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Full text of "L'arbre de Noël"

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ii 






L'ARBRE DE NOËL 






PARIS. — TYPOGRAPniE LAHURK 
Rue de Fleurus, 9 









L'ARBRE ji^a 

DE NOËL 



CONTES ET LEGENDES 
PAR Xr MARMIER 

BT ILLUSTHÉS DE 68 VIGNETTES SUR BOIS 

PAR VERTALI, 



DEUXIÈME ÉDITION 



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P'MÏS 



LIBRAIRIE HACHETTE ET G" 

BOULETABD SAINT-OERHAIN, 79 

• 1873 
Droits d« pTopi^iit4 et d« trttia«tIon réiervAi 



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THE Wr.W YO«K 

PUBLIC UBRARY 

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ASTOR, LENOX AND 

TILDEN FOU N DATIONS 

R 1932 L 



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L'ARBRE DE NOËL 



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A mon ami E. Templier. 

Noël I Noël! C'était autrefois, vous le savez, mon 
ami, le cri de joie de la France, en un jour de vic- 
toire, ou en quelque autre heureux événement. 

Noëll Noëll De toutes parts, dans le monde chré- 
tien, c'est encore un des noms qui éveillent lespluf 
douces pensées et les meilleures réminiscences. 

J'ai assisté à la fête de Noël en différentes ré- 
gions, et je m'en souviens. 

Je me souviens des émotions qu'elle me donnait 
dans mon enfance, en ma province de Franche- 
Comté. Dès le commencement de décembre, dans 
les maisons du village, on chantait le soir, à la 
veillée, les vieux et naïfs Noei composés dans le 
patois des montagnes, et transmis d'âge en âge au 
foyer des familles. Puis on racontait d'une voix 
^ gm^e quelques-uns des prodiges de la nuit de Noël 



2 L'ARBRE DE NOËL. 

En cette nuit miraculeuse, une roche pyramidale 
qui domine la crête d'une montagne tourne trois 
fois sur elle-même, pendant la messe, quand le 
prêtre lit la généalogie du Sauveur. 

En cette même nuit, les animaux domestiques 
ont le don de la parole. Si le paysan entre alors 
dans son étable, il peut y faire une sage réflexion, 
il peut entendre ses bœufs et ses chevaux se ra- 
contant l'un à Tautre, d'un ton dolent, comment ils 
sont souvent si mal nourris, et si injustement 
battus. 

En cette même nuit, les sables des grèves, les 
rocs des collines, les profondeurs des vallées s'en- 
tr'ouvrent, et tous les trésors enfouis dans les en- 
trailles de la terre apparaissent à la clarté des 
étoiles. 

En cette même nuit, les morts sortent de leurs 
tombes. Leur ancien curé enseveli près d'eux se 
lève aussi, les rassemble autour de la croix du ci- 
metière et récite les prières de îa nativité. Puis, 
chacun d'eux regarde le village où il a vécu, la 
maison qui fut sa maison, et rentre silencieusement 
dans son cercueil. 

Mes frères et moi, nous écoutions avec une can- 
dide croyance ces récits traditionnels, et nous au- 
rions bien voulu voir de nos propres yeux ces mér- 



L ARBRE DE NOËL. 3 

veilles. Par malheur, nous n'avions point d'étable, 
et nul autre animal domestique qu'un chat fauve 
qui n'articulait pas la moindre syllabe. Nous étions 
trop petits pour pouvoir aller à la recherche des 
trésors dans les longues vallées, ou pour gravir la 
montagne de la roche tournante, et trop craintifs 
pour oser franchir dans les ténèbres les murs du 
cimetière. 

Mais nous avions une autre merveille qui nous 
tenait assez en émoi pendant plusieurs semaines : 
la Tronche de Noél, c'est-à-dire, l'énorme bûche de 
sapin que l'on plaçait cérémonieusement au fond 
d'une de ces vastes cheminées qui, dans certaines 
habitations des montagnes du Doubs, comme dans 
les chalets suisses, occupent la moitié de la cuisine. 

Sous cette bûche, nous devions trouver les pré- 
sents du petit Jésus. Notre mère nous disait: Le 
petit Jésus sait tout. Usait où sont les enfants sages * 
et mauvais. Il passe sans s'arrêter devant lamaison 
des paresseux, des indociles, des querelleurs, des 
gourmands, et il distribue des étrennes à ceux qiy 
remplissent leurs devoirs. Voulez-vous gagner ses 
récompenses? 

Nous répondions à cette question par une belle 
promesse, et nous attendions avec impatience l'ar- 
rivée du petit Jésus. La veille du grand jour, nou^ 



4 l'arbre de NOËL. 

nous encouragions inutuellement à faire de nou- 
veaux efforts pour ne mériter aucun reproche. Le 
soir, dans nos lits, nous ne pouvions dormir. Nous 
entendions les cloches qui annonçaient la messe de 
minuit et les gens du village qui se rendaient àFé- 
glise, avec leurs gros souliers ferrés, ou leurs sa- 
bots résonnant sur la neige durcie; quelquefois les 
rafales et les gémissements du vent sinistre, du 
vent d'hiver, et la nuit était si noire I U nous tar- 
dait d'être au matin. 

Enfin, le voilà venu ce matin si désiré. Bien vite 
nous nous levons. Bien vite nous sommes habillés. 
Notre mère nous conduit devant la fameuse tron* 
che et d*abord s'agenouille avec nous pour faire 
à haute voix la prière. Puis notre père de ses deux 
bras soulève peu à peu la lourde tige de sapin, et 
alors qui pourrait dire la surprise dont nous som- 
mes saisis à l'aspect de toutes les richesses répan- 
dues dans la cheminée par le généreux Jésus? Des 
poupées et des corbeilles à ouvrage pour nos sœurs, 
des trompettes, des sabres en bois doré, des livres 
avec des images enluminées pour les garçons, et des 
pommes et des noix et des raisins secs pour nous 
tous. Quels cris d'admiration! Quel joyeux tapage I 

Souvent à Paris, vers la fin de décembre, je m'ar- 
rête à regarder les étalages des magasins d'étren- 



L'ARBRE DE NOËL. 6 

nés: des poupées coiffées et parées comme aes 
princesses, des omnibus et des carrosses auxquels 
un ressort imprime un mouvement régulier; des 
imitations d'oiseaux qui chantent; des éléphants 
qui cheminent avec le palanquin sur le dos, des 
chefs-d'œuvre de mécanique, et il me semble que 
les enfants pour lesquels on achètera ces magnifi«> 
ques choses n'en jouiront pas comme nous jouis- 
sions d'une trompette de deux sols. 

Je me souviens du Noël de Suède. On l'appelle 
dans ce pays la Juînat^ la nuit de la roue, parce 
qu'à cette époque . de Tannée, la roue du soleil 
tourne au solstice d'hiver. C'est une ancienne dési- 
gnation Scandinave qui remonte jusqu'au temps du 
paganisme. Mais la fête chrétienne se célèbre très- 
chrétiennement et d'une façon touchante. Les écoles 
alors sont en vacances ; les séances de la diète et 
des tribunaux ajournées, et la plupart des affaires 
interrompues. Car, il faut qu'en cet heureux jour 
de Noël chaque famille soit autant que possible au 
complet. Sur toutes les routes, résonnent les gre- 
lots des chevaux attelés aux traîneaux, et de tous 
côtés, les rapides véhicules emportent au foyer 
paternel les fils, les filles établis en d'autres lieux. 
Le fiancé aussi va rejoindre sa fiancée. Et parfois, 
oh ! quel bonheur ! quand la maison est remplie de 



6 L'ARBRE DE NOËL. 

ses chers hôtes, quand le père et la mère se délec- 
tent à regarder les enfants dont ils sont séparés 
tout le reste de Tannée, et en même temps, son- 
gent avec tristesse qu'il en est un qui leur manque 
encore et qui ne pourra venir, étant si loin d'eux, 
si loin, soudain on entend retentir un nouveau col- 
lier de grelots ; un traîneau s'arrête à la porte ; un 
homme entre précipitamment ; un cri de joie s'é- 
chappe de toutes les lèvres. C'est lui. C'est le voya- 
geur qu'on n'espérait pas voir et qui a bravé les ri- 
gueurs de l'hiver, les difficultés et les périls d'un long 
chemin pour embrasser ceux qu'il aime à la'Julnat. 
Tous les cœurs sont pleinement épanouis, et à tous 
les regards, l'arbre de Noël apparaît plus splendide. 
L'arbre de Noël, c'est le vert sapin placé solen- 
nellement sur une grande table et entouré de lu- 
mières, en mémoire sans doute de la lumière céleste 
qui de la crèche de Bethléem s'est répandue dans le 
monde entier. A ses rameaux, la mère de famille at- 
tache les présents qu'elle a ingénieusement choisis 
ppur chacun de ses invités. La veille de la Julnat, 
dans les villes et les villages, toutes les maisons le 
soir sont illuminées par les bougies qui décorent 
l'arbre de Noël ; il n'est si pauvre Suédois qui ne 
veuille avoir le sien, n'eût-il qu'une pâle chandelle 
pour l'éclairer. 



L'ARBRE DE NOËL. 7 

Et cette fête religieuse, cette fête de famille se 
prolonge pendant plusieurs jours, et il faut que 
non-seulement les hommes s'en réjouissent, mais 
aussi les animaux. Dans les campagnes, à la Jul- 
nat, le paysan donne à ses bestiaux une ample 
ration de son meilleur foin, et Ton pose sur le toit 
de la ferme une gerbe de blé pour les petits oi- 
seaux qui, en cette cruelle saison d'hiver, ne trou- 
vent plus de grains dans les champs. 

Je me souviens du Noël de Beirout, du couvent 
des capucins, de lapetite chapelle où nous allâmes 
entendre la messe. 

Beirout l'ancienne cité syrienne, puis la fortunée 
colonie romaine, embellie par deux empereurs, 
Beirout qui fut pendant un siècle et demi une des 
principales forteresses des Francs, au temps des 
croisades, est soumise à présent, comme chacun sait 
à la domination des Turcs. 

Pendant que nous nous dirigions ea silence, vers 
la chapelle du cloître, le muezzin turc annonçait à 
haute voix, du sommet du minaret, l'heure de la 
prière auxfidèles musulmans. Des officiers d'une fré- 
gate turque ancrée dans la rade se promenaient âC^ 
rement à travers la ville, regardant avec un suprême 
dédain les chiens de chrétiens, et nous n'arrivions 
à notre chapelle que par des passages étroits et une 



« l'arbre de NOËL. 

porte plus étroite encore. On eût dit une de cesre- 
traités mystérieuses .où les chrétiens des anciens 
temps. s'enfermaient pour dérober les pratiques de 
leur religion aux poursuites du paganisme. Mais là 
se réunissaient pour la fête de Noël toute la colonie 
de marchands et d'ouvriers français établie à Bei- 
roui, et des maronites catholiques, et des touristes 
et des pèlerins. A la tète de cette religieuse assem- 
blée, dans cette humble église, au sein de la ville 
^musulmane, au pied des montagnes du Liban, sié- 
geait le consul de notre nation, représentant le 
souverain de la France qui en vertu des anciens 
traités conclus avec les sultans porte le titre de Pro- 
tecteur unique des chrétiens du Liban. 

Le soir, du haut de la terrasse du consulat, par 
un ciel pur et étoile, comme le ciel de notre pays 
en un calme printemps, nous contemplions le vaste 
panorama qui se déroule autour des murs de Bei- 
rout: d'un côté, la mer; de l'autre, le Liban; la 
mer phosphorescente, les pentes escarpées, les 
cimes majestueuses du Liban, empourprées et do- 
rées par les rayons du soleil couchant. C'était un 
attrayant et imposant spectacle. C'était un beau 
Noël. 

Je me souviens encore d'un Noël acclamé en pleine 
mer sur unbateau à vapeur qui faisait la traversée 



L'ARBRE DE NOËL. 9 

de la Nouvelle-Orléans à la Havane. Il y avait là 
dans les cabines de première classe une trentaine de 
passagers de différents pays : espagnols, américains, 
anglais, allemands, presque tous étrangers Tun à 
l'autre, et se rencontrant pour la première fois, 
dans le salon, ou sur le pont du bâtiment. 

Un matin, comme nous finissions de déjeuner, 
un de nos compagnons dont j'avais remarqué la 
riante et franche physionomie, un planteur de la 
Louisiane nous dit : «Messieurs, je n* ai pas Thonneur 
d'être connu de vous, et j'ai cependant une propo- 
sition à vous faire. C'est demain Noël. Vous n'êtes 
peut-être pas tous catholiques, mais sans doute tous 
chrétiens. Par conséquent, vous devezaimer lejour de 
Noël. DeQiain, après l'office religieux, nos familles cé- 
lébreront ce grand jour en unjoyeux repas. Nous ne 
pouvons avoir ici lacérémonie religieuse. Mais nous 
pouvons nous réunir en un fraternel banquet, por- 
ter des toasts à ceux que nous aimons et nous sou* 
haiter réciproquement l'un à l'autre une heureuse 
année. Donc, si vous m'y autorisez, je commanderai 
au maître cock un dîner de choix. Je me ferai re- 
mettre par le sommelier la carte de ses meilleurs 
vins, et pour joindre une bonne action à notre 
festin, nous ferons, si vous le voulez, préparer à nos 
frais un autre copieux dîner pour les passagers qui 



10 L'ARBRE DE NOËL. 

sont sur l'avant du bateau, bien mal logés, et bien 
mal nourris. » 

Chacun de nous applaudit à ces paroles, et le 
programme du planteur fut ponctuellement exé- 
cuté. 

Le lendemain, grâce à la fête de Noël, ces mêmes 
passagers qui peu d'heures auparavant s'adressaient 
à peine quelques mots, en étaient venus à causer 
familièrement et gaiement ensemble. Grâce encore 
à la fête de Noël, nous apprîmes que parmi les pau- 
vres gens â qui nous avions fait servir un repas de 
luxe, il y avait une brave famille allemande réduite 
â un déplorable état de dénûment, et moyennant 
une petite cotisation à laquelle chacun de nous 
s'empressa de souscrire, nous eûmes la joie d'af- 
franchir ces honnêtes voyageurs de leurs soucis. 

Et le Noël de Paris en 1870 1 De celui-là aussi je 
me souviens. Ah! quel temps 1 Paris, la grande cité 
investie par les hordes allemandes, enlacée, com- 
primée dans une ceinture de bronze et de fer, Paris, 
la sœur du monde, séparée du monde entier. Qui 
de nous n'avait alors en d'autres lieux quelque 
tendre affection, des frères, ou des fils dans les 
combats de l'Est ou de l'Ouest, de vieux amis ou 
de vieux parents réfugiés dans des villes étran- 
gères? De ces chers absents, pas une lettre, pas un 



L'ARBRE D£ NOËL. 11 

signe de vie; de tout ce qui se passait au delà de 
nos fortifications, aucune nouvelle certaine; de 
temps à autre seulement quelque vague rumeur 
d'un sinistre événement, et dans Tenceinte de nos 
murs les rues mornes et sombres ; . pas un accent 
joyeux dans le jour; pas une lumière le soir; nul 
autre bruit que celui des chariots de guerre, dés 
roulements de tambours, et le fracas des mitrail- 
leuses, et le tonnerre des canons. Hélas ! en quel- 
ques semaines, par ces fatales batailles, tant de 
ruines et de deuils, tant de voix lamentables, 
comme celles de Rama, tant de pauvres mères qui 
ne voulaient plus être consolées I 

Cependant, au milieu de toutes ces calamités, j'é- 
tais invité à dîner le jour de Noël dans une religieuse 
famille qui, comme toutes les religieuses et nobles 
familles, faisait vaillamment son devoir : le père et 
les fils sur les remparts, la mère près des blessés. 

Pour ce jour de Noël ; dans notre disette, cette 
excellente mère gardait, ob merveille ! une boite de 
conserves, une moitié de jambon, une corbeille de 
fruits de son jardin. 

Pour ce jour-là, son dernier Benjamin, son petit 
Pierre, Pierre le grand, Pierre le magnanime nous 
abandonnait une poule. (En ce temps-là, quelle 
rara avis!) Une poule superbe qu'il avait rap- 



12 L'ARBRE DE NOËL. 

portée de la campagne, et nourrie pendant deux 
mois de ses propres mains. 

Le soir, un bon feu flambait dans la cheminée ; 
toutes nos richesses gastronomiques étaient étalées 
sur une belle nappe blanche, et Ton parlait d'un 
engagement où nos ennemis avaient subi un grave 
échec, et d'un projet de sortie qui devait rompre 
notre blocus. Après nos longues heures d'angoisse, 
nous ne demandions qu*à ouvrir notre cœur à Tes- 
poir, et dans ce cercle amical, en prononçant le 
saint nom de Noël, chacun de nous voyait luire à 
la voûte du ciel, en ce cruel hiver, Tétoile de Beth- 
léem, l'étoile du salut. 

Mais je suis sûr, moucher ami, que vous sympa- 
thisez parfaitement avec mon affection pour Noël. 
Vous allez publier dans votre collection de livres 
d'étrennes, un volume de contes, que j'ai choisis 
dans des œuvres de divers pays. En mémoire du 
sapin de la Julnat suédoise, de la Weihnacht alle- 
mande, de la Chrisimas britannique, je voudrais 
que ce recueil fût intitulé : V Arbre de Noël. 

Votre vieil ami, X. M. 



• • 



L'ARBRE DE NOËL 



L'AMBITIEUX SAPIN 



n y avait une fois un jeune sapin sans expérience 
qui gémissait de son sort. « Ahl disait-il, ces lignes 
uniformes de pointes vertes qui s'étendent le long 
de mes branches sont bien laides. J'ai le cœur un 
peu plus fier que mes voisins, et me sens fait pour 
être habillé d'une autre sorte. Je voudrais avoir un 
feuillage doré. » 

Le génie de la montagne Técoute, sourit, fait un 
signe, et, le lendemain matin, le jeune présomp- 
tueux se réveille avec des feuilles d'or. Le voilà 
tout radieux , qui s'admire , se pavane et regarde 
orgueilleusement ceux qui, plus sages que lui, 
n'envient point sa rapide fortune. Le soir, arrive un 
juif qui détache chacune de ces feuilles d'or, les 
met dans son sac et s'en va, laissant le pauvre ar- 
buste, des pieds à la tête, entièrement nu. 



14 



L ARBRE DE NOËL. 



a Hélas! dit-il, étourdi que jesuis, je a'avaispas 
Bongé & la cupidité de l'homme. Comme celui-là 
m'a dépouillé! Maintenant il n'y a pas dans la forêt 
une petite plante plus pauvre que moi. J'ai eu tort 




de désirer ces pièces de métal qui excitent de si 
ardentes convoitises, et maintenant je voudrais bien 
ne pas rester dans ma honteuse nudité. Si j'avais 
un vêtement de verre ! Cela serait magnifique , et 
le juif rapace n'aurait nulle envie de me dépouiller.- 



L'ARBRE de; NOËL 15 

Le lendemain matin, le sapin se réveille avec des 
feuilles de verre qui se balancent légèrement au 
souffle de la brise et reluisent au soleil comme de 
petits miroirs. De nouveau, il est tout réjoui et tout 
fier, et dans son étincelante parure de nouveau re- 
garde dédaigneusement ses voisins. Mais le ciel se 
couvre de nuages. Le vent se lève, mugit, éclate, 
et d*un coup de son aile noire brise les feuilles de 
verre. 

« Je me suis encore trompé, dit l'innocent jou* 
venceau des bois, en contemplant les débris de son 
luxe perdu. Ni l'or, ni le verre ne sont faits pour 
décorer les forêts. Je serais moins brillant, mais 
plus tranquille, si j'aVais un bon feuillage, doux et 
velouté comme celui du noisetier. » 

Le troisième vœu est accompli, et en renonçant à 
ses vanités premières, l'ambitieux sapin avait en- 
core le plaisir de se croire mieux vêtu que les ar- 
bres de son espèce. Mais des chèvres passant par 
là aperçoivent ses feuilles nouvellement écloses, si 
tendres et si fraîches, les prennent à belles dents et 
n'en épargnent pas une. 

Le malheureux sapin humilié, désolé de ses er- 
reurs, n'aspirait qu'à reprendre sa forme primi- 
tive. Il obtint encore cette grâce, et oncques depuis 
ne s'avisa de souhaiter une autre condition. 



«, 



MARGUERITE ET JEAN 



Il y avait une fois un pauvre bûcheron qui vivait 
avec sa femme et deux enfants, un garçon et une 
fille, au milieu des bois, dans une chétive cabane. 
Le garçon s'appelait Jean, la fille Marguerite. De 
plus en plus, la misère du bûcheron s'accroissait 
et lui causait de grands soucis. Un soir, il dit en 
soupirant à sa femme : 

« Comment allons-nous faire pour nourrir nos 
enfants? Nous voilà à l'entrée de l'hiver, et nous 
n'avons rien pour nous-mêmes. 

— Si tu veux m'en croire, répliqua la femme, tu 
les conduiras dans les profondeurs de la forêt, tu 
leur donneras encore un petit morceau de pain, tu 
leur allumeras du feu, et tu les laisseras là en les 
recommandant au bon Dieu. 

— Ah! Seigneur du ciel, s'écria le bûcheron, 



L'ARBRE DE NOËL. ,17 

puis-je jamais songer à perdre ainsi mes en- 
faots? 

— Eh bien 1 repartit la femme , tu les verras mou- 
rir de faim, et nous mourrons de même ; tu peux 
faire préparer notre cercueil. » 




Les enfants, que la faim tenait éveillés dans leur 
lit de mousse, entendaient cet entretien. Mai^e- 
rite se mît à pleurer. Mais Jean lui dit : 

« Ne pleure pas, nia petite sœur, je trouverai 
oien un moyen de salut. » 

Dès que ses parents furent endormis, il se leva 



18 L*ARBRE DE NOËL. 

sans faire de bruit, sortit de la cabane, s'en alla 
ramasser des petits cailloux blancs et les rapporta 
dans son lit. 

Le matin, les parents avaient pris leur doulou- 
reuse résolution. La mère donna aux enfants un 
morceau de pain, puis ferma la porte du logis et 
se mit en marche. Le bûcheron l'accompagnait 
tristement, portant sa hache sur Tépaule. Ensuite 
venait Marguerite, puis Jean qui, de distance en 
distance, laissait tomber <pv terre ses petits cail- 
loux. 

Quand ils furent au miliojb de la forêt, les en- 
fants ramassèrent des branches sèches avec les- 
quelles le bûcheron alluma du feu ; puis la mère 
leur dit : 

« Vous devez être fatigués. Dormez près de ce 
feu, tandis que nous irons couper du bois. Nous 
vous reprendrons en révenant. » 

Les petits sommeillèrent jusqu!à midi. Quand ils 
se réveillèrent, leur brasier était éteint, et ils 
avaient faim. Us mangèreixt.leur morceau de pain, 
puis de nouveau s'endormirent, et ne s'éveillèrent 
que le soir. Leurs parents ne revenaient point. 
Marguerite se mit à pleurer. 

<c N'aie pas peur, lui dit Jean, le bon Dieu est avec 
nous. Bientôt la lune va se lever, et nous rentre- 
rons au logis. » 

Un instant après, en effet, la lune se levait et 
éclairait les sentiers de la forêt. Jean prit sa sœur 
par la main. L'un et l'autre se mirent bavement en 



L'ARBRE DE NOÉL. 
marche. Au point du jour, ils arrivaient : 
bane de leurs parents et frappaient à la p 
mère, en les voyant, fut bien étonnée. Mm! 
se réjouit de leur retour. 

Quelque temps après, de nouveau la m 
ramena à sa première résolution. De nom 
enfants entendirent son entretien avec leu 




De nouveau Jean voulut aller ramasser àt 
CBilloux. Mais la porte de la hutte étaitfen 
pendant, il consola sa sœur ; il lui disait : 

« Ne pleure pas. Le bon Dieu connaît 
chemins. II nous mènera vers celui que n 
vrons suivre. » 

Le lendemain matin de bonne heure, lea 
reçurent un morceau de pain plus petit 
que la première fois, et furent conduits pli 
dans la forêt. Jean broyait son pain dans i 
et en répandait les miettes poj terre, 



20 l'arbre de NOËL. 

qu'elles Taideraient à retrouver sa route. Comme 
la première fois, il ramassa avec sa sœur des 
branches sèches pour faire du feu. Puis les pa- 
rents s'éloignèrent, et Marguerite et Jean dormi- 
rent jusqu'à midi. Jean n'avait plus une seule 
miette de pain. Mais sa sœur partagea avec lui le 
morceau qu'elle avait gardé. De nouveau ils s'en- 
dormirent. Quand ils se réveillèrent, autour d'eux 
tout était sombre. Marguerite pleurait. Son frère 
lui disait : 
ce Ne pleure pas, je te ramènerai à la maison. » 
Et lorsque la lune fut levée, il prit la petite 
fille par la main et se mit en marche avec elle, 
comptant retrouver son chemin par les miettes de 
pain. 

Mais les oiseaux avaient mangé toutes ces miet- 
tes. On n'en voyait plus une seule. Les enfants er- 
rèrent toute la nuit dans la forêt sans pouvoir 
retrouver leur chemin. Épuisés de fatigue, ils se cou- 
chèrent sur la mousse et s'endormirent. En s'éveil- 
lant, ils souffraient de la faim i quelques fruits sau* 
vages les soulagèrent. Ils se remirent encore en 
marche, sans savoir de quel côté ils devaient se di- 
riger ; et voilà qu'un petit oiseau blanc se mit à 
voler devant eux, et ils le suivirent, pensant qu'il 
les conduirait dans le bon chenlin. Tout à coup, ils 
virent devant eux une jolie maisonnette sur la- 
quelle l'oiseau alla se poser et la becqueta. Les en- 
fants s'approchèrent, et qu'on se figure leur éton- 
nement et leur joie quand ils virent de quoi se 



L'ARBRE DE NOËL. 21 

composait cette maison. Ses murailles étaient faites 
avec de fines tranches de pain, sa toiture avec des 
gâteaux, ses fenêtres avec du sucre candi. Jean et 
Marguerite, qui avaient faim, mangèrent un mor- 
ceau du toit et la moitié d'une vitre. Tout à coup, 
ils entendirent une voix qui criait : 

Tipe, tope, tape, ton, 

Qui donc détruit ma maison? 

En entendant cette voix aigre et dure, ils eurent 
bien peur. Cependant, comme ils avaient faim en- 
core, ils se remirent à manger. Alors, ils virent 
apparaître une vieille fpmme hideuse, toute petite, 
avec une grande bouche, un grand nez, une figure 
noire et des yeux verts. A cet aspect, Jean et Mar- 
guerite voulurent s'enfuir. La vieille, pourtant, les 
rassura : 

Ne vous effrayez pas, leur dit-elle, et suivez- 
moi. JTâi de meilleures choses à vous donner. » 

lis entrèi^nt avec elle dans sa demeure, et là, 
quelle richesse : du sucre, des biscuits, du lait, des 
macarons, des pommes et des noix. Pendant qu'ils 
regardaient, émerveillés, ces amas de friandises, la 
vieille leur préparait deux jolis petits lits blancs. 
Us firent pieusement leur prière du soir, puis se 
couchèrent. 

Cependant, cette vieille était une affreuse sorcière 
qui attirait les petits enfants par ses sucreries et lès 
mangeait. 



ss 



L'ARBRE DE XOËL. 



Le lendemain matin, elle s'avança avec une Joie 
féroce vers les deux couchettes oh reposaient les 
deux l}eaux enfants. D'une main elle prît Jean par 
le milieu du corps, de l'autre elle lui fermait la 




bouche pour l'empêcher de crier. Elle l'emporta et 
l'enferma dans le poulailler, puis elle revint vers 
Ma^;uerite et lui dit d'une voix farouche : 

■ Lève-toi, paresseuse. Ton frère est avec les 
pies; il va s'engraisser pour me faire un bon rôti. » 

La pauvre Marguerite, tout épouvantée, pleura 



L'ARBRE DE NOËL. 23 

et se désola. Mais ni ses larmes, ni ses gémisse- 
ments ne pouvaient attendrir Thorrible sorcière; 
et elle était forcée de faire près d'elle l'ouvrage 
d'une servante. De temps à autre la vieille allait au 
poulailler et disait à Jean de lui passer un doigt à 
travers les barreaux de sa prison, pour qu'elle vit 
s'il engraissait. Le malin Jean lui présentait un os 
desséché. 

« C'est singulier, murmurait-elle en secouant la 
lé te, comme il profite peu de la bonne nourriture 
qu'on lui donne. » 

Un matin, fatiguée d'attendre si longtemps, elle 
s'écria : 

a II faut en finir. Aujourd'hui même je le rôti- 
rai. » 

Elle alluma un grand feu dans le four pour y 
faire cuire du pain, et son intention était d'y faire 
griller aussi la petite Marguerite. 

« Monte, lui dit-elle, sur cet escabeau, et ar- 
range la braise dans le four avec cette perche. » 

Marguerite se disposait à lui obéir, quand elle 
entendit le petit oiseau blanc qui lui chantait : 

« Prends garde I prends garde I » 

Elle comprit le cruel dessein de la vieille, et lui 
dit : 

c< Montrez-moi ce que je dois faire. » 

La sorcière se hissa sur Tescabeau, se pencha 
vers la gueule du four. Aussitôt Marguerite l'y jeta, 
puis referma le four avec sa plaque de fer, et s'en 
alla délivrer Jean; et tous deux, s'embrassant et 



S4 L'ARBRE DE HOËL. 

remerciant Dieu, sortirent avec bonheur de cette 

maudite maison. 

A la porte, l'oiseau blanc les attendait avec les 
autres oiseaux qui avaient mangé les miettes de 
pain de Jean. Chacun d'eux voulait faire un présent 
aux deux gentils enfants. Marguerite étendit son 
tablier. Les oiseaux y jetèrent des perles et des 
pierres précieuses. Puis, celui qui avait déjà ac- 
compagné les deux innocents petits, voltigea devant 
eux pour leur montrer leur chemin. Ils traversè- 
rent ainsi la forêt et arrivèrent au bord d'un grand 
lac, où un cygne blanc se promenait. 




" Oh ! beau cygne, dirent les enfants, veux-tu 
nous aider à passer ce lacî » 

A ces mots, le cygne s'approcha d'eux en bais- 
sant la tète, et l'un après l'autre les transporta sur 
l'autre rive. Là était déjà le petit oiseau blanc, qui 
se remit à voltiger devant eux pour les guider vers 
leur cabane. 



L'ARBRE DE NOËL. 25 

Le bûcheron et sa femme étaient là, bien affligés, 
regrettant leurs bons petits, et se disant : 

« Ah! s*ils pouvaient revenir, non, jamais, plus 
jamais nous ne voudrions les perdre dans la forêt. » 

Au même instant la porte s'ouvre, et les deux 
enfants s'avancent. Ah I quelle joie 1 comme ils fu- 
rent tendrement embrassés ! Et avec les présents 
que les oiseaux leur avaient faits, ils étaient riches, 
ils n'avaient plus à redouter la misère. 









t- 1. 



^jj«L 0t S(M^ 



Tros 



— ,-*>■ 



L'ARBRE DE NOËL. 97 

cellule, en face de son gentil compagnon, et proba- 
blement il ne se doutait guère que cet oiseau de- 
vait aider à sa fortune. Mais un passant, ayant en- 
tendu les mélodies du chardonneret, en parla dans 
une riche maison de la ville, puis dans une autre. 




Les belles dames et les jeunes filles voulurent voir 
ce petit musicien étranger qui chantait si bien, et 
s'intéressèrent au laborieux artisan qui l'avait ap- 
porté de si loin. 

Quelques années après, le cordonnier mourut. 
Ses meubles, sa boutique furent vendus au profit 
de ses héritiers. Le gouverneur de Toronto acheta 
Le chardonneret et le fit aussitôt placer à la fenêtre 
de son salon. Maisen vain ilattenditquelques-unes 
de ces jolies roulades qui, naguère, résonnaient si 
vivement dans l'échoppe de l'ouvrier. En vain, pour 
raviver l'oiseau qui paraissait attristé, il fît remplir 



LE CHARDONNERET ET L'OUVR,IER 



Histoire canadienne. 



Il y a quelques années, un émigrant allemand 
alla s'établir dans le haut Canada, â Toronto. C'é- 
tait un cordonnier qui n'avait pour tout bien que 
son industrie et ses ustensiles de travail ; de plus, 
un chardonneret, qu'il apportait de son village d'Al- 
lemagne, et dont il avait eu grand soin pendant la 
traversée. Il loua une échoppe et se mit à la beso- 
gne, et, chaque matin en se levant, il suspendait à 
la fenêtre de son humble atelier la cage de son 
chardonneret. Pendant que l'ouvrier travaillait, 
l'oiseau battait des ailes et chantait pour le récréer. 
Peut-être qu'il lui chantait des airs qui le faisaient 
penser à son pays et lui réjouissaient le cœur. Tou^ 
les jours le cordonnier chantait gaiement dans sa 



L'ARBRE DE NOËL. 37 

cellule, en face de sion gentil compagnon, et proba- 
biement il ne se doutait guère que cet oiseau de- 
vait aider à sa fortune. Mais un passant, ayant en- 
tendu les mélodies du chardonneret, en parla dans 
une riche maison de la ville, puis dans une autre. 



Les belles dames et les jeunes filles voulurent voir 
ce petit musicien étranger qui chantait si bien, et 
s'intéressèrent au laborieux artisan qui l'avait ap- 
porté de si loin. 

Quelques années après, le cordonnier mourut. 
Ses meubles, sa boutique furent vendus au profit 
lie ses héritiers. Le gouverneur de Toronto acheta 
le chardonneret et le fit aussitôt placer à la fenêtre 
de son salon. Mais en vain il attendit quelques-unes 
deces jolies roulades qui, naguère, résonnaient si 
ïivement dans l'échoppe de Touvrier. En vain, pour 
i^viver l'oiseau qui paraissait attristé, il fît remplir 



28 L'ARBRE DE NOËL. 

ie bassin de sa cage de Teau k plus pure et du 
meilleur millet. 

L'oiseau était comme la pensée de vie de son 
humble maître. Le maître mort, Toiseau resta 
muet. 



JACQUES ET SES CAMARADES 

Conte irlandais. 



Il y avait une fois une pauvre veuve qui n'avait 
qu'un fils. A la fin d'un rude hiver, ils ne possé - 
daient plus qu un peu de farine et un coq. Jacques 
résolut de partir pour s'en aller à l'aventure cher- 
cher fortune. Sa mère lui pétrit son restant de fa- 
rine, tua son coq, et lui dit : 

« Qu'est-ce qui te plaît le plus, d'avoir la moitié 
de ces provisions avec ma bénédiction, ou le tout 
avec ma malédiction? 

— Oh I ma mère, répondit Jacques, comment pou- 
vez-vous me demander une telle chose? Je ne vou- 
drais pas avoir, avec votre malédiction, les trésors 
de Damer, le riche banquier de Dublin. 

— Bien, mon enfant, répliqua doucement la mère. 
Mais, prends tout cela, et sois béni. » 



30 L*ARBRE DE NOËL. 

fit il partit; et aussi longtemps qu'elle put le voir, 
elle le suivit du regard en le bénissant. 

Jacques s'en alla tout droit devant lui. Son inten- 
tion était d'entrer dans quelque maison de ferme 
et de demander si on voulait l'employer là comme 
domestique. Chemin faisant, il aperçut un âne qui 
était tombé dans un marais, et qui essayait en vain 
d'en sortir. 

« Oh! Jacques, s'écria-t-il, aide-moi ouje vais me 
noyer. 

— Bien I répondit Jacques, tu ne seras pas obligé 
de répéter ta demande. » 

Aussitôt, ramassant des branches d'arbres et des 
pierres, il en forma une espèce de pont sur lequel 
le pauvre quadrupède réussite mettre un pied, puis 
un autre, puis enfin tous les. quatre, et ainsi fut 
délivré du danger qui le menaçait. 

ce Merci, dit-il en s'approchant de Jacques. A mon 
tour, si j'en trouve l'occasion, je te rendrai service. 
Où vas-tu? 

— Je vais chercher à gagner ma vie jusqu'au 
temps où l'on récoltera les pommes de terre. 

— Veux-tu que j'aille avec toi? Qui sait si nous 
ne ferons pas quelque bonne rencontre?- 

— Allons. » 

Et ils se mirent en route. 

Gomme ils passaient .par un village, ils virent un 
chien poursuivi par des écoliers qui lui avaient at- 
taché une casserole à la queue. La pauvre bête cou- 
rut vers Jacques, qui la prit aussitôt sous sa protec- 



L*ARBRE DE NOÉL. 31 

tion, et râne se mit à braire de telle sorte, que les 
méchants enfants s'enfuirent épouvantés. 

« Merci, dit le chien à Jacques. A mon tour, si j'en 
trouve l'occasion, je voudrais te rendre service. Où 
vas-tu ? 

— Je vais chercher à gagner ma vie jusqu'à la 
récolte. 

— Veux-tu que j'aille avec toi? 

— Allons. » 

Quand ils furent hors du village, ils s'arrêtèrent 
au pied d'une haie. Jacques tira de son bissac ses 
maigres provisions et en donna une part au chien. 
L'âne brouta ^quelques chardons. Pendant qu'ils 
faisaient ainsi leur repas, arnve un chat à moitié 
affamé, qui aurait attendri les cœurs les plus durs 
par ires plaintifs miaulements. 

<c Aht pauvre malheureux I s* écrie Jacques, on di- 
rait qu'il a couru sur tous les toits d'une ville de- 
puis son dernier déjeuner 1 » 

Et il lui donne un peu de poulet à manger. 

« Merci, dit le chat. Puissé-je un jour te rendre 
quelque service. Où vas-tu ? 

— Chercher de l'ouvrage jusqu^àlaprochaine ré- 
colte. Tu peux, si cela te plaît, venir avec nous. 

-^ Très-volontiers. » 

Les quatre pèlerfns se remettent en route. Vers le 
soir, ils entendent tout à coup un cri perçant, et ils 
aperçoivent un renard qui courait à toutes jambes, 
emportant un coq. 

<c En avant ! brave chien I » s'écrie Jacques. 



32 L*ARBRE DE NOËL. 

A l'instant, le chien s'élance à la poursuite du 
renard, qui, se voyant alors en grand péril, lâche 
sa proie pour mieux courir. Le coq sautille tout 
joyeux prèsr de Jacques et lui dit : 
. « Merci, tu m'as sauvé la vie. Je m'en souviendrai. 
Maintenant, où vas-tu? 

— Chercher de là besogne pour pouvoir vivre 
jusqu'à la récolte. Veux-tu venir avec nous ? 

— Très-volontiers. 

— £h bien I viens, et si tu es fatigué, tu te pose- 
ras sur le dos de Tâne. » ^ 

Les voyageurs se remirent en marche avec ce 
nouveau compagnon. Tous éprouvaient cependant 
le besoin de se reposer, .et, autour d'eux, ils n'a- 
percevaient pas une ferme, pas une cabane. 

ce Allons, dit Jacques, une autre fois nous serons 
plus heureux. Aujourd'hui, nous pouvons bien 
nous résigner à coucher en plein air. La nuit, 
d'ailleurs est assez belle, et la terre est couverte 
d'un bon gazon. » 

A ces mots, il s'étendit sur l'herbe ; l'àne se cou- 
cha à côté de lui, le chien et le chat se mirent entre 
les pattes du complaisant grison, et le coq se per- 
cha sur un arbre. 

Tous étaient endormis d'un profond sommeil^ 
quand, soudain, voilà le coq qui' se mit à crier. 

« Quel malheur, dit l'âne, d'être ainsi brusque- 
ment réveillé. Pourquoi donc cries 4u ainsi? 

— Pour annoncer le point du jour, répond le 
coq. Ne voyez-vous pas la lumière qui brille là-bas ? 



l'arbre de NOËL. 33 

— Je vois bien une lumière, dit Jacques, mais 
c'est celle d'une lampe et non pas du soleil. Pro- 
bablement, il y a par là une habitation, et nous 
pourrions aller y demander un asile pour le reste 
de la nuit. » 

La proposition est acceptée. La caravane part et 
s'en va par les champs, par les rocs, et sarrête au bord 
d'un ravin où retentissent des éclats de rire, des 
cris confus, des chants grossiers et des blasphèmes. 

« Att(>ntion, dit Jacques, avançons pas à pas, tout 
doucement, pour voir quelle espèce de gens de- . 
meure là. » 

Ces gens, c'étaient six voleurs armés de poi- 
gnards et de pistolets, assis à une lable couverte 
de mets exquis, et banquetant gaiement et buvant 
à qui mieux mieux du punch et du vin. 

« Quel bon coup, dit l'un d'eux, nous venons de 
faire dans la maison de lord Dunlavin, grâce à l'as- 
sistance de son concierge. Un excellent homme, ce 
concierge. A sa santé ! 

— ^ A la .santé de ce brave valet I » répétèrent tous 
les autres voleurs. 

Et, d'un trait, ils vidèrent leurs verres. 

Jacques se retourna vers ses compagnons et leur 
dit à voix basse : 

« Joignez-vous l'un à l'autre le mieux que vous 
pourrez, et, à mon premier signal, que vos voix ré- 
sonnent ensemble. » 

L'âne, se dressant sur ses pattes de derrière, 
posa ses deux pattes de devant sur le bord de la 

3 



34 L*ARBRE DE NOÉL. 

fenêtre, le chien se posa sur sa tête, le chat sur la 
tète du chien, le coq sur la tôte du chat. Jacques fit 
un signe, et alors retentit à la fois le braiement de 
l'âne, Taboiement du chien, le miaulement du chat, 
le cri strident du coq. 

<e A présent, dit Jacques d'une voix vibrante, ar- 
mez vos soldats I Tuez les brigands; feul >» 

Au même instant, les 'pieds de l'âne £rent voler 
la fenêtre en éclats ; les aboiements et les hurle- 
ments recommencèrent ; les voleurs, épouvantés, se 
précipitèrent vers une porte dérobée et s'enfuirent 
dans la forêt. 

Jacques et ses compagnons entrèrent dans la 
chambre abandonnée, firent un bon repas, puis se 
couchèrent, Jacques dans un lit, l'âne dans Tétable, 
le chien sur une natte, près de la porte, le chat 
près du foyer et le coq sur un perchoir. 

D'abord, les voleurs se sentirent réjouis quand 
ils furent en sûreté dans la forêt. Mais bientôt ils 
se mirent â faire de tristes réflexions. 

«c Au lieu d'herbe humide, dit l'un, j'aimerais 
bien mieux retrouver mon lit. 

— Moi, dit un autre, je regrette le rôti que je 
commençais à peine à savourer. 

— Moi, ajouta un troisième, les bonnes bouteil- 
les de vin encore pleines. 

— Ce qui est bien plus regrettable, s'écria un 
quatrième, c'est tout cet or, tout cet argent que 
nous avons pris à l'aide du concierge de lord Dun- 
lavin, et que nous avons abandonné. 



L'ARBRE DE NOËL. 35 

— Je veux, dit le capitaine, essayer de rentrer 
dans notre maison. Je veux voir si tout est perdu. 

— Bravo I » s'écrièrent ses camarades. 
Et il se mit en marche.. 

Toutes les lumières étaient éteintes dans la mai- 
son, où il pénétrait à tâtons. Il s'avança vers le 
foyer; le chat lui saute à la figure et le déchire avec 
ses griffes. Il pousse un cri de douleur, cherche la 
porte, et, par malheur, marche sur la queue du chien, 
qui lui enfonce ses dents aiguës dans les jambes. 
De nouveau il rugit, et enfin parvient à franchir le 
seuil de la porte. Mais alors le coq se jette sur lui 
et le lacère avec son bec et ses ongïes. 

« Oh 1 s'écrie-t-il, c'est une race de démons qui a 
pris possession de cette maison. Gomment pourrai- 
je en sortir? » 

Il espère trouver un refuge dans Fétable ; mais 
râne.lui lance une ruade qui le jette par terre à 
demi mort. 

Quelques instants après, cependant, il reprenait 
sa connaissance ; il se tâtaitlesmembres, et, voyant 
que ni ses bras, ni ses jambes n'étaient brisés, il 
se leva et retourna dans la forêt. 

« £h bien! eh bien! s^écrièrent ses camarades dès 
qu'ils l'aperçurent, pourrons-nous recouvrer nos ri- 
chesses? 

