n'en trouve d'absurdes en tout autre système ^\ Je me
' Voltaire [242], 275 : « Il a raison sur le premier volume de Clarke : le second
est ridicule, comme le sujet ». Il serait plus exact de dire « ouvrage » que « volume ».
Voltaire avait dit avec plus de précision, Lettres philosophiques^ VU* Lettre [145], I, 79 :
« C'est lui qui est l'auteur d'un livre assez peu entendu, mais estimé, sur l'existence
de Dieu, et d'un autre plus intelligible, mais assez méprisé, sur la vérité de la religion
chrétienne ». Ces deux ouvrages, A Discourse concerning the being and attributes
of God, London, 1705-1706, 2 vol. in-8, et The Verity and certitude of naturai and
revealed Religion, London, 1705, in-8, se trouvaient réunis dans la traduction fran-
çaise de Ricotier sous le titre de Traités de l'existence et des attributs de Dieu : des
devoirs de la Religion naturelle, et de la vérité de la Religion chrétienne. Les
traités de Clarke avaient eu un très grand succès, non seulement en Angleterre, où
un théologien disait : « it was the best book on those subjects that had been written
In any language » (cité par G. Lanson, Coramentaire des Lettres philosophiques ''145].
I, 84). mais encore en France, où la traduction de Ricotier avait eu deux éditions à
son apparition. Une nouvelle traduction avait été publiée à Avignon en 1756. Par
l'allure rigoureuse de sa démonstration, Clarke donnait à ses lecteurs l'impression de
réfuter définitivement Spinoza, et par sa propre méthode. Pendant tout le .XVIII' siècle,
il gardera une réputation considérable; et les ironies de Voltaire, qui soulèveront
d'ailleurs de vives protestations (cf. G. Lanson, I. cit., I, 83) ne parviendront point
à l'entamer. Son livre sera \si Somme philosophique des théistes. Dans l'Encyclopédie,
on pouvait lire à l'article Dieu ^2 11], 978 a («article tiré des papiers de M. Formey »| :
« .M. Clarke, par les mains de qui les matières les plus obscures, les plus abstruses
ne peuvent passer sans acquérir de l'évidence et de l'ordre, nous fournira les preuves
métaphysiques ». Parlant à Githerine de Russie des « livres classiques en méta-
physique, Diderot écrit. Plan d'une Université pour le gouvernement de Russie '38^,
111, 491 : « Il y a l'ouvrage de Clarke. Son Traité de l'existence de Dieu passe pour
le meilleur ». Voltaire, lui-même, quand il sera de\'enu sur la fin de sa vie un défenseur
de l'idée de Dieu, retrouvera presque du respect et de l'admiration pour l'œuvre
de Clarke; cf. Dictionnaire philosophique [yS^, XX, 229 : « Parmi ces philosophes
[anglais] Clarke est peut-être le plus profond ensemble et le plus clair, le plus
méthodique et le plus fort, de tous ceux qui ont parlé de l'Être suprême ». Il dira
ailleurs, Note au Poème des Cabales [7 3], X, i83 : « Livre le plus profond et le plus
serré que nous ayons sur cette matière ». — Ces différents textes feront com-
prendre au lecteur d'aujourd'hui pourquoi Rousseau a choisi Clarke comme le repré-
sentant le plus éminent du « théisme ».
' Rousseau à Voltaire, Lettre du 18 Août 1756, X, i3i : « .Mille sujets de pré-
férence m'attirent du côté le plus consolant » ; Rêveries, IX, 340 : « Je ne doute point
que les préjugés de l'enfance et les vœux secrets de mon cœur n'aient fait pencher
la balance du côté le plus consolant pour moi ». Rousseau insistera davantage sur
les « consolations » de l'idée religieuse à la fin de la Profession : cf. p. 198 et note i.
' Même mouvement dans Claville, Traité du vrai mérite [144J. II, 21g :
« Faites un parallèle de toutes les espèces de folies qui entrent dans leurs principes
et dans leurs conséquences, avec ce qu'ont écrit feu M. de .Meaux... et .^bbadie..., et
concluez ».
68 RÉDACTIONS MANUSCRITES
B f" 118 '■" Portant donc en moi l'amour de la vérité pour ' toute philosophie
et pour toute méthode une règle facile et simple qui me- dispensioit)
de la vaine subtilité des argumens, je reprends sur cette régie
l'examen des connoissances (■' essentielles à l'objet qui m'occupe) résolu
J d'admettre pour évidentes toutes celles auxquelles dans la sincérité
de mon cœur je ne pourrai refuser mon consentement, pour vraies
toutes celles qui me paroitront (de même) avoir une liaison nécessaire
avec ces premières, et de laisser toutes ^ les autres dans l'incertitude
sans les rejetter ni les admettre, et sans me tourmenter à les éclaircir
quand elles ne mènent à rien d'utile pour la pratique.
' M. toutes (sic).
' dispens[e].
■' [qui m'intéressent].
* (de n').
'' (choses).
ÉDITION ORIGINALE 69
disois ; les objections insolubles sont communes à tous, parce que
l'esprit de l'homme est trop borné pour les résoudre, elles ne prouvent
donc contre aucun par préférence-*: mais quelle différence entre les
preuves directes ! Celui-là seul qui explique tout ne doit-il pas être
préféré, quand il n'a pas plus de difficulté que les autres 5?
Portant donc en moi l'amour de la vérité pour toute philosophie,
& pour toute méthode une régie *" facile & simple, qui me dispense de la
vaine subtilité des argumens, je reprens, sur cette j régie, l'examen des [34]
connoissances qui m'intéressent, résolu d'admettre pour évidentes toutes
celles auxquelles, dans la sincérité de mon cœur, je ne pourrai refuser
mon consentement; pour vraies, toutes celles qui me paroitront avoir une
liaison nécessaire avec ces premières, & de laisser toutes les autres dans
l'incertitude, sans les rejetter ni les admettre, & sans me tourmenter à
les éclaircir, quand elles ne mènent à rien d'utile pour la pratique *.
■• Féraud [2bo], III, 240 : « On dit adverbialement par préférence et de pré-
férence ; le premier avec la préposition à; le second sans régime Plusieurs bons
écrivains emploient le premier sans régime : le second est aujourd'hui le plus à la
mode; et on s'en sert même avec le régime»; cf. même expression, p. i5i, et Nouvelle
Héloïse (V, m), IV, 404.
" Cf. lir « Promenade » des Rêveries, IX. 342 ; « Trouvant de toutes parts des
mvstères impénétrables et des objections insolubles, j'adoptai dans chaque question
le sentiment qui me parut le mieux établi directement, le plus croyable en lui-même,
sans m'arrêter aux objections que je ne pouvais résoudre, mais qui se rétorquaient
par d'autres objections non moins fortes dans le système opposé ».
^ Les .Manuscrits et le texte imprimé donnent la même accentuation : régie.
C'est une graphie qui trahit, elle aussi, une prononciation provinciale. On en remar-
quera d'analogues dans les Manuscrits de la Profession : matière, dernière, etc. ;
cf. Alexis François, Les Proinncialismes de ./. J. Rousseau [282], 32.
' On sent que ce paragraphe a été ajouté à la rédaction primitive. Rousseau y
revient avec insistance sur cette idée, qu'il avait déjà développée quelques pages plus
haut, de se borner à des recherches strictement utilitaires et pratiques ; en même
temps, il formule la nouvelle « Méthode », dont l'unique maxirhe s'oppose, plus ou
moins consciemment, à la première règle de la Méthode cartésienne; cf. Discours de
la Méthode, II' Partie [80], 18 : « Le premier [de mes préceptes] était de ne recevoir
jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle; c'est-
à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre
rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distincte-
ment à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute ». Rousseau
renverse la règle de Descartes; et chez lui l'évidence est. en quelque sorte, un point
d'arrivée et non un point de départ. L'évidence n'est pas d'ailleurs de même nature
chez l'un et chez l'autre. L'évidence cartésienne, tout intellectuelle, cherche « le vrai »,
ce sur quoi on peut fonder la connaissance métaphysique; l'évidence dont se contente
Rousseau est l'évidence de cœur, celle qui donne les certitudes pratiques et les règles
de vie. C'est ce qu'il écrit à Dom Deschamps. Lettre du 25 Juin 1761 [27], i5i, au
moment où il corrige les premières épreuves de YÈmile : « La vérité que j'aime
n'est pas tant métaphysique que morale ». L'originalité de la méthode de Rousseau
70
REDACTIONS MANUSCRITES
4. La pensée et son activité.
« Mais » qui suis-je, quel droit ai-je de juger les choses, et qu'est-ce
qui détermine mes jugemens? S'ils sont entraînés forcés par les impres-
sions que je reçois; [i je me ^ fatigue ^en vain à*] ces recherches, elles
[ne se feront jamais ou se feront (bien) d'^ elle s mêmes sans que je me
mêle de les diriger. Il faut donc '^ tourner ' d'abord [* mes regards]
sur moi-^même pour connoître l'instrument dont je veux me servir,
et jusqu'à quel point je puis me fier à son usage.
' (que... et si chacune de ces).
- (tourmente).
" (assés vainement à).
■* (sur).
* elle même (sic).
" (les).
^ [(pre miérement)].
' I. (les yeu.x) [mes regards].
•' I. (même).
ÉDITION" ORIGINALE 7I
4. La pensée et son activité -.
Mais qui suis-je? Quel droit ai-je de juger les choses, & qu'est-ce qui
détermine mes jugemens? Sils sont entraînés, forcés par les impressions
que je reçois, je me fatigue en vain à ces recherches, elles ne se feront
apparaîtra davantage, si on la compare aux principes posés par Fréret pour la critique
des systèmes religieux dans la Lettre de Thrasybule à Leucippe [189J, 125-127. Ces
prmcipes sont d'un rationalisme strictement cartésien : « Rapportons-nous en donc
sincèrement et de bonne foi à la raison, l'unique juge de ces matières; ne croyons
que ce qu'elle nous apprendra: elle ne nous peut tromper; si elle le pouvait faire,
il n'y aurait plus de règle constante parmi les hommes ». L'ouvrage de Fréret ne
fut imprimé que plusieurs années après VÈmile, mais il circulait en manuscrit depuis
longtemps, et Rousseau le lisait précisément à l'époque où il rédigeait la Profession :
cf. à la Bibliographie, le n" 189; il notait même sur son cahier le passage que je
viens de citer, et il y répondait en « rapportant tout dans les connaissances humaines
au sentiment intérieur comme à son principe » : cf., plus loin, p. 114 et note i. —
Pour comprendre dans quel courant de pensée Rousseau vient se placer, il faut lire
dans la Révision de l' « Histoire du Ciel » [160], 112-121, quelques pages très
importantes, où l'abbé Pluche s'efforce de montrer que la méthode cartésienne de
« l'évidence » est insuffisante et trompeuse, ou du moins que, si l'on conserve ce mot
d'évidence pour caractériser la méthode, il faut admettre d'autres « évidences » que
celle de la « connaissance claire et distincte », et, en particulier. « l'évidence » que
donne « un sentiment intérieur dont nous sommes tous insurmontablement pénétrés »
(p. ii5j. La définition de « l'évidence », fournie par VEncyclopédie [218], 14Ô b,
n'est déjà plus qu'à demi cartésienne, et semble presque faire place aux nouvelles
« évidences » dont parle Pluche ; « le terme évidence signifie une certitude si claire
et si manifeste par elle-même que l'esprit ne peut s'y refuser ». Cf. encore la définition
de Bulfier, Métaphysique, V ''121], I, 87 : « J'appelle, pour moi, évidence ce qui
est tellement imprimé dans l'esprit de tous les hommes qu'il leur est impossible
de juger autrement ». « .\insi, dit Leclerc, Entretiens [gS], 336, il faudra faire
une restriction dans la règle générale des Cartésiens : tout ce que nous connaissons
clairement et distinctement est vrai. Il faudra ajouter : dans les choses pour la
connaissance desquelles la Raison nous a été donnée ». Et l'abbé de Lignac, Témoi-
gnage du sens intime, 1, i [281], I, 72, présente la maxime suivante comme « la
règle essentielle à la recherche de la vérité : « Tous les préjugés naturels qui nous
intéressent, dont ni la vérité ni la fausseté ne peuvent être démontrées quoiqu'on
en puisse douter, et qui demeurent constamment dans notre esprit malgré le doute
méthodique, malgré le défaut de preuves, tous ces préjugés doivent être exceptés
dans l'usage de la méthode de M. Descartes ».
- Ici commence un développement, qui faisait défaut dans la Rédaction primi-
tive, et qui a été suggéré à Rousseau par des lectures d'auteurs contemporains, plus spé-
cialement par les articles Existence et Évidence dans VEncyclopédie, et par le livre De
72 REDACTIONS MANUSCRITES
J'existe et j'ai des sens par lesquels je suis affecté. Voila la première
f" 119 '^" vérité qui me frape, et à laquelle je suis forcé d'acquiescer. Ai-je || un
sentiment particulier de mon e.xistence, ou ne la sens-je que par mes
sensations? Voila mon premier doute qu'il m'est quant à présent impos-
sible de résoudre. Car étant continuellement affecté de sensations ou
immédiatement ou par la mémoire, comment puis-je savoir si le sentiment
du mot est quelque chose hors de ces mêmes sensations, et s'il peut être
indépendant d'elles?
EDITION ORIGINALE 73
point, OU se feront delles-mêmes, sans que je me mêle de les diriger.
11 faut donc tourner d'abord mes regards sur moi pour connoitre
l'instrument dont je | veux me servir, & jusqu'à quel point je puis me r^^^
fier à son usage.
J'existe ', & j'ai des sens par lesquels je suis affecté -. Voilà la
première vérité qui me frappe, & à laquelle je suis forcé d'acquiescer ^.
L'Esprit : cf. Introduction, I' Partie, Chap. III. Le problème qui est posé est celui de la
passivité ou de l'indépendance du jugement. On trouvera les mêmes idées exposées
par Rousseau sous une forme très voisine dans ses annotations au livre d'Helvetius :
elles peuvent servir de commentaire à cette partie de la Profession. J"en ai publié le
texte intégral dans la Revue de l'Histoire littéraire de la France de 191 1 [40] : cf., en
particulier, la note suivante, p. 112 : « Le principe... qu'il 'HelvetiusJ a tâché d'établir
au commencement de son ouvrage est que les jugements humains sont purement
passifs. Ce principe a été établi et discuté avec beaucoup de profondeur dans
Y Encyclopédie, article Évidence. J'ignore quel est l'auteur de cet article ; mais c'est
certainement un très grand métaphysicien. Je soupçonne l'abbé de Condillac ou
M. de Buftbn. Quoiqu'il en soit, j'ai tâché de le combattre et d'établir l'activité de
nos jugements, et dans les notes que j'ai écrites au commencement de ce livre, et
dans la Première Partie de la Profession de foi du Vicaire Savoyard ».
' Comparer avec Marie Huber, Religion essentielle [i5i], I, 24 : « La première
de toutes les idées pour l'homme, c'est qu'il existe ».
' Cf. I" Livre d'Emile, II, 5 : « Nous naissons sensibles, et, dès notre naissance,
nous sommes affectés de diverses manières par les objets qui nous environnent ».
' Voltaire 242], 276 : « Ce n'était pas la peine de dire des choses tant rebattues ».
C'est, en effet, un thème banal, chez les philosophes du XVIII* siècle, de décrire la
formation de nos idées et la genèse du sentiment du moi : cf., par exemple, Fréret
[189", 128-145; Condillac, Essai sur l'origine des connaissances humaines, I, i, 2 [176",
26-35. et surtout Traité des sensations ; Buft'on, Histoire naturelle, « De l'homme »
[186], III, 352-370; Bonnet, Essai analytique sur les facultés de l'âme [229],
Xlll, i3-i4; Robinet, De la nature, IV' Partie, « De la physique des esprits »
[235]. 424 sqq, etc. Tous ces philosophes, quelles que puissent être leurs
divergences dans le détail, admettent plus ou moins explicitement, comme Helvetius
et l'auteur de l'article Évidence, que * toutes les idées nous viennent des sens, et
qu'il n'est aucune notion dans l'esprit humain à laquelle il ne soit arrivé en partant
uniquement des sensations » {Diderot, art. Existence [218], 261 ai. C'a été aussi,
— avec déjà quelques réserves, — la théorie de Rousseau. Vers 1756, il semble
encore reconnaître dans la fiction de « la statue de l'abbé de Condillac » une
exacte explication de l'esprit humain (III" Lettre à Sophie "25], 154I; et, jusque
dans VÉmile. 11, 75, on le verra placer Condillac « parmi les meilleurs raison-
neurs et les plus profonds métaphysiciens de son siècle ». Sur ce sensualisme
provisoire de Rousseau, cf. Discours sur l'Inégalité, I, 89-go : « Tout animal a
des idées, puisqu'il a des sens ; il combine même ses idées jusqu'à un certain
point, et l'homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins » ;
II' Livre d'Emile, II, 94 : « Comme tout ce qui entre dans l'entendement humain
y vient par les sens, la première raison de l'homme est une raison sensitive ; c'est
elle qui sert de base à la raison intellectuelle » : 111' Lettre à Sophie [25], 148-149 : « Nos
sens sont les instruments de toutes nos connaissances ; c'est d'eux que viennent toutes
nos idées, ou du moins toutes sont occasionnées par eux ». Cette dernière formule
«. RÉDACTIONS MANUSCRITES
EDITION ORIGINALE 75
Ai-je un sentiment propre de mon existence, ou ne la sens-je que par
mes sensations ? Voilà mon premier doute, qu'il m'est, quant à présent,
impossible de résoudre. Car étant continuellement affecté de sensations,
ou immédiatement, ou par la mémoire, comment puis-je savoir si le sen-
timent du moi est quelque chose hors de ces mêmes sensations, & s'il
peut être indépendant d'elles?
— qui, d'ailleurs, est de Condillac, à peu de chose près (cf. Traité des Sensations
[209], 5i, noie : « Les sensations sont les modifications propres de l'âme, et les organes
n'en peuvent être que l'occasion »l — semble réserver déjà l'activité de la pensée. De
même, dans le Discours sur l'Inégalité, I, 90-91, il avait fait à la liberté sa part dans la
vie intellectuelle : « Ce n'est donc pas tant l'entendement qui fait parmi les animaux
la distinction spécifique de l'homme que sa qualité d'agent libre Plus on médite
sur ce sujet, plus la distance des pures sensations aux plus simples connaissances
s'agrandit à nos yeux ». Cette distance ira sans cesse s'agrandissant aux yeux de
Rousseau, à mesure qu'il apercevra les conséquences pratiques qu'Helvetius et autres
déduisent des théories condillacistes. Il continuera cependant à prendre comme point
de départ de toute théorie de la connaissance le fait de la sensation ; et, tout en
acceptant le principe de Descartes : je pense, donc je suis, comme le seul « principe
incontestable » (UI" Lettre à Sophie [25], i52 et 157), il le formulera en langage
sensualiste ; « J'existe et j'ai des sens par lesquels je suis affecté », ce qui équivaut à
un : « je sens, donc je suis ». L'auteur de l'article Évidence [218], 147 b, avait dit
de même, sous une autre forme : « Il est certain que nos sensations nous indiquent
nécessairement un être en nous qui a la propriété de sentir, car il est évident que
nos sensations ne peuvent exister que dans un sujet qui a la propriété de sentir ».
.Mais ce paragraphe et les trois suivants sont surtout inspirés par un autre article
de VEncvclopédie, l'article Existence [218], 260-267. Cet article, qui est de Diderot
icf., outre le stvle, qui est bien caractéristique, l'absence de signature et l'attribution
formelle du Journal encvclopédique, i5 Décembre 1756 [46], 26I, avait fait grande
impression dans les milieux philosophiques. Je ne sais pourquoi il a été omis dans
l'édition de .M. .M. Assézat et Tourneux. Diderot y insiste, en un tableau pittoresque,
sur cette multiplicité « des sensations qui affectent continuellement » l'être humain :
« Je me sens assailli par une foule de sensations et d'images que chacun de mes
sens m'apporte, et dont l'assemblage me présente un monde d'objets, distincts les
uns des autres, et d'un autre obje; qui seul m'est présent par des sensations d'une
certaine espèce, et qui est le même que j'apprendrai dans la suite à nommer moi »
(p. 261 al. Puis il analvse longuement la genèse du sentiment du moi et de l'idée
des objets extérieurs. Enfin, sans vouloir résoudre le problème de l'idéalisme posé
par « l'évéque de Clovne », il étudie quelles doivent être les « preuves de l'existence
des êtres extérieurs »: il montre « qu'aucune sensation ne peut immédiatement,
et par elle-même, nous assurer de l'existence d'aucun corps », et que nous n'avons
chance de « pouvoir sortir de nous-mêmes » qu'en nous aidant du principe de
causalité : « Les sensations sont des faits :... en remontant de ces faits à leurs causes on
se trouve obligé d'admettre un système d'êtres intelligents ou corporels existant hors
de nous » ip. 266-2671. C'est aussi la méthode de Rousseau ; mais il l'expose en
quelques mots rapides, et regarde comme des « chimères » toutes les difficultés
purement métaphvsiques auxquelles Diderot s'attarde si complaisamment. C'est
que, du point de vue de la pratique, les deux solutions « idéaliste et matérialiste »
— il serait plus exact de dire réaliste — sont ici équivalentes.
76 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Mes sensations se passent en moi puisqu'elles me font sentir mon
existence, mais leur cause m'est étrangère puisqu'elles m'aft'ectent ('sans
que je le veuille) et qu'il ne dépend de moi ni de les produire ni de les
anéantir. Je conçois donc clairement que ma sensation qui est moi,
et sa cause '^ ou son objet qui est hors de moi ne sont pas la même
chose.
Ainsi non seulement j'existe; mais il existe d'autres êtres, savoir
les objets de mes sensations, et quand ces objets ne seroient que des
idées, il n'importe ; toujours est-il vrai que ces idées ne sont pas moi.
Or tout ce que je sens hors de moi et qui agit sur mes sens je
l'appelle matière, et toutes les portions de matière que je conçois réunies
en êtres individuels je les appelle des corps. Ainsi toutes les disputes
des idéalistes et des matérialistes ne ^signifient rien pour moi. Leurs
distinctions sur i*les objets = sensibles) sont des chimères.
î° 120 ^'^ Il Me voici déjà tout aussi sur de l'existence de l'univers que de la
mienne. i^Dès là), je commence à réfléchir sur les objets de mes sensa-
tions, et trouvant en moi la faculté de les comparer, je me sens doué
d'une force active que je ne ' « savois » pas avoir auparavant.
' [malgré (moi, et) que j'en ayej. — I. malgré (moi) que.
- I. [ou son objeij.
' M. sont.
"* [l'apparence et la réalité des (êtres) corps].
^ [(de nos... des sensations)].
^ [Ensuite].
■ (p ouvois ?)
EDITION ORIGINALE
//
Mes sensations se passent en moi, puisqu'elles me font sentir mon
existence; mais leur cause m'est étrangère, puisqu'elles m'affectent malgré
que j'en ave *, & qu'il ne dépend de moi ni de les produire, ni de les
anéantir. Je conçois donc clairement que | ma sensation qui est moi, & [36]
sa cause ou son objet qui est hors de moi, ne sont pas la même chose '■.
Ainsi non-seulement j'existe, mais il existe d'autres êtres, savoir les
objets de mes sensations; & quand ces objets ne seroient que des idées,
toujours est-il vrai que ces idées ne sont pas moi.
Or, tout ce que je sens hors de moi & qui agit sur mes sens, je l'ap-
pelle matière; & toutes les portions de matière que je conçois réunies en
êtres individuels, je les appelle des corps. Ainsi toutes les disputes des
idéalistes & des matérialistes ne signifient rien pour moi : leurs distinc-
tions sur l'apparence & la réalité des corps sont des chimères -.
Aie voici déjà tout aussi sur de l'existence de l'Univers que de la
mienne '^. Ensuite je réfléchis sur les objets ^ de mes sensations; & trou-
•* Féraud [aôo], I, SgS : « Malgré que vous en ayie^, c'est-à-dire, malgré tous
vos eft'orts L'Académie ne met point malgré que ». On retrouvera plus loin, p. 78.
cette même locution — très classique, du reste. Rousseau semble l'affectionner :
cf. Emile, 11, Sgy, 407; Nouvelle Hélotse, IV, 224, 299, 3oo. 415, 435, V, 3i, etc.
' Rousseau est ici d'accord avec l'auteur de l'article Évidence [218], i53 a :
» J'avoue néanmoins qu'il m'est évident aussi que je ne suis pas moi-même la cause
de mes sensations ».
- Parce qu'encore une fois ce n'est pas « la vérité métaphysique » qu'il cherche.
Rousseau avait lu Berkeley, sans doute YAlciphron et les Dialogues d'Hylas et de
Philonoils [143 et 193] : cf. Nouvelle Héloïse {VI, vu), V, 34; mais le problème
métaphysique du monde extérieur le laisse indifférent. Le monde existe pour lui dans
la mesure où il est une condition de son action : cf., aux Appendices, V, Lettre à
M. de Franquières, du i5 Janvier 1769, | 11. C'est, d'ailleurs, sinon pour le fond, du
moins verbalement, l'attitude de Condillac lui-même, Traté des Sensations, IV, vin, 5
[209^ 413-414 : « 11 importe peu de savoir avec certitude si ces choses les objets de nos
sensations] existent ou n'existent pas. J'ai des sensations agréables ou désagréables ;
elles m'affectent autant que si elles exprimaient les qualités mêmes des objets auxquels
je suis portée à les attribuer; et c'en est assez pour veiller à ma conservation ».
• Rousseau reste provisoirement d'accord, — au moins dans l'expression, —
avec l'auteur de l'article Évidence I218], i52 b : « Nous sommes aussi assurés de
l'existence, de la durée, de la diversité et de la multiplicité des corps ou des objets
de nos sensations que nous sommes assurés de l'existence et de la durée de notre
être sensitif ».
' Sur ce rôle important de la réflexion dans l'élaboration de la sensation,
cf. Locke, Entendement huma n, 11, i, 4 [102]. 61, et surtout Condillac. Traité des
Sensations, 11. viii, 14 [209]. 216 : « Cette attention qui combine les sensations, qui
en fait au-dehors des tous, et qui, réfléchissant pour ainsi dire d'un objet sur un
autre, les compare sous différents rapports, c'est ce que j'appelle réflexion ». .Mais
cette «.réflexion» n'est pour Condillac qu'une sensation prolongée et transformée;
78 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Appercevoir c'est sentir, comparer c'est juger. Juger et sentir ne sont
pas la même chose. Par la sensation les (/êtres) s'offrent à moi séparés,
isolés, tels qu'ils sont dans la nature. Par la comparaison je les ébranle,
je les remue, je les transporte pour ainsi dire, (- je) les pose l'un sur
l'autre pour prononcer sur leur différence ou sur leur similitude et (^ en
f° 119'" général) sur tous leurs raports isensiblesi. || [Selon moi la faculté (* dis-
tinctive de) l'être actif ou intelligent est de pouvoir donner un sens
à ce mot est. Je cherche en vain dans l'être purement sensitif cette force
intelligente| qui ^unit, je ne la ('^saurois voir) dans ('sa nature). Cet être
passif sentira chaque objet séparément ou même il sentira l'objet total
formé des deux autres, mais n'avant aucune force pour les replier l'un
sur l'autre il ne les comparera jamais il ne les jugera point], t
' [objets].
= [et].
' [généralement].
■* [propre à].
° I. (unit qui) superpose [et puis qui prononce,] je ne.
" [vois point].
' [son essence].
t On trouve une pi'emière rédaction de ce développement dans une
autre partie du même Manuscrit d'Em'ût [i i\ II, Livre III, f"^ j8 r° et
yy''"- Voici ce morceau, qui avait été ajouté à la suite du para-
graphe : Notre élève.... que j'appelle idée ledit. Hachette, II. 2y5),
puis qui a été barré, sans doute lorsqu'il a été utilisé par le
Vicaire : il y a dans l'entendement humain une force active qui
réunit et qui juge, qui « compare » (raproche) deux images, qui
(embrasse?) « rassemble deu.x » idées qui fonclud de deu.x propositions,
qui pose pour ainsi dire deux objets l'un sur l'autre pour prononcer
sur ce qu'ils ont de commun (ou de différent). Selon moi la faculté
distinctive de tout être actif ou spirituel est de pouvoir donner un sens à
ce mot est. Je cherche en vain dans l'être purement sensitif cette force
qui unit (dans l'être purement sensitif) je ne la (trouve) ^saurois voir]
dans la nature. (Il) [Cet être passif sentira chaque objet séparément
(OU il) ou même sentira l'objet total formé des deux autres], mais il ne
les comparera jamais.
EDITION ORIGINALE 79
vant en moi la faculté de les comparer, je me sens | doué d'une force [37]
active que je ne savois pas avoir auparavant.
Appercevoir c'est sentir, comparer c'est juger : juger & sentir ne sont
pas la même chose 1. Par la sensation, les objets s'ottVent à moi séparés,
Rousseau v voit la manifestation d'un principe actif. — On trouvera au.x Appendices, II,
dans le fragment inédit, Comment s'acquiert l'idée de Dieu, des remarques de
Rousseau sur la place de la réflexion dans « la succession des connaissances
humaines ».
' Cette distinction entre sentir et juger a été déjà formulée dans les H" et
III" Livres d'Emile — et ceci montre bien, par parenthèse, l'indépendance de la
Profession par rapport au reste de l'œuvre; cf. II, 76. 178 et surtout 175 : « Notre
élève n'avait d'abord que des sensations, maintenant il a des idées ; il ne faisait que
sent r, maintenant il juge Dans la sensation, le jugement est purement passif,
il affirme que l'on sent ce qu'on sent. Dans la perception ou idée, le jugement est
actif: il rapproche, il compare, il détermine des rapports que le sens ne détermine
pas. Voilà toute la différence; mais elle est grande ». Dans l'une des copies d'Emile,
il avait même remplacé ces dernières formules par le texte qui a passé depuis dans
la Profession : cf. la note critique des Rédactions Manuscrites. — Tout ce paragraphe
n'est que le développement, et la mise en forme, des annotations de Rousseau à
quelques pages du livre De l'Esprit, I, 1 [225 Bl, 7-9. Helvetius y prétend que « la
capacité d'apercevoir les ressemblances ou les différences n'est que la sensibilité
physique même » (p. 7I. Rousseau lui répond : « Voici qui est plaisant! après avoir
légèrement affirmé qu'apercevoir et comparer sont la même chose, l'auteur conclut
en grand appareil que juger c'est sentir. La conclusion me paraît claire, mais c'est de
l'antécédent qu'il s'agit ». — « Tout l'esprit, dit encore Helvetius Ip. 9), consiste à
comparer et nos sensations et nos idées, c'est-à-dire à voir les ressemblances et les
dilïérences, les convenances et les disconvenances qu'elles ont entre elles. Or. comme
le jugement n'est que cette apercevance elle-même, ou du moins que le prononcé de
cette apercevance, il s'ensuit que toutes les opérations de l'esprit se réduisent à
juger ». Rousseau riposte par la formule même du Vicaire : « Apercevoir les objets,
c'est sentir: apercevoir les rapports, c'est juger ». — La théorie de la passivité du
jugement, sans restriction aucune, n'était soutenue que par les purs matérialistes,
comme La Mettrie; cf., par exemple. Traité de l'âme, XIII [171], 189 : « Lorsque
l'àme aperçoit distinctement et clairement un objet, elle est forcée, par l'évidence
même des sensations, de consentir aux vérités qui la frappent si vivement; et c'est
à cet acquiescement passif que nous avons donné le nom de jugement. Je dis passif.
pour faire voir qu'il ne part pas de l'action de la volonté, comme le dit Descartes ».
Mais déjà les sensualistes, eux-mêmes, avaient protesté contre ces expressions impru-
dentes. Bonnet, que Rousseau traitera pourtant de « matérialiste » (cf. Confessions,
IX, 64), avait écrit, deux ans avant la Profession, dans son Essai sur les facultés de
l'àme, XI [22g], 111-112 : « Il y a une manière de s'exprimer sur l'âme, qui ne me
parait pas bonne; c'est quand on dit que l'âme est passive lorsqu'elle aperçoit ou
qu'elle sent. La passivité, si je puis me servir de ce mot, est directement opposée à
['activité. Un être absolument passif est un être dans lequel il ne peut s'exercer
aucune sorte d'action. Agir c'est produire un certain eft'et, une certaine modification.
Comment un être passif serait-il susceptible de modification ?... Je n'ai garde de
comparer le choc de deux corps à l'action du corps sur l'âme... mais je conçois qu'en
conséquence de l'action des fibres nerveuses, il se passe dans l'àme quelque chose qui
répond à cette action : l'àme réagit à sa manière, et l'effet de cette réaction est ce
8o RÉDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 8l
isolés, tels qu'ils sont dans la Nature; par la comparaison, je les remue,
je les transporte, pour ainsi dire, je les pose l'un sur l'autre pour pro-
noncer sur leur difiFerence ou sur leur similitude, & généralement sur
tous leurs rapports. Selon moi la faculté distinctive de l'être actif ou
intelligent, est de pouvoir donner un sens à ce mot est. Je cherche en
vain, dans l'être purement sensitif, cette force intelligente qui superpose
& puis qui prononce: je ne la saurois voir dans sa nature. Cet être
que nous nommons perception ou sensation ». Condillac, Traité des sensations, III,
XI, 4 [20g], 347, après avoir montré « comment le toucher apprenait aux autres sens
à juger des objets extérieurs », termine ainsi cette partie de l'ouvrage : « Quand nous
considérions l'odorat, l'ouïe, la vue et le goût, chacun séparément, notre Statue était
toute passive par rapport aux impressions qu'ils lui transmettaient. Mais actuellement
elle peut être active à cet égard dans bien des occasions : car elle a en elle des moyens
pour se livrer à l'impression des corps, ou pour s'y soustraire ». Mais, chez Bonnet
comme chez Condillac, cette activité n'en restait pas moins imposée du dehors.
Rousseau, en introduisant dans la perception l'action organisatrice du vouloir, se
rallie au courant de philosophie cartésienne qui persistait encore au XVIIl" siècle, et
qui était surtout représenté en France par les disciples prudents et assagis de
Malebranche. Si l'on se rappelle que Rousseau était alors très lié avec le P. Bertier
et ses confrères de l'Oratoire (cf. 1'" « Promenade » des Rêveries, IX, 329 : « les
oratoriens que j'aimais, que j'estimais, en qui j'avais toute confiance » ; cf. encore
Confessions, VIII, 362, Correspondance, S.. 329, etc.i, — on regardera comme vrai-
semblable que Rousseau, détaché de la « clique philosophique » a dii subir volontiers
l'influence de l'Oratoire. Et c'est précisément dans le milieu oratorien que se t'ont
entendre les plus énergiques protestations contre le sensualisme envahissant : cf., par
exemple, les ouvrages de deux métaphysiciens, qui avaient appartenu à la congrégation,
et qui, malgré leurs divergences et leur polémique, se retrouvaient d'accord pour
défendre les prérogatives et l'activité de l'esprit : le P. Roche, Traité de la nature
de l'âme, 11. 11, 5 et 6 '227'''*], 11,484-495; et surtout l'abbé de Lignac, Éléments de
jnétaphysique, III [2o5], 46; Examen sur « l'Esprit », où il oppose à Helvetius
les mêmes arguments que Rousseau. Je renvoie, en particulier à la II' Partie [226], II,
259-272 : « Par sensation, on entend ordinairement une impression faite sur l'àme
à l'occasion d'un objet tracé dans le cerveau, laquelle annonce la présence d'un
objet extérieur. L'âme n'y met rien du sien : elle est totalement passive. En ce sens,
la perception d'un rapport n'est pas une sensation fil y a comparaison dans le
jugement]. Je sens, à la vérité, que je compare, mais qu'en cela J'agis, et que j'ajoute
quelque chose à mes deux perceptions, qui ne me vient d'aucune d'elles » ; et, citant
le texte d'Helvetius : «J'examinerai si juger n'est pas sentir», il ajoute : «Le voilà
le point de division. H veut qu'un jugement soit une sensation, il veut que Juger
ne soit Jamais que sentir [Or la comparaison, qui est au fond de tout jugement,] se
fait par un tiers ]Ce tiers] c'est le fond même de ma substance toujours senti;
C'est lui qui compare toutes les impressions qu'il reçoit Mas comparer, che^
lui, n'est pas un effet reçu, c'est une action de sa part, et ce n'est point une sen-
sation ». Tout ce morceau est à lire comme première exquisse de la Réfutation de
Rousseau. L'Examen de l'abbé de Lignac a paru en 1759. Il est possible, je dirais
même probable, que Rousseau l'ait lu. En tout cas, je croirais volontiers que c'est
dans cette atmosphère oratorienne et néo-malebranchiste que s'est formée sa théorie
sur l'activité du jugement.
6
82 RÉDACTIONS MANUSCRITES
f° 120 II '(En effet)j Voir deux objets à la fois" ce n'est pas voir leurs rap-
ports lHÎ juger de leurs différences; (ivoiri « plusieurs objets » îles uns)
hors 2 des autres n'est pas les (^compter numériquement i . Je puis avoir au
même instant l'idée d'un grand bâton et d'un petit bâton sans les comparer,
sans juger que l'un est plus petit que l'autre, comme je puis voir à la fois
* deux de mes doigts sans juger qu'il y en a deux *. Ces idées comparatives,
plus grand plus petit, de même que les idées numériques d'un et de deux
ne sont certainement pas des sensations (= quoi) que mon esprit ne les
produise qu'à l'occasion de mes sensations.
t° 119^'° Il * [Les relations de .M. de la Condamine nous parlent d'un peuple
qui ne savoit compter que jusqu'à trois. (Cependant) les ^hommes qui
composoient ce peuple ' ayant des mains, avoient souvent appercù leurs
doigts sans savoir (* compter jusqu'à cinqi].
' [appercevoir].
- [les uns].
' [nombrer].
■* I. ma main entière sans (avoir fait) [faire] le compte de mes doigts.
' [bien].
" I. (peup LES) hommes.
' M. < ayant des mains >.
* [pourtant combien ils en avoient même à chaque main].
ÉDITION ORKilNALE 83
passif sentira chaque objet séparément, ou même il sentira l'objet total
formé des deux; mais n'ayant aucune force pour les replier l'un sur
l'autre, il ne les com- | parera jamais, il ne les jugera point. [;-i8]
\'oir deux objets à la fois ce n'est pas voir leurs rapports, ni juger
de leurs différences; appercevoir plusieurs objets les uns hors des autres
n'est pas les nombrer '. Je puis avoir au même instant l'idée d'un
grand bâton & d'un petit bâton sans les comparer, sans juger que l'un
est plus petit que l'autre, comme je puis voir à la fois ma main entière
sans faire le compte de mes doigts *. Ces idées comparatives, plus grand,
plus petit, de même que les idées numériques d'un, de deux, &c. ne sont
certainement pas des sensations, quoique mon esprit ne les produise qu'à
l'occasion de mes sensations -.
* Les relations de M. de la Condamine nous parlent d'un peuple qui ne
savoit compter que jusqu'à trois. Cependant les hommes qui composoient ce
peuple ayant des mains, avoient souvent apperçu leurs doigts, sans savoir
compter jusqu'à cinq ^.
' Féraud [25o\ II, 737-738 : « Sombrer est plus usité dans le moral que dans
le physique. Pour les sommes, on dit plutôt compter ou supputer ». Aussi Rousseau
avait-il écrit d'abord compter numériquement. C'est pour éviter ce pléonasme, en
mettant néanmoins en valeur l'idée de « nombre », essentielle à sa démonstration,
qu'il a choisi nombrer.
^ Voltaire [242], 276 : « Pourquoi non »? — Les idées qui sont ici combattues
par Rousseau sont communes à Helvetius et à l'auteur de l'article Évidence: cf. De
L'Esprit, I, I [225 A], 9 : « Quand je juge de la grandeur ou de la couleur des objets
qu'on me présente, il est évident que le jugement porté sur les différentes impressions
que ces objets ont faites sur mes sens n'est proprement qu'une sensation », etc. jMais
l'exemple du petit et du grand bâton montre que Rousseau a eu surtout en vue
l'article Èi'idence [218], 148 b : « Juger n'est autre chose qu'apercevoir et reconnaître
les rapports, les quantités et les qualités ou façons d'être des objets : or ces attributs
font partie des sensations représentatives des objets ; ...un grand bâton et un petit bâton
vus ensemble font naître la sensation du grand bâton et la sensation du petit bâton :
ainsi juger... qu'un bâton est plus grand qu'un autre, n'est autre chose que sentir ou
apercevoir ces sensations telles qu'elles sont. Il est donc évident que ce sont les
sensations elles-mêmes qui produisent les jugements Ainsi toutes ces appréhensions
ou aperceptions ne sont que des fonctions purement passives de l'être sensitif. Il
paraît cependant que les affirmations, les négations et les argumentations marquent
de l'.action dans l'esprit. Mais c'est notre langage, et surtout les fausses notions
puisées dans la logique scolastique. qui nous en imposent ».
' Voltaire [242^, 276 : « La Condamine a mal compté ». Voici le texte auquel
Rousseau fait allusion. Relation abrégée d'un voyage dans l'intérieur de l'Amérique
méridionale [170], 66-67 ■ * 'Les Yameos] ont des mots que nous ne pourrions écrire,
même imparfaitement, sans employer moins de neuf ou dix syllabes; et ces mots
prononcés par eux semblent n'en avoir que trois ou quatre. Poettarrarorincouroac
signifie en leur langue le nombre Trois : heureusement pour ceux qui ont aff'aire à
84 RÉDACTIONS MANUSCRITES
f° 119 ^° Il [' On nous dit que l'être sensitif distingue les sensations les unes
des autres par les diflerences (-que lesi sensations (elles-mêmes ont entre
elles 1. Ceci demande explication. Quand les sensations sont différentes
l'être sensitif les distingue par leurs différences, quand elles sont sem-
blables il les distingue seulement parce qu'il sent les unes hors des autres.
Autrement comment dans une sensation simultanée distingueroit-il deu.x
objets égaux ? Il faudroit nécessairement qu'il confondit ces deux objets
et 3 les prit pour le même; surtout dans un sistéme où l'on prétend, que
les sensations représentatives de l'étendue ne sont point étendues].
i" 120 ™ Il Quand les deux sensations a comparer sont apperçues, leur impres-
sion est faite, chaque objet est senti, les deux sont sentis, mais leur
f" 121 ^ raport n'est pas senti pour cela. Si le jugement || de ce raport n'étoit
qu'une sensation et me \enoit uniquement de l'objet même, mes jugemens
ne me tromperoient jamais, puisqu'il n'est jamais faux que je sente ce
que je sens.
' I. < On nous dit... point étendues >.
- [qu'ont entre elles ces mêmeSj.
■■■ (qu' iL?i.
ÉDITION ORIGINALE 85
On nous dit que Tètre sensitit' dis- | tingue les sensations les unes [39]
des autres par les différences qu'ont entre elles ces mêmes sensations ' :
ceci demande explication. Quand les sensations sont différentes, l'être
sensitif les distingue par leurs différences : quand elles sont semblables,
il les distingue parce qu'il sent les unes hors des autres. .Autrement,
comment, dans une sensation simultanée, distingueroit-il deu.x objets
égau.x ? Il faudroit nécessairement qu'il confondît ces deux objets & les
prit pour le même, sur-tout dans un système où l'on prétend que les
sensations représentatives de l'étendue ne sont point étendues -.
Quand les deux sensations à comparer sont apperçues, leur impres-
eux. leur arithmétique ne va pas plus loin. Quelque peu croyable que cela paraisse,
ce n'est pas la seule nation indienne qui soit dans ce cas. La langue Brasilienne,
parlée par des peuples moins grossiers, est dans la même disette, et, passé le nombre
Trois, ils sont obligés, pour compter, d'emprunter le secours de la langue portu-
gaise ». Il est probable que c'est Helvetius qui a suggéré à Rousseau l'idée de lire
La Condamine, ou plutôt — car Rousseau semblait déjà le connaître : cf. Réponse au
Mémoire anonyme, XI!, 304 — qui lui a remis en mémoire le passage de la Relation;
et. De L'Esprit, \, i [225 A], 4 : x Les idées des nombres, si simples, si faciles à
acquérir, et vers lesquelles le besoin nous porte sans cesse, sont si prodigieusement
bornées dans certaines nations qu'on en trouve qui ne peuvent compter que jusqu'à
trois, et qui n'expriment les nombres qui vont au-delà de trois que par le nombre
beaucoup ». Bonnet, lui aussi, avait retenu le même fait dans son Essai de psycho-
logie, chap. xvii « De l'état moral de quelques peuples de l'Amérique » [208], .^5 :
« 11 n'y a point non plus dans ces langues de termes propres pour les idées de vertu,
de justice, de liberté, de reconnaissance, d'ingratitude. L'arithmétique de quelques-
unes de ces contrées ne va pas au-delà du nombre trois ». — Rousseau- était lié
personnellement avec La Condamine. Dans une lettre inédite, de 1762, [14!, adressée à
Rousseau pour le remercier de son Emile, La Condamine écrivait : « J'ai lu avec la
plus grande satisfaction la leçon du prêtre italien au jeune homme »; cf. encore
Confessions, IX, 22.
' L'auteur de l'article Évidence [218], 148 b : « L'être sensitif distingue les
sensations les unes des autres par les différences que les sensations elles-mêmes
ont entre elles. Ainsi le discernement ou la fonction par laquelle l'àme distingue les
sensations et les objets représentés par les sensations, s'exécute par les sensations
mêmes ».
"- Nouvelle citation de l'article Évidence [218], 147 a : « Celles [les sensations]
qui sont représentatives des objets nous font apercevoir la grandeur de ces objets,
leur forme, leur figure, leur mouvement et leur repos ; elles sont toujours relatives
à quelques sensations affectives... De plus, si on examine rigoureusement la nature
des sensations représentatives, on apercevra qu'elles ne sont elles-mêmes que des
sensations atlectives réunies et ordonnées de manière qu'elles forment des sensa-
tions de continuité ou d'étendue Ainsi les idées représentatives d'étendue
ne sont composées que de sensations affectives de lumière ou de couleurs ou de
résistance rassemblées... de manière qu'elles semblent former une sorte de continuité
qui produit l'idée représentative d'étendue, quoique cette idée elle-même ne soit
pas réellement étendue ».
86 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Pourquoi donc est-ce que je me trompe sur i le raport de ces deux
bâtons, surtout s'ils ne sont pas parallèles? Pourquoi dis-je par exemple
que le petit bâton est le « ^ tiers » du grand, tandis ^ qu'il n'en est que le
quart? Pourquoi l'image qui est la sensation n'est elle pas conformée
son modèle qui est l'objet? C'est que je suis actif quand je juge, que
l'opération qui compare est * pénible et que mon entendement qui juge
les raports mêle ses erreurs à la vérité des sensations qui ne montrent
que les objets.
' I. le(s) rap[p]ort(s).
- [(quart]).
^ [(qu'en effet il en est)].
■* I. (pénible) [fautive].
ÉDITION ORIGINALE 87
sion est faite, chaque objet est senti, les deux sont sentis; mais leur
rapport n'est pas senti pour cela '. Si le jugement de ce rapport n'étoit
qu'une sensation, & me venoit uniquement de l'objet, mes ju- | gemens |'40'
ne me tromperoient jamais i, puisqu'il n'est jamais faux que je sente ce
que je sens.
Pourquoi donc est-ce que je me trompe sur le rapport de ces deux
bâtons, sur-tout s'ils ne sont pas parallèles ^ ? Pourquoi dis-je, par
exemple, que le petit bâton est le tiers du grand, tandis qu'il n'en est que
le quart? Pourquoi l'image, qui est la sensation, n'est-elle pas conforme
à son modèle, qui est l'objet? C'est que je suis actif quand je juge, que
l'opération qui compare est fautive ^, & que mon entendement qui juge
les rapports, mêle ses erreurs à la vérité des sensations qui ne montrent
que les objets *.
' Rousseau revient à Helvetius ; cf. De L'Esprit, I, i [223 B], 9 : « Je puis dire
également, je juge ou je sens que, de deux objets, l'un que j'appelle toise, fait sur
moi une impression différente de celui que j'appelle pied ; que la couleur que je
nomme rouge agit sur mes yeux ditTcremment de celle que je nomme jaune ». A quoi
Rousseau répond comme dans la Profession : « Il y a ici un sophisme très subtil et
très important à remarquer, .\utre chose est sentir une dift'érence entre une toise et
un pied; et autre chose mesurer cette dift'érence. Dans la première opération l'esprit
est purement passif, mais dans l'autre il est actif. Celui qui a plus de justesse dans
l'esprit pour transporter par la pensée le pied sur la toise, et voir combien de fois il
y est contenu est celui qui, en ce point, a l'esprit le plus juste et juge le mieux ».
« J'en conclus, disait Helvetius en terminant ce développement, qu'en pareil cas juger
n'est jamais que sentir ». Et Rousseau : « c'est autre chose, parce que la comparaison
du jaune et du rouge n'est pas la sensation du jaune ni celle du rouge ».
' Et tous les esprits seraient naturellement égaux. C'est d'ailleurs ce que soutient
Helvetius, De L'Esprit, 111. 1 [225 B], 256 : « Ainsi la nature ne pourrait donner aux
hommes plus ou moins de disposition à l'esprit, qu'en douant les uns préférablement
aux autres d'un peu plus de finesse de sens, d'étendue de mémoire, et de capacité
d'attention ». A quoi Rousseau répond par une note déjà citée : « Le principe duquel
l'auteur déduit dans les chapitres suivants l'égalité naturelle des esprits, et qu'il a
tâché d'établir au commencement de son ouvrage est que les jugements humains sont
purement passifs », etc. Cf. encore la riposte de Rousseau à la même théorie dans la
.\ourelle Hélo'ise (V, 111), IV, 3^-396.
' Voltaire [242], 276 : « Obscur et faux ».
' L'adjectif que Rousseau avait d'abord employé, « pénible », montre bien
quelle est ici la signification de fautif : non pas « coupable », mais « sujet à faillir y ;
cf. Descartes, Méditations, VI [5/], IX, 67 ; « 11 répugne autant à la bonté de Dieu
qu'il [l'homme malade] ait une nature tiompeuse et fautive que l'autre [l'homme
sain] »; et Livre 11 d'Emile, 11. 110 : « La vue est de tous nos sens le plus fautif » :
ii3 : « La mesure des pas d'un enfant est lente et fautive ».
* Rousseau semble adopter ici. pour le problème de {'erreur, la solution
cartésienne (Méditations, IV [57], IX, 45-5o) et malebranchiste {Recherche de la
Vérité, \, II, 2 [86], 4-5) : l'erreur est dans la liberté du jugement, c'est-à-dire dans la
88 RÉDACTIONS MANUSCRITES
f 120 ''" Il [ ^ Ajoutez à cela une reflexion qui vous frapera, je m'assure,
(2 si vous la méditez ^ bien) : c'est que si nous étions purement passifs
dans l'usage de nos sens, il n'v auroit entre eux aucune communication.
Il nous seroit impossible de (*voir ce que nous touchons) nous ne sen-
tirions jamais rien hors de nous, (^et) il v auroit pour nous cinq subs-
tances sensibles dont nous n'aurions nul moven d'appercevoir l'identité.
(Il y a un point où (toutes) nos ''sensations se réunissent mais il faut que ce
soit nous qui les y portions)].
[Qu'on donne tel ou tel nom à cette force de mon esprit qui rap-
proche et compare mes sensations; qu'on l'appelle attention, méditation,
réflexion ou comme on voudra: toujours est-il vrai qu'elle est en moi
et non dans les choses; que c'est moi seul qui la produis quoique je ne
la produise peut-être qu'à l'occasion de l'impression que font sur moi
les objets. ' Sans être maitre de sentir ou de ne pas sentir, [* je le suis]
('■'de penser) plus ou moins (sur) ce que je sens].
' I. < Ajoutez à cela.... ce que je sens >.
- [quand vous y aurez bien pensé].
" [(suffisamment)].
* [connoitre que le corps que nous (voyons est de) touchons et l'objet que
nous voyons sont le même. Ou].
' [ou].
^ [diverses].
• (Je ne suis).
" (on [mon esprit] l'est).
° [d'e.xaminer].
ÉDITION ORIGINALE 89
Ajoutez à cela une réflexion qui vous frappera, je m'assure, quand
vous V aurez pensé; c'est que si nous étions purement passifs dans l'usage
de nos sens, il n'y auroit entre eux aucune communication '"; il nous | r4i]
seroit impossible de connoître que le corps que nous touchons & l'objet
que nous vovons sont le même. Ou nous ne sentirions jamais rien hors
de nous, ou il y auroit pour nous cinq substances sensibles, dont nous
n'aurions nul moyen dappercevoir l'identité 1.
Qu'on donne tel ou tel nom à cette force de mon esprit qui rap-
proche & compare mes sensations; qu'on l'appelle attention, méditation,
réflexion, ou comme on voudra -'; toujours est-il vrai qu'elle est en moi
& non dans les choses, que c'est moi seul qui la produis, quoique je ne
la produise qu'à l'occasion de l'impression que font sur moi les objets.
Sans être maître de sentir ou de ne pas sentir, je le suis d'examiner plus
ou moins ce que je sens ^.
volonté. Rousseau reviendra plus loin, p. 73, sur ces rapports de la volonté et du
jugement : « Quelle est donc la cause qui détermine la volonté ? C'est son jugement.
Et quelle est la cause qui détermine son jugement ? Cest sa faculté intelligente, c'est
sa puissance de juger; la cause déterminante est en lui-même. Passé cela, je n'entends
plus rien ».
^ Voltaire [242], 277 : « Pourquoi » ?
' Il est vraisemblable que ce paragraphe est une réponse à Condillac, pour qui
le toucher était l'initiateur des autres sens, et suffisait à établir « la communication »
entre eux : cf. la 111' Partie du Traité des Sensations [209], 258-348 : « Comment le
toucher apprend aux autres sens à juger des objets extérieurs » ; et le résumé de cette
thèse dans \'Ext>-ait raisonné du Traité des Sensations [56], III, 32-33 : « C'est le
toucher qui instruit ces sens qui, par eux-mêmes, n'ont que la propriété de modifier
l'âme. A peine les objets prennent sous sa main certaines formes, certaines grandeurs,
que l'odorat, l'ouïe, la vue et le gbùt, répandent à l'envi leurs sensations sur eux, et
les modifications de l'âme deviennent les qualités de tout ce qui existe hors d'elle ».
A quoi Rousseau ripostait par une formule de sa Première Rédaction : « Il y a un
point où toutes nos sensations se réunissent, mais il faut que ce soit nous qui les
y portions ».
' A la sensation, Locke ajoutait la réflexion pour expliquer toutes nos idées;
cf. Entendement humain, II, i, 2-5 [102], 61-62 : « Ce sont là, à mon avis, les seuls
principes d'où toutes nos idées tirent leur origine ; savoir, les choses extérieures
et matérielles, qui sont les objets de la sensation, et les opérations de notre esprit,
qui sont les objets de la réflexion ». Condillac faisait intervenir l'attention dans
l'élaboration de la sensation, mais plutôt comme une étape que comme un facteur de
cette élaboration ; cf. Traité des Sensations, I, vu, 2 [209], 121-122 : «Si nous considérons
que se ressous'enir, comparer, juger, discerner, imaginer, être étonné, avoir des idées
abstraites, en avoir de nombre et de durée, connaître des vérités générales et parti-
culières, ne sont que différentes manières d'être attentif;... et qu'enfin être attentif..
n'est dans l'origine que sentir : nous conclurons que la sensation enveloppe toutes
les facultés de l'âme ».
' Condillac disait déjà, dans une formule analogue — au moins par l'expressio.i
go RÉDACTIONS MANUSCRITES
jo j^2l f" Il Je ne suis donc pas i seulement un être sensitif et passif, mais un
être actif et intelligent, et quoiqu'en dise la philosophie, j'oserai prétendre
à l'honneur de penser. Je sais seulement que la vérité est dans les choses
et non pas dans mon esprit qui les juge, et que moins je mets du mien
dans les jugemens que j'en porte, plus je suis sur d'approcher de la
vérité; ainsi ma régie de me livrer au sentiment plus qu'à la raison ^est
confirmée par la raison même.
I. (seulement) [simplement].
M. se confirme.
EDITION ORIGINALE QI
Je ne suis donc ■• pas simplement un être sensitif & passif, mais un
être actif & intelligent, & quoiqu'en dise la philosophie, j'oserai prétendre
à Thon- I neur de penser •. Je sais seulement que la vérité est dans les r42]
choses & non pas dans mon esprit qui les juge, & que moins je mets du
mien dans les jugemens que j'en porte, plus je suis sur d'approcher de la
vérité : ainsi ma régie de me livrer au sentiment plus qu'à la raison, est
confirmée par la raison même -.
— Traité des Sensations, I, ii. ii, note [209]. 63 : « Il y a en nous un principe de nos
actions que nous sentons, mais que nous ne pouvons définir : on l'appelle force.
Nous sommes éf^alement actifs par rapport à tout ce que cette force produit en nous,
ou au dehors. Nous le sommes, par exemple, lorsque nous réfléchissons, ou lorsque
nous faisons mouvoir un corps. Par analogie nous supposons dans tous les objets
qui produisent quelque changement, une force que nous connaissons encore moins,
et nous sommes passifs par rapport aux impressions qu'ils font sur nous. Ainsi un
être est actif, ou passif, suivant que la cause de l'efi'et produit est en lui ou hors de
lui ». .Mais les analogies verbales dissimulent à peine les di:i'érences de fond : la force
dont parle ici Condillac est plutôt une force de réaction qu'une force d'initiative.
■* Ce n'est pas seulement la conclusion des paragraphes précédents, c'est la
conclusion — volontairement agressive et ironique, — de toute la dissertation sur
l'activité du jugement, dissertation qui forme ainsi une enclave très nettement
délimitée.
' Voltaire [242], 277 : « Pourquoi calomnier les philosophes »?
- Rousseau parlera de la raison sur un autre ton, lorsqu'il fera la critique de
l'idée de révélation : cf., plus loin, p. i5o. Mais peut-être alors donnera-t-il au mot
de raison un sens un peu différent. Il faut, en eflét, se rappeler la note du 11' Livre
d'Emile, II, 76 : « J'ai fait cent fois réflexion, en écrivant, qu'il est impossible,
dans un long ouvrage, de donner toujours les mêmes sens aux mêmes mots. Il n'y
a point de langue assez riche pour fournir autant de termes, de tours et de phrases,
que nos idées peuvent avoir de modifications... Malgré cela, je suis persuadé qu'on
peut être clair, même dans la pauvreté de notre langue, non pas en donnant toujours
les mêmes acceptions aux mêmes mots, mais en faisant en sorte, autant de fois qu'on
emploie chaque mot, que l'acception qu'on lui donne soit suffisamment déterminée par
les idées qui s'y rapportent, et que chaque période où ce mot se trouve lui serve,
pour ainsi dire, de définition Je ne crois pas en cela me contredire dans mes idées,
mais je ne puis disconvenir que je ne me contredise souvent dans mes expressions ». Ici
le sentiment est considéré comme étant l'expression directe et fidèle des choses mêmes,
la raison comme étant l'apport personnel, et peu silr, de l'esprit humain.
92
REDACTIONS MANUSCRITES
5. La matière et le mouvement.
M'étant, pour ainsi dire, assuré de moi-même, je commence à regarder
i° 122 ™ hors de moi, ^ et je me considère || avec une sorte de frémissement jette
perdu dans ce vaste univers et comme noyé dans l'immensité des êtres
sans rien savoir de ce qu'ils sont, ni absolument, ni entre eux ni par
raport à moi. Je les étudie, je les observe, et le premier objet qui se
présente à moi pour les comparer, c'est moi-même.
■ (je).
EDITION ORIGINALE 93
5. La matière et le mouvement.
iM"étant, pour ainsi dire, assuré de moi-même, je commence à
regarder hors de moi, et je me considère avec une sorte de frémissement,
jette, perdu dans ce vaste univers, & comme noyé dans l'immensité des
êtres, sans rien savoir de ce qu'ils sont, ni entre eux, ni par rapport à
moi *. Je les étudie, je les observe, & le premier objet qui se présente à
moi pour les comparer, c'est moi-même.
^ Nouvelle dissertation ajoutée par Rousseau dans la révision de son texte
primitif. La dissertation précédente s'attaquait principalement à Helvetius et aux
sensualistes de VEncvclopédie. Celle-ci est dirigée contre les théoriciens du mécanisme
matérialiste, contre La .Mettrie [171], que Rousseau semble avoir lu, contre Maupertuis-
Baumann [198 AJ, qu'il devait connaître au moins par Diderot, peut-être même contre
Robinet [2 35], dont nous savons qu'il avait lu le livre De la Sature, paru vers la lin
de 1761. Mais toute cette philosophie matérialiste se résume pratiquement pour lui
<ians le petit livre de Diderot paru en 1754, Pensées sur l'interprétation de la Nature
[210]. Il faut y joindre sans doute de longs exposés oraux, que Diderot ne devait
point lui avoir épargnés, et dont les Principes philosophiques sur la matière et le
mouvement, bien que rédigés quelques années plus tard (1770), peuvent être regardés
avec vraisemblance comme le résumé. La Lettre à D'Alembert, en rendant la rupture
définitive et publique entre les deux amis, met Rousseau plus à l'aise pour dire toute
sa pensée sur ce point.
* Voltaire [242], 277 : « Imité des Pensées de Pascal ». On peut, en effet,
rapprocher de ce morceau la méditation sur les « deux infinis », Pensées, LXXll
[83], I, 72-74. 78 : « Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute
majesté, etc Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce
qui est; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature Qui
se considérera de la sorte s'effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la
masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abimes de l'infini et du néant, il
tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que, sa curiosité se changeant en
admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec
présomption », etc. Rousseau aurait pu se souvenir aussi de La Bruyère, Des Esprits
Forts [98], II, 265 : « Me voilà donc sur la terre comme sur un grain de sable qui ne
tient à rien », etc. Je croirais pourtant plus volontiers que c'est Diderot qui a donné
à Rousseau la suggestion décisive. « Consultez, disait Rousseau dans la Lettre sur la
Vertu et le Bonheur [25]. i33, le vertueux Shaftesbury et son digne interprète »,
c'est-à-dire, lisez VEssai sur le Mérite et la Vertu, et les notes de Diderot. Or voici
l'une de ces notes [174], 63 : « A mesure que l'univers s'étend aux yeux d'un phi-
losophe, tout ce qui l'environne se rapetisse. La terre s'évanouit sous ses pieds.
Lui-même, que devient-il ? Cependant il ressent un doux frémissement dans cette
contemplation qui l'anéantit. Après s'être vu noyé, pour ainsi dire, et perdu dans
l'immensité des êtres, il éprouve une satisfaction secrète à se retrouver sous les yeux
de la Divinité ».
94 REDACTIONS MANUSCRITES
Tout ce que j'apperçois par les sens est matière et je déduis
toutes les propriétés essentielles de la matière des qualités sensibles
qui « ^ me la font appercevoir et qui en sont inséparables ».
Je la vois tantôt en mouvement et tantôt en repos * d"où j"infére
que ni le mouvement ni le repos ne lui sont essentiels, mais (^ qu'elle
est indifférente à l'un et l'autre, et que -^ par conséquent le repos est ^ son
état naturel, car) le mouvement étant une action est l'effet inecessaiie)
d'une cause dont le repos n'est que l'absence. Quand donc rien
jo 121 '■'° Il -f [* Note. Ce repos n'est i^ peut-être) que relatif (puisque il est
très vraisemblable que l'univers entier est en mouvement, i '■ sans cependant
que) nous (' en soyons) rien moins que surs,) mais puisque nous observons
du plus * et du moins dans le mouvement, nous concevons très claire-
ment (^ lei terme (du moins) qui est le repos, et nous le concevons si
bien que nous sommes enclins même à prendre "'pour absolu (^' le)
repos qui n'est que relatif. Or (si le repos absolu de la matière peut-être
conçu) il n'est pas vrai que le mouvement ^- soit l '^ essentiel à la
matière)].
' [(en sont inséparables)].
- [(étant)].
^ [(elle en est)].
■* [dans].
^ [(probablement) si l'on veut].
" [chose dont cependant].
' [sommes].
" M. < et > ou.
" [un des deux] terme [s e.xtrêmes].
'" (un repos rela tif).
■' [un].
'■' (lui).
" (de son essence) [de l'essence (int ime ?)] de la matière si (son repos)
[elle] peut être conçue en repos.
t En face de ce début de note. Rousseau a écrit dans la marge du
f> 122'": l'addition bonne (cette?). — Quelques-unes des idées qu'on
trouvera ici exprimées sont empruntées à un passage inutilisé de F,
qu'on pourra lire plus loin, /" i6i '".
ÉDITION ORIGIXALE 95
Tout ce que j'apperçois par les sens est matière, & je déduis toutes
les propriétés essencielles de la matière des qualités sensibles qui me la
font apper- | cevoir, & qui en sont inséparables. Je la vois tantôt en "43]
mouvement & tantôt en repos *, d'où j'infère que, ni le repos, ni le
mouvement ne lui sont essenciels; mais le mouvement étant une
action, est l'effet d'une cause dont le repos n'est que l'absence. Quand
donc rien n'agit sur la matière, elle ne se meut point; & par cela même
qu'elle est indifférente au repos & au mouvement, son état naturel
est d'être en repos ^.
* Ce repos n'est, si l'on veut, que relatif^: mais puisque nous observons
du plus & du moins dans le mouvement, nous concevons très-clairement un
des deux termes extrêmes qui est le repos, & nous le concevons si bien que
nous sommes enclins même à prendre pour absolu le repos qui n'est que relatif.
Or il n'est pas vrai que le mouvement soit de l'essence de la matière, si elle
peut être conçue en repos.
' C'est le principe de Vinerlie de la matière, c'est-à-dire de son indifférence
au mouvement ou au repos, principe sur lequel tous les philosophes pratiqués
par Rousseau, chrétiens et même spiritualistes, — j'entends spiritualiste au sens
cousinien du mot, et non au sens du XVlll' siècle, car il signifiait alors idéaliste
et souvent spino^iste : cf. Lignac aST, I, 83, 35i, etc. — se trouvent d'accord, et presque
dans les mêmes termes que lui. Newton lui en fournissait la formule technique ;
cf. Principia mathematica. Definitio 111 [iSy], I, 4 : « Per inertiam materiae. fit ut corpus
omne de statu suo vel quiescendi vel mbvendi difficuller deturbetur. Unde etiam vis
insita noraine significantissimo vis inertiae dici possit ». Et les P.P. Le Seur et Jacquier
ajoutaient dans leur Commentaire, p. 5 : « Nihil fit sine causa; unde omne corpus ut
pote iners et passivum in suo quocumque statu persévérât, nisi causa afiqua. seu vi
externa, statum suum mutare cogatur». Cf. encore Abbadie, Religion chrétienne, I, i, 5
[92], I, 26, Fénelon, Existence de Dieu, 1, 79 [114]. Bg, Clarke, I, iv, 3 [i25], I, 43-46,
Ditton, Religion naturelle [128], II, 3o2-3o3, V'ernet, Instruction chrétienne, II, i [2i3],
I, 27, etc. L'auteur même de l'article Évidence [2r8], 411 b, accepte le même principe :
« Le mouvement n'est pas un attribut essentiel de ces objets, car ils peuvent avoir
plus ou moins de mouvement, et ils peuvent en être privés entièrement; or ce qui
est essentiel à un être en est inséparable, et n'est susceptible ni d'augmentation, ni
de diminution, ni de cessation ».
' Il n'est pas sûr qu'il faille voir derrière ce si l'on veut une allusion précise
(cf. les premières rédactions : peut-être, probablement). .Mais il est possible qu'il y
ait dans cette restriction un souvenir des conversations de Diderot ; cf. Principes
philosophiques sur la Matière et le Mouvement [58], II, 65 : « Tout est dans un
repos relatif en un vaisseau battu par la tempête: rien n'y est en un repos absolu,
pas même les molécules agrégatives ni du vaisseau, ni des corps qu'il renferme ».
gô RÉDACTIONS MANUSCRITES
n'agit sur la matière elle (^est en repos) et par cela même qu'elle est
indifférente au i- mouvemeat) et au (repos), -^ son état naturel est d'être
en repos.
J'apperçois dans les corps deux sortes de mouvement savoir mouve-
ment communiqué et mouvement spontané ou volontaire. (La différence
de ces deux mouvemens est que) dans le premier la cause motrice est
étrangère au corps mu et (que) dans le second elle est en lui-même.
(*Vous) ne concluriez) pas de là que le mouvement d'une montre [^par
exemple est spontané, car si rien d'étranger au ressort n'agissoit sur
lui il ne tendroit point à se ''redresser et ne tireroit pas la chaîne. Par
jo 123 ™ la même raison je n'accorderai point non plus la || spontanéité 'aux
fluides ni au feu * même qui fait leur fluidité *.
f 122™ Il [* Les chimistes (^ reconnoissent) le flogistique ou l'élément du
feu comme épars, immobile et stagnant dans ('" les corps) jusqu'à ce
que r^i des cause s étrangères le [dégagent , le « reunissent» le métent
en mouvement et le changent en feu. iJe vois la matière dans trois états i]
' [ne se meut point].
- [repos] et au [mouvement].
' (elle es t).
* [Je] ne conciuer[ai].
^ I. < par exemple >.
" (relac heb).
' M. au mouvement des.
" M. lui-même.
" [regardent].
'" (la mixtion des) [les mixtes (où il entre) dont il fait partie].
" qu'(une).
EDITION ORIGINALE 97
J'apperçois dans les corps deux sortes de mouvement, savoir;
mouvement communiqué, & mouvement spontané ou volontaire ^. Dans
le premier, la cause motrice est étrangère au corps | mû; & dans [44]
le second elle est en lui-même. Je ne conclurai pas de-là que le
mouvement d'une montre, par exemple, est spontané ; car si rien
d'étranger au ressort n'agissoit sur lui, il ne tendroit point à se
redresser, & ne tireroit pas la chaîne. Par la même raison je n'accor-
derai point, non plus, la spontanéité aux fluides, ni au feu même 1
' « Il V a en nous, disait Fréret [189], 198-199, deux sortes de mouvement :
l'un, involontaire,' qui se fait sans le concours de la volonté, et quelquefois même
malgré elle, et que l'on peut nommer mouvement forcé, mouvement contraint ;
l'autre mouvement est le volontaire, qui est accompagné du concours de la volonté
et que j'e.xplique par cette supposition »; puis, comparant l'être humain à une
girouette, il ajoutait : « Nous n'avons point de preuves que nous soyons d'une
autre nature que cette machine ». Il est probable que la phrase de Rousseau :
« Je ne conclurai pas de là », etc., est une réponse à Fréret.
' Ces quelques mots sur le feu répandu dans les fluides, et la note sur « le
Flojîistique » sont une coquetterie de Rousseau, qui se rappelle avoir été un apprenti
chimiste, qui garde dans ses manuscrits un gros ouvrage sur les Institutions chimiques
(17471. et qui n'est pas fâché, à l'occasion, de laisser deviner ses connaissances sur ce
point : cf. déjà dans le 111' Livre d'Emile, II. i53, la petite leçon de chimie pratique
à propos des falsifications du vin. Au moment même où il commençait à rédiger
VÈmile, le baron d'Holbach s'adressait encore à lui pour revoir « un manuscrit de
chimie » qu'il voulait publier : cf. Confessions, \III, 3 3i. La question qui est ici
effleurée — celle de la nature du feu — est une de celles qui ont été le plus discutées
dans la première moitié du XVlll" siècle : cf. Nieuwentit. Il, 6 [122], Sog : « On
est encore incertain sur la nature du feu... ; rien de si commun et rien de moins
intelligible »; et Rousseau lui-même. Institutions chimiques. II, 2, « Du feu» [i]. 61 c :
« Rien n'est plus important à connaître, mais rien n'est plus difficile à expliquer que
la nature du feu »; ii3 b-c : « On peut voir par-là combien il est difficile de connaître
la nature de l'élément dû feu », etc. On se rappelle que l'Académie des Sciences, ayant
mis cette question au concours en 1738. Voltaire et Mme du Chàtelet concoururent
pour le prix, que, d'ailleurs, ils ne remportèrent pas. Le point essentiel du débat était
de savoir si le feu était ou non un élément : « Le feu, disait D'Alembert dans
y Encyclopédie, art. Feu [218], Sgg b, est-il une matière particulière, ou n'est-ce que la
matière des corps mise en mouvement? C'est sur quoi les philosophes sont partagés ».
Rousseau pouvait déjà lire ces deux hypothèses dans son Saint-Aubin [141], III. 46-47.
Voltaire les présentait encore au début de son Essai sur la nature du feu et sur sa
propagation [i5^]. 282-286; il se ralliait à la seconde, et soutenait contre les philo-
sophes cartésiens que le feu est « un être élémentaire ». C'est aussi l'avis de Rousseau,
qui parle ici de « Vêlement du feu ». Cf. encore Institutions chimiques, 1, i [1], 26 b :
« Le P. Lozeran de Fiesc, jésuite, dans un traité qui a remporté le prix à l'Académie
7
98 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Vous me demanderez si les "mouvemens des] animaux * sont spon-
tanés, je vous dirai que je n'en sais rien mais que ^^ je le pense); vous
me demanderez encore comment je sais (donc) qu'il v a des mouvemens
spontanés, je vous répondrai que je le sais parce que je (-^l'éprouve). Je
veux mouvoir mon bras et ■* je le meus; sans ^qu'iil y ait à) ce mouve-
ment « ''d'autre » cause (' physique) « que ma volonté » (seule ^). C'est
en vain qu'on voudroit raisonner pour détruire en moi ce sentiment
(de spontanéité), il est plus fort que toute évidence; autant vaudroit
me prouver que je n'existe pas.
' (ont des).
- [l'analogie est pour l'artîrmative]. — I. je le pense.
' [le sens].
' (que).
' qu[e].
* [ait (aucune)].
' [immédiate]. — M. [immédiate]. — I. phisique.
' (l'a déterminé).
JEDITION ORIGINALE 99
qui fait leur fluidité - *.
Vous me demanderez si les mouvemens des animaux sont spon-
tanés; je vous dirai que je n"en sais rien, mais que l'analogie est
pour l'affirmative '. \'ous me demanderez encore comment je sais
donc qu'il v a des mouvemens spontanés : je vous dirai que je le
* Les Chimistes regardent le Flogistique * ou l'élément du feu comme
épars. immobile, & stagnant dans les mixtes ^ dont il fait partie, jusqu'à ce
que des causes étrangères le dégagent, le réunissent, le mettent en mouvement
& le changent en feu.
des Sciences [en i-ÎS, contre Voltaire et Aime du Châtelel]. nie que le feu soit un
élément, parce que les chimistes ne le démontrent pas pur dans leurs analyses. Il
soutient, au contraire, que le feu est un mixte composé de sels de soufre, d'air et de
matière éthérée. et qui se meut en tourbillon. Il y a apparence que ce philosophe n'a
pas d'idée de la combinaison chimique, par laquelle on s'assure de l'existence d'un
Corps qu'on ne saurait retenir seul, tel que le feu élémentaire en le faisant passer
à son gré d'une substance dans une autre ».
' Rousseau. Institutions chimiques, 1. i et 11, 2 [i], 27 c : « Tout ce qui a de la
fluidité en contient quelque portion [de phlogistique] » ; et 128 c-d : « Le feu est
un principe corporel : par conséquent, il est certain que ses parties sont étendues et
mobiles, et ce n'est que par le mouvement qu'elles peuvent se manifester. Il est
certain, de plus, qu'il est le principe du mouvement de la plupart des corps et surtout
celui de toute fluidité ».
' Comme presque tous les philosophes de sa génération, Rousseau refuse
d'admettre la théorie cartésienne (Discours de la Méthode, V Partie [80]. SS-Sg) et
malebranchiste [Recherche de ta Vérité, VI. 11, 7 [86], 244-245), de « l'automatisme des
bêtes ». Cf., en particulier, Condillac, Traité des Animaux (que Rousseau citera plus
loin, p. 98, notei, 1. 1 [214], 447 : « Le sentiment de Descartes sur les bêtes commence
à être si vieux, qu'on peut présumer qu'il ne lui reste guère de partisans »; Gerdil,
Dissertations, 111 ^23o\ 143-144 : « On n'a pas cru qu'un sentiment si étrange méritât
d'être combattu par des raisons: on l'a tourné en ridicule ». Mais Rousseau ne
se risque pas à une aiBrmation catégorique, car D'.\lembert avait montré, dans
son article Forme substantielle [224. 176-177, à quelles inquiétantes conséquences
on était entraîné lorsqu'on accorda t une « âme » aux bétes.
' D'Alembert. art. Feu [21^]. 609 a : « Stahl a désigné cette matière [la vraie
matière, l'être propre du feu] par le mot grec phlogiston, qui signifie combustible,
inflammable, expression que nous avons traduite par celle de phlogistique, qui est
devenue technique, et qui n'est pour nous, malgré sa signification littérale, qu'une de
ces dénominations indéterminées, qu'on doit touiours sagement donner aux substances
sur l'essence desquelles régnent diverses opinions très opposées ». Rousseau, Insti-
tutions chimiques, I, 1 [i], 26 a : « Le second principe [terreux], que Beccher appelle
terre inflammable ou colorante, et auquel Stahl a donné le nom grec de phlogistique,
est proprement la matière du feu et le principe des couleurs ».
^ Rousseau, Institutions chimiques, I, 2 : « De la mixtion et composition des
corps » [î] 39 a : « On donne le nom de mixte à toute substance formée par le
concours de deux ou plusieurs principes, lesquels par leur union ne forment plus
qu'un seul tout ».
v^
tavier'S^
100 REDACTIONS MANUSCRITES
CJe ne connois ni ne conçois de spontanéité dans une matière^ que
dans les corps organisés, vivans, sentans, animés, mais) s'il n'y avoit aucune
spontanéité dans les actions des hommes ni dans rien de ce qui se fait
sur la terre on n'en seroit que plus 'embarrasséj à imaginer la première
cause de tout mouvement. Pour moi je me sens tellement persuadé
que l'état naturel de la matière est d'être en repos ^ et qu'elle n'a par
elle-même aucune force pour agir qu'en voyant un corps en mouvement
je juge aussi tôt ou que c'est un corps (vivant), animé, (sensible), ou que
ce mouvement lui a été (^ communiqué). Mon esprit refuse tout acquies-
cement à l'idée de la matière se mouvant d'elle même ou produisant
quelque action.
Cependant (*l')univers ^ est matière, matière éparse et morte * qui
n'a rien [dans son tout ^ de l'union de l'organisation (' des corps animés)
[puisqu'il est certain que nous qui sommes parties ne nous sentons
nullement dans le tout . (* Et cependant l'univers) est en mouvement
et dans ses mouvemens réglés uniformes [assujetis à des loi.\ constantes
f° 124 '^° i' " <i rien de cette liberté "qu'on remarque dans les mouvemens || spon-
jo J22 '° Il [ * J 3i fait tous mes efforts pour concevoir ce que c'est qu'une
molécule vivante, sans pouvoir en venir à bout. '" La matière sensible
(11 qui n'a pas) des sens me paroit (une idée) inintelligible [et contradic-
toire], pour ('-combattre) cette idée il faudroit commencer par la com-
prendre et j'avoue que je n'ai pas ce bonheur là].
' Cempe ché ?).
* (in EBTE ?).
' [donné].
* [cet].
'" I. (sensible) [visible].
" I. < de l'union > de l'organisation des corps animés.
' [du sentiment commun des parties d'un corps animé].
" [(« cet ») Ce même univers].
^ I. (qu'on remarque) [qui paroit].
"> (Quand) [L'idée de].
" [(et) sans avoir].
'- [adopter ou rejeter]. — M. admettre ou rejetter.
ÉDITION ORIGINALE lOI
sais parce que je le sens. Je veux mouvoir mon bias & je le meus,
sans que ce mouve- | ment ait d'autre cause immédiate que ma vo- [45]
lonté '. C'est en vain qu'on voudroit raisonner pour détruire en moi
ce sentiment, il est plus fort que toute évidence '-: autant vaudroit
me prouver que je n'existe pas.
S'il n'v avoit aucune spontanéité dans les actions des hommes, ni
dans rien de ce qui se fait sur la terre, on n'en seroit que plus embarrassé
à imaginer la première cause de tout mouvement. Pour moi, je me sens
tellement persuadé que l'état naturel de la matière est d'être en repos,
& qu'elle n'a par elle-même aucune force pour agir, qu'en voyant un
corps en mouvement je juge aussi-tôt, ou que c'est un corps animé, ou
que ce mouvement lui a été communiqué. Mon esprit refuse tout aquies-
cement à l'idée de la matière non organisée, se mouvant d'elle-même, ou
produisant quelque action •'.
Cependant cet univers visible est | matière : matière éparse & [46]
' Fénelon, Existence de Dieu, I. 46 [114], 23 : «Je dis en moi-inènie cette parole
si intérieure, si simple et si momentanée : que mon corps se meuve, et il se meut ».
Rousseau reprendra plus loin, p. 49. cette démonstration de la spontanéité des
mouvements humains par Texpérience intime.
' Ou plutôt, dans la théorie de Rousseau, ce sentiment même est une «évidence»,
puisqu'il a posé en principe, p. 34, « d'admettre pour évidentes » les idées auxquelles
il ne pourrait « refuser son consentement ». Mais ici 1" « évidence » à laquelle il
songe, c'est la soi-disant « évidence », définie par le rédacteur de ['Encyclopédie, qui
a rangé parmi les connaissances « évidentes » certaines affirmations que le Vicaire
vient de réfuter.
' Cette théorie de l'activité de la matière, dont Rousseau pouvait savoir par
Saint-Aubin qu'elle avait déjà ses défenseurs dans l'antiquité [141], III, ji sqq, avait
repris faveur au début du XV'III" siècle, et Toland avait consacré à la soutenir une
de ses Letlers to Serena (1704I. L'ouvrage de Toland ne fut traduit qu'en 1768 par
le baron d'Holbach [248]; mais il est possible que Rousseau en eût entendu parler
par le baron : cf., à la Bibliographie, les notes des n" 191 et 192. D'ailleurs. Rousseau
pouvait déjà connaître les théories de Toland par les réfutations de Clarke [i25]. I,
44-46 et de Homfroi Ditton [128], II, 3o2-3o3 note. Mais le système était formulé aussi
précisément que possible dans le Traité de l'âme de La .Mettrie (i745(; cf., en
particulier, le chapitre V : « De la puissance motrice de la matière » [171], 75-80 :
« Il est assez évident, disait-il en conclusion, que la matière contient cette force
motrice qui l'anime et qui est la cause immédiate de toutes les lois du mouvement »;
cf. encore L' Homme-machine [181], i83 : « A présent qu'il est clairement démontré
contre les Cartésiens, les Stahliens, les Malebranchistes, les théologiens, peu dignes
d'être ici placés, que la matière se meut par elle-même », etc.
102 REDACTIONS MANUSCRITES
tanés de lliomme et des animaux. Le monde n'est donc pas un grand
animal qui se meuve de lui même; il y a donc de ses mouvemens
quelque cause ('motrice) ^ que je n'apperçois pas; mais la persuasion
intérieure me rend cette cause tellement sensible que je ne puis voir
rouler le soleil sans imaginer une force qui le pousse, ou que si la terre
tourne je crois sentir une main qui la fait tourner.
' [étrangère à lui].
- I. cause étrangère que.
EDITION ORIGINALE 103
morte ' *, qui n'a rien dans son tout de l'union, de l'organisation, du
sentiment commun des parties d'un corps animé; puisqu'il est certain
que nous qui sommes parties ne nous sentons nullement dans le tout.
Ce même univers est en mouvement. (ît dans ses mouvemens réglés,
uniformes, assujettis à des loix constantes, il n'a rien de cette liberté qui
paroît dans les mouvemens spontanés de l'homme et des animau.x. Le
monde n'est donc pas un grand animal qui se meuve de lui-même ^; il
* J'ai fait tous mes efforts pour concevoir une molécule vivante ^, sans
pouvoir en venir à bout. L'idée de la matière, sentant sans avoir des sens *, me
paroît inintelligible & contradictoire .'' Pour adopter ou rejetter cette idée il
faudroit commencer par la comprendre, & j'avoue que je n'ai pas ce bonheur-là.
' Je crois que cetie expression de « matière morte » est empruntée à Diderot;
cf. Interprétation de la Sature, LI, et surtout LVIII, « Questions » [210], 4g, 58 :
« Il est évident que la matière en général est divisée en matière morte et matière
vivante. .Mais comment se peut-il faire que la matière ne soit pas une, ou toute
vivante ou toute morte ? La matière vivante est-elle toujours vivante ? Et la matière
morte est-elle toujours et réellement morte ? La matière vivante ne meurt-elle point?
La matière morte ne commence-t-elle jamais à vivre » ?
' Leclerc, Bibliothèque Choisie ^42], II, 58-5g, commentant un passage de
Sénèque (Quaest. Xat., III, 291, avait rappelé que, pour certains hylozoïstes de la
Philosophie grecque, « le monde était un animal ou un corps animé par une seule
âme qui le gouvernait ». Mais il est plus vraisemblable que tout ce passage est une
réponse à Diderot, qui, sans oser les prendre franchement à son compte, avait
développé avec complaisance les conséquences du système de Maupertuis-Baumann,
Interprétation de la Sature, L [210], 48 : « Je lui demanderai donc [à Baumann] si
l'univers forme un tout ou non... S'il convient que c'est un tout où les éléments ne
sont pas moins ordonnés que les portions, ou réellement distinctes, ou seulement
intelligibles, le sont dans un élément, et les éléments dans un animal, il faudra qu'il
avoue, qu'en conséquence de cette copulation universelle, le monde, semblable à un
grand animal, a une âme: que le monde, pouvant être infini, cette âme du monde,
je ne dis pas est^ mais peut être un système intini de perceptions, et que le monde
peut être Dieu ».
' Le mot est encore emprunté à V Interprétation de la Sature, LVIII, 12 [210],
59 : « L'énergie d'une molécule vivante varie-t-elle par elle-même, ou ne varie-t-elle
que selon la quantité, la qualité, les formes de la matière morte ou vivante à laquelle
elle s'unit » ? .Moreau s'était déjà égayé de ces formules. Ses Cacouacs [222 •'■s], 35-36,
demandent à leur jeune novice « si la matière morte se combine avec la matière
vivante », si les moules sont les principes des formes, ou seulement « les limites intel-
ligibles d'une molécule vivante ». Il ne faut pas confondre ces « molécules vivantes »
avec les « molécules organiques dont il est parlé dans le tome II de l'Histoire natu-
relle de .M. de Bufl'on ». Tel est le conseil de Maupertuis dans l'Avertissement de son
Essa sur la formation des corps organisés [igS A], p. iv-v. Il ne prononce pas le mot
de « molécule vivante », mais il tient à affirmer « qu'il donne l'instinct à chaque partie
la plus petite de la matière et forme tout avec cela, sans cette distinction entre
matière brute et matière organisée ». Quelques mois avant l'apparition de ['Emile,
Robinet avait repris les mêmes idées, De ta Sature [235], 224-225.
■* Gerdil, Dissertations, 11 [23o], 91 : « Doit-on enfin s'occuper sérieusement
104 REDACTIONS MANUSCRITES
S'il faut admettre des loix générales dont je n'apperçois point les
rapports essentiels avec la matière, de quoi serai-je avancé? ' Ces lois
n'étant point des êtres réels, des substances ont donc quelque autre
fondement qui m'est inconnu . L'expérience et l'observation nous
- ont fait connoitre les loix du mouvement, imais) ces loix déterminent
les effets sans montrer les causes; elles ne suffisent point pour expliquer
le sistème du monde et la marche de l'univers. Descartes avec des dés
I. < Ces lois n'étant... m'est inconnu >.
M. font.
EDITION ORIGINALE IO5
y a donc de ses mouvemens quelque cause étrani;ere à lui, laquelle je
n'apperçois pas; mais la persuasion intérieure me rend cette cause telle-
ment sensible, que je | ne puis voir rouler le soleil sans imaginer une [47]
force qui le pousse, ou que si la terre tourne, je crois sentir une rrfain qui
la fait tourner.
S'il faut admettre des loix générales ' dont je n'apperçois point les
rapports essenciels avec la matière, de quoi serai-je avancé? Ces loix
à réfuter l'absurde chimère de ceux qui prêtent aux premiers éléments des corps
des sentiments analogues à ceux des animaux, sentiments qui les portent à s'ap-
procher où s'éloigner par une sorte de désir ou d'aversion réciproque »? — Sur ces
sensations et ces perceptions de la matière, cf., plus loin, p. 70 et note.
' Les exemples qui vont suivre préciseront l'allusion de Rousseau. Il songe
surtout aux « lois générales » de Descartes et de Newton, aux tourbillons et à
l'attraction. Rousseau reste défiant à leur endroit, parce que ces explications simpli-
ficatrices de l'univers risquent d'en éliminer Dieu. Il ne fait d'ailleurs que condenser
ici les arguments de Pluche dans son Histoire du ciel [i58]. en particulier dans les
chapitres intitulés « Le Monde de Descartes », « le Monde de Newton », II, 236-35i.
Pluche est décidément très hostile au mécanisme cartésien; il est beaucoup plus
sympathique à l'hypothèse newtonienne. Mais aux deux systèmes, il fait le même
reproche que Rousseau, de ne pas réserver assez formellement la nécessité de l'action
divine, de l'action initiatrice et surtout organisatrice. Cf.. par exemple. 11. 340-341 :
« Le plus grand abus qu'on puisse faire de l'attraction n'est pas seulement de nous
occuper de généralités stériles : ce serait surtout de se figurer que cette attraction
dont l'existence est plus qu'incertaine, ait été la cause formatrice de la terre ; ait
donné l'être à des comètes, qui, par l'écoulement de leur substance, vont, bien à propos,
ravitailler les sphères épuisées ; et ait enfin donné aux planètes un rang dans le
Zodiaque, un cortège plus ou moins grand de satellites, et une masse déterminée. 11
n'y a ni mouvement uniforme, ni attraction, soit centrale, soit superficielle, qui puisse
régler cette sage et magnifique ordonnance ». Sur Descartes, cf. notamment p. 2-5-279.
A plusieurs reprises, dans ses Institutions chimiques, Rousseau avait déjà manifesté
sa défiance à l'égard des grands systèmes philosophiques, qui prétendent expliquer
le monde par des « lois générales »; cf. I, i [1], 12 ad ; « 11 faut d'abord commencer
par congédier les philosophes et leurs belles hypothèses. Ce n'est pas en bâtissant
des systèmes dans son cabinet qu'on connaîtra K Nature; et les monades, et les
essences hylarchiques, et les cubes écornés, et la matière subtile, et les atomes crochus
sont sans doute de fort jolies inventions : mais je voudrais bien demander à leurs
auteurs comment ils s'y sont pris pour voir tout cela ; quant à moi, je n'attends pour
admettre le système de Descartes que d'avoir aperçu seulement un globule de lumière.
L'inutile travail des spéculatifs oiseux est d'imaginer comment les choses auraient
pu se faire ; le vrai physicien recherche comment elles sont faites réellement » ;
III, Introduction, 208 b-c : « Le magnétisme particulier de quelques corps, la pesan-
teur de tous, la génération des animaux et des végétaux sont autant d'opérations
qu'on n'explique point par le concours des éléments ni par les lois du mouvement
et de la mécanique : que si l'on adopte l'attraction newtonienne, voilà un agent
universel mobile de tous les autres et dans lequel réside la première cause de toutes
les productions de la nature. .Mais enfin cet agent lui-même, s'il existe, que peut-il
faire autre chose qu'émouvoir diftéremment les corps à proportion, si vous voulez, des
masses et des distances? Changera-t-il la nature des principes et ne les déterminera-t-il
pas, au contraire, à agir de la manière qui leur est propre ? .\insi, dans quelque
I06 RÉDACTIONS MANUSCRITES
lormoit le ciel et la terre, mais i ' qui -donna) le i^ mouvement) à (^ sesj dés.
[(5 11 falut joindre à la) force centrifuge * un mouvement de rotation].
' Neuvton a trouvé la loi de l'attraction ; mais (* l'jattraction (seule)
réduiroit bientôt l'univers en une masse immobile: à la loi de l'attraction
il a falu joindre un mouvement de projectile pour faire décrire des
courbes aux corps célestes. Que Descartes nous dise quelle loi physique
a fait tourner ses tourbillons; que ^ Newton nous montre la main
qui lança les planètes sur la tangente de leurs orbites '".
' [Il ne put donner].
- [(donnoit)].
^ [premier branle].
^ [ces].
^ [NI mettre en jeu sa]. — I. < ni mettre en jeu... rotation >.
" [qu'à l'aide d'].
' sic. —I. (.\euvton) [Newton].
' [la seule].
' sic. — I. (Neuvton) [Newton].
'" [(Quoi le mouvement essentiel à la matière est-il un (mouvement
composé) « simple » ou composé)].
EDITION ORIGINALE IO7
n'étant point des êtres réels, des substances -, ont donc quelqu'autre fon-
dement qui m'est inconnu. L'expérience & l'observation nous ont fait
connoitre les loix du mouvement, ces loix déterminent les etfets sans
montrer les causes; elles ne suffisent point pour expliquer le système du
monde <!<: la marche de l'univers. Descartes avec des dés ^ formoit le
ciel & la terre, mais il ne put donner le premier branle à ces dés, ni
mettre en jeu sa force centrifuge ■* qu'à l'aide d'un mouvement de
rotation ^. .\ewton a trouvé la loi de l'attraction : mais l'attraction seule
ré- I duiroit bientôt l'univers en une masse immobile; à cette loi. il a r48]
fallu joindre une force projectile ' pour faire décrire des courbes aux corps
célestes -. Que Descartes nous dise quelle loi phvsique a fait tourner ses
système qu'on veuille raisonner, ces éléments seront bien toujours instruments
naturels » ; cf. encore I, 2 et 3. p. 34 a-35 c et 43 a-c.
- Pour comprendre le raisonnement de Rousseau, il faut se rappeler sa théorie
de la substance; et., aux Appendices, II. le morceau intitulé La genèse de l'idée de
substance : « Si la pensée et le sentiment sont des qualités j^énérales, telles que
la couleur et la figure il faut nécessairement les attribuer à quelque autre substance,
dont nous n'avons aucune idée, et dont elles doivent être elles-mêmes inséparables,
comme la couleur et la figure le sont de la matière ».
' Cf. Principes, III, 45 sqq [81], I23 sqq, et notamment | 46. p. i 25 : « Supposons
donc, s'il vous plaît, que Dieu a divisé au commencement toute la matière dont il a
composé le monde visible en des parties aussi égales entre elles qu'elles ont pu
être, etc. »; cf. encore. Traité de la lumière, VIII [57], XI, 48 sqq; mais nulle part,
à ce que- je crois. Descartes ne donne le nom de dés à ces parcelles de matière.
Malebranche, dans son exposé du système cartésien {Recherche de la Vérité, VI. ti, 4
[86], 224) les appelle des « boules ». Il se pourrait que Voltaire fût le premier à
les avoir ainsi appelées ironiquement; cf. Philosophie de Newton, I, 7 [i53]. 427 :
« Le système qui imagine des dés mis sans intervalle les uns auprès des autres, et
tournant je ne sais comment sur eux-mêmes »; et III, 4. p. 523 : « Il a eu beau
imaginer que Dieu avait créé des dés tournants les uns sur les autres, que la raclure
de ces dés, etc. ».
* C'est la force qui permet aux différents tourbillons de s'organiser : cf. Prin-
cipes, III, 58-6o [8r], i32-i33.
° On se rappelle le mot de Pascal, Pensées, LXXVII [83], I, 98 : « Descartes aurait
bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu, mais il n'a pu
s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude pour mettre le monde en mouve-
ment ; après cela, il n'a plus que faire de Dieu ».
' Ce mot ne se trouve admis comme adjectif dans aucun Dictionnaire du
X\'lll' siècle; et le texte de Rousseau est le premier texte littéraire, à ma connaissance,
où il soit ainsi employé. Cf. Brisson, Traité élémentaire ou Principes de Physique,
Paris, Moutard, 1789. in-8, I, 2 25 : « Tous les corps jetés ou lancés hors de la
perpendiculaire à l'horizon se meuvent d'un mouvement composé de deux forces :
savoir, la force de la pesanteur, et la force qui les lance, que l'on nomme ordinaire-
ment force projectile ».
^ Cf. N'oltaire. Philosophie de Newton, III, 14 [i53], 582 : « La gravitation ne
rend raison ni de la rotation des planètes sur leurs propres centres, ni de la déter-
mination de leurs orbes en un sens plutôt qu'en un autre ».
I08 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Les premières causes du mouvement ne sont point dans la matière;
elle reçoit le mouvement ('ou) le communique, mais elle ne le produit
fo ;£25 ^" pas. Plus j"observe || l'action et reaction des forces de la nature ai^issant
les unes sur les autres plus je trouve que d'effets en effets il faut toujours
remonter à quelque volonté pour première cause, ^(^ car il n'y a point de)
progrès de causes à l'infini]. ^ En un mot •* tout mouvement qui n'est
pas produit par un autre est (un mouvement) spontané, (ou) « volon-
taire », 5 les corps inanimés n'agissent que par le mouvement et '■ il
fo 124 '''° " '^' a point de " véritable action sans volonté. || [(En effet, C en remontant)
à un [premier] principe actif quel qu'il soit je suis forcé, pour m'entendre de le
supposer libre ; c'est à dire ayant la puissance de vouloir ou de ne vouloir pas.
Sans cela quand l'Mei principe agit il faut que quelque chose l'y nécessite.
jo 125 ''° D l'est donc pas premier principe comme je l'avois supposé)]. || Voila mon
premier principe. Je crois donc qu'une volonté meut l'univers et anime
la nature. 'Voila mon premier dogme '"et mon premier article de foi.
' [et].
- [ou a quelque].
■' M. Je trouve que tout.
^ I. tout « mouvement » [(toute action)] qui n'est pas produit par un
autre ne peut (être que spontané) [venir que d'un acte spontané ou volontaire].
'" [que].
'•• [qu'il].
' M. mouvement.
" [quand je remonte].
" [ce].
'" M. (et) [ou].
EDITION ORIGINALE IO9
tourbillons; que Newton nous montre la main qui lança les planètes sur
la tangente de leurs orbites ^.
Les premières causes du mouvement ne sont point dans la matière:
elle reçoit le mouvement & le communique, mais elle ne le produit pas.
Plus j'observe l'action & réaction des forces de la Nature agissant les unes
' Terrasson. La Philosophie applicable [212], 2o3 : « Newton avoue qu'il ne
connaît pas la première cause de Tattraction ; les cartésiens devraient avouer qu'ils
ne connaissent pas la première cause du tourbillon ». Personnellement Rousseau
n'était pas cartésien en physique; cf. Verger des Charmettes, VI. 5 :
Je tâtonne Descartes et ses égarements.
Sublimes il est vrai, mais frivoles romans.
Dans les Institutions chitniques [35]. 20, le système de Descartes lui parait surtout
« singulier par le ridicule », et il reconnaît que Newton a presque expliqué tous les
phénomènes de la nature par le seul principe de l'attraction ». De même, dans le
premier Discours, I, 11, note, il souligne ironiquement l'assurance fantaisiste des
hypothèses cartésiennes : « Moins on sait, plus on croit savoir... Descartes n'a-t-il pas
construit l'univers avee des cubes et des tourbillons»? Quelques lignes plus loin,
au contraire, il parle de Newton en homme qui semble l'admirer et s'être laissé
convaincre : « Répondez-moi donc, philosophes illustres, vous par qui nous savons
en quelles raisons les corps s'attirent dans le vide: quels sont dans les révolutions
des planètes les rapports des aires parcourues en temps égaux ; quelles courbes ont
des points conjugués, des points d'inflexion et de rebroussement »; mais il y a peut-
être dans ces formules admiratives pius d'ironie que de conviction. Dans la 111' Lettre
à Sophie [25]. r53-i54, il semble encore adhérer au système de Newton, comme à une
vérité au moins provisoire. Pourtant, lorsqu'il juge les deux systèmes rivaux, non pas
tant comme philosophe que comme moraliste ou physicien, il atlécte volontiers de les
mépriser l'un et l'autre: cf. Institutions chimiques, I, 2 [1], 84 c-35 a : « Un cartésien
vous résoudra toutes vos difficultés par des figures de pores, de corpuscules et par
des mouvements différents; à mesure qu'il surviendra de nouvelles propriétés, il les
expliquera par de nouveaux mouvements et de nouvelles figures. Un Newtonien, la
plume à la main, calculerait des forces attractives et des degrés de cohésion. Est-on,
après tout cela, plus savant sur la composition des corps? point du tout. Vous en
apprendrez plus en un quart d'heure dans le laboratoire d'un chimiste qu'en toute
votre vie parmi les systèmes des philosophes »; Mémoire à M. Dupin [29], 410-411 :
« 11 y a des systèmes de physique, c'est-à-dire des hypothèses, suivant lesquelles,
supposant que le monde est arrangé, on part de là pour rendre raison de tous les
phénomènes; je lui expliquerai [à son élève] les deux principaux qui sont à la mode
aujourd'hui, plutôt pour les lui faire connaître, que pour les lui faire adopter. Je n'ai
jamais pu concevoir comment un philosophe pouvait imaginer sérieusement un
système de physique : les cartésiens me paraissent ridicules de vouloir rendre raison
de tous les effets naturels par leurs suppositions, et les newtoniens encore plus
ridicules de donner leurs suppositions pour des faits. Contentons-nous de savoir ce
qui est, sans vouloir rechercher comment les choses sont, puisque cette connaissance
n'est pas à notre portée ». Ici encore il met une coquetterie dédaigneuse à tenir la
balance égale entre les deux grandes théories physiques qui se partagent les esprits
de son temps. Qu'on adopte l'une ou l'autre, il restera toujours à résoudre le
problème de Dieu, le problème de la destinée et du bonheur.
IIO REDACTIONS MANUSCRITES
Comment une volonté produit elle une action physique et corporelle?
Je ' n'en sais rien; mais (-j'en ai l'exemple en moi-même i. Je veux agir
et j'agis, je veux mouvoir mon corps et mon corps se meut : mais qu'un
corps inanimé et en repos vienne à se mouvoir de lui-même ou produise
le mouvement, cela est incompréhensible et sans exemple. La volonté
[^ m'est connue parj ses actes (^ Quoique je ne connoisse pointi sa nature.
Je connois (du moins i cette volonté comme ^ cause (efficiente) [et voilà tout];
mais concevoir la matière (comme) productrice du mouvement c'est
^clairement concevoir un effet sans cause, c'est ne (rien) concevoir ('du
tout).
fo 124 ^'^ Il [Il ne m'est pas plus possible de concevoir comment ma volonté
meut mon corps que comment mes sensations affectent mon ame.
Je ne sais pas même pourquoi l'un de ces mistéres a paru plus expli-
quable que l'autre. Quant à moi soit quand je suis passif, soit quand
je suis actif (^ la loi de 1') union des deux substances me paroit également
incompréhensible: il est bien étrange qu'on parte de cette incompréhen-
sibilité même pour confondre les deux substances comme si des opé-
rations de natures si différentes s'expliquoient mieux dans un seul sujet
que dans deux].
' M. l'ignore.
3 [j'éprouve en moi qu'elle la produit]. — I. j'en ai l'exemple en moi-
même.
^ [est un acte qui).
■* [non par]. — I. quoique je ne connoisse point.
' [première].
° M. < clairement >.
' [absolument rien].
" [le moven d'].
EDITION ORIGINALE III
sur les autres, plus je trouve que d'effets en effets, il faut toujours
remonter à quelque volonté pour première cause, car supposer un proj^rès
de causes à l'infini, c'est n'en point supposer du tout*. En un mot, tout
mouvement qui n'est pas produit par un autre, ne peut venir que d'un
acte spontané, j volontaire; les corps inanimés n'agissent que par le [49]
mouvement, & il n'v a point de véritable action sans volonté. Voilà mon
premier principe. Je crois donc qu'une volonté meut l'L'nivers & anime
la Nature. X'oilà mon premier dogme, ou mon premier article de toi ^.
Comment une volonté produit-elle une action phvsique & corporelle?
Je n'en sais rien, mais j'éprouve en moi qu'elle la produit. Je veu.x agir,
& j'agis; je veux mouvoir mon corps, & mon corps se meut -: mais
qu'un corps inanimé & en repos vienne à se mouvoir de lui-même ou
produise le mouvement, cela est incompréhensible & sans exemple. La
volonté m'est connue par ses actes, non par sa nature. Je connois cette
volonté comme cause motrice, mais concevoir la matière productrice du
mouvement, c'est clairement concevoir un effet sans cause. | c'est ne [50]
concevoir absolument rien.
Il ne m'est pas plus possible de concevoir comment ma volonté meut
mon corps, que comment mes sensations affectent mon ame. Je ne sais
pas même pourquoi l'un de ces misteres ^ a paru plus e.xpliquable -que
l'autre. Quant à moi. soit quand je suis passif, soit quand je suis actif,
le moven d'union des deux substances me paroît absolument incompré-
hensible. Il est bien étrange qu'on parte de cette incompréhensibilité
' C'est la preuve bien connue, dite « du premier moteur », et longuement
exposée par Aristote dans le VIIl" Livre de sa Physique : En remontant dans la série
des causes, il faut enfin s'arrêter [ivify.r) <rrr|Vai) à un premier moteur, qui soit un
moteur immobile (tt^mtov -/.ivo-jv.- xivoCv àxivritov). La démonstration avait été reprise
par Fénelon, Existence de Dieu, 1, 81 [114], 39, Bonnet. Essai de Ps}-clwlogie, LV
[208], 164, etc.
' Le théisme de Rousseau est véritablement pour lui une religion. Les étapes
intellectuelles de la démonstration une fois franchies, la vérité proprement philo-
sophique qu'il a conquise semble s'évanouir pour lui : il reste une affirmation
religieuse, un « dogme ». auquel il adhère non seulement avec tout son esprit, mais
avec toute sa volonté.
^ Cet argument de l'expérience intime, pour prouver la spontanéité du mou-
vement, avait déjà été employé par Rousseau, presque dans les mêmes termes,
quelques pages plus haut : cf. p. 44 et note 6. 11 sera repris un peu différemment
P- 73-74-
' Le « mystère » de la sensation, que les philosophes contemporains semblent
trouver inteLigible, tandis qu'ils déclarent que « le mot de liberté ne signifie rien »,
cf, plus loin, p. 76 et note 1.
112 REDACTIONS MANUSCRITES
f" 125 "'° Il 'Si le mouvement étoit essentiel à la matière il en serait inséparable,
fo 124 ™ '' y seroit toujours en même degré, || [(il seroit) « toujours » le même
dans chaque portion de matière lil ne pourroit ni augmenter ni diminuer)
fo 125 ""^ il seroit incommunicable '-'] |1 et l'on ne pourroit pas [même] « '* concevoir »
jo J26 ^° '^ matière en repos. Quand on me dit que le jj mouvement ne lui est
pas essentiel mais nécessaire on veut me donner le change par des mots
* gue je n'entens pas. Car ou le mouvement de la matière lui vient d'elle-
même et alors il lui est essentiel, ou il lui vient d'une cause étrangère,
et alors il n't^etoit) nécessaire à la matière qu'autant que la cause motrice
agit sur elle : nous rentrons dans la première difficulté.
' I. Le dogme [à la raison, ni à l'observation;] n'est-ii pas clair
que si.
- [* il ne pourroit augmenter ni diminuer »].
^ [(imaginer)].
* I. qui (ne sont difficiles) [seroient plus aisés] à réfuter (que parce qu'ils
n'ont aucun) [s'ils avoient un peu plus de] sens.
"■ [est].
EDITION' ORIGINALE 113
même pour confondre les deux substances, comme si des opérations de
natures si différentes s'expliquoient mieux dans un seul sujet que dans
deux.
Le dogme que je viens d'établir est obscur, il est vrai, mais enfin il
offre un sens, & il n'a rien qui répugne à la raison, ni à l'observation;
en peut-on dire autant du matérialisme? N'est-il pas clair que si le mou-
vement étoit I essenciel à la matière i, il en seroit inséparable, il y seroit [51]
toujours en même degré, toujours le même dans chaque portion de
matière, il seroit incommunicable, il ne pourroit augmenter ni diminuer,
& l'on ne pourroit pas même concevoir la matière en repos. Quand on
me dit ^ que le mouvement ne lui est pas essenciel, mais nécessaire, on
' Pour la troisième fois en quelques pages (cf.. plus haut, p. 43 et ^5), Rousseau
revient sur la théorie « du mouvement essentiel à la matière ». et presque avec les
mêmes arguments. Il v reviendra plusieurs fois encore, au moins dans son brouillon,
car ces développements seront en grande partie supprimés, tant les redites y seront
manifestes : cf, plus loin, dans B, f I25", et, dans F, f 161". Ici même on comprend
mal cette reprise d'une discussion qui semblait close par l'affirmation précédente :
« Voilà mon premier dogme, ou mon premier article de foi ». Nous avons déjà
constaté chez Rousseau, dans l'allure de sa pensée, ces retours en arrière : cf.. plus
haut, p. 44, note 6. On en verra d'autres exemples.
' Cette formule semblerait indiquer que Rousseau avait en vue un texte précis,
où cette distinction était explicitement formulée (cf. d'ailleurs, dans B, f i25", la note
supprimée |. Mais je n'ai pu retrouver ce texte, s'il existe. Dans la traduction de Clarke,
au contraire, Rousseau pouvait lire essentiel ou nécessaire employé indifléremment,
ou simultanément, comme des expressions synonymes; cf, par exemple [i25], 1, 45-46 :
« Un auteur moderne a prétendu prouver que le mouvement était nécessaire à la
matière... Il faut que cet effort vers le mouvement qu'il prétend être essentiel à la
matière... Si l'athée suppose le mouvement essentiel et nécessaire à quelque partie
de la matière... etc. ». C'est Toland qui est ici visé; or, dans Toland également, dans
l'original comme dans la traduction, nulle diftérence entre les deux termes; cf. Letters
to Serena, London, 1714, in-8, Letter V, p. 166-167 : « motion essential to matter »
équivaut à « the necessary activity of matter »; et Lettres philosophiques sur l'ori-
gine des préjugés, V [248]. 190-191 ; « Le mouvement est essentiel à la matière »
équivaut à cette autre formule : « l'activité lui est nécessaire ». D'après la date de
cette traduction (1768), il semblerait que, six ans après la Profession de foi, la
distinction rapportée par Rousseau non seulement ne s'était pas établie parmi les
philosophes matérialistes, mais que l'emploi indistinct de l'une ou l'autre expression
ne prêtait à aucune équivoque. Si donc, comme il est possible, la formule de Rousseau
recouvre une allusion précise, il s'agirait sans doute de quelque système récent, et dont
l'influence fut brève. Rousseau lui-même, à l'époque où il écrivait ses Institutions
chimiques, paraissait ignorer cette distinction : cf. [35], 20 : « Nous voyons bien
que l'agent universel est le mouvement, qu'il concourt à tout, que rien ne se fait
sans lui et qu'il est capable de donner à la matière un très grand nombre de
modifications; mais, quand Descartes a prétendu tirer de ce seul principe la génération
de tout l'univers, il a bâti un système singulier par le ridicule, et il a, sans. y penser,
fourni des armes aux matérialistes, qui, attribuant à la matière un mouvement néces-
114 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Les idées générales et abstraites sont la source des plus grandes
fo 125 ^° erreurs des hommes. || [' Defiez-vous i - de tout) philosophe qui vous 'éblouis-
sant par ces (^propositions générales ne vous (-'permet) jamais ("de les
particulariser) par des exemples sensibles. ' Dites moi, mon ami, si quand
on vous parle d'une force [aveugle] répandue dans toute la nature '^ on
f° 126 '■° porte quelque [véritable] idée à vôtre esprit?]. || On croit dire quelque
chose par ces mots vagues de force ^ universelle et de mouvement
« nécessaire * » et l'on ne dit rien [du tout". i° L'idée du mouvement]
f° 125 * ° Il * \.^^ °°^®' (^^^ 1^® ^^ mouvement est essentiel à la matière c'est dire
une chose manifestement fausse car qui est-ce qui ne conçoit pas distinctement
la matière en repos ? Dire que le mouvement ne lui est pas essentiel mais
nécessaire, ce n'est au fond que changer les termes car s'il n'y a nulle cause
antérieure le mouvement ne sauroit être nécessaire à la matière qu'il ne lui
soit essentiel)].
' I. (Depuis que le monde existe)* [(et) jamais (mot illisible)] le jargon de
la métaphysique n'a (pas) fait « découvrir » (démontrer) une seule vérité.
- [d'un].
' M. otTusquant par toutes ces abstractions.
■* [grandes abstractions].
' [laisse].
" [rien eclaircir].
' (Vous ?).
" (vous).
'■' (et de). ^
'" (Sitôt qu'on veut l'appliquer).
EDITION ORIGINALE II5
veut me donner le chanj^e par des mots qui seroient plus aisés à réfuter,
sils avoient un peu plus de sens. Car ^, ou le mouvement de la matière
lui vient d'elle-même & alors il lui est essenciel, ou s'il lui vient d'une
cause étrangère, il n'est nécessaire à la matière qu'autant que la cause
motrice agit sur elle : nous rentrons dans la première difficulté.
Les idées générales & abstraites sont la source des plus grandes
erreurs des hommes ^; jamais le jargon de la métaphysique n'a fait
siiire, en ont fait le Dieu qui a créé et qui conserve le monde »; il l'ignorait encore
en 1756 : cf., plus loin, p. 37, note 3, le passage de sa Lettre à Voltaire, où mouve-
ment essentiel et mouvement nécessaire ont une valeur identique ». .Mais le texte
des Institutions chimiques pourrait suggérer une autre hypothèse. La formule du
Vicaire ne contiendrait aucune allusion précise à tel système récent, mais viserait
en général les matérialistes qui se réclamaient du mécanisme cartésien ; Rousseau
reprendrait, en le serrant davantage, un argument traditionnel ; cf., par exemple,
Buffier, Premières vérités, 466 [120], II, 68: «.Si l'on prétend que les règles du
mouvement, étant nécessaires dans la Nature, il a dû s'en suivre nécessairement un
ordre de choses, tel qu'il sera en effet, je réponds que les lois naturelles du mouvement
dans la Nature n'y sont nécessaires que par une volonté libre d'une cause intel-
ligente, car. sans elle, la matière, étant indifférente par elle-même à tel degré ou telle
direction de mouvement, comment y aurait-elle été déterminée » ?
' Cf. Abbadie, Religion chrétienne, I, i, 5 [92], I, 26 : « Je voudrais bien savoir
d'où son mouvement [de la matièrej est sorti. Car il faut de deux choses l'une, qu'il
soit essentiel à la matière de se mouvoir, ou qu'il y ait un Dieu qui ait imprimé le
mouvement dans la matière. Ce mouvement doit être attaché à la nature de la matière
ou venir du dehors, il n'y a pas de milieu ».
* Cf. ce que Rousseau répondait au métaphysicien Dom Deschamps, abstracteur
et généralisateur, s'il en fut, dans sa Lettre du 8 .Mai 1761 [27], 148-149 : « La méthode
de généraliser et d'abstraire m'est très suspecte, comme trop peu proportionnée à nos
facultés». C'est là, d'ailleurs, une déclamation à la mode, non seulement chez la plupart
des philosophes sensualistes, mais chez tous ceux qui se piquent alors de science
expérimentale et d'observation : cf. Mornet, Les Sciences de la Nature, 11, i [289],
76-80. Aussi Rousseau se trouve ici d'accord artc ceux-là même qu'il vient de com-
battre; cf. Condillac, Traité des Systèmes, chap. H « De l'inutilité des svstèmes
abstraits », III « Des abus des systèmes abstraits » 187], 14-45; De L'Esprit, I, 4,
« De l'abus des mots » [223 .A], 3i (Cette partie de la Profession a été écrite après
la lecture du livre d'Helvetius) : « Je vais prouver qu'en métaphysique et en morale,
l'abus des mots et l'ignorance de leur vraie signitîcation est, si j'ose le dire, un
labyrinthe où les plus grands génies se sont quelquefois égarés. Je prendrai pour
exemple quelques-uns de ces mots qui ont excité les disputes les plus longues et les
plus vives entre les philosophes; tels sont en métaphysique, les mots de matière,
d'espace et d'infini ». Mais, comme dit Helvetius lui-même, « M. Locke a si heureu-
sement traité ce sujet » que c'est chez lui que tous les adversaires des « idées
abstraites » et du « jargon de la métaphysique » vont chercher leurs arguments;
cf., en effet. Entendement humain. Livre III « Des mots », passim, et, en particulier,
chap. X « De l'abus des mots » [102], 408 : « Un grand abus qu'on fait des mots,
c'est qu'on les prend pour des choses... Qui est-ce, par exemple, qui ayant été élevé
dans la philosophie péripatéticienne... n'est pas persuadé que les Formes substan-
tielles, ^es Ames végétatives, V Horreur du vide, les Espèces intentionnelles, etc..
Il6 RÉDACTIONS MANUSCRITES
1 n'est autre chose que l'idée du transport d'un lieu à un autre i'- selon)
une direction déterminée, « car » [la distance d'un lieu à un autre se mesure
par une ligne et] « un être » individuel ne (•' sauroit) se mouvoir à la t'ois
dans tous les sens. i*En) quel sens donc la matière se meut-elle néces-
sairement. Toute la matière en corps a-t-elle un mouvement (^uniformei
ou chaque atome a-t-il son mouvement propre? Selon la première idée
l'univers entier doit former une masse solide et indivisible; selon la
seconde il ne doit former qu'un fluide épars et incohérent sans qu'il
soit jamais possible que deux atomes se reunissent. {^ Selon) quelle direc-
tion se fera ('lei mouvement commun de toute la matière? * ou de
chaque portion de matière ? Sera-ce en droite ligne « ^ ou circulairement » ?
en haut, en bas, (à gauche oui à droite '". Si chaque "portion de matière
f° 127 ^^ a sa direction différente || des autres quelles seront les causes de toutes
f^ 126 ^° ces directions et de toutes ces différences. || [''- Si chaque atome ou
molécule de matière ('■' n'avoit qu'un mouvement circulaire) jamais rien
ne sortiroit de sa place et il n'y auroit point de mouvement communiqué :
encore même faudroit-il que ce mouvement circulaire fut déterminé
dans quelque sens [et que son axe eut ime direction précise]. Donner à
la matière le mouvement par abstraction c'est dire des mots qui ne
signifient rien, et lui donner un mouvement déterminé c'est supposer
fo J27 '"o une cause qui le détermine]. || Plus '* je multiplie les (''mouvemens dans
la nature), plus j'ai de nouvelles causes à expliquer sans jamais trouver
aucun agent commun qui les dirige. Loin de pouvoir imaginer ['■'' aucun
ordre dans le concours " fortuit des elemens je n'en puis pas même
' [(emporte)].
' [(dans) et ce transport suppose toujours-].
" [peut].
* [Dans].
^ [commun].
" [Sur].
' [ce].
' [(ce mouvement particulier)]. — M. < ou de chaque portion de matière ; .
' M. [ou circulairement].
'° [ou à gauche]. — M. à gauche.
" I. (por TioN) [molécule].
'^ [(Que)].
" [ne faisoit que tourner sur son propre centre].
'* I. (j'ai de) je multiplie.
"* [(agens) forces particulières].
'" (le concert [l'accord] des élemens).
''Au crayon, l'epassé à l'encre.
ÉDITION ORIGINALE 11/
découvrir une ; seule vérité, & il a rempli la philosophie d'absurdités [^2]
dont on a honte, si-tùt qu'on les dépouille de leurs grands mots. Dites-
moi, mon ami, si, quand on vous parle d'une force ' aveugle répandue
dans toute la Nature, on porte quelque véritable idée à votre esprit? On
croit dire quelque chose par ces mots vagues de force universelle, de
mouvement nécessaire, & l'on ne dit rien du tout. L'idée du mouvement
n'est autre chose que l'idée du transport d'un lieu à un autre 2, il n'y a
point de mouvement sans quelque direction ; car un être individuel ne
sauroit se mouvoir à la fois dans tous les sens. Dans quel sens donc la
matière se meut-elle nécessairement '? Toute la matière en corps a-t-elle
.sont quelque chose de réel?... Les Platoniciens ont leur Ame du monde, et les
Épicuriens la Tendance de leurs atomes vers le moui'ement, dans le temps qu'ils
sont en repos. A peine v a-t-il aucune secte de philosophie qui n'ait un amas distinct
de termes que les autres n'entendent point ». « Depuis Locke, remarque Chaumeix
en ij5g,- Pré/ugés légitimes f223\ IV, 3o. déclamer contre l'abus des mots est un
lieu commun où chacun abonde en son sens ».
' Cf. Maupertuis, Essai de cosmologie '194]. 28 : « D'autres ont cru avancer
beaucoup [pour e.xpliquer les lois du mouvement^, en adoptant un mot qui ne sert
qu'à cacher notre ignorance : ils ont attribué au.x corps une certaine force pour
communiquer leur mouvement aux autres. Il n'y a dans la philosophie moderne
aucun mot répété plus souvent que celui-ci, aucun qui soit si peu exactement déhni.
Son obscurité l'a rendu si commode, qu'on n'en a pas borné l'usage aux corps que
nous connaissons : une école entière de philosophes attribue aujourd'hui à des êtres
qu'elle n'a jamais vus une force qui ne se manifeste par aucun phénomène ». Helvetius,
De L'Esprit, III, 9 '225 .\_, 822 : « [Dreu] a dit à la matière : je te doue de la force.
Aussitôt les éléments, soumis aux lois du mouvement, mais errants et confondus
dans les déserts de l'espace, ont formé mille assemblages monstrueux, ont produit
mille cahos divers, jusqu'à ce qu'enfin ils se soient placés dans l'équilibre et l'ordre
plivsique dans lequel on suppose l'L'nivers rangé ». Il est possible que ce soit
ce passage d'Helvetius qui ait inspiré la riposte de Rousseau.
' Il est assez piquant de constater que, dans le paragraphe même où Rousseau
vient de reprendre les arguments de Locke contre les idées abstraites, qui font
« prendre les mots pour les choses ». il reprend aussi l'une des définitions que Locke
avait critiquées, comme étant de pseudo-définitions, une de celles où l'on se sert de
l'idée à définir précisément pour la définir; cf. Entendement humain, III, iv, « Du
nom des idées simples », | 8 et 9, « Exemple tiré du mouvement » [102], SSg : « Nos
philosophes modernes, qui ont tâché de se défaire du jargon des Écoles et de parler
intelligiblement, n'ont pas mieux réussi à définir les idées simples par l'explication
qu'ils nous donnent de leurs causes... Ainsi les partisans des atomes qui définissent
le mouvement, un passage d'un lieu dans un autre, ne font autre chose que mettre
un svnonvme à la place d'un autre. Car qu'est-ce qu'un passage, sinon un mou-
vement ?... C'est traduire et non pas définir, que de mettre ainsi deux mots de la
même signification l'un à la place de l'autre ».
' Les arguments qui suivent sont empruntés à la réfutation traditionnelle de
l'épicurisme; cf. Fénelon, Existence de Dieu, I, 82 [^114], 40: « Le mouvement est
tellement accidentel et surajouté à la nature des corps, que cette nature des corps
Il8 REDACTIONS MANUSCRITES
imaginer le combat, et le cahos de l'univers i m'est incompréhensible -.
fo 126 '" Il [(•'^ comprends que le mécanisme du monde peut n'être pas intelligible
à l'esprit humain, mais lorsqu'un homme se mêle de l'expliquer, il doit
dire des choses que les hommes entendent)], t
' [(ne) m'est (pas moins.... aussi) plus]. — I. aussi inconcevable.
^ [que son harmonie].
t La formule, légèrement variée, sera reprise plus loin. B, /"" 128'
ÉDITION ORIGINALE II9
un mouvement uniforme, ou chaque atome a-t-il son mouvement propre?
Selon la première idée. l'Univers entier doit former une masse solide
& indivisible; | selon la seconde, il ne doit former qu'un fluide épars & [53]
incohérent, sans qu'il soit jamais possible que deux atomes se réunissent.
Sur quelle direction se fera ce mouvement commun de toute la matière?
Sera-ce en droite ligne (^j, en haut, en bas, (''1 à droite ou à gauche? Si
chaque molécule de matière a sa direction particulière, quelles seront les
causes de toutes ces directions & de toutes ces différences ? Si chaque
atome ou molécule de matière ne faisoit que tourner sur son propre
centre, jamais rien ne sortiroit de sa place, & il n'y auroit point de mou-
vement communiqué; encore même faudroit-il que ce mouvement circu-
laire fût déterminé dans quelque sens. Donner à la matière le mouvement
par abstraction, c'est dire des mots qui ne signifient rien: & lui donner
un mouvement déterminé, c'est supposer une cause qui le détermine.
Plus je I multiplie les forces particulières, plus j'ai de nouvelles causes [54]
à expliquer, sans jamais trouver aucun agent commun qui les dirige.
Loin de pouvoir imaginer aucun ordre dans le concours fortuit des
é émens, je n'en' puis pas même imaginer le combat, & le cahos de
(«) C, D : ou circulairement.
(h) C, D : â droite, à gauche r
ne nous montre point une règle primitis-e et immuable, suivant laquelle ils doivent
se mouvoir, et encore moins se mouvoir suivant certaines règles. De même que les
corps auraient pu ne se mouvoir iamais, ou ne se communiquer jamais de mouvement
les uns au.x autres, ils auraient pu aussi ne se mouvoir jamais qu'en ligne circulaire ;
et ce mouvement aurait été aussi naturel que le mouvement en ligne directe
D'ailleurs ce mouvement en ligne directe pouvait être de bas en haut, ou de haut en
bas, du côté droit au côté gauche, ou du côté gauche au droit, ou en ligne diagonale.
Qui est-ce qui a déterminé le sens dans lequel la ligne droite serait suivie » ? Ditton,
Religion Naturelle [128]. II. 804 : « Si la matière a le pouvoir du mouvement par
elle-même, il faut que ce soit ou dans une détermination particulière, ou dans tous
les sens possibles; ou dans les déterminations qu'elle juge être les plus propres selon
l'exigence des cas. Si c'est le premier, la matière ne pourra jamais se donner d'autre
mouvement, et suivra toujours la détermination qui lui est propre. Cependant il n'y
a qu'à ouvrir les yeux pour se convaincre que la matière se meut dans le monde en
une intînité de directions diftérentes. Ainsi donc cette première supposition est
visiblement fausse. Quant à la seconde, il parait que le pouvoir de se donner toutes
les déterminations possibles met la matière dans une indétermination et dans une
indifférence absolues. C'est lui ôter toute faculté de se mouvoir elle-même, parce que
le pouvoir de se mouvoir en tout sens, est le pouvoir de se mouvoir en aucun,
c'est-à-dire de ne se point mouvoir. Ainsi cette autre supposition est une contradiction
manifeste », etc.
120
REDACTIONS MANUSCRITES
6. La Nature et l'Intelligence ordonnatrice.
f° 127 '■"' Il Si la matière mue me montre une volonté, la matière mue
selon de certaines loix me montre une intelligence. C'est mon second
article de toi. Agir (^ et) choisir sont les opérations d'un être actif
et pensant. Donc cet être existe. Où le voyez-vous exister, m'allez-vous
dire? -Non seulement dans les cieux qui roulent, dans ^l'astre qui
nous éclaire : mais dans ^ une pierre qui tombe dans * une feuille
qu'emporte le vent, f
' [comparer].
- I. < Non seulement... mais >.
^ M. le soleil.
■* I. une.
^ I. une.
t Cf.. plus loin, une indication marginale de F, /" i6o''", qui
semble avoir suggéré ce développement.
EDITION ORIGINALE 121
l'Univers m'est plus inconcexable que son harmonie ^ Je comprends que
le méchanisme du monde peut n'être pas intelligible à l'esprit humain;
mais si-tùt qu'un homme se mêle de l'expliquer, il doit dire des choses
que les hommes entendent.
6. La Nature et l'Intelligence ordonnatrice.
Si la matière mue me montre une volonté, la matière mue selon de
certaines loix me montre une intelligence -: c'est mon second article de
foi. Agir, comparer, choisir, sont des opérations d'un être actif & pensant:
donc cet être existe Où le vovez-vous exister, m'allez-vous dire ? Xon-
seulement dans les Cieux qui roulent '\ dans | l'astre qui nous éclaire ; 55]
non-seulement dans moi-même, mais dans la brebis qui paît, dans l'oi-
seau qui vole, dans la pierre qui tombe, dans la feuille qu'emporte le
vent '.
' Diderot, Pensées philosophiques, XXI [177], i36 : « L'esprit doit être plus
étonné de la durée hypothétique du cahos que de la naissance réelle de l'univers ».
Cette formule avait retenu l'attention de Rousseau : cf. un fragment de sa Lettre à
Voltaire, du 18 .\oùt 1756 [25], 876 : « Je me souviens que ce qui m'a frappé le plus
fortement en toute ma vie, sur l'arrangement fortuit de l'univers, est la vingt-et-
unlème Pensée philosophique, où l'on montre par les lois de l'analyse des sorts,
que, quand la quantité des jets est infinie, la difficulté de l'événement est plus que
suffisamment compensée par la multitude des jets, et que par conséquent l'esprit doit
être plus étonné de la durée hypothétique du cahos que de la naissance réelle de
l'univers ».
' Ici encore on notera que la démonstration qui commence n'est qu'un nouvel
a'ipect de la preuve cosmologique : les preuves proprement métaphysiques sont
écartées avec soin.
' Cf. Nouvelle Héloïse (III, xvini, IV. 246-247 : « Providence éternelle, qui fais
ramper l'insecte et rouler les cieux, tu veilles sur la moindre de tes œuvres » 1
' Alême mouvement dans Abbadie, Religion chrétienne, I, 4 ^92], I. 17 : « Pour
voir qu'il y a une sagesse souveraine, il ne faut qu'ouvrir les yeux et les porter sur
les merveilles de la nature. Quand la considération des cieux et des astres, de leur
beauté, de leur lumière, de leur grandeur, de leurs proportions, de leur perpétuel
mouvement et de ces révolutions admirables qui les rendent si justes et si constants
dans leurs changements divers, ne nous convaincraient point de cette vérité, nous la
trouverions marquée dans les vagues et sur le rivage de la mer, dans les plantes,
dans la production des herbes et des fruits, dans la diversité et dans l'instinct des
animaux, dans la structure de notre corps et dans les traits de notre visage ».
122 REDACTIONS MANUSCRITES
[Le développement : Je juge de l'ordre du monde impossible
d'apercevoir, qui manque ici dans F. se trouve plus loin, au
bas du /" i5g i>". Dans B, M et I, il se place comme dans l'édition
originale].
EDITION ORIGINALE I23
Je juge de l'ordre du monde quoique j'en ignore la fin, parce que
pour juger de cet ordre il me suffit de comparer les parties entr'elles,
d'étudier leur concours, leurs rapports, d'en remarquer le concert.
J'ignore pourquoi l'Univers existe '-; mais je ne laisse pas de voir com-
ment il est modifié; je ne laisse pas d'appercevoir l'intime correspondance
par laquelle les êtres qui le composent se prêtent un secours mutuel '*.
Je suis comme un homme qui verroit, pour la première fois, une montre
ouverte, & qui ne laisseroit pas d'en admirer l'ouvrage, quoiqu'il ne
connût pas l'usage de la machine & qu'il n'eût point vu le cadran. Je ne
sais, diroit-il, à quoi le tout est bon; | mais je vois que chaque pièce est [56]
faite pour les autres: j'admire l'ouvrier dans le détail de son ouvrage.
& je suis bien sûr que tous ces rouages ne marchent ainsi de concert, que
pour une fin commune qu'il m'est impossible d'appercevoir 1.
' Cette prudence philosophique, dont Rousseau pouvait trouver l'exemple chez
Descartes (cf. Principes, 111, 2 : « Qu'on présumerait trop de soi-même si on entre-
prenait de connaître la tin que Dieu s'est proposée en créant le monde » [81], 104),
semblera l'abandonner quelques pages plus loin. p. 64-65, quand il écrira ; « Qu'y
a-t-il de si ridicule à penser que tout est fait pour moi. si ie suis le seul qui sache
tout rapporter à lui » ?
' Comparez avec Abbadie, Religion chrétienne, I, 16 [92]. I, g8 : « Toutes ces
choses nous montrent par leur grandeur, par leur variété, par leur subordination,
par le tempérament de leurs qualités, par leurs rapports et leurs proportions admi-
rables, et par cet ordre divin qui les lie. que le monde est l'ouvrage de cette sagesse
souveraine à laquelle nous donnons le nom de Dieu ».
' On a déjà vu plus haut, p. 44. cette comparaison de l'horloge, mais c'est ici
seulement qu'elle prend sa valeur démonstrative. C'est, je crois, chez Descartes qu'elle
apparaît pour la première fois. Discours de la Méthode, V [80]. Sg. Entre Descartes
et Rousseau elle avait éié reprise bien souvent, sinon toujours au service du théisme;
et il n'est pas nécessaire de se rappeler que Rousseau était fils d'horloger pour en
expliquer la présence ici : cf., parmi les ouvrages que Rousseau avait sans doute
lus, Fénelon, Existence de Dieu, I, yS [114], 3 7-38, Burtier. Premières Vérités. 463
[120], 11, 67, Lettres philosophiques, XIII [145]. I, 171. Spectacle de la nature
[137], m, 468-469, Telliamed '182], I. p. liv. La Mettrie, L'Hoinme-machine [i?>\],
186, Haller. Poésies [200], i5i-i52, Bonnet, Essai de Psychologie, LV |2o8], i65,
Turrettin, Pensées sur la Religion, II [161], 3o5, Vernet, Instruction chrétienne. II. 2
fzi3], I, 33-34, ^tc., etc. La preuve de « l'horloge » trouvera quelques années plus
tard (1772), sa forme la plus concise et la plus populaire, dans le distique de
Voltaire, Les Cabales ^^73], X, 182 :
L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer
Que cette horloge existe, et n'ait point d'horloger.
124 REDACTIONS MANUSCRITES
F, F 159 ''° 'Ecoutons le sentiment intérieur. Quel esprit sain peut se
refuser à son témoignage, à quels yeux non prévenus l'ordre
sensible de l'univers n'annonce-t-il pas une suprême intelligence
et que de - subtilités ne faut-il point entasser (^ pour se refuser à
l'évidence (^ d'une fin commune) dans ('la construction) de cette
grande machine et du concours de chaque ('■ chose) pour la conser-
\ation (du tout)), j Qu'on me parle tant qu'on \-oudra de combi-
naisons et dé chances]. ('On pourra plus tôt) me réduire au silence.
Si \ous ne pouvez m'amener (^ au consentement) comment
m'oterez vous ('•'la persuasion intérieure) qui vous dément l'" tou-
jours! malgré moi.
' B. (Ecoutons) comparons les fins [particulières], les moyens, les raports
[ordonnés] de toute espèce, puis écoutons.
- B. Isubtililés) [sophismes]. — I. subtilités.
" [pour méconnoilre l'harmonie (ordonnée) des êtres et l'admirable con-
cours de chaque pièce pour la conservation (du tout) [des autres]].
•* [(de l'unité d'intention)].
"■ [le soin ?]. *■ •
* [pièce].
' [(Vous) Que vous sert de].
" [à la persuasion ei[.
" [le sentiment involontaire].
'" M. < toujours >.
t Ici. dans le Mcinusc/it. un espace de quelques lignes laisse' en blanc.
EDITION ORIGINALE I25
Comparons les fins particulières, les moyens, les rapports ordonnés
de toute espèce, puis écoutons le sentiment intérieur -; quel esprit sain
peut se refuser à son témoignage; à quels yeux non prévenus l'ordre
sensible de l'Univers n'annonce-t-il pas une suprême intelligence, & que
de sophismes ne faut-il point entasser pour méconnoître l'harmonie des
êtres, & l'admirable concours de chaque pièce pour la conservation des
autres ^? Qu'on me parle tant qu'on voudra de combinaisons & de
chances; que vous sert de me réduire au silence, si vous ne pouvez
m'amener à la persuasion, & | comment m'ôterez-vous le sentiment invo- [57]
lontaire qui vous dément toujours malgré moi? Si les corps organisés 1
' Rousseau reprend ici la suite normale de son développement primitif, qu'il
avait interrompu par les deux longues dissertations, ajoutées après coup, sur l'activité
du jugement, et l'origine du mouvement dans la matière. Pour retrouver donc l'allure
première de sa pensée, on doit rattacher les pages qui vont suivre à la déclaration du
début, où il se ralliait, derrière Clarke, au système du théisme, comme au plus « con-
solant » et au plus « sublime ». Ainsi allégée, la Première Partie de la Profession
perd à peu près tout caractère de démonstration intellectuelle, pour redevenir ce
qu'elle est surtout, un manifeste sentimental.
' Cette idée a été 'développée longuement dans le paragraphe précédent ; elle
sera reprise dans le paragraphe suivant. Nous avons déjà vu cette insistance de
Rousseau à revenir sur un argument qu'il juge démonstratif. Rien d'étonnant, d'ail-
leurs, que, dans une juxtaposition de morceaux composés à des époques diftérentes,
il se produise des redites de pensée ou d'expression. La formule qu'il insère ici est
empruntée à un passage inutilisé du Premier Brouillon d'Emile [10] ; cf. aux Appen-
dices, II, le morceau intitulé Comment se forme l'idée de Dieu, et, en particulier, les
lignes suivantes : « Il faut être en état d'apercevoir au moins par quelque côté le jeu
mutuel des parties, les proportions de leurs masses, de leurs forces, de leurs mouve-
ments, et de connaître quelques-unes des lois par lesquelles chaque pièce concourt
à la conservation du tout ».
' Ici commence une brève discussion des théories transformistes, que Rousseau
a intercalée dans son manuscrit, presqu'à la dernière heure, en recopiant le texte pour
l'impression. Ces quelques lignes d'actualité forment une enclave dans la discussion
traditionnelle des théories épicuriennes sur le hasard et la formation du monde. H
est possible que Rousseau fasse allusion ici aux hypothèses de Maillet, dont le livre
avait eu un vif succès de curiosité : cf. Telliamed, Vl" Journée, « De l'origine de
l'homme » '182], II, i5o, 174, i83-i86, où .Maillet parle d' « hommes à queue »,
d' « hommes sans barbe », d' « hommes d'une jambe et d'une seule main », et où il
s'efforce de prouver que l'homme d'aujourd'hui est un être marin, transformé, et
adapté aux nouvelles conditions d'existence qui résultent du retrait de la mer. Si,
comme on peut le supposer, Rousseau connaissait les oeuvres de Maupertuis, peut-
être aussi songeait-il à la 1'" Partie de ['Essai de Cosmologie jg^]. 3 sqq, « où l'on
examine les preuves de l'existence de Dieu, tirées des merveilles de la Nature ».
jMaupertuis faisait la critique de ces preuves et opposait déjà l'hypothèse de la sélec-
tion naturelle à l'argument finaliste de la convenance des organes au besoin. Il est
plus probable cependant qu'ici encore, c'est Diderot qu'il a eu en vue; cf. Interpréta-
tion de la nature. XII et LVIII "210]. i5-i6 et Sy-SS : « Si la foi ne nous apprenait que
126
REDACTIONS MANUSCRITES
I p. 179 ' Si les ('- êtres) organisés se sont combinés fortuitement de mille
manières avant de prendre des formes (/* durables i, s'il s'est formé d'abord
des estomac h^s sans bouche, des (têtes sans) pieds *, des mains sans bras
des (,= squelettes informes) de toute (•> s orte; ^qui sont péris faute de
pouvoir se conserver pourquoi [nul de] ces informes essais ne frape-t-il
plus nos regards, pourquoi la nature s'est elle enfin' prescrit des loix
' auxquelles' elle n'étoit pas d'abord assujetie?
F f" 159 ^° Je ne dois point être surpris qu'une chose arrive lorsqu'elle
est possible et que la difficulté de révénement est compensée par
la quantité des jets, je C" sais) cela. Cependant ['■• si l'on me
disoit qu'un chimiste en '"combinant des mixtes a fait un être
organisé, sentant et pensant dans un creuset, « " dependroit-il de»
moi de le croire. Bien loin de là car ] « si l'on '- me venoit dire »
1^ seulement « que des caractères d'imprimerie ('* en » mouvement
depuis tant de tems qu'il vous plaira) « ont donné l'eneide toute »
arrangée je ne daignerois pas faire un pas pour aller vérifier
('■' que cela n'est pas vrai). Vous oubliez me dira-t-on la quantité
des "' jects. Mais de ces >" jets-là (je n'en vois qu'un dans la
construction de l'univers). Combien '" prétendez-vous que j'en
(Je ne dois... Je).
[corps].
[constantes].
[sans têtes].
[organes imparfaits].
[espèce].
auxquejls).
[vois]. — B. < je vois cela >.
[Mais]. — B. < Mais si l'on me... loin de là car >.
combina (ison).
[loin qu'il dépendit].
I. [me] venoit.
B. < seulement >.
[« projettes au hazard »].
[le mensonge].
Sic.
B. faut-il.
EDITION ORIGINALE I27
se sont combinés fortuitement de mille manières avant de prendre des
formes constantes, s'il s'est formé d'abord des estomacs sans bouches,
des pieds sans tètes, des mains sans bras, des organes imparfaits de toute
espèce qui sont péris - faute de pouvoir se conserver, pourquoi nul de
ces informes essais ne frappe-t-il plus nos regards; pourquoi la Nature
s'est-elle enfin prescrit des loix auxquelles elle n'étoil pas d'abord assu-
jettie? Je ne dois point être surpris qu'une chose arrive lorsqu'elle est
possible, <!<: que la difficulté de l'événement est compensée par la quantité
les animaux sont sortis des mains du Créateur tels que nous les voyons: et s'il était
permis d'avoir la moindre incertitude sur leur commencement et sur leur tin, le phi-
losophe abandonné à ses conjectures ne pourrait-il pas soupçonner que l'animalité
avait de toute éternité ses éléments particuliers, épars et confondus dans la masse de
la matière; qu'il est arrivé à ces éléments de se réunir, parce qu'il était possible que
cela se fît; que l'embryon formé de ces éléments a passé par une infinité d'organisa-
tions et de développements ; qu'il a eu, par succession, du mouvement, de la sensation,
des idées, de la pensée, de la réfle.'iion, de la conscience, des sentiments, des passions,
des signes, des gestes, des sons, des sons articulés, une langue, des lois, des sciences
et des arts; qu'il s'est écoulé des millions d'années entre chacun de ces développe-
ments; qu'il a peut-être encore d'autres développements à subir et d'autres accroisse-
ments à prendre, qui nous sont inconnus; qu'il a eu ou qu'il aura un état station-
naire, qu'il s'éloigne ou qu'il s'éloignera de cet état par un dépérissement éternel,
pendant lequel ses facultés sortiront de lui comme elles y étaient entrées; qu'il dis-
paraîtra pour jamais de la nature, ou plutôt qu'il continuera d'y exister, mais sous
une forme, et avec des facultés tout autres que celles qu'on lui remarque dans cet
instant de la durée »? Il y a encore des précisions plus grandes dans le Rêve de
D'Alembert, qui a été écrit en 1769 ^58], II, i37-i38. .Mais il serait possible que ce
« rêve » eût déjà été pensé par Diderot devant son ami. Du reste, La .\lettrie avait
déjà dit dans son Sysiéme d'Épicure, XIII [62], II, 8-9 : «Les premières générations
ont dû être fort imparfaites. Ici l'œsophage aura manqué ; là l'estomac, le ventre,
les intestins, etc. Il est évident que les seuls animaux qui auront pu vivre, se conserver
et perpétuer leur espèce, auront été ceux auxquels aucune partie essentielle
n'aura manqué. Réciproquement ceux qui auront été privés de quelque partie d'une
nécessité absolue seront morts... sans se reproduire. La perfection n'a pas plus été
l'ouvrage d'un jour pour la nature que pour l'art ». — Les convictions de Rousseau
sur l'origine des espèces seront affirmées plus fortement encore dans le paragraphe
suivant, où il parlera de « la barrière insurmontable que la Nature a mise entre
les diverses espèces, afin qu'elles ne se confondissent pas ».
' Féraud 25o], III, i32 : « Dans le Dictionnaire grammatical 'autre diction-
naire de Féraud, qui est de 1761] on condamne que vous fussiez péri, et l'on
décide que périr prend toujours l'auxiliaire avoir: mais il y a un grand nombre
d'exemples pour l'auxiliaire être : Il était péri dans le naufrage ( Télémaquei :
Sirius n'était péri que par leur ordre (Vertot); Les écrits impies des Leucippes
et des Diagoras sont péris avec eux (J. J. Rousseau). — Suivant l'.^cadémie (d'autre-
fois) ont péri est plus régulier, mais sont péris n'est pas sans usage. Dans la dernière
édition, elle dit indifféremment a péri, ont péri, et est péri, sont péris, sans
remarque ». Le texte de Rousseau, que cite ici Féraud, est emprunté au /"■ Discours,
I. 18.
128 RÉDACTIONS MANUSCRITES
suppose pour rendre (' ce hazard) vraisemblable. Pour moi - qui
(* n'en ai vu qu'un, de ces jets) ■'j'ai M'infini a parier contre
un ''qu'il n'est point l'effet du hazard *.
• * J'appelle hazard non seulement les effet dont nous ne
pouvons assigner '^ les causes mais l'effet nécessaire de toute
(' cause première).
' [cette absurde combinaison]. — B. cette grande combinaison.
- (je n").
' [n'en vois qu'un seul].
■" (je tiens... trouve... selon vous-même).
^ B. [(même dans vôtre système)].
" B. (qu'il) [que son produit].
' B. < * J'appelle hazard... première cause >.
" (ni).
° [cause aveugle considérée comme (active ou) première cause].
EDITION ORIGINALE I29
des jets \ j'en conviens. Cependant si l'on me venoit dire que des carac-
tères d'imprimerie, projettes au hazard, ont donné l'Enéide toute arrangée,
je ne daignerois pas faire un | pas pour aller vérifier le mensonge. Vous 58]
' C'est une citation de Diderot. Pensées philosopliiques, X\I 1 77J, i35-i36 :
« J'ouvre les cahiers d'un professeur célèbre, et je lis : Athées, je vous accorde que le
mouvement est essentiel à la matière; qu'en concluez-vous?... que le monde résulte
du jet fortuit des atomes ? J'aimerais autant que vous me dissiez que l'Iliade d'Homère,
ou la Henriade de Voltaire est un résultat de jets fortuits de caractères. — Je me
garderai bien de faire ce raisonnement à un athée : cette comparaison lui donnerait
beau jeu. Selon les lois de l'analyse des sorts, me dirait-il, je ne dois point être sur-
pris qu'une chose arrive lorsqu'elle est possible, et que la difficulté de l'événement
est compensée par la quantité des jets ». Cet argument avait fait grande impression
sur Rousseau : « Je me souviens, écrivait-il à Voltaire en 1756 [25]. 375-376, que ce qui
m'a frappé le plus fortement en toute ma vie sur l'arrangement fortuit de l'univers,
est la vingt-et-unième Pensée philosophique... C'est, en supposant le mouvement néces-
saire, ce qu'on a jamais dit de plus fort à mon gré sur cette dispute; et, quant à moi,
je déclare que je n'y sais pas la moindre réponse qui ait le sens commun, ni vrai, ni
fau.\, smon de nier comme fau.\ ce qu'on ne peut pas savoir, que le mouvement soit
essentiel à la matière. D'un autre côté, je ne sache pas qu'on ait jainais expliqué par
le matérialisme la génération des corps organisés et la perpétuité des germes: mais il
y a cette différence entre ces deu.x positions opposées, que, bien que l'une et l'autre
me semblent également convamcantes, la dernière seule me persuade. Quant à la pre-
mière, qu'on vienne me dire que, d'un jet fortuit de caractères, la Henriade a été
composée, je le nie sans balancer; il est plus possible au sort d'amener qu'à mon
esprit de le croire, et je sens qu'il y a un point où les impossibilités morales équi-
valent pour moi à une certitude physique. On aura beau me parler de l'éternité des
temps, je ne l'ai point parcourue, de l'infinité des jets, je ne les ai point comptés; et
mon incrédulité, tout aussi peu philosophique qu'on voudra, triomphera là-dessus de
la démonstration même». On remarquera que, dans la Lettre à Voltaire, Rousseau ne
craint pas d'affirmer le caractère sentimental de son attitude : « Je n'empêche pas,
dit-il, que, ce que j'appelle sur cela preuve de sentiment, on ne l'appelle préjugé:
et je ne donne point cette opiniâtreté de croyance comme un modèle: mais, avec une
bonne foi peut-être sans exemple, le la donne comme une invincible disposition de
mon âme, que jamais rien ne pourra surmonter, dont jusqu'ici je n'ai point à me
plaindre, et qu'on ne peut attaquer sans cruauté ». Ici l'argumentation s'efforce de rester
purement rationnelle, mais il est amusant de constater que Rousseau répond â l'ob-
jection de Diderot précisément par la comparaison dont celui-ci vient de montrer le
faible. Il semble que Rousseau ait fini par oublier le contenu propre de la XXI' Pen-
sée philosophique, et qu'il ait porté à l'actif de Diderot l'idée même que Diderot vou-
lait détruire : cf. aux Appendices. V, la Lettre à M. de Franquiéres, 5 11. Dans la
Lettre à Voltaire, la Henriade tenait la place qu'occupe ici l'Enéide, mais le temps
des relations courtoises entre Voltaire et Rousseau est fini. — Il serait trop long de
rappeler ici toute l'histoire de cet argument célèbre, qui se trouve déjà dans Cicéron,
et qui depuis avait fait fortune. Notons seulement que, parmi les livres que Rousseau
avait sous la main, .\ddison et Fénelon le lui offraient très complaisamment exposé :
cf. Spectateur [117], V. 372-375 et Existence de Dieu, l, 74 [114], 36-38; cf. encore
Wollaston, Religon naturelle, V '124, 139-140. Rousseau l'avait repris une
seconde fois dans sa lettre à Vernes du 18 février 1758, X, iSo.
130 REDACTIONS MANUSCRITES
B, f" 128''" Ajoutez que des combinaisons et des chances ne (^ produiront) jamais
que des (^ êtres) de même nature que les élémens combinés, que l'orga-
nisation 5 ne (résulterai point dun jet d'atomes, et qu'un chimiste com-
binant des mixtes ne les fera point sentir et penser dans (''un) creuset *. t
I, p. 180 * Croiroit-on, si l'on n'en a\oit la preuve, que l'extravagance
iiumaine pût être portée à ce point? Amatus Lusitanus assuroit avoir
vu un petit homme long d'un pouce enfermé dans un verre, que
Julius Camillus, comme un autre Prométhée, avoit fait par la science
Alchimique. Paracelse de naturd rerum enseigne la façon de produire
ces petits hommes, et soutient que les Pvgmées, les Faunes, les Satyres
et les Nymphes ont été engendrés par la chymie. En effet je ne vois pas
trop qu'il reste désormais autre chose à faire pour établir la possibilité
de ces faits, si ce n'est d'avancer que la matière organique résiste à
l'ardeur du feu, et que ses molécules peuvent se conserver en vie dans un
fourneau de réverbère.
' [donneront].
^ [produits].
* [et la vie] ne [résulteront].
* [son].
t [.'astérisque, comme la note qu'il amorce, ne se trouve que dans I.
ÉDITION ORIGINALE I3I
oubliez, me dira-t-on ', la quantité des jets; mais de ces jets-là combien
taut-il que j'en suppose pour rendre la combinaison vraisemblable? Pour
moi, qui n'en vois qu'un seul, j'ai l'infini à parier contre un, que son
produit n'est point l'effet du hazard. Ajoutez que des combinaisons & des
chances ne donneront jamais que des produits de même nature que les
élémens combinés -, que l'organisation & la vie ne résulteront point
d'un jet d'atomes, & qu'un Chymiste combinant des mixtes *, ne les
fera point sentir & penser dans son creuset *.
* Croiroit-on, si l'on n'en avoit la preuve, que l'extravagance humaine pût
être portée à ce point ? Amatus Lusitanus * assuroit avoir vu un petit homme long
d'un pouce enfermé dans un verre, que Julius | Camillus, comme un autre Pro- rgg]
méthée, avoit fait par la science Alchimique. Paracelse, de naturd rerum, enseigne
la façon de produire ces petits hommes, & soutient que les Pvgmées, les Faunes,
les Satyres & les Nvmphes ont été engendrés par la chymie. En effet je ne vois
pas trop qu'il reste désormais autre chose à faire pour établir la possibilité de ces
faits, si ce n'est d'avancer que la matière organique résiste à l'ardeur du feu,
& que ses molécules peuvent se conserver en vie dans un fourneau de réverbère *.
' Diderot, loc. cit. : « La possibilité d'engendrer fortuitement l'univers est très
petite, mais la quantité des jets est infinie, c'est-à-dire que la difficulté de l'événe-
ment est plus que suffisamment compensée par la multitude des iets ».
' Cf., aux Append ces, V, dans la Lettre à M. de Franquiéres, \ i3, le déve-
■ loppement humoristique de cette idée.
' Sur les « mixtes », cf., plus haut, p. 44 et note, la définition de Rousseau.
* Toute cette histoire est copiée à peu près mot pour mot dans Saint-Aubin,
Traité de l'opinion, IV, « De la chimie » fM']» '"• 5i9-520 : « La ténacité des alchi-
mistes a été jusqu'à publier et soutenir que, par l'alchimie, on pouvait former un
homme. Amatus Lusitanus a assuré qu'il avait vu un petit homme long d'un pouce
enfermé dans un verre, que Julius Camillus, comme un autre Prométhée, avait fait
par la science alchimique. Cette doctrine insensée et conforme aux dogmes de Para-
celse (De Natura rerum, La Religion du médecin 5 36), qui enseigne la façon de pro-
duire ces petits hommes: et, après plusieurs impiétés et inepties, il soutient que les
Pygmées, les Faunes, les Satyres et les Xymphes ont été engendrés par la chimie*.
Ce récit avait beaucoup frappé Rousseau, puisqu'il y avait déjà fait allusion dans ses
Institutions chimiques [35J. 21 : « Je n'imiterai pas ce chimiste insensé, qui osa entre-
prendre de faire un homme par les opérations de son art ».
* Féraud '25o , III. 473-474 : « Réverbère se dit ordinairement dans cette phrase,
feu de réverbère, appliqué de manière que la flamme est obligée de rouler sur les
matières qu'on expose à son action »; cf., Rousseau, Institutions chimiques, III, i [i],
212 a-b : « On ajoute des dômes à plusieurs fourneaux, soit pour renvoyer exactement
toute la chaleur sur les vaisseaux, soit pour empêcher la fracture par le contact de
l'air froid dans le temps qu'ils sont fort échauftës. Il y a même plusieurs opérations
où le concours immédiat de la flamme est absolument nécessaire; alors on se sert de
certains dômes ou réverbères particuliers le long desquels la flamme se replie, se
réfléchit et vient lécher les matières et leur communiquer la couleur ou d'autres
qualités qu'elle ne peut recevoir que d'elle ».
132 REDACTIONS MANUSCRITES
F, f" 159 ™ ' Souvenez-vous, mon bon ami, que ceci n'est (^ point) un raison-
nement pour les philosophes c'est celui de ma conscience et ('je n'y
trouve rien qui le puisse réîuter).
[(Vous me demanderez comment) je juge de l'ordre du monde
r-iquoi que j'en ignore la lîn. Parce que pour juger de cet ordre
il me suffit de comparer les parties entre elles, d'étudier leurs
concours leurs raports -'et d'en ''admirer le concert. ['Et] j'ignore
pourquoi l'univers existe. Mais je ne laisse pas d'appercevoir par
quelle -admirable correspondance (toutes) les '-'parties qui le com-
posent se prêtent un secours mutuel. '" Mon ignorance et ma
îoiblesse me laissent ignorer les (plus) grands accords de cette
harmonie ; mais ceux qui sont vus suffisent pour me faire juger
des autres].
fo iQQ ro II [Je suis comme un homme (à) qui (^'l'on montreroit) «pour
la première fois » une '- montre ouverte, et qui ne laisseroit pas
d'en admirer l'ouvrage, 'Me raport et le jeu des pièces quoiqu'il ne
connut pas l'usage de la machine et qu'il n'eut '^jamais vu le
cadran. Je ne sais ^-'pas diroit-il à quoi le tout est bon, mais je
"■sais bien que chaque pièce est faite pour les autres ''et j'admire
'<* l'habileté de l'ouvrier dans le détail de son ouvrage et je
' B. < Souvenez-vous.... puisse réfuter >.
■ [pas\
' [pour apprécier leurs fargumens) sillogismes (?) je me fie à elle plus qu'à
ma raison;.
* (parce).
^ B. < et >.
''' B. (admirer) '(observer) remarquer].
■ (Quoi). — B. < Et >.
" B. (admirable) [intime].
" B. (parues) [éires].
'" B. < mon ignorance.... des autres >.
" [verroit].
'- (pe NDULE ?).
'^ B. < le raport et le jeu des pièces >.
'■' B. point.
'■^ B. < pas >.
"^' B. vois que.
'• B. < et >.
"* B. < l'habileté de >.
EDITION ORIGINALE I33
[Le développement, qui, dans F, vient se placer ici. a
déjà passé dans Pédition originale, p. 55-55].
134 REDACTIONS MANUSCRITES
' sais bien que tous ces rouages ne marchent -que pour une
fin commune ^quoiqu'il me soit impossible de l'appercevoir].
fo 159 ™ Il J'ai lu Nieuventit avec surprise et presque avec scandale.
Comment cet homme a-t-il pu « vouloir » (* écrire) un livre des
merveilles de la nature qui montrent '•" la sagesse de son auteur.
Son livre seroit aussi gros que le monde qu'il n'auroit pas épuisé
son sujet. '^ Voyez cette herbe qui monte en graine auprès de vous,
les ailes de duvet attachées autour de sa tête ronde ' ne sont peut être
rien à vos yeux et moi je vois (" une main) intelligente tracer au compas
cette tête sphérique (et) coller avec soinj ce duvet sur chaque graine
puis [à leur maturité souffler sur la terre (' pour) semer (le tout)
au loin. Cette autre graine n'a point de duvet me direz-vous, je le
f° 160 ''° crois bien, les semences peuvent prendre racine et H croître l'une à
côte de l'autre les îeuilles ne s'étendent pas de même sur la terre,
et ne s'étouffent pas mutuellement. Telle bagatelle frape un homme
et n'est pas sensible à d'autres, i"mais chacun [de nous, ('i trouveroit)
' B. suis bien sur que.
^ B. ainsi de concert.
' B. (quoi) qu'il (me soit) [m'est] impossible (de la connoitre) [d'appercevoir].
' [faire].
" (les).
" B. < Voyez cette herbe.... qu'un insensé > et (dès) sitôt qu'on veut
(par là ?) entrer dans les détails la plus grande merveille échape qui est l'har-
monie et l'accord du tout. [La seule génération des « » corps » b organisés est
(f un) abîme (d'étonnement pour) l'esprit humain ; «(et) la barrière » [insurmon-
table] « que la nature a mise entre les [diverses] espèces afin qu'elles ne se
confondissent pas » montre (« '' son ») intention avec (e une) évidence (dont
il m'est impossible de n'être pas frapé). Elle ne s'est pas contentée d'établir
l'ordre elle a pris des mesures certaines pour (i qu'il ne put être troublé)].
a) [(cspécesi].
b) [vivans et].
e) [r] abîme [de].
d) {mieux) [lune) ses] intention[s].
e) [la dernière].
f) [que rien ne le put troubler]. — M. ne put le.
' (pour porter chaque graine au loin).
' [un être].
' [pour le].
'" [(mais du moins nous ?... sont encore en nombre infini sur la terre)].
" [fera].
EDITION ORIGINALE I35
J'ai lu Nieuventit * avec surprise, & presque avec scandale ^. Comment
cet homme a-t-il pu vouloir faire un livre des merveilles de la Nature,
qui mon- | trent la sagesse de son Auteur? Son Livre seroit aussi gros [59]
que le monde, qu'il n'auroit pas épuisé son sujet i; & si-tôt qu'on veut
* L'Existence de Dieu démontrée par les merveilles de la \ature, en trois
parties, où l'on traite de la structure du corps de l'homme, des Elemens, des Astres
et de leurs divers effets [122], traduction française, d'après la version anglaise, du
livre que le médecin hollandais, Bernard Nieuwentyt, avait publié en 1716 (Met recht
gebruick der "H^ereldbeschouwingen ter overtuiginge van Ongodisten en Ongelo-
vigeni. Rousseau a choisi ce livre comme étant le plus représentatif et le plus estimé
parmi les ouvrages analogues, traduits en français, que la première moitié du
XVlir siècle avaient vu paraître si nombreux, et qui détaillaient par le menu l'argu-
ment des causes finales. Cf., par exemple, Ray, L'existence et la sagesse de Dieu ma-
nifestée dans les œuvres de la création, 1714 ;ii6], Derham, Théologie physique, 1726
[i23]. Théologie astronomique, 172g 'i29'''s], Fabricius, Théologie de l'eau, 1741 fi63j,
Lesser, Théologie des insectes, 1742 [idb], etc. La traduction française de Nieuwentyt,
qui avait paru en 1725, avait déjà été rééditée trois fois. Sur le succès de tous ces
philosophes édifiants, cf. l'Avertissement du Libraire à la Théologie de Fabricius
[i63], p. VII, les remarques de Fréron sur le poème de Dulard, La Grandeur de Dieu
dans les Merveilles de la Sature, 175g [45 , 11, 277-281, et D. Mornet, Les Sciences de
la Nature, I, 3 '289], 2g-33. — Voltaire se moquera beaucoup du docte médecin hollandais,
qu'il appellera «ce bavard impertinent» (Histoire de Jenni 'j'i], XXI, 554I; il sera
comme Rousseau, « scandalisé » et agacé par ce cause-finalier trop zélé (cf. ses anno-
tations à l'Existence de Dieu '"V^, XXXI, i35-i5o), mais il parlera de son œuvre avec
une certaine considération comme d'un bon « antidote » contre l'athéisme (Prix de la
justice et de l'humanité [73], XXX, 56i). Déjà, avant Rousseau, Diderot avait fait à
Nieuwentyt l'honneur de le ranger en compagnie de Newton parmi les grands savants
modernes qui avaient fourni les premiers « des preuves satisfaisantes d'un être souve-
rainement intelligent» 1 Pensées philosophiques J77], i33); et l'on peut se rendre
compte de la réputation qu'il conserva durant tout le XVIII" siècle par le résumé qu'en
donne encore Chateaubriand dans le Génie du Christianisme, I, v, 3. Quanta Rousseau,
non seulement « il avait lu Nieuwentyt », cf. Verger des Charmettes, VI, 5, mais il
le faisait lire à ses élèves : cf. Mémoire présenté à M. Dupin "2g], 410.
^ A l'époque où Rousseau rédigeait la Profession de foi, on commençait, même
parmi les philosophes sincèrement déistes, à se lasser et à se « scandaliser » de cette
physique théologique et infatigablement téléologique. « C'est un sujet usé, disait
en 1760 un rédacteur du Journal encyclopédique, 1" Février [46^, 5g; il n'y a pres-
que aucun physicien qui n'ait analysé les diflérentes parties de la nature pour y faire
voir partout la main du Créateur. Il s'en est même trouvé qui, peu délicats sur le
choix des preuves de son existence, ont cité pour la prouver les plis de la peau du
rhinocéros, sans considérer que ces minuties indécentes scandalisent toujours les
esprits frivoles. Il doit en être de toutes les spéculations sur la Divinité comme du
culte; on ne saurait y mettre trop de grandeur et de dignité ».
' Ici, dans la Première Rédaction, Rousseau avait inséré quelques remarques sur
les précautions prises par la Nature pour protéger les graines de certaines plantes. On
pourrait y discerner peut-être, comme il le dit lui-même, « le tour d'esprit » d'un
136 REDACTIONS MANUSCRITES
quelque observation conforme à son tour d'esprit, j En un mot s'il
se trouve jamais un seul homme raisonnable qui sincèrement et de
bonne ^koi, nie « après» avoir réfléchi sur les ouvrages de la
nature d'y (-voir) une intelligence démontrée, ' jeune homme ne
mécoutez plus, je ne suis qu'un insensé, f
' bonne nie Isic).
- [reconnoitre].
' (et).
t Ici, en marge, le canevas d'un développement qui n'a pas été' fait,
mais qui semble avoir été utilisé dans B icf. plus haui.f° i2j''°i : et le
cours du soleil et le vol de la mouche, et la mousse rempanie et la
majesté du cèdre.
t Ici, dans le manuscrit, un signe de renvoi, et à côté : retourner
au cahier.
EDITION ORIGINALE I37
entrer dans les détails, la plus grande merveille échappe, qui est l'har-
monie & l'accord du tout -. La seule i;éneration des corps vivans &
organisés est l'abvme de l'esprit humain '^: la barrière insurmontable que
futur botaniste: mais ces considérations étaient classiques; cf. Derliam, Théologie
physique. X ['^3], 58o : « Dans cette vue, la Nature] a garni quelques graines d'une
espèce de duvet léger, ou d'aigrettes qui leur servent comme d'ailes, pour pouvoir
être emportées par le vent. 11 y en a d'autres qui sont renfermées dans des capsules
élastiques, dont le ressort les écarte, et les jette à des distances convenables, faisant
en cela l'ofKce d'un bon laboureur ». Cf. encore Ray, Existence de Dieu [116],
122-123, Pluche [137], 11, 479 sqq. Rousseau a sacrifié ce développement, trouvant sans
doute qu'il ne fallait point reprocher à Nieuwentyt d'accumuler les observations de
détail, pour en apporter lui-même.
' Déjà Pluche avait déclaré que « les gros volumes qu'on fait pour prouver
l'existence de Dieu... sont des discours en quelque sorte injurieux aux lecteurs ». et
il avait invité les siens à surtout admirer dans le « Spectacle de la Nature » « l'unité
de dessein » [137], II, 469-473. De même Abbadie, I, 16 [92], I, 98, montrait la plus
« grande merveille » de l'univers dans la « subordination », les « rapports » et les
« proportions » des différents éléments qui composent cet admirable tout ». Rousseau
s'était depuis longtemps assimilé cette idée, et l'avait reprise pour son compte dans un
chapitre de ses Institutions chimiques, intitulé « Le Mécanisme de la Nature » [35].
18 : « J'entends tous les hommes vanter la magnificence du spectacle de la nature,
mais j'en trouve fort peu qui la sachent voir. Sur nos théâtres d'opéra, l'un admire la
beauté des voix, l'autre celle des décorations, l'autre celle des artistes; celui-ci n'écoute
que la musique, un autre ne s'occupe que du sujet; et ceux qui se bornent à consi-
dérer les rouages, les cordes et les poulies ont encore trop à faire, s'ils en veulent
embrasser la mécanique tout à la fois. Enfin, chacun donne son attention à un objet
particulier: rarement se trouve-t-il quelqu'un qui juge le tout sur chacune des parties
rassemblées et comparées. C'est ce qui arrive encore plus communément sur le
théâtre de la nature, non pas au peuple, car il admire sans savoir quoi, mais aux
philosophes mêmes... Des papillons, des mouches sont capables d'épuiser les lumières
et les recherches du plus laborieux physicien. Mais si chaque partie, qui n'a qu'une
fonction particulière et qu'une perfection relative, est capable de ravir d'étonnement
et d'admiration ceux qui prennent la peine de la considérer comme il faut, que serait-
ce de ceux qui connaîtraient les rapports de toutes les pièces et qui jugeraient par là
de l'harmonie générale et du jeu de toute la machine » ?
' C'était du moins l'une des questions les plus discutées parmi les « physiciens»
du X\'I11« siècle. Il est inutile d'exposer ici les différents systèmes de Leuwenhœck.
Hartsœker, Buffon, Maupertuis. Bonnet, etc. On en trouvera le résumé plaisant fait par
Voltaire dans L'//omme aux quarante écus '73], XXl, 334-339, qui est postérieur de six
ans à la Profession, et qui montrera combien le mystère de la Vénus physique, pour
employer l'expression de Maupertuis [172], intéressait alors le grand public. L'Enc\--
clopédie est d'accord avec Rousseau sur ce point ; et le rédacteur de l'article Génération
[224], 56o a. M. d'Aumont, admire comme lui cette « grande merveille » inexpliquée :
« Cette disposition qui commence, entretient et finit la vie dans les êtres organisés,
est sans doute un ouvrage bien merveilleux; mais, quelque étonnant, quelque admi-
rable qu'il nous paraisse, ce n'est pas dans la manière dont existe chaque individu
qu'est ta plus grande merveille, c'est dans la succession, dans le renouvellement et
dans la durée des espèces, que la nature parait tout à fait inconcevable, qu'elle pré-
sente un sujet d'admiration tout opposé ; dans cette vertu procréatrice, qui s'exerce
138
REDACTIONS MANUSCRITES
EDITION ORIGINALE 139
la Nature a mise entre les diverses espèces afin qu'elles ne se confon-
dissent pas, montre ses intentions avec la dernière évidence. Elle ne s'est
pas contentée d'établir Tordre, elle a pris des mesures certaines pour que
rien ne pût le troubler *.
perpétuellement sans se détruire jamais; dans cette faculté de produire son semblable
qui réside dans les animaux et dans les végétaux, qui forme cette espèce d'unité tou-
jours subsistante. C'est pour nous un mystère, dont on a si peu avancé jusqu'à
présent à rendre la profondeur, que les tentatives les plus multipliées semblent
n'avoir servi qu'à convaincre de plus en plus de leur inutilité ». On remarquera que
Rousseau et d'.\umont présentent tous deux comme solidaires le problème de la géné-
ration et le problème des espèces. Dans ses Institutions chimiques [35], 20, Rousseau
s'était déjà arrêté à ce double mystère comme à un témoignage en faveur de Dieu :
« Cet abîme de la génération, dans lequel les philosophes se sont si longtemps perdus,
est encore aujourd'hui le désespoir des incrédules; la construction d'un corps
organisé par les seules lois du mouvement est une chimère, qu'on est contraint
d'abandonner à ceux qui se payent de mots. Et, s'il y eût jamais d'hypothèse qui dût
passer pour une vérité constante, c'est sans doute celle des germes infinis, au moyen
desquels la nature, par de simples développements et un accroissement progressif,
dont le mécanisme ne passe pas entièrement les bornes de nos lumières, peuple suc-
cessivement la terre des êtres que son .auteur a tous créés avec elle ». Dans la
III' Lettre à Sophie "25\ 154, il avait encore fait allusion à la théorie de Bufl'on : « Le
Pline de notre siècle, voulant développer le mystère de la génération, s'est vu forcé
de recourir à un principe inintelligible et inconciliable avec les lois de la mécanique
et du mouvement ». Cf. encore Turrettin, Pensées, III fiôi], 3o6.
* On a vu par la note précédente que Rousseau, à l'époque des Institutions
chimiques, était déjà un partisan décidé de « l'immutabilité des espèces ». Le mot est
de Voltaire, qui n'avait pas. lui non plus, le plus léger doute sur la question, et je
l'emprunte à un ouvrage que Rousseau avait dû lire, les Éléments de la philosophie
de Newton, I, 7 [i53], 429-431. Rousseau trouvait dans le Spectacle de la Sature,
[137]. Il, 474-475, des considérations analogues à celles qu'il présente ici : « L'unité du
principe créateur de toutes choses, disait Pluche, est encore plus sensible dans la
propagation des plantes et des animaux. Puisque chaque espèce d'animal et de plante
se perpétue toujours dans toute la suite des siècles avec la même figure et avec les
mêmes propriétés, chaque espèce a donc été formée sur un plan particulier; et
l'unité du plan nous ramène nécessairement à l'unité de l'mtelligence qui l'a formé.
Toutes ces espèces dont le nombre et la diversité sont un véritable prodige con-
courent encore à nous faire connaître l'unité de leur auteur par l'unité du moyen qui
les perpétue toutes ». D'ailleurs la majorité des philosophes, même déistes, ne
contestaient point encore ce principe. Seuls Diderot et les quelques « transformistes »,
auxquels Rousseau a fait allusion plus haut, se refusaient à parler, non seulement de
« barrière entre les espèces », mais même de « confins des règnes » ; et ils se
demandaient « s'il est permis de se servir du terme de confins 0(1 il n'y a aucune
division réelle » (Interprétation de la nature, XX '210], i5). Cf. Panckouke, De
l'homme et de la reproduction des différents individus, texte cité dans le Journal
encyclopédique du i5 Avril 1761 [46], 19-21 : « Tous les êtres ne composent qu'une
longue chaîne qui descend par degrés de l'animal le plus composé à celui qui
l'est moins, de celui-ci à un autre qui l'est encore moins, car les individus qui
Se suivent dans cette chaîne n'ont entre eux que de légères différences Les
bornes qui séparent le règne végétal du règne minéral ne sont pas plus marquées », etc.
140 REDACTIONS MANUSCRITES
B f° 128 ■■" " " '•' ^ P'^^ "-"^ ^'^'"2 dans l'univers qu'on ne puisse à quelque ét^ard
ret;arder comme le centre commun de tous les autres, autour duquel
ils sont tous ordonnés: en sorte qu'ils « 'sont » tous réciproquement
fins et moyens les uns (^par raport) aux autres. L'esprit se confond et se
perd dans cette infinité de raports dont pas un n'est [confondu m] perdu
f 129 '''^ dans la foule. || Que d'absurdes suppositions pour déduire (toute cette
harmonie) de l'aveugle mécanisme de la matière mue -M'ortuitement *.
Ceux qui combattent l'unité d'intention qui se manifeste dans ^ les raports
(Si bien concertés) [de toutes '^ les parties] de ce grand tout ont beau couvrir
leur galimathias, d'abstractions, ' de (» propositions générales 1 et d'un jargon
de métaphysique, quoiqu'ils fassent il m'est impossible de concevoir un
sistême d'êtres si constamment ordonnés, que je ne conçoive une
("volonté! qui l'ordonne. 1° Il ne dépend pas de moi de croire que la
matière morte a pu produire des êtres vivans et sentans, qu'une fatalité
aveugle a pu produire des êtres intelligens, que ce qui ne pense point
{0 128 ^'° ^ P"^' produire des êtres qui pensent. || [Quelque inconcevable que soit à
l'esprit humain le mécanisme de la nature, sitôt qu'un philosophe se mêle
de l'expliquer, il doit dire des choses que les hommes entendent], j
F, f*^ 160 "■' t [Souvenez vous toujours que je n'enseigne point mon sentiment
je l'expose].
' [(semblent être)].
- [relativement]. — I. par raport.
■' M. < fortuitement >. — I. < fortuitement >.
"* [tous ces raports si justement combinés].
^ M. le concert.
" M. < les >.
' I. [de coordinations,] de principes généraux (et d'un) de termes (siste-
matiques) [emblématiques].
" [théorèmes généraux].
'■' [intelligence].
'" (Qu'on me puisse dire).
t La fo?-?7iule avait déjà serri plus haut, 'B. f" 126"°, et c'est là
finalement qu'elle restera.
t Cette parenthèse marginale a été reportée dans B et les autres
Rédactions au début du paragraphe suivant.
