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Full text of "La question du Maroc"

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WWW^^W- 



THÈSE 



LE DOCTORAT 









La Faculté n*entend donner aucune approbation ni 
iniprobation aux opinions émises dans les thèses ; ces 
opinions doivent être considérées comme propres à 
leurs auteurs. 



^^■'S*^*^- — -i^'^jak .„-.-. •"■ 



v-^ 






FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITE DE PARIS 



LA (LC 



QUESTION DU MAROC 



THÈSE POUR LE DOCTORAT 

Soutenue le mercredi 22 Juin 4904, à 8 h. 4/2. 
PAR 

R. BOURASSIN 



Président : M. ESTOUBLON, professeur. 
s„/r^«^»«^e . i ^- LESEUR, professeur. 
Suffragants: | m. PERREAU, aU^e. 



PARIS 
A. PEDONE, ÉDITEUR 

LIBRAIRE DE LA COUR d'aPPEL ET DE l'oRDRE DES AVOCATS 

13, Rue Soufflot, 13 

1904 



BIBLIOGRAPHIE 



Bulletin du Comité de l'Afrique française. 
Années 1901 à 1904 ; janvier-avril 1904. — Articles concer- 
nant le Maroc et le Sud-Algérien. 

Revue politique et parlementaire. 
10 juillet 1901. — La question du Maroc (Lorin). 
10 janvier 1903. — Nos frontières de l'Afrique du Nord (R. 

Millet). 
10 août 1903. — La politique française au Maroc (Pène- 

Siefert). 
10 janvier 1904. — La pénétration pacifique et le Maroc 

(C. Sabattier). 
10 février 1904. — L'œuvre de la France au Maroc. 
10 mars 1904. — France et Angleterre. Sir Charles Dilke 

et l'entente cordiale (Jean Darcy). 

Archives diplomatiques. 

Mars 1903. — Discussion des interpellations sur la poli- 
tique extérieure. 

Avril 1903. — Protocole du 20 avril 1902. 

10 juillet 1901. — Evolution de la question marocaine (A. 
Bernard). 

Revue des questions diplomatiques et coloniales. 
1897. — Cinquante ans de politique anglaise au Maroc 

(B. d'Attanoux). 
15 janvier 1897. — La frontière marocaine et Figuig (Man- 

deville). 
— La situation politique à la frontière marocaine (H. 

Pensa). 
15 juin 1897. — Notes sur le Maroc (C*® de Couronnel). 
15 août 1897. — Lettre d'Algérie. 



- 6 - 



!<»' d^cenibre 1897. — Les piralt's du Hi(t. 
l" scpteoibre 1898. — L'Anglelerre au Maroc (Usborné). 
1*"* déceoibre 181)8. — La Franco el le slaiu t/rio iimrueaiiî. 
l^r février 1899. — L'Algérir iiiéridioiiak* el le T<»yaL (Miin> 

devilîe). 
15 novembre 1899. — Le Maroc français (L. Kryszunowski). 
1"' janvier 19414. — Discours de M. Del cassé au Sénat. 

— nenseiiriienienLs pulili<îues. 

— Chemins de fer de Tleiiicerj n la tri^tiUère marocaine. 

Grande Hevtn' 
Juillcl-seplenjlire I9(t3. ^ Le Maroc inconnu (M. Lanii), 

lie vue de Paris, 

15 janvier 1891. — Lettres du coniniandant Lauiy à El 

Golcaîi. 
l" février 1891. - Le Snllaii du Maroc. 
15 février I89L — Le Marne (V. Bérard). 
15 octobre 1903. — Latlaiiiie de TaiLdHL 
l*' janvier llMU. — Cumbal tïE\ ^tuunga^, 

fletme des Deux-Mondes. 

15 septembre 1894. — Le réunie de Mnulai-el-Hassan (H. de 
La Martinière). 

15 avril 1897. — La corni'ntinn de La! la ^iarnia et Uï fin li- 
tière aiv'^rienne de l'Ouest (H. de La Martiaicre). 

15 sepleriibre 1811B. - LLslainisnie el les confréries reli- 
gieuses au Maroe (Ed, Cul). 

J5 janvier 1902. — Les marches sahariennes (H. Pi non)- 

15 février 1902. - Le Maroc cl les puissances européennes 
(R. Pinon). 

l^' mars 191^3. — Les événements du Maroc (R. Pinon). 

1«' octobre 1903. — Figuig el la politique française au 
Maroc. 

Bntfefîn de la Réunion d'élndea nlfjénetîne.^. 
Novembre-décembre 1903. — Conférence sur le Maroc (Ja- 
queton). 

ftemic de Droit inlernaiionai, 
T. XVL p. 213 (1884). — Le Maroc (Castonnet des Fosses). 
T. XX VL p. 2^9 (1894). — La question de Melilla et la poli- 
tique internationale de l'Espagne (Torres-Campos). 



— 7 — 

Journal Officiel. 

12 mars 1903, 19-24 novembre, 17-18 décembre 1903. 
Moniteur universel. 

Numéro du 10 juin 1844. 
Revue politique et littéraire. 

13 janvier 1894. — Espagnols et Maures (Ordéga). 
Matin, 

25, 26, 27 et 30 janvier, P' février 1904. 
Journal (2 décembre 1903). 
Eclair (10 et 12 mars, avril 1904). 
Temps {1-n avril 1904). 

Revue algérienne et tunisienne de jurisprudence. 

Février 1904. — Protocole du 20 juillet 1901. 
Lois et décrets (Duvergier). 

Convention de Tanger (10 septembre 1844). 

Traité du 18 mars 1845. 

Recueil des traités (De Clercq). 
T. I, p. 96. — Traité du 28 mai 1767. 

— Convention du 17 mai 1824. 

— Convention du 26 mai 1825. 

T. XV. — Convention du 26 mai 1863. 

La Terre à vol d'oiseau {Berbérie) (E. Reclus). 

Grande Encyclopédie. Maroc (H. de La Martinière). 

Traités entre la France et le Maroc (Rouard de Card). 

La frontière franco-marocaine et le traité de 1901 (Rouard de 
Card). 

L'empire de la Méditerranée (R. Pinon). 

La question du Maroc en 1901 (Sartay). 



ff i F i Bir'^ftf B-^ 



LA QUESTION DU MAROC 



CHAPITRE I 

Rapports entre la France et le Maroc 
DE 1830 A 1880. 



Ainsi que Tont avec juste raison fait remarquer, à 
la Chambre des Députés, M. Delafosse (séance du 10 
mars 1903, Discussion des interpellations sur la poli- 
tique extérieure) \ et M. Etienne (séance du 23 no- 
vembre 1903) ^ la question marocaine ne date pas, 
pour la France, comme on pourrait le croire, de ces 
dernières années, mais bien du jour où les troupes 
françaises chargées de châtier le dey d'Alger, débar- 
quèrent à Sidi-Ferruch, et où nous prîmes pied en 
Algérie. Quand nous eûmes résolu de nous installer 
à Alger, et sur quelques points du littoral, nous 



1. Archives diplomatiques (avril 1903). 

2. Journal Officiel (24 novembre 1903). Discussion sur le 
budget des affaires étrangères. 



1 



— 10 — 

fûmes obligés, pour assurer la sécurité de ces posses- 
sions, de nous enfoncer de plus en plus dans Tinté- 
rieur, de passer de l'occupation restreinte à l'occupa- 
tion étendue jusqu'au mome.nt où, après bien des 
tâtonnements, des demi-mesures, du sang et de l'ar- 
gent répandus, nous en vinmes à la conception d'un 
grand empire français dans le nord et l'ouest de l'A- 
frique ; nous fûmes alors obligés d'occuper la Tunisie, 
les oasis sahariennes, de chercher à relier nos colo- 
nies du Sénégal et du Niger avec l'Algérie, et main- 
tenant il apparaît comme absolument nécessaire pour 
le compléter, de nous installer d'une façon ou d'une 
autre, dans le Maghreb et Aksa (le couchant ex- 
trême, nom arabe du Maroc). 

En effet, les frontières entre le Maroc, l'Algérie et 
la Tunisie sont absolument artificielles, et tous les 
géographes et explorateurs (Gérard Rohlf, E. Reclus) 
ont constaté que ces pays forment au point de vue 
géographique un tout que les Arabes ont surnommé 
l'île du Maghreb ou de l'Occident, séparée du reste 
de l'Afrique par cette mer de sable qui est le Sahara, 
dont les oasis sont les îles : « Formés, d'une même 

ride énorme du sol, l'Atlas, ils se ressemblent 

du tout au tout » ' dit Onésime Reclus, climat à peu 
près semblable, même système orographique, même. 



1. La terre à vol d'oiseau, Berbérie. 



— Il — 

division en Tell (plaine), hauts plateaux et Sahara, 
mais parallèle à la Méditerranée, tandis que les 
frontières lui sont perpendiculaires, même flore, 
même faune, mêmes races d'hommes, Arabes et Ber- 
bères, de même religion, et ayant des rapports cons- 
tants entre eux, qu'il s'agisse de guerre ou de com- 
merce. Sans le Maroc, l'Algérie-Tunisie « a quelque 
chose d'inachevé » \ et tous les peuples qui voulu- 
rent s'y établir par l'est ou par l'ouest. Phéniciens, 
Romains, Vandales, Byzantins, Arabes, furent for- 
cés d'entreprendre la conquête de la Berbérie tout 
entière ^. C'est la même nécessité géographique et 
politique qui nous pousse aujourd'hui à acquérir au 
Maroc une situation prépondérante, et si elle ne 
semble dater que de quelques années, c'est parce que 
jusque-là, nous avons hésité à agir par crainte de 
complications internationales, et que nous n'avons 
véritablement que depuis peu de temps la vision nette 
de notre rôle politique et économique dans l'Afrique 
du nord-ouest. Nous sommes les maîtres incontestés 
de l'Algérie, de la Tunisie et du Soudan ; nous avons 
mis ces territoires en valeur et nous avons compris 
que d'une part la conservation sur notre flanc occi- 
dental d'un empire féodal et anarchique, comme est 



1. H. de La Martinière, Revue des Deux-Mondes, 15 avril 
1897. 

2. R. Millet, Revue politique et parlementaire, janvier 1903. 



1 



— 12 — 

actuellement, et de plus en plus le Maroc, est un dan- 
ger perpétuel pour la sécurité de notre colonie (et les 
événements récents en ont montré Tévidence à To- 
pinion publique en France) et, d'autre part, que 
l'occupation par une puissance forte, de ce pays plus 
riche que l'Algérie, étant mieux arrosée, occupant 
une situation merveilleuse au point de vue straté- 
gique et commercial à la fois sur l'Atlantique et la 
Méditerranée, serait la ruine économique et l'anéan- 
tissement de notre empire colonial africain. Donc, 
faire cesser l'état d'anarchie du Maroc, le réorganiser 
et nous y établir, telle actuellement se pose à nos 
yeux la question marocaine. Malheureusement, nous 
ne nous sommes pas pénétrés assez rapidement de 
cette idée, et nous avons commis, dès nos premiers 
rapports avec le Maroc, des fautes qui ont exercé une 
influence déplorable sur notre action dans le Magh- 
reb. 

Jusqu'à la conquête de l'Algérie, nous avions eu 
des rapports avec le Sultan du Maroc. La France, 
dès le XVP siècle, époque où elle installa un consul 
à Tanger (1577), exerça son action au Maghreb 
comme dans les autres pays musulmans, elle y fut 
la gardienne des intérêts de la chrétienté ; mais, 
comme dit M. Pène-Siefert ', c'étaient <( des relations 



1. Revue politique et parlent enl aire, août 1903. La poli- 
tique française au Maroc. 



- 13 - 

d'affaires, de bon vouloir réciproque d'où la politique 
proprement dite était absente ». Le gouvernement 
français fit des expéditions contre les pirates de Salé, 
signa des capitulations, traités de commerce, d'a- 
mitié, qui contenaient également des clauses concer- 
nant la juridiction des consuls et la condition des 
Français et protégés français au Maroc, il y eut des 
ambassades, dont la plus célèbre fut celle envoyée 
par Moulay-Ismaïl sous Louis XIV ; notre influence 
y fut prépondérante pendant le XVIP siècle et aussi 
sous Louis XVI et Napoléon I", mais s'y trouva dès 
cette époque en conflit avec l'influence anglaise qui 
finit par l'emporter. Lors de la prise d'Alger, de bons 
rapports s'étaient renoués entre les deux pays, et des 
traités renouvelant ceux de 1682 et de 1767 avaient 
été signés le 17 mai 1824 et le 28 mai 1825. La con- 
quête de l'Algérie allait nous mettre dans une posi- 
tion spéciale vis-à-vis du Maroc dont nous devenions 
des voisins territoriaux (frontière commune de 1.200 
kilomètres). 

Aussi, lorsque le gouvernement français eût résolu 
d'entreprendre l'expédition d'Alger, elle le notifia au 
Siiltan Abder-Rhaman en l'assurant des bonnes dis- 
positions de la France à son égard, et le sultan pro- 
testa à son tour de son désir de rester en paix avec 
nous. 

Cependant la prise d'Alger causa une vive émotion 



1 



^ 14 - 

dans l'Afrique musulmane, mais, malgré les prédica- 
tions des marabouts, contre les Roumis, le sultan 
n'osa s'engager dans une guerre contre nous ; son 
attitude fut d'ailleurs assez équivoque ; quand il vit 
que nous avions l'intention de rester en Afrique, il 
chercha à profiter du renversement du dey d'Alger et 
des beys turcs pour s'emparer de Tlemcen qui, à . 
diverses reprises, avait été occupé par les sultans 
marocains ; il y envoya son neveu Moulay-Ali, qui ne 
s'en retira que sur les sommations du général Clau- 
zel. Des agents marocains se répandaient dans toute 
la province d'Oran, et même à Milianah et à Médéah. 
Aux observations de notre consul général à Tanger, 
Abder-Rhaman répondit que « depuis Constantine 
jusqu'à Tlemcen, les Arabes l'avaient reconnu pour 
leur empereur, et que la religion lui commandait de 
prendre sous sa protection tous les musulmans ». M. 
de Mornay lui fut envoyé en ambassade, et le sultan 
consentit à renoncer à des prétentions sur l'Algérie 
(( pourvu que les Français puissent s'y maintenir ». 
En 1836, il s'engagea encore vis-à-vis du baron de 
La Rue à reconnaître nos droits sur la régence d'Alger 
et à rester neutre. "^ 

Abdel-Khader et aussi, il faut bien le dire, l'An- 
gleterre qui, furieuse de n'avoir pu nous empêcher 
de prendre pied en Afrique, cherchait à nous y sus- 



- 15 ~ 

citer des difficultés, allaient amener la guerre \ Tra- 
qué par Bugeaud, Abd-el-Khader s'était réfugié au 
Maroc, et cherchait à s'y recruter des partisans pour 
refaire son armée détruite. Pour obtenir la coopéra- 
tion du Sultan, il fît vibrer la corde religieuse, si 
sensible dans ce pays fanatique, et, sous peine de se 
montrer à ses sujets conmie traître à l'Islam, le sul- 
tan dut se mettre à la tête de la guerre sainte. D'autre 
part, l'Angleterre croyant que nous n'oserions pas 
nous résoudre à une action énergique, et que nous 
nous bornerions à de simples notes diplomatiques, 
l'encourageait en lui laissant entendre qu'elle inter- 
viendrait. Mais quand elle vit que nous déclarions la 
guerre ^ et quand les brillantes et rapides victoires 
de risly, Tanger et Mogador eurent mis le Maroc à 
notre merci, elle effectua un revirement brusque dans 
sa politique, et n'eut plus qu'une idée : arrêter la 
guerre et empêcher toute cession de territoire à la 
France. Lord Aberdeen, ambassadeur d'Angleterre à 
Paris, fit part à M. Guizot des feintes inquiétudes du 



1. A une question du comte de Clarendon, demandant que 
le gouvernement anglais désavoue toute participation à la 
guerre franco-marocaine, pour faire taire les accusations de 
la presse française, le comte d'Aberdeen répondit très éva- 
sivement qu'il y avait de part et d'autre des griefs {Moniteur 
universel, n° du 10 juin 1844). 

2. Le Sultan voulut nous faire évacuer Lalla-Marnia et fît 
attaquer traîtreusement Bedeau et Lamoricière pendant 
qu'ils conféraient avec le pacha d'Oudja. 




M 



f 

premier minisire, sir Robert Peel : le gouvernement 
français se hâta de le rassurer en déclarant qu'il n'a- 
vait aucune intention d'annexer une portion quel- 
conque de l'empire marocain ; cette condescendance 
vis-à-vis des désirs de l'Angleterre est un des actes 
les plus néfastes de cette politique d' (( entente cor- 
fliale ^ï, qui a exercé une si fâcheuse influence sur 
noire expansion coloniale pendant les règnes de 
Louis-Philippe et de Napoléon III. Le ministère 
anglais oiïrit alors ses bons offices à Moulay Abder- 
raman et lui conseilla d'accepter les propositions de 
paix que lui faisait notre ambassadeur, M. de Nion. 
Il y eut deux traités, l'un signé à Tanger, le 10 
septembre 1844, l'autre, destiné à compléter le pré- 
cédent, à Lalla-Mamia, le 18 mars 1845. — En 
plus des clauses concernant la cessation des hostili- 
tés, ils contenaient des articles déterminant la fixa- 
tion d'une frontière entre nos établissements et l'Em- 
pire marocain ; mais étant donné la nature du 
pays, elle ne fut réellement déterminée que de la mer 
à un point nommé Téniet el Sassi. L'embouchure 
d'une petite rivière, l'Oued Kiss, fut choisie comme 
point de départ, ce qui a depuis soulevé de vives 
polémiques. On a prétendu que, d'après les précé- 
dents historiques, la limite aurait dû être la rivière 
la Moulouya qui, du temps des Romains, séparait les 
deux Mauritanies, mais en réalité, ainsi que le dé- 



— 17 - 

clarent MM. Augustin Bernard ' et deXa Martinière ^ 
il n'y a jamais eu de frontière historique entre les 
états musulmans du Maghreb, le royaume de Tlem- 
cen a sans cesse été disputé entre les souverains d'Al- 
ger et de Fez, et Oudja avait été conquise en 1795, 
ainsi que la ligne de la Moulouya, par le Sultan Mou- 
lay Sliman. Mais des considérations géographiques 
et stratégiques auraient dû nous faire accorder cette 
frontière d'où nous pouvions à volonté menacer Fez 
et le cœur du Maroc. — Au delà de ce point, le traité 
se contentait de partager assez arbitrairement entre 
le Maroc et la France des Ksours et des tribus dont les 
territoires de parcours étaient absolument enchevê- 
trés, et nous reconnaissions comme marocains, les 
Ksours d'Ich et de Figuig qui, géographiquement, 
dépendent de l'Algérie et, historiquement, étaient, à 
part quelques tentatives marocaines, restés totale- 
ment indépendants. Quant à l'extrême-sud, les deux 
contractants renonçaient à en opérer le partage sous 
prétexte qu' « il ne contenait qu'un désert inhabité » \ 
— Enfin, Abd-el-Khader et ses partisans devaient 
être mis hors la loi ; les indigènes isolés prouvaient 
se transporter librement d'un pays dans l'autre, mais 



1. Augustin Bernard, Evolution de la question marocaine 
{Archives diplomaliques, avril 1903). 

2. H. de La Martinière, Grande Encyclopédie, Maroc. 

3. Traité de 1845, art. 5. 

Bourassin. 2 



- 18 - 

chaque état avait le droit de police sur les tribus qui 
lui avaient été attribuées, même lorsqu'elles se trou- 
vaient dans des régions occupées également par les 
tribus appartenant à l'autre Etat ; c'est ce qui a été 
appelé le droit de suite. 

Tout a été dit contre ce malheureux traité et son 
négociateur ; il est certain qu'il est assez peu satis- 
faisant, et que le comte de La Rue, notre plénipoten- 
tiaire, a été absolument trompé par Ahmida ben Ali, 
le plénipotentiaire marocain. — Nous aurions dû 
garder Oudja, que nous occupions alors, avec la ligne 
de la Moulouya comme frontière ' et déclarer dans 
la zone d'influence française Ich, Figuig et les autres 
Ksour du Sud-Algérien. M. Guizot ne voulut même 
pas, comme le proposait le prince de Joinville, faire 
payer au Maroc une contribution de guerre de douze 
millions. Il répondit que la France était assez riche 
pour payer sa gloire. 

Mais il faut faire la part des circonstances ; le gou- 
vernement voulait être modéré pour ne pas mécon- 
tenter l'Angleterre et une partie du Parlement et de l'o- 
pinion opposée à la politique coloniale, qui ne voyait 
dans la conquête de l'Algérie qu'une source de sacri- 
fices onéreux et inutiles. Le traité fut conclu avec 
trop de rapidité. Guizot donna à notre plénipoten- 



1. C'est ce que demanda en vain le maréchal Bugeaud. 



— 19 — 

tiaire des instructions lui enjoignant de demander 
pour la France les mêmes droits territoriaux que les 
Turcs, mais, comme nous les ignorions, et qu'ils 
n'avaient d'ailleurs jamais été bien déterminés, le 
comte de La Rue s'en remit aux Marocains et les 
laissa seuls juges de ces droits sans même chercher 
à reconnaître si leurs prétentions étaient fondées, ni 
consulter les indigènes intéressés. « Enfin, il apparaît 
jusqu'à l'évidence que la reconnaissance des points 
assignés par la convention n'a pas été faite sur 
place ». On a également critiqué le silence absolu du 
traité sur le Sahara algérien, mais nous ne les con- 
naissions guère à ce moment, et nous ne songions 
qu'à nous débarrasser d'Abd-el-Khader et à assurer, 
par la pacification des Hauts Plateaux, la sécurité de 
nos établissements naissants du Tell : nous voulions 
seulement faire reconnaître notre domination sur nos 
nouveaux sujets et constituer un rideau protecteur 
de tribus soumises pour nous garantir contre les 
tribus pillardes du désert '. — Les traités entraînaient 
la reconnaissance formelle par le Sultan du Maroc 
de notre occupation de l'Algérie, ce qui était un ré- 
sultat important vis-à-vis des indigènes, étant donné 
son prestige religieux. Enfin, si les limites qu'ils don- 



I. H. de La Martinière, La convention de Lalla-Marnia et 
la frontière algérienne de l'Ouest {Revue des Deux-Mondes, 
15 avril 1897). 




- 20 - 

naient manquaient de précision, ils présentaient du 
moins l'avantage de nous laisser le champ libre, de 
réserver l'avenir et surtout la possibilité d'une action 
ultérieure. 

« La convention fut à peu près ce que les circons- 
tances permettaient alors qu'elle fût. S'il y a eu faute 
elle est sortie tout entière de la situation poli- 
tique et militaire que nous avions à cette époque en 
Afrique » '. — Les traités n'étaient donc pas si mau- 
vais qu'ils le semblaient, mais, par malheur, l'exé- 
cution, qui aurait pu corriger ce qu'ils avaient de 
défectueux, fut déplorable et aggrava au contraire 
les erreurs contenues dans leurs dispositions. 

D'abord, nous n'obtînmes pas immédiatement 
qu'Abd-el-Khader nous fût livré, et, en 1845, Bu- 
geaud fut même sur le point de recommencer à ce 
sujet la guerre avec le Maroc. Ce n'est qu'en 1847 que 
le Sultan, sur les conseils d'un Français, M. Léon 
Roches, commençant d'ailleurs à être inquiet de la 
popularité de l'émir, et se sentant menacé par ses 
intrigues, se décida à envoyer contre lui une armée 
commandée par ses deux fils, ce qui le força à rentrer 
en Algérie où, traqué par Bugeaud, il dut se rendre 
à Lamoricière (23 décembre 1847), ce qui entraîna la 
soumission de l'Algérie presque tout entière. 



1. H. de La Martinière, id. 



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— 21 — 

Ensuite, ce qui peut paraître contradictoire, la 
France agit de telle façon qu'elle fut gênée autant par 
l'existence d'une ligne frontière de l'Oued Kiss à ïé- 
niet et Lassi que par son absence au delà. Car là où 
il y avait une frontière, elle fut perpétuellement vio- 
lée par les pillards marocains qui, leurs razzias ache- 
vées, rentraient sur leur territoire où nous n'osions 
les poursuivre, et dans les régions où aucune limite 
n'était fixée, les autorités françaises, désireuses de 
déterminer d'une façon précise le territoire de l'ordre 
duquel elles étaient responsables, établirent une ligne 
idéale qu'elles respectèrent au point qu'elle fut bien- 
tôt regardée comme réelle, même par les puissances 
étrangères, et qu'il en résulta bientôt des complica- 
tions diplomatiques toutes les fois que nos troupes la 
franchirent. 

Cependant, malgré les demandes des généraux, 
comme Pélissier en 1849, et Cérez en 1879, le gouver- 
nement français refusa toujours d'entamer avec le 
gouvernement marocain des négociations pour créer 
une frontière précise dans l'espoir de rattacher à 
notre influence les tribus parcourant ces régions. Il 
y eut toujours à ce sujet des divergences d'opinion 
entre les officiers, les administrateurs et les diploma- 
tes. — Il est vrai qu'il était impossible de délimiter 
véritablement ces steppes où n'avaient jamais dominé 
réellement ni les beys turcs, ni les sultans marocains ; 




— 2-2 — 

mais il ne fallait pas non plus que Tordre soit sans 
cesse troublé par les tribus pillardes qui les habi- 
taient, il aurait fallu une action combinée énergique 
des troupes françaises et marocaines, un condomi- 
nium : chacun des deux Etats aurait dû profiter de 
son droit de suite. Mais le Sultan qui, à cette époque, 
pouvait déjà si difficilement se faire respecter dans 
l'intérieur de son empire, était totalement impuissant 
dans ces régions qu'il s'était si délibérément attri- 
buées : donc, pas plus que les puissances europé- 
ennes, il ne devait avoir le droit de protester lorsque, 
la France se basant sur la nécessité d'assurer la sécu- 
rité de ses nationaux, ferait seule la police des zones 
frontières, limitées ou non. — Ces expéditions fré- 
quemment répétées auraient eu le résultat qu'espérait 
le gouvernement quand il refusait de fixer des limites 
d'accord avec le Sultan ; elles auraient établi notre 
prépondérance sur toutes ces tribus, et le Maroc n'au- 
rait pu que s'incliner devant le fait accompli. Mais, 
de peur de mécontenter l'Angleterre, Louis-Philippe 
et Napoléon III n'osèrent jamais autoriser cette 
expansion bien légitime de notre influence, ni même 
exercer le droit de suite avec toute l'étendue que nous 
accordaient les traités. — Nous ne nous décidâmes 
que trois fois à en user : en 1846, Cavaignac fit une 
expédition contre Abd-el-Khader, en 1859, le géné- 
ral de Martimprey opéra contre les Mehaia, Angad 



L *i:'%(jmi."H?%Xi-P,J 



— 23 — 

et Beni-Snassen des environs d'Oudja, el en 1870, le 
général de Wimpfen poursuivit les Ouled-sidi-Cheikh, 
Doui Menia el Oulad Djerir jusqu'à Aïn-Chaïr, au 
delà de Figuig. Par respect pour les traités, nous 
n'occupâmes pas ce Ksar, mais nous aurions dû gar- 
der ceux de Kenadsa et El Bahariat, dont nous nous 
étions emparés ; nous aurions pu ainsi nous protéger 
efficacement contre toutes les attaques des tribus 
sahariennes, et les traités de 1844 et 1845 auraient 
tourné absolument à notre avantage. 

Mais par malheur éclata à ce moment la guerre de 
1870, et les désastres qu'elle occasionna compromi- 
rent gravement le prestige de la France et arrêtèrent 
momentanément notre expansion coloniale. Après 
avoir réprimé l'insurrection de Kabylie, nous adop- 
tâmes en Algérie une altitude passive absolument 
néfaste, dont le Sultan Moulai-Hassan profita pour 
établir son autorité sur les régions où la nôtre ne se 
faisait plus sentir. Nous en arrivâmes à les considérer 
nous-mêmes comme marocaines et en 1877, ce fut le 
Sultan qui, à son tour, demanda à notre ambassa- 
deur, M. de Vernouillet, la fixation des limites dans 
le Sud. — (( Il finit par apprendre de nous à tirer 
parti du traité de 1845 pour rendre effective la souve- 
raineté assez vague qu'il avait exercée jusqu'alors 
sur les tribus des régions frontières. C'est ainsi que 
par une conception maladroite de notre politique 




^ 24 - 

africaine, nous avons fini par élever contre nous- 
mêmes ries obstacles qu'il nous a fallu, plus tard, 
renverser à grand peine jj ' (R. Pinon). 

Les h'ibus limitrophes ile l'Algérie purent donc 
impuaéHient muUi]>lier les coups de main sur notre 
territoire, nous prîmes Tli altitude au lieu de les pour- 
suivre, de demander des indemnités au Sultan par 
voie diplomatique : celui-ci commençait par chica- 
ner sur la somme l'échimce, puis faisait piller par son 
armée une tribu faible quelconque, car le plus sou- 
vent il n^élail pas assez puissant pour attaquer les 
vrais coupables, et se procurait ainsi l'indemnité dont 
le paicmenl le consacrait maître à nos yeux et à ceux 
des puissances d*une région où son autorité s'exer- 
çait peu ou point. Bien plus, quand les troupes fran- 
çaises avancèrent de nouveau dans le Sud, il protesta 
par voie diplomatique et il trouva des échos en 
Angleterre et en Hspagne contre ce qu'il qualifiait de 
violation de frontière et d'occupation de territoires 
relevant de son empire. Ainsi donc, non seulement 
nous avions créé au Maroc une frontière avanta- 
geusCj reconnu comme relevant de son souverain 
des régions où il n'exerça if aucune influence, mais 
nous en arrivâmes à nous persuader et à persuader 



L Les marches sahariennes (Revue des Deux-Mondes, 15 
janvicT 1902). 




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— 25 - 

les autres états qui ne demandaient d'ailleurs pas 
mieux, que des territoires qui ne relevaient politi- 
quement de personne, et géographiquement de l'Algé- 
rie, appartenaient au Sultan. C'est ainsi que pendant 
vingt ans fût entravée notre expansion dans le sud de 
nos possessions et que fût créée ce qu'on a appelé la 
question du Touat. 



\ 



\ 




CHAIMTHE II 
La question du Touat 



On donne le nom général de Touat au chapelet 
d'oaï^is qui s'éfend le long de Toued Saoura, d'Igli à 
In-Salah, dans la dirertion nord-ouest sud-esl, elcom- 
]>ï'enanl en réalité trois gioupes : le Gourara, le plus 
septenfrional, le Tonal, au c entre, et le Tidikelt, au 
sud. Géogï'aphiquemeiit, il n' y a pas d'hésitation à 
avoir, ces oasis sont sur les méridiens des provinces 
ilOran et d'Alger, dont elles constituent l'hinterland. 
Hisioriquemenl, ce pays fut conquis et occupé tempo- 
raireoient par le Sultan Moulay Ahmed el Mansour 
en 1588, et en 1808, par Moulay Sliman, mais les Ma- 
rocains n*y étaient pas reparus depuis, et le traité 
de 1845 n'en faisait aucune mention, Ahmida ben Ali 
ayant déclaré, probahlement pour soustraire à notre 
influence des pays où son maître espérait revenir 
opérer quelques pillages, qu'ils étaient absolument 
inhabitables et '* que la (îé limitation en serait super- 
flue H. En réalité, ces oasis sont peuplées d'environ 
100.000 habitants qui, au moment du traité de 1845, 



— 27 — 

étaient nominalement vassaux des Touaregs Ahag- 
gar, donc absolument indépendants des Marocains ; 
à peine le Sultan y avail-il une vague influence reli- 
gieuse. Les Turcs, au temps de leur domination, ne 
s'étaient jamais avancés aussi loin ; les habitants, 
Ksouriens et nomades, étaient berbères ou nègres, 
mais étaient en rapports commerciaux avec les villes 
des hauts plateaux. Le pays était donc bien res nul- 
lius et, comme il dépendait géographiquement et 
commercialement de nos possessions, qu'aucun traité 
n'en disposait au profit d'une autre puissance, il sem- 
ble bien qu'il nous appartenait sans contesté. Il n'a- 
vait pas grande valeur par lui-même, on a reconnu 
qu'on s'était fait beaucoup d'illusions sur la richesse 
des oasis et le commerce du Soudan, mais leur im- 
portance stratégique est très grande pour la tranquil- 
lité de nos possessions d'Algérie et de Tunisie, et 
leur liaison possible avec le Sénégal et le Soudan. 
Pourquoi, cependant, faut-iLparler du Touat, même 
d'une question du Touat, à propos de la question 
marocaine? Comment a-t-on pu craindre des com- 
plications internationales à propos des oasis de l'hin- 
terland algérien? C'est un curieux mélange d'igno- 
rance, d'illusions et de maladresses dont le résultat 
fut de retarder l'occupation de ces pays et d'en rendre 
la conquête plus difficile lorsque la France l'entre- 
prit. 



— 28 — 

Après avoir occupé le Tell, puis les Hauts Pla- 
teaux (seules contrées visées par les traités de 1844- 
184o), il nous fut nécessaire de nous étendre dans le 
Sahara algérien, toujours pour assurer la sécurité 
de nos établissements : c'est une loi fatale pour tous 
les conquérants. Nous nous alliânfies avec la tribu 
des Ouled-Sidi Cheikh, puissants alors dans le Sud- 
Oranais ; un de leurs chefs, Si Hamza, s'empara 
pour nous d'El Goléah, et le commandant Colonieu 
s'avança, en 1860, jusqu'au Touat où il fut d'ailleurs 
assez mal reçu par les Ksouriens, qui lui répondirent 
qu'ils ne voulaient pas plus dépendre du Maroc que 
de la France (cependant en 1857, quelques oasis 
avaient fait des propositions de soumission). Une 
nouvelle mission, dirigée par le général de Colomby, 
fut envoyée en 1862. Malheureusement, notre rup- 
ture avec les Ouled-Sidi-Cheikh qui s'insurgèrent en 
1864, notre inaction à partir de 1870 (sauf la visite 
d'El Goléah par le général de Galiffet en 1873), arrê- 
tèrent notre expansion dans le. Sud dont la consé- 
quence logique aurait été la prise de possession des 
oasis sahariennes. 