— ,Non, s'écria-t-il ; c'en est fait. Mais, d'abord, 
préparez-moi une couche pour me reposer, et des 
infusions et des ^cataplasmes pour mes blessures. 
Voussue pouvez vous imaginer ce que j'ai souffert' 



36 L'AUBRE DE NOËL. 

pour VOUS. Dans la cuisine, j'ai été assailli par une 
vieille sorcière qui cardait de la laine, et vous pou- 
vez voir les déchirures qu'elle m'a faites au visage 
avec ses cardes. Près de la porte, un satanique sa- 
vetier m'a percé les jambes avec ses alênes et ses 
poinçons; de l'autre côté de la porte, le diable lui- 
même s'est élancé sur moi avec ses griffes. «Dans 
l'étable, j'ai reçu un coup de massue dont j'ai failli 
mourir. Si vous ne me croyez pas, allez là vous- 
mêmes. 

— Nous vous croyons, s'écrièrent ses compa- 
gnons en regardant son visage et son corps ensan- 
glantés, et nous n'essayerons pas de rentrer dans 
cettet maudite maison. Tâchons d'en trouver une 
autre. » 

Le matin, Jacques et ses compagnons firent en- 
core, avec les provisions des voleurs, un bon déjeu- 
ner, puis partirent pour restituer à lord Dunlavin 
l'or et l'argent qui lui avaient été dérobés. Le tout 
fut enfermé soigneusement par Jacques dans deux 
sacs, et placé sur le dos de l'âne. Ils s'en allèrent 
par les collines, par les prairies, par les rochers, 
et arrivèrent â la porte du château seigneurial. De- 
vant cette porte était le scélérat de concierge, en 
grande livrée, les bas blancs, les culottes, rouges, 
les cheveux poudrés. 

Il regarda d'un air de mépris la petite caravane, 
et dit à Jacques : 

a Que venez-vous chercher ici? Il n'y a point de 
place pour vous dans cette maison. 



l'arbre de NOÊf.. 



37 



— Nous comptons pourtant, répondit Jacques, 
sur un bon accueil. Mais, certainement, ce n'est pas 
à vous que nous le demanderons. 

— Loin d'ici, vagabonds, s'écria le concierge en 
colère ; hâtez-vous de déguerpir, sinon je lâche mes 
dogues sur vous. 




— Un instant, répliqua le coq, qui était perché 
sur la tète de l'âne ; pourriez-vous nous dire qui a 
ouvert la porte du château la nuit dernière aui vo- 
leurs ? > 



38 L'ARBRE DE NOËL. 

Le concierge rougit. Lord Dunlavin, qui était à la 
fenêtre, s'écria: 

« Eh I Barnabe, répondez un peu à la question que 
vient de vous adresser ce bel oiseau. 

— Seigneur, répondit Barnabe, ce coq est un mi- 
sérable. Certainement, ce n'est pas moi qui ai ou- 
vert la porte aux six voleurs. 

— Et comment, mon gaillard, reprit lord Dunla- 
vin, savez-vous qu'ils étaient six? 

— Quoi qu'il en soit, milord, dit Jacques, nous 
vous rapportons tout l'or et l'argent qui vous a été 
enlevé, et je voudrais seulement vous prier de nous 
donner à souper et un gîte pour cette nuit,- car nous 
avons fait une longue marche. 

— Soyez tranquilles, vous serez bien traités. » 
L'âne, le chien et le coq furent en effet très-agréa- 
blement installés dans la ferme, le chat- dans la 
cuisine. Quaint à Jacques, le ojiâtelain reconnais- 
sant le fit revêtir des pieds àla tête de beaux habits, 
lui ,mit une montre en or dans le gousset, et lui 
dit: 

« Veux-tu rester avec moi? Tu es honnête, et je 
vois que tu es intelligent. Tu seras mon inten- 
dant. » \ 

Jacques accepta avec reconnaissance cette propo- 
sition, et fit venir près de lui sa vieille mère. Puis 
il épousa une belle et brave jeune fille, et vécut très- 
heureux. 



LES DEUX AVARES 

Conte bébniqua. 



A Kufa vivait un Bvare qui apprit qu'il y avait à 
Bassora un ai]tre avare d'une étonnante expérience, 
dont il pouvait tirer un précieux enseignement. II 




se mit en route pour aller le rejoindre, et se pré- 
senta à lui comme un humble disciple, désireux de 
s'instruire dans la grande science de l'avarice. 



40 L'ARBRE DE NOËL. 

« Soyez le bienvenu, lui dit Thabile homme de 
Bassora, et, dès aujourd'hui, nous pouvons acqué- 
rir une nouvelle instruction en allant au marché. » 

Tous deux s'en vont chez le boulanger. 

« Âs-tu du bon pain? demande l'avare de Bas- 
sora. 

— Excellent I réplique le boulanger ; il est doux 
et frais comme du beurre. 

— Très-bien, dit à son compagnon l'ingénieux 
avare ; voilà, dans cette comparaison, le beurre in- 
diqué comme une meilleure chose que le pain. On 
ne peut guère manger de beurre. Nous ferons donc 
une économie en le préférant au pain. » 

Plus loin, il s'arrête devant un autre marchand, 
et lui dit : 
« As-tu de bon beurre? 

— Excellent! Frais et savoureux comme de 
l'huile d'olive. 

— Bien. Pour faire valoir le beurre, on le com- 
pare à rhuile. Donc, l'huile est meilleure. C'est ce 
que nous devons choisir. » 

Un peu plus loin il dit à un marchand : 
c As-tu de la bonne huile? 

— Parfaite! claire et transparente comme de 

l'eau. 

— Ah! s'écrie l'avare, l'eau est donc le dernier 
point de comparaison. J'en ai une bonne provision 
dans mon logis; venez avec moi, ajoute-t-il en se 
tournant vers son adepte, nous allons nous régaler 
à boire de l'eau, puisque nous venons d'apprendre 



L'ARBRE DE NOËL. 41 

([ue le beurre est meilleur que le pain, Thuile d'o- 
live meilleure que le beurre, et Teau meilleure 

que l'huile. 
— Dieu soit loué, dit l'avare deKufa, jen'ai point 

perdu mon temps en venant à Bassora. » 



L'HISTOIRE DU PETIT CHAPERON ROUGE 

GOMME ON LA RACONTE EN ALLEMAGNE. 



Il y avait une fois une jolie, gentille petite fille, 
extrêmement aimée de sa mère et de sagrand'mère. 
Cette bonne grand'mère qui ne savait quoi imagi- 
ner pour la réjouir, lui donna un jour un chape- 
ron en velours rouge. La petite était si contente 
d'avoir cette coiffure qu'elle ne voulait plus en por- 
ter d'autres, et comme on la voyait si gaiement al- 
ler et venir avec son chaperon, on l'appelait le pe* 
tit chaperon rouge. 

Sa mère et sa grand'mère demeuraient à une 
demi-lieue Tune de l'autre, et entre leurs maisons 
il y avait une forêt. Un matin, la mère dit au petit 
chaperon rouge : « Ta grand' mère est malade et ne 
peut venir nous voir. J'ai fait des galettes; va lui 



L'âBBRB de NOËL. 43 

en porter une avec une bouteille de vin. Prends 
garde de casser cette bouteille, ne t'amuse pas à 
courir dans le bois, va tranquillement ton chemin 
et reviens bientôt. 




— Oui, répondit le petit chaperon rouge, je tous 
obéirai complètement. » 

Aussitôt il noua son tablier à sa ceinture, plaça 
dans un léger panier la bouteille et le gâteau et se 
mit gaiement en route. Au milieu de la forêt, un 



44 L'ARBRE DE NOËL. 

loup s'approcha de lui. L'enfant ne connaissait pas 
les loups et il regarda celui-ci sans crainte. 
« Bonjour, petit chaperon rouge, dit le loup. 

— Bonjour, monsieur, répondit poliment la petite. 

— Où vas-tu donc de si bonne heure? 

— Chez ma grand'mère qui est souffrante. 

— Et tu lui portes quelque chose? 

— Oui, un gâteau et cette bouteille de vin pour 
la fortifier. 

— Dis moi donc, gentil petit chaperon rouge, où 
demeure ta grand'mère. Je voudrais bien aussi al- 
ler la voir. 

— Sa maison n'est pas loin d'ici, au bord de la 
forêt. A côté, il y a de gros chênes, et dans la haie 
du jardin des noisettes! 

— Ah I c'est toi, se dit le loup, charmant petit cha- 
peron rouge, qui es une appétissante noisette. Quel 
bonheur de te croquer ! » Puis il reprit à haute 
voix : <f Regarde quels beaux arbres, et quels jolis 
oiseaux! G*est vraiment un plaisir de se promener 
dans les forêts, et on y trouve tant de bonnes plan- 
tes médicinales. 

— Vous êtes sans doute un docteur, répliqua le 
candide chaperon rouge, puisque vous connaissez 
les plantes médicinales. Vous pourriez peut-être 
m'en indiquer une qui ferait du bien à ma 
grand'mère. 

— Sans doute, ma chère enfant, tiens : en voicî 
une, et une autre, et celle-là encore. » 

Mais toutes les plantes que le loup indiquait ainsi 



L'ARBRE DE NOËL. 45 

étaient des plantes vénéneuses. L'innocente enrant 
voulait cependant les cueillir pour les porter à son 
aïeule. 

« Adieu, mon gentil petit chaperon rouge, je 
suis très-content d'avoir fait ta connaissance. Â 
mon grand regret, il faut que je te quitte pour al- 
ler bien vite voir un malade: » 

A ces mots, il courut précipitamment vers la 
maison de la grand'mère, pendant que l'innocent 
chaperon rouge s'amusait à cueillir les plantes 
qu'il lui avait désignées. 

En arrivant à la porte de la vieille aïeule, il la 
trouva fermée et frappa. La grand'mère ne pouvant 
plus se lever de son lit demanda : qui est là? 

« C'est le petit chaperon rouge, répondit le loup 
d'une voix contrefaite. Ma mère t'envoie un gâteau 
et une bouteille de vin. 

. — Regarde sous le seuil, dit la grand'mère, tu y 
trouveras la clef. » 

Il la trouva en effet, ouvrit la porte, et avala 
d'un coup la pauvre vieille, puis ayant pris les vê- 
tements qu'elle avait coutume de porter, il s'éten- 
dit dans son lit. 

Un instant après, voici venir le petit chaperon 
rouge tout étonné et inquiet de trouver la porte ou- 
verte, car il savait avec quel soin sa grand'mère 
la fermait. 

Le loup avait mis un grand bonnet sur sa tête, 
et l'on ne voyait qu'une partie de sa figure, mais 
ce qu'on en voyait était assez effrayant. 



46 L* ARBRE DE NOÉL. 

« Ail I grand'mère, dit le petit chaperon rouge, 
pourquoi as-tu de si grandes oreilles ? 

— C'est pour mieux ^entendre, mon enfant. 

— Âh I grand'mère, pourquoi as-tu de si grands 
yeux? 

— C'est pour mieux te voir. 

— Ah I grand'mère, pourquoi as-tu de si grands 
bras? 

C'est pour mieux t'embrasser. 
— Ah ! grand'mère, pourquoi as-tu une si grande 
bouche, et de si longue&dents? 

— C'est pour mieux te croquer. » 

Aces mots, le loup se jeta sur le chaperon rouge 
et l'avala. 

Comme il était alors pleinement rassasié, il s'en- 
dormit, et, dans son sommeil, il ronflait d'une fa- 
çon formidable. Un chasseur passant par hasard 
près de la maisonnette et entendant ce ronflement 
extraordinaire se dit : « La pauvre vieille a peut- 
être le cauchemar, peut-être est-elle bien malade, 
il faut que je voie si je puis l'assister quelque peu.» 

Il entre et découvre le loup étendu dans le lit : 
c Ah I mon gaillard, dit-il, voilà longtemps que je 
te cherche. » 

Puis il arma son fusil, mais soudain se ravisant : 
ce Non, non, dit-il, je ne vois pas la maîtresse du 
logis. Peut-être le monstre l'a-t-il engloutie toute 
vivante. » Alors au lieu de lancer une balle à l'ani- 
mal sauvage, il prit un couteau de chasse, et lui 
ouvrit habilement le ventre. Aussitôt apparut le 



L ARBRE D£ NOËL. 47 

petit chaperon rouge qui sauta lestement par terre 
en s'écriant: «Ah ! le vilain endroit où j'étais ren- 
fermé. » La grandmère sortit aussi, bien contente 
de revoir le jour. 

Le loup continuait à dormir d'un profond som- 
meil, le chasseur lui mit deux grosses pierres dans 
le ventre, puis lui recousit la peau et se cacha 
avec la grand'mère et le petit chaperon rouge pour 
voir ce qui allait arriver. • 

Un instant après, le loup se réveilla tourmenté 
par la soif et se leva pour aller boire à Fétang. En 
marchant, il entendait les pierres s'entre-choquer 
dans son ventre et il n'y comprenait rien. Leur 
poids Tentraina dans Tétang et il se noya. 

Le chasseur le dépouilla de sa peau, et mangea 
la galette et but la bouteille de vin avec la bonne 
aïeule et sa pètite-âllé. La vieille femme se sentait 
toute ragaillardie, et le petit chaperon rouge pro- 
mettait bien de ne plus s'arrêter dans la forêt, 
quand sa mère le lui aurait défendu. 






LE PÉRIL DE LA FORTUNE 

Légende alsaciemie. 



Un soir, Notre-Seigneur Jésus-Christ, voyageant 
en Alsace, se trouva surpris par la nuit à l'entrée 
çl'un village* Il chercha d'ici de là une maison oîi 
il pourrait demander un refuge, mais déjà toutes • 
les portes étaient fermées, tous les feux éteints, 
tous les habitants endormis. Seulement à l'extré- 
mité d'une ruelle obscure, résonnait le bruit du 
fléau avec lequel on battait le blé, et là brillait une 
petite lumière. Notre-Seigneur se dirige de ce côté, 
arrive près d'une grange, frappe à la porte. Un 
paysan vient lui ouvrir: 

a Voulez-vous bien , lui dit le bon Jésus, m'ac- 
corder un gîte pour cette nuit? Vous n'aurez point 
à vous en repentir. » 



L'AHBHE DE NOËL. 49 

Puis il ajoute : 

« Tout le monde ici est déjà couché. Pourquoi 
doDC travaillez-vous si tard? 

— Hélas 1 répond le paysan, j'ai appris hier soir 
quej'allais être poursuivi par un impitoyable créan- 
cier, si je ne lui payais pas demain ce que je lui 
dois, et mes fils et moi nous nous sommes mis à 
battre le peu de blé que j'ai récolté pour le ven- 
dre au marché, et acquitter ma dette. Après cela, 
il ne nous restera plus rien, et je ne sais com- 
ment nous vivrons Thiver. Mais à la garde de 
Dieul » 

En prononçant ces paroles, le paysan essuyait 
la sueur de son front, et passait la main sur ses 
yeux pleins de larmes. 

Le Seigneur eut pitié de lui et lui dit : 

«Ne vous découragez pas, brave homme. En 
vous demandant l'hospitalité, je vous ai annoncé 
que vous ne vous repentiriez pas de me Tavoir ac- 
cordée. Je vais vous le prouver. » 

11 saisit la lampe suspendue à une des poutres 
de la grange et l'approcha d'une gerbe. 

« Que faites-vous? s'écrièrent avec effroi les tra- 
vailleurs, vous allez tout brûler. » 

Mai^, au même instant, de la paille qu'ils trem- 
blaient de voir s'enflammer, de chaque épi descen 
dit une pluie de grains prodigieuse. Les paysans, à 
la vue de ce miracle, tombèrent à genoux émer- 
veillés. 

« Parce que tu as été charitable, dit Jésus-Christ 

4 



50 . L'ARBRE DE NOËL, 

au paysan, parce que tu as reçu dans ta pauvreté 
l'étranger qai venait à toi comme un pauvre men- 
diant, tu seras récompensé. C'est le Seigneur qui 
est entré dans ta grange ; c'est le Seigneur qui 
t'enrichit. » 




A ces mots, il disparut. 

Et la pluie de grains ne cessa de tomber toute la 
nuit dans la grange et dans la cour, et le lende- 
main elle formait un monceau de blé aussi haut 
que l'église. 



L'ARBHË DE NOËL. 51 

Le paysan paya ses dettes, acheta des terres et 
bâtit une belle maison. Il était riche, et il devint 
orgueilleux, méchant, dur envers le pauvre monde. 
Lui et ses fils prirent des habitudes de luxe, se 
livrèrent à toutes sortes d'excès et de mauvaises 
habitudes, si bien qu'ils finirent par se ruiner, et 
comme ils avaient été si mauvais dans leur pro- 
spérité, ils ne trouvèrent aucune considération et 
aucun appui dans leur détresse. Un soir, le vieux 
paysan ayant bu outre mesure, entra dans sa grange, 
et se rappelant le miracle qui Tavait enrichi, s'ima- 
gina qu'il pourrait le reproduire. Il prit sa lampe, 
rapprocha d'une gerbe, mit le feu à cette gerbe, et 
sa maison et tout ce qui lui restait fut incendié, et 
il mourut dans la misère. 



1 



\ 



LES TROIS DONS DE L'ERMITE 

Conte allemand. 



Dans une petite bourgade vivait un honnête tail- 
leur qui avait trois fils. Uaîné s'appelait Georges; 
le second, Isidore; le troisième, Félix. Tous trois 
prirent différents métiers, et l'un après Tautre 
quittèrent la maison paternelle pour s'en aller 
selon la coutume finir leur apprentissage en tra- 
vaillant dans divers ateliers. D'abord Georges par- 
tit. Il était assez bon menuisier. Mais en vain le 
long de la route, dans les villes et les bourgs, il 
demandait de Touvrage. Nulle part il ne pouvait 
en obtenir, et sa petite bourse était bien près de 
s'épuiser, et il cheminait tristement lorsque tout à 
coup, au milieu d'une forêt, il vit devant lui un 
petit homme vieux, de bonne mine, qui lui dit ; 



L'ARBRE DE NOÉL. 53 

■ OÙ vas-tu, mon garçon. Il me semble qae ti> 
as des chagrins. Peux-tu me les conâerT 

— Voilà longtemps, répondit Georges, longtemps 
que je voyage sans pouvoir me procurer du travail. 
Je n'ai bientôt plus d'argent. C'est là ce qui m'in- 
quiète. 

— Quel est ton métier? 

— Je suis menuisier. 




— Ah I s'écria gaiement le vieillard, c'est bien 
mon affaire. Viens avec moi, je te donnerai de la 
besogne. Viens, je demeure dans cette forôt. Tu 
seras content de moi . « 

Georges accepta avec empressement cette invita- 
tion. Après avoir fait quelques centaines de pas, il 
arriva en face d'une belle maison entourée d'une 
ceinturede verts sapius. Le vieillardrintroduisitdans 
une chambre bien meublée et bien chauffée. Une 



54 L'ARBRE DE NOËL. 

bonne petite vieille qui était là assise derrière le 
poêle, se leva pour aider le jeune artisan à se dé- 
barrasser de son sac de voyage. Puis elle^ apporta 
sur la table du pain, du vin, des mets appétissants. 
Le vieillard invita le jeune menuisier à souper et 
causa amicalement avec lui toute la soirée. 

Le lendemain Georges se mit à la besogne. Il 
était actif et habile. Il aimait sa profession. Déplus 
il désirait complaire au solitaire de la forêt qui lui 
témoignait beaucoup dé bonté, et il se conduisait 
si sagement qu'on ne pouvait lui faire aucun re- 
proche. 

Au bout de quelques mois, le vieillard lui dit : 

a Mon brave garçon, je n*ai plus besoin de tes 
services, et je ne puis payer ton travail avec de 
Targent, mais je te ferai un présent qui vaudra 
mieux pour toi que Tor et l'argent. Prends cette 
petite table et emporte-la avec toi. Chaque fois que 
tu lui diras : « Petite table, couvre-toi, » à l'instant 
même, tu verras apparaître devant toi tout ce ([ui 
est nécessaire pour faire un bon repas. Et mainte- 
nant, adieu. N'oublie pas le vieil ermite de la 
forêt. » 

Georges quitta à regret cette maison où il avait 
passé de si heureux jours. Cependant il se réjouis- 
sait de posséder sa table magique, et il se mit en 
route pour retourner dans son pays. Pendant son 
voyage, chaque fois qu'il avait faim, il prononçait 
les paroles que le vieillard lui avait enseignées. 
Aussitôt la table se couvrait d'une belle nappe 



L'ARBRE DE NOËL. 55 

blaocbe, et sur cette nappe il voyait apparaître 
cuillère, fourchette, coatean, pain délicat, vin for- 
tifiant et plusieurs mets exquis. U ue s'arrêtait 
dans les auberges que pour y coucher et n'avait é. 
payer que son lit. Un soir, à sa dernière station, 
il s'était, selon sa coutume, enfermé dans sa cham- 




bre pqur commander son souper. L'hfite l'obser- 
vait par le trou de la serrure, et voyant le prodige 
Opéré par le jeune artisan, il résolut d'en user pour 
sa propre fortune. Le lendemain matin, il prit si 
bien ses arrangements qu'il remplaça la table mer- 
veilleuse par une table pareille. 

Georges partit, sans se douter de cette trahison, 
et dès qu'il fut arrivé chez ses parents : 

> Ahl s'écria-t-il gaiement, désormais, vous 



56 L'ARBRE DE NOËL. 

n'aurez plus besoin de tant travailler, et vous n'au- 
rez plus à craindre la disette. Voici un meuble qui 
pourvoira à vos besoins. Tenez : regardez. Puis se 
tournant vers la petite table, il dit : « Petite table, 
couvre-toi.» Mais en vain; il répéta deux fois, trois 
fois, vivement, impérieusement ces paroles. La table 
qu'il avait apportée ne produisait rien. 

a Ah ! mon pauvre Georges, si c'est là tout ce 
que tu as gagné pendant le temps que tu as passé 
loin de nous, je te plains, et pour réparer le temps 
perdu, tu feras bien de te mettre ici activement à 
l'œuvre. » 

Georges baissa la tête tout confus. Il se rappe- 
lait bien pourtant les bons repas que sa table lui 
avait donnés, et il ne pouvait comprendre comment 
elle était devenue tout à coup stérile. 

Cependant son frère Isidore, le meunier, voulut 
aussi voyager. Il passa par la même forêt, et ren- 
contra le même petit vieillard qui le prit à son 
service, et l'employa pendant plusieurs mois 4ans 
un moulin qu'il venait de construire. Après, il lui 
dit: 

« Tu as très-bien travaillé, et tu as eu une con- 
duite parfaite. Pourtant il faut que je te congédie, 
car je n'ai plus besoin de tes services, et je ne puis 
te payer avec de l'argent, mais je tè ferai un pré- 
sent qui vaudra mieux pour toi que des sacs d'ar- 
gent. Prends cet ânon. Chaque l'ois que tu lui diras: 
a Bon ânon, secoue-toi, » il éternuera et fera tom- 
ber à tes pieds des ducats. » 



L'ARBRE DE NOEL. 57 

Isidore ât bien vite cet -essai. L'&non éteodit le 
col, éternua, et de belles pièces d'or toutes neuves 
roolèrent par terre. 




« Ahl quelle bénédiction, s'écria le jeune meu- 
Dier en les ramassant ; me voilà plus riche avec 
mon ânon que le seigneur de notre bourgade avec 
ses châteaux. > 

Par malheur, en retournant dans son pays, il 
s'arrêta dans l'auberge où son frère avait passé la 
nuit. Il se fit servir là un bon repas, et lorsque 
l'hôtelier lui présenta la note de sa dépense : 

• Attendez un instant, dit Isidore, je vais vous 
chercher de l'argent. » 

Il prit une serviette, s'en alla à l'écurie, étendit 
la serviette par terre et dit : 

" fioD ànon, secoue-toi. a 

Le perfide aubergiste l'observait par une fissure 
de la porte, et le lendemain matin, lorsque le jeune 
meunier partit, il emmenait bien un ânon, mais 
ce n'était pas celui que l'ermite de la forôt lui 
avait donné. Cdui-là, le méchant aubergiste l'avait 



58 L'ARBRE DE NOËL. 

pris. Isidore, qui ne se doutait point de cette fri- 
ponnerie, arriva tout joyeux chez ses parents, et 
leur dit : 

« Désormais, vous n'aurez plus besoin de travail- 
ler. Nous sommes riches, -^prodigieusement riches, 
regardez. » 

Puis, se tournant vers son ànon : 

« Mon bon ânon, dit-il, secoue-toi. » 

Mais vainement ; il répéta plusieurs fois ces pa- 
roles. L'ânon n'éternua pas et ne produisit pas le 
moindre ducat. 

Son père lui dit : 

« Ahl mon pauvre garçon, si tu n'as que cette 
chétive bête pour t'enrichir, je te conseille de te 
remettre au travail pour gagner ta vie. » 

Isidore suivit docilement ce conseil. 

L'année suivante, Félix, qui avait appris le mé- 
tier de tourneur, voulut aussi faire son voyage. Il 
suivit la même route que ses frères, entra dans la 
même forêt et rencontra le même vieillard, qui 
remmena dans sa maison. Le jeune ouvrier tra- 
vailla là bravement pendant plusieurs mois. Puis 
un jour l'ermite lui dit : 

c Tu es un laborieux et honnête garçon ; cepen- 
dant il faut que nous nous quittions ; je n'ai plus 
besoin de tes services, et je voudrais bien te faire 
un beau présent. Mais à quoi cela te servira-t-il si 
tu n'as pas plus d'esprit que tes frères ; ils n'ont 
pas su garder ce que je leur avais donné. Prends 
pourtant un sac dans lequel j'ai mis un bâton. 



L'ARBRE DE NOËL. 59 

Quand tu en auras besoin, tu n'auras qu'à crier : 
« A l'œuvre I le bâton. » Il te défendra, il frappera 
jusqu'à ce que tu lui dises : « rentre dans le sac. » 

Le tourneur remercia très-poliment le généreux 
ermite, et se mit en marche pour retourner dans 
la maison paternelle. Chemin faisant, il reconnut 
l'efficacité de son bâton chaque fois qu'il était 
harcelé par des gens de mauvaise mine, ou pour- 
suivi par des chiens. Un soir, il arriva dans l'au- 
berge où ses frères avaient été si indignement 
trahis et volés. Après avoir soupe, il dit à l'hôte- 
lier : 

« Je vous confie ce sac, gardez-le-moi en un en- 
droit sûr jusqu'à demain ; mais prenez garde de 
dire, en y portant la main : A l'œuvre ! le bâton, 
car vous le verriez agir d'une singulière façon. » 

Mais le rapace aubergiste qui avait dérobé la 
table du menuisier avec l'ânon du meunier, pen- 
sait que ce sac était encore un trésor magique, 
et voulait s'en emparer. Dès qu'il se trouva seul, 
il dit : « A l'œuvre I le bâton ! >• Aussitôt, voilà 
le dur, noueux, massif bâton qui s'élance sur lui 
et le frappe sur le dos, sur les épaules, à coups re- 
doublés. L'aubergiste veut le fuir et court en gé- 
missant d'un bout de la chambre à l'autre. Le bâ- 
ton le suit et le frappe encore plus fort. 

« Au secours I » s'écrie le malheureux tout meur- 
tri, et ne pouvant plus endurer son supplice. Le 
jeune ouvrier s'approche et lui dit : 

a Tu n'as que ce que tu mérites ; tu as volé la 



60 L'ARBRE DE NOËL. 

table d'un de mes frères, l'ânon de l'autre, tu 

aurais encore volé ce bâton si tu l'avais pu. 

— Grâce! grâce I s'écrie le larron tout trem- 
blaot, je n'eu puis plus, Je suis mort. Grâce I je te 
rendrai ce que j'ai enlevé à tes frères, mais déli- 
vre-moi de cette toiture. ■ 




Ainsi ftit fait. Félix remit le bâton dans le sac, 
prit la table et l'ânon magiques et rentra avec ces 
trésors dans la maison paternelle. On peut se figu- 
rer avec quelle joie il fut reçu. Les trois frères n'a- 
vaient plus envie de voyager. Ils restèrent avec 
leurs parents, et vécurent heureux. 



CHANT D'UNE MEBE PRES DU BERCEAU 
DE SON ENFANT 

Poésie finlandaise 



J'aime à chanter pour mon enfant; je cherche 
avec joie de douces paroles pour mon petit trésor. 
Faut-il lui répéter un chant de berceau, ou un 
chant de bergère que ma mère m*appre nait quand 
elle m'asseyait devant sa quenouille? Je n'étais pas 
alors plus haute que son rouet; je n'atteignais pas 
au genou de mon père. 

Mais pourquoi redirais-je les chansons de ma 
grand'mère ou celles de ma mère? J*en ai moi- 
même composé plusieurs. Sur chaque sentier j'ai 
trouvé un mot; sur chaque bruyère j'ai pensé à un 
sujet; j'ai pris mes vers sur chaque branche de la 
forêt; je les ai recueillis sur chaque buisson. 

La gelinotte est belle à voir sur la neige; l'é- 
cume de la mer est blanche sur le rivage. Plus 



62 L'ARBRE DE NOÈL. 

beau est mon petit garçon, plus blanc est mon pe- 
tit amour. 

Le Sommeil est à la porte et demande : N'y a-t-il 
pas ici un doux enfant au maillot, un joli gafçop 
dans son lit? 

Viens, heureux Sommeil, près de son berceau ; 
enlace Tenfant, assoupis ses paupières. 

Balançons, balançons le petit fruit des champs. 
Berçons la légère feuille des bois. C'est un enfant 
que je berce; c'est une couchette que je balance 

Mais, hélas! combien celle qui lui a donné le 
jour sait peu si Tenfant qu'elle berce ainsi sera 
sa joie dans Tavenir, son soutien dans la vieil- 
lesse I 

Non,> jamais, malheureuse mère, tu n'es sûre 
d'avoir un soutien dans l'enfant que tu élèves. 

Bientôt il sera loin. Il ira ailleurs avec ton espé- 
rance. Peut-être la mort s' emparera- t-elle promp- 
tement de luil Peut être sera-t-il soldat, exposé au 
tranchant du sabre, au feu du canon! Peut-être 
deviendra-t-il l'esclave des riches I 



LE SUCCÈS PAR LA PERSÉVÉRANCE 

Conte arabe. 



«Celui qui cherche trouvera, » dit un vieux pro- 
verbe arabe, « et à celui qui frappe, la porte sera 
ouverte. » Je veux voir par moi-même, dit un jour 
uti vaillant jeune homme, si cette maxime est 
vraie. 

Avec cette résolution, il part pour Bagdad et va 
se présenter devant le vizir. 

« Seigneur, lui dit-il, j'ai vécu plusieurs années 
d*une vie paisible et solitaire qui, par sa monoto- 
nie, me fatigue. Mon maître m'a plus d'une fois 
répété cet axiome : « Celui qui cherche trouvera, 
« et à celui qui frappe la porte sera ouverte. » J'ai 
pris une ferme décision. Je veux épouser la fille du 
calife. » 



04 l'arbre de NOËL. 

Le vizir congédia ce garçon, pensant qu'il était 
fou. 

Le lendemain il le vit revenir, et le surlende- 
main, toujours avec la même ferme volonté; et, un 
matin, le calife entendit lui-même Taudacieux 
jeune homme exprimer sa résolution. Surpris d'une 
si étrange idée, et désirant s'amuser, Sa Hautesse 
lui dit : 

«c Qu'un homme distingué par son rang, par son 
courage, par sa sagesse, songe à épouser une prin- 
cesse, cela peut paraître fort naturel. Mais vous, 
quels sont vos titres? Pour devenir le mari de ma 
fille, il faut que vous vous signaliez par quelque 
grande qualité ou par quelque étonnante entre- 
prise. Écoutez : j'ai perdu, il y a longtemps, dans le 
Tigre, une escarboucle d'une valeur inestimable. 
Celui qui la retrouvera aura la main de ma fille. » 

Le jeune homme, content de cette promesse, s'en 
va s'établir sur les bords du Tigre. Dès le matin, 
chaque jour, avec un petit vase, il puise de l'eau 
dans le fleuve, la verse sur le sable ; puis, après 
avoir fait ce travail pendant des heures entières, 
s'agenouille et prie. 

Les poissons, inquiets de sa persévérance et 
craignant qu'il ne parvînt à épuiser le fleuve^ se 
réunissent en conseil. 

« Quel est le but de cet homme? demande leur 
souverain. 

— C'est de retrouver une escarboucle qui est 
tombée dans le Tigre. 



L'ARBRE DE NOËL. 65 

— Alors, repond le vieux monarque, je vous 
conseille de la lui rendre, car je vois quelle est la 
persistance de sa volonté, et il épuiserait les der- 
nières gouttes de notre fleuve, plutôt que de re- 
noncer à son projet. » 

Les poissons jetèrent Tescarboucle dans le vase 
du jeune homme, et il épousa la fille du calife. 



p. 



LA JUSTICE DE CHARLEMAGNE 

Légende suisse. 



Quand Charlemagne était à Zurich, il lit annon- 
cer, dans la ville et les environs, qu'à l'heure de 
ses repas, tous ceux qui auraient une plainte à lui 
adresser ou un acte de justice à lui demander, 
n'auraient qu'à sonner une cloche suspendue à une 
colonne devant sa demeure, à Tinstant même ils 
seraient admis en sa présence. 

Un jour que le magnanime empereur était à ta- 
ble avec ses vaillants chevaliers, la cloche retentit 
d'une façon inaccoutumée. Charlemagne ordonne à 
ses valets de faire entrer le nouveau solliciteur. Ils 
reviennent annoncer qu'ils n'ont vu personne. Ce- 
pendant, la cloche retentit une seconde et une 
troisième fois encore plus fortement que la pre- 



L'ARBRE DE NOËL. 67 

mière, et l'on ne voit encore personne. Hais, en j 
regardant de plus près, un des valets dlstingae un 
serpent qui se suspendait au cordon de la cloche 
ponr la faire vibrer. En apprenant quel étrange 
pétitionnaire vient invoquer son secourt, Cliarle- 
magne se lève et s'avance sur le seuil de la porte, 
disant que, st l'occasion t'en présentait, 11 devait 
rendre Justice aux animaux tout aussi bien qu'aux 
hommes. En face de l'émiaent maître de tant i'&- 
tata et de tant de peuples, le chétif reptile a'inrline 




avec respect, puis le regarde d'un air suppliant, se 
met à ramper du côté du lac, et se retourne, après 
avoir pris cette direction, pour voir si l'empereur 
le suit. 

Le bon empereur le suit pas à pas. Arrivé près 
d'une cavité rocailleuse, le serpent s'arrête, et 



68 L'ARBRE DE NOËL, 

Charlemagne découvre la grotte humide où Fin- 
fortuné serpent avait enfanté ses petits. Cette grotte 
était occupée par un animal monstrueux. Charle- 
magne le fait tuer, et le serpent rentre avec un fré- 
missement de joie dans son gîte. Le lendemain, on 
le voit reparaître au palais, non plus cette fois 
pour implorer une équitable protection, mais pour 
témoigner sa gratitude à son bienfaiteur. Il se 
glisse dans la salle à manger, se lève à la hauteur 
de la table, et dépose dans la coupe impériale un 
diamant d'un éclat sans pareil. 



U GARNISON DE VILUGE 

Anecdote historique. 



Pendant la guerre de Trente ans, le comman- 
dant espagnol Gonzalve de Cordoue, se trouvant 
dans le Palatinat, crut devoir s'emparer du village 
d'Ogersheim défendu par une fortification. A son 
approche tous les habitants s'enfuirent à Mannheim. 
Il ne resta dans Tenceinte de leurs remparts qu*un 
pauvre berger nommé Fritz, avec sa femme malade 
et un enfant qu'elle venait de mettre au monde. 

Qu'on se figure l'angoisse de ce pauvre homme 
qui voyait arriver de terribles ennemis et ne pou- 
vait comme ses concitoyens se soustraire à leur 
cruauté. Mais il était fin et courageux, et il s'avisa 
d'un stratagème avec lequel il espérait conjurer le 
péril qui le menaçait. 



70 L*ARBR£ DE NOËL. 

Après avoir embrassé sa femme et son nouveau né 
il sortit pour mettre son projet à exécution, et dans 
les bagages abandonnés par les fugitifs, il trouva 
sans peine ce qu'il cherchait^ c'est-à-dire un cos- 
tume militaire complet. Il mit sur sa tète un cas- 
que énorme surmonté d'un haut plumet; à ses 
pieds, de larges bottes auxquelles étaient attachés de 
longs éperons ; à sa ceinture un grand sabre, et une 
paire de pistolets ; sur ses épaules un beau man- 
teau d'officier. 

Ainsi équipé, il s'avança sur les remparts au pied 
desquels était le héraut qui sommait le village de se 
rendre. 

a Ami, lui répondit le vaillant berger, dites, jevous 
prie, à votre général, que je n'ai nullement l'in- 
tention d'obtempérer à sa requête, mais que si je 
pouvais m'y décider, ce ne serait qu'à la condition: 
l"* que la garnison sortira de cette forteresse avecles 
honneurs de la guerre; 2« que la vie et la propriété 
des habitants seront respectés ; a"* qu'ils conserve- 
ront le libre exercice de leur religion. » 

Le héraut répliqua que les Espagnols ne pour- 
raient se soumettre à de tels arrangements, que la 
population d'Ogersheim n'était pas en état de se 
défendre, et que ce qu'elle avait de mieux à fabre, 
c'était de se rendre immédiatement. 

« Mon ami, reprit tranquillement le berger, ne 
soyez pas si vif. Dites, s'il vous plaît, à votre géné- 
ral, que le désir seul d'éviter reffusion du sang peut 
me déterminer à lui ouvrir les portes de cette ci- 



l'audrr de NOÉL. 71 

tadelle, mais que s*il n'accepte pas les conditions 
que je vous ai formulées, il n'entrera ici que par la 
force de Tépée, car je vous le jure sur ma foi d'hon- 
nête homme et de chrétien, la garnison vient de 
recevoir un renfort auquel certainement vous ne 
pensez pas. » 

En parlant ainsi, Fritz alluma sa pipe et se mit à 
fumer nonchalamment comme un homme qui n'a 
pas le moindre sujet d'inquiétude. Le parlemen 
taire déconcerté par cet air de hardiesse et d'insou- 
ciance, retourna près de son général et lui raconta 
son colloque avec le commandant d'Ogersheim. 
Après ce récit, Gonzalve pensa aussi qu'il pouvait 
« trouver là quelque résistance . Comme il ne se souciait 
pas de perdre son temps devant une méchante bi* 
coque, il résolut d'accepter les conditions qui lui 
étaient imposées, et s'avança avec ses troupes vers 
la porte de la forteresse. En apprenant par le hé- 
raut cette généreuse détermination, le berger lui 
répondit flegmatiquement ? « Votre maître est 
un homme sensé. > Puis il alla baisser le pont- 
levis, ouvrit la porte et invita les Espagnols à 
entrer. 

Surpris de ne voir devant lui que le rustique 
pâtre avec son accoutrement militaire qui lui don- 
nait une mine grotesque, Gonzalve craignit une tra- 
hison et demanda où était la garnison. 

« Si vous voulez bien me suivre, répondit Fritz, 
je vous la montrerai. 

—Marche à côté de moi, dit le général espagnol, 



78 L'ARBRE DE NOËL. 

et je te préviens qu'au moindre indice de perfidie, 
je t'envoye une balle dans la tête. 

— Très-bien, repartit le berger. Suivez-moi avec 
confiance. Je vous jure par tout de ce que j'ai de 
plus cher, que la garnison ne peut vous faire aucun 
mal. » 

U conduisit alors le général par plusieurs rues 
silencieuses et désertes, jusqu'au fond d'un carre- 
four et le fit entrer dans une chétive maison. Là, 
lui montrant sa femme : 

« Voilà, lui dit-il, la meilleure partie de notre 
garnison, et lui montrant son nouveau né, voilà 
notre dernier renfort. » 

Gonzalve voyant par quel singulier artifice ils'é- , 
tait laissé abuser, se mit à rire, puis détachant de 
son col une chaîne d'or qu'il posa sur le lit de la 
jeune mère, et tirant de sa poche une bourse pleine 
de ducats qu'il donna à Fritz : 

«Permettez-moi, dit-il, d'offrir comme un témoi- 
gnage de mon estime cette chaîne à la belle gar- 
nison, et à vous cette bourse pour votre jeune con- 
scrit. » 

Il embrassa ensuite la femme et l'enfant et sortit, 
Fritz le reconduisant à travers le village, et le re- 
merciant avec une profonde émotion. 



LA QUERELLE DIFFICILE 



Un doux ermite nommé Antoine, vivait dans une 
cellule solitaire avec un autre ermite d'une nature 
moins pacifique qu'on appelait Frédéric. 

Un matin Frédéric dit à son compagnon : 

« En vérité, nous avons ici une triste exis- 
tence. 

— Comment donc, répondit le bon Antoine. Ne 
devons-nous pas nous réjouir des grâces que le ciel 
nous a faites et de la quiétude qu'il nous conserve. 
Nos prières à l'aube, à midi et au crépuscule, notre 
petit champ à cultiver, quelques livres édifiants à 
étudier, quelques pauvres gens qui viennent de 
temps à autre nous confier leurs peines en nous ap- 
portant leurs offrandes et qui s'en retournent con- 
solés, la pensée que nous faisons ainsi un peu de 



74 L'ARBRE DE NOËL. 

bien, et l'espoir de faire aussi notre saint: que 
pouvons-nous désirer de mieux? 

— Cela est bel et bon, mais toujours la même 
chose, la même règle monotone, et la Journée est 
si longue ! Pour nous distraire uo peu, nous devrions 
nous disputer. 

— Nous disputer 1 grand Dieu! Et pourquoi? 
quelle raison de dispute peut-il y avoir entre 
nous t 

— On invente on prétexte qui n'a rien de sérieuï 
et qui fait un instant diversion à l'uniformité de 
nos habitudes. Tenez : par exemple, je prends cette 



■^^N 



-rA 



brique et je vous dis : cette brique est à moi; vous 
me répondez qu'elle n'est pas à moi. Je persiste 
dans mon opinion, vous défendez la vôtre et cela 
nous amuse. 



L'ARBRE DE NOËL. 75 

— Soit, dit tranquillement Antoine, si cela peut 
vous plaire, j'y consens. 

— Regardez cette brique, s'écrie alors Frédéric; 
elle est à moi. 

— Non, elle n'est pas à vous. 

— Elle est à moi, j'en suis sûr. 

— Si vous en êtes sûr, réplique le pacifique An- 
toine, je ne puis essayer de vous la contester; je 
vous l'abandonne. 9 



L'HISTOIRE DE GENDRILLON 



Gomme on la raconte en Allemagne. 



Un bon homme étant devenu veuf crut devoir se 
remarier. De son second mariage, il eut deux flUes 
qui n'étaient ni belles, ni spirituelles, mais très- 
orgueilleuses et très-envieuses. De son premier ma- 
riage, il en avait une qui était la plus douce, la 
plus gracieuse, la plus charmante créature du 
monde. Ses sœurs, jalouses d'elle, la traitaient 
cruellement. Sa mère la rudoyait aussi sans pitié, 
et son père n'osait la défendre. Elle faisait dans la 
maison l'office de servante, se levant tôt, se cou- 
chant tard, et tout le jour continuant la plus rude 
besogne, tandis que ses vilaines sœurs se paraient 
et allaient se promener. Lorsqu'elle avait fini sa 
tâche, souvent elle s'asseyait en silence dans les 



L'AHBRB DE NOËL. 77 

cendres du foyer. Ses sœurs pour se moquer d'elle 
l'appelaient Cendrillon. 

Un jour le père allant à la foire demanda à ses 
filles ce qu'il devait leur rapporter. L'une d'elles 
dit qu'elle voulait avoir de riches vêtements ; l'ay- 
tre, des perles ou des diamants. Quand vint le tour 
de Cendrillon, elle pria son père de lui rapporter 
une branche de coudrier. 

Au retour de son père, pendant que ses sœurs 




se pavanaient dans leurs nouvelles parures, Cen- 
drillon alla planter la branche de coudrier sur le 
tombeau de sa mère, chaque jour elle l'arrosait de 
ses larmes. La petite branche grandit rapidement, 
et lorsque la tendre jeune fille allait s'agenouiller 
sur la tombe de sa mère , un oiseau blanc venait 
se poser sur un des rameaux du coudrier et la re- 
gardait avec pitié. 



