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Full text of "L'archéologie égyptienne"

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COLLECTION PLACÉE SOUS LE HAUT PATRONAGE 



L'ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS 



COURONNÉE PAR L'ACADÉMIE FRANÇAISE 



Droits de traduction et de reproduction réservés. 

Cet ouvrage a été déposé au Ministère de l'Intérieur 

«n février 1887. 



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BIBLIOTHÈQUE DE L'E H S E I G H E K E HT DBS BEAUX-ARTS 

PUBLIÉK sors LA DIEKCTION DE M. JULES COMTE 



L^ARCHÉOLOGIE 

ÉGYPTIENNE 



PAR 



G. MASPERO 

MEMBRE DE l'iNSTITUT, 
PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE 




MAISON QUANTIN 

COMPAGNIE GÉNÉRALE D'IMPRESSION ET D'ÉDITION 
■ 7, RUE SAINT-BENOIT 



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L'ARCHÉOLOGIE 

ÉGYPTIENNE 



CHAPITRE PREMIER 



L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE 

L'attention des. archéologues qui ont visité TEgypte 
a été si fortement attirée par les temples et par les 
tombeaux que nul d'entre eux ne s'est attaché à relever 
avec soin ce qui reste des habitations privées et des 
constructions militaires. Peu de pays pourtant ont con- 
servé autant de débris de leur architecture civile. Sans 
parler des villes d'époque romaine ou byzantine, qui 
survivent presque intactes à Kouft, à Kom-Ombo, à 
El-Agandiyéh, une moitié au moins de la Thèbes an- 
tique subsiste à l'est et au sud de Karnak. L'emplace- 
ment de Memphis est semé de buttes qui atteignent i5 
et 20 mètres de hauteur^ et dont le noyau est formé par 
des maisons en bon état. A Tell-el-Maskhoutah, les 
greniers de Pithom sont encore debout; à San, à Tell- 
Basta, la cité saïte et ptolémaïque renferme des quar- 
tiers dont on pourrait lever le plan. Je ne parle ici que 
dSs plus connues; mais combien de localités échappent 
à la curiosité des voyageurs, où l'on rencontre des 
ruines d'habitations privées remontant à l'époque des 



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6 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

Ramessîdes, et plus haut peut-être ! Quant aux forte- 
resses, le seul village d'Abydos n'en a-t-il pas deux, 
dont une est au moins contemporaine de la VI" dy- 
nastie ? Les remparts d'El-Kab , de Kom-el-Ahmar, 
d'El-Hibèh, de Dakkèh, même une partie de ceux de 
Thèbes, sont debout et attendent Parchiiecte qui dai- 
gnera les étudier sérieusement, 

•J^ LES MAISONS. 

Le sol de l'Egypte, lavé sans cesse par l'inondation, 
est un limon noir, compact, homogène, qui acquiert en 
se séchant la dureté de la pierre : les fellahs l'ont em- 
ployé de tout temps à construire leur maison. Chez les 
plus pauvres, ce n'est guère qu'un amas de terre façonné 
grossièrement. On entoure un espace rectangulaire, 
de 2 ou 3 mètres de large sur 4 ou 5 de long, d'un 
clayonnage en nervures de palmier, qu'on enduit inté- 
rieurement et extérieurement d'une couche de limon; 
comme ce pisé se crevasse en perdant son eau, on 
bouche les fissures et on étend des couches nouvelles, 
jusqu'à ce que l'ensemble ait de 10 à 3o centimètres 
d'épaisseur, puis on étend au-dessus de la chambre 
d'autres nervures de palmier. mêlées de paille, et on 
recouvre le tout d'un lit mince de terre battue. La hau- 
teur est variable : le plus souvent, le plafond est très 
bas, et on ne doit pas se lever trop brusquement de peur 
de le défoncer d'un coup de tête;^illeurs, il esta 2 mè- 
tres du sol ou même plus. Aucune fenêtre, aucuhe 
lucarne où pénètrent Tair et la lumière; parfois, un 
trou, pratiqué au milieu du plafond, laisse sortir la fu- 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 7 

mée du foyer; mais c'est là un raffinement que tout le 
monde ne connaît pas. 

Il n'est pas toujours facile de distinguer au premier 
coup d'oeil celles de ces cabanes qui sont en pisé et 
celles qui sont en briques crues. La brique égyptienne 
commune n'est guère que le limon, mêlé avec un peu 
de sable et de paille hachée, puis façonné en tablettes 
oblongues et durci au soleil. Un premier manœuvre 
piochait vigoureusement à l'endroit où l'on voulait 
bâtir; d'autres emportaient les mottes et les accumu- 




FiG. I. -^ Fabrication de la brique. 

laient en tas, tandis que d'autres les pétrissaient avec les 
pieds et les réduisaient en masse homogène. La pâte 
suffisamment triturée, le maître ouvrier la coulait dans 
des moules en boir dur, qu'un aide emportait et s'en 
allait décharger sur l'aire à sécher, où il les rangeait en 
damier, à petite distance l'une de l'autre (fig. i). Les 
entrepreneurs soigneux les laissent au soleil une demi- 
journée ou même une journée entière, puis les disposent 
en monceaux de manière que l'air circule librement, et 
ne les emploient qu'au bout d'une semaine ou deux; 
les autres se contentent de quelques heures d'exposi- 
tion au soleil et s'en servent humides encore. Malgré 
cette négligence, le limon est tellement tenace qu'il ne 



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8 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

perd pas aisément sa forme :. la face tourne'e au dehors 
a beau se désagréger sous les influences atmosphéri- 
ques, si Ton pénètre dans le mur même, on trouve la 
plupart des briques intactes et séparables les unes des 
autres. Un bon ouvrier moderne en moule un millier 
par jour sans se fatiguer; après une semaine d^entraîne- 
ment, il peut monter à 1,200, à i,5oo, voire à 1,800. 
Les ouvriers anciens, dont Toutillage ne différait pas 
de l'outillage actuel, devaient obtenir des résultats aussi 
satisfaisants. Le module quHls adoptaient généralement 
est de o'", 22, X o'",ii, X o'", 14 pour les briques de taille 
moyenne, o'",38, x o'", 18, x o"^,i4 pour les briques de 
grande taille; mais on rencontre assez souvent dans les 
ruines des modules moindres ou plus forts. La brique 
des ateliers royaux était frappée quelquefois aux car- 
touches du souverain régnaiit; celle des usines pri- 
vées a sur le plat un ou plusieurs signes convention- 
nels tracés à l'encre rouge, l'empreinte des doigts du 
mouleur, le cachet d'un fabricant. Le plus grand nombre 
n'a point de marque qui les distingue. La brique cuite 
n'a pas été souvent employée avant l'époque romaine, 
non plus que la tuile plate ou arrondie. La brique émail- 
lée paraît avoir été à la mode dans le Delta. Le plus 
beau spécimen que j'en aie vu, celui qui est conservé 
au musée de Boulaq, porte à l'encre noire les noms de 
Ramsès III ; l'émail en est vert, mais d'autres fragments 
sont colorés en bleu, en rouge, en jaune ou en blanc. 
La nature du s61 ne permet pas de descendre beau- 
coup les fondations : c'est d'abord une couche de terre 
rapportée, qui n'a d'épaisseur que sur l'emplacement des 
grandes villes, puis un humus fort dense, coupé de 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 9 

minces veines de sable, puis, à partir du niveau des 
infiltrations, des boues plus ou moins liquides, selon 
la saison. Aujourd'hui, les maçons indigènes se con- 
tentent d'écarter les terres rapportées et jettent les fon- 
dations dès qu'ils touchent le sol vierge; si celui-ci est 
trop loin, ils s'arrêtent à un mètre environ de la sur- 
face. Les vieux Egyptiens en agissaient de même : 
je n'ai rencontré aucune maison antique dont les fon- 
dations fussent à plus de i%2o, encore une pareille 
profondeur est-elle l'exception, et n'a-t-on pas dépassé 
o'",6o dans la plupart des cas. Souvent, on ne se fati- 
guait pas à creuser des tranchées : on nivelait l'aire 
à couvrir, et, probablement après l'avoir arrosée large- 
ment pour augmenter la consistance du terrain, on 
posait les premières briques à même. La maison ter- 
minée, les déchets de mortier, les briques cassées, tous 
les rebuts du travail accumulés formaient une couche 
de 20 à 3o centimètres : la partie du mur enterrée 
de la sorte tenait lieu de fondations. Quand la mai- 
son à bâtir devait s'élever sur l'emplacement d'une 
maison antérieure, écroulée de vétusté ou détruite par 
un accident quelconque, on ne prenait pas la peine 
d'abattre les murs jusqu'au ras de terre. On égalisait la 
surface des décombres et on construisait à quelques pieds 
plus haut que précédemment : aussi chaque ville est-elle 
assise sur une ou plusieurs buttes artificielles, dont les 
sommets dominent parfois de 20 ou 3o mètres la cam- 
pagne environnante. Les historiens grecs attribuaient 
ce phénomène d'exhaussement à la sagesse des rois, de 
Sésostris en particulier, qui avaient voulu mettre les 
cités à l'abri des eaux,' et les modernes ont cru recon- 



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L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



naître le procédé employé à cet effet : on construisait 
des murs massifs de brique, entre-croisés en damier, 
on comblait les intervalles avec des terres de déblaye- 
ment, et on élevait les maisons sur ce patin gigan- 
tesque. Partout où j'ai fait des fouilles, àThèbes spécia- 
lement, je n'ai rien vu qui répondît à cette description; 
les murs entrecoupés qu'on rencontre sous les débris 

des maisons relativement mo- 
dernes ne sont que des restes 
de maisons antérieures, qui 
reposaient elles-mêmes sur 
les restes de maisons plus 
vieilles encore. Le peu de 
profondeur des fondations 
n'empêchait pas les maçons 
de monter hardiment la bâ- 
tisse : j'ai noté dans les 
ruines de Memphis des pans 
encore debout de lo et 12 mè- 
tres de haut. On ne prenait 
alors d'autre précaution que 
d^élargir la base des murs et de voûter les étages 
(fig. 2). L'épaisseur ordinaire était de o"',40 environ 
pour une maison basse, mais pour une maison à plu- 
sieurs étages, on allait jusqu'à i mètre ou i»»,25; des 
poutres, couchées dans la maçonnerie d'espace en 
espace, la liaient et la consolidaient. Souvent aussi on 
bâtissait le rez-de-chaussée en moellons bien appa- 
reillés et on reléguait la brique aux étages supérieurs.. 
Le calcaire de la montagne voisine est la seule pierre 
dont on se soit servi régulièrement en pareil cas. Les 




FIG. 2. 

Maison antique à étages voûtés, 

contre la muraille nord du 

grand temple de Médinét-Habou. 



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FIG. }. 



L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. ii 

fragments de grès, de granit ou d'albâtre qui y sont 
mêlés, proviennent généralement d'un temple ruiné : 
les Égyptiens d'alors n'avaient pas plus scrupule 
que ceux d'aujourd'hui à dépecer leurs monuments 
dès qu'on cessait de les surveiller. 
Les petites gens vivaient dans de 
vraies huttes qui, pour être bâties en 
briques, ne valaient ^uère mieux que 
les cabanes des fellahs. A Karnak, dans 
la ville pharaonique, à Kom-Ombo, 
dans la ville romaine, à Médinét-Ha- 
bou, dans la ville copte, les maisons 
de ce genre ont rarement plus de 4 
ou 5 mètres de façade; elles se com- 
posent d'un rez-de-chaussée que surmontent parfois 
quelques chambres d'habitation: 
Les gens aisés, marchands, em- 
ployés secondaires, chefs d'ate- 
liers, étaient logés plus au large. 
Leurs maisons étaient souvent 
séparées de la rue par une cour 
étroite : un grand couloir s'ou- 
vrait au fond, le long duquel 
les chambres étaient rangées (fig. 3). Plus souvent, la 
cour était garnie de chambres sur trois côtés (fig. 4); 
plus souvent encore la maison présentait sa façade à 
la rue. C'était alors un haut mur peint ou blanchi à 
la chaux, surmonté d'une corniche, et sans ouverture 
que la porte, ou percé irrégulièrement de quelques 
fenêtres (fig. 5). La porte était souvent de pierre, 
même dans les maisons sans prétentions. Les jam- 



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la L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

bages sont en saillie le'gère sur la paroi, et le linteau 
est supporté d'une gorge peinte ou sculptée. L'entrée 
franchie, on passait successivement dans deux petites 

pièces sombres, dont la der- 
nière prend jour sur la 
cour centrale (fig. 6). Le 
rez-de-chaussée servait or- 
dinairement d'étable pour 
les baudets ou pour les 
bestiaux, de magasins pour 
le blé et pour les provi- 
sions, de cellier et de cui- 
sine. Partout où les étages 
supérieurs subsistent en- 
core , ils reproduisent 
presque sans modifications 
la distribution du rez-de-chaussée. On y arrivait par 
un escalier extérieur, étroit et 
raide, coupé à des intervalles très 
rapprochés par de petits paliers 
carrés. Les pièces étaient oblon- 
gues et ne recevaient de lumière 
et d^air que par la porte : lors- 
qu'on se décidait à percer des 
fenêtres sur la rue, c^étaient des 
soupiraux placés presque à la 

hauteur du plafond, sans régularité ni symétrie, gar- 
nis d'une sorte de grille en bois à barreaux espacés, et 
fermés par un volet plein. Les planchers étaient bri- 
quetés ou dallés, plus souvent formés d'une couche de 
terre battue. Les murs étaient blanchis à la chaux, quel- 



Fl G. 5. 

Façade d'une maison sur la rue. 




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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



ï3 



quefois peints de couleurs vives. Le toit était plat et 
fait probablement comme aujourd'hui de branches de 
palmiers serrées Tune contre Tautre, et couvertes d'un 
enduit de terre assez épais pour résister à la pluie. 
Parfois il n'était surmonté que d^un ou deux de ces 
ventilateurs en bois qu'on rencontre encore si fré- 
quemment en Egypte ; d'ordinaire, on y élevait une ou 
deux pièces isolées, 
servant de buanderie 
ou de dortoir pour les 
esclaves ou les gar- 
diens. La terrasse et 
la cour jouaient un 
grand rôle dans la vie 
domestique des an- 
ciens Egyptiens;, les 
femmes y préparaient 
le pain (fig. 7), y cui- 
sinaient, y causaient 
à l'air libre ; la famille 
entière y dormait l'été, protégée par des filets contre 
les attaques des moustiques. 

Les hôtels des riches et des seigneurs couvraient une 
surface considérable : ils étaient situés le plus souvent 
au milieu d'un jardin ou d'une cour plantée, et pré- 
sentaient à la rue, ainsi que les maisons bour- 
geoises, des murs nus, crénelés comme ceux d'une 
forteresse (fig. 8). La vie domestique était cachée et 
comme repliée sur elle-même : on sacrifiait le plai- 
sir de voir les passants à l'avantage de n'être pas 
aperçu du dehors. La porte seule annonçait quel- 




Fic. 7. — Boîte cil forme de maison. 
(British Muséum.) 



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'4 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 






quefois rimportance de la famille qui se dissimu- 
lait derrière Tenceinte, Elle était précédée d'un per- 
ron de deux ou trois marches, ou d'un portique à 
colonnes (fig. 9) orné de statues (fig. 10), qui lui 

donnaient Taspect 
monumental; par- 
fois c'était un py- 
lône analogue à 
celui qui annonçait 
l'entrée des tem- 
ples. L'intérieur 
formait comme une 
petite ville, divisée en quartiers par des murs irré- 
guliers : la maison d'habitation au fond, les greniers, 
les ctubles, les communs, répartis aux différents en- 
droits de l'enclos, selon des règles. qui nous échap- 







VIO, 8. 





Fia. p. FIG. 10. 

pent encore. Les détails de l'agencement devaient 
varier à l'infini; pour donner une idée de ce qu'était 
l'hôtel d'un grand seigneur égyptien, moitié palais, 
moitié villa, je ne puis mieux faire que de reproduire 
deux des plans nombreux que nous ont conservés les 
tombeaux de la XVIII® dynastie. Le premier représente 
une maison thébaine (fig. 11- 12). Le clos est carré 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



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entouré d'un mur crénelé. La porte principale^'ouvre 
sur une route bordée d'arbres, qui longe un canal ou 
un bras du Nil. Le jardin est divisé en comparti- 




mmmmnm 



Fie. Ji. — Plan d'une maison thébaine avec jardin. 



ments symétriques par des murs bas en pierres sèches, 
analogues à ceux qu'on voit encore dans les grands 
jardins d'Akhmîm ou de Girgéh; au centre, une vaste 
treille disposée sur quatre rangs de colonnettes; à droite 



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i6 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



et à gauche, quatre pièces d^eau peuplées de canards et 
d'oies, deux pépinières, deux kiosques à jour, et des 
allées de sycomores, de dattiers et de palmiers-doums ; 
dans le fond, en face de la porte, une maison à deux 
étages de petites dimensions, surmontée d'une corniche 




FI G. 12. — Vue perspective de la maison thébaine. 

peinte. Le second plan est emprunté aux hypogées de 
Tell-el-Amarna (fig. 13-14). Il nous montre une maison, 
située au fond des jardins d'un grand seigneur. Aï, 
gendre du pharaon Khouniaton et, plus tard, lui-même 
roi d^'Égypte. Un bassin oblong s'étend devant la 
porte : il est bordé d'un quai en pente douce muni de 
deux escaliers. Le corps de bâtiment est un rectangle 
plus large sur la façade que sur les parois latérales. 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



17 



Une grande porte s'ouvre au milieu et donne accès 
dans une coiir plantée d'arbres et bordée de magasins 
remplis de provisions : deux petites cours placées 
symétriquement dans les angles les plus éloignés 
servent de cage aux escaliers qui mènent sur la ter- 
rasse. Ce pre- 
mier édifice sert 
comme d'enve- 
loppe au logis du 
maître. Les deux 
façades sont or- 
nées d'un por- 
tique de huit co- 
lonnes, inter- 
rompu au milieu 
par la baie du 
pylône. La porte 
franchie, on dé- 
bouchait dans 
une sorte delong 
couloir central, coupé par deux murs percés de portes, 
de manière à former trois cours d'enfilade. Celle du 
centre était bordée de chambres; les deux autres com- 
muniquaient à droite et à gauche avec deux cours plus 
petites, d'où partaient les escaliers qui montent à la ter- 
rasse. Ce bâtiment central était ce que les textes ap- 
pellent Vâkhonouti, la demeure intime du roi et des 
grands seigneurs, où la famille et les amis les plus 
proches avaient seuls le droit de pénétrer. Le nombre 
des étages, la disposition de la façade différaient selon le 
caprice du propriétaire. Le plus souvent la façade était 




FIG. 13. 



— Palais d'Aï. 



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i8 



L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 



unie; parfois elle était divisée en trois corps, et le corps 
du milieu était en saillie. Les deux ailes sont alors 
ornées d'un portique à chaque étage (fig. i5), ou sur- 
montées d'une galerie à jour (fig. i6) ; le pavillon central 
a quelquefois l'aspect d'une tour qui domine le reste 
de la construction (fig. 17). Les façades sont décorées 



-W3: 




Fie. 14. — Vue perspective du palais d'Aï. 

assez souvent de ces longues colonnettes en bois peint 
qui ne portent rien et servent seulement à égayer l'as- 
pect un peu sévère de l'édifice. La distribution inté- 
rieure est peu connue; comme dans les maisons bour- 
geoises , les chambres à coucher étaient probablement 
petites et mal éclairées ; mais, en revanche, les salles 
de réception devaient avoir à peu près les dimen- 
sions adoptées aujourd'hui encore en Egypte, dans les 
maisons arabes. L'ornementation des parois ne com- 
portait pas des scènes ou des compositions analogues 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



'9 



à celles qu'on rencontre dans les tombeaux. Les pan- 
neaux étaient passés à la chaux ou revêtus d'une teinte 




I-IG. 15. 



uniforme et bordés d'une bande multicolore. Les pla- 




FIG. 16. 



fonds étaient d'ordinaire laissés en blanc; parfois, 
cependant, ils étaient décorés d'ornements géomé- 



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L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



triques dont les principaux motifs étaient répétés dans 
les tombeaux et nous ont été conservés de la sQrte, 

des méandres entremêlés de 
rosaces (fig, i8), des carrés 
multicolores (fig, 19), des têtes 
de bœuf vues de face, des en- 
roulements, des vols d'oies 
(fig. 20). 

Je n^ai parlé que du second 
empire thébain; c'est en effet Tépoque pour laquelle 
nous avons le plus de docu- 
ments. Les lampes en forme de 





^?M 


ï feS^r^^ 




ii^^^ 





FIG. 17. 






FIG. 18. 



grand nombre au Fayoum, 
montrent qu'au temps des Cé- 
sars romains, on continuait à 
bâtir selon les mêmes règles 
qui avaient eu cours sous les Thoutmos et les Ram- 

sès. Pour l'ancien empire, les 
renseignements sont peu nom- 
breux et peu clairs. Cepen- 
dant, on rencontre souvent sur 
les stèles, dans les hypogées 
ou dans les cercueils , des 
dessins qui nous montrent 
quel aspect avaient les portes 
(fig. 21), et un sarcophage de la IV^ dynastie, celui de 
Khoutou-Poskhou, est taillé en forme de maison 
(fig. 22). 



i5 i5 SvS^S 



FIG. Ip. 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



2'» LES FORTERESSES. 



La plupart des villes et même des bourgs importants 
étaient murés. C'était une conséquence presque néces- 
saire de la configuration géographique et de la consti- 
tution politique du 
pays. Contre les 
Bédouins, il avait 
fallu barrer le dé- 
bouché des gorges 
qui mènent au dé- 
sert; les grands sei- 
gneurs féodaux 
avaient fortifié, 
contre leurs voisins 
et contre le roi, la 
ville où ils rési- 
daient, et les vil- 
lages de leur domaine qui commandaient les défilés 
des montagnes ou les passes resserrées du fleuve. 

Abydos, El-Kab, Semnéh possèdent les forteresses 
les plus anciennes. Abydos avait un sanctuaire d'Osiris 
et s'élevait à l'entrée d'une des routes qui conduisent 
aux Oasis. La renommée du temple y attirait les pèle- 
rins, la situation de la ville y amenait les marchands, 
la prospérité que lui valait Taffluence des uns et des 
autres l'exposait aux incursions des Libyens : elle a, 
aujourd'hui encore, deux forts presque intacts. Le plus 
vieux est comme le noyau du monticule que les Arabes 
appellent le Kom-es-soultân, mais l'intérieur seul en a 




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nnririrn"Tn 



32 L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

été déblayé jusqu'à 3 ou 4 mètres au-dessus du sol an- 
tique ; le tracé extérieur des murs n'a pas été dégagé 

_,_„„,,„^ des décombres et du 
sable qui Tentourent. 
Dans Pétat actuel, 
c'est un parallélo- 
gramme en briques 
crues de i25 mètres 
de long sur 68 mètres 
de large. Le plus 
grand axe en est 
tendu du sud au 
nord. La porte prin- 
cipale s'ouvre dans 
le mur ouest, non 
loin de l'angle nord- 
ouest ; mais deux 
portes de moindre 
importance pa- 
raissent avoir été mé- 
nagées dans le front 
sud et dans celui de 
l'est. Les' murailles 
ont perdu quelque 
peu de leur éléva- 
tion ; elles mesurent 
pourtant de 7 à 11 mè- 
tres de haut et' sont 
larges d'environ 2 mètres au sommet. Elles ne sont 
pas bâties d'une seule venue, mais se partagent en 
grands panneaux verticaux, facilement reconnaissables 




FIG. 21. 

Porte de maison de l'ancien Empire, 

d'après la paroi d'un tombeau 

de la VP dynastie. 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



33 



à la disposition des matériaux. Dans le premier, tous 
les lits de briques sont rigoureusement horizontaux; 
dans le second, ils sont légèrement concaves et forment 
un arc renversé, très ouvert, dont Textrados s'appuie 
sur le sol ; Talternance des deux procédés se reproduit 
régulièrement. La raison de cette disposition est 
obscure : on dit que les édifices ainsi construits ré- 




mnwmw mwmmmwyrm 



'"n iiifflii r** 



mu 



sistent mieux aux tremblements de terre. Quoi qu'il 
en soit, elle est fort ancienne, car, dès la V*' dynastie, 
les familles nobles d'Abydos envahirent l'enceinte et 
l'emplirent de leurs tombeaux au point de lui enlever 
toute valeur stratégique. Une seconde forteresse, édi- 
fiée à quelque cent mètres au sud-est, remplaça celle du 
Kom-es-soultân vers la XVIII« dynastie, mais faillit 
avoir le même sort sous les Ramessides; la décadence su- 
bite de la ville l'a seule protégée contre l'encombrement. 
Les Egyptiens des premiers temps ne possédaient 
aucun engin capable de faire impression sur des murs 
massifs. Ils n'avaient que trois moyens pour enlever de 
vive lorce une place fermée : l'escalade, la sape, le bris 



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3* L'ARCHÉOLOGIE ÉGYP,TIENNE. 

des portes. Le tracé imposé par leurs ingénieurs au 
second fort est des mieux calculés pour résister effica- 
cement à ces trois attaques (fig. 23). Il se compose de 
longs côtés en ligne droite, sans tours ni saillants d'au- 
cune sorte, mesurant i3i™,3o sur les fronts est et ouest, 
78 mètres sur les fronts nord et sud. Les fondations 




portent directement sur le sable et ne descendent nulle 
part plus bas que o"*,3o. Le mur (fig. 24) est en bri- 
ques crues, disposées par assises horizontales; il est 
légèrement incliné en arrière, plein, sans archères ni 
meurtrières, décoré à l'extérieur de longues rainures 
prismatiques, semblables à celles qu'on voit sur les 
stèles de l'ancien Empire. Dans l'état actuel, il domine 
la plaine de 1 1 mètres ; complet, il ne devait guère 
monter à plus de 12 mètres, ce qui suffisait amplement 
pour mettre la garnison à Tabri d'une escalade par 
échelle portative à dos d'homme. L'épaisseur est d'en- 
viron 6 mètres à la base, d'environ 5 mètres au sommet. 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



2S 




FI G. 24. 



La crête est partout détruite, mais les représentations 
figurées (fig. 25 ) nous montrent qu'elle était couronnée 
d'une corniche continue, très saillante, garnie extérieu- 
rement d'un parapet mince 
assez bas, crénelé à nierions 
arrondis, rarement quadran- 
gulaires. Le chemin de ronde, 
même diminué de l'épaisseur 
du parapet, devait atteindre 
encore 4 mètres ou 4™,5o. 
Il courait sans interruption 
le long des quatre fronts; on 
y montait par des escaliers 
étroits, pratiqués dans la ma- 
çonnerie et détruits aujour- 
d'hui. Point de fossé : pour défendre le pied du mur 
contre la pioche des sapeurs, on a tracé, à 3 mètres en 

avant, une chemise 
crénelée haute de 
5 mètres ou environ. 
Toutes ces précau- 
tions étaient suffi- 
santes contre la sape 
et Tescalade, mais 
les portes restaient 
comme autant de brè- 
ches béantes dans l'enceinte ; c'était le point faible sur 
lequel l'attaque et la défense concentraient leurs efforts. 
Le fort d'Abydos avait deux portes, dont la principale 
était située dans un massif épais, à l'extrémité orientale 
du front est (fig. 26). Une coupure étroite A, barrée par 




^n^^'^Turrxri^ 




FIG. 25. 



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26 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 




26. 



de solides battants de bois, en marquait la place dans 
Tavant-mur. Par derrière, s'étendait une petite place 
d'armes B, à demi creusée dans Fépaisseur du mur, au 
fond de laquelle était pratiquée une seconde porte C, 
aussi resserrée que la première. 
Quand Tassaillant Pavait forcée 
sous la pluie de projectiles que 
les défenseurs, postés au haut 
des murailles, faisaient pleuvoir 
sur lui de face et des deux côtés, 
il n'était pas encore au cœur de 
la place ; il traversait une cour 
oblongue D, resserrée entre les murs extérieurs et 
entre deux contreforts qui s'en détachaient à angle 
droit, et s'en allait briser à décou- 
vert une dernière poterne E, placée 
à dessein dans le recoin le plus in- 
commode. Le principe qui présidait 
à la construction des portes était 
partout le même, mais les disposi- p,G^ ^7, 

tions variaient au gré de l'ingénieur. 
A la porte sud-est d'Abydos (fig. 27), la place d'armes 
située entre les deux enceintes a été supprimée, et la 
cour est tout entière dans l'épaisseur du mur; à Kom- 
el-Ahmar, en face d'El-Kab (fig. 28), le massif de 
briques, au milieu duquel la porte est percée, fait saillie 
sur le front de défense. Des poternes, réservées en dif- 
férents endroits, facilitaient les mouvements de la gar- 
nison et lui permettaient de multiplier les sorties. 

Le même tracé qu'on employait pour les forts isolés 
prévalait également pour les villes. Partout, à Héliopo- 




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L'ARCHITECTURE CIVILE 




AIRE. 



27 




FI G. 28. 




« 



S 




e. 



lis, à San, à Sais, à Thèbes, ce sont des murs droits, sans 
tours ni bastions, formant des carrés ou des parallélo- 
grammes allongés, sans fossés ni 
avancées; l'épaisseur des murs, qui 
varie entre 10 et 20 mètres, rendait 
ces précautions inutiles. Les portes, 
au moins les principales, avaient des 
jambages et un linteau en pierre, dé- 
corés de tableaux et de légendes ; témoin celle d'Ombos, 
que ChampoUion vit encore en place et qui date du 

règne de Thout-, 
mos III. La plus 
vieille et la mieux 
conservée des villes 
fortes d'Egypte, 
celle d'El-Kab, re- 
monte probable- 
ment jusqu'à Tan- 
cien Empire 
(fig. 29). Le Nil en 
a détruit une partie 
depuis quelques an- 
nées ; au commen- 
cement du siècle, 
elle formait un quadrilatère irrégulier, dont les grands 
côtés mesuraient 640 mètres et les petits environ un 
quart en moins. Le front sud présente la même dispo- 
sition qu'au Kom-es-soultân, des panneaux où les lits 
de briques sont horizontaux, alternant avec d'autres 
panneaux où ils sont concaves. Sur les fronts nord et 
ouest, les lits sont ondulés régulièrement et sans inter- 



FIG. 29. 



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28 



L»ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



ruption d'un bout à l'autre. L'épaisseur est de ii™,5o, 
la hauteur moyenne de 9 mètres ; des rampes larges et 
commodes mènent au chemin de ronde. Les portes sont 
placées irrégulièrement, une sur chacune des faces 
nord, est et ouest; la face méridionale n'en avait point. 
Elles sont trop mal conservées pour qu'on en recon- 
naisse le plan. L'enceinte renfermait une population 

considérable, mais in- 
également répartie ; le 
gros était concentré au 
nord et à l'ouest, où 
^^ les fouilles ont décou- 

T I nBiiiMw ° iiiiMM iS^^^ vert les restes d'un 



grand nombre de mai- 
sons. Les temples 
étaient rassemblés 
dans une enceinte carrée, qui avait le même centre que 
la première ; c'était comme un réduit, où la garnison 
pouvait résister, longtemps après que le reste de la 
ville était aux mains des ennemis. 

Le tracé à angle droit, excellent en plaine, n'était 
pas souvent applicable en pays accidenté; lorsque le 
point à fortifier était sur une colline, les ingénieurs 
égyptiens savaient adapter la ligne de défense au relief 




Fie, jO. 



du terrain. A Kom-Ombo (fig. 3o), les murs suivent 
exactement le contour de la butte isolée sur laquelle 
la ville était perchée, et présentaient à TOrient un 
front hérissé de saillies irrégulières, dont le dessin rap- 
pelle grossièrement celui de nos bastions. A Koumméh 
et à Semnéh, en Nubie, à l'endroit où le Nil s'échappe 
des rochers de la seconde cataracte, les dispositions 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



89 




Sont plus ingénieuses et témoignent d'une véritable 
habileté. Le roi Ousirtasen III avait fixé en cet en- 
droit la frontière de PÉgypte; les forteresses qu'il y 
construisit devaient barrer la voie d'eau aux flottes des 
Nègres voisins. A Koumméh, sur la rive droite, la po- 
sition était naturellement très forte (fig. 3i). Sur une 
éminence bordée de ro- 
chers abrupts, on des- ^ù^^^^^fW"^ 

sina un carré irrégulier 
de 60 mètres environ de 
côté ; deux contreforts al- 
longés dominent, l'un, 
au nord, les sentiers qui 
conduisent à la porte, 
l'autre, au sud, le cours 
du fleuve. L'avant-mur 
s'élève à 4 mètres en 

avant et suit fidèlement le mur principal, sauf en deux 
points, aux angles nord-ouest et sud-est, où il présente 
deux saillies en forme de bastion. Sur l'autre rive, à 
Semnéh, la position était moins bonne ; le côté orien- 
tal était protégé par une ceinture de rochers qui 
descend à pic jusqu'au fleuve, mais les trois autres 
faces étaient à peu près nues (fig. 32). Un mur droit, 
haut de i5 mètres environ, fut établi le long du Nil; 
au contraire, les murs tournés vers la plaine mon- 
tèrent jusqu'à la hauteur de 25 mètres et se héris- 
sèrent de contreforts, longs de i5 mètres, épais de 
9 mètres à la base et de 4 mètres au sommet et dis- 
posés à intervalles irréguliers selon les besoins de la 
défense. Ces- éperons, non garnis de parapets, tenaient 



FIG. jl 



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jo 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 




FIG. 3 



lieu de tours : ils augmentaient la force du tracé, dé- 
fendaient Taccès du chemin de ronde et battaient en 
flanc les soldats qui auraient voulu tenter une attaque 

de haute main contre 
V enceinte continue . 
L'intervalle qui les sé- 
pare est calculé de ma- 
nière que les archers 
puissent balayer de 
leurs flèches tout le 
terrain compris entre 
eux. Courtines et 
saillants sont en bri- 
ques crues entremêlées 
de poutres couchées 
horizontalement dans 
la maçonnerie; la surface extérieure en est formée de 
deux parties, Tune à peu près verticale, l'autre inclinée 
de i6o degrés envi- 
ron sur la première, 
ce qui rendait Pesca- 
lade sinon impos- 
sible, au moins fort 
difficile. Intérieure- 
ment tout Tespace 
compris dans Pen- 
ceinte avait été 
haussé presque jusqu'au niveau du chemin de ronde, 
en manière de terre- plein (fig. 33). Au dehors. Pavant- 
mur en pierres sèches était séparé du corps de la place 
par un fossé de 3o à 40 mètres de large; il épousait 




FlG. 3j. 

Coupe du terre-plein, sur A B 
du plan précédent. 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



3» 



assez exactement le contour général et dominait la plaine 
de 2 ou 3 mètres, selon les endroits ; vers le nord, il 
était coupé par le chemin 
tournant qui descend en 
plaine. Ces dispositions, si 
habiles qu'elles fussent, 
n'empêchèrent point la place 
de succomber ; une large 
brèche pratiquée au sud, 
entre les deux saillants 
les plus rapprochés du v ^'°* ^*- 
fleuve, marque le point d'attaque choisi par l'ennemi. 
Les grandes guerres entreprises en Asie sous la 

XVIII'' dynastie :ré- 



vélèrent aux Egyp- 
tiens des formes nou- 
velles de fortifica- 
tions. Les nomades 
de la Syrie méridio- 
nale avaient des for- 
tins où ils se réfu- 
giaient sous la me- 
nace de l'invasion 
(fig. 34). Les villes 
cananéennes et hit- 
tites, Ascalon, Da- 
pour, Mérom, étaient entourées de murailles puis- 
santes, le plus souvent en pierre et flanquées de tours 
{iîïg, 35); celles d'entre elles qui s'élevaient en plaine, 
comme Qodshou, étaient enveloppées d'un double fossé 
rempli d'eau (fig. 36). Les Pharaons transportèrent. 




La ville de Dapour. 



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I» 



L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 




pio. jâ. 



dans la vallée du Nil les types nouveaux dont ils 
avaient éprouvé l'efficacité dans leurs campagnes. Dès 
le» commencements de la XIX« dynastie, la frontière 

orientale du Delta, 
la plus faible de 
toutes, était couverte 
d'une ligne de forts 
analogues aux forts 
cananéens; non con- 
tents de prendre la 
chose, les Égyptiens 
avaient pris le mot 
et donnaient à ces 
tours de garde le nom sémitique de magadilou. La 
brique ne parut plus dès lors assez solide, au moins 
pour les villes exposées aux incur- 
sions des peuplades asiatiques, et 
les murs d'Héliopolis, ceux de 
Memphis même, se revêtirent de 
pierre. Rien ne nous est resté jus- 
qu'à présent de ces forteresses nou- 
velles, et nous en serions réduits à 
nous figurer, d'après les peintures, 
l'aspect qu'elles pouvaient avoir, 
si un caprice royal ne nous en 
avait laissé un modèle dans un des endroits où on 
s'attendait le moins à le rencontrer, dans la nécropole 
de Thèbes. Quand Ramsès III établit son temple fu- 
néraire (fig. 37 et 38), il voulut l'envelopper d'une 
enceinte à l'apparence militaire, en souvenir de ses 
victoires syriennes. Un avant-mur en pierre, crénelé, 




FiG. 37. 

Plan du pavillon 
de Médinét-Habou. 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



3) 



haut de 4 mètres en moyenne, court le long du flanc 
est; la porte est pratiquée aii milieu, sous la protec- 
tion d'un gros bastion quadrangulaire. Elle était large 
de I mètre, et flanquée de deux petits corps de garde 
oblongs, dont les terrasses s'élèvent d'environ i",5o au- 
dessus du rempart. Dès qu'on l'a franchie, on se trouve 




FIG. 38. 

devant un véritable Migdol : deux corps de logis, 
embrassant une cour qui va se rétrécissant par res- 
sauts, et réunis par un bâtiment à deux étages, percé 
d'une porte longue. Les faces orientales des tours sont 
assises sur un soubassement incliné en talus, haut de 
5 mètres environ. Il était à deux fins : d'abord il aug- 
mentait la force de résistance du mur à l'endroit où on 
pouvait le saper, ensuite les projectiles qu'on jetait 
d'en haut, ricochant avec force sur l'inclinaison du 
plan, tenaient l'assaillant à distance. La hauteur totale 
est de 22 mètres, et la largeur de 25 mètres sur le de- 
vant ; les portions situées sur le derrière, à droite et à 
gauche de la porte, ont été détruites dès l'antiquité. Les 
détails de l'ornementation sont adaptés au caractère 

i 



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j+ L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

moitié religieux, moitié triomphal de rédifice ; il n'est 
pas probable que les forteresses réelles fussent décorées 
de consoles et de bas-reliefs analogues à ceux qu'on voit 
sur les côtés de la place d'armes. Tel qu'il est, le pavil- 
lon de Médinét-Habou est un exemple unique des per- 
fectionnements que les Pharaons conquérants avaient 
apportés à l'architecture militaire. 

Passé le règne de Ramsès III, les documents nous 
font presque entièrement défaut. Vers la fin du xi* siè- 
cle avant notre ère, les grands prêtres d'Ammon répa- 
rèrent les murs de Thèbes, de Gébéléïn et d'El-Hibéh 
en face de Feshn. Le morcellement du pays sous les 
successeurs de Sheshonq oblige*a les princes des nomes 
à augmenter le nombre des places fortes; la campagne 
de Piônkhi, sur les bords du Nil, est une suite de sièges 
heureux. Rien, toutefois, ne nous autorise à penser que 
l'art de la fortification ait fait alors des progrès sen- 
sibles : quand les Pharaons grecs se substituèrent aux 
indigènes, ils le trouvèrent probablement tel que 
l'avaient constitué les ingénieurs de la XIX® et de la 
XX' dynastie. 

§ 3. — LES TRAVAUX d'uTILITÉ PUBLIQUE. 

Un réseau permanent de routes est inutile dans un 
pays comme l'Egypte; le Nil y est le chemin naturel 
du commerce, et des sentiers courant entre les champs 
suffisent à la circulation des hommes, à la menée des 
bestiaux, au transport des denrées de village à village. 
Des bacs payants pour passer d'une rive à l'autre du 
fleuve, des gués partout où le peu de profondeur des 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 



ÎS 



eaux le permettait, des levées de terre jetées à de- 
meure en travers des canaux, complétaient le système. 
Les ponts étaient rares; on n'en connaît jusqu'à pré- 
sent qu'un seul sur le territoire égyptien, encore ne 
sait-on s'il était long ou court, en pierre ou en bois, 
supporté d'arches ou lancé d'une volée. Il franchissait, 
sous les murs mêmes de Zarou, le canal qui séparait le 
front oriental du Delta des ré- 
gions désertes de PArabie Pé- 
trée ; une enceinte fortifiée en 
couvrait le débouché du côté de 
l'Asie (fig. 39). L'entretien des 
voies de communication, qui 
coûte si cher aux peuples mo- 
dernes, entrait donc pour une 
très petite part dans la dépense 
des Pharaons ; trois grands ser- 
vices restaient seuls à leur 
charge , celui des entrepôts , 
celui des irrigations, celui des mines et carrières. 
Les impôts étaient perçus et les traitements des 
fonctionnaires payés en nature. On distribuait chaque 
mois aux ouvriers du blé, de l'huile et du vin, de quoi 
nourrir leur famille, et, du haut en bas de l'échelle hié- 
rarchique, chacun recevait en échange de son travail 
des bestiaux, des étoffes, des objets manufacturés, cer- 
taines quantités de cuivre ou de métaux précieux. Les 
employés du fisc devaient donc avoir à leur disposition 
de vastes magasins où serrer les parties rentrées de 
l'impôt. Chaque catégorie avait son quartier distinct, 
clos de murs et fourni de gardiens vigilants, larges 




39. 



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Jtf 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 




F 10. 40. 



étables pour les bêtes, celliers où les amphores étaient 
empilées en couches régulières ou pendues en ligne le 
long des murs, avec la date de la récolte écrite sur 
la panse (fig. 40), greniers en forme de four, où le grain 

était versé par une lu- 
carne pratiquée dans le 
haut et sortait par une 
trappe ménagée près du 
sol (fig. 41). A Toukou, 
la Pithom de M. Naville, 
ce sont des chambres rec- 
tangulaires (fig. 42), de 
taille différente, jadis par- 
quetées et sans communication Tune avec l'autre : 
le blé, introduit par le toit, suivait, pour ressortir, le 
chemin qu'il avait pris pour entrer. Au Ramesséum de 
Thèbes, des milliers d'os- 
traca et de tampons de 
jarres ramassés sur les 
lieux prouvent que les 
ruines en briques situées 
immédiatement derrière le 
temple renfermaient les 
celliers du dieu ; les cham- 
bres sont de longs couloirs 

voûtés, accolés Tun à l'autre et surmontés autrefois 
d'une plate-forme unie (fig. 43). Philae, Ombos, Daphnae, 
la plupart des villes frontières du Delta possèdent 
des entrepôts de ce genre, et l'on en découvrira bien 
d'autres le jour où l'on s'avisera de les chercher sérieu- 
sement. 




FIG. 41 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. J7 

Le régime des eaux ne s^est pas modifié sensible- 
ment depuis l'antiquité. Quelques canaux ont été 
creusés, un plus grand 
nombre se sont bouchés 
par la négligence des maî- 
tres du pays ; mais les tra- 
cés et les méthodes de per- 
cement sont demeurés les 
fnêmes. Elles n'exigent 
point de travaux d'art con- 
sidérables. Partout où j'ai 
pu étudier les vestiges de 
canaux anciens, je n'ai re- 
levé ^cune trace de ma- • 
çonnerie aux prises d'eau ou sur les points faibles du 
parcours. Ce sont de simples fossés à pic, larges de 




FIG. 4%. 




FIG. 4J. 

6 à 20 mètres; les terres extraites pendant l'opération 
étaient rejetées à droite et à gauche, et formaient, au- 
dessus de la berge, des talus irréguliers de 2 à 4 mètres 
de haut. Ils marchent en ligne droite, mais sans obsti- 
nation ; le moindre mouvement de terrain les décide à 
dévier et à décrire des courbes immenses. Des digues, 
tirées capricieusement de la montagne au Nil, les 



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38 L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

coupent d'espace en espace et divisent la vallée en bas- 
sins, où Peau séjourne pendant les mois d'inondation. 
Elles sont d'ordinaire en terre, quelquefois en briques 
cuites, comme dans la province deGirgéh, très rarement 
en pierre de taille, comme cette digue de Koshéish 
que Minî construisit au début des temps, afin de 
détourner à l'orient la branche principale du Nil, et 
d'assainir l'emplacement où il fonda Memphis. Le ré- 
seau avait son origine près du Gebel-Silsiléh, et cou- 
rait Jusqu'à la mer sans s'écarter du fleuve, si ce n'est 
une fois près de Béni-Souef , pour jeter un de ses bras 
dans la direction du Fayoum. Il franchissait la mon- 
tagne près d'IUahoun, par une gorge étroite et sinueuse, 
approfondie peut-être à main d'homme, et se ramifiant 
en patte d'oie; les eaux, après avoir arrosé le canton, 
s'écoulaient, les plus proches dans le Nil, par la rouie 
même qui les avait amenées; les autres, dans plusieurs 
lacs sans issue, dont le plus grand s'appelle aujourd'hui 
Birkét-Qéroun. S'il fallait en croire Hérodote, les 
choses ne se seraient point passées aussi simplement. 
Le roi Mœris aurait voulu établir au Fayoum un réser- 
voir destiné à corriger les irrégularités de l'inondation; 
on l'appelait, d'après lui, le lac Mœris. La crue était- 
elle insuffisante ? L'eau, emmagasinée dans ce bassin, 
puis relâchée au fur et à mesure que le besoin s'en fai- 
sait sentir, maintenait le niveau à hauteur convenable 
sur toute la moyenne Egypte et sur les régions occiden- 
tales du Delta. L'année d'après, si la crue s'annonçait 
trop forte, le Mœris en recevait le surplus et le gardait 
jusqu'au moment où le fleuve commençait à baisser. 
Deux pyramides, couronnées chacune d'un colosse 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. 39 

assis, représentant le roi fondateur et sa femme, se 
dressaient au milieu du lac. Voilà le récit d'Hérodote : 
il a singulièrement embarrassé les ingénieurs et les 
géographes. Comment en effet trouver dans le Fayoum 
un emplacement convenable pour un bassin qui 
n'avait pas moins de quatre-vingt-dix milles de pour- 
tour? La théorie la plus accréditée de nos jours est 
qelle de Linant, d'après laquelle le Mœris aurait oc- 
cupé une dépression de terrain le long de la chaîne 
libyque, entre Illahoun et Médinéh; mais les explo- 
rations les plus récentes ont montré que les digues 
assignées pour limites à ce prétendu réservoir sont 
modernes et n'ont peut-être pas deux siècles de du- 
rée. Je ne crois plus à l'existence du Mœris. Si Hé- 
rodote a jamais visité le Fayoum, cela a dû être pen- 
dant Tété, au temps du haut Nil,, quand le pays entier 
offre l'aspect d'une véritable mer. Il a pris pour la 
berge d'un lac permanent les levées qui divisent les 
bassins et font communiquer les villes entre elles. Son 
récit, répété par les écrivains anciens, a été accepté 
par nos contemporains, et l'Egypte, qui n'en pouvait 
mais, a été gratifiée après coup d'une œuvre gigan- 
tesque, dont l'exécution aurait été le vrai titre de gloire 
de ses ingénieurs, si elle avait jamais existé. Les seuls 
travaux qu'ils aient entrepris en ce genre ont de moindres 
prétentions ; ce sont des barrages en pierre élevés à 
rentrée de plusieurs des Ouadys qui descendent des 
montagnes jusque dans la vallée. L'un des plus im- 
portants a été signalé en i885 par le docteur Schwein- 
furth, à sept kilomètres au sud-est des bains d'Hé- 
louan, au débouché de l'Ouady Guerraouî (fig. 44). 



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40 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



Il servait à deux fins, d'abord à emmagasiner de Peau 
pour les ouvriers qui exploitaient les carrières d'albâtre 
cristallin d'où sont sortis les blocs les plus grands des 
pyramides de Gizéh, puis à retenir les torrents qui se 
forment parfois dans le désert à la suite des pluies de 
rhiver et du printemps. Le ravin qu'il fermait a 

soixante - six mètres de 
large et douze ou quinze 
mètres de hauteur 
moyenne. Trois couches 
successives d'une épais- 
seur totale de quarante- 
cinq mètres avaient été Ju- 
gées suffisantes : en aval, 
une masse d'argile et de 
débris tirés des berges (A), 
puis un amas de gros blocs 
calcaires, enfin un mur de 
pierre de taille, dont les 
assises, disposées en re- 
traite l'une sur l'autre, si- 
mulaient une sorte d'escalier monumental (B). Trente- 
deux degrés subsistent encore, sur trente-cinq qu'il y 
avait primitivement, et un quart environ du barrage s'est 
maintenu dans le voisinage de chacune des berges; le 
torrent a balayé la partie du milieu (fig. 45). Une digue 
analogue avait transformé le fond de l'Ouady Gennéh 
en un petit lac où les mineurs du Sinai venaient s'ap- 
provisionner d'eau. La plupart des localités d'où 
l'Egypte tirait ses métaux et ses pierres de choix étaient 
d'accès malaisé et n'auraient été d'aucun profit, si on 




no. 44. 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. ^i 

n'avait eu soin d^en faciliter les avenues et d'en rendre 
le séjour moins insupportable par des travaux de ce 
genre. Pour aller chercher le diorite et le granit gris 
de POuady Hammamât, les Pharaons avaient jalonné 
la route de citernes taillées dans le roc. Quelques 
maigres sources, captées habilement et recueillies dans 
des réservoirs, avaient permis d'établir des villages 
entiers d'ouvriers aux carrières et aux mines d'or ou 
d'émeraude des bords de la mer Rouge ; des centaines 
d'engagés volontaires, d'esclaves ou de criminels con- 
damnés par les tribunaux 

y vivaient misérable - )p^^S_ ^^^^ 

ment, sous le bâton d'une mMiii^ÊÊÊtSBÊl^^à^éMàiM 
dizaine de chefs de cor- ^^^ 

vée, et sous la surveil- 
lance brutale d'une compagnie de soldats mercenaires, 
libyens ou nègres. La moindre révolution en Egypte, 
une guerre malheureuse, un changement de règne 
troublé, compromettait l'existence factice de ces éta- 
blissements : les ouvriers désertaient, les Bédouins har- 
celaient la colonie, les garde-chiourme s'impatientaient 
et rentraient dans la vallée du Nil, et l'exploitation 
cessait de se faire régulièrement. Aussi, les pierres 
de choix qu'on ne trouvait qu'au désert, le diorite, le 
basalte, le granit noir, le porphyre, les brèches vertes 
ou jaunes, n'étaient-elles pas d'usage fréquent en archi- 
tecture ; comme il fallait mettre sur pied, pour les 
avoir, de véritables expéditions de soldats et d'ouvriers, 
on les réservait aux sarcophages et aux statues de prix. 
Les carrières de calcaire, de grès, d'albâtre, de granit 
rose, qui ont fourni les matériaux des temples et des 



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4» L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

monuments funéraires, étaient toutes dans la vallée et 
d'abord facile. Quand la veine qu'on avait résolu d'at- 
taquer courait dans une des couches basses de la mon- 
tagne, on y creusait des couloirs et des chambres qui 
s'enfoncent parfois assez loin. Des piliers carrés, mé- 
nagés d'espace en espace, soutenaient le plafond, et 
des stèles, gravées aux endroits les plus apparents, ap- 
prenaient à la postérité le nom du roi et des ingé- 
nie,urs qui avaient commencé ou repris les travaux. 
Plusieurs de ces carrières épuisées ou abandonnées ont 
été transformées en chapelles; ainsi le Spéos-Artemi- 
dos, que Thoutmos III et Séti I" consacrèrent à la- 
déesse locale Pakhit. Les plus importantes de celles qui 
donnaient le calcaire sont à Tourah et à Massarah, 
presque en face de Memphis. La pierre en était très recher- 
chée des sculpteurs et des architectes; elle se prête mer- 
veilleusement à toutes les délicatesses du ciseau, durcit à 
l'air et se revêt d'une patine dont les tons crémeux re- 
posent l'œil. Les gisements de grès les plus vastes étaient 
à Silsilis (fig. 46), et on les exploitait à ciel ouvert. Ils 
offrent des escarpements de quinze à seize mètres, quel- 
quefois dressés à pic dans toute leur hauteur, quelque- 
fois divisés en étages oîi l'on arrive au moyen d'es- 
caliers à peine assez larges pour un seul homme. Les 
parois en sont couvertes de stries parallèles, tantôt 
horizontales, tantôt inclinées alternativement de gauche 
à droite ou de droite à gauche, de manière à former 
des lignes de chevrons très obtus, et serrées, comme en 
un cadre rectangulaire, entre des rainures larges de 
trois ou quatre centimètres, longues de deux ou même 
de trois mètres; ce sont les cicatrices de l'outil antique. 



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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE. ^j 

et elles nous montrent comment les Égyptiens s'y pre- 
naient pour détacher les blocs. On les dessinait sur 
place à Tencre rouge, 
■quelquefois en la forme 
qu'ils devaient avoir 
dans rédiiice projetc ; 
les membres de la com 
mission d'Egypte co- 
pièrent dans les car- 
rières du Gebel Abou- 
Fôdah les épures et la 
mise au carreau de plu- 
sieurs chapiteaux, un 
lotiformc, les autres à 




FJG. 46. 



tête d'Hathor (fig. 47). Ce premier travail achevé, on 
séparait les faces verticales à Taide d^un long ciseau 



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44 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



en fer qu'on enfonçait perpendiculairement ou oblique- 
ment à grands coups de maillet; pour détacher les faces 
horizontales, on se servait uniquement de coins en 

bois ou en bronze, dis- 
posés dans le sens des 
couches de la montagne. 
Les blocs recevaient sou- 
vent une première façon 
sur le lit ; on voit à Syène 
un obélisque de granit, à 
Tehnéh des fûts de co- 
lonne à demi dégagés. Le 
transport s'opérait de di- 
verses manières. A Syène, 
à Silsilis, au GebelSheïkh 
Haridi , au Gebel Abou- 
Fôdah, les carrières sont 
baignées littéralement par 
les flots du Nil et la pierre 
descend presque directement de sa place aux chalands. 
A Kasr-es-Sayad, à Tourah, dans les localités éloignées 
de la rive, des canaux creusés exprès amenaient les bar- 
ques jusqu'au pied de la montagne. Où Ton devait re- 
noncer au transport par eau, la pierre était chargée sur 
des traîneaux tirés par des bœufs (fig. 48), ou cheminait 
jusqu'à destination à bras d'homme et sur des rouleaux. 





FIG. 48. 



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CHAPITRE II 



L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE 



La brique fait presque tous les frais de Parchitec- 
ture civile et militaire ; elle ne joue qu'un rôle secon- 
daire dans Parchitecture religieuse. Les Pharaons 
avaient Pambition d'élever aux dieux des demeures 
éternelles, et la pierre seule leur paraissait assez du- 
rable pour jésister aux attaques des hommes et du 
temps. 

§ I. — MATÉRIAUX ET ÉLÉMENTS 
DE LA CONSTRUCTION. 

Cest un préjugé de croire que les Égyptiens ne 
mettaient en œuvre que des blocs de dimensions con- 
sidérables. La grosseur de leurs matériaux variait beau- 
coup selon Pusage auquel ils les destinaient. Les ar- 
chitraves, les fûts de colonnes, les linteaux et les mon- 
tants de porte atteignaient quelquefois des dimensions 
considérables. Les architraves les plus longues que Pon 
connaisse, celles qui recouvrent Pallée centrale de la 
salle hypostyle à Karnak, ont en moyenne 9^^,20 ; 
elles représentent chacune une masse de 3i mètres 



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4^ L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

cubes et un poids de 65,ooo kilogrammes environ. 
D^ordinaire, les blocs ne sont pas beaucoup plus forts 
que ceux dont on se sert aujourd'hui en France; la 
hauteur en est de o™,8o à i™,20, la longueur de i mètre 
à 2*»,5o, répaisseur de o°*,5o à i%8o. 