Les années 1880 et 1881 allaient être fatales pour 
nous : au Maroc, l'Espagne allait obtenir la réunion 
d'une conférence internationale, dont le plus clair 
résultat allait être de limiter le nombre de nos proté- 
gés, la plupart du temps excellents agents de pro- 



mm^ 



— 29 - 

pagande française. D'autre part, nous allions com- 
mencer à souffrir des fautes de notre politique mu- 
sulmane en Algérie. A cette époque, sous prétexte 
d'idées de liberté et d'égalité, avec cette tendance a 
la généralisation et à l'abstraction si fâcheuse en 
manière de politique coloniale, cette ignorance des 
« réalités locales » ' qui nous poussent à vouloir con- 
sidérer tous les hommes comme ayant un intellect 
semblable au nôtre, nous avions donné les droits de 
citoyen aux juifs d'Algérie ; certains demandaient 
qu'on les donnât à tous les indigènes ; d'autre part, 
les grands chefs indigènes étaient écartés des fonc- 
tions administratives sous prétexte que nous ne pou- 
vions tolérer plus longtemps une « féodalité », que 
nous devions émanciper la plèbe algérienne ; enfin, 
l'armée d'Algérie, et surtout les bureaux arabes qui, 
malgré quelques erreurs, avaient rendu d'immenses 
services à la colonisation, qui avaient véritablemenl 
établi le contact entre nous et les indigènes, étaient 
tenus en suspicion par les démocrates avancés, qui 
attaquaient violemment le « régime du sabre » dans 
ce pays où il est pourtant si nécessaire d'être fort 
pour être respecté. Les grands chefs furent rempla- 
cés par des indigènes qui, pour n'être pas d'aussi 
illustre naissance, n'en furent pas moins rapaces et 



1. R. de Caix, La marche vers le Touai {Bulletin du Comité 
de VAfrique française, avril 1900). 






— 30 - 

concussionnaires, et la plupart des officiers des bu- 
reaux arabes le furent par des fonctionnaires civils 
généralement inexpérimentés. Le résultat fut un mé- 
contentement général : les grands chefs pour être 
écartés du pouvoir, le peuple pour être exploité par 
les fonctionnaires indigènes ou mal gouvernés par 
des administrateurs civils sans prestige ; aussi quand, 
en 188], un marabout surnommé Bou-Hamama, se 
mit à prêcher la guerre sainte dans le Sud-Oranais, 
il y trouva de nombreux partisans, et naturellement 
il fut appuyé par les soi-disant Marocains de Figuig. 
Heureusement, une répression énergique empêcha 
l'insurrection de s'étendre, mais nous n'osâmes pour- 
suivre les insurgés ni à Figuig, ni dans les oasis saha- 
riennes où leur chef Bou-Hamama s'était réfugié. Ces 
oasis ne tardèrent pas à devenir, comme l'était déjà 
Figuig, la citadelle et l'asile de tous ses adversaires ; 
à l'instigation de Bou-Hamama, établi à Deldoul, se 
produisirent des agressions continuelles contre nos 
soldats et sujets indigènes ; déjà, le massacre de la 
mission Flatters (envoyée pour reconnaître le tracé 
du Transsaharien), accompli par les Touaregs en 
1881, avait été conseillé par les Ksouriens. 

Il devenait absolument nécessaire d'agir, et cepen- 
dant l'occupation du M'Zab en 1882 marqua la fin de 
notre marche vers le Sud. La politique coloniale 
était en défaveur complète dans une partie du pays. 



- 31 — 

J, Ferry qui, lui, avait la compréhension du rôle que 
devait jour la France dans FAlrique du Nord, qui 
voyait à juste titre dans la créa lion d'un empire colo- 
nial, le moyen de nous relever de nos désastres d'Eu- 
rope, était violemment attaqué pour avoir fait occu- 
per la Tunisie complément nécessaire de TAlgérie 
à Test ; el nous refusions, à la même époque, de coo- 
pérer à l'action en Egypte de TAngleterre {à la grande 
satisfaction de celle-ci d'ailleurs). La situation intolé- 
rable du Sud-Algérien passa donc inaperçue en 
France, et les pillards du désert purent perpétrer en 
paix leurs attentats. Bien mieux, la plupart des Fran- 
çais, ignorant la géograpiiie, confondant Figuig eî 
le Touat, y virent, les uns des possessions marocai^ 
nés dont Toccupation serait une atteinte au statu quo 
de celte puissance, et par conséquent serait la cause 
des graves difficultés internationales, les autres des 
territoires contestés entre la France et le Maroc, sur 
lesquels les deux parties avaient des droits. 

Au Maroc, régnait alors (depuis 1873) Moulay- 
Ilassan, sultan intelligent et énergique^ qui, après 
avoir guerroyé contre toutes les tribus rebelles de 
son empire, était parvenu à y établir une certaine 
unité et rêvait alors d'étendre son empire. Il jeta les 
yeux sur ces oasis que ses ancêtres avaient occu- 
pées. Comme, d'autre part, les Ksouriens ne pouvant 
croire à Tinaction de la France, craignaient d'être un 




- 32 - 

jour punis de leurs attentats et cherchaient des pro- 
tecteurs contre nous, ils se tournèrent vers le Sultan 
du Maroc qui, jusque-là, leur avait été complètement 
indifférent et se rappelèrent alors qu'il était leur ché- 
rif, le défenseur de la foi du Prophète et de ses fidèles. 
Tant qu'à ne plus être indépendants, ils préféraient 
être sous la domination du Sultan, qu'ils espéraient 
d'ailleurs devoir être moins effective que celle de la 
France. Donc, erreur et inaction du côté français. 
Manœuvres d'abord cachées, puis au grand jour, du 
côté marocain. Telle allait être la question du Touat 
qu'on peut dire créée par notre politique qui, vou- 
lant (( avoir peur quand même », s'ingénia à trouver 
partout des prétextes pour ne rien faire et inventa 
des Marocains jusqu'au Touat, où leur présence ne 
tarda pas à devenir une réalité. On avait déjà vu 
des preuves de cette illusion quand il fut question de 
demander le passage au Sultan du Maroc pour cons- 
truire le Transsaharien, et de faire représenter par un 
marocain les quelques Ksouriens établis en Tunisie, 
mais cela fut plus apparent encore en 1883 lorsque 
les dissidents Ouled-Sidi-Cheikh ayant obtenu le par- 
don (aman), et étant rentrés en Algérie, voulurent 
faire preuve de zèle en nous proposant de reprendre 
la politique de leurs ancêtres et de conquérir pour 
nous le Gourara. Le gouvernement français refusa 




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- 33 - 



v\ 



de peur « d'éveiller la susceptibilité du gouverne- 
ment marocain » \ 

Celui-ci n'allait d'ailleurs pas avoir cet excès de 
scrupules. Comme nous l'avons dit précédemment, 
les Touatiens étaient en grande partie disposés à in- 
voquer la protection du Sultan, et un parti marocain 
se constitua dans les oasis. Bou-Hamama prit la 
direction du mouvement, et après le meurtre du lieu- 
tenant Palat, en 1886, qui fit de nouveau craindre une 
intervention française, ils se décidèrent à envoyer 
une mission à Moulay-Hassan (1887). Celui-ci était 
-^ioui dispose a profiter de la situation et à établir sa 
suzeraineté sur le pays, mais à ce moment, le minis- 
tre français, M. Féraud, inquiet de cette mission, lui 
ayant fait des observations, le Sultan, auquel l'expé- 
dition de Tunisie avait donné à réfléchir, nia absolu- 
ment tout projet d'intervention au Touat. Il se con- 
tenta d'encourager les Ksouriens dans leur hostilité 
contre la France, mais sans agir, et il parvint ainsi à 
endormir la méfiance de notre diplomatie. En 1888 
et 1889, il se décida à envoyer officieusement quel- 
ques marocains dans les oasis pour tâter le terrain, 
mettre à profit les divisions locales et les passions 
religieuses *. 



1. R. de Caix, La marche vers le Touat {Bulleiin du Comité 
de VAfrique française, avril 1900). 

2. En 1889, assassinat de C. Douls à In Salah. 
Bourassin. 3 



^ 34 ^ 

En Algérie, les aulorités civilei^ el militaires n'igno- 
raient rien des inenées marocaines, commençaient à 
s*en inquiéter et étaient (Favis d'agir, ^t Malheureu- 
seraenl, dil \L Sarlay \ il se créa un antagonisme 
complet enlre les provinces d'Alger el d'Oran. Le 
manque d'autorité et de décision aux degrés élevés 
de la hiérarchie, les rivalités d'ambition et les diver- 
gences d'opinion en bas, empêchaient tous les projets 
d'aboutir n. Il semble, en effet, que chacun a cherché 
à compliquer à plaisir cette question si simple au 
début ; presque tous voyaient la nécessité d'une 
prompte solution ; mais tandis que le pouvoir civil 
voulait la conquête des oasis par les indigènes pour 
notre compte et la forma ï ion d'un empire arabe vas- 
sal, la direction du 19" corps voulait une grande expé- 
dition, et le service des afïaires indigènes, la con- 
que te par la création de postes et des raids accomplis 
par les goums indigènes dirigés par des officiers 
français ; le gouvernement de la Métropole recevait 
les rapports contradictoires sui* la question, redoutait 
des dépenses trop fortes, et, d'autre part, notre diplo- 
matie craignait des difïicultés de la part du Sultan 
soutenu en sous main par l'Angleterre et l'Espagne, 
qui, pour entraver notre action en Afrique, ne ces- 
saient de dénoncer nos prétendus desseins de noua 



1. Sarlay, La question du. Maroc en Î90î. 



— 35 — 

emparer non seulement du Toual^ mais encore du 
Maroc. 

M. Tirman, alors gouverneur de l'Algérie, était 
partisan d'une action au Touat avec le concours des 
Ouled-Sidi-Cheikh, et voulait lui-même prendre la 
direction de cette « conquête pacifique », Mais le mi- 
nistère -de la guerre et l'état-major en décidèrent au- 
trement : MM. de Freycinet et de Miribel firent le plan 
d'une expédition comprenant 3.000 hommes qui de- 
vait s'avancer par la Zousfana et la Saoura, et occu- 
per les oasis (le plan était logique, parce qu'on sépa- 
rait ainsi immédiatement le Touat du .Maroc) : M. Tir- 
man fut rappelé, on fit des préparatifs militaires, 
mais le 13 décembre 1890 l'expédition fut conti^man- 
dée par décision du conseil des ministres, par crainte 
de complications diplomatiques. Mais alors les Ksou- 
riens, ayant vent de ces projets, eurent véritablement 
peur 4e nous voir arriver, et le parti marocain devint 
encore plus puissant. Bou-Hamama noua des rela- 
tions avec les Derkaoua du Tafilelt et fit envoyer une 
nouvelle députation au Sultan alors à Mequinez (ou 
Meknès). Celui-ci, fort de l'appui secret de nos ri- 
vaux européens, des illusions de certains hommes 
d'Etat français sur des droits à la possession des 
oasis, de notre indécision et de notre politique timo- 
rée ressemblant singulièrement à de l'impuissance, 
n'hésita plus, il émit catégoriquement ses prétentions 



r 



I 



- 36 - 

sur la région, déclara le Touat possession marocaine 
et y envoya ou y nomma des caïds. 

Cependant, un mouvement d'opinion avait lieu en 
France, en faveur de la pénétration dans le Sud-Al- 
gérien, tous ceux qui s'intéressaient à notre avenir 
colonial ne cessaient de montrer les dangers que pré- 
sentaient, pour la sécurité et l'expansion de l'Algérie, 
les agissements du Maroc, et de ses conseillers euro- 
péens ; ils insistaient pour une action prompte et 
décisive. La seule satisfaction qui leur fût donnée fût 
la création d'un poste permanent à El Goléah (mai 
1891), commandé par un officier énergique et expé- 
rimenté, le capitaine Lamy. Celui-ci, dans ses lettres 
écrites en juin et juillet 1891, fait connaître que des 
renseignements lui arrivent du Gourara où nous 
avions quelques partisans, lui annonçant l'arrivée de 
cavaliers du maghzen et regrette de n'avoir pas cent 
hommes de plus pour occuper les oasis et en finir 
avec les intrigues marocaines. A son avis, il n'y avait 
aucun lien entre les différents ksours, la majorité de 
la population était hésitante, ne tenait pas plus à la 
domination française qu'à celle du Maroc, mais se 
résignerait à se soumettre à celui des deux qui arri- 
verait le premier en force. — Il ne fut pas non plus 
écouté, et le gouvernement continua à laisser le 
champ libre à Bou-Hamama et au parti marocain. 
Le 14 novembre, M. Yves Guyot présenta un projet 



-^^7^ 



— 37 - 

de loi tendant à porter à 600 hommes la garnison d'El 
Goléah, et à prolonger le chemin de fer d'Aïn-Seïra à 
Djenien-bou-Resk ; ce fut tout ce que fit le gouverne- 
ment. C'est alors qu'une mission marocaine compre- 
nant le fekhi el Rachidi, secrétaire d'un vizir du Sul- 
tan, le caïd Bou-Aza et un chérif de la famille trOuez- 
zan, hostile à la France, accompagnée de quelques 
soldats, organisa une véritable campagne contre 
nous, convoquant des notables, construisant des kas- 
bah (fortins), réquisitionnant et molestant tous ceux 
qu'on supposait favorables à la France. La garnison 
de Figuig (mai 1891) était renforcée et on parlait de 
l'arrivée du Sultan. 

Ces agissements eurent leur écho à la Chambre des 
Députés en France, où AI. Deloncle, le 26 octobre 
1891, posa à M. Ribot une question sur la politique 
française au Touat ; M. Ribot lui répondit que l'ar- 
rangement franco-anglais qui avait été signé Tannée 
précédente ' (5 août 1890) avait consacré rinfluencc 
de la France sur ces régions où la suzeraineté maro- 
caine n'existait plus depuis longtemps, et qui avaient 
été laissés en dehors du traité de 1845. Il ajouta qu'il 
n'y avait dans l'action au Touat qu'une simple ques- 
tion de <( police algérienne ». 

C'était une vue très nette de la situation qui mon- 



1. « Art. 2. — Le gouvernement de S. M. Britannique re- 
connaît la zone d'influence de la France au Sud de ses pos- 



— 38 — 

Ira il bien que nous étions chez nous et, libres d'agir^ 
que personne, ni Maroc, ni Angleterre, n'avait le 
droit de nous en demander tomple. Pourquoi, ayant 
le droit et les (rai tés pour nous, alors que la sécurilé 
non seulement du sud, mais de TAlgéne toul entière 
était en cause, n'avons-nous pas terminé d'un coup 
celle question que nous avions créée par nos craintes, 
noire ignoran(x% nos hésitai ions cl nos demi-me- 
sures ? 

Cependant, M. Cambon, nommé gouverneur de 
TAlgérie (18 avril 1891), continua la politirpje de son 
prédécesseur, M. Tirman, et rhercba à agir du mieux 
qu'il jull : puisque le gouvernemenl hésitait, ne ré- 
pondait pas à ses demandes d'intervention, il mil tout 
en œuvre dans la limite île ses pouvoirs, pour con- 
trecarrer Taction marocaine dans les oasis et y éta- 
blir rinfluence française. 

La mission marocaine avail mécontenté beaucou|> 
les Toualiens par sa rapacité, et son succès ne fut pas 
si bi'illant que le Sultan l'aurait voidu : en réalité, si 
le Tidikelt lui était favorable, le Gourara comprenait 
pluiôt les partisans de la France^ et le Touat propre- 
ment dit voulait rester indépendant. Le Sultan eut 
cependant Tarrogance de déclarer e M. Souhard, 
chargé d'affaires de France, ses prétentions sur les 



sessions méditerranéf^nnes jusqu'à une ligne de Say sur ïe 
Niger h Barroua sur ïe lac Tctiad &. 



~ 39 — 

oasis, s'engageant d'ailleurs à y faire la police et à 
écouter les griefs de la France contre eux. Mais, M. 
Souhard refusa formellement d'entrer en pourpar- 
lers au sujet de ces régions que la France regardait 
comme dépendant d'elle. 

M. Cambon résolut alors d'envoyer à son tour dans 
les oasis une mission composée d'indigènes dévoués 
à la France ; il eut à Alger, puis à El Goléah, une 
entrevue avec le Chérif marocain d'Ouezzan, Si-el- 
Hadj-Abdessalam, protégé français depuis 1884, 
l'Agha de Géryville ; des délégués des Oluled-sidi- 
Cheick et de quelques Ksours du Touat, où les mara- 
bouts Ouled-sidi-Gheick et le chérif d'Ouezzan avaient 
des ressortissants religieux. Ces personnages se ren- 
dirent en mission au Touat (décembre 1891-janvier 
1892), mais n'obtinrent que peu de succès ; il leur 
aurait fallu l'appui de goumiers indigènes ; seules, les 
petites tribus de Khénafsa et de Meharza se décla- 
rèrent favorables à la France : c'était l'échec de la 
politique de pénétration pacifique en faisant agir seu- 
lement l'influence religieuse ; elle ne pouvait être 
qu'une préparation à une action finale et décisive. 

L'année 1892 fut marquée par l'envoi d'une nou- 
velle mission marocaine, cette fois avec des caïds 
nommés par le Sultan ; les Anglais annoncèrent 
même que la prise de possession des oasis était un 



"Tnsw^psE^sw^^ 




— 40 — 

fait accompli, et que la France y avait consenti \ M. 
Cambon en revint alors au projet de conquête par les 
indigènes et de création de fortins qui serviraient 
de bases d'opérations à une action ultérieure plus 
décisive. Le service des affaires indigènes prépara 
d'une façon progressive et judicieuse le jalonnement 
des voies d'accès des oasis. Il fit construire un bordj 
à Hassi-Hinifel, à 80 kilom. au sud d'El-Goléah. Un 
envoyé du caïd marocain d'In Salali voulut faire ces- 
ser les travaux, il fut éconduit, ce qui n'empêcha pas 
le Sultan de faire ré[)andre le bruit qu'il avait arrêté 
une colonne française en marche sur les oasis. Il 
eût même l'audace de nous faire à son tour des obseï' 
vations sur nos empiétements dans le Sud. Sidi Mo- 
hammed Torrès, son délégué à Tanger, et Si-Fed- 
doul-Gharnit, son ministre, protestèrent contre la 
construction de nos bordjs qu'il assimila à une viola- 
tion de frontière. M. Souhard lui répliqua par un re- 
fus absolu de discuter avec lui sur une question 
purement algérienne (nous aurions semblé alors lui 
reconnaître une apparence de droits). M. Loubet, 
alors ministre, déclara « qu'il fallait considérer le 
Touat comme relevant de la France, et que nous 
pourrions régler cette affaire au moment qui paraî- 
trait le plus opportun et par des moyens dont nous 



1. Bulletin du Comité de VAfrique française, septembre 
1892. 




U ■!» 1 II ■■il I 



^^B^rm^Êmmfmfi^^ 



— 41 — 

n'avions à rendre compte à pei'soune ^k Mais une 
occupation effective valail mieux que les affirma lions 
de droil les plus solennelles. Le Sultan, qui le com- 
prenait mieux que nous, se décifla alors à frapper 
un gr"an<i coup pour assurer la prépondérance maro- 
caine encore mal établie malgré lous les efforts ; il 
vint avec son armée dans le rafilell en juillet 1893, 
après avoir soumis des tribus jusque-là hostiles, 
comme les Derkaoui du Medaghara. Le but avoué de 
son expédition était de faire un i>éierinage sur les 
tombes de ses ancêtres les t^boiia Filali, mais le but 
réel élail de grouper autour de lui par le sentiment 
religieux, f^eul lien de toutes ces tribus *< le faisceau 
jiiHque-là im peu cpars et relâché des diverses influen- 
ces dont il disjïor^ail dans le Sahara et le Sud de son 
emjiire ?> '. Celait une politique hardie el dangereuse 
[>our nous ; ce voyage eut un relcnlissement énorme 
dans tout le Suri, même chez nos indigènes algériens, 
le Sultan usa habilement de sa suzeraineté religieuse, 
de sa qualité de descendant du Prophète el il est pro- 
bable que par nos hésitations, le Touat allait être 
perdu pour nous, que la route du Sahara allait nous 
être définitivement coupée, quand une diversion inat- 
tendue nous sauva. 

A la suite d'un incident de frontière à Melilla 
(octobre 1893), l'Espagne déclara la guerre au Ma- 



1» Bulletin du Comité de P Afrique française, septembre 1903. 




— 42 — 

rrn' ; le Sultan dut abandonner précipitamment le 
Tiifilelt avant d'avoir pu recueillir les fruits de son 
iv\|if*dilion, d'avoir établi définitivement son autorité, 
iTLivoir rallié toutes les tribus hésitantes ou rebelles. 
Cependant, M. Cambon continuait par la constnic- 
liMii des forts Mac-AIahon et Miribel, au sud d'El- 
*Hileah, du chemin de fer d'Aïn-Sefra à Djenien-bou- 
Hk -kj la création de troupes sahariennes, l'extension 
'l< - f-elalions par caravanes avec le Gourara et le 
I sililelt (malgré l'opposition d'El Amrani que le Sul- 
laii y avait laissé comme gouverneur), à user de tous 
Ir- jnoyens en son pouvoir. Mais dans la Métropole, 
N m jours mêmes Icrgiversalions sans résultat, même 
iiH riie. M. Cambon alla à El Goléah, mais fut rappelé 
A Atger, le gouvernemeni ayant jugé dangereux son 
pff^jet d'expédition par les Ouled-Sidi-Cheikh. On 
ilr^tutait mainlenant un vaste projet d'expédition en 
huis colonnes qui, sous le commandement du colonel 
Ihilier, devait marcher sur In-Salah, Timinimoun et 
f iiiimi. Les ordres du mouvement furent donnés, 
iiifiis des considérations de politique extérieure firent 
iih ore une fois arrêter cette occupation de terres dé- 
rlrirées françaises trois ans auparavant par un mi- 
(ii>-fie à la tribune de la Chambre. On laissait ainsi 
- ;i' (l'éditer la légende que nous allions occuper des 
Irr res marocaines, commencer le partage de l'empire 
'!h Chérif, et nous nous exposions à une intervention 



— 43 — 

collective amenant un partage dans lequel nous nous 
serions « fait offrir uniquement comme part, ce qui, 

était déjà notre bien Et, pour avoir reculé devant 

une opération militaire des plus simples, qui sait si 
nous n'allions pas courir le danger d'une action mili- 
taire longue et coûteuse », disait alors Harry Alis \ 
Nous eûmes la chance à ce moment que Moulay- 
Hassan mourut (6 juin 1894). A un sultan énergique 
qui était parvenu à soumettre presque tout son em-, 
pire, succédait un enfant, Abd-el-Aziz (le frère aîné 
Moulay Mohammed ayant été écarté du trône), et le 
gouvernement marocain avait assez à faire à l'inté- 
rieur pour que le jeune empereur fût reconnu ; il 
dut abandonner momentanément ses visées sur le 
Sahara. Notre situation politique, un moment si com- 
promise, même chez les tribus sud-oranaises, s'amé- 
liora dans ces régions ; un officier français, le com- 
mandant Godron, pénétrait dans le Gourara avec des 
Goumiers Ouled-Sidi-Cheik, et allait jusqu'à Tabel- 
kosa, mais faute d'ordres, n'osait s'avancer plus 



1. Bulletin du Comité de VAfrique française, janvier 1894. 

A cette époque se passa un' fait qui prouve bien que les 
Musulmans de l'Afrique Occidentale considèrent encore le 
Sultan comme leur défenseur contre les infidèles : une délé- 
gation d'habitants de Tombouctou, où les Marocains n'avaient 
pas paru depuis 400 ans, alla demander à Moulay Hassan 
protection contre les Français. En 1896, Si Ma el Aïn, mara- 
bout de Chemguit, dans l'Adrar, fit également un voyage à 
la cour chérifienne. 



— 44 — 

loin ; nous avions un agent à Salah ; notre adver- 
saire, Ba-Hassoun Badjouba, qui se prétendait caïd 
marocain du Touat, était assassiné, le fort Lallemand 
était construit et les relations augmentaient entre les 
Ksouriens et nos tribus ; des marchés francs furent 
créés dans les villes du sud pour les marchandises à 
destination des oasis (décret du 17 décembre 1896). 
Nous cherchions à nous concilier les Touaregs (mis- 
sions Foureau et d'Attanoux subventionnées par le 
gouvernement général de l'Algérie ; mais les intri- 
gues d'un chérif marocain de la famille des Abédinc 
qui servait la politique saharienne du Sultan firent 
échouer ces missions). Les Chambaas, protégés fran- 
çais faisaient des razzias dans le Tidikelt et le soi- 
disant caïd marocain de Timmimoun implorait contre 
les entreprises françaises l'aide du Sultan qui ne 
pouvait le soutenir, ayant de terribles révoltes à 
réprimer chez lui. Cependant, nous n'occupions tou- 
jours pas les oasis, l'attention de la France était 
tournée vers l'expédition de Madagascar, dont la 
conduite soulevait de vives critiques dans le parle- 
ment et le pays. M.Cambon fit un voyage à Djenien- 
bou-Resk et à El-Abiod-sidi-Cheick, revenant sans 
cesse à son idée d'expédition indigène, mais il se 
heurtait toujours à l'hostilité du chef du 19® corps qui 
ne relevait que du ministre de la guerre, alors que 
les généraux des divisions d'Alger, Oran et Constan- 



] 



- 45 — 

tine dépendaient du gouverneur comme administra- 
teurs des territoires militaires, ce qui constituait une 
situation fausse et paralysait autant notre action que 
les mesquines compétitions entre les ministres fran- 
çais \ 

M. Cambon agissait par le service des affaires 
indigènes dont la direction relevait de lui, alors que 
le chef de corps voulait l'emploi des troupes directe- 
ment sous ses ordres. Les capitaines Germain et 
Laperrine firent un raid dans le Gourara en 1896, et 
la mission Flamand allait reconnaître la route du 
Meguiden et le plateau de Tadmaït. Cependant, le 
lieutenant Collot était massacré le 31 octobre par les 
Chambaas dissidents au sud d'El Goléah, et le gou- 
vernement marocain, qui était parvenu à dompter à 
peu près les révoltés, à l'intérieur de l'empire, recom- 
mençait ses manœuvres avec une ténacité et une per- 
sévérance admirables. L'action marocaine reprit au 
Gourara en 1896. Le gouverneur du Tafilelt, Moulay 
Rechid, oncle du Sultan, fait une expédition chez les 
Ghenamena et sur Timmimoun, pour venger la mort 
de Ba-Hassoun ; les Marocains s'appuyaient sur le 
clan fanatique des Yahmed et persécutaient celui des 



1. M. Cambon était partisan de la création d'un grand 
commandement dans le Sud, dépendant du gouverneur de 
l'Algérie et non du chef du 19® corps, qui donnerait à notre 
politique du Sud l'unité de direction qui lui avait tant man- 
qué jusque-là. 




- 46 - 

Sofiari qui, plus modérés, étaient plutôt partisans 
lie fa France. En juillet 1897, fut nommé un nouveau 
tu 1*1 uu Gourara, El-Hadj-Allal-Driss-el-Cherardi. 

Ia\ situation allait redevenir dangereuse et de plus 
v\\ |iliH l'occupation des oasis finissait par s'imposer 
it nuiiH comme une absolue nécessité et comme la con- 
dition 4n maintien du prestige de la France dans le 
Sud lI de la tranquillité de l'Algérie. Le groupe colo- 
Uiu\ <lc la Chambre fit une démarche inutile auprès de 
\L Ijerlhelot, ministre des affaires étrangères, pour le 
j t'^dement de la question du Touat, en lui représentant 
i|ii tdlr ne devait regarder que les administrations de 
I Algtqje et de la guerre. 

ï 'est alors que M. Cambon fut nommé ambassa- 
deur {i Washington. — Les partisans de l'action mili- 
Iciiit; avaient violemment critiqué sa politique de 
I périr Iraiion par les indigènes « sa chimère d'une 
t(niqii(He pacifique »\ particulièrement par les Ouled- 
Sjdirtieik qu'il aurait pu rendre trop puissants, ce 
()ui aurait été fort dangereux. Il est certain qu'il faut 
su dfdier de cette tribu ambitieuse et versatile, tour à 
liMir soumise et rebelle qui, de 1864 à 1884, avait 
géiU' ni fortement notre expansion dans le Sud algé- 
j ieii : que ceux-ci voyaient leur intérêt dans la con- 
qtiole par eux des oasis sahariennes, où ils auraient 



I. Mandeville, L'Algérie Méridionale et le Touat {Ques- 
tfiftiii diplomatiques et coloniales, 1®' février 1899). 



^1? r,-»--v».«-^'.3, -^j --^•';'-'i'': ■-''-?'!' :-^ •.' -r^-" ' ",' ^ • -*'.V-'-' •^•.•'5'•; J«J^7'«'^|.'W5^WIÎ^ 



-47- 

ensuite recueilli de fructueuses aumônes ; il est cer- 
tain aussi que leur influence n'y était pas si grande 
qu'ils le disaient, de même que celle du chérif d'Ouez- 
zan. Mais il ne faut pas oublier que, dans l'idée de M. 
Cambon, la création d'un empire arabe vassal dans le 
sud devait être contrebalancée par celle d'un grand 
commandement militaire dans ces régions. M. Cam- 
bon n'avait pas le choix des moyens et on peut lui 
rendre cette justice qu'au milieu de l'inertie et de 
la mauvaise volonté générales, il a fait tout ce qui 
était en son pouvoir pour annihiler l'influence maro- 
caine au Touat, et établir celle de la France. 

M. Lépine, qui lui succéda arriva dans un moment 
de crise politique et s'occupa plutôt de la répression 
des désordres antisémites que des affaires du Sud. 
Il augmenta cependant la puissance des Ouled-Sidi- 
Cheik, en reconnaissant leur suzeraineté sur les 
Chambaas, ce que Si Kaddour-ben-Hamza tentait 
depuis 1891 {Lettres du commandant Lamy, 15 jan- 
vier 1891). 

Heureusement, il en fut autrement sous le gouver- 
nement de M. Laferrière. Le colonel Lugan fit, le 20 
décembre 1898, une reconnaissance à Ouargla, le 
capitaine Pein fonda un bordj à Temassinin, et M. 
Laferrière organisait une nouvelle mission Flamand 
qui devait explorer les oasis et tâcher d'y nouer des 
relations plus solides. Cette mission toute pacifique 




- 48- 

amena re que depuis vingt ans nous hésitions à faire, 
1 ( lalili^-urnenl de la France à In-Salah. Le 27 décem- 
liir \su\K les Ksouriens intimèrent à M. Flamand, au 
nom ([n Sultan, l'ordre de ne pas avancer plus loin ; 
In luis-tuii était attaquée au Tidikelt, et le lendemain, 
II' (';i|Mhnrie Pein dont le goum accompagnait M. Fla- 
iMLiniL - ùtablissait dans la Kasbah d'In-Salah. I^ 
jL^nimcrriniient français dut s'incliner devant le fait 
a<« tMM|>l). et le conseil des ministres approuva M. 
Lalci I ifre (9 janvier 1900). Il y eut encore bien des 
iaiih > r<)mmises, bien des difficultés inattendues, 
uiai^ r rn fut fait de la légende des droits du Maroc, 
«fr la rnnl'usion fâchcuse d'une question de police 
alui nrniie et d'une question de politique extérieure ; 
la rura|iîète du Touat était engagée et il fallait coûte 
qiio rn(]|(î la terminer. 

f.!( [Mise de possession des oasis par la France 
1 au*^a il ailleurs moins d'émotion que nous ne Tau- 
rinn^ |iiiisé. En Angleterre, M. Brodrick déclara à 
la ( liiuiibre des Communes que la France n'avait 
|ia- I nikintion de modifier par cette occupation le 
^laln (fiio marocain, et que les intérêts britanniques 
jj'iHaienl par conséquent pas menacés. D'ailleurs, 
r.Vnglck'rre avait assez à faire à ce moment au 
licHiswaal pour susciter des ennuis à la France au 
TiMial. Nos droits étaient si évidents qu'aucune puis- 
tau rc ne protesta et on vit la vanité de toutes ces 



-J492- 

craintes de complications internationales qui nous 
avaient paralysés si longtemps. Tant que la France 
avait hésité, l'Angleterre, TEspagne et même Tltalie 
avaient poussé le Sultan contre nous, provoqué une 
« émotion factice » \ mélangé habilement la question 
du Touat à celle du statu quo marocain : mais elles 
cessèrent leurs menées quand elles virent la France 
décidée enfin à agir et à en finir avec cette irritante 
question. La presse anglaise y vit « un acte parfai- 
tement naturel et légitime » (Westminster Gazette), 
et la protestation platonique du gouvernement ma- 
rocain resta sans écho, il renonça facilement à son 
semblant de suzeraineté. 

