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LA RELIGION LT LA FOI
MEME
UTEUR
LIBRAIRIE FKLIX ALCAN
Essai sur le Mysticisme spéculatif en Allemagne au XIV' siècle, i vol. in-8".
Les Grands Mystiques chrétiens. Etudes d'histoire et de psychologie du
Mystirisnir, i vol. iii-S". (Épuisé.)
La Psychologie de Stendhal, i vol. in-8".
A LA LIBRAIRIE ARMAND COLIN
. En collaboration avec MM. Bouglk, Brbhikr et Paroih.
Du sage antique au citoyen moderne, in- 12°.
LA
RELK.ION ET LA FOI
PAR
HENRI DELACROIX
Professeur à la Sorbonne.
PARIS
LIBRAIRIE FÉLIX ALCAX
Io8, UOULEVARI) SAINT-OEUMAIX, loS
r.'us droits de traducli'jri, de reproduction et dadaptation réservés.
AVANT-PROPOS
LA RELIGION ET LA FOI
La Foi est, pour la psychologie, le l'ait relit^ieiix primordial.
N est-elle pas au cœur de tous les sentiments et de tous les
actes religieux, ne leur assigne-t-elle pas leur rapport avec
leur objet, n'est-elle pas l'acte ou l'attitude par lesquels l'indi-
vidu entre ou se maintient en contact avec le sacré, sous
toutes les formes (pii le révèlent, dogmes, pratiques, société
religieuse? Dans certaines religions presque subjectives, dans
certaines formes du protestantisme par exemple, létat d'àme
(pie ce mot désigne, est presque le tout de la vie religieuse.
Même dans les religions les plus objectives, dans celles qui
font une part considérable à leflicacité externe, indépendante
du sujet, des forces religieuses, on voit intervenir, au moment
essentiel, l'attitude du sujet qui vise à les utiliser. C'est bien
l'opinion des àmcs religieuses, et c'est aussi celle des Eglises.
Prenons pour exenq)le l'Kglise catlioli([ue, et sa doctrine des
sacrements. La théorie la plus objective, la plus réaliste,
celle de Hugues de Saint -Victor par exemple, veut (jue le
sacrement contienne la grâce comme le remède sa vertu; celle
de Duns Seot ou de Gabriel Hiel, avec la célèbre distinction
de Vopiis npci'atnm et de Vojxis oprrans (i), professe (jue V<>/}iis
^Il Duns Scot. in lib. iv, tlisl. i. qii. 0 m rr-iol. — (labru-l Biix, in lih iv
dist. I, qu. 3.
vin AVANT-IMIOPOS
operatum confère la grâce sacramentelle par sa force propre,
sans que les bons mouvements intérieurs du sujet soient néces- J
saires: mais, dans les deux cas. il faut tout au moins (jue le i
« récipient » n'y fasse point obstacle, par exemple, qu'il ne soit s
pas en état de péché mortel. Et c'est là une doctrine extrême;
car une doctrine toute différente, que Dieu opère dans l'àme à
l'oecasion des sacrements, que la grâce est dans l'àme et non
dans les signes visibles, est soutenue par des théologiens
comme Saint-lionaventure (i) ; et entre ces deux doctrines
extrêmes il en est d'intermédiaires, celle de Saint-Thomas,
par exemple, ou de Bellarmin, et l'Kglise, comme toujours, a
pris une position moyenne. La notion de la grâce sacramen-
telle, remède qui agit objectivement, est complétée par celle
d'une assimilation subjective (2). Le catholicisme n'emploie pas,
pour la désigner, le mot Foi, parce (juc ce mot signifie, pour
II) Saint-Boxaventihk, lib. iv, dist. i, ji. t, arl. i, qu. 3. : <i ?ion causant
f^ratiam, nisi fier (luaindani concomilantiain, (/uia Deus saci'amentis aclliibitis
in anima opcratiir. » Nous signalons en passant l'analogio de la théorie des
causes occasionnelles chez Malehranche, avec l'explication de l'clficace des
sacrements chez Saint-Hona\ cnltire.
(2 II y a, il est vrai, une dérogation à ce principe dans le cas du baptême
des enlants. Prescjne toutes les confessions chrétiennes ont rencontré cette
iliflicullé ; car lObstaele au baptême des tout Jeunes|enfants, c'est précisément
limpossilùlité de la loi ou d'une disposition (|ui ressemble à la loi ; et d'autre
part, des raisons ijue nous étudierons plus tard ont amené progressivement
les églises chrétiennes à rapi)rocher le baptême de la naissance. Nous étudie-
rons plus loin les moyens ([uemploient les dilTérentes confessions chrétiennes
pour résoudre la difliculté. Celles qui ne traitent i>oinl le baptême des
enfants comme un acte administratif, un rite extérieur d'incorporation à
l'Flglise, ou un engagement «juc prennent les parents et que l'enfant, plus
tard, prendra à son tour, supposent chez l'enfant une foi personnelle, momen-
tanée, nuraeuleusement infuse, ou le report sur lui de la foi de l'Eglise.
Une autre réserve'pourrait venir d'une seconde difliculté. Quelles doivent
être les dispositions subjectives du célébrant, {)Oiir que le sacrement soit
valide'.* Par exemi)le, c'est la doctrine catlioliijue, (jue la foi n'est pas néces-
saire chez le ministre pour la validité du sacrement; mais il s'agit de la foi
au sens catholique du mot ; et cette validité retjuiert chez le ministre l'inten-
tion de faire ce que fait l'Eglise; si les paroles de la consécration sont ])ronon-
eées sans intention en présence du pain et du vin, il n'y a pas de sacrement;
les paroles nopèrcnt (jue par l'intention (jui les dirige; c'est, en edet, cette
intention qui fait du ministre l'instrument de Jésus-Christ, qui confère au
sacrement .son pouvoir. Concile de Trente. Session vu. {De tsaci-uni. in gcn.
can. XII ; de bapt. can. iv).