EDITION ORIGINALE I4I
11 n'v a pas un être dans l'L'nivers qu'on ne puisse, à quelque égard, [60]
regarder comme le centre commun de tous les autres, autour duquel ils
sont tous ordonnés, en sorte qu'ils sont tous réciproquement fins &
moyens les uns relativement aux autres. L'esprit se confond & se perd
dans cette infinité de rapports, dont pas un n'est confondu ni perdu dans
la foule. Que d'absurdes suppositions pour déduire toute cette harmonie
de l'aveugle méchanisme de la matière mue fortuitement! Ceux qui nient
l'unité d'intention qui se manifeste dans les rapports de toutes les parties
de ce grand tout, ont beau couvrir leurs galimathias d'abstractions, de
coordinations, de principes généraux, de termes emblématiques '; quoi-
qu'ils fassent, il m'est impossible de concevoir un système d'êtres si cons-
tamment ordonnés, que je ne conçoive une intelligence qui l'ordonne.
11 I ne dépend pas de moi de croire que la matière passive & morte a pu rgl]
produire des êtres vivans & sentans, qu'une fatalité aveugle a pu produire
des être s (^i intelligens, que ce qui ne pense point a pu produire des êtres
qui pensent '.
(»( Édition originale : être : C, D : êtres.
' Je ne crois pas qu'il faille chercher derrière cette formule une allusion précise.
Les variantes des manuscrits nous montrent qu'il faut plutôt y voir un équivalent de
« principes généraux » et de « termes systématiques ». Rousseau semble songer de
nouveau à ces grands mots du « {argon métaphysique », qu'il a essayé de dégonfler
plus haut, p. 52 : « force universelle », « mouvement nécessaire », etc.
' Cette conclusion partielle, est, comme nous l'avons vu plusieurs lois, un
retour complaisant en arrière sur une idée déjà e.-çprimée, mais dont il ne lui semble
pas avoir suffisamment convaincu son lecteur : l'impossibilité d'admettre l'organisation
fortuite du monde. Ce développement a, d'ailleurs, été ajouté au texte primitif, et il
suffit d'en regarder la première rédaction pour s'apercevoir que Rousseau avait repris,
comme d'instinct, les formules dont il s'était servi plus haut, p. 5o-54 : « jargon de la
métaphysique », « quelque inconcevable que soit à l'esprit humain, etc. ». En revisant
soigneusement son texte, il a supprimé ces répétitions de mots, mais non la répétition
des idées.
142 RÉDACTIONS MANUSCRITES
' Le monde est -donc gouverné par une ^intelligence puissante
et sage, je le vois, ou plus tôt je le sens, et cela mimporte à savoir.
Mais ce ■'même monde est-il éternel ou crée, ''y a-t-il un principe
unique des choses, v en a-t-il deux ou plusieurs [el quelle
est leur naturej ? Je n'en sais rien, (^ mais) que m'importe, a
mesure que ces connoissances me deviendront "intéressantes, je
"m'efforcerai de les acquérir; f jusques là je !" renonce àj des
questions oiseuses qui peuvent inquiéter '" (ma vanité) mais
qui « sont » ( '' au dessus de ma raison, et) inutiles à ma
conduite ^-.
B f" 128'" [*'^Que la matière soit éternelle ou créée qu'il y ait un principe
passif ou qu'il n'y en ait point, toujours est il certain que i^ tout lest
'■'ordonné pan une intelligence unique; car je ne vois rien (dans "'la
nature des choses « qui se démente ») [qui ne soit ordonné dans le même
' B. [« Je crois donc » que].
-' B. (donc).
■' B. (intelligence) [volonté].
■* M. < même >.
^ B. (y a-t-il... nature) [un principe passif des choses e.xiste-t-il par lui-
même ou si tout doit son existence à l'unique principe actif?].
" [et].
' B. (utiles) [intéressantes].
" B. (m'efforcerai) [tâcherai].
•' (laisse).
'" [mon amour propre].
" (inutiles à).
'- [et supérieures à ma raison].
'^ B. Souvenez-vous toujours que je n'enseigne point mon sentiment, je
l'expose.
'■' [le] tout [est un et (obéit à) annonce].
'■'' [( « gouverné » dirigé)].
'" [(la marche des « l'ordre des choses » par ?... choses)].
t Ici. en marge, l'indication suivante, gui n'a pas été utilisée
J'ignore si cette intelligence à isici eu [un] commencement^mais.
EDITION ORIGINALE I43
Je crois donc que le monde est gouverné par une volonté puissante
& sage; je le vois, ou plutôt je le sens, & cela m'importe à savoir : mais
ce même monde est-il éternel ou créé? Y a-t-il un principe unique
des choses? Y en a-t-il deux ou plusieurs -, & quelle est leur nature? Je
n'en sais rien; & que m'importe? A mesure que ces connoissances me
deviendront intéressantes, je m'efforcerai de les acquérir; jusques-là je
renonce à des questions oiseuses qui peuvent inquiéter mon amour-
propre, mais qui sont inutiles à ma conduite & supérieures à ma raison ^.
Souvenez-vous toujours que je n'enseigne point mon sentiment, je
l'ex- I pose. Que la matière soit éternelle ou créée, qu'il y ait un principe [62]
passif ou qu'il n'v en ait point, toujours est-il certain que le tout est un.
& annonce une intelligence unique; car je ne vois rien qui ne soii
ordonné dans le même système, & qui ne concoure à la même fin, savoir
' .M. de Beaumont avait feint de ne pas comprendre ce passage, et d"v voir une
profession d'indifférence par rapport à « l'unité de Dieu » ou « la multiplicité des dieux »
iMandement, 111, 5o-5ii. Rousseau n'eut pas de peine à montrer que cette interpré-
tation était un peu abusive. Lettre à M. de Beaumont, III, 78-80 : « Celui qui
ne connaît que deux substances ne peut non plus imaginer que deux prin-
cipes; et le terme, ou plusieurs, ajouté dans l'endroit cité, n'est là qu'une espèce
d'explétif, servant tout au plus à faire entendre que le nombre de ces principes n'im-
porte pas plus à connaître que leur nature » (p. 79, note). Une des rédactions de It
aurait pu. du reste, dissiper toute équivoque : « Un principe passif des choses existe-
t-il par lui-même, ou si tout doit son existence à l'unique principe actif » ? .Mais la
formule imprimée est, à elle seule, très intelligible. La question qui la précède : « Ce
même monde est-il éternel ou créé », la question qui la suit : « qu'il y ait un principe
actif ou qu'il n'y en ait point », font assez comprendre qu'il s'agit ici d'amorcer le
problème de l'éternité ou de la création de la matière, problème qui sera traité moins
brièvement p. 93-94. H faut reconnaître qu'on se serait attendu à la discussion immé-
diate de cette idée de création. Quand on la retrouvera plus loin, dans des considéra-
tions sur les attributs de Dieu, elle causera alors une surprise, car on pouvait la
considérer comme close : et les quelques mots qui lui sont consacrés ici pouvaient
paraître suffisants, du point de vue de la pratique, qui est toujours le point de vue
du V'icaire.
' « Le bon prêtre, dit Rousseau commentant ce passage (Lettre à M. de Beau-
mont, m. 791, demeure indécis et ne se tourmente point d'un doute de pure spécu-
lation, qui n'influe en aucune manière sur ses devoirs en ce monde: car enfin que
m'importe d'expliquer l'origine des êtres, pourvu que je sache comment ils subsistent,
quelle place j'y dois remplir, et en vertu de quoi cette obligation m'est imposée »! —
Ces formules d'indift'érence spéculative reviennent comme un refrain dans la Profession
après chaque discussion intellectuelle: elles en font oublier la banalité, et donnent à
l'ensemble du discours son accent personnel.
144 REDACTIONS MANUSCRITES
1 sistême] « et qui ne concoure à » - la même fin [^ savoir la conservation
du tout^]].
F f^ 160 "■ ' t Cet être [qui veut et qui peut cet ètre| actif quel qu'il soit
qui (''gouverne) l'univers et (''préside à) toutes choses je l'appelle
Dieu. (Connois-je mieux par ce mot « l'essence de » l'être qu'il
réprésente. Non). "Ce (""mot n') exprime (lue) les idées [de puis-
sance •' et de volontéi que j'ai rassemblées '" ("dans mon esprit et
n'exprime rien de plus '-'. Je sais que Dieu est l'auteur de mon
existence et de celle de tous les êtres), il ''échape également à mes
sens et à mon entendement. Plus j'y pense plus je me confonds,
je sais très certainement qu'il existe, ('^ mais quelle est son essence
est-il 1 ' (corps ou) matière ou ne l'est-il pas, le monde lui-même est-il
dieu). Je saisi que mon existence est subordonnée à la sienne
et "l'ouvrage de sa volonté et de sa puissance ; [je saisj que toutes
[les] choses [qui me sont connuesj sont absolument] dans le même
' I. s(i)[y]stême.
- (la conserva tion).
^ I. < savoir la conservation du toul dans l'ordre établi >.
^ B. par lui-même, cet être enfin. — I. < par lui-même, cet être enfin >.
■' [meut].
" [ordonne].
' B. Je joins à ce nom les idées [d'intelligence] de puissance.
" [nom].
" M. < et >.
'" B. [et celle de bonté qui en est une suite nécessaire].
" [mais je n'en connois pas mieux (l'essence de) l'être auquel je l'ai donné] ;
(un mot).
'- [(et ne détermine rien encore)].
'■■' I. (échape) [se dérobe].
" B. [et qu'il existe par lui-même].
'^ [esprit].
'° B. < l'ouvrage de... je sais >.
t Ici, en marge, quelques phrases d'amorce, inachevées et inutilisées :
Est antérieur (aux choses) a tout (il est donc éternel). Ce qui a commencé
de (coexistence et qui) il est donc éternel. Car le néant [n'ayant aucune
ressource ?] n'a nulle force [connue?] pour donner l'existence à rien.
EDITION ORIGINALE 145
la conservation du tout dans l'ordre établi. Cet Etre qui veut & qui
peut, cet Etre actif par lui-même; cet Etre, enOn, quel qu'il soit, qui
meut l'Univers & ordonne toutes choses, je l'appelle Dieu i. Je joins
à ce nom les idées d'intelligence, de puissance, de volonté que j'ai
rassemblées, & celle de bonté qui en est une suite nécessaire ; mais je n'en
connois pas mieux l'Etre auquel je l'ai donné ; il se dérobe également à
mes sens & à mon entendement; plus j'y pense, plus je me confonds : je
sais très-certainement qu'il existe, & qu'il existe par lui-même; je sais
que mon | existence est subordonnée à la sienne, & que toutes les choses [63]
qui me sont connues sont absolument dans le même cas. J'apperçois
Dieu par-tout dans ses œuvres, je le sens en moi, je le vois tout autour
de moi : mais si-tôt que je veux le contempler en lui-même, si-tôt que
je veux chercher où il est, ce qu'il est, qu'elle est sa substance, il
m'échappe, & mon esprit troublé n'apperçoit plus rien i.
' Cf. Buffier. Premières Vérités, 465 [120", II, 67 : « Il est donc une intelligence
qui est la cause de cet ordre. Cette cause intelligente, supérieure à tout l'Univers
et à tout homme, et qui les a faits ce qu'ils sont, est ce que j'appelle Dieu ».
' Quelques pages avant la Profession de foi. II, 226, Rousseau avait déjà dit.
en des termes presque identiques, comme si ['Emile et la Profession avaient été
composés séparément et devaient avoir des destinées distinctes : < L'Etre incom-
préhensible qui embrasse tout, qui donne le mouvement au monde et forme tout le
svstème des êtres, n'est ni visible à nos yeux, ni palpa'ole à nos mains, il échappe à
tous nos sens : l'ouvrage se montre, mais l'ouvrier se cache. Ce n'est pas une petite
affaire de connaître enfin qu'il existe; et, quand nous sommes parvenus là, quand
nous nous demandons quel est-il r' où est-il? notre esprit se confond, s'égare et nous
ne savons plus que penser ». — Ici s'arrête — provisoirement — dans le texte définitif,
l'analvse sommaire des attributs de Dieu; elle sera reprise, p. 92 sqq. Dans la Pre-
mière Rédaction, elle continue quelque temps encore, mais pour recommencer aussi
plus loin. On pourrait être étonné de ce morcellement, si nous n'avions déjà vu
que, chez Rousseau, l'allure de la discussion est parfois sinueuse, et qu'il revient
volontiers sur des questions qu'il semblait avoir épuisées. On voit cependant pour
quelles raisons il a préféré fractionner ce développement sur la nature divine. Au
point où il en est arrivé, il n'a encore découven que « les attributs par lesquels il
connaît l'existence de Dieu »; c'est seulement quand il aura résolu le problème de
la liberté et de l'immortalité, c'est-à-dire quand il aura étudié les rapports de Dieu
avec l'homme et « ceux de ses attributs qu'iV lui importait de connaître » (p. 921, que
Rousseau pourra dire tout ce qu'il pense de Dieu ; cf., plus bas, p. 68, note 2. — On
aura remarqué dans la Première Rédaction, 1^ 160". que Rousseau semble s'arrêter un
instant à l'hvpothèse d'un Dieu qui se confondrait avec le monde. Il la repoussera plus
loin, p. 92 : « La suprême intelligence qui régit le monde n'est plus le monde même ».
10
146 RFDACTIOXS MANUSCRITES
cas 'car je vois clairement que chaque chose (-existe) pour le tout
et que le tout est un et resuite d'un seul et même sistême. J'apperçois
Dieu par tout dans ses œuvres , je le sens en moi je le vois tout
autour de moi, ('et quand je veux 'savoir) '■ce qu'il est, où il est
quelle est "^ sa substance il m'échape et mon esprit troublé n'ap-
perçoit plus rien.
j('Je 8 ne le connoitrai jamais par son être. Je ne puis donc
l'étudier que par ses attributs, et ces attributs eux mêmes n'ont
point leur idée juste dans mon entendement. Je ne peux pas même
le bien concevoir par ses attributs 'car '"comment les concevrai-je j
autrement ("qu'en les comparant aux facultés) humaines). [Jamais
induction ne fut (tirée) plus légitimement '-% jamais on n'a plus
raisonablement conclud de ce qu'on aperçoit à ce qu'on n'apperçoit
pas], t '^ L'homme est intelligent quand il raisonne, et la suprême
' B. (car je vois clairement que même sistême).
- [est faite].
' [mais sitôt que je veux le contempler lui-même, sitôt que je veu.\]. —
B. [en] lui-même. — I. en lui-même, Imon) sitôt.
* [chercher].
^ B. où il est. ce qu'il est, et.
■■' B. « sa substance » [(son essence.,, sa nature)].
' B. < Je ne le connoitrai... qu'on n'aperçoit pas >.
" (le|.
'■' (Je ne puis... Pour connoitre... juger).
'" (pour en juger il faut que).
" [que par des notions purement].
■= [tirée].
'^ B. Dieu est intelligent; mais comment l'est-il ? L'homme.
t Ici, dans l'interligne, l'indication suivante : pénétré + ci après.
C'est un renvoi au développement que l'on lira plus loin,/" 160 >'" :
Pénétré de mon insuffisance, développement qui vient en effet se placer
ici dans B et les autres Manuscrits. — D'autre part, Rousseau a écrit
en marge : Transposer, )iote qui correspond à celle du f^> i63"" : Rétro-
gradez trois feuillets.
t Par suite de la transposition indiquée par Rousseau (cf. note
précédente), le texte de B et des autres Afanuscrits correspondant au texte
de F qui commence ici, est reporté beaucoup plus loin, comme dans
l'édition originale : B, f" 143''": M, p. 36; I. p. 206.
EDITION ORIGINALE I47
[Le développement sur les attributs de Dieu qui, dans F,
vient se placer ici, a été reporté dans l'édition orii;inale,
p. 94-96].
148 RÉDACTIONS MANUSCRITES
intelligence n'a pas besoin de raisonner. 11 n'y a pour elle ni
f° 160 '" prémice ni conséquence || il n'y a pas même de proposition. [' Elle
comprend à la fois (toutj ce qui est (et) [tout] ce qui peut être].
-Toute (la) vérité (des choses est comprise pour) elle (Mans) une
seule idée comme tous les lieux ('dans) un [seul] point et tous les
tems (dans) un [seul] moment. La puissance ^ de l'homme agit
par des moyens, la puissance '"'de Dieu 'n'agit que par elle même,
8 il peut parce qu'il veut. Sa volonté fait son pouvoir. Dieu est bon
rien n'est plus manifeste : Mais « f la bonté dans l'homme est
l'amour de ses semblables, '^ la bonté » '"dans « Dieu est l'amour
de l'ordre » [car c'est par l'ordre qu'il (*i donne à) ce qui existe
(toute l'existence qu'il peut avoir) et lie chaque partie avec le tout].
[Dieu est juste. J'en suis convaincu. L'injustice des hommes est leur
œuvre et non pas la sienne. Le desordre moral qui dépose contre
la providence aux veux des ('-hommes) ne fait que la démontrer
aux miens. Mais la justice '^humaine est de rendre à chacun ce
qui lui apartient et la justice de Dieu '* est '-'de redemander à
' B. Elle est purement intuitive, elle voit également tout ce qui est et tout.
- toute [s les] vérité [s ne sont pour].
' [qu-].
^ B. (La).
■'' B. humaine.
" B. divine.
' B. (n') agit par.
" B. Dieu.
" B. et.
"> de.
" [maintient].
'^ [philosophes].
" B. de l'homme.
'* B. de demander compte à chacun.
'•■ (la mot illisible).
t Celte tnaxime : la bonté... l'amour de l'ordre, avait d'abord été
notée en marge, au verso du f" précédent.
ÉDITION ORIGINALE 149
150 REDACTIONS MANUSCRITES
chacun compte de ce qu'il lui a donné, f ' Ainsi plus je (* m'efforce
de) contemple(r) Dieu dans ses attributs moins je le conçois, mais
moins je le conçois et plus je l'adore. (^ J')humilie (ma vaine
raison) * devant lui ('' je) lui dis : Etre des êtres je suis parce
que tu es. (« Le plus digne » usage de ma raison est de s'anéantir
devant toi) c'est m 'élever à ma source que de '■ contempler ton
essence '].
(■* Comment vois-je) ces attributs dont je n'ai nulle " idée,
('''par) des conséquences ''forcées, '^ par le bon usage de ma
raison, mais je les affirme sans les '^ concevoir. Je me dis Dieu
est ainsi, je le sens, je me le prouve, ('^mais) je n'en ''comprends
pas mieux "'comment (''il) peut être ainsi.
' B. (« Ainsi *) [Enfin].
- B. m'efforce de contempler son essence infinie, moins je la conçois; mais
elle est, cela me suffit; moins je la conçois, plus je l'adore.
" [Je m']humilie.
* B. < devant lui >.
° [et].
^ B. [te] méditer sans cesse.
' [Le plus digne usage de ma raison est de s'anéantir devant toi]. — B.
s'anéantir devant toi. (Dans mes) [C'est mon] ravissement d'esprit (et) [c'est] le
charme de ma foiblesse de me sentir accablé de ta grandeur.
" (Tous) [Que si je... viens-(je) à connoitre]. — B. à découvrir (ainsi ces)
[successivement ces].
" B. véritable.
'" [c'est]. — B. c'est par.
" B. (forcées) [nécessaires].
'- [c'est].
'^ B. (concevoir) [comprendre], et dans le fond c'est n'affirmer rien. J'ai
beau me dire, Dieu.
'* [et]. — B. < et >.
" B. conçois.
'" (qu'aucun être).
" [Dieu].
t Dayts B et les autres Maniisc>-its, la fin du paragraphe fortne un
développement séparé, qui est reporté après le paragraphe suivant.
ÉDITION ORIGINALE ^5^
152 REDACTIONS MANUSCRITES
f Pénétré de mon insuffisance je ne raisonnerai jamais sur
lia nature de Dieu que je n'y sois forcé par -raport à moi-même,
ces raisonnemens sont toujours téméraires. Un homme sage ne
doit les faire qu'en tremblant |carj ce qu'il y a de plus inju-
rieux à la divinité n'est pas de n'y point penser, [mais] ^ c'est
de mal penser d'elle.
7. La place de l'homme dans la Nature.
^ Après avoir découvert ^ceux de ses attributs * par lesquels
je conçois son existence, ('il me reste a) cherche(r) quel rang
j'occupe dans l'ordre des choses qu'elle gouverne et que « je
puis examiner ». Je me trouve incontestablement au premier
par mon espèce : car ^^ par ma volonté ^ et par les instrumens '" qui
sont en mon pouvoir pour l'accomplir j'ai plus de force pour
agir sur '^tous les corps ['-animés ou inanimés] qui m'environ-
nent '-^qu'aucun d'eux n'en a pour agir sur moi par la seule
' B. (la nature de Dieu) [l'essence divine].
- B. ses râpons avec moi. — I. [le sentiment de] ses râpons.
^ B. (c'est de) [d'en] mal penser (d'elle). — I. c'est de mal penser d'elle.
^ [(Je reviens à moi)].
^ (son existence sa « providence ses attributs »).
" (qui me).
' [je reviens à moi et je].
" M. tant.
'■' M. que.
'" B. (qui sont en mon pouvoir j'ai plus) [que j'ai receus] pour l'exécuter,
I ai.
" I. (tout ce qui) [tous les corps].
'- B. < animés ou inanimés > « les corps » (êtres sensibles matériels).
" B. [ou pour me f^arantir de leur action].
t Le paragraphe qui commence ici se trouve dans B et les autres
Manuscrits immédiatement après la phrase : et mon esprit troublé
n'aperçoit plus rien : cf., plus haut,/" 160''".
EDITION ORIGINALE 153
Pénétré de mon insuffisance, je ne raisonnerai jamais sur la nature
de Dieu, que je n'y sois forcé par le sentiment de ses rapports avec moi.
Ces raisonnemens sont toujours téméraires: (*,' un homme sage ne doit
s'y livrer qu'en tremblant. & sûr qu'il n'est pas fait pour les approfondir :
car ce qu'il y a de plus injurieu.x à la Divinité n'est pas de n'y point
penser, mais d'en mal penser 2.
7. La place de l'homme dans la Nature.
Après avoir découvert ceu.x de ses attributs par lesquels je connois
son I e.xistence, je reviens à moi ', & je cherche quel rang j'occupe dans [64]
l'ordre des choses qu'elle gouverne, & que je puis examiner. Je me
trouve incontestablement au premier par mon espèce ; car par ma
volonté & par les instrumens qui sont en mon pouvoir pour l'e.xécuter,
j'ai plus de force pour agir sur tous les corps qui m'environnent,
ou pour me prêter ou me dérober comme il me plaît à leur action,
!■! En marge de C. à partir de cet endroit et jusqu'à la fin
du paragraphe. Rousseau a mis un trait tremblé.
' Quelques pages avant la Profession de foi, II. 23o, Rousseau avait déià dit
— et cette nouvelle répétition icf. note précédentei pourrait témoigner, elle aussi, de
l'indépendance de la Profession par rapport au reste de VÉmile, si Rousseau s'inter-
disait plus soigneusement les redites — : « Il vaudrait mieu.\ n'avoir aucune idée de
la Divinité que d'en avoir des idées basses, fantastiques, iniurieuses, indignes d'elle;
c'est un moindre mal de la méconnaître que de l'outrager. J'aimerais mieux, dit le
bon Plutarque, qu'on crût qu'il n'y a point de Plutarque au monde, que si l'on disait
que Plutarque est injuste, envieux, jaloux, et si tyran, qu'il exige plus qu'il ne laisse
le pouvoir de faire ». Ce texte de Plutarque était connu dans les milieux philosophiques :
l'abbé Yvon l'avait cite' dans son article Athées de l'Encyclopédie [196], I, 802 b.
Diderot s'en était aussi servi dans les Pensées philosophiques, XII [177], i3o. pour
appuyer des considérations analogues à celles de Rousseau : « Oui, je le soutiens, la
superstition est plus injurieuse à Dieu que l'athéisme : j'aimerais mieux, dit Plu-
tarque », etc. Pour le fond, l'idée est apparentée à la théorie que Bavie a rendue
célèbre, et que Rousseau rappellera à la fin de la Profession, p. 198. note : « le
fanatisme est plus pernicieux que l'athéisme ». Mais il fera alors de telles réserves à ce
principe « incontestable » que, tout en paraissant s'y rallier, il le renversera, ici au
contraire, il semble l'accepter sans restriction.
' A vrai dire, il n'a point à y revenir. C'est ce sentiment du moi individuel, de
son bonheur, de sa destinée, sentiment perpétuellement présent dans l'âme de Rousseau,
qui donne à cette * profession de foi » l'unité, sinon de doctrine, du moins de ton.
154 REDACTIONS MANUSCRITES
('action) physique -. ['Je suis le seul encore qui sache considérer
tous les autres et 'jouir de l'existence commune ^ et particulière.
Oui tout est fait pour moi seul si je ■'''suis; le seul qui sache
raporter tout à ("moi-même)].
B f" 130 ''° ([Quoi je puis **connoitre ce que c'est qu'ordre (vertu) beauté
imoralei, [honnêteté)] •', je puis contempler l'univers et '"son auteur
[je puis aimer le bien, le faire] et je me compare aux bétes ? Ame
('ivilei (i-tu n'avilis point ton espèce pan ta !• moire philosophie '* {^'■> tu)
n'avili(s) que ("^ ton individu) '■]).
' [impulsion],
- B. [Et par mon intelligence je suis le seul qui ait inspection sur « le tout »
(tous les autres)].
^ B. (Je suis le seul encore qui sache) [quel être ici bas hors l'homme sait]
considérer.
■■ B. [étudier] (juger) [calculer] prévoir leurs mouvemens, leurs effets et
(jouir) [joindre « pour » ainsi dire] (le sentiment de) l'existence. — I. (juger)
mesurer leurs mouvemens.... et joindre le sentiment de.
'■ B. à (celui de mon., son existence particulière) [la sienne] .'' Qu'y a-t-il
[(donc)] de si ridicule à (croire) [penser] que tout est fait.
" (puis).
' [lui-même].
' [(admirer, connoitre) observer (la nature entière) [(les êtres et leurs
râpons)] [la nature et toutes ses productions ;] je puis sentir ce que c'est], f
^ [vertu] .
'" [connoitre (vénérer) honorerj.
" [abjecte].
'^ [(ne crois pas par la)].
'" [sombre].
'■* [(avilir ton espèce) n'avilit point ton espèce].
'* [elle] n'avili[t].
'" [toi seul].
" (O écartons de nos cœurs cette abjecte philosophie qui nous).
t Ces corrections et additions ont été faites par Rousseau, lorsqu'il
a déplacé le morceau : Quoi je puis connoitre, etc., et qu'il l'a reporté
après : admirer le soleil.
EDITION ORIGINALE 155
qu'aucun d'eux n'en a pour agir sur moi malgré moi par la seule
impulsion physique, &. par mon intelligence, je suis le seul qui ait
inspection sur le tout -. Quel être ici bas. hors l'homme, sait observer
tous les autres, mesurer, calculer, prévoir leurs mouvemens, leurs
effets, & joindre, pour ainsi dire, le sentiment de l'existence com-
mune à celui de son existence individuelle ' ? Qu'v a-t-il de si ridi-
' La valeur qui prend ici cette formule est précisée par les lignes qui suivent.
Rousseau veut dire : « ie suis le seul qui de son regard sache embrasser le tout »
icf,, d'ailleurs, le te.tte de la Première Rédaction : «Je suis le seul encore qui sache
considérer tous les autres »). 11 modifie ainsi arbitrairement, — car je n'en ai point
trouvé d'autre exemple, — le sens de cette locution : « avoir inspection sur » .■
cf Féraud i25o^, II, 478 : « Inspection , charge et soin de veiller : On lui a donné
l'inspection sur, il a inspection ou l'inspection sur, etc. On sait a quel point les biens
dépérissent, quand le maître n'a aucune inspection dessus (Cochin). Dans cette
phrase, le mot me paraît impropre, car inspection se dit de la vigilance et de l'attention
dont un autre nous charge, et non de celle que notre intérêt nous inspire ». Rousseau
écrira plus tard, avec la signification traditionnelle, Lettres de la montagne, III, 216 :
« Le pouvoir législatif consiste en deu.x choses inséparables, faire les lois et les
maintenir, c'est-à-dire avoir inspection sur le pouvoir exécutif » ; et déjà, dans la
Lettre à D'Alembert, I, 217 : « La police a sur tous une inspection facile». Mais,
ailleurs encore, il emploie le mot inspection dans un sens très voisin de celui qu'il
lu donne ici; cf. Institutions chimiques, 1\', Introduction [i], II, 16 : « Quoique les
opérations de la nature soient peut-être purement mécaniques, cette mécanique,
qui s'exerce sur des particules insensibles de la matière n'est point soumise à notre
inspection ■». Cf. encore, Souveile Héloïse, IV, 38, Emile, II, 176, etc.; et, dans la
Profession même, p. iSg.
' Cet éloge de l'espèce humaine est un thème classique dans l'apologétique
spiritualiste (cf., sur le sens où je prends ce mot, la note de la page 48 . J'emprunte
aux livres les plus familiers à Rousseau quelques textes caractéristiques, qui
serviront de commentaire à ce passage, et qui pourront éclairer aussi les déve-
loppements qui suivent. Je souligne les phrases qui me paraissent présenter avec
celles de Rousseau le plus d'affinités de mots ou de pensée, .\bbadie, I. i2-i3
[92], I, 79 : « Il ne faut pas nous imposer comme font ordinairement les incrédules
qui se croient en droit de railler de ces expressions que l'homme est le roi de
iVnivers ou que le monde a été fait pour lui » ; et 82 : « [L'homme] assernble, quand il
lui plaît, dans un atome la terre et les deux, ce que nous voyons et ce que nous ne
voyons pas des immenses espaces qui nous environnent ; il parcourt toutes les parties
de l'Univers sans se mouvoir, d'une manière plus admirable et plus surprenante
que s'il se mouvait; il assemble dans la simplicité d'un même sujet le passé, le présent,
et l'avenir, la vie et la mort, la lumière et les ténèbres, les éléments les plus contraires
et les qualités les plus incompatibles, et, encore qu'il soit caché et enseveli dans un coin
de l'I'nivers, il fait venir l'inivers che^ lui, quand il lui plaît f: Spectacle de la
nature [iSy], 1, 53 2-535 : « Il n'est rien autour de "l'homme] qui n'obéisse à ses lois.
Tout petit qu'il est, sa raison lui donne un pouvoir qui n'a point d'autres bornes que
celles de la terre qu'il habite. Ses désirs s'accomplissent dans les deux bouts du
monde. // en rapproche, pour ainsi dire, les extrémités, quand il lui plaît, et les
met en correspondance sans sortir de chez lui Il rapproche ainsi tous les êtres :
ils tendent tous à lui. Sa présence est un lien qui forme un tout de tant de parties
156 RÉDACTIONS MANUSCRITES
EDITION ORIGINALE I57
cule * à penser que tout est fait pour moi, si je suis ] le seul qui sache [35]
tout rapporter à lui > ?
d fférenles. Il en est l'âme. Enfin, par la raison, l'homme non seulement est le centre
des créatures qui l'environnent, mais il en est encore le prêtre »; Saint .Aubin. 111. 3
'i^r. II, 193 sqq, expose aussi les «sentiments partagés sur la question si le monde
a été créé pour l'homme»; il se demande (p. 197! «sur quoi est fondée la vanité
de Ihomme. Chaque espèce de bête peut se croire la plus favorisée de la nature.
Pourquoi un oison ne dira-t-il pas : toutes les parties de l'univers sont faites
pour moi»? etc.; et il conclut (p. 1981: «Mais nous pouvons nous assurer que
l'homme n'est point déraisonnable dans cette prétention que l'univers a été créé pour
lui, parce qu'il a été créé lui-même pour Dieu », etc. Cf. encore La Bruyère, XVI [98],
II. 269-270. Clarke, II, 7 [i25], II, 211-212; Haller '200], iSS-iSg, etc. Ils étaient, d'ailleurs,
légion, auï environs de 1760, les naturalistes, physiciens ou théologiens, qui pensaient
avec Rousseau que « tout est fait pour l'homme » : cf. quelques textes significatifs
ap. .Mornet, Les Sciences de la nature, II, 3 289 , i5o sqq.
♦ Rousseau se souvient sans doute des ironies de Pope et de Voltaire sur les
Te Deum trop complaisamment anthropocentriques de la vanité humaine; cf. Essai
sur ihomme, I et III [i3r, 29, 37-39, 91 : « Lorsque l'homme crie : voyez, tout est
pour mon service, — Voyez l'homme qui est pour le mien, réplique l'oison qu'on
engraisse L'homme 'est] plus oison que l'oison, lorsqu'il prétend que le tout
soit fait pour un, et non pas un pour le tout »; Discours sur l'homme, VI '152], 417 :
L'homme vint et cria : je suis puissant et sage,
Cieux, terres, éléments, tout est pour mon usage, etc.
Presque tout ce VI' Discours est consacré à remettre en sa modeste place « l'homme,
ce roi du monde* '419). Cf. la note suivante.
' Il semblerait pourtant que quelques années auparavant Rousseau fut de l'avis
contraire; cf. sa IV Lettre à Sophie [23], i58-i59 : « Soyons humbles de notre espèce,
pour pouvoir nous enorgueillir de notre individu. Ne disons point, dans notre imbécile
vanité, que l'homme est le roi du monde; que le soleil, les astres, le firmament, l'air, la
terre, la mer sont faits pour lui ; que les végétaux germent pour sa subsistance, que les
animaux vivent afin qu'il les dévore. Avec cette manière de raisonner, pourquoi chacun
ne croira-t-il pas que le reste du genre humain fut créé pour le servir?.... Si nous étions
privés de la vue. par où pourrions-nous apprendre qu'il existe des oiseaux, des poissons,
des insectes presque insensibles au toucher? Plusieurs de ces insectes, à leur tour,
paraissent n'avoir aucune idée de nous. Pourquoi donc n'e.xisterait-il pas d'autres espèces
plus excellentes, que nous n'apercevrons jamais faute de sens propres à les découvrir,
et pour qui nous sommes peut-être aussi méprisables que les vermisseaux le sont à nos
yeux »? 11 est certain que l'état d'esprit de Rousseau n'était pas alors celui de la Profes-
sion, et que cette « humilité de l'espèce », qu'il prêchait à Sophie, se concilie mal avec
cette affirmation qu'on lira dans le paragraphe suivant : « je ne vois rien, après Dieu;, de
meilleur que mon espèce ». Néanmoins les deux sentiments ne sont pas absolument
contradictoires. Dans la Lettre à Sophie, après cette invitation à « l'humilité », Rousseau
ajoute : « c'est assez déprimer l'homme » ; et il commence à le « relever » par des argu-
ments analogues à ceux de la Profession. Enfin, ici même. Rousseau ne dit pas que
« l'homme est le roi du monde », mais « de la terre qu'il habite ». Il y a entre les deux
formules une différence : cf. la note suivante.
158 RÉDACTIONS MANUSCRITES
F, f" 160 '" Il est donc vrai que l'homme est le roi de la nature (et de tous
les animaux) au moins sur la terre qu'il habite car 'il dispose
des elemens par son industrie i-et) lui seul en sait disposer.
[(^Enfin'i il s'approprie ^encore par la contemplation -''des corps
célestes les ''êtres mêmes « "dont il ne peut approcher » "].
' [non seulemenl]. — B. [il dompte tous les (autres) animaux, non seule-
ment] il.
- [mais].
= [et].
' M. < encore >.
^ B. < des corps célestes >.
" B. astres.
' [(sur lesquels il n'a point d'action)].
" B. Qu'on me montre un autre » animal sur la terre qui sache faire usage
du feu ou qui sache admirer le soleil ? | [(!' C'est par un ingrat org'ueil que
l'homme se déprise lui-même, il est petit parce qu'il veut l'être. C'est sa muti-
nerie (P) qui l'avilit); '' Ame abjecte! c'est ta ''sombre philosophie qui te rend
semblable à elles, ou plus tôt tu veu.x en vain t'avilir, ton (<' noble) génie '' dépose
(K contre lui-même), [ton coeur h bienfaisant dément ta doctrine] « et l'abus »
même «. de tes facultés » prouve leur excellence en dépit de toi (et la primauté
de ton espèce est décidée par l'inclination que t'a donné l'auteur de ton être,
d'être comme lui le bienfaiteur de tout ce qui t'environne)].
n I ladm IRA" EUR).
^>) M. Quoi ! je puis observer la nature et toutes ses produc-
tions ie puis sentir ce que c'est qu'ordre, beauté, vertu ; ie puis
contempler l'univers, connoitre fionorer son Auteur; )e puis
aimer le bien, le taire, et je me compare aux bètes ? — I, con-
templer l'univers, (bénir) m'élcver... le faire, et je me (contemple)
[comparerois] aux bètes.
c) (en méprisant).
d) I, (somt)rei [triste].
') [(propre, triste)].
f ; I. (dément ta doctrine) [dépose contre tes principes],
p) [(en faveur de... contre tes dogmes... toi-même) contre
tes principes].
h) L(noble)].
t Ici, dans l'interligne, au-dessus de la phrase barrée : c'est par un
ingrat orgueil, etc.. Rousseau a écrit: Quoi je puis (étudien, ai'ec un
signe de renvoi, qui attribue à tout ce passage qu on a lu plus haut sa
place définitive : cf. la note précédente.
EDITION ORIGINALE 159
Il est donc \rai que l'homme est le Roi de la terre qu'il ha-
bite'^ ; car non-seulement il dompte tous les animaux, non-seulement
il dispose des élémens par son industrie ; mais lui seul sur la
terre en sait disposer, & il s'approprie encore, par la contemplation,
les astres mêmes dont il ne peut approcher '*. Qu'on me montre
un autre animal sur la terre qui sache faire usage du feu, & qui
sache admirer le soleil. Quoi * ! je puis observer, connoître les êtres
■ Le texte de la Première Rédaction précisait davantage la pensée de Rousseau :
« le roi de la nature, au moins sur la terre qu'il habite ». Rousseau réservait ainsi
formellement la possibilité d'autres « royautés » pour d'autres êtres dans d'autres
mondes. Il trouvait cette restriction chez ceux-là mêmes qui célébraient avec le plus de
conviction la royauté humaine ; cf. Abbadie, I, 12 [92], I, 79 : « Lorsqu'on dit que toutes
choses se rapportent à l'homme, on ne prétend préjudicier à la gloire des autres créatures
intelligentes. Qui sait, disent quelques-uns, s'il n'y a pas dans les cieux, qui sont d'une
beauté et d'une perfection si élevée au-dessus de ce globe, des intelligences sans compa-
raison plus parfaites que les nôtres ? Mais plutôt, qui est-ce qui conteste cette vérité ?
On ne doit point objecter contre la Religion ce que la Religion même nous enseigne » ;
Clarke, II, 7 [i25], 21 1-212 : « Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que cette partie
inférieure de la création, à tout le moins, est faite pour eux fies hommes], et se
rapporte à leur usage » ; cf. encore le 44' Discours du Tome V du Spectateur fi 17], 269-
276; Spectacle de la Xalure '137], II, 473-474, etc. Mais cette réserve même faite à la
royauté humaine peut s'interpréter de deux façons, soit par l'existence des anges, soit
par la pluralité des mondes habités. II ne semble pas que Rousseau répugne à l'une ou
l'autre de ces hypothèses. Il a pleinement adhéré à la seconde dans sa Lettre à Voltaire
du 18 Août 1756, X, 128 : «Si les planètes sont habitées comme il est probable, pourquoi
vaudrais-je mieux à ses yeux [de Dieu] que tous les habitants de Saturne ? On a beau
tourner ces idées en ridicule, il est certain que toutes les analogies sont pour cette
population, et qu'il n'y a que l'orgueil humain qui soit contre ». Quant aux Anges, leur
existence sera affirmée plus loin : cf. p. 122, et les textes cités à la note 2. Mais les Anges,
dont il semble admettre l'existence, ne seraient pas relégués dans le ciel : « Pourquoi,
disait-il dans sa III' Lettre à Sophie [25], 157, n'imaginerions-nous pas le vaste sein de
l'univers plein d'une infinité d'esprits de mille ordres dilTérents, éternels admirateurs du
jeu de la nature, et spectateurs invisibles des actions des hommes »? — A la suite de
L'Art de jouir, dans une note d'un de ces cahiers [6], 11" (cf. [26], 355|, Rousseau avait
écrit : « Le plus noble des êtres créés est l'homme; l'homme est (l'ornement) [la gloire]
de la terre qu'il habite. Si Dieu se complaît dans quelqu'un de ses ouvrages, c'est
certainement dans le genre humain ».
' Cf., plus haut, p. 64, note 2. le texte d'Abbadie, dont cette phrase semble être
le résumé : « Il assemble, quand il lui plaît, dans un atome la terre et les cieux, etc. ».
* C'est à Helvetius que Rousseau s'adresse ; et toute cette fin de paragraphe a été
ajoutée après la lecture de L'Esprit, vraisemblablement dans les dernières semaines
de 1758 : « Il y a quelques années, écrit Rousseau dans les Lettres de la Montagne,
m, 122, qu'à la première apparition d'un livre célèbre, je résolus d'en attaquer les
principes que je croyais dangereux. J'exécutais l'entreprise, quand j'appris que l'auteur
était poursuivi. A l'instant, je jetai mes feuilles au feu, jugeant qu'aucun devoir ne
pouvait autoriser la bassesse de s'unir à la foule, pour accabler un homme d'honneur
opprimé. Quand tout fut pacifié, j'eus l'occasion de dire mon sentiment sur le même
l60 RÉDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE l6l
<S: leurs rapports; je puis sentir ce que c'est qu'ordre, beauté, vertu;
je puis contempler l'Univers, m'élever à la main qui le gouverne ;
je puis aimer le bien, le faire *, & je me comparerois aux bêtes " ?
Ame abjecte, c'est ta triste philosophie qui te rend semblable à
elles! ou plutôt tu veux en vain t'avilir ; ton génie dépose contre
tes principes ", ton cœur bienfaisant dément | ta doctrine *, & rgg]
sujet dans d'autres écrits; mais je l'ai d t, sans nommer le livre ni l'auteur». On a vu
plus haut, p. 37 sqq, les nombreuses ripostes de Rousseau aux théories sensualistes
d'Helvetius. On en verra d'autres encore : cf. p. 101, 109-112. Ces réfutations partielles
qui encadrent, pour ainsi dire, l'invective célèbre, la préparent ou la commentent ; ainsi,
pour qui comprend toutes les allusions du texte, la violence indignée de l'anathème
n'est plus si déconcertante, et cette brusque explosion de colère se trouve, sinon
justifiée, du moins expliquée : cf. mon article, Rousseau contre Helvetius [287], et
celui de M. Albert Schinz. La 1. Profession de foi du Vicaire Savoyard ■» et le livre
* De L'Esprit » [286].
° Cette formule générale prépare l'allusion particulière à la bienfaisance d'Helvetius.
Mais, si Rousseau avait voulu rester fidèle à la logique de sa démonstration, il n'aurait
pas emprunté un argument à la beauté de la vertu, quand il n'avait pas encore parlé de
la moralité humaine. — Ici le Rousseau de la Profession se retrouve pleinement d'accorJ
avec celui de la IV Lettre à Sophie 25], lâg : « L'hommage que le méchant rend au juste
en secret est le vrai titre de noblesse que la nature a gravé dans le cœur de l'homme ».
' Dès les premières pages de L'Esprit 225 X], 2-3. note. Helvetius avait attribué
à des ditîérences purement physiques mains et doigts flexibles] la supériorité de
l'homme sur les autres animaux : « Peut-être, disait-il, n'a-t-on pas assez scrupuleu-
sement cherché dans la différence du physique de l'homme et de l'animal la cause de
l'infériorité de ce qu'on appelle l'âme des animaux » ; et, venant à se demander « pour-
quoi les singes dont les pattes sont, à peu près, aussi adroites que nos mains, ne font
pas des progrès égaux aux progrès de l'homme ». — il avait répondu par des considé-
rations de ce genre : « C'est que les singes sont frugivores, qu'ils ont moins de besoins et
par conséquent moins d'invention que les hommes ; c'est que d'ailleurs leur vie est plus
courte...; c'est qu'enfin la disposition organique de leur corps les tenant, comme les
enfants, dans un mouvement perpétuel, même après que leurs besoins sont satisfaits,
les singes ne sont pas susceptibles de l'ennui, qu'on doit regarder... comme un des
principes de la perfectibilité de l'esprit humain ».
' Helvetius avait dit lui-même dans sa Préface, p. Il : « Si je m'étais trompé
ce serait une erreur de mon esprit et non pas de mon cœur ».
' Dans une des Rédactions .Manuscrites. Rousseau avait rendu à la bienfaisance
d'Helvetius un hommage encore plus précis et plus circonstancié : « La primauté de ton
espèce est décidée par l'inclination que t'a donnée l'auteur de ton être, d'être, comme lui.
le bienfaiteur de tout ce qui t'entoure ». S'il a réduit cet éloge, c'est sans doute pour ne
pas accorder à un développement épisodique une importance disproportionnée. Dans
sa Lettre à Deleyre, du 5 octobre 1758, X. 194, il avait déjà dit : « il est vrai, M. Helvetius
a fait un livre dangereux et des rétractations humiliantes. Mais il a quitté la place de
fermier général ; il a fait la fortune d'une honnête tille ; il s'attache à la rendre heureuse :
il a, dans plus d'une occasion, soulagé les malheureux; ses actions valent mieux que
ses écrits. .Mon cher Deleyre, tâchons d'en faire dire autant de nous » : et, quinze jours
plus tard, à M. Vernes, X, 196 : «Je n'ai point lu le livre De L'Esprit: mais j'en aime
et estime l'auteur ». Du reste, la bienfaisance d'Helvetius était célèbre. L'abbé Sabatier
102 RÉDACTIONS MANUSCRITES
B f°130^" [Pour moi, (mon ami) « qui n'ai point de sistême à soutenir, moi
homme simple » [et vrai] que la fureur d'aucun parti n'entraine et
qui n'aspire point au triste honneur d'être chef de secte, content ['de la
place ou Dieu m'a mis], je ne vois rien après lui de meilleur que mon
espèce et, si j'avois à choisir (moi-même i ma place dans l'ordre des êtres
f° 131 ro [(finis)] que pourrois-je choisir de plus || que d'être homme '^? Cette
reflexion m'enorgueillit moins qu'elle ne me touche (•''puisque ce n'est
pas moi qui me suis ainsi placé)].
' (d'être homme).
" (et de).
' car jamais (?) mon [cet] état.
ÉDITION ORIGINALE 163
l'abus même de tes facultés prouve leur excellence en dépit de
toi 2.
Pour moi, qui n'ai point de système à soutenir, moi, homme simple
et vrai que la fureur d'aucun parti n'entraîne, & qui n'aspire point à
l'honneur d'être chef de secte ^, content de la place où Dieu m'a mis, je
ne vois rien, après lui, de meilleur que mon espèce; & si j'avois à
choisir ma place dans l'ordre des êtres, que pourrois-je choisir de plus
que d'être homme ^?
de Castres, lui-même, que Voltaire ([73], XXIX, 281) accusera « d'ingratitude » pour
avoir écrit l'article Helvétius de ses Trois siècles de la Littérature française, recon-
naît pourtant dans sa IV édition [249 B], II, 3o6, que « la candeur, la bienfaisance
et les autres vertus de son âme faisaient pardonner par ceux dont il était connu
les illusions de sa philosophie ». Les premières éditions [24g A], 11, 149, parlaient
seulement de « la candeur et des autres vertus ». C'est, sans doute, l'opinion unanime
du public qui a obligé Sabatier à rappeler « la bienfaisance ». De cette bienfaisance,
on trouvera de nombreux exemples dans le livre d'.AIbert K.eim, Helvétius '283],
38-41 ; mais ie ne sais sur quels documents M. Keim s'appuie pour affirmer (p. 456)
qu' « Helvétius était le bienfaiteur » de Rousseau.
' Saint-Aubin, III, 3 141], II, 199: «L'abus qu'il l'homme] fait de ses lumières
n'en diminue pas l'excellence ». — Cette contradiction entre la doctrine et la per-
sonne d'Helvetius avait été longuement soulignée par l'abbé de Lignac ^226], 1, p. v-viii :
« C'est un phénomène de notre siècle que le contraste de la personne avec l'auteur
chez M. H... L'homme a des vertus, et l'auteur a brisé tous les liens de la société...
L'homme est un ami généreux, et il en a donné des preuves uniques: l'auteur
détruit toutes les notions de l'amitié et de la reconnaissance... Quand on a bien
saisi tous les points de ce contraste, peut-on imaginer de meilleure censure de
L'Esprit que la conduite de M. H.?... 11 faut donc rejeter sur quelque travers de
l'esprit une doctrine qu'on ne peut attribuer à la perversité du cœur ».
' «Souvenez-vous toujours que je n'enseigne point mon sentiment, je l'expose »
(p. 61-62).
* Ici encore Rousseau semble oublier ce qu'il a insinué plus haut (« roi de la terre
qu'il habite ») et ce qu'il a formellement indiqué dans la IV Lettre à Sophie '25], 1 59 :
« Pourquoi donc n'existerait-il pas d'autres espèces plus excellentes, que nous n'aperce-
vrons jamais, faute de sens propres à les découvrir, et pour qui nous sommes peut-être
aussi méprisables que les vermisseaux le sont à nos yeux » ? .Mais les deux passages
ne sont pas absolument contradictoires : l'hypothèse de la Lettre à Sophie est une
hypothèse toute rationnelle, qui laisse intacte la suprématie de l'âme humaine : quelques
lignes après l'avoir présentée, il ajoute (p. 160) : « Si nous sommes petits par nos
lumières, nous sommes grands par nos sentiments » ; et c'est surtout du point de vue
du sentiment que Rousseau ose proclamer : « Je ne vois rien, après Dieu, de meilleur
que mon espèce ». Remarquez, d'ailleurs, que cette constatation suscite en lui moins un
«orgueil » intellectuel qu'un « attendrissement » bénisseur : cf. le paragraphe suivant.
164 RÉDACTIONS MANUSCRITES
F f° 160 *'° Puis-je me \oir ' ainsi distingué sans ['■' me feliciterj de
remplir ce poste •* honorable et sans bénir la main qui mN- a
placé. [^ De la nait mon premier homage à la divinité bienfai-
sante. J'adore le pouvoir de l'être suprême et je m'attendris sur
sa bonté ■' pour moi : je n'ai pas besoin qu'on m'enseigne ce
culte, « il m' » est dicté par la nature elle même]. \'est-ce
pas "un sentiment "immédiatement] dérivé de l'amour propre et
par conséquent naturel au cœur humain d'honorer ce qui nous
protège et d'aimer ce qui nous (" fait) du bien, j
8. Le problème du mal et la liberté.
Mais quand pour connoitre -'ensuite ma place individuelle dans
mon espèce j'^** en considère] " les divers rangs '- et les hommes
' B. « ainsi ».
- (plaisir).
' B. ](que je ne me suis)].
* B. De (ma première réflé.xion sur l'auteur de mon être,) [mon premier
retour sur moi] naii [dans mon cœur] un sentiment de reconnoissance et de
bénédiction [(envers)] pour l'auteur de mon (être) [espèce] et de ce sentiment
mon premier. — I. < pour l'auteur de mon espèce >.
^ B. < pour moi >.
"' B. une conséquence naturelle de l'amour de soi d'honorer ce qui.
• (naturel au).
' [veut]. — B. (fait) [veut].
' B. [ensuite].
'° (je viens a mot inachevé).
" B. [l'économie].
'= B. (et).
t Ici. en marge, la notation d'un argument en faveur de l'immor-
talité personnelle qui sera repris plus loin,/" i63''° : 1' (unité 1 [identité]
de mon être sensible consiste dans ma mémoire. Si (la) je cessois d'être
le même, si je perdois la conscience de (mon) [cette] identité, me résoudre
dans un autre être seroit précisément m'anéantir.
ÉDITION ORIGINALE 165
Cette réflexion m'enorgueillit moins qu'elle ne me touche: car cet
état n'est point de mon choix, & il n'étoit pas dû au mérite d'un être
qui n'existoit pas encore. Puis-je me voir ainsi distingué sans me féliciter
de remplir ce poste honorable, & sans bénir la main qui m'y a placé?
De mon premier retour sur moi nait dans mon cœur un sentiment de
reconnoissance & de | bénédiction pour l'Auteur de mon espèce, & de ce [67]
sentiment mon premier hommage à la Divinité bienfaisante. J'adore la
puissance suprême, & je m'attendris sur ses bienfaits. Je n'ai pas besoin
qu'on m'enseigne ce culte, il m'est dicté par la Nature elle-même. N'est-ce
pas une conséquence naturelle de l'amour de soi ', d'honorer ce qui
nous protège, & d'aimer ce qui nous veut du bien ?
8. Le problème du mal et la liberté.
Mais quand pour connoîlre ensuite ma place individuelle dans mon
espèce, j'en considère les divers rangs, & les hommes qui les remplis-
sent, que deviens-je? Quel spectacle! Où est l'ordre que j'avois observé?
' Rousseau dira quelques pages plus loin, p. 69: «Se préférer à tout est un
penchant naturel à l'homme ». A plusieurs reprises, il reviendra sur cette idée, que
Vamour de soi est « l'unique passion qui naisse avec l'homme », et que ce sentiment
est, en lui-même, « toujours bon » : cf. Emile, 11, 182-183, Lettre à M. de Beaumont,
111, 64, Lettre à D'Alembert, 1, 192, Dialogues, IX, 107, etc. Ici il avait d'abord écrit :
« N'est-ce pas un sentiment immédiatement dérivé de \' amour-propre et par conséquent
naturel au cœur humain »? S'il a substitué l'amour de soi à l'amour-propre, ce n'est
pas qu'il ne les considère tous deu.x comme identiques dans leur fond, ou plutôt dans
leur point de départ. 11 dirait volontiers avec son Saint-.\ubin, VI. 9 [141], V, 2i5 :
« L'amour-propre est la passion unique et générale » ; et il a écrit au Livre II d'Emile,.
Il, 60 : « La seule passion naturelle à l'homme est l'amour de soi-même, ou l'amour-
propre pris dans un sens étendu ». Mais, dès qu'il se place au point de vue moral, il
distingue ces deux amours, pour ne pas paraître acquiescer indirectement à la morale
de l'intérêt, qu'il va combattre. Diderot et Helvetius, sous prétexte de réhabiliter
l'amour-propre, affectaient de le confondre avec l'amour de soi : cf. Essai sur le
mérite et la vertu [174], 29, note. De l'Esprit, I, 4 [225 A], 34. Rousseau, à la suite
d'Abbadie, L'art de se connaître soi-même, II, 5 [97], 263, de Marie Huber, Religion
essentielle [i5i], II, 95-106, et de Vauvenargues, De l'amour de soi et de l'amour de
nous-mêmes [178], 54-57 (cf. encore Réjlexions et Maximes, 335-336) a soigneusement
distingué ces deu.x formes voisines de sentiments; cf. surtout Emile, II, 183-184. Le
texte de Vauvenargues l'avait même assez frappé pour qu'il le copiât dans un de ses
cahiers de notes [5], 14'".
l66 RÉDACTIONS MANUSCRITES
qui les remplissent que deviens-je, quel spectacle, f ' 0 justice
(éternelle) ou sont tes loix ô providence est-ce ainsi que tu (-gou-
vernes) « le monde » ? ou est l'ordre que j'avois observé. Le tableau
de la nature ne m'offroit qu'harmonie et proportions, celui du
genre [humain] ne m'offre que confusion desordre ^ le concert
règne entre les elemens et les hommes sont (plongés) dans le cahos,
les animaux sont heureux leur roi seul est misérable. ■• Etre bien-
faisant * qu'est devenu ton pouvoir je \ois le mal sur la terre.
Croiriez-vous mon bon ami, que '' de ces tristes reflexions
et de ces contradictions apparentes se formèrent dans mon esprit
fo |gj ro les II sublimes idées 'de la divinité dont je n'avois jusques là que
des notions informes. En méditant sur la nature de l'homme j'y
crus découvrir deux principes distincts dont l'un l'élevoit à la
(* contemplation) des vérités éternelles (-'au sentiment) de la justice
et du beau moral (et) ; '" aux régions] "de ce monde intellectuel
dont la (seule) contemplation fait les délices du sage, et dont
l'autre le ramenoit bassement en lui-même 'M'assujetissoit à l'em-
pire des sens, (et) aux passions qui sont leurs ministres et
' B. < O justice... le monde >.
- [régis (l'univers)].
' [(les animaux sont heureux)].
* B. Ô (Justice) [Sagesse] ou sont les loix ? ô providence, est-ce ainsi que
tu régis le monde ?
* B. (qu'est devenu) [quel est].
" (ce furent).
■ B. (de la divinité dont je n'avois jusques là que des notions informes
ou confuses ?) [de l'ame [(et de son)] qui n'avoient point, jusques là résulté de
mes recherches]. — I. de la Divinité dont je n'avois jusques-là que des notions
informes et confuses.
" [recherche]. — B. (la recherche, connaissa nce) [l'étude]. — M. la connois-
sance. — I. la recherche.
'■' |à l'amour].
'" (à ces... aux conte mplations [à l'amour]).
" B. du.
'- B. (l'assujetissoit) [l'asservissoit]. — I. l'assujetissoit.
t // y a ici, dans le manuscrit, un signe de renvoi qui reporte les
deux questions suivantes quelques lignes plus loin, après : leur roi seul
est misérable.
ÉDITIOX ORIGINALE 167
Le tableau de la Nature ne m'offroit qu'harmonie & proportions -. celui
du genre humain ne m'offre que confusion, désordre! Le concert règne
entre les élemens, & les hommes sont dans le cahos! Les animaux sont
heureux, leur roi seul | est misérable! O! sagesse, où sont tes loix ? ô ! [68]
Providence, est-ce ainsi que tu régis le monde? Etre bienfaisant qu'est
devenu ton pouvoir? Je vois le mal sur la terre i.
Croiriez-vous, mon bon ami, que de ces tristes réflexions, & de ces
contradictions apparentes se formèrent dans mon esprit les sublimes
idées de lame -, qui n'avoient point jusques-là résulté de mes recherches?
En méditant sur la nature de l'homme, j'y crus découvrir deux principes
distincts, dont l'un l'élevoit à l'étude des vérités éternelles, à l'amour
de la justice & du beau moral, aux régions du monde intellectuel dont
la contemplation fait les délices du sage, & dont l'autre le ramenoit
bassement en lui-même, l'asservissoit à l'empire des sens, aux passions
qui sont leurs ministres, & contrarioit par elles tout ce que lui inspiroit
le sentiment du | premier. En se sentant entraîné, combattu par ces rggi
deux mouvemens contraires, je me disois : non, l'homme n'est point
un 1; je veux & je ne veux pas, je me sens à la fois esclave & libre; je
vois le bien, je l'aime. & je fais le mal : je suis actif quand j'écoute la
- Cf. plus haut. p. 59 : « La Nature ne s"est pas contentée d'établir l'ordre, elle a
pris des mesures certaines pour que rien ne pût le troubler ». Par cette antithèse
simplificatrice de l'harmonie cosmique et du cahos humain, Rousseau réduit le pro-
blème de la Providence et de son gouvernement dans ce monde au simple problème
de la souffrance humaine, physique et surtout morale. Cf., sur l'ensemble de cette
discussion, sa Lettre à Voltaire du 18 Août 'yôô, X, i22-i33.
' iMême mouvement chez Haller, dans son Essai sur l'origine du mal, l' Chant.
Après avoir complaisamment dépeint la beauté harmonieuse de l'univers matériel
(cf., plus haut, p. 20, note 5. le début du poème, qui semble avoir inspiré Rousseau), il
s'écrie i^20o], 40 : « Que sens-je ? une froide terreur me saisit et me glace ; le théâtre de
nos misères commence à se dévoiler à mes yeu.x. Je vois l'intérieur du monde, il est
semblable à l'tnfer ».
' Rousseau avait d'abord écrit, — et il y est revenu pour l'abandonner définitive-
ment : « les sublimes idées de la divinité ». 11 semblerait en effet que ces réflexions
dussent aboutir à Dieu plutôt qu'à l'àme ; mais Rousseau attend d'avoir traité le
problème de la liberté pour revenir à Dieu : cf., plus haut, p. 63. note i.
' C'est pourtant à obtenir cette « unité » que la pédagogie de Rousseau déclare
tendre, sans peut-être y prétendre; cf. IV" Livre d'Emile, II, 287 : « Le tempérament
précède toujours la raison. C'est à retenir l'un et à exciter l'autre, que nous avons
jusqu'ici donné tous nos soins, ajin que l'homme fût toujours un, le plus qu'il était
possible ». Cf. la note suivante.
l68 RÉDACTIONS MANUSCRITES
contrarioit par elles tout ce que lui ('dictoit) -de noble et de grand
le «sentiment» ^intérieur du premier. En me sentant entraîné
combatu moi-même par ces deux ^ mouvemens contraires je ^disois
non l'homme n'est point un. Je '' veux et je ne veux pas je me
sens à la fois esclave et libre je vois le bien je l'aime et je fais le
mal. Je suis actif quand (" je suis) la raison, passif quand mes
passions m'entraînent et mon (^ plus grand) tourment quand je
succombe est de sentir que j'ai pu résister, j
Jeune homme, écoutez avec confiance, je serai toujours de
bonne foi (jusqu'au bout). Si la conscience est l'ouvrage des pré-
jugés j'ai tort sans doute ■' [mais] si se préférer à tout est un
'"penchant naturel à l'homme et si pourtant le premier sentiment
de la justice est inné dans le cœur humain "que celui qui fait
de l'homme un être simple levé ces contradictions et je ne recon-
nois plus qu'une substance.
' [inspiroit].
- M. de grand et de noble.
^ (du). — B. < intérieur >.
■* B. (sentimens) [mouvemens].
^ B. me.
" (me sens à).
' [j'écoute].
" [pire].
" B. [et il n'y a point de morale démontrée].
'" M. (sentiment) [penchant]. ■ — I. (sentiment) [penchant].
" (mais).
t Ici. en marge, le fragment suivant : car la bonté est [dans un
être intelligent] l'effet nécessaire d'une puissance sans borne et de l'amour
de soi. Celui qui peut tout étend pour ainsi dire son existence avec celle
des êtres. (Il se sent dans tous ses ouvrages. Il produit et ne détruit
point). Produire et conserver sont l'acte perpétuel de sa puissance elle
n'agit point sur ce qui n'est pas. Mais (la bonté suprême est différente
de la nôtre). L'être infini (ne) peut (plus) encore étendre son être par
ses bienfaits. — Ce développement, déjà amorcé plus haut,/'' i6o"". sera
repris définitivement au f" 162 ''". Il a failli sans doute être employé ici,
quand le paragraphe, en marge duquel il se trouve, devait être consacré
non au.x deux principes de l'âme, mais aux sublimes idées de la divinité
qui étaient sorties de ces tristes réflexions.
ÉDITION ORIGINALE l6<)
raison, passif quand mes passions mentrainent, & mon pire tourment,
quand je succombe, est de sentir que j'ai pu résister -.
Jeune homme, écoutez avec confiance, je serai toujours de bonne-foi.
Si la conscience est l'ouvrage des préjugés, j'ai tort, sans doute, & il n'y
a point de morale démontrée: mais si se préférera tout est un penchant
naturel à l'homme ^, & si pourtant le premier sentiment de la justice
est inné dans le cœur humain, que celui qui fait de l'homme un être
• Il V a dans ce développemeni autre chose qu'une paraphrase du traditionnel :
« Video meliora proboque, détériora sequor » (Ovide, Met., VIII. 201. que Voltaire
avait traduit dans sa Loi Naturelle, II [221], 450:
On fuit le bien qu'on aime, on hait le mal qu'on fait.
Il est difficile de n'y point reconnaître un résidu proprement chrétien. C'est une page
à joindre au cantique de Racine ;
Mon Dieu, quelle guerre cruelle !
Je trouve deux hommes en moi, etc.
et, par delà Racine, à S' Paul, au chap. VII de YÉpitre aux Romains, 22-23 ; « Je
prends plaisir à la loi de Dieu, selon l'homme intérieur: mais je vois dans mes
membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison, et qui me rend captif de
la loi du péché qui est dans mes membres ». La formule de saint Paul (/</., VI, 6;,
« corps de péché », traduit même exactement la pensée de Rousseau, puisque, d'après
lui, c'est la seconde substance, le principe passif du composé humain. « la loi du
corps », comme il dira plus loin. p. 74, qui essaie de nous asservir. Ce dualisme
parait malaisément conciliable avec la doctrine de la bonté de la nature, qui fait l'unité
de y Emile, et qui sera encore si énergiquement affirmée par le Vicaire, p. 123 : « .Ah !
ne gâtons point l'homme, il sera toujours bon sans peine ••. .Mais ce ne serait pas, dans
l'œuvre de Rousseau, la seule contradiction qu'il fut impossible de faire disparaître. Je
crois donc qu'on doit constater ici une survivance, plus ou moins inconsciente, du
dogme du péché originel. Dans sa Lettre à .\f. de Beaumont, III, 64 sqq, dans le
passage même où il défend sa thèse « qu'il n'y point de perversité originelle dans le
cœur humain », Rousseau affirme encore que l'homme est « composé de deux
substances ». mais il ne parle plus de leur conflit, de leurs « mouvements contraires »;
et la « généalogie » qu'il fait des vices humains est une généalogie purement sociale.
' Sur la conception de 1' « amour de soi » chez Rousseau, cf., plus haut, p. 67
et note i.
170 RÉDACTIONS MANUSCRITES
-f • Tout ce que j 'appercois par les sens est (corps ou ) matière
[reconnoissable aux propriétés essentielles [ ^ qu'on n'en peut séparer
' B. < Tout ce que... s'arrête là >. (a Vous remarquerez) que 0' j'entends)
par ce mot de '■ substance ([en général) (<i un) être (" dont certaines) qualités
primitives sont inséparables, (i Ainsi) l'étendue, la solidité, l'impénétrabilité ^). Si
[donc] toutes les qualités primitives peuvent se réunir dans un même être il est
clair qu'il n'y a qu'une substance; mais s'il y i' a [de ces qualités] qui s'excluent
mutuellement il i y a autant de diverses substances (J que) de pareilles exclusions.
[Je vous laisse réfléchir sur (k ce point)]. Pour moi ([Je ne (i pense) point qu'un
être dont on peut séparer quelque (qualité) primitive la puisse (jamais avoir i"). [Je
n'ai " besoin [quoiqu'en dise Locke] de connoitre la matière que comme étendue
divisible pour être assuré qu'elle ne peut penser], (car la pensée) " ne peut être
conçue étendue ni divisible, le sujet de la pensée est un, et tout corps (pquel
qu'il soit) n'est pas un il est collection multitude 'i. Comment combattre cet
argument si vulgaire et si invincible on répond r que l'homme ne pense point.
Je prends le parti de me taire *)].
») [Remarquez bien].
<>) I. (j'enlens).
c) [substance je n'entends autre chose que l'être doué de
quelque qualité primitive. — I. primitive, et abstraction faite
de toutes (qualités) [modifications] particulières.
il) [tout].
e) [doué de quelques],
i) [telles que].
s) {ce qui distingue... et comme toutes [les] qualités primi-
tives (en) [sont] inséparables de l'être qui « les » a).
1>) (en).
i) (en est).
i I [qu'on peut faire].
k) [(tout) cela].
I ) [crois].
m) (et je ne crois point que 1'... qu'un être qui pensant soit
matière).
11) (pas).
o) (n'a).
p) [fut-il un atome organisé].
q) (Je... Quand pour répondre à cela on... quelqu'un
viendra me dire que l'homme .. cela... tout cela a été dit cent
mille fois... mais je ne désespère... et je suis étonné que pour le
refuser quelque philosophe ne se soit pas [encore] avisé de
soutenir ... pour ... pour ... [et faute]... Cet argument vulgaire
ne peut être combatu qu'en affirmant que l'homme ne pense
point).
■') [ou].
«) (ni qu'un homme ne pense point et).
■- (dont l'idée est souvent).
t Tout ce paragraphe jusqu'à Quand un philosophe, etc., ne se trouve
que dans F. // n'est d'ailleurs pas barré, ce qui veut dire que Rousseau
ne l'a pas pris (c/., plus loin,/" 164''°); mais quelques-unes des idées
qui y sont exprimées ont été utilisées dans B et les autres Manuscrits
pour la dissertation sur la Matière et le Mouvement : cf., plus haut,
J" 7 22 '•" de B.
EDITION ORIGINALE I7I
simple, levé ces contradictions, & je ne reconnois plus qu'une
substance *.
I Vous remarquerez que par ce mot de substance, j'entends en général [70]
l'Etre doué de quelque qualité primitive, & abstraction faite de toutes
modifications particulières ou secondaires 1. Si donc toutes les qualités
primitives qui nous sont connues, peuvent se réunir dans un même
être, on ne doit admettre qu'une substance; mais s'il y en a qui s'excluent
mutuellement, il y a autant de diverses substances qu'on peut faire de
pareilles exclusions. \'ous réfléchirez sur cela; pour moi je n'ai besoin,
quoiqu'en dise Locke -. de connoître la matière que comme étendue &
' Or, dans la psychologie métaphysique de Rousseau, Ihoinme est composé de
deux substances, entre lesquelles, si l'on peut ainsi parler, la volonté se débat, égoïste
et vicieuse quand elle obéit, comme il dira plus loin, p. 74. à « la loi du corps »,
désintéressée et vertueuse, quand elle « écoute la voix de l'âme »; cf., quelques pages
avant la Profession, 11, 227-228 : « On voit que, pour admettre une substance unique,
il lui faudrait supposer des qualités incompatibles qui s'excluent mutuellement, telles
que la pensée et l'étendue, dont l'une est essentiellement divisible, et dont l'autre
exclut toute divisibilité. On conçoit, d'ailleurs, que la pensée, ou, si l'on veut, le
sentiment, est une qualité primitive et inséparable de la substance à laquelle elle
appartient, que par conséquent la mort n'est qu'une séparation de substances, et que
des êtres où ces deux qualités sont réunies sont composés des deux substances
auxquelles ces deux qualités appartiennent ». — Gerdil, Dissertations, Préface '23o ,
p. III : « Tous les systèmes de l'athéisme et de l'incrédulité, anciens et nouveaux,
se réduisent à cette maxime fondamentale, qu'un savant philosophe (Beausobre,
Hist. du Manich., Il, 2) exprime en ces termes : savoir qu'il n'y a dans l'Univers
qu'une seule substance, qui réunit en elle-même tout ce qu'il y a de perfections,
et qui, en vertu du mouvement qu'elle tient de la même nécessité de qui elle
tient son existence, se donne sans cesse à elle-même et reçoit cette infinité de
modifications différentes dont le monde est composé ». Cf. encore la note suivante.
' 11 y avait ici, dans la Première Rédaction, un assez long exposé sur les qualités
de la .Matière. Rousseau l'a supprimé; et on a pu voir qu'il en avait employé les
principales idées dans sa dissertation sur l'origine du mouvement. Néanmoins, même
dans le texte définitif, où il paraît n'ouvrir qu'une brève parenthèse pour définir ce
qu'il entend par substance, Rousseau revient une fois de plus en arrière, et reprend
sous une forme détournée le problème qu'on pouvait croire définitivement résolu : l'irré-
ductibilité de la pensée à la matière et au mouvement. — On trouvera aux Appendices.
11. un fragment inédit sur L'idée de substance, que Rousseau avait d'abord placé dans
\' Emile, quelques pages avant \aL Profession, et qu'il a finalement sacrifié. C'est une longue
dissertation de métaphysique, à la fois pénible et ingénue, où l'on sent qu'il a fait tous
ses efforts — et de vains efforts — pour arriver à éclaircir cette idée de substance, qui lui
paraissait être le centre proprement philosophique du problème. 11 a renoncé à insérer
ce morceau, soit dans la Profession, soit dans le reste de VÈmile, le tr uvant sans
doute trop peu satisfaisant, et trop voisin de ce qu'il appelait « du galimatias »; mais il
en a utilisé les idées les plus nettes, et l'on y verra déjà, sous une forme plus détaillée
ou plus précise, les allusions à Locke et à Helvetius que le Vicaire va reprendre ici.
' Allusion au texte fameux, autour duquel on avait tant discuté en .Angleterre et
172 REDACTIONS MANUSCRITES
' de la substance matérielle]. Mais je la vois cette -substance dans
trois états différens matière inanimée insensible et morte, matière
(vivante et) organisée ■\ matière animée pensante, et (' sensible).
Quelques portions de matière passent de l'un de ces états à l'autre
mais la plus grande quantité n'y passe point, celle qui reçoit l'orga-
nisation le sentiment et la vie ne les garde pas longtems. Elle {■' rentre)
bientôt « dans » sa première inertie, l'état "naturel à la matière est
d'être "insensible '*et 'morte. «D'où lui » ('"vient) « le i' mouve-
ment et la vie d'où » lui ('-vient) le sentiment et la pensée je n'en
sais rien, ce que je vois c'est que ces ('Qualités) ne lui « "sont pas
('^ naturelles) ». j [Car [non seulement je conçois très bien la
matière (immobile) , « sans mouvement sans sentiment » sans pensée
mais je ne la conçois pas douée de ces qualités etj je ne la puis
concevoir sans étendue (et) sans solidité penetrable . ("Il y a plus).
Je la puis concevoir mue par une cause externe. Mais pensante et
sentante il m'est impossible]. [On peut expliquer [au moins] par
hypothèse tous les ressorts de la machine animale mais la force
primitive (et) le principe de la vie echape à la raison l'entendement
' [du corps].
- (m atière).
^ [et vivante].
* [sentante].
^ [retombe].
" (de mort).
' [morte].
" [immobile].
" [sans [le] « mouvement » (sponia né)].
'" [viennent].
" (sentim ent).
'- [viennent].
" [facultés].
'* [(appartiennent pas)].
'^ [essentielles].
"■" [ainsi ou mes plus simples (sens ations) [notions] me trompent ou ces
deu.x sortes de qualités s'excluent mutuellement].
t Ce développement entre crochets est ajouté en marge; aucun signe
ne précise l'endroit oii il faut le rattacher; mais la suite des idées
semble le réclamer ici .
EDITION ORIGINALE 173
divisible, pour être assuré qu'elle ne peut penser; & quand un Philosophe
viendra me dire que les arbres sentent, & que les rochers pensent ^ *, il
* Il me semble que loin de dire que les rochers pensent, la philosophie
en France, Essai sur l'entendement humain, IV. 3 ' 102 , 440 sqq : « Nous avons des
idées de la Matière et de la Pensée; mais peut-être ne serons-nous jamais capables
de connaître si un être purement matériel pense ou non, par la raison qu'il nous
est impossible de découvrir par la contemplation de nos propres idées, sans Révélation,
si Dieu n'a point donné à quelques amas de matière disposés comme il le trouve à
propos, la puissance d'apercevoir et de penser; ou s'il a joint et uni à la .Matière ainsi
disposée une substance immatérielle qui pense. Car par rapport à nos notions, il ne nous
est pas plus malaisé de concevoir que Dieu peut, s'il lui plaît, ajouter à notre idée de la
Matière la faculté de penser que de comprendre qu'il y joigne une autre substance avec
la faculté de penser... Je ne vois pas quelle contradictioa il y a, que Dieu, cet Être pen-
sant, éternel et tout puissant, donne, s'il veut, quelques degrés de sentiment, de per-
ception et de pensée à certains amas de .Matière créée et insensible ». etc. On sait que
Voltaire avait accepté l'hypothèse de Locke dans une de ses Lettres philosophiques qui
fit le plus de scandale, la XIII* [1.45], I, 172-173. Rousseau lui-même dans sa III' Lettre à
Sophie \2b , i53, n'avait pas encore trouvé, comme il le dira plus tard (cf. aux Appen-
dices, V, la Lettre à -M. de Franquières, | 5|, «que la supposition de la matière pen-
sante est une véritable absurdité » ; et il paraissait admettre, comme un fait acquis pour
l'histoire de la philosophie, que « Locke lit voir que l'essence de l'âme ne consiste point
dans la pensée ». .Mais il présentait cette opinion plutôt comme celle des philosophes
contemporains que comme la sienne propre. D'ailleurs dans ses Lettres à Sophie il
était encore beaucoup plus détaché des problèmes purement métaphysiques que dans la
Profession même. Il y disait (p. i53i : « En philosophie, substance, âme, corps, éternité,
mouvement, liberté, nécessité, contingence, etc., sont autant de mots qu'on est contraint
d'employer à chaque instant, et que personne n'a jamais conçus ». A grand etlort. dans
la Profession, il est arrivé à concevoir tous ces mots avec une précision qui restera
pour lui définitive. — Faut-il remarquer que, dans la Première Rédaction du passage
que celui-ci remplace, il avait employé les e.xpressions : « matière animée, sentante,
pensante ». Ce n'est pas, comme on pourrait le croire, une adhésion, même provisoire, à
l'hypothèse de Locke : il veut dire seulement que la matière, dans l'un de « ses trois
états », se présente à l'observateur comme accompagnée de sensations et de pensée.
' Dans son Saint-.\ubin [141], III, 74, Rousseau avait pu lire que « Campanella
attribue non-seulement le mouvement à la matière, mais même le sentiment à toutes
les parties de la matière », et que, selon lui, « il n'y a rien dans la nature qui ne soit
animé et sensible ». Hobbes semblait aussi, dans sa Physique, sinon accepter la même
doctrine, du moins la considérer comme fort soutenable : cf. Elementorujn philosophiœ
Sectio I, Pars IV, Physica. cap. XXV, « De sensione et motu animali », 5 5, « Non
omnia corpora sensu pradiia esse» [61], 194-195 :« Scio fuisse Philosophos quosdam,
eosdemque viros doctos, qui corpora omnia sensu praedita esse sustinuerunt ; nec
video, si natura sensionis in reactione sola collocaretur. quomodo refutari possint ».
Il n'est pas sur que Rousseau ait lu les Elementa Philosophiœ, mais il trouvait ce texte
cité dans Clarke ^125, I, 106-107. C'est, disait Clarke en commentant ce passage de
Hobbes, « l'hypothèse la plus absurde et la plus surprenante, qui ait peut-être jamais
été avancée, que la matière, en tant que matière, n'est pas seulement capable de figure
et de mouvement, mais aussi de sentiment et de perception, et qu'il ne lui manque
pour exprimer ses sensations, que des organes et une mémoire, comme on en voit
174 REDACTIONS MANUSCRITES
épuisé s'arrête la]. 'Quant un philosophe viendra me dire que les -
montagnes ^ pensent et que les rochers (' sont sensibles) *, il aura
B f" 133 '" * t En note. « Il me semble ^que '' loin de dire que les rochers pensent
la philosophie moderne» (embarrassée 'soutient) «au contraire que les
hommes ne pensent point ». (* H n'y a) « que des êtres sensitifs dans la
nature, et toute la différence qu'il y a » C d') « un homme » (i" à) « 'i une
pierre est que 12 l'homme est un être sensitif qui a des sensations, et»
('■n'autre) « un être sensitif qui n'en a » {'* point). ['^ Mais s'il est vrai que
toute matière sente, où concevrai-je] l'unité sensitive ou le moi individuel,
sera-ce dans chaque molécule de matière ou dans des corps aggrégatifs.
Placerai-je également cette unité dans les fluides et dans les solides, dans
les mixtes et dans les élemens ? Il n'y a dit-on que des individus dans
la nature, mais quels sont ces individus? Cette pierre est-elle un individu
ou une aggregation d'individus, est-elle un [seul] être sensitif ou ('^plu-
sieursi?Si chaque atome élémentaire est un [(seuli] être sensitif com-
ment concevrai-je cette intime communication par laquelle l'un se sent
dans l'autre l'en sorte que leurs deux moi ( '^ n'en fassent plus qu'jun?
' B. (Quand un philosophe) [quoiqu'en dise Locke, « je n'ai besoin » de
connoître la matière que comme étendue et divisible pour être assuré qu'elle ne
peut penser et quand un philosophe].
- I. (montagnes) [arbres].
■' B. sentent.
* [sentent]. — B. (sentent) [pensent].
■' M. qu'au lieu de.
'■■ (l'on).
' » a découvert ■».
" « Elle ne reconnoit plus ».
" « entre -».
'" « et •>■>.
" [(un caillou)].
'■ (une p iebre).
" « la pierre » [(le caillou)].
" [pas].
'- (Je ne m'arrêterai pas à rechercher ce que c'est qu'un être sensitif).
'" [« en contient-elle » (plusieurs), autant que de grains de sable].
" (et n'a plus avec lui que).
'* [se confondent en].
t Plus exactement. Rousseau a écrit le brouillon des six premières
lignes /" i33 "', et il-a mis au net toute la note sur une petite feuille
qu'il a collée par quatre pains à cacheter au verso du folio i33.
L'astérisque, comme la note qu'il amorce, manque dans F.
EDITION ORIGINALE I75
aura beau m embarrasser | dans ses argumens subtils, je ne puis voir en yjj
moderne ■* a découvert au contraire que les hommes ne pensent point '. Elle '
ne re- | connoil plus que des êtres sensitifs dans la Nature. & toute la différence lit]
qu'elle trouve entre un homme & une pierre, est que l'homme est un être
sensitif qui a des sensations, & la pierre un être sensitif qui n'en a pas. Mais
s'il est vrai que toute matière sente, où concevrai-je l'unité sensitive, ou le moi
individuel ? sera-ce dans chaque molécule de matière, ou dans des corps aggré-
aux animau.x ». Dans son Traité de rà.'ne, La Mettrie intitulait l'un de ses chapitres,
le VI', « De la faculté sensitive de la Matière» et il ajoutait '171], 26: « Nous avons
parlé de deux attributs essentiels de la matière, desquels dépendent la plupart de ses
propriétés, savoir l'étendue et la force motrice. Nous n'avons plus maintenant qu'à
prouver un troisième attribut; je veux dire la faculté de sentir, que les Philosophes
de tous les siècles ont reconnue dans cette même substance ». Quant à l'ironie de la
formule : « les arbres sentent et les rochers pensent », il se pourrait bien qu'elle eût
été suggérée à Rousseau par une page de Bayle, Remarque F de l'article Lucrèce fioo],
III, 21 1 a : « Il y a longtemps que je suis surpris que m Épicure, ni aucun de ses secta-
teurs, n'aient considéré que les atomes qui forment un nez, deux yeux, plusieurs nerfs,
un cerveau n'ont rien de plus excellent que ceux qui forment une pierre; et qu'ainsi
il est très absurde de supposer que tout assemblage d'atomes, qui n'est pas un homme,
ni une bête, est destitué de connaissance. Dès qu'on nie que l'àme de l'homme soit
une substance distincte de la matière, on raisonne puérilement si l'on ne suppose pas
que tout l'univers est animé, et qu'il y a partout des êtres particuliers qui pensent; et
que, comme il y en a qui n'égalent point les hommes, il y en a aussi qui les surpassent.
Dans cette supposition, les plantes, les pierres sont des substances pensantes ».
' Par ce mot, Rousseau veut distinguer des anciens matérialistes, comme Hobbes
et Campanella, les nouveaux matérialistes dont il a parlé au début de la Profession,
ceux qui ne voient dans le jugement qu'une sensation transformée. On verra en effet
que cette note est toute pleine d'allusions à Helvetius, ,Maupertuis et Diderot.
•■ Parce qu'aux yeux de Rousseau, il n'y a plus de « pensée », s'il n'y a pas une
substance pensante, c'est-à-dire une substance qui ne soit pas par elle-même purement
et activement pensante; cf., plus haut, p. 41-42 ; « Je ne suis donc pas seulement un
être sensitif et passif, mais un être intelligent et actif; et, quoiqu'en dise la philosophie,
j'oserai prétendre à l'honneur de penser ».
• ' Si, comme je le crois, c'est bien au système de .Maupertuis-Baumann, connu
soit directement, soit par le résumé de Diderot, que Rousseau fait ici allusion, il
semblerait que le mot sensitif fut insuffisant, et que, dans ce système, la matière fut
véritablement pensante: car ce que disait Maupertuis, c'est '198 B], i55-i56, « qu'on
pouvait sans danger admettre dans la matière des propriétés d'un autre ordre que
celles qu'on appelle physiques, qu'on pouvait lui accorder quelque degré d'intelligence,
de désir, d'aversion, de mémoire ». .Mais, pour Rousseau (cf. la note précédente 1. censée
équivaut à jugement actif; et, d'autre part, pour Maupertuis et Diderot, ces propriétés
qu'ils attribuent à la matière, ce sont « toutes les qualités que nous reconnaissons
dans les animaux, que les .\nciens comprenaient sous le nom d'âme sensitive, et que
le docteur Baumann admet, proportion gardée des formes et des masses, dans la
particule la plus petite de matière, comme dans le plus gros animal » 1 Interprétation
de la nature jao], 46).
176 RÉDACTIONS MANUSCRITES
beau m'embarrasser dans ses argumens subtils, je ne 'verrai jamais
en lui qu'un sophiste 'de mauvaise foij qui aime mieux donner
le sentiment aux pierres "que d'accorder une ame à l'homme.
f° 161 ™ Il ^ Supposons ^ un sourd (de naissance) ''qui nie l'existence
des sons parce qu'ils n'ont jamais frapé son oreille. Je mets sous
ses veux un mstrument à corde, dont (ensuite) je fait sonner
•■' un harmonique par un autre instrument caché. Le sourd voit
frémir la corde •, je lui dis c'est ^^ un son qui fait (îremir)
cela. Point du tout ■' me dit-il, la cause du frémissement de
1" cette corde est en elle même. '' Expliquez (la) donc '- je ne
L'attraction peut être une loi de la nature dont le mistére nous est
inconnu, mais nous concevons au moins que l'attraction agissant selon les
masses [let les distances)] n'a rien d'incompatible avec l'étendue et la
divisibilité. Concevez-vous la même chose du sentiment? Les parties
sensibles sont étendues mais l'être sensitif est indivisible et un : il ne
se partage pas, il est tout entier ou nul : l'être sensitif n'est donc pas
un corps: je ne sais comment l'entendent les matérialistes, mais il me
semble que les mêmes difficultés qui leur ont fait rejetter la pensée leur
(13 doivent) faire rejetter aussi le sentiment et je ne vois pas pourquoi
ayant fait le premier pas, il ne feroient pas aussi l'autre; que leur en
coûteroit-il de plus, et puisqu'ils sont surs qu'ils ne pensent pas comment
osent-ils affirmer qu'ils sentent?
' B. (verrai jamais) [puis voir].
- B. (qu) [que d'accorder] une ame.
' ((Celui qui veut que... Si je veux que tout soit) [quand je soutiens] que
tout est matière parce que (je ne conçois pas une autre substance) [une autre
substance ne frape pas mes sens]).
^ B. [qu'un].
■'■ B. (qui).
" B. (l'unisson harmonique au grave) [(un) l'unisson].
' M. sans que rien la touche.
^ B. le.
^ B. repond-il.
'" B. la.
" B. (Montrez-moi donc la nature [et tous les corps frémissent comma
celui-ci]). [C'est une (propriété) [a qualité] commune à tous les corps de frémir
<de même) ainsi]. Montrez-moi donc [lui dirai je] ce frémissement dans les
autres corps ou du moins '■ la cause dans cette corde ? Je ne puis.
n) M. faculté.
>>) M. sa.
'^ [cette cause].
" [devraient].
ÉDITION ORIGINALE • I77
lui qu'un sophiste de mauvaise toi, qui aime mieux donner le sentiment
aux pierres, que d'accorder une ame à l'homme '.
Supposons un sourd qui nie l'existence des sons, parce qu'ils n'ont
jamais frappé son oreille. Je mets sous ses yeux un instrument à corde,
dont je fais sonner l'unisson par un autre instrument caché : le sourd
gatifs '? Placerai-je également cette unité dans les fluides & dans les solides,
dans les mixtes ' & dans les élémens ? Il n'y a, dit-on ■*, que des individus dans
la Nature, mais quels sont ces individus? celte pierre est-elle un individu ou
une agf^régation d'individus? est-elle un seul être sensitit", ou en contient-elle
autant que de grains de sable? si chaque atome élémentaire est un être sensitif,
comment concevrai-je cette intime communication par laquelle l'un se sent dans
' Dans une Lettre à V'ernes, du 18 Février 1758, X, 180, lettre par conséquent
contemporaine de la Première Rédaction de ce texte, — après avoir réfuté les théories
matérialistes sur la nécessité du mouvement, — Rousseau disait presque dans les
mêmes termes qu'ici : « Autre argumentation sans fin contre la distinction des deux
substances; autre persuasion de ma part qu'il n'j' a rien de commun entre un arbre
et ma pensée ; et ce qui m'a paru plaisant en ceci, c'est de les voir s'acculer eux-mêmes
par leurs propres sophismes, au point d'amier mieux donner le sentiment aux pierres
que d'accorder une âme à l'homme ».
' Le mot revient souvent dans les Institutions chimiques : cf. 1, 1 [i], I, 17 d,
27 c, etc.; cf. encore, comme mot de formation analogue : « fermentatif », Id., IV,
Introduction [i], II, 5o d ; et, ici même, p. 148 : « éventif ». Diderot a employé aussi
« agrégatif» : cf. le texte cité à la note 2 de la p. 48.
' Sur les « mixtes », cf., plus haut, la note de la p. 44.
* C'est une citation d'Helvetius, De L'Esprit, I, 4 [225 Al, 3t-32 : « L'on a de tout
temps et tour à tour soutenu que la matière sentait ou ne sentait pas L'on s'est avisé
très lard de se demander sur quoi l'on disputait, et d'attacher une idée précise à ce
mot de matière. Si d'abord l'on en eût fixé la signification, on eût reconnu que les
hommes étaient, si je l'ose dire, les créateurs de la matière, que la matière n'était pas
un être, qu'il n'y avait dans la nature que des individus auxquels on avait donné
le nom de corps, et qu'on ne pouvait entendre par le mot de matière que la collection
des propriétés communes à tous les corps. La signification de ce mot ainsi déterminée,
il ne s'agissait plus que de savoir si l'étendue, la solidité, l'impénétrabilité étaient les
seules propriétés communes a tous les corps; et si la découverte d'une force, telle,
par exemple, que l'attraction, ne pouvait pas faire soupçonner que les corps eussent
encore quelques propriétés inconnues, telle que la faculté de sentir, qui, ne se mani-
festant que dans les corps organisés des animaux, pouvait être cependant commune à
tous les individus ». Ces conjectures d'Helvetius avaient troublé Rousseau, puisqu'il
avait copié tout ce passage, pour y réfléchir à loisir, et avait inscrit en dessous : « A bien
examiner » ; cf. aux Appendices, II, le fragment inédit, La Genèse de l'idée de Substance.
— Au reste, du point de vue des apparences sensibles, Rousseau ne ferait pas difficulté
d'accepter l'affirmation d'Helvetius. Il écrivait à Dom Deschamps, le 8 Mai 1761 [27],
14g : « Nos sens ne nous montrent que des individus ».
12
17» REDACTIONS MANUSCRITES
puis '. Mais continue-t-il parce que je -ne conçois pas ^ comment
frémit cette corde pourquoi ^ voulez-vous que j'aille expliquer cela
par vos sons ^dont je n'ai pas la moindre idée. C'est expliquer une
chose obscure par une cause encore plus obscure. (Allez allez vous
n'êtes qu'un visionnaire. ''Soyez sur que vos prétendus sons n'existent
' que dans vôtre imagination), f Plus je "^ reflechissois sur ^ la
cause de la pensée et sur la nature de l'esprit humain, plus je
'" trouvois que le raisonnement " des matérialistes '- ressembloit à
celui de ce sourd. Ils sont sourds en etîet à la voix intérieure
qui leur crie d'un ton difficile à meconnoitre une machine ne
'^ pense point il n'\' a ni mou\ement ni figure qui produise la
reflexion. Quelque chose en toi cherche à briser les liens qui le
compriment. '■• L'espace; ^^ n'est pas ta mesure, l'univers entier n'est
' B. (reprend-il. c'est une corde tiemissante. voilà tout ce que j'en sais)
[(mais «. continue »-t-il. reprend-il)j [répliquera-t-il, mais parce que je ne conçois
pas comment frémit]. — M. (continue-t-il... réplique-t-il... continuera-t-il) [répli-
quera-t-il]. — I. réplique (l'aveugle) [le sourd].
- je conçois pas (sic). — I. [ne].
^ (cette).
* B. faut-il.
^ B. (dont je n'ai... plus obscure) [que je conçois encore moins].
''' [ou rendez-moi vos sons sensibles ou (sachez) [je dis] qu'ils n'e.xistent
point]. — B. n'e.xistent pas. — M. ou rendez moi ces sons.
' [point].
" B. réfléchis. — I. (dis cute) réfléchis.
■' B. < la cause de >.
'" B. trouve.
" I. (de ce sourd) [des matérialistes].
'- B. ressemble.
'^ M. sent ni ne pense < point >.
'* (L'univers en tier).
'■"' B. (est trop petit) [n'est pas ta].
t Ici. en marge, la réflexion suivante, inutilisée, qui reprend, sous
une autre forme, la dernière idée du paragraphe précédent : mais à
quel être appartiennent donc ces qualités je l'ignore. iTout) la seule
chose que je sais bien c'est qu'elles n'appartiennent pas à la matière.
ÉDITION ORIGINALE I79
voit frémir : la corde: je lui dis, c'est le son qui fait cela '. Point du tout, [72]
répond-il: la cause du frémissement de la corde est en elle-même; c'est
une qualité commune à tous les corps de frémir ainsi : montrez-moi
donc, reprends-je, ce frémissement dans les autres corps, ou du moins
l'autre, en sorte que leurs | deux moi se confondent en un '? L'attraction peut r72]
être une loi de la Nature dont le mistere nous est inconnu; mais nous concevons
au moins que l'attraction, agissant selon les masses, n'a rien d'incompatible avec
l'étendue & la divisibilité. Concevez-vous la même chose du sentiment^? Les
parties sensibles sont étendues, mais l'être sensitif est indivisible & un; il ne se
partage pas, il est tout entier ou nul : l'être sensitif n'est donc pas un corps '.
' « C'est une observation connue de tous les musiciens, dit Rousseau, dans le
Dictionnaire de \fusique, art. Unisson, VII, 338, que celle du frémissement et de
la résonnance d'une corde au son d'une autre corde montée à l'unisson de la première»,
et il donne à la fin de l'article « Texplication de ce phénomène ». Il la trouvait déjà
dans son Saint-Aubin, IV, 2 [141], III, i37-i38. Diderot s'était servi, lui aussi, de cette
expérience classique, comme d'un terme de comparaison pour l'analyse des passions
humaines : cf. Essai sur le mérite et la vertu [174]. yS, note. .Mais l'on serra par la
note suivante que c'est Clarke sans doute qui a suggéré à Rousseau celte comparaison,
sinon dans ses détails, du moms dans son idée essentielle.
' « 11 semble, disait .Maupertuis, dans son Essai sur la formation des corps
organisés 198 A], 5o-3i, que, de toutes les perceptions des éléments rassemblées, il en
résulte une perception unique beaucoup plus forte, beaucoup plus parfaite qu'aucune
des perceptions élémentaires, et qui est peut-être à chacune de ces perceptions dans
le même rapport que le corps organisé est à l'élément » ; et Diderot développait ainsi
la pensée de .Maupertuis, Interprétation de la Nature, L [210], 47: « Chaque élément
perdra-t-il, en s'accumulant et en se combinant, son petit degré de sentiment et de
perception ? nullement, dit le docteur Baumann. Ces qualités lui sont essentielles.
Qu'arrivera-t-il donc? le voici. De ces perceptions d'éléments rassemblés et com-
binés, il en résultera une perception unique, proportionnée à la masse et à la
disposition; et ce système de perceptions dans lequel chaque élément aura perdu la
mémoire du soi et concourra à former la conscience du tout, sera l'âme de l'animal ».
* C'est encore une réponse directe à Helvetius. Le texte du livre De L'Esprit,
auquel il a déjà fait allusion dans cette note, se terminait, on l'a vu, par une espèce
de raisonnement analogique, où Helvetius s'autorisait de la récente découverte de
Tattraction pour supposer dans les corps d'autres propriétés inconnues, et, en particu-
lier, la faculté de sentir. Diderot, d'ailleurs, avait fait le même raisonnement quelques
années plus tôt, et il est possible qu'Helvetius le lui ait emprunté: cf. Interprétation
de la Nature, L ^210^, 45 : « L'observation des corps célestes a démontré la nécessité
d'une force par laquelle toutes les parties tendissent ou pesassent les unes vers les
autres selon une certaine loi; et l'on a admis l'attraction... La physique élémentaire
des petits corps a fait recourir à des attractions qui suivent d'autres lois: et l'impossi-
bilité d'expliquer la formation d'une plante ou d'un animal, avec les attractions, l'inertie,
la mobilité, l'impénétrabilité, le mouvement, la matière ou l'étendue, a conduit le
philosophe Baumann à supposer encore d'autres propriétés dans la nature ».
* Cf. Bonnet, Essai analytique, XI [229], 111 : « L'âme n'est pas corps: la
simplicité du sentiment le prouve: le sentiment est un, le corps est multiple ». —
L'abbé de Lignac avait fait aux matérialistes contemporains une objection plus
l8o RÉDACTIONS MANUSCRITES
pas assés grand pour toi. Tes 'désirs, -ta grandeur, ion inquiétude
^ont [^ un] autre principe qu'(''un) corps C^de cinq pieds).
' B. [sentimens, tes]. — I. < tes seniimens >.
^ B. (ta grandeur). — I. ta grandeur.
' B. [ton orgueil même]. — I. < ton orgueil même >.
■* (une). — I. un(e).
'- [e ce]. — B. (le) [ce]. —I. le.
" [qui t'enveloppe]. — B. (qui t'enveloppe) [étroit dans lequel tu te sens
enchaîné]. — I. qui t'enveloppe.
ÉDITION" OKIGINALE l8l
sa cause dans cette corde? Je ne puis, réplique le sourd; mais parce que
je ne conçois pas comment frémit cette corde, pourquoi faut-il que j"ailie
expliquer cela par | vos sons, dont je n'ai pas la moindre idée? C'est [73]
expliquer un fait obscur, par une cause encore plus obscure. Ou rendez-
moi vos sons sensibles, ou je dis qu'ils n'existent pas. *
Plus je réfléchis sur la pensée «S; sur la nature de l'esprit humain,
plus je trouve que le raisonnement des matérialistes ressemble à celui
de ce sourd ^ Ils sont sourds, en efl'et, à la voix intérieure qui leur crie
d'un ton difficile à méconnoître : Une machine ne pense point, il n'v
a ni mouvement, ni figure qui produise la réflexion 2 : quelque chose en
toi cherche à briser les liens qui le compriment : l'espace n'est pas ta
Je ne sais comment l'entendent nos matérialistes, mais il me semble que les
mêmes difficultés qui leur ont fait rejetter la pensée, leur devroient faire aussi
rejetter le sentiment. & je ne vois pas pourquoi ayant fait le premier pas, ils ne
feroieni pas aussi l'autre: que leur en coùieroit-il de plus, & puisqu'ils sont
sûrs qu'ils ne pensent pas, comment osent-ils affirmer qu'ils sentent ?
personnelle, mais inspirée du même esprit, dans ses Éléments de mélaplwsique, XVI
[2o5j, 389-394, et il la résumait ainsi dans un Mémoire annexé au Témoignage du
sens intime ^23 1-, I, 3i5-3i6 : Pour réfuter la théorie de Locke sur la possibilité
d'accorder la pensée à un amas de matière. « ie démontrais, qu'en supposant même
chacune des parties de cette collection matérielle, destituée de toute surface, de toutes
dimensions indivisibles, comme les .Monades de Leibniz: en supposant de plus que
chacune sentît son existence numérique, comme feu M. de .Maupertuis a voulu qu'on
le jugeât, la collection de ces parties ne sentirait pas son existence totale, puisque cet
amas serait composé de parties dont chacune sentirait son existence propre, en
exclurait la réalité de toutes les autres, se sentirait l'impossibilité de douter de son
existence, et la possibilité de douter de celle de toutes les autres; et qu'ainsi dans ce
tout qu'on supposerait sentir son existence totale, aucune de ses parties ne sentirait
l'existence du tout, non plus que dans une armée de cent mille hommes, dont chaque
soldat sent sa propre existence, on ne pourrait dire que la collection de ces soldats
se sent exister, comme chaque soldat sent son individualité personnelle ».
' Clarke [i25], I, 70, s'était servi de la même comparaison pour caractériser le
raisonnement des athées : « Je pose en fait qu'un sourd, qu'un aveugle de naissance
•on remarquera que Rousseau, dans la Première Rédaction, avait écrit : un sourd de
naissance^ ont infiniment plus de raison de nier l'existence et la possibilité du son
et de la lumière, que n'en a l'athée pour révoquer en doute l'existence de Dieu. Toute
la certitude que le sourd et l'aveugle peuvent avoir de l'existence du son et de
la lumière se réduit au témoignage de personnes croyables; du reste, il est absolument
impossible qu'ils aient la moindre idée, je ne dis pas seulement de leur essence,
mais même de leurs efléts et de leurs propriétés. Il ne faut au contraire à l'athée qu'un
peu de raisonnement », etc.
' L'idée est exprimée par Rousseau avec une conviction aussi neuve que s'il la
présentait pour la première fois. On l'a cependant vu reparaître à plusieurs reprises,
cf. notamment p. 58.
162 REDACTIONS MANUSCRITES
Nul 'corps n'est actif -et "moi je le suis. On a beau me
Ue disputer'', je le sens, et le sentiment qui ''me parle est plus
fort que la raison qui le combat. J'ai un corps sur lequel les
autres agissent et qui agit sur eu.x. Cette action réciproque n'est
pas douteuse, mais ma volonté est indépendante de mes sens, je
consens ou je résiste, je succombe ou je suis vainqueur et je
« ' sens » ** évidemment en moi même quand je fais ('■' ma
volonté) ou quand je ('"me laisse entraîner) à mes passions. Je
(" suis libre) de vouloir ('-mais non pas de faire), (j'agis selon l'im-
pulsion) quand '^je me livre aux tentations '\ quand je me reproche
cette foiblesse '^ j'écoute (la voix "' interne ? qui détermine) ma
volonté (''constante). Je suis esclave par mes vices, "*je suis libre
par mes remords, (et) le sentiment de ma '-'liberté ne s'efface en
' B. (corps) [être matérielj. — I. «. Nui corps ».
- B. [par lui-même]. — M. [par lui-même].
■' I. moi moi (sic).
' B. (le). —I. le.
■•' B. [cela].
" B. (me parle) [l'affirme].
' (vois).
" B. parfaitement.
" [ce que ]'ai voulu faire],
'" [ne fais que céder].
" [ai la puissance]. — B. J'ai [toujours] la.
'- [et non (pas d'agir) celle d'e.xecuter]. — B. mais non (celle) |la torce;
d'exécuter. — I. mais non celle d'exécuter.
'' (je cède à).
'■* [j'agis selon l'impulsion des objets externes].
'■' [je n'] écoute [que].
'" [secrette].
" [(primitive)].
•» B. et libre.
''■' B. (volonté) [liberté].
ÉDITION ORIGIXALK 183
mesure ^, l'Univers entier n'est pas assez grand pour toi ; tes sentimens,
tes désirs, ton inquiétude *, ton orgueil même, ont un autre principe
que ce corps étroit dans lequel tu te sens enchaîné.
Nul être matériel nest actif par lui-même, & moi, je le suis. On a [741
beau me disputer cela, je le sens. & ce sentiment qui me parle est plus
fort que la raison qui le combat ^ J'ai un corps sur lequel les autres
agissent & qui agit sur eu.x ; cette action réciproque n'est pas douteuse;
mais ma volonté est indépendante de mes sens, je consens ou je résiste,
je succombe ou je suis vainqueur. & je sens parfaitement en moi-même
' Cf. Abbadie, Religion chrétienne, II, iv, 5 [92]. II, 3i5, dans un développement
analogue sur la bassesse et la grandeur de l'homme : « C'est un mortel, 11 est vrai,
mais qui place toutes ses espérances au delà de la mort. C'est un être fini, mais qui n'a
aucunes bornes dans ses vues et dans ses désirs. Il ne faut que quatre pieds de terre
pour couvrir son corps ; il faut un tout immense pour satisfaire son âme ».
* Il est à peine besoin de noter l'allure pascalienne de ce texte ; le mot de
«grandeur», qui se trouvait dans la Première Rédaction, soulignait davantage la
parenté d'inspiration. Rousseau avait déjà dit à Sophie avec le même accent. Lettre IV
[25], i3g : « N'avez-vous jamais senti cette secrète inquiétude qui nous tourmente à la
vue de notre misère, et qui s'indigne de notre faiblesse, comme d'un outrage aux
facultés qui nous élèvent ? N'avez-vous jamais éprouvé ces transports involontaires,
qui saisissent quelquefois une âme sensible à la contemplation du beau moral et de
l'ordre intellectuel des choses, cette ardeur dévorante, qui vient tout à coup embraser
le cœur de l'amour des célestes vertus, ces sublimes égarements, qui nous élèvent
au-dessus de notre être, et nous portent dans l'empyrée à côté de Dieu même » ?
' On a déjà vu cet argument: mais, cette fois, ce n'est pas un de ces retours en
arrière, comme j'ai eu l'occasion d'en signaler plus d'un. L'argument est ici bien à sa
place, puisque c'est par la liberté que Rousseau résout le problème du mal : ce serait
plutôt dans la dissertation sur la matière et le mouvement que cette discussion sur la
spontanéité des actions humaines formerait enclave : cf.. plus haut, p. 49-5o et notes.
— Cette preuve de la liberté par le sens intime. « plus fort » que tous les raisonnements,
avait déjà été présentée bien des fois. Cf. quelques textes d'un accent très voisin de
celui de Rousseau, Berkeley, Alciphron, Vil. 21 J43j, 187 : « Il est évident que l'homme
est un agent libre: et. quoique par des raisonnements abstraits vous puissiez m'embar-
rasser, et paraître prouver que l'homme est un agent nécessaire, cependant, aussi
longtemps que j'aurai l'idée de la manière dont j'agis, cette évidence intérieure réfutera
tous vos raisonnements, quelque subtils qu'ils puissent être. Si vous venez à bout de
détruire des principes obscurs, vous pourrez bien vous persuader de votre habileté,
mais nullement de la vérité de vos opinions » : Lignac, Examen sur « l'Esprit » "226],
I, 16 : « La question de la liberté n'est point un problème de métaphysique, c'est une
question de fait décidée par le sens intérieur. Je sais que je suis actif dans mes vouloirs,
parce que je le sens, comme je sais que je suis passif dans mes sensations, encore
parce que je le sens. Quand on mettrait d'ailleurs la chose en question, je ne deman-
derais pas si je puis être libre, mais si je le suis; si vous me démontrez la possibilité
de la liberté, vous ne me prouvez pas que je suis libre. Au contraire, si je suis libre,
la possibilité de la liberté est démontrée »; Sens intime, I. 1 '23i]. 1, 74 : « L'article de
la liberté... est une de ces vérités qui n'est du ressort, ni du doute méthodique, ni
d'aucune discussion. Le sentiment doit juger ici, et non le raisonnement ».
184 RÉDACTIONS MANUSCRITES
moi que quand je me déprave et que i'(' étouffe) la voix de (-la
nature. qui s'élève) contre la ^ loi (*de mon) corps.
fo IQ2 ro t II '^Si 1 est vrai que; l'homme est libre voyez quelles grandes
découvertes j'ai îaites. J'ai vu que la pensée a un soutien différent
de la matière. L'unité de substance étoit l'ouvrage de ma vanité. Je
ne voulois admettre que la substance qui m 'étoit conniie et je ne
voyois pas que par là même je ne la connoissois plus ; car si la
"matière 'pense (et se nt) je ne sais plus ce que c'est que (la)
matière car ces deux idées ne pouvoient entrer dans la notion «. que »
j'ai de cette substance (et de ses propriétés exactes). J'ai fait plus
encore j'ai résolu cette question difficile de l'origine du mal.
B, F 135 ™ [* Je ne connois la i^ nature de la volonté que par ses actes, il m'est
impossible de remonter ^"au-delà). Quand on me demande quelle est la
cause qui détermine ma volonté je réponds en demandant (à mon tour)
quelle est la cause qui détermine mon ■jugement, car 1 " il est certain qu'en
donnant toute l'attention possible à mes jugemens tantôt je dis vrai et tantôt
' [empêche enfin].
- [l'àme de s'élever].
' B. (voix) [loi].
' [du].
^ [(Voyez)]. — B. < S'il est vrai origine du mal >.
" (pe nse).
' [sent et].
" (Comme si je ne suis pas libre de juger faux).
" [volonté que par le sentiment de la mienne (mes)].
"> [(plus haut)].
" [il est clair que].
t En marge, d'une autre encre, et d'une écriture plus récente : Ici
sur la liberté voyez de l'esprit p. 3G.
ÉDITION ORIGINALE 185
quand je fais ce que jai voulu faire, ou quand je ne fais que céder à mes
passions. J'ai toujours la puissance de vouloir, non la force d'exécuter.
Quand je me livre aux tentations, j'agis selon l'impulsion des objets
externes. Quand je me reproche cette foiblesse, je n'écoute que ma
volonté: je suis esclave par mes vices, & libre par mes remords; le
sentiment de ma liberté ne s'efface en moi que quand je me déprave,
& que j'empêche enfin la voix de l'ame de s'élever contre la loi du corps -.
I Je ne connois ^ la volonté que par le sentiment de la mienne. & [75]
' Est-ce lapsus ou hésitation ? Il avait d'abord écrit dans B : « la pnix du corps »,
formule qui traduisait peut-être plus exactement sa pensée que le texte définitif, car
« la loi du corps » semble bien indiquer un déterminisme physiologique, malaisément
conciliable avec cette liberté toute spirituelle que Rousseau proclame. {Remarquez,
en eflét, qu'il écrira plus loin. p. 98 : « la conscience est la l'oix de l'âme, les passions
sont la voix du corps »). C'est, d'ailleurs, le développement des constatations qu'il a
faites plus haut : « je me sens à la fois esclave et libre », etc. Cf., p. 69, les remarques
dont j'ai accompagné ce texte. — Dans son Premier Brouillon, Rousseau faisait ici
une pose, pour se féliciter des résultats obtenus par sa dialectique. Ce couplet d'allé-
gresse n'a passé dans aucun autre manuscrit ; il était, en effet, d'un 1 risme trop
ingénument satisfait : cette petite page reste cependant un témom psychologique très
instructif; c'est un cri de véritable soulagement et de triomphe, comme Rousseau a dû
en pousser à certaines heures de son enquête religieuse, quand, « après les recherches
les plus ardentes et les plus sincères qui jamais peut-être aient été faites par aucun
mortel », il voyait enfin apparaître une lumière rassurante « dans le labyrinthe
d embarras, de ditïicultés, d'objections, de tortuosités, de ténèbres», où il se débattait
douloureusement ; c(. Rê>>eries. IX, 341-342.
' Les trois paragraphes qui suivent mterrompent un instant la marche normale
du développement : les derniers mots du paragraphe précédent formaient une
transition naturelle pour revenir au problème du ma!, en l'expliquant par la liberté;
telle est, en effet, la disposition du texte dans le Premier Brouillon. Mais, après l'avoir
rédigé, Rousseau a lu le livre De l'Esprit, où Helvetius, en quelques phrases rapides,
classait l'idée de « liberté » parmi les idées inintelligibles. Rousseau a pensé qu'il ne
l86 RÉDACTIONS MANUSCRITES
je me trompe). Ces deux causes (isont la même), et si l'on comprend
bien que l'homme est actif dans ('-le) jugemenit), que (^ l'essence de) son
entendement c'est dans; le pouvoir de comparer et de juger on verra
que sa liberté morale vient exactement de la même source ; il choisit le
(■^bieni comme il a jugé le vrai. [S'il juge faux il choisit mai]. Quelle
est donc la cause qui détermine sa volonté? C'est son jugement et
quelle est la cause qui détermine son jugement ?, c'est ^ sa faculté
intelligente c'est sa puissance de juger. La cause déterminante est en
lui-même : ( " on ne sauroit aller au delà)].
' [n'en font qu'une].
"- [ses] iugemen[s].
' M. l'essence de.
^ [n'est que]. — M. est dans.
^ [bon].
* (son).
^ [passé cela je n'entends plus rien].
EDITION' ORICINAI.I-; lOJ
l'entendement ne m'est pas mieux connu. Quand on me demande quelle
est la cause qui détermine ma volonté, je demande à mon tour, quelle
est la cause qui déterniine mon jugement '- : car il est clair que ces deux
causes n'en font qu'une. & si l'on comprend bien que l'homme est actif
dans ses jugemens, que son entendement n'est que le pouvoir de com-
parer & de juger, on verra que sa liberté n'est qu'un pouvoir semblable,
oLi dérivé de celui-là: il choisit le bon comme il a jugé le vrai; s'il juge
faux il choisit mal. Quelle est donc la cause qui détermine sa volonté?
C'est son jugement. Et quelle est la cause qui détermine son jugement?
pouvait accepter cette exécution sommaire sans compromettre son apologie de la
Providence. Il s'est donc promis de riposter (cf. la note marginale de FI ; et c'est
ce qu'il a fait dans la Rédaction suivante. .Mais, en établissant contre Helvetius
l'intelligibilité de l'idée de liberté, il a rencontré la théorie de Locke, qui semble
soumettre la volonté au déterminisme de l'intelligence, et il a tenu à s'en séparer. —
Des trois nouveaux paragraphes ajoutés à la Rédaction primitive, le premier est une
réponse à Locke, les Jeu.x autres à Helvetius. L'abbé de Lignac avait déjà remarqué
qu'il y avait filiation de la doctrine de Locke au déterminisme d'Helvetius : cf. Examen
sur l'Esprit. I, i ^226], 1, i3.
- Pour comprendre tout ce développement, il faut se rappeler la théorie de
Locke : cf. Entendement humain, II, xxi, « De la puissance », et, en particulier, % 29
1^102], 192 : «Comme la volonté n'est autre chose que cette puissance que l'esprit a
de diriger les facultés opératives de l'homme, au mouvement ou au repos, autant
qu'elles dépendent d'une telle direction, lorsqu'on demande : qu'est-ce qui détermine
la volonté, la véritable réponse qu'on doit faire à cette question consiste à dire que
c'est l'esprit qui détermine la volonté * : et, un peu plus loin, au § 76, après avoir
montré que la volonté intelligente se demandait, avant d'agir, si tel bien particulier,
produit par cette action, faisait partie de notre bonheur réel, il ajoutait, p. 220 : « Le
résultat de notre jugement, en conséquence de cet examen, c'est ce qui, pour ainsi
dire, détermine en dernier ressort l'homme, qui ne saurait être libre, si sa volonté
était déterminée par autre chose que par son propre désir, guidé par son propre
jugement ». Cf. encore l'auteur de l'article Évidence, qui se rallie au même système
[218], i56 b : « C'est dans cet état d'intelligence et dans la force d'intention que consiste
le libre arbitre, considéré simplement en lui-même. Ce n'est, du moins, que dans
ce point de vue que nous pouvons l'envisager et le concevoir relativement à nos
connaissances naturelles; car c'est l'intelligence qui s'oppose aux déterminations
animales et spontanées, qui fait hésiter, qui suscite, soutient et dirige l'intention
Nous apercevons que c'est moins une faculté active qu'une lumière qui éclaire la voie
que nous devons suivre, et qui nous découvre les motifs légitimes et méritoires qui
peuvent régler dignement notre conduite ». Rousseau admet, lui aussi, que c'est le
jugement qui détermine la volonté, mais sa théorie du jugement qu'il a exposée plus
haut, p. 40, lui permet de ne pas s'en tenir là. Le jugement a besoin, à son tour,
d'être expliqué : « je suis actif quand je juge ». Expliquer la volonté par le jugement,
ce n'est pas la soumettre au déterminisme intellectuel, c'est au contraire tout expliquer
par la liberté. Rousseau avait déjà dit dans le Discours sur l'Inégalité, I, 89: «Ce
n'est pas tant l'entendement qui fait, parmi les animaux, la distinction spécifique de
l'homme, que sa qualité d'agent libre ».
l88 RÉDACTIONS MANUSCRITES
f" 136 ■■" Sans doute je ne suis pas libre de ne pas vouloir mon propre bien;
je ne suis pas libre de vouloir mon mal, mais [' ma liberté consiste]
en cela même que je ne puis vouloir que ce qui m'est convenable ou
que je (- croisi tel, sans que rien d'étranger à moi me détermine.
S'ensuit-il que je ne sois pas mon maitre, parce que je ne suis pas le
maitre « d'être » un autre que moi ?
^ La première cause de toute action est dans la volonté de quelque
être libre, * on ne sauroit remonter au delà. Ce n'est pas le mot de
liberté qui ne signifie rien, c'est celui de nécessité. Supposer quelque
acte quelque effet qui ne dérive pas d'un principe actif, c'est vraiment
supposer des effets sans cause, c'est tomber dans le cercle vicieux. Ou
il n"v a point de première impulsion, ou toute première impulsion (^ vient
de la volonté d'un être libre. Sitôt que je veux sortir de la je ne m'entends
plus, je ne fais plus que du galimathias).
' (c'est).
- [estime].
'■' [(J'ignore abso lumf.nt... Je ne connois la nature de la volonté que par
ses actes et (c'en « est » assez pour moi) [cela me suffit])].
■* M. (d'où il suit que rien de ce qui se fait ne se fait nécessairement).
'" [n'a nulle cause antérieure et il n'y a point de [■' véritable] spontanéité
sans liberté. L'homme est donc libre dans ses actions [et comme tel animé d'une
substance immatérielle]. C'est mon troisième article de foi. Tous les autres
découlent des trois premiers. Vous les suivrez aisément sans que je les (mon tre)
[compte]].
«I I. (spontanéité) [véritable volonté].
ÉDITION ORIGINALE 189
C'est sa faculté intelligente, clest sa puissance de juger; la cause déter-
minante est en lui-même. Passé cela, je n'entends plus rien ■''.
Sans doute •• je ne suis pas libre de ne | pas vouloir mon propre ryg]
bien, je ne suis pas libre de vouloir mon mal ; mais ma liberté consiste
en cela même, que je ne puis vouloir que ce qui m'est convenable, ou
que j'estime tel, sans que rien d'étranger à moi me détermine. S"ensuit-il
que je ne sois pas mon maître, parce que je ne suis pas le maître d'être
un autre que moi?
Le principe de toute action est dans la volonté d'un être libre, on
ne sauroit remonter au-delà. Ce n"est pas le mot de liberté qui ne signifie
rien, c'est celui de nécessité '. Supposer quelque acte, quelque effet qui
' Dans un fragment inédit, qu'il voulait rattacher à une réflexion de Julie
(cf., plus loin, la note 2 de la p. -6», Rousseau avait déjà essayé de ramener le problème
de la liberté à un problème plus général, celui de l'àme ; cf. Nouvelle Héloïse (VI, vil)
fg], II, 48™ (je cite le te.xte primitif): «S'il est bien vrai que Thomme ait une
âme, ce qu'il m'est absolument impossible de démontrer et de révoquer en doute,
il faut nécessairement que cette âme soit active, et capable de produire par elle-même
une volonté indépendante de toute détermination physique; autrement, /e n'entends
plus rien à ce mot d'àme: il n'a plus aucun sens pour moi ». — Comparer l'argumen-
tation de Rousseau avec celle de Berkeley, Alciphron, VII, 21 [143], (88 : « Ce ne serait
rien dire "contre la liberté^ que d'avancer que la volonté est gouvernée par le jugement,
ou déterminée par l'objet, puisque, dans mille occasions, je ne saurais séparer la
décision du jugement d'avec le commandement de la volonté».
* Réponse à Helvetius, De l'Esprit, I, 4 [226 AJ, 36 (C'est la page même que
Rousseau avait notée en marge de son Premier Brouilionj : « On a donc une idée
nette de ce mot de liberté, pris dans une signification commune. II n'en est pas
ainsi lorsqu'on applique ce mot de liberté à la volonté. Que serait-ce alors que la
liberté ? On ne pourrait entendre par ce mot que le pouvoir libre de vouloir ou de
ne pas vouloir une chose // faudrait donc que nous puissions également nous
vouloir du bien et du mal, supposition absolument impossible ».
' Nouvelle réplique à Helvetius '225 A], 3tj-38. « En ce sens ^lorsqu'on applique
ce mot de liberté à la volonté], on ne peut donc attacher aucune idée nette à ce mot
de liberté... On ne peut donc se former aucune idée de ce mot de liberté appliqué
à la volonté ». Fréret disait de même 189], 2o5 : « Ceux qui font consister la liberté
dans quelque chose de plus que le concours ou le consentement de la volonté n'ont
point d'idée de ce qu'ils disent ». Déjà, dans la Souvelle Héloi'se (VI, viii, V, 33-34.
Rousseau avait fait allusion à ces formules dédaigneuses des déterministes : « J'entends
beaucoup raisonner contre la liberté de l'homme, et je méprise tous ces sophismes,
parce qu'un raisonneur a beau me prouver que je ne suis pas libre, le sentiment
intérieur, ^jIus fort que tous ces arguments, les dément sans cesse A entendre ces
gens-là, ... ce mot de liberté n'aurait aucun sens ». — L'affirmation de Rousseau : « ce
n'est pas le mot de liberté qui ne signifie rien, c'est celui de nécessité », cette
affirmation, une des plus formelles qu'ait jamais prononcées partisan de la liberté, se
trouvait préparée dans .M par cette formule tout aussi catégorique : < rien de ce
qui se fait ne se fait nécessairement ».
igO KEDACTIONS MANUSCRITES
F f° 162 '■° Si l'homme est actif et libre ' il ayit de lui-même (-et [tout )
ce qu'il fait librement '-' n'entre point dans le sistême ordonné de
la providence et ne peut ■'lui être imputé. (^La providence! ne
\eut ni ne permet le mal que fait l'homme en abusant de •'sa
liberté. Elle l'a fait libre afin qu'il fit non le mal mais le bien
par choix, ('et) elle l'a mis **en état de faire ce choix en usant
bien des facultés •' dont- elle l'a doué ('"et) elle a "borné ses|
forces '-'de telle sorte que l'abus de *'sa liberté qu'elle lui laisse]
ne "puisse (jamais) troubler l'ordre général « '■'qu'elle établit ».
Le mal que l'homme fait retombe sur lui-(même) «■ "^ mais cela »
(même) ne change rien au sistême '"du monde, '*et n'empêche pas
' M. < il agit de lui-même >.
-' B. tout.
' (dans).
* lui imputé (sic). — B. lui être.
= [KWe.
" B. la liberté qu'elle lui donne. [Mais elle ne l'empêche pas de le faire;
soit que de la part d'un être si foible ce mal soit nul à ses veux; soit qu'elle ne
put l'empêcher sans gêner sa liberté et faire un mal plus grand en dégradant
sa nature]. — M. (sa) [la] liberté qu'elle. — I. < Mais elle ne l'empêche... dégra-
dant sa nature >.
■ [(mais)].
" [(par les facultés dont elle l'a doué)].
■' M. (qu') [dont].
'" [mais].
" (pourvu à ce que les). — B. tellement borné.
'- B. < de telle sorte >.
'" B. la.
'■* B. (puisse) [au crayon, repassé à l'encre : peut].
'■■' B. (qu'elle établit). [Le mal que].
'^ B. (mais cela ne) [sans rien] change[r] (rien).
'" B. (du monde) [universel].
'" B. (et n') [sans] empêche[r] (pas). — I. et n'empêche pas.
EDITION" ORIGINALE I9I
ne dérive pas d'un principe actif, c'est vraiment - supposer des effets
sans cause, c'est tomber dans le cercle vicieux. Ou il n'y a point de
première impulsion, ou toute première impulsion n'a nulle cause
antérieure, & il n'v a point de véritable volonté sans liberté. L'homme
est donc libre dans ses actions, & | comme tel animé d'une substance [77]
immatérielle ' ; c'est mon troisième article de foi 2. De ces trois premiers
vous déduirez aisément tous les autres, sans que je continue à les compter.
Si l'homme est actif & libre, il agit de lui-même; tout ce qu'il fait
librement n'entre point dans le système ordonné de la Providence, & ne
peut lui être imputé. Elle ne veut point le mal que fait l'homme, en
abusant de la liberté qu'elle lui donne, mais elle ne l'empêche pas de
le faire; soit que de la part d'un être si foible ce mal soit nul à ses
veux; soit qu'elle ne pût l'empêcher sans gêner sa liberté, & faire un
mal plus grand en dégradant sa nature. Elle l'a fait libre afin qu'il fit,
non le mal, mais le bien par choix. Elle l'a mis en état de faire ce
choix, en usant bien des facultés dont elle l'a doué : mais elle a tel-
lement borné ses forces, que l'abus de la liberté | qu'elle lui laisse, ne [73]
peut troubler l'ordre général. Le mal que l'homme fait, retombe sur
lui. sans rien changer au système du monde, sans empêcher que
l'espèce humaine elle-même ne se conserve malgré qu'elle en ait '.
Murmurer de ce que Dieu ne l'empêche pas de faire le mal, c'est
murmurer de ce qu'il la fit d'une nature excellente, de ce qu'il mit à
ses actions la moralité qui les' ennoblit, de ce qu'il lui donna droit à la
vertu. La suprême jouissance est dans le contentement de C^i soi-même ^ ;
ta) C, D : dans le contentement de soi : c'est poui' mériter
et obtenir ce contentement.
' Ce « vraiment » a pour but de souligner que Rousseau rétorque contre
Helvetius son propre argument; cf., en etîet. De l'Esprit ^225 A, 36-38 : « Le libre
pouvoir de vouloir ou de ne pas vouloir une chose supposerait qu'il peut v avoir
des volontés sans motifs et, par conséquent, des effets sans cause... Il faut... convenir...
qu'un traité philosophique de la liberté ne serait qu'un traité des effets sans cause ».
' Rousseau avait déjà dit. Discours sur l'Inégalité, I, 90 : « C'est surtout dans la
conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme»; cf. aussi le
fragment inédit, cité plus haut, à la note 3 de la p. 75.
' On se rappelle que les deux premiers étaient les suivants : « L'ne volonté meut
l'univers et anime la nature » (p. 49I ; « Si la matière mue me montre une volonté,
la matière, mue selon de certaines lois, me montre une intelligence » (p. 54I.
' Sur cette locution, cf., plus haut, p. 35, note 4.
' Ce qui, dans la pensée de Rousseau, implique comme corollaire, cette autre
maxime, beaucoup plus rousseauiste d'esprit : « le suprême contentement est dans
la jouissance de soi-même » ; c'est ce qu'insinue, d'ailleurs, la conclusion du paragraphe.
iga REDACTIONS MANUSCRITES
que ('sa propre espèce) ne se conserve (encore) malgré (-lui).
Murmurer de ce que Dieu ne l'''a pas empêché de (mal) faire \
c'est murmurer de ce qu'il '' l'a fait d'une nature excellente [(de
ce qu'il l'a îormé à son image)] de ce qu'il '^a ['mis] ^ à. ses actions
la moralité qui les ennoblit de ce qu'il lui ''a donné droit à la
vertu. [La suprême jouissance est dans le contentement de
soi-"' même. C'est pour mériter et obtenir ce contentement que
nous sommes placés sur la terre [et (que nous y sommes) doués
de la liberté] que nous sommes tentés (« ''de mal îaire »). |(Et)j
que pouvoit (ïaire) de plus ("'pour nous) la puissance divine
elle-même : '^ pour empêcher l'homme d'être méchant ('* elle
pouvoit il est vrai) le borner à l'instinct et le faire bête. Non Dieu
de mon ame, je ne te reprocherai jamais de l'avoir faite à ton
image afin que je pusse être [libre bon et] heureux comme toi].
'■ Où peut être le prix d'avoir bien fait pour qui n'a pas eu le
pouvoir de mal îaire.
"'C'est l'abus ''des facultés de l'homme qui "^ le rend mal-
heureux et méchant. Nos chagrins, nos soucis nos ('-'maux) nous
' [l'homme lui-même]. — B. Tespéce humaine elle-même.
-' [qu'il en ait]. — B. qu'elle en ait.
^ B. (a pas) empêche [pas]. — I. (ne l'a pas empêché) [ne l'empêche pas].
* [le mal].
'' B. la fit.
'■' B. mit.
' (donné de la mora lité).
' (de la moralité).
" B. donna.
'" B. (même), — M. (même).
" [par (nos) les passions et retenus par la conscience].
'-' [en notre faveur].
'^ [Eh q uoi]. — B. Pouvoit-elle mettre de la contradiction dans nôtre
nature, et donner le prix d'avoir bien fait à qui n'eut pas le pouvoir de mal
faire ? Quoi, pour empêcher.
" [faloit-il].
'' B. < Où peut être... faire >.
'" (Le mal moral est incontestablement l'ouvrage de l'homme et le mal
physique ou n'existe pas ou est encore son ouvrage).
" B. de nos facultés.
'" B. nous.
'■' [peines].
EDITION ORIGINALE IQ3
c'est pour mériter ce contentement que nous sommes placés sur la terre
& doués de la liberté, que nous sommes tentés par les passions & retenus
par la conscience. Que pouvoit de plus en notre faveur la puissance
Divine elle-même ? pouvoit-elle mettre de la contradiction dans notre
Nature, & donner le prix d'avoir bien fait à qui n'eut pas le pouvoir
de mal | faire? Quoi! pour empêcher l'homme d'être méchant, falloit-il [79]
le borner à l'instinct & le faire bête? Non, Dieu de mon ame, je ne te
reprocherai jamais de l'avoir faite à ton image, afin que je pusse être
libre, bon & heureux comme toi M
C'est l'abus de nos facultés qui nous rend malheureux & méchans -.
Nos chagrins, nos soucis, nos peines nous viennent de nous. Le mal
moral est incontestablement notre ouvrage. & le mal phvsique ne seroit
rien sans nos vices qui nous l'ont rendu sensible ^. N'est-ce pas pour
nous conserver que la .Nature nous fait sentir nos besoins? La douleur
du corps n'est-elle pas un signe que la machine se dérange, & un aver-
tissement d'y pourvoir? La mort... les méchans n'empoisonnent-ils pas
' Ces derniers mots donnent à ce développement traditionnel sur la Providence
un accent personnel. Comme le disait Rousseau lui-même, dans sa Lettre sur la vertu
[2b], iSg, « c'est Hercule qui se sent à la fois brûler sur son bûcher et devenir Dieu ».
Presque toutes les méditations religieuses de Rousseau aboutissent d'instinct, et plus
ou moins consciemment, à des déifications : cf., déjà la 3' Lettre à ^f. de Malesherbes,
X, 3o6, Souvelle Héloïse ilV, ï(, I\', 323: «Seul entre tous les mortels, il [le père
de famille] est maître de sa propre félicité, parce qu'il est heureux comme Dieu
même, sans rien désirer de plus que ce dont il jouit », etc. ; mais c'est surtout
dans les Rêveries que Rousseau formulera cet état d'âme avec le plus de précision ;
cf., IX, 329: « impassible comme Dieu même », 363 : « se suffisant à soi-même
comme Dieu », 370 : « bienfaisant et bon comme lui », etc. Cf. encore, plus loin,
p. 88 et note i , p. 127 et note 2.
' Comparer cette apologie de la Providence arec celles qu'il a déjà tentées dans
la Lettre à Voltaire, X, 124: «Je ne vois pas que l'on puisse chercher la source du
mal moral ailleurs que dans l'homme libre, perfectionné, panant corrompu », etc. ;
et dans la Souvelle Héloïse (V, vl, IV, 417 : «Je tâchais de montrer l'origine du mal
physique dans la matière, et du mal moral dans la liberté de l'homme », etc.
• .Marie Huber avait déjà dit. État des âmes séparées des corps, XIH' Lettre
'i33[, 233 : « Le mal moral doit être la cause du mal physique».
i3
194 REDACTIONS MANUSCRITES
viennent de nous. Le mal moral est incontestablement nôtre
ouvrage et (même) le mal physique ('ou n'existe pas ou -n'est
sensible à l'homme que par ses vices) qui nous « l'ont » rendu
sensible (et qui l'aggravent). [^ N'est-ce pas pour nous conserver
que] la nature nous ■> fait sentir nos besoins. ^ La douleur ''^ du
corps n'est-elle pas un signe] que la machine se dérange et un
avertissement d'y pourvoir. La mort " qui est-ce qui voudroit
toujours vi\'re "* ? la mort est le remède aux maux que vous vous
faites, la nature a voulu que vous ne •' souffri(ez) pas toujours,
fo 162 ^'° '"Combien l'homme vivant dans la simplicité ("de la nature) || est
sujet à peu de maux, il vit '^sans maladies et '^ ne sent pas la
mort. '*Mais pour chercher un bien être imaginaire nous nous
donnons mille maux réels; qui ne sait pas supporter " la souf-
france doit "'se résoudre à beaucoup souffrir. (C'est la crainte de la
mort qui nous la rend sensible, qui n'y pense jamais ne la sent point).
' [(est plus l'ouvrage)]. — B. (nécessaire [utile] au mérite de la vertu).
- (doit encore [e.xisteroit à peine et]) « ne seroit rien » [sans nos vices]. —
B. ne seroit (presque) rien (pour nous) [encore] sans nos vices.
' (je).
' (rend).
^ (La douleur, qu'est-ce que).
" (qu'un avertissement).
' B. [les méchans [n"jempoisonnent[-ils pas] leur vie et la nôtre]. — I. < les
méchans la nôtre >.
* B. [(au milieu des méchans) au milieu d'eu.x].
' souffri[ssiez].
'" M. (Dans la simplicité primitive l'homme ne sent pas la mort, et quand
il la sent ses misères la lui rendent désirable). [Combien l'homme vivant... ne sent
pas la mort].
" [primitive].
'- B. (presque).
'^ (même sans). — B. ne prévoit ni ne sent.
'^ B. [Quand il la sent, ses misères la lui rendent désirable; dès lors elle n'est
plus un mal pour lui. Si nous nous contentions d'être ce que nous sommes,
nous n'aurions point à déplorer nôtre sort]. — M. un mal pour lui. (Combien
pour chercher). Si nous nous contentions. — I. < Quand il la sent déplorer
notre sort >.
'' B. (la) [un peu de]. — I. la.
'" B. (se résoudre) [s'attendre]. — I. se résoudre.
EDITION ORIGINALE I95
leur vie & la notre *? Qui est-ce qui voudroit toujours vivre '■>'* La mort
est le remède aux maux que vous vous j faites; la Nature a voulu qLie [80]
vous ne soutFrissiez pas toujours. Combien l'homme vivant dans la
simplicité primitive est sujet à peu de maux M 11 vit presque sans
maladies ainsi que sans passions, & ne prévoit ni ne sent la mort;
quand il la sent, ses misères la lui rendent désirable : dès-lors elle n'est
plus un mal pour lui. Si nous nous contentions d'être ce que nous sommes,
nous n'aurions point à déplorer notre sort; mais pour chercher un
' Cette question, qui interrompt un instant le mouvement naturel de la pensée,
manque dans F et dans la première rédaction de B. Elle a, sans doute, été ajoutée
par Rousseau en songeant aux trahisons de Diderot et de la « faction holbachique ».
' 11 semblerait qu'à cette même question Rousseau eût donné une réponse
opposée dans sa Lettre à Voltaire, X, i 25 : « J'ose poser en fait qu'il n'v a peut-être
pas dans le haut Valais un seul montagnard mécontent de sa vie presque automate,
et qui n'acceptât volontiers, au lieu même du paradis qu'il attend et qui lui est dû,
le marché de renaître sans cesse pour végéter ainsi perpétuellement. Ces différences
me font croire que c'est souvent l'abus que nous faisons de la vie qui nous la rend
à charge». Mais un passage de VÊmile, II, 48, montre qu'il n'y a pas contradiction
dans la pensée de Rousseau : « Si l'on nous offrait l'immortalité sur terre, se
demande-t-il comme dans la Profession, qui est-ce qui voudrait accepter ce triste
présent »? « On conçoit, fait-il observer en note, que je parle ici des hommes
qui réfléchissent et non de tous les hommes ». Je remarque, d'ailleurs, que celte
note manque dans l'édition originale. Elle a été ajoutée dans l'exemplaire corrigé
de Genève, et n'a été imprimée que dans l'édition de 1780 [r5], IV, 91. La Bruyère
avait déjà dit, avec plus d'hésitation. Des Esprits forts [98], II, 25o ; « Si Dieu
avait donné le choix ou de mourir ou de toujours vivre, après avoir médité profon-
dément ce que c'est que de ne voir nulle fin à la pauvreté, à la dépendance, à l'ennui,
à la maladie, ou de n'essayer des richesses, de la grandeur, des plaisirs et de la santé
que pour les voir changer inviolablement et par la révolution des temps en leurs
contraires, et être ainsi le jouet des biens et des maux, l'on ne saurait guère à quoi se
résoudre. La nature nous fixe et nous ôte l'embarras de choisir ».
' Pour commenter tout ce passage jusqu'à la fin du paragraphe, il faut relire
la 1' Partie du Discours sur l'Inégalité, 1, 86-89, ^t P'"^ particulièrement les lignes
suivantes, p. 87 : « L'extrême inégalité dans la manière de vivre, l'excès d'oisiveté
dans les uns, l'excès de travail dans les autres, la facilité d'irriter et de satisfaire
nos appétits et notre sensualité, les aliments trop recherchés des riches, qui les
nourrissent de sucs échauffants et les accablent d'indigestions, la mauvaise nourriture
des pauvres, dont ils manquent même souvent, et dont le défaut les porte à surcharger
avidement leur estomac dans l'occasion, les veilles, les excès de toute espèce, les
transports immodérés de toutes les passions, les fatigues et l'épuisement d'esprit,
les chagrins et les peines sans nombre qu'on éprouve dans tous les états, et dont
les âmes sont perpétuellement rongées : voilà les funestes garants que la plupart de
nos maux sont notre propre ouvrage, et que nous les aurions presque tous évités
en conservant la manière de vivre simple, uniforme et solitaire qui nous était prescrite
par la nature ». .Sur tous les maux inconnus à « l'homme dans l'état de nature », et
encore aujourd'hui au sauvage, cf. Dialogues de La Hontan [io5\ 75-85; et, dans
VExamen des préjugés vulgaires du P. Buflîer [r-iT, II, 99-137, le chapitre V : «Que
les peuples sauvages sont pour le moms aussi heureux que les peuples polis ».
igÔ RÉDACTIONS MANUSCRITES
[Quand on a gâté sa constitution par une \\c déréglée on la veut
rétablir par des remèdes ('mal entendus et l'on s'en prend à la
nature du mal qu'on s'est fait à soi-même)].
f Homme, ne cherche plus l'auteur du mal (-il vient de toi).
Il npy a) point] (dans la nat ure) d'autre mal que celui que tu
tais et celui que tu souffres. (Et) l'un et l'autre vient de toi ^ seul.
^ Le mal général '^ ne peut être que dans le desordre et je vois
dans ' le sistéme de l'univers un ordre ^ admira[ble qui ne se
dément point. Le mal particulier ('•' n'est) dans le sentiment (que)
de '"celui qui souffre et ce sentiment l'homme ne l'a pas receu de
' [au mal qu'.in sent on ajoute celui qu'on craint [-'i la] prévoyance de la
mort la rend horrible et l'accélère. Plus on la '' veut fuir plus on la sent [et]
l'on meurt (enfin cent fois) de frayeur ('• avant la mort) en murmurant (toujours)
contre la « i' nature des maux qu' " on s'est fait en l'offensant »].
a) il'horriblei.
!>) M. fuit
Cl [durant toute la vie], — B. toute sa vie.
^) [(mort)].
') (il faut n'imputer qu'à soi).
- [cet auteur, c'est toi-même].
^ [existe].
^ B. seul [(ou de ton espèce)].
'" (« Il » n'y a point d'autre).
" (n'est).
' M. l'univers.
" admira(tion). — B. constant.
" [ne peut être que]. — B. ne peut ;(exister)] « être ». — M. n'est que.
'" B. l'être.
t Ici. dans le manusciit. un espace de quelques lignes laisse'
en blanc.
ÉDITION ORIGINALE 197
bien-être ima,^inaire nous nous donnons mille maux réels. Qui ne sail
pas supporter un peu de souffrance doit s'attendre à beaucoup souffrir.
Quand on a s,îné sa constitution par une vie déréglée, on la veut rétablir
par des remèdes; au mal qu'on sent on ajoute celui qu'on craint; la
prévoyance de la mort la rend horrible & l'accélère ■; plus on la veut
fuir, plus on la sent; Os; l'on meurt de fraveur durant toute sa vie, | en 'g-jj
C) murmurant, contre la Nature, des mau.x qu'on s'est faits en l'offensant ^
Homme, ne cherche plus l'auteur du mal; cet auteur c'est toi-même.
Il n'existe point d'autre mal que celui que lu fais ou que tu souffres,
& l'un & l'autre te vient de toi. Le mal général ne peut être que dans
le désordre, & je vois dans le système du monde un ordre qui ne se
dément point. Le mal particulier n'est que dans le sentiment de l'être
qui souffre ; & ce sentiment, l'homme ne l'a pas reçu de la Na-
ture, il se l'est donné. La douleur a peu de prise sur quiconque,
avant peu réfléchi, n'a ni souvenir, ni prévoyance -. Otez nos funestes
i-'i C, D : murmurant contre la Xature.
' Lettre à Voltaire, \, i25: «Des riches,... rassasiés de fau.x plaisirs, mais
ignorant les véritables, touiours ennuvés de la vie et toujours tremblants de la perdre ».
Cf. pour témoigner du même état d'esprit, ce qu'il dit, dans le I" Livre d'Emile, II, 21,
de « l'empire de la médecine, art plus pernicieu.x au.x hommes que tous les mau.x
qu'il prétend guérir. Je ne sais, pour moi, de quelle maladie nous guérissent les
médecins, mais je sais qu'ils nous en donnent de bien funestes : la lâcheté, la
pusillanimité, la crédulité, la peur de la mort ». Cf. encore la prière de Julie mourante
à .M. du Bosson, son médecin. Nouvelle Héloïse IVI, xil, V, 49-50.
' Toussaint avait déjà présenté des idées très analogues, sous une forme plus
modérée; cf. Des Mœurs, 11, 11, i [184]. i3o: «Les incommodités de l'enfance, les
douleurs de l'enfantement, la perte des personnes qui nous sont chères, les infirmités
de la vieillesse et de la mort, voilà, je crois, tous les maux naturels. Tous les autres,
ou sont des maux chimériques, ou sont les fruits amers des désordres du genre
humain. Je n'en excepte pas même les maladies, parce qu'elles sont aussi, pour
l'ordinaire, l'ouvrage de l'homme, et ne doivent guère leur origine qu'à son impru-
dence, à sa mollesse ou à son intempérance ».
' Ce n'est pas la première fois que Rousseau dénonce ce que la « réflexion »
a d'antinaturel. On se rappelle sa phrase à Voltaire sur les gens de lettres. X, i25 :
« De tous les ordres d'hommes, le plus sédentaire, le plus malsain, le plus réfléchis-
sant, et par conséquent le plus malheureux i>; et surtout le fameux paradoxe du
Discotirs sur l'Inégalité, qui vient immédiatement après le passage que j'ai cité
plus haut, note 1 de la p. 118. et qui en est comme la conclusion, 1. 87 :« J'ose
presque assurer que l'état de réflexion est un état contre nature, et que l'homme
qui médite est un animal dépravé ». Mais ce panégyrique de l'homme primitif,
sans pensée, sans passion, sans prévoyance, sans réflexion, est ici d'autant plus
déconcertant que Rousseau vient à peine de finir son cantique à la gloire de l'esprit,
pour exalter l'espèce humaine : * Une machine ne pense point : il n'y a ni mouvement
ni figure qui produise la re/?ejcio« ;... l'espace n'est pas ta mesure,... tes sentiments,
tes désirs, ton inquiétude, ton orgueil même, ont un autre principe que ce corps
étroit dans lequel tu te sens enchaîné ».
igS RÉDACTIONS MANUSCRITES
la nature il se l'est donné '. Otez (- les) vices (et nos erreurs)
8 otez ■* l'ouvrage de l'homme et tout est bien.
9. Les sanctions réparatrices et
l'immortalité de l'âme.
Où tout est bien rien n'est injuste. La justice est inséparable
de la bonté, ■'» l'être souverainement bon "doit être (aussi) souve-
rainement juste autrement il se contrediroit lui-même. [Car
l'amour de l'ordre qui le produit s'appelle bonté [et] l'amour de
l'ordre qui le conserve s'appelle justice '].
' B. La douleur a peu de prise sur quiconque (n'a jam aïs) [a peu] refléchi.
Otez nos funestes progrès, oiez nos. — I. sur quiconque (a) [ayant] peu réfléchi
[n'a ni (mémoire) [souvenir] ni prévoyance].
- [nos erreurs et nos].
' (qui).
■* [(les œuvres)]. — • B. [ôtez l'ouvrage de l'homme].
^ B. Or la bonté est l'eff'et nécessaire d'une puissance sans borne et de
l'amour de soi essentiel à tout être qui se sent. Celui qui peut tout étend pour
ainsi dire son existence avec celle des êtres. Produire et conserver sont l'acte
perpétuel de (sa) [la] puissance; elle n'agit point sur ce qui n'est pas. [Dieu
n'est pas le Dieu des morts] ; il ne pourroit être (» méchant) [destructeur] et
(destructeur) [méchant] sans se nuire. Celui qui peut tout ne peut vouloir que
ce qui est bien. * Donc l'être.
* Quand les anciens appelloient optimus maximus le Dieu suprême ils
disoient très vrai, mais en disant maximus optimus ils auroient parlé plus
e.xactement puisque sa toute puissance est la cause de sa bonté. Il est bon parce
qu'il est grand. •
^\ 1. méchant et destructeur.
" B. (doit-être) [parce qu'il est souverainement puissant est] aussi sou-
verainement. — I. < parce qu'il... puissant est > doit être aussi.
' B. (Dieu est donc juste parce qu'il est bon).
ÉDITION" ORIGINALE IQQ
progrès, ôtez nos erreurs & nos vices, ôtez l'ouvrage de l'homme,
& tout est bien ^.
9. Les sanctions réparatrices et
l'immortalité de l'âme.
Où tout est bien, rien n'est injuste. La justice est inséparable de la
bonté. Or la bonté est l'effet nécessaire d'une | puissance sans borne [82]
& de l'amour de soi, essenciel à tout être qui se sent. Celui qui peut
tout, étend, pour ainsi dire, son existence avec celle des êtres. Produire
& conserver sont l'acte perpétuel de la puissance; elle n'agit point sur
ce qui n'est pas; Dieu n'est pas le Dieu des morts, il ne pourroit être
destructeur & méchant sans se nuire. Celui qui peut tout ne peut vouloir
que ce qui est bien ^ *. Donc l'Etre souverainement bon, parce qu'il est
* Quand les Anciens appelloient Optimus Maximus ^, le Dieu suprême,
ils disoient très-vrai ; mais en disant Maximus Optimus, ils auroient parlé plus
exactement, puisque sa bonté vient de sa puissance : ii est bon parce qu'il est
grand.
' En dépit des réserves qui précédent cette formule, elle est d'un optimisme
plus audacieux que celle qu'il soumettait en lySô à Voltaire, X, 12g : « L'addition
d'un article rendrait, ce semble, la proposition 'de Pope : Tout est bien] plus exacte,
et au lieu de tout est bien, il vaudrait peut-être mieux dire : le tout est bien, ou
tout est bien pour le tout ». Deux ans plus tard, il disait de même, dans une note
de sa Lettre à D'Alembert, I, 25i : « Dans l'ordre physique, il n'y a rien d'absolument
mauvais ; le tout est bien ». Remarquons pourtant que, dans ces deux textes,
Rousseau examine surtout le problème du mal dans son ensemble, et du point
de vue de l'Univers ; il défend alors « la cause de Dieu », comme avait dit Leibniz
(cf. Théodicée, Préface [no], I, p. xxvnl. par les considérations que les philosophes
optimistes, et Leibniz, en particulier, avaient rendues traditionnelles : cf. encore
.Shaftesbury, Essai sur te mérite et la vertu, 1, i, 2 et 11, 1 [174], 20-28. Ici, envisageant
le problème du mal dans l'homme seul, il peut être plus atfirmatif, grâce à sa théorie
de « la bonté de la Nature » : et la formule qui termine ce développement du
Vicaire ne contient rien de plus que celle qui ouvre \' Emile, 11, 3 : « Tout est
bien sortant de r.\uteur des choses, tout dégénère entre les mains de l'homme ».
' Rousseau avait déjà dit au I" Livre d'Emile, 11, 35 : «Celui qui pourrait tout
ne ferait jamais de mal. De tous les attributs de la Divinité toute puissante, la bonté
est celui sans lequel on la peut le moins concevoir... Voyez ci-après la Profession de
foi du Vicaire Savoyard ».
' En tête de sa Prière Cniverselle '66], IV, 3g6, Pope avait mis la dédicace
Deo Optimo Maximo. — Au moment où Rousseau achevait la rédaction de VEmile,
200 REDACTIONS MANUSCRITES
1 Dieu fdit-on] ne doit rien à ses créatures. Je crois qu'il leur
doit tout ce qu'il (a) - promi(s) « en ''les créant ». ^ Or c'est]
leur promettre (Hous les) biens ("dont il) leur ('a) donné l'idée
et (^dont il) leur ('■'a) îai(t) sentir le besoin. Plus je '" me consulte
et plus je lis « ces » motsi « écrits » dans mon ame sois juste
et tu seras heureux. Il n'en est rien pourtant ". Le méchant
prospère et le juste reste opprimé. \'ovez aussi quelle indigna-
tion (1^ s'élève) en nous quand cette attente est frustrée. La
conscience '^ s'élève ('^ en murmurant) contre son auteur elle
lui crie (^^ d'une voix) gemissant(e) tu m'as trompé.
' [On dit].
- promi[t]. — M. a promis.
^ B. (les créant) [leur donnant l'être] (tout ce dont il [leur donna l'idée
et dont il leur] fit sentir le besoin. Il doit le bonheur à celui à qui il (en a donné
l'idée) [l'a rendu nécessaire]). [Or c'est leur promettre un bien [qu'il peut leur
donner] que de leur en (donner) [imprimer] l'idée et de leur en faire sentir le
besoin]. — M. < en leur donnant l'être >.
•• (Et s'il).
■' [un].
" [que de].
' [en] donne[r].
" [de].
" [en] fai[re].
'" B. rentre en moi, plus je.
" B. à considérer l'état présent des choses.
'- [s'allume].
" (mu PMURE ?).
'■* [et murmure].
'^ [en].
EDITION ORIGINALE 20I
souverainement puissant, doit être aussi souverainement juste, autrement
il se contrediroit lui-même; car l'amour de l'ordre qui le produit s'appelle
bonté, & l'amour de l'ordre qui le conserve s'appelle /i<s/R-e ■^.
I Dieu, dit-on. ne doit rien à ses créatures; je crois qu'il leur [83]
doit tout ce qu'il leur promit en leur donnant l'être. Or c'est leur
promettre un bien, que de leur en donner l'idée & de leur en faire
sentir le besoin. Plus je rentre en moi, plus je me consulte, & plus
je lis ces mots écrits dans mon ame ; sois juste & tu seras heureux.
il n'en est rien pourtant, à considérer l'état présent des choses : le
méchant prospère, & le juste reste opprimé i. Voyez aussi quelle indi-
la Prière L'niverselle était redevenue un morceau d'actualité. Lefranc de Pompiynan
venait de faire à l'Académie, le lo Mars 1760, un Discours très violent contre les
« Philosophes» [282]; JVlorellet, en guise de réponse, lui avait joué le mauvais tour
de rééditer la traduction que Lefranc avait faite en 1740 de la Prière Universelle, et
il avait joint a cette réédition un commentaire qui en soulignait les tendances
déistes [232 '''«].
' Cette petite dissertation sur la bonté et la justice de Dieu est un spécimen
intéressant de la façon dont Rousseau organise ses idées. Les éléments en sont
d'origines très diverses et empruntés à ce « magasin d'idées » qu'il s'était fa't aux
Charmettes par ses lectures de toute sorte : cf. Confessions, VIII, i5g. Il y a des
réminiscences évangéliques : « Dieu n'est pas le Dieu des morts » (Marc, XII, 27,
Luc, XX, 38i ; une réflexion peut-être suggérée par Pope lOptimus Maximus): la
théorie cartésienne de la création continuée : « produire et conserver sont l'acte
perpétuel de la puissance»; des principes malebranchistes, cf. Entretiens sur la
Métaphysique, VIII, i3 [96], 56 : « Il aime invinciblement l'ordre immuable... Il
est donc juste essentiellement et par lui-même Ainsi Dieu est juste en lui-même...
parce que ses volontés sont nécessairement conformes à l'ordre immuable de la
justice qu'il se doit à lui-même », etc. ; enfin ces différents éléments sont unifiés
par cette idée chère à Marie Huber que la toute-puissance ne peut être que la bonté
infinie : cf. Religion essentielle [i5i], IV, 83, note : « Remarque importante. Tout ce
que la Bonté, la Sagesse et YÉquité approuvent, la Toute-puissance l'exécute; et
c'est dans de tels cas qu'il convient d'employer l'interrogation abusive à d'autres
égards ; Dieu n'est-il pas tout puissant » ? Cf. encore le « Hiérogliphe
sur les attributs de Dieu », qui termine le volume. Deux des quatre rayons qui
partent du centre divin sont : Puissance sans bornes et Bonté immense. L'auteur
fait remarquer que « des lignes qui partent d'un même centre ne peuvent jamais
se croiser ou se combattre»; et il inscrit dans l'arc de circonférence, limité par
les extrémités des deux rayons, le titre suivant ; « Providence toute puissante,
qui ne trouve point d'obstacle à ce que la Bonté, la Sagesse et l'Équité approuvent.
D'ici Ci!c = d'où) une confiance absolue, une espérance bien fondée».
■ L'objection était classique parmi les moralistes chrétiens, comme, du
reste, la réponse que Rousseau va y apporter; cf., par exemple, La Bruyère, Des
Esprits forts [98], 11, 272-273 : « Les méchants prospèrent pendant qu'ils vivent. —
Quelques méchants, je l'avoue. — La vertu est opprimée, et le crime impuni sur
la terre. — Quelquefois, j'en conviens. — C'est une injustice. — Point du tout. Il
faudrait, pour tirer cette conclusion que cette terre fût le seul endroit de la
scène où se doivent passer la punition et les récompenses ». Cf., plus loin, p. 85, note i.
202 REDACTIONS MANUSCRITES
Je t"ai trompé, téméraire, et qui te l'a dit. 'Ta carrière est-elle
achevée as-tu -déjà cessé d(' e vivre). O Brutus ô mon fils, ne
souille point ta noble vie en la finissant, (-'n'enterre) point Ma
'' gloire avec ton corps aux champs de (" pharsale). f 'Tu dis
la vertu n'est rien, quand tu vas -'jouir du prix de la tienne, f Tu
vas mourir, '" dis-tu, non tu vas vivre ("et) c'est alors que je
tiendrai tout ce que '-j'ai promis.
' B. (Ta carrière est-elle finie) ^ton ame est-elle anéantie]. — I. Ta carrière
est-elle finie, as-tu cessé.
- B. < déjà >.
' [e.xister].
* [ne laisse].
' B. ton (espérance) [espoir] et ta gloire.
" (ve RTU ?).
' [philippesj.
* B. Pourquoi dis-tu : la vertu.
" (recev oir).
'" B. (dis) [penses].
" B. et.
'- B. je t'ai.
t Ici. dans le manuscrit, un espace de quelques lignes laisse'
en blanc.
t Ici. dans le manusc7-it. un espace de quelques lignes laissé
en blanc.
EDITION ORIGINALE 203
gnation s"allume en nous quand cette attente est frustrée! La conscience
s'élève & murmure contre son auteur ; elle lui crie en gémissant ;
tu m "as trompé - !
Je l'ai trompé, téméraire! «Se qui te l'a dit? Ton ame est-elle anéantie?
As-tu cessé d'exister? O Brutus^! ô mon fils! ne souille point ta noble
vie en la finissant * : ne laisse point ton espoir & ta gloire avec ton
corps aux champs | de Philippes. Pourquoi dis-tu : la vertu n'est rien, [84]
quand tu vas jouir du prix de la tienne? Tu vas mourir, penses-tu; non,
tu vas vivre, &; c'est alors que je tiendrai tout ce que je t'ai promis.
' M. E. Ritter (J. J. Rousseau, Notes diverses [49], III, 21 il a déjà fait remarquer
qu'on trouvait un mouvement analogue dans la Religion essentielle [i5i], I, 34-37.
Après avoir dépeint l'elîroi d'un homme qui se rend compte des injustices de la
terre, Marie Huber ajoute : « Cet homme, voyant que le mal est sans remède,
entre dans le dernier étonnement... ^et conclut provisoirement^ que l'.^uteur de
la Nature est injuste lui-même; [mais, ayant découvert qu'il y a une justice au-delà
de cette vie], il comprend que si l'Être souverainement équitable consent que pour
un temps la justice ne soit point rendue, c'est qu'il se réserve à lui-même le soin
de l'exercer dans la proportion la plus exacte ».
' La plainte de Brutus était célèbre parmi les moralistes. Bayle avait essayé
de la détendre en se plaçant au point de vue romain : cf. Dictionnaire, art. Brutus,
Rem. C et D [100], I, 684-685. Pour les philosophes spiritualistes (cf., sur le sens que je
donne à ce mot, la note 1 de la p. 431, cette plainte témoignait au contraire de la
nécessité d'une sanction ultra-terrestre. Abbadie, qui peut-être a suggéré ce dévelop-
pement à Rousseau, avait déjà dit : Vérité de la Religion chrétienne, I, 11, 7 [92],
I, 139 : « Si les méchants ne doivent être punis que dans cette vie, ii semble qu'il
n'v aurait rien de mieux fondé que la plainte de Brutus, lorsqu'il s'écrie en
mourant que la vertu qu'il avait si religieusement suivie n'était qu'un fantôme.
iMais, si la vertu n'est qu'un fantôme, la conscience nous trompe », etc. Dans
V Encyclopédie, art. Athéisme [196]. I, 816 b, Formey avait dit pareillement :
« L'athéisme ne fournit rien 'à la vertu souffrante] et se trouve sans ressource; dès
que la vertu est malheureuse, il est réduit à l'exclamation de Brutus : Vertu stérile,
vertu, à quoi m'as-tu servi » ? Cf. encore Helvetius, De L'Esprit, III, 19 [225 .\], 397.
' * La condamnation du suicide semble être ici formelle. La pensée de Rousseau
parait plus hésitante dans la Nouvelle Hélo'ise, non seulement dans la fameuse
apologie du suicide par Saint-Preux (III, xxi), IV, 262-269, mais même dans la
réponse de Milord Edouard, où il ne peut refuser son admiration à certains suicides
plus particulièrement héroïques; cf. IV, 272-273 : « Dis-moi, Brutus mourut-il en
amant désespéré? Et Caton déchira-t-il ses entrailles pour sa maîtresse?... .\ ce
nom saint et auguste, tout ami de la vertu doit mettre le front dans la poussière,
et honorer en silence la mémoire du plus grand des hommes ». Cf. encore les
souvenirs communs que Julie rappelle à Saint-Preux ill, xii, IV, i52 : « Quels hommes
contemplais-tu donc avec le plus de plaisir? Desquels adorais-tu les exemples?...
C'était Brutus mourant pour son pays, ... c'était Caton déchirant ses entrailles,
c'étaient tous ces vertueux infortunés qui te faisaient envie ». Dans le fond, Rousseau
n'a pas renoncé à ses anciennes admirations; et ici même, quelques pages plus
loin, p. to2, il dira : « Pourquoi voudrais-je être Caton qui déchire ses entrailles,
plutôt que César triomphant»? — Le soi-disant suicide de Rousseau n'est qu'une
204 RÉDACTIONS MANUSCRITES
B f°139^" [^'^ ** Jiroit » aux murmures des impatiens mortels que Dieu
leur doit la récompense avant (' le mérite), et qu'il est obligé de payer
-leur) vertu d'avance. O soyons bons premièrement et puis nous serons
heureux. NV^attendonsi pas le prix avant la victoire [ni le salaire avant
le travail]. Ce n'est point ^ dans la lice [disoit Plutarque] que les vain-
queurs ■' de nos jeux sacrés sont couronnés i'' mais) après qu'ils l'ont
parcourue].
F F 163 ''° Il Si l'ame est immatérielle elle peut survivre au corps, et
si elle lui survit "la providence est justifiée. * Voyez qwe d'im-
portantes conséquences suivent ma première découverte. Ces consé-
quences mêmes servent de confirmation l'une à l'autre. Quand je
n'aurois d'autre preuve de l'immatérialité de l'ame que le triomphe
du méchant et l'oppression du juste ('■' durant la vie) cela seul
m'empêcheroit d'en douter. "'Une contradiction si manifeste une
si choquante dissonance dans l'harmonie '^ universelle me teroit
chercher à la résoudre. Je me dirois ('- cette contradiction n'est
qu'apparente elle ne sauroit exister) tout ne finit pas '^ avec la vie
tout rentre dans l'ordre à la mort. J'aurois à la vérité l'embarras
de me demander où est l'homme quand tout ce qu'il avoit de
sensible est détruit. " Cette question ^■> n'est plus une difficulté
pour moi sitôt que j'ai reconnu deux substances. Il est très simple
' [qu'ils l'aient méritée]. — M. (le mérite) [qu'ils l'aient méritée].
- [la].
" [exigeons].
* [(disoit)].
^ (sont).
« [c'est].
■ I. « la providence est justifiée ■» [(tout rentre dans l'ordre après la mort)].
" B. < Voyez que d'importantes... l'une à l'autre >.
'■' [en ce monde].
•" (Cette).
" M. (des êtres) [universelle].
'-' [une telle].
" B. pour nous.
'■• B. (.Mais).
'^ B. « n'est plus ■».
EDITION ORl(;iNALR . 205
On dirait, aux murmures des impatiens mortels, que Dieu leur
doit la récompense avant le mérite, & qu'il est obligé de payer leur
vertu d'avance. O ! soyons bons premièrement, & puis nous serons
heureux. N'exigeons pas le prix avant la victoire, ni le salaire avant
le travail. Ce n'est point dans la Lice, disoit Plutarque ', que les vain-
queurs de nos jeux sacrés sont couronnés, c'est après qu'ils l'ont
parcourue.
Si l'ame est immatérielle, elle peut survivre au corps; & si elle lui
survit la providence est justifiée 2. Quand je n'aurois d'autre preuve
de l'immatérialité de l'ame, que le triomphe du méchant, & l'oppression
du juste en ce | monde, cela seul m'empêcheroit d'en douter '. Une si [85]
légende ; tout le monde, je crois, en convient aujourd'hui. Il se pourrait cependant
que Rousseau eût toujours considéré le suicide comme étant, dans certains cas, une
solution libératrice, qu'il ne fallait pas écarter à priori. De cette secrète tendresse,
le fragment inédit qu'on va lire, et qui se trouve dans deu.x Manuscrits de l'Emile
[10 et 11], me parait très révélateur (je cite le texte le plus récent. Livre II [iij.
1, iS"! : « Si l'on n'était pas sur de mourir une fois, la vie coûterait trop à conserver;
mais, aussitôt qu'elle est un mal, elle n'est plus un mal nécessaire, puisque le mal
qui la termine est inévitable, et, qu'en guérissant l'autre, il peut devenir un bien.
Il en est du droit de mourir comme de la bisque des joueurs : l'occasion, le moment
en fait l'avantage ; et souvent c'est en perdre tout le pri.\ que de tarder à s'en prévaloir
jusqu'à la fin de la partie ».
' Qu'on ne saurait vivre joyeusement selon la doctrine d'Épicurus, XXV [75],
1, gi8 : « Les champions qui combattent es jeux sacrés ne sont jamais couronnés
tant qu'ils combattent, ains seulement après qu'ils ont combattu et qu'ils ont vaincu ».
— Il serait possible que Rousseau eût pris cette citation dans quelque auteur
moderne ; mais il est plus probable qu'il l'a recueillie dans le texte même. Dans
un de ses cahiers de notes [5], 8-12, il a rempli toute une dizaine de pages avec des
citations de Plutarque, empruntées précisément aux petits traités des Moralia.
' Ici, dans son Premier Brouillon, Rousseau faisait encore une petite pose, pour
se féliciter lui-même de sa démonstration : « Voyez que d'importantes conséquences
suivent ma première découverte ». Cette première « découverte » est celle qu'il a
chantée plus haut avec un Ivrisme si satisfait, la « découverte » de la liberté :
cf. p. 74 et note 2.
' C'est un argument traditionnel, mais les malheurs de Rousseau en font
pour lui une preuve vivante et décisive. Dans le camp des- « philosophes » encore
déistes, on répète aussi l'argument, mais mollement, et déjà avec des réserves.
Cf. Shaftesbury, Essai sur le mérite et la vertu, 1, m, 3 ['74]. 52-6o, qui ne veut
pas qu'on exagère « le triomphe du méchant et l'oppression du juste ». Et Diderot
ajoute en note, p. 60 : « Si l'on supposait que l'honnête homme ne peut être que
malheureux en ce monde, et que la félicité temporelle est incompatible avec la vertu,
l'économie singulière qui régnerait dans l'univers ne le porterait-elle pas à se métier
de l'ordre qui régnera dans l'autre vie »? Cf. plus haut. p. 83, note 1.
206 . RÉDACTIONS MANUSCRITES
que durant ma \ie ' n'appercevant rien que par mes sens, ce qui
ne leur est point soumis m'échape. Quand l'union ('-des deux
substances) est rompue je conçois que ■'l'une peut se (^ détruire)
et l'autre se conserver. (■' L'anéantissement) de run(e) (n') entrai-
neroit ("pas "nécessairement M 'anéantissement) de l'autre. Au
contraire étant de natures si dilTérentes ( ' elles) étoient par leur
union dans un état \'iolent, et quand cette union cesse (>'-' elles)
rentrent tou(te)s deux dans leur état naturel. La substance active
et \i vante t regagne toute la force qu'elle employoit à mouvoir
'* et animer la substance passive et morte. '- Helas je le sens
trop par '^ ma îoiblesse]. [("Tandis que le corps vivoit l'ame etoit
toujours languissante) (' ' c'est à la mort du corps que commence
la vie de l'ame).
Mais quelle est cette vie 'Ctj l'ame est-elle immortelle par sa
nature; je '''n'en sais rien. [Je ('"sais) que l'ame survit au corps
' B. corporelle.
- [du corps et de l'ame].
» B. l'un. .
"* [dissoudre].
^ [Pourquoi la destruction].
« [elle].
' (même ?).
" [la destruction].
" [ils].
■° [ils].
" B. < et animer >.
'-' [(oui je le sens par mes foi blesses)].
'■' B. mes (fautes) [vices].
'* (l'ame est comme une).
" [(ainsi) l'homme ne vit qu'à moitié durant sa vie « et » la vie de l'ame
« ne » commence qu'à la mort du corps].
"'■ B. (n'en sais rien) [" l'ignore]. Mon entendement borné ne conçoit rien
sans bornes, tout ce qu'on appelle infini m'échappe; ('' je ne) puis (nier),
affirmer (<" raisonner) sur ce que je ne ('i sais) concevoir. Je crois [que] l'ame.
il) I. par sa nature ? Mon eniendement.
b) [que puis-)e].
c) [nier ■- quels » raisonnemens puis-je fairej.
^) [puis].
'" [crois].
EDITION ORIGINALE 207
choquante dissonance dans l'harmonie universelle, me teroit chercher
à la résoudre. Je me dirois : tout ne finit pas pour nous avec la vie, tout
rentre dans l'ordre à la mort. J'aurois, à la vérité, l'embarras de me
demander où est 1 homme, quand tout ce qu'il avoit de sensible est
détruit. Cette question n'est plus une difficulté pour moi, si-tôt que
j'ai reconnu deux substances -. Il est très-simple que durant ma vie
corporelle, n'appercevant rien que par mes sens, ce qui ne leur est
point soumis m'échappe. Quand l'union du corps & de i'ame est rompue,
je conçois que l'un peut se dissoudre & l'autre se conserver. Pourquoi
la destruction de l'un entraîneroit-elle la destruction de l'autre ? Au
contraire, étant de nature si différentes, ils étoient, par leur union,
dans un état violent; & quand cette union | cesse, ils rentrent tous deux [86]
dans leur état naturel. La substance active & vivante regagne toute la
force qu'elle employoit à mouvoir la substance passive & morte. Hélas!
je le sens trop par mes vices i; l'homme ne vit qu'à moitié durant sa
vie, & la vie de l'âme ne commence qu'à la mort du corps ~.
Mais quelle est cette vie, & l'âme est-elle immortelle par sa nature ("1 ?
Mon entendement borné ne conçoit rien sans bornes; tout ce qu'on
appelle infini m'échappe. Que puis-je nier, afl^rmer, quels raisonnemens
puis-je faire sur ce que je ne puis concevoir? Je crois que l'âme survit
au corps assez pour le maintien de l'ordre; qui sait si c'est assez pour
durer toujours? Toutefois je conçois comment le corps s'use & se détruit
par la division des parties, mais je ne puis concevoir une destruction
pareille de l'être pensant; & n'imaginant point comment il peut | mourir, [g?]
je présume qu'il ne meurt pas. Puisque cette présomption me console,
& n'a rien de déraisonnable, pourquoi craindrois-je de m'v lixrer'?
«1 C, D : par sa tujture ■• Je l'ignore.
' Cf., plus liaut, p. 69-70. On voit maintenant pourquoi Rousseau s'acharnait à
établir cette distinction des « deux substances ». Ce qu'il cherchait, à travers tout
cet aride débat, c'était une assurance pratique, et, comme il le dira quelques lignes
plus loin, une « présomption » qui put « le consoler ».
' L'expression paraîtra peut-être un peu forte, si l'on se rappelle que Rousseau
avait dit plus haut, en parlant du Vicaire ; « .-1 h défaut prés qui avait attiré sa
disgrâce, et dont il n'était pas trop bien corrigé, sa vie était exemplaire, ses mœurs
étaient irréprochables •" : cf. p. i5, et note 2. Mais, à la fin de la Première Partie,
p. 124-125, le Vicaire avouera que « les illusions des sens ont duré trop longtemps
pour lui » Ces deux passages rapprochés laissent assez comprendre ce que Rousseau
entend ici par « vices ».
' Les mêmes idées seront reprises sous une autre forme p. i25 : «J'aspire au
moment où, délivré des entraves du corps, je serai moi, sans contradiction, sans
partage, et n'aurai besoin que de moi pour être heureux ».
' Cf. Vairasse. Sévarambes '87". IV. 3i2 : «Parmi les grands esprits de cette
208 RÉDACTIONS MANUSCRITES
asses pour le maintien de l'ordre (moral). Qui sait ' si c'en est assés
pour durer toujours]. -Je sens mon ame je la connois par ^quelques
unes de ses propriétés, 'je sais qu'elle est (mais 'j'ignore absolu-
ment) son essence je ne puis raisonner sur des idées que je n'ai
pas. Ce que je sais bien c'est que l'identité ' de l'être pensant
consistant dans la mémoire pour être le même en elTet il faut
que je ^conserve la conscience de cette identité. Je me souviendrai
donc après ma mort de ce que j'ai fait durant ma \ie et je ne
doute point que ce seul souvenir ne '-'fasse en grande partie « la
félicité des bons et i" le » ("prix du vice). Ici bas mille passions
ardentes '- absorbent le sentiment '■' et donnent le change aux
remords, les [" humiliations], les peines qu'attire l'exercice '^ des
' B. (assés).
- B. Toutefois je conçois comment le corps [s'use et] se détruit par la divi-
sion des parties, (» et comme je ne peux) '' concevoir une destruction pareille de
l'être pensant (' j'ai quelque lieu de) présume(r) qu'il ne meurt ('1 point). .
Puisque cette présomption (<•■ est consolante) et n'a rien de déraisonnable
pourquoi ('' ne) m'y livrer(ois-je pas) ?
ft) [mais je ne {conçois! puis].
>)) (rien prcsu mer).
f) [(ne concevanti et n'imaginant point comment il peut
mourir (et) je] présume,
d) [pas].
f) [(flateuse) me tlate me console].
f ) (craindrois-je de].
■' B. le sentiment et par la pensée.
■* (mais sans).
'^ [(sans concevoir) sans savoir quelle est].
" [(je n'ai nulle idée de)].
' B. (de l'être pensant et sentant) [du moi ne se prolonge] que par la
mémoire et que pour être.
" B. me souvienne d'avoir été. Or je ne saurois me rappeller après ma mort
ce que j'ai été durant ma vie que je ne me rappelle aussi ce que j'ai senti, par
conséquent ce que j'ai fait, et je ne doute.
'■' B. (soit la source de) [fasse un jour] la félicité.
'" B. (du) [le].
" [tourment des méchans].
'- M. effacent.
'■' B. [interne].
'■* (maux qu).
''- B. (de la) [des].
EDITION ORIGINALF 2O9
Je sens mon ame, je la connois par le sentiment & par la pensée;
je sais qu'elle est, sans savoir quelle est son essence; je ne puis raisonner
sur des idées que je n'ai pas. Ce que je sais bien, c'est que l'identité
du moi ne se prolonge que par la mémoire; & que pour être le même
en effet, il faut que je me souvienne d'avoir été. Or, je ne saurois me
rappeller après ma mort ce que j'ai été durant ma vie, que je ne me
rappelle aussi ce que j'ai senti, par conséquent ce que j'ai fait; & je ne
doute point que ce souvenir ne fasse un jour la félicité des bons & le
tourment des médians 2. Ici bas mille passions ardentes absorbent le
sentiment interne, & donnent le change aux remords. Les humiliations,
les I disgrâces, qu'attire l'exercice des vertus, empêchent d'en sentir tous [gg]
les charmes. Mais quand, délivrés des illusions que nous font le corps
& les sens, nous jouirons de la contemplation de l'Etre suprême & des
vérités éternelles dont il est la source, quand la beauté de l'ordre frappera
toutes les puissances de notre ame, & que nous serons uniquement
occupés à comparer ce que nous avons fait avec ce que nous avons dû
faire, c'est alors que la voix de la conscience reprendra sa force & son
empire; c'est alors que la volupté pure, qui naît du contentement de
soi-même, & le regret amer de s'être avili, distingueront par des sen-
timens inépuisables le sort que chacun se sera préparé 1. Ne me demandez
nation 'des Sévarambes], on est fort partagé touchant l'immortalité de l'âme, les
uns la croyant, les autres ne la croyant pas. .Mais, parmi le peuple, tout le monde
la croit immortelle, et c'est la Religion de l'État, parce que c'était l'opinion' de
Sévarias [législateur des Sévarambes , et quelle est plus plausible et plus agréable
que l'autre ».
^ C'est aussi ce qu'espère Julie mourante; cf. Xouvelle Héloïse (\'l, xi), V, 66:
« J'avoue, dit-elle, que je me sens des affections si chères, qu'il m'en coûterait de
penser que je ne les aurai plus. Je me suis même fait une espèce d'argument qui
flatte mon espoir. Je me dis qu'une partie de mon bonheur consistera dans le
témoignage d'une bonne conscience. Je me souviendrai donc de ce que j'aurai
fait sur la terre; je me souviendrai donc aussi des gens qui m'y ont été chers;
ils me le seront donc encore. Ne les voir plus serait une peine, et le séjour des
bienheureu.\ n'en admet point». Dans un des Brouillons de la Julie [9], II, 89 '^'>,
Rousseau avait ajouté à ce passage la note inédite suivante, qui complète et com-
mente les affirmations du Vicaire : « Pour être les mêmes dans l'autre vie,
il faut nécessairement que nous nous souvenions de ce que nous avons été dans
celle-ci ; car on ne conçoit point à quoi ce mot de même peut s'appliquer dans un
être essentiellement [Rousîeau avait d'abord écrit : purement] pensant, si ce n'est
à la conscience de l'identité, et par conséquent à la mémoire. S'il ne se souvient
plus d'être le même, il ne l'est plus. On voit par là que ceux qui soutiennent, à
l'exemple de Spinoza, qu'à la mort d'un homme, son âme se résout dans la grande
âme du monde, ne disent rien qui ait du sens. Ils font un pur galimatias».