Mais la prise d'In-Salah était un coup de main 
heureux, une aventure plutôt que le résultat d'une 
expédition conduite avec méthode, avec un pro- 
gramme précis ; nous avions abordé les oasis par le 
point le plus éloigné de nos possessions en traversant 
un véritable désert alors que, comme il a été dit plus 
haut, il aurait fallu opérer par l'oued Zousfana et 
Toued Saoura, dont la proximité de nos établisse- 
ments du Sud Ol-anais aurait permis une occupation 
progressive des oasis en les coupant immédiatement 
du Maroc et en ayant sans cesse des points de ravitail- 



1. R. Pinon, Les marches sahariennes {Revue des Deux- 
Mondes, 15 janvier 1902). 

Bourassin. 4 



— 50 — 

trriicnt. Les projets d'expéditions avaient écarté cette 
\<ïi« pour éviter d'ouvrir la question marocaine, mais 
Jiuuî^ vîmes bientôt que, sous peine de dépenses exa- 
gii'ées, nous étions obligés de nous emparer de cette 
ligne normale de communications ; d'ailleurs, la coa- 
i[ui'te des oasis fut plus difficile que nous ne Favion^ 
il abord pensé, le parti marocain y était puissant. 
" [ aute de faire les choses à leur heure, dit à ce 
,*^uj{3l M. René Pinon, d'oser prendre une détermina- 
lum^ nous attendons, pour nous décider à agir, d'être 
arrfilés à des difficultés sans issue ; nos entreprises 
liîiissent quand même par réussir, mais elles réus- 
sissent moins complètement et à plus de frais » \ 

Vous allions nous trouver en contact avec les tri- 
bus pillardes de la Zousfana et du ïafilelt qui, plus 
i\\iv le Sultan auquel elles n'obéissaient guère, allaient 
nnifs causer des difficultés graves et rendre absolu- 
iiiuiit nécessaire la solution de la question des fron- 
l 'libres du Sud-Ouest algérien non réglée par le traité 
ili/ 1845 ; malgré nous, la conquête et la pacification 
\iv- oasis sahariennes nous entraînait à un conflit 
avec le Maroc. Il était fatal que nous en arrivions 
liL mais en retardant le moment du contact, nous 
renions rendu plus dangereux, nous avions, sans 
iiilii venir, laissé les Marocains s'établir dans les 



1, Les marches sahariennes {Revue des Deux-Mondes, 15 
janvier 1902). 



— 51 — 



oasis, notre expédition allait se heurter à des tribus 
que nous avions considérées nous-mêmes comme 
marocaines ; il ne pouvait plus être simplement ques- 
tion d'une affaire de police intérieure, mais d'un litige 
qu'il fallait régler avec le Sultan lui-même. 



CHAPITRE III 
La frontière de l'Ouest-Algérien 



La conquête du Touat allait en effet rendre plus 
difficile encore la situation créée sur la frontière algé- 
rienne de rOuest entre la France et le Maroc, par les 
traités de 1844 et 1845. Nous avons vu qu'ils ne déter- 
minaient la frontière que de l'embouchure de l'Oued 
Kiss à Teniet et Sassi et, qu'au delà de ce point, ils 
se contentaient d'opérer un partage de tribus en ne 
reconnaissant au Maroc que les Ksours d'Ich et de 
Figuig ; que les prétentions du Sultan du Maroc sur 
ces régions étaient à cette époque assez peu fondées, 
qu'il n'y exerçait aucune autorité temporelle effec- 
tive, mais seulement un vague pouvoir spirituel, et 
que les Français, mieux renseignés sur l'état exact 
de ces régions, auraient dû s'annexer les deux 
Ksours (ainsi d'ailleurs que la ville d'Oudja). Ils fu- 
rent à peu près en sécurité sur cette frontière, tant 
que la police fut faite par eux : l'expédition de Wimp- 
fen entre autres eut un effet très grand et empêcha 
les tribus marocaines de soulever le sud en 1871, 



— 53 — 

mais quand ils eurent renoncé à ce système pour le 
remplacer par celui des demandes d'indemnités au 
Sultan, les troubles des régions frontières augmen- 
tèrent dans de notables proportions. Qu'importait à 
ces tribus pillardes, Berabers, Beni-Guill, Doui- 
Menia et Oulad Djérir, que le Sultan payât une in- 
demnité. Comme il n'osait pas venir avec son armée 
la prélever chez eux, et qu'il la demandait aux tribus 
soumises, ils étaient assurés d'une complète impunité. 
Ils méprisaient autant la France que le Sultan du Ma • 
roc tant qu'ils les virent loin d'eux ; en 1882, ils de- 
mandèrent notre protectorat parce qu'ils croyaient 
que nous allions nous installer à Figuig ; ils se sou- 
mirent à Moulay-Hassan en 1894, quand il vint au 
Tafilell, mais redevinrent indépendants dès qu'il fût 
parti, et jamais Moulay Aziz n'avait été assez puissant 
pour revenir leur imposer son autorité. L'occupation 
d'In-Salah produisit dans ces régions l'effet d'un coup 
de tonnerre en temps calme. Pour ces tribus, les 
oasis sahariennes étaient un excellent champ d'opéra- 
tions ; ils le pillèrent à maintes reprises, entre autres 
en 1835 : l'arrivée des Français allait les gêner sin- 
gulièrement et, après quelques mois de stupeur, ils 
résolurent de s'opposer par tous les moyens à notre 
marche en avant. La confrérie fanatique des Der- 
kaoua, et Bou-Hamama, notre éternel ennemi, qui, 
de Deldoul, s'était établi près de Figuig, prirent la 



- 54 ~ 

têle du mouvement ainsi que les prétendus caïds ma- 
rocains et leurs partisans qui voyaient gravement 
compromise leur puissance dans les oasis. Comme 
nous avions abordé le Touat par le sud-est, prenant 
la route la plus difficile, au lieu de l'aborder par le. 
nord-ouest, la Saoura, méthode qui, comme il a été 
dit au chapitre précédent, aurait présenté l'avantage 
d'isoler de suite le Touat du Maroc, et d'avoir plus 
de facilités de ravitaillement, il fût facile aux tribus 
marocaines d'aller soutenir les Ksouriens, et la con- 
quête du Touat fut, par suite de cette première faute, 
plus longue et plus onéreuse. 

Le gouvernement français avait toujours reculé 
devant une expédition par la Saoura, pour ne pas 
avoir de difficultés diplomatiques. De même que la 
question du Touat, celle de la délimitation du Sud- 
Ouest de l'Algérie a été confondue avec la question 
marocaine proprement dite. Les traités ne nous enga- 
gi.^ant que pour Ich et Figuig *, nous ne commettions 
aucun empiétement en nous avançant sur des terri- 
foires qui n'appartenaient pas plus au Maroc qu'à 
nous ; quant à ceux sur lesquels le Sultan prétendait 
exercer quelque pouvoir, il était libre, étant pleine- 



L M. Bourrée, notre ministre à Tanger, disait, en 1850 : 
Œ Le traité de 1845 permet toujours d'établir à des tiers que, 
quoique chose que nous fassions en dehors de Toccupation 
de Figuig, nous restons dans la lettre et l'esprit du traité ». 




] 



— 55 — 

ment souverain sur son empire au point de vue diplo- 
matique, d'en disposer, de les céder ou les échanger 
avec la France. Il y aurait traité de délimitation et 
non partage, atteinte au stalu quo marocain ; nous 
ne lésions les intérêts d'aucun tiers, pour la rai- 
son qu'il n'en existait pas dans cette région. Aucune 
puissance n'avait donc prétexte d'intervenir : c'était 
affaire entre la France et le Maroc seuls. 

Or, nous n'avions pas su profiter des avantages 
que nous contestait l'indécision des traités de 1845, 
du vague des frontières, qui aurait dû être « au détri- 
ment du plus faible », comme le disait M. Wadding- 
ton, et devait nous servir à établir notre influence sur 
les tribus de ces régions, nous ne faisions qu'en su- 
bir les inconvénients, même nous allions plus loin 
que les traités et considérions comme terres maro- 
caines non seulement Ich et Figuig, mais tous les 
Ksours situés au sud de ceux-ci sur le Guir, la Zous- 
fana et la Saoura, alors que le Sultan ne dominait pas 
plus dans les uns que dans les autres. Nous avions 
repris même un moment l'idée jusque-là repoussée de 
fixer une frontière entre le Maroc et nous à partir 
de Teniet et Sassi ' : M. Albert Grévy, gouverneur 
de l'Algérie, en 1880-1881, voulait établir une fron- 
tière entre Ich et Sfissifa ; de même, son succes- 



1. On se rappelle les demandes des officiers français et des 
sultans à ce sujet. 



r 



- 56 — 

seur, M. Tirman ; le général Marmet conclut avec 
Moulaï-Arafa, frère flu Sultan, une convention à Ich 
pour fixer la fronlière en 1844. Mais le ministère des 
affaires étrangères s'y opposa en 1886, et M. Cambon 
décirna les proposilions du Sultan à ce sujet en 1891. 
En dépit de toutes les agressions, non seulement 
nous avions respeilé sn upuleusement Figuig, mais 
nous avions poussé les scrupules diplomatiques jus- 
qu'à pi'endre un moment au sérieux les réclamations 
du Sultan, au sujet de noire établissement à Djenien- 
bou-Resk (1885) : depuis, nous avions repris notre 
marche en avanl, mais avec trop de lenteur, nous 
ne revcnion.s à Djcnicn-bou-Resk qu'en 1888 ; nous 
comnicnrions en 1893 (loi du 22 février 1892) un che- 
min de fer de.^liné à la [icnétration dans le Sud-Ora- 
nais, mais, (aule de crédits, nous n'étions encore 
parvenus qu'à 50 kilomètres de Figuig après avoir 
runslruit 28 kilomèlres en huit ans. Heureusement, 
M. J.afcrrière donna une impulsion plus énergique 
à notre pénétration dans le sud-ouest. Quand la ques- 
tion du Toual fut ouverte par la prise inattendue d'In- 
Salah (en décembre 1899), le gouvernement français 
hésita comme en 1890 à envoyer des troupes sur la 
Zousi'ana cl la Saoura. Il se contenta de concentrer 
J des troupes à Duveyrie]^ alors point terminus du 

chemin de fer du Sud-Oranais, mais ne donna pas 
Fordre de marcher ; d'ailleurs, il semble bien qu'il 



— 57 — 

n'avait approuvé qu'à contre-cœur la prise d'In-Sa- 
lah, et qu'il eût même des velléités de l'évacuer oiT de 
s'en tenir à la conquête du Tidikelt. Malgré M. Lafer- 
rière, M. Etienne et le groupe colonial de la Chambre, 
M. Waldeck-Rousseau refusa de faire occuper Igli, ce 
qui aurait coupé la route du Maroc au Touat. Les ré- 
sultats de cette politique ne se firent pas longtemps 
attendre, et les événements se chargèrent de démon- 
trer que quoi qu'en ait dit M. André Berthelot à la 
Chambre (séance du 2 juillet 1900), il y avait un 
« lien nécessaire, une concession logique entre l'oc- 
cupation du Touat et celle d'Igli ». 

Les prédications de Bou-Hamama annonçant la 
marche d'une armée de 40.000 hommes sur l'Algérie 
et l'inaction des troupes françaises de Duveyrier (dont 
le rassemblement faisait d'ailleurs craindre aux Ma- 
rocains et au Sultan lui-même une expédition contre 
eux) firent que El DrissbenNaïmi, se prétendant gou- 
verneur marocain du Gourara, pût s'installer à In- 
Rhar avec 3.000 Marocains et organisa la résistance 
dans les oasis où personne, depuis la prise d'In-Sa- 
lah, n'avait bougé : Igli ne fut occupé que le 5 avril 
1900, alors qu'il aurait dû être le premier acte de la 
conquête si elle avait émané d'un programme rai- 
sonné au lieu d'être fortuite. Il fallut une longue et 
pénible campagne en plein été, engagée par les trou- 
pes algériennes régulières, qui, par suite des difS- 



— 58 — 

cultes de notre voie de ravitaillement, fut extrême- 
ment onéreuse (35 millions), pour terminer une con- 
quête que nous aurions pu faire avec quelques goums, 
et une dépense de 2 ou 3 millions en agissant de suite 
par la Zousfana et la Saoura, et en construisant rapi- 
dement le chemin de fer. Mais quand le gouverne- 
ment se résolut à faire occuper la rive gauche de la 
Zousfana, il eut l'air d'admelire que la rive droite 
appartenait au Maroc, les ordres les plus sévères 
furent donnés aux chefs de j)osles qui furent alors 
créés à Djenane-ed-Dar, Taghit et Igli, de ne pas 
franchir la rivière, et, dit M. René Pinon ', M. Wal- 
deck-Rousseau, dans son discours à la Chambre (où 
d'ailleurs il laissa clairement paraître que l'expédi- 
tion n'avait été aucunement voulue et préparée), 
parla, « comme on parlerait de la rive gauche du 
Rhin, de la rive gauche de la Zousfana que nous ne 
dépasserions pas ». 

Ainsi, après soixante-dix ans de lutte, en Algérie, 
de contact avec les indigènes, le gouvernement fran 
çais retombait dans la même erreur qu'en 1845 pour 
la ligne de l'Oued Kiss à Teniet et Sassi, où elle était 
encore excusable ; il voulait que les Musulmans aient 
comme nous la notion d'une ligne frontière séparant 
deux nations et dont la violation constitue un grave 



1. La conquête du Touat. L'empire de la Méditerranée, 
p. 240. 



— 59 — 

incident, alors que chez eux l'idée de nationalité ne 
se confond pas avec l'idée territoriale, qu'il n'est pas 
question de patrie dans le Coran, que c'est la race, la 
•religion et les mœurs qui constituent à leurs yeux 
le seul véritable lien entre les hommes. Les Musul- 
mans n'ont pas en effet la conception territoriale, 
mais ethnique d'un empire. L'élément principal chez 
eux n'est pas l'idée de limite d'un territoire, mais de 
sujétion d'une population ; il y a un [us soli et non 
un ius originis \ 

De plus, le gouvernement semblait se défier de nos 
chefs militaires, craindre qu'ils ne commissent des 
imprudences dont les conséquences pouvaient être 
dangereuses pour notre situation diplomatique. Mais 
ces appréhensions ne constituaient pas une raison 
suffisante pour ne pas agir de façon à garantir effica- 
cement les territoires nouvellement occupés contre 
les incursions des pillards marocains. Il fallait occu- 
per les deux rives de la Zousfana si nous voulions 
être maîtres de sa vallée, et il était absolument fau- 
tif au point de vue stratégique de laisser la route des 
oasis sans aucune protection sur un de ses flancs, et 



1. Le traité de 1845, qu'on a tant blâmé, tenait parfaite- 
ment compte de cette conception des indigènes, mais mal- 
heureusement, le partage des tribus était trop délicat à opé- 
rer la région des Hauts-Plateaux, car jamais les Turcs ni 
les suftans marocains n'y avaient exercé une autorité effec- 
tive et permanente. 




— 60 — 

exposée ainsi à toutes les attaques. Sans doute, le 
Sultan n'osa ouvertement pas prêcher la guerre 
sainte contre nous, mais les Berabers et Doui-Menia 
ne se gênèrent pas pour franchir cette frontière fic- 
tive et livrer des combats à nos troupes à Sahela Me- 
tarfa, à Duveyrier (30 septembre 1900), et même à 
Timmimoum (18 février), ce qui prouvait bien l'insuffi- 
sance de notre action sur la Zousfana et le manqu 
de prudence d'une politique qui voulait en avoir trop. 

Nous avions perdu un an dans cette région par 
notre respect d'une frontière que nous avions créée 
nous-mêmes ; nous nous étions condamnés à Timpuis- 
sance et nous n'osions pas poursuivre plus loin que 
cette ligne les bandits qui attaquaient sans cesse nos 
convois et nos postes. Il fut bientôt avéré que les mi- 
nistres du Sultan, poussés probablement par l'Angle- 
terre dont l'influence était alors très forte à* la cour, 
intriguaient contre nous, et qu'on nous représentait 
comme méditant une conquête du Maroc. Il est vrai 
que certains journaux parlaient imprudemment d'une 
expédition et d'un partage de l'Empire chérifien 
pour venger les attentats des tribus marocaines contre 
nos troupes. 

Il était urgent d'en finir avec celte situation qui 
pouvait devenir réellement dangereuse, et de bien 
montrer au Sultan et aux puissances européennes 
que nous ne voulions qu'assurer la tranquillité de 



-^ 61 - 

notre domaine algérien par une entente avec le gou- 
vernement marocain. Il est certain qu'il aurait été 
fort imprudent de sembler vouloir porter atteinte au 
statu quo marocain, de risquer de mélanger la ques- 
tion du Maroc qui, étant une question internationale 
par suite des intérêts en jeu, ne peut être résolue que 
par la voie diplomatique. Nous avions nous-mêmes 
créé la fiction des frontières de l'empire du Maroc, 
c'était une grave faute, mais il était trop tard pour 
faire abroger le traité de 1845 « dont une longue tra- 
dition et une pratique de plus de cinquante années 
ont consacré aux yeux de l'Europe la validité » '. La 
confusion de ces deux questions aurait amené, ce que 
nous redoutions tant, l'intervention des puissances 
rivales. L'ouverture de la question marocaine aurait 
été probablement partagé et nous aurait laissé les 
Ksours sahariens qui n'ont pas grande valeur au 
point de vue économique et peut-être la médiocre 
vallée de la Moulouya, tandis qu'elles se seraient 
appropriées les riches vallées du Riff et du littoral de 
l'Atlantique. Or, comme il sera dit plus tard, il im- 
porte que la question marocaine soit résolue au pro- 
fit de la France seule. 

Le gouvernement français prit prétexte de l'assas- 
sinat d'un français, M. Pouzet, par les Riffains, pour 



1. R. Pinon, L'empire de la Méditerranée, p. 255, 



1 



— 62 — 

ilunumder satisfaction au Maghzen non seulement au 
sujeï de ce meurtre, mais de son attitude et de celle 
ih' SCS sujets, dans les oasis. Nos réclamations furent 
HiL'soîïlées d'une façon plus énergique que de cou- 
liujjr, accompagnées de l'envoi de navires de guerre : 
lu Sultan se rendit alors bien compte que si nous ne 
jjicuu* ions pas l'indépendance de son empire, nous 
lîliuus résolus à nous faire respecter et à ne plus tolé- 
IV V \v rôle louche qu'il y jouait dans les affaires du 
SluI ; il envoya à Paris une mission dirigée par un 
[folili(iue consommé et connaissant bien l'Europe, Si 
Aljd v\ Kérim ben-Sliman, pour régler les questions 
liligîijuses avec la France. M. Delcassé signa avec lui 
un protocole le 20 juillet 1901 (( dans le but de conso- 
lidur les liens d'amitié existant entre les deux gouver- 
ïiumcnts ti de développer leurs bons rapports réci- 
l»r(Nnies en prenant pour base le respect et l'intégrité 
i\v lempire chérifien d'une part, et, d'autre part, 
l'amôlioration de la situation du voisinage immédiat 
qui existe entre eux par tous les arrangements parti- 
culiers que nécessitaient le dit voisinage » \ Ce proto- 
roi e déclarait maintenir en principe le traité de 1845, 
mais le gouvernement marocain avait la faculté d'é- 
tnlilit' une ligne de postes de garde et de douanes de 
1 eu ici et Sassi à Figuig sur la rive occidentale de 



I Tftxia du protocole de 1901. 



— 63 — 

rOued Guir, tandis que la France pouvait en établir 
sur le Djebel-Bechar qui domine la rive droite de la 
Zousfana. On devait envoyer une mission aux Doui- 
Menia et aux Ouled-Djerir dont les territoires étaient 
situés entre les postes des deux pays pour leur faire 
opter entre les deux nationalités ; ceux qui voudraient 
être marocains devraient se retirer sur le territoire 
marocain, mais pourraient garder leurs biens. La 
liberté réciproque de circulation et de propriété était 
accordée aux ressortissants des deux états. Des com- 
missaires spéciaux français établis à Oudja et Figuig, 
et marocains à Lalla Marnia et Djenane ed Dar, de- 
vaient régler au mieux et sans retard avec l'appui des 
autorités locales, toutes les questions litigieuses qui 
pouvaient s'élever entre les sujets français et maro- 
cains. Cet accord était satisfaisant : ainsi que le cons- 
tate M. Etienne, dans son discours à la Chambre, du 
20 novembre 1903 : « Jusqu'en 1901, à chaque pas en 

avant que nous faisions dans le Sud-Oranais le 

Sultan disait : vous empiétez sur mon territoire ; des 
notes étaient envoyées à Londres, à Berlin, à Ma- 
drid. A la suite de l'accord de 1901, nous avons fait 
comprendre au Sultan que, pour qu'il ait lui-même 
la sécurité, et pour que nous l'ayons, nous, à notre 
tour, il fallait que nous vivions en contact avec ses 
propres tribus ». 
Cet accord rendit bien nette notre situation vis-à- 




— 04 - 

vis du Maroc : comme le disait M. Revoil, le 25 octo- 
bvc 1901, dans un discours prononcé à Djenane ed 
Uor : (( Si quelque doute a pu subsister encore sur la 
légitimité de l'œuvre de la France dans ce pays, le 
récent arrangement conclu avec le Maroc, les sanc- 
liuns que vont apporter ici même les émissaires du 
Sultan achèvent de lui donner leur vrai caractère de 
[)acilication, de bon voisinage, et non de conquête ». 
\.ij Sultan était ainsi rassuré sur nos intentions, 
jKMis nous présentions en collaborateurs et nonen 
i uiHjuérants et en ennemis, comme l'avaient insinué 
lio^ jjvaux européens, au lieu de commettre la faute 
ili' plus de vouloir établir une ligne frontière trop 
notte dans un pays où cela n'était pas possible, nous 
déridions d'une action commune destinée à assurer 
Ici sécurité des pays du Guir et de la Zousfana. Cette 
l^olilique très sage fut vivement attaquée par les par- 
li>iiiis d'une action militaire qui prétendaient que cet 
tu rangement était un leurre pour nous, que jamais 
Ui Sultan ne pourrait assurer l'ordre dans ces pays 
(|in ne reconnaissaient pas son autorité, qu'il vaudrait 
oiioux agir par nous-mêmes et occuper tout le pays, 
et, au besoin Figuig. Les événements semblèrent leur 
tJonner raison. Sans doute, le jeune Sultan avait mis 
un empressement inusité à ratifier le protocole, et 
clierchait à éviter tout conflit avec nous dans le Sud, 
on exhortant au calme les chefs religieux et notables 



t 



I 



■ :r''-i^^'r'.'\Z'^i''~' 



- 65 - 

de Tafilelt ; il nomma des commissaires qui, de con- 
cert avec les nôtres, devaient régler sur place les 
détails de Texécution de la convention, mais les tribus 
du sud-ouest montrèrent bien qu'elles étaient assez 
peu disposées à accepter la souveraineté de la France 
ou du Sultan. Le 19 janvier 1902, jour où les délé- 
gués marocains arrivaient à Alger, et étaient reçus 
par x\I. Revoit, gouverneur de l'Algérie depuis mai 
1901, deux capitaines de Duveyrier en excursion 
étaient assassinés. Le 10 février, la mission franco- 
marocaine \ accompagnée d'une forte escorte, arriva 
à Zenaga (Ksar de Figuig), où elle fut reçue avec 
courtoisie, mais froideur ; elle procéda cependant à 
l'installation d'un commissaire à Figuig et El Gueb- 
bar, tenta d'organiser l'administration marocaine qui 
n'avait jamais pu être établie jusqu'à ce moment. 

Elle assista à l'inauguration du chemin de fer de 
Duveyrier à Beni-Ounif, village destiné à être la 
gare de Figuig (P"" mars 1902), où nous venions de 
créer un poste, puis se rendit à Bechar où les habi- 
tants refusèrent de les recevoir en prétendant qu'ils 
voulaient rester indépendants ; il en fut de même à 
Kenadsa quoique la réception ait été plus courtoise ; 
enfin, le 13 février, menacée d'une attaque par les 
Doui-Ménia, elle devait rétrograder ; en dépit des 



1. Elle était dirigée par Si Mohammed el Guébbas pour le 
Maroc, et le général Cauchemez pour la France. 

Bourassin. 5 



— 66 - 

explications des journaux officieux, il était bien évi- 
1' ut quelle n'avait abouti qu'à un insuccès. 

<• Sans doute, la mission franco-marocaine était 
|iiij venue à liquider quelques questions et à prendre 
quelcjues mesures secondaires, mais elle avait échoué 
(lyjH la partie la plus importante de son programme, 
file n'avait obtenu ni l'option des Ksouriens, ni la 
^niimission des nomades » \ 

l.e gouvernement persista dans sa politique d'en- 
lifile avec le Sultan, mais reconnut la nécessité d'or- 
gtmiser plus solidement les territoires nouvellement 
<M i (îpés. Il reprit en partie le projet de M. Cambon, 
au sujet d'un grand commandement dans le Sud. 
1j' 28 décembre 1901, il déposa un projet tendant 
y la création de territoires du Sud (Aïn-Sefra, Oasis 
siihariennes, Laghouat, Ouargla), avec budget et 
tiihiiinistration distincts de ceux de l'Algérie, com- 
ju.iudésparun officier supérieur relevant directement 
(lu général commandant le 19^ corps et du Gouverneur 
g( néral de l'Algérie. Un décret subordonna pour 
lu u Les les affaires purement algériennes le comman- 
ilriiicnt du 19* corps au Gouverneur de l'Algérie. 
' \insi disparut cette dualité de pouvoirs qui avait 
vive tant de difficultés lors de la campagne du Touat » 



I. Houard de Gard, La frontière marocaine et le protocole 
dn 20 juillet 1901, 



— 67 — 

(R. Pinon)'. Cette proposition fut convertie en projet 
de loi du 25 mars 1902. On décida la création de com- 
pagnies sahariennes formant de petits corps autono- 
mes composés de fantassins, cavaliers, méharistes, 
artilleurs et convois. Celte organisation très simple 
et peu coûteuse laissait une certaine indépendance 
aux commandants de cercles ; nous renoncions au 
système de la grande guerre qui nous avait coûté si 
cher lors de la conquête des oasis, et nous formions 
des forces mobiles capables d'assurer plus efficace- 
ment la sécurité du Sud Algérien. Il y eut des polé- 
miques engagées à ce sujet ; on a accusé le service des 
affaires indigènes de vouloir former une armée indé- 
pendante et d'amener une dangereuse dualité d'ac- 
tion. Cela ne se produira pas si l'on sépare bien leur 
rôle : en destinant l'armée régulière à assurer la dé- 
fense de l'Algérie contre un ennemi extérieur et le 
service des affaires indigènes à faire la police du 
Sud. On a douté de la solidité des goums. Sans doute 
il faut moins compter sur eux que sur les troupes 
régulières, mais ils ont donné de très bons résultats 
quand ils étaient conduits par de bons officiers et 
ceux-ci ne manquent pas dans notre armée d'Afrique. 
Le 20 avril 1902, fut signé, à Alger, où était retour- 



1. R. Pinon, La conquête du Touai, p. 245. L'empire de la 
Méditerranée, 



I 




- 68 - 

née la mission franco-marocaine, un nouvel accord 
pour compléter le précédent. Il y était dit qu'il avait 
pour but d' « affennir définitivement l'entente et le 
double et mutuel appui que se prêtent la France et le 
Sultan dans les conditions spéciales qui correspon- 
dent à leur situation respective pour assurer la pros- 
périté et le développement des deux pays ». En plus 
des dispositions commerciales (établissements de 
ports de douanes et marchés), ce protocole contenait 
l'engagement par le gouvernement français de conso- 
lider l'autorité du Sultan sur les tribus frontières, et 
des clauses concernant l'établissement de postes ma- 
rocains de l'Oued Kiss au Teniet el Sassi, à Figuig, 
et d'un Kalifa de Tamel de Figuig au Béchar, et la 
police mixte dans le Djebel des Beni-Smir entre Te- 
niet el Sassi et Figuig. 

Le 24 décembre 1902, fut votée la loi créant les ter- 
ritoires du Sud et les compagnies sahariennes, orga- 
nisation qui a produit depuis d'excellents résultats. 
La paix du Sud-algérien était assurée par des raids 
comme ceux des lieutenants Cottenest et Guillo-Lohan 
et du commandant Laperrine. Les dépenses, qui s'é- 
taient élevées à 28 millions pour les années 1900 et 

1901, ne se montaient plus qu'à 3 ou 4 millions en 

1902, et nous pouvions considérer comme suppri- 
mées ces « questions du Touat » et (c question Toua- 
reg » qui avaient si longtemps paralysé notre expan- 



— 69 -" 

sion dans le Sud et qui, par suite d'une déplorable 
confusion, avaient un momenl embarrassé la question 
marocaine. 

Toutes les difiîcultés qui surgirent en l'année 1903 
allaient nous venir du sud-ouesl, une a question de 
Figuig » allait se greffer à son tour sur la question du 
Maroc. 

L'attribution de Figuig au Maroc, par le traité de 
1845, est une des fautes qui nous causa le plus de 
difficultés par la suite. Ainsi qu'il a été dit précédem- 
ment, cette oasis se considérait comme indépendante : 
la preuve est qu'en 1856, lor^ de lexpédition du com- 
mandanT d'Hastugue contre les Hamyan, elle fit de 
même qu'Icli des propositions de soumission à la 
France, mais elles ne furent pas acceptées ^ ; Texpédi- 
tion de Wimpfen, en 1870, la reîi^pecta scrupuleuse- 
ment. Après la révolte de Bou-Ilaniama et Tallaque 
de la mission topographique de Castries (1881-1882), 
le général Saussier, commandant le 20' corps, et M. 
Tirman, gouverneur de l'Algéi'ie, demandèrent que 
notre diplomatie obtint pour nous de la part du Sul- 
tan le droit d'occuper temporairement Figuig, pour 
en finir avec Tinsurrection. Au Parlement, MM. Thé- 
not et Ballue réclamèrent même Toccupalion défini- 
tive, mais M. de Freycinet, alors ministre des affaires 



1. Malgré les demandes des généraux Deligny (1867) de 
Colomb et du colonel Colonieu (1868). 



'^"W 



— 70 — 

étrangères, refusa, sous le prétexte que cet acte n'au- 
rait aucune efficacité, mais en réalité parce qu'il 
redoutait les représentations espagnoles et anglaises '. 
Il n'était plus possible, en effet, au point de vue inter- 
national, de considérer Figuig comme indépendante, 
puisque nous l'avions nous-mêmes déclarée maro- 
caine. Aussi le gouvernement français fut-il consé- 
quent avec lui-même quand, en 1883, il fit demander 
au Sultan par M. Déchaud l'envoi d'un amel maro- 
cain dans le Ksar, et qu'en 1902, il y fit envoyer par 
l'Algérie des soldats marocains. 

Mais la politique de ^IM. Delcassé et Revoit ne 
pouvait être efilcace que si elle était énergique. Sans 
doute, il fallait éviter tout acte qui aurait pu être 
ioLerprélé comme une atteinte au statu quo maro- 
cain, mais il importait absolument aussi de faire res- 
pecter nos territoires. Or, à partir de décembre 1902, 
le Sultan, paralysé par une grave révolte aux portes 
mêmes de sa résidence, ne put plus nous aider, et 
la France eut, à ce moment, dans tout l'ensemble de 
sa politique saharienne, un moment d'hésitation qui 
fut interprété comme une marque de faiblesse et 
amena une recrudescence d'attentats contre nos postes 
et convois. Une répression immédiate s'imposait. 



h II y eut, en effet, des protestations de la pari de ces 
puissances quand le commandant Marmet livra un combat à 
BoLî-Hamama, sous les murs du Ksar de Figuig. 



— 71 — 

Quand M. Revoil fut remplacé par M. Jonnart, celui- 
ci obtint du gouvernement Tautorisation d'agir éner- 
giquement, et au besoin même de bombarder Figuig ; 
il fut attaqué le 21 mai 1903 par les gens de Zenaga 
(qui étaient particulièrement hostiles à notre péné- 
tration), lors d'une reconnaissance qu'il fit aux abords 
de l'oasis avec le général O'Connor, commandant 
la division d'Oran, et cela donna le prétexte cherché 
pour faire un exemple dans la contrée ; le 8 juin, 
Figuig fut écrasée par les obus français et fit sa 
soumission le lendemain. Pour bien montrer que 
nous ne voulions pas entreprendre de conquête, et 
rester jusqu'au bout fidèles aux traités, les troupes 
françaises ne franchirent pas les sols désignés comme 
frontière. On se contenta de montrer aux gens de 
Figuig qu'ils étaient à notre merci, sous le feu de nos 
canons. En même temps, une colonne s'avançait dans 
le Béchar et une autre vers le Chott Tigri (entre Mé- 
chéria et Figuig). On crut en avoir fini avec les ban- 
dits marocains, mais alors apparurent avec plus de 
netteté les conséquences de la faute commise sur la 
Zousfana. Comme c'était la voie de communication 
des oasis, il fallait qu'elle soit fortement défendue, 
que des postes soient établis en avant d'elle pour 
arrêter les bandes marocaines et les empêcher d'aller 
piller nos convois. Or, on se rappelle que sous le 
ministère Waldeck-Rousseau, il avait été absolu- 



I 



— 72 — 

ment défendu à nos ofTiciers de traverser la Zous- 
fana. <( Une fiction diplomatique incompréhensible 
ilans une région où l'autorité du Sultan n'existait 
[)a.s, nous obligeait à respecter ce repaire de bandits 
(Djebel Bechar), comme quelque chose de sacré, la 
liontière de S. M. Chérifienne aussi inconnue des 
inilards infestant ces parages qu'incapable de se faire 
I respecter d'eux » '. Les protocoles de 1901 et 1902 
nous avaient donné le droit de nous fortifier sur le 
rïjebel Béchar, mais une interprétation trop restric- 
Il\u de ces accords nous avait empêchés de nous éta- 
blir sur le Guir et de protéger ainsi plus efficacement 
encore la vallée de la Zousfana : nous avions établi 
riihe ces deux rivières une esi)èce de zone mixte où 
iihrun des deux Etats ne pouvait établir des postes, 
iuais avait le droit de police. Comme le Sultan n'était 
pas en état de faire occuper la rive droite de l'Oued 
liuir, notre ligne de communication était encore à la 
nitirci d'un coup de main. Les attaques d'un convoi, le 
[*> juillet, du poste de Taghit, le 19 août, et celle du 
( unvoi d'El Moungar, le 2 septembre, par les Bera- 
hej^ et autres nomades, le prouvèrent bien. Il n'y avait 
l^lus de scrupules diplomatiques à avoir. Béchar fut 
iHX'upé le 12 novembre 1903, ainsi que Tagda, ce qui 
nous donnait la ligne de l'Oued Béchar (et même d'El 



I. Revue de Paris, 1®' janvier 1904. Combat d'El Moungar. 



1 



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— 73 — 

Baharia sur le Guir). Il ne s'agissait pas seulement 
de créer des postes sur ces territoires, il fallait les 
organiser, obtenir la soumission des Beni-Guill, Ou- 
lard Djerir et Doui-Menia, et enfin aider le Sultan à 
établir son autorité dans la zone que nous lui avions 
reconnue. 