A\ ANT-l'noi'OS II
lui, la soumission à la doctrine de TK^rlisc. Mais cette assimi-
lation subjective du salut, ces dispositions et satisfactions sont
des conséquences de la Foi, et la Foi même, entendue au
sens lartre : et elles ont joué un rôle dans la constitution du
concept de la Foi che/ les Uétbrmatcurs (i). Sans lecherclier
encore ce qui en est de la magie proprement dite, ni jusqu'à
quel point la volonté, lintention de l'opérateur ou du bénéti-
ciaire interviennent dans l'action magique, nous voyons que
l'eflicace externe dos sacrements est contrebalancée et complétée
par une attitude spirituelle, qui est la Foi ou qui procède de
la Foi.
La Foi est donc le tait religieux primitif pour la psychologie,
([ui étudie la religion dans les âmes religieuses. Toute religion
proclame que la Foi atteint des réalités, indépendantes de
[individu; mais toute religion admet aussi que c'est par la Foi
(juc l'individu entre en contact avec ces réalités.
Nous allons chercher à décrire les formes élémentaires de
la Foi, je veux dire les attitudes distinctes et irréductibles
qu'enferme cette notion complexe. L'analyse psychologique
montre qu'il y a dillerentes façons de croire; on peut distinguer
la croyance rationnelle, qui tend vers la certitude scientifique;
la croyance sentimentale, (jui prend appui sur des besoins et
des tendances et qui confère à leurs objets une valeur singu-
lière ; la croyance par autorité et par ouï-dire qui repose sur
la puissance de .l'opinion ou des institutions. Nous retrouvons
dans la Foi religieuse ces trois formes générales, et cette grande
division s'impose. Ce n'est (pi'un schéma, du reste. Nulle part,
dans aucune conscience d'aujourd'hui ou de jadis, nous ne
trouverons, à l'état pur, une de ces formes de foi ; même celui
(pii croit [)ar pure routine, trouve dans sa foi une satisfaction,
imc sécurité (pii dépassent et confirment l'habitude : le plus
raisonneur des théologiens fait qucl([ue place à l'inspiration du
(1) TnoBLTscu, l'roiestanlischcs Kirchenthuni, Kullnr der (icgenwart. i.
Al>t IV, p 2Ô8.
AVAXT-l'ROl'OS
sentiment ; là me la plus sentimentale s'attache à {jnelque idée
<'t raisonne sur son sentiment même. La théorie peut bien
dessiner des types purs, mais l'observation, même prolongée
par riiisloirc, n'en présente probablement pas ; si le docteur
seolastique, le symbolofidéiste contemporain, le routinier
inculte seml)lent bien les réaliser jusqu'à un certain point, une
analyse plus exacte a vite fait de déj^ager une réalité plus
complexe. Et cela est vrai de toutes les religions; il serait tout
à fait inexact de supposer, par exemple, qu'il existe une l'orme
de foi propre au catholique ou an protestant; nous verrons que
la Foi catholique ne diffère de la Foi protestante que par un
dosage dilférent de ses éléments, par une valeur différente
attribuée à certains d'entre eux. Les différentes religions
assignent une valeur différente à certaines attitudes que l'on
retrouve dans toutes et elles tendent par là à développer ces
attitudes. Il y a lieu aussi de tenir compte de ce fait que la foi
des fidèles n'est pas exactement conforme à l'idéal de Foi
décrit par les docteurs d'une religion, et de cet autre, que la
Foi se développe et varie inévitablement avec l'âge ; une phrase
de .T.-.L Rousseau dispense de tout commentaire : « J'ai cru
dans mon enfance par autorité, dans ma jeunesse par senti-
ment, dans mon âge mùr par raison, maintenant je crois parce
quej'ai toujours cru. » (i) En revanche, nous verrons certaines
formes de foi prédominer à certaines époques, sous l'empire
de circonstances historiques ; qu'il suffise d'indiquer que la
glorification du sentimentalisme tient pour beaucoup au déve-
loppement de la science, de l'histoire et de la philosophie, qui
ont rendu difficile à bien des esprits le maintien de certaines
positions théologiques; qu'elle est liée d'autre part à un mou-
vement général de repli vers la vie intérieure, au primat de
l'affectivité, au règne du cœur : réaction contre la culture intel-
lectuelle excessive, le développement de la civilisation scienti-
(i J.-J. lîoissKAf, lettre «lu i'> janvier i^'V). Œuvres, l'arit;, 1H20. t. xx,
p. 162.
WANT-riiOI'OS XI
fK|ue. industrielle et juridique. Qu'il sullise d'indiquer que
répocjne priviléi^it'e de la foi raisonnante, c'est le Moyen Ap^c,
làjjo des universités et de l'exploitation de la philosophie
gieeque, l'épotiue oii la théologie, qui s'épanouit sur les ruines
restaurées de la philosophie antique, est si puissante, que eeux-là
même qui combattent l'orthodoxie catholique, sont encore
des ihéolotriens. ()u'il suffise enfin d'indiquer (pie les formes
personnelles de la foi, foi rationnelle ou senlimcnlale, se déve-
loppent amplement, en même temps ([ue les t^glises, à la fois
universalistes et individualistes, à la chute des religions natio-
nales, (pii enserrent l'individu dans la cité.