' On remarquera le caractère personnel du Paradis de Jean-Jacques. « La
210 REDACTIONS MANUSCRITES
\ertus empêchent d'en sentir tous les charmes. Mais quand déli-
vrés des illusions que nous font le corps et les sens nous jouirons
de la contemplation (pure) de l'être suprême et des ' vérités éter-
nelles dont il est la source, quand la beauté de l'ordre frapera
toutes les puissances de nôtre -entendement et que nous serons
uniquement occupés à comparer ce que nous avons fait avec ce
que nous avons du faire c'est alors que la voix de la conscience
reprendra sa force et son empire c'est alors que la volupté pure
qui nait du contentement de soi-même et le regret amer de s'être
avili distingueront par des sentimens inépuisables le sort des bons
de celui des méchans. \e me demandés point o mon bon ami s'il v
aura d'autres sources de bonheur et de peines * f je ^ l'ignore
f° 163™ et c'est asses ■'de || celle que j'imagine pour me consoler de cette
vie et m'en faire '^ attendre une autre ''avec "espoir.
B, f° 142 ^" [ * s Qu'importe à l'être inaltérable le vice et la perversité des hommes ?
Leurs blasphèmes leurs impietés n'offensent qu'eux-mêmes. En abusant de
leurs facultés, ils s'ôtent le prix du bon usage, ils se préparent (■' le regret
d'en avoir mal usé : mais a qui font-ils tort si ce n'est '^ à eux-mêmes). [Mais
comment] les hommes " peuvent- « ils » offenser Dieu. Ce mot-même me
paroit absurde].
' M. (beautés) [vérités].
- B. (entendement) [ame].
' (n-).
■* I. (pour moi) de celles.
•'* B. espérer.
" B. < avec espoir >.
' [(plaisir)].
" M. < qu'importe à l'être... me paroit absurde >.
" (d'en) [d'inévitables regrets].
•° [(qu')].
" [(ne)].
t L'astérisque, comme la note qu'il amorce, ne se trouve que
dans B.
EDITION ORIGINALE 211
point, à mon bon ami, s'il y aura d'autres sources de bonheur iS: de
peines ^; je rij,'nore, & c'est assez de celles que j'imagine pour me con-
soler de I cette vie & m'en faire espérer une autre. Je ne dis point que les rgg]
contemplation de l'Être suprême et des vérités éternelles » y est mentionnée rapi-
dement, et par une sorte de convenance traditionnelle. La félicité essentielle, celle
qu'il décrit le plus complaisamment, sera cette « volupté pure qui nait du conten-
tement de soi ». H dira quelques lignes plus loin : « Quel autre bien peut attendre
un être excellent que d'e.\ister selon sa nature»? Et déjà, dans une Lettre à Vernes
du t8 Février lySS, X, 180, il « soupçonnait... qu'être et sentir est le premier prix
d'une bonne vie ». Nous sommes loin ici de la vision béatifique, telle que les
théologiens catholiques essaient de se la représenter. La vie éternelle, telle que
Rousseau la conçoit, c'est le plein épanouissement de cette divinité qu'il sent en
lui : « Eh quoi ! s'écriera-t-il quelques années plus tard, dans une Lettre à Moultou, du
14 Février 1769, Xll, i38, le juste infortuné en proie à tous les maus de cette vie...
n'aurait nul dédommagement à attendre après elle, et mourrait en bête après avoir
vécu en Dieu i>} Cf. plus haut, p. 79, note i, les remarques que j'ai présentées
sur le sentiment de la jouissance de soi chez Rousseau.
^ A cette question, Rousseau avait accroché, dans B, une note sur « l'absurdité »
de l'expression vulgaire « offenser Dieu ». 11 y reprenait les idées de Malebranche,
Entretiens sur la métaphysique, VIII, [5 [96], 5y : «Que Dieu puisse en être offensé
^des créatures], c'est ce qui ne me parait pas concevable » ; et surtout de Marie
Htiber, Religion essentielle [i5i], I, 8: «L'Être infini ne peut être ofl'ensé ; ce sont
les créatures qui s'offensent elles-mêmes, grand principe, qu'on rappellera souvent
dans la suite»; et 5y : «S'il est une fois reconnu que l'Être suffisant à soi ne peut
être offensé, à parler exactement, par l'injustice des hommes, s'il est vrai que cette
injustice n'offense qu'eux-mêmes » [On remarquera la même formule chez Rous-
seau : « leurs impiétés n'offensent qu'eux-mêmes »]. Cf. encore Tyssot de Patot,
Jacques Massé [m], 186-188 : « Paillarder, tuer, voler, blasphémer, ne sont pas
des crimes par lesquels on offense la majesté du Très-Puissant S'il y a quelqu'un
de lésé dans la transgression de ces Lois, c'est proprement la Société, ou les chefs
qui la représentent, et nullement l'Esprit universel, qui ne peut, en aucune manière
du monde, être offensé de personne»; Morelly. Code de la Nature, 111 [216], 126-127.
Quelques mois avant l'apparition de VÉmile, des considérations identiques pour le
fond, mais présentées sur un autre ton, se retrouvaient dans la Nature de Robinet
[235], 19, note ; « L'homme ne peut donc pas offenser Dieu, sa nature étant trop
sublime et tout à fait inaccessible aux traits de l'être fini. Ses blasphèmes ne
pénètrent donc pas jusqu'au ciel ? Et celui qui peut tourner à son gré toutes nos facultés
n'est pas fondé à se plaindre qu'elles lui soient contraires. Il serait aisé de pousser
cette objection », etc. On voit mal pourquoi Rousseau a supprimé ce petit développe-
ment, qui est bien dans l'esprit du Vicaire. S'il avait été conservé dans M et dans 1, on
pourrait supposer que Rousseau l'aurait sacrifié au dernier moment, après avoir lu
Robinet, pour ne pas paraître faire une concession à un philosophe qui lui était
antipathique. Mais il est infiniment probable que I, du moins, était déjà transcrit,
quand parut le livre de Robinet. Je croirais donc que Rousseau, en recopiant cette
page de B, d'ailleurs très embrouillée, a négligé cette note par pure distraction.
Ce qui semblerait le prouver, c'est que deux ans plus tard, dans une note de la
V des Lettres de la Montagne, 111, 196, il commentera ainsi une phrase de son
texte où il avait parlé des « offenses faites à Dieu » : « Notez que je me sers de ce
mot offenser Dieu, selon l'usage, quoique je sois très éloigné de l'admettre dans son
212 REDACTIONS MANUSCRITES
B f° 142 "' V^ "'•' '^'^ point que les [' bons] seront recompensés car (^ en vivant
selon leur nature ^ qu'auront-ils fait pour mériter) récompense; mais je
« * dis » qu'ils seront heureux parce que leur auteur, l'auteur de toute
justice les ayant faits sensibles ne les a pas faits pour souffrir, et que
n'ayant point abusé de leur liberté (^ dans ce monde) ils n'ont •> pas
trompé leur destination ' par leur faute; ils ont souffert pourtant « dans
cette vie », ils seront donc dédomagés dans un e * autre. Ce sentiment
8 est ["* moins] fondé sur le mérite de l'homme que sur la notion de
justice et de bonté qui me semble inséparable de l'essence divine. Quelle
raison puis-je avoir de m'y reîuser? *
* 11 Non pas pour nous, non pas pour nous, Seigneur
Mais pour ton nom, mais pour ton propre honneur,
O Dieu, fais-nous revivre! Ps. ii5.].
' (mechans).
- [vivre selon sa nature n'est pas mériter]. — M. (en vivant selon leur
nature (qu'auront-ils fait pour mériter) [le bonheur qu'ils y trouvent suffit pour
leurj) [vivre selon sa nature n'est pas mériter] récompense. — I. (en vivant selon
leur nature qu'auront-ils t'ait pour mériter une récompense?) [quel(le) autre
(récompense) [bien] peut attendre un être excellent que (de vivre) [d'e.xister]
selon sa nature].
^ [(le bonheur qu'ils v trouvent suffit pour leur)].
■* [(crois)].
^ [sur la terre].
"■' M. point.
' I. (sur la terre).
" un (sic).
» (n').
'" (point).
" I. < non pas pour nous... nous revivre. Ps. ii5 >.
EDITION ORIGINALE 213
bons seront récompensés; car quel autre bien peut attendre un être excel-
lent, que dexister selon sa natufe '? Mais je dis qu'ils seront heureux,
parce que leur auteur, l'auteur de toute justice les avant faits sensibles,
ne les a pas faits pour souffrir; & que n'ayant point abusé de leur liberté
sur la terre, ils n'ont pas trompé leur destination par leur faute ; ils ont
souffert pourtant dans cette vie, ils seront donc dédommagés dans une
autre. Ce sentiment est moins fondé sur le mérite de l'homme, que sur la
notion de bonté qui me semble inséparable de l'essence divine. Je ne fais
que supposer les loix de Tordre observées, & Dieu constant à lui-même *.
* Son pas pour nous, non pas pour nous, Seigneur,
Mais pour ton nom, mais pour ton propre honneur,
O Dieu! fais-nous revivre! Ps. ii5. -
sens propre, et que je le trouve très mal appliqué; comme si quelque être que ce
soit, un homme, un ange, le diable même, pouvait jamais otfenser Dieu » ! La
remarque eut déjà été valable pour un passage de la Xourelle Héloïse (III, xvnii,
IV, 249 : « le premier offensé et le seul vrai juge ».
' Comme le montrent toutes les variantes des .Manuscrits, il ne s'agit stricte-
ment, dans cette formule, que de l'existence terrestre ; mais, la vie immortelle
n'étant que l'épanouissement de la vie présente dans ce qu'elle a de meilleur, la
formule vaut aussi par-delà la tombe : cf. la note 1 de la page précédente.
' C'est le Psaume ii3 de la Vulgate. — Ce qui fait le grand intérêt de cette
citation, c'est la traduction à laquelle elle est empruntée ; elle ne se trouve ni dans
les Psaumes de David mis en rime française par Clément Marot et Théodore de
Bè^e (i554 sqq(, ni dans Les Psaumes en vers français retouchés... par feu M. V. Con-
rart (1679 sqql. qui étaient la version la plus familière aux Églises réformées de
langue française. Elle est prise textuellement dans le Psautier genevois, adaptation
des versions précédentes par Pictet, de la Rive et Calandrin, qui fut introduit dans
les Écoles et les Temples de Genève à partir de Novembre 1698 : Les Psaumes de
David, mis en vers français, revus et approuve^ par les Pasteurs et les Professeurs
de l'Église et de IWcadémie de Genève [ii5 , 423. Cf., sur ce Psautier, Féli.x Bovct.
Histoire du Psautier des Églises Réformées, Neuch,îtel, Sandoz, et Paris, Gras-
sart, 1872, in-8. et Octave Douen, Clément .Marot et le Psautier Huguenot, Paris,
Imprimerie Nationale, 1879, 2 vol. in-4. En citant le texte de la nouvelle version
genevoise, Rousseau n'était peut-être pas fâché de souligner l'erreur de D'Alembert,
qui croyait icf. note à la Réclamation des Pasteurs [52], IV, 426I que l'on chantait
encore dans les temples de Genève « les vieux psaumes de Marot et de Béze ». Cette
méprise avait été relevée aussi par Vernet. Lettre III [236\ 29 : « D'où sait-il ce
qu'il avance, lui qui n'est jamais sorti de France, lui qui n'a jamais vu d'Eglises
Réformées, lui qui les connaît si peu qu'il croit bonnement que l'on y chante
encore les vieux Psaumes de Clément Marot »? — Quoiqu'il en soit, cette citation
exacte du Psautier national témoigne que Rousseau en possédait encore un exemplaire,
ou, plus vraisemblablement, qu'il n'avait pas oublié les cantiques appris par cœur
étant enfant. Il n'avait pas oublié non plus les « Prières ecclésiastiques » qui terminent
le recueil genevois ; et quelques-unes des prières qu'il a écrites aux Charmettes
(cf. Pages inédites 36], 221-2291 ^n conservent d'incontestables réminiscences. On
314 REDACTIONS MANUSCRITES
F, f° 163 ™ (' Vous) me demande(re)z - si les (■'* supplices) des médians
seront éternels et s'il est de la bonté de l'auteur de leur être de les
* destiner à souiïrir toujours. Je l'ignore encore et n'ai point la
vaine curiijsité d'agiter '' ces questions inutiles. Que m'importe
(de savoir) ce que deviendront les méchans? Je "ne prends aucun
intèrest à leur sort.
B F 143 ''° [<< ' Toutes fois » j'ai peine à croire que Dieu donne l'existence à des
fo 142 *° ^^^^ sensibles || pour les condanner à des tourmens (* éternels)]. [(Si) la
suprême justice '■'se vange ('"c'est) dès cette vie; ["vous] et vos erreurs
ô Nations êtes ses ministres (contre vous de ['^sa] vengeance), elle employé
les maux que vous vous faites à punir les crimes qui les ont attirés. C'est
dans vos cœurs insatiables, rongés d"en\ie d'avarice et d'ambition qu'au
('■■'milieu) de vos « '* prospérités » apparentes les passions vengeresses
punissent tous vos forfaits. (^'^ L'enfer est dans le cœur du méchant
qui prospère)].
' [Ne].
- [pas non plus]. — B. (point) [pas].
■'' [remords]. — B. tourmens.
'' (avoir). — B. condanner.
^ B. [avec chaleur] des.
" B. (ne) prends (aucun) [peu d'Jinteresl. — M. (ne) prends.
' (Mais j').
" [sans fin] [(quelque... quels que soient les décrets je les ignore... respecte...
adore. O Etre clément, clément et bon)].
'■• [ne].
"• [-t-elle pas].
" (c'est par leurs passions).
■2 (la).
'^ [sein].
■* [(félicités?)].
'■'' [Qu'est-il besoin d'aller chercher l'enfer dans l'autre vie il est dès celle-ci
dans le cœur (du méchant) des méchans. (Mais)].
EDITION ORIGINALE 215
Ne me demandez pas non plus ^ si | les tourmens des méchans rgo]
seront éternels ('') ; je Tignore encore, & n'ai point la vaine curiosité
d'éclaircir des questions inutiles. Que m'importe ce que deviendront
les méchans? je prends peu d'intérêt à leur sort 1. Toutefois j'ai peine
à croire qu'ils soient condamnés à des tourmens sans fin. Si la suprême
justice se venge, elle se venge dès cette vie. Vous & vos erreurs, ô
nations ! êtes ses ministres 2. Elle emplove les mau.x que vous vous faites, à
l'i C, D : seront éternels, et sil est de la bonté de l'auteur
de leur être de les condanner [D : condamner] à souffrir
toujours. Je l'ignore encore.
se rappelle, d'ailleurs, que Rousseau a manifesté à plusieurs reprises sa piété admirative
pour les psaumes de son adolescence, et « l'harmonie forte et mâle » de leur vieille
musique : cf. Lettre à D'Alemberl, I, 219, Lettre à M. Perdriau du 18 Janvier 1756,
X, III, Dictionnaire de musique, art. Chantre, VII, 28, et surtout art. Unité
de Mélodie, \'\\. 339 : « Lorsque j'entends chanter nos psaumes à quatre parties, je
commence toujours par être saisi, ravi de cette harmonie pleine et nerveuse; et les
premiers accords, quand ils sont entonnés bien juste, m'émeuvent jusqu'à frissonner ».
' Une autre question, qui n'est pas posée dans cet ordre de problèmes, et que
Rousseau avait fait discuter par Julie dans la Nouvelle Hélo'ise (VI, xil, V, 65, c'est
celle de la résurrection des corps.
• Il avait d'abord écrit : « Je ne prends aucun intérêt à leur sort ». La Première
Rédaction nous livre ici le premier mouvement. Rousseau ne peut parler des peines
réservées au.\ « méchants » en philosophe désintéressé; le mot de « méchant »
éveille pour lui des images très précises et une répulsion douloureuse. Il v a donc
conflit chez lui entre les opinions rationnelles du penseur et les réactions instinctives
de l'homme qui a souffert. Spontanément, son imagination ne s'arrête que sur la
félicité des « bons », c'est-à-dire sur la sienne, et il est visiblement gêné que la
philosophie l'oblige à poser le problème des « méchants » : « Il y des âmes si noires,
écrit-il à Vernes le 18 Février 1/38, X. 180, que je ne puis concevoir qu'elles puissent
jamais goûter cette éternelle béatitude dont il me semble que le plus doux sentiment
doit être le contentement de soi-même. Cela me fait soupçonner qu'il se pourrait
bien que les âmes des méchants fussent anéanties à leur mort». C'est aussi l'opinion
qu'il prête à Alilord Edouard: cf. Nouvelle Hélo'ise (VI, m), V, 11, note, et celle
qu'il semble accepter délibérément pour lui-même, au V Livre d'Emile, II, 418 : « La
mort est la fin de la vie du méchant, et le commencement de celle du juste ». M'"* de
Warens avait été la première à lui montrer la difficulté; cf. Confessions, VIII, i63 :
« Elle ne savait que faire des âmes des méchants, ne pouvant ni les damner, ni
les mettre avec les bons, jusqu'à ce qu'ils le fussent devenus; et il faut avouer,
qu'en effet, et dans ce monde et dans l'autre, les méchants sont toujours bien
embarrassants ». Rousseau pouvait se rappeler que Marivaux éprouvait déjà le même
embarras: cf. L'Indigent philosophe [129], II, 76 : « Je ne sais où le mettre, le
méchant; il ne serait bon qu'au néant». — Cf., plus loin, p. 121, note 2, et le texte
de Morelly à la note i de la p. 91.
' C'est une citation, presque textuelle, de Morelly; cf. Basiliade, IX [206], H,
io3 : « Si la justice suprême se venge, vous et vos erreurs, ô Nations ! êtes ses
ministres ». Comme on le voit par les variantes de B, Rousseau a essayé de déguiser
légèrement la formule de Morelly, puis il y est revenu, la trouvant sans doute plus
expressive. On verra plus loin, p. 91, note 1, d'autres réminiscences de Morelly.
Cf. ma note sur Rousseau et Morelly- [290].
2l6 RÉDACTIONS MANUSCRITES
[Ou finissent (tous) nos besoins 'terrestres (et passagers i ^ ou cessent
nos désirs (^pervers) doivent cesser aussi tous nos crimes. i*La mort sans
doute en est le terme ainsi que de nos malheurs). De quelle perversité ^ de
purs esprits peuvent-ils être susceptibles. C Si leur bonheur est dans la)
contemplation des êtres ils ne ('peuvent) \ouloir que le bien, et quiconque
cesse d'être méchant (* ne sauroit) être à jamais misérable. Voilà ce que
j'ai du penchant a croire sans prendre peine à me ^ décider là-dessus.
O être clément et bon « quels que soient tes décrets je les » adore. Si tu
punis ['"éternellement] les méchans, (" j'adore en gémissant) ta justice].
[«Mais» si l'-leursi remords doivent s'éteindre, ('''quei leurs ('* peines)
doivent finir ( '^ et quei la même pai.x nous attend(e) tous également un
jour, je t'en loue. Le méchant n'est-il pas mon frère, combien de fois
j'ai été tenté de lui ressembler! ('* Si) délivré (''desi misère si (de cette
vie) il ('«a perdu) [aussi] la malignité ('^ qui -'o en est l'ouvragei qu'il
' [passagers et].
- (doivent cesser aussi tous nos crimes).
^ [insensés].
■■ (L'ame humaine. Pourquoi nos âmes).
■'' M. des esprits purs.
"' [S'ils (sont) ne sont occupés qu'à la]. — I. Si [destitués de nos sens
grossiers] tout leur bonheur est dans la.
' [sauroient].
" [peut-il].
'■' Seul texte intelligible ; amis il ne semble pas qu'on puisse lire sur le
manuscrit un autre mot que : destiner. Il y a sans doute eu lapsus de plume.
'° M. [éternellement].
" ((en tremblant) j'anéantis ma raison devant].
'^ [les] remords [de ces infortunés]. — I. (leurs) [les] remords (doivent) [de
ces] infortunés doivent.
■^' [si].
'* [maux].
'= [si].
'" [Que]- — !• (et combien). Que délivré.
' ' [de sa] .
'" [perde].
'" [(qu'elles) dont elle est (la source... la suite... la cause et l'effet) le fruict].
— M. qui en est le fruit.
-" [(l'a produite, l'accompagne)].
EDITION ORIGINALE 217
punir les crimes qui les ont attirés. C'est dans vos cœurs insatiables,
rongés d'envie, d'avarice & d'ambition, qu'au sein de vos fausses pros-
pérités les passions vengeresses punissent vos forfaits. Qu'est-il besoin
d'aller chercher l'enfer dans l'autre vie? il est dès celle-ci dans le
cœur des méchans ^.
Où finissent nos besoins périssables, où cessent nos désirs insensés,
doivent cesser aussi nos passions & nos crimes. | De quelle perversité [91]
de purs esprits seroient-ils susceptibles? N'ayant besoin de rien, pourquoi
seroient-ils méchans? Si, destitués de nos sens grossiers, tout leur
bonheur est dans la contemplation des êtres, ils ne sauroient vouloir
que le bien ; & quiconque cesse d'être méchant, peut-il être à jamais
misérable 1? voilà ce que j'ai du penchant à croire, sans prendre peine
' Cf. .\ddison, Spectateur '117^, IV, ^Sy. Il recommande la lecture de la Vie
chrétienne, du D' Scott, « qui est le plus beau et le plus raisonnable système de
théologie qui soit écrit dans notre langue ou dans aucune autre. Cet excellent
auteur y a l'ait voir de quelle manière chaque vertu en particulier, formée en habitude,
produit naturellement le Ciel ou un état de bonheur pour celui qui la possède; et
tout au contraire, chaque vice deviendra, par une suite naturelle, l'Enfer de celui
qui en est l'esclave ». cf. encore Saint-.Aubin, Réponse aux objections contre la
Providence [141], 11, 206 : « Quelques méchants prospèrent, la vertu est quelquefois
opprimée, et le vice impuni. Pour en conclure que c'est une injustice, il faudrait
prouver que les méchants {goûtent un véritable bonheur, que le crime n'est pas à
soi-même un bourreau implacable ■!> : Haller, Essai sur l'origine du mal, III [200]. 5S :
« Le vice nous fait un enfer de nous-mêmes », etc.
' Ce développement est tout pénétré de .Morelly, et en utilise souvent les
expressions mêmes; cf. Basiliade [206], II, 101 et 104: « Pourquoi veut-on que.
délivrée de ces maux [terrestres], elle [l'âme] conserve encore quelque trait d'une
malignité qui ne l'intéresse plus... Où il ne subsiste plus d'erreurs, il ne peut plus
subsister de vices ; où il n'y a plus d'égarement, plus de punition Si la Divinité
mène ses créatures à un état qui ne change plus, il faut que, sitôt que les flots
de ce courant touchent les bords de cette mer immuable, toute erreur cesse avec
le crime et le châtiment. Où règne l'évidence, oii se terminent tous besoins passagers
[On remarquera que Rousseau avait d'abord écrit dans B : « où finissent tous nos
besoins... passagers »[, cesse tout dessein criminel. Non, mon cher Fadilah, notre
âme ne peut plus être méchante. Hélas ! pourquoi serait-elle malheureuse » ? Des
Idées analogues se retrouvent encore dans le Code de la .\ature du même Morelly,
III [216], i53-j54: «Si j'établis que l'idée d'un Être infiniment parfait, infiniment
bon, exclut absolument celle d'un vengeur obstiné, dont les rigueurs perpétueraient
le mal, c'est que cette idée ne peut convenir qu'à la créature... Que serait un Être
inaccessible à toute offense, qui se plairait à ce cruel exercice ? Criez tant qu'il
vous plaira, imposteurs ou fanatiques, qui avez intérêt de nous persuader d.s
chimères ; vos vains raisonnements ne pourront jamais étouft'er cette vérité aussi
évidente que le premier axiome de mathématique : Si la suprême Puissance tst
unie dans un Être à une infinie sagesse, elle ne punit point, elle perfectionne ou
anéantit. Choisissez ». On notera que cette dernière hypothèse est celle-là même
à laquelle Rousseau semble s'être arrêté un instant : cf. la note 1 de la p. 90.
2l8 RÉDACTIONS MANUSCRITES
soit heureux ainsi que moi, loin d'exciter ma jalousie son bonheur ne
fera qu'ajouter au mien].
EDITION ORIGINALE 2I9
à me décider là-dessus. O Etre clément (S: bon -1 quels que soient tes
décrets, je les adore ; si tu punis (^i les méchans, j'anéantis ma foible
raison devant ta justice '. .Mais si les remords de ces infortunés doivent
s'éteindre avec le tems, si leurs maux doivent finir, & si la même
pai.x nous attend tous également un jour, je t'en loue. Le méchant
n'est-il pas mon t'rere ? Combien de fois j'ai été tenté de lui ressembler?
Que, délivré de sa misère, il perde aussi la malignité qui l'accompagne;
qu'il soit heureu.x ainsi | que moi ; loin d'e.xciter ma jalousie, son [92]
bonheur ne fera qu'ajouter au mien 1.
I>i C, D : éternellement.
' Comparez avec les déclarations de Julie dans la Souvelle Héloïse (VI, viii).
V, 43 : «Le Dieu que je. sers est un Dieu clément, un père: ce qui me touche est
sa bonté; elle efface à mes yeux tous ses autres attributs; elle est le seul que je
conçois Puisqu'il est juste, il est clément. Le Dieu vengeur est le Dieu des mt-
chants; je ne puis ni le craindre pour moi ni l'implorer contre un autre. O Dieu
de paix, Dieu de bonté, c'est toi que j'adore » !
' Formule qui va rejoindre celle qu'on lira quelques pages plus loin. p. 96 : « Le
plus digne usage de ma raison est de s'anéantir devant toi », et qui parait difficilement
conciliable avec les maximes de la Seconde Partie, p. iSg : « Ils ont beau me crier,
soumets ta raison;... il me faut des raisons pour soumettre ma raison » ; et p. i5o:
«.Me dire de soumettre ma raison, c'est outrager son auteur».
' On sera frappé, je crois, de la ressemblance entre la fin de ce morceau et
le passage suivant du poème de Haller, Essai sur l'origine du mal, 111 '200 , 72-73 :
« O Dieu plein de justice et de clémence, ta créature ose-t-elle te demander comment
ta bonté peut s'accorder avec nos tourments ? O Dieu ! les voies de ta bonté
nous sont cachées... Peut-être qu'un jour la vérité qui le tourmente, purifiera notre
esprit, refondu par de longs supplices ; peut-être qu'alors ennemi du vice, instruit
par ses tristes fruits, il tournera entièrement sa volonté au bien, et que Dieu, satisfait
enfin de notre tardive repentance, nous retirera tous vers lui, pour être tout en
tous ». — Cette petite dissertation de Rousseau sur les peines éternelles est faite
de plusieurs morceaux qui n'ont pas été rédigés à la même époque ; et l'on s'en
aperçoit, car les idées en sont assez peu cohérentes. Les premières phrases, qui
sont aussi les plus anciennes, ne sont guère qu'une façon de se récuser devant
le problème : le Vicaire ne le résoudra pas, parce qu'il n'a pas de réponse à lui
apporter, et qu'au fond cette réponse ne l'intéresserait point : il ne veut songer
qu'aux « bons ». Les phrases qui suivent, et qui appartiennent à une rédaction
postérieure, disent, sinon le contraire, du moins quelque chose de fort différent :
Le Vicaire se refuse absolument à l'idée d'un châtiment qui ne cesserait point. Enfin
la conclusion essaie de rétablir l'équilibre entre les deux hvpothèses, tout en laissant
voir la pensée personnelle de Rousseau, — pensée, qui, d'ailleurs, ne fait aucun
doute. Cf., en effet. Lettre à Vernes du 18 Février lySS, X. 180 : * \ l'égard de
l'éternité des peines, elles ne s'accordent ni avec la faiblesse de l'homme, ni avec
la justice de Dieu »; Lettre à Voltaire, X, i3o : « L'éternité des peines, que ni
vous ni moi, ni jamais homme pensant bien de Dieu, ne croirons jamais »; Lettre
à D'Alembert, I, 184 : « Je ne suis pas scandalisé que ceux qui servent un Dieu
clément rejettent l'éternité des peines, s'ils la trouvent incompatible avec sa justice»;
Confess ons, Vlll. i63 : « Les âmes aimantes et douces n'y croient guère [a l'enfer ,
220 REDACTIONS MANUSCRITES
10. L'idée de Dieu.
F, f'M63 "' ('Vous voyez, mon enîant, comment) contemplant Dieu dans
ses œuvres et l'étudiant par -ses seuls attributs qu'il m'importoit
de connoitre je suis parvenu à étendre et (« •' perfectionner ») * par
degrés (dans mon esprit) l'idée d'abord imparfaite et (■' gratuite)
que je m'étois faite de cet être immense.
[[" Mais sij cette idée est plus noble et plus grande elle est
aussi (plus obscure et plus incompréhensible plus éblouissante et)
moins proportionnée à la raison humaine. A mesure que j'ap-
proche en esprit de l'éternelle lumière son éclat m'éblouit " et
me trouble * et je suis forcé d'abandonner toutes les notions
(■'humaines) qui m'aidoient à l'imaginer]. Dieu n'est plus corporel
et sensible (""l'être inteUigent) qui régit le monde n'est plus le
monde même. J'eléve « et » fatigue i mon esprit [à concevoir]
(les notions de) " sa substance incompréhensible. En concevant
que c'est elle qui donne '- l'activité et la vie à (''M'être actif et
V ivant) qui régit les corps animés quand j'entends dire que
mon ame est spirituelle et que Dieu est un esprit je m'indigne
' (En con templant ?). [C'est ainsi que^.
- B. ceux de ses attributs.
^ (com PLÉTER ?) [augmenter].
■* (dans).
^ [bornée].
« (C'est).
' B. < et >.
" B. (et je suis) [me] force.
" [terrestres].
'" [ta suprême intelligence].
" B. son essence inconcevable. Quand je pense que c'est elle qui. — I. son
essence. Quand je pense.
'- B. la vie et l'activité.
'" [la substance active et vivante]. — B. vivante et active.
ÉDITION ORIGINALE 221
10. L'idée de Dieu.
C'est ainsi que, contemplant Dieu dans ses œuvres, & l'étudiant
par ceux de ses attributs qu'il m'importoit de connoitre, je suis parvenu
à étendre & augmenter par dégrés ^ l'idée, d'abord imparfaite & bornée,
que je me faisois de cet Etre immense ^. Mais si cette idée est devenue
et l'un des étonnements dont je ne reviens point est de voir le bon Fénelon en
parler dans son Télémaque, comme s'il y croyait tout de bon ; mais j'espère qu'il
mentait alors, car enfin, quelque véridique qu'on soit, il faut bien mentir quelquefois,
quand on est évêque ». Dans les milieux protestants, et surtout philosophiques, où
Rousseau avait vécu, le dogme de l'éternité des peines était l'un des plus discutés
ou attaqués. Cf. le livre du pasteur Liomin, Préservatif contre les opinions erronées
qui se répand-ent au sujet des peines de la vie à venir, Heidelberg, 1760. in-12,
analysé dans le Journal encyclopédi-que du i" Avril 176 r 46], 19-24; et, en particulier,
pour Genève, l'article de D'.Alembert et la Réclamation des Pasteurs Genevois [52],
IV. 421, 427-428; pour Neuchàtel, la polémique soulevée par le pasteur Petitpierre,
Confessions, IX, 38, et les Lettres d'un magistrat de Neuchàtel au sujet des
disputes de religion survenues dans cette principauté, publiées dans le Journal
encyclopédique du i" Septembre 1761 '46], 131-140. Cf. encore, outre le fragment de
Haller cité plus haut, et le texte de Morelly cité à la note i de la p. 91, Marie Huber,
État des âmes séparées [i33], 283-288 : « L'idée de l'équité parfaite est incomparable
(sic) avec celle de la vengeance, et d'une vengeance sans bornes sur des créatures
bornées », etc. Le texte suivant de Toussaint, Les Mœurs, II, 11, i [184], 143, résume
bien sur ce point les idées « philosophiques » : « Dieu sans doute châtie en père,
et ses châtiments ne sont vraisemblablement que des moyens de nous améliorer :
J'ose le dire de ceux mêmes d'après cette vie, s'ils ne sont point éternels; or la raison,
loin de m'apprendre qu'ils le soient, m'insinue tout le contraire. Je ne crois pas
que, semblable à un mortel vindicatif, il afflige ses créatures, même coupables,
pour le plaisir barbare de les voir souffrir. S'il les punit, c'est pour les détourner
du vice, par l'expérience des maux qu'il entraine à sa suite ; mais j'ai peine à con-
cevoir qu'un Dieu juste et bon puisse punir par esprit de vengeance; et bien moins
encore qu'il se venge éternellement ». C'est au fond, comme on l'a vu, la conviction
de Rousseau. S'il l'atténue au début et à la fin, c'est peut-être d'abord par un
sentiment de convenance à l'égard du prêtre catholique qu'il est censé faire parler;
c'est aussi, comme j'ai essavé de le montrer dans une des notes précédentes, parce
que les méchants l'embarrassent et qu'il ne sait « qu'en faire ».
^ Sur cette accentuation de dégrés, cf., plus haut, p. 32 et note 1.
' J'ai essayé d'expliquer plus haut, p. 63, note i, ce retour à une idée qu'on
pouvait croire épuisée. Rousseau attendait, pour la reprendre, d'avoir considéré Dieu
non plus seulement comme organisateur de l'univers (« contemplant Dieu dans ses
œuvres»!, mais comme directeur de la vie humaine, comme le Dieu de la liberté
et des sanctions post-terrestres (« l'étudiant par ceux de ses attributs qu'il m'importait
de connaître »).
222 REDACTIONS MANUSCRITES
contre > cet avilissement de -l'essence divine comme si Dieu et
mon ^ame étoient ^ de la même ^ nature. Comme si Dieu n'étoii
pas le seul être "Nraiment actif, "sentant] pensant voulant par
lui-même et ** de qui seul nous tirons la pensée le sentiment,
(l'activité) la volonté '-'la liberté '"même. Nous ne sommes libres
que parce qu'il veut que nous le so\"ons, ''et sa substance inexpli-
quable est '^pour ainsi dire] à nos âmes, ce que nos âmes sont à
nos] corps. S'il a créé la matière, les corps, les esprits, le monde
je n'en sais rien. L'idée de création me confond et passe ma
portée. Je la crois autant que je la puis concevoir, mais je sais
qu'il a ('''îait) l'uniNers et tout ce qui existe qu'il a tout fait "et
tout ordonné. '■'■ Est (-il) éternel. (Ce mot me passe. Je le croirois)
« sans doute » ("' si) mon esprit ('" pouvoit) embrasser l'idée
de l'éternité. ('*Mais) ce que je conçois c'est qu'il est avant les
choses, ''et qu'il sera tant que les choses --'existeront.
' cette avilissement Isic).
- B. (la substance) [(l'essence) la nature]. — I. (la substance) [l'essence].
^ B. (ame) [esprit].
* B. d'une.
^ B. (nature) [substance].
" B. absolu, le seul vraiment actif.
' (vou lant).
* B. duquel nous (tirons) [tenons] (l'être) [le sentiment] la pensée (le
sentiment).
" [l'activité].
'" B. < même > l'être 1
" (nôtre).
'- B. < pour ainsi dire >.
'•■' [formé].
'* B. < et >.
'^ [Dieu].
'" [mais].
'■ [peut-il].
'* B. Pourquoi (m'i me payer de mots sans idées ? Ce que je.
'" M. (et).
-" B. subsisteront. — I. (dureront) [subsisteront].
EDITION ORIGINALE 223
plus noble iS; plus grande, elle est aussi moins proportionnée à la raison
humaine. A mesure que j'approche en esprit de l'éternelle lumière, son
éclat m éblouit, me trouble, & je suis forcé d'abandonner toutes les
notions terrestres qui m'aidoient à l'imaginer. Dieu n'est plus corporel
& sensible; la suprême intelligence qui régit le monde n'est plus le
monde même : j'élève et fatigue en vain mon esprit à concevoir son
essence *. Quand je pense que c'est elle qui donne la vie & l'activité
à la substance vivante | & active qui régit les corps animés; quand ;"93]
j'entends dire ' que mon ame est spirituelle & que Dieu est un
esprit, je m'indigne contre cet avilissement de l'essence divine, comme
si Dieu & mon ame étoient de même nature : comme si Dieu n'étoit
pas le seul être absolu, le seul vraiment actif, sentant, pensant, voulant
par lui-même, & duquel nous tenons la pensée, le sentiment, l'activité,
la volonté, la liberté, l'être. Nous ne sommes libres que parce qu'il
veut que nous le sovons, & sa substance inexpliquable est à nos âmes
ce que nos âmes sont à nos corps ^. S'il a créé la matière, les corps.
* Cette impuissance de l'homme à concevoir l'être de Dieu a été exprimée
bien des fois par les théologiens et les philosophes; cf., par exemple, parmi les
auteurs qu'avait lus Rousseau, .Malebranche, Entretiens métaphysiques, VIII, 17
[96], 53 : « 11 ne faut lui attribuer que des attributs incompréhensibles Tous
les attributs absolus de Dieu sont incompréhensibles à l'esprit humain », etc. ; Charron,
De la Sagesse, II, v, 20 [77 A], 365 : « Après que nous l'aurons orné de tous les
noms et louanges les plus magnifiques et excellents que notre esprit se peut imaginer,
nous reconnaissons que nous ne lui avons encore rien présenté digne de lui ; mais
que la faute est en notre impuissance et faiblesse, qui ne peut rien concevoir de
plus haut. Dieu est le dernier effort de notre imagination vers la perfection, chacun
en amplifiant l'idée suivant sa capacité, et, pour mieux dire, Dieu est infiniment
par-dessus tous nos derniers et plus hauts efforts et imaginations de perfection ».
' Rousseau fait peut-être allusion aux définitions des catéchismes, sur les-
quelles il a exercé son ironie aux IV et V Livres d'Emile, II, 228, 349-352. Peut-être
aussi la réflexion est-elle plus générale et lui a-t-elle été suggérée par ce passage
de Beausobrc, qui mettait en valeur ce qui restait de matériel dans le mot* esprit »,
Histoire du Manichéisme, II, m, 2 [142], I, 484 : « Les passages de l'Écriture qui
témoignent que Dieu est esprit, bien loin de prouver que l'essence divine est abso-
lument incorporelle, feraient preuve du contraire. Cela est si vrai que les docteurs
chrétiens, qui croyaient Dieu corporel, alléguaient en faveur de leur opinion cette
parole du Seigneur, Dieu est esprit (Jean, iv, 241. L'idée que nous attachons à présent
au mot d'esprit n'est pas celle que ce mot représente dans la langue grecque, ni
celle qu'en avaient les auteurs ecclésiastiques qui parlaient cette langue, Pouve^-vous,
disait Grégoire de Nazianze, concevoir un esprit sans concevoir du mouvement et
de la diffusion »? Des remarques analogues, qui aboutissent à des conclusions un peu
différentes, sont présentées par le P. Gerdil. Immatérialité de l'âme, VU, 3 et VIII, i
[180], 177-17861 211-218.
' Il y a dans cette formule une réminiscence plus ou moins consciente du
mot de S' Paul, Actes, xvii, 28, « in ipso enim vivimus, et movemur et suinus », et
224 REDACTIONS MANUSCRITES
1 Rien ne se îait de rien quelle puissance lui auroit donné
l'être? rien ne retourne à rien comment pourroit-il finir? sa durée
est certair.ement éternelle par raport à moi. (- Qu'ai-je besoin d'en
chercher « davantage ») . f
' B. (Rien ne se fait de rien que voudrois-je savoir de plus? Si je ne
conçois pas comment l'être actif (seroit) [est] par lui-même, je conçois (encore)
[beaucoup] moins comment il seroit sorti du néant et comment il pourroity rentrer)
[qu'il seroit même au delà ■■> si tout devoit finir un jour. Qu'un être que je ne
conçois pas donne '' l'existence '" à d'autres Etres, cela n'est qu'obscur et incom-
préhensible. Mais que le néant et l'être se convertissent '' l'un dans l'autre c'est
une contradiction palpable, c'est une claire absurdité]. — I. Rien ne se fait de
rien... et comment il pourroit y rentrer (Preiuier texte de B conservé).
") M. (des choses).
1') M. et Ole.
c) M. aux autres.
^) M. [d'eux-mémesl l'un dans l'autre.
- [Que voudrois-je savoir de plus ?]
t Ici. dans le manuscrit, l'amorce suivante : Dieu est intelligent
mais comment l'est-il, un signe de renvoi, puis : rétrogradez 3 teuillets :
Cf., en effet, plus haut, f" i6o >'", oit l'on trouvera la première
rédaction du passage qui prend place ici dans l'édition originale.
ÉDITION ORIGINALE 225
les esprits, le monde, je n'en sais rien '. L'idée de création me confond
& passe ma portée, je la crois autant que je la puis concevoir; mais
je sais qu'il a formé l'univers & tout ce qui existe, qu'il a tout fait,
tout ordonné. Dieu est éternel, sans doute: mais mon esprit peut- | il [94]
embrasser l'idée de l'éternité ? pourquoi me payer de mots sans idée ?
Ce que je conçois, c'est qu'il est avant les choses, qu'il sera tant qu'elles
subsisteront, & qu'il seroit même au delà, si tout devoit finir un jour.
Qu'un être que je ne conçois pas donne l'existence à d'autres êtres,
cela n'est qu'obscur & incompréhensible; mais que l'être & le néant
se convertissent d'eux-mêmes l'un dans l'autre, c'est une contradiction
palpable, c'est une claire absurdité.
surtout des théories de Malebranche, qui, d'ailleurs, citait volontiers le texte de
S" Paul ; cf., par exemple. Entretiens métaphysiques, VII, i5 [96], 48 : « Notre âme
n'est point unie à notre corps selon les idées vulgaires. Elle n'est unie immédia-
tement et directement qu'à Dieu seul Comme nos corps vivent sur la terre et
se repaissent des fruits divers qu'elle produit, nos esprits se nourrissent des mêmes
vérités que renferme la substance intelligible et immuable du \'erbe divin»; et
/d., VI 11, 4, p. 5i : « Dieu n'est pas renfermé dans son ouvrage, mais son ouvrage est
en lui, et subsiste dans sa substance, qui le conser%e par son efficace toute-puissan e.
C'est en lui que nous sommes, c'est en lui que nous avons le mouvement et la
vie, comme dit l'apôtre ».
• Rousseau reprend en quelques mots la discussion de l'idée de « création »,
discussion qu'il avait amorcée précédemment (cf. p. 61 et note 21, et qui parait
ici moins à sa place. Dans l'un et l'autre passage, il reste aussi indécis sur ce
point. H avait été plus affirmatif étant jeune; cf. sa Prière aux Charmettes [36], 22b :
« Quelque magnificence qui règne dans la construction de ce vaste univers, je
conçois qu'il n'a fallu, pour le sortir du néant, qu'un instant de votre volonté ».
Mais, pour Rousseau, ce problème de la création n'était pas essentiel. 11 avait pu
lire dans un de ses livres familiers, Clarke, Existence de Dieu, 1, 4 [126], 1, 47-61,
que la cause du théisme était indépendante des disputes sur l'origine de la matière,
et qu'Aristote, qui était « un grand défenseur de l'éternité du monde », n'en tenait
pas moins pour l'existence de Dieu. 11 y a plus. Quelques philosophes s'efforçaient
même de montrer que l'idée de création était une invention récer.te de théologiens,
et que le récit de la Genèse, à lui seul, signifiait seulement que Dieu avait fait et
organisé l'univers : cf. Telliamed 182', 1, p. xLix et 11, 60-61 ; et Beausobre, Histoire
du Manichéisme, 11, v, 5-6 et vi, 1 [142], 11, 233, 247, 284 sqq. Beausobre résumait
ainsi lui-même cette partie de son ouvrage dans sa Préface, 1, p. xix : « J'examine
si les anciens Juifs ont connu la création de la matière. J'allègue les raisons de
part et d'autre sur une question de fait, qui me parait au moins fort problématique.
Je vais plus loin, et après avoir montré, premièrement, que l'unité de principe est
le seul sentiment véritable; secondement, que cette vérité étant établie, il est juste
d'expliquer en conformité ce que l'Écriture dit de la création, — après ces deux
observations, dis-je, — j'examine si les passages de l'Écriture, que l'on allègue
pour montrer que Dieu a fait toutes choses de rien, ont une telle évidence qu'ils
puissent forcer à l'acquiescement un homme prévenu de l'erreur contraire. Je rapporte
les réponses qu'un tel homme pourrait faire à ces passages. Je montre qu'il n'est
226 RÉDACTIONS MANUSCRITES
[Le développement sur les attributs de Dieu, qui prend
place ici dans les autres Manuscrits et dans l'édition
originale, se trouve plus haut dans F, f i6o v°-r'J.
ÉDITION ORIGINALE 22/
Dieu est intellii;ent ' : mais comment l'est-il ? L'homme est intel-
ligent quand il raisonne, & la suprême intelligence n'a pas besoin de
raisonner; il n'v a pour elle ni prémisses, ni conséquences, il n'v a pas ■
même de proposition; elle est purement intuitive', elle voit également
tout ce qui est, & tout ce qui peut être; toutes les vérités ne sont pour
elle qu'une seule idée, comme tous les lieux un seul point, & tous rggi
les tems un seul moment. La puissance humaine agit par des movens,
la puissance Divine agit par elle-même : Dieu peut, parce qu'il veut,
sa volonté fait son pouvoir. Dieu est bon i, rien n'est plus manifeste :
pas sur que tous les anciens Pères aient été unanimes sur la création de la ma ière ».
On se souvient que Rousseau a lui-même allégué l'autorité de Beausobre dans sa
Lettre à .U. de Beaumont, 111, 80. Leclerc pouvait, d'ailleurs, lui rappeler, Senti-
ments de quelques théologiens, Xlll [94], 290-292, que Richard Simon avait déj.'i
fait la même remarque à propos du mot Bara, au début de la Genèse. Rousseau
s'intéressait à ce problème d'exégèse, puisque, quelques années plus tard, nous le
voyons copier dans un de ses cahiers '5\ 40", des extraits du P. Simon et du Timée
de Locres du marquis d'Argens (17631, qui sont précisément relatifs au véritable
sens du mot créer dans le texte biblique. Deux ans avant YÈmile, l'abbé de Lignac
écrivait encore. Sens intime, II, 9 [23 ij. H, 232 : « Combien de personnes éclairées
et religieuses prétendent que la création est également inintelligible et incompréhen-
sible, et que naturellement nous n'en avons aucune idée, mais que la foi seule nous
éclaire sur ce point capital! Je rencontrai dans mon voyage d'Italie un homme de
condition, respectant la Religion et très connu par son érudition, qui pensait ainsi ».
Tous ces textes expliquent l'attitude indifférente de Rousseau à l'égard de l'idée de
création proprement dite.
' Ce développement sur les attributs de Dieu, qui avait d'abord été placé
par Rousseau avant la discussion sur la liberté et la Providence, a été reporté
ici dans toutes les Rédactions postérieures à F. Cf. p. 53, note i, les raisons qui
ont dû décider Rousseau à ce changement. — Da^.s son livre De ta Sature, qui
a paru quelques mois avant Emile, Robinet [235], i5-i6, exposait des idées tout-à-fait
semblables : « Nous sommes accoutumés à dire : Dieu bon, Dieu juste, Dieu sage.
Dieu intelligent. On nous a encore appris que Dieu aime, qu'il hait, qu'il punit,
qu'il récompense. Mais assurément, ou ces façons de parler sont vides de sens
dans notre bouche, ou elles expriment mal les attributs de la Divinité. Si l'on
entend par bonté, sagesse, justice et intelligence divines, des qualités semblables,
à l'intention près, à celles qui se rencontrent dans les hommes, on tombe dans un
anthropomorphisme subtil qui n'en est que plus dangereux. Des traits si peu relevés
défigurent la .Majesté suprême, au lieu de la peindre ». Rousseau va passer en
revue, lui aussi, ces attributs classiques de Dieu, pour en repousser le sens vulgaire.
Il prend la liste traditionnelle, telle qu'on la trouve, par exemple, dans Abbadie,
Religion chrétienne, I, 11, 3 [92], I, 117: «Que la sagesse, la justice et la bonté
entrent nécessairement dans l'idée de Dieu ».
- Je ne sais si c'est le premier emploi du mot dans la langue purement philo-
sophique. Du moins, en 178S, Féraud écrivait encore, Dictionnaire critique [25o\
11, 4J4 : « Intuitif, Intuition, termes de théologie, qui ne se disent qpe de la
vision béatitîque ».
' Cf. .Malebranclie. Entretiens métaph\-siques, Vlll, i3 et i5 [96], 56-57 :
228 RÉDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 22Q
mais la bonté dans l'homme est l'amour de ses semblables, & la bonté
de Dieu est l'amour de Tordre; car c'est par l'ordre qu'il maintient ce
qui existe, & lie chaque partie avec le tout. Dieu est juste; j'en suis
convaincu, c'est une suite de sa bonté; l'injustice des hommes est leur
œuvre & non pas la sienne : le désordre moral qui dépose contre la
Providence aux yeux des Philosophes ne fait que la démontrer aux
miens. Mais la justice de l'homme est de rendre à chacun ce qui lui
appartient, & la justice de Dieu de demander compte à chacun de ce
qu'il lui a donné.
Que si 2 je viens à découvrir successi- | vement ces attributs dont [gg]
je n'ai nulle idée absolue, c'est par des conséquences forcées, c'est par
le bon usage de ma raison i : mais je les affirme sans les comprendre,
& dans le fond, c'est n'affirmer rien. J'ai beau me dire, Dieu est ainsi;
je le sens, je me le prouve; je n'en conçois pas mieux comment Dieu
peut être ainsi.
Enfin plus je m'efîorce de contempler son essence infinie, moins
je la conçois; mais elle est, cela me suffit; moins je la conçois, plus
je l'adore. Je m'humilie, & lui dis : Etre des êtres, je suis, parce que
tu es ; c'est m'élever à ma source que de te méditer sans cesse. Le
plus digne usage de ma raison est de s'anéantir devant toi : c'est
mon ravissement d'esprit, c'est le charme de ma foiblesse de me sentir
accablé de ta grandeur 2.
« Dieu n'est ni bon, ni miséricordieu.x... selon les idées vulgaires... 11 aime invin-
ciblement l'ordre immuable ». Pour l'ensemble du paragraphe, cf. encore Montaigne,
Essais, 11, 12 [76], 11, 222 : « Nous disons que Dieu craint, que Dieu se courrouce,
que Dieu aime... ; ce sont toutes agitations et émotions qui ne peuvent loger en
Dieu selon notre forme ».
- Rousseau affectionne cette formule de transition : cf., pour YÉmile seulement,
II, 172, 264, 323, 36i, 432, etc.; et plus lom, dans la Profession, p. 122, et f" 174 '" de F.
' C'est, en effet, la méttiode classique pour la découverte des attributs de
Dieu: cf, .^ddison. Discours sur l'idée qu'on doit avoir de Dieu [117], V, 32i :
« Comme nous n'avons peint d'idée de ces perfections, à moins qu'elles ne se
découvrent dans nos âmes, nous joignons à chacune le titre d'infini, et ce qui
est une faculté dans l'esprit de l'homme devient un attribut de la Divinité ». Cf.
encore Spectateur [117], IV, 416-417.
- Sur cet acte d'humilité intellectuelle, qui contraste avec certaines fiertés
rationalistes qu'on remarquera plus loin, cf. la note 2 de la page gt. Pour l'accent,
comparez avec la 3" Lettre à M. de Malesherbes, X, 3o6 : « J'élevais mes idées... à
l'être incompréhensible qui embrasse tout. Alors, l'esprit perdu dans cette immen-
sité, je ne pensais pas, je ne raisonnais pas, je ne philosophais pas, je me sentais,
avec une sorte de volupté, accablé du poids de cet univers, je me livrais avec
ravissement à la confusion de ces grandes idées,... j'aurais voulu m'élancer dans
230 REDACTIONS MANUSCRITES
11. Le passage de la métaphysique à la morale :
la conscience.
« ^ Apres » (2 toutes, ces vérités déduites) de l'impression des
objets sensibles et du sentiment intérieur ^ qui me [porte; à
juger selon mes lumières naturelles ('en déterminant ma croyance
sur [toutj ce qu'il m'importoit de connoitre) 'il me reste à]
« ^voir » quelles maximes j'en dois tirer pour ma conduite, et
quelles régies je dois me prescrire pour ''remplir ma "destinée
^ SUR la terre selon l'intention de celui qui m'\- a placé. En
suivant toujours ma -'même méthode je ne ('"déduis) point ces
régies des principes d'une haute philosophie mais je les trouve
au fond de mon cœur écrites par la nature en " caractére[s]
inefacable s. Je n'ai qu'à me consulter sur ce que je veux faire,
tout ce que je sens être bien est bien, tout ce que je sens être mal
est mal. Le meilleur de tous les casuistes e^t la conscience, et
ce n'est que quand on marchande avec elle qu'on ('- est contraint
fo 154 ro ^e recourir) aux subtilités '' de la dialectique. || Le premier de
tous les soins est celui de soi-même. Cependant combien de fois
' (En déterminant ainsi ma crovance sur ce qu'il m'importe de connoitre).
- [avoir ainsi déduit (les)]. — B. ainsi (déduit) de l'impression.
■' B. (qui me porte à juger des causes selon mes lumières naturelles) déduit
les [principales] vérités qu'il m'importoit. — M. (qui me porte) déduit les
principales vérités.
^ [toutes les vérités qu'il m'importoit de connoitre].
'■• [(chercher)]. — B. chercher.
" (répondre).
' B. destination.
" destinée la terre (sic).
" B. < même >.
'" [tire].
" caractére[s] inefacable (sic).
'- [a recours].
'^ B. (de la dialectique) [du raisonement]. — I. de la dialectique.
EDITION ORIGINALE 23I
11. Le passage de la métaphysique à la morale
la conscience.
Après avoir ainsi de rimpression des objets sensibles, & du sen-
timent inte- 1 rieur qui me porte à juger des causes selon mes lumières [97]
naturelles, déduit les principales vérités qu'il m'importoit de connoître;
il me reste à chercher quelles maximes j'en dois tirer pour ma conduite,
& quelles régies je dois me prescrire pour remplir ma destination sur
la terre, selon l'intention de celui qui m'v a placé i. En suivant toujours
ma méthode -, je ne tire point ces régies des principes d'une haute
philosophie, mais je les trouve au fond de mon cœur écrites par la
Nature en caractères ineffaçables^. Je n'ai qu'à me consulter sur ce
que je veux faire : tout ce que je sens être bien est bien, tout ce que
je sens être mal est mal : le meilleur de tous les Casuistes est la cons-
l'infini :... étourdissante extase, à laquelle mon esprit se livrait sans retenue, et qui,
dans l'agitation de mes transports, me faisait écrier quelquefois : O grand Etre ! ô
grand Être! ô grand Être! sans pouvoir dire ni penser rien de plus ».
' Cette transition souligne une fois de plus le caractère pratique de cette
philosophie. Toutes les discussions métaphysiques qui précèdent n'ont été instituées
que pour amener le Vicaire à la morale. Cependant on pourrait être surpris, qu'après
avoir annoncé qu'il allait «tirer» de ces principes fondamentaux les maximes de
sa conduite, Rousseau fit bon marché de tous les « principes », et cherchât directe-
ment sa morale « au fond de son cœur », où il la trouve « écrite par la Nature
en caractères ineffaçables ». La seule conclusion logique de l'exposé antérieur eût
été, semble-t-il, de se rallier à une morale, dont les différentes prescriptions eussent
traduit la volonté divine. Si la conscience se suffit à elle seule, toute la préface
métaphysique peut paraître inutile; en tous cas, ce n'est pas d'elle que la morale
sera « tirée ». .Mais la contradiction n'est qu'apparente : la morale garde son fonde-
ment divin, car c'est Dieu qui est la garantie de la conscience, qui en confirme les
sentiments instinctifs, qui l'empêche, aux heures de doute, de reprendre la plainte
de Brutus et de désespérer d'elle-même. Cf., plus loin, p. ii8 et note 2.
- Celle qu'il a exposée au début de la 1" Partie : cf. p. 34 et note 1.
' Cf. Turrettin, Pensées sur la Religion, Vlll et IX [161], 3o8-3og : « Il y a
des principes de pratique ou de morale, dont tout homme, qui est dans son bon
sens, doit sentir l'évidence Ces sortes de principes ne dépendent pas de nous.
Ils subsistent invariablement, lors même que nous aurions quelque intérêt à les
changer. C'est donc l'Auteur de la Nature qui tes a imprimés dans notre âme.
Ce sont autant de lois, qui nous marquent assez clairement la volonté de Dieu.
C'est cette loi naturelle, gravée dans le cœur de tous les hommes, dont parle S' Paul
au ir Chapitre des Romains, v. 14 et i5 ».
232 REDACTIONS MANUSCRITES
('le sentiment) intérieur nous dit qu'en faisant nôtre bien aux
dépends d'autrui nous faisons mal. Nous cro\ons suivre l'im-
pulsion de la nature et nous lui résistons. En écoutant ce qu'elle
dit a nos sens nous (-négligeons) ce qu'elle dit à nos cœurs.
^ L'être actif obéit, l'être passif commande, j La conscience est
la \oix de l'ame, les passions sont la voix du corps. Est-il
étonant que « souvent » ces deux langages se contredisent ■*
et alors lequel faut il écouter. Trop souvent la raison nous
trompe nous n'avons que trop acquis le droit de la récuser,
mais la conscience ne (nous) trompe jamais elle est le vrai guide
de l'homme elle est à l'ame ce que l'instinct est au corps * f,
H, f° 236 ^° * â J'appelle instinct '' la force inconnue gui produit [' tous lesi] mouve-
mens [spontanés] i * des animaux « qui ont une fin » relative à eux i.
' [la voix] interieur[e].
- [méprisons].
^ (et il niot illisible).
* (et l'être actif).
'■' I. La philosophie moderne selon l'un de nos plus (]udicieu.x) [sages]
philosophes on doit conclure que les « enfans » [(bêtes)] réfléchissent (beau-
coup) « plus que les hommes »; [(et les enfans plus que les grandes personnes)]
paradoxe assez étrange... lui [ait] appris... ei je [ne] parlerai plus d'instinct.
'^ [dans les animau.x].
' (toutes) [en eux des].
' [dont (nous découvrons) [on voit] la fin sans en (appercevoir) [pouvoir
trouver] le principe].
t Ici. dans le manuscrit, un espace de quelques lignes laissé en blanc.
t L'astérisque et la note qu'il amorce manquent dans F, B et M. Ils
se trouvent bien dans I,' mais la rédaction en est si correcte et si voisine
de l'édition originale, qu'on était en droit de supposer un texte antérieur.
Il existe, en effet, à la fin d'un manuscrit de la Nouvelle Hélo'ise,
mais, perdu dans le brouillon du grand développement qui termine le
IV' Livre d'Em'ûe : Si j'étais riche, etc. Rousseau a utilisé le verso
blanc des dernières pages pour écrire ces fragments destinés à prendre
place dans son prochain ouvrage. — En tête du petit morceau que
je publie ici. et qui est devenu une note de la Profession, // a
consigné quelques idées isolées, qui s'y rattachent visiblement : Savoir
le sentiment externe ou physique qui n'agit « qu'a travers nos »
EDITIOX ORIGINALE 233
cicnce, «S: ce n'est que quand on marchande avec elle, qu'on a recours
aux subtilités du raisonnement. Le premier de tous les soins est celui
de soi-même; cependant com-jbien de fois la voix intérieure nous dit 98]
qu'en faisant notre bien aux dépens d'autrui, nous faisons mal! Nous
croyons suivre l'impulsion de la Nature, & nous lui résistons : en
écoutant ce qu'elle dit à nos sens, nous méprisons ce qu'elle dit
à nos cœurs ; l'être actif obéit, l'être passif commande '. La cons-
cience est la voix de lame, les passions sont la voix du corps -.
Est-il étonnant que souvent ces deux langages se contredisent, <& alors
lequel faut-il écouter ? Trop souvent la raison nous trompe, nous
n'avons que trop acquis le droit de la récuser: mais la conscience ne
trompe jamais, elle est le vrai i;uide de 1 homme : elle est à lame
ce que l'instinct est au corps * ; | qui le suit, obéit à la Nature, [99]
* La Philosophie moderne qui n'admet que ce qu'elle explique, n'a garde
d'admettre cette obscure faculté appellée instinct, qui paroît guider, sans aucune
connoissance acquise, les animaux vers quelque fin. L'instinct, selon l'un de
nos plus sages philosophes ', n'est qu'une habitude privée de réflexion, mais
acquise en réfléchissant; &. de la manière dont il explique ce | progrès, on [99]
doit conclure que les enfans réfléchissent plus que les hommes; paradoxe assez
étrange pour valoir la peine d'être examiné. Sans entrer ici dans cette discussion,
je demande quel nom je dois donner à l'ardeur avec laquelle mon chien ' fait
' Encore une reprise, et à peine variée; cf., plus haut, p. 69 : « Non, l'homme
n'est point un Je suis actif quand j'écoute la raison, passif quand mes passions
m'entraînent Si se préférer à tout est un penchant naturel à l'homme, et si
pourtant le premier sentiment de la justice est inné dans le cœur humain, que
celui qui fait de l'homme un être simple lève ces contradictions ».
' Cf., plus haut, p. 74 et note 2 : « Le sentiment de ma liberté ne s'eftace
en moi que quand j'empêche la voix de l'âme de s'élever contre la loi du
corps ».
' C'est Condillac : cf. Traité des animaux. II, 5 ^214], 553-555 : « Il v a en
quelque sorte deux moi dans chaque homme : le moi d'habitude et le moi de
réflexion. C'est le premier qui touche, qui voit; c'est lui qui dirige toutes les
facultés animales...; le second, lui abandonnant tous ces détails, se porte à d'autres
objets..., la curiosité le meut sans cesse: l'industrie fait son caractère... Le moi
d'habitude suffit donc aux besoins qui sont absolument nécessaires à la conservation
de l'animal. Or l'instinct n'est que cette habitude privée de réflexion. A la vérité,
c'est en réfléchissant que les bêtes l'acquièrent ; mais, comme elles ont peu de
besoins, le temps arrive bientôt où elles ont fait tout ce que la réflexion a pu
leur apprendre ».
' C'est sans doute celui dont il parle dans les Confessions, L\, 9, qu'on lui
avait donné « presque à son arrivée à l'Ermitage », qu'il avait d'abord appelé Duc,
puis qu'il avait rebaptisé Turc, « par une pusillanimité fort sotte », quand il
234 REDACTIONS MANUSCRITES
qui la suit obéit à la nature etj ne [^ craint point de s'jegarer.
j (A la première action bonne ou mauvaise au premier sentiment
du bien ou du mal s'eléve le cri de la conscience. Elle n'est point
f° 235 '° [Nos (-' philosophes nous apprennent à) tout (expliquer). Quand en viendra-
t-il de moins dogmatiques qui i ' nous apprennent à ignorer quelque chose.
[^ J'ignore et j 'admire ! ' autant que personne les beaux génies de notre siècle *].
Je ne sais par quelle i7 fantaisie i la philosophie de leiu* école est devenue la plus
' (pourroit? point d') égarer.
^ [prétendus sceptiques [savent tout] expliquent].
' [sachent].
■* (Je ne peux pas m'empecher de croire que la plus sote et la plus presomp-
teuse de toutes les philosophies est celle de notre siècle. [11 y a dans ce siècle de
1res beau.x génies qui lui font honneur]).
^ [très sincèrement].
*= [(mais)].
' [fatalité].
sensations et le sentiment interne ou moral (que nous ne connoissons)
[qui ne nous est connu] que par la conscience que nous avons du
notre ; puis : [Pour moi j'axoue que] de toutes les sortes d'orgueil
l'orgueil philosophique qui prétend tout expliquer me paroit le plus
bête; enfin cette réflexion, relative à la définition de Condillac. qu'il
ne cite pas encore, mais à laquelle il songe déjà : D'où il suit qu'il
n'v a que les enfans qui refiechissent et que des que les hommes
raisonnent ils ne réfléchissent plus.
t Ici. en marge, d'une autre encre et d'une autre plume, senible-t-il,
l'indication suivante : N B S'il est vrai que le bien soit bien. Lettre 5^
à Sophie; et. au-dessus, la formule de transition dont il se servira
pour introduire le morceau qu'il veut utiliser : Ce point est important.
Souffrez que (j'étende un peu plus mes) [je m'arrête un peu plus à
l'examiner]. La formule sera reprise et légèrement modifiée au début
du f" 164''". — Les deux paragraphes qui suivent sont barrés comme
toutes les pages de la Profession dans F; mais partout ailleurs c'est une
façon pour Rousseau de se rappeler à lui-même que le morceau a été
repris et utilisé dans la copie suivante, c'est-à-dire dans B, Ici. au
contraire, il a voulu, en barrant, supprimer tout ce passage. .Aussi a-t-il
dressé une accolade devant les deux paragraphes et écrit en marge :
non pris mais effacé : Cf.f" 161 »"'.
EDITION' ORIGINALE 235
<S; ne | craint point de s'égarer. Ce point est miportant, poursuivit mon [100]
la guerre aux taupes qu'il ne mange point, à la patience avec laquelle il les guette
quelquefois des heures entières, & à l'habileté avec laquelle il les saisit, les jette
hors terre au moment qu'elles poussent -, & les tue ensuite pour les laisser-là,
sans que jamais personne l'ait dressé à cette chasse, & lui ait appris qu'il y
avoit-là des taupes? je demande encore, & ceci est plus important, pourquoi la
première fois que j'ai menacé ce même chien, il s'est jette le dos contre terre, les
pattes repliées, dans une attitude suppliante, & la plus propre à me toucher;
posture dans laquelle il se fût bien gardé de rester, si, sans me laisser fléchir, je
l'eusse battu dans cet état ? Quoi ! mon chien tout petit encore, & ne faisant
presque que de naitre ^, avolt-il acquis déjà des idées morales, savoit-il ce que
c'étoit que clémence & générosité? sur quelles lumières acquises esperoit-il
m'appaiser en s'abandonnant ainsi à ma discrétion ? Tous les chiens du
monde font à-peu-près la même chose dans le même cas, & je ne dis rien
ici que chacun ne puisse vérifier. Que les Philosophes, qui rejettent si dédai-
gneusement l'instinct, veuillent bien expliquer ce fait par le seul jeu des
sensations & des connoissances qu'elles nous font acquérir : qu'ils l'expliquent
d'une manière satisfaisante pour tout homme sensé : alors je n'aurai plus rien
à dire, & je ne parlerai plus d'instinct ■•.
connut les Luxembourg, et qu'il craignit la susceptibilité ducale : « Ce chien, non
beau, mais rare en son espèce, duquel j'avais fait mon compagnon, mon ami,
et qui certainement méritait mieux ce titre que la plupart de ceux qui l'ont pris,
était devenu célèbre au château de Montmorency par son naturel aimant, sensible
et par l'attachement que nous avions l'un pour l'autre ». Turc était mort pendant
l'impression de l'Emile : « Les pertes de cette espèce ne se remplacent point »,
écrit Rousseau à M"' de Lu.xembourg, le 19 Février 1762, X, 314. Cette partie de
la note peut donc être considérée comme une page de souvenirs personnels sur
l'Ermitage et .Montmorency.
' C'est-à-dire, quand elles s'approchent de l'air libre, en soulevant la terre
qui les recouvre. Cet emploi du verbe pousser, dans ce sens, est très rare, et
parait emprunté à la langue rurale. Je trouve dans un texte de Daubenton sur
les taupes, texte contemporain de celui-ci {1760), quelques formules précises, qui
font voir la genèse de l'expression; cf Histoire naturelle [186], VIU, 83-85 : « Elles
commencent par pousser, par élever la terre... La taupe dort si peu pendant tout
l'hiver, qu'elle pousse la terre comme en été, et que les gens de la campagne disent,
comme par proverbe : les taupes poussent, le dégel n'est pas loin ».
' Confessions, IX, 9 : « J'avais un chien qu'on m'avait donné tout jeune ».
* Sur l'instinct considéré comme une manifestation « mystérieuse » de la
Providence, comme une « obscure faculté » qui « s'élève d'un côté au-dessus de
la raison et qui de l'autre en est infiniment éloignée », Rousseau trouvait deux
dissertations (Discours XXI et XXllI dans \e Spectateur [mj], ]], iiS-i32.
236 RÉDACTIONS MANUSCRITES
'l'ouvrage des préjugés (comme le disent les philosophes), elle leur
est antérieure. Mais souvent ils s'élèvent contre elle (-' éto uFFiiNT)
sote et la plus -^ pin's omptueuse (de toutes celles) çiui 1* ont) encore existé],
[iJe demande qu'on m'explique intelligiblement cette seule action 1. Mon
chien a une addresse extrême a prendre les taupes, il aime cette chasse a la
passion : [prien n'égale?) sa patience à ("laisser pousser lai taupe quelque-
fois diuant plusieurs heures]. Cependant [on ne l'y a point dressé [et] de sa
vie il n'a vu prendre de taupe il 'n'en] mange point et aucun animal ('"ne
les) mange, qu'on m'expUque donc pourquoi ''il) les prend).
[Je voudrois bien que (Messieurs) les philosophes prissent la peine
'" d'expUquer par la seule sensibiUté le mouvement du chien qui se couche
[et s'étend sur le dos] devant son maître qui veut le battre. Ce mouve-
ment est si touchant et [si] sur qu'il n'y a presqu 'aucun maitre si féroce
qu'il ne desarme. Les jeunes chiens le font presque en naissant et il ne leur
faut pour cela d'autre expérience que de savoir que les coups suivent la
menace. " Si vous ne voulez donc pas ['- attribuer à] l'instinct le principe de
ce mouvement '-'■> il faut que vous preniez le parti ( " de donner i au chien la
connoissance de la moraUté des actions humaines. Il faut que vous lui fassiez
faire ('■ tout lei raisonnement suivant). L'homme est un animal généreux
qui s'irrite contre la résistance, mais qui pardonne quand on se soumet.
1° n est plus fort que moi, si je résiste [infailliblement] je serai '' batu ;
mais si je me ['^ soumets] peut être il me fera grâce. Prenons donc le parti
le plus sur : remarquez encore que le chien ne se couche que devant l'homme
' [comme disent les philosophes].
- [couvrent].
■' plus omptueuse (sic).
' [ait].
^ (la taupe... il... des les premières taupes qu'il a prises il a eu leur [il a
une ? patience]).
" [attendre que la],
' (ne) mange point (de taupes).
" [n'en].
" [celui-ci].
"' (d'appliquer leurs).
" (Je ne saurois).
'- (appeller).
'■' (je ne vois).
'■* [d'attribuer?].
'^ [à peu près ce].
'" (Si je résiste).
" (pas).
'" (remets).
EDITION ORIGINALE 237
bienfaiteur, voyant que j'allois l'interrompre; souffrez que je m'arrête
un peu plus à i l'éclaircir -.
' Sur cet emploi de à au sens de pour après s'arrêter, cf. Haase, 124 '273',
347-348.
- Ici s'ouvre le débat sur la conscience et son autorité, qui se terminera par la
fameuse invocation : « Conscience ! Conscience » ! Rousseau pose d'abord sa thèse, puis
il la défend contre ses contradicteurs contemporains, et, la victoire gagnée, pousse
enfin son cri de triomphe. — Ce recours à la conscience, comme au « juge infaillible
du bien et du mal », n'était pas nouveau chez les moralistes, quoique, suivant la
juste remarque de Puffendorf. Droit de la nature, I, m, 4 [107 B], 44-45, « le terme
de conscience ne se trouve pas employé en ce sens [au sens moral] ni dans l'Écriture
Sainte, ni dans les anciens auteurs latins ». « Les scolastiques, ajoute Putfendorf,
l'ont introduit les premiers; et ce sont des ecclésiastiques fourbes et intéressés qui,
dans ces derniers siècles, ont inventé les cas de conscience, comme on parle, pour
tourner à leur gré les esprits des hommes ». .Mis à la mode par les casuistes, le mot
avait été surtout retenu par les théologiens protestants, qui exaltaient dans la
« conscience » une puissance d'affranchissement religieux, et par les philosophes, qui
voyaient en elle un moyen de laïciser la morale. Cf. Calvin, Institution chrétienne,
m, XIX, i5 l74j> 692 • * Comme nous disons que les hommes savent ce que
leur esprit a compris, dont vient le mot de Science : aussi quand ils ont un sentiment
du jugement de Dieu, qui leur est comme un second témoin, lequel ne souffre point
d'ensevelir leurs fautes, mais les ajourne devant le siège du grand Juge et les tient
comme enferrés : un tel sentiment est appelé Conscience ,■ Car c'est comme une
chose moyenne entre Dieu et les hommes » ; Abbadie, Religion chrétienne, I, 11, 6
[92], I, i3i-i32 : « La Conscience, qui enferme la loi naturelle, puisqu'elle agit sur ses
principes, est naturelle à l'homme dans le même sens que la connaissance de Dieu. Car
de même que Dieu, en nous donnant d'un côté un esprit capable de connaissance et
de l'autre se manifestant avec tant de lumière dans l'univers, nous a mis dans la
nécessité de le connaître : ainsi Dieu, en nous donnant d'un côté une raison qui
ne peut s'empêcher d'approuver certains devoirs et de nous les prescrire, et de l'autre
un cœur qui ne peut s'empêcher de craindre lorsque nous nous reprochons de
ne les avoir pas remplis, nous met dans la disposition et dans la nécessité naturelle
de concevoir les remords, lorsque nous faisons le mal »: Clarté, Existence de D eu.
Il, 3 125 , 11, 80; Barbeyrac. Xotes du Droit de ta Xature 107 B], I, 45; Haller,
Origine du mal. Il "200, 57: Cumberland, Lois naturelles. II, 12 [169J, 126-127;
Duclos, Considérations sur les moeurs 197", 108-1 10. Cf. encore Claville, Traité du
frai mérite '144], 11, 49-5o; Pluche, Spectacle de la Nature [>3jl, V, 167-170. .Mais
pour ces différents moralistes, comme on peut le voir, par exemple, dans le texte
d'.\bbadie, la conscience s'identifie avec la raison, et ils accepteraient volontiers
cette définition que Rousseau avait lue dans Vernet, Instruction chrétienne. II, 3
[2i3], I, 41 : « Le sentiment de la conscience, c'est la raison même en tant qu'elle
s'applique à la morale, pour discerner les idées du bien et du mal, du juste et
de l'injuste ». ou encore cette maxime du P. Lami, Morale chrétienne. II, 22 [106], II,
3oo : « La conscience est une connaissance de ce que dicte la raison ». Rousseau, se
rapprochant en cela de .Marie Huber et de .Murait, fait de la conscience une faculté
distincte de la raison et supérieure à elle ; cf. Le Monde fou préféré au monde sage, I
[140], I, 10 : « N'attendez pas de moi des définitions sur la Conscience; je laisserai ce
soin là à .M. .M. les Théologiens, s'ils s'en croient capables. Pour moi, je me contente
de la connaître par le sentiment et l'expérience que j'en ai. Vous me demandiez l'autre
jour, Criton, de quel habile maître j'étais devenu écolier; je vous le dirai aujourd'hui :
238 RÉDACTIONS MANUSCRITES
sa voix (et) prennent sa place et (' commandent) en son nom au
superstitieux tous les forfaits qu'elle (-nous défend à tous). L'opinion
change tout, elle déprave la nature elle] altère la conscience et
c'est alors que nôtre vaine raison fondant ^ ses travaux sur ces
sables mouvans ^n'eleve que des édifices qui croulent et (livre)
au vent les sistémes des philosophes. Il est bien comode de parler
par sentences cela dispense de rien prouver. Quand ils f/îont naitre
la conscience des préjugés de l'éducation, (ils l'affirment) et leur
hautaine affirmation fait toute leur preuve et cependant ils ne
voyent pas que (tous) leurs paradoxes « ne » sont que des préjugés
nouveaux substitués aux préjugés receus. Quand ils disent le senti-
ment intérieur qui vous ("montre) un être suprême et une autre vie
"est l'effet de l'amour propre qui ( ' voudroit) étendre vôtre être
(au delà de la mort) et vous faire croire ce que vous desirez ils
l'affirment (>"et ne) le prouve (nt point) et cependant ils ne voyent
pas qu'on " peut rétorquer leur sentence et leur dire '-vôtre incrédulité
n'est qu'un effet de vôtre amour propre qui cherche à vous dérober
au souverain juge et vous fait nier ce que vous craignez. — Vérité
sainte, tous ces vains discours faits pour briller aux yeux d 'autrui
ne mènent point (« '^ à ton sanctuaire » [auguste ). Il ne faut point
et jamais devant aucun autre animal quoiqu'il se sente à sa merci, (ili sait
il* bien alors qu'il n'est pas question de clémence] .
' [font faire].
- [improuve].
' (son).
' (ne).
■'' [jette].
" (disent que la conscience... l'origine de la [fait naitre des... donnent
aux préjugés]).
' [annonce].
" (n'est [n'est qu'un]).
" [veut].
'" [sans] le prouve[r].
" (leur peut dire).
'- (l'incr ÉDULiTÉ).
'■' [(jusqu'à toi) dans tes voves].
'* [il donc].
ÉDITION ORIGINALE 239
240 REDACTIONS MANUSCRITES
t 'aller chercher si loin, tu n'es point au bout des argumens et des
sillogismes. ' Ton - temple est le cœur de l'homme juste c'est là
qu'il trouve la régie de ('ces) devoirs et toutes les connoissances
dont il a besoin pour se conduire avec ses semblables selon les
préceptes de la raison et les loix de l'auteur de son être.
^J'ai senti que la conscience avoit besoin d'être cultivée et
qu'elle avoit moins à craindre les sistémes des philosophes que les
fo 164'" sophismes || du vice et des passions).
t Ce point est important, poursuivit '^ -il voyant que j'allois
l'interrompre. Souffrez que je m'arrête un peu plus à l'éclaircir.
[Toute la moralité de nos actions est dans le jugement que nous
en portons nous-mêmes]. S'il est vrai que le bien soit bien il doit
l'être au fond de nos cœurs comme dans nos œuvres "et le premier
prix de la justice est de sentir qu'on la pratique. Si la bonté
morale est conforme à notre nature, l'homme ne sauroit être sain
d'esprit ni bien constitué qu'autant qu'il est bon. Si elle ne l'est
pas et que l'homme soit méchant naturellement [' il ne peut
cesser de Fêtre] sans se corrompre [et] la bonté (*ne seroit) en lui
qu'un \ice contre nature. Fait pour nuire à ses semblables comme
" le loup pour égorger sa p^o^■e, un homme humain seroit [i" un
animal] aussi dépravé qu'un loup pitoyable, et la vertu seule
nous laisseroit des remords.
' (C'est dans le cœur que).
- (san ctuaibe).
' [ses].
■" (Mais mon bon ami la conscience a besoin d'être cultivée)
■'' B. mon (maiire) [Bienfaiteur] en voyant.
'■' M. nous devons le taire comme tel, et le premier.
• (nous laisserons ? des remords).
" [n'est].
" B. (un) [le]. — M. un.
'" M. < un animal >.
t On rt ini plus haut,/" 164''". une première esquisse de cette/or-
mule de transition. — C'est ici que commencent les emprunts aux
5'^ et 6<^ Lettres à Sophie : cf.. aux Appendices, I, le texte de ces Lettres,
OM J'ai souligné tous les passages qui ont été utilisés pour la Profession
de foi.
ÉDITION ORIGINALE 24I
Toute la moralité ' de nos actions est dans le jugement que nous
en portons nous-mêmes *. S'il est vrai que le bien soit bien, il doit
l'être au fond de nos cœurs comme dans nos œuvres; & le premier prix
de la justice est de sentir quon la pratique. Si la bonté morale est
conforme à notre nature, l'homme ne sauroit être sain d'esprit ni bien
constitué, qu'autant qu'il est bon. Si elle ne l'est pas, & que l'homme
soit méchant naturellement, il ne peut cesser de l'être sans se cor-
rompre, & la bonté n'est en lui qu'un vice contre Nature. Fait pour
nuire à ses semblables comme le loup pour égorger sa proie, un homme
ce maître est la conscience, je n'en connais et n'en veux point avoir d'autre »;
cf. surtout les textes de Murait qui seront cités plus loin, p. 114, note 2. 11 faut,
du reste, remarquer que le vocabulaire philosophique de Rousseau n'est pas fixé.
Il parle ici de la raison comme d'une faculté trompeuse, que nous devons récuser
pour écouter la conscience; ailleurs, au contraire, raison signifie exactement cons-
cience, comme, par exemple, p. 69 : « Je suis actif quand j'écoute la raison, passif
quand mes passions m'entraînent ». C'est le contexte qui. chez lui, donne à chaque
terme dans chaque passage son exacte valeur. Cf.. plus loin, la note 4 de la p. i2t5.
— Rapprocher toute cette dissertation du petit traité de Formey, De la Conscience
"211 '■'»]. 11. 151-196. où il s'élève par avance contre la théorie de Rousseau. Il se refuse,
p. i53. à « faire de la conscience une espèce d'empreinte originaire, naturelle, essentielle,
immuable, que chaque homme porte gravée dans son âme, qui s'oft're à lui sans aucun
secours étranger, et dont rien ne saurait détruire les impressions » ; et il définit la
conscience, p. 168 : « le développement de la raison, relatif et proportionnel à la
connaissance des devoirs ».
• Le développement qui vient ici dans la Première Rédaction peut être regardé
comme un schéma plus sec de la longue dissertation sur la conscience qui a pris
sa place dans l'édition originale. L'apostrophe « Vérité sainte » prépare et annonce
l'invocation « Conscience, conscience »! (Comparer avec la note de la Lettre à
D'Alembert, I, 267: «Sainte et pure Vérité, à qui j'ai consacré ma vie», etc.).
Mais, après avoir rédigé ce bref paragraphe, Rousseau l'a trouvé un peu rudi-
mentaire : « Ce point est important », se dit-il, en songeant à toutes les attaques
contemporaines contre l'autorité de la conscience; et, se rappelant qu'il avait
traité la question avec ampleur dans ses 5'' et 6<" Lettres à Sophie, il se décida
à employer ces morceaux non utilisés. Même en les abrégeant, l'exposé restait
très long. M s'en excusa par l'importance du débat : « Souffrez que je m'arrête un
peu plus à l'éclaircir ». Cette parenthèse a, en outre, l'avantage de couper la
discussion et de rappeler la présence du disciple, qu'on serait peut-être tenté d'oublier.
* 11 dira encore plus précisément dans un passage qu'il a supprimé sur sa
dernière copie (cf., plus loin, F, f" i66'°l : « Pour être juste, je n'ai qu'à vouloir
l'être, puisque tout le bien que j'ai voulu faire est réputé fait ».
16
242 REDACTIONS MANUSCRITES
Rentrons en nous mêmes, ô mon 'bon ami, - Examinons
tout intérest personnel à part à quoi nos penciians ^ naturels nous
portent. Quel spectacle nous flate le plus, celui des tourmens
ou du bonheur d'autrui; qu'est-ce qui nous est le plus doux à
faire et nous laisse une impression plus agréable après l'avoir
fait, d'un acte de bienfaisance ou d'un acte de méchanceté ?
Pour qui ^ nous ^ intéress(ons-nous) sur (nos) théâtres, est-ce
aux forfaits que '■ nous 'pren(ons) plaisif, est ce à leurs auteurs
punis que ("nous donnons) des larmes. ^ Entre le Héros malheureux
et le Tyran triomphant duquel des deux vos vœux i" secrets vous
raprochent-ils sans cesse, et qui de vous forcé de choisir n'aimeroit
pas mieux encore être le bon qui souffre que le méchant qui ' ' le
tourmente? Tant l'horreur de faire le mal '-' l'emporte naturellement
(en nous) sur celle de l'endurer 1
B, f° 147 *° t [['^Tout nous est indiffèrent disent-ils hors nôtre intérest]. ('*Non)
' B. jeune.
- M. Cherchons, l'inlerest personel mis à part.
"' B. < naturels >.
* B. vous (intéressez) [affectionez].
^ interess[ez-vous] sur [vos].
' B. vous.
' pren[ez].
" [vous donnez].
" B. (Entre le Héros malheureu.x... sur celle de l'endurer). — I. Entre le
Héros malheureu.x et le tiran triomphant duquel des deux vos voeux vous rappro-
chent-ils sans cesse Tant l'horreur de faire le mal l'emporte quelquefois sur
celle de l'endurer! (Texte de B conservé).
'" B. < secrets >.
" B. (prospère! [le tourmente].
''' B. ([peut]) remporte([r], même) (naturellement) «. quelquefois » sur celle.
'^ (Mais dira-t-on). — I. < Tout nous est indifférent... l'innocent soit
protégé >.
" TEt tout au contraire].
t En têle de ce paragraphe : N R de suite (?).
EDITION ORIGINALE 243
humain seroit un animal aussi dépravé qu'un loup pitoyable, & la i vertu 101]
seule nous laisseroit des remords '.
Rentrons en nous-mêmes, à mon jeune ami ! examinons, tout
intérêt personnel à part, à quoi nos penchans nous portent. Quel
spectacle nous flatte le plus, celui des tourmens ou du bonheur d'autrui ?
Qu'est-ce qui nous est le plus doux à faire, & nous laisse une impres-
sion plus ai^réable après l'avoir fait, d'un acte de bienfaisance ou d'un
acte de méchanceté? Pour qui vous interessez-vous sur vos théâtres 2?
Est-ce aux forfaits que vous prenez plaisir: est-ce à leurs auteurs punis
que vous donnez des larmes^? Tout nous est indiffèrent, disent-ils *,
hors notre intérêt; & tout au contraire, les douceurs de l'amitié, de
l'humanité, nous consolent dans nos peines ; &. même dans nos plaisirs.
' La théorie de la bonté de la nature se présente ici sous un aspect un peu
adouci : Là bonté humaine est moins une réalité qu'un idéal, mais un idéal qui
nous est présenté par la Nature: nous ne sommes peut-être pa". bons, mais la
Nature nous destine à l'être.
- Cet arjjunient emprunté au.\ émotions du théâtre se trouve déjà dans la
3' Lettre à Sophie, et a donc dû très vraisemblablement être rédigé un peu avant
la Lettre à D'Alembert. Il reparait dans ce dernier ouvrage, 1, 193-194, mais cette
fois au service d'une thèse assez différente de celle qui est soutenue ici : « Au
l'ond, quand un homme est allé admirer de belles actions dans des Tables et
pleurer des malheurs imaginaires, qu'a-t-on encore à e.xiger de lui ? N'est-il pas
content de lui-même? Ne s'applaudit-il pas de sa belle âme? Ne s'est-il pas acquitté
de tout ce qu'il doit à la vertu par l'hommage qu'il vient de lui rendre ? Que
voudrait-on qu'il fit de plus ? Qu'il la pratiquât lui-même ? il n'a point de rôle
à jouer : il n'est pas comédien »: et, en effet, quelques pages plus loin, pp. 200-208,
ce que Rousseau reproche au théâtre, c'est de nous « intéresser malgré nous à
des misérables » et de nous rendre ainsi « complices dans le fond de notre cœur
des crimes que nous avons vu cominettre ». En reproduisant ici l'argument qu'il
avait jadis employé pour « Sophie », il ne se souvenait plus sans doute qu'il
l'avait depuis lors singulièrement énervé.
^ Venaient ensuite, dans la 5' Lettre à Sophie et dans la Première Rédaction,
quelques lignes que Rousseau a supprimées, lorsqu'il en eut utilisé le contenu
sous une autre forme dans sa riposte à Helvetius : cf. la note suivante.
* C'est Helvetius: cf. De L'Esprit, 11, 1 [225 .4], 47-48: «On peut ranger les
idées, ainsi que les actions, sous trois classes différentes. Les idées utiles... Les idées
nuisibles Les idées indifférentes ; de pareilles idées n'ont presque point
d'existence, et ne peuvent, pour ainsi dire, porter qu'un instant le nom d'indiffé-
rentes : leur durée ou leur succession, qui les rend ennuyeuses, les fait bientôt
rentrer dans la classe des idées nuisibles... Je prouverai qu'en tout temps, en tout
lieu, tant en matière de morale qu'en matière d'esprit, c'est l'intérêt personnel
qui dicte le jugement des particuliers, et l'intérêt général qui dicte celui des nations...
je considérerai la probité et l'esprit à différents égards, ... et prenant toujours
l'expérience pour guide dans mes recherches, je montrerai que sous chacun de
ces points de vue, l'intérêt est l'unique juge de la probité et de l'esprit ». La ■
riposte de Rousseau a été ajoutée dans B. après la lecture du livre d'Helvetius.
244 REDACTIONS MANUSCRITES
les douceurs ' de l'humanité nous consolent de nos (propres) peines
[2 et même dans nos plaisirs] nous serions trop [seuls trop] misérables
« 3 si nous » (■• ne nous y trouvions qu'avec nous). S'il n'v a rien de
moral dans (^ les actions des hommesi [d"où lui] viennent [donc] ces
transports d'admiration ("au récit des) actions héroi'ques id'où lui vien-
nent) ces ravissements d'amour « pour » {'ce qui est grand et beaui.
Cet enthousiasme de la vertu quel ^ rapport a-t-il avec notre interest
privé ? ^ Voudrois-je être Caton qui déchire ses entrailles plus tost que
César triomphant. (Oui). Otez ['"de nos cœurs cet ii amour du beau]
vous otez tout le charme '-de la vie. Celui dont les viles passions
ont étouffé dans son ame étroitte ces sentimens délicieux '^ celui qui
à force de se concentrer '* au dedans de lui vient à bout de n'aimer
que lui-même me jouit plus de rien il) n'a plus ['^ de] transports '''son
cœur (" îroid) ne palpite plus (['** d'attendrissement] ses yeux ne savent
plus verser des larmes, il ne vit plus il est déjà mort).
B, f" 148'" Il Mais quel (que grandi que soit le nombre des méchans sur la
terre, il est peu i' d'ames cadavéreuses (-"parvenues à ce degré d'indiffe-
' M. de l'amitié, de l'humaniié.
■ (deux mots illisibles).
•' [(nous?... dans nos tristes plaisirs)].
■* [n'avions avec qui les partager].
^ [le cœur « de l'homme »].
" [pour les].
' [les grandes âmes].
" (inte rest).
" [Pourquoi (si le cœur de l'homme borne)].
"• (l'amour du vrai s'il n'y avoit).
" M. attrait.
'- (beau).
■■' (ne).
'* M. en lui.
" (ni).
" (il*-
■' (ne) [glacéj.
"* [de joye un dou.\ attendrissement n'humecte jamais ses yeu.x ; (de
quoi jouit-il donc) [il ne jouit plus de rien] (eti le malheureux ne sent plus,
ne vit plus: il est déjà mort].
" [de ces].
" [devenues (indifférentes et froides pour) insensibles à tout ce qui est
juste et bon].
EDITION ORIGINALE 245
nous serions trop seuls, trop misérables, si nous n'avions avec qui
les partager. S'il n'v a rien de moral dans le coeur de l'homme, d'où | lui 102]
viennent donc ces transports d'admiration pour les actions hero'i'ques.
ces ravissemens d'amour pour les grandes âmes •? (^et enthousiasme
de la vertu, quel rapport a-t-il avec notre intérêt privé? Pourquoi
voudrois-je être Caton qui déchire ses entrailles -, plutôt que César
triomphant ? Otez de nos cœurs cet amour du beau, vous ôtez tout
le charme de la vie. Celui dont les viles passions ont étouffé dans
son ame étroite ^ ces sentimens delicieu.x ; celui qui, à force de se
concentrer au-dedans de lui, vient à bout de n'aimer que lui-même,
n'a plus de transports, son cœur glacé ne palpite plus de joie, un
dou.\ attendrissement n'humecte jamais ses yeu.x, il ne jouit plus de
rien : le malheureux ne sent plus, ne vit plus ; il est déjà mort.
Mais quel que soit le nombre des méchans sur la terre, il est peu
de ces âmes cadavéreuses, devenues insensi- | blés, hors leur intérêt, à 103]
tout ce qui est juste & bon. L'iniquité ne plaît qu'autant qu'on en
profite : dans tout le reste on veut que l'innocent soit protégé '. Voit-on
' Comparez Nouvelle Hélvïse ill, xn, 1\', 132 : « Songe où l'intérêt nous
porte en lisant l'histoire. T'avisas-tu jamais de désirer les trésors de Crésus, ni
la gloire de César, ni le pouvoir de Néron, ni les plaisirs d'Héliogabale ? Pourquoi,
s'ils étaient heureux, tes désirs ne te mettaient-ils pas à leur place? C'est qu'ils
ne l'étaient pas, et tu le sentais bien... Quels hommes contemplais-tu donc avec
le plus de plaisir? Desquels adorais-tu les exemples? Auxquels aurais-tu mieux
aimé ressembler? Charme inconcevable de la beauté qui ne périt point! C'était
l'Athénien buvant la ciguë, c'était Brutus mourant pour son pays », etc.
' « Caton qui déchire ses entrailles ». c'est la formule chère à Rousseau,
quand il parle du suicide de Caton : cl". Nouvelle Héloïse, IV, i52, 272. De tous
les héros célébrés par Piutarque, le « grand et divin Caton » (Nouvelle Héloïse,
IV, 2051 est celui auquel Rousseau a donné la plus fidèle admiration ; cf., plus haut,
p. 83. note 4, les textes que j'ai cités; cf. encore. De l'Économie politique, III, 288.
le parallèle entre Socrate et Caton, où visiblement Rousseau penche vers ce dernier.
' Le mot est heureux pour détinir. par contraste et négativement, l'âme de
celui qui a dit, 3'' Lettre à M. de Malesherbes, X, 3o6 : « J'aimais à me perdre en ima-
gination dans l'espace ; mon cœur, resserré dans les formes des êtres, s'y trouvait
trop à l'étroit, j'étoulTais dans l'univers, j'aurais voulu m'élancer dans l'infini ».
' Le fait avait été souligné bien des fois par les moralistes ; et Locke le
rappelle encore, pour en contester, du reste, la valeur. Entendement humain, I, ii, 2
fio2j, 25 : « C'est un principe qui est reçu, à ce qu'on croit, dans les cavernes
mêmes des brigands et parmi les sociétés des plus grands scélérats ; de sorte que
ceux qui détruisent le plus l'humanité sont fidèles les uns aux autres et observent
entre eux les règles de la justice»; cf. aussi Hutcheson, II. 4 "iqiI, II, 217; «Si
246 RÉDACTIONS MANUSCRITES
rence pour ce qui est juste et bon. ' Chacun pour son interest veut être
inique). L'iniquité ne plait qu'autant qu'on en profite, dans tout le
reste -on veut que ■'^ l'innocenp] soit protégé ■"].
F, f" 164 "' \'oit-on dans une rue ou sur un chemin quelqu acte de
violence et d'injustice, à l'instant un mouvement de colère et
d'indignation * s'élève au fond du cœur et nous porte à prendre
la deffense de l'opprimé ? mais un devoir plus puissant nous
retient et les loix nous ôtent le droit de '' protéger l'innocence.
Au contraire si quelque acte de clémence "et de générosité frape
nos veux, quelle admiration, quel amour il nous inspire! Qui
est-ce qui ne se dit pas à lui-même j'en voudrois avoir t'ait autant?
B, f° 148 '" [* Il nous importe [sûrement fort] peu qu'un homme ait été méchant
ou juste il y a deux mille ans. Et cependant le même interest nous
« affecte » dans l'histoire ancienne que si tout cela s'étoit passé de nos
jours. ({" J'ai la même horreur pour les crimes de Catilina que si je craignois
d'en être la victime. Nous ^^ voulons être heureux mais 'i nous voulons
' (tous sont iniques pour leur interest)].
- M. on la hait, et l'on veut.
' rinnocen(ce).
* iJe pen se ?).
' B. (s'élêve au fond du coeun "nous saisit]. — I. (del s'élève.
" B. (protéger) [secourir\
' B. ou.
" I. < 11 nous importe... on en souffre >.
■' (On a) [que (m'importent) [me font] a moi les crimes de Catilina. Ai-je
peur d'(en) être la victime. Pourquoi donc ai-je de lui la même horreur que
s'il étoit mon contemporain]. — M. ai-je peur d'être sa victime.'' Pourquoi donc
ai-je de lui la même horreur que si j'étois (sénateur romain) [son contemporain].
'° [(avons besoin ? de bonheur)].
" [(nous voulons qu'on soit heureux avec nous)].
ÉDITION ORIGINALE 247
dans une rue ou sur un chemin quelque acte de violence & d'injustice :
à l'instant un mouvement de colère & d'indignation s'élève au fond
du cœur, & nous porte à prendre la défense de l'opprimé; mais un
devoir plus puissant nous retient, & les loix nous ôtent le droit de
protéger l'innocence -. Au contraire, si quelque acte de clémence ou de
générosité frappe nos yeux, quelle admiration, quel amour il nous
inspire! Qui est-ce qui ne se dit pas; j'en voudrois avoir fait autant?
il nous importe sûrement fort peu * qu'un homme ait été méchant ou
juste il v a deux mille ans; & cependant le même intérêt nous affecte
dans l'Histoire ancienne, que si tout cela s'étoit passé de nos jours.
Que me font | à moi les crimes de Catilina '? Ai-je peur d'être sa [104]
nous pouvions entrtr en liaison avec les voleurs qui nous donnent des marques
de sentiment moral dans la division équitable et proportionnelle de leur proie,
et dans la fidélité qu'ils observent les uns envers les autres, nous reconnaîtrions
qu'ils ont des idées morales de leur profession aussi sublimes que s'ils avaient
en partage la vraie générosité, le vrai courage, l'honneur réel et même la vraie
probité » : le P. Lami, Morale chrétienne, 11. 14 îro6], lyS, etc. Cf., plus loin, la
note 3 de la p. 104.
- Il ne faut pas voir l.i une protestation d'esprit anarchique; c'est la consta-
tation d'un théoricien du « Contrat social » ; la loi étant l'expression de la volonté
générale, un simple citoyen n'est pas juge de l'opportunité qu'il peut y avoir ou
non à l'appliquer : cf. les chapitres IV à VI dans le Livre II du Contrat Social,
m, 321-32/. Remarquez, du reste, que la première rédaction de la 5*' Lettre à Sophie
était ici plus précise : elle mettait cette impuissance à faire individuellement la justice
parmi les tourments de « l'état civil ». — Cependant, au Livre IV d'Emile, II, 221,
il avait paru permettre à son disciple des initiatives d'une générosité plus hardie :
« Combien d'opprimés, qu'on n'eût jamais écoutés, obtiendront justice, quand il la
demandera pour eux avec cette intrépide fermeté que donne l'exercice de la vertu ;
quand 11 forcera les portes des grands et des riches: quand il ira, s'il le faut, jusqu'au
pied du trône faire entendre la voix des infortunés, à qui tous les abords sont fermés
par leur misère, et que la crainte d'être punis des maux qu'on leur fait, empêche
même d'oser s'en plaindre » !
' Nouvelle réponse à Helvetius, qui a été ajoutée, comme les précédentes, dans
la rédaction de B : cf. De L'Esprit, II, 6 [225 A], 82 : « Qu'importe au public la probité
d'un particulier? Cette probité ne lui est de presqu'aucune utilité. Aussi juge-t-elle
les vivants, comme la postérité juge les morts : elle ne s'informe point si Juvénal
était méchant, Ovide débauché, Annibal cruel, Lucrèce impie, Horace libertin,
Auguste dissimulé ; c'est uniquement leur talent qu'elle juge ».
' Cf. Pluche, Spectacle de la Nature [iSy], V, 170 ; « Toutes les histoires qui
nous restent des différents peuples et des hommes célèbres sont un tissu de reproches
faits aux crimes et d'applaudissements donnés à la vertu. Qu'est-ce que l'intérêt qu'on
prend à ces lectures si éloignées de nos usages et de nos .affaires -^ Ce n'est autre
chose que le jugement secret qu'en porte la conscience »: Hutcheson. II, i [191J. "' 21-
23 : « D'où procède cet amour, cette compassion, cette indignation, cette haine que l'on
conçoit pour des caractères feints et imaginaires, malgré l'éloignement des siècles et
des pays, selon qu'ils paraissent bienfaisants, fidèles, compatissants ou d'une dispo-
248 RÉDACTIONS MANUSCRITES
aussi le bonheur ^ des autres. [- On a] malgré soi pitié des infortunés,
on souffre de leur mal quoiqu'on fasse '')].
F, f° 164 ™ Les ^ âmes les plus corrompues ne sauroient perdre tout à
fait ce ^premier penchant. '^ Le voleur qui dépouille les passans
couvre ■ pourtant la nudité du pauvre et (où est) le ** féroce
assassin (^ qui n'accoure pas pour soutenir) un homme tombant
en défaillance ?
' jd'autruir.
- (Deux mots illisibles : On a ?).
' [Nous ne haïssons pas seulement les méchans parce qu'ils nous nuisent,
mais parce qu'ils sont méchans; non seulement nous voulons [être heureu.x ;
nous voulons] aussi le bonheur d'autrui, et quand ce bonheur ne coûte rien
au nôtre il l'augmente. « Enfin (nous voulons) l'on a malgré soi pitié des
infortunés : quand on est témoin de leur mal on en souffre].
a| M. Nous voulons qu'on soit juste, non seulement avec
nous, mais avec tout le monde. Enfin l'on a.
* B. (ames les; plus pervers(es|.
° B. < premier >.
" B. [Souvent il les met en contradiction avec eu.x-mémes]. — I.< Souvent
il... avec eu.\-mêmes >.
' B. encore.
» [plus].
' [soutient].
EDITION OKI(;iNALE 249
victime ? Pourquoi donc ai-je de lui la même horreur que s'il étoit
mon contemporain ? Nous ne haïssons pas seulement les méchans
parce qu'ils nous nuisent; mais parce qu'ils sont méchans. Non-seule-
ment nous voulons être heureux, nous voulons aussi le bonheur
d'autrui ; & quand ce bonheur ne coûte rien au nôtre, il l'augmente.
Enfin l'on a, malgré soi, pitié des infortunés; quand on est témoin de
leur mal, on en souffre ^. Les plus pervers ne sauroient perdre
tout-à-fait ce penchant : souvent il les met en contradiction avec eux-
mêmes 3. Le voleur qui dépouille les passans, couvre encore la nudité
sition opposée? Pourquoi n'aimons-nous point le Sinon ou le Pyrrhus de V Enéide?
Pourquoi sommes-nous touchés du sort de Priam ? C'est que nous avons un
sentiment secret qui détermine notre approbation indépendamment de notre intérêt
personnel. Sans cela nous nous rangerions toujours du côté que la Fortune favorise,
sans aucun égard pour la vertu et sans nous intéresser pour elle ». Il est assez
vraisemblable que Catilina a été choisi par Rousseau pour répondre à Helvetius, qui
en avait parlé avec une sympathie trop visible; cf. De L'Esprit, IV, 2 [22b A],
495 et 5oo : « Quel chef de conjurés qu'un homme assez maître de lui pour être à son
choix vertueu.x ou vicieu.x »! et 5i3 : « Qu'on représente au théâtre la conjuration de
Rome; je dis que l'audacieux Catilina emportera presque toute notre admiration:
la grandeur de son entreprise se réfléchira sur son caractère, l'agrandira toujours
k nos veux ». — Tout ce développement rejoint celui de la Lettre ci D'Alembert, 1, 192.
' Cf. Addison. Spectateur j 17], VI, ]45 : « La pitié qu'on ressent k la vue des
personnes qui souffrent ou qui sont dans la misère, et le plaisir qu'on goûte de les
avoir délivrées de ce malheureux état, sont une preuve convaincante, qui en vaut
mille autres, qu'il y a une bienveillance désintéressée », etc. ; Burlamaqui, Droit
naturel, 2 '179], i65 : « A la vue d'un homme qui souffre, nous avons d'abord un
sentiment de compassion », etc. Cf. encore ce passage d'.-\bauzit. qui peut servir,
d'ailleurs, à commenter toute cette dissertation sur la conscience, instinct de l'âme.
Religion naturelle i36], 54-55 : « Nous ne saurions voir sans douleur une personne
qui soutire, nos entrailles en sont émues, et ce vif sentiment nous porte à la soulager,
tant il est vrai que la nature nous sollicite k la compassion... Ce sont là des eftéts
admirables de la sagesse de Dieu, qui nous a faits les uns pour les autres, et qui, pour
suppléer k la lenteur du raisonnement, a voulu nous conduire tout d'un coup k notre
devoir. Il serait k souhaiter qu'un habile homme expliquât en détail tout ce méca-
nisme par rapport à la morale ; il rendrait un service considérable au public, et c'est
ce qu'on pourrait appeler la Religion de l'instinct: mais il faut prendre garde qu'elle
ne saurait guère avoir lieu dans ceux k qui des habitudes contraires ont gâté le
tempérament, ou qui, par une mauvaise éducation dont ils n'ont pas été les maîtres,
ont dépouillé toute sorte d'humanité. Alors il faut recourir à la voie du raisonnement ».
' Cf. Vernet, Vérité de la Religion, I, 2 [162], I, 5o : « Il reste toujours dans les
cœurs même les plus vicieux, une empreinte de la loi naturelle, qui s'efface difficile-
ment. Personne ne peut refuser son approbation k des préceptes de justice. On admire
les beaux exemples ; et ceux même qui ne pratiquent pas la vertu ne peuvent
s'empêcher de l'honorer ». Cf., plus haut, à la note i de la p. io3, les textes de
Locke et de Hutcheson sur la justice des voleurs. Rousseau n'avait pas oublié cet
exemple traditionnel, puisque dans la première rédaction de la 5' Lettre <j Sophie,
il l'utilisait, et précisément ici-méme : « Il n'v a point de féroce assassin qui ne coure
250 REDACTIONS MANUSCRITES
On parle du cri des remords qui punit en secret les crimes
cachés et les met si souvent en évidence. Helas ! qui de nous
1 ne connût jamais cette voix importune. On parle par expérience,
et l'on voudroit - effacer ce sentiment -^ involontaire qui nous
donne tant de tourment. Obéissons à la nature, nous connoitrons
avec quelle douceur elle ^approuve ce qu'elle a commandé et quel
charme on trou\e ^à se rendre un bon témoignage de soi. Le
méchant se craint et se fuit, il s'égaye en se jettant hors de lui-
même, il tourne autour de lui des \eux inquiets, et cherche un
objet qui l'amuse, sans ''la raillerie insultante il seroit toujours
triste. Le ris moqueur est ("toujours dans '^ les yeux du méchant).
Au contraire la sérénité du juste est intérieure; son ris n'est point
de malignité mais de jo\"e, il en porte la source en lui même; il
est aussi gai seul qu'au milieu d'un cercle, il ne tire pas son
contentement de ceux qui l'aprochent, il le leur communique.
' B. (ne connut) ^n'entendit].
- B. étouffer.
■■ B. (involontaire) [tiranniquej. — I. involontaire.
■• B. (approuve ce qu'elle a commandél [régne]. — I. approuve ce qu'elle
a commandé.
■' B. [après l'avoir écoutée] à se rendre. — I. < après l'avoir écoutée >.
° B. [la satire amére sans].
' [son seul plaisir].
» [(ses)].
ÉDITION ORIGINALE 25 1
du pauvre ; & le plus féroce assassin soutient un homme tombant en
défaillance *.
On parle ^ du cri des remords, qui punit en secret les crimes
cachés, & les met si souvent en évidence. Hélas! | qui de nous n'en- 105]
tendit jamais cette importune voix? On parle par expérience, & l'on
voudroit étouffer ce sentiment tiranniquc qui nous donne tant de
tourment. Obéissons à la Nature, nous connoitrons avec quelle dou-
ceur elle régne. & quel charme on trouve après l'avoir écoutée, à se
rendre un bon témoignage de soi. Le méchant se craint & se fuit; il
s'égaye en se jettant hors de lui-même '; il tourne autour de lui des
yeux inquiets. & cherche un objet qui l'amuse: sans la satyre amere.
soutenir un homme tombant en défaillance: les traîtres mêmes et les perfides, en
méditant entre eux leurs complots, se touchent dans la main, se donnent leur parole et
respectent leur foi ».
■* Rousseau avait-il donc alors oublié ce qu'il racontera plus tard? Cf. Confes-
sions, VIII. QE : « Deux jours après notre arrivée à Lvon, comme nous passions dans
une petite rue non loin de notre auberge. Le Maître fut surpris d'une de ses atteintes
■^d'épilepsie] ; et celle-là fut si violente que j'en fus saisi d'effroi. Je fis des cris, appelai
du secours, nommai son auberge et suppliai qu'on l'y lit porter; puis, tandis qu'on
s'assemblait et s'empressait autour d'un homme tombé sans sentiment et écumant au
milieu de la rue, il fut délaissé du seul ami sur lequel il eût dû compter... Je tournai
le coin de la rue, et je disparus ».
* Il ne saurait s'agir de préciser à qui Rousseau fait ici allusion. 11 est probable
que lui-même ne mettait aucun nom particulier derrière cet on, car l'idée qu'il rappe-
lait était fort banale. Si pourtant. — comme le feront voir les notes suivantes, — dans
cette dissertation sur la conscience, le poème de Voltaire sur La Loi Xaturelle semble
avoir été présent à l'esprit de Rousseau, soit pour le confirmer, soit pour le réfuter,
on pourra admettre que Rousseau ait ici songé à ces vers de la I' Partie 22 T, 144-145 :
C'est la loi de Trajan, de Socrate et la vôtre.
De ce culte éternel la nature est l'apôtre ;
Le bon sens la reçoit, et les remords vengeurs,
\és de la conscience, en sont les défenseurs.
Leur redoutable voix partout se fait entendre.
' Dans ce portrait du « méchant », il y a un désir visible de riposter au mot
fameux de Diderot, qui avait si fort troublé Rousseau, Fils Naturel, VI, 3 [222], 66 :
« Vous renoncez à la société! J'en appelle à votre cœur; interrogez-le, et il vous
dira que l'homme de bien est dans la société et qu'il n'y a que le méchant qui soit
seul »; cf. Confessions, VllI, 327. Déjà, dans une note du II" Livre d'Emile. Il, 73, il
avait fait une allusion à la maxime de Diderot : « Un auteur illustre dit qu'il n'y a
que le méchant qui soit seul ; moi je dis qu'il n'y a que le bon qui soit seul » ;
Cf. encore IV' Livre, II, 191 : « L'n être vraiment heureux est un être solitaire »;
maxime qui paraît mal s'accorder avec celle de \a*Leltre à DWlembert, I, 237 : « Le
plus méchant des hommes est celui qui s'isole le plus ». .Mais, comme nous l'avons vu
souvent chez Rousseau, la contradiction n'est qu'apparente ; et la diriérence des
contextes le montre facilement : cf., plus haut, la note 2 de la p. 100.
252 REDACTIONS MANUSCRITES
Jeitez les yeux sur toutes les nations du monde, parcourez
toutes les histoires. Parmi tant de cultes inhumains et bizarres,
parmi cette prodigieuse diversité de mœurs et de caractères, vous
trouverez par tout les mêmes idées de justice et d'honnêteté, par
tout les mêmes principes de morale, par tout les mêmes notions
du bien et du mal. L'ancien paganisme enfanta des Dieux abomi-
nables qu'on eut punis ici bas comme des scélérats et qui n'offroient
pour tableau du bonheur suprême que des forfaits à commettre
et des passions à contenter. Mais le vice armé d'une autorité
f° 165 ''° sacrée descendoit en vain du séjour éternel; lia 'nature indignée
le repoussoit du cœur des humains. (-On celébroit) les -'débauches
de Jupiter (mais) on (^ respectoit) la 'tempérance de Xénocrate ;
la chaste lucréce adoroit l'impudique Venus l'intrépide Romain
sacrifioit à la peur ; ^ [(" il servoit) le Dieu qui mutila son père, (*il
recevoit) sans murmurer (la mort) de la main du » père ]. '"Jamais
de si méprisables di\'inités "ne furent servies par '-de si grands
' B. (la nature indignée) riconscience univ erselle ?1 l'instinct moral].
- [En célébrant].
' (Die ux).
■* [admiroii].
■'' B. (tempera nce) [continence].
" [(il réveroit son père en servant le fils de Saturne qui ou jupiier fut il
en vain... ou le (Dieu) [fils] Le fils de Saturne avoit mutilé Les enfans
mouroient sans murmurer... Jupiter avoit en vain le Dieu (parricide) qui
mutila son père étoit... ceux... en recev(ant) [oir] sans murmurer la mort de la
main (paternelle) [d'un père] il... isoumis) en recevant sans murmurer)]. —
B. il invoquoit.
■ [en invoquant].
" [et (soufFroitt mouroit]. — B. et (recevoiti [mouroit] sans murmure (la
mort) de la main.
° B. sien.
'" B. (Jamais de sil [Les plus méprisables.
" B. (nei.
■^ B. les plus.
EDITION ORIGINALE 253
sans la raillerie insultante, il seroit toujours triste; le ris moqueur est
son seul plaisir. Au contraire, la sérénité du juste est intérieure'-; son
ris n'est point de malignité, mais de joie : il en porte la source en
lui-même; il est aussi gai seul qu'au milieu d'un cercle; il ne tire
pas son contentement de ceux qui l'approchent, il le leur communique.
I Jettez les yeu.x sur toutes les Nations du monde, parcourez toutes 106
les Histoires. Parmi tant de cultes inhumains & bizarres, parmi cette
prodigieuse diversité de mœurs & de caractères, vous trouverez par-tout
les mêmes idées de justice et d'honnêteté (^), par-tout les mêmes notions
du bien & du mal '. L'ancien paganisme enfanta des Dieux abomi-
nables - qu'on eût punis ici-bas comme des scélérats. & qui n'oftroient
laj C, D : honnêteté; partout les mêmes principes de
morale, partout les mêmes notions.
' Nouvelle Héloïse ilV. iii, IV, 3^0 : « La jouiss.ince de la venu est toute
intérieure et ne s'aperçoit que par celui qui la sent. »
' Cf. Vernet. Instruction chrétienne. Il, 3 et 4 [2i3 , I. 5o-3i : « D. Tous les
peuples ont-ils connu les règles de morale dont vous venez de parler? — R. Tous
les peuples les connaissent plus ou inoins selon qu'ils sont plus ou moins accoutumés
à réfléchir On convient asse^ des principes généraux, quoiqu'on ne s'accorde pas
touiours dans l'application que l'on en fait » ; Pluche. Spectacle de la S'ature [liy],
V, 170 : « Le cri de la conscience est entendu partout; il est le même dans tous les
siècles et dans toutes les nations »; Abauzit, Religion naturelle [i36 , 35-38; etc.
' Ce tableau de toutes les turpitudes morales, consacrées officiellement par les
ditTérentes religions païennes, était devenu un tableau banal, mais que les apologistes
ou les philosophes reprenaient complaisamment. quoiqu'avec un dessein opposé :
Cf., parmi les livres qu'avait lus Rousseau, Abbadie, R<:ligion chrétienne, I, 11, 7 [92].
I, 141-142. Mandeville, Origine de la vertu morale' lîg]. II, i2-i3, Saint-Aubin, Traité
de l'opinion [141^, II, 6, La Chambre, Véritable religion, I, 7 [149], 1, 393. Fréret,
Lettre de Thrasybule [189], 75, etc. Il faut s'arrêter de préférence à ceu.x qui,
comme Rousseau, ne se contentent pas de rappeler ces bizarreries cultuelles,
mais mettent en opposition la conduite infâme des dieux et celle des âmes honnêtes
qui les invoquaient; cf. Bossuet. Histoire universelle, II, 16 '88], 442: «Toute
la Grèce était pleine de temples consacrés à ce Dieu 'l'amour impudique], et l'amour
conjugal n'en avait pas un dans tout le pavs. Cependant ils détestaient l'adultère
dans les hommes et dans les femmes, la société conjugale était sacrée parmi
eus»; Barbeyrac. Pré/ace du Droit de la Sature [107 .A], 19-20; D'Espiard de la
Cour, Pensées philologiques [188]^ 83-84 • * " 6St étonnant que les Athéniens qui
adoraient des dieux scélérats aient été de si honnêtes gens. 11 n'est aucun crime qui ne
put être justifié par l'exemple de quelque divinité. Jupiter devait être le protecteur des
adultères et des incestueux, Vénus présidait à la prostitution, etc.. Est-il possible
que Cimon, qu'.A.ristide, que Conon aient adoré de pareilles divinités? Les préjugés
de l'enfance sont-ils donc si puissants sur l'esprit de l'homme qu'il soit impossible de
les vaincre»? Le P. Lami, Morale chrétienne, II, 17 ]io6], II, 223-226: « ]Les
philosophes et poètes païens] professaient une religion dont les dieux adultères
et impudiques, ivrognes, homicides, voleurs, ne leur donnaient point d'idée de
la vertu qui fût favorable à cette doctrine [de l'existence d'une loi naturelle: et
254 REDACTIONS MANUSCRITES
hommes. 'L'immortelle \oix de la nature plus forte que celle
des Dieux "mêmes se ^ faisoit * respecter sur la terre et sembloit
reléguer dans le ciel le crime a\^ec les coupables.
11 est donc au fond des âmes un principe inné de justice et de
■' vérité, sur lequel malgré nos propres maximes nous jugeons
nos actions et celles d'autrui comme bonnes ou mauvaises, et
c'est à ce principe que je donne le nom de conscience.
' B. (L'immortelle voix de) [(les droits sacrés de) [la sainte voix de] la
nature plus & forte » [(forts)].
- B. ( mêmes I.
•* B. « faisoit « [(faisoienl)).
■* (ho NOBEP).
^ B. vertu.
EDITION ORU.IXAI.1-: 255
pour tableau du bonheur suprême, que des forfaits à commettre & des
passions à contenter. Mais le Vice, armé d'une autorité sacrée, descendoit
en vain du séjour éternel, l'instinct moral le repoussoit du cœur des
humains. En célébrant les débauches de Jupiter, on admiroit la con-
tinence de Xénocrate ■'; la chaste Lucrèce adoroit l'impudique Vénus;
l'intrépide Romain sacrifioit à la Peur*: il invoquoit le Dieu qui mutila
son I père ', & mouroit sans murmure de la main du sien : les plus .107]
méprisables Divinités furent servies par les plus grands hommes. La
sainte voix de la Nature '^, plus forte que celle des Dieux, se faisoit
respecter sur la terre, & sembloit reléguer dans le ciel le crime avec
les coupables -^
Il est donc au fond des âmes un principe inné de justice & de
vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos
actions & celles d'autrui comme bonnes ou mauvaises; & c'est à ce
principe que je donne le nom de conscience *.
cependant ils parlent tous avec éloquence de la force de ces sentiments intérieurs qui
nous font estimer la vertu et mépriser et haïr le vice » ; Toussaint, Discours préli-
minaire des Sfœurs [184]. p. xxxvii : « Jesuis sûr qu'à Rome, où l'on adorait, comme
à Sparte, un Jupiter impudique, l'adultère passait pour un crime ■».
• La continence de Xénocrate était rappelée dans .Montaigne, Essais. Il, 33 jd,
II, 536. dans Saint-.Aubin, Traité de l'opinion 141], V, 82. '
■* Cette constatation antithétique lui a été probablement suggérée par Saint-Aubin
!i4i], II, 6 : « Les Lacédémoniens ont élevé des autels à la crainte les Romains à
la terreur ».
' Cet exemple manque dans la Lettre à Sophie: il provient certainement d'une
lecture faite par Rousseau entre les deux rédactions, lecture dont il n'a pas dû tirer
parti immédiatement, car il se trompe en croyant que c'est Jupiter qui a mutilé
Saturne (cf. les nombreuses variantes de F qui montrent l'erreur de Rousseaui. Il a
pu noter le fait dans les. Mémoires de l'Académie des Inscriptions qu'il dépouillait
très soigneusement icf. l'un de ses cahiers de notes 5], 1-21. On trouve, en effet, tout
le récit de la mutilation de Saturne dans les Mémoires pour servir à l'histoire de la
Religion de la Grèce, par M. de la Barre [43], XVIII, 4. Je crois cependant plus
vraisemblable que ce trait a été emprunté à Fréret, précisément dans son réquisitoire
contre les mœurs des dieux antiques, Lettre de Thrasybule [189], j5 : * Elianus
mutilé par Saturne et dépouillé de sa couronne, le même Saturne chassé de son
trône par son fils Jupiter ». Rousseau a confondu et fusionné les deux exemples.
- Souvelle Héloïse illl, xviiii, IV, 249 : « La douce voix de la Nature, qui
réclame au fond de tous les coeurs contre une orgueilleuse philosophie ».
•■' Il est assez piquant de remarquer que Mandeville, Recherches sur l'origine
de la vertu morale lâo]. 11, i2-i3, après avoir signalé le même contraste entre les
vices des « dieux de l'ancien paganisme » et les vertus des hommes illustres de
l'Antiquité, y voyait une preuve évidente, non point de « la sainteté de la voix de
la Nature », mais de la toute puissance de l'intérêt.
' Comparez cette définition avec celle de Puffendorf, Droit de la Satwe,
I, m. 4 107 Bj, 1, 44 : « On appelle en particulier du nom de conscience, le jugement
256 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Mais à ce mot j'entens s'élever ' de toutes parts la voix
des philosophes, erreurs de l'enfance, préjugés de l'éducation,
s'ecrient-ils tous '^ comme de concert : Il n'\ a rien dans ''l'enten-
dement humain que ce qui s'\' introduit par l'expérience, et nous
ne jugeons d'aucune chose que sur des idées acquises. Ils font
plus, cet accord évident et universel de toutes les nations, ils
l'osent rejetter et contre ■* cette éclatante uniformité du jugement
des hommes ils vont chercher dans les ténèbres quelque exemple
obscur et connu d'eux seuls comme [sij tous les penchans de la
nature étoient anéantis par la dépravation ^de quelques hommes,
et que sitôt qu'il est des monstres (* 1') espèce ne fut plus rien.
Mais que servent au sceptique Montagne les tourmens qu'il se
donne pour déterrer en ' un coin du monde une coutume opposée
aux notions de la justice? Que lui sert de donner au plus "mépri-
sable et suspect voyageur -'une autorité qu'il refuse aux écrivains
les plus célèbres? Quelques usages incertains et bizarres fondés
sur des causes ('" particulières) qui nous sont inconnues detruiront-
ils l'induction générale tirée du concours de tous les peuples
opposés en tout le reste et d'accord sur ce seul point? ô Montagne,
toi qui te piques de franchise et de vérité sois sincère et vrai si
un philosophe peut l'être et dis moi s'il est quelque " climat sur
la terre où ce soit un crime de garder sa foi, d'être clément,
bienfaisant, généreux, où l'homme de bien soit méprisable et le
scélérat honoré ?
' B. (de toules parts 1 la clameur des prétendus sages; erreurs de Penfance.
- B. [(corn me)].
^ B. l'esprit.
' B. r.
'^ B. (de quelques hommes) [d'un peuple].
'^ [une]. — B. l'espèce.
' (quel que). — B. (quelque) [un[.
" B. < méprisable et >.
" B. r.
'" [locales].
" B. pays.
EDITION" ORIGINALE 257
Mais à ce mot j'entends s'élever de toutes parts la clameur des
prétendus sages ^ : erreurs de l'enfance, préjugés de l'éducation, s'écrient-
inlérieur que chacun porte des actions morales, en tant qu'il est instruit de la loi,
et qu'il agit comme de concert avec le législateur dans la détermination de ce qui
est bon ou mauvais, et par conséquent ce que l'on doit faire et ne pas faire ».
Pédantisme en moins, la définition de Rousseau équivaudrait à celle de Puflendorf,
si la réserve « en tant qu'il est instruit de la loi » ne supposait chez Puffendorf,
dans la constitution de la morale, tout un travail de réflexion que Rousseau
remplace par les intuitions de l'instinct. Cf., plus haut, la note 2 de la page 100.
' .Même transition chez Voltaire, Loi naturelle, 11 22r], 446 :
J'entends avec Cardan Spinoza qui murmure :
Ces remords, me dit-il, ces cris de la nature,
Ne sont que l'habitude, et les illusions
Qu'un besoin mutuel inspire aux nations.
On insiste, on me dit : l'enfant dans son berceau
N'est point illuminé par ce divin flambeau;
C'est l'éducation qui forme ses pensées;
Par l'exemple d'autrui ses mœurs lui sont tracées;
// n'a rien dans l'esprit, il n'a rien dans le cœur;
De ce qui l'environne il n'est qu'imitateur.
Cf. encore chez .\bbadie. Religion chrétienne, I, 11, 8, dans un chapitre qui est
intitulé : « Où l'on établit qu'il y a une distinction nécessaire et naturelle entre le
bien et le mal » '92^, 1, 145 : « C'est un préjugé de l'éducation, dira quelqu'un, qui
nous fait regarder ces actions comme des crimes. Non, ce n'est point un préjugé », etc.
Rousseau, lui-même, quelques années auparavant, semble avoir eu. sur ce sujet, des
hésitations ; cf. le passage suivant du I" Contrat Social, où. sans adhérer formellement
à l'empirisme moral, il parait moins certain de la valeur absolue de la conscience [39],
253 : « [L'hommej écoutera-t-il la voix intérieure ? Mais cette voix n'est, dit-on, formée
que par l'habitude de juger et de sentir dans le sein de la société et selon ses lois ; elle
ne peut donc servir à les établir. Et puis il faudrait qu'il ne se fut élevé dans son cœur
aucune de ces passions qui parlent plus haut que la conscience, couvrent sa timide voix
et font soutenir aux philosophes que cette voix n'existe pas ». .\ ces théories de scepti-
cisme moral, Rousseau va opposer ici les arguments traditionnels. Si elles n'étaient pas
toutes si longuement développées, on pourrait mettre en regard de sa réponse, celles de
Cumberland, Lois naturelles, I, 1 169, 38 sqq, Clarke, Existence de Dieu, 11, 3,
« Réponse à l'objection prise de l'ignorance entière de quelques nations barbares en fait
de morale » 'i25]. II, 68-69 ^t 126-128, .Marivaux, Spectateur français [129], I, 323-324,
Pluche, Spectacle de la Sature 'i3f, V, 142-143, Barbeyrac, Préface du Droit de la
Nature, | IV : « Examen d'une autre objection tirée de la grande diversité de senti-
ments qu'il y a parmi les hommes en matière de vertus et de vices » [^107 A], 13-14. Je
transcris en partie cette page de Barbeyrac, dont la contexture et le mouvement final
sont identiques chez Rousseau : « C'est dans cette vue que les Pyrrhoniens autrefois
faisaient une longue énumération des contrariétés qu'ils remarquaient là-dessus
C'est le raisonnement de .Montaigne qui, parmi un grand nombre de belles et judicieuses
pensées, a trop laissé voir un esprit de pyrrhonisme poussé au-delà de ses justes
bornes .'Vlais tournons la chose autrement: et de cette objection même nous verrons
sortir une preuve assez forte, ou, pour le moins, un préjugé favorable de l'évidence
naturelle des principesde la morale... Il parait par l'histoire, que les peuples, qui
258
REDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 25g
ils '' tous de concert ' ! 11 n'v a rien dans l'esprit humain que ce qui s'y
introduit par l'expérience; & nous ne jugeons d'aucune chose que sur
des idées acquises *. Ils ] font plus ; cet accord é\ ident & universel de 108]
toutes les Nations, ils l'osent rejetter; & contre l'éclatante uniformité
du jugement des hommes, ils vont chercher dans les ténèbres quelque
exemple obscur & connu d'eux seuls, comme si tous les penchans de
la Nature étoient anéantis par la dépravation d'un peuple, & que si-tôt
qu'il est des monstres, l'espèce ne fût plus rien. .Mais que servent au
semblent n'avoir eu aucun senliment de vertu sont en très petit nombre. De l'aveu
même de .M. Bavle, les régies les plus générales des mœurs se sont conservées
presque partout et, pour le moins, elles se sont maintenues dans toutes les sociétés
où l'on cultivait l'esprit. Y a-t-il quelque nation, disait autrefois un grand orateur et
philosophe païen, où l'on n'aime pas la douceur, la bonté, la reconnaissance ? et où
l'on ne regarde pas avec mépris et avec horreur les orgueilleu.x, ceux qui prennent
plaisir ji faire du mal à autrui, les cruels, les ingrats? (Cicer., De Lefç., I, ii) ».
* .Même mouvement dans la Lettre à D'Alembert, 1, 233 : « Préjugés populaires,
me crie-t-on. petites erreurs de l'enfance ! tromperie des lois et de l'éducation » !
' « Tous », c'est-à-dire tous les pyrrhoniens de la morale, qui se résument, pour
ainsi dire, en Montaigne. Rousseau songe aussi à Locke, Entendement humain, I, 2
fi02], 24-42, à Mandeville, qu'il avait lu, et qui lui était si antipathique, ai. Recherches
sur la société [iSg], II, 149-151, et sans doute encore à Fréret ; cf. Lettre de Thrasybute,
le paragraphe qui se termine par cette déclaration '189], 228 : « Les idées de justice
et d'injustice, de vertus et de vices, de gloire et d'infamie sont absolument arbitraires
et dépendantes de l'habitude ». (Je ne cite pas ici Helvetius, le livre De L'Esprit ayant
paru, quand ces pages étaient déjà rédigées sous leur première formel. Montaigne est
le seul interpellé, parce qu'il est le plus connu et. de l'avis de tous, le plus représen-
tatif. C'est lui aussi que Barbeyrac avait nommé, lui encore sur qui Helvetius s'ap-
puiera pour démontrer qu' « une action vertueuse au nord est vicieuse au midi »
et que « l'idée de la vertu est purement arbitraire » : cf. De L'Esprit, II, i3 [225 A],
|33-. Il est inutile de rappeler ici tous les textes de Montaigne où s'étale avec joie ce
scepticisme moral. Voici du moins les plus frappants, dont Rousseau s'est peut-être
souvenu. Essais, I, 23 [76], I, 146 : « Les lois de la conscience que nous disons naître
de nature naissent de la coutume»; II, 12 [76], II, 336-337; « Ils sont plaisants,
quand, pour donner quelque certitude aux lois, ils disent qu'il y en a aucunes fermes,
perpétuelles et immuables qu'ils nomment naturelles Le meurtre des enfants,
meurtre des pères, communication de femmes, trafic de voleries, licence à toutes sortes
de voluptés, il n'est rien en somme si extrême qui ne se trouve reçu par l'usage de
quelque nation ». On sait, d'ailleurs, combien Rousseau avait pratiqué .Montaigne, et
quelle est l'influence des Essais sur les deux premiers Discours, et même sur Emile :
cf. le livre de .M. Pierre Villey >88\ Si l'on en croit sa fille. M"' Corancez
aurait possédé une édition de Montaigne que Rousseau aurait annotée tout exprès
pour elle : cf., à la Bibliographie, la note du n° 76.
* Cette dernière formule vise évidemment Locke et ceux qui combattent les idées
innées, même en morale; cf. le titre du Chapitre II cité à la note précédente : « Qu'il
n'y a point de principes de pratique qui soient innés ». Rousseau expliquera plus loin
(cf. p. 1 12 et note 3i ce qu'il croit pouvoir admettre d'inné dans le sentiment moral.
200 RÉDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORUilNALK 201
sceptique Montaigne ' les tourmens qu'il se donne pour déterrer en
un coin du monde une coutume opposée aux notions de la justice? Que
lui sert de donner aux plus suspects voyageurs l'autorité qu'il refuse
aux Ecrivains les plus célèbres - ? Quelques usages incertains & bizarres,
fondés sur des causes locales qui nous sont inconnues, détruiront-ils l'in-
duction générale tirée du concours de tous les peuples, opposés en tout
le reste, & d'accord i sur ce seul point? O Montaigne! toi qui te piques [109]
de franchise & de vérité, sois sincère & vrai ^ si un Philosophe peut
l'être, & dis-moi s'il est quelque pavs sur la terre où ce soit un crime
de garder sa foi. d'être clément, bienfaisant, généreux : où l'homme
de bien soit méprisable, & le perfide honoré -?
■ Le nom de jMontaigne se trouve deux fois dans ce paragraphe. Rousseau a
écrit Montagne les deux fois dans F et dans .M, Montagne et Montaigne dans B,
Montaigne les deux fois dans I. Mais dans ce dernier manuscrit, qui est la copie à
main reposée pour l'impression, il hésite encore entre les deux orthographes :
cf. Montagne, I, 126, i33, 274, II, 79, 102, et Stontaigne , II, 3/, 38. Pourtant Rousseau
semble s'être rallié définitivement à l'orthographe Montaigne. Sur l'exemplaire corrigé
d'Emile, partout où il avait laissé dans la première édition Montagne, il a corrigé en
Montaigne, I, 325, 344, II, 283, 111, 217, 283. Cf. les remarques qu'avait déjà faites
M. Théophile Dufour '38], 274.
' Même remarque chez Saint-.\ubin, Traité de l'opinion ' 141 . Il, 73 : « Croi-
rons-nous si légèrement, sur un article de cette importance, des relations auxquelles
souvent on ajoute si peu de foi en ce qui concerne les choses les plus indifférentes?
un récit incertain et superficiel balancera-t-il le témoignage qui est au-dedans de
nous » ?
' Cf. Féraud, Dictionnaire critique [256], III, 840 ; « Vrai... .Autrefois on ne
le disait point des personnes dans le sens de sincère, qui aime et qui dit la vérité.
Du temps de M"" de Sévigné, il était si peu employé qu'elle s'en sert comme d'un
mot heureux qu'elle hasarde ». C'est, au contraire, un emploi fréquent chez Rousseau-:
Cf., plus loin, dans la Profession, pp. 197 et 199 (« sincère et vrai »); cf. encore,
Emile, 11, 78, 290. 357, Nouvelle Héloïse. \\. 288 l« sincère et vrai »i. 347, 413
(« sincère et vrai »), V, 66, etc.
'La question avait déjà été posée par les plus illustres tenants de la morale
universelle ; cf. Voltaire, Loi naturelle, I '221], 445 :
Jamais un parricide, un calomniateur,
N'a dit tranquillement dans le fond de son cœur :
Qu'il est beau, qu'il est doux d'accabler l'innocence.
De déchirer le sein qui nous donna naissance.
L'affirmation de Rousseau est encore plus prudente, précisément, je crois, parce que
Montaigne a rangé le parricide parmi les crimes qui ne révoltaient point certaines
nations. Il préfère donc s'en tenir à la formule plus générale de Barbeyrac {c(. le texte
cité à la note 5 de la p. 107) ou de Hutcheson, II, 4 ^igi], 11, 197 : « Il faudrait pouvoir
nous montrer des hommes, chez qui \a trahison, l'ingratitude et la cruauté fussent
vues du même ceil que la générosité, l'amitié, la fidélité et l'humanité ». Même
202 RÉDACTIONS MANUSCRITES
B, f° 152 ''° Chacun dit-on concourt au bien public pour son intérest; mais d'où
vient donc que le juste y concourt à son préjudice? Qu'est-ce qu'aller à
la mort pour son intérest ? Sans doute nul n'agit que pour son
bien; mais (' c'est qu'il) est un bien moral dont il faut tenir [(Compte]
(sans quoi 1') on n'expliquera j'amais] par l'interest propre que les
fo -£5^ vo a(.fiQps jg^ méchans. || [ ^ Il est [même] à croire qu'on ne tentera
(■^ jamais! serieusementj d'aller plus loin. « * Ce seroit une» ^ philosophie
C' bien abominable) « que » celle où « l'on seroit » embarrassé des (exemples
d') actions vertueuses (et) où l'on ne pourroit se tirer d'affaire qu'en
leur controuvant des intentions basses et des motifs sans vertu, ou l'on
seroit forcé fd'avilir Socrate et] de calomnier Regulus. ('' Abandonnons
8 ces vaines doctrines) à l'horreur ('qu'elles font à) leurs propres ('"secta-
teurs. Jamais) '^ le cri de la nature qui i'- reclame) contre elles ne [leur]
(1^ laissera) un seul « sectateur » de bonne foi].
F, f° 165 ''° '4 Je n'ai pas dessein d'entrer ici dans des discussions meta-
phisiques qui " ne mènent à rien. Je vous ai déjà dit que je ne
' [s'il n'].
' (Et).
' [point].
■* [(et quelle abominable)].
'" [trop abominable] philosophie.
" [(trop abominable... seroit)].
' (Pour justifier la doctrine.... Laissons s'élever le cri des cœurs). [Si
jamais de pareilles doctrines (s'elevenl) pouvoient germer parmi nous il suffiroit
de les abandonner] à l'horreur.
» [les].
» [de].
'" [auteurs (et) à la contradiction de leur (propre) conduite (jamais) sans
que jamais] le cri de. — M. sûr que jamais.
" (la voi.x).
'" [s'élève],
" [(en) peut laisser].
" B. (Je) Mon dessein n'est pas d'entrer. — I. Mon dessein (de) n'est
pas.
'■'' B. passent (ma portée) [vôtre portée et la mienne] et qui dans le fond
ne mènent.
ÉDITION ORIGINALE 263
Chacun, dit-on ^. concourt au bien public pour son intérêt; mais
d"où vient donc que le juste y concourt à son préjudice ? Qu'est-ce
qu'aller à la mort pour son intérêt? Sans doute nul n'agit que pour
son bien : mais s'il n'est un bien moral dont il faut tenir compte, on
n'expliquera jamais par l'intérêt propre que les actions des méchans.
Il est même à croire qu'on ne tentera point d'aller plus loin. Ce seroit
une trop abominable philosophie que celle où l'on seroit embarrassé des
actions vertueuses, où l'on ne | pourroit se tirer d'affaire qu'en leur [110]
controuvant * des intentions basses & des motifs sans vertu, où l'on
seroit forcé d'avilir Socrate & de calomnier Regulus 2. Si jamais de
pareilles doctrines pouvoient germer parmi nous, la voix de la Nature,
ainsi que celle de la raison, s'éleveroient incessamment ^ contr'elles, & ne ■
laisseroient jamais à un seul de leurs partisans l'excuse de l'être de
bonne foi.
Mon dessein n'est pas d'entrer ici dans des discussions métaphysiques
argumentation dans Burlamaqui, Droit naturel, III, 5 [179. 167-168, Cumberland,
Lois naturelles, 1, 26 j6g], 77. Le texte de Cumberland était cité par Clarke. Existence
de Dieu, U, 3 [i25], H. 127-12S.
• Ce paragraphe a été ajouté dans B après la lecture d'Helvetius ; Cf. De L'Esprit,
III, 4 [225 A], 276-277 : «Je découvre facilement la source des vertus humaines : Je vois
que, sans la sensibilité à la douleur et au plaisir physique, les hommes, sans désirs,
sans passions, également indifférents à tout, n'eussent point connu d'intérêt personnel ;
que sans intérêt personnel, ils ne se fussent point rassemblés en société, n'eussent
point fait entr'eux de convention, qu'il n'y eut point eu d'intérêt général, par consé-
quent point d'actions justes ou injustes: et qu'ainsi la sensibilité physique et l'intérêt
personnel ont été les auteurs de toute justice. Cette vérité, appuyée sur cet axiome
de jurisprudence, l'intérêt est la mesure des actions des hommes, et confirmée
d'ailleurs par mille faits, me prouve que, vertueux ou vicieux, selon que nos passions
ou nos goûts particuliers sont conformes ou contraires à l'intérêt général, nous
tendons nécessairement à notre bien particulier ». Helvetius ajoutait en note :
« On ne peut nier cette proposition 'que la sensibilité phvsique et l'intérêt personnel
ont été les auteurs de toute justice] sans admettre les idées innées ». Et c'est, en elfet.
on le verra, sur l'innéité de certaines idées morales que le débat va bientôt porter.
' Cf. Féraud, Dictionnaire critique [256], I, 576 : « Controuver, inventer une
fausseté pour nuire à quelqu'un ». Cf. 111* Livre d'Emile, II, 175 : « Celui qui
conlrouve des rapports imaginaires » ; IV' Livre, 209 : « L'historien m'en donne une
[cause des événements], mais il la conlrouve»; Lettre à Saint-Germain, du 26 Fé-
vrier 1770. XII, 181 : « C'est à qui me controuvera le plus de crimes ».
' On sait l'antipathie de Rousseau pour La Rochefoucauld ; cf. Confess ons,
Vlil, 78; Nouvelle Héloïse illl, xx), iV, 258, note : « Jamais son triste livre ne sera
goûté des bonnes gens ».
' Le mot était déjà un peu vieilli dans le sens où l'emploie Rousseau, c'est-à-dire :
264 RÉDACTIONS MANUSCRITES
voulois 'point disputer avec les philosophes, mais 2 parler à vôtre
cœur. Quand tous les philosophes ■' du monde prouveroient que
j'ai tort, si vous sentez que j'ai raison, je n'en veux pas davantage.
Il ne faut pour cela que vous faire distinguer nos (* perceptions)
acquises de nos sentimens naturels : car nous sentons nécessai-
rement avant de connoitre, et comme nous n'apprenons point à
vouloir nôtre bien ^personnel et à fuir ''nôtre mal, mais ["que
nous] tenons cette volonté de la nature, de même l'amour du
bon ** et la haine du mau\ais nous sont aussi naturels que "nôtre
propre existence. Ainsi quoique les idées nous viennent du dehors
les sentimens qui les apprécient sont au dedans de nous '"et c'est
par eux seuls que nous "connoissons la convenance ou discon-
venance qui existe entre nous et les choses que nous devons
rechercher ou fuir.
Exister pour nous c'est sentir, '-et nôtre sensibilité est incon-
testablement antérieure à nôtre '■'' raison même. Quelle que soit
' B. pas philosopher avec vous, mais.
- B. (parler à) [Vous aider à consulter] votre cœur.
^ I. < du monde >.
* [idées].
^ B. < personnel >.
" (même ?).
' B. (que nous).
" B. (moral 1.
'■' B. (notre propre existence I [l'amour de nous-mêmes. Les actes de la
conscience ne sont pas des jugemens mais des sentimens]. (Ainsi) quoique (les)
[toutes nos] idées.
'" B. ([ils sont innés]).
" M. jugeons de la.
'■ B. (et).
" B. (raison même) [intelligence], et nous avons eu des sentimens avant
des idées *.
* [en note]. .\ certains égards les idées sont des sentimens et les sentimens
sont des idées. Les deux noms conviennent à toute perception qui nous occupe,
et de son objet et de nous-mêmes qui en sommes alïectés : il n'y a que l'ordre de
cette affection qui détermine le nom qui lui convient. Lorsque premièrement
occupés de l'objet nous ne pensons à nous que par réflexion, c'est une idée ; au
contraire quand l'impression reçue excite nôtre première attention, et que nous
ne pensons que par réflexion à l'objet qui la cause, c'est un sentiment.
ÉDITION ORIGINALE 265
qui passent ma portée & la vôtre, & qui, dans le fond, ne mènent à
rien. Je vous ai déjà dit que je ne voulois pas philosopher avec vous,
mais vous aider à consulter votre cœur. Quand tous les Philosophes
prouveroient que jai tort, si vous sentez que jai raison, je n'en veux
pas davantage *.
11 ne faut pour cela que vous faire distinguer nos idées acquises
de nos sentimens naturels, car nous sentons avant de connoître : & lIH]
comme nous n'apprenons point à vouloir notre bien & à fuir notre
mal, mais que nous tenons cette volonté de la Nature, de même l'amour
du bon & la haine du mauvais nous sont aussi naturels que l'amour de
nous-mêmes. Les actes de la conscience ne sont pas des jugemens, mais
des sentimens '; quoique toutes nos idées nous viennent du dehors, les
sentimens qui les apprécient sont au-dedans de nous, & c'est par eux
seuls que nous connoissons la convenance ou disconvenance qui existe
entre nous & les choses que nous de\ons rechercher ou fuir.
Exister pour nous, c'est sentir.- notre sensibilité est incontestablement
antérieure à notre intelligence. & nous avons eu des sentimens avant
« sans cesse » : cf. Féraud. Dictionnaire critique 25o\ II, 444 : « Incessamment = au
plutôt, sans délai. Il ne s'emploie que pour désigner le futur... Autrefois, on le faisait
modirier tout au;re temps des verbes dans le sens de continuellement », C'est un
emploi fréquent chez Rousseau: cf. Lettre à DWIembert, 1, 187, Sourelle Hélotse.
\\, 227, 228, 314, etc.
* Nouvelle application de la régie formulée plus haut, p. 42 : « me livrer au
sentiment plus qu'à la raison ». — Dans les fragments qui accompagnent la 5' Lettre
à Sophie (Cf., aux .Appendices, Ii. on lit une déclaration analogue pour le fond,
mais plus violente encore dans la forme: «J'ai déjà dit que je voulais parler à
voire cœur et que je n'entreprenais pas de disputer avec les philosophes. Ils auraient
beau me prouver qu'ils ont raison, je sens qu'ils mentent et je suis persuadé qu'ils
le sentent aussi ».
' Cf., dans La Souyelle Héloïse iV'l, vin, V, 33. la note de Rousseau sur un
passage de Saint-Preux que j'aurai bientôt à citer : « Saint-Preux fait de la conscience
morale un sentiment, et non pas un jugement: ce qui est contre la définition des
philosophes. Je crois pourtant qu'en ceci leur prétendu confrère a raison ».
266 RÉDACTIONS MANUSCRITES
la cause de nôtre ' existence elle a pourvu à nôtre conservation
en nous donnant des sentimens convenables à nôtre nature et
l'on ne sauroit nier qu'au moins ceux là ne soient innés. Ces
sentimens quant à l'individu sont l'amour de soi, la crainte de
F 165 ™ la douleur, || l'horreur de la mort 2 et le désir du bien être. Mais si,
comme on n'en peut douter l'homme est ^^un animal sociable
par sa nature ^ ou du moins fait pour le devenir, il ne peut l'être
que par d'autres sentimens innés relatifs à son espèce ». Et c'est
du C' sentiment) formé par ce double raport à soi même et à ses
semblables que nait l'impulsjon ' naturelle de [la] conscience.
Connoitre le bien ce n'est pas l'aimer, [l'homme * n'en a pas la
connoissance innée] mais sitôt que ^ la raison ('"nous le) fait
connoitre, ^^ la conscience ('- nous) porte à l'aimer ".
' B. (existence) [être]. — I. (existence) [être],
^ B. < et >.
' B. (un animal).
■* I. (c'est à dire) [ou] du moins.
^ B. car à ne considérer que le besoin pliysique il doit certainement dis-
perser les liommes au lieu de les rapprocher. Or c'est.
" [svstême moral].
' M. < naturelle >. — I. (naturelle).
" B. (n'i [n'en] a pas (cette) [la] connoissance innée.
■' B. sa.
"> [le lui].
" B. sa.
" B. C'est (donc) ce sentiment qui est inné.
ÉDITION ORIGINALE 267
des idées (^) 'K Quelle que soit la cause de notre être, elle a pourvu à
notre conserva- | tion en nous donnant des sentimens convenables à 112]
notre nature, & l'on ne sauroit nier qu'au moins ceux-là ne soient innés.
Ces sentimens, quant à l'individu, sont l'amour de soi, la crainte de la
douleur, l'horreur de la mort, le désir du bien-être. Mais si, comme
on n'en peut douter, l'homme est sociable ' par sa nature, ou du moins
'«) C cl D rétablissent la note suivante, qui apparaît pour
la première fois dans B, qui avait été conservée dans M, et
n'avait sans doute été omise dans 1 que par distraction : A
■certains égards les idées sont des sentimens et les sentimens
[sont] des idées. Les deux noms omi'iennent à toute perception
qui ntius occupe et de son objet, et de nous mêmes qui en
sommes a^Tectés : il n'y a que l'ordre de cette affection qui
détermine le nom qui lui confient. Lorsque, premièrement fD :
premièrement] occupés de l'objet, nous ne pensons à nous que
par réflexion, c'est une idée: au contraire quand l'impression
reçue [D : reçue] excite notre première [D : première] attention,
et que nous ne pensons que par réflexion à l'objet qui la cause,
c'est un sentiment '. [Les cinq derniers mots ont été coupés
dans C à la reliurej.
' La Nouvelle Hélo'ise (VI, 11, V, 3, présente une fortnule, en apparence, contra-
dictoire : « Nos sentiments dépendent de nos idées »; mais, dans ce dernier passage,
le mot idées n'a pas. comme dans la Profession, un contenu pureinent intellectuel.
' Toutes les idées de cette note, sinon sous leur forme actuelle, au moins
en substance, se trouvent déjà dans un des cahiers de notes de Rousseau [5T, 34'" (je
ne donne pas les variantes du textei : « La perception nous fait apercevoir l'objet
plutôt que riinpression qu'il fait sur nous. Au contraire, par le sentiment, nous
pensons à l'impression plus qu'à l'objet qui la cause. Dans ce cas la sensation
se passe tout entière en nous-mêmes; dans l'autre, nous la transportons, pour ainsi
dire, hors de nous. — Perceptions intérieures et purement affectives, perceptions
extérieures, quelquefois seulement représentatives ». Comme on peut le conjecturer
par la place que ces remarques occupent dans le cahier, elles ont dû être suggérées
à Rousseau par la lecture de Fréret. et le chiffre qui est inscrit en marge doit être
le n' de la page du manuscrit oit il lisait la Lettre de Thrasybitle à Leucippe. On
trouve, en effet, dans ce dernier ouvrage ^189^, i38-i39, sur le sentiment et la perception
simultanés les lignes suivantes, qui peuvent être, je crois, considérées comme la
source certaine de la note de Rousseau dans la Profession : « Ce sont néanmoins deu.x
choses différentes ; la perception nous fait penser principalement à l'objet que nous
considérons ; et ce n'est que par conséquence que nous pensons à l'impression agréable
ou désagréable qu'elle fait sur nous; quelquefois même la perception de l'objet est si
vive et l'émotion si faible, que nous n'y pensons presque pas. Le sentiment, au
contraire, nous fait penser d'abord et principalement à nous;- et ce n'est que par
réfle.xion que nous pensons à l'objet qui nous cause l'impression agréable ou
désagréable que nous ressentons ». Comme Fréret, Rousseau, dans son cahier, emploie
le mot « perception » au lieu d' « idée »; mais on remarquera que dans la 5' Lettre
à Sophie et dans la Première Rédaction, au lieu de la formule qui a passé dans tous
les autres manuscrits et dans l'édition originale : « distinguer nos idées acquises de
nos sentiments naturels », — on lit : « distinguer nos perceptions acquises ».
' Dans la 5' Lettre à Sophie et dans F, Rousseau avait écrit : « un animal
sociable » ; il a sans doute suppriiné le mot, en songeant à Helvetius, pour ne point
paraître lui faire une concession même verbale : cf. la note suivante.
268 RÉDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 269
lait pour le devenir, il ne peut l'être que par d'autres sentimens innés,
relatifs à son espèce; car à ne considérer que le besoin physique, il doit
certainement disperser les hommes au lieu de les rapprocher '-. Or c'est
du système moral, formé par ce double rapport, à soi-même & à ses
semblables, que naît l'impulsion de la conscience. Connoitre le bien,
ce n'est pas l'aimer: l'homme n'en a pas la connoissance innée; mais
si-tôt que sa raison le lui fait connoftre, sa conscience le porte à l'aimer:
c'est ce sentiment qui est inné ^.
- Cette courte parenthèse a ete introduite dans B, pour répondre à Helvetius ;
cf. De L'Esprit, III, 4 [223 .V, 322-324 : «Supposons que le ciel anime tout-à-coup
plusieurs hommes : leur première occupation sera de satisfaire leurs besoins [De
ces besoins sortira la société et tous ses organes: par exemple: «Le besoin de la
faim, en leur découvrant l'art de l'agriculture, leur enseignera bientôt après l'art de
mesurer et de partager les terres », etc.] De là naîtront, selon la forme différente
des gouvernemen s, des passions criminelles ou vertueuses: telles sont l'envie,
l'avarice, l'orgueil, l'ambition, l'amour de la patrie, la passion de la gloire, la ma-
gnanimité, et même l'amour, qui, ne nous étant donné par la nature que comme
un besoin, deviendra, en se confondant avec la vanité, une passion factice, qui ne
sera, comme les autres, qu'un développement de la sensibilité physique ». Cf., pour
le fond. Discours sur l'Inégalité, I, 96-103.
' Dans ce paragraphe et le précédent, Rousseau essaie de concilier sa théorie
de la conscience spontanée et instinctive avec le principe général, communément
admis par presque tous les philosophes du XVIII' siècle, et qu'il ne semble pas
lui-même rejeter formellement : qu'il n'y a point d'idées innées. Comme je l'ai déjà
rappelé (cf., plus haut. p. 107, note 81, Locke avait employé tout un chapitre de
son 1" Livre à appliquer ce principe à la morale; c(. Entendement humain, I, 11.
« Qu'il n'y a point de principes de pratique qui soient innés » ^102 . 24-42, et, en
particulier, le 5 8 (p. 281 : « La conscience ne prouve pas qu'il y ait aucune règle
de morale innée ». Ces théories de Locke avaient été acceptées presque unanimement.
Cf.. par e.xemple, D'Argens, Philosophie du bon sens, IV, 2 et 3 J47 '■'■ , 3iô-322 :
« Que nous n'avons point d'idées innées. — Qu'il n'y a aucune règle de morale qui soit
innée »; etc. Sans doute il y avait des opposants : non seulement un polémiste comme
Chaumeix consacrait deux volumes à défendre les idées innées it. V et VI des Préfugés
légitimes 223j, mais des métaphysiciens, comme l'abbé Roche, y restaient fidèles
(cf. Traité de la nature de l'âme, II, vi, 3 ^227'''«], II, 299-3211, et des juristes, comme
D'Aguesseau, pareillement: cf., de ce dernier, l'ouvrage suivant, dont le titre renseigne
assez sur le contenu : Méditations métaphysiques sur les vraies ou les fausses idées
de la just.ce, où l'on essaie d'éclaircir et de résoudre cette question importante, si
l'homme peut trouver en lui des idées naturelles du 1. juste ■» ou de «■ l'injuste »:
et si c'est par la conformité avec ces idées qu'il juge de la justice ou de l'injustice
des actions morales, ou seulement par la conformité de ces actions avec la volonté
positive d'un supérieur légitime et nécessaire, ou avec le désir naturel de sa
conservation. La VI' de'ces dix Méditations bi', XIV, 164-253 est une apologie
des idées innées. .Mais ces rares opposants étaient sans prise sur la partie vivante
de l'opinion publique: et, parmi ceu.x-là mêmes qui accordaient le plus à l'autorité
de la conscience dans la vie morale, beaucoup ne contestaient plus la doctrine de
Locke : cf. Cumberland, Lois naturelles, Disc, prél., II-V jôgj, 4-8 (avec les notes de
270 REDACTIONS MANUSCRITES
' Ne pensez donc pas [mon ami | qu"il (- soit) impossible d'expli-
'quer par des conséquences de nôtre nature le (^ principe actif
intérieur) * indépendant de la raison même. Et quand cela seroit
impossible encore ne seroit-il pas nécessaire. Car puisque ceux
qui nient ce principe "^ ne prouvent point qu'il n'existe pas mais
se contentent de l'affirmer, quand nous affirmons qu'il existe
nous sommes aussi "avancés qu'eux et nous avons de plus 'toute
la force du témoignage intérieur et la voix de la conscience qui
dépose pour elle-même.
« Si les » ^premières] lueurs du jugement nous éblouissent
et confondent d'abord *• tous les objets à nos regards, attendons
que nos foibles veux se rouvrent se '■' raffermissent, et bientôt
nous reverrons ces mêmes objets aux lumières de la raison tels
que nous les montroit d'abord la nature. Ou plus tôt soyons plus
simples et moins vains, bornons nous aux premiers sentimens
que nous trouvons en nous mêmes; puisque c'est toujours à eux
que l'étude nous ramène quand elle ne nous a point égarés.
' B. Je ne crois donc pas.
- [fut]. — B. (fut) [soit]. ♦
■' [(sentiment intérieur) principe actif de la conscience]. — B. principe
immédiat de la conscience.
' M. indépendament.
■' B. [admis et reconnu par tout le genre liumain]. • — M. < admis et... genre
humain >. — I. [admis et reconnu par tout le genre humain].
" B. avancés [bien fondés]. — I. (avancés) [bien fondés].
' B. < toute >. — M. < toute la force du > le témoignage.
" B. (tous). — M. (tousl. — I. (tous).
'■' (for TIFIENT).
EDITION ORIGINALE 27I
I Je ne crois donc pas, mon ami, qu'il soit impossible d'expliquer [113]
par des conséquences de notre nature, le principe immédiat de la cons-
cience indépendant de la raison même; & quand cela seroit impossible,
encore ne seroit-il pas nécessaire : car puisque ceux qui nient ce
principe admis et reconnu par-tout le genre humain, ne prouvent point
qu'il n'existe pas, mais se contentent de l'affirmer ; quand nous affirmons
qu'il existe, nous sommes tout aussi bien fondés qu'eux, & nous avons
de plus le témoignage intérieur, & la voix de la conscience qui dépose
pour elle-même. Si les premières lueurs du jugement ' nous éblouissent
& confondent d'abord les objets à nos regards, attendons que nos foibles
yeux se rouvrent, se raffermissent, & bientôt nous reverrons ces mêmes
objets aux lumières de la raison, tels que nous les montroit d'abord
la Nature: | ou plutôt, sovons plus simples & moins vains: bornons- [114]
nous aux premiers seniimens que nous trouvons en nous-mêmes, puisque
Barbeyraci ; Hutcheson, 11. i 191 , 11, 47: «Ce sentiment moral ne présuppose
aucune proposition qui soit innée » : Barbeyrac, Préface du Droit de la Sature,
5 4 [107 A], 14; cf. encore Puffendorf. Devoirs de l'homme et du citoyen. 1, m, 12
[log], 72-73 : « On dit ordinairement que cette loi est naturellement connue à tout
le monde: ce qui ne doit pas s'entendre comme si elle était née, pour ainsi dire,
avec nous, et imprimée dans nos esprits, dès le premier moment de notre existence,
en forme de propositions distinctes et actuellement présentes à l'entendement : mais
elle est connue de chacun naturellement, ou, comme s'e.\priment les écrivains sacrés,
gravée dans les cœurs des hommes, en tant qu'elle peut être découverte par les
seules lumières de la raison. D'ailleurs, les maximes les plus générales et les plus
importantes en sont si claires et si manifestes, que ceux à qui on les propose les
approuvent aussitôt, et que, quand on les a une fois conçues, elles ne sauraient
plus être effacées de nos esprits >. C'est, à peu de chose près, la position adoptée
par Rousseau : Il n'y a pas, même en morale, d' « idée innée », mais il y a en
nous un « sentiment inné », un instinct, qui nous porte vers le bien et nous
détourne du mal, dès qu'ils se présentent à nous. Cependant, dans les exposés où il
surveille moins son expression. Rousseau est plus formel, et fait de l'instinct
moral chez l'homme un « principe inné »; c'est, d'ailleurs, le terme dont il s'est
servi plus haut, p. 107; cf. Lettre a D'Alembert, I, 192: « Quoiqu'en disent
les philosophes, cet amour [du beau moraf est inné dans l'homme, et sert
de principe à la conscience »; II' Livre d'Emile, II, 68 note : « Quand ce
devoir de tenir ses engagements ne serait pas atBrmé dans l'esprit de l'enfant
par le poids de son utilité, bientôt le sentiment intérieur, commençant à poindre
le lui imposerait comme une loi de la conscience, comme un principe inné,
qui n'attend pour se développer que les connaissances auxquelles il s'applique ».
Il semble même insinuer (V Livre, 38ol que le travail de la réflexion est un dissolvant
de la conscience, bien loin qu'il aide à la former. On trouvera plus loin, p. 126 et
note 4, une nouvelle formule, où il a essayé de préciser les rapports de la raison
et du sentiment moral.
' Dom Cajot avait déjà signalé. Plagiats de J. J. Rousseau [247], 280, l'analogie
des considérations qui terminent ce paragraphe avec ces vers de La Loi naturelle.
272 REDACTIONS MANUSCRITES
Conscience, conscience! instinct divin, immortelle et céleste
voix, guide assuré d'un être ' ignorant et borné, mais intelligent
et libre, juge infaillible du bien et du mal qui rends l'homme
semblable -aux Dieux, c'est toi qui fais l'excellence de (^la) nature ■•.
Sans toi je ne sens rien en moi qui m'élève au dessus des bétes,
que le triste privilège de m'égarer d'erreurs en erreurs, à l'aide
d'un entendement sans régie et ' d'une raison sans principe.
' I. (intelligent) [ignorant].
- B. à Dieu.
' [sa].
* B. et la moralité de ses actions.
•' B. « d'une ».
EDITION ORIC.INALE 273
c'est toujours à eux que l'étude nous ramené, quand elle ne nous a
point éf,'arés '.
Conscience! conscience! instinct divin; immortelle & céleste voix;
guide assuré d'un être ignorant & borné, mais intelligent & libre;
juge infaillible du bien & du mal, qui rends l'homme semblable à
Dieu; c'est toi qui tais l'excellence de sa nature & la moralité de ses
actions; sans toi je ne sens rien en moi qui m'élève au-dessus des
bêtes, que le triste privilège de m'égarer d'erreurs en erreurs à l'aide
d'un entendement sans régie. & d'une raison sans principe ^.
11 [22 ij, 44H-4^g, où Voltaire, après avoir rappelé les déviations du sens moral,
conclut ainsi :
Mais tout est passager, le crime et le malheur.
De nos désirs fougueux la tempête fatale
Laisse au fond de nos cœurs la règle et la morale.
C'est une source pure : en vain dans ses canaux
Les vents contagieux en ont troublé les eaux ;
En vain sur sa surface une fange étrangère
.\pporte en bouillonnant un limon qui l'altère,
L'homme le plus injuste et le moins policé
S'y contemple aisément quand l'orage est passé.
Tous ont reçu du ciel avec l'intelligence
Ce frein de la justice et de la conscience.
De la raison nai -santé elle est le premier fruit.
Seulement il n'y a chez Voltaire aucune réserve dans cette confiance en la raison,
tandis que Rousseau ne semble y faire appel que pour la rabaisser davantage :
cf. la note suivante.
' Je croirais volontiers que ces derniers mots sont une réponse à Fréret. car
dans un de ses cahiers de notes [5j, 34", après avoir copié cette phrase de la
Lettre de Thrasybule ip. 180 du manuscrit qu'il avait sous les yeux, p. i25 de
l'édition imprimée [iHg]) : « Si la raison pouvait nous tromper, il n'y aurait plus
de règle constante parmi les hommes ». — Rousseau inscrivit en-dessous de cette
maxime, la réflexion suivante, qui est visiblement apparentée avec celle du Vicaire :
« A/01 'formule fréquente dans les notes de Rousseau, pour opposer sa pensée à
celle de l'auteur qu'il vient de lire]. Au fond, tout dans les connaissances humaines
se rapporte au sentiment intérieur comme à son principe, puisque nous n'avons
nulle autre démonstration des vérités primitives appelées axiomes, desquelles décou-
lent toutes les autres, que ce sentiment même ».
' Quoique Rousseau ait tenu à déclarer, Nouvelle Héloïse (\'I, vnl, V. 35,
qu'il ne partageait pas le mysticisme de Murait, et particulièrement de son Instinct
divin, il est indéniable que cette invocation à la Conscience est toute pénétrée de
l'esprit de Murait. L'expression même d'instinct divin semble contenir comme un
aveu de cette influence; cf. dans YInstinct divin [i2y]. 23 sqq. les pages oii Murait
conseille à l'homme de n'avoir d'autre maître que la conscience, d'écouter seule-
ment cette « parole intérieure... à laquelle nous devons nous tenir dans ce lieu
de ténèbres et de /<7»sif,ç lumières, dans ce pays du Raisonnement et des incertitudes.
où. sans un guide assuré, et qui ne nous quitte point, nous ne saurions manquer de
18
274 REDACTIONS MANUSCRITES
12. La Vertu et le Bonheur.
1 Nous avons '•* un guide ^assuré dans ce ^labirinthe des opi-
nions humaines, mais ce n'est pas assés (■' qu'il) existe, il faut
"savoir le ' connoitre et le suivre. S'il parle à tous les cœurs
pourquoi donc \' en a-t-il si peu qui l'entendent. Helas ! il nous
parle la langue de la nature que tout nous ' fait oublier ! La
conscience est timide et craintive; [elle ('■'cherche) la retraite et
la paix] le monde et le bruit l'épouvantent, les préjugés dont on
la fait naitre sont ses plus cruels ennemis, elle fuit ou se tait
devant eux. Leur voix bruvante étouffe la sienne et l'empêche de
se faire entendre, i** Elle se rebute à force d'être éconduite. Elle
ne nous parle plus, elle ne nous répond plus i^et après de si longs
mépris pour elle, il en coûte autant de la rappeller qu'il en coûta
'- de la bannir.
' (Enfin j'ai dev ant). — B. Grâce au Ciel nous voila délivrés de tout « cet •»
[(terrible) effrayant] appareil de philosophie, (et à moins de frais) [nous pouvons
être homnnes] sans être savans; (et sans) [dispensés de] consumer notre vie à
l'étude de la (métaphysique) [au crayon, repassé à l'encre : morale] nous avons.
-' B. [à moindre frais].
^ B. plus assuré.
* B. dédale (obscur) [immense] des opinions.
" [que ce guide].
« (le).
' B. reconnoilre.
« B. a fait.
" [aime].
'" B. [Premier texte au crayon, repassé à l'encre : Le fanatisme (ose? en)
[ose la] contrefaire (la voix) et dicter le crime en son nom].
" B. « et ».
■2 B. (d'abord).
EDITION ORIGINALE 275
12. La Vertu et le Bonheur.
Grâce au Ciel, nous voilà délivrés de tout cet effravant appareil de
philosophie ; nous pouvons être hommes sans être savans : dispensés
de consu- | mer notre vie à l'étude de la morale, nous avons à moindres [115]
fraix un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions
humaines >. Mais ce n'est pas assez que ce guide existe, il faut savoir
le reconnoitre & le suivre. S'il parle à tous les cœurs, pourquoi donc y
en a-t-il si peu qui l'entendent? Eh! c'est qu'il nous parle la langue de
nous égarer et de nous perdre». Cf. encore Lettres fanatiques, VI fi56], I, I23 :
« Tout homme a au-dedans de soi la conscience qui lui parle; c'est à quoi il en faut
toujours revenir. Cette voix a tout le caractère d'une voix divine»; et c'est sans
doute sous l'influence de Murait que Rousseau se laisse entraîner à parler de la
raison sur ce ton méprisant qu'il semblera avoir oublié quelques pages plus loin,
pp. i39 et i5o ; cf. la note 3, de la p. 91. Cependant cette exaltation du sentiment
aux dépens de la raison traduit bien la pensée profonde de Jean-Jacques, et on la
trouverait exprimée chez lui, à plusieurs reprises, dans des formules moins mystiques,
mais tout aussi précises; cf. IV' Livre d'Emile, II, 203 et note: «Par la raison
seule, indépendamment de la conscience, on ne peut établir aucune loi naturelle...
Le précepte même d'agir avec autrui comme nous voulons qu'on agisse avec nous
n'a de vrai fondement que la conscience et le sentiment.,. Il n'est pas vrai que les
préceptes de la loi naturelle soient fondés sur la raison seule, ils ont une base
plus solide et plus sûre »; 294 : « Jamais 'la raison] n'a rien fait de grand »: Souvelie
Héloïse (III. xv), IV. 23i : « Nature, ô douce Nature! les penchants que tu m'as
donnés seront-ils plus trompeurs qu'une raison qui m'égara tant de fois »? cf. encore
IV, 233, 261, 3^9, etc. Il est vrai qu'on trouve dans cette même Souvelie Héloïse
(III, XXI, IV, 256. les maximes suivantes qui semblent dire précisément le contraire
de tous ces postulats sentimentaux : « Le cœur nous trompe en mille manières, et
n'agit que par un principe toujours suspect ; mais ia raison n'a d'autre fin que ce
qui est bien; ses* règles sont sûres, claires, faciles dans la conduite de la vie, et
jamais elle ne s'égare que dans d'inutiles spéculations qui ne sont pas faites pour
elle ». Mais on peut remarquer que, dans ce passage, le cœur n'est pas un équivalent
exact du sentiment, au sens philosophique du mot, que la raison n'est pas le raison-
nement et semble se fondre avec la conscience, enfin que c'est Julie qui pose ces
principes en faisant un éloge de M. de Wolmar plus volontaire peut-être qu'instinctif,
et au moment même où elle vient de reconnaître qu'elle « admire tant ». comme
Saint-Preux, « les gens à sentiment ». Cf. encore la note 4 de la p. 126.
' Cf. Nouvelle Héloïse (I. xiii, IV, 3j : « N'allons donc pas chercher dans des
livres des principes et des règles que nous trouvons plus sûrement au-dedans de
nous. Laisson . là toutes ces vaines disputes des philosophes sur le bonheur et la
vertu: employons à nous rendre bons et heureux le temps qu'ils perdent à chercher
comment on doit l'être, et proposons-nous de grands exemples à imiter plutôt que
de vains svstèmes à suivre ».
276 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Combien de fois (rebuté de la sécheresse que ie sentois en
moi-même) je me suis lassé dans mes recherches S combien de
fois la tristesse et l'ennui versant leur poison sur mes premières
méditations me les rendirent ^ insuportable s. Mon cœur aride
ne (^ prétoit) qu'un zélé languissant et tiède à l'amour de la vérité.
* Combien de fois je me ('suis dit je) me tourmente \'' k chercher
ce qui n'est pasj, le bien moral n'est qu'une chimère, il n'y a
rien de bon que « "les plaisirs » des sens. O quand une fois on a
perdu le goût des plaisirs intellectuels, qu'il est >* difficile de le
reprendre! Qu'il est plus ^difficile encore de le prendre quand
on ne l'a jamais eu! S'il éxistoit (au monde) un ('"être) assès
misérable pour n'a\'oir rien fait dans tout le cours de sa vie
dont le souvenir le rendit content de lui-même et bien aise d'avoir
vécu, cet homme seroit ("hors d'état) de jamais se connoitre
et faute de sentir '^ quelle '-^ est la bonté '* qui convient à sa
nature il resteroit méchant par force et seroit éternellement mal-
' [de la froideur que je sentois en moi].
- insupportable (sic).
•'' [(portoil) donnoit]. — B. (savoit) [donnoit].
* (Je me disois). — B. < Combien de fois >.
^ [disois pourquoi] me tourmenie[r].
'^ (pour des chimères).
' (la).
' I. (malaisé) [difficile].
' I. (pénible) [difficile].
'" [homme]. — I. [seul] homme.
" [incapable].
'- (en quoi).
'■' B. < est la >.
'* B. < qui >.
EDITION ORIGINALE 277
la Nature, que tout nous a fait oublier. La conscience est timide -, elle
aime la retraite & la paix : le monde & le bruit l'époux antent ; les préjugés
dont on la fait naître sont ses plus cruels ennemis, elle fuit ou se tait
devant eux; leur voix bruyante étouffe la sienne, & l'empêche de se
faire entendre; le fanatisme ose la contrefaire, & dicter le crime en son
nom. Elle se rebute enfin à force d'être éconduite; elle ne nous parle
plus, elle ne nous répond plus; & après de si longs mépris pour elle.
il en coûte autant de la rappeller qu'il en coûta de la bannir '.
I Combien de fois je me suis lassé dans mes recherches do la froideur [116]
que je sentois en moi ! Combien de fois la tristesse & l'ennui, versant
leur poison sur mes premières méditations, me les rendirent insuppor-
tables! iMon cœur aride ne donnoit qu'un zèle languissant & tiède à
l'amour de la vérité. Je me disois, pourquoi me tourmenter à chercher
ce qui n'est pas? Le bien moral n'est qu'une chimère: il n'y a rien de
bon que les plaisirs des sens. O quand i^) on a une fois perdu le goût
des plaisirs de l'ame, qu'il est difficile de le reprendre i. Qu'il est plus
difficile encore de le prendre quand on ne l'a jamais eu! S'il existoit
un homme assez misérable pour n'avoir rien fait en toute sa vie dont
le souvenir le rendît content de lui-même, & bien-aise d'avoir vécu, cet
homme seroit incapable de jamais se connoître ; & faute de sentir
quelle | bonté convient à sa nature, il resteroit méchant par force, & [HT]
seroit éternellement malheureux. Mais croyez-vous qu'il y ait sur la
terre entière un seul homme assez dépravé, pour n'avoir jamais livré
-' CD: tjuand une fois on a perdu.
- En définissant les qualités essentielles de la conscience, c'est son propre
tempérament que Rousseau analyse, comme s'il se semait la conscience la plus
conforme à la Nature.
• Comparez Sourelle Héloïse dll, xviin, IV, 248 : « Ne saitMDn pas que les
affections désordonnées corrompent le jugement a'msi que la volonté, et que la
conscience s'altère et se modifie insensiblement dans chaque siècle, dans chaque
peuple, dans chaque individu, selon l'inconstance et la variété des préjugés »? et
encore Id. (II, xxviil, IV, 208, où il nous montre « la voix de la conscience étouffée
par la clameur publique ». — Rousseau répond peut-être ici aux remarques de
Vauvenargues. qui, d'accord avec lui sur le fond, trouvait pourtant qu'on décorait
trop facilement du nom de conscience les fantaisies et les désirs de chacun ;
cf. Réflexions et Maximes [178], 282-283 : « La conscience est la plus changeante
des règles... La conscience est présomptueuse dans les saints, timide dans les
faibles et les malheureux, inquiète dans les indécis, etc., organe obéissant du
sentiment qui nous domine et des opinions qui nous gouvernent ».
' Derrière les paroles du Vicaire, on entend la confession de Rousseau lui-même,
qui s'est efforcé sur le tard, et si douloureusement, de remonter à la vie morale.
278 RÉDACTIONS MANUSCRITES
heureux. Mais croyez vous qu'il y ait sur la terre un seul homme
assés dépravé pour n"a\oir jamais li\Té son cœur à la tentation
de bien faire. Cette tentation est si naturelle et si douce qu'il est
impossible de lui résister [toujours^i ' et le souvenir du plaisir
qu'elle a produit ^une fois suffit pour la rappeller sans cesse.
Malheureusement elle est d'abord pénible à satisfaire, on a [(d'a-
bord)] mille raisons pour se refuser au penchant de son cœur,
la fausse prudence le resserre dans les bornes du moi humain,
il faut mille efTorts de courage pour ^ s'exercer à ^ franchir ses
bornes. Se plaire à bien faire est le prix d'avoir bien fait et ■'ce
prix ne s'obtient qu'après l'avoir mérité. Rien n'est plus aimable
que la vertu, mais (*elle ne se montre ''ainsi qu'à ceux qui la pos-
sèdent). Quand on la veut embrasser semblable au protée de la
fable elle ("se montre) d'abord (sous) mille formes effrayantes, et
ne se montre enfin sous la sienne qu'à ceux qui n'ont point
lâché prise.
fo igg ro ''Combatu > sans cesse] par mes sentimens naturels "qui
me ramenoient 'i au bien commun et par ma raison qui raportoit
tout '-à moi j'aurois flotté toute ma vie dans cette continuelle
perplexité, '^ faisant le mal aimant le bien et (i-'n'étant jamais
d'accord avec) moi-même si de nouvelles lumières n'eussent
éclairé mon cœur (et) si (^^ le sentiment) qui fixa mes opinions
n'eut encore ^'^ assuré ma conduite et ne m'eut mis d'accord avec
' (elle).
- B. oser les franchir.
^ (les).