Quelques temples sont en une seule sorte de 
pierre ; le plus souvent, les matériaux d'espèce diffé- 
rente sont juxtaposés à proportions inégales. Ainsi, le 
gros œuvre des temples d'Abydos est un calcaire très 
fin ; les colonnes, les architraves, les montants et les 
linteaux des portes, toutes les parties où Ton craignait 
que le calcaire n'eût pas une force de résistance suffi- 
sante, sont en grès dans l'édifice de Séti I", en grès, en 
granit ou en albâtre dans celui de Ramsès II. A Kar- 
nak, à Louxor, à Tanis, à Memphis, on remarque des 
mélanges analogues; au Ramesséum et dans quelques 
temples de Nubie, les colonnes reposent sur des mas- 
sifs de briques crues. La pierre à pied d'œuvre, les ou- 
vriers la taillaient avec plus ou moins de soin, selon 
qu'elle devait occuper telle ou telle position. Quand les 
murs étaient de médiocre épaisseur, comme c'est géné- 
ralement le cas des murs de refend, on la parait exacte- 
ment sur toutes les faces. Lorsqu'ils étaient épais, les 
blocs du noyau étaient dégrossis de manière à rappeler 
le plus possible la forme cubique et à s'empiler les uns 
sur les autres sans trop de difficulté, sauf à combler les 
vides avec des éclats plus petits, du caillou, du ciment; 
on coupait ceux du parement avec soin sur la face des- 
tinée à être vue, on dressait les joints aux deux, tiers 
ou aux trois quarts de la longueur, et on piquait sim- 
plement le reste de la queue. Les pièces les plus fortes 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 47 

étaient réservées aux parties basses des édifices, et cette 
précaution était d'autant plus nécessaire que les archi- 
tectes d'époque pharaonique ne descendaient pas les 
fondations des temples beaucoup plus qu'ils ne fai- 
saient celles des maisons. A Karnak, elles ne s'en- 
foncent guère qu'à 2 ou 3 mètres ; à Louxor, dans la 
partie qui borde le fleuve, trois assises d'environ o"',8o 
de haut chacune forment un patin gigantesque sur le- 
quel reposent les murs ; au Ramesséum, la couche de 
briques sèches sur laquelle pose la colonnade ne paraît 
pas avoir plus de 2 mètres ; ce sont là des profondeurs 
insignifiantes, mais l'expérience des siècles a prouvé 
qu'elles suffisaient. L'humus compact et dur qui com- 
pose partout le sol de la vallée subit chaque année, au 
moment du retrait des eaux, une contraction qui le 
rend à peu près incompressible ; le poids des maçon- 
neries, augmentant graduellement au cours de la con- 
struction, lui fait bientôt atteindre le maximum de tas- 
sement et achève d'assurer à l'édifice une assiette solide. 
Partout où j'ai mis au jour le pied des ipurs, j'ai 
constaté qu'ils n'avaient pas bougé. 

Le système de construction des anciens Egyptiens 
ressemble par bien des points à celui des Grecs. Les 
pierres y sont souvent posées à joint vif, sans lien d'au- 
cune sorte, et le maçon se fie au poids propre des ma- 
tériaux'^our les tenir en place. Parfois elles sont atta- 
chées par des crampons en métal, ou, comme dans Je 
temple de Séti I*' à Abydos, par des queues d'aronde 
en bois de sycomore au cartouche du roi fondateur. 
D'ordinaire, elles sont comme soudées les unes aux 
autres par des couches de mortier plus ou moins épaisses. 



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^8 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

Tous les mortiers dont j'ai recueilli les échantillons 
sont jusqu'à présent de trois sortes : les uns, blancs et 
réduits aisément en poudre impalpable, ne contiennent 
que de la chaux ; les autres, gris et rudes au toucher, 
sont mêlés de chaux et de sable; les autres doivent 
leur aspect rougeâtre à la poudre de brique pilée dont 
ils sont pénétrés. Grâce à l'emploi judicieux de ces pro- 
cédés divers, les Egyptiens ont su, quand ils le vou- 
laient, appareiller aussi bien que les Grecs des assises 
régulières, à blocs égaux, à joints verticaux symétrique- 
ment alternés ; s'ils ne l'ont pas toujours fait, cela tient 
surtout à l'imperfection des moyens mécaniques dont 
ils disposaient. Les murs d'enceinte, les murs de refend, 
ceux des façades secondaires étaient perpendiculaires 
au sol ; on se servait pour élever les matériaux d'une 
chèvre grossière plantée sur la crête. Les murs des py- 
lônes, ceux des façades principales, parfois même ceux 
des façades secondaires étaient en talus, selon des 
pentes variables au gré de l'architecte ; on établissait 
pour les construire des plans inclinés, dont les rampes 
s'allongeaient à mesure que montait le monument. Les 
deux méthodes étaient également dangereuses ; si soi- 
gneusement qu'on enveloppât les blocs, ils couraient le 
risque de perdre en chemin leurs arêtes et leurs angles, 
ou même de se briser en jéclats. Il fallait presque tou- 
jours les retoucher, et le désir d'avoir le moins de dé- 
chet possible portait l'ouvrier à leur prêter des coupes 
anormales (fig. 49). On retaillait en biseau une des 
faces latérales, et le joint, au lieu d'être vertical, s'incli- 
nait sur le lit. Si la pierre n'avait plus la hauteur ou 
la largeur voulue, on rachetait la différence au moyen 



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,^s^ 


! 1 ^ 


to. . 



L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 49 

d'une dalle complémentaire. Parfois même, on laissait 
subsister une saillie, qui s'emboîtait, pour ainsi dire, 
dans un creux correspondant, ménagé à Passise supé- 
rieure ou inférieure. Ce qui n'était d'abord qu'accident 
devenait bientôt négligence. Les maçons, qui avaient 
hissé par inadvertance un bloc 
trop gros, ne se souciaient pas 
de le redescendre, et se tiraient 
d'affaire avec l'un des expé- 
dients dont je viens de parler. 
L'architecte ne surveillait pas pj^^ ^p 

assez attentivement la taille et 

la pose des pierres. Il souffrait que les assises n'eussent 
pas toutes la même hauteur, et que les Joints verticaux 
de deux ou trois d'entre elles fus- 
sent dans un même prolonge- 
ment. Le gros œuvre achevé, on 
ravalait la pierre, on reprenait 
les joints, on les noyait sous une 
couche de ciment ou de stuc, coloré à la teinte de 
l'ensemble, et qui dissimulait les fautes du pre- 
mier travail. Les murs ne se terminent presque 
jamais en arête vive. Ils sont comme cernés d'un tore 
autour duquel court un ruban sculpté, et couronnés 
soit de la gorge évasée que surmonte une bande plate 
(fig. 5o), soit, comme à Semnéh, d'une corniche car- 
rée, soit, comme à Médinét-Habou , d'une ligne de 
créneaux. Ainsi encadrés , on dirait autant de pan- 
neaux unis, levés chacun sur un seul bloc, sans saillies 
et presque sans ouvertures. Les fenêtres, toujours très 
rares, ne sont que de simples soupiraux, destinés à 




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So 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 




éclairer des escaliers comme au second pylône d'Harm- 

habi, à Karnak, ou à recevoir des pièces de charpente 

décorative les jours de fête. 
Les portes ne présentent 
que peu de relief sur le corps 
de Tédifice ( fig. 5 1 ) , sauf 
le cas où le linteau est sur- 
haussé de la gorge et de la 
plate-bande. Seul, le pavil- 
lon de Médinét-Habou pos- 
sède des fenêtres réelles; 
mais il était construit sur le 
plan d'une forteresse et ne 
doit être rangé qu'à titre 
d'exception parmi les monu- 
ments religieux. 

Le sol des cours et des 

salles était revêtu de dalles rectangulaires assez régu- 
lièrement ajustées, sauf dans 

rintervalle des colonnes où, 

désespérant de raccorder à 

l'ensemble les lignes courbes 

de la base, les architectes ont 

accumulé des fragments de 

petite dimension sans ordre ni 

méthode (fig. 52). Au contraire 

de ce qu'ils pratiquaient pour 

les maisons, ils n'ont presque 

jamais employé la voûte dans les temples. On ne la 

rencontre guère qu'à Déir-el-Baharî et dans les sept 

sanctuaires parallèles d'Abydos, encore est-elle obtenue 



FIG. 51 




FIG. 52. 

Pavé du portique d'Osiris 

dans le temple de Séti I«^ 

à Abydos. 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



$» 



par encorbellement. La courbe en est dessinée dans trois 
ou quatre assises horizontales, placées en porte à faux 
l'une au-dessus de Pautre, puis évidées au ciseau, sui- 
vant une ligne continue (fig. 53). La couverture ordi- 
naire consiste en dalles plates juxtaposées. Quand les 
vides entre les murs ne sont pas trop considérables, 
elle les franchit 



h^ 




FIG. SJ. 



d'une seule volée ; 
sinon, on Tétayait 
de supports d'autant 
plus multipliés que 
l'espace à couvrir est 
plus étendu. Ils 
étaient alors reliés 
par d'immenses 
poutres en pierre , 
les architraves, sur 

lesquelles s'appuient les dalles dont le toit se compose. 
Les supports sont de deux types différents : le pilier 
et la colonne. On en connaît d'un seul bloc. Les piliers 
du temple du Sphinx, les plus anciens qui aient été dé- 
couverts jusqu'à présent, ont 5 mètres de hauteur sur 
i",40 de côté. Des colonnes en granit rose, éparses au 
milieu des ruines d'Alexandrie, de Bubaste, de Mem- 
phîs, et qui remontent aux règnes d'Harmhabi et de 
Ramsès II, mesurent 6 et 8 mètres d'une même venue. 
Ce n'est là qu'une exception. Colonnes et piliers sont 
bâtis en assises souvent inégales et irrégulières, comme 
celles des murailles environnantes. Les grandes co- 
lonnes de Louxor ne sont pleines qu'au tiers du dia- 
mètre: elles ont un noyau de ciment jaunâtre, qui n'a 



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$» 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



plus de consistance et tombe en poudre sous les doigts. 
Le chapiteau de la colonne de Taharqou, à Karnak, 
contient trois assises hautes chacune d'environ o™,i23. 
La dernière, la plus saillante, se compose de vingt-six 
pierres, dont les joints verticaux tendent au centre, et 
qui ne sont maintenues en place que par le poids du dé 
superposé. Les mêmes négligences que nous avons si- 
gnalées dans Pappareil des murs, on les retrouve toutes 
dans celui des colonnes. 

Le pilier quadrangulaire, à côtés parallèles ou légè- 
rement inclinés, le plus souvent sans base ni chapiteau, 
est fréquent dans les tombes de l'ancien 
Empire. Il apparaît encore à Médinét- 
Habou,dansle temple de Thoutmos III, 
ou à Karnak, dans ce qu'on appelle le 
promenoir. Les faces en sont souvent 
habillées de tableaux peints ou de lé- 
gendes, et la face extérieure reçoit un 
motif spécial de décoration : des tiges 
de lotus ou de papyrus en saillie, sur 
les piliers- stèles de Karnak, une tête 



\ 


hé 


( 




, 






i 



Fie. S4. 



d'Hathor coiffée du sistre, au petit 



spéos d'Ibsamboul (fig. 54), une figure 
debout, Osiris dans la première cour de Médinét- 
Habou, Bîsou à Dendérah et au Gebel-Barkal. A Kar- 
nak, dans l'édifice construit probablement par Harm- 
habi avec les débris d'un sanctuaire d'Amenhotpou II, 
le pilier est surmonté d'une gorge qu'un mince abaque 
sépare de l'architrave (fig. 55). Abattant les quatre an- 
gles, on le transforme en un prisme octogonal; puis, 
abattant les huit angles nouveaux, en un prisme à seize 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



S) 



pans. C'est le type de certains piliers des tombeaux 
d'Assouân et de Beni- 
Hassan;, du promenoir 
de Thoutmos III, à 
Karnak (fig. 56), et des 
chapelles de Déir-el- 
Baharî. A côté de ces 
formes régulièrement 
déduites on en remar- 
que dont la dérivation 
est irrégulière, à six 
pans, à douze, à quinze, 
à vingt, ou qui aboutis- 
sent presque au cercle 
parfait. Les piliers du 
portique d'Osiris à Aby- 
dos sont au terme de la 
série; le corps en offre 
une section curviligne 
à peine interrompue par 
une bande lisse aux 
deux extrémités d'un 
même diamètre. Le 
plus souvent les pans 
se creusent légèrement 
en cannelures ; parfois, 
comme à Kalabshéh , 
les cannelures sont di- 
visées en quatre grou- 
pes de cinq par autant de bandes (fig. 57). Le pilier 
polygonal a toujours un socle large et bas, arrondi 




Fie. 55. 



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S4 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



en disque. A El-Kab, il porte une tête d'Hathor appli- 
quée à la face antérieure (fig. 58). Presque partout ail- 
leurs, il est surmonté d'un simple tailloir carré qui 




FIG. 5^». 

le réunit à Tarchitrave. Ainsi constitué, il présente un 
air de famille avec la colonne dorique, et Ton com- 
prend que Jomard et Champollion ont pu lui don- 
ner, dans Tenthousiasme de la découverte, le nom peu 
Justifié de dorique primitif , 

La colonne ne repose pas immédiatement sur le 
sol. Elle est toujours pourvue d'un socle analogue à 
celui du pilier polygonal, au profil tantôt droit, tantôt 
légèrement arrondi, nu ou sans autre ornement qu'une 
ligne d'hiéroglyphes. Les formes principales se ramè- 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



55 




FIG. 57. 



nent à trois types : i» la colonne à chapiteau en 
campane ; 2° la colonne à chapiteau en bouton de 

lotus; 3® la colonne hathorique. 

I*» Colonne à chapiteau cam- 

pani/orme, — D'ordinaire, le 
fût est lisse ou simplement gravé 
d'écriture et de bas-reliefs. Quel- 
quefois pourtant, ainsi à Méda- 
mout, il est composé de six 
grandes et de six petites colon- 
nettes alternées. Aux temps pha- 
raoniques, il s'arrondit, par le 
bas, en bulbe décoré de trian- 
gles curvilignes enchevêtrés , 
simulant de larges feuilles; la 
courbe est alors calculée de telle 
sorte que le di'amètre inférieur soit sensiblement égal 
au diamètre supérieur. A l'époque ptolémaïque, le 
bulbe disparaît souvent, proba- 
i blement sous l'influence d,es 
idées grecques : les colonnes 
qui bordent la première cour du 
temple d'Edfou s'enlèvent d'a- 
plomb sur leur socle. Le fût 
subit toujours une diminution 
de la base au sommet. Il se 
termine par trois ou cinq plates- 
bandes superposées. A Médamout, où il est fascicule, 
l'architecte a pensé sans doute qu'une seule attache au 
sommet paraîtrait insuffisante à maintenir les douze 
colonnettes, et il a indiqué deux autres anneaux de 




Fie. 58. 



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S6 



L'ARCHEOLOG4E EGYPTIENNE. 



plates-bandes à intervalles réguliers. Le chapiteau, 
évasé en forme de cloche, est garni 
à la naissance d'une rangée de 
feuilles, semblables à celles de la 
base, et sur lesquelles s'implantent 
des tiges de lotus et de papyrus 
en fleurs et en boutons. La hau- 
teur et la saillie sur le nu de la co- 
lonne varient au gré de Parchitecte. 
A Louxor, les campanes ont 3"',5o 
de diamètre à la gorge, 5"»,5o à la 
partie supérieure, et une hauteur 
de 3'",5o; à Karnak, dans la salle 
hypostyle, la hauteur est de 3™,75 
diamètre de 
cubique sur- 
est assez peu 




et 

21 



le plus grand 
pieds. Un 



:^i 



dé 
monte le tout. Il 
élevé et presque entièrement mas- 
qué par la courbure du chapi- 
teau; rarement, comme au petit 
temple de Dendérah, il s'élève et 
reçoit sur chaque face une figure 
du dieu Bîsou (fig. 59). 

La colonne à chapiteau campa- 
niforme (fig. 60) se rencontre de 
préférence dans la travée cen- 
trale des salles hypostyles, à Kar- 
nak, au Ramesséum, à Louxor; 
mais elle n'est pas restreinte à cet 
emploi, et on la voit dans les 
portiques, à Médinét-Habou, à Edfou, à Philae. Le 




FIG. 60. 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



57 




promenoir de Thoutmos III, à Karnak, en renferme 
une variété des plus curieuses (fig. 6i) : 
la campane est retournée, et la partie 
amincie du fût s'enfonce dans le socle, 
tandis que la partie la plus large se soude 
à Tévasement du chapiteau. Cet arrange- 
ment disgracieux nVut pas de succès ; on 
n'en trouve aucune trace hors du prome- 
noir. D'autres innovations furent plus heu- 
reuses, celles surtout qui permirent aux 
artistes de grouper autour de la campane 
des éléments empruntés à la flore du pays. 
C'est d'abord, à Soleb, àSesébî, à Bubaste, 
à Memphis, une bordure de palmes plan- " ~^^ "^ 
tées droites sur les bandes plates et dont 
la tête se courbe sous le poids de Tabaque (fig. 62). 
Plus tard, aux approches de l'é- 
poque ptolémaïque, des régimes 
de dattes (fig. 63) et des lotus 
entr'ouverts vinrent s'ajouter aux 
branches de palmier. 
Sous les Piolémées et 
sous les Césars, le 
chapiteau finit par de- 
venir une véritable 
corbeille de fleurs et ^^°' ^' 
de feuilles étagées régulièrement 
et peintes des couleurs les plus 
vives (fig. 64). A Edfou, à Om- 
bos, à Philae, on dirait que le con- 
structeur s'est juré de ne pas répéter deux fois une 





FIG. 62. 



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s» 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 




FIG. 6± 




même coupe de chapiteau d'un même côté du portique. 

2<» Colonne à cha- 
piteau lotiforme. — 
Elle représentait peut- 
être à Torigine un 
faisceau de tiges de 
lotus dont les bou- 
tons, serrés au cou par 
un lien, se réunissent en bouquet pour former le chapi- 
teau. La colonne 
de Béni- Hassan 
comporte quatre 
tiges arrondies 
(fig. 65). Celles 
du labyrinthe, 
celles du prome- 
noir de Thout- 
mos III, celles 
1 de Médamout en 
1 ont huit qui pré- 
, Il ly^ sentent à la sur- 
face une arête 
saillante (fig. 66], 
Le pied est bulbeux et paré 
de feuilles triangulaires. La 
gorge est entourée de trois 
ou de cinq anneaux. Une 
moulure, composée de trois 
bandes verticales accolées, 
descend du dernier de ces 
anneaux dans Pintervalle de deux tiges ; c'est comme 



FIG. 65. 




FIG. 66. 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



59 



une frange qui garnit le haut de la colonne. Une sur- 
face aussi accidentée ne prêtait guère à la décoration 
hiéroglyphique ; aussi en arriva-t-on progressivement 
à supprimer toutes les saillies et à lisser le pourtour 
du fût. Dans la salle hypo- 
slyle de Gournah, il est divisé 
en trois segments : celui du 
milieu est uni et chargé de 
sculptures, celui du haut et 
celui du bas sont encore fas- 
cicules. Au temple de Khon- 
sou, dans les bas côtés de la 
salle hypostyle de Karnak, 
sous le portique de Médinét- 
Habou, le fût est entièrement 
lisse ; seulement la frange sub- 
siste sous les anneaux, et une 
arête légère ménagée de trois 
en trois bandes rappelle l'exis- 
tence des tiges (fig. Gj], Le 
chapiteau se dégrade de la 
même manière. A Beni-Has- 
san,ilest fascicule nettement 
dans toute sa hauteur. Au 
promenoir de Thoutmos III, à Louxor, à Médamout, 
un cercle de petites feuilles pointues et de cannelures 
règne autour de la base et amoindrit Teffet : ce n'est plus 
guère qu'un cône tronqué et côtelé. Dans la salle hypo- 
style de Karnak, à Abydos, au Ramesséum, à Médinét- 
Habou, des ornements de nature diverse, feuilles 
triangulaires, légendes hiéroglyphiques, bandes de 




FIG. 67. 

Colonne des bas côtés de la salle 
hypostyle à Karnak. 



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6o 



L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 



cartouches flanqués d'uraeus, remplacent les côtes et se 
partagent Tespace conquis. L^abaque ne se dissimule 
pas comme dans la colonne campaniforme : il déborde 
hardiment et reçoit la légende du roi fondateur. 

3° La colonne hathorique, — On en a des exemples 
aux temps anciens, dans le temple 
de Déir-el-Baharî ; mais c'est par 
les monuments d'époque ptolé- 
maïque, par Contra-Latopolis, par 
Philae, par Dendérah surtout, qu'on 
la connaît le mieux. Le fût et la 
base ne présentent aucun caractère 
spécial : c'est le fût et la base de la 
colonne campaniforme. Le chapi- 
teau a deux étages. Au plus bas, un 
bloc carré, sur chaque face duquel 
une tête de femme, à oreilles poin- 
tues de génisse, se détache en haut 
relief; la coiffure, maintenue sur le 
front par trois bandelettes verticales, passe derrière les 
oreilles et tombe le long du cou. Chaque tête porte une 
corniche cannelée, sur laquelle s'élève un naos encadré 
entre deux volutes; un mince dé carré couronne le tout 
'fig. 68). La colonne a donc pour chapiteau quatre têtes 
d'Hathor. Aperçue de loin, elle rappelle immédiatement 
à Tesprit un des sistres que les bas-reliefs nous montrent 
entre les mains des reines et des déesses. C'est un 
sistre en effet, mais où les proportions normales des 
diverses parties ne sont pas observées : le manche est 
gigantesque, tandis que la moitié supérieure de l'instru- 
ment est réduite outre mesure. Ce motif plut tellement 




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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



6i 



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qu'on n'hésita pas à le combiner avec des éléments em- 
pruntés à d'autres ordres. Les quatre têtes d'Hathor, 
mises par-dessus un chapiteau campaniforme, four- 
nirent le type composite que Nectanébo employa au 
pavillon de Philae (fig. 69). Je ne saurais dire que le 
mélange soit très satisfaisant : vue en 
place, la colonne est moins disgra- 
cieuse qu'on ne serait tenté de le croire 
diaprés les gravures. 

Les supports ne sont pas soumis à 
des règles fixes de proportions et d'a- 
gencement. L'architecte pouvait attri- 
buer, si cela lui plaisait, une hauteur 
égale à des supports de diamètre très 
différent, et en dessiner chacun des élé- 
ments à l'échelle qui lui convenait le 
mieux, sans autre souci que d'une cer- 
taine harmonie générale: les dimen- 
sions du chapiteau n'étaient pas en rap- 
port immuable avec celles du fût, et la hauteur du fût 
ne dépendait nullement du diamètre de la colonne. 
A Karnak, les colonnes campaniformes de la salle hy- 
postyle ont 3 mètres de haut pour le chapiteau, un peu 
moins de 17 pour le fût, 3'", 57 de diamètre inférieur; 
à Louxor, 3™,5o pour le chapiteau, i5 pour le fût, 3'»,45 
au bulbe; au Ramesséum, 11 mètres pour le chapi- 
teau et pour le fût et 2 mètres au bulbe. L'étude des 
colonnes lotiformes nous amène à des résultats sem- 
blables. A Karnak, sur les bas côtés de la salle hypo- 
style, elles ont 3 mètres de haut pour le chapiteau, 
10 pour le fût, 2"',o8 de diamètre sur le socle; au Ra- 




69. 



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62 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



messéum, 1^,70 pour le chapiteau, 7",5o pour le fût, 
i™,78 de diamètre sur le socle. Même irrégularité dans 
la disposition des architraves : rien n'en détermine 
Télésration que le caprice du maître ou les nécessités 
de la construction. Même irrégularité dans les entre- 




Fio 70. — Coupe de la salle hypostyle de Karnak 
pour montrer l'agencement des deux ordres campaniforme et lotiforme. 

colonnements : non seulement la largeur en diffère 
beaucoup de temple à temple et de chambre à chambre, 
mais parfois, comme dans la première cour de Médinét- 
Habou, ils sont inégaux pour un même portique. Voilà 
pour les types employés séparément. Quand on les asso- 
ciait dans un seul édifice, on ne s'astreignait pas à leur 
donner des proportions fixes par rapport Tun à l'autre. 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. ^i 

Dans la salle hypostyle de Karnak les colonnes à cam- 
panes soutiennent la travée la plus haute, et les colonnes 
en bouton de lotus sont reléguées aux bas côtés (fig. 70). 
Il y a des salles du temple de Khonsou, où c'est la 
colonne lotiforme qui est la plus élevée, d'autres où 
c'est la colonne campaniforme. A Médamout, lotiformes 
et campaniformes ont partout la même hauteur dans 
ce qui subsiste de Tédifice. L'Egypte n'a jamais eu 
d'ordres définis comme en a possédé la Grèce. Elle a 
essayé toutes les combinaisons auxquelles se prêtaient 
les éléments de la colonne, sans jamais en chiffrer au- 
cune avec assez de précision pour qu'étant donné un 
des membres, on puisse en déduire, même approxima- 
tivement, les dimensions de tous les autres. 

§ 2. LE TEMPLE. . 

La plupart des sanctuaires célèbres, Dendérah, 
Edfou, Abydos, avaient été fondés avant Mini par 
les serviteurs d'Hor; mais, vieillis ou ruinés au cours 
des âges, ils avaient été restaurés, remaniés, recon- 
struits l'un après l'autre sur des devis nouveaux. Nul 
débris ne nous est resté de l'appareil primitif pour 
nous montrer ce que l'architecture égyptienne était à 
ses commencements. Les temples funéraires bâtis par 
les rois de la IV .dynastie ont laissé plus de traces. 
Celui de la seconde pyramide, à Gizéh, était assez 
bien conservé encore dans les premières années du 
xviii* siècle, pour que de Maillet y ait vi^ quatre gros 
piliers debout. La destruction est à peu près complète 
aujourd'hui; mais cette perte a été compensée, vers i853, 



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-J. 



(5+ L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

par la découverte d'un temple situé à quarante mètres 
environ au sud du Sphinx (fig. 71). La façade ne paraît 
pas, cachée qu'elle est sous le sable; Pextérieur seul a 
été déblayé en partie. Le noyau de la maçonnerie est 
en calcaire fin de Tourah. Le revêtement, les piliers, 
les architraves, la couverture, étaient en blocs d'albâtre 

ou de granit gigantes- 
ques. Le plan est des 
plus simples. Au cen- 
tre (A), une grande 
salle en forme de T, 
ornée de seize piliers 
carrés, hauts de cinq 
mètres ; à Tangle nord- 
ouest, un couloir 
étroit , en plan in- 
cliné (B) par lequel 
on pénètre aujour- 
d'hui dans l'édifice ; à 
FIG. 71. l'angle sud-ouest, un 

retrait qui contient six 
niches superposées deux à deux (C). Une galerie oblon- 
gue (D), ouverte à chaque extrémité sur un cabinet rec- 
tangulaire enseveli sous les décombres (E, E), complète 
cet ensemble. Point de porte monumentale, point de fe- 
nêtre, et le corridor d'entrée était trop long pour ame- 
ner la lumière; elle ne pénétrait que par des fentes 
obliques ménagées dans la couverture, et dont les 
traces sont visibles encore à la crête des murs {e, e), de 
chaque côté de la pièce principale. Inscriptions, bas- 
reliefs, peintures, ce qu'on est habitué à rencontrer 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 6^ 

partout en Egypte manque là, et pourtant ces murailles 
nues produisent sur le spectateur un effet aussi puissant 
que les temples les mieux décorés de Thèbes. L'archi- 
tecte est arrivé à la grandeur et presque au sublime rien 
qu'avec des blocs de granit et d'albâtre ajustés, par la 
pureté des lignes et par l'exactitude des proportions. 

Quelques ruines éparses en Nubie, au Fayoum, au 
Sinaï, ne nous permettent pas de décider si les temples 
de la XII* dynastie méritaient les éloges que leur 
prodiguent les inscriptions contemporaines. Ceux des 
rois thébains, des Ptolémées, des Césars, subsistent en- 
core, plusieurs intacts, presque tous faciles à rétablir, 
le jour où on les aura étudiés consciencieusement sur le 
terrain. Rien de plus varié, au premier abord, que les 
dispositions qu'ils présentent : quand on les regarde 
de près, ils se ramènent aisément au même type. D'a- 
bord, le sanctuaire. C'est une pièce rectangulaire, petite, 
basse, obscure, inaccessible à d'autres qu'aux Pharaons 
ou aux prêtres de service. On n'y trouvait ni statue ni 
emblème établis à demeure; mais une barque sainte ou 
un tabernacle en bois peint posé sur un piédestal, une 
niche réservée dans l'épaisseur du mur ou dans un bloc 
de pierre isolé, recevaient à certains jours la figure ou 
le symbole inanimé du dieu, un animal vivant ou 
l'image de l'animal qui lui était consacré. Un temple 
pouvait ne renfermer que cette seule pièce et n'en être 
pas moins un temple, au même titre que les édifices les 
plus compliqués; cependant il était rare, au moins 
dans les grandes villes, qu'on se contentât d'attribuer 
aux dieux ce strict nécessaire. Des chambres destinées 
au matériel de l'offrande ou du sacrifice, aux fleurs, aux 

5 



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66 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

parfums, aux étoffes, aux vases précieux, se groupaient 
autour de la maison divine; puis on bâtissait, en avant 
du massif compact qu'elles formaient, une ou plusieurs 
salles à colonnes où les prêtres et les dévots s'assem- 
blaient, une cour entourée de portiques, où la foule 
pénétrait en tout temps, une porte flanquée de deux 
tours et précédée de statues ou d'obélisques, une en- 
ceinte de briques, une avenue bordée de sphinx, où les 
processions manœuvraient à Taise les jours de fête. 
Rien n'empêchait un Pharaon d'élever une salle plus 
somptueuse en avant de celles que ses prédécesseurs 
avaient édifiées, et ce qu'il faisait là, d'autres pouvaient 
le faire après lui. Des zones successives de chambres et 
de cours, de pylônes et de portiques, s'ajoutaient de 
règne en règne au noyau primitif. La vanité ou la piété 
aidant, le temple se développait en tous sens, jusqu'à 
ce que l'espace ou la richesse manquât pour l'agrandir 
encore. 

Les temples les plus simples étaient parfois les 
plus élégants. C'était le cas pour ceux qu'Amenhot- 
pou III consacra dans l'île d'Éléphantine, que les 
membres de l'expédition française dessinèrent à la fin 
du siècle dernier, et que le gouverneur turc d'Assouân 
détruisit en 1822. Le mieux conservé, celui du sud 
(fig. 72), n'avait qu'une seule chambre en grès, haute 
de 4™, 25, largede 9"s5o, longue de 12 mètres. Les murs, 
droits et couronnés de la corniche ordinaire, reposaient 
sur un soubassement creux en maçonnerie, élevé de 
2"', 2 5 au-dessus du sol, et entouré d'un parapet à hauteur 
d'appui. Un portique régnait tout autour. Il était com- 
posé, sur chacun des côtés, de sept piliers carrés, sans 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



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67 



chapiteau ni base, sur chacune des façades, de deux co- 
lonnes à chapiteau lotiforme. Piliers et colonnes s'ap- 
puyaient directement sur le parapet, sauf à Test, où un 
perron de dix ou douze marches, resserré entre deux murs 
de même hauteur que le soubassement, donnait accès à 
la cella. Les deux colonnes qui encadraient le haut de 




FIG. 72. 

Pescalier étaient plus espacées que celles de la face 
opposée, et la large baie qu'elles formaient laissait aper- 
cevoir une porté richement décorée. Une seconde porte 
ouvrait à Tautre extrémité, sous le portique. Plus tard, 
à Pépoque romaine, on tira parti de cette ordonnance 
pour modifier l'aspect du monument. On remplit les 
entre-colonnements du fond et on obtint une salle nou- 
velle, grossière et sans ornements, mais suffisante aux 
besoins du culte. Les temples d'Eléphantine rappellent 
assez exactement le temple périptère des Grecs, et cette 
ressemblance avec une des formes de l'architecture 
classique à laquelle nous sommes le plus habitués, ex- 
plique peut-être l'admiration sans bornes que les sa-* 
vants français ressentirent à les voir. Ceux de Méshéïkh, 



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(S8 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



d^El-Kab, de Sharonnah, présentaient une disposition 
plus compliquée. Il y a trois pièces à El-Kab (fig. jS), 
une salle à quatre colonnes (A), une chambre (B), sou- 
tenue par quatre piliers hathoriques, et dans la mu- 
raille du fond, en face de 
la porte, une niche (C) à 
laquelle on montait par 
quatre marches. Le mo- 
dèle le plus complet qui 
nous soit parvenu de ces 
oratoires de petite ville 
appartient à Tépoque pto- 
lémaïque : c^est le temple 
d'Hathor, à Déir-el-Médi- 
néh (fig. 74). Il est deux 
fois plus long qu^il n'est 
large. Les faces en sont 
inclinées et nues à Texté-v 
rieur, la porte exceptée, 
dont le cadre en saillie est 
FIG. 73. chargé de tableaux fine- 

Tempie d'Amenhotpou III, à El-Kab. ment sculptés. L'intérieur 

est divisé en trois parties : 
un portique (B) de deux colonnes campaniformes, un 
pronaos (C), auquel on arrive par un escalier de quatre 
marches, et qui est séparé du portique par un mur à 
hauteur d'homme, tracé entre deux colonnes campani- 
formes et deux piliers d'antes à chapiteaux hathoriques; 
enfin, le sanctuaire (D), flanqué de deux cellules (E, E) 
éclairées par des lucarnes carrées, pratiquées dans le 
toit. On nionte à la terrasse par un escalier (F) fort 




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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



69 



ingénieusement relégué dans l'angle sud du portique, 
et muni d'une jolie fenêtre à claire-voie. Ce n'est qu'un 
temple en miniature, mais les membres en sont si bien 
proportionnés dans leur petitesse qu'on ne saurait rien 
concevoir de plus fin et de plus gracieux. 

On n'est point tenté d'en dire autant du temple que 
les Pharaons de la XX« dy- 
nastie construisirent au 
sud de Karnak, en l'hon- 
neur du dieu Khonsou 
(fig. 75); mais si le style 
n'en est pas irréprochable, 
le plan en est si clair qu'on 
est porté à le prendre pour 
type du temple égyptien, 
de préférence à d'autres 
monuments plus élégants 
ou plus majestueux. Il se 
résout, à l'analyse^ en deux 
parties séparées par un 
mur épais (A, A). Au centre de la plus petite, le Saint 
des Saints (B), ouvert aux deux extrémités et entière- 
ment isolé du reste de l'édifice par un couloir (C) 
large de 3 mètres; à droite et à gauche, des cabinets 
obscurs (D, D) ; par derrière, une halle à quatre co- 
lonnes (E), où débouchent sept autres pièces (F, F). 
C'était la maison du dieu. Elle ne communiquait avec 
le dehors que par deux portes (G, G), percées dans le 
mur méridional (A, A), et qui donnaient sur une 
salle hypostyle (H) plus large que longue, divisée 
en trois nefs. La nef centrale repose sur quatre co- 




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70 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



lonnes campaniformes de 7 mètres de haut;- les laté- 
rales ne renferment chacune que deux colonnes loti- 
formes de 5",5o; le plafond de la trave'e médiale est 
donc plus élevé de i"',5o que celui des bas côtés. 
On en profita pour régler Péclai- 
rage : rintervalle entre la terrasse 
inférieure et la supérieure fut 
garni de claires-voies en pierre 
qui laissaient filtrer la lumière. 
La cour (I) était carrée, bordée 
^ d'un portique à deux rangs de 
colonnes. On y avait accès par 
quatre poternes latérales (J,J) et 
par un portail monumental, pris 
entre deux tours quadrangulaires 
à pans inclinés. Ce pylône (K) 
mesure 32 mètres de long, 10 de 
large, 18 de haut. Il ne contient 
aucune chambre, mais un esca- 
lier étroit, qui monte droit au 
couronnement de la porte, et de 
là, au sommet des tours. Quatre longues cavités prisma- 
tiques rayent la façade jusqu^au tiers de la hauteur, 
correspondant à autant de trous carrés qui traversent 
Pépaisseur de la construction. On y plantait de grands 
mâts en bois, formés de poutres entées Tune sur Tautre, 
consolidées d'espace en espace par des espèces d'agrafes 
et saisies par des charpentes engagées dans les trous 
carrés : de longues banderoles de diverses couleurs 
flottaient au sommet (fig. 76). Tel était le temple de 
Khonsou; telles sont, dans leurs lignes principales, la 




FIG. 7$. 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



71 



plupart des grands monuments d'époque thébaîne ou 
ptolémaïque, Louxor, leRamesséum, Médinét-Habou, 
Philae, Edfou, Dendérah. Même ruinés à demi, Taspect 
en a quelque chose d'étouffé et d'inquiétant. Comme 
les dieux égyptiens aimaient à s'envelopper de mystère, 
le plan est conçu de ma- 
nière à ménager insensi- 
blement la transition entre 
le plein soleil du monde 
extérieur et l'obscurité de 
leur retraite. A l'entrée, 
ce^sont encore de vastes 
espaces où l'air et la lu- 
mière descendent libre- 
ment. La salle hypostyle 
est déjà noyée dans un 
demi-jour discret, le sanc- 
tuaire est plus qu'à moitié perdu sous un vague cré- 
puscule, et au fond, dans les dernières salles, la nuit 




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FI G. 76. 



1 




PIC. 7/, — Le Ilamesséum resiauré, pour montrer le relèvement du sol. 

règne presque complète. L'effet de lointain que pro- 
duit à l'œil cette dégradation successive de la lumière 
était augmenté par divers artifices de construction. 
Toutes les parties ne sont pas de plain-pied. Le sol se 
relève à mesure qu'on s'éloigne de l'entrée (fig. jy), et il 
faut toujours enjamber quelques marches pour passer 



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72. 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



d^un plan à Tautre. La différence de niveau ne dépasse 
pas i'",6o au temple de Khonsou, mais elle se combine 
avec un mouvement de descente de la toiture, qui est 




FI G. 78. — Les cryptes dans l'épaisseur des murs, 
autour du sanctuaire à Dendérah. 

d'ordinaire accentué vigoureusement. Du pylône au 
mur de fond, la hauteur décroît progressivement : le 
péristyle est plus élevé que Phypostyle, celui-ci do- 
mine le sanctuaire, la salle à colonnes et la dernière 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



7i 



chambre sont de moins en moins hautes. Les archi- 
tectes de répoque ptolémaïque ont changé certains dé- 
tails d^arrangement. Ils ont creusé dans les murs des 
couloirs secrets et des cryptes où cacher les tré- 




FiG. 7^. — Le pronaos d'Edfou, vu du haut du pylône oriental. 

sors du Dieu (fig. 78). Ils ont placé des chapelles et 
des reposoirs sur les terrasses. Ils n'ont introduit au 
plan primitif que deux modifications importantes. Le 
sanctuaire avait jadis deux portes opposées, ils fie lui 
en ont laissé qu'une. La colonnade qui garnissait le 
fond de la cour ou la façade du temple, quand la cour 



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7+ 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



n^existait pas, est devenue une chambre nouvelle, le 
pronaos. Les colonnes de la rangée extérieure sub- 
sistent, mais reliées, jusqu'à mi-hauteur environ, par 
un mur couronné d'une corniche, qui forme écran et 

empêchait la foule d'aper- 
cevoir ce qui se passait au 
delà (fig. 79). La salle est sou- 
tenue par deux, trois ou même 
quatre rangs de colonnes, se- 
lon la grandeur de Tédifice 
qui s'étend derrière elle. 
Pour le reste, comparez" le 
plan du temple d'Edfou 

|(fig, 80) à celui du temple 
l im de Khonsou, et vous verrez 

• ri combien peu ils diffèrent Tun 

- * • I de Pautre. 

Ainsi conçu, Tédifice suf- 
fisait à tous les besoins du 
culte. Lorsqu'on voulait Tac- 
croitre , on ne s'attaquait 
pas d'ordinaire au sanctuaire 
ni aux chambres qui Tentouraient, mais bien aux 
parties d'apparat, hypostyles, cours ou pylônes. Rien 
n'est plus propre que l'histoire du grand temple de 
Karnak à illustrer le procédé des Égyptiens en pareille 
circonstance. Osirtasen I" l'avait fondé, probablement 
sur le site d'un temple plus ancien (fig. 81). C'était un 
édifice de petites dimensions, construit en calcaire et 
en grès avec portes en granit : des piliers à seize 
pans unis en décoraient l'intérieur. Amenemhat II 




FlG. 80. 



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^'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



7S 



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1;^"lim'^ 



et m y travaillèrent, les princes de la XIII*' et de la 
XIV® dynastie y consacrèrent des statues et des- tables 
d'offrandes; il était encore intact au xviii® siècle avant 
notre ère, lorsque Thoutmos I", enrichi par la guerre, 
résolut de Tagrandir. Il e'ieva 
en avant de ce qui existait 
déjà deux chambres, précédées 
d'une cour et flan'quées de cha- 
pelles isolées, puis trois py- 
lônes échelonnés l'un derrière 
Tautre. Le tout présentait l'as- 
pect d'un vaste rectangle posé 
debout sur un autre rectangle 
allongé en travers. Thout- 
mos II et Hatshopsitou cou- 






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Fio. 8i. — Le temple de Karnak jusqu'au règne d'Amenholpou III. 

vrirent de bas-reliefs les murs que leur père avait 
bâtis, mais n'ajoutèrent rien; seulement, la régente, 
pour amener ses obélisques entre deux des pylônes, 
pratiqua une brèche dans le mur méridional et abattit 
seize des colonnes qui se trouvaient en cet endroit. 
Thoutmos III reprit d'abord certaines parties qui lui 
paraissaient sans doute indignes de son dieu, le dou- 



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76 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

ble sanctuaire qu'il refit en granit de Syène, le pre- 
mier pylône. Il réédifia, à Test, d'anciennes cham- 
bres, dont la plus importante, celle qui porte le nom 
de Promenoir^ servait de station et de reposoir lors 
des processions, enveloppa l'ensemble d'un mur de 
pierre, creusa le lac sur lequel on lançait les barques 
sacrées les jours de fête; puis, changeant brusquement 
de direction, îl érigea deux pylônes tournés vers le sud. 
Il rompit de la sorte la juste proportion qui avait 
existé jusqu'alors entre le corps et la façade : l'enceinte 
extérieure devint trop large pour les premiers pylônes 
et ne se raccorda plus exactement au dernier. Amen- 
hotpou III corrigea ce défaut : il éleva un sixième 
pylône plus massif, partant, plus propre à servir de 
façade. Le temple en fût resté là, qu'il surpassait déjà 
tout ce qu'on avait entrepris jusqu'alors de plus auda- 
cieux; les Pharaons de la XIX* dynastie réussirent à 
faire mieux encore. Ils ne construisirent qu'une salle 
hypostyle (fig. 82) et qu'un pylône, mais l'hypostyle 
a 5o mètres de long sur 100 de large. Au milieu, une 
avenue de douze colonnes à chapiteau campaniforme, 
les plus hautes qu'on ait jamais employées â l'intérieur 
d'un édifice; dans les bas côtés, 122 colonnes à chapi- 
teau lotiforme, rangées en quinconce sur neuf files. 
Le plafond de la travée centrale était à 23 mètres 
au-dessus du sol, et le pylône le dominait d'environ 
ï5 mètres. Trois rois peinèrent pendant un siècle 
avant d'amener l'hypostyle à perfection. Ramsès I*' 
conçut l'idée, Sèti F»* termina le gros œuvre, Ramsès II 
acheva presque entièrement la décoration. • Les Pha- 
raons des dynasties suivantes se disputèrent quelques 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



77 



1-* .V-l 1 . 



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places vides le long des colonnes, pour y graver leur 
nom et participer à la gloire des trois fondateurs, mais 
ils n'allèrent pas plus loin. Pourtant le monument, 
arrêté à ce point, demeurait incomplet : il lui manquait 
un dernier pylône et une cour à portiques. Près de 

trois siècles s'écoulèrent , 

avant qu^on songeât à 
reprendre les travaux. 
Enfin, les Bubastîtes se 
décidèrent à commencer 
les portiques, mais fai- 
blement, comme il con- 
venait à leurs faibles res- ' 
sources. Un moment, 
r Éthiopien Taharqou 
imagina qu'il était de 
taille à rivaliser avec [ 
les Pharaons thébains et 
devisa une salle hypo- 

style plus large que Tancienne, mais ses mesures étaient 
mal prises. Les colonnes de la travée centrale, les 
seules qu'il eut le temps d'ériger, étaient trop éloignées 
pour qu'on pût y établir la couverture : elles ne por- 
tèrent jamais rien et ne subsistèrent que pour marquer 
son impuissance. Enfin les Ptolémées, se conformant à 
la tradition des rois indigènes, se mirent à l'ouvrage ; 
mais les révoltes de Thèbes interrompirent leurs projets, 
le tremblement de terre de l'an 27 détruisit une partie 
du temple, et le pylône resta à jamais inachevé. L'his- 
toire de Karnak est celle de tous les grands temples 
égyptiens. A l'étudier de près, on comprend la raison 



FIG. 82. 



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78 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



des irrégularités qu'ils présentent pour la plupart. Le 
plan est partout sensiblement le même, et la crois- 
sance se produit de la même 
manière, mais les architectes ne 
prévoyaient pas toujours l'im- 
portance que leur œuvre acquer- 
rait, et le terrain qu'ils lui 
avaient choisi ne se prêtait pas 
Jusqu'au bout au développement 
normal. A Louxor (fig. 83), le 
progrès marcha méthodiquement 
sous Amenhotpou III et sous 
Sèti I"; mais, quand Ramsès II 
voulut ajouter à ce qu'avaient fait 
ses prédécesseurs, un coude se- 
condaire de la rivière l'obligea 
à se rejeter vers l'est. Son py- 
lône n'est point parallèle à celui 
d' Amenhotpou III, et ses por- 
tiques forment un angle mar- 
qué avec l'axe général des con- 
structions antérieures. A Philae 
(fig. 84), la déviation est plus 
forte encore. Non seulement 
le pylône le plus grand n'est 
pas dans l'alignement du plus 




FIG. 83. 



petit , 



mais les deux colon- 



nades ne sont point parallèles 
entre elles et ne se raccordent pas naturellement au 
pylône. Ce n'est point là, comme on l'a dit souvent, 
négligence ou parti pris. Le plan premier était aussi 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



79 



juste que peut l'exiger le dessinateur le plus eruiché 

de symétrie; mais il fallait le plier aux exigences du 

site, et les architectes n'eurent plus souci dès lors que 

de tirer le meilleur 

parti des irre'gula- 

rités auxquelles la 

configuration du 

sol les condamnait. 

Cette contrainte les 

a souvent inspirés : 

Philae nous montre 

jusqu'à quel point 

ils savaient faire de 

ce désordre oblige 

un élément de 

grâce et de pitto- l\u 

resque. ' \\\V 

L'idée du tem- 
ple-caverne dut ve- 
nir de bonne heure 
aux Égyptiens ; ils 
taillaient la mai- 
son des morts dans 
la montagne, pour- 
quoi n'y auraient- 
ils pas taillé la 

maison des dieux? Pourtant, les spéos les plus anciens 
que nous possédions ne remontent qu'aux premiers 
règnes de la XVIII" dynastie. On les rencontre de pré- 
férence dans les endroits où la bande de terre cultivable 
était le moins large, près de Beni-Hassan, au Gebel 




FI G. 8^. 

Plan de l'île de Philae. 



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8o 



L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 



SilsUéh, en Nubie. Toutes les variantes du temple isolé 
se retrouvent dans le souterrain, plus ou moins modi- 
fiées par la nature du mi- 
lieu. Le Spéos Artémidos 
s^annonce par un portique 
à piliers, mais ne renferme 
qu'un naos carré avec une 
niche de fond pour la sta- 
tue de la déesse Pakhit. 
Kalaat-Addah présente au 
fleuve (fig. 85) une façade 
(A) plane, étroite, où Ton 
accède par un escalier as- 
sez raide ; vient ensuite 
une salle hypostyle flanquée de deux réduits ( C ) , 
puis un sanctuaire à deux étages superposés (D). 




FIG. 85. 




1 —Js'-S 



FIG. ii6. 



La chapelle d'Harmhabi (fig. 86), au Gebel .Silsiléh, 
se compose d'une galerie parallèle au Nil , étayée 
de quatre piliers massifs réservés dans la roche vive, 
et sur laquelle la chambre débouche à angle droit, 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



8i 



A Ibsamboul, les deux temples sont entièrement 
dans la falaise. La face du plus grand (fig. 87) simule 
un pylône en talus, couronné d'une corniche, et gardé, 
selon l'usage, par quatre colosses assis, accompagnés 
de statues plus petites ; seulement les colosses ont 
ici près de 20 mètres. 
Au delà de la porte 
s'étend une salle de 
40 mètres de long sur 
18 de large, qui tient 
lieu du péristyle ordi- 
naire. Huit Osiris, le 
dos à autant de piliers, 
semblent porter la mon- 
tagne sur leur tête. Au 
delà, un hypostyle, une 
galerie transversale qui 
isole le sanctuaire, en- 
fin le sanctuaire lui- 
même entre deux pièces plus petites. Huit cryptes, éta- 
blies à un niveau plus bas que celui de Fexcavation 
principale, se répartissent inégalement à droite et à 
gauche du péristyle. Le souterrain entier mesure 
55 mètres du seuil au fond du sanctuaire. Le petit 
spéos d'Hathor, situé à quelque cent pas vers le nord, 
n'offre pas des dimensions aussi considérables ; mais 
la façade est ornée de colosses debout, dont quatre 
représentent Ramsès, et deux sa femme Nofritari. Le 
péristyle manque (fig. 88) ainsi que les cryptes, et les 
chapelles sont placées aux deux extrémités du couloir 
transversal, au lieu d'être paralJèics au sanctuaire ; en 

6 




FIG. 8;. 



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82 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



revanche, Thypostyle a six piliers avec tête d^Haihor. 

Où Tespace le permettait, on n'a fait entrer qu'une 

^— .^ partie du temple dans le 

rocher; les avancées ont 
été construites en plein air, 
de blocs rapportés , et le 

■ * spéos devient une moitié 

■ • de caverne, un hémi-spéos. 

Le péristyle seul à Derr, le 
pylône et la cour à Beit-el- 
Oualli, le pylône, la, cour 
rectangulaire, Thypostyle à 
Gerf Hosseïn et à Ouady-es-Seboua, sont au dehors 
de la montagne. Le plus célèbre et le plus original des 



FI G. 8». 



^- '^ ,.i^ 




r':..T ] rr. 



FI G. 89. 




hémi-spéos est à Dêir-el-Baharî, dans la nécropole thé- 
baine, et fut bâti par la reine Haishopsitou fig. 89). 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



8) 



Le sanctuaire et les deux chapelles qui raccompagnent, 
selon la coutume, étaient creusés à 3o mètres envi- 
ron au-dessus du niveau de la vallée. Pour y atteindre, 
on traça des rampes et on étagea des terrasses, dont 
l'insuffisance des fouilles entreprises jusqu'à présent 
ne permet pas de saisir l'agencement. Entre l'hémi- 
spéos et le temple 
isolé, les Égyptiens 
avaient encore quel- 
que chose d'inter- 
médiaire, le temple 
adossé à la monta- 
gne, mais qui n'y 
pénètre point. Le / ^^ ;•. 
temple du Sphinx à 
Gizéh , celui de Séti I" à Aby- 
dos sont deux bons exemples 
du genre. J'ai déjà parlé du 
premier ; l'aire du second 
(fig. 90) a été découpée dans 
une bande de sable étroite et 
basse qui sépare la plaine du 
désert. Il ét;pit enterré jusqu'au 
toit, la crête des murs sortait à 
peine du sol, et l'escalier qui montait aux terrasses 
conduisait également au sommet de la colline. L'avant- 
corps, qui se détachait en plein relief, n'annonçait rien 
d'extraordinaire : deux pylônes, deux cours, un por- 
tique droit à piliers carrés, les bizarreries ne com- 
mençaient qu'au delà. C'étaient d'abord deux hypo- 
styles au lieu d'un seul. Ils sont séparés par un mur 




90. 



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84 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

percé de sept portes, n'ont point de nef centrale, et le 
sanctuaire donne directement sur le second. C'est, 
comme d'ordinaire, une chambre oblongue percée aux 
deux extrémités ; mais les pièces qui, ailleurs, l'enve- 
loppaient sans le toucher, sont ici placées côte à côte 
sur une même ligne, deux à droite, quatre à gauche; 
de plus, elles sont surmontées de voûtes en encor- 
bellement et ne reçoivent de jour que par la porte. 
Derrière le sanctuaire, même changement; la salle hy- 
postyle s'appuie au mur du fond, et ses dépendances ' 
sont distribuées inégalement à droite et à gauche. Et, 
comme si ce n'était pas assez, on a construit, sur le 
flanc gauche, une cour, des chambres à colonnes, des 
couloirs, des réduits obscurs, une aile entière, qui se 
détache en équerre du bâtiment principal et n'a pas 
de contrepoids sur la droite. L'examen des lieux 
explique ces irrégularités. La colline n'est pas large en 
cet endroit, et le petit hypostyle en touche presque le 
revers. Si on avait suivi le plan normal sans rien y 
changer, on l'aurait percée de part en part, et le 
temple n'aurait* plus eu ce caractère de temple adossé, 
que le fondateur avait voulu lui donner. L'architecte 
répartit donc en largeur les membres qu'on disposait 
d'ordinaire en longueur, et même en rejeta une partie 
sur le côté. Quelques années plus tard, quand Ram- 
sès II éleva, à une centaine de mètres vers le nord- 
ouest, un monument consacré à sa propre mémoire, il 
se garda bien d'agir comme son père. Son temple, assis 
au sommet de la colline, eut l'espace nécessaire à 
s'étendre librement, et le plan ordinaire s'y déploie 
dans toute sa rigueur. 



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L'ARCHITECTURE RELTCIEUSE. 8s 

La plupart des temples, même les plus petits, sont 
enveloppés d'une enceinte quadrangulaire. A Médine't- 
Habou, elle est en grès, basse et crénelée ; c'est une 
fantaisie de Ramsès III qui, en prêtant à son monu- 
ment l'aspect extérieur d'une forteresse, a voulu perpé- 
tuer le souvenir de ses victoires syriennes. Partout 
ailleurs, les portes sont en pierre, les murailles en bri- 
ques sèches, à assises tordues. L'enceinte n'était pas 
destinée, comme on l'a dit souvent, à isoler le temple 
et à dérober aux yeux des profanes les cérémonies qui 
s'y accomplissaient. Elle marquait la limite où s'arrê- 
tait la maison du dieu, et servait au besoin à repousser 
les attaques d'un ennemi dont les richesses accumulées 
dans le sanctuaire auraient allumé la cupidité. Des 
•allées de sphinx, ou, comme à Karnak, une suite 
de pylônes échelonnés, menaient des portes aux diffé- 
rentes entrées, et formaient autant de larges voies 
triomphales. Le reste du terrain était occupé, en partie 
par les étables, les celliers, les greniers des prêtres, en 
partie par des habitations privées. De même qu'en Eu- 
rope, au moyen âge, la population s'amassait plus 
dense autour des églises et des abbayes, en Egypte, elle 
se pressait autour cjes temples, pour profiter de la tran- 
quillité qu'assuraient au dieu la terreur de son nom et 
la solidité de ses remparts. Au début, on avait réservé 
un espace vide le long des pylônes et des murs, puis 
les maisons envahirent ce chemin de ronde et s'ap- 
puyèrent à la paroi même. Détruites et rebâties sur 
place pendant des siècles, le sol s'exhaussa si bien de 
leurs débris, que la plupart des temples finirent par 
s'enterrer peu à peu et se trouvèrent en contrebas des 



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86 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



quartiers environnants. Hérodote le raconte deBubaste, 
et Texamen des lieux montre qu'il en était de même 
dans beaucoup d'endroits. A Ombos, à Edfou, à Den- 
dérah, la cité entière tenait dans la même enceinte que 
la maison divine. A El-Kab, l'enceinte du temple 
était distincte de celle de la ville; elle formait une sorte 




Fie. 91 



de donjon où la garnison pouvait chercher un dernier 
abri. A Memphis, à Thèbes, il y avait autant de donjons 
que de temples principaux, et ces forteresses divines, 
d'abord isolées au milieu des maisons, furent, à partir 
de la XVI II* dynastie, réunies entre elles par des ave- 
nues bordées de sphinx. C'était le plus souvent des 
androsphinx à tête d'homme et au corps de lion, mais 
on trouve aussi des criosphinx à corps de lion et à tête 
de bélier (fig. 91), ou même, dans les endroits où le 
culte local comportait une pareille substitution, des 
béliers agenouillés qui tiennent une figure du souve- 
rain dédicateur entre leurs pattes de devant (fig. 92). 
L'avenue qui va de Louxor à Karnak était composée 
de ces éléments divers. Elle a 2 kilomètres de long et 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



87 



s'infléchit à diverses reprises, mais n'y reconnaissez 
pas une preuve nouvelle de Phorreur des Égyptiens 
pour la symétrie. Les enceintes des deux temples 
n'étaient pas orientées de la mêmQ manière, et les ave- 
nues tracées perpendiculairement sur le front de cha- 
cune d'elles ne se seraient jamais raccordées, si on ne 



r 







FIG. 9^. 

les avait fait dévier de leur direction première. En ré- 
sumé, les habitants deThèbes voyaient de leurs temples 
presque tout ce que nous en voyons. Le sanctuaire et 
ses dépendances immédiates leur étaient fermés; mais 
ils avaient accès à la façade, aux cours, même à la salle 
hypostyle, et ils pouvaient admirer les chefs-d'œuvre 
de leurs architectes presque aussi librement que nous 
faisons aujourd'hui. 