Nous allons chercher d'abord à dégager ces formes élémen-
taires de la Foi ; nous les analyserons sur des exemples typicjucs,
d'après des faits précis ; nous chercherons à comprendre leur
formation et leur évolution, ce qui fait que tel mouvement du
cœur et de l'esprit, telle virtnallh- fondamentale de l'âme
humaine s'explicite à tel moment de l'histoire et se présente
sous telle forme et sous telle succession de formes. Nous cher-
cherons à comprendre l'utilisation religieuse de ces formes, la
justification doctrinale (pii en est fournie; enfin nous tiendrons
compte de la complexité des cas concrets, des combinaisons,
des types mixtes : nous suivrons jusqu'à la réalité vécue,
jusqu'à l'expérience religieuse des individus, l'épanouissement
de ces formes ; à ce degré, la foi devient la vie de la foi ; c'est le
développement religieux de l'individu, son « expérience reli-
gieuse », connue on dit volontiers aujourd'hui. Nous l'étudie-
rons dans ses états aigus, comme le mysticisme, l'inspiration
prophétique, le fanatisme; dans son évolution, par dévelopix-
ment progressif ou par crises, dans la conversion, la sancti-
lication, la dissolution de la foi. Knhn dans un chapitre inévita-
blement sommaire, nous chercherons comment elle se comporte
et <piel rôle jouent ses différents éléments dans la formation des
notions et des institutions religieuses fondamentales. Ayant
conunencé par traiter les religions comme des données, au sein
XU AVANT-1*H<)I»(>S
(los(iiielIos se conslitiio la foi dos sujols religieux, nous indi<iue-
roiis cnlin, mais à 1res grands traits, couïnient cette loi aboutit
aux éléments eonstitutil's des religions.
C'est donc la manière de croire (jue nous étudions, cl non
pas les croyances, au sens que le lang^age courant donne à ce
mot. Et nous tenons avant tout à spécifier, à séparer, et à dis-
tinguer, avant de recomj)oser et de reconstruire. La Psycho-
logie sait fort bien combien difrérentes sont les formes des
croyances, puiscjuc tour à tour les théories mettent l'accent
sur l'une d'entre elles, et ((ue tour à tour l'intellectualisme, 1(
volontarisme, le lidéisme sentimental, l'autoritarisme socia
prétendent à tout cxplicpier. Une fois de plus nous constaterons
que la réalité est complexe et que ses différents éléments ne s(
réduisent pas les uns aux autres. Et la foi que la raison a en
elle-même n'est pas foi, mais raison; car cette contiance repose
sur la possibilité anticipée de la vérification et sur ce principe
que l'hypothèse du Grand Trompeur, sous quelque forme méta^
physique qu'elle se [)résente, Malin Génie, ou Inlelligencc
supérieure à rinlelligence humaine et autrement constituée, oi
Nature impénétrable à l'intelligence, n'est (pi'uuc fiction comme
l'idée de Néant, les assertions d'une intelligence pouvant tou-
jours se transposer en un autre langage, eu un autre système d€
notions et la clef de cette transposition étant alors une intel-
ligence, supérieure et comnume aux deux autres; la Nature
et l'Intelligence n'étant point radicalement incompatibles,
puisqu'elles communiquent et vivent l'une dans l'autre et par
l'autre, sinon par un jeu de la pensée.
LA lîKLKiIOX I:T l.A lOI
LIVRE PREMIER
CHAPITRE PREMIER
LA FOI IMPLICITES)
Il y a. siii\aiil ta \ iifoiiicusf cxprt'ssion <!»• lioiioiivici-. un
vortip:e de coiilorinismc. I.a |)liipai-t des hommes • ce ii Cst
qu'en se senlaiil appuyés et eouiirmés par tout ee «|iii les
entoure, (piils ol)li(-iinen( une loi ferme. I/aeeord des idées, la
communion des eceuis. luuih' des prali<pies, réaliseni une
manière d'exislenee visii)le de la e«'ili(iide ». (letle " existeuee
visible de la («Tlitude » est pour Iteaueoup le jn'ineipe de la loi.
La foi implicite, c'est d'abord la foi d'autorité : la pidssanee
<lu milieu relii^icux, la pression de la socit'Jé relii^ieusc sur I in-
i Nous pi-oiioiis le mot iiii|>liciU> •■ un sriis où !<• |»icinl |i;n- i\iiii|ilr
Sciii':m;M. Mi'hinîfcs de Utirrafiirr /v/ty/t'H.stf / « Il «'st iiiic loi naïve cl une lui
conscitidc ilellc inèinc, une loi implicite, qui. sans examen, einlira.sse luut
un systinie, cl une loi cfiliijuc qui appri'-cie avant liatlniettie. I.a première
est (lél<rniin(^e par la pri ssitui <jir<'xerccnl sur nous l'cducalion. riuilutudc
rasccndanl des |)crsonnes qui nous entourent. Il v a dan> la loi implicite, a
la fois (les rai^voiiN cMveloppi'cs el caclu'i's. «-l une al>scricc de raisuns à iaquclic
suppléent l'autorité. la <-uutunie. elc . Notre aual\sc montrera prcci>éiuenl
l'action ut rinleraetinn ile ces diNcr» iiiolil».