* (se).
-'' [il faut en (savoir) jouir pour la trouver telle]. — B. il en faut jouir.
" [(sous ses traits)].
■ [prend]. — B. « prend ».
" (Après avoir longtems).
" (contre moi-même|.
'" I. qui (me) parloient.
" B. (au bien) [à l'intérest commun].
'- B. << à moi » [(au mien)].
'■■' (si).
'■* [toujours contraire à].
''- [la vérité].
'" B. (éclairé) [assuré].
ÉDITION ORIGINALE 279
son cœur à la tentation de bien faire? Cette tentation est si naturelle & si
douce, qu'il est impossible de lui résister toujours; & le souvenir du
plaisir qu'elle a produit une fois, suffit pour la rappeller sans cesse.
Malheureusement elle est d'abord pénible à satisfaire; on a mille raisons
pour se refuser au penchant de son cœur; la fausse prudence le resserre
dans les bornes du moi humain ; il faut mille efforts de courage pour
oser les franchir. Se plaire à bien faire est le pri.x d'avoir bien fait, & ce
prix ne s'obtient qu'après l'avoir mérité. Rien n'est plus aimable que
la vertu, mais il en faut jouir pour la trouver telle. Quand on la veut
embrasser, | semblable au Prothée (») de la Fable, elle prend d'abord [118]
mille formes effrayantes, & ne se montre enfin sous la sienne qu'à ceu.\
qui n'ont point lâché prise '.
Combattu sans cesse par mes sentimens naturels qui parloient pour
l'intérêt commun, & par ma raison qui rapportoit tout à moi, j'aurois
flotté toute ma vie dans cette continuelle alternative, faisant le mal,
aimant le bien, & toujours contraire à moi-même, si de nouvelles
lumières n'eussent éclairé mon cœur; si la vérité qui fixa mes opinions,
n'eût encore assuré ma conduite & ne m'eût mis d'accord avec moi -. On
a beau vouloir établir la vertu par la raison seule, quelle solide base
peut-on lui donner? La vertu, disent-ils ', est l'amour de l'ordre : mais
1". C, D : l'roUe^
' Il est probable qu'il y a dans cette comparaison une réminiscence de Mirabeau,
L'Ami des hommes, II, 4 [219], II, i55-i56 : « Mais, semblables au Protée de la Fable,
les mœurs s'échappent des mains qui les veulent forcer, et se transforment en
représentations vaines pour éviter les chaînes dont on les voulait étreindre ». Cette
comparaison est, d'ailleurs, le dernier emprunt que Rousseau ait fait aux Lettres à
Sophie. Elles ne contiennent plus en effet que des conseils de vie intérieure et de
reploiement sur soi, qui sans doute ont paru à Rousseau hors de place dans un
discours où il prêche le dévouement à « l'intérêt commun », et où il reproche
précisément à la raison de « rapporter tout à soi » : cf. le début du parajjraphe suivant.
' C'est ici que reparait l'idée de Dieu, qui pouvait sembler abandonnée : elle se
présente au terme de la recherche morale pour j^arantir les affirmations de la conscience
et pour placer définitivement la conscience au-dessus de la raison : cf., plus haut,
p. 97. note 1.
' On serait peut-être tenté de croire que Rousseau songe à Malebranche, dont
la Morale est, tout entière, une Morale de « l'ordre »; cf. Traité de Morale, passim,
et surtout I, 11, 1 [91", 404 : « L'amour de l'ordre n'est pas seulement la principale des
28o RÉDACTIONS MANUSCRITES
moi. 'On [^ a beau \ouloir] établir la vertu par la raison seule
^ quelle solide base peut-on lui donner. La vertu disent-ils
est l'amour de l'ordre, j^que signifie ce mot?] moi je dis que le
vice est aussi l'amour de l'ordre ' mais pris dans un sens différent ".
11 V a quelque ordre moral par tout où il y a sentiment et
intelligence. 'Toute la différence est que le méchant ordonne le
tout par raport à lui, et que le bon s'ordonne par raport au tout.
L'un se fait le centre de toutes choses l'autre mesure son ra\on
et se tient à la circonférence. Alors il est ordonné par raport au
centre commun qui est Dieu, et par raport à tous les cercles
concentriques qui sont les créatures. Si la di\inité n'est pas, il
n"v a que le méchant qui raisonne le bon n'est qu'un insensé.
' (Quand).
- (veut).
^ (Il est impo ssible).
* B. [Mais cet amour est-il donc plus fort en moi que celui de mon bien-
être ? Qu'ils me donnent une raison claire et suffisante pour le préférer. Dans le
fond leur prétendu principe est un pur ]eu de mots : car] (moi) je dis aussi [moi]
que le vice est. — I. [Sur une étroite bande de papier, intercalée entre les
pp. 222 et 223 : addition p. 222. Mais cet amour peut-il donc et doit-il l'emporter
en moi sur celui... pur jeu de mots; car] (moi) je dis aussi [moi] que le vice.
^ B. (mais). — I. (mais).
" (et).
' B. (Toute).
ÉDITION ORIGINALE 281
cet amour peut-il donc <!<: doit-il l'emporter en moi sur celui de mon
bien-être? Qu'ils me donnent une raison claire & suffisante pour le
préférer. | Dans le fond, leur prétendu principe est un pur jeu de mots; l119]
car je dis aussi moi, que le vice est lamour de Tordre, pris dans un
vertus morales, c'est l'unique vertu, c'est la vertu mère, l'ondamentale, universelle », et
I. MI, 20, p. 411 : « L'amour de l'ordre qui nous justifie devant Dieu est un amour
habituel, libre et dominant de l'ordre immuable»; mais celte dernière épithète fait
voir à elle seule que ce n'est pas la théorie malebranchiste qui est visée par Rousseau.
Malebranche souscrirait volontiers à la formule de Rousseau : «Je dis aussi, moi, que
le vice est l'amour de l'ordre », car tout ordre qui n'est pas conforme à la raison
universelle, mais à la raison particulière, ne saurait servir de règle à la morale. Pour
Rousseau, comme pour Malebranche, il n'y a d'ordre véritable que celui dont Dieu
est le centre. Ici donc, comme dans le reste de la Profession, « ils » désigne les
« philosophes ». Cf. Le Philosophe, fragment attribué à Dumarsais. dans les Souvelles
libertés de penser [168^. 189 : « Ce qui fait l'honnête homme, ce n'est point d'agir par
amour ou par haine, par espérance ou par crainte, c'est d'agir par esprit d'ordre
ou par raison. Tel est le tempérament du philosophe; or il n'y a guère à compter
que sur les vertus du tempérament »; Cf. encore Bonnet, Essai de psychologie,
LVII [208], 172 : « L'homme vertueu.\ est celui qui se conforme à l'ordre, l'homme
vicieux est celui qui trouble l'ordre ». Mais je crois que celui qui est ici surtout visé,
c'est Diderot; cf. Le Fils Xalurel, IV, 3 [222], 67 : « L'effet de la vertu sur notre
âme n'est ni moins nécessaire, ni moins puissant que celui de la beauté sur nos
sens. Il est dans le cœur de l'homme un goût de l'ordre plus ancien qu'aucun
sentiment réfléchi, c'est ce goût qui nous rend sensibles à la honte » ; et Entretiens sur
« Le Fils Xalurel », Il [222], 127 : «Je définis la vertu le goût de l'ordre dans les
choses morales S'il pouvait jamais être étouffé, il y aurait des hommes qui
sentiraient le remords de la vertu, comme d'autres sentent le remords du vice ».
Ces principes de Diderot, Rousseau les avait mis dans la bouche de .Milord Edouard,
cf. Nouvelle Héloïse ill, 21, IV, i3i : « non par un sentiment de commisération qui
peut n'être qu'une faiblesse, mais par la considération de la justice et de l'ordre», —
et surtout de Wolmar (IV, xiil, IV, 342-343 : « Mon seul principe actif est le goût
naturel de l'ordre *: et il les avait déjà fait combattre par Julie illl, xviiil, IV, 247 :
« De la considération de l'ordre je tire la beauté de la vertu, et sa bonté de l'utilité
commune. .Mais que fait tout cela contre inon intérêt particulier»? — Dans sa Lettre
à M. d'Offreville, du 4 octobre 1761, .\. 267, Rousseau songe sans doute à ce passage
de la Profession, quand il range parmi les « questions dont la discussion passe les
bornes d'une lettre » celle de savoir «si nous avons un amour naturel pour l'ordre,
pour le beau moral, si cet amour peut être assez vif par lui-même pour primer sur
toutes nos passions ». Mais il traitera la question avec toute l'ampleur désirable, en
reprenant d'ailleurs les arguments du Vicaire, dans la Lettre à l'abbé ^de Carondelet], du
4 Mars 1764, XI, 121, où il conclut comme ici : « Point de vertu possible par le seul
amour de l'ordre ». On trouverait sans doute, chez Rousseau, et dans l'Emile même,
des te.\tes qui semblent prôner la morale de « l'ordre »; Cf. V Livre, II, 416 et 445 :
« Qu'est-ce donc que l'homme vertueux ? c'est celui qui ;ait vaincre ses affections, car
alors il suit sa raison, sa conscience, il fait son devoir, il se trouve dans l'ordre Les
lois éternelles de la Nature et de Vordre existent; elles tiennent lieu de lois positives
au sage; elles sont écrites au fond de son cœur par la conscience et par la raison ».
Mais, dans ces dernières formules, l'amour de «l'ordre» est pris avec son'sens le
plus général ; il est, en quelque sorte, l'expression de la conscience et ne fait qu'un
avec elle. C'est, du reste, comme un équivalent de la morale de la conscience que
282 RÉDACTIONS MANUSCRITES
O mon enfant, puissiez vous * sentir un jour de quel poids
on - a le cœur ■''soulagé quand après avoir * épuisé la vanité des
opinions liumaines et * goûté l'amertume des passions on trouve
enfin la route de la sagesse, le prix des travaux de cette " vie, et
la source du bonheur dont on a desespéré. Tous les devoirs de
la loi naturelle presque effacés de mon cœur par l'injustice des
hommes s'y retracent au nom de l'éternelle justice qui me les
impose et qui me les \oit remplir. (Bientôt) je ne (' vois) plus
en moi qu'(*un) instrument p'du] grand être qui veut le bien qui
le fait "'et qui me donna la liberté pour le faire à son exemple. Je
' B. [sentir] un jour (sentir) [de quel] p>iids. — I. (éprouver) [sentir].
- I. (a le cœur) [est] soulagé.
^ (est).
•* M. sondé.
■"' I. (senti) [goûté].
" M. (courte).
' [sens].
" qu'[e l'ouvrage et 1'].
'■' (des œuvresU
'" B. (et qui me donna la liberté... de se sentir bien ordonné) [fera le mien
par (mon concours au bien des autres) [le concours de mes volontés au.x siennes]
et par le bon usage de ma liberté. J'acquiesce à l'ordre qu'il établit, sûr de joijir
moi-même un jour de cet ordre et (dans) d'y trouver ma félicité. Car quelle (plus)
félicité plus douce que de se sentir ordonné « dans un sistéme où tout est
bien »]. (Si... Quand) en proye (au.x douleurs de toute espèce) [à la douleur]
je la supporte. . — M. et qui fera le mien par mon concours au bien des autres.
Je tiens ma volonté dans l'ordre qu'il établit afin de jouir de cet ordre, car quel
est alors le vrai sentiment du bien-être si ce n'est de se sentir. — I. (et) qui (me
donna la liberté pour le faire à son exemple. Je tiens ma volonté dans l'ordre
qu'il établit, afin de jouir de cet ordre; car quel est le vrai sentiment [permanent]
du bien-être, si ce n'est de se sentir bien ordonné ?) [fera le mien par (mon) le
concours de... et d'y trouver (mon bonheur) [ma félicité] : car quelle... où tout est
bien ?]. « En prove à la douleur, je la » supporte.
ÉDITION ORIGINALE 283
sens différent. Il va quelque ordre moral par-tout où il y a sentiment
& intelligence. La différence est, que le bon s'ordonne par rapport au
tout, & que le méchant ordonne le tout par rapport à lui. Celui-ci se fait
le centre de toutes choses, l'autre mesure son rayon ' & se tient à la
circonférence. Alors il est ordonné, par rapport au centre commun, qui
est Dieu. & par rapport à tous les cercles concentriques -, qui sont les
créatures. Si la Divinité n'est pas, il n'y a que le méchant qui raisonne,
le bon n'est qu'un insensé ■'.
O mon enfant! puissiez-vous sentir un jour de quel poids on est
plusieurs philosophes avaient prêché la morale de « Tordre » : cf., par e.\emple,
Cumberland. Lois naturelles, V. 8 [169], 223. — Quelques mois avant l'apparition
d'Emile, Robinet, dans son livre De la \attire, faisait aussi le procès de la morale
de l'ordre, III. i-3 [235], 337-344 : « Quand je lui demandais "à la raison] en quoi
consistait le mérite réel de nos actions et leur démérite moral, elle me parlait alors
d'une conformité abstraite avec l'ordre et la raison universelle, sur quoi elle fondait
tout le moral de la conduite des hommes. .Métaphvsique bien peu à la portée du
vulgaire Tout cela me semblait si peu conforme à l'expérience, si au-dessus de
l'imbécillité humaine, que je conclus qu'il n'appartenait pas au raisonnement d'établir
la moralité de nos actions et je pris le parti d'avoir recours aux décisions du sentiment ».
-Mais « l'instinct moral » que Robinet, à la suite d'Hutcheson, regarde comme le guide
certain de la moralité, « cette inclination naturelle, involontaire, indépendante de toute
considération humaine et sacrée, des subtilités de la raison et des promesses de la
religion, des lois pénales et rémunératrices, de l'amour et de l'honneur, des préjugés
et des vues intéressées de l'amour-propre » — ne ressemble que de loin à cet « instinct
divin » de la conscience, proclamé par Jean-Jacques. Cf. la note 2 de la p. 120.
' Rousseau, qui s'était initié tout seul à la géométrie icf. Confessions, VIII, 1701,
lui empruntait volontiers des comparaisons: cf. V' Livre d'Emile, II, 440: « C'est à
ces grandes distances que les bons et les mauvais effets du gouvernement se font
mieux sentir, comme au bout d'un plus grand rayon la mesure des arcs est plus
exacte >: et. Il' Livre, 48, dans une formule, dont la contradiction n'est qu'apparente
avec celle du Vicaire : « iMesurons le rayon de notre sphère et restons au centre
comme l'insecte au milieu de sa toile ». Reconnaissons, d'ailleurs, que la pensée
de Rousseau n'est pas ici très claire. Il semble avoir voulu dire que « le bon »
mesure « le rayon », qui va de la circonférence « où il se tient » au « centre »,
qui est Dieu ; en d'autres termes, que l'idée de Dieu donne à son action un centre
et le sens de l'ordre véritable.
' Je serais tenté de supposer, mais sans pouvoir en fournir la preuve, que,
derrière cette formule, il doit y avoir le souvenir d'une représentation graphique, de
quelque tableau schématique et symbolique de Dieu et du .Monde, On peut s'aider
à imaginer ce tableau, grâce, par exemple, au Hiéroglyphe sur les attributs divins
qui termine chez .Marie Huber le t, IV de sa Religion essentielle J3i_, ou à la Carte
générale du Royaume de Dieu et de celui du monde, qu'un anonyme envoya plus
tard à Rousseau [7''"], 55.
' Toutes les idées de ce paragraphe ont été reprises, d'ailleurs sous une forme
plus explicite et plus claire, dans la page qui suit la Profession, ce qui semblerait
prouver une fois de plus que la Profession et le reste d'Emile ont été primitivement
284 RÉDACTIONS MANUSCRITES
tiens ma volonté dans Tordre (' établi par lui-même) afin (- d'en)
jouir, car quel est] le [vrai] sentiment du bien être si ce n'est de
se sentir bien ordonné. (' Quand) je souffre une injustice, je la
souffre avec patience sachant que j'en serai dédomagé, (' quand)
la douleur (me poursuit et) m'accable je ('■ m'en console) en songeant
"qu'elle est passagère et qu'elle "dépend d'un corps (*que je n'aurai
pas toujours). •' Si je fais une bonne action secrète je me dis elle
n'est pas sans témoin elle ne sera pas sans recompense. N'est-on pas
1" payé du bien qu'on fait sitôt qu'il est vu, il ne nous manque
pour être toujours justes que d'être toujours regardés et qu'est-ce
que l'œil impuissant d'un million de spectateurs auprès de l'œil actif
de l'être suprême qui voit, veut, agit d'un seul acte et rend " active
la volonté de l'homme même en voyant ('"-comme « ''fait » tout le
bien) qu'il a voulu. " Je suis ïoible, il est vrai, mais qu'importe,
si ce sont mes intentions et non mes actions qui sont comptées : fpour
être juste je n'ai qu'à vouloir l'être puisque tout le bien que j'ai
' [qu'il établit].
- [de] jouir [de cet ordre].
» [Si].
■* [si quelquefois ?].
■• [la supporte]. — B. la supporte avec patience.
'' [(qu'elle ne dure?)].
' B. vient.
" [qui n'est point à moi].
' [En faisant une bonne action sans témoin je prends acte pour l'autre vie
de ma conduite en celle-ci. En souffrant une injustice je me dis l'être « juste
qui II gouverne toutes choses saura bien m'en dédomager les besoins de mon
corps, les misères de (mon état) [ma vie] me rendent [l'idée de] la ruort (moins
redoutable... affreuse) [<' plus suportable] ce seront autant de liens de moins à
rompre quand il faudra tout quiter]. — B. < Si je fais une bonne action secrète...
ce qu'il a voulu >. Si je fais une bonne action sans témoin [je sais qu'elle est
vue et] je prends acte.
n) M. < juste > .
'•) B, (gouvernei [régit] tout saura.
c) M. moins affreuse.
'" (rec OM PENSÉ).
" (actif les).
■2 [ce].
'■'' & accompli ».
''' B. (Je suis foible, il est vrai... le méchant seul sera puni). — I. (Je suis
foible, il est vrai... le méchant seul sera puni).
ÉDITION Ol^K.IXAI.K 285
soulagé, quand. aprù.s avoir épuisé la vanité des opinions humaines
& goûté l'amertume des passions, on trouve enfin si près de soi la |120]
route de la sagesse, le prix des travau.x de cette vie, & la source du
bonheur dont on a désespéré. Tous les devoirs de la loi naturelle, presque
effacés de mon cœur par Tinjustice des hommes, s'y retracent au nom
de l'éternelle justice, qui me les impose & qui me les voit remplir. Je
ne sens plus en moi que l'ouvrage & l'instrument du grand Etre qui
veut le bien, qui le fait, qui fera le mien par le concours de mes volontés
au.x siennes ', & par le bon usage de ma liberté : j'acquiesce à l'ordre
qu'il établit, sûr de jouir moi-même un jour de cet ordre & d'v trouver
ma félicité; car quelle félicité plus douce que de se sentir ordonné dans
un système où tout est bien -? En proie à la douleur ■', je la supporte avec
patience, en songeant qu'elle est passagère & qu'elle vient d'un corps qui
n'est point à moi *. Si je fais une bonne action sans témoin, je sais qu'elle
rédigés k part; cl. II. 288 : « C'est alors absolument ^quand l'homme s'est élevé
jusqu'à Dieu] qu'il trouve son véritable intérêt à être bon... et à porter dans son cœur
la vertu, non-seulement pour l'amour de l'ordre, auquel chacun préfère toujours
l'amour de soi, mais pour l'amour de l'auteur de son être, amour qui se confond avec
ce même amour de soi, pour iouir enfin du bonheur durable que le repos d'une bonne
conscience et la contemplation de cet Être suprême lui promettent dans l'autre vie,
après avoir bien usé de celle-ci. Sortez de là, je ne vois plus qu'injustice, hypocrisie,
et mensonge parmi les hommes : l'intérêt particulier, qui, dans la concurrence,
l'emporte nécessairement sur toutes choses, apprend à chacun d'eux à parer le vice
du masque de la vertu. Que tous les autres hommes fassent mon bien aux dépens du
leur; que tout se rapporte à moi seul; que tout le genre humain meure, s'il le faut,
dans la peine et dans la misère pour m'épargner un moment de douleur ou de faim :
tel est le langage intérieur de tout incrédule qui raisonne. Oui, je le soutiendrai
toute ma vie; quiconque a dit dans son cœur: // n'\- a point de Dieu, et parle
autrement, n'est qu'un menteur ou un insensé ».
• J'ai déjà remarqué plus haut, p. 79, note 1, que les méditations religieuses de
Jean-Jacques aboutissaient presque toujours à des déifications plus ou moins in-
conscientes.
' Ces dernières formules nous permettent de mieux comprendre l'attitude de
Rousseau à l'égard de la morale de « l'ordre ». Il ne la rejette pas, mais il la déclare
insuffisante, ou plutôt, il accepte l'idée d' « ordre », à condition que l'âme « s'ordonne »
par rapport à un centre, et que ce centre soit Dieu, Dieu se manifestant par la
conscience. C'était déjà l'attitude de Pluche qui disait, Spectacle de la Sature [137],
V, 167. que, pour donner à l'homme le frein de la moralité « Dieu lui avait uni la
conscience et le sentiment de tordre » .- celle aussi de Barbeyrac, Préface du Droit de
la Sature, % VI [107 A], 18-19, 1"' reconnaissait que « les idées d'ordre, de convenance,
de conformité avec la raison, ont sans doute quelque réalité », mais que, pour conférer
à ces idées « toute leur force », « pour établir le devoir », il fallait recourir à Dieu.
' Rousseau avait d'abord écrit dans B : « en proie aux douleurs de toute espèce », ce
qui laissait trop clairement apercevoir derrière le Vicaire la personnalité de Jean-Jacques.
* C'est la même conception, chrétienne dans son fond, — que i'ai déjà signalée
plus haut. pp. 74. note 2, et 98, note 2, — du corps instrument de servitude et de péché.
286 RÉDACTIONS MANUSCRITES
' voulu ïaire est réputé îait. Les bons veulent - toujours le bien et
font quelqueîois le mal par îoiblesse. [Alors la clémence divine est
justice. Dieu 'tel qu'un injuste maître] « ne demande» pas plus
qu'il n'a donné]. Le méchant seul ' veut le mal et le prémédite, le
méchant seul sera puni.
Pourquoi mon ame est elle ^enchaînée à ce corps qui ''li gène
et l'assujîtiti je n'en sais rien. Suis-je entré dans les décrets de
Dieu. Mais ('que m'importe d'en raisonner sur ce que j'en puis
connoltre). Je me dis si l'esprit de l'homme fut resté libre et pur
quel mérite auroit il d'aimer et suivre l'ordre qu'il \'erroit établi
et qu'il n'auroit nul intérest à troubler. '^ Mais unis a (•' ce)
' -^"^ corps II mortel i" le soin de la conservation i' de ce corps (les) '- porte
'■■'à raporter tout à lui et lui donne un intérest contraire à l'ordre
général qu'elle est ''capable devoir et d'aimer, c'est alors que le
bon usage de sa liberté devient '■'•un mérite et quelle se prépare
' B. véritablement. — I. < véritablement >.
- I. (quel QUEFOis).
•' B. < tel qu'un injuste maitre >.
* B. (fait) [veut].
'•' B. «soumise» [(asservie)] à mes sens, et enchaînée.
" B. I'(assujeiit) [« asservit » (emprisonne)] et la gêne.
' [(par) ne puis-je sans témérité former de modestes conjectures], — B. je
puis sans témérité.
" B. [11 seroit heureu.x, il est vrai, mais il manqueroit à son bonheur le
degré le plus sublime; la gloire de la vertu et le bon témoignage de soi: il ne
seroit que comme les anges et sans doute l'homme vertueux sera plus qu'eu.xl.
Mais unie. ^ M. Il ne seroit (heureu.x) que comme les anges... plus qu'eux. Unie
à un corps. — I. [sur une ctroite bande de papier, intercalée entre les pp. 224
et 225 : addition p. 224. Il seroit heureu.x, il est vrai... vertueu.x sera plus
qu'eux]. (Mais unie à) [Unie à] un corps.
■■' [uni.
'" B. [par des liens [non moins] puissans (mais) [qu']incompréhensibles].
" B. |de ce corps].
'- B. (porte) [excite].
'■' [l'ame].
'■• B. pourtant.
'■',M. (un) [à la fois le] mérite [et la récompense]. — I. (un mérite) [à la fois
le mérite et la récompense].
ÉDITION ORIGINALE 287
est I vue, (Si: je prends acte pour l'autre vie de ma conduite en celle-ci. Kn ^121]
souffrant une injustice, je me dis, l'Etre juste, qui régit tout, saura bien
m'en dédommager ': les besoins de mon corps, les misères de ma vie me
rendent l'idée de la mort plus supportable. Ce seront autant de liens de
moins à rompre, quand il faudra tout quitter -.
Pourquoi mon ame est-elle soumise à mes sens & enchaînée à ce corps
qui l'asservit & ta gène? Je n'en sais rien; suis-je entré dans les décrets
de Dieu ? .Mais je puis, sans témérité, former de modestes conjectures.
Je me dis, si l'esprit de l'homme fût resté libre &; pur, quel mérite auroit-il
d'aimer & suivre l'ordre qu'il verroit établi & qu'il n'auroit nul intérêt à
troubler? il seroit heureux, il est vrai ; mais il manqueroit à son bonheur
le degré le plus sublime; la gloire de la vertu & le bon | témoignage de [122]
soi ' ; il ne seroit que comme les Anges, & sans doute l'homme vertueux
sera plus qu'eux -. L'nie à un corps mortel, par des liens non moins
' Cf. Souvelle Héloïse (111. .xviin, 1\', 248 : « C'est lui [Dieu] qui donne un but
à la justice, une base à la vertu, un prix à cette courte vie employée à lui plaire;
c'est lui qui ne cesse de crier aux coupables que leurs crimes secrets ont été vus, et
qui sait dire au juste oublié : Tes vertus ont un témoin ».
' Il y avait ici; dans la Première Rédaction, un développement d'allure très
personnelle, qui pourrait servir à commenter et à expliquer certaines déclarations
fameuses du « meilleur de tous les hommes ». Si personne ne « fut meilleur que cet
homme-là » (cf. Confessions, VIII, 1), c'est que l'Être suprême aura considéré comme
« fait » tout le bien que Jean-Jacques aura « voulu » : « Pour être juste, il n'a eu qu'à
vouloir l'être. Il a été faible, il est vrai, mais qu'importe, si ce sont ses intentions et
non ses actions qui ont été comptées ». Il y a des affirmations analogues dans l'œuvre
de Rousseau: cf. Épitre à Parisot, VI, 18 : « De mes égarements mon cœur n'est
point complice »; Lettre à .M. Dupin, du 10 Avril 1743 [29], SSg : « 11 est des retours
sur nos fautes qui valent mieux que de n'en avoir point commis ». On voit mainte-
nant quelle signification précise avait la maxime qu'on a lue plus haut, p. 100 : « Toute
la moralité de nos actions est dans le jugement que nous en portons nous-mêmes ».
On remarquera aussi, à la fin de ce paragraphe supprimé, que Rousseau est redevenu
moms mdulgent à l'égard des « méchants », des vrais « méchants », et qu'il semble
même se complaire dans l'idée de leur châtiment : « Le méchant seul veut le mal et le
prémédite, le méchant seul sera puni ». Cf., plus haut, p. 90 et note 1, et plus loin,
p. 123 et note 2.
' Sur le « bon témoignage de soi », degré suprême du paradis rousseauisle,
cf., plus haut. p. 88 et note i.
- On a déjà vu plus haut. p. 65 et note 2, que dans sa conception de l'univers,
Rousseau semble avoir admis l'existence des .\nges ; cf. aussi il" Livre d'Emile, II, 48 :
« L'ange rebelle, qui méconnut sa nature, étoit plus faible que l'heureux mortel qui
Vil en paix selon la sienne ». Ici le texte est encore plus affirmatif : mais il parait y avoir
eu, sur ce point, des hésitations dans la pensée de Rousseau; cf. IV' Livre d'Emile,
II. 189 : « Ce sont les erreurs de l'imagination qui transforment en vices les passions
de tous les êtres bornés, même des anges, s'ils en ont ». Tel est le texte de l'édition
originale (11. 204); mais la censure avait imposé à Rousseau un carton, et l'exemplaire
sans carions porte : « s'il y en a ». Cf. Introduct on, 11' Partie, chap. 11. 5 i, 2 et 6.
288 RÉDACTIONS MANUSCRITES
un bonheur inaltérable en ' combatant ses passions terrestres et
se maintenant dans sa première (-indépendance), j
Que si même dans l'état d'abaissement où nous sommes
3 réduits durant cette vie [tous nos premiers penchans sont légi-
times ^ et si tous] nos \ ices 'sont (encore) nôtre ouvrage et (non
celui de la nature). Pourquoi nous plaignons-nous d'être ("vaincus
par des ennemis) que nous nous "sommes faits et '*que nous (-'avons
armé) contre nous « mêmes » : ('" « hommes » mortels), ne (" gâtez)
point (1- l'ouvrage de Dieu. Vous serez) toujours bons sans peine et
toujours heureux sans remords. Le « s » coupable « s » qui se
« " disent » forcés au crime « ^* sont aussi » (^^ mauvais raisonneurs
que méchans «. hommes »). Comment ne " vo\ent ils point que
la foiblesse dont ils se plaignent est leur propre ouvrage, que
' ^resi STANTi.
- [liberté]. — B. (liberté) [volonté].
^ B. < réduits >.
' B. iet).
■■ B. (sont notre ouvrage) [nous viennent de nous] pourquoi nous.
" [subjugués par eu.x pourquoi reprochons nous à la nature les maux], —
B. reprochons-nous à l'auteur des choses les mau.x.
• B. (sommes faits) [faisons].
* [les ennemis].
^ [armons].
'" [ah].
" [gâtons].
'- [l'homme nous serons]. — B. (son œuvre) [l'homme], il sera touiours bon.
'' [(dit)].
'■* [(me semblent... me paroit)].
'' [menteur que méchant].
"^ M. verroient-ils.
Il Ici. en marge, l'indication suivante qui n'a pas été utilisée : son
souverain bonheur n'est pas de s'assujettir à l'ordre mais de (ce que l'ordre
est son ouvrage) [produire].
ÉDITION ORIGINALE 289
puissans qu'incompréhensibles, le soin de la conservation de ce corps
exciie Famé à rapporter tout à lui. & lui donne un intérêt contraire à
l'ordre gênerai qu elle est pourtant capable de voir & d'aimer: c'est alors
que le bon usage de sa liberté devient à la fois le mérite & la récompense,
& qu'elle se prépare un bonheur inaltérable, en combattant ses passions
terrestres & se maintenant dans sa première volonté.
Que si ^ même {^<, dans l'état d'abbaissement ■• où nous sommes
durant cette vie, tous nos premiers penchans sont légitimes, si tous nos
vices nous viennent de nous, pourquoi nous plaignons-nous d'être
subjugués par eux ? Pourquoi reprochons-nous à l'Auteur des | choses, [123]
les mau.x que nous nous taisons. & les ennemis que nous armons contre
nous-mêmes '? Ah! ne gâtons point l'homme; il sera toujours bon sans
peine -. & toujours heureux sans remords ! Les coupables qui se disent
(a) C : fjue si. même dans : D : Que si même, dans
' Sur cette lormule de transition, familière à Rousseau, cf.. plus haut, p. 95
€t note 2. Cf. encore p. 202. note, et f° 172 " de F, vers la fin.
* Voilà encore une expression qui trahit plus ou moins consciemment une
mentalité chrétienne, familière à l'idée de corruption orijjinelle. « L'état de nature »
serait-il donc un « état d'abaissement »?
'■ Cette argumentation rejoint la défense de la Providence que Rousseau a
présentée plus haut à propos de la liberté, pp. 80-81.
' Cette lormule transpose, en quelque sorte sous son aspect pratique, le fameux
principe si souvent affirmé par Rousseau : « L'homme est naturellement bon »;
cf. Réponse à M. Borde, 1. 53, Discours sur l'Inégalité, 1, i33. II' Livre d'Emile,
II, 60, Lettre à M. de Beaumonl, III, 64, etc. Remarquez que Rousseau dit « bon » et
non pas « vertueux »; c'est une distinction essentielle dans sa pensée, et sur laquelle il
est revenu à plusieurs reprises: cf. Dialogues, IV, 209-210, Rêveries, IX, 367-368;
cf. surtout V Livre d'Emile. Il, 416 : « Il n'y a pas de vertu sans combat... quoique
nous appelions Dieu bon, nous ne l'appelons pas vertueux... Je t'ai fait" plutôt bon
que vertueux ». De même. Saint-Preux écrit à Julie, Nouvelle Hélo'tse illl, xvi|.
IV, 234 : « Hé bien! nous serons coupables, mais nous ne serons pas méchants;
nous serons coupables, mais nous aimerons toujours la vertu; loin d'excuser nos
fautes, nous les rachèterons à force d'être bons ». Autrement dit, l'homme de la
Nature se contente d'être bon, mais il appartient seulement à l'homme civil d'être
vertueux: cf. IV' Livre d'Emile, II, ib5 : « Heureux les peuples chez lesquels on
peut être bon sans effort et juste sans vertu » ; et_V' Livre, 445 : « Né dans le fond d'un
bois [l'homme de bien] eût vécu plus heureux et plus libre; mais, n'ayant rien à
combattre pour suivre ses penchants, il eût été bon sans mérite, il n'eût point été
vertueux »; ou encore, pour prendre une formule plus concise que je trouve dans un
manuscrit de VÉmile, IV Livre [iij, II, 204^" : « Il suffit à l'homme naturel d'être bon,
mais l'homme social doit être vertueux ». Rousseau, qui est, par excellence, « l'homme
de la Nature », est « bon », « bon comme Dieu » (cf., plus haut, p. 79). et « bon sans
peine»; mais, s'il est «le meilleur de tous les hommes», il est loin de prétendre
qu'il est le plus « vertueux » : cf., plus haut, p. 121, note 2.
'9
290 REDACTIONS MANUSCRITES
(1 l'habitude seule (- donne) la îorce de leurs penchans) qu(e c'est)
à force de vouloir céder à leurs tentations (qu')ils (■'' les rendent
irrésistibles et qu'ils y) cèdent enfin ' malgré eux ^ il ne (" tient) plus
(à) eux de n'être pas méchans et foibles ' mais " il |" dépend(oit)
d'Jeux de ne le pas devenir '". O "que |nous| resterions aisément
maitres de nous et de nos passions même durant cette vie si
lorsque '-nos habitudes ne sont point encore ('^ prises), lorsque
notre esprit commence à s'ouxrir nous sa\ions l'occuper des objets
qu'il doit connoitre ("et l'élever aux sublimes contemplations). Si
nous voulions sincèrement nous éclairer, non pas pour briller aux
yeux des autres mais pour (^■' nous instruire de nos devoirs). Cette
étude nous paroit ennuyeuse et pénible parce que nous n'\' son-
geons que déjà corrompus par le vice "= et déjà livrés à nos
passions. [Nous ('"avons déjà fixé) nos jugemens et nôtre estime
-avant de connoître le bien 'et le mal] et puis ('* appréciant) tout
(sur) celte fausse mesure nous ne donnons à rien sa juste valeur].
Il est un âge où le cœur libre encore mais ardent inquiet avide
du bonheur qu'il ne connoit pas, le cherche avec une curieuse
' [leur première dé pr avation ? vient de leur volonté].
- [(a rendu... fait... est venue)].
■' [(finissent par... et) leur].
■* B. (par force) [malgré eu.x].
' [« et les ■» rendent irrésistibles]. — B. irrésistibles. Sans doute il.
" [dépend] plus [d"]eu.\.
' (il).
" B. [(la preuve qu'il)].
" (est... de PENDOiT.. ne tenoit) [dépendit].
'" B. (qu'il dépend d'eu.x encore de ne le pas devenir davantage).
" (si lors [que nos habitudes ne sont point encore prises et lors] que nôtre
esprit commence à s'ouvrir, nous).
'^ (notre esp bit). — B. (nous) [nos].
'■' [acquises].
'* [pour apprécier ceu.x qu'il ne connoit pas].
'" [être heureu.K et bons selon nôtre nature et (faire) pour nous rendre
heureux en pratiquant nos devoirs]. — B. être (sages et bons) [bons et sages]
selon nôtre nature, pour. — M. sages et bons. — I. sages et bons.
'" B. < et >.
" [fixons].
'" [raportantl tout [à].
ÉDITION ORIGINALE 29I
forcés au crime, sont aussi menteurs que méchans ; comment ne voyent-ils
point que la foiblesse dont ils se plaignent, est leur propre ouvrage ; que
leur première dépravation vient de leur volonté; qu'à force de vouloir
céder à leurs tentations, ils leur cèdent enfin malgré eux & les rendent
irrésistibles? Sans doute il ne dépend plus d'eux de n'être pas méchans &
foibles : mais il dépendit d'eux de ne le pas devenir i^). O que nous
resterions aisément maîtres de nous & de nos passions, même durant
cette vie, si, lorsque nos habitudes ne sont point encore acquises, lorsque
notre esprit commence à s'ouvrir, nous savions l'occuper | des objets qu'il [124]
doit connoître. pour apprécier ceux qu'il ne connoît pas ; si nous voulions
sincèrement nous éclairer, non pour briller aux yeux des autres, mais
pour être bons & sages selon notre nature, pour nous rendre heureux
en pratiquant nos devoirs! Cette étude nous paroit ennuveuse & pénible,
parce que nous n'y songeons que déjà corrompus par le vice, déjà livrés
à nos passions. Nous fixons nos jugemens & notre estime avant de
connoître le bien & le mal ; & puis rapportant tout à cette fausse mesure,
nous ne donnons à rien sa juste valeur •.
Il est un âge, où le cœur libre encore, mais ardent, inquiet, avide du
bonheur qu'il ne connoît pas, le cherche avec une curieuse incertitude,
& trompé par les sens, se fixe enfin sur sa vaine image, & croit le trouver
où il n'est point. Ces illusions ont | duré trop long-tems pour moi. [125]
Hélas ! je les ai trop tard connues. & n'ai pu tout-à-fait les détruire ; elles
dureront autant que ce corps mortel qui les cause i. .\u moins elles ont
beau me séduire, elles ne m'abusent plus: je les connois pour ce qu'elles
sont, en les suivant je les méprise. Loin d'y voir l'objet de mon bonheur,
j'y vois son obstacle. J'aspire au moment où, délivré des entraves du
corps, je serai moi sans contradiction, sans partage, & n'aurai besoin que
de moi pour être heureux ^: en attendant je le suis dès cette vie. parce
i»i C, D : rfe ne pas le devenir.
' Cette discipline morale n'est pas une discipline strictement « négative ».
Au reste, il y a dans tout ce paragraphe un certain flottement de pensée et presque de
nncohérence. On nous dit que « tous nos premiers penchants sont légitimes » ; et
pourtant, si « nous fixons nos jugements et notre estime avant de connaître le bien et
le mal », nous les fixons le plus souvent à faux.
' En d"autres termes, le Vicaire n'est pas encore « trop bien corrigé du défaut
qui avait attiré sa disgrâce ». Ceci confirme l'indication du Prologue, mais ne la
rend pas plus facile à expliquer : cf., plus haut, p. i5 et note 2.
' J'ai déjà noté que Jean-Jacques suffirait à remplir son Paradis et qu'il en serait
lui-même la principale et presque l'unique félicité : cf., plus haut, p. 88 et note 1.
La formule qui lui échappe ici est encore plus précise dans sa hardiesse spontanée,
probablement inconsciente.
2g2 RÉDACTIONS MANUSCRITES
incertitude, et trompé par ['les sens] se fixe enfin sur sa vaine
image et croit le trouver où il n'est '-pas. ^ Les illusions (de cet âge)
ont duré trop longtems pour moi. Helas ['^ je les ai trop tard]
connues et n'ai pu tciut à fait les détruire, elles dureront autant
que (moi et ne finiront qu'avec) ce corps mortel qui les cause. {'" Du)
moins ("si je m'en laisse toujours) séduire [elles ne m'abusent plus]
je les connois pour ce qu'elles sont, • en '' les suivant je les méprise
(^je n'y vois point) l'objet de mon bonheur j'y vois son obstacle;
1" et [11 j'aspire] au moment ou délivré des entraves (^-de la chair)
je serai moi sans contradiction sans partage et n'aurai besoin que
de moi seul pour '^ être heureux ^*.
i'' Pour m'élever '^autant qu'il se peut *" des cette vie à cet état
de 18 force et de liberté je m'exerce aux sublimes contemplations.
Je médite sur l'ordre de l'univers non pour l'expliquer par de vains
systèmes mais i-' pour ('^^ benir) le sage auteur qui s'y « fait »
' (sa vaine image).
- B. (pas) [point].
' (Trompé par). — B. Ces illusions.
"* (faute d'avoir été plus tôt).
= [Au].
" (je) [(mais) elles ont beau me].
' tie).
" (leur).
■' [loin d'y voir].
"• B. < et >.
" (je soupire).
'■-' [du corps].
'•' (viv re).
''' B. [En attendant je le suis dés cette \ie, parce que j'en compte pour peu
tous les mau.\ que je la regarde comme presque étrangère à mon être et que
[(tout)] le [vrai] bien que j'en peu.x retirer dépend de moi].
'■' (Pour donner... étouffer... Je m'efforce).
'" B. [d'avance].
" B. (dès cette vie).
'" B. [bonheur de]. — I. bonheur (et) de.
''■' M. pour l'admirer sans cesse, pour adorer. — I. mais [pour l'admirer sans
cesse,] pour adorer.
'" [adorer].
EDITION- ORIGINALE 293
que j'en compte pour peu tous les maux, que je la regarde comme
presque étrangère à mon être. & que tout le vrai bien que j'en peux retirer
dépend de moi.
Pour m'élever d'avance autant qu'il se peut à cet état de bonheur, de
force & de liberté, je m'e.xerce aux sublimes contemplations \ Je médite
sur I l'ordre de l'Univers, non pour l'expliquer par de vains systèmes,
mais pour l'admirer sans cesse, pour adorer le sage Auteur qui s'y fait
sentir. Je converse avec lui, je pénétre toutes mes facultés de sa divine
essence ; je m'attendris à ses bienfaits •, je le bénis de ses dons, mais je
ne le prie pas ^■. que lui demanderois-je ? qu'il changeât pour moi le cours
des choses, qu'il fît des miracles en ma faveur? .Moi qui dois aimer
• Cf. Souvelle Héloïse lUl, x.\ii, IV, 264; « Le seul moyen qu'ail trouvé la
raison pour nous soustraire aux maux de Ihumanité, n'est-il pas de nous détacher
des objets terrestres et de tout ce qu'il y a de mortel en nous.... de nous élever aux
sublimes Lontemplations » ?
' C'est une tournure rare que la construction de s'attendrir avec la préposition
à. L'usage contemporain aurait plutôt demandé sur . cf. Féraud, Dictionnaire critique
25o\ I. igo.
' Le mot prier est ici équivoque, ou plutôt, il a le sens restreint de demander.
mais la prière d'hummage et d'adoration n'est pas condamnée par cette formule
(cf. le premier texte de I" : « ie converse avec lui, /e le prie »i. C'est ce qui permet à
Rousseau dans la 111' des Lettres de la Montagne, 111, i63-r64, de présenter ainsi la
défense de ce passage : « Ils m'accusent, par exemple, de rejeter la prière. Voyez le livre,
et vous trouverez une prière dans l'endroit même dont il s'agit. L'homme pieux
qui parle ne croit pas, il est vrai, qu'il soit absolument nécessaire de demander à
Dieu telle ou telle chose en particulier; il ne désapprouve point qu'on le fasse. Quant
à moi, dit-il, je ne le fais pas, persuadé que Dieu est un bon père, qui sait mieux que
ses enfants ce qui leur convient. .Mais ne peut-on lui rendre aucun autre culte aussi
digne de lui ? Les hommages d'un cœur plein de zèle, les adorations, les louanges,
la contemplation de sa grandeur, l'aveu de notre néant, la résignation à sa volonté,
la soumission à ses lois, une vie pure et sainte ; tout cela ne vaut-il pas des vœux
intéressés et mercenaires ? Près d'un Dieu juste, la meilleure manière de demander
est de mériter d'obtenir. Les anges qui le louent autour de son trône le prient-ils ?
Qu'auraient-ils à lui demander? Ce mot de prière est souvent employé dans l'Écriture
pour hommage, adoration : et qui fait le plus est quitte du moins ».
[126]
294 REDACTIONS MANUSCRITES
(' admirer). Je -converse avec lui (^ je le prie). (Non que j'espère)
qu'il ^ change(ra) pour moi le cours ^ de la nature "et ('fera) des
miracles (*pour me protéger). [■• Moi qui dois lo aimer "l'ordre qu'il
("fait '^ voudrois-|e qu'il) fut troublé (" pour moi). Ce vœu témé-
raire '•' meriteroit d'être plustot puni qu'exaucé]. Je ne lui demande
pas non plus le pouvoir de bien faire. Pourquoi lui demander ce
qu'il m'a '"déjà donné? Ne m"a-t-il pas donné la conscience pour
(" vouloir) le bien, la raison pour le connoitre, " et la liberté
pour le choisir. [« '■' Non » si je fais ^o mal je n'ai point d'excuse
je le fais parce que je ^il'ai voulu. Lui demander de changer 22 ma
' « sentir ».
■' B. (ne).
' [je m (humilie) [anéantis] devant sa divine essence, je le bénis de ses dons
mais je ne le prie pas. Que lui demanderois-je]. — B. Je pénétre toutes mes facultés
de sa divine essence, je (le bénis) m'attendris à bes bienfaits, je le bénis de ses
dons ; mais.
■• change [a].
■' M. des choses.
" B. < et >.
' [qu'il fit].
" [en ma faveur].
" (Qu'il me donnât).
'" B. (agir?) [aimer]. — I. (par) aimer par dessus.
" B. par dessus toutes choses l'ordre — M. par dessus tout l'ordre.
'^ [établit (dans)]. — B. (qu'il daigne établir) [établi par sa sagesse et maintenu
par sa providence]. — M. qu'il daigne établir. — 1. (qu'il) établi(t) par (son pou-
voir) [sa sagesse] (et qu'il maintient) [et maintenu] par sa providence.
'■■' [(veu.x-je) que cet ordre]. — B. voudrois-je que cet ordre.
'* [voudrois-je cette mot illisible]. — B. pour moi? « Non », ce vœu.
'" B. (meriteroit d'être) [seroit]. — I. (seroit) [méritéroit d'être] plus tôt
[(d'être)] puni.
'" B. < déjà >.
" [aimer].
'" M. < et >.
'" B. (Non).
-" B. le.
-' B. le veu-x.
-- B. (ma volonté, c'est ne vouloir plus être homme); [c'est lui demander ce
qu'il me demande, c'est vouloir qu'il fasse mon œuvre et que j'en recueille le
salaire ; n'être pas content de mon état, c'est ne vouloir plus être homme]. — M. ma
volonté, c'est lui demander. — I. ma volonté, c'est (renoncer au prix qu'il met à
ma portée) [lui demander ce qu'il me demande... content de mon état] c'est ne
vouloir.
ÉDITION ORIGINALE 295
par-dessus tout Tordre établi par sa sagesse & maintenu par sa providence,
voudrois-je que cet ordre fût troublé pour moi ? Non, ce vœu téméraire
meriteroit d'être plutôt puni qu'exaucé. Je ne lui demande pas non plus
le pouvoir de bien taire; pourquoi lui demander ce qu'il m'a donné-'?
Ne m'a-t-il pas donné la conscience pour aimer le bien, la raison pour le
connoître ^. la liberté pour le choisir? Si je fais le | mal, je n'ai point [127J
d'excuse: je le fais parce que je le veux: lui demander de changer ma
volonté, c'est lui demander ce qu'il me demande; c'est vouloir qu'il fasse
mon œuvre, & que j'en recueille le salaire; n'être pas content de mon état
' Rousseau n'a pas toujours pensé ainsi. Dans sa jeunesse on le voit faire
encore la prière de demande; cf. sa première Lettre à M"' de Warens. Il prie pour
la santé de ♦ Maman », pour obtenir d'éviter un ennui, X, 6, 18. Si l'on en croit
les Confessions, VIII, 168-169, les prières qu'il faisait aux Charmettes «se passaient
plus en admiration et en contemplation qu'en demandes ». Cependant il reconnaît
lui-même, VIII, 85, que quelques années auparavant, il avait joint ses « plus ardentes
prières » à celles de iVl. de Berne.ï pour obtenir le miracle de l'incendie éteint.
D'ailleurs, nous avons encore les prières qu'il composait aux Charmettes; elles
contiennent des demandes, et très précises [36], 223-229 ; « Donnez-nous les lumières
et la volonté de vous servir de la manière qui vous est le plus agréable Daignez
avoir pitié de mes faiblesses, daignez détruire en moi tous les vices où elles m'ont
entrainé .\ccordez-leur [a « Maman » et à son père] tous les secours dont ils ont
besoin, pardonnez-leur tout le mal qu'ils ont fait, inspirez leur le bien qu'ils doivent
faire, et leur donnez la force de remplir les devoirs de leur état et ceux que vous
exigez d'eux ». Seule, la « prière » qu'on a recueillie dans ses Oeuvres, .\II, SSg,
comme ayant été composée par lui pour .M*' de Warens. correspond au type de prière
qu'il présente ici; mais son authenticité est douteuse. Plus tard, il réduira encore son
idéal, et se bornera à \'0! ému et admiratif de la bonne vieille, qu'il a vanté dans les
Confessions, IX, 72. — En mettant dans la bouche du Vicaire, le petit réquisitoire
qu'on vient de lire contre la prière de demande, Rousseau savait fort bien les
arguments qu'une âme pieuse pouvait lui opposer, puisqu'il a chargé Julie de les
faire valoir : cf., dans la Souvelle Héloïse {VI, vi et vu), V. 26-34.
* Pour ne pas se méprendre sur la signification de cette formule, et ne pas y
voir une amende honorable à cette « raison sans principe », qu'il dédaignait tout à
l'heure, il faut se rappeler ce que Rousseau a dit plus haut, p. 112 : « Connaître le
bien, ce n'est pas l'aimer ». .^ vrai dire, dans la pensée de Rousseau, la raison ne
« connait » pas le bien, à proprement parler, elle « le fait connaître », comme il le dit
plus précisément dans ce passage auquel je renvoie, ou mieux encore, elle le présente;
et c'est la conscience qui, mise en « présence » de ce bien, le « reconnaît », pour ainsi
dire, et va vers lui. Il avait déjà mis dans la bouche de Saint-Preux la formule du
Vicaire; cf. Souvelle Héloïse (VI, vin, V, 33: « Il nous a donné la raison pour
connaître ce qui est bien, la conscience pour l'aimer, et la liberté pour le choisir ». La
première rédaction de ce texte ([8 .V, 3oil disait déjà la même chose en termes un peu
dirtérents : « Il nous adonné la liberté pour suivre notre volonté, la conscience pour
vouloir ce qui est bien, et la raison pour le connaître ». Au reste, pour tous ces textes
de Rousseau, oii reviennent les grands mots généraux de raison, sentiment, cœur, cons-
cience, cf., plus haut, note 2 de la p. 100, et note du II' Livre d'Emile, II, 76 : «J'ai fait
cent fois réflexion, en écrivant, qu'il est impossible dans un long ouvrage de donner
toujours les mêmes sens aiix mêmes mots .... .Malgré cela, je suis persuadé qu'on
296 RÉDACTIONS MANUSCRITES
volonté c'est ' vouloir (ç[ue je ne sois) plus homme c'est vouloir
autre chose que ce qui est c'est \ouloir le desordre et le mal.
Source de justice et de vérité Dieu clément et bon -que ta volonté
soit faite. En \' joignant la mienne je fais ce que tu fais (^ je
gouverne avec toi l'univers et je partage ta) félicité (suprême) qui
en est le ^ prix ^].
''Mais dans la juste défiance de moi-même, 'je lui demande
jo jgY r.y ^jg m'éclairer) si je m'(' abuse) de redresser mon erreur. || (''Je suis
de) bonne foi je ne (*" suis) pas infaillible. Mes opinions qui me
semblent '^ claires sont peut être autant de mensonges ^" et l'illusion
qui m'abuse a beau \enir de moi c'est lui seul qui (^^ la) peut
("détruire), (je sais bien qu'il ne me ('-'guérira) pas d'une erreur
involontaire). J'ai fait ce que j'ai pu pour "^ découvrir la vérité
' [ne] vouloir plus [être] |homme.
- B. (que ta volonté soit faite, voila) [dans ma confiance en (ton) toi] le
suprême vœu de mon cœur [est que ta volonté soit faite]. En y joignant. — M. Que
ta volonté soit faite ; voila le suprême vœu de mon cœur. En y joignant. —
I. dans ma confiance en toi, (je dis; que ta volonté soit faite; voila) le suprême
voeu de mon cœur [est que ta volonté soit faite] : « En » y joignant.
' [j'acquiesce à ta bonté et je crois partager d'avance la suprême] félicité. —
B. ta bonté: je crois. — I. la « suprême v> félicité.
* I. (l'ouvrage) « le prix ».
^ B. [(En attendant je suis heureux dés cette vie parce que j'en compte pour
peu tous les maux. Je suis heureux parce que je me confie en la justice divine)].
^ B. < Mais >.
' B. la seule chose que je lui demande (et celle là comprend tout le reste)
[ou plus tôt que j'attends de sa justice] est de redresser mon erreur si je m'égare
[et si cette erreur m'est dangereuse]. Four être de bonne foi. — M. < et si cette
erreur est dangereuse >. — I. ou plutôt que j'attends de « sa justice» (lui) est
de et si (cet égarement) [cette erreur] m'est dangereu(x) [se].
" [égare].
'■' (Si mes opinions). [Pour être de].
'" (me crois].
" M. [les plus] vraies sont peut-être. — I. (claires) [les plus vraies].
'^ (mais). — B. car quel homme ne lient pas aux siennes (« comme » [il
tiendroit] à la vérité même) [et combien d'hommes sont d'accord en tout ?]
L'illusion. — M. quel homme ne tient pas.
'" [m'en].
'* [guérir].
'■"' [punira].
'" B. (découvrir) [atteindre à].
ÉDITION ORIGINALE 297
c"est ne vouloir plus èire homme, c'est vouloir autre chose que ce qui
est, c'est vouloir le désordre & le mal. Source de justice & de vérité.
Dieu clément & bon ! dans ma confiance en toi, le suprême vœu de mon
cœur est que ta volonté soit faite '. En y joignant la mienne, je fais ce que
tu fais, j'acquiesce à ta bonté 2; je crois partager d'avance la suprême
félicité qui en est le prix.
Dans la juste défiance de moi-même la seule chose que je lui de-
mande, ou plutôt que j'attends de sa justice, est de redresser mon erreur
si je m'égare, & si cette erreur m'est dangereuse. Pour être de bonne foi
je ne me crois | pas infaillible : mes opinions qui me semblent les plus 1281
vraies sont peut-être autant de mensonges; car quel homme ne tient pas
au.K siennes, & combien d'hommes sont d'accord en tout? L'illusion
qui m'abuse a beau me venir de moi, c'est lui seul qui m'en peut guérir.
J'ai fait ce que j'ai pu pour atteindre à la vérité: mais sa source est trop
élevée : quand les forces me manquent pour aller plus loin, de quoi
puis-je être coupable ? c'est à elle à s'approcher 1.
peut être clair, même dans la pauvreté de notre langue, non pas en donnant toujours
les mêmes acceptions aux mêmes mots, mais en faisant en sorte, autant de fois qu'on
emploie chaque mot, que l'acception qu'on lui donne soit suffisamment déterminée
par les idées qui s'v rapportent, et que chaque période où ce mot se trouve lui serve,
pour ainsi dire, de définition Je ne crois pas en cela me contredire dans mes idées,
mais je ne puis disconvenir que je ne me contredise souvent dans mes e.xpressions ».
' Cf. Charron, De la Sagesse, 11. v. 22 [77 A], 366 : « Nos vœux et nos prières
à Dieu doivent être toutes réglées et sujettes à sa volonté ; nous ne devons rien désirer
ni demander, que suivant ce qu'il a ordonné, ayant toujours pour notre refrain.
jiat riiluntas tua. Demander chose contre sa Providence est vouloir corrompre le juge
et gouverneur du monde; le penser flatter et gagner par des promesses, c'est l'injurier ».
— Dans la lll* des Lettres de la Montagne. 111, 163-164, no:e, Rousseau a commenté
ce passage de la Profession : « De toutes les formules, l'Oraison dominicale est. sans
co.ntredit, la plus parfaite: mais ce qui est plus parfait encore est l'entière résignation
aux volontés Je Dieu : .Non point ce que je veux, mais ce que tu veux. Que dis-je ? c'est
l'Oraison dominicale elle-même. Elle est toute entière dans ces paroles : t^ue ta volonté
soit faite. Toute autre prière est superflue, et ne fait que contrarier celle-là ». Et. de
f.iit, on la retrouve souvent dans ses Lettres : cf. à Vernes. 1758, -\, 189, à D'Ivernois,
17 Janvier 1765. XI, 200, etc. Ce sentiment se fondait en son âme avec celui de la
soumission à la nécessité. Aussi a-t-il pu écrire dans les Dialogues, IX. 233 : « Je doute
que jamais morte! ait mieux et plus sincèrement dit à Dieu : que ta volonté soit faite ».
- «J'acquiesce à ta bonté, je fais ce que tu fais,... je converse avec lui », toujours
cette assimilation avec Dieu, qui est comme l'allure spontanée de la méditation
religieuse chez Jean-Jacques : cf., plus haut, p. 79 et note i.
' Julie avait déjà dit de -M. de Wolmar. Nouvelle lléloïse iVI. vint. V. 44 : « En
quoi mon mari peut-il être coupable devant Dieu ? 11 ne fuit point la vérité, c'est la
vérité qui le fuit ». Suivant la juste remarque de Dom Cajot. Plagiats de ./. J. Rousseau
[247]. 3o5, Diderot a fait valoir cette même excuse pour son incrédulité; cf. Pensées
philosophiques. .\X1X 177 . 140 ; « On doit exiger de moi que je cherche la vérité.
298 RÉDACTIONS MANUSCRITES
1 mais sa source est trop « 2 élevée » 'pour que j'y puisse atteindre.
[Je me suis efforcé d'aller jusqu'à elle (^ pour moi) les forces me
manquent] * c'est à elle à s'approcher ". f
ir PARTIE : LA RÉVÉLATION
1. La Religion naturelle et les Religions révélées.
Le bon prêtre ' avoit parlé a\ec véhémence il étoit ému, je
l'étois aussi. * Cependant t J<2 voyois ''une îoule d'objections à lui
faire '"et je n'en fis '^ pas une parce ''^qu'elles etoient moins
('-''sincères) qu'embarrassantes et que '^ la persuasion intérieure étoit
pour lui. A mesure qu'il me parloit selon sa conscience la mienne
' (po ub).
'' [(sublime)].
' B. (pour que j'y puisse atteindre. Je me suis efforcé d'arriver jusqu'à elle;
et) quand les forces.
'' [quand].
■' B. (de quoi) pour aller plus loin de quoi puis-je être coupable ? C'est à elle.
'■■ B. [(En attendant je suis heureux parce que je compte pour peu tous les
maux de la vie et que le prix qui les rachette est en mon pouvoir)].
' (etoit).
' B. [Je crovois entendre (la voix du) [le] divin Orphée (lorsqu'il chanta)
[chanter] les premières hymnes et (apprit) [apprendre] aux hommes le culte des
Dieux]. — I. [Je croyois entendre... le culte des Dieux].
'■' B. des foules.
'" B. < et >.
" M. aucune.
'- M. que je les sentois moins.
" [solides].
'■* B. « la persuasion » (intérieure) [(l'assentiment)].
t Ici. dans le manuscrit, un espace de plusieurs lignes laissé
en blanc.
t Ici. dans le manuscrit, un espace d'environ deux lignes laisse'
en blanc.
EDITION" OKIGIXAI.E 2Ç)9
ir PARTIE : LA RÉVÉLATION
1. La Religion naturelle et les Religions révélées.
Le bon Prestre (») avoit parlé avec véhémence: il étoit ému. je l'étois
aussi Je croyois entendre le divin Orphée - chanter les premières '
(•I C, D : Piètre
mais non que je la trouve. L n sophisme ne peut-il m'ati'ecter plus vivement qu'une
preuve solide »? Cf. encore la profession de foi de Julie mourante (VI, xil, V, 55-56 :
« J'ai pu me tromper dans ma recherche ; je n'ai pas l'orgueil de penser avoir toujours
eu raison ; j'ai peut-être eu toujours tort, mais mon intention a toujours été pure, et
j'ai toujours'cru ce que je disais croire. C'était sur ce point tout ce qui dépendait de
moi. Si Dieu n'a pas éclairé ma raison au-delà, il est clément et juste : pourrait-il me
demander compte d'un don qu'il ne m'a pas fait »?
* Cette comparaison a été introduite après coup dans B et dans I. pour faire
plaisir à Duchesne, qui voulait illustrer ['Emile: cf. Lettre à Duchesne, du 12 Fé-
vrier 1762 ^o"»"], 121 : « Depuis que les dessins sont faits, vous ne m'avez plus parlé
des planches Serait-il possible que vous les eussiez oubliées, ainsi que l'édition que
vous aviez promise? En ce cas vous seriez d'autant plus inexcusable que c'est vous qui
les avez demandés et que cela m'a obligé d'insérer des additions dans le texte pour en
amener les sujets ». — Je croirais volontiers que l'attention de Rousseau a été attirée
sur Orphée par la Dissertation sur les Hymnes des Anciens de l'abbé Souchav, qui
a paru en deux parties dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions '.]3', XI 1
{1740I, 1-1 5 et XVI (17511, gS-ioS. On voit par l'un des cahiers de Rousseau "5], i,
qu'il a fait précisément des extraits du T. XVI. On lit dans ce dernier volume, p. 102 :
« Si Orphée a été un sage, un théologien, un législateur sacré, et que les hymnes
qui portent son nom renferment sa doctrine, qui pourra les regarder avec Heinsius,
comme une liturgie de Satan, ou, avec l'auteur de la Bibliothèque universelle, comme
des évocations magiques ? C'est avoir détruit une opinion si peu fondée que d'avoir
établi qu'Orphée était un sage, et que sa doctrine est contenue dans les hymnes
qui portent son nom ».
• Les manuscrits sont d'accord avec l'édition originale sur ce féminin : cf.,
d'ailleurs. Dictionnaire de musique, VU. 187 : « Hymne, s. f., chant en l'honneur
des dieux ou des héros ; Orphée et Linus passaient chez les Grecs pour l'auteur
des premières hymnes ». Cependant l'abbé Souchay, dans la Dissertation que j'ai
citée à la note précédente, écrivait, XVI, 98 : «Je passe donc aux hymnes philo-
sophiques, réservant pour la fin les hymnes théurgiques ou religieux parce que
300 REDACTIONS MANUSCRITES
me ('répétoit) ce qu'il m'a\oit dit. (-La profession de îoi que vous
venez de faire) « lui » (' répondis)-ie me (^ paroit) « plus » '■ nouvelle
par (''les choses que) \ous avouez ignorer que par ("celles) que
vous dites croire. J'y vois à peu de choses près le Théisme ou la
religion naturelle que '' les chrétiens ("confondent) avec l'atheïsme
1" et 11 l'impiété ; mais '-'dans l'état actuel de ma foi i^" j'ai plus
à remonter qu'à descendre pour adopter vos opinions et je trou\-e
difiicile de ('^s'en tenir) précisément au point où vous êtes à moins
d'être aussi sage que vous. Pour être *'' du moins aussi sincère, je
veux consulter avec moi. C'est le sentiment intérieur qui doit me
conduire à \'ôtre exemple et xous m'avez appris vous même
qu'après lui avoir longtems imposé silence le rappeller n'est pas
l'alTaire d'un moment. J'emporte vos discours dans mon cœur il
faut que je les médite, si après m'être bien consulté j'en demeure
aussi convaincu que vous, vous serez mon dernier apôtre et je
serai vôtre proselite jusqu'à la mort. Continuez cependant à
m'instruire. Vous ne m'avez dit que la moitié de ce que je dois
savoir. Parlez-moi de la ré\élation, des écritures i" des dogmes
[(divers ?)] sur lesquels je vais errant des mon enfapce, sans
pouvoir « ni les concevoir » l^~ ni les rejeter).
' [(confirmoit) semhloit me confirmer]. — B. (confirmoit) [sembloit me
confirmer].
- [Les sentimens que vous venez de m'exprimer . — B. de m'exposer.
■' [dis].
■" [semblent]. — B. (semblent) [au cravon, repassé à t'encre : paroissent].
■' [nouveaux].
'' [ce que].
'■ [ce].
" M. nos.
'•' [atTectent de confondre].
'" M. ou. —I. (et) [ou].
" B. (l'incrédulité) [l'irréligion], qui est la doctrine directement (contraire^
[opposée]. Mais dans.
'^ (vous).
'■' (vous) [(pour adopter)].
'■• [rester],
"> B (du) [au].
"' I. (des) [de ces] dogmes [obscurs].
'' ni les croire (ni les entendre) [et sans savoir les admettre ni les rejetter].
ÉDITION ORIGINALE 30I
Hvmnes, & apprendre aux hommes le culte des Dieux. Cependant je
vovois des foules d'objections à lui faire: je n'en fis pas une, parce
qu'elles étoient moins solides qu'embarrassantes, & que la | persuasion 129]
éloit pour lui. .A mesure qu il me parloit selon sa conscience, la mienne
sembloit me confirmer ce qu'il m'avoit dit '.
Les sentimens que vous venez de m'exposer, lui dis-je, me paroissenl
plus nouveaux par ce que vous avouez ij^norer, que par ce que vous dites
croire ^. J'y vois, à peu de choses près, le théisme ou la religion naturelle,
la matière est plus intéressante et plus étendue»: et il rangeait les hymnes d'Orphée
parmi les hymnes religieu.x. Féraud, Dictionnaire critique [25oJ. Il, 413, établit
une distinction : « Ce mot est féminin quand on parle des cantiques de l'Église
dans l'office divin, et masculin quand on parle de ceux des Anciens en l'honneur
de leurs dieux »; mais il semble oublier cette distinction dans les exemples qu'il
cite [peut-être y a-t-il une faute d'impression] : « Santeuil a fait de très belles hymnes ;
les hymnes sacrées d'Orphée ».
' Rousseau a analysé cet état d'esprit avec plus de détail dans la III' « Prome-
nade » des Rêi'eries, l.\, 3^2, où il raconte précisément comment «il se décida pour
toute sa vie sur tous les sentiments qu'il lui importait de connaître » : « J'avoue... que
je ne levai pas toujours à ma satisfaction toutes ces difficultés qui m'avaient embar-
rassé, et dont nos philosophes avaient si souvent rebattu mes oreilles. .Mais, résolu
de me décider enfin sur des matières où l'intelligence humaine a si peu de prise,
et trouvant de toutes parts des mystères impénétrables et des objections insolubles,
j'adoptai dans chaque question le sentiment qui me parut le mieux établi directement,
le plus crovable en lui-même, sans m'arréter aux objections que je ne pouvais
résoudre, mais qui se rétorquaient par d'autres objections non moins fortes dans
le système opposé. Le ton dogmatique sur ces matières ne convient qu'à des char-
latans ; mais il importe d'avoir un sentiment pour soi, et de le choisir avec toute
la maturité de jugement qu'on y peut mettre. Si malgré cela nous tombons dans
l'erreur, nous n'en saurions porter la peine en bonne justice, puisque nous n'en
aurons point la coulpe. Voilà le principe inébranlable qui sert de base à ma sécurité ».
Cf., plus haut, p. 33 et note 5.
' Cependant Rousseau a insisté à plusieurs reprises sur le caractère « affirmatif
et démonstratil » de cette I" Partie de la Profession : cf. 1' et II" Lettres de la Mon-
tagne, III, 123, 142. .Mais ces « affirmations » ne sont pas « nouvelles »: ce sont
au contraire les affirmations traditionnelles. Ce qui lui parait « nouveau », c'est
l'indifférence du Vicaire à l'égard de certaines questions « oiseuses », questions de pure
spéculation et sans rapport avec la pratique; ce qui est « nouveau », c'est la façon
dont il s'arrête au milieu de certains problèmes, en refusant de les pousser jusqu'au
bout, parce qu'il sent l'impuissance de sa raison à y atteindre et l'inutilité de cette
tentative : cf., plus haut, p. 61. .\utrement dit, Rousseau laisse entendre que la
principale « nouveauté » de la Profession, c'en est la méthode et l'accent. Marie Huber
disait de même. Religion essentielle [iSi], («Lettre introductive » du T. III, non
paginéei, que l'originalité de son ouvrage « ne consistait pas à présenter de nouveaux
dogmes ou de nouveaux préceptes de morale », mais seulement « à écarter ce qu'il
y a de confus, d'embarrassé, ou peut-être de contradictoire à l'un et à l'autre égard...
Il parait de là, ajoutait-elle, que cet ouvrage est plus négatif que positif >. Cette
formule a l'air directement opposée à celle de Rousseau dans les Lettres de la Mon-
tagne, mais on voit par cette remarque du Vicaire que l'esprit en est au fond identique.
302 RÉDACTIONS MANUSCRITES
('Oui, me dit-il), j'achèverai de vous dire ce que je pense,
je ne veux point vous ouvrir mon cœur à demi. - Mais le désir
que vous me témoignez etoit nécessaire pour m'autoriser à n'avoir
aucune reserve avec vous, (et) je ne vous ai rien dit jusqu'ici que
je ne crusse [pouvoir] vous être utile et dont je ne fusse intimement
persuadé; 'l'aveu qui me reste à ^ vous faire ^ est bien différent; je
n'y vois qu'embarras, •'doute obscurité, je n'y porte qu'incertitude
et défiance. Je ne me détermine qu'en tremblant et je vous (' fais)
plus tôt (l'histoire de) mes doutes que *je ne vous dis mon opinion.
Si ^ vos sentimens étoient plus stables j'hesiterois de vous '" commu-
niquer les miens mais dans l'état où vous êtes " vous gagnerez *-à
' [Oui mon enfant dit-il en m'embrassant]. — M. me dit-il en m'embrassant.
- (Mais ce qu'il me reste à vous).
■' (mais dans) — B. (l'aveu) [l'examen].
* B. [(vous)].
■• (tout me).
" B. (doute) [mistére].
' [expose]. — B. (e.xpose) [dis].
' B. (je ne vous dis) mon (opinion) [avis].
" [(je)].
'" B. e.xposer.
" B. [(je suis bien sur que)].
'- B. [(toujours)].
EDITION ORIGINALE 303
que les chrétiens affectent de confondre avec l'athéisme ou l'irréligion,
qui est la doctrine directement opposée*. Mais dans l'état actuel de ma foi
j'ai plus à remonter qu'à descendre ■* pour adopter vos opinions, & je
trouve difficile de rester précisément au point où vous êtes, à moins d'être
aussi sage que vous. Pour être, au moins, aussi sincère, je veux consulter
avec moi. C'est le sentiment intérieur qui doit me conduire à votre
e.xemple. & vous m'avez appris vous-même ^ | qu'après lui avoir long- [130]
tems imposé silence, le rappeller n'est pas l'affaire d'un moment. J'emporte
vos discours dans mon cœur, il faut que je les médite. Si, après m'étre
bien consulté, j'en demeure aussi convaincu que vous, vous serez mon
dernier apùtre, & je serai votre prosélvte jusqu'à la mort. Continuez,
cependant, à m'instruire; vous ne m'avez dit que la moitié de ce que
je dois savoir. Parlez-moi de la révélation, des écritures, de ces dogmes
obscurs, sur lesquels je vais errant dès mon enfance, sans pouvoir les
concevoir ni les croire, & sans savoir ni les admettre ni les rejetter.
Oui, mon enfant, dit-il en m'embrassant, j'achèverai de vous dire ce
que je pense; je ne veux point vous ouvrir mon cœur à demi : mais
le désir que vous me témoignez étoit nécessaire, pour m'autoriser à
n'avoir aucune réserve avec vous. Je ne vous | ai rien dit jusqu'ici '^tSV
que je ne crusse pouvoir vous être utile, & dont je ne fusse intimement
persuadé. L'examen qui me reste à faire est bien différent; je n'v vois
qu'embarras, mistere (^), obscurité ; je n'v porte qu'incertitude & défiance.
(a) C, D : myfitere.
' Dans les milieux « philosophiques », on avait pris grand soin de distinguer
le théisme du déisme. Ce dernier terme avait une fâcheuse réputation : il s'agissait
qu'elle n'atteignit point le théisme; cf. la note de Diderot dans VEssai sur le mérite
et la vertu [174], i3 : « jM. S[haftesburyl a soigneusement prévenu la confusion qu'on
pourrait faire des termes de déiste et de théiste. Le déiste, dit-il, est celui qui croit
en Dieu, mais qui nie toute révélation; le théiste au contraire est celui qui est près
d'admettre la révélation et qui admet déjà l'existence d'un Dieu... pour devenir chrétien,
il faut commencer par être théiste. Le fondement de toute religion, c'est le théisme », etc.
— Au reste, tous les « chrétiens n'affectaient pas de confondre le théisme avec
l'athéisme »; cf. Lignac, Sens intime [23 ij. Préface (non paginée) : « On est étonné de
la différence que je mets entre le déiste et le théiste, et on désirerait que je la fi.xasse.
Le déiste reconnaît un Dieu oisif, qui ne se mêle de rien de ce qui se passe dans le
monde. 11 nie l'immortalité de l'âme et toute attente de récompenses ou de peines
après la mort. Les théistes croient la Providence; ils pensent que Dieu est attentif sur
les actions des hommes, qu'il doit les récompenser éternellement dans l'autre vie,
lorsqu'elles sont conformes à l'ordre de la société », etc.
' Parce que le jeune homme n'est ni théiste, ni même déiste. « L'oubli de toute
religion » a fait pratiquement de lui un « athée » : cf., plus haut, pp. 7-8.
' Cf., plus haut, p. ii5 : « Elle [La conscience] se rebute enfin à force d'être
éconduite; elle ne nous parle plus, elle ne nous répond plus, et après de si longs
mépris pour elle. Il en colite autant de la rappeler qu'il en coûta de la bannir ».
304 REDACTIONS MANL^SCRITES
penser comme moi. Au reste ne donnez ' à mes discours que
l'autorité de la raison; j'ignore si je suis dans l'erreur. -Cherchez
la \'érité nous même, pour moi je ne vous promets que de la
■■' bonne foi.
jo jgy vo II \-QU5 pg vovez dans mon exposé que la Religion naturelle.
' Par ou connoitrai-je C* qu'il en îaut une autre) ide quoi "^serai-je
coupable en servant Dieu selon les lumières qu'il ('m'a données)
et selon les sentimens qu'il "* imprime en mon cœur|. |Et] quelle
'•'morale (plus pure), quels dogmes ('"plus nécessaires) à l'homme
11 et honorables à la divinité puis-je '- tirer d'C'Uin culte) '^ artificiel
('5 que je ne trouve pas dans celui) que me prescrit la raison seule.
KiDe grâce montrés moi ce qu'on peut ajouter pour la gloire de
Dieu pour le bien de la société et pour mon propre avantage aux
' B. (ici).
' B. [II {'■< nesl pas possible) de ne pas prendre [au crayon, repassé à
l'encre : quelquefois] le ton alTirmalif ('' quand on raisonne) : mais souvenez-
vous que toutes mes affirmations ne sont que des raisons de douter].
a) [est difficile quand on discute]. — M. Il n'est pas pos-
sible, quand on discute. — I. 11 est difficile [quand on discute].
>>) I. quand on raisonne.
' I. (sincérit É) [bonne foi].
* [Il est bien étrange qu'il en faille une autre].
^ [cette nécessité].
•^ B. puis-je être.
■ [donne à mon esprit].
" B. (imprime) [inspire] à.
' [pureté de].
'" [utiles].
" B. [et honorable à son auteur].
'- [len)].
" [une Religion] ariificiel[le]. —I. (religion artificielle) [doctrine positive].
'^ B. (naturelle) [(artificielle) positive].
'■' [(qui ne soit pas déduit) [que je ne déduise aussi bien] de celle]. — B. que
je ne puisse tirer (du) sans elle du bon usage de mes facultés. Montrez-moi.
'^ (.\lontrés-moi).
EDITION ORIGINALE 305
Je ne me détermine qu'en tremblant, & je vous dis plutôt mes doutes
que mon avis. Si vos seniimens éloient plus stables, j'hésiterois de ' vous
exposer les miens; mais dans l'état où vous êtes, vous gagnerez à penser
comme moi ^ *. Au reste, ne donnez à mes discours que l'autorité de la
raison •'' ; j'ignore si je suis dans l'erreur. 11 est difficile, quand on discute,
de ne pas prendre quelquefois le ton affirmatit ; mais souvenez-vous qu'ici
toutes mes affirmations ne sont que des raisons de douter *. Cherchez
la I vérité vous-même ; pour moi je ne vrfus promets que de la bonne foi '. [132]
Vous ne vovez dans mon e.xposé que la religion naturelle : il est bien
€trange qu'il en faille une autre-! Par où connoîtrai-je cette nécessité?
De quoi puis-je être coupable en serxant Dieu selon les lumières qu'il
donne à mon esprit. & selon les sentimens qu'il inspire à mon cœur?
Quelle pureté de morale, quel dogme utile à l'homme, & honorable à son
auteur, puis-je tirer d'une doctrine positive, que je ne puisse tirer sans
* Voilà, le crois, ce que le bon Vicaire pourroit dire à présent au public.
' Sur cette construction, cf. Haase, Syntaxe française du W'II' siècle, 112 [275],
3oi. Féraud, Dictionnaire critique [25o^, i, 390, ne connaît plus cette construction :
« Hésiter... régit à devant les verbes ».
' Comme le montre la note de Rousseau, le ieune disciple est devenu un auditeur
svmbolique; et, par-dessus lui. c'est à toute la génération contemporaine que le Vicaire
s'adresse. La note fait une brève allusion au discrédit général que la propagande philoso-
phique avait ieté sur toutts les confessions chrétiennes. Rousseau a développé sa pensée
sur ce point dans une page très mtéressante de la \" des Lettres de la Montagne, III, 199 :
« Considérez l'état religieu.x de l'Europe au moment où je publiai mon livre, et vous
verrez qu'il était plus que probable qu'il serait partout accueilli. La religion, discréditée
en tout lieu par la philosophie, avait perdu son ascendant jusque sur le peuple. Les
gens d'Église, obstinés à l'étayer par son côté faible, avaient laissé miner tout le reste ;
et l'édifice entier, portant à faux, était prêt à s'écrouler. Les controverses avaient cessé,
parce qu'elles n'intéressaient plus personne; et la paix régnait entre les différents
partis, parce que nul ne se souciait plus du sien ». Cf. encore, plus loin, p. 191 et note i.
* Si on interprétait cette déclaration d'après celle de la I" Partie, 1' « autorité »
serait médiocre, « d'un entendement sans règle et d'une raison sans principe »; mais
la discussion semble rendre à Rousseau toute sa confiance en la valeur de l'instrument.
' Toutes ces précautions oratoires traduisent peut-être sincèrement l'état d'esprit
personnel de Rousseau ; mais la suite de la Profession, sauf les pages finales, laissera au
lecteur l'impression d'une pensée très affirmative et très décidée sur certaines questions.
' Comme Marie Huber, Rousseau fait de la « bonne foi » un article essentiel
de sa méthode; cf., par exemple. Religion essent elle [iSi], II, 198 : « Quoi donc!
La bonne foi pourrait-elle suffire à tout? Envers Dieu, envers le prochain, envers
soi-même? La chose me parait très possible; et ce qu'il y de bien vrai encore, c'est
que la bonne foi envers soi-même est l'introduction à tout le reste ».
- .Marie Huber. Religion essentielle [i5i], I, 62 : « La Religion naturelle, dit-on,
est de beaucoup inférieure il la Religion révélée. Cette proposition me parait louche,
et je doute que l'on entende bien soi-même ce que l'on dit. En voici une qui sera
équivalente : le naturel dans les enfants est de beaucoup inférieur à l'éducation ».
20
306 RÉDACTIONS MANUSCRITES
devoirs de la loi naturelle, et quelle vertu vous ferez naitre
d'un nouveau culte qui ne soit pas une conséquence du mien.
1 Je vois que tous (^vos divers cultes) rendent l'homme orgueilleux
intolérant inhumain, persécuteur, que loin d'eclaircir les notions
3 de la divinité, * ils les embrouillent, [■" qu'aux mistéres incon-
cevables! qui l'environnent ils ajoutent ^ des récits cent îois) plus
inconcevables "qu'au lieu d'éclairer la raison ils l'abrutissent, qu'au
lieu d'établir la paix sur la terre ils y (» font 'couler des '"torrens
de sang humain) je (>• cherche en vain ce qu'on gagne à tout cela),
je n"\' \ois que Iles crimes des hommes et. '-'les calamités ('^ de
mon espèce).
' B. (Toutes) Les plus grandes idées de la divinité (se) nous viennent par la
raison seule. [Voyez le spectacle de la nature, écoutez la voix intérieure. Dieu
n'a-t-il pas tout dit à nos yeu.x à notre conscience, à nôtre jugement ? et qu'est-ce
que les hommes nous diront de plus?] (Jamais) [Toutes] les révélations ne font
que dégrader Dieu. (Je vois que les dogmes particuliers rendent l'homme orgueil-
leu.x. intolérant, cruel, que) loin d'eclaircir. — M. ne font que dégrader Dieu [en
lui donnant les passions humaines]; loin d'eclaircir. — I. Toutes les révélations
ne font que dégrader Dieu [en « lui » donant les passions (des hommes)
[humaines]]. Loin d'eclaircir.
- [(religions e.xclusives... dogmes) les vôtres].
■' B. du grand Etre.
^ B. (ils) [je vois que les dogmes particuliers] les embrouillent, que loin de
les ennoblir ils les avilissent, qu'au.x mistéres.
■' (qu'ils l'environnent de mistéres inconcevables).
" [mille contradictions]. — B. (mille) [des] contradictions absurdes. —
I. (mille) [des] contradictions absurdes.
' B. (qu'au lieu d'éclairer la raison ils l'abrutissenii qu'ils rendent l'homme
orgueilleux, intolérant crilel, qu'au lieu d'établir.
" .[portent [sans cesse] le fer et le feu toutes les horreurs des meurtres les
plus affreux et des guerres les plus cruelles], — B. portent (sans cesse) le fer [et]
le feu (les horreurs de tous les crimes). Je me demande. — I. portent (sans cesse)
le fer et le feu.
'■' [verser].
'" [flots].
" [« me demande à quoi » bon tout cela sans savoir me repondre].
'- B. (la désolation) [les misères].
'■' Idu genre humain].
EDITION ORIGINALE 307
elle du bon usaue de mes facultés ? Monirez-moi ce qu'on peut ajouter, pour
la gloire de Dieu, pour le bien de la société, & pour mon propre avantage,
aux devoirs de la loi naturelle, & quelle vertu vous ferez naître d'un nou-
veau culte, qui ne soit pas une conséquence du mien ? Les plus grandes
idées de la Divinité nous viennent par la raison | seule. Voyez le spectacle [133]
de la Nature, écoutez la voix intérieure. Dieu n'a-t-il pas tout dit à nos yeux,
à notre conscience, à notre jugement '? Qu'est-ce que les hommes nous
diront de plus? Leurs révélations ne font que dégrader Dieu, en lui don-
nant les passions humaines. Loin d'éclaircir les notions du grand Etre, je
vois que les dogmes particuliers les embrouillent: que loin de les ennoblir
ils les avilissent; qu'aux misteres («) inconcevables qui l'environnent ils
ajoutent des contradictions absurdes; qu'ils rendent l'homme orgueilleux,
intolérant, cruel : qu'au lieu d'établir la paix sur la terre, ils y portent le fer
& le feu. Je me demande à quoi bon tout cela, sans savoir me répondre 2.
Je n'v vois que les crimes des hommes & les misères du genre humain ^.
I -' t C, D : mystères.
' Cl. IV' Livre d'Emile, II, 182 : « Ce que Dieu veut qu'un homme fasse, il ne
le lui fait pas dire par un autre homme, il le dit lui-même, il l'écrit au fond de son
cicur »; el Le Militaire philosophe, S. [i3o'"»], 91 : « Dieu ne dicte point de livres; il
parlerait immédiatement aux cœurs des hommes, s'il avait des ordres à leur donner ».
- Rousseau pose le problème de la Révélation, comme il l'avait vu faire dans
ses livres familiers par les croyants ou les déistes: cf. Pluche, Spectacle de la .\'ature
[137], VIII, Première Partie : « Discours préliminaire sur la nécessité d'une Révélation »,
p. 14: «Question légitime : Dieu a toujours montré sa présence et ses intentions
par le spectacle de l'univers, par les sentiments de la conscience et par les instructions
traditionnellement transmises des premiers hommes aux races suivantes : a-t-il ajouté à
cette révélation primitive une nouvelle manifestation qui nous instruise précisément
de ses volontés et qui nous conduise au salut »? Dans une direction opposée, il pouvait
lire chez Vernet, Vérité de la Religion, I. i [162], 1, 12, la question du déiste Uriel
Acosta : « Que ne s'en tient-on à la Loi Naturelle, qui est commune à tous les hommes...,
au lieu d'y ajouter de nouvelles doctrines, qui, dans ce qu'elles ont de bon, ne nous
enseignent rien que la raison ne dicte également, et qui, par des additions mauvaises
ou superflues, ne font que donner lieu à des contestations infinies »? etc.
' Lui-même avait déjà dit, avec moins de confiance dans « la loi naturelle », mais
avec le même sentiment <à l'égard des révélations. I" Contrat Social [3g], 25i : « Si les
notions du grand Être et de la loi naturelle étaient innées dans tous les c.eurs. ce fut
un soin bien superflu d'enseigner expressément Tune et l'autre; c'était nous apprendre
ce que nous savions déjà, et la manière dont on s'y est pris eût été bien plus propre à
nous les -faire oublier. Si elles ne l'étaient pas. tous ceux à qui Dieu ne les a point
données, sont dispensés de les savoir; dès qu'il a fallu pour cela des instructions parti-
culières, chaque peuple a les siennes, qu'on lui prouve être les seules bonnes, et d'où
dérivent plus souvent le carnage et les meurtres que la concorde et la paix ». Pourtant,
quelques pages plus loin, dans ce même Contrat Social [3<f. 280. et 111, 32y, il protestait
contre « l'orgueilleuse philosophie ou l'aveugle esprit de parti », qui ne voient dans les
fondateurs de religions que « d'heureux imposteurs » : c(. encore Lettre à M. de Beau-
mont, III, 94.
3o8 RÉDACTIONS MANUSCRITES
On me dit qu'il faloit une révélation pour apprendre aux
hommes la manière dont Dieu vouloit être servi, on ^ allègue (?)
('pour) preuve la (^multitude) * de cultes ^ différens et bizarres
qu'ils ont institués : et l'on ne \oit pas que cette di\ersité même
« vient » de « •> la fantaisie des» révélations (et que) dès que les
peuples se sont avisés de faire parler ' les Dieux «chacun « ^ les a
fait parler à sa » (i° fantaisie) «et » "leur a fait dire ce qu'il a
voulu. Si l'on n'eut '^ écouté que ce que Dieu dit au cœur de
l'homme il n'A" auroit fjamais euj qu'une religion sur la terre.
i [!' Si Dieu daigne parler aux hommes c'est pour leur apprendre
la vérité. La révélation ('^ lui sert de preuve) Mais s'il îaut prouver la
révélation même (^^ de) quoi sert elle. C'est [ce me semble] une grande
preuve contre une révélation qu'elle ait besoin d'être prouvée].
Il faloit un culte uniforme i« cela peut être. Mais "il ne îaut
pas confondre la Religion avec le cérémonial de la Religion. Le
culte que Dieu demande est celui du cœur et celui la quand il est
' B. assigne.
' [en].
^ [diversité].
■' (bi zarbb).
•' B. < différens et >.
" [(celle des)].
' B. Dieu.
" (ils leur ont fait dire).
" B. r.
'" [mode].
" B. lui.
" (été).
" (L'utilité Quand).
" [supplée aux preuves].
"■ [à].
'" B. je le veux bien. Mais ne confondons pas le cérémonial de la Religion
avec la Religion. Le culte.
" M. [ce point étoil-il donc si important qu'il falul tout l'appareil de la
puissance divine pour l'établir?] ne confondons pas.
t Ce petit paragraphe est écrit en marge du précédent, mais aucun
signe n indique qu'il doive se placer ici. Il n'est, d'ailleurs, pas barré, ce
qui montre que Rousseau, après l'avoir rédigé et même corrigé, ne l'a
pas pris ; cf., plus haut, /" 164 ™.
ÉDITION ORIGINALE 309
On me dit qu'il falloit une révélation pour apprendre aux hommes
la I manière dont Dieu vouloit être servi ; on assigne en preuve la [i^i]
diversité des cultes bizarres qu'ils ont institués i; & l'on ne voit pas que
cette diversité même vient de la fantaisie des révélations. Dès que les
peuples se sont avisés de faire parler Dieu, chacun i"a fait parler à sa mode,
& lui a fait dire ce qu'il a voulu. Si l'on n'eût écoulé que ce que Dieu dit
au cœur de l'homme, il n'y auroit jamais eu qu'une religion sur la terre -.
il falloit un culte uniforme: je le veu.\ bien : mais ce point étoit-il
donc si important qu'il fallût tout l'appareil de la puissance divine pour
l'établir ? Ne confondons point le cérémonial de la religion avec la
religion. Le culte que Dieu demande est celui du cœur ^ ; & celui-là,
quand il est sincère, est toujours uniforme; c'est avoir une vanité bien
' Il est probable que, parmi tous les apologistes qui ont fait valoir cet argument,
Rousseau songe surtout à Bossuet, Histoire universelle. 11, 16 ^88^, 441-442 : « Les
nations les plus éclairées et les plus sages... étaient les plus aveugles sur la religion,
tant il vrai qu'il faut v être aidé par grâces particulières et sagesse plus qu'hu-
maine ». etc.; cf. encore .\bbadie, Vérité de la Religvm, I, 11, 7. « Où l'on établit
la nécessité d'une révélation ajoutée à celle de la nature » '92 , I, 141 ; il y éhumère
rapidement toutes les bizarreries immorales des cultes païens, et il conclut : « La
religion naturelle n'est pas seulement devenue inutile, mais encore pernicieuse par
le mauvais usage que les hommes en ont fait ». Même démonstration dans Vernet, De
l'utilité d'une Révélation '162], I, 1-198. Prenant précisément ces pages de Vernet comme
point de départ, Formev, dans son Essai sur la nécessité d'une Révélation '211 •>■»], II,
29^ sqq, reproduit à son tour l'argument traditionnel : et. comme Rousseau, et pour les
mêmes raisons, il refuse de s'en contenter : « Tous les peuples privés du flambeau de la
Révélation étaient ou sont encore dans l'égarement Donc il fallait une Révélation.
Je ne suis pas encore convaincu de la justesse de la conséquence... Si la Révélation
était d'une nécessité indispensable, c'est sans doute parce que sans elle, tous les
hommes étaient éternellement malheureux ; mais pensez à ce que vous affirmez et voyez
ce que vous aurez à me répondre. Dieu est le père commun de tous les hommes : ils ont
tous avec lui la même relation que j'appelle primitive et essentielle », etc. (2g5-2g6). El
l'argumentation se poursuit dans un sens très voisin de celui de Rousseau : cf., plus
loin, la note 2 de la p. 169. Il est d'autant plus piquant de le constater que Formev
deviendra quelques années plus tard l'auteur de VÉmile Chrétien : c(. Introduction,
II' Partie, chap. 11, j 3.
' Cf. Toussaint, Les'ilceurs, I, m, 2 [184, 64-65 : « Qu'on me donne des hommes
sortant des mains de la nature... : qu'on les assemble de tous les coins de la terre pour
conférer en commun sur l'hommage qu'on doit à Dieu : cette unité si désirable de
religion reparaîtra bientôt. Leur jugement n'étant point encore dépravé par l'aveugle
prévention, mais éclairé par les pures lumières de la raison, ou ils rejetteront tous
les cultes établis, ou, s'il en est un qui mérite d'être affermi sur les ruines des autres,
ce sera celui-là qu'ils choisiront unanimement ».
• Puisque Rousseau a relu très soigneusement Charron pour écrire cette Seconde
Partie \c(., plus loin, pp. i36-i37 et notesl, on peut rapprocher de ces considérations le
passage suivant de La Sagesse. II. v. 20-21 [77 A], 365-366: « Il faut le servir de cœur
3IO REDACTIONS MANUSCRITES
sincère est toujours uniforme, mais ' il faut (- être d')une \anité
* bien (* aveugle) et bien '■ imbecille pour s'imaginer que Dieu
prenne un grand intérest "à la forme de l'iiabit du prêtre 'et au
geste qu'il fait à l'autel '. Dieu veut être adoré en esprit et en
vérité. Ce devoir est de toutes les religions de tous les pays de tous
les '■' hommes. Quant au culte extérieur ^" il doit être uniforme ('' il
est vrai) ; '- mais c'est au gouvernement à le prescrire, c'est '■' une
affaire de pure police il ne faut point de révélation pour cela.
' M. comment peut on croire que Dieu prenne.
-' [avoir].
' B. < bien étrange et >.
* [étrange].
^ I. stupide.
" M. au choix des alimens qu'on mange, à la forme.
■ B. [à l'ordre des mots qu'il prononce] (et) au.\ gestes. — M. < à l'ordre
des mots qu'il prononce > au-v gestes. — I. (et) aux ge^es.
" B. [et à toutes ses génuflexions. Eh I mon ami, reste de toute ta hauteur, tu
sera toujours assés près de terre]. — M. < et à toutes ses... assés près de terre >.
— I. [et à toutes ses... assés près de terre].
" (cuit ES).
'" B. (s'il).
" [pour le bon ordre].
'- B. < mais c'est au gouvernement à le prescrire >.
" B. purement une affaire de police.
EDITION ORIGINALE 3X1
toile, de s'imaj;iner que Dieu prenne un si grand intérêt à | la forme de l13P]
l'habit du Prêtre, à l'ordre des mots qu'il prononce, aux gestes qu'il fait à
l'autel, & à toutes ses génuflexions '. Eh! mon ami, reste de toute ta
hauteur, tu seras toujours assez près de terre. Dieu veut être adoré en
esprit & en vérité - : ce devoir est de toutes les religions, de tous les pays,
de tous les hommes. Quant au culte extérieur, s'il doit être uniforme
pour le bon ordre, c'est purement une affaire de police ^; il ne faut
point de révélation pour cela.
et d'esprii... L'otVrandc plaisante à sa .Majesté, c'est un cctur net, franc et humilié
1,'homme saf^c est un vrai sacrificateur du grand Dieu, son esprit est son temple,... son
plus grand et solennel sacrifice, c'est l'imiter, le servir Ne faut toutefois mépriser
et dédaigner le service e.xtérieur et public, ... et toujours avec cette pensée que Dieu
veut être servi d'esprit ». Cf. encore Tyssol de Patot [iiij, 426 : « Le culte n'est plus
attaché à un endroit particulier, ce n'est plus sur une montagne ou dans Jérusalem
que l'on adore ; Dieu ne se pave plus de sang de génisse ou de contorsions de corps ;
mon fils, nous crie-t-il, donne moi ton cœur».
' Cf. Chubb, Supplément à la qnestion préliminaire touclianl la religion [i361,
162-163 : «Supposons, par e.xemple, que d'incliner son corps du côté de l'orient, ou
de fléchir les genou.\ devant une image soient des actes qui en eux-mêmes ne sont
des marques naturelles ni de respect, ni de mépris, et qu'il n'y eut probablement
aucune suite fâcheuse à craindre en pratiquant l'un plutôt que l'autre. Supposons
encore que Dieu, par un effet de sa bonté, pour prévenir toute dispute et entretenir
l'union parmi les hommes, interposât son autorité et déclarât qu'il veut que ses
créatures exercent dans le culte religieux qu'elles lui rendent l'un ou l'autre des actes
ci-dessus rapportés, dans ce cas, la question est de savoir, s'il y a une convenance
morale que nous obéissions à un tel commandement ou s'il n'y en a pas. S'il y a de la
convenance, cela convient à la définition que j'ai donnée de la véritable religion, savoir
qu'elle consiste à faire ce qui est juste et convenable dans la nature des choses ».
- Parole du Christ à la Samaritaine (Jean, IV, 24I, souvent reprise par les théistes :
cf. .\bauzit, Réflexions sur l'idolâtrie [5o], 1, 3i : « Les vrais adorateurs que Dieu
demande, ce sont ceux qui adorent en esprit et en vérité » : Lettre à une dame de Dijon
'bo\ 1, 20E ; Vernet, Instruction chrétienne, [2i3], II, 3i. Mais c'est surtout chez Tous-
saint que cette formule évangélique est coinmentée dans le même esprit que par le
Vicaire; cf. Les Mœurs, 1, i[i, 1, « Du culte intérieur » [184], 54-55 : « Le culte intérieur
réside dans l'âme et c'est le seul qui honore Dieu. 11 est fondé sur l'admiration
qu'excite* en nous l'idée de sa grandeur infinie, sur le ressentiment de ses bienfaits
et l'aveu de sa souveraineté. Le cœur pénétré de ce sentiment les lui exprime par des
extases d'admiration, des saillies d'amour, et des protestations de reconnaissance et
de soumission. Voilà le langage du cœur, voilà ses hym.nes, ses prières et ses sacrifices :
voilà le culte dont il est. capable, et le seul digne de sa divine iMajesté. C'est aussi
celui que voulait rétablir dans le monde, le destructeur des cérémonies judaïques,
comme il parait par cette belle réponse qu'il fit à une femme samaritaine, lorsqu'elle
lui demanda si c'était sur la montagne de Sion ou sur celle de Sémeron qu'il fallait
adorer : Le temps vient, lui dit-il, que les vrais adorateurs adoreront en esprit et en
vérité. C'est ainsi qu'avaient adoré les premiers pères du genre humain ». Le rappro-
chement avait été déjà fait par Cajot, Plagiats de J. J. Rousseau [247], 285.
' Cette dernière maxime ne surprend pas chez l'auteur du Contrat Social : mais
il ne faudrait pas confondre ce « culte extérieur ». ce « cérémonial de la religion ».
avec la « religion civile » : cf. 111, 388-389.
312 REDACTIONS MANUSCRITES
2. Critique de l'idée de révélation.
Je ne commençai ' point par toutes ces reflexions. Entrainé par
les préjugés de l'éducation et par ce dangereux amour propre qui veut
toujours (2 élever) l'homme (^ en) dessus de ('sa nature), ne pouvant
élever mes foibles ^conceptions jusqu'à "l'être suprême je m'etTorçois
fo 168 ^° de le il ('îaire descendre) jusqu'à moi ("et non content '^ des relations qui
sonf^ « entre » sa nature et la mienne "^ je cherchois des moyens extra-
ordinaires pour atteindre «jusqu'à» lui, (''pour le mieux connoitre) je
voulois des communications plus (^^ particulières) des instructions
plus ('■■' immédiates), ['' et non content de faire dieu semblable à
l'homme] ^^pour être privilégié « '" même » ("dans mon espèce), je
voulois 1* des lumières surnaturelles, je voulois un culte exclusif, je
voulois \« '"que Dieu »] m'eut dit ce qu'il n'avoit pas dit à d'autres
ou ce que d'autres n' -'» avoient pas entendu (-'si bien que) moi.
' B. (point) [pas].
^ [porter].
' [au].
■* [lui même].
•'' I. (contemplations) [conceptions].
" B. (1") [au grand] Etre (suprême).
' [rabbaisser].
' (je) [de raprocher les raports éloignés qu'il a mis]. — B. Je rapprochois
les rapports infiniment éloignés qu'il a mis.
" [(des raports)].
'" [(je voulois raprocher ces raports)]. — B. < je cherchois des... jusqu'à lui >.
" [(et ne pouvant m')].
'- [immédiates].
" [particulières].
■'' (ne POUVANT?... faute de pouvoir (m'élever) [atteindre] à la divinité, je
l'aurois volontiers... non content de rapprocher (la divinité de) à l'état d'homme
la divinité (et)). — M. < et non content de faire Dieu... un culte exclusif >.
'^ (et).
"'■ B. moi-même.
" [« parmi » mes semblables].
'" (savoir d'elle).
'■■' [(qu'il)].
-" B. auroient.
-' [comme].
ÉDITION ORIGINALE 3I3
I 2. Critique de l'idée de révélation.
Je ne commençai pas par toutes ces réflexions. Entraîné par les
préjugés de l'éducation, & par ce dangereux amour-propre qui veut
toujours porter l'homme au-dessus de sa sphère, ne pouvant élever mes
foibles conceptions jusqu'au grand Etre, je m'efforçois de le rabaisser
jusqu'à moi '. Je rapprochois les rapports infiniment éloignés, qu'il a
mis entre sa nature & la | mienne. Je voulois des communications plus [136]
immédiates, des instructions plus particulières : & non content de faire
Dieu semblable à l'homme: pour être privilégié moi-même parmi mes
semblables, je voulois des lumières surnaturelles; je voulois un culte
e.xclusif ; je voulois que Dieu m'eût dit ce qu'il n'avoit pas dit à d'autres,
ou ce que d'autres n'auroient pas entendu comme moi ^.
' Cf. .Montaigne. Essais. Il, 12 [76], II, 241-242 : « Qu'est-il plus vain que de
vouloir deviner Dieu par nos analogies et conjectures?... et, parce que nous ne
pouvons étendre notre vue jusques en son glorieux siège, l'avoir ramené ça-bàs a
notre corruption et à nos misères » ?
' Je croirais volontiers que Rousseau ne reconstitue pas artificiellement un étal
d'esprit qu'il n'aurait point connu, mais qu'il parle ici sur des impressions personnelles.
Tout ceci va rejoindre, à quelques pages d'intervalle (p. 141), le mot fameux : «Que
d'hommes entre Dieu et moi » !
314 REDACTIONS MANUSCRITES
1 Regardant le point où j'étois {- parvenu) comme le point
commun d'où ^ partoient tous les * hommes pour « '^parvenir » à un
culte plus éclairé '^ les dogmes de la religion naturelle (ne me
sembloient) que les ' élemens de toute Religion. Je considerois
cette di\ersité de sectes qui régnent sur la terre [et qui s'accusent
mutuellement de mensonge et d' ^aveuglement (et) je (me) de-
mandois quelle est la bonne. Chacun me répondoit c'est la mienne
[chacun disoit] moi seul et mes partisans pensons juste tous les
autres sont dans l'erreur. Et comment sa\'ez-\ous que vôtre secte
est la bonne. Parce que " j'y suis né. Mon (^^ père) me dit
d'ainsi croire et ainsi je crois, il m' '' a dit que tous ceux qui
(vous) disent autrement que '- nous mentent, et je ne les écoute
pas *. f Quoi " disois-je la '* vérité n'est elle pas une, ^^ ce qui
B, F 167 '° * Tous, l'^dit '" un ("'sagei et ('^ vertueux) Prêtre (catholique romain),
disent qu'ils la tiennent et la crovent (et tous usent de ce jargon.) que
non des lionunes. ne d'aucune créature, ains de Dieu.
Mais à dire vrai sans rien flatter ni déguiser il n'en est rien : elles
' iJe ne).
- [arrivé]. — B. (arrivé) [parvenu].
' B. parl(eni) parl[oient].
•■ B. croyans.
' B. arriver [(parvenir)].
" [et (ne trouvant dans) je ne trouvois dans].
' B. (dogmes) [élemens].
' B. d'erreur.
'•' B. Dieu l'a dit. Et qui vous dit que Dieu l'a dit. Mon Pasteur. Mon
Pasteur me dit d'ainsi croire.
'» [Pasteur].
" B. assure que.
'■-' B. lui.
'•' B. pensois-je.
" (re i.igion).
'^ B. et ce.
"■' M. disoit.
'" (le S aoe).
" [(savant)].
" [(pieu.v) sage et bon].
t L'astérisque et la note qu'il amorce ne se trouvent pas dans F.
EDITION ORIGINALE 315
Regardant le point où j étois parvenu comme le point commun d'où
partoient tous les croyans pour arriver à un culte plus éclairé, je ne
trou vois dans la (=>) religion naturelle que les élémens de toute religion.
Je considerois cette diversité de sectes qui régnent sur la terre, &. qui
s'accusent mutuellement de mensonge & d'erreur; je demandois, quelle
est la bonne-- Chacun me répondoit. c'est la mienne 1'')*: i chacun [127]
Tous, dit un bon & sage Prêtre -, disent qu'ils | là tiennent & la croient, (K 137]
tous usent de ce jargon,) que non des hommes, ne d'aucune créature, ains de Dieu.
Mais à dire vrai sans rien flatter ni déguiser, il n'en est rien, elles sont,
quoiqu'on die, tenues par mains & moyens humains: tesmoin premièrement
la manière que les Religions ont été reçues au monde. & sont encore tous les
/ours par les particuliers : la nation, le pays, le lieu donne la Religion : l'on
est de celle que le lieu auquel on est né & élei'é tient : nous .sommes circoncis,
baptisés, .lui/s, Mahometans. Chrestiens, avant que nous sachions que nous
sommes hommes, la Religion n'est pas de notre choix & élection: tesmoin après
la vie & les mœurs si mal accordantes avec la Religion: tesmoin que par occa-
sions humaines & bien légères, l'on va contre la teneur de sa Religion. Charron,
de la sagesse. L. II. Chap. 5. p. 257. Edition de Bordeaux 1601 '.
Il V a grande apparence que la sincère profession de foi du vertueux Théo-
logal de Condom. n'eût pas été fort différente de celle du Vicaire Savoyard.
a j C D : lians tes dogmes de la rétigion [D : religinn^,
naturetle.
ti) Dans C et D, la noie n'est pas suspendue à ce mot. Elle
est reportée deux lignes plus loin, après ; Parce que Dieu
la dU *.
' Rousseau avait d"abord écrit : « Prêtre catholique romain » ; et tes épithètes
supprimées nous donnent les motifs de cette citation. Rousseau aurait pu trouver
dans .Montaigne, qui lui était si familier, les mêmes idées exprimées sous une forme
plus vive: cf. Essais, II, 12 [76], II, 149 : « Nous ne recevons notre religion qu'à
nc^re façon et par nos mains, et non autrement que comme les autres religions se
reçoivent,... nous nous sommes rencontrés au pays où elle était en usage... Lne autre
région, d'autres témoins, pareilles promesses et menaces nous pourraient imprimer
par même voie une croyance contraire. Nous sommes chrétiens au même titre que
nous sommes ou périgourdins ou allemands » : mais il a préféré emprunter un texte
à Charron, parce que Charron était prêtre catholique, et qu'il pouvait apparaître
ainsi comme un ancêtre authentique du Vicaire.
' Rousseau renvoie à l'édition originale : et cette précision est intéressante, parce
qu'elle montre avec quel soin il avait fait ses lectures. Le fait mérite d'autant plus
d'être noté que Rousseau possédait un exemplaire de La Sagesse, édition de Rouen. 1618.
qui lui avait été donné par la marquise de Créqui, et sur lequel il avait même écrit
quelques remarques, exemplaire qui se trouve aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale
^•78; mais cette édition reproduisait le texte adouci par Charron, et précisément
'e passage que Rousseau désirait citer en avait disparu; d'où la nécessité de se
reporter à l'édition originale. — On remarquera que Rousseau a scrupuleusement
conservé la faute d'impression de l'édition originale, et transcrit : p. 25 j. au lieu
de 557.
3l6 RÉDACTIONS MANUSCRITES
est vrai ' dans un pays peut il être faux ^ dans un autre. Si la méthode
de celui qui « ^ suit » la bonne route [■* et celle de] celui qui s'égare
est la même ^quel mérite '^a l'un de plus que l'autre leur choix est
l'effet du hazard le leur imputer est ' une injustice c'est récom-
penser ^ ou punir pour être né dans « " tel » ou dans « tel pays '" »
sont quoi qu'on die tenues pj}' mains et moyens humains : té' s^moin pre-
mièrement la manière que les Religions ont ètè receues au monde et '^ sont
encore[s] tous les jours par les particuliers : la nation, le pavs. le lieu
donne la religion : l'on est de celle ^- que le lieu auquel Von est né "et
e sjevè tient : nous somme circoncis, babtisés, Juifs, mahiimetans,
chrestiens, avant que nous sachions que nous sommes hommes : la reli-
gion n'est pas de « notre » choix et élection, tesmoin après, la vie et les
mœurs si mal accordantes avec la religion, tesmoin que par occasions
humaines '* et bien légères, l'on va contre la teneur de sa religion.
Charron: de la Sagesse L. 2. chap. 5. p. 257. '■'' Bordeaux. 1601. Il v a
grande apparence que la sincère profession de foy du i^ Théologal
{" Charroni n'eut pas été fort différente de celle du Vicaire savoyard.
' B. (dans un pays) [chez moi].
^ B. (dans un autre) [chez vous ?].
' (se trompe).
■* (est la même que).
■'' (quelle [leur choi.x est l'effet]).
" B. [ou quel tort] a l'un. — I. [ou quel tort] a l'un.
' B. iniquité ; c'est.
* B. (pou r).
" [(telle)] ou [(telle contrée)]. — B. dans tel (pays plus tôt que dans tel
autre) [ou dans tel pays]. -
'" (Cette idée étant injurieuse à la justice (de Dieu) [divine] je la rejette et je
dis ou toutes les religions sont bonnes et agréables à Dieu, ou si une seule est la
véritable elle a des signes évidens qui la font reconnoitre pour telle). [(Celte idée
est trop injurieuse à la justice (de Dieu) [divine] pour qu'on puisse l'adopter sans
crime. (Ne blasphémons point) [je croirois blasphémer] contre la justice divine
(en croyant) [en adoptant] que s'il est une religion (qu'elle... qu'il) [que Dieu]
prescrive à l'homme il a pris soin de la lui rendre)].
" M. (le).
'- I. (à laquelle) [que'.
'^ I. (tient).
'^ M. < et >.
'^ (de l'e dition).
"' M. vertueux.
' ' [de Condom].
EDITION ORIGINALE 317
disoit, moi seul & mes partisans pensons juste, tous les autres sont dans
l'erreur. Et comment save^-vous que votre secte est la bonne! Parce que
Dieu l'a dit. Kt qui vous dit que Dieu la dit? .Mon Pasteur qui le
sait bien. .Mon Pasteur me dit d'ainsi croire, & ainsi je crois; il m'assure
que tous ceux | qui disent autrement que lui mentent, & je ne les [138]
écoute pas.
Quoi, pensois-je, la vérité n'est-elle pas une, & ce qui est vrai chez
moi, peut-il être faux chez vous? si la méthode de celui qui suit la
bonne route & celle de celui qui s'égare est la même, quel mérite ou
quel tort a l'un de plus que l'autre? Leur choix est l'effet du hazard, le
leur imputer est iniquité ; c'est récompenser ou punir, pour être né
dans tel ou dans tel pays '. Oser dire que Dieu nous juge ainsi, c'est
outrager sa justice.
' Rousseau reprend à son compte l'idée de Charron et de .Montaigne. Il s'en
était servi quelques pages avant la Profession, II, 229 : « La foi des enfants et de
beaucoup d'hommes est une affaire de géographie », etc.; il y reviendra vers la fin
de la Profession, pp. 184, iqS-igô. 11 l'avait déjà présentée sous une forme dramatique
dans son petit conte de la Reine fantasque, qui avait paru en 1738 (cf. Journal
encyclopédique du i5 Juin 1758 [46, 1 10-1191, XII. 268 : « Je sais bien que les lois
de la géographie, qui règlent toutes les religions du monde, veulent que les deux
nouveaux-nés soient musulmans ». etc. L'idée était, d'ailleurs, devenue banale dans
la discussion « philosophique »; cf., par exemple. Le Militaire philosophe j3o''''],
56-57, 85, ii5 : *Je suis né à Paris, fe suis papiste...; si j'étais né à Constantinople, je
parlerais turc, je serais mahométan », etc. ; Voltaire, Religion naturelle. Il 1^22 1], 449 :
Il agit en machine, et c'est par sa nourrice
Qu'il est juif ou païen, fidèle ou musulman.
3l8 RÉDACTIONS MANUSCRITES
('Ce n'est pas ainsi que) Dieu nous ju^e (-je croirois) ^blasphémer
contre sa justice, f
Ou toutes les Religions sont bonnes et agréables à Dieu ou s'il
en est une (seule)} qu'il prescrive aux hommes et qu'il les punisse
de méconnoitre, il lui a donné des signes certains et manifestes
pour être distinguée et * reconnue pour la seule \éritable. Ces
signes (5 doivent être) de tous les tems et de tous les ('^ pays) ' éga-
lement sensibles ** à tous les hommes "grands et petits, savans et
ignorans, Européens] Indiens ('"américains) sauvages. S'il î'^étoit]
une religion sur la terre ('-dans laquelle on n^putj dire hors de
l'Eglise point de salut) et qu'[en quelque lieu du mondei un seul
mortel de bonne foi n'eut pas été frapé de son évidence le Dieu de
cette Religion seroit le plus inique et le plus cruel **de tous les
tirans.
I Cherchons nous donc sincèrement la véritéj. Ne donnons
(donc) rien '-'^au droit de la naissance à l'autorité des '"pères et des
■ [(penser que c'est ainsi) oser dire que].
- [ainsi c'est].
" B. (blasphémer contre) [outrager]. — I. i blasphémer contre) [outrager].
* B. connue.
^ [sont].
'^ [lieux].
' (dans les).
" (et dans).
'■' ([euro pÉENs] indiens, am éricains).
'" [africains].
>' (est).
'- [hors de laquelle il n'y eut que peine(s) éternellels)].
" (puisse).
" B. (de toutes les) [des]. — M. de tous les.
'■' I. (à l'autorité) [au droit].
"■' M. Pasteurs et des Pérès.
t Ici, en marge, deux réflexions indépendantes, qui interrompent le
développement et qui seront utilisées plus loin : Mais il me faut des
raisons pour soumettre ma raison. — Mais le livre de la nature est
ouvert à tous les hommes. Ils n'ont pas peur qu'il les trompe, ils n'ont
pas besoin de le vérifier.
EDITION ORIGINALE 3I9
Ou toutes les religions sont bonnes & agréables à Dieu. ou. s"il en
est une qu'il prescrive au.v hommes. & qu'il les punisse de méconnoître,
il lui a donné des signes certains & manifestes pour être distinguée
& connue pour la seule véritable. Ces signes sont de tous les tems & de
tous les lieux, également sensibles à tous les hommes, | grands & petits, [139]
savans & ignorans. Européens, Indiens, .\friquains. Sauvages '. S'il étoit
une religion sur la terre hors de laquelle il n'y eût que peine éternelle,
& qu'en quelque lieu du monde un seul mortel de bonne-foi n'eût pas
été frappé de son évidence, le Dieu cette religion seroit le plus inique &
le plus cruel des tirans - i^).
Cherchons-nous donc sincèrement la vérité? Ne donnons rien au
droit de la naissance & à l'autorité des pères «S: des pasteurs, mais
rappelions à l'examen de la conscience & de la raison tout ce qu'ils nous
ont appris dès notre enfance -^ Ils ont beau me crier, soumets ta raison :
l'I C, D : tyrans.
• Cf. Chubb, Question préliminaire touchant la Religion j36], 125-126: « La
véritable Religion est la même dans tous les âges, dans tous les pays et dans tous
les mondes, s'il m'est permis de parler ainsi: car si les planètes sont habitées pir
des créatures semblables à nous, leur Religion doit par conséquent être la même que
la nôtre, la convenance morale des choses étant la même dans tous les lieux et dans
tous les temps » : Examen de la Religion du pseudo-Saint-Évremond [lyS], i 12-1 i3 :
« Si Dieu avait exigé de nous un culte particulier, dont il voulut être honoré, il l'aurait
révélé dès le commencement»: Le Militaire philosophe. Il [iSo*"'»], 48 : « Si la
Religion est faite pour tous les hommes, elle est nécessaire à chaque individu ; les
preuves qui en établissent la vérité doivent donc être à la portée des simples », etc.
' Cf. D'Espiard de la Cour, Pensées philologiques [188], 101-102 : « S'il n'y
avait qu'une Religion dans le monde, celui qui y serait réfractaire, n'aurait rien à
opposer pour sa justification ; mais, lorsqu'il voit les continuelles contradictions des
hommes, n'est-il pas en droit de dire : quoiqu'il en soit, la plus grande partie se
trompe ? Qui pourra m'enseigner ceux qui se trompent le moins ? Qui pourra même
ni'assurer que tous ne soient pas dans l'erreur? S'il n'v avait qu'une Religion, je
n'hésiterais pas à la suivre : ce serait une marque visible que Dieu l'aurait gravée
dans le cœur de l'homme; mais, puisqu'il v en a mille, je suis en droit de douter qu'il
y en ait une de véritable. Dieu est trop juste pour faire naître des hommes dans
une religion fausse, qu'ils ne seront plus les maîtres de quitter lorsqu'elle aura
pris racine dans leurs cœurs par la force de l'éducation et des préjugés, et pour
ensuite les punir de ce qu'ils auront vécu conformément à cette Religion, que
pendant leurs vies ils ont cru la seule véritable ».
^ Cf.' Le Mililaire philosophe, V "i3o*''«], 6.4 : < S'e donnons rien a l'autorité de
320 RÉDACTIONS MANUSCRITES
* maîtres mais (- soumetons) à l'examen de la conscience et de la
raison tout ce qu'ils nous ont appris des nôtre enfance. Ils ont
beau ('nous) (* dire) soumets ta raison; autant m'en peut dire celui
qui me trompe, il me faut des raisons pour soumettre ma raison.
Toute la théologie que je puis acquérir de moi-même par l'ins-
pection de l'univers et 'pari le bon usage de mes facultés se borne
à ce que je vous ai ci-devant ^exposé. Pour en savoir davantage il
faut recourir à des [*^ moyens] extraordinaires. Ces moyens ne sau-
jo igg vo pQJgp,^ Il gtpe l'autorité des hommes. Car t(tous)j « ' les » hommes
[n']étant « * pas » d'une autre espèce que moi ; tout ce qu'un homme
connoit "naturellement je puis "> aussi le connoitre. ^^ Un autre
homme peut se tromper '-aussi bien que moi. Quand je crois ce
qu'il dit, 1' ce n'est pas parce qu'il le dit mais parce qu'il le prouve.
»* Le « témoignage » des [''•autres] hommes '* n'est donc au fond
que celui de ma raison [même] et n'ajoute rien aux moyens
naturels que Dieu m'a donnés de ("connoitre) la vérité.
[Apôtre de la véritéj ("^que) vous (reste-t-il) donc à me dire **.
Dieu lui-même a parlé. (^''Voili) sa révélation. C'est autre chose.
Dieu a parlé. \'oila certes un grand mot. Et à qui a-t-il parlé? Il a
' B. (mailres) [Pasteurs].
- [rapellons].
^ [me].
^ [crier].
•'' M. expliqué. — I. (exprimé) [expliqué].
" (voyes).
' [(!'... nul homme)]. — B. nul homme,
' (de mon). — B. < pas >.
' (je).
'" M. le connoitre aussi. — I. (le) aussi le connoitre.
" B. [et].
'- M. ainsi que moi.
'^ M. (mais).
" L(Au)].
" B. < autres >.
" (se raportant a).
'" [découvrir]. ^ M. connoitre.
'" B. [Qu'avez].
"' B. dont je ne reste pas le juge .''
-" [Ecoutés]..
EDITION' ORIGINALE 321
autant m'en peut dire celui qui me trompe ; il me faut des raisons pour
soumettre ma raison *.
Toute la théologie que je puis acquérir de moi-même par l'inspec-
tion ^ de l'univers, & par le bon usage de mes facultés, se borne à ce
que je vous ai | ci-devant expliqué. Pour en savoir davantage, il faut ^140]
recourir à des moyens extraordinaires. Ces rfloyens ne sauroient être
l'autorité des hommes : car nul homme n'étant d'une autre espèce que
moi. tout ce qu'un homme connoit naturellement, je puis aussi le
connoître, & un autre homme peut se tromper aussi bien que moi :
quand je crois ce qu'il dit, ce n'est pas parce qu'il le dit, mais parce qu'il
le prouve. Le témoignage des hommes n'est donc au fond que celui de
ma raison-mème, & n'ajoute rien 'aux movens naturels que Dieu m'a
donnés de connoître la vérité.
Apôtre de la vérité, qu'avez-vous donc à me dire dont je ne reste
pas le juge? Dieu lui-même a parlé; écoutez sa révélation. C'est autre
chose. Dieu a parlé ! voilà certe un grand mot '. Et à qui a-t-il parlé? Il a
ceux qui proposent la question ; renonçons à toute espèce d'opiniâtreté, formons la
résolution de nous rendre aux raisons claires et évidentes, de recevoir les conséquences
justement tirées des premiers principes, des vérités métaphysiques, en un mot de ces
vérités distinctes, qui emportent notre assentiment malgré nous, et que tous les
hommes voient également en quelque pays et en quelque temps que ce soit ».
* Cf. Examen de la Religion jjS], 20-22 : « Si Dieu veut que je l'honore d'un
culte particulier, il est de sa bonté et de sa justice de me le manifester clairement
Les preuves de la Religion doivent être claires, parce que nous avons une raison, qui,
nous venant de Dieu, ne saurait être mauvaise. Or cette raison, s'opposant à ce que
les hommes nous disent de la Religion, nous ne devons pas étouftér cette lumière sur
de simples probabilités. Ce serait faire un très mauvais usage du plus précieux don
que Dieu a fait à l'homme; il faut des preuves certaines, exemptes de toute contra-
diction pour soumettre une lumière qui nous vient de Dieu et qui est si uniforme dans
tous les hommes. La vérité est exempte de toute contradiction ». Rousseau possédait
une copie de Y Examen de la Religion : cf., à la Bibliographie, les n" 7 et ij3. Il se pro-
posait de le « réfuter» ; c'est, en effet, ce qu'il fera plus loin : cf. p. 179 et note 3. Mais on
voit qu'il l'a d'abord utilisé. Cf. encore pp. i5o et note 3, 168 et note 1, 170 et note 1, etc.
^ Cet emploi du mot inspection au sens de contemplation réfléchie et raison-
nante, aide à mieux comprendre l'emploi singulier que Rousseau a fait plus haut du
même mot : Cf. p. 6-) et note 2. Cf. encore, dès 1738, dans sa Réponse au Mémoire
anonyme sur la sphéricité de la terre, XII, 309 : « Pour ce qui est de l'inspection de
la lune, il est bien vrai qu'elle nous parait sphérique ».
' Examen de la Religion [ijS], i5 : « Toutes les questions de la Religion se
réduisent à celle-ci : savoir si Dieu a parlé, et quelles sont les vérités qu'il a révélées ».
322 REDACTIONS MANUSCRITES
parlé aux hommes. Pourquoi donc n'en ai-je rien entendu?'' Il a
chargé d'autres hommes de \ous rendre sa parole. J'entens; ce
sont des hommes qui vont me dire ce que Dieu a dit. J'aimerois
mieux avoir entendu Dieu lui-même. Il ne lui en auroit pas coûté
davantage et j'aurois été à l'abri de la séduction. Il vous en garantit
en ' autorisant la mission de ses envoyés. (Comment cela| ? par des
(■- miracles, '^ par des prophéties). ^ Je n"'ai jamais (^ vu) de prophéties,
je n'ai jamais vu de miracles. D'autres hommes en ont été témoins
pour vous et l'attestent, f Quoi (''encore) des [témoignages humains
(' encore) des] hommes qui me raportent ^ que d'autres hommes
ont rapporté (la parole de Dieu). Que d'hommes entre Dieu et moi !
Vovons [toutefois], examinons, ''vérifions. O si Dieu eut daigné '" me
dispenser de tout ce travail l'en aurois-je servi de moins bon cœur.
Considérez, mon ami, dans quelle " affreuse discussion *- me
voila engagé de quelle ^-^ érudition j'ai besoin pour [remonter dans
les plus hautes antiquités (et) pourj examiner '■' les prophéties
I'-'' les faits, tousl les monumens "^ de foi '' qu'on me propose
' B. (autorisanti [manifestant].
- [prodiges ; ces prodiges n'ont pas été faits à mes yeux]. — B. [Et où sont]
ces prodiges (n'ont pas été faits à mes yeux. D'autres les ont vu pour vous et)
[Dans les livres, et qui a fait ces livres, des hommes. Et qui a vu ces prodiges
(d'autres hommes) [des] (peuples) [hommes] qui] les attestent. — M. Des peuples
qui les attestent.
^ (Je n'ai).
^ [Qui est-ce qui a].
■'' [entendu].
" [toujours].
' [toujours].
» [ce].
" B. comparons, vérifions.
'" M. m'exempter.
" B. horrible.
''■' B. (nous) [me].
'^ B. immense érudition.
" B. [peser, confronter]. — M. < peser >.
''■ B. [les révélations,].
'" (qu')-
'• B. (qu'on me) propose[s] dans tous les pays du monde.
t fc!. dans le manuscrit, un espace de quelques lignes laissé en blanc.
EDITION ORIGINALE 323
parlé aux hommes. Pourquoi donc n'en ai- j je rien entendu? Il a chargé [141]
d'autres hommes de vous rendre sa parole. J'entends : ce sont des
hommes qui vont me dire ce que Dieu a dit. J'aimerois mieu.\ avoir
entendu Dieu lui-même; il ne lui en auroit pas coûté davantage, &
j'aurois été à l'abri de la séduction. 11 vous en garantit, en manifestant
la mission de ses envoyés. Comment cela? Par des prodiges. Et où sont
ces prodiges? Dans des livres. Et qui a fait ces livres? Des hommes. Et
qui a vu ces prodiges? Des hommes qui les attestent. Quoi ! toujours des
témoignages humains? toujours des hommes qui me rapportent ce que
d'autres hommes ont rapporté? Que d'hommes entre Dieu & moi ^ !
V'oyons toutefois, examinons, comparons, vérifions. O si Dieu eût daigné
me dispenser de tout ce travail, l'en aurois-je servi de moins bo/i cœur ^?
Considérez, mon ami, dans quelle | horrible discussion me voilà [142]
- Parmi les banalités de cette argumentation, dont on a vu que presque toutes
les idées se retrouvaient chez les déistes du XVII' et du XVIH' siècle, ce cri
d'étonnement ingénu met une note personnelle, où il entre à la fois de l'orgueil
rousseauiste et la fière indépendance d'une conscience protestante. L'archevêque de
Paris ayant iugé cette « plainte » peu « sensée » (Cf. Mandement, 111. 5i 1, Rousseau la
développa avec une véhémence et une naïveté complaisantes, Lettre à .\t. de Beaumont,
111, 100, 101. 106 : « Considérez donc, de grâce, qu'il est tout h fait dans l'ordre que
des faits humains soient attestés par des témoignages humains; ils ne peuvent l'être
par nulle autre voie : je ne puis savoir que Sparte et Rome ont existé que parce que
des auteurs contemporains me le disent: et entre moi et un autre homme qui a vécu
loin de moi, il faut nécessairement des intermédiaires. .Mais pourquoi en faut-il entre
Dieu et moi ? et pourquoi en faut-il de si éloignés, qui en ont besoin de tant d'autres?
Est-il simple, est-il naturel que Dieu ait été chercher .Moïse pour parler à Jean-Jacques
Rousseau » ? Quelques lignes après la Profession de foi, il reprenait cette même
formule dans un tout autre e.xposé. mais pour affirmer comme ici l'autonomie religieuse
et morale de la conscience. 11, 288 : « C'est alors seulement qu'il trouve son véritable
intérêt à être bon, à faire le bien loin des regards des hommes et sans y être forcé par
les lois, à être juste entre Dieu et lui ». — Comparez, sinon pour le contenu des idées,
au moins pour l'accent, qui est le même, cette phrase de Calvin, Institution chrétienne,
III, XIX, 16 '74], 693 : «Je suis coupable devant Dieu, comme ayant transgressé ce qu'il
m'avait défendu entre lut et moi ». Cf Nouvelle Héloïse (IV, xiiii, IV. 33i : « Mais toi,
Julie, ô toi. qui, brûlant d'une flamme pure et fidèle, n'étais coupable qu'aux yeux des
hommes et n'avais rien à te reprocher entre le ciel et toi » ; Confessions, VIII, 164:
« Dans les choses indifférentes, elle [.M** de Warens] aimait à obéir ; et, s'il ne lui eût pas
été permis, prescrit même, de faire gras, elle aurait fait maigre entre Dieu et elle, sans
que la prudence eût eu besoin d'y entrer pour rien » ; et 298 : « Rien de grand et de beau
ne peut entrer dans un cœur d'homme, dont je ne fusse capable entre le ciel et moi ».
' Comparez avec Le Militaire Philosophe [iSo"»"], i28-i35, chap. XV ; « Des
livres, des discours ne sont pas des moyens dont Dieu ait pu se servir pour instruire
les hommes », et chap. XVI : « Des religions établies sur des livres et des discours
ne viennent point de Dieu ».
324 REDACTIONS MANUSCRITES
[1 pour en assigner les] tems, les lieux, les auteurs, -quelle justesse
de critique m'est nécessaire pour [distinguer les pièces authentiques
des pièces supposées] ^ comparer les objections aux réponses ["* les
traductions aux originaux pour juger de l'impartialité des témoins
* de leur lumières] pour savoir si l'on n'a rien ''supprimé, rien
changé rien falsifié, ^pour 'résoudre les contradictions qui restent]
pour juger quel poids doit avoir le silence des adversaires dans les
faits allégués contre eux. Si ces allégations leur ont été connues,
s'ils en ont fait assés de cas pour daigner y répondre, si les livres
^ étoient assez communs pour que les nôtres leur parvinssent si
nous « ^ avons » [été] d'assés bonne foi pour ("'laisser) cours aux
leurs parmi nous '*.
Tous ces monumens reconnus pour '^ incontestable s il faut
'^ensuitte ('^ examiner) les preuves de la mission '^ divine de leur
auteur il faut "■ connoitre à fond [les loix des sorts les probabilités
eventives pour ('' décider) quelle prédiction '* peut s'accomplir
' (de quelle (justesse) [connoissance] de criti que, des langues).
- B. [les occasions!] — I. [les occasions].
■' B. pour (suivre,) comparer.
■* B. [les traductions aux originaux].
^ B. de leur bon sens.
" B. (falsifié) [supprimé rien ajoijté rien transposé! (rien) changé, (rien
supprimé) [falsifié]. — M. < rien ajouté >. — I. rien ajouté, [rien transposé,]
(rien) changé (rien) falsifié.
■ B. (résoudre) [lever].
* (ont toujours).
" [(étions)].
'" (que) [donner].
" B. [et pour y laisser leurs plus fortes objections tels qu'ils les avoient
faites]. — M. parmi nous, etc. < et pour y laisser avoient faites >.
'- incontestable (sic).
" B. passer ensuite aux preuves.
•* [mol illisible].
'■' B. < divine > de leurs auteurs.
"' B. (étudier) [(connoitre) bien savoir] les loix. — M. connoitre les loix.
'■ [juger].
'« B. [ne].
EDITION ORIGINALE
325
eni,'agé '; de quelle immense érudition jai besoin pour remonter dans
les plus hautes antiquités; pour examiner, peser, confronter les prophéties,
les révélations, les faits, tous les monumens de foi proposés dans tous
les pays du monde; pour en assigner les tems, les lieux, les auteurs, les
occasions! Quelle justesse de critique m"est nécessaire pour distinguer les
pièces authentiques des pièces supposées; pour comparer les objections
aux réponses, les traductions aux originaux; pour juger de l'impartialité
des témoins, de leur bon sens, de leurs lumières; pour savoir si l'on
n'a rien supprimé, rien ajouté, rien transposé, changé, falsifié: pour lever
les contradictions qui restent; pour juger quel poids doit avoir le silence
des adversaires dans les faits allégués contre eux; si ces allégations leur
ont été connues; s'ils en ont fait assez de cas | pour daigner y répondre;
si les livres étoient assez communs pour que les nôtres leur parvinssent;
si nous avons été d'assez bonne-foi pour donner cours aux leurs parmi
nous, & pour v laisser .leurs plus fortes objections, telles qu'ils les avoient
faites '.
Tous ces monumens reconnus pour incontestables, il faut passer
ensuite aux preu\es de la mission de leurs auteurs: il faut bien savoir
[143]
' L'obiection est présentée de même par Marie Huber, Re/igion essentielle [i5i],
I, 69-71. Elle distingue deux méthodes pour arriver à reconnaître la Révélation, l'une,
où l'on « supposerait seulement que ce livre pourrait bien être divin dans son origme »
et où on « inviterait à en juger par les caractères qu'il porte »; l'autre, où l'on s'atta-
cherait aux preuves traditionnelles, miracles, prédictions, etc. Celui qui adopterait cette
dernière méthode, dit Marie Huber, « serait engagé à des discussions sans fin, et ces
discussions n'aboutiront jamais à une évidence parfaite. Il faudrait qu'en rétrogradant
d'une génération à l'autre, pour arriver jusqu'à ces hommes à qui Dieu a dicté ce Livre,
il put s'assurer sans équivoque que nul d'entre eux n'a pu ni tromper ni être trompé
lui-même. Si l'on dit que ces hommes inspirés ont prouvé la divinité de leurs écrits
par des miracles », etc.. tout le développement continue comme chez Rousseau. — Des
deux méthodes indiquées par Marie Huber, Rousseau adoptera la première à la fin de la
Profession, quand il mettra en valeur « les caractères de vérité si grands, si frappants,
si parfaitement inimitables » de l'Évangile. 11 se rallie ici à la seconde, mais pour en
montrer l'insuffisance. C'est, d'ailleurs, à ce point de vue tout extérieur et historique,
que se plaçaient les « philosophes » contemporains, pour juger et récuser le Christia-
nisme. Rousseau se séparera d'eux dans son attitude finale, mais il commence par
utiliser leur critique.
' Même argumentation chez Diderot; cf. Pensées philosophiques, L.\ [177], ii4 :
« Vous présentez à un incrédule un volume d'écrits dont vous prétendez lui démontrer
la divinité. Mais avant que d'entrer dans l'examen de vos preuves, il ne manquera
pas de vous questionner sur cette collection. A-t-elle toujours été la même? Sur
quel fondement avez-vous donné la préférence à ce manuscrit? Qui vous a dirigé
dans le choix entre tant de copies différentes » ? etc. Cf. encore Meslier [240], 3o2 :
« Il faudrait savoir : l'i si ceux que l'on dit être les premiers auteurs de ces narrations
e sont véritablement; 2") s'ils étaient gens de probité, dignes de foi, sages et
éclairés, et s'ils n'étaient point prévenus en faveur de ceux dont ils parlent si avanta-
326 RÉDACTIONS MANUSCRITES
sans miracle Me génie de l'éloquence orientale pour (-drcider) ce
qui est ^ une prédiction Idans ces languesj et ce qui n'est ■■ qu'une
figure oratoire] Mes loix de la nature pour («examiner) ce qui est
prodige ou ce qui n'est pas pour ' dire jusqu'à quel point un homme
adroit peut fasciner les veux des simples '*et| jusqu'à quel point
il ne le peut plus. Chercher ■* de quelle ("' nature) doit être un prodige
et laquelle authenticité il doit avoir ['^- non-seulement] pour être
cru mais pour qu'^Ml ne) soit ('* permis a personne de 'Me révoquer
en doute) lsa^'oir?| comparer ''Mes preuves des prodiges qu'il
faut admettre aux preuves des prodiges qu'il faut rejetter et trouver
les régies " à suivre en pareil cas. ['* Dire enfin pourquoi Dieu
choisit pour attester sa parole des mo\ens qui ont eux mêmes
si grand besoin d'attestation. Comme s'il ('■' étoit bien aise de)
' B. (et quelle ne le peut pas) le génie des [(diverses)] langues (orientales)
[originales]. — M. [le génie des langues orientales].
* [distinguer].
■■' B. < une >.
* B. que figure oratoire.
■'' B. [quels faits sont dans] l'ordre de la nature (dans toutes ses loi.x pour
décider ce qui est prodige et ce qui ne l'est pas) [et quels autres faits n'y sont
pas]. — I. (l'ordre de la nature dans toutes ses combinaisons pour décider ce
qui est prodige et ce qui ne l'est pas) [quels faits sont dans l'ordre de la nature.
et quels autres n'v sont pas] pour dire.
" [décider].
' B. (savoir) [dire].
* B. (et je) [peut étonner même les gens éclairés] chercher. — M. [peut
étonner même les gens éclairés]. — I. (pour) [peut] étonner.
■' (pourquoi les prodiges faits Tquelle authentic né]).
'" [espèce].
" M. quel degré d'authenticité.
'■ B. (pour) non seulement.
'•■• [on].
'^ [punissable d'en douter].
'■'■ [(ne pas)].
'" B. les preuves des vrais et des fau.x prodiges et trouver. — M. les vrais et
les faux prodiges.
" B. pour les (distinguer) [discerner]. — I. [sures] pour discerner.
'* B. «. Dire y [(trouver)].
'" [se plaisoit à]. — B. se jouoit de (l'incrédulité) [la crédulité]. — M. l'incré-
dulité.
EDITION ORIGINALE 327
les loix des sorts, les probabilités éventives -. pour juger quelle prédiction
ne peut s'accomplir sans miracle; le génie des langues originales, pour
distinguer ce qui est prédiction dans ces langues, & ce qui n'est que
figure oratoire; quels faits sont dans l'ordre de la Nature, & quels autres
faits n'y sont pas; pour dire jusqu'à quel point un homme adroit peut
fasciner les veux des simples, peut étonner même les gens éclairés;
chercher de quelle espèce doit être un prodige | & quelle authenticité il [144]
doit avoir, non-seulement pour être cru, mais pour qu'on soit punissable
d'en douter: comparer les preuves des vrais & des faux prodiges, &
trouver les régies sûres pour les discerner'; dire enfin pourquoi Dieu
choisit, pour attester sa parole, des moyens qui ont eux-mêmes si
grand besoin d'attestation, comme s'il se jouoit de la crédulité des
hommes, & qu'il évitât à dessein les vrais movens de les persuader.
geusement: 3'l s'ils ont bien examiné toutes les circonstances des faits qu'ils rappor-
tent, s'ils les ont bien connues, et s'ils les rapportent bien fidèlement; 4*) si les livres
ou les histoires anciennes qui rapportent tous ces grands miracles n'ont pas été
corrompus dans la suite du temps comme quantité d'autres l'ont "été »; Examen de la.
Religion [iji]. 87, etc. — Dans cette énuniération des conditions requises par l'historien
avant d'accepter un récit, Rousseau s'est sans doute souvenu des règles de Saint-.\ubin
pour « la bonne critique de l'histoire », Traité de l'opinion [141], I, 247 : « Pour
démêler quel jugement le critique doit porter sur les histoires suspectes, il doit
remonter à la première et peut-être à l'unique source qu'elles ont Il faut ensuite
considérer diligemment dans quel temps écrivait celui qui a le premier inventé le fait
incertain, quelle était sa profession, quel parti il suivait, et surtout quel attachement
il a eu pour la vérité et quelle a été son exactitude dans tous ses ouvrages. On
doit aussi compter et peser les témoignages uniformes s'il s'en trouve », etc. Il faut
se rappeler, d'ailleurs, que Rousseau avait lu de très près l'Ars critica de Leclerc
[ri3] et en avait fait des extr.iits. La III.' Partie de l'.Ars critica, « De emendandi
ratione, libris suppositis et scriptorum stvio », contient précisément de nombreux
exemples de méthode critique empruntés à l'.Ancien et au Nouveau Testaments. Les
plus significatifs de ces exemples ont été très soigneusement notés par Rousseau :
Cf. Cahiers de Neuchâtel [5 , 3o v". Sur la même feuille de ce cahier, Rousseau a copié
un passage des Voyages de Moiiconys ^82], II, 33o, où Samuel le Juif expliquait au
voyageur le vrai sens du fameux verset d'Isaïe ; Ecce virgo concipiet.
' C'est-à-dire les probabilités qui peuvent se réaliser. C'est le seul exemple du
mot qui me soit connu. On trouve chez Rousseau plusieurs néologismes de formation
analogue ; cf., plus haut, p. 71 et note 2 : « aggrégatif»; cf. encore les autres exemples
de Rousseau rassemblés par Gohin, Transformations de la langue française [2jii\
277-278: « compulsif, confédératif, retorsif, inactif». .M. Gohin y ajoute à tort : initiât if.
Il emprunte ce mot au Supplément de Littré. qui lui-même renvoie à ce texte de
Rousseau, d'après un article du Journal des Débats du 12 Décembre 1876 : « Pierre
[le Grand avait le génie initiatif-». .Mais la citation est fausse. Le texte, qui appartient
au Contrat Social lil, viii), III, 33o, est le suivant : « Pierre avait le génie imitatif i>.
' Ces difl^cultés — pratiquement insurmontables, pour qui veut « discerner »
par la «raison » les «vrais» miracles des prestiges et des faits extraordinaires, mais
naturels, — ont été longuement développés par Rousseau dans la III' des Lettres de la
Montagne, III, i53-i62.
328 RÉDACTIONS MANUSCRITES
l'incrédulité des hommes et qu'il ' eut peur (-' qu'ils ne fussent)
« trop » aisément « persuadés »].
f° 169 ''° Il ^ Supposons que la majesté divine daigne s'abbaisser
asses pour rendre un homme l'organe de ses volontés sacrées
est il raisonnable est il juste ^ de vouloir que tout le genre
humain obéisse à la voix de ce ministre (^ de Dieu '' sans
' le mettre en état de se faire) connoitre pour tel " à la face
du genre humain. ■' Y a-t-il de l'équité à '«^ ne lui donner
pour toutes lettres dei créance que "quelques (^'^ petits) miracles
particuliers faits devant ('^ des gens) obscurs « "dont » tout le
"reste des hommes ne saura jamais [rien] que par oui dire 1*.
' [évitât les- vrais moyens de les persuader]. — B. évitât à dessein les vrais
moyens de les (convaincre) [persuader]. [C'est l'ordre « inaltérable de la nature
qui montre le mieux l'Etre suprême, s'il arrivoit beaucoup » d'e.xceptions ie ne
saurois plus qu'en penser, et [pour moi] je crois trop en Dieu pour croire (aux
miracles) [à tant de (prodiges) miracles si peu dignes de lui (surtout)] (à ceux que
tant de gens [de toutes sectes] ont [si souvent] faits en son nom)]. — M. (N'est-ce
pas l'ordre l'Etre suprême qui la régit i^ S'il arrivoit... penser et (tropl pour
moi je crois trop sincèrement en Dieu pour croire à tant de miracles).
^ (d'être) [de les voir].
^ B. (.Mais).
■■ B. d'exiger.
■^ [céleste]. — B. < céleste >.
" [voulant le faire]. — B. sans le [lui] faire connoitre.
' [(lui donner)].
' B. (à tous les hommes).
' (11).
'" (vouloir nous punir de n'avoir pas cru lesl.
" M. des prophéties que ceux qui l'écoutent ne peuvent vérifier, ou des
signes particuliers.
'- B. (miracles obscurs) [signes particuliers].
'■■' [peu de gens].
" [« que »]. — B. et dont.
'^ I. (genre) reste des hommes.
'" B. Par (tout) [tous] les pays du monde si l'on tenoit pour vrai[s] (tout ce;
[tous les prodiges] que le peuple et les simples disent avoir vu[s] (il y auroit plus
de sectes [toutes les religions seroient]) [chaque secte] seroit la bonne (et) il y
auroit plus de (miracles) [prodiges] que d'evenemens naturels et le plus grand de
tous les miracles seroit que là où il v a des fanatiques (et des friponsi [persécutés]
ÉDITION OKIGINALF 329
Supposons que la Majesté divine daigne s'abaisser assez pour rendre
un homme l'organe de ses volontés sacrées; est il raisonnable, est-il
juste d'exiger que tout le genre humain obéisse à la voix de ce ministre,
sans le lui faire connoître pour tel? Y a-t-il de l'équité à ne lui donner
pour toutes lettres de créance, que quelques signes particuliers faits devant
peu de gens obscurs, & dont tout le reste des | hommes ne saura jamais A^^l
rien que par oui-dire '? Par tous les pays du monde si l'on tenoit pour
vrais tous les prodiges que le peuple & les simples disent avoir vus,
chaque secte seroit la bonne, il y auroit plus de prodiges que d'événemens
naturels; & le plus grand de tous les miracles seroit que, là où il y a des
fanatiques persécutés, il n'v eût point de miracles 2. C'est l'ordre inalté-
rable de la Nature qui montre le mieux l'Etre suprême (^); s'il arrivoit
beaucoup d'exceptions, je ne saurois plus qu'en penser; & pour moi, je
crois trop en Dieu pour croire à tant de miracles si peu dignes de lui '.
Qu'un homme vienne nous tenir ce langage : .Mortels, je vous
I" I C, D : montre le mieux la sage mai» qui la régit.
' (Comparez ces réflexions avec celles du préposant gascon que rencontre Jacques
Massé il II], 465-466: «Quelle idée pouvez-vous avoir de Dieu, qui, selon vous, esi
maître souverain de tout l'univers, et qui en peut disposer toutes les parties comme
il veut, si vous crevez que, pour faire connaître sa volonté au ^enre humain, il lui taille
employer des gens obscurs, ignorants ou fanatiques, pour écrire des livres, ou pour
prophétiser, ou prêcher, dans un coin reculé de la terre, et parmi une troupe de gens
ignorants, sans que les nations savantes et polies en aient aucune connaissance.
Trouvez-vous que ce soit là le vrai moyen de faire sentir à tous les hommes une chose
si nécessaire que la volonté de Dieu »?
= Cf. .Meslier [240], 3oo : « Il n'y a point de religion, si fausse qu'elle puisse être,
qui ne prétende s'appuyer sur de semblables motifs de crédibilité Il n'y en a point
qui n'ait eu de doctes et de zélés défenseurs, qui ont souften de rudes persécutions
pour le maintien et la délense de leur religion; et enlin il n'y en a point qui ne
prétende avoir des prodiges et des miracles qui ont été faits en sa faveur ».
" Voltaire [242], 278 : « Excellent ». Cependant Rousseau ne nie pas absolument
toute espèce de miracles: cf. la III" des Lettres de la Montagne, III, 162 : « Ces
objections ne sont pas des négations... Quoi donc! celui qui n'admet pas tous les
miracles rejette-t-il tous les miracles? Et faut-il croire tous ceux de la légende pour
croire l'ascension de Christ»? Ce n'est pas là une simple précaution oratoire: les
premières rédactions des manuscrits semblent en certifier la sincérité. Dans F et
dans I. il parle de ces « petits miracles», «qui ne font que discréditer les grands ».
comme s'il y en avait quelques-uns hors de pair auxquels il ne refusait point son
assentiment : la formule même qu'il emploie : « les vrais et les faux prodiges » (p. 1441,
« les vrais et les faux miracles » IF, f" 169 '"1, semble bien indiquer que dans sa pensée,
il v avait eu des miracles réels; Cf. Diderot. Règne de Claude et de Néron [58], 111, q< :
330 REDACTIONS MANUSCRITES
' Supposons un ('- mortel) qui vint (^ vous) tenir ce langage.
Mortels, je vous annonce la volonté du très haut, reconnaissez
à ma voix celui qui m'envoye, ^ j'ordonne au soleil de changer
sa course, faux étoiles de éprendre un autre arrangement "aux
' alpes de (* se transporter à la mer) ; ■' à la terre ('" de se couvrir
tout à coup " de fruits et de fleurs). « '- A la mer » de s'élever
dans les airs. (« " Je » vous parle au nom du) maitre de la
nature elle n'obéit '^ pas aux imposteurs '"-mais, (c'est par des
prestiges particuliers qu'ils en imposent et c'est de ceux là qu'il faut
se défier. Quel vrai miracle n'a pas été contrefait par de faux
il ^ n'y eut point de miracles. C'est l'ordre. Ci devant. (Sic. Rousseau renvoie
par un signe à la phrase qu'il avait d'abord ajoutée à la fin du paragraphe
précédent b). Qu'un homme vienne nous tenir ce langage. — M. Qu'un homme
vienne nous dire.
») M. ne se fit point.
l'I M. C'est rordre inaltérable... le mieux la plus sage main
qui la régit. S'il arrivoit... je crois trop sincèrement en Dieu...
de miracles si peu dignes de lui. —I. C'est l'ordre inaltérable...
pour croire à tant de ipetitsi miracles iqui ne t'ont que decré-
diter les grands) [si peu dignes de lui].
' (Prophètes vous vous plaignez de n'avoir pas... en coùleroit il plus à la
toute puissance).
- [homme].
' [nous].
* B. (j'ord ONNE en son noi'n) j'ordonne au soleil.
' B. (prendre) [former].
'■■ M. au.\ flots de s'élever, au.x montagnes de s'applanir. — I. [(au.x flots de
s'élever)] au.x montagnes de s'applanir. aux flots.
* B. montagnes.
* [(s'élever dans les airs... disparoitre... de se dépêcher... ne...) s'aplanir].
" B. (à la mer) [aux flots] de s'élever, (dans) à la terre.
'" [d'étaler la parure d'une autre saison]. — B. de (changer de parure)
[prendre une sic autre aspect!. — M. un nouvel aspect.
" [(de verdure)].
'^ [(aux fleuves)]. — B. < à la mer de s'élever dans les airs >.
" [(c'est?) à ces prodiges qui ne reconnoitra pas à l'instant le]. — B. A (ces
[au crayon repassé à l'encre : de tels] prodiges [non suspects]) [ces merveilles]
qui ne reconnoitra.
" B. point.
'■■ B. [(mais)] leurs miracles se font [(aux) dans îles carrefours |Ou) dans des
déserts] dans des chambres, et c'est là qu'ils ont bon marché des spectateurs
[déjà disposés à tout croire]. Qui est ce qui m'osera dire. — M. d'un petit nombre
de spectateurs. — I. bon marché [d'un petit nombre] de(s) spectateurs |déja
disposés à tout croire].
EDITION ORIGINALE 33I
annonce la volonté du très-Haut; reconnoissez à ma voix celui qui
m'envoye. J'ordonne au soleil de changer sa course, aux étoiles de
former un autre arrangement, aux montagnes de s'applanir, | aux flots [146]
de s élever, à la terre de prendre un autre aspect : à ces merveilles, qui
ne reconnoîtra pas à l'instant le maître de la Nature 1? Elle n'obéit point
aux imposteurs: leurs miracles se t'ont dans des carrefours, dans des
déserts, dans des chambres; & c'est là qu'ils ont bon marché d'un petit
nombre de spectateurs déjà disposés à tout croire ^. Qui est-ce qui m'osera
dire combien il faut de témoins oculaires pour rendre un prodige digne
de foi? Si vos miracles faits pour prouver votre doctrine ont eux-mêmes
besoin d'être prouvés, de quoi servent-ils? Autant valoit n'en point faire '.
« Il [Rousseau me protestait un )Our que peu s'en fallait qu'il ne crût ;< la
résurrection ». — La fin de ce paragraphe fait défaut dans la Première Rédaction : c'est
le résidu abstrait du développement sur les vampires, qui a été supprimé depuis :
cf. p. 146 et note 3.
' Voltaire [242. 278 : « Et moi. je reconnaîtrais le mauvais principe, l'Ariman,
qui viendrait gâter l'ouvrage d'Oromaze ».
' Il est vraisemblable qu'en écrivant ces lignes Rousseau songeait aux convulsion-
naires de Saint-.Médard et .lux miracles du diacre Paris : cf., en effet, ce qu'il en dit
dans sa Lettre à M. de Beaumont, III, 101-102.
' Dans la Première Rédaction, cette phrase servait de conclusion à un dévelop-
pement d'actualité sur les vampires, que Rousseau a cru devoir sacrifier, soit parce qu'il
désirait mamtenir la discussion sur le terrain des idées générales, soit parce que la
date des événements auxquels il faisait allusion ne concordait pas avec la date supposée
de la Profession. Le sacrifice a, d'ailleurs, été provisoire, car il a utilisé les notes
qu'il avait prises sur ce sujet dans la Lettre à M. de Beaumont, III, 101 : « S'il y a dans
le monde une histoire attestée, c'est celle des vampires ; rien n'y manque, procès-
verbaux, certificats de notables, de chirurgiens, de curés, de magistrats : la preuve
juridique est des plus complètes. \\ec cela, qui est-ce qui croit aux vampires? Serons-
nous tous damnés pour n'y avoir pas cru » ? L'attention de Rousseau pouvait avoir
été attirée sur les vampires par Vernet, Vérité de la Religion [162 , VI, 276-277, ou
par d'.Argens (dans la 137* des Lettres Juives jbo., IV, 156-1621, qui fournissait
certificats et références. Je croirais cependant plus volontiers, — puisque, comme on va
le voir par la note suivante, Rousseau lisait les ouvrages de Dom Calmet — que la
source probable doit être cherchée dans la Dissertation sur les Revenants en corps, les
excommuniés, les oupires ou vampires, brucoliques, etc., qui lait partie des Disser-
tations sur les apparitions et sur les revenants et vampires, publiés par Calmet
en 1746 '175 A" : cf., en particulier, pp. 274-27S, ou nouvelle édition 173 B . II, 3i-39.
332 REDACTIONS MANUSCRITES
miracles semblables quel mensonge n'a pas (' été asses attesté par)
des peuples fanatiques (^ comme les plus incontestables vérités).
Depuis quelque tems toutes les nouvelles publiques ne nous parlent
que des Wampires il n'y ^ eut jamais de fait plus juridiquement j
attesté que leur existence. Avec cela montrez moi dans toute l'Europe
un seul homme de sens qui croye aux Wampires et qui daignast
seulement en aller vérifier la fausseté). Qui est-ce qui m'osera dire
combien ■* il faut de témoins oculaires pour rendre un prodige
digne de foi. (* Quelle preuve n'est-ce point contre un miracle qu'il
ait) besoin d'être prouvé. "Autant valoit ' n'en point faire.
* Après toutes ces (^ difficultés)] il nous reste " encore '' un
examen à faire dans '-le caractère (de) la doctrine annoncée car f
B, f" 173 ■"" puisque ceux qui '■■' disent que Dieu fait " des ('^ prodi ges) pré-
' [eu chez].
- [les plus authentiques attestations],
' (a rien dans toutes... tous les monumensi.
^ B. [il faut].
' [Si vos miracles ont]. — B. Si vos miracles laits pour prouver votre
doctrine ont eu.x-mêmes besoin d'être prouvés. — I. ont eux-mêmes [si grand]
besoin de preuves.
'' B. de quoi servent-ils .•' Auiant.
' B. (d'abord raisonner eti n'en point faire.
* B. (Après toutes ces considérations, il nous). — M. Après toutes ces consi-
dérations il nous reste un ê.\amen. — I. (.Vpresi Reste enfin.
" [considérations].
'" B. (encore) [enfin]. — M. < enfin >.
" B. (un examen à fairel [(un) examen plus important (que tout autre)
l'examen le plus]. — M. un examen plus important que tout autre dans la doctrine.
'- B. < le caractère de >.
" M. crovent aux miracles de Dieu crovent aussi aux prestiges du Diable,
, avec les prodiges les mieux.
'* I. (des) ici bas des miracles.
'' [miracles],
t Le texte de F n est pas ici interrompu : c'est moi qui l'arrête à ce
mot. pour introduire l'addition de B. qui s\' intercale exactement.
— Dans B. en face de ce noui'eau développement sur les rapports des
miracles et de la doctrine. Rousseau a écrit au i"' du /'» ij3 : N. B.
V. Calmet dissertation sur les vrais et les fau.x miracles.
ÉDITION OKIGINALE 333
Reste enfin Texamen le plus important dans la doctrine annoncée <;
car puisque ceux qui disent ^ que Dieu fait ici-bas des miracles, préten-
dent que le diable les imite quelquefois, avec les prodiges les mieux
' Comme on le verra par la Première Rédaction et par la note suivante, Rousseau
allait passer à l'examen de la doctrine sans étudier les rapports de cette doctrine
avec les miracles, si une Dissertation de Dom Calmet, en essayant de résoudre une
objection, n'avait pas abouti au résultat contraire et ne lui en avait pas révélé toute
la force. Et pourtant les apologistes avaient plus d'une fois insisté sur l'étude de
la doctrine comme confirmation des miracles : cf., par e.\emple, Clarke, Existence de
Dieu. II, ig [i25], 111, [5i-i54, qui insistait précisément sur l'épisode du magicien de
Pharaon et traçait à ce propos les règles suivantes : « i) Si la doctrine attestée par les
miracles est impie en elle-même, si elle tend manifestement à fomenter le vice, [les
miracles sont fau.x et la doctrine est à rejeter]. 2") Si la doctrine, attestée par des miracles,
est indirtérente de sa nature , si, d'ailleurs, il se trouve qu'il y ait d'un autre côté des
miracles plus grands et en un plus grand nombre, ou du moins accompagnés de
circonstances qui fassent voir clairement que la puissance qui a opéré ces derniers
est supérieure à la puissance qui a fait les premiers : il est indubitable alors que la
doctrine, à laquelle la plus grande puissance rend témoignage, est celle qui vient
infailliblement de Dieu. C'est là précisément le cas de Moïse et des Magiciens d'Egypte.
Ces magiciens firent plusieurs miracles pour prouver que Moïse était un imposteur
Moïse de son côté fit d'autres miracles plus grands et en plus grand nombre que
ceux des magiciens, pour faire voir la justice de sa prétention et de la Divinité de
sa mission... 3") Si la doctrine, pour la confirmation de laquelle les miracles sont faits,
tend naturellement à la glorification du nom de Dieu, et à faire fleurir la justice parmi
les hommes..., alors on peut poser pour certains que ces miracles viennent de Dieu ».
Rousseau qui, sans doute, connaissait cette page, n'avait pas vu tout le parti qu'on
en pouvait tirer. Ce fut Dom Calmet qui le lui fit sentir.
•> Tout ce développement, et la note qui s'y rattache, ont été ajoutés dans B après
la lecture de Dom Calmet, que Rousseau a pris soin de noter : « Dissertation sur
les vrais et les faux miracles et sur le pouvoir des Démons et des Anges sur les corps ».
Rousseau a lu ces quelque vingt pages, soit dans la grande Bible commentée par
Calmet [180'''»], 1, 697-715, soit dans le recueil des Dissertations gui peuvent servir de
prolégomènes ix l'Écriture Sainte "118], 1, 648-665.
334 RÉDACTIONS MANUSCRITES
tendent que le Diable ('en fait aussi), -avec les (^ mi racles) les mieux
attestés nous ne sommes pas plus avances qu'auparavant [et * puisque
les magiciens de pharaon (Simitoient les prodiges de « Moyse » l'envoyé de
Dieu) pourquoi ["^ dans son absence ' n'eussent-ils pas i^ exigé) ^ aux
« mêmes '" titres » " la même autorité ('- en se disant envoyés de
Dieu). 1^ Ainsi donc] ['* après avoir prouvé la doctrine par le
i° 174 "■•' miracle [* il faut H '" prouver le] miracle par la doctrine * de peur de
prendre l'œuvre du démon pour l'œuvre de Dieu. Que pensez-vous
de ce l' cercle.
F 173 ^" Il * Cela est formel dans [mille endroits de, l'écriture. (« '«Voyez »)
« entre autres » dans le Deuteronome ch : i3. ou il est dit '» positivement
que si un (-"îauxj prophète annonçant des Dieux étrangers confirme
ses discours par des prodiges et (-''par des prédictions on n'y doit) avoir
' [les imitent quelquefois], —I. [quelquefois]; avec (la doctrine) [les pro-
diges].
- (s'ils).
' [prodiges].
■• (car).
'' (faisoient) [osoient] («. entrer en concurrence * avec <^ imiter » si bien
même en la présence... et faisant... imiter) [en présence même de Moyse imiter
les signes [(faits) qu'il faisoit] par l'ordre exprès de Dieu].
'■' (Si Movse eût été absent et [dans l'absence de Moyse]).
• (ne 1'). — I. (ne pouvoient) [n"eussent]-ils pas aux mêmes titres (prétendre)
[prétendu].
" (contrefait).
'■' [(sur les)].
'° [(preuves)].
" (« obtenu » aussi exigé la... exercé la...) [prétendu la].
'- (sur les mêmes preuves... qu'il prétendoit).
" M. < Ainsi donc >.
''' (il faut donc) prouve(r).
'^ (et le).
'« (me).
" M. Dialéle. — I. (cercle) [dialéle].
>« [et].
"' M. < positivement >.
^" I. (faux) prophète.
-' [que ce qu'il prédit arrive loin d'y].
EDITION ORIGINALE 335
attestés nous ne | sommes pas plus avancés qu'auparavant, & puisque [147]
les magiciens de Pharaon osoient, en présence même de Moïse, faire
les mêmes signes qu'il faisoit par l'ordre exprès de Dieu *, pourquoi
dans son absence n'eussent-ils pas, aux mêmes titres, prétendu - la même
autorité? Ainsi donc après avoir prouvé la doctrine •' par le miracle,
il faut prouver le miracle par la doctrine *, de peur de prendre l'oeuvre | du 148]
Démon pour l'œuvre de Dieu. Que pensez- vous de ce dialéle ?
* Cela est formel en mille endroits de l'Ecriture, & entre autres dans le
' On a vu dans l'avant-dern ère note que ces prestiges des « magiciens d'Égvpte »
avaient déjà été rappelés par Clarté. Ils le sont aussi dans Calmet Îii8], I. d5i :
« L'Écriture nous dit que les magiciens de Pharaon changèrent en serpents les verges
qu'ils tenaient, qu'ils changèrent l'eau en sang et qu'ils contrefirent encore le troisième
des miracles que Moïse avait fait ».
- Sur cet emploi de « prétendu » transitif, cf. Haase, Syntaxe française, Sg
[275], 142 : cf. encore Féraud, Dictionnaire critique ^25o], III, 25/ : « Prétendre,
c'est premièrement demander avec assurance, comme une those qui est due. Il
est actif et s'emploie avec le régime simple (l'accusatifi... : il prétend le pas sur un
tel ». Rousseau emploie aussi prétendre intransitivement, avec le sens un peu différent
qu'il comporte; cf. V' Livre d'Emile, II, 379 : « Alors la femme prétendant à l'autorité,
se rend le tyran de son chef ».
' Pascal avait déjà dit. Pensées, DCCCXLIII [83], III, 279-280 (et c'est Vernet
qui rappelle ce te.\te dans sa Vérité de la Religion, VIII, 14 [162]. V, 245» : « Il faut
juger de la doctrine par les miracles, il faut juger des miracles par la doctrine.
Tout cela est vrai, mais cela ne se contredit pas », etc. Pourtant ici encore, c'est
Calmet qui a fourni naïvement des armes à Rousseau, celui-ci s'étant contenté de
remplacer les mots usuels de « cercle » et de « pétition de principe » par le terme
plus pédant et plus sonore de « diallèle »; cf. Dissertation cit. [118], I, 660 : « Si
c'est un chrétien déjà instruit, qui se trouve entre deux faiseurs de miracles,
il doit préférer ri celui qui est approuvé par l'Église; 2") celui qui fait de plus
grands miracles; et 3*| celu' qui prêche une doctrine plus pure et plus saine: et
il doit rejeter absolument celui qui est rejeté par l'Église, qui prêche contre Jésus-
Christ, qui annonce une fausse doctrine ou une morale corrompue. Mais, me dira-t-on,
n'y a-t-il pas un cercle de raisonnement et une pétition de principe en cela? Je vous
demande une marque pour distinguer les vrais et les faux miracles; et vous me
dites que les vrais miracles sont ceux qui servent à confirmer la saine doctrine :
et. si je vous demande des preuves de la doctrine de deux prédicateurs, vous me
dites de m'en tenir à celui qui fait des miracles; que s'ils en font tous deux, de
m'en rapporter à l'Église; et, si je doute quelle est la vraie Église, vous me renvoyez
aux miracles et à la doctrine. Une chose ne peut pas servir de preuve à elle-même,
on ne doit pas donner pour principe ce qui est en question ». Rousseau ne s'arrête
pas pour l'instant à la réponse de Calmet, parce qu'elle est faite du point de vue
catholique et qu'elle ne voit de solution que dans «l'autorité de l'Église», mais
il s'en souviendra plus loin; cf. p. i65 et note i. Il a développé les contradictions
du «diallèle » dans la Lettre à M. de Beaumont, III, io3. et dans la III" des Lettres
de la Montagne, III, i63, note.
336 RÉDACTIONS MANUSCRITES
F, f" 169 "■" 1 N'enant de Dieu elle doit porter ' le sacré caractère de la
aucun égard ('^ mais) de) mettre * à mort. Quand donc (■'' dans '■ les
fausses religions on ' mettoiti à mort (^ les ^ ministres du vrai Dieu confirmant
leur doctrine par des miracles et des) '"prophéties l' je ne vois pas (« '^ ce qu'on »
pouvoit objecter de raisonnable. Es ne faisoient qu'user de représailles sur les
principes ''mêmes de l'auteur sacré). "Que (pouvoit-on donc) faire '^ en
pareil cas ("^de part et d'autre). [« Revenir au raisonnement » et] laisser-Ià
« 1' les » miracles: '^ autant « '^ eut valu » (-" n' 21 en point îaire). C'est là
du bon sens le plus simple auquel on ne (-'- repond) qu'à force de (--^ ruses qui
peuvent étourdir im esprit vulgaire) mais Jésus a donc eu tort de promettre
' B. Cette doctrine venant de Dieu doit.
- la sacré caractère (sic).
■' [on doit].
■" [ce prophète].
■' [les payens mettoient]. — I. les (Apôtres révélant) payens.
'■• [d'autres].
' [eut mis].
" (aux).
' [(prophètes) Apôtres (annonçant) révélant (un) au peuple un Dieu inconnu
et (au.\) prouvant sa mission par des]. — M. Apôtres annonçant au Peuple...
prouvant leur mission.
'" M. prédictions. — I. (prophéties) [prédictions].
" [et des miracles].
'- [(quel... réponse on pouvoit leur faire) ce qu'on (pouvait rai sonnablement)
avoit à leur objecter (sans une ridi cule) de solide qu'ils ne (rétorquassent)
pussent à l'instant rétorquer contre nous (sur nos propres)]. — I. ce qu'on
(pouvoit) [avoit à] leur objecter de solide qu'ils.
" (de).
'■' [Or].
'"• [(donc)].
'" M. (laissons-là les miracles). Une seule chose. — I. [une seule chose :]
(Se) Revenir au.
■' (des).
'* (« de » part et d'autre).
'" [(valoit)]. — M. eu valu (sic).
-" [n'y pas recourir].
-' [(avoir pas à en faire faire)].
-- [repondra jamais].
-" [(subterfuges et de pures) subtilités]. — M. distinctions tout au moins
très subtiles. Des subtilités dans le christianisme! Mais Jésus. — I. qu'à force
de (subtilités) [distinctions tout au moins très subtiles]. Des subtilités [dans le
christianisme! Mais] Jesus-Christ.
EDITION ORIGINALE 337
Cette doctrine venant de Dieu, doit porter le sacré caractère de la
Deuteronome, Chapitre XIII *. où il est dit que, si un Prophète annonçant des Dieux
étrangers confirme ses discours par des prodiges, & que ce qu'il prédit arrive,
loin d'v avoir aucun égard on doit mettre ce Prophète à mort. Quand donc
les Pavens mettoient à mort les Apôtres leur annonçant un Dieu étranger, &
prouvant leur mission par des prédictions & des miracles, je ne vois pas ce qu'on
avoit à leur objecter de solide, qu'ils ne pussent à l'instant rétorquer contre
nous '. Or que faire en pareil cas ? Une seule chose : Revenir au raisonnement, &
laisser-là les miracles. Mieux eût valu n'y pas recourir '. C'est là du bon-sens le
plus simple, qu'on n'obscurcit qu'à force de distinctions tout au moins très-
subtiles. Des subtilités dans le Christianisme! Mais Jesus-Christ | a donc eu tort [1481
de promettre le royaume des Cieux aux simples ? il a donc eu tort de commencer
le plus beau de ses discours par féliciter les pauvres d'esprit; s'il faut tant
d'esprit pour entendre sa doctrine, & pour apprendre à croire en lui? Quand
vous m'aurez prouvé que je dois me soumettre, tout ira fort bien : mais pour me
prouver cela, mettez-vous à ma portée; mesurez vos raisonnemens à la capacité
* Le texte a été fourni à Rousseau par Calmet [ii8], I, 65i : « Moïse nous
précautionne contre les miracles des faux prophètes (Deuter. XIII, i, sqq.l d'une
manière qui semble prouver qu'il ne doutait pas que le démon n'en pût faire
par leur moyen. S'il s'élève, dit-il. au milieu de vous un Prophète : ou un homme
qui prétend avoir eu des songes prophétiques, et qui vous prédise un prodige et un
miracle, et que ce qu'il vous prédise arrive, et qu'après cela il vous dise : Allons
servir des dieux étrangers : n'écoute^, point les discours de ce prophète ; car c'est que
le Seigneur vous tente ».
* Voltaire [242], 278 : « Bon ». — C'est encore Calmet qui a indirectement
suggéré cet argument à Rousseau, . en indiquant quelle devait être, d'après lui,
l'attitude d'un « païen » à l'égard d'u 1 faiseur de miracles; cf. Dissertation '118],
I, 660 : « Lorsqu'on parle de l'impression que les miracles doivent faire sur les
esprits, on doit distinguer divers états et divers degrés de personnes. Un homme,
par exemple, qui est dans l'ignorance de la vraie Religion, un Païen, doit croire
la doctrine qu'on lui propose, et qu'on lui prouve par des miracles ; à moins que
cette doctrine ne soit contraire aux lumières naturelles, ou que les miracles qu'il
voit faire, ne lui donnent juste sujet d'y soupçonner de l'illusion. Que s'il vient un
second faiseur de miracles, qui détruise la doctrine du premier, le paien doit suspendre
son jugement et examiner la doctrine ».
° La fin de cette note est toute pénétrée de l'esprit de Marie Huber ;
cf Religion essentielle [i5i], V, 5o-5 1 : « Au lieu de juger que la vraie doctrine
évangéiique est vraie parce qu'elle a été écrite par inspiration divine, et de
juger qu'elle a été écrite par inspiration divine parce qu'elle a été confirmée
par des miracles, je juge qu'elle est vraie et sans détours, parce qu'elle porte des
caractères de vérité, qu'elle est établie sur des principes indubitables, qu'elle
n'aboutit qu'à y rappeler les hommes, à leur montrer les voies les plus sûres pour
arriver au bonheur du siècle à venir »; et 1, 85 : « Jésus-Christ n'a donc point
prétendu en être cru sur parole. Il a invité les hommes à l'examen. Il a pris pour
juges de ses maximes les plus simples d'entre eux. Cet examen ne pouvait avoir
lieu qu'à l'égard des choses claires, simples et à la portée de tous les hommes ».
22
338 RÉDACTIONS MANUSCRITES
divinité, ' et non seulemeni - nous éciaircir les idées ^ confuses que
(■lia raison) en trace dans nôtre esprit mais elle doit aussi nous
proposer un culte, une morale, ^ et des maximes convenables
aux attributs •'que nous concevons comme inséparables de sa nature.
le rovaume des cieux aux (esprits) simples 's'il (*ne l'accorde qu'aux (^plus)
subtils). (L'expédient de ('"soumettre son) esprit seroit admirable •' s'il faloit
moins d'esprit). Quant ('-on) m(aura) prouvé '^ qu'il faut me soumettre
tout ira fort bien " mais ['^ pour me prouver cela i« mettez vous à ma
portée « " ou » laissez moi '^ car « '■' je suis trop grossier pour (vous) entendre »
20 et trop sensé pour me soumettre avant que vous m'ayez prouvé que je le dois'.
' B. < et >.
- B. elle doit (nous).
' B. « confuses » [(obscures)].
* [le raisonnement].
' M. < et >.
'■ B. (que) [par lesquels seuls] nous concevons (comme inséparables de sa
divinité [sa nature divine]) [son essence]. — M. que nous concevons comme
inséparables de son essence. —I. que (nous concevons comme inséparables de)
[par lesquels seuls nous concevons] son essence.
' (Il devoit le). — M. Il a donc eu tort de commencer le plus beau de ses
discours par féliciter les pauvres d'esprit, s'il faut tant. — I, [11 a donc eu tort...
les pauvres d'esprit] s'il faut.
' [faut tant d'esprit pour [apprendre à] croire en lui]. —M. pour entendre
sa doctrine et pour apprendre. — I. [entendre sa doctrine et pour] apprendre.
» [(esprits)].
'" [la soumission d'].
" (si les preuves).
'- [vous] m'[aures].
" I. (qu'il faut) [que fe dois] me soumettre.
" (j'ai).
" (j'ai besoin de tant d'esprit pour entendre vos preuves... vous me prouvez
cela si subtilement que mon esprit... il me faut... des preuves si mot illisible
subtiles deux mois illisibles ne me persuadent pas).
'" (jusques là raisonnez plus simplement).
" M, mesurez vos raisonemens à la capacité d'un pauvre d'esprit; ou je ne
reconnois plus en vous le vrai disciple de vôtre maître, et ce n'est point vous
qu'il a chargé du soin de ma conversion. — I. (ou laissez-moi : je suis trop grossier
pour entendre vos subterfuges, et trop sensé pour me soumettre avant que vous
m'ayez prouvé que je le dois) [mesurez vos raisonemens... et ce n'est pas sa
doctrine que vous m'annoncez].
'* (« mais » car je ne saurois me soumettre que vous ne m'ayez).
'^ (prouvez que je le dois).
-" [(car tous?) vos subterfuges].
EDITION ORIGINALE 339
Divinité ; non-seulement elle doit nous éclaircir les idées confuses que
le raisonnement en trace dans notre esprit; mais elle doit aussi nous
proposer un culte, une morale, & des maximes convenables aux attributs
par lesquels seuls nous concevons son essence ^ Si donc elle ne nous
apprenoit que des choses absurdes & sans raison, si elle ne nous inspiroit
que des scntimens d'aversion pour nos semblables & de | frayeur pour [149]
nous-mêmes, si elle ne nous peii^noit qu'un Dieu colère, jaloux, vendeur,
partial, haïssant les hommes, un Dieu de la guerre & des combats ^ tou-
jours prêt à détruire & foudroyer, toujours parlant de tourmens, de peines,
& se vantant de punir même les innocens, mon cœur ne seroit point
attiré vers ce Dieu terrible, & je me garderois de quitter la religion
naturelle pour embrasser celle-là; car vous voyez bien qu'il faudroit
d'un pauvre d'esprit, ou je ne reconnois plus en vous le vrai disciple de votre
maître, & ce n'est pas sa doctrine que vous m'annoncez.
' Comparez cette métliode de critique intrinsèque avec celle de Chubb dans sa
Question préliminaire touchant la Religion [i36], 1 17-119. Chez lui, comme chez
Rousseau, c'est le principe de la convenance morale qui est le critérium décisif:
« Je suppose qu'un homme vienne à moi et qu'il se dise envoyé de Dieu, que cet
homme me déclare que c'est la volonté de Dieu que j'aime mon prochain comme
moi-même et qu'il ajoute qu'en me conformant à ce qu'il dit, je me rendrai
digne de la bienveillance divine , je me trouve disposé à ajouter foi à ce qu'il
dit qu'il est, savoir un Envoyé de Dieu: et quand même je me tromperais à cet
égard, l'illusion ne me serait point nuisible Je suppose à présent qu'un homme
vienne à moi, qu'il se dise, comme l'autre, envoyé de Dieu, et qu'il me déclare que
c'est la volonté de Dieu que je tourmente et que je persécute les autres hommes
injustement, par exemple, parce qu'ils ne veulent pas convenir avec moi de certains
points spéculatifs que cet homme ajoute qu'en faisant cela je me rendrai l'objet
de la faveur divine, j'examine ce qu'il me dit, et je le trouve si réellement opposé
à la nature des choses que je conclus avec raison qu'il n'est pas envové de Dieu
et par conséquent que cet homme est lui-même dans l'illusion ou bien que c'est
un imposteur ».