78 L'ARBRE DE NOËL. 

11 arriva que le roi donna une grande fête, à la- 
quelle il fît inviter toutes les jeunes fîUes du pays, 
pour que son fîls choisit parmi elles une fiancée. 
Ce jour^làf les sœurs de Cendrillon passèrent de 
longues heures à leur toilette. La douce Cendrillon 
les aida elle-même à s'habiller et de ses mains dé* 
Ficates natta leurs cheveux. Elle avait envie aussi^ 
la pauvrette, de voir ce bal du roi dont on parlait 
tant. Hais personne ne songeait à l'y conduire, et 
quand elle se hasarda à exprimer son désir, on se 
moqua impitoyablement d'elle; on lui demanda 
comment elle oserait se présenter dans le pa- 
lais du roi , n'ayant qu'une vieille robe grise, et 
point de souliers. Sa belles-mère prit une terrine 
pleine de lentilles , et les jetant dans les cen- 
dres : 

« Tiens, lui dit^elle, si dans deux heures tu peux 
retrouver et raiûaiMr totltof C#i lentilles, nous 
t'emmènerons aVdC tioUs fltl bal. » 

Cendrillon s'en alla au Jâfdiû^ et invoqua le se- 
cours de son ami l*oiseatl du coudrier et celui des 
autres oiseaux du voisinage. Aussitôt ils accouru- 
rent en battant deè ailes et se tnireot & l'œuvre^ et 
eil un instant ils avaient très^proprement tout 
remis dans la terrine 

Sa belle^mère» furieuse de vdil* cette tâche diffi^ 
elle si vite accomplie^ Versa dans les cendres deux 
terrines de millet et ordonna à sa belle-^SUe de re^ 
cueillir en deux heures tous ces grains menus. Les 
oiseaux se mirent encore à TœuVte et l'eurent 



l'arbre de NOËL. 79 

bientôt achevée. Mais la méchante belle-mère ne 
voulait pas tenir sa promesse. 

« Comment voulez-vous , dit-elle à Cendrillon, 
que je vous conduise au palais du roi? Vous êtes 
trop mal vêtue, et vous avez trop mauvaise façon<> 

A ces mots, elle partit avec ses deux filles cou- 
vertes de soie et de dentelles. Cendrillon alla s'as- 
seoir toute triste au pied du coudrier, et elle en- 
tendit la voix de son fidèle oiseau qui lui disait : 

Âhl cher enfant, dis-moi, 
Que feral-je pour toi ? 

Et Cendrjllon répondit : 

Si ce que je veux n'est pa» mal 
Je voudrais bien aller au bah 

Aussitôt dôi fftmeaus dd Vàfîiïe e\lê vit tomber 
une robe supefbe, des bas Ûn§f dni petits souliers 
en or. Elle s'habilla avec une joie d'enfant et se 
rendit au bal. Elle était si belle, si belle et si ad- 
mirablement parée qu'elle émerveilla totit le monde. 
Sa bellé-mêré et Sefi sœitfs ne la f edonfttireiit pafe. 
Le fils du roi ne dansa qu'avec elle, et lorsqu'elle 
se i*ëtirft, tl voulait là suivre, mais elle s'enfuit 
prestementj déposa sous le wudrler ses vêtements 
qui au même instant didp^ful-eut, puis elle alla 
reprendre sa place habituelle dans les cendres du 
foyer. 

Quelques jours après, hdtiVeâU bal dahs le {)alais 



80 l'arbre de NOËL. 

du roi, Gendrillon y alla, belle comme la première 
fois, et le prince fut uniquement occupé d'elle 
toute la soirée. A un troisième bal on la vit en- 
core, mais cette fois, en s'en allant, elle perdit un 
de ses petits souliers. Le prince le ramassa et 61 
annoncer par des hérauts au son des trompettes 
qu'il épouserait la personne qui pourrait mettre 




son pied dans cette chaussure eitraordinaire, et il 
partit pour s'en aller de maison en maison cher- 
cher ce phénomène. 

Il le chercha longtemps sans pouvoir le trouver. 
Toutes les jeunes filles auxquelles il présentait le 
petit soulier essayaient en vain d'y faire entrer leur 
pied. Les deux sœurs de Gendrillon firent aussi 
vainement le même effort. Le prince leur dit : 

« N'avez-vous pas une sœur? 



L'âRBHE de NOËL. 81 

— Oui, répondit la belle-mère, mais nous n'o- 
sons vous la présenter ; elle est trop sale. 

— Je désire pourtant la voir, » répliqua le 
prince. 

n fallut obéir. On appela Cendrillon, qui appa- 
rut, charmante malgré la grossièreté de ses vête- 
ments, et chaussa sans la moindre difficulté le mi- 
gnon soulier. 

< Ah ! s'écria le prince, c*est ma ravissante dan- 
seuse. C'est elle que j'épouserai. » 

Bientôt les noces furent célébrées pompeusement. 
Gendrillon se rendit à l'église avec une couronne 
d'or. Ses sœurs raccompagnaient avec une mon- 
strueuse pensée de haine et d'envie. L'oiseau du 
coudrier leur creva les yeux avec son bec. Ainsi 
elles furent punies de leur méchanceté. 



LE JOUEUR DE VIOLOH 



Jadis les habitants de Gniund, en Souabe, con- 
struisirent une magnifique église à sainte Cécile, 
patronne des musiciens. 

Des lis d'argent brillaient comme les rayons de 
la lune autour de la sainte; des roses d'or, comme 
la pourpre de l'aurore, décoraient son autel. 

Elle était revêtue d'une robe d'argent, et portait 
à ses pieds des souliers d'or fin; car alors, c'était 
encore le bon temps ; 

Le temps où, non-seulement dans la contrée al- 
lemande, mais au delà des mers, les joailliers de 
Gmund étaient renommés pour leur travail. 

Une quantité de pèlerins se rendaient à la cha- 
pelle de sainte Cécile, et là résonnaient des hym- 
nes mélodieux. 



L'ARBRE DE NOËL. 83 

Un jour arrive un pauvre joueur de violon, aux 
joues pâles, au corps amaigri. Il a longtemps mar- 
ché; il est las, et n'a dans sa besace ni pain, ni 
argent. 

Il entre dans Téglise et joue de son instrument. 
La sainte est émue de ses accords, touchée de sa 
misère. 

Elle fait un mouvement, elle s'incline, détache 
un de ses souliers d*or, et le jette dans les mains 
du pauvre ménétrier. 

Ivre de joie, il s'élance en chantant hors de Té- 
glise, et court chez un bijoutier pour y échanger 
son trésor contre des ducats. 

Mais, à peine l'orfèvre a-t-il vu le soulier, qu'il 
arrête comme un voleur l'innocent musicien et le 
conduit devant le juge. 

Le procès est bientôt achevé. Le crime est évi- 
dent. Le coupable est condamné à mort. 

La cloche des trépassés résonne, et un nombreux 
cortège se met en marche. On entend retentir les 
chants funèbres des moines, et par-dessus tout le 
violon du condamné. 

Car il a demandé comme une dernière grâce à 
garder son violon et à le faire vibrer jusqu'au der- 
nier moment. 

Et lorsqu'on arriva devant la chapelle de sainte 
Cécile : 

«Laissez-moi entrer là encore une fois, dit-il; 
laissez-moi jouer ma dernière mélodie. » 

Sa prière est exaucée. Il entre, il se prosterne 



Sk L'ARBRK D£ noél. 

au pied de Tautel, et d une main tremblante fait 
mouvoir son archet. 

La sainte, émue de sa douleur, sincline, détache 
son autre soulier d'or, et le jette dans les mains du 
pauvre musicien. 

Une foule nombreuse assiste à ce miracle, et 
chacun voit comme la sainte protège les musiciens 
du peuple. 

On entoure l'artiste ambulant, on le couronne 
de fleurs ; on le conduit en triomphe à Thôtel de 
ville, et les magistrats lui font servir un banquet 
solennel. 



LA CREATION DE L'HOMME 

Légende des Peaux-Rouges de FÂmérique du nord. 



Le Grand-Esprit s'étant placé sur un point élevé, 
prit de la terre entre ses doigts, la sécha, puis 
souffla dessus, et devant lui apparut l'homme 
blanc. 

Le Grand-Esprit fut attristé, car il n*avait pas 
fait ce qu*il voulait faire. L'homme était blanc et 
paraissait faible et maladif. Le Grand-Esprit lui dit : 

« Tu n'es pas ce que je désire, je pourrais te 
faire rentrer dans la poussière d'où je t'ai arraché. 
Mais je te laisse la vie. Mets-toi un peu de côté. » 

Ayant ainsi parlé , il prend encore de la terre 
entre ses doigts, la sèche, puis souffle dessus, et 
devant lui apparaît l'homme noir. 

Le Grand-Esprit fut attristé. Cet homme était 



86 I^'ARBRE DE NOËL. 

noir et laid. Il lui dit de se mettre aussi de côté, 
prit encore de la terre, souffla dessus, et cette fois 
apparut l'homme rouge. Le Grand-Esprit alors sou- 
rit, et en ce moment le ciel s'ouvrit et on en vît 
descendre graduellement jusqu'à terre trois boites. 
Le Grand-Esprit se tournant vers les hommes 

m 

qu'il venait de créer, leur dit : 

« C'est à moi que vous devez tous trois la vie ; 
mais l'homme rouge est seul mon favori. Cepen- 
dant chacun de vous doit avoir sa place et sa tâche 
particulière en ce monde. Ces trois boîtes renfer- 
ment les ustensiles que vous employerez à vous 
procurer votre subsistance. Homme blanc, tu n'es 
pas mon favori, mais c'est toi que j'ai formé le 
premier; ouvre ces boîtes, et choisis. » 

L'homme blanc fit ce qui lui était commandé, et 
B'écria : 

« Je prends celle-d. » 

Elle était remplie de papiers, de plumes et de 
divers autres petits objets. 

<c Homme noir, dit le Grand-Esprit, tu as été créé 
le second, mais tu n'auras dans ce monde que le 
troisième rang. » 

Puis se tournant vers l'homme rouge : 

a Regarde, lui dit-il avec un affectueux sourire, 
et choisis. 

— Je prends cette botte, » répliqua l'homme 
rouge. 

Elle était remplie d'arcs, de flèches et de divers 
ustensiles de chasse et de ^erre. 



L'ARBRE DE NOËL. %X 

La troisième boite abandonnée au nègre renfer- 
mait des haches et des boyaux, ce qui faisait voir 
que rhomme noir devait travailler pour Thommc 
blanc et pour Thomme rouge. 



U CHANSON DU GAZON 

Poésie américaine. 



Je vais croissant, croissant partout, sur les bords 
de la route poudreuse, sur les flancs de la colline, 
sur les rives du ruisseau bruyant, sous les rameaux 
des bois. 

Je vais croissant partout, partout autour de la 
porte ouverte où s'assoit le pauvre vieillard, où 
les enfants s'amusent, par un beau jour de mai. 

Je vais croissant, croissant partout dans les rues 
de la tumultueuse cité, récréant, par ma verdure, 
les regards du malade et ceux du laborieux ar* 
tisan. 

Je vais croissant, croissant partout. Vous ne me 
voyez pas venir; vous n'entendez pas ma voix lé- 
gère; je m'avance dans Tombre des nuits et à la 
lueur de Taube. 



l'arbre de NOËL. 89 

Je vais croissant, croissant partout dans les 
riantes heures de l'été. La génisse me préfère aux 
fleurs, et l'oiseau est content de me voir. 

Je vais croissant, croissant partout. Sur le sol où 
reposent les morts, je grandis en silence, je décore 
au printemps leurs fosses humides, leur étroite et 
muette demeure. 

Je vais croissant, croissant partout. Je chante 
les louanges de Dieu qui me fit naître, qui m'or- 
donna de parer la terre et de croître partout, par- 
tout. 



LE ROI DES MÉTAUX 



n y avait une fois une veuve nommée Marie- 
Jeanne, qui avait une fille très-belle nommée Flora. 
La veuve était une humble brave femme ; la fille 
au contraire très-hautaine. Beaucoup de jeunes 
gens s'étaient présentés pour l'épouser. Aucun ne 
lui convenait, et plus le nombre de ses prétendants 
s'accroissait, plus elle montrait de dédain. 

Une nuit la mère s'étant réveillée et ne pouvant 
se rendormir prit son rosaire et se mit à prier pour 
sa fille dont Torgueil l'inquiétait. Flora était cou- 
chée près d'elle et souriait dans son sommeil. 

Le lendemain Mariç-Jeanne lui dit : 

« Quel beau rêve as-tu donc eu qui te faisait rire 
dans ton sommeil? 

— J'ai rêvé qu'un seigneur me conduisait à l'é- 



l'arbre de NOËL. 91 

glise dans un carrosse en cuivre et me donnait un 
anneau entouré de petites pierres qui brillaient 
comme des étoiles, et lorsque j'entrais à l'église, 
les gens qui étaient là ne regardaient que la Mère 
de Dieu et moi. 

— Ah ! quel rêve orgueilleux 1 » s'écria la veuve 
en secouant la tète. 

Flora se mit à chanter. Ce jour-là mème« un jeune 
paysan d'un bon renom vint la demander en ma- 
riage. Ce prétendant plaisait à la mère, mais la fille 
lui dit : 

a Quand même tu viendrais me chercher avec 
un carrosse en cuivre, et quand tu me donnerais 
un anneau brillant Comme les étoiles, je ne vou- 
drais pas de toi. » 

La nuit suivante, de nouveau Marie- Jeanne s'é- 
veillant se mit à prier et vit Flora qui souriait dans 
son sommeil. 

« Quel rêve as-tu donc encore fait? lui dit-elle le 
lendemain. 

— J'ai rêvé qu'un seigneur venait me chercher 
avec un carrosse d'afgent et me donnait un ban- 
deau en or, et lorsque j'entrais dans Téglise, les 
assistants étaient plus occupés de moi que de la 
Mère de Dieu. 

-— pauvre enfant, s'écria Marie- Jeanne, quel rêve 
Impie ! Prie,priepour te préserver de la tentation.» 

Flora sortit pour ne pas entendre la remontrance 
de sa mère. 

« 

Ce jour-là un jeune gentilhomme vint la deman- 



92 l'arbre de NOÈL. 

der en mariage. La mère considérait cette propo- 
sition comme un grand honneur, mais Flora dit à 
ce nouveau prétendant : 

« Quand même vous viendriez me chercher avec 
un carrosse en argent et un bandeau en or, je ne 
voudrais pas de vous. 

— Malheureuse ! s'écria Marie-Jeanne, renonce à 
ton orgueil. L'orgueil conduit en enfer. » 

Flora se mit à rire. 

La troisième nuit, sa mère de nouveau s'éveil- 
lant, lui vit une expression de figure extraordinaire 
et de nouveau pria pour elle. 

Le lendemain sa fille lui dit : 

« J'ai rêvé qu'un seigneur venait me chercher 
avec un carrosse en or et me donnait une robe en 
or, et quand j'entrai à l'église, tous les assistants 
ne regardaient que moi. » 

La mère pleura amèrement. La fille s'enfuit pour 
ne pas voir ses pleurs. 

Ge jour-là, dans la cour de sa maison, on vit en- 
trer trois voitures ; l'une en cuivre, l'autre en ar- 
gent, la troisième en or. La première était attelée 
de deux chevaux ; la seconde, de quatre ; la troi- 
sième, de huit. De la première et de la seconde 
descendirent des pages avec des culottes rouges et 
des bonnets verts ; de la troisième descendit un 
beau seigneur dont les vêtements étaient d'or. Il 
demanda à épouser Flora. Aussitôt elle accepta et 
courut dans sa chambre pour se parer de la robe 
d'or qu'il lui avait apportée. 



L'ARBRE DE NOËL. 93 

La bonne Marie-Jeanne était pourtant inquiète» 
mais Flora avait la figure radieuse. Elle sortit de 
sa demeure sans demander la bénédiction mater- 
nelle, et entra d'un air superbe dans l'église. La 
mère resta sur le seuil priant et pleurant. 

Après la cérémonie, Flora monta avec son époux 
dans le carrosse en or, et ils partirent suivis de 
deux autres carrosses. 

Ils allèrent bien loin, bien loin, et enfin arrivè- 
rent à un rocher où il y avait une grande ouver- 
ture comme la porte d*une ville. Ils entrèrent par 
cette porte qui aussitôt se referma sur eux avec un 
bruit terrible, et ils se trouvèrent dans une pro- 
fonde obscurité. Flora avait peur, mais son mari 
lui dit: 

« Rassure-toi ; bientôt tu verras dés lumières. » 

En effet; de tous côtés apparurent avec leurs cu- 
lottes rouges et leurs bonnets verts ces petits nains 
qui habitent les cavités des montagnes. Us portaient 
des torches enflammées, et s'avançaient à la ren- 
contre de leur maître, le roi des métaux. 

Ils se rangèrent autour de lui et l'escortèrent à 
travers de longues vallées et de longues forêts sou- 
terraines. Mais, chose singulière, tous les arbres de 
ces forêts étaient en plomb. 

De là, le cortège arriva dans une magnifique prai- 
rie, au milieu de laquelle s'éleyait un château en 
or parsemé de diamants. 

« Voilà , dit le roi des métaux , votre do- 
maine » 



94 L'ARBRE DE NOËL. 

Et l*orgueilleuse Flora contempla avec joie toutes 
ces magnificencets. 

Cependant elle était fatiguée et avait faim. Les 
nains préparèrent le diner, et son mari la con- 
duisit à une table d'or. Mais tous les mets qui lui 
furent présentés étaient en métal. Flora n'ayant pu 
y goûter se trouva réduite à demander humble- 
ment un morceau de pain. Les valets aussitôt lui 
apportèrent du pain de cuivre, puis du pain d'ar- 
gent, enfin du pain d'or. Ni à l'un ni à Tautre elle 
ne pouvait mordre. 

« Je ne puis, lui dit son époux, vous donner la 
nourriture que vous souhaitez ; ici nous n'avons 
pas d'autre pain. » 

La jeune femme alors se mit à pleurer, et le roi 
lui dit : 

« Vos larmes ne changeront rien à votre desti- 
née; cette destinée, c'est voi^s-mème qui Tavcî 
voulue. » 

La malheureuse Flora fut obligée de rester dans 
sa demeure souterraine, souffrant de la faim par 
la passion qu'elle avait eue pour l'or. 

Une fois par an seulement, à Pâques, il lui est 
permis de monter pendant trois jours à la surface 
de la terre et alors elle s'en va dans les villages, 
quêtant de porte en porte un morceau de pain. 



LE PIEUX RâBBIN 

Légenâfi liébcgîque , 



Près de Damas, dans une pauvre maison de vil- 
lage, loin de ses frères, dans la retraite et dans le 
silence, vivait un vieux rabbin. Toute sa journée 
se passait à méditer sur les lois de Dieu, à se créer 
des pénitences, à slmposer des jeûnes, à chercher 
dans ses livres aimés les meilleurs enseignements 
religieux. Un jour, dans une page d*un de ses li- 
vres, il croit voir flamboyer le regard du Seigneur 
courroucé, et l'angoisse s'empare de son âme. 

La fête de Pâques approclie avec ses joies de prin- 
temps. Le pieux rabbin se hâte de mettre sur la 
table le pain bénit, attendant qu'un convive vienne 
le partager, car la loi dit : « Tu accompliras les 
devoirs d'hospitalité. » Mais personne ne vient^ Le 



96 L'ARBRE DE MOÉL. 

rabbin pleure, se frappe la poitrine, s'agenouille 
sur le seuil de sa porte, puis sort pour chercher 
lui-même le convive auquel il donnera la boisson 
et la nourriture. Tout 4 coup il aperçoit un pauvre 
vieux mendiant qui marche avec peine, courbé sur 
son bâton. Il s'approche de lui, le salue, lui donne 
le baiser de paix et Finvite à entrer-ëans sa de- 
meure. Là, il s'emprtesse de le servir^ il lui apporte 
de l'eau pour laver ses mains et ses pieds, puis 
il lui fait boire son meilleur vin et lui donne son 
propre lit. ^ 

Le lendemain le vieillard se prépare à partir en 
exprimant à son généraux hôte toute sa reconnais- 
sance. Le rabbin l'arrête et lui dit : 

^ Voyageur que le ciel m'envoie, sois assez bon 
pour passer encore un jour et une nuit dans nfa 
maison. » 

Le vieux mendiant qui a été là si bien traité se 
rend sans peine à cette prière. Mais au milieu de 
la nuit, le rabbin se lève, s'avance vers lui, armé 
d'un gros bâton noueux et le frappa à coups redou- 
blés. - - r 

« Barbare 1 s'écrie le pauvre vieillard tout meur- 
tri et tremblant, que t ai-je fait pour que tu rem- 
plisses ainsi envers moi les devoirs de l'hospitalité? 

— Pardon, pardon, » lui dit avec un accent d*hu- 
milité et de componction le rabbin, puis il lui baise 
les mains, et se met à panser ses blessures, et 
jour et nuit veille sur lui avec une touchante sol- 
licitude. 



L'ARBRE DE NOËL. 97 

Le vieillard étant, par tous ces bons soins, com- 
plètement guéri se dispose de nouveau à partir. De 
nouveau le rabbin lui dit : 

« Voyageur que le ciel m'envoie, sois assez bon 
pour passer encore un jour et une heyre dans ma 
maison. » 

La nuit suivante, de nouveau il se lève et s'ap- 
proche du lit du mendiant, non plus cette fois avec 
un bâton pour le meurtrir, mais avec une hache 
pour le tuer. Le vieillard cependant éveillé en sur- 
saut lui arrache des mains Tarme meurtrière, et 
lui dit ; 

« Quelle est donc ta folie ? Tu engages l'étran- 
ger à s'asseoir amicalement à ton foyer, puis tu le 
bats, puis tu veux le tueri » 

Le rabbin le regarde tout effaré et lui dit : 

a Écoute et pardonne. Ce que j'ai fait, c'était 
pour obéir au livre de la loi qui nous recommande 
trois devoirs principaux : pratiquer l'hospitalité , 
soigner les malades, ensevelir les morts. Tu entres 
dans ma demeure, et je remplis le devoir d'hospi- 
talité. Mais je n'avais pas de malade à soigner, et 
pour que tu fusses malade, je te frappai avec un 
lourd bâton. Je n'avais point de mort et je voulais 
te tuer. malheur, je sens que mon dernier jour 
est venuy et je n'ai pu remplir le dernier des troi» 
commandements. » 

A ces mots, il pâlit, s'affaisse et tombe. Un ange 

descend près de lui, délivre son âme des liens de 

ce monde, et s'écrie : ' 

î 



.1 Gouuecl^ 



Ôé L ARBRE DE NOÈL. 

« Mortels insensés, le Seigneur voas a écrit set 
saintes lots au fond du cœur et vous les chercher 
dans les livres obscurs. Vous courez après la lo- 
mière trompeuse de la terre et vous ne voyez pa& 
la himière céleste qui luit sur votre tète. > 




L^ÉGLISE DE FALSTER 



Il y avait autrefois à Falster, en Danemark, une 
feflïflie trèà-rièhe qnî, n'ayant ni fils, ni fille, flî ne- 
veu, ni nîèc^, résolut d'employer son riche héri- 
tage à tme (Èttyftë piense. Elle fit bâtir une magni- 
fique église. Ouand cet édifice! fut achevé, elle alla 
s'y agenotiîller, et , joignant les mains, pria Dieu 
de la faire Vivre aussi longtemps que les murailles 
de ce sanctuaire subsisteraient. La mort frappa 
autour d'elle ; la mort lui enleva successivement 
tous ses parents, ses amis. Elle vit tomber tous les 
gens de son âge ; elle vit les enfants grandir, vieil- 
lir et mourir. La pauvre femme, qui avait fait un 
vœu si imprudent, ne pouvait mourir. Mais elle 
veillissaît lentement, toute seule. Elle vieillissait 
de telle sorte, qu'elle finit par perdre complètement 



598530 A 



100 L'ARBRE DE NOÈL. 

l'usage de ses sens. Elle ne mangeait plus qu'une 
fois par an, à minuit, àU fôtede Noël. Alors, elle 
se ût mettre dans uii cercueil et porter à l'entrée 
dé la nef de son église. Elle est là toute l'année, im- 




mobile et muette. Mais le jour de Noôl elle recou- 
vre la parole. Le prêtre s'approche d'elle, et lente- 
ment, péniblement, elle se soulève dans son cercueil, 
pais elle dit : 



l'arbre de NOËL. • 101 

c Mon église subsiste-t-elle encore ? 

— Oui, répond le prêtre. 

— Hélas I » murmure-t-elle. 

Puis elle retombe en gémissant dans sa couche 
funèbre. _ ^ 









♦ 



SOUVENIR D'ENFANCE 

Poésie danoise^ par Baggesen. 



Il fut un temps où j'étais très-petit. Je n'avais 
pas trois pieds de hauteur. Lorsque je songe à ce 
temps de bonheur, mes larmes coulent, et j'y songe 
souvent. 

Je jouais dans les bras de ma mère ; je galopais 
à cheval sur les genoux de mon aïeul, et je ne con- 
naissais ni trouble, ni souci, ni tristesse, pas plus 
que l'argent, le grec ou Galathée. 

Il me semblait alors que notre monde était beau- 
coup moins grand, mais aussi beaucoup moins mé- 
chant. Je regardais les étoiles briller au-dessus de 
ma tète, et j'aurais voulu avoir des ailes pour al- 
ler les prendre. 

Je regardais la lune s'incliner au bord de l'eau, 



L'ARBRE DE NOEL. 103 

et je me disais : Que ne sHis-je là ! Je pourrais en 
mesurer la largeur et voir comme elle est ronde et 
beUe. 

Je regardais le soleil se coucher à l'occident, au 
sein des vagues dorées de la mer, et le matin se 
relever d'un autre côté pour éclairer le ciel. 

Et je pensais à un Dieu tout-puissant qui m'a 
créé, moi et ce beau soleil, et toutes ces planètes 
qui brillent d'un pôle à l'autre. 




Mes lèvre» d'enfant répétaient avec piétéla prière 
que m'avait apprise ma mère : « mon Dieu ! fus 
que je tâctie toujours d'être sage, d'être bon et de 
t'obéir. « 

Je priais pour mes parents, pour mes frères et 
sœurs, pour toute la ville, pour le rot, que je ne 
connaissais pas, et pour les mendiants que je voyais 
passer devant moi. 

ns ont fui, ils ont fui, les jours heureux de mon 



104 l'arbre de noél. 

enfance. Mon repos s'est enfui avec eux. Mainte- 
nant, il ne mé reste plus que le souvenir de ce 
temps de joie. Dieu, fais que je ne le perde ja- 
mais ! 



LA GATHÉDUALE DU ROI 



Il y avait une fois un roi qui voulut bâtir une 
magnifique église. En vertu d'une sentence formelle, 
pas un autre que lui ne pouvait contribuer à cette 
construction. Nul de ses sujets n'avait le droit d'y 
employer le moindre denier. L'édifice fut achevé, 
large, élevé, superbe.^ Le roi y fit graver, sur une 
tablette de marbre, une inscription en lettres d'or 
qui disait que lui seul avait accompli cette œuvre, 
et que nulle autre personne n.'y avait coopéré. Mais, 
dans la nuit, le nom du roi fut remplacé sur cette 
tablette par celui d une pauvre fenune du peuple. 
Le monarque fit refaire la première inscription, et 
la nuit suivante elle fut de nouveau changée. Une 
troisième fois le nom du roi y fut rétabli, et une • 
troisième fois on le vit remplacé par celui de la 
pauvre femme. Alors, le roi crut reconnaître en ce 



106 L'ARBRE DE NOËL. 

fait étrange le doigt de Dieu, et envoya chercher la 
pauvre femme. Elle s'avança devant lui, toute con- 
fuse et tremblante, 

« Tu sais, lui dit-il, que j'avais formellement dé 
fendu à qui que ce fût de contribuer à la construc- 
tion de mon église. Réponds-moi franchement. As 
tu enfreint mes ordres ? 

— Grâce I répondit-elle en tombant à genoux ; 
grâce ! puissant souverain, je vous confesserai la 
vérité. Je suis une chétive ouvrière, bien pauvre. 
En filant tout le jour, je gagne à peine mon pain 
quotidien. Cependant, je possédais un denier et 
j'aurais voulu l'offrir à l'église de Dieu. Mais je 
craignais de manquer à tes prescriptions. Alors, 
avec mon denier, j'ai acheté un peu de foin, jeTai 
jeté devant les bœufs qui charriaient les matériaux 
de la cathédrale, et les bœufs Font mangé. Voilà 
comment j'ai cru pouvoir faire mon offrande, sans 
faillir à ta volonté. » \f 

Le roi, ému de ces paroles, vit combien cette 
humble ouvrière avait fait, dans son indigence, 
une plus pieuse et plus généreuse offrande que lui^^_ 
Il se repentit de son orgueil, et récompensa libé- 
ralement la vertu de la pauvre femme. 



LA LÉGENDE DE LA BLUMISALPE 



EN SUISSE. 



II fut un temps où, sur cette montagne couverte 
maintenant de glaces éternelles, des essaims d'a- 
beilles produisaient un miel aromatique, où des 
vaches superbes, pais6a,Qt toqte Tannée dans de gras 
pâturages, remplissaient d'un lait onctueux les 
seaux de la fermière, où le laboureur obtenait par 
un faible travail d'abondantes récoltes. Mais les ha- 
bitants de cette terre féconde se laissèrent aveugler 
par l'éclat de leur fortune et égarer par l'orgueil, ce 
péché de Satan. Ils s'enivrèrent de la jouissance de 
leurs richesses ; ils oublièrent qu'à la possession 
des biens de ce monde est attaché un devoir, un 
ngoureux devoir d'hospitalité et de charité. Au lieu 
de faire un sage emploi de leurs trésors, ils ne 



108 l'arbre de NOËL, 

s'en servirent que pour se plonger dans une jndi- 
gne mollesse, ou dans des tourbillons de fêtes vo- 
luptueuses. Ils fermèrent leurs oreilles aux sup- 
plications des malheureux, chassèrent le pauvre du 
seuil de leurs demeures, et Dieu les punit. 

Un de ces mauvais riches s'était fait construire, 
sur les pentes verdoyantes de la Blumisalpe, une 
maison splendide, pour y demeurer avec d'indignes 
compagnons. Le lait le plus pur était versé chaque 
matin dans des baignoires, et les escaliers des ter^ 
rasses de ses jardins étaient faits, dit la légende, 
non pas avec des blocs de pierre, mais avec de bons 
et beaui fromages. Le Sardauapale des montagnes 
avait hérité de tous les domaines de son père, et, 




tandis qu'il en faisait un tel usage , sa vieille 
mère, reléguée au fond de la vallée, vivait daos la 



l'arbre de NOËL. 109 

La pauvre vieille ayantfroid, ayant faim, vient un 
jour invoquer sa pitié, et il la repousse rudement. 
Elle lui dit qu'elle est faible et ne peut plus tra- 
vailler, qu'elle est seule dans sa cabane, indigente 
sans secours, infirme sans appui. Elle le prie de 
lui accorder seulement les miettes de son festin, et 
un refuge dans ses étables, à côté de ses animaux, 
et il lui ordonne de se retirer. Elle lui montre ses 
joues ridées par la douleur plus encore que par 
l'âge, ses bras amaigris, ses bras qui Tout porté 
quand il était petit, et il la menace de la faire chas- 
ser par ses domestiques. 

Alors, elle s'éloigne, la malheureuse. Elle re- 
descend dans sa cabane. Si cruel que soit Toutrage 
qu'elle vient de subir, elle ne peut maudire le fils 
qu'elle a enfanté, qu'elle a nourri et bercé. Mais, tan- 
dis qu'elle chemine d'un pied débile, le front baissé, 
des sanglots, qu'elle ne peut contenir, s'échappent 
de son cœur oppressé, et des larmes amères cou- 
lent de ses yeux. Dieu compte les larmes de la mère 
outragée. 

A peine était- elle arrivée dans le vallon, que l'ou- 
ragan vengeur éclate. Le fils ignominieux voit son 
habitation frappée par la foudre, ses trésors, ses 
^ bestiaux consumés par les flammes. Lui-même ne 
peut échapper à ce feu du ciel. Il y périt avec ses 
honteux compagnons, et les champs, dont les pro- 
duits ne servaient qu'à solder ses débauches, sont 
couverts d'une masse de neige qui ne fondra plus, 
et à la place où sa mère implorait vainement sa 



110 l'arbre de NOËL. 

compassion, rébranlement du sol a creusé un 
abime, et là où sont tombées les larmes de cette 
mère désolée, on voit à présent tomber goutte à 
goutte les larmes froides des glaciers éternels. 



^ 



BLANCHE COMME NEIGE 



Il y avait une fois une reine qui se désolait de 
n'avoir pas d*enfants. Un jour d'hiver, elle travail- 
lait à une broderie attachée à un cadre d'ébène, et 
de temps à autre regardait les flocons de neige 
tombant sur le sol. Dans sa distraction, elle se pi- 
qua, et une goutte de sang jaillit de son doigt. 

« Ah I dit-elle, que je voudrais avoir une fille 
dont les lèvres seraient rouges comme ce sang, la 
peau blanche comme cette neige, les cheveux noirs 
comme ce bois d*ébène. » 

Quelque temps après, ses vœux étaient exaucés. 
lille devint mère d'une fille qui avait les lèvres rou- 
sses, les cheveux noirs, et le corps si blanc qu'on 
.'appela Blanche comme neige. L'heureuse mère 
ne jouit pas longtemps de son bonheur. Elle mou- 



112 l'arbre de NOËL. 

rut, et le roi se remaria avec une femme d'un 
rare beauté, et d'un orgueil non moins extraordi- 
naire. Elle était si ambitieuse qu'elle se considérait 
comme la plus admirable personne du monde. Quel- 
quefois elle s'enfermait dans sa chambre et se pla- 
çant devant un miroir magique, elle lui disait : 

mon miroir fidèle, 
Réponds-moi, réponds-moi, 
Quelle est la femme la plus belle ? 

Et le miroir répondait : 

C'est toi, c'est toi. 

Cependant Blanche comme neige grandissait, et 
de jour en jour devenait plus gracieuse et plus 
charmante. Elle n'avait encore que sept ans, et déjà 
personne ne pouvait la voir sans en être émer- 
veillé. Un jour, la fière reine s'asseyant de nou- 
veau devant son miroir lui dit : 

mon miroir fidèle, 
Réponds-moi, réponds-moi. 
Quelle est la femme la plus belle? 

Le miroir répondit : 

Ce n'est plus toi, ce n'est plus toi. 
Blanche de neige est la plus belle. 

A ces mots, l'orgueilleuse reine se sentit une 



L*AHBR£ DE NOËL. 113 

douleur au cœur comme s on l'avait frappée d'un 
coup de poignard, et en même temps conçut une 
haîDe mortelle pour l'innocente Blanche. Dans l'ar- 
deur de cette haine, elle ne pouvait plus ni jour ni 
nuit trouver aucun repos. Pour assouvir sa féroce 
passion, elle appela un de ses valets et lui dit : 
« II faut que Blanche périsse. Tu vas la conduire 
dans la forêt et tu la tueras, et pour me prouver 
que mes ordres sont ponctuellement exécutés, tu me 
rapporteras son foie et ses poumons. » 

Le domestique emmena Blanche dans les profon- 
deurs de la forêt et tira son couteau de chasse pour 
accomplir le crime qui lui était commandé. La 
douqe enfant pleurait et le suppliait d'avoir pitié 
d'elle disant qu'elle n'avait fait aucun mal, et qu'elle 
désirait tant vivre I 

Ses prières, ses regards émurent celui qui avait 
promis d'être son bourreau : « Non, dit-il, je ne 
puis verser le sang de cette innocente créature. Je 
l'abandonnerai dans ce bois. Si les bêtes sauvages 
la dévorent, ce sera le crime de la reine et non pas 
le mien. 3» 

Ainsi fut fait. Le domestique tua un chevreau, 
en détacha le foie et les poumons et les porta à la 
reine qui se dit avec un féroce orgueil : « Enfin, 
ma rivale est morte, etnuUe autre femme au monde 
n'est si belle que moi. » 

La pauvre Blanche de neige abandonnée dans la 
forêt n'était pas morte, mais bien inquiète et bien 
malheureuse. Pour la première fois de sa vie, elie 

8 



114 L'ARBRE DE NOËL. 

posait ses petits pieds sur de rudes cailloux; elle 
marchait à travers les épines qui déchiraient ses 
vêtements, et elle voyait des bétes sauvages. Mais 
ces animaux pe lui firent aucun mal. A son aspect, 
ils se retirèrent dans leurs repaires, et elle marcha 
tout le jour et traversa sept montagnes. 

Le soir, elle arriva près d'une toute' petite, toute 
petite maison. Elle était fatiguée ; elle avait faim 
et soif. Elle entra dans cette petite maison, où tout 
était très-propre et très-bien arrangé. Il y avait là 
une petite table, et sur cette petite table couverte 
d'une nappe blanche sans tache, sept petites as- 
siettes, sept petites fourchettes, sept petits cou^ 
teaux, sept petits verres, et le long du mur sept 
jolis petits lits. Blanche mangea quelque peu de ce 
qui était dans les assiettes, but une goutte de vin 
de chaque verre, puis se mit au lit dans un des sept 
petits lits, fit sa prière et s'endormit d'un bon som- 
meil. 

Quelques moments après, les maîtres du logis en- 
trèrent. C'étaient sept petits mineurs portant leur 
lampe à leur ceinture. Tout de suite, ils virent 
qu'on avait pénétré dans leur demeure. L'un d'eux 
dit: 

« Qui a pris un morceau de mon pain? > 

Et les autres successivement : 

« Qui a touché à ma fourchette ? 

— Qui a mangé de mes légumes? 

— Qui a bu de mon vin ? » 
£t enfin l'un deux dit : 



L'ARBRE DE NOËL. 116 

» Regardez qui repose dans mon lit. » 
Tous alors ae réunirent devant le petit lit où Blan- 
:ihe dormait. A la lueur de leurs lampes, ils regar- 
daient dans une muette surprise la douce enfant, 
puis ils s'éloignèrent sans faire le moindre bruit 
pour ne pas troubler son sommeil. 
Le lendemain malin, en s'éveillant, Blanche de 




neige fut un peu effrayée, lorsqu'elle vit prfis d'elle 
ces sept nains des mont^nes. Mais ils lui dirent 



116 ' L*ARBRE DE NOËL. 

doucement qu'elle n'avait rien à craindre, et lui 
demandèrent d* où elle venait et comment elle s'ap- 
pelait. Elle leur raconta sa triste histoire, et les 
nains lui dirent : 

« Yeux-tu rester avec nous et prendre soin de 
notre ménage? 

— Très-volontiers, »dit Blanche, complètement 
rassurée par leurs bons regards et leurs amicales 
paroles. 

Elle se mit aussitôt à la besogne, et la continua 
régulièrement chaque jour. Elle nettoyait les meu- 
bles, préparait les repas. Les nains allaient travail- 
ler dans les mines d'or et de diamants des monta- 
gnes, et à leur retour trouvaient tout en ordre. 

Pendant ce temps, la méchante reine se réjouis- 
sait de songer qu'elle n'avait plus à craindre au- 
cune rivale. Un jour, elle se remit devant son mi- 
roir, et lui dit : 

mon miroir fidèle. 
Ne suis-je pas à présent la plus belle? 
Réponds- moi, réponds-moi. 

Et le miroir répondit : 

Oui, dans te^ grands palais, tes châteaux, tes campagnes; 
Mais Blanche est sur les sept montagnes. 
Et Blanche est plus belle que toi. 

A cette réponse, Torgueilleuse femme se sentit 
de nouveau le cœur déchiré, et de nouveau, elle 



L'ARBRE DE NOÉL. 117 

résolut de faire périr l'innocente Blanche. Mais 
comment ? Nuit et jour elle cherchait un moyen 
d'accomplir son sinistre projet. Un matin elle par- 
tit, ayant posé, pour qu'on ne la reconnût pas, de 
faux cheveux sur son front et un emplâtre sur son 
visage. Elle partit vêtue d'une robe grossière et 
portant à la main, comme ufae marchande ambu- 
lante, un panier où elle avait mis divers objets de 
fantaisie. Elle s'en alla sur les sept montagnes et 
frappa à la porte de la maisonnette en criant : Ache- 
tez, achetez de jolis bijoux. 

Les nains avaient bien recommandé à Blanche 
de se défier de toute figure étrangère. Ils crai- 
gnaient les émissaires de la reine, et la jeune fille 
leur avait promis d'être très-prudente. Mais lors- 
qu'elle vit les belles choses que la marchande avait 
dans son panier, elle oubli a ses promesses. « Voyez 
cette chaîne d'or et ce bracelet, » disait la perfide 
marchande. « Voyez ce charmant collier. Voulez- 
vous l'essayer. Je vais moi-même vous l'agrafer 
sur le col. » Blanche la laissa faire, et l'horrible 
mégère l'étrangla : « Voilà, dit-elle, en la regar- 
dant tomber par terre, voilà pour te punir de ta 
beauté. » Puis elle s'éloigna. 

Quand les nains revinrent, ils trouvèrent la pau- 
vre Blanche étendue par terre, complètement ina- 
nimée. Ils se hâtèrent de briser son fatal collier, 
puis ils lui versèrent sur les lèvres quelques gout- 
tes d'une liqueur d'or. Blanche commença à^respi- 
rer, puis peu à peu revint à la vie et raconta à ses 



118 L'ARBRE DE NOËL. 

généreux hôtes ce qui lui était arrivé. « Sois sûre, 
lui dirent- ils, que cette vieille marchande n'était 
autre que Ion ennemie, la reine. Prends garde et 
ne laisse entrer ici personne en notre absence. » 

£n rentrant dans son palais, toute réjouie do son 
aÇreuse expédition, la reine se mit devant son mi- 
roir et dit : 

mon miroir fidèle, 
Ne suis-je pas à présent la plus belle ? 
Réponds-moi, réponds-moi. 

Et le miroir répondit : 

Oui, dans tes grands palais, tes châteaux, tes campagnes; 
Mais Blanche est sur les sept montagnes^ 
Et Blanche est plus belle que toi. 

Voilà l'implacable reine furieuse encore et réso- 
lue à faire une autre tentative pour anéantir la 
douce Blanche. Nuit et jour elle y songeait. De nou- 
veau elle se déguisa, et de nouveau se mit en route 
vêtue comme une marchande étrangère, et portant 
dans un panier divers objets de luxe. Elle arrive 
sur les sept montagnes. Elle frappe à la porte de 
la maisonnette : 

a Achetez, achetez, dit-elle, des bijoux char- 
mants. » 

Blanche la regarde par la fenêtre et lui répond : 

a Retirez-vous; je ne dois laisser entrer ici per- 
sonne. 



L*ARBRE DE NOËL. 119 

— Tant pis pour vous, réplique la scélérate; 
voyez ce peigne en or. Y en a-t-il nulle part un pa-» 
reil. » 

Blanche ne put résister au désir de posséder cette 
parure. Elle ouvrit la porte. 

« Laissez-moi, ma belle enfant, lui dit la mar- 
chande, vous coiffer comme vous devez l'être. » 

En prononçant ces mots, elle enfonça dans la 
chevelure de Blanche le peigne qui était empoi- 
sonné, et Blanche aussitôt tomba morte. 

Le soir, en rentrant au logis, les nains la trou- 
vèrent pâle et froide sur le sol. Ils se hâtèrent de 
lui enlever le peigne empoisonné, puis la ravivè- 
rent avec leur élixir et rengagèrent à être plus 
prudente. 

La cruelle reine, pendant ce temps, s'en re- 
tournait toute joyeuse dans son palais. Dès 
qu'elle y fut arrivée, elle se mit devant sa glace 
et dit : 

» 
mon miroir fidèle, 

Ne suis-je pas à présent la plus belle? 

Réponds-moi, réponds -moi. 

Et le miroir répondit : 

Oui, dans tes grands palais, tes châteaux, tes campagnes; 
Mais Blanche est sur les sept montagnes. 
Et Blanche est plus belle que toi. 

« Ah ! s'écria la reine dans un accès de rage. 11 



120 L'ARBRE DE NOËL. 

faut qu'elle meure, dussé-je pour lui enlever la vie 
sacrifier la mienne. » 

Elle prit des vêtements de paysanne, et se mit en 
route avec un panier plein de pommes. Parmi ces 
pommes, il y en avait une adroitement empoison- 
née d'un seul côté. Elle alla frapper à la maison- 
nette en criant : 

« Achetez, achetez des fruits excellents. 

— Retirez-vous, dit Blanche en la regardant par 
la fenêtre ; je ne puis laisser entrer ici personne, et 
ne puis rien acheter. 