I
IV Kn.lGlON KT LA lOl
<li\i(lii ; contraiiitt' souvcnl iiia|H'rviie cl d'aulaiil plus insiiiuanle
ou impérieuse. Cette forme de foi, à l'élal |)ur. exclut les raisous
aeeeptécs ou choisies, l'altilude persouuelle, iusliuetive ou
volontaire. Elle impose au sujet des manières de sentir, de
jx'user ou d'agir (jui sont réalisées en dehors tie lui et (pii pénè-
trent en lui, sans adhésion explicite, à la faveur de sa confor-
mité naturelle avec autrui, à la faveur du conformisme qui tend
à le faire plus semhlahh» encore à autrui. (Vest doue elle qui
prédomine partout oîi l'individu est implicpié, absorbé dans son
groupe; dans les religions de clans, de tribus, de cités, de
nations. Elle abonde aussi dans les religions universalistes ;
certes au moment oîi ces religions se forment, la foi person-
nelle apparaît de façon éclatante : car faisant a[)|)el à tous, jus-
lemeiit parce (pie leu^s principes sont capables d'universalité,
elles sont des sociétés volontaires et non pas héréditaires, qui
se recrutent et se maintiennent par adhésion ; et elles gardent
toujours ce caractère pour leurs croyants supérieurs ; en droit,
elles (ont toujours appel à racceptation personnelle de leurs
(idèles. Mais en fait, elles redeviennent, sauf lexception d'une
élite, qui vit vraiment de sa foi, et sauf celle de la conversion
des adult<'S, des sociétés auxquelles on appartient pai- la nais-
sance, cl, au moins ([uehjues-unes d'entre elles, des religions
d'État ; lorsque la seconde ou la troisième génération a disparu,
lorsque s'est éloignée l'époque des fondateurs, des apôtres,
des premiers convertis, de ceux qui ont connu les ancêtres
et vécu de loin leurs travaux et leurs épreuves, lorsqu'on
appartient à la religion nouvelle non plus par conversion, mais
par narssance et par tradition, la religion de l'expérience vivante
et de la foixievient, pour la plupart, une religion de la coutume,
et par conséquent de la forme et de la loi (i). Ainsi la foi
Il Notons encore l'iulluciice de la <<)utiiiiie el des inslitiitious même sur
lii vie religieuse la plus personnelle. Quel est l'iioninie qui rie se repose pas,
pur moments, sur autrui, du soin de renfler ses sentiments et sa conduite ;
• luol est l'initiateur dont la loi ne se récliaun'e [)as, par moments, à celle de
ses disciples, ou à la vertu des institutions qu'il a londées'.'
l, V loi IMI'LIC.ITi:
iiupliciU' [cud à se iclahlir sous ludlirsioii proloiidc cl (k'ii-
bi'i'ée ; pour nous vn convaincre, nous n'a\ ons qu'à ol»servci-
nos contemporains.
i.a Foi implicite, ainsi enicndue, esl donc essenliellemcnl,
uniquement collective. (l<'rles il y a quelque chose de collectif
dans la foi croyance et dans la foi con liante ; tons les étals
psyclioloii:iques se jouent dans la dimension sociale: les rai-
sons, sur lesipielles le croyant édifie sa (oi, lui viennent poui-
la plupart de la tradition : mais, s'il est un croyant véiilablc.
son adhésion est bien à lui el les raisons collectives devicnnciil
les siennes par cette adhésion; les sentiments, (pii constituent
la foi c»)nliancc, provienuenL jus(pi'à un certain point des for-
mules, tics rites d'une reliti:ion positive; mais ils les dépassent
et surtout ils révèlent l attitude profonde dune personnalité,
son orientation, son choix, son < caractère intelligible ». La
foi implicite n'en demaJide pas tant; si nous l'appelons impli-
cite, c'est justement (pi'elle n'explicite ni raisons, ni sentiments,
(le n'est pas (prelle ne provoque parfois des sentiments très
puissants; à côté de ses formes éteintes, il y en a de violentes.
comme dans les cas d'excitation collecti\e ; mais les sentiments
([u'ellc provoipie. tout individuels (ju'ils soient, puisqu'ils sont
ceux d'un sujet donné, sont des sentiments eu ([uehpie sorte
impersonnels, puis(pie le sujet les reçoit d'aulrui plutôt c[u'il
ne les produit, et qu'absorbé eu eux, il ne les pense pas
connue l'expression d<' soi-iuème. comme le signe elfectif de
siui attachement personnel aux objets de sa foi: au c(UJtraiie,
la foi conliance est un don conscient et consenti de soi-même à
un dieu. Ce n'est pas non plus que juscpi'à un certain point
elle n'ait ses raisons ou plutôt sa raison ; Spinoza et llenouvier
ont fait renu»r(|uer (pu- la foi d'autoritt' siqi|)os«' la croyance à
:^ l.\ RELIGION El I.A l»»I
la valeur do rauloriU' ; mais quand celle croyance se lormule,
on est bien près de sortir de la foi implicite ; on est bien près
d'entreprendre une juslificalion lalionnelle de l'autonté; et la
pluparl du lemps elle nc^se formule pas, cl la [)luparl du temps
aussi ce n'est pas celle raison cachée qui csl la racines de cc^tle
foi; elle repose sur un mécanisme élémentaire et sur des pio-
cessus qui n'ont rien d'intellectuel.
Kn un autre sens (les deux sens communiquent justement
par les processus inférieurs (jui, dans les deux cas, soiil à
l'œuvre pour forger la foi) la Foi implicite est la foi d'habitude.
Sous cette forme encore, elle coexiste avec les formes de foi
supérieures ; il suflit de rappeler l'un des rôles que Pascal
assignait à la coutume, celui de suppléer et d'incliner l'esprit.
" car d'avoir toujours les preuves présentes, c'est trop d'af-
faire ». Les fonctions supérieures reposent sur l'automatisme :
l'habitude est, en autres choses, savoir implicite et personna-
lité virtuelle.
LE FIDÈLE ET LA COMMUNAUTÉ
On peut étudier séparément : i" l'influence de la société
religieuse comme telle, avec l'ensemble de doctrines, d'usages,
((u'elle admet et ([u'elle impose; 2" l'inlluence de la prali(jue,
l'action du culte cl des rites sur les fidèles.
*
*
ij:s j)ii fkhknts modes de guoi im:mi;nt mkligikix
Dans le c conformisme » interviennent deux principes, qui
peuvent jouer à part ou se combiner.