' Ce titre biblique avait déjà été critiqué par Tyssot de Patot [m], 221-222 : La
preuve, disait Massé au Roi, que Dieu autorise les guerres justes, « qu'il y prend
plaisir, c'est qu'il s'appelle le Dieu des armées. — O ciel, interrompit le Roi, que
dites-vous là! Vous êtes heureux de n'avoir pas proféré ces paroles-là devant
quelqu'un de nos juges..., puisque, selon nos principes, vous ne sauriez avoir exprimé
un plus énorme blasphème... Je trouve cela extraordinaire qu'un Dieu, qui, selon
vous, défend de répandre le sang d'un seul particulier, autorise une boucherie
générale entre des nations entières ». A première vue, cette violence agressive à
l'égard du Dieu de la Bible parait mal s'accorder avec l'espèce de sympathie que
Rousseau témoignera plus loin au judaïsme, pp. i65-i66; mais, cf. la note que j'ai mise
à cet endroit.
340 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Si donc elle ' ne nous -' imprimoit ^que des sentimens ^ de haine
pour 5 les autres hommes et de "^ terreur pour nous mêmes si elle
' ne nous peignoit * qu'un Dieu colère, jaloux, vengeur, partial,
haïssant les hommes -'et ne parlant jamais que de (ifsupUces) et de
tourment je ne trouverois pas qu'il y eut à gagner à quiter "la
Religion naturelle pour embrasser celle-là car '^ il faudroit bien
nécessairement '' o pter. Vôtre Dieu n'est pas le nôtre dirois-je
fi*à ses] sectateurs, celui qui (''se choisit) un seul peuple et
18 proscrit tout le *' reste du genre humain n'est pas le père
commun des hommes. Celui, qui destine '* aux tonrmens éternels
f° 169 "" le plus grand nombre de ses créatures || n'est pas le Dieu (i» bien-
faisant) que ma raison m'a montré.
' B. [ne nous apprenoit que des choses absurdes et sans raison si elle]. —
M. nous apprenoit des choses absurdes et contradictoires ; si elle nous.
- B. inspiroit.
^ M. < que >.
* B. (de haine) [d'aversion].
■■' B. (les autres hommes) [nos semblables]. — I. (notre) [nos] semblables.
" B. frayeur.
■ M. < ne >.
' M. < qu' >.
" B. un Dieu de la guerre et des (armées) [combats], toujours prêt à
(combattre) [détruire] et foudroyer (les hommes), toujours parlant de (peines et)
de tourmens [et de peines], (et punissant) [et se vantant de] punir [même]
les innocens (mêmes), mon cœur ne seroit point attiré vers ce Dieu terrible, et je
(ne trouverois pas qu'il y eut à gagner) [me garderois] de quiter la Religion
naturelle pour. — M. toujours parlant de tourmens, de supplices et se vantant. —
I. Dieu de la guerre et des (armées) [combats] toujours prêt à (combattre) [dé-
truire] et foudroyer, toujours parlant de tourmens, de (supplices) [peines] et
se vantant.
'" [peines].
" M. ma religion naturelle.
'- B. [vous voyez bien qu']il faudroit nécessairement.
" obter (sic). — B. o(b)ter o[p]ter.
" (au,\).
" [commence par se] choisi[r].
'* B. proscrire.
" B. [reste du] genre humain.
'" B. au supplice éternel. — M. aux tourmens éternels.
'" [clément et bon].
ÉDITION ORIGINALE 34 1
nécessairement opter. Votre Dieu n'est pas le nôtre, dir ois-je (^) à ses
sectateurs. Celui qui commence par se choisir un seul peuple & proscrire
le reste du genre humain, n'est pas le père commun des hommes; celui
qui destine au supplice éternel le plus grand nombre de ses créatures,
n'est pas le Dieu clément & bon que ma raison m'a montré 'K
(a) Le texte original porte : dirai-je ; mais la correction est
déjà faite dans le tableau des « Fautes à corriger yy placé à la
fin du T. IV ; C, D : dirois-je.
' Voltaire [242], 278 : « Très bon ». Et, en effet, il avait dit la même chose dans
VÈpltre à Uranie [iBg], 363-364 :
Les Prêtres de ce temple, avec un ton sévère.
M'offrent d'abord un dieu que je devrais haïr.
Un dieu qui nous forma pour être misérables.
Qui nous donna des cœurs coupables.
Pour avoir droit de nous punir.
On te fait un tyran, je cherche en toi mon père :
Je ne suis point chrétien, mais c'est pour l'aimer mieux.
Cf. encore Toussaint, Les Mœurs, I, 1 [184]. 8-9 : « Et Dieu pourrait ne pas aimer
les hommes ! Dans quels esprits un pareil soupçon peut-il naître, si ce n'est dans
ceux qui font de Dieu un Être capricieu.\ et barbare, qui, avant qu'ils soient nés,
les destine à l'enfer, s'en réservant un tout au plus sur chaque million, qui n'a
pas plus mérité sa prédilection que les autres n'ont mérité leur perte » !
342 REDACTIONS MANUSCRITES
3. La raison et la foi.
A l'égard des dogmes (« Ma rai» son me dit qu'Jils doivent
être clairs, lumineux [frapans par leur é\'idence]. Si la Religion
naturelle est insuffisante c'est par l'obscurité qu'elle laisse dans
les grandes vérités - qu'elle nous enseigne, c'est à la ré\élation
de nous == expliquer ces vérités d'une manière sensible à * l'homme
[de les mettre à [^sai portée de "les [lui] faire concevoir afin qu'il
les crove]. (' La meilleure manière d'assurer vôtre îoi, c'est de
l'éclairei). La meilleure de toutes les religions est infailliblement
la plus C* raisonnable) . Celui qui ^ vient charger de mistéres, de
contradictions « d'absurdités le culte qu'il me prêche m'apprend
par " la même à m'en défier. '- Le Dieu que j'adore n'est point
un Dieu de ténèbres, il ne m"a point doué '^ d'intelligence pour me
défendre de m'en servir. Celui qui vient me dire soumets ta raison
' B. (la raison) [elle me] dit.
- [(dont)].
' B. enseigner.
* B. l'esprit de l'homme.
■' (nôtre).
'^ (nous).
' [La foi s'assure et s'aflermit par l'entendement].
" [claire].
" B. charge de mistéres.
'" B. (de ténèbres) [(la religion)] « le culte ».
" M. cela-même.
'- (celui... me dit de sou mettre).
" B. d'un entendement pour m'en interdire l'usage; me dire (soumets)
[au crayon, repassé à l'encre : de soumetre] ta raison c'est (blasphémer contre
!') [outrager son] auteur (jles trois mots suivants barrés au crayon : de ma
raison) ; il n'appartient qu'au(.\) ministre(s) du rnensonge de parler ainsi : le Dieu
de vérité ne me dit point (de soumettre ma) [soumets ta] raison). [(Celui) [le
ministre] de la vérité ne (« me » dit point ... au lieu de me dire soumets la
raison, le mi nistre) [tirannise point ma] raison ; il l'éclairé]. — I. le ministre de
la vérité ne (dit) [tirannise] point (soumets ta) [ma] raison.
ÉDITION ORIGINALE 343
3. La raison et la foi.
A l'égard des dogmes, elle me dit | qu'ils doivent être clairs, lumi- [150]
neux. t'rappans par leur évidence '. Si la religion naturelle est insuffisante,
c'est par l'obscurité qu'elle laisse dans les grandes vérités qu'elle nous
enseigne : c'est à la révélation de nous enseigner ces vérités d'une
manière sensible à l'esprit de l'homme, de les mettre à sa portée, de
les lui faire concevoir afin qu'il les croye -. La foi s'assure & s'affermit
par l'entendement: la meilleure de toutes les religions est infailliblement
la plus claire ^ : celui qui charge de misteres {^), de contradictions, le
(■■1 C, D : mystères.
' Tels sont ceux de la « reliyion civile»: cf. Contrat social, III. 38K : « Les
dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec
précision, sans explications ni commentaires. L'existence de la Divinité puissante,
intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur
des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois;
voilà les dogmes positifs ». Marie Huber avait dit de même, Religion essentielle [i5i],
« Lettre aux éditeurs » [non paginée] : « La Religion essentielle à l'homme doit
être simple, évidente, exempte de toute contradiction »; et I, ig, note : « La Religion
essentielle à l'homme doit être fondée sur des vérités non équivoques, sur des
vérités d'une nature si simple et si évidente que tous les hommes soient obligés
d'y acquiescer unanimement ». Cf. encore le sermon du Docteur Sharp, archevêque
d'York, cité par Clarke, Existence de Dieu, II, 17 [i25j, III, 122-123 : «Vous ne
trouverez dans la Religion chrétienne aucun dogme qui tende à flatter la vaine
curiosité de l'homme, et à l'amuser par des spéculations subtiles et mfructueuses.
Vous trouverez encore moins que les articles de foi qu'elle propose aient pour
but de donner de l'exercice à notre crédulité... Ses dogmes sont clairs et simples,
et tout-à-fait dignes d'être crus à cause de la conformité qu'ils ont avec les facultés
raisonnables de l'homme ».
^ Pour Rousseau, comme pour .Marie Huber, Religion essentielle [i5i], V, .S8,
« la Religion naturelle et la Religion révélée » doivent se « réunir ou se réduire
à une seule et même religion », la Révélation n'étant que la forme plus populaire
et plus sensible de la Religion naturelle. C'est ce que dit explicitement Marie Huber,
Id., V. 68 : « La Révélation écrite ne sera donc que la Religion naturelle exprimée
ou retracée extérieurement et sensiblement ». « Le vrai Christianisme, écrira encore
Rousseau quelques mois après l'apparition d'Emile, n'est que la Religion naturelle
mieux expliquée » (Lettre à M. Petitpierre, de 1763. XI, 34I.
' II avait d'abord écrit « la plus raisonnable »; et les deux épithètes se commen-
tent l'une par l'autre : elles expriment de la façon la plus consciente l'idéal des déistes du
344 RÉDACTIONS MANUSCRITES
blasphème contre l'auteur de ma raison. ' C'est aux ministres du
mensonge qu'il convient de parler ainsi. Dieu ne me dit point de
soumettre ma raison il l'éclairé.
Nous avons mis à part toute autorité humaine et sans elle ^ il
m'est impossible de voir comment un homme en peut jamais
convaincre un autre en lui prêchant une doctrine déraisonnable.
Mettons un moment ces deux hommes au.\ prises et cherchons ce
qu'ils (^ se diront).
' (Celui qui me l"a donnée... Celui qui me parle ainsi).
- M. je ne saurois voir.
' [pourront dire]. — M. pourront se dire dans (leur langue) cette àpreté de
langage ordinaire aux deux partis (dans la dispute). — • I. dans (la dureté du)
[cette àpreté de] langage.
ÉDITION ORIGINALE 345
culte qu'il me prêche, m'apprend par cela même à m'en défier. Le Dieu
que j'adore n'est point un Dieu de ténèbres, il ne m'a point doué d'un
entendement pour m'en interdire l'usage; me dire de soumettre ma
raison, c'est outrager son auteur. Le ministre de la vérité ne tirannise (")
point ma raison ; il l'éclairé *.
I Nous avons mis à part toute autorité humaine, & sans elle je ne [151j
saurois voir comment un homme en peut convaincre un autre en lui
prêchant une doctrine déraisonnable. Mettons un moment ces deux
hommes aux prises, & cherchons ce qu'ils pourront se dire dans cette
âpreté de langage ordinaire aux deux partis '.
CM C, D : tyraiitiise.
XVllI' siècle. Ce n'est plus même le «Christianisme raisonnable» de Locke ici", l'ou-
vrage de Locke qui a été traduit sous ce titre [99J1, c'est une religion élémentaire
et clarifiée, débarrassée de toute contradiction et réduite à quelques affirmations très
simples. « En matière de croyance et de foi, écrit Aaron à Isaac dans les Lettres
Juives, XXIX [i5o], I, 3 10, plus celle que nous professons est simple, plus elle
me parait louable ». Cf. encore le texte de l'Examen de la Religion que j'ai cité à
la note 4 de la p. i Sg. — 11 est curieu.x de voir Rousseau, qui tout à l'heure défendait
« l'instinct » contre « la philosophie moderne », et qui admettait l'existence de
« facultés obscures ». irrationnelles, avoir maintenant des exigences intellectuelles
si intraitables. Il est difficile de combattre plus àprement la « philosophie » de
son siècle, et d'en subir davantage l'influence.
* Nouveau sursaut d'intransigeance rationaliste, auquel n'avaient guère préparé
les déclarations de la Première Partie : cf., plus haut, pp. 91, 96, 114 et 139. — Pour
le fond, comparez avec Abauzit, Des mystères de la Religion [5o], I, 43 : « Si l'on
entend par mystère des dogmes incompréhensibles, il n'y a point de mystères de cet
ordre dans la Révélation. H y a même contradiction à dire qu'un dogme est révélé, et
qu'il est incompréhensible. Dire que Dieu nous révèle des dogmes incompréhensibles,
c'est dire qu'il nous donne des idées de choses dont nous ne pouvons avoir aucune
idée, et dont il ne nous donne réellement aucune idée : cela est absolument impossible ».
Pour l'ensemble du développement, cf. surtout Fréret, Lettre de Thrasybule [189],
237-238 : « Cette Révélation doit porter avec elle des caractères qui fassent reconnaître
son origine : r les vérités qu'elle enseigne doivent être telles que les forces naturelles
de l'esprit humain ne puissent nous y conduire, car si elles le pouvaient, il serait
inutile de recourir à cette voie extraordinaire; 2' elles doivent se trouver conformes
aux autres vérités les plus communes et faire sentir leur force à l'esprit dès qu'elles
lui sont présentées, au moins de la même manière que les vérités les plus abstraites
le sont aux esprits attentifs ; 3° elles doivent frapper sensiblement tous les hommes
auxquels elles sont annoncées et faire une impression unanime sur tous les esprits;
4' les visions, les fables, les mensonges ne doivent point porter les mêmes traits
que ces vérités ».
' « Le dialogue, dit D'AIembert dans son Jugement sur Emile [52], IV, 417,
n'est pas le talent de l'auteur ; des quatre qu'il y a dans son livre, celui du Jardinier
est fort au-dessous de ce que le sujet fournissait; celui du Gouverneur et de l'Enfant
très mauvais; celui de la Bonne et de la Petite, médiocre; celui-même de VInspiré et
du Raisonneur, moins bien qu'il n'aurait pu être ». Il v a, en effet, quatre dialogues
dans Emile: cf. II, 67, i52-i53. 35o-352. .Si D'AIembert ne cache pas sa préférence
346 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Le (' missionnaire).
- Dieu vous apprend par la raison qu'il vous a donnée que le
tout est plus grand que sa partie; mais moi ^ je \ous apprends de
la part de Dieu que c'est la partie qui est plus grande que le tout.
Le ^ théiste.
Et qui estes-vous pour ^m'oser dire que Dieu se contredit, et
à qui croirai-je par préférence ''de vous qui m'annoncez de sa part
une absurdité ' ou de lui même qui * m'instruit du contraire?
Le (■' missionnaire).
A moi, car i" je vais vous prouver invinciblement que c'est
lui qui m'envoye '^
Le (i-^Theïste).
Comment ! vous me prou\'erez que c'est Dieu qui vous envoyé
déposer contre lui ? '^ Et de que! genre seront vos preuves pour
me convaincre qu'il est plus certain que Dieu me parle par vôtre
bouche que par l'entendement qu'il (" vous) a donné ?
[Prophète]. — B. (L'Apôlre) [L'inspiré] .
- M. (Dieu vous apprend par) la raison {qu'il a... vous a donnée) [vous
apprend] que le tout. — I. (Dieu) [la raison] vous apprend (par la raison qu'il
vous a donnée) que le tout.
■' I. (l'envoyé de Dieu) je vous apprends de (sa) [la] part [de Dieu] que.
■* [homme]. — B. (L'homme) [Le raisoneur].
^ I. (m'apprendre) [m'oser dire].
'■ M. de lui qui m'apprend par la raison des vérités éternelles ou de vous
qui. — I. [de lui qui m'apprend par la raison les vérités éternelles ou] de vous.
' M. < ou de lui-même qui m'instruit du contraire >. — I. (ou de lui-même
qui m'apprend le contraire?).
" B. m'apprend le contraire?
" [Prophète]. — B. (L'Apôtre) [L'inspiré].
'" B. [mon instruction est plus positive, et] je vois. — M. A moi ; car je vais.
" M. exprès pour vous instruire.
'-' [l'homme]. — B. (L'homme). [Le raisoneur].
»' B. [Et].
" [m'].
EDITION ORIGINALE 347
L'Inspiré -.
» La raison vous apprend que le tout est plus j^rand que sa partie ;
pour le dialogue de ['Inspiré et du Raisonneur, c'est que celui-ci, par son contenu et
par son ton, est tout-à-fait dans la tradition « philosophique » du XVIII' siècle. Le
dialogue oflrait au « philosophe ■» un moyen commode de faire passer ses idées, sans
se compromettre lui-même directement. La Hontan et Tyssot de Patot, par exemple,
dans leurs pseudo-récits de voyage [104. io5 et 111] s'étaient souvent mis en scène
avec de soi-disant interlocuteurs exotiques, laissant le soin au lecteur averti de tirer la
conclusion naturelle qui se dégageait des deux thèses en présence; sans parler des
autres œuvres que Diderot gardait encore en portefeuille, ses Pensées philosophiques
contenaient déjà des parties dialoguées; mais c'était surtout Voltaire qui, dans ses
Lettres philosophiques, dans ses premiers Contes, et même dans quelques Dialogues
proprement dits, comme le Dialogue entre un Brachmane et un Jésuite 117561 et les
Dialogues chrétiens (17601 ji^. \\\\ , 53-56 et 129-139, avait su donner le modèle du
genre et faire rendre au procédé le maximum d'effet. (On se rappellera que dans une
Lettre du 4 Novembre 1760 [264 '"«J, 2o3, Jacob Vernet avait signalé à Rousseau
l'apparition des Dialogues chrétiens). Le dialogue de Kousseau est un pastiche
de Voltaire, où il entre plus d' « âpreté », de grosse ironie, moins de malice
et de talent. — L'archevêque de Paris ayant reproché à Rousseau d'avoir voulu
représenter le vrai chrétien sous le nom de « l'inspiré », et de ne lui avoir « prêté que
des discours pleins d'ineptie » tc(. Mandement, III, 54i, Rousseau s'en défendit dans
sa Lettre. 111. 109, avec plus de vivacité que de justesse : < Pour montrer, dit-il. qu'on
ne peut s'autoriser d'une mission divine pour débiter des absurdités, le Vicaire met
aux prises un inspiré, qu'il vous plait d'appeler chrétien, et un raisonneur qu'il vous
plait d'appeler incrédule, et il les fait disputer chacun dans leur langage, qu'il désap-
prouve, et qui, très sûrement, n'est ni le sien ni le mien. Là-dessus, vous me taxez
d'une insigne mauvaise foi, et vous prouvez cela par l'ineptie des discours du premier.
.Mais, si ces discours sont ineptes, à quoi donc le reconnaissez-vous pour chrétien ? et.
si le raisonneur ne réfute que des inepties, quel droit avez-vous de le taxer d'incré-
dulité? S'ensuit-il des inepties que débite un inspiré que ce soit un catholique, et de
celles que réfute un raisonneur que ce soit un mécréant? Vous auriez bien pu,
.Monseigneur, vous dispenser de vous reconnaître à un langage si plein de bile et de
déraison; car vous n'aviez pas encore donné votre mandement ». 11 est certain que,
dans ce dialogue, Rousseau a essayé de dessiner deux caricatures. La façon dont il
introduit ses interlocuteurs : « dans cette âpreté de langage ordinaire aux deux
partis », les noms qu'il leur a donnés, semblent, en effet, le justifier. .Mais déjà, dans
le choix même de ces noms, les .Manuscrits nous montrent des hésitations intéres-
santes : et, derrière ces hésitations, la véritable pensée de Rousseau se trahit icf. la
note suivantel. Au reste, le texte imprimé suffit : on ne peut nier que Rousseau n'y
penche plutôt du côté du « Raisonneur » : non seulement le « Raisonneur » semble
toujours avoir « raison », mais c'est lui qui clôture le dialogue, et ce sont ses
arguments qui servent de point de départ pour la reprise personnelle de la discussion.
Visiblement Rousse,i*u prend plaisir à le faire parler. D'ailleurs, dans toute cette
Seconde Partie, jusqu'à ce qu'il s'arrête enfin à l'Évangile même, Rousseau joue bien
pour son compte le rôle du « Raisonneur ». Il y a chez lui comme une griserie de
« raison », d'autant plus violente qu'il s'est plus longtemps abstenu de la « raison ».
' Les premiers noms donnés aux interlocuteurs (cf. le texte de F et de B|,
méritent d'être relevés. L'Inspiré s'est d'abord appelé le Missionnaire, le Prophète,
348 RÉDACTIONS MANUSCRITES
Le (' missionnaire.)
[L'entendement] qu'il vous a donné! ^ Quel orgueil! Homme
petit et vain, comme si vous étiez le premier impie qui s'égare
dans 3 sa raison corrompue par le péché.
* Le theïste.
Homme de Dieu. Vous ne seriez pas non plus le premier
fourbe qui donne son arrogance pour preuve de sa mission.
^ Le missionnaire.
(•5 Point d) 'injures, s'il vous plait.
' Le theïste.
(* Ne donnez donc pas) l'exemple.
^ Le missionnaire.
Oh moi, j'ai le droit d'en dire, je parle de la part de Dieu.
i° 170 J"" ip« Le theïste.
11 seroit bon de montrer vos titres avant i' d'user de vos
privilèges.
' [Prophète]. — B. i L'Apôtre) [L'inspiré].
- B. (Quel orgueil !).
' B. (la) [sa].
* B. (L'homme) [Le raisonneur x/'c].
■' B. L".\pôtre. — M. L'inspiré.
'■■ [[Pourquoi (me dites-vous)] [les Philosophes disent ils] des (Un philo-
sophe dira-t-il des... pourquoi) philosophe [(impie... orgueilleux... emporté)]
laisse là tes injures]. — B. Quoi 1 les Philosophes disent aussi des injures ?
' B. L'homme. — M. Le raisonneur.
" [(je n'en dis qu'à vôtre) Non quand les saints n'en donnent pas... Prophète ?
pourquoi m'en donnez-(vous) [tu] l'e.xemple. (Un saint... Pourquoi m') en donner
l'exemple... humble dévot ne donne [(donc)] pas l'exemple]. — B. Quelquefois :
Quand les saints leur en donnent l'exemple.
■' B. L'Apôtre. — M. L'inspiré.
'" B. L'homme. — M. Le raisonneur.
" I. avant (que) d'user.
EDITION ORIGINALE 349
» mais moi, je vous apprends de la part de Dieu, que c'est la partie
» qui est plus grande que le tout.
Le Raisonneur .
» Et qui êtes-vous, pour m'oser dire que Dieu se contredit; & à
» qui ^ croirai-je par préférence ^, de lui qui m'apprend par la raison
» les vérités éternelles, ou de vous qui m'annoncez de sa part une
» absurdité '" ?
VApôtre, c'est-à-dire qu'il représente le Christianisme authentique, l'apostolat évangé-
lique. en quête de prosélytes, .^u contraire, le Raisonneur s'est d'abord appelé le
Théiste. l'Homme, c'est-à-dire l'homme purement homme, l'homme de la nature, à
qui la religion naturelle suffit. Rousseau a modifié ces noms pour se donner une
apparence d'impartialité. Après s'être présenté lui-même pour un champion du
« théisme », appeler le théiste l'un des deux adversaires, eût été prendre trop vite
parti. Néanmoins le fond de la pensée de Rousseau ne l'ait aucun doute : cf. la note
précédente.
• Cf. Féraud, Dictionnaire critique [2bo], I, 635 : « Le datif régi par croire
donne souvent à ce verbe le sens de se fier à ».
* Sur cet emploi de la locution adverbiale « par préférence » sans régime,
cf., plus haut, p. 33 et note 4.
^ C'est à des passages comme celui-ci, qui semble viser le dogme catholique de
la transsubstantiation, que Rousseau songeait sans doute, quand il écrivait dans la
111' des Lettres de la Montagne, 111, 148, note : « Il importe de remarquer que le Vicaire
pouvait trouver beaucoup d'objections comme catholique, qui sont nulles pour un
protestant ». Rapprocher le passage suivant de la Lettre à D'.Membert, I, 184, qui est
comme le canevas du dialogue de la Profession : « Si un docteur venait m'ordonner
de la part de Dieu de croire que la partie est plus grande que le tout, que pourrais-je
penser en moi-même, sinon que cet homme vient m'ordonner d'être fou? Sans doute
l'orthodoxe qui ne voit nulle absurdité dans les mvstères. est obligé de les croire ;
mais, si le socinien y en trouve, qu'a-t-on à lui dire? Lui prouvera-t-on qu'il n'v en a
pas? Il commencera, lui, par vous prouver que c'est une absurdité de raisonner sur
ce qu'on ne saurait entendre. Que faire donc? Le laisser en repos ». Et Rousseau
ajoutait en note : « Il faut se ressouvenir que j'ai à répondre à un auteur qui n'est
pas protestant; et je crois lui répondre en effet, en montrant que ce qu'il accuse nos
ministres de faire dans notre Religion s'y ferait inutilement, et se fait nécessairement
dans plusieurs autres sans qu'on y songe. Le monde intellectuel, sans en excepter la
géométrie, est plein de vérités incompréhensibles, et pourtant incontestables, parce
que la raison qui les démontre existantes ne peut les toucher, pour ainsi dire, à
tiavers les bornes qui l'arrêtent, mais seulement les apercevoir. Tel est le dogme de
l'existence de Dieu, tels sont les mystères admis dans les communions protestantes.
Les mystères qui heurtent la raison, pour me servir des termes de .M. d'.Membert,
sont tout autre chose. Leur contradiction même les fait rentrer dans ses bornes, elle
a toutes les prises imaginables pour sentir qu'ils n'existent pas : car, bien qu'on ne puisse
voir une chose absurde, rien n'est si clair que l'absurdité. Voilà ce qui arrive lorsqu'on
soutient à la fois deux propositions contradictoires. Si vous me dites qu'un espace d'un
pouce est aussi un espace d'un pied, vous ne dites point du tout une chose mvsté-
350 RÉDACTIONS MANUSCRITES
' Le missionnaire.
Mes titres sont authentiques. La terre et les |-cieu\] dépo-
seront pour moi; sui\ez bien mes raisonnemens, je vous prie.
^ Le theïste.
\'os raisonnemens! Nous n'y pensez pas. M'apprendre que ma
raison me trompe n'est-ce pas réfuter ce qu'elle m'aura dit pour
vous. Quiconque * récuse (« ma») raison doit (« me ») con\aincre
sans se servir d'elle. Car supposons ^ que vous m'avez convaincu,
comment saurai-je si ce n'est point ma raison corrompue par le
péché ''■qui me fait acquiescer à ce que vous me dites. D'ailleurs,
quelle preuve, quelle démonstration ' pouvez vous jamais em-
ployer, plus évidente que l'axiome qu'elle doit détruire? 11 est tout
aussi crovable qu'un bon sillogisme est un mensonge qu'il l'est
que la partie est plus grande que le tout.
** Le missionnaire.
Quelle ditïérence? mes preuves sont sans réplique. Elles sont
d'un ordre surnaturel.
'-' Le theïste.
Surnaturel ! Que signifie ce mot ? Je ne l'entends pas.
' B. L'Apôtre. — M. L'inspiré.
- (veux).
■' B. L'homme. — M. Le raisonneur.
•* [veut] récuse[r « la »].
■' M. (que vous) [qu'en] raisonant vous m'avez convaincu. — I. qu'en
raisonant] vous m'ayez convaincu.
* B. \Au cravon. repjssé à /'encre : ou séduite par le démon] qui me fait.
' B. pourrez.
" B. |L'.'\pôtre) [L'inspiré].
'■' B. (L'homme) [Le raisoneur].
EDITION ORIGINALE 35 1
I i: Inspiré. [152]
» A moi: car mon instruction est plus positive, & je vais vous
» prouver invinciblement que c'est lui qui m'envove.
Le Raisonneur.
» Comment! vous me prouverez que c'est Dieu qui vous envoyé
» déposer contre lui ? Et de quel genre seront vos preuves pour me
'» convaincre qu'il est plus certain que Dieu me parle par votre bouche.
» que par l'entendement qu'il m'a donné'-'
L Inspiré.
» L'entendement qu'il vous a donné! Homme petit & vain ! comme
» si vous étiez le premier impie qui s'égare dans sa raison corrompue
» par le péché !
Le Raisonneur.
» Homme de Dieu, vous ne seriez pas, non plus, le premier
» fourbe | qui donne son arrogance pour preuve de sa misson. ll53]
L'Inspiré.
» Quoi ! les Philosophes disent aussi des injures !
Le Raisonneur.
» Quelquefois, quand les Saints leur en donnent l'exemple.
rieuse, obscure, incompréhensible, vous dites au contraire une .ibsurdité lumineuse et
p.ilpable, une chose évidemment fausse. De quelque genre que soient les démons-
trations qui l'établissent, elles ne sauraient l'emporter sur celle qui la détruit, parce
qu'elle est tirée immédiatement des notions primitives qui servent de base à toute
certitude humaine. .Autrement, la raison, déposant contre elle-même, nous forcerait à
la récuser: et, loin de nous faire croire ceci ou cela, elle nous empêcherait de plus
rien croire, attendu que tout principe de foi serait détruit. Tout homme, de quelque
relifîion qu'il soit, qui dit croire à de pareils mystères, en impose donc, ou ne sait ce
qu'il dit ».
352 REDACTIONS MANUSCRITES
' Le missionnaire.
Des *changemens dans l'ordre de la nature, des prophéties,
des miracles, des prodiges de toute espèce.
^ Le theïste.
Des prodiges, des miracles! je n'ai jamais rien vu de tout cela.
^ Le missionnaire.
D'autres l'ont vu pour vous. Des nuées de témoins le
témoignage des peuples
5 Le theïste.
Le témoignage des hommes est il d'un ordre surnaturel ?
*> Le missionnaire.
Non, mais quand il est unanime il est incontestable.
' L» theïste.
I ^ Oui tant qu'il roule sur des faits naturellement possibles. Mais
' B. L'Apôtre. — M. L'inspiré.
- M. choses contre l'ordre de la nature.
■' B. L'homme. — M. Le raisonneur.
* B. L'Apôtre. — M. L'inspiré.
^ B. L'hornme. — M. Le raisonneur.
''■ B. L'Apôtre. — M. L'inspiré.
' B. L'homme. — M. Le raisonneur.
' B. < Oui tant qu'il... ma première objection >. Il n'y a rien de plus
incontestable que les principes de la raison, et l'on ne peut autoriser une absurdité
sur le témoignage des hommes. Encore une fois, voyons des preuves surnatu-
relles : car l'attestation du genre humain n'en est pas une. — M. une absurdité
par le témoignage.
•f Ici, en marge, toute une série de notations fragmentaires, dont
l'essentiel a été utilisé en B. ; (de) [a] la raison plus qu'à tout le genre
humain... (vous me trompez car vous m'avez promis) [encore une fois
voyons]... (Vous?) ... des preuves surnaturelles (et vous ne m'en donnez
ÉDITION ORIGINALE 353
L'Inspiré.
» Oh ! moi j'ai le droit d"en dire : je parle de la part de Dieu.
Le Raisonneur.
» Il seroit bon de montrer vos titres avant d'user de vos privilèges.
LInspiré.
» Mes titres sont authentiques. La terre et les cieux déposeront pour
■» moi. Suivez bien mes raisonnemens, je vous prie.
Le Raisonneur.
» Vos raisonnemens ! vous n'y pensez pas. M'apprendre que ma
•» raison me trompe, n'est-ce pas réfuter | ce qu'elle m'aura dit pour [154]
» vous? Quiconque veut récuser la raison, doit convaincre sans se servir
» d'elle. Car, supposons qu'en raisonnant vous m'ayez convaincu;
» comment saurai-je si ce n'est point ma raison corrompue par le péché
» qui me fait acquiescer à ce que vous me dites? D'ailleurs, quelle
» preuve, quelle démonstration pourrez-vous jamais employer, plus
» évidente que l'axiome qu'elle doit détruire? Il est tout aussi croyable
» qu'un bon syllogisme est un mensonge, qu'il l'est, que la partie est
» plus grande que le tout.
L'Inspiré.
» Quelle différence! mes preuves sont sans réplique; elles sont d'un
» ordre surnaturel.
Le Raisonneur.
» Surnaturel ! Que signifie ce mot? Je ne l'entends pas.
I L'Inspiré. [155]
» Des changemens dans l'ordre de la Nature, des prophéties, des
» miracles, des prodiges de toute espèce.
23
354 REDACTIONS MANUSCRITES
pour croire (' un) miracle ° il ne faut pas en avoir vu des témoins,
il faut l'avoir vu soi-même. Ou plus tôt il faut l'avoir fait, car (^ je
* n'admets point) des preuves (^ naturelles d'un '^ événement surnaturel
autrement ce seroit ramener ma première ' question).
» Le missionnaire.
O cœur endurci la grâce ne vous parle point. •' Mais que dites-
vous des prophéties ?
»« Le Théiste.
Je dis premièrement que je n'ai pas plus entendu de prophéties
' [plus tôt à des] miracle[s].
^ [(qui déposent contre la raison qu')].
^ [(ici) enlin vous m'avez promis].
* [(ne puis ?)]
^ [d'une ordre surnaturel et les té moins].
" [fait qui dépose contre la raison].
' [objection].
' B. l'Apôtre. — M. L'inspiré.
° B. [(L'inspiré) [Le raisonneur]. Ce n'est pas ma faute; car selon vous, il faut
avoir déjà receu la grâce pour savoir la demander. Commencez donc à me parler
au lieu d'elle. L'Inspiré. Ah c'est ce que je fais, et vous ne m'écoutez pas :]. —
M. < Le raisonneur. Ce n'est pas... ne m'écoutez pas >. — I. (Mais que dites-
vous des Prophéties ?). Le Raisoneur. Ce n'est pas la demander. (C'est
donc à vous de commencer par me parler pour) [Commencez donc à me
parler au lieu d']elle.
'" B. l'Homme. — M. Le raisonneur.
point... parlez? du témoignage des hommes) [l'attestation du genre hu-
main n'est pas de cet ordre-là] Car enfin ce sont des preuves surnatu-
relles que vous m'avez promis et la déposition des hommes (des) n'est pas
de cet ordre là... ou... (Ce n'est pas de cela qu'il s'agit) [Encore une fois
dans l'ordre de la nature] il n'y a rien de plus incontestable que les
principes de la raison [et s']. (Vouloir me faire croire) [on ne peut auto-
riser une absurdité] sur le témoignage des hommes un miracle duquel
vous prétendez autoriser une (doctrine absurde) [absurdité] c'est vouloir
sur l'autorité des hommes (me faire croire une) absurdité [(me faire
renoncer) que je renonce], et cela ne peut être car malgré que j'en aye je
crois aux prémisses.
ÉDITION ORIGINALE 355
Le Raisonneur .
» Des prodiges, des miracles! je n'ai jamais rien vu de tout cela.
L Inspiré.
» D'autres l'ont vu pour vous. Des nuées de témoins.... le témoi-
» gnage des peuples
Le Raisonneur.
» Le témoignage des peuples est-il d'un ordre surnaturel ?
L Inspiré.
» Non ; mais quand il est unanime, il est incontestable.
Le Raisonneur.
» Il n'y a rien de plus incontestable que les principes de la raison >,
» & l'on ne peut autoriser une absurdité sur le témoignage des
» hommes. | Encore une fois, voyons des preuves surnaturelles, car [156]
» l'attestation du genre humain n'en est pas une.
L'Inspiré.
» O cœur endurci ! la grâce ne vous parle point.
Le Raisonneur.
» Ce n'est pas ma faute: car selon vous, il faut avoir déjà reçu la
» grâce pour savoir la demander. Commencez donc à me parler au
» lieu d'elle.
' Le contraste est complet entre cette formule si catégorique et celle qui termine
l'invocation à la Conscience, p. 114 : «Sans toi. je ne sens rien en moi qui m'élève
au-dessus des bètes. que le triste privilège de m' égarer d'erreurs en erreurs à l'aide
d'un entendement sans règle et d'une raison sans principe ». Il est vrai qu'ici c'est le
« Raisonneur » qui parle, et non le Vicaire ; mais j'ai essayé de montrer plus haut,
p. i5i, note 1, que toute cette partie de la Profession avait été écrite dans l'esprit du
« Raisonneur », avec une fermeté et une intransigeance de rationalisme que le Vicaire
n'avait guère montrées en édifiant sa Religion naturelle.
356 RÉDACTIONS MANUSCRITES
que je n'ai ['vu] de miracles. Je dis de plus qu'aucune prophétie
ne sauroit faire autorité pour moi.
f° 170 ™ Il •' Le missionnaire.
^ Homme possédé du démon ! et pourquoi les prophéties ne
font elles pas autorité pour vous ?
* le Théiste.
Parce qu'(il îaudroit) pour qu'elles la fissent ^ trois choses dont
le concours est impossible; savoir que j'eusse été témoin de la
prophétie, que je fusse témoin de l'événement, et qu'il me fut
démontré que "^ le seul hazard n'a pu ' faire quadrer « l'événement à
la prophétie. Car fut-elle plus précise plus claire, plus lumineuse
qu'(8 une démonstration) de Géométrie, puisque la clarté d'une
prédiction faite au hazard n'en rend pas ''' l'événement impossible,
'' quand un événement arrive, il ne prouve '^ rien pour celui qui
l'a prédit.
Voyez donc à quoi se réduisent vos prétendues preuves surna-
turelles, vos miracles, vos prestiges, vos prophéties; à croire tout
cela sur la foi d'autrui, et à soumettre '^à l'autorité des hommes
l'autorité de Dieu parlant à ma raison. [Si les vérités éternelles que
' (entendu).
- B. L'Apôtre. — M. L'inspiré.
■' B. Satellite du Démon I
* B. L'iromme. — M. Le raisonneur.
■'' [il faudroit].
" B. (le seul hazard) [cet événement].
■ B. (faire).
" B. (la proph étie... l'événement) [fortuitement] à la prophétie.
" [un axiome].
'" B. (l'événement) [l'accomplissement]. — I. (l'événement) [accomplissement].
" B. (quand) cet (événement arrive il) [accomplissement quand il a lieu (à la
rigueur)] ne prouve « rien » [à la rigueur] pour celui. — M. Quand il arrive ne
prouve rien. ^ I. (Quand cet événement arrive il) [cet accomplissement quand il
a lieu] ne prouve rien [à la rigueur] pour celui.
" B. [(point nécessairement qu'il ait été prévu)].
'^ B. [à l'autorité des hommes].
EDITION ORIGINALE 357
L'Inspiré.
» Ah ! c'est ce que je fais. & vous ne m "écoutez pas : mais que
•» dites-vous des prophéties ' ?
Le Raisonneur.
» Je dis premièrement que je n'ai pas plus entendu de prophéties,
» que je n'ai vu de miracles. Je dis de plus, qu'aucune prophétie ne
» sauroit faire autorité pour moi.
L'Inspiré.
» Satellite du Démon! & pourquoi \ les prophéties ne font-elles [157]
» pas autorité pour vous?
Le Raisonneur.
» Parce que pour qu'elles la fissent, il faudroit trois choses dont
» le concours est impossible; savoir, que j'eusse été témoin de la pro-
» phétie, que je fusse témoin de l'événement, & qu'il me fût démontré
» que cet événement n'a pu quadrer fortuitement avec la prophétie :
» car, fùt-elle plus précise, plus claire, plus lumineuse qu'un axiome
» de géométrie: puisque la clarté d'une prédiction faite au hazard n'en
» rend pas l'accomplissement impossible, cet accomplissement, quand
» il a lieu, ne prouve rien à la rigueur pour celui qui l'a prédit.
» Voyez donc à quoi se réduisent vos prétendues preuves surna-
» turelles, vos miracles, vos prophéties. A croire tout cela sur la foi
» d'au- I trui, & à soumettre à l'autorité des hommes l'autorité de Dieu ri58"i
» parlant à ma raison. Si les vérités éternelles que mon esprit conçoit.
' On remarquera, dans cette discussion sur les prophéties, comme, d'ailleurs,
dans toute cette critique de la Révélation, que Rousseau se borne à des objections à
priori et n'entre pas dans l'examen des faits particuliers. Le seul fait qui sera étudié
en détail, c'est l'histoire de Jésus; et elle le sera avec une piété admirative, qui est
presque l'acquiescement d'un croyant (cf., plus loin, pp. 179-1831. Cette discrétion
donne à ses attaques non pas seulement une décence, mais encore une généralité, qui
leur enlève de leur force, et qui réserve aux preuves de sentiment- toute leur puis-
sance de séduction. Comparer, en ce qui concerne les prophéties, les railleries précises
et les grossièretés appuyées des « philosophes > : cf. Meslier [240]. 324-329. Voltaire,
Sermon des Cinquante [241J, 447-448, Dumarsais [ijg''^, 46-54, etc. — On trouvera,
aux Appendices, III, un petit morceau inédit sur les prophéties, inspiré de VExamen de
la Religion [173], et que probablement Rousseau avait d'abord destiné à la Profession.
358 RÉDACTIONS MANUSCRITES
mon esprit conçoit pouvoient souffrir quelque (' exception) il n'\-
auroit plus pour moi nulle espèce de certitude et loin d'être sur que
vous me parlez de la part de Dieu je ne serois pas même assuré {- de
son existence)].
4. Difficultés pratiques.
Voila bien des difficultés mon ^ bon ami et ce n'est •• pas
tout. Parmi tant de religions diverses qui se proscrivent et
s'excluent mutellement une seule est la bonne si tant est qu'une le
soit. Pour la ^ connoitre il ne suffit pas d'en examiner (une|, il
* les faut examiner toutes. Il faut comparer ' leurs objections
''et leurs preuves, il faut savoir ce que ^chacune dit ^"contre les
autres et ce qu' '' elle leur répond. " 11 faudroit être bien simple
pour croire qu'il suffit d'écouter les docteurs de son parti pour
s'instruire des raisons (" des autres *) f. Où sont les Théologiens qui
B, f° 178 "" * Plutarque rapporte ['* que les] Stoïciens '^ entre ("= leurs)
bizarres paradoxes soutenoient que dans un juf^ement contradictoire il
' [atteinte].
* [qu'il existe].
' B. enfant. '
* I.( point) [pas] tout.
■'' B. reconnoitre.
" B. faut les e.xaininer.
' B. (leurs) [les].
" B. (à leurs) [aux].
" B. chacun(e) oppose aux autres. — M. chacune oppose.
'" (pour).
" B. (elle) [il]. — M. elle. — I. (elle) [il].
'^ I. Nous devons (être empressés de voir) [chercher (à savoir)] sur quoi
(d'autres) [tant d'hommes] se fondent.
" [du parti contraire].
" (entre les paradoxes des).
'■■' M. soutenoient entre. ,
"'' [autres]. — M. leurs.
t L'astérisque, comme la note qu'il amorce, manque dans F.
EDITION ORIGINALE 359
» pouvoient souffrir quelque atteinte, il n'y auroit plus pour moi nulle
» espèce de certitude, & loin d'être sûr que vous me parlez de la part
» de Dieu, je ne serois pas même assuré qu'il existe.
4. Difficultés pratiques.
Voilà bien des difficultés, mon enfant, & ce n'est pas tout. Parmi
tant de religions diverses qui se proscrivent & s'e.\cluent mutuellement,
une seule est la bonne, si tant est qu'une le soit '. Pour la reconnoître,
il ne suffit pas d'en examiner une, il faut les examiner toutes; & dans
quelque matière que ce soit, on ne doit point condamner sans en-
tendre *; il faut comparer] les objections aux preuves; il faut savoir {159]
ce que chacun oppose aux autres, & ce qu'il leur répond. Plus un
sentiment nous paroît démontré, plus nous devons chercher sur quoi
tant d'hommes se fondent pour ne pas le trouver tel. Il faudroit être
bien simple pour croire qu'il suffit d'entendre les Docteurs de son parti
pour s'instruire des raisons du parti contraire. Où sont les Théologiens
* Plutarque rapporte ^ que les Stoïciens, entre autres bizarres paradoxes,
soutenoient que dans un jugement contradictoire, il étoii inutile d'entendre les
deux I parties; car, disoient-ils, ou le premier a prouvé son dire, ou il ne l'a pas [1591
prouvé. S'il l'a prouvé, tout est dit, & la partie adverse doit être condamnée;
s'il ne l'a pas prouvé, il a tort, & doit être débouté. Je trouve que la méthode de
tous ceux qui admettent une révélation exclusive, ressemble beaucoup à celle
de ces Stoïciens. Si-tôt que chacun prétend avoir seul raison, pour choisir entre
tant de partis, il les faut tous écouter, ou l'on est injuste.
' Cette objection de la multiplicité des sectes religieuses était traditionnelle
dans la polémique « libertine » et « déiste » : cf., à titre de spécimen. I,i page des
Pensées philologiques, qui a été citée plus haut, note 2 de la p. iSg.
' Contredits des philosophes stoïques, VI [yS], 11, ôBg. Il est probable que ce
texte de Plutarque, comme celui qu'il a déjà rappelé, provient d'une lecture directe et
personnelle : cf., plus haut, la note 1 de la page 84.
360 RÉDACTIONS MANUSCRITES
se piquent de bonne foi [où sont ceux qui pour réfuter les raisons
de leurs adversaires ne commencent pas par les affoiblir]. Chacun
brille ['dans son] parti. -Mais [tel] au milieu ^ de * ses partisans
est tout fier de [* la force de ses] preuves qui feroit un C^ fort)
sot personnage avec ces mêmes preuves (' au milieu des) gens d'un
autre parti. (^ Prétendez) vous vous instruire dans les livres, que
de langues il faut apprendre, ^ que de bibliothèques (immenses)
il faut parcourir, quelle '" immense lecture il faut faire, qui me
guidera dans le choix. Difficilement trouve-t-on dans un pays les
meilleurs livres du parti contraire '', quand on les trouveroit ils
seroient '- bientôt refutés. L'absent a toujours tort, et de mauvaises
raisons dites avec assurance ('^ balancent) aisément les bonnes
exposées avec mépris. D'ailleurs [souvent] les livres nous trompent
" étoit [(toujours)] inutile d'entendre les deux parties; car disoient-ils ou
« '^ le premier » a prouvé son dire, ou il ne l'a pas prouvé. S'il l'a prouvé
(tout est dit et) par cela seul la partie adverse « est condamnée » ; s'il ne l'a
pas prouvé ('^ il n'y a point d'accusation fondée et l'accusé doit être absous).
« Je trouve » ("que) la méthode ('**des [chrétiens et notamment des]
catholiques) ressemble ('-'tout à fait) à celle de ces stoïciens.
' (au milieu). — • M. parmi les siens.
^ (Sans doute).
■* B. (de sa secte) [des siens]. — M. de sa secte.
^ ces (sic).
■■' (ces). — B. (la force de).
« [très]. — B. [fort].
' (par) [parmi les]. — B. parmi des.
* [Voulez].
" (quelle).
'" (le ctube).
" B. [à plus forte raison ceux de tous les partis]. — M. < à plus... les partis >.
'- B. (aisément) [bientôt].
'^ [effacent].
'* (n') étoit (jamais).
'■'' [(Taccusateur)].
'" [c'est lui qui a tort il doit être débouté].
" M. que.
'" [de tous ceux qui admettent une révélation exclusive]. — M. de ceux qui.
'" [beaucoup].
ÉDITION ORIGINALE 361
qui se piquent de bonne-foi '? où sont ceux qui, pour réfuter les raisons
de leurs adversaires, ne commencent pas par les affoiblir? Chacun brille
dans son parti: mais tel au milieu des siens est fier de ses preuves, qui
feroit I un fort sot personnage avec ces mêmes preuves parmi des gens l160j
d'un autre parti. Voulez-vous vous instruire dans les livres ? quelle
érudition il faut acquérir, que de langues il faut apprendre, que de
bibliothèques il faut feuilleter, quelle immense lecture il faut faire! Qui
me guidera dans le choix ' ? Difficilement trouvera-t-on dans un pavs les
meilleurs livres du parti contraire, à plus forte raison ceux de tous les
partis ; quand on les trouveroit. ils seroient bientôt réfutés. L'absent a
toujours tort, & de mauvaises raisons dites avec assurance, effacent
aisément les bonnes exposées avec mépris. D'ailleurs (^) souvent rien
n'est plus trompeur que les livres. & ne rend moins lîdellement les
sentimens de ceux qui les ont écrits. Quand vous avez voulu juger de la
Foi catholique sur le livre de Bossuet -, vous vous êtes trouvé loin de
(a) C, D : souvent les livres nous trompent et ne rendent
pas Jidellemcnt.
' Ce portrait du « théologien » forme comme une réplique au portrait du
« philosophe > qu'il a tracé au début de la Profession, p. 3o : « Chacun sait bien que
son système n'est pas mieu.\ fondé que les autres; mais il le soutient parce qu'il est à
lui. II n'y en a pas un seul qui, venant à connaître le vrai et le faux, ne préférât le
mensonge qu'il a trouvé à la vérité découverte par un autre. Oii est le philosophe qui,
pour sa gloire, ne tromperait pas volontiers le genre humain? Où est celui qui, dans
le secret de son cœur, se propose un autre objet que de se distinguer? » etc. On
saisit là, sous un double aspect, le but essentiel de la Profession, qui est, d'ailleurs,
celui qu'il avait aussi visé dans ses deux derniers ouvrages : « établir la paix »,
« terminer à la fin les dissensions des prêtres et des philosophes », en les renvoyant
dos à dos, et en laissant subsister la religion entre eux deux {Lettre à D'Alembert,
I, i83, notei.
' C'est la seconde fois que Rousseau insiste sur les difficultés pratiques de la
recherche érudite en matière de religion : cf.. plus haut, pp. 142-143. .Mais dans les
deux passages les points de vue ne sont pas absolument identiques. Dans l'un, il
s'agissait de faire l'examen critique d'une nouvelle religion: dans celui-ci. d'étudier
comparativement les diverses religions existantes.
' Ce sont là. sans doute, des souvenirs de catéchumène libéré, surpris de ne
plus retrouver, dans les premiers sermons qu'il écoute, la sobre doctrine qui lui a été
présentée dans les manuels de l'hospice. Qu'on relise, en effet, les chapitres 111, IV,
V, Vlll, etc., de {'Exposition [84], 54-59, 67, etc. (Le Culte Religieux se termine à Dieu
seul — L'Invocation des Saints — Les Images et les Reliques — Les Satisfactions, te
Purgatoire et les Indulgences, etcl, on comprendra que des sermons de curés ou de
moines italiens, tels que vraisemblablement Jean-Jacques en entendait à Turin,
devaient être moins intellectuels et paraître rendre un autre son. Quoique dans les
Confessions. Vlll, 45, il n'ait cité que « Saint .\ugustin. Saint Grégoire et les autres
Pères » parmi les doctes auteurs dont « le vénérable petit vieux prêtre », chargé de le
362 RÉDACTIONS MANUSCRITES
et ne ' nous disent pas I (toujours)] fidèlement les sentimens de
ceux qui les ont écrit. ^ Qui voudroit juger de la ''doctrine catho-
lique * par l'exposition de Bossuet se trouveroit loin de compte
quand il viendroit vivre parmi nous. Il verroit bientôt que la
doctrine avec laquelle on répond aux protestants n'est point celle
qu'on enseigne au peuple (' et qu'un pasteur qui prendroit au pied
de la lettre ''' le livre de Bossuet se feroit bientôt des affaires). Pour
bien juger ' de la Religion d'un peuple '^ c'est chez ce peuple
qu'il faut aller l'apprendre. Chacun a ses (■' opinions) son sens ses
[coutumesj ses "' maximes [ses préjugés] qui "s'accordent avec la
croyance et qu'il faut '- y joindre pour en juger. Combien de
Igrandsj peuples (i^ dans l'uni vers '* ne font) point de livres et ne
lisent pas les nôtres, comment jugeront-ils de nos opinions
comment jugerons nous des leurs. Nous les raillons ils nous
fo ^7j^ ro 15 raillent. >" Nous ne savons pas leurs raisons ils || ^^ ne savent pas les
nôtres, et si nos vovageurs les tournent en ridicule, il ne leur
' B. (nous).
- B. Quand vous aurez voulu juger. — M. quand vous aurez voulu.
^ B. (doctrine) [au crayon, repassé à l'encre : foi].
■* B. sur le livre de Bossuet, vous vous êtes trouvé loin de compte après
avoir vécu parmi nous. Vous avez vu que la doctrine avec laquelle.
'■• [et que (la doctrine) [le livre] de Bossuet ne ressemble (point à celles du
prône) [guéres] aux maximes du prône]. — B. aux (maximes) [instructions] du
Prône.
'■ (de).
• B. (de la) [d'une] Religion (d'un peuple). — M. de la religion d un
peuple. — I. (de la) [d'une] Religion.
" B. il ne faut pas l'étudier « dans » (ses) [les] livres [de ses sectateurs] il
faut aller l'apprendre chez (lui) [eux. Cela est fort différent]. Chacun a. — M. il ne
faut pas l'étudier dans ses livres, il faut aller l'apprendre chez lui. Chacun.
'■' [traditions].
'" B. < ses maximes >.
" (pour). — B. font l'esprit de sa croyance et qu'il y faut.
" B. (y).
'^ [au monde]. — B. < au monde >.
'■' [n'impriment].
'■'■ B. (raillent) [méprisent]. — M. raillent. —I. (raillent) [méprisent].
'" (mais lesquels). — B. (nous ne savons) [ils ne savent] pas (leurs) [nos]
raisons.
'■ B. (ils ne savent) [nous ne savons] par les (nôtres) [leurs].
ÉDITION ORIGIXALE 363
compte après avoir vécu parmi | nous. Vous avez vu que la doctrine [161]
avec laquelle on répond aux Protestans n'est point celle qu'on enseigne'
au peuple, & que le livre de Bossuet ne ressemble guère aux instructions
du prône. Pour bien juger d'une religion, il ne faut pas l'étudier dans
les livres de ses sectateurs, il faut aller l'apprendre chez eux: cela est fort
différent. Chacun a ses traditions, son sens, ses coutumes, ses préjugés,
qui font l'esprit de sa croyance, & qu'il y faut joindre pour en juger.
Combien de grands peuples n'impriment point de livres & ne lisent
pas les nôtres! Comment jugeront-ils de nos opinions ? comment juge-
rons-nous des leurs? Nous les raillons, ils nous ('') méprisent; & si nos
vovageurs les tournent en ridicule, il ne leur manque, pour nous le
rendre, que de voyager parmi nous 1. Dans quel pays n'y a-t-il pas des
gens sensés, des gens | de bonne-foi, d'honnêtes gens amis de la vérité, [162]
qui, pour la professer, ne cherchent qu'à la connoitre? Cependant chacun
la voit dans son culte, & trouve absurdes les cultes des autres Nations;
donc ces cultes étrangers ne sont pas si extravagans qu'ils nous semblent,
ou la raison que nous trouvons dans les nôtres ne prouve rien.
( ft ) C, D : ils nous raillent : ils ne savent pas nos raisons,
nous ne savons pas les leurs : et si.
convertir, essayait d' « assommer » sa résistance, — il est très probable que le traité de
Bossuet devait être au San Spirito le livre fondamental des catéchistes : la réputation
de son auteur, les conversions dont il avait été l'occasion, en avaient fait, au début du
XVllI' siècle, comme le manuel international du catholicisme. Le reproche que Rous-
seau adresse ici à Bossuet n'était pas nouveau, puisque Bossuet l'avait signalé lui-même
dans VAvertissement de sa seconde édition [84], 2 : « Il a paru deux réponses à ce
traité... [Leurs deux auteurs] affectent de dire que M. de Condom ne fait qu'adoucir
et exténuer les dcgmes de sa religion. A les entendre parler, il semble se relâcher
partout : il se rapproche, il abandonne les sentiments de son Église, et il entre dans
ceux des prétendus réformés. Enfin son traité ne s'accorde pas avec la profession de
toi que l'Église Romaine propose a tous ceux de sa communion ».
' Cette idée revient souvent chez Montaigne, Charron, La Hontan, etc., d'une
façon générale chez tous ceux qui, du XVl' au XVIM' siècle, se sont complus à pré-
senter la « philosophie » du « Sauvage » : cf.. par exemple. Dialogues de La Hontan
I io5], 1-2. 33-37, s"^-
364 RÉDACTIONS MANUSCRITES
manque pour nous le ' rendre que de voyager (à leur toui) parmi
nous. Dans quel pays n'y a-t-il pas des (- hommes) sensés, des
gens de bonne foi, des amis de la vérité qui ^ ne cherchent * qu'à la
connoitre pour la professer. Cependant chacun la voit dans son
culte et trouve absurdes les cultes des autres [nations). Donc ces
cultes [étrangers] ne sont pas si extravagans qu'ils nous semblent,
ou la raison que nous trouvons dans ^ le nôtre ne prou\e rien
6
5. Les grandes religions européennes.
f Nous avons trois principales religions en Europe. L'une
admet une seule révélation, l'autre en admet deu.x, l'autre en
admet trois. ■ Chacune (* des troisi déteste (et) maudit les deux
autres " les accuse d'aveuglement, d'endurcissement, d'opiniâtreté,
de mensonge. Quel homme impartial osera juger entrelles s'il n'a
premièrement bien pesé [leurs preuves] bien écouté leurs raisons.
Celle qui n'admet qu'une révélation '" paroit la plus i' sure celle
' I. (bien) rendre.
- [gens].
" B. pour la professer ne cherchent.
■■ (pas).
•'' B. les nôtres.
" (car ils trouvent en).
' (Humainement parlant p mot inachevé).
' B. (des trois).
^ (toutes).
'" B. est la plus ancienne et paroit.
" (mot inachevé ?).
t Rousseau a songé un instant à placer avant ce développement le
paragraphe qu'on lira pp. ;6^-i65 de l'édition orginale : Nos catholiques
font grand bruit... vous rentrez dans toutes nos discussions. // y a, en
effet, dans B,/"^ 181 ™ et 182 ™, des signes de renvoi qui indiquent cette
transposition à faire: ?nais ces signes ont été ultérieurement effacés.
ÉDITION ORIGINALE 365
5. Les grandes religions européennes.
Nous avons trois principales religions en Europe ^ L'une admet une
seule révélation, l'autre en admet deux, l'autre en admet trois. Chacune
déleste, maudit les deux autres, les accuse d'aveuglement, d'endurcisse-
ment, d'opiniâtreté, de mensonge. Quel homme impartial osera juger
entr'elles, s'il n'a premièrement bien pesé leurs preuves, bien écouté
leurs raisons? Celle qui n'admet qu'une révélation est la plus ancienne,
& paroit la plus sûre ^; celle qui en admet trois | est la plus moderne, <& l163]
paroît la plus conséquente ' : celle qui en admet deux& rejette la troisième
' L ne critique rapide des deux grandes religions monothéistes non chrétiennes
était de tradition parmi les apologistes; cf. Grotius, \'érité de la Religion, V : « Ré-
futation du Judaïsme >, VI : «Réfutation du .Mahométisme » [79], 268-3/3; Clarke,
Existence de Dieu, II, 11 [i25], III, 29-31 : « Que la Religion chrétienne est la seule
des Religions qui sont aujourd'hui dans le monde qui puisse se vanter avec quelque
apparence de raison de posséder cette révélation divine, — De la Religion de Mahomet,
— De la Religion judaïque d'aujourd'hui »; Pluche, Spectacle de la Nature [^'i^^,
VIII, Première Partie, 268-312 : « Examen historique des Religions qui se disent
révélées»; La Chambre, Suite de la Troisième Partie [149], III; etc. — Comparez
Fréret, Lettre de Thrasybule [189], 94 : « Laquelle de ces différentes traditions
égyptiennes préférerai-je aux autres? Toutes allèguent des révélations expresses en
leur faveur, toutes citent des livres dans lesquels elles prétendent qu'elles sont écrites,
chacune prétend jouir du même privilège, à l'exclusion des autres. Mais, comme
aucune ne peut prouver le" droit qu'elle s'attribue, je suis obligé d'en revenir à la
raison dont on voulait m'em pêcher de me servir ».
' Première manifestation de cette curieuse svmpathie de Rousseau pour le
judaïsme, dont on verra quelques pages plus lom, p. 167 et note 1, des témoignages
significatifs.
* La plus conséquente, parce que, si l'on admet la possibilité d'une seconde
révélation, il est plus conséquent d'admettre au -si la troisième.
366 RÉDACTIONS MANUSCRITES
qui ' les admet toutes paroit la plus conséquente. Celle qui en
admet deux et ^ noa pas la troisième [peut 'bienj être la meilleure
mais elle] a certainement '■'le piémier préjugé contre elle. L'incon-
séquence saute * aux \eux.
B i° 181 '" [Dans les trois révélations les livres sacrés sont écrits en des lanf^ues
inconnues aux peuples qui les suivent. Les Juifs n'entendent plus
l'Hébreu, les chrétiens n'entendent ni l'Hébreu, ni le grec, les Turcs
■' ni les persans n'entendent point l'Arabe, et les Arabes modernes
eux-mêmes (° n'entendent) plus la langue de Mahomet. Ne voilà-t-il
pas une manière bien simple d'instruire les hommes i'' de leur parler
toujours (dans) une langue qu'ils n'entendent point]. On traduit ces
livres, dira-t-on, belle réponse! Qui me repondra que ces livres sont
fidellement traduits, (et) qu'il est même possible qu'ils le soient. Et
quand Dieu fait tant que de parler aux hommes, pourquoi faut-il qu'il
ait besoin d'interprète?
Je ne concevrai jamais que ce [^ que] tout homme est obligé de
savoir soit enfermé dans des livres et que celui qui n'est à portée
ni de ces livres ni des gens qui les ont lus soit puni d'une ignorance
involontaire. Toujours des livres ! Quelle manie. Parce que l'Europe
est pleine de livres, les Européens les regardent comme indispen-
sables, sans songer que [sur] les trois quarts de la terre on n'en a
jamais vu. Tous les livres (» ne sont-)ils pas (l'ouvrage) des hommes?
Comment donc l'homme en auroit-il besoin pour connoitre ses devoirs
[et] quels moyens i" auroit-il de les connoitre avant que ces livres
fussent faits? (Et maintenant que leurs contradictions et leur multitude
lui laissent l'embarras du choix gue îera-t-il pour (être sur de bien
' B. en admet trois (par oit) est la plus moderne et paroit.
- B. rejette la troisième.
■' B. tous les préjugés contre.
■' B. « aux ».
'- M. et.
'■ [ne parlent].
' M. < de leur parler... n'entendent point >.
" (qu'on).
" [n'ont]-ils pas [été écrits par].
'" M. avoit-il.
ÉDITION ORIGINALE 367
peut bien èire la meilleure, mais elle a certainement tous les préjugés
contr'elle : l'inconséquence - saute aux yeux.
Dans les trois révélations, les Livres sacrés sont écrits en des langues
inconnues aux peuples qui les suivent. Les Juifs nentendent plus
l'Hébreu, les Chrétiens nentendent ni l'Hébreu ni le Grec, les Turcs ni
les Persans n'entendent point l'Arabe, & les Arabes modernes, eux-
mêmes, ne parlent plus la langue de .Mahomet. Xe voilà-t-il pas une
manière bien simple d'instruire les hommes, de leur parler toujours une
langue qu'ils n'entendent point? On traduit ces livres, dira-t-on ; belle
réponse ! Qui m'assurera que ces livres sont fidellement traduits, qu'il est •
même possible qu'ils le soient ^, & quand Dieu fait tant que de | parler [164]
aux hommes, pourquoi faut-il qu'il ait besoin d'interprète?
Je ne concevrai jamais que ce que tout homme est obligé de savoir
soit enfermé dans des livres, & que celui qui n'est à portée ni de ces
livres, ni des gens qui les entendent, soit puni d'une ignorance involon-
taire. Toujours des livres! Quelle manie ^i Parce que l'Europe est pleine
de livres, les Européens les regardent comme indispensables, sans songer
que sur les trois quarts de la terre on n'en a jamais vu. Tous les livres
n'ont-ils pas été écrits par des hommes? Comment donc l'homme en
auroit-il besoin pour connoitre ses devoirs, & quels moyens avoit-il de les
' L'inconséquence d'admettre deux révélations et de rejeter la troisième.
' La Hontan avait déjà insisté sur cette incertitude des traductions, cf. Dialogues
[io5], 6-7 [c'est un sauvage qui parle à un Européen : « L'invention de l'écriture n'a
été trouvée, à ce que tu me dis un jour, que depuis trois mille ans, l'imprimerie
depuis quatre ou cinq siècles ; comment donc s'assurer de tant d'événements divers
pendant plusieurs siècles? Si nous voyons de nos propres yeus des faussetés
imprimées et des choses différentes de ce qu'elles sont sur le papier [dans les livres
écrits par les Jésuites sur son pays[. — comment veux-tu que je croie la sincérité de
ces Bibles, écrites depuis tant de siècles, traduites de plusieurs langues par des
ignorants, qui n'en auront pas conçu le véritable sens, ou par des menteurs, qui
auront changé, augmenté ou diminué les paroles qui s'y trouvent aujourd'hui » ?
' Voici encore, dans ce défilé des vieilles objections vulgarisées par les déistes,
une réflexion vraiment personnelle, et qui rejoint, pour l'accent, celle que j'ai déjà
soulignée, p. 141 : « Que d'hommes entre Dieu et moi»! C'est au fond le même
besoin d'indépendance absolue qui a dicté les deux cris; les livres sont, eux aussi, des
368 RÉDACTIONS MANUSCRITES
choisir ?)). ' Ou il apprendra ses devoirs de lui-même ou il est
dispensé de les savoir].
F, f° 171 '■° f [Nos catholiques font grand bruit de l'autorité de l'Eglise
mais « que » (^ gagnez-vous) à cela s'il ^ faut f* tout] autant de
travail et de preuves pour établir (^Dautorité ('■ de vôtre église)
qu'C à nous) pour établir (** la vérité de nos sentimens). ^ La décision
de l'Eglise n'est point une preuve que l'Eglise ait droit de décider.
1" Ainsi nous voila rejettes dans les mêmes discussions].
Connoissez-vous beaucoup de chrétiens qui aient pris la
peine d'examiner "avec soin ce que ('-les Juifs) allegue(nt) contre
le (" Christianisme). Si quelques uns en ont vu quelque chose
c'est dans les livres des chrétiens. '* Belle manière de s'instruire
('^ des sentimens) de (""'nos) adversaires. "Mais comment faire.
(18 On ne '" laisseroit pas imprimer) parmi nous des livres où l'on
' M. < Ou il apprendra... de les savoir >.
'■* « gagnent » [ils].
■' [(leur)]. — B. leur.
•* B. (tout) un aussi grand appareil de preuves.
'- [cette].
'• B. (même).
■ [aux autres sectes].
" [directement leur doctrine].
'■' B. L'Eglise décide que l'Eglise a droit.
'" B. Ne voilà-t-il pas une autorité bien prouvée ? Sortez de là, vous rentrez
dans toutes nos discussions.
" B. [avec soin].
'- [le Judaïsme].
'■' [(leur doctrine) « eu.x »].
" B. (Belle) [Bonne].
'■' [des raisons].
"' [leurs].
" [Et]. — B. Mais.
" [Si (nous) quelqu'un osoit publier parmi].
" [(laissoit)].
1 Rousseau a songé un instant à reporter ce paragraphe quelques
pages en arrière : cf., la note précédente.
ÉDITION ORIGINALE 369
connoître avant que ces livres fussent faits? Ou il apprendra ces devoirs
de lui-même, ou il est dispensé de les savoir.
Nos Catholiques font grand bruit de l'autorité de l'Église; mais que
ga-'gnent-iis à cela, s'il leur faut un aussi grand appareil de preuves pour [165]
établir cette autorité, qu'aux autres sectes pour établir directement leur
doctrine?-' L'Église décide que l'Église a droit de décider. Ne voilà-t-il
pas une autorité bien prouvée? Sortez de-là, vous rentrez dans toutes nos
discussions '.
Connoissez-vous beaucoup de Chrétiens qui aient pris la peine
d'e.xaminer avec soin ce que le Judaïsme allègue contr'eux ? Si quelques-
instruments de servitude : « Que de livres entre Dieu et moi » ! semble-t-il dire ici.
En outre, ce mouvement de mauvaise humeur contre les livres est bien dans Tesprit
général de son svstème, et rattache la Profession à l'idéal des deux Discours, de la
Lettre à D'.Membert, et du reste de VÈmiie : cf. la maxime du III' Livre, II, i55 : « Je
hais les livres ». On verra, quelques pages plus loin, p. 175, Rousseau paraître un
instant oublier ces principes, et revendiquer lui-même, pour les « sciences humaines »,
le droit d'exister. Notons que, dans la Réponse à M. Borde, il avait formellement
excepté de son anathème contre les livres ceux qui contenaient la Révélation, I, 63 .
« Enfin, pour quelque homme que ce soit, il n'y a de livres nécessaires que ceux de
la Religion, les seuls que je n'ai jamais condamnés ». Et ici même, après avoir protesté
contre « la manie des livres », et surtout des livres qui se disent sacrés, le Vicaire
fera une exception pour l'Évangile, ce « livre à la fois si sublime et si simple » :
cf., plus loin. p. 17g.
■ Cf. la seconde des Lettres de la Montagne, 111, i36 : « Qu'on me prouve
aujourd'hui qu'en matière de foi je suis obligé de me soumettre aux décisions de
quelqu'un, dès demain je me fais catholique ». — Celte petite parenthèse sur la
théorie de 1' « autorité » dans le catholicisme — qui a d'abord été une note marginale
de F — interrompt le mouvement général de la discussion. Rousseau s'en est
d'ailleurs, rendu compte, puisqu'il a longtemps hésité sur la place à lui attribuer
(Cf., dans B, les signes de renvoi, qu'il a plus tard eftacési, et que dans l'un des manuscrits
(H) il a transporté ces quelques lignes en tète du débat sur les « trois principales
religions de l'Europe ». — C'est vraisemblablement une riposte à Dom Calmet. En
lisant la Dissertation sur les vrais et les faux miracles Ji8], I, 660, il put remarquer
que Calmet se tirait du « diallèle » précisément par « l'autorité de l'Eglise » : « On
répond qu'ici le principe sur lequel est fondé tout ce que nous disons, est que Dieu,
étant la vérité même, ne peut nous induire en erreur, ni autoriser l'imposture et le
mensonge par son approbation et par une suite de vrais miracles; qu'ayant promis
l'infaillibilité à son Église, il ne peut manquer à sa promesse. Voilà le principe de
notre raisonnement: principe incontestable et renfermé dans l'idée même que nous
avons tous de la Divinité, comme d'un être infiniment parfait. Lors donc que, dans
le doute de la vérité d'un miracle, ou dans le concours de deux faiseurs de miracles,
je renvoie à l'examen de la doctrine ou à l'autorité de l'Église, je ne le fais qu'en
conséquence du principe infaillible que l'on ne peut contester, qui est que Dieu ne
24
370 RÉDACTIONS MANUSCRITES
(1 prouveroit ou croiroit prouver) que Jésus Christ n'est pas ^ le
Messie (^ on * puniroit) !'[* auteur], * l'imprimeur, le libraire,
(nous crierions aux pieux blasphèmes). Cette "• police (^ peut
être fort pieuse mais elle me paroit ïort peu raisonnable) il (^ est
' [(voudroit) affirmeroit]. — B. (affirmeroit où l'on s'efforceroit de prouver
que Jésus Christ n'est pas le Messie) [favoriseroit ouvertement le Judaisme] nous.
- [(Dieu)].
' [nous punirions].
* (croiroit).
'^ (éditeur).
" B. < l'imprimeur > l'Editeur.
' \{mot inachevé et illisible pieuse)].
" [est (surtout) [fort aisée] (et outre? fort) comode [car]]. — B. est (sure)
comode et sûre pour avoir toujours raison. Il y a plaisir.
" [y a plaisir à].
EDITION ORIGINALE 37 1
uns en ont vu quelque chose, c'est dans les livres des Chrétiens. Bonne
manière de s'instruire des raisons de leurs adversaires ! Mais comment
faire? Si quelqu'un osoit publier parmi nous des livres où l'on favori-
seroit ouvertement le Judaïsme, nous punirions l'Auteur, l'Éditeur, le
peut tromper, et que la décision de son Église est la décision de son Saini-Esprit.
L'Église tire donc sa force de la parole de Jésus-Christ, Les miracles et la doctrine
sont appuvés sur le même fondement. Ce n'est point là une pétition de principes;
c'est un enchaînement de preuves et de principes, qui répondent l'un à l'autre, et qui
se prêtent mutuellement de la force et de la lumière ». Sans doute, c'est seulement
dans B, comme on l'a vu, que se trouve mentionnée la Disserlation de Calmet, et
qu'apparaît pour la première fois le développement sur le rapport des miracles avec
la doctrine. Mais, dans F déjà, Rousseau semble avoir lu les ouvrages de Calmet,
comnle le montre la réflexion sur les vampires. Au reste, ce paragraphe sur l'autorité
de l'Église, ayant été ajouté en marge de F, a pu être à peu près contemporain de la
rédaction de B. Je crois donc probable que c'est la lecture de Calmet qui l'a suggéré.
— Il est, d'ailleurs, possible que Morellet y ait aussi contribué. On verra plus loin,
note 1 de la p. 176, que Rousseau, en rédigeant un paragraphe de B, utilisait l'article
Foi que .Morellet avait écrit pour \' Encyclopédie. Or, dans ce même article, Morellet
e.<posait les difiérents systèmes des théologiens catholiques sur l'autorité de l'Église,
et montrait que certains d'entre eux aboutissaient à ce sophisme, que signale aussi
Rousseau, de prouver l'autorité de l'Église par cette autorité même 224]. 10 a-b : « La
dilfîculté en ceci vient de l'embarras qu'on éprouve à placer dans un ordre naturel et
raisonnable deux motifs qui. dans la doctrine catholique, doivent entrer tous deux
dans l'analyse de la foi. Ces deux motifs sont l'autorité de l'Écriture et celle de
l'Église (la tradition peut être ici confondue avec l'autorité de l'Église, qui seule en
est dépositaire, et qui parle pour elle) Je crois tel dogme, parce qu'il est révélé. Je
crois qu'il est révélé, parce que la société religieuse, dans laquelle je vis, m'enseigne
qu'il est révélé. Je crois à son enseignement, parce qu'elle est infaillible, parce qu'elle
est l'Église de Jésus-Christ, et que l'Église de Jésus-Christ est infaillible. Je crois
qu'elle est l'Église de Jésus-Christ, parce que les chefs, les pasteurs de cette Église ont
succédé à ceux que Jésus-Christ même avait établis; et je crois que l'Église de
Jésus-Christ est infaillible, parce que cette infaillibilité lui est promise et clairement
contenue dans les Écritures proto-canoniques que tous les chrétiens reçoivent, et qui
sont la parole de Dieu, soit dans une infinité d'endroits particuliers, soit dans toute
l'histoire de l'établissement de la religion que racontent ces mêmes livres divins et
inspirés. Je crois que les Écritures sont la parole de Dieu, sont divines et inspirées,
parce que cette vérité est essentiellement liée avec cette autre, la religion chrétienne
est émanée de Dieu. Je crois enfin que la religion chrétienne est émanée de Dieu, par
tous les motifs de crédibilité qui me le persuadent. Cette méthode parait si simple et
SI naturelle, qu'on pourra s'étonner de voir qu'elle n'est pas embrassée par tous les
théologiens. Cependant un grand nombre d'entre eux, dans leurs disputes avec les
protestants, ont été jetés dans une route diti'érente par le désir d'élever à un plus haut
degré, s'il était possible, l'autorité de l'Église. Ils ont prétendu que le fidèle ne
croyait la vérité et l'inspiration du corps même des Écritures des livres proto-cano-
niques, que par le motif de l'autorité infaillible de l'Église qui les adopte : d'où ils
ont été obligés, dans l'ordre du raisonnement et dans l'analyse de la foi, tantôt à
prouver l'autorité de l'Église par la révélation, en même temps qu'ils établissaient
l'autorité de la révélation sur celle de l'Église, en quoi ils faisaient un cercle
vicieu.x bien sensible, et que les protestants n'ont pas manqué de leur reprocher ;
372 REDACTIONS MANUSCRITES
bien aisé de) «■ ' réfuter » des gens (à) qui (^ l'on ne permet
pas de parler *). f
Ceux d'entre ^ nous qui sont à portée de converser avec des
Juifs ne sont guéres plus avancés. (* Les Juifs) se sentent à notre
discrétion, la ■' barbare tirannie qu'on exerce '' sur eux les rend
'craintifs, ils savent «combien peu "nous coûtent les injustices,
B, F 182 ™ [* 10 Voici un fait C notoire) qui ('^ pourra servir de preuve), i' Dans le
i6« siècle les théologiens ("de Cologne) ayant condanné au feu tous les
lisTcs des Juifs sans distinction. L'illustre et savant Reuchlhin consulté
C'^la dessus s')attira de terribles (affaires) qui faillirent "'le perdre pour
avoir osé opiner qu'on pouvoit conserver ceux de ces livres qui ne faisoient
rien contre le christianisme et "qui traitioient de matières indifférentes '«.
(Jugez comment (''^on s'instruit) [bien] des autres religions dans celle[s] ou
l'on se conduit sur de « tels » [-" principes] ■")].
' [(briller en réfutant)].
- [n'osent (rien dire) parler]. — B. « qui n'osent » (rien direl parler [(qu'on
empêche de parler)].
' I. (eux) nous qui.
* [(Ils)... « Les malheureux »].
* M. < barbare >.
^ B. envers. — M. contre.
' CTSLinùf (sic).
^ (en).
" B. l'injustice et la cruauté coûtent à la charité chrétienne, qu'oseront-iis.
'" (Tous les livres des... Chacun... On sait les terribles affaires que s'attira...
Le pauvre... L'illustre et savant Reuchlin [« consulté » à l'occasion de la suppres-
sion des livres des Juifs] pour avoir osé dire... distinguer entre les livres des
Juifs). — I. Entre mille faits (en voici) connus en voici un qui.
" [connu]. — M. < connu > qui.
'- [n'a pas besoin de commentaire].
'■' (Au commencement).
'* [catholiques].
'^ « sur » [cette affaire s'en].
"' M. (barré au crayon : à) le perdre.
" M. < qui >.
" M. à la Religion.
'" [s'instruire].
-" (points DE vriE ?)
-' (Veri mot inachevé).
t L'astérisque, comme la note qu'il amorce, manque dans F.
ÉDITION ORIGINALE 373
Libraire ^ *. Cette police est | commode & sûre pour avoir toujours [166]
raison. Il v a plaisir à réfuter des gens qui n'osent parler.
Ceu.x d'entre nous qui sont à portée de converser avec des Juifs ne
sont guère plus avancés. Les malheureux se sentent à notre discrétion ; la
* Entre mille faits connus, en voici un qui n'a pas besoin de commentaire.
Dans le seizième siècle, les Théologiens catholiques ayant condamné au feu
tous I les livres des Juifs, sans distinction-, l'illustre & savant Reuchlin consulté [166]
sur cette affaire, s'en attira de terribles, qui faillirent le perdre, pour avoir
seulement été d'avis qu'on pouvoit conserver ceux de ces livres qui ne faisoient
rien contre le Christianisme, & qui trailoient de matières indifférentes à la religion '.
tantôt il n'établir le dogme capital de l'infaillible autorité de l'ICglise, que sur des
motifs de crédibilité indépendants de la révélation, dans la crainte de tomber dans
le sophisme qu'on leur reprochait : et tantôt enfin à prouver l'autorité de l'Église
par l'autorité même de l'Église, ce qui est absolument insoutenable ».
' Cependant, si l'on ne peut citer, dans la librairie française du XVIH' siècle, des
apologies « ouvertes », et surtout sincères, du judaïsme, il faut noter que la propa-
gande déiste se dissimulait alors volontiers derrière de pseudo-sympathies judaïques.
L'exemple le plus typique est fourni par les Lettres Juives, où le marquis d'.Argens
démontre complaisamment que les plus intelligents des Parisiens sont des Juifs sans
le savoir, et que le Judaïsme bien compris n'est qu'un déisme fort raisonnable:
cf. IV' Lettre 'i5o'. 1, 40-41 : « Tout ce qu'on appelle ici [à Paris] esprit fort, gens de
bel air, femme du monde, n'exercent la Religion nazaréenne que dans l'extérieur: au
fond du cœur, il en est très peu qui en soient persuadés. Ils se contentent de croire
un Dieu: plusieurs pensent que l'âme est immortelle; beaucoup d'autres, ainsi que les
Saducéens, soutiennent qu'elle est sujette à la mort. Je regarde ces derniers comme
des gens dans l'erreur; quant aux premiers, je ne sais si nous pouvons leur refuser
le titre de Juifs. Ils croient un Dieu qui a créé l'Univers, qui récompense les bons et
punit les méchants. Que croyons-nous davantage ? N'est-ce pas là toute notre religion,
excepté quelques cérémonies que nos docteurs et nos prêtres nous ont ordonnées i"
Mais les cérémonies ne sont pas indispensablement nécessaires Si tu réfléchis à ce
que je te dis, tu ne pourras refuser de connaître ce nombre de Parisiens, dont je te
parle, pour des Enfants d'Israël »; XXIX' Lettre, I. 3i2 : « Si un Israélite, dépouillant
sa religion de l'extérieur, vient à la lui montrer toute nue [à un philosophe chinois],
qu'il lui expose qu'il croit un Dieu, Esprit immense, éternel, et souverainement
puissant, qui de rien a tout fait, qui soutient tout par sa volonté, qui punit le
mauvais et récompense le bon; le philosophe alors, charmé de ces idées, étonné de la
vérité dont il se sent frappé, reconnaît que le Juif croit et suit ce que la raison la plus
épurée démontre évidemment »: dans la XXIV" Lettre. IV, i5, l'éloge enthousiaste de
la religion juive : « Plus je considère ma religion, mon cher Isaac, plus je la trouve
admirable et magnifique. L'n seul Dieu, créateur du ciel et de la terre ». etc.
Cf. encore les textes cités dans les deux notes suivantes.
' Il est malaisé de savoir à qui Rousseau a emprunté ce fait. On ne le trouve ni
dans Deslandes. Histoire critique de la philosophie [148], ni dans Saint-.\ubin, ni dans
Bayle, oii l'on serait tenté de le chercher tout d'abord. Diderot raconte sommairement
la mésaventure de Reuchlin dans l'article Pythagore de ['Encyclopédie [58], XVI,
532-533: mais l'article n'avait pas encore paru en 1762. A moins donc que Rousseau
n'ait appris ces détails dans une conversation avec Diderot, je ne vois que deux
374 RÉDACTIONS MANUSCRITES
1 qu'oseront ils dire sans - nous faire crier au blasphème. (Pour peu
qu') 5 ils (* soient) riches (Mis auront toujours) tort. (D'ailleurs) les
plus sa\ans les plus éclairés sont "les plus circonspects, 'ils se
sentent opprimés, ils se taisent. Vous ferez parler quelques [' misé-
rables fripiers, (" quel guES malheureux "^ brocanteurs, etc.) [qui
1' céderont peut être pour vous flatter . \'ous triompherez de leur
ignorance |ou de leur lâcheté] ('-les) docteurs Iriront en '-^ secret
de vôtre ineptie '* maisj ne vous diront rien. ('^ Je doute) que] dans
les lieux où ils se ("= croyenti plus en sûreté l'on (" ait) aussi bon
marché d'eux. En Sorbonne il est clair comme le jour que les
prédictions du Messie se raportent à Jésus Christ chez les Rabbins
d'Amsterdam il (n')est ('* pas moins) clair qu'elles n'\- ont ('■' pas le
moindre) raport. Je ne croirai jamais avoir bien entendu les
raisons des Juifs qu'ils n'aient un état libre, des écoles, des
universités ou ils puissent parler -" sans -' crainte; alors seulement
nous pourrons savoir ce qu'ils --ont à dire.
' (pour (qu'eux) qu'ils).
- B. s'exposer à nous faire. — M. nous faire.
^ B. l'avidité nous donne du zèle ei ils sont trop riches.
** [sont trop].
' [pour n'avoir pas toujours'. — B. pour In'Javoir (jamais raison) [pas
toujours tort].
" B. précisément.
' B. vous convertirez quelque misérable, pavé pour calomnier la secte;
vous ferez parler. — M. pour calomnier sa secte: vous ferez parler.
« B. vils.
■' quels malheureux brocanteurs ^.sic^
'" (m ARCHANDS).
" B. (cédèrent! [céderont; pour vous Hâter.
'-' [leurs.] — B. tandis que leurs Docteurs [sou]riront.
" B. silence.
" B. < mais ne vous diront rien >. Mais crovez-vous que dans des.
'■' [Aurez ?-vous].
'" [croiroient]. — B. seniiroient en sûreté.
" [eut].
'" [tout aussi].
" [nul]. — ■ B. pas le moindre rapport.
^^ B. et disputer.
-' M. risque. — I. (crainte, sans sauf conduit) [risque].
-- M. auront.
EDITION' ORIGINALE 375
tirannie [^) qu'on exerce envers eux les rend craintifs; ils savent combien
peu l'injustice & la cruauté coûtent à la charité chrétienne : qu'oseront-ils
dire sans s'exposer à nous faire crier au blasphème? L'avidité nous
donne du zèle, & ils sont trop riches pour n'avoir pas tort. Les plus
savans, les plus éclairés sont toujours les plus circonspects. Vous con-
vertirez quelque misérable payé pour calomnier sa secte; vous fe-|rez [167]
parler quelques vils frippiers, qui céderont pour vous flatter; vous
triompherez de leur ignorance ou de leur lâcheté, tandis que leurs
Docteurs souriront en silence de votre ineptie. .Mais croyez-vous que
dans les lieux où ils se sentiroient en sûreté l'on eût aussi bon marché
d'eux ? En Sorbone (*>), il est clair comme le jour que les prédictions du
Messie se rapportent à Jesus-Christ. Chez les Rabbins d'Amsterdam,
il est tout aussi clair qu'elles n'y ont pas le moindre rapport. Je ne croirai
jamais avoir bien entendu les raisons des Juifs, qu'ils n'aient un Etat
libre, des écoles, des universités, où ils puissent parler & disputer sans
risque. Alors, seulement, nous pourrons savoir ce qu'ils ont à dire '.
t> » C, D : tyrannie.
( b ) C, D : Sorbonne.
ouvrages OÙ il aurait pu se renseigner; VHistoria critica philosophiœ de Jacob
Brucker, que Diderot utilisait sans vergogne pour ses articles sur l'histoire de la
philosophie, et qu'il avait peut-être recommandée à son ami : cf., dans la IIP Période.
I, II, 4 [164], IV, Pars I. 366; et plus vraisemblablement V Histoire des Juifs de Basnage,
oti toute l'aft'aire Reuchlin est racontée par deux fois, et très copieusement, III, vi, 17 et
m, XXX, 12 [108], II, 721-722 et V, 2039-2061. Le récit de Basnage est tout-à-fait dans l'esprit
de Rousseau; cf. sa conclusion, p. 2060 : « Le bon sens voulait qu'on raisonnât ainsi
[comme l'avait fait Reuchlin] et qu'on étendit ce raisonnement à tous les livres qui étaient
imprimés et publiés. Cependant on fit un crime à Reuchlin de parler ainsi, et les théolo-
giens commencèrent à persécuter l'auteur de ce sentiment. Il suffisait de savoir alors un
peu de grec pour être suspect, et d'entendre l'hébreu pour être convaincu d'hérésie ».
' J'ai déjà noté plus haut. p. 162, note 2. la sympathie secrète qui se laisse
deviner chez Rousseau pour le judaïsme. Lefranc de Pompignan l'avait remarquée.
Philosophie des incrédules [246], I, 348 : « A l'égard des Juifs, le Citoyen de Genève
paraît, on ne sait pourquoi, avoir une prédilection singulière pour leur religion ».
Il est certain que 1' « étonnant spectacle » des destinées juives avait plus d'une fois
retenu la pensée de Rousseau. Dans un de ses cahiers de brouillons [6]. 8-g, je trouve
sur la vitalité du peuple juif deux pages très curieuses, qui se terminent ainsi : « Tout
homme, quel qu'il soit, y doit reconnaître une merveille unique, dont les causes divines
ou humaines, méritent certainement l'étude et l'admiration des sages, préférablement à
tout ce que la Grèce et Rome nous offrent d'admirable en fait d'institutions politiques,
et d'établissements humains». Pourtant ce sont d'autres sentiments qui doivent expliquer
ici cette « prédilection » de Jean-Jacques pour le credo juda'îque. Il y entre d'abord
beaucoup de cette compassion naturelle chez lui pour tous les persécutés. L'Histoire des
Juifs de Basnage qu'il a probablement lue (cf. la note précédentei lui offrait le récit très
objectif, sur un ton tolérant et presque sympathique, de toutes les violences subies par
les Juifs modernes. Elle lui expliquait sous l'empire de quelles craintes les conciles avaient
376 REDACTIONS MANUSCRITES
jo 171 vo II ^ constantinople les Turcs disent leurs raisons mais nous
n'osons dire les nôtres. [Là] c'est nôtre tour de ramper. Si les
Turcs exigent de nous pour mahomet auquel nous ne cro^■ons
point, le même respect que nous exigeons ' pour Jésus Christ
|des Juifs] qui n'y croyent pas davantage; les Turcs ont-ils tort
avons-nous raison. Sur quel principe - raisonable et juste résou-
drons-nous cette question.
' (des Juifs). — I. (des J uiks).
- B. équitable résoudrons-nous. — M. équitable au gré d'un tiers résou-
drons-nous. — I. équitable [(au gré d'un tiers)] résoudrons-nous.
ÉDITION ORIGINALE 377
A Constantinople, les Turcs disent leurs raisons, mais nous n'osons
dire les nôtres; là, c'est notre tour de ramper. Si les Turcs exigent de
nous pour ( .Mahomet, auquel nous ne croyons point, le même respect l168]
que nous exigeons pour Jesus-Christ des Juifs qui n'y croyent pas
davantage; les Turcs ont-ils tort, avons-nous raison? Sur quel principe
équitable i^i résoudrons-nous cette question ?
(ai C : équitable au gré d un tiers, puis Rousseau a barré
cette addition ; D : équitable.
interdit aux Juifs toute dispute avec les chrétiens; elle lui mettait enfin sous les veux
une « Profession de foi des Juifs » en treize articles, qui n'étaient, à bien les regarder,
sauf quatre où s'affirmaient encore leurs invincibles espérances, que les articles de foi
du théisme : cf. [108], V, 1665-1667. 1697, III, 1-4. Cette affinité du théisme et du
judaïsme avait été sentie par bien des « philosophes ». De là ce ton de courtoisie avec
lequel plusieurs parlent de la « Religion d'Israël ». On en trouvera dans l'avant-dernière
note quelques preuves typiques, empruntées aux Lettres Juives. Il y en a d'autres;
cf. Pensées philologiques [188], 22 : « M. de Saumaise déclara, à l'article de la mort,
à un ami qui lui demanda quels étaient ses sentiments dans ce dernier moment, que.
si Dieu exigeait un culte, la Religion juive était la véritable ». Cf. encore dans Marie
Huber, Le Monde fou ^140]. 119-126, l'histoire de deux Juifs, qui seraient tentés de se
convertir, et que le Christianisme sous sa forme actuelle rebute. Pour les attirer, le
Chrétien sincère essaie de leur expliquer « que le Christianisme n'est en substance que
la Religion d'Abraham et de David renouvelée par Jésus: une religion dont la droiture
et l'obéissance à la conscience sont la base ; dont tous les principes se réduisent à un
dévouement sincère de la créature envers le Créateur »; mais le spectacle des divisions
chrétiennes les décourage : « ils conser\'ent le nom de Juifs, et cachent sous cette
apparence, si méprisable aux veux des chrétiens de nom. l'intérieur d'un véritable
Chrétien ou la disposition qui en fait l'essentiel » ; et l'un des personnages du dialogue,
à qui l'on conte l'histoire de ces deux Juifs, en tire la moralité suivante : « Je veux
faire connaissance avec eux [les Juifs Joseph et Benjamin] : et tous Juifs qu'ils sont, je
n'aurai point de honte de recevoir d'eux des leçons sur ce qui fait l'essence du Chris-
tianisme ». Il ne faut pas se méprendre sur ces sympathies juives; elles ne sont,
semble-t-il, qu'une forme religieuse du déisme. Il est possible que Rousseau ait été
séduit par ce qu'il crovait trouver d'ancien et de primitif dans la « Religion
d'Abraham»; mais l'esprit même du judaïsme ne pouvait que le choquer; et l'on a
vu plus haut que l'une des pages les plus agressives de la Profession (p. 149) était
précisément dirigée contre le » Dieu des combats », le Dieu « jaloux » et « vengeur ».
Si « la majesté des Écritures l'étonné » c'est « surtout la sainteté de l'Evangile » qui
« parle à son cœur » : cf., plus loin, la variante de M au texte de la p. 179. Aussi ne
serais-je point éloigné de penser que, dans cette apologie du judaïsme, il entre surtout
le désir de riposter à Voltaire. Celui-ci avait publié en 1736, au t. Vil de ses Œuvres
[de l'édition Cramer], dans les Mélanges de littérature, d'histoire, et de philosophie
(IV Partie, chap. LX, pp. 1-181 une vingtaine de pages intitulées : Des Juifs, qui
formèrent plus lard la Première Section de l'article Juifs dans le Dictionnaire philo-
sophique. Il y disait 'ji], XIX, 5i8 et 52i : « Il résulte de ce tableau raccourci que les
Hébreux ont presque toujours été ou errants, ou brigands, ou esclaves, ou séditieux ;
ils sont encore vagabonds aujourd'hui sur la terre et en horreur aux hommes, assurant
que le ciel et la terre et tous les hommes ont été créés pour eux Vous ne uouverez
en eus qu'un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide
avarice à la plus détestable superstition, et à la plus invincible haine pour tous les
378 RÉDACTIONS MANUSCRITES
6. La Révélation et le problème du salut.
Les deux tiers du genre humain ne sont ni Juifs ni mahome-
tans ni chrétiens et (^ peut être des milHons) d'hommes n'ont
jamais oui parler de Moïse de Jésus Christ ni de Mahomet. - Com-
ment concevrai-ie que |tous| ces gens-là seront (con;dannés pour
n'avoir pas cru en Dieu né et mort il y a quatre mille ans dans une
petite ville appellée Jérusalem qui leur est inconnue, « dans un petit
pays appelle la Palestine « qu'ils ne connoissent pas mieux et dont les
propres habitans anciens et modernes nient la divinité. ^ Nos mission-
naires (me di(-on) vont par tout, (* je le nie). 1^* Vont ils dans le]
*cœur de l'Affrique [encore inconnue et| « où » jamais Européen
[n'Ja 'pénétré jusqu' "ici, vont-ils dans la tartarie '' mediterranée
suivre à cheval les hordes i" ambulantes dont jamais étranger
n'approche et qui "connoissent à peine le grand lama. \'ont ils
dans les continens immenses de l'amerique ou des nations entières
ne savent pas encore que des peuples de l'autre monde ont mis
les pieds dans le leur. Vont ils '- dans les Harems des Princes
de l'asie annoncer i-' Jésus Christ à des milliers [de pauvres]
' [combien de millions].
- B. < Comment concevrai-je... nient sa divinité >.
^ [On le nie, on dit que] nos missionnaires. — B. on le nie on (d it...
affirme) [soutient] que nos missionnaires.
■* [cela est bien lost dit. Mais].
^ (dans le chœur de IWffriquel.
° {ch œur).
' (point).
' B. à présent.
" M. (méridionale) mediterranée.
'" B. (de Tartares) ambulantes.
" B. loin d'avoir oui parler du Pape connoissent.
'- B. au Japon dont leurs manœuvres les ont fait chasser [pour] jamais et où
leurs prédécesseurs ne sont connus des générations qui naissent que comme des
(bandes d')intrigans rusés venus (sous) avec un zélé hypocrite pour s'emparer
doucement de [(tout)] l'empire ? Vont-ils dans les Harems.
'■' (de). — B. (la foi chrétienne) [(Jésus Christ) l'évangile].
EDITION ORIGINALE 379
6. La Révélation et le problème du salut.
Les deux tiers du genre humain ne sont ni Juifs, ni Mahométans,
ni Chrétiens, & combien de millions d'hommes n'ont jamais oui parler
de Moïse, de Jesus-Christ, ni de .Mahomet '? On le nie: on soutient que
nos Missionnaires vont par-tout. Cela est bientôt dit - : mais vont-ils dans
peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent. Il ne faut pourtant pas les brûler ».
Rousseau avait été fort choqué par le ton de ce morceau ; cf., dans la \" des Lettres
de la Montagne, 111, 197, où il fait dire à Voltaire : « Voyez mon chapitre Des Juifs,
voyez le même chapitre plus développé dans le Sermon des Cinquante: il y a là du
raisonnement, ou l'équivalent, je pense ». Cf. encore, dans les Dissertations mêlées
[1 58 ">'"], 1. 195-197, la Lettre à M *** sur les Juifs, où il est prouvé que le mépris
dans lequel la Xation Juive est tombée est antérieur à la malédiction de Jésus-
Christ, et où Mirabaud, qui parait bien l'auteur de cette Lettre, regarde comme
universellement admis que « la crédulité, l'opiniâtreté, l'entêtement, et, ce qu'on
peut appeler sans déguisement faiblesse et petitesse d'esprit, a été et est encore
aujourd'hui le caractère particulier des Juifs ». -
• L'argument qui va être présenté était familier au.x déistes; et Rousseau en
trouvait l'essentiel dans Clarke, Existence de Dieu. Il, 11 ij25], 111, 25 : « Un auteur
moderne, écrit-il, du nombre de ceu.x qui nient la Révélation (Voyez un livre anglais
intitulé Les Oracles de la Raison, p. 197I [The oracles of Reason, etc.. by Charles
Blount, Esq., ,'Vlr Gilden and others. London, 1693, se trouvent en tête de The
Afiscellaneous M 'orA.ï of Charles Blount, Esq.. Printed in the year i6g5, in-rz], insiste
beaucoup sur cet argument dont il fait son fort. Il dit que de l'aveu de tout le monde,
il n'y a jamais eu de Révélation divine, reconnue universellement pour telle, et reçue
en cette qualité dans tous les siècles et dans tous les pays de la terre. Il fait semblant
d'avouer que, si la doctrine chrétienne était universellement reçue, il ne pourrait
s'empêcher de croire qu'elle est en effet la Religion de Dieu même. .Mais voyant, dit-il,
qu'il n'y a point de Religion qui puisse se vanter d'avoir été reçue universellement sur
ce pied-là, et qu'il y a plusieurs nations à qui la doctrine chrétienne n'a jamais été ni
prêchée, ni connue, il est obligé de conclure qu'une doctrine, qui n'est pas universelle
et qui n'a pas été donnée à connaître à tous les hommes également, ne peut pas être
regardée comme une doctrine nécessaire à quelques-uns ». .Même argument dans Fréret,
Lettre de Thrasybule à Leucippe [18g], 235. Cf. encore Examen de la Religion, du
pseudo-Saint-Evremond [173], 7 : « Examinons un instant combien le nombre des
Chrétiens est petit. La Terre a quatre Parties, l'Europe, r.\sie, l'Afrique et l'Amérique.
On doit compter pour peu de chose les Chrétiens d'Asie, d'Afrique et d'Amérique;
encore damnons-nous une partie de ces Chrétiens qui ne sont pas catholiques. Reste
l'Europe : le Turc en occupe une partie ; le Moscovite, que nous damnons aussi, parce
qu'il est schismatique. y possède un grand royaume. Nous damnons encore l'Angleterre,
la Hollande, la Suède », etc.
' Cf. le verset 5 du Psaume XVlll, repris par S' Paul, .id Roman., X. 17 : « In
omnem terram exivit sonus eorum et in fines orbis terrae verba eorum ». Ce sont
surtout les grands théologiens protestants du .WI" siècle qui avaient appuvé leurs
380 RÉDACTIONS MANUSCRITES
' d'esclaves, ° qu'ont fait toutes les femmes de cette partie du
monde pour (^ que jamais) missionnaire ne puisse leur prêcher
la foi. ■* Iront-elles toutes en enfer pour avoir été {^ entérinées).
[* En] vérité c'est une ' bien pitoyable réponse à l'objection de
l'ignorance invincible que d'alléguer la mission de prêtres et de dire
que l'Evangile est prêché par toute la terre. Car premièrement cela est
[trèsj évidemment faux, "et quand -'cela seroit vrai qu'y gagneroit
on. La \eille '"que le premier missionnaire est arrivé dans un
pavs il y est sûrement mort quelqu'un qui n'a pu l'entendre. Or
dites-moi ce que nous ferons de ce quelqu'un là. y '^ Quand il n'y
auroit dans tout l'univers qu'un seul homme à qui l'on n'auroit
jamais prêché Jésus Christ l'objection seroit aussi forte pour ce
seul homme que pour '-la moitié du genre humain.
' B. < d' >.
- B. (déjà manires d'une chasteté forcée [de la CDntinencej I.
'■' [qu'aucun].
■• (Faut-il).
■' [recluses]. — B. recluses ? (et manires de la continence ?).
" (Enfin). — B. < En vérité c'est une évidemment faux >.
' (qu estion).
" B. < et > (« Mais »).
■■' B. il seroit vrai que l'Évangile est (prêché) Tannoncé] par toute la terre
qu'y gagneroit-on ?
"* M. [du jour] que le premier. — I. [du jour] que le premier.
" B. (Quand il) n'y (auroit sur la terre entière; leut-il dans tout l'univers]
qu'un seul homme.
'- B. (la moitié) [le quart]. — M. la moitié.
t (,'ctte fin de pai-agrap/ie avait d abord formé un petit développe-
ment à part, que Rousseau avait inscrit en marge vers le haut de la
page: Quand il [n'Jy auroit qu'un seul homme au monde qui n'eut
jamais entendu parler de Jésus Christ l'objection (n'est) seroit aussi forte
pour ce seul homme que pour la moitié du genre humain.
ÉDITION ORIGINALE 381
le cœur de l'Afrique encore inconnue, & où jamais Européen n'a pénétré
jusqu'à présent? Vont-ils dans la Tartarie méditerranéen suivre à cheval
les Hordes ambulantes dont jamais étranger n'approche, & qui loin d'avoir
oui parler du Pape, connoissent à peine le grand Lama ? \'ont-ils dans les
con-|tinens immenses de l'Amérique, où des Nations entières ne savent pas [169]
encore que des peuples d'un autre monde ont mis les pieds dans le leur?
■Vont-ils au Japon, dont leurs manœuvres les ont fait chasser pour jamais,
& où leurs prédécesseurs ne sont connus des générations qui naissent,
que comme des intrigans rusés, venus avec un zèle hypocrite pour s'em-
parer doucement de l'Empire '? Vont-ils dans les Harems des Princes de
l'Asie, annoncer l'Évangile à des milliers de pauvres esclaves? Qu'ont fait
les femmes de cette partie du monde pour qu'aucun Missionnaire ne puisse
leur prêcher la Foi? Iront-elles toutes en enfer pour avoir été recluses -?
Quand il seroit vrai que l'Évangile est annoncé par toute la terre,
qu'y gagneroit-on ? La veille du jour que le premier .Missionnaire est
arrivé dans un pays, il y est sûrement mort quel- | qu'un qui n'a pu [HO]
l'entendre. Or, dites-moi ce que nous ferons de ce quelqu'un-là ? N'y
eùt-il dans tout l'univers qu'un seul homme à qui l'on n'auroit jamais
prêché Jesus-Christ, l'objection seroit aussi forte pour ce seul homme,
que pour le quart du genre humain.
théories de la prédestination sur l'universalité de la prédication évangélique. CI', les
principales réponses sur ce sujet ap. La .\lothe le Vayer, Vertu des Païens '80 >"»], 48-49,
et L. Capéran, Le problème du salut des infidèles iagS], 197-199 et 226-230.
'' Féraud, Dictionnaire critique [230 , 1, 628 : « Méditerranée, qui est au milieu
des terres : les villes, les provinces méditerranèes ».
' On reconnaît ici Tesprit de VEssai sur les mœurs : cf., par exemple, pour le
Japon, Chap. CXLII '220], XII, 365. Rousseau pouvait, d'ailleurs, trouver des réquisi-
toires encore plus précis contre les missionnaires du Japon dans les Lettres chinoises
XIX [i35], I, 183-196. et surtout dans un livre qu'il avait lu, {'Histoire du Japon âe
Kjempfer : cf. U, iv, 5 'i3o], II, 53-56 (Orgueil et avarice des chrétiens japonais,
insolence des prélats, qui refusent d'honorer les dignitaires du pays, conspiration des
convertis contre l'empereun. Je n'ai pas su retrouver dans quel livre Rousseau avait
pris les allusions de cette page aux hordes tartares et au Grand Lama.
' Cf. Berruyer, Histoire du peuple de Dieu [2o3 . 1, pp. clviii-clix : « S'il est
donc vrai que la foi des vérités révélées est nécessaire au salut, pourquoi la Révélation
n'est-elle pas parvenue dans toutes les parties de l'Univers ?... L'état de tant d'hommes,
qui, faute d'une Révélation. ... ont le malheur de n'être pas Chrétiens, fait le fond d'une
objection favorite cent fois rebattue par les incrédules Ils vous demandent à tout
propos si un Indien, un Chinois, un sauvage, seront damnés pour avoir ignoré l'histoire
de Jésus-Christ, et pour n'avoir pas été les membres d'une société qu'ils n'ont ni connue
ni pu connaître ». On sait que le P. Berruver fut lui-même condamné pour avoir fait à
cette question une réponse trop pélagienne : cf. L. Capéran. Le problème du salut des
infidèles [293], 386-394. — Comparez encore La .\lothe le Vayer, Vertu des Païens
[80 '"'»], 5i-55, Forraev, Xécessité de la Révélation [21 1 *>"], II, 3o3 sqq.
382 KF.DACÏIONS MANUSCRITES
' Mais supposons enfin que les ministres de l'évangile se.
" soient fait entendre ■' à tous les hommes, que leur ont-ils dit
qu'on (* dut) ^ croire sur *' leur parole et qui ne demandas! pas
la plus exacte vérification. Vous m'annoncez un Dieu né et mort
il \' a '4 mille ans à l'autre extrémité du monde dans * une petite
ville -'que je ne connois point et vous me dites que '"ceux qui
n'auront point cru à ce mistére seront " tous dannés. Voila des
choses bien étranges ^'^. Pourquoi vôtre Dieu a-t-il fait arriver si
loin de moi les ('^ choses qu'il m'obligeoit) de croire. ^* Suis-je obligé
de savoir ce qui se passe dans ces antipodes. Puis-je deviner
qu'il va eu [dans C^le monde)j un peuple Hébreu et une i'" petite]
ville C de) Jérusalem. "* Vous venez dites vous me l'apprendre,
f° 172 ^° mais pourquoi n'êtes vous '■' venu l'apprendre || à mon père ou
pourquoi dannez vous ceC-'" t honnête) vieillard pour n'en avoir
f2>jamaiS| rien su. Doit il être éternellement puni de vôtre paresse
' B. < Mais supposons enfin >. (Que) [Quand] les ministres.
- B. sont.
■' B. au.x peuples éloignés que leur ont-ils.
^ [put raisonnablement].
■■' B. (croire) [admettre].
'■• (la).
■ B. deux mille.
" B. (une) [je ne sais quelle].
" B. (que je ne connois point).
'" B. [tous] ceux.
" B. < tous >.
'- (que). — B. pour les croire [si vite] sur (l'I [la seule] autorité d'un
homme que je ne connois point. Pourquoi. — M. sur l'autorité d'un seul
homme que je ne.
" [événemens qu'il vouloit m'obliger]. — B. evenemens dont il vouloil
m'obliger d'être instruit ? Est-ce un crime d'ignorer ce qui se passe au.\ antipodes ?
'■' [(Mon Père mort « avant « vôtre arrivée étoit-il obligé)].
'^ [un autre monde].
'" B. (petite).
'• [appellée]. — B. de.
'" B. Autant vaudroit m'obliger de savoir ce qui se fait dans la lune. Vous
venez.
'" B. pas.
'"' [bon].
-' B. rjamais].
ÉDITION ORIGINALE 383
Quand les Ministres de l'Évangile se sont fait entendre aux peuples
éloignés, que leur ont-ils dit qu'on pût raisonnablement admettre sur
leur parole, & qui ne demandât pas la plus exacte vérification ? Vous
m'annoncez un Dieu né & mort il y a deux mille ans à l'autre extrémité
du monde, dans je ne sais quelle petite ville, & vous me dites que tous
ceux qui n'auront point cru à ce mistere (^) seront damnés. Voilà des
choses bien étranges pour les croire si vîte sur la seule autorité d'un
homme que je ne connois point H Pourquoi votre Dieu a-t-il fait arriver
I si loin de moi les événemens dont il vouloit m obliger d'être instruit? [171]
Est-ce un crime d'ignorer ce qui se passe aux Antipodes ? Puis-je deviner
qu'il v a eu dans un autre hémisphère un peuple Hébreu & une ville de
Jérusalem ? Autant vaudroit m'obliger de savoir ce qui se fait dans
la lune. V'ous venez, dites-vous, me l'apprendre ; mais pourquoi n'ètes-
vous pas venu l'apprendre à mon père ', ou, pourquoi damnez-vous ce
bon vieillard pour n'en avoir jamais rien su ? Doit-il être éternellement
puni de votre paresse, lui qui étoit si bon, si bienfaisant. & qui ne
cherchoit que la \érité-? Soyez de bonne-foi, puis mettez-vous à ma
I '< I C, D : mystcrc.
' Comparez un discours analogue de ton. et qui met en valeur des idées fami-
lières au Vicaire ici'., plus haut, pp. 164-165). dans VE.xamen de la Religion [lyS], 64 :
« Un" Indien de bonne foi arrive en Europe. 11 élève *sa voix, et demande : Qui m'as-
surera de la Révélation divine? qui de vous se prétend infaillible? L'Église Romaine
paraît: C'est moi, dit-elle, qui suis infaillible. L'Indien s'apprête à l'écouter; mais
auparavant, il lui demande ; Quelle preuve me donnez-vous de l'infaillibilité dont vous
vous flattez? — C'est l'Écriture, répond l'Église. — Mais qu'est-ce que l'Écriture;
demande l'Indien ? — C'est un livre inspiré de Dieu, répond l'Église. — A quelle
marque le connaitrai-je, réplique encore l'Indien ? — C'est moi qui vous en assure,
ajoute encore l'Église. Si l'Indien est d'aussi bon sens que de bonne foi, a-t-il encore
quelque chose à demander » ?
' L'objection était classique ; cf. Diderot, art. Chinois, dans Y Encyclopédie
[58j, Xl\', 140-141 : « A en juger par les objections de l'empereur au.x premiers
missionnaires, les Chinois ne l'ont pas embrassée [la Religion chrétienne] en aveugles :
Si la connaissance de Jésus-Christ est nécessaire au salut, disuit cet empereur aux
missionnaires, et que, d'ailleurs. Dieu nous ait voulu sincèrement sauver, comment
nous a-t-il laissés si longtemps dans l'erreur? Il y a plus de seize siècles que votre
religion est établie dans le monde, et nous n'en avons rien su. La Chine est-elle si
peu de chose, qu'elle ne mérite pas qu'on pense à elle, tandis que tant de barbares
sont éclairés ? — C'est une difficulté qu'on propose tous les jours sur les bancs en
Sorbonne ».
' iVl. Eugène Ritter. La Famille et la /eunes.se de J. ,/. Rousseau [274 . 202. note 1,
croit que, « quand Rousseau a mis dans la bouche d'un pa'ien cette réponse à un
missionnaire, il s'est certainement rappelé », si toutefois son récit est exact, une
anecdote de sa jeunesse. C'est le dialogue entre le Révérend Père inquisiteur et
le jeune Jean-Jacques, au moment où celui-ci \ient recevoir à l'Inquisition de
384 RÉDACTIONS MANUSCRITES
lui qui étoit si ^ doux, si bienfaisant - si honnête et qui ne cherchoit
que la vérité : [Soyez de bonne foij " mettez-vous à ma place * et
voyez si (je) •''' puis sur vôtre seule " autorité croire toutes les choses
incroyables que vous 'me dites et concilier tant d'injustice avec
le Dieu juste que vous [m'annoncez]. Laissez [moi] de grâce aller
voir ■'ce ^merveilleux pavs >"où " les [vierges accouchent ou les] dieux
naissent [(comme des hommes) « et » [(où les dieux)] l^- mangent]
souffrent et meurent '■'. Que j'aille savoir pourquoi les (heureux)
habitans de cette Jérusalem ont '^ laissé traitter Dieu comme un
*' scélérat. Ils ne le (^'^ connoisscient pas. Comment eux qui le voyoient
ne le connoissoient [pas] et [vous] voulez que je le connoisse) moi qui
['' n'en ai jamaisi entendu parler '*■. llls ont été punis ils ont été
dispersés, opprimés asservis ''•* aucun d'eux -" n'approche plus
de la même \ille. Assurément ils ont bien mérité tout celai. (-' Et)
' B. bon.
- B. < si honnête >.
' B. puis mettez-vous.
* B. (et).
■' si (je) sur (sic). — B. je (puis! [dois].
*' B. témoignage.
' M. m'annoncez. Laissez-moi.
" B. ces.
'■' M. < merveilleu.x >.
'" B. [au crayon, repassé à l'encre : lointains].
" B. (les vierges accouchent, où les Dieux naissent, mangent, souffrent et
meurent) [au cravon, repassé à l'encre : se passèrent tant de merveilles
(inconnues) [inouies] dans celui-ci]; Que j'aille savoir.
'^ (meurent se laissent mourir... vivre « et se laissent traitter comme •*
des scélérats).
" (et se laissent traitter comme des scélérats. Je).
" B. traitté.
'^ B. (scélérat) [au crayon, repassé à l'encre : brigand].
"* [ont pas reconnu pour Dieu et que ferai-je donc]. — B. ont pas, dites-
vous, reconnu pour Dieu. Que ferai-je donc.
" (des ce jour).
"* (de). — B. que par vous .'' Vous ajoutez qu'ils ont été punis, dispersés,
opprimés. — M. punis, opprimés, dispersés.
''■' B. qu'aucun d'eux.
"" M. (ne) n'approche.
=' [Mais].
ÉDITION ORIGINALE 385
place : voyez si je dois, sur votre seul témoignage, croire toutes les choses
incroyables que vous me dites, & concilier tant d'injustices avec le Dieu
juste que vous m'annoncez. Laissez-moi, de grâce, aller voir ce pays
loin- I tain, où s'opérèrent tant de merveilles inouies dans celui-ci '; que [172]
j'aille savoir pourquoi les habitans de cette Jérusalem ont traité Dieu
comme un brigand. Ils ne l'ont pas, dites-vous, reconnu pour Dieu ?
Que ferai-je donc, moi qui n'en ai jamais entendu parler que par vous?
Vous ajoutez qu'ils ont été punis, dispersés, opprimés, asservis ; qu'aucun
d'eux n'approche plus de la même ville. Assurément ils ont bien mérité
tout cela : mais les habitans d'aujourd'hui, que disent-ils du déicide de
leurs prédécesseurs? Ils le nient, ils ne reconnoissent pas non plus Dieu
pour Dieu : autant valoit donc laisser les enfans des autres.
Turin « l'absolution du crime d'hérésie » ; cf. Confessions, VIII, 48 : « Après
plusieurs questions sur ma foi. sur mon état, sur ma famille, il me demanda
brusquement si ma mère était damnée. L'effroi me fit réprimer le premier mou-
vement de mon indignation; je me contentai de répondre que je voulais espérer
qu'elle ne l'était pas, et que Dieu avait pu l'éclairer à sa dernière heure. Le moine
se tut. mais il fit une grimace qui ne me parut point du tout un signe d'approbation ».
L'hvpothèse de M. Ritter n'est pas invraisemblable ; mais, quand bien même le
récit des Confessions serait scrupuleusement fidèle. la difficulté était trop familière
aux théologiens (cf. la note précédente 1 pour que la suggestion d'un fait précis
fût nécessaire. Et, s'il fallait en admettre une, je rapprocherais plus volontiers de ce
discours celui d'un vieil Iroquois au P. Joseph, récollet, discours que rapporte Le Beau
dans son Voyage [i5i ''"\ I, 267, et que Rousseau avait copié dans son cahier de
brouillons [5], 24" : « Grand Esprit! Grand Esprit! pourquoi ne t'es-tu pas fait con-
naître à moi ? Je t'ai si souvent dit : Qui es-tu ? Où es-tu ? Que veux-tu que je fasse ?
Et tu n'as pas voulu me répondre. Sans doute, j'en étais indigne, parce que je t'avais
trop offensé : mais comment pouvais-je t'oflenser sans te connaître ? Et présentement,
que t'ai-je fait pour m'envoyer cette robe grise qui me console, en disant qui tu es » ?
' Le texte de la Première Rédaction est ici d'une ironie toute voltairienne :
« Laissez-moi de grâce aller voir ce merveilleux pays, où les vierges accouchent,
où les dieux naissent comme des hommes, mangent, souffrent et meurent ». Rousseau
a sans doute supprimé ces plaisanteries, parce qu'elles lui ont paru déplacées dans
la bouche du Vicaire, et qu'elles s'accordaient mal avec la formule célèbre qu'il
écrira plus loin. p. 182 : « La vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu ».
25
386 RÉDACTIONS MANUSCRITES
les (nouveaux) habitans ' que disent- ils du Déicide de leurs
(-' ancêtres). Ils (ne) le ■' reconnoissent pas non plus *. Autant
valoit [donc] laisser les enfans des autres.
Quoi dans cette même ville où Dieu est mort les anciens ni
les nouveaux habitans ne l'ont ■"' point reconnu et vous voulez
que je le reconnoisse moi qui suis né ["quatre mille ans après]
à deux mille lieues de là. ('Vous voulez) que j'ajoute foi à ce livre
que vous appeliez sacré (** avant ^ de) [savoiri (i" comment il s'est
fait), comment il s'est conservé, commeat il vous est parvenu
[" ce que disent dans le pays '^ceux qui le rejettent quoiqu'ils
"savent aussi bien que vous ** ce que vous " me dites]. (« ^^ Avant
Que je vous » écoute) [il faut] "que j'aille en Europe en '* asie en
Palestine '^ examiner tout par moi même. C^" Je serois) fou de vous
écouter avant ce tems-là.
Non seulement ce discours me paroit raisonnable, mais je
soutiens que tout homme 2* raisonnable doit parler ainsi et renvover
bien loin le missionnaire qui avant la vérification des preuves
' [d'aujourdui].
^ [prédécesseurs].
■' [nient ils ne]. — I. (et?) [ils] ne (reconnoissanl) [reconnoissent] pas.
* [Dieu pour Dieu].
■' M. pas.
" B. deux mille.
' (Et quelle preuve me donnez) [ne voyez vous pas qu'avant].
" [et auquel je ne comprends rien je dois] savoir [par des autorités... d'autres
que par vous]. — B. par d'autres que vous.
' (d'en savoir... d'en connoitre).
"" [quand et par quel autre il a été fait].
" (comment).
'^ (trois mots illisibles). — B. pour leurs raisons.
" B. sachent.
'* B. tout ce que.
" B. m'apprenez.
'* [(Avant toute chose) Vous voyez bien qu'].
" B. nécessairement.
" B. [asie en].
'' (en).
^^ [Il faudroit que je fusse].
^' B. sensé.
ÉDITION ORIGINALE 387
Quoi ! dans cette même ville où Dieu est mort, les anciens ni les
nouveaux habitans ne l'ont point reconnu, & vous voulez que je le
reconnoisse, moi qui suis né deux mille ans après à deux mille lieues
de-ià ! Ne voyez- | vous pas qu'avant que j'ajoute foi à ce livre que [173]
vous appeliez sacré, & auquel je ne comprends rien, je dois savoir
par d'autres que vous quand & par qui il a été fait, comment il s'est
conservé, comment il vous est parvenu, ce que disent dans le pays,
pour leurs raisons, ceux qui le rejettent, quoiqu'ils sachent aussi bien
que vous tout ce que vous m'apprenez? Vous sentez bien qu'il faut
nécessairement que j'aille en Europe, en Asie, en Palestine, examiner
tout par moi-même; il faudroit que je fusse fou pour vous écouter
avant ce tems-Ià.
Non-seulement ce discours > me paroit raisonnable, mais je soutiens
que tout homme sensé doit, en pareil cas, parler ainsi, & renvoyer
bien loin le Missionnaire, qui, avant la vérification des preuves veut
se dépêcher de l'instruire & de le baptiser. Or je soutiens qu'il n'y a pas
' Voltaire [242], 279: «Tout ce discours se trouve mot à mot dans le poème
de la Religion naturelle et dans l'Épilre à L'ranie ». La remarque de Voltaire est
e.xacte, à condition de ne pas la prendre à la lettre. On ne peut pas dire que « tout
ce discours » du païen au Missionnaire « se trouve mot à mot » dans Voltaire,
mais, du moins, l'esprit s'v trouve. Cf., en particulier, Èpitre à L'ranie [i^g], 36o-36i :
Amérique, vastes contrées.
Peuples que Dieu fit naître aux portes du soleil,
Vous, nations hyperborées.
Que l'erreur entretient dans un si long sommeil,
Serez-vous pour jamais à sa fureur livrées
Pour n'avoir pas su qu'autrefois.
Dans un autre hémisphère, au fond de la Syrie.
Le fils d'un charpentier, enfanté par Marie,
Renié par Céphas, expira sur la croix ?
On a vu, d'ailleurs, par plusieurs rapprochements icf. p. 21, note 3, p. 69, note 2,
p. i38, note I, p. 149, note 2, p. 177, note i), que partout où le déisme du Vicaire
devient franchement rationaliste, ce sont les arguments et souvent les formules
de Voltaire qui s'imposent à lui. A dire vrai, ce ne sont pas « les arguments de
Voltaire »; ce sont — on a pu le voir aussi par d'autres citations — des objections
familières aux libertins, et que Voltaire a popularisées par son esprit. Cette note
marginale montre que Voltaire a bien senti cette dépendance intellectuelle du déisme
de Jean-Jacques à l'égard du sien. Il n'en est que plus violemment irrité, lorsque
le Vicaire fait bon marché de la « raison », et s'abandonne aux appels du « cœur ».
388 RÉDACTIONS MANUSCRITES
veut se dépécher de l'instruire et de le baptiser. [Or ' il n'\ a point
de « Religion» -révélée contre laquelle (on ne puisse îaire ^ à plus
forte raison) [■* les mêmes' (et plus d )fbjections ■■ (^ que contre
le christianisme)].
(' Convenons donci que s'il v a une « seule » Religion exclusive
qui soit la seule véritable « et » que (* tout homme) soit obligé de
|laj suivre sous peine de dannation. Il faut passer sa vie à les
étudier toutes; à les approfondir à les comparer à parcourir les
(divers) pays où elles sont établies. [Nul n'est exempt du premier
devoir de l'homme nul n'a droit de se fier au jugement d'autrui.
(3 L')artisan qui ne vit que de son travail, (^'^nn) laboureur qui ne
sait pas lire, la jeune fille délicate et timide, l'infirme qui peut à
peine sortir de son lit tous [sans exceptionl doivent " méditer
disputer, '- parcourir le monde. Il n"\- aura plus de peuple fixe
et stable la terre entière ne sera couverte que "de i* voyageurs et
de pèlerins allant " sans cesse d'un pays à l'autre pour examiner
par eux-mêmes les [^'^ cultes '' différens, qu'on y suit]. [" Alors]
' B. je soutiens qu'il n'v a pas de Religion révélée.
- (connue et).
' [(autant)].
■* (les [mêmes] objections qui se présente sic].
^ M. ou d'autres équivalentes.
" [n'aient pas lieu autant et plus fortement que contre le christianisme
et qui ne demande autant et plus de discussions pour être admise]. — B. n'aient
autant et plus de force que contre le Christianisme < et qui ne... pour être
admise >.
' [D'où il suit]. — B. D'où il suit que s'il n'y a qu'une Religion véritable et.
" [chacun]. — B. tout homme,
■' [Un]. — B. L'.
'" [le].
" M. étudier, méditer. — I. [étudier] méditer.
'-' B. voyager, parcourir.
" B. < de voyageurs et >.
" (pèlerins).
" B. à grands frai.\ et |à grand peine) [avec de longues fatigues] vérifier,
[comparer] é.xaminer par. — I. [vérifier] comparer.
"■' (notions? différentes).
" B. [divers].
" (Et après avoir employé).
ÉDITION ORIGINALE 38Q
de révélation contre | laquelle les mêmes objections i") n'ayent autant [174]
& plus de force que contre le Christianisme. D'où il suit que s'il n'y a
qu'une religion véritable, & que tout homme soit obligé de la suivre
sous peine de damnation, il faut passer sa vie à les étudier toutes, à les
approfondir, à les comparer, à parcourir les pays où elles sont établies :
nul n'est exempt du premier devoir de l'homme, nul n'a droit de se
fier au jugement d'autrui. L'artisan qui ne vit que de son travail, le
laboureur qui ne sait pas lire, la jeune fille délicate et timide, l'infirme
qui peut à peine sortir de son lit, tous, sans exception, doivent étudier,
méditer, disputer, voyager, parcourir le monde : il n'v aura plus de
peuple fixe & stable: la terre entière ne sera couverte que de pèlerins
allant, à grands fraix & avec de longues fatigues, vérifier, comparer,
examiner par eux- | mêmes les cultes divers qu'on v suit. Alors adieu [175]
les métiers, les arts, les sciences humaines, & toutes les occupations
civiles 1; il ne peut plus y avoir d'autre étude que celle de religion : à
grand'peine celui qui aura joui de la santé la plus robuste, le mieux
employé son tems, le mieux usé de sa raison, vécu le plus d'années,
saura-t-il dans sa vieillesse à quoi s'en tenir, & ce sera beaucoup s'il
apprend avant sa mort dans quel culte il auroit dû vivre.
Voulez-vous mitiger cette méthode. & donner la moindre prise à
l'autorité des hommes? A l'instant vous lui rendez tout; & si le fils
d'un Chrétien fait bien de suivre, sans un examen profond & impartial,
la religion de son père, pourquoi le fils d'un Turc feroit-il mal de suivre
de même la religion du sien 2? Je défie tous les intolerans du monde
de répondre à cela rien qui contente un homme sensé.
I « ) C, D : les mêmes nbjections ou d'autres équiralentes.
' « La perte serait médiocre dans les principes de cet auteur », fait remarquer,
avec un sourire, Lefranc de Pompignan, Philosophie des Incrédules [246], I, 249 :
« il parait faire trop peu de cas de tout ce qui occupe les hommes dans la société
civile, et en particulier des arts et des sciences, pour regretter le temps qu'on leur
déroberait ». Il est, en effet, assez piquant de voir Rousseau, emporté par la
discussion, devenir le défenseur de la civilisation.
' Il V avait ici, dans B, un petit développement sur les conditions géographiques
des croyances religieuses. Rousseau l'a supprimé, parce qu'il faisait double emploi
avec une constatation analogue qu'il avait déjà faite p. i3S.
390 REDACTIONS MANUSCRITES
adieu ' les arts les métiers •!(- la société)] les occupations civiles
il ne peut plus y a\oir d' « autre » étude que celle de la Religion,
(et) à grand peine celui qui aura joui de la santé la plus robuste,
'le mieux usé de sa raison, le mieux employé * son tems * et vécu
le plus («'longtem?) saura-t-il dans sa vieillesse à quoi s'en tenir,
et ce sera beaucoup s'il apprend avant sa mort dans quel culte il
auroit dû vivre. ' Que si vous voulez mitiger la méthode et donner
la moindre * chose à l'autorité des hommes à l'instant vous lui
rendez tout et si le fils d'un Chrétien fait bien de suivre [sans
9 examen] '** la Religion de son père (jamais on ne me montrera)
pourquoi '^ le fils d'un Turc '^ fait mal de suivre de même la
religion du sien. '^ Je défie tous les intolerans du monde de
jamais répondre à cela rien qui contente (" la raison).
B, f° 188 *'° [<* '^ Pressés ('^ a ce point) » les uns [" aiment^ mieux faire Dieu
' B. (les arts) les métiers, les arts.
- [et toutes les sociétés]. — B. les sciences [humaines] et toutes les occupations.
' B. le mieu.x employé son tems, le mieux usé.
* (saura-t-il).
* B. < et >.
' [d'années].
' B. Voulez vous mitiger cette méthode.
" B. prise.
' B. un.
'" B. (judicieu.x) [au crayoti, repassé à l'encre : profond] et impartial la
Religion.
" I. (un) [le fils d'un] Turc.
•* B. (fait) [feroit]-il.
'* B. [Combien d'hommes sont à (Londres) [Rome] très bons (chrétiens)
[catholiques] qui pour la même raison seroient très bons musulmans s'ils fussent
nés à la, Mecque; (combien) et réciproquement que d'honnêtes gens sont très
bons Turcs en Asie qui seroient très bons chrétiens parmi nous]. — M. très bons
catholiques, qui, nés à la Mecque seroient par la même raison très bon musul-
mans d'honnêtes gens (qui) sont très bons Turcs.
''' [un homme sensé]. — B. un homme sage.
" (On en voit... J'en vois pour se tirer d'em barbas... Ils « sentent »).
'" [par ces raisons].
" (osent... aimant).
ÉDITION ORIGINALE 3QI
I Pressés par ces raisons, les uns aiment mieux faire Dieu injuste, [176]
& punir les innocens du péché de leur père, que de renoncer à leur
barbare dogme. Les autres se tirent d'atTaire, en envoyant obligeamment
un ange instruire quiconque, dans une ignorance invincible, auroit vécu
moralement bien. La belle invention que cet ange M Non contens de nous
' Pour ne citer ici que le te.\ie ihéolo^ique le plus autorisé, voici ce que l'on
peut lire dans S' Thomas d'Aquin, Quaesliones disputatae. De Veritate XIV, art. ix
I72], XV, 39 : « Ad primum ergo dicendum quod non sequitur inconveniens, posito
quod quilibet teneatur aliquid explicite credere, si in sylvis, vel inter bruta animalia
nutriatur; hoc enim ad divinam Providentiam peninet, ut cuilibet provideat de
necessariis ad salutem, dummodo e.x parte ejus non impediatur. Si enim aliquis
taliter nutritus ductum naturalis rationis sequeretur in appetitu boni et fuga raaii,
certissime est tenendum quod ei Deus, vel per internam inspirationem revelaret ea
quae sunt ad credendum necessaria. vel atiquem fidei praedicatorem ad eum dirigeret,
sicut misit Petrum ad Cornelium, Act. 10, » ; cf. encore Secunda Secundae,
(luatstio II, art. vu [72]. III, qi, où le ministère des anges est formellement indiqué :
« Muiti gentilium adepti sunt salutem per ministerium angelorum, ut Dionysus
dicit ». Il est infiniment vraisemblable que Rousseau n'avait pas lu S' Thomas.
Mais plusieurs auteurs du XVIII" siècle faisaient allusion à cette thèse théologique;
cf. Robert Barclay, que peut-être Rousseau a lu (cf., à la Bibliographie, la note
du n' io3l. Apologie de la Véritable Religion. V [io3], 120 : « Suivant ce principe,
on peut aisément résoudre toutes les objections contre l'universalité de la mort
de Christ ; et il n'est point besoin de recourir au ministère des Anges, et à tous
ces autres miraculeux moyens, dont on dit que Dieu se sert pour manifester la
doctrine et l'histoire de la Passion de Christ à telles personnes qui ont bien profité
de cette première et commune grâce, Jiabitant dans des lieux du monde où la
392 REDACTIONS MANUSCRITES
injuste [^ et - punir les innocensj « ^ du » péché (' originel) que de renoncer
à leur barbare dogme; les autres p se tirent «plus commodément d'à lïa ire
en envoyant libéralement] un ange instruire quiconque auroit vécu mora-
lement bien dajis une ignorance invincible. La belle invention que cet ange!
("Us ne se contentent pas) de nous asservir à leurs machines; ils mettent
Dieu lui même dans la nécessité d'en employer].
F, r 172 ™ .|| Vovez mon fils, à » quelles absurdités mènent l'orgueil et
l'intolérance quand chacun veut abonder dans son sens et croire
avoir raison exclusivement * à tous les autres. Je prend à témoin
ce Dieu de paix que il'" e sers) et que je vous annonce que toutes
me recherches ont été sincères mais voyant qu'elles "étoient ("et)
seroient [toujours] '^sans succès et que je m'abimois dans un
océan sans rives. Je suis revenu sur mes pas et j'ai resserré ma foi
dans '* ma raison primitive. Je n'ai jamais pu croire que Dieu
m'ordonnât sous peine de l'enfer d'être si savant. J'ai " refermé
tous les livres, il en est un seul ouvert à tous les C^^ hommes) c'est
celui de la nature. C'est dans ce grand et sublime livre que
j'aprens "à servir [et adorer] son divin auteur. Nul n'est excu-
' (que de renoncer).
- (rendre coupables [donner]).
' [(pour)].
'' [de leur père].
■■ (ont recours à leur défaite ordinaire et osent).
" M. < plus commodément >.
■ [Non conlens].
" B. quelle absurdité.
'■' B. au reste du genre humain.
'" [adore].
" (seroient).
'^ [qu'elles].
" I. (vaines) sans succès.
''' B. mes notions primitives.
'^ B. donc refermé.
"•' [yeu.x].
'■ M. à connoilre et servir < et adorer >. — Là [(connoiire et)] servir
el adiirer.
ÉDITION ORIGINALE 393
asservir à leurs machines, ils mettent Dieu lui-même dans la nécessité
d'en employer.
Voyez, mon fils, à quelle absurdité mènent l'orgueil & l'intolérance,
quand chacun veut abonder dans son sens, & croire avoir raison
prédication extérieure de l'Évangile est inconnue ». Dans un livre qui a paru
quelques mois avant l'Emile, Toussaint écrivait encore. Éclaircissements sur les
Mœurs ^238 . Sy : « Les théologiens les plus exacts pour ne pas obliger, sous
peine de damnation à la loi évangélique, les hommes qui n'en auraient pas de
connaissance, ont dit affirmativement que. si quelqu'un, fidèle aux préceptes de
la loi naturelle, était sans reproche du côté des mœurs. Dieu lui enverrait plutôt
un ange pour l'instruire des vérités révélées que de le laisser périr pour les avoir
ignorées ». Si Rousseau n'a pas lu Barclay, ce qui reste douteux, c'est sans doute
dans y Encyclopédie, comme Toussaint lui-même, qu'il s'était renseigné. A l'article
Foi, l'abbé .Morellet avait rappelé la thèse de S' Thomas, et en avait montré les
difficultés [224], 22 b-23 a : « Cette proposition, hors de l'Église et sans la foi point de
salut, n'est pas la même que celle-ci, hors de l'Église visible point de salut. Le dogme
de la nécessité -de la foi ne reçoit donc aucune atteinte de l'opinion de ceux qui disent
que des païens et des sauvages se sont sauvés par la foi. Mais, dit-on, ces gens-là ne
peuvent pas croire, selon ce passage de S" Paul : quomodo credent, si non audierunt .-^
quomodo audient. sine predicante ? ils sont donc sauvés sans la foi? Ces théologiens
répondent, que les païens et les sauvages en question ne peuvent pas croire par les
voies ordinaires; mais que rien n'empêche que Dieu n'éclaire leur esprit extraordi-
nairement ; que personne ne peut borner la puissance et la bonté' de Dieu jusqu'il
décider qu'il n'accorde jamais ces secours extraordinaires, et qu'il est bien plus
raisonnable de le penser, que de s'obstiner à croire que tous ceux à qui l'Évangile
n'a pas été prêché, et qui font la plus grande partie du genre humain, périssent
éternellement, sans qu'un seul arrive au salut, que Dieu veut pourtant accorder à tous.
Cependant on fait sur cela une difficulté . si ces hommes observaient la loi naturelle,
leur mfidélité négative ne leur étant pas imputée à péché, ils pourraient éviter la
damnation, et par conséquent arriver au salut sans la foi; et cette nécessité absolue
de la foi souffrira quelque atteinte... S' Thomas répond que, si ces hommes observaient
la loi naturelle. Dieu leur enverrait plutôt un ange du ciel pour leur annoncer les
vérités qu'il est nécessaire qu'ils croient pour arriver au salut, ou qu'il userait de
quelque moyen extraordinaire pour les conduire à la foi, et qu'ainsi ils ne se
sauveraient pas sans la foi ; ou s'ils fermaient les yeux à la vérité après l'avoir
entrevue, leur mfidélité cesserait d'être purement négative. Mais cette réponse
n'est pas encore satisfaisante; car on peut touiours demander si Dieu est obligé,
par sa justice et sa bonté, d'envoyer cet ange et d'accorder ce secours : s'il v est
394
REDACTIONS MANUSCRITES
sable de n'y pas lire parce qu'il parle ' une langue * intelligible à
tous les ^esprits. Quand je serois né dans une isle déserte, quand
je n'aurois point vu ^d'homme, quand je n'aurois jamais appris
ce qui s'est fait anciennement dans un coin du monde si j'exerce
ma raison si je la cultive si j'use bien (* des dons communs de Dieu)
j'apprendrai de moi-même, à le connoitre, à l'aimer à aimer ses
* ouvrages, à vouloir le bien qu'il veut et à remplir 'tous mes
devoirs sur la terre. Qu'est-ce que tout le savoir (^ du monde)
m'apprendra de plus?
' B. à tous les hommes.
- B. (in) intelligible.
" I. (hom .MES! esprits.
* B. d'autre homme que moi.
•' [de toutes les facultés immédiates (de) que Dieu m'a données],
facultés immédiates que Dieu me donne.
" B. œuvres.
' M. pour lui plaire tous mes devoirs.
" [des hommes].
B. des
ÉDITION ORIGINALE 395
exclusivement *au reste du genre humain. Je prends à témoin ce Dieu de
paix que j"adore & que je vous annonce, que toutes mes recherches ont
été sincères; mais voyant qu'elles étoient. qu'elles seroient toujours sans
succès, & que je m'abimois dans un océan sans rives, | je suis revenu [177]
sur mes pas, & j'ai resserré ma foi dans mes notions primitives. Je n'ai
jamais pu croire que' Dieu m'ordonnât, sous peine de l'enfer, d'être si
savant. J'ai donc refermé tous les livres. II en est un seul ouvert à tous
les veux, c'est celui de la Nature '. C'est dans ce grand & sublime livre
obligé, la gratuité de la grâce de la foi est en grand danger; s'il n'y est pas obligé,
on peut supposer qu'il n'emploie.-a pas ces moyens extraordinaires ; et dans
ce cas, il reste encore à demander si cet observateur fidèle de la loi naturelle se
sauvera sans la foi, auquel cas la foi n'est pas nécessaire ; ou sera damné, ce qui
est bien dur ». Cf. encore La Mothe le Vayer, Vertu des Païens [So*""], 53.
■ Féraud, Dictionnaire critique [250], 11, 189 : « Plusieurs auteurs font régir à
exclusif la préposition à : comme s'il n'y avait qu'une sorte d'esprit exclusive à toute
autre. — J. J. Rousseau donne ce régime à l'adverbe : exclusivement à toutes sortes
de fleurs ».
■ Comme le fait remarquer Cajot, Plagiats de J. J. Rousseau [247], 279, la con-
clusion est la même chez Rousseau et chez Voltaire ; cf. Religion naturelle, I '221]. 444 :
Sans e.xpliquer en vain ce qui fut révélé,
Cherchons par la raison si Dieu n'a point parlé.
Sans doute il a parlé, mais c'est à l'Univers.
Seulement l'accent est tout autre chez Rousseau. La « révélation de la Nature » n'est
pour Voltaire qu'un moyen d'échapper à la Révélation chrétienne ; pour Rousseau, au
contraire, elle est vraiment une Révélation vivante et divine, qui a surtout cette vertu,
de lui rendre inutiles les hommes et les livres, et de le laisser seul en tète à tête avec
Dieu : « O nature, ô ma mère » ! s'écriera-t-il ailleurs, dans cette ivresse de libération
{Confessions, IX, 73), « me voici sous ta seule garde ; il n'y a point ici d'homme
adroit et fourbe qui s'interpose entre toi et moi ». « Tant de livres », dira-t-il encore
au V" Livre d'Emile, 11, 422, « nous font négliger le livre du monde » : et il écrira plus
tard sur un ton plus ému, dans une Lettre à la duchesse de Portland. du 20 Octobre 1766,
VI, 65 : « Il en est un. Madame, [un livre] Heureu.x qui sait prendre assez de goût à
cette intéressante lecture pour n'avoir besoin d'aucune autre, et qui, méprisant les ins-
tructions des hommes, qui sont menteurs, s'attache à celle de la Nature, qui ne ment
point »! Cf. encore la Lettre à Vernes, du 28 Mars 1758. X, 187- 188 : « Non, mon digne
ami, ce n'est point sur quelques feuilles éparses qu'il faut aller chercher la loi de Dieu,
mais dans le cœur de l'homme, où sa main daigna l'écrire. O homme! qui que tu sois,
rentre en toi-même, apprends à consulter ta conscience et tes facultés naturelles : tu
seras juste, bon, vertueux, tu t'inclineras devant ton maître, et tu participeras dans
son ciel à un bonheur éternel ». — Comparez, pour le fond et pour l'accent. Murait,
Instinct divin [127], 128 : « 11 y a encore un autre Livre, dit la Sagesse divine. Il n'est
pas moins précis que l'Écriture : il est plus général et plus merveilleux encore,
puisque les hommes qui en sont les dépositaires et le feuillettent sans cesse ne se sont
pas même aperçus que ce fut un Livre, que ce fussent des instructions aussi bien que
des images pour eux. Ce Livre est la Nature écrite en lettres vivantes ». Cette expres-
sion : « le Livre du Monde », « le Livre de la Nature », revient souvent chez Rousseau :
cf. Emile, 11, i32, 1 38. 294-295, 359; Nouvelle Héloise, IV, 406-407, V, i3, etc. Descartes
396
REDACTIONS MANUSCRITES
7. La Révélation chrétienne :
Beautés et objections. Doute respectueux.
A regard de la révélation ^ je ne Tadmets ni ne la rejette.
Jusqu'à de plus amples lumières je- reste sur ce point dans un
doute respectueux. Je n'ai pas la présomption de me croire
' B. (Je ne l'admets ni ne la rejette). [((;> Je [^ peux] admettre sa
vérité son utilité) « c je rejette seulement » (ti la nécessité) «de la reconnoître
•' pour être sauvé; parce que cette v> (*" nécessité) <t ^' est incompatible avec la
»■) [« Si i'étois meilleur raisonneur ou mieux instruit »
(j'admettrois peut-être» [peut-être sentirois-je] « sa vérité son
utilité pour ceux qui ont le bonheur de la ■» (re) « connoltre *].
— M, la rcconnoitrc. — B. (je vois [laussi) au crayon, repassé
à l'encre : contre elle] des objections que je ne peux résoudre,
je vois [au crayon, repassé à l'encre : en sa faveur] des preuves
[(de cette même révélation)] que je ne peux (détruire) [com-
battre]) [mais si je vois en sa faveur des preuves que je ne puis
combattre je vois aussi contre elle des objections que je ne puis
résoudre. Il y a tant de raisons solides pour et contre que ne
sachant à quoi me déterminer je ne l'admets m ne la rejette;!
je rejette seulement.
'>) (je sais... j'admettrois [je pourrois admettre]}.
(■^ (mais je rejetterai toujours).
'I) [l'obligaiion],
'■) M. < pour être sauvé > . — I, (pour être sauvé).
*l [obligation prétendue].
g) M. lest) [me semble].
EDITION ORIGINALE 397
que j'apprends à servir & adorer son divin Auteur. Nul n'est excusable
de n'y pas lire, parce qu'il parle à tous les hommes une langue intelli-
gible à tous if s esprits. Quand je serois né dans une isle déserte, quand
je n'aurois point vu d'autre homme que moi, quand je n'aurois jamais
appris ce qui s'est fait anciennement dans un coin du monde; si j'exerce
ma raison, si je la cultive, si j'use bien des facultés immédiates que Dieu
me donne, j'apprendrois de moi-même à le connoître, à l'aimer, à aimer
ses œuvres, à vouloir le bien qu'il veut, & à rem- I plir, pour lui plaire, [178]
tous mes devoirs sur la terre '. Qu'est-ce que tout le savoir des hommes
m'apprendra de plus ?
7. La Révélation chrétienne :
Beautés et objections. Doute respectueux.
A l'égard de la révélation -. si j'étois meilleur raisonneur ou mieux
instruit, peut-être sentirois-je sa vérité, son utilité ^ pour ceux qui ont
avait dé)à dit, Discours de la Méthode, II [80], 19 : « Le grand Livre du .Monde»: et
Saint-Pavin, ap. Poésies choisies, édit. G. Michaut, Pans, Sansot, 1912. in-18. p. 22 :
Elle seule ^la Naturej. dans son grand Livre.
Nous enseigne comme il faut vivre.
Mais on a vu que, derrière cette même e.\pression, Rousseau mettait un contenu plus
riche et plus émouvant. On trouverait peut-être un accent analogue dans ces vers d'un
Oratorien. que publiait le Mercure en Juillet lySS [41], i5o3 :
L'Univers. Sagesse infinie.
Est un Livre que nous ouvrent tes mains.
Dans sa pompe et son harmonie,
Tout parle sans cesse aux humains, etc.
' C'est l'idée qu'on a dé)i vu exprimée dans un texte de Chubb, que j'ai cité plus
haut, p. rjSg, note 1.
' Rousseau aborde le problème de la Révélation chrétienne et l'examen de
l'Évangile, comme si tous les arguments qu'il vient d'accumuler contre toute révélation
n'étaient pas valables contre la religion chrétienne. Il semble, en effet, que, dans les
pages qui vont suivre, Rousseau fasse table rase de toute la discussion antérieure,
laisse de côté « les principes de la raison », dont il vient de dire qu' « il n'y a rien de
plus incontestable » ip. i55(, et se laisse guider par la seule voix du « cœur ». Cette
brusque volte-face, inexpliquée et presque inconsciente, témoigne d'un bien curieux
dédoublement de mentalité. Les annotations de Voltaire vont le souligner.
• Cf. D'Alembert, art. Genève, [52], IV, 421 : « Quand on les presse [les pasteurs]
398 RÉDACTIONS MANUSCRITES
infaillible. D'autres hommes ' plus éclairés que moi -ont pu décider
ce qui me semble indécis.
[j D'ailleurs je vous avoiie que ^ la sainteté de l'évangile
est un argument qui parle à mon cœur et auquel * je n'ai rien à
répondre. ^ Voyez ^ tous les livres des philosophes ' qu'ils sont
justice de Dieu », (« « qui loin » de nous ôleri » par » {^ elle) « '■ les obstacles au
salut 'i les eut [e augmentés (f et) les eut] rendus » (presque) « insurmontables
pour f \[3l] plus grand[e] partie du genre humain. A cela près »)] je reste sur
ce point.
») [et que loin de lever].
*) [« là »].
c) (l'obsta CLE).
■I) (pour] [il].
c) [(accrus)].
') [il]-
f?) (le plus grand nom bre).
* B. < plus éclairés que moi >.
^ H. la (sublimité) [majesté] de l'écriture, et surtout la sainteté. — I. la
(sublimité) [majesté] des Ecritures.
■* B. (je n'ai rien à répondre) [au crayon, repassé à l'encre : j'aurois même
regret de trouver quelque bonne réponse].
^ (Je me demande s'il est possible qu'un si beau livre soit l'ouvrage des
hommes. Tous les autres sont si loin de celui).
« B. (tous).
' B. avec (tout) [toute] leur (étalage [pompe].
t Le paragraphe qui commence est. dans le texte de F, une addition
relativement récente, puisqu'on trouve enclavé dans ce développement
marginal la note même doit il est sorti plus tard : N. B. parler de la
beauté de l'évangile.
EDITION ORIGINALE 399
le bonheur de la reconnoître; mais si je vois en sa faveur des preuves
que je ne puis combattre, je vois aussi contr'eile des objections que je ne
puis résoudre *. 11 v a tant de raisons solides pour & contre, que ne
sachant à quoi me déterminer, je ne l'admets ni ne la rejette; je rejette
seulement l'obligation de la reconnoître, parce que cette obligation
prétendue (^) est incompatible avec la justice de Dieu, & que, loin de
lever par-là les obstacles au salut, il les eût multipliés, il les eût rendus
insurmontables pour la plus grande partie du genre humain. A cela près,
je reste | sur ce point dans un doute respectueux *. Je n'ai pas la présomp- [179]
tion de me croire infaillible : d'autres hommes ont pu décider ce qui me
semble indécis; je raisonne pour moi & non pas pour eux; je ne les
blâme ni ne les imite : leur jugement peut être meilleur que le mien;
mais il n'y a pas de ma faute si ce n'est pas le mien -.
Je vous aVoue aussi '^ que la majesté des Ecritures m'étonne, la
(«) C, D : me semble incompatible.
sur la nécessité de la Révélation, ce dogme si essentiel du Christianisme, plusieurs y
substituent le terme d'utilité, qui leur parait plus doux ». D'.-\lembert faisait allusion
à Vernet, qui. dans la seconde édition de sa Vérité Chrétienne [2r3", avait substitué à la
Wécessilé de la Révélation (titre de la 1"' Section) V Utilité de la Révélation : cf. encore
Lettre de D'.Membert à Voltaire, du 4 Mai 1762 [52], V, 90, et Formey, Essai sur la
nécessité d'une Révélation [211 '>'">]. Il, 294.
* C'était à peu près avec cet état d'esprit que le prosélyte avec accueilli la démons-
tration théiste du Vicaire : cf.. plus haut. pp. 12S-129; et, si Rousseau restait fidèle
à sa méthode de négliger les objections à une doctrine quand « la persuasion est pour
elle», on voit mal pourquoi il ne répondrait pas à l'appel évangélique. Cf. encore, plus
haut, p. 33 : « Les objections insolubles sont communes à tous [les systèmes], parce
que l'esprit de l'homme est trop borné pour les résoudre; elles ne prouvent donc
contre aucun par préférence : mais quelle différence entre les preuves directes » !
' La Mothe le Vayer avait déjà employé cette formule à propos du salut d'Aristote.
Vertu des Paiens [80'''»], 142 : « Je demeurerai dans un doute respectueux, que je pense
qui ne peut être désagréable à Dieu ». — Comparez Marie Huber, Religion essen-
tielle [i5i], L 146-147 : « Mais quoi I anéantirons-nous tous les mystères? Point du tout.
Je les respecte comme tels ; je n'ai garde de prononcer contre ce qui passe mon intel-
ligence... Quelle réponse faire sur ce pied-là, à des Juifs, à des Mahométans, à des
déistes, qui vous demanderaient d'être éclaircis sur les mystères ? Une réponse con-
venable à tout homme qui connaît les bornes de son intelligence, et dont les gens
sensés ne rougissent point, un /'e ne sais rien, ou ;e ne comprends pas».
' En vertu du principe posé plus haut, p. 128 : « J'ai fait ce que j'ai pu pour
atteindre à la vérité ; c'est à elle à s'approcher ».
' Ce développement sur l'Évangile ne faisait pas partie de la rédaction primitive :
après avoir dit pour quelles raisons il ne pouvait se décider ni à rejeter ni à admettre
la Révélation, Rousseau concluait tout de suite : « Voilà le scepticisme involontaire où
je suis resté ». C'est en relisant son premier manuscrit qu'il lui a semblé opportun
de « parler de la beauté de l'Évangile ». On verra par la note suivante que les
400 RÉDACTIONS MANUSCRITES
petits ' ? coté de celui là. ^ Esf-il possible qu'un si beau livre soit
l'ouvrage des hommes. ^ Est-il possible que celui dont il fait
l'histoire ne soit qu'un homme lui même. Est-ce là le ton d'un
enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire : f quelle douceur [*■ qui
ne se dément jamais, quelle pureté de morale) quelle '■ simplicité
dans son stile L(™ême)j, quelle ele\ation dans ses ^ pensées.
Quelle profonde sagesse 'dans * tous ses discours quelle ''présence
d'esprit dans *" toutes ses réponses, quel empire sur toutes ses
passions (" quelle manière de) souffrir et (de) mourir « i^ sans
foiblesse » et sans ostentation [(philosophique) '^. H fut (bien)
' B. auprès (de la simplicité) de celui-là.
- B. (Est) Se peut-il qu'un livre [à la fois] si sublime [et si simple] soit.
' B. Se peut-il que celui (-cil dont il fait.
^ [dans ses mœurs].
'- B. (Simplicité) [grâce touchante].
'■• B. maximes.
' (et quelle).
" M. < tous >. — I. (tous).
■' M. admirable.
'" M. < toutes >.
" [ou est rhomme qui sait agir].
'- (quelle différence).
'^ ((Croyez vous que Socrate lui même) [Point] de grands mots point
d'appareil philosophique mais toujours [de la] modération [de sic] patience et
dignité. Crovez vous que Socrate lui même eut ainsi supporté). — B. [qui [couvert
de tout(e) l'opprobre du crime] sait mériter tous les pri,\ de la vertu. Quel[s
préjugés ou quel] aveuglement [ou] quelle mauvaise fois (sic) ne faut il point
avoir pour [a oser] comparer le fils b d'fsic) au fils de Marie. Quelle distance
de l'un à l'autre]. ['• Quand Platon peint son] juste imaginaire * J il fait trait pour
* De Rep. L. I. — M. < De Rep. L. 1 >.
«I I. [oser).
b) M. d[e Sophronisque].
c| (Oui. le).
d) (de Platon n'exi.sta jamaisi. — I. (Il peint trait pour trait
Jesus-Christ qui) couvert de tout l'opprobre du criine (demeure
(mais] ferme dans la vertu jusqu'là son dernier soupir) [au bout
sait mériter] il peint trait pour trait) [et digne de tous les prix
de] la vertu, il (faiti [peint] trait pour trait Jésus Christ : la
ressemblance est si fraiiante que tous les pères l'ont (reconnue!
[sentie].
t On lisait déjà dans le haut de la marge, barré et recouvert par
un autre développement : Quelle douceur, quelle.
EDITION ORIGINALE • 4OI
sainteté de l'Evangile parle à mon cœur. Voyez les livres des Philosophes
avec toute leur pompe; qu'ils sont petits près de celui-là ! Se peut-il qu'un
livre, à la fois si sublime & si simple, soit l'ouvrage des hommes * ? Se
peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même?
Est-ce-là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire? Quelle
douceur, quelle pureté dans ses mœurs ! quelle grâce touchante dans ses
instructions ! quelle élévation dans | ses maximes ! quelle profonde [180]
sagesse dans ses discours ! quelle présence d'esprit, quelle finesse &
sentiments de Rousseau à ce sujet avaient toujours été les mêmes et qu'il les avait
déjà plusieurs fois affirmés. Mais il crut nécessaire de les affirmer à nouveau et d'une
façon plus explicite, pour bien marquer, j'imafjine, que cette Seconde Partie de la Pro-
fession ne devait pas s'interpréter comme un ralliement déguisé aux idées et surtout
aux haines « pliilosophistes ». Un an avant la publication d'Emile, paraissaient deux
réquisitoires très violents contre le Christianisme, Recherches sur l'origine du despo-
tisme oriental, par Boulanger [233] et Le Christianisme dévoilé, par le baron d'Holbach
[234]. Mais avant d'avoir été imprimés, ils avaient dû, comme tant d'autres livres
aud.icieux du XVIH' siècle, circuler en manuscrits parmi les gens de lettres; nous
savons, en particulier, que Rousseau avait copié le Despotisme oriental, évidemment
avant sa publication : cf., à la Bibliographie, la note du n" 233 ; et l'on verra plus loin
que certaines phrases de Rousseau sont très vraisemblablement des réponses à
D'Holbach. En cette même année 1761, on avait réédité V Examen de la Religion,
dont Rousseau possédait déjà une copie, et dont le Chap. IV, De Jésus-Christ '1/3],
49 sqq, n'apportait qu'une négation sans respect ; et Voltaire, quelques mois avant
l'apparition d'Emile, publiait les Sentiments de Jean Sfeslier [240], 333. où
l'attaque contre la personne même de Jésus était particulièrement grossière. Je
croirais donc que, dans cet éloge de l'Évangile, dans cet hommage attendri et
presque pieux à la morale, au caractère et à la grandeur de Jésus, il entre sans
doute une conviction très sincère, mais tout autant peut-être le désir d'exaspérer
les « philosophes ♦. Un passage des Confessions laisse d'ailleurs entrevoir cet
état d'esprit. VllI, 279 : « La lecture de la Bible, et surtout de l'Évangile, à laquelle
je m'appliquais depuis quelques années, m'avait fait mépriser les basses et sottes
interprétations que donnaient à Jésus-Christ les gens les moins dignes de l'entendre ».
— Au point de vue littéraire, ce morceau est d'un intérêt particulier, parce qu'il est à
peu près le seul dont on puisse suivre tout le développement, depuis le premier
canevas un peu sec jusqu'au texte actuel, si savant, si équilibré, si artiste, sans que
pourtant la sincérité de l'émotion y perde.
• Rousseau, qui avait lu le P. Berruyer, et qui disait « ne l'aimer guère »
/Lettres de la Montagne, III, i65!, s'il n'en « prend pas le ton », en adopte, du moins,
le point de vue; cf. Histoire du peuple de Dieu [2o3]. 1, pp. i.iv-lv : « Pour moi, je
ne crains point de vous annoncer nos Écritures comme le tableau d'un grand .Maître,
en possession, depuis bien des siècles, de l'admiration de tous ceux des connaisseurs
qui n'en ont point redouté les conséquences. Je m'assure que. dès la première vue.
l'ordonnance qui y règne, la justesse et la proposition des objets, le naturel et la
force de l'expression, la suite et l'ensemble de toutes les figures, saisiront votre
suffrage, et vous apprendront à vous défier de vous-même, si, faute de goût et de
discernement, vous étiez tentés d'y soupçonner quelque défaut. C'est par ce total,
aperçu d'abord d'un coup d'œil habile, qu'on juge sainement des grands objets en tout
genre J'ai éprouvé que, seulement à les lire, on ne peut se dispenser de les croire
26
402 ' RÉDACTIONS MANUSCRITES
facile à Socrate de mourir en philosophe. Mais s'il <^ ^ fut >-> (mort)
trait Pimage de Jésus Christ, a Socrate mourant ^ sans douleur sans ignominie
c soutient aisément ^ï son caractère jusqu'au bout, et [si] cette [facile] mort
[^ n'eut honoré] sa vie on douieroit si Socrate avec tout son esprit fut autre
chose qu'un sophiste f. « !^ Il inventa, dit-on, la morale », (h non) il n'inventa
rien il ne ht que mettre en préceptes (' ces grands modèles de) vertus dont « J les
grands » hommes {^ de la Grèce) «. ' avoient donné » l'exemple "> au monde °.
" Aristide [l' avoit été juste avant] que Socrate eut dit ce que c'éioit que justice M.
Mais où Jésus avoit-il pris >■ dans son siècle et dans son pays celle « morale
sublime [• dont lui seul a donné] les leçons et l'exemple * f. " Du sein du [plus
*I, Voyez dans le discours sur la montagne (la comparaison) [le parallèle]
qu'il fait lui même de la morale de Moïse à la sienne fchap.) [C] V. v. 21. et seq. :
(ce parallèle est de la plus grande).
a) (Oui u si » Socrate est mort... Quelle différence de la
mon... maître de .'.on maître... On atTecte bi en de lui comparer
... Socrate à lui).
'\; I, sans dou!eur(s).
^■) IVI. soutint
<ii M. jusqu'au bout son personage. — I. (son caractère)
jusqu'au bout [son personage].
*■) (telle qu'elle est mot illisible pourtant nécessaire pour
honorer).
f) <Sa morale (est belle mais (elle) a-t-elle la sublimité ..
approchc-l-elle de celle de l'Evangile) [est elle étonnante chez]
(Socrate/ où Jésus avoii-il pris la sienne; étoit [ce] dans son
siècle et parmi (^a nation 1).
S) [(Qu'a-t-il tait... que! grand mérite est-ce à lui d'avoir
inventé)].
1') [(lorsqu'il ne sagissoit que de mettre en préceptes tant
d'exemples dont la gr ruei].
i; (les exemples) [« toutes » les].
j) ['tant dei] grands-
k) [de son pays].
1) [(donnoient)J.
m) M. < au monde > .
n) I. mettre en leçons des) [leurs] exemples (d'auirui).
") (Ce fut... furent Licurgue [bien plusj).
p) (Léonida>. Thémisiocle).
•1) M. Lconidas éloit mort pour la patrie avant que Socrate
eut du qu'il faloit f'aimer; avant (que Sociatet [qu'il] eut dit
qu'il faloit être sobre Lycun^ue avoii appris à ses concitoyens
à l'être. Avant qu'il eut dclini la vertu, la Grèce abondoit en
hommes vertueux. — I. (Thcmisioc'e avoit immolé sa vie à son
pays avant que Socrate [icni] eut dit qu'il le faloit faire)
[Leonidas étoit mort pour son pays avant que Socrate eut fait
un devoir d'aimer la patrie], Sparte étoit sobre avant que
Socrate eut loué la sobrii-ié. [Avant qu'il eut défini la vertu la
Grèce abondoit en hommes vertueux].
r) I. (dans son pays» chez les siens.
s) [subi r.ME).
I ) ([qui règne autant] dans sa vie (et) que dans ses discours i.
u) (hieu).
' |(eut (souffert) « à » mourir)] ,
t L'astérisque se trouve dans B. mais sans la note correspondante :
la note n'apparaît que dans I.
EDITION ORIGINALE 403
quelle justesse dans ses réponses ! quel empire sur ses passions '! Où est
l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir & mourir sans foi-
blesse - & sans ostentation ' ? Quand Platon peint son juste ima-
de l'auiheniicité et de l'antiquité que les Chrétiens leur attribuent ». Sur un ton
moins esthète, d'autres apologistes avaient déjà présenté des considérations analofjues :
cf. Lejeune, le traducteur de Grotius [79J. p. xiv, parlant de « la simplicité du style,
jointe à une majesté qui n'a rien d'humain » ; Claville, Traité du vrai mérite [144],
11, 242. etc. Ce n'est pas la première lois que Rousseau témoignait publiquement de son
respect pour l'Évangile: cf. Réponse au Roi de Pologne, 1. 40 : « Ce divin livre, le
seul nécessaire à un chrétien, et le plus utile de tous à quiconque même ne le serait
pas. n'a besoin que d'être médité pour porter dans l'ànie l'amour de son auteur, et la
volonté d'accomplir ses préceptes. Jamais la vertu n'a parlé un si dou.x langage; jamais
la plus profonde sagesse ne s'est exprimée avec tant d'énergie et de simplicité. On n'en
quitte point la lecture sans se sentir meilleur qu'auparavant »; Lettre à D'Alembert,
I, 184 : « Nul n'est plus pénétré que moi d'amour et de respect pour le plus sublime
de tous les livres : il me console et m'instruit tous les jours, quand les autres ne
m'inspirent plus que du dégoiit » ; cf. encore. Lettre à Vernes, du 23 Mars 1758, X, 187 ;
«Je vous l'ai dit bien des fois, nul homme au monde ne respecte plus que moi
l'Évangile: c'est, à mon gré, le plus sublime de tous les livres: quand tous les
autres m'ennuient, je reprends toujours celui-là avec un nouveau plaisir; et, quand
toutes les consolât ons humaines m'ont manqué, jamais je n'ai recouru vainement
au.\ siennes ». D'après les Confessions, IX, 27, à l'époque où Rousseau composait
Emile « sa lecture ordinaire du soir était la Bible » : « je l'ai lue entière, ajoute-t-il,
au moins cinq ou six fois de suite de cette façon ».
' Pour sentir tout ce qu'il y a d'original et de traditionnel à la fois dans le
portrait tracé par Rousseau, il faut mettre en regard quelques pages d'inspiration
analogue empruntées à des livres qu'il avait lus; cf. .Abbadie, Religion chrétienne,
II, Cl. 7, « De la Sainteté de Jésus-Christ» [92^, 11, 6i-63 : « Qu'on assemble toutes
les idées de vertu, que la conduite des sages et l'esprit de ceux qui les ont loués
avec le plus de passion nous fournissent ; qu'on joigne ensemble les Caton et les
Aristide; qu'on sépare même leurs vertus de leurs défauts et qu'on leur prête toutes
les bonnes qualités que l'on voit répandues dans les autres hommes : je soutiens que
toutes ces idées n'approcheront point de cette perfection que les Évangélistes nous font
concevoir en Jésus-Christ sans hyperbole et sans art, mais par un récit naïf et simple
de ses actions Il est facile d'exercer la vertu au milieu de la prospérité, et lorsqu'on
s'acquiert par là l'estime générale des hommes, comme cela est arrivé aux héros du
paganisme Mais ce serait faire tort à Jésus-Christ que de le comparer avec ce qui a
fait l'admiration des siècles : ne le comparons qu'à lui-même » ; et Vernet, Instruction
chrétienne, IX, 2, « Du caractère éminent de sagesse et de vertu qui a brillé dans
la personne de Jésus-Christ» [2i3]. 11. i55-i56 : «Ses pensées et ses discours ne
ressentent point une imagination confuse et déréglée. Ce sont des pensées justes
et bien appropriées au temps, au lieu, et au sujet On ne voyait rien d'affecté
ni de bizarre dans son extérieur et dans ses manières. Tout était chez lui dans un
goût de simplicité bienséante et raisonnable ». Dans la 111* des Lettres de la Montagne,
III, i65. Rousseau s'écartera davantage de ce portrait traditionnel, pour nous présenter
un Jésus plus renanien.
' \ oitairc [242]. 27g : « Et sa sueur de sang » ?
' Cf. Nouvelle lléloïse (VI, xi), V, 64 : « Il j^le ministre qui assiste Julie mourante]
avait vu souvent mourir avec ostentation, jamais avec sérénité ».
404 REDACTIONS MANUSCRITES
' comme Jésus - dans la douleur et dans l'ignominie eut il comme lui
soutenu jusqu'au bout sa douceur sa modération, sa dignité. Après
tant d'opprobres et de tourmens Jésus en expirant est encore lui
même ; et qu'on ne suppose pas que l'hihtoire de l'Evanj^ile ''puisse
être in\eniée à plaisir. ■* Ce n'est que reculer la diniculté '■ce n'est
pas la détruire. Il ''seroit plus inconcevable "qu'on eut fabriqué
ce livre qu'il l'est qu'un homme ■ n ait fourni le su|et. L'é\'anf^ile à
des caractères ** si grands si frapans, ■' si vrais (si uniques) que
furieuxj fanatisme la voi.\ de la (suprême) sagesse se fit entendre [avec douceur]
et toute la simplicité des plus héroïques vertus (a illustra ['■ le plus vil de tous
les peuples]. [La mort de Socrate philosophant tranquillement avec [•' ses] amis
est la plus douce ^ qu'on puisse désirer ; celle de Jésus [expirant dans les tour-
mens injurié <^ maudit (raillé)de tout un peuple] est la plus horrible qu'on puisse
craindre, i" Socrate s prenant la coupe I' bénit celui qui la lui présente et qui
pleure, (mais) Jésus (Christ) [' au milieu] d'un supplice afîVeu.'c prie pour ses
bourreaux acharné>]. Oui si la vie et la mort de Socrate sont d'un philosophe la
vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. [ ' Dirons-nous] que l'histoire de l'tvanyile.
») [«. honora » (brilla)].
b) (le siècle).
c) (ces).
it) (et la plus).
<■) [raillé].
f) [(il bénit [en prenant le puisonj l'homme qui se plaint
et qui)].
B) (avant).
•') M. empoisonnée. — I. (mortelle) [cmpoisonée].
») (prie pour ceu.x dont).
j) (Dire).
' (dans).
' (une mort douloureuse et) [mort].
' B. (puisse être) [est].
'' B. (Non) [mon ami] ce n'est pas ainsi qu'on invente (la vie et la mort
[l'histoire]) et les faits de Socrate dont personne ne doute sont moins attestés
que ceux de Jésus-Christ. Au fond c'est (<.^ plus tôt ») reculer la.
•"' B. (que [mais]) [et non] la détruire.
* B. (est) seroit.
' B. que quatre * hommes d'accord eussent fabriqué (« ces fictions »)
[ce livre] qu'il ne l'est qu'un seul en ail fourni le sujet.
* [Je veux bien n'en pas compter davantage parce que leurs quatre (Evan-
giles) [livres] sont les seul[e]s [vies de Jésus Christ] qui nous sont restéjejs du
grand nombre qui en avoicnt été écrites]. — M. Il veut bien .. qui nous soient
restées du grand nombre qu'on {barré au crayon : n')en avoit écrit.
' B. de vérité.
" B. < si vraies > « si » parfaitement inimitables que l'inventeur.
EDITION- ORIGINALE 4O5
ginairc * couvert de tout l'opprobre du crime, & digne de tous
les prix de la vertu, il peint trait pour trait Jesus-Christ : la res-
semblance est si frappante, que tous les Pères l'ont sentie, & qu'il n'est
pas possible de s'y tromper *. Quels préjugés, quel aveuglement ne
faut-il point avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque ^ au
fils de Marie "? Quelle dislance de l'un à l'autre! Socrate mourant sans
* De Rep. Dial. I (a).
C, D : Dial. 2.
* Ce passage de la République. II, pp. 36i-362 d'édition originale renvoie à tort
au Livre I) était en eflet regardé par les apologistes comme une sorte de prophétie
païenne. La Motlie le Vayer [80''''], 106 et l'abbé Guyon [147J, XII, 23o-25i, rappelaient
que les Pères avaient surnommé Platon « Moïse l'Athénien ». Rousseau, qui sans doute
lisait Platon dans le te.xte de Dacier. avait pu noter ce rapprochement entre le Juste
idéal et Jésus dans le Discours sur Platon qui précède la traduction [101], I, I" 12" |non
paginé). D'autres livres familiers lui signalaient la ressemblance : cf. Barbeyrac, Préface
du Droit de la nature, % 21 [107 A], 59-âo, Vernet, Vérité de la Religion [162], III,
269-270, Saint-Aubin, Traité de l'Opinion [141], V, i34-i55, Beausobre, Histoire du Kfani-
chéiime. Il, i, 6 [1 42], 3] 1 ; « Clément d'.Mexandrie croit avoir découvert dans le même
philosophe [Platon] une prédiction très formelle de la crucifi.xion de Jésus-Christ :
Platon, dit-il, n'a-t-il pas prédit en quelque manière l'économie salutaire, lorsque, dans
son second Livre de la République, il a imité cette parole de l'Écriture : défaisuns-nous
du Juste, car il nous incommode, et s'est exprimé en ces termes : Le Juste sera battu
de verges, il sera tourmenté, on lui crèvera les yeux, et, après avoir souffert toutes
sortes de maux, il sera crucifié ». Mais de tous ces textes qui comparaient le Juste
idéal à Jésus, celui de Beausobre est le seul qui s'appuie sur l'autorité d'un Père
de l'É.;Iise. C'est donc vraisemblablement dans Beausobre, — que Rousseau lisait, —
qu'il a pris ce rapprochement.
* On remarquera que Rousseau, cherchant une formule pour faire équilibre au
« fils de .Marie », ne trouva pas dans sa mémoire de quoi la remplir; cf. le texte de B :
« le fils d' au fils de .Marie ». Ce fut Saint-.\ubin, qu'il avait toujours
sous la main (cf.. plus haut, p. 58, note 4, et mon article Sur les sources de Rousseau
[232). 640-5421, qui lui fournit le nom dont il avait besoin ; cf. Traité de l'opinion
[141]. I. 332: «Socrate. tils du sculpteur Sophronisque ». Notons, qu'ayant désigné
Socrate par le nom de son père. Rousseau ne lui a pourtant pas opposé « le fils de
Joseph ». II y a là un souci visible de ménager la conscience chrétienne.
' Je ne connais pas. dans la littérature « philosophique » an érieure à la Profes-
sion, de « compa'aison » formelle, ou pour parler plus précisément, de parallèle, entre
Socrate et Jésus. .Mais le Christianisme dévoilé de D'Holbach [234] mettait en regard à
plusieurs reprises les enseignements de Jésus et ceux des sages anciens, notamment
de Socrate. pour donner l'avantage à ces derniers : cf. pp. 188 : * Nous trouvons dans
Socrate, dans Confucius. dans ks Gvmnosophistes indiens, des maximes qui ne le
cèdent en rien à celles du Messie des chrétiens »; i33 : « Dans ceux de ses préceptes
[de Jésus-Christ] qui peuvent se pratiquer, nous ne trouvons rien qui ne fût mieux
connu des sages de l'antiquité sins le secours de la révélation Socrate dit dans
Criton qu'il n'est pas permis à l'homme qui a reçu une injure de se venger par
une autre injure»; et quelques pages plus loin. p. i5q. l'auteur opposait encore.
406 RÉDACTIONS MANUSCRITES
l'inventeur en ^ est aussi difficile à (-' concevoir) que le Héros.
^ Au milieu de tout cela ^ ce même évanj^ile est plem de choses
* inconcevables qu'il est impossible à "l'esprit de croire (et) à la
raison d'entendre 1" et qu'on traitteroit volontiers d'absurdités |. Que
faire au milieu de * ces contradictions. Etre [toujours modestej
(^ toujours) de bonne foi mon enfant. Respecter en silence ce
qu'on ne « sauroit » '"comprendre (sans l'admettre ni le reietter)
et s'humilier devant le grand Etre qui seul sait la vérité].
1
' B. seroit plus étonnant que le Héros [et jamais des auteurs juifs n'eussent
trouvé ni ce ton ni cette morale].
' [trouver].
' B. (Au milieu de) [Avec] tout cela.
* B. ceit)
^ B. incroyables, de choses qui répugnent à la raison, et qu'il est impossible.
" B. tout homme sensé de concevoir ni (de croire) [d'admettre]. Que faire
au milieu. — M. de concevoir et d'admettre.
' (d'expliquer).
* B. toutes ces contradictions.
" (être) [et]. — B. circonspect, mon enfant.
'" B. ni [rejetter ni] comprendre.