Cette politique d'entente avec le Sultan continuait 
à être vivement critiquée en Algérie. M. Pène-Siefert, 
dans un article très violent ' déclarait que jamais le 
Sultan ne pourrait rétablir l'ordre sur la région fron- 
tière, que c'est nous qui aurions dû établir son auto- 
rité à Figuig, que nous commettions une faute grave 
en renonçant à notre droit de suite, seul capable de 
faire régner l'ordre dans ces régions, et qu'il aurait 
mieux valu traiter directement avec les Djemaa de^ 
Ksours et les chefs des tribus frontières. Il accusait 
le général Cauchemez, chef de la commission fran- 
çaise, et M. Ronsin, délégué du ministère des affaires 
étrangères, de s'être laissés berner par El Guebbas 
dont il demandait le renvoi au Maroc. 

Un moment, M. Jonnart et le général O'Connor 
même parurent s'écarter de la ligne de conduite que 
leur avait tracée le gouvernement et vouloir recourir 
à la politique d'entente directe avec les tribus, sans 
plus tenir compte de l'autorité du Sultan. M. Jonnart 



1. Revue politique et parlementaire, août 1903. La politi- 
que française au Maroc. 




'l — 74 — 



refusa de recevoir à Saida les excuses de Mohammed 
Guebbas (qui aurait dû l'accompagner dans son 
\ oyage), â propos de rallentat de Figuig ; de son 
côlé, le général O'Connor déclara, dans une allocu- 
fion adressée aux membres des Djemmaa de Figuig 
que la France les laissait libres de méconnaître l'au- 
torité du Sullan ; enfin, on abandonnait à Oran les 
soldais mei'oc-ains destinés à renforcer la garnison 
de Figuig. Nos rivaux européens au Maroc exploitè- 
rent nalurellcnient ces incidents qui eurent un re- 
lent isscnieu! fâcheux à la cour du Sultan, et de nou- 
veau, des incdcnlendus graves pouvaient surgir. 
Ileur'eLi?^eïnDtiL cette divergence de vues s'est termi- 
née, le généra! O'Connor fut déplacé, le gouverneur 
accepta il les excuses de l'envoyé marocain et, depuis, 
la politique de collaboration avec le Sultan est fran- 
chement suivie. 

Nous avions organisé notre <( marche du Sud- 
Ouest ►», occupé Baharia, obtenu la soumission des 
Doui-Menia : le 30 décembre 1903, furent organisés 
définitivement les territoires des oasis sahariennes, 
une compagnie fut établie à Beni-Abbès (point préféré 
à Igli) sur la Saoura, et la subdivision d'Aïn-Sefra 
forma un organe spécial relevant directement du chef 
du corps. Le général Lyautey qui la commande a reçu 
depuis la soumission d'une partie des Beni-Guill et 
des Amour dissidents, seuls les Oulad Djerir restent 



""^iC^ 



-- 75 -- 

dans l'expectative ; un goum a été organisé chez les 
Doui Menia, ce qui a permis de réduire dans de fortes 
proportions les troupes d'occupation dont l'entretien 
était si coûteux. On créa un cercle de Colomb à Tag- 
da et un autre à Taghit. Beni-Ounif est devenu une 
commune annexe dépendant directement d'Aïn-Sefra. 
— Nos postes ont été reliés entre eux par le télégra- 
phe : nous avons constitué actuellement une marche 
solide qui nous permet de surveiller les Berabers du 
Tafilelt, et d'empêcher leurs incursions. 

Le résultat^ de cette occupation et de cette organi- 
sation a été la pacification de la région. Il n'y a plus 
eu depuis que des attentats isolés, comme celui du 
3 mars contre les courriers, et le 21 mars, contre les 
chameaux des Doui-Menia, ralliés près de Ben-Zireg. 
D'une façon générale, les Ksouriens et les Berabers 
ont senti notre force et compris qu'il valait mieux 
commercer avec nous que nous attaquer, et des rela- 
tions commencent à se nouer entre nos postes et les 
oasis marocaines, non seulement du Figuig, mais 
d'Aïn-Chair, et du Tafilelt. Le marché de Beni-Ounif 
est très prospère et est devenu le centre commercial 
de la région. Ce mouvement ne fera que s'accroître 
quand sera terminé le grand instrument de pénétra- 
lion pacifique, le chemin de fer qui reliera les oasis 
sahariennes avec l'Algérie. Après avoir été longtemps 
délaissé, (ayant été commencé en 1893, il n'avait en 



- 76 - 

l!}n:! que 145 kilom.), il est poussé actuellement avec 
l*hi- de vigueur et va atteindre Ben-Zireg. Une 
>iif»\ciilion de 2.400.000 francs avait été votée pour 
1rs travaux de ce tronçon et une autre de 200.000 
lianes, pour les études du tronçon Ben-Zireg-Baha- 
lia-Kenadsa-Igli, qui vont être commencées. L'in- 
génieur des ponts et cliaussées de Mascara et le con- 
«liH [eur de Beni-Ounif, puis M. Etienne, sont allés 
\Mir, dans ce but, le marabout de Kenadsa, Si Bra- 
iMin. qui se montre très bien disposé à notre égard. 
Midii-Amama a dû quitter Figuig pour se réfugier 
Jîiii^ les montagnes de TOuest, et la France peut se 
rniiî-idérer comme maîtresse incontestée de toute cette 
<Linfrée. 

\ous sommes en mesure désormais de recueillir 
les fruits d'une politique qui, si elle a été parfois trop 
liiiiorée, trop irrésolue dans l'exécution, était bonne 
lia ris sa conception. Par sa loyauté, son expérience 
(les choses musulmanes, l'habileté de ses administra- 
leiir et la bravoure de ses soldats, enfin par les heu- 
reux résultats de son expansion dans le Sud et l'Ouest 
Algérien, la France s'est assurée une influence pré- 
[NJûdérante non seulement sur les régions limitrophes 
rN' r Algérie, mais encore sur le Maroc tout entier. 
Au moment où s'ouvre la question marocaine, elle se 
h Olive dans une position très avantageuse : solide- 
ment établie sur sa frontière oranaise, elle s'est ren- 



à 



- 77 - 

due indispensable au Sultan qu'elle aide à rétablir 
l'ordre dans les régions troublées d'Oudja et de Fi- 
guig, et lui a montré, ainsi qu'aux puissances euro- 
péennes, même les plus hostiles jusque-là à nos prr 
grès au Maroc, que, seule, elle était en mesure de 
résoudre au mieux des intérêts de tous, la question 
marocaine, et que mieux que toute autre elle pourrait, 
en étendant à l'empire chérifien tout entier la poli- 
tique de coopération avec le Sultan qu'elle avait appli- 
quée aux régions frontières, amener à la civilisation 
cet « anachronisme politique, épave du moyen âge 
musulman » \ dans lequel jusqu'ici la rivalité des 
divers états avait maintenu un statu quo nuisible à 
tous. 



1. Lorin, La question du Maroc {Revue politique et parle- 
mentaire, 10 juillet 1901). 



► 



CHAPITRE IV 
L'Empire marocain et la pénétration européenne 



Le Maroc est resté pendant longtemps assez mal 
connu, au point de vue géographique comme au 
point de vue politique. Actuellement encore, les 
villes de la côte seules sont fréquentées par des Eu- 
ropéens, et ce n'est que grâce aux quelques explora- 
teurs comme les Français : de Foucauld, de Segonzac, 
Mouliéras, Doulté, et les Allemands : Gérard Rohlf et 
Fischer qui ont pu pénétrer, en risquant leur vie, 
dans l'intérieur du pays, que nous avons pu nous en 
faire une idée exacte. 

(( L'aspect général de la contrée est celui d'une 
double rangée de gradins parallèles, s'opposant les 
uns aux autres ; un double escalier, dont la première 
marche serait le Riff, longeant la Méditerranée, puis 
le moyen Atlas, le Grand Atlas, arête culminante, 
orientée du nord-ouest au sud-ouest, et, en descen- 
dant de l'autre côté l' An tle- Atlas, qui regarde le dé- 
sert. 

(( Au pied de ce gigantesque escalier, s'étend jus- 



- 79 — 

qu'à l'Atlantique une plaine riche et fertile, arrosée 
de fleuves sans cesse alimentés par les neiges éter- 
nelles qui couvrent le front chenu de l'Atlas : Se- 

bou, Bou-Regrag, Oum er Roubia qui découlent du 
versant nord. 

<( Le Maroc, fécondé par des pluies abondantes, est 
la terre bénie de la nature dans le nord de l'Afrique. 
La superficie porte déjà et est capable de porter en 
plus grande abondance d'infinies richesses agricoles. 
Les montagnes inexplorées réservent à nos arrière- 
neveux des trésors à découvrir » \ 

Voici ce qu'en dit de son côté M. Mouliéras ^ : 

« Situé dans la zone tempérée, arrosé par les pluies 
qui viennent de la Méditerranée et de l'Océan, il de- 
vrait être le grenier d'abondance de l'Afrique sep- 
tentrionale. Tandis que ses voisins de l'est souffrent 
quelquefois de la sécheresse, lui n'aurait à se plaindre 
que du trop grand nombre de déluges bienfaisants 
qui l'inondent régulièrement et font pousser les hautes 
herbes de ses prairies. Nulle part, dans l'immense 
Afrique, de territoire plus bieau, plus varié, plus 
riche Quelques poignées de blé jetées sur le ter- 
rain à peine écorché par la charrue indigène, donnent 
des récoltes superbes ». 

Pourquoi, un pays qui pourrait être si productif. 



1. Journal Le Malin, n° du 25 janvier 1904. 

2. M. Lamy, Le Maroc inconnu {Grande Revue). 



- 80 - 

qui contient 80.000 kilomètres carrés de terre culti- 
vable, qui possède Teau qui manque tant à TAlgérie 
et à la Tunisie, où l'on tiouve céréales, fruits et bes- 
tiaux, qui contient des mines de cuivre, de fer, d'ar- 
gent, peut-être même d'or, n'est-il pas mis en valeur 
comme il devrait l'être, n'a-t-il qu'un commerce inté- 
rieur peu développé, ne fait-il avec l'étranger qu'un 
chiffre d'affaires insignifiant par rapport à son éten- 
due et à ses ressources (il n'atteignait pas 100 millions 
en 1901) ? Pourquoi, alors que l'expansion européenne 
s'est largement développée dans les pays musul- 
mans, que plusieurs même sont occupés par l'An- 
gleterre ou la France, que le surcroît de population, 
que le développement industriel intense qui caracté- 
rise notre époque pousse les nations européennes à 
chercher des débouchés au dehors, à s'emparer de 
terres pour y établir des colons, des comptoirs pour 
leurs commerçants, le Maroc est-il resté en dehors 
de ce mouvement ? — Cela tient à deux causes : 

Son état politique. 

La position géographique qui a rendu opposés les 
intérêts de diverses puissances européennes, et fait 
qu'elles se sont employées seulement jusqu'ici à y 
maintenir le statu quo. 

Ce n'est que depuis peu que nous nous faisons une 
idée exacte de ce qu'est l'état politique du Maroc. 
Nous nous sommes longtemps figurés, en 1845, par 



- 81 - 

exemple, que nous avions à faire à une puissance 
comme la Turquie, qui présente un semblant d'orga- 
nisation. De cette ignorance de la situation réelle du 
gouvernement marocain, ont résulté bien des erreurs 
et bien des déceptions. Nous savons maintenant que 
ce que nous appelons l'Empire chériflen est une pure 
fiction, « une expression trompeuse et quelque peu 
prétentieuse, qu'ont imaginée les chancelleries d'Eu- 
rope pour désigner le coin occidental de l'Afrique du 
Nord » \ — Le Maroc n'est pas un état centralisé, 
ni même organisé, il n'est pas non plus, comme on 
l'a répété souvent \ un empire en décomposition : 
sans doute, quelques sultans sont parvenus à y éta- 
blir un semblant d'unité, mais elle n'a jamais pu 
durer, c'est une expression géographique, comme le 
fut longtemps l'Italie % c'est un état dans lequel l'as- 
semblage des parties n'est pas encore cohérent » *. 

Il y a d'abord deux races différentes qui n'ont ja- 
mais pu se fondre et former une nation. Les Arabes 
envahisseurs et les Berbères autochtones qu'aucun 
des conquérants successifs du pays, Phéniciens, Ro- 



1. Bulletin du Comité de l'Afrique française, février 1897. 

2. MM. Mouliéras, Le Maroc inconnu ; Ludovic de Cam- 
pon, Un empire qui croule. 

3. M. Sartay (La question du Maroc en 1901), compare 
le Maroc à l'Italie du moyen âge, avec ses Guelfes et ses Gibe- 
lins. 

4. Augustin Bernard, Evolution de la question du Maroc, 

Bourassin. 6 



-Il un iillllfl 



mmm 



— 82 — 

mains, Vandales ou Byzantins, n'ont pu assimiler. 
Convertis à l'islamisme comme ils le furent jadis au 
christianisme, ils ont toujours gardé, même en ma- 
tière religieuse, un farouche amour de l'indépen- 
dance, ils sont plutôt hérétiques qu'orthodoxes et 
conservent, mêlés à la doctrine du Prophète, les su- 
perstitions de leur race. Au point de vue politique, 
ils se sont soumis en apparence quand ils se sont 
sentis les plus faibles et ont repris leur liberté dès 
que la puissance de leurs conquérants a décliné. 
Mais il n'y a jamais eu de sentiment national berbère : 
plus encore que les Arabes, ils n'ont pu s'élever au- 
dessus de la notion de la tribu. Ils n'ont aucune idée 
d'un Etat organisé et surtout centralisé. « Bien loin 
que le danger commun les réunisse, on les a vus se 
joindre à l'envahisseur pour piller une tribu voisine 
ou satisfaire quelque rancune » '. — La nature a 
beaucoup contribué à donner à la population ber- 
bère cet esprit de particularisme qui a fait à la fois 
sa force et sa faiblesse. Car ils sont (( aussi facilement 
conquis que difficilement assimilables »>. Les mon- 
tagnes du Maroc, où habitent de préférence les Ber- 
bères forment tantôt des massifs aux vallées étroites 
comme le Riff, isolés par des plaines dans lesquelles 
se sont répandues des tribus arabes ou arabisées, 



1. R. MiUet, Nos frontières de TAfrique du Nord (fievue 
de Paris, 25 octobre 1903). 



j 



— 83 — 

tantôt au contraire, des chaînes qui isolent les plaines, 
divisent le pays en trois parties qui ont longtemps 
formé trois états, Fez, Marrakech et le Sous, qui ne 
communiquent entre elles que par les rives de la mer 
ou des cols peu franchissables : enfin, l'Antiatlas isole 
du Maroc proprement dit les oasis du Tafilelt, de la 
Saoura et du Guir. Donc, aucune unité géographique 
ou ethnique, c'est ce qui explique le manque d'unité 
politique. 

(( Ce pays, a dit M. Delafosse ' à la Chambre, n'est 
qu'une juxtaposition de tribus insoumises, indisci- 
plinées, toujours prêtes à la révolte, s'ignorant à peu 
près les unes les autres, ou ne se connaissant que 
pour se combattre et se piller réciproquement ». Et 
M. Delcassé ^ : « Le Maroc n'est qu'un assemblage 
de tribus reliées tant bien que mal par la croyance ». 

Au-dessus de ces tribus, arabes ou berbères, il y a 
un Sultan qui est maître absolu conrnie tous les sou- 
verains musulmans, du moins telle semble être l'ap- 
parence. En réalité, il est plutôt un pape qu'un empe- 
reur, un chef religieux (Chérif), dont l'autorité vient 
de ce qu'il est le descendant du Prophète, le Comman- 
deur des Croyants (aux yeux des Musulmans de l'A- 



1. Discussion des interpellations sur la politique extérieure 
10-11 mars 1903 {Journal Officiel, 12 mars). 

2. Séance du 23. novembre 1903 {Journal Officiel, 24 novem- 
bre). 




- 84 - 

frique occidentale, le Padischah de Constantinople 
n'est qu'un usurpateur). Comme vicaire du Prophète, 
il est vénéré dans toute la Berbérie et même au Sou- 
dan jusqu'à Tombouclou ; mais il en est autrement 
au point de vue temporel. — D'abord, il existe au 
Maroc de puissantes confréries religieuses comman- 
dées par des chefs qui, pour n'être pas révérés à l'égal 
du Sultan, n'en sont pas moins regardés comme des- 
cendants de Mohammed : tels sont les Chérifs d'Ouez- 
zan, chefs de la confrérie des ïaybia ou Taybin, les 
marabouts des confréries Derkaoua, Quadrya, Ais- 
saoua, que le Sultan doit ménager, chercher à se ren- 
dre favorables : ils sont puissants, possèdent d'im- 
menses biens personnels et gèrent ceux dé leurs con- 
grégation, plus importants encore, sur lesquels ils 
sont les maîtres plus que le Sultan ; ils sont, la plu- 
part du temps, exempts d'impôts, souvent même c'est 
le Sultan qui les pensionne, offre des armes à leur 
tribu ; s'ils paient, c'est une sorte d'offrande reli- 
gieuse, de « don gratuit » (Ziara), analogue à celui du 
clergé de France sous l'ancien régime. 

Dans les contrées qui ne dépendent pas des confré- 
ries, le Sultan a des représentants, caïds, amel ou 
Khalifa, mais si, dans certaines, dans celles qu'on ap- 
pelle les tribus soumises, ces fonctionnaires sont à* 
peu près respectés, et peuvent percevoir les impôts 
(dont ils se réservent, d'ailleurs, une large part, sans 



— 85 — 

compter ce qu'ils extorquent à leurs administrés), il 
n'en est pas de même dans les pays où l'autorité tem- 
porelle du Sultan n'existe que peu ou point : ses re- 
présentants sont tolérés à condition de ne se mêler de 
rien, surtout de demander de l'argent, ou même ne 
sont pas acceptés du tout et assassinés dès qu'ils se 
présentent : là, toute l'autorité est à la Djemaa (con- 
seil des notables). 

11 y a bien aussi un pouvoir central, une cour du 
Sultan (Maghzen), composée de ses familiers, ses 
hauts fonctionnaires européens ; il n'existe aucune 
délimitation, aucune fixité dans les fonctions, aucune 
distinction entre l'administration et le gouvernement ' 
(la seule loi est le Coran, la loi religieuse), c'est l'ar- 
bitraire absolu, la puissance réelle appartient au fa- 
vori du moment qui cherche alors à réunir tous les 
pouvoirs entre ses mains, en attendant qu'un autre le 
remplace dans les faveurs du maître. Le Sultan a 
deux capitales, Fez et Merrakech ou Maroc (il réside 
aussi à Rabat et à Meknis) ; mais, quand le Maghzen 
veut se transporter de l'une à l'autre, il faut qu'il en- 
treprenne une véritable expédition, parce que les 
montagnes qui les séparent sont habitées par des tri- 
bus en révolte perpétuelle. Il en est de même pour la 



1. Dans les provinces, le même fonctionnaire est adminis- 
trateur et percepteur. En créer deux ne servirait actuelle- 
ment qu'à augmenter les abus. 



i 



} 




— 86 — 

[ierceplion des impôts : sauf dans les quelques villes 
el provinces d'accès facile qui sont bien obligées de 

I rayer, à moins que, poussées à bout par les exac- 
tions des gouverneurs, elles ne se révoltent aussi, le 
Sultan doit employer son armée (mahalla), et quelle 
armée, un amas de gens trop jeunes ou trop vieux, 
mal vêtus, mal armés (à part une petite troupe d'in- 
limterie et d'artillerie instruite tant bien que mal par 
(Jes Européens), composée de contingents envoyés 
par quelques tribus fidèles, et qui n'ont i)as à compter 
sur une nourriture et une solde régulières. 

Aussi, ces expéditions fiscales sont un véritable 
riéau, les contribuables doivent arriver à composition, 
rm, s'ils persistent dans leur rébellion, sont absolu- 
ment pillés, à moins qu'au contraire ils ne parvien- 
nent à repousser les troupes du Sultan, ce qui arrive 
fréquemment étant donné le |)eu de valeur de celles-ci. 

II arrive même qu'en tête du mouvement de révolte 
sont les gouverneurs nommés par le Sultan. 

On voit donc ce qu'est politiquement le Maroc : un 
Etat non seulement féodal, mais anarchique, où le 
Sultan, souverain absolu en théorie, n'est pratique- 
ment maître que d'un cinquième à peu près du pays, 
ce qu'on appelle le bled-el maghzen (pays de l'admi- 
nistration); tout le reste est le bled es siba, le pays 
du vol. Il est impossible de déterminer exactement les 
limites des pays soumis et insoumis : tel Sultan, 



— 87 — 

comme Moulay-Hassan, mort en 1894, était parvenu, 
par la force de ses armes, son énergie et son habileté, 
à se rendre maître de presque tout le pays, à consti- 
tuer un semblant d'Empire marocain, tandis que Mou- 
lai Abd el Aziz, son fils, actuellement régnant, « jeune 
homme inconsidéré et frivole », n'est plus guère au- 
jourd'hui souverain effectif que de ses quatre villes- 
résidences et de leur banlieue. D'une façon générale, 
les pays insoumis sont les pays de plaines qui bor- 
dent l'Atlantique, habités plutôt par des Arabes et 
des Maures, et les pays insoumis sont les pays de 
montagnes, refuge de tribus berbères : sur la fron- 
tière oranaise, Oudja dépend du Sultan d'une manière 
à peu près réelle, Figuig d'une façon nominale ; le 
Tafilelt, étant le berceau de la dynastie actuelle, recon- 
naît l'autorité du Sultan, mais les tribus sahariennes, 
nos voisines, protégées par l'immensité du désert, 
autant que les Berbères des montagnes par leurs ro- 
chers, sont absolument indépendantes. Le Sultan ne 
peut maintenir son pouvoir temporel que par une ha- 
bile politique, il doit diviser pour régner, il exploite 
les haines intestines des tribus, des chefs religeux, 
flatte les uns pour les envoyer combattre les autres, 
ce qui les affaiblit tous d'autant ; il agit par les armes 
quand il se croit le plus fort. La révolte est au Maroc 



1. Discours de M. Delafosse, 10 mars 1903 {Journal Officiel, 
11 mars). 




~ 88 — 

à Tétai chronique, c'est Tétat normal, aussi faut-il 
moins la prendre au sérieux que dans un pays orga- 
nisé : elle cesse, en général, aussi vile qu'elle éclate, 
soit par peur d'une razzia du: Sultan, soit parce que 
ses chefs ont été achetés par lui. Le rebelle d'hier de- 
vient l'agent du Sultan contre le rebelle d'aujourd'hui, 
quitte à être celui du lendemain. La révolte comme 
[a soumission dépendent des intérêts du moment. Il 
résulte que dans ce chaos, les forces vives ont fini par 
se faire équilibre, il s'est établi une sorte de « sta- 
tique sociale qui constitue un état durable » *. 

« Les guerres intérieures sont le fond même de l'his- 
toire du Maroc », surtout depuis l'invasion arabe. Le 
Sultan n'ayant ni administration, ni armée, ni fi- 
nances organisées ^ vit au jour le jour et cherche à 
pressurer ses sujets soumis plutôt qu'à améliorer leur 
sort : ceux-ci, cependant, travailleurs et sobres, très 
commerçants, n'osent chercher à s'enrichir pour ne 
pas exciter les convoitises et les exactions des gou- 
verneurs, ou parce qu'ils se sentent toujours menacés 
par les pillages des brigands ou des troupes du Sul- 
tan. 



1. Il n'y a pas de budget, quant à l'administration finan- 
cière, seules les douanes ont un tarif et des agents de per- 
ception réguliers. 

2. Rapport de M. Doutté {Bulletin du Comité de l Afrique 
française, janvier 1898). 



— 89 — 

C'est pourquoi ce pays si favorisé par la nature, 
possédant une situation géographique exceptionnelle, 
est pauvre, qu'il n'a pas de ports, mais seulement de 
mauvaises rades \ pas de marine, pas de routes fai- 
sant communiquer les provinces les unes avec les au- 
tres, les rares pistes qui existent sont peu sûres autant 
par leur manque d'entretien que par les attaques des 
pillards qui les infestent ; comme il n'y a pas de force 
de police pour réprimer leurs attentats, les habitants 
aiment mieux transiger avec eux ou même les aider 
que d'avoir recours à la mahalla du Sultan, dont la 
protection serait plus dispendieuse encore. L'agricul- 
ture, l'industrie et le commerce sont donc rudimen- 
taires, les richesses forestières et minières sont inex- 
ploitées. Le Maroc est dans l'état de l'Europe du X^ 
siècle, c'est une société théocratique et féodale qui a 
à peine évolué depuis le temps des Khalifes arabes, et 
ce pays est en vue des côtes d'Espagne, limitrophe 
de notre Algérie ! 

Comment un tel état a-t-il pu se maintenir au mi- 
lieu de la civilisation actuelle, pourquoi n'est-il pas 
entré comme les autres pays musulmans dans la voie 



1. En 1901, le commerce de Tanger était évalué à 25 mil- 
lions, de Mogador à 10 millions, de Casablanca à 4 millions, 
de Mazagan à 2 millions ; les autres ports, Larache, Rabat, 
Safî et Tétouan, faisaient moins d'un million. 



— 90 — 

«II* progrès sous la poussée de l'expansion euro- 
prrnne? 

i Via vient d'abord du ianalisme de ses habitants : 
li* Wtïvoc est resté la (-iladelle du vieil Islam, l'étran- 
ixrr y est toujours regardé comme l'ennemi, il n'est 
f\ïir loléré dans les ports et dans quelques villes de 
1 m li rieur, il n'a jamais été admis bénévolement, il 
I» \ ;i jamais eu de rapports réguliers, de points de 
MMkliirf permanents entre la civilisation européenne, 
ilMÎ progresse sans cesse, et la civilisation marocaine 
l'u Hi-j adence. Aussi le Maroc est-il resté dans un iso- 
Ir fil farouche : les Sultans se sont ingéniés à re- 
in nj^stir les tentatives faites par les étrangers pour 
-V'Iablir dans le pays, et, (juand ils ont été contraints 
^(r -ijxner des traités laissant ceux-ci prendre pied 
ilnn- leur empire, ils ont tout fait pour en empêcher 
Im mise à exécution : c'est ainsi que, malgré toutes les 
' nf>\(!!itions, dont la dernière date de 1880, les Euro- 
pe! «n s n'ont pu obtenir la liberté commerciale (il y a 
heancoup de produits dont l'exportation est encore 
IMuhibée '), ^t, sauf à Tanger, le droit de posséder 
des immeubles. 

Mais si une puissance européenne avait eu l'idée 
ai relée de s'établir au Maroc, ce n'est ni le Sultan, 
ni même les populations berbères qui auraient pu l'en 



1 I^ntre autres les céréales et les bestiaux, sauf sur la 
Iruniière algérienne. 



— 91 — 

empêcher. La France a bien conquis TAlgérie ; ce 
n'aurait été qu'une question de sacrifices temporaires, 
et le Maroc les aurait bien valus. Si ce pays est resté 
jusqu'ici non seulement indépendant, mais encore 
fermé à la pénétration européenne, cela tient juste- 
ment à sa situation sur deux mers à proximité de l'Eu- 
rope, et surtout au fait que ses côtes dominent une 
des routes les plus fréquentées du globe, le détroit de 
Gibraltar, et que la question du Maroc n'est qu'une 
partie de cette question plus complexe et plus vitale 
encore pour la plupart des Etats européens, l'empire 
de la Méditerranée. C'est l'opposition des intérêts de 
la France, de l'Angleterre, de l'Espagne, et même de 
l'Italie et de l'Allemagne, qui ont été cause de la sur- 
vivance de ce singulier Etat. Comme aucune des puis- 
sances ci-dessus ne voulait y voir s'installer une autre 
et ne pouvait s'y installer elle-même, leurs diplomates 
ont dû prendre au sérieux ce fantôme de pouvoir, in- 
venter la théorie du maintien du statu quo marocain 
en dépit de ses défectuosités. Et cependant, si tentante 
était la proie, qu'en déclarant bien haut son intangi- 
bilité, les Etats intéressés ont tous cherché à y avoir 
la prépondérance, à y implanter leurs commerçants 
et leurs produits, à forcer la main au Sultan, à le con- 
traindre à leur reconnaître certaines faveurs, des pri- 
vilèges diplomatiques et économiques ; il y a eu une 
véritable nuée de convoitises, d'intrigues, de jalou- 



— 92 — 

sies. Et cependant, le moment est arrivé où cette si- 
tuation invraisemblable, où cette fiction diplomatique 
d'un Empire chérifien ne peut plus durer, où l'inter- 
vention européenne devient une nécessité à laquelle 
il est impossible de se soustraire ; il faut en finir avec 
celte question marocaine dont on a tant tardé la solu- 
tion. 

Quels sont donc les Etats européens intéressés, quel 
rôle ont-ils joué jusqu'ici au Maroc, quelle place y 
occupent-ils au point de vue politique et économique, 
(|uelles sont leurs prétentions et comment serait-il 
possible de résoudre, au mieux des intérêts de tous, 
le problème de l'ouverture du Maroc à l'influence, à 
la civilisation européenne ? 

L'Angleterre n'est pas voisine du Maroc, mais y a 
des intérêts commerciaux et surtout des intérêts poli- 
tiques de la plus haute importance : son commerce 
avec ce pays se monte à 9.484.388 fr. pour l'expor- 
tation, et 23.555.556 fr. pour l'importation, soit au 
total 33.039.944 fr. ' ; elle prétend même y avoir le 
premier rang (nous verrons qu'en réalité elle est dé- 
passée par la France- Algérie). De plus, comme puis- 
sance maritime, la question du Maroc se complique, 
plus que toute autre, de la question du détroit. Il lui 
est absolument nécessaire de dominer et de conserver 



1. Rapport de M. E. Dechaud {Bulletin du Comité de 
l'Afrique française, février 1904). 



-^ 93 — 

libre la roule de l'Orient et de l'Extrême-Orient : c'est 
dans ce but qu'elle a occupé Gibraltar (1704), Malte 
(1801), Chypre (1878), et enfin l'Egypte (1882). Depuis 
le XVIP siècle, elle a noué des relations avec le Ma- 
roc ; elle a commis la faute, en 1684, d'évacuer Tan- 
ger, qu'elle avait reçu du Portugal en 1662, parce 
qu'il lui coûtait beaucoup sans lui rapporter à une 
époque où elle n'avait pas encore pleinement cons- 
cience du rôle qu'elle était appelée à jouer dans le 
commerce maritime du monde. Elle le regretta vite 
et a depuis employé tous les moyens pour réparer 
cette erreur, surtout depuis qu'elle a dû constater l'in- 
suffisance de Gibraltar pour garder l'entrée du dé- 
troit. Avec les progrès de l'artillerie et de la naviga- 
tion à vapeur, Gibraltar ne constitue plus qu'un point 
d'appui de la flotte ; il faudrait posséder Tanger pour 
être maître du passage. Aussi l'Angleterre a-t-elle tou- 
jours cherché à garder la prépondérance politique et 
économique dans l'Empire chérifien : tantôt cher- 
chant à flatter les Sultans, tantôt les menaçant pour 
en obtenir des concessions, surveillant jalousement 
les progrès des autres puissances, particulièrement 
de la France dans le pays, et cherchant à les arrêter. 
De 1727 à 1782, elle eut la première place au Maroc 
et y ruina l'influence française jusque-là prépondé- 
rante. Elle conclut des traités de commerce avec le 
Sultan, s'allia avec lui contre l'Espagne, mais se 



— 94 — 

jtiufitra trop ouvertement avide, et Sidi Mohammed 
ul ()u'il était plutôt de son intérêt de lui faire la guerre 
ilu roncert avec l'Espagne et la France. 

Klle reprit son influence sous la Révolution, mais 
iM* put obtenir du Sultan Aloulay-Sliman qu'il agit 
roiiire nous ; elle profita de la guerre d'Espagne pour 
u( riii>er Ceuta, qu'elle ne rendit qu'en 1814, sur les 
pt'ières de Ferdinand VII. La prise d'Alger et l'éta- 
lili-^emenl des Français en Afrique l'inquiétèrent au 
plus haut point, et nous avons vu qu'elle fit tous ses 
clïurts pour entraver notre expansion, qu'elle excita 
ri soutint perfidement Abder-Rhaman, et peut-être 
.Vbd-el-Khader contre la France, mais, s'apercevant 
fjii elle était allée trop loin, elle mit toute son in- 
fluence en œuvre pour faire cesser la guerre qu'elle 
avait provoquée et se fit donner l'assurance que les 
I lançais n'occuperaient aucun point du territoire mà- 
j ocain. Son attitude contribua autant que notre igno- 
ra iu;e à nous empêcher d'obtenir les régions aux- 
i|uclles nous avions droit, et qui nous auraient assuré 
iiiiij meilleure frontière ; elle eut ainsi l'air d'avoir 
.sauvé le Sultan. 