— Très-bien, répliqua la fausse paysanne; je ne 
suis pas embarrassée pour vendre ces délicieuses 
pommes. Mais, comme vous avez un visage si doux, 
tenez, je vous en donne une pour rien. 

— Non, merci. Je ne puis l'accepter. 

— Pensez- vous qu'elle soit empoisonnée. Voyez, 
je vais en manger un morceau. Âhl que c'est bon. 
Jamais vous n'avez rien mangé de pareil. » 

En parlant ainsi, la traîtresse mordait le côté de 
la pomme non empoisonné. Blanche se laissa ten- 
ter, prit le fruit appétissant, le porta à ses lèvres 
et aussitôt tomba morte. 

«Voilà pour te punir de ton extravagante beauté, » 
dit la reine en retournant dans sa demeure. Dès 
qu'elle y fut entrée, elle se plaça devant sa glace 
et dit : 

mon miroir fidèle, 

Réponds-moi, réponds moi, ; 

Quelle est la femme la plus belle? 



L'ARBH£ DE NOËL. 121 

Et le miroir répondit : 

C'est toi, c'est toi. 

« Enfin, s'écria-t-elley c'en est donc fait de mon 
odieuse rivale. » 

Mais les nains étaient désolés. En vain ils avaient 
essayé de raviver Blanche avec leur liqueur d'or, 
et avec d'autres élixirs encore plus puissants. Blan- 
che restait froide et inanimée. Ils la pleurèrent 
pendant trois jours, et les oiseaux de la forêt la 
pleurèrent aussi. Pourtant les bons petits nains ne 
pouvaient croire qu'elle fût réellement morte, et à 
la vohr avec son visage si calme, ses joues si fraî- 
ches, on devait penser plutôt qu'elle dormait. Ils 
ne voulurent point l'enterrer. Ils la mirent dans un 
cercueil en verre sur lequel ils écrivirent : Ici, re- 
pose une fille de roi ; ils placèrent ce cercueil sur 
une des sept montagnes, et l'un d'eux devait le 
garder constamment. Blanche resta pendant plu- 
sieurs années sans qu'on remarquât sur sa figure 
la moindre altération. Ses longs cheveux étaient 
toujours aussi noirs, ses paupières aussi blanches,-* 
ses lèvres aussi roses. 

Un jour, un beau jeune homme, le fils d'un roi, 
s'étant égaré à la chasse à travers les sept monta - 
gnes, vit le cercueil, et pria les nains de le lui cé- 
der, à quelque prix que ce fût. 

a Nous avons, lui dirent-ils, une quantité de mé- 
taux précieux. Pour tout l'or du monde nous ne 
voudrions vendre ce cercueil qui est notre trésor. 



1 



122 L'ARBRE DE NOËL. 

— Eh bien, dit le jeune prince, donnez -le-naoi. 
Je ne puis désormais vivre sans voir cette pure eL 
douce figure. Je la ferai placer dans la plus belle 
chambre de mon palais, et je la vénérerai. Accor- 
dez-moi la grâce que je vous demande. » 

Les nains, émus de ses accents de cœur, se ren- 
dirent à sa prière. Quatre hommes aussitôt prirent 
le cercueil pour le porter dans le palais du roi. 
L'un d'eux, en trébuchant sur une racine, imprima 
au cercueil une secousse qui fît tomber le morceau 
de pomme empoisonné que Blanche n'avait point 
avalé, mais qui lui était resté dans la bouche* Aus- 
sitôt elle ouvrit les yeux. Elle était ressuscitée. Le 
jeune prince Temmena dans son château et Tépousa. 
Ses noces se célébrèrent en grande pompe. Le 
prince y invita des souverains et des souveraines 
de différents pays, entre autres la méchante reine 
Quand elle eut fait une toilette superbe, pour cap* 
tiver tous les regards à cette royale cérémonie, 
elle se mit devant sa glace et dit : 

mon miroir fidèle, 
Réponds-moi, réponds-moi, 
Quelle est la femme la plus belle? 

Le miroir répondit : 

Blanche est plus belle que toi. 

Aces mots, la reine cruelle frémit, pâlit, trembla. 
Ses crimes devaient être connus. En se rappe- 



L'AHBRE de NOlL. 123 

lant les ordres qu'elle avait donnés à son domes- 
tique pour égorger Blanche, et ses tentatives sur 
les sept montagnes, elle se sentit saisie d'un tel 
effroi qu'elle en mourut. 



Hais Blanche vécut longtemps aimée, honorée, 

et dans son heureux palais de reine n'oublia pas 
les nains ijui avaient été ses bienfaiteurs. 



LE MOINE ET L'OISEAU 



Dans un cloître vivait un jeune moine très-pieux 
et très-studieux, nommé Urbain. La bibliothèque du 
couvent lui était confiée. Il en gardait avec soin les 
trésors, et lisait beaucoup de bons livres. Il en com- 
posait même quelques-uns. Un jour il s'arrêta à 
un passage de saint Paul : « Devant Dieu, mille ans 
sont comme un jour ou comme une veillée noc- 
turne. » Il ne pouvait croire à la justesse de cette 
sentence, et gravement et longtemps il y réfléchit. 
Comme il se promenait un matin dans le jardin, il 
aperçut un joli petit oiseau, qui tantôt sautillait 
par terre, tantôt s'élançait sur un arbre et volti- 
geait de ci, de là, et chantait coinme un rossignol. 
Entraîné par la suavité de cette musique, Urbain 
suivit le petit oiseau d'abord dans la prairie, ensuite 



L'ARBRE DE NOËL. 126 

sur la colline, puis dans la forêt, et eDân se décida 
à retourner vers son couvent. Mais quelle surprise 




pour lui lorsqu'il le reviti En quelques instants 
quels prodigieux changements I Le jardin était 
agrandi ; le monastère était aussi plus large et au- 
dessus de ses épaisses murailles s'élevait un ma- 
gniûque clocher. 
Urbain s'avance, stupéfait d'une si rapide trans-' 



1S6 L'AHBRE de NOËL, 

formation. Il sonne et le portier qui lui ouvre la 
porte lui est totalement incounu. U entre danti le 
cimetière, il y voit des tombes qu'il n'a jamais 
vues, et des noms qu'il n'a jamais connus. Les re- 
ligieux se rassemblent autour de lui, il les regarde 
avec étonnement, car il n'en reconnut pas un, et 
tous le regardent de même et se demandent quel 
est ce vieillard extraordinaire. U porte le vêtement 



'-^ /^l 




de leur ordre. Mais sa figure a un caractère 
étrange ; de longs cheveux blancs tombent sur son 
capuchon, et une barbe blanche descend jusqu'àsa 



l'arbre de NOËL 127 

ceinture à laquelle est encore suspendue sa clef de 
bibliothécaire. On le conduit près de Tabbé qui lui 
demande comment il s'appelle, qui il est, d*où il 
vient. Urbain est tout surpris de cet interrogatoire, 
et surprend également Tabbé par ses réponses. 

Enfin, un religieux se rappela avoir remarqué 
dans une ancienne chronique du monastère, un fait 
singulier auquel se liait le nom d'Urbain. On ouvre 
cette chronique et on y lit, qu'un jour un jeune 
moine, appelé Urbain, qui remplissait les fonctions 
de bibliothécaire, avait disparu tout à coup et que 
jamais personne n'avait pu découvrir ce qu'il était 
devenu. 

Depuis ce jour-là, trois cents ans s'étaient écou- 
lés. Le bon Urbain qui croyait n'avoir suivi que 
quelques instants le mélodieux oiseau était resté 
trois cents ans à l'écouter. 

Alors il comprit comment les milliers et les mil 
liers d'années s'écoulent devant Dieu comme des 
minutes dans le cercle sans fin de l'éternité. 



CHRISTOPHE LE MALIN 

Conte iriaadais. 



Christophe est le fils d'une veuve qui occupe une 
petite ferme, bon garçon, mais un peu simple. Les 
gens de son village l'appellent par dérision : Chris- 
tophe le malin. Un jour sa mère Tenvoie à la foire 
acheter une faux. £n s'en revenant il se met à 
faire tournoyer cette faux si maladroitement qu'elle 
lui échappe des mains, tombe sur un agneau et le 
tue. 

a Sot garçon que tu es, lui dit sa mère, pour évi- 
ter tout accident, il fallait mettre cette faux dans 
une des voitures de paille ou de foin que nos voi- 
sins ramènent au village. 

— Pardonnez-moi, répond humblement Christo- 
phe; une autre fois, je serai mieux avisé. » 



L'ARBRE DE NOËL. 129 

La semaine suivante, elle renvoie acheter des ai- 
pilles en lui recommandant bien de ne pas lesperi- 
dre. 

« Soyez tranquille,» s'écrie-t-il avec confiance II 
va et revient tout triomphant. 

« Eh bien 1 Christophe, où sont mes aiguilles ? 

— Ah I elles sont en sûreté. En sortant de la bou- 
tique où je les avais achetées, j'aperçois la voiture 
de notre voisin Doyle chargée de foin. J'ai mis là les 
aiguilles, elles sont en sûreté. 

— Oui, en sûreté , dit la mère, si bien en sûreté 
qu'il n'y a plus moyen de les retrouver ; tu aurais 
dû les piquer dans ton chapeau. 

— Pardonnez-moi, répond Christophe, une autre 
fois, je serai mieux avisé. » 

La semaine suivante, par une chaude journée 
Christophe va chercher à une lieue de distance une 
petite provision de beurre. Se souvenant du dernier 
conseil de sa mère, il pose ce beurre dans son cha- 
peau, et le chapeau sur sa tête. On peut se figurer 
dans quel état il rentre au logis, le beurre fondu 
par les chaleurs et coulant sur ses joues. 

Sa mère découragée n'osait plus lui confier la 
moindre commission. Cependant un jour elle se dé« 
termine à l'envoyer encore au marché pour y ven- 
dre une paire de poulets : 

« Écoute, lui dit-elle, n'accepte pas le premier prix 
qu'on t'oflrira. Attends le second. 

— Très-bien, » répond Christophe. 

Le voilà sur le marché. Un chaland s'approche. 

9 



L'ARBRE DE NOËL. 



« Voulez-vous trois francs de vos poulets? 
— Merci, ma mère m'a dit de ne pas accepter le 
premier prix qu'oD m'offrirait, mais d'attendre le 



— Elle a grandemeat raison, votre mère. Eh! 
bien, voici mon second prix : Deux francs. 

— Soit. Il me semble que j'aurais mieux fait d'ac- 
cepter votre première proposition. Mais puisque je 
suis le conseil de ma mère, elle ne peut me blâ- 
mer. » 




Après cette nouvelle équipée, Christophe ftit con- 
damné à rester au logis. Sa mère savait qu'on se 
moquait d'elle et de lui. Un matin pourtant, elle 
veut encore faire un essai, et elle lui dit : 



L'ARBRE DE NOËL. 131 

«c Va vendre cette brebis au marché. Mais ne te 
laisse pas encore tromper, ne la livre qu'au plus 
haut prix. 

. — T Bien , répond Christophe, cette fois je connais 
mon affaire. 

— Combien ce mouton î lui demande un bou- 
cher. 

— Ma mère m'a dit de ne le céder que pour le 
plus haut prix. 

— Vingt francs? , 

— Est-ce le plus haut prix? 

— A peu près. 

— A moi la laine et la bête, dit un garçon en 
grimpant sur une échelle. 

— Combien ? 
•^ Giiîq fi*âncs. 

— C'est bieh loin dfe vingt, réplique timidement 
Chlistophe. 

— Oui, mais voyex jusqu'où monte cette échelle. 
Dans tout le marché, il n'y a pas un prix plus haut 
que le mien. 

*— Vous avez raison. La brebis est à vous. » 
Dès ce jour le bon Christophe ne fut plus en- 
voyé nulle part, tii pour vendt'e ni pour acheter. 



LA SOURIS RECONNAISSANTE 



Un pauvre marchand colporteur s*en allait à pied 
dans les montagnes de la Bohème, la bourse vide 
n était loin encore de toute habitation, et il n'avait 
plus qu'un petit morceau de pain épargné sur son 
dîner de la veille. Il s*assit près d'une fontaine et 
commença son frugal repas sans savoir s'il pour- 
rait en faire un second dans la journée. Pendant 
qu'il était là, une souris s'approche de lui et lève 
la tète d'un air suppliant, comme pour lui deman- 
der l'aumône. 

c Pauvre petite bète I dit le marchand, tu es donc 
encore plus malheureuse que moi. Voilà tout 
ce qui me reste. Mais je ne mangerai pas sans, 
toi. » 

A ces mots, il émiette son pain et le pose à terre 



L'ARBHE DE NOËL. 133 

devant elle. Sod pauvre déjeuner fini, il va boire à 
la fontaine, et, en revenant, que voit-U? la petite 
souris qui apportait une à une des pièces d'or près 




de son bissac. Elle en avait déjà apporté trois, et 
elle allait chercher la quatrième. Il la suit, élar- 
git le trou par lequel elle entrait, et trouve un tré 

80f. 



L'ANACHOBETE 

Parabole de saint Jérôme. 



Un homme, animé d'une ardente ferveur reli- 
gieuse, s'était retiré loin des villes, loin des hom- 
mes, dans une grotte solitaire de la Thébaïde pour 
s'y consacrer tout entier à l'œuvre de son salut. II 
jeûnait, priait, se mortifiait, et sa pensée était con- 
stamment tournée vers Dieu. Quand il eut ainsi 
passé de longues, longues années, un soir l'idée lui 
vint qu^il avait mérité une glorieuse place dans le 
paradis, et pouvait être mis au rang des plus grands 
saints. - 

La nuit suivante, Tange Gabriel lui apparut et lui 
dit: 

« Il y a de par le monde un humble ménétrier 
qui va de porte en porte jouant delà viole etchan* 



L'ÂBBRE DE NOËL. ISS 

tant, et qui a mieux mérité que toi les récompenses 
étemelles. » 




L'anachorète, étonné de ces paroles, se lève, 
prend son bâton de voyage, s'en va à U recherche 
de ce musicien, et, l'ayant trouvé, lui dit ; 

■ Frère, apprends-moi quelles bonnes osuvres tu 
u faites, et par quelles prières, et par ijuelle pé- 
nitence, tu t'es rendu agréable à Dieu. 

— Moi I répondit le ménétrier en baissant la 
tète : saint père, ne te moques pas de moi. Je n'ai 
point fait de bonnes œuvres; et je ne sais guère 
prier, pauvre pécheur que je suis. Je vais seule- 
ment, dfi maison en maison, amuser les gêna avec 
ma viole. > 

L'austère ermite pourtant insiste et dit: 

■ Je suis sûr que dans ta vagabonde existence. 



lae l'arbhe de noël. 

tu auras pourtant accompli quelque acte de 
vertu. 

— Non, en vérité, je n'en pourrais citer un 
seul. 



/ f/^> 




— Mais comment es-tu réduit i cet état de men> 
dicité f As-tu vécu follement comme les gens de ta 
profession ? As-tu dissipé en de Irivoles fantaisies 
l'héritage de tes pères et les produits de ton mé- 
tier? 



L*ARBRE DE NOËL. 137 

— Non. Mais un jour j'ai rencontré une pauvre 
femme abandonnée, dont le mari et leâ enfants 
étaient condamnés à l'esclavage pour acquitter une 
dette. Cette femme était jeune et belle, et les en- 
fants de Bélial cherchaient à la séduire. Je lui ai 
donné un asile dans ma demeure. Je Tai protégée 
dans son péril, je lui ai livré tout ce que je possé- 
dais pour racheter sa famille, et je Tai reconduite 
dans la ville où elle devait rejoindre son mari et 
ses enfants. Mais quel homme n'en aurait fait au- 
tant? » 

A ces mots, le religieux de la Thébaïde pleura et 
s'écria : 

« Dans mes soixante et dix années de solitude, je 
n'ai pas fait une si bonne œuvre, et cependant je 
m'appelle l'homme de Dieu, et toi, tu n*es qu'un 
pauvre ménétrier. » 



LES TROIS CHIENS 

Conte allemand. 



Un berger avait deux enfants : un garçon et une 
fille. Lorsqu'il se sentit près de mourir, il leur 
dit: « Je n'ai à vous laisser pour tout bien que cette 
maisonnette et trois moutons. Partagez-vous amica- 
lement ce pelit héritage, de façon à ce qu'il n'y ait 
entre vous ni jalousie ni animosité. » 

Puis il ferma les yeux et rendit le dernier soupir. 

Henri, le garçon, dit à sa sœur : 

« Que veux-tu garder pour toi, la maisonnette 
ou les moutons? 

— J'aime mieux la maisonnette, répondit la jeune 
fille. 

— Comme il te plaira. Alors je prends les mou- 
tons, et m'en vais à l'aventure chercher fortune. 



L'ARBRE DE NOËL. 



139 



Je suis né un dimanche. On dit que cela porte bon- 
heur, k 

n partit. Mais dans le cours de son voyage, 
longtemps il eut bien des peines et bien des mau- 
vaises heures. Un jour qu'il était à une croisièrede 
route, découragé de ses vaines entreprises, et ne 




sachant de quel côté se diriger, il vit venir à lui 
uQ homme suivi de trois gros chiens qui lui dit : 
Vous avez là trois belles brebis. Voulez-vous me 
les donner pour mes trois chiens 7 » 



140 , l'arbre de noèl. 

Malgré sa tristesse, Henri se mit à rire et répon- 
dit: 

« Je serais bien embarrassé si j'acceptais votre 
marché. Mes trois brebis broutent elles-mêmes 
rherbe dont elles ont besoin. Vos trois chiens, je 
serais obligé de les nourrir, et je n^ai rien. 

— Vous ne savez pas, reprit Tiaconnu, que ces 
trois chiens sont des merveilles. Non-seulement 
vous n'aurez point à vous occuper de leurs besoins, 
mais ils subviendront eux-mêmes aux vôtres. Le 
plus petit s'appelle Pourvoyeur ; celui-là, Déchireur ; 
et le plus gros, Brise-Acier. » 

Henri finit par consentir à l'échange qui lui élait 
proposé, et bientôt s'en réjouit. Comme il était seul 
dans un bois, loin de toute habitation, n'ayant plus 
une miette de pain dans son sac: « Allons, dit-il, 
Pourvoyeur, à Tœuvre I » 

Pourvoyeur ne se fit pas répéter cet ordre deux 
fois. Il partit comme une flèche et revint quelques 
minutes après, rapportant un panier rempli d'ex- 
cellentes provisions. 

— Bien I se dit Henri ; avec un tel compagnon, je 
n'ai plus à m'occuper de ma nourriture, et je puis 
voyager en paix. » 

Il se remit en marche, et un jour il rencontra 
une belle voiture attelée de beaux chevaux et toute 
peinte en noir. Le cocher avait des vêtements noirs, 
et dans la voiture était assise une charmante jeune 
lille tout en noir aussi et pleurant amèrement. 

Henri qui à l'aspect de ces signes d'infortune, se 



L'ARBRE DE NOËL. I4l 

sentait le cœur ému, interrogea le cocher qui d'a- 
bord le regarda du haut de son siège fort dédai- 
gneusement, puis finit par lui dire : 

a II y a près d'ici un dragon effroyable qui Ion- 
temps a désolé le pays par ses ravages, et qui s'est 
retiré dans sa grotte, à la condition qu'on livrerait 
chaque année, à jour fixe, une jeune fille à sa 
merci. Cette année, c'est la fille de notre roi qui doit 
être la victime du monstre. Le roi et le peuple sont 
plongés dans la douleur. Mais il faut obéir à Tarrèt 
du sort et il faut que le dragon ait sa proie. » 

—Pauvre jeune fille, » murmura Henri, en regar-. 
dant des yeux humides la princesse. Et il suivit la 
voiture. 

Arrivé au pied d'une montagne, le cocher arrête 
sa voiture. La jeune fille commença à gravir lente- 
ment une crête de rocs. Henri voulut l'accompagner 
malgré les remontrances et les cris du cocher qui 
restait prudemment dans la vallée. 

Vers le milieu de la montagne, tout à coup ap- 
parut l'épouvantable bête avec son corps revêtu 
d'écaillés, ses ailes bruyantes comme celle d'un 
moulin à vent; ses longues griffes plus dures que 
le fer, et sa langue enflammée. De sa gueule s'é- 
chappait un tourbillon de vapeurs sulfureuses. 

n s'avança pour saisir sa proie : « Déchireur, s'é- 
cria Henri, à l'œuvre, à l'œuvre I » Aussitôt Dé- 
chireur s'élance sur le monstre, lui enfonce ses 
dents dans les flancs, le lacère, le tue. Henri lui 
enlève quelques dents et les met dans sa poche. 



!42 L'ARBRK DE NOÈL. 

La princesse s'était évanouie. Quand elle reprit sa 
connaissance le monstre était anéanti. Elle salua 
Henri avec un transport de joie et de gratitude, et 
le pria de l'accomp^ner dans le palais de sou père 
pour qu'il ffit dignement récompensé. Le Jeune 




homme répondit qu il irait la voir dans sa capitale, 
mais pas avant trois ans Jusque-ta il voulait faire 
plusieurs voyages Comme il persistait dans cette 
résolution, la jeune fille remonta dans sa voiture, 
et Heurt s'en alla d'un autre c6té, ne se doutant 



L'AHBRE DE NOËL. 143 

pas du nouveau péril auquel il laissait eiposée cette 
charmante personne. 
Le cocher avait formé un diabolique projet. En 




travei^sant sur un pont une large rivière, il se 
todrna vers la princesse et lui dit : 

« Votre chevalier vous a quittée sans vous rien 
demander. Vous n'avez plus à vous occuper de lui, 
et vous pouvez faire la fortune d'un pauvre homme 
en disant à votre père que c'est moi qui ai tué le 
dragon. Si vous n'acceptez pas cette proposition je 
vous jette dans ce fleuve, et personne ne s'avisera 
jamais de demander ce que vous êtes devenue, car 
on croit que le monstre vous a dévorée* » 

En vain la jeune fille protesta, pria, supplia. Elle 
fut, pour sauver sa vie, obligée de se soumettre à la 
résolution du cocher et de jurer solennellement 
qu'elle ne révélerait à personne sa perfidie. 

Des cris de bonheur retentirent dans toute la 
ville quand on vit revenir saine et sauve cette belle 
princesse qui devait être la pâture du dragon. Le 
roi la tilit longtemps serrée contre son cœur en 



144 L'ARBRE DE NOËL. 

pleurant de joie. Puis il embrassa le perfide cocher 
et lui dit: 

« Non-seulement tu m'as rendu tout ce que j'ai 
de plus cher au monde, mais tu as délivré ce pays 
d'un effroyable fléau. Je te dois une récompense; tu 
épouseras ma fille dans un an. Elle est encore 
trop jeune pour que je puisse la marier plus tôt. Dès 
ce jour je te considère comme mon gendre. Tu au- 
ras ton palais, et tu y vivras comme un grand 
seigneur. » Ainsi fut fait. 

L'année était écoulée, la princesse à qui ce ma- 
riage faisait horreur et qui n'osait révéler son se- 
cret, demande encore une année de délai, puis une 
troisième. Mais à la fin de celle-ci, le roi ne voulut 
plus permettre aucun retard et le jour du mariage 
fut définitivement fixé. 

La veille de ce jour, on vit entrer dans la ville 
un voyageur suivi de trois chiens étranges. Comme 
il remarquait dans toutes les rues des préparatifs 
de fête, il en demanda la cause. On lui dit que la 
fille du roi allait se marier avec l'homme qui l'a- 
vait sauvée des griffes du dragon. 

« Cet homme, s'écria le voyageur, est un impos- 
teur. » 

Des gens de la police, l'entendant parler ainsi du 
gendre du roi, se jetèrent sur lui, l'arrêtèrent et le 
conduisirent dans une prison fermée par une porte 
de fer. 

Tandis que le pauvre Henri était là sur une 
pstille humide, absorbé dans ses tristes réflexions, 



l'arbre de NOËL. 145 

tout à coup il lui sembla entendre les gémissements 
de ses chiens. C'étaient ces fidèles bètes, en effet, 
qui s'approchaient de la lucarne de son cachot. 

B Brise-Acier, à l'œuvre, » s'écria-t-il. 

Aussitôt Brise-Acier se précipite sur les bar- 
reaux de la prison, les brise, brise aussi les chaînes 
de son maître. 

Henri se leva, joyeux de se sentir délivré, mais 
triste de penser qu'un traître allait devenir l'époux 
de la belle princesse. Il ne savait ce qu'il devait 
faire, et en attendant qu'il prit une détennination 
il avait faim. 

« Pourvoyeur, à l'œuvre, » dit-il. 




Quelques minutes après Pourvoyeur lui rapporte 
de succulents morceaux avec une serviette sur la- 
quelle est brodée une couronne royale. 

Pourvoyeur a été tout droit au palais. Il est en- 



U8 L'ARBRS de NOËL, 

tré dans la salle à manger où le souverain était 
assis avec les membres de sa famille «t les imnci- 
pauz perBDDuages de la cour. 11 a été prés de la 
princesse et lui a léché la main. La princesse l'a 




reconnu et lui a elle-même mis sa serviette au 
col. L'apparition de ce chien lui donne l'idée que 
l'aventureux jeune homme à qui elle doit son salut 
n'est pas loin. Dans cet espoir, elle s'enhardit. £Ue 



l'arbre de NOËL. U7 

prend sod père par la main, l'entraine dans uite 
chambre voisine et lui raconte tout ce qui s'est 
passé le jour où elle devait être immolée. Le roi 
envoyé chercher Henri. C'est lui, c'est bien lui- La 
Jeune fille se réjouit .de revoir cette douce, honnête 
figure. 11 s'avance modestement et, en s'inclinant 
avec respect, tire de son sac de voyageur les énor- 
mes dents du dragon. 
Le roi conduit le brave jeune homme dans la 




salle où sont réunis ses convives. L'iofàme cocher 
pâlit, et un juste arrêt le condamne à expier dans 
un cachot son crime. 

Henri épouse la jeune fille. Au milieu des fêtes 
de cet heureux mariage, il se souvient de sa sœur 
qui est restée toute seule dans sa maisonnette. II 
désire la revoir, il la fait venir près de lui et l'em- 
brasse avec une tendre effusion de cœur. Alors, 



-.148 L'ARBRE DE NOËL. 

' un de ses fidèles chiens magiques prend la parole 
et lui dit : 

« Maintenant la mission que notre maître nous 
avait confiée est accomplie. Nous devions voir si la 
fortune ne te gâterait pas le cœur et ne te ferait pas 
oublier ta pauvre sœur. Adieu, sois heureux. » 

A ces mots, les trois chiens se transforment en 
oiseaux et s'envolent en chantant dans les airs. 



LE CHATEAU ET LA CHAUMIERE 

Poésie suédoise 



Je n'habite qu'une humble cabane rustique ; mais 
'cette cabane est à moi, et il faut qu'on s'incline 
quand on y veut entrer. 

Son toit ne s'élève qu a quelques pieds du sol, 
mais non loin de là, dans le parc, s'élève un châ- 
teau superbe. 

Là réside un grand seigneur, inquiet dans son 
faste et son opulence. Moi, je dors paisiblement, 
mais lui n'en peut dire autant. 

J'étais, par une belle soirée, assis devant ma ca- 
bane quand tout à coup j'entends aboyer sa meute 
qui traverse la rivière. 

Sa Seigneurie s'avance vers moi, tandis que je 
chantais avec bonheur les bontés de la Providence. 



150 L'ARBRE DE NOËL. 

C'était une chanson que j'avais faite moi-même 
pour louer le Dieu qui me donne la paix et le con- 
tentement, la santé et le pain quotidien, le repos 
après le travail, et les jours sans inquiétude. 

Le seigneur s'arrêta, le fusil à la main, en écou- 
tant mesi chants. J otai mon bonnet, et il continua 
son chemin en me remerciant. 

Un soupir s'échappa de ses lèvres. Ah ! je l'en- 
tendis. Ce soupir voulait dire : Donne-moi ton cœur 
joyeux et prends mon château. 

Mes yeux s'élevèrent vers celui qui a fait ainsi le 
partage des biens de ce monde : les patois aux 
grands, et la gaieté aux petits. 



j 



U VOUIVRE 

Légende francomtoise. 
491° 

CHAPITRE PREMIER 

Un bdurouz tiffumrd. 

Ceux qui ont passé quelque temps dans les mon- 
tagnes de Franche-Comté, et assisté, sous le toit 
rustique d'une maison de paysan, à quelque veillée 
d'hiver, ont tous entendu parler de la vouivre, 
serpent ailé, être magique, qui, dit-on, glisse dans 
les airs, comme une lueur rapide, se baigne dans 
les flots comme une autre Mélusine, et porte i son 
front une escarboucle plus précieuse que les plus 
beaux diamants de la couronne de France. 

Avant de se plonger dans les sources solitaires 
et les ruisseaux voilés dont elle aime à fendre Tonde 
limpide, la vouivre dépose sur le rivage cette splen- 
aide escarboucle, qui est son œil, sa prunelle, sa 



152 L'ARBRE DE NOËL. 

lumière. Si dans le moment où elle s'abandonne 
ainsi à la mollesse de son repos, quelqu'un pou- 
vait adroitement s'emparer de ce diamant inappré- 
ciable, qu'elle a soin de cacher entre les roseaux 
les plus élevés ou dans le gazon le plus touffu, 
celui-là serait assez riche ; car ni les mines du Bré- 
sil, ni les montagnes deTOural, n'ont jamais livré 
aux regards avides des hommes un diamant pareil. 

Une foule d'ambitieux francomtois ont rêvé la 
conquête de ce trésor et ont guetté la vouivre au 
bord de maint lac et de maint ruisseau. Moi-même 
je me souviens qu'aux jours de mon enfance, j'ai 
plus d'une fois erré le long des bords du Doubs 
avec Tespérance d y voir descendre la vouivre, et 
je ne lai pas vue, et je n'ai jamais pu lui enlever 
son escarboucle. Mais Paul Dubois la lui enleva une 
fois, il y a environ cent ans, et je puis vous dire 
ce qui en arriva. 

Paul Dubois était le plus jeune fils d'un brave 
vigneron de Mouthiers qui , par ses habitudes d'ordre 
et de labeur, était parv*enu à se faire une honnête 
aisance. De six beaux enfants que le ciel lui avait 
donnés, quatre garçons et deux filles, les cinq pre- 
miers avaient été dès leur bas âge appelés à parta- 
ger les travaux de leurs parents. Tandis que les 
garçons s'en allaient avec leur père labourer les 
champs et planter des ceps de vignes, les jeunes 
filles aidaient leur mère dans ses occupations do- 
mestiques ; elles prenaient soin des bestiaux, pré- 
paraient les repas des gens de la maison et filaient 



L*ARBH£ DE NOËL. 1S3 

le chanvre pour faire des vêtements. Paul naquit 
à une époque où la famille commençait déjà à 
jouir d'une petite fortune acquise peu à peu et 
arrosée de bien des sueurs. Plus heureux que ses 
frères, au lieu d'être astreint à la rude tâche de 
chaque jour, il fut confié aux soins d un institu- 
teur que Ton regardait comme un grand savant, 
car il faisait une addition en un clin d'œil, et lisait 
couramment les vieux actes écrits sur parchemin. 
La bonne Mme Dubois, qui adorait son dernier né, 
voulut qu'il reçût Téducation d'un clerc, et, dans 
ses rêves d'amour maternel, elle le voyait déjà 
chapelain de quelque grand seigneur ou investi des 
honorables fonctions de tabellion, et qui sait, peut- 
être même bailli du district. A sa prière, le curé 
de Mouthiers avait bien voulu donner quelques le- 
çons de latin à ce petit Benjamin, et les bonnes 
dispositions de Tenfant ne contribuaient pas peu à 
entretenir dans le cœur de sa tendre mère une 
naïve pensée d'orgueil et un ambitieux espoir. 

Mais un soir que Paul rentrait sous le toit pater- 
nel, apportant en triomphe une belle grande page 
qu'il venait d'écrire avec tous les procédés de la 
plus élégante calligraphie, un problème d'arithmé- 
tique qu'il avait lui-même résolu, et un livre que 
son maître lui avait donné comme un témoignage 
éclatant de satisfaction : 

« En voilà assez, dit le père Dubois. Paul ne re- 
tournera plus à l'école. Je suis fort content qu'il 
manie si bien la plume et qu'il s'entende à ranger 



154 L'ARBRE DE NOËL. 

en bon ordre des chiffres sur le papier ; cela peut 
servir dans Toccasion. Mais il en sait déjà plus que 
je n'en ai jamaist appris. Je ne veux pas faire de 
lui un monsieur qui porte des culottes de soie et 
batte le pavé des grandes villes, tandis que ses 
frères travaillent comme des manœuvres. Nous 
sommes vignerons de père en fils, tous gens probes 
et sans reproches, Dieu soit loué! Je veux qu'il 
soit vigneron comme nous, et dès demain je lui 
mets le boyau entre les mains. » 

La pauvre mère souffrit beaucoup en entendant 
formuler cet arrêt. Cependant elle comprenait 
qu'elle ne pouvait équitablement établir une dis- 
tinction si marquée entre ses enfants, en dévouer 
un à la tâche facile de F école, et laisser les autres 
s*épuiser toute Tannée dans un travail pénible. Elle 
savait d'ailleurs que quand son mari exprimait en 
ternies si nets sa résolution, il ne fallait pas tenter 
de Ten faire changer. Elle baissa la tète en silence, 
étouffant au fond de son cœur un gros soupir, et 
se résigna, attendant du temps et des circonstances 
un moyen de faire revivre et de mettre à exécution 
ses projets. 

Paul prit la serpette et le boyau et s'en alla avec 
ses frères travailler à la vigne. Mais il était aisé 
de voir que ce travail lui causait une peine extrême 
et qu'il ne l'entreprenait que pour obéir à la vo- 
lonté de son père. Les jours suivants, cet acte de 
résignation frappa tous les regards ; ses frères eux- 
mèmeSy qui naguère ne pouvaient se défendre à 



L'ARBRE DE NOËL. 155 

son' égard d'un certain sentiment de jalousie, furent 
émus de le voir accomplir si docilement une tâche 
qui lui semblait si difficile, et dès quils se trou- 
vaient seuls avec lui, loin des regards de leur père, 
ils rengageaient à quitter son lourd in:strument et 
à se reposer, lui promettant de faire entre eux par 
un surcroit d'efforts la besogne qui lui était assi- 
gnée. Paul était d'ailleurs d'une constitution déli- 
cate qui ne lui permettait pas de rester plusieurs 
heures comme eux courbé sur le sol. Il cédait à 
ces affectueuses instances, s'asseyait sur un tertre 
de gazon, «en face de ces magnifiques bassins de 
vefdure, de ces majestueux remparts de rocs qui 
entourent la délicieuse vallée de Mouthiers, et pas- 
sait une partie de sa journée à regarder et à rê- 
ver. Le soir, auprès du foyer de famille, il restait 
la tête appuyée sur ses mains, écoutant en silence 
les traditions populaires du village racontées par 
quelque bonne vieille femme, et s'élançant par la 
pensée dans les châteaux fabuleux, dans le monde 
magique, dont ces traditions dépeignait naïvement 
les merveilles. 

La vouivre surtout occupait souvent son esprit, 
la vouivre avec ce trésor inappréciable qu'elle por- 
tait au frbnt» avec toutes les idées de bonheur qui 
s'attachaient à une telle conquête, et qui devaient 
naturellement séduire l'imagination d'un jeune 
homme. Là nuit, il voyait reluire l'escarboucle fée- 
rique dans ses songes, et le matin, en s'en allant 
dans les champs, iUa cherchait au bord de la Loue. 



156 



l'arbre de NOËL. 



A force d'entretenir ce rêve dans son imagina 
tjon, il lui donna la puissance d'une pensée con- 
tinne, impérieuse. Il finit par se persuader qu'il 
parviendrait quelque jour à s'emparer de l'escar- 
boucle précieuse, et il y parvint. 

Un soir d'automne, on ne sait comment, il airiva 
juste à l'endroit où la vouivre se baignait dans les 




flots de la rivière, vit le diamant qui élincelalt 
dans la mousse, s'en empara et s'enfuit tout éperdu. 
A peine avait-il saisi l'escarbaucle qu'on entendit 



L'ARBRE DE NOËL. 157 

un cri lamentable, sans doute le cri de la pauvre 
Youivre aveugle. Un instant ce gémissement pro- 
fond l'attendrit ; il s'arrêta et se retourna, dominé 
par un sentiment de compassion. Mais ce souhait 
qui l'avait si longtemps occupé, ce désir ardent de 
posséder la pierre précieuse, Ten traîna de nouveau, 
n rentra tout haletant et effaré sous le toit pater- 
nel, et courut s'enfermer dans sa chambre. Sa mère 
inquiète vint frapper à sa porte. Il fit semblant de 
dormir, mais il ne dormait pas. Il tenait entre ses 
mains Tescarboucle et ne s«3 lassait pas de la con- 
templer, et à mesure qu'il la contemplait, il sen- 
tait s'éveiller en lui des déshrs impétueux, des vi- 
sions étranges, qu'il n'avait jamais conçus. Aux 
rayons éblouissants de Tescarboucle, il croyait voir 
s'ouvrir devant lui un nouveau monde, étincelant 
d'or et de pierreries, et peuplé de créatures idéales 
qui dansaient et chantaient sous un ciel d'azur 
éclairé par d'innombrables soleils. Il entendait en- 
core résonner dans son refuge la voix désolée de la 
vouivre. Mais il avait déjà fermé l'oreille aux ten- 
dres accents de sa mère ; il ferma l'oreille encore 
aux lamentations de la malheureuse vouivre, et se 
jeta sur son lit, poursuivant à demi endormi, à 
demi éveillé, ses songes fantastiques. 



CHAPITRE n 



L'influence d'un trésor. 



Le lendemain était un dimanche. Dès le matin, 
la famille se préparait à aller à Téglise. Les jeunes 
filles tiraient de Tarmoire de noyer leurs plus 
belles robes et leurs plus beaux fichus ; les gar- 
çons se plongeaient la tête dans un seau d'eau , 
puis lissaient avec soin leur longue chevelure ; le 
père Dubois lui-même s'occupait avec une certaine 
satisfaction de sa rustique toilette. Il était mar- 
guillierde son village, et prétendait figurer conve- 
nablement au banc d'honneur de l'église. Paul pré- 
texta un violent mal de tête pour se dispenser de 
sortir. 

Depuis plus de deux heures, il était assis sur son 
lit, tournant et retournant entre ses mains l'escar- 
boucle et parcourant successivement dans le rapide 



L'ARBRE DE NOËL. 159 

essor de son imagination toute Téchelle des rêves 
les plus capricieux. 

A travers cette espèce d'hallucination fiévreuse, 
ces vagues et flottantes chimères, une idée s'im- 
plantait opiniâtrement dans son esprit, Tidée de 
partir, d'abandonner l'humble demeure champêtre 
où son diamant ne serait qu'un trésor inutile, et 
de s'en aller dans quelque grande ville chercher 
la joie et la fortune que sa chère escarboucle de- 
vait lui donner. En quelques instants cette idée 
devint un projet et ce projet une décision. Il se 
sentait bien encore intérieurement troublé et in- 
quiet des sollicitudes que son mystérieux départ 
causerait à ses parents, des larmes qu'il ferait ré- 
pandre à sa bonne mère. Mais, se disait-il, je leur 
écrirai dès que j'aurai vendu mon diamant ; je leur 
enverrai assez d'argent pour acheter encore des 
vignes, des champs, et je viendrai les revoir dès 
que j'aurai à mon gcé parcouru le monde. Ce qu'il 
ne disait pas, ce qu'il ne reconnaissait pas lui- 
même, c'est que la possession de ce diamant si 
longtemps convoité lui avait déjà changé le cœur. 
La veille, il avait caché à tous les regards l'escar-* 
boucle comme un larcin ; il avait refusé de répon- 
dre à sa mère ; le matin, il avait menti, et il allait 
commettre froidement une atroce cruauté en dé- 
sertant la maison paternelle. 

Dès qu'il vit ses parents cheminer vers l'église, 
il s'habilla, ferma la porte et, faisant le tour du 
village par un sentier qui côtoie les plateaux de 



160 . L'ARBRE D£ NOËL. 

Hautepierre, il se dirigea vers la route de Be- 
sançon. 

Arrivé à la pointe d'un coteau, à Tendroit d'où 
Ton découvre dans toute sa fraîche et pittoresque 
beauté le vallon de Mouthiers avec sa magnifique 
ceinture de bois et de rochers, et la vallée de Lods 
avec ses forêts d'arbres fruitiers, jil se retourna pour 
voir encore les lieux qu'il allait quitter. La cloche 
tintait dans la vieille tour de l'église, et quelques 
bonnes gens en retard, portant leur livre à la main, 
hâtaient le pas pour arriver assez tôt à l'office di- 
vin. Un instant son âme fut émue de ce spectacle 
qui éveillait en lui tant de doux souvenirs, mais 
bientôt ses songes de fortune l'emportèrent sur 
cette pieuse sensation. Il détourna la.^ète comme 
pour s'arracher à une tentation dangereuse, se re- 
mit en marche et, vers le soir, il entrait par la 
Porte taillée, dans les murs de Besançon. 

Une fois là, il s'arrêta, ne sachant trop de quel 
côté se diriger. Son escarboucle à la main,, il se 
disait bien avec sa confiance de jeune homme qu'il 
était assez riche ; mais encore fallait-il trouver un 
marchand, et d'abord un hôtel pour y passer la 
nuit. 

Tandis qu'il s'en allait de côté et d'autre, les yeux 
en l'air, cherchant une enseigne de bon augure, il 
fut arrêté par un petit homme noir, dont la figure 
en essayant de sourire grimaçait d'une façon af- 
freuse. Les vieilles femmes de Mouthiers, qui racon- 
tent cette véridique histoire, prétendent que ce 



L'ARBRE DE NOËL. 161 

petit homme noir était le diable. Mais le fait n'est 
nullement démontré, d*autant que le diable a tou- 
jours une difformité qui le désigne suffisamment à 
Tanimadversion de toute âme chrétienne, soit une 
grande paire de cornes, soit un œil flamboyant ou 
un pied fourchu, et l'individu dont il s'agit n'avait^ 
au dire même de Paul, aucun de ces signes satani- 
ques. Il était habillé fort décemment, et son lan- 
gage et ses manières annonçaient un personnage 
parfaitement bien élevé et fort poli. Il s'approcha 
de Paul le chapeau à la main, il s'enquit avec une 
aimable prévenance de l'objet de ses recherches, 
lui offrit de le conduire lui-même dans un très-bon 
hôtel où Ton ne recevait, disait-il, que des gens . 
comme il faut ; puis, tout en marchant à côté de 
lui, et en causant des monuments de Besançon, de 
ses promenades et des fêtes publiques, il gagna si 
vite et si bien la confiance de Paul, que le jeune 
aventurier n'hésita pas à lui conter de point en 
point qui il était, quelle découverte il avait faite, 
et quel motif l'amenait dans la vieille capitale de 
la Franche-Comté. 

« En vérité, mon jeune monsieur, s'écria alors 
l'inconnu, vous devez rendre grâce au hasard qui 
oi'a amené sur votre route, vous ne pouviez faire 
une meilleure rencontre; car sachez que je suis 
maître Finlappi, connu dans toute la province 
comme l'un des plus. habiles joailliers qui existent. 
Il n'y a pas ici une paire de pendants d'oreilles, un 

bracelet précieux, un collier de perles qui n'ait 

n 



I6â L'ARBRE DE NOËL. 

passé par mes mains, et je ne borne point le cercle 
de mes entreprises à ce qu*on peut attendre de moi 
dans les villes de Franche-Comté. J ai un atelier, 
un magasin même à Paris. C'est là qu'il faut que 
vous alliez vous-même, si vous voulez user comme 
il convient du trésor que la fortune vous envoie. 
Peste I le diamant de la vouivre 1 Ah I il y a long- 
temps que je désire le voir, et je vous en donnerai 
sans marchander une somme dont vous serez vous- 
même stupéfait. Ahl vous êtes heureux, jeupe 
homme, vous entrez dans la vie par la bonne porte, 
par la porte d'or, et il ne tiendra qu'à vous bientôt 
de faire une belle figure dans la capitale de France, 
de marcher de pair avec les plus riches seigneurs, 
de voir le roi. 

— De voir le roi I s'écria Paul, qui écoutait ce 
dithyrambe du joaillier avec un enthousiasme tou- 
jours croissant. Vous croyez que je pourrais avoir 
l'honneur d'approcher le roi. 