Vn principe de moindre effort, de moindre résistance,
d'impuissance à l'atlilude personnelle; de là, l'imitation au
sens mécanique du mot, la tendance à reproduire ce ([ue l'on
perçoit, la suggestion, la soumission sans critique et sans
i.v loi iMiM.icni;
K-x-rvc. ' LMiaMliidt' fomminu- (|iiclles (jneii soient les
sources, au\(|iielles on no remonte pas, el (juelle (ju'en soit la
jiislilieation (ju'on ne se demande pins, devient l'habit nde de
eliacund). » L'individu qui se laisse ainsi dominer par le
jîi'oupe, n'est momentanément au niveau ni de la pensée, ni
de l'action {•2). A cette faiblesse, à ce désir de sécurité, à cette
horreur du chanj;em(>nl répondent an dehors révélation, auto-
lilé, innnulabiiiti'. el cette ])rcssion extérieure est d'autant
plus puissante, (pi'elle est continue, répétée, massive (3).
( n principe d'attrait ou de crainte, de sympathie, en tous
cas. tpii aboutit au consentement, à la participation confiante,
ou à la soumission. L individu se sent partie du groupe; il ne
se borne pas à le rélléchir passivement; il éprouve qu'il est
solidaire, il collabore. L'émotion tendre, l'élan qui permettent
à la sympathie de dépasser sa forme élémentaire, son stade de
réilexion méeanicpie. s'épanouiss(Mil en sentiments de fusion
ou de respect. L'individu trouve dans la société une réponse à
ses aspirations. La société s'impose ici, par son prestige, par
les biens qu'elle aj>|)()rte et dont elle enrichit ses membres;
elle exer( e une sorte de fascination, dont l'individu sent plus
la puissance (pie la raison; à un stade encore supérieur, cette
raison se dégagera ; elle deviendra une vue et, plus tard, une
théorie de la société. La société, du reste, dispose de sanctions
pour maintenir la fidélité de ses membres ; l'opinion, blàmc ou
ridicule, les peines: elle est un gouvernement, plus ou moins
c«un[)lexe et plus ou nioins hiérarchisé, (pii use simultanément
et tour à tour de la contrainte matérielle et de la puissance
morale. L'individu sent cette force supérieure et plie devant
elle.
I lli NoiviEn, i\uinTl/'- Moiindologie, p a()S.
•2 Voir l)M,\r.Hinx, l>( /'Aiitnniafisinr ihins l' hiiildlinn. J. tiv /'.s)(7i n.jai,
!)" «•' suiv.
■{ I,'iini(iiti(Mi ainsi oiittiuluc est vide de toute âme, de toute spcnitanéité ",
didërente par ennsi'»|ueiit dis cas où, sous la eonta}j:ioii, eu apparenee pure-
ment extérieure, il y a un fond d"i'l;ds ('prou\(''s en cnnnnun.
♦) I.A Ri:i.I«;lON KT l.\ I ol
Ton! le coiifoiMuismc s'explique par ces deux piiiicipcs.
depuis le bien-être béat de l'arnorplie, (pii est impuissant à
rien être sauf autrui, jusqu'à lentliousiasme pour le Grand
lOire. Ces deux principes, selon les cas, collaborent ou se dis-
lin^:uenl ou sopposenl : ils portent avee eux toul le mal cl
lout le bien de la soeiété.
Le conformisme expli(|ue seulement l'autorité «les sociétés,
des institutions et des coutumes, la vertu de la tradition, avant
lout essai par l'individu. Il est bien évident que, sauf le cas
extrême de l'imilalion mécani(pie, ees traditions ne pénètrent
pas automatiqu<'nient dans l'individu ; elles se proposent à lui
comme des modèles qu'il lui faut reproduire; il apprend, il
crée à nouveau; l'éducation, l'apprentissage supposent une
dcconi[)osition et une recomposition intelligente, même pour
l'assimilation des coutumes les plus déraisonnables. Il y a
beaucoup d'activité sous la passivité apj)arente de la coutume
ou de la mode. Mais cette activité est au service de la passivité
initiale ; et dans la sphère où nous sommes, s'il y a une activité
d'assimilation, il n'y a pas encore d'originalité personnelle.
*
* *
Mais plutôt que de nous arrêtera ces généralités, il convient
de passer en revue les différents modes de groupement reli-
gieux et leur rapport avec la foi implicite. L'ordre (jue nous
suivrons ne préjuge aucune question d'origine, de succession
historique ou de valeur.
i" Nous ne ferons que mentionner l'individualisme reli-
gieux, qui, bien entendu, n'a pas grand'chose à voir ici. H
oscille entre deux formes extrêmes : des cultes individuels
:;refi'és sur le système religieux commun, simple aspect indivi-
duel delà religion commune, et rinv<'ntion religieuse. On passe
graduellement d'une de ces formes à l'autre. Sous sa forme supé-
rieure tout au moins, il suppose le caractère personnel, intérieur.
i.A it)i imim.icut: j
expli<il«' lU' la loi, une personne (jui se lail à elle-même sh
croyanee. et en parlie les ohjcts de sa eroyanee. Tonte organi-
sation ne Ini est pas étrangère, car tonte foi vise à se eonunn-
ni<pier. mais il est jalonx de lie se commnniqner (pi'à des
personnes elioisies, et l'organisation à hupielle il atioutit est
très lâche et très ineeiiainc.
■2" La Secte relia:iense. Le mot a sonvent un sens péjoiatir:
dans la honelie des orthodoxes il désigne les dissidents hors
de la tradition et de la communauté ecclésiastiques ; et comme
les dissidents sont souvent [)assionnés et fanatiques, il a retenu
dans h' langage commun (|uelque chose de cette acception
secondaire. Mais d'ahord la secte est un phénomène religieu\
normal : point d'Eglise qui ne se fragmente en sectes, et quel-
<fues-unes de ces sectes devicnncnl des Eglises; point d'Eglise
qui n'ait comnwncé par être une secte. La secte e\|irime la
diversité, la variété des individus et des groupes religieux, la
distinction an sein d'une religion donnée d<*s dillérentes formes
<pi (Ile est capahle de revêtir et leur s<''paration.