§ 3. LA DÉCORATION. 

La tradition antique affirmait que les premiers tem- 
ples égyptiens ne renfermaient aucune image sculptée, 



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88 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

aucune inscription, aucun symbole, et de fait le temple 
du Sphinx est nu. C'est là toutefois un exemple ilnique. 
Les fragments d'architrave et de parois employe's comme 
matériaux dans la pyramide septentrionale de Lisht, et 
qui portent le nom de Khâfrî, montrent qu'il n'en était 
déjà plus ainsi dès le temps de la IV* dynastie. A l'époque 
thébaine, toutes les surfaces lisses, pylônes, parements 
des murs, fûts des colonnes, étaient couvertes de ta- 
bleaux et de légendes. Sous les Ptolémées et sous les 
Césars, lettres et figures étaient tellement pressées, 
qu'il semble que la pierre disparaisse sous la masse des 
ornements dont elle est chargée. Un coup d'œil rapide 
suffit à montrer que les scènes ne sont pas jetées au ha- 
sard. Elles s'enchaînent, se déduisent les unes des au- 
tres et forment comme un grand livre mystique, où les 
relations officielles des dieux avec l'homme et de 
l'homme avec les dieux sont clairement expliquées à 
qui sait le comprendre. Le temple était bâti à Timage 
du monde, tel que les Égyptiens le connaissaient. La 
terre était pour eux une sorte de table plate et mince, 
plus longue que large. Le ciel s'étendait au-dessus, 
semblable, selon les uns, à un immense plafond de fer, 
selon les autres, à une voûte surbaissée. Comme il ne 
pouvait rester suspendu sans être appuyé de quelque 
support qui l'empêchât de tomber, on avait imaginé de 
le maintenir en place au moyen de quatre étais ou de 
quatre piliers gigantesques. Le dallage du temple re- 
présentait naturellement la terre. Les colonnes et, au 
besoin, les quatre angles des chambres figuraient les 
piliers. Le toit, voûté à Abydos, plat partout ailleurs, 
répondait exactement à l'opinion qu'on se faisait du 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



ciel. Chaque partie recevait une décoration appropriée 
à sa signification. Ce qui touchait au sol se revê- 





FIG. 9{. 



FI G. 9^. 



tait de végétation. La base des colonnes était entourée 
de feuilles, le pied des murs se garnissait de longues 




s^ mM 




FI G. 9$. 



FI G. ç6. 



tiges de lotus ou de papyrus {fig. gS), au milieu des- 
quelles passaient quelquefois des animaux. Des bou- 





MJr, 



FlG. ^8. 



quets de plantes fluviales, émergeant de Peau (fig. 94), 
égayaient les soubassements de certaines chambres. 
Ailleurs, c'étaient des fleurs épanouies, entremêlées de 



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90 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



boutons isolés ( fig. 95 ) ou reliées par des cordes 
( fig, 96), des emblèmes indiquant la réunion des 
deux Égyptes entre les mains d'un seul Pharaon 
(fig. 97), des oiseaux à bras d'hommes assis en ado- 
ration sur le signe des fêtes solennelles, ou des pri- 
sonniers accroupis et liés au poteau deux à deux, un 

nègre avec un Asiatique 
(fig. 98). Des Nils mâles 
et fenielles ^ s'agenouil- 
laient (fig. 99), ou s'avan- 
çaient majestueusement 
en procession, au ras de 
terre, les mains chargées 
de fleurs et de fruits. Ce 
sont les nomes de l'E- 
gypte, les lacs, les districts qui apportent leurs pro- 
duits au dieu. Une fois même, à Karnak, Thoutmos III 




FIG. ÇÇ. 




FIG. 100. 



a gravé sur le soubassement les fleurs, les plantes et 
les animaux des pays étrangers qu'il avait vaincus 
(fig. 100). Le plafond, peint en bleu, était semé d'étoiles 
jaunes à cinq branches, auxquelles se mêlent par en- 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



9» 



droits les cartouches du roi fondateur. De longues 
bandes d'hiéroglyphes rompaient d'espace en espace la 
monotonie de ce ciel d'Egypte. Les vautours de Nek- 
hab et d'Ouazit, les déesses du midi et du nord, cou- 










ronnés et armés d'emblèmes divins (fig. loi), planent 
dans la travée centrale des salles hypostyles, dans les 
soffittes des portes, par-dessus la route que le roi sui- 
vait pour se rendre au sanctuaire. Au Ramesséum, à 
Edfou, à Philae, à Dendérah, à Ombos, à Esnéh, les 
profondeurs du firmament semblent s'ouvrir et révéler 



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ya L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

leurs habitants aux yeux des fidèles. L'Océan céleste 
déroule ses eaux, où le soleil et la lune naviguent, es- 
cortés des planètes, des constellations et des décans, où 
les génies des mois et des jours marchent en longues 
files. A répoque ptolémaïque, des zodiaques, composés 
à l'imitation des zodiaques grecs, se placent à côté des 
tableaux astronomiques d'origine purement égyptienne 
(ûg. 102). La décoration des architraves qui portaient 
les dalles de la couverture était complètement îndé; 
pendante de celle de la couverture proprement dite. 
On n'y voyait que des légendes hiéroglyphiques en 
gros caractères, où les beautés du temple, le nom des 
rois qui y avaient travaillé, la gloire des dieux aux- 
quels il était consacré, sont célébrés avec emphase. En 
résumé, Pornementation du soubassement et celle du 
plafond étaient restreintes à un petit nombre de sujets 
toujours les mêmes; les tableaux les plus importants et 
les plus variés étaient comme suspendus entre ciel et 
terre, à la paroi des chambres et des pylônes. 

Ils illustrent les rapports officiels de l'Egypte avec 
les dieux. Les gens du commun n'avaient pas le droit 
de*commercer directement avec la divinité. II leur fal- 
lait un médiateur qui, tenant à la fois de la nature hu- 
maine et de la nature divine, fût en état de les percevoir 
également l'une et l'autre. Seul, le roi, fils du soleil, 
était d'assez haute extraction pour contempler le dieu 
du temple, le servir et lui parler face à face. Les sacri- 
fices ne se faisaient que par lui ou par délégation de 
lui ; même l'offrande aux morts était censée passer par 
ses mains, et la famille se prévalait de son nom [souten 
di hotpou] pour l'envoyer dans l'autre monde. Le roi 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



91 



est donc partout dans le temple, debout, assis, age- 
nouillé, occupé à égorger la victime, à en présenter les 
morceaux, à verser le vin, le lait, Thuile, à brûler Ten- 







Fie. loa. — Zodiaque circulaire de Dendérah. 

cens : c^est l'humanité entière qui agit en lui et accom- 
plit ses devoirs envers la divinité. Lorsque la cérémonie 
qu'il exécute exige le concours de plusieurs personnes, 
alors seulement des aides mortels, autant que possible 
des membres de sa famille, paraissent à ses côtés. La 
reine, debout derrière lui, comme Isis derrière Osiris, 



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94 L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

lève la main pour le protéger, agite le sîstre ou bat le 
tambourin pour éloigner de lui les mauvais esprits, 
tient le bouquet ou le vase à libation. Le fils aîné tend 
le filet ou lasse le taureau, et récite la prière pour lui, 
tandis qu'il lève vers le dieu chaque objet prescrit par 
le rituel. Un prêtre remplace parfois le prince, mais 
les autres hommes n'ont jamais que des rôles infimes : 
ils sont bouchers ou servants, ils portent la barque ou 
le palanquin du dieu. Le dieu, de son côté, n'est pas 
toujours seul; il a sa femme et son fils à côté de lui, 
puis les dieux des nomes voisins et, d'une manière gé- 
nérale, les dieux de l'Egypte entière. Du moment que le 
temple est l'image du monde, il doit comme le monde 
même renfermer tous les dieux grands et petits. Ils 
sont le plus souvent rangés derrière le dieu principal, 
assis ou debout, et partagent avec lui Thommage du 
souverain. Quelquefois cependant, ils prennent une 
part active au.i cérémonies. Les esprits d'On et de 
Khonou s'agenouillent devant le soleil et l'acclament. 
Hor et Sit ou Thot amènent Pharaon à son père 
Amon-Rà, ou remplissent à côté de lui les fonctions 
réservées ailleurs au prince ou au prêtre : ils l'aident à 
renverser la victime, à prendre dans le filet les oiseaux 
destinés au sacrifice, ils versent sur sa tête l'eau de 
jeunesse et de vie qui doit le laver de ses souillures. La 
place et la fonction de ces dieux synèdres était définie 
strictement par la théologie. Le soleil, allant d'Orient 
en Occident, coupait, disent les textes, l'univers en deux 
mondes, celui du midi et celui du nord. Le temple 
était double comme l'univers, et une ligne idéale, pas- 
sant par Taxe du sanctuaire, le divisait en deux temples. 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 95 

le temple du midi à droite, le temple du nord à gauche. 
Les dieux et leurs différentes formes étaient répartis 
entre ces deux temples, selon qu'ils appartenaient au 
midi ou au nord. Et cette fiction de dualité était poussée 
plus loin encore : chaque chambre se divisait, à rimita- 
tion du temple, en deux moitiés dont l'une, celle de 
droite, était du midi et Tautre était du nord. L'hom- 
mage du roi, pour être complet, devait se faire dans 
le temple du midi et dans celui du nord, aux dieux du 
midi et à ceux du nord, avec les produits du midi et 
avec ceux du nord. Chaque tableau devait donc se ré- 
péter au moins deux fois dans le temple, sur une paroi 
de droite et sur une paroi de gauche. Amon, à droite, 
recevait le blé, le vin, les liqueurs du niidi ; à gauche, 
le blé, le vin, les liqueurs du nord, et ce qui est vrai 
d'Amon Test de Moût, de Khonsou, de Montou, de 
bien d'autres. Dans la pratique, le manque d'espace 
empêchait qu'il en fût toujours ainsi, et on ne rencontre 
souvent qu'un seul tableau où produits du nord et pro- 
duits du midi étaient confondus, devant un Amon qui 
représentait à lui seul l'Amoi\du midi et l'Amon du 
nord. Cette dérogation à l'usage n'est jamais que mo- 
mentanée : la symétrie se rétablissait dès que le per- 
mettaient les circonstances. 

Aux temps pharaoniques, les tableaux ne sont pas 
très serrés l'un contre l'autre. La surface à couvrir, 
arrêtée en bas par une ligne tracée au-dessus de la dé- 
coration du soubassement, est limitée vers le haut, soit 
par la corniche normale, soit par une frise compo- 
sée d'uraeus, de faisceaux de lotus alignés côte à côte, 
de cartouches royaux (fig. io3), entourés de symboles 



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96 L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

divins, d'emblèmes empruntés au culte local, des têtes 
d'Hathor, par exemple, dans un temple d'Hathor, ou 
d'une dédicace horizontale en belles lettres gravées 
profondément. Le panneau ainsi encadré ne formait 
souvent qu'un seul registre, souvent aussi se divisait 
en deux registres superposés; il fallait une muraille 

bien haute pour que ce 
nombre fût dépassé. Figu- 
res et légendes étaient espa- 
cées largement et les scènes 
pic^ ^QJ^ se succédaient à la file pres- 

que sans séparation maté- 
rielle; c'était affaire au spectateur d'en discerner le 
commencement et la fin. Les têtes du roi étaient de véri- 
tables portraits dessinés d'après nature, et la figure des 
dieux en reproduisait les traits aussi exactement que 
possible. Puisque Pharaon était fils des dieux, la façon 
la plus sûre d'obtenir la ressemblance était de modeler 
leur visage sur le visage de Pharaon. Les acteurs secon- 
daires n'étaient pas moins soignés que les autres, mais 
quand il y en avait trop, on les distribuait sur deux ou 
trois registres, dont la hauteur totale ne dépasse jamais 
celle des personnages principaux. Les offrandes, les 
sceptres, les bijoux, les vêtements, les coiffures, les meu- 
bles, tous les accessoires étaient traités avec un souci très 
réel de l'élégance et de la vérité. Les couleurs, enfin, 
étaient combinées de telle façon qu'une tonalité géné- 
rale dominât dans une même localité. !1 y avait dans les 
temples des pièces qu'on pouvait appeler à juste titre : 
la salle bleue, la salle rouge, la salle d'or. Voilà pour 
Tépoque classique. A mesure qu'on descend vers ics 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. çj 

bas temps, les scènes se multiplient. Sous les Grecs et 




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PIC. 104, — Paroi d'une chambre à Dendérah, pour montrer 
la disposition des tableaux. 

sous les Romains, elles sont si nombreuses que la plus 

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98 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

petite muraille ne peut les contenir à moins de quatre 
(fig. 104), cinq, six, huit registres. Les figures principales 
semblent se contracter sur elles-mêmes pour occuper 
moins de place, et des milliers de menus hiéroglyphes 
envahissent tout l'espace qu'elles ne remplissent pas. 
Les dieux et les rois ne sont plus des portraits du sou- 
verain régnant, mais des types de convention sans 
vigueur et sans vie. Quant aux figures secondaires et 
aux accessoires, on n'a plus qu'un souci, c'est de 
les entasser aussi serré que possible. Ce n'est pas là 
faute de goût; une idée religieuse a décidé et préci- 
pité ces changements. La décoration n'avait pas seu- 
lement pour objet le plaisir des yeux. Qu'on l'appli- 
quât à un meuble, à un cercueil, à une maison, à un 
temple, elle possédait une vertu magique, dont chaque 
être ou chaque action représentée, chaque parole 
inscrite ou prononcée au moment de la consécration, 
déterminait la puissance et le caractère. Chaque tableau 
était donc une amulette en même temps qu'un orne- 
ment. Tant qu'il durait, il assurait au dieu le bénéfice 
de l'hommage rendu ou du sacrifice accompli par le 
roi; il confirmait au roi, vivant ou mort, les grâces que 
le dieu lui avait accordées en récompense, il préservait 
contre la destruction le pan de mur sur lequel il était 
tracé. A la XVIII* dynastie, on pensait qu'une ou deux 
amulettes de ce genre suffisaient à obtenir TefFet qu'on 
en attendait. Plus tard, on crut qu'on ne saurait trop 
en augmenter la quantité, et on en mit autant que la 
muraille pouvait en recevoir. Une chambre moyenne 
d'Edfou et de Dendérah fournit à l'étude plus de maté- 
riaux que la salle hypostyle de Karnak, et la chapelle 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 99 

d'Antonin à Philae, si elle avait été terminée, renfer- 
merait autant dé scènes que le sanctuaire de Louxor et 
. le couloir qui Tenveloppe, 

En voyant la variété des sujets traités sur lès murs 
d'un même temple, on est d'abord tenté de croire que la 
décoration ne forme pas un ensemble suivi d'un bout 
à Tautre, et que, si plusieurs séries sont, à n'en pas 
douter, le développement d'une seule idée historique 
ou dogmatique, d'autres sont jetées simplement à la 
file, sans aucun lien qui les rattache entre elles. 
A Louxor et au Ramesséum, chaque face de pylône est 
un champ de bataille, sur lequel on peut étudier presque 
jour à jour la lutte de Ramsès II contre les Khiti, en 
l'an V de son règne, le camp des Egyptiens attaqué de 
nuit, la maison du roi surprise pendant la marche, la 
défaite des barbares, leur fuite, la garnison de Qod- 
shou sortie au secours des vaincus, les mésaventures du 
prince de Khiti et de ses généraux. Ailleurs la guerre 
n'est point représentée, mais le sacrifice humain qui 
marquait jadis la fin de chaque campagne : le roi saisit 
aux cheveux les prisonniers prosternés à ses pieds, et 
lève la massue comme pour écraser leurs têtes d'un 
seul coup. A Karnak, le long du mur extérieur, Séti I" 
fait la chasse aux Bédouins du Sinaï. Ramsès III, à 
Médinét-Habou, détruit la flotte des peuples de la mer, 
ou reçoit les mains coupées des Libyens que ses sol- 
dats lui apportent en guise de trophées. Puis, sans tran- 
sition, on aperçoit un tableau pacifique, où Pharaon 
verse à son père Amon une libation d'eau parfumée. 
Il semble qu'on ne puisse établir aucun lien entre ces 
scènes, et pourtant l'une est la conséquence nécessaire 



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loo L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

des autres. Si le dieu n^avait pas donné la victoire au 
roi, le roi à son tour n'aurait pas institué les cérémo- 
nies qui s'accomplissaient dans le temple. Le sculpteur 
a transportées événements sur la muraille, dans l'ordre 
où ils s'étaient passés, la victoire, puis le sacrifice, le 
bienfait du dieu d'abord et les actions de grâces du roi. 
A y regarder de près, tout se suit, tout s'enchaîne de la 
même manière dans cette multitude d'épisodes. Tous 
les tableaux, et ceux-là dont la présence s'explique le 
moins au premier coup d'œil, représentent les moments 
d'une action unique, qui commence à la porte et se dé- 
roule, à travers les salles, jusqu'au fond du sanctuaire. 
Le roi entre au temple. Dans les cours, le souvenir de 
ses victoires frappe partout ses regards ; mais voici que 
le dieu sort à sa rencontre, caché dans une châsse et 
environné de prêtres. Les rites prescrits en pareil cas 
sont retracés sur les murs de l'hypostyle où ils s'exécu- 
taient, puis roi et dieu prennent ensemble le chemin 
du sanctuaire. Arrivés à la porte qui donne accès de 
la partie publique dans la partie mystérieuse du 
temple, le cortège humain s'arrête, et le roi, franchis- 
sant le seuil, est accueilli par les dieux. Il fait l'un 
après l'autre tous les exercices religieux auxquels 
l'oblige la coutume; ses mérites s'accroissent par la 
vertu des prières, ses sens s'affinent, il prend place 
parmi les types divins, et pénètre enfin dans le sanc- 
tuaire, où le dieu se révèle à lui sans témoin et lui parle 
face à face. La décoration reproduit fidèlement le pro- 
grès de cette présentation mystique : accueil bienveil- 
lant des divinités, gestes et offrandes du roi, les vête- 
ments qu'il dépouille ou revêt successivement, les 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. lôi 

couronnes dont il se coiffe, les prières qu'il récite et les 
grâces qui lui sont conférées, tout est gravé sur les murs 
en ses lieu et place. Le roi et les rares personnes qui 
l'accompagnent ont le dos tourné à la porte d'entrée, la 
face tournée à la porte du fond. Les dieux au contraire, 
ceux du moins qui ne font point partie pour le mo- 
ment de l'escorte royale, ont la face à la porte, le dos au 
sanctuaire. Si, au cours d'une cérémonie, le roi officiant 
venait à manquer de mémoire, il n'avait qu'à lever les 
yeux vers la muraille pour y trouver ce qu'il devait 
faire. 

Et ce n'est pas tout : chaque partie du temple avait 
son décor accessoire et son mobilier. La face extérieure 
des pylônes était garnie, non seulement des mâts à ban- 
deroles dont j'ai déjà parlé, mais de statues et d'obélis- 
ques. Les statues, au nombre de quatre ou de six, étaient 
en calcaire, en granit ou en grès. Elles représentaient tou- 
jours le roi fondateur et atteignaient parfois une taille 
prodigieuse. Les deux Memnonqui siégeaient à l'entrée 
de la chapelle d'Amenhotpou III, à Thèbes, mesurent 
environ seizç mètres de haut. Le Ramsès II du Rames- 
séutn a dix-sept mètres et demi, celui de Tanis vingt 
mètres au moins. Le plus grand nombre ne dépassait 
pas six mètres. Elles montaient la garde en avant du 
temple, la face au dehors, comme pour faire front à 
l'ennemi. Les obélisques de Karnak sont presque tous 
perdus au milieu des cours intérieures ; même ceux de 
la reine Hatshopsitou ont été encastrés, jusqu'à cinq 
mètres au-dessus du sol, dans des massifs de maçonnerie 
qui en cachaient la base. Ce sont là des accidents faciles 
à expliquer. Chacun des pylônes qu'ils précèdent a été 



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L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



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via. 105 

déjà chose 



tour à tour la façade du temple, et ne 
s'est trouvé relégué aux derniers plans 
que par les travaux successifs des Pha- 
raons. La place réelle des obélisques 
est en avant des colosses, de chaque 
côté de la porte; ils ne vont jamais 
que par paire, de hauteur souvent 
inégale. On a prétendu reconnaître en 
eux Temblème d'Amon-Générateur, un 
doigt de dieu, Timage d'un rayon de 
soleil. A dire le vrai, ils ne sont que la 
forme régularisée de ces pierres levées, 
qu'on plantait en commémoration des 
dieux et des morts chez les peuples 
à demi sauvages. Les tombes de la 
IV* dynastie en renferment déjà, qui 
n'ont guère plus d'un mètre, et sont 
placés à droite et à gauche de la stçle, 
c'est-à-dire de la porte qui conduit au 
logis du défunt ; ils sont en calcaire 
et ne nous apprennent qu'un nom et 
des titres. A la porte des temples,* ils 
sont en granit et prennent des dimen- 
sions considérables, 20^,75 à Hélio- 
polis (fig. io5), 23"»,59 et 23"*,o3 à 
Louxor. Le plus élevé de ceux que Ton 
possède aujourd'hui, celui de la reine 

^ Hatshopsitou à Karnak, monte jusqu'à 
3 3'", 20. Faire voyager des masses pa- 
reilles et les calibrer exactement était 

difficile, et l'on a peine à comprendre com- 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. ^^~ ^ 

ment les Égyptiens réussissaient à les dresser rien 
qu'avec des cordes et des caissons de sable. La reine 
Hatshopsitou se vante d'avoir taillé, transporté, érigé les 
siens en sept mois, et nous n'avons aucune raison de 
douter de sa parole. Les obélisques étaient presque 
tous établis sur plan carré, avec les faces légèrement 
convexes et une pente insensible de haut en bas. La 
base était d'un seul bloc carré, orné de légendes ou 
de cynocéphales en ronde bosse, adorant le soleil. La 
pointe était coupée en pyramidion et revêtue, par excep- 
tion, de bronze ou de cuivre doré. Des scènes d'offrandes 
à Râ-Harmakhis, Hor, Atoum- Amon, sont gravées sur 
les pans du pyramidion et s'étagent à la partie supé- 
rieure du prisme; le plus souvent, les quatre faces verti- 
. cales n'ont d'autre ornement que des inscriptions en 
lignes parallèles consacrées exclusivement à l'éloge du 
roi. Voilà l'obélisque ordinaire : on en rencontre çà 
et là d'un type différent. Celui de Bégig, au Fayoum 
(fig. 1 06) , est sur plan rectangulaire et s'arrondit en pointe 
mousse. Une entaille, pratiquée au sommet, prouve qu'il 
se terminait par quelque emblème en métal, un épervier 
peut-être, comme l'obélisque représenté sur une stèle 
votive du Musée de Boulaq. Cette forme, qui dérive ainsi 
que la première de la pierre levée, dura jusqu'aux der- 
niers jours de l'art égyptien : on la signale encore à 
Axoum, en pleine Ethiopie, vers leiv® siècle de notre ère, 
à une époque où l'on se contentait en Egypte de trans- 
porter les anciens obélisques, sans plus songer à en éle- 
ver de nouveaux. Telle était la décoration accessoire du 
pylône. Les cours intérieures et les salles hypostyles ren- 
fermaient encore des colosses. Les uns, adossés à la face 



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L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



externe des piliers ou des murs, étaient à demi engagés 
dans la maçonnerie et bâtis par assise ; ils présentaient 
le roi, debout, muni des insignes d^Osiris. Les autres, 
placés à Louxor sous le péristyle, à Karnak des deux 
côtés de la travée centrale, entre chaque colonne, étaient 
aussi à rimage du Pharaon, mais du 
Pharaon triomphant et revêtu de son 
costume d'apparat. Le droit de consa- 
crer une statue dans le temple était 
avant tout un droit régalien; cepen- 
dant le roi permettait quelquefois à 
des particuliers d'y dédier leurs sta- 
tues à côté des siennes. C'était alors 
une grande faveur, et l'inscription de 
ces monuments mentionne toujours 
qu'ils ont été déposés far la grâce 
du roi à la place qu'ils occupent. Si 
rarement que ce privilège fût accordé 
par le souverain, les statues votives 
avaient fini par s'accumuler avec les 
siècles, et les cours de certains temples 
en étaient remplies. A Karnak, l'en- 
ceinte du sanctuaire était garnie exté- 
rieurement d'une sorte de banc épais, 
construit à hauteur d'appui en façon 
de socle allongé. C'est là que les statues étaient pla- 
cées, le dos au mur. Elles étaient accompagnées cha- 
cune d'un bloc de pierre rectangulaire, muni sur l'un 
des côtés d'une saillie creusée en gouttière : c'est ce 
que l'on appelle la table d'offrandes (fig. 107). La face 
supérieure en est évidée plus ou moins profondément 




106. 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 



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FIG. 107. 



et porte souvent en relief des pains, des cuisses de bœuf, 
des vases à libations couchés à plat, et les autres objets 
qu'on avait accoutumé de présenter aux morts ou aux 
dieux. Celles du roi Amoni-Entouf-Amenemhâït, à 
Boulaq, sont des blocs 
de plus d'un mètre de 
long, en grès rouge, dont 
la face supérieure est 
chargée de godets creu- 
sés régulièrement; une 
offrande particulière ré- 
pondait à chaque godet. Un culte était en effet attaché 
aux statues, et les tables étaient de véritables autels, sur 
lesquels on déposait, pendant le sacrifice, les portions 
de la victime, les gâteaux, les fruits, les légumes. 
Le sanctuaire et les pièces qui l'environnent con- 
tenaient le matériel du culte. Les 
bases d'autel sont, les unes carrées 
et un peu massives, les autres poly- 
gonales ou cylindriques; plusieurs 
de ces dernières ressemblent assez 
à un petit canon pour que les Arabes 
leur en donnent le nom. Les plus 
anciennes sont de la V® dynastie; la 
plus belle, déposée aujourd'hui à 
Boulaq, a été dédiée par Séti I«', Le seul autel complet 
que je connaisse a été découvert à Menshiéh en 1884 
(fig. 108). Il est en calcaire blanc, compact, poli comme 
le marbre, et a pour pied un cône très allongé, sans 
ornement qu'un tore d'environ dix centimètres au-des- 
sous du sommet. Un vaste bassin hémisphérique s'em- 




FIG. 108. 



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L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



boîte dans une entaille carrée, qui sert comme de 
gueule au canon. Les naos sont de petites chapelles 
de pierre ou de bois (fig. 109) où logeait en tout temps 
Pesprit, à certaines fêtes, le corps même du dieu. Les 
barques sacrées étaient bâties sur le modèle de la barl 



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FIG, 10;;. 



Naos en bois du musée de Turin. 



dans laquelle le soleil accomplissait sa course journa- 
lière. Un naos s'élevait au milieu, recouvert d'un voile 
qui ne permettait pas aux spectateurs de voir ce qu'il 
renfermait; l'équipage était figuré, chaque dieu à son 
poste de manœuvre, les pilotes d'arrière au gouvernail, 
la vigie à l'avant, le roi à genoux, devant la porte du 
naos. Nous n'avons trouvé jusqu'à présent aucune des 
statues qui servaient aux cérémonies du culte, mais 
nous savons l'aspect qu'elles avaient, le rôle qu'elles 
jouaient, les matières dont elles étaient composées. 



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L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE. 107 

Elles étaient animées et avaient, outre leur corps de 
pierre, de métal, ou de bois, une âme enlevée par 
magie à Tâme de la divinité qu'elles représentaient. 
Elles parlaient, remuaieht, agissaient, réellement et 
non par métaphore. Les derniers Ramessides n'en- 
treprenaient rien sans* les consulter; ils s'adressaient 
à'elles, leur exposaient l'affaire, et, après chaque ques- 
tion, elles approuvaient en secouant la tête. Dans la stèle 
de Bakhtan, une statue de Khonsou impose quatre fois 
les mains sur la nuque d'une autre statue, pour lui 
transmettre le pouvoir de chasser les démons. La reine 
Hatshopsitou envoya une escadre à la recherche des Pays 
de l'Encens, après avoir conversé avec la statue d'Amon 
dans l'ombre du sanctuaire. En théorie, l'âme divine 
était censée produire seule des miracles : dans la pra- 
tique, la parole et le mouvement étaient le résultat d'une 
fraude pieuse. Avenues interminables de sphinx, obé- 
lisques gigantesques, pylônes massifs, salles aux cent 
colonnes, chambres mystérieuses où le jour ne pénétrait 
jamais, le temple égyptien tout entier était bâti pour 
servir de cachette à une poupée articulée, dont un prêtre 
agitait les fils. 



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CHAPITRE III 
LES TOMBEAUX 

Les Égyptiens composaient l'honîme de plusieurs 
êtres différents, dont chacun avait ses fonctions et sa vie 
propre. C'était d'abord le corps, puis le double (ka), qui 
est le second exenîplairedu corps en une matière moins 
dense que la matière corporelle, une projection colorée, 
mais aérienne de l'individu, le reproduisant trait pour 
trait, enfant, s'il s'agissait d'un enfant, femme s'il s^agis- 
sait d'une femme, homme s'il s'agissait d'un homnîe. 
Après le double venait l'âme (bi, baï), que l'imagination 
populaire se représentait sous la figure d'un oiseau, et 
après l'âme, le lumineux (khou), parcelle de flamme 
détachée du feu divin. Aucun de ces éléments n'était im- 
périssable par nature ; mais, livrés à eux-mêmes, ils n'au- 
raient pas tardé à se dissoudre et l'homme à mourir une 
seconde fois, c'est-à-dire à tomber dans le néant. La 
piété des survivants avait trouvé le moyen d'empêcher 
qu'il en fût ainsi. Par Tembaumement, elle suspendait 
pour les siècles la décomposition des corps; par la 
prière et par l'offrande, elle sauvait le double, l'âme et 
le lumineux de la seconde mort, et elle leur procurait ce 
qui leur était nécessaire à prolonger leur existence. Le 
double ne quittait jamais le lieu où reposait la momie. 



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LES TOMBEAUX. X09 

L'âme et le luipineux s'en éloignaient pour suivre les 
dieux, mais y revenaient sans cesse, comme un voyageur 
qui rentre au logis après une absence. Le tombeau était 
donc une maison, la maison éternelle du mort, au prix 
de laquelle les maisons de cette terre sont des hôtelle- 
ries, et le plan sur lequel il était établi répondait fidè- 
lement à la conception que Ton se faisait de Tautre 
vie. Il devait renfermer les appartements privés de 
l'âme, où nul vivant ne pouvait pénétrer sans sacrilège, 
passé le jour de l'enterrement, les salles d'audience du 
double, où les prêtres et les amis venaient apporter 
leurs souhaits et leurs offrandes, et, entre les deux, des 
couloirs plus ou moins longs. La manière dont ces 
trois parties étaient disposées variait beaucoup selon les 
époques, les localités, la nature du terrain, la condition 
et le caprice de chaque individu. Souvent les pièces 
'accessibles au public étaient bâties au-dessus du sol et 
formaient un édifice isolé. Souvent encore, elles étaient 
creusées entièrement dans le flanc d'une montagne 
avec le reste du tombeau. Souvent enfin, le réduit où 
la momie reposait et le couloir étaient dans un. en- 
droit, tandis qu'elles s'élevaient au loin dans la plaine. 
Mais, si l'on remarque des variantes nombreuses dans 
les détails et dans le groupement des parties, le principe 
est toujours le même : la tombe est un logis^ dont l'agen- 
cement doit favoriser le bien-être et assurer la perpé- 
tuité du mort. 

I<> LES MASTABAS. 

Les tombes monumentales les plus anciennes sont 
toutes réunies dans la nécropole de Memphis, d'Abou- 



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iio L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

Roâsh à Dahshour, et appartiennent au type des mas- 
tabas. Le mastaba (fig. iio) est une construction qua- 
drangulaire qu'on prendrait de loin pour une pyramide 
tronquée. Plusieurs ont loou 12 mètres de haut, 5o mè- 
tres de façade, 25 mètres de profondeur; d'autres nV- 
teignentpasS mètres de hauteur et 5 mètres de largeur. 
Les faces sont inclinées symétriquement et le plus sou- 
vent unies ; parfois 
cependant les assises 
.sont en retraite et 
forment presque 
gradins. Les maté- 
riaux employés sont 
la pierre ou la brique. La pierre est toujours le 
calcaire, débité en blocs, longs d'environ o™,8o sur 
o'^jSo de hauteur et sur o",6o de profondeur. On ren- 
contre trois sortes de calcaire : pour les tombes soi- 
gnées, le beau calcaire blanc de Tourah ou le calcaire 
siliceux compact de Saqqarah; pour les tombes ordi- 
naires, le calcaire marneux de la montagne Libyque. Ce 
dernier, mêlé à des couches minces de sel marin et 
traversé par des filons de gypse cristallisé, est friable 
à l'excès et prête peu à l'ornementation, La brique est 
de deux espèces, et simplement séchée au soleil. La 
plus ancienne, dont l'usage cesse vers la Yb dynastie, 
est de petites dimensions (o"*,22 X o"^,i i X o'",i4), d'as- 
pect Jaunâtre, et ne renferme que du sable mêlé d'un peu 
d'argile et de gravier ; l'autre est de la terre mêlée de 
paille, noire, compacte, moulée avec soin et d'assez 
grand module (o'",38 X o'",i8 X o"»,i4). La façon de la 
maçonnerie interne n'est pas la même selon la nature 



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LES TOMBEAUX. m 

des matériaux que l'architecte a employés. Neuf fois sur 
dix, les mastabas en pierre n'ont d'appareil régulier 
qu'à l'extérieur. Le noyau est en moellons grossière- 
ment équarris, en gravats, en fragments de calcaire, 
rangés sommairement par couches horizontales, et 
noyés dans de la terre délayée, ou même entassés au 
hasard, sans mortier d'aucune sorte. Les mastabas en 
briques sont presque toujours de construction homo- 
gène; les parements extérieurs sont cimentés avec soin, 
et les lits reliés à l'intérieur par du sable fin coulé 
dans les interstices. La masse devait être orientée cano- 
niquement, les quatre faces aux quatre points cardinaux, 
le plus grand axe dirigé du nord au sud; mais les ma- 
çons ne se sont point préoccupés de trouver le nord 
juste, et l'orientation est rarement exacte. A Gizéh, les 
mastabas sont distribués selon un plan symétrique et ran- 
gés le long de véritables rue^ ; à Saqqarah, à Abousîr, à 
Dahshour, ils s'élèvent en désordre à la surface du pla- 
teau, espacés ou pressés par endroits. Le cimetière mu- 
sulman de Siout présente encore aujourd'hui une dispo- 
sition analogue à celle qu'on observe à Saqqarah, et 
nous permet d'imaginer ce que pouvait être la nécropole 
memphite dans les derniers temps ae l'ancien Empire. 
Une plate-forme unie, non dallée, formée par la der- 
nière couche du noyau, s'étend au sommet du cube en 
maçonnerie. Elle est semée de vases en terre cuite, 
enterrés presque à fleur de sol, nombreux au-dessus des 
vides intérieurs,, rares partout ailleurs. Les murs sont 
nus. Les portes sont tournées vers l'est, quelquefois 
vers le nord ou vers le sud, jamais vers l'ouest. On 
en comptait deux, l'une réservée aux morts, l'autre 



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L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



accessible aux vivants ; mais celle du mort n'était 
qu'une niche e'troite et haute, ménagée dans la face 
est, à côté de l'angle nord-est, et au fond de la- 
quelle étaient tracées des raies verticales, encadrant 
une baie fermée. Souvent même on supprimait ce si- 
mulacre d'entrée, et l'âme se tirait d'affaire comme elle 
pouvait. La porte des vivants avait plus ou moins d'im- 
portance, selon le plus 
ou moins de développe- 
ment de la chambre à 





FIG. 112. 



laquelle elle conduisait. Chambre et porte se con- 
fondent plus d'une fois en un réduit sans profondeur, 
décoré d'une stèle It d'une table d'offrandes (fig. m), 
et protégé à l'occasion par un mur qui fait saillie sur 
la façade. On a alors une sorte d'avancée, ouvrant 
vers le nord, carrée au tombeau de Kaâpîr (fig. 112), 
irrégulière dans celui de Nofirhotpou à Saqqarah 
(fig. 1x3). Quand le plan comporte l'existence d'une ou 
de plusieurs chambres, la porte est pratiquée au mi- 
lieu d'une petite façade architecturale (fig. 114), ou 
sous un petit portique soutenu par deux piliers carrés, 



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LES TOMBEAUX. 



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FIG« IIJ. 



sans base et sans abaque (fig. ii5). Elle est d'une sim- 
plicité extrême : deux jambages, ornés de bas-reliefs 
représentant le dé- ,.,..' 



funt et surmontés 
d^un tambour cy- 
lindrique gravé 
aux titre et au nom 
du propriétaire. 
Dans le tombeau 
de Pohounika , à 
Saqqarah, les montants figurent deux pilastres, cou- 
ronnés chacun de deux 
fleurs de lotus en relief : 
c'est là un fait unique 
jusqu'à ce jour. 

La chapelle était gé- 
néralement petite et se 
perdait dans la masse de 
rédifice (fig. 1 16) ; mais aucune règle précise n'en déter- 
minait l'étendue. Dans 
le tombeau de Ti, on 
rencontre d'abord un 
portique (A), puis une 
antichambre carrée 
avec piliers (B), puis un 
couloir (C), flanqué 
d'un cabinet sur la 
droite (D) et débouchant dans une dernière chambre (E) 
(fig. 117). Il y a là de l'espace pour plusieurs per- 
sonnes, et, en effet, la femme de Ti repose à côté de 
son mari. Quand le monument^appartenait^à un seul 

8 




Fie. 11^. 




FIG. 11$. 



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*«+ 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



personnage, pareille complication n'était pas néces- 
saire. Un boyau étranglé et court mène dans une pièce 
oblongue, où il tombe à angle droit, par le milieu. 





itiWÉi 



ÈÊÊÊimm 

FI G, Xl6. 



ÉiÉkf 



Souvent la muraille du fond est lisse, et Fensemble 
offre l'aspect d'une sorte de marteau à têtes égales 
(fig. II 8); souvent aussi, elle se creuse en face de 




FIG. Il8. 



FIG. 119. 



'entrée, et l'on dirait une croix dont le chevet serait 
plus ou moins découpé (fig. 119)- C'était la distribution 
la plus fréquente, mais l'architecte était libre de la re- 
jeter, si bon lui semblait. Telle chapelle consiste de 



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LES TOMBEAUX. 



"5 



deux couloirs parallèles, soudés par un passage trans- 
versal (fig. 120). Dans telle autre, la chambre s'em- 
manche sur le couloir par un des angles (fig. t2i). Ail- 
leurs, dans le tombeau de Phtahhotpou, le terrain con- 
cédé était resserré entre des 
constructions antérieures et 
ne suffisait pas : on a rat- 
taché le mastaba nouveau 
au mastaba ancien, de ma- 
nière à leur donner une en- pic. 120. 
trée commune, et la cha- 
pelle de l'un s'est agrandie de tout l'espace que couvrait 
celle de l'autre (fig. 122). 

La chapelle était la salle de réception du double. 
C'est là que les parents, les amis, les prêtres célébraient 





le sacrifice funéraire aux jours prescrits par la loi, 
« aux fêtes du commencement des saisons, à la fête de 
« Thot, au premier jour de Tan, à la fêle d'Ouaga, à la 
K grande fête de la canicule, à la procession du dieu 
« Mînou, à la fête des pains, aux fêles du mois et de 
« la quinzaine et chaque jour ». Ils déposaient l'of- 
frande dans la pièce principale, au pied de la paroi 



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iï6 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



ouest, au point précis où se trouvait Tentrée de la mai- 
son éternelle du mort. Ce point n'était pas, comme la 
kiblah des mosquées ou des oratoires musulmans, 
orienté toujours vers la même région du compas. On 
le trouve assez souvent h Touest, mais cette position 



J 



i '.- 



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m 



¥lCé. 1A2, 



n'était pas réglementaire. Il était marqué au début par 
une véritable porte, étroite et basse, encadrée et déco- 
rée comme la porte d'une maison ordinaire, mais dont 
la baie n'était point percée. Une inscription, tracée sur 
le linteau en gros caractères bien lisibles, commémo- 
rait le nom et le rang du maître. Des figures en pied 
ou assises étaient gravées sur les côtés et rappelaient 
son portrait aux visiteurs. Un tableau, sculpté ou peint 
sur les blocs qui fermaient la baie de la porte, le mon- 
trait assis devant un guéridon et allongeant la main 
vers le repas qu'on lui apportait. Une table d'offrandes 



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LES TOMBEAUX. 



117 



plate encastrée dans le sol, entre les deux montants, 
recevait les mets et les boissons. Les vivants partis, le 




o 
I 



double sortait de chez lui et mangeait. En principe, la 
cérémonie devait se renouveler d'année en année, jus- 
qu'à la consommation des siècles; mais il n'avait pas 



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ii8 L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

fallu longtemps aux Égyptiens pour s^apercevoir quUl 
n'en pouvait être ainsi. Au bout de deux ou trois géné- 
rations, les morts d'autrefois étaient délaissés au profit 
des morts plus récents. Lors même qu'on établissait des 
fondations pieuses, dont le revenu payait le repas fu- 
nèbre et les prêtres chargés de le préparer, on ne fai- 
sait que reculer l'heure de l'oubli. Le moment arri- 
vait tôt ou tard, où le double en était réduit à cher- 
cher pâture parmi les rebuts des villes, parmi les excré- 
ments, parmi les choses ignobles et corrompues qui 
gisaient abandonnées sur le sol. Pour obtenir que l'of- 
frande consacrée le jour des funérailles conservât ses 
effets à travers les âges, on imagina de la dessiner et de 
l'écrire sur les murs de la chapelle (fig. I23). La repro- 
duction en peinture ou en sculpture des personnes et 
des choses assurait à celui au bénéfice de qui on Pexécu- 
tait la réalité des personnes et des choses reproduites : 
le double se voyait sur la muraille mangeant et bu- 
vant, et il mangeait et buvait. L'idée une fois admise, 
les théologiens et les artistes en tirèrent rigoureusement 
les conséquences. On ne se borna pas à donner des pro- 
visions simulées, on y joignit l'image des domaines 
qui les produisaient, des troupeaux, des ouvriers, des 
esclaves. S'agissait-il de fournir la viande pour l'éter- 
nité ? On pouvait se contenter de dessiner les membres 
d'un bœuf ou d'une gazelle déjà parés pour la cuisine, 
l'épaule, la cuisse, les côtes, la poitrine, le cœur et le 
foie, la tête ; mais on pouvait aussi reprendre de très 
haut l'histoire de l'animal, sa naissance, sa vie au pâ- 
turage, puis la boucherie, le dépeçage, la présentation 
des morceaux. De même, à propos des gâteaux et des 



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LES TOMBEAUX. 



119 



pains, rien n'empêchait qu'on retraçât le labourage, les 
semailles, la moisson, le battage des grains, la rentrée 




Fie. 124. 



au grenier, le pétrissage de la pâte. Les vêtements, les 
parures, le mobilier servaient de prétexte à introduire 




^^mM^'' 










5»,- 






















Fie. 12$. — Phtahhotpou surveillant la rentrée 
des animaux domestiques. 

les fileuses, les tisserands, les orfèvres, les menuisiers. 
Le maître domine bêtes et gens de sa taille surhumaine. 
Quelques tableaux discrets le montrent courant à toutes 



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lio L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

voiles vers Tautre monde, sur le bateau des funérailles, 
le jour où il avait pris possession de son logis nouveau 
(fig. 124). Dans les autres, il est en pleine activité et 
surveille ses vassaux fictifs comme il surveillait jadis 
ses vassaux réels (fig. i25). Les scènes, si variées et si 
désordonnées qu^elles semblent être, ne sont pas rangées 
au hasard. Elles convergent toutes vers le semblant de 
porte qui était censé communiquer avec Tintérieur. Les 
plus rapprochées représentent 
'les péripéties du sacrifice et de 
Toffrande. Au fureta mesure que 
Ton s'éloigne, les opérations et 
les travaux préliminaires s'ac- 
complissent chacun à son tour. 
A la porte, la figure du maître 
semble attendre les visiteurs et 
leur souhaiter la bienvenue. Les 
FIG. laô. détails changent à Tinfini, les 

inscriptions s'allongent ou s'abrè- . 
gent au caprice de Técrivain, la fausse'porte perd son 
caractère architectonique et n'est plus souvent qu'une 
pierre de taille médiocre, une stèle, sur laquelle on con- 
signe le nom du maître et son état civil : grande ou petite, 
nue ou décorée richement, la chapelle reste toujours 
comme la salle à manger, ou plutôt comme le garde- 
manger, où le mort puise à son gré quand il a faim. 

De l'autre côté du mur se cachait une cellule étroite 
et haute, ou mieux un couloir, d'où le nom de serdab^ 
que les archéologues lui prêtent à l'exemple des Arabes. 
La plupart des mastabas n'en ont qu'un ; d'autres en 
contiennent trois ou quatre (fig. 126). Ils ne commu- 




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.LES TOMBEAUX. 121 

niquent pas entre eux ni avec la chapelle, et sont 
comme noyés dans la maçonnerie (fig. 127). S'ils sont 
relie's au monde extérieur, c'est par un conduit ménagé 
à hauteur d'homme (fig. 128) et tellement resserré 
qu'on a peine à y glisser la main. Les prêtres venaient 
murmurer des prières et brûler des parfums à l'orifice: 





FIG. 127. FIG. 128. 

le double était au delà et profitait de l'aubaine ou du 
moins ses statues l'accueillaient en son nom. Comme sur 
la terre, l'homme avait besoin d'un corps pour subsister ; 
mais le cadavre défiguré par l'embaumement ne rappelait 
plus que de loin la forme du vivant. La momie était 
unique, facile à détruire ; on pouvait la brûler, la dé- 
membrer, en disperser les morceaux. Elle disparue, 
qu'adviendrait-il du double? Les statues qu'on enfer- 
mait dans le serdab devenaient, par la consécration, 
les corps de pierre ou de bois du défunt. La piété des 
parents les multipliait, et, par suite, multipliait aussi 
les supports du double ; un seul corps était une seule 
chance de durée pour lui, vingt représentaient vingt 
chances. C'est dans une intention analogue qu'on joi- 
gnait aux statues du mort celles de sa femme, de ses 
enfants, de ses serviteurs, saisis dans les différents 



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laa L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

actes de la domesticité, broyant le grain, pétrissant la 
pâte, poissant les jarres destinées à contenir le vin. Les 
figures plaquées à la muraille de la chapelle s^en dé- 
tachaient et prenaient dans le serdab un corps solide. 
Ces précautions n^empêchaient pas d'ailleurs qu'on 
n'employât tous les moyens pour mettre ce qui restait 
du corps de chair à Tabri des causes naturelles de des- 
truction et des attaques de l'homme. Au tombeau deTi, 
un couloir rapide, qui affleure le sol au milieu de la 
première salle, conduit du dehors au caveau; mais c'est 
là une exception presque unique ; on y descend par 
un puits perpendiculaire, creusé rarement dans un coin 
de la chapelle, d'ordinaire au centre de la plate-forme 
(fig. 129). La profondeur en varie entre 3 et 30 mètres. 
Il traverse la maçonnerie, pénètre dans, le rocher ; au 
fond, vers le sud, un couloir, trop bas pour qu'on y 
chemine debout, donne accès à une chambre. C'est là 
que la momie repose, dans un grand sarcophage en 
calcaire blanc, en granit rose ou en basalte. Il porte 
rarement une inscription, le nom et les titres du mort, 
plus rarement des ornements ; on en connaît pourtant 
qui simulent la décoration d'une maison égyptienne avec 
ses portes et ses fenêtres.* Le mobilier est des plus sim- 
ples : des vases en albâtre pour les parfums, des godets où 
le prêtre avait versé quelques gouttes des liqueurs of- 
fertes au mort, de grandes jarres en terre cuite rouge 
pour l'eau, un chevet en albâtre ou en bois, une palette 
votive de scribe. Après avoir scellé la momie dans la 
cuve qui l'attendait, les ouvriers dispersaient sur le sol 
les quartiers du bœuf ou de la gazelle qu'on venait de 
sacrifier; puis ils muraient avec soin l'entrée du cou- 



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LES TOMBEAUX. 



123 



loir et remplissaient le puits Jusqu'à la bouche d'éclats 
de pierre mêlés de sable et de terre. Le tout, largement 
arrosé, finissait par s'agglutiner en un béton presque 
impénétrable, dont la dureté défiait tout essai de 
profanation. Le corps, livré à lui-même, ne recevait 
plus d'autre visite que celle 
de son âme. L'âme quittait de 
temps en temps la région cé- 
leste où elle voyageait en ^s-i^:^-^- 4 
compagnie des dieux, et des- 
cendait se réunir à la momie. Le caveau 
était sa maison, comme la chapelle était la 
maison du double. 

Jusqu'à la VI* dynastie, le caveau est 
nu ; une seule fois Mariette y a trouve des 
lambeaux d'inscriptions appar- 
tenant au Livre des morts. J'ai 
découvert à Saqqarah, en 1881, 
des tombes où il est orné de 
préférence à la chapelle. Elles 
sont en grosses briques et n'ont pour le sacrifice 
qu'une niche renfermant la stèle. A l'intérieur, le 
puits est remplacé par une petite cour rectangulaire, 
dans la partie occidentale de laquelle on ajustait le 
sarcophage. Au-dessus du sarcophage, on bâtissait en 
calcaire une chambre aussi large et aussi longue que 
lui, haute d'environ i mètre et recouverte de dalles 
posées à plat. Au fond ou sur la droite, on réservait 
une niche qui tenait lieu de serdab. On ménageait 
au-dessus du toit plat une voûte de décharge d'en- 
viron o^jSo de rayon, et, par-dessus la voûte, on plaçait 




FIG. 129. 



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124 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



des lits horizontaux de briques jusqu'au niveau de la 
plate-forme. La chambre occupe les deux tiers environ 
de la cavité et a Taspect d'un four, dont la gueule serait 
restée béante. Quelquefois, les murs de pierre reposent 
sur le couvercle même du sarcophage, et la chambre 
n'était achevée qu'après l'enter- 
rement (fig. i3o). Le plus sou- 
vent, ils s'appuient sur deux 
montants de briques, et le sar- 
cophage pouvait être ouvert ou 
fermé à volonté. La décoration, 
tantôt peinte, tantôt sculptée, 
est la même partout. Chaque 
paroi était comme une maison 
où étaient déposés les objets 
dessinés ou énumérés à la sur- 
face ; aussi avait-on soin d'y 
figurer une porte monumentale, 
par laquelle le mort avait accès 
à son bien. Il trouvait sur la 
paroi de gauche un monceau de 
provisions (fig. i3ï) et la table d'offrandes; sur celle du 
fond, .des ustensiles de ménage, du linge, des parfums, 
avec le nom et l'indication des quantités. Ces tableaux 
sont un résumé de ceux qu'on voit dans la chapelle 
des mastabas communs. Si on les a distraits de leur 
place primitive, c'est qu'en les transportant au caveau, 
on les garantissait contre les dangers de destruction, qui 
les menaçaient dans des salles accessibles au premier 
venu, et que leur conservation assurait plus longtemps 
au mort la possession des biens qu'ils représentaient. 




FIG. IjO. 



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LES TOMBEAUX. 



125 



LES PYRAMIDES. 



Les tombes royales ont la forme de pyramides à 
base rectangulaire et sont Téquivalent, en pierre ou en 
brique, du tumulus en terre meuble qu'on amoncelait 




FIG. 131. 

sur le corps des chefs de guerre, aux époques antéhisto- 
riques. Les mêmes ide'es prévalaient sur les âmes des 
rois qui avaient cours sur celles des particuliers. Le 
plan de la pyramide comporte donc les trois parties de 
celui des mastabas : la chapelle, les couloirs, les cham- 
bres funéraires. 

La chapelle est toujours isolée. A Saqqarah, on 
n'en a découvert aucune trace. Elle était probablement, 



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136 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

comme plus tard à Thèbes, située dans le faubourg de la 
ville le plus proche de la montagne. A Gizèh, à Aboiisîr, 
à Dahshour, les débris en sont encore visibles sur le front 
de la façade orientale ou septentrionale. C'était alors un 
véritable temple avec chambres, cours et passages. Les 
fragments de bas-reliefs qui sont parvenus jusqu'à nous 
montrent les scènes du sacrifice et prouvent que la dé- 
coration était identique à celle des salles publiques du 
mastaba. La pyramide proprement dite ne renferme que 
les couloirs et le caveau funèbre. La plus ancienne dont 
les textes nous certifient l'existence, au nord d'Abydos, 
est celle de Snofrou ; les plus modernes appartiennent 
aux princes de la XII^ dynastie. La construction de ces 
monuments a donc été, pendant treize ou quatorze siè- 
cles, une opération courante, prévue par l'administra- 
tion. Le granit, Talbâtre, le basalte destinés au sarco- 
phage et à certains détails, étaient les seuls matériaux 
dont l'emploi et la quantité ne fussent pas réglés à 
l'avance et qu'il fallût aller chercher au loin. Pour se 
les procurer, chaque roi envoyait un des principaux 
personnages de la cour en mission aux carrières de la 
haute Egypte, et la célérité avec laquelle on rapportait 
les blocs était un titre puissant à la faveur du souve- 
rain. Le reste n'exigeait pas tant de frais. Si le gros 
œuvre était en brique, on moulait la brique sur place, 
avec la terre prise dans la plaine au pied de la colline. 
S'il était en pierre, les parties du plateau les plus voi- 
sines fournissaient le calcaire marneux à profiision. On 
réservait d'ordinaire à la construction des chambres et 
au revêtement le calcaire de Tourah, qu'on n'avait 
même pas la peine de faire venir spécialement de l'autre 



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LES TOMBEAUX. 127 

côté du Nil. Memphis avait des entrepôts toujours 
pleins, où Ton puisait sans cesse pour les édifices pu- 
blics, et par conséquent pour la tombe royale. Les 
blocs, pris dans ces réserves et apportés en barque jusque 
sous la montagne, montaient à l'emplacement choisi par 
l'architecte, le long de chaussées inclinées doucement. 
La disposition intérieure, la longueur des couloirs, la 
hauteur sont très variables ; la pyramide de Khéops 
culminait à 145 mètres environ au-dessus du sol, la plus 
petite n'atteignait pas 10 mètres. Comme il est malaisé 
de concevoir aujourd'hui quels motifs ont déterminé 
les Pharaons à choisir des proportions aussi différentes, 
on a pensé que la masse bâtie était en proportion di- 
recte du temps consacré à la bâtir, c'est-à-dire de la du- 
rée de chaque règne. Dès qu'un prince montait sur le 
trône, on aurait commencé par lui ériger à la hâte une 
pyramide assez vaste pour contenir les parties essen- 
tielles du tombeau ; puis, d'année en année, on aurait 
ajouté des couches nouvelles autour du noyau primitif, 
jusqu'au moment où la mort arrêtait à jamais la crois- 
sance du monument. Les faits ne justifient pas cette hy- 
pothèse. La moindre des pyramides de Saqqarah appar- 
tient à Ounas, qui régna trente ans; mais les deux im- 
posantes pyramides de Gizèh ont été édifiées par Khéops 
et par Khéphrên, qui gouvernèrent l'Egypte l'un vingt- 
quatre, l'autre vingt-trois ans. Mirinri, qui mourut fort 
jeune, a une pyramide aussi grande que Pepi II, qui 
prolongea sa vie au delà de quatre-vingt-dix ans. Le 
plan de chaque pyramide était tracé une fois pour toutes 
par l'architecte, selon les instructions qu'il avait reçues 
et les ressources qu'on plaçait à sa disposition. Une fois 



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128 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

mis en train, rexécution s'en poursuivait jusqu'à complet 
achèvement des travaux, sans se développer ni se res- 
treindre. 