ÉDITION ORIGINALE 407
douleur, sans ignominie, soutint aisément jusqu'au bout son person-
nage, I & si cette facile mort n'eût honoré sa vie. on douteroit si Socrate, [181]
aux fausses vertus et à « l'abjection d'âme » des saints chrét-ens, « les vertus réelles
des Socrate, des Caton, des Épictète, des Antonin ». D'ailleurs, le parallèle devait
être devenu classique dans les conversations des « philosophes ». puisque, peu après
la Profession, nous le verrons se présenter à plusieurs reprises, et comme sponta-
nément, sous la plume de Voltaire; cf. Si l'intolérance a été enseignée par Jésus-
Christ fyS], XXV, 86: «Si l'on compare le sacré avec le profane, et un Dieu avec
un homme, sa mort, humainement parlant, a beaucoup de rapport avec celle de
Socrate ». etc. ; Profession de foi des théistes, XXVI, 69 : « Nous révérons en
lui un théiste Israélite, ainsi que nous louons Socrate. qui fut un théiste athénien », etc. ;
Homélie sur l'inspiration du Nouveau Testament, .K.WIl. 353 : « C'était le Socrate de
la Galilée ». En tous cas, à l'époque où Rousseau rédigeait la Profession, il y avait
lonjitemps que Socrate était considéré par tous comme le plus éminent des « Saints du
Paganisme» {Année Littéraire de ijSg [^S], V. i38); Richardson [199]. XXIII, 283.
l'appelait « le divin Socrate » ; et les « philosophes » répétaient sur tous les tons
le « Sancte Socrates, ora pro nobis» d'Érasme : cf. La Mothe le Vayer, Vertu des Païens
[80 M«], 74, Le Spectateur [iiy], IlL 42, Saint-Aubin, Traité de l'opinion [141], 1, 359,
Cooper, l'ie de Socrate [igS], 183-184, note. Voltaire, Socrate (1759I [228], 359 sqq. La
pièce de Voltaire montre assez qu'au.\ environs de 1760, les derniers moments « du
plus sage de tous les hommes » passaient pour le sujet dramatique le plus émouvant
qui pût tenter un « philosophe » (Cf. Journal encyclopédique du 1" Décembre ijbg [46],
129) ; Diderot, lui aussi, avait tracé une esquisse de la mort de Socrate, Poésie drama-
tique, XXI [223 bis]. 381-384; et le Journal encyclopédique du i5 mai 1759 [46]. 137,
assurait que, « si son génie le portait à le remplir, ce drame produirait un efi'et mer-
veilleux, au moins devant une assemblée de philosophes ». Dans les milieux antiphilo-
sophiques, on n'avait pas attendu Rousseau pour protester contre des louanges qui
paraissaient excessives : cf. Fréron, qui, dans {'Année Littéraire de 1759 [45], V, i35-i38,
reproche à Socrate d'avoir ridiculisé la religion de son pays, et paraphrase sans tendresse
les insinuations de Boileau sur le «très équivoque ami du jeune Alcibiade » ; cf. déjà
Saint-Aubin, Traité de l'opinion [141], L 358 : « Quelle apparence d'en faire un saint
et un martyr»! Rollin, Histoire ancienne, IX, iv. 8, « Réflexions sur le jugement porté
contre Socrate par les Athéniens et sur Socrate lui-même » [i32]. IV. Seconde Partie,
455-456 : « On ne peut disconvenir que Socrate, pour ce qui regarde les vertus morales,
ne Suit le héros du paganisme. Mais, pour en bien juger, qu'on mette en parallèle ce
prétendu héros avec les martyrs du Christianisme, c'est-à-dire souvent de faibles
enfants, de tendras vierges, qui n'ont point craint de répandre tout leur sang pour
défendre et sceller les mêmes vérités que Socrate connaissait, mais qu'il n'osait
soutenir en public, je veux dire l'unité d'un Dieu et la vanité des idoles... La philo-
sophie n'inspire point de ttls sentiments : ils ne peuvent être l'etlet que de la grâce du
Médiateur, que Socrate ne méritait pas de connaître ». Murait, à son tour, avait réclamé
contre ce jugement trop sévère et présenté longuement la défensede Socrate dans les
Lettres fanatiques [i56]. 11. 3o-io5. Non seulement il faisait de lui « un chrétien, et un
chrétien de la bonne sorte » (p. 92), mais il le saluait comme le plus pur représentant de
la religion naturelle, « une espèce de saint, un homme à qui plusieurs ont donné le nom
de divin » (p. 3i). Cependant les théologiens chrétiens, même protestants, ne s'étaient
pas laissés convaincre, et Vernet avait institué un parallèle en règle entre Socrate
et Jésus, pour remettre chacun à sa vraie place; cf. Vérité de la Religion, VI, 5, « Du
caractère de Jésus-Christ, et combien il a été éloigné du fanatisme » [162], 111, i32-i35 :
408 RÉDACTIONS MANUSCRITES
EDITION ORIGINALE 4O9
avec tout son esprit, fut autre chose qu'un sophiste '. 11 inventa, dit-on,
la morale-. D'autres axant lui l'avoient mise en pratique; il ne fit que
dire ce qu'ils avoient t'ait, il ne fit que mettre en leçons leurs exemples.
Aristide avoit été juste avant que Socrate eût dit ce que c'étoit que justice;
Léonidas étoit mort pour son pays avant que Socrate eût fait un devoir
d'aimer la patrie; Sparte étoit sobre avant que Socrate eût loué la sobriété :
avant qu'il eût défini la vertu, la Grèce abondoit en hommes vertueux.
«S'il V avait quelque philosophe de l'antiquité qu'on osât lui comparer [à JésuSj en
qualité de simple docteur, ce serait Socrate. Quelques personnes, en effet, se sont plu à
remarquer divers traits de conformité dans la vie et le caractère de l'un et de l'autre.
Tous deux ont fait, pour ain i dire, descendre la Philosophie du ciel en terre, comme
on le disait de Socrate, pour le louer de ce qu'il avait laissé la contemplation astrono-
mique, afin de rapporter toute l'étude de la sagesse aux bonnes mœurs et à l'usage de
la vie civile. L'un et l'autre a trouvé les esprits gâtés par de mauvaises subtilités. En
Judée, c'était la fausse dévotion pharisaique qui prévalait; à Athènes, c'était la vaine
science des sophistes. Il fallait arracher le masque aux uns et aux autres, pour ramener
les hommes au vrai et au simple; et c'est à quoi chacun d'eux s'est appliqué, par une
méthode assez semblable. Ni l'un ni l'autre n'a afiecté un air de singularité: leur vie a
été toute unie, sociable et communicative Ils se plaisaient à user d'interrogations,
de comparaisons et de paraboles, et à entremêler leurs discours de maximes courtes et
pleines de sel. Ni l'un ni l'autre n'ont rien laissé par écrit, se contentant de former des
disciples qui ont recueilli et publié leurs enseignements. Enfin l'un et l'autre, s'attirant
très innocemment la haine des ennemis de la vérité, ont été publiquement accusés et
condamnés à mort, et ont subi leur sentence avec une grande résignation. Tels sont
les rapports que l'on croit remarquer entre ces deux personnages ; à quoi l'on pourrait
aussi opposer des différences bien grandes, toutes à l'avantage du chef des Chrétiens,
qui eut des vues beaucoup plus relevées et des mœurs bien plus pures, qui enseigna
une doctrine bien plus excellente, et qui fut revêtu d'une autorité infiniment plus
respectable. Mais, en s'en tenant même au parallèle qu'on vient de rapporter, qui ne
voit au moins ce qui en résulte pour la question dont il s'agit ici? On ne se lasse
point de louer Socrate, jusqu'à le mettre à la tête de tous les sages de l'antiquité. Avec
quelle pudeur refuserait-on de donner au moins les mêmes éloges à celui qui le
surpasse de beaucoup ? et, tandis qu'on exalte l'un h ce point là, comment oserait-on
dégrader l'autre, jusqu'à le traiter de visionnaire et d'extravagant. Je laisse à juger
s'il y eut jamais de partialité plus injuste ». Il est infiniment vraisemblable que c'est
cette page de Vernet qui a suggéré celle de Rousseau. — Rappelons enfin que dans
l'artic!e Economie politique, 111, 288, Rousseau avait comparé Socrate et Caton, pour
donner déjà la seconde place à Socrate. quoiqu'il s'v montrât à son égard plus sym-
pathique qu'ici.
' La formule était chère à Rousseau; cf. Discours sur la vertu essentielle aux
héros. I. 116 : « Si .Socrate était mort dans son lit. on douterait aujourd'hui s'il fut rien
de plus qu'un adroit sophiste »; et, dans le Morceau allégorique sur la Révélation
[25], i83, il fait dire à Socrate mourant : « Je serais soupçonné de n'avoir vécu qu'en
sophiste, si je craignais de mourir en philosophe ».
' Voltaire [242], 279 : « Qui jamais a dit cela»? Si Voltaire avait été aussi familier
que Rousseau avec Saint-AuDin, il n'aurait pas posé la question ; cf., en effet.
Traité de l'opinion [141], I, 353 : « Socrate s'appliqua principalement à l'étude
de la morale, dont Pvthagore avait déjà donné quelques préceptes, sous les mystères
410 RÉDACTIONS MANUSCRITES
EDITION ORIGINALE 4II
Mais OÙ Jésus avoit-il pris chez les siens celte morale élevée & pure, dont
lui seul a donné les leçons & l'exemple**? Du sein du plus furieux
fanatisme la plus haute | sagesse se fit entendre, & la simplicité des plus [182]
héroïques vertus honora le plus vil de tous les peuples. La mort de
Socrate philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu'on
puisse désirer; celle de Jésus expirant dans les tourmens, injurié, raillé,
maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre.
Socrate prenant la coupe empoisonnée, bénit celui qui la lui présente &
qui pleure; Jésus au milieu d'un supplice affreux prie pour ses bourreaux
acharnés '. Oui, si la vie & la mort de Socrate sont d'un Sage, la vie & la
mort de Jésus sont d'un Dieu ''. Dirons-nous que l'histoire de l'Evangile
* Voyez dans le discours sur la Montagne, le parallèle qu'il fait lui-même
de la morale de Moïse à la sienne. Mail. c. b. v. 21.^ seq.
de ses symboles: mais Socrate est regardé comme la source de cette partie de la
philosophie la plus utile de toutes ». Et Saint-Aubin citait en note deux textes de
Cicéron, Tusculanes, III : « A quo omnis quae est de vita et moribus philosophia
manavit », et Académiques, IV : « Socrates primus philosophiae moralis auctor fuit ».
Ces deux textes, le second surtout, légitiment la formule de Rousseau; mais ils
ne se trouvent pas, je crois, dans Cicéron; et. si Saint-Aubin ne les a pas pris ailleurs,
il est probable que sa mémoire l'a mal servi; car voici les textes mêmes auxquels il
fait très vraisemblablement 'allusion ; et, ils sont, comme on va voir, bien moins
affirmatifs : Tusculanes, V. iv, 10 : «Socrates autem primus philosophiam devocavit
a cailo et in urbibus conlocavit et in domus etiam introduxit et coegit de vita et
moribus rebusque bonis et malis quaerere » : Académiques, 1, iv, i5 : « Socrates
mihi videtur... primus a rébus occultis et ab ipsa natura involutis, in quibus omnes
ante eum philosophi occupati fuerunt avocavisse philosophiam et ad vitani communtm
adduxisse ». Ces textes se trouvaient exactement cités ou utilisés par Barbevrac.
Pré/ace au Droit naturel, § 20 [107 A], 54 ; cf. encore Vernet, Vérité de la Religion
[162], I. 99.
' Voltaire [242], 280 : & Et Épictète, Porphyre, Confutzé, Pythagore, tant d'autres»?
' Dans son Traité de la vérité de la Religion [162]. III, 175, Vernet citait ce
passage de la X" des Lettres de M. l'abbé *** à M. l'abbé Houteville au sujet du livre
intitulé « La Religion chrétienne prouvée par les faits » ; « Même à parler humaine-
ment et sans aucun égard aux sentiments qu'inspire la foi, il n'y eut jamais rien de
si grand, de si beau, de si sublime et de si touchant que la mort de Jésus-Christ ».
' Voltaire [242J, 280 : « Qu'est-ce que la mort d'un dieu »! Cf. encore Lettre de
Voltaire à l'abbé d'Olivet, du 5 Janvier 1767 [7$], XLV, i3 : « Un charlatan est parvenu
jusqu'à dire, dans je ne sais quelles lettres, en parlant de l'angoisse et de la passion de
Jésus-Christ, que si Socrate mourut en sage, Jésus-Christ mourut en Dieu; comme
s'il y avait des dieux accoutumés à la mort, comme si on savait comment ils meurent,
comme si une sueur de sang était le caractère de la mort d'un Dieu, enfin, comme si
c'était Dieu qui fut mort ». Rousseau s'était, d'ailleurs, critiqué lui-même, lorsqu'il
avait écrit plus haut, dans une première Rédaction (cf. la note i de la p. [72) ; « Laissez-
moi de grâce aller voir ce merveilleux pays où les dieux naissent comme des
412 RÉDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 4I3
esl invenlce à plaisir? Mon ami, ce n'est pas ainsi qu'on invente, & les
faiis de Socrate, dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de
Jesus-Christ ^. Au fond, c'est reculer la dilliculté sans la détruire: il seroit
plus I inconcevable que plusieurs hommes d'accord eussent fabriqué ce [183]
livre, qu'il ne l'est qu'un seul en ait fourni le sujet. Jamais des Auteurs
Juifs n'eussent trouvé ni ce ton, ni cette morale, & l'Evangile a des
caractères de vérité si grands, si frappans, si parfaitement inimitables, que
l'mventeur en seroit plus étonnant que le héros '. Avec tout cela, ce même
Évangile est plein de choses incroyables, de choses qui répugnent à la
raison, & qu'il est impossible à tout homme sensé de concevoir ni
hommes, mangent, soutirent et meurent ». — Quand encore le reste de la Profess-on
n'empêcherait pas d'interpréter à contre-sens la formule fameuse : « la vie et la mort
de Jésus sont d'un D eu ». — un texte de Rousseau nous en préciserait la signifi-
cation véritable; cf. Lettre à Jean-Ami Martin, du 14 Septembre 1759 [33J. 256:
« Quoique ie n'entende rien en théologie, il me semble que n'attribuer à Jésus-Christ
la divinité que par communication, c'est le déclarer purement homme ». Cf. encore
Religion essentielle [i5i , 111,96: Il faut, dit Marie Huber, appeler Jésus-Christ «non
l'homme-Dieii, cela implique contradiction, mais un homme divin... L'épithète de divin
Jésus, de divin Sauveur n'est point trop forte dans ce sens et n'a rien d'opposé au
vrai ». Mi'me attitude dans Abauzit, De l'honneur qui e.it dû à Jésus-Christ [bo]. i34-i35.
' Voltaire [242], 280 : « Faux ». Dans une page très véhémente [25i], Chénier,
lui aussi, protestera plus tard contre cette affirmation : « On a peine à croire ses
yeu.x, quand on lit cette décision tranchante et magistrale », etc. Ce texte de Chénier
est très intéressant, et forme, en quelque sorte, la contrepartie « philosophique »
de ces quelques lignes de Rousseau. Au reste, avant la Profession, on se battait déjà
autour de ce raisonnement; cf. Duguet, Principes de la foi, ill, 3 [146], 11, 34-35 :
« L'histoire d'Alexandre n'est attestée par aucun auteur qui ait vécu de son temps.
Il en est ainsi de l'histoire d'Auguste, de celle de Tibère et de plusieurs autres,
dont on ne peut douter, quoiqu'elles n'aient été écrites que par des auteurs qui
n'en avaient pas été les témoins ». Et D'Holbach ripostait, allant au-devant de
l'armimentation de Rousseau, Christianisme dévoilé [234], 69-70 : « Que l'on ne
nous dise point que les miracles de Jésus-Christ sont aussi bien attestés qu'aucun
fait de l'histoire profane, et que vouloir en douter est aussi ridicule que de douter
de l'existence de Scipion ou de César, que nous ne croyons que sur le rapport des
historiens qui nous en ont parlé. L'existence d'un homme n'est pas incroyable;
il n'en est pas de même d'un miracle ». Cf. encore Berruyer, Histoire du peuple de
Dieu [2o3], I, pp, Lxiv-Lxv : « Voici ce que je lis actuellement dans un Manuscrit de
leur façon et de leur goût : Il y a plus d'apparence de raison, dit l'auieur, de croire
Philostrate dans ce qu'il raconte de la vie d'Apollonius que de croire tous les
Êvangéliste^ ensemble dans ce qu'ils disent des mi'acles de Jésus-Christ », etc. ; Le
Militaire philosophe, XI [i3o'''s], 96-97: «J'ai lu quelque part ce beau raisonnement :
Vous croyez bien les Commentaires de César; pourquoi ne croiriez-vous pas l'Lvan-
gile? Je dois donc croire aussi l'Alcoran ? La conséquence est égale », etc.
' Volta re [242'. 280: « Pitoyable». — L'a chevéque de Paris, .Mandement. III,
53 : « Il serait difficile, mes très chers frères, de rendre un plus bel hommage à
l'autheniicité de l'Évangile »; et Rousseau, sur ce dernier texte. Lettre à M. de lleau-
monl, III, 106: «Je vous sais gré, Monseigneur, de cet aveu »,
414
REDACTIONS MANUSCRITES
8. Attitude finale : Tolérance
et conservatisme pratique.
n
(1 Ce) scepticisme ^ involontaire ('^n'jest ■'point pénible, par ce
qu'il ne 'roule (''point) sur les points essentiels à (' connoitre) et
que je suis bien décidé sur * tous les principes de ''mes de\'oirs
'"envers Dieu, envers le prochain et envers moi-même. Je (" respecte)
toutes les religions '^ comme autant '■■ de sages institutions '■' de
police qui déterminent dans chaque pays une manière uniforme '^ de
' [Voila le].
^ [(où je suis resté malgré moi)].
^ [ou je suis resté mais ce scepticisme ne m'].
■* B. nullement pénible.
' B. (roule pas sur) [s'étend pas] au.'i points.
« [pas].
' [la pratique].
" B. < tous >.
" B. tous mes devoirs.
'° B. [Je sers Dieu dans la simplicité de mon cœur. Je ne cherche à savoir
que ce qui importe à ma conduite, quant aux dogmes qui n'influent ni sur [les
actions ni sur] la morale [et après lesquels tant de gens se tourmentent] je [ne]
m'en mets (peu) [nullement] en peine]. Je regarde. — I. quant aux dogmes qui
n'influent (point) [ni sur les actions ni) sur la morale et (après lesquels) [(suri
dontj tant de gens.
" [(trouve) regarde].
'^ B. [particulières].
" (d'inS TITUTIONS).
'■* B. (de police qui déterminent! [(humaines) qui (règlent) [prescrivent]]
dans chaque.
''■• B. (de servir) [d'honorer].
ÉDITION ORIGINALE 415
d'admettre. Que faire au milieu de toutes ces contradictions '■*? Etre tou-
jours modeste & circonspect, mon enfant; respecter en silence ce qu'on
ne sauroit ni rejetter, ni comprendre, & s'humilier devant le grand Etre
qui seul sait la vérité ^.
8. Attitude finale : Tolérance
et conservatisme pratique.
Voilà le scepticisme involontaire où je suis resté; mais ce scepti-
cisme ne m'est nullement pénible, parce | qu'il ne s'étend pas aux [184]
points essenciels à la pratique. & que je suis bien décidé sur les
principes de tous mes devoirs '. Je sers Dieu dans la simplicité de mon
' Sur les « contradictions » des textes évangéliques, cf. Meslier [240), 3o7-3i2.
Dumarsais [179 '"'=]. 14-26. Fré.'fit, [189], 121. etc.
' Voltaire [242], 280 : « Si tu ne comprends, rejette ». — Rousseau précise ce
qu'il entend par le « doute respectueux », dont il a parlé plus haut, p. 179. C'est
exactement l'attitude de Marie Huber. A plusieurs reprises, dans la Religion essentielle
[\5i], III, 148, i55, IV, 116, elle recommande «la sobriété de l'esprit ». conseille
de se résoudre à « ignorer ce qui nous passe et qui par conséquent n'est pas fait pour
nous », et k « nous contenter de notre ignorance »; cf. surtout I, 81-82; elle y décrit
l'état d'àme d'un homme de bon sens, qui ne repousse pas l'idée d'une révélation,
et qui lit l'Écriture : « Il y trouve des faits dont il admet la possibilité, mais il est
révolté contre une infinité de choses qui lui paraissent puériles, absurdes, contraires
au sens commun et même visiblement injustes.... Quel parti prendre avec un tel
homme ? Suis-je en droit d'exiger de lui de voir ce que ses yeux ne lui montrent
point? Rien ne serait plus injuste Tout ce que je suis en droit de lui demander,
c'est de suspendre son jugement sur les choses qu'il ne connaît pas, et c'est ce qu'il ne
peut me refuser»; et encore 11, 191-192, où elle montre comment son principe de la
bonne foi peut être « envisagé comme l'unique base de la foi ». « Ce principe, dit-elle,
nous fait acquiescer à toute vérité d'une façon proportionnée à l'évidence qu'elle a pour
nous. Il nous fait suspendre nos jugements sur ce qui n'i..st développé qu'à demi.
Il nous conduit à respecter ce qui nous parait divin dans son origine, quoiqu'il ne
nous soit pas possible d'en pénétrer le vrai sens ».
' Rousseau tient à distinguer ce « scepticisme », qui porte seulement sur des
problèmes de spéculation théologique, du « scepticisme » qui s'attaquait aux « idées
du juste, de l'honnête et de tous les devoirs de l'homme », scepticisme qu'il a déclaré
intolérable; cf., plus haut, pp. 25-26 : « Comment, disait-il alors, peut-on être sceptique
et de bonne foi? Cet état est inquiétant et pénible». Ce «scepticisme involon-
taire » ne l'est pas, « parce qu'il ne s'étend pas aux points essentiels à la pratique ». —
Pour le fond. cf. Marie Huber, Religion essentielle [i5ij. V, 111 : «Toute spéculation,
toute discussion d'opinion k part, je me contente d'acquiescer de bonne foi et
pratiquement k tout ce qui peut m'être connu pour vrai, bon et juste, réglant mes
jugements et ma conduite selon cela quant au jour présent ».
4l6 RÉDACTIONS MANUSCRITES
servir Dieu, ' je les crois toutes bonnes quand on -le sert ('sin-
cère ment). * Le culte essentiel est celui du cœur. (Je ne crois pas
que jamais le) Dieu (que j'adore) ■' en rejette " l'hommage quand
il est sincère sous quelque l'orme qu'il lui soit offert. Appelle
dans celle que je professe au ("ministère) de l'église 'j'en remplis
les fonctions qui me sont confiées avec toute l'exactitude possible
et ("avec toute la îoi qui dépend de moi). '" Après un long interdit
[" vous savez que j'obtins par le crédit '^ oii iM. de Meliarede] la
permission de reprendre mes fonctions (de prêtre) pour m'aider
à vivre. Autrefois je ('^ célebrois) la messe avec la légèreté qu'on
met ('^ assés volontiers même) aux choses les plus graves quand
on les fait l'Mrop souvent]. « '"Depuis» mes nouveaux principes,
je la célèbre avec plus de respect et de ("recueillement). Je me
pénétre de la majesté de {^^ Dieu), de sa présence, ^'■' de l'insuf-
' je les crois crois (sic). — B. (je les crois toutes) et qui peuvent avoir leurs
raisons dans le climat dans le gouvernement dans le génie du peuple, ou dans
quelque autre cause locale qui rend l'Lme préférable à l'autre selon les Jlieux)
[tems] et les (tems) [lieux]. Je les crois toutes bonnes.
- le[s]. — B. y sert Dieu.
' [convenablement].
■* i L'essentiel).
' [n'].
" [point].
' [service].
" I. j'y remplis [avec toute l'exactitude possible] les soins qui me sont
prescrits.
' [aussi ponctuellement quand je suis seul que quand j'ai des témoins]. —
B. < aussi ponctuellement... des témoins > ma conscience me reprocheroit d'y
manquer (au moindre) [volontairement en quelque] point, .^près un long.
'" (Depuis).
" (j'ai été rendu à mes fonctions dei.
'- crédit M. de Meliarede (sic).
'^ [disois].
■* [a la longue].
" (profession).
'" [(Après une longue interruption)].
" [(venera tion et de) religion].
'" [l'être suprême].
'° M. de son pouvoir infini, de l'insuffisance.
ÉDITION ORIGINALE 4I7
cœur-. Je ne cherche à savoir que ce qui importe à ma conduite; quant
aux dogmes qui n'inlluent ni sur les actions, ni sur la morale •', & dont
tant de gens se tourmentent, je ne men mets nullement en peine *. Je
regarde toutes les religions particulières comme autant d'institutions
salutaires qui prescrivent dans chaque pays une manière uniforme
d'honorer Dieu par un culte public; & qui peuvent toutes avoir leurs
raisons dans le climat, dans le gouvernement, dans le génie du peuple,
ou dans quelqu'autre cause locale qui rend l'une préférable à l'autre, selon
les tems & les lieux =. Je les crois toutes bonnes quand on y sert Dieu
' Murait, Lettres fanatiques [i56J, 11, i33 : « L'homme qui y est de bonne toi
[dans la Religion naturelle] dans la simplicité de son cœur, fait bien de la respecter
et de s'y tenir ».
' Cf. la 1"" des Lettres de la Montagne, III, 123 : « Je distingue dans la religion
deux parties, outre la forme du culte qui n'est qu'un cérémonial. Ces deu.x parties
sont le dogme et la morale. Je divise les dogmes encore en deux parties : savoir,
celle qui, posant les principes de nos devoirs, sert de base à la morale, et celle qui,
purement de foi, ne contient que des dogmes spéculatifs ».
' On trouvera le même état d'esprit, s'alliant avec une profession de foi très
orthodoxe, dans un sermon du Docteur Sharp, que j'ai déjà cité, note i de la p. i5o,
et que Clarke avait inséré dans son Traité de l'existence de Dieu, 11, 17 [i25], 111. 122-
123: «Vous ne trouverez dans la Religion chrétienne aucun dogme qui tende à
flatter la vaine curiosité de l'homme, et à l'amuser par des spéculations subtiles
et infructueuses Ses dogmes ont une liaison intime et un rapport immédiat avec
la pratique, et ce sont les vrais principes et les fondements solides sur lesquels
tout ce qu'il y a de vertu, soit humaine, soit divine, doit être naturellement
appuyé et bâti ». Cf. encore Leclerc, Sentiments de quelques théologiens, III
[94], 38-42 : « Il ne peut rien y avoir d'absolument nécessaire dans la Religion
que les choses sans lesquelles il n'est pas possible de connaître ce bonheur
[le souverain bonheur auquel nous aspirons naturellement] ou d'y parvenir; car il est
visible que. cela étant l'unique but de la Religion, on a sujet d'être satisfait de la
Religion, si elle nous apprend ces deux choses, et qu'on n'en doit pas demander
davantage, pourvu qu'elle nous fournisse là-dessus des lumières assez claires pour les
faire connaître à tout le monde. Il semble que personne ne peut contester ces vérités.
Si on trouve donc dans l'Écriture tout ce qu'il faut savoir pour connaître notre
véritable bonheur, pour y parvenir, on sera contraint d'avouer que la providence de
Dieu nous a laissé dans l'Écriture sainte tout ce qui est essentiel à la Religion Cela
étant ainsi, on voudrait bien que M. S'imon] montrât qu'il y a des dogmes, sans
lesquels on ne peut pas parvenir au salut, qui ne soient pas compris dans le nombre
de ceux dont on vient de parler. Car enfin il semble que, si l'on sait qu'il y a un
bonheur éternel après la mort; si l'on sait qu'il faut se confier en Dieu et obéir à ses
commandements, qui sont extrêmement clairs; si l'on sait de Dieu tout ce qu'il en
faut savoir pour se confier en lui et pour lui obéir; il semble, dis-je, qu'il n'en faut pas
davantage pour être sauvé, si l'on règle sa vie selon les connaissances que l'on a
de Dieu et de sa volonté ».
' Cette formule est d'un lecteur de Montesquieu. « On sent, je crois, a dit
Rousseau dans les Confessions, VIII, 43, qu'avoir de la religion pour un enfant,
et même pour un homme, c'est suivre celle où il est né».
27
4l8 RÉDACTIONS MANUSCRITES
fisance de l'esprit humain ' qui - conçoit si peu ce qui se raporte à
f° 173 ™ (■■'ce grand être). En songeant |1 que je lui •* présente les vœux du
peuple sous une forme prescritte, je (^ m'efforce de remplir) avec
('■ attention) tous les rites. Je ('prononce) ^attentivement (les mots),
" je (n'obmets '" pas) la moindre cérémonie. (['• Quand même je
serois tout seul je n' [approche de la consécration '' qu'avec un saint
effroi) je ('-'concentre toutes mes '^ pensées) "*pour la faire avec toutes
les dispositions qu''" exige l'Eglise, je tâche d'anéantir ma raison
("sous '^'infinie '-'puissance), je me dis qui [-''es] tu pour (-^ juger
du pouvoir de Dieu). Je prononce avec -'crainte et tremblement les
mots (-^ redoutables) [^^ et je donne à leur effet toute la foi] qui
dépend de moi. Quoiqu'il en soit de ce mistére inconcevable
' (si peu capable).
^ M. [conçoit si peu ce qui].
' [(cet être infini) lui]. — B. son auteur.
* B. porte.
^ [remplis]. — I. (remplis) [suis].
' [soin].
' [lis et recite]. — B. < lis et > récite.
" (av Ec).
" [je m'applique à n'obmettre].
'" [jamais ni le moindre mot ni].
" (Quand je suis) [(j'approche) quand j'approche du moment de la consé-
cration].
'^ (je n'a pproche).
" [me recueille].
'* [(facultés)].
'^ B. [pour la faire].
"' M. é.xigent l'Eglise et la grandeur du sacrement. — ■ I. e.xige[nt] l'Eglise [et
la grandeur du sacrement].
" [devant son auteur]. — B. devant [la suprême] intelligence.
'" [(la puissance divine)].
'^ [(et mister ieuse)].
™ es(t).
"' [mesurer la puissance Divine].
"- B. vénération les mots sacramentaux.
^' [sacramentaux].
-' (des cet instant je m'efforce et quoiqu'il en soit [j'y apporte]). —
M. < et > je donne.
ÉDITION ORIGINALE 4I9
convenablement : le culte essenciel est celui du coeur *. Dieu n'en | rejette [185]
point l'hommai^e, quand il est sincère, sous quelque forme qu'il lui soit
offert. Appelle dans celle que je professe au service de rÉi^lise, j'y remplis,
avec toute l'exactitude possible, les soins qui me sont prescrits, & ma
conscience me reprocheroit d'y manquer volontairement en quelque point.
Après un long interd t, vous savez que j'obtins, par le crédit de M. de
Mellarede '. la permission de reprendre mes fonctions pour m'aider à
vivre. Autrefois je di^ois la .Messe avec la légèreté qu'on met à la longue
aux choses les plus graves quand on les fait trop souvent. Depuis mes
nouveaux principes, je la célèbre avec plus de vénération ^ : je me pénètre
de la majesté de l'Etre suprême, de sa présence, de l'insuffisance de
l'esprit humain qui conçoit si peu ce qui se rapporte à son Auteur.
En songeant que je lui porte les vœux du peuple sous une forme
[prescrite, je suis avec soin tous les Rites; je récite attentivement : je [186]
m'applique à n'omettre jamais ni le moindre mot, ni la moindre
cérémonie ; quand j'approche du moment de la consécration, je me
recueille pour la faire avec toutes les dispositions qu'exige l'Église &
la grandeur du sacrement i; je tâche d'anéantir ma raison devant la
suprême intelligence-; je me dis, qui est-tu, pour mesurer la puissance
infinie? Je prononce avec respect les mots sacramentaux, & je donne
à leur eff^t toute la foi qui dépend de moi. Quoiqu'il en soit de ce
mistere(^; inconcevable, je ne crains pas qu'au jour du jugement je sois
puni pour l'avoir jamais profané dans mon cœur^.
I») C, D : myslere.
" Cf.. plus haut, p. i34 : « Le culte que Dieu demande est celui du cœur ».
' Le Vicaire savoyard se confond ici avec l'abbé Gaime, puisque, d'après les
Confessions, VIII, 63, c'est en ellet chez le comte de Mellarede qu il avait été
précepteur. Cf., plus haut. pp. 5-6, dans le Prologue de la Profession : « Des protecteurs
le pi icèrent chez un ministre pour élever son (ils Il ne resta point longtemps chez
celui-ci; en le quittant, il ne perdit point son estime ».
' Voltaire [242], 280 : « Ridicule, car tu ne crois pas à ta messe ».
• Voltaire [242], 280 : « Impertinent ».
' Après une petite crise de rationalisme, dont j'ai noté les principales mani-
festations, Rousseau revient à l'état d'esprit qui s'était si complaisamment montré dans
la Première Partie de la Profession : défiance de la raison, respect et soumission
d'esprit devant le mystère qui nous dépasse : cf., plus haut, p. 96 : « Le plus digne
usage de ma raison est de s'anéantir devant toi ».
• Pour mieux comprendre la sincérité de cet étal d'esprit si paradoxal, et, en
apparence, si hypocrite, on peut relire les conseils de Rousseau à l'abbé de fCarondeletJ
(cf., ap. 12 B et 14, les originaux de cette correspondance); par exemple, Lettre du
6 Janvier 1764, XI, m : «Votre délicatesse sur létat ecclésiastique est sublime ou
420 REDACTIONS MANUSCRITES
je ne crains pas qu'au jour du jugement ' Dieu me punisse de
l'avoir [^ jamais] profané dans mon cœur.
Honoré du ministère ^ sacré, quoi que dans le dernier rang
je ne ferai ni ne dirai ^ jamais rien qui me rende indigne d'en
remplir les ^ augustes devoirs. (Mon bon ami), je prêcherai toujours
la \erlu aux hommes, je les exhorterai toujours à bien faire, et
tant que je pourrai je leur en donnerai l'exemple. Il ne tiendra
pas à moi de leur rendre la religion aimable, C^ et) d'affermir
'toujours leur foi dans les [^dogmes] vraiment utiles et que tout
homme '■' raisonable '" est obligé de croire. Mais à Dieu ne plaise
("qu'ils apprennent jamais de moi) le dogme cruel de l'intolérance,
que jamais je les porte à détester leur prochain fa dire à d'autres
hommes vous ('^étes) dannésj, (^^que jamais je leur dise) hors de
l'Eglise point de salut *j.('* Il pourroit m'en arriver) « tost ou
B i° 194 ™ * C' Il 6st « bien entendu » que) "> le devoir de suivre et d'aimer la
religion de son pa\s ne s'étend pas jusqu'aux dogmes contraires à la bonne
morale tel que celui de l'intolérance (même theologique) car il est bien évident
que ce dogme horrible (et ridicule) " arme les hommes les uns contre les
autres et les rend tous ennemis du genre humain\ La distinction entre
' B. je sois puni pour l'avoir.
- M. [jamais] prophané.
■* [de).
' M. I rien) jamais rien.
■■' M. sublimes. — I. (augustes) [sublimes],
" [il ne tiendra pas à moi].
' B. < toujours >.
* (choses).
' B. < raisonnable >.
'» et (sic).
" [que jamais je leur prêche].
'' [serez].
" [à dire].
" [Si j'étois (plus) dans un rang plus remarquable celte reserve m'attireroil
B. cette reserve pourroit m'attirer des affaires.
•^ [(On)].
"^ M. < Le devoir de suivre... ennemis de Dieu >.
" (en).
t L'astérisque, comme la note qu'il amorce, manque dans F.
ÉDITION ORIGINALE 42I
Honoré du ministère sacré, quoique dans le dernier rang, je ne ferai,
ni ne dirai jamais rien qui me rende indigne d'en remplir les sublimes
devoirs. Je prêcherai toujours la vertu | aux hommes, je les exhorterai ^187]
toujours à bien faire'; & tant que je pourrai, je leur en donnerai
l'exemple. 11 ne tiendra pas à moi de leur rendre la religion aimable;
puérile, selon le degré de vertu que vous avez atteint. Cette délicatesse est sans doute
un devoir pour qu conque remplit tous les autres ; et qui n'est fau.x ni menteur en rien
de ce monde ne doit pas l'être même en cela. Mais je ne connais que Socrate et vous à
qui la raison put passer un tel scrupule; car à nous autres hommes vulgairo, il serait
impertinent et vain d'en o.ser avoir un pareil. Il n'y a p.is un de nous qui ne s'écarte de
la vérité cent fois le jour dans le commerce des hommes, en choses claires, importantes,
et souvent préjudiciables; et. dans un point de pure spéculation, dans lequel nul ne voit
ce qui est vrai ou faux, et qui n'importe ni à Dieu ni aux hommes, nous nous ferions un
crime de condescendre aux préjugés de nos frères, et de dire oui oij nul n'est en droit
de dire non! Je vous avoue qu'un homme qui. d'ailleurs n'étant pas un saint, s'aviserait
tout de bon d'un scrupule que l'abbé de Saint-Pierre et Fénelon n'ont pas eu, me
deviendrait par cela seul très suspect. Quoi ! dirais -je en moi-même, cet
homme refuse d'embrasser le noble métier d'officier de morale, un état dans lequel
il peut, être le guide et le bienfaiteur des hommes, dans lequel il peut les
instruire, les soulager, les consoler, les protéger, leur servir d'exemple, et cela pour
quelques énigmes auxquelles ni lui ni nous n'entendons rien, et qu'il n'avait qu'à
prendre et donner pour ce qu'elles valent, en ramenant sans bruit le Christianisme à son
véritable objet! Non, conclurais-je, cet homme ment, il nous trompe; sa fausse vertu
n'est point active, elle n'est que de pure ostentation ; il faut être un hypocrite
soi-même pour oser taxer d'hypocrisie détestable ce qui n'est au fond qu'un formulaire
indifférent en lui-même, mais consacré par les lois. Sondez bien votre cœur, .Monsieur,
je vous en conjure : si vous y trouvez cette raison telle que vous me la donnez,
elle doit vous déterminer, et je vous admire. Mais souvenez-vous bien qu'alors, si vous
n'êtes le plus digne des hommes, vous aurez été le plus fou ». .Même attitude et mêmes
conseils dans sa Lettre au même abbé de [Carondelet]. du 11 Novembre 176^.
XI, 172-173. — On peut se rappeler aussi ce passage de Y Histoire des variations^
VU. 109 [95], XIV, Sig, où Bossuet refuse à Burnet de reconnaître l'historien du
Concile de Trente, Fra Paolo, pour une autorité catholique : .M. Burnet, écrit-il. nous le
représente comme un homme « qu se voyait dans une Église corrompue et dans une
communion idolâtre, où il ne laissait pas de demeurer, qui écoutait les confessions,
qui disait la messe, et adoucissait les reproches de sa conscience en omettant une
grande partie du canon, et en gardant le silence dans les parties de l'office qui étaient
contre sa conscience; protestant sous un froc, qui disait la messe sans y croire,
et qui demeurait dans une Église dont le culte lui paraissait une idolâtrie ». Ce
rapprochement, qui avait été déjà fait par Lefrancde Pompignan [246]. I, 2o5, est. du
reste, tout superliciel. On voit que le catholicisme du Vicaire est encore plus accom-
modant et infiniment moins dogmatique que celui de Fra Paolo. Cf. encore les prêtres
Giovannites de Denis Vairasse, Sévarambes [87]. IV, 322-326, qui ne croient ni la
Trinité, ni la divinité de Jésus-Christ, ni la présence réelle, et « néanmoins célèbrent
la messe à peu près de la même manière que nous ».
' Voltaire '2^2'. 280 : «c Bon, cela ».
422 RÉDACTIONS MANUSCRITES
tard» des affaires, mais je suis trop ('pauvre) pour avoir = grand
chose à craindre el je ne puis guère (' être pis) que je ne suis.
(Mais) quoi qu'il arrive, je ne blasphémerai (' jamais) ' contre la
justice divine et ne mentirai point contre le Saint Esprit. J'ai
longtems ambitionné l'honneur d'ère curé, ^ et je l'ambitionne
encore mais je ne l'espère plus. Mon bon ami (" il est) si beau
^d'être curé, un [bon] curé est un ('magistrat ^^ de bienfaisance,
"il) n'a jamais de mal a faire ('-et) s'il ne peut pas toujours faire
le bien [par lui-même] il est toujours à sa place quand il le sollicite,
et sou\ent il l'obtient quand il sait se faire respecter. O si jamais
'Tin tolérance theologiaue et l'intolérance civile est puérile et vaine. Ces
deux intolérances ("se confondront toujours). Des an^es eux-mêmes ne
vi\roient pas en paix ;i\ec des hoinnics qu'ils rcarderoient comme \\es]
ennemis de Dieu. (Il y a des ■'■pays en Allemagne et même encore '"en
Suisse ou les catholiques vivent si paisiblement avec les prolestants qu'Us font
les deux services dans la même Eglise et que le ministre et le curé ' ' se traittent]
de frère. Par tout ou les cathohques souffrent les protestants, c'est ou parce que
les premiers sont les plus îoibles, "^ comme en plusieius états de l'Allemagne,
ou parce que leur bon naturel l'emporte sur leurs principes comme dans les
cantons mi-partis de la Suisse).
' [petit].
- B. (grand chose) [beaucoup].
' [tomber plus bas].
* [point].
' M. < contre >.
* B. < et >.
' [je ne trouve rien de].
' B. que.
' [ministre de bonté comme un magistrat est un ministre de justice]
B. comme un [bon] magistrat. — I. un ministre de ijusiice; bonté comme un.
'" (pour faire).
" [un curé].
" ilquei].
'^ I. (l'in) [la] tolérance civile et la tolérance theologique.
" [soni inséparables (le seront?)].
" [(endroits)].
" [(d..ns la)].
" (vivent).
'" (ou).
ÉDITION ORIGINALE 423
il ne tiendra pas à moi d'affermir leur foi dans les dogmes vraiment
utiles. & que tout homme est obligé de croire : mais à Dieu ne plaise
que jamais je leur prêche le dogme ^ cruel de l'intolérance, que jamais
je les porte à détester leur prochain, à dire à d'autres hommes, vous
serez damnés (^) * ^. Si j'étois dans un rang plus remarquable, cette
réserve pourroit m'attirer des atïaires ; mais je suis | trop petit pour [188]
avoir beaucoup à craindre, & je ne puis guère tomber plus bas que je
* Le devoir de suivre & d'aimer la religion de son pays ne s'étend pas
jusqu'aux dogmes contraires à la bonne morale, tels que celui de l'intolérance.
C'est ce dogme horrible qui arme les hommes les uns contre les autres, & les
rend tous ennemis du genre humain. La distinction entre la tolérance civile
& la tolérance théologique, est puérile & vaine*. Ces deux tolérances sont
inséparables, & l'on ne peut admettre l'une sans l'autre. Des Anges mêmes
ne vivroient pas en paix avec des hommes qu'ils regarderoient comme les
ennemis de Dieu ^.
C, D : à (lire : hors de l'Eglise point de salut.
' L'intolérance est rangée par Rousseau, Contrat social, 111, 388. D;irmi « les
dogmes négatifs ».
" Tout ce passage rejoint le dernier ch:ipitre du Contrat Social, 111, 38g : « Main-
tenant qu'il n'y a plus et qu'il ne peut plus y avoir de religion nationale exclusive, on
doit tolérer toutes celles qui tolèrent les autres, autant que leurs dogmes n'ont rien
de contraire aux devoirs du citoyen. Mais quiconque ose dire : Hors de l'Eglise point
de salut, doit être chassé de l'État, a moins que l'État ne soit l'Église, et que
le prince ne soit le pontife. Un tel dogme n'est bon que dans un gouvernement
théocratique ; dans tout autre il est pernicieux».
* « J'entends dire sans cesse qu'il faut admettre la tolérance civile, non la
théologique », dit Rousseau dans sa Lettre à M. de BeaumonI, 111, 94. Les casuistes
catholiques n'étaient pas seuls à penser ainsi. Vernet, lui aussi. Instruction chrétienne
[2 13], IV, 24, « a soin, en traitant du gouvernement de l'Église, de distinguer la
tolérance civile et la tolérance ecclésiastique ». C'est cette distinction que Rousseau
avait déjà repoussée dans le Contrat, \\l, 382 : «l'intolérance théologique et civile,
qui naturellement est la même »; 388-389 : « Ceux qui distinguent l'intolérance
civile et l'intolérance théologique se trompent, à mon avis. Ces deux intolérances
sont inséparables. Il est impossible de vivre en paix avec des gens qu'on croit damnés ;
les aimer serait ha'ir Dieu, qui les punit : il faut absolument qu'on les ramène ou
qu'on les tourmente. Partout où l'intolérance théologique est admise, il est impossible
qu'elle n'ait pas quelque effet civil; et sitôt qu'elle en a. le souverain n'est plus sou-
verain, même au temporel : dès lors les prêtres sont les vrais maitres ; les rois ne sont
que leurs officiers ». 11 avait dit avec encore plus de précision dans une première
rédaction du Contrat [32], 299 : « L'intolérance n'est donc pas dans ce dogme : il faut
contraindre et punir les incrédules : elle est dans cet autre : hors de l'Eglise, point
de salut. Quiconque donne aussi libéralement son frère au diable dans l'autre monde
ne se fera jamais grand scrupule de le tourmenter dans celui-ci ».
'• D'Holbach, Système social, III [249 '''*], 3i : « Comment un dévot, s'il est
conséquent à ses principes, pourrait-il aimer, estimer, fréquenter celui qu'il croit
l'ennemi de son Dieu » ?
f 173'
424 REDACTIONS MANUSCRITES
dans nos montagnes j'avois quelque pau\Te cure de bonnes gens
à (' gouverner) - que ^je] serois heureux car il me semble que
je ferois le bonheur de (<* ma paroisse) * je ne les rendrois pas
^puissants et riches mais je partagerois leur pauvreté, j'en ôterois
(de tout mon pouvoir) la flétrissure et le mépris ('' qui la rendent)
plus insupportable [que les besoins]. Je leur ferois aimer la con-
corde et l'égalité 'qui sont de si grandes ressources contre la misère.
Quand ils verroient que (volontairement) je ne serois en rien mieux
qu'eux et que pourtant je \ivrois content ils * tipprendroient || à
^ s'accomoder de leur '"fortune et à vi\Te contens comme moi.
Dans mes instructions je m'attacherois moins à l'esprit de l'Eglise
qu'à celui de l'Evangile ou le dogme est simple et (ou)! la morale
[(est) I sublime [ou l'on voit peu de pratiques religieuses et ''beau-
coup d'œu\re s de charitÉ|. Avant de leur enseigner ce qu'il faut
faire |e ('-' tâcherois) toujours de '-Me pratiquer afin qu'ils vissent
bien que tout ce que je '^ leur dis je le pense. Si j'avois des
protestans dans mon voisinage ou dans ma paroisse je ne les
distinguerois point de mes \Tais paroissiens ('■'dans) tout ce qui
tient à la charité chrétienne, je les porterois tous également à
s'entr'aimer à se regarder comme frères, à respecter toutes les
religions et à visre en paix chacun dans la sienne. Je pense que
solliciter quelqu'un de quitter celle où il est né '* c'est le solliciter
' [desservir].
- B. < que >.
■' [mes paroissiens]. — M. (ma paroisse 1 [mes paroissiens].
'' (ce n'est pas tant la misère que).
^ B. < puissants et >.
'■ [/deux mots illisibles et... par lesquels elle est b ieni cent fois].
' I.'qui chassent (bientôtl [souvent] la misère.
" (s'). -B. (S').
" B. (s'acomoder) [se consoler].
'" B. sort.
" beaucoup d'oeuvre de charités (sic).
'- [m'efforceroisj.
" B. (leur).
" M. [leur\ —I. [leur].
'■'• [enj.
"' B. (c'est le solliciter quelqu'un de quiter celle où il est né sic) c'est le
solliciter à mal faire.
EDITION ORIGINALE 425
ne suis. Quoiqu'il arrive, je ne blasphémerai point contre la justice
Divine, & ne mentirai point contre le Saint-Esprit '.
J'ai long-tems ambitionné l'honneur d'être Curé ; je l'ambitionne
encore, mais je ne l'espère plus-. Mon bon ami. je ne trouve rien de
si beau que d'être Curé *. Un bon Curé est un Ministre de bonté,
' Voltaire i242j, 280 : « Que veu.x-tu dire »? La formule de Rousseau est, en eflet.
sinon obscure, du moins un peu insolite. Le « péché contre le Saint-Esprit ». dont il
est parlé dans l'Évangile. Marc, III, 28, Sfallh.. .KM, 3i. Luc, XII. 10, et dont les
grands théologiens scolastiques' avaient savamment discuté (cf., par exemple,
S' Thomas, Secunda Secundae, Quaestio IV, art. iv, « De blasphemia in Spiritum
sanctum » 'j2\ m, 162-1701, avait attiré tout particulièremeut l'attention de l'exégèse
protestante : celle-ci avait apporté à cet examen ses tendances d'individualisme
religieux, et avait vu surtout dans « le péché contre le Saint-Esprit » le refus d'une
conscience à l'appel divin : « Celui-là. dit Calvin, Inslitulion chrétienne, III, m. 22 [74I,
496, pèche contre le Saint-Esprit, lequel étant tellement touché de la lumière de la
vérité de Dieu, qu'il ne peut prétendre ignorance, néanmoins résiste de malice
délibérée, seulement pour y résister ». Cf. encore Pictet, Théologie chrétienne,
VI. 12 [103 '>'*', I. 3o2-3o4 : « Le péché contre le Saint-Esprit est une réjection malicieuse
et un entier reniement, s'il est permis de parler ainsi, des vérités de l'Évangile, qui
étaient connues, accompagné de mépris et de haine, le plus souvent de persécution,
mais toujours joint avec une impénitence finale ». D'où le conseil pratique de vie
intérieure que donnait Pictet : « II faut particulièrement se garder de pécher contre
sa conscience et de résister aux lumières qu'elle nous donne de notre devoir ». De
même. Le Spectateur '1 17:. VI, 53 : « Nous devons mettre tout en œuvre pour ne pas
contrister son Saint-Esprit ». Dans son petit opuscule Du Saint-Esprit bo], 145,
Abauzit avait commenté le passage des Actes, v, 3, où il est défendu de » mentir
au .Saint-Esprit», et il avait essayé démontrer par le contexte que cette formule
équivalait à « mentir à Dieu ». Et de fait, c'est ainsi que Rousseau l'entendait : Dans
un passage des Confessions, VIII. 43, parlant de son abjuration, il dit : « j'allais
au fond de mon cœur mentir au Saint-Esprit»; la Première Rédaction [38". 89, porte
simplement : « j'allais au fond de mon cœur mentir 3 Dieu ». .Mais, dans aucun
de ces textes, on ne trouve la formule « mentir contre le Saint-Esprit ». Les évangiles
de Marc et Luc disent : « blasphémer contre », celui de .Matthieu, < parler contre»,
les Actes, « mentir au Saint-Esprit ». Rousseau a, en quelque sorte, contaminé ces
différentes expressions, le « contre » ayant été amené sans doute par le voisinage
de « blasphémer » : et la formule qu'il a créée se trouve finalement équivaloir à
celle-ci : « Je ne mentirai point, en me refusant à l'inspiration du Saint-Esprit,
c'est-à-dire de Dieu, de ma conscience ». En tout cas l'intérêt de cette phrase est
de montrer combien la phraséologie protestante était restée familière à Rousseau.
' Cf. dans le Prologue de la Profession, p. 6 : « Comme il vivait sagement et se
faisait aimer de. tout le monde, il se flattait de rentrer en grâce auprès de son évêque,
et d'en obtenir quelque petite cure dans les montagnes, pour y passer le reste de
ses jours : tel était le dernier terme de son ambition ».
' Rousseau avait exprimé les mêmes idées, sous une forme plus vive, dans
ses Conseils à un curé, lettre réelle ou plutôt fictive — le titre est de Rousseau — ,
qui date vraisemblablement de 1751 ou 17^2 : cf. Jansen '28], 9. Il disait (je
donne le texte définitif du brouillon [2], C S^»-"! : « Enfin, mon cher abbé, vous
voilà curé: je m'en réiouis de tout mon cœur .Malgré mon mépris pour tous
426 RÉDACTIONS MANUSCRITES
à mal faire, et par conséquent faire mal soi-même. > En attendant
2 de plus grandes lumières gardons l'ordre ^ public; dans tout
pays honorons les loix, ne troublons point le culte qu'elles pres-
crivent, ne portons point les cito^'ens à la désobéissance, car nous
ne savons point ^ très certainement si c'est un bien [pour eux] de
quitter «* leurs» opinions pour (x^les nôtres») et nous savons
très certainement que c'est un mal de désobéir aux loix. f
' B. [(les missionnaires de doctrine ne sont à mon gré que des perturbateurs
du repos public)].
= M. (l'ordre).
' B. public [prescrit].
♦ I. (très).
' [(ses)].
* [d'autres].
■f La fin de ce paragraphe devait d'abord faire partie de /'Emile
proprement dit: car. au /<> iy4"°. on lit ce inorceau d'attente, qui a
été rédigé avant la dernière page de la Profession, où. il se trouve
maintenant encastré : car dans l'institution de la nature on ne peut
enseigner que la Religion naturelle. Et si vôtre élève en doit avoir
un autre c'est à lui seul de la choisir. Mais quelque choix qu'il puisse
faire, ce (qui est conforme) qu'il faut apprendre et à vôtre eléve et s'il
se peut à tous les hommes c'est à respecter toutes les religions et à vivre
en paix chacun dans la sienne. Je pense que solliciter quelqu'un de
quitter celle où il est né c'est le solliciter à mal faire et par conséquent
faire mal soi-même. En attendant de plus grandes lumières gardons
l'ordre public: dans tout pavs honorons les loix ne troublons point le
culte qu'elles ont prescrit, ne portons point les Citojens à la désobéis-
sance, car nous ne savons point très certainement si c'est un bien pour
eux de quiter leurs opinions pour les nôtres et nous savons très
certainement que c'est un mal de désobéir aux loix.
EDITION ORIGINALE 427
comme un bon Mat^istrat est un Ministre de justice. Un Curé n'a
jamais de mal à faire ; s'il ne peut pas toujours faire le bien par
lui-même, il est toujours à sa place quand il le sollicite, & souvent il
l'obtient quand il sait se faire respecter. O si jamais dans nos montagnes
j'avois quelque Cure de bonnes gens à desservir, je serois heureux; car
il me semble que je ferois le bonheur de mes paroissiens ! Je ne les
rendrois pas ri- | ches, mais je partagerois leur pauvreté ; j'en ôterois [189]
la flétrissure & le mépris plus insupportable que l'indigence. Je leur
ferois aimer la concorde et l'égalité qui chassent souvent la misère & la
font toujours supporter. Quand ils verroient que je ne serois en rien
mieux qu'eux, & que pourtant je vivrois content, ils apprendroient à
se consoler de leur sort, & à vivre coniens comme moi. Dans mes
instructions je m'attachcrois moins à l'esprit de l'Eglise, qu'à l'esprit
de l'Évangile, où le dogme est simple & la morale sublime, où l'on voit
peu de pratiques religieuses, & beaucoup d'œuvres de charité. Avant de
leur enseigner ce qu'il faut taire, je m'efforcerois toujours de le pratiquer,
afin qu'ils vissent bien que tout ce que je leur dis, je le pense. Si j'avois
des Protestans dans mon voisinage ou dans ma paroisse, je ne les distin-
les titres et pour les sots qui les portent, malgré ma haine pour tout ce qu'on
appelle place et pour les fripons qui les occupent, ie crois que je vous verrais même
devenir évêque sans cesser de vous aimer. Assez d'autres vous feront des compliments.
sans se souc er de vous. Pour moi, qui suis votre ami, je veux vous donner des
conseils De tous les tristes liens qui attachent un homme au-dessus des autres,
le vôtre me parait le plus supportable. Vous allez être bienfaisant par état, un
magistrat pacifique, un père. Vous serez en droit de faire tout le bien que vous
voudrez sans que personne ose le trouver mauvais, et nul n'aura le pouvoir de
vous contraindre à mal faire. Ces prérogatives. Monsieur, sont grandes, rares et
n'appartiennent peut-être qu'à un curé de campagne ; car, outre que les curés de
ville me paraissent déjà de bien grands seigneurs pour être d'honnêtes gens, ils
sont trop éloignés de trouver dans leurs paroissiens la simplicité, la docilité nécessaires
pour pouvoir les faire vivre sagement ». Et il ajoutait dans une marge de ce brouillon,
f2>": « Je consens que vous leur appreniez toutes les balivernes du catéchisme,
pourvu que vous leur appreniez aussi à croire en Dieu et à aimer la vertu. Faites en
des chrétiens puisqu'il le faut, mais n'oubliez pas le devoir plus indispen>able d'en
faire d'honnêtes gens » (Il avait d'abord écrit : « Je consens que vous en fassiez
des chrétiens, des catholiques, pourvu que vous n'oubliez pas d'en faire d'honnêtes
gens »). Quelques mois avant VÈmile, dans ses Éclaircissements sur les Mœurs [238],
256, Toussaint, après avoir reproché à « tant de bénéficiers de donner tout au lu.\e,
et rien à la bienfaisance », convenait pourtant « qu'il y a des hommes bienfaisants
dans l'Église ». « J'iii connu entre autres, disait-il, beaucoup de curés charitables. Ils
voient la misère de près, et sont par conséquent plus à portée que les autres
ecclésiastiques de se laisser attendrir. C'est un bel état que celui de curé, pour le
grand nombre d'occasions qu'il fournit de faire du bien ; et il y en a qui savent les
saisir ».
428 RÉDACTIONS MANUSCRITES
EDITION ORIGINALE 429
guerois | point de mes vrais paroissiens en tout ce qui tient à la charité [180]
chrétienne; je les porterois tous également à s'entr'aimer, à se regarder
comme frères, à respecter toutes les religions & à vivre en paix chacun
dans la sienne. Je pense ' que solliciter quelqu'un de quitter celle
où il est né, c'est le solliciter de mal faire, & par conséquent faire
mal soi-même. En attendant de plus grandes lumières, gardons
l'ordre public; dans tout pays respectons les loix, ne troublons point
le culte qu'elles prescrivent, ne portons point les Citoyens à la déso-
béissance : car nous ne savons point certainement si c'est un bien
' « C'est une inexcusable présomption, dira-t-il quelques pages plus loin, pp. 193-
196, de professer une autre relif^ion que celle où l'on est né ». Ainsi, comme il arrive
souvent chez Rousseau, les prmcipes et l'argumentation semblent très révolution-
naires, mais la conclusion pratique est celle d'un paresseu.\ et d'un timide, c'est-à-dire
très conservatrice. Le premier Discours anathématise les Sciences et les .Arts, et ne voit
le salut que dans les .Académies; le Discours sur l'Inégalité parait détruire toute
autorité, et prêche pourtant. 1. i38, « l'obéissance scrupuleuse aux lois et aux hommes
qui en sont les auteurs et les ministres ». etc., etc. Cl", mon étude. Comment connaître
Jean-Jacques ? [291], go3. La Profession aboutit à la même inconséquence apparente :
Il y établit longuement l'inutilité et l'invraisemblance d'une Révélation et conseille de
garder la religion établie. Ce conseil, qui n'est qu'une invitation, du point de vue
individuel, devient un ordre, du point de vue social; et l'on voit ce prédicateur de
tolérance devenir un théoricien conscient de l'intolérance. C'est ainsi qu'il ne craint
pas de dire à M. de Beaumont, III, 94 : « J'entends dire sans cesse qu'il faut admettre
la toli^rance civile, non la ihéologique. Je pense tout le contraire : je crois qu'un homme
de bien, dans quelque religion qu'il vive de bonne foi, peut être sauvé. Mais je ne crois
pas pour cela qu'on puisse légitimement introduire en un pays des religions étrangères
sans la permission du souverain : car, si ce n'est pas directement désobéir à Dieu,
c'est désobéir aux lois ; et qui désobéit aux lois, désobéit à Dieu ». Sans doute, le
dernier chapitre du Contrat Social, III, 388-389, semble réserver les droits de la
conscience individuelle, dans la mesure où ils ne contredisent pas les dogmes de la
< Religion Civile »: mais, comme cette « Religion Civile » ne saurait être que théorique,
ce qui s'impose pratiquement au citoyen comme un devoir strict, c'est l'adhésion, au
moins extérieure, à la religion familiale, nationale et traditionnelle : «Je conviens sans
détour, dit Rousseau à M. de Beaumont, 111, qS, qu'à sa naissance la religion réformée
n'avait pas droit de s'établir en France malgré les lois ». — Sous une forme plus
adoucie, Toussaint avait donné les même conseils; cf. Les Mœurs, I. m. 2 [184]. 66 :
« Quant au culte extérieur dans lequel il est né [le sage], s'il est compatible avec les
principes de la Religion naturelle, il doit Sî faire une loi de n'y jamais donner atteinte
ni en le troublant, ni en l'abjurant». Cf. encore Le Spectateur [117], IV, i58 :
« Les hommes les plus sages et les plus habiles de tous les siècles... ont toujours
suivi le culte public reçu dans leur pays, lorsqu'il n'avait rien d'opposé à l'honneur de
l'Être infini ou de préjudiciable aux intérêts du genre humain »; et la conclusion
conservatrice des développements strictement rationalistes du Marquis de Lassay sur
l'origine des religions [126], II, 3i8 3i9 : «Je suis pourtant persuadé que je dois me
soumettre, quant à l'extérieur, à la religion de mes pères,... sans jamais parler contre
elle, la regardant comme une loi du pays et même la première ».
430
REDACTIONS MANUSCRITES
CONCLUSION.
1. Religion personnelle et religions traditionnelles.
Je viens mon (' bon) ami de vous reciter de bouche ma
profession de foi telle que Dieu la lit au fond de mon cœur.
Vous êtes le premier à qui je l'ai faite - et vous êtes le seul
peut être à qui je la ferai jamais. Il ne faut point troubler
les (^consciences) paisibles ni ébranler la foi des simples par
des difficultés qu'ils ne peuvent résoudre et qui les inquiettent
sans les éclairer. Mais les consciences agitées •* allarmées incer-
taines ^ et dans l'état ou "^ je vois la vôtre ont besoin ('d'un
guide qui les conduise dans le chemin de la vérité ^). Cela ne
' [jeune].
2 B. < et >.
' [âmes].
* B. < allarmées >.
^ B. presqu'éleinies.
* B. j'ai vu.
' [d'être affermies sur la base [(inébranlable)] des vérités éternelles (mais)]
cela. — B. affermies et reveillées; (il les faut) [et pour les] rétablir sur la base des
vérités éternelles II faut (commencer par) [achever d'arracher] les pilliers. —
M. affermies et réveillées *, et pour les rétablir éternelles, il faut arracher
les piliers.
* Vous saurez bien remarquer, (mon) cher (Moultou) [Monsieur] que cet
écrit ne seroit pas bon à publier en tout tems, mais que dans celui-ci le public
ne peut plus qu'y gagner.
' (et d'un [et rassurées autour de l'inébranlable colonne de la foi]).
ÉDITION ORIGINALE
431
pour eux de quitter leurs opinions pour d'autres, & nous savons très-
certainement que c'est un mal de désobéir aux loi\ -.
CONCLUSION.
1. Relîgion personnelle et religions traditionnelles.
Je viens, mon jeune ami, de vous reciter de bouche ma profession
de foi telle que Dieu la lit dans mon cœur : | vous êtes le premier à qui je
l'ai faite; vous êtes le seul peut-être à qui je la ferai jamais. Tant qu'il
reste quelque bonne croyance parmi les hommes, il ne faut point troubler
les âmes paisibles, ni allarmer la foi des simples par des difficultés qu'ils
ne peuvent résoudre & qui les inquiettent sans les éclairer. Mais quand
une fois tout est ébranlé, on doit conserver le tronc aux dépens des
branches; les consciences agitées, incertaines, presque éteintes, & dans
l'état où j'ai vu la vôtre, ont besoin d'être affermies & réveillées; & pour
les rétablir sur la base des vérités éternelles, il faut achever d'arracher
les piliers flottans, auxquels elles pensent tenir encore 1.
[191]
' Rousseau venait de mettre ces conseils en pratique. A M. Ribote, qui le
priait d'intervenir, dans l'affaire Rochette, en faveur de ses « frères » réformés, il
répondait d'abord par une fin de non-recevoir (Lettre du 28 Septembre 1761 [23 I, puis
par un refus motivé (Lettre du 24 Octobre. X, 273 ; cf. [47]. 543-546) : « Je sens
combien il est dur de se voir sans cesse à la merci d'un peuple cruel, sans appui, sans
ressource, et sans avoir même la consolation d'entendre en paix la parole d Dieu.
Mais cependant. Monsieur, cette même parole de Dieu est formelle sur le devoir d'obéir
aux lois des princes La défense de s'assembler est incontestablement dans leurs droits;
et, après tout, ces assemblées n'étant pas de l'essence du Christianisme, on peut s'en
abstenir sans renoncer à sa foi », etc.
' Il semble que le Vicaire considère son disciple comme un représentant fidèle
de l'esprit contemporain. 11 avait déjà indiqué d'un mot, p. i3i, - le rappro:hement est
de Rousseau : cf. Lettre à J. Burnand, du 28 Mars 1763, XI, 55 — qu'il voyait en lui un
symbole : « Voilà, je crois, disait-il en noie, ce que le bon vicaire pourrait dire à
présent au public »; et ici même, dans M. il souligne cette attitude : « Vous saurez
bien remarquer, cher Moultou, que cet écrit ne serait pas bon à publier en tout temps,
mais que. dans celui-ci, le public ne peut plus qu'y gagner ». Ainsi, par-dessus la tête
du jeune homme, c'est à toutes les âmes de son temps que Rousseau s'adresse, car,
elles aussi, pour la plupart, sont «agitées, incertaines, presque éteintes». 11 avait eu
plus de scrupules quelques années auparavant, lorsqu'il se proposait d'écrire à Voltaire
432 REDACTIONS MANUSCRITES
peut se faire (' qu'en achevant) d'arracher les piliers rtotan s
- auxqu ELS elles pensent tenir encore, f
ï ^7'* Il \'ous êtes dans l'âge ^critique [ou l'esprit s'ouvre (* encore)
à la certitude, fou] le cœur reçoit (son caractère et) sa forme ' ci]
« où l'on se » détermine pour toute la \'ie soit en bien soit en
mal. Plus tard la substance est durcie et les fnou\'ellesj empreintes ,
ne marquent plus. Jeune homme recevez dans \ôtre ^ame encore
flexible le cachet de la vérité. Si j'étois plus sur de moi-même
i'aurois pris un ton dogmatique "et décisif. Mais je suis homme
*et sujet à l'erreur que pouvois-je faire. Je vous ai ouvert mon
cœur sans reser\e. Ce que je tiens pour sur, je vous l'ai donné
(" comme) tel, ^^ je vous ai donné mes doutes pour des doutes,
mes opmions pour des opinions, je vous ai dit mes raisons de
« douter et » de croire ". Maintenant c'est à vous de juger. [Vous
12 avez pris du tems (pour penser). Cetie précaution est sage et me
!•'* donne bonne opinion de vous. Commencez par mètre votre
conscience en état de vouloir être éclairée. Soyez sincère avec
vous-même]. « Appropriez vous de » mes sentimens ce qui vous
('^ a) persuadé rejetiez le reste. « Vous n' » êtes pas encore
assez '* corrompu par le vice pour risquer de mal choisir. Je
vous proposerois d'en conférer entre nous : mais sitôt qu'on
' [sans achever].
- flotan aux quelles (sic). — 1. aux quel(le)s.
" B. « critique ».
■* B. [(où se forme)].
'' [et son caractère].
'' I. [àme].
' B. (de?) [et].
* B. [ignorant] (et).
" [pour].
'" M. < je vous ai donné mes... pour des opinions >.
" [(et de douter)].
" (m').
'^ B. (donne bonne opinion) [fait bien penser] de vous.
'* [aura].
" B. dépravé.
t Ici, dans le manuscrit, la fin de la page est laissée en blanc.
EDITION ORIGINALE 433
Vous êtes dans l'âge critique où l'esprit s'ouvre à la certitude, où le
cœur reçoit sa forme & son caractère. & où l'on se détermine pour toute
ces lignes, qu'il supprima finalement [12 0,5" : « [Il ne faut pas] désoler les hommes à
pure perte, quand ce qu'on veut leur apprendre n'est bon à rien. Ainsi je ne saurais
approuver qu'on raisonne publiquement sur ces matières en langue vulgaire ». Les
considérations qu'il présente ici rapidement ont été développées par lui dans une
page très importante, à laquelle j'ai déjà fait un emprunt, p. i3i, note, et dont
voici la conclusion, V des Lettres de la Montaigne, 111, 199 : « Quel moment plus
heureux pour établir solidement la paix universelle, que celui où l'animosité des
partis suspendue laissait tout le monde en état d'écouter la raison? A qui pouvait
déplaire un ouvrage où. sans blâmer, du moins sans exclure personne, on faisait voir
qu'au fond tous étaient d'accord;... que chacun devait rester en repos dans son culte,
sans troubler celui des autres: que partout on devait servir Dieu, aimer son prochain,
obéir aux lois, et qu'en cela seul consistait l'essence de toute bonne religion? C'était
établir à la fois la liberté philosophique et la piété religieuse; c'était concilier l'amour
de l'ordre et les égards pour les préjugés d'autrui : c'était, sans détruire les divers partis,
les ramener tous au terme commun de l'humanité et de la raison : loin d'exciter des
querelles, c'était couper la racine à celles qui germent encore, et qui renaîtront infail-
liblement d'un jour à l'autre, lorsque le zèle du fanatisme, qui n'est qu'assoupi, se
réveillera : c'était, en un mot, dans ce siècle pacifique par indifférence, donner à chacun
des raisons très fortes d'être toujours ce qu'il est maintenant sans savoir pourquoi ». — •
C'est à peu près de la même façon que Marie Huber avait envisagé le problème religieux
contemporain. H y a des cas, disait-elle. Religion essentielle [i5i], 111, 12, où il faut
avoir des ménagements pour les préjugés religieux ; mais, quand les esprits sont prêts
« à recevoir une nourriture plus solide ». les ménagements deviennent inutiles. « Notre
siècle ne serait-il point dans ce dernier cas » ? Cf. encore IV, 1 1 8-1 19 : « On dirait que
tout concourt à sa ruine |de la religion]; d'un côté l'irréligion, l'incrédulité gagne une
bonne partie des hommes, et même ceux d'entre eux qui passent pour les plus sensés :
de l'autre la division déchire les différents partis et sociétés chrétiennes plus que
jamais. Encore un coup, ne voilà-t-il pas d'étranges acheminements à ce mieux, ou à
ce retour d'harmonie que vous espérez! Il faut avouer que la situation de notre siècle
par rapport à la religion, a quelque chose d'assez paradoxe c u d'indéfinissable ; car enfin,
malgré tous les coups qu'on lui porte, on dirait qu'elle regagne d'un côté ce qu'elle
perd de l'autre; et il se peut que cette confusion actuelle devienne lumineuse pour la
génération naissante : c'est que ces mêmes coups n'atteignent pomt jusqu'à la religion;
ils ne portent pour l'ordinaire que sur ce qui n'est point elle-même, sur le faux qu'on
lui prête ». — Quant à la comparaison du « tronc » et des « branches », Rousseau s'en
est servi plusieurs fois. Dans le passage cité plus haut des Lettres de la Montagne,
III, 199, parlant de l'indilTérence religieuse qui envahissait l'Europe, il dira : « Pour
oter les mauvaises branches, on avait abattu l'arbre; pour le replanter, il fallait n'y
laisser que le tronc ». Cf. encore Notes a M. de Malesherbes (1761). V, 89 : « Les
catholiques, qui s'obstinent à vouloir jouer quitte ou double, ont grand tort; ils ne
trouveront sûrement pas leur compte à ce marché; or, pourquoi serions-nous tenus
d'avoir le même tort qu'eux? Les réformés commencent à sentir la nécessité de
sacrifier quelques branches pour conserver le troncs: Lettre à Duclos, vraisembla-
blement de Décembre 1760 (cf. la minute de Neuchàtel [12 A]). X, 235 : « Je serai ce
croyant-là ; et. si je n'ai pas le talent nécessaire, j'aurai du moins l'intrépidité. A Dieu
ne plaise que je veuille ébranler cet arbre sacré que je respecte, et que je voudrais
28
434 REDACTIONS MANUSCRITES
dispute, on s' ' opiniâtre la vanité - s'en mêle, la bonne foi
n'\ est plus. Mon ami ne disputez jamais ; car on n'éclaire
par la dispute ni ^ soi ni les autres. Pour moi, [ce n'est qu'après
bien des années de méditation que] « j'ai pris » {* ma forme et)
je m'\' tiens, ma conscience est tranquille mon cœur est content;
si je vouiois recommencer un nou\el examen de mes (''opinions)
je [® n'v ' porterois pas ' plus d'amour (■' de) la vérité] (que
je n'ai déj : fait) et mon esprit déjà moins actif seroit moins
en état de la connoitre. Je '"resterai comme "je suis de peur
qu'insensiblement le goût de la contemplation i- ne m'attiédit
sur la pratique de mes devoirs et [de peur de retomber dans
mon premier pvrrhonisme ("et de n'avoir plus) la force d'en
sortir ^'J. Plus de la moitié de ma vie est écoulée '^ il ne me
reste que le tems qu'il '"faut pour agir. "Si je me trompe Dieu
me le pardonnera sans doute, je tâcherai d'effacer mes erreurs par
mes vertus.
' I. (opiniâtre) [(?not inachevé illisible) échauffe].
- B. [robstination].
■' ni soit {sic) ni les autres.
■" [mon parti].
' [sentimens].
" (ne ferois peut-être que me rejeter dans un nouveau pyrrlionisme).
' B. (preterois) [porterois].
* B. « un » plus pur amour.
■■' [pour].
'" (serai).
" comme suis (sic).
'- B. (ne devint) [devenant] une passion oiseuse (et) ne m'attiédit sur.
■'' [sans retrouver].
" (et de peur).
'' I. il ne me reste que le tems.
'" B. me faut pour en mettre à profit le reste. — M. me faut pour mettre
à profit.
" B. (Si je me trompe Dieu erreurs par mes vertus) [et pour effacer mes
erreurs par mes venus. Si je me trompe c'est malgré moi. Celui qui lit au fond
de mon cœur sait bien que je n'aime pas mon aveuglement. Dans l'impuissance
(•■> d'en sortir) par mes propres lumières le seul moyen qui me reste pour en
sortir est une bonne vie et si des pierres mêmes Dieu peut susciter des enfans à
Abraham tout homme a droit d'espérer d'être éclairé lorsqu'il s'en rend digne].
a) [de m'en tirer]. — M. (d'en sortir) [de m'en tirer].
ÉDITION ORIGINALE 435
la vie, soit en bien, soit en mal. Plus | tard la substance est durcie ', & les [192]
nouvelles empreintes ne marquent plus. Jeune homme, recevez dans
votre ame, encore flexible, le cachet de la vérité. Si j'étois plus sur de
moi-mèmï, j'aurois pris avec vous un ton dogmatique & décisif; mais je
suis homme, ii^norant, sujet à l'erreur, que pouvois-je faire? Je vous ai
ouvert mon cœur sans réserve; ce que je tiens pour sûr, je vous l'ai
donné pour tel ; je vous ai donné mes doutes pour des doutes, mes
opinions pour des opinions; je vous ai dit mes raisons de douter & de
croire. Maintenant c'est à vous de juger : vous avez pris du tems; cette
précaution est sage, & me fait bien penser de vous. Commencez par
mettre votre conscience en état de vouloir être éclairée. Soyez sincère avec
vous même. Appropriez-vous de mes scntimens ce qui vous aura per-
suadé, rejetiez le reste. Vous n'êtes | pas encore assez dépravé par le vice, [193]
pour risquer de mal choisir. Je vous proposerois d'en conférer entre nous;
mais si-tôt qu'on dispute, on s'échauff'e; la vanité, l'obstination s'en
mêlent, la bonne-foi n'y est plus. Mon ami, ne disputez jamais; car on
n'éclaire par la dispute ni soi, ni les autres. Pour moi ce n'est qu'après
bien des années de méditation que j'ai pris mon parti; je m'y tiens, ma
conscience est tranquille, mon cœur est content. Si je voulois recom-
cimenier de mon sang; mais j'en voudrais bien ôter les branches qu'on y a greffées,
et qui portent de si mauvais fruits ». D'ailleurs, cette comparai>on ne lui appartient
pas; il la trouvait dans Marie Huber. Religion essentielle fi5i], IV. 5-6 : « La Religion
toute entière tient à un seul principe, comme toutes les branches d'un arbre tiennent
au tronc. Prenez-le par les branches, elles se laissent détacher de l'arbre, mais vous
ne tenez rien. Saisissez-vous du tronc, vous avez tout, rien ne vous échappe»; et
dans Vernet, Vérité de la Religion [162], I, 180 (à propos des Mœurs de Toussaint) :
« L'auteur, choqué de divers abus, n'a pas su séparer ces abus accidentels d'avec le
fond du christianisme. Quelques branches le blessent, il coupe l'arbre et met en sa
place une partie de ce même branchage, destitué de ses racines ». Cf. encore, dans
le P. Castel, à propos de la physique de Descartes, Système de Newton, Discours
préliminaire [167]. i5 : « Je m'attachai fortement, et avec une sorte d'àpreté, au
corps de l'arbre, au tronc, aux racines, et, tout au plus, aux quatre ou cinq maîtresses
branches, qui ne peuvent se soutenir ou tomber, sans entraîner tout ce menu bran-
chage, qui ne mérite pas, en vérité, qu'on s'amuse à l'éplucher en détail ».
' Quelle « substance »? L'adjectif employé semble indiquer qu'il s'agit du
cerveau; mais la phrase suivante pourrait laisser un doute : « Recevez dans votre âme
encore flexible ■». La formule est équivoque et peu claire. Voici pourtant un texte qui
ne laisse aucun doute sur la pensée de Rousseau, Lettre au .Marquis de Mirabeau, du
26 Juillet 1767 : « Je sens que les traces de mes vieilles idées, racornies dans mon
cerveau, ne permettent plus à des idées si nouvelles d'y faire de fortes impressions».
Cf. encare 11* Livre d'Emile, 11, 7D ; « Leur cerveau [des enfants], lisse et poli, rend
comme un miroir les objets qu'on lui présente »; et Souvelle Héloîse (V, iii|. IV, 406 ;
« La nature a donné au cerveau des enfants cette souplesse qui le rend propre à
recevoir toutes sortes d'impressions ».
43^
RÉDACTIONS MANUSCRITES
I
ÉDITION ORIGINALE 437
mencer un nouvel examen de mes sentimens, je n"y porterais pas un plus
pur amour de la vérité, & mon esprit déjà moins actif serait moins en
état de la connoître i. Je resterai comme je suis, de peur qu'insensiblement
le goût de la contemplation devenant une passion oiseuse, ne m'attiédît
sur l'exercice de mes devoirs, & de" peur de retomber dans mon premier
pyrrhonisme, sans re- | trouver la force d'en sortir. Plus de la moitié de [194]
ma vie est écoulée; je n'ai plus que le tems qu'il me faut pour en mettre à
profit le reste, & pour effacer mes erreurs par mes vertus. Si je me
trompe, c'est mali,'ré moi. Celui qui lit au fond de mon cœur sait bien que
je n'aime pas mon aveuglement ^ Dans l'impuissance de m'en tirer par
' Toutes ces affirmations ne sont pas seulement des formules littéraires pour
clôturer une discussion embarrassante. Elles traduisent exactement la réalité : cf. le récit
de cette crise décisive dans la 111" « Promenade » des Rêveries, IX, 3-ii-342, récit que j'ai
déjà utilisé plus haut, pp. 27, ote 6 et 129, note 1. pour commenter les confessions du
Vicaire : «Je me dis enfin : me laisseraije éternellement balloter par les sophismcs des
mieux disants?... Leur philosophie est pour les autres; il m'en faudrait une pour moi.
Cherchons-la de toutes mes forces, tandis qu'il est temps encore, afin d'avoir une règle
fixe de conduite pour le reste de mes jours. Me voilà dans la maturité de l'âge, dans
toute la force de l'entendement : déjà je touche au déclin : si j'attends encore, je n'aurai
plus, dans ma délibération tardive, l'usage de toutes mes forces; mes facultés intellec-
tuelles auront déjà perdu de leur activité ; je ferai moins bien ce que je puis faire
aujourd'hui de mon mieux possible: saisissons ce moment favorable; il tst l'époque
de ma réforme externe et matérielle; qu'il soit aussi celle de ma réforme intellectuelle
et morale. Fixons une bonne fois mes opinions, mes principes : et soyons pour le reste
de ma vie ce que j'aurai trouvé devoir être après y avoir bien pensé. J'exécutai ce
projet lentement, et à diverses reprises, mais avec tout l'efl'ort et toute l'attention dont
j'étais capable. Je sentais vivement que le repos du reste de mes jours et mon sort
total en dépendaient. Je m'y trouvai d'abord dans un tel labyrinthe d'embarras, de
difficultés, d'objections, de tortuosités, de ténèbres, que vingt fois tenté de tout
abandonner, je fus près, renonçant à de vaines recherches, de m'en tenir, dans mes
délibérations, aux règles de la prudence commune, sans plus en chercher dans les
principes que j'avais tant de peine à débrouiller; mais cette prudence même m'était
tellement étrangère, je me sentais si peu propre à l'acquérir, que la prendre pour mon
guide n'était autre chose que vouloir, à travers les mers et les orages, chercher, sans
gouvernail, sans boussole, un fanal presque inaccessible, et qui ne m'indiquait aucun
port. Je persistai : pour la première fois de ma vie. j'eus du courage, et je dois à son
succès d'avoir pu soutenir l'horrible destinée qui dès lors commençait à m'envelopper,
sans que j'en eusse le moindre soupçon. Après les recherches les plus ardentes et les
plus sincères qui jamais peut-être aient été faites par aucun mortel, je me décidai pour
^oute ma vie sur tous les sentiments qu'il m'importait d'avoir; et, si j'ai pu me
tromper dans mes résultats, je suis siir au moins que mon erreur ne peut m'être
imputée à crime, car j'ai fait tous mes efforts pour m'en garantir ».
' Au moment de conclure, Rousseau revient encore sur ce principe de « bonne
foi », qui est, dans sa pensée, le principe « antiphilosophique » par excellence, et qui
a été pour lui, comme pour Marie Huber (cf., plus haut, p i32, note i). l'àme même de
ses recherches. Aussi, d'un bout à l'autre de la Profession, les protestations de < bonne
foi », les appels à la « bonne foi », ont-ils reparu de loin en loin, comme des refrains ■
438 RÉDACTIONS MANUSCRITES
(Que) si * vos reflexions vous amènent à penser comme * je
pense, que mes sentimens soient les vôtres et que nous a\ons
la même profession de foi voici le conseil que je vous donne.
N'exposez plus vôtre ['vie] aux (■'tentations) de la misère et du
desespoir. ^ Ne la trainez plus avec ignominie à la merci des
étrangers [et cessez de manger le \il pain de l'aumonej. Retournez
dans vôtre patrie, reprenez la religion de vos pères, suivez la dans
la 6 simplicité de vôtre cœur et ne la quitez plus '. [Ne soN^ez * point
en peine du voyage, on » vous trouvera quelque argent pour cela.
Ne craignez pas non plus la mauvaise honte d'un retour ('^^ ignomi-
nieux), " il faut rougir >'- d'une faute et non i^pas de "la reparer.
Vous êtes '•' encore dans l'âge où (^Ton les) pard(jnne. Quand vous
voudrez (l' sincèrement) écouter vôtre conscience mille '* vains
' B. mes.
- M. (moi) je pense.
■' (misère).
■* B. tentations.
^ (Retour nez).
° I. (simplicité) [(pureté) sincérité].
' I. elle est très simple et très sainte, je la crois de toutes les religions qui
sont sur la terre celle dont la (conscience et) [morale est la plus pure et dont] la
raison se contente(nt) le mieu.x.
' B. pas.
' B. y pourvoira.
'" [humiliant].
" M. c'est de la faute qu'il faut rougir et non de la réparation.
'■-' B. (des) [d'une] faute(s). — I. de (commettre) [faire] « une» [(des)] faute(s).
'^ B. < pas >.
» I. (les) [la].
'= (d ans).
'" [tout se]. — I. tout(es) se pardonne(nt) mais où l'on ne (retombe) [pèche]
plus impunément.
" [bien]. — M. < bien >. — I. (bien).
" M. < vains >.
ÉDITION ORIGINALE 439
mes propres lumières, le seul moyen qui me reste pour en sortir est une
bonne vie; & si des pierres mêmes Dieu peut susciter des enfans à
Abraham -, tout homme a droit d'espérer d'être éclairé lorsqu'il s'en rend
digne.
Si mes réflexions vous amènent à penser comme je pense, que mes
sentimens soient les vôtres, & que nous ayons la même profession de toi,
voici le conseil que je vous donne. N'exposez plus votre vie aux tentations
de la misère & du désespoir, ne la traînez plus avec ignominie à la merci
des I étrangers, & cessez de manger le vil pain de l'aumône. Retournez [195]
dans votre patrie, reprenez la religion de vos pères i, suive/.-la dans la
sincérité de votre cœur. & ne la quittez plus; elle est très-simple & très-
sainte; je la crois de toutes les religions qui sont sur la terre, celle dont la
morale est la plus pure, & dont la raison se contente le mieux -. Quant
aux fraix du voyage n'en soyez point en peine, on y pourvoira. Ne
cf. pp. 21 : » Si je me trompe, c'est de bonne foi » ; 69 : « Jeune homme, écoutez avec
confiance, je serai toujours de bonne foi »: 127-128 : « Pour être de bonne foi, je ne me
crois pas infaillible » ; i32 : « Je ne vous promets que de la bonne foi ».
* Allusion à la parole de Jean-Baptiste aux foules qu'il baptise : cf. Matlh., 111. g;
Luc. 111. 8.
' Cf. Confessions, VIII, 64 : « Ses sentiments [de l'abbé Gaime], ses avis furent
les mêmes [que ceux du Vicaire]; et, jusqu'au conseil de retourner dans ma patrie,
tout fut comme je l'ai depuis rendu au public ». Si intimement liés que fassent à
Genève le civisme et le calvinisme, il y a pourtant une légère différence entre « con-
seiller de retourner dans sa patrie » tt « conseiller de reprendre la religion de ses pères ».
• On remarquera que cet éloge de la religion de Genève manque dans tous les
manuscrits, sauf le dernier. Il a été ajouté dans la révision finale, comme un témoignage
du lovalisme religieux de Jean-Jacques à l'égard de Genève. Au prix d'un peu plus
d'invraisemblance. Rousseau a trouvé peut-être piquant de faire faire l'éloge du
calvinisme par un prêtre catholique. Mais, en ajoutant cette phrase, il a sans doute
oublié que c'était le V'icaire qui était censé parler; et sa déclaration a une valeur toute
ptrsonntlle. Elle s'accorde, du reste, assez mal avec les principes posés plus haut par
le Vicaire, p. 184 : « Je regarde toutes les religions particulières comme autant d'insti-
tutions salutaires qui prescrivent dans chaque pays une manière uniforme d'honorer
Dieu par un culte public, et qui peuvent loutes avoir leurs raisons dans le climat,
dans le gouvernement, dans le génie du peuple ou dans quelque autre cause locale qui
rend l'une pré/érable à l'autre, selon les temps et les lieux. Je les crois toutes bonnes
quand on y sert Dieu convenablement ». Dans la V" des Lettres de la Montagne. III,
198-199, Rousseau reconnaît que la Profession est une apologie indirecte de la
théologie genevoise de son temps : « Pour moi, dit-il, je regardais comme la gloire et
le bonheur de la patrie d'avoir un clergé animé d'un espnt si rare dans son ordre,
et qui, sans s'attacher à la doctrine purement spéculative, rapportait tout à la morale et
aux devoirs de l'hcmme et du citoyen. Je pensais que. sans faire directement son apologie,
justifier les max mes que je lui supposais et prévenir les censures qu'on en pourrait
fa're. c'était un service à rendre à l'État. En montrant que ce qu'il négligeait n'était ni
certain, ni utile, j'espérais contenir ceux qui voudraient lui en faire un crime : sans le
440
REDACTIONS MANUSCRITES
obstacles disparoitront « 'à sa voix». Vous ^sentirez que] dans
l'incertitude ou nous sommes c'est une inexcusable présomption
(■^ de suivre) une autre Religion que * celle ou l'on est * né *. Si l'on
s'égare on s'ôte une grande 'excuse au tribunal du *juge (suprême
'qui sûrement pardonnera) plus ('» aisément) l'erreur où l'on fut
nourri que celle qu'on (>' choisit) soi-même.
2. Danger de la Philosophie.
Nécessité de la Religion.
(Mon enfant « ^-je » vous (''ai vu) courir à vôtre perte [^^ et]
j'ai soupiré de douleur. ["Vous n'êtes pas ïait pour être un bandit?]
j'ai consacré tous mes (soins à vous retenir?) Il me tardoit de vous
voir au point de pouvoir m'écouter. En vous ouvrant mon cœur je
' [(sous la ?... devant)].
- (vous).
' [(d'embrasser) de professer]. — M. suivre.
"• I. (la sien ne) [celle].
■■■ M. [né].
" B. et une fausseté de ne pas pratiquer sincèrement celle qu'on professe. Si
l'on s'égare. — M. sincèrement celle que l'on professe.
' M. (ressource) [e.xcuse].
' [souverain].
' [(il) ne pardonnera-t-iL pas].
"' [tôt].
" [osa choisir]. — B. (aura) [osa] choisi[r].
" [(en)].
" [voyant].
" (je n'ai rien épargné pour).
'^ (En vous ouvrant mon cœur).
EDITION ORIGINALE 441
craignez pas, non plus, la mauvaise honte d'un retour humiliant; il faut
rougir de faire une faute, & non de la réparer. Vous êtes encore dans l'âge
où tout se pardonne, mais où l'on ne pèche plus impunément. Quand
vous voudrez écouter votre conscience, mille vains obstacles dispa-
roîlront à sa voix. Vous sentirez que, dans l'incertitude où nous sommes,
c'est une ine.vcusable présomption de professer une autre religion | que [196]
celle où l'on est né, & une fausseté de ne pas pratiquer sincèrement celle
qu'on professe i. Si l'on s'égare, on s'ôte une grande excuse au tribunal
du Souverain juge. Ne pardonnera-t-il pas plutôt l'erreur où l'on fut
nourri, que celle qu'on osa choisir soi-même ?
2. Danger de la Philosophie.
Nécessité de la Religion.
.Mon tils ■-. tenez votre ame en état de désirer toujours qu'il y ait un
nommer, sans le désigner, sans compromettre son orthodoxie, c'était le donner en
exemple aux autres théologiens ». En écrivant ces lignes. Rousseau ne parait plus se
rappeler qu'il a inséré dans la Profession une « apologie directe » de la religion
nationale. Cette « apologie », il est vrai, n'est pas nouvelle dans son œuvre : cf. l'éloge
enthousiaste des pasteurs genevois dans la Dédicace du Discours sur l'Inégalité. I, 77;
et, pour prendre des textes qui visent non plus seulement les ministres, mais la
doctrine, cf. Souvelle Héloïse, IV, Si/, V, 35 et 62 : « Nos gens d'Église aussi
supérieurs en sagesse à toutes sortes de prêtres que notre religion est supérieure à
toutes les autres en sainteté... La communion prolestante, qui tire son unique règle de
l'Écriture Sainte et de la raison Elle [Julie] vanta l'avantage d'avoir été élevée dans
une religion raisonnable et sainte ».
' Voltaire [242], 280 : « Pourquoi professer des sottises? Il n'y a qu'à se taire et
ne rien professer » ! Cf., plus haut, p. iqo et note 1.
' On trouve ici, dans la Première Rédaction, un développement intéressant, où
Rousseau s'attendrit sur sa jeunesse, et semble regretter de ne pas l'avoir gouvernée
selon les conseils du Vicaire. Il a supprimé ce morceau, sentant bien, qu'arrivé à cet
endroit de la Profession, le Vicaire ne s'intéresse plus guère au jeune prosélyte, et que
la conclusion d'un tel discours doit s'adresser à tous. — Quoique le contenu des deux
discours ne soit pas le même, on retrouvera dans ces derniers avis du Vicaire comme
un écho des Dernières paroles de Synése à Eugène qui terminent les entretiens du
P. Lami, et que Rousseau avait lues et relues [90], 369-378 : « Mon fils, lui dit-il, ouvrez
les yeux à la vérité, et apercevez l'éternité. Ceux de votre âge sont aveugles, ils ne
voient ni le Paradis ni l'Enfer. Ils ne sont point encore convaincus que l'on n'est pas
ici pour toujours : que la vie est courte et que, si on la regarde par rapport à l'éternité.
443 REDACTIONS MANUSCRITES
l'ai soulagé d'un grand poids, mais j'en ai chargé [le vôtre . Songez
que si vous négligez cet entretien vôtre conscience (' en sera chargée)
toute vôtre vie j ' ilj peut devenir la source de vos plaisirs ou de vos
remords mais il ne peut plus être indifférent pour vous. S'il vous a
persuadé n'oubliez jamais les devoirs qu'il vous impose).
f° 174 "" t II '^ Au reste quelque parti que vous épreniez songez que les
vrais devoirs de la Religion sont indépendans des institutions des
hommes-'. Que ("par tout) aimer Dieu par dessus tout et son
prochain comme soi-même est le sommaire de la loi; qu'il n'\- a
point de ^ Religion qui dispense des devoirs de * morale et qu'il
n'v a de -'véritablement essentiels que ceux-là. Que le culte ('"de
Dieu) est le premier de ces devoirs et que sans (" ce culte) nulle
véritable \ertu n'existe.
N f ° 32 '■° t Ayez de la pieté, mon enfant, aimez ceux qui en ont mais fuyez les
dévots, rien n'est si dangereux que leiu" commerce. Leur humble orgueil n'est
point traittable, il faut qu' '-ils dominent ou qu' '-il s nuisent ; ils sont envieux,
' [vous le reprochera].
' (et).
' (Aimez Dieu par dessus tout et le prochain comme vous même c'est le
sommaire de la loi el de toute bonne religion. Quand [vous] serez dans le monde
et parmi les incrédules ne craignez). — B. [Mon (enfant) [fils,] tenez vôtre ame
en état de désirer toujours qu'il y ait un Dieu el vous n'en dout3rez jamais]. ( Au)
[Du] reste. — M. Mon enfant, tenez toujours vôtre ame en état de djsirer qu'il y
ait. — I. douterez jamais. Du reste quelque parti.
* B. (preniez) [puissiez prendre].
-■■ B. [que (le vrai temple de Dieu est le) [un] coeur (de l'homme) juste est le
vrai temple de (Dieu) [la divinité*].* Senec. (in) fragm.,]. — M.< Senec in fragm. >.
" [en tout pays et dans toute secte].
' B. << Religion » [(culte)].
» B. la.
'■' B. vraiment.
'" [intérieur].
" [la foi].
'- il (sic).
t Ici, en marge, celte notation inutilisée : qui (en) croyent en Dieu
dans le fond du cœur et roui,'issent de l'avouer.
t Ce morceau est emprunté aux notes de Neuchâtel. Il était destiné à
EDITION ORIGINALE 443
Dieu, & vous n'en douterez jamais *. Au surplus, quelque parti que vous
puissiez prendre, sont;ez •• que les vrais devoirs de la religion sont indé-
pendans des institutions des hommes; qu'un cœur juste est le vrai temple
de la Divinité*; qu'en tout pays, & dans toute secte, aimer Dieu par-
dessus tout & son prochain comme soi-même, est le sommaire de la loi ;
qu'il n'y a point de religion qui dispense des devoirs de la morale, qu'il
n'v a de vraiment essenciels que ceux-là; que le culte intérieur est le
premier de ces devoirs. & que | sans la foi nulle véritable vertu n'existe '. [197]
sa durée n'est que d'un moment, que nous devons ménager pour acquérir la l'élicité
éternelle Vous trouverez dans l'expérience qu'il n'y a point de vie plus douce que
celle de ceux qui servent Dieu. L'éloigntment et la privation du monde, bien loin de
causer de la peine, épargnent mille chagrins. Le monde fait horreur à ceux que la
vérité éclaire Ainsi la solitude est un lieu de repos pour eux, où ils sont éloignés
de la vue de mille objets fâcheux qui ne peuvent qu'allliger une âme qui aime la vérité
et la justice. Depuis que Dieu a brisé les liens qui m'attachaient au monde pour
m'attirer à lui, je ne conçois pas comment on y peut vivre un moment Les gens
du monde sont malheureux en s'attachant à des objets que le temps ou quelque
violence leur enlève malgré eux. Le temps et la puissance du siècle ne peuvent ravir
Dieu à celui qui l'a pris pour l'objet de son amour ».
" Clarke avait consacré plusieurs pages dans le 1" chapitre de son Traité [t25],
I, 5, à prouver que « l'existence de Dieu est une chose désirable Il n'y a point
d'homme sage qui n'en dut être ravi pour le bien et pour la félicité commune du
genre humain ». Cf. encore Rousseau, Dialogues, IX, 3io : « Chacun est porté natu-
rellement à croire ce qu'il désire, et celui qui se sent digne du prix des âmes justes
ne peut s'empêcher de l'espérer».
* Rousseau ramasse en quelques phrases les idées essentielles qu'il a développées
dans la Seconde Par;ie de la Profession, et qui, comme on l'a vu, ne diffèrent guère,
pour le fond, sinon pour l'accent, de celles de Toussaint, de .Marie Huber, etc. :
c(., en particulier, p. i34, où l'on retrouvera quelques-unes des formules qu'il a
reprises ici.
* Comme Rousseau l'indiquait dans une note de R, que n'ont point conservée les
autres Rédactions, cette maxime est empruntée à Sénèque, fragment conservé par
Lactance, Institut., VI, xxv, 3 : « Vultisne vos, inquit, deum cogitare magnum et
placidum et majestate leni verendum, amicum et semper in proximo, non immola-
tionibus et sanguine multo colendum — quae enim ex trucidatione immuentium
volupias est? — sed mente pura, bono honestoque proposito. Non lempla illi
congestis in altitudmem saxis exstruenda sunt : in suo cuique consecrandus est
pectore ».
' L'affirmation sera développée par Rousseau dans les pages qui suivent la
Profession, II, 28S : « Sortez de là de la croyance en Dieu], je ne vois plus qu'injustice,
hypocrisie, et mensonge parmi les hommes : l'intérêt particulier, qui, dans la
concurrence, l'emporte nécessairement sur toutes choses, apprend à chacun d'eux
à parer le vice du masque de la vertu. Que tous les autres hommes fassent mon
bien aux dépens du leur; que tout se rapporte à moi seul: que tout le genre
humiin meure, s'il le faut, dans la peine et dans la misère, pour m'épargner un
moment de douleur ou de faim : tel est le langage intérieur de tout incrédule qui
raisonne. Oui, je le soutiendrai toute ma vie; quiconque a dit dans son cœur : iV n'y
444 RÉDACTIONS MANUSCRITES
jaloux [sombrei] vindicatifs, mistérieux dans toutes leurs affaires et sans cesse
épiant celles d'autrui. Leur amitié n'est point sure et leur haine est irréconci-
liable, et ils ( ' font) une ligue entre eux à laquelle on échape difficilement
Quand (une fois) on a le malheur de leur déplaire ; Le mieux est de s'en
tenir loin, ils ne font que mépriser ceux qui les évitent, mab (ceux) qui les
quite(-' nt ont) tout à redouter.
D, 1 ùviw [Fuvez (sur tout) ceux qui p sous prétexte] * d expliquer la nature
ei 199 ^'° se plaisent à semer dans les cœurs des hommes mille doctrines pernicieuses
et dont « 5 le » scepticisme apparent est cent fois plus « •* alîirmatit et plus
do-;matique que le ton »' décidé de leurs adversaires. Sous le hautain
prétexte qu'eux seuls sont éclairés. » vrais (et) de bonne foi ils nous
soumettent impérieusement à l'autorité de leurs ('rêveries) et '"prétendent
nous donner pour (" principes tous) les sistèmes ['- inintelliiibles] qu'ils
ont bâtis dans leur imai^ination. '-^ Du reste, renversant, détruisant,
[foulant aux pieds] "sans aucun s '^scrupules tout ce que les hommes ('"ont
respecté jusqu'ici) « ils ùtent » aux affiit^és la dernière consolation de leur
' [ont toujours].
- [en a].
' ise vantent de).
* (d'avoir).
' [(l'apparent)].
" M. dogmatique et plus afRrmatif.
' (dogm ATIQUE).
' M. et vrais < et de bonne foi >.
' [sentences].
'" M. veulent nous.
" [« les » [seuls] principes des choses].
'^ (sans) [inintellibles sic].
" I. (Renversant) [Du reste renversant] détruisant.
" I. (sous) [tout] ce que les hommes.
"■ aucun scrupules (sic).
'^ [respectent].
faire équilibre au paragraphe suirant : Fuyez surtout, etc. Le surtout
ne s'explique même que s'il vient après d'autrea conseils : Fuye^ les
dévots, fuvey surtout les philosophes. Dans B, /" 200 ''", devant Fuyez
surtout, Rousseau a mis un signe de renvoi, et, à la marge, à côté du
signe, on lit : Ayez de la piété mon enfant. Voyez additions etc. // ?i'y a
donc, ce me semble, aucun doute sur la place que Rousseau a faite, pro-
visoirement du moins, à ce morceau.
EDITION ORIGINALE 445
Fuyez ' ceux qui, sous prétexte d'expliquer la Nature *, sèment dans
a point de Dieu, et parle autrement, n'est qu'un menteur ou un insensé ». Il avait déjà
dit dans la Lettre à D'Alembert, I, 243, note : «Je n'entends point par là qu'on puisse être
vertueux sans religion; j'eus longtemps cette opinion trompeuse, dont je suis trop
desabusé». Cette «opinion trompeuse », c'est celle des « philosophes»; cf., pour
prendre en exemple la formule la plus catégorique, celle de D'Holbach, qui termine
ainsi une discussion sur les rapports de la fleli^ion et de la .Morale, Christianisme
dévoilé [234.], 128-129 : « Ce qui vient d'être dit peut nous faire connaître ce que nous
devons penser de ces docteurs qui prétendent que sans la religion chrétienne nul
homme ne peut avoir ni morale ni vertu. La proposition contraire serait certainement
plus vraie». Rousseau revient amsi sur le tard à la ma.iime qu'il avait lue étant jeune
dans ses premiers traités de Morale; cf. Claville, Vrai tnérit» [144], 11, 23/ : « Point
d'honnête homme sans Religion ». — Comparez tout ce passage avec celui des Pensées
d'un esprit droit. X [21], ]8 19 : « Sans Religion, il ne peut y avoir ni probité ni
bonheur solide. Mais peu de gens ont une idée juste de la Religion. On la fait ordi-
nairement consister dans des pratiques extérieures; et l'on ne remplit aucun des
devoirs essentiels qu'elle prescrit. Il faut sans doute observer les préceptes de l'Église,
mais ne pas s'imaginer qu'en assistant au service divin, et en marmotant quelques
prières où le cœur n'est pour rien, on a tout fait La véritable Religion, c'est la
vérité, la charité, la bienfaisance, l'humiliié, la douceur dans le caractère et dans les
procédés. Tout exercice de Religion qui n'est pas fondé sur cette base, n'est qu'illusion
et hypocrisie ».
' Comme on le verra par la Première Rédaction, Rousseau avait d'abord songé
à tenir la balance plus égale entre les deux partis; et, avant de jeter l'anathème aux
soi-disant « interprètes de la nature », il avait fait leur part aux « dévots »: le porirait
était assez noir, sans être inattendu dans l'œuvre de Rousseau ; car, pour me borner à
la Souvelle Héloise, il y avait déjà parlé sur le même ton l\'\, viii|, V, 44, des « dévots
de profession » et de leur « humilité méprisante ». En supprimant ce petit morceau
agressif, Rousseau fait décidément pencher la balance du cô:é des « dévots », et
semble dire à son lecteur comme à la marquise de Créqui, Lettre du i3 Octobre 1758,
X, 195 ; « Pour moi, j'aimerais encore mieux être dévot que philosophe ».
• Il est possible qu'en écrivant ou en relisant ces lignes, Rousseau ait songé un
instant au Code de la S'ature, par Morelly (lySô) [216], ou encore au traité De ta
Sature, par Robinet [235J. Je croirais même que les premiers lecteurs de Rousseau ont
dû voir d'abord dans ce passage une allusion au livre de Robinet, qui avait paru dans
les dern ers mois de 1761 ; il venait d'être supprimé par la po'.ice, on l'attribuait à
Helvetius ou à Diderot, et tout le monde se le disputait : cf. Grimm, C'irrespondance
littéraire [44], IV, 490. Nul doute cependant que ce ne soit Diderot et ses Pensées sur
l'interprétation de la nature [210] que Rousseau ait voulu viser ici. Le titre même de
l'ouvrage était à peine déguisé dans la formule : « sous prétexte d'expliquer la nature »
Cette invective contre les « philosophes de la Nature » — Rousseau l'a reprise avec la
446 RÉDACTIONS MANUSCRITES
misère, aux puissans et aux riches le seul frein de leurs passions, ils
' arrachent] du fond des cœurs le [^ remords] du crime ^ et l'espoir de la
vertu et se vantent [encore] d'être les bienfaiteurs du .t;enre humain.
[(Qu'ils nous disent ce) * aue lui {' îeroit) de pis ('' le démon lui-même)].
« Jamais, disent-ils » la vérité n'est nuisible aux hommes. (' Us ont
' (leur font... détruise nt).
'■' (seul frein qui restoit à la tirannie et aux forfaits).
' I. (et).
■* M. < que lui... acharnés ennemis >.
^ [feroient].
" [ses plus acharnés ennemis].
' [Je le dirois comme eux]. — M. Je le crois comme eux.
EDITION ORIGINALE 447
les cœurs des hommes de désolantes doctrines; & dont le scepticisme
apparent est cent fois plus affirmatif & plus dogmatique que le ton décidé
de leurs adversaires *. Sous le hautain prétexte qu'eux seuls sont éclairés,
vrais ^. de bonne-foi, ils nous soumettent impérieusement à leurs décisions
tranchantes, & prétendent nous donner, pour les vrais principes des
choses, les inintelligibles systèmes qu'ils ont bâtis dans leur imagination.
Du reste, renversant, détruisant, foulant aux pieds tout ce que les
hommes respectent, ils ùtent aux atfligés la dernière consolation de leur
misère, aux puissans & aux riches le seul frein de leurs passions; ils
arrachent du fond des cœurs le remords du crime, l'espoir de la vertu, &
se vantent encore d'être les | bienfaiteurs du genre humain •. Jamais, [198]
disent-ils -. la vérité n'est nuisible aux hommes : je le crois comme eux.
même àpreté d'accent dans les Dialogues, IX, 3io : « En paraissant expliquer la Nature
à leurs dociles interprètes, ils [les philosophes] se sont établi en son nom une autorité
non moins absolue que celle de leurs ennemis»; et il ajoutait en note : « Nos philo-
sophes ne manquent pas d'étaler pompeusement ce mot de Nature à la tête de leurs
écrits. Mais ouvrez le livre, et vous verrez quel jargon métaphysique ils ont décoré de
ce beau nom ».
* Voltaire [242], 280 : « Eh ! pauvre homme, n'est-ce pas là ton caractère » ?
' Sur cet emploi de vrai au sens de sincère, cf., plus haut, p. 109 et note i.
' L'argumentation de Rousseau contre les philosophes vient se résumer en ces
deux mots qui se répondent : leur doctrine est désolante : celle qu'ils veulent détruire
est consolante. Du point de vue de Rousseau, cette constatation est décisive, puisqu'on
a vu qu'au début de la Profession, p. 3i et note i, il entendait « borner ses recherches
au.\ seules connaissances utiles, aux seules nécessaires au repos, à l'espoir et à la
consolation de sa vie », et qu'il se ralliait au système de Clarke, comme au plus
«consolant»; cf. p. 33, note 2, et les textes que j'y ai cités. On peut y joindre ce
passage d'une Lettre à Dom Deschamps, 8 Mji 1761 [27], 148 : « Peut-être auriez-vous
bien pu vous passer d'altérer ainsi la tranquillité d'un solitaire, qui n'a de consolation,
dans ses maux de toute espèce, que la simplicité de sa foi et que l'espoir d'une autre
vie peut seul consoler dans celle-ci ».
' C'est une des idées sur lesquelles le baron d'Holbach insistait avec une
conviction d'apôtre; cf. Système de la Sature J248'''-'], II, 201 : «Non, dirai-je à ces
enthousiastes ceux qui croient en Dieu], la Vérité ne peut jamais vous rendre
malheureux ». Le texte n'a été imprimé qu'en 1770, mais il est probable qu'il était
composé quand Rousseau rédigeait la Profession, et que, comme tant d'autres ouvniges
«philosophiques», il circulait en manuscrit. Cf. encore, dans le Système social, im-
primé en 1773 [249 •''sj, 17-24. le chap. Il : « De la Raison, de la Vérité et de son utilité ».
D'ailleurs, dans Le Christianisme dévoilé, publié en 1761, — et c'est sans doute ce texte
que vise Rousseau, — D'Holbach avait déjà dit, « Lettre de l'Auteur» [234], p. v : « Vous
n'êtes point. .Monsieur, du nombre de ces penseurs pusillanimes qui croient que la
vérité soit capable de nuire . elle ne nuit qu'à ceux qui trompent les hommes, et elle
sera toujours utile au reste du genre humain ». Quand, en 1768, ce même D'Holbach
publiera une traduction française des Letlers to Serena de Toland [248], il y insérera
quelques notes trouvées, dit-il, sur l'exemplaire anglais de Fréret, exemplaire qui pouvait
donc depuis longtemps être connu dans les milieux « philosophiques ». Or voici l'une
448 RÉDACTIONS MANUSCRITES
' raison, - sans doute,) et c'est à mon avis une grande preuve que ^ ce qu'ils
enseignent n'est pas la vérité *].
B, f° 199 ^^ t * [[* Si vous {* entreprenez de) discuter avec eux cette] doctrine * ils
supposeront un peuple de vrais philosophes et l'opposeront à Lin peuple de
mauvais chrétiens. Plaisante manière de raisonner. Comme si] un peuple
(de vrais chrétiens n'etoit pas aussi facile à faire qu'un peuple) de vrais
philosophes '. Dès qu'il est question de peuple l'un n'est pas plus possible
que l'autre. Il faut donc supposer des peuples qui abuseront de la philo-
sophie sans reli,i,'ion comme les nôtres abusent de la religion sans philo-
sophie : Or suivez ces deux suppositions dans leurs conséquences, puis comparez
les, et vous serez bientôt décidés].
' [(en)].
* [{en cela)].
' I. (leur doctrine) [ce qu'ils enseignent].
■• (Leur manière d'entrer dans cette discussion... de discuter).
* [voulez].
« I. Un des plus familiers au.\ anli-réligiosistes est d'opposer un peuple
supposé de bons philosophes à un peuple de mauvais chrétiens; (au lieu que dès
qu'il) comme si un peuple de (bons) [vrais] philosophes étoit.
' [étoit plus facile à faire qu'un peuple de vrais chrétiens].
t Toute cette note manque dans M. où elle est remplacée par la
suivante : Il y a ici une grande note dont je n'ai pas gardé copie, pour
prouver qu'il n'est pas vrai, comme le disent les philosophistes, que la
religion soit inutile au.\ hommes. — Sur la disposition de cette note dans
B, et sur la date de sa rédaction, cf. Introduction. II' Partie, cliap. I,
% 5 et 7. Les différents paragraphes sont présentés ici dans l'ordre que
les signes de renvoi de B leur ont provisoirement assigné.
ÉDITION ORIGINALE 449
& c'est à mcn avis une grande preuve que ce qu'ils enseignent n'est
pas la vérité ' *.
* Les deux partis s'attaquent réciproquement par tant de sophismes, que ce
seroit une entreprise immense & téméraire de vouloir les relever tous; c'est déjà
de ces notes, p. 81 : «cette doctrine fde la mortalité de l'âme] si vraie, si conforme
à la saine mison, en un mot si utile aux hommes (car la vérité ne peut jamais
nuire), ne saurait leur être enseignée de trop bonne heure». Helvetius avait, lui aussi,
posé le même principe, en se cachant derrière un auteur rassurant, De L'Esprit, 11, 19
[225 A], 180. note : « Rien de plus utile que d'éclairer les hommes. Les lumières
philosophiques, dit M. l'abbé de Fleury, ne peuvent jamais nuire ».
' Comparer cette rapide esquisse avec le tableau, beaucoup plus développé, qu'il
présentera plus tard dans les Dialogues, IX, Sog-SiS : « Us l'ont sapée [la morale] par la
base, en détruisant, toute religion, tout libre arbitre, par conséquent tout remords,
d'abord avec quelque précaution, par la secrète prédication de leur doctrine, et ensuite
tout ouverteinent, lorsqu'ils n'ont plus eu de puissance réprimante à craindre Cette
commode philosophie des heureux et des riches, qui font leur paradis en ce monde, ne
saurait être longtemps celle de la multitude, victime de leurs passions, et qui, faute de
bonheur en cette vie, a besoin d'y trouver au moins l'espérance et les consolations que
cette barbare doctrine leur ôte. Des hommes nourris dès l'enfance dans une intolérante
impiété, poussée iusqu'au fanatisme, dans un libertinage sans crainte et sans honte ; une
jeunesse sans discipline, des femmes sans mœurs, des peuples sans foi, des rois sans
loi, sans supérieur qu'ils craignent, et délivrés de toute espèce de frein ; tous les
devoirs de la conscience anéantis, l'amour de la patrie et l'attachement au prince éteints
dans tous les cœurs; enfin, nul autre lien social que la force : on peut prévoir aisément,
ce me semble, ce qui doit bientôt résulter de tout cela. L'Europe prendra dans la
même horreur et les professeurs et les disciples, et toutes ces doctrines cruelles, qui,
laissant l'empire absolu de l'homme à ses sens, et bornant tout à la jouissance de cette
courte vie. rendent le siècle où elles régnent aussi méprisable que malheureux ». — ■ En
écrivant ce réquisitoire contre les « philosophes », Rousseau, qu'il le voulût ou non, se
rangeait derrière ceux qui, depuis quelques années, s'attaquaient âprement au parti
« philosophique ». Cf., outre Fréron et les journalistes d'Église, JVloreau, Nouveau
Mémoire sur les Cacouacs [222 M"], Chaumelx. Préjugés légitimes contre l'Encyclo-
pédie [223], Vernel, Lettres critiques d'un voyageur Anglais [236], Lefranc de
Pompignan, Discours de réception à l'Académie Françai^-e, le 10 mars 1760 [232], etc.
Voici, de ce dernier Discours, qui avait fait scandale, quelques lignes caractéristiques,
pp. 18-19, qui feront yoir avec plus de précision à quel parti Rousseau empruntait ses
arguments : « Implora-t-il [iMaupertuis] comme tant d autres cette philosophie
trompeuse,... qui se dit l'organe de la vérité et sert d'instrument à la calomnie; qui
vante sa modestie et sa modération, et se nourrit d'emportement et d'orgueil ; cette
philosophie, dont les sectacteurs. fiers et hard.s ;i la plume, sont bas et tremblants dans
la conduite ; ^ui n'ont rien d'assuré dans les principes, rien de consolant dans la morale,
point de règle pour le présent, point d'objet pour l'avenir; qui se jouent de leurs
opinions, les soutiennent, les abandonnent suivant leurs craintes ou leurs besoins,
et dont les exemples sont aussi dangereux que les leçons ? Avec de tels guides,
vainement courons-nous après le bonheur Il ne nous reste que de l'inquiétude, de
l'agitation, et qu'un vide immense, qui s'agrandit toujours devant nos désirs ».
Cf. encore le texte du Marquis de Mirabeau cité à la note 1 de la p. 202.
29
450
REDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 45I
beaucoup d'en noter quelques-uns à mesure qu'ils se présentent*. Un des plus
familiers au parti philosophiste ' est d'opposer un peuple supposé de bons
Philosophes à un peuple de mauvais Chrétiens; comme si un peuple de vrais
' Rousseau annonce qu'il va « relever quelques-uns des sophismes des deux
partis»; mais, en fait, — Rousseau le constate lui même |cf., dans M, ce qu'il écrit à
Moultou) — toute cetts lonyue note est dirigée contre un seul parti, « pour prouver qu'il
n'est pas vrai, comme le disent les philoâopliisies, que la religion soit inutile aux
hommes ».
^ Dans un seul des manuscrits, dans I, ce mot est remplacé par cet autre, très
curieux, et dont je ne connais que ce seul exemple : « anti-religiosiste ». Celui que
Rousseau a conservé est, d'ailleurs, assez intéressant pour qu'on s'y arrête. Cf. Féraud,
Diitionnnire critique [25o], III, 154: « Phitosopiterie, Philosophesque, Philosophiser,
Philosophisme, Philosophiste, mots nouveaux, et qui commencent à s'accréditer.
L'indignation qu'ont excitée dans les bons esprits les horribles écarts de certains faux
philosophes modernes a fait inventer ces mots assez singuliers Us ne sont bons que
dans le style critique et moqueur ou polémique et mordant : La tourbe philosophesque
(J. J. Rousseau et Linguet) cf , en elïet. Notes du Discours sur l'Inégalité, 1, 143].
Philotophisme et Philosophiste o it été heureusement inventés pour caractériser les
faux philosophes et la fausse philosophie. Les termes de philosophe et de philosophie
ne seront plus si souvent profanés ; Voilj par queh secrets le philosophisme avait
acquis son ascendant et par quels moyens il te conservait (Linguet). L'Anglais Young
laisse sur la terre ces dissertât ions philosophistes et prend son vol dans les deux
(Année Littéraire). Ces mots ont é.é emplo.és par plusieurs autres écrivains ». A ma
connaissance, c'est en 1759, dans VAnnée Littéraire, que Fréron se servit pour la
première fois de philosophiste : cf. [45]. I, 28'9-290 : « [L'évêque du Puy] rentre dans
la carrière, et, par un ouvrage éner^'ique, renverse de nouveau les systèmes impies
des philosophistes du jour. Passe:; moi ce terme, qui me parait bien peindre leur
caractère d'esprit faux »; cf. encore Id-, 814 : « Non seulement en France, mais dans
les pays où l'on pense le plus librement en fait de Religion, un cri s'élève contre
''absurde et séditieuse impiété de nos philosophistes » : Année 1760, I. 82 : « Il faut
applaudir. Monsieur, au zèle des écrivains, qui, dans ce siècle impie, élèvent leur voix
pour soutenir les droits de la Religioi si auJa-ieusemeht attaqués par les philosophistes
du jour»; 11, 335 : « Les philo^ophistes moJerne; qui se sont arrogé avec tant
d'audace le nom respectable de philosophes ». Un passage de la 1" des Lettres
d'un voyageur anglais [236], 1, 21, montre, qu en 1761, l'expression était encore
toute récente : « Quand j'étais à Paris, avant la guerre, on nommait cette secte : les
Cacouacs. Comme ce nom les chique, et que, d'un autre côté, il n'est pas juste de leur
laisser usurper celui de philosophes, qui leur convient moins qu'à personne, je crois
qu'on peut les nommer ou Volt.iiriens, du nom de leur chef, ou philosophistes, ainsi
qu'on a commencé de le faire, eu égard à leur prétention ». Cette assimilation de
Voltairien et de philosophiste est déjà significative; mais quelques lignes plus lo'n,
21-22, Vernet précisait davantage, en faisant le portrait de D Alembert : « Admirateur
outré de M. de Voltaire, il en a pris les sentiments, le style, les goûts, les plaisan-
teries; sans lui, il serait philosoph; : avec lui, il n'est que rhéteur, poète et philoso-
phiste ». L'expression survivra jusqu'au début du XIX" siècle. On la trouve encore
dans Chiniac, Essai de philosophie morale (1801) [aSô*""]. I, 14, 11, 226, etc. - En
commençant sa note par ce mot de pamphlétaire, Rousseau en marque tout de
suite le ton.
452 REDACTIONS MANUSCRITES
fo 198 "" Il [Baile a très bien prouvé que le fanatisme est plus i pernicieux que
[- l'atheïsme] et cela est ^ incontestable. Mais ce qu'il n'a eu garde de dire
et qui n'en est pas moins vrai c'est que le fanatisme * est * une passion
(funeste à la vérité mais) grande et noble qui (''laisse au cœur humain ' tout
son ressort) « et qu'il ne faut que mieux diriger pour en tirer les plus »
sublimes vertus; au lieu que 1 (>* athéisme) « et » en gênerai "l'esprit
raisonneur et philosophique ['"attache à la vie, (avilit) efféminé l' l'ame]
concentre toutes les passions dans [la petitesse de l'imerest particulier (et)
dans] « l'abjection du moi humain et sape ainsi (sourdement) » tous les
vrais fondemens de toute société : car ce que les intérêts particuliers ont
de commun est si peu de chose qu'il ne balancera jamais ce qu'ils ont
d'opposé].
' I. (cruel) [(barbare)] « pernicieux ».
^ (l'im PIÉTÉ).
' I. incontestable(ment).
* [quoique sanguinaire et funeste]. "
•' [pourtant].
" [(détache (l'homme) [le cœur] du moi humain... qui lui donne... laisse)
eleve le cœur de l'homme, qui lui fait mépriser la mort (et) qui lui donne un
ressort prodigieux].
' [(un grand)].
" [irreligion].
'■* I. (la philosophie) [l'esprit].
'" [(avilit les âmes)].
" [avilit].
EDITION ORIGINALE 453
Philosophes étoit plus facile à faire qu'un peuple de vrais Chrétiens ° ? Je ne sais
si, parmi les individus, l'un est plus facile à trouver que l'autre; mais je sais bien
que, dès qu'il est question de peuples, il en faut supposer qui abuseront de la
philosophie sans religion, comme les nôtres abusent de la religion sans philo-
sophie, & cela me paroit changer bsaucoup l'état dj la question '.
Baile (a) a très-bien prouvé que le Fanatisme est plus pernicieux que
l'Athéisme ", & cela est incontestable; mais ce qu'il n'a eu garde de dire, & qui
n'est pas moins vrai, c'est que le Fanatisme, quoique sanguinaire & cruel, est
C" I C, D : Uayle.
' Cette affirmation est à retenir pour l'Interprétation du Contrat Social. Elle se
trouve, d'ailleurs, presque textuellement dans une note du 1" Contrat [Sg], 245, note 5 :
« Quand il y aurait de la philosophie à n'avoir point de religion, je trouverais la
supposition d'un peuple de vrais philosophes encore plus chimérique que celle d'un
peuple de vrais Chrétiens ». On voit par là que le tableau d'une « république chré-
tienne », si complaisamment poussé au noir par Rousseau, reste purement théorique.
Lui-même le reconnaît en commençant son tableau, Contrat Social, III. 385-387 • * O"
nous dit qu'un peuple de vrais chrétiens for.merait la plus parfaite société que l'on
puisse imaginer. Je ne vois à cette supposition qu'une gr;;nde difficulté : c'est qu'une
société de vrais chrétiens ne serait plus une société d'hommes .Mais ie me trompe
en disant une république chrétienne : chacun de ces deux mots exclut l'autre. Le
Christianisme ne prêche que servitude et dépendance... Les vrais chrétiens sont faits
pour être esclaves, ils le savent et ne s'en émeuvent guère », etc. A ce tableau tout
idéal, et dont Rousseau sait lui-même qu'il restera toujours irréalisable, la Profession
oppose la contre-partie pratique, telle que la. fournit la réalité quotidienne.
' Cette distinction est d'un disciple de Montesquieu ; cf. Esprit des Lois, XXIV,
2 [i83J, V, 118 : « La question n'est pas de savoir s'il vaudrait mieux qu'un certain
homme ou qu'un certain peuple n'eut point de Religion, que d'abuser de celle qu'il a ;
mais de savoir quel est le moindre mal, que l'on abuse quelquefois de la Religion, ou
qu'il n'y en ait point du tout parmi les hommes ».
^ Il n'est pas nécessaire de chercher ici qui a pu suggérer à Rousseau de
discuter ce problème. Outre que Bayle lui était très familier, les livres qu'il
avait le plus pratiqués s'arrêtaient longuement au paradoxe de Bayle : cf. Saint-
Aubin, Traité de l'opinion [141], 11, 49. Warburton. Union de la Religion, de la
Morale et de la Politique [ib5], I, Deuxième Dissertation, et II, i63-i83, Montesquieu,
Esprit des Lois, XXIV. 2 et 6 [i83], V, 117-118, 125-126, Yvon, article Athées,
dans V Encyclopédie [196], I, 8oi-8o5, Helvetius, De L'Esprit, 11, 24 [225 A],
223-237, etc.; cf. encore Le Milita re philosophe, XX [iSo'''"], igo-igi, et, dans
VExamen de la Religion [173]. la Préface de l'éditeur. — La seule façon dont on
a vu que Montesquieu envisage la question montre assez de quel côté il penche.
Helvetius, en dépit de quelqaes réserves ironiques, se rallie à la thèse de Bayle, et
semble tristement se complaire dans l'énumération des crimes atroces qui se
sont commis au nom de la Religion. L'attitude de VEncyclopédie est plus ambiguë.
Elle laisse bien voir à quelle conclusion la conduisent ses préférences secrètes, mais
n'osant suivre Bayle jusqu'au bout par crainte de la censure, elle établit une distinction
entre la théorie et la pratique, pp. 802-804 : « Pour l'athéisme spéculatif, il est moins
injurieux à Dieu, et par conséquent un moindre mal, que le polythéisme C'est un
grand défaut d'esprit de n'avoir pas reconnu dans les ouvrages de la nature un Dieu
454
RÉDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 455
pourtant une passion prande & forte qui élevé le cœur de l'homme °, qui lui fait
mépriser la mort, qui lui donne un ressort prodigieux, & qu'il ne faut que mieux
diriger pour en tirer les plus sublimes vertus '"; au lieu que l'irréligion, & en
souverainement parfait, mais c'est un plus gros défaut d'esprit encore, de croire qu'une
nature sujette aux passions les plus injustes et les plus sales, soit un Dieu et mérite
nos adorations : le premier défaut est celui des athées, et le second celui des païens»;
mais, si l'on se place au point de vue social, dit l'abbé Yvon. la théorie de Bayle
devient inacceptable : « Pour nous, quo que nous soyons persuadés que les crimes de
lèse-majesté divine sont plus énormes djns le système de la superstition, que dans
celui de l'irréligion, nous croyons cependant que ce dernier est plus pernicieu.x au
genre humain que le premier. Voici sur quoi nous nous fondons »; et l'abbé Yvon
poursuit mollement la démonstration traditionnelle. 11 faut remarquer, d'ailleurs, que
Rousseau modifie sensiblement les termes du problème, tel que Bayle l'avait posé. Dans
les Pensées sur la comète, dans les Additions et Continuations aux mêmes « Pensées »
[89], io3 sqq., 171 et 183. ce que Bayle comparait, c'était, d'une part, l'Athéisme et,
d'autre part, non le Fanatisme, mais la Superstition ou l'Idolâtrie. En substituant, plus
ou moins consciemment, le « Fanatisme » à 1' « Idolâtrie », Rousseau se facilite
beaucoup sa réponse. Mais, la question étant ainsi déplacée, cette réponse s'adresse
moins à Bayle, qu'aux « philosophes » contemporains, qui maudissent si volontiers le
« Fanatisme ». à Helvetius, par exemple; ou plus encore à Deleyre, dont l'article
« Fanatisme », Encvclopédie [218]. 393-401. est, dans la littérature « philosophique ».
ce qui s'oppose le plus précisément à la note de la Profession. Personnellement,
Rousseau entretenait avec Deleyre des relations cordiales; mais « l'anti-religiosisme »
de son ami, pour employer son mot, le chagrinait; cf sa Lettre du 5 Octobre 1758, X,
194 : « Cher Deleyre apprenez à respecter la religion », etc. Or voici ce qu'écrivait
Deleyre dans son article, pp. 400-401 : « Le fanatisme a fait beaucoup plus de mal au
monde que l'impiété. Que prétendent les impies ? Se délivrer d'un joug, au lieu que
les fanatiques veulent étendre leurs fers sur toute la terre. Zélotypie infernale! A-t-on
vu des sectes d'incrédules s'attrouper et marcher en armes contre la divinité? Ce sont
des âmes trop faibles pour prodiguer le sang humain. Cependant il faut quelque force
pour pratiquer le bien sans motif, sans espoir et sans intérêt. 11 y a de la jalousie et
de la méchanceté à troubler des âmes en possession d'elles-mêmes, parce qu'elles n'ont
ni les pré. entions ni les moyens que vous avez ». Cette fois, si la solution est ditîérente,
le problème est posé dans les termes mêmes où le pose Rousseau.
' Voltaire [242J, 281 : «Jacques, pourquoi insultes-tu tes frères et toi-même »?
'" Voltaire '242J, 281 : «Quoi! tu fais l'hypocrite! Tu oublies les guerres contre
les Ariens, contre les Albigeois. Luthériens. Calvinistes, .Anabapstes. etc., le meurtre de
Charles 1", de Henri lli. de Henri IV. la conspiration des poudres, la Saint-Barthélémy,
les massacres d'Irlande, les Cévennes, les Calas » ! — Rousseau avait déià exprimé
son admiration pour le vrai fanatisme, enthousiaste et héroïque, dans une très curieuse
page de \' Essai sur l'origine des langues, 1, 395 : « Tel, pour savoir lire un peu
l'arabe, sourit en feuilletant l'AIcoran, qui, s'il eût entendu Mahomet l'annoncer en
personne dans cette langue éloquente et cadencée, avec cette voix sonore et persuasive
qui séduisait l'oreille avant le cœur, et sans cesse animant ses sentences de l'accent de
l'enthousiasme, se fût prosterné contre terre en criant : Grand prophète, envoyé de
Dieu, menez-nous à la gloire, au martyre ; nous voulons vaincre ou mourir pour vous.
Le fanatisme nous paraît toujours risible, parce qu'il n'a point de voix parmi nous
pour se laire entendre : nos fanatiques mêmes ne sont pas de vrais fanatiques: ce ne
456 RÉnACïioNS manuscrites
[(' Bon jeune homme) « soyez -sincère et vrai sans orgueil; sachez
être ignorant; vous ne tromperez ni vous ni les autres »].
F, £°174'° t Si jamais vos talens cultivés vous mettent [^ en] état de
[[Si] ^ la philosophie ne {= verse) pas le sang humain " c'est
' [Mon jeune ami].
- M. toujours.
•' (hors d').
'' I. (la philosophie) [l'athéisme].
■'' [fait] pas [verser].
" ce (n')est (pas av ec).
t Cette phrase vient immédiatement, dans F, après la maxime : Sans
la toi, nulle véritable vertu n'existe. // n'y a, dans le manuscrit, ni
solution de continuité', ni même alinéa.
EDITION ORIGINALE 457
I Bon jeune homme ', soyez sincère & vrai ^ sans orgueil: sachez [199j
être igno- | rant, vous ne tromperez ni vous, ni les autres. Si jamais vos [200]
général l'esprit raisonneur & philosophique attache à la vie, effé- | mine, avilit les 199
âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse d-> l'intérêt particulier, dans
l'abjection du moi humain, & sape ainsi à petit bruit les vrais fondemens de
toute société, car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de
chose, qu'il ne balancera jamais ce qu'ils ont d'opposé.
Si l'Athéisme ne fait pas verser le sang des hommes, c'est moins par
amour pour la paix qus par indifférence pour le bien ; comme que tout aille ^,
peu importe au prétendu sage, pourvu qu'il reste en repos dans son cabinet. Ses
principes ne font pas tuer les hommes : mais ils les empêchent de naître, en
détruisant les mœurs qui les multiplient, en les détachant de leur esp;ce, en
réduisant toutes leurs affections à un secret égoïsme, aussi funeste à la popu-
lation qu'à la vertu *. L'indifférence philosophique ressemble à la tranquillité
sont que des fripons ou des fous ». Au contraire, quelques années après l'Essai, au
moment de sa plus grande intimité avec les Encyclopédistes, il avait partagé leurs
sentiments sur le « fanatisme», et leur mépris pour « les dieu.\ de la multitude », si
différents du « Dieu des sages »: cf. 1" Contrat Social [Sg], 25 1 : « La terre entière
regorgerait de sang, et le genre humain périrait bientôt, si la philosophie et les lois ne
retenaient les fureurs du fanatisme, et si la voi.x des hommes n'était plus forte que
celle des dieux ».
' Il est possible que, dans la pensée de Rousseau, ce « bon jeune homme »
s'oppose au « jeune homme », perverti par la « philosophie », que Diderot interpelle
au début de son Interprétation Je la Sature [210], 11, 7 : « Jeune homme, prends et
lis » ! .Au reste, l'appellation : Bon jeune homme se retrouve déjà dans la Profession,
p. 23; cf. encore, dans VÉmile, II, 212, 299 et 317, et dans la Souvelle HéloTse, V, 20.
' Sur cet emploi de vrai, cf., plus haut, pp. 109, 197 et notes.
• Locution genevoise, encore usitée aujourd'hui à Genève, et que l'on s'étonne
de ne pas voir notée dans l'intéressante et très précise étude de -M. Alexis François.
Les Proi'incialismes de J. J. Rousseau ^282]. Les exemples en sont très rares au
XVIll' siècle chez les écrivains de race purement française ; cf., cependant. Saint-Simon,
Mémo res (1704) [71], XII. 65 : « L'abbé d'Estrées se promettait, je ne sais comment,
une fortune en se cramponnant, comme que ce fût, dans son triste emploi en Espagne ».
La tournure est, au contraire, fréquente chez Jean-Jacques, et on l'avait remarqué;
cf. Férjud, Dictionnaire critique [25o', I, 486 : « Comme que, de quelque manière
que, est vieux : Cela se fera bien, comme qu'il soit. J. J. Rousseau l'a encore
employé : Comme que tout aille, peu importe au prétendu sage. Il dit ailleurs :
Comme qu'on s'y prenne ». Cf., en effet, au IV Livre d'Emile, II, 280 : « Tout ce
qu'on fait par autrui se fait mal. comme qu'on s'y prenne»; l'expression parait
étrange à Voltaire, qui la note sur son exemplaire [242]. 281 ; cf. encore Première
Rédaction des Confessions [Si], 5i, .Nouvelle Héloïse, IV. 200, Correspondance. X.
270, .XII, 143, Lettres de la Montagne. 111, 235.
* Cf., au 1" Livre d'Emile, II, 11-12 : « Non contentes d'avoir cessé d'allaiter
leurs enfants, les femmes cessent d'en vouloir faire Cet usage, ajouté aux autres
causes de dépopulation, annonce le sort prochain de l'Europe. Les sciences, les arts.
la philosophie et les mœurs qu'elle engendre, ne tarderont pas d'en faire un désert ».
458 RÉDACTIONS MANUSCRITES
parler aux hommes ne leur parlez jamais que selon vôtre cons-
moins par amour pour la paix que par indifférence pour le bien. Comme
que tout aille peu importe au philosophe pourvu qu'C on le laisse en paix)
«dans son cabinet», ('^sa doctrine) ne «fait pas » p tuer] les hommes
mais elle les empêche de naître en détruisant les moeurs qui les mul-
tiplient [en les détachant de leur espèce] (et) en réduisant toutes [leurs
affections] à un [secret] ei,'oisme aussi funeste à la * population qu'à
la vertu. La paix de la philosophie ressemble a celle (^ du despotisme).
* C'est la tranquillité de (s ' agonisans) elle est plus destructive que la
guerre môme *].
i° 199 ™ [Nul homme ne suit de tout point sa religion quand il en a une
{° 200 "" cela est vrai, la plupart n'en ont guère et ne suivent point || du tout
celle qu'ils ont : ^ cela est encore vrai : Mais enfin quelques uns en ont
'"et la suivent du moins en partie; et il est "incontestable que des
motifs de religion '- obtiennent d'eux des vertus '-^ et des actions louables
" qui n'auroient point eu lieu sans '^ cela.
' [il reste en repos].
- [ses principes].
" (verser ?).
"* (que).
■■' [où le despotisme tient ses sujets?].
" (Elle est plus).
' [la mort].
" I. (Le fanatisme) Ainsi le fanatisme quoique plus funeste (que l'atheïsme)
dans ses effets immédiats que ce qu'on appelle aujourdui l'esprit philosophique,
l'est beaucoup moins dans ses conséquences. D'ailleurs il est aisé d'étaler de belles
maximes dans des livres, mais la question (seroit) [est] de savoir si elles tiennent
bien à la doctrine, si elles en découlent nécessairement «. et » [c'est] ce qui ne
m'a point paru clair jusqu'ici. Reste (par exemple [encore]) à savoir [encore] si la
philosophie à son aise et sur le trône commanderoit bien à [la gloriole, à l'interest,
à] l'ambition, aux petites passions de l'homme, et si elle (se pique roit) prati-
queroit (bien) cette humanité si douce qu'elle nous vante la plume à la main.
» cella (sic).
'" I. (et),
" I. in (contes) [dubi]table.
" I. [les empêchent souvent de mal faire, et] obtiennent.
" I. (et).
" (qu'ils).
" [ces motifs].
EDITION" ORIGINALE 459
talens cultivés | vous mettent en état de parler aux hommes, ne leur [201]
de l'Élat sous le despotisme : c'est la tranquillité de la mort; elle est plus
destructive que la guerre même.
Ainsi le Fanatisme, quoique plus funeste dans ses effets immédiats, que ce
qu'on appelle aujourd'hui l'esprit philosophique, l'est beaucoup moins dans ses
conséquences. D'ailleurs il est aisé d'étaler de belles maximes dans des livres :
mais la question est de savoir si elles tiennent bien à la doctrine, si elles en
découlent nécessairement; & c'est ce qui n'a point paru clair jusqu'ici ^. Reste à
savoir encore si la philosophie à son aise & sur le Trône commanderoit bien à la
gloriole, à l'mierét, à l'ambition, aux petites passions de l'homme, & si elle
pratiqueroit cette humanité si douce qu'elle nous vante la plume à la main.
Par les principes, la philosophie ne peut faire aucun | bien, que la religion '200^
ne le fasse encore mieux, & Ja religion en fait beaucoup, que la philosophie ne
sauroit faire.
Par la pratique, c'est autre chose; mais encore faut-il examiner. Nul homme
ne suit de tout point sa religion quand il en a une; cela est vrai : la plus part
n'en ont guère & ne suivent point du tout celle qu'ils ont; cela est encore vrai :
mais enfin quelques-uns en ont une, la suivent du moins en partie, & il est
indubitable que des motifs de religion les empêchent souvent de mal faire, &
obtiennent d'eux des vertus, des actions louables, qui n'auroient point eu lieu
sans ces motifs '.
' Rousseau sera plus aflfirmalif dans la 111" des Lettres de la Montagne, III, 146.
note : « Je ne s;ils pourquoi l'on veut attribuer au progrès de la philosophie la belle
morale de nos livres. Cette morale, tirée de l'Évangile, était chrétienne avant d'être
philosophique. Les chrétiens l'enseignent sans la pratiquer, je l'avoue: mais que font
de plus les philosophes, si ce n'est de se donner à eux-mêmes beaucoup de louanges,
qui, n'étant répétées par personne autre, ne prouvent pas grand'chose, à mon avis »?
' Rousseau prend le contrepitd des affirmations « philosophiques » ; cf. De
L'Esprit, II, 29 [225 A], 232-233, où Helvetius, en paraissant se borner aux seules
constatations de l'expérience, pose les principes suivants : « Des motifs d'intérêt
temporel, maniés avec adresse par un législateur habile, suffisent pour former des
hommes vertueux. L'exemple des Turcs qui, dans leur religion, admettent le dogme de
la nécessité, principe desiructif de toute religion, et qui peuvent, en conséquence, être
regardés comme des déisies; l'exemple des Chinois matérialistes; celui des Saducéens
qui niaient l'immortalité de l'âme, et qui recevaient chez les Juifs le titre de justes par
excellence: enfin l'exemple des Gymnosophistes. qui, toujours accusés d'athéisme, et
toujours respectés pour leur sagesse et hur retenue, remplissaient avec la plus grande
exactitude les devoirs de la société; tous ces exemples, et mille autres pareils, prouvent
que l'espoir ou la crainte des peines ou des plaisirs temporels sont aussi efficaces,
aussi propres à former des hommes vertueux, que ces peines et ces plaisirs
éternels qui, considérés dans la perspective de l'avenir, font communément une
impression trop faible pour y sacrifier des plaisirs criminels, mais présents ».
VExamen de la Religion [lyS] était plus affirmatif ; cf. le chap. X, que l'on
ne s'étonne pas que Rousseau ait voulu « réfuter », [7], 20 " « Que la Religion
Chrétienne n'est pas nécessaire à la société civile, qu'elle tend à la détruire,
qu'elle retient dans de légitimer borner moins de personnes qu'on ne pense ».
Cf encore la thèse du Militaire Philosophe [i3o'''5], iSy, « que la Religion
460 KÉDACTIONS MANUSCRITES
cicncc. ' N'ayez aucun égard à l'opinion mais dites toujours ce
[-' Les Mahometans selon] Chardin [disent] qu'après (' le dernier
jugement) Mous les corps -Mront passer ''un pont appelle ' poul-serrh(a)
qui est ** étendu sur le feu éternel : Pont qu'on peut appjller, disent-ils,
le 3"^ et dernier examen et le " vrai jugement final, parce que c'est là
où se fera la séparation des bons d'avec les médians, etc.
Les persans continue Chardin sont fort infatués T. 7 p. 50
qu'on a oppressés. [Voili ce que dit Chardin]. ('" On ne me
persuadera jamais) que l'idée de ce " pont '-ne (''fait point faire d'œuvres
de miséricorde) et (" ne retient) point d'iniquités. Que si l'on [''pouvoit
'"oter aux persans cette idée et leur persuader qu' " après la mort il n'y a
ni '■'* poul-serrlio ni rien de semblable [par] « où '■' les opprimés » '-'" soient
vengés [de leurs tirans. N'est-il pas clair que] cela mettroit [-' ceux-ci]
fort à leur aise et [('-leur oteroit tout soin)] d'appaiser ('--Mes opprimés). 11
' B. (N'ayez aucun [sans] égard à l'opinion [leurs jugemens] mais dites
[professez] toujours ce qui est bien [et ne suivez que celui de votre cœur]).
^ (Je lis actuellement dans).
■' (le jugement des vivans et des morts) [l'examen qui suivra la résur-
rection universelle].
"* (les Mahometans).
" (des).
" [(sur)].
' poul-serrh[o].
" I. (étendu) [jette].
° (der nier).
'" [Croirai-je].
" point (sic).
■2 n'e[n].
" [rend (elle) point de musulmans retenus ?].
" [n"empeche(-t-elle)].
'^ (venoit [convainquoit]).
"^ (persuader).
" (il n'y a).
'" (point sic = pont).
" [(l'oppression s'élève ?)].
'" (reclament).
^' (les oppresseurs).
-- (les rendroit moins circonspects dans) [les delivreroit du souci].
'-' [les malheureux].
ÉDITION ORIGINALE 461
parlez jamais que | selon votre conscience, sans vous embarrasser s'ils [202]
Qu'un Moine nie un dépôt-; que s'ensuit-il, si-non qu'un sot le lui avoit
confié i* Si Pascal en eût nié un, cela prouveroii que Pascal éioit un hypocrite, &
rien de plus. Mais un Moine! Les gens qui font trafic de la religion sont-ils
donc ceux qui en ont? Tous les crimes qui se font dans le Clergé, comme
ailleurs, ne prouvent point que la religion soit inutile, mais que très-peu de gens
ont de la religion '.
Nos gouvernemens modernes doivent inconiesiablement au Christianisme
leur plus solide autorité ■*, & leurs révolutions moins fréquentes; ils les a rendus
factice [traduisez : le Christianisme] est toujours destructive de la saine morale,
nuisible au bien-être des États, et incapable de contenir les passions des hommes »,
— thèse qu'il développait copieusement, et en termes très violents, pp. 84-85, 169-178.
La ihèse opposée était, au contraire, la thèse traditionnelle : cf., parmi tant de
textes qui pourraient être cités, celui de Turpin de Crissé, dont les Lettres sur
l'éducation paraissent en même lemps que l'Emile [239], I, 176: «La Religion, en un
mot, est à tous égards, le lien le plus heureu.x, le plus nécessaire et le plus solide qui
puisse lier les hommes entre eu.x; et tout ce qui les unit par l'espoir d'un bien commun,
ou par la crainte d'une commune peine doit être bien cher à la Société, et paraître bien
précieu.T à la vraie sagesse, au bon sens, à la droite raison ». Cf., plus loin, la note 4
de cette pa.;e.
- Cf. ce que dit Julie à Saint-Preux dans la Nouvelle Héloïse (IV, x), IV. 317 :
« La pure morale est si chargée de devoirs sévères, que, si on la surcharge encore de
formes indifférentes, c'est presque toujours aux dépens de l'essentiel. On dit que c'est
le cas de la plupart des moines, qui, soumis à mille règles inutiles, ne savent ce que
c'est qu'honneur et vertu ».
' C'était chez Rousseau une conviction qu'il avait souvent affirmée ; cf. déjà
Préface de Xarcisse, V, loi : « S'il était permis de tirer des actions des hommes la
preuve de leurs sentiments, il faudrait dire qu' il n'y a pas un seul Chrétien sur
la terre ». Dans la Nouvelle llélntse (V, v|, IV, 412, il rapportait que Wolmar, « après
bien du temps et des recherches, n'avait trouvé de sa vie que trois prêtres qui
cru'ssent en Dieu ». Il se défendait en note de « vouloir approuver ces assertions dures
et téméraires ». Mais, dans les Soies à Sf. de Matesherbes, V, 89, parlant pour son
propre compte, il se montrait encore plus catégorique : « Je sais bien, disait-il, que
ce serait un grand hasard s'il y avait un seul Chrétien sur la terre ».
* Il avait déjà exprimé cette idée dans le Discours sur l'Inégalité, où on ne
s'attendait guère à la trouver en manière de conclusion; cf. I. 82, 126. et surtout 121 :
« Il était nécessaire au repos public que la volonté divine intervînt pour donner à
l'autorité souveraine un caractère sacré et inviolable, qui otât aux sujets le funeste
droit d'en disposer. Quand la Religion n'aurait fait que ce bien aux hommes, c'en
serait assez pour qu'ils dussent tous la chérir et l'adopter, même avec ses abus,
puisqu'elle épargne encore plus de sang que le fanatisme n'en fait couler ». La thèse
était familière aux apologistes. Silhouette le constatait dans sa Pré/ace au livre qu'il
avait tiré de Warburton, Dissertatinns sur l'union de la Religion, de la Morale et de
la Politique [\6(>]. I. 3 : « On a souvent insisté sur son utilité [de la Religion] pour le
bonheur de la société civile, et ce sujet est si rebattu que c'est désormais un lieu
commun. On fait donc ici quelque chose de plus : on ne prouve pas seulement qu'elle
est utile, on prouve encore qu'elle est nécessaire ». Et Warburton, vite populaire dans
462 RÉDACTIONS MANUSCRITES
qui est bien sans vous embarrasser * si l'on vous applaudira. (Ne
(n')est donc (^pas vrai) qu'une telle doctrine ne fut pas nuisible. Elle
n'est donc pas la vérité. Je réponds à Baile par son propre principe et même
par sa manière d'argumenter].
1° 198 '" [Du coté du bien la philosophie n'en (^ peut point) faire que la
religion ne (* puisse faire) encore mieu.x ei la religion en (-■ peut) beaucoup
que la philosophie ne fera jamais. ''' Nos gouvernemens modernçs doivent
incontestablement au christianisme leur plus solide autorité '. (" il n'y
a qu'à) les ^ compar(er) au.x gouvernemens anciens (pour sentir la vérité
de ce principe). ['" Que (" tontes les) œuvres de miséricorde sont l'ouvrage
de lEvangile personne n'en disconviendra]. Qui est-ce qui oseroit nier la
f° 201 '° multitude de restitutions et de réparations que la confession i| tait laire
chez les catholiques ; parmi nous combien k-s approches des tems de
communions ('-ne font-ils) pas (faire d'œuvres d'aumônes ei) de réconcilia-
tions '■\ Sortons du christianisme, combien le Jub lé des hebreu.\ ne
rendoit-il pas les usurpateurs moms avides, '* que de misères ne pre-
venoit-il pas, on ne vovoit pas un mendiant '* chez eu.x. On n'en voit
point non plus chez les Turcs ou les fondations pieuses sont innom-
brables].
' B. («. si l'on ») [« s'ils »] vous applaudir(a) [ont].
* [fau.x].
' [sauroit].
* [le fasse].
' [fait].
* (Qui est ce qui oseroit nier la multitude... Toutes les œuvres de misé-
ricorde sont l'ouvrage de).
'I. et leurs révolutions moins fréquentes; [il les a rendus eu.x-mémes
moins sanguinaires] ; cela se prouve [par le fait] en les comparant.
» [en].
' compar[ant].
'" I. (Que) La religion mieux connue écartant le fanatisme a (rendu les
chrétiens moins sanguinaires 1 [donné plus de douceur aux mœurs chrétiennes] ;
(car) ce changement n'est point l'ouvrage des Lettres, car par tout où elles ont
brillé l'humanité n'en a pas été plus respectée; les cruautés des Athéniens,
des Egvpliens. des Empereurs de Rome (eti des Chinois en font foi.
»'[d'].
" [n'opérenl-elles]. — I. (ne font) n'opérent-elles.
" [et d'aumônes].
" (combien).
'* I. (par \u) chez.
ÉDITION ORIGINALE 463
VOUS applaudiront. L'abus du savoir produit l'incrédulité. | Tout savant [203]
eux-mêmes moins sanguinaires; cela se prouve par le fait en les comparant aux
gouvernemens anciens. La religion mieux connue écartant le fanatisme a donné
les milieux conservateurs, était devenu comme une espèce d'.Anti-Bayle : cf. Contrai
Social. I. 385; on venait de le réimprimer en 1760 (cf. Année Littéraire [45], VIII,
314323, où Fréron en fait grand éloge). Sans aller aussi loin. Montesquieu avait
soutenu la thèse traditionnelle dans VEsprit des Lois, XXIV, 6 [i83], V, i25 : « Les
principes du Christianisme bien gravés dans le cœur seraient infiniment plus forts que
le faux honneur des monarchies ». etc. Fréret, lui-même, qui n'est pas suspect de
tendresse pour les religions, avait reconnu aussi. Lettre de Thrasybule [189], 283. que
« cette opinion [du )ugement à venir] est sans doute le plus ferme fondement des
sociétés; c'est elle qui porte les hommes à la vertu et qui les éloigne du crime. Tant
qu'on ne l'emploiera que pour le bonheur public, je la regarderai comme une erreur
utile que les honnêtes gens doivent respecter, qu'ils doivent même inspirer à ceux qui
ont besoin de ce motif pour être gens de bien ». En faisant ainsi l'apologie de la
Religion au point de vue politique, et plus spécialement l'apologie du Christianisme.
Rousseau semble se mettre en contradiction avec son Contrat Social, III. 383-384, où
il affirme que Jésus, en « établissant sur la terre un ro\aume spirituel » et en
« séparant le système théologique du système politique, fit que l'État cessa d'être un,
et causa les divisions intestines qui n'ont jamais cessé d'agiter les peuples chrétiens»;
» la loi chrétienne, disait-il encore, p. 385, est au fond plus nuisible qu'utile à la forte
constitution de l'État ». Or c'était là précisément la théorie de « l'impiété philoso-
phique » (cf. Diderot, art. Christianisme [58], XIV, 147 : « elle ne rougit pas d'avancer
que de véritables Chrétiens ne formeraient pas un état qui put subsister »|, et, en
particulier, de ce D'Holbach que Rousseau ne cesse de combattre dans ces dernières
pages de la Profession : cf. Christianisme dévoilé [234], 177-178. 184, 210-211 : « Dans
toutes les sociétés politiques où le Christianisme est établi, il subsiste deux puissances
rivales, qui luttent continuellement l'une contre l'autre et par le combat desquelles
l'état est ordinairement déchiré. Les sujets se partagent, les uns combattent pour leur
souverain, les autres combattent ou croient combattre pour leur Dieu En suivant à
la rigueur les maximes du Christianisme, nulle société politique ne pourrait subsister.
Si l'on doutait de celte asseriion. que l'on écoute ce que disent les premiers docteurs
de l'Église; on verra que leur morale est totalement incompatible avec la conservation
et la puissance d'un État. On verra que, selon Lactance. nul homme ne peut être
soldat ; que. selon Justin, nul homme ne peut être magistrat; que, selon S' Chrysos-
tome, nul homme ne doit faire le commerce; que, suivant un très grand nombre, nul
homme ne doit étudier. Entin en joignant ces maximes à celles du Sauveur du monde,
qui, comme il le doit, tend à sa perfection, est le membre le plus inutile à son pays, à
sa famille, à tous ceux qui l'entourent. C'est un contemplateur oisif, qui ne pense qu'à
l'autre vie, qui n'a rien de commun avec les intérêts de ce monde, et n'a rien de plus
pressé que d'en sortir promptement Il semble que partout la Religion n'ait été
inventée que pour épargner aux Souverains le soin d'être justes, de faire de bonnes
lois et de bien gouverner C'est ainsi que la Religion est devenue le plus grand
ressort d'une politique injuste et lâche, qui a cru qu'il fallait tromper les hommes
pour les gouverner plus aisément»; et il terminait en invitant les rois à chercher
dans une législation rationnelle le véritable stimulant de la morale publique et le
meilleur garant de leur autorité. Helvetius pensait de même. De L'Esprit, II, 24 [225 A],
236-237 • * C'est uniquement par de bonnes lois qu'on peut former des hommes
464 RÉDACTIONS MANUSCRITES
soyez ni flateur ni satirique). L'abus 'des sciences mène à l'incrédu-
lité. (-Les) savan(s) dédaigne(nt) le seniiment ^ des autres. Chacun
en veut avoir un a soi. L'forgueilleuse] philosophie mène à l'esprit
■* fort, comme l'aveugle dévotion mène au fanatisme. Restez tou-
jours ferme dans ^ le chemin de la vérité, " sans jamais vous
'détourner à droite ni à gauche. Osez confesser Dieu ^ parmi les
philosophes osez prêcher l'humanité aux intolérans. Vous serez
seul de vôtre parti peut être. Mais vous porterez en vous même
un témoignage qui vous dispensera de ceux des hommes. Qu'ils
vous aiment ou [vous] haïssent, qu'ils lisent ou méprisent vos
fo 200™ t [Qu'un moine ait nié un dépôt, ■' qu'est-ce que cela prouve? Si
Pascal en eut nié un, cela prouveroit ('"peut être.) 'i Les gens qui font
trafic de la Religion ['- sont-ils doncj ceux qui ''^ en ont. Tous les crimes
qui se lont ("dans le monde parmi les chrétiens) ne prouvent point que
la religion soit inutile, mais seulement que très peu de gens ont de la
religion].
' B. (des connaissances mené à) [du savoir produit].
- [Tout] savan[t].
' B. (des autres) [vulgaire].
•• I. (de) tort.
^ B. les voyes de.
'■' B. [de la simplicité] sans.
■ B. en détourner par vanité ni par foiblesse.
" B. chez.
'■'I. (qu'est-ce que cela prouve... mois illisibles) [que s"ensuit-ilj sinon
qu'un sot le lui avoit confié.
'" [(plus tôt... mieux)].
" I. (Parce que). Les gens.
'- (cela prouveroit peut être). — I. (pour ?) sont-ils donc.
'•' I. (la croyent) [en ont].
'* [dans le clergé comme ailleurs].
•j- Au-dessus de ce dernier paragraphe. Rousseau a écril :
N. B. Addition à placer. — Dans I, ce petit développement a été copié
sur une étroite bande de papier, intercalée entn les pp. 281 et 282,
avec cette indication, de la main de Rousseau : addition dans la note
à la page 281. Au reste, dans I, les différents paragraphes de cette
grande note sont disposés suivant l'ordre de l'édition originale.
ÉDITION ORIGINALE 465
plus de douceur aux mœurs chrétiennes. Ce changement n'est point l'ouvrage des
lettres; car par-tout où elles ont brillé, l'humanité n'en a pas été plus respectée;
les cruautés des Athéniens, des Egyptiens, des Em- | pereurs de Rome, des [201]
Chinois, en font foi '. Que d'œuvres de miséricorde sont l'ouvrage de l'Evangile '!
Que de restitutions, de réparations la confession ne fait-elle point faire chez les
Catholiques '? Chez nous combien les approches des lems de communion
vertueux ». .Ainsi Helvetlus, D'Holbach, et tout le parti « philosophique », en soutenant
des thèses que Rousseau réfute dans la Profession, semblent rejoindre les thèses que
soutient Rousseau dans le Contrat: mais la contradiction est plus apparente que réelle
entre ces deux testes contemporains, car, dans la Profession, Rousseau se place
surtout a un point de vue moral et social, dans le Contrat, à un point de vue stricte-
ment politique. Ici il se préoccupe de « l'autorité des gouvernements », là de « la
constitution de l'État ».
' Cette phrase est comme un appendice au I" Discours, où Rousseau n'avait pas
envisagé l'influence de la civilisation sur le développement des instincts cruels. — Il
n'est pas nécessaire de faire remarquer longuement, qu'en malmenant les Chinois,
Rousseau s'en prenait à l'une des plus chères idoles du parti « philosophique » :
cf., plus haut, p. 200, note 1, le texte cité d'Helvetius; cf. encore Examen de la Reli-
gion [173], pp. v-vi : « Les Chinois sont un e.\emple frappant de cette vérité [que de
bonnes lois suffisent à faire un peuple heureux]. Cet empire immense ne se maintient
depuis tant de siècles que par ses lois et par la morale du grand Confucius, qui n'est
autre chose que les préceptes de la loi naturelle » ; Voltaire, Sermon des cinquante
[241], 433 : « Le peuple recevra sans peine un culte sage et simple d'un Dieu unique,
... tel que tous les sages de l'antiquité l'ont professé, tel qu'il est reçu à la Chine par
tous les lettrés ». Rousseau ne partageait pas cet enthousiasme pour les Chinois.
Déjà dans sa Réponse au Roi de Pologne, 1, 34, il avait dénoncé l'athéisme lettré
de la moitié de la Chine. Cf. encore V' Livre d'Emile. 11. 440. où, après avoir posé
ce principe : « Le pays qui peuple le plus, fut-il le plus pauvre, est infailliblement
le mieux gouverné ». il ajoutait en note [10^,252*" : «Je ne sache qu'une seule
exception à cette règle, c'est la Chine; et l'auteur de L'Esprit des Lois l'a aussi
exceptée »: cf. surtout ce crayon satirique dans la Nouvelle Héloïse (IV, m),
1\', 287 : « J'ai vu de près ce peuple célèbre, et n'ai plus été surpris de le trouver
esclave... Je l'ai trouvé digne de son sort, n'ayant pas même le courage d'en gémir.
Lettré, lâche, hypocrite et charlatan : parlant beaucoup sans rien dire, plein d'esprit
sans aucun génie, abondant en signes et stérile en idées ; poli, complimenteur, adroit,
fourbe et fripon; qui met tous les devoirs en étiquettes, toute la morale en simagrées,
et ne connaît d'autre humanité que les salutations et les révérences ». — Le livre de
l'amiral .Anson. que Rousseau avait lu, « réfutait toutes ces fictions de jMessieurs les
Jésuites » sur la piété et la morale chinoises, et présentait le Céleste Empire sous un
|Our peu favorable : cf. Voyage autour du monde, 111, 9 et 10 'i85j, 3io-328.
' Que ces « œuvres de miséricorde fussent l'ouvrage de l'Évangile », c'est précisé-
ment ce que contestaient les « philosophes » ; cf., par exemple, Fréret. Lettre de Thra-
sybule [189]. 243 : « Je demande que l'on me montre des hommes que la Religion ait
rendu doux, humains, compatissants ». etc. ; Helvetius. De L'Esprit, 11, 24 223 .V, 236,
note : « Il est peu de gens que la Religion retienne. Que de crimes commis même par
ceux qui sont chargés de nous guider dans la voie du salut. La Saint-Barthélémy,
l'assassinat de Henri III, le massacre des Templiers, etc., en sont la preuve ».
' Bien des «philosophes» le niaient; cf. le pseudo-Saint-Évremond, Examen de
3o
466 RÉDACTIONS MANUSCRITES
écrits il n'importe. (' En écrivant pour eux vous aurez travaillé pour
vous). Ce qui importe à l'homme est de ^ faire son devoir sur la
terre [et c'est en s'oubliant qu'(^il) travaille pour ('lui) : mon
enfant i'interest particulier nous trompe]. Il n'\- a que l'espoir du
juste qui ne trompe point.
M, p. 75 ^ Amen.
' [Dites ce qui est vrai faites ce qui est bien]. C
■ B. (suivre son) [remplir ses] devoir[s]. ^
' [on].
* [soi].
'- I. Amen.
ÉDITION ORIGINALE 467
n'operent-clles point de réconciliations & d'aumônes ? Combien le jubilé des
Hébreux no rendoit-il pas les usurpateurs moins avides ? Que de misères ne
prévenoit-il pas ? La fraternité légale unissoit toute la nation ; on ne voyoit pas un
mendiant chez eux. on n'en voit point non plus chez les Turcs, où les fondations
pieuses sont innombrables. Ils sont par principe de religion hospitaliers même
envers les ennemis de leur culte ■*.
» Les Mahométans disent, selon -Chardin, qu'après l'examen qui suivra la
» résurrection universelle, tous les corps iront passer un pont appelle Poul-
« Serrlio '■". qui est jette sur le feu éternel, pont qu'on peut appeller, disent-ils, le
« troisième & dernier examen & le vrai jugement final, parce que c'esl-là où se
« fera la séparation des bons d'avec bs méchans i&c.
» Les Persans, (poursuit Chardin,) sont fort infatués de ce pont, & lorsque
■■> quelqu'un souffre une injure dont, par aucune voye, ni dans aucun tems, il ne
» peut avoir raison, sa dernière consolation est de dire : Eh ! bien, par le Dieu
* l'ii'ant, tu me le payeras au double au dernier jour ; lu ne passeras point le
■0 Poul-Serrko, que tu ne me satisfasses auparavant : je m'attacherai au bord de
» ta veste & me jetterai à tes jambes. J'ai vu beaucoup de gens éminens, & de
la Relif^ion lySj. 139 : « 11 doit y avoir naturellement plus de probité dans une personne
persuadée par raisonnement de la fausseté de la Religion Chrétienne que dans un
Chrétien. La confession autorise le crime par l'assurance d'en être absous ; on fait faci-
lement un crmie, lorsqu'on en espère le pardon, au lieu que l'homme d'ordre ne trouve
point de ressource pour se pardonner ses fautes ». — Rousseau a détaillé ces avantages
sociau.x de la confession dans sa Lettre à l'abbé de [Carondelet], du 11 Novembre 1764,
.\l, 172. Dans les Dialogues, IX, 3ii. pour prouver le succès de la propagande
« philosophique », il dira : « Ne voyez-vous pas que, depuis longtemps, on n'entend
plus parler de restitutions, de réparations, de réconciliations au lit de la mort » ?
■* On remarquera que Rousseau, par le choix seul de ses exemples, tient à se
montrer une dernière fois impartial entre les différentes religions, et que ses éloges
mettent, en quelque sorte, sur le même pied, non seulement les deux grandes confes-
sions chrétiennes, mais encore « les trois principales religions que nous avons en
Europe ».
^ Dans le premier Manuscrit où Rousseau a copié ce mot, il avait d'abord écrit
Poul-serrha, puis délibérément il a barré l'a final et l'a remplacé par un o ; Poul-serrho.
Tel est le texte qui a passé dans le Manuscrit suivant, dans l'édition originale, et dans
l'édition corrigée. Or dans l'édition de Chardin à laquelle Rousseau renvoie, à la page
même qu'il indique [1 12 B], VU, 5o, on lit bien : Poul-serrha : de même dans l'édition
originale des Voyages en Perse [112 A], II, 325. Comment donc s'expliquer cette
correction de Rousseau ? On aurait pu peut-être supposer qu'il y avait eu une erreur
dans la transcription de Chardin, et qu'averti par quelque orientaliste, Rousseau avait
rétabli une forme plus correcte. Il n'en est rien; M. E. Blochet, dont on connaît la
compétence en philologie persane, a bien voulu me fournir la note suivante : « La
forme Serrho est certainement fautive. Le nom de ce pont est Poul-i-Siral, t étant
prononcé dans ce mot Strate, et non Sira. Il est probable que les éditeurs de Chardin
ont pensé que Sirat se prononçait .mra, comme Soldat se prononce Solda, et qu'ils
ont enlevé le t comme inutile. Quant à \'o de Rousseau, il ne se justifie par rien ». La
correction de Rousseau, si visiblement intentionnelle qu'elle soit, semble donc rester
inexpliquée.
468 RÉDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 469
» louies sortes de professions, qui, | appréhendant qu'on ne criât ainsi ffaro sur [202]
« eux au passage de ce pont redoutable, soliicitoioni ceux qui se plaignoicnt
» d'eux de leur pardonner : cela m'est arrivé cent fois à moi-même. Des gens de
» qualité qui m'avoient fait faire, par importunité, des démarches autrement que
» je n'eusse voulu, m'abordoient au bout de quelque tems, qu'ils pensoient que
» le chagrin en étoit passé, & me disoient : ;e te prie, halal becon antchifra,
» c'est-à dire, rends-moi cette affaire licite ou juste. Quelques-uns même m'ont
■» fait des présens & rendu des services, afin que je leur pardonnasse en déclarant
» que je le faisois de bon cœur; de quoi la cause n'est autre que cette créance
» qu'on ne passera point le pont de l'Enfer qu'on n'ait rendu le dernier quairin à
» ceux qu'on a oppressés. T. 7 in-12. p. 5o.
Croirai-je que l'idie de ce pont qui répare tant d'iniquités n'en prévient
jamais ? Que si ' l'on ôtoit aux Persans celte idé;, en leur persuaSant qu'il n'y a ni
Poul-Serrho, ni rien de semblable, où les opprimés soient vengés de leurs lirans
après la mort, n'e^t-il pas clair que cela meitroit ceux-ci fort à leur aise, & les
délivreroit du soin d'appaiser ces malheureux ? Il est donc faux que cette doctrine
ne fût pas nuisible; elle ne seroit donc pas la venté.
Philosophe, les loix morales sont fort belles, mais montre m'en, de grâce,
la sanction. Cesse un moment de battre la campagne, & dis-moi nettement ce que
tu mets à la place du Poul-Serrho -.
' Sur cette formule de transition, cf., plus haut. p. 122, note 3.
= Voltaire [242], 2S1 : « Ce que tu y mets, misérable, qui te contredis sans
cesse ». — On verra, par la Première RéJa:tion. que Rousseau a remanié son texte
de façon à clore le débat sur un argument qui lui parût décisif, et qui fût en même
temps, à l'adresse des « philosophes », une question ironique et embarrassante.
Toute cette longue note — l'une des pages les plus caractéristiques de la Profession,
l'une de celles, du moins, qui tit sur le public la plus forte impression — est, dans
sa partie positive, le développement du mot célèbre de Montesquieu [i83], V, 119,
que les apologistes avaient vite recueilli, et qui s'étalera encore sur la couverture
de la première édition du Génie du Chrislianiime : «Chose admirable! La Religion
Chrétienne, qui ne semble avoir d'objet que la félicité de l'autre vie, fait encore
notre bonheur dans celle-ci ». Mais à cette démonstration traditionnelle vient
s'ajouter ici — et c'est ce qui donne au morceau son accent propre et sa date —
une mise en accusation de la « philosophie », pour avoir séduit les âmes par de
fausses promesses. Or la « philosophie » prenait précisément pour devise le contrepied
de la maxime de M:)ntesquieu ; cf. Diderot, qui, avant de la citer, par prudence,
dans son art. Christianisme [53], XIV, i33, fera, au nom de son parti, la constatation
suivante, p. 147 : « Qui l'eut cru, que le Christianisme, en proposant aux hommes
sa sublime morale, aurait un jour à se défendre du reproche de rendre les hommes
malheureux dans cette vie. pour vouloir les rendre heureux dans l'autre »? Le
réquisitoire de Rousseau, qui fut immidiatement exploité par tous les adversaires
de la « philosophie» (cf., en particulier, le pamphlet de Linguet, Le Fanatisme des
philosophes ^246 ti-']. qui n'est guère qu'une paraphrase de Rousseau) — ce réquisitoire
interprétait éloquemment toutes les répugnances et rancunes qui s'amassaient, contre
la philosophie victorieuse, chez certains esprits laïques, point dévots, mais attachés
à la tradition nationale. Le plus représentatif de ces esprits était le Marquis de
.Mirabeau ; et je crois très vraisemblable que la note de Rousseau n'aurait pas
470 RÉDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 47I
dédaigne le sentiment vulgaire; chacun en veut avoir un à soi •. L'or-
gueilleuse philosophie mené à l'esprit fort, comme l'aveugle dévotion
mené au fanatisme. ICvitez ces extrémités; restez toujours ferme dans la
voie de la vérité -, ou de ce qui vous paroîtra l'être dans la simplicité de
votre cœur, sans jamais vous en détourner par vanité ni par foiblesse.
Osez confesser Dieu chez les Philosophes ; osez prêcher l'humanité aux
intolerans. Vous serez seul de votre parti, peut-être ^: mais vous porterez
été ce qu'elle est, sans quelques pages agressives de \'Ami des hommes [219J, où
Rousseau pouvait trouver épars les principaux griefs qu'il a ramassés ici ; cf. 11, [64-165,
179-180. 339-340 : « Loin ces systèmes vains et dangereux, abus de l'esprit et d'une
logique corrompue, qui prétendent prouver qu'une société d'athées pourrait subsister...
Un prince indill'erent sur la Religion creuse au-dessous de son trône une mine, qui
quelque jour n'y laissera qu'un monceau de ruines Je demande si, parmi ces petits
éclairs d'anti-prophétes, il en est un seul qui veuille soutenir de sang-froid que la société
en serait plus heureuse, si l'on ôtait ce frein à toute l'humanité en général. S'il s'en
rencontre un assez fol pour cela, vous le feriez convenir également que la patrie est une
idée, et que ubi bene, ibi palria : que le respect dû aux souverains n'est que la loi du
plus fort civilisée; que nos mères nous tirent sans penser à nous; que notre postérité
n'est qu'un mot...; qu'en un mot chacun n'est ici-bas que pour soi. Je ne crois pas,
quelqu'ingénieux que puisse paraître ce démonstrateur, que personne soit tenté de le
prier de réformer la République et de la peupler de ces prosélytes. A ce petit nombre
près cependant, et plus petit qu'on ne saurait croire, tout le reste conviendra qu'il faut
une Religion au peuple, et à tout ce qui pense en vulgaire, de quelque rang qu'il puisse
être... A la place des lois divines et humaines, que nos pères redoutaient au moment
même où ils venaient de les enfreindre, et que notre prétendue philosophie appelle
préjugés, elle [la nouvelle morale] donne à l'homme pour unique frein, je ne sais quelle
probité fantastique, qui s'étend et se rétrécit selon que les objets touchent plus ou
moins notre amour-propre; elle ne connaît de vertus qu'au niveau des avantages de la
société, transposant ainsi l'efiét et la cause, et se réservant d'apprécier-ces avantages au
tarif de ses passions».
' La Profession se termine, comme elle s'est ouverte, par une déclaration
d'hostilité à l'égard de la « philosophie » et de la « science », qui ne savent point con-
fesser « l'insuffisance de l'esprit humain » et qui cherchent, non la vérité, mais les
satisfactions de l'amour-propre : cf., plus haut. p. 3o.
- Voltaire [242], 281 : « Les fanatiques en disent autant ».
' Cet isolement ne serait point pour déplaire à Rousseau ; et, chez lui, la force
des convictions n'implique nullement un besoin de prosélytisme; il le constatera lui-
même dans les Dialogues, IX, 200 : « De sa vie Jean -Jacques n'a tenté de se faire
ni parti ni prosélvtes ». Mais, puisqu'il reconnaît qu'il constitue à lui seul entre les
deux camps ennemis comme un tiers « parti ». on pourrait appeler ce parti le parti de
la « réconciliation». Déjà, si on l'en croit (cf. Lettre à Vernes. du 24 Juin 1761, X,
260), la Nouvelle Héloïse avait pour « objet de rapprocher les partis opposés par une
estime réciproque ». La formule serait ici un peu inexacte, car théologiens et
« philosophes » y sont plutôt malmenés (cf., plus haut, pp. 3o et i5g note) ; mais, dans
le fond, c'est la même attitude, celle qu'il a heureusement caractérisée dans deux des
Lettres de la Montagne, 111. I25 ; unir « la tolérance du philosophe et la charité du
Chrétien », 19g : « établir a la fois la liberté philosophique et la piété religieuse ».
Cependant il faut remarquer que, si Rousseau, dans cette conclusion, essaye de
472 REDACTIONS MANUSCRITES
ÉDITION ORIGINALE 473 ,
en vous-même un témoignage qui vous dispensera de ceux des hommes.
Qu'ils vous aiment ou vous haïssent, qu'ils lisent ou méprisent vos
écrits, il n'importe. Dites ce qui est vrai, faites ce qui est bien ; ce qui
importe à l'homme est de remplir ses devoirs sur la terre, & c'est en
s'ouhliant qu'on travaille pour soi. Mon enfant, l'intérêt parti- | culier [204]
nous trompe; il n'y a que l'espoir du juste qui ne trompe point {^) ^
(«1 C, D : Amen. Seule, à ma connaissance, des éditions
suivantes. Tédition Hoinçot (.16] a conservé cet Amen.
retrouver entre les deux partis l'équilibre que la suppression du paragraphe « Fuyez
les dévots ». et surtout l'addition de la grande note finale, avaient rompu, s'il combine
savamment les phrases antithétiques, où les deux thèses contraires sont une dernière
fois opposées et rejetées toutes deux — « l'orgueilleuse philosophie mène à l'esprit
fort, comme l'aveugle dévotion mène au fanatisme Osez confesser Dieu chez les
philosophes, osez prêcher l'humanité aux intolérants ». — cet équilibre est provisoire,
ou plutôt fictif : c'est sur la « philosophie » qu'a porté le principal eflort de son
attaque, c'est la « philosophie » qui reste surtout atteinte.
' Ainsi la Profession se termine sur une parole d'espérance et de foi ; et WAmen,
que Rousseau voulait y joindre, et qu'il a finalement maintenu, y met encore comme
un accent sacerdotal. — Les lignes qui suivent immédiatement dans Emile le texte de
la Profession forment une espèce de post-scriptum, qu'il convient de citer ici : «J'ai
transcrit cet écrit, non comme une règle des sentiments qu'on doit suivre en matière
de Religion, mais comme un exemple de la manière dont on peut raisonner avec
son élève, pour ne point s'écarter de la méthode que j'ai tâché d'établir. Tant qu'on ne
donne rien à l'autorité des hommes, ni aux préjugés du pays où l'on est né, les seules
lumières de la raison ne peuvent, dans l'institution de la nature, nous mener plus loin
que la Religion naturelle; et c'est à quoi je me borne avec mon Emile. S'il en doit avoir
une autre, je n'ai plus en cela le droit d'être son guide ; c'est à lui seul de la choisir ».
474
TABLE DES MATIERES
TABLE DES MATIÈRES DE LA « PROFESSION DE FOI »
(dressée par Rousseau?)
Dans l'édition originale, le Tome III se termine par une Table
des Matières pour les deux derniers volumes, pp. 36 1-384. Cette Table
manque dans l'Exemplaire corrigé de la Bibliothèque de Genève: mais
on V lit. H, 36i. cette note manuscrite de Rousseau, au bas de la
Table des Matières pour les deux premiers volumes : « Cette table
ne servira pas, quant aux c/iiff'res: tnais, comme elle est bien faite.
elle servira de modèle pour la table générale. Quant à la table des
deux derniers volumes, elle tie vaut rien du tout, il la faut refaire ». Et
c'est pourquoi, sans doute, Rousseau l'avait supprimée dans son Exem-
plaire corrigé. D'autre part, il avait écrit à Duschesne, le - mars ij62.