Il est presqueinévital)le(pi'elleaitpour caractères, le plus sou-
vent, l'étroitess*' de l'horizon intellectuel et l'intensité du senti-
ment. Car elle se [U'oduit lorscju inie miuoiitc, dans un milieu hos-
tile, se constitue, en constrasteeten lutte avecMui, avec des pré-
tentions à une moralité [)Ius haute cl à un état plus parfait.
Elle est d autant plus compacte el plus passionnée ([u'ellc est
moins nond)reuse, cl (juc son milieu la j)ersécute davantage.
Elle peut être un phénomène initial ou un phénomène linal.
lorscpie se réfugient en elle les dcrnicis ief)résentanls d'unt'
cause ancienne, dépassée et vaincue.
La secte, |niisqu'elle se distingue et se sépare, nenfeiine
qu'une partie de la nation ou de T Eglise ; elle s»- recrute [)ar
piosclylismc : le plus souvent du reste, elle est frappf'c ili-
suspicion ou persécutée. Elle fait don( api)el au choix, à
l'adhésion volontaire; elle est, au moins à son oiigine. une
lihre ré-union de lidèles conscienl> cl sincères (|ui se sépaicnl
i.A iM.i.n.ioN i:r i.\ lui
«lu monde et de I l'ijrlise. pour se grouper en petits cereles, une
<M)ninninauté de l'adliésion libre, de la toi vive; d'oîi la ten-
dance ;i I indiA idualisnie et à lenlliousiasme : roppositi»)n à
riljLïIise avec ses tonnes objeetives. tradition, eorj)s sacerdotal,
sacrenu'nts; la lutlc contre IKiflise on l'abstenlion de l'I'^î^lise
avec le rel'n^e daii> lisolcnient et la rclrailc.
La S<'cte csl active et créalricc : cr«''atrice {\v croyances, de
pralicpu's, de lorines d'organisation nouvelles. Klle s'organise à
partir de inonvcnicnls de foule et antour d'une personnalité.
Sons peine dr- »lisparaili-e rapidement, de n'être «pi'nn mouve-
ment ile foule, elle ne peut pas ne pas s'organiser. Wesley
disait très justemeni : « .le suis persuade que la prédication
apostoli(pie, sans une assemblée de convertis, et leur éducation
dans les voies de Dieu, n'est pas autre eliose qu'eng<'ndrer les
enfants à la morl. ■ Elle s'organise plus ou moins. Demeui'ent
des sectes, les gioupemcnls impuissants à de grandes organisa-
li«ujs. (pii sacrilient l\\lension à l'intensité; deviennent des
i^glises, ceux cpii, pai- aeerois.sement numéri(pie, renforcement
de l'élément clérical, culture Ihéologique, adoucissement de
l'opposilion au monde, recrutement familial, ont ellacé les traits
printitifs. Tout mouvement religieux tend à l'autorité cl aussi
à matérialiser son objet dans des formes sensibles, pour rendre
cette autorité <'xlérieure et visible. C^'est ce (]ui l'ail (pie la secte
tend vers l'Kglise, et que les petites sectes deviemieni parfois
de grandes religions.
i 1/Kgli.se se présente sous deux formes ; selon qu'elle
s'identifie avec l'ivtat. la nation, le groupe soci;d. ou selon
(ju'elle s'en distingue.
Sous la première forme (religions nationales) (i), la religion
est un aspect du s«'nlimenl et de la vie nationale ; l'iiulividu lai
(1) Nous prenons <■«■ mol fu iiu sens Iri-s lai(^<', el (|iii «lûsigiir aussi, par
t\emple, les religions tribales. D'une manière assez semblable, Tii:ij; montre
bien (l'.inleilunc:, I, 119' eominent, «tans Jes » religions de la nature >•. l'orga-
nisation rie la religion se eoufond ;t\ « c relie de la soeir-té ; l'exemple qu'il
analyse est eelui i\c \'V.^\Ac.
I,\ KOI IMI'LlCITi:
ii|>I»aili(iil, (.oiiiiiu' il aj)j)arlieMl ;'i la nation. Ce sonl lo aspira-
lions natiunairs (|ne la rclijîion divinise. La nation esl à la t'ois \v
siijrt «'I rol>jot (le la icliii^ion. La icliiiion |)eiil, au reste, eoni-
piendre le |>eu()le entier, ou seulement une fVaetion du
|>eu|»le (i).
S<»us la seconde ioiine (i'elij;it)ns univeisalistes, ép;lises
|)i(»|»i-enient dites), la relijçion l'ail appel à toutes les nations;
eesl l'individu, (juel <juil soit, c'est l'homme à qui elle offre le
salut. Ses ia|>porls avee la société civile, avec l'Llal peuvent
varier singulièrement; réj)rol>ation de TLlal (négation de la
société civile et du monde, la l'uite du monde, le monacliisme),
sini|)le leconnaissanee de la société civile, collaboration. |)ré-
ti'ution à l'indépendance absolue, exigence du concouis de
ri'.tat. appui prêté à l'Ltat, tendance à le dominer, tyrannie
lliéocratiqiu'. etc.; en sens inverse, domination de l'Ltat sur
rilglise. appui prêté [)ai' le bras séculier, simple reconnaissance,
séparation, réprobation et persécution.
Lorscpion dit par exemple <pi'une Kglise universelle, donc
internationale dans son principe, redevient une religion d'Ktat,
ce mot est pris dans une acception nouvelle; on veut dire que
cette l'église est privilégiée, exclusivement reconnue et soutenue
par l'Ltat.