Mlle agit de même avec l'Espagne, en 1859, et Tem- 
pe* ha de retirer les fruits de la dure campagne qu'elle 
Hvait entreprise à ce moment. Le 9 décembre 1856, 
1 11(1 avait conclu avec le Maroc un traité des plus 
tuaiitageux au point de vue économique et politique : 



L 



— y5 — 

le Sultan assurait à ses nationaux des avantages com- 
merciaux ainsi que les droits de propriété sur les 
terres et dé protection sur les indigènes. En 1861, le 
gouvernement anglais s'ingénia à fournir à celui du 
Maroc toutes les facilités pour payer l'indemnité de 
guerre espagnole, il lui fit négocier un emprunt, mais 
se fit rembourser sa créance sur le produit des doua- 
nes, ce qui lui permit, jusqu'en 1885, d'introduire des 
commissaires anglais dans cette administration. En 
1871, l'Angleterre profita de l'abaissement du pres- 
tige de la France, et son ambassadeur, Sir John 
Drummond Hay (dont le père avait déjà occupé la 
même fonction), était tout puissant auprès des sul- 
tans Sidi-Mohammed et Moulay el Hassan, qu'elle ne 
cessa de pousser à protester toutes les fois que nous 
avons voulu avancer dans l'hinterland algérien ; elle 
est en partie cause de nos atermoiements et de nos len- 
teurs. Elle a dû nous reconnaître ces pays en 1890 
(moyennant une énorme extension de territoire au 
Sokoto), mais alors elle redoubla ses intrigues, con- 
seilla Moulay el Hassan de nous couper la route, 
espérant nous faire hésiter à nous engager dans un 
conflit international (et nous n'avons que trop donné 
dans ce piège). D'autre part, elle cherchait à s'établir 
d'une façon ou d'une autre dans l'Empire chérifien, 
soit seule, en maintenant le gouvernement, comme elle 
l'avait fait en Egypte, soit en se taillant la part du 




— 96 — 

lion, en prenant Tanger et une partie de la côte, si, 
devant les réclamations des autres intéressés, le par- 
tage avait été impossible à éviter. En 1891, à la suite 
de troubles à Tanger, elle voulut y l'aire débarquer 
des troupes, mais la France ayant déclaré qu'elle en 
enverrait aussi, l'Angleterre, ne tenant pas à une ac- 
tion commune, abandonna son projet. En 1892, elle 
tenta un grand coup. Elle envoya en grande pompe 
à Tanger son ministre. Sir Charles Evan Smith, pour 
demander à Moulay-Hassan d'importants privilèges, 
lignes télégraphiques reliant les ports marocains, 
chemins de fer de Tanger à Fez, création de consu- 
lats à Fez et Maroc, entrée de l'Empire chérifien dans 
l'union postale, installation de l'Angleterre Qiu cap 
Juby et droit pour ses nationaux de posséder des 
terres ; c'était la mainmise anglaise sur le pays. Mais 
Sir Charles Evan Smith ne mit pas assez de discré- 
tion dans ses demandes et éprouva un échec complet, 
ce qui amena une profonde déception ; le gouverne- 
ment anglais, fidèle à sa politique d'opportunisme, 
désavoua alors son ministre et le remplaça par M. 
Th. Eliott, qui eut pour mission de réparer la mala- 
dresse de son prédécesseur et de rassurer le Sultan 
(il lui envoya cependant en 1893, un ultimatum au 
sujet de l'assassinat d'un sujet anglais). Il voulut alors 
reprendre les négociations interrompues, en atté- 
nuant, toutefois, ses demandes, mais l'expédition de 



ï-i^O-r^, M»i> f..TS*»- - 



- 97 - 

Moulay el Hassan au Tafilelt, ses difficultés avec l'Es- 
pagne et sa mort, entravèrent de nouveau les pour- 
parlers qu'avait commencés Sir West Ridgeway. Ils 
furent repris par M. Satow^, vers la fin de 1894 et le 
commencement de 1895, mais le moment était inop- 
portun, le jeune Sultan n'étant pas établi assez soli- 
dement sur son trône. L'envoyé anglais demanda en- 
tre autres avantages la concession d'un câble sous- 
marin reliant les ports. Il conclut avec le Sultan une 
convention pour le rachat par celui-ci des établisse- 
ments de la Western Africa C°, fondés en 1888, au 
cap Juby, par M. Mackenzie, qui n'étaient rien moins 
que prospères et étaient une source permanente de 
difficultés. 

L'Angleterre avait espéré par ces établissements 
avoir un pied au Maroc et drainer par eux le com- 
merce du Soudan, mais celui-ci ne se fait plus guère 
par caravanes depuis l'occupation du pays par les 
Européens et les Français particulièrement (ce qui a 
supprimé le trafic des esclaves qui était le plus pros- 
père). En définitive, à part ce rachat fructueux (13 
mars 1895), et la concession d'un câble de Tanger à 
Mogador, la mission n'eut que peu de résultats et eut 
le tort de prolonger outre mesure son séjour à Fez, ce 
qui irrita contre elle le fanatisme des habitants. M. 
Satow fut remplacé par M. Nicholson, qui fut de nou- 
veau envoyé près d'Abd el Aziz ; il profita des embar- 

Bourassin. 7 




— gé- 
ras flnanciers causés par la minorité du Sultan, pour 
lui proposer un emprunt ; il fut modéré dans ses de- 
mandes, assura le jeune monarque de l'amitié de 
r.\nglelerre, lui conseilla des réformes et eut un peu 
plus de succès que ses prédécesseurs. Il obtint des 
indemnités pour des négociants lésés, la concession 
dun dépôt de charbon et la construction d'un môle à 
Tanger par la Compagnie de TAlgésiras Railway, 
sous la dirci lion d'un ingénieur anglais, M. Morrisson 
(avril-mai iHQù). En 1897, une Compagnie anglaise, le 
'i Globe venlure syndicate », se créa à Londres pour 
faire du commerce au Sous ', mais ses agents eurent 
des difûcultés avec les indigènes, trois d'entre eux 
furent emmené?? prisonniers à Casablanca ; on recon- 
nut alors qu'ils avaient voulu faire de la contrebande 
d'armes, el ce [ut l'Angleterre qui dut payer une in- 
flemnité ' au Sultan et désavouer ces aventuriers que 
Sir A, Nicholson avait protégés en sous-main. Ces 
échecs répétés rendirent furieuse la presse anglaise, 
elle nous accusa de vouloir profiter de la guerre his- 
pano-américaine pour intriguer au Maroc ; puis vint 
Taffaire de Fachoda, qui surrexcita au paroxysme son 
chauvinisme et ses tendances impérialistes. En mai 
1900, les journaux demandèrent la prise de possession 



1. L'Angleterre avait déjà échoué en 1880 dans une entre- 
prise de ce genre. 

2, Ce fut une véritable petite affaire Jameson. 



— 99 — 

de Tanger, et, le 18 juin, M. Hazelle, à la Chambre des 
Communes, proposa à M. Brodrick de demander le 
règlement de la question marocaine par une confé- 
rence internationale. 

C'est alors que mourut le ministre Ba-Ahmed, dont 
les tendances conservatrices avaient toujours contra- 
rié l'action anglaise, et le jeune Sultan fut livré à lui- 
même. L'Angleterre joua alors la partie suprême et a 
tout fait pour s'emparer de l'esprit du jeune Sultan. 

Lorsqu'en juin 1901, une mission marocaine fut 
envoyée en Angleterre, on alla jusqu'à prétendre 
qu'ils allaient négocier un traité de garantie et de pro- 
tectorat, mais le gouvernement anglais avait trop de 
difficultés au Transvaaï à cette époque et ne signa 
qu'un traité de commerce et de fourniture d'armes. 
On peut cependant dire que, de 1900 au milieu de 
l'année 1903, l'Angleterre fut toute puissante à la 
cour du Sultan, qu'elle présentait comme un « ami... 
épris de civilisation et de progrès \ » Abd-el Aziz s'an- 
glicisa complètement et scandalisa les vieux croyants 
par ses accoutrements et ses goûts britanniques. A 
l'influence officielle, aux demandes réitérées et sou- 
vent comminatoires de privilèges par ses diplomates 
succéda une méthode beaucoup plus habile que M. 
Delafosse caractérise bien dans le discours qu'il pro- 



1. Discours de M. Raiberti, 11 mars 1903 (Journal Officiel). 



— 100 — 

nonça à la Chambre des députés, le 10 mars 1903 : 
« Quant à l'Angleterre, qui a toujours les yeux ou- 
verts et les mains tendues sur les pays où il y a quel- 
que chose à faire et à prendre, elle a su faire péné- 
trer au Maroc des influences tellement habiles et tel- 
lement puissantes qu'elles avaient fini par absorber 
le gouvernement lui-même. Je ne parle pas, bien en- 
tendu, d'une intervention officielle du gouvernement 
britannique, je parle d'influences exercées par ces 
sortes de gens que M. Roucher appelait autrefois des 
individualités sans mandat : commerçants, cour- 
tiers, aventuriers, missionnaires, tous gens que n'ins- 
pire pas, que ne dirige pas la diplomatie anglaise, 
dont elle n'est pas responsable, mais dont elle sait 
utiliser les œuvres et qui sont, en somme, les pion- 
niers ordinaires de ses conquêtes futures... Ces phé- 
nomènes... rappellent, s'ils ne les reproduisent pas, 
les commencements de l'intervention anglaise en 
Egypte ». Il est probable que tel était, en effet, le but 
de l'Angleterre qui, sous le couvert du maintien du 
statu quo, prenait pied économiquement et politique- 
ment au Maroc. Elle voulut agir avec Moulay Aziz 
comme avec le Khédive Ismaël, flatter ses manies 
pour les réformes, et les inventions européennes, rui- 
ner son trésor par des ventes, aussi avantageuses 
pour les commerçants britanniques qu'onéreuses 
pour lui, et amener un désordre tel dans les finances 



— 101 — 

que le Sultan en soit réduit à un emprunt qui per- 
mettrait une intervention sous prétexte de contrôle 
financier et même un débarquement de troupes pour 
réprimer des troubles qu'elle aurait, au besoin, sus- 
cités. Le terrain aurait été préparé par tous ses agents 
qui auraient eu entre leurs mains le commerce, les 
douanes, les travaux publics et l'armée, et la prise de 
possession définitive n'aurait pas été difficile. Mais 
elle se heurta à deux obstacles qui firent échouer 
cette géniale combinaison : la force de l'esprit conser- 
vateur au Maroc et la vigilance de la France ; enfin, 
elle précipita trop vite la crise qui devait jeter le Sul- 
tan dans ses bras et établir définitivement sa domina- 
tion au Maroc. 

La situation de l'Espagne est bien différente de celle 
de l'Angleterre : ce n'est pas un intérêt économique, 
mais un intérêt historique qui la pousse vers le Ma- 
roc. 

Son commerce y est, en effet, assez peu considé- 
rable, malgré la proximité des deux pays (8.821.731 
francs pour l'exportation, et 624.703 francs pour l'im- 
portation, rapport de M. Déchaud) '. Elle a cependant 
des visées sur la côte méditerranéenne du Maroc, 
qu'elle considère comme le prolongement de son ter- 
ritoire (il est vrai que la côte et le massif du Riff res- 



1. Il faut y ajouter la contrebande d'armes principalement, 
qui se fait par Mélilla. 



— 102 — 

■semblent beaucoup à la Sierra Nevada). Quand les 
Maures eurent été chassés de la péninsule ibérique, 
h^spagnols et Portugais se lancèrent dans les pays 
barbaresques pour poursuivre les infidèles et achever 
le triompha de la Croix sur le Croissant ; mais leurs 
expéditions n'aboutirent qu'à des échecs retentis- 
sants, les Portugais durent évacuer tous les points de 
la côte d'Afrique où ils avaient pris pied, et les Espa- 
gnols ne purent garder de leurs conquêtes que les 
petites places fortes ou présides de Ceuta et Mélilla, 
^iinsi que les ilôts de Penon de Vêlez et d'Alhucemas '. 
Les présides, situés sur des i)resqu'îles fermées par 
des rochers, constituent de mauvais points d'accès sur 
le pays, ils ne peuvent guère servir non plus de places 
lie commerce à cause de l'hostilité des tribus du Riff. 
Cependant, l'Espagne s'obstine à vouloir jouer un 
grand rôle au Maroc. Elle a signé des traités de com- 
merce avec lui, en 1767, 1780, 1799, elle y fit une expé- 
dition brillante en 1860, occupa Tanger et Tétouan, 
mais l'opposition de l'Angleterre l'empêcha de con- 
server le territoire conquis. Elle ne lui en garda pour- 
tant pas rancune et devint son alliée contre la France, 
qui Tavait cependant aidée dans son expédition. Elle 
rhercha aussi à profiter de nos malheurs, s'unit aux 



1. Ainsi que les îles Zaffarines, qu'ils occupèrent en 1843, 
au moment où la France se disposait à le faire. 



— 103 — 

protestations anglaises contre nos soi-disant atteinte 
au statu quo marocain. En 1880, elle obtint la réu- 
nion à Madrid, de concert avec son alliée, d'une con- 
férence qui, sous prétexte de réglementer la protec- 
tion au Maroc, avait pour but de limiter le nombre 
des protégés français qui constituaient pour nous un 
excellent moyen d'influence. M. Canovas del Castillo, 
plénipotentiaire espagnol et président de la confé- 
rence, y affirma le droit pour l'Espagne d'être con- 
sultée pour toutes les questions intéressant le Maroc. 
En octobre 1893, à la suite d'un incident de frontière 
à Mélilla, elle eut des velléités belliqueuses, fit des 
préparatifs d'expédition, puis négocia. Le maréchal 
Marlinez Campos se rendit à Marrakech et y signa un 
traité, le 28 février 1894. M. d'Aubigny, notre ministre 
à Tanger à celte époque, lui prêta un concours effi- 
cace et désintéressé grâce aux moyens d'information 
et d'action qu'il avait su se ménager à la cour chéri- 
fienne. Le Sultan s'engagea à châtier les Riffains, à 
accepter des consuls espagnols à Fez et à Maroc, et 
à verser une indemnité de guerre (mais, sur les con- 
seils de M. d'Aubigny, elle obtint qu'elle fut payable 
à long terme, pour ne pas être obligé de recourir à 
un emprunt dont l'Angleterre aurait encore pu profi- 
ter pour fournir de l'argent et remettre la main sur 
les douanes, comme en 1860). L'Espagne aurait dû. 



^"^^mf^m"^ 



— 104 — 

à celte époque, comme le lui conseillait M. Ordéga \ 
ancien ministre de F'rance à Tanger, imposer au 
Maroc sa juridiction militaire sur le Hiff ; mais ils ne 
profitèrent pas de l'occasion qui s'offrait à eux et ne 
demandèrent que des extensions de territoire insi- 
gnifiantes. On parla, en 1895, d'une nouvelle confé- 
rence à Madrid poui* régler les questions de condition 
et de sécurité des étrangers au Maroc, mais ce projet 
n'eut pas de suite. L'Kspagne eut aussi à ce moment, 
de même que l'Anglelerre, des visées ^ sur l'îlot de 
Peregil, silué entre fcMila et Tanger, mais le Maroc 
les prévint en faisant occuper l'île. 

Si Abd el Kerim Rrisha se rendit à Madrid à la fin 
de la même année pour achever de régler la question 
lie l'indemnité de guerre. Il obtint une réduction de 
'\ millions de peselas sur les 20 millions auxquels elle 
devait se monter ; l'Espagne consentit en outre à 
ajourner la délimitation d'une zone neutre autour de 
Mélilla et l'envoi de consuls à Fez ^ et à Merrakech. 

A la fin de l'année 1895, elle envoya M. de Ojeda en 
mission à Rabat, à la suite de nouveaux incidents à 
Vlélilla. En 1897, l'Espagne parla de créer une police 



1. Revue politique et liltérairc, 1894, p. 48. Espagnols et 
Maures. 

2. Comme déjà en 1842 et 1887. 

3. Elle parla plus tard d'y envoyer un consul général. 



— 105 — 

secrète à Tanger. En 1898, éclata la guerre avec les 
Etats-Unis, qui détourna momentanément l'attention 
de l'Espagne des affaires du Maroc; elle s'aperçut alors 
un peu tard que l'alliance anglaise qu'elle pratiquait 
depuis 1860, était une duperie, que l'Angleterre s'était 
servi d'elle contre la France, mais en entravant 
aussi son action, et avait dans le conflit une attitude 
nettement hostile à son égard, tandis que la France 
lui prétait l'appui de sa diplomatie. En 1900, après 
la perte de ses colonies des Antilles et des Philippines, 
elle tourna ses vues vers ses établissements d'Afrique, 
et ridée lui vint, avec plus de force qu'auparavant, 
de chercher au Maroc une compensation. Elle s'occu- 
pa d'abord du Rio de Oro, réclama au Maroc un port 
dit Santa Cruz de la Mar Pequena, qui lui avait été 
promis en 1861. M. de Ojeda, ministre d'Espagne, fut 
envoyé dans ce but à Marrakech au mois de juin, il 
obtint la cession du port d'Jfni, le point dénommé ci- 
dessus étant un banc poissonneux et non un port. 
Depuis, une partie de la presse espagnole ne cesse 
de demander que le gouvernement fasse valoir les 
droits de leur pays sur le Maroc. Leur situation n'est 
guère en rapport avec leurs prétentions ; en plus de 
leur piètre position commerciale, car ils achètent au 
Maroc beaucoup plus qu'ils ne vendent, ils sont dé- 
lestés des indigènes, qui voient en eux les ennemis de 
leur race et de leur religion. « Cramponnés depuis 



'^^mimmmf'ii^imm 



^ — 106 



des siècles à quelques îlots et à quelques presqu'îles 
(lu littoral, dit M. René Pinon ', ils n'en ont tiré profit 
ni pour agrandir, ni même pour faire respecter leur 
territoire ; à cette longue domination, ils n'ont gagné 
que les haines inexpiables des tribus du voisinage. » 
En résumé : « Il reste en faveur de l'Espagne un grand 
nom, la proximité des rives, une ténacité méritoire, 
une réserve de cultivateurs déjà rompus au climat ^ 
enfin des préjugés cpic les hommes d'Etal espagnols 
sont forcés de ménager \ >» Donc, beaucoup de pré- 
tentions, peu de moyens de les faire valoir. 

L'Allemagne n'a pas, du moins officiellement, de 
visées politiques sur le Maroc, par contre, elle y a de 
grands intérêts commerciaux. Son chiffre d'affaires 
se montait en 1901 (rappqrt Déchaud), à 6.429.518 fr., 
dont 3.442.842 fr. à l'importation, et 2.986.676 à l'ex- 
portation. En 1871, elle envoya modestement un re- 
présentant au Maroc, M. Veber, mais depuis elle a 
accru rapidement et méthodiquement son commerce, 
a négocié en 1889, un traité de commerce très avan- 
tageux qui ne pouvait être dénoncé que d'un commun 



1. Le Maroc et les puissances européennes (Revue des 
Deux-Mondes, 15 février 1902). 

2. Jusqu'ici, la plupart des Espagnols résidant au Maroc, 
à Tanger particulièrement, constituent un prolétariat en- 
combrant et dangereux. 

3. R. Millet, Nos frontières de l'Afrique du Nord (Revue 
politique et parlementaire, janvier 1903). 



— 1Ô7 — 

accord (il n'en était pas ainsi dans les traités passés 
avec l'Angleterre en 1856, et l'Espagne en 1860) : 
signé le P' juin 1890, le traité fut ratifié le 10 juillet 
1891. En 1890, elle créa une ligne de navigation sub- 
ventionnée par l'Etat (Woermann Linie), reliant ses 
ports avec ceux du Maroc, et en 1895, la ligne Olden- 
burg-Portugûsische. Avec sa patience et sa ténacité 
habituelles, l'habileté de ses commerçants, le bon 
marché de ses produits, elle est parvenue, au besoin 
en les contrefaisant, à prendre la place de la France ' 
pour la plupart des articles d'exportation, et même à 
menacer l'Angleterre. Elle n'a négligé aucun moyen 
pour faire du Maroc un grand débouché commercial 
et y établir solidement son prestige. Il y a un grand 
courant en Allemagne au sujet du Maroc : une sec- 
tion marocaine a été créée à l'Ecole des Langues 
orientales de Berlin, la société de géographie de Ham- 
bourg y a envoyé des explorateurs comme T. et R. 
Fischer, Schnelle, Kampmeyer, Stumme ; le docteur 
Mohr a créé une compagnie de colonisation à desti- 
nation du Maroc. L'Allemagne désirerait y avoir un 
port pour servir d'entrepôt à ses marchandises ou au 



1. Les Allemands sont agents, non seulement de maisons 
de leur pays, mais de maisons étrangères : M. Hoesmer, 
assassiné en 1896, à Tanger, dirigeait une importante mai- 
son de commerce, était agent de compagnies de navigation, 
d'une maison de soieries de Lyon et du Comptoir d'escompte 
de Paris. 




^'t 



iimiliMP— PPPW 



I 



— 108 — 

moins un dépôt de charbon. Elle tenta, en 1888, de se 
faire céder la baie d'Andjerout, en 1891, le territoire 
(le Kebdana. En 1895, à propos de l'assassinat d'un 
t^uji'I allemand, M. Neumann, M. de Tattenbach fut 
envoyé en mission et on dit alors qu'il demanda la 
cïuu ession d'un dépôt de charbon à l'embouchure de 
kl Moulouya. 11 obtint, en tous cas, la construction 
par un ingénieur allemand d'un fort à Habat ; on a 
[larlé même à ce moment de mainmise germani(jue sur 
(*e port qui, conmiandanl la route de Fez à Marra- 
kccli, a une situation stratégique rcmanpiabic. 

lî est certain (pfelle ne néglige « aucune occasion 
de >e faire paraîtie, tout en encourageant et en déve- 
loppant, par la j>rotection incessante et expérimentée 
(h m diplomatie, l'action de ses négociants et de ses 
inihistriels '. > Elle montre en toute occasion sa solli- 
citude vis-à-vis d'eux en intervenant vigoureusement 
auprès du gouvernement marocain toutes les fois 
qn'im sujet allemand est lésé. Même, en 1895, M. de 
Tallenbach voulut lui-même, avec l'appui d'un na- 
vire de guerre, faire justice des meurtriers d'un M. 
Rokstroh ; cette initiative imprudente et incorrecte 
n'eut d'ailleurs pas de résultat. Quelques mois plus 
lanl, à propos de l'attaque par les Riffains de la bar- 
que hollandaise Anna, l'Allemagne fit une démons- 



L Bulletin du Comité de l'Afrique françaisCy mai 1897. 




— 101) — 

Iration navale avec la Hollande pour obtenir une in- 
demnité du Sultan, la presse demanda même l'occu- 
pation d'un port comme gage. Aussi les commerçants 
allemands ont une place importante, non seulement 
à Tanger, mais à Rabat, à Mazagan, à Marrakech et 
même à Fez. En avril 1898, le baron Schenk de 
Schweinberg fut envoyé auprès du Sultan avec un 
cérémonial magnifique (ce qui a produit un grand 
effet sur l'esprit des Arabes), il chercha à obtenir la 
commande d'une batterie à Salé ; certains journaux 
déclarèrent même qu'il allait demander la cession à 
bail à l'Allemagne de la vallée de la Moulouya — il 
est vrai que d'autres ne parlaient que de la construc- 
tion de batteries par des ingénieurs allemands à l'em- 
bouchure de la Moulouya et à Tétuan. En novembre 
1900, le baron de Mentzingen fut envoyé au Sultan, 
toujours pour des réclamations de sujets allemands. 
Il est certain qu'en cas de partage du Maroc, l'Alle- 
magne demanderait la cession d'un port, Rabat ou 
Agadir, peut-être même d'une partie de la côte At- 
lantique, mais il ne semble pas que le gouvernement 
allemand ait jamais insisté beaucoup jusqu'ici pour 
obtenir des concessions territoriales, particulièrement 
en ce qui concerne la Moulouya ; il ne paraît pas sou- 
cieux de se créer de nouveaux sujets de conflit avec 
la France, surtout en allant s'établir sur la frontière 
algérienne : il n'a cherché à entreprendre au Maroc 



l 



— 110 — 

rjuiirie liille commerciale, mais n'a négligé aucun (ac- 
Unr ile succès. 

Quant à l'Italie, elle n'occupe pas une place bien 
iiiiportanle dans le commerce du Maroc, mais y a 
*liHeloppé une grande activité politique et a tenté de 
- y créer des droits, jusqu'en 1884, elle n'y eut aucune 
iTpfluence, mais quand, sous l'impulsion de M. Crispi, 
iflle voulut faire de la politique coloniale, elle tourna 
-i -» vues vers le Maroc et ne négligea rien pour faire 
rjtfitv i|u'clle y jouait un rôle. I.'ambassade brillante 
de .\I. Scovasso, accompagnée d'une grande démons- 
tration navale, fit impression sur le Sultan, qui se 
laissa entraîner à commander une canonnière et à 
(uire installer à Fez une fabrique d'armes et de muni- 
Irons dirigées i)ar des officiers italiens (d'ailleurs, elle 
fonctionna [ilulôl mal). Kn 1889, M. Cantagalli suc- 
(tulià H M, Scovasso, mais le Sultan s'était lassé de 
I Italie id d(5s achats onéreux et inutiles qu'elle lui fai- 
«^oit fainî. Mlle fut au Maroc l'alliée de l'Allemagne, 
|Hiis de l'Angleterre, et chercha de concert avec elles, 
n combaltre l'influence de la France, à laquelle elle 
ne pardonnait pas de l'avoir devancée en Tunisie. 
Hlle chercha tous les prétextes pour se mettre en vue : 
envoi de vaisseaux pour appuyer des réclamations au 
sujet d'un navire italien pillé par les Riffains en 1895 ; 
envoi de M. Gentile à Fez au sujet de la manufacture 
d'armes, du retard dans les paiements du navire cons- 



^ 111 — 

truit en Italie pour le compte du Sultan, pour lequel 
M. Gentile proposa un équipage italien. Il se joignit 
à l'ambassadeur anglais, M. Satow, également en 
mission à ce moment, pour obséder le Sultan de ses 
demandes et de ses réclamations, et leurs missions 
inopportunes n'eurent pas de résultats. En 1897, sous 
prétexte du pillage de la barque italienne la Fiducia, 
elle proposa la création d'une police internationale 
dans le Riff ; elle fit, de concert avec l'Angleterre une 
nouvelle démonstration navale en 1898. En 1899, le 
ministre italien M. Malmussi fit visite au Sultan pour 
le contraindre à prendre livraison du navire de guerre 
qu'il avait commandé. Depuis ce moment, la crise de 
mégalomane et de francophobie des Italiens s'est 
calmée, ils ont changé de tactique dans leur politique 
extérieure, se sont rapprochés de la France ; ils ne 
lui reprochent plus l'établissement de son protectorat 
en Tunisie, ne cherchent plus à lui créer de difficultés 
au Maroc, mais ils ont accompli, semble-t-il, une ma- 
nœuvre beaucoup plus habile en persuadant à la 
France qu'ils lui abandonneront tous leurs droits sur 
le Maroc, si elle veut les laisser agir en Tripolitaine. 
Sans doute, cela nous fera une influence hostile en 
moins, « un avantage réel, mais négatif, et dont il ne 
faudrait pas exagérer l'importance, la clef du Maroc 
n'est pas à Rome... La situation de l'Italie à l'égard 
du Maroc n'est pas équivalente à celle de la France 



- 112 - 

vis-à-vis de la Tripolitaine... Elle ne dispose d'aucune 
influence politique, et l'influence commerciale de ses 
nationaux y est insignifiante *. » Le contact des Turcs 
est moins dangereux que celui des Italiens pour notre 
Tunisie. En échange de droits illusoires, nous per- 
mettrions un voisinage qui pourra devenir une source 
de difficultés, et nous indisposerions contre nous 
l'Empire ottoman au profit de l'Allemagne. Prenons 
donc garde de faire un marché de dupes avec l'Italie, 
d' « échanger un œuf contre un bœuf », comme dit le 
vieux proverbe. Le rapprochement franco-italien n'esi 
avantageux qu'à condition que les avantages que les 
deux parties en retireront soient égaux. Rappelons- 
nous qu'économiquement l'Italie a beaucoup plu- 
besoin de nous que nous n'avons besoin d'elle. Ne l'ac- 
cueillons pas comme l'enfant prodigue, la « sœur 
latine » un moment égarée, mais comme une débitrice 
qui n'a recherché notre amitié que par pur intérêt, 
que contrainte par les circonstances, après nous avoii 
fait tout le mal possible, parce qu'elle a absolument 
besoin de nos capitaux pour développer son indus- 
trie et relever son agriculture et ses finances qui, vers 
1893, étaient dans une position désespérée. Notre ajv 
pui financier vaut bien les droits de l'Italie au Maroc, 
sans qu'il soit besoin pour nous de mettre en cause 



1. R. Pinon, L'empire de la Méditerranée, p. 72. 



~ 113 — 

la Tripolitaine. Il faut nous défier d'elle et ne ré- 
pondre qu'avec une grande réserve et en ayant 
toujours en vue la préoccupation de nos seuls inté- 
rêts, aux bruyantes manifestations d'amitié dont elle 
nous accable en ce moment. 

Donc, seules, l'Espagne et l'Angleterre ont des in- 
térêts et des prétentions à la fois dans l'ordre politi- 
que et dans l'ordre économique au Maroc, les autres 
n'y ont que des intérêts commerciaux plus ou moins 
considérables. 

Quels sont maintenant les intérêts de la France 
dans l'Empire chérifien ? De quelle nature sont-ils? 
Quelle situation y occupe-t-elle ? Est-elle en rapport 
avec les droits que lui confèrent l'occupation de l'Al- 
gérie-Tunisie et sa position de grande puissance mé- 
diterranéenne ? Voilà ce qu'il nous faut examiner 
maintenant. 

Nous avons vu quels furent les rapports de la 
France et du Maroc jusqu'en 1845, les fautes qu'elle 
commit dans les traités de délimitation, et enfin les 
lenteurs et les hésitations qui caractérisèrent son 
expansion dans les oasis sahariennes et son action 
sur les tribus plus ou moins indépendantes de la fron- 
tière. Nous retrouverons la même manière d'agir 
dans ses rapports avec les Sultans et sa pénétration 
commerciale dans leur Empire. Elle a été longue à se 
rendre compte de la position unique et singulièrement 

Bourassin. 8 



^"TTJ 




— 114 — 

luvorable que lui donnait son contact direct avec le 
Maror, de l'importance de ses droits et de la nécessité 
qu'elle avait d'y établir sa prépondérance tant poli- 
iique que commerciale. Pendant longtemps, elle n'y 
a pas joué un rôle aussi important qu'elle l'aurait dû : 
l'opinion publique, le gouvernement ne se préoccu- 
paitînL que peu ou point du Maroc, et ce n'est que 
quand la conception d'un empire français dans l'Afri- 
que du Nord-Ouest se fut répandue dans le pays qu'on 
s'aperçut que l'Empire chérifien était le complément 
obligé de nos possessions, et qu'au contraire la main- 
mise d'un Etat étranger sur lui entraînerait la ruine 
de toute notre œuvre dans cette partie de l'Afrique. 
Nous ne reviendrons pas sur la loyauté et l'inlas- 
sable patience avec laquelle la France a respecté les 
Iraité.s de 1844 et de 1845, même sur les points où ils 
nous étaient les plus défavorables et sans user des 
facultés qu'ils nous laissaient, sur les erreurs d'un 
t^ystèiiie qui nous fit abandonner le droit de suite en 
territoire marocain pour réclamer au Sultan des in- 
demnités. Mais il faut rendre cette justice à la diplo- 
matie française, que sa politique eut plus d'unité que 
celle de l'administration algérienne qui oscilla long- 
temps entre la politique d'entente avec le Sultan et 
celle d'entente avec les tribus avec annexion de por- 
tions du territoire marocain. Sans doute, notre diplo- 
matie considéra un peu trop le Sultan conune le maî- 



^ 115 — 

Ire absolu d'un Empire organisé et nettement déli- 
mité, mais elle fut sans cesse partisan du staiu quo^ 
de l'intégrité absolue de l'Empire chérifien et a sans 
cesse cherché à déjouer les tentatives plus ou moins 
déguisées de mainmise que tentèrent les autres puis- 
sances. 

Sous Louis-Philippe et Napoléon III, nos rapports 
avec les Sultans Moulay-Abder-Rhaman et Sidi Mo- 
hammed furent satisfaisants, ils nous laissèrent faire 
la police dans les confins des deux pays. Le 19 août 
1863 fut signé un traité réglementant le droit de pro- 
tection à Tanger. En 1867, une mission marocaine 
fut envoyée en France et accepta la construction par 
des ingénieurs français du phare du cap Spartel ; 
pour favoriser le commerce par terre entre le Maroc 
et l'Algérie, une loi du 17 juillet de la même année ac- 
corda l'admission en franchise des marchandises 
arrivant par cette voie. Nous avions gardé un certain 
prestige auprès des Sultans qui redoutaient toujours 
une invasion de leurs Etats, mais nos défaites de 1870 
et notre attitude passive pendant les années qui sui- 
virent, le compromirent gravement et encouragèrent, 
comme nous l'avons vu, les visées marocaines sur les 
oasis sahariennes. Cependant, la France conserva 
une certaine action diplomatique. M. Tissot, ministre 
de France, commença à nouer des relations avec les 
chorfa d'Ouezzan, et, en 1873, reconnut de suite le 







- tt6 — 

Sultan Moulay-Hassan, ce qui contribua à affermir 
le pouvoir de celui-ci. En 1875, le général Osmond fut 
envoyé en mission auprès du Sultan alors à Oudja. En 
1877, Moulay-liassan accepta une mission militaire 
française, dont l'un des officiers, le lieutenant Erck- 
mann devint même son ami et exerça sur lui une in- 
fluence heureuse pour les intérêts français, mais resta 
malheureusement trop peu de temps au Maroc '. 