X, 3/6 : «D'aujourd'hui en huit, vous aure^i une table telle quelle des
deux premiers volumes: mais je vous préviens qu'il m'est impossible de
faire celle des deux derniers: et malheureusement cette table-là demande
plus d'adresse et de circonspection que l'autre, pour ne pas casser les
vitres. Mais je suis hors d'étal de vaquer à ce travail-là ». Il est donc
douteux que cette seconde Table, — qui d ailleurs, est fort « circonspecte »
(on y chercherait vainement le mot de Révélation) —, soit l'œuvre de
Rousseau. Néanmoins je crois devoir en reproduire ici les articles qui
se rapportent à la Profession de toi. .k conserve les renvois aux pages
de l'édition originale, puisqu'on les trouve en marge de mon édition.
AMATUS LUSITANUS, T. III. p. 58 n.
.Ame de l'homme, son immatérialité prouvée, III. S5
Sa destruclion ne peut se concevoir, 111. î^'i
Aristide, III, '■'^i
Athéisme, III. iqX é' ^""'- "■
BAYI.E, m, ig8
CATILINA, m, 104
Caton, 111. 102
DE L EDITION ORIGINALE
475
César.
Charron, cilé,
Ctarke.
Coiidamine. (M. de la) singularité qu'il rapporte,
iU, I02
III, i37 n.
III, 32
m, 38
Confiance, moyen de gagner celle des personnes qu'on veut ramener au bien, III, lo
Conscience, le meilleur des Casuistes. 111, 97 ^ suiv.
Autres notions, III, ro;, 114
Pourquoi si peu écoutée, III. ii5
DESCARTES,
Deuleronome,
Dieu, incompréhensible,
Puissant, bon, juste.
Immatériel.
Eternel,
Intelligent, & comment.
III.
25, 47 ^ suiv.
111, 147 n.
111, 62, 92, 96
III, 82, 95
III, 92
m. 93
III, 94
ECRITURES, (les) leur majesté. III, 179
/Ti'a/i^i/e, (T) sa sainteté, III, r79
Existe, {]') première vérité connue, III, 33
Existence. (!') des objets, de nos sensations, seconde vérité connue, Ili, 36
FANATISME,
Flogistique,
HOMME, quel rang il occupe dans l'ordre des choses.
Composé de deux substances.
Le moyen de leur union est incompréhensible
Sa dignité,
Elle est pour lui un motif de reconnaissance.
Auteur du mal
198 ^ SUIV. n.
III. 44 n.
III, 64
III, 70, 85
lII, 5o, 122
III, 65
III. 67
III. 81
IDEALISTES ^ Matérialistes, chimère de leurs distinctions,
Idées, comparatives & numériques, ne sont pas des sensations.
.Abstraites, sources des plus grandes erreurs.
De justice & d'honnêteté, par-tout les mêmes.
Acquises, distinguées des sentimens naturels.
Instinct, -
Juger, diffère de sentir, & en quoi,
N'appartient qu'à l'être actif ou intelligent.
.Iulius Catnillus,
III.
III, 36
III, 38
5r. ^ suit'.
III, 106
lïl, III '
m, 98 n.
III, 37
ibid.
111. 58
LEONIDAS.
Liberté, en quoi elle consiste,
III, 181
III. 76
' Je rétablis ; / / , l'édition originale porte : / /.
- Il y a ici une faute d'impression dans l'édition originale, qui porte : Institut.
476 TABLE DES MATIÈRES
Son principe immatériel.
Pourquoi nous a élé donnée,
Effets de son bon ou mauvais usage,
Locke,
Lucrèce.
MAGICIENS DE PHARAON,
Mariage, première institution de la nature,
Matérialisme, son absurdité,
Malérialisles,
Leur raisonnement comparé à celui d'un sourd,
Matière, son état naturel,
Ne peut penser,
Missionnaires,
Moralité ds nos actions, en quoi consiste,
Mort, ce qu'elle est par rapport au juste,
Mouvement, n'est pas de l'essence de la matière.
De deux sortes.
Quel chez les animaux,
Preuve d'une première cause,
NEWTON,
Nieuventit,
ORPHÉE, 111, 128
PAGANISME, ses Dieux abominables, 111, 106
Paracelse, 111, Sg
Philosophes, III, 27
Cause de la diversité de leurs sentimens, III, 28
Ne prennent point intérêt à la vérité, III, 3o
Leur unique objet, ibid.
Leurs bizarres systèmes, III, 32, 60, 107
Philosophie, son pouvoir relativement aux mœurs comparé à celui de la
religion, III, 200 n.
Platon, son juste imaginaire, III, 180
Plutarque, III, 84
Poul-Serrho, ce que c'est chez les Mahométans, III, 201, j^ suii'.
Providence, (la) considérée relativement à la liberté de l'homme, III, 77
Comment justifiée, 111, 84
Et par rapport à quoi, 111, 83
REGULUS, III, MO
Religion, son pouvoir pour empêcher le mal & procurer le bien, III, 200, jj- suiv. n.
Les trois principales de l'Europe, III, 162
Remords, III, 104
Reuchlin, III, 166
III.
77
m.
78
11,
122,
^ suiv.
III,
70
m,
106
m,
'47
III,
23
m, !
il, 70
n.
m,
36
111.
111,
73
43
III,
70,
ibid.
n.
111,
168
111,
100,
"4
III. 84,
86
43
, ib,
\d. n ,
5i
m,
43,
^ suiv.
m,
44
II
1, 48,
54
m,
47.
^' suiv.
III,
58
DE l'Édition originale 477
SCEPTIQUES, leur malheur, III, 26
Sensations, différentes de leur cause ou de leur objet, III, 36
Comment distinguées par l'être sensiiif, III. Sg
Sens, dans leur usage nous ne sommes pas purement passifs, III, 40, ^ suiv.
Sentimenl du moi, doute sur sa nature, III, 35
Se;irjmenM>i<érîeur,relativemeniàrordresensiblede l'univers, III, 56,96, ^suiv.
difficile à rappeller, 111, i3o
Sen^mens na/ure/s, de deux sortes, III, 112
Antérieurs à notre intelligence, 111, m
Sentir, en quoi diffère de juger, Ili, 37
Socrate \ III, 110, 180, ^ suiv.
Spontanéité, III, 4^
Stoïciens, l'un de leurs bizarres paradoxes, Ili, i58
UNIVERS, son harmonie démontre une intelligence suprême, III, 56, 60
Ker/u, (la) comparée au Prothée de la Fable, III, 118
XENOCRATE, 111, 106
Fin de la Table.
L'édition originale place Spontanéité et Stoïciens avant Socrate.
APPENDICES
CINQUIÈME ET SIXIÈME « LETTRES A SOPHIE ».
.1 ai raconté plus haut icf. Introduction. /' Partie, c/iap. Ii dans
quelles circonstances Rousseau avait entrepris, puis abandonné la ré-
daction des Lettres à Sophie. Ces Lettres inachevées traitaient précisément
quelques-uns des problèmes moraux que le Vicait-e Savoyard ne pouvait
négliger dans son système de Religion naturelle. Aussi, en arrivant à
ce point de son exposé. Rousseau se rappela qu'il avait déjà étudié la
question, et se reporta à ses anciennes notes. Il écrivit en marge du
Brouillon de la Profession (cf., plus haut, p. 234) : N. B. S'il est vrai
que le bien soit bien. Lettre 5'= à Sophie. En effet, la V' et une partie
de la Vr Lettres ont été utilisées par le Vicaire {cf., plus haut,
pp. 241-281 j. Mais, avant de les transporter dans la Profession, Rous-
seau en a revisé le texte, et v a substitué au nom de Sophie celui du
disciple idéal (cf. Introduction. //' Partie, cliap. I, i, i j. Cette substi-
tution est-elle la seule que Rousseau ait fait subir à l'ancien Manuscrit
des Lettres avant de les utiliser dans la Profession ? // est difficile
aujourd'hui de distinguer, parmi tant de corrections et d'additions,
les di/jérenls apports: et nous ne pouvons avoir de certitude que pour
les quelques passages oii le disciple du Vicaire est nommément interpellé.
Cependant il est très probable, comme le montre la similitude des
écritures et des encres, que beaucoup de ces retouches n'intéressent
plus déjà les Lettres à Sophie, mais la Profession. La rareté même des
ratures dans le texte de F semblerait confirmer cette hypothèse.
Le Manuscrit des V' et Vf' Lettres à Sophie est conservé à la
Bibliothèque de Neuchàtel sous le n" j8go [4 A']. M. Eugène Rilter
en a déjà publié une transposition sommaire, qui donne presque partout
le texte auquel ./ean-Jacques parait s'être finalement arrêté dans cette
Rédaction, mais qui ne signale pas les premiers jets et les repentirs [3i].
480 APPENDICES
On en trouvera ici le texte intégral. Je publie ces Lettres avec la même
méthode que les Manuscrits de la Profession (cf., plus haut. Introduction,
IIP Partie, chap. III, % i). Tous les développements qui ont été utilisés
par le Vicaire sont imprimés en italique: et, dans l'intérieur de ces
développements, j'ai détaché en caractères gras tout ce que l'édition
originale ûf 'Emile a modifié ou n'a pas conservé.
LETTRE 5*=
f ° 1 ro j Toute la moralité de la vie humaine est dans (' la volonté) de rhomme.
f S'il est vrai que te bien soit bien, il doit l'être au fond de nos cœurs comme
dans nos oeuvres, et le premier prix de la (^ vertu) est de sentir qu'on la
pratique. Si la bonté morale est conforme à nôtre nature t' homme ne sauroit
être sain ni bien constitué ('s'il n'est pas) bon. Si elle ne t'est pas et que
l'homme soit (fait pour être) méchant [* il ne peut cesser de l'être sans se
corrompre. La bonté (* se?oit) en lui un vice de conformation "l] ['car] i! ("est)
'fait pour nuire {'" aux autres) comme ( " te) loup pour égorger sa proye.
' [l'intention].
^ [justice].
' [qu'autant qu'il est].
* [naturellement] (et se déprave quand il est... [devient] bon... [mots illisibles]).
» [(devient)... «ne» seroit en lui qu'un vice contre nature (et)] fait pour nuire,
« (ou de).
' let).
s (ne).
3 lait(e).
'" [à ses semblables].
■' [la].
'f Le début de la Lettre V a d'abord été esquissé à la suite de la
Lettre IV, dont le Manuscrit est à Genève [4 B], f" 33''° : Toute la
moralité (des actions) [de la vie] liuniaine est dans (l'estimation... la
volonté) [les intentions] {de ceux qui les font) [des hommes]. Un espace
de quelques lignes laissé en blanc, puis : S'il est vrai que le bien soit bien,
il doit l'être au fond de (noire) [nos] cœur[s| comme dans (les actions
de nôtre vie) [nos œuvres] et le premier pri.\ de la vertu est de sentir
qu'on la pratique.
t Ici. en marge, sans aucun signe de raccord : Ses bonnes actions
mêmes perdent leur prix au fond de son ame par le défaut du motif.
VP LETTRE A SOPHIE 481
(Et comme un loup pitoyable seroit un mauvais loup, 1 un homme humain seroit un
animal ' dépravé - [' et la vertu seule nous laisserait des remords].
* Croiriez vous qu'il fut au monde une question rlus facile à résoudre (que
celle-cil. v De quoi s'a?it- il pour cela sinon de rentrer en soi-même let) d'examiner
tout intérest personnel à part, à quoi nos penclians naturels nous parlent. Quel
spectacle nous Jlate le plus, celui des tourmens ou du bonheur d'autrui;
[' qu'est] ce qui [* nous est] le plus doux à faire et nous laisse une impression
plus a/rréablc après l'avoir fait d' ' un (' crime ou d'une noble? action). Pour qui
nous 'intéressions) nous sur ('"nosi théâtres: esl-ce aux forfaits que (" n)ous
'-pren(ons) plaisir, " esl-ce ("aux coupablesi que nous 'donnons des larmes ("'de
'■ tendresse) et de pitié ; entre le héros malheureux et le tyran triomphant, duquel des
« deux « '" nos voeax secrets nous raprochent-ils « ' ' sans cesse ^^ et qui de ■ " nous
forcé de c'ioisir n'aimeroit pas mieux encore être le bon qui souffre que le méchant
qui prospère tant l'horreur 1'-' du crime 1 l'emporte naturellement en nous sur celle
(-- de -' tous les autres mauxi.
[l'o/Z-oH dans une rite ou sur un chemin (-* un) acte de violence et
d'injustice à l'instant un -'•' mouvement de colère et d'indignation s'élève
' aussi .
• qu'un loup pitoyable].
' iVous semble-t-il, 6 Sophie, que cela puisse taire une quesUoni.
' Croriez (sici.
^ let).
* idonnel.
' uniei.
" ibienfait... bonne action) acte de bienfaisance ou d'un acte de méchanceté].
'■' interess[ez].
'» [vos].
" v'ous.
'- pren[ez].
" "(les mall'aiteurs ont-ils tous nos vœux secretsi].
" [à leurs auteurs punis].
'» donniez].
" [(d'attendrissementi .
" jpitiéi].
'* ]vosî.
'" [(incessammenti .
"• [vous].
" [de faire le mal].
" [(des) de l'endurer].
" (toutes).
" [quelque].
'" (dépit).
t Ici. en marge, d'une écriture plus récente : Oh Rentrons en 1 moi 1
nous même o mon bon ami. Examinons tout intérest ;/>?/ /A' un signe de
raccord à personnel.
3i
482 APPENDICES
c!i( fo'id du cœur et nous parle à prendre la dejj'ense de l'opprime. ([' Un des
tourmens] que l'état civil impose aux (-particuliers) est de voir ('incessamment)
le mal et de noser ^ ni s'y opposer ni [^ s'en] plainlre ''. Mais [(quand)] ' le
devoir naturel nous y « " porte ») ^ un devoir plus puissant nous retient {'" nous
avons perdu) le droit de protéger l'innocence (et "c'est un crime '- dans l'ordre social
^^ de ••> s'opposer au mal qu'on voit îaire)].
[.li; contraire si quelque acte de clémence ou de générusité frape nos
veux quelle admiration quel amour il nous inspire. Qui est-ce qui ne se dit pas
à lui-même ; j'en voudrais avoir fait autant. Les âmes les plus corrompues ne
sauraient perdre tout à fait cef" t heureux) penchant (au bien '^) ['■■ le brigand
qui ["' dépouille les passons] couvre (" quelquefois) la nudité du pauvre '", il n'y
a point de féroce assassin qui ne (coure) '■' sout(enir) un homme tombant en
défaillance'\ les traîtres même et les perfides en (-" meditan t) [entre eux leurs]
complots [^' se touchent dans la main] « se ^> donnent leur parole et respectent leur
foi. (0) homme [-'- pervers tu as beau faire je ne vois en toi qu'un méchant
[inconséquent et] maladroit car la nature ne t'a point fait pour l'être]].
On parle (beaucoup -''de la voix '■''des) remords qui punit en secret les
crimes cachés et les met [si] souvent en évidence (par la terreur des coupables).
Helas ! qui de nous ne connut /'amais -''cette voix importune. On parle par
' (il n'y a que l'ordre... la considération... c'est un des... [Le] plus grand
supplice).
' [gens [bien] nés].
' [toujours].
* (n'y).
5 (sans).
' (et de laisser les médians tout puissansl.
' [(ce penchant)].
^ ("(excite)].
' [(en vain)].
'" [et les loi.x nous ôtent].
" [dans l'ordre social].
'' [toujours sévèrement puni].
'^ [premier].
" (et celui qui).
'* (les brigans [voleurs]).
•^ (font tant de malheureux) [dépouille! nti].
" [pourtant].
1* (et tel assasin sur un grand chemin qui prend pitié).
'^ sout[ienne].
■" [(com PL0T.4NT) formant].
" (perfides).
-^ (qui que tu sois sonde ton cœur quelque pervers que tu puisses être sonde
ton cœur, sonde).
■" [du cris des].
" (du).
"'' (ses).
\^ LETTRE A SOPHIE 483
expérience et l'on voudroit effacer ce sentiment involontaire qui nous donne
[' tant de tourment. Mais i- suivonsi la nature (et) nous (^ sentirons) ai'ec
quelle douceur elle approuve ce qu'elle a commandé, et quel char/ne on trouve à
i' sentir ^ l'applaudissement) d'une âme contente d'elle même, f ^^ méchant
[se craint et se fuit, il] s'egaye en se jettant hors de ''lluii, il tourne autour
de lui des yeux inquiets et cherche un objet qui le lasse rire; [sans la raillerie
insultante il seroit toujours triste], Mais au [' contraire] la sérénité du juste
est intérieure : son ris n'est point de malignité mais de joye, il en porte la
source en lui même. Seul il est aussi gai qu'au milieu d'un cercle; et * ce
« contentement » inaltérable ' qu'on voit régner en lui il ne le tire pas de ceux
qui l'approchent (mais) il le leur communique.
Il JettCy les yeux sur toutes les nations du monde, parcoure^ toutes les fo -J ^■j
histoires: parmi tant de cultes inhumains et bigarres, parmi cette prodigieuse
diversité de mœurs et de caractères « vous ■» '" trouvere'i par tout les mêmes
idées de justice " et d(e '-vertu), jt>ar tout les mêmes principes de morale, ([et" par
tout) les mêmes notions du bien et du mat. '^ L'ancien Paganisme ('* n'offroit
aux hommes que) '^ des Dieux abominables '"qu'on eut punis (''sur la terre)
comme '^ des scélérats et qui n'offraient pour tableau du bonheur suprême que
des forfaits à commettre et des passions (infâmes) à contenter. Mais le (''-' crimei
revêtu d'une autorité sacrée (sembloiti -^' descend(re) en vain (-'du Ciel sur la
' idansi.
' [(écoutonsi obéissons a'.
• [connoitrons\
' [goûter.
' ria paix intérieure].
« [soi:.
' (lieu quel.
« ce(tl.
' (bonheur».
'" [(nei] trouverez [ivous pas)].
" (et de morale).
'• [honneteié[.
" Dans (sicj.
'* enfanta].
'5 D.
'^ « qu'on » icon...i [adoroit au].
*" [ici-bas].
'« (lest.
'^ [vice].
"> descend[oit].
" [(de l'Olympe) du séjour éternel].
t Ici. en marge, eiic/idsse' dans le développement : Voit-on dans une
rue s'opposer au mal qu'on voit faire, la note suivante : Tableau du
bonheur des justes.
484 APPENDICES
terre I la ('sainte empreinte de la verta) •* le repoussoit » (■ de tous les) cœurs
(' des hommes). (;• -lamais on ne vit (^ une Religion 1 si ( ' dépravée 1 et de si saintes
maximes 'de si méprisables idivinités^ ('adorées) par de si i,n-ands honuiics.
[" Ainsi] '•' Jupiter « pouvoit » être incestueux, Xénocrate n'en étoit pas moins
["' tempérant]) [la cliasle Lucrèce] " adoroil l'impudique \'enus. l'intrépide
Romain '- sacrijioil à la peur: Aie grand Caton fut estimé plus juste quel la
providencs' enfin {''■' lat voix de la vertu plus forte que celle des dieux [même
se J'aisoit (en dépit d'eux) respecter sur la terre, ^* et '= relegu(oit) au Ciel le
crime avec les coupables.
Il est donc au fond de toutes les âmes un principe 1 "' éternel ) de /'ustice
et de vérité morale antérieur à tous les préjugés nationnaux a toutes les maximes de
l'éducation. Ce principe est la régie involontaire sur ('■ la) quelle "nous iugeoas
(malgré nous de) nos actions ^'^ et (de) celles d 'autrui et [c'est à] ce principe
[inné] -" que ^' je donne le nom de conscience.
Mais a ce mot j'entens s'élever de '^ toutes parts la voix des philosophes.
erreurs de l'enfance, préjugés de l'éducation s'écrient-ils tous comme de
concert. Il n'y a rien dans l'entendement humain que ce qui s'y introduit
' [(na TURE... saintL- voix dei la nature].
' [du].
* [humains].
* [des divinités;.
* [impure].
* de(s Dieux).
' [ne furent implorées].
' iLa vertu triomphoit dans les cœurs des mortels... triomphoit de l'exemple
des Dieux).
" t(Qu'{est ce que) étoient) les débauches de Jupiter (n'ôtoient rient à la on
célebroit les débauche (sic) de Jupiter [(otoient)] mais on admiroit la tempérance de
Xénocrate; la chaste Lucrèce].
1" ichaste).
" [n']adoroit-[elle pas].
" [(ne)] sacritîoit[i-il pas)].
" [l'immortelle].
'* (en dépit d'eu.x).
'' [sembloit] relegu[er].
'^ [(immortel) inné].
" [le].
'^ [malf^ré nos propres maximes].
'" [comme bonnes ou mauvaises].
-" (est ce).
" (j'appelle).
" toutes part tsic).
t Ici, un .sif^ne de renvoi, qui introduit l'addition suivante : (Le
grand Caton fut estimé plus juste que); et, d'une écriture plus récente :
la providence. Mais cette phrase a reçu plus loin sa place définitive.
ye LETTRE A SOPHIE 485
par l'expérience et nous ne /ugeons ('desi chose! s > que [- sur] des idées
acquises. Ils font plus ; cet accord [éi'ident et' universel "de toutes les nations
ils l'osent rejetter, et [contre] cette éclatante uniformité du Jugement des
hommes || ils vont chercher dans les ténèbres quelque exempte obscur et connu l" 2 '
d'eux seuls, comme si '* tous les penchons de] la nature ctoient anéantis par
la dépravation de quelques individus et que ['^ parce) qu'il est des monstres
il n'existât plus d'espèce humaine '■. 1" Voyez les toiirmens que se donne le>
sceptique montagne ' pour a}\ei déterrer en ^^' un. coin du monde ^"'des maximes
contraires)] aux notions (communes I de la justice. Que lui sert de donner au
(" premier menteuri une autoritéqu'il refuseaux écrivains les plus '-respectable s;
quelques usages incertains et bigarres fondés (sans doute 1 sur des causes
particulières qui nous sont inconnues, dclruiront-ils l'induction générale tirée
du concours de tous les peuples {"An monde > opposés en tout le reste [et
d'accord sur ce seul point. O Montagne toi qui te piques de franchise et de
vérité], sois i" de bonne foil si un philosophe peut l'être et ''dis-moi s'il est
quelque climat 1" au monde 1 ou ce soit un crime de tenir sa foi ]d'ètre
1'" magnanime bienfaisant] et généreux : ou "la vertu soit '' punie et les
forfaits récompensés '•.
Je n'ai i-* points dessein d'entrer ici dans des discussions métaphysiques
qui ne mènent à rien], f -' J'ai) déjà dit que je ne voulais point disputer avec les
philosophes, mais parler à vôtre cœur; quand tous tes philosophes du monde
' [d'aucune.
' (pa R).
' (desi.
' (c'étoit anéantir).
' >itot .
' [ne fut plus rien ].
' 'Mais que iserti [servent] au].
' [(del les tourmens qu'il se donne".
' (quelquel.
'» (quelqu'usagei [une coutume opposée.
" [plus méprisable et suspect voyageur .
" respectable (sicj.
" fide l'univers)].
" [sincère et vrai].
'^ di-moi (sic).
'^ [sur la terre].
" [clément].
'8 [l'homme de bien soit méprisable et le scélérat honoré].
•' (punissa Br.Ei.
". IP^s]-
" [Je vous ai].
t On trouvera, à la fin de cette Lettre, une première esquisse de ce
développement.
486 APPENDICES
proureroient que j'ai tort, si }'ous senle^ que j'iii raison, [je n'eu reux pas
darantage] (j'aurai fait touti es que je (' voulois) faire. -Je crois justement
nécessaire de) vous faire distinguer nos perceptions acquises de nos sentimens
naturels, car nous sentons nécessairement avant que de connoitre, et f ^ comme
nous n'apprenons point à vouloir nôtre bien personnel [iet] à fuir notre mal],
mais {nous) tenons cette volonté de la nature, de même l'amour du bon et
la haine du mauvais nous sont aussi naturels que nôtre propre existence; ■* les
idées (il est vrai! nous viennent du dehors imais) les sentimens qui les apprécient
^ sont au dedans de nous et c'est par eux [seuls] que nous connoissons la con-
venance ou la disconvenance qui existe entre nous et les choses que nous
devons rechercher ou fuir.
Il 'l^ [Exister pour nous c'est sentir : et nôtre sensibilité est incontestablement
antérieure à «d/re raisonnement. [" Quelle] que soit la cause de nôtre existence,
' elle a pourvu à notre conservation en nous donnant des sentimens conformes
. à nôtre nature; et l'on ne saurait nier qu'au moins (" ces sentimens I "e soient
innés. Ces sentimens eu égard a l'individu sont l'amour de .toi même, la crainte
de la douleur et de la mort, et le désir du bien-être. Mais si '■' l'homme est un
animal sociable [par sa nature] ou du moins fait pour le devenir icomme on n'en
peut douter), il ne peut l'être que par d'autres sentimens innés relatifs à son
espèce. Et c'est du s\stême moral '" formé par ce double raport " à ('-nousi
mêmelsi et à i''nos) semblables que ("dérivent hs impulsions de) la conscience'\.
f°2*" Il Ne pensés donc pas, ô Sophie, qu'il fut impossible d'expliquer par des
conséquences de notre nature le principe actif de la conscience, indépendant de
la raison même. Et quand cela serait impossible encore ne seroit-il pas
nécessaire. Car les philosophes qui combattent ce principe ne prouvent point
qu'il n'existe pas, mais se contentent de l'affirmer: quand nous affirmons
' [prétendois].
' [(eti il ne faut pour cela que].
' (car).
* [ainsi quoique].
° (qui).
^ (Quelque).
' [(cette eau se ?)].
* [ceu.x là].
' [comme on n'en peut douterj.
10 (qui dérive des) [dérivé].
" (que la conscience).
'2 [soi].
" [ses].
" [(se forme) naît (le sentiment) l'impulsion naturelle de].
t Ici. dans le manuscrit, un espace de quelques lignes laissé en blanc.
t Rousseau a marqué la place définitive de ce rnorceau marginal par
un signe de renvoi, accompagné des mots : page précédente.
ve LETTRE A SOPHIE 487
('le contraire I nous sommes donc aussi avancés qu'eux cl nous ai'ons de plus
(-/,) témoignage intérieur (qui 'confirme nôtre sentiment) el la voix de la
conscience qui dépose pour elle même.
t * -Ma chère amie; que ces tristes raisonneurs sont à plaindre, en effaçant
(^ dans leur ame) les sentimens de la nature ils détruisent la source de tous leurs
plaisirs, et (''pour) ['se délivrer] du poids de la conscience ("ils ' s'otent les
"^ voluptés mêmes auxquelles il seroit doux de s'immoler), f Si la foi des amans
n'est qu'une chimère, si la pudeur du sexe consiste en vains préjugés: que
(" seront) " toufs] les charmes de l'amour; si nous ne vovons plus dans l'univers
que de la matière et du mouvement '^ ou seront [donc] (tous) les biens moraux
('* aux quels) « nôtre •» ame est ('' si sensible), « et » quel sera le prix de la vie
humaine, si nous n'en jouissons que pour végéter. (["^ N' " est-CE pas un bien
' "qu'il existe".
' (del [toute la force du],
' [isoutientr.
* TBon jeune homme].
' [en eux].
* [ne savent se].
' (vouloir s'oter).
' [qu'en se (jettant dans l'insensibilitél se rendant insensibles].
" [(effacent en eux tout sentimentl].
"• [idelicesi].
" [deviendront].
'- tou(t).
" (que devi endbontI.
" [idonti].
'* [toujours avide].
"= [Que je].
" est-pas (sic).
t Le développement qui suit, sur la pudeur et l'amour, n'a pas été
utilisé dans la Profession de foi; mais les idées, sinon les expressions
mêmes ont passé dans la Lettre à D'Alembert. Cf. l, 233-236, et, en
particulier, 234, oit la phrase qu'on lit ici, sur cet état de toiblesse et
d'oubli d'eu.\-mêmes qui les livre à tout agresseur, se retrouve presque
textuellement : un état de foiblesse et d'oubli d'eux-mêmes qui les livre
à la merci du premier venu.
t C'est ici, sans doute, que devrait s'insérer l addition marginale
suivante, qu'aucun signe de raccord ne vient rattacher au texte. Si la
vertu n'est rien, si l'amitié n'est qu'habitude (et) l'intérêt personnel quels
[vrais' plaisirs (morau.xi pouvons nous goûter sur la terre ! Cette addition
parait être de la même plume que la surcharge : Bon jeune homme.
488 APPENDICES
maladroit sisteme que celui de ces philosophes qui pour ([' oier] !es| remords
(' des voluptés) (^ étouffe à la fois l'un et l'autre)]), f
Je reviens à ce sentiment de honte si charmant et si doux â vaincre [plus
doux peut être encore à respecter], qui combat et enflamme les désirs d'un
amant ('' et sait si bien ^ dedomager son cœur " des plaisirs) qu'il refuse « ' à ses »
sens. Pourquoi rejetterions nous le (* témoignage) intérieur qui [" voile d'une
modestie] impénétrable les ('" désirs) secrets d'une fille pudique et (" son front)
d'une rougeur [enchanteresse aux tendres discours d'un amant aimé]. '^ L'attaque
et la deffense '^ sont des loix de la nature. {''' C'est) elle qui permet la résistance
au sexe qui peut céder ('•' toutes fois) qu'il lui plait. ('" C'est) elle qui prescrit la
poursuite à celui qu'elle " prend soin de rendre discret « et modéré ». ('* C'est)
elle qui '" remet {-" leurs communs) plaisirs à la garde de la honte et du mistére,
dans un état de foiblesse et d'oubli d'eux-mème qui les -' livre à tout aggresseur.
jo g po Vous (-- vovez) donc ('' qu')il (n')est (^* pas vrai) que la pudeur || '■'" n'ait pas
* (séparer) [nous délivrer des].
" ([de la] volupté [du plaisir]!.
' [(nous apprennent à n'en plus connoitrel etouft'e les voluptés qui les nourris-
sent... qui ne (sait) peut séparer les remords].
* [et rend tant de plaisirs à son cœur].
' [(consoler (son) un cœur tendre... un tendre cœuri].
* [pour ceux].
' [(aux)].
* [reproche].
^ (couvre nos désirs d'un voilel.
'" [vœux].
" [couvre ses joues].
" [Quoi donc].
" [ne] sont [elles pas].
" [N'est-ce pas].
'' [autant].
'^ [N'est-ce pas].
" (a).
" [N'est-ce pas].
'" [les].
-" [durant leurs].
2' [livreroit].
-- [sentez].
" [combien].
" [faux].
-^ (ne soit qu'une chimère faute de raison et qu'on n'ait).
f Le texte de cette addition a été repris un peu plus haut, dans la
même marge, sous la forme suivante : N'est-ce pas un bien maladroit
sistème que celui qui ne sait ôter le remords de la volupté qu'en étouffant
à la fois l'un et l'autre. On voit, d'ailleurs, par les différents signes de
raccord, que Rousseau a eu des hésitations sur la place à donner à cette
phrase. Il semble qu'il ait voulu un instant la placer avant : Si la foi
des amans, ou : Si nous ne voyons plus dans l'univers.
V*' LETTRE A SOPHIE 489
sa raison suffisante et ne soit qu'une chimère dans [' la] nature, et comment
seroit-elle l'ouvrage « - des -» préjugés si les préjugés mêmes de l'éducation la
détraisent. Si vous la voyez dans toute sa force chez les peuples ignorans et
rustiques et si sa douce ]voix ne s'étouffe chez les (' peuples) plus cultivés que
par les sophisme 1* de la raison).
'•'C'est ainsi que) les premières lueurs du jugement nous éblouissent et
(''cachent) » d'abord » tons les objets à nos 'regards. (Mais) attendons que nos
• faibles] yeux se {"raffermissent} et bientôt nous reverrons les mêmes objets
aux lumières de la raison tels que nous les montrait d'abord île seul intérest dei
la nature. Ou plus lot soyons plus simples et moins vains. Bornons-nous en
'sur tout)j aux premiers sentimens que nous trouvons en nous mêmes, puisque
c'est toufours à eux que l'étude nous ramène quand elle ne nous a point égarés, f
!' Conscience, conscience instinct dirin^ "voix 1'" céleste' "1" modèle du f " 4 ro
'-beaui; ["guide ('* unique) d'un e7re (intelligent et libre, mais ignorant et borné '-
luge infaillible du bien et du mal. sublime émanation de la substance ("divine ,
qui rends l'homme semblable aux Dieux : c'est '■ loi seule '^ qui ''fais
l'excellence de (-" ma ) nature.
Sans toi je ne (-' voisi [rien] en moi qui m'élève au-dessus des bêtes, que
le triste privilège de m'égarer « -- d'erreurs en erreurs » (^^ à l'aide de ma
raison).
' (sa).
» ;(de la)\
' nations plus cultivé[esT.
* [du raisonnement^
° ;si;.
* [confondent .
' (foiblessesi.
* [rouvrent ; (et) se fortifient".
' (sub LiMEl [immortelle et céleste].
'" (inl ERiEiRE 'instinct]).
" (sublime émanation).
" [(vrai)].
" [(guide que rien)].
'■* [assuré].
'' [mais intelligent et libre'.
'* éternelle].
'■ >]•
'^ (qu'il doit Texc ellence).
'^ "montres .
" [sa .
" sens .
-' [isans cesser.
=' [à l'aide d'un entendement sans régie et d'une raison sans principe'.
^ Le f° 3''" est resté blanc: et les morceaux suivants sont isolés
sur le f" 4.
490 APPENDICES
fo 4 *" Il Attachez vous à faire les choses que vous aimez à voir faire aux autres.
t (Mais j'ai déjà dit que je l'oulois parler à vôtre cœur, et (' que je n'entre-
prenois) pas (de) dispuier avec les philosophes. Ils auroient beau [me] prouver qu'ils
ont raison, je sens qu'ils mentent et je suis persuadé qu'ils le sentent aussi).
B
'°^r LETTRE 6
Enfin nous ai'ons un guide assuré dans ce Labirinthe des erreurs humaines,
mais ce n'es! pas assés qu'il (- nous parle) il faut (^ l'entendre, il faut distinguer sa
voix apprendre à) le connaître et le suivre. S'il parle à tous les cœurs « ô »
[(ma chère)] Sophie, « * pourquoi donc v en a-t-il si » peu qui l'entendent. Helas,
// nous parle la langue de la nature ['' que] tout nous ^ a, fait oublier.
[I^a conscience est timide et craintive, « ' /e v> monde et le bruit t'épou-
l'antent (elle cherche la solitude et la paix) et les préjugés (" qu')on (■' prétend être
son) ouvrage, sont ses plus mortels ennemis, elle fuit ou se tait deranl eux (et)
' [non].
^ [existe].
" [savoir].
' [(mais il)].
^ (et c'est... et).
" (!■).
' « elle » [cherche la solitude].
« [dont].
. » [la dit (être) 1'].
t Ojx a vu, plus haut, /» 2 ™, la rédaction définitive de ce déve-
loppement.
vie LETTRE A SOPHIE 49I
leur l'oix bruyante ' empêche ila sienne) « - de ^ se faire entendre ». * Elle se
rebute enfin 1^ après avoir été longtems ' éconduite '' elle ne nous parle plus elle
ne nous repond plus et après 1' de\ si longs mépris "pour elle il en coûte autant
("pour) la rappeller («en » soi-mêmei qu'il en coûta pour ("M'en) bannir^.
Quand )e vois chacun de nous sans cesse occupé de l'opinion publique
étendre pour ainsi dire son existence tout autour de lui sans en réserver presque
rien 1" en 1 son propre cœur, je crois voir un petit insecte former de sa substance
une grande toile par (les fils dei laquelle [seuls] il paroit sensible tandis qu' '-on
le croiroit mort dans son trou. La vanité de l'homme est la toile d'araignée
qu'il tend sur tout ce qui l'environne. [L'une est aussi solide que l'autre] (le)
moindre fil qu'on touche ilei met '^ en mouvement il mourroit ('* d'épuisement)
si Ton laissoit la toile tranquille, et ('^ quand) d'un doit on la déchire il '° achève
de s'épuiser plus tôt que de ne la pas refaire à l'instant. Commençons par
[''redevenir] nous, par i"*rentreri en nous, par circonscrire nôtre ame des
mêmes bornes que la nature a données à notre être, commençons en un mot
par nous rassembler ou nous sommes afin ['" qu'en] cherchant à nous connoitre
tout ce qui nous compose vienne à la fois se présenter à nous. Pour moi je pense
que celui qui (^"connoitl le mieux en quoi consiste le moi humain est le plus
prés de la sagesse et que -' comme le premier trait d'un dessin se (-- compose)
des lignes qui le terminent la première idée de l'homme est de " le séparer de
tout ce qui n'est pas lui.
Mais comment se fait cette séparation. Cet art n'est pas si difficile qu'on
pourroit croire, ou du moins la difficulté n'est pas ou on la croit, et (-* tient)
' [étouffe la sienne et l'J.
' [id'avoirl].
• [is'élever dans nos làmesi cœursi].
* lApr Es).
^ [à force d'être].
^ "elle se rebute à la tin".
' [un".
» (il).'
^ (de mot inachevé) 'de].
"> [la].
" [dans].
" (ill.
" [l'iun et l'autre) insecte].
'* ]de langueur].
•5 [si].
'* acheve[(ra plus tôti].
" (rentrer eni.
'" [nous concentrer].
" (que dans la recherchei.
^ [sait].
" (le premier moyen de nous [bien] connoitre consiste à nous bien rassembler!.
" [forme].
" (bien connoitre les bornes de la nature humaine).
" [dépend].
492 APPENDICES
plus de la volonté que des lumières, il ne faut point un appareil d'études et de
recherches pour y parvenir. Le jour nous éclaire et le miroir est devant nous;
mais pour le voir il faut jetter les yeux '.
[t Le moyen de les y fixer est d'écarter les objets qui nous en détournent.
Recueillez vous - cherchez la solitude voila d'abord tout le secret et par celui-là
seul on découvre bientost les ' vôtres. Pensez-vous [en effet] que la philosophie
nous apprenne à rentrer en nous mêmes. TAh combien * l'orgueil sous son
nom nous en écarte !j C'est tout le contraire ma charmante amie, il faut
commencer par rentrer en soi-iméme) pour apprendre à philosopher].
f 1 ^° Il Ne vous effrayez pas je vous conjure; je n'ai pas dessein de vous
[° reléguer] dans un cloistre et « " d'imposer à » une femme [" du] monde une
vie d'anachorète. La solitude dont il [* s'agit] est moins de [faire] fermer votre
porte et de rester dans votre appartement que de tirer votre ame de la presse
comme disoit l'ahbé Terrasson f et ('■' de la) fermer '" aux passions étrangères qui
l'assaillent à ».haque instant. .Mais l'un de ces moyens peut (d'abord | aider à
l'autre, surtout au commencement; ce n'est pas l'affaire d'un jour de savoir être
seul au milieu du monde et après une si longue habitude [" d'exister dans tous]
('- les objets) qui vous entoure(nt) le recueillement de vôtre cœur doit commencer
par celui de vos sens. Vous aurez d'abord assès affaire à contenir vôtre imagi-
nation sans être obligée encore de fermer vos veux et vos oreilles. Eloignez les
objets qui doivent vous distraire; jusqu'à ce que leur présence ne vous distraise
plus. .Alors vivez '^ (s'il le fauti sans cesse au milieu [d'eux], vous saurez bien
quand il le faudra vous y retrouver avec vous (même). [Je ne vous dis [donc]
point quitez la société; je ne vous dis pas même renoncez à la dissipation et aux
vains plaisirs du monde. Mais je vous dis aprenez à être seule sans ennui. Vous
n'entendrez jamais la voix de la nature. Vous ne vous connoitrez jamais sans
cela. Ne craignez pas que [l'exercice de] ces ('* petites) retraites vous rende
' (en écar tant).
' [ne fuyez)].
^ Sic. // y a là sans dnute tin laptsus de plume : vôtres pour autres.
* (la voi X).
* (confi ner).
^ (de (faire d't [réduire]).
' (d'un).
' (est que stioni.
" [d'en].
"> [l'abord].
" (de vous trans porter ?).
'- [ce (qui)].
" (au milieu).
'* [courtes].
t // semble qu'il J'ai /le place)- ici cette addition marginale, que ne
précède ni ne suit aucun signe de raccord.
t Sur cette citation, cf., à la Bibliographie, la note du n" 212.
VI^ LETTRE A SOPHIE 493
taciturne et sauvage et vous détache des habitudes (' que) vous ne voudriez
pas (- perdre. ' Non, Sophie), elles ne vous en seront que plus douces.
Quand on vit seul on en aime mieu.x les hommes [un tendre instinct nous
rapproche d'eu.x]. L'imagination nous montre la société par [* ses] charmes, et
l'ennui même de la solitude tourne au profit de l'humanité '^. Vous gagnerez par
['■ le goust de; cette vie contemplative i • d"aimer * mieu.\l ce que vous ['•■ aimez]
'"tandis) que vous l'aurez et (" de) le perdre (avec moins de douleur) quand
vous ('- ne l'aurez plus)].
Prenez '* tous les mois par exemple, un intervalle de deux ou trois jours
sur vos plaisirs et sur vos affaires pour le consacrer à la plus grande de toutes
(qui est de vous connoitre). Faites vous ['< une loi] de ('^ passer) seule ces deu.x
ou trois jours dussiez-vous d'abord vous ennuyer beaucoup. Il '"vaut mieu.x
les passer à la campagne qu'à ('■ la ville l; f ce sera si vous voulez une visitte
(" que vous ferez), vous " irez voir Sophie. La solitude est toujours triste à la
ville. ** Comme tout ce qui nous environne montre la main des hommes et
quelque objet de société, quand on n'a pas cette société, l'on se sent hors de
sa place, et une chambre où Ton (-' vit) seul ressemble fort à une prison, f C'est
tout le contraire à la campagne, [itousi] les objets " y sont rians et agréables,
ils excitent au recueillement et à la rêverie, on s'y sent au large hors des tristes
' [auxquelles].
- [renoncer].
' [.\u contraire].
* (cesi.
» (et tout ce quei.
° ',ce recuei llementi.
• [vous v trouverez plus d'attachement pour ce qui vous est cher].
■* ip LLSI.
' (gagnez deux mots illisibles i.
'» « tant ».
" [moins de douleur .< .
" [en serez privée].
" (par e.v emplei.
'* (un de VOIR).
'5 [vivre].
'^ (se BAIT).
" [Paris]. ,
'8 [à faire].
'" lyi.
"> (L'ne chambrei.
--' [est].
"(riansl.
t La phrase est reprise en marge : ce seroit, si vous voulez, une
visitte que vous iriez faire : vous iriez voir Sophie.
t Ici, en marge : ne refusez pas à vos propres mains l'honneur d'être
bienfaisantes.
494 APPENDICES
murs de la ville et des entraves du préjugé. •{• Les bois, les ruisseaux la \erdure
écartent de notre cœur les regards des hommes les oiseaux (' chantans sans régie
et volans) ca et la selon leur caprice nous offrent dans la solitude l'exemple de
la liberté [on entend - leur ramage on sent l'odeur (^ de l'herbe) et (^ des fleurs)].
jo 2 ro , :j= Knfin) les (' sens) uniquement frapés || '' des douces « ' images ■» de la nature
la raprochent mieux de nôtre cœur.
C'est donc là qu'il faut commencer à converser avec elle et consulter ses
loix dans son propre empire. Au moins « l'ennui ne viendra-t-il ■» pas sitôt vous
poursuivre, et sera-t-il plus facile à supporter [' dans] " la variété des objets
champêtres (« ef» '" l'exercice de la promenade) que sur une chaise longue ou
dans un fauteuil. Je voudrois que vous évitassiez de choisir les tems ou vôtre
C(Eur vivement affecté de quelque sentiment de plaisir ou de peine en (" porte-
roit) !'('- impression) dans la retraitte, » "ou •■> voire imagination trop émue
vous rapprocheroit malgré vous des êtres que vous auriez cru fuir [« et ou »
['■' vôtre esprit [trop] préocupé] « '■' se refuseroit * aux légères impressions des
premiers retours sur vous même]. =j= Au contraire afin d'avoir moins de regrets
à vous aller ennuyer seule à la campagne, prenez ('"le tems) où vous seriez
réduite [à vous ennuver] à la ville; la vie la plus [''occupée] de soins ou
d'ainusemens ne laisse encore que trop de pareils vuides et cette manière de
remplir les premiers qui se présenteront vous rendra bientôt insensible à tous les
' [voltigeans].
- leurs ramage isic).
' [des prés].
* [des bois].
^ [yeux].
^ (enfinl.
' [(impressions)].
" (« au » [milieu]!.
" [l'exercice de la promenade et].
'" (« la » l'agitation).
" [garderoit].
" [(la mot iltisiblel émotion].
" [(eti].
" (les trop vives impressions que).
'^ [(deroberoit vôtre esprit et)].
" [les momens].
" (rem pliei. •
•f Ici, en marge : une voix secrette parlera (sans cesse) [bientôt]
à vôtre cœur et (lui) [vous] dira: tu n"es pas seule, tes bonnes actions
ont un témoin.
t Ici, en marge, et barré : (vos) [les] yeu.x uniquement frapés des
(pures) [douces] images de la nature (en trapant vos yeux) la raproche-
ront mieux de vôtre cœur.
2|î Ici, en marge : dans la plus profonde solitude vôtre cœur vous
dit que vous n'êtes pas seule.
vie LETTRE A SOPHIE 495
autres. Je ne demande pas que vous vous livriez d'abord à des méditations
profondes, je demande seulement que vous puissiez maintenir vôtre ame dans
un état de langueur et de calme qui la laisse replier sur elle même et n"v
ramène rien d'étranger à vous, f
Dans cet étal; me direz-vous, que ferai-je ? Rien. Laissez faire cette inquié-
tude naturelle qui ' dans la solitude ne tarde pas d'occuper chacun de lui-même
malgré qu'il en ait.
f Je ne (-crois pourtant pas) que [^ cet état] doive (''être ^ tout à fait
"absolu et) que nous n'ayons nul moyen de réveiller en nous le sentiment
intérieur. Comme on réchauffe une partie engourdie avec des frictions légères,
l'ame amortie dans une longue inaction se ranime à la douce chaleur d'un
mouvement modéré, il faut l'émouvoir par des souvenirs agréables qui ne se
rapportent qu'à elle, il faut lui rappeller ' les affections qui Font flatée, non par
l'entremise des sens, mais par un sentiment propre et par des plaisirs intellectuels.
S'il e.xistoii au monde un être assés i ^ malheureux i pour n'avoir (jamais) |1 neii f° 2 ^°
fait dans tout I3 C3Uts de sa vie « ■' dont ■» [le souvenir] put ['" lui donner un
contentement intérieur et le rendre Heu aise d'avoir vécu, cet être n'ayant que
des sentimens et des idées qui l'ecarteroient de lui serait hors d'état de jamais se
connuitre, et faute de savoir en quoi consiste la bonté qui convient à sa nature,
il resterait méchant par force et serait éternellement «. " malheureux ». Mais
je soutiens qu'il n'y a point ['- sur] la terre i''homme assès dépravé pour n'avoir
l'amais Iwi'é son cœur à la tentation de bien faire : cette tentation est si natu-
turelle et si douce qu'il est impossible de lui résister tau/ours, et il suffit (" d'yi
céder une seule fois pour n'oublier jamais la volupté qu'C^on en a '^receiie). O chère
' (nous).
' [dis pas non plus].
■" jcette un espace blanc pour un mot à trouver 'affaissementll.
* [produire un affaissement total et je suis bien éloigné de croirej.
' [(entier et parfait... si total i[.
" absolue (sic).
' (lai.
* [« misérable »[.
' (quii.
'" (le rendre content de lui-mémei.
" [imiserabiei].
" (au MONDE).
" [de lui].
'* '(« elle »i qu'on goûta par elle[.
'' '( procurée! [.
t [ci, en marge : [A cela] Je n'ai rien à vous dire sinon que j'ai
suivi (ces [cette]) [pris les mêmes] moyens, (que) qu'ils m'ont conduit
(comme je suppose qu'ils vous) par la [md'me] route, (et) que je crois
avoir l'ame saine et que je suis sur de ma bonne toi.
t Ici. en marge : et dans (la recherche des) [les] objets de vos
plaisirs donnés la préférence aux choses dont on jouit encore quand
on ne les possède plus.
496 APPENDICES
Sophie, combien d'actions de vôtre vie vous suivront dans la solitude pour
vous apprendre à l'aimer. Je n'ai pas besoin d'en cherclier qui me soient
étrangères. Songez au cœur que vous conservâtes à la vertu, songez à moi, vous
(' serez contente de) vous.
Voila les moyens de - travailler dans le monde à vous plaire dans la
retraitte en vous y ménageant des souvenirs agréables ^ en ^ vous y (^ rendant)
votre propre ("^ amie) et ('faisant que vous vous y soyez à vous même) assès
bonne compagnie " pour vous passer de toute autre. Mais que faut-il faire
exactement pour cela, ce n'est point encore ici le tems [' d'entrer] la dessus
dans des détails qui supposent les connoissances que nous [nousj proposons
d'acquérir. Je sais qu'il ne faut point commencer un traité de morale par la fin
ni donner pour premier précepte, [la pratique] de ce qu'on veut ('"apprendre).
Mais [encore une fois] dans quelque état qu'une ame puisse être il reste un
sentiment de plaisir à bien faire qui ne s'efface jamais et qui sert de première
prise (" pour) toutes les autres vertus, c'est par ce sentiment cultivé qu'on
parvient à s'aimer et à se plaire avec soi '-. « L'exercice de la bienfaisance »
'^ flate naturellement l'amour propre par une idée de [(force et de)] supériorité
on s'en rappelle tous les actes comme autant de '* témoignages qu'au de là de ses
f° 3 ^° propres besoins on a de la force || encore pour soulager ceu.x d'autrui. Cet air
de puissance fait qu'on ('^ s'en regarde avec) plus de plaisir "' et qu'on habite
plus volontiers avec soi. " Voila d'abord tout ce que je vous demande '". (Je
puis réduire mon précepte en moins de mots ramenez vous à '^ vous même)
parez vous pour vous présenter à votre miroir, vous vous en regarderez plus
volontiers. (7 -" Et pour vous) ménager un sentiment de bien être étant seule
' [ivous plairez! ainaerez à vivre avec].
' (vous pré PARER ?i.
' (et).
* (travaillant ài.
" [procurant].
° [amitié].
' [vous y rendant].
' [(de vous) à vous même].
^ ide vous).
'" [enseignerl.
" [à].
" (parce qu'il [qu'à]».
" mous donnei.
" témoignage isic).
'5 [prend (le tems ? avec)].
'8 [à exister],
" (Et).
'* (et dont [pour]).
" {mot inachevé).
'" [Pensez toujours à vous].
t fci. en marge : N. B. partager ou racourcir la phrase. Elle a été
en effet partagée : cf. les notes critiques.
vie LETTRE A SOPHIE 497
' dans (tous) les objets de vos plaisirs donnez toujours la préférance à ceux
dont on joiiit encore quand on ne les possède plus.
Une femme de qualité est trop environnée de son état, je voudrois que vous
puissiez quelques momens renoncer au vôtre; ce seroit [encore] un moyen
de vous entretenir plus immédiatement avec vous. Quand vous ferez vos retraites
[' laissez tout le] cortège de vôtre maison ; n'emmenez ni cuisinière ni maitre
d'hôtel. « Prenez un laquais et » une femme de chambre. ^ Ce n'est que trop
encore; en un mot ne transportés point la vie de la ville à la campagne; * allez
y goûter véritablement la vie retirée et champêtre. .Mais les bienséances. Ah !
toujours ces fatales bienséances 1 Si vous les voulez (^ toujours) écouter, il ne
vous faut point d'autre guide; choisisses entre elles et la sagesse. Couchez vous
de bonne heure levez vous matin, suivez à peu près la marche du soleil et de la
nature; point de toilette, point de lecture, prenez des repas simples aux heures
du peuple, " en un mot soyez eh tout femme des champs. Si cette manière de
vivre ['• vous devient] agréable, vous {" aurez acquis) un plaisir de plus. Si elle
vous ennuyé vous reprendrez avec plus de goût celle à laquelle vous êtes
accoutumée.
Faites mieu.x encore. De ces cours espaces que vous (" aurez destinés à
vivre) dans la solitude, employez en une partie à vous rendre l'autre agréable.
Vous aurez de longues matinées vuides de vos occupations ordinaires, destinez
les a des ('" promenad es) dans le village. Informez vous des malades, des
pauvres, des opprimés, cherchez à donner à chacun les secours " dont il a besoin,
et ne pensez pas que ce soit assés de les ('- aider) de vôtre bourse [si vous [ne
leur] donnez encore de vôtre tems et] (si vous) ne les aidez (encore) de vos
soins. Supposez vous cette fonction si noble de faire qu'il existe quelques maux de
moins sur la terre. || f Et si vos intentions sont pures [et réelles ?] vous trouverez fo 3
bientôt à les accomplir. .Mille obstacles je le sens bien vous distrairont d'abord
' >tj-
' (n'emmenés point tous).
' iCestl.
* imaisi.
* 'sans cesse].
" isoyez-enl.
' (vient à).
' [connoitrez].
" rvoudrez passer].
'" (promenad sic) [courses].
" [iqui)].
'- [assister].
t Rouaseau avait d'abord commencé à écrire ce développement en
haut du /" 4 >'°, où on lit, en ep'et : et si vos intentions sont pures vous
trouverez bientôt à les accomplir. Mille obstacles, je le sens bien, vous
distrairont d'un soin si noble.
32
498 APPENDICES
d'un ' soin (si nobl^ mais le - zélé de bien faire les applanira facilement) :
Des maisons mal propres, des gens (' grossiers), des objets de misère commen-
ceront par vous dégoûter. Mais en entrant chez ces malheureux dites vous je
suis leur sœur et l'humanité triomphera de la répugnance. Vous les trouverez
menteurs, intéressés, pleins de vices qui [''rebuteront] votre zélé, mais interrogez
vous en secret, (« ^ demandez vous » et moi suis-je parfaite). (" .\h si vous
1" attendez à secourir) des [" gens] sans défaut allez {" e.xercer) vos bienfaits
ailleurs que parmi les hommes. [« '" Les vices » (grossiers du paysan sont-ils
plus " odieux que ceux) qu'un peu d'éducation couvre d'un air plus honnête]).
L'ennui surtout, ce Tyran [des gens] de vôtre état, qui [leur] fait payer si cher
l'exemption du travail, et dont on se rend toujours plus la proye en s'efforçant
[de l'éviter], l'ennui seul vous détournera plus [d'abord] (de) ces occupations
salutaires ('^ que l'humanité ne pourra vous y porter et vous dictera mille
sophismes pour vous en dispenser). Songez (donc) que" se plaire à bien faire est
(déjà) le prix d'ai'oir bienfait, et qu'on ne l'obtient pas avant de l'avoir mérité.
" Rien n'est " plus aimable que la l'ertu mais elle ne se montre ainsi qu'à ceux
qui la possèdent; (-Juand on la peut embrasser, semblable au protce de la fable
elle prend [d'abord] mille formes effrayantes, et ne se montre enfin sous la
sienne qu'à ceux qui n'ont point lâché prise. Résistez donc aux sophismes de
l'ennui. N'écartez point de (" vos yeux) des objets ("^ qui doivent) vous attendrir;
[(" n'ayez point) cette pitié cruelle qui détourne les yeux des maux d'autrui
pour se dispenser de les soulager]. Ne ['* vous ('^ dispensez)] point [-" de ces
soins honorables (-' pour)] (les faire remplir par) des (-^ Domestiques). Soyez
' ]pareil].
2 [désir].
^ [brutaux].
* (vous porteront à les ab andonner).
' [sur (vos défauts) [« les vôtres »] (et vous apprendrez) [pour vous apprendre]
Tbientôt] à pardonner ceux d'autruil.
^ [Et songez qu'en les couvrant d'un air plus honnête, l'éducation ne les rend que
plus dangereux].
' [(n'avez pitié... ne voul ez) ne prenez intérêt qu'à].
* (hommesl.
' [porter].
'" |Le paysan... les vices [croyez]).
" (au).
'- [et là force de vous les... commençant par vous les rendre) en vous les
rendant insupportables vous fournira (bientoti des prétextes pour vous en dispenser].
" (Résistez donci.
" Imot inachevé illisible).
" [vous].
'^ [faits pour].
" [détestez].
" (pensez).
" [reposez].
'" (avoir rempli (ces) [des] soins q ue).
" [sur].
-' ""mercenairesl.
PAGES INÉDITES DE L' « EMILE » 499
sure que les domestiques mettent toujours à contribution les bienfaits des
maitres ; (' qu'ils trouvent toujours l'art de se faire rendre) de manière ou
d'autre (-la moitié) de ce qu'(' ils) donne(nt * de la part des maitres) qu'ils
exigent ' une reconnaissance très onéreuse de tout ce que le maitre a (ait gratui-
tement. Faites vous un devoir de porter partout avec une assistance réelle
l'intérest et (" la) consolation qui la font valoir et qui souvent en tiennent lieu.
Que vos visites ne soient jamais infructueuses! Que chacun tressaille de joie
à vôtre abord, que (partout) les bénédictions publiques vous accompagnent '.
Bientôt un si doux cortège enchantera vôtre ame et dans les nouveaux plaisirs
que vous apprendrez a goûter, si quelquefois vous perdez le bien que vous aurez
cru faire, vous ne perdrez pas au moins celui que vous en aurez tiré.
II
PAGES INÉDITES DE L' « EMILE »
Les pages inédites qui vont suivre sont empruntées au Premier
Brouillon de /'Emile, c'est-à-dire à F. Elles précèdent de quelques
feuillets à peine le texte de la Profession ; et, si Rousseau les a sacrifiées
dans les Manuscrits suivants, c'est que le Vicaire devait en utiliser
les idées essentielles : cf.. dans la présente édition, p. i25, et note 3,
p. fji et note i. Cependant ces morceaux restent intéressants,
parce qu'ils montrent — le second surtout — avec quelle bonne volonté,
pour ne pas dire avec quelle candeur, Rousseau a essayé d'affronter
les problèmes métaphysiques qu'il crovait apercevoir sur son chemin.
De ces deux fragments, le premier, qu'on pourrait intituler : Comment
s'acquiert l'idée de Dieu, se place dans le Livre IV après le paragraphe
qui se termine par : j'ai bien de la peine à voir comment on s'avise de le
construire lÉdit. Hachette, II, 2261. Le second, qu'on pourrait intituler :
La genèse de l'idée de « substance », se lit à la page suivante, après le
paragraphe qui se termine par : il est facile après cela de leur faire dire
tout ce qu'on veut '//, 22/ 1, et occupe la place que prennent dans l'édi-
' [letl qu'ils savent s'approprier].
' [une partie .
' [on'.
* [par leurs mains et'.
' [(d'autan ti].
^ [les] consolation[s].
' [sans cesse].
500 APPENDICES
lion originale les deux paragraphes suivanls. — L'un et l'autre frag-
ments avaient déjà paru à Moultou dignes d'être recueillis, sans doute,
puisqu'il les avait copiés lui-même. Ces copies, d'ailleurs très incomplètes
et fautives, faites sur deux feuilles volantes, se trouvent jointes aujour-
d'hui au Manuscrit Favre.
lCOMMENT S'ACQUIERT L'IDEE DE DIEU]
F, f° 150 ''° Quitons ce langage ligure trouvé [par l'ignorance et] par la vanité pour
parler beaucoup sans rien dire et revenons à des considérations plus claires sur
les progrès de nôtre Emile.
[' Reprenons] la succession des connoissances humaines, pour ciierciier
comment je dois acquérir la plus importante de toutes. J'ai dit que ce qui change
la simple appréhension des objets en idées; c'est quand à l'image absolue de
l'objet - se joignent (^ quelques) raports qui le déterminent. La considération
particulière des raports des choses étend les idées et produit la reflé.xion, enfin
quand la réflexion (* s'élève) jusqu'à rassembler «. tous » les raports [connus]
(des choses) en un sistême général, alors elle devient contemplation et de la
contemplation (bien dirigée) naissent les (idées) sublimes '' de l'ordre et [celles;
du beau ("abstrait qui n'est lui même que l'effet [qui resuite]) des raports
bien ordonnés & " pour une fin commune » (à tous) dans « la chose » (* qu'on
examine).
Il suit de là que l'esprit humain ne sauroit s'élever à la contemplation de
l'univers et de l'ordre admirable qu'on y voit régner qu'après avoir longtems
examiné la structure des parties et le concours des raports '' d'où nait le sistême
total réuni ('"sous) une seule idée (dans l'esprit de son "auteur) pour sentir
qu'une suprême intelligence régit cette machine immense il faut être en état
d'appercevoir au moins '- par quelque côté le jeu mutuel des parties, les propor-
' (Si je reprends).
' [(ne... la)].
' [des].
* [va].
° [idées].
^ [qui n'est que l'apparence].
' (relative ment).
^ [dont il s'agit].
» (qui).
'» [dans].
" (mot inachevé illisiblei.
" (qu).
PAGES INÉDITES DE l' « EMILE » 501
lions de leurs masses, de leurs forces, de leurs inouvemens et de connoitre
quelques unes des loix par lesquelles ' chaque ('- partie) concourt à la conser-
vation du tout. Tout cela ne demande pas tant une étude savante et profonde
qu'un dévelopement graduel des facultés de l'esprit humain qui ne se fait que
peu à peu] dans un certain ordre et •'' dans une certaine suite d'années.
B
[L.-\ GENÈSE DE L'IDÉE DE « SUBSTANCE »]
L'idée de ("• l'esprit) n'a pas comme toutes nos autres idées une (* image) F, f° 150 ™
pour base, c'est une idée purement intellectuelle ("^ que nous n'acquérons) que
sur des raports. 7 Voici, ce me semble, comment elle nous vient. Nôtre première
mesure des êtres c'est nous mêmes. L'art de trouver les premiers raports des
choses est de les comparer avec nous. L'homme est un être étendu, figuré,
coloré, pensant et (' sensi blei. La première chose dont il s'appercoit après la
conscience de lui-même, c'est qu'il existe hors de lui des choses qui ne sont
pas lui. [* Sa] seconde [" idée est] de distinguer '° ces choses " par unités et par
nombre selon '- la quantité d'images qu'elles font dans son cerveau. La troisième
est de voir que ces choses lui sont plus ou moins semblables, que les unes sont
faites exactement comme lui, et que d'autres en différent davantage. Ici vient la
première notion des raports et " le premier acte du raisonnement qui est de
composer '* une idée de deux autres. Ensuite on examine plus particulièrement
(" par quelles qualités les autres êtres dirfèrent) ce qui nous mène aux premières
' itoutesi.
' [pièce].
' (dans peu à peui.
* [la substance spirituelle].
» [sensation].
" [qui n'est fondée].
' [sentant],
» (La).
" (est de distinguer nume riqlement que ces choses onti.
"> (numeriquementi.
" (selonl.
'■-' lies).
" iprémiérementl.
'* (dei.
'5 [les qualités par lesquelles deu.x êtres peuvent être différens ou semblables].
t fci, en marge : En suivant une route (purement) [entièrement]
spéculative et qui n'est point celle ou nous mène la nécessité de pourvoir
à nos besoins.
502 APPENDICES
abstractions. Après avoir iongtems considéré ces abstractions sous certaines
modifications particulières comme ' le blanc, le noir, le rouge [etc.] nous les
généralisons enfin sous le mot (- gênerai) de couleur. Nous en faisons de même
des ' ronds, des quarrés, des cubes, etc sous le nom commun de figures, (et)
des dimentions diverses sous le nom commun de grandeur. C'est seulement
après ■* ces (diverses) opérations que nous sommes en état de (' diviser) les êtres
en espèces et en genres selon leurs (" propriétés) communes, et selon leurs
propriétés particulières, .\lors nous (' voyons) qu'il y a des qualités communes
sans aucune exception à ("des) êtres qui nous sont connus ''savoir ['"d'être
étendus, colores, figures, et formés d'une substance impénétrable] et d'autres
f° 151 ^° qualités propres à quelques uns seulement savoir le sentiment " et || la. pensée;
nous voyons de plus que les êtres '-doues de ces propriétés sont sujets à les
perdre sans [que] (jamais) rien les leur puisse rendre et (que) l'acte qui les en
prive s'appelle mort. Au lieu que les qualités générales peuvent bien se modifier
en accidens divers [mais non jamais s'anéantir] (et) les ('^ corps) changer de
couleurs et de figures mais ('■* non) ['' perdre] (toute) '" couleur (et toute figure).
[Nous voyons encore qu'il se fait une circulation de substance entre les
divers rangs qu'il passe quelque chose des uns dans les autres. Que ce quelque
chose perd '" ou gagne certaines propriétés particulières ['"mais] ('^ qu'il ^° a des)
qualités primitives (qui) lui restent toujours], t
' (la blancheuri.
' icommun],
' (mots de|.
* [toutes].
^ [rassembler].
^ [qualités].
' [trouvons].
' [tous les].
» (celle).
"• (l'étendue, la couleur, la figure et l'impénétrabilité de la).
" et pensée (sic).
'- (quii.
'* [(êtresl substances qui les ont peuvent].
" [elles ne sauroient],
'' (cesser).
'' [figure et toute].
" [(certaines)].
'0 (et).
19 [que (certaines) d'autres].
'" (lui reste... encore ?).
t Ici, en tnarge : N B citation d'Helvetius. Si d'abord on eut fi.xé
la signification [de ce mot matière] on eut reconnu que les hommes
étoient, si je l'ose dire, les créateurs de la matière, que la matière n'étoit
pas un être, qu'il n'y avoit dans la nature que des individus au.xquels
on avoit donné [le nom de corps] et qu'on ne pouvoit entendre par ce
PAGES INEDITES DE L' « EMILE » 503
Alors ' donnant un nom à la substance qui porte ces [premières] qualités
que nous connoissons pour indestructibles - nous l'appelions matière : et (toutes)
les portions de matière reunies en êtres individuels s'appellent corps.
Quand on en est venu là il se présente une question à résoudre. Ces deux
autres qualités [savoir ' la pensée et [le sentiment] qualités que la plupart des
corps n'ont point, qualités .-•] que certains corps acquièrent sans que nous
puissions savoir comment et qu'ils perdent sans que nous puissions * jamais les
leur rendre appartiennent elles à la matière ou ne lui appartiennent-elles pas.
On peut concevoir qu'elles lui appartiennent ' lors(que considérant la pensée
et le sentiment) comme des modes ou manières d'être (et) " forcé de concevoir
quelque substance qui serve de [soutien ou de] base a ces modes ('on * pense)
que la matière est la seule substance [' qui nous soit] connue ['" on conclut
qu'elle est [aussi] la seule existante]. On peut concevoir qu'elles ne lui appar-
tiennent pas (" lorsqu'on vient à penser) '- que les propriétés connues de la
matière, telles [" qu'] étendue, figure et couleur en sont inséparables [et qu'] * on »
vient a considérer que la pensée et le sentiment n'étant pas dans le même cas,
' inousp.
' (et).
' (le sentimentl.
* isav oiRi.
^ [lorsique l'on considère... que les consideranti qu'on les considère].
" [que].
' [et pensant].
' (vienti.
^ (dont nous ayons quelque... les qualitèsi.
'" (nous rend ?... donne quelque sensi.
" [quand on pense].
" [lauxi].
" (que l'|.
mot de matière que la collection des propriétés communes à tous les
corps. La signification de ce mot ainsi déterminée, il ne s'agissoit plus
que de savoir si l'étendue, la solidité, l'impénétrabilité étoient les seules
propriétés communes à tous les corps, et si la découverte d'une force
telle par exemple que l'attraction ne pouvoit pas faire soupçonner * que
les corps eussent encore quelques propriétés inconnues, telles que la
faculté de sentir qui ne se manifestant que dans les corps organisés des
animaux pouvoit (ne) être commune à tous les individus. De l'Esprit.
p. 32. — Sous cette citation, Rousseau a écrit : N B à bien examiner; puis,
les rattachant par un astérisque au mot soupçonner, /'/ a ajouté les deux
réflexions suivantes : Soupçonner à la bonne heure; mais de ce soupçon
conclure comme une chose démontrée que la matière sent et qu'il n'v a
point dame. — Locke le métoit en doute et nos sceptiques l'affirment : je
ne connois personne de si dogmatique que les sceptiques d'aujourdui.
504 APPENDICES
elle peut (les avoir ou) ne les avoir point sans cesser ' pour (- ça) d'être égale-
ment corps et matière. [Alors il est naturel de {' concevoir) quelque autre
substance qui bien qu'inconnue à nos veux ne laisse pas d'exister et dont la
pensée et le sentiment sont des & propriétés v> [ou qualités] nécessaires, comme
l'étendue et la figure le sont de la substance matérielle].
Chacune de ces [deux] hypothèses sert d'objection à l'autre et (alors)
quelque parti qu'on prenne il faut distinguer dans une substance les qualités
contingentes ou accidentelles * telles que la blancheur la rougeur ou telle autre
couleur particulière; [^ telle ou telle] figure [("particulière)] qu'un corps quel-
f° 151'° conque peut avoir ou n'avoir pas et les qualités nécessaires || ou substancielles
qu'on ne peut séparer de la substance qui les a sans l'anéantir, comme couleur
et figure dans la matière. Ainsi (?) tel corps n'aura pas telle figure ou telle couleur
en particulier parce qu'il en aura un autre; mais il ne sera jamais sans figure
et sans couleur. 11 s'agit donc de savoir si la pensée et sentiment sont des
qualités ' générales (" telles que la) couleur et (la) figure ou des propriétés
particulières telles ' par exemple « que » ('" le) rouge ou le vert et que (" le cube)
ou (la) pyramide; car dans le ['-second] cas on pourroit conclure qu'elles
('^ appartiennent) à la matière, ''' comme modes particuliers de quelque autre
qualité qui en seroit inséparable [ou qu'on supposeroit l'être] (« '■' telle ») par
exemple « que » le mouvement, * et * dans le ["^ premier] cas il faut nécessai-
rement les attribuer à quelque autre substance dont nous n'avons aucune idée
et " dont elles doivent être [(elles mêmes)] inséparables comme (" l'étendue) et la
figure (le) sont '■' de la matière. Or -" quelque parti qu'on prenne dans cette
obscure question j'appelle ame ou esprit la substance à laquelle appartiennent
le sentiment et la pensée [soit connus.^ (-' generiquement) comme qualités
' (d').
2 [cela].
■' [supposer].
* (qu'un corps peut avoir ou n'avoir pas|.
'> (la rondeur la figure angulaire, ou telle autre ligure variant à l'inllniL
^ [déterminée].
' [(semblables)].
^ [comme (par exemple) celles qu'expriment les mots].
■' (que la pa mot inachevé tellesi.
'" « la » [couleur rouge ou la verte].
" [la forme cubique] ou pyramyd [aie].
'- (premierl.
" [conviennent].
" (et dans le second qu'elles appartiennent à quelqu'autre substance à laquelle)
'^ [comme].
'* (second).
" (à).
"* [la couleur],
'■' [inséparables].
-" quelle parti (sic).
-' [généralement].
FRAGMENTS INUTILISES 505
soit ' spécifiquement comme propriétés]. Alors il est évident qu'à l'aide de cette
nouvelle définition la dispute n'a changé que (- par les) mots et (' qu'il s'agit)
toujours (■* de savoir) si l'esprit est matière ' et corps ou '.bien; s'il est autre
chose.
Je n'é.xamine point comment s'y prennent les philosophes pour résoudre
cette question. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici, je veu.x seulement montrer
quel (" chemin) immense a du faire l'esprit humain [simplement] pour (se la
proposer et) l'entendre " route d'autant plus, abstruse et moins naturelle qu'elle
est purement spéculative et bien loin de celle ou nous mène la nécessité de
pourvoir à nos besoins (de toute espèce! qui est la ' route naturelle de l'instruction.
FRAGMENTS INUTILISES-
De ces J'ragmenls, les premiers se trouvent dans l'un des cahiers de
brouillons de Rousseau. Mss. de Neuchdtel, n" 7842. Ils ont été écrits
lorsque B était déjà entièrement rédigé. Ils sont rangés à la suite l'un
de l'autre sous ce titre, de la main de Rousseau, f" 3i r" : A placer
dans le traitté de l'éducation. Quelques-uns de ces morceaux d'attente
ont été. en effet, insérés dans /'Emile. Mais ceux qui devaient être
« placés » dans la Profession de foi n'ont pas été, — sauf un, et
encore provisoirement, — utilisés. On reconnaît facilement qiiils
étaient destinés à la Profession, non seulement d'après leur contenu,
mais grâce aux indications marginales de Rousseau : L. I^ ou
P. de t. — La destination des auti-es Jragments est moins certaine:
mais ils rentrent dans le cercle d'idées où se meut la réflexion du
Vicaire. Deux d'entre eux se trouvent à Neuchdtel sur un petit
carré de papier, parmi d'autres fragments isolés et non numérotés,
sous la cote générale 78/I *". La remarque sur Aristote avait
d'abord été rédigée au crayon, et occupait alors tout l'espace que
remplissent maintenant les deux notes écrites à l'encre. — Le dernier
fragment est le brouillon d'une petite dissertation sur les prophéties.
Écrit sur une feuille volante, il a été collé plus tard à la fin dun
' ipi.
' [de].
* [(la questioni se réduit].
* [à décider].
' (OUI.
* [route].
' [et se la proposer].
' [véri Table].
506 APPENDICES
Manuscrit que possédait Rousseau : Doutes sur la religion, dont on
cherche leclaircissement de bonne fov. Plusieurs idées de Rousseau
sont, en effet, empruntées au chapitre VII des Doutes 'j', 14-16 : Des
prophéties et des prophètes.
N, f°32''"' L. 4 Prof, de f : Il n'est pas possible que l'ennemi (né) d'une religion la
connoisse bien, beaucoup moins qu'il la fasse connoitre aux autres.
L. 4 P. de f. Le sentiment dit-on. peut me tromper, mais d'où ai-je la
preuve qu'il me trompe.
L. IV. Ayez de la pieté, [etc]. — C'est le fragment que j'ai inséré plus haut
dans la Profession, pp. 442-44.4.
*
f° 32 ^^ ^' '^ ■ ' ^' '* divinité s'est réellement annoncée aux hommes par quelque
révélation [expresse], il faut que cette révélation leur soit communiquée également
à tous en même tems avec la même [- évidence] (et la même force), et de
(^ manière) que la (* distance) des tems (ou) des lieux, (la différence) des langues,
des coutumes, des opinions n'en mete aucune dans la force des preuves sur
lesquelles cette révélation est établie. Je ne sache pas (' qu'il en soit fait mention
d'aucune) et qu'on en puisse même " concevoir qui soit marquée à ce caractère
(' de vérité) et d'uniformité (' sans lequel (** la révélation ne seroit) qu'un
('" piège tendu à la crédulité des hommes)).
*
L. IV. [Prenant la volonté du premier être pour la loi de nécessité je con-
viens que] [" tout ce qui arrive] sur la terre arrive nécessairement excepté ce que
' (S'il y a unel.
' (force).
' 'telle sorte].
' [différence].
' [qu'on lait jamaisi en connoisse].
<= [(en)].
' [d'universalité].
^ [qui convient à la divinité parlant à tous les hommes].
* [elle n'est].
'" [modèle de séduction (entre les mains des) [pour les] fourbes et un piège
tendu à la crédulité des simples].
" (Tous les evenemens).
FRAGMENTS INUTILISES
507
les hommes v font. Encore ce que les hommes y font étant peu de chose rela-
tivement au tout est nécessité par leur nature à ne ^pas] passer certaines bornes
(' au dedans desquelles rien de ce qui arrive ne peut) déranger l'ordre total.
B
de Nfochâlel,
78;i bis
Remarquez qu'Aristote lui même qui ne paroit pas avoir trop bien pensé
de la Divinité a trouvé absurde la supposition du mouvement éternel de la
matière de cœlo. lib : 3. cap. 2.
lEt) la Religion sera plus deshonorée par ses détfenseurs que par ses
ennemis, et ils Toffenseront plus par leurs crimes qu'ils ne l'honoreront par leurs
hommages.
Mï^!!. de Xeorhàlel,
7931. io 23 r>
S'il n'étoit rien arrivé de ce que nous croyons voir annoncé par les
prophéties il seroit arrivé autre chose et nous l'y (- verrions) annoncé de même.
' Est-il bien étonnant qu'une multitude d'hommes d'esprit méditant sans cesse
des livres obscurs v trouvent les sens qu'il leur plait et y fassent cadrer des
evénemens * quel[con]ques. [* Qu'y a t il de plus naturel que d'annoncer un
libérateur à des peuples persécutés ou captifs. Il n'est pas besoin pour cela d'être
un oracle (?) il suffit d'être consolateur]. Il n'v a rien de plus clair sur I* le Messie)
dans les prophètes que dans (' Virgile) et dans (" Homère), les centons de ces
deu.x poètes en font foi. Est-ce à dire qu'Homère et Virgile [inspirés de Dieu]
aient prophétisé la venu du Messie. [^ On dit tout quand on est obscur pour
ceux qui veulent tout voir dans les ténèbres]. Sans être un fort ('" grand génie)
je [" me fais] fort de trouver tel événement qu'on voudra ('- dans les) " pro-
phe(ties) tout aussi ['* clairement qu'aucun de] ceu.x que nous y trouvons.
' [et ces bornes empêchent les actions libres des hommes de pouvoir].
' [trouverions].
» illi.
* quel iquei que.
^ (Lisez les centons de Virgile recueillis [De J. C on annonca]i.
« ]J. C.
' (les centons del [(recueils ?) Homère].
' [Virgile].
° iDonnezi.
'" [habile interprète].
" (suisi.
" [prédit par nous.
" prophe [tes].
'* (quel.
508 APPENDICES
IV
« MAXIMES »
extraites par Rousseau de la « Profession de foi »
Sous ce titre de « Maximes », Rousseau a groupé dans l un de ses
ca/iiers de brouillons i Mss. de Neuchàtel, n" yS^J) un choix de réflexions
philosophiques et morales empruntées à /'Emile. Les deux tiers de ces
« JVlaximes » viennent de la Profession de foi. // semble, d'ailleurs, que
ce choix de Rousseau soit resté inachevé. J'ai cru pourtant qu il y aurait
intérêt à retrouver ici ce qui. dans la Profession, paraissait à Rousseau
lui-même le plus nouveau ou le mieux formulé. — J ai souligné les
quelques variantes: ce sont presque toutes de légères retouches, que
Rousseau a fait subir à son texte pour lui donner l'impersotinalité des
maximes. — Les pages sont indiquées par Rousseau lui-même : ce sont
celles de l'édition orieinale.
f° 67 ''" ni, m. Il est un degré d'abrutissement qui ote la vie à rame, et la voix
intérieure ne sait plus se faire entendre à celui qui ne cherche qu'à se nourrir.
V 68 '° 'II' '7- En écartant toujours la vaine apparence et pénétrant les mau.x réels
qu'elle couvre on apprend à déplorer les erreurs de «ex semblables, a s'attendrir
sur leurs misères, et à les plaindre plus qu'à les envier.
iS. L'homme qui fait le plus de cas de la vie est celui qui sait le moins
en jouir, et celui qui aspire le plus avidement au bonheur est toujours le plus
misérable.
22. En /a/.sc7;i; Vfeii de n'être pas homme on promet plus qu'oH ne peut tenir.
23. Il faut commencer par apprendre à résister ton/ours, pour savoir quand
on peut céder sans crime.
24. Il ne faut souvent qu'agraver la faute pour échapper au châtiment.
25. Rien ne conserve mieux l'habitude de réfléchir que d'être plus content
de soi que de sa fortune.
« MAXIMES » EXTRAITES DE LA « PROFESSION » 509
27. Le doute sur les choses qu'il nous importe de connoitre, est un état
trop violent pour l'esprit humain; il n'y résiste pas longtems; il se décide
malgré lui de manière ou d'autre, et il aime mieux se tromper que ne rien croire.
(En me disant croyez tout on empêche de rien croire, et le croyant ne
sait plus ou .s'arrêter).
3o. 11 n'y a pas un philosophe, qui, venant à connoitre le vrai et le t'au.\, ne
préférât le mensonge qu'il a trouvé à la vérité découverte par un autre.
33. Les objections insolubles étant communes à tous les systèmes parce que
l'esprit de l'homme est trop borné pour les résoudre, ne prouvent contre aucun
par préférence: mais quelle différence entre les preuves directes! Celui-là seul
qui explique tout ne doit-il pas être préféré, quand il n'a pas plus de difficulté
que les autres ?
37. La faculté distinctive de l'Etre actif ou intelligent est de pouvoir
donner un sens à ce mot est.
40. (Ajoutez à cela une refle.xion qui vous frappera, je m'assure, quand
vous y aurez pensé). Si nous étions purement passifs dans l'usage de nos sens,
il n'y auroit entre eux aucune communication il nous seroit impossible de
connoitre que le corps que nous touchons et l'objet que nous voyons sont le
même. Ou nous ne sentirions jamais rien hors de nous, ou il y auroit pour nous
cinq substances sensibles, dont nous n'aurions nul moven d'appercevoir
l'identité.
48. Les premières causes du mouvement ne sont point dans la matière; elle
reçoit le mouvement et le communique, mais elle ne le produit pas.
59. La barrière insurmontable que la nature a mise entre les diverses fo gg
espèces afin qu'elles ne se confondissent pas, montre ses intentions avec la
dernière évidence. Elle ne s'est pas contentée d'établir l'ordre, elle a pris des
mesures certaines pour que rien ne put le troubler.
61. Il ne dépend pas de moi de croire que la matière passive et morte a
pu produire des êtres vivans et sentans, qu'une fatalité aveugle a pu produire
des êtres intelligens, que ce qui ne pense point a pu produire des êtres qui
pensent.
63. J'apperçois Dieu partout dans ses œuvres, je le sens en moi, je le vois
tout autour de moi : mais sitôt que je veux le contempler en lui-même, sitôt
510 APPENDICES
que je veux chercher où il est, ce qu'il est, quelle est sa substance, il m'échappe,
et mon esprit troublé n'apperçoit plus rien.
65. Qu'y a-t-il de si ridicule à penser que tout est lait pour moi, si je suis
le seul être qui sache tout rapporter à lui ?
66. Content de la place où Dieu m'a mis, je ne vois rien, après lui de
meilleur que mon espèce. Si j'avois à choisir ma place dans l'ordre des êtres,
que pourrois-je choisir de plus que d'être homme ?
69. Si se préférer à tout est un penchant naturel à l'homme, et si pourtant
le premier sentiment de la justice est inné dans le cœur humain, que celui qui
fait de l'homme un être simple, lève ces contradictions, et je ne reconnois
plus qu'une substance.
70. J'entends par le mol de substance l'Etre doué de quelque qualité
primitive, et abstraction faite de toutes modifications particulières ou secondaires.
Si donc toutes les qualités 'primitives qui nous sont connues, peuvent se reunir
dans un même être, on ne doit admettre qu'une substance; mais s'il y en a qui
s'excluent mutuellement, il y a autant de diverses substances qu'on peut faire de
pareilles e.xclusions.
71. Quand un philosophe viendra me dire que les arbres sentent, et que
les rochers pensent il aura beau m'embarrasser dans ses argumens subtils, je ne
puis voir en lui qu'un sophiste de mauvaise foi, qui aime mieu.x donner le
sentiment aux pierres que d'accorder une ame à l'homme.
72. Je ne sais comment l'entendent nos matérialistes, mais il me semble
que les mêmes difficultés qui leur ont fait rejetter la pensée leur devroient faire
aussi rejetter le sentiment, et je ne vois pas pourquoi avant fait le premier pas,
ils ne feroient pas aussi l'autre. Que leur en coùteroit-il de plus, et puisqu'ils
sont surs qu'ils ne pensent pas. comment osent-ils allîrmer qu'ils sentent ?
75. Je ne connois la volonté que par le sentiment de la mienne, et l'enten-
dement ne m'est pas mieux connu. Quand on me demande quelle est la cause
qui détermine ma volonté, je demande à mon tour, quelle est la cause qui
détermine mon jugement : car il est clair que ces deux causes n'en sont qu'une ;
et si l'on comprend bien que l'homme est actif dans ses jugemens, que son
entendement n'est que le pouvoir de comparer et de juger, on verra que sa liberté
n'est qu'un pouvoir semblable, ou dérivé de celui-là; il choisit le bon comme il
a jugé le vrai. S'il juge faux, il choisit mal. Quelle est donc la cause qui
détermine sa volonté? C'est son jugement. Et quelle est la cause qui détermine
« MAXIMES » EXTRAITES DE LA « PROFESSION » 5II
son jugement ? C'est sa faculté intelligente, c'est sa puissance de juger; la cause
déterminante est en lui-même. Passé cela, je n'entends plus rien.
76. Sans doute je ne suis pas libre de ne pas vouloir mon propre bien,
je ne suis pas libre de vouloir mon mal ; mais ma liberté consiste en cela même,
que je ne puis vouloir que ce qui m'est convenable, ou que j'estime tel, sans que
rien d'étranger à moi me détermine. S'ensuit-il que je ne sois pas mon maître,
parce que je ne suis pas le maître d'être un autre que moi ?
Le principe de toute action est dans la volonté d'un être libre, on ne
sauroit remonter au delà. (Il manque ici une phrase que Rousseau avait com-
mencée, puis barrée, et qu'il a préféré détacher pour en faire une « maxime i)
à part : c'est la « maxime » suivante). Supposer quelque acte quelque effet qui
ne dérive pas d'un principe actif, c'est vraiment supposer des effets sans cause,
c'est tomber dans le cercle vicieu.x. Ou il n'y a point de première impulsion, ou
toute première impulsion n'a nulle cause antérieure, et il n'y a point de véritable
volonté sans liberté.
« Ce n'est pas le mot de ■» liberté qui ne signifie rien, c'est celui de
nécessité.
77. Tout ce que l'homme fait librement n'entre point dans le système
ordonné de la providence et ne peut lui être imputé.
78. La suprême jouissance est dans le contentement de soi-même.
79. Quoi ! pour empêcher l'homme d'être méchant, falloit-il le borner à
l'instinct et le faire bête ? Non, Dieu de mon ame, je ne te reprocherai jamais de
l'avoir faite à ton image, afin que je pusse être libre, bon et heureu.\ comme toi !
C'est l'abus de nos facultés qui nous rend malheureu.x et méchans. Nos
chagrins nos soucis nos peines nous viennent de nous. Le mal moral est
incontestablement nôtre ouvrage, et le mal phvsique ne seroit rien sans nos
(peines) vices qui nous l'ont rendu sensible.
80, Qui ne sait pas supporter un peu de souffrance doit s'attendre a
beaucoup souffrir.
81. Homme ne cherche plus l'auteur du mal; cet auteur c'est toi-même. Il
n'e.xiste point d'autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres, et l'un et
l'autre te vient de toi. Le mal général ne peut être que dans le desordre, et je vois
dans le système du monde un ordre qui ne se dément point. Le mal particulier
512 APPENDICES
n'est que dans le sentiment de l'être qui souffre: et ce sentiment l'homme ne
l'a pas receu de la nature, il se l'est donné (Rousseau a passé une phrase). Otez
nos funestes progrès, otez nos erreurs et nos vices, otez l'ouvrage de l'homme
et tout est bien.
8i. La bonté est l'effet nécessaire d'une puissance sans bornes et de l'amour
de soi, essenciel à tout être qui se sent. Celui qui peut tout étend pour ainsi dire
son e.xistence avec celle des êtres. Produire et conserver sont l'acte perpétuel de la
puissance; elle n'agit point sur ce qui n'est pas. Dieu n'est pas le Dieu des morts,
il ne pourroit être destructeur et méchant sans se nuire. Celui qui peut tout ne
peut vouloir que ce qui est bien.
f° 69 ''" ^'^- Quand les Anciens appelloient optimus ma.ximus, le Dieu suprême,
ils disoient très vrai; mais en disant O. M. (sic, Rousseau s'est trompé en se
recopiant) ils auroient parlé plus e.\actement, puisque sa bonté vient de sa
puissance. Il est bon parce qu'il est grand.
84. On diroit au.x murmures des impatiens mortels que Dieu leur doit la
récompense avant le mérite, et qu'il est obligé de payer leur vertu d'avance.
O soyons bons premièrement et puis nous serons heureux. N'exigeons pas le
prix avant la victoire, ni le salaire avant le travail. Ce n'est point dans la lice,
disoit Plutarque, que les vainqueurs de nos jeux sacrés sont couronnez : c'est
après qu'ils l'ont parcourue.
86. L'homme ne vit qu'à moitié durant sa vie. et la vie de l'ame ne com-
mence qu'à la mort du corps.
96. Plus je m'efforce de contempler /'essence infinie, moins je la conçois;
mais elle est, cela me suffit; moins je la conçois, plus je l'adore. Je m'humilie,
et lui dis : Etre des Etres, je suis, parce que tu es; c'est m'elever à ma source
que de te méditer sans cesse. Le plus digne usage de ma raison est de s'anéantir
devant toi. C'est mon ravissement d'esprit, c'est le charme de ma foiblesse de
me sentir accablé de ta grandeur.
98. La conscience est à l'ame ce que l'instinct est au corps.
100. Si l'homme est méchant naturellement, il ne peut cesser de l'être sans
se corrompre, et la bonté n'est en lui qu'un vice contre nature. Fait pour nuire
à ses semblables comme (uni [le] loup pour égorger sa prove, un homme
humain seroit un animal aussi dépravé qu'un loup pitoyable, et la vertu seule
nous laisseroit des remords.
I.ETTRI-: A M. DE l-KANQUIERES 513
V
LETTRE A M. DE FRANQUIÈRES
(17G9)
Celle longue Le lire, qui est presqu un opuscule, ne peut être séparée
de la Profession de toi, dont elle offre, en quelque sorte, l'essentiel
condensé. Ce qui en fait surtout l'intérêt, c'est qu'elle vient confirmer
la déclaration du Vicaire : « ./'ai pris mon parti, je m'y tiens ». La
Profession n'est pas. en effet, une étape dans l'évolution religieuse de
Rousseau. C'est le bilan de plusieurs années de «pénibles recherches » ;
mais de recherches sans lendemain, parce qu'elles laissaient derrière
elles. — et pour toujours. — sinon l'absolue conviction intellectuelle,
du moins la pleine sécurité pratique. « .Ap?-ès les recherches les plus
ardentes et les plus sincères qui Jamais peut-être aient été faites par
aucun mortel, dit Rousseau dans la « Troisième Promenade » des
Rêveries. IX. 342-343, je me décidai pour toute ma vie sur tous les
sentiments qu'il m importait d'avoir Depuis lors, resté tranquille dans
les principes que /'aj'a/.v adoptés après une méditation si longue et si
réfléchie, j'en ai fait la règle immuable de ma conduite et de ma foi. sans
plus m'inquiéter ni des objections que je n avais pu résoudre, ni de celles
que Je ii'avais pu prévoir, et qui se présentaient nouvellement de temps à
autre à mon esprit ». .4 ce point de vue, la Lettre suivante est caractéris-
tique : Rousseau \- reprend les arguments du Vicaire avec une assurance
plus tranquille, et plus de confiance encore dans le dictamen du senli-
menl : c'est tantôt un résumé, tantôt un commentaire de la Profession.
Cette Lettre se trouve déjà dans la Correspondance, A7/, i4o-i5o:
mais le nom du destinataire n'y est pas indiqué. La copie de Rous.<:eau,
que Je reproduis ici. nous le fournit, mais sans nous apporter d'autre
renseignement sur ce M. de Franquières. C'était probablement un
gentilhomme du Dauphiné. On voit qu'il avait écrit plusieurs fois à
Rousseau: mais, à partir de ij6g. Rousseau n'a plus conservé que de
très rares Lettres de ses correspondants. La Bibliothèque de Neuchdtel
possède, du moins, m" jQoii la copie de cette Lettre, et le petit billet
qui accompagnait l'envoi. Rousseau, trouvant, sans doute, la Lettre
importante, avait voulu la conserver, et l'avait recopiée sur un cahier
spécial. Le texte entier n'en est pourtant pas autographe. Après la
première ligne, et durant un peu plus de deux pages, l'écriture n est pas
celle de Rousseau. Pour s'épargner la fatigue de cette copie, il s était
vraisemblablement adressé à quelque voisin de campagne: puis, décon-
33
514
APPENDICES
certé par lOrlhographc de ce copiste d'occasion, il préféra achever
lui-même le travail.
Il avait envové la Lettre avec le billet suivant if" i ''"i : « Le voila,
Monsieur, ce misérable radotage que mon amour propre humilié vous
a fait si longtems attendre, faute de sentir qu'un amour propre beau-
coup plus noble devait m'apprendre à surmonter celui-là. Qu'importe
que mon verbiage vous paroisse misérable, pourvu que je sois content
du sentiment qui me l'a dicté. Sitôt que mon meilleur état m'a rendu
quelques forces, j'en ai proffité pour le relire et vous l'envoyer. Si vous
avez le courage d'aller jusqu'au bout, je vous prie après cela de vouloir
bien me le renvover, sans me rien dire de ce que vous en aurez pensé, et
que je comprends de reste, .le vous salue, Monsieur et vous embrasse de
tout mon cœur. Renou. A Monquin le 25. Mars 1769 ». — Pour faciliter
les citations de cette Lettre dans le commentaire de la Profession, j'en ai
numéroté les paragraphes.
.\ Bourgoin le i5 janvier. 1769
1. Je sens, .Monsieur, l'inutilité du devoir que je remplis en répondant à
votre t dernière lettre : mais c'est un devoir enfin que vous m'imposes ' et je
le - rempli s de bon coeur, quoique mal. [^ vu] les distractions de l'état oij je suis.
2. Mon ^ [dessein], en vous disant ici mon opinion sur les principaux
[^ points] de votre lettre est de vous la dire avec simplicité, et sans chercher à
vous la faire adopter, cela seroit contre mes principes et même contre mon goût,
car je suis juste, et comme je n'aime ['■ point] qu'on cherche [' à] me subjuguer,
je ne cherche non plus à subjuguer personne : je scai que la raison commune
est très bornée, qu'aussitôt qu'on sort de ses étroites limites, chacun à la sienne
qui n'est propre qu' [' à] lui; que les opinions se propagent par les opinions non
par la raison, et que ['' quiconque] cède au raisonnement d'un autre, chose
« déjà ■» très rare, cède par préjugé, par ['" autorité], par affection, par paresse;
rarement, jamais peut être, par son propre jugement.
' icest).
- remplie Isic).
» vu le).
* (deissin).
■'' (poientsi.
" ipoieiit).
■ (à).
* làl.
" iquicomquel.
'" lauctontëi.
t .4 partir d'ici, l'écriture n'est plus celle de Rousseau, sauj pour
les corrections texte entre crochet . qui paraissent bien être de lui.
LETTRE A M. DE FRAXQUIERES 515
3. Vous ms [' marquez], monsieur que le résultat de vos recherches sur
l'auteur des choses est un état de doute. Je ne puis juger de cet état, parce qu'il
n'a jamais été le mien. J'ai cru dans mon enfance par [-autorité], dans ma
jeunesse par sentiment, dans mon âge mur par raison; maintenant je crois
parce que j'ai ' loujour s cru. Tandis que ma mémoire éteinte ne me remet plus
sur la trace de mes raisonnements, tandis que ma judiciaire alïbiblie ne me
permet plus de les récommencer, les opinions qui en ont résulté me restent
dans ■* toute leur force, et sans que j'âye la volonté [* ni] le courage de les
mettre derechef en délibération, je m'y tiens en confiance et en conscience,
certain d'avoir [" aporté] dans la vigueur de mon jugement à leurs discussions
toute l'attention et la bonne foy dont j'étois capable. Si je me suis trompé, ce
n'est pas ma faute; c'est celle de la nature, qui na pas donné a ma tête une plus
grande mesure d'intelligence et de raison. Je nai rien de plus aujourdhui, j'ai
beauc « oup » de [' moins]. Sur quel fondement recommencerois je donc à
délibérer ? le moment presse ; le départ approche. Je n'aurois jamais le temps
[' ni] la force d'achever le grand travail d'une ['■' refonte]. Permettes qu'à tout
événement j'emporte avec mov la consistance et la fermeté d'un homme, non
les doutes ]'" décourageants] et timides d'un vieux radoteur.
4. A ce que je puis me rapeler de mes ancienes idées, à ce que j'aperçois
de la marche des vôtres, je vois que n'avant pas " suivi dans nos récherches la
même route, il est peu étonnant que nous ne soyons pas arrivés a là même
conclusion. ['''' Balançant] les preuves de l'['^ existence] de dieu avec les
difficultés, vous n'avez '■* trouvé aucun des cotés assès prépondérant pour vous
'^décider], et vous êtes resté dans le doute. Ce n'est pas comme cela que je
'" fis]. J'e.xaminai tous les sistémes sur la formation de l'univers que j'avois pu
]" con&itre] je méditai sur ceu.v que je pouvois imaginer : je les comparai tous
de mon mieux : et je me décidai, non pour celui qui ne m'offroit ['" point] de ['■' dif-
' imarquési.
' lauctoritéi.
' tousour isici.
' toutes leur force isi (sic)
" inyi.
'■• laportéet.
' imoiensi.
' inyi.
" I reformel.
'° iJégouragantSL
" suivi lel.
'- iBalansanti.
'= icxistancei.
" trouve (zi.
'^ idescideri.
'* isuisi.
" icognoitrei.
" ipoienti.
'" idifficultéesi.
5l6 APPENDICES
fo 2*" licultésl, car ils m'en offroient tous; Il mais pour celui qui me paroissoil en
avoir le moins, je me dis que ces [' difficultés] étoient dans la nature de la chose,
que la contemplation de l'infini passeroit - toujours les bornes de mon
entendement, que, ne devant jamais espérer de concevoir plainement le sistemc
de la nature, tout ce que je pouvois faire étoit de le ^ considérer par les cotés
que je pouvois saisir; qu'il falloit scavoir ignorer en paix « tout» le reste, et
j'avoue que dans [* ces] recherches, je [' pensai] comme les gens dont vous
" parlEz qui ne ' rejetteNT pas une vérité claire ou [" suffisamment] " prouvé e.
pour les difficultés qui l'accompagnent, et qu'on ne scauroit lever. J'avois alors,
je l'avoue une confiance si téméraire, ou du moins une si forte persuasion, que
j'aurois défié tout philosophe de proposer '" aucun autre système intelligible sur
la nature, auquel je n'eusse opposé des objections plus fortes, plus invincibles,
que celles qu'il pouvoit m'opposer sur le mien, et alors il falloit me résoudre
à rester sans rien croire, comme vous faites, ce qui ne dépendoit pas de moi.
ou mal raisonner, ou croire comme j'ai fait.
5. L'ne jdée qui me vint il y à trente ans a peut être plus contribué
qu'aucune autre â me rendre inébranlable. Supposons, me disois-je, le genre
humain " vieil, li jusqu'à ce jour dans le plus complet matérialisme, sans que
jamais idée de divinité ['-ni] d'âme soit antrée dans aucun esprit humain.
Supposons que l'athéisme philosophique ait épuisé tous ses sistemes pour
expliquer la formation et la marche de l'univers par le seul jeu de la matière
et du mouvement [''■ nécessaire], mot auquel, du reste je n'ai jamais rien conçu.
Dans cet état, monsieur, '■' e.xcusEZ ma franchise, je supposois encore ce que
j'ai toujour vu, et ce que je sentois devoir être, qu'au lieu de se reposeï
tranquillement dans ['■' ces] sistemes, comme dans le sein de la vérité, leurs
inquiets partisans cherchoient sans cesse â parler de leur doctrine, à l'éclaircir, a
l'étendre, à l'espliquer, la pallier, la corriger, et. comme celui qui sent trembler
sous ses pieds la maison qu'il habite, à "' l'etayer de nouveau.x arguments.
Terminons enfin ces suppositions par celle d'un platon, d'un Clarque qui, se
levant tout d'un coup au milieu d'eux leur eut dit. Mes amis, si vous eussies
' idillicultéesi.
- tousour (sic).
' conciderer (sici.
* (cettel.
" (pencois... pensoisl.
* parlé (sic).
' rejette (sic).
" (suffisament).
" prouvé (sic).
'" aucune (sic).
" vieille (sicj.
" {ne).
" (nesccscaire).
" escusé (sic).
'» (ses).
'« (ne la).
LETTRE A M. DE FRAXQflERES 3I7
' commencé l'analise de cet univers par celle de vous-mêmes, vous eussies
-trouvé dans la nature de votre être la i' clé^ de la constitution de ce même
univers, que vous cherches en vain sans cela. Qu'ensuite leur e.xpliquant la
distinction des deu.x substances, il leur eut prouvé par les propriétés même
de la matière que, quoiqu'en dise [* Locke], la supposition de la matière
^ pensante] est une véritable absurdité. Qu'il leur eut fait voir quelle est la
nature de l'être vraiment actif et pensant, et que de l'établissement de cet être
qui juge, il fut enfin remonté au.\ " notion s confuses mais sures de l'être
suprême : qui peut douter que, " frappé s de l'éclat, de la simplicité, de la
vérité, de la beauté de cette ravissante idée, les mortels, jusqu'alors aveugles,
éclairés des premiers rayons de la divinité, ne lui ' eussesT offert par acclamation
leurs premiers hommages, et que les <^ penseurs » surtout et les philosophes
n'eussent rougi d'avoir contemplé si longtemps les dehors de cette machine
immense, sans trouver, sans soupçonner même la ]' clé] de sa constitution, et,
toujours grossièrement ]'" bornés] par leurs ]" sens], de n'avoir || jamais seu voir f 3 '
que matière où tout leur montroit qu'une autre substance donnoit la vie à
l'univers et l'intelligence a l'homme. C'est alors monsieur que la mode eut été
« pour » cette nouvelle philosophie, que les jeunes gens et les sages se fussent
trouvés daccord : qu'une doctrine si belle, '-si sublime, si douce et si ]'^ con-
solante] pour tout homme juste, eût réellement e.xcité tous les hommes à la
vertu; et que ce beau mot d'humanité [" rebatu] maintenant jusqu'à la fadeur,
jusqu'au ridicule, par les gens du monde les moins humains, eût été plus
empreint dans les cœurs que dans les livres. Il eut donc '^ suffi d'une simple
transposition de temps pour faire prendre tout le contrepied à la mode philoso-
phique, avec cette ]"' différence] que celle d'aujourdhui, malgré son clinquant
de paroles, ne nous ]■' promet] pas une génération bien estimable, ni des
philosophes bien vertueu.x.
' commencez 'sici.
- trouves (sic/.
' iclaii.
* iLocei.
^ ipencantei.
* notion isic).
' frappé (sic.
' eusse (sici.
" iclaii.
"* (bornéei.
" (Sans).
'- isi doucei.
" iconsollantei.
" irebatuei.
■' suffit (sici.
" idifferensei.
'■ ipromoiii.
5l8 APPENDICES
f 6. Vous objectez, Monsieur, que, si Dieu eut voulu obliger les hommes
à le connoiire, il eût mis son existence en évidence à tous les yeux. C'est à ceux
qui font de la foi en Dieu un dogme nécessaire au salut de répondre à cette
objection, et ils y répondent par la révélation. Quant à moi, qui crois en Dieu
sans croire cette foi nécessaire je ne vois pas pourquoi Dieu se seroit obligé
de nous la donner. Je pense que chacun sera jugé non sur ce qu'il a cru. mais
sur ce qu'il a fait, et je [ne] crois point qu'un système de doctrine soit nécessaire
aux œuvres, parce que la conscience en tient lieu.
7. Je crois bien, il est vrai, qu'il faut être de bonne foi dans sa croxance,
et ne pas s'en faire un système favorable à nos passions. Comme nous ne
sommes pas tout intelligence, nous ne saurions philosopher avec tant de
desintéressement que nôtre volonté n'influe un peu sur nos opinions: (et) l'on
peut souvent juger des secrètes inclinations d'un homme par ses sentimens
purement spéculatifs : et cela posé, je pense qu'il se pourroit bien que celui qui
n'a pas voulu croire fut puni pour n'avoir pas cru.
X. Cependant je crois que Dieu s'est suffisamment révélé aux hommes
et par ses œuvres et dans leurs cœurs, et s'il y en a qui ne le connoissent pas, c'est
selon moi parce qu'ils ne veulent pas le connoitre. ou parce qu'ils n'en ont
pas besoin.
9. Dans ce dernier cas est l'homme sauvage et sans culture qui n'a fait
encore aucun usage de sa raison, (et) qui gouverné seulement par ses appétits,
n'a pas besoin d'autre guide; et qui. ne suivant que l'instinct de la nature,
marche par des mouvemens toujours droits. Cet homme ne connoit pas Dieu,
mais il ne l'offense pas. Dans l'autre cas au contraire est le philosophe qui, à
force de vouloir ' exalter son intelligence, de rafiner, de subtiliser - sur ce qu'on
pensa jusqu'à lui ébranle enlin tous les axiomes de la raison simple et primitive,
et pour vouloir toujours savoir plus et mieux que les autres parvient à ne
rien savoir du tout. L'homme à la fois raisonnable et (^ modéré), dont l'enten-
dement exercé, mais borné, sent ses limites et s'y renferme trouve dans (■* ses)
limites la notion de son ame et celle de l'auteur de son être, sans pouvoir passer
au delà pour rendre ces notions claires, et contempler d'aussi prés l'une et l'autre
que s'il éloit lui-même un pur esprit. Alors, saisi de respect, il s'arrête et ne
touche point au voile, content de savoir que l'Etre immense est dessous. Voila
jusqu'oij la philosophie est utile à la pratique. Le reste n'est [plus] qu'une
spéculation oiseuse ■' pour laquelle l'homme n'a point été fait, (et) dont le
raisonneur modéré s'abstient, et dans laquelle n'entre point l'homme vulgaire.
Cet homme qui n'est ni une brute ni un prodige est l'homme proprement
' c.xhalter (sici.
' ide).
' [modeste].
•• ^ces].
■"' (dont).
t Ici reprend l'écriliire de Rousseau.
LETTRE A M. DE FRANQUIERES 519
dii, Il moyen entre les deux extrêmes, et qui compose les ' dix-neuf vingtièmes f 3 *"
du genre humain. C'est à cette classe nombreuse de chanter le Pseaume Cœli
enarranl ; et c'est elle en effet qui le chante. Tous les peuples de la terre
connoissent et adorent Dieu, et, quoique chacun l'habille à sa mode, sous tous
ces vétemens divers on trouve pourtant toujours Dieu. Le petit nombre d'élite
qui a de plus hautes prétentions de Doctrine, et dont le génie ne se borne pas
au sens commun, en veut un plus transcendant : ce n'est pas de quoi je le
blàmc : mais qu'il parte de là pour se mettre à la place du genre humain,
et dire que Dieu s'est caché aux hommes parce que lui petit nombre, ne le
voit plus, je trouve en cela qu'il a tort. Il peut arriver, j'en conviens, que le
torrent de la mode et le jeu de l'intrigue étendent la secte philosophique,
et persuadent un moment à la multitude qu'elle ne croit plus en Dieu; mais
cette mode passagère ne peut durer, et comme qu'on s'y prenne il faudra
toujours à la longue un Dieu à l'homme. Entin quand forçant la nature des
choses, la divinité augmenteroit pour nous d'évidence, je ne doute pas que dans
le nouveau Lycée on n'augmentât en même raison de subtilité pour la nier.
La raison prend à la longue le pli que le cœur lui donne, et quand on veut
penser en tout autrement que le peuple, on en vient à bout tôt ou tard.
10. Tout ceci. Monsieur, ne vous paroit guéres philosophique: ni à moi
non plus: mais, toujours de bonne foi avec moi-même, je sens se joindre à mes
raisonnemens quoique simples le poids de l'assentiment intérieur. Vous voulez
qu'on s'en défie; je ne saurois penser comme vous sur ce point, et je trouve
au contraire dans ce jugement interne [- une sauvegarde] naturelle contre les
sophismes de ma raison. Je crains même qu'en cette occasion vous ne confondiez
les penchans secrets de notre cœur qui nous égarent, avec ce dictamen plus
secret, plus interne encore, qui réclame et murmure contre ces décisions
intéressées, et nous ramène en dépit de nous sur la route de la vérité. Ce
sentiment intérieur est celui de la nature elle-même: c'est un appel de sa
part contre les sophismes de la raison; et ce qui le prouve est qu'il ne parle
jamais plus fort que quand notre volonté cède avec le plus de complaisance aux
jugemens qu'il s'obstine à rejetter. Loin de croire que qui juge d'après lui soit
sujet à se tromper, je crois que jamais il ne nous trompe, et qu'il est [^ la lumière]
de notre foible entendement, lorsque nous voulons aller plus loin que ce que
nous pouvons concevoir.
11. Et après tout, combien de fois la philosophie elle-même avec toute
sa fierté n'est-elle pas forcée de recourir à ce jugement interne qu'elle affecte
de mépriser. N'étoit-ce pas lui seul qui faisoit marcher Diogene pour toute
réponse devant Zenon qui nioit le mouvement? N'étoit-ce pas par lui que
toute l'antiquité philosophique rèpondoit aux pyrrhoniens ? N'allons pas si loin :
tandis que toute la philosophie moderne rejette les esprits, tout d'un coup
l'èvèque (^ Berclev) s'élève et soutient qu'il n'v a point de corps. Comment
' ItrOIS QU.ABTSi.
- (un contrepoidsi.
' iréiati.
• Berklev .
520 APPENDICES
est-on venu à bout de répondre à ce terrible logicien ? Otez le sentiment intérieur,
et je défie tous les philosophes modernes ensemble de prouver à Berkiey qu'il v a
des corps. Bon jeune homme, qui me paroissez si bien né: de la bonne foi
je vous en conjure, et permettez que je vous cite ici un auteur qui ne vous
sera pas suspect, celui des pensées philosophiques. Qu'un homme vienne
vous dire que, projetant au hazard une multitude de caractères d'imprimerie,
il a vu l'Enéide tout arrangée résulter de ce jet : convenez qu'au lieu d'aller
vérifier cette merveille, vous lui répondrez froidement: .Monsieur, cela n'est
pas impossible: mais vous meniez. Kn \ertu de quoi, je vous prie, lui
répondrez-vous ainsi ?
12. Eh qui ne sait que, sans le sentiment interne, il ne resteroit bientôt
plus de traces de vérité sur la terre, que nous serions tous successivement le
jouet des opinions les plus monstrueuses, à mesure que ceu-x qui les soutien-
fo 4 ro droient auroient plus de génie, d'adresse || et d'esprit; et qu'enfin réduits à
rougir de notre raison même, nous ne saurions bientôt plus que croire ni
que penser.
i3. Mais les objections Sans doute il y en a d'insolubles pour nous
et beaucoup, je le sais. Mais encore un coup donnez-moi un sistême où il n'v en
ait pas, ou dites-moi comment je dois me déterminer. Bien plus : par la nature
de mon système pourvu que mes preuves directes soient bien établies, les
difficultés ne doivent pas m'arrêter. vu l'impossibilité où je suis, moi être
mi.xte, de raisonner e.xactement sur les esprits purs et d'en observer suffisamment
la nature. Mais vous matérialistes qui me parlez d'une substance unique,
palpable, et soumise par sa nature à l'inspection des sens, vous êtes obligé
[non seulement] de ne me rien dire que de clair, de bien prouvé, [mais]
de résoudre toutes mes difficultés d'une façon pleinement satisfaisante, parce
que nous possédons vous et moi tous les instrumens nécessaires à cette
solution. El par e.xemple quand vous faites naître la pensée des combinaisons
de la matière, vous devez me montrer sensiblement ces combinaisons ' et
leur résultat par les seules loi.x de la physique et de la mécanique,
puisque vous n'en admettez point d'autres. Vous Epicurien, vous composez
l'ame d'atomes subtils. Mais qu'appeliez- vous suhlils. je vous prie ?
Vous savez que nous ne connoissons pnint de dimenlions absolues, et que
rien n'est petit ou grand que relativement à l'œil qui le regarde. Je prends
par supposition un microscope suffisant et je regarde un de vos atomes.
Je vois un grand (- cartier) de rocher crochu ; de la danse et de l'accrochement
de pareils quartiers j'attends de voir résulter la pensée. Vous [^.Moderniste],
vous me montrez une molécule organique. Je prends mon microscope, et
je vois un dragon grand comme la moitié de ma chambre : j'attends de voir
se mouler et s'entortiller de pareils dragons jusqu'à ce que je voye résulter
du tout un être non seulement organisé mais intelligent; c'est-à-dire un être
non aggregatif et qui soit rigoureusement un etc. Vous me marquiez, Monsieur,
' (pan.
' [quartier].
•' (Réformiste ?l.
LETTRE A M. DE FRANOflERES 521
que le monde s'étoii foriuitemeni arrangé comme la Republique Romaine.
Pour que la parité tut juste, il faudroit que la Republique romaine n'eut pas
été composée avec des hommes, mais avec des morceaux de bois. .Montrez-
moi clairement et sensiblement la génération purement matérielle du premier
être intelligent; je ne vous demande rien de plus.
14. .Mais si tout est l'œuvre d'un être intelligent, puissant, bienfaisant;
d'oij vient le mal sur la terre ? Je vous avoue que celte difficulté si terrible
ne m'a jamais beaucoup frappé ; soit que je ne l'aie pas bien conçue, soit
qu'en effet elle n'ait pas toute la solidité qu'elle paroit avoir. Xos philosophes
se sont élevés contre les entités métaphysiques, et je ne connois personne
qui en lasse tant. Qu'entendent-ils par le mal r qu'est-ce que le mal en lui-
même ? où est le mal relativement à la nature et à son auteur ? L'univers
subsiste, l'ordre y régne et s'y conserve: tout y périt successivement, parce
que telle est la loi des êtres matériels et mus: mais tout s'v renouvelle et rien
n'v dégénère, parce que tel est l'ordre de son auteur, et cet ordre ne se dément
point. Je ne vois aucun mal à tout cela. Mais quand je souffre, n'est-ce pas
un mal ? quand je meurs, n'est-ce pas un mal .'' Doucement : je suis sujet
à la mort, parce que j'ai receu la vie. Il n'y avoit pour moi qu'un moven
de ne point mourir; c'étoit de ne jamais naitre. La vie est un bien positif.
mais fini dont le terme s'appelle mort. Le terme du positif n'est pas le négatif,
il est zéro. La mon nous est terrible, et nous appelions celte terreur un mal. [[ La f° 4
douleur est encore un mal pour celui qui souffre, j'en conviens. .Mais la douleur
et le plaisir éloienl les seuls moyens d'attacher un être sensible et périssable
à sa propre conservation, et ces movens sont encore ménagés avec une bonté
digne de l'Etre suprême. .\u moment même que j'écris ceci je viens encore
d'éprouver combien la cessation subite d'une douleur aiguë est un plaisir
vif et délicieu.x. -M'oseroit-on dire que la cessation du plaisir le plus vif soit
une douleur aiguë? La douce jouissance de la vie est permanente; il suffit
pour la goûter de ne pas souffrir. La douleur n'est qu'un avertissement im-
portun, mais nécessaire, que ce bien qui nous est si cher est en péril. Quand
je regardois de près à tout cela, je trouvai, je prouvai peut-être, que le
sentiment de la mort et celui de la douleur est presque nul dans l'ordre de
la nature : Ce sont les hommes qui l'ont aiguisé. Sans leurs rafinemens insensés,
sans leurs institutions barbares les maux physiques ne nous atteindroient ' ne
nous affecteroient guéres, et nous ne sentirions point la mort.
i5. .Mais le mal moral! autre ouvrage de l'homme, auquel ''Dieu n'a
d'autre part que de l'avoir fait libre et en cela semblable à lui. Faudra-t-il donc
s'en prendre à Dieu des crimes des hommes et des maux qu'ils leur attirent ?
Faudra-t-il en voyant un champ de bataille lui reprocher d'avoir créé tant
de jambes et de bras cassés ?
16. Pourquoi, direz-vous. avoir fait l'homme libre, puisqu'il devoit abuser
de sa liberté.'' .Ah! .Monsieur de Franquiéres, s'il exista jamais un mortel qui
n'en ait pas abusé, ce mortel seul honore plus l'humanité que tous les scélérats
let).
isonl.
522 APPENDICES
qui couvrent la terre ne la dégradent. Mon Dieu ! dcjnne-iTKji des vertus, et
me place un jour auprès des H'enelons, des Gâtons, des Socrates. Q)ue m'im-
portera le reste du genre humain ? je ne rougirai point d'avoir été homme.
17. Je vous l'ai dit, Monsieur, il s'agit ici de mon sentiment, non de mes
preuves et vous ne le voyez que trop. Je me souviens d'avoir jadis rencontré
sur mon chemin cette question de l'origine du mal et de l'avoir effleurée ; mais
vous n'avez point lu ces rabâcheries, et moi je les ai oubliées : nous avons
très bien fait tous les deu.x. Tout ce que je sais est que la facilité que je trouvois
à les résoudre venoit de l'opinion que j'ai toujours eue de ' la coexistence
éternelle de deux principes, l'un actif qui est Dieu: l'autre passif, qui est la
matière, que l'être actif combine et modilie avec une pleine puissance, mais
pourtant sans l'avoir créée et sans la pouvoir anéantir. Cette opinion m'a fait
huer des philosophes à qui je l'ai dite : ils l'ont décidée absurde et contradictoire.
Cela peut être, mais elle ne m'a pas paru telle, et j'v ai trouvé l'avantage
d'e.xpliquer sans peine et clairement à mon gré tant de questions dans lesquelles
ils s'embrouillent ; (et) entre autres celle que vous m'avez proposée ici comme
insoluble.
i.S. .\u reste, j'ose croire que mon sentiment peu pondérant sur toute
autre matière doit l'être un peu sur celle-ci, et, quand vous connoitrez mieu.x
ma destinée, quelque jour vous direz peut-être en pensant à moi; quel autre
a droit d'agrandir la mesure qu'il a trouvée au.x mau.x que l'homme souffre
ici-bas.
11). X'ous attribuez à la difficulté de celte même question dont le fanatisme
et la superstition ont abusé les mau.x que les religions ont causé sur la terre.
Cela peut-être, et je vous avoue même que toutes les formules en matière
[de foi] ne me paroissenl qu'autant de chaînes d'iniquité, de fausseté, d'hvpocrisie
et de tvrannie. Mais ne soyons jamais injustes, et pour aggraver le mal n'ôtons
pas le bien. Arracher toute crovance en Dieu du cœur des hommes, c'est v
détruire toute vertu. C'est mon opinion, Monsieur, peut-être elle est fausse,
mais tant que c'est la mienne je ne serai point assez lâche pour vous la
dissimuler.
'20. Faire le bien est l'occupation la plus douce d'un homme bien [néj.
fo 5 ro v^j probité, sa bienfaisance || ne sont point l'ouvrage de ses principes, mais
celui de son bon naturel. Il cède à ses penchans en pratiquant la justice, comme
le méchant cède au.x siens en pratiquant l'iniquité. Contenter le goût qui nous
porte à bien faire est bonté, mais non pas vertu.
idi. Ce mot de vertu signifie /'o?'ce. il n'v a point de vertu sans combat;
il n'y en a point sans victoire. La vertu ne consiste pas seulement à être juste,
mais à l'être en triomphant de ses passions, en régnant sur son propre coeur.
Titus rendant heureu.x le peuple romain, versant partout les grâces et les
bienfaits, pouvoit ne pas perdre un seul jour et n'être pas vertueux : il le fut
certainement en renvovant Bérénice. Brutus faisant mourir ses enfans pouvoit
n'être que juste. Mais Brutus étoit un tendre père; pour faire son devoir il
déchira ses - entrailles, et Brutus fut vertueux.
' (l'existeiicei.
- iten nBKS i^).
LETTRE A M. DE FRAXQUIERES 523
22. \'ous voyez ici d'avance la quesiion remise à son point. Ce divin
simulacre.donl vous me parlez s'offre à moi sous une image qui n'est pas ignoble,
et je crois sentir à l'impression que cette image fait dans mon cœur la chaleur
qu'elle est capable de produire. Mais ce simulacre enfin n'est encore qu'une
de ces entités métaphysiques dont vous ne voulez pas que les hommes se
fassent des Dieux. C'est un pur objet de contemplation. Jusqu'où portez-vous
l'effet de cette contemplation sublime ? Si vous ne voulez qu'en tirer un nouvel
encouragement pour bien faire, je suis d'accord avec vous : mais ce n'est
pas de cela qu'il s'agit. Supposons votre cœur honnête en proye au.x passions
les plus terribles, dont vous n'êtes pas à l'abri, puisque enfin vous êtes homme.
Cette image qui dans le calme s'y peint si ravissante n'y perdra-t-elle rien de
ses charmes, et ne s'y ternira-t-elle point au milieu des fiots ? Kcartons la
supposition décourageante et terrible des périls qui peuvent tenter la vertu mise
au desespoir. Supposons seulement qu'un coeur trop sensible brûle d'un amour
invfilontaire pour la fille ou la femme de son ami, qu'il soit maître de jouir
d'elle entre le ciel qui n'en voit rien, et lui qui n'en veut rien dire à personne;
que sa figure charmante [' l'attire" ornée de tous les attraits de la beauté et
de la volupté: au moment où ses sens enivrés sont prêts à se livrer à leurs
délices, cette image abstraite de la vertu viendra-t-elle [- disputer] son cœur
à l'objet réel qui le frappe ? lui paroîtra-t-elle en cet instant la plus belle,
l'arrachera-t-elle des bras de celle qu'il aime pour se livrer à la vaine contem-
plation d'un fantôme qu'il sait être sans réalité. Finira-t-il comme Joseph, et
laissera-l-il son manteau ? ^ Non. .Monsieur, il fermera les yeu.v. et succombera.
Le croyant, direz-vous, succombera de même. Oui, l'homme foible : celui, par
exemple, qui vous écrit : mais donnez-leur à tous deux le même degré de force,
et vovez la différence du point d'appui.
23. Le moyen, .Monsieur, de * résister à des tentati(jns violentes quand on
peut leur céder sans crainte, en se disant, à quoi bon résister .'' Pour être
vertueux le philosophe a besoin de l'être aux yeux des hommes : mais sous
les yeux de Dieu le juste est bien fort; il compte cette vie et ses biens et ses
maux et toute sa gloriole pour si peu de chose ! il apperçoit tant au delà ! Force
invincible de la vertu, nul ne te connoit que celui qui sent tout son être, et qui
sait qu'il n'est pas au pouvoir des hommes d'en disposer. Lisez-vous quelquefois
la république de Platon ? Vovez dans le second dialogue avec quelle énergie
l'ami de Socrate, dont j'ai oublié le nom, lui peint le juste accablé des outrages
de la fortune et des injustices des hommes, diffamé, persécuté, tourmenté,
en proye à tout l'opprobre du crime, et méritant tous les prix de la veau,
voyant déjà la mort qui s'approche, et sûr que la haine des méchans n'épargnera
pas sa mémoire, quand ils ne pourront plus rien sur sa personne. Quel tableau
décourageant, si rien pouvoit décourager la vertu. Socrate lui-même effrayé
s'écrie et croit devoir invoquer les Dieux avant de répondre; mais sans l'espoir
d'une autre vie, il auroit mal répondu pour celle-ci. " Toutefois, tout dut-il finir t° 5
' lie frappei.
' larraclieri.
' iLe croyant, direz-vous, succom'oera de niêmei
• iredire ?i.
524 APPENDICES
pour nous à la mort, ce qui ne peut être si Dieu est juste et par conséquent s'il
existe, l'idée seule de cette existence seroit encore pour [' l'homme] un encou-
ragement à la vertu et une consolation dans ses misères, dont manque celui
qui se croyant isolé dans cet univers ne sent au fond de son cœur aucun
confident de ses pensées. C'est toujours une douceur dans l'adversité d'avoir
un témoin qu'on ne l'a pas méritée; c'est un orgueil vraiment digne de la vertu
de pouvoir dire à Dieu : Toi qui lis dans mon cœur, tu vois que j'use en ame
forte et en homme juste de la liberté que tu m'as donnée. Le vrai crovatit qui se
sent partout sous l'œil éternel aime à s'honorer à la face du ciel d'avoir rempli
ses devoirs sur la terre.
24. Vous voyez que je ne vous ai point disputé ce simulacre ['- que] vous
m'avez présenté pour unique objet des vertus du sage. Mais, mon cher Monsieur,
revenez maintenant à vous, et voyez combien cet objet est inaliable incompatible
avec vos principes. Comment ne sentez-vous pas que cette même loi de la
nécessité, qui seule régie selon vous la marche du monde et tous les évenemens,
régie aussi toutes les actions des hommes, toutes les pensées de leurs têtes,
tous les [■' sentimens] de leurs cœurs; que rien n'est libre, que tout est forcé,
nécessaire, inévitable ; que tous les [* mouvemensj de l'homme dirigés par la
matière aveugle ne dépendent de sa volonté que parce que sa volonté même
dépend de la nécessité : qu'il n'y a par conséquent ni vertus, ni vices, ni mérite,
ni démérite, ni moralité dans les actions humaines et que ces mots d'honnête
homme ou de scélérat doivent être pour vous totalement vides de sens. Ils ne le
sont pas, toutefois, j'en suis irès-sùr. \'ôtre honnête cœur, en dépit de vos
argumens réclame contre votre triste philosophie. Le sentiment de la liberté,
le charme de la vertu, se font sentir à vous malgré vous ; et voilà [comment]
de toutes parts cette forte et salutaire voix du sentiment intérieur ["• rappelle] au
sein de la vérité et de la vertu tout homme que sa raison mal conduite égare.
Bénissez. Monsieur, cette sainte et bienfaisante voix qui vous ramène aux devoirs
de l'homme, que la philosophie à la mode finiroit par vous faire oublier. .\e vous
livrez à vos argumens que quand vous les sentez d'accord avec le dictamen de
vôtre conscience; et, toutes les ["fois] que vous y sentirez de la contradiction,
soyez sûr que ce sont eux qui vous trompent.
25. Quoique je ne veuille pas ergoter avec vous, ni suivre pied à pied vos
deux lettres, je ne puis cependant me refuser un mot à dire sur le parallèle du
sage Hébreu et du sage Grec. Comme admirateur de l'un et de l'autre je ne puis
guère être suspect de préjugés en parlant d'eux. Je ne vous crois pas dans le
même cas. Je suis peu surpris que \'ous donniez au f premier tout l'avantage;
' (le justei.
= (del.
" imouvemensi.
■* isentimens).
° iramènel.
* isoyezi.
t Sic. Il y a évidemment un lapsus de plume: le reste du contexte
montre bien que Rousseau voulait parler du second.
LETTRE A M. DE FRANQUIERES 525
vous n'avez pas assez fait connoissance avec lauire, et vous n'avez pas pris assez
de soin pour dégager ce qui est vraiment à lui, de ce qui lui est étranger el qui le
défigure à vos yeux, comme à ceux de bien d'autres gens qui, selon moi, n'y ont
pas regardé de plus près que vous. Si Jésus fut né à Athènes et Socrate à
Jérusalem, que Platon, Xénophon eussent écrit la vie du premier, Luc et .Matthieu
celle de l'autre, vous changeriez beaucoup de langage : et ' ce qui lui fait tort
dans votre esprit est précisément ce qui rend son élévation d'ame plus étonnante
et plus admirable, savoir, sa naissance en Judée chez le plus vil peuple qui
peut être existât alors, au lieu que Socrate, né chez le plus instruit et le plus
aimable trouva tous les secours dont il avoit besoin pour s'élever aisément au ton
qu'il prit. Il s'éleva contre les sophistes, comme Jésus contre les Prêtres, avec
cette différence que Socrate imita souvent ses antagonistes et que si sa belle et
douce mort n'eut honoré sa vie il eut passé pour un sophiste comme eux. Pour
Jésus, le vol sublime que prit sa grande 1| ame l'éleva toujours au-dessus de tous f ° 6 ''°
les mortels, et depuis l'âge de douze ans jusqu'au moment qu'il expira dans la
plus cruelle ainsi que dans la plus infâme de toutes les morts, il ne se démentit
pas un moment. Son noble projet étoit de relever son peuple, d'en faire derechef
un peuple libre et digne de l'être; car c'étoit par là qu'il falloil commencer.
L'étude profonde qu'il fit de la Loi de .\lovse, ses efforts pour en réveiller
l'enthousiasme et l'amour dans les cœurs montrèrent son but autant qu'il étoit
possible pour ne pas effaroucher les Romains. Mais ses vils et lâches compatriotes
au lieu de l'écouter le prirent en haine précisément à cause de son génie et de sa
vertu qui leur reprochoient leur indignité. Enfin ce ne fut qu'après avoir vu
l'impossibilité d'exécuter son projet qu'il l'étendit dans sa tête, et que, ne
pouvant faire par lui-même une révolution chez son Peuple, il voulut en faire
une par ses disciples dans l'Univers. Ce qui l'empêcha de réussir [dans son
premier plan (même)] outre la bassesse de son peuple incapable de toute vertu,
fut la trop grande douceur de son propre caractère: douceur qui tient plus de
l'ange et du Dieu que de l'homme, qui ne l'abandonna pas un instant, même
sur la croix, et qui fait verser des torrens de larmes à qui sait lire sa vie comme
il faut, à travers les fatras dont ces pauvres gens l'ont défigurée. Heureusement
ils ont -respecté et transcrit fidellement ses discours qu'ils n'entendoient pas:
^ otez quelques tours orientaux ou mal rendus, on n'v voit pas un mot qui ne
soit digne de lui, et c'est là qu'on reconnoit l'homme divin, qui, de si piètres
disciples, a fait pourtant dans leur grossier mais fier enthousiasme, des hommes
éloquens et courageux,
26. Vous m'objectez qu'il a fait des miracles. Cette objection seroit terrible
si elle étoit juste; mais vous savez, .Monsieur, ou du moins vous pourriez savoir
que, selon moi, loin que Jésus ait fait des miracles il g. déclaré très-positivement
qu'il n'en feroit point, et a marqué un très grand mépris pour ceux qui en
demandoient.
27. Que de choses me resteroient à dire ! .Mais cette lettre est énorme.
Il faut finir. \'oici la dernière fois que je reviendrai sur ces matières. J'ai voulu vous
' ic'est précisément!.
- (défi mot inachevé).
' leti.
526 APPENDICES
complaire. Monsieur: je ne m'en repenls point; au contraire. Je vous remercie
de m'avoir fait reprendre un lii d'idées presque effacées, mais dont les restes
peuvent avoir pour moi leur usage dans l'état où je suis.
28. Adieu, Monsieur, souvenez-vous quelquet'ois d'un homme que vous
auriez aimé, je m'en flate, quand vous l'auriez mieu.x connu, et qui s'est occupé
de vous dans des momens où l'on ne s'occupe guéres que de soi-même.
Renou.
VI
ADDITIONS ET CORRECTIONS
I'. 5. note 1. — .\u lieu de : 2 i Août, lire : 21 Avril. Les premières feuilles
de cette édition étaient déjà tirées, quand je crus plus prudent de vérifier par
moi-même les dates d'abjuration et de baptême communément admises,
depuis 1878, par les biographes de Jean-Jacques. On trouvera dans mon article
sur ./. ./. Rousseau à l'hospice du San-Spirilo [30 1], la photographie du
registre, qui rétablit les dates e.xactes, et qui montre que <•■ le prosélyte v> resta
à l'hospice onze jours en tout. Les Confessions ne nous offrent donc pas toute
garantie pour contrôler le récit de la Profession. l-!n dépit de quelques détails
d'une précision et d'une exactitude très tidèles. elles paraissent, elles aussi, assez
fortement romancées.
P. 7, note 3. — .\u lieu de : dans les derniers /ours d'.Xoût IJ28. lire : le
23 Avril I J2S. le jour même de son baptême ; cf. mon article cité [3oi].
P. 35. note 5. — .'X jouter ce texte de Suizer. Tableau des beautés de la
nature [216'''*]. S-q, où l'on trouve la même mise en scène, pour inaugurer une
méditation religieuse : <.■- Kucrate me fit traverser son jardin, et me conduisit
sur une colline voisine, au sommet de laquelle nous arrivâmes au moment que
le soleil était à son lever. Le temps était aussi serein que calme: et. si l'air était
agité, ce n'était que par le doux concert des oiseaux qui avaient passé la nuit
dans les buissons d'alentour. Nous avions devant nous une grande étendue
de pays, où nous voyions dans l'éloignement plusieurs villages, des maisons
isolées, de grands bois, de simples bosquets. Tout ce paysage recevait une
agréable variété de plusieurs étangs, qui étaient tout autant de bassins qui
faisaient le plus bel effet du monde. Ce superbe coup d'oeil me toucha, et.
m'arrêtant tout court, je dis à mon ami: si vous n'avez pas quelque dessein
plus important, je serais assez d'avis que nous nous arrêtassions un peu ici ».
P. 37, note 6. — .\jouter au texte de VEmile le I" chapitre de VEssai sur
l'origine des langues, où l'on retrouve la même théorie et les mêmes formules.
mais plus développées. 1, 370-371.
P. 47, fin de la ligne 9. — Ajouter la note suivante : Cet état d'esprit du
Vicaire ressemble à celui qu'a décrit Marie Huber dans sa Relation sur le déiste
(Suite du système sur l'état des dmes, t. II de l'édition que possédait Rousseau,
et. le n" 1 33 de la Bibliographie), p. 160: «Je me trouvais de même réduit.
ADDITIONS ET CORRECTIONS 527
par des raisonnements qui me paraissaient démonstratifs, à adopter successi-
vement les contraires et les opposés. Un succès si différent de celui qui doit
naturellement attendre un homme qui cherche la Vérité me rebuta au point
de ne vouloir plus en entendre parler. La Vérité m'échappant toujours, lorsque
je croyais l'avoir le mieux saisie, je fus tenté de penser que la Vérité ou la
Religion n'étaient que chimère. Je donnai enfin dans le Pyrrhonisme; je conclus
qu'il n'v avait rien de sur ni de fixe, que toutes choses étaient également
problématiques, que le vrai ou le faux dépendaient de la manière de raisonner ■>■>.
P. 57, note 2. — Ajouter le long réquisitoire de Murait dans la Lellre sur
les voyages contre le raisonnement et ceux qui s'en servent fiai '■"], 11, 28-3o :
«. Les raisonnements, lorsque nous nous y abandonnons, et que nous en faisons
notre principal langage, étouffent les sentiments: et, comme c'est d'un goût
corrompu qu'ils proviennent, ils nous corrompent le goût de plus en plus, et
nous éloignent de la simplicité où la vérité se trouve: ils nous sortent de nous-
mêmes et nous font errer hors de nous. L'homme simple ignore l'art de
raisonner, et celui qui a sa véritable occupation le néglige. Il ne convient qu'au
loisir, à l'état oisif qui nous jette hors de l'humanité et à une fausse curiosité
que le loisir engendre. Il faudrait le laisser à ceux qui sont hommes par la tète,
et en qui il opère et manifeste ses merveilles; au peuple des savants, qui font
de la science leur capital, et qui, dans l'ivresse quelle leur cause, renoncent aux
avantages du cœur, qu'ils ne connaissent pas. qui se perdent en eux, et qu'ils
détruisent dans les autres. Je ne saurais m'empêcher de regarder ces gens-là
comme les auteurs d'une des sources de l'égarement et des folies des hommes,
et le cas que font ceux-ci de leur science comme une preuve du goût perdu
parmi eux. Que ne gagnerions-nous pas, si nous dédaignions toute celte lecture
étrangère, si nous laissions à la foule, de quelque espèce qu'elle fût, tant de livres
qui sont faits pour elle, et qui, je crois, seraient capables de la rendre foule, gens
toujours hors de chez eux. si elle ne l'était déjà ? Nous songerions à nous
rapprocher de nous, à nous retrouver nous-mêmes, et nous en viendrions à
bout. Nous aurions l'esprit moins chargé d'opinions qui le courbent et le
couvrent, et moins accoutumé aux riens qui l'exténuent, qui le font devenir
à rien : nous serions plus près de la vérité, en ce que nous nous abandonnerions
davantage à ce qui se passe dans le cœur, à qui la vérité convient, et où elle
ne manque guère de faire impression, si on la laisse faire: nous ne la mesurerions
pas à des règles qui la bornent, et surtout, nous gagnerions beaucoup, en ce
que nous cesserions de rejeter ce qui ne s'accorde pas avec ce que nous croyons
déjà savoir; par là nous nous faisons cent fois plus de mal, que tout ce que
nous savons, par le moven de la lecture, ne nous fait de bien. L'homme n'est
pas fait pour amasser des idées, et s'en faire un magasin, comme s'il n'en
trouvait pas dans son fond. Il est en état de s'en former à chaque occasion
qui se présente, ou, si l'on veut, de leur donner lieu à se former en lui. Par
là il s'accoutume en même temps à faire de sa raison l'usage pour lequel elle
lui est donnée; il développe par son moyen les vérités que le sentiment produit
en lui, et dont il n'aperçoit pas dabord toute la justesse et toute l'étendue, ou
que d'autres, à qui il voudrait les faire recevoir, n'aperçoivent pas. Le raisonnement,
soumis au sentiment et rendu simple et sans art, trouve ici son emploi, et
l'homme qui le tient dans cette subordination, conserve par là la liberté d'esprit
528 APPENDICES
qui fait le fondement du vrai savoir, la liberiO de se déterminer vers le vrai,
indépendamment des idées reçues et de tout ce que le raisonnement, par lui-
même, par ce qu'il a de spécieux, peut établir ». Cf. encore //' Lettre à Sophie
[25], 144 : « Qu'avons-nous acquis à tout ce vain savoir, sinon des querelles,
des haines, de l'incertitude et des doutes .-• Chaque secte est la seule qui ait trouvé
la vérité; chaque livre contient exclusivement les préceptes de la sagesse:
chaque auteur est le seul qui nous enseigne ce qui est bien. L'un nous prouve
qu'il n'y a point de corps, un autre qu'il n'y a point d'àmes, un autre que l'àme
n'a nul rapport au corps, un autre que l'homme est une bête, un autre que Dieu
est un miroir. Il n'y a point de maxime si absurde que quelque auteur de
réputation n'ait avancée, ni d'axiome si évident qui n'ait été combattu par
quelqu'un d'eux. Tout est bien, pourvu qu'on dise autrement que les autres,
et l'on trouve toujours des raisons pour soutenir ce qui est nouveau prél'éra-
blement à ce qui est vrai ».
P. 61, note I. — Ajouter Murait. Lettre sur les l'oyages. Il [121 '■'"], 3o-32 ■
* Tant de gens qui amassent leur science par une vaste lecture, tant de savants
de profession, et qui dépendent de toutes les opinions reçues, de tous les
préjugés établis, sont plus ignorants que le vulgaire à qui ils donnent ce nom:
ils ignorent davantage la véritable science, la science sans laquelle toutes les
autres, bien loin d'orner l'homme, ne le font que rendre hideux, en donnant
une espèce de lustre à un caractèie qui n'en doit point avoir, à un caractère
déjà difforme par cette ignorance, et que le lustre qu'on lui donne ne fait que
rendre plus difforme encore. Cette science, ignorée des savants, est celle qui met
le prix aux choses, à quoi il en faut toujours revenir, comme à la science de
l'homme, qui influe dans toute la vie, et qui, en distinguant l'homme sensé du
fou, rectifie ce qu'on appelle science et la réunit au bon sens... La plus grande
partie de l'érudition des savants fait voir combien ils en sont éloignés; elle est
fondée sur leur ignorance et la prouve. .\u lieu de chercher à savoir le prix
des choses, ils ne cherchent qu'à savoir, à savoir beaucoup, à tout savoir ».
Même principe chez le patron des <.^ philosophes ». qui pourtant n'est guère
un sentimental. Entendement humain. Avant-propos. S 5 [102], 3 : « L'étendue
de nos connaissances est proportif»inL'e à notre état dans ce monde et à nos
besoins... Quelque bornées que soient les connaissances des hommes, ils ont
raison d'être entièrement satisfaits des grâces que Dieu a jugées à propos de
leur faire, puisqu'il leur a donné, comme dit Saint Pierre (11, i. 3), toutes
les choses qui regardent la vie et la piété, les avant mis en état de découvrir
par eux-mêmes ce qui leur est nécessaire pour les besoins de cette vie, et leur
ayant montré le chemin qui peut les conduire à une autre vie beaucoup plus
heureuse que celle dont ils jouissent dans ce monde... Jamais, dis-je, nous
n'aurons sujet de nous plaindre du peu d'étendue de nos connaissances, si
nous appliquons uniquement notre esprit à ce qui peut nous être utile, car
en ce cas là, il peut nous rendre de grands services... Nous ferons toujours
un bon usage de notre entendement, si nous considérons tous les objets par
rapport à la proportion qu'ils ont avec nos facultés, pleinement convaincus
que ce n'est que sur ce pied-là que la connaissance peut nous en être proposée;
et si, au lieu de demander absolument, et par un excès de délicatesse, une
démonstration et une certitude entière, nous nous contentons d'une simple
ADDITIONS ET CORRECTIONS 529
probabililé, lorsque nous ne pouvons obtenir qu'une probabilité et que ce
degré de connaissance suffit pour régler tous nos intérêts dans ce monde ».
P. 64. ligne 3. — Au lieu de : écraser, lire : écraser.
P. 69, note 4. — Ajouter : Lettre à D'Atembert, 1. r33.
P. 71, note 1. — Ajouter le texte suivant de Maupertuis, Essai de philo-
sophie morale \\g2\, 25i : «. Il est un principe dans la Nature, plus universel
encore que ce qu'on appelle lumière naturelle, plus uniforme encore pour tous
les hommes, aussi présent au plus stupide qu'au plus subtil : c'est le désir d'être
heureux. Sera-ce un paradoxe de dire que c'est de ce principe que nous devons
tirer les règles de conduite que nous devons observer, et que c'est par lui que
nous devons reconnaître les vérités qu'il faut croire ? »
P. 73, note 3, ligne 12. — J'attribue l'article Existence à Diderot; mais
j'aurais du noter qu'il est généralement attribué à Turgot, et inséré dans ses
Œuvres [72'"'''], 1, 5t7-538: cf., en outre, dans ['Avertissement du t. VI de
V Encyclopédie [218], p. VI : « Quatre personnes que nous regrettons fort de ne
pouvoir nommer, mais qui ont exigé de nous cette condition nous ont donné
différents articles. .Nous devons à la première les mots Ètymologie, Existence,
et Expansibilité... ». Je crois pourtant que le Journal Encyclopédique devait
être bien informé. Deleyre, si lié avec Diderot, était alors l'un de ses principaux
rédacteurs (cf. [26], I, 144, 178), et n'aurait pas laissé passer sur ce sujet une
information inexacte. Or voici ce que dit le Journal du r5 Décembre 1756 [46], 26.
à propos de l'article Évidence : «. On a attribué dans quelques papiers publics
ce traité à .M. Diderot. Nous osons assurer qu'il n'est point de lui. Premièrement
il n'est pas dans ses principes:... en second lieu, quoiqu'il y ait des vues dans
cet article, il y en aurait bien davantage s'il partait du chef de ^Encyclopédie... ;
on n'a qu'à comparer avec celui-ci l'article Existence, dont nous avons déjà
rendu compte : c'est une autre manière de voir les choses et de. les faire voir ».
Je croirais donc que Diderot a bien rédigé l'article Existence, ou y a, tout au
moins, fortement collaboré.
P. 73, note, lignes 19-20. — Même remarque.
P. gr. note 2. — Ajouter : La formule de Rousseau rejoint la maxime
de Pascal, Pensées, CCLXXII [83], II. 198 : « 11 n'y a rien de si conforme à la
raison que ce désaveu de la raison ». — Dans ce passage de la Profession,
la raison serait plutôt l'équivalent du raisonnement, dont il a dit ailleurs, préci-
sément pour le distinguer de la raison. II' Lettre à Sophie [25]. 145-146 : « L'art
de raisonner n'est point la raison, souvent il en est l'abus. La raison est la faculté
d'ordonner toutes les facultés de notre àme convenablement à la nature des
choses, et à leurs rapports avec nous. Le raisonnement est l'art de comparer les
vérités connues pour en composer d'autres vérités qu'on ignorait et que cet art
nous lait découvrir. .Mais il ne nous apprend point à connaître ces vérités primitives
qui servent d'élément aux autres; et. quand, à leur place, nous mettons nos
opinions, nos passions, nos préjugés, loin de nous éclairer, il nous aveugle; il
n'élève point l'âme, il l'énervé, et corrompt le jugement qu'il devait perfectionner ».
P. q3. note 4. — Ajouter la remarque suivante : Rousseau s'était déjà servi
d'une formule analogue dans le .Morceau allégorique sur la'Révélation [25]. 172 :
« Il considère, avec je ne sais quel frémissement, la marche lente et majestueuse
de cette multitude de globes, qui roulent en silence au-dessus de sa tète ».
34
530
APPENDICES
P. 107. noie 3. — Le P. Caslel, Sylùme de Newton, II. 2 [167], 54, appelle
ces parcelles de matières, que suppose Descartes dans son explication du monde,
des « cubes ».
P. 109, note I. ligne 29. — Mémoire à M. Dupin. ou. plus exactement, Mé-
moireà A/, de M[ably] : cf. mes Questions de chronologie rousseauiste [3oo], 41-45.
P. ii3, note I. ligne 9. — Au lieu de : 44. note 6, lire : 45. note 1.
P. 128, ligne 4. — Au lieu de : les effet, lire : les effets.
P. i35, note i. — /^jouter ce texte de Sulzer. Tableau des beautés de la
nature [216''"], 145, qui expose, en des termes très voisins de la première
rédaction de Rousseau, les merveilles de la génération des plantes ; « Il y a
autant de merveilleux dans les semences. La nature a eu besoin de mille inven-
tions pour empêcher qu'elles ne tombassent pas toutes sur la même place et que
les plantes qui en seraient provenues ne s'étouffassent pas l'une l'autre. Elle a
donné des ailes aux unes, aux autres de larges couronnes de plumes légères, par
le moven desquelles elles sont en état de voler de tous cotés. De sorte que les
plantes, quelque immobiles qu'elles soient en elles-mêmes, peuvent envoyer des
colonies dans d'autres pays. 11 me souvient d'avoir vu, entre autres, une plante,
qui, après que les graines de sa semence étaient parvenues à maturité, les jetait
par éclats de côté et d'autre, à peu près comme des grenades ou des bombes ».
— Note 5, ligne 2 : cf. l'addition pour la p. 109.
P. 144, ligne 2. — Reporter l'appel de la note 4 à la ligne 3. après : actif.
P. i55. note 2, ligne i. — .\u lieu de ; /(! valeur qui, lire : la valeur que.
P. 159, ligne 6, au mol feu. — .Ajouter la note suivante : cf. Origine des
langues, I, 390, note.
P. i63. fin de la note i. — Si l'on en croit les Mémoires d'une inconnue
[cit. au n" 76 de la Bibliographie], 53-54, 'a bienfaisance d'Helvetius n'aurait pas
été égale pour tous les malheureux; il se serait montré dur pour les paysans qui
braconnaient sur ses terres et les aurait fait, sans scrupules, envoyer aux galères.
P. 169, note 2, ligne 6, — C'est le III' Cantique spirituel [68], iv. i56. —
Ligne 19. Au lieu de -.fut, lire ■.fût.
P. i7r. note 4. — .Xjouter la remarque suivante ; Si les propos prêtés
à Saint-Lambert par les Mémoires de .\l"" d'Épinay sont authentiques. Rous-
seau aurait souvent entendu ses amis les » philosophes » « ne plus reconnaître
qu'une substance »: cf. le texte inédit que j'ai publié [299], 14 : «Madame,
dit-il [Saint- Lambert], je n'entends rien à la distinction de deux substances;
je n'en admets qu'une, générale, universelle, sans commencement ni fin, dont
nous sommes des portions plus ou moins intelligentes ».
P. 173, note 2. — Ajouter que, dans le Morceau allégorique sur la
Révélation [25], 173, il avait employé une formule équivoque, qui trahissait
peut-être une adhésion au principe de Locke : « Que la matière ait des propriétés
que je ne connais point et ne connaîtrai peut-être jamais; qu'ordonnée, ou
organisée d'une certaine manière, elle devienne susceptible de sentiment,
de réflexion ou de volonté, je puis le croire sans peine ».
P. i85, note 2. — .\jouter : Sur cette loi du corps, cf. les idées qui étaient
familières à Rousseau et qu'il se proposait de préciser dans la Morale sensilive.
ou le Matérialisme du sage, ouvrage inachevé et perdu, dont les Confessions,
VIII, 292-293, nous ont gardé le plan.
ADDITIONS ET CORRECTIONS 531
I'. 197, deuxième note 2. ligne <). — Au lieu de : 118, lire : 80.
V. u)g, note 3. — Ajouter : 1-e problème que Rousseau essaye de résoudre
ici est celui-là même que Voltaire venait de traiter ironiquement, trois ans plus
tôt, dans son Candide. Si l'affirmation de Rousseau est exacte {Confessions, VllI,
3o8|, il n'a jamais lu Candide ; mais il a dû en entendre parler autour de lui ; et,
d'ailleurs, la question est alors à la mode ; cf. André .Morize, Le « Candide-^ de
Voltaire — i.a préparation du public [49'""], 1, 6-10.
P. 20 1, ligne N. — Aux mots : sois juste et tu seras heureux, ajouter la
remarque suivante : Il y a peut-être ici une réminiscence de Morelly, Code de la
Nature [216], i57-i58 : « La bienfaisance est le premier et le plus sûr moyen
de sa félicité présente [à l'homme]. Tout semble lui crier : 7^u veux être homme;
sois bienfaisant *.
P. 234, ligne 7. — Au lieu de : j'ignore et j'admire, lire : j'honore et
j'admire. — Dernière ligne de la note f. Au lieu de : 161 ''", lire : i6i "'.
P. 235. ligne 8. — Au mot suppliante, dans : altitude suppliante. ^ la plus
propre, ajouter la note suivante : ('i) C, D : suppliante et la plus propre. —
Note 4. Ajouter la remarque suivante : .\ une époque, où il était plus près des
« philosophes «, Rousseau semblait bien, lui aussi, ne vouloir «■ plus parler
d'instinct »: cf. ///■ Lettre à Sophie [25], i55 : « Combien d'animaux ont
des précautions, des prévoyances, des ruses inconcevables, qu'il vaudrait mieux
peut-être attribuer à quelque organe étranger à l'homme qu'à ce mot inintel-
ligible d'instinct. Quel puéril orgueil de régler les facultés de tous les êtres sur
les nôtres, tandis que tout dément à nos veux ce ridicule préjugé » !
P. 23/, note 2, ligne 6. — Au lieu de : Puffendorf, lire : Pufendorf.
P. 243. note 2. — Ajouter la remarque suivante : Rousseau, qui avait lu
Le Méchant (cf. Préface de Sarcisse, V, io3, note) pouvait se rappelei ces vers
de Gresset [60'"*:, 11, 232 1 .Vcte II. scène 4) :
Consultez, écoutez pour juges, pour oracles.
Les hommes rassemblés: voyez à nos spectacles.
Quand on peint quelque trait de candeur, de bonté,
Où brille en tout son jour la tendre humanité :
Tous les cœurs sont remplis d'une volupté pure.
Et c'est là qu'on entend le cri de la nature.
P. 2S1, note 1. ligne 2. — Au lieu de : VI, 3, lire : IV, 3.
P.P. 255-257, deuxième note 4, lignes t, 4 et 5. — .\u lieu de : Puffendorf,
lire : Pufendorf. — Note 5, ligne 19. .\u lieu de : [jfy], lire : [32].
P. 265. note 4. — .Ajouter ce texte de la //' Lettre à Sophie [25], 143 :
* Pourvu que vous sentiez que j'ai raison, je ne me soucie pas de vous le
prouver : je ne vous apprendrai point à résoudre des objections, mais je
tâcherai que vous n'en ayez point à me faire. Je me fie plus à votre bonne foi
qu'à mes arguments: et, sans m'embarrasser des règles de l'école, je n'appellerai
que votre cœur seul au témoignage de tout ce que j'ai à vous dire •>■>.
P. 27 r, note 3, ligne 3. — .\u lieu de : Puffendorf, lire : Pufendorf.
P. 273, note 2. — Ajouter le texte suivant de .Murait, qui précise sa
théorie de la conscience-instinct. Lettre sur les voyages [121 '■'•], II, 14-15 :
* Depuis que l'homme a perdu son occupation et sa dignité, la connaissance
532 APPENDICES
de ce qui le regarde s'est perdue de même; dans le désordre où nous sommes,
nous ne savons pas seulement en quoi notre occupation et notre dignité
consistent. Comme l'ordre seul peut nous donner cette connaissance, je pense
qu'il y a un seul moyen de rentrer dans Tordre, c'est de suivre l'instinct qui
est en nous, l'instinct divin, qui est peut-être tout ce qui nous reste du premier
état de l'homme, et qui nous est laissé pour nous v ramener. Tous les êtres
vivants que nous connaissons ont le leur qui ne les trompe point. L'homme,
qui est de tous ces êtres le plus e.xcellent. n'aurait-il point le sien, tel qu'il
s'étendît sur tout son caractère et qu'il lut aussi sur qu'étendu ? Il l'a sans
doute, et cet instinct est la voix de la conscience où la divinité se fait connaître
à nous, et nous parle. C'est pour ne pas suivre cet instinct, que, sur toutes
choses, nous devrions cultiver, et dans nous-mêmes et dans nos enfants, c'est
pour ne pas nous laisser aller au sentiment qu'il produit en nous que nous
n'a\'ons pas la connaissance de l'homme v>. — Comparer cette définition avec
la définition beaucoup plus intellectuelle de V Encyclopédie, qui enlève à la
conscience sa certitude et son infaillibilité: cf. l'article du chevalier de Jaucourt
[204], go2 a : <.-. Conscience, acte de Venlouicmenl qui indique ce qui est
bon ou mauvais dans les actions morales, et qui prononce sur les choses qu'on
a faites ou omises, d'où il naît en nous-mêmes une douce tranquillité ou une
inquiétude importune .\insi la conscience, celte règle immédiate de nos
actions, ce for intérieur qui nous juge a ses diverses modifications suivant
les divers états de l'àme. Elle peut être décisive, douteuse, droite, mauvaise,
probable, erronée, irrésolue, scrupuleuse, etc. ». — Rapprocher de l'invocation
de Rousseau à la Conscience, l'invocation suivante de G. de Bibiena, qui se
détache en lettres capitales dans son livre Le triomphe du sentiment [igS'"»].
Il, 320 : « Lumière divine, guide sur et éclairé, dou.\ lien des cœurs, Sentiment,
que n'ai-je plus tôt connu les charmes! ... Je l'éprouve chaque jour: plus on
suit a\'ec scrupule la délicatesse de les lei^ons. plus on goûte une vraie
volupté ■>>.
P. 275, note 1. — .Ajouter la remarque suivante : La différence entre le
te.xle définitif (« nous avons à moindres frais un guide plus assuré dans ce
dédale immense des opinions humaines ») et la première rédaction des Lettres
à Sophie (cf., plus haut, aux Appendices, p. 490 : & enfin nous avons un /{uide
assuré dans ce labyrinthe des erreurs humaines ») vient ici d'une différence
de point de vue. Rousseau est obligé d'apporter des atténuations à sa formule
primitive, parce qu'il ne peut pas tenir pour absolument inefficace tout le
travail intellectuel qu'il vient de s'imposer. Au contraire, les Lettres à Sophie
étant purement pratiques ei ne faisant appel à aucun système rationnel, Rousseau
pouvait v affirmer plus fortement la suprématie de la conscience.
P. 276, note 2. — Au lieu de : insupportable, lire : insuportable.
P. 277. note 2. — .\jouter celle note marginale du /"" Contrat Social |32],
253 : «. Et puis, il faudrait qu'il ne se fût élevé dans son cœur [de l'hommej
aucune de ces passions qui parlent plus haut que la conscience, couvrent sa
timide voix et font soutenir aux philosophes que cette voix n'existe pas ».
P. 289, note 2. — ;\jouier la remarque suivante : Au demeurant, l'idée
de la «. bonté de la nature » n'est qu'à peine indiquée dans la Profession de foi,
et. comme on a pu s'en rendre compte, elle v est compromise ou neutralisée
ADDITIONS ET CORRECTIONS 533
par tant d'autres réflexions, qu'elle est pratiquement absente de la religion
du Vicaire. A ce point de vue. la Profession forme une sorte d'enclave dans V Emile.
P. 295, note 4. ligne 9. — Ajouter cet autre texte de la Souvelle Héloise
llll. XXII. IV. 267, où. dans une formule identique de pensée, on se rend mieux
compte de l'imprécision des termes qu'emploie Rousseau : « [Dieu a donné
à l'homme^ la liberté pour faire le bien, la conscience pour le vouloir, et la
raison pour le choisir ».
P. 299, note I. — Ajouter la remarque suivante : L'.\gaton de l'abbé de
Saint-Pierre [70], X, 371, était, lui aussi, * persuadé que les erreurs sont toutes
involontaires ■» et ne nuisent pas au salut.
P. 3o3. note 3. — Ajouter Marie Huber, Religion essentielle [i5i], V, 76 :
*. Les chrétiens opposent la Religion Chrétienne à la Religion Naturelle, en
quoi ils montrent qu'ils ne connaissent guère le véritable esprit évangélique ■».
P. 307, note 3, lignes 2 et 10. — Au lieu de : '_3y]. lire : [52\
P. 317. note I, ligne 5. — Ajouter le renseignement suivant : Cette édition
de la Reine fantasque n'était pas l'œuvre de Rousseau, et le titre le dit assez :
La I Reine | Fantasque. | Conte cacouac. | par. | M. R. C. de G. | MDCCL VIII,
petite brochure in-24. de 3o pp. et un f. Le texte est précédé (pp. 3-4) d'un
.Avertissement très violent, où l'on présenté le conte de Jean-Jacques comme
l'un des spécimens les plus audacieux de la littérature subversive des « Cacouacs ».
Cette édition est rarissime : Il en existe un exemplaire, qu'a bien voulu me
signaler .\L Th. Dufour. à la Bibliothèque de Neuchàtel. .Acheté en igo5, il n'est
pas encore coté, et se trouve dans le carton 70. 2.
P. 339. ligne 10. — .Ajouter au mot innocens la note suivante : Il est inutile
de rappeler tous les textes bibliques qui peuvent expliquer les épithètes de
Rousseau: ils sont trop connus et trop nombreux; mais il convient peut-être
de signaler le texte de YExode, XX. 5. auquel Rousseau semble avoir fait une
allusion spéciale : « Ego sum Dominus Deus tuus fortis, zelotes. visitans ini-
quitatem patrum in filios, in tertiam et quartam generationem eorum qui oderunt
me ». Il avait déjà dit. Lettre à D'.Alembert. l. 184-185 : « Je soutiens que. si
l'Écriture elle-même nous donnait de Dieu quelque idée indigne de lui, il
faudrait la rejeter en cela... ; car. de quelque authenticité que puisse être le texte
sacré, il est encore plus crovable que la Bible soit altérée que Dieu injuste ou
malfaisant ».
P. 343. note 2, ligne 8. — ,\u lieu de : .\/. Pelitpierre, de 1 /63. lire : Daniel
de Pur\-, du 3o Décembre IJ62 (cf. Fritz Berthoud. J. J. Rousseau au Val de
Travers. Paris, Fischbacher, 1881, in-i6, pp. i33-i35). La formule de cette Lettre
rejoint elle de .Moultou, qui. à première vue, en semble le contrepied (Lettre à
Rousseau, du i5 .Mars 1762 [26], I, 27) : « \'otre religion naturelle n'est pas autre
chose que le Christianisme bien entendu ». — La thèse de Rousseau sur les rapports
de la Révélation avec les grandes vérités naturelles avait déjà été exposée par .Marie
Huber (Suite du système sur l'état des âmes, t. Il de l'édition que possédait Rou.s-
seau, cf. le n' i33 de la Bibliographie) V' Lettre sur /' <i Examen de l'Origé-
nisme», p. 126 : » Tous les hommes ont chez eux les vrais principes de la Religion.
Ce sont ces premières idées ou notions naturelles dont il a été parlé. La Révéla-
tion n'a point été donnée pour rendre ces premières notions inutiles, bien moins
pour les contredire ; elle a pour but d'v renvover les hommes et de les développer ».
534 APPENDICES
P. 345, noie 4. — Ajouter la remarque suivante : C'est Bayle, semble-l-il.
qui avait le premier posé avec vigueur ces principes rationalistes, en appliquant
aux vérités religieuses la méthode cartésienne de l'évidence. Cf. tout le premier
chapitre de la 1' Partie du Commentaire philosophique sur le « Compelle
intrare » [53], II, Sôy-S/o. qui aboutit à cette conclusion : « Tout dogme
particulier, soit qu'on l'avance comme contenu dans l'Écriture, soit qu'on
le propose autrement, est faux, lorsqu'il est réfuté par les notions claires et
distinctes de la lumière naturelle, principalement à l'égard de la Morale >■>.
11 y a même dans l'intérieur de ce chapitre (p. 368) une formule encore plus
significative : «.Tout dogme qui n'est point homologué, pour ainsi dire, vérifié
et enregistré au parlement suprême de la raison et de la lumière naturelle, ne
peut qu'être d'une autorité chancelante et fragile comme le verre »
P. 349. note 5. — C'est bien au dogme de la transsubstantiation que songe
Rousseau dans ce début du dialogue. 11 le reconnaît lui-même et précise son
objection dans sa Lettre à M. de Beaumont, III, 1 10.
P. 362, note 2. M. — \u lieu de : aure^, lisez : ave-;.
P. 383, première note 1. — Ajouter la remarque suivante : Si l'on pouvait
se fier aux pseudo-A/éî«oîres de M"' d'Épinav, Rousseau aurait déjà t'ormulé
toutes ces idées au dîner de .M'" Quinault : cf. le texte inédit que j'ai
publié [299], ! 1 : «. On cita avec admiration — je crois que ce fut René [^= Rous-
seau] — le bon sens de ce sauvage qui disait à un de nos missionnaires : si ta
religion est vraie, il faut donc que mon père, que mon grand-père, qui étaient de
si honnêtes gens, soient damnés; c'est ce que tu ne me persuaderas jamais».
Mais, comme je l'ai montré, il est infiniment vraisemblable que c'est Diderot
lui-même qui a écrit ce passage en utilisant ses idées personnelles et ses souvenirs
de la Profession; cf. encore Lettre à M'" Volland, du 27 Septembre 1760 [58],
XVIll. 466-467 : « Ils [les Chinois] disent : Si votre religion est nécessaire à tous
les hommes, il est bien singulier que Dieu ne nous l'ait pas fait connaître plus
tôt, car nous sommes des hommes, et nous sommes ses enfants comme vous;
et puis, s'il n'y a que les Chrétiens qui soient sauvés, nos pères sont donc
damnés! nos pères qui étaient si honnêtes gens! Oh! nous aimons mieux
être damnés avec nos pères que sauvés sans eux ».
P. 391, note 1. — Ajouter le texte suivant des Mémoires de M""- d'Épinav.
en réservant toujours la question d'authenticité [299], >o (c'est Desbarres-Duclos
qui est censé parler) : « Ils disent que, s'il v avait un honnête homme sur la
terre qui n'eût jamais entendu parler de leur Dieu, ce Dieu enverrait plutôt un
ange pour l'instruire que de le laisser périr, Va-t-en voir s'ils viennent » !
P. 393, note, 'ligne 2. — Au lieu de : Éclaircissements, lire : Éclaircissement.
P. 395, note 1. ligne 29. — .A propos de cette expression «. livre du
monde », ajouter les références suivantes : Murait, Lettre sur les l'oyages [121 '''*]
11. 21, 46. Lettres fanatiques [i56], II, 2o5. Rapprocher des considérations
de Rousseau ce passage des Mémoires de Duval, que Deleyre lui avait envoyé le
3 Mai 1760, et que Rousseau a recopié dans ses recueils [225''''], I, 57 : « Ces
preuves [de la Providence], que les Scholastiques ont ensevelies sous des amas
immenses de svllogismes et d'ergoteries. se trouvent partout répandues dans le
ffrand Livre de la Nature, mais ce volume, ouvert aux yeux de toutes les
nations et le plus intelligible de tous, est, par malheur, celui que l'on consulte
ADDITIONS ET CORRECTIONS 535
le moins ». — Note 2. Ajouter : cf. Emile, II, 6 : « il aimait la patrie exclusive-
ment à lui ».
P. 3q8. note 7. — Fermez la parenthèse après étalage.
P. 39g. première note 3. ligne 3. — .\u lieu de : Vérité, lire ; Instruction.
P. 413, ligne g. — Au mot plein, ajouter la note suivante : Rousseau a
essayé de justifier son e.xpression dans sa Déclaration relative au pasteur
Vernes, IX. 90 : « Après avoir loué avec la plus grande énergie la beauté,
la sublimité de l'Évangile, le Vicaire ajoute que cependant ce même Évangile
est plein de choses incroyables. .M. Vernes part de là pour prendre au pied
de la lettre ce terme plein ; il l'écrit en italique, il le répète avec l'emphase du
scandale : comme s'il voulait dire que l'Évangile est tellement plein de ces
choses incroyables, qu'il n'y ait place pour nulle autre chose. Supposons,
qu'entrant dans un salon poudreux, vous disiez qu'il est beau, mais plein de pous-
sière; s'il n'en est plein jusquau plafond. .M. Vernes vous accusera de mensonge».
P. 417, note 4. — .Ajouter la remarque suivante : Cette distinction de la
pratique et de la foi spéculative dans la Religion, et cette affirmation de la
suprématie de la première sur la seconde, avaient été posées avec le maximum
de force et de candeur dans un Discours du Spectateur anglais [117], V, 33-37 •
« La Religion peut être considérée sous deux chefs généraux, dont l'un comprend
ce que nous devons croire et l'autre ce que nous devons pratiquer. Par les choses
que nous devons croire, j'entends tout ce qui nous est révélé dans la Sainte
Ecriture et que les seules lumières de la Raison ne pouvaient nous découvrir;
par les choses que nous devons pratiquer, je veux dire tous ces devoirs que la
Raison ou la Religion naturelle nous prescrivent. Je donnerai le nom de Foi aux
premières, et celui de Morale aux autres.
... Quoique les devoirs du Chrétien se réduisent en général à la .Morale et à
la Foi. et que chacune ait ses prérogatives en particulier, la première l'emporte
sur l'autre à divers égards, i) Parce que presque toute la .Morale, suivant l'idée
que je viens d'en établir, est d'une nature fixe et immuable et qu'elle durera dans
toute l'éternité, lorsque la Foi ne subsistera plus et qu'elle sera changée en
conviction. 2) Parce qu'on peut être en état de faire plus de bien et de se rendre
plus utile au monde, par la .Morale sans la Foi que par la Foi sans la .Morale.
3) Parce que la .Morale donne une plus grande perfection à la nature humaine,
*n ce qu'elle tranquillise l'esprit, qu'elle calme les passions et qu'elle avance
le bonheur de chacun en particulier. 4) Parce que la règle pour la .Morale est
beaucoup plus certaine que celle de la Foi, puisque toutes les nations civilisées
du monde s'accordent sur les points essentiels, autant qu'elles diffèrent sur ceux
de la Foi. 5) Parce que l'incrédulité n'est pas d'une nature si maligne que le vice,
ou, pour envisager la même raison sous une autre vue, parce qu'on convient
en général qu'un incrédule vertueux peut être sauvé, surtout dans le cas d'une
ignorance invincible et qu'il n'y a point de salut pour un croyant vicieux.
6) Parce que la Foi semble tirer sa principale, si ce n'est pas même toute sa
vertu, de l'intluence qu'elle a sur la .Morale...
En quoi consiste l'excellence de la Foi.... i).. . à expliquer divers points
de .Morale, et à les porter à un plus haut degré de perfection. 2) A nous fournir
de nouveaux et de plus puissants motifs pour nous encourager à la pratique de
la .Morale. 3) .A nous donner des idées plus justes de l'Être suprême, et à nous
536 APPENDICES
le rendre plus aimable: à nous inspirer plus de tendresse pour les autres, el
à nous procurer une connaissance plus exacte de nous-mêmes, soit par rapport
à la f^randeur ou à la bassesse de notre nature. 4) A nous montrer la noirceur et la
dirt'ormité du vice, qui, dans le système chrétien, est si énorme, que plusieurs de
nos théologiens nous représentent celui qui possède toutes les perfections et qui
en est le souverain Juge comme un Ktre qui hait autant le péché qu'il aime la per-
sonne sacrée qui en t'ait l'expiation. 5) La Foi est la méthode ordinaire qui nous
est prescrite pour rendre la Morale efficace et capable de nous obtenir le salut
D'ailleurs, je poserai trois ou quatre maximes qui me paraissent naitre
de ce que je viens d'avancer : i) Que nous devons bien prendre garde à n'établir
pour un article de Foi rien de tout ce qui ne sert pas à la confirmation ou au
progrès de la Morale. 2) Qu'aucun article de Foi ne peut être légitime et authen-
tique s'il affaiblit ou renverse les devoirs de la Religion, ou ce que j'ai appelé
jusqu'ici la Morale. 3) Que le partisan le plus zélé de la .Morale, ou de la Religion
naturelle, ne saurait craindre aucun danger de sa profession du Christianisme,
tel qu'il est enseigné dans sa pureté par notre Kglise .Anglicane. 4) Que, dans
tous les articles douteux, il faudrait examiner, avant de les admettre, toutes les
conséquences fâcheuses qui en peuvent résulter, supposé qu'ils soient erronés ».
R. 417. note 5. — .\jouter la remarque suivante ; si les pseudo-A/é»!0(rt',s-
de M"" d'Épinay étaient authentiques, Jean-Jacques aurait dit précisément le
contraire au dîner Quinaull: cf. le texte inédit que j'ai publié [299], 11-12 :
« .M'" Médéric [Quinault] dit, qu'en matière de religion, tout le monde avait
raison; elles sont toutes bonnes ou mauvaises, comme ils voudront, dit-elle;
mais il faut que chacun demeure dans celle où il est né. — Non. pardieu, reprit
René [Rousseau] avec chaleur, si elle est mauvaise, si ce sont des mensonges: je
n'en veux point soufiVir en moi, si je puis. Le mensonge, et surtout celui qu'on
garantit au nom de Dieu, ne peut faire que beaucoup de mal >:-.
R. 423. note 5. — Ajouter le texte suivant de la Nouvelle Hcln'ise (VI. viiii,
V, 44 : « Je vois qu'il est impossible que l'intolérance n'endurcisse l'âme.
Comment chérir tendrement les gens qu'on réprouve ? Quelle charité peut-on
conserver parmi des damnés »?
P. 427, note. — Ajouter la remarque suivante : Cf. aussi, sur cet idéal du curé
bienfaisant, l'Agaton dé l'abbé de Saint-Rierre, et. dans ses Observations sur le
Gouvernement intérieur de l'Etat, l'Observation \'! ■s pourfendre les habitants
des campagnes plus raisonnables et moins superstitieux » jo|, .\. 409-410
VII, 41-43, 73 sqq, gg-ioo. etc. — Ligne 19. Au lieu de : ses Éclaircissements,
lire : son Éclaircissement.
R. 441, note 2. — Il est possible aussi, qu'en écrivant ce discours, qui
commence par : « Mon fils, tenez votre àme », etc., il v ait eu, chez Rousseau,
le désir de rivaliser avec le discours, — qui fut un instant célèbre Ici'. Lettre de
X'oltaire à Ralissot. du 4 Juin 1760 [ySj, XL, 410-41 1| — que Diderot adresse,
lui aussi, au disciple selon son cœur, en tête du Père de famille : «. Mon fils,
si vous voulez connaître la vérité », etc. lÉpitre dédicatoire à la Princesse de
Nassau-Saarbruck [223'''-], 182-184). ^'- '^ note i de la p. 467.
P. 443, ligne 5. — .Ajouter au mot loi la note suivante : Faut-il rappeler
le texte évangélique, Luc. \. 27 : « Diliges Dominum Deum tuum et toto
corde tuo... et proximum tuum sicut teipsum •>■>?
{
ADDITIONS ET CORRECTIONS 537
1'. 445, noie 2. — Ajouter la remarque suivante : Déjà, dans une note
marginale de la IV' Lettre à Sophie 23 , 164, noie, il avait écrit : & Quel
horrible savoir que celui qui ne sert qu'à lever les scrupules, étouffer les remords
et multiplier sur la terre le nombre des méchants ■»!
P. 447, ligne 9. — Aux mots : le seul frein de leurs passions, ajouter
la note suivante : les Mémoires de M"" d'Épinay attribuent à Rousseau la
même réflexion [256j, I, 401 : « C'est pour eux ^les grands! que cette terreur
est utile, et non pour le peuple, comme vous le disiez l'autre jour *. — Note 2.
Ajouter les références suivantes : Berkeley. Alciphron, 1, xv-xvi li43j, I, 60-61 :
« Ô Alciphron. ... avant de vous donner la peine de produire vos preuves,
je serais charmé de savoir si les notions de votre philosophie sont dignes d'être
prouvées, je veux dire si elles sont utiles et avantageuses au genre humai.i. —
Permettez-moi de vous dire à cet égard qu'une chose peut être utile aux vues
d'un homme sans l'être à celles d'un autre. .Mais, utile ou non, la Vérité est
Vérité, et ne doit pas être mesurée par les services qu'elle rend à un homme
ou à une société»: La Mettrie. Discours préliminaire des Œuvres philoso-
phiques '62', I, i5 : «Quel funeste présent serait la Vérité, si elle n'était pas
toujours bonne à dire ■» ?
P. 451. note 5. — .Ajouter la remarque suivante : Le mot philosophiste
a été pris par Rousseau, non dans Fréron, mais dans les Lettres de X'ernet 236],
textes que j'ai cités; et voici ce qui me parait le prouver. L'expression ne
se trouve ni dans B, ni dans I (ce dernier offre le terme si curieux, et peut-être
unique, semble-t-il, A'anti-réligiosiste : cf. p. 448, note 6). La correction
philosophiste est donc une correction de dernière heure sur épreuves. Or
le 22 Octobre 1761. Rev écrivait à Rousseau [14 C], i33 ' : «.On a publié à
Utrecht. il v a quinze jours, une brochure de quatre feuilles, dont voici le
titre : l^ettres critiques d'un voyageur anglais, sur l'article «. Genève » du
Dictionnaire de l'Encyclopédie et sur la Lettre de Mr D'Alembert à Mr Rous-
seau, publiées avec une pré/ace par R. Brown, ministre anglais à Utrecht. Je
l'envoie aujourd'hui à .\lr .Auboin. en lui faisant vos compliments, afin qu"il
vous la fasse parvenir franc de frais, ce qu'il m'a dit avoir occasion de faire
quand je voudrais ». Et Rousseau répond le 3i Octobre [24], 121 : « Je connais
.M. Brown; je verrai avec plaisir son ouvrage; je vous remercie de vouloir bien
me l'envover»: et, le mois suivant. 27 Novembre, pp. 126-127 : « l'ai oublié
de vous remercier et de vous charger de mes remerciements pour SX. .Auboin
pour la brochure que vous m'avez envoyée ». Ainsi, en Novembre 1761. au
moment où la Profession était encore chez l'imprimeur, Rousseau venait
de recevoir et allait lire, sans doute, le petit pamphlet de Vernet. C'est là qu'il
devait trouver l'expression nouvelle, dont, quelques semaines plus tard, il
faisait son profit.