On comprend ipu' les attitudes du sujet varient dans ces
«liU'érentes hypothèses, et (pi'il y ait complication, interférence,
conilit, des sentiments civicpies et de la piét('.
I) Tiolc clitnhc à moiilit r qur la ri'llgion salTraHcliil dt- l'IUat par deux
inoyoMs: la formation d'une puissante caste sacordolalr qui douiine et ahsortu*
ri'llal; la tornialion de sociétés secrètes et de sectes. Le processus est plu.s
varié et pt iil, du reste, se réaliser liistoriqucmeut de bien des manières. Voir
|>ar exemple Uoi sskt, ndif^'inn des Jndi'ii/liiims, p. Oa, sur la rorniatitui il'un»!
K>îli>^e juive au temps des Maeeiiabées. La domination étrangère décliarjje les
IMeux de tout souci politique ou national. L'I'.tat profané cesse d'être le
support de la reli}fion. Kn même temps, la communauté juive, par la Dias-
pora, franchit les limites de la nationalité. Mais ici la tentlauce à l'Universa-
iisme reste à mi-c;heiuin et le earaclèic national se mainlieut, en incrae
temits que le-, espérances d'avenir et le Me-sianisme.
I, \ HKLHilON I:T l.A loi
Les Kjïliso iiiUi nationales tciKlciit à se nationaliser à nou-
veau, el snrtoiil aux péiiodes où le senlinient national s'exas-
père. In Dieu supérieur aux peuples tend à redevenir le Dieu
<run peuple parlieulii-r.
* *
l ne Ktflise est une société relip^ieuse organisée et indépen-
dante; une soeiété dr fidèles uids par la même profession de
loi, par l'exerciee du même culte, par la soumission à la
mènï<* aulorilc'. Cette soei(''t('' s'atlril»u<' une valeur transeen-
dante.
Tue Kp^lise entièrement développ<''e a donc un eanon, un<
tradition, une théologie: un eorps sacerdotal avec une liiérar-
eliie plus ou moins (•om|)le\e; un culte, un rituel, des sacre-
ments, un calendrier, des fêtes, une règle de vie pour ses
fidèles: entrée dans l'Kglise, noviciat, profession de foi. disci-
pline eeelésiasticpic. |)énitence.
Ti'Kglise se rattache les fidèles par un triple lien: le lien
hiérarchicfue, le lien synd)olique. le lien lilurgicpic. Tout cela S(
lient. Il faut <|mimi(' religion soil un culte, sous peine d<' n<
plus exister. Le dogme apporte la vérité : il fournit un témoi-
i^niagc appaicnl d'adhésion à l'I^glise d) ; il décide entre def
o[)inioiis divergentes, il donne une règle de discipline et d'ortho-
doxie. Dogme et hiérarchie s'impliquent et se supportent poui
l'organisation des croyants en soeiété et la conservation de cette
société, (lar l'autorité soutient la formule en qui elle puise
aidorilé. Ou comprend quelle autorité donne au clergé h
Il L«'s eredos ne soûl guère dévelo|>pé.s qm- dans les cultes universalisteJ
cl propafrandistes. Comme le disait U. Smith, les vieilles religions consisteni
jti(s<|iic cxclusivfiiienl en institutions vA <ii i'it<'s.
I A itH iMi'i.n ni:
l'Uiircnlciitioii (liiii^ les inriiics mains des loiittions adiiiiiiislia-
livcs (1), (In soin dCiisri^iRM' la loi. du |>ii\ ilôi^c de disposer
(le la ttnee des riUs.
('-elle autorité (loi,^iuali(|ue. ec inai;islère s t'xeicc du iislc
sous (les l'oi-mes dilIVi-eiiteset |)lus oiinioins lu'llenienl ddiuics;
ainsi par exeinj)!»' les délinitioiis l'orinrlles de ranloiih- eceU'-
siasti(|ue; renseignement exprès liabilucllenient eonnnunicpu- :
l'enseitmemeid implicite contenu dans la discipline el la ])r'a-
litpie générale de l'ili^lise : l'approhaliou tacite (pie 1 l^^lis(•
donne lors(pi'elle laisse un ensei^nemenl se n'pandre.
(le qui frappe avant tout, c'est le caractère ohjeclil" de
rKi;lise. Mlle csl un (h'-pi")!, un U^sor des içràces, indc'peudanl
(les individus; elle adn»inistre les iorces i-eligieuses, les sacre-
inents el la parole: la V(''rité y est conserv(^e : le^salul y
circule. Autorité extérieure s(mstraite aux oscillations de
l'enthousiasme individuel, elle conserve et propose au
lidèle des nu)yens de salut, rpi'il est incapable d'atteindre
lui-même ('2).
Mais la foi (pjc l'Église «heille dans ses lidèles. la loi
qu'elle leur impose par son existence même, se développe et
se prolonge pour deux raisons (ju'il est aisé d'apercevoir.
I AiiUtr-ilt- i|iii \a, «laiis cfrtjiiiis cr-.. jii.si|u .1 riii<|Misitit>ii cl au (lfS|M(
lisiiio. La conruiniilé est surveillée cl iinposcc ; ap|Miyée de l'onnes «le
contrainte pins «m nmins impérieuses. |"|!e i>enl se doubler aussi d'une
prétention au pouvoir temporel : ne découlc-t-il i)as de la puissanec spiri-
tuelle V Pour <|ue les ànics soient soumises, ne laui-il jias un pouvoir coereitil.
»|ui rcjfiie sur les corps et {gouverne la soei('tc ".'