Un des moyens d'action économique et politique 
employés par la France et les autres puissances eu- 
ropéennes au Maroc était de conférer la protection à 
des indigènes (censaux), qui étaient alors soumis à la 
juridiction de leurs consuls ^ et faisaient le courtage 
dans les ports et même l'intérieur du pays et servaient 
d'intermédiaires entre chrétiens et musulmans. 

L'Angleterre et l'Espagne, jalouses de l'extension 
que prenait, en 1880, l'expansion française par l'in- 
termédiaire de ses protégés, poussèrent le ministre 
marocain Si Mohammed Bargach, à demander la res- 
triction du droit de protection sous prétexte d'abus 
et d'atteinte à la souveraineté du Sultan \ L'amiral 
Jaurès défendit énergiquement les droits de la France 



1. L'Angleterre, l'Espagne et l'Italie envoyèrent également 
une mission militaire. 

2. Ils jouissaient également d'immunités fiscales, aussi la 
qualité de protégé était-elle très recherchée. 

3. Il est certain que des négociants et des ministres fai- 
saient commerce de leur dl'oit de protection. 



' '"WlPJi. 



— 117 — 

à la conférence réunie à Madrid. Il montra la néces- 
sité des censaux pour le commerce européen, étant 
donné l'état des mœurs et de la législation indigène, 
et la difficulté avec laquelle la présence des étrangers 
était admise dans l'intérieur du Maroc ; il soutint que 
la France, ayant toujours usé de modération et de 
réserve dans le choix de ses protégés, n'était pas la 
cause des abus qui avaient provoqué les plaintes du 
gouvernement chérifien. Il est à remarquer que le 
comte de Solms-Sonnenwald, plénipotentiaire alle- 
mand, soutint l'amiral Jaurès, Bismarck ayant pour 
principe de favoriser notre politique coloniale (dans 
laquelle il voyait une diversion puissante contre nos 
idées de revanche en Europe). 

Le Maroc dut se résigner à laisser aux commerçants 
et consuls européens dans le choix de leurs protégés \ 
mais leur nombre fut limité à deux par établissement 
commercial. On limita à douze le nombre de Maro- 
cains qui pourraient devenir protégés pour services 
rendus à un Etat étranger, sauf permission spéciale 
du Sultan (convention de Madrid, 3 juillet 1880). La 
France obtint donc une victoire partielle, mais la 
jalousie de l'Angleterre et de l'Espagne contre elle. 



1. La France achetait beaucoup de laines au Maroc et avait 
besoin de censaux dans les campagnes : ce sont ces protégés 
dont l'Angleterre, qui n'avait d'intérêts que dans les villes, 
poussait le Maroc à demander la suppression. 



'W^ 



— 118 — 

qui les poussaienl à soutenir le Maroc, fut très nui- 
sible aux intérêts européens en général : car elle em- 
pêcha d'exiger du Sultan l'exécution effective des 
clauses concernant rétablissement des Européens 
dans l'intérieur du Maroc et la liberté commerciale 
complète, ce qui aurait pu être obtenu si toutes les 
puissances avaient été d'accord. 

La France recommença donc à agir par l'intermé- 
diaire de ses protégés et eut bientôt un nouvel élé- 
ment d'influence. Des Marocains, originaires du Rifi 
principalement, vinrent à partir de cette époque tra- 
vailler dans le Maghreb el Ouost (nom marocain de 
l'Algérie), comme ouvriers agricoles ou terrassiers : 
ils apprécièrent les bienfaits de notre régime et re- 
tournèrent dans leur pays avec des sympathies pour 
la France. Elle dut beaucoup aussi au comte de Cha- 
vagnac, qui exploitait alors des mines dans le Riff, et 
surtout à l'habileté et à l'énergie de M. Ordéga, nommé 
ministre à Tanger, qui, profitant des insultes faites 
par des fonctionnaires chérifiens aux fils du chérif 
d'Ouezzan, Si el Hadj Abdessalam, chef de la puis- 
sante confrérie de Moulay-Taieb, dont les khouans 
(frères), sont répandus au Maroc, en Algérie et même 
au Soudan, lui proposa la protection de la France 
(1884). Le chérif, esprit cultivé, moins réfractaire à 
notre civilisation que ses coreligionnaires, voyant 
d'ailleurs que son entente avec la France lui procure- 



l 



— 119 — 

rail des facilités pour celles de recueillir les offrandes 
de ses fidèles d'Algérie, fut un agent dévoué de la 
politique française qu'il chercha à aider de son in- 
fluence religieuse au Toual et dans le Riff \ 

Mais si la France avait à cette époque' une bonne 
situation morale, son action politique était trop timo- 
rée. M. Ordéga ne fut pas assez soutenu par M. de 
Freycinet, ministre des affaires étrangères. C'est en 
1885 que nous arrêtons la construction de notre ligne 
de pénétration dans le Sud-Ouest algérien, décidée en 
1879. Enfin, le commerce français ne cherchait pas à 
utiliser la frontière de terre, à établir des relations 
entre Tlemcen et Oudja ; la France négligeait de 
construire le chemin de fer de Tlemcen à Lalla-Mar- 
nia et, malgré l'insécurité des roules du Riff, le com- 
merce de la vallée de la Moulouya se faisait plutôt 
par Mélilla, où les Espagnols venaient de créer un 
port franc. Il y avait en Algérie un grand mouve- 
ment d'importation de bestiaux et laines marocaines, 
mais elle n'y envoyait presque rien. Les communica- 



1. Une polémique s'est engagée à propos de l'échec de Si 
el Hadj Abdessalam au Touat sur le pouvoir réel des chérifs 
d'Ouezzan et les services qu'ils pouvaient rendre à la 
France : il est certain que les goûts européens du précédent 
chérif lui avaient enlevé de son prestige et de son autorité 
sur ses fidèles, mais ses fils, tout en restant loyaux alliés de 
la France, ont repris leur ascendant sur la confrérie et nous 
ont aidés dans tous nos rapports avec les Riffains et les Ber- 
bères de l'Atlas ; nous ne devons négliger aucun élément 
d'influence. 



— 120 — 

lions par terre étaient difficiles, il y avait 100 kilo- 
mètres de mauvaises routes de Tlemcen à Marnia, et 
210 kilomètres de simples pistes de cette ville à Taza, 
le port algérien de Xemours qui pourrait être l'entre- 
pôt des produits marocains de la Moulouya, était dé- 
fectueux. Dans le Maroc proprement dit, nos commer- 
çants se montraient timides, manquaient d'initiative, 
ne savaient pas se mettre à portée de la clientèle ni 
faire de crédit ; ils se confinaient dans le commerce 
des objets de luxe et se laissaient enlever par l'Alle- 
magne et l'Angleterre l'importation des objets usuels, 
comme les bougies, le sucre, les cotonnades. 

Vers 1890, un mouvement d'opinion se créa en 
France en faveur de l'expansion coloniale, qui avait 
plutôt été combattue jusque-là. Des hommes politi- 
ques, explorateurs, publicistes, officiers, savants 
(MM. d'Arenberg, Charles Roux, Félix Faure, Bout- 
my, Binger, Borgnis-Desbordes, de Gallifet, Derré- 
cagaix, P. Leroy-Beaulieu, Melchior de Vogué, etc.), 
fondèrent le Comité de l'Afrique française pour s'oc- 
cuper d'étendre par tous les moyens notre influence 
dans cette partie du monde. Le Comité fit paraître 
dans son Bulletin de nombreux articles concernant la 
nécessité de notre pénétration au Sahara et au Maroc, 
dont il signala avec insistance l'importance au point 
de vue de notre prépondérance dans l'Afrique du 
Nord. 



— 121 — 

En 1891, notre ministre à Tanger, M. Patenôtre, 
obtint du Sultan la frappe à Paris d'une somme de 20 
millions de francs, ainsi que quelques améliorations 
dans le service des ports, fort négligé au Maroc. Mais 
les rapports de iloulay-Hassan et de la France se re- 
froidirent au sujet des affaires du Touat, et les mi- 
nistres français, MM. Féraud et Souhard, présentè- 
rent vainement des observations au Sultan sur ses 
empiétements dans nos possessions, mais ils eurent 
la prudence de refuser toujours toute discussion sur 
ce point, ce qui aurait paru donner une apparence de 
vérité aux prétentions du Sultan et reconnaître qu'elles 
pouvaient être fondées. Le 27 janvier 1892, M. d'Au- 
bigny, alors noire ministre à Tanger, conclut avec 
Sir Kirby Green, ministre d'Angleterre, une conven- 
tion neutralisant le sémaphore du cap Spartel, que 
celui-ci aurait voulu faire construire et occuper par 
des Anglais. Le 25 septembre 1892, M. d'Aubigny fut 
envoyé en ambassade à Fez et négocia avec le Sultan 
un accord commercial : le tarif douanier du 10 sep- 
tembre 1844 fut réduit pour certains produits fran- 
çais (soieries, pierres précieuses, vins, pâtes alimen 
taires), de 10 % à 5 %, moyennant quoi le Maroc bé- 
néficia de notre tarif minimum (Loi du 6 février 1893). 

Le Sultan s'engagea à protéger les marques de 
fabrique françaises contre les contrefaçons et accorda 
des indemnités pour les Hamyans algériens, dont 



-P>J!f u-nv^MK 



1 



— 122 — 

une caravane avait été pillée en 1891 par les Berabers 
du Tafilelt. M. d'Aubigny éc laira Moulay-Hassan sur 
le jeu de l'Angleterre el de son ministre Evan Smith, 
et contribua beaucouj) à l'riiicc de celte mission. Ce 
fut une suite de succès diplomatiques qui irritèrent 
vivement la presse anglaise. 

Sous l'impulsion de M. Ribot, ministre des affaires 
étrangères, et de M. Cambon, gouverneur de l'Algé- 
rie, la politique française entra dans une phase plus 
active que précédemment : nous avions été trop loin 
dans les concessions, notre modération avait paru de 
la faiblesse et nous n'avions plus aucun prestige aux 
yeux du Sultan. Notre |u*otégé, le chérif Sidi el Hadj 
Abdessalam étant mort, nos dii)lomates aidèrent ses 
enfants dans le règlement délicat de sa succession, et 
Moulai el Arbi, son fils aîné, élevé en Algérie, lui suc- 
céda : il accepta à son tour la protection de la France 
et envoya son neveu à M. Cambon pour notifier sa 
nomination et régler la question du choix de moqua- 
dem de son ordre dans nos possessions. C'est à ce 
moment qu'eut lieu l'expédition du Sultan au Tafilelt 
et ses difficultés avec l'Espagne. M. d'Aubigny, 
comme il a été dit plus haut, aida efficacement et au 
mieux des intérêts de la France, le maréchal Martinez 
Campos, et le traité de paix hispano-marocain fut 
avantageux pour celle-ci, car il déjoua les projets 
anglais à propos de l'indemnité de guerre. — M. 



— 123 — 

d'Aubigny quitta le Maroc en 1894 : il avait su, mal- 
gré bien des difficultés, donner à la France une place 
importante dans les affaires marocaines ; il fut rem- 
placé par M. de Montbel. Quand Moulay-Hassan mou- 
rut (6 juin 1894), le gouvernement français et le chérif 
Ouezzan reconnurent sans difficultés Moulay-Aziz, 
et, tandis que les ministres anglais et italien méconten- 
taient le maghzen en profitant des troubles causés par 
Tavènemenl du jeune Sultan pour l'accabler de ré- 
clamations, celui de France gardait une réserve qui 
fit la meilleure impression. Aussi il fut reçu très ami- 
calement lors du voyage de pure courtoisie qu'il fit à 
Fez, et cependant ce fut la première fois qu'un minis- 
tre étranger fit visite au Sultan sans lui apporter de 
cadeaux (ce qui passait toujours aux. yeux des indi- 
gènes comme un acte de vassalité). Il obtint la création 
d'un consulat français à Fez où jusque-là il n'y avait 
eu qu'un vice-consul indigène ; ce fut une faute, les 
autres puissances feignirent de voir dans cette faveur 
une atteinte au statu quo marocain et l'Angleterre, 
l'Espagne et l'Italie réclamèrent également un consu- 
lat. 

A ce moment, on se préoccupa en France de déve- 
lopper le trafic, si restreint jusque-là, qui s'opérait 
entre l'Algérie et le Maroc par terre. M. Foureau fut 
chargé d'une mission par le gouvernement général. 
Dans le rapport qu'il fit, il déclara que la faute était 




— 124 — 

à noire tarif douanier qui avait entravé les relations 
i:ommerciales très actives avant la conquête : il pro- 
posait la création d'entrepôls francs, de marchés mix- 
tes, où les agents français et marocains pouvaient per- 
l'evoir des droits (ce que les Esi)agnols avaient fait 
avec succès à Melilla), et l'établissement sur la fron- 
tière de postes de douanes qui serviraient également 
h assurer la sécurité de la région. Il montrait la né- 
cessité de la construction de la ligne Tlemcen-Lalla- 
\Iarnia, et concluait avec juste raison que la péné- 
tration commerciale était la meilleure préparation de 
la pénétration politique. — Une partie de ces idées 
lut mise immédiatement à exécution ' : le décret du 17 
décembre 1896 créa des marchés francs à Lalla Mar- 
ina, Aïn-Sefra et El Aricha sur la frontière maro- 
caine ^ : étaient dispensés de droits de douane et 
d'octroi de mer, les sucres, thés, cafés, épices, huiles 
minérales, alcools de parfumerie, produits chimiques 
et pharmaceutiques, à destination de ces villes. Cette 
excellente mesure augmenta sensiblement le trafic 
terrestre franco-marocain. 
L'action politique française devenait plus intense au 



1. Les autres furent reprises en 1901 et 1902, lors des arran- 
gements franco-marocains. 

2. Des marchés francs étaient également créés à El Oued, 
fouggourth, El Goléah, El Abiod sidi Cheik, Djenien bou 

Resk, pour favoriser le commerce avec les oasis. 



'^l?3??5f*." 



— 125 — 

Maroc. A propos de troubles qui éclatèrent à Oudja, 
M. Cambon montra beaucoup de bienveillance envers 
le gouverneur Si Driss ben Aich, auquel il rendit 
visite à Aïn-Takbalet, il lui prêta son appui moral 
contre les rebelles qui menaçaient Oudja, et montra 
une grande patience au sujet de la répercussion de 
la rébellion en Algérie, il se contenta de faire respec- 
ter la frontière au moyen des troupes qu'il y avait 
massées sans tenter d'action militaire inopportune, 
ce qui produisit un excellent effet auprès du Sultan. 
Mais il fut taxé en Algérie de faiblesse et d'inertie 
poiir n'avoir pas réclamé le paiement immédiat au 
pacha d'Oudja d'une indemnité de 300.000 fr. pour 
ravages causés par des Marocains en territoire algé- 
rien ; on alla même jusqu'à demander l'occupation 
d'Oudja, pour en finir avec les troubles de la fron- 
tière ' et à prier le gouvernement de désavouer M. 
Cambon. Mais déjà celui-ci avait l'idée d'augmenter 
notre pouvoir au Maroc autrement que par des anne- 
xions, et ne voulait y exercer une action que par 
voie diplomatique. Cette conduite prudente produisit 
à ce moment même (1897) deux résultats apprécia- 
bles : notre ministre à Tanger, put, avec l'appui du 
Chérif d'Ouezzan, obtenir rapidement la mise en liber- 



1. Question diplomaliques el coloniales : 1®^ juin 1897. La 
situation politique à la frontière marocaine, H. Pensa. 
25 août 1897. Lettre d'Algérie. 



1 



— 1-26 — 

lé du capitaine de la barque française, Prosper 
Cornu, l'ail prisonnier par les Hiffains, sans que 
nous soyons obligés comme les autres puissances, 
d'engager de pénibles négociations avec le Maghzen. 
Knfin, le 29 mai, Abd-el-Aziz envoya à Paris une am- 
bassade conduite par Si Moliammed ben Moussa, 
frère du grand-vizir, qui exprima le désir de son maî- 
tre, de consolider les liens d'amitié et les relations de 
bon voisinage avec la F'rance ; mais, si cette ambas- 
sade montra les bonnes dispositions du jeune Sultan 
à notre égard, elle n'eut que peu de résultat, parce 
que son chef devint fou. 

A partir de 1898, la France commença à se préoc- 
cuper davantage du Maroc qu'elle avait plutôt né- 
gligé jusque-là, et sa politique hésitante allait se pré- 
ciser, devenir plus énergique. Le gouvernement fran- 
çais allait franchement rechercher la collaboration du 
Sultan. L'œuvre de la France en Afrique s'ébauchait, 
des guerres heureuses venaient de lui donner le 
Dahomey, le Soudan et le Haut Congo jusqu'à Tchad, 
elle allait chercher à relier ses nouvelles possessions 
africaines à l'Algérie et à la Tunisie, et vit alors plus 
clairement que le Maroc était le complément obliga- 
toire de notre empire colonial dans l'Afrique du nord- 
ouest. Le 7 février, M. Etienne, député d'Oran, de- 
manda à la Chambre des députés, à propos de la dis- 
cussion du budget des affaires étrangères, la création 



— 127 — 

d'un vice-consulat à Oudja pour nous donner des ren- 
seignements politiques et commerciaux sur cette par- 
tie de l'Empire chérifien. Il insista sur la nécessité 
de (( prendre au Maroc la légitime influence qui nous 
était due ». De son côté, le comité de l'Afrique fran- 
çaise montrait, dans son Bulletin, l'intérêt que pré- 
sentait pour nous le Maroc, les agissements des puis- 
sances rivales, les moyens d'action que nous y possé- 
dions : influence de nos clients les chorfa d'Ouezzan, 
de nos indigènes algériens établis au Maroc, de notre 
administration des affaires indigènes très versée dans 
la connaissance de la politique musulmane, sans 
compter l'appui de la légation russe ^ qui venait d'être 
créée à Tanger et notre mission militaire dont nous 
n'avions pas su jusqu'alors tirer parti \ M. de la Mar- 
tinière qui remplaçait M. de Montbel à Tanger con- 
naissait à fond le Maroc. Enfin, la colonie française 
s'augmentait dans cette ville, elle comprenait deux 
importantes maisons de commerce (Gautsch et Bruns- 
wig), la minoterie Lacaze, un hôpital avec médecin 
et pharmacien, des écoles soutenues par l'alliance 
française et l'alliance israëlite, un bureau de poste, 
des cafés et journaux. Il y avait également des mai- 



1. L'Angleterre avait fait créer également une légation par 
le Portugal. 

2. La Société de géographie d'Alger envoyait M. de Segon- 
zac explorer le Maroc central. 



— 128 — 

sons françaises à Larache, Mazagan, Mogador. — 
Le moment était favorable pour nous : l'Espagne était 
affaiblie par ses défaites et l'Angleterre allait être 
absorbée par les affaires sud-africaines. Elles firent 
tout leur possible pour nous enlever la confiance du 
Sultan, nous montrant comme les instigateurs de la 
révolte du Tafilelt et lui faisant considérer la protec- 
tion que nous avions donnée peut-être trop précipi- 
tamment à la tribu des Bekkiona révoltée, comme un 
acte d'hostilité à son égard : le résultat de ces excita- 
tions fut que le Sultan entrava par des mesures vexa- 
toires le trafic des bestiaux marocains par la frontière 
algérienne. De plus, l'Angleterre, prenant peur de nos 
progrès en Afrique, et voyant menacées ses commu- 
nications sur le Nil par la mission Marchand, prit un 
ton absolument menaçant à notre égard. Par malheur, 
la défense des côtes et des colonies françaises était 
trop mal assurée, et nous dûmes céder, l'accord de 
1899 nous forçait à évacuer le Haut Nil, mais, comme 
en 1890, nous reconnaissait l'hinterland algérien. 

C'est justement à ce moment (hiver 1899-1900), que 
commença la conquête des oasis sahariennes. Le 
contre coup qu'elle eut sur la frontière oranaise 
préoccupa vivement l'opinion en Algérie ; comme les 
attentats s'y multipliaient et amenaient une insécurité 
absolue dans ces régions, les Algériens réclamèrent, 
comme déjà en 1896, l'établissement à bref délai du 



— 129 — 

protectorat français sur le Maroc (vœux de la société 
de géographie d'Alger) et l'occupation immédiate 
d'Oudja et de Figuig (journal ÏEcho dOran) pour en 
finir avec cette situation troublée. Ils sont placés trop 
près pour voir nettement les choses, ils ne se préoc- 
cupent que de leurs intérêts immédiats ; le gouverne- 
ment français refusa d'employer cette politique éner- 
gique, mais à courte vue : il agit avec moins d'éclat, 
mais plus de prudence. M. de la Martinière, appelé 
à d'autres fonctions à Paris, fut remplacé par M. Re- 
voit, qui fut ensuite nommé gouverneur de l'Algérie ; 
M. Saint-René Taillandier succéda à M. Revoit \ — 
L'action de la politique française s'affirma davantage 
encore au Maroc avec ces deux diplomates : un de nos 
nationaux, M. Pouzet, ayant été assassiné le 3 avril 
1901, par les Riffains, la France présenta ses réclama- 
tions avec une énergie qu'elle n'avait jamais déployée 
jusque-là, elle envoya deux croiseurs à Mazagan et 
un ultimatum au Sultan, mais lui montra en même 
temps qu'elle ne cherchait pas à ruiner son autorité, 
qu'elle voulait au contraire l'aider à l'établir plus 



1. Jusqu'alors les ministres français à Tanger y avaient 
débarqué sans aucun apparat, mais à partir de ce moment, 
à rexemple de ceux des autres puissances, ils arrivent sur 
un croiseur, car nous nous sommes aperçus qu'il ne faut 
rien négliger pour donner aux Marocains une haute idée de 
notre puissance. 

Bourassin. 9 




— 130 — 

solidement. En juin \ Si Abd-el-Kérim ben Sliman 
fut envoyé en mission à Paris, pour régler les ques- . 
tions territoriales et commerciales pendantes entre la 
France et le Sultan. Le 5 juillet, à la tribune du Sé- 
nat, M. Delcassé, à propos de la mission marocaine, 
déclara que la France « était tenue de suivre ce qui se 
passe au Maroc avec un intérêt singulier, dont nul ne 
saurait équitablement méconnaître la valeur ». — 
Les accords signés en 1901 et en 1902 furent la consé- 
cration de la politique d'entente et d'action commune 
avec le Sultan. En plus du partage des tribus saha- 
riennes entre la France et le Maroc, et des clauses 
concernant la sécurité des zones frontières, ces con- 
ventions contiennent des articles visant la création de 
marchés algériens, marocains ou mixtes et de bureaux 
de douane dans ces régions. La liberté des transac- 
tions et de la propriété était assurée aux sujets algé- 
riens et marocains, et la France s'engageait à conso- 
lider l'autorité du Sultan dans les parties de son em- 
pire touchant à l'Algérie. Sans doute, ces conventions 
n'obtinrent pas tous les résultats qu'on pouvait en 
espérer à cause des troubles qui régnaient dans l'Em- 
pire chérifien, mais au moins leur modération et notre 
loyauté nous concilièrent le bon vouloir du Sultan et 
ne donnèrent aucune prise à des réclamations de la 



1. Ce même mois eut lieu Tinauguration d'un câble français 
d'Oran à Tanger. 



— 131 — 

part de nos rivaux. Il était inutile de brusquer les 
événements, de vouloir ouvrir la question marocaine, 
elle allait s'ouvrir d'elle-même et l'Angleterre, par son 
avide précipitation, allait commettre la faute, que 
nous avions évitée, de porter atteinte au stalu quo 
marocain. 

A sa mort, Moulay-Hassan avait laissé son empire 
dans un état relativement prospère ; il avait, par ses 
armes ou sa diplomatie, soumis des tribus jusque-là 
rebelles, le trésor était bien rempli, l'armée maro- 
caine commençait à s'organiser, les caïds à être obéis, 
le Sultan avait augmenté leur nombre et diminué l'é- 
tendue de leurs circonscriptions pour être plus sûr 
de leur fidélité, mais il était absolument hostile à 
l'influence européenne. Celle-ci ne dominait guère 
qu'à Tanger où les ministres européens étaient arri- 
vés à exercer en fait l'autorité municipale au moyen 
du conseil sanitaire \ et surtout de la commission 
d'hygiène, que M. d'Aubigny en 1892 avait fait 
reconnaître oflTiciellement par Moulay-Hassan et qui 
était devenue une dépendance du corps diploma- 
tique dont un des membres présidait. Sauf pour 
présenter leurs lettres de créance ou pour des 
missions extraordinaires, les ministres européens 




^^ 



1. En 1865, un lazaret avait été créé à Mogador, il fut trans- 
féré près de Tanger en 1897, à la suite de difficultés avec le 
Sultan. 




1 



— 132 — 

n*élaient pas en rapports directs avec le Sultan, mais 
avec son agent spécial à Tanger \ 

La situation allait changer avec son fils, Abd-el- 
Aziz, (jijeles intrigues de sa mère, Lella Requia, d'ori- 
gine * ircassienne, et du grand vizir Ba-Ahmed ben 
Moussa, avaient appelé au trône de préférence à son 
frère aîné, Moulay-Mohammed. Le grand vizir tint 
le jeune Sultan dans une tutelle étroite et continua la 
jiolilique traditionnelle à l'égard des tribus et des 
étrangers ; il eut à lutter contre de nombreuses ré- 
voltes et le maghzen resta six ans à Marrakech sans 
pcHivoir regagner Fez. Lorsqu'après la mort de Ba- 
Ahmed en 1900, Moulay-Abd-el-Aziz voulut gouver- 
ner seul, il précipita vers la ruine son pouvoir qui se 
maintenait déjà avec tant de peine. Le jeune prince 
n avait pas le caractère religieux et guerrier de son 
[)ère» il était peu sérieux, efféminé, brouillon, inexpé- 
rimenlé, aimant l'éclat et le brillant. Il choisit comme 
favori un aventurier, nommé Mac-Lean, ancien sous- 
oITicicr anglais de Gibraltar, poursuivi autrefois pour 
dettes, placé en 1877 auprès de Moulay-Hassan par 
sir John Drummond Hay, comme instructeur d'infan- 
terie, et en réalité comme agent politique, qui servit 
à toutes les besognes, officier et courtier, nommé 
caïd et directeur de l'artillerie en 1891 : tenu à l'écart 



1. Actuellement Si Mohammed Torrès. 



— 133 — 

par Ba-Ahmed, mais « flatteur et cauteleux ' », il sut 
plaire au jeune Sultan. Son autre favori fut El 
Menehbi, également aventurier de basse extraction, 
qu'il fit ministre de la guerre et qui s'appuya sur 
l'Angleterre pour se maintenir au pouvoir. Sir Ar- 
nold Nicholson, ministre anglais à Tanger, M. Has- 
tings, vice-consul anglais à Fez, et le correspondant 
du « Times » à Tanger, M. Harris, qui publiait dans 
son journal des articles clogieiix pour le jeune Sultan, 
devinrent également ses conseillers. Il fut la dupe 
d'aventuriers européens, anglais surtout, qui flat- 
taient ses désirs puérils, de « fournisseurs plus préoc- 
cupés de commandes avantageuses que de réformes 
pratiques ». C'est alors que, conune le disait M. De- 
lafosse, apparurent ces « individualités sans man- 
dat », dont l'Angleterre allait se servir pour complé- 
ter l'œuvre de sa diplomatie au Maroc : instructeurs, 
jockeys, mécaniciens, photographes, commerçants de 
toutes sortes, entrepreneurs de travaux publias, 

agents de compagnies de colonisation, etc — 

Après l'ambassade de Mac-Lean et d'El Menehbi à 
Londres en 1901, Moulay-Abd-el-Aziz voulut complè- 
tement renverser les vieilles institutions marocaines et 
organiser son empire à l'exemple des états euro- 
péens. Cette œuvre très délicate aurait demandé 



1. R. Pinon, Les événements du Maroc (Revue des Deux- 
Mondes, 1«' mars 1903). 



— 134 - 

beaucoup du larl et de fermeté, l'appui d'une force 
sérieuse, ce que n'avaient ni le Sultan, ni ses favo- 
ris. I] voului irabord faire des réformes fiscales, sup- 
primer l'acliour et le zekkal, vieux impôts établis par 
le Coran sur les recolles et les troupeaux, et les rem- 
placer par une ( ontribulion foncière qui devait frap- 
per loules les terres, même celles des confréries reli- 
gieuses (bienï? habbous), jusque-là exemptés de toute 
taxe* 

Tant que Monlay Aziz n'avait fait que vivre contrai- 
rement aux traditions et au Coran, l'hostilité du 
parti conservateur, des croyants fervents n'avait fait 
i\ne couver sourdement ^ ; elle éclata à propos de cette 
réforme fiscale : les caïds dont il voulait contrôler les 
agissemenis aussi bien que les chorfa mécontents de 
voir imposer leurs biens, tous les pillards de l'Em- 
pire, toujours à l'affût d'une rébellion fructueuse, se 
levèrent à la voix d'un marabout obscur Jellala es 
Zerliouni, surnommé Bou-Hamara, qui prêcha la 
guerre sainte contre un Chérif qui violait ainsi les 
traditions et la loi religieuse et s'entourait d'infidèles. 



L Lo 17 octobre 1902, il fît arracher du sanctuaire vénéré 
de MouUiy-îdriss, à Fez, un chérif accusé d'avoir assassiné 
un pasleur anglais, le fît battre de verges, puis fusiller. Cet 
acte de justice sommaire exaspéra les habitants de Fez, reli- 
gieux el frondeurs, déjà outrés de Taffluence des étrangers 
dans leur sainte cité et des amusements européens de leur 
Sultan. 



— 135 — 

Bou-Hamara déclara tantôt qu'il était Moulai-Mohàm- 
med, le frère évincé du Sultan, et qui était enfermé à 
Méquinez, tantôt qu'il était envoyé par Allah pour 
délivrer le captif et le mettre sur le trône. Il s'installa 
à Taza, excellente position stratégique d'où il mena- 
çait à la fois Fez et Oudja. Il recruta ses partisans 
surtout dans la secte fanatique et xénophobe des 
Derkaoua, les Bérabers, les Riata, les Tsoul et les 
Hiaïna de l'Atlas et même chez les Tholbas (étudiants) 
de Fez ; il tint la campagne en décembre 1902, et 
battit les troupes du Sultan. On crut en Europe celui- 
ci absolument perdu, et on se hâta trop vite d'annon- 
cer son renversement : certains Algériens deman- 
dèrent même que la France soutînt le prétendant, en 
fît l'agent de sa pénétration. Mais la diplomatie fran- 
çaise, mieux au courant des affaires marocaines, s'y 
opposa avec juste raison : il en fut, en effet, de cette 
révolte comme de toutes les autres : de puissantes 
tribus berbères, les Beni-Ouaraïn et les Aït-Joussi 
qui, en se joignant aux rebelles, auraient pu les faire 
triompher, furent achetées par le maghzen, et c'est 
en grande partie grâce à leur appui, que le préten- 
dant fut battu le 2 février 1903. Les journaux espa- 
gnols annoncèrent même sa mort, mais on apprit 
bientôt qu'il s'était réfugié dans les montagnes et, en 
juin, c'était lui qui, à son tour, menaçait le Sultan 
dans Fez, il fut battu le 29 juillet et regagna alors 




— 136 — 

Taza d'où les troupes du Maghzen n'ont encore 
|Hi le déloger. D'ailleurs, la situation actuelle du Sul- 
tan n'est guère brillante : les énormes dépenses qu'a- 
vaient entraînées les fantaisies européennes de Mou- 
lay Aziz, puis la guerre, ont vidé le trésor et, comme 
les impôts anciens ont été supprimés sans que de nou- 
veaux puissent être établis et perçus, la détresse 
financière est extrême, d'autant plus qu'elle se com- 
[jlique d'une crise monétaire, de la dépréciation de 
la monnaie qu'a fait frapper le Sultan, d'où il résulte 
do désastreuses fluctuations dans le cours du change. 
Le Sultan a dû licencier son armée et vit au jour le 
jour. 

— Voilà comment un article du Bullelin du Comité 
fie rAfrique française décrit la situation intérieure 
iictuelle du Maroc * : (( Le Blad el Maghzen est réduit 
h sa plus simple expression, n'est plus qu'une fédéra- 
lion très lâche de tribus dont les caïds ont senti leur 
force vis-à-vis du Maghzen et qui, après avoir été dis- 
|Fensés trois ans des anciens impôts coraniques, se 
refusent maintenant à acquitter les taxes nouvelle- 
ment établies. Le pouvoir actuel est très faible, mais 
il existe, il continue à vivre par la politique tradi- 
lionnelle et le consentement des tribus ; s'il est menacé 
dans son autorité, rien ne le menace dans son exis- 



L N« de février 1904. 



**r iÇi* 



— 137 — 

tence : si bien que le Maghzen dans la plaine et le 
Rogui (Bon Hamara), dans la montagne, contem- 
plent impuissants l'anarchie universelle qui se déve- 
loppe librement autour d'eux : c'est du reste une 
situation bizarre selon nos idées européennes, mais 
qui n'a rien d'extraordinaire dans les annales maro- 
caines ». 