— Oui, certainement, reprit Finlappi, et c'est moi- 
même qui vous en donnerai les moyens si vous 
voulez avoir quelque confiance en moi. Ne me re- 
merciez pas. En agissant ainsi, je ne fais que céder 
à mon propre penchant. Votre physionomie m'in- 
téresse, et puis je vous le dirai, j'aime les gens 
heureux, les gens qui sont nés sous une bonne 
étoile, et qui, dès leurs premiers pas dans la vie, se 
trouvent choyés et dorlotés par la fortune. Il y a 
du plaisir à s'occuper de ces gens-là, car on sait 
que les services qu'on cherche à leur rendre fruc- 



L'ARBRE DE NOËL. 163 

tifîent comme la graine jetée sur une terre féconde. 
Quant à ces malheureux qui travaillent, qui s'é- 
puisent pour amasser jour par jour, à la sueur de 
leur front, de quoi acheter une cabane et un coin 
de champ, ce sont des misérables dont la vie ne 
m'inspire qu'un profond mépris. 

— Hélas I se dit Paul, mon père a travaillé ainsi, 
et c'est pourtant un brave homme. » 

Mais il n'osa faire à haute voix cette réflexion, de 
peur de paraître devant son nouvel ami au-dessous 
de sa situation. 

« Hais pour partir, balbutia Paul.... 

— Ah I J'entends ce que vous voulez dire. Vous 
arrivez de votre village de Mouthiers, où l'on voit 
sans doute plus de cailloux que d'écus, et votre 
bourse est vraisemblablement trop peu garnie, pour 
que vous puissiez.... C'est bon, c'est bon; je vous 
avancerai moi-même l'argent nécessaire pour que 
vous puissiez vous rendre dignement à Paris, et afin 
que vous ne croyiez pas que je* songe à abuser de 
votre jeunesse et de votre confiance, vous garderez 
avec vous l'escarboucle, et vous me la remettrez 
là-bas en échange d'une belle pile d'argent. » 

A cette libérale proposition, Paul fut près de se 
jeter dans les bras du joaillier et de le serrer sur 
son cœur- 
ce Oh! le généreux homme, se disait-il, quelle 
énei^e de caractère! Quel esprit lumineux et quelle 
grandeur d'âme I £t notre bon curé qui me répétait 
si souvent que dans les villes, il fallait se tenir 



164 L'ARBRE DE NOËL. 

sans cesse en garde contre les voleurs et les fri- 
pons ! Pour mon début, j'ai du bonheur, car, voilà 
un individu qui me voit pour la première fois et 
qui me traite avec un dévouement sans égal. 

— A quoi pensez-vous donc, demanda Finlappit 

— Ahl mon digne monsieur, répondit Paul, je 
pense que je ne puis assez remercier le sort qui 
m'a fait rencontrer un homme tel que vous, et je 
voudrais bien, avant de partir pour Paris, écrire 
à mes parents pour leur raconter tout mon bon- 
heur. 

— Attendez quelques jours. Quand vous aurez 
vu la capitale, quand vous aurez été présenté à la 
cour (car il faut que vous soyez présenté à la cour), 
quand vous jouirez enfin de la splendide fortune 
que vous tenez entre vos mains, vous réjouirez 
bien plus le cœur de vos parents, en leur annon- 
çant tant de merveilles. 

— Vous avez raison, monsieur, reprit Paul, et je 
pourrai leur envoyer de Paris quelques beaux pré- 
sents que je ne parviendrais peut-être pas à me 
procurer à Besançon. 

— C'est parfaitement juste. Vous enverrez à 
Mme votre mère des robes de velours, des dentelles 
à Mlles vos sœurs, des armes damasquinées et des 
chaînes d*or à vos frères. » 

Cette fois Paul regarda le joaillier avec défiance, 
pensant que ces paroles n'étaient qu'une amère 
moquerie ; mais le visage de Pinlappi ne trahissait 
pas la moindre apparence d'ironie. 




U joaillier éLait reslé slupériit de la splendeur de l'escarboucte, p. 167. 



L'ARBRE DE NOËL. 1G7 

«Allons, se ditPaul, il parle sérieusement, et il est 
certain à présent que je suis immensément riche. » 

Tout en causant ainsi, le jeune homme et son 
conducteur étaient arrivés au milieu de la rue Bat- 
tans, l'une des rues les plus populeuses et les plus 
bruyantes de Besançon. 

ce Voilà, dit Finlappi, en montrant à son compa- 
gnon une large maison à pilastres noircis par le 
temps, voilà Thôtel du Croissant, Thôtel de tous 
les gens riches et de tous les gentilshommes du 
pays. Je vais moi-même vous y introduire, et de- 
main, si vous voulez suivre mon conseil, je vous 
remettrai une somme d'argent avec laquelle vous 
pourrez voyager tout à votre aise. » 

Paul n'était plus en état de faire la moindre ob- 
jection à ce que lui disait le joaillier. Il se sentait 
dominé, fasciné par le regard, par la voix de cet 
homme, et le considérait comme l'être le plus noble, 
le plus généreux qu'il fût possible de rencontrer à 
la surface de la terre. Le soir, quand il se trouva 
seul dans la chambre qu'on lui avait assignée à 
l'hôtel, après avoir fait un large souper, comme un 
homme qui n'a pas à se préoccuper d'un vulgaire 
calcul d'économie, il se mit à repasser dans son 
esprit tout ce qu'il venait d'entendre, et à chaque 
parole qu'il se rappelait, il se sentait saisi d'un 
transport de joie inexprimable. Le joaillier après 
l'avoir conduit dans sa chambre n'avait demandé 
qu'à jeter un coup d'œil sur l'escarboucle, et il était 
resté stupéfait de sa splendeur. 



168 L'ARBRE DE NOËL. 

« Vous me verrez demain, avait-il dit, et vous 
serez content de moi. » 

Le lendemain en effet, de bonne heure, il entra 
dans la chambre de Paul, portant sous le bras un 
sac d'argent. 

« Voici, dit-il, cinq cents écus que je vous donne 
à compte sur le marché que j'espère bientôt con- 
clure avec vous. Ce soir même vous pourrez partir, 
et vous irez m'attendre rue Dauphine, hôtel de 
France. >» 

Paul lui serra la main avec une ardente recon- 
naissance. Il employa le reste de sa journée à 
échanger ses simples habits de paysan contre des 
vêtements plus distingués, et le soir même, il était 
en route pour Paris, 



CHAPITRE III 



Aventures de Paul. 



Deux heures après son arrivée à Paris, Paul se 
promenait au hasard dans les rues de cette ville 
dont on parlait à Mouthiers comme d'une fabuleuse 
région. De la rue Dauphine où il était venu loger 
selon les indications de Finlappi, il s'était dirigé 
tout naturellement vers le Pont-Neuf, et quel fut 
son étonnement, lorsqu'à l'angle de ce pont, il 
aperçut au milieu d'un chaos de gens, de chevaux 
et de voitures, le joaillier lui-même, le joaillier 
qu'il croyait encore à Besançon. 

a Eh quoi! s'écria-t-il, en s'élançant avec bon- 
heur à sa rencontre, mon cher monsieur, c'est 
vous. ' 

— Oui, mon jeune ami, répondit le joaillier d'un 
ton jovial, c'est moi-même en personne, comme 



170 L'ARBRE DE NOËL. 

VOUS voyez, même habit, même chapeau, même 
figure. Je me suis procuré des moyens de transport 
plus rapides que les vôtres. Il y a deux jours que 
je suis ici, et j'ai déjà fait bien de la besogne. D'a- 
bord, j'ai vu le personnage dont je vous parlais, et 
qui achètera, je crois, l'escarboucle. En second lieu, 
je vous ai trouvé une demeure convenable, car 
vous ne pouviez rester à l'hôtel qu'en passant. 
Vous aurez près du Palais-Royal, dans le quartier 
du monde élégant, votre maison à vous, vos gens, 
votre carrosse, et vous pourrez dès aujourd'hui, 
s'il vous plaît, commencer cette vie de gentil- 
homme. Je vous prierai seulement de vouloir bien 
me confier Tescarboucle pour que je la fasse voir à 
la personne qui désire Tacheter. Je vais vous re- 
mettre quelques milliers d'écus p^ur vos premières 
fantaisies. Usez de votre argent largement, et quand 
vous n'en aurez plus, voici mon adresse, écrivez- 
moi, ou venez me trouver, ma caisse vous est ou- 
verte. » 

Paul avait passé par tant d'émotions dans l'es- 
pace de huit jours, que ces paroles du joaillier ne 
pouvaient même plus le surprendre. Il accepta, 
sans réflexion aucune, la proposition qui lui était 
faite, reçut sans trop y regarder l'argent qui lui 
était remis, et s'installa sans façon dans la riante 
et coquette demeure que Finlappi lui avait fait pré- 
parer. 

Il n'est chose en ce monde à laquelle on s'habi- 
tue si aisément qu'à la fortune. Si tard qu'on en 



L'ARBRE DE NOËL. 171 

jouisse, il semblé qu'on y ait été préparé dès son 
enfance, tant on s'y trouve promptement à son 
aise, tant on se sent en un clin d'oeil, on ne sait 
par quelle intuition, façonné aux allures et au lan- 
gage de l'homme riche. 

Tout en entrant dans les appartements dorés où 
il allait régner en maître, Paul, l'innocent enfant 
de village, se trouva subitement transformé. Il prit 
le ton haut et sûr, le geste superbe et impérieux. 
n hésitait d'abord à demander certains services à 
ses gens. Bientôt il les traita sans ménagement. Il 
criait, il s'irritait à tout instant contre la lourdeur 
de l'un, contre la maladresse de l'autre, contre le 
peu d'invention de son cuisinier ou la lenteur de 
son cocher. Bientôt aussi il eut un ami ; que dis-je, 
un ami? plusieurs amis, tous jeunes gens de la 
première distinction , portant l'habit à paillettes , 
le chapeau à plumes, l'épée au côté, et tenant à 
honneur de cultiver l'affection de Paul et de lui 
être agréable. 

D'abord on l'avait appelé, dans la maison qu'il 
habitait, M. le chevalier; on lui donna ensuite, tout 
aussi libéralement, le titre de baron. Mais celui de 
ses amis qui lui montrait le plus de dévouement 
déclara qu'il ne pouvait se résigner à voir le noble 
Paul décoré d'une qualification si modeste, qu'il 
savait de source certaine par des recherches faites 
chez d'Hozier même que Paul était marquis, qu'il 
fallait que désormais chacun lui donnât le titre de 
marquis, et Paul s'intitula le marquis du Bois. 



172 L'ARBRE DE NOËL. 

Si ses amis lui parlaient chaque jour de la pro- 
fondeur de leur affection, lui de son côté les trai- 
tait avec une rare générosité. Bals et spectacles, 
promenades et soupers, le bon Paul payait toutes 
les parties de plaisir où ses amis le conduisaient, 
sans compter que maintes fois, soit à une table de 
jeu, soit dans quelçpie magasin à la mode, ces ex- 
cellents amis se trouvaient dans l'embarras. Celui- 
ci avait oublié sa bourse ; cet autre avait perdu 
une grosse somme au lansquenet, et Paul était là 
qui perdait lui-même, mais qui se croyait assez 
riche pour satisfaire à tous les vœux de ses com- 
pagnons et réparer tous leurs désastres. 

Un respectai)le vieillard, qui demeurait près de 
lui et qui le rencontrait de temps à autre, lui dit 
un jour : 

« Prenez garde, monsieur, on vous trompe, on 
vous pille et Ton rit de vous. Je n'ai pas l'honneur 
d être connu de vous et vous trouverez peut-être 
étrange que je me permette de vous donner cet 
avis, mais j'obéis à une charitable pensée, et je dé- 
sire qu'elle vous soit utile. 

— Fi donc! s'écria Paul, comment osez-vous 
soupçonner l'honneur et la délicatesse d'une réu- 
nion de parfaits gentilshommes? » 

Et il se précipita avec une nouvelle ardeur dans 
le tourbillon des fêtes où ses joyeux amis s'applau- 
dissaient d& l'entraîner. 

Il va sans dire que dans un tel train de vie, l'ar- 
gent que lui avait remis le joaillier devait fort les- 



L ARBRE DE NOËL. 173 

tement s'échapper de ses mains. Trois semaines 
n'étaient pas écoulées qu*il fut forcé de retourner 
à la caisse de Finlappi. 

« Bravo 1 mon jeune gentilhomme, dit le joail- 
lier en le voyant entrer. Je remarque avec plaisir 
que si la fortune vous a généreusement traité, vous 
n'êtes point de ces êtres stupides qui se croient 
obligés de dérober à tous les regards les biens dont 
ils devraient gaiement jouir. Je n'ai pas encore 
vendu votre diamant, mais prochainement, j'es- 
père, tout sera uni. En attendant, voici, pour con- 
tinuer le cours de votre aimable existence, les plus 
belles pièces d'or qui se puissent voir dans le 
royaume de France et de Navarre; ne les épargnez 
pas. 

En parlant ainsi, le joaillier avait dans le regard, 
dans la voix, une expression de sarcasme froid, 
méchant, dont Paul fut frappé. Le jeune aventurier 
ne fit cependant aucune observation, il serra légè- 
rement les pièces d'or dans les poches de son ha- 
bit, et s'en alla d'un pas leste rejoindre ses gais 
camarades. 

La semaine suivante, il revint demander la même 
somme, et quelques jours après encore; car le 
monde où il vivait l'entraînait de plus en plus, et 
chaque nouvelle flatterie de ses prétendus amis lui 
coûtait cher. On vantait ses façons exquises, son 
langage distingué, sa grandeur d'âme ; tout, jusqu'à 
la forme de ses vêtements. Déjà le roi l'avait re- 
marqué en passant et avait témoigné le désir de le 



ITt l'arbre de NOËL. 

voir. Les dames du plus haut parage voulaient 
le posséder dans leurs cercles. A ces louanges dé- 
mesurées, Paul relevait la tète, se regardait com- 
plaisamment à la glace et livrait à ses flatteurs ce 
qu'il possédait. 




Mais un jour, comme il se présentait chez le 
joaillier pour lui demander de nouveaux sacs d'é- 
cus, il fut de prime abord stupéfait de l'étrange 
physionomie de Finlappi, 



L'ARBRE DE NOËL. 175 

« Ah! monsieur le gentilhomme, lui dit avec une 
acerbe ironie le vieux marchand ; ah ! vous y allez 
de ce train I Je vous croyais quelque peu naïf et 
inexpérimenté, mais pourtant pas à ce point. En 
deux mois vous avez dévoré la fortune d'un prince. 
Voyez : voici vos reçus. Moi, pourtant, je n'ai pas 
encore vendu votre fameuse escarboucle, et jus- 
qu'à ce qu'elle soit placée, je ne puis plus rien vous 
donner. 

— Plus rieni s'écria Paul qui avait ce jour-là 
même plusieurs engagements à remplir. 

— Plus rien! répéta sèchement Finlappi. 

— Eh bien! rendez-moi donc le diamant que je 
vous ai confié. 

— Je ne demande pas mieux si vous avez la com- 
plaisance de me rembourser les avances que je 
vous ai faites. 

— Misérable ! dit Paul, égaré par la colère. 

— Ne nous emportons pas, mon jeune monsieur; 
chacun son affaire ici. J'ai votre diamant entre les 
mains, c'est vrai ; mais vous avez mon argent; 
rendez-le-moi avec Tintérèt légal et tout sera 
fini. ' 

— Mais vous savez que cela m'est impossible. 

— Je sais que vous êtes un jeune homme de la 
plus belle espérance, et que vous avez les plus no- 
bles amis du monde, allez leur demander quelques 
cent mille livres que vous me devez et nous serons 
bientôt d'accord. Ne vous ont-ils pas juré cent fois 
qu'ils vous étaient dévoués à la vie et à la mort? 



176 L'ARBRE DE NOËL. 

Qu'est-ce qu'une si misérable somme pour des amis 
qui vous aiment tant I 

A ces derniers mots, prononcés avec une insul- 
tante moquerie, Paul ne put se contenir; il s'élança 
sur le joaillier, le prit à la gorge et le jeta sur le 
parquet. 

«Au secours! au secours !» cria d'une voix étouf- 
fée Finlappi. 

En ce moment, une escouade du guet passait 
dans la rue. A ces cris de douleur et de déses- 
poir, les archers se précipitèrent dans la maison, 
trouvèrent le vieux joaillier qui gémissait, trem- 
blait, se débattait sous la main vigoureuse de son 
jeune antagoniste, et sans vouloir écouter aucune 
explication , ils les emmenèrent tous deux en 
prison. 

Dès que Paul, accablé, terrassé par cette catastro- 
phe, eut recouvré l'usage de sa réflexion, il de- 
manda une plume , de l'encre , et écrivit à cha- 
cun de ses fidèles amis une lettre dans laquelle il 
racontait l'indigne outrage qu'il venait d'essuyer, 
les odieuses machinations dont il avait été victime, 
et il finissait en réclamant un prompt secours. Cette 
correspondance finie et expédiée, il s'attendait de 
minute en minute à voir apparaître dans son ca- 
chot tous ces braves jeunes gens qui lui avaient 
fait tant de magnifiques protestations ; mais deux 
jours, trois jours se passèrent et personne ne ve- 
nait. Le matin du quatrième jour il était sur sa 
couche de paille, attendant encore, lorsqu'il en- 



L'ARBRE DE NOËL, 177 

tendit la voix d'un geôlier qui, le croyant endormi, 
disait à un de ses camarades : 

< Ce jeune homme qui est là et qui a Fair si in- 
nocent, figure -toi que c'est un voleur qui a enlevé 
un des plus précieux diamants d'un des plus beaux 
magasins de Paris, et filouté plus de cent mille li- 
vres à un honnête joaillier. 

— Vraiment I s'écria l'autre. Est-il possible? 

— Oui, je puis te l'affirmer ; car un joli coquin qui 
a déjà été en prison pour je ne sais quelle mauvaise 
action, et qui se fait appeler le vicomte de Busan, 
Ta dit positivement à notre camarade Auguste qui 
lui portait une lettre de ce jeune homme. » 

Ce coquin, ce faux vicomte dont parlait le geô- 
lier était précisément le beau et ri^nt cavalier qui 
s'était le plus ardemment attaché à la fortune de 
Paul, et que le pauvre enfant de la Franche-Comté 
regardait conmie son ami le plus puissant et le 
plus dévoué. 

En apprenant cette effroyable vérité' sur l'un de 
ses compagnons, il pressentit ce que devaient être 
les autres, et se roula sur sa couche, en gémissant 
et en pleurant. 



n 



CHAPITRE IV 



La conversioii de l'enfant prodigue. 



Appelé devant un des fonctionnaires de la police, 
le jour même où il avait fait sa fatale découverte, 
Paul reprit, par Teffet d'une vive réaction, sa naï- 
veté première, et raconta simplement, franche- 
ment, tout ce qui lui était arrivé depuis le jour 
où il avait trouvé le diamant de la vouivre jusqu'à 
celui où il s'était vu traîné si ignominieusement en 
prison. Mais celui qui l'interrogeait ne considéra 
que comme un impudent mensonge* Thistoire de la 
vouivre, et il ordonna aux archers de reconduire 
l'audacieux voleur au cachot, et de le garder plus 
étroitement que tout autre. 

Dans ce temps-là, on commençait déjà à ne plus 
ajouter grande foi aux traditions populaires. L'a- 
gent de police était d'ailleurs un vieux malin, ha- 



L'ARBRE DE NOËL. . 179 

bitué depuis longtemps à se méfier de toutes les 
belles paroles et de tous les semblants d'innocence 
de ceux qu*il sommait de comparaître devant son 
redoutable tribunal. Et quel moyen de croire qu'il 
pouvait se trouver dans un ruisseau de la Franche- 
Comté une couleuvre ailée portant au front, en 
guise de prunelle, un diamant plus gros et plus 
beau que tous ceux qui parent le diadème des rois? 

En vérité, c'était une sotte plaisanterie, et le grave 
fonctionnaire s'en voulait à lui-même d'avoir écouté 
jusqu'au bout un tel conte de bonne femme. 

Cependant on apprit que le joaillier enfermé 
comme Paul dans un étroit cachot, barricadé, ver- 
rouillé, était parvenu à s'échapper, sans que la sa- 
gacité de tous les geôliers réunis put deviner par 
quel soupirail, par quelle crevasse il avait pris la 
fuite. Cet incident inexplicable et qu'on ne pouvait 
raisonnablement attribuer qu'aune puissance magi- 
que, jeta une première lueur favorable sur la cause 
du jeune aventurier. Une fois qu'on admettait un 
sortilège dans cette étrange affaire, il n'était plus si 
difficile d'en admettre un second. Puis il se trouva, 
par bonheur, pour le fils du vigneron, un juge 
très-savant et très-estimé qui avait voyagé en 
Franche -Comté, qui avait entendu parler là en maint 
endroit de l'escarboucle de la vouivre, et qui, en 
un patient interrogatoire, acquit la conviction qu'en 
effet Paul avait bien pu trouver au bord d'un ruis- 
seau la pierre précieuse, qu'il n'était coupable que 
de s'être livré aux égarements d'une folle vie, et 



180 L'ARBRE DE NOËL. 

d'avoir ainsi que le rapportaient les archives, mal- 
traité le joaillier. 

Sur le rapport de ce juge dont Topinion était gé - 
néralement fort respectée, Paul fut déclaré innocent 
du vol qui lui était imputé, et comme on pensa 
qu*il était assez puni par plusieurs jours de prison 
de son acte de violence envers Finlappi, il fut re- 
mis en liberté. , 

Il se précipita hors de la prison avec une explo- 
sion de joie impossible à décrire. Il était libre, il 
respirait Y air de la rue, il pouvait aller, venir à son 
gré. Hais il se trouvait seul sur le pavé de Paris, 
dépouillé de tout, sans amis, sans protecteurs, sans 
une seule âme qui dans cette grande ville s'inté- 
ressât à sa misère et à son étrange destinée. Le 
sentiment de ses fautes et de ses folies lui saisit 
alors douloureusement le cœur. Il s'assit sur une 
borne au coin d'une rue silencieuse, et pleura et 
pria. Quand il eut fait cette salutaire prière de 
l'âme repentante, il se sentit tout à coup animé 
d'une vive résolution' et doué d'une force toute 
nouvelle. Il chercha dans sa poche, y trouva en- 
core quelques sols, dernier reste de sa fortune 
inouïe, et il partit. 

n partit, il s'en alla tout droit sur la route de 
Besançon, sur cette route qu'il avait naguère par* 
courue avec tant d'extravagantes illusions ; il y re- 
venait maintenant à pied, la tète baissée, l'esprit 
humilié, mais affranchi de ses funestes chimères. 

Au bout de cette route était le refuge assuré, le 



L'ARBRE DE NOËL. 181 

toit paternel, le foyer paisible où il pouvait encore 
rentrer avec un nom profané, mais plein de repen* 
tir. A quelque distance de Paris, il rencontra un 
paysan avec lequel il échangea son habit brodé 
contre un sarrau, son collet de dentelle contre une 
cravate de laine, ses bottes fines contre une paire 
de gros souliers, et son feutre galonné contre un 
grossier chapeau. Le paysan faisait un bon marché 
et Paul se voyait avec ce rustique costume tel qu'il 
était autrefois, tel qu'il voulait être désormais. 

Quand il arriva au sommet du coteau d'où il s'é- 
tait retourné pour dire un dernier adieu à son vil- 
lage, c'était rheure de midi, par une belle journée 
de printemps. Les environs de la vallée, déjà cou- 
verts de boutons de fleurs, répandaient leurs par- 
fums dans les airs ; les collines et les champs 
étaient tapissés d'une fraîche verdure ; les oiseaux 
gazouillaient sur les branches des noisetiers et de 
Taubépine. Les flots de la Loue étincélaient aux 
rayons du soleil entre les rameaux d'arbres, et l'an- 
gélus tintait dans le clocher de Téglise. Çà et là on 
voyait passer sur les collines, dans le vallon, un 
paysan qui retournait à son travail, une femme qui 
allait porter le dîner aux ouvriers, un enfant qui 
courait gaiement le long du sentier, et il y avait 
dans cette grande nature, éclairée par un beau jour, 
animée par le mouvement champêtre, inondée de 
tant de fleurs, parée de tant de grâce, un tel calme 
et un tel charme que l'imagination de l'homme le 
plus froid en eût été ravie. 



182 L'ARBRE DS NOËL. 

c Ah mon Dieu I mon Dieu I s'écria Paul en joi- 
gnant les mains, et en promenant ses regards avec 
une profonde émotion sur le tableau qui l'entou- 
rait. Là* était le repos, là était le bonheur, et j'ai 
tout quitté, tout pour une erreur, pour un abtme. 
Mon Dieu , pardonnez-moi. » 

En exhalant ce cri de regret, il s'avançait vers 
.es vignes où il avait travaillé avec ses frères. U se 
glissait pas à pas comme un coupable derrière une 
haie de pruniers, et quand il fut au pied des ceps 
que cultivait la main de son père, il vit toute sa 
famille assise sur le sol, et partageant le frugal re- 
pas de la journée, ses frères et ses amis mangeant 
d'un bon appétit, et causant gaiement entre eux, 
son père qui semblait les écouter, et qui pourtant 
avait l'air soucieux, et sa mère assise à quelques 
pas de distance, sa mère pâlie et vieillie,, la tète ap- 
puyée sur une de ses mains, qui ne mangeait pas, 
n'écoutait pas et ne parlait pas. 

À cet aspect, il ne fut plus maître de lui ; un cri 
irrésistible s'échappa de ses lèvres ; son cœur l'em- 
porta. 

« Ha mère, ma mère» » dit-il. 

Et il se précipita dans les bras de la pauvre 
femme dont la voix s'éteignait dans les sanglots. 

<c C'est lui, dit le père, en essuyant de sa main 
calleuse une larme dans ses yeux. Te voilà revenu, 
mon garçon, et nous ne te demanderons pas ce que 
tu as fait depuis que tu nous a quittés. U y a de 
a besogne ici. Veux-tu t'y mettre bravement et ne 



L^ARBRE DE NOËL. 183 

plus songer à toutes les folies que tu as prises je 
ne sais où ? 

— Ah I je le veux bien, s'écria Paul en embras- 
sant tour autour ses frères et ses sœurs. 

— Eh bien ! femme, reprit le vigneron, donne- 
nous une cuillère: le pauvre garçon a peut-être 
faim et ne sera pas fâché de prendre sa parc de ce 
lait caillé, quoiqu'il ait sans doute goûté d autres 
friandises dans ses voyages. » 

Paul s'assit par terre, savoura avec bonheur le 
mets qui lui était offert, et pour prouver qu'il reve- 
nait pleinefaient corrigé de ses erreurs, il prit une 
bêche et travailla bravement jusqu'au soir. 




Mais le soir, il s'en alla trouver son bon vieux 
curé, lui fît, pour achever de se soulager l'âme, la 
confession de ce qui lui était arrivé, et le prêtre 

lui dit : 

< Souvenez-vous, mon enfant, que la fortune qui 
nous vient sans que nous l'ayons méritée, n'engen- 
dre qu'un sot orgueil, et de funestes illusions ; que 
la joie est dans le bien qu'on acquiert par un patient 
travail, et le bonheur dans le devoir. » 



184 l'arbre de NOËL. 

La bonne femme de Mouthier qui racontait cette 
vieille histoire ajoutait que Paul profita de ces sa- 
ges conseils, qu'il devint comme son père, un bon 
ouvrier, et un honnête chef de famille. 



LE VASE DE LARMES 



Il y avait une fois une bonne et tendre veuve qui 
était la mère d'une gentille petite fîUe. Elle aimait 
cette fille par-dessus tout. Elle ne pouvait une seule 
minute s'en séparer. Et voilà que tout à coup la 
douce enfant tombe malade, dépérit et meurt. En 
la perdant, sa mère qui Tavait veillée jour et nuit 
sans céder un instant à la fatigue, se sentit saisie 
d'une douleur inexprimable ; elle ne voulait plus 
prendre aucune nourriture, et sans cesse elle pleu- 
rait et se lamentait. Un soir, comme elle était affais- 
sée dans son désespoir à Tendroitmème où son en- 
fant avait rendu le dernier soupir, la porte de la 
chambre s'ouvrit, et elle vit apparaître sa chère pe- 
tite morte avec un regard et un sourire d'ange. Elle 
portait à la main un vase rempli jusqu'où bord, et 



186 L'ARBftS DE NOËL, 

elle dît : « Ohl ma bonne mère, ne pleure plus 
tdnsi. Vois : l'ange du deuil a recueilli tes larmes 
et les a mises dans ce vase. Si tu pleures encore, 
U débordera. Tes pleurs couleront sur moi et trou- 




bleront mon repos dans la tombe, mon bonheur 
dans le ciel. » 

La petite fille alors disparut. La mère se calma et 
cessa de pleurer pour ne plus l'affliger dans sajoie 
céleste. 



TOM POUCE 



Gon4o populaire anglais. 



Au temps du roi Arthur, un jour, le célèbre en- 
chanteur Merlin étant en voyage s'arrêta fatigué à 
la porte d'un honnête laboureur et demanda la per- 
mission de s'y reposer. La femme du laboureur 
Taccueillit très-poliment, lui offrit du lait dans un 
vase de bois, et du pain sur un plateau en bois. 

Tout était propre, bien rangé, en bon ordre dans 
cette habitation. Mais ceux à qui elle appartenait 
avaient Pair très-triste. Merlin les interrogea avec 
bonté, et apprit que leur chagrin était de n'avoir 
pas d'enfants. 

< Hélas I dit la femme en pleurant, je serais la 
plus heureuse créature de la terre, si seulement 
j'avais un fils, ne fût-il pas plus grand que le pouce 
de son père. » 



^« d»n garçon pas plus >;-;^Î. 
-ÏSio^rSfe^cHer f: reine de, 
^^"let 1« Pri* daccompLr le 

-latonrenr. 




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fait. En quelques minutes, naqui 
'^ 1 enchanteur s'était arrêté, un 
^out petit. La reine des fées vint 11 
^ lui donna le nom de Tom Pou^ 
Quelques fées de lui façonner des 

:^ille de chêne, on lui fit un chap( 

^ d'araignée, sa chemise ; d'un tissu 

l^aTdon son pourpoint et son pantaL 

^e de pomme, ses bas ; de deux sour 

e, ses jarretières ; d'une peau de soi 






î:: - 

2^ 









L'ARBRE DE NOËL. 



Cette idée d'un garçon pas plus haut que le pouce 
anima Merlin. Quand il fut de retour dans sa de- 
meure, il envoya chercher la reine des fées, qui 
était son amie, et la pria d'accomplir le désir de la 
femme du laboureur. 




Ainsi fut fait. En quelques minutes, naquit dans 
le cottage où l'enchanteur s'était arrêté, un enfant 
tout petit, tout petit. La reine des fées vint le voir 
dans son lit, lui donna le nom de Tom Pouce, et 
ordonna à quelques fées de lui façonner des vête- 
ments. 

D'une feuille de chêne, on lui ôt un chapeau ; 
d'une toile d'araignée, sa chemise; d'un tissu de 
duvet de chardon son pourpoint et son pantalon ; 
d'une pelure de pomme, ses bas ; de deux sourcils 
de sa mère, ses jairetières; d'une peau de souris, 
ses souliers. 



L'âHBRE de NOËL. 189 

Tom ne fut jamais plus graad que le pouce de 
son père qui n'était pas grand, mais malgré sa pe- 
tite taille il fallait se déSer de lui, et sa mère ne 
le gouvernait pas aisément. Quelquefois il se glis- 
sait dans la poche des enfants de son &ge et leur 
dérobait leurs fruits. L'un d'eux l'ayaat surpris au 
moment où il commettait un de ces larcins, le mit 
pour le punir dans un sachet rempli de noyaux de 
cerises et le secoua de telle sorte que les noyaux 




lui meurtrirent les bras et les jambes. 11 demanda 
humblement grâce, promettant de ne jamais plus 
rien dérober. 

Quelque temps après, il monta par curiosité sur 
le bord d'un vase, dans lequel sa mère avait mis 
avec soin tous les ingrédients nécessaires pour faire 
un bon mets sucré, autrement dit un pouding. En se 
penchant pour voir ce qu'il y avait là de jaunes 
d'œufs, de raisins de Corinthe et de fine farine. 



190 L'ARBRE DE NOËL. 

il tomba au fond de cette pâte, et tâchant d'en sor- 
tir, il se levait sur ses petits pieds, agitait sa tète et 
ses bras, et faisail de tels soubresauts, que sa mère 
voyant cette incompréhensible agitation de son pou* 
ding, pensa qu'il était ensorcelé et le donna àun char- 
bonnier qui le mit dans son sac. Tom Pouce étant 
parvenu à se délivrer de la farine qui lui était en- 
trée dans la bouche, se mit à pousser des cris si ai- 
gus que le charbonnier épouvanté jeta le pouding 
dans une haie. Là, enfin, le pauvre Tom Pouce par- 
vint à se dégager de la pâte où il était si malheu- 
reusement tombé, et retourna clopin dopant près 
de sa mère, qui le lava et le mit au lit. 

Une autre fois il allait voir traire la vache dans 
le pré Sa mère craignant que le vent ne l'empor- 
tât, pendant qu'elle faisait son opération, Tavaib 
attaché à un chardon. Tout à coup, elle entendit 
une voix lamentable qui lui criait : 

« Mère, mère, à mon secours. 

— Où donc es-tu, mon petit Tom, demanda la 
mère effrayée. 

— Ici, dans le gosier de la vache. » 

C'était la vache en effet, qui en prenant d'un coup 
de dent le chardon, prenait en même temps Tom 
Pouce. Par bonheur, elle resta un instant la mâ- 
choire ouverte ; le petit Tom profita de Toccasion 
pour s'élancer par terre ; sa mère le ramassa, le mit 
dans son tablier, et remporta au logis. 

Mais, il devait avoir bien d'autres aventures. Un 
jour qu'il se promenait dans les champs, un cor* 



I^IT^-^'^^^''^'^* ;,->S '^"^^ 




"H 



L'ARBRE DE NOËL. 193 

beau Tenleva avec un épi et le déposa sur un ro- 
cher, d'où il roula dans la mer. Un poisson Ta- 
vala. 

Un pêcheur ayant pris dans ses filets ce poisson 
d'une grosseur rare, l'offrit au roi Arthur. Quand 
on réventra, Tom en sortit tout vivant. Le roi char- 
mé de voir cet alerte petit bonhomme, le nomma 
son nain favori, et lui assigna un logement parti- 
culier dans son palais. Quand il montait à cheval, 
souvent il plaçait Tom devant lui sur le pommeau 
de sa selle. Si la pluie tombait, il le cachait dans sa 
poche. Une fois, il Tinterrogea sur ses parents, et 
quand il apprit que c'étaient de pauvres gens, il lui 
dit d'aller les voir et de leur porter autant d'ar- 
gent qu'il pourrait en porter. 

Tom seprocuraune bourse, ymitunepièce d'or de 
l'épaisseur à peu près d'une des pièces actuelles de 
vingt centimes, chargea sur ses épaules cette bourse, 
qui lui semblait une lourde sacoche, et, toujours 
marchant, arriva épuisé de fatigue dans son village, 
avec son sac sur le dos ; il avait pendant deux jours 
et deux nuits cheminé sans s'arrêter pour traverser 
un espace d'une demi-lieue. Ses parents furent 
heureux de le revoir, et bien étonnés de l'énorme 
pièce d'or qu'il avait apportée. Ils le firent asseoir 
dans une coquille de noix près du feu, et, pendant 
trois jours, le régalèrent d'une noisette. Cependant 
il voulait retourner près du roi, mais comme la 
terre était un peu trempée parla pluie, il ne pouvait 
se mettre en route. Sa mère alors le posa sur la 

13 



194 L'ARBRE D£ NOËL. 

paume de sa main, et d'un souffle l'envoya dans la 
cour du roi 

De nouveau, il amusaArthur et les chevaliers de 
la Table ronde par ses espiègleries, et par Tagilité 
de ses mouvements . Comme il était d'une nature 
très-belliqueuse, il voulut s'exercer au manie- 
ment des armes, assister aux joutes et aux tour- 
nois. Il s'y fatigua de telle sorte qu'il en fut mor- 
tellement malade. La reine des fées ayant pitié de 
lui, le plaça dans son chariot traîné par une souris 
ailée, le transporta dans son palais, et l'ayant bien 
guéri, le renvoya au roi. 

Et voilà qu'un jour, l'innocent Tom est accusé 
d'avoir empoisonné le cuisinier d'Arthur. Malgré 
ses protestations il est arrêté, et condamné à mort. 
En entendant prononcer cette terrible sentence, 
Tom remarqua un meunier qui se tenait près de 
lui, la bouche ouverte. Il fait un bond, s'élance et 
disparait dans cette bouche. Personne ne savait ce 
qu'il était devenu. Mais Tom ne pouvait rester tran* 
quille dans le refuge qu'il avait si heureusement 
trouvé. Il se promenait, montait et descendait dans 
le gosier du meunier. Le pauvre homme ainsi tour- 
menté, et ne comprenant rien aux souffrances qu'il 
endure, envoyé chercher successivement plusieurs 
médecins. L'un a{)rès l'autre, tous lui prescrivent 
des remèdes inutiles. Au milieu de leur consulta- 
tion il se met à bâiller. Aussitôt le petit Tom s'é- 
lance hors de sa prison et tombe debout sur la table. 
Le meunier surpris de voir ce petit être qui lui avait 



L'ARBRE DE NOEL. 195 

fait si mal, leprend entre ses doigb, et le jette dans 
la rivière. Un saumon l'avale. 11 sort encore de ce 
saumon et reparatt devant le roi qui ayant reconnu 




l'injustice de la sentence portée contre lui, le re- 
prend à son service, lui donne un titre de noblesse, 
et U fût habiller ma^ifiquemeot, 



198 L*ARBRB DE NOËL, 

pour s'élèigner au plus vite du palais où il avait à 
redouter la colère du roi et la haine implacable de 
la reine, il se mit sur le dos d'un papillon qui rem- 
porta dans la campagne. Mais il n'avait ni selle, ni 
bride, pour gouverner cette monture aérienne. Il ne 
put longtemps y garder son équilibre et tomba 
au coin d'un mur. Là, une grosse araignée étendit 
sur lui ses longues pattes. Il tira son épée pour se 
défendre. Inutile bravoure. La féroce bête lui dis- 
tilla dans le corps un poison dont il mourut. 
Ainsi finit l'histoire du pauvre petit Tom Pouce. 



LES ENFANTS DANS LES BOIS 

Poésie allemande. 



Trois enfants, se rendant ensemble à Pécole, 
réfléchissent que c'est bien ennuyeux d'étudier, et 
se disent : « Allons au bois, nous y trouverons tou- 
tes sortes de jolis animaux qui n'ont rien de mieux 
à faire que de jouer, et nous jouerons avec eux. » 

Ils s'en vont, et passent sans oser s'arrêter de- 
vant l'active Itourmi, et s'écartent aussi de l'abeille. 
Mais le )ianneton, qu'ils invitent à s'associer à leur 
récréation, leur dit : 

t Y songez*^vous ? Il faut en ce moment que je 
me construise, avec ces brins d'herbe, un nouveau 
pont, le mien n'étant plus solide. 

— Moi| dit la souris, je dois faire mes provisions 
pour l'hiver. 



200 L'ARBRE DE NOËL. 

I 

— Moi, dit la blanche colombe, j'ai plusieurs 
choses encore à porter dans mon nid. 

— Moi, dit le lièvre, je m'amuserais volontiers 
à courir avec vous, mais je n'ai pas encore lavé 
mon museau ce matin. Avant tout, je dois faire ma 
toilette. 

— Et toi, gentil ruisseau, s'écrient les petits dé- 
serteurs, toi qui sautilles et babilles si bien, ne 
veux-tu pas jouer avec nous? 

— Ahl voilà de sots enfants, répond le ruisseau. 
Comment? Vous vous figurez donc que je suis in- 
occupé I Ëhl nuit et jour, je n ai pas un moment de 
repos. Il faut que je désaltère les hommes et les 
animaux, que j'arrose les collines, les vallées, les 
champs et les jardins. Il faut que j'éteigne les in- 
cendies, que je fasse mouvoir des forges, des mou- 
lins, des scieries. Je n'en finirais pas, si j'essayais 
de vous énumérer tous mes différents emplois. 
Adieu. Je suis pressé. » ^ 

Les enfants, déconcertés, lèvent les yeux en l'air, 
et aperçoivent x.n pinson perché sur une branche : 

«Ahl lui disent-ils, toi qui n'as rien à faire, 
veux-tu venir jouer avec nous? 

— Rien à faire? Êtes-vous fous, répond le pin- 
son. Pendant le jour, il faut que j'attrape des mou- 
ches pour ma nourriture. Il faut que je fasse ma 
partie dans le concert des 'autres oiseaux, que je 
récrée par mes chants le pauvre ouvrier dans son 
travail, que j'endorme les enfants par un autre 
chant, et que soir et matin je célèbre les louan- 



L'âBBBE de NOËL. SOI 

ges de Dieu. Allez, petits paresseux ((ue vous êtes, 
allez aussi à votre devoir, et ne venez plus trou- 
bler les habitants des forêts, qui tous ont leurtâche 
à remplir. » 







Les enfants ont profité de cette leçon, et ils ont 
reconnu que le plaisir est doux quand il est la ré- ' 
compense du travail. 



LE ROUGE-GORGE 



Dans les rigueurs de l'hiver, un rouge-goi^e 
vint frapper à la fenêtre d'un bon paysan, comme 
pour lui demander la permission d'entrer. Le 
paysan ouvrit la fenêtre, et reçut amicalement 
dans sa demeure la. confiante petite bête. Alors le 
rouge-gorge se mit à becqueter les miettes de pain 
qui tombaient de la table, et les enfants du paysan 
se réjouissaient de le voir. 

Mais lorsque le printemps apparut dans la con- 
trée et que les arbrisseaux se couvrirent de feuil- 
les , le paysan ouvrit sa fenêtre , et son petit hôte 
s'envola dans la forêt voisine, et chanta sa joyeuse 
chanson. 

Puis voilà qu'au retour de l'hiver, le l'ouge- 
gorge revient au foyer du paysan , amenant avec 



L'ARBRE DE NOËL. SOS 

lui sa petite comp^ne. Rt le paysan et ses enfanta 
se plaisaient à voir cumme les oiseaux les regar- 
daient avec confiance : 

■ Ah I dît l'un des enfants, ils nous regardent 
comme s'ils voulaient nous dire quelque chose. 




— Oui, répliqua le père, et s'ils pouvaient par- 
ler, ils vous diraient : La confiance éveille la con- 
fiance, et l'affection produit l'afiection. » 



LA FINE ALICE 



Conte anglais. 



Il y avait une fois deux bonnes gens qui avaient 
une fille qu'on appelait la fine Alice. 

Quand elle fut grande, le père dit : 

t< Il faut songer à la marier. 

— Oui, répondit la mère, pourvu que nous trou- 
vions un jeune homme digne d'elle. » 

Un jeune homme, nommé Jean, se présenta : 
très-excellent parti. Il désirait épouser Alice. Mais, 
avant tout, il voulait savoir si elle était d'une na- 
ture prévoyante : 

« Soyez-en sûr, répondit le père, c'est une fa- 
meuse tète. 

— Elle est si fine, ajouta la mère, qu'elle peut voir 
le vent souffler et entendre les mouches tousser. 



l'arbre de NOËL. 205 

— Très-bien, dit Jean; mais rappelez-vous 

que si elle n'est pas prévoyante, je ne l'épouse 

pas. s 
Un instant après, comme c'était l'heuFe du dtner, 

la mère dit & Alice d'aller à la cave tirer de la 

bière. 




Elle prit un crucbon, descendit l'escalier, ^sa 
nne cliaise devant le tonneau, et s'assit, poar ne 
pas être obligée de se courber, car elle pensait 
qu'en se courbant elle pourrait se faire mal. En- 
' suite elle mit sa cruche sous le tonneau, tourna le 
robinet, et, pour ne pas laisser ses yeus inoccupés, 
elle regardait de côté et d'autre ; et voilà qu'elle 
aperçoit au-dessus do sa tête une hache que des 
ouvriers avait laissée sur une planche par mé- 
garde. 

B Ahl s'écrie-t-elle , si j'épouse Jean , si nous 
avons un enfant, et si un jour nous envoyons cet 
enfant tirer de la bière à la cave, cette hache peut 
tomber sur lui et le tuer, > 



206 L'ARBRE DE NOËL. 

En faisant cette douloureuse réflexion, elle se mit 
à pleurer. 