P. 433, note 6, ligne 2. — .\u lieu de : I3g]. lire : [32].
P. 437, note 3. — Ajouter : Lettre à .\/. de Franquières (plus haut, p Sigl.
P. 461. note I. — .Ajouter, parmi d'autres textes qui pourraient être cités,
les Observations sur les savants incrédules de Deluc l237' et notamment le
chapitre XLI, pp. 403-407. Ces pages sont d'autant plus intéressantes qu'elles
sont d'un ami de Rousseau, qui témoigne à plusieurs reprises sa sympathie
pour ce »^ vrai Chrétien philosophe » (p. 275), mais qui ne peut admettre
538 APPENDICES
l'athée vertueux de la Sonvelte Hèlo'isc. Cette longue note de la Profession
dut le satisfaire. — Note 2. En faisant allusion à ce «. moine qui avait nié un
dépôt », Rousseau répond à une objection que lui avait faite M. d'Offreville.
Celui-ci lui avait écrit, le 17 Septembre 1761, une première Lettre à laquelle
Rousseau répondit le 4 Octobre, X, 265-269. Dans cette première Lettre, il lui
disait [14]. 2": «Je ne saurais offrir à votre imagination un exemple de la
dépravation des mœurs de notre siècle qui soit moins de mon goût que celui
d'une personne avec laquelle je passe, pour ainsi dire, les jours»; et il exposait
à Rousseau les arguments de son « adversaire »; ce sont ceux auxquels Rousseau
répond dans sa Lettre. Dans la Lettre suivante, du 17 Octobre 1761 [14], 4", il
continuait: «Je reviens à mon adversaire, qui, au fond, me parait un fort honnête
homme, et dont l'extérieur simple et modeste me plait infiniment, raison pour
laquelle je voudrais bien pouvoir le justifier. 11 prétend que la Religion honore
les bonnes actions, mais qu'elle seule ne peut les produire; qu'une femme,
qui n'est fidèle à son mari que par dévotion, cesse de l'être, dès qu'un galant
aimable se présente; qu'au contraire une femme sans dévotion, mais dont le
coeur est plein d'honnêteté, ne succombe point; que les malheureux tirent peu
de secours d'un dévot; qu'un bon cœur sans dévotion ne cesse de donner que
quand il n'a plus rien: et enfin, // ajoute, pour appuyer son raisonnement,
que le petit père de la place des Victoires a nié te dépôt, tandis que Ninon
Lanclos avait oublié qu'elle avait serré celui qui avait été confié dans son
garde-meuble, oii l'on trouva la cassette qui le renfermait sans avoir été
ouverte. J'aurais beaucoup de choses à répondre à ces propositions; mais il faut
finir ma Lettre; vous jugerez vous-même si elles sont ou non problématiques ».
— Dans ses Amusemens variés, ou Mélanges de Littérature, en prose et en
vers ; avec une Lettre de .Iean-.Iacques Rousseau de Genève, Lausanne, et Paris.
Hérissant [etc.J, 1780, in-i6, pp. i5-2i, D'Offreville a publié, à la suite de la
Lettre de Rousseau, une Opinion sur le fait proposé dans la réponse de Jean-
.lacques Rousseau. Il a présenté cette Opinion sous la forme d'une Lettre,
également datée du 17 Octobre 1761 ; mais c'est une Lettre toute différente de
l'original, et le texte que je viens de citer ne s'y trouve pas. — Voltaire a
rappelé, plus d'une fois, cet épisode de la vie de Ninon : cf., notamment. Sur
A/"' de Lenclos [73], .XXlll, 5io. Mais « le dévot », qui aurait été, d'après
Voltaire, un dépositaire infidèle, ne saurait être « le petit père de la place des
Victoires », dont parle ici D'Oft'reville. Je ne sais à quelle anecdote celui-ci fait
allusion.
P. 465, note I. — .'Vjouter la remarque suivante : On était aussi très
admirateur des Chinois dans le milieu holbachique ; cf. Lettre de Diderot à
M'" Volland, de Septembre 1760 [58], XVIII, 464 : « 11 s'agissait des Chinois.
Le Père Hoop et le Baron en sont enthousiastes: et il y a de quoi l'être, si ce
que l'on raconte de la sagesse de ces peuples est vrai ».
P. 471, note 3. — .^jouter la remarque suivante : D'autres déjà avaient été
de ce «parti »; cf. Vernet, Instruction chrétienne [2i3], 1, 18 : « Toutes les
plaintes que l'on entend faire sur les dangereuses suites du fanatisme et de
la superstition sont autant de raisons qui doivent faire sentir combien il
importe d'avoir une Religion pure et une piété éclairée ».
P. 490, Lettre VI, ligne i. — .'\u lieu de : erreurs, lire : erreurs.
BIBLIOGRAPHIE DES OUVRAGES
CITÉS DANS LIXTRODUCTIÛX ET LE COMMENTAIRE'
I
ŒUVRES DE ROUSSEAU
Sait/' indication contraire, les textes de Rousseau ont été cités
d après la seule édition, dont le tirage continue encore aujourd'hui :
Œuvres complètes de J. J. Rousseau. Paris, Hachette. i3 vol. in-12.
(C est de iS65 que date la division en treize volumes : cette édition avait
paru, en huit volumes seulement, dès i856). Les autres citations ont été
empruntées aux recueils suivants, que l on trouvera rangés dans l'ordre
chronologique. — la chronologie des manuscrits reposant .■<ur la date
approximative de composition, celle des imprimés sur la date de
publication.
MANUSCRITS
1. Institutions chimiques, quatre livres reliés en trois tomes in-4, le
IV«: livre a\ant une foliotation indépendante, Bibliothèque de Genève,
M. f. 238.
Extraits publiés par Th. Dufour [35].
2. Conseils à un curé. Bibliothèque de Neuchàtel, 78139.
Insuffisamment publié par A. Jansen [28].
' Lians /Introduction el le Commentaire, le titre de tuus ce.'i ouvrages a été
cité avec l'ortlingraphe muderne. Ici j'en ai rétabli l'orthographe originale, sans
toutefois conserver l'accentuation et In ponctuation, qui sont le plus souvent
arbitraires sur les pages de titre. — Pour les ouvrages imprimés, j'ai fait suivre
le nom de lieu du nom de l'éditeur: là oii ce nom fait défaut, c'est qu'il n'est pas
mentionné sur le titre ou que je n'ai pas su le retrouver. J'ai mis entre crochets les
titres, noms d'auteur, de traducteur et d'éditeur qui n'étaient pas fournis par les
livres mêmes.
540 BIBLIOGRAPHIE
3. [Morceau allégorique sur la Révélation']. Bibliothèque de Genève.
M. f. 228.
Insuffisamment publié par G. Slreckeisen-Moullou [25].
4. Lettres à Sophie.
.\. Lettres I, V et VI, Bibliothèque de Xeuchàtel, 7890.
Publié sommairement par E. Ritler '3r] ; cf.. ici même, .\ppendicex, 1.
B. Lettres II, III et IV, Bibliothèque de Genève, M. f. 228.
Insuffisamment publié par G. Streckeisen-.Moultou [25].
5. [Cahier de brouillons, note.': et extraits]. Bibliothèque de .Neu-
chàtel, 7842.
6. [Autre caliicr iie brouillons], Id.. 7848.
7. Doutes sur la Religion dont on cherche l éclaircissement de bonne
fov. ouvrage d'un anonyme, conservé par Rousseau dans ses papiers,
et sur lequel il a écrit, f" 23 '■'° : « A réfuter », Bibliothèque de Neu-
chàtel. 7934.
C'est l'ouvrage bien connu dans les milieu.\ » philosophiques » sous le
titre d'E.\ame)i de la Relif(ion : ci. n" 173.
"'''S [Manuscrit sur la Religion], ouvrage d'un piétiste anonvme.
adressé à Rousseau postérieurement à VHmile. qui v est discuté, Biblio-
thèque de Neuchàtel, 7933.
8. [Brouillons fragmentaires de la « Nouvelle Héloïse »].
A. Recueil principal. 1 vol. in-4. Bibliothèque de la Chambre
des Députés, .Mss. 1404.
B. Fragments de trois Lettres de la V7'' Partie, manquant dans
le précédent manuscrit et appartenant à la même Rédaction, Bibliothèque
Victor Cousin, Collection d'autographes. Tome V, Littérateurs, f"'* 81-92.
9. [Copie de la « Nouvelle Héloï.fe » avec corrections et additions],
2 vol. in-4, Bibliothèque de la Chambre des Députés, Mss. 1495-1496.
10. [Premier Brouillon d'ensemble de l « Emile »], onze cahiers
non reliés, appartenant à la famille Favre, de Genève.
Sur ce manuscrit, cf. Introduction, II. i. 3, l'élude de Léopold Favre [294;
et les extraits publiés par lui [40 'i""iwi.
H. [Copie de / « Emile », avec corrections et additions], 3 vol. in-.8,
Bibliothèque de la Chambre des Députés, .Mss. 1427-1429.
Pour la description du .Manuscrit, cf. Inlvaduction, II, 1, 5.
ŒyVRES DE ROUSSEAU 54I
12. [Lellrex diveî-set: de Rousseau], Bibliotlièque de Neuchàtcl.
A. Lettres à des correspondants inajnniis ou regardes comme tels.
yyoo.
B. Autres Lettres ioi"it,'inau.\, minutes ou copies autographes). 7901.
C. Brouillon de la Lettre à Voltaire, du 18 Août ij56. 7894.
13. [Correspondance avec M. de Maleslierbes]. Bibliothèque Natio-
nale. .Mss.
A. Nouv. acq. fr. 1 183.
B. Id. 21 196. f" 14S.
Publié tn parlio par F. Brunetière [205] et G. Maugras [3o], presque
intégralement par P. P. Plan i40"'j.
14. [Lettres adressées à Rousseau'}, rangées dans des cartons par
ordre alphabétique. Bibliothèque de Neuchàtcl. 7002. — Parmi ces cor-
respondances, quelques-unes des plus importantes ont été reliées en
volumes séparés, sans recevoir, d'ailleurs, de cote particulière; cf.. par
exemple :
A. Lettres de Delevre.
B. Lettres de Duchesne et Guérin.
C. Lettres de Marc-Michel Rev.
Plusieurs de ces Lettres ont été publiées, souvent inexactement, par
G. Streckeisen-.Moultou [26].
B
IMPRI.MES
15. Collection complète des Œuvres de J. ./. Rousseau [édition Du
Peyrou], Genève, 1780-1789, 17 vol. in-4. dont trois vol. de Suppléments
( 1782), et deux de Seconds suppléments 1 17891.
16. Œuvres complètes de J. J. Rousseau, Souvelle Edition, classée
par ordre de matières et ornées de quatre-vingt-dix gravures [édit.
S. .Mercier, G. Brizard et S. de TAulnaye], [Paris, Poinçot], 1 788-1 793,
38 vol. in-S.
17. Œuvres de ./. ./. Rousseau. (Citoyen de Genève, Edition ornée
de superbes figures d'après les tableaux de Cocliin, Vincent, Regnault et
Monsiau [pour quelques tomes, le titre est le suivant : Édition ornée de
figures et collationnée sur les Manuscrits originaux de l Auteur déposés
542
BIBLIOGRAPHIE
au comité de l Instruction publique], Paris, Defer de la iMaisonneuve et
Dufour, successeur de Defer, Imprimerie de Didot le Jeune, lygS-iSoo
[les quatorze premiers tomes sont datés de lyqS, le tome X\ de 1797,
les trois derniers sont sans date], 18 vol. petit in-f°.
18. Œuvres complètes de J. J. Rousseau' [éd'w.. Naigeon, Fayolle et
Bancarel], Paris, Didot TAiné, An IX- 1801, 20 vol. in-8.
19. Œuvres de J. J. Rousseau, avec des notes historiques [édit.
G. Petitain], Paris. Lefèvre, 1819-1820, 22 vol.jn-8.
20. [Parabole], attribuée à Rousseau par les soi-disant Mémoires de
Mme d"Épinay, Paris, Brunet, 1818, 3 vol. in-8, II, 77-83.
Cité ici d'après l'édition P. Boiteau [256], I, 395-400. Je crois avoir montré
[299], 22-27. qLie cette * Parabole » n'est pas de Rousseau et doit être restituée
à Diderot.
21. Pensées d un esprit droit et sentiments d'un cœur vertueux,
[édit. \'illenave], Paris. Fournier-Kavreu.x, 1826, in-8.
22. Lettres à la Marquise de Verdelin, p. par E. Bergounioux,
L'Artiste, Journal de littérature et des beaux arts. 11"= Série, t. V.
1840, in-4.
23. Une Lettre inédite de Rousseau au sujet de la réhabilitation de
Calas, p. par E. Frossard, en iS56 [47], iV, 240-241.
Ce titre est inexact; il s'agit de l'affaire Pochette: la Lettre adressée à
M. R[ibote] est du 28 Septembre 1761, et la mort de Calas du 14 Octobre.
24. Lettres inédites à Marc-Michel Rey, édit. J. Bosscha, .Amster-
dam. .MQller — Paris. Didot, i858. in-8.
2.J. Œuvres et Correspondance inédites, édit. G. Streckeisen-Moul-
tou. Paris. Lévy, 1861, in-8.
Cf. les n 3 et 4 B.
26. ./. J. Rousseau, ses amis et ses ennemis [Lettres adressées à
Rousseau], édit. G. Streckeisen-Moultou. Paris, Lévy, i865, 2 vol. in-S.
Cf. le n" 14.
27. Antécédents de l'Hégélianisme dans la philosophie française. —
Dom Deschamps, son système et son école [Correspondance de Rousseau
avec Dom Deschamps], édit. E. Beaussire, Paris, Germer Baillière. i8G5,
in-i 2.
ŒUVRES DE ROUSSEAU 543
28. Fragments inédits, édit. A. Jansen, Paris, Sandoz — Berlin,
W'ilhelmi. 1882. in-8.
Cf. le n' 2. V joindre les rectifications présentées par Jansen lui-même dans
la Revue Die Gegenwart, t. XXII. 1882, n' 28.
2Î>. Le Portefeuille de Mme Dupin [Lettres et opuscules de Rous-
seau adressés aux Dupin]. édit. G. de \'illeneuve-Guiberi, Paris, Calmann-
Lévy, s. d. [1884], in-8.
Y joindre les corrections que j'ai apportées [3oo], 41-45.
;10. Voltaire et J. ./. Rousseau [Correspondance de Rousseau avec
JVlalesherbes, le maréchal de Lu.xembourg et les libraires relativement à
VÉmile], édit. G. Maugras, Paris. Calmann-Lévy, 1886, in-8.
Cf. le n" i3.
31. Lettres à Sophie Lettres I, V" et V'I]. p. par E. Ritter dans les
Verliandlungen der neunundreissigsten Versammlung deuischer P/iilo-
logen und Schulmaenner in Zurich (18871, Leipzig, Teubner. 1888, in-4.
Cité ici d'après la réimpression faite par F. Ritter, en igo6 [49], 11,
1 1 1-1 36 : cf. le n' 4 .A.
31 '''\ Correspondance avec Mme Boy de la Tour, édit. H. de
Rothschild. Paris, Calmann-Lévv. 1892, in-8.
32. Du Contrat social, édition contenant, avec le texte définitif, les
versions primitives de l'ouvrage, édit. E. Dreyfus-Brisac, Paris, Alcan,
i8q6. in-S.
33. Lettres à ./ean-.Ami Martin, p. par E. Ritter en igoo [47 , XLIX.
254-259.
34. La Comtesse d'Houdetot [Lettres de Rousseau à Mme d'Hou-
detot], édit. H. Buffenoir, Paris, Leclerc, lOoS, in-8.
3."i. Les Institutions chimiques, fragments p. par Th. Dufour.
Genève. Imprimerie du «Journal de Genève », 1905. in-8.
Extrait, avec additions, de la Semaine littéraire, du 17 Décembre 1904.
Cf. le n" I.
36. Pages inédites, Première Série, p. par Th. Dufour en iqoS
[49], I. 202-245.
37. Pages inédites. Deuxième Série, p. par Th. Dufour en 1906
[49], II, 163-270.
38. La Première Rédaction des « Confessions » {Livres I-lVi. p. par
Th. Dufour, en 1908 [49], I\', 1-276.
544 BIBLIOGRAPHIE
S9. Correspondance avec Léonard Usteri. édit. P. l'steri et K. Ritter,
Zurich. Béer — Genève, Kùndig, 1910, in-12.
Déjà publié en partie par P. Usteri, Brie/wechse/ .1. .!. Rousseaus mit
Lfoiiliard l'steri in Zurich und Daniel Roguin in Yverdnn, Literarische Beiiage
zum Progranim der Kantonsschule in Zurich. 18S6, in-4.
4((. Annotations au livre « De l'Esprit », p. par P. Maurice Masson,
en 11)10 [4<S]. X\'![i. 104-113.
40'"*. Lettres aux libraires Néaulme et Duc/iesiie, p. par P. Lent;
et .A. F[rançoi.s], en 191 1 [49^, VII. 107-124.
4()''''. ./. J. Rousseau et Malesherbes [Correspondance de Rousseau
et de Malesherbes à roccasion de VÉmile'], édit. P. P. Plan, Paris,
Fischbacher, 191 2, in-8.
Extrait, avec additions, du Mcrcurt de France, t. .XCVII, n du i" .Mai 1012.
40 'i"''"'''. Choix de passages inédits et de variantes du Manuscrit
Favre de l « Emile ». p. par L. Favre en 1912 [49], VIll, 270-31 5.
II
ŒUVRES ET COLLECTIONS
J ai rangé sous ce titre les publications périodiques et les recueils
(f Œuvres complètes. En règle générale, toutes les fois que ces recueils
existaient, c est d après eux que j ai fait les citations. — Les publications
périodiques ont été classées d'après la date oit elles ont commencé à
paraître: pour les Œuvres complètes, j'ai suivi l'ordre alphabétique.
41. Mercure de France [Suite du Mercure galant, etc.]. Paris,
Barbin, [etc.], 1672-1792, i6i5 vol. in-12.
Rousseau était abonné au Mercure dès lySS ; Cf. Th. Dufour [36]. 202; et
vraisemblablement il l'était resté : cf. Réponse au mémoire anonyme. XII, 304,
Confessions, Mil, 249. etc.
41'''% [Ga^^ette, dite d Amsterdam ou de Hollande]. Amsterdam,
avec Privilège de Nos Seigneurs les États de Hollande et de Westfrise,
1703-171)2, in-4.
42. Bibliothèque choisie pour servir de suite à la Bibliothèque uni-
verselle, par Jean Le Clerc, .\msterdam. Schelte, 1703-1713, 28 vol. in-12.
4S. Histoire de l'Académie royale des Inscriptions et Belles-
Lettres , avec les Mémoires de Littérature tirés des Registres de cette
ŒUVRES ET COLLECTIONS 545
Académie, Paris, Imprimerie Royale-Imprimerie Impériale. 1717-1809,
5o vol. in-4.
Rousseau avait dépouillé plusieurs volumes de la collection : cf. ses cahiers
de notes [5\ 1 et 2.
44. Correspondance littéraire, philosophique et cr i tique, ^av Gr\mm,
Diderot, Ravnal, Meister, etc., édit. M. Tourneux, Paris, Garnier, 1877-
18S1. ifi vol. in-8.
45. L'Année Littéraire, ou Suite des Lettres sur quelques Écrits
de ce tetns, par M. Fréron. Amsterdam et Paris, Lambert, etc., 1754-
1792, 292 vol. in-i2.
Cf. Lettre à Fréron. du 21 Juillet lySS, .\, 76: Lettre de J. B. Tollot à
Seigneux de Correvon [49], lll, 203-204.
46. Journal encyclopédique, par une société de gens de lettres
[Pierre Rousseau, Bret, Castillon, Chamfort, Deleyre, etc.], Liège,
1756-1759, Bouillon, 1760-1793, 288 vol. in-12.
M. Marcelin Pellet, dans un article de La Révolution française [280], igS,
affirme que J. J. Rousseau a collaboré à ce journal. « Voir, dit-il, le numéro du
i5 Avril 1761, page 178 ■». Le numéro du i5 .\vril 1761 n'a que 168 pages; mais,
à la p. 128, on trouve une Lettre adressée à M. Rousseau, l'un des auteurs de
ce journal. C'est, sans doute, à cette Lettre que fait allusion M. Pellet; mais ce
Rousseau est Pierre et non Jean-Jacques. Il est possible cependant que Jean-
Jacques ait collaboré au Journal : cf. Lettre de Voltaire à Pierre Rousseau, du
3i Janvier 1756 [78], XXXVIil, 142 ; et précisément, dans cette même année 1/56.
au fascicule du i" Juillet, pp. 22-3 1, il y a sur la « bonté de la nature », à propos
d'un livre obscur, un article très vigoureux et très ardent, qui pourrait être
de Jean-Jacques, à moins qu'il ne soit de Diderot ou de Morelly.
46'''*. Mémoires secrets pour servir à l histoire de la République
des Lettres en France, depuis MDCCLXII jusqu'à nos jours.... [par
Bachaumont. etc.", Londres. John .\damson. 1780-1789, 36 vol. in-t2.
47. Bulletin historique et littéraire de la société de l histoire du
protestantisme français. Paris. Agence centrale de la Société, 1 853 sqq, in-8.
48. Revue d histoire littéraire de la France, publiée par la société
d'histoire littéraire de la France. Paris, Colin, 1894 sqq., in-8.
49. Annales de la société Jean-Jacques Rousseau. Genève. Jullien,
1905 sqq., in-8.
4Î)'''*. Revue au XVIH'^ siècle. Paris, Hachette. 191 3 sqq., in-4.
50. Abalzit, Œuvres Diverses, Londres-Amsterdam, Van Harre-
velt, 1770-1773, 2 vol. in-8.
35
:546 BIBLIOGRAPHIE
ôl. AgleSseal(d'), Œuvres complètes, édit. Pardessus, Paris, Fantin,
1819, 16 \-ol. in-8.
52. Alembert (d'i, Œuvres, Paris, Belin, 1821-1S22, 5 vol. in-8.
53. Bayle (P.), Œuvres diverses, La Haye, Husson, [etc.], 1727-1731,
4 vol. in-fo.
54. Bonnet (Charles), Œuvres d'histoire naturelle et de philosophie,
Neuchâtel. Fauche, 1779-1783, 18 vol. in-8.
55. BossuET, Œuvres, édit. F. Lâchât, Paris, Vives, 1862-1866,
3i vol. in-8.
56. CoNDiLLAC, Œuvres, revues, corrigées par lauleur, imprimées
sur ses manuscrits autographes, Paris, Houel, An ^-1798. 23 vol. in-S.
57. Descartes, Œuvres, édit. C. .\dam et P. Tannery, Paris, Cerf,
1897-1910, 12 vol. in-4.
58. Diderot, Œuvres complètes, édit. J. Assézat et M. Tounieu.x,
Paris, Garnier, 1875-1877, 20 vol. in-8.
59. DicLOS, Œuvres complètes, édit. L. S. .\uger, Paris. Colnet,
1806, 10 vol. in-8.
60. FÉ.NELON, Œuvres complètes, édit. [Gosselin], Paris. Gaume —
Lille, Lefort, 1848-1852, 10 vol. in-4.
60'''*. Gresset, Œuvres, nouvelle édition revue, corrigée et considé-
rablement augmentée, Londres. Rermaleck, 1767, 2 vol. in-12.
61. HoBBES, Opéra philosophica qnae latine scripsit omnia. .\mste-
lodami, Blaer. 1668. in-8.
62. La Mettbie, Œuvres philosophiques, nouvelle édition, Berlin —
Paris, Tutot, 1796, 3 vol. in-8.
62'''*. Leszczvnski (Le Roi Stanislas), Œuvres du Philosophe bien-
faisant. Paris, 1763, 4 vol. in-8.
63. Malebranche, Œuvres complètes, édit. E. de Genoude et H. de
Lardoueix. Paris. Sapia, 183/, 2 vol. in-4.
64. Maupertlus, Œuvres, nouvelle édition corrigée et augmentée,
Lyon, Bruvset, 1756, 4 vol. in-8.
D'après Quérard, France Littéraire, t. V, Paris, Didot, i.s33, in-8, p. 642,
cette édition qui porte la date de 1756, serait en réalité de 1768: mais VAppro-
ŒUVRES ET COLLECTIONS 547
bation et ie Privilège, à la fin du t. IV, sont tous les deux de lySS: et Lelranc
de Pompignan la cite dans son Discours de 1760 [232], 11 et note.
65. Montesquieu, Œuvres complètes, édit. É. Laboulaye, Paris,
Garnier. 1875-1879, 7 vol. in-8.
66. Pope, Œuvres complettes, traduites en françois, nouvelle édition
revue, corrigée, augmentée, Paris, Duchesne, 1779, 8 vol. in-8.
67. Pbevost (abbé), Œuvres choisies, .Amsterdam et Paris, lySB-
1785, 39 vol. in-8.
68. Racine, Œuvres complètes, édit. Paul .Mesnard, 2*^ édit., Paris,
Hachette, i885-i888, 8 vol. in-8.
69. Saint-Evre.mond, Œuvres, publiées sur ses manuscrits, édit.
Desmaizeau.x, .\msterdam, Covens et Mortier, 1726, 7 vol. in- 12, dont
deu.x volumes de Mélange curieux des meilleures pièces attribuées à
M. de Saint-Evremond .
Rousseau avait * trouvé Saint-Évremond dans la chambre qu"il occupait»
chez .\1~' de W'arens : cf. Confessions. \ III. 77-78.
70. Saint-Piepre (abbé oei, Ouvrajes de morale et de politique,
Rotterdam, Beman, 1729-1741, 16 vol. in-12.
Cf. Confessions. VIII, 291, 3o2. cahiers de Rousseau, .\lss. de Neuchàtel,
n' 7840. I"' f'-io" : « Liste des manuscrits contenus dans les cartons de
.M. le comte de Saint-Pierre ». Ces cartons de manuscrits existent encore à la
Bibliothèque de Neuchàtel sous le n* 792g ; et l'on peut s'étonner que .M. Joseph
Drouet les ait complètement ignorés dans sa thèse sur L'Abbé de Saint-Pierre,
l'homme et l'œuvre, Paris. Champion, 1912, in-8. On trouvera dans ce livre,
pp. 373-379, la liste détaillée des opuscules contenus dans les Ouvrages de morale
et de politique.
71. SArNT-Si.vtoN, Mémoires, édit. .\. de Boislisle, L. Lecestre et
,1. de Boislisle, Paris, Hachette, 1870 sqq.. in-8.
71'"*. Staël iM.me dei, Œuvres complètes, édit. Aug. de Staël, Paris.
Treuttei et \\ ûrtz, 1820-1821, 17 vol. in-8.
72. Tho.mas dWquin (Saint), Opéra omnia. Paris, Vives. 1888-1889.
34 vol. in-8.
*
72'"*. Tlbgot, Œuvres et Documents le concernant, édit. G. Schelle,
Paris, .Alcan, 1913 sqq, in-8.
73. Voltaire, Œuvres complètes, édit. L. .Moland. Paris. Garnier,
1877-1885, 52 vol. in-8.
548 BIBLIOGRAPHIE
III
OUVRAGES ANTÉRIEURS
A LA « PROFESSION DE FOI »
On trouvera dans cette liste ce que ion pourrait proprement appeler
les « Sources » de la Profession de foi ; car la plupart de ces ouvrages
ont été lus par Rousseau avant de l'écrire, comme on s en rendra compte
par l indication des textes qui en mentionnent ou permettent d'en supposer
la lecture. Plusieurs de ces références, les plus démonstratives, ont été
prises dans les cahiers de brouillons, oii Rousseau notait et copiait les
passages qui l'avaient particulièrement frappé : cf. les n"" 5 et 6.
Malheureusement ces cahiers n'ont pas été tous conservés. On aurait
pu espé/'er que les registres de prêt de la Bibliothèque du Roi v sup-
pléeraient, car on sait qu'entre ij5o et 1/60 « l'abbé Sallier lui
fournissait de la bibliothèque du Roi. les livres et manuscrits dont il
avait besoin » (Préface du Dictionnaire de Musique. VI, 323i. Mais les
registres de cette période ont presque tous disparu, et les sept ouvrages
qui Jiguivnt aux seuls répertoires de i/.5(> et i/52 n'intéressent pas la
Profession de foi. Au reste, l'œuvre même de .Jean-Jacques nous apporte
à elle seule de précieuses indications sur ses lectures.
J'ai rangé tous ces ouvrages par ordre chronologique, — /e.s dates,
sur lesquelles repose le classement, étant, pour les livres français, les
dates des premières éditions, qui ne sont pas toujours celles dont J'ai pu
me servir, et, pour les livres étrangers — presque tous anglais — , les
dates des premières traductions françaises, puisqu'ils ne pouvaient agir
directement sur Rousseau qu'après avoir été adaptés en français. On se
rappelle, en effet, que l'italien était la seule langue étrangère qui fût
Jamilièrc à Rousseau. En outre, il y a toute une catégorie d'ouvrages
dont la chronologie pourra paraître arbitraire et sur lesquels je dois
m'expliquer. Ce sont certains ouvrages « philosophiques ». particu-
lièrement hardis, qui ont longtemps circulé en manuscrits avant d'être
imprimés. Plusieurs même, qui ont été publiés après la Profession de foi.
étaient connus de Rousseau avant de la composer. Nous savons qu'il avait
lu en manuscrit /'Examen de la Religion [7 et lyS]. les ouvrages de
Fréret [189], de Boulanger [233]. // est injiniment vraisemblable qu'il
avait lu de même ceux de D'Holbach. Dumarsais, Burigny, etc. Quand
AVANT LA '< PROFESSION DK FOI » 549
ces oiiiTciges oui paru a)'anl /'Kmilc. je les ai i-angds à leur date d'im-
pression. Quand ils ont paru après /Emile, et que nous savons par
ailleurs qu'il en circulait auparavant des copies, j'ai adopté la date
approximative de leur rédaction ou de leur mise en circulation. Je me
suis souvent servi, pour la fixer, des recherches de M. Lanson Sur l'his-
toire de l'esprit philosophique avant lySo. recherches qui renouvellent
en grande partie cette histoire [289''"].
Parmi ces ouvrages, quelques-uns .te retrouvent déjà dans les recueils
rf'Œuvres complètes indiqués plus haut. Je les ai cependant rangés à
leur date, mais sans autre signalement bibliographique, en renvoyant
au tome de la collection d après lequel je les ai cités ici. — Dans l'inté-
rieur d'une même année, faute, pour la plupart des ouvrages, de rensei-
gnements précis, sur le mois oii chacun d'eux a paru, j'ai adopté l ordre
alphabétique.
1541
74. Calvin, Institution de la Religion Clwestienne. nouvellement
mise en quatre livres, Genève, Martin. i565, in-8.
CA. Contrat Social, III. 328.
1572
75. [Amyot], Les Œuvres morales de Plutarque. Genève. Stœr. 1621,
2 vol. in-8.
Cf. les nombreu.v extraits des Moralia de Plutarque dans les cahiers de
Rousseau [5J, 8-12.
1595
76. MoNT.!\iGNE, Essais [édit. M"'^ de Gournay et P. de Brach], ibgb.
Cf. les e.xtraits des E.tsais dans les cachiers de Rousseau [5], i3, et les nom-
breuses citations de Montaigne dans son œuvre ; Corancez aurait donné à Hérault
de Séchelles un Montaigne annoté par Rousseau lui-même pour .M'" Corancez :
cf. [Mme Cavaignac], Les Mémoires d'une inconnue, Paris, Pion, 1894. in-8,
p. 160. Les Essais sont cités ici d"après l'édition F. Strowski, Bordeaux,
Pech, 1906 sqq, in-4.
77 .A. Ch.-\rron. De la Sagesse, Livres trois, par .M< Pierre Le
Charron, Bourdeaus, Millanges, 1601, in-8.
Cf., plus haut, dans la ProJ'es.iiioii, p. 3i5.
77 B. in., Id., Rouen, Le Villain, 1618. in-8, exemplaire donné à
Rousseau par la .Marquise de Créqui et annoté par lui. Bibliothèque
Nationale. Réserve, R 2082.
550 BIBLIOGRAPHIE
1624
78. Barclay (Jean), L'Argénis. trad. nouvelle par .Mr. l'abbé Josse,
Chartres, Besnard, 1782, 3 vol. in-12.
Cf. Verger des Charmettes. VI. 6. si loulefois c'est bien, comme je le crois,
de .lean Barclay qu'il est question dans ce vers : cf. le n io3.
1636
"9. Groth;s, Traité de la Vérité de la Religion chrétienne, trad.
P. Le Jeune, nouvelle édit., augmentée de deux Dissertations de Al. Le
Clerc, Amstermam. Ledet. 1728, in- 12.
Cf. Discours sur l'Inégalité, I. 76.
1637
80. Descartes. Discours de la Méthode.
Cf., plus haut, dans la Profession, p. 47. Confessions. Vlll, 16g. Cité ici
d'après le n* 57, t. VI.
1642
80'''*. La .Mothe Le \'aver. De la Verdi des Payens, Paris. Targa,
1642, in-4.
1647
81. Descartes, Pi'incipes de la philosophie.
Cf.. plus haut, dans la Profession, p. 107, Verger des Charmelles. VI. 5.
!■'' Discours, I, 11, note, etc. Cité ici d'après le n' 5j, t. IX.
1665]
82. MoNCONYS, \'oyages [nouvelle édit.]. Paris, Delaulne, i6q5,
5 tomes en 4 vol. in- 12.
C'est l'édition dont se servait Rousseau : cf. ses cahiers de brouillons
[5],3o-.
1670
83. Pascal, Pensées sur la Religion et sur quelques autres sujets,
édit. L. Brunschwicg. Paris. Hachette. 11)04. ^ vol. in-8.
Cf. Verger des Charmettes. \'I, 5.
1671
84. BossuET. Exposition de la doctrine de l'Église catholique sur
les matières de controverse.
Cf.. plus haut, dans la Profession, pp. 36i-363. Cité ici d'après le n' 53,
t. XIII.
AVANT LA « PROFESSION DE FOI » 55 1
1672
85. Le Sleir (Jkan), Histoire de l'Église et de l'Empire. [1672-1679],
Genève, Duillier, i6S6, 6 vol. in- 12.
Cf. Confessions, \'III, 4, 45.
1674
86. [.Malebranche], Rec/icrclie de la vérité, oii l'on traite de la
nature de l'homme [etc.].
Cf. Verger des Channettcs, VI. 3, Confessions, \")ll, m'hi. Cité ici d'après le
n*63, t. I.
1676
SB"*'*. [FoiGNY (Gabriel de)], La Terre australe connue, par Mr. Sa-
deur. \'annes. Verneuil. 1676, in-12.
1677
87. [V'aibasse (Denis)], L'Histoire des Sérarambes, Paris, Barbin,
1677-1678, 4 vol. in-r2.
Cf. Lettres de ta Montagne. III. 2o3. Lettre à Duchesne. du 24 Dé-
cembre 17Ô4, .\l. 186.
1681
88. Bossuet, Discours sur l'histoire universelle.
Cf. Confessions, VIII. 4. Cité ici d'après le n' 55. t. X.XIV.
1683
89. [Bayle (P.)], Pensées diverses, écrites à un docteur de Sorbonne
à l'occasion de la comète qui parut au mois de Décembre :68o et Con-
tinuaiioti des Pensées (1683-1704).
Cf.. plus haut, dans la Profession, p. 453, Contrat social. III, 385. Cité
ici d"après le n' 53. t. III.
1)0. [Lami ILE P. Bernardi], Entretiens sur les sciences, Grenoble,
Frémon. s. d. [i683], in-12.
Cf. Confessions, Vlli, i65, Clironologie universelle [36], 216-217. Rousseau
lisait les Entretiens dans la 3' édition, Lvon, Certes. 1706, in-12.
91. [Malebranche], Traité de Morale.
Cf. le n" 86, Cité ici d'après le n" 53, t. I.
552 BIBLIOGRAPHIE
1684
92. Abbadie, Traité de la vérité de la Religion chrétienne. S"^ édit.,
Rotterdam, Leers, lyoS, 3 vol. in-12.
Cf., plus haut, p. 2, la note mari^inale de F.
1685
yS. [Le Cène (Ch.) et Leci.ebc (J.)], Entretiens sur diverses matières
de Théologie. Amsterdam, \\'etstein, i685, in-12.
94. [Leclerc iJ.)], Sentimens de quelques Théologiens de Hollande
sur L' « Histoire critique du Vieu.x Testament», composée par M. Simon,
prêtre. Seconde édit., Amsterdam. .Mortier, 171 1, in-12.
1688
95. BossLET, Histoire des variations des Eglises protestantes.
Cité ici d'après le n" 35, t. Xl\' et X\".
1690
96. M.\LEBRANCHE. Entretiens sur la Métaphysique et la Religion.
Cf. le n° 86. Cité ici d'après le n° 63. t. 11,
1692
97. Abbadie. L'.Arl de se connoitre soy-même, ou la Recherche des
sources de la morale, Rotterdam, Van der Slaart, 1692, in-12.
Cf.. plus haut, p. 2, la note marginale de F.
1696
9S. [La Bruyère], Les Caractères de Théophraste. traduits du grec,
avec les Caractères ou les Mœurs de ce siècle. Neuvième édition reveue
et corrigée [dernière édition originale].
Cf. Verger des Charmettes. VI. 2, Confessions, \\\\. 4, 78, etc. Cité ici
d'après l'édition G. Servois des Œuvres complètes, Paris, Hachette, 1865-1878,
3 vol. in-8.
99. [Locke], Que la Religion chrétienne est très raisonnable, telle
qu'elle nous est représentée dans l'Écriture sainte [trad. P. Coste],
Amsterdam, Wetstein, lôgô, in-12.
AVANT LA « PROFESSION' DE FOI » 553
1697
100. Bavlk (P.), Diclionnaire historique cl critique. 4«édit., Amster-
dam, Brunel, [etc.] — Leide, Luchtmans, 1730, 4 vol. in f°.
Cf. Lettre [de 1737, au libraire Barillot, d'après la conjecture très vraisem-
blable de Th. Dufour [36], 217;, X, 40, Confessinns, VII!. 78.
1699
101. Dacier (A.), Les Œuvres de Platon traduites en français,
avec des Remarques et la Vie de ce philosophe, avec l'exposition des
principaux dogmes de sa Philosophie, Paris, Annison. 1699, ^ vol. in-8.
Cf., pour La Républiqur. Emile. II. 7, 75, 333, etc.
1700
102. Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain.
trad. P. Coste, 4*= édit., .\msterdam, Mortier, 1742, in-4.
Cf. Verger des Charmettes, VI, 5, Confessions. VIII, i6g.
1702
103. Bahci-av (Roberti, Apologie île la véritable Théologie chré-
tienne, Londres, Sowle, 1702, in-8.
Cf. Verger des Charmettes, VI, 6 (?); mais il est probable que le Barclay
auquel pense Rousseau dans ce vers est Jean Barciav, l'auteur d'Argénis, d'Eii-
phormion, et du Tableau des Esprits. Cependant Voltaire avait rendu célèbre le
livre de Robert Barclay par deux de ses Lettres philosophiques [145], I. 5 et 35,
et Rousseau, dans une Lettre — , il est vrai, badine — , du 10 Juillet 1759, à
M. Cartier, \, 21 5, parle des Quakers avec une svmpathie qui paraît sincère.
103'''*. PicTET (B.), La Théologie chrétienne et la science du salut.
Amsterdam, Gallet. 1702, 2 vol. in-4.
1703
104. La Hontan, Nouveaux 'Voyages de Mr. le Baron de la Hontan
dans l'Amérique septentrionale, La Hâve, L"Honoré. 1703. 2 vol. in-12.
Cf. Des Poursuites contre les écrivains rSyi, 269.
1704
105. [La Hontan ou (?) Gueudeville , Dialogues de Monsieur le Baron
de la Hontan et d'un sauvage dans IWmériquc. Amsterdam, Boeteman
— Londres, Mortier, 1704, in-12.
Cf. le n° précédent.
554 BIBLIOGRAPHIE
1706
106. Lami ILE p. Bernard), Démonstrations ou Preuves évidentes de
la vérité et de la sainteté de la Morale chrétienne, Rouen, Boucher —
Paris. Pépie, [etc.], 1706-1711, 5 vol. in-12.
Cf. Confessions. \'lll. 170.
107 A. Bapblvrac (Jean), Préface qui sert d'introduction à tout
l ouvrage [de Pufendorf : cf. n» suivant], t. I, pp. 1-96 (pagination séparée
du reste de l'ouvragei.
Cf. J. Morel, Sources du « Discours de l'Inégalité » [49], V, 173-175.
107 B. Pufendorf. Le Droit de la nature et des gens. trad. Bar-
beyrac, 6"^ édition, Basle, Thourneisen, 1750, 2 vol. in-4.
Cf. Discours sur l'Inégalité. 1, <S3, Projet pour l'éducation de M. de Sainte-
Marie, ni. 44. etc.
1707
108. Basnage, L Histoire et la Religion des .Juifs depuis Jésus-
Christ jusqu'à présent. Rotterdam, Leers, 1707,4x0!. in-12.
109. Pl'fendorf, Les Devoirs de l'homme et du citoien. tels qu ils
lui sont prescrits par la Loi naturelle, trad. Barbexrac, 4"^ édit.,
Amsterdam, P. de Coup. 1718, in-12.
Cf. Première Rédaction des « Confessions » [38], i5q.
1710
110. Leibniz, Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de
l'homme et l'origine du mal, édit. L. de N'eufville. Amsterdam, Chan-
j^uion, 1734, 2 vol. in-12.
Cf. Verger des CImrmettes. \'l, 3, Lettre à M. Philopolis. I. ]55, Confes-
sions. VIII, 169, etc.
111. [Tyssot de Patot], Voyages et avantures de Jaques Massé,
Bourdeaux, Jaques L'Aveugle, 1710. in-12.
.laques Massé était cité, comme les Sévaranibes. par Vernet [162], I, 181.
1711
112 .A. Chardin, Voyages de Mr le Chevalier Chardin en Perse et
autres lieux de l'Orient, .Amsterdam. J. L. de Lorme, 1711. 3 vol. in-4.
112 B. 1d., Id. Il vol. in-12.
Cf., plus haut, dans la Profession, pp. 467-469, Inégalité, 1, 144, etc.
AVANT LA « PROFESSION DE FOI » 555
1712
li;l. Ci-EHici (JoANMS) [Jean Lkci.krc], Aïs crilica. editio quarta,
Amsteladami. apud Janssoniowaîsbergios, 17 12, -3 vol. in- 12.
La I" édit. est de 1697, mais elle ne comprend pas la lli' Partie, De lîmen-
iia)uii ratione. libris suppositis et scriptorum stylo : c'est précisément sur celte
IIP Partie que Rousseau prend des notes dans ses cahiers [5], 3o '.
1713
114. [Fénelon]. Démonstration de l'existence de Dieu.
Cf. Siiuvetle Hclo'ise i\'\. vul. \'. 3,^. Cité ici d'après le n" 60. t. I.
115. Les Psaumes de David, mis en vers françois. revus et ap-
prouve^ par les Pasteurs et les Professeurs de l Église et de l Académie
de Genève. Genève, Querel, 171 3, in-24.
Cf., plus haut, dans la Profession, p. 2i3 et note 2.
1714
116. R.w I J. I. L'Existence et la Sagesse de Dieu tnanifestées dans les
Œuvres de la Création, trad. de l'anglois. Utrecht, Broedelet. 1729. in- 12.
116'''*. MoRLS iTho.ma.si, L'Utopie, trad. Gueudeville, Leide, Vander
Aa, 1715, in-12.
Cf. Lettres de la Montagne. 111. 2o5, Lettre à Duchesne, du 24 Décembre
1764. XI, 186. — 11 est très vraisemblable que Rousseau a du lire VUtopie.
dans la mauvaise traduction de Gueudeville. et non dans celles de Jean
Leblond (i55oi. de Barthélémy .Aneau (ijSq), ou de Samuel Sorbières I1643).
1716
117. [Ad[)1S0n. Steele, etc.], Le Spectateur, ou le Socrate moderne,
oii l'on voit un portrait na'if des mœurs de ce siècle, trad. de langlois.
Paris, Papillon, [etc.], 1 716-1726, 6 vol. in-12.
Cf. Emile. 11,421, Confessions, VIII, 77, etc. — L'exemplaire de la Biblio-
thèque Nationale, dont je me suis servi (R 20o25-2oo3oi, est ainsi composé :
tomes I et II, Papillon. 1716; IV, Frères Wetstein, 1720: III et V. V" Papillon,
1723; \'l. Guillaume L'Hermitte, 1726.
1720
118. C.-kL.MET (DoM). Dissertations qui peuvent servir de prolégo-
mènes de l'Écriture sainte, Paris, Emerv, 1720, 3 vol. in-4.
Cf., plus haut, p. 338, la note marginale de B.
1723
llît, [M.ARiv .^Lx], Les Aventures de*** ou les Effets surprenans de
la s\-mpathie. Paris, Prault, 1 723-1 724. 5 vol. in-12.
Cf. Confessions. \'l\\. 202.
556 BIBLIOGRAPHIE
1724
120. BiiFiER (LE P.). Traité des Premières Vérité^ et de la source
de nos juge mens, Paris, Maugé, 1724, 2 tomes en un vol. in-12.
1725
121. BnnER (LE p.), Additions au Traité des Premières Vérité^,
contenant les « Èlémens de Métaphysique » et l « Examen des Préjuge^
vulgaires ». Paris, Giffart et Maugc. 1725, 2 tomes en i vol. in-12.
121'''*. .\U RALT (BÉAT de), Lettres sur les Anglais, les François
et les Voyages, avec la Lettre sur l'Esprit fort. l'Instinct divin [etc.',
La Haye et Paris, David, 1747, 2 vol. in-12.
Cf. Lettre à D'Alembert, 1, 194, 233. Nouvelle Hélo'ise (11. xiv), i(')o. etc.
C'est cette édition, très augmentée, que lisait Rousseau : cf. [5], i6"-2i'°.
122. Nieuventyt, L'Existence de Dieu démontrée par les merveilles
de la Xature. Amsterdam, Pauli, 1727. in-4.
Cf., plus haut, dans la Profession, p. i35, Verger des ('Jiarmellcs. \l, 5,
I^rojet pour l'éducation de M. de Saiiilc-Marle. 111, 43, etc.
1726
123. Derha.m (G.), Théologie physique, trad. [Lut'neu], Rotterdam,
J. D. Beman, 1726, in-8.
12-1. Wollastox, Ebauche de la Religion naturelle, trad. de
l'anglois, La Haye, Swarl, 1726, in-4.
1727
125. Clahke. Traités de l'existence et des attributs de Dieu: des
devoirs de la Religion naturelle et de la vérité de la Religion chrétienne,
trad. Ricotier, Amsterdam, Bernard, 1727, 3 tomes en 2 vol. in-12.
Cf., plus haut, dans la Profession, p. 65 et la note marginale de F, p. 2.
126. [Lassay (M's DE)], Recueil de différentes choses. Château de
Lassay, [1727], 2 vol. in-4.
Les e.xemplaires de cette édition sont très rares : cf. Bibliothèque Nationale,
Réserve. Z 1162. Réédition plus répandue, Lausanne. Bousquet, lySô, 4 vol. in-8.
127. [Muralt (Biîat de)], L Instinct divin recommandé aux hommes.
s, L, 1727, in-8.
CL Souvetle Hélo'ise, (VL vu), V. 35. L'Instinct divin se trouvait, à la suite
des Lettres .«wr les Anglais, dans l'édition que lisait Rousseau [121'''*].
AVANT LA « PROFESSION DE FOI » 557
1728
128. Du ION (lloMFROi). I.a Religion chrétienne démontrée par la
Résurrection de Xotre-Seigneiir Jéxus-Christ : avec un Supplément
ail l on dévelope les principaux points de la Religion naturelle, trad.
L[a] C[hapelle], Amsterdam, Wetsteins et Smith, 1728, 2 vol. in-8.
Cf. les extraits pris par Rousseau dans ses cahiers [5], 34". Il ne semble,
d'ailleurs, avoir lu Dilton qu'à .Wotiers : cf. Lettre à Deluc, du 26 Février 1763,
X, 42.
129. .M.ARiv.ALX, Le Spectateur français, ou Recueil de tout ce qui a
paru imprimé sous ce titre, nouvelle édit., revue, corrigée et augmentée
de plusieurs pièces détachées du même .•\uteur [L Indigent philosophe,
L'Isle de la Raison ou les Petits Hommes], Paris, Prault, 1728, 2 vol. in-12.
Cf. les e.xtraits pris sur cette édition dans les cahiers de Rousseau ]5], 3i ' .
1729
129'"'. Dekha.m (G.), Théologie astronomique, trad. [Bellanger], Paris.
Chaubert, 172g, in-8.
D'après Quérard. France Littéraire, t. Il, Paris, Didot, 1828, in-8. p. 486,
cette traduction aurait paru dès 1726; mais tous les exemplaires que j'ai vus portent
la date de 1729: et les Approbations et Privilège sont tous de 1728.
130. K..€:.MPFER (Engelberti, Histoire naturelle, civile et ecclésiastique
de l Empire du Japon, trad. Gaspar Scheiichzer, i.a Haye, Gosse et
Néaulme, 1729, 2 vol. in f".
Cf. Discours sur l'Inégalité, I, 144.
1730
ISO""'*. Le Militaire philosophe, ou Difficultés sur la Religion pro-
posées au R. P. Malebratiche, ... par un ancien officier [p. par Naigeon].
Nouvelle édit.. Londres, 1768.
Sur l'auteur et la date de composition, cL G. Lanson [289''''*], 26-29.
131. Pope, Essais sur l homme et sur la critique, trad. en vers, par
Du Resnel.
La traduction, en prose, de Silhouette a paru en 1736. Les deux traductions
se trouvent au t. III du n* 66. d'après lequel elles sont citées ici. Cf. Verger des
Charmettes, VI. 5, Lettre à Voltaire, du 18 .Août 1756, X, i23, etc.
132. RoLLiN. Histoire ancienne des Egyptiens, des Carthaginois,
des .Assyriens, des Babyloniens, des Mèdes et des Perses, des .Macédo-
niens, des Grecs, Paris, Estienne, 1734-1740, 7 vol. in-4.
Cf. Verger des Charmettes, VI, 6, Lettre [de 1737, au libraire Barillot. d'après
la conjecture très vraisemblable de Th. Dufour [36], 217], X, 41, Chronologie
universelle [36], 21 5-2 16.
558 BIBLIOGRAPHIE
1731
i;i:{. [HiBER i.Mariei]. Le Sistème des Anciens et des Modernes con-
cilié par l'Exposition des sentimens differens de quelques théologiens sur
l'état des âmes séparées des corps, en quatorze Lettres, édit. augmentée.
Amsterdam, Wetsteins et Smith, lySS, in-12.
Cf. Souvetle Hélo'ise (VI, xi|, V, 65. M. Th. Dufour possède un exemplaire
de la 3' édition de cet ouvrage. Le Sisteme des Théologiens Anciens et Modernes
[etc.], avec la Suite du S\-stème sur l'Etat des Ames [etc.], seconde édition, Lon-
dres, lySq. ensemble 2 vol. in-12. Sur la feuille de garde du premier volume, on
lit, de la main de Rousseau : « Le présent Lirre appartient à Jean Jaques
Rousseau. » A la p. 5i du même volume, Rousseau a écrit la référence d'un le.xte
de saint Paul : « ;. Cor. 1 5 v. 14. 28 ■». Au verso de la couverture cartonnée,
on lit : « .4 Veure Schobinger — Veure Scliobinger née Girod i/5i ».
.M. Th. Dufour a pu fi.xer la date de la mort de cette veuve Schobinger. Elle
mourut à Genève, le 6 Décembre lySS. Il semble donc en résulter que Jean-
Jacques a acheté cet ouvrage à Genève en 1734.
134. [Terbasson], Sethos. Histoire ou vie tirée des monumens anec-
dotes de l'Ancienne Egypte. Paris, Gucrin. lySi. 3 vol. in-12.
Cf. Verger des Charmetles. \'l. 6.
1732
i;J.j. [Levesqi E DE BuBiGNï]. Examcu critique des Apologistes de la
Religion chrétienne, par .M. Fréret. s. 1.. 1766, in-8.
Sur l'auteur et la date de composition, cf. G. Lanson [aSg'''»], 2q7-3o3.
13(5. Mémoires concernant la Théologie et la Morale. Amsterdam,
L vtwert'. 1732, in-12.
On trouve dans ce recueil, avec plusieurs essais dWbauzit. de Saint-
Hvacinthe. etc.. toutes les dissertations de Chubb, qui paraissent la même
année 1732. en une traduction différente, sous le titre : Nouveaux Essais sur ta
bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'orgine du mal. .Amsterdam, Chan-
guion. in-12.
137. Pliche, Le Spectacle de la Nature (1732-17491, nouvelle édit.
Paris, Estienne. 1752, 8 tomes en 9 vol. in-12.
Cf. Projet pour l'éducation de \L de Sainle-Marie, III, 43, .Mémoire
présenté à M. liupin [211], 410.
138. [Prévost (abbéij. Histoire de .\t. Cleveland.
Cf. Verger des Charmetles, \'l, 6. Confessions, \111, 07, etc. Cité ici
d'après le n" 67, t. IV-VIl,
139. [Voltaire], Le Pour et le Contre i.\ Mme de Ruppelmondei
[= Èpître à Uranie].
C'\lé ici d'après le n" 73, t. IX.
AVANT LA « PROFESSION DE FOI » 55y
1733
140. [IkuEK I. Marie ij. Le monde fou préféré au monde sage, nou-
velle édit., Londres, 1744. 2 vol. in-12.
Cf. le n- i33.
141. [Saixt-Albin (Legendre, M'^ de)]. Traité de l opinion ou Mé-
moires pour servir à l'histoire de l'esprit humain, Paris. Osmont et de
Bure, 1733, 6^ vol. in-12.
Cf. Verger dex Charmettes, \'l, 6, Clirunologie universelle [36_;, 218. cl mon
article Sur les sources de Rousseau [292], 640-642 ; E-Klrails dans les cahiers de
Rousseau 'S\ 36". L'édition dont se servait Rousseau est la première.
1734
142. Beaisobre, Histoire critique de Manichéc et du Manichéisme,
Amsterdam. Bernard, 1734-1739, 2 vol. in-4.
Cf. Lettre à M. de Beaumont. 111. Xo.
14:$. [Berkeley], Alciphrun. ou le Petit Philosophe : contenant
une apologie de la religion chrétienne contre ceux qu on nomme Esprits-
forts, [trad. E. de Joncourt], La Haye, Gibert, 1734, 2 vol. in-12.
Cf. Xoui'elle Hélo'ise (\'I. vu). \'. 34. et. plus haut, Lettre à .\/. de l'mn-
quières, §11.
144. Clavili.e (Le .Maître dei. Traité du vrai mérite de l homme,
considéré dans tous les âges et dans toutes les conditions, avec des prin-
cipes d éducalion propres à former les /'euncs gens à la vertu. 3*^ édit.
revue, corrigée et considérablement augmentée. Paris, Saugrain. 1737.
2 vol. in-12.
La première édit., anonvme (17341. ne comprend qu'un volume. Cf. Verger
des Charmettes. \'\. 6.
145. [Voltaire], Lettres philosophiques.
Cf. Confessions, Vill. i52-i53. (^ité ici d'après l'édit. G. Lanson, Paris.
Société des textes français modernes. 1909. 2 vol. in-12.
1736
146. [Dlguet (J. J.i], Traité des principes de la fov chrétienne,
Paris, Cavellier, 1736. 3 vol. in-12.
147. Gtvo.N (ABBÉ", Histoire des empires et des républiques, depuis le
Déluge jusqu'à Jésus-Christ, Paris, Guérin, etc., 1736-1741, 12 vol. in-12.
Cf. Chronologie universelle [36], 218-219.
560 BIBLIOGRAPHIE
1737
147'''*. Argens (M'^ d'), La Philosophie du Bon-sens, ou Réflexions
philosophiques sur l'incertitude des connoissances humaines. Londres,
Aux Dépens de la Compagnie. lySy. in-12.
1-18. Deslandes. Histoire critique de la Philosophie, nouvelle édit.,
Amsterdam, Changuion, lySô, 4 vol. in-12.
1-19. [La Chambre (abbé V. Ilharat de)]. Traité de la Véritable
Religion contre les athées, les déistes [etc.]. Paris. Guérin. lySy, 5 vol.
in-12.
1738
150. [Argens i.M'^ d")], Lettres Juives, nouvelle édit. augmentée. La
Haye. Paupie, 1742, 6 vol. in-12.
151. [HuBER (MarieiJ, Lettres sur la Religion essentielle à l'homme,
distinguée de ce qui n'en est que l'accessoire, nouvelle édit. revue et
corrigée, Londres, lySô, 6 vol. in-12. dont deu.x de Supplément.
Cf. Lettre à M. de Beaumont, 111. 94, Lettre, du 5 Juin 1763. à A[ntoine]
A[ucloyerJ (cf. la réponse de celui-ci à Rousseau [14]). XI. 67. E. Ritter, J. J.
Rousseau et Marie Hiiber [49". 111. 207-213. Cf. encore le n" i33.
ISli"'*. Le Beau (C), Avantures du S'' C. Le Beau. ... ou Voyage
curieux et nouveau parmi les sauvages de l'Amérique septentrionale,
.\msterdam, L'ytwerf, ijSS, 2 vol. in-12.
Cf. Emile. 11, 29. note; Nombreux extraits dans les cahiers de Rousseau [5],
24"-28'°.
152. \'oLTAiRE. Discours en vers sur l'homme.
Cf. Lettre à D'.Membert. 1. 234. Cité ici d'après le n" 73. t. IX.
153. Voltaire, Elémens de la Philosophie de Newton mis à la
portée de tout le monde.
Cité ici d'après le n" 73. t. XXI 1.
154. \'oltaire. Essai sur la nature du Jeu et sur sa propagation.
Cité ici d'après le n" yS. t. XXll.
1739
155. [Argens (M'* d']). Lettres chinoises. Nouvelle édit.. La Haye,
Paupie. 1755, 6 vol. in-12.
156. [Muralt (Béat dej]. Lettres fanatiques, Londres, Aus. Dépens
de la Compagnie, lySg. 2 vol. in-12.
Cf. les n'' i2i'''- et 127.
AVANT LA « PROFESSION DE FOI » 561
1Ô7. -Newton. Philosophiae naturalis principia mathematica. cdit.
avec commentaires des PP. Thomas Le Seur et François Jaquier. Genève,
Barillot, 1739-1742. 3 tomes en 4 vol. in-4.
158. Pllche, Histoire du Ciel, considéré selon les idées des Poètes,
des Philosophes et de Moïse. Paris, Estienne. i73(). 2 vol. in-12.
Cf. le n* 137.
lôS""'*. Dissertations mêlées sur divers sujets importans et curieux
[p. par Jean-Frédéric Bernard], Amsterdam. J. F.Bernard. 1740. 2 vol. in-12.
1740
159. [.Mandeville]. La Fable des abeilles, ou les Fripons devenus
honnêtes gens, avec le commentaire oii l'on prouve que les vices des
particuliers tendent à l'avantage du public, Londres, Aux Dépens de la
Compagnie. 1740,4 vol. in-12.
Cf. Discours sur l'Iuéf^alité. I. qq. Préface de Sarcisse, X , 104.
HîO. Pi.LCHE. Révision de l*^ Histoire du Ciel ». pour servir de
supplément à la première édition, Paris, Estienne, 1740. in-12.
Cf. les n" 137 et i58.
161. TiRRETTiN ij. A. I, Pensées sur la Religion traduites du latin.
trad. Jacob \'ernet, à la suite du t. II de ledit, originale du Traité de la
Vérité de la Religion chrétienne tiré du latin de Mr. ,/. Alphonse Tur-
rettin, Genève, Gosse, 1740, in-8, pp. 3o5-328.
Cf. le n* suivant.
1(52. N'erset (Jacob I, Traité de la Vérité de la Religion chrétienne,
tiré principalejnent du latin de Mr. J. Alpli. Turrettin, Seconde édit.,
Genève. Gosse. 174S-1755, 7 vol. in-8.
Les i. \1II et IX n'ont été imprimés qu'en 1782 à Lausanne, à la Société
Typographique. A vrai dire, les quatre premiers volumes seuls ont eu une seconde
édition. Entre 1740. date de la 1" édition du t. 1, et 1748, date de la réédition, les
Sections ont été changées en Livres, les titres ont été modifiés ; on y lit tantôt :
tiré principalement, tantôt tiré en partie. Il n"v a pas. à ma connaissance, même
à la Bibliothèque de Genè\e, d'exemplaire complet d'une seule édition. Celui que
j'ai utilisé (Fribourg. Bibliothèque de la Société Économique, G 448) est en seconde
édition pour les t. I (1748) et IV (1751). en première pour les autres, II Ir740).
Ili (174?). \' (17471. VI (1748), VII (1755). Cf. le n' 2i3. — Sur l'estime où était
tenu l'ouvrage de \ernet dans les milieux protestants, cf. Bitaubé [246]. pp. v-vi.
1741
163. Fabricils, Théologie de l'eau, ou Essai sur la bonté, la sagesse
et la puissance de Dieu, manifestées dans la création de l'eau, trad.
[Burnand], La Haye. Paupie, 1741, in-8.
36
562 BIBLIOGRAPHIE
1742
164. Brucker (Jacob), Historia critidi philosophiae a mundi incti-
nabulis ad nostram usque aetatem dediicta. Lipsiae, Breitkopf. 1742-1744,
5 vol. in -4.
165. Lesser, Théologie des insectes ou Démonstration des perfections
de Dieu en ce qui concerne les insectes, trad. P. Lvonnet. nouvelle édit.,
Paris, Chaubert, 1745, 2 vol. in-S.
166. \\'arburton. Dissertations sur l'union de la Religion, de la
Morale et de la Politique, [adapt. Silhouette], Londres, Darès, 1742,
2 vol. in-i 2.
Cf. Contrat social. III, 329 et 385.
1743
167. Castel (Le P. Louis i. Le rrai Système de phvsique générale
de \I. Isaac Newton, exposé et analysé en parallèle avec celui de
Descartes, Paris. Simon fils. 1743. in-4.
Cf. le n* 217.
168. Nouvelles libertés de penser. Amsterdam, 1743, in-24.
1744
169. CiMBERLAND, Traité pliilosopliique des Loix naturelles, trad.
Barbevrac, Amsterdam, Mortier. 1744, in-4.
Cf. Discours sur l'Inégalité, I, H6.
1745
170. La Condamine, Relation abrégée d'un l'ovage fait dans l'inté-
rieur de l'Amérique méridionale. Paris, Pissot, 1745, in-8.
Cf.. plus haut, dans la Profession, p. 83, Discours sur l'Inégalité, I, 144.
171. [La .Mettrie], Histoire naturelle de l'âme.
Cf., Déclaration relative au fasteur Vernes, IX.. 97. Cité ici d'après le
n" 62, t. I.
172. [Malpertlis], Vénus physique.
Cité ici d'après le n° 64, t. II.
173. Examen de la Religion dont on cherche l'éclaircissement de
bonne foy. Attribué à M. de Saint-Évremond, traduit de l'anglois de
Gilbert Burnet, Londres, G. Cook, 1761, in-12.
Quérard, Supercheries Littéraires dévoilées, 2' édit., Paris, DafRs. 186g,
I, 395, donne la description de deu.x éditions de cet ouvrage, qui ont paru
dès 1745. 11 l'attribue à tort au lieutenant Laserre. Sur l'auteur et la date de
A^■A^■T LA 0 PROFESSION DE FOI » 563
composition, cf. G. Lanson [289 '■'«], 293-297. Rousseau possédait un exemplaire
de cet ouvrage en manuscrit et se proposait de le « réfuter « : cf. la notice du n* 7.
Sauf quelques insignifiantes variantes, le te.xte du manuscrit qui appartenait
à Rousseau et celui de l'édition de 1761 est le même.
174. S[haftesblry]. Essai su?' k mérite et la vertu, [adapt. Diderotj.
Cf. Lettre sur la vertu et le bonheur [2b], i33. L'exemplaire olfert à Rous-
seau par Diderot existe encore: cf. Buffenoir [297'""], 1, 240. On lit sur la feuille
de garde : « Ce Livre m'a été donné par l'.Xuteur ; le i6' de .Mars. 1745 *. Cité ici
d'après le n' 5S, t. 1.
1746
175 A. Cai-.met (Dom), Dissertations sur les apparitions des Anges,
des Démons et des Esprits et sur les revenons et vampires de Hongrie,
de Bohême, de Moravie et de Silésie. Paris, Debure IWîné, 1746, in-12.
Cf.. plus haut, dans la Profession, p. 33 1 et note 3, et 332. la note m'irgi-
nale de B.
175 R. Id., Id., .Nouvelle cdit., sous le titre de Traité sur les appa-
ritions des Esprits et sur les Vampires ou les Revenans de Hongrie, de
Moravie, etc.. Paris. Debure IWinc. lySi. 2 vol. in-12.
176. [CoNDiLL.\c], Essai sur l'origine des connoissances humaines.
Cf. Confessions, VIII, 246, Discours sur t'Jnégalilé, I, 93. 144. J. Morel,
Sources du «i Discours de t'Inégalité ■» [49]. V, i5o-i6o. Cité ici d'après le
n- 56. t. 1.
177. [Diderot]. Pensées philosophiques.
Cf., plus haut, dans \a Profession, p. 129, Lettre à \oltaire. du iS .\oùt 1756
'25]. 375-376. Cité ici d'après le n" 58. t. 1.
178. [Vacvenabgles], Introduction à la cunnoissance de l'esprit
humain, suivie de Réflexions et de Maximes, Paris, Briasson, 1747, in-12.
Extraits par Rousseau dans ses cahiers ^5". 14". C'est celte seconde édition
que Rousseau avait sous les yeux.
1747
179. Bl'rlamaqii, Principes du droit naturel, Genève. Barillot.
1747, in-4.
Cf. Discours sur l'Inégalité, 1, 80.
179'''*. Dlmabsais, Analyse de la Religion chrétienne, s. 1. n. d., in-8.
Sur l'auteur et la date de la composition, cf. G. Lanson. [289''''], 3oi-3o3.
180. Gerdil (le P.), L'immatérialité de l'âme démontrée contre
M. Locke, Turin, Imprimerie Rovale, 1747, in-4.
On connaît le mot de Rousseau à Conzié. qui lui avait envové les Réfle.xions
sur la théorie et la pratique de l'éducation contre les principes de Mr Rousseau.
564 BIBLIOGRAPHIE
Turin, Re\cends el Guibert. 1763. in-12; cf. Lettre du 7 Décembre 1763, X!, io3 :
& Quoiqu"en ert'et cet écrit me paraisse un peu froid, je le trouve assez gentil pour
un moine ». Il n"avait pas attendu cette polémique personnelle pour «. trouver
gentils» d'autres écrits du même «. moine»: cf., dans un de ses cahiers de
brouillons [5], 14". la note suivante : « Disc : prononcé à Turin par le P. Gerbil
(sic) Profess' de Pliil : en 1750 p. 1 1 des cliapitres (sic). La patrie n'est pas le sol
où nous sommes nés. mais la forme de société civile dont les Loi.x nous gou-
vernent ». 11 s'agit très probablement d'un Discours, dont je n'ai point trouvé
d'édition séparée, mais qui est inséré au t. VI des Opère édile ed inédite del
cardinale Gerdil. Roma, Poggioli, 1S06-1821. 20 vol. in-4 : «. Virlulem politicam
ad optimum slatunt non minus regno quam rcipub/icae necessariam esse. —
Oratio habita in Regia Taurinensi Academia nonis iioi'cmbris anno MDCCL-o.
1748
180'''*. La Sainte Bible, en latin et en français, arec des notes litté-
rales, critiques et historiques, des préfaces et des dissertations, tirées du
Commentaire de Dom Augustin Calmet, etc. Paris. .Martin, etc., 1748-
lySo, 17 voL in-4.
181. [La Mettrik]. L' homme-machine.
Cf. le n" 17/. Cité ici d'après le n° 62. t. 111.
182. M^AiLt.ET], Telliamed ou Entretiens d'un philosophe indien
avec un missionnaire français sur la diminution de la Mer, la formation
de la terre, l'origine de l'homme, etc., mis en ordre sur les mémoires de
feu .M. de .M ***, par J. A. Guer, Amsterdam, L'Honoré, 1748, 2 voL in-8.
183. [MoNTESQUiEi]. De L'Esprit des Loix.
Cf. Discours sur l'Inégalité, I, 86. Emile. Il, ^So, Lettres de la Montagne.
III, 182. Cité ici d'après le n" 65, t. III-VI.
184. [Toi ssaint], Les Mœurs. Amsterdam, Au.x Dépens de la Com-
pagnie, 1748, in-i2. [Ce n'est pas l'édition originale].
Cf. Lettre de J. B. Tollot à Seigneux de Correvon. Juillet 1757 [49]. III,
2o5. Toussaint, Eclaircissement sur les « Mœurs » [238], 307-809.
1749
18.5. AiNSON (George), Voyage autour du monde fait dans les années
1-/ 40- 1/44, Amsterdam-Leipzig, Arkstée et Merkus, 1749, in-4.
Cf. Nouvelle Hélo'ise (III. xxv). VI. 275, et Lettres à Mme d'Kpinav,
de 1757. X, i32. i56.
ISG. Brii'O.N et Dai bento.n. Histoire naturelle générale cl particu-
lière, avec la description du cabinet du Roi [Théorie de la Terre, Histoire
de l'homme et des quadrupède.^], Paris, Imprimerie Rovale, 1749-1767,
1 5 vol. in-4.
C{. Discours sur l'Incgalité. 1, 127. Emile. IL 104, etc.
AVANT LA « PROFESSION DE FOI » 565
IS7. [CoNDiLLAc], Traité des Systèmes.
t^t". le n" 176. Cité ici d'après le n" 5h. t. II.
IS-S. K[si'iARr)] i)[t:] i.[a] C[orR] (D"), Œuvres ineslées, contenant des
Pensées philologiques et quelques poésies de Mr. E. D. L. C Amster-
dam. I 74(). in-12.
18î). F[réret], Lettre de T/irasvbuIe à Leucippe. ouvrage posthume
de M. F.... à Londres, s. d. [1768?], in-12.
Comme beaucoup de livres hardis du XVIH' siècle, celui de Fréret a
commencé par circuler en manuscrit chez les gens de lettres et les amateurs,
bien longtemps avant d'être imprimé. Nous le voyons ainsi entre les mains de
Rousseau, qui en fait des extraits dans ses cahiers [5] 32"-34'°. au moment même
où il rédige la Profession, car ces e.\traits se trouvent parmi des brouillons
fragmentaires qu'il a rangés sous la rubrique : « A Placer dans le traitté de
l'Education ». L'ouvrage n'est pas encore imprimé, et Rousseau ne le connaît
que comme un «. manuscrit attribué à .M. Fréret ». On peut donc supposer que la
Lettre de Thrasybule, réservée du vivant de préret à quelques amis peu nom-
breux, a dû, tout en restant manuscrite, se répandre dans un cercle élargi, peu
de temps après la mort de son auteur. S .Mars 1749. C'est pourquoi j'ai cru
pouvoir placer la mise en circulation de cet ouvrage aux environs de 1749.
Presqu'au même moment que Rousseau, l'abbé de Lignac lit également la Lettre
de Thrasybule : «.C'tsx un manuscrit, dit-il en 1760 {Sens intime [23r], I. 44)
qu'on ne communique que sous la consignation de deux louis, tant il parait
précieux à celui qui le possède ■». Cf. encore G. Lanson [289''''-]. 3oo-3oi. .Mêmes
remarques pnur le n" suivant.
ISO""'*. Fréret, [Annotations à son exemplaire anglais des « Lelters
ta Serena », de Toland] [248], 81-82. iSô-iSy.
Cf. le n" précédent.
1Î(0, 1 II ME, Histoire naturelle de la Religion, trad. [J. B. de Merianj,
avec un examen critique et philosophique de cet ouvrage [par Formev],
.\msterdam, Schneider. 1749. in-12.
1!U. [Hltcheson], Recherches sur l'origine des idées que nous avons
de la Beauté et de la Vertu [trad. Guillaume Laget?], .\msterdam, 1749,
2 vol. in-i 2.
lî(2. [Malpertiis]. Essai de philosophie morale.
Cité ici d'après le n* 64. t. I. 1750.
1750
193. Berkeley. Dialogues entre Hvlas et Philonoiis, contre les
sceptiques et les athées, [trad. Gua de .Malves], Amsterdam, 1750, in-12.
566 BIBLIOGRAPHIE
lt>3'''\ BiBiENA (G. de), Le Triomphe du sentiment. La Hâve,
Paupic. lySo. 2 parties en un vol. in-12.
19-1. Malpertlis, Essai de cosmologie.
Cité ici d'après le n" 64, t. I.
1751
195. CooPER (JoHN-GiLBEKT), Vie de Socrate [trad. de Combes].
.\msterdam, par la Compagnie, 175 1, in-12.
190. Diderot et D'Alembert [etc.]. Encyclopédie, ou dictionnaire
raisonné des arts, des sciences et des métiers. Paris, Briasson, David.
Durand et Lebreton, in f", t. 1 et II. ijSi .
Cf. Confes.<iio)is. Ylll, 247. Lettre à D'Alembert. du 26 Juin 1754, X. 84. etc.
197. [DucLOs], Considérations sur les mcEU?'s de ce siècle.
Cf. Discours sur t'inégalité; I. 144. Confessions, VIII, 204-205. Cité ici
d'après le n' 5m-
198 A. [iVlALPERTtis]. Essai sur la formation des corps organisés.
Berlin, 1754, in-24.
Cf. sur la composition et la publication de l'ouvrage, V Avertissement de
Trublet, et, en particulier, pp. x-xii : la Dissertation latine du soi-disant
D' Baumann, publiée à Kriangen en 1751. a été faite sur le texte français, qui
fut rédigé d'abord et qui reste l'original.
198 B. [In.], Id.. avec des additions, sous le titre de Système de la
nature.
Cité ici d'après le n' 64, t. Il : ci., p. i3H. sur l'histoire du texte.
199. R;cHARDS0N, Lettres anglaises, ou Histoire de Miss Clarisse
Harlowe [trad. de l'abbé Prévost],
Cité ici d'après le n" 67, t. X1X-XXI\'.
1752
2<)0. Hai.ler, Poésies [trad. Tscharner], Zuric, Heidegger, 1752,
in-12.
Cette traduction, très différente de celle qui parut à Berne en lyyS, est
celle que Rousseau avait sous les veux : cf. les extraits qu'il en a faits dans ses
cahiers [5], 2".
201. [L'abbé de Prades, l'abbé Yvon, Diderot], Apologie de
AL l'abbé de Prades. — Suite de l'.Apologie. [etc.]. Amsterdam, 1752.
3 parties en i vol. in-8.
]
AVANT LA « PROFESSION DE FOI » 567
1753
202. [D"Alembert], Mélanges de littérature, d'histoire et de philo-
sophie, Berlin [Paris. Briasson], lySS, 2 vol. in-12.
Cf. Lettre à D"Alcnibert. du 26 juin L'75i] (cf. ma note [287], io3), X, 84.
Une nouvelle édition, augmentée, a paru en lyôq, Amsterdam, Châtelain,
4 vol. in-12. Rousseau Ta lue aussi : Cf. Lettre à M. de Beaumont. III. 124. Cité
ici d'après le n' 52.
202'''% [D'Arcq (P. A. DE S.\iNTE-Foix, chevalier)]. Lettres d'Osman,
Constantinople [Paris], 1/53. 3 parties en un vol. in-12.
203. Behrlyer (Le P. i. Histoire du peuple de Dieu, depuis la nais-
sance du Messie jusqu à la fin de la Synagogue. La Haye. Xéaulme.
1755, 4 vol. in-4.
Cf. Souvetle Héloise, (11, xxii. I\ . 190. Lettres de la Montagne, III, i65.
20-t. Diderot et DWle.mbert [etc.]. Encyclopédie [etc.], t. III. 1753.
Cf. le n" iq6.
205. [LiGNAC lABBÉ DEi], Èlémctis de .Métaphysique tirés de l'expé-
rience, ou Lettres à un matérialiste sur la nature de l'âme. Paris,
Desaint et Saillant, 1753. in-12.
20(j. .M[oRELLy], Naufrage des isles Jlottantes ou Basiliade du
célèbre Pilpai, traduit de l'Indien par .Mr. M******. .Messine, par une
société de Libraires. 2 vol. in-12.
Cf. Lettre à .Mme d"Houdetot. du 23 .Mars 1758 [34], 249, la réponse
de .Mme d'Houdetot 126], I, 410-41 1. el ma noie sut Rousseau et Morelly [290].
1754
207. [Bealsobre (Loris de)]. Le Pyrrhonisme du sage, Berlin.
1754, in-12.
208. [Bonnet (Charles)]. Essai de psychologie.
C(. Lettre à .\L Philopolis. I, i53-i57. Confe.'<sions, IX. 64. Cité ici d'après
le n- 54. t. X\ll.
209. CoNDiLLAC, Traité des sensations.
Cf. J. .Morel, Sources du « Discours de l'Inégalité » [49], V, 144-150. Cité
ici d'après le n* 56, t. 111.
210. [Diderot], Pensées sur l' interprétation de la Nature.
Cf., plus haut, dans la Profession, pp. 12?, note i et 445. Cité ici d'après
le n-58. t. II.
211. Diderot et D'.Ale.mbert [etc.], Encyclopédie [etc.], t. IV, 1754.
Cf. le n* 196.
568 BIBLIOGRAPHIE
211'''*. FoRMiiY, Mélanges philosophiques, Levde. Luzac. 1754,
2 vol . i n - 1 2 .
Bien avant l'affaire de VEmi/e chrétien et de VAnli-Émile [244]. l'attention
de Rousseau avait dû être attirée sur les compilations de Formey. C'est lui, en
effet, qui avait imprimé dans son journal la Lettre à Voltaire : cf. Confessions,
VIII. 387-3.88. A cette occasion, Formey avait écrit à Rousseau une longue Lettre,
le 7 Juillet 1760 [14]. pour lui e.xposer sa conception de la religion. Il a publié
la plus grande partie de cette Lettre dans ses Souvenirs d'un citoyen, avec la
réponse de Rousseau, du 6 Septembre 1760 [252'"']. II. ii.S-i3i. Cette réponse,
mal datée et sans indication de destinataire, se trouve dans l'édit. Hachette, X.
23o-23;. Cf.. d'ailleurs. Nouvelle Héloïse (III, xxi), IV, 262 et 267, qui semble
bien prouver que Rousseau a lu, dans les Mélanges, la Dissertation sur le
meurtre l'olontaire de soi-nie'nte. 1. 200, 210, 2[3-2i6.
211''^'". [Leszczvnski (Le Roi Stanisl.vs)], Entrelien d un Européan
avec un insulaire du Royaume de Dumocala. par le R[oi] D[e] P[oloane]
D[uc] D[e] L[orraine] E[t] D[e] B[ar].
Cf. Réponse au Roi de Pologne. I. 30-47. Cité ici d'après le n" (J2'''-. t. III.
212. Terrasson (.\iîiii';), La philosophie applicable à tous les objets
de l'Esprit et de la Raison. Paris, Prault, 1734. in-12.
Cf. Emile. II, 3i6. et. plus haut, 6' Lettre à Sophie, p. 492. La mémoire de
Rousseau l'a. d'ailleurs, trompé dans cette Lettre. Le te.\te qu'il y rappelle n'est
pas de l'abbé Terrasson. mais de .Montaigne {Essais, III. 3), cité par D'Alembert,
dans les Réjle.xions que celui-ci a mises en tête de la Philosophie applicable.
pp. .\xv-.\.\vi. Cf. encore Essai sur l'origine des langues. !, 3q6, note.
2i;J. [X'ernet (J.\cob)], Instruction chrétienne, La .Xcuveville. .Ma-
roll, 1754. 5 vol. in-8.
Cf. Lettre à D\Memberl. 1. 188. La même Lettre, \, i85, fait allusion à un
chapitre sur la tolérance qui se trouverait « dans l'onzième Livre de la Doctrine
chrétienne de M. le professeur V'ernet ». C'est, sans doute, lapsus de plume
ou erreur de mémoire : Vernet n'a écrit aucun ouvrage portant ce
titre; Rousseau songeait probablement à \'Instructio)i chrétienne. Livre XI.
chap. XIII, « Correction et tolérance chrétienne», t. 11. pp. 432-451. Au reste,
dans l'édition originale de la Lettre, la note sur Vernet, qui est au.\ additions,
ne détache pas en italiques les mots Doctrine chrétienne.
1755
214. CoNDiLLAC, Traité des animau.x.
Cf.. plus haut, dans la Profession, p. 233. Cité ici d'après le n 5t'i. t. III.
21.^. Diderot et D'ALEiMBEKr [etc.]. Encyclopédie [etc.], t. V. 1755.
Cf. le n° 196.
21(5. [.Morelly]. Code de la Nature. Partout, chez le vrai Sage. 1755,
in-12.
Cf. le n* 206. Rousseau est pris vivement à partie dans le Code. 169-170.
AVANT LA « PROFESSION DE FOI » 569
216'"'*. Sllzer (J. g.), Tableau des beautés de la nature, trad.
Roques, Francfort, Knoch ei Esslinger, ijSS, in- 12.
Cl'. Lettre d'Usteri à Rousseau, du 8 Mars 1763 [Sg], 52.
1756
217. [Castll (Le P.iJ. L Homme moral opposé à l'homme physique
de Monsieur R***. Lettres philosophiques, oit l'on réfute le Déisme du
jour. Toulouse, lySô, in-12.
Cf.. pp. 88-89. '^s souvenirs du P. Castel sur Rousseau; cl", encore Confes-
sions. VIII, 2o3 et 23 1.
218. DifjEROT et D'.\le.mbert [etc.]. Encyclopédie [etc.], t. \'I. lybCt.
Cf. le n' 196.
219. [MiRABEAf iiM''' DE)], L Ami des hommes ou Traité de la
population, .Avignon, 1756-1758, 5 vol. in-12.
Cf. Réponse à une Lettre anonyme, 1, 271 ; Lettre à [M. Tscharnerj, du
29 .\vril 1762, X. 322; Deleyre. Lettre à Rousseau, du 2 Juillet 1757 [26], 1. i5j.
220. [\'oltaire], Essay sur l histoire générale et sur les mœurs et
l'esprit des nations, depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Cité ici d"après le n" 73. t. XI-XIII.
221. [Voltaire], Poèmes sur le désastre de Lisbonne et sur la Loi
naturelle.
Cf. Lettre à \oltaire. du 18 Août 1756, X. 1 22-1 33. Cité ici d'après le
n- 73. t. X.
1757
222. [Diderot], Le Fils Xaturel ou les épreuves de la vertu... avec
l'histoire véritable de la pièce.
Cf. Lettre ii D'Atembert. I. 329. Confessions, VIII. 326-327. Cité ici d'après
le n' 58, t. \'ll.
222'"*. [.Moreai J. N'.i], Nouveau mémoire pour servir à l histoire
des Cacouacs. .Amsterdam. 1737, in-.S.
1758
223. Chav.meix (Abraham-Joseph de . Préjugés légitimes contre l En-
cyclopédie et Essai de réfutation de ce Dictionnaire. Paris, Hérissant,
1758-1759, S vol. in-12.
223'''*. Diderot, Le Père de famille.... avec un Discours sur la
poésie dramatique.
Cf. Confessions, \'lll. 33o. Cité ici d'après le n 58. t. \'II.
224. Diderot et D".\le,mbert [etc.]. Encyclopédie [etc.], t. Vil, 1/58.
570 BIBLIOGRAPHIE
225 A. [Helvetius], De l Esprit. Paris, Durand, ijSS. in-4.
Cf.. plus haut, dans la Profession, pp. 71 sqq, 161, etc.. et mon article
Rousseau contre Helvetius [287].
225 B. [Id,]. Id.. Exemplaire annoté par Rousseau. Bibliothèque
Nationale. Réserve. R 8()5.
Cl", le te.xte de ces annotations [40].
1759
225'''*. DcvAL ( Valentin-Jamkbaii. Vit- de M. Duval, Bibliothécaire
de l'Empereur.
Des «. e.xtraits » de ces Mémoires ont été communiqués par Deleyre à
Rousseau et annexés par lui à ses Lettres de 1759-1760 [14 A], f"' 5o et 60-70 [un
de ces « e.xtraits ». qui devait être joint à la Lettre du t2 Décembre lySg, manque
aujourd'hui]. Rousseau a recopié entièrement ces * extraits » dans un de ses
recueils de Lettres. Bibliothèque de .N'euchàtel, 7886, pp. 75-76. gS-ioo, i25-i33.
Cité ici d'après les Œuvres de Valent in .lamerai Duval, Saint-Pétersbourg —
Strasbourg. Treuttel, 1784. 2 vol. in-8. Les pp. 45-80 du t. I reproduisent exacte-
ment le texte des deux derniers & extraits » copiés par Rousseau.
22H. [LiGNAC lABBÉ DEi], Excjmeti sérieux et comique du Discours sur
l Esprit, par l'auteur des Lettres américaines, .\msterdam, ijSg, 2 voL
in-12.
227. RiCHELET (P. ), Dictionnaire de la langue française ancienne et
moderne, nouvelle édit., augmentée d'un très grand nombre d'articles
[par l'abbé Goujet], Lvon. Duplain, lySq, 3 vol. in-f".
227'''*. [Roche (le P.i], Traité de la nature de l'àme et de l'origine
de ses connoissances, contre le système de M. Locke et de ses partisans.
Paris. Lottin, Butard, [etc.], \j5(). 2 vol. in-12.
228. [Voltaire], Socrale. ouvrage dramatique traduit de l'anglais
de feu M. Tompson.
Cité ici d'après le n" 73. t. \'.
1760
229. Bonnet (Charles), Essai analytique sur les facultés de l'âme.
Cf. le n* 208. Cité ici d'après le n" 54. t. .Xlll et XI\'.
230. Gerdil (Le P.), Recueil de Dissertations sur quelques principes
de philosophie et de religion. Paris, (^haubert et Hérissant, 1760, in-12.
Cf. le n' 180.
231. LiGNAC (abbé de), Le Témoignage du sens intime et de l'expé-
rience opposé à la foi profane et ridicule des fatalistes modernes, Auxerre,
F"ournier, 1760, 3 vol. in-12.
AVANT LA « PROFESSION DE FOI »
y/^
2S2. Lki KANC DE PoMPiGNAN (J . J.). Discoufs [pfonoiicé à r Académie
française, le lo Mars r-jâd] et Mémoire de M. de Pompignan. s. 1.
[Paris], 1760. in- 12.
232'''*. [Id.j. La Prière universelle, traduite de l' anglais de Mr Pope,
par l'Auteur du Discours prononcé le 10 Mars à l'Académie françoise
[p. par labbé Morellet], s. 1., 1760. in-S.
1761
2;î:î. B[ori.ANGER (N. A.)]. Recherches sur l'origine du despotisme
oriental, œuvre posthume de Mr. B[oulanger] I[ngcnieur] D[es] P[onts]
E[t] C[haussées], s. 1.. 1761, in-12.
Cf. G. Brizard. Sotes inédiles sur Rousseau [253\ 220 : « M. Bergier a un
volume in-4, copié en entier par J. J. Rousseau : c'est le Despotisme oriental ».
234. [D'Holbach (B""i], Le Christianisme dévoilé ou Examen des
principes et des effets de la Religion chrétienne. Paris. Libraires
.Associés, 1767, in-12.
La première édition, qui porte le titre de Londres, 1758. parait avoir été
imprimée à Nancy en 1761; mais il est probable que l'ouvrage a dû circuler en
manuscrit quelques années auparavant comme ceux de Fréret. Dumarsais, Buri-
gnv. etc.
235. [Robinet], De la Nature. Amsterdam. Van Harrevelt. 1761, in-8.
Cf. Lettre de 1 Unri .Meisier à son père, du 6 juin 1764 3q\ 164.
236. [V'ernet (Jacoh)]. Lettres critiques d'un voyageur anglais sur
l article « Genève » du Dictionnaire encyclopédique et sur la Lettre de
Mr. D'Alembert à Mr. Rousseau, publiées avec une Préface parR. Brown,
ministre Anglois à Utrecht. Lettres I et IL L'trecht, Ten Bosch, s. d.
[1761], in-8.
Les Lettres III. W. V et VI ont paru en fascicules séparés de 1761 à la fin
de 1762, et collectivement en 1766. Cf. toutes ces Lettres, en édition originale,
dans un recueil factijce de la Bibliothèque de Genève. B A 1625. Rousseau a lu
les deu.x premières Lettres en Octobre 1761 : cf., plus haut, p. 537, l'échange
de Lettres entre Rev et lui à ce sujet.
1762
23". Dell'c (J. F.), Observations sur les savans incrédules et sur
quelques-uns de leurs écrits, Genève, 1762, in-8.
Cf. Lettre de .\loultou à Rousseau, du 18 Juin 1762 [26]. 1. 48.
23s. [Tolssaint]. Eclaircissement sur les « .Mœurs » par L Auteur
des « Mœurs », .Amsterdam, Rey, 1762, in-12.
231). [TiRPiN DE Crissé (C"=)]. Lettres sur l'Éducation, Paris.
Bauche, 1762, 2 voL in-12.
572
BIBLIOGRAPHIE
240. [Voltaike], Testament de Jean Meslier.
Extraits, retouchés par Voltaire, du Testament du curé d'Étrépif^nv. qui
circulait, dans Paris, en manuscrit, depuis 1-35 : cl". G. Lanson '289'"'], 8-17. Cité
ici d'après le n" /S. t. XX1\'.
241. [Voltaire]. Sermon des cinquante.
Cf. Lettre à Mme de B[augrand] (la lettre de M"' de Baujjrand est à Neu-
chàtel [14]), de Décembre 1763, XI, loi. Lettres de la Montagne, 111, 197. Sur
la date d'impression du Sermon (vraisemblablement Juillet-.\oùt 1762) et sur sa
date de composition (Berlin, 1762). cf. la note d'Eufjène Ritter [48]. VII, 3i5. Cité
ici d'après le n° 73, t. XX1\'.
IV
OUVRAGES POSTÉRIEURS A LA
« PROFESSION DE FOI »
Les ouvrages qui suivent sont rangés, eux aussi, dans l'ordre chro-
nologique. — C'est à peine si l'on trouvera dans cette liste quatre ou
cinq des innombrables critiques dont la Profession de {o\ fut l'objet au
XVIII" siècle, et plus particulièrement dans les années 1J62-I/J0. La
plupart ont été mentionnnés dans les Notices de Bri^ard [254] et de
Barbier [257]. Elles sont presque toutes au-dessous du médiocre: et, si
plusieurs peuvent servir à faire connaître l'état d'esprit d'une partie du
public français, il en est t?'ès peu qui puissent fournir des indications
précises sur les sou/'ces de la pensée de Rousseau. Ce sont celles-là seules
qui ont été utilisées ici. — Les autres ouvrages cités ont contribué plus
ou moins directement au commentaire du texte ou à l'histoire de / Kmile.
242. Voltaire, lYotes inédites sur la « Profession de foi du Vicaire
Sai'oyard », p. par Bernard Bouvier en iqoS f49]. I, 272-284.
243. [HoocK, BoNHO.M.ME, Denans et Legrand (cf. G. Lanson [279],
iio-iii)]. Censure de la faculté de Théologie de Paris contre le livre
qui a pour titre <.< Emile ou de l'Education ». Paris, Le Prieur, 1762. in-i 2.
244. FoR.MEv. .\nti-Emile. Berlin, Pauli, 1763, in-12.
24.J. BiTAiBÉ (P. J.). Examen de la Confession de foi du Vicaire
Savoyard contenue dans Emile, Berlin, Pauli, 1763, in-12.
Cf. l'opinion de Rousseau sur ce livre dans une Lettre à Rev. du 17 .Mars
1764 [24], 2o3 ; cf. encore Lettre à Bitaubé lui-même, du 3 .Mars 1763 [25], 39Ô.
APRÈS LA « PROFESSION" DE FOI » 573
24<>. Lefranc de Pompignan (J. G.), Instruction pastorale de Monsei-
gneur iÈvêque du Puy sur la prétendue Philosophie des incrédules
modernes, nouvelle édition, Le Puy. Clet — Paris, Chauben. 1764.
2 vol. in-12.
Rousseau estimait cet ouvrage : cf. le texte cité au n' précédent, et Lettre
de H. Meister à son père, du 3o Mai 1764 [Sgj, i56.
24()'''*. [Lingiet], Le fanatisme des Philosophes. Londres — Abbeville,
De X'érité, 1764. in-8.
247. C[ajoi] {D[om]), Les Plagiats de M. ./. J. Rousseau de Genève
sur l'Éducation par D[om] J[oseph] C[ajot] B[énédiclin], La Haye— Paris.
Durand, 1766, in-8.
Quelques e.vemplaires ont un litre différent : Les Larcins littéraires de
J. J. Rousseau, citoyen de Genève, ou ses plagiats sur l'éducation ; cf. l'opinion
de Rousseau surle livre dans une Lettre à .Mme de Boufflers.du 5 .^vril i/ôfS, X, 32Ô.
248. ToLAN!) (J.), Lettres philosophiques sur l origine des préjugés
du dogme de l immortalité de l âme, de l idolâtrie, etc. [trad. D'Holbach],
Londres [.\msterdam, Rey], 1768, in-8.
248'''*. [D'Holbach (B°")], Le Système de la Sature ou des Loix du
monde physique et du monde moral, par .\L Mirabaud. Londres. 1770,
2 vol. in-8.
24î) A. [Sabatier de Castres (abbé)], Les Trois Siècles de notre
Littérature ou Tableau de l'Esprit de nos Écrivains depuis François I"
jusquen I/J2, .\msterdam et Paris. Gueffier, Dehansi, 1772. 3 vol. in-8
249 B. S[abat!er] de Castres (abbé), \Jd.'\, ... jusqu'en i//g, 4*^ édit
corrigée et augmentée, La Hâve — Paris. .Moutard [etc.], 1779, 4 vol. in-12
249'»'*. [D'Holbach (B°")j, Système Social, ou Principes naturels
de la morale et de la politique. Londres. 1773, 2 vol. in-8.
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Marseille, .Mossv. 1788. 3 vol. in-4.
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254'". Publication des Manuscrits de J. J. Rousseau, par Lakanal.
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et Parison, Paris. Brunet, 3 vol. in-8], edit. P. Boiteau, Paris, Ghar-
pentier, i865, 2 \ol. in-i6.
Sur la valeur de ces prétendus .Mémoires, cf. .Mrs. .Macdonald [283 '''''|, 47-6(1,
et mon article [299].
257. Qlérakd (J. .M.), .\olice bibliographique sur J. J. Rousseau,
dans La Erance littéraire, t. X'ill. Paris, Didot. i836, in-8.
Cette Sotice se subdivise en deu.\ : l'une, de Quérard lui-même, sur les
Diverses éditions des ouvrages de J.-J. Rousseau, pp. 192-206; l'autre, d'A. A.
Barbier, déjà revue par Petitain au t. .XXl de son édition [19] et augmentée par
Quérard. sur les Principau.\- écrits relatifs à la personne et aux oui'rages de
,/. ./. Rousseau, pp. 207-231.
258. Baillv de i.a Londe, Le Léman, ou Voyage pittoresque, histo-
rique et littéraire à Genève et dans le (\2nt0n de Vaud (Suisseï, Paris,
Dentu, 1842. 2 vol. in-8.
259. GoLSiN (V.), Du stvle de Rousseau, particulièrement dans la
«Profession de foi du Vicaire Savoyard», d'après le Manuscrit de
r « Emile ». conservé à la Bibliothèque de la Chambre des Représen-
tants, dans le Journal des Savants, Septembre-Novembre 1848, pp. Siy-
528 et 658-672.
Reproduit dans la 3' édition de la P/iilosophie populaire, Paris, Pagnerre,
[849. in-i2. et dans la 3' édition, considérablement augmentée, de Fragments et
Souj'eiiirs. Paris. Didier. 1857, in-8.
APRÈS LA « PROFESSION DE FOI )> 575
2(>(>. X'iRiDKi (M.), Documents officiels et contemporains sur quel-
ques-unes des condamnations dont l « Emile » et le « Contrat Social »
ont été l objet en 1/62, Genève, V'aney, i85o.
2(>l. .MoiMN (G. H.), Essai sur la l'ic et le caractère de./. ./. Rous-
seau, l'aris, Ledoyer, i85i, in-8.
2(52. .MoBrs (G. H.i. \ote sur les .Manuscrits de J. J. Rousseau
conservés à la Bibliothèque de l. Assemblée nationale, I^aris, 3 Août i85i.
plaquette manuscrite. Bibliothèque de la Chambre des Députés. .Mss. 1441.
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légués à la Bibliothèque publique par Mme Streckeisen-Moultou , dans le
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l'occasion du deuxième centenaire de sa naissance). Revue des Deux-
Mondes. i5 Juin 1912, pp. 872-()o5.
292. -Masson (P. Mairice), Sur les Sources de Rousseau, ii)i2 [48].
XIX, 640-64fi.
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Vin. 233-3i6.
29.5. Ledos i E. G.i, Catalogue des ouvrages de Jean-Jacques Rous-
seau, conservés dans les grandes Bibliothèques de Paris, Paris, Cham-
pion, 1912, in-8.
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XIX, 741-790.
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solution, 1913 [48], XX, 585-601.
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Rousseau et ses sources. Genève, Jullien, 1918, in-8.
299. Masson I p. Maurice), Mme d'Épinay, Jean-Jacques tt
Diderot che^ Mlle Quinault, igiS 1^49], IX, 1-28.
300. Masson (P. Maurice), Questions de chronologie rousseauisle,
1913 [49 , IX, 37-61.
301. Masson (P. Maurice), Le séjour de J. J. Rousseau à l'hospice
du San-Spirito, 1914 [48], XXI là paraître dans le n» de Janvier-Mars 1.
INDEX DES TEXTES INEDITS
CITÉS or LTILTSKS DANS CETTE ÉDITION
. 1
TEXTES DE ROUSSEAU
Institi'tions chimiques.
— Lirre I : pp. 97, noie i : 99, no-
tes 2, 4 et 5; 105-107, note i ; 109,
note 3 : 177, note 2.
— Lirre II : pp. 97, note 1 : 99, note 2.
— LiiTe m : pp. io5-i07, note 1 : i3i,
note 5.
— Lii're IV : p. 177, note 2.
Cahiers de brouillons.
— .V" /840 : p. 547.
— A'" 7842 : pp. Lxvii ; 2Ô7, note 3:
273, note 1 ; 327, première note i :
540 : 545 ; 549 ; 55o ; 555 ; 556 ; 557 ;
559 : 56o ; 363 ; 364 : 565 : 566.
— N" 7843 : pp. \bq, note 2; 375,
note I ; 540.
Conseils a ln cubé.
— PP. xm et note 2: 21. note 1 ; 43.
noie I : 425-427, note 3.
Notes diverses sur des livres ou des
manuscrits.
— Sur la « Sagesse •» de Charron :
p. 549.
— Sur te «. Système des Anciens et
des Modernes » de Marie Huber :
p. 558.
— Sur les « Doutes sur la religion ■» :
pp. 540, 563.
Nouvelle Héloïse.
— Vh Partie. Lettre VI : p. 43.
note 1 .
— VI- Partie, Lettre VIII : p. 189,
note 3.
— VI' Partie, Lettre XI : pp. 5i.
note 2 ; 53, note, 5 ; 209, note 2.
É.MILE.
— Lirre I : p. 37. note 6.
— Livre II : pp. .xxxviii ; i3. note 4:
2o5, note 4.
' Je n"ai naturellement mentionné dans cet Index ni les passages inédits que
contenaient les divers .Manuscrits de la Profession, ni les textes inédits publiés
comme tels aux Appendices, mais ceu.x-là seulement que j'ai cités ou utilisés dans
['Introduction, le Commentaire ou la Bibliographie. D'autre part, quelques-uns
des textes relevés dans cet Index sont déjà en partie ou même entièrement connus ;
mais j'ai cru devoir leur faire place ici, soit parce que la rédaction en était nouvelle,
soit parce que le nom du destinataire, lorsqu'il s'agissait de Lettres, manquait dans
l'édition des Œuvres.
s8o
IXDEX DES TEXTES INEDITS
Emile.
— Livre IV : p. 289. noie 2.
— Livre V : p. 465, note i.
— Errata : p. i.xvii, note 1.
— Notes marginales du « Brouil-
lon » ; p. Lxvii, note 5.
— Traité avec Duchesne pour l'im-
pression d ' « Emile » ; pp. .xliv-.\lv,
note 5.
— Mémoire sur l'impression d' « E-
miley, contresigné par M. de Ma-
lesherbes, le 3i Janvier 1/66 :
pp. .\Lv-.\Lvi, note 3.
Correspondance.
— Brouillon de la Lettre à Voltaire.
du 18 Août iy56 : p. 433, note 1.
— Lettre à Duclos . de Décembre
COBBESPOND.ANCE.
lyôo (?) : pp. x.\xv-.\.\xvi. note 8:
433-, note I.
— Lettre à A/. Tscharner et aux
membres de la « Société des Ci-
loyens-i'de Berne, du 2g Avril ij62 :
p. 569.
— Lettre à Moultnu. du 7 .lui)\ 1/62 :
p. i.m.
— Lettre à Mme de Baugrand, de
Décembre 1 y63 : p. 572.
— Lettre à l'abbé de Carundelet, du
li Janvier iy6^ : p. 419, note 3.
— Au même, du 4 Mars 1/64 :
p. 281. note.
— Au même, du 1 1 Sovembre 1 /64 :
pp. 421, note 3; 467, note 3.
— Lettre à l'abbé Maydieu, du 14
Mars lyyo : p. xciv, note 2.
II
AUTRES TEXTES
Baugb.\nd (.M"" DE).
— ■ Lettre à Rousseau, du 10 No-
vembre iy63 : p. 572.
Hbiz.^rd (.Abbé G.).
— Notes sur Rousseau : pp. i.\. note i ;
571.
Bbuyset (Jean-Marie).
— Lettre à Rousseau, du 26 Décem-
bre jy62 : pp. Lxxxvii ; xci.
Di'CHESNE (Nicolas-Bonaventube).
— Traité avec Néaulme pour la pu-
blication des Œuvres de Rousseau :
p. XLvii. note I.
— Lettre à Rousseau, du 4. Juin iy62:
p. i.m, note 6.
DuvAL {Vai.entis-Ja.mebai).
— Extraits de « .Mémoires y commu-
niqués par Deleyre et copiés par
Rousseau : pp. 534; 570.
Gaime (.Abbé).
— Documents biographiques : p. xxx.
GÀTIEB (.Abbé).
— Documents biographiques : pp. xxxi-
XXXII.
La Condamine.
— Lettre à Rousseau de 1/62 : p. 85.
note 3.
Mabtin (Abbé).
— Lettre au Maréchal de Luxembourg,
du 8 Juin iy62 : p. liv, note i.
INDEX DES TEXTES INÉDITS
S'^I
Maleshebbes (.m. de).
— Corrections au traité de Rousseau
avec Duchesne. du 29 Août iy6i :
p. XLV. noie 5.
— Lettre à Rousseau, du 3 Décem-
bre 1^61 : pp. .KLii-.\Liii, note 2.
— Attestation donnée à Rousseau le
3i Janvier I/66 : pp. xlv-.\i,vi.
note 3.
Nëail.me (Jean).
— Lettre à Rousseau, du 20 Mai 1/62 :
pp. LUI ; Lxxvii; lxxix : lxxx ; lxxxvi.
— Au même, du 22 Mai : pp. uni ;
LXXVIII ; Lxxxvr.
— Au même, du 24 Mai
lxxx; lxxxvi; lxxxvii.
— Au même, du 26 Mai :
— .4» même, du 2 Juin
LXXLX ; LXXX ; lxxxvi.
— .4» même, du 10 Juin
— .4i/ même, du 28 Juillet : pp. Lxxviii ;
lxxxvi.
— .4i( même, du 26 Octobre : p. lxxxii.
— Au même, du 3 Décembre: p. lxxxvi.
— Au même, du 3i Janvier ij63 :
p. LXXXVI.
Offbeville (.\l. d").
— Lettre à Rousseau, du ij Sep-
tembre 1/61 : p. 538.
— Au même, du ly Octobre ij6i :
p. 538.
pp. Lxxvii ;
; p. Lxxviii.
pp. LUI ;
p. LXXVII.
Rey (.\1abc-.\1ichel).
— Lettre à Rousseau, du 22 Octo-
bre 1761 : pp. XLv; 537.
— Au même, du i5 Novembre :
pp. XLVI ; XLVII.
— .4m même, du 7 Décembre : p. xlvi.
— .4i( même, du 3i Décembre :
p. LXXXIV.
— Au même, du 6 Mars I/62 :
p. LXXXIV.
— .4i/ même, du 25 Mars: p. lxxxi.
— Au même, du 8 Avril : p. lxxxvii.
— .4i( mét7ie, du 24 Mai : p. lxxxv.
— Au même, du // Juin : p. lxxxv.
— Au même, du 12 Juillet : p. lxxxv.
— .4 II même, du g Septembre: p. lxxxv.
— Au même, du 28 Septembre :
p. LXXXV.
— Au même, du 14 Décembre :
p. LXXXV.
— y4i( même, du 8 Avril iy63 :
p. LXXXVII.
— ^1/ même, du 28 Août : p. lxxxm.
— .4 II même, du 20 Juin 1764 ;
p. I.XXXIV.
Saint-Pierre (.Abbé de|.
— Manuscrits confiés à Rousseau par
le Comte de Saint-Pierre : p. 547.
INDEX GRAMMATICAL, ORTHOGRAPHIQUE
ET SÉMANTIQUE '
A (à toute mesure, à différentes me-
sures). 63.
.Aggrégatif. 177, 327.
Anti-réligiosiste. 448, 45 1, 537.
Arrêter à (s'), 237.
Attendrir à (s'). 293.
Baile et Bayle. 453.
Cacouac. 449, 46 1.
Commencer de. i3.
Comme que, 467.
Compulsif, 327.
Confédératif, 327.
Controuver. 263.
Croire à (= se fier à), 349.
Degré. 63.
Déiste, 3o3.
Dernière, 6g.
Elève et élevé, i5.
Essenciel et essentiel, 69. 414, 416.
Estomac et estomach, 126.
Éventif, 177, 327.
E-Xclusif à, 393.
Exclusivement à. SgS, 533.
Fermentatif, 177.
Flogistique, 99.
Hvmne, 299. 3oi.
Imitatif, 327.
Inactif, 327.
Incessamment (= continuellement),
265. 482.
Indifférence et indifférence. 24.
Initiatif, 327.
Inspection sur (avoir). i55, 32 1.
Intuitif, 227.
Ject et jet, 126.
Malgré que, 77.
Matière, 69.
Méditerranée (= qui est au milieu des
terres), 38 1.
.Mixte (substantif), 99, i3i.
Moderniste, 520.
Montagne et Montaigne, 261, 486.
Mistere et mystère, 3o3, 307, 343, 383.
419.
Natif (= ce qu'on apporte en nais-
sant), i5.
Neuton et Newton, 106.
Xombrer, 83.
Obter et opter, 340.
' On ne trouvera dans cet index qu'un très petit nombre des particularités
orthographiques du texte. J'y ai seulement relevé celles qui avaient été. dans le
Commentaire, l'occasion de remarques générales, et celles qui témoignaient, chez
Kousseau lui-même, d'hésitations ou de changements.
5«4
INDEX GRAMMATICAL
Périr (avec l'auxiliaire élre), 127.
Philosopherie, 451 .
Philosophesque, 451.
Philosophiser, 451.
Fhilosophisme, 451.
Philosophiste, 448, 451, SSy.
Phlogistique : cf. flogistique.
Poul-serrha et Poul-serrho, 460. 467.
Pousser (« les taupes poussent »), 235.
Préférence (par), 6g, 349, 527.
Premier, 63.
Prestre et prêtre. 299.
Prétendre (transitif). 335.
Projectile (adjectifl, 107.
Prosélite et prosélyte, 5, 17.
Protée et Prothee, 279, 498.
Que si, 229, 289. 390, 460.
Raisoneur et raisonneur, 346. 348. 35o.
Régie. 69.
Religion, 63.
Réverbère, i3i .
Sorbone et Sorbonne. 375.
Spiritualiste (= idéalistei, 95.
Succès. 17.
Théiste. 3o3.
Tiran et tyran, 319.
Tirannie et tyrannie. 345.
Tiranniser et tyranniser. 375.
Voltairien, 45 1.
Vrai (= sincère). 261. 447, 457.
-3
I
I
INDEX
DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
Aaron, 3.(5.
Abauzit (F.).
— Essai de la Religion naturelle, 249,
253.
— Honneur qui est itii à Jésus-Christ
(de l'i. 41 3.
— Lettre à une dame de Dijon, 3i r.
— Mémoires concernant la théologie
et la morale, 558.
— Mystères de la Religion (des), 345.
— (Eûmes diverses. 545.
— Réjlexions sur l'idolâtrie, 3ii.
— Saint-Esprit (du), 425.
Abbadie, lxkxiv, 2, 67, 137, i5g, 237.
— Art de se connaître soi-même lij,
i65. 552.
— Vérité de la Religion chrétienne,
95, ii5, 121, 123, i55, i83, 2o3, 227,
237, 253, 257, 309, 4o3, 552.
Abraham, 377, 439.
.Achille. 19.
.\costa (Uriel), 307.
Adam (C).
— Œuvres de Descartes (édit. desl. 346.
.\ddison, 2.
— Discours sur l'idée qu'on doit avoir
de Dieu, 229.
— Spectateur (le), 129, 159, 217, 229,
235, 249, 407, 425, 429, 535, 555.
(Cf. Steele).
Aguesseau (D").
— Méditations métaphysiques, 269.
— Œuvres complètes, 5 16.
Albalat (A.).
— Travail du style (le), l.wiii. 57Ô.
.Albigeois, 455.
.Alcibiade, 407.
.Alembert (D'), .\ix, .\l, 25, 45, 61. 93,
127, i55, i65, 199, 21 3, 21 5, 219.
221, 241, 243, 249, 25 1, 259, 265,
271, 345, 349, 36 1, 369, 399, 4o3,
445, 451, 487, 529, 533, 537, 556,
56o, 567, 568, 569, 571.
— Encyclopédie, 566, 567, 568, 569.
Art. « Feu », 97, 99.
.Art. «. Genève », 397.
— Jugement sur « Emile », 345.
— Mélanges, 567.
— Œuvres, S46.
— Réflexions (sur l'abbé Terrasson).
568.
.\le.\andre, 413.
.\ltuna, xni.
.Amatus Lusitanus. i3i, 474.
Amyoï.
— Œuvres morales de Plutarque
(irad. des), 549. (Cf. Plutarque).
.Anabapstes. 455.
Aneau (B.), 555.
Annibal, 247.
' Je n'ai lait place dans cet Index ni à Rousseau ni à ses œuvres. J'ai e.xclu
aussi les noms d'imprimeur ou d'éditeur, quand ils ne servaient qu'à donner le
signalement bibliographique d'un ouvrage; les noms propres, mentionnés dans les
« Rédactions manuscrites », mais qui ont passé dans l'édition originale; les noms
des personnages tictifs, fournis par les romans, pièces de théâtre, etc.
586
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
Anson (Amiral).
— \'ovage autour du monde, 466, 564.
Anionin (L'Empereur Marc-A.), 407.
Apollonius. 413.
Arcq (Chev' d').
■ — Lettres d'Osman. .\.\iv. xxv. 567.
Art^ens (M " d').
— Lettres Chinoises, x.w, 3Hi. 56o.
— Lettres Juives, 43. 33 1, 345. 373.
377, 56o.
— Philosophie du bon sens, 269, 56o.
— Songes philosophiques, xxv.
— Timée de Locres. 227.
Ariens, 455.
Ariman (=Ahriman), 33 1.
Aristide, 253, 403, 409, 474.
Arisioie, 65, 225, 399, 5o5. 507.
— Physique, 1 1 1.
.Asclépiade, 65.
Assézat (J.), XII. 75, 546.
Auberl (F.), vi.
.^uboin, 537.
Audoyer (A.), 56o.
Auger (L. S.), 546.
Auguste (L'Empereur), lxvii, 247.
4i3.
.Augustin (S'), 36 1.
.■\ulnaye (S. de), 541.
.■\umont (M. d').
— Art. «. Génération » de /' « Encyclo-
pédie », 137, iSg.
Aurelianus (Cœlius), 65.
Bachaumonl.
— Mémoires secrets, lui, liv, lv, 545.
Badin lA.).
— \Ianuscrits de Rousseau (les), lxv.
Bailly de Lalonde.
— Léman (/e). lxv, Lxvni. lxix, 574.
Bancarel, 542.
Barbeyrac (J.), 257, 259, 261, 271, 554,
562.
— Sotes du & Droit de la Nature y>,
237.
— Préface du * Droit de la Sature »,
253. 257, 271, 285, 405, 41 1, 554.
Barbier {k. A.).
— Écrits relatifs à Rousseau. 574.
Barclay (J.). 55o. 553.
— Argénis (T), xxi. 55o, 553.
— Euphormion, 553.
— Tableau des esprits, 553.
Barclay (R.).
— .Apologie de la véritable Religion,
391, 393, 553.
Barillet, 553, 557.
Barruel-Beauvert (C" dei. xciv, 573.
Barthélémy (S'). 455, 465.
Basnage.
— Histoire des Juifs, civ, 375, 554.
Bassom pierre, lxxxvi.
Baugrand (M"" de), 572.
Baumann (D'i (= Maupertuis), 93. io3,
179.
Bayle, civ, i53. 259. 373. 453. 455, 463.
474-
— Commentaire philosophique. 534.
— Dictionnaire, 543.
art. «. Brutus », 2o3.
art. « Lucrèce », 175.
— Œuvres diverses, 546.
— Pensées sur la comète, 455, 55 1.
Beaulavon (G.).
— Question du « Contrat social » (la).
XL, 577.
Beaumont(M.de). xix,xxv.lxii, lxxxvii,
43, 143. i65, 169. 227. 289, 307, 323,
33i, 335. 347, 413. 423, 429, 534, 559,
56o, 567.
— Mandement sur r « Emile •■■•. 143.
Beausobre (1. dei
— Histoire du Manichéisme, civ, 43.
171, 223, 225. 227, 405, 55g.
Beausobre (L. de).
— P-^rrhonisme du sage (le), 5i, 567.
Beaussire (E.).
— Doni Deschamps. 542.
Beccher. 99.
Beckker. lxxxvi.
Bellanger.
— Théologie astronomique (trad. de
la), 557.
Benjamin, 377.
INDEX UKS NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
58
7
Bérénice, 522.
Bergier (N.), 571.
Bergounioux (E.).
— Lettres de Rousseau a M""' de \'er-
delin (édit. des). 542.
Berkeley, 73, 519, 52o.
— Alciphron, 77, i83, 18g, 537, SSg.
— Hylas et Philonoïis, 77, 565.
Bernard IJ. F.i, 56 1.
Bernex (M. de), x.xxii, 295.
Berruyer (Le P.).
— Histoire du peuple de Dieu, 38i.
401, 4i3, 567.
Barder (Le P.), 81.
Berlhoud (F.).
— Rousseau au \'al de Travers, 533.
Beuchoi, Lxv.
Bèze (Th. de).
— Psaumes de David, 21 3.
Bibiena (G. dei.
— Triomphe du sentiment (le), 532. 566.
Bitaubé (P. J.).
— Examen du Vicaire Sai'ovard. 56i,
572.
Blanchard (R.), vi.
Blochet (E.), vti, 467.
Blounl (Ch.).
— Miscellaneous Works (the), 379.
— Oracles of Reason flhe), 'iyg.
Boileau, 407.
Boislisie (A. de), 547.
Boislisle (J. de), 547.
Boiteau (P.).
— Mémoires de M"" d'Épinay ledit,
des), 542, 574.
Bonhomme.
— Censure de l' * Emile », lvi, 572.
Bonnet (Ch.). 81, t37. (Cf. Philopolis).
— Essai de psychologie, 61, 85, ni.
123, 281, 567.
— Essai sur les- facultés de l'cime, -3,
79, [79, 570.
— Œuvres, 546.
Borde (Ch.). xiii, 289, 369.
Borgeaud (Ch.).
— ./. ./. Rousseau's Religionsphiloso-
phie. Lxxii. 575.
Bosscha IJ.).
— Lettres de Rousseau à Rev (édit.
des), LVI, lAXXii, 542.
Bossuel, Lxxxiv, 67.
— Exposition de la foi catholique.
36 1, 363, 55o.
— Histoire des variations, 421. 552.
— Histoire universelle, 253. 309. 55i.
— Œuvres, 546.
— Sermon sur la loi de Dieu, 49.
Boubers (De), xci.
Boufflers (M"' de). 5/3.
Bouhours. i5.
Boulanger (N.).
— Despotisme oriental (le), civ, 401,
548, 571.
Bouvier (B.), vi. lvi, 576.
— Notes de Voltaire (édit. des), 572.
Bovet (F.).
— Psautier des Églises réformées, 2 1 3.
Boy de la Tour (M"'). 63. 543.
Brach (P. de). 549.
Bret (A.i.
— Journal Encyclopédique, 545.
Brisson (M. J.).
— Traité de physique, 107.
Brizard (G.), lix. lx, xciv, 541.
— Écrits sur « Emile » (des), 572, 574.
— Notes sur Rousseau, lx, Sji, 574.
Brown (R.), 537, 571. (Cf. Vernet).
Brucker (J.).
— Historia critica philosophiœ. ijo.
562.
Brunet (J. C).
— Mémoires de M"" d'Epinay (édit.
des), X, 574.
Brunetière (F.).
— Nouvelles Éludes, xl. xlix, 541, 5/5.
Brunschwicg (L.).
— & Peitsées-» de Pascal {éd\l. des), 55c 1.
Brutus, 2o3, 23 1. 245, 522.
Bruvset (J. .M.), lxxxvi. lxxxvii. lxxxix.
xci.
BufFenoir (H.).
— Comtesse d'Houdetot {la/. 543.
— Portraits de .1. J. Rousseau {lesj,
563, 578.
5S,S
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
Budier (Le P.).
— Examen des préjugés vulgaires,
195, 556.
— Métaphysique, 71, 556.
— Traité des premières l'érités. 11 5,
123, 145. 556.
Carondelet (.\bbé de), 2(Si , 4 [g, 421, 467.
Cartier (M.), 553.
Casiel (Le P.).
— Homme moral il'}, 9, 569.
— Système de Newton, 435, 53o, 562.
Castillon (J. L.|.
— .tournai Enc\'clopédique, 345.
Butîon.
— - Art. «. Evidence * de /' ^^ Encyclo- Catherine ( LMmpératrice), 67.
pédie » (?). 73. Catilina. 247. 24g. 474.
— Histoire naturelle, yi, loi. li-j, lig, Caton, 2o3, 245, 403, 407. 409, 474,
564. 484, 522.
Bugnard, .\.\.\. Cavaignac (M"'i.
Burigny (Levesque dei. — Mémoires d'une inconnue, 53o, 54Q.
— Examen critique des apologistes. Céphas, 3S7.
civ, 548, 558, 571.
Burlamaqui.
— Droit naturel, 249, 263, 563.
Burnand (J.), 43i , 56i.
Burnand (D').
— 7"/iéo/og'(e iVt' /'t'c7i( (Lrad. de la), 56i . — Voyages en Perse, 467,554.
Burnet (G.), 421. 562. (Cf. Laserre, Charlemagne, 569.
Saint-Évremond et Examen de la Charles I", 455.
César, 2o3, 245, 413, 475.
— Commentaires (les), 413.
Chamfort.
— Journal Encyclopédique, 545.
Chardin {\.).
Charron, 363.
— Sagesse tde la), 223, 297, Sog, 3i5,
317, 475, 549.
Chateaubriand.
— Génie du Christianisme, i35, 469.
Châtelet (M"' du|, 97, 99.
Chaumeix (.\. J.).
— Préjugés légitimes, 117, 269, 449,
569.
Religion.)
Cajot (Di)m .L|.
— Plagiats de ./. ./. Rousseau, cv.
271, 297, 3i 1 , 395, 573.
Calandrin.
— Psaumes en vers français, 21 3. 555.
Calas. 455, 542.
Calmet (Dom), civ, 333, 335, 337.
— Dissertations sur les apparitions, Chénier {.\.).
33 1, 563. — Socrate et .lésus-Chrisl. 413. 573.
— Dissertatio)is sur les vrais et les Cherel (A.).
faux miracles, 369, 371. — Maximes des Saints (édit. des), .x.xi.
— Prolégomènes à l'Ecriture Sainte, Chiniac (P.).
333, 335, 337, 555. — Essais de philosophie morale, 451,
— Sainte Bible lia). 333, 564. 574.
Calvin, 575. Choiseul, xciii.
— Institution chrétienne, 237, 323, Choisv (E.), vu.
425, 5J9. Chrysostome (S' Jean), 463.
Camillus (Julius), 131,475. Chubb.
Campanella. 173, 175. — Mémoires concernant la théologie
Capéran (L.l. et la morale, 558.
— Problème du salut des injidèles Ile), — Supplément à la question prélimi-
38i, 577. naire touchant la religion, 3ii,
Cardan, 257. 319, 339, 397-
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
389
Cicéron, 129, 4r r .
— Académiques, 411.
— Dii'inatione (de), 53.
— Leffibus tde/. 25q.
— Tiisculanes, 411.
Cimon, 253.
Clarke.
— Existence el les attributs de Dieu
(V). 2, 64, 65, 67. 95, loi, ii3, 125.
157. 159, 173. 179, 181, 225, 237,
257, 263, 333, 335, 343', 365. 879,
417. 443. 447, 475, 5i6, 556.
Claude (L'Empereun, 329.
Claudin (.A.i.
— Catalogue Rochebiliêre. 1 \\vi. 575.
Claville.
— Traité du vrai mérite, 67. 237, 403,
445. 55q.
Clément d'.Mexandrie, 405.
Clément XIII, i.vi.
Cloyne (L'tvèque de) (^ Berkeley),
7?-
Cochin (H.y, i55.
Cochin (Ch. N.). 541.
Coindet (D'I. l.wiii.
Coindet (Fr.|, Lxvni.
Combes (De).
— Vie de Socrate (trad. de la), 56(3.
Comte (Ch. 1.
— S'otes sur une page de J. J. Rous-
seau, Lxvrii. 576.
Condillac.
— Art. «. Évidence •* de l' «. Ency-
clopédie » (••), 73.
— Essai sur l'origine des connais-
sances humaines, 73. 563.
— Extrait raisonné du traité des
sensations, 89.
— Œuvres, 546.
— Traité des animaux, ij, 99. 233, 568.
— Traité des sensations, 73. 75, 77,
81, 89, 91, 567.
— Traité des systèmes, 11 5. 565.
Confucius, 405, 411, 465.
Conon. 253.
Conrart (.\1. V.).
— Psaumes en vers français, 21 3.
Conii (P" de», lv.
Conzié (.M. de), 563.
Cooper (J. G.).
— Vie de Socrate, 407. 566.
Corancez, 549.
— Jean-Jacques Rousseau (de/, xcii.
xciii, 574.
Corancez (M"), 259.
Corancez (M'"), 549.
Cornélius (Le Centurion), 391.
Coste (P.), 552, 553.
Cousin (V.). 95, 540.
— Philosophie populaire, xcvu.
— Style de Rousseau (du/, lxv, lxviii,
574.
Coyvecque (E.|.
— Manuscrits de la Chambre des
Députés, LXV. 5/6.
Cramer (t'h.), 377.
Créqui (.M"' de). 3i5. 445, 540.
Crésus, 245.
Criton, 4o5.
Cuendet (W.).
— Philosophie religieuse de J. J.
Rousseau, xiv. 5yH.
Cumberland iR.).
— Lois naturelles. 23/, 257, 263, 269.
283, 562.
Dacier (.A.).
— Discours sur Platon, 405.
— Œuvres de Platon (trad. des). 553.
Daubenton.
— Histoire naturelle. 235, 564.
David, 377. (Cf. Psaumest.
Débraye (H.).
— Manuscrits de la Chambre des
Députés, LXV, 576.
Defer de la .Maisonneuve, lxi, lxvi,
.xcv.
Deleyre, 161, 455, 529, 534, ^41, 544,
5(39. 570.
— Art. « Fanatisme ■» de I' «■ Ency-
clopédie ». 455.
Deluc (J. F.), 23, 537.
- Observations sur les savants incré-
dules, 537, 571.
SQO
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
Denans.
— Censuie de l' » Emile ■^, i,vi, 572.
Derham (G.).
— Théologie astronomique, i35, SSy.
— Théologie physique, i35, 1 37,556.
Descartes, en, 71, 75, 79, loi, io5, 107,
109, I r3, 435, 473, 53o, 562.
— Discours de la méthode. Sq, 47. 53,
69, 99, 123, 395, 397, 55o.
— Méditations, 87.
— Œuvres, 546.
— Principes, 107, i23, 55o.
— Traité de la lumière, 107.
Deschamps (Dom), 39, 69, ii5, 177,
447. 542.
Deschamps (Mgr), x.x.xu.
Deslandes (,\. F. Bourreaui.
— Histoire critique de la philosophie,
373. 56o.
Desmaizeaux (P.). 547.
Deutéronome, iiy. 475.
Diagoras, 127.
Diderot, xi. xii. xxxix. xl, i.v. 65. 195,
373, 375, 445, 529, 545.
— Apologie de l'Abbé de Prades, 201.
566.
— Contes, XXV,
— ■ Correspondance littéraire, 545.
— Encyclopédie, 566, 567, 568. 569.
Art. « Célibat *, 431.
Art. «. Chinois ■», 383.
Art. « Christianisme ■>>, 463. 469
Art. <<. Éclectisme ». 5i.
Art. <•. E.xislence », -ji, 73. 529,
Art. « P\thagore •», iyi.
— Entrelien arec la maréchale de ***
XII.
— Epitre à la princesse de Nassau
536.
— Essai sur le mérite et la vertu, (|3
i65, 179, 2o5, 3o3. 563.
— Fils naturel (te), 25r. 281, 569.
— Lettres à A/"' Volland, 534, 538.
— Œuvres complètes. 546.
— & Parabole ■» (la), 542.
— Pensées philosophiques, 41, 119,
i2(). i3i, i35. 153.297,325.347,563.
— Pensées sur l'interprétation de la
nature, xxvi, 33, gS, io3. i25, iSg,
175. 179,445, 457, 567.
— Père de famille (le), 536, 569.
— Plan d'une université, 67.
— Principes philosophiques sur la ma-
tière et le mouvement, g3, q5,
'77-
— Promenade du sceptique, xii.
— Règne de Claude et de Néron. 329.
— Rêve de D'.Membert. 127.
Didot (l'Aîné), xcv.
Didol (le Jeune), lxi.
Diogène, 519.
Dionysus (= Denis l'Aréopagiie). 391.
Dissertations mêlées, ijq, 56i.
Dilton (H.), Lxxxiv.
— Religion naturelle, q5. 101. iic).
557.
Dominique (S'), xxxi.
Douen (O.).
— Clément Marot el le psautier hugue-
not, 2l3.
Dreyfus-Brisac (K.).
— Contrat social (édil. du). 543.
Drouet (J.).
— .\bbé de Saint-Pierre, l'homme et
l'œuvre (/'), 547.
Dubois (L.). VI.
Duchesne, xi.i, xtin-Lin, lv. i.xvii,
LXIX, LXXIII-LXXXI, LXXXIV, LXXXVll,
299, 474, 541, 544, 55 1, 555.
Duclos, XI, XXXVI, 433, 534.
— Considérations sur les mœurs, 2'ij.
566.
— Œuvres complètes. 546.
Dufour (Th.), vu, xi, xiv, xi.ii. i.x,
Lxxix, xci, 261, 533, 539, 343. 553,
557, 558.
— <.-. Institutions chimiques » (édit.
des). 543.
— Pages inédites de .1. .1. Rousseau,
/'■'' série (édit. des), 543.
— Pages inédites de ./. J. Rousseau.
II"" série (édit. des).. 543.
— Première Rédaction des « Confes-
sions » (édit. de la), c\iii, 343.
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES (EUVRES
391
Duguei (J. J.).
— Principes de Ij foi chrétienne, 413,
559.
Dulard (1>. A.).
— Grandeur de Dieu dans les mer-
l'eilles de la nature (la), i35.
Dumarsais.
— Anahse de la Religion chrétienne,
xcvi, 415, 548, 563, 571.
— Philosophe (le), 281.
Du Peyrou, xi.v, i.viii, xciv, xcv. cvii,
g, 63, 341.
Dupin (Cl.), lOQ. i35, 287, 53o, 543, 558.
Dupin (.M"'). 543.
Du Resnel.
— Essai sur l'homme (trad. de 1'). 557.
Duval (V'alentin-Jamerai).
— Mémoires, 534, 570.
— Œuvres, 5yo.
Kcclésiasle. 5y.
Ecclésiastique II'), xl.
Eisen (Ch.), lxxiv, t.xxix. lxxxvi,
LXXXVII, LXXXVIII, XC, XCI.
Élianus, 255.
Encyclopédie, xxxix, civ. 93. 342, 547,
566. 567, 568. 56q.
— Art. « .Xthées ». i53, 453. (Cf. Vvon).
— — « .Athéisme », 67, 2o3. (Cf.
Formey).
— — & Célibat ». 43. (Cf. Diderot).
— — « Chinois ». 383. (Cf. Diderotl.
— — « Christianisme ». 463. 46^.
(Cf. Diderot).
— — « Conscience », 532. (Cf. Jau-
courti.
— — » Éclectisme ». 51. (Cf. Diderot).
— — « Étymologie », 52g. (Cf. Tur-
goi.^).
— — « Évidence ». 73, 75, 77, 83.
85, 95, 101, 187, 529. (Cf. Buf-
fon et Condillac ?).
— — a Existence », 73, 75, 529. (Cf.
Diderot et Turgot ?>.
— — « Expansibilité », 529. (Cf. Tur-
got ?).
— — « Fanatisme », 455. (Cf. De-
levre).
— — « Feu ». 97, 99. (Cf. D'.Mcm-
bert).
— — « Foi », 371, 393. (Cf. .Morellet).
— — « Génération », 137, 139. (Cf.
D'Aumont).
— — « Genève ». 397. (Cf. D'.Mem-
bert).
— — «Pythagore», 373. (Cf. Diderot).
Enéide, 129, 249, 520.
Épictète, 407, 411.
Épicure, xii, 65, 127, 175, 2o5.
Épicuriens, 117, 52o.
Épinay (.M"" d').
— Mémoires, x. xi, xii, xiti, 37. 53o,
534, 536, 537, 542, 564, 574.
Érasme, 407.
Espiard de la Cour (D").
— Pensées philologiques, 253, 319.
359, 377, 565.
Estrées (Abbé d'), 457.
« Etymologie » (art. de VEncyclo-
pédie), 529. (Cf. Turgot ?).
Evangile, eu, cm, 401-413, 535, etc.
(Cf. S' Jean, S' Luc, S' Marc, S" .Mat-
thieu).
* Evidence » (art. de ['Encyclopédie).
73, 75, 77. 83. 85, 95, lor. 187.
Examen de la Religion, civ, 319. 32i,
327, 345, 37g, 383, 401, 453, 459,
465. 467, 540, 548, 562. (Cf. Burnet,
Laserre, Saiiit-Évremond).
« Expansibilité » (art. de ['Encyclo-
pédie), 529. (Cf. Turgot?).
Exode. 533.
Fabricius.
— Théologie de l'eau, i35. 56i.
«. Fanatisme » (art. de ['Encyclopédie).
455. {C(. Deleyre).
Favre (AI.), lxiii.
FavrelL.), vu, xxxviii. Lvni, Lxm, lxiv,
LXV. LXVM, XClX. C. CVIU, CIX. CX,
540. 544.
— Manuscrit Favre de /« Emile »
(le). Lxni, 544, 577.
Favre-Bertrand (G.). LXiir.
F"ayolle, 542.
592
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
Fénelon. 221. 421, 522.
— Existence de Dieu, g5. 101, 111.
1 17, 123, 129, 555.
— Maximes des Saints, xxi.
— Œuvres complètes, 546.
— Télémaque, xxi. 127, 221.
Féraud.
— Dictionnaire critique, i3, 6g. 77.
83. 127, i3i, i55, 227. 261. 263, 265,
293, 3oi. 3o5, 335. 349, 38 1, 3q5,
451. 457. 573.
— Dictionnaire grammatical. 127.
Ferrero (G. A.). x.\v]ii.
Fleury (Abbé de), 449.
Foigny (G. de).
• — ■ Terre australe lia), xxi. 55i. (Cf.
Sadeur).
Fokke (S.), lxxix, i.xxx.
Formey, lxxxi. lxxxii. lxxxiii. lxxxiv.
.xcii, 565. 568.
— Anti-Emile, lxxxii, 568, 572.
— Art. « .Athéisme •» de l' «. Encyclo-
pédie », 67, 203.
— Conscience (de la). 241.
— Dissertation sur le meurtre volon-
taire de soi-même, 568.
— Emile chrétien, lxxxi-lxxxiv. 3oq.
568.
— Essai sur la nécessite d'une révéla-
tion, LXXXII. 309, 38i, 39g.
— Examen de l' « Histoire naturelle
de la Religion », 5i.
— Mélanges philosophiques, 568.
— Souvenirsd'un citoyen, lxxxiv. 573.
François (.\.), vi.
— Lettres de J. .1. Rousseau a Séaulnie
et Duchesne (édit. des), 344.
— Provincialismes de J. J. Rousseau,
63. 69, 457, 576.
François I", 573.
Franquières (.M. de), xciii, 77, i2q, i3i,
173. 5 13-526. 537. 55g.
Fréret.
— Annotations aux « Letters to
Serena », 447-44g, 565.
— Examen des Apologistes, 558. (Cf.
Burigny)
— Lettre de Thrasybule à Leucippe,
civ, 43, 71, 73. 97, 189, 253, 255.
259, 267, 273. 345, 365. 379, 463.
465, 548. 565. 571.
Fréron.
— Année littéraire, i35, 407, 440, 451.
463, 537. 545.
Fritzch (J. C. G.), lxxxvi.
Frossard (E.).
— Lettre inédite de Rousseau (édil.
d'unej. 542.
Gaberel (J.).
— Calvin et Rousseau, xxvii, 575.
Gaime (Abbé), xxvii-xxxii. 7. 9. 11, ig.
25. 2g, 3i. 41. 45. 41g. 439.
Gambini (H.), vu.
Gardy (Fr.), vi.
Gassendi. 65.
Gàlier {."Xbbéi, xxxi.
Gàtier (.\bbé J. B.), xxviii-xxix. xxxi-
xxxiii, 9, 1 1, 4I; 45.
Gàtier ou Gaitier (CL), xxxi.
Gàtier ou Gaitier (J. Fr.), xxxi.
Gellius (Le Proconsul), 67.
Genèse, 225, 227, 547.
Genoude (E. de). 546.
Gerdil (Le P.).
— Dissertatiotis de philosophie et de
religion, 99. i()3. 171, 570.
— Immatérialité de l'ame (T 1, 223, 563.
— Opère, 564.
— Réjlexions sur l'éducation, 563.
— Virtutem politicam, etc., 564.
Gerva (M.), x.\xi.
Gilden (.M.|.
— Oracles of Reason {the}, iyg.
Girardin (C" de).
— Iconographie des œuvres de ./. ./.
Rousseau, lxxiv, lxxix, lxxxvi, 576.
Girardin (M" de), lxv.
Girod, 558. (Cf. Schobinger).
Gohin (F.).
— Langue française du W'IIL siècle
(lai, i5. 327, 576.
Gosselin (Abbé), 546.
Gougy (L.), xc.
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
593
Goujel I Abbé).
— Dictionnaire tie la langue fran-
çaise, 570.
Gournay (M'" de), 349.
Graves (Abbé de), l.
Gréf;oire de Nazianze (S'), 228. 36i (?).
Gresset.
— Méchant Ile), 53i.
— Œuvres. 546.
Grimm (M.).
— Correspondance littéraire. xcii,445,
543.
Grotius.
— Vérité de la Religion, 365. 4o3,
55o.
Gua de Malves, 565.
Guébrianl (C" de), liv.
Guer (J. .\.). 564.
Guérin. xxxv. xxxvi, xliii-xlviii. lui.
i.xxxiv, 541 .
Gueudeville.
— Dialogues de La Hontan, xxii, 553.
— l'iopie. Itrad. d"), xxi. 555.
Guillaume (J.).
— Comité d'Instruction publique de la
Convention, lxvi, 574.
Guy, XLIV. L. LXXVll.
Guyon (.Abbé).
• — Histoire des Empires et des Répu-
bliques, 55. 4o5, 55q.
Haase (.A.i.
— S)-nta.xe française du X\'II' siècle,
237, 3o5. 335. 576.
Haller (A. de).
— Épitre sur la fausseté des vertus
humaines, 43.
— Essai sur l'origine du mal. 3y. 167,
217. 219, 221, 237.
— Poésies, 37, 123, 157, 566.
Harlsœker. 137.
Hégélianisme. 542.
Héliogabale, 245.
Helvetius. xxxix, cm, 75, 98, 445, 53o.
— De L'Esprit, xxxvi-xxxviu, lxiv. 41,
73, 79, 81, 83, 85, 87, ii5, 117, 139,
161, i63. i65. 171, 175, 177, 179, i85.
187, 189, 191, 203,243,247,249,259.
263, 267. 269. 449. 453, 455, 469, 463,
465. 5o2, 5o3, 544, 570, 576.
Hénauli (Le Président), liv.
Henri III. 455, 465.
Henri IV, 455.
Henriot (É.), lxii.
Hérault de Séchelles, lxv. lxvi. 549.
Hercule, 193.
Hippocrate. 65.
Hobbes. 175.
— Opéra philosophica, 546.
— Physique, 173.
Holbach (B" d'), .xxxix, 97, 538, 548.
— Christianisme dévoilé (le), civ, 401.
405, 413, 445, 447. 463, 465, 571.
— Lettres sur les préjugés (trad. des),
loi. 573.
— Système de la Nature, civ, 447, 573.
— Système social, 423, 447, 573.
Holbachiens. Holbachique (parti), xli,
195. 538.
Homère. 507.
— Iliade, 129.
Hondt {de), lxxxvi.
Hoock.
— Censure de l' o. Emile ■», lvi, 572.
Hoop (Le P.). 538.
Horace. 247.
Houdetot (.M" d'), xvii, xxxvii, lvu.
LViii, lxii. 21, 543. 567.
Houteville (Abbé), 41 1.
Huber (.M), en, 443.
— État des âmes séparées des corps,
193, 221, 526. 533. 558.
— Monde fou préféré au monde sage
Ile). 23/, 377. 55g.
— Religion essentielle, 41, 47, 61, 73.
165, 201. 2o3, 211. 283, 3oi, 3o5.
325, 337, 343, 399, 4i3, 415, 433.
435, 437, 533, 56o.
Hume.
— Histoire naturelle de la Religion.
5i. 565.
Hutcheson, 283.
— Recherches sur l'origine des idées,
24y. 247- ^49> 261, 271, 565.
38
594
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
Isaac. ,145.
Isabeau (É. D.), liv.
Ivernois (D') (de Genève). 297.
Lagel (G.), 565.
La Hontan. \\i, 347.
— Dialo^nies. xxii, 43, 195. 363, 367.
553-
Jacquier (Le P.). 93. 561. — Nouveaux voyages, xxii, 553.
Jansen (A.). LakanaL lx, lxi, lxv, lxvi.
— Fragments inédits de Rousseau — Ma/iuscrits de .!. ./. Rousseau, i.xi.
(édit. des), xiii, liv, 425, 539, 543.
Jaucourt (Chev' de).
— Art. « Conscience » de /'» Eiic)'-
clopédie », 532.
Jean (S'). 223. 31 1.
Jean-Baptiste (S'). 439.
Joncourt (E. de). 559.
Joseph (Le Patriarche), 533.
Joseph (Le Père), 385.
Joseph (S'), 405.
Josse (Abbé), 550.
.lournal des Débals. 327.
.Itiurnal Encyclopédique. 135. 221. 317.
407, 52g, 545.
Jupiter, 253, 255,484.
Justin (S'). 463.
Kaempfer (E.).
— Histoire du .lapon, 381, 557.
Keim (A.).
— Heli'étius. 163. 576.
I<.unzi (J.|. VI.
La Barre (L. F. J. de).
— Mémoires pour servir a l'histoire
de la Religion de la Grèce. 255.
Laboulaye (É.), 547.
La Bruyère.
— Caractères (/es), 552.
— Esprits forts (des), g}, 157, 195. 201.
La Chambre (Abbé F. Ilharat de).
574-
Lambercier (Le Pasteur). 5.
La Mettrie.
— • Histoire naturelle de l'dme. 79, 93.
loi, 175, 562.
— Homme-machine (T), loi, 123. 564.
— Œuvres philosophiques, 537, 546.
— S)\<ttème d'Epicure, 127.
Lami (Le P. B.|, civ.
— Dernières paroles de S)nèse à
Eugène, 441.
— Entretiens sur les sciences. }}. 57.
551-
— Morale chrétienne. 237. 247, 2}^.
554-
La Mothe le Vayer.
— Vertu des païens (de la), 381. 395.
399, 405. 407, 550.
Landrieux. lxv.
Lanson (G.), vn.
— Documents sur la condamnation de
Rousseau, xl. liv, lvi, 576.
— Esprit philosophique en France
avant iy5o (l'i, 549, 557, 558. 559,
563. 5655 57^5 S77-
— Lettres philosophiques ledit, des).
63, 67.
Landoueix (H. de), 546.
La Rive (De).
— Psaumes en vers français, 213,
555-
— Véritable Religion (la), 253, 365, La Rochefoucauld, 263.
560.
La Chapelle {,\. Boisbeleau de). 557.
Lâchât (F.), 546.
La Condamine, 85. 475.
— Voyage dans l'Amérique méridio-
nale, 83, 85. 562.
Lactance. 463.
— • Institutions divines, 443.
Làssay (M" de)
— Recueil de différentes choses. 429.
556.
Laserre (Le L'), 562. (Cf. Burnel, Saint-
Évremond et VExamen de la Reli-
gion).
Lavorel (Abbé J. M.).
— Cluses et le Faucigny, xxxi. 575.
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
595
Le Beau (C.|.
— Voyage en Amérique septentrio-
nale, 385, 560.
Le Blond (J.), 555.
Le Cène (Ch.).
— Entretiens sur dii'erses matières de
théologie, 61, 71, 552.
Lecestre (L.), 547.
Le Charron (P.) (= Charron), 549.
Lee 1ère (J.).
— Ars critica. 327. 555.
— Bibliothèque choisie, 65, 103, 544.
— Bibliothèque universelle, 299, 544.
— Dissertations, 550. (Cf. Grotius).
— Entretiens sur diverses matières de
théologie, 61, 71, 352.
— Sentiments de quelques théologiens,
227,4^7, 552.
Ledos (G. E.).
— Catalogue des ouvrages de .1. J.
Rousseau, lxxvi-lxxvii, 577.
Lefranc (A.), 573.
Lefranc de Pompignan (J. G.), 451.
— Philosophie des incrédules moder-
nes (la). 375, 389, 421, 573.
Lefranc de Pompignan (J. J.)-
— Discours à l'Académie française,
20K 449. 547, 571.
— Prière universelle (la). 201, 571.
(Cf. .Morellet et Pope).
Legrand.
— Censure de /' « Emile », lvi, 572.
Legrand (L.), lxxiv.
Le Jeune (P.), 403, 550.
Leibniz, 181.
— Théodicée, 199, 554.
Le .Maître (N'.|, 251.
Lenclos (Ninon de), 538.
Léonidas. 409, 475.
Le Roy (R.), vi.
Le Seur (Le P.), 95. 561.
Lesser.
— Théologie des insectes. 135. 562.
Le Sueur (J.).
— Histoire de l'Église et de l'Empire,
43- 551-
Leszczviiski (Le Roi Stanislas), 465.
— Entretien d'un Européen, x\i\\ 568.
— Œuvres du philosophe bienfaisant,
546.
L'Étang (Abbé de), xiii.
Letonnelier (G.), vu.
Lettres de M. l'Abbé de*** à M. l'Abbé
Houteville, 411.
Leucippe, 127.
Leuwenhoeck, 137.
Levasseur (Th.|, lxi, lxv.
Leveson (C*** de).
— Emile chrétien, lxxxiv.
Lignac (Abbé de).
— Éléments de métaphysique. Si. \jij,
181,567.
— Examen sur «.L'Esprit ■», Si, 163,
183, 187, 570.
— Témoignage du sens intime, 71.0;,
181, 183, 227, 303, 565, 570.
Linguet. 451.
— Fanatisme des philosophes (le), 469,
573-
Linus, 299.
Liomin (Le Pasteur).
— Préservatif contre tes opinions er-
ronées, 221 .
Littré (Ê.).
— Supplément au Dictionnaire de ta
langue française, 327.
Locke, 53, 171, 181, 476, 503, S17. 53",
563, 570, 577-
— Christianisme Raisonnable (le), 345,
- 552.
— Essai sur l'Entendement humain,
77, 89, iij, 117. 173, 187, 245, 249.
259, 269, 528, 553.
Lombard (E.), %'i.
Long (P.).
— Lettres de Rousseau à Néaulme et
Duchesne (édit. des), 544.
Longueil (de), lxxiv.
Lozeran de Fiesc (Le P.), 97, 99.
Luc (S'). 201, 425, 439, 536.
Lucrèce, 175, 247, 255, 476, 484.
Lufneu (J.).
— Théologie physique (trad. de la|. 556.
Luthériens, 455.
596
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
Luxembourg (M" de), xui. xlix, liv,
Luxembourg (M'" de), xli. xlii, xliii.
XLvm, .XLIX, L, LU, LUI, lxi, 235.
Lyonnet (P.).
— Théologie des insccles (irad. de la|.
562.
Mably (M. de), 530.
Macdonald (Fr.).
— Légende de ./. ./. Rousseau rectifiée
IlitI, 574. 57f>-
Mahomet, 365, 367, 377, 379,455-
Mahométans. 379, 476.
Maillet (B. de).
— Telliamed. 123, 125. 225. 564.
Malebranche, en, 81, 557.
— Entretiens sur ta métaphysique,
201, 211, 223, 225, 227, 552.
— Œuvres complètes. 546.
— Recherche de la vérité, 87. 90. 1(17,
551-
— Traité de Morale, 279, 2S1. 551-
.Walebranchistes, 81, loi, 201.
Malesherbes (.M. de), xix, xl-liv, lxxx,
193. 229, 245,433,461, 541, 543, 544.
« Maman ■■^ cf. .M"" de ^^'arens.
Mandeville. 41 .
— Fable des abeilles (la/, 561.
— ■ Origine de la rertu »i07-a/e, 253,255.
— Recherches sur la société, 259.
Manichée. 559.
Marc (S'), 201. 425.
Marcet (L A.}. 2}.
Marie (La Vierge). 387, 405.
.Marivaux.
— Effets surprenants de la sympathie
(les), XXII. xxiii, 555.
— Indigent philosophe (l'i, 57, 59. 215.
557-
— Spectateur français (le), 51, 257,
557-
Marot (CL).
— Psaumes de Dai'id. 213.
.\\arocco (i\L).
— Cronistoria délia Arciconfrater-
nita dello Spirilo Santo, xxviii, 575.
Martin (Curé de Deuil), xiii. liv.
Martin (J. A.]. 413. 543.
.Martin (P. E.), vu.
Massé (J.), cf. Tyssot de Patot.
Masson (P. Maurice).
— Annotations au lirre « fie [^'Esprit ■»
(édit. des), 544.
— Comment connaître Jean-.lacques.
cm, 429, 577-
— Mme d'Èpinay, Jean-Jacques... et
Diderot che^ Mlle Quinault. xi, xii,
530. 534, 536, 578.
— (Questions de chronologie rous-
seauiste. xiv, xxv, xl. xliii, 530, 578.
— Religion de J. J. Rousseau (la), x.
— Rousseau a l'hospice du San-Spi-
rilo, xxvii. xxviii, 526. 578.
— Rousseau contre Helvetius, xxxvii.
73. 161, 570, 576.
— Rousseau et Morelly. xxxvii, 215.
S(>7, S77-
— Sources de Rousseau (sur les).
XXXVIII. civ. 4115, 559. 577.
.Matthieu (S'i. 411, 425, 439, 525.
Maugras (G.).
— Voltaire et ./. ./. Rousseau, xi,. xlv.
XLIX, 541, 543, 575.
Maugurier (La C""'). lx. lxv.
Maunoir (J. P.), xcii.
Maupertuis, 181,449.
— Essai de cosmologie, 117. 125. 565.
— Essai de philosophie morale, 529.
565.
— Essai sur la formation des corps
organisés, 93. 103, 179, 566. (Cf.
Baumann).
— Œuvres, 546
— Système de la nature, 175. 566.
— Vénus Physique, 137, 562.
Maydieu (.\bbé), xciv.
Meaux (M. de), cf. Bossuet.
Médard (S'). 331.
Meister 1 H.), 571, •,/}.
— Correspondance littéraire. 545.
Mellarède (C" de), xxix, xxx. 11,25,419.
Mémoires concernant la théologie et
la morale, 558.
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
597
Mémoire de l'Académie des Inscrip-
lions, 255, 299. 544.
Mercier (S.). 15, 541.
Mercure de France, 397, 544.
MériarKJ. B.), 565.
Meslier (l-e Curé).
— Testament de Jean Meslier, 325,
329, 357, 401,415, 572.
Mesnard (P.), 547.
Michaut (G.), vu.
— Poésies choisies de Sainl-J'arin
(édit. des), 397.
Militaire philosophe (le), civ, 307. 317,
319, 323. 413. 453, 459, 557- (Cf.
Naigeon).
.\lirabaud. ~,7}.
— Lettre à M*** sur les Juifs, 379.
Mirabeau (M" de). 435, 449, 469.
— .4»)! des Hommes (/'), 53, 279, 471,
569.
Moise. 32i, ii^y. ;3-- vv- 4'i>- 4'>-
525, 561.
Moland (L.), 547.
Mollerives (J ), vi.
Monconys.
— Voyages. 327. 550.
Monsiau (N.). 542.
.Montaigne, civ. 41. 257. 259. 261. 317,
363, 485, 577.
— Apologie de Raymond Sebond, 11.
— Essais. 229. 255. 250. 313. 315. 549,
568.
.Vloniesquieu, 417.
— Esprit des lois, 453. 463, 465 , 469, 564.
— Œuvres complètes, 547 .
.Moreau (J. N.).
— Souveau Mémoire sur les Cacouacs,
103, 41.9. 533. 569.
.Moreau le Jeune (J- M-)- -^ci.
.Morel (.J.). 563.
— Sources du « hiscours de l'Inéga-
lité », 554. 567.
Moreliet.
— .4)"/. & Foi ■» de t' « Encyclopédie ■<•,
371- 393-
— Prière universelle (la/. 201. 571.
(Cf. Lefranc de Pompignan et Pope).
•Morelly, x.xxvii, eu, 215, 221, 545.
— Basiliade ou les Iles flottantes, .xxiv,
XXXVII, 215, 217. 567.
— Code de la Nature, 211. 445, 531,
568.
.Morin (G. H.).
— Essai sur J. J. Rousseau, xli. i.xv,
.v5-
— Manuscrits de J. J. Rousseau (Note
sur les), Lxv, 575.
.Morize (A.).
— « Candide » de Voltaire (le), 531.
.Mornet (D.), vu.
— Sciences de la Nature au X VIII ■ siè-
cle (les), 115, .135. ^57, 577-
— Texte de la « Nouvelle Héloise r>
lie), LXXiii, 63, 576.
.Morus (Th.).
— • Utopie (l'i. XX, xxi. 555.
.MoultOU (G.), LXIII, LXIX.
.MoultOU (P.), XLIII, XLIV, XLVII. XI.Vlll.
I.-LIII. LXIII. LXVir, LXIX-LXXU, LXXVIl,
LXXIV, C, ex, 23, 211. 431, 451. 500.
533- 571-
.Mugnier (F.).
— M"" de Warens et J. ./. Rousseau.
xxix-xxxi. 41 . 575.
.Murait (Béat de).
— Instinct divin (F), 57. 241, 273, 395,
556.
— Lettres fanatiques, 57, 61. 241. 275,
407, 417- S34> 560.
— Lettres sur les Anglais, xxv, 556.
— Lettre sur l'esprit fort, xxv, 556.
— Lettre sur les voyages, 527, 528,
531- .S 34-. y?<^-
Naigeon (J. .\.). 542, 557. (Cf. Le Mili-
taire philosophe).
Nassau-Saarbruck (P"" de), 536.
Néauime (J.). xlii, xlvi, xlvii, lu, lui,
LXVII, LXXIIl, LXXXV-XCII, CVUl, 544.
Néron, 245. 329-
.Neufville (L. de). 554.
Newton, cviii, 53, 105, 107, 109. 135,
137, i39<435- 530, 560, 562.
— Principia mathemalica, g}, 561.
S98
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
Nieuweniyt (B.).
— Existence de Dieu {l'i, 97. 1 55.
476, 556.
Nourse, lxxxvi.
Obert (A.i. 576.
Offreville (D"), cv. 281, 538.
— A musemem: variés, b'iS.
Olivet (Abbé d"), 411.
Oromaze (^ Ormazd), 331.
Orphée, lxxiv, lxxx, 299, 301, 476.
Ovide. 247.
— Métamorphoses, 169.
Palissot (Ch.), 536.
Panckouke (Ch. J.).
— Homme et de la reproduction (de
O, 139-
Paolo (Fra). 421.
Paracelse.
— De natura rerum. 131. 476.
Paris (Le Diacre), 331. '
Parison, 574.
Parisot. 287.
Pascal. 55, 183-, 461.
— Pensées, 93, 107, 335, 529, 550.
Pasquier (J. J.), lxxiv.
Paul (S'I, 393.
— Actes, 22^^. 225.
— Épitre aux Corinthiens, 558.
— Èpitre aux Romains, 169. 231. 379.
Pellet (M.).
— Manuscrits de ./. ./. Rousseau (les),
545, 576.
Perdriau (J. 1, 215.
Perroud, xxxi.
Petitain (G.).
— Œuvres de Rousseau (édit. des).
LXll. LXV, XCV, 542. 574.
Petitpierre (Le Minisire F. L.|. 221.
Petiipierre (Le Procureur), 343, 533.
Pharaon. },t,}„ 335, 476.
Philopolis (= Charles Bonnet), 554. 567.
Philostrate, 413.
Phraate, i.xxx.
Pictet (B.).
— Psaumes de David, 213, 255.
— Théologie chrétienne, 425, 553.
Pie VI. Lvi.
Pierre (S'), 391, 528.
Pierre le Grand, 327.
Pionnier (C). vi.
Plan (P. P.).
— J. ./. Rousseau et Malesherbes, xi,.
54'- .^44-
Platon. 476, 525. 553.
— Criton, 405.
— République, 403. 405, i,2i, 553.
Platoniciens, 1 17.
Pline (l'Ancien), 139.
Pluche (N. A.).
— Histoire du ciel, 65. 105, 561.
— Ro'ision de l' <.< Histoire du ciel ».
71. 561.
— Spectacle de la nature (le), 61, 123,
i37, 139. 155. 159. 237- 247, 253.
257, 285, 307, 365, 558.
Pluiarque, 153, 245. 476. (Cf. Amyot).
— Contredits des philosophes sto'iques.
359-
— Moral ia, 549.
^ Qu'on ne saurait vivre joyeu-
sement selon la doctrine d'Epicure.
205.
Poinçot. Lix, Lxi. xciv. 473.
Pope.
— Essai sur l'homme, 157. 199.
557-
— Œuvres complètes. 547.
— Prière universelle, 199, 201, 571.
(Cf. Lefranc de Pompignan et Mo-
rellet).
Porphyre, 41 1.
Portland (D"" de). 395.
Prades (.\bbé de).
— Apologie, II, 566.
Prévost (Abbé). 566.
— Cleveland, xxiii, xxiv, 558.
— Œuvres choisies, 547.
Priam, 249.
Promethée, 131.
Protée, 279, 477.
Psaumes, cil, 13, 213, 519. 555. {Cf.
Bèze. Calandrin. La Rive. .Marot.
Pictet).
INDKX OKS NOMS PROPRES ET DES ŒIVRES
599
Pufendorf. 531.
— Devoirs de l'homme et du citoyen
(les). 271, 554.
— Droit de la nature et des gens (le),
-i/f 255, 257, 554.
Pury (D. de). 533.
Pyrrhoniens. 257. 259.
Pvrrhus. 249.
Pythagore. 4<k). 41 1.
Quérard (J. .\1.|.
— France littéraire, 546, 557.
— Notice bibliographique sur ./. J.
Rousseau, l.xi. 574.
— Supercheries littéraires, 562.
Quinaull (.M'"). .\i. 534, 536.
Racine.
— Cantiques spirituels. 169, 530.
— Œuvres complètes, 547.
Racioz (Fr.), x.\.\i.
Rameau (J. P.). .\liii.
Ray (J.)
— Existence et la sagesse de Dieu /l'i,
61. 135. 137. 555.
Raynal (Abbé Th. G.). 545.
— Correspondance littéraire. 545.
Rebord (Chanoine), vu, .\.xx, x.xxii.
Réclamation ou Déclaration de la
Compagnie des Pasteurs de Genève.
x\. 213. 221.
Regnault (N. F.). 54.
Régulus, 263, 376.
Reich, Lxxxvii. lxxxvim.
Renan (E.), 403.
Renou (= J. J. Rousseau), 514. 526.
Reuchlin. 373. 375 > 4/6.
Rev (.M. M.), XLi, XLiv-xLvni. li, lu.
LXXI. LXXXl, LXXXIl. I.XXXIV-LXXXVII.
Lxxxix-xci, civ, 337. 541. 542, 571.
Riboie. 431. 542.
Richardson.
— Clarisse Harlowe, 407, 566.
Richelet (P.).
— Dictionnaire de la langue fran-
çaise. 407, 566.
Ricotier.
— Existence de Dieu, de Clarke (irad.
de I'), 67, 556.
Riiier (E.). vu, 572.
— Correspondance de Rousseau avec
L. L'steri (édii. de la). 544.
— Famille et la jeunesse de J. J. Rous-
seau (la), XI. xiv. 383. 385, 576.
— Lettres à .J. A. ^Martin (édit. des),
543-
— Lettres à Sophie (édit. des), lvmi.
479, 540, 543.
— Manuscrits de J. ./. Rousseau, i.xix,
Lxxii. 575.
— Rousseau et M"" d'Houdetot, i.viii,
543-
— Rousseau et Marie Huber, 560.
— Rousseau et Vernet, 347, 575.
— Rousseau, Sotes diverses, 203, 575.
Robert (Ch.). vi.
Robinet.
— Nature (de la), -/i, 93, 103. 211,
227. 283. 445, 570.
Rocca (Fr. Ch.), xxvni.
Roche (Le P.).
— Traité de la nature de l'âme, 81.
26c). 570.
Rochebilière (.A.), i.xxvi. 575.
Rochette. 431, 54-'
Roguin (D.). 544.
Rollin iCh.).
— Histoire ancienne. 65. 407, 557.
Roques (J. E.).
— Tableau des beautés de la Sature
(irad. du). 526, 530, 569.
Rothschild (H. de).
■ — Lettres de Rousseau à M"" Boy de
la Tour (édit. des). 543.
Rousseau (P.).
— Journal Enc\clopédique, 545.
Ruppelmonde (M"' de). 558.
Sabatier de Castres (Abbé).
— Trois siècles de la littérature fran-
çaise, 161. 163, 573.
Sadeur (.Mr.), xxi, 541. (Cf. Foigny et
Terre australe).
6oo
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
Saint-Aubin (I.egendre, M" de).
— Traité de l 'opinion, civ, 57. 61.65,
97, 101. 131, 157, 163, 165, 173, 179,
217, 253, 255, 261. 327, 373, 405» 407.
409. 411, 453, 559.
Sainte-Marie |M. dei, 554. 556. 558.
Saint-Évremond. (Cf. Burnet, Laserre
et Examen de la Religion).
— Œuvres, 547.
— Usage de la rie (de l'i, 63.
Saint-Germain (De), 263.
Saint-Hyacinthe.
— Mémoires concernant la théologie
et la morale, 558.
Saint-Lamhert, xvii. 530.
Saint-Pavin.
— Poésies choisies. ^Qy.
Saint-Pierre (Abbé del, 45, 421.
— Agaton, x.vv, m, 536.
— Gouvernement intérieur de l'État,
536.
— Observations politiques sur le céli-
bat des prélres, 43.
— Ouvrages de morale et de politique,
547-
Saint-Simon.
— Mémoires. 457; 547.
Sallier (Abbé), 548.
Samuel, 327.
Satan. 299.
Saturne. 159. 252, 255.
Saumai.se (.M. de). 377.
Schelle IG.).
— Œuvres de Turgol (édit. des),
547-
Scheuzer (G.). 557.
Schiff(.\l.).
— Editions et traductions italiennes
de Rousseau, xcviii, 576.
Schinz [A.].
— * Profession de foi du Vicaire Sa-
voyard •* et le livre «. De L'Esprit »
(la), .xx.xvii. 161. 577.
— Question du '.-. Contrat Social » (la).
.XL. 577,
Schley (J. van der). lxxix, lxxx, lxxxiii,
LX.XXVI.
Schobinger (V *). 558.
Scipion, 413.
Scott (D').
— 'Vie chrétienne (la), 21/.
Seigneux de Correvon (G.). ^4^.
564.
Sénèque, lxxiv, 59, 443.
— i^uœstiones Naturales, 103.
Serand (J.), vu, xxxi.
Servois (G.).
— Œuvres de La Bruvère (édit. des),
Sévigné (.M"' de), 261.
Shaftesburv.
— Essai sur le mérite et la vertu, 93,
199. 205, 303, 563. (Cf. Diderot). ^
Sharp (D'i. 343, 417.
Silhouette (E. de).
— Essai sur l'homme (traJ. de l").
557-
— Union de la Religion, de la Morale
et de la Politique (adapt. de P). 461,
562
Simon (Le P. R.). 227. 240. 417.
55^-
Sirius. 127.
Socrale. xiv, cv, 245, 251, 263, 405,
407, 409, 411. 413, 421, 477, 522,
523. 524, 525, 555. 566. 570.
573-
Sophronisque. 405.
Sorbières (S.). 555.
.Souchay (Abbé).
— Hymnes des anciens (les), 299.
— Sectes philosophiques (les), 53.
Spectateur fie), cf. .'\ddison et Steele.
Spinoza. 67, 95, 209, 257.
Staél lA. de). 547.
Staël (.M- de).
— Littérature (de la), cv.
— Œuvres complètes, 547.
Stahl, 99.
Stahliens (les). loi.
Steele (R.).
— Spectateur (le), 555. (Cf. .-Vddison).
Stoïciens. 359.
Straton. 6;.
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
60 1
Streckeisen-Moultou (G.).
— Rousseau. Œuvres inédites (édit.
des), i.xix, i.xxii, 540, 542.
— Rousseau, ses amis et ses ennemis
(édit. de), xi.ii. xliu. lxix, 541.
54.'.
Streckeisen-Moultou iM ' G.), lxix,
575-
Strowski (F.).
— Essais de Montaigne (édit. des),
549-
Sulzer (J. G.).
— Tableau des beautés de la nature,
526. 530, 569.
Tannery (P.).
— Œuvresde Descartes [éA'xl. des). 546.
Temps Ile), xl. lsii.
Terrasson (Abbé).
— Philosophie applicable (la), log,
492, 568.
— Sethos, xxiii, 558.
Terre australe connue (la), cf. Sadeur
et Foignx .
Thersile. ig.
Thomas {A. L.), 115.
Thomas (L.).
— Dernière phase de la pensée reli-
gieuse de Rousseau lia), xiv.
575-
Thomas (S'), 391, 393.
Thomas dWquin (S').
— Opéra omnia, 547.
— Quœstiones disputatœ, 391.
— Secunda Secundœ, 391, 425.
— Veritate Ide), 391.
Thompson (J.).
— Socrate (soi-disant traduit de T.
par \'oltaire). 570.
Tibère, 413.
Titus, 522.
Toland.
— Lelters lo Serena. loi, 113, 447,
565.
— Lettres philosophiques. loi, 447,
373-
Tollot (J. B.). 545. 564.
Toussaint (F. V.).
— Éclaircissement sur les Mœurs,
.^93,4^7. 5.34, 536, 564, 571.
— Mœurs (tes), 43, 197, 221, 225, yx),
311, 34i,429> 435.443. 564-
Tourneux (M.), 75, 545, 546.
Trajan, 251.
Tronchin (J. R.), xxvi. i.v.
Trubiet (Abbé).
— Formation des corps organisés (édit.
de la), 566.
Tscharner (B. V.), 569.
— Poésies de Haller (trad. des). 5^).
Turgot.
— .Art. « Êtymologie », de l' «. Ency-
clopédie ■» (?), 529.
— .\rt. « Existence •», de l' 1. Encyclo-
pédie » ^?), ^29.
— .Art. « Expansibilité », de /' « En-
cyclopédie » (?), 329.
— (Euvres, 547.
Turpin de Crissé (C").
— ' Lettres sur l'éducation, 461, 571.
Turretin iJ. .A.l.
— Pensées sur la Religion, 61, 123,
139, 231, 561.
— Vérité de la Religion chrétienne.
561. .
Tvssol de l^aiot (S.).
— Vovages de Jacques Massé, xxii.
211. 311. 329. 339. 347. 554.
Usteri (L.), 544. 569.
Usteri (P.), 544.
Vairasse iD.).
— Séi'arambes (les), xxi, 207. 209. 421,
551- 554-
Vallelte (G.),
— Rousseau Genevois, xi. xxvii. 577.
Vaugelas, 1 3.
\'auvenargues. 17.
— -Amour de soi, 165.
— Connaissance de l'esprit humain.
563.
— • Conseils à un jeune homme, }ii.
— Réflexions et maximes, 165. 277.
602
IXDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES
Vénus, i.v, 484. 562.
X'ercellis (M°" de), x.xx, 7, 9.
Verdelin (M'" de), li. 542.
Vernes (J.). xxvi. xxxvi. xxxvii. 15, 23,
65, 129, 161, 177, 211, 215, 219,
253, 25s, 297. 395, 403, 471, 532,
562.
\ernet (J.l. lxxxiv. civ, 347, 575.
— Instruction chrétienne, 43. 95. 123,
237, 253. 3"- 399- 403- 423- 535?
538, 568.
— Lettres d'un l'oyageur anifidis. civ.
213. 449. 459, 537. 571.
— Utilité d'une Révélation ide 1'),
309.
— Vérité de la Religion chrétienne,
. 249, 307- 331, 335. 405- 407. 409,
411,435. 554, 561-
Vertot (Abbé de). 127.
Viénot (J.).
— Rousseau et Malesherbes, xi,.
\illenave (G. Th.), 542.
N'illeneuve-Guibert (C" G. de), 543.
\'illey (P.).
— Influence de Montaigne sur Rous-
seau, 259. 577.
Vincent, 541.
Virgile, 507.
\'iridet (M.).
— Documents sur la condamnation de
r « Emile », lv, 575.
Voiland (M""). 534, 538.
Voltaire, xvii, lv. lxxxvii, cv, 57, 99,
115. 121, 129. 159, 163, 167, 193,
'95- 197, 199, 219. 379. 387, 397,
399, 431, 451- 457- 541- 543. 557.
563, 568. 569, 575.
— Cabales (les), 67, 123.
— Candide, 531.
— Catéchisme de l'honnête homme {le),
xcvi.
— Contes. 347.
— Correspondance, 411. 536, 545.
— Dialogues chrétiens, 347.
— Dialogue entre un Brachmane et
un Jésuite, 347.
— Dictionnaire philosophique, 6j, 377.
— Discours sur l'homme, 157. ^6o.
— Eléments de la philosophie de New-
ton. 53, 107, 139, 560.
— Epitre à l'ranie, 41. 341. 387,
558.
— Essai sur la nature du Jeu et sur
sa propagation, 97, 560.
— Essai sur les mœurs, 381. 569.
— Henriade (la), 129.
• — Histoire de .lenni, 135.
— Homélie sur l'inspiration du Nou-
veau Testament, 405.
— Homme aux quarante écus (T 1, 137.
— Intolérance a été enseignée par
.lésus-Christ (si /'), 405.
— .lui/s (des). 377, 379.
— Lenclos (sur A/"' de). 538.
— Lettres philosophiques, 53, 63. 65,
67. i^i, 173, 347, 553. 559.
— Loi ou Religion naturelle (la),
169. 251. 257, 261. 271. 273. 317.
395. 56c,.
— Mélanges de littérature, d'histoire
et de philosophie, 377.
— Notes sur /' « Existence de Dieu »
de Nieuwentyt. 135.
— Notes sur la « Profession », 45, 51,
53. 55- 59. 67- 73, 83. 87, 89, 91,
93, 329, 331. 337- 34'! 3^7' 403. 409-
411, 413. 415, 419, 421. 425, 441.
447. 455. 469, 471, 572.
— Œuvres, 377.
— ■ Œuvres complètes. 547.
— Philosophie de Newton, 53, 107.
— Poème sur le désastre de Lisbonne,
65, 569.
— Pour et le Contre (le), cf. Epitre à
L'ranie.
— Prix de la justice et de l'humanité.
135.
— Profession de foi des théistes,
405.
— Sentiments de .lean Meslier, 401.
i7--
— Sermon des cinquante. 357, 379, 672.
Voltairiens (les), 457.
Vonone, i.xxx.
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES 603
Warburton. XénoCrate, 255, 484.
— Union de la Religion, de la Xénophon, 525.
Morale et de la Politique, 453.
461, 562. Yvon (Abbé).
Warens (Mme de), x, xxix, xxx, xxxr. Apologie de l'Abbé Prades, 566.
15. 41, 215, 295, 323, 547, 575. Art. « Athées * de l' «. Encyclo-
W'eidmann (G.|, lxxxvii. pédie », 153, 453, 455.
W'ollaston. Young (E.), 451 .
— Religion naturelle (de la), 129,
556. Zenon. 519.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
AVANT-PROPOS. v
INTRODUCTION. ix
r P.\RT1E. CO.MPOSITION ET PI'BLICATION DE LA « PROFESSION DE FOI ». I.\
Chap. I Les premières esquisses de la «■ Profession » dans
l'œuvre de Rousseau. i.\
Chap. Il Le choix du cadre et les souvenirs personnels. xx
§ I Les précurseurs de Jean -Jacques dans la
fiction théologique. xx
S 2 La « Profession » et les » Confessions ». 'xxvi
Chap. III La Rédaclion et les suggestions contemporaines. xxxiii
Chap. IV L'impression et la condamnation. xl
il" Partie. Histoire or texte : .\L\nuscrits et Principales éditions. lviii
Chap. I Manuscrits. i.viii
§ I Le .Manuscrit corrigé des V et \ T <^ Lettres
à Sophie ». lviii
S 2 Les « cahiers » de brouillons. lix
I 3 .Manuscrit Favre. lxii
§ 4 Les « Additions ». lxiv
§ 5 .Manuscrit du Palais-Bourbon. lxv
§ 6 La copie destinée à l'impression. lxvtii
§ 7 Copie envoyée à Moultou. i.xix
Chap. II Principales éditions. lxxiii
g I L'édition originale. lxxiii
§ 2 L'édition de Néaulme. lxxvi
§ 3 L'édition « chrétienne » de Former. lxxxi
S 4 Autres éditions et contrefaçons sous la date
de 1762. Lxx.Mv
§ 5 L' « Emile » du vivant de Rousseau : Éditions
postérieures à 1762. lxxxix
§ 6 L'exemplaire corrigé et l'édition de Genève. xcii
§ 7 Principales éditions revues sur les Manuscrits. xciv
S S Éditions séparées de la * Profession de foi ». xcvi
6o6
TABLE DES MATIERES
Iir Partie. Méthode de la présente édition.
Chap. I Partie crilique.
Chap. Il Partie liistorique.
Chap. III Explications préliminaires et signes conventionnels.
% I Côté de r & Édition originale «.
S 2 Côté des « Rédactions manuscrites ».
Pages
XCVlll
XCVlll
cm
cvi
cvi
CVII
■PROFESSION DI-: FOI DL' VICAIRE SAVOYARD, Publiée sur une
copie écrite de la main J . J . Rousseau, Citoyen de Genève et
déposée par lui-même entre les mains de l'éditeur.
Prolooue.
1 Le Prosélyte et le \'icaire.
2 L'Apostolat du Vicaire.
3 Le Rendez-vous.
2
i6
32
r i^ARTiE. La Religion naturelle. 3S
1 La Confession du Vicaire. (S3
2 A la recherche de la Vérité. 46
3 Méthode à suivre. ?S
4 La pensée et son activité. 70
5 La matière et le mouvement. 92
6 La Nature et l'intelligence ordonnatrice. 120
7 La place de l'homme dans la Nature. i52
S Le problème du mal et la liberté. 164
9 Les sanctions réparatrices et l'immortalité de l'âme. 198
10 L'idée de Dieu. 220
1 1 Le passage de la métaphysique à la morale : La Conscience. 23o
12 La vertu et le bonheur. 274
11' Partie. La Révélation. 298
1 La Religion naturelle et les Religions révélées. 298
2 Critique de l'idée de révélation. 3j2
3 La raison et la foi. 342
4 Difficultés pratiques. 358
5 Les grandes religions européennes. 364
h La Révélation et le problème du salut. 378
7 La Révélation chrétienne : Beautés et objections. Doute
respectueux. 3g6
8 .Attitude finale : Tolérance et conservatisme pratique. 4i5
TABLE DES MATIÈRES 607
Pages
Conclusion. 43 j
1 Religion personnelle et Religions traditionnelles. 43 1
2 Danger de la philosophie; nécessité de la Religion. 440
Table des Matières de la «. Profession de koi » (dressée par
Rousseau ?). 474
APPENDICES. 479
I CiNQlIÈ.ME ET Sl.XIÈME « LETTRES A SoPHlE ». 479
.A Lettre 5". 480
B Lettre 6. 490
Il Pages inédites de l' «. Emile ». 499
A [Comment s'acquiert l'idée de Dieu]. 5oo
B [La genèse de l'idée de « substance >»]. 5oi
III Fragments inutilisés de la « Profession de foi ». 5o5
l\' .Maxi.mes e.xtraites par Rousseau de la « Profession de foi ». 5o8
V Lettre à i\L de Franquières (17691. 5i3
VI .Additions et i.orrections. 526
BIBLIOGRAPHIE DES OUVRAGES CITÉS DANS L' « INTRO-
DUCTION ^v ET LE « COMME.NTAIRE ». 539
LISTE DES TEXTES INÉDITS CITÉS OU UTILISÉS DANS LA
PRÉSENTE ÉDITION. 579
I Rousseau. 579
Il .\utbes textes. 58o
6o8 TABLE DES MATIÈRES
Pages
INDEX GRAMMATICAL, ORTHOGRAPHIQUE ET SÉMANTIQUE. 583
INDEX DES NOMS PROPRES ET DES ŒUVRES. 585
TABLE DES MATIÈRES. 6o5
TABLE DES PLANCHES
1^1. I Fac-similé du premier Brouillon de la « Profession de foi » en regard
(Manuscrit Favre) : cf., dans cette édition, pp. 392 sqq. du titre
PI. II Id. : cf., dans cette édition, p. 62 sqq. 64
Fribourg, Suisse. — Imprimerie Saint-Paul.
C^Mavrwnsi*
Bibliothèques
Université d'Ottawa
Echéance
Libraries
University of Ottawa
Date Due
,12 FEM. 19Sb
UFEM.^996
OCT 1 7 1995
SEP 2 6 1996
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UÛV Z 1 1997
J0N22 1999
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