Le Sultan a été abandonné au début de la rébellion 
par tous^ les aventuriers européens qui l'avaient mené 
à la ruine alors que les officiers et diplomates français 
restaient à ses côtés. En ce moment, le crédit de Mac- 
Léan «st fort ébranlé, d'autant plus qu'il n'a pu réus- 
sir à négocier un emprunt en Angleterre. El Menehbi 
est dans une quasi-disgrâce ; il est parti en pèleri- 
nage à la Mecque et a été remplacé par Mohammed 
el Guebbas, chef de la mission marocaine à Alger, 
partisan de la France. Notre influence a grandi à la 
cour au détriment de l'influence anglaise ; c'est grâce 
à nous, qui avons fait passer des soldats marocains 
par l'Algérie, que le Sultan a pu réoccuper Oudja. - 
Il semblait que le Sultan allait devenir plus raisonna- 
ble et se rendre compte que son anglomanie et ses 
réformes inconsidérées étaient cause de sa situation 
déplorable, mais les dernières nouvelles reçues du 
Maroc montrent bien que, s'il a dû renoncer à ses 
projets de réforme, il se livre au gaspillage de ses 



1 



— 138 — 

derTii^rr s ressources \ alors que ses ministres cher- 
f lii'hl ili's expédients financiers, et n'a pas abandonné 
-e- >yrik]>athies pour T Angleterre, dont les intrigues 
[*M oininoncent : Cheik Tazi, le nouveau ministre des 
hnii hrr-. leur est favorable. Mais les Anglais sont 
il< fisti^ par l'ensemble des Marocains et, même parmi 
lo riMiservaleurs, beaucoup se tournent vers la 
h'f Lihi I' iju'ils voient à l'œuvre en Algérie et en arri- 
\riif ,( I ►référer sa domination au désordre politique 
i'\ ;j linjarchie financière qui régnent actuellement 
*\i\ji^ U'wr pays. 

Ij' -lalu quo marocain ne peut plus durer ; l'insé- 
mii\v iMigmente, un allemand vient d'être assassiné 
;mi\ |iiMîes de Fez, le commerce n'est plus possible, 
) j*^n'K iHtiire est ruinée par les pillages des armées du 
^rilluii ou des bandes de rebelles. — La tentative de 
nhif tue- du Sultan et ses conséquences montrent bien 
i[(ir Ir \[aroc est incapable de sortir par lui-même de 
Min rUi\ anarchique, qu'une tutelle lui est nécessaire 
jMHH i\\rû se développe normalement, pour diriger 
>ii |iuli tique intérieure et extérieure ; d'autre part, 
le b('-oin croissant de débouchés commerciaux, pous- 
sent \r- puissances à faire taire leurs rivalités et à ne 
l«lu- Int-ser limiter leur action économique dans ce 



f 11 ;i fait venir des acteurs européens auxquels il donne 
iHi Irmli.Qient énorme (Bulletin du Comité de V Afrique fran- 
raiif,, Jivril 1904). 



► 



^ 139 — 

pays qui doit être mis en valeur. C'est à nous, Fran- 
çais, que ce double rôle doit revenir, le moment est 
venu pour nous d'ouvrir le Maroc à l'expansion euro- 
péenne, de le civiliser, d'établir, sous une forme ou 
sous une autre, notre domination sur le dernier pays 
de la Berbérie qui soit encore indépendant de nous et 
d'achever ainsi notre empire colonial africain. 




CHAPITRE V 
La coNQuÊTi: pacifique di: Maroc par la France 



Xous avons vu (juelle était Tunilé géographique de 
la Berbérie, les consécjueiues désastreuses qu'aurait 
pour nous ro((U|)alion du Maroc par un état autre 
que la France, cpiel merveilleux champ d'action éco- 
aomique il constitue. Or, il semble que nul, mieux 
que la France, n'est à même d'accomplir la tôche déli- 
cate de réorganiser cet état et de l'ouvrir à la civili- 
sation ; que l'établissement de sa prépondérance sera 
conforme à la i'ois à ses droits et à ses intérêts et à ceux 
des autres puissances. 

La France a, en effet, des droits supérieurs à toutes 
sur le Maroc. Alors qu'à part les prétentions espa- 
gnoles et les visées anglaises sur le détroit de Gibral- 
tar, elles n'ont que des intérêts économiques, nous 
seuls, par les L200 kilomètres de frontières com- 
munes, les rapports entre les tribus oranaises et maro- 
caines, avons de véritables droits politiques sur ce 
pays. — Au point de vue commercial, nous tenons le 
premier rang, grâce à notre commerce algérien. Il 



~ 141 - 

faut insister sur ce point, car, ainsi que Ta fait consta- 
ter M. Raiberti, les Anglais se vantent de posséder 
43 % du commerce marocain, alors que la France n'en 
posséderait que 37 %, mais le monopole du commerce 
par terre fait qu'en réalité, nous possédons plus des 
2/3 du commerce total. — Voici d'ailleurs, les chiffres 
donnés par M. Déchaud dans son rapport ^ : 





Importation 


Exportation 


Total 


Angleterre, 


23.555.556 


9.484.388 


33.039.944 


France, 


13.001.781 


5.275.697 


18.277.478 


Algérie ^ 


887.556 


15.893.751 


16.781.307 


Espagne, 


624.703 


8.821.731 


9.441.434 


Allemagne, 


3.442.842 


2.986.676 


6.429.518 


Etats-Unis, 


» 


2.745.772 


2.745.772 


Belgique, 


. 2.215.338 


j> 


2.215.338 


Italie, 


132.<999 


1.315.378 


1.448.877 


Autriche, 


1.069.539 


» 


1.069.539 


Portugal, 


4.725 


429.840 


434.565 



Un article anonyme intitulé « L'œuvre de la France 
au Maroc », paru dans la Revue politique et parle- 
mentaire du 10 février 1904, donnait ces chiffres pour 
1901 : France et Algérie : 40 millions (38 % du com- 
naerce total), Angleterre 35 millions (33 %), Espagne 
11 millions 1/2 (11 %), Allemagne, idem ; 3 millions 
pour la Belgique, 1 1/2 pour l'Italie et pour l'Autriche, 
2 1/2 pour la Hollande, le Danemark et les Etats- 
Unis, soit 7 % pour ces dernières puissances "* : 



1. Bulletin du Comité de l'Afrique française, février 1904. 

2. On ne peut tenir compte dans ces chiffres de la contre- 
bande et des achats des travailleurs marocains. 

3. On peut comparer ces chiffres avec ceux donnés en 1884 



I 




— 142 — 

Pour le nombre des navires el leur tonnage, M. Dé- 
rliaud donne celle slalisiique : 



Angleterre, 


721 navires. 


511.399 tonneaux 


Allemagne, 


534 — 


320.877 — 


France, 


409 — 


271.097 — 


Espagne, 


897 - 


200.294 — 


Italie, 


24 — 


36.842 — 


Autriche, 


17 — 


29.064 — 



Sur les huit compagnies de navigation desservant 
les ports marocains de l'Atlantique, deux sont anglai- 
ses (Mersey sleam ship C, Forwood), deux alleman- 
des (Oldenburg-Portugiesische, Wœrmann Linie), 
une française (C* Paquet), une de Gibraltar et trois 
esj)agnoles, mais à départs irréguliers. Ces statisti- 



par M. Castonnet des Fosses. Le Maroc, ses relations avec 
TEurope, sa situation actuelle {Revue de Droit international, 
vqI. XVI, p. 213 et 491 : 

Sur un commerce international évalué au total à 44 mil- 
lions, l'Angleterre faisait 24 millions, la France 15, l'Espagne 
3, le Portugal 600.000 francs, l'Allemagne 200.000 francs, et 
les autres Etats européens 300.000 francs. 

On voit l'immense développement pris par le commerce 
allemand par rapport au commerce français et même au 
commerce anglais. 

— Voici les chiffres de M. Camille Fidel (Nos intérêts éco- 
nomiques au Maroc), pour 1901 
France et Algérie. 



Angleterre . . . 
Espagne . ... 
Allemagne . . . 
Belgique .... 
La part du commerce aigé 



38 millions. 
36.200.000 fr. 

8.300.000 fr. 

7.350.000 fr. 

2.900.000 fr. 
rien est, d'après lui, de 17.399.000, 



dont 16.565.000 à l'importation, et 834.000 à l'exportation. 



— 143 — 

ques montrent donc bien la prépondérance de notre 
action économique, grâce à notre commerce par la 
frontière algérienne qui s'accroît tous les jours. — 
Enfin, la prise de possession du Maroc par la France 
est nécessaire à la sécurité de nos colonies nord-afri- 
caines et non seulement à l'achèvement, mais à la 
consolidation de notre œuvre, « pour couvrir notre 
flanc gauche », a dit fort justement M. Delcassé. De- 
puis 1830, le Maroc a, en effet, été le point de départ 
ou d'appui de toutes les révoltes algériennes, la cita- 
delle du fanatisme musulman et de la barbarie dressée 
en face de l'Algérie et de la Tunisie, où nous nous 
efforçons de répandre nos idées et notre civilisation. 
La jalousie des autres puissances vis-à-vis de notre 
œuvre a prolongé l'existence de cette menace, mais 
plutôt que de donner prétexte à l'établissement d'une 
puissance étrangère au Maroc, nous avons préféré 
supporter toutes ses attaques, nous n'avons même pas 
voulu user entièrement de nos droits et surtout em- 
ployer « la manière forte », préconisée en Algérie en 
1897, en 1900 et en 1903, l'expédition militaire suivie 
d'annexion de territoire. Notre politique a pu être 
taxée de faiblesse, mais a eu l'avantage d'empêcher 
une ouverture intempestive de la question marocaine : 
pour les médiocres avantages que nous aurions obte- 
nus par la conquête des régions d'Oudja et de Fi- 
guig qui ne valent que peu de chose par elles-mêmes, 




par l'extension et la pacification des frontières \ nous 
nous serions exposés à voir le Sultan implorer la pro- 
terlion des autres puissances : l'Angleterre, l'Espa- 
gne, l'Allemagne et l'Italie auraient alors profité de 
la situation pour faire régler la question par une con- 
féience internationale et entamer le partage du Ma- 
ro< : nous aurions dû, pour éviter un conflit grave, 
nous résigner à les laisser s'établir dans les riches 
contrées de l'Atlantique et de la Méditerranée. A quoi 
nous aurait alors servi la possession des vallées de 
la Moulouya, du Guir et même des oasis du Tafilelt, si 
nous n'avions pu nous en servir comme des bases 
(Tupérations bien placées pour étendre notre action 
politique et commerciale dans les régions véritable- 
ment productives du Maroc ? — La France se trouve 
acluellement dans une situation beaucoup plus favo- 
rable que l'année dernière même, nous sommes éta- 
blis solidement dans les oasis dont la défense est 
mieux assurée, les tribus de Figuig, du Guir et du 
TaOlelt sont contenues par les maghzen qui ont été 
organisés dans nos marchés, le Sultan sent davantage 
son impuissance et l'Europe, en face de l'anarchie 
marocaine, comprend qu'on ne peut plus se borne- 



1. Le jour où lautorité du Maghzen s'exercera sous le con- 
trc^le et sous la haute suprématie de la France, nous aurons 
du même coup réglé, ou plutôt supprimé la question de Fi- 
guig... (et de) la frontière oranaise. R. Pinon, L'empire de la 
Méditerranée, p. 283. 



- 145 - 

à maintenir le statu quo. Notre immixtion dans les 
affaires marocaines peut donc être plus facilement 
acceptée. — Le moment est venu de sortir de notre 
réserve et de recueillir les fruits de notre patience, 
il est temps d'en finir avec cette irritante question ma- 
rocaine, il faut qu'aux rivalités internationales, fasse 
place un accord qui permette de faire sortir le Maroc 
du désordre dans lequel il se débat, d'y introduire la 
civilisation et d'exploiter, comme il mérite de l'être, 
ce pays que la nature a comblé de tant de dons et que 
les hommes ont rendu stérile. 

En plus de la supériorité de ses droits, il semble 
maintenant indiscutable que, seule, la France peut 
remplir ce rôle d'une façon qui sera profitable non 
seulement à elle, mais à tous les intéressés. 

Seule, en effet, elle possède une expérience suffi- 
sante des affaires musulmanes, étant elle-même une 
grande puissance musulmane ; seule, elle a des fonc- 
tionnaires, particulièrement un service des affaires 
indigènes connaissant à fond Arabes et Berbères, qui 
saura agir sans blesser leurs coutumes et leurs 
croyances. Seule, enfin, elle est en mesure d'exercer 
une action efficace au Maroc, parce qu'elle a une base 
d'action territoriale en Algérie, une armée algérienne 
bien exercée et un élément d'influence puissant consti- 
tué par ses sujets indigènes désormais domptés et 
acquis à ses idées. L'histoire nous riiontre que ce 

Bourassin. 10 




— 146 — 

n'est pas par l'ouest, par les ports que le Maroc a pu 
être conquis, mais par terre, par la Porte du Maroc, 
le défilé de Taza, la roule de Tlemcen à Fez : alors 
que les Espagnols, les Portugais et les Anglais se sont 
brisés dans leurs attaques par mer, les Phéniciens, 
les Romains, les Byzantins et les Arabes réussirent 
à s'emparer du pays par cette voie qui tournait et 
isolait les massifs berbères, centre de la résistance 
la plus acharnée aux envahisseurs. Il faut ajouter 
aussi qu'alors que les Espagnols et les Anglais sont 
détestés par les Marocains, la France compte au con- 
traire des sympathies dans le Riff, chez les Beni-Snas- 
sen de la Moulouya, à Ouezzan, et même dans le Sous 
dont les habitants viennent en grand nombre travailler 
en Algérie et en Tunisie et peuvent voir combien leurs 
frères de race et de religion y sont plus heureux que 
dans l'Empire chérifien. — Donc, au lieu de l'expédi- 
tion longue et coûteuse, également préjudiciable au 
pays conquérant comme au pays conquis, que toute 
puissance autre que la France serait obligée 3'enlre- 
prendre, celle-ci par les avantages de sa position, tant 
politique et territoriale que morale, pourra seule 
entreprendre la <( conquête pacifique », qui n'entraîne 
pas les misères et les haines que cause la conquête 
armée. 

Mais, en France comme en Europe, cette idée a été 
longue à s'imposer : les rivalités internationales ont 



''"^W*: 



— 147 — 

fait maintenir jusqu'à ce jour un statu quo préjudi- 
ciable à tous, parce qu'il laissait le pays en proie à 
un désordre empêchant de tirer profit de ses res- 
sources naturelles et le fermant presque absolument 
au commerce extérieur. Plutôt que de voir une puis- 
sance s'établir au Maroc, les autres préféraient se 
lier elles-mêmes les mains, accepter les restrictions 
que les Sultans imposaient aux importations comme 
aux exportations et laisser dans l'insécurité ceux de 
leurs nationaux qui osaient se risquer dans ce pays. 

Heureusement, nous pouvons considérer comme 
terminé le temps de cette politique étroite et néfaste. 
— Le gouvernement français si longtemps timoré et 
hésitant, l'opinion si longtemps ignorante et indiffé- 
rente en matière coloniale, se sont pénétrés de l'idée 
de la nécessité de notre action au Maroc et, en même 
temps, un mouvement favorable à l'action française 
s'est dessiné en Europe. 

Le public français commença à s'occuper de la 
question du Maroc seulement au moment de l'occupa- 
tion des oasis sahariennes et des attaques qui en ré- 
sultèrent sur notre frontière oranaise. La presse 
commença à le renseigner sur ce pays qu'il connais- 
sait mal ou pas du tout. L'action française au Maroc 
fut préconisée par de nombreux journaux et revues 

(Temps, Journal des Débats, Matin, Eclair Revue 

politique et parlementaire, Revue des Deux-Mondes, 




— «48 — 

Revue de Paris, Revue des questions diplomatiques ■ 

et coloniales), sans compter <Ies livres comme ceux de i 

MM. Mouliéras /'Le Maroc inconnu), Pinon (L'Empire ] 

de la Méditerranée), des brochures comme celle de ] 

M. Rouard de Gard (La Irontière Iranco-marocaine et i 

le protocole du 20 luillet 1901) ; enfin des sociétés ] 

comme l'union coloniale, la réunion d'études algé- 
riennes, la société de géographie d'Alger, l'alliance 
française, le comité de l'Afrique française, au sein 
duquel se fondait en décembre 1902 le comité du Ma- \ 

roc \ le gouvernement général de l'Algérie faisaient 
connaître le Maroc par ses bulletins, ses conférences, 
l'envoi d'explorateurs et de missions commerciales 
comme celle de M. Doutté en juin 1901 et de M. Dé- 
chaud en septembre-octobre 1903. — Le groupe colo- 
nial de la Chambre interpellait M. Delcassé sur ses 
intentions, sur l'attitude de notre diplomatie ; les con- 
ventions de 1901 et de 1902 furent examinées, discu- 
tées, approuvées par les uns, attaquées par les autres. 
La révolte de Bou-llamara, la situation précaire du 
Sultan et de son maghzen, les conséquences qui pou- 
vaient en résulter pour notre colonie africaine ne 
firent qu'augmenter l'intérêt du public français pour la 
question : les idées d'intervention se précisèrent. — 
Le 11 mars 1903 eut lieu à la Chambre des députés un 



1. Président : M. Etienne ; vice-président : M. Charles 
Roux ; secrétaires : MM. Terrier et R. de Caix. 



— 149 — 

grand débat sur la politique extérieure : M. Delafosse 
exposa l'état intérieur du Maroc, les convoitises euro- 
péennes, il demanda au gouvernement de négocier 
pour obtenir la liberté d'action au Maroc et en entre- 
prendre la conquête pacifique. M. Raiberti critiqua 
vivement l'attitude du gouvernement français, qualifia 
de politique de dupe et d'abdication la politique de 
maintien du slaiu quo que nous y pratiquions, il traça 
tout un programme d'action politique au Maroc, de- 
manda le prolongement immédiat vers la frontière 
marocaine du chemin de fer de Tlemcen qui nous met- 
tait à même d'agir énergiquement tout en respectant 
l'intégrité du pays et le pouvoir du Sultan. M. Del- 
cassé répondit que nous ne tolérerions jamais l'ingé- 
rence d'une autre puissance dans les affaires maro- 
caines, mais que nous devions agir avec prudence. 
M. Ribot montra l'insuffisance de cette action en face 
des agissements de l'Angleterre et l'impossibilité d'un 
partage du Maroc. — Les 19, 20 et 23 novembre 1903 
eurent lieu des séances plus importantes encore à pro- 
pos de la discussion du budget des affaires étran- 
gères à la Chambre : des hommes des partis les plus 
différents y prirent part, et il ressortit du débat ce 
remarquable résultat que tous furent d'accord sur la 
nécessité d'une prompte action de la France au Ma- 
roc et ne différaient que sur les moyens de l'exercer. 
Tous voulaient une conquête pacifique, mais tandis 



— 150 — 

que MM. Deschanel et Jaurès critiquaient la politique 
(le collaboration avec le Sultan, et préconisaient l'en- 
tente directe avec les tribus, que MM. Boni de Castel- 
lane et Gauthier de Chagny attaquaient l'entente avec 
l'Angleterre et l'Italie, si elle avait pour but d'établir 
la première à Tanger et la seconde en Tripolitaine, 
MM. Delcassé et Etienne soutenaient la méthode d'en- 
tente avec le Sultan. M. Thierry résumait ainsi la 
discussion ' : c( Deux systèmes sont en présence : il 
s'agit de savoir si la diplomatie française, sous la 
haute autorité 'de M. le ministre des affaires étran- 
gères doit suivre son action, pacifique bien entendu, 
... avec le gouvernement régulier dans toute la mesure 
où celui-ci peut donner son concours et dans la me- 
sure où on peut agir de concert avec lui. — Il s'agit 
ensuite de savoir si notre diplomatie doit s'exercer 
autrement, c'est-à-dire contre ce gouvernement régu- 
lier et avec les tribus nomades et insaisissables qui 
sont en révolte contre lui ». 

Le résultat direct de ces séances fut l'adoption par 
451 voix contre 125, malgré l'opposition de M. Del- 
cassé du renvoi aux commissions des affaires exté- 
rieures et du budget d'une proposition de M. Jaurès 
tendant à inscrire au prochain budget des crédits des- 
tinés à développer notre action pacifique dans les 



1. Journal Officiel, 24 novembre. 



W^'^V~~^ 



— 151 — 

tribus marocaines. Mais la commission des affaires 
extérieures se rallia aux idées d'entente avec le Sul- 
tan, sur les instances de M. Etienne, et refusa l'ins- 
cription des crédits. Une conséquence plus importante 
fut le dépôt, le 13 décembre, par le ministre des tra- 
vaux publics d'un projet de loi ayant pour objet la 
déclaration d'utilité publique du chemin de fer de 
Tlemcen à Lalla Marnia ; M. Etienne fit de suite un 
rapport sur ce projet au nom de la commission des 
travaux publics et des chemins de fer, le projet fut 
adopté après déclaration d'urgence et une convention 
fut passée avec la Compagnie de l'Ouest-algérien, le 
17 décembre, pour la construction de ce chemin de 
fer. La convention fut approuvée par une loi, le 29 
décembre ' : la ligne doit être exécutée en quatre ans 
et exploitée par la compagnie de l'Ouest-algérien avec 
garanties d'intérêts de l'Etat. Cette ligne avait été 
classée depuis le 18 juillet 1879 dans le réseau des 
chemins de fer d'intérêt général de l'Algérie, mais sa 
construction n'avait jamais été votée. Tous les colo- 
niaux réclamaient la construction de cette ligne qui 
arrive à 14 kilomètres d'Oudja et à six jours de 
marche de Fez, et sera la grande artère de pénétra- 
tion politique et commerciale au Maroc, quand elle 
sera prolongée sur Oudja, Taza, Fez, Mequinez et 



1. Le 30 décembre fut promulguée la loi organisant les 
territoires du Sud. 




— 152 — 

[«ahiit qui seront ainsi reliées directement à Oran, 
Al^cr et Tunis : c'est un des meilleurs moyens d'éta- 
IjIii' notre prépondérance effective au Maroc. — M. 
Hi Icassé avait dit à la Chambre, le 23 novembre : 
.r ,.... Lorsqu'on parle aujourd'hui d'une question 
iiiurocaine, d'un problème marocain, l'idée que, dans 
l;i -olulion, le mot décisif appartient à la France est 
(lr\enue presque familière et paraît presque naturelle 
!i i eux-là mêmes qui, en d'autres temps, se seraient 
*')li5 obligés de la combattre avec le plus d'acharne- 
inrnl, ( il y a) une évolution de l'opinion universelle 
tnatitageuse pour notre pays ». — Le 26 décembre, 
;nj Sénat, à propos également de la discussion du 
lunlget des affaires étrangères, sur une question de 
M. xMillaud, M. Delcassé, après avoir exposé la poli- 
!i([iie au Maroc, fit cette déclaration : « La preuve que 
Il nus sommes dans la bonne voie, c'est que la situation 
-|nHiale, singulière, que crée vis-à-vis du Maroc la 
l^o!5^ession même de l'Algérie n'est à cette heure con- 
iLstée par personne, probablement parce qu'on se 
wnd compte que l'action civilisatrice que nous som- 
mes appelés à exercer au Maroc en y consolidant 

lins intérêts prépondérants sera finalement profitable 
nii Maroc et à Fensemble des intérêts étrangers ». 

En effet, un revirement en notre faveur s'était des- 
tine en Europe, même dans la presse anglaise et la 
[►T-esse espagnole qui jusqu'alors n'avaient contenu 



— 153 — 

que des attaques contre nous, avaient dénoncé 
comme des atteintes à l'intégrité du Maroc l'exercice 
le plus légitime de nos droits dans nos possessions 
algériennes, et même égaré une partie de l'opinion 
française au point que certains de nos hommes d'état 
avaient hésité à faire occuper les oasis sahariennes. 
Les mieux disposés à notre égard nous reconnais- 
saient seulement un droit à une part de l'empire ma- 
rocain, et nous avons vu quelle était cette pari, la con- 
trée la plus médiocre du Maroc, celle qui touchait à 
notre frontière. — Mais à partir de 1898, et surtout 
de 1901, la situation se modifia à notre avantage, l'Es- 
pagne et l'Angleterre, en proie à des difficultés exté- 
rieures, devinrent plus accommodantes, le ton de leurs 
journaux devenait moins agressif. Alors qu'en 1894, 
M. Torrès Campos ' parlait de la possibilité pour l'Es- 
pagne de s'emparer du Maroc tout entier, un article 
de la Leclura attribué à M. Silvela envisageait nette- 
ment la nécessité d'un accord franco-espagnol pour 
établir un condominium au Maroc. Dans la Revista 
de Aragone, M. J. Ribcra préconisait également l'al- 
liance française (il est vrai que d'autres, comme la 
Epoca, conseillaient l'entente avec l'Angleterre et TAl- 
lemagne contre la France). En 1898, un Anglais, M. 
Usborne, déclarait, dans la Revue des Questions di- 



1. Revue de Droit inlernalional, t. XXVI, p. 229 : « La ques- 
tion de Melilla et la politique internationale de l'Espagne ». 



- 154 - 

ptomatiques el coloniales \ que ce qui empêchait 
l'Angleterre de laisser le champ libre à la France an 
Maroc était la crainte qu elle n'établît des tarifs pro- 
hibitifs pour le commerce anglais ; il ajoutait qu'en 
cas d'annexion (hi Maroc par la France, l'Angleterre 
occu}>erait Tanger. Mais, en juillet 1900, Lord Bras- 
î^ey déclarait qu'il fallait nous y laisser entière liberté 
d'action, el en 1902, un article du journal anglais le 
Specfalor, déclarait qu'on pouvait considérer le Maroc 
» <!Omme le peculium de la France à condition que les 

rives du détroit soient neutralisées, Tanger déclaré 
port franc et que la France prenne l'engagement de 
ne pas élever de droits de douane pendant vingt ans. 
« „. Concordance significative, dit M. R. Pinon ^ ; 
elle prouve que, de l'aveu même de nos rivales, la 
France est seule en état d'exercer une influence paci- 
fique assez forte pour rétablir l'ordre de l'Empire ma- 
rocain et y assurer la sécurité du commerce. » 

Le moment favorable était donc arrivé pour la 
France ; mais, avant de pouvoir établir d'une façon 
effective notre tutelle sur le Sultan, il fallait négocier 
avec les puissances qui avaient des intérêts au Maroc, 
profiler de leurs bonnes dispositions pour obtenir 
d'elles qu'elles nous laissent agir au Maroc ; pour ar- 






1. N« du 1«^ septembre 1898. L'Angleterre et le Maroc. 

2. Le Maroc et les puissances européennes {Revue des 
Deux-Mondes, 15 février 1902). 



1 



— 155 — 

river à ce résultat, il fallait leur faire des concessions, 
tenir compte de leurs intérêts, il fallait engager des 
pourparlers par la voie diplomatique. 

Il y avait surtout des obstacles à craindre de la part 
de l'Angleterre, nous avons vu qu'en plus de son grand 
rôle économique, elle a au Maroc un intérêt politique 
des plus importants, la liberté du détroit de Gibraltar : 
cette question plus que toute autre avait été cause de 
l'hostilité acharnée et systématique que nous avions 
rencontrée de la part de l'Angleterre du jour où nous 
nous sommes établis en Algérie. 

Dès le mois de janvier, M. Delcassé se mit à l'œu- 
vre, il trouva le gouvernement anglais favorablement 
disposé à une entente réglant tous les différends qu'il 
pouvait avoir avec la France dans le monde. Les né- 
gociations furent poussées avec activité par Lord 
Landsdowne et M. Cambon, et, le 8 avril 1904, fut si- 
gnée à Londres une convention par laquelle les deux 
gouvernements terminaient leurs litiges en se faisant 
des concessions réciproques. Une déclaration spéciale 
concernait le Maroc et l'Egypte : il y était dit : 

a Article 2. — Le gouvernement de la République 

française déclare qu'il n'a pas l'intention de changer l'état 
politique du Maroc. De son côté, le gouvernement de S. M. 
Britannique reconnaît qu'il appartient à la France, comme 
puissance limitrophe du Maroc sur une vaste étendue, de 
veiller à la tranquillité de ce pays et de lui prêter son assis- 
tance pour toutes les réformes administratives, économiques, 
financières et militaires dont il a besoin. Il déclare qu'il 




— 156 - 

n'entravera pas raction de îa France à cet effet sous réserve 
que cette action laissera intacts les droits dont, en vertu des 
traités, conventions et usages, la Grande-Bretagne jouit au 
Maroc, y compris le droit de cabotage dont bénéficient les 
navires anglais depuis 19^>1. 

..... tf Article 4. — Les deux gouvernements également 
attachés au principe de la liberté commerciale tant en Egypte 
qu'au Maroc, déclarent qu'ils ne s'y prêteront à aucune iné- 
galité, pas plus dans rébiblj>s*^ment des droits de douane 
ou autres taxesj que dans rétablissement des tarifs de trans- 
port par chemin de fer. Le commerce de Tune et de l'autre 
avec le Maroc et avec l'Egvfite jouira du même traitement 
pour le transit par les possessions françaises et britanniques 
en Afrique... Cet engageinenl réciproque est valable pour 
une période de trente uu^. Faute de dénonciation expresse, 
une année au moins à Favance, cette période sera prolongée 
de cinq en cinq ans. Toutefois, le gouvernement de la Répu- 
blique française au Maroc, et le gouvernement de S. M. 
Britannique en Egypte se réservent de veiller à ce que les 
concessions de routes, choiuins de fer, ports, etc., soient 
données dans des conditions telles que l'autorité de l'Etat 
sur ces grandes entreprises d'intérêt général demeure en- 
tière ». 

a Article 5. — Le fjtfuvprnement de S. M. Britannique dé- 
clare qu'il usera de son influence pour que les fonctionnaires 
français actuellement au service égyptien ne soient pas mis 
dans des conditions moins avantageuses que celles appli- 
quées aux fonctionnaires anglais du même service. 

Le gouvernement de la République française, de son côté, 
n'aurait pas d'oppnî?ition à ce que des conditions analogues 
fussent consenties aux fonctionnaires britanniques actuelle- 
ment au service marocain rt. 

fl Article 7. — Afin d'assurer le libre passage du dé- 
troit de Gibraltar, les deux gouvernements conviennent de 
ne pas laisser élever de fortifications ou des ouvrages stra- 
tégiques quelconques sur la partie de la côte marocaine com- 
prise entre Melilla et les hauteurs qui dominent la rive droite 
du Sébou exclusivement. Toutefois, cette disposition ne s'ap- 



— 157 — 

plique pas aux points actuellement occupés par TEspagne 
sur la rive marocaine de la Méditerranée. 

« Article 8. — Les deux gouvernements, s'inspirant de 
leurs sentiments sincèrement amicaux pour l'Espagne, pren- 
nent en particulière considération les intérêts qu'elle tient 
de sa position géographique et de ses possessions territo- 
riales sur la côte marocaine de la Méditerranée et au sujet 
desquels le gouvernement français se concertera avec le gou- 
vernement espagnol. Communication sera faite au gouverne- 
ment de S. M. Britannique de l'accord qui pourra intervenir 
à ce sujet entre la France et l'Espagne. 

« Article 9. — Les deux gouvernements conviennent de 
se prêter l'appui de leur diplomatie pour l'exécution des 
clauses de la présente déclaration relative à l'Egypte et au 
Maroc ». 

Ce traité constitue un succès diplomatique indé- 
niable pour la France. En effet, si nous renoncions à 
entraver désormais l'action anglaise en Egypte, si 
nous lui laissions la libre disposition des excédents 
annuels accumulés par la caisse de la dette, si, en un 
mot. nous reconnaissions le fait accompli, l'Angle- 
terre nous reconnaît en échange la suprématie sur le 
Maroc, sans doute avec des restrictions concernant 
les droits d'établir des tarifs différentiels de douanes 
et de construire des fortifications, mais la première de 
ces restrictions est réciproque et temporaire, et la se- 
conde est préférable à la création d'une zone neutre en- 
tre Tanger et Ceuta, qui aurait été administrée par le 
Maroc seul \ l'Espagne ou même une puissance com- 



I. Lorin, La question du Maroc {Revue politique et parle- 
mentaire, n° de juillet 1903). 



••r 



— 158 — 

me; la Delj^iijuc ', un surtoul par une commission in- 
ternationale. Jamais le minislèie brilannique, le mieux 

disposé à noh'e éganf, n aiirail \m ubtenii" du pays 
où Ton a si longlcmps demandi} l oecupalion de la 
rive Sud flu délroil, que la France pùl y élever des 
fortifjcalioris : d'ailleurs, celle prélenlîon de nolri' 
pari aurait jH'uvoïpié rbostililé de loules les puis- 
.sanees méditerranéennes. Le détroit tlevrail être libre, 
r.Vnglelerj'o à Gibrallar bénéficie du fail accompli el 
de la longue iKissession. 

Il sesl trouvé des journaux en PVante, comme La 
Libre Parole*, pour déplorer celte convention, (t L'An- 
gleterre met la main pre.sque sans opposition sur celle 
terre merveilleuse de TEgyple, terre de Thisloire, 
terre de la richesse, inépuisable source de fécondité, h 
— Il ne semble pas que nous devions nous associer 
aux regrets de M. Drumont ; nous avons par notre 
faute, par ravenglement de nos cliambres, perdu la 
partie en Egypte, nous avons refusé, en 1S82, 
raction commune que TAngleterre nous y pro- 
posait, nous Lavons laissée s'y établir seule, il vaut 
mieux maiiUenanl s'incltner, cesser la politique de 
coups d'épingle, de tracasseries, de fausses manœu- 
vi-es, comme l'envoi de la mission Marchand, (pii n'a 
pu aboutir qu'à Léchée de Faclioda, par laquelle nous 



1, V. Collin, Le Maroc el tes inïéréis belges. 