Les pyramides devaient avoir les faces aux quatre 
points cardinaux, comme les mastabas; mais, soit ma- 
ladresse, soit négligence, la plupart ne sont pas orien- 
tées exactement, et plusieurs s'écartent sensiblement du 
nord vrai. Sans parler des ruines d'Abou-Roash et de 
Zaouiét-el-Aryân, qui n'ont pas encore été étudiées 
d'assez près, elles se partagent naturellement en six 
groupes, distribués du nord au sud sur la lisière du 
plateau de Libye, de Gizèh au Fayoum, par Abousîr, 
Saqqarah, Dahshour et Lisht. Le groupe de Gizèh en 
compte neuf, et, dans le nombre,, celles de Khéops, de 
Khéphrên et de Mykérinos, que l'antiquité classait 
parmi les merveilles du monde. Le terrain sur lequel 
le Khéops repose était assez irrégulier, au moment de 
la construction. Un petit tertre qui le dominait fut 
taillé rudement (fig. i32) et englobé dans la maçon- 
nerie, le reste fut aplani et garni de grosses dalles dont 
quelques-unes subsistent encore. La pyramide même 
avait une hauteur de cent quarante -cinq mètres et 
une base de deux cent trente-trois, que l'injure du 
temps a réduites respectivement à cent trente-sept et 
deux cent vingt-sept. Elle garda, jusqu'à la conquête 
arabe, un parement en pierres de couleurs diverses, si 
habilement assemblées qu'on aurait dit un seul bloc du 
pied au sommet. Le travail de revêtement avait com- 
mencé par le haut : la pointe avait été placée la première, 
puis les assises s'étaient recouvertes de proche en proche 
jusqu'à ce qu'on eût gagné le bas. A l'intérieur, tout 



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LES TOMBEAUX. lap 

avait été calculé de manière à cacher le site exact du sar- 
cophage et à décourager les fouilleurs que le hasard ou 
leur persévérance auraient mis sur la bonne voie. Le 
premier point était, pour eux, de découvrir l'entrée sous 
le revêtement qui le masquait. Elle était à peu près au 
milieu de la face nord (fig. 1 32), mais au niveau de la dix- 
huitième assise, à qua- t^ 
rante-cinq pieds envi- y^'l^^ 
ron au-dessus du sol. '.y \ \;-. 
Les dalles qui Tob- // X /= ' \^ 
struaient une fois dé- // Çl^jikj^ \v. 
placées, on pénétrait // ___± IL.,.^^ ^-^:- - 
dans un couloir' in- méâ^i^xjii^i^mKJ ^"-^- ■ - - -/\:mmitmiim^ 
cliné, haut de i^^oô, -cS-^=^=^ 

1 I • FIG. 112. 

large de i%22, prati- ^ 

que en partie dans la roche vive. Il descend l'espace de 
quatre-vingt-dix-sept mètres, traverse une chambre ina- 
chevée (C) et se termine dix-huit mètres plus loin en cul- 
de-sac. C'était un premier désappointement. Si pourtant 
on ne se laissait pas rebuter, et qu'on examinât le passage 
avec soin, on distinguait dans le plafond, à dix-neuf 
mètres de la porte, un bloc de granit qui tranchait sur le 
calcaire environnant (D). Il était si dur que les cher- 
cheurs, après avoir travaillé vainement à le briser ou à le 
déchausser, prirent le parti de se frayer un chemin à 
travers les parties de la maçonnerie construites en une 
pierre plus tendre. L'obstacle tourné, ils débouchèrent 
dans un couloir ascendant, qui se raccorde au premier 
sous un angle de 120 degrés et se divise en deux bran- 
ches (E). L'une s'enfonce horizontalement vers le centre 
de la pyramide et se perd dans une chambre en granit à 



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ijo L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

toit pointu, qu'on appelle, sans raison valable, Chambre 
de la Reine (F). L'autre, tout en continuant à monter, 
change de forme et d'aspect. C'est maintenant une ga- 
lerie longue de 45 mètres, haute de 8'»,5o, bâtie en belle 
pierre du Mokatam, si polie et si finement appareillée 
qu'on a peine à glisser entre les Joints « une aiguille 
ou même un cheveu ». Les assises les plus basses 
portent d'aplomb l'une sur l'autre, les sept suivantes 
s'avancent en encorbellement, de manière que les der- 
nières ne soient plus séparées au plafond que par un 
intervalle de o™,6o. Un obstacle nouveau se dressait 
à l'extrémité (G). Le couloir qui mène à la chambre 
du sarcophage était clos d'une seule plaque de granit; 
venait ensuite un petit vestibule (H), coupé à espaces 
égaux par quatre herses, également en granit, qu'il fal- 
lait briser. Le caveau royal (I) est une chambre en gra- 
nit, à toit plat, haute de 5°',8i, longue de io'",43, large 
de 5™,2o; on n'y voit ni figure ni inscription, rien 
qu'un sarcophage en granit mutilé et sans couvercle. 
Telles étaient les précautions prises contre les hommes : 
l'événement a prouvé qu'elles étaient efficaces, car la 
pyramide garda son dépôt plus de quatre mille ans. 
Mais le poids même des matériaux était un danger plus 
sérieux pour elle. On empêcha le caveau d'être écrasé 
par les cent mètres de pierre qui le protégeaient, en 
ménageant au-dessus de lui cinq pièces de décharge, 
basses et superposées (J). La dernière est abritée par un 
toit pointu, formé de deux énormes dalles appuyées 
par le haut l'une à l'autre. Grâce à cet artifice, la pres- 
sion centrale fut rejetée presque entière sur les faces 
latérales, et le caveau fut respecté. Aucune des pierres 



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: 'J'J ' 



LES TOMBEAUX. iji 

qui le revêtent n'a été écrasée, aucune* n'a cédé d'une 
ligne depuis le jour où les ouvriers l'ont scellée en sa 
place. 

Les pyramides de Khéphrén et de Mykérinos ont été 
bâties à l'intérieur sur un plan différent de celle de 
Khéops. Khéphrén a deux issues, toutes deux tournées 
vers le nord, l'une sur l'esplanade, l'autre à i5 mètres 
au-dessus du sol. Mykérinos possède encore les débris 
de son revêtement de granit rose. Le couloir d'entrée 
descend à un angle de 26^2' et pénètre rapidement 
dans le roc. La première salle qu'il traverse est décorée 
de panneaux sculptés dans la pierre et fermée à la sor- 
tie par trois herses en granit. La seconde pièce parais- 
sait être inachevée, mais ce n'était là qu'une ruse des- 
tinée à tromper les fouilleurs : un couloir ménagé dans 
le sol et soigneusement dissimulé donnait accès au ca- 
veau. Là reposait la momie dans un sarcophage de ba- 
salte sculpté, encore intact au commencement du siè- 
cle : enlevé par Vyse, il a sombré sur la côte d'Espagne 
avec le navire qui le transportait en Angleterre. La 
même variété de disposition prévaut dans le groupe 
d'Abousîr et dans une partie de celui de Saqqarah. La 
grande pyramide de Saqqarah n'est pas orientée exac- 
tement : la face nord s'écarte de 4°, 3 5 du nord vrai. 
Elle n'a point pour base un carré parfait, mais un rec- 
tangle allongé de l'est à l'ouest, de i20"%6o sur 107'", 3o 
de côté. Elle est haute de 59",68et se compose de six 
cubes à pans inclinés , en retraite l'un sur l'autre de 
2 mètres environ : le plus rapproché du sol a 1 1^,48 
d'élévation, le plus éloigné 8"", 89 (fig. i33). Elle est con- 
struite entièrement avec le calcaire de la montagne en- 



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Îj2 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



vironnante. Les matériaux sont petits et mal taillés, les 
lits d'assise concaves, selon la méthode qu'on appli- 
quait également à la construction des quais et des for- 
teresses. Quand on explore les brèches de la maçonne- 
rie, on reconnaît que la face externe de chaque gradin 
est comme habillée de deux enveloppes, dont chacune 
a son parement régulier. La masse est pleine, les 




FIG. 133. 

chambres sont creusées dans le roc au-dessous de la 
pyramide. La principale des quatre entrées donne au 
nord, et les couloirs forment un véritable dédale au mi- 
lieu duquel il est périlleux de s'aventurer : portique à 
colonnes, galeries, chambres, tout aboutit à une sorte 
de puits, au fond duquel était pratiquée une cachette, 
destinée sans doute à contenir les objets les plus pré- 
cieux du mobilier funéraire. Les pyramides qui entou- 
rent ce monument extraordinaire ont été presque toutes 
édifiées sur un modèle unique (fig. 134) et ne se distin- 
guent que par les proportions. La porte s'ouvre juste 
au-dessous de la première assise, vers le milieu de la 
face septentrionale, et le couloir (B) descend, par une 



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LES TOJ^BEAUX. 

pente assez douce, entre des murs en calcaire. Il est 
bouché sur toute son étendue de gros blocs qu'on doit 
briser avant ^e parvenir à la salle d'attente (C). Au sor- 
tir de cette salle, il marche . ^ 
quelque temps encore dans le ' rid^'ltTl 



bâ 



n 


J 

1 

- 1 

] 



PIC. ij4. 

La pyramide d'Ounas. 



calcaire, puis il passe entre quatre ; j^^^^Jj ; 
murs de granit de Syène poli, après 
quoi le calcaire reparaît, et on débouche dans le ves- 
tibule (E). La partie bâtie en granit est interrompue 

trois fois, à 6o ou 8o centi- 
mètres d'intervalle, par 
trois énormes herses de 
granit (D). Au-dessus de 
chacune d'elles se trouve 
un vide, dans lequel elle 
était maintenue par des 
supports qui laissaient le 
passage libre (fig. i35). La 
momie une fois introduite, 
les ouvriers en se retirant 
enlevaient les étais, et les trois herses, tombant en 
place, interceptaient toute communication avec le de- 
hors. Le vestibule était flanqué, à l'est, d'un serdab à 
toit plat, divisé en trois'niches et encombré d'éclats de 
pierre, balayés à la hâte parles esclaves, au moment où 




ïJS. 



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iH L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

Ton nettoyait les chambres pour y recevoir la momie. 
La pyramide d'Ounas les a conservées toutes trois. 
Dans Teti et dans Mirinrî, les murs de séparation ont 
été fort proprement enlevés, dès Pantiquité, et n^ont 
laissé d'autre trace qu'une ligne d'attache et une teinte 
plus blanche de la paroi, aux endroits qu'ils recouvraient 
primitivement. Le caveau (G) s'étendait à Touest du 
vestibule : le sarcophage y était dé- 
posé le long de la muraillti occiden- 



/-. 




FIG. Ij6. 

taie, les pieds au sud, la tête au nord (H). Le toit des 
deux chambres principales était pointu. Il se compo- 
sait de larges poutres en calcaire, accotées l'une à 
l'autre par l'extrémité supérieure, appuyées par en bas 
sur une banquette basse (f) qui courait extérieurement. 
La première poutre était surmontée d'une seconde, 
celle-ci d'une troisième, et les trois réunies (I) proté- 
geaient efficacement le vestibule et le caveau (fig. i36). 
Les pyramides de Gizèh appartenaient à des Pha- 
raons de la IV^ dynastie, et celles d'Abousîr à des Pha- 
raons de la V^ Les cinq pyramides de Saqqarah,dont le 
plan est uniforme, appartiennent à Ounas et aux quatre 
premiers rois de la VI^ dynastie, Teti, Pepi I", Mirinrî, 
PepiII,et sont contemporaines des mastabas à caveaux 



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LES TOMBEAUX. ijj 

peints que j'ai signalés plus haut. On ne s'étonnera 
donc point d'y rencontrer des inscriptions et des orne- 
ments. Partout, les plafonds sont chargés d'étoiles 
pour figurer le ciel de la nuit. Le reste de la décora- 
tion est fort simple. Dans la pyramide d'Ounas, où elle 
joue le plus grand rôle, elle n'occupe que le fond de la 
chambre funéraire ; la partie voisine du sarcophage 
avait été revêtue d'albâtre et ornée à la pointe des 
grandes portes monumentales, par lesquelles le mort 
était censé entrer dans ses magasins de provisions. Les 
figures d'hommes et d'animaux, les scènes de la vie 
courante, le détail du sacrifice n'y sont point repré- 
sentés et n'auraient pas d'ailleurs été à leur place en 
cet endroit. On les retraçait dans les lieux où le double 
menait sa vie publique, et où les visiteurs exécutaient 
réellement les rites de l'offrande; les couloirs et le ca- 
veau où l'âme était seule à circuler ne pouvaient recevoir 
d'autre ornementation que celle qui a rapport à la vie 
de l'âme. Les textes sont de deux sortes. Les moins 
nombreux ont trait à la nourriture du double et sont 
la transcription littérale des formules par lesquelles le 
prêtre lui assurait la transmission de chaque objet au 
delà de ce monde : c'était pour lui une ressource su- 
prême, au cas où les sacrifices réels auraient été sus- 
pendus, et où les tableaux magiques de la chapelle au- 
raient été détruits. La plus grande partie des inscrip- 
tions se rapportaient à l'âme et la préservaient des 
dangers qu'elle courait au ciel et sur la terre. Elles lui 
révélaient les incantations souveraines contre la mor- 
sure des serpents et des animaux venimeux, les mots 
de passe qui lui permettaient de s'introduire dans la 



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13(5 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



compagnie des dieux bons, les exorcismes qui annu- 
laient Pinfluence des dieux mauvais. De même que la 
destinée du double était de continuer à mener Pombre 
de la vie terrestre et s'accomplissait dans la chapelle, 
la destinée de Pâme était de suivre le soleil à travers le 
ciel et dépendait des instructions qu^elle lisait sur les 
murailles du caveau. C'était par leur vertu que Pab- 




^ '- a^.'^^.-T^ . +0 



sorption du mort en Osiris devenait complète et qu'il 
jouissait désormais de toutes les immunités naturelles à 
la condition divine. Là-haut, dans la chapelle, il était 
homme et se comportait à la façon des hommes; ici, il 
était dieu et se comportait à la façon d'un dieu. 

L'énorme massif rectangulaire que les Arabes appel- 
lent Mastabat-el-Faraoun, le siège de Pharaon (fig. 137), 
se dresse à côté de Pepi IL On a voulu y voir, tantôt 
une pyramide inachevée, tantôt une tombe surmontée 
d'un obélisque ; c'est un mastaba royal dont l'intérieur 
présente l'ordonnance d'une pyramide. Mariette croyait 
qu'Ounas y était enterré, mais les fouilles de ces temps 
derniers ont rendu cette attribution impossible. En re- 
vanche , elles semblent montrer que la pyramide méri- 
dionale de Dahshour appartient à Snofrou. Si le fait 



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LES TOMBEAUX. 



n? 



est confirmé par des recherches postérieures, il y a des 
chances pour que le groupe entier soit le plus ancien 
de tous et remonte à la III« dynastie. Il fournit une va- 
riante curieuse du type ordinaire. L'une des pyramides 
en pierre a la moitié inférieure inclinée de 54*^,41' sur 
rhorizon, tandis qu'à partir de mi-hauteur Tinclinaison 
change brusquement et est de 42^,59'; on dirait un 




F/G. 138. 

mastaba couronné d'une mansarde gigantesque. A Lisht, 
on quitte l'ancien empire pour les dynasties thébaines, 
et la structure se modifie encore : le couloir en pente 
aboutit à un puits perpendiculaire, au fond duquel dé- 
bouchaient des chambres envahies aujourd'hui par les 
infiltrations du Nil. Le groupe du Fayoum est tout 
entier de la XII® dynastie, mais les pyramides de Biah- 
mou sont presque entièrement détruites; celle d'Illa- 
houn n'a jamais été explorée, et celle de Méïdoum, 
violée avant le siècle des Ramessides, est vide. Elle 
consiste en trois tours carrées, à pans légèrement incli- 
nés et qui s'étagent en retraite Tune sur l'autre (fig. i38). 
L'entrée est au nord, à seize mètres environ au-dessus 



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«j» L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

du sable. Au delà de vingt mètres, le couloir descend 
dans le roc; à cinquante-trois, il se redresse, s'arrête 
douze mètres plus loin, remonte perpendiculairement 
vers la surface, et affleure dans le sol du caveau, six mè- 
tres et demi plus haut (fig. iSp). Un appareil de 
poutres et de cordes, encore en place au-dessus de Pori- 
fice, montre que les voleurs ont tiré le sarcophage hors 
de la chambre, dès Tantiquité. L'usage 
des pyramides ne cessa pas avec la XI I« dy- 




FIG. Ijp. 



nastie : on en connaît à Manfalout, à Hékalli, au sud 
d'Abydos, à Mohammériah, au sud d'Esnéh. Jusqu'à 
l'époque romaine, les souverains à demi barbares de 
l'Ethiopie tinrent à honneur de donner à leurs tombes 
la forme pyramidale. Les plus anciennes, celle de Nouri, 
où dorment les Pharaons de Napata, rappellent par 
la facture les pyramides de Saqqarah ; les plus mo- 
dernes, celles de Méraouy, présentent des caractères 
nouveaux. Elles sont plus hautes que larges , de petit 
appareil et garnies parfois aux angles de bordures 
carrées ou arrondies. La face orientale est munie d'une 
fausse lucarne, surmontée d'une corniche et flanquée 
d'une chapelle que précède un pylône. Toutes ne sont pas 
muettes : comme sur les murs des tombeaux ordinaires, 
on y a retracé des scènes empruntées au Rituel des Fu- 
nérailles ou aux vicissitudes de la vie d'outre-tombe. 



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LES TOMBEAUX. 



nç 



3° LES TOMBES DE L^EMPIRE THÉBAIN; 
LES HYPOGÉES. 

Les derniers mastabas connus appartiennent à la XI I« 
dynastie, encore sont-ils concentrés dans la plaine 
sablonneuse de Méïdoum et n'ont-ils jamais e'te' achevés. 
Deux systèmes les remplacèrent par toute TÉgypte. Le 
premier conserve la cha- 
pelle construite au-des- 
sus du sol et combine 
la pyramide avec le 
mastaba. Le second 
creuse le tombeau entier 
dans le roc, la chapelle 
comme le reste. 

Le quartier de la né- 
cropole d'Abydos, où 
furent enterrées les gé- 
nérations du vieil em- 
pire ihébain, nous offre 
les exemples les plus an- 
ciens du premier système. Les tombes sont en grosses 
briques crues, noires, sans mélange de paille ni de gra- 
vier. L'étage inférieur est un mastaba à base carrée 
ou rectangulaire, dont le plus long côté atteint quel- 
quefois douze ou quinze mètres; les murs sont perpen- 
diculaires et rarement assez élevés pour qu'un homme 
puisse se tenir debout à l'intérieur. Sur cette façon de 
socle se dresse une pyramide pointue, dont la hauteur 
varie entre quatre et dix mètres, et dont les faces étaient 







FIG. 140. 



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140 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



revêtues d'une couche de pisé unie, peinte en blanc. 
La mauvaise qualité du sol a empêché qu'on y creusât 
la salle funéraire; on s'est donc résigné à la cacher 
dans la maçonnerie. Une sorte de chambre ou plutôt de 
four, voûté en encorbellement, a été ménagé au centre 
et abrite souvent la momie (fig. 140); plus souvent en- 




:n 



FIG. 141. 

core, le caveau a été pratiqué moitié dans le mastaba, 
moitié dans les fondations, et le vide supérieur n'est 
là que pour servir de dégagement (fig. 141). Dans 
bien des cas, il n^ avait aucune chapelle extérieure; la 
stèle, posée sur le soubassement ou encadrée extérieu- 
rement sur la face, marque l'endroit du sacrifice. Ail- 
leurs, on a construit en avancée un vestibule carré oîi 
les parents s'assemblaient (fig. 142). Assez rarement un 
mur d'enceinte construit à hauteur d'appui enveloppe 



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LES TOMBEAUX. 



141 



! '^ 


1 [ 








1 


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1 



FJG. I42. 



le monument et délimite le terrain qui lui appartenait. 
Cette forme mixte demeura fort en usage dans les cime- 
tières de Thèbes, à partir des premières années du 
moyen empire. Plusieurs rois de 
la XI« dynastie et les grands per- 
sonnages de leur cour se firent 
édifier à Drah aboûl Neggah des 
tombes semblables à celles 
d'Abydos (fig. 143). Pendant les 
siècles suivants, les proportions 
relatives du mastaba et de la py- 
ramide se modifièrent; le mas- 
taba, qui n'était souvent qu'un 
soubassement insignifiant, re- 
prit peu à peu sa hauteur pri- 
mitive, tandis que la pyramide 

s'abaissa et finit par n'être plus qu'un pyramidion sans 
importance (fig. 144). Tous ceux de ces tombeaux qui 
ornaient les nécropoles thébaines 
à Tépoque des Ramessides ont 
péri, mais les peintures contem- 
poraines nous en font connaître 
les nombreuses variétés, et la cha- 
pelle d'un des Apis morts sous 
Amenhotpou III est encore là 
pour prouver que la mode s'en 
était étendue à Memphis. Du pyramidion, quelques 
traces subsistent à peine; mais le mastaba est in- 
tact. C'est un massif en calcaire, carré, monté sur 
un soubassement, étayé de quatre colonnes aux an- 
gles et bordé d'une corniche évasée ; un escalier de 




HJ. 



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1+2 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 




A\\\\\\\ui/////7 



n 



Fie. 144. 



cinq marches mène à la chambre intérieure (fig. 145). 
Les modèles les plus anciens du second genre, ceux 
qu^on voit à Gizèh parmi les mastabas de la IV« dynas- 
tie, ne sont ni grands ni très ornés. On 
commença à en soigner Texécution vers 
la VI* dynastie, et dans les localités loin- 
taines, à Bershéh, à Shéikh-Sâid, à Kasr- 
es-Sayad, à Neggadéh. L'hypogée n'at- 
teignit son plein développement qu'un 
peu plus tard, pendant les siècles qui sé- 
parent les derniers rois memphites des 
premiers rois thébains. 

Les parties diverses du mastaba s'y 
retrouvent. L'architecte choisissait de pré- 
férence des veines de calcaire bien en 
vue, sises assez haut dans la montagne pour ne pas être 
menacées par l'exhaussement progressif du sol, assez 
bas pour que le cortège fu- 
nèbre pût y monter aisé- 
ment, et y creusait les 
tombes. Les plus belles ap- 
partiennent aux princi- 
pales familles féodales qui 
se partageaient l'Egypte : 
les princes de Minièh re- 
posent à Béni- Hassan, 
ceux de Khmounou à 

Bershèh, ceux de Siout et d'Éléphantine à Siout même 
et en face d'Assouàn. Tantôt, comme à Siout, à Bers- 
hèh, à Thèbes, elles sont dispersées aux divers étages de 
la montagne ; tantôt, comme à Syène (fig. 146) et à Béni- 




FIG. Ms. 



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LES TOMBEAUX. 



«4J 



Hassan, elles suivent les ondulations du filon et sont 
rangées sur une ligne à peu près droite. Un escalier, 




FI G. I46. 



construit sommairement en pierres à moitié brutes, 
menait de la plaine à l'entrée du tombeau - il est dé- 




FIG. I47, 



truit ou enseveli sous les sables à Béni-Hassan et à 
Thèbes, mais les fouilles récentes ont mis au jour celui 



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•4 + 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



d'une des tombes d'Assouân. Le cortège funèbre, après 
ravoir escaladé lentement, s'arrêtait un moment à ren- 
trée de la chapelle. Le plan n'était pas nécessairement 

uniforme dans un 
^ - ^ -_:-z— -1=^^-1 même groupe. Plu- 

sieursdestombeaux 
de Béni - Hassan 
ont un portique 
dont toutes les par- 
ties, piliers, bases, 
entablement, ont 
été prises dans la 
roche; pour Amoni 
et pour Khnoum- 
hotpou (fig. 147), 
il se compose de 
deux colonnes po- 
lygonales. A Syène 
(fig. 148), la baie 

^J^ * jRfi^ "^*"'^'*'^L -^ étroite qui s'ouvre 

^^V^f t' ^%^^i \ dans la muraille de 

rocher est coupée, 
vers le tiers de sa 
hauteur, par un linteau rectangulaire qui réserve une 
porte dans la porte même. A Siout, l'hypogée d'Hapizoufi 
était précédé d'un véritable porche d'environ 7 mètres 
de haut, arrondi en voûte, peint et sculpté avec amour. 
Le plus souvent on se contentait d^aplanir et de dres- 
ser un pan de montagne sur un espace plus ou moins 
considérable, selon les dimensions qu'on prétendait 
donner au tombeau. Celte opération avait le double 




1^8. 



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LES TOMBEAUX. 



145 



avantage de créer sur le devant une petite plate-forme 
fermée de trois côtés, et de développer en façade une 
surface à peu près verticale, qu'on décorait, ou non, à la 
fantaisie du maître. 
La porte pratiquée 
au milieu, quelque- 
fois n'avait point de 
cadre , quelquefois 
était encadrée de 
deux montants et 
d'un linteau légère- 
ment saillants. Les 
inscriptions , quand 
elle en avait, étaient 
fort simples. Dans 
le haut, une ou 
plusieurs lignes ho- 
rizontales. A droite 
et à gauche, une ou 
deux lignes verti- 
cales, accompagnées 
d'une figurehumaine 
assise ou debout : 
c'était, avec une 
prière, le nom, les 
titres et la filiation du défunt. La chapelle n'a, en gé- 
néral, qu'une seule chambre carrée ou oblongue, au 
plafond plat ou légèrement voûté, sans autre Jour que 
de la porte. Quelquefois des piliers, taillés en pleine 
pierre au moment de l'excavation, lui donnent l'aspect 
d'une petite salle hypostyle. Amoni et Khnoumhot- 




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14(5 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



pou, à Béni-Hassan, avaient chacun quatre de ces pi- 
liers (fig. if}.9); d'autres en ont six ou huit et sont 
d'ordonnance irrégulière. L'hypogée n» 7 était d'abord 
une simple salle à plafond arrondi, de six colonnes sur 
trois rangs. Plus tard, il fut agrandi vers la droite, 
et la partie nouvelle forma une sorte de portique à 

plafond plat supporté par 
quatre colonnes (fig. i5o). 
Ménager un serdab dans 
la roche vive était presque 
impossible, et, d'autre part, 
c'était exposer les statues 
mobiles au vol ou à la mu- 
tilation que les laisser dans 
une pièce accessible à tout 
venant. Le serdab fut trans- 
formé et se combina avec la 
stèle des mastabas antiques. 
La fausse porte d'autrefois 
devint une niche pratiquée 
dans la muraille du fond, presque toujours en face de 
la porte réelle. Les statues du mort et de sa femme y 
trônent, sculptées dans la pierre vive. Les parois sont 
ornées des scènes de l'offrande, et la décoration en- 
tière de l'hypogée converge vers elle, comme celle du 
mastaba convergeait vers la stèle. C'est toujours, dans 
l'ensemble, la même série de tableaux, mais avec des 
additions notables. La marche du cortège funéraire", 
la prise de possession du tombeau par le double, qui 
sont à peine indiquées autrefois, s'étalent avec os- 
tentation sur les murs de l'hypogée thébain. Le con- 




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LES TOMBEAUX. 



ï*r 



voî se déroule avec ses pleureuses, ses troupes d'amis, 
ses porteurs d'offrandes, ses barques, son catafalque 
traîné par des bœufs. Il arrive à la porte ; la momie, 
dressée sur ses pieds, reçoit Padieu de la famille et su- 
bit les dernières cérémonies qui doivent l'initier à la 










FIG. 151. 

vie d'au delà (fig. i5i). Le sacrifice et les prélimi- 
naires qu'il évoque, le labourage, les semailles, la mois- 
son, l'élève des bestiaux, les métiers manuels, sont 
sculptés ou peints, comme jadis, à profusion de cou- 
leurs. Sans doute, bien des détails y figurent qu'on 
ne rencontre pas sous les premières dynasties, ou sont 
absents qui ne manquent Jamais dans le voisinage des 
pyramides; les siècles avaient marché, et vingt siècles 



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1^8 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

changent beaucoup aux usages de la vîe journalière, 
même dans Pindestructible Egypte. On y chercherait 
presque en vain les troupeaux de gazelles privées, car, 
sous les Ramsès, on n^entretenait plus ces animaux 
que par exception à Tétat domestique. En revanche', le 
cheval avait envahi la vallée du Nil, et piaffe sur les 
murs, à Tendroit où paissaient les ggRelles. Les métiers 
sont plus nombreux et plus compliqués, les outils plus 
perfectionnés, les actions du mort plus variées et plus 
personnelles. L'idée d'une rétribution future n'existait 
pas, ou existait peu, au temps où l'on avait réglé la dé- 
coration des tombeaux. Ce que l'homme avait fait ici- 
bas n'avait aucune influence sur k sort qui l'attendait 
dans la mort; bon ou mauvais, du moment que les rites 
avaient été célébrés sur lui et les prières récitées, il 
était riche et heureux. C'en était donc assez pour éta- . 
blir son identité d'énoncer son nom, ses titres, sa filia- 
tion ; on n'avait que faire de décrire son passé par le 
menu. Mais, quand la croyance à dQs récompenses 
ou à des châtiments prédomina dans les esprits, on 
s'avisa qu'il était utile de garantir à chacun le mérite de 
ses actions particulières, et l'on joignit à l'espèce 
d'extrait de l'état civil, qui avait suffi jusqu'alors, des 
renseignements biographiques précis. Quelques mots 
d'abord, puis, vers la VI« dynastie, de vraies pages 
d'histoire où un ministre, Ouni, raconte les services qu'il 
a rendus sous quatre rois ; puis, vers le commencement 
du nouvel empire, des dessins et des tableaux, qui 
conspirent avec l'écriture à immortaliser les faits et 
gestes du maître. Khnoumhotpou de Béni -Hassan 
expose en détail les origines et la grandeur de ses an- 



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LES TOMBEAUX. . 149 

cêtres. Khiti étale sur ses murailles les péripéties 
de la vie militaire : exercices des soldats, danses de 
guerre, sièges de forteresses, batailles sanglantes. La 
XVIII^ dynastie continue, en cela comme en tout, la tra- 
dition des âges précédents. Aï retrace, dans son bel hy- 
pogée de Tell-el-Amarna, les épisodes de son mariage 
avec la fille de Khouniaton. Nofirhotpou de Thèbes 
avait reçu d'Harmhabi la décoration du Collier d'or; il 
reproduit avec complaisance les moindres circonstances 
de l'investiture, le discours du roi, Tannée, le jour où 
lui fut conférée la récompense suprême. Tel autre, qui 
avait travaillé au cadastre, se montre accompagné d'ar- 
penteurs traînant la chaîne et préside à l'enregistrement 
de la population humaine, comme Ti présidait jadis au 
dénombrement de ses bœufs. La stèle elle-même parti- 
cipe au caractère nouveau que revêt la décoration mu- 
rale. Elle proclame, outre les prières ordinaires, le pa- 
négyrique du mort, le résumé de sa vie, trop rarement 
son cursus honorum avec dates à l'appui. 

Quand l'espace le permettait, le caveau tombait di- 
rectement sous la chapelle. Le puits, tantôt était prati- 
qué au coin d'une des chambres, tantôt s'amorçait au 
dehors en avant de la porte. Dans les grandes nécro- 
poles, à Thèbes par exemple ou à Memphis, la super- 
position des trois parties n'était pas toujours possible ; 
à vouloir donner au puits la profondeur normale, on 
risquait d'effondrer les tombeaux situés à l'étage infé- 
rieur de la montagne. On remédia à ce danger, soit en 
poussant fort loin un couloir, à l'extrémité duquel on 
forait le puits, soit en disposant, sur un même plan ho- 
rizontal ou modérément incliné, les pièces que le mas- 



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150 L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

taba plaçait sur un même plan vertical. Le couloir est 
alors percé au milieu de la paroi du fond ; la longueur 
moyenne en varie entre 6 et 40 mètres. Le caveau est 
presque toujours petit et sans ornement, ainsi que le 
couloir. L'âme, sous les dynasties thébaines, se passait 
aussi bien de décoration que sous les dynasties mem- 
phites; mais quand on se décidait à garnir les murailles, 
les figures et les inscriptions avaient trait à sa vie et fort 
peu à la vie du double. Au tombeau de Harhotpou, qui 
est du temps des Ousirtasen, et dans les hypogées du 
même genre, les murs, celui de la porte excepté, sont 
partagés en deux registres. Le supérieur appartient au 
double et porte, avec la table d'offrandes, l'image des 
mêmes objets de ménage qu'on voit dans certains mas- 
tabas de la VI® dynastie : étoffes, bijoux, armes, parfums, 
dont Harhotpou avait besoin pour assurer à ses mem- 
bres une éternelle jeunesse. L'inférieur était au double 
et à l'âme, et on lit les fragments de plusieurs livres 
liturgiques, Livre des morts, Rituel de V embaumement, 
Rituel des funérailles, dont les vertus magiques proté- 
geaient l'âme et soutenaient le double. Le sarcophage 
en pierre et le cercueil lui-même sont noirs d'écriture. 
De même que la stèle était comme le sommaire de la 
chapelle entière, le sarcophage et le cercueil étaient le 
sommaire du caveau et formaient comme une chambre 
sépulcrale dans la chambre sépulcrale. Textes, tableaux, 
tout ce qu'on y voit a trait à la vie de l'âme et à sa 
sécurité dans l'autre monde. 

A Thèbes comme à Memphis,ce sont les tombes des 
rois qu'il convient de consulter, si l'on veut juger du 
degré de perfection auquel pouvait atteindre la décora- 



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Lf;S TOMBEAUX. iji 

tion des couloirs et du caveau. Des plus anciennes, qui 
étaientsituées dans la plaine ou sur le versant méri- 
dional de la montagne, rien ne subsiste aujourd'hui. 
Les momies d'Amenhotpou P' et de Thoutmos III, de 
Soqnounrî et d'Ahhotpou ont survécu à l'enveloppe de 
pierre qui était censée les défendre. Mais, vers le mi- 
lieu de la XVI II® dynastie, toutes les bonnes places 
étaient prises, et Ton dut chercher ailleurs un terrain 
libre où établir un nouveau cimetière royal. On alla 
d'abord assez loin, au fond de la vallée qui débouche 
vers Drah abou'l Neggah; Amenhotpou III, Aï, d'autres 
peut-être, y furent enterrés; puis on songea à se 
rapprocher de la ville des vivants. Derrière la colline 
qui borne au nord la plaiije thébaine, se creusait jadis 
une sorte de bassin, fermé de tous les côtés, et sans 
autre communication avec le reste du monde que des 
sentiers périlleux. Il se divise en deux branches, croi- 
sées presque en équerre : l'une regarde le sud-est, 
tandis que l'autre 's'allonge vers le sud-ouest et se di- 
vise en rameaux secondaires. A l'est, une montagne se 
dresse, dont la croupe rappelle, avec des proportions 
gigantesques, le profil de la pyramide à degrés de Saq- 
qarah. Les ingénieurs remarquèrent que ce vallon 
était séparé du ravin d'Amenhotpou III par un simple 
seuil d'environ 5oo coudées d'épaisseur. Ce n'était 
pas de quoi effrayer des mineurs aussi exercés que 
l'étaient les Égyptiens. Ils taillèrent dans la roche vive 
une tranchée, profonde de 5o à 60 coudées, au bout 
de laquelle un passage étranglé, semblable à une porte, 
donne accès dans le vallon. Est-ce sous Harmhabi, 
est-ce sous Ramsès I" que fut entrepris ce travail gi- 



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152 L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

gantesque? Ramsès 1°' est le plus ancien roi dont on 
ait retrouvé la tombe en cet endroit. Son fils Séti I", 
puis son petit-fils Ramsès II vinrent s'y loger à ses 
côtés, puis les. Ramsès Pun après l'autre; Hrihor fut 
peut-être le dernier et ferma la série. Ces tombeaux 
réunis ont- valu à la vallée le nom de Vallée des Rois, 
qu'elle a gardé jusqu'à nos jours. 

Le tombeau n'est pas là tout entier. La chapelle est 
au loin dans la plaine, à Gournah, au Ramesséum, à 
Médinét-Habou, et nous l'avons déjà décrite. Comme 
la pyramide memphite, la montagne thébaine ne ren- 
ferme que les couloirs et le caveau. Pendant le jour, 
l'âme pure ne courait aucun danger sérieux ; mais le 
soir, au moment où les eaux éternelles, qui roulent sur 
la voûte des cieux, tombaient vers l'Occident en larges 
cascades et s'engouffraient dans les entrailles de la 
terre, elle pénétrait, avec la barque du soleil et son cor- 
tège de dieux lumineux,, dans un monde semé d'em- 
bûches et de périls. Douze heures durant, l'escadre di- 
vine parcourait de longs corridors sombres, où des 
génies, les uns hostiles, les autres bienveillants, tantôt 
s'efforçaient de l'arrêter, tantôt l'aidaient à surmonter 
les difficultés du voyage. D'espace en espace, une porte, 
défendue par un serpent gigantesque, s'ouvrait devant 
elle et lui livrait l'accès d'une salle immense, remplie 
de flamme et de fumée, de monstres aux figures hi- 
deuses et de bourreaux qui torturaient les damnés ; 
puis les couloirs recommençaient étroits et obscurs, et 
la course à l'aveugle au sein des ténèbres, et les luttes 
contre les génies malfaisants, et l'accueil joyeux des 
dieux propices. A partir du milieu de la nuit, on re- 



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LES TOMBEAUX. 



i$l 



montait vers la surface de la terre. Au matin, le soleil 
avait atteint Pextrême limite de la contrée téne'breuse 
et sortait à Torient pour éclairer un nouveau jour. Les 
tombeaux des rois étaient construits sur le modèle du 
monde infernal. Ils avaient leurs couloirs, leurs portes, 
leurs salles voûtées, qui pénétraient profondément au 



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FI G. I5'J. 



sein de la montagne. La distribution dans la vallée n^en 
était déterminée par aucune considération de dynastie 
ou de succession au trône. Chaque souverain attaquait 



E 



:-e 



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"Il 



3=3 



FIG. 15). 



le rocher à l'endroit où il espérait rencontrer une veine 
de pierre convenable, et avec si peu de souci des prédé- 
cesseurs, que les ouvriers durent parfois changer de di- 
rection pour éviter d'envahir un hypogée voisin. Les 
devis deParchitecte n'étaient qu'un simple projet, qu'on 
modifiait à volonté et qu'on ne se piquait pas d'exécu- 
ter fidèlement; ainsi les mesures et la distribution 
réelles du tombeau de Ramsès IV {ûg, i52) sont en 
désaccord avec les cotes et l'agencement du pian qu'un 
papyrus du musée de Turin nous a conservé (fig. i53). 



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ii4 L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

Rien pourtant n^était plus simple que la disposition 
géne'rale : une porte carrée, très sobre d'ornements, un 
couloir qui aboutit à une chambre plus ou moins éten- 
due, au fond de laquelle s'ouvre un second corridor 
qui conduit à une seconde chambre, et de là parfois à 
d'autres salles, dont la dernière renfermait le cercueil. 
Dans quelques tombeaux, le tout est de plaîn-pied et 
une pente douce, à peine coupée par deux ou trois 
marches basses, conduit de l'entrée à la paroi du fond. 



HE 




FI G. I$4. 

Dans d'autres, les parties sont disposées en étage l'une 
derrière l'autre. Un escalier long et raide, et un corri- 
dor en pente (A) mènent, chez Séti P"^ (fig. 154), à un pre- 
mier appartement (B) , composé d'une petite antichambre 
et de deux salles à piliers. Un second escalier (C), ouvert 
dans le sol de l'antichambre, mène à un second apparte- 
ment (D) plus -vaste que le premier, et qui abritait le sar- 
cophage. Le tombeau n'était pas destiné à s'arrêter là. 
Un troisième escalier (E) avait été pratiqué au fond delà 
salle principale, qui devait sans doute mènera un nou- 
vel ensemble de pièces : la mort du roi a seule arrêté 
les ouvriers. Les variantes de plan ne sont pas très 
considérables, si on pas^e d'un hypogée à l'autre. Chez 
Ramsès III, la galerie d'entrée est flanquée de huit pe- 



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LES TOMBEAUX. 



>S$ 



tites cellules late'rales. Presque partout ailleurs, on 
ne remarque de différences que celles qui proviennent 
du degré d'achèvement des peintures et du plus ou 
moins d'étendue des couloirs. Le plus petit des hypo- 
gées s'arrête à i6 mètres, celui de Séti I", qui est le plus 
long, descend jusqu'à plus de i5o mètres et n'est pas 
achevé. Les mêmes ruses qui avaient servi aux ingé- 
nieurs des pyramides servaient à ceux des syringes 
thébaines pour dépister les recherches des malfaiteurs, 
faux puits destinés à dérouter les indiscrets, murailles 
peintes et sculptées bâties en travers des couloirs; 
l'enterrement terminé, on obstruait l'entrée avec des 
quartiers de roche, et on rétablissait du mieux qu'on 
pouvait la pente naturelle de la montagne. 

Séti I" nous a légué le type le plus complet que 
nous possédions de ce genre de sépulture; figures et 
hiéroglyphes y sont de véritables modèles de dessin et 
de sculpture gracieuse. L'hypogée de Ramsès III est 
déjà inférieur. La plus grande partie en est peinte assez 
sommairement : les jaunes y abondent, les bleus et les 
rouges rappellent les tons que les enfants choisissent 
pour leurs premiers barbouillages. Plus tard, la mé- 
diocrité règne en souveraine, le dessin s'amollit, les 
couleurs deviennent de plus en plus criardes, et les der- 
niers tombeaux ne sont plus que la caricature lamen- 
table de ceux de Séti I" et de Ramsès III. La décoration 
est la même partout, et partout procède du même prin- 
cipe qui a présidé à la décoration des pyramides. 
AThèbes comme à Memphis, il s'agissait d'assurer au 
double la libre jouissance de sa maison nouvelle, 
d'introduire Tàmc au milieu des divinités du cycle 



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i5(S L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE:. 

solaire et du cycle osirien, de la guider à travers le dé-, 
dale des régions infernales ; mais les prêtres thébaîns 
s'ingéniaient à rendre sensible aux yeux parle dessin ce 
que les Memphites confiaient par l'écriture à la mé- 
moire du mort, et lui accordaient de voir ce qu'il était 
jadis obligé de lire sur les parois de sa tombe. Où les 
textes d'Ounas racontent qu'Ounas, identifié au soleil, 

navigue sur les 
eaux d'en haut ou 
s'introduit dans les 
Champs Élysées , 
les scènes de Sétil" 
montrent Séti dans 
la barque solaire, 
et celles de Ram- 
pjç ses III, RamsèsIII 

dans les Champs 
Elysées (fig. i55). Où les murs d'Ounas ne donnent que 
les prières récitées sur la momie pour lui ouvrir la 
bouche, lui rendre l'usage des membres, l'habiller, la 
parfumer, la nourrir, ceux de Séti I" représentent la 
momie elle-même et les statues supports du double 
entre les mains des prêtres qui leur ouvrent la bouche, 
les habillent, les parfument, leur tendent les plats di- 
vers du repas funèbre. Les plafonds étoiles des pyra- 
mides reproduisent la figure du ciel, mais sans indiquer 
à l'âme le nom des étoiles ; sur les plafonds de quelques 
syringes, les constellations sont tracées chacune avec 
son image, des tables astronomiques donnent l'état du 
ciel de quinze Jours en quinze jours pendant les mois 
de l'année égyptienne, et Pâme n'avait qu'à lever les 




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LES TOMBEAUX. 157 

yeux pour savoir dans quelle partie du firmament sa 
course la menait chaque nuit. L'ensemble est comme 
un récit illustré des voyages du soleil, et par suite de 
Târae, à travers les vingt -quatre heures du jour. 
Chaque heure est représentée, et son domaine, qui était 
divisé en circonscriptions plus petites dont la porte 
était gardée par un serpent gigantesque, Face de feu. 
Œil de flammey Mauvais œil. La troisième heure du 
jour était celle où se décidait le sort des âmes : le dieu 
Toumou les pesait et leur assignait un séjour selon les 
indications de la balance. L'âme coupable était livrée 
aux cynocéphales assesseurs du tribunal, qui la chassaient 
à coups de verge, après l'avoir changée en truie ou en 
quelque animal impur ; innocente, elle passait dans la 
cinquième heure, où ses pareilles cultivaient les champs, 
fauchaient les épis de la moisson céleste, et, le travail 
accompli, se divertissaient sous la garde des génies bien- 
veillants. Au delà de la cinquième heure, les mers du 
ciel n'étaient plus qu'un vaste champ de bataille : les 
dieux de lumière pourchassaient, entraînaient, enchaî- 
naient le serpent Apopi et finissaient par l'étrangler à 
la douzième heure. Leur triomphe n'était pas de longue 
durée. Le soleil, à peine victorieux, était emporté par le 
courant dans le royaume des heures de la nuit, et dès 
l'entrée, il était assailli, comme Virgile et Dante aux 
portes de l'enfer, par des bruits et par des clameurs épou- 
vantables. Chaque cercle avait sa voix qu'on ne pouvait 
confondre avec la voix des autres : l'un s'annonçait 
comme par un immense bourdonnement de guêpes, l'autre 
comme parles lamentations des femmes et des femelles 
quand elles pleurent les maris et les mâles, l'autre comme 



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i$8 L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

par un grondement de tonnerre. Le sarcophage lui- 
même était chargé de ces tableaux Joyeux ou sinistres. 
Il était d'ordinaire en granit rose ou noir, et si large, 
que souvent il ne pouvait entrer dans la vallée par la 
porte des rois. On devait le hisser à grand'peine au 
sommet de la colline de Déir-el-Baharî, puis, de là, le 
descendre à destination. Comme il était la dernière pièce 
du mobilier funéraire dont on s'occupât, on n'avait pas 
toujours le loisir de l'achever. Quand il était terminé, 
les scènes et les textes qui le couvrent en faisaient le 
résumé de l'hypogée entier. Le mort y retrouvait une 
fois de plus l'image de ses destinées surhumaines et y 
apprenait à connaître le bonheur des dieux. Les tombes 
privées recevaient rarement une décoration aussi com- 
plète ; cependant deux hypogées de la XXVI® dynastie, 
celui de Pétaménophis à Thèbes et celui de Bokenranf 
à Memphis, peuvent rivaliser sous ce rapport avec les 
syringes royales. Le premier renferme une édition com- 
plète du Livre des morts, le second de longs extraits du 
même livre et des formules qui remplissent les pyra- 
mides. 

Chaque partie de la tombe, comme elle avait sa 
décoration, avait son mobilier particulier. Il ne reste 
que peu de traces de celui de la chapelle : la table 
d'offrandes qui était en pierre est d'ordinaire tout ce qui 
en subsiste. Les objets déposés dans le serdab, dans les 
couloirs, dans le caveau, ont mieux résisté aux ravages 
du temps et des hommes. Sous l'ancien empire, les 
statues étaient toujours confinées dans le serdab. La 
chambre ne renfermait guère, en dehors du sarcophage, 
que des chevets en calcaire et en albâtre, des oies en 



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LES TOMBEAUX. 159 

pierre, rarement des palettes de scribe, très souvent des 
vases de formes diverses en terre cuite, en diorite, en 
granit, en albâtre, en calcaire compact, enfin des provi- 
sions de graines alimentaires, et les ossements des 
victimes sacrifiées le jour de l'enterrement. Sous les 
dynasties thébaines, le ménage du mort devint plus 
complet et plus riche. Les statues des domestiques et de 
la famille, qui jadis accompagnaient dans le serdab les 
statues du mort, sont reléguées au caveau et diminuent 
de taille. En revanche, bien des objets qui jadis étaient 
simplement représentés sur la muraille s'en sont déta- 
chés : ainsi les barques funéraires avec leur équipage, 
la momie, les pleureuses, les prêtres, les amis éplorés, 
les offrandes, pains en terre cuite estampés au nom du 
maître, et qu'onappelle improprement cônes funéraires, 
grappes de raisin et moules en calcaire avec lesquelles 
le mort était censé se fabriquer à lui-même des bœufs, 
des oiseaux, des poissons en pâte qui lui tenaient lieu 
des animaux en chair. Le mobilier, les ustensiles de 
toilette et de cuisine, les armes, les instruments de 
musique abondent, la plupart brisés au moment de la 
mise au tombeau; on les tuait de la sorte afin que leur 
âme allât servir l'âme de l'homme dans l'autre monde. 
Les petites statuettes en pierre, en bois, en émail bleu, 
blanc ou vert, sont jetées par centaines et même par 
milliers au milieu de l'amas des meubles et des provi- 
sions. Ce sont d'abord à proprement parler des réduc- 
tions des statues du serdab, destinées comme elles à ser- 
vir de corps au double, puis à l'âme; on les habille alors 
comme l'individu dont elles portent le nom s'habillait 
pendant la vie. Plus tard, leur rôle s'amoindrit, et leurs 



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i6o L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE, 

fonctions se bornèrent à répondre pour le maître, et 
à exécuter, en son lieu et place, les travaux et la corvée 
dans les champs célestes, quand il y était convoqué par 
les dieux. On les appelle alors répondants (Oushbiti), 
on leur met au poing les instruments de labourage, et 
on leur donne presque toujours la semblance d'un 
corps momifié, dont les mains et le visage seraient déga- 
gés des bandelettes. Les canopes, avec leurs têtes d'éper- 
vier, de cynocéphale, de chacal et d'homme, étaient ré- 
servés, dès la XI« dynastie, aux viscères qu'on était 
obligé d'extraire de la poitrine et du ventre pendant 
l'embaumement. La momie elle-même se charge de 
plus en plus de cartonnages, de papyrus, d'amulettes 
qui lui font comme une armure magique, dont chaque 
pièce préserve les membres et l'âme qui les anime de 
la destruction. 

En théorie, chaque Égyptien avait droit à une maison 
éternelle, édifiée sur le plan dont je viens d'indiquer les 
transformations ; mais les petites gens se passaient fort 
bien de tout ce qui était nécessaire aux morts de condi- 
tion. On les enfouissait où la place coûtait le moins, 
dans de vieilles tombes violées et abandonnées, dans des 
fissures naturelles de la montagne, dans des puits ou 
dans des fosses communes. A Thèbes, au temps des 
Ramessides, de grandes tranchées creusées dans le 
sable attendaient les cadavres. Les rites accomplis, les 
fossoyeurs recouvraient légèrement les momies de la 
journée, parfois isolées, parfois associées par deux ou 
trois, parfois empilées, sans qu'on eût cherché à les dis- 
poser par couches régulières. Quelques-unes n'avaient 
de protection que leurs bandages, d'autres étaient enve- 



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LES TOMBEAUX. i6i 

loppées de branches de palmier liées en façon de bour- 
riche. Les plus soignées ont une boîte en bois mal dé- 
grossie, sans inscription ni peinture. Beaucoup sont 
affublées de vieux cercueils d'occasion, qu'on ne s'était 
pas donné la peine d'ajuster à la taille du nouveau pro- 
priétaire, ou sont jetées dans une caisse fabriquée avec 
les débris de deux ou trois caisses brisées. De mobilier 
funéraire, il n'en était point question pour des ma- 
rauds pareils; tout au plus ont-ils avec eux une paire 
de souliers en cuir, des sandales en carton peint ou en 
osier tressé, un bâton de voyage pour les chemins 
célestes, des bagues en terre émaillée, des bracelets ou 
des colliers d'un seul fil de petites perles bleues, des 
figurines de Phtah, d'Osiris, d'Anubis, d'Hathor, de 
Bastit, des yeux mystiques, des scarabées, surtout des 
cordes roulées autour du bras; du cou, de la jambe, 
de la taille, et destinées à préserver le cadavre des in- 
fluences magiques. . 



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. CHAPITRE IV 
LA PEINTURE ET LA SCULPTURE 

Les bas-reliefs et les statues qui décoraient les temples 
ou les tombeaux étaient peints pour la plupart. Le 
granit, le basalte, le diorite, la serpentine, Talbâtre, les 
pierres colorées naturellement, échappaient parfois à 
cette loi de polychromie : le grès, le calcaire, le bois y 
étaient soumis rigoureusement, et, si on rencontre quel- 
ques monuments de ces matières qui ne sont pas enlu- 
minés, la couleur a disparu par accident, ou la pièce 
est inachevée. Le peintre et le sculpteur étaient donc 
presque inséparables Tun de Tautre. Le premier avait à 
peine achevé son œuvre que le second s^en emparait, et 
souvent le même artisan s'^entendait à manier le pinceau 
aussi bien que la pointe. 

§ I. — LE DESSIN ET LA COMPOSITION. 

Nous ne connaissons pas les méthodes que les'Égyp- 
tiens employaient à l'enseignement du dessin. La pra- 
tique leur avait appris à déterminer les proportions 
générales du corps et à établir des relations constantes 
entre les parties dont il est constitué, mais ils ne s'étaient 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. i<5} 

jamais inquiétés de chiffrer ces proportions et de les 
ramener toutes à une commune mesure. Rien, dans ce 
qui nous reste de leurs œuvres, ne nous autorise à croire 
qu'ils aient jamais possédé un canon, réglé sur la lon- 
gueur du doigt ou du pied humain. Leur enseignement 
était de routine et non de théorie. Ils avaient des mo- 
dèles que le maître composait lui-même, et que les 
élèves copiaient sans relâche, jusqu'à ce qu'ils fussent 
parvenus à les reproduire exactement. Ils étudiaient 
aussi d'après nature, comme le prouve la facilité avec 
laquelle ils saisissaient la ressemblance des personnages, 
et le caractère ou le mouvement propre à chaque espèce 
d'animaux. Ils jetaient leurs premiers essais sur des 
éclats de calcaire planés rudement, sur une planchette 
enduite de stuc rouge ou blanc, au revers de vieux ma- 
nuscrits sans valeur : le papyrus neuf coûtait trop cher 
pour qu'on le gaspillât à recevoir des barbouillages 
d'écolier. Ils n'avaient ni crayons ni stylet, mais des 
joncs, dont le bout, trempé dans Teau, se divisait en 
fibres ténues et formait un pinceau plus ou moins fin, 
selon la grosseur de la tige. La palette en bois mince, 
oblongue, rectangulaire, était pourvue à la partie 
inférieure d'une rainure verticale à serrer la calame, 
et creusée à la partie supérieure de deux ou plusieurs 
cavités renfermant chacune une pastille d'encre sèche: 
la noire et la rouge étaient le plus usités. Un petit mor- 
tier et un pilon (fig. i56) pour broyer les couleurs, un 
godet plein d'eau pour humecter et laver les pinceaux, 
complétaient le trousseau de l'apprenti. Accroupi de- 
vant son modèle, palette au poing, il s'exerçait à le re- 
produire en noir, à main levée et sans appui. Le maître 



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i64 L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

revoyait son œuvre et en corrigeait les défauts à Tencre 
rouge. 