Cependant ses parents et son fiancé, assis à table, 
l'attendaient. Comme elle ne remontait pas, sa 
mère ordonna à la servante d'aller voir ce qui la 
retenait 

La servante la trouva pleurant à chaudes larmes, 
et lui demanda la cause d'une telle affliction. 

« Hélas! dit Alice, regarde cette hache. Si j'é- 
pouse Jean, si nous avons un enfant, et si un jour 
nous envoyons cet enfant tirer de la bière à la cave, 
cette hache peut tomber sur lui et le tuer. 

— Oh I s'écria la servante, on a bien raison de 
vous appeler la fine Alice. » 

Et à l'idée du malheur prévu par sa maîtresse, 
elle se mit aussi à pleurer. 

« Mais, j'ai soif ! s'écriait le père dans la salle à 
manger, et on n'apporte point de bière. » 

Il ordonna à son domestique d'aller voir ce qui 
se passait à la cave. 

Le domestique descendit, et vit sa jeune mat- 
tresse pleurant avec sa servante. Alice lui ayant dit 
la cause de sa douleur, 

a Ah 1 s'écria-t-il, on a bien raison de vous ap- 
peler la fine Alice. » 

Et il se mit à pleurer avec elle. 

t Mais, disait le père, c'est étrange qu'oq ne re- 
vienne pas de la cave. Vas-y donc, ma femme, et 
fais en sorte que nous ayons enfin de la bière. » 

Un instant après, Alice racontait à sa mère l'idée 



L'ARBRE DE NOËL. 207 

qui lui était venue en voyant la hache oubliée au 
bord d*une planche. La mère criait: 

« Ahl qu'on a bien raison de t*appeler la fine 
Alice 1 » et se mettait aussi à pleurer. 

Enfin y le père , impatienté, descend lui-même à 
la cave, apprend la crainte qui a saisi le cœur de sa 
fille , s'écrie : « Oh I la fine Alice I » et s'assoit 
près d'elle en sanglotant. 

Le fiancé, qui attendait dans la salle à manger, 
se décide aussi à descendre; voit son beau-père, sa 
belle-mère, la jeune fille et le domestique pleurant, 
et demande d'où provient un tel chagrin. 

« Regardez, cher Jean, lui dit Alice, cette hache. 
Si nous étions mariés, si nous avions un enfant, et 
si un jour nous envoyions cet enfant tirer de la bière 
à la cave, cette hache pourrait tomber sur lui et le 
tuer. 

— C'est bien, répliqua Jean,^vous avez autant de 
prévoyance que je puis en désirer. Vous êtes vrai- 
ment la fine Alice, et vous serez ma femme. » 

A ces mots, il la prit par la main, la conduisit 
dans la salle à manger et les noces furent prépa- 
rées immédiatement. 

Quelque temps après, Jean dit un matin à sa 
femme: 

« J'ai à quelque distance de notre village une tâ- 
che à remplir. Pendant ce temps, vous devriez al- 
ler dans les champs, ramasser du blé pour faire du 
pain. 

« Très-volontiers, » reprit Alice, et conune elle 



voyante, elle comment 

r de provisions. 

Ile fut dans les champi 

^rd? Faut-il majiger o 

çer. C'est nne bonne pi 

voir fini son repas, co: 

B, elle pensa aussi que 

L de se reposer. Ellle 

ndormit. 

.nt de retour au logis 

se dit: «Ali ! la ctièrO: 
[ii'elle ne prend pas m( 
maison pour manger. 
cependant, comme elle 
chercher dans le clia 
vit qu'elle n'avait abs 
ranquillement dans les 
oaison et en rapporta 
Letttes qu'il lui mit sur 
et ferma sa porte. 
X Alice s'éveilla, et en 
etites sonnettes attaclii 
la tête. Tout étonnée 
^ ne savait plus si elL 
^mandait, suis-je bien 
levant résoudre elle-mêi 
^Tiça vers sa demeure, f 
^oix inquiète : 

Jean, Alice est-elle là 
répondit-il. 



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-^-iittjj: 



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208 L'ARBRE DE NOËL. 

était si prévoyante, elle commença par se munir d'un 
bon panier de provisions. 

Quand elle fut dans les champs, elle se dit : « Que 
faire d'abord? Faut-il manger ou travailler? Mieux 
vaut manger. C'est une bonne précaution. » 

Après avoir fini son repas, comme elle était si 
prévoyante, elle pensa aussi que ce serait une bonne 
précaution de se reposer. Elle se coucha dans les 
blés et s*endormit. 

Jean étant de retour au logis et n'y trouvant pas 
sa femme, se dit : «Ah I la chère Alice, elle est si la- 
borieuse qu'elle ne prend pas même le temps de re- 
venir à la maison pour manger. » 

Le soir cependant, comme elle ne reparôissaitpas, 
il alla la chercher dans le champ où il l'avait en- 
voyée, et vit qu'elle n'avait absolument rien fait et 
dormait tranquillement dans les blés. Alors il cou^ 
rut à sa maison et en rapporta un filet garni de pe- 
tites sonnet^tes qu'il lui mit sur la tète, puis il s'en 
retourna et ferma sa porte. 

A la fin Alice s'éveilla, et en se levant fît réson- 
ner les petites sonnettes attachées au filet qui lui 
couvrait la tète. Tout étonnée et effrayée de ce 
bruit, elle ne savait plus si elle était elle-même. 
Elle se demandait, suis-je bien Alice? 

Ne pouvant résoudre elle-même cette question, 
elle s'avança vers sa demeure, frappa à sa fenêtre, 
et d'une voix inquiète: 

« Jean, Jean, Alice est-elle là? 

— Oui, répondit-il. 



L'ARBRE DE NOËL. 209 

— Hélas I s'éccria-t-elle, je ne suis donc pas 
Alice î » 

Elle voulait pourtant adresser la même question 
en d'autres maisons. Mais à Taspect de son filet, au 
bruit de ses sonnettes, chacun prenait la fuite. 

Elle sortit du village, et plus jamais on n'a en- 
tendu parler d'elle. 



U 



LES PECHES 



Un ouvrier de la campagne rapporta un jour à 
sa femme et à ses quatre enfants cinq belles pè- 
ches. Les enfants voyaient ce fruit pour la première 
fois, et en admiraient la fraîche couleur et le fin 
duvet. 

Le soir, le père leur dit : 

« Avez-vous mangé le beau fruit que je vous ai 
donné ce matin ? 

— Oui, s'écria l'aîné. C'est excellent. Aussi, j'en 
ai soigneusement gardé le noyau ; je le planterai, et 
j'espère qu'il en sortira un arbre. 

— Bien, dit le père, c'est une. bonne chose que 
d'être économe et de penser à l'avenir. 

— Moi, dit le plus petit, j'ai tout de suit^ mangé 
ma pêche, et ma mère m'a encore donné la moitié 
de l'autre. C'était doux comme du miel. 



^4 



l'arbre de NOËL. SU 

— Ahl répondit le père, tu as été un peu gour- 
mand. Mais à ton âge, c'est pardonnable. Lesannées 
te corrigeront, j'espère, de ce défaut. 

— Moi, dit un troisième, j'ai ramassé le noyau 
que mon petit frère avait jeté par terre. Je l'ai briséf 
et j'y ai trouvé un autre noyau qui avait le goût 
d'une noix. Hais j'ai vendu ma pêche, et avec l'ar- 



gent que j'en aï reçu, je puis en acheter plusieurs 
autres quand j'irai à la ville. » 
Le père secoua la tôte : 

> Cela peut paraître une ingénieuse idée, mais 
j'aimerais mieux moins de calcul. Et toi, Edmond, 
as-tu goûté ta pêchei' 
■ — Mon père, répondit Edmond, je l'ai portée au 



212 l'arbre de NOËL. 

fils de notre voisin, au pauvre Georges qui est ma- 
lade de la fièvre. Il ne voulait pas la prendre, mais 
je l'ai posée sur son lit, et me suis éloigné. ; 

— Ëh bien, mes enfants, demanda le père, qui 
de vous a fait le meilleur usage de ces beaux fruits 
que je vous ai donnés? » 

Et trois des garçons s'écrièrent : 

a C'est notre frère Edmond. » 

Edmond cependant ne disait rien, et sa mère l'em- 
brassa avec des larmes dans les yeux. 



JACQUES ET LA TIGE DE HARICOTS 



Conte populaire anglais. 



Au temps du roi Alfred, dans une maisonnette à 
quelques lieues de Londres, vivait une pauvre veuve 
avec son fils unique nommé Jacques. Elle aimait 
tant son fîls qu'elle ne pouvait rien lui refuser, et il 
était indolent, étourdi, souvent désordonné. Peu à 
peu il vint à dissiper tout ce qu'elle possédait. Un 
jour alors, pour la première fois de sa vie, elle lui 
fit un reproche. 

' « Cruel enfant, lui dit-elle, tu m'as réduite à la 
mendicité. Je n'ai plus un denier pour acheter un 
morceau de pain, je n'ai plus qu'une vache et il faut 
la vendre, à mon grand regret. » 

Jacques, à ces mots, éprouve un sentiment de re* 
mords, car au fond il n'avait pas le cœur mauvais. 



814 L'ARBRE DE NOEL. 

mais il était mal élevé. Quelques instants après, il 
pria sa mère de lui confier la vache pour qu'il allât 
la vendre au village voisin. Elle ne voulait pas d'a- 
bord lui abandonner cette aO'aire. Mais elle finit par 
céder, comme elle cédait à tout ce qu'il lui de- 
mandait. 

Il se mit en route, et rencontra un boucher qui 
portait dans son chapeau des haricots de difl'érentes 




couleurs et d'une forme singulière. Il connaissiùt la 

légèreté d'esprit de Jacques. Il lui montra comme 
une chose des plus précieuses ses légumes, et lui 
fit de tels contes que l'innocent Jacques e3rit de 
donner sa vache en échange de ces curieux haricots. 
Le malin boucher après s'être fait un peu prier cède 
comme à regret aux instances de Jacques qui s'en 



L'ARBRE DE NOÉL. 215 

retourne au logis , tout joyeux de son marché et 
impatient de 1 annoncer à sa mère. 

« Malheureux I lui dit-elle, quand il lui eut narré 
son aventure, comment as-tu pu te laisser ainsi du- 
per par un fripon I » 

Dans sa colère, elle jeta les haricots par la fenê- 
tre, puis se mit à pleurer. Jacques essaya vainement 
de la consoler. Elle s'écriait qu'elle n'avait plus 
rien, absolument plus rien. En effet, il ne lui res- 
tait pas une obole, et pas la moindre provision. Ce 
jour-là, elle se coucha ainsi que son extravagant 
Qls, sans souper. 

Le lendemain matin, Jacques en s'éveillant fut 
tout étonné de voir la fenêtre de sa chambre voi- 
lée par une grande ombre. Il descendit au jardin et 
vit que les haricots avaient germé pendant la nuit 
et pris un développement inimaginable. Leurs tiges 
étaient très-épaisses, enlacées Tune àTautre, et leur 
cime se perdait dans les nuages. 

Jacques était un garçon aventureux. Il résolut de 
grimper en haut de ces plantes prodigieuses, et com- 
muniqua son désir à sa mère qui tenta inutilement 
de l'en détourner. En dépit des terreurs et des sup- 
plications de la malheureuse veuve, il commença 
son ascension, et en quelques heures parvint au 
sommet des tiges des haricots. De là, il se trouva 
tout à coup transporté au loin. En promenant ses 
regards autour de lui, il vit une étrange contrée, 
une immense terre déserte, pas un arbre, pas une 
maison, pas un être vivant. Il s'assittristement sur 



SI 6 L'ARBRE DE NOËL. 

une pierre, songeant à sa mère, regrettant de lui 
avoir désobéi, et pensant que sur ce sol aride, il 
était destiné à mourir de faim. 

Cependant il se mit en marche pour voir sll ne 
ferait pas quelque heureuse découverte, et il ne 
trouva rien à boire et rien à manger, mais il vit 
une belle personne qui se promenait toute seule 
Elle était élégamment vêtue et portait à la main une 
baguette à l'extrémité de laquelle était un paon 
en or. 

Jacques, qui n'était point timide, alla tout droit 
la rejoindre. Elle lui demanda avec un ravissant 
sourire comment il se trouvait dans cette région. 
Il lui raconta l'histoire des haricots. Alors, elle lui 
dit: , 

« Vous souvenez-vous de votre père? 

— Non, madame, répliqua-t-il, mais il y a, j'en 
suis sûr, en ce qui tient à lui quelques mystères, 
car chaque fois que je prononce son nom devant 
ma mère, elle se met à pleurer et ne veut pas me 
dire pourquoi. 

— Elle ne le peut, mais moi je le puis. Appre- 
nez, jeune homme, que je suis une fée, et que j'é- 
tais la gardienne de votre père. Les fées sont sou- 
mises à des lois aussi bien que les mortels. Par 
une erreur que j'ai commise, j'ai été privée de mon 
pouvoir pendant de longues années. Je n'ai pu se- 
courir votre père quand il avait le plus besoin de 
moi, et il est mort. » 

En prononçant ces mots, la fée avait une si dou- 



L'ARBRE DE NOËL. 217 

lotireuse expression de physionomie que Jacques 
en fut tout ému. Il la regarda avec un sentiment 
de gratitude et la pria de continuer. 

« Je le yeux bien, dit-elle, mais à une condition, 
c'est que vous m'obéirez ponctuellement. Sinon, 
vous périrez misérablement. » 

Jacques était d'un caractère résolu, et à tout ha- 
sard n'avait rien de mieux à faire que de promet- 
tre. Il engagea bravement sa parole^ 

« Votre père, reprit la fée, était un homme de 
cœur et un homme heureux, ayant une excellente 
femme, une grande fortune et des serviteurs fidèles. 
Par malheur, il avait un ami perfide, un géant au- 
quel il avait rendu un considérable service. Ce 
monstre dépouilla votre père de ses biens, le tua, 
et fit jurer à votre mère de ne jamais rien vous ré- 
véler de cette horrible histoire, menaçant de la tuer 
elle-même si elle manquait à ce serment. Puis il 
la chassa avec vous de la maison où elle avait 
vécu . Je ne pouvais alors vous assister. Je te de- 
vais reprendre ma puissance que quand vous auriez 
vendu votre vache. C'est moi qui ai suscité en vous 
ridée de l'échanger pour des haricots, et le désir 
de monter au haut de ces tiges féeriques qui de- 
vaient vous mettre dans ce pays où réside l'abomi- 
nable géant. C'est vous qui devez venger la mort 
de votre père ; c'est vous qui devez délivrer le monde 
d'un scélérat qui ne fera jamais que du mal. Je 
vous aiderai dans cette entreprise. Vous prendrez 
possession de la maison du géant et de tout ce qu'il 



218 L'ARBRE DE NOËL. 

possède. Tout cela a appartenu à votre père. Main- 
tenant, adieu. Ne dites pas un mot à votre mère de 
la révélation que je vous ai faite. Sinon, vous vous 
en repentirez. A présent, allez. 

— Où dois-je aller? demanda Jacques. 

— Tout droit devant vous jusqu'à ce que vous 
voyiez la maison habitée par le géant. Agissez alors 
selon votre jugement. Si vous êtes arrêté par quel- 
que difficulté, je viendrai à votre secours. Adieu. » 

A ces mots, la fée disparut. 

Jacques se mit en route comme elle le lui avait 
ordonné. Il marcha sans s'arrêter jusqu'après le 
coucher du soleil, et enfin il vit devant lui une 
grande maison. Sur la porte était une femme d'une 
assez bonne apparence. Il s'avança vers elle, et lui 
demanda si elle pouvait lui donner un morceau de 
pain et un asile pour la nuit. 

«Ehl comment, s'écria-t-elle , êtes-vous ici? 
Personne n'ose s'approcher de cette demeure, car 
on sait que mon mari est un puissant géant qui 
voudrait se nourrir uniquement de chair humaine. 
U s'en va bien loin en chercher, et c'est dans ce 
but qu'il est sorti dès le matin. » 

De telles paroles n'étaient pas encourageantes. 
Mais Jacques espérait se soustraire aux féroces ap- 
pétits du géant, et il dit : 

« Ayez pitié de moi, accordez- moi un asile pour 
cette nuit, et cachez- moi où vous voudrez. » 

La femme de l'ogre se rendit enfin à cette de- 
mande, car elle était charitable et généreuse. Elle 



L'ARBRE DE NOËL. 210 

fit entrer l'aventureux voyageur d'abord dans une 
grande salle magnifiquement meublée, puis dans 
d'autres chambres très-vastes, mais abandonnées 
et dégradées, et ensuite dans une longue galerie 
séparée par une grille en fer d'un donjon où étaient 
enfermés les malheureux que le géant avait pris 
et qu'il réservait pour ses horribles festins. En 
entendant les cris et les gémissements de ces pau- 
vres victimes, Jacques pâlit. Il aurait bien voulu 
être en ce moment près de sa mère. Il craignait de 
ne plus la revoir; il craignait que la femme du 
géant, avec son apparence de bonté, ne lui eût ou- 
vert la porte de sa demeure que pour l'emprison- 
ner aussi dans le fatal donjon. Cependant, elle le 
pria de s'asseoir, et lui donna à boire et à manger. 

Il commençait à se rassurer, quand soudain des 
eoups violents résonnèrent à la porte de telle façon 
que la maison en semblait ébranlée. 

« Ah ! s'écria la pauvre femme toute tremblante, 
c'est le géant ; il vous tuera et me tuera, s'il vous 
voit. 

— Cachez-moi dans le poêle, » dit Jacques, ré- 
solu à chercher l'occasion de venger la mort de 
son père. 

Il se blottit dans un grand poêle où, depuis quel- 
que temps, on n'avait point allumé de feu. De là 
il entendit le pas lourd du géant et sa voix effrayante. 
Puis, par une crevasse, il le vit se mettre à table, 
et fut stupéfait de la quantité d'aliments et de bois- 
son qu'on lui servait. 



KO L'ARBRE DE NOËL. 

Après avoir assouvi son formidable appétit, le 
monstre cria d'une voix de tonnerre à sa femme: 

« Apporte-moi ma poule. » 

Elle obéit aussitôt. Elle lui remit une très-belle 
poule qu'il posa sur la table en lui disant : 

«■ Poads. » 

A l'instant elle pondit un gros œuf d'or. 




« Un autre, ditril, un autre encore, » et chaque 
fois qu'il donnait cet ordre, un nouvel œuf sortait 
des flancs de la poule. 

11 s'amusa ainsi quelques moments, puis renvoya 
sa femme, s'endormit près du feu et ronQa comme 
on canon. 

Jacques le voyant plongé dans un si profond som- 
meil, se glissa près de lui, enleva la poule et sor- 
tit. Il retrouva aisément le chemin qu'il avait suivi, 



l'arbre de koël. a2i 

puis la cime des tiges de harieots , et redescendit 
dans le jardin d'où il était parti. 

Sa mère l'embrassa en pleurant de joie. Cepen- 
dant elle ne savait ce qu'il avait fait en cette lon- 
gue absence, et elle craignait qu'il ne se fût laissé 
entraîner à quelque mauvaise action. 
« Rassurez-vous, dit-il, et regardez. » 
Il mit la poule sur la table en criant : 




Autant de fois il répéta ce mot, autant d'œufs 
d'or furent pondus. 

Par la vente de ces œufs, il avait le moyen de 
vivre très-tranquillement avec sa mère. Il vécut 
UDsi pendant quelques mois, puis, de nouveau, il 
éprouva le désir de remonter sur les tiges de hari- 
cots et d'enlever quelque autre trésor au rapace 
géant. Il avait raconté sou aventure à sa mère, 
mais sans lui dire un mot de son père, car il se 
souvenait de la promesse qu'il avait faite à la fée. 

Il voulait retourner dans l'étrange contrée où il 



2*22 L'ARBRE DE NOËL. 

avait eu de si vives émotions, et il n'osait confier 
son projet à sa mère, persuadé d'avance qu'elle 
s'y opposerait. Un jour, enfin, il se décide à lui 
faire son aveu, et comme il Tavait prévu, elle le 
conjura de renoncer à son idée, lui disant que là 
femme du géant le reconnaîtrait sans doute et 
qu'elle le livrerait à son mari qui le tuerait et le 
dévorerait sans miséricorde. 

Malgré ces justes observations, Jacques persis- 
tait dans son dessein. Il se peignit le visage, se 
procura un vêtement qu'on ne lui avait jamais vu, 
et, persuadé qu'il ne pouvait être reconnu, il se 
leva un matin de bonne heure, descendit au jardin, 
grimpa sur les hautes tiges. 

Le soir, en arrivant au terme de son excursion, 
il était fatigué et il avait faim. Il s'assit quelques 
instants sur une pierre, puis se dirigea vers la 
maison du géant. La vieille femme était comme la 
première fois sur la porte. Jacques invoqua sa com- 
misération en lui disant qu'il avait bien faim et 
qu'il était bien las. 

Elle lui répliqua ce qu'il savait déjà, que son 
mari était un cruel géant. Elle ajouta qu'un soir 
elle avait donné l'hospitalité à un pauvre garçon 
qui lui faisait pitié, que l'ingrat était parti en em- 
portant un des trésors de la maison, que depuis 
ce jour son mari était plus dur, plus emporté que 
jamais, qu'il la traitait sans ménagement, et lui 
reprochait sans cesse la faute qu'elle avait commise 
en ouvrant la porte à un vagabond. 



L*ÂR3HE DE NOËL. 223 

Jacques lui dit qu'il voudrait bien pouvoir la 
soulager dans ses peines, et parla d'une façon si 
touchante qu'il finit par obtenir ce qu'il souhaitait. 
La vieille femme lui donna à manger dans la cui- 
sine, et le cacha dans un grenier. 

Le géant rentra à son heure habituelle en faisant 
un tapage comme s'il voulait tout démolir. U s'as- 
sit près du feu et s'écria : 

« Femme, je sens la chair fraîche. 

— C'est, sans doute, répliqua-t-elle, le reste de 
cette carcasse que les corbeaux ont apportée sur 
le toit de notre maison. Reposez-vous, je vais pré- 
parer votre souper. » 

Pendant qu'elle accomplissait cette tâche, le géant 
la rudoyait et menaçait de la battre parce qu'elle 
n'était pas assez expéditive, et ajoutait qu'il ne lui 
pardonnerait jamais la perte de sa poule. 

Quand il eut fini son monstrueux souper, il lui dit: 

« Apporte -moi quelque chose pour m'amuser, 
ma harpe. Non, mes sacs d'argent qui [^ont plus 
lourds. » 

Elle obéit ; elle s'avança courbée sous le poids 
de deux énormes sacs remplis de pièces d'or et 
d'argent. Elle les versa sur la table. Le géant se 
mit à les compter et lui dit : 

€ Va-t'en. » 

De l'endroit où il était caché, Jacques le voyait 
se délecter dans une joie d'avare et désirait re- 
prendre cet argent, sachant que c'était une partie 
du bien de son père. 



824 L'âRBRE de NOËL. 

Après avoir compté et recompté, le géant remit 
tous ses écus dans les deux sacs, les lia soigneuse- 
ment, et les posa à côté de lui sous la garde d'un 
chien. Ensuite il s*endormit et json ronflement res- 
semblait au mugissement de la mer. 

Jacques sortit de sa cachette pour accomplir son 
projet. Mais au moment où il touchait à un des 
sacs, le chien qu'il n'avait pas aperçu se leva en 
aboyant avec fureur. Par bonheur, ses aboiements 
ne réveillèrent pas son maître. Jacques saisit habi- 
lement un morceau de viande, le jeta à l'animal 
qui aussitôt s'apaisa. Alors le vigoureux garçon 
chargea sur ses épaules les deux sacs, si lourds 
qu'il lui fallut deux jours entiers pour redescendre 
près de la maison de sa mère. 

Cette maison était déserte. Il courut d'une pièce 
à l'autre sans voir personne; et, tout éperdu, s'en 
alla dans le village demander si Ton savait où était 
sa mère. Elle était malade de la fièvre dans une 
habitation du voisinage. Jacques s'affligea de la voir 
en un si triste état, et il s'accusait douloureuse- 
ment d en être la cause. Mais à l'aspect de son 
cher fils, la bonne vieille mère se raviva. Il em- 
ploya, de concert avec elle, une partie de son ar • 
gent à reconstruire, à meubler leur rustique de- 
meure, et pendant trois années tous deux vécurent 
là très-heureusement. 

Jacques, de nouveau, se sentit tourmenté du dé* 
sir d'entreprendre une de ses aventureuses expédi- 
tions. Il n'osait confesser cette idée à sa mère, mais 



l'arbre de NOËL. -«25 

il s'asseyait rêveur au pied des tiges de haricots 
et passait de longues heures à les regarder. Par af- 
fection pour sa mèrCi par la crainte de la chagri*- 
ner, il essayait de surmonter son désir de voyage. 
Ne pouvant y parvenir, il fit ses préparatifs de dé- 
part, se procura un déguisement plus complet en-r 
core que le premier, et un matin, au point du 
jour, pendant que sa mère dormait encore, monta 
lestement sur les hautes tiges. 

En, arrivant près de la demeure du géant, il 
aperçut la vieille femme sur la porte, comme les 
autres fois. Il s'était si bien déguisé qu'elle ne pou* 
vait le reconnaître. Mais lorsqu'il commença à in- 
voquer sa commisération, elle lui dit d'un ton résolu 
qu'elle avait trop souffert de deux autres actes de 
charité, et que nul inconnu n'entrerait désormais 
sous son toit. Cependant il insista d'un ton si hum- 
ble et si touchant qu'elle se décida à le laisser en* 
trer et le cacha dans une chaudière. 

« Je sens la chair fraîche, » s'écria le géant en 
rentrant, et, malgré les protestations de sa femme, 
il s'en alla de côté et d'autre et s'approcha de la 
chaudière. Par bonheur, il n'eut pas l'idée de sou- 
lever le couvercle sous lequel tremblait le pauvre 
Jacques, et, n'ayant rien trouvé de ce qu'il cher- 
chait, il alla s'asseoir. Quand il eut achevé son 
monstrueux souper, il ordonna à sa femme de lui 
apporter sa harpe. 11 la posa sur la table, et dit : 
« Jouel » A l'instant, d'elle-même, elle produisit 
une musique délicieuse. Jacques, qui était musi- 

15 



22C L'arbre de noël. 

cien, écoutait avec un grand plaisir ces diverses 
mélodies, et désirait extrêmement s'emparer de ce 
trésor. Tandis que les cordes du magique instru- 
ment continuaient à vibrer, le géant s'endormit; 
sa femme était, selon sa coutumO) déjà rentrée 
dans sa chambre. 

Jacques sortit de sa chaudière, et saisit la harpe. 
Mais , dès qu'il y eut mis la main , elle s'écria, 
comme aurait pu le faire une personne vivante : 

« Maître 1 maître! » 

A cet appel, le géant s*éveilla, et vit Jacques qui 
se sauvait à toutes jambes, emportant la harpe. 

« Ah I brigand I s'écria Togre en fureur, c'est 
toi qui m'as déjà enlevé ma poule et mes sacs 
d^argent; je vais te rejoindre , et te mangerai tout 
vivant. » 

Mais il trébuchait, parce qu'il avait trop bu. 
Jacques, au contraire, avait le pied leste. Il courut 
jusqu'à la cime des haricots , et se mit à descendre 
avec sa harpe, qui ne cessait de jouer, jusqu'à ce 
qu'il lui dit : « Arrête ! » Et elle s'arrêta. 

Il arriva dans son jardin, et vit sa mère assise 
toute seule par terre et pleurant. 

« Mère I mère ! s'écria-t-il , vite I vite I une ha- 
che! 9 

Il savait qu'il n'avait pas un moment à perdre, 
car le géant commençait aussi à descendre. 

Mais Jacques se mit à frapper vigoureusement 
avec sa hache les tiges des haricots, les coupa, les 
renversa. Le géant tomba tout de son long sur le 



L'ARBRE DE NOËL, 227 

sol pour ne plus se relever. Il avait la tète fracas* 
sée. 

Aussitôt apparut la bonne fée, qui expliqua à la 
mère de Jacques les aventures de son fils, et les 
tiges de haricots disparurent. Jacques ne pouvait 
plus songer à une nouvelle ascension. 



LES DEUX CHEMINS 



Parabole aUemande. 



Un maître d'école était un jour dans sa chambre, 
au milieu de ses élèves, qui se plaisaient à l'écou- 
ter, car ses leçons étaient à la fois instructives et 
douces. Ce jour-là, il les entretenait de la bonne 
et de la mauvaise conscience, et de la voix secrète 
du cœur. 

Lorsqu'il eut fini, il dit : 

ce Qui de vous pourrait me faire, sur Tidée que je 
viens de vous expliquer, une comparaison? » 

Alors un de ses disciples se leva et dit : 

ic II me semble que je pourrais en faire; mais je 
ne sais si elle serait juste. 

— Voyons , mon enfant, » répliqua le maître avec 
bonté. 



L*ARBRE DE NOËL. «29 

Et l'enfant exprima sa pensée en ces termes : 

« Je compare la paix de la bonne conscience 
et le trouble de la mauvaise, au chemin que j'ai 
suivi en deux différentes circonstances. Lorsque 
les soldats ennemis passèrent par notre village, ils 
s'emparèrent violemment de mon père, et Temme^ 
nèrent avec notre cheval. Ha mère pleurait et se 
désolait, et nous pleurions comme elle, et elle 
m'envoya à la ville pour savoir ce que mon père 
était devenu* 

a Je ne le trouvai pas, et m'en revins la nuit, le 
cœur bien affligé. 

c C'était une sombre nuit d'automne. Lèvent gé- 
missait à travers les sapins; l'orfraie hurlait sur les 
rochers. Moi, je pensais que je ne reverrais peut; 
être jamais mon bon père, et je ne savais comment 
annoncer à ma mère le triste résultat de mon 
voyage. Alors, cette nuit obscure me causait une 
grande frayeur, et le bruit des feuilles emportées 
par le vent me faisait frissonner; et je pensais en 
moi-même : Il doit en être ainsi de l'homme qui a 
une mauvaise conscience. 

— Enfants, s'écria le maître, voudriez-Vous , au 
milieu d'une nuit effrayante, aller à la recherche 
de votre père, et ne pas le retrouver, et entendre 
la voix de l'orage et les cris des bêtes sauvages ? 

— Ohl non,» répliquèrent les enfants avec un cri 
d'effroi. 

Leur jeune condisciple continua son récit : 

« Une autre fois, dit*il , je suivais le même che- 



230 L'ARBHE de NOËL. . 

min avec ma sœur. Nous revenions de la ville, et 
nous en rapportions plusieurs jolies choses pour 
la fête de notre mère. C'était le soir, mais un beau 
soir dé printemps, un beau ciel clair, une lune sans 
tache, et de tout côté un calme délicieux. On n'en* 
tendait, dans le silence de cette soirée, que le mur- 
mure du ruisseau coulant le long du chemin, et le 
chant du rossignol caché dans les bois. Nous nous 
en allions, ma sœur et nloi, si heureux, qu'à peine 
pouvions-nous parler. Notre père bien-aimé vint 
& notre rencontre, et alors je pensais : Il doit 
en être ainsi de l'homme qui a une bonne con- 
science. 

— Très-justes, dit le maître, sont vos deux com- 
paraisons. » 



LE CHATEAU DE KYNAST 



SN BOBtlIE 



Dans ces vastes remparts maintenant en ruine, 
jadis vivait une jeune châtelaine, nommée Guné- 
gonde, unique héritière d'une noble et riche famille. 
Guûégonde était belle, mais elle avait l'âme dure 
et oi^eilleuse. Après la mort de son père, ses 
vieux serviteurs la priaient de se choisir un époux. 
EUe les conduisit au-dessus d'un abime, au sommet 
d'un roc escarpé où l'homme le plus brave ne posait 
le pied qu'en tremblant, et elle leur dit : 

<c Si quelqu'un songe a m'épouser, il faut qu'il 
gr^ivisse â cheval cette cime élevée. J'en jure par tout 
ce qu'il y a de plus saint, celui-là seul qui pourra 
soutenir cette épreuve aura le droit de m'appeler sa 
femme. » 



232 l'arbre de NOËL. 

Plusieurs chevaliers se hasardèrent dans cette 
terrible entreprise et y succombèrent. Les uns ac- 
couraient séduits par la beauté de Gunégoode ; 
d'autres, entraînés par l'ambition ; d'autres par un 
fol orgueil, et l'impitoyable jeune fille vit périr 
avec la même indifférence ceux qui Taimaient sin- 
cèrement, et ceux qui n'aspiraient qu'à partager 
sa fortune. 

Un jour, trois nouveaux chevaliers voulurent 
faire la même tentative. C'étaient les trois enfants 
d'une famille puissante; tous trois jeunes, beaux, 
braves, ils attiraient tous les regards^ et tous les 
vœux de la foule les suivaient. L'un après l'autre 
ils essayèrent de gravir le roc fatal. Le premier 
n'était pas à moitié chemin, quand son cheval fit un 
faux pas et le précipita dans Tabime; le second 
échoua un peu plus haut. Le troisième s'avança 
avec plus de précaution, et déjà il avait surmonté 
les principaux obstacles, déjà il approchait du 
but, quand tout à coup une plante humide le fit 
glisser, et il roula de roc en roc jusqu'au fond 
du gouffre béant. A cet aspect, il s'éleva un cri 
de douleur, et Cunégonde elle-même se sentit 
émue.. Mais bientôt elle reprit sa superbe indiffé- 
rence et regarda sans un battement de cœur tomber 
ceux que la vue de la montagne sanglante n'avait 
pas effrayés. i 

Un matin, le son du cor annonce l'arrivée d'un 
étranger. Un chevalier entre dans le château. Il porte 
une armure étincelante; une plume d'aigle flotte suf 



L'ARBRE DE NOËL. 233 

son casque et ses longs cheveux noirs tombent sur 
ses épaules. Celui-là est beau, plus beau que tous 
ceux qui l'ont devancé. Son regard est fier, son at- 
titude imposante. Gunégonde en le voyant éprouve 
une émotion qu'elle n'avaitjamaisressentie. Quand 
il lui annonça qu'il se disposait à gravir la monta- 
gne, elle pâlit, elle trembla, elle eût voulu l'arrêter 
au bord du chemin, et lui jurer à l'instant même 
une fidélité éternelle. 

Mais lui voulait achever son périlleux voyage. H 
se met en marche; il gravit les sentiers tortueux, les 
rochers à pic. Gunégonde le suit avec anxiété; elle 
compte chacun de ses pas et chaque péril qu'il doit 
surmonter. Quand elle le voit tourner avec adresse 
les obstacles, se tenir debout sur la pente la plus 
escarpée, son cœur tressaille, elle lève les yeux au 
ciel, elle prie, elle espère, puis un instant après elle 
retombe dans ses angoisses. 

Cependant le chevalier poursuit son chemin, il 
s'élève de roc en roc, et tout à coup il s'arrête, il 
est arrivé à la dernière sommité et son panache on- 
doie au-dessus de l'abime. A cette vue, Gunégonde 
se jette à genoux, et Tair retentit de ses exclama- 
tions de joie. Puis elle se lève et vient toute ra- 
dieuse au devant de l'étranger. Mais lui, la repous- 
sant avec mépris : 

a Va-t'en loin de moi, lui dit-il, misérable femme 
qui as fait verser tant de pleurs ; souviens-toi des 
nobles chevaliers dont tu as causé la mort. Souviens- 
toi de ces trois frères que tu as vus sans pitié périr 



234 L'ARBRE DE NOËL 

Tun après l'autre. Je suis venu pour les venger. Ta 
voudrais m'épouser, et je te maudis. » 

 ces mots, il s'éloigne, et la malheureuse Gnné- 
gonde reste livrée à ses regrets, torturée par ses 
remords. 



LE FRERE ET LA SŒUR 



Un jeune garçon prenant un jour sa sœur par la 
main, lui dit : 

a Clara, depuis que notre mère est morte, nous 
n'avons plus un moment heureux. Notre belle-mère 
ne peut nous souffrir. Elte nous bat sans cesse ; elle 
ne nous donne pour notre nourriture que des 
croûtes desséchées ou les plus misérables restes de 
ses dîners. Son chien est mieux nourri que nous. 
Âh 1 si notre bonne mère voyait ce qu'on nous fait 
endurer, elle en aurait le cœur brisé. Mais quittons 
cette maison où nous n'avons rien de mieux à es- 
pérer, et allons-nous-en bien loin, bien loin. » 

Les deux enfants partirent, et s'en allèrent droit 
devant eux à travers champs. Le soir, ils se réfu- 
gièrent dans le creux d'un arbre et s'endormi- 
rent. 



236 L'ARBRE DE NOËL. 

Le lendemain matin le frère dit : 

« Ma sœur, j'ai bien soif. Il me semble que j'en- 
tends le murmure d'une source. Allons voir. » 

Mais la belle-mère, qui était une sorcière, avait 
devancé sur leur route les deux innocents fugitifs, 
et avait ensorcelé toutes les sources près desquelles 
ils devaient passer. 

Le frère vit un ruisseau limpide et tout joyeux se 
baissa pour y tremper ses lèvres. Au même instant, 
la s<£ur entendit une voix qui lui disait : 

« Quiconque boira de cette eau sera changé en 
tigre. » 

« Ohl Etienne, cher Etienne, s'écria-t-elle, ne bois 
pas là, tu deviendrais une bète féroce, et tu me dé- 
vorerais. 

— J*ai terriblement soif, répliqua Etienne, mais 
allons un peu plus loin. » 

Un peu plus loin serpentait un autre ruisseau. 
Etienne s'en approcha avec avidité. Mais Clara en« 
tendit une voix qui lui disait : 

ce Quiconque boira de cette eau sera changé en 
loup. 

— Ohl Etienne, s'écria-t-elle, je t'en prie, ne bois 
pas là, tu deviendrais un loup cruel et tu me man« 
gérais. 

— Allons, dit Etienne, j'attendrai encore; mais au 
premier ruisseau que nous trouverons, il faut que 
je boive, car je meurs de soif. » 

Près de ce troisième ruisseau, Clara entendit une 
voix qui disait: 



l'arbre de NOËL, 237 , 

« Quiconque boira de cette eau sera changé en 
chevreuil. 

— Oh I Etienne, s'écria-t^elle, prends garde, je 
t'en prie, si tu étais transformé en chevreuil, tu te 
mettrais à courir et je ne pourrais te suivre. » 

Hais déjà Etienne s'était courbé au bord du ruis- 
seau, et à l'instant où il y trempait ses lèvres, il fut 
changé en un chevreuil blanc. 

Clara se mit à pleurer en voyant son frère ainsi 
ensorcelé. Etienne pleurait aussi bien tristement. 

« Rassure-toi, lui dit enûnsa gentille sœur, je nd 
t'abandonnerai pas. » 

Elle prit sa jarretière et lui en fit un coUierj elle 




cueillit des joncs et en fit une corde avec laquelle 
elle conduisait le jeune chevreuil. Elle le conduisit 
bien avant dans la forêt et s'arrêta devant une mai- 
sonnette inhabitée : 



% 238 L'ARBRE DE NOËL. 

« Entrons là, dit-elle ; c'est là que nous devons 
vivre.» 

£lle entra et fit pour le chevreuil un lit de mousse 
et de feuilles. Elle alla cueillir pour lui de l'herbe 
fraîche, pour elle des noisettes et des fraises. Chaque 
matin, elle fit les mêmes provisions. Elle donnait 
elle-même à manger au gentil chevreuil. Il la re- 
gardait avec reconnaissance et sautait gaiement au- 
tour d'elle. Le soir, il lui servait d'oreiller. EUe 
mettait sa tête sur son épaule, et s'endormait paisi^ 
blement. S'il avait eu sa vraie forme, tous deux au- 
raient vécu ainsi très-heureux. 

Ils étaient là depuis quelque temps, quand un 
jour le roi du pays entreprit dans la forêt une 
grande chasse. De loin on entendait retentir le son 
des cors, les aboiements des chiens, les cris des 
chasseurs. 

A ce bruit le chevreuil tressaillit : 

« Oh! dit-il à sa sœur, je ne puis y tenir. Il faut 
que j aille voir la chasse. Laisse-moi aller, je t'en 
prie. » ^ 

Il insista si vivement qu'elle consentit à le laisser 
partir: 

« Seulement, lui dit-elle, si tu reviens un peu 
tard, tu trouveras la porte de notre maison far- 
ce mée. Il faudra que tu frappes en disant: « Ma pe- 
tite sœur, laisse-moi entrer ; » si non, je n'ouvrirai 
pas. 

— Très-bien, » répliqua le chevreuil; et il s'élança 
dans la forêt, tout joyeux de courir en plein air. Le 



L'ARBRE DE NOÈL. S39 

roi et les chasseurs remarquèrent cette jolie petite 
bête et la poursuivirent, mais inutilement. Au mo- 
ment où ils croyaient l'atteindre, elle franciiit une 
ligne de broussailles et disparut. Le soir, il alla 
frapper è. la porte de la maisonnette, et dit: 




DE Petite sœur, laisse-moi entrer.» La porte s'ou- 
vrit, et il dormit tranquillement sur sa couchette. 

Le lendemain, de nouveau il entendit résonner 
les cors de chasse; de nouveau il voulut courir & 
travers la forêt. Sa sœur lui dit: 



240 L'ARBRE DE NOËL. 

« N'oublie pas de frappera la porte, et de deman- 
der comme hier que j'ouvre. Sinon Je n'ouvre pas. » 

Quand le roi et les chasseurs revirent le chevreuil 
blanc avec son collier d'or, ils se mirent aussitôt à 
le poursuivre, mais sans pouvoir J'atteindre. L'un 
d'eux seulement réussit à lui lancer une flèche, qui 
le frappa à la cuisse et le fit un peu boiter. Ce chas- 
seur le vit se diriger vers la maisonnette, et frap- 
per à la porte en disant : 

« Petite sœur, laisse-moi entrer. » 

La porte s'ouvrit ; il entra, et le chasseur alla ra- 
conter au roi ce qu'il avait remarqué. 

« Demain, dit le roi, nous recommencerons notre 
chasse. » 

Clara fut bien alarmée quand elle vit son frère 
blessé ; elle essuya le sang de sa plaie, et y mit des 
compresses, puis l'engagea à se reposer. 

La blessure pourtant était légère ; et le lende- 
main, comme il entendait encore le cri des chas- 
seurs, il^ s'écria : 

« Je n'y tiens pas. Il faut que j'aille. 

— Hélas I lui dit sa sœur, tu veux sortir. Tu te 
feras tuer, et moi, je resterai ici toute seule, aban- 
donnée de tout le monde dans la forêt. Je t'en prie, 
ne t'en vas pas. 

— Eh bien! répliqua-t-il, je mourrai donc ici de 
chagrin, car le son des cors m'entraîne. Je ne puis 
y résister. » 

Il partit ; et dès que le roi le vit, il dit au chasseur 
qui la veille avait suivi le chevreuil : 



L'ARBRE DE N0£L. S41 

« Suivez-le jusqu'à ce soir, mais prenez garde de 
lui faire mal. » 

Vers le soir, le roi se fît indiquer la maisonnette 
avant que le chevreuil arrivât, et frappa à la porte 
en disant : 

a Petite sœur, laisi^e-moi entrer. » 

Aussitôt la porte s'ouvrit. 

Clara fut bien bouleversée lorsqu'à la place du 
petit chevreuil, elle vit devant elle un homme 
qu'elle ne connaissait pas, avec une couronne sur 
la tête. 

Le roi pourtant la regarda avec un doux sourire, 
et lui prenant amicalement la main : 

« Voulez- vous venir avec moi dans mon château 
et m'épouser? 

— Je le veux bien, répondit Clara ; mais il faut 
que le chevreuil vienne avec nous, car je ne puis 
l'abandonner. 

» 

— Tranquillisez-vous, reprit le roi, il demeurera 
avec vous tant que vous voudrez, et il n'aura be- 
soin de rien. » 

En ce moment, le chevreuil rentrait. Clara atta- 
cha la corde de joncs à son collier, et le conduisit 
au château du roi. 

Là son mariage fut pompeusement célébré. Elle 
était reine, très-respectée et très-aimée, et le che- 
vreuil était parfaitement soigné. 