2. NMu 11 avril 1904 



— 159 — 

avons essayé de gêner l'œuvre de l'Angleterre en 
Egypte ; elle n'a eu pour résultat que de prolonger 
l'hostilité entre les deux pays et d'amener des repré- 
sailles. En janvier 1904 \ le Comité du Maroc disait 
à ce sujet : 

«... Pour faire admettre notre prépondérance (au 
Maroc), nous devrions consentir ailleurs à des sacri- 
fices, quelque pénibles qu'ils fussent, à des sentiments 
anciens et contraires à des traditions séculaires..., re- 
noncer à nous attarder sur des rêves condamnés par 
nos propres fautes, (faire) de la politique réaliste... » 
Le Maroc n'a peut-être pas la même valeur que 
l'Egypte, mais il a l'avantage, pour nous, de sa proxi- 
mité, de sa magnifique situation sur l'Atlantique et 
la Méditerranée ; sa possession nous permet surtout 
l'édification définitive de notre empire africain. (Enfin, 
nous gardons en Egypte certains privilèges et élé- 
ments d'influence, et la liberté du canal de Suez est 
assurée). <( En Egypte, comme au Maroc, dit M. R. 
de Caix ^ chacune des deux nations sauvegarde 
l'accessoire, mais cède le principal, s'inclinant devant 
la situation de fait prépondérante, prise par l'autre, et 
qu'elle ne pouvait contester que les armes à la main 
par une guerre à laquelle ni l'Angleterre, ni la France 



1. Bulletin du Comité de l'Afrique française, n° de janvier 
1904. A propos du Comité du Maroc. 

2. Bulletin du Comité de l'Afrique française, avril 1904. 




— 160 — 

ne seraient allées de propos délibéré ». — La com- 
pensation que nous donne l'Angleterre (800.000 kil. 
rarrés et à peu près 15 millions d'habitants) en vaut la 
[teine et, même, quand on a vu les campagnes menées 
ca Angleterre pour la prise de possession de Tanger, 
les intrigues anglaises au Maroc, nous pouvons nous 
élonner de la facilité et de la rapidité avec laquelle sa 
politique a évolué et nous reconnaît une suprématie 
qu'elle avait toujours contestée et combattue jusque- 
bi. — On a émis l'opinion que de nouveau l'Angleterre 
voulait nous amener à une de ces « ententes cor- 
diales », qui, sous Louis-Philippe et Napoléon III 
avaient eu pour résultat une quasi-vassalité de la 
France pour tout ce qui concernait la politique exté- 
rieure : il est certain que toute notre histoire nous 
enseigne qu'il faut se défier des Anglais aussi bien 
comme amis que comme ennemis, qu'ils ont toujours 
su se délier de leurs engagements en nous faisant tenir 
les nôtres, nous entraîner dans des actions communes, 
lies guerres même dont ils retiraient tous les profits 
alors qu'elles ne nous rapportaient qu'une gloire sté- 
rile. Mais il faut actuellement considérer que la situa- 
tion politique et économique de l'Angleterre a beau- 
coup changé. Jusque ici sa seule rivale commerciale, 
maritime et coloniale avait été la France, c'est pour- 
(;uoi elle cherchait soit en s'alliant avec elle, soit en 
la combattant, à entraver son action. Mais mainte- 



'«TvV^^.-- 



- 161 - 

nant, dit M. Alphonse Humbert ^ : « Les Anglais sont 
tout à fait revenus du splendide isolement. Ils ne se 
croient plus de force à imposer leur volonté aux deux 
hémisphères. Depuis qu'un grave péril — la montée 
de l'Allemagne industrielle, commerçante, coloniale 
et qui sait, ambitieuse même de la suprématie navale 
— a surgi à leur horizon, ils ont perdu leur superbe, 
leur foi aveugle en eux-mêmes, leur dédain des con- 
venances d'autrui, leur arrogance brutale jusqu'à la 
perfidie. Ils sont devenus loyaux depuis qu'ils courent 
risque de mort à ne pas l'être ». — De son côté, M. 
Jean Darcy "* dit que l'Angleterre, en face de la con- 
currence de l'Allemagne, des Etats-Unis, de la Rus- 
sie, du Japon même, des faiblesses révélées par la 
guerre du Transwaal, des éventualités menaçantes du 
conflit russo-japonais « s'est aperçue qu'elle était im- 
puissante à s'insurger davantage contre l'essor gran- 
dissant de tout l'univers que, dans l'intérêt même de 
ce qui restait de sa prééminence, elle devait faire la 
part du feu. De là, les avances prodiguées à notre 
pays qui, de tous ses concurrents, semble le plus 

facile à amadouer et son désir sincère d'aplanir 

les difficultés. 

On ne peut donc que louer la clairvoyance de notre 



1. Eclair, n° du 10 avril 1904. 

2. Sir Charles Dilke et l'entente cordiale {Revue politique 
et parlementaire, mars 1903). 

Bourassin. 11 



f 



— 162 — 

diplomatie en celle circonstance : elle a su choisir 
[)Our négocier et profiler des avances que nous faisait 
l'Angleterre pour signer d'abord avec elle un traité 
d'arbitrage, puis terminer d'un seul coup toutes leâ 
questions litigieuses communes, le moment où elle 
était disposée à faire des concessions. — D'ailleurs, 
toute la presse européenne y a vu un événement de 
la plus haute importance et les journaux ont tous 
constaté, les uns avec sympathie, les autres avec 
amertume, le succès que la France a remporté dans 
la solution de la question marocaine. Certains jour- 
naux anglais chauvins {le Globe, la Sainl-James Ga- 
zelle, le Morning Posl, la Pall-Mall Gazelle) firent 
certaines réserves dans leur approbation du traité, 
trouvèrent que l'Angleterre donnait plus qu'elle ne 
recevait (ce n'était en effet pas son habitude jusque- 
là), mais l'ensemble de la presse, tant conservatrice 
que libérale, accueillirent l'accord avec satisfaction. 
En Autriche, le Zeil, le Tagblall et le Fremdenblatt 
\ antèrent l'heureux résultat obtenu par la diplomatie 
française : il en fut de même en Italie. Il fut commenté 
avec plus de froideur en Allemagne et en Russie, mais 
le mécontentement fut grand en Espagne : tous les 
journaux montrèrent un grand désappointement, ac- 
cusèrent le ministère Maura d'avoir laissé faire cette 
convention sans intervenir pour que les droits de 
l'Espagne soient respectés, ils déclarèrent que ce 



— 163 — 

traité consacrait la honte de l'Espagne et son expul- 
sion du Maroc (El Globo, Diario universal, Corres- 
pondencia). 

Quant aux gouvernements, aucun ne protesta. Les 
chambres anglaises approuvèrent le traité à Tunani- 
mité. En Allemagne, M. de Biilow déclara au R-eichstag 
que les intérêts allemands au Maroc étant d' « ordre 
principalement économique », l'Allemagne avait aussi 
« grand intérêt à ce que l'ordre et la paix régnent dans 
le pays » et (( n'avait aucun motif de craindre que ses 
intérêts économiques au Maroc soient mis à l'écart ou 
reçoivent une atteinte du fait d'une puissance quel- 
conque ». — Il semble que la France a engagé aussi 
des négociations avec l'Italie et avec l'Espagne, mais 
nous ne savons rien d'officiel sur leur issue. Nous 
avons dit ce que nous pensions de l'accord avec l'Ita- 
lie si, comme on peut en conclure des déclarations 
de MM. Prinetti, Delcassé et Barrère en 1901, la 
liberté d'action lui a été reconnue en Tripolitaine, en 
échange du même avantage au Maroc. Quant à l'Es- 
pagne, le 12 avril dernier, MM. Abarzuza et Rodri- 
guez San Pedro, l'un ancien ministre, le second 
ministre actuel des affaires étrangères, ont nié l'exis- 
tence d'un traité d'action commune et de partage qui 
aurait été conclu le 11 novembre 1902, mais il semble 
que des pourparlers ont été commencés, mais inter- 
rompus par suite des exigences de l'Espagne. En 




— 164 — 

tout cas, Tarlicle 8 du traité franco-anglais montre 
clairement que la France est toute décidée à les re- 
prendre. 

Ce traité ne pouvait être que bien accueilli, car il 
respectait les intérêts économiques de tous en accor- 
dant la liberté commerciale et Tégalité de traitement 
au Maroc. Les puissances intéressées ont tout à 
gagner au point de vue de la sécurité et du développe- 
ment de leurs affaires à l'établissement de la tutelle 
de la France au Maroc. Lord Lansdowne disait, à ce 
sujet, dans une dépêche à sir Edmund Monson * : « Le 
gouvernement de S. M. n'est pas disposé à assurer 
de telles responsabilités et à faire de tels sacrifices 
(faire cesser l'anarchie au Maroc), et en conséquence, 
elle a volontiers admis que si une puissance euro- 
péenne doit avoir une influence prépondérante au Ma- 
roc, cette puissance est la France ». On a dit en 
France que cette liberté commerciale nous enlèverait 
tout le bénéfice de la conquête, que nous allions en- 
core une fois travailler pour les autres : il n'en sera 
pas ainsi si nos commerçants savent agir, profiter de 
notre situation politique et morale dans le pays qui 
constituera à leur profit une grande supériorité sur 
leurs rivaux étrangers ^ Sans doute, l'égalité com- 



1. 8 avril 1904. 

2. Comme le dit M. C. Fidel : « Nos intérêts économiques 
au Maroc » : « La domination politique n'est jamais stérile 



■i ^"^-^ 



— 165 - 

merciale est dangereuse, mais ce n'était qu'à cette 
condition que nous pouvions obtenir que l'Europe 
ne s'oppose pas à notre établissement au Maroc. 

La France peut donc maintenant se regarder 
comme investie par l'Europe de la mission d'ouvrir 
le Maroc à l'expansion européenne : à part les récla- 
mations de l'Espagne, le côté diplomatique de la ques- 
tion peut être considéré comme résolu. 

Il nous reste maintenant une tâche délicate, celle 
de nous établir au Maroc : « La tâche n'est pas facile, 
dit M. Harris, correspondant du Times à Tanger \ 
Elle exigera une grande patience et un grand tact. 
Les Anglais assisteront avec intérêt et sympathie à 
cette grande entreprise civilisatrice ». — Comment 
devons-nous agir au Maroc ? Faut-il en faire la con 
quête militaire ou la conquête pacifique ? Que devra 
être la conquête pacifique, si elle est employée ? En- 
fin, quelle part faut-il faire aux prétentions espagnoler- 
au Maroc ? 

Il semble bien qu'à l'heure actuelle, personne ne 
pense plus en France à renouveler les fautes que nous 



en bénéfices économiques, ne serait-ce que dans le chapitre 
des grands travaux publics ». 

Tout est à faire en cette matière au Maroc, et l'article 4 de 
la déclaration franco-anglaise concernant l'Egypte et le Ma- 
roc, stipule expressément que l'Etat français concédera 
comme il l'entendra les grandes entreprises d'intérêt géné- 
ral. 

1. National Review, 29 avril 1904. 



— 166 — 

avons commises en Algérie : on sait ce que la con- 
quête armée nous a coûté de temps, d'hommes el d'ar- 
gent, quelle maladresse nous avons l'aile en voulant 
implanter en Algérie nos mœurs administratives sans 
tenir compte de la différence du caraclère musulman 
et du nôtre. — La conquête et le régime de prolerlorat 
imposé à la Tunisie ont montré le progrès que nous 
avions fait en matière coloniale : nous avons su nous 
emparer de ce pays sans grande effusion île sang et 
respecter le gouvernement indigène avec lous ses 
rouages en ne faisant que le conirùler : il faudra agir 
de laçon plus discrète encore au Maroc où la popti- 
lation dans son ensemble est fanalique et plus hoslilc 
aux étrangers que dans tout le ruste du monde musul- 
man. 

Nous devons d'abord rétablii' l'aulorilé du Sultan, 
nous faire ses collaborateurs. Celle politique a été, 
comme il a été dit, vivement attatpiée en Algérie el à 
la Chambre par MM. Jaurès él Deschanel, partisan^ 
do l'entente directe avec les trfbus : on est même allé, 
croyant la situation du Sultan plus désespérée qu'elle 
ne t'était en réalité, jusqu'à parler de soutenir le pré- 
tendant Bou-Hamara, de renvej^sei' le Sullan et de le 
remplacer par son frère, Moulay-Mohammed, ou 
notre protégé le Chérif d'Ouezzan ; mais celui-ci n'a 
jamais tenu à exercer au Maroc le pouvoir temporel 
il se contente de son autorité spirituelle et de Tadmi- 



— 167 — 

nislration des immenses biens de sa confrérie. Quant 
au prétendant, il n'est qu'un vulgaire aventurier, un 
chef de circonstance n'ayant pas pour lui le prestige 
des Chorfa Filali qui occupent depuis 1664 le trône 
du Maroc, nous savons d'ailleurs maintenant à quoi 
nous en tenir sur sa puissance réelle, elle n'est pas 
plus brillante que celle du Sultan, il n'a pas non plus 
d'argent et d'armée. Pour ce qui est enfin de Moulay- 
Mohammed, nous serions moins sûrs encore de î^': 
fidélité que de celle d'Abd-el-Aziz qui, étant plus jeune, 
sera plus docile. Le Sultan actuel est inexpérimenté, 
mais plein de bonnes intentions, de désirs de réfor- 
mes : nous n'avons qu'à lui inspirer une confiance 
absolue, à lui montrer que nous seuls pouvons conso- 
lider son pouvoir, à être pour lui des guides bien- 
veillants qui l'émanciperonl dès qu'il sera mieux à 
même de gouverner et qu'il aura acquis nos idées. — 
Il ne faut donc pas nous laisser aller à une politique 
d'aventures qui donnerait la tentation d'intervenir 
aux puissances qui se sont résignées à contre-cœur 
à l'établissement de notre prépondérance. Ne risquons 
donc pas de provoquer le mécontentement du magh- 
zen, ne nous créons pas de nouvelles complications, 
nous aurons bien assez de résistances à vaincre. Con- 
servons à chacun sa place au Maroc, Sultan comme 
fonctionnaires, mais contrôlons leurs actes, répri- 
mons leurs exactions et empêchons leurs abus. En- 



— 168 - 

voyons de suite prèn du Maglizen un (liplomale qui 
sera, comme lonl Cromer en Egypte, le cooseiller du 
Sulian le dirigera dans sa polilique intérieure el cxlé- 
rieure. — Il faut faire régner l'ortire dans le pays, en 
finir aver Bou-Hamara el autres rebelles. Le général 
Derrécagaix, ,MM. Saballîer el Jaquèlon ronseillent, 
pour arrivt*r a ce résuUat plus rapidement, d'appuyer 
notre action par t'établissement de troupes à Oudja 
el à Figuig, ou même dans le Bled-Siba tout entier 
(bassin de la Munbniya, Hiff. Atlas, TafilelD, en ne 
laissant |>ltis le Sulian gouverner- que les plaines du 
versant de rAtlanlif]ue. Mais sansélro de Favis de >f, 
Jaurès, qui croit que nous pourrons pénétrer de suite 
au .Maroc en apoires de la paix e( de la civilisation, 
que nous gagnerons les Marocains par nos seuls bien- 
faits, il semble qu'il sera préférable d'user le moins 
possible de l'action militai ï'c pai" l'armée française^ 
(seulement si nous y sommes absolument contraints 
par les événemenls, si, en dêjiit de lous nos efforts, 
la tt guei're sainte »> était déclarée contre nous, mais 
une politique prudente pourra, espérons-le, éviter, 
empêcher toute explosion de fanalisme). Il serait 
peu polilicpie de commencer par porter atteinte à Tem- 
pire chérifien au mépris de nos engagements avec 
l'Angleterre, et [>ar alarmer le Sultan en lui enlevant 
une partie de ce qu'il considère comme son empire 
(c'est en 1844 qu'il aurait fallu le faire, c'est nous- 




»<P"™"W"iPpP9!IP^ 



— 169 — 

mêmes qui avons habitué le Sultan à se regarder 
comme souverain effectif jusqu'à l'Oued Kiss et à Fi- 
guig). Il ne faut pas tomber dans l'illusion que nous 
pourrons nous établir au Maroc sans tirer un coup de 
feu, mais c'est l'armée marocaine qu'il faut faire agir. 
La première partie de notre tâche est de réorganiser 
l'armée du Sultan ; il lui faut des cadres solides, les 
éléments ne nous manquent pas pour la construire, 
nous avons déjà notre mission militaire à Fez dirigée 
par le commandant Fariau, des officiers à Oudja et 
à Figuig ; nous pouvons facilement tirer de l'élément 
indigène de notre armée d'Afrique des officiers et 
sous-officiers tout dévoués à notre cause, suffisam- 
ment capables, qui seront bien accueillis par les Ma- 
rocains, étant leurs frères de race et de religion. Nous 
fournirons à cette armée des armes et des munitions 
et, quand elle sera équipée et instruite, nous pourrons 
par de petites opérations de police énergiquement 
menées, venir à bout peu à peu des rebelles irréduc- 
tibles de l'Empire. Le Sultan aura à sa disposition 
la force, si nécessaii^e en pays musulman, qui lui a 
manqué jusqu'ici pour établir les réformes qu'il avait 
projetées. — Mais, pour organiser et entretenir cette 
armée, il faudrait de l'argent ; or, le trésor impérial 
est vide et les impôts ne rentrent plus, nous devons 
avancer au Sultan les sommes nécessaires: M. Zanga- 
russiano, représentant de la banque de Paris et des 



— 170 — 

Payi^Bas, est en train de négocier avec lui à ce su- 
jel ' : la Banque, qui agit comme mandataire des 
grands élablissemenls de crédit français, rachèlera les 
emprunts qu'il a contractés en France, en Angleterre 
et en Kspagne, et lui fournira de nouveaux fonds 
moyennant un gage sur les douanes des ports. 

Quand Tordre et la sécurité régneront au Maroc, 
quand la situation financière sera rétablie, nous pour- 
rons réformer l'administration et la justice, le sys- 
tème fiscal, mais en conservant des institutions an- 
ncnnes, tout ce qui peut en être gardé : il faut une évo- 
lution et non une transformation brusque qui serait 
ma! comprise par les indigènes et les irrileiait ; il faut 
ublenir clés fonctionnaires de tout rang plus de sou- 
mission vis-à-vis du pouvoir central et plus d'honné- 
tclé vis-à-vis de leurs administrés ; les choisir parmi 
les infiigènes éclairés et favorables à notre expansion, 
les faire aider par quelques Européens, il faudra 
enliii qu'ils aient à leur disposition une force suffi- 
sante i)our être respectés et obéis. 

(''csl alors seulement que nous pourrons entamer 
réellement la partie économique de notre programme 
de pénétration : établissement de chemins de fer, de 
routes, canalisation des voies navigables, creusement 
et outillage des ports, il faudra étudier le pays au 



h Temps, 7 avril 1904. 




— 171 - 

point de vue scientifique, agricole et industriel, con- 
naître exactement les ressources qu'il présente. Il 
faudra le mettre en valeur, y envoyer des colons sur 
des terres que nous achèterons ou louerons aux indi- 
gènes sans les exproprier comme nous l'avons fait à 
tort en Algérie, des industriels, des commerçants qui 
amélioreront le commerce intérieur et extérieur, il 
faudra y développer les relations internationales, par- 
ticulièrement avec l'Algérie, par la création de lignes 

maritimes régulières, de primes à l'exportation 

Nous pourrons enfin dans le Maroc pacifié et bien 
administré, répandre nos idées, augmenter le bien- 
être des habitants par la création de bureaux de 
poste, marchés, institutions de prévoyance, de crédit, 
de bienfaisance, faire en un mol cette politique de 
<( conquête pacifique », telle que la rêve M. Jaurès. — 
Mais ce ne sera pas l'œuvre d'un jour ni d'une année : 
il nous faudra triompher de bien des défiances, vain- 
cre bien des hostilités, être patients, prudents, mais 
avisés et fermes, sachant nous attacher les uns et nous 
faire craindre des autres, faire sentir quand il en sera 
besoin le poids de notre force, mais ne l'employer 
qu'à bon escient quand tous les moyens de concilia- 
tion seront épuisés \ Nous devrons user de toutes les 



1. Certaines personnes ont émis l'idée de nous attacher da- 
vantage encore le Sultan en faisant de lui le Pape des Musul- 
mans de rite malékite, mais cette extension de pouvoir 



— 172 - 

îniluennes dont nous pouvons disposer, soît dans le 
maglvivu^ soit auprès des cheikhs et marabouts, agir 
sur les Iribus, mais pour le compte du Sullan, créer 
lies Iribus maghzen, sorte de milice, de police indi- 
gène qui assurera Tordre sur leur territoire. Le jour 
où le Sultan aura, grâce à nous, une année et une 
adminisiration solides, où personne n^aura plus à 
CI aindre la disette et les exactions des fonctionnaires, 
il n y aura j)lus de bled-siba, de pays insoumis. Les 
Berbères, pourvu qu'on respecte leurs institutions el 
leurs i;oi dûmes, qu'on les taxe modérément, compren- 
dront qu'ils ont moins d'avantage à se battre et à 
piller qu'à se soumettre avec nous et nos indigènes : 
c est ce qui commence à se produire sur les contins 
franco-niarocains. Le récent voyage de M. Etienne à 
Ondja, l'iguig, Béchar et Kenadsa, les bons rapports 
des aulorilés d'Oudja et de Figuig avec les autorités 
algériennes montrent les progrès de l'influence fran- 
çaise dans ces contrées hier encore rebelles. Il y aura 
bien sans doute encore quelques attentats, quelques 
coups de main, mais ce sera l'œuvre de bandits iso- 
lés, de criminels de droit commun, qu'il faudra clui- 



I 



pourrait être imprudente, il faudrait être bien sûr de sa fidé- | 

lilé, car un pouvoir spirituel aussi étendu pourrait rencou- 
rager h provoquer un mouvement de fanatisme iiostile aux 
Européens. 



i 



•- 173 — 

lier comme tels et non plus Tindice d'une lutte de 
races et de religion. 

C'est justement ce qu'il y aurait à redouter si noui^ 
agissions au Maroc de concert avec l'Espagne. — De 
nombreux publicistes, MAI, Louis, S abat Lier, Sembat, 
R. Pinon môme, sont d'avis de tenir compte des droits 
de l'Espagne et de partager avec elle le Maroc. 

Que valent d'abord exactement les droits de TEs- 
pagne ? Sans doute, le Riff ressemble à T Andalousie, 
les races qui habitent ces deux provinces ont de nom- 
breux points communs ; TEspagne a entrepris depuis 
le XV" siècle de nombreuses expéditions au Maroc ; 
mais qu'en a-t-elle rapporté, de mauvaises forteresses 
qui ne constituent même pas des bases sérieuses d1n- 
vasion ni d'influence et la haine implacable des Maro- 
cains qui fj*équenient peu leurs présides à cause des 
vexations qu'ils y supportent \ Les luttes des Espa- 
gnols contre les Maures ont toujours eu le caractère 
de croisades ; elles ont été le heurt de deux fanatis- 
mes. — Peut-être que maintenant l'action espagnole 
au Maroc ne prendrait plus ce caractère, mais les sou- 
venirs du passé sont encore trop vivaces dans Tâme 
marocaine, les Espagnols sont détestés et un condo- 
minium franco-espagnol amènerait à peu près forcé- 
ment ce que nous devons tant chercher à éviter, ime 



1. Méljtla ne doit la prospérité relative; de son marché qu*au 
manque de communications par la frontière algérienne 



— 174 — 

expédition militaire. Les journaux espagnols en don- 
nent la preuve en parlant déjà de renforcer les garni- 
.son*4 des présides pour opérer simultanément avec 
l'expédition française. L'Espagne a fait preuve en 
louL temps d'une inaptitude complète en matière colo- 
niale, elle a su conquérir, mais pas administrer : les 
mallieurs qui en sont résultés pour elle l'onL-elle fait 
rélléchir au point de lui faire changer sa manière d'a- 
gir? Il est permis d'en douter. — Il faut voir les 
choses à un juste point de vue, celui de notre intérêt 
strict, sans nous laisser entraîner par une vague 
sentimentalité, une conception plus ou moins exacte 
de fraternité latine. L'Espagne, malgré tous les ser- 
vices que nous lui avons rendus, aussi bien dans sa 
politique intérieure que dans sa politique extérieure, 
a toujours été l'alliée de l'Angleterre, alors que celle- 
ci cherchait à entraver notre action non seulement au 
Maroc^ mais même dans notre hinterland algérien. 
Elle a tout fait pour nous supplanter quand la guerre 
nous avait affaiblis, nous susciter des difTicullés, exci- 
ter les Sultans contre nous. Nous ne sommes pas 
responsables de la perte de ses colonies, ni des fautes 
qu'elle a commises au Maroc en se fermant elle- 
même l'accès du pays par son intolérance et ses hau- 
teurs vis-à-vis des indigènes ; elle n'a su ni y prendre 
solidement pied, ni y développer son influence mo- 
rale, ni même son commerce en proportion de ce 




i'5r'r3f7^î7!P;?KJsçaf«r^3?.'-'= 



- 175 - 

qu'elle aurait dû étant donné son voisinage, et cepen- 
dant elle voudrait avoir une partie du Maroc. Et même 
en 1894, M. Torrès Campos ' disait : « L'Espagne 
doit prendre possession des côtes du Maroc jusqu'à 

l'Atlas C'est là pour nous une question de vie 

ou de mort... Nous, les héritiers naturels de l'Afrique, 
nous ne devons manifester absolument aucune im- 
patience d'en prendre possession. Il ne faut pas tolé- 
rer qu'on fasse la guerre au Maroc parce que, pour 
tout Espagnol sensé, l'intégrité de l'Empire du Maroc 
doit être érigée en dogme. Plutôt que de reconnaître 
les prétentions du Maroc sur Tanger, et celles de la 
France sur toute la partie orientale du Maghreb, nous 
devons faire tous nos efforts pour maintenir dans son 
intégrité le pouvoir impérial et nous opposer énergi- 
quement à un partage dans lequel nous aurions une 
certaine part, alors qu'avec un peu d'habileté et de 
patience, nous arriverons à obtenir le tout auquel 
nous avons le droit de prétendre ». C'est justement 
la ligne de conduite qu'a suivie la diplomatie fran- 
çaise. Mais, maintenant, le moment d'agir serait arri- 
vé, la question marocaine est ouverte et l'Espagne 
sent bien qu'elle n'est pas prête à jouer le rôle auquel 
elle prétendrait. « Toute l'opinion de nos voisins (d'Es- 
pagne), dit l'auteur anonyme d'un article intitulé — 



1. Revue de Droit inlernaîionaly t. XXVI, p. 229. 



— 176 — 

A propos des lierces puissances ' — à Téganl Wu Ma- 
roc semble consister dans des rêves illimités^ dans 
des ambitions vagues et latentes qui s'accommodent 
parfaitement des ajournements, maïs s'irrite singuliè- 
rement d'une solution en dehois de l'Espagne et 
contre elle. Malheureusement, celle politique d'attente 
ne saurait durer bien longtemps, l.e .sia/u quo maro- 
cain n'est plus possible >». 

Qu'elle revienne à une notion fïlus exacte de sa 
situation réelle, elle a assez à faire à rintèrieur de son 
territoire, nous aiderons volontiers à son relèvement 
économique et financier, nous soutiendrons son gou- 
vernement, mais qu'elle renonce à ses ambitions dé- 
mesurées, à ses prétentions coloniales au Maroc ! " — 
Il vaudrait mieux lui racheter à un prix avantageux 
pour elle ses présides qui ne lui servent plus à rien, 
au besoin lui faire quelques concessions au Rio de 
Oro ou ailleurs, pour ménager ses susceptibilités, que 
de la laisser s'introduire à nos cotés au Maroc. Par 
ses procédés, sa manière de voir, différents des nôtres, 
des difficultés, des malentendus, des froissements, 
gêneraient notre action pacifique et peut-être ferait le 
jeu d'une puissance comme l'Allemagne qui, sous son 



1. Bulletin du Comité de l'Afrique jrançaizc, avril 1904, 
p. 119. 

2. L'établissement de la prépondérance française au Maroc 
ne Tempécliera du reste pas plus qu en Algérie, d y envojer 
des colons, des ouvriers industriels ou agricoles. 



f 



- 177 - 

a[)|jLi!'ente bonnf! humeur officielle, cache un rerfain 
malaise provenanl de la silualion crisolemenl dans la- 
quelle elle SG trouve, une secrète irrîlalion contre 
l'accord franco-anglais qu'elle sent bien au fond dirigé 
contre elle, qui augmente la force des deux puissances 
f on trac tan les, en supprimant leurs causes d'hostilité, 
en contrarie lei^ projets qu'elle avait ébaucliés au sujet 
de la totalité au au moins de la meilleure partie de 
l'Empire chérifien \ 

C'est donc la France seule qui doit agir au Maroc : 
toute autre solution de la question serait déplorable 
pour nous et nous ferait perdre le bénéfice non seule- 
meuL de Faccord du 8 avril, mais de toute notre poli- 
tique antérieure en Afrique, ce serait toute notre 
fïMivre compromise. Si, au contraire, nous parvenons 
à nous établir au Maroc comme en Algérie et en Tu- 
nisie, nous aurons un magnifique empire d'un seul 
tenant de Mogador à Gabès, que nous pourrons join- 
dre à nos colonies du Sénégal et du Soudan par un 
Transsahaï'ien et qui fera de nous une granrle puis- 
sance coloniale, nous reprendrons le rang que nous 
avons perdu au XVII P siècle. Ka civilisation et la 
colonisation du Maroc est une œuvre dont nous tire- 
rons honneur et profit ; ce pays possède un climat 



1. Protestation adressée à M. de Bulow par tes docteurs 
Mohr, Fiïi^nher, ft ïe GomEe PfeiJ, au nom de la Société uiara- 
caine de Berlin, 



fiain, l</iiijKMi% un les Fi-anrais |>euven! facilemenl 
vivre, où noUï> avon^ << la pussibilîté détendre noire 
doiiiainc ellinîr|ue et linguj^liqiie » \ une lerre lerlileT 
bien arrosée contenant des richesses minières et foi^s- 
tîpres encore inexploilécs, qui [lout contenir encore 
autant rl'tiabitants qu'il en nourrit aetuellemenl : cest 
un cliainjunerveilleux ouverte notre activité. Sachons 
en |ircïliler et arriver à faire de la lierbérie tout en- 
tière une France d'outre-niej' qui, en face de l'Fmpire 
anglais, cle Flùnturc allemand, de ri^^inpire l'u^^^e, 
conslitiiei^a un des ineilleiirs a[i]uiis de la France nié- 
Iropolitaine el sera peiii-éire, suivani le mol de Pre- 
vost-ParadoL é< la dernière ressource ile notre gran- 
deur. H 

7 mai \\m. R. BOURASSIN, 



1. BaUelin du Comiié de V Afrique français e^ jaovicr 1904* 



Vu ; Vu : 

Le Doyen^ Le Président, 

J, Glasson. R, Estoublon. 



Vu et permis d'imprimer ; 
Le Vice-Eecieur de VAcB^démie de Park, 

L, LiARD. 



TABLE DES MATIÈRES 



CHAPITRE r 

Happorls entre la France et te Maroc de 1830 à Î88Ù. 

Naissance de la question marocaine. — Unité de la Berbérie, 
— Rapports frarico-inarocains antérieurs à 1830. — Allilude 
(iu Maroc pendant la guerre d'Algérie. — Lutte contre Âbd- 
el-Khader. — Guerre entre la France et le Maroc. — Trai- 
tés de Ï844. — Appréciation de ces truites, — Politique de 
la France vis-à-vis du Maroc de 1845 à Î880, — Exercice du 
droit de suite. — Les demandes d'indemnités au Sultan et 
leurs conséquences. .,.,...,..*. 9 

CHAPITRE II 
La question du Touat. 

Les oasis sahariennes. — Comment la question du Touat s'est 
liée à la question marocaine, — La pénétration française 
dans le Sahara algérien. — Les intrigues marocaines dans 
les oasis, — Hésitations et fautes de la France. — L'expé- 
dition du Tafîlelt. — Mort de Moulay-Hassan. — La poli- 
tique de M. Cambon. — La conquête des oasis salia- 
riennes .,...*.,. 26 

CHAPITRE III 
La frontière de rOuesl Algérien. 

Conséquences de Foccupation du TouaL — Nécessité d'assu- 
rer les communications par la Zousfana et îa Saoura. — 
Luttes contre les tribus de ces régions. ^ Les accortls de 
lïKJl et de 1902. — L action mixte de la France et do Sultan 
sur les tribus des frontières. — La question de Fi gui g. — 




— l»0 — 

Achèvement de l'occupation et de la paciflCâtioa de TOuest 
algérien. — La situation actuelle* — L'action française dans 
le Sud et de l'Ouest de rAl^-érie. ....... 52 

CHAPITRE IV 

V Empire marocain et la pénélralion européenne. 

Aspect^ état économique et pulîtique du Maroc. — Situation 
et intérêts des différentes puissances européennes au Ma- 
roc. - Causes du maintien du slaîu quo, — Les rivalités 
des puissances intéressées* — L expansion de la France 
dans l'Empire chérifien. — Insuffisance des progrès ie 
notre action. — La crise intérieure actuelle dans FEmpire 
du Maroc. — Ouverture de la question marocaine. . 78 

CHAPITRE V 

La conquête pacifique du Maroc par la France. 

Nécessité pour la France de s'assurer la possession du Ma- 
roc. — Supériorité de ses droits. — Avantaf^es de l'action 
française dans TEmpire chérifien. ^- Revirement en faveur 
de l'action de la France dans Topinion française et étran- 
gère. — L'accord franco-anglais, — Appréciation ; accueil 
favorable en Europe. — Comment doit être effectuée la 
conquête pacifique du Maroc par la France. — La question 
des droits de l'Espagne. — Conclusion. — L'empire colo- 
nial africain de la France 140 






La Rochelle, Imprimehiiî Nouvelle Noël Texier. 



li