Les rares dessins qui nous restent sont tracés sur 
des morceaux de calcaire, en assez mauvais état pour la 
plupart. Le British Muséum en a deux ou trois au trait 
rouge, qui ont peut-être servi 
comme de cartons au décora- 
teur d'un tombeau thébain de 
la XX» dynastie. Un fragment 
FI G. 1^6, du musée de Boulaq porte des 

études d'oies ou de canards à 
l'encre noire. On montre à Turin l'esquisse d'une 
figure de femme, nue au caleçon près, et qui se ren- 
verse en arrière pour faire la culbute: le trait est 
souple, le mouvement gracieux, le modelé délicat. 
L'artiste n'était pas gêné, comme il l'est chez nous 
par la rigidité de l'instrument qu'il maniait. Le pin- 
ceau attaquait perpendiculairement la surface, écra- 
sait la ligne ou l'atténuait à volonté, la prolongeait, 
l'arrêtait, la détournait en toute liberté. Un outil aussi 
souple se prêtait merveilleusement à rendre les côtés 
humoristiques ou risibles de a vie journalière. Les 
Egyptiens, qui avaient l'esprit gai et caustique par na- 
ture, pratiquèrent de bonne heure l'art de la caricature. 
Un papyrus de Turin raconte, en vignettes d'un dessin 
sûr et libertin, les exploits amoureux d'un prêtre chauve 
et d'une chanteuse d'Amon. Au revers, des animaux 
jouent, avec un sérieux comique, les scènes de la vie 
humaine. Un âne, un lion, un crocodile, un singe se 
donnent un concert de musique instrumentale et vo- 
cale. Un lion et une gazelle jouent aux échecs. Le Pha- 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



|6$ 




PIC. IS7' 



raon de tous les rats, monté sur un char traîné par des 
chiens, court à l'assaut d'un fort défendu par des 
chats. Une chatte du monde, coiffée d'une fleur, s'est 
prise de querelle avec une oie : on en est venu aux 
coups, et la volatile malheureuse, qui ne se sent pas de 
force à lutter, culbute d'effroi. Les chats étaient d'ail- 
leurs les animaux favoris des caricaturistes égyptiens. 
Un ostracon du mu- 



sée de New-York 
nous en montre 
deux, une chatte de 
race assise sur un 
fauteuil, en grande 
toilette, et un misé- 
rable matou qui lui 
sert à manger, d'un 
air piteux, la queue entre les jambes (fig. i5y). L'énu- 
mération des dessins connus est courte, comme on le 
voit : l'abondance de vignettes dont on avait coutume 
d'orner certains ouvrages compense notre pauvreté en 
ce genre. Ce sont presque toujours des exemplaires 
du Livre des morts et du Livre de savoir ce qu'ail y 
a dans Venfer, On les copiait par centaines, d'après 
des manuscrits types, conservés dans les temples 
ou dans les familles consacrées héréditairement au 
culte des morts. Le dessinateur n'avait donc aucun 
effort d'imagination à faire. Sa tâche consistait unique- 
ment à imiter le modèle qu'on lui donnait, avec toute 
l'habileté dont il était capable. Les rouleaux du Livre 
de savoir ce qu'il jy a dans Venjer, qui sont parvenus 
jusqu'à nous, ne sont pas antérieurs à la XX« dynastie. 



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166 



L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 



Le faire en est toujours assez mauvais, et les figures ne 
sont le plus souvent que des bonshommes tracés rapi- 
dement et mal proportionnés. Le nombre des exem-. 
plaires du Livre des morts est tellement considérable 
qu'on pourrait, rien qu'avec eux, entrepi^endre une his- 
toire de la miniature en Egypte : d'aucuns remontent en 
effet à la XVIII» dynastie, d'autres sont contemporains 




FIG. 158. 

des premiers Césars. Les plus anciens sont générale- 
ment d'une exécution remarquable. Chaque chapitre 
est accompagné d'une vignette qui représente un dieu, 
homme ou bête, un emblème divin, le mort en adora- 
tion devant la divinité. Ces petits motifs sont rangés 
quelquefois en une seule ligne au-dessus du texte cou- 
rant (fig. i58), quelquefois dispersés à travers les pages, 
comnie les majuscules ornées de nos manuscrits. D'es- 
pace en espace, de grands tableaux occupent toute la 
hauteur du feuillet, l'enterrement au début, le juge- 
ment de l'âme vers le milieu, l'arrivée du mort aux 
champs d'Ialou vers la fin de l'ouvrage. L'artiste avait 
là beau jeu à déployer son talent et à nous donner la 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



167 



mesure de ses forces. La momie d'Hounofir est debout 
devant la stèle et le tombeau (tig. 159); les femmes de 
la famille pleurent sur elle, tandis que les hommes 




'S9. 



jr^l/cfte^rV^ 



et le prêtre lui présentent Poffrande. Les papyrus des 
princes et princesses de la famille de Pinotmou, qui 
sont au musée de Boulaq, montrent que les bonnes 
traditions de Técole se maintinrent, chez les Thébains, 
jusqu'à la XXI° dynastie. La décadencevint rapidement 
sous les règnes suivants, et, pendant des siècles, nous 



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i68 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

ne trouvons plus que des dessins grossiers et sans va- 
leur. La chute de la domination persane produisit une 
renaissance. Les tombeaux de l'époque grecque nous ont 
rendu des papyrus à vignettes soignées, d'un style secet 
minutieux, qui contraste singulièrement avec la manière 
large et hardie des temps antérieurs. Le pinceau à pointe 
large avait été remplacé par le pinceau à pointe fine. 
Les scribes rivalisèrent à qui mènerait les lignes les plps 
déliées, et les traits dont ils se complurent à surcharger 
les accessoires de leurs figures, barbe, cheveux, plis 
du vêtement, sont quelquefois si ténus qu'on a peine 
à les distinguer sans loupe. Si précieux que soient ces 
documents, ils ne suffiraient pas à nous faire apprécier 
la valeur et les procédés de travail des artistes égyp- 
tiens ; c'est aux murailles des temples ou des tombeaux 
que nous devons nous adresser si nous désirons con- 
naître leurs habitudes de composition. 

Les conventions de leur dessin diffèrent sensible- 
ment de celles du nôtre. Homme ou bête, le sujet n'était 
jamais qu'une silhouette à découper sur le fond envi- 
ronnant. On cherchait donc à démêler, parmi les formes, 
celles-là seules qui offrent un profil accentué, et que 
le simple trait pouvait saisir et amener sur une surface 
plane. Pour les animaux, le problème n'offrait rien de 
compliqué : l'échiné et le ventre, la tête et le cou, allon- 
gés parallèlement au sol, se profilent d'une seule venue, 
les pattes sont bien détachées du corps. Aussi les ani- 
maux sont-ils pris sur le vif, avec l'allure, le geste, 
la flexion des membres, particulière à chaque espèce. 
La marche lente et mesurée du bœuf, le pas court,, 
l'oreille méditative, la bouche ironique de Tâne, le 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 169 

trot menu et saccadé des chèvres, le coup de rein du 
lévrier en chasse, sont rendus avec un , bonheur con- 
stant de ligne et d'expression. Et si des animaux domes- 
tiques on passe aux sauvages, la perfection n'est pas 
moindre. Jamais on n'a mieux exprimé qu'en Egypte 
la force calme du lion au repos, la démarche sournoise 
et endormie du léopard, la grimace des singes, la 
grâce un peu grêle de la gazelle et de l'antilope. Il 
n'^était pas aussi facile de projeter l'homme entier sur 
un même plan, sans s'écarter de la nature. L'homme 
ne se laisse pas reproduire aisément par la ligne 
seule, et la silhouette supprime une part trop grande 
de sa personne. La chute du front et du nez, la coupe 
des lèvres, le galbe de l'oreille, disparaissent quand la 
tête est dessinée de face. Il faut, au contraire, que le 
buste soit posé de face pour que la ligne des épaules se 
développe en son entier, et pour que les deux bras 
soient visibles à droite et à gauche du corps. Les con- 
tours du ventre se modèlent mieux lorsqu^on les aper- 
çoit de trois quarts et ceux des jambes lorsqu'on les 
prend décote. Les Égyptiens ne se firent point scrupule 
de combiner, dans la même figure, les perspectives con- 
tradictoires que produisent l'aspect de face et l'aspect 
de profil. La tête, presque toujours munie d'un œil 
de face, est presque toujours plantée de profil sur un 
buste de face, le buste surmonte un tronc de trois 
quarts, et le tronc s'étaye sur des jambes de profil. 
Ce n'est pas qu'on ne rencontre assez souvent des 
figures établies, ou peu s'en faut, selon les règles de 
notre perspective. La plupart des personnages secon- 
daires que renferme le tombeau de Khnoumhoipou 



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170 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

ont essayé de se soustraire à la loi de malformation ; 
ils ont le buste de profil, comme la tête et les jambes, 
mais ils portent en avant tantôt Tune, tantôt Tautre 
des épaules, afin de bien montrer leurs deux bras 
(fig. i6o). L'effet n'est pas des plus heureux, mais exa- 
minez le paysan qui gave une oie, et surtout celui qui 
pèse sur le cou d'une gazelle pour l'obliger à s'ac- 





FIC. 160. FIG. 161. 

croupir (fig. 161): l'action des bras et des reins est 
rendue exactement, la fuite du dos est régulière, les 
épaules, entraînées en arrière par le déplacement des 
bras, font saillir la poitrine sans en exagérer l'ampleur, 
le haut du corps tourne bien sur les hanches. Les lut- 
teurs de Béni-Hassan s'attaquent et s'enlacent, les dan- 
seuses et les servantes des hypogées thëbains se meuvent 
avec une liberté parfaite (fig. 162). Ce sont là des excep- 
tions ; ailleurs, la tradition a été plus forte que la 
nature, et les maîtres égyptiens continuèrent jusqu'à 
la fin à déformer la figure humaine. Leurs hommes et 
leurs femmes sont donc de véritables monstres pour 
l'anatomiste, et cependant ils ne sont ni aussi laids ni 
aussi risibles qu'on est porté à le croire, en étudiant les 
copies malencontreuses que nos artistes en ont faites 
souvent. Les membres défectueux sont alliés aux cor- 
rects avec tant d'adresse, qu'ils paraissent être soudés 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. îfT 

comme naturellement. Les lignes exactes et les fictives 
se suivent et se complètent si ingénieusement qu'elles 
semblent se déduire nécessairement les unes des autres. 
La convention une fois reconnue et admise, on ne sau- 
rait trop admirer Phabileté technique dont témoignent 
beaucoup de monuments. Le trait est net, ferme, lancé 
résolument et longuement mené. Dix ou douze coups 




V \ 




Fie. l6'À, 



de pinceau suffisent à établir une figure de grandeur 
naturelle. Un seul trait enveloppait la tête de la 
nuque à la naissance du cou, un seul marquait le res- 
saut des éjDaules et la tombée des bras. Deux traits 
ondulés à propos cernaient le contour extérieur, du 
creux de l'aisselle à la pointe des pieds, deux arrêtaient 
les jambes, deux les bras. Les détails du costume et de 
la parure, d'abord indiqués sommairement, étaient re- 
pris un à un et achevés minutieusement : on peut 
compter presque les tresses de la chevelure, les plis du 
vêtement, les émaux de la ceinture ou des bracelets. 
Ce mélange de science naïve et de gaucherie voulue, 
d^exécution rapide et de retouche patiente, n'exclut ni 



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172 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

rélégance des formes, ni la grâce et la vérité des atti- 
tudes, ni la justesse des mouvements. Les personnages 
sont étranges, mais ils vivent, et, qui veut se donner la 
peine de les regarder sans préjugé, leur étrangeté même 
leur prête un charme, que n'ont pas des œuvres plus 
récentes et plus conformes à la vérité. 

Les Égyptiens ont donc su dessiner. Ont-ils, comme 




J^E£v;^iiffîJ_ 



FIG. I6j. 



on le dit souvent, ignoré Fart de composer un ensemble ? 
Prenez une scène au hasard dans un des hypogées thé - 
bains, celle qui représente le repas funéraire offert au 
prince Harmhabi parles gens de sa famille (fig. i63). 
Cest un sujet moitié idéal, moitié réel. Le défunt et 
ceux des siens qui sont déjà de son monde y figurent 
à côté des vivants, visibles, mais non mêlés ; ils assistent 
plus qu'ils ne prennent part au banquet. Harmhabi 
siège donc sur un pliant, à la gauche du spectateur. Il 
a sur les genoux une petite princesse, une fille d'Amen- 
hotpou III, dont il était le père nourricier et qui était 
morte avant lui. Sa mère, Sonit, trône à sa droite, en 
retraite, sur un grand fauteuil, et de la main gauche 
lui serre le bras, de l'autre lui tend une fleur de lotus ; 



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r^r^^ '^ ■■•■ 






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17+ L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

une gazelle mignonne, peut-être enterrée auprès d'elle, 
comme la gazelle découverte à côté de la reine Isimkheb 
dans le puits de Déir-el-Baharî, est attachée à Tun des 
pieds du fauteuil. Ce groupe surnaturel est de taille 
héroïque. Assis, Harmhabi et sa mère ont le front de 
niveau avec celui des femmes qui se tiennent debout 
devant eux ; il fallait en effet que les dieux fussent tou- 
jours plus grands que les hommes, les rois plus grands 
que leurs sujets, les maîtres du tombeau plus grands 
que les vivants. Les parents et les amis sont rangés sur 
une seule ligne, la face aux ancêtres, et semblent causer 
entre eux. Le service est commencé. Les jarres de vin et 
de bière, posées à la file sur leurs selles en bois, sont 
déjà ouvertes. Deux jeunes esclaves, puisant à merci dans 
un vase d'albâtre, frottent les vivants d'essences odo- 
rantes. Deux femmes en toilette d'apparat présentent 
aux morts des coupes en métal remplies de fleurs, de 
grains et de parfums, qu'elles déposent au fur et à me- 
sure sur une table carrée ; trois autres accompagnent de 
leur musique et de leur danse Thommage des premières. 
Comme ici le tombeau est la salle du festin, il n'y a 
d'autre fond au tableau que la paroi couverte d'hiéro- 
glyphes, à laquelle les invités étaient adossés pendant la 
cérémonie. Ailleurs, le théâtre de l'action est indiqué 
clairement par des touffes d'herhe ou par des arbres, si 
elle se passe en rase campagne, par du sable rouge, si 
elle se passe au désert, par des fourrés de joncs et de 
lotus, si elle se passe dans les marais. Une femme de 
qualité rentre chez elle (fig. 164). Une de ses filles, 
pressée par la soif, boit un long trait d'eau à même 
une gouUèh ; deux petits enfants nus, un garçon et une 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



I7S 



fillette à tête rase, sont accourus vers la mère jusqu'à 
la porte de la rue, et reçoivent, des mains d'une ser- 
vante, des joujoux qu'on leur a rapporte's du dehors. 
Une treille, habillée de vignes, des arbres charge's de 
fruits poussent au second plan : nous sommes dans un 
jardin, mais la maîtresse et ses deux filles aînées Tout 
traversé sans s'y arrêter et sont entrées dans la maison. 




ne. 165. 

La façade, levée à moitié, laisse voir ce qu'elles font : 
trois servantes leur servent des rafraîchissements. Le ta- 
bleau n'est pas mal composé et pourrait être transcrit sur 
la toile par un moderne sans exiger trop de changements; 
seulement la même maladresse, ou le même parti pris, 
qui obligeait l'Égyptien à emmancher une tête de pro- 
fil sur un buste de face, l'a empêché de disposer ses 
plans en fuite l'un derrière l'autre, et Ta réduit à in- 
venter des procédés plus ou moins ingénieux pour re- 
médier à l'absence presque complète" de perspective. 
Et d'abord, la plupart des personnages qui con- 
courent à une même action étaient rabattus sur un même 
plan, isolés autant que possible, pour éviter que la sil- 
houette de l'un recouvrît celle de l'autre; sinon, on les 
superposait à plat, comme s'ils n'avaient eu que deux 



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I7<5 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



dimensions et point d^épaisseur. Un bouvier qui marche 
au milieu de ses bœufs repose directement sur la ligne 
de terre aussi bien que la bête qui lui cache le ventre et la 
cuisse. Le soldat le plus lointain d^une compagnie qui 
s^avance en bon ordre au son de la trompette a la tête et 
les pieds au même niveau que le soldat le plus voisin 
du spectateur (fig. i65). Lorsque des chars défilent 




FI G. l66, 

devant Pharaon, on jurerait que leure roues s'emboîtent 
exactement dans la même ornière, si la caisse du pre- 
mier ne masquait en partie Tattelage dû second (fig. i66). 
Dans ces exemples, les personnes et les choses sont, 
par accident ou par nature, placées assez près Tune de 
l'autre pour que le défaut ne paraisse pas trop cho- 
quant, et l'artiste égyptien a usé du même procédé 
qu'ont employé plus tard les sculpteurs grecs. Ailleurs, 
il a cherché à s'approcher davantage de la vérité. Les 
archers de Ramsès III à Médinét-Habou font un effort 
presque heureux pour se tenir en perspective : la file 
des casques s'abaisse et celle des arcs se relève régu- 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



177 



lièrement, mais tous les pieds s'appuient sur une seule 
raie de sol, et la ligne qu'ils tracent ne suit pas, comme 
elle devrait, le mouvement des autres lignes (fig. 167). 
Ce mode de représentation n'est pas rare à Pe'poque 
thébaine. On l'adoptait de préférence lorsqu'on vou- 
lait figurer des troupes d'hommes ou d'animaux placées 
sur un rang et entraînées au même acte d'une même 
impulsion ; mais il avait l'in- 
convénient, grave aux yeux 
des Égyptiens, de supprimer 
presque entièrement le corps 
des personnages, le premier 
excepté, et de n'en laisser 
subsister qu'un contour in- 
suffisant. Lors donc qu'on 
ne pouvait ramener toutes les 
figures sur le devant du ta- 
bleau, sans risquer d'en ca- 
cher une partie, on décom- 
posait l'ensemble en plusieurs groupes, dont cha- 
cun représentait un épisode, et qu'on distribuait l'un 
au-dessus de l'autre dans le même plan vertical. La 
hauteur de chacun d'eux ne dépend en rien de la place 
qu'ils occupaient dans la perspective normale, mais 
du nombre d'étages superposés dont l'artiste pensait 
avoir besoin pour rendre complètement sa pensée. Elle 
équivaut d'ordinaire à la moitié du registre principal, 
s'il se contentait de deux étages, au tiers s'il en voulait 
trois, et ainsi de suite. Cependant, lorsqu'il s'agit de 
simples accessoires, le registre qui les contient peut être 
plus bas que les autres ; ainsi, au festin funèbre d'Har- 




FIG. 167. 



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178 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 




IG. 168. 



mhabi, les amphores sont entassées dans un moindre 
espace que celui où siègent les convives. Les scènes 

secondaires étaient séparées le 
plus souvent par une barre 
horizontale, mais le trait de 
division n'était pas indispen- 
sable, et, surtout quand on 
avait à figurer des masses pro- 
fondes d'individus rangées ré- 
gulièrement, les plans verti- 
caux s'imbriquaient, pour ainsi 
dire, l'un sur l'autre, dans des 
proportions variables au ca- 
price du dessinateur. A la ba- 
taille de Qodshou, les files de 
la phalange égyptienne se do- 
minent successivement de toute la hauteur du bubie 
(fig. i68), et celles des 
bataillons hittites se dé- 
passent à peine de la tête 
(fig. 169). Et les déforma- 
tions que subissent les 
groupes d'hommes et d'a- 
nimaux ne sont point 
parmi les plus fortes 
qu'on se soit permises en 
Egypte : les maisons, les 
terrains, les arbres, les 
eaux, ont été défigurés comme à plaisir. Un rectangle, 
posé de champ sur un des côtés longs et rayé de ru- 
bans ondulés, représente un canal ; si vous en dou- 




FIG. 169. 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. i/p 

tez, des poissons et des crocodiles sont là comme en- 
seigne, pour bien montrer que vous devez voir de l'eau 
et non autre chose. Des bateaux sont en équilibre 
sur le bord supérieur, des troupeaux plongés jus- 
qu'au ventre passent à gué, un pêcheur à la ligne 
marque l'endroit où le Nil cesse et où la berge com- 
mence. Ailleurs, le rectangle est comme suspendu 
à mi-tronc de cinq ou six palmiers (fig. 170); on com- 
prend aussitôt que l'eau coule entre deux rangs d'ar- 
bres. Ailleurs encore, au 
tombeau-de Rekhmirî, les 
arbres sont couchés pro- 
prement le long des quatre 
rives, et le profil d'une bar- 
que et d'un mort, hâlés par 
des profils d'esclaves, se 
promènent naïvement sur 
rétangvudeface(fig. 171). * fig. 170. 

Les hypogées thébains de 

l'époque des Ramessides fournissent aisément chacun 
plusieurs exemples d'artifices nouveaux et, quand on 
les a relevés, on finit par ne plus savoir ce qu'on doit 
admirer le plus, l'obstination des Égyptiens à ne pas 
•trouver les lois naturelles de la perspective, ou la fécon- 
dité d'esprit dont ils ont fait preuve pour inventer tant 
de relations fausses entre les objets. 

. Appliqués à de vastes étendues, leurs procédés de 
composition choquent moins qu'ils ne font à des sujets 
de petites dimensions. On sent d'instinct que l'artiste le 
plus habile n'aurait pu se garder de tricher quelquefois 
avec la perspective, s'il avait eu à couvrir les surfaces 




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i8o 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



immenses des pylônes, et cela rend Toeil plus indulgent. 
Aussi bien les motifs qu^on donnait à traiter dans d'aussi 
grands cadres n'offrent jamais une unité rigoureuse. 
Assujettis que les gens étaient à perpétuer le souvenir 
victorieux d'un Pharaon, Pharaon joue nécessairement 




PIC. 171, 



chez eux le premier rôle; mais, au lieu de choisir parmi 
ses hauts faits un épisode dominant, le plus propre à 
mettre sa grandeur en lumière, ils prenaient plaisir à 
juxtaposer tous les moments successifs de ses cam- 
pagnes. Attaque de nuit du camp égyptien par une 
bande d'Asiatiques, envoi par le prince de Khiti d'es- 
pions destinés à donner le change sur ses intentions, 
la maison militaire du roi surprise et enfoncée par les 
chariots hittites, la bataille de Qodshou et ses péripé- 
ties, les pylônes de Louxor et du Ramesséum portent 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



181 



comme un bulletin illustré de la campagne de Ram- 
sès II contre les Syriens en Tan V de son règne: ainsi 




les peintres des premières écoles italiennes déroulaient, 
dans le même milieu, d'une suite non interrompue, les 
épisodes d'une même histoire. Les scènes sont répan- 



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i8a L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

dues irrégulièrement sur la muraille, sans séparation 
matérielle, et l'on est exposé parfois, comme pour les 
bas-reliefs de la colonne Trajane, à mal couper les 
groupes et à brouiller les personnages. Cette manière 
de procéder est réservée presque exclusivement à Part 
officiel. A l'intérieur des temples et dans les tombeaux, 
les parties diverses d'un même tableau sont distribuées 
en registres, qui montent et s'étagent du soubassement 
à la corniche. C'est une difficulté de plus ajoutée à 
celles qui nous empêchent de comprendre les inten- 
tions et la manière des dessinateurs égyptiens ; nous 
nous imaginons souvent voir des sujets isolés, quand 
nous avons devant les yeux les membres disjoints de 
ce qui n'était pour eux 'qu'une même composition. 
Prenez une des parois du tombeau de Phtahhotpou à 
Saqqarah (fig. 172). Si vous désirez saisir le lien qui 
en rattache les parties, comparez-la à un monument 
d'époque gréco-romaine, la mosaïque de Palestrine, 
qui représente à peu près les mêmes scènes, mais 
groupées d'une façon plus conforme à nos habitudes 
d'œil et d'esprit (figi i/S). Le Nil baigne le bas du 
tableau et s'étale jusqu'au pied des montagnes. Des 
villes sortent de l'eau, des obélisques, des fermes, des 
tours de style gréco-italien, plus semblables aux fabri- 
ques des paysages pompéiens qu'aux monuments des 
Pharaons; seul, le grand temple situé au second plan, 
sur la droite, et vers lequel se dirigent deux voyageurs, 
est précédé d'un pylône, auquel sont adossés quatre 
colosses osiriens, et rappelle l'ordonnance générale de 
l'architecture égyptienne. A gauche, des chasseurs, portés 
sur une grosse barque, poursuivent Thippopotame et 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



183 



le crocodile à coups de harpon. A droite, une compa- 
gnie de légionnaires, massée devant un temple et pré- 







cédée d^un prêtre, paraît saluer au passage une galère 
qui file à toutes rames le long du rivage. Au centre, des 



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184 L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

hommeset des femmes à moitié nues chantentet boivent, 
à Tabri d'un berceau sous lequel coule un bras du Nil. 
Des canots en papyrus montés d'un seul homme, des 
bateaux de formes diverses comblent les vides de la com- 
position. Le désert commence derrière la ligne des édi- 
fices, et Peau forme de larges flaques que surplombent 
des collines abruptes. Des animaux réels ou fantastiques, 
poursuivis par des bandes d'archers à tête rase, occupent 
la partie supérieure du tableau. De même que le mo- 
saïste romain, le vieil artiste égyptien s'est placé sur le 
Nil et a reproduit tout ce qui se passait entre lui et 
l'extrême horizon. Au bas de la paroi, le fleuve coule 
à pleins bords, les bateaux vont et viennent, les mate- 
lots échangent des coups de gaffe. Au-dessus, la berge 
et les terrains qui avoisinent le fleuve : une bande 
d'esclaves, cachés dans les herbes, chassent à l'oiseau. 
Au-dessus encore, on fabrique des canots, on tresse la 
corde, on ouvre et on sale des poissons. Enfin, sous la 
corniche, les collines nues et les plaines ondulées du 
désert, où des lévriers forcent la gazelle, où des chas- 
seurs court-vêlus lassent le gibier. Chaque registre 
répond à un des plans du paysage; seulement l'artiste, 
au lieu de mettre les plans en perspective, les a séparés 
et superposés. Partout dans les tombeaux on retrouve 
la même disposition : des scènes d'inondation et de 
vie civile au bas des murailles, dans le haut, la montagne 
et la chasse. Parfois le dessinateur a intercalé entre 
deux des pâtres, des laboureurs, des gens de métier; 
parfois il fait succéder brusquement la région des 
sables à la région des eaux et supprime l'intermédiaire. 
La mosaïque de Palestrine et les parois des tombeaux 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 185 

pharaoniques reproduisent donc un même ensemble de 
sujets, traités d'après les conventions et les procédés de 
cfeux arts différents. Comme la mosaïque, les parois 
des tombeaux forment, non pas une suite de scènes indé- 
pendantes, mais une composition réglée, dont ceux qui 
savent lire la langue artistique de l'époque démêlent 
aisément Tunité, 

§ 2. — LES PROCÉDÉS TECHNIQUES. 

La préparation des surfaces à couvrir exigeait beau- 
coup de temps et beaucoup de soin. Comme l'imper- 
fection des procédés de construction ne permettait pas 
à l'architecte de planer avec exactitude les parements 
extérieurs des murs du temple ou des pylônes, il fallait 
bien que le décorateur s'accommodât d'une surface légè- 
rement bombée ou déprimée par endroits. Du moins 
était-elle formée de blocs à peu près homogènes : les 
filons de calcaire où l'on creusait les hypogées conte- 
naient presque toujours des rognons de silex, des fos- 
siles, des chapelets de coquilles pétrifiées. On remédiait 
à ces défauts de façons différentes, selon que la décora- 
tion devait être peinte ou sculptée. Dans le premier 
cas, après avoir dégrossi la paroi, on appliquait sur la 
surface encore rugueuse un crépi d'argile noire et de 
paille hachée menu, semblable au mélange avec lequel 
on fabriquait la brique. Dans le second, on s'arrangeait 
autant que possible de manière à éviter les inégalités 
de là pierre. Quand elles tombaient dans le champ des 
figures, mais n'offraient point trop de résistance au 
ciseau, on les laissait subsister, sinon on les enlevait 



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i86 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



et on bouchait le trou avec du ciment blanchâtre ou des 
morceaux de calcaire ajustés. Ce n'était point petite 
affaire, et Ton cite telle salle de tombeau où chaque 
paroi est incrustée au quart de dalles rapportées. Ce 
travail préliminaire achevé, on répandait sur Tensemble 
une couche mince de plâtre fin, gâché avec du blanc 




Fie. I7+. 

d'œuf, qui masquait Tenduit ou le rapiéçage, et formait 
un champ lisse et poli, sur lequel le pinceau du dessi- 
nateur pouvait glisser librement. 

On rencontre un peu partout, et jusque dans les 
carrières, des chambres ou parties de chambres inache- 
vées, qui gardent encore Tesquisse à Tencre rouge ou 
noire des bas-reliefs dont elles devaient être revêtues. 
Le modèle, exécuté en petit, était mis au carreau et 
transporté sur la muraille à grande échelle par les aides 
et par les élèves. En quelques endroits, le sujet est 
indiqué sommairement par deux ou trois coups de 
calame hâtifs : tel est le cas pour certaines scènes des 
tombeaux thébains que Prisse a relevées avec soin 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



187 




FIG. 175. 



(fig. 174). Ailleurs, le trait est entièrement terminé et 
les figures n'attendent plus sur le treillis que Tarrivée 
du sculpteur. Quelques praticiens se contentaient de 
déterminer la position des épaules et Taplomb des corps 
par des lignes horizontales et verticales, sur lesquelles 
ils notaient la hauteur du genou, des hanches et des 
membres (fig. lyS). D'autres, plus confiants dans leurs 
propres forces, abordaient 
le tableau à même et pla- 
çaient leurs personnages 
sans secours d'aucune 
sorte; ainsi, les artistes 
qui ont décoré la syringe 
de Séti I*' et les salles 
méridionales du temple 
d'Abydos. Leur trait est si net et leur facilité d'exécu- 
tion si surprenante qu'on les a soupçonnés d'avoir 
employé des poncifs découpés à l'avance. Cest une 
opinion dont on revient bien vite, quand on examine 
de près leurs figures et qu'on se donne la peine de 
les mesurer au compas. La taille est plus mince chez 
les unes, les contours de la poitrine sont plus accen- 
tués chez les autres ou les jambes moins écartées. 
Le maître n'avait pas grand'chose à corriger dans 
l'œuvre de ces gens-là. 11 redressait çà et là une tête, 
accentuait ou atténuait la saillie d'un genou, mo- 
difiait un détail d'ajustement. Une fois pourtant, à 
Kom-Ombo, dans un portique d'époque gréco-romaine, 
plusieurs des divinités du plafond avaient été mal 
orientées et posaient les pieds où elles auraient dû avoir 
le bras : il les a remises en position sur le même car- 



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L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 




FIG. 176. 

Double profil de RamsèsIII. 



reau, sans etfacer l'esquisse primitive. Là, du moins, 
il avait aperçu Terreur à temps : à Karnak, sur la paroi 
septentrionale de la salle hypostyle, et à Médinét-Ha- 
bou, il ne Fa reconnue qu'après que le sculpteur avait 
achevé son travail. Les figures de Séti I" et de Ram- 
sès III penchaient trop en arrière et 
paraissaient prêtes à perdre Téqui- 
libre : il les empâta de ciment ou 
de stuc, puis les fit tailler à nou- 
veau. Aujourd'hui, le ciment est 
tombé, et les traces du premier 
ciseau sont redevenues visibles. 
Séti I*' et Ramsès III ont deux 
profils, l'un à peine marqué, 
l'autre levé franchement sur la 
surface de la pierre (ûg, 176). 

Les sculpteurs égyptiens n'étaient pas aussi bien 
équipés que les nôtres. Un des 
scribes agenouillés en calcaire 
du musée de Boulaq a été taillé 
au ciseau ; les sillons lisses 
qu'avait laissés l'instrument 
sont visibles sur son épiderme. 
Une statue en serpentine grisâ- 
tre du même musée a gardé la 
trace de deux outils différents : 
le corps est tout moucheté des coups de pointe, la tête 
est encore informe, mais le bloc qui les renferme a été 
dégrossi à petits éclats par la marteline. D'autres con- 
statations du même genre et l'étude des monuments nous 
ont appris qu'on employait aussi le violon (fig. 177), la 




FIG. 177. 

Violon conservé à Berlin. 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 189 

gradine, la gouge; mais de longues discussions se sont 
élevées sur la question de savoir si ceux de leurs ins- 
truments qui étaient en métal étaient en fer ou en 
bronze. Le fer, a-t-on dit, était considéré comme impur. 
Personne n'aurait pu l'employer, même aux usages les 
plu$ vils de la vie, sans contracter une souillure pré- 
judiciable à Tâme en ce monde et dans l'autre. Mais 
rimpureté d'un objet n'a jamais suffi • à en empêcher 
l'emploi. Les porcs, eux aussi, étaient impurs. On les 
élevait pourtant et en nombre assez considérable, au 
mpin« dans certains cantons, pour permettre au bon 
Hérodote de raconter qu'on les lâchait sur les champs, 
après les semailles, afin d'enterrer le grain. D'ailleurs 
le fer, comme bien des choses en Egypte, était pur ou 
impur selon les circonstances. Si certaines traditions 
l'appelaient Vos de Typhon et le tenaient pour funeste, 
d'autres aussi anciennes prétendaient qu'il était la ma- 
tière même du firmament, et elles avaient assez d'au- 
torité pour qu'on l'appelât couramment Banijpit, le mé- 
tal céleste. Les quelques outils, dont on a trouvé les 
friigments dans la maçonnerie des pyramides, sont en 
fer, non en bronze, et si les objets antiques en fer sont 
si rares aujourd'hui, par comparaison aux objets en 
bronze, cela tient à ce que le fer n'est pas protégé contre 
la destruction par son oxyde, comme le bronze Test par 
le sien. La rouille le dévore en peu de temps, et c'est 
seulement par un concours de circonstances assez diffi- 
ciles à réunir qu'il se conserve intact. Toutefois, s'il 
est bien certain que les Égyptiens ont connu et employé 
le fer, il est non moins certain qu'ils n'ont jamais pos- 
sédé l'acier, et alors on se demande comment ils s'y 



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I90 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

prenaient pour façonner à leur gré les roches les plus 
dures, celles mêmes qu'on redoute presque d'attaquer 
aujourd'hui, le diorite, le basalte, le granit de Syène. 
Les quelques fabricants d'antiquités qui sculptent en- 
core le granit à l'intention des voyageurs ont résolu le 
problème très simplement. Ils ont toujours à côté d'eux 
une vingtaine de ciseaux ou de pointes en mauvais fer, 
qu'un petit nombre de coups met hors de service. La 
première émoussée, ils passent à une autre, et ainsi de 
suite jusqu'à ce que la provision soit épuisée, après 
quoi ils vont à la forge et font tout remettre en état. Le 
procédé n'est ni aussi long ni aussi pénible qu'on pour- 
rait croire. Un des meilleurs faussaires de Louxor a 
tiré, en moins de quinze jours, d'un fragment de granit 
noir rayé de rouge, une tête humaine de grandeur na- 
turelle qui est au musée de Boulaq. Je ne doute pas 
que les anciens n'aient opéré de même : ils triomphaient 
des pierres dures à force d'user du fer sur elles. Le 
moyen une fois découvert, l'habitude leur avait ensei- 
gné les tours de main les plus .favorables à rendre la 
besogne aisée et à obtenir de leurs outils une exécution 
aussi fine et aussi régulière que celle que nous tirons 
des nôtres. Dès que l'apprenti savait manier la pointe 
et le maillet, le maître le plaçait devant des modèles gra- 
dués qui représentaient les états successifs d'un animal, 
d'une portion de corps humain, du corps humain en- 
tier, depuis l'ébauche jusqu'au parfait 'achèvement 
(fig. 178). On les recueille chaque année en assez grand 
nombre pour établir des séries progressives : quinze 
de ceux qui sont à Boulaq viennent de Saqqarah, qua- 
rante et un de Tanis, une douzaine de Thèbes et de 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 191 

Médinét-el-Fayoum , sans parler des pièces isolées 




FiG. 178. — Dalle ayant servi de modèle. 

qu'on ramasse un peu partout. Ils étaient destinés par- 
tie à l'étude du bas-relief, partie à celle de la statuaire 



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lya ^'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

proprement dite, et nous en font connaître les pro- 
cédés. 

Les Egyptiens traitaient le bas-relief de trois façons 
principales : ou bien c'était une simple gravure à la 
pointe, ou bien ils abattaient le fond autour de la fi- 
gure et la modelaient en saillie sur la muraille, ou bien 
ils réservaient le champ et levaient le motif en relief 
dans le creux. Le premier procédé a Favantage d'aller 
vite et rinconvénient d'être peu décoratif. Ramsès III 
s'en est servi dans quelques endroits, à Médinét-Habou ; 
mais on l'appliquait de préférence aux stèles et aux pe- 
tits monuments. Le dernier diminuait les chances de 
destruction de l'œuvre et la peine de l'ouvrier : il sup- 
primait en effet le dressage des fonds, ce qui était une 
réelle économie de temps, et ne laissait subsister aucune 
saillie à la face du parement, ce qui mettait l'image à 
l'abri des chocs accidentels. Le procédé intermédiaire 
était le plus usité, et on paraît l'avoir enseigné dans les 
écoles de préférence aux autres. Les modèles étaient de 
petites dalles carrées ou rectangulaires, quadrillées pour 
permettre à l'élève d'augmenter ou de réduire son sujet 
sans rien changer aux proportions traditionnelles. 
Quelques-unes sont ouvrées sur les deux plats; la plu- 
part n'ont de sculpture que d'un côté. C'est alors un 
bœuf, une tête de cynocéphale, un bélier, un lion, une 
divinité; de temps en temps, le mêmemotify est répété 
deux fois, à peine dégrossi sur la gauche, fini à droite 
Jusque dans ses moindres détails. Dans aucun cas, la 
figure n'est très élevée au-dessus du fond : elle ne dé- 
passe jamais les cinq millimètres et se maintient ordi- 
nairement plus bas. Ce n'est pas que les Égyptiens 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 19J 

n'aient su fouiller profondément la pierre à Toccasion. 
La décoration atteint jusqu'à seize centimètres de sail- 
lie, à Médinét-Habou et à Karnak, sur le granit et sur 
le grès, dans les parties hautes du temple, et dans celles 
qui sont exposées directement au plein jour; si elle 
était moindre, les tableaux seraient comme absorbés 
par la lumière répandue sur eux et offriraient une masse 
de lignes confuses au spectateur. Les modèles consa- 
crés à Pétude de la ronde bosse sont plus instructifs 
encore que les précédents. Plusieurs de ceux que nous 
possédons sont des moulages en plâtre d'œuvres con- 
nues dans l'école. La tête, les bras, les jambes, le tronc, 
chaque partie du corps était coulée séparément. Vou- 
lait-on une figure complète ? on assemblait les mor- 
ceaux et on avait, selon le cas, une statue d'homme ou 
de femme, agenouillée ou debout, assise sur un siège 
ou accroiipie sur les talons, le bras tendu en avant ou 
au repos le long du buste. Cette collection curieuse a 
été découverte à Tanis et date probablement du temps 
des Ptolémées. Les modèles d'époque pharaonique sont 
en calcaire tendre et représentent presque tous le por- 
trait du souverain régnant. Ce sont de vrais dés à base 
rectangulaire, hauts de vingt-cinq centimètres en 
moyenne. On commençait par établir sur une des faces 
un réseau de lignes croisées à angle droit, et qui ré- 
glaient la position relative des traits du visage, puis on 
attaquait la face opposée, en se guidant d'après l'échelle 
inscrite au revers. L'ovale seul est dessiné nettement 
sur le premier bloc : un saillant au milieu, deux ren- 
trants à droite et à gauche indiquent vaguement la po- 
sition du nez et des yeux. La forme s'accuse à mesure 



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ipt L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

qu'on passe d'un bloc à l'autre, et le visage sort peu à 
peu de la masse où il était enfermé. L'artiste en limite 
les contours, au moyen de tailles menées parallèlement 
de haut en bas, puis abat les angles des tailles et les 
fond de manière à préciser le modelé : les linéaments 
se dégagent, l'œil se creuse, le nez s'affine, la bouche 
s'épanouit. Au dernier bloc, il ne reste plus rien d'in- 
achevé que l'uraeus et le détail de la coiffure. Nous 
n'avons aucun morceau d'école en granit ou en basalte ; 
mais les Égyptiens, comme nos marbriers de cimetière, 
gardaient toujours en magasin des statues de pierre 
dure, à moitié prêtes, et qu'ilspouvaient terminer aisé- 
ment en quelques heures. Les mains, les pieds, le buste 
n'attendent plus que la touche finale, mais la tête est à 
peine dégrossie et l'habit n'est qu'ébauché; une demi- 
journée aurait suffi pour transformer le masque en un 
portrait de l'acheteur et pour mettre le jupori à la mode 
nouvelle. Deux ou trois statues de ce genre nous ré- 
vèlent le procédé aussi clairement que les modèles théo- 
riques auraient pu le faire. La taille régulière et continue 
du calcaire ne convenait pas aux roches volcaniques, 
la pointe seule parvenait à les assouplir et à triompher 
de leur résistance. Lorsqu'à force de patience et de 
temps, elle avait amené l'œuvre au point voulu, s'il y 
avait encore çà et là quelques aspérités, quelques 
noyaux de substances hétérogènes, qu'on n'osait atta- 
quer résolument de peur d'enlever avec elles les parties 
environnantes, on avait recours à un instrument nou- 
veau. L'artiste appuyait sur la parcelle superflue le 
tranchant d'un galet en forme de hache, et d'un second 
galet arrondi, qui remplaçait le maillet, frappait à coups 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 195 

mesurés sur cet engin grossier : le point ainsi traité 
s'écrasait sous le choc et s'en allait en poussière. Les 
menus défauts corrigés, le monument avait encore 
l'aspect fruste et terne. 11 fallait le polir pour faire 
disparaître les cicatrices de la pointe et du marteau. 
L'opération était des plus délicates, un tour de main 
malheureux, une distraction d'un moment, et l'œu- 
vre de longues semaines était gâtée sans retour. La 
dextérité des praticiens rendait un accident assez rare. 
Examine? le Sovkoumsaouf de Boulaq, examinez le 
Ramsès II colossal de Louxor. Les Jeux de lumière 
empêchent d'abord l'œil d'en bien saisir les délicatesses; 
mais si vous vous placez dans un jour favorable, le dé- 
tail du genou et de la poitrine, de l'épaule et du visage, 
n'est pas moins finement exprimé sur le granit qu'il 
ne Test sur le calcaire. Le poli à outrance n'a pas plus 
gâté les statues égyptiennes qu'il n'a fait celles des 
sculpteurs italiens de la Renaissance. 

Au sortir des mains du sculpteur, l'œuvre tombait 
entre celles du peintre. Elle aurait été Jugé imparfaite 
si on lui avait laissé la teinte de la pierre dans laquelle 
elle était taillée. Les statues étaient peintes des pieds à 
la tête. Dans les bas-reliefs, le fond restait nu, les 
figures étaient enluminées. Les Égyptiens avaient à leur 
disposition plus de couleurs qu'on n'est disposé à leur 
en prêter d'ordinaire. Les plus anciennes de leurs pa- 
lettes — et on en connaît qui sont de la V« dynastie — 
ont des compartiments séparés pour le jaune, le rouge, 
le bleu, le brun, le blanc, le noir et le vert. D'autres, à la 
XVI II* dynastie, comptent trois variétés de jaune, trois 
de brun, deux de rouge et de bleu, deux de vert, en 



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iç6 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

tout quatorze ou seize tons diflérents. On obtenait le 
noir en calcinant les os d'animaux. Les autres matières 
employées à la peinture existent naturellement dans le 
pays. Le blanc est du plâtre mêlé d'albumine ou de 
miel, les jaunes sont de l'ocre ou du sulfure d'arsenic, 
l'orpiment de nos peintres, les rouges de l'ocre, du ci- 
nabre ou du vermillon, les bleus du lapis-lazuli ou du 
sulfate de cuivre broyés. Si la substance était rare ou 
coûteuse, on lui substituait des produits de Tindustrie 
locale. On remplaçait le lapis-lazuli par du verre coloré 
en bleu au sulfate de cuivre et qu'on réduisait en pous- 
sière impalpable. La couleur, conservée dans des sa- 
chets, était délayée, au fur et à mesure des besoins, avec 
de Teau additionnée légèrement de gomme adragante. 
On l'étalait au moyen d'un calame ou d'une brosse en 
crin plus ou moins grosse. Bien préparée, elle était 
d'une solidité remarquable et s'est à peine modifiée au 
cours des siècles. Les rouges ont foncé, le vert s'est 
terni, les bleus ont verdi ou grisé, mais ce n'est qu'à la 
surface; dès qu'on enlève la couche extérieure , les des- 
sous apparaissent brillants et inaltérés. Jusqu'à l'époque 
thébaine, on ne prit aucune précaution pour défendre 
la peinture contre l'action de l'air et de la lumière. 
Vers la XX« dynastie, l'usage se répandit de la recouvrir 
d'un vernis transparent, soluble dans l'eau, probable- 
ment la gomme d'une sorte d'acacia. L'emploi n'en était 
point le même partout: certains peintres retendaient 
également sur le tableau entier, d'autres se contentaient 
d'en glacer les ornements et les accessoires, sans toucher 
aux nus ni aux vêtements. Il s'est craquelé sous l'in- 
fluence du temps, ou a noirci au point de gâter ce qu'il 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 197 

aurait dû protéger. Les Égyptiens reconnurent sans 
doute les mauvais effets qu'il produisait, car on ne le 
rencontre plus à partir de la XX» dynastie. 

De grandes teintes plates, uniformes, Juxtaposées, 
mais non fondues : on enluminait, on ne peignait 
pas au sens où nous prenons le mot. De même qu'en 
dessinant, on résumait les lignes et on supprimait 
presque le modelé interne, en mettant la couleur, on 
la simplifiait et on ramenait à une seule teinte, non 
rompue, toutes les variétés de tons qui existent na- 
turellement sur un objet ou qu'y produisent les jeux 
de Tombre et de la lumière. Elle n'est jamais ni 
entièrement vraie ni entièrement fausse. Elle se rap- 
proche de la nature autant que possible, mais sans pré- 
tendre à l'imiter fidèlement, l'atténue tantôt, tantôt 
l'exagère et substitue un idéal, une convention à la réa- 
lité visible. L'eau est toujours d'un bleu uni ou rayé 
de zigzags noirs. Les reflets fauves et bleuâtres du vau- 
tour sont rendus par du rouge vif et du bleu franc. 
Tous les hommes ont le nu brun, toutes les femmes 
l'ont jaune clair. On enseignait dans les ateliers la cou- 
leur qui convenait à chaque être ou à chaque objet, et 
la recette, une fois composée, se transmettait sans chan- 
gement de génération en génération. De temps à autre 
quelques peintres plus hardis que le commun se ris- 
quaient à rompre avec la tradition. Vous trouverez des 
hommes au teint jaune comme celui des femmes, à 
Saqqarah sous la V* dynastie, à Ibsamboul sous la XIX®, 
et des personnages aux chairs roses, dans les tombeaux 
de Thèbes et d'Abydos, vers l'époque de Thoutmos IV 
et d'Harmhabi. Ces nouveautés ne duraient guère, un 



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ipB L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

siècle au plus, et recelé retombait dans ses anciens 
errements. N'allez pas imaginer cependant que Ten- 
semble produit par ce coloris factice soit criard ou dis- 
cordant. Même dans des ouvrages de petite dimension, 
manuscrits du Livre des Morts, ornements des cercueils 
ou des coffrets funéraires, il a de l'agrément et de la dou- 
ceur. Les tons les plus vifs y sont juxtaposés avec une 
hardiesse extrême, mais avec la pleine connaissance 
des relations qui s'établissent entre eux et des phéno- 
mènes qui résultent nécessairement de ces relations. 
Ils ne se heurtent, ne s'exaspèrent, ni ne s'éteignent; ils 
se font valoir naturellement et donnent naissance, par 
le rapprochement, à des demi-tons qui les accordent. 
Passez du petit au grand, du feuillet de papyrus ou du 
panneau en bois de sycomore à la paroi des tombeaux 
et des temples, l'emploi habile des teintes plates, loin 
d'y blesser l'œil, le flatte et le caresse. Chaque mur 
est traité comme un tout, et l'harmonie des couleurs 
s'y poursuit à travers les registres superposés : tantôt 
elles sont réparties avec rythme ou symétrie, d'étage 
en étage, et s'équilibrent l'une par l'autre, tantôt 
l'une d'elles prédomine et détermine une tonalité géné- 
rale, à laquelle le reste est subordonné. L'intensité de 
l'ensemble est toujours proportionnée à la qualité et à la 
quantité de lumière que le tableau devait recevoir. Dans 
les salles entièrement sombres, le coloris est poussé 
aussi loin que possible; moins fort, on l'aurait à peine 
aperçu à la lueur vacillante des lampes et des torches. 
Aux murs d'enceinte et sur la face des pylônes, il 
atteignait la même puissance qu'au fond des hypo- 
gées; si brutal qu'on le fît, le soleil en atténuait 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 199 

Péclat. Il est doux et discret dans les pièces où ne pé- 
nètre qu^un demi-jour voilé, sous le portique des 
temples et dans l'antichambre des tombeaux. La pein- 
ture en Egypte n'était que l'humble servante de l'archi- 
tecture et de la sculpture. La comparer à la nôtre ou 
même à celle des Grecs, il n'y faut point songer; mais 
si on la prend pour ce qu'elle est dans le rôle secon- 
daire qui lui était assigné, on ne pourra s'empêcher de 
lui reconnaître des mérites peu communs. Elle a ex- 
cellé au décor monumental, et si jamais on en revient 
à colorer les façades de nos maisons et de nos édi- 
fices publics, on ne perdra rien à étudi-er ses formules ou 
à rechercher ses procédés. 

§ 3. — LES ŒUVRES. 

La statue la plus ancienne qu'on ait trouvée jusqu'à 
ce jour est un colosse, le Sphinx de Gîzèh. Il existait 
déjà du temps de Khéops, et peut-être ne se trompera- 
t-on pas beaucoup si l'on se hasarde à reconnaître en 
lui l'œuvre des générations antérieures à Minî, celles 
que les chroniques sacerdotales appelaient les Serviteurs 
d'Hor. Taillé en plein roc, au rebord extrême du plateau 
lîbyque, il semble hausser la tête pour être le premier 
à découvrir par-dessus la vallée le lever de son père le 
soleil (fig. 179). Les sables l'ont tenu enterré jusqu'au 
menton pendant des siècles, sans le sauver de la ruine. 
Son corps effrité n'a plus du lion que la forme générale. 
Les pattes et la poitrine, réparées sous les Ptolémées et 
sous les Césars, ne retiennent qu'une partie du dallage 
dont elles avaient été revêtues à cette époque pour dissi- 



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200 L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

muler les ravages du temps. Le bas de la coiffure est 
tombé, et le cou aminci semble trop faible pour soute- 
nir le poids de la tête. Le nez et la barbe ont été brisés 
par des fanatiques, la teinte rouge qui avivait les traits 
est effacée presque partout. Et pourtant l'ensemble garde 
jusque dans sa détresse une expression souveraine de 
force et de grandeur. Les yeux regardent au loin devant 
eux, avec une intensité de pensée profonde, la bouche 
sourit encore, la face entière respire le calme et la puis- 
sance. L'art qui a conçu et taillé cette statue prodigieuse 
en pleine montagne était un art complet, maître de lui- 
même, sûr de ses effets. Combien de sièclesne lui avait- 
il pas fallu pour arriver à ce degré de maturité et de 
perfection? C'est par erreur qu'on a cru voir dans 
quelques morceaux appartenant à nos musées, les 
statues de Sapi et de sa femme au Louvre, les bas-reliefs 
au loinbeau de KnâDiou-Lokari à Boulaq, la rudesse et 
les tâtonnements d'un peuple qui s'essaye. La raideur 
du geste et de la pose, la carrure exagérée des épaules, la 
bande de fard vert barbouillée sous les yeux, les carac- 
tères qu'ils offrent et qu'oadonne comTS^ê des marques 
d'antiquité, apparaissent sur des monumSifs certains 
de la V* et de la VI« dynastie. Les sculp^rs d'un 
même siècle n'étant pas tous également ha'^îl^s, si 
beaucoup étaient capables de bien faire, la Vipart 
n'étaient que des manœuvres, et l'on doit bien se^^^^ 
de prendre pour gaucherie archaïque ce qui est V^ 
eux maladresse ou insuffisance d'apprentissage, r 
œuvres des dynasties primitives dorment encore isnr 
rées sous vingt mètres de sable au pied du Sphin^^. 
celles desMynasties historiques sortent chaque jour d ' 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 201 

fond des tombeaux. Elles ne nous ont pas. rendu Part 




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FI G, 179. 



égyptien entier, mais une de ses écoles, la memphite 



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202 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

Le Delta, Hermopolis, Abydos, les environs de Thèbes, 
Assouân, ne commencent à se révéler que vers la 
VI* dynastie; encore est-ce par un petit nombre d'hy- 
pogées violés et dépouillés depuis longtemps. Le dom- 
mage n'est peut-être pas très grand. Memphis était 
alors la capitale, et la présence des Pharaons devait y 
attirer tout ce qui avait du talent dans les principautés 
vassales. Rien qu'avec le produit des fouilles pratiquées 
dans ses nécropoles, nous pouvons déterminer les ca- 
ractères de la sculpture et de la peinture au temps de 
Snofrou et de ses successeurs, aussi exactement que si 
nous avions déjà entre les mains tous les monuments 
que la vallée entière tient en réserve pour ceux qui l'ex- 
ploreront après nous. Le menu peuple des artistes ex- 
cellait au maniement de la brosse et du ciseau, et les 
tableaux qu'il a tracés par milliers témoignent d'une 
habileté peu commune. Le relief en est léger, la couleur 
sobre, la composition bien entendue. Les architectures, 
les arbres, la végétation, les accidents de terrain sont 
indiqués sommairement, et là seulement où ils sont né- 
cessaires à l'intelligence de la scène représentée. En re- 
vanche, l'homme et les animaux sont traités avec une 
abondance de détail, une vérité d'allures, et parfois une 
énergie de rendu, que les écoles postérieures ont rare- 
ment au même degré. Les six panneaux en bois du 
tombeau d'Hosi, au musée de Boulaq, sont peut-être ce 
que nous avons de mieux en ce genre. Mariette les at- 
tribuait à la III« dynastie, et peut-être a-t-il raison de le 
faire : je pencherai pourtant à en placer l'exécution sous 
la V^ La donnée du tableau n'est rien : Hosi, debout 
(iig. i8o) ou assis, et, au-dessus de sa tête, quatre ou cinq 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



20) 



colonnes d'hiéroglyphes. Mais, quelle fermeté de trait, 
quelle entente du modelé, quelle souplesse d'exécution ! 
Jamais on n'a taillé le bois d'une main plus ferme et 
d'un ciseau plus délicat. 

Les statues ne présentent point la variété de gestes 
et d'attitudes qu'on admire dans 
les tableaux. Un pleureur, une 
femme qui écrase le grain du 
ménage, le boulanger qui brasse 
la pâte sont aussi rares en ronde 
bosse qu'ils sont fréquents en 
bas-reliefs. La plupart des per- 
sonnages sont tantôt debout et 
marchant, la jambe en avant, 
tantôt debout, mais immobiles 
et les deux pieds réunis, tantôt 
assis sur un siège ou sur un dé 
de pierre, quelquefois agenouil- 
lés, plus souvent accroupis le 
buste droit et les jambes à plat 
sur le sol, comme les fellahs 
d'aujourd'hui. Cette monotonie 
voulue s'expliquerait peu si l'on 
ne connaissait l'usage auquel 

ces images étaient destinées. Elles représentaient le 
mort pour qui le tombeau avait été creusé, ses pa- 
rents, ses employés, ses,esclaves, les gens de sa famille. 
Le maître est toujours assis ou debout, et il ne pouvait 
guère avoir d'autre position. Le tombeau en effet est la 
maison où il repose de la vie, comme il faisait jadis 
dans sa maison terrestre, et les scènes tracées sur les 




FIG. l80. 