Cependant, la cruelle belle-mère qui avait si mal- 
traité les deux innocents enfants se réjouissait de 
penser qu'ils étaient à jamais perdus. Elle croyait 

16 



142 L'ARBRE DE NOËL. 

que Clara avait été dévorée dans les bois par les 
bêtes fauves, et que son frère transformé en che- 
vreuil avait été tué par les chasseurs. Elle devint 
furieuse quand elle apprit comme ils vivaient heu- 
reusement dans le palais du roi, et résolut de 
détruire leur bonheur. 

Sa fille, qui était borgne, lui disait souvent^ 

« G*est moi qui devrais être reine. 

— Sois tranquille, lui répondait la méchante sor- 
cière, ton temps viendra: » 

La charmante reine Clara mit au monde un beau 
garçon. Pendant que le roi était à la chasse, la 
sorcière prit les vêtements et la figure de la garde- 
malade, et s'approchant de la jeune accouchée : 

a Votre bain est prêt, lui dit-elle, ne le laissez 
pas refroidir. » 

Alors, à Faide de sa hideuse fille, elle prit Clara 
par le milieu du corps, la porta dans la salle de 
bains, la mit dans Teau, puis ferma à double tour 
la porte de la salle et s'enfuit. 

Sous la baignoire, elle avait allumé un grand feu. 
La jeune reine devait être étoufiëe et brûlée. 

Ne doutant pas de la pleine réussite do son crime, 
la sorcière conduisit sa vilaine fille dans la cham- 
bre, dans le lit même de Clara. Par TefTet de sa 
magie, elle lui avait rajeuni le visage, mais elle ne 
pouvait lui rendre Toeil qui lui manquait. Pour 
dissimuler ce défaut, elle lui recommanda de tour- 
ner vers la muraille le côté défectueux de sa fi- 
gure. 



l'arbre DB NOËL. 243 

En revenant de la chasse, le roi apprit avec joie 
qu'un fils lui était né. Il voulait voir la reine et 
l'embrasser. Mais la sorcière lui dit : 

<c Prenez garde, ne soulevez pas le rideau, elle 
ne peut voir encore la lumière. » 

Le roi se retira saqs se douter de la trahison. 

Mais i minuit, lorsque tout dormait, la nourrice 
seule veillant encore près dit berceau de Fenfant, 
soudain la porte s'ouvre, et la vraie reine entre 
doucement. Elle s^avance vers le berceau, prend 
Fenfant dans ses bras, et le serre sur son cœur. 
Puis elle relève ses oreillers, le replace soigneuse- 
ment dans sa couchette, et Fenveloppe dans sa cou- 
verture. Ensuite, elle s'approche du chevreuil qui 
était couché dans un coin de la chambre, et lui 
pose légèrement la main sur la tète. Puis elle se 
retire en silence, et disparaît. 

La nourrice demande aux factionnaires s'ils ont 
' vu entrer quelqu'un dans le palais. Ils répondent 
qu'ils n'ont vu personne. 

La nuit suivante, et les autres nuits, la jeune 
reine revient, et s'en va sans prononcer un mot. 

Quelque temps après, elle apparaît plus triste, et 
murmure en s'en allant : 

« Ah ! mon cher enfant ! Ah I mon cher frère ! Je 
reviendrai encore une fois, puis plus jamais. » 

La nourrice, qui jusque-là n'avait rien dit de ces 
apparitions, se décide alors à les raconter au roi ; et 
le roi dit : 

« J'irai voir moi-même ce qu'il en est. *> 



S44 L'ARBRE DE NOËL. 

Le soir, il entre dans la chambre de la nourrice. 
A minuit, la reine s'avance, caresse l'enfant, et s'é- 
loigne en disant : 

« Je reviendrai encore une fois, puis plus ja- 
mais. » 

Cette nuit-là, le roi n'osa lui adresser la parole. 
La nuit suivante, il la revit encore; elle dit : 

« Ahl mon cher enfant! Ahl mon ciier frère, je 
ne reviendrai plus. 

— Oh I s'écria le roi, c'est vous qui êtes ma chère 
femme. 

— Oui, » répondit- elle. 



Au même instant, elle recouvra la vie, et raconta 
au roi le crime de la sorcière et de son affreuse 
fille. Toutes deux furent aussitôt arrêtées et con- 
damnées à mort. Dès que la sorcière eut subi sa 
sentence, Etienne, qu'elle avait transformé en che- 
vreuil, reprit sa forme première et vécut près de sa 
sœur très -heureusement. 



LES INFORTUNES DE JEAN LE TAILLEUR 

Conte allemand. 



Il y a de par le monde une quantité d'habita- 
tions humaines dont nous n'avons jamais entendu 
parler, et qui à trois ou quatre lieues de circonfé- 
rence ne seraient jamais connues que des collec- 
teurs d'impôts, ces universels inquisiteurs si tout 
à coup un événement, un homme, une apparition 
extraordinaire ne donnait à ces bourgades obscures, 
à ces villages ignorés, un vaste renom. C'est ainsi 
que la petite ville de Rapps, en Bohême, a été illus- 
trée par ringénieux tailleur dont nous voulons ra- 
conter les aventures, et dont nous nous flattons 
de répandre au loin la gloire. 

Jean était le dernier descendant d'une famille 
qui, de génération en génération, depuis plusieurs 



246 L* ARBRE D£ NOËL. 

siècles, exerçait le plus noble des métiers, le plus 
ancien, le métier de tailleur qui remonte jusqu'à 
la chute d'Adam. Le père de Jean avait eu trois 




fils, et se plaisait à penser que tous trois le réjoui- 
raient dans sa vieillesse. Mais les deux aînés avaient 
déserté sa demeure : le premier pour revêtir Tuni- 
forme de soldat, et il avait été tué dans une ba- 
taille ; le second pour entrer dans un atelier de 
tisserand; et comme il avait un funeste penchant 
pour la boisson, un soir, en sortant du cabaret, il 
s'était noyé dans un étang. L'honnête vieillard 
n'avait plus d'espoir qu'en son fils Jean, mais un 
fils excellent, tendre comme une colombe et doux 
comme un agneau. La moindre remontrance pa- 
ternelle le faisait trembler, et une simple parole 
d* affection suffisait pour le réjouir. Ces paroles sa- 
lutaires, il les entendait souvent, car son père l'ai- 
mait beaucoup et se faisait un devoir de lui rendre 
la vie aussi agréable que possible. 

Jean était grand, mince, alerte, très-vigoureux 
et très-actif. Quand il était assis sur sa table de 
tailleur, son aiguille à la maia, il travaillait avec 



L*ARBRE DE NOËL. 247 

une ardeur et une rapidité sans pareilles ; puis il 
dinait avec la même promptitude ; puis un instant 
après, on pouvait le voir jouant gaiement avec ses 
compagnons, courant comme un lièvre, sautant 
comme un chevreau. Il n'avait qu'un défaut : c'é- 
tait de trop aimer son violon. Mais les milliers et 
les milliers de points qu'il cousait dans sa journée 
ne fatiguaient pas sa main, et dès que sa tâche était 
finie, il prenait son violon. Quelquefois il ne pou- 
vait résister au désir de le prendre quand son père 
était sorti. Il se délectait à promener son archet 
sur les cordes sonores, et traîtreusement, pendant 
qu'il restait seul, abandonnait son travail. Sauf 
cette petite infraction à son devoir d'ouvrier, son 
père n'avait aucun reproche à lui faire, et en mou- 
rant, il lui donna du fond de Tâme sa bénédiction. 

Jean avait déjà depuis longtemps perdu sa mère. 
Il se trouva seul dans sa maisonnette avec son 
violon, et un petit mobilier dont son voisin le bro- 
canteur ne lui aurait pas sans peine donné quel- 
ques écus. Sn même temps il vit s'établir en face 
de lui un nouveau tailleur, un jeune et ardent rival 
qui décora d'une belle enseigne une belle boutique, 
et qui naturellement devait se faire une bonne 
clientèle. 

Cependant le brave Jean ne se laissa troubler ni 
par sa chétive fortune, ni par cette redoutable con- 
currence. Il continua à travailler comme par le 
passé. Quand il avait accompli sa tâche, il jouait 
du violon ; et quand il avait assez longtemps joué 



848 L'ARfiRË DE NOËL. 

du violon, il se mettait au lit. Une nuit, il eut un 
rêve qui l'impressionna vivement. Il rêva que s*il 
pouvait parvenir à amasser seulement une somme 
de cinquante florins, il aurait par là sa fortune 
assurée ; il réduirait au désespoir son orgueilleux 
rival, et deviendrait un personnage si important 
que ses concitoyens s'honoreraient de le proclamer 
leur bourgmestre. 

Il avait de Timagination, le bon Jean, et il ne 
doutait pas que son rêve ne dût un jour s'accomplir. 
Avec cette agréable pensée, il se remit plus vail- 
lamment à la besogne. Les gens de Rapps ne lui 
payaient pas cher son ouvrage, et en taillant et 
cousant du matin au soir, il ne gagnait guère Mais 
il dépensait si peu I Par ses habitudes d'ordre et 
de rigide économie, il en vint à épargner d'abord 
un florin, puis un autre ; puis, peu à peu, toute la 
somme qu'il ambitionnait, et déjà il songeait à sa 
prochaine gloire de bourgmestre. Mais un soir où 
il avait été obligé de sortir, sa porte fut ouverte 
par un coquin et son trésor enlevé. 

De ce désastre il fut douloureusement frappé, et 
peut-être l'attribua-t-il à son concurrent qui avait 
constamment les yeux tournés de son côté et ob« 
servait toutes ses actions. Que faire cependant? Nul 
indice ne l'aidait à retrouver la trace de son vo^ 
leur, et ceux de ses voisins auxquels il confia son 
malheur, au lieu de l'assister, le gourmandèrent 
de son avarice et de son imprudence. 

« Voilà ce que c*est, disaient-ils^ que de vivre 



L'ARBRE DE NOËL. S49 

seul, misérablement, et de vouloir thésauriser. 
Vous devriez au moins avoir le soir de la lumière 
dans votre chambre. Il y a toujours eu des gens 
disposés à un méfait. On voit votre maison som- 
bre. On pense bien qu'il n*y a là personne. On 
entre et Ton vous vole. Si les larrons y voyaient 
de la lumière, ils penseraient que vous n'êtes pas 
sorti, et n'oseraient ouvrir votre porte. 

— C'est vrai, répliqua Jean. Je profiterai de ce 
conseil. » 

En même temps il se disait que lorsqu'il serait 
boui^mestre de Rapps, il surveillerait avec une 
vigoureuse vigilance les voleurs. 

Dès ce jour, soit quil fût au logis, soit qu'il fût 
sorti, dès le crépuscule du soir, une lampe brilla 
à sa fenêtre, et les gens qui alors passaient devant 
sa demeure disaient: comme ce tailleur est labo- 
rieux; et ceux qui passaient là le matin : voilà un 
garçon qui fera fortune. Il §e couche tard et se 
lève de bonne heure. 

Par de nouveaux efforts de travail et d'économie, 
Jean parvint à réparer son désastre, à amasser une 
seconde fois le pécule qu'il avait vu en rêve. Il avait 
ses cinquante florins, il serait bourgmestre ; et voilà 
qu'un soir, comme il venait de visiter un de ses 
clients, en rentrant dans son quartier, que voit-il? 
Oh I malheur. Sa maison en feu I Et un instant 
après, tout était anéanti, son mobilier, ses usten- 
siles de travail, son violon et sa caisse d'é- 
pargne. 



250 L* ARBRE DE NOËL. 

Quelle catastrophe! hélas I Lé pauvre Jean en 
était atterré. 

« C'est le résultat naturel de votre imprudence, 
lui dirent ses voisins. Gomment laissez-vous une 
lampe allumée dans votre chambre quand vous 
sortez, et comment n*avez-vous pas quelqu'un pour 
veiller en votre absence sur votre demeure ? » 

Jean les remercia débonnairement de leur re- 
marqué et leur dit qu'il s'en souviendrait. Gomme 
il était d'un caractère énergique, et qu^il voulait 
absolument devenir bourgmestre de Rapps, il ne 
se laissa point abattre par ce nouveau désastre. 11 
réussit à emprunter de Fargent, loua une petite 
boutique, acheta quelques meubles et s'adjoignit 
un ouvrier. Sa situation n^était pas aisée. En 
premier lieu, il devait payer un très gros intérêt 
pour les écus qu'un juif lui avait confiés, puis 
il devait loger et nourrir son apprenti. Cepen- 
dant il reprit bientôt ^a gaieté. Il emprunta d'un 
de ses voisins un vieux violon avec lequel, en ses 
heures de repos, il s'égayait. Tout le jour il tra- 
vaillait avec ardeur, et sou à sou, lentement, très- 
lentement, il reconstituait son trésor. Cette fois-ci, 
enfin, il espérait bien le garder. Il l'avait mis en 
Un endroit où nul larron ne pouvait le découvrir, 
et il ne confiait à personne son secret. Mais il avait 
près de lui deux yeux hypocrites et rusés qui, à 
son insu, épiaient tous ses mouvements. L'ouvrier 
qu'il s'était associé découvrit sa cachette, en retira 
l'es florins et s'enfuit. 



L'ARBRE DE NOÈL. 251 

Cette fois, Tinfortuné Jean parut abattu et com- 
plètement découragé. Il n*eut pas même Ja force 
de se mettre à la poursuite de son voleur, qui ne 
pouvait voyager aisément, ni aller bien loin, n'ayant 
point de passe-port. Il était tenté de ne plus songer 
à Tavenir, de renoncer à ses inutiles efforts, et de 
vivre indolemment comme il pourrait au jour le 
jour. 

« Allons, lui dit un de ses amis, la perte de 
quelques écus ne doit pas t'affiiger ainsi ; tu peux 
en gagner bien d'autres par ton travail. Mais il 
faut avoir près de toi quelqu'un qui t'aide à les 
garder, non pas un fripon d'ouvrier, mais une 
brave femme. Il faut te marier. 

— Me marier, se dit Jean. Mais ce n'est pas une 
petite affaire. Il en coûte pour se marier : s'habiller 
à neuf, payer les frais de noces, danses et banquets. 
Après viennent les dépenses du ménage et les soins 
obligés du médecin, les enfants, les nourrices. Gela 
n'en finit pas. Jamais dans une belle condition je 
ne parviendrais à réunir mes cinquante florins. 
Non, non, je n'ai déjà pas tant à me louer des con- 
seils de mes voisins. Ils m'ont engagé à avoir une 
lampe allumée dans ma chambre. Cette lampe a 
mis le feu à mon mobilier et j'ai tout perdu. Ils 
m'ont engagé à prendre un ouvrier, et ce garçon 
s'est enfui emportant mes derniers écus. Mainte- 
nant, ils voudraient m'entrainer à une résolution 
plus dangereuse que les plaies d'Egypte. Non, non. 
Je ne les écouterai pas. » 



253 L'ARBRE DE NOËL. 

Ainsi disait Jean, et il prit son ûl et son aiguille 
pour achever de coudre un vêtement que son scé- 
lérat d'apprenti avait promis de livrer ce jour-là 
même à un client. Tandis qu'il travaillait, l'idée du 
mariage lui revenait à l'esprit, et peu à peu lui pa- 
raissait moins redoutable ; puis en y songeant, en- 
core, il y entrevoyait d'attrayantes images : une 
maison sagement gouvernée, de beaux enfants doux 
ef laborieux, une femme qui lui réjouirait le cœur 
par sa tendresse, et qui au lieu de multiplier ses 
dépenses, l'aiderait elle-même à gagner et à écono " 
miser de l'argent. 

« Oui, s'écria-t-il tout à coup, en se levant et 
en frappant des mains, c'est une heureuse inspira- 
tion, c'est décidé. Je me marierai. » 

Pendant qu'il faisait son voyage d'apprenti à tra- 
vers les différents districts de la Bohême, souvent 
le soir il prenait son violon, et les jeunes filles du 
village se rassemblaient autour de lui et dansaient 
gaiement. Patmi celles que son archet mettait ainsi 
en mouvement, il en était une qu'il aimait surtout 
à voir. Pour celle-là, il jouait avec une animation 
particulière ses plus belles valses, ses meilleures 
contredanses, et elle semblait se plaire aussi à l'en- 
tendre et à le regarder. C'était la fille d'un maître ^ 
mineur. Jean avait gardé de Tinnocente et jolie 
Grethe un fidèle souvenir, et il se dit : 

a Si elle est libre encore, et si elle veut m'accep- 
ter, c'est celle-là que j'épouserai. » 

11 partit. Il alla lui adresser humblement sa 



L'ARBRE DE NOÊt.. 




demande, et fut 
très-gracieuse- 
ment accueilli. 
■ Les parents do 
Grethe avaient 

pourtant de tout autres prétentions Ils 
étaient alliés aux meilleures familles du 
pays ; ils avaient un ûis qui dirigeait ane 



254 L'ARBRE DE NOËL. 

exploitation de mines considérable dans les Carpa* 
thés ; enx-mémes avaient aussi un bon bien. Ils 
avaient rêvé un beau mariage pour leur fille, et ils 
ne pouvaient comprendre qu'elle consentit à épou- 
ser un pauvre petit tailleur d'une obscure bour- 
gade. Mais Grethe leur dit qu'elle aimait ce tailleur, 
qu'elle espérait être heureuse avec lui, et le mariage 
se fit, et Jean emmena joyeusement à Rapps sa 
chère Grethe. C'était vraiment une bonne et aima- 
ble femme , modeste et alerte, laborieuse et éco- 
nome. Jean ne pouvait faire un meilleur choix. Par 
malheur, il avait appris dans son enfance certaines 
maximes qu'il croyait devoir mettre en pratique. 
L'une de ces maximes était celle-ci : ne confie pas 
ton secret à une femme. 

£n vertu de ce beau principe, le craintif tailleur 
ne révéla point à la douce Grethe le rêve qu'il avait 
fait, ni ses raisons d'économie. En travaillant avec 
une nouvelle ardeur, il se remit à amasser tout ce 
qu'il pouvait de sols et de deniers, et pour être plus 
sûr de les bien garder, il les portait continuellement 
dans sa poche. Lorsqu'il se trouvait seul quelque 
part, c'était son plaisir de prendre ses pièces de 
monnaie, de les compter et recompter. Un jour 
qu'il revenait d'une lointaine maison du faubourg, 
comme il était en retard, il se mit à courir pour 
regagner son logis, et un instant après, comme il 
mettait la main à sa poche, il jeta un cri d'effroi. 
Cette poche était percée, et il venait de perdre tout 
son argeïit. Aussitôt il retourna sur ses pas, en 



L'ARBRE DE NOÈL. S 55 

maudissant le tisserand qui fabriquait de si mau* 
vaises étoffes, et il s'en allait cherchant par terre 
Tune après l'autre ses chères petites pièces, quand 
tout à coup il vit sa femme qui courait à sa ren- 
contre et rengageait à rentrer au plus vite. Un riche 
baron l'attendait avec impatience et menaçait, s'il ne 
le voyait venir, de donner sa commande à un autre 
tailleur. Que faire ? Le pauvre Jean n*espérait plus 
guère trouver son pécule et n'osait le chercher de- 
vant sa femme à qui il avait si bien dissimulé son 
secret. Il se décide donc à la suivre. Mais quoiqu'il 
marchât précipitamment, il n'arriva pas assez tôt 
pour contenter le baron. Il eut la douleur de voir 
entrer dans la boutique de son odieux rival le fou- 
gueux gentilhomme. Malheur sur malheur. En un 
moment Jean avait perdu ses nouvelles épargnes et 
son meilleur client, et ce n'était pas tout. Dès ce 
jour, il vit s'accroître la prospérité de son concur- 
rent. Les petits gentilshommes et les bourgeois sui- 
vaient l'exemple du baron, ils allaient à la boutique 
qu'il honorait de sa confiance, et l'orgueilleux 
adversaire de Jean se pavanait dans son orgueil, 
n avait acheté un cheval et une voiture pour aller 
chez ses pratiques ; il achetait sans cesse de nou- 
velles fournitures, et faisait de grandes dépenses 
pour embellir sa demeure. 

« Hélas l disait Jean, c'est lui qui sera bourg- 
mestre de Rapps. Mon rêve m'a trompé. » 

II n'était point d'une nature assez ferme pour 
supporter tranquillement de telschagrins.il tomba 



856 L'Arbre de noël. 

dans une profonde mélancolie. Son travail ne lui 
plaisait plus, et son violon même ne Tégayait plus. 
Sa femme, qui souffrait de le voir dans cet abatte- 
ment, essayait de le relever tantôt par de tendres 
paroles, tantôt par dlngénieux conseils. Une fois, 
elle lui dit : 

a Ce qui fait la fortune et Torgueil de notre voi- 
sin, c'est sa voiture. Vous vous fatiguez et vous 
perdez beaucoup de temps à aller à pied chez vos 
clients ; d'autres viennent ici pendant que vous ac- 
complissez votre pénible trajet, s'ennuient de vous 
attendre, et vont chez votre concurrent. Vous de- 
vriez emprunter l'âne de notre ami le meunier, et 
chaque jour vous en aller d'un air empressé à quel- 
que distance. On dira que vous avez de nombreu- 
ses affaires, que vous savez ménager votre temps, 
et de plus, ces promenades seront utiles à votre 
santé. » 

Jean trouva cet avis excellent, remercia vivement 
sa femme, et dès le lendemain on le vit traverser 
la ville de Rapps au grand, trot de son âne, puis le 
lendemain et chaque jour. Comme il courait si vite, 
les bons bourgeois, ainsi que Grethe Favait deviné, 
crurent qu'il était appelé par une multitude de 
clients de tous les côtés et voulurent être habillés 
par lui. L'argent revint au logis avec les conmian- 
des, et Jean se réjouit de penser qu'il pourrait bien- 
tôt économiser ses cinquante florins. Mais ses mal- 
heurs l'avaient rendu prudent, il ne voulait plus 
cacher son argent dans des armoires, ni le porter 



L'ARBRE DE NOËL. 257 

ians ses goussets. Il avait imaginé un nouveau moyen 
de sauvegarde qui lui paraissait excellent. 11 chan- ' 
geait ses monnaies de métal contre de la monoate de 
papier, et la cousait pièce à pièce dans le fond de 




son bonnet. Personne ne le savait, et personne as- 
surément ne tenterait de lui enlever son bonnet. 
Mais il avait tort de ne pas se fier pleinement à sa 
bravfi femme ; il devait être encore puni de ses 
craintes et de sa dissimulation. Un matin, comme 



258 L'ARBRE DE NOËL. 

il allait seion son habitude se promener hors de la 
ville, soudain, voilà que son âne ordinairement pa- 
cifique s'agite, regimbe, résiste à la bride, et bon- 
dit. Il était piqué par des aiguilles que le jeune 
tailleur avait par mégarde en travaillant plantées 
dans son pantalon, et plus Jean le serrait entre ses 
genoux, plus il s'efforçait de le maîtriser, plus les 
aiguilles s'enfonçaient dans les flancs du pauvre 
âne, qui à la un» dans la douleur que lui causaient 
ces pointes acérées, fait un saut impétueux et jette 
son maître dans un étang. 

Jean ne se noya pas dans cette mare bourbeuse. 
Hais il eut bien de la peine à s'en tirer, et il y laissa 
son bonnet, son précieux bonnet où il avait si bien 
cousu les florins de papier qui devaient réaliser 
son rêve de bourgmestre. 

Ahl Jean, obstiné Jean, aveugle Jean, reconnaî- 
tras-tu maintenant le tort que tu as eu de ne pas 
te fier à ta brave Grethe ? 

Non. Jean reste convaincu que Thomme ne doit 
pas livrer son secret à une femme, et il a une nou- 
velle combinaison mystérieuse. 

Dans la cour de sa maison, Grethe a rangé \me 
demi- douzaine de pots de terre dans lesquels elle 
plante des petits sapins dont la verdure la réjouit. 
Jean imagine de cacher dans un de ces pots ses éco- 
nomies. De semaine en semaine, de mois en mois, il 
les enfouit là avec une douce quiétude, et il s'applau- 
dissait de son invention. Fatal espoir I Cruelle er- 
reur I Un matin, il rentrait au logis, ayant fait plu- 



I;ARBRE de NOËL. 259 

sieurs recouvrements dans sa clientèle et calculant 
avec joie ce qu'il allait ajouter à son épargne. Que 
voit il en traversant sa cour ? Tous les pots ren- 
versés. Il appelle sa femme avec angoisse. Il lui de- 
mande la cause de ce bouleversement. Elle lui ré- 
pond qu'après avoir soigné de son mieux ces petits 
sapins, comme elle a remarqué qu'au lieu de gran- 
dir, ils dépérissaient, elle les a arrachés et les a je- 
tés dans le ruisseau avec la terre où ils n'avaient 
pu se développer. 

a Hélas! dit Jean avec une amère tristesse, en je- 
tant cette terre à la rivière, vous m'avez fait per- 
dre ce que je recueillais péniblement depuis trois 
années, et qui devait assurer ma fortune et m' éle- 
ver à la dignité de bourgmestre. » 

Grethe le regardait étonnée, ne comprenant rien 
à un tel langage. 

Dans l'expression de sa douleur, Jean lui révéla 
ses désirs et ses mésaventures. Il lui dit le souve- 
nir qu'il gardait de son rêve ; comment il espérait être 
un jour bourgmestre de Rapps, comment il avait 
à diverses reprises essayé d'amasser cinquante flo- 
rins, et comment il avait été trompé dans ses efforts, 

Grethe aurait pu être offensée en apprenant que 
depuis si longtemps il lui dérobait une partie de 
ses pensées. Mais c'était une bonne et tendre femme 
qui aimait sincèrement son mari, et désirait par- 
dessus tout le voir heureux. Elle lui reprocha seu- 
lement avec douceur de ne pas avoir plus de con- 
fiance en elle, et pour réaliser son idée, se mit à lui 



260 L'ARBRE DE NOÈL. 

proposer diverses combinaisons si nettes, si justes, 
que Jean en était dans Tadmiration, et jurait que 
Grethe était la perle des femmes, et que dans tout 
le royaume de Bohême on n'en trouverait pas une 
plus intelligente et plus charmante. 

Dès ce jour, il entra dans une nouvelle vie. 
Comme il ne voulait plus rien dissimuler à sa fidèle 
Grethe, il se sentait plus à Taise avec elle, et tra- 
vaillait avec plus de satisfaction. Elle travaillait 
près de lui, activement, assidûment, et Tégayait 
par son entretien. Il avait de l'ouvrage tant qu'il 
en pouvait faire, et à l'aide de Grethe, réussissait à 
contenter tous ses clients. Il était modéré dans ses 
prix, mais on le payait exactement. Bientôt il eut la 
joie de réunir ses fameux cinquante florins. Alors, 
comme il avait l'imagination un peu jeune et un peu 
vive, déjà il pensait que ses songes allaient s'ac- 
complir, il se voyait installé en grande pompe dans 
ses fonctions de bourgmestre. Sa femme, sans lui 
enlever ses belles perspectives, le ramenait douce- 
ment à la réalité, et d'abord elle l'engagea à faire 
un bon emploi de ses cinquante florins, au lieu de 
les garder inutilement dans une armoire. 

En ce moment-là précisément, Jean trouva l'occa- 
sion d'acheter une belle pièce de drap. Comme il la 
payait comptant, il l'eut à meilleur marché, et fit 
une bonne afl'aire. Ce nouveau succès l'enhardit, et 
Grethe voulait qu'il eût une plus grande boutique 
que son rival, et de plus élégantes fournitures. 
Pour constituer un tel établissement, il fallait plus 



L'ARBRE DE NOËL. S61 

d'argent que le jeune ménage n'en possédait. Gre- 
tbe avait son idée. 

Ses parents étaient morts, laissant tout leur héri- 
tage à son frère. Ce frère était revenu des mines 
qu'il exploitait dans les Garpathes. Gretlie résolut 
d'aller le voir. Elle savait bien que comme il était 




un peu fier, il n'avait pas approuvé qu'elle se ma- 
riât avec un petit tailleur. Et d'abord quandelle ar- 
riva près de lui, il la reçut assez froidement. Mais 
elle l'attendrit par sa douceur, et elle lui parla de 
son mari avec tant d'estime et d'aiïection qu'elle lui 
donna le désir de le connaître. 

Un beau jour, il se rendit à Rapps, et vit que sa 
sœur ne l'avait pas trompé. Jean lui plut par son 



262 L'ARBRE DE NOËL. 

honnête candide nature, et le charma par son ta- 
lent de musicien. 

a Sur ma foi, s'écria l'enthousiaste mineur, je 
voudrais vous entendre jouer du violon dans l'or- 
chestre de l'empereur, je suis sûr que vous auriez 
le plus grand succès. » 

En partant il lui serra vigoureusement la main, 
et lui remit l'énorme somme de six mille tha-' 
1ers : 

« C'est la dot de ma sœur, lui dit-il, je suis sûr 
que vous en ferez un bon usage. » 

Avec ce capital, Jean éclipsa bien vite le concur- 
rent qui l'avait si souvent humilié. Il eut une belle 
maison, de vastes magasins, des approvisionnements 
d'étoffes superbes. Il devint, comme il l'avait rêvé, 
bourgmestre de Rapps. 



LA LÉGENDE DE LA SARRAZ 



Dans un château gothique de la Suisse, vivait ja- 
dis un brave et bon seigneur qu'on appelait le ba- 
ron de La Sarraz. Jeune, riche, respecté de ses voi- 
sins, chéri de ses vassaux, il épousa une belle et 
noble fille qu'il aimait et dont il était aimé. Alors, 
il n'avait plus qu'un désir, et un an après son ma- 
riage, ce désir était accompli. Sa femme lui donnait 
un fils. 

Un soir d'hiver, il était assis à côté d'elle, dans la 
joie de son âme, et près d'eux était leur cher en* 
faut doucement endormi. Au dehors, la neige tom- 
bait à gros flocons ; le vent s'élevait par rafales, 
mugissant, gémissant. Les vitres des fenêtres en- 
châssées dans des bandes de plomb tremblaient à 
son souffle violent ; les hautes cimes de sapins s'in* 



264 L'ARBRE DE NOËL. 

clinaient sur le sol et se heurtaient Tune contre 
Tautre avec fracas. 

« Quel temps I dit la baronne. En cette cruelle 
saison, en un tel orage, comme on est heureux d'a- 
voir un sûr abri. 

— Une demeure solidement construite, repartît 
en souriant son mari, un brasier flamboyant dans 
une vaste cheminée, des serviteurs fidèles, une 
femme parfaite et un vigoureux garçon. C'est vrai. 
Si on n*était point satisfait de tant de biens, on ne 
mériterait pas les grâces de la Providence. 

— Mais pensez-vous, mon ami, reprit la baronne, 
qu'il y a peut-être de pauvres gens surpris en 
route, loin de tout refuge, par cette affreuse tem- 
pête? Comme je les plains, et comme je voudrais 
pouvoir les secourir, ! 

— C'est pour cela, ma chère Anna, que j'ai or- 
donné à nos gens d'ouvrir à toute heure la porte 
de notre château à quiconque demanderait l'hospi- 
talité. Mon vieil écuyer Hermann dit que c'est fort 
imprudent; que la nuit, par exemple, des brigands 
peuvent ainsi s^introduire dans notre habitation so- 
litaire. Mais nous sommes là pour nous défendre, 
et j'aime encore mieux m'exposer à un danger, du 
reste fort douteux, que de manquer â un devoir de 
charité.... Et tenez: voilà précisément, si je ne me 
trompe, quelqu'un qui nous arrive, un de ces ban- 
dits peut-être qui effrayent le timide Hermann, ou 
un de ces pauvreç voyageurs dont vous avez pi- 
tié, » 



L'ARBRE DE NOËL. 265 

La baronne pencha Toreille et à travers les sinis- 
tres mugissements du vent et des bois, entendit en 
effet résonner la cloche du château. 

Quelques instants après, un domestique vint an- 
noncer qu'un étranger demandait un asile pour la 
nuit. 

« Vous connaissez ma volonté, repartit vivement 
le baron; à personne je ne refuserai un abri, sur- 
tout par un tel temps d'hiver. Quelle mine a cet 
étranger ? 

— Il voyage à cheval, répondit le domestique, et 
il a Tair d'un gentilhomme quoiqu'il soit bizarre- 
ment vêtu. 

— Engagez-le à monter près de moi, et faites-lui 
préparer à souper. J'ai connu, ajouta M. de La 
Sarraz, en se retournant vers sa femme, quand le 
valet fut sorti, un marchand qui, ayant acquis dans 
son commerce une assez grosse fortune, voulait se 
donner une apparence superbe. Quand on venait 
lui dire qu'un inconnu désirait lui parler : « Voyez 
a qui c'est, répondaitr-il en se renversant sur le 
« dossier de son fauteuil. Si c'est un manant, qu'on 
<c le bâtonne; si c'est un créancier, qu'on le jette à 
« la porte; si c'est un gentilhomme, qu'on le fasse 
« entrer. » Nous n'avons, grâce au ciel, ma chère 
Anna, point de créanciers; nous ne condamnons 
point les manants à la bastonnade; nous imiterons 
cependant l'aristocratique marchand : nous rece- 
vrons le gentilhomme. » 

L'étranger entra. C'était un petit vieillard maigre 



266 L'ARBRE DE NOËL. 

et fluet, vif et preste, et habillé en effet d'une fa- 
çon singulière : un justaucorps en velours noir 
garni de boutons d'argent et noué à la taille par 
une écharpe en soie rouge; un petit sac en cuir, 
suspendu d'un côté à cette ceinture, et de l'autre, 
une dague enfermée dans un fourreau damasquiné ; 
de larges culottes en peau de daim teintes en noir, 
ornées sur les coutures d'une bande de pourpre; 
des bottes molles, évasées ; sur sa poitrine, un sif- 
flet en argent, attaché à une chaîne de même mé- 
tal; sur sa tête, une espèce de bonnet phrygien. 
Son regard cependant, son langage, ses ^nanières 
révélaient promptement un de ces hommes habi- 
tués à vivre avec les maîtres, et à se faire respec- 
ter partout où ils se présentent. 

Il salua avec grâce M. et Mme de La Sarraz qu'il 
n'avait jamais vus, leur adressa, en quelques mots, 
un compliment délicat, et, ce devoir de politesse 
accompli, s'assit sans façon à Tangle de la che- 
minée. 

« Cette belle Suisse, dit-il en se frottant les 
mains d'un air guilleret, depuis que je ne Tai vue 
j'ai un peu vieilli, et cela n'aide pas à supporter 
les rigueurs de ses hivers. Quelle tempête! A cer- 
tains moments j'ai cru que je serais obligé de me 
cramponner au col de mon cheval pour ne pas être 
emporté par le vent dans le lac d'Yverdon, ou sur 
une des cimes du Jura. 

— Vous n'habitez pas la Suisse? lui dit M. de La 
Sarraz. 



r 



L'ARBRE DE NOÈL. 267 

— Non, » répondit-il sèchement, comme s'il était 
choqué qu'on se permît de Tinterroger. Puis sou- 
dain, reprenant un ton plus gai et plus amical, il 
ajouta : « «Ty ai passé quelque temps dans ma jeu- 
nesse ; j'ai herborisé dans ses forêts, sur ses mon- 
tagnes ; j'y ai même fait quelques bonnes observa- 
tions, et comme on s'attache aisément aux lieux 
où Ton réussit dans son travail, j'ai été plus d'une 
fois très-tenté de rester dans ce pays, mais la cu- 
riosité, l'amour de la science, la passion du mer- 
veilleux m'ont emporté en de lointaines contrées. 
Tel que vous me voyez, j'ai voyagé de toutes les 
façons : à pied, à cheval, sur la bosse d'un cha- 
meau et la croupe d'un éléphant, dans des chaises 
en bambou portées pgT de pauvres gens réduits à 
Tétat de bêtes de somme, dans des traîneaux avec 
un attelage de rennes, dans d'autres avec un atte- 
lage de chiens; sur de grands navires européens, 
sur des jonques chinoises, sur des canots creusés 
dans des troncs d'arbres, sur des radeaux façonnés 
avec des faisceaux de joncs. Seulement, je n'ai pas 
voyagé , comme Icare , avec des ailes , ni comme 
Bacchus dans un char conduit par des tigres, ni 
comme Jonas dans le ventre d'une baleine. C'est 
égal, j'ai admiré en diverses occasions les procé- 
dés inventés par l'homme pour se procurer les 
moyens de locomotion et suppléer à sa faiblesse. » 

En ce moment, le vieillard fut interrompu dans 
son monologue par le domestique qui lui appor- 
tait son souper. Le baron et la baronne avaient 



268 L'ARBRE DE NOËL. 

déjà pris leur repas du soir, mais tous deux s'ap- 
prochèrent de la table pour en faire les honneurs 
à leur hôte. La baronne lui -servit elle-même une 
tranche de pâté, et le baron lui versa du vieux vin 
de Bourgogne dans un grand wiedercome. Le vieil- 
lard mangea de bon appétit, but gaillardement, 
puis se remit à causer ou plutôt à discourir avec 
une volubilité qui ne laissait de place à aucune 
question, et une assurance qui ne permetlait pas 
de douter de sa véracité. 

Ses deux hôtes étaient pourtant bien étonnés de 
ses récits. U leur racontait dans quels pays loin- 
tains il avait été, et quelles aventures lui étaient 
arrivées. 

« Oui, disait-il, en fixant sur le foyer deux yeux 
pétillants, comme s'il voyait dans les flammes des 
tisons une image de sa jeunesse; oui, j'ai eu Tarn- 
bition de continuer l'œuvre des hommes qui ont 
pénétré dans les arcanes de la nature. J'ai voulu 
aussi étudier la nature, parce qu'il y a entre elle 
et nous une intime corrélation. 

« Je me suis mis en voyage. J'ai été de région en 
région, gravissant les cimes escarpées pour y cueil- 
lir les plantes les moins connues, descendant au 
fond des souterrains pour y scruter les veines mé- 
talliques, observant les divers phénomènes de l'air, 
de l'eau, du sol, et partout recherchant les diffé- 
rentes classes de gens auxquelles la croyance po- 
pulaire attribue un pouvoir mystérieux. J'ai vu les 
charmeurs de serpents et les fakirs de l'Inde, les 



L'ARBRE DE NOËL. 269 

derviches de Gonstantinople, les vieux cophtes du 
Caire, les rabbins de la Palestine, les schaman de 
la Tartarie. Je n'ai pas été en Chiné où il y a de si 
anciens éléments de science, ni à Ceylan où notre 
père Adam, banni de TËden, se réfugia, dit-on, sur 
un pic élevé qui porte encore son nom. C'est là 
mon grand regret. Mais j'ai vécu avec des bandes 
de bohémiens, cette race appauvrie, dégradée, 
misérable dont on ne peut dire l'origine et qui 
garde sous ses haillons un type de beauté superbe, 
dans ses yeux le feu de l'Orient, dans sa mémoire 
des fragments de poésie qui rappellent les âges ho • 
mériques, et des traditions qui sont comme les pi- 
lastres épars d'un colossal édifice en ruine. 

« J'ai aussi voulu voir ce qu'il en est des pré- 
tendus magiciens modernes, des devins, des astro- 
logues, des faiseurs d'amulettes et de sortilèges. 
En Finlande, pour naviguer dans la mer du Nord, 
j'ai acheté dun habile homme un bon vent en- 
fermé dans les nœuds d'un mouchoir. En Laponie, 
étant souffrant, je me suis confié à un autre savant 
qui prétendait que je n'étais malade que parce que 
mon âme m'avait quitté pour aller se promener 
dans l'autre monde. Elle trouvait là, disait-il, des 
âmes de sa connaissance qui tâchaient de la rete- 
nir. Pour la déterminer à revenir à moi, il l'évo- 
qua en se jetant la face contre terre, et enfin la 
força à l'obéissance par ses conjurations et par le 
retentissement de son tambour runique. En Alle- 
magne, j'ai eu de longs entretiens avec une vieille 



270 L'ARBRE DE NOËL. 

femme qui prétendait me faire connaître tout ce 
qui se passe sur le Blocksberg dans la nuit du sab- 
bat. J'ai de mon côté parfois essayé de mettre en 
pratique les connaissances que j'avais acquises. Il 
y a là dans ce petit sac que vous voyez suspendu 
i ma ceinture, divers ingrédients avec lesquels j'ai 
fait quelques opérations assez curieuses. A Leipzig, 
les professeurs de l'Université m'ont donné le nom 
de Faustin, en mémoire du célèbre docteur Faust. 
Dans d'autres villes, on m'a regard écomme un sor- 
cier. Il est vrai que je le suis un peu. Mais ne vous 
effrayez pas : un honnête et inoffensif sorcier qui 
ne soulève aucune tempête, ne produit aucun ma- 
léfice, et se confesse au moins une fois l'an. » 

Ainsi parlait le singulier inconnu. La baronne 
était émerveillée de ses récits; le baron ne pouvait 
s'empêcher de sourire cpielquefois, avec un certain 
air d'incrédulité. Cependant il écoutait en sîîence, 
sans exprimer un de ses doutes, et le petit Faust 
continuait à narrer, à décrire, et paraissait in- 
épuisable. A la lin, comme minuit sonnait à l'hor- 
loge du manoir, il se leva, et, s'approchant du 
berceau où reposait le futur héritier de La Sarraz, 
il dit, après l'avoir attentivement contemplé quel- 
ques instants : 

« Quel bel enfant I Comment s'appelle-t-il? 

— Emile, répondit la baronne. 

— Emile! Je m'en souviendrai. J'aime les en- 
fants. Leur innocence élève ma pensée vers les 
sphères célestes, d'où descend, comme un souffle de 



L'ARBRE DE NOËL. 



371 



Dieu, notre âme virginale. Leur fraîche et ver- 
meille figure m'apparait comme une des plus jo - 
lies fleurs de la terre. Dans son bommeil et dans 
ses rêves, l'homme ressemble aux plantes inertes, et 




les plantes ne sont-elles pas des êtres vivants? Je 

ne puis cependant pas regarder sans un certain 
trouble l'enfant, par l'ignorance où je suis de son 
avenir. Tout, dans les productions de la nature, 



272 L'ARBRE DE NOËL. 

est réglé par des lois assurées, invariables, tout, 
excepté Favenir de rhomme. Quand j'examine un 
gland, un pépin, un germe imperceptible, je sais 
qu'il en sortira un chêne, un arbre fruitier, un 
œillet embaumé. D'un -œuf tacheté de différents 
points, sortira l'épervier ou la colombe ; d'un des 
milliers de globules agglomérés dans les eaux, naî- 
tront, ici la carpe, et là le brochet. Si j'examine 
la forme et les couleurs d'une chenille, je n'hésite- 
rai pas à dépeindre d'avance sa transformation. 
Sauf quelques accidents exceptionnels, quelques 
avortements, ou quelques rares déviations que l'on 
note comme des monstruosités, l'œuvre généra- 
trice de la nature est parfaitement déterminée et 
perpétuellement immuable. Le milsgi ne produit 
point de mélodieuses alouettes; le loup ne produit 
point d'agneaux, et l'innocent écureuil ne produit 
point de chacals. L'industrie humaine ne peut rien 
changer à ces lois irréfragables. Ainsi l'on sait que 
les canards couvés par une poule n'en courront 
pas moins à l'eau comme des canards, dès qu'ils 
auront brisé leur coquille, et que les perdreaux en- 
levés tout petits à leur nid et nourris dans une 
cage, ne chercheront qu'à s'envoler en pleine cam- 
pagne, dès qu'ils auront des ailes. . 

« Mais l'enfant I que fera-t-il? Semblable à ses pa- 
rents par son organisation physique, que sera-t-il 
moralement? Peutrètre un vaillant guerrier, un 
artiste, un savant, un homme de génie, ou, ce qui 
vaudrait encore mieux pour lui, un tranquille et 



L'ARBRE DE NOËL. 273 

honorable citoyen, un bon père de famille. Peut- 
être, au contraire.... 

«Ohl rassurez-vous, s'écria le vieillard, en remar- 
quant Tinquiétude que sa nouvelle supposition, 
avant même qu'elle fût formulée, éveillait dans 
Tesprit de ses excellents hôtes; rassurez- vous. Si, 
en voyant un enfant, nous ne pouvons dire quelle 
sera sa destinée en ce monde, il n'est pas impossi- 
ble à la science d'en avoir au moins quelques in- 
tuitions par certains diagnostics, et tout , dans ce 
charmant petit être qui dort là si paisiblement, le 
dessin harmonieux de la figure, la fine découpure 
des lèvres, l'arc des sourcils, les contours du front, 
tout, jusqu'aux lignes délicates que je remarque 
sur ses petites mains blanches, tout me semble 
d'un heureux augure. Comme vous m'avez ac- 
cueilli avec tant de bonté, voulez-vous me permet- 
tre de faire un présent à votre cher Emile ? 