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ao^ L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

parois nous montrent les actes qu'il y accomplissait of- 
ficiellement. Ici, il assiste aux travaux préliminaires de 
Toffrande qui le nourrit, la semaille et la récolte, Pélève 
des bestiaux, la pêche, la chasse, les manipulations des 
métiers, et surveille toutes les œuvres qu'on accomplit 
pour la demeure éternelle : il est alors debout, la tête 
haute, les mains pendantes ou armées de bâtons de 
commandement. Ailleurs, on lui apporte Tune après 
l'autre les diverses parties de l'offrande, et alors il est 
assis sur un fauteuil. Ces deux poses qu'il a dans les 
tableaux, il les garde dans les statues. Debout, il est 
censé recevoir l'hommage des vassaux; assis, il prend 
sa part du repas de famille. Les gens de la maison ont 
comme lui Fattitude qui convient à leur rang et à leur 
métier. L'épouse est debout, assise sur le même siège 
ou sur un siège isolé, accroupie aux pieds de l'époux, 
comme pendant la vie. Le fils a le costume de l'en- 
fance, si la statue a été commandée tandis qu'il était 
encore enfant, le geste et l'attribut de sa charge, s'il est 
à l'âge d'homme. Les esclaves broient le grain, les cel- 
leriers poissent l'amphore, les pleureurs se lamentent 
et s'arrachent les cheveux. La hiérarchie sociale suivait 
l'Égyptien dans la tombe et réglait la pose après, comme 
elle l'avait réglée avant la mort. Et là ne s'arrêtait 
point l'influence que la conception religieuse de l'âme 
exerçait sur l'art du sculpteur. Du moment que la sta- 
tue est le support du double, Ja première condition à 
remplir pour que celui-ci puisse s'adapter aisément à 
son corps de pierre, c'est qu'elle reproduise, au moins 
sommairement, les proportions et les particularités du 
corps de chair. La tête est donc un portrait fidèle. Le 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 20$ 

corps, au contraire, est pour ainsi dire un corps moyen, 
qui montre le personnage au meilleur de son dévelop- 
pement, et lui permet d^exercer parmi les dieux la plé- 
nitude de ses fonctions phys-iques : les hommes sont 
toujours dans la force de l'âge, les femmes ont toujours 
le sein ferme et les hanches minces de la jeune fille. 
C'est seulement dans le cas d'une difformité par trop 
forte qu'on se départait de cet idéal. On donnait à la 
statue d'un nain toutes les laideurs du corps du nain, 
et il fallait bien qu'il en fût ainsi. Si l'on avait mis 
dans la tombe une statue régulière, le double, habitué 
pendant la vie terrestre à la difformité de ses membres, 
n'aurait pu s'appuyer sur ce corps redressé et n'aurait 
pas été dans les conditions nécessaires pour bien vivre 
désormais. L'artiste n'était libre que de varier le détail 
et de disposer les accessoires à son gré; il n'aurait pu 
rien changer à l'attitude et à la ressemblance générales 
sans manquer à la destination de son œuvre. La répéti- 
tion obstinée des mêmes motifs produit sur le specta- 
teur une véritable monotonie, et l'impression qu'il 
ressent est encore augmentée par l'aspect particulier 
que les tenons prennent sous la main du sculpteur. 
Les statues sont appuyées pour la plupart à une sorte 
de dossier rectangulaire qui monte droit derrière elles, 
et, tantôt se termine carrément au niveau du cervelet, 
tantôt s'achève en un pyramidion dont la pointe se 
perd parmi les cheveux, tantôt s'arrondit au sommet et 
paraît au-dessus de la- tête du personnage. Les bras 
sont rarement séparés du corps ; dans bien des cas, 
ils adhèrent aux côtes et à la hanche. Celle des jambes 
qui porte en avant est reliée souvent au dossier, sur 



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2o6 L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

toute sa longueur, par une tranche de pierre. La rai- 
son en serait", dit-on, Timperfection des outils : le 
sculpteur n^aurait pas détaché les épaisseurs de matière 
superflue, de peur de briser par contre-coup le membre 
qu'il modelait. L'explication a dû être valable au début ; 
elle ne Tétait plus dès la IV* dynastie, car nous avons 
plus d'un morceau, même en granit, où tous les mem- 
bres sont libres, soit qu'on les ait affranchis au ciseau, 
soit qu'on les ait dégagés au violon. Si l'usage des te- 
nons persista jusqu'au bout, ce ne fut pas impuissance, 
mais routine ou respect exagéré pour les enseigne- 
ments du passé. 

La plupart des musées sont pauvres en statues de 
l'école memphite. La France et l'Egypte en possèdent, 
parmi beaucoup de médiocres, une vingtaine qui suf- 
fisent à lui assurer un rang honorable dans l'histoire 
de l'art, le Scribe accroupi, Skhemka, Pahournofrî, au 
Louvre, le Sheikh-el-beled et sa femme, Khâfrî, Râno- 
fir, le Scribe agenouillé, à Boulaq. L'original du scribe 
accroupi n'était point beau (fig. i8i), mais son portrait 
est d'une vérité et d'une vigueur qui compensent large- 
ment ce qui manque en beauté idéale. Les jambes re- 
pliées sous lui et posées à plat, dans une de ces 
positions familières aux Orientaux, mais presque im- 
possibles à garder pour un Européen, le buste droit et 
bien d'aplomb sur les hanches, la tête levée, la main 
armée du calame et déjà en place sur la feuille de papyrus 
étalée, il attend encore, à six mille ans de distance, que le 
maître veuille bien reprendre la dictée interrompue. La 
figure est presque carrée, les traits fortement accentués 
indiquent l'homme dans la force de l'âge. La bouche, 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE, 



ao7 



longue et garnie de lèvres minces, se relève un peu vers 
les coins et disparaît presque dans la saillie des muscles 
qui l'encadrent; les joues sont plutôt osseuses et dures, 




«^^^i^, 



I^IG. l8l« 



les oreilles détachées de la tête sont épaisses et lourdes, 
le front bas est couronné d'une chevelure drue et coupée 
ras. L'œil, grand et bien ouvert, doit une vivacité parti- 
culière à une fraude ingénieuse de l'artisan antique. 



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2o8 L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

L'orbite de pierre qui Penchasse a été évide', et le creux 
rempli par un assemblage d'émail blanc et noir ; une 
monture en bronze accuse le rebord des paupières, 
tandis qu'un petit clou d'argent, placé au fond de la 
prunelle, reçoit la lumière, et, la renvoyant, simule 
l'éclair d'un regard véritable. 
Les chairs sont un peu molles et 
pendantes, comme il convient 
à un homme d'un certain âge, 
que ses occupations privent 
de tout exercice violent. Les 
bras et le dos sont d'un bon 
relief; les mains, osseuses et 
sèches, ont des doigts de lon- 
gueur plus qu'ordinaire, le 
genou est fouillé avec minutie. 
Le corps entier est entraîné, 
pour ainsi dire, par le mouve- 
ment de la figure et sous l'in- 
fluence du même sentiment 
d'attente qui domine dans la 
^ ^ ' phy.sionomie ; les muscles du 

bras, du buste et de l'épaule 
sont dans un demi-repos seulement, prêts à se remettre 
au travail. Le souci de l'attitude professionnelle et du 
geste caractéristique se retrouve avec la même évidence 
sur toutes les statues que j'ai eu l'occasion d'étudier. 
Khâfrî est roi (fig. 182). Il est assis carrément sur le 
siège de sa dignité, les mains aux genoux, le buste ferme, 
le chef haut, le regard assuré. L'inscription qui nous 
apprend son nom aurait été détruite et les marques de 




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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



aop 



son rang enlevées, que nous aurions deviné le Pharaon 
à sa mine : tout en lui trahit Thomme habitué dès 
Penfance à se sentir investi de l'autorité souveraine. 
Rânofir appartient à une des grandes familles féodales 
de répoque. Il est debout, les 
bras collés au corps, la jambe 
gauche portée en avant, dans la 
pose du prince qui regarde ses 








FIG. l8j. 



FIG. 184. 



vassaux défiler devant lui. Le masque est hautain, 
la démarche hardie; mais on n'y sent déjà plus le 
calme et l'assurance surhumaine comme dans les sta- 
tues de Khâfrî. Avec le Sheikh-el-beled (fîg. i83) on 
descend de plusieurs degrés dans . Péchelle sociale. 
Râmké était surintendant des travaux^ probablement un 
des chefs de corvée qui bâtirent les grandes pyramides, 
et appartenait à la classe moyenne. Il est tout em- 



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L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



preint de contentement et de suffisance bourgeoise. On 
le voit surveillant ses manœuvres, debout et le bâ- 
ton d'acacia à la main. 
Les pieds étaient pour- 
ris, mais on lui en a 
fourni de nouveaux. Le 
corps est lourd et charnu, 
Pencolure épaisse, la tête 
(fig. 184) ne manque pas 
d'énergie dans sa vulga- 
rité, les yeux sont rap- 
portés comme ceux du 
Scribe accroupi. Par un 
hasard singulier, il res- 
semblait au Sheikh-el- 
beled ou maire de Saq- 
qarah au moment de la 
découverte. Les fellahs, 
toujours prompts à saisir 
le côté plaisant des cho- 
ses, rappelèrent aussitôt 
Sheikh-el-beledj et le nom 
lui en est demeuré. L'i- 
mage de sa femme^ qu'il 
avait enterrée à côté de la 
sienne, est malheureuse- 
ment très mutilée : ce 
n'est plus qu'un tronc 
sans bras ni jambes 
(fig. i85). On ne laisse pas que d'y reconnaître un bon 
type des dames égyptiennes de condition médiocre, aux 




185. 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



traits communs, à l'humeur acariâtre. Le Scribe age- 
nouillé de Boulaq (fig. i86) appartenait aux rangs les 
moins élevés de la petite 
bourgeoisie, telle qu'elle 
existe aujourd'hui encore; 
s'il n'était pas mort depuis 
six mille ans, je jurerais 
l'avoir dévisagé, il y a six 
mois, dans une des petites 
villes du Said. Il vient 
d'apporter à l'examen de 
son chef un rouleau de pa- 
pyrus ou une tablette char- 
gée d'écritures. Agenouille 
selon l'ordonnance, les 
mains croisées, le dos ar- 
rondi, la tête infléchie lé- 
gèrement, il attend qu'on 
ait fini de lire. Pense-t-il? 
Les scribes n'étaient p^iK 
sans éprouver des 
appréhensions se- 
crètes lorsqu'ils 
comparaissaient de- 
vant leurs supé- 
rieurs. Le bâton 
jouait un grand 
rôle dans les re- 
lations administratives: une erreur d'addition, une faute 
d'orthographe, une instruction mal comprise, un 
ordre exécuté gauchement, et les coups allaient leur 




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2ia L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

train. Le sculpteur a saisi on ne peut mieux l'expres- 
sion d'incertitude résignée et de douceur moutonne, que 
rhabitude d'une vie entière passée au service avait 
donnée à son modèle. La bouche sourit, car ainsi le 
veut l'étiquette, mais le sourire n'a rien de joyeux. Le 

nez et les joues grima- 
cent à l'unisson de la 
bouche. Les deux gros 
yeux en émail ont le 
regard fixe de l'homme 
qui attend sans vouloir 
arrêter sa vue et con- 
centrer sa pensée sur un 
objet déterminé. La face 
manque d'intelligence 
et de vivacité ; après 
tout, le métier n'exi- 
geait pas une grande 
agilité d'esprit. Khâfrî 
est en diorite, Râmké 
et sa femme sont en 
bois, les autres en cal- 
caire; quelle que soit la matière employée, le jeu 
du ciseau a été partout aussi libre, aussi fin, aussi 
délicat. La tête de scribe et le bas-relief du Louvre 
qui représente le Pharaon Menkoouhor, le nain 
Khnoumhotpou et les esclaves préparant l'offrande du 
musée de Boulaq ne le cèdent en rien au Scribe 
accroupi ou au Sheikh-el-beled. Le boulanger bras- 
sant la pâte (fig. 187) est tout entier à son travail; 
rien n'est plus naturel que la demi-flexion de ses jarrets 




FIG. 187. 



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LA PEINTURE ET. LA SCULPTURE. 



aij 



et Peffort avec lequel il se penche sur le pétrin. Le nain 
a la tête grosse, allongée, cantonnée de deux vastes 
oreilles (fig.'i 88). La figure est niaise, Poeil ouvert étroi- 
tement et retroussé 
vers les tempes, la 
bouche mal fendue. 
La poitrine est ro- 
buste et bien déve- 
loppée, mais le torse 
n'est pas en propor- 
tion avec le reste du 
corps. L'artiste a eu 
beau s'ingénier à en 
voiler la partie in- 
férieure sous une 
belle jupe blanche, 
on sent qu'il est trop 
long pour les bras 
et pour les jambes. 
Le ventre se projette 
en pointe et les han- 
ches se retirent pour 
faire contrepoids au 
ventre. Les cuisses 
n'existent guère qu'à 
l'état rudimentaire , 
et l'individu entier, 
porté qu'il est sur de 

petits pieds contrefaits, semble être hors d'aplomb et 
prêt à tomber face contre terre. On trouverait difficile- 
ment ailleurs une œuvre qui reproduise plus spirituelle- 




i88. 



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»'♦ 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



mcnt^ sans les exagérer, les caractères propres au nain. 
La sculpture du premier empire thébain se rattache 
directement à celle de l'empire memphiie. Procédés 
matériels, dessin, composition, elle lui a tout emprunté, 
sauf les proportions qu'elle donne au corps humain : 
à partir de la XI« dynastie, les jambes sont plus longues 

et plus grêles, les 
hanches plus min- 
ces, la taille et le 
cou plus élancés. 
La plupart des œu- 
vres qu'elle nous a 
léguées ne sont pas 
comparables à ce 
que les siècles pré- 
cédents avaient 
produit de meil- 
leur. Les peintures 
de Siout, de Ber- 
shèh, de Béni-Has- 
san, de Méïdoum, 
d'Assouân, ne valent point celles des Mastabas de Saq- 
qarah et de Gizèh; les statues les plus soignées sont 
inférieures au Sheikh-el-beled et au Scribe accroupi. 
Deux pourtant ont très bonne façon, le général Râhotpou 
et sa femme Nofrit. Râhotpou (Hg. 189), malgré son haut 
titre, était de petite extraction ; solide et bien décou- 
plé, il a quelque chose d'humble dans la physiono- 
mie. Nofrit, au contraire (fig. 190), était princesse du 
sang; je ne sais quoi d'impérieux et de résolu est 
répandu sur toute sa personne, que le sculpteur a très 







189. 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



2Ii 



habilement rendue. Elle est serre'e dans une robe ouverte 
en pointe sur la poitrine ; les épaules, les seins, le 
ventre, les cuisses se modèlent sous Tétoffe avec une 
grâce et une chasteté qu'on ne saurait trop louer. La 
figure, ronde et grassouillette, est encadrée entre des 
masses de tresses fi- 
nes, retenues par un 
bandeau richement 
décoré. Les deux 
époux sont en calcaire 
et peints, le mari en 
rouge brun, la femme M 
en jaune bistre. Les 
autres statues de par- 
ticuliers que j'ai vues, 
celles surtout qui pro- 
viennent de Thèbes, 
sont décidément mau- 
vaises, rudes de tra- 
vail et vulgaires d'ex- 
pression. Les royales, 
presque toutes en gra- 
nit noir ou gris, ont été usurpées en partie par des 
rois d'époque postérieure, POusirtasen III, dont la 
tête et les pieds sont au Louvre, par Amenhotpou III, 
les sphinx du Louvre, les colosses de Boulaq par 
Ramsès II, et plus d'un musée possède de préten- 
dues images des Pharaons Ramessides qu'un examen 
attentif nous contraint de restituer à la XI 11^ ou à 
la XIV* dynastie. Ceux dont l'origine n'est l'objet d'au- 
cun doute, le Sovkhotpou III du Louvre, le Mer- 




HG. 190. 



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ai6 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



mashaou de Tanis, le Sovkoumsaouf de Boulaq, les 
colosses de Tîle d'Argo sont d'un art très habile, mais 
sans vigueur et sans originalité ; on dirait que les 
sculpteurs se sont efforcés de les ramener tous à un 
même type banal et souriant. Le contraste n'en est que 
plus grand lorsqu'on passe de ces poupées gigantesques 
aux sphinx en granit noir, que Mariette découvrit à 
Tanis, en 1 86 1, et dont il attribua l'érection aux Hyksos. 
Là, ce n'est plus l'énergie qui fait défaut. Le corps de 
lion nerveux, ramassé sur lui-même, est plus court 
qu'il n'est dans les sphinx ordinaires. La tête, au lieu 
d'être coiffée du linge flottant, est revêtue d'une puis- 
sante crinière qui encadre le visage. Petits yeux, nez 
aquilin, écrasé par le bout, pommettes saillantes, lèvre 
inférieure avancée légèrement, l'ensemble de la physio- 
îiK.. -^ g^j gj pg^j gj^ accord avec ce que nous sommes 
accoutumes a *.. -ootrer en Egypte, qu'on y a reconnu 
la preuve d'une origin"^siatique (fig. 191). Nos sphinx 
sont certainement antériWs à la XVIII* dynastie, car 
un des rois d'Avaris, Apopi^Wravé son nom sur leur 
épaule; mais on a conclu tiSfi vite de cette cir- 
constance qu'ils étaient du tempsjS|kce prince. En Jes 
examinant de plus près, on voit qu'ilsW^ ^^^ ^^^'^^^ ^ 
un Pharaon d'une des. dynasties pi^^^^"^^^' ^^ 
qu'Apopi se les', est seulement appropria ^^'^ "^ 
prouve que ce Pharaon ait été postérieur à fliP^'''^" 
asiatique : ses monuments sont peut-être l'œuvX"^'""^ 
école locale, dont l'origine était indépendante eÎt"' 
les traditions différaient de celles des ateli rs Jf ' 
Phttes. L'art provincial de l'Egypte noTZ\T\ 
connu en dehors d'Abydos, d'El-Kab, d'Assou n etl 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



217 



deux OU trois autres sites, que je n'ose trop insister 
sur cette hypothèse. Quelle que soit Torigine de Técole 
tanite, elle continua d'exister longtemps encore après 
l'expulsion des Pasteurs, car une de ses meilleures 




ili©?ii:i 




œuvres, un groupe qui repre'sente les deux Nils, celui 
du Nord et celui du Sud, apportant leurs tablettes char- 
gées de fleurs et de poissons, a été consacré par Psou- 
sennés de la XXI« dynastie. 

Les trois premières dynasties du nouvel empire 
fournissent à elles seules plus de monuments que toutes 
les autres réunies : bas-reliefs peints, tableaux, statues 
de rois et de particuliers, colosses, sphinx, c'est par cen- 



et ûj 



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ai8 L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

laines qu'on les compte de la quatrième cataracte aux 
bouches du Nil. Les vieilles cités sacerdotales, Mern- 
phis, Thèbes, Abydos, sont naturellement les plus 
riches ; mais l'activité est si grande que des bourgades 
perdues, Ibsamboul, Radésièh, Méshêikh, ont leurs 
chefs-d'œuvre comme les grandes villes. Les portraits 
officiels d'Amenhotpou I**" à Turin, de Thoutmos I" et 
de Thoutmos III au British Muséum, à Karnak, à Tu- 
rin, à Boulaq, sont encore conçus dans l'esprit de 
la XII«et de la XIII* dynastie et n'ont point beaucoup 
d'originalité; mais les bas-reliefs des tombeaux et des 
temples marquent un progrès sensible sur ceux des 
siècles antérieurs. La saillie en est plus accentuée, le 
modelé mieux ressenti, les personnages sont en plus 
grand nombre et mieux groupés, la perspective recher- 
chée avec plus de soin et de curiosité ; les tableaux du 
temple de Dêir-el-Baharî, ceux du tombeau de Houi, 
de Rekhmirî, d'Anna, de Khâmhâ, de vingt autres à 
Thèbes, sont d'une richesse, d'un éclat, d'une variété 
inattendus. L'instinct du pittoresque s'éveille, et les 
dessinateurs introduisent dans la composition les dé- 
tails d'architecture, les reliefs du sol, les plantes exo- 
tiques, tous les détails qu'on négligeait autrefois ou 
qu'on se contentait d'indiquer sommairement. Le goût 
du colossal, un peu émoussé depuis le temps du grand 
sphinx, renaît et se développe de nouveau. Amenhot- 
pou III ne se contente plus des statues de cinq ou six 
mètres de haut qui suffisaient à ses ancêtres. Celles 
qu'il élève devant sa chapelle funéraire, sur la. rive 
gauche du Nil, à Thèbes, et dont l'une est le Mem- 
non des Grecs, ont seize mètres; elles sont en granit, 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 

d'un seul bloc et façonnées avec autant de soin que si 
elles étaient de taille ordinaire. Les avenues de sphinx 
quHl lance en avant des temples, à Louxor et à Karnak, 
ne s'arrêtent pas à quelques toises de la porte, elles se 
prolongent à distance; ici c'est le lion à tête humaine, 
là c'est le bélier agenouillé. Son successeur, le révolu- 
tionnaire Khounia- 
ton, loin d'enrayer 
ce mouvement, fit 
ce qu'il put pour 
l'accélérer . Nulle 
part, peut-être, les 
sculpteurs n'eurent 
plus de liberté qu'au- 
près de lui, à Tell- 
Amarna. Défilés de 
troupes, promenades 
en char, fêtes popu- 
laires, réceptions so- 
lennelles et distribu- 
tions de récom- 
penses par le souve- 
rain, des palais, des 

villas, des jardins , les sujets qu'il leur permettait 
d'aborder se distinguaient par tant de points des mo- 
tifs traditionnels, qu'ils pouvaient s'abandonner sans 
contrainte à leur fantaisie et à leur génie naturel. Ils 
ne se privèrent point de le faire avec une verve et un 
entrain qu'on ne saurait soupçonner avant d'avoir vu 
leurs œuvres à Tell-Amarna. Certains de leurs bas- 
reliefs ont une perspective presque régulière ; tous 




FIG. T92. 



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L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



rendent la vie et le mouvement des masses populaires 
avec une justesse irréprochable. La re'action politique 
et religieuse qui suivit ce règne singulier arrêta Te'vo- 

lution et ramena 
les artistes à l'obser- 
vance des règles an- 
tiques ; mais leur 
influence person- 
nelle et leur ensei- 
gnement prolon- 
gèrent quelque chose 
de leur manière sous 
Harmhabi, sous 
Séti I«% sous Ram- 
sès II. Si l'art égyp- 
tien fut, pendant 
plus d'un siècle en- 
core, doux, libre et 
fin, c'est à eux qu'il 
le doit. Peut-être n'a- 
t-il produit rien de 
plus parfait que les 
bas-reliefs du temple 
d'Abydos ou du tom- 
beau de Séti I*' ; la 
tête du conquérant 
(fig. 192), toujours 
dessinée avec amour, est une merveille de grâce émue 
et discrète. Le Ramsès II combattant d'Ibsamboul est 
presque aussr beau dans un autre genre que le portrait 
de Séti I"; le mouvement par lequel il lève la lance 




FIG. IÇ}, 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



a quelque chose d'anguleux, mais le sentiment de 
triomphe et de force qui anime le corps entier, Tatti- 
tude désespérée à la fois et résignée du vaincu rachètent 
amplement ce défaut. Le groupe, d'Harmhabi et du 
dieu Amon (fig. 193) qu'on voit au musée de Turin 
est un peu sec de facture. La figure du dieu et celle du 
roi manquent d'expres- 



sion, le corps est lourd et 
mal équilibré. Les beaux 
colosses en granit rose, 
qu'Harmhabi avait ados- 
sés aux jambages de la 
porte intérieure de son 
premier pylône à Karnak, 
les bas-reliefs de son spéos 
à Silsilis, son portrait et 
celui d'une des femmes de 
sa famille que possède le 
musée de Boulaq, sont 
pour ainsi dire sans tache 
et sans reproche. La reine (fig. 194) a une physionomie 
spirituelle et animée, de grands yeux presque à fleur de 
tête, une bouche large, mais bien proportionnée ; elle est 
taillée dans un calcaire compact, dont la teinte laiteuse 
adoucit la malignité de son regard et de son sourire. 
Le roi (fig. 195) est en un granit noir dont le ton lu- 
gubre inquiète et trouble le spectateur au premier 
abord. Sa face, jeune, est empreinte d'une mélancolie 
assez rare chez les Pharaons de la grande époque. Le 
nez est droit, mince, bien attaché au front, l'œil long. 
Les lèvres larges, charnues, un peu contractées aux 




FIG. 194. 



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L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 




im^ 



commissures, se découpent à arêtes vives. Le menton 
est à peine alourdi par la barbe postiche. Chaque détail 

est traité avec autant 
d'adresse que si le sculpteur 
avait eu sous la main une 
pierre tendre et non pas une 
matière rebelle au ciseau; 
la sûreté de Texécution est 
poussée si loin qu'on oublie 
la difficulté du 
travail pour ne 
plus songer qu'à 
la valeur deTœu- 
vre. Il est fâcheux 
que les artistes 
égyptiens n'aient 
jamais signé leur 
nom, car celui 
qui a fait le por- 
trait d'Harmhabi 
mérîlait d'être connu. De 
même que la XVII^ dynas- 
tie, la XIX® voulut avoir ses 
colosses : le Ramsès II de 
Louxor mesurait entre cinq 
ou six mètres (fig. 196), ce- 
lui du Ramesséum seize, 
celui de Tanis dix-huit en- 
viron; ceux d'Ibsamboul, 
sans atteindre à cette taille formidable, présentent à 
la rivière un front de bataille imposant. C'est presque 




ne. 195. 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



223 



un lieu commun aujourd'hui de dire que la décadence 
de Part égyptien commença sous Ramsès II. Rien 
n'est pourtant moins vrai que cette sorte d'axiome. 
Sans doute, beaucoup des statues et des bas-reliefs qui 
furent exécutés de 
son temps sont 
d'une laideur et 
d'une rudesse qu'on 
a peine à concevoir; 
mais on les trouve 
surtout dansles villes 
de province, où les 
écoles n'étaient pas 
florissantes, et où 
les artistes n'avaient 
rien qui pût les gui- 
der dans leurs tra- 
vaux. A Thèbes, à 
Memphis, à Abydos, 
à Tanis et dans les 
localités du Delta, 
où la cour résidait 
habituellement, même à Ibsamboul et à Beit-el-Oualli, 
les sculpteurs de Ramsès II ne le cèdent en rien à ceux 
de Séti I" et d'Harmhabi. La décadence ne commença 
qu'après Mînephtah. Lorsque les guerres civiles et les 
invasions étrangères mirent l'Egypte à deux doigts de 
sa perte, l'art souffrit comme le reste et baissa rapide- 
ment. La peinture et la sculpture sur pierre faiblirent 
en premier : rien n'est plus triste que de suivre les pro- 
grès de leur décadence sous les Ramessides, dans les 




ipj. 



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324 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



tableaux des tombes royales, sur les reliefs du temple 
de Khonsou, sur les colonnes de la salle hypostyle à 
Karnak. La sculpture sur bois se maintint quelque 
temps encore ; les admirables statuettes de prêtres et 
d'enfants du musée de Turin datent de la XX^ dynastie. 
L'avènement de Sheshonq et les que- 
relles des nomes entre eux achevèrent 
de ruiner Thèbes, et l'école qui avait 
produit tant de chefs-d'œuvre s'éteignit 
misérablement. 

La renaissance ne s'annonça que 
trois siècles plus tard, vers la fin de la 
dynastie éthiopienne. La statue trop 
vantée de la reine Ameniritis (fig. 197) 
présente déjà des qualités remar- 
quables. Les formes, un peu longues 
et grêles, sont chastes et délicates; mais 
la tête, surchargée de la perruque des 
déesses, est morne d'apparence. Psa- 
mitik I", consolidé sur le trône par 
ses victoires, s'occupa activement de 
relever les temples. La vallée du Nil 
devint, sous sa direction, comme un 
vaste atelier de sculpture et de peinture. La gravure 
des hiéroglyphes atteignit une finesse admirable, les 
belles statues et les bas-reliefs se multiplièrent, une 
école nouvelle se forma. Elle est caractérisée par une 
élégance un peu sèche, par l'entente du détail, par une 
habileté merveilleuse dans la façon d'assouplir la pierre. 
Les Memphites avaient préféré le calcaire, lesThébaines 
le granit rose ou gris, les Saïtes s'attaquèrent de préfé- 




197. 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



22$ 



rence au basalte, aux brèches, à la serpentine, et tirèrent 
un parti merveilleux de ces matières à grain fin et à 
pâte presque partout homogène. Le plaisir de triompher 
de la difficulté les entraîna souvent à la rechercher, et 
Ton vit des artistes de mérite passer des années et des 
années à ciseler des cou- 
vercles de sarcophage, et à dé- 
couper des statuettes dans les 
blocs les plus durs. La Toué- 
ris et les quatre monuments 
du tombeau de Psamitik, au 
musée de Boulaq, sont jus- 
qu'à présent les pièces les 
plus remarquables que nous 
possédions de ce genre de 
travail. La Touéris (fig. 198) 
avait le privilège de protéger 
les femmes enceintes et de 
présider aux accouchements. 
Son portrait a été découvert 
à Thèbes, au milieu de la 
ville antique, par des fellahs 
en quête d'engrais pour leurs pic. 198. 

terres. Elle était debout dans 

une petite chapelle en calcaire blanc que le prêtre Pi- 
bisi lui avait dédiée, au nom de la reine Nitocris, fille 
de Psamitik !«'. Ce charmant hippopotame, au ventre 
arrondi et aux flasques mamelles de femme, est un bel 
exemple de difficulté vaincue ; mais je ne lui connais 
point d'autre mérite. Le groupe de Psamitik a du 
moins quelque valeur artistique. Il se compose de 




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296 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



quatre pièces en basalte vert, une table d'offrandes, une 
statue d'Osiris, une autre de Nephthys et une vache 
Hathor, à laquelle le mort est adossé (fig. 199); le 
tout un peu flou, un peu artificiel, mais la physionomie 
des divinite's et du mort ne manque pas de douceur, la 
vache est d^un bon mouvement, le petit personnage 
qu'elle abrite se groupe bien avec elle. D'autres mor- 
ceaux moins connus sont pourtant 
1res supérieurs à ceux-là. Le style 
s'en reconnaît aisément. Ce n'est plus 
le faire large et sa- 
vant de la première 
école memphite, ni 
la manière gran- 
diose et souvent rude 
de la grande école 
thébaine; les pro- 
portions du eorps 
s'amincissent et s'é- 
longent, les mem- 
bres perdent en vi- 
gueur ce qu'ils 
gagnent en élégance. On remarque en même temps un 
changement notable dans le choix des attitudes. Les 
Orientaux ont, à se délasser, des postures qui se- 
raient des plus fatigantes pour nous. Ils passent des 
heures entières agenouillés ou assis comme les tail- 
leurs, les jambes croisées et à plat contre sol ; ou bien 
ils se mettent à cropctons, les genoux réunis et plies, le 
gras du mollet appliqué au revers de la cuisse, sans tou- 
cher le sol autrement que de la plante des pieds ; ou 




FIG. 199. 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 227 

bien, ils s'assoient à terre, les jambes accolées, les 
bras croisés sur les genoux. Ces quatre poses étaient 
en usage, dans le peuple, dès l'ancien empire : les bas- 
reliefs le prouvent suffisamment. Mais les sculpteurs 
memphites avaient 
écarté de la statuaire les 
deux dernières, qu'ils Ju- 
geaient disgracieuses, et 
ne s'en servaient presque 
jamais. A voir le scribe 
accroupi du Louvre et le 
scribe agenouillé , on 
comprend le parti qu'ils 
savaient tirer des deux 
premières. La troisième 
-fut négligée, pour les 
mêmes faisons sans 
doute, par les 
sculpteurs thé- 
bains. On com- 
mença à prati- 
quer la qua- 
trième d'une 

manière cou- , ^,^. ^^^ 

rante , vers ha 

XVIII® dynastie. Peut-être n'était-elle pas auparavant 
de mode parmi les classes aisées qui, seules, étaient 
assez riches pour commander des statues; peut-être 
aussi, les artistes n'aimaient-ils pas une position qui 
faisait ressembler leurs modèles à des paquets cu- 
biques surmontés d'une tête humaine. Les sculpteurs 




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aa8 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



de Pépoque saïte n'eurent pas la même répugnance à en 
user que leurs prédécesseurs. Du moins ont-ils com- 
biné Faction des membres de telle façon, qu'elle ne 
choque pas trop nos yeux et cesse presque d'être dis- 
gracieuse. Les têtes sont d'ailleurs d'une perfection 

qui rachète bien des dé- 
fauts. Quelques-unes sont 
évidemment idéalisées : 
celle de Pedishashi 
(fig. 200) a une expression 
de jeunesse et de douceur 
spirituelle qu'on n'est pas 
habitué à rencontrer sous 
le ciseau d'un Égyptien. 
D'autres, au contraire, 
sont d^une sincérité bru- 
tale. Les rides du front, 
pic. 201. Isi patte d'oie, les plis de 

la bouche, les bosses du 
crâne, sont accusés avec une complaisance scrupuleuse 
sur la petite tête de scribe que le Louvre a récem- 
ment achetée (fig. 201), et sur celle que possède le 
prince Ibrahim au Caire. L'école saïte était, en effet, 
partagée entre deux partis différents. L'un cherchait 
ses modèles dans le passé et s'efforçait de renouveler 
l'art amolli de son temps par un retour aux procédés 
des plus anciennes écoles memphites : elle y réussit, 
et si bien, qu'on a confondu parfois ses œuvres avec 
les œuvres les plus fines de la IV" et de la V" dynas- 
tie. L'autre, sans s'écarter trop ouvertement de la 
tradition, étudiait de préférence le vif et se rappro- 




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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



339 



ï4 



chait de la nature plus qu'on ne l'avait fait jusqu'alors. 
Peut-être Paurait-il emporté, si la 
conquête macédonienne et le con- 
tact prolongé des Grecs n'avaient 
détourné l'art égyptien vers des 
voies nouvelles. Le mouvement 
fut lent d'abord à se produire. 
Les sculpteurs habillèrent les suc- 
cesseurs d'Alexandre à l'égyp- 
tienne et les transformèrent en 
Pharaons, comme ils avaient fait 
avant eux les Hyksos et les Perses. 
Les pièces qu'on peut attribuer 
au règne des premiers Ptolémées 
ne diffèrent presque pas de celles 
de la bonne époque saïte, et c'est 
à peine si on remarque çà et là 
des traces d'influence grecque : 
ainsi le colosse d'Alexandre II, à 
Boulaq (fig. 202), est coiffé d'une 
étoffe flottante d'où s'échappent 
des boucles frisées. Bientôt pour- 
tant, la vue des chefs-d'œuvre de cwt -; 
la Grèce détermina les Egyp- mÈ.f 
tiens d'Alexandrie, de Memphis 
et des grandes villes du Delta à 
modifier leur manière de procé- 
der. Une école mixte s'établit, 
qui combina certains éléments 

^ PIC. 203. 

de Fart indigène avec d'autres élé- 
ments empruntés à Part hellénique. L'Isis alexan- 



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ajo 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



drine du musée de Boulaq a encore le costume de 
risis pharaonique : elle n^en a plus la sveltesse et le 

maintien guindé. Une effi- 
gie mutilée d'un prince 
de Siout, qui est égale- 
ment à Boulaq, pourrait 
presque passer pour une 
mauvaise statue grecque. 
Un certain Hor, dont le 
portrait a été découvert 
en 1881, au pied du Kom- 
ed-damas, non loin de 
l'emplacement du tom- 
beau d'Alexandre, nous a 
laissé l'œuvre la plus forte 
qu'on ait de ce genre hy- 
bride (ûg. 2o3). La tête 
est un bon morceau, d'un 
travail un peu sec. Le nez 
mince et long, les yeux 
rapprochés, la bouche pe- 
tite et pincée aux coins, le 
menton carré, tous les 
traits concourent à prêter 
à la figure un caractère de 
dureté et d'obstination. La 
chevelure est coupée ras, 
pas assez cependant pour 
qu'elle [ne se sépare naturellement en petites mèches 
épaisses. Le corps, revêtu de la^chlamyde, est assez 
gauchement taillé et trop étroit pour la tête. L'un des 




FIG. 20j. 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 



231 



bras pend, l'autre est ramené sur le ventre ; les pied^ 
manquent. Tous ces monuments sont sortis des fouilles 
récentes. Je ne doute pas que le sol d'Alexandrie ne 
nous en rendît beaucoup de pareils, si on pouvait 
l'explorer méthodiquement. L'école qui les produisît 
se rapprocha de plus en plus du 
style des écoles grecques, et la 
raideur, dont elle ne se dépouilla 
jamais entièrement, ne lui fut 
pas sans doute comptée comme un 
défaut, à une époque où certains 
sculpteurs au service de Rome se 
piquaient d'archaïsme. Je ne se- 
rais pas étonné si l'on venait à 
lui attribuer les statues de prêtres 
et de prétresses revêtues d'in- 
signes divins, dont Hadrien dé- 
cora les parties égyptiennes de sa 
villa de Tibur. Hors du Delta, 
les écoles indigènes, livrées à 
leurs propres ressources, lan- 
guirent et dépérirent peu à peu. 
Ce n'est pas que les modèles, ni 
même les artistes grecs, fissent 
entièrement défaut. J'ai décou- 
vert ou acheté dans la Thébaïde, au Fayoum, à Syène, 
des statuettes et des statues de style hellénique, d'un 
travail correct et soigné. Une d'elles, qui provient de 
Coptos, paraît être une réplique en petit d'une Vénus, 
analogue à la Vénus de Milo. Mais le§ sculpteurs du 
pays, trop inintelligents ou trop ignorants, ne surent 




FI G. 204. 



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aja L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

pas tîrer de ces modèles le parti que les Alexandrins 
avaient tiré des leurs. Quand ils voulurent prêter à leurs 
figures la souplesse et la plénitude des formes grecques, 
ils ne réussirent qu'à leur faire perdre la précision 
sèche, mais savante que leurs maîtres avaient acquise. Au 
lieu du relief fin, délicat, peu élevé, ils adoptèrent un 
relief très saillant au-dessus du fond, mais d'une ron- 
deur molle et d'un modelé sans vigueur. Les yeux 
sourient niaisement, l'aile du nez se relève; la com- 
missure des lèvres, le menton, tous les traits du visage 
sont tirés et semblent vouloir converger vers un même 
point central, qui est placé au milieu de l'oreille. Deux 
écoles, indépendantes Tune de l'autre, nous ont légué 
leurs œuvres. La moins connue florissait en Ethiopie, 
à la cour des rois à demi civilisés qui résidaient à 
Méroé. Un groupe, venu de Naga en 1882 et conservé 
à Boulaq, nous montre où elle en était arrivée au 
I" siècle de notre ère (fig. 204). Un dieu et une reine, 
debout côte à côte, sont ébauchés tant bien que mal 
dans un bloc de granit gris. L'œuvre est fruste, lourde, 
mais ne manque pas de fierté et d'énergie. L'école qui 
l'avait produite, isolée et comme perdue au milieu de 
peuplades sauvages, tomba rapidement dans la barba- 
rie et succomba probablement vers la fin du siècle 
des Antonins. L'Égyptienne se soutint quelque temps 
encore à l'abri de la domination romaine. Les Césars, 
non moins avisés que les Ptolémées, savaient qu'en 
flattant les sentiments religieux de leurs sujets égyp- 
tiens, ils assuraient leur domination sur la vallée du 
Nil. Ils firent restaurer ou rebâtir à grands frais les 
temples des dieux nationaux, sur les plans et dans l'es- 



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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE. 233 

prît d'autrefois. Thèbes avait été détruite par le trem- 
blement de terre de Tan 22 avant J.-C. et n'était 
plus pour eux qu'un lieu de pèlerinage où les dévots 
venaient écouter la voix de Memnon, au lever de Tau- 
rore. Mais Tibère et Claude achevèrent la décoration 
de Dendérah et d'Ombos, Caligula travailla à Coptos, 
les Antonins à Philae et à Esnèh. Les escouades de 
manœuvres qu'on employait en leur nom en savaient 
encore assez pour tracer des milliers de bas-reliefs 
selon les règles d'autrefois. Ce qu'ils faisaient est 
mou, disgracieux, ridicule ; la routine seule guidait 
leur ciseau : c'était la tradition antique, affaiblie et 
dégénérée si l'on veut, mais vivante encore et capable 
'de ce renouvellement. Les troubles qui éclatèrent au 
milieu du m® siècle, les incursions des Barbares, les 
progrès et le triomphe du christianisme amenèrent la 
suspension des derniers travaux et la dispersion des 
derniers ouvriers : ce qui restait de l'art national mou- 
rut avec eux. 



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CHAPITRE V 
LES ARTS INDUSTRIELS 

J'ai dit brièvement ce que furent les arts nobles ; il 
me reste à parler des arts industriels. Le goût du beau 
et Tamour du luxe avaient pénétré de bonne heure toutes 
les classes de la société. Vivant ou mort, l'Egyptien 
aimait avoir autour de lui et sur lui des bijoux et des 
amulettes de prix, des meubles soignés, des ustensiles 
élégants. Il voulait que tous les objets à son usage 
eussent, sinon la richesse de la matière, au moins la 
pureté de la forme, et la terre, la pierre, les métaux, le 
bois, les produits des pays ou des contrées lointaines, 
furent mis à contribution pour contenter ses exigences. 

§ I. — LA PIERRE, LA TERRE ET LE VERRE. 

On ne saurait parcourir une galerie égyptienne sans 
être surpris du nombre prodigieux de menues figures 
en pierre fine qui sont parvenues jusqu'à nous. On 
n'y voit pas encore le diamant, le rubis ni le saphir; 
mais, à cela près, le domaine du lapidaire était aussi 
étendu qu'il l'est aujourd'hui et comprenait l'améthyste, 
l'émeraude, le grenat, l'aîgue-marine,le cristal de roche, 



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I 



LES ARTS INDUSTRIELS. 335 

la prase, les mille variétés de Tagate et du jaspe, le lapis- 
lazuli, le feldspath, l'obsidienne, des roches comme le 
granit, la serpentine, le porphyre, des fossiles comme 
l'ambre jaune et certaines espèces de turquoises, des 
résidus de sécrétions animales comme le corail, la 
nacre, la perle, des oxydes métalliques comme 
l'hématite, la turquoise orientale et la mala- 
chite. Le plus grand nombre de ces substances 
étaient taillées en perles rondes, carrées, Im 
ovales, allongées en fuseau, en poire, en lo- / 1 \ 
sange. Enfilées et disposées sur plusieurs 
rangs, on en fabriquait des colliers, et c'est 
par myriades qu'on les ramasse dans le sable des né- 
cropoles, à Memphis, à Erment, près d'Akhmîm et 
d'Abydos. La perfection avec laquelle beaucoup d'entre 
elles sont calibrées, la netteté de la perce, la beauté 
du poli, font honneur aux ouvriers; 
mais là ne s'arrêtait pas leur science. Sans 
autre instrument que la pointe, ils les 
façonnaient en mille formes diverses, 
cœurs, doigts humains, serpents, ani- 
maux, images de divinités. C'étaient au- 
tant d'amulettes, et on les estimait moins peut-être 
pour l'agrément du travail que pour les vertus surnatu- 
relles qu'on leur attribuait. La boucle de ceinture en 
cornaline était le sang d'Isis et lavait les péchés de son 
maître (fig. 2o5). La grenouille rappelait l'idée de la 
renaissance (fig. 206) ; la colonnette en feldspath vert 
(fig. 207), celle du rajeunissement divin. L'œil mys- 
tique, l'ouza (fig. 208), lié au poignet ou au bras par 
une cordelette, protégeait contre le mauvais œil, contre 




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aj6 L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

les paroles d'envie ou de <:olère, contre la morsure 
des serpents. Le commerce répandait ces objets dans 
les régions du monde antique, et plusieurs d'entre eux, 
ceux surtout qui représentaient le scarabé sacré, furent 
imités au dehors par les Phéniciens, par les Syriens, en 
Grèce, en Asie Mineure, en Étrurie, en Sardaigne. L'in- 
secte s'appelait en égyptien khopirrou, et son nom déri- 
vait, croyait-on, de la racine khopiriy devenir. On fit de 
lui, par un jeu de mots facile à comprendre, Temblème de 
l'existence terrestre et des devenirs successifs 
de l'homme dans l'autre monde. L'amulette 
en forme de scarabée (fig. 209) est donc un 
symbole de durée présente ou future ; le gar- 
der sur soi était une garantie contre la mort. 
Mille significations mystiques découlèrent de 
PIC. 207. ^^ premier sens. Chacune d'elles fut rattachée 
subtilement à l'un des actes ou des usages de 
la vie journalière, et les scarabées se multiplièrent à 
l'infini. Il y en a de toute matière et de toute gran- 
deur, à tête d'épervier, de bélier, d'homme, de taureau, 
les uns fouillés aussi curieusement sur le ventre que 
sur le dos, les autres plats et unis par-dessous, d'autres 
enfin qui retiennent à peine le vague contour de l'in- 
secte et qu'on appelle scarabéoïdes. Ils sont percés, dans 
le sens de la longueur, d'un trou par lequel on passait 
une mince tige de bois, un fil de bronze ou d'argent, 
une cordelette pour les suspendre. Les plus gros 
étaient comme l'image du cœur. On les collait sur la 
poitrine des momies, ailes déployées, et une prière, 
tracée sur le plat, adjurait le cœur de ne point porter 
témoignage contre le mort au jour du jugement. Pour 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



aj7 




FI G. 208. 



plus d'efficacité, on joignait à la formule quelques 
scènes d'adoration : le disque de la lune acclamé par 
deux cynocéphales sur le corselet, deux Ammon accrou- 
pis sur les élytres, sur le plat la barque solaire, et, 
sous la barque, Osiris-mpmie, accroupi entre Isis et 
Nephthys qui l'enveloppent de leurs 
ailes. Les petits scarabées, après avoir 
servi de phylactère, finirent par 
n'être plus que des bijoux sans valeur 
religieuse, comme les croix que nos 
femmes portent au cou en complé- 
ment de leur toilette. On en faisait des chatons de 
bague, les pendeloques d'un collier ou d'une boucle 
d'oreille, les perles d'un bracelet. Le plat est souvent 
nu, plus souvent orné de dessins creusés dans la masse, 
sans modelé d'aucune sorte ; le relief 
proprement dit, celui du camée, était 
inconnu des lapidaires égyptiens avant 
l'époque grecque. Les sujets n'ont pas 
été encore classés, ni même recueillis 
entièrement. Ce sont de simples com- 
binaisons de lignes, des enroulements, des entrelacs 
sans signification précise, des symboles auxquels le 
propriétaire attachait un sens mystérieux, et que per- 
sonne, sauf lui, ne pouvait comprendre, le nom et les 
titres d'un individu, des cartouches royaux ayant un 
intérêt historique, des souhaits de bonheur, des éja- 
culations pieuses, des conjurations magiques. Plu- 
sieurs scarabées d'obsidienne et de cristal remontent 
à la VI» dynastie. D'autres, assez grossiers et sans écri- 
ture, sont en améthyste, en émeraude et même en gre- 




FIG. 209. 



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2j8 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

nat; ils appartiennent aux commencements du pre- 
mier empire thébain. A partir de la XVIII® dynastie, 
on les compte par milliers, et le travail en est d^un fini 
proportionné au plus ou moins de dureté de la pierre. 
C'est, du reste, le cas pour toutes les sortes d'amulettes. 
Les têtes d'hippopotame, les âmes à visage'humain, les 
cœurs qu'on ramasse à Taoud, au sud de Thèbes, sont 
à peine ébauchés; l'améthyste et le feldspath vert d'où 
on les dégageait présentaient à la pointe une résistance 
presque invincible. Au contraire, les boucles de cein- 
ture, les équerres, les chevets en jaspe rouge, en corna- 
line et en hématite, sont ciselés jusque dans les moindres 
détails ; les pierres étaient de celles qu'un instrument 
médiocre attaque sans difficulté. Le lapis -lazuli est 
tendre, cassant; il tient mal ses arêtes et semble ne se 
plier à aucune finesse. Les Egyptiens y ont façonné 
pourtant des portraits de déesses, des Isis, des Nephthys, 
des Nit, des Sokhit, qui sont de véritables merveilles 
de délicatesse. Les reliefs du corps y sont poussés avec 
autant d'assurance que s'ils étaient ménagés dans une 
matière moins capricieuse, et les traits du visage ne 
perdent rien à être étudiés à la loupe. La plupart du 
temps on a procédé d'une autre méthode. Au lieu de dé- 
tailler le relief, on l'a abrégé autant que possible, et on 
l'a procuré par larges plans contrariés, sacrifiant le rendu 
de chaque partie à l'efiet de l'ensemble. Les saillants et 
les creux du visage sont accentués fortement. L'épaisseur 
du cou, la coupe de la gorge et de l'épaule, l'étroitesse 
de la taille, l'évasement des hanches, la rondeur du 
ventre sont exagérés. Une arête presque tranchante des- 
sine la ligne de la cuisse et du tibia. Les pieds et les 



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LES ARTS INDUSTRIELS. sjp 

mains sont légèrement agrandis. Tout cela est le pro- 
duit d'un calcul à la fois hardi et judicieux. Une 
réduction mathématiquement exacte du modèle n'est 
pas aussi heureuse qu'on pourrait croire, lorsqu'il 
s'agit de sculpter en miniature. La tête perd son ca- 
ractère, le cou paraît trop faible,' le buste n'est plus 
qu'un qylindre inégalement bosselé, les extrémités ne 
semblent plus assez solides pour soutenir le poids 
du corps, les lignes principales ne se démêlent plus 
du chaos des secondaires. En supprimant le plus des 
formes accessoires, et en développant celles qui con- 
tribuent à l'expression, les Égyptiens ont échappé au 
danger de ne faire que des figurines insignifiantes. 
L'œil rabat de lui-même ce qu'il y a de trop dans ce 
qu'il voit et suppose le reste. Grâce à celte tricherie ha- 
bile, telle statuette de divinité, qui mesure à peine trois 
centimètres, a presque l'ampleur et la gravité d'un 
colosse. 

Le mobilier des dieux et celui des morts étaient 
pour une bonne part en pierre solide et durable. J'ai si- 
gnalé ailleurs les petits obélisques funéraires qui pro- 
viennent des tombes de l'ancien empire, les bases 
d'autel, les stèles, les tables d'offrandes. La mode était 
de fabriquer les tables en albâtre «ou en calcaire au 
temps des pyramides, en granit ou en grès rouge sous 
les rois thébains, en basalte ou en serpentine, à partir 
de la XXVP dynastie ; mais la mode n'avait rien d'obli- 
gatoire, et l'on en trouve de toute pierre à toutes les 
époques. Quelques-unes ne sont que des disques plats 
ou creusés légèrement en cuvette. D'autres sont rec- 
tangulaires et étalent, à la partie supérieure, des pains, 



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SiO L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

des vases, des quartiers de bœuf et de gazelle, des fruits 
sculptés en relief. Dans celle de Sitou, la libation, au 
lieu de s^écouler au dehors, était recueillie dans un 
bassin carré, divisé en étages pour montrer la hauteur 
de Peau du Nil dans les réservoirs de Memphis, aux 
différentes saisons, vingt-cinq coudées en été pendant 
l'inondation, vingt-trois en automne et au commence- 
ment de l'hiver, vingt-deux à la fin de Thiver et au prin- 
temps. Ces formes diverses prêtent peu au beau; une 
des tables de Saqqarah est pourtant une œuvre véritable 
d'art. Elle est en albâtre. Deux lions debout, accotés, 
soutiennent une tablette rectangulaire, inclinée en 
pente douce; une rigole conduit la libation dans un 
vase placé entre la queue des deux bêtes. Les oies en 
albâtre de Lisht ne manquent pas non plus de mérite ; 
elles sont coupées en long par le milieu et dûment évi- 
dées en manière de boîte. Celles que j'ai vues ailleurs, 
et en général toutes les figures d'offrandes, pains, gâ- 
teaux, têtes de bœuf ou de gazelle, grappes de raisin 
noir en calcaire peint, sont d'un goût douteux et d'une 
main maladroite. Elles ne sont pas d'ailleurs très fré- 
quentes, et je n'en ai guère rencontré en dehors des 
tombes de la V® et de la XII* dynastie. Les cànopes, 
au contraire, étaient toujours d'un travail très soigné. 
On n'employait que deux sortes de pierre à les fabri- 
quer, le calcaire et l'albâtre; mais les têtes qui les sur- 
montent étaient souvent en bois peint. Les canopes de 
Pepi 1" sont en albâtre ; en albâtre aus^i les têtes hu- 
maines des canopes qui appartenaient au roi enterré 
dans la pyramide méridionale de Lisht. L'une d'elles 
est même d'une finesse d'exécution qu'on ne saurait 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



241 




comparer qu'à celle delà statue de Khâfrî. Les statuettes 
funéraires les plus vieilles que nous ayons jusqu'à pré- 
sent, celles de la XI« dynastie, sont 
en albâtre, comme les canopes; mais, 
à partir de la XIII*, on entaillait en 
calcaire fin. Le travail en est de valeur 
très inégalé. Quelques-unes sont de 
véritables chefs-d'œuvre et nous ren- 
dent la physionomie du mort aussi 

^ •' Fie. 2IC. 

fidèlement qu'une statue pourrait le 
faire. Les vases à parfums complétaient le mobilier 
des temples et des tombes. La nomenclature 
est loin d'en être fixée, et la plupart des termes 
spéciaux, que les textes nous fournissent, 
restent encore sans équivalent pour nous. 
Le grand nombre était en albâtre, tourné et 
poli: les uns, disgracieux et lourds (fig. 210); 
les autres d'une élégance et d'une diversité 
de galbe, qui fait honneur à Tesprit inventif 
des ouvriers. Ils sont fuselés et pointus par 
en bas (fig. 211), ou arrondis de la panse, étroits à la 
gorge, plats à la base (fig, 212). Ils n'ont 
point d'ornements, si ce n'est parfois deux 
boutons de lotus, en guise d'anse, deux 
mufles de lion, une petite tête de femme, 
qui fait saillie à la naissance du goulot 
(fig. 21 3). Les plus petits n'étaient pas des- 
tinés à contenir des liquides, mais des 
pommades, des onguents médicinaux, des pâtes miel- 
lées. Une des séries les plus importantes comprend des 
flacons au ventre rebondi, garnis au cou d'un léger re- 

16 




FIG. »J2. 



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24» 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 




Fie. aij. 



bord cylindrique et d'un couvercle plat (fig. 214). Les 
Égyptiens y mettaient la poudre d'antimoine avec la- 
quelle ils se noircissaient les sourcils et les yeux. Cet 
étui à kohol était un des objets de toilette le plus ré- 
pandu, le seul peut-être dont Tusage fût commun à 
toutes les classes de la société. La fantaisie 
s'en mêlant, on lui donna toute sorte de 
formes empruntées à Thomme, aux plantes , 
aux animaux. C'est un lotus ouvert, un 
hérisson, un épervier, un singe serrant 
une colonne contre sa poitrine ou grim- 
pant le long d'une jarre, une figure gro- 
tesque du dieu Bîsou, une femme age- 
nouillée dont le corps évidé contenait la 
poudre, une jeune fille qui porte une 
amphore. L'imagination des artistes une 
fois lancée dans cette voie ne connut plus de limites, 
et tout leur fut bon, le granit, le diorite, la brèche et 
le jade rosi, l'albâtre, puis le calcaire 
tendre, dont le grain se prétait mieux 
à rendre leurs caprices , puis une 
substance plus complaisante et plus sou- 
ple encore, la terre peinte et émaillée. 

Si Tart de modeler et de cuire la terre ne s'est pas 
développé aussi pleinement en Egypte qu'il a fait en 
Grèce, ce n'est pas faute de matière première. La vallée 
du Nil fournit en abondance une argile fine et ductile, 
dont on aurait pu tirer le plus heureux parti si on 
s'était donné la peine de la préparer avec soin ; mais 
on lui préféra toujours les métaux et la pierre dure 
pour les objets de luxe, et le potier se contenta de 




FIG. 2 14. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. a^i 

# 

fournir aux besoins les plus communs du ménage ou 
de la vie courante. La terre était prise sans choix, à 
Pendroit même où l'ouvrier se trouvait pour le moment, 
mal lavée, mal pétrie, puis façonnée au doigt, sur un 
tour en bois des plus primitifs, qu'on manœuvrait 
avec la main. La cuisson était fort inégale. Certaines 
pièces ont été à peine exposées à la flamme et fondent 
au contact de Peau; d'autres ont la dureté de la tuile. 
Les tombes de Pancien empire renferment chacune 
quelques vases d'une pâte jaune ou rouge, mêlée sou- 
vent, comme celle des briques, de paille ou d'herbe 
finement hachée. Ce sont des jarres de forte taille, sans 
pied, ni anse, à la panse ovoïde, au col bas, à l'orifice 
largement ouvert et bordé d'un bourrelet, des marmites 
et des pots de ménage où l'on emmagasinait les provi- 
sions du mort, des coupes plus ou moins profondes, 
des assiettes à fond plat, semblables à celles que les 
fellahs emploient aujourd'hui encore, parfois même 
des services de table ou de cuisine en miniature, des- 
tinés à remplacer les services de grandeur naturelle, 
trop coûteux pour les pauvres gens. La surface est 
rarement vernie, rarement polie et lustrée, le plus sou- 
vent recouverte d'une couche uniforme de peinture 
blanchâtre, qui n'a point reçu le coup de feu et se déta- 
che au moindre choc. Aucun dessin à la pointe, aucun 
ornement en creux ou en relief, aucune inscription, 
mais, autour du col, les traces de quatre ou cinq filets 
parallèles noirs, rouges ou jaunes. Les poteries des 
premières dynasties thébaines que j'ai recueillies à 
El-Khozam et à Gébéléïn sont plus soignées d'exécution 
que celles des dynasties memphites. Elles se répartissent 



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a+t L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

en deux classes. La première comprend des vases à 
panse lisse et nue, noire par en bas, rouge sombre par 
en haut. L'examen des cassures montre que la couleur 
était mêlée à la pâte pendant le brassage : les deux zones, 
préparées séparément, étaient soudées ensuite de façon 
assez irrégulière, puis glacées uniformément. La se- 
conde classe contient des vases de formes très variées, 
souvent bizarres, d'une terre rouge 
ou jaune terne, grands cylindres fer- 
més par un bout, plats, oblongs, 
rappelant la coupe d'un bateau , 
burettes conjuguées deux à deux, 
mais ne communiquant pas ensem- 
ble (fig. 2x5). L'ornementation est répandue sur toute la 
surface et consiste d'ordinaire en raies droites, tirées 
parallèlement l'une à l'autre ou entre-croisées, en lignes 
ondées, en rangées de points ou de petites croix com- 
binées avec les lignes, le tout en blanc quand le fond 
est rouge, en rouge brun quand il est jaune ou blan- 
châtre. De temps en temps, des figures d'hommes ou 
d'animaux s'intercalent au mijîeu des combinaisons 
géométriques. Le dessin en est rude, presque enfantin, 
et c'est à peine si l'on y reconnaît des troupeaux d'anti- 
lopes ou des scènes de chasse à la gazelle. Les manœu- 
vres qui produisaient ces esquisses grossières étaient 
pourtant contemporains des artistes qui décoraient les 
grottes de Béni-Hassan. Pour la période des grandes 
conquêtes, les tombeaux thébains nous ont fourni de 
pleins musées de poteries, malheureusement assez peu 
intéressantes. D'abord des figurines funéraires, rapide- 
ment modelées à la main dans des galettes d'argile 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 24$ 

allongées. Un peu de terre pincé entre les doigts, et le 
nez sort de la masse ; deux pastilles et deux moignons 
?ijoutés après coup représentent les yeux et les bras. Les 
plus soignées ont été façonnées dans des moules en terre 
cuite dont nous possédons de nombreux spécimens. 
Elles étaient généralement coulées d'une seule pièce, 
puis retouchées légèrement, cuites, peintes, au sortir du 
four, en rouge, en Jaune et en blanc, chargées enfin 
d'hiéroglyphes à la pointe ou au pinceau. Plusieurs 
sont d'un style très fin et égalent presque les figu- 
rines en calcaire : celles du scribe Hori, conservées au 
musée de Boulaq, ont environ quarante centimètres de 
haut et montrent ce que les Égyptiens auraient pu 
faire en ce genre s'ils avaient voulu s'y adonner. Les 
cônes funéraires étaient des objets de pure dévotion, 
que l'art le plus consommé n'aurait pas réussi à rendre 
élégants. Figurez-vous une masse de terre conique, 
étirée de long, timbrée à la base d'un cachet sur lequel 
étaient imprimés le nom, la filiation, les titres du pos- 
sesseur, et egduite jusqu'à la pointe d'une couche de cou- 
leur blanchâtre : c'étaient des simulacres de pains 
d'offrandes, destinés à nourrir le mort éternellement. 
Beaucoup des vases qu'on déposait dans la tombe sont 
peints en imitation d'albâtre, de granit, de basalte, de 
bronze ou même d'or, et sont la contrefaçon à bon 
marché des vases en matières précieuses que les riches 
donnaient aux momies. Parmi ceux qui ont servi à 
contenir de l'eau et des fleurs, quelques-uns sont revê- 
tus de dessins au trait rouge et noir (fig. 216), cercles 
et rubans concentriques (fig. 217), méandres, emblèmes 
religieux (fig. 218), lignes croisées simulant des filets 



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S4<J L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

à mailles étroites, cordons de fleurs ou de boutons, 

tiges chargées de feuilles qui descendent du goulot sur 

la panse ou remontent de la panse au goulot : ceux 

^_^^ du tombeau de Sennotmou avaient, sur 

^§M Tune des faces, un large collier, analogue 

'^^9^^ 2iu collier des momies, et peint des plus 

».{_ ^i_;_lro vives couleurs pour imiter les fleurs natu- 

\ _v/ relies ou les émaux. Les canopes en terre 

cuite, rares à la XVIIP dynastie, devien- 

FIC, 210. ' •' ' 

nent de plus en plus fréquents à mesure 
que Thèbes s'appauvrit. Les têtes qui les recouvrent 
sont ordinairement jolies de coupe et d'expres: 
sion, surtout la tête humaine. Modelées à la 
main, évidées pour diminuer le poids, puis 
cuites longuement, on les revêtait chacune des 
couleurs particulières au génie qu'elles repré- ^^^ 
sentaient. Vers la XX« dynastie, Pusage s'éta- 
blit d'y enfermer le corps des animaux sacrés. Ceux 
qu'on trouve près d'Akhmîm contenaient des 
chacals et des éperviers; ceux dm Saqqarah, 
des serpents, des rats embaumés, des œufs; 
ceux d'Abydos, des ibis. Les derniers sont 
de beaucoup les plus beaux. La déesse pro- 
tectrice Khouit étend ses ailes sur la panse, 
tandis qu'Hor et Thot présentent la bande- 
lette et le vase à onguent: le tout est en bleu 
et rouge sur fond blanc, A partir de l'époque grecque, 
la pauvreté augmentant toujours, la fabrication s'éten- 
dit des canopes aux cercueils. L'isthme de Suez, Ah- 
nas-el-Médinéh, le Fayoum, Assouan, la Nubie, pos- 
sèdent des nécropoles entières où l'on ne rencontre 




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FI G. 2I9« 



LES ARTS INDUSTRIELS, 247 

que des sarcophages en terre cuite. Plusieurs ont l'ap- 
parence des caisses oblongues, arrondies aux deux 
bouts, au couvercle en dos d'âne. Celles qui ont encore 
la forme humaine sont de style barbare. La tête est sur- 
montée d'une sorte de boudin qui simule l'ancienne 
coiffure égyptienne, les traits du visage sont indiqués 
en deux ou trois coups de pouce ou d'ébauchoir : deux 
petites pelotes, appliquées gauchement sur la poitrine, 
marquent un cercueil de femme. Même en ces der- 
niers temps de la 
civilisation égyp- 
tienne, les pièces 
les plus grossières 
sont les seules qui 
gardent la teinte 
naturelle de la terre. Là, comme ailleurs, on la cachait 
presque toujours sous une couche de couleur ou 
d'émail richement coloré. 

Le verre a été connu en Egypte de toute antiquité. 
La fabrication en est représentée dans quelques tom- 
beaux, plusieurs milliers d'années avant notre ère 
(fig. 219). L'ouvrier, assis devant le foyer, recueillait 
au bout de sa canne une petite quantité de matière 
en fusion, et la soufflait prudemment, en ayant soin de 
la maintenir à la flamme pour l'empêcher de durcir 
pendant l'opération. L'analyse chimique montre que le 
verre égyptien avait à peu près la même composition 
que le nôtre; mais il renferme, outre la silice, la chaux, 
l'alumine, la soude, des quantités relativement consi- 
dérables de substances étrangères, cuivre, oxyde de fer 
et de manganèse, dont on ne savait pas le débarrasser. 



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«48 L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

Aussi n'est-il presque jamais d'une teinte très pure; il 
a une nuance incertaine qui tire sur le jaune ou sur 
le vert. Certaines pièces, de mauvaise fabrication, se 
sont décomposées dans toute leur épaisseur, et tombent, 
à la moindre pression, en lamelles ou en poussière iri- 
sée. D'autres n'ont pas trop souffert du temps ou de 
l'humidité, mais elles sont striées et pleines de bulles. 
D'autres enfin, mais peu, sont d'une homogénéité et 
d'une limpidité parfaites. La vogue ne s'attachait pas, 
comme chez nous, aux verres incolores; elle était aux 
verres de couleur, opaques ou transparents. On les 
teignait en mêlant des oxydes métalliques aux ingré- 
dients ordinaires, du cuivre et du cobalt pour les 
bleus, du cuivre pour les verts, du manganèse pour les 
violets et pour les bruns, du fer pour les jaunes, du 
plomb ou de l'étain pour les blancs. Une variété de 
rouge haricot renferme trente pour cent de bronze et 
s'enveloppe d'une couche de vert-de-gris sous l'influence 
de l'humidité. Toute cette chimie était empirique et de 
pur instinct. Les ouvriers trouvaient autour d'eux les 
éléments nécessaires, ou les recevaient du dehors, et 
s'en servaient tels quels, sans être toujours assurés 
d'obtenir l'effet qu'ils recherchaient : beaucoup de leurs 
combinaisons les plus harmonieuses étaient dues au 
hasard, et ils ne pouvaient pas les reproduire à vo- 
lonté. Les masses qu'ils obtenaient de la sorte attei- 
gnaient parfois des dimensions considérables : les au- 
teurs classiques nous parlent de stèles, de cercueils, de 
colonnes d'une seule pièce. A l'ordinaire, on n'em- 
ployait le verre qu'à la fabrication des petits objets, 
surtout à la contrefaçon des pierres fines. Si peu coû- 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 2+9 

teuses qu^elles fussent sur les marchés de F Egypte, 
elles n'étaient pas accessibles à tout le monde. Les 
verriers imitèrent rémeraude, le jaspe, le lapis-lazuli, 
la cornaline, et cela avec une telle perfection que 
nous sommes souvent embarrassés aujourd'hui pour 
distinguer les pierres vraies des fausses. On les cou- 
lait dans des moules en pierre ou en calcaire à la 
forme qu'on voulait, perles, disques, anneaux, pende- 
loques de colliers, rubans et baguettes étroites, plaques 
chargées d'hommes ou d'animaux, images de dieux et 
de déesses. On en faisait des yeux et des sourcils pour 
le visage des statues en pierre ou en bronze, des brace- 
lets pour leurs poignets, on Jes sertissait dans le 
creux des hiéroglyphes, on les découpait en hiéro- 
glyphes, on en composait des inscriptions entières 
qu'on encadrait dans le bois, dans la pierre ou dans le 
métal. Les deux caisses où reposait la momie de No- 
temit, mère du pharaon Hrihor-Siamon, sont déco- 
rées de cette manière. Une feuille d'or les recouvre en 
entier, à l'exception de la coiffure et de quelques dé- 
tails : les textes et les parties principales de l'orne- 
mentation sont formés d'émaux, dont les teintes vives 
se détachent sur le ton mat de l'or. Les momies du . 
Fayoum étaient enduites de plâtre ou de stuc, où l'on 
incrustait les scènes et les légendes qu'on se contentait 
de peindre partout ailleurs. Les plus grandes 'étaient 
composées de plusieurs morceaux de verre, rapportés 
et retouchés au ciseau à l'imitation d'un bas-relief. 
Ainsi, la déesse Mâït a les nus, Ja face, les mains, les 
pieds, en bleu turquoise, la coiffure en bleu très 
sombre, la plume en filets alternativement bleus et 



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350 L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

jaunes, la robe en rouge haricot. Sur le naos en bois, 
récemmen.. découvert dans le voisinage de Daphné, et 
sur un fragment de cercueil du musée de Turin, les 
hiéroglyphes en verre multicolore ressortent directe- 
ment sur le fond sombre du bois. Le tout forme un en- 
semble d'un éclat et d'une richesse à peine concevables. 
Verres filigranes, verres gravés et taillés, verres soudés, 
verres simulant le bois, la paille, la corde, les Egyp- 
tiens n'ont rien ignoré. J'ai eu entre les mains une règle 
carrée, formée de baguettes multicolores agglutinées, 
et dont la tranche laissait lire le cartouche d'un des 
Amenemhât : le motif se prolongeait dans la masse, et, 
à quelque endroit de la hauteur qu'on le coupât, le 
cartouche reparaissait. Les verres à miniatures remplis- 
sent presque à eux seuls une vitrine entière du musée 
de Boulaq. Ici, c'est un singe à quatre pattes, qui flaire 
un gros fruit posé à terre. Là, un portrait de femme, 
dessiné de face, sur fond blanc ou vert d'eau encadré de 
rouge. La plupart des plaques ne représentent que des 
rosaces, des étoiles, des fleurs isolées ou mariées en 
bouquet. Une des plus petites porte un bœuf Apis, à la 
robe blanche et noire, debout, marchant : le travail en 
est si délicat qu'il ne perd rien à être examiné à la 
loupe. La plupart des objets de ce genre ne sont pas 
antérieurs à la première dynastie saîte;mais les fouilles 
exécutées à Thèbes ont prouvé que, dès le x« siècle 
avant notre ère, le goût et, par suite, la fabrication des 
verres multicolores étaient chose commune en Egypte. 
On a recueilli, à Gournét-Murraï et à Shéikh-Abd-el- 
Gournah, non seulement les amulettes à l'usage des 
morts, colonnettes, cœurs, yeux mystiques, hippopo- 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



a$« 




tames debout sur leurs pattes de derrière, canards 
accouplés, en pâtes bleues, rouges, jaunes, 
mélangées, mais des vases du type de ceux 
qu'on est accoutumé à considérer comme 
étant de travail phénicien et cypriote. 
Voici, par exemple, une petite œnochoé en 
verre bleu clair semi-opaque (fig. 220) : 
rinscription au nom de Thoutmos III, les 
oves du goulot et les palmes de la panse 
sont tracés en jaune. Voici encore une am- 
poule lenticulaire, haute de huit centi- *''°' **^' 
mètres (fig. 221), à fond bleu marin 
d'une intensité et d'une pureté ad- 
mirables, sur lequel un semis de 
feuilles de fougère s'enlève en jaune, 
d'un trait fin et hardi ; deux petites 
anses vert clair s'attachent au col et 
un filet jaune court sur le rebord du 
goulot. Une amphore de même 
'*"' '""* taille est d'un vert olive profond et 

demi-transparent (fig. 221). Une ceinture 
de chevrons bleus et jaunes, saisis entre 
quatre lignes jaunes, lui serre la panse à 
l'endroit le plus large; les anses sont 
vert clair et le filet est bleu tendre. La 
princesse Nsikhonsou avait à côté d'elle, 
dans la cachette de Déir-el-Baharî, des 
gobelets de travail analogue, sept en 
pâte unie vert clair, jaune, bleue, quatre 
en une pâte noire mouchetée de blanc, un seul enve- 
loppé de feuilles de fougère multicolores, disposées sur 





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a$a 



L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 



deux rangs (fig. 223). Les manufactures étaient donc en 
pleine activité dès le temps des grandes dynasties thé- 
baines. Des monceaux de scories, mêlées à des rebuts 
de cuisson, marquent encore, au Ramesséum, à El-Kab, 
sur le tell d'Ashmounéïn, la place où leurs fourneaux 
s^allumaient. 

Les Égyptiens émaillaient la pierre. La moitié au 

moins des scara- 
bées, des cylindres et 
des amulettes que 
renferment nos mu- 
sées, sont en calcaire, 
en schiste, en lignite, 
revêtus d^une glaçure 
colorée. L'argile or- 
dinaire ne leur pa- 
raissait pas sans 
doute appropriée à 
ce genre de décora- 
tion. Ils la rempla- 
çaient par plusieurs sortes de terre, Tune blanche et 
sableuse, l'autre bise et fine, produite parla pulvérisation 
d'un calcaire spécial, qu'on trouve en abondance aux 
environs de Qénéh^ de Louxor et d'Assouan, une troi- 
sième rougeâtre et mêlée de grès en poudre et de brique 
pilée. Ces substances diverses sont bien connues sous les 
noms également inexacts de porcelaines ou faïences 
égyptiennes. Les plus anciennes, à peine lustrées, sont 
couvertes d'un enduit excessivement mince, ^auf dans 
le creux des hiéroglyphes et des figures, où la matière 
vitreuse accumulée tranche, par son aspect luisant, sur 




FIG. aaj. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



2$î 




le ton mat des parties environnantes. Le vert est de beau- 
coup la couleur la plus fréquente sous les anciennes 
dynasties; mais le jaune, le rouge, le brun, le violet, le 
bleu, n'étaient point dédaignés. Le bleu l'emporta dans 
les manufactures thébaines, dès les premières années du 
moyen empire. C'est, d'ordinaire, iin bleu brillant et 
doux, imitant la turquoise ou le lapis-Iazuli. Le musée 
de Boulaq possédait 



jadis trois hippopo- 
tames de cette 
nuance, découverts à 
Drah-aboûl-Neggah, 
dans la tombe d'un 
Entouf. Un était cou- 
ché, les deux autres 
sont debout dans un 
marais, et le potier a dessiné sur leur corps, à l'encre 
noire, des fourrés de roseaux et de lotus au milieu des- 
quels volent des oiseaux et des papillons (fig. 224). 
C'était une manière de montrer la betedans son milieu 
naturel. Le bleu en est profond, éclatant, et il faut des- 
cendre vingt siècles d'un coup pour en retrouver d'aussi 
pur, parmi les statuettes funéraires qui proviennent de 
Dêir-el-Baharî. Le vert reparaît avec les dynasties saïtes, 
plus pâle qu'aux anciennes époques. Il domine dans le 
nord de l'Egypte, à Memphis, à Bubaste, à Saïs, mais 
sans éliminer entièrement le bleu. Les autres nuances 
n'ont été d'usage courant que pendant quatre ou cinq 
siècles, d'Ahmos I«' aux Ramessides. C'est alors, mais 
alors seulement, qu'on voit se multiplier les Répon- 
dants à vernis blanc ou rouge, les fleurs de lotus et les 



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V..- 



as* 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 




FiG. au5. 



rosaces jaunes, rouges et violettes, les boîtes à kohol 
bariolées. Les potiers du temps d'Amenhotpou III 
avaient un goût particulier pour les tons gris et violets. 
Les olives au nom de ce pharaon et des princesses de sa 
famille portent des hiéroglyphes en bleu léger sur un 
fond mauve des plus délicats. Le 
vase de la reine Tiï, au musée de 
Boulaq, est d'un gris mêlé de bleu ; 
il a, autour du goulot, des orne- 
ments et des légendes en deux cou- 
leurs. La fabrication des émaux 
multicolores paraît avoir atteint 
son plus grand développement 
sous Khouniaton : du moins est-ce à Tell-Amarna que 
j'en ai trouvé les modèles les plus fins et les plus légers, 
des bagues jaunes, vertes, violettes, 
des fleurettes blanches ou bleues, 
des poissons, des luths, des gre- 
nades, des grappes de raisin. Telle 
figurine d^Hor a le corps bleu et 
la face rouge; tel chaton 
de bague porte, sur une 
surface bleu clair, le nom du roi réservé en 
violet. Si restreint que soit Tespace, les tons 
divers ont été posés avec une t^lle sûreté de 
main qu^ils ne se confondent jamais, mais tranchent vi- 
vement Tun sur Tautre. Un vase à poudre d'antimoine, 
ciselé et monté sur un pied à jour, est glacé de rouge brun 
(fig. 225). Un autre, qui a la forme d'un épervier mi- 
tre, est bleu, rehaussé de taches noires; il appartenait 
jadis au roi Ahmos P^ Un troisième, creusé dans un 





FIG. 226, 



FIG. 227 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



«55 




FI G. 228. 



hérisson de bonne volonté, est d^un vert chatoyant 
(fig. 226). Une tête de pharaon, d'un bleu mat, 
porte une coiffure rayée de 
bleu sombre. Si belles que 
soient ces pièces, le chef- 
d'œuvre de la série est la sta- 
tuette du premier prophète 
d'Amon Ptahmos, à Boulaq. 
Les hiéroglyphes et les détails 
du maillot funéraire ont été 
gravés en relief, sur un fond 
blanc d'une égalité admirable, 
puis remplis d'émaux. Le visage et les mains sont bleu 
turquoise, la coiffure est jaune à raies violettes, violets 

également sont les carac- 
tères de l'inscription et le 
vautour qui déploie ses 
ailes sur la poitrine. Letout 
est harmonieux, brillant, 
léger: aucune bavure n'é- 
mousse la pureté des con- 
toursou la netteté destraits. 
La poterie émaillée fut 
commune en tous temps. 
Lestasses à pied (fîg. 227), 
les bols bleus, arrondis du 
fond et ornés d'yeux mys- 
tiques, de lotus, de pois- 
sons (fig. 228), de palmes à l'encre noire, sont en général 
de la XVI 11% de la XIX« ou de la XXe dynastie. Les 
ampoules lenticulaires, à vernis verdâire, garnies de 




IG. 229. 



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a$6 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



rangs de perles ou d^oves sur la tranche, de colliers sur 
la panse, et flanquées de deux singes accroupis en guise 
d'anses, appartiennent toutes, ou peu s'en faut, au règne 
d'Apriès et d'Amasis (fig. 229). Manches de sistre, 
coupes, vases à boire en forme de lotus à demi épanoui, 







FIG. 230. 

plats, écuelles de table, les Egyptiens aimaient cette 
vaisselle fraîche au toucher, agréable à l'œil et facile à 
tenir propre. Poussaient-ils le goût de Témail jusqu'à 
en recouvrir les murs mêmes de leurs maisons ? Rien ne 
permet de l'affirmer ou de le nier avec certitude, et les 
quelques exemples que nous avons de ce mode de dé- 
coration proviennent tous d'édifices royaux. On lit le 
prénom et la bannière de Pepi V^ sur une brique jaune, 
les noms de Ramsès III sur une verte, ceux de Séti I" 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 257 

et de Sheshonq sur des fragments rouges et blancs. 
Une des chambres de la pyramide à degrés de Saq- 
qarah avait gardé jusqu'au commencement du siècle 
sa parure de faïence (fig. 23o). Elle était re- 
vêtue aux trois quarts de plaques vertes, 
oblongues, légèrement convexes au dehors, 
mais plates à la face interne (fig. 23 1); une 
saillie carrée, percée d'un trou, servait à les 
assembler par derrière, sur une seule ligne ho- 
rizontale, au moyen d'une baguette de bois. 
Les trois bandes qui encadraient la porte du 

Fie. 2jl. 

fond sont historiées aux titres d'un pharaon 

mal classé des premières dynasties memphites. Les 

hiéroglyphes s'enlèvent en bleu , en rouge, 
Y7 \;^ en vert, en jaune, sur un ton chamoîsé. 

Vingt siècles plus tard, Ramsès III essaya 

d'un genre nouveau à Tell-el-Yahoudî. Cette 
FIG. 2ja. fois ce n'est plus d'une seule chambre, 

c'est d'un temple entier qu'il s'agit. Le 
noyau de la bâtisse était en calcaire et en albâtre; 
mais les tableaux, au lieu d'être sculptés 
comme à l'ordinaire, étaient en une sorte 
de mosaïque, où la pierre découpée et la 
terre vernissée se combinaient à parties 
presque égales. L'élément le plus fréquem- 
ment répété est une rondelle en frite sa- 
bleuse, revêtue d'un enduit bleu ou gris, sur lequel 
se détachent en nuance crème des rosaces simples, 
(fig. 232) ou encadrées de dessins géométriques 
(fig. 233), des toiles d'araignées, des fleurs ouvertes. 
Le bouton central est en relief, les feuilles et les ré- 





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2s8 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



seaux sont incrustés dans la masse. Ces rondelles, dont 

le diamètre varie d'un à dix centimètres, étaient fixées 

à la paroi au moyen d'un ciment très fin. On les 

employait à dessiner des ornements 

très divers, enroulements, rinceaux, 

filets parallèles, tels qu'on les voit 

sur un pied d'autel et sur une base 

de colonne conservés à Boulaq. 

Les cartouches étaient en général 

d'une seule pièce, ainsi que les 

les détails, creusés ou modelés sur la terre 




FiG. aj4. 




FIG. 235. 



figures 

avant la cuisson, 
étaient ensuite re- 
couverts chacun du 
ton qui lui appar- 
tenait. Les lotus et 
les feuillages qui 
couraient sur le 
soubassement ou le 
long des corniches 
étaient au contraire formés de morceaux indépendants : 
chaque couleur est une pièce dé- 
coupée de manière à s'ajuster exacte- 
ment aux pièces voisines (fig. 234). 
Le temple avait été exploité au 
commencement du siècle, et le 
Louvre possédait, depuis Cham- 
pollion, des figures de prisonniers 
qui en proviennent. Ce qui en restait a été démoli, il 
y a quelques années, par les marchands d'antiquités, et 
les débris en sont dispersés un peu partout. Mariette 




FIG. 23(5. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 2^9 

en recueillit à grand'peine les fragments les plus im- 
portants, le nom de Ramsès III, qui nous donne la 
date de la construction, des bordures de lotus et d'oi- 
seaux à mains humaines (fig. 235), des têtes d'esclaves 
nègres (fig. 236) ou asiatiques. La destruction de ce 
monument est d'autant plus fâcheuse que les Egyp- 
tiens n'ont pas dû en édifier beaucoup du même type. 
La brique émaillée, le carreau, la mosaïque d'émail se 
gâtent aisément : c'était là un vice rédhititoire pour 
un peuple épris de force et d'éternité. 

§ 2. ^- LE BOIS, l'ivoire, LE CUIR 
ET LES MATIÈRES TEXTILES. 

L'ivoire, l'os, la corne sont assez rares dans les mu- 
sées : ce n'est pas une raison pour croire que les Égyp- 
tiens n'en aient pas tiré bon parti. La corne ne dure 
guère : certains insectes en sont très friands et la dé- 
truisent en fort peu de temps. L'os et l'ivoire perdent 
aisément leur consistance et deviennent friables. Les 
Égyptiens connaissaient les éléphants de toute anti- 
quité; peut-être même les ont-ils rencontrés dans la 
Thébaïde, au moment où ils «'y installèrent, car le 
nom de l'île d'Éléphantine est écrit avec l'image d'un 
de ces animaux, dès la V« dynastie. L'ivoire leur arri- 
vait des régions du haut Nil par dents et par demi- 
dents. Ils le teignaient à volonté en vert ou en rouge, 
mais lui laissaient le plus souvent sa teinte naturelle 
et l'employaient beaucoup en menuiserie, pour incrus- 
ter des chaises, des lits et des coffrets ; ils en fabri- 
quaient aussi des dés à jouer, des peignes, des 



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26o L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

épingles à cheveux, des ustensiles de toilette, des cuil- 
lers d'un travail délicat (fig. 237), des étuis à collyre 
creusés dans une colonne surmontée d'un chapiteau, 
des encensoirs formés d'une main qui supporte un 
godet en bronze où brûler des parfums , des boumé- 
rangs couverts au trait de divinités et d'ani- 
maux fantastiques. Quelques-uns de ces ob- 
jets sont de véritables œuvres d'art : ainsi, à 
Boulaq, un manche de poignard qui repré- 
sente un lion, les reliefs plaqués sur la boîte 
à jeu de Touaï, qui vivait à la fin de la 
XVII® dynastie, une figurine de la V® dynastie 
malheureusement mutilée, mais qui garde" en- 
core des traces de couleur rose, et la statue en 
miniature d'Abi, qui mourut sous la XIII*. 
Elle est juchée majestueusement sur une co- 
lonne en campane. Le personnage regarde 
droit devant lui, d'un air majestueux que ses 

Fie. 237. 

oreilles très écartées de la tête rendent tant 
soit peu comique. La touche est large et spirituelle. Le 
morceau pourrait être comparé sans trop de désavan- 
tage aux bons ivoires italiens de la Renaissance. 

L'Egypte ne nourrit pas beaucoup d'arbres, encore 
la plupart de ceux qu'elle produit sont-ils impropres à 
la sculpture. Les deux espèces les plus répandues, le 
palmier et le doum, sont d'une fibre grossière et par trop 
inégale. Quelques variétés de sycomore et d'acacia ont 
seules un corps dont le grain souple et fin se prête au 
travail du ciseau. Le bois n'en était pas moins la matière 
favorite des sculpteurs qui voulaient faire vite et à bon 
marché. Ils le choisissaient parfois pour des oeuvres 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



«6i 



d'importance, telles que les supports du double, et nous 
Jugeons par le Shêikh-el-beled de quelle hardiesse et 
de quelle ampleur ils savaient le traiter. Mais les bil- 
lots ou les poutres dont ils disposaient avaient rare- 
ment la longueur et la largeur suffisante pour qu'on en 
tirât une statue d'une seule pièce. Le 
Shêikh-el-beled lui-même, qui cepen- 
dant n'est pas de grandeur naturelle, 
est un assemblage de morceaux tenus 
par des chevilles carrées. On s'accou- 
tuma donc à ramener les sujets qu'on 
voulait exécuter en bois à des propor- 
tions telles qu'on pût les tailler tout en- J/-^ 
tiers dans un même bloc ; sous les dy- 
nasties thébaines, les statues d'autrefois 
sont devenues des statuettes. L'art ne 
perdit rien à cette décroissance, et plus 
d'une parmi ces figurines est compa- 
rable aux plus beaux ouvrages de l'an- 
cien empire. La meilleure peut-être est 
au musée de Turin, et appartient à la 
XX" dynastie. Elle représente une fillette 
sans vêtement qu'une ceinture étroite 

/ FIG. 238. 

passée sur les reins. Elle est encore à cet 
âge indécis où le sexe n'est pas développé et où les 
formes tiennent à la fois du garçon et de la femme. La 
tête est d'une expression douce et mutine : c'est, à trente 
siècles de distance, le portrait de ces gracieuses filles 
d'Éléphantine qui se promènent nues sous le regard des 
étrangers, sans gêne et sans impudeur. Trois petits 
hommes du musée de Boulaq sont probablement con- 



m 



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26i 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE, 



temporains de la figurine de Turin. Ceux-là sont revêtus 
du costume d^apparat et ce n'est que justice, car Pun 
d'eux était le favori du roi, Hori, 
surnommé Râ. Ils marchent droit, 
d'un mouvement calme et mesuré, 
le buste bien effacé, la tête haute : 
l'expression de leur physionomie 
est maligne et rusée. Un officier 
(fig. 238), qui a pris sa retraite au 
Louvre, est en demi-costume mi- 
litaire du temps d'Amenhotpou III 
et de ses successeurs : perruque 
légère, sarrau collant à manches 
courtes, pagne bridant sur la han- 
che, descendant à peine jusqu'à 
mi-cuisse et garni sur le devant 
d'une pièce d'étoffe bouffante, gau- 
frée dans le sens de la longueur. 
11 a pour voisin un prêtre (fig. 239) 
coiffé de petites mèches étagées, 
vêtu de la jupe longue tombant à 
mi-jambe et s'étalant en une sorte 
de tablier plissé. Il supporte à deux 
mains un insigne divin, consistant 
en une tête de bélier surmontée du 
disque solaire, le tout emmanché 
^""^"^ ^ " au bout d'une hampe solide. Offi- 

FIO. 239, . * .1 

cier et prêtre sont peints en brun 
rouge, à l'exception des cheveux qui sont noirs, de la 
cornée des yeux qui est blanche et de l'insigne divin 
qui est Jaune. Chose curieuse, leur camarade de vitrine, 




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LES ARTS INDUSTRIELS. 



26j 



la petite dame Nâï, est peinte comme eux en rouge et 
non en jaune, qui est la couleur re'glementaire des 
femmes en Egypte (fig. 240). Elle est prise dans un 
peignoir collant, garni de haut en bas d^une broderie 
en fil blanc. Elle porte au cou un collier d'or à trois 
rangs, et aux poignets des bracelets d'or, sur la tête 
une perruque dont les tresses descendent 
jusqu'à la naissance de la gorge. Le 
bras droit pend le long du corps, et la 
main tenait un objet, probablement un 
miroir en métal, qui a disparu : le bras 
gauche est replié sur la poitrine, et la 
main serre une tige de lotus dont le bou- 
ton pointe entre les seins. Le corps est 
souple et bien, fait, la gorge jeune, droite 
et peu développée, la face large et sou- 
riante avec une expression de douceur et 
de vulgarité. L'artiste n'a pas su éviter 
la lourdeur dans l'agencement de la coif- 
fure, mais le buste est modelé avec une 
élégance chaste, la robe dessine les formes ^^^ ^ 
sans les exposer trop indiscrètement, le 
geste par lequel la jeune femme ramène la fleur sur sa 
poitrine est rendu avec finesse et naturel. Ce sont là des 
portraits, et, comme les modèles n'étaient pas d'ordre 
très relevé, on peut supposer qu'ils ne s'étaient pas 
adressés pour les avoir aux faiseurs en renom : ils 
avaient eu recours à des ouvriers sans prétention, mais 
la science de la forme et la sûreté de l'exécution sont 
bien propres à prouver jusqu'à quel point l'influence 
de la grande école de sculpture qui florissait alors à 




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•.tf4 L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

Thèbes s'exerçait fortement, même sur les gens de métier. 
Elle est plus sensible encore quand on étudie Tat- 
tîrail de la toilette et le mobilier proprement dit. Ce ne 
serait pas petite affaire que de passer en revue tous les 
menus ustensiles de parure féminine, auxquels la fan- 
taisie des artistes donnait une forme ingénieuse et spi- 
rituelle. Les manches de miroir représentent le plus 
souvent une tige de lotus ou de papyrus, surmontée 
d'une fleur épanouie d'où sort le disque de métal poli ; 
quelquefois une jeune fille nue ou vêtue d'une chemise 
étroite le tient en équilibre sur sa tête. Les épingles à 
cheveux se terminent en serpent lové, en museau de 
chacal, de chien, en bec d'épervier. La pelote dans la- 
quelle elles sont plantées est un hérisson ou une tor- 
tue, dont la carapace est percée de trous selon un 
dessin régulier. Les chevets, sur lesquels- on appuyait 
la tête pour dormir, étaient décorés de reliefs empruntés 
aux mythes de Bîsou et de Sokhit : la tête grimaçante du 
dieu s'étale sur les bas côtés ou sur la base. Mais c'est 
surtout dans l'exécution des cuillers à parfum ou des 
étuis à collyre que brille le génie inventif des ouvriers. 
On se servait des cuillers pour manier, sans trop se 
salir, soit des essences, soit des pommades, soit les fards 
de différentes couleurs dont hommes et femmes se tei- 
gnaient les joues, les lèvres, le bord et le dessous des 
yeux, les ongles, la paume des mains. Les motifs sont 
empruntés généralement à la faune ou à la flore du Nil. 
Un des étuis de Boulaq a la figure d'un veau couché, 
creusé pour servir de boîte : la tête et le dos de l'ani- 
mal s'enlèvent et font couvercle. Une cuiller du même 
musée représente un chien qui se sauve, emportant un 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



26$ 



A 



énorme poisson dans sa gueule : le corps du poisson 
est le bol de la cuiller (fig. 241). L'autre est un car- 
touche qui jaillit d'un lotus épanoui, un fruit 
de lotus posé sur un bouquet de fleurs 
(fig. 242) ou un simple récipient triangu- 
laire (fig. 243) flanqué de deux boutons. Les 
plus soignées combinent avec ces données la 
figure humaine. Une jeune fille nue, sauf une 
ceinture qui lui serre les hanches, nage, 
tenant la tête bien hors de Peau 
(fig. 244) ; ses deux bras allongés 
poussent un canard creusé en 
boîte, et dont les deux ailes, 

' * ' FIG. 2 + 1. 

s'écartant à volonté, tiennent lieu 
de couvercle. Au Louvre, c'est encore une 
jeune fille (fig. 245), mais perdue dans les 
lotus et qui cueille un bouton 
Une botte de tiges, d'où s'é- 
chappent deux fleurs épanouies, 
réunit le manche au bol de la 
cuiller, dont l'ovale tourne sa par- 
tie ronde au dehors, sa pointe à 
l'intérieur. Ailleurs, la jeune fille (fig. 246) 
est encadrée entre deux tiges fleuries et 
marche en jouant de la guitare à long manche. 
Ailleurs encore, la musicienne est debout 
sur une barque (fig. 247) ou est remplacée 
par une porteuse d'offrandes. Parfois enfin, 
c'est un esclave qui s'avance, courbé sous ^'°* **^" 
le poids d'un énorme sac. Tous ces personnages ont 
chacun leur physionomie et leur âge caractérisés net- 



FIG 242. 



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266 



L»ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



tement. La cueilleuse de lotus est bien née, comme 
rindique sa chevelure nattée avec soin et la jupe 
plissée dont elle est habillée. Les dames thébaines 




FI G. 244. 

étaient vêtues de long, et celle-là ne sVst troussée 
haut qu'afin de pouvoir marcher par les roseaux sans 

mouiller ses vêtements. 

Au contraire, lès deux 

musiciennes et la na- 






FIC. 246. 

geuse sont de condition inférieure ou servile. Deux 
d'entre elles n'ont qu'une ceinture, la troisième a un 
jupon court lié négligemment. La porteuse d'of- 
frandes (fig. 248) est coiffée de la longue tresse pendante 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



267 



dont on affublait les enfants. Cest une de ces adoles- 
centes minces et fluettes, comme on en voit beaucoup 
encore chez les fellahs des bords du Nil, et sa nudité 
ne Tempêche pas d'être de naissance inge'nue; les 
enfants nobles ne commençaient à prendre le costume 
de leur sexe que vers Page de pu- 
berté. Enfin Tesclave (fig. 249), avec 
ses lèvres épaisses, son nez plat, sa 
mâchoire lourde et bestiale, son front 
déprimé, sa tête glabre en pain de 
sucre, est évidemment la caricature 
d'un prisonnier étranger. La mine 
abrutie avec laquelle il s'en va pliant 
sous le faix a été fort bien saisie, et 
les saillies anguleuses du corps, le 
type de la tête, l'agencement des di- 
verses parties, rappellent l'aspect gé- 
néral des terres cuites grotesques de 
l'Asie Mineure. Tous les détails de 
nature groupés autour du sujet prin- 
cipal et qui l'encadrent, la forme des 
fleurs et des feuilles, l'espèce des oi- p,G. 2^3. 

seaux, sont rendus avec un grand 
amour de l'exactitude et avec un certain esprit. Des 
trois canards que la porteuse d'offrandes a liés par les 
pattes et laisse pendre à son bras, deux se sont rési- 
gnés à leur sort et sont là ballants, le cou tendu, 
l'œil ouvert; le troisième relève la tête et bat de l'aile 
pour protester. Les deux oiseaux d'eau perchés sur les 
lotus écoutent, au repos et le bec sur le jabot, la 
joueuse de luth. L'expérience leur a appris qu'il ne 



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268 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



ni 



ii 



faut pas se déranger pour des chansons et qu'une 
jeune fille n'est à craindre qu'à la condition d'être ar- 
- me'e. La vue d'un arc et d'une flèche 
les met en fuite dans les bas-reliefs, 
comme de nos jours la vue d'un fu- 
sil fait s'envoler une bande de pies. 
Les Egyptiens connaissaient à mer- 
veille les habitudes des animaux et se 
sont plu à les reproduire exactement. 
L'observation de tous les menus faits 
était devenue instinctive chez eux, 
et donnait aux moindres produc- 
tions de leurs mains ce caractère de 
réalité dont nous sommes frappés 
aujourd'hui. 

Les meubles n'étaient pas plus 
nombreux dans l'Egypte ancienne 
qu'ils ne sont dans l'Egypte actuelle. 
Chez les pauvres, quelques nattes et 
des huches en terre battue. Chez les 
gens de la classe moyenne, des coffrets 
à linge et des escabeaux. Chez les 
riches seuls, des lits, des fauteuils, des 
divans, des tables : armoires, buffets, 
dressoirs, commodes, la plupart des 
pièces qui composent notre mobilier étaient inconnus. 
L'art du menuisier n'en était pas moins porté à un 
haut degré de perfection dès les anciennes dynasties 
Les ais, dressés à l'herminette, emmortaisés, collés, 
réunis par des chevilles en bois dur ou des épines 
d'acacia, jamais par des clous métalliques, étaient 



ià 



^ 



FI G. 2^9. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



369 




FiG. 2yo. 



polis, puis revêtus de peintures. Les coffres sont géné- 
ralement juchés sur quatre pieds droits, parfois assez 
élevés. Le couvercle est plat ou ar- 
rondi selon une courbe spéciale 
(fig. 25o), que les Égyptiens ont aimée 
de tout temps, rarement taillé en 
pointe comme le toit de nos maisons 
(fig. 25 1). Il s'enlève le plus souvent 
tout entier, souvent il tourne autour d'une cheville en- 
foncée dans l'épaisseur de 
l'un des montants, parfois 
enfin il roule sur des pi- 
vots en bois, analogues à 
ceux de nos armoires 
(ûg. 252). Les panneaux, 
dont la grande surface se 
prêtait étonnamment à la 
décoration artistique, sont 
rehaussés de peintures, incrustés d'ivoire, d'argent, de 
plaques d'émail, de bois pré- 
cieux. Peut-être sommes- 
nous mal placés aujourd'hui 
pour juger de l'habileté que 
les Égyptiens déployaient à 
l'occasion, et de la variété des 
formes qu'ils inventaient à 
chaque époque. Presque tous 
les meubles qui nous restent 
proviennent des tombeaux et sont, ou bien des imi- 
tations à bon marché de meubles précieux destinées à 
être enfermées dans le caveau avec les morts, ou bien 




FIG. 2SI. 




FIG. 252. 



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a70 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



des meubles de nature particulière, dont Tusage était 
exclusivement réservé aux momies. 

Les momies étaient, en effet, les clients les plus 
cçrtains des menuisiers. Partout ailleurs, Phomme 
n'emportait au delà de là vie qu'un petit nombre d'ob- 
jets : en Egypte, il ne se contentait pas à moins d'un 
mobilier complet. Le cercueil était à lui seul un véritable 
monument, dont la construction mettait en branle une 
escouade d'ouvriers (fig. 253). La modeen variait selon 





ia\ :m 



FIG. 253. 

les époques. Aux temps de l'empire memphite et du 
premier empire thébain, on ne rencontre guère que de 
grandes caisses rectangulaires, en bois de sycomore, à 
couvercle et à fonds plats, composées de plusieurs pièces 
assemblées au moyen de chevilles également en bois. 
Le modèle n'en est pas élégant, mais la décoration en 
est des plus curieuses. Le couvercle n'a pas de cor- 
niche. Une longue bande d'hiéroglyphes en occupe le 
milieu à l'extérieur; tantôt simplement tracée à l'encre 
ou à la couleur, tantôt sculptée à même le bois, puis 
remplie de pâte bleuâtre, elle ne contient que le 
nom et le titre du défunt, parfois une courte for- 
mule de prière en sa faveur. La surface intérieure 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 271 

est enduite d'une couche épaisse de stuc, ou blanchie 
au lait de chaux : on y inscrivait d'ordinaire le cha- 
pitre XVII du Livre des Morts, aux encres rouge et 
noire- et en beaux hiéroglyphes cursifs. La cuve consiste 
en huit planches verticales, disposées deux à deux, pour 
ks parois, et en trois planches horizontales pour le 
fond. Elle est décorée quelquefois, à Textérieur, de 
grandes rainures prismatiques terminées en feuilles de 
lotus entre-croisées, comme celles qu'on rencontre sur 
les sarcophages en pierre. Le plus souvent elle est 
ornée, sur la gauche, de deux yeux grands ouverts et 
de deux portes monumentales, sur la droite, de trois 
portes, en tout semblables à celles qu'on voit dans les 
hypogées contemporains. Le cercueil est en effet la 
maison propre du mort, et, comme tel, il doit présenter 
sur ses faces un résumé des prières et des tableaux 
qui s'espaçaient sur les murs de la tombe entière. Les 
formules et les représentations nécessaires sont écrites 
et illustrées à l'intérieur, presque dans le même ordre 
où nous les trouvons au fond des mastabas. Chaque 
paroi est divisée en trois registres, et chaque registre 
contient ou bien une dédicace au nom du mort, ou 
bien la figure des objets qui lui appartiennent, ou 
bien les textes du Rituel qu'on récitait à son inten- 
tion. Le tout agencé habilement, sur un fond imi- 
tant assez exactement le bois précieux, forme un ta- 
bleau d'un trait hardi et d'une couleur harmonieuse. 
Le menuisier n'avait que la moindre part au travail, 
et les longues boîtes où l'on enfermait les morts les 
plus anciens n'exigeaient pas de lui une grande habi- 
leté. Il n'en fut pas de même dès qu'on s'avisa de 



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17% L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

donner au cercueil Paspect général du corps humain. 
Deux types sont alors en présence. Dans le plus ancien, 
la momie sert de modèle à son enveloppe. Les pieds 
et les jambes sont réunis tout du long. Les saillies du 
•genou, les rondeurs du mollet, de la cuisse et du ventre, 
• sont indiquées de façon sommaire et se modèlent va- 
guement sous le bois. La tête, seule vivante sur ce 
corps inerte, est dégagée entièrement. Le mort est 
emprisonné dans une sorte de statue de lui-même, 
assez bien équilibrée pour qu'on pût, à l'occasion, la 
dresser sur ses pieds comme sur une base. Ailleurs, il 
est étendu sur sa tombe, et sa figure, sculptée en ronde 
bosse, sert de couvercle à sa momie. La tête est char- 
gée de la perruque à marteaux, la casaque de batiste 
blanche presque transparente voile le buste à demi, 
le jupon couvre les jambes de ses plis serrés. Les 
pieds sont chaussés de sandales élégantes, les bras 
s'allongent ou se replient sur la poitrine, les mains 
tiennent des' emblèmes divers, la croix ansée, la boucle 
de ceinture, le tat, ou, comme la femme de Sennot- 
mou à Boulaq, une guirlande de lierre. Ce genre de 
gaine momiforme est rare sous les dynasties mem- 
phites ; Menkaourî, le Mykérinos des Grecs, nous en 
a donné pourtant un exemple mémorable. Très fré- 
quente à la X^ dynastie, elle n'est souvent, alors, 
qu'un tronc d'arbre évidé, où l'on a sculpté grossière- 
ment une tête et des pieds humains. Le masque est 
bariolé de couleurs éclatantes, jaune, rouge, vert ; les 
cheveux et la coiffure sont rayés de noir ou de bleu. 
Un collier s'étale pompeusement sur la poitrine. Le 
reste du cercueil est, ou bien enveloppé des longues 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



27) 



aîles dorées d'Isis et de Nephthys, ou bien revêtu d'un 
ton umforme, jaune ou blanc, et illustré parcimonieu- 
sement de figures ou de bandes d'hiéroglyphes 
bleues et noires. Les plus soignés parmi les cercueils 
des rois de 
la XVIII» dy- 
nastie, que j'ai 
déterrés à Déir- 
ei-Baharî, ap- 
partiennent à 
ce type et ne se 
signalent que 
par le fini du 
travail et par 
la perfection 
vraiment ex- 
traordinaire . 
avec laquelle 
l'ouvrier a re- 
produit les 
traits du sou- 1 '' 

verain. Le ^'°' ^5+- 

masque d'Ahmos I", celui d'Amenhotpou I^', celui de 
vThoutmos II, sont de véritables chefs-d'œuvre en leur 
genre. Celui de Ramsès II ne porte d'autre trace de 
peinture qu'une raie noire, afin d'accentuer la coupe 
de l'œil ; modelé sans doute à Timage du Pharaon 
Hrihor, qui restaura l'appareil funèbre de son puissant 
prédécesseur; il est presque comparable aux meil- 
leures œuvres des statuaires contemporains (^g, 254). 
Deux des cercueils, ceux de la reine Nofritari et de sa 

18 




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274 L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

fille Ahhotpou II, sont de taille gigantesque et me- 
surent plus de 3 mètres de haut. On dirait, à les voir 
debout (fig. 255), une des cariatides qui ornent la 
cour de Médinét-Habou, mais en plus petit. Le corps 
est emmailloté et n'a plus que Papparence indécise 
d'un corps humain. Les épaules et le buste sont revêtus 
d'un réseau en relief, dont chaque maille se détache 
en bleu sur le fond jaune de Pensemble. Les mains 
s'échappent de cette espèce de mantelet et se croisent 
sur la poitrine en serrant la croix ansée, symbole de 
la vie. La tête est un portrait : face large et rondje, 
grands yeux, expression douce et insignifiante, lourde 
perruque surmontée de la coiffure et des longues plumes 
d'Amon ou de Moût. On se demande quel motif a 
poussé les Égyptiens à fabriquer ces pièces extraordi- 
naires. Les deux reines étaient de petite taille et leur 
momie était comme perdue dans la cavité : il fallut les 
caler à grand renfort de chiffons pour les empêcher de 
ballotter et de se détériorer. Grandeur à part, la simpli- 
cité est le caractère de ces deux cercueils comme elle 
Test des autres cercueils royaux ou privés de cette 
époque qui sont parvenus jusqu'à nous. Vers le milieu 
de la XIX» dynastie, la mode changea. On ne se con- 
tenta plus d'une seule caisse sobrement ornée : on 
voulut en avoir deux, trois, même quatre, emboîtées 
l'une dans l'autre et couvertes de peintures ou d'in- 
scriptions. Souvent alors l'enveloppe extérieure est un 
sarcophage à oreillettes carrées, à couvercle en dos 
d'âne, dont les fonds, peints en blanc, sont chargés de 
figures du mort, en adoration devant les dieux du 
groupe Osirien. Lorsqu'elle a la forme humaine, elle 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



275 



garde encore quelque chose de la nudité primitive : la 
face est coloriée, un collier recou- 
vre la poitrine, Une bande d'hiéro- 
glyphes descend jusqu'aux pieds; 
le reste est d'un ton uniforme, 
noir, brun ou jaune sombre. 
Les caisses intérieures étaient 
d'un luxe ]:5resque extravagant, 
faces et mains rouges, roses, 
dorées, bijoux peints et parfois 
simulés au moyen de morceaux 
d'émail incrustés dans le bois, 
scènes et légendes multicolores, le 
tout englué de ce vernis jaune dont 
j'ai parlé plus haut. Le contraste 
est frappant entre l'abondance 
d'ornements qu'on remarque à ces 
époques et la sobriété des époques 
antérieures : il faut se rendre à 
Thèbes même, au lieu de la sépul- 
ture, pour en comprendre la rai- 
son. Les particuliers et les rois des 
dynastiesconquérantes employaient 
ce qu'ils avaient de ressources et 
d'énergie à se creuser des hypo- 
gées. Les parois en étaient sculptées 
ou peintes, le sarcophage était taillé 
dans un bloc immense de granit 
ou d'albâtre ouvragé finement; peu 
importait que le bois où dormait la momie fût 
simplement décoré. Les Egyptiens de la décadence 





flG. 2$$. 



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%76 L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 

et leurs maîtres n'avaient plus, comme les générations 
qui les avaient précédés, la faculté de puiser indéfini- 
ment dans les trésors de TEgypte et des pays voisins. 
Ils étaient pauvres, et la médiocrité de leur budget ne 
leur permettait pas d'entreprendre de longs travaux : 
ils renoncèrent, ou du moins presque tous, à se pré- 
parer des tombes monumentales, et dépensèrent ce qui 
leur restait d'argent à se fabriquer de belles caisses en 
bois de sycomores. Le luxe de leurs cercueils n'est, 
en résumé, qu'une preuve de plus à joindre aux preuves 
déjà nombreuses que nous avons de leur faiblesse et 
de leur pauvreté. Lorsque les princes Saïtes eurent 
rétabli, pour quelques siècles, les affaires du pays, 
les sarcophages en pierre reparurent et Tenveloppe en 
bois reprit quelque chose de la simplicité des beaux 
temps ; mais ce renouveau ne dura pas, et la conquête 
macédonienne amena dans les modes funéraires la 
même révolution qu'autrefois la chute des Ramessides. 
On en revint à l'usage des caisses doubles et triples, aux 
excès de peinture, aux dorures criardes ; l'habileté des 
manœuvres d'époque gréco-romaine qui ont habillé les 
morts d'Akhmîm pour leur dernière demeure est 
moindre, leur mauvais goût ne le cède en rien à celui 
des fabricants de cercueils thébains qui vivaient sous les 
derniers Ramsès. 

Le reste du mobilier funèbre ne donnait pas aux 
menuisiers moins d'ouvrage que les momies. On vou- 
lait des coffres de différente taille pour le' trousseau 
du mort, pour ses intestins, pour ses figurines funé- 
raires, des tables pour ses repas, des chaises, des tabou- 
rets, des lits où étendre le cadavre, des traîneaux pour 



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LES ARTS INDUSTRIELS. a77 

ramener au tombeau, même des chars de guerre ou de 
promenade. Les coffrets où Ton enfermait les canopes, 
les statuettes funéraires, les vases à libations, sont divi- 
sés en plusieurs compartiments : un chacal accroupi 
est posé quelquefois par-dessus et sert comme de poi- 
gnée pour-soulever le couvercle. Ils étaient munis cha- 
cun d'un petit traîneau, pour qu'on pût les traîner sur le 
sol pendant les cérémonies de Periterrement. Les lits 
ne sont pas rares. Beaucoup sont identiques aux anga- 
rebs des Nubiens actuels, de simples cadres en bois, 
sur lesquels on tendait de grosses étoffes ou des lanières 
en cuir entre-croisées. La plupart n'ont guère plus 
d'un mètre et demi en longueur ; le dormeur ne pou- 
vait pas s'y étendre, mais y reposait pelotonné sur lui- 
même. Les lits ornés étaient de la même longueur 
que les nôtres, ou à peu près. Le châssis en était le 
plus souvent horizontal, quelquefois incliné légèrement 
de la tête aux pieds. Il était souvent assez élevé au- 
dessus du sol, et on y montait au moyen d'un banc ou 
même d'un petit escalier portatif. Le détail ne nous en 
serait guère connu que par les monuments figurés, si, 
en 1884 et 188 5, je n'en avais découvert deux com- 
plets, l'un à Thèbes, dans une tombe de la XI II" dy- 
nastie, l'autre, à Akhmîm, dans la nécropole gréco-ro- 
maine. Deux lions de bonne volonté ont étiré leur 
corps en guise de châssis, la tête au chevet, la queue 
recourbée sur les pieds du dormeur. Au-dessus s'élève 
une sorte de baldaquin, qui servait lors de l'exposition 
des momies. Rhind en avait déjà rapporté un qui orne 
aujourd'hui le musée d'Edimbourg (fig. 256). C'est un 
temple, dont le toit arrondi est soutenu par d'élégantes 



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278 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



colonnettes en bois peint. Une porte gardée par deux 
serpents familiers était censée donner accès à Tinté- 
rieur. Trois disques ailés, de plus en plus grands, 
garnissaient les corniches superposées au-dessus de la 
porte, et une rangée d'ur^us lovés se dressait au cou- 
ronnement de l'édifice. Le baldaquin du lit de la 




FIG. 256. 