— Ohl monsieur, murmura la baronne d'un air 
d'embarras, n'osant accepter l'offre du voyageur, 
et craignant de le désobliger en le refusant. 

— Je me suis mal exprimé, reprit-il; c'est vous- 
même qui ferez ce cadeau à votre fils, en formu- 
lant un vœu que j'accomplirai. » 

Le baron et la baronne se regardèrent* en si- 
lence, ne sachant comment répondre à une telle 
proposition. 

a Je parle très-sérieusement, ajouta le docteur 

Faustin. Il est en mon pouvoir de réaliser le vœu 

que vous ferez. Seulement, je vous en prie, refle- 
ts 



274 l'arbre de NOËL. 

chissez avant de le prononcer. Prenez garde de 
vous laisser abuser par une idée fausse, par un dé- 
sir trompeur; car dès que vous aurez exprimé 
votre souhait et que je l'aurai accepté , ma pa- 
role deviendra une sentence, une irrévocable sen- 
tence. » 

Il articula ces mots d'un ton solennel, et, se 
penchant sur la couchette de l'enfant, resta ab- 
sorbé dans sa muette contemplation. 

La baronne se leva, se retira près de la fenêtre, 
appela près d'elle son mari et lui dit : 

« Quelle étrange chose I Qu'en pensez-vous? 

— Bah I ma chère , répliqua M. de La Sarraz, 
une amusante plaisanterie! 

— Non, je ne puis croire que ce soit une plai- 
santerie. Ce voyageur, qui est entré ici d'une si sin- 
gulière façon, qui nous a fait tant d'étonnants ré- 
cits, n'est certainement pas un homme ordinaire. 
Il y a dans le feu de son regard, dans l'accent de 
sa voix, dans l'expression de sa physionomie, dans 
la singularité de ses vêtements et de toute sa per- 
sonne, je ne sais quoi qui m'impose et m'agite. 
Songez donc, si c'était vraiment un sorcier I S'il 
pouvait réellement, par je ne sais quel pouvoir 
mystérieux, exercer une influence sur l'avenir de 
notre cher enfant I . . . 

— Mais puisqu'il vous abandonne à vous-même 
le soin de former le vœu qui vous plaira, vous n'a- 
vez rien à craindre. S'il peut réaliser ce vœu, vous 
n'aurez qu'à vous en réjouir, et s'il s'amuse, nous 



l'arbre de NOËL. 275 

nous amuserons à notre tour de ses beaux dis- 
cours et de ses prétentions. 

— Vous riez. Je voudrais rire ausi, et, malgré 
moi, je ne le puis. Il faut cependant répondre à une 
offre qui, après tout, j'en suis sûre , est faite avec 
une bonne intention. Que faut-il demander? 

— C'est à vous que le magicien s'est adressé, et 
c'est à vous à résoudre cette grave question. Pour 
moi , s'il m'était permis de dire mon sentimenl, je 
voudrais que notre fils fût beau, brave, généreux, 
un peu galant; si bien qu'un jour il eût le bonheur 
d'épouser une douce et gentille femme comme mon 
Anna, s'il en existe encore une pareille dans le 
monde. • 

— Merci du compliment, répliqua la baronne 
avec une jolie petite moue, vous feriez mieux de 
m'aider dans mes perplexités. Notre fils est beau; 
il sera brave, tous ses ancêtres l'ont été; généreux, 
je tâcherai de lui enseigner cette vertu, et galant, 
il n'aura qu'à suivre votre exemple. De plus, il sera 
riche, et il épousera qui il voudra. 

— Alors, ma chère amie, je ne vois pas ce qu'il 
vous reste à demander pour lui, et si toutes les 
féss des pays de Vaud, de Berne et de Genève 
étaient conviées à son baptême, je n'imagine pas 
ce qu'elles pourraient ajouter à ses qualités.» 

La baronne pencha la tête sur son sein, promena 
autour d'elle un regard rêveur, et soudain s'é- 
cria : 

«Je suis si heureuse, si heureuse, que je ne re- 



276 L'ARBRE DE NOËL. 

doute que la fin trop prompte de mon bonheur, 
c'est-à-dire la mort; et je voudrais que mon fils, 
qui, je Tespère, sera heureux comme moi, ne mou- 
rût pas. 

— Très-bien I répliqua son mari ; voilà une idée, 
et une fameuse idée, tout simplement une révolu- 
tion dans la loi universelle de Thumanité. Peste! 
comme vous y allez 1 

— SoitI moquez-vous de moi! C'est là ce que je 
veux, et rien d'autre. » 

A ces mots, elle se rapprocha de Faustin et lui 
exprima son désir. 

Le baron riait. Le vieillard, au contraire, devint 
très-grave. 

« Ohl madame, dit-il avec un accent de tristesse, 
avez-vous bien songé au vœu que vous venez de 
me manifester? En avez-vous examiné ou seule- 
ment entrevu les conséquences? Avant que je l'ac- 
cepte et que je m'engage à l'accomplir, je vous en 
conjure, pensez-y encore. J'attendrai patiemment 
le résultat de vos réflexions. » 

La jeune mère, troublée par ces paroles, se tut, 
regarda son mari, le consulta de nouveau. Mais, 
comme il était convaincu que toutes les promesses 
du docteur n'étaient qu'un jeu, il n'essaya point de 
la détourner de son rêve. 

« Autant vaut cela qu'autre chose, lui dit-il tout 
bas. Il n'en sera ni plus ni moins. 

— Eh bien! reprit la baronne, je persiste dans 
mon souhait. 



L'ARBRE DE NOËL. 277 

— .Hélas ! répliqua le docteur, vous êtes déci- 
dée? 

— Très-décidée. 

— Allons. Quoiqu'il m'en coûte de céder à une 
telle erreur, j'ai pris un engagement que je tien- 
drai. Ce que vous demandez sera fait. Regardez sur 
vos chenets ce tison à demi enflammé. Tant qu'il 
subsistera, la vie de votre fils se continuera. » 

A ces mots, le baron, par une impulsion subite et 
irrésistible, s'élança vers le foyer, s'empara du tison, 
et réteignit. 

Le vieillard le contempla tristement, étendit ses 
deux mains sur la tête de l'enfant, murmura quel- 
ques paroles inintelligibles et sortit. 

Le lendemain, on le chercha en vain dans tout 
le manoir. Il avait disparu avec son cheval, sans 
qu'on pût dire à quelle heure, ni comment. 

Ce dernier incident émut le baron. Il essayait bien 
encore de parler en plaisantant de l'apparition noc- 
turne du docteur, de ses incroyables récits et de 
sa merveilleuse promesse. Au fond du cœur, mal^ 
gré lui, en se rappelant la physionomie et le lan- 
gage de cet homme, il éprouvait une sorte de crainte 
superstitieuse. A tout hasard, il crut devoir con- 
server soigneusement le tison auquel, selon les pa- 
roles du sorcier, était attachée l'existence de son 
fils. Il le prit sous son manteau, le porta sur un 
des remparts de son donjon, et fît venir un ouvrier 
qui le revêtit d'une épaisse maçonnerie. 

L'enfant grandit et devint ce que ses parents dé- 



278 L'ARBRE DE NOËL. 

siraient, un beau et généreux chevalier. Appelé à 
prendre les armes pour la défense de son pays, il 
combattit vaillamment au premier rang, en diverses 
occasions, et sortit sain et sauf de plusieurs luttes 
sanglantes. Ensuite, il épousa une noble jeune fille. 
Puis son père et sa mère moururent; puis sa 
femme et ses enfants. Lui ne mourait pas. Il vit 
successivement, disparaître autour de lui toute la 
génération à laquelle il appartenait, et la généra- 
tion suivante et une autre encore. La mort entrait 
dans sa demeure, et lui enlevait l'un après l'autre 
ceux qu'il considérait comme ses héritiers, ceux 
dont il invoquait TafTection pour le soutenir dans 
sa vieillesse, et l'assister à sa dernière heure. La 
mort frappait sans cesse autour de lui et passait 
sans l'atteindre. Il ne mourait pas, mais il subis- 
sait, comme les autres hommes, l'action des an- 
nées. 11 était caduc, débile, tremblotant, grelottant 
comme un faible enfant, et seul, au milieu d'une 
race nouvelle qui le regardait avec une sorte d'ef- 
froi, et dont il ne comprenait ni les mouvements, 
ni les idées, pas même le langage. 

Tous ses liens de cœur étaient brisés depuis long- 
temps. Sa vie était sans joie et sans attachement, 
ou plutôt sa vie n'était qu'un souffle dans un cada- 
vre. 11 n'avait plus d'autre sensation que celle de 
la souffrance, et il implorait la mort , et quand il 
entendait sonner la cloche des funérailles, il disait 
en sanglotant: 

« Ne sonnéra-t-elle donc jamais pour moi ? v 




• Dieu soitlouél • a'écria-t-il. (Pige 281.) 



L'ARBRE DE NOÈL. 281 

Son père lui avait raconté la visite de Paustin et 
son singulier engagement, et il avait ri. Mais à me- 
sure qu'il vieillissait , ce souvenir se retraçait 
comme un fait sérieux à son esprit. Peu à peu, il 
en vint à Fidée fixe de retrouver le tison, et de l'a- 
néantir. Mais où le chercher? Dans quelle partie 
du château, dans quelle cavité inconnue était -il 
enfoui? Des fouilles furent entreprises sur différents 
points ; des meubles furent brisés, des murs ren- 
versés, sans qu'on aperçût le moindre indice du 
raiagique talisman. Un jour enfin, un jeune paysan 
du village entendant parler de ces perquisitions, se 
rappela une tradition qui remontait jusqu'à son ar- 
rière-grand-père, et d'âge en âge s'était conservée 
dans sa famille. Il se rendit au château, traversa la 
cour, le préau, fit le tour des remparts, et arrivé à 
un certain endroit, crut se souvenir qu'en un lieu 
semblable, le maçon dont son aïeul lui avait dit 
l'histoire, avait été, à sa grande surprise, invité à 
sceller entre de grosses pierres un morceau de 
bois noirci. D'après cette vague indication, de nou- 
velles recherches furent faites. Le mur fut pièce à 
pièce démoli sur une longue étendue, et à l'un de 
ses angles on trouva en effet le morceau de bois. 
On le porta aussitôt au pauvre infirme désespéré, 
qui le prit entre ses mains en s'écriant : 
a Dieu soit loué ! » 

Puis il le jeta au feu, et au moment où la flamme 
du foyer en dévorait la dernière parcelle, le mal- 
heureux valétudinaire exhalait son dernier soupir. 



282 l'arbre de NOËL. 

A quelques lieues de Lausanne, sur la route de 
Morges à Yverdon , s'élève encore dans toute Félé- 
gance et la beauté de son architecture gothique le 
château où s'accomplit cet événement. Au haut de 
son portail et dans quelques-unes de ses ogives, des 
pierres sculptées représentent un homme coiflë d'un 
bonnet phrygien. Les gens du pays disent que c'est 
le petit homme rouge de La Sarraz. 



FLORELLA 

Conte américain. 



Dans une lointaine région qu'on n*a pas encore 
découverte, vivait un roi puissant dont on n'a pu 
retrouver le nom. Pendant son règne, il avait né- 
gligé de faire des pensions aux poètes et aux histo- 
riens de son royaume. Pour se venger d'un tel ou- 
bli, ces fiers écrivains résolurent de ne jamais in - 
scrire son nom nulle part. C'est ainsi qu'il a été 
perdu pour la postérité. 

Tout ce que nous savons de ce souverain, à une 
certaine époque de son existence, c'est qu'il était 
veuf, et qu'il avait une fille unique d'une beauté 
extraordinaire qui avait une fée pour marraine. 

Cette jeune princesse, en sa qualité d'unique hé- 
ritière d'un grand royaume, était, comme on peut le 



284 l'arbre de NOËL. 

croire, bien servie, et tout était combiné de façon à 
la rendre digne de sa haute destinée. Pour être pré- 
servée du contact des petites gens, elle fut enfermée 
dans une tour avec quelques demoiselles d'hon- 
neur qui devaient lui inculquer le sentiment de sa 
supériorité sur toutes les autres créatures humai- 
nes, et la nécessité de faire voir sa majestueuse 
grandeur dans toutes les circonstances. Par respect 
pour son suprême avenir, jamais on ne devait ni 
la contredire, ni la réprimander, à .moins qu'il ne 
lui arrivât de manifester un goût trop simple, ou 
trop naturel ; et devant elle, on ne devait jamais 
rien dire, ni rien faire qui pût lui rappeler qu'elle 
était mortelle. 

En réalité, Florella avait tout à sa disposition 
excepté la liberté. Si elle témoignait le désir d'aller 
dans les champs cueillir des fleurs, ou courir après 
les papillons, on lui faisait observer que la future 
souveraine d'un grand pays ne pouvait avoir dé si 
vulgaires amusements. Si elle demandait à s'asso- 
cier aux jeux des enfants de .son âge, sa gouver- 
nante, qui était une grande et fière dame, fronçait 
le sourcil, et lui disait que la fille |^'ùn roi ne pou- 
vait sans se dégrader penser un ins4nt à se rap- 
procher d'une caste si inférieure. Enfin elle était en- 
lacée dans les liens d'une rigoureuse étiquette, as- 
servie à toutes sortes de minutieuses formalités; 
et bien que tous ceux qui l'entouraient cherchas- 
sent à lui plaire, elle ne pouvait faire ce qui lui au- 
rait plu. 



L'ARBRE DE NOËL. 285 

Dans sa haute tour, séparée du reste du monde, 
elle passait une partie de ses jours à la fenêtre, re- 
gardant les enfants qui couraient et jouaient li- 
brement. Elle les voyait manger d'un bon appétit 
un morceau de pain sec, tandis qu'elle ne se sen- 
tait pas le moindre appétit pour les friandises qu'on 
lui préparait. 

A mesure qu'elle grandit, son état de séquestra- 
tion lui devint plus pénible, et son désir de liberté 
plus vif. Elle enviait le sort des enfants pauvres qui 
pouvaient s'abandonner sans contrainte à une im- 
pulsion naturelle, qui n'étaient point à toute heure 
obligés de se soumettre aux règles de l'étiquette, 
aux restrictions imposées par une douzaine de de- 
moiselles d'honneur et une vieille gouvernante. 

Souvent, elle se comparait au petit oiseau que la 
fée sa marraine lui avait donné. En voyant les au- 
tres oiseaux sautiller, voler sur les rameaux de la 
forêt, il s'agitait dans sa cage, il frappait de son 
bec les barreaux de sa prison et cherchait un moyen 
de s'échapper. 

Un jour que par son chant plaintif il semblait 
gémir de sa captivité : 

« Pauvre oiseau, lui dit Florella, tu es en prison 
comme moi, mais je puis te délivrer. Va, va, prends 
ton essor, parcours librement l'espace. Je te re- 
gretterai, car tu étais ici mon doux compagnon 
d'infortune. Mais peut-être que tu reviendras quel- 
quefois le' matin et le soir chanter à ma fenêtre. » 

En prononçant ces mots, elle ouvrit la cage, prit 



286 L'ARBRE DE NOËL. 

le petit oiseau dans sa main, lui donna un baiser 
et le mit en liberté. D'abord il tourna plusieurs 
fois devant la fenêtre comme s'il ne pouvait se ré- 
soudre à s'éloigner de sa petite maîtresse ; puis il 
alla se percher sur un arbre, et se mit à chanter 
avec une vivacité, une joie , une ardeur qu'il n'a- 
vait jamais eues ; puis il vint encore près de Flo- 
rella, comme pour lui dire adieu, et disparut dans 
les profondeurs des bois. 

Florella se sentit attristée de ne plus le voir, et 
elle pleurait quand sa gouvernante rentra, qui en- 
treprit de lui persuader qu'il n'y avait point de 
bonheur au monde comparable à celui d'une jeune 
fille destinée à hériter d'un grand royaume. 

« Que pouvez-vous, ajouta-t-elle , désirer en- 
core? 

— La liberté, » répondit Florella. 

La vieille gouvernante secoua la t-ète et répliqua : 
« La liberté n'est faite que pour les petites gens. 

— Je voudrais être une de ces petites gens, » 
reprit Florella. 

La gouvernante frémit en entendant exprimer 
une si monstrueuse pensée. 

Le soir, l'innocente Florella pensait encore à son 
oiseau, et se demandait si jamais elle le re verrait, 
et voilà que tout à coup il revint se percher en 
face d'elle et se mit à chanter. Le lendemain, il re- 
vint de même, et tous les jours matin et soir. Flo- 
rella l'attendait. Il lui semblait que cet oiseau com- 
patissait à ses peines et cherchait à la consoler. 




Elle lui donna un baLer et le mit en liberté. (I>age 3Sa.] 



L'ARBRE DE NOËL. 289 

Elle atteignit ainsi sa quinzième année, et de 
plus en plus sa captivité lui devenait odieuse, et 
son caractère s'aigrit. Elle devint capricieuse et 
impérieuse. Souvent elle tombait dans de profondes 
rêveries, et quelquefois elle pleurait. 

a Hélas I s'écriait-elle un jour, à quoi me sert 
d*ètre la fille d'un grand roi? Mieux vaudrait pour 
moi être née dans une pauvre mais ■>. lilt à quoi 
me sert d'avoir pour marraine une iée? Elle ne 
s'inquiète pas de moi. » 

Au même instant elle vit apparaître l'oiseau. Sur 
l'arbre où il avait coutume de se percher, il fit en- 
tendre un cri mélodieux comme pour appeler l'at- 
tention de Florella, puis il s'élança vers elle et. 
s'approchant de son oreille, lui dit : 

« Vous vous plaignez de l'oubli de votre mar- 
raine. C'est elle qui nj'envoie près de vous. Dites- 
moi ce que vous voulez ? 

— Je voudrais, répondit Florella, être libre, 
libre d'aller, de venir, de chanter et de me réjouir 
comme les enfants du peuple que je vois passer 
sous mes fenêtres. Je voudrais au moins ne pas 
rester captive dans cette tour. 

— Vous n'y serez bientôt plus, répliqua l'oiseau. 
On attend prochainement à la cour le fils de l'em- 
pereur de la lune. Votre père veut vous marier 
avec lui. Adieu. Je ne reviendrai que lorsque vous 
m'appellerez. Dans votre nouvelle existence, vous 
oublierez peut-être votre petit oiseau. Souvenez 
vous cependant que je suis le messager de votre 

19 



290 L'ARBRE DE NOÈL. 

marraine. Quand vous aurez besoin de moi, je re- 
viendrai. » 

A ces mots, il s'enfuit. 

Quelques jours après, comme il Tavait dit, le 
fils du souverain de la lune arriva. Plorella fut re- 
vêtue d'une robe splendide ; et comme on savait 
que le pi ince avait une admiration particulière pour 
les petits [ '^, elle fut obligée de mettre des pan- 
toufles si étroites qu'elle pouvait à peine marcher. 
Ainsi parée, elle s*avança dans la grande salle du 
palais où elle devait voir son prétendu. Quoiqu'elle 
fût d'une beauté extraordinaire, elle était modeste 
et timide. Pour la première fois, elle sortait de sa 
longue réclusion. La vue de tous les dignitaires, 
de tous les courtisans réunis pour cette solennelle 
présentation, la fit rougir, et la difficulté de mar- 
cher avec ses étroites pantoufles lui donnait un 
air embarrassé. 

Le prince de la lune, qui avait la prétention d'être 
un sagace observateur, disait que la rougeur d'une 
femme était l'indice d'une mauvaise conscience. 
L'innocente Florella avait rougi. Il en était choqué. 
11 remarqua cependant qu'elle avait le pied très- 
petit. Mais en même temps il remarquait qu'elle 
marchait gauchement. Il haussa les épaules, fronça 
les sourcils, prit une prise de tabac et murmura 
dans le dialecte de la lune quelques mots qu'on ne 
pouvait comprendre. 

Mais après sa première surprise, le prince s'in- 
clina jusqu'à terre, complimenta Florella sur Télé- 



L'ARBRE DE NOËL. . 291 

gancti de sa toilette, vaata la beauté de ses dia- 
mants; puis tirant de sa poche une règle en ivoire, 
et s'agenouillant devant la princesse, mesura sou 
pied. ^ 




« Dimension parfaite, dit-il avec un accent de 
joie. Si ce pied était de quelques lignes plus long, 
je serais très-malheureux. 

— Votre Altesse, dit une des dames d'honneur, 



292 l'arbre de NOËL. 

ne connaît pas encore Tesprit et rintelligence df 
ma maîtresse. 

— Bah 1 répliqua le glorieux fils du roi de la 
lune. De ces qualités-là, je ne me soucie guère. Ce 
qui me plaît en la personne que je dois épouser, 
c'est de la voir sur un bon pied. » 

Et il se mit à rire de cette sotte plaisanterie, et 
tous les courtisans se firent un devoir de rire pour 
le flatter. 

Florella était affligée. Au lieu d'un beau et noble 
prince, tel qu'elle pouvait le rêver, elle voyait un 
jeune homme vieilli avant l'âge, efiëminé, préten- 
tieux, ridicule. 

Cependant la présentation était faite et le mariage 
décidé. Il y eut un pompeux banquet pendant le- 
quel le galant prince fit à Florella une si longue 
dissertation sur l'art culinaire qu'elle le félicita de 
posséder si bien une science si importante. 

« La cuisine, répliqua -t-il d'un ton doctoral, a 
été ma principale étude dans mes voyages, et je 
prétends la réformer en entier dans mes États dès 
que le vieux pince-maille sera mort. » 

C'était de son père qu'il parlait ainsi. Par là, il 
acheva de révolter Florella. 

Dès que le banquet fut fini, elle souhaita de ren- 
trer dans son appartement; et en songeant à 
l'homme indigne auquel on voulait l'unir, elle fon- 
dit en larmes. 

« Non, non, s'écria-t-elle, je ne l'époiiserai pas. 
J'y suis bien décidée. 



L ARBRE DE NOËL. 293 

— Vous ne pouvez vous y refuser, répliqua la 

gouvernante. Les filles de rois ne se marient pas 

selon leur inclination, mais selon les convenances 

ou les intérêts de leurs augustes parents. 




— Hélas ! s'écria Florella, faut-îl donc que je sois 
séquestrée du inonde entier, enfermée dans une 
tour ou mariée à un homme pour lequel je n'é- ' 
prouve que du mépris. » 

Mais ses gémissements et ses protestations étaient 
inutiles. Sa gouvernante les condamnait, et son 
père croyait lui donner une grande marque de sa 
sollicitude paternelle en la mariant avec l'héritier 
d'un puissant royaume. 

Elle cessa de se plaindre, voyant que ses plaintes • 
ne touchaient personne, et espérant que quelque 
événement imprévu la délivrerait du triste sort 
dont elle était menacée. En attendant elle avait la 



294 L'ARBRE DE NOËL. 

satisfaction de n'être point obsédée de son fasti- 
dieux prétendant. Il consacrait chaque jour tant 
d'heures aux soins de sa toilette et à quelques 
nouveaux essais culinaires qu'il ne pouvait guère 
s'occuper de sa belle fiancée. Il comptait bien d'ail- 
leurs n'avoir plus rien à faire pour gagner son 
affection. Il était convaincu que dès l'instant où elle 
l'avait vu, elle l'avait aimé. 

Un jour cependant, comme il était invité à une 
grande chasse à laquelle Florella devait assister, il 
demanda avec une insistance toute particulière 
qu'il lui fût permis d'accompagner la princesse 
comme un humble page et de veiller constamment 
sur elle. Ce n'était point par une généreuse inquié- 
tude d'affection qu'il montrait un si beau zèle, mais 
pour une crainte toute personnelle. Il savait que la 
forêt désignée pour la chasse était pleine de lions, 
de tigres, de sangliers; il tremblait de se trouver 
en face d'un de ces animaux féroces, et il pensait 
qu'il serait moins exposé à ce danger en res- 
tant près de Florella sous le prétexte de la pro- 
téger. 

Ce qu'il demandait comme une grâce avec une 
apparence de généreuse tendresse ne pouvait lui 
être refusé. 

Au jour indiqué, dès le matin, tous les chasscmrs 
se mirent en marche avec les belles dames de h 
cour, leurs pages et leurs écuyers. Les cors de 
chasse, les trompettes résonnaient au loin, et c'é- 
tait beau de voir cette légion de princes, de nobles, 



L'ARBRE DE NOËL. Î95 

avec leurs armes étincelantes et leurs chevaux ri- 
chement caparaçonnés. 

Au milieu de cette pompeuse assemblée, Florella 
sans le vouloir attirait tous les regards par le pur 
éclat de sa jeunesse, par sa charmante beauté. Le 
prince qui avait si vivement sollicité le bonheur de 
la protéger, la contemplait de telle sorte qu*en 
chevauchant près d'elle, il ne vit point la route 
qu'il devait suivre, et tomba dans un marais où il 
salit ses fins vêtements, ce dont il fut fort cha- 
griné. 

Bientôt les aboiements des chiens annoncent le 
commencement de la chasse. Les cavaliers, l'épieu 
à la main, se précipitent de côté et d'autre à la re- 
cherche des bêtes fauves. Le prince de la lune, eq 
vertu du droit de patronage qui lui a été accordé, 
arrête par la bride le cheval de Florella, et se 
tient prudemment à côté d'elle sur la lisière de 1(^ 
forêt. 

Mais voilà que d'une enceinte de rocs sort tout 
à coup un sanglier avec d'énormes défenses, la 
bouche écumante, l'œil en feu. Blessé par unq 
flèche et furieux, il s'élance contre un groupe da 
chasseurs qui essayaient de l'arrêter, éventre lea 
chiens, renverse les chevaux, puis, continuant s^ 
course effrénée, arrive à l'endroit où le prétendant 
de Florella avait cru devoir sagement s'arrêter. 

A l'aspect de ce monstre, le vaillant prince grimpe 
au haut d'un arbre et se cache dans les feuilles. Lp 
cheval de Florella tremblait de tous ses meinbre3. 



296 L'ARBRE DE NOËLi 

et la pauvre Plorella pâlit, chancelle, et tombe 
évanouie. 

Le sanglier se dirige vers elle. Il court impé- 
tueusement, il va l'atteindre, quand soudain appa- 
laît un jeune homme qui, se plaçant en face de la 
bête furibonde, l'attend de pied ferme, et au mo- 
ment où elle fait un nouveau bond pour saisir sa 
proie, lui enfonce d'une main vigoureuse un jave- 
lot dans la poitrine. L'animal pousse un cri horri- 
ble., puis roule par terre, baigné dans son sang. 

Réveillée dans sa léthargie par ce rugissement, 
Fiorella ouvre les yeux, voit le sanglier étendu sur 
le sol, et debout devant elle, un inconnu, un jeune 
homme très -simplement vêtu, mais remarquable 
par rexpression de sa bonne et honnête physio- 
nomie. 




« Est-ce vous, lui dit-elle d'une voix émue, est- 
ce vous qui m'avez délivrée du mortel danger qui 
me menaçait? 

— J'ai tué le sanglier, répond d'un ton modeste 
l'étranger, et le plus grand bonheur de ma vie est 
d'avoir pu servir à vous protéger. 



L'ARBRE DE NOËL. 297 

— Merci I merci I s'écrie avec uil transport de 
gratitude la princesse. 

— Je ne mérite aucun remercîment pour un 
hasard dont je suis si heureux. 

— Mon père aussi vous remerciera, et il est ri- 
che et puissant. 

— Vraiment! Qui donc êtes-vous? 

— La fille unique du roi de cette contré:-. 

— Hélas I Tant pis pour moi. 

— Pourquoi donc? 

— Il y a une si grande distance entre la fille 
d'un roi et un simple paysan ! 

— Que voulez-vous dire? » 

Mais en ce moment un bruit singulier se fit en- 
tendre. Florella se leva effrayée et, dans son émo- 
tion, saisit la main du jeune homme comme pour 
lui demander encore sa protection. 

Ce bruit qui l'avait surprise provenait d'une nou- 
velle manœuvre du prince de la lune. Du haut de 
l'arbre où il s'était si prudemment perché, il voyait 
revenir les chasseurs ; il pensa qu'il devait pour son 
honneur quitter son refuge. 11 descendit en cassant 
plusieurs branches, et quand il fut à terre, que vit- 
il? La princesse qui s'appuyait, tremblante, sur le 
bras d'un étranger qui ne portait ni habits dorés, 
ni panache, mais un rustique vêtement. 

ce Holàl holàl s'écria-t-il ; qui étes-vous pour 
oser toucher à cette jeune princesse, à celle qui doit 
être mon épouse? 

— C'est mon libérateur, » répliqua la princesse, 



CENTRAL CO'JX 



, r 



298 L'ARBRE DE NOËL. 

en jetant sur le lâche et insolent prince un regard 
de mépris ; « c'est lui qui m'a délivrée du monstre 
auquel vous m'aviez tranquillement abandonnée. 
Il a tué le sanglier. 

— Croyez-vous? » repartit le prince. Il tourne la 
tète du côté du monstre, et le voyant étendu sur 
le sol, complètement inanimé : « Non, dit-il, vous 
êtes dans Terreur. Il n'est pas mort. C'est moi qui 
le tuerai. » 

A ces mots, tirant son épée, il se mit à frapper 
de toutes ses forces sur le cadavre. La princesse 
et le jeune étranger riaient de cette ridicule fanfa- 
ronnade. 

Mais le roi et ses courtisans qui arrivaient en ce 
moment crurent que c'était lui qui avait eu l'au- 
dace d'attendre, la force d'abattre le sanglier, et le 
félicitèrent à qui mieux mieux de son courage. 
Plus on le complimentait, plus il frappait avec ar- 
deur. Enfin, il essuya son épée, la remit dans le 
fourreau et reçut d'un air modeste les éloges qu'on 
lui prodiguait. 

Florella s'indignait de tant de fourberie, jointe à 
tant de lâcheté. Le jeune inconnu, debout à quel- 
que distance, appuyé sur sa lance, le regardait 
avec un superbe dédain. Mais il ne devait pas res- 
ter là longtemps. 

Les lois du royaume condamnaient à mort qui- 
conque osait toucher à une des personnes de la fa- 
mille royale. 

Le prince de la lune raconta que pendant qu'il 



L'ARBRE DE NOËL. 299 

luttait au péril de sa vie contre le sanglier, la 
princesse s'était évanouie, et que cet étranger, cet 
impudent, ce misérable avait profité de cet éva- 
nouissement pour la prendre dans ses bras. 

En vain Florella protesta avec une généreuse in- 
dignation contre cette imposture. En vain elle ra- 
conta la couardise du prince et la vaillante con- 
duite de rinconnu. Le roi ne voulut pa? Técouter. 

Le jeune homme fut arrêté, conduit en prison, 
jugé immédiatement, condamné à mort. 

Il n'avait pas même essayé de se défendre. Il 
écouta tranquillement son arrêt. Mais Florella 
voulait le sauver. Elle se jeta aux pieds de son père ; 
elle sollicita par ses supplications, par ses larmes, 
la grâce de celui sans lequel infailliblement elle 
aurait péri. Le roi la repoussa durement et lui re- 
procha d'oublier la dignité de sa naissance. Elle fit 
une autre tentative près de son prétendant, elle le 
conjura de faire un acte de justice en confessant la 
vérité. Le magnifique prince se mit à rire et lui dit 
qu'il ne comprenait pas comment elle pouvait s'in- 
quiéter une minute d'un homme dont on ne savait 
pas même le nom et qui était vêtu comme un pay- 
san. 

Dans son angoisse et son désespoir, tout à coup 
la princesse se souvint de son petit oiseau. Elle 
rentra dans sa chambre, elle l'appela d'une voix 
plaintive. Un instant après, il apparut et lui dit : 

« Que désires-tu? Parle, j'irai porter tes vœux à 
ta marraine. » 



800 L'ARBRE DE NOËL. 

Florella lui raconta ce qui était arrivé et ce qu'elle 
soulfrait.eD songeant que celui à qui elle devait la 
vie, et qui devait être généreusement récompensé 
•le son courage, allait périr victime d'une infâme 
imposture. 

« Rassure-toi, lui répondit l'oiseau. Aie conûance 
dans la Providence. Tu es bonne, tu es pure. La 
Providence protège ceux qui ne s'écartent point du 
chemin de la vertu. Espère et repose en paix cette 
nuit. Qui sait ce que tu apprendras demain ma- 
tin î » 




A ces mots il s'éloigna. La princesse, rassurée 
par ses paroles, se mit au lit et dormit d'un doux 
sommeil. 

Le lendemain, en s'éveillant, elle sonne ses fem- 
mes de chambre, mais aucune ne se rend à son 
appel. Impatientée de leur retard, elle, veut s"ha- 



.L'ARBRE DE NOËL. 301 

biller elle-même, et à la place de ses riches parures 
elle ne voit que les vêtements vulgaires d'une fille 
de la campagne. Elle promène autour d'elle ses 
regards étonnés. Elle n'est plus dans son superbe 
appartement, mais dans une chambre rustique, 
très-simplement meublée. Au même jnstant elle 
entend une voix qui lui dit : 

« Allons, ma petite demoiselle, il est temps d'al- 
ler traire les vaches. 

— Où suis-jeî s'écrie-t-elle ; que m'est-il ar- 
rivé? » 

Elle court à la fenêtre et reste surprise et char- 
mée du nouveau tableau qui se déroule devant 
elle. Une immense plaine où étincelle aux rayons du 
soleil la rosée du matin, des champs cultivés, des 
prés fleuris, des troupeaux de moutons sur les col- 
lines, des troupeaux de bœufs et de vaches à l'om- 
bre des hêtres ; de ci, de là, de riantes maisons de- 
vant lesquelles courent de joyeux enfants; partout 
la lumière, la vie et l'air embaumé. 

a Est-ce un rêve? dit Florella; ou ai-je été réelle- 
ment, pendant mon sommeil, emportée dans une 
nouvelle région? » 

Au même instant, elle aperçoit son petit oiseau 
battant des ailes, chantant à plein gosier un de ses 
chants mélodieux. Il s'approche d'elle et lui dit : 
« Gomment trouves-tu ta nouvelle demeure? Penses- 
tu que tu puisses y être heureuse, en travaillant 
pour toi-même et pour les autres? 

— Que veux-tu dire, mon doux oiseau? demande 



30S L'ARBRE DE NOËL. 

Florella. Où suis-je et pourquoi ai-je été transpor- 
tée dans cette région î 

— Pour y vivre heureusement, si tu sais mériter 
ton bonheur. Tu es dans le Nouveau-Monde, loin 
de l'étiquette des cours, et de Tennui des palais. 
Pourvu queMiu veuilles ici remplir tes devoirs, tu 
auras toutes les innocentes joies que tu peux dési- 
rer, et tu seras à jamais affranchie de l'esclavage 
auquel tu fus soumise dès ton enfance. 

— Et le prince de la lune, serai-je aussi délivrée 
de ses persécutions ? 

— Oui, pour toujours, si tu remplis les devoirs 
de ta nouvelle condition. 

— Et l'étranger qui m'a sauvé la vie ? Hélas ! Je 
n'ose m'informer de lui. Il s'est sacrifié pour moi. 
11 est mort, sans doute ? 

— Non. 11 vit, et tu pourras le revoir. 

— Et mon père? 

— N'en demande pas plus à présent, et va com- 
mencer ta nouvelle vie. Entends-tu cette voix qui 
t'appelle à ta rustique tâche? C'est la voix d'une 
brave femme à qui la fée t'a confiée. Pour la bonté 
qu'elle te témoignera, tu lui devras de la soumis- 
sion, de la gratitude, de l'affection. Si tu manquais 
à ces devoirs, tu n'obtiendrais pas le bonheur qui 
t'est offert. Si tu te sentais fatiguée de ta nouvelle 
existence, appelle-moi. J'irai revoir ta marraine, 
et elle te ramènera à la cour de ton père. 3» 

L'oiseau s'éloigna, et Florella s'habilla, se coiffa 
non sans peine, car, jusque-là , elle n'avait rien fait 



L'ARBRE DE NOËL. 303 

de semblable : c'était l'œuvre de sa femme de 
chambre. Elle sortit de sa chami)re et vit sur le seuil 
de la porte une vieille femme dont la physionomie 
avait une touchante expression de douceur et de 
bienveillance. 

« Allons, mon enfant, dit la bonne Marguerite 
(c'est ainsi qu'on l'appelait), aujourd'hui,* vous étiez 
fatiguée de votre long voyage ; demain, vous serez 
plus matinale. Allons, les vaches nous attendent, 
et ce sont elles qui nous donneront notre déjeu- 
ner. » 

Florella suivit sa nouvelle institutrice ; mais, mal- 
gré sa bonne volonté et ses efforts, elle ne put ti- 
rer des vaches rebelles une goutte de lait. 

«Ah! dit Marguerite en riant, je pensais bien 
que ma jeune auxiliaire ne réussirait pas si vite. 
Mais voyez. » 

A ces mots, elle s'assit sur un escabeau, et finit 
sa tâche sans difficulté. 

Après ce premier travail, Florella fut invitée à 
déjeuner. Et grâce à l'air frais du matin , aussi à 
l'exercice qu'elle venait de faire, elle prit son hum- 
ble repas champêtre avec un appétit qu'elle n'avait 
jamais eu aux banquets de son palais. 

Marguerite lui prescrivit encore diverses beso- 
gnes , lui indiquant avec bonté comme elle devait 
les faire, la suivant d'un regard bienveillant dans 
ses essais et l'encourageant affectueusement. 

Puis, lorsque tout fut mis en ordre dans la mai- 
son, elle l'engagea à faire une promenade. Florella 



304 L'ARBRE DE NOÉL.^ 

mit sur sa tète un chapeau de paille, et s'en alla à 
travers les champs fleuris, respirant Tair em- 
baumé, admirant les beautés de la nature, et, çà 
et là, s'amusant à courir avec les gens de la 
campagne, qui répondaient poliment à ses ques- 
tions, €t la remerciaient de ses témoignages d'in- 
térêt. 

De jour en jour, de semaine en semaine, Florella 
prend plus de goût aux diverses tâches qui lui sont 
confiées et acquiert plus d'habileté. En même 
temps, elle devient plus alerte et plus forte. La 
bonne Marguerite la regarde avec une tendre sa- 
tisfaction, et quelquefois s'écrie qu'il n'y a pas à 
dix lieues à la ronde un riche agriculteur qui ne ' 
devrait s'estimer heureux d'épouser cette jeune 
fille si belle et si active. 

Mais voilà que cette vieille Marguerite tombe 
malade, très-gravement malade. Florella la soigne 
jour et nuit, avec un zèle et une aflection infatiga- 
bles. Grâce à cette intelligente assistance, peu à peu 
le mal s'apaise. Marguerite se relève et prend sa 
jeune compagne dans ses bras, la remercie avec 
une cordiale effusion de son dévouement. 

Le petit oiseau vient revoir la charitable Florella 
et lui murmure à l'oreille : 

«Très -bien! très -bien! Tu auras ta récom- 
pense. » 

Un matin, Marguerite lui dit : 

« Mon enfant, je suis tout à fait bien. Mais toi, 
tu dois avoir besoin de respirer le grand air. Il y a 



• L*ARBRE DE NOËL. 305 

si longtemps que tu n'es sortie. Va, je t'en prie, va 
faire une promenade. » 

Florella obéit. Elle s'en va sur les bords du ruis* 
.seau où les enfants s'amusent à cueillir des fleurs, 
et ils se réjouissent de la revoir. Elle s'eli va près 
d'une grotte solitaire d'où tombe une cascade. C'est 
sa retraite favorite. Elle s'assoit sous les rameaux 
touffus d'un chêne, et se met à songer au passé, à 
l'avenir. Tandis qu'elle s'abandonne à sa vague rê- 
verie, tout à coup apparaît devant elle l'étranger 
qu'elle a vu à la cour de son père, le vaillant chas- 
seur qui l'a préservée des fureurs du sanglier. 

Il lui demande respectueusement la permission 
de s'approcher d'elle, et elle est contente de le re - 
voir. Elle le remercie encore du service qu'il lui a 
rendu, puis lui raconte par quelle puissance féeri- 
que elle a été en une nuit transportée de son palais 
dans une rustique métairie. 

« Singulière analogie ! s'écrie le jeune homme. 
J'ai aussi une fée qui me protège. Quand j'étais en 
prison, quand j'allais subir ma sentence, une fée 
invisible m'a aussi délivré de mes chaînes, m'a 
ouvert les portes de mon cachot, et m'a ramené 
dans ce pays, qui est mon pays natal. 

Florella s'étant levée pour retourner au logis, le 
jeune hommeobtient, par une humble prière, l'au- 
torisation de l'accompagner. Il connaît la vieille 
Marguerite, et elle l'accueille très- amicalement, cai 
eile sait que c'est un brave garçon, et le fils d'ur 
des paysans les plus estimés du canton. 

20 



306 l'arbre de NOËL. 

Le lenjîeniain et les jours suivants, il revient. Il 
aime l'innocente Florella, et Florella avoue aussi 
qu'elle l'aime. 

Un matin, d'un rayon de lumière descend la 
marraine de la jeune ûlle, la fée de VArc-en-Ciel. 




Elle s approche de sa ûlleule et lui dit 
< Tu as vécu dans une situation toute diflereiite 
de celle ou tu étais née Choisis a présent celle qui 



l'arbre de NOÉL. 307 

te plaît le plus. Veux-tu être souveraine d'un grand 
royaume, ou veux-tu rester dans ta position ac- 
tuelle? 

— Je voudrais revoir mon père, dit Florella. 

— Ton père est mort , et son peuple est prêt à 
se soumettre à ton autorité. Veux-tu régner? 

— NonI noni s'écrie-t-elle, jaime mieux vivre 
ici comme j'ai vécu depuis plusieurs mois. 

— Et épouser ton libérateur? 

— Oui. 

— A merveille! réplique la fée, et, comme je 
t'aime, je me réjouis que tu aies si bien choisi. » 

Et Florella et le jeune chasseur furent unis et 
vécurent longtemps heureusement. 

Le prince de la lune retourna dans ses États, et 
se rendit odieux à ses sujets par ses sottises , son 
orgueil et ses duretés. La fée de TArc- en-Ciel, pour 
le punir de ses méfaits, le changea en une chétive 
plante fouettée par tous les vents. 



FtN. 



TABLE DES MATIERES 



Pages 

Dédicace 1 

L'ambitieux sapin 13 

Marguerite et Jean 16 

Le Chardonneret et TOuvrier, histoire canadienne 26 

Jacques et ses camarades^ conte irlandais 29 

Les deux avares^ conte hébraïque. 39 

L'histoire du petit chaperon rouge^ comme on la raconte en 

Allemagne 42 

Le péril de la fortune, légende alsacienne 48 

Les trois dons de l'ermite, conte allemand &2 

Chant d'une mère près du berceau de son enfant, poésie finlan- 
daise 61 

Le succès par la persévérance, conte arabe 63 

La justice de Charlemagne, légende suisse 66 

La garnison de village, anecdote historique 69 

La querelle difficile 73 

L'histoire de Cendrillon, comme on la raconte en Allemagne. . 76 

Le joueur de violon 82 

La création de l'homme, légende des Peaux-Rouges de l'Amé- 
rique du nord. 85 

La chanson du gazon, poésie américaine 88 

Le roi des métaux 90 



310 TABLE DES MATIÈRES." 

Pages 
Le pieux rabbin, légende hébraïque 95 

L'église de Falster 99 

Souvenir d'enfance, poésie danoise, par Baggesen. 102 

La cathédrale du roi 105 

La légende de la Blumisalpe, en Suisse 107 

Blanche comme neige 111 

Le moine et l'oiseau 124 

Christophe le malin, conte irlandais 128 

La souris reconnaissante 132 

L'anachorète, parabole de saint Jérôme .... ; 134 

Les trois chiens, conte allemand 138 

Le château de la chaumière, poésie suédoise ... « 149 

La vouiyre, légende francomtoise 151 

Le vase de larmes \ 185 

Tom Pouce, conte populaire anglais 187 

Les enfants dans les bois, poésie allemande 199 

Le rouge-gorge. 202 

La fine Alice, conte anglais 204 

Les pêches 210 

Jacipies et la tige de haricots, conte populaire anglais 213 

Les deux chemins, parabole allemande 228 

Le château de Kynast, en Bohême. - 231 

Le frère et la sœur 235 

Les infortunes de Jean le tailleur, conte allemand 245 

La légende de la Sarraz 263 

Florella, conle américain » 283 



Fin de la table des matières. 



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