XIII* dynastie est beaucoup plus simple, une sorte de 
balustrade en bois découpé et enluminé, à l'imitation 
des paquets de roseaux qui décorent le haut des pa- 
rois de temple, le tout surmonté de la corniche ordi- 
naire. Dans le lit de l'époque grecque (fig. 257), les 
balustres sont remplacés sur les côtés par des figures 
de la déesse Mâït, sculptées et peintes, accroupies et la 
plume aux genoux. A la tête et au pied, Isis et Neph- 
thys se tiennent debout et étendent leurs bras frangés 
d'ailes, La voûte est à jour : des vautours y planent 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



279 



au-dessus de la momie, et deux statuettes d^Isis et de 
Nephthys agenouillées pleurent sur elle. Les traîneaux 




1 






qui menaient les morts au tombeau étaient, eux aussi, 
décorés d'une sorte de baldaquin, mais d'aspect très 
différent. C'est en- __^^- — ...^ 

core un naos , 
mais à panneaux 
pleins, comme 
ceux que j'ai dé- 
couverts, en 1886, 
dans la chambre 
de Sennotmou à 
Gournét-Mourraï. 
Quand on y pra- 
tiquait quelques jours, c'étaient des lucarnes carrées 
par lesquelles on apercevait la tête de la momie : Wil- 
kinson en a décrit un de ce genre, d'après les pein- 
tures d'une tombe thébaine (tig. 2 58). Dans tous les 
cas, les panneaux étaient mobiles. Le mort une fois dé- 
posé sur la planche du traîneau, on les dressait chacun 




FIO. 258. 



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2UO 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 




Fie. 25v?. 



en sa place; le toit recourbé et garni de sa corniche 
posait sur le tout et formait couvercle. Plusieurs des 
fauteuils du Louvre et du British Muséum ont été 

fabriqués vers la XI« dy- 
nastie. Ce ne sont pas les 
moins beaux, et l'un 
d'eux (fig. 259) a conservé 
une vivacité de couleurs 
extraordinaires. Le cadre, 
jadis garni d'un treillis de 
,''y cordelettes, repose sur 
1^ quatre pieds de lion. Le 
dossier est orné de deux 
fleurs et d'une ligne de 
losanges en marqueterie 
d'ébène et d'ivoire, qui 
se détache sur un champ rouge. Des tabourets de tra- 
vail semblable (fig. 260), et des pliants, dont les pieds 
sont formés par des têtes 
d'oies aplaties, se trou- 
vent dans tous les mu- 
sées. Les Pharaons et les 
hauts fonctionnaires re- 
cherchaient des modèles 
plus compliqués. Leurs 
sièges étaient parfois fort 
hauts. Ils avaient pour 
bras deux lions courants, 

ou pour supports des prisonniers de guerre liés dos 
à dos (fig. 261). Un escabeau, placé sur le devant, 
servait de marchepied pour y monter, ou de point 




FIG. 2^0. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



t,Sï 



d'appui au personnage assis. Nous ne possédons 
jusqu'à présent aucun meuble de ce genre. 

Les peintures nous mon- 
trent qu^on corrigeait la dureté 
des fonds cannés ou treillissés 
en les recouvrant de matelas et 
de coussins richement ouvrés. 
Les coussins et les matelas ont 
disparu, et l'on a supposé qu'ils 
étaient recouverts en tapisserie. 
Sans doute la tapisserie était 
connue en Egypte, et un bas-re- 
lief de Béni-Hassan (fig. 262) 
nous apprend comment on la 
fabriquait. Le métier, quoique 
très simple, rappelle celui dont 
se servent aujourd'hui encore les tisserands d'Akhmîm. 

Il est horizon- 




^fer^^r^^ 



tal et se compose 
de deux cylin- 
cfres minces, ou 
plutôt de deux 
bâtons, séparés 
par un espace 
d'un mètre cin- 
quante, et en- 
gagés chacun 
dans deux, 
grosses chevilles 
plantées dans le sol à quatre-vingts centimètres l'une 
de l'autre ou environ. Les lisses de la chaîne étaient 




FIG. 262. 



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38a 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



attachées solidement, puis roulées autour du cylindre 
de tête jusqu'à tension convenable. Des bâtons de 
croisure, disposés d'espace en espace, facilitent Pintro- 
duction des broches chargées de fils. Le travail com- 
mençait par en bas, ainsi qu'on fait encore aux Gobe- 
lins. Le tissu était tassé et égalisé au moyen d'un 
peigne grossier, puis enroulé au fur et à mesure sur 




.63. 



le cylindre inférieur. On fabriquait ainsi des tentures 
et des tapis décorés les uns de figures, les autres de 
dessins géométriques, zigzags ou damiers (fig. 263) ; 
toutefois, un examen attentif des monuments m'a dé- 
montré que la plupart des sujets où l'on a cru recon- 
naître des exemples de tapisserie sont en cuir peint et 
découpé. L'industrie du cuir était très florissante. Il y 
a peu de musées qui ne possèdent une paire au moins 
de sandales ou de ces bretelles de momie, dont les 
bouts sont en peau estampée, et portent une figure 
de dieu ou de Pharaon, une légende hiérogly- 
phique, une rosace, parfois le tout réuni. Ces petits 



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LES ARTS INDUSTRIELS. a8j 

monuments ne remontent guère plus haut que le temps 
des grands-prêtres d'Ammon ou des premiers Bubas- 
tites. C'est à la même époque qu'on doit attribuer 
l'immense dais du muse'e de Boulaq. Le catafalque 
sur lequel la momie reposait, pendant le transport de 
la maison mortuaire au tombeau, était garni souvent 
d'une couverture d'étoffe ou de cuir souple. Parfois 
les côtés retombaient droit, parfois ils étaient relevés 
en guise de rideaux par des embrasses et laissaient 
apercevoir le cercueil. Le dais de Dêir-el-Baharî 
fut préparé pour la princesse Isimkheb, fille du 
grand-prêtre Masahirti, femme du grand-prêtre Men- 
khopirrî, mère du grand-prêtre Pinotmou III. La 
pièce centrale, plus longue que large, se divise en trois 
bandes d'un cuir bleu céleste qui a passé au gris 
perle. Les deux latérales sont semées d^étoiles jaunes : 
sur celle du milieu s'étagent des vautours, dont les 
ailes étendues protègent le mort. Quatre pièces, for- 
mées de carrés verts et rouges, disposés en damier, se 
rattachent aux quatre côtés. Celles qui pendent sur 
les côtés longs sont reliées à la centrale par une bor- 
dure d'ornements. A droite, des scarabées aux ailes 
éployées alternent avec les cartouches du roi Pinot- 
mou II, sous une frise de fers de lance. A gauche, 
(fig. 204), le motif est plus compliqué. Une touffe 
de lotus, flanquée des cartouches royaux, occupe 
le centre; viennent ensuite deux antilopes agenouil- 
lées chacune sur une corbeille, puis deux bouquets 
de papyrus, enfin deux scarabées, semblables à 
ceux de l'autre bordure. La frise en fers de lance 
court au-dessus. La technique de cet objet est 



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2«+ 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 










très curieuse. Les hiéroglyphes et les figures étaient 
découpés dans de larges feuilles de 
cuir, comme nous faisons nos chiffres 
et nos lettres dans des plaques en 
cuivre. On cousait ensuite, sous les 
vides ainsi ménagés, des lanières de 
cuir de la couleur qu'on voulait don- 
ner aux ornements ou aux caractères, 
et, pour dissimuler le rapiéçage, on 
étalait par derrière de longs mor- 
ceaux de cuir blanc ou jaune clair. 
^^. 'n.^t-.- Malgré les difficultés d'agencement 
^5|ii^^^^âyi| que présente ce travail, le résultat 
M|.4(\l\dj obtenu est des plus remarquables. 
-^>X^v\:-^st--is L^ silhouette des gazelles, des scara- 
bées et des fleurs est aussi nette et 
aussi élégante que si elle était tracée 
au pinceau sur une muraille ou sur 
une feuille de papyrus. Le choix des 
motifs est heureux, la couleur harmo- 
nieuse et vive à la fois. Les ouvriers 
qui ont conçu et exécuté le dais 
d'Isimkheb avaient une longue pra- 
tique de ce système de décoration 
et du genre de dessin qu'il compor- 
tait. Je ne doute pas, quant à moi, 
que les coussins des fauteuils et des 
^^1^2SI^^[MI ^îvans royaux, les voiles des barques 
funéraires ou divines sur lesquelles 

PIC. 264. ^ * 

on embarquait les momies et les sta- 
tues des dieux, ne fussent le plus souvent en cuir. La 








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LES ARTS INDUSTRIELS. 



28s 



voile en damier d'une des barques peintes au tom- 
beau de Ramsès III (fig. 265) rappelle à s'y méprendre 
les pans en damier du dais. Les vautours et les 
oiseaux fantastiques d'une autre barque (fig. 266) 
ne sont ni plus étranges ni plus difficiles à obtenir 




FIG. 26$, 

en cuir que les vautours et les gazelles d*Isimkheb. 
Les témoignages anciens nous permettent d'affirmer 
que les Égyptiens d'autrefois brodaient aussi bien que 
ceux du moyen âge. Les deux cuirasses qu'Amasis 
donna, l'une aux Lacédémoniens, l'autre au temple 
d'Athèna à Lindos, étaient en lin, mais ornées de figures 
d'animaux en fil d'or et de pourpre : chaque fil se com- 
posait de trois cent soixante-cinq brins tous distincts. 
Si nous remontons plus haut, nous voyons, par les 



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985 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



monuments figurés, que les Pharaons avaient des vête- 
ments chargés de bordures en tapisserie ou enbroderfe, 
appliquées ou exécutées à même Tétoffe. Les plus sim- 
ples consistent en une ou plusieurs bandes de nuance 
foncée courant parallèlement au liséré* Ailleurs, on 








FI G. 266. 

aperçoit des palmettes ou des séries de disques et 
de points, des feuillages, des méandres, et même, çà et 
là, des figures dliommes, de divinités ou d'animaux, 
dessinées probablement à Paiguille, Aucune des étoffes 
qu'on a trouvées jusqu'à présent sur les momies royales 
n'est décorée de la sorte et ne nous permet de juger la qua- 
lité et la technique de ce travail. Une fois seulement, 
j'ai découvert, sur le corps d'une des princesses de Dêir- 
el-Baharî, un cartouche brodé en fil rose pâle. Les Egyp- 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 287 

tiens de la bonne époque paraissent avoir estimé parti- 
culièrement les étoffes unies, surtout les blanches. Ils 
les fabriquaient avec une habileté merveilleuse, sur un 
métier identique de tous points à celui qu'ils avaient 
inventé pour la tapisserie. Les portions de linceul qui 
enveloppent les mains et les bras de Thoutmos III sont 
aussi ténues que la plus fine mousseline de Plnde, et 
mériteraient le nom (Tair tisséj aussi bien au moins 
que les gazes de Cos. C'est là toutefois pure question 
de métier où Tart n'a rien à réclamer. L'usage de la 
broderie et de la tapisserie ne se répandit communé- 
ment en Egypte que vers la fin de la domination per- 
sane et le commencement de la domination grecque, 
sous l'influence des premiers Lagides. Alexandrie fut 
peuplée en partie de colons phéniciens, syriens, juifs 
qui y apportèrent avec eux les procédés de fabrication 
usités dans leur pays et y fondèrent des manufactures 
bientôt florissantes. Pline attribue aux Alexandrins 
l'invention de tisser à plusieurs lisses les étoffes qu'on 
appelle brocarts (polymita) ; et, au temps des premiers 
Césars, c'était un fait reconnu que « l'aiguille de Baby- 
lone était désormais vaincue par le peigne du Nil ». 
Les tapisseries alexandrines n'étaient pas décorées 
presque exclusivement de dessins géométriques, comme 
les vieilles tapisseries égyptiennes : on y voyait, au 
témoignage des anciens, des figures d'animaux et même 
d'hommes. Rien ne nous est resté des chefs-d'œuvre 
qui remplissaient le palais des Plolémées, mais des 
fragments ont été découverts en Egypte, qu'on peut 
attribuer à la basse époque impériale, l'enfant à l'oie, 
décrit par Wilkinson, les divinités marines d'une pièce 



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288 L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

que f ai achetée à Coptes. Les nombreux linceuls bro- 
dés et garnis de bandes en tapisserie, qu'on a découverts 
récemment s^ Fayoum et près d'Akhmîm, proviennent 
presque tous de tombes coptes et relèvent, par consé- 
quent, de Part byzantin plus que de Tart égyptien. 



§ 3. — LES MÉTAUX. 

On partageait les métaux en deux groupes, séparés 
par la mention de quelques espèces de pierres pré- 
cieuses, comme le lapis-lazuli et la malachite : celui 
des métaux nobles, For, Télectrum, Targent; celui des 
métaux vils, le cuivre, le fer, le plomb, auquel on joi- 
gnit plus tard Tétain. 

Le fer était réservé aux armes et aux outils de fa- 
tigue, ciseaux de sculpteur et de maçon, tranchants de 
hache ou d'hermînette, lames de couteaux ou de scies. 
Le plomb ne servait guère. On en incrustait parfois 
les battants de portes des temples, des coffrets, des 
meubles, et on en fabriquait de petites statues de divi- 
nités, surtout des Osiris ou des Anubis. Le cuivre pur 
était trop mou pour résister à Pusage courant : le 
bronze était le métal favori des Égyptiens. Il n'est 
pas vrai qu'ils aient réussi, comme on l'a dit sou- 
vent, à lui procurer par la trempe la dureté du fer ou 
de l'acier, mais ils ont su en obtenir des qualités très 
différentes, en variant les éléments et les proportions de 
l'alliage. La plupart des objets examinés jusqu'à présent 
ont donné les quantités de cuivre et d'étain employées 
aujourd'hui encore à la fabrication du bronze com- 



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LES ARTS INDUSTRIELS. '.89 

mun. Ceux que Vauquelin étudia, en 1825, renfermaient 
84 pour 100 de cuivre, 14 d'étain, i de fer et d'autres 
matières. Un ciseau, rapporté d'Egypte par Wilkin- 
son, ne contenait que 5,9 pour 100 d'étain, 0,1 de fer 
et 94 de cuivre. Des débris de statuettes et de miroirs, 
analysés plus récemment, ont rendu une quantité no- 
table d'or ou d'argent, et correspondent aux airains 
de Corinthe. D'autres ont la teinte et la composition 
du laiton. Beaucoup des plus soignés résistent d'une 
manière étonnante à l'humidité, et s'oxydent très diffi- 
cilement; on les frottait encore chauds d'un- vernis 
résineux, qui en remplissait les pores et laissait à la sur- 
face une patine inaltérable. Chaque espèce avait son 
emploi: le bronze ordinaire pour les armes et pour 
les amulettes communs, les alliages analogues au lai- 
ton pour les ustensiles de ménage, les bronzes d'or et 
d'argent pour les miroirs, les armes de prix, les sta- 
tuettes de luxe. Aucun des tableaux que j'ai vus dans 
les tombes ne représente la fonte et le travail du bronze, 
mais l'examen des objets eux-mêmes supplée à ce dé- 
faut des monuments figurés. Les outils, les armes, les 
anneaux, les vases à bon marché étaient partie forgés, 
partie coulés d'un seul coup dans des moules en terre 
réfractaire ou en pierre. Tout ce qui était œuvre d'art 
était coulé en un ou plusieurs morceaux, selon les cas, 
puis les pièces ajustées, soudées et retouchées au burin. 
Le procédé le plus fréquemment employé était celui 
de la fonte au carton : un noyau de sable ou de terre 
mêlée de charbon pilé était introduit dans le moule, et 
le modelé du dehors se répétait grossièrement au de- 
dans. La couche de métal était souvent si mince qu'elle 

19 



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nyo 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 




FI G. 267. 



aurait cédé à une pression un peu forte si on n'avait pris 
la précaution de la consolider en laissant le noyau en 
place pour lui servir de soutien. 

La plupart des ustensiles domestiques et des petits 
instruments du ménage étaient en bronze. On les ren- 
contre par milliers en original dans 
nos musées, en figure sur les peintures 
et les bas-reliefs> L'art et le métier n'hé- 
laient pas incompatibles en Egypte , et 
le chaudronnier lui-même s'efforçait de 
prêter à ses œuvres les plus humbles 
une forme élégante et des ornements 
de bon goût, La marmite où le cuisinier de Ramsès III 
composait ses cliefs-d'œuvre est supportée par des pieds 
de lion. Telle bouilloire semble ne différer en rien de 
la bouilloire moderne (fig. 267), mais examinez-la de 
près : l'anse est une fleur de papyrus 
épanouie, dont les pétales, inclinés sur 
la tige, s'appuient au rebord du goulot 
(fig. 268). Le manche des couteaux ou 
des cuillers est presque toujours un 
cou de canard ou d'oie recourbé; le 
bol est parfois un animal, une gazelle 
liée comme les bêtes offertes en sacrifice (fig. 269). Un 
petit chacal est accroupi sur la poignée d'un sabre. 
Une paire de ciseaux du musée de Boulaq a, pour 
branche principale, un captif asiatique, les bras liés der- 
rière le dos. Tel miroir est une feuille de lotus décou- 
pée : la queue sert de manche. Telle boîte à parfums est 
un poisson, telle autre un oiseau, telle autre un dieu 
grotesque. Les vases à eau lustrale, que les prêtres et 




FIG. 368. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



api 



les prêtresses portaient à la main pour asperger les 
fidèles ou le terrain sur lequel défilaient les proces- 
sions, méritent une place particulière dans Testime des 
connaisseurs. Ils sont pointus ou ovoïdes par le bout, 
et décorés de tableaux au trait ou en relief. 
Tantôt ce sont des images de dieux, chacune 
dans un cadre; tantôt c'est une scène d'adora- 
tion. Le travail en est ordinairement très fin. 
La statuaire s'était de bonne heure empa- 
rée du bronze: malheureusement, aucune ne 
nous a été conservée de ces idoles qui rem- 
plissaient les temples de Tancieii empire. 
Quoi qu'on en ait dit, nous no possédons 
point de statuettes en bronze qui soient anté- 
rieures à l'expulsion des Hyksos. Quelques- 
unes des figures qui proviennent de Thèbes 
sont bien certainement de la XYIlh et de la 
XIX« dynastie : la tête de lion 
ciselée qui était avec les bijoux 
de la reine Ahhotpou, l'Harpo- 
crate de Boulaq, qui porte le 
prénom de Kamos et le nom 
d'Ahmos I®% plusieurs Ammon 
du même musée, qu'on dit avoir 
été découverts à Médinét-Ha- 
bou et à Shêikh Abd-el-Gour- 
nah. Les pièces les plus importantes appartiennent à 
là XXII* dynastie, ou lui sont postérieures et contem- 
poraines des Pharaons saïtes ; beaucoup ne remontent 
pas plus haut que les premiers Ptolémées. Un fragment 
qui est en la possession du comte StroganofF, et qui a 




Fie. 269. 
(D'après Wilkinson.) 



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apa 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



été recueilli dans les ruines de Tanis, faisait partie 
d^une statue votive du roi Pétoukhânou. Elle était exé- 
cutée aux deux tiers au 
moins de la grandeur natu- 
relle, et c^est le morceau le 
plus considérable que nous 
ayons jusqu'à présent. Le 
portrait de la dame Ta- 
koushit, donné par M. Dë- 
métrio au musée d'Athènes, 
les quatre figures de la col- 
lection Posno, aujourd'hui 
au Louvre, le génie age- 
nouillé de Boulaq, sont ori- 
ginaires de Bubastis et datent 
probablement des années 
qui précédèrent Tavènemenî 
de Psamitik V\ La dame 
Takoushit est debout, k 
pied en avant, le bras droii 
pendant, le bras gauche re- 
plié et ramené contre hi 
poitrine (fig. 270). 
Elle est vêtue d'une 
robe courte, brodée de 
scènes religieuses, et 
a des bracelets aux 
bras et aux mains. 
La perruque à mèches carrées, régulièrement étagées, lui 
emboîte la tête. Le détail des étoffes et des bijoux est 
dessiné en creux, au trait, à la surface du bronze, et 




FIG. 270. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



293 



relevé d'un fil d'argent. La face est un portrait et 
semble indiquer une femme d'âge mûr. Le corps est, 
selon la tradition des écoles égyptiennes, un corps de 
jeune fille, élancé, 
ferme et souple. Le 
cuivre est mêlé for- 
tement d'or et a des 
reflets doux, qui se 
marient de la ma- 
nière la plus heu- 
reuse avec le riche 
décor de la broderie. 
Autant l'aspect en est 
fin .et harmonieux , 
autant celui du gé- 
nie agenouillé de 
Boulaq est rude et 
heurté. Il a la tête 
d'épervieret adore le 
soleil levant, comme 
c'est le devoir des 
génies d'Héliopolis; 
son bras droit est 
levé en l'air, son 
bras gauche se serre 
contre la poitrine. 
Le style de l'ensemble est sec, et le grenu de l'épi- 
derme augmente encore l'impression de dureté ; mais 
le mouvement est juste, énergique, et le masque d'oi- 
seau s'ajuste au buste d'homme avec une sûreté surpre- 
nante. Les mêmes qualités et les m;}mes défauts se re- 




FIG. 271 



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ap* 



L'ARCHEOLOGIE ÉGYPTIENNE. 



trouvent sur PHor de la collection Posno (fig. 271). 
Debout, les bras lancés en avant, à hauteur de la tête, 
il soulève le vase à libations et en verse le contenu 
sur un roi jadis placé devant lui. La rudesse est moins 
sensible dans les trois autres figures, 
surtout dans celle qui porte le 
nom de Mosou gravé à la pointe sur 
la poitrine, à Fendroit du cœur 
(fig, 272). Elle est debout, comme 
Hor, le pied gauche en avant, le 
bras gauche tombant près de la 
cuisse. La main droite, relevée à la 
hauteur du sein, tenait le bâton de 
commandement. Le torse est nu, 
les reins sont ceints du pagne rayé, 
dont la pointe retombe carrément 
entre les deux cuisses. La tète est 
coiffée de la perruque courte, à 
petites mèches fines, imbriquées 
Tune sur l'autre. L'oreille est ronde 
et grande. Les yeux, bien ouverts, 
étaient sertis d'argent et ont été vo- 
lés par quelque fellah. Les traits 
FIG. 272. ont une expression remarquable 

de hauteur et de fermeté. Que 
dire, après cela, des milliers d'Osiris, d'Isis, de Neph- 
thys, d'Hor, de Nofirtoum, qu'on a retirés du sable 
et des décombres à Saqqarah, à Bubaste et dans toutes 
les villes du Delta ? Beaucoup, sans doute, sont de char- 
mants morceaux de vitrine et se recommandent par la 
perfection de la fonte ou par la délicatesse du travail ; 




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LES ARTS INDUSTRIELS. 



-25S 



mais la plupart sont des objets de commerce, fabriqués 
pendant des siècles sur les mêmes modèles, et peut-être 
dans les mêmes moules, pour Pédification des dévots et 
des pèlerins. Ils sont mous, vulgaires, sans originalité, 
et ne se distinguent non plus les uns des autres que 
les milliers de figurines coloriées, dont nos marchands 
d'objets de sainteté encombrent leurs éta- 




FIG, 273. 



lages. Seules, les images d'animaux, les béliers, les 
sphinx, les lions surtout, gardèrent jusqu'à la fin un 
cachet d'individualité des plus prononcés. Les Egyp- 
tiens avaient pour les félins une prédilection particu- 
lière : ils ont représenté le lion dans toutes les atti- 
tudes, chassant l'antilope, se ruant sur les chasseurs, 
blessé et se retournant pour mordre sa blessure, au re- 
pos et couché d'un calme dédaigneux, et nul peuple 
ne l'a rendu avec pareille connaissance de ses habi- 
tudes ni avec pareille intensité de vie. Plusieurs dieux 
et plusieurs déesses, Shou, Anhouri, Bastît, Sok- 
hit, Tafnout, avaient forme de lion ou de chat, et 



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apô L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

comme le culte en était plus populaire dans le Delta 
que partout ailleurs, il ne se passe guère d^années où 
Ton ne déterre, au milieu des ruines de Bubastis, deTa- 
nis, de Mendès ou de quelque ville moins célèbre, de 
véritables dépôts où les figurines de lion ou de lionne, 
de femmes ou d'hommes à têtes de lion et de chat, se 
comptent par milliers. Les chats de Bubaste et les lions 
de Tell-es-sebâ remplissent nos musées. Les lions 
d'Horbaït peuvent compter parmi les chefs-d'œuvre de 
la statuaire égyptienne. Le nom d'Apriès est inscrit sur 
le plus grand d'entre eux (fig. 273), mais ce témoignage 
précis nous manquerait, que les caractères du morceau 
nous ramèneraient invinciblement à l'époque saïte. Il 
faisait partie des pièces qui composaient Tornementa- 
tion d'une porte de temple ou de naos, et la face pos- 
térieure en était engagée dans un mur ou dans une 
pièce de bois. Il est pris au piège, ou couché dans une 
cage oblongue, d'où ne sortent que la tête et les pattes 
de devant. Les lignes du corps sont simples et puis- 
santes, l'expression de la face calme et forte. Il égale 
presque par l'ampleur et la majesté les beaux lions 
en calcaire d'Amenhotpou III. 

L'idée d'appliquer l'or et les métaux nobles sur le 
bronze, sur la pierre ou sur le bois, était déjà ancienne 
en Egypte, au temps de Khéops. L'or est très souvent 
mêlé d'argent à l'état naturel ; quand il en renfermait 
20 pour 100, il changeait de nom et s'appelait électrum 
(asimou), L'électrum a u-ne belle teinte jaune clair. Il 
pâlit à mesure que la proportion augmente : à 60 pour 
100, il est presque blanc. L'argent venait surtout d'Asie 
en anneaux, en plaques ou en briquettes d'un poids 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 1197 

déterminé. L'or et rélectrutn arrivaient partie de Syrie, 
en briques et en anneaux, partie du Soudan, en pépites 
ou en poudre. L'affinage et la fonte sont figurés sur les 
monuments des anciennes dynasties. Un bas-relief de 
Saqqarah nous montre la pesée de l'or confié à l'ouvrier 
qui doit le travailler; un autre, de Béni-Hassan, le 
lavage et la mise au feu du minerai; un autre, de 
Thèbes, l'orfèvre assis devant 
son creuset, le chalumeau à la 
bouche pour attiser la flamme, 
et la pince à la main droite, prêt 
à saisir le lingot (fig. 274). Les 
Égyptiens ne frappaient ni mon- 
naies ni médailles. A cela près, fig. 27^. 
ils tiraient le même parti que 

nous des métaux précieux. Comme nous dorons les 
croix et les coupoles des églises, ils recouvraient d'or 
les portes des temples, le soubassement des murs, les 
bas-reliefs, les pyramidions d'obélisque, les obélisques 
entiers. Ceux de la reine Hatshepsitou à Karnak étaient 
bardés d'électrum. « On les apercevrait des deux rives 
du Nil, et ils inondaient les deux Égyptes de leurs 
reflets éblouissants, quand le soleil se levait entre 
eux, comme il se lève à l'horizon du ciel. » C'étaient 
des lames forgées à grands coups de marteau sur 
l'enclume. Pour les objets de petite dimension, on se ' 
servait de pellicules, battues entre deux morceaux de 
parchemin. Le musée du Louvre possède un véritable 
livret de doreur, et les feuilles qu'il renferme sont 
aussi fines que celles des orfèvres allemands au siècle 
passé. On les fixait sur le bronze au moyen d'un mor- 



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298 L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 

dant ammoniacal. S^il s'agissait de quelque statuette 
en bois, on commençait par coller une toile fine ou par 
déposer une mince couche de plâtre, et Ton appliquait 
For ou Targent par-dessus ce premier enduit. Il est 
question de statues en bois doré de Thot, d'Hor, de 
Nofirtoum, dès le temps de Khéops. Le seul temple 
d'Isis, dame de la pyramide, en renfermait une dou- 
zaine, et ce n'était pas l'un des plus grands dans la 
nécropole memphite. Les temples de Thèbes paraissent 
en avoir possédé des centaines, au moins sous les dy- 
nasties conquérantes du nouvel empire, et les sanctuaires 
ptolémaïques ne le cédaient pas en cela aux thébains. 
Le bronze et le bois doré ne suffisaient pas toujours 
aux dieux : c'était de Por massif qu'il leur fallait et on 
leur en donnait le plus possible. Les rois de l'ancien et 
du moyen empire leur dédiaient déjà des statues taillées 
en plein dans les métaux précieux. Les pharaons de la 
XVI II« et de la XIX® dynastie, qui puisaient presque à 
volonté dans les trésors de l'Asie, renchérirent sur ce 
qu'avaient fait leurs prédécesseurs. Même quand la 
décadence fut ventie, on vit de simples seigneurs féo- 
daux continuer la tradition des grands règnes, et, comme 
Montoumhît, prince de Thèbes, remplacer les images 
en or et en argent, que les généraux d'Ashshourbanipal 
avaient enlevées à Karnak, pendant les invasions assy- 
'riennes. La quantité de métal ainsi consacrée au service 
de la divinité était considérable. Si on y trouvait beau- 
coup de figures hautes de quelques centimètres à peine, 
on en trouvait beaucoup aussi qui mesuraient trois 
coudées et plus. Il y en avait d'un seul métal, or ou ar- 
gent; il y en avait qui étaient partie en or, partie en 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 399 

argent ; il y en avait enfin qui se rapprochaient de la sta- 
tuaire chryséléphantine des Grecs, et où Por se combi- 
nait avec rivoire sculpte', avec Tébène, avec les pierres 
précieuses. Ce qu'elles étaient, on le sait très exactement, 
et par les représentations qui en existent un peu par- 
tout, à Karnak, à Médinét-Habou, à Dendérah, dans 
les tombes, et par les statues de calcaire et de bois : la 
matière avait beau changer, le style ne variait pas. 
Rien n'est plus périssable que de pareilles œuvres ; la 
valeur même des matériaux qui les composent les con- 
damne sûrement à la destruction. Ce que les guerres 
civiles, les invasions étrangères, la rapacité des pha- 
raons et des gouverneurs romains avait épargné, devint 
la proie des chrétiens. Quelques statuettes mignonnes, 
placées sur les momies en guise d'amulettes, quelques 
figures, adorées comme divinités domestiques et éga- 
rées dans les ruines des maisons, quelques ex-voto, 
oubliés dans le coin, obscur d'un temple, sont par- 
venus jusqu'à nous. Le Phtah et l'Ammon de la reine 
Ahhotpou, un autre Ammon en or de Boulaq et le vau- 
tour en argent découvert à Médinét-Habou vers i885, 
sont les seules pièces de ce genre attribuées certaine- 
ment à la grande époque. Le reste est saïte ou ptolé- 
maïque et ne se recommande point par la perfection du 
travail. La vaisselle que renfermaient les temples et 
les maisons n'a pas eu meilleure chance que les sta- 
tues. Le Louvre a acquis, au commencement du siècle, 
des coupes à fond plat que Thoutmos III donna 
à l'un de ses généraux, Thoutii, en récompense 
de sa bravoure. La coupe d'argent est très mutilée, 
la coupe d'or est intacte et d'un fort Joli dessin 



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JOO 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 




FIG 87$. 



(Kg. 275). Les parois latérales sont ornées d^une lé- 
gende hiéroglyphique. On a gravé au fond une ro- 
sace, autour de laquelle circulent six poissons. Une 

bordure de 
fleurs de lotus, 
reliées par une 
ligne courbe, 
tourne autour 
du sujet prin- 
cipal. Les 
cinq vases de 
Thmouïs, con- 
servés à Boulaq, 
sont en argent. 
Ils faisaient par- 
tie du mobilier 
sacré, et avaient été enfouis dans une cachette, où ils 
sont demeurés Jusqu'à nos Jours. Rien n'indique leur 
âge; mais, qu'ils soient de 
l'époque grecque ou de l'épo- 
que thébaine, la facture est 
purement égyptienne. Il ne 
reste plus de l'un d'eux que 
le couvercle avec une poignée 
formée de deux fleurs réunies 
par la lige. Les autres sont 
intacts et décorés au repoussé, 
de boutons de lotus et de lotus 

épanouis (fig. 276). Le galbe en est élégant et simple, 
l'ornementation sobre et légère, le relief très fin ; l'un 
d'eux est pourtant entouré d'une ceinture d'oves assez 




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LES ARTS INDUSTRIELS. 



JOÏ 




fortes (6g. 277), dont la saillie altère un peu les con- 
tours de la panse. Ce sont là des pièces intéressantes; 
mais le nombre en est si restreint, que nous aurions 
une idée très incomplète de Torfèvrerie égyptienne 
si les représentations figurées ne venaient à notre 
aide. Les pharaons n'avaient pas 
comme nous la ressource de jeter 
dans la circulation, sous forme 
de monnaie, Por et l'argent qu'ils 
recevaient des peuples vaincus. 
La part des dieux prélevée, ils 
n'avaient d'autre alternative que 
de fondre en lingots, ou de chan- ^^°' ^^^' 

ger en vaisselle et en bijoux ce qui leur revenait du 
butin. Ce qui était vrai des rois l'était encore plus des 
particuliers, et, pendant six ou huit siècles au moins, 
à partir d'Ahmos I*', le goût de l'argenterie fut poussé 

jusqu'à l'extravagance. 
Toutes les maisons possé- 
daient non seulement ce qu'il 
fallait pour le service de la 
table, plats, aiguières à pied, 
coupes, gobelets, paniers sur 
lesquels on gravait au trait 
des figures d'animaux fan- 
tastiques (ûg, 278), mais de grands vases décoratifs 
qu'on remplissait de fleurs, ou qu'on étalait sous les yeux 
des convives les jours de gala. Certains d'entre eux 
étaient d'une richesse extraordinaire. Ici, c'est une 
coupe dont les anses sont deux boutons de papyrus, 
et le pied un papyrus épanoui ; deux esclaves asiatiques 




FIG. 278. 



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joa 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 




279. 



somptueusement vêtus semblent la soulever difficile- 
ment à force de bras (fig. 279). Là, une sorte d'hydrie 
allonge'e a pour couvercle un lotus flanqué de deux 
têtes de gazelle (fig. 280). Deux 
bustes de chevaux, brfdés et ca- 
paraçonne's, sont adossés au 
pied. La panse est divisée en 
zones horizontales : celle du 
milieu figure un marais, qu"'une 
antilope effarouchée parcourt au 
galop. Deux burettes émaillées 
ont pour couvercle, la première 
une tête d'aigle huppé (fig. 281), 
la seconde un masque du dieu Bîsou, encadré entre 
deux vipères (fig. .282). Un surtout en or (fig. 283), 
offert à Amenhotpou III par 
un vice-roi d'Ethiopie, repré- 
sente une des scènes les plus 
fréquentes de la conquête égyp- 
tienne. Des singes et des 
hommes font la cueillette des 
fruits dans un bois de palmiers- 
doums. Deux indigènes en 
pagne rayé, parés d^une longue 
plume, conduisent chacun au 
licol une girafe apprivoisée. D'autres hommes [appar- 
tenant à la même tribu sont agenouillés sur la lisière 
et lèvent les mains pour implorer la pitié des troupes 
égyptiennes. Des prisonniers nègres, étendus à plat 
ventre sur le sol, relèvent péniblement la tête et le 
buste. Une coupe à pied bas, surmontée d'un cône 




FIG. 280. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



JOJ 




FI G. 281. 



allonge, se dresse au milieu des arbres. Évidemment 
les ouvriers qui ont exécuté ce travail te- 
naient moins à l'élégance et à la beauté qu'à 
la richesse et à l'effet. Ils se souciaient peu 
que Tensemble fût lourd et de mauvais 
goût, pourvu qu'on admirât leur habileté, et 
la quantité de métal qu'ils avaient réussi à 
employer. D'autres surtout du même genre, 
présentées à Ramsès II, dans le temple 
d'Ipsamboul, remplacent les girafes par des 
buffles courant à travers les palmiers. 

C'étaient de vrais Joujous d'orfèvrerie 
analogues à ceux que les empereurs 
byzantins du ix« siècle avaient dans 
leur palais de la Magnaure, et qu'ils 
étalaient les jours de réception pour 
donner aux étrangers une haute idée 
de leur puissance et de leur richesse. 
On les voyait défiler avec les prison- 
niers, dans le cortège triomphal de 
Pharaon, lorsqu'il revenait victorieux 
de ses guerres lointaines. Les vases 
d'usage journalier 
étaient plus légers 
et moins chargés 
d'ornements incom- 
modes. Les deux léo- 
pards qui servent 
d'anse à un cratère 

FIG. 28j. 

du temps de Thout- 

mos III (fig. 284) ne sont pas bien proportionnés et 




FIG. 282. 




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!<>♦ 



L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 




FIO. 284. 



se combinent, mal avec les rondeurs de la panse, mais 
les coupes (fig. 285) et Taiguière (fig. 286) sont d'une 
ordonnance heureuse et d'un contour 
assez pur. Ces vases d'or et d'argent 
ciselé, travaillés au repoussé, et dont 
quelques-uns offrent des scènes de 
chasse ou de guerre disposées par 
zones, furent imités en Phénicie, et 
les contrefaçons, expédiées en Asie 
Mineure, en Grèce, en Italie, y trans- 
portèrent plusieurs des formes et des 
motifs de l'orfèvrerie égyptienne. La passion des mé- 
taux précieux était poussée si 
loin sous les Ramessides, qu'on 
ne se contenta plus de les em- 
ployer au service de la table. 
Ramsès II et Ramsès III avaient 
des trônes en or, non point pla- 
qués sur bois, comme en avaient 
eu leurs prédécesseurs, mais massifs et garnis de pierre- 
ries. Tout cela avait trop de prix 
pour durer et disparut à la première 
occasion ; la valeur artistique ne 
répondait pas d'ailleurs à la valeur 
vénale, et la perte n'est pas de celles 
dont on ne saurait se consoler. 
Les Orientaux, hommes et 
femmes, sont grands amateurs de bijoux. Les Égyp- 
tiens ne faisaient pas exception à la règle. Non con- 
tents de s'en parer à profusion pendant la vie, ils en 
chargeaient les bras, les doigts, le cou, les oreilles, 




FIG. 2B5. 




FIG. 2S6. 



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LES ARTS INDUSTRIEL#^^^^fj^^'j^^Y^ Y 

le front, les chevilles de leurs morts. La^^ma(û(|it(f Q^^ilè^ 
enfouissaient ainsi dans les tombeaux étaitsî 
rable, qu'après trente siècles de fouilles actives, on 
découvre encore, de temps en temps, des momies qui 
sont, pour ainsi dire, cuirassées d'or. Beaucoup de ces 
bijoux funéraires n'étaient que des ornements de pa- 
rade, fabriqués pour le jour des funérailles, et dont 
l'exécution se ressent de l'usage auquel ils étaient des- 
tinés. On ne se privait pas pourtant 
d'enterrer avec les morts les bijoux qu'ils 
avaient préférés de leur vivant, et ceux-là 
sont traités avec un soin qui ne laisse 
rien à désirer. Les bagues et les chaînes 
nous sont arrivées en très grand nombre, 
et cela n'a rien que de naturel. En effet, la bague n'était 
pas comme chez nous un simple ornement, mais un 
objet de première nécessité; on scellait les pièces offi- 
cielles au lieu de les signer, et le cachet faisait foi en 
justice. Chaque Egyptien avait donc le sien, qu'il portait 
constamment sur lui afin d'en user en cas de besoin. 
C'était, pour les pauvres, un simple anneau en cuivre 
ou en argent, pour les riches, un bijou de modèle 
plus ou rrîoins. compliqué, chargé de ciselures et d'or- 
nements en relief. Le chaton mobile tournait sur un 
pivot. Il était souvent incrusté d'une pierre avec la 
devise ou l'emblème choisi par le propriétaire, un 
scorpion (fig. 287), un lion, un épervier, un cynocé- 
phale. Les chaînes étaient pour l'Egyptienne ce que 
la bague était pour son mari, l'ornement par excellence. 
J'en ai vu une en argent qui mesurait plus d'un mètre 
cinquante de long. D'autres, au contraire, ont à peine 



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JOJ 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



cinq ou six centimètres. Il y en a de tous les modules, 
à tresse double ou triple, à gros anneaux, à petits an- 
neaux, les unes massives et pesantes, les autres aussi 
légères et aussi flexibles que le plus mince jaseron de 
Venise. La moindre paysanne pouvait avoir la sienne, 
comme les dames du plus haut rang; mais il fallait que 
la femme fût bien pauvre dont l'écrin ne contenait rien 
d'autre. Bracelets, diadèmes, colliers, 
"^ cornes, insignes de commandement, 

' aucune énumération n'est assez com- 
plète pour donner une idée du nombre 
et de la variété des bi jou^t qu'on con- 
naît, soit par la représentation figurée, 
soit en original. Berlin a la parure 
d'une Candace éthiopienne, le Louvrç, 
celle du prince Psar, Boulaq celle de 
la reine Ahhotpou, la plus complète 
de tomes. Ahhotpou était femme de 
Kamos, roi de la XVII® dynastie et 
peut-être mère d'Ahmos I«'. Sa mo- 
mie avait été enlevée par une des 
bandes de voleurs qui exploitaient la nécropole thé- 
baine, vers la fin de la XXa dynastie. Enfouie par 
eux, en attendant qu'ils eussent le loisir de la dé- 
pouiller en sûreté, il est probable qu'ils furent pris 
et mis à mort, avant d'avoir pu exécuter ce beaii des- 
sein. Le secret de leur cachette périt avec eux et ne fut 
découvert qu'en 1860, par les fouilleurs arabes. La plu- 
part des objets que la reine avait emportés dans l'autre 
monde sont des bijoux de femme, un manche d'éventail 
lamé d'or, un miroir de bronze doré, à poignée en ébène, 




FIG. 288. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



307 



garnie d'un lotus d'or ciselé (fig. 288). Les bracelets 
appartiennent à plusieurs types divers. Les uns e'taient 
destinés à garnir la cheville et le haut du bras, et sont 




TAucfi^ ^'^'^'*' 



FIG. 289. 



de simples anneaux en or, massifs ou creux, ourlés 
de chaînettes en fils d'or tressés, imitant le filigrane. 
Les autres se portent au 
poignet, comme les bra- 
celets de nos femmes, et 
sont formés de perles en 
or, en lapis-lazuli, en cor- 
naline, en feldspath vert, 
montées sur des fils d'or 
et disposées en carré, dont 
chaque moitié est d'une 
couleur différente. La fer- 
meture consiste en deux 
lames 1 d'or, réunies par une aiguillette également en 
or : les cartouches d'Ahmos V^ y sont gravés légèrement 
à la pointe. C'est également au Pharaon Ahmos I" 
qu'appartenait un beau bracelet d'arc (fig. 289), 




FIG. 290. 



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jo8 



L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 




dont la facture rappelle un peu les procéde's usités 
dans la fabrication des émaux cloisonnés. Ahmos est 
agenouillé devant le dieu Sibou et ses acolytes, les gé- 
nies de Sop et de Khonou. Les figures et les hiéro- 
glyphes sont levés en plein sur une plaque d'or et 
ciselés délicatement au burin. Le champ est rempli de 
pièces de pâte bleue et de lapis-lazuli taillées artiste- 

ment. Un bracelet de tra- 
vail plus compliqué, mais 
moins fin , était passé 
au poignet de la reine 
(fig. 290). Il est en or 
massif et formé de trois 
bandes parallèles, garnies 
de turquoises. Sur le de- 
vant, un vautour déploie 
ses ailes, dont les plumes 
sont composées d'émaux verts, de lapîs-lazuli et de 
cornaline, enchâssés dans des cloisons d'or. Les cheveux 
étaient engagés dans un diadème d'or massif, à peine 
aussi large qu'un bracelet. Le nom d' Ahmos est in- 
crusté en pâte bleue sur une plaque oblongue, adhérente 
au cercle : deux petits sphinx en relief, posés de 
chaque côté, ont l'air de veiller sur lui (fig. 291). Une 
grosse chaîne d'or flexible était enroulée autour du 
cou : elle est terminée par deux têtes d'oie recour- 
bées, qu'on liait au moyen d'une ficelle, quand on 
voulait fermer le collier. Le scarabée qui lui sert 
de pendeloque a le corselet et les élytres en pâte de 
verre bleue, rayée d^or, les pâtes et le corps en or 
massif. La parure de la poitrine était complétée par 



fiG. 291. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



309 



un large collier du genre de ceux qu^on appelait 
Ouoskh (fig. 292). Il a pour agrafes deux têtes d'éper- 




FIC. 292. 

vier en or, dont les détails étaient relevés d'émail 
bleu. Les rangs sont composés de cordes enroulées, 
de fleurs à quatre 

pétales en croix, -^ttmTTffmTn™Mf^^ 
d'antilopes pour- "F^irBTTTirBr pr" WTJ 
suivies par des 
tigres, de chacals 
accroupis, d'éper- 
viers, de vautours 
et d'uraeus ailées, 
le tout en or re- 
poussé, et cousu 
sur le linceul au 
moyen d'un petit 
anneau soudé 

derrière chaque figure. Au-dessous, pendait sur la poi- 
trine une de ces pièces carrées qu'on appelle un pec- 
toral (fig. 293). La forme générale est d'un naos. 




FIG. 29}. 



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JIO 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



/, 



Ahmos, debout dans une barque entre Ammon et Râ, 
reçoit, sur la tête et sur le corps, Peau qui doit le puri- 
fier. Deux éperviers planent, à droite et à 
gauche du roi, au-dessus des dieux. La 
silhouette des figures est dessinée par des 
cloisons d'or; le corps e'tait rendu par 
des plaquettes de pierre et d'émail, dont 
beaucoup sont tombées. Le morceau est 
un peu lourd, et l'usage ne s'en com- 
prend guère si on l'isole du reste de la pa- 
rure. Pour juger sainement l'effet qu'il 
produisait, on doit se rappeler ce qu'était 
le vêtement des femmes égyptiennes : une 
sorte de fourreau d'étoffe semi-transpa- 
rente, qui s'arrêtait au-dessous des seins 
et les laissait saillir librement. Le haut de 
la poitrine et du dos, les épaules, le cou 
étaient à découvert, sauf une paire de bre- 
telles étroites qui maintenaient le fourreau 
et l'empêchaient de glisser. Les femmes 
riches habillaient cette nudité de bijoux. Le 
collier voilait à moitié les épaules et le 
haut de la poitrine. Le pectoral masquait 
le sillon qui se creuse entre les seins. Les 
seins eux-mêmes étaient parfois emboîtés 
chacun dans une sorte de coupe d'or 
émaillé ou peint, qui en épousait exacte- 
ment les contours. A côté de ces bijoux, 
des armes et des amulettes étaient entassés 
pêle-mêle : trois grosses mouches d'or massif suspen- 
dues à une chaînette mince, neuf petites haches, trois 



FI G. 294. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



ju 



en or, six en argent, une tête de .lion en or d'un 
travail minutieux,, un sceptre en bois noir enroulé 
d'or, des anneaux de jambes, des poignards. L'un d'eux 
(fig. 294), enfermé dans une gaine d'or, avait un manche 
en bois, décoré de triangles en cornaline, en lapis- 
lazuli, en feldspath et en or. Pour pom- 
meau, quatre têtes de femme en or 
repoussé; une tête de taureau ren- 
versée, en or, dissimule la soudure de 
la lame au manche. Le pourtour de 
la lame est en or massif, le corps en 
bronze noir, damasquiné. Sur la 
face supérieure, au-dessous du pré- 
nom d'Ahmos, un lion poursuit un 
taureau, en présence de quatre grosses 
sauterelles alignées ; sur la face infé- 
rieure, le nom d'Ahmos et quinze 
fleurs épanouies, qui sortent l'une 
de l'autre et vont se perdant vers la 
pointe. Un poignard, découvert à 
Mycènes par M. Schliemann , pré- 
sente un système de décoration analo- 
gue; les Phéniciens, qui copiaient as- 
sidûment les modèles égyptiens, ont 
probablement transporté celui-là en Grèce. Le second 
poignard de la reine (fig. 295) a une forme qu'il n'est 
pas rare de rencontrer aujourd'hui encore dans la 
Perse et dans l'Inde. C'est une lame en bronze jaunâtre 
très lourd, emmanchée d'un disque en argent. Pour s'en 
servir, on appuyait le pommeau lenticulaire dans le 
creux de la main, et l'on passait la lame entre l'index 




FIG. 2^5. 



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jia 



L'ARCHÉOLOGIE EGYPTIENNE. 



et le médius. On se demandera quel besoin une femme, 
et une femme morte, avait de tant d'armes. L'autre monde 

était peuplé d'ennemis 
contre lesquels on 
devait lutter sans re- 
lâche, génies typho- 
niens, serpents, scor- 
pions gigantesques, 
tortues, monstres de toute sorte. Les 
poignards qu'on enfermait au cercueil 
avec la momie aidaient' Pâme à se 
protéger, et comme ils n'étaient utiles 
que pour la lutte corps à corps, on avait 
ajouté quelques armes de jet, des arcs, 
des boumerangs en bois dur et une 
hache de guerre. Le manche est en 
bois de cèdre revêtu d'une feuille d'or 
(fig. 296). La légende d'Ahmos y est 
écrite en caractères de lapis-lazuli, de 
cornaline, de turquoise et de feldspath 
vert. Le tranchant est saisi dans une 
entaille du bois et maintenu en place 
par un treillis de fils d'or. Il est en 
bronze noir et a été doré. L'une des 
deux faces montre des lotus sur fond 
d'or, l'autre Ahmos frappant un bar- 
bare à moitié renversé, qu'il tient aux 
cheveux. Au-dessous, le dieu de la 
guerre, Montou Thébain, est repré- 
senté par un griffon à tête d'aigle. Deux barques 
en argent et en or simulaient la barque sur laquelle la 




FIG. 296. 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



313 



momie traversait le fleuve, pour se rendre à sa dernière 
demeure etnavigueràla suitedes dieux sur lamer d'Oc- 
cident. La barque en argent était posée sur un chariot de 
bois à quatre roues en bronze; comme elle était en 
assez mauvais état, on Ta démontée et remplacée par 




FI G. 297. 



la barque en or (fig. 297). La coque est légère et 
allongée : les façons de Pavant et de Tarrière sont rele- 
vées et se terminent par des bouquets de papyrus gra- 
cieusement recourbés. Deux estrades, entourées de 
balustrades à panneaux pleins, se dressent 
à la proue et à la poupe, en guise de châ- 
teaux gaillards. Le pilote d'avant est debout 
dans la première, le timonier se tient 
devant la seconde et manie la rame à large 
palette qui remplissait l'office de notre 
gouvernail. Douze rameurs d'argent massif 
voguent sous les ordres de ces deux officiers. Au 
centre, Kamos est assis, la hache et le sceptre à la 
main. Voilà ce qu'il y avait sur une seule momie; 
encore n'ai-je énuméré que les objets les plus remar- 
quables. La technique en est irréprochable, et la sûreté 
du goût n'est pas moindre chez l'ouvrier que la dexté- 




296. 



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JI+ L'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE. 

rite de la main. L'art de Porfèvre, parvenu au degré 
de perfection dont témoigne* Pécrin d'Ahhotpou, ne s'y 
maintint pas longtemps. Les modes changèrent, la forfne 
des bijoux s'alourdit. La bague de Ramsès II au Louvre, 
avec ses chevaux posés debout sur le chaton (fig. 298), 
le bracelet du prince Psar (fig. 299), avec ses griffons et 
ses lotus en émail cloisonné, sont d'un dessin moins 
heureux que les bracelets d'Ahmos. Celui qui les a 
exécutés était, sans contredit, aussi habile que les 
orfèvres de la reine Ahhotpou; mais il avait le goût 
moins fin et l'esprit moins inventif. Ramsès II était 
condamné, ou bien à ne jamais porter sa bague, ou bien 
à voir les petits chevaux qui l'ornaient, . s'écraser et 
tomber au moindre choc. La décadence, déjà sensible 
sous la XIX* dynastie, s'accentue à mesure que nous 
nous rapprochons de l'ère chrétienne. Les boucles 
d'oreilles de Ramsès IX, au musée de Boulaq, sont un 
composé disgracieux de disques chargés de filigrane, 
de chaînettes, d'uraeus pendants ; comme aucune 
oreille humaine n'aurait pu en porter le poids sans 
s'allonger outre mesure ou sans se déchirer, on les 
accrochait à la perruque de chaque côté de la tête. Les 
bracelets du grand-prêtre Pinotmou III, recueillis sur sa 
momie, sont de simples anneaux en or, ronds, incrustés 
de verre coloré et de cornaline, semblables à ceux qu'on 
fabrique encore aujourd'hui chez les noirs du Sou- 
dan. L'invasion des Grecs modifia d'abord les procédés 
de l'orfèvrerie égyptienne, puis substitua peu à peu 
ses types aux types indigènes. L'écrin de la reine 
éthiopienne que Ferlini vendit au musée de Berlin 
contenait, à côté de bijoux qu'on aurait pu attribuer 



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LES ARTS INDUSTRIELS. 



îiS 



sans peine à Fépoque pharaonique, des bijoux de style 
mixte où Finfluence hellénique est nettement recon- 
naissable. Les trésors découverts, en 1878, à Zagazig, 
en j88i, à Qénèh, en 1882, à Damanhour, étaientcom- 
posés entièrement d'objets dont la facture n'a plus rien 
d'égyptien, épingles à cheveux surmontées d'une sta- 




FIC. 299. 

tuette de Vénus, boucles de ceinture, agrafes pour 
péplum, bagues et bracelets ornés de camées, coffrets 
flanqués aux quatre -coins de colonnettes ioniques. 
Les vieux modèles étaient encore recherchés dans les 
campagnes, et les orfèvres de village conservaient tant 
bien que mal la tradition antique : les orfèvres de ville 
ne savaient plus que copier lourdement les modèles 
grecs et romains. 

Cette revue rapide de ce qu'ont produit les arts 
industriels présente bien des lacunes. J'ai dû me borner 
à citer ce que renferment les collections les plus con- 
nues; que ne trouverait-on pas si l'on pouvait visiter 



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31(5 



L'ARCHEOLOGIE EGYPTIENNE. 



à loisir nos. musées de province et recuerllir ce que le 
hasard des ventes a dispersé dans les collections parti- 
culières! La diversité des petits monuments de Tindus- 
trie égyptienne est infinie et Tétude méthodique en 
reste encore à faire : elle promet plus d'une surprise à 
qui voudra la tenter. 




FIN 



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TABLE 



CHAPITRE PREMIER. 

Pages. 

L'Architecture civile et militaire 5 

• § I. — Les maisons G 

•* § 2. — Les forteresses 21 

§ 3. — Les travaux d'utilité publique 34 

CHAPITRE II. 

L'Architecture religieuse 45 

g I. — Matériaux et éléments de la construction. ... 45 

§ 2. — Le temple 63 

g 3. — La décoration 87 

CHAPITRE III. 

LesTombeaux 108 

i^§ I. — Les mastabas 109 

— g 2. — Les pyramides 12b 

g 3. — Les tombes de l'Empire thébain; les hypogées.. i3f) 



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ji8 TABLE. 

CHAPITRE IV 

Pages. 

La Peinture et la sculpture 162 

V g I. -— Le dessin et la composition 162 

*^ g 2. — Les procédés techniques i85 

§ 3. -- Les œuvres 199 

CHAPITRE V. 

Les Arts industriels 234 

§ I. — La pierre, la terre et le verre 234 

g 2. — Le bois, l'ivoire, le cuir et les matières textiles.. 259 

8 3. — Les métaux 288 



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