•i 11 y a li<'u de lenii- compte, en outre, du dcj^ré d'organisation cl di-
eondensation de l'Kj^'-lise. Historiquement, une M;,'-lise nest constituée comme
telle que quand les trois éléments liturj^iqnc, syniholique, liiérarclii(|uc di-
sent défrayés. Mais elle peut exislei- antérieurement en puissanee et en a>pi
ration; l'histoire de la l'ormation de i'Kfîlise clirétienne vn t«'nioi«;ncrait. Lc>
communautés cneori" dépourvues de lien piditiquc commun .«;<* savaient a|q»ai-
tenir à l'M^^lisc quinedc\inl \i-aiment une réalité que vers la lin du iir siècle
L'unité dog^maliqne, liturgique, liiérarcliiqne csl pr-éeédé«' et préparée pai- les
pr<d"i'Ssions de toi de la prédication é%an^éliquc, l'autorité du Seii^neur et i\i-
la tradition apostidique, le erédit dont jouissait nt les apoties, prophètes,
«locteurs L'I.jflise, d aliord eouiniunion des .Saints, par la possession de
l'Ksprit. de la loi en Dieu^ «le l'espérance et de la sainteté de la vie, de\ ieni
peu à |>en linslitutioii \ isilde de ccMe même conl'ession de foi
i.\ i!i:i.i«;io\ i:t la koi
INiisque l'indivulii i'0(*oil sa relii^ioii du doliors, par tradiliou,
la ci'oyance à la tradition devient l'essentiel : la eroyance
passe de la ehose jraianlie à la garantie. La foi de l'Kglise
snseile la foi dans rKjrlise; c'est ainsi que les Kglises sont logi-
(pienient amenées à renforcer, à rendre plus visible leur
authentieilé: et aussi à exalter leur caractère sacré (i). D'autre
pari, (le Tllglise visiMe se dégage l'Eglise invisible. L'Eglise est
une réalité ; mais aussi une idée, une société idéale en même
lemps qu'une société réelle; visible, elle est pourtant objet de
foi (i). dune foi (pii dépasse de loin ce (pii lui est propose (3) et
Il L'Kglisc ayant, en <'(lcl. pour mission de U'ansnictlrc le dépôl de In
révélation, s'interpose iné\ italiieinent entre la révélation et le lidèlc. Elle
tend à se substituer à la révélation sans arriver jamais, à en tenir la place,
même dans les relifrions (}ui lui font la j)lus grande part. Par exemple, dons
le calliolieisme, ll'.fiflisr qni garantit la révélation divine, pnise «lans cette
révélation toute la valeur de sa garantie. Ce qui est transmis par elle est
accepté comme vrai, non point parce qu'elle le dit, mais parce que Dieu l'a
<lit La théorie catholicjne est que, dans l'Eglise catholique, on ne croit rien
que parce (jue Dieu l'a dit. Kl même (piand on y croit, comme inrailliblemenl
vrai, ce que l'IOglisc ariirme axoir été dit par Dieu, parce que l'Eglise l'anirme,
ici encore on ne tient comme infaillible l'autorité de l'Eglise que parce que
Dieu, dans la personne du Christ, a affirmé cette infaillibilité. (A'oir Pi;f;iTi;s,
Coinmenlaiiv de la Sninnic Ihroloi'iqae do saint Thomas, X. 85 .
2. MuwLi.ii, S}inholiff lie. Il, 7. En un sens, l'Eglise est l'incarnation pcrma-
neule du lils de Dieu, la parole du Christ devenue objective.
(3 11 y a une notion mystique et religieuse, et une notion ecclésiastique et
lirati<|ue tic l'Eglis»'. Hatii lOL {Le catholicisme de saint Aw^ustin) montre bien
•■uniment la théorie de l'Eglise est chez lui une conciliation de la foi en
la sainteté du corjis mysti(|ue et du fait de la société mêlée (}u'est la « (]atho-
lica ■ visible.
L'Eglise, d'abord «•omniunioii des Saints, devient une institution visible,
une société juridifjiie, (|ni a ses titres de légitimité. Mais soii.s l'institution
visible transparaît la communion «b's Saints. De même, la notion de la sain-
teté de l'Eglise a eu beaucou]) d'iiiii)ortanee. La pratique du pardon des
péchés a modifié l'idée de l'Eglise chrétienne; elle contient des lors les purs
et les impurs. Elle n'est saint<' qu'objectivement, en vertu de son institution
<t de sa lin. Ainsi se précise la distinction de l'Eglise, communauté des
saints, et de la Suinte Eglise visible, bujuelle est une accommodation de la
ehrétientf'- au iiirmde, tem|»érée et cf>rrigée par les moyens de grâce.
Ainsi la notion mystique et religieuse, la noli(ni ecclésiastique et pratiqut^
• le l'Eglise, interfèrent pendant t»>ute l'histoire i-cclésiastique ; cl l'on repro
• liera souvent au catholicisme d'atlribiK^r à son organisation les pouvoir
-.urnaturels et les prérogatives <livines de la société idéale des cri)yaiits, pa
•■onfusion de l'Eglise au sens religieux et de l'Eglise au sens jurifli(pie, d
l'Eglise invisible et de l'Eglise \ isible. Voir Smiim, Wrscn iinil f'rs/irinif,'- dt
h'nthtilizismiis, 191J .
i.K <:l'i.ti:
i|iii atti'iiil, sons les marques visibles, la pure essence de spiri-
tualité, rasseniblée idéale des élus, «mis dans le C.lirist (i i.
LE CULTE
La prali(Hie de la relij^ion, la parlieipalion eflcelive du
lidèle à la \ ie relip^ieuse, dépassent larj-çenieul l'adlK-sion laeilc,
le siniple enveloppement dans l'Mjçlise. aiupiel nous nous en
sommes tenus juscju'à présent, ('.(uume le « militant » des j)ailis
Ct'lle (li>liiicti()n ;i oli- précisée U'és lurltfineiil par les rélV)riii;itciijs il
par h's lliédlo^iiMis callioliijiiL's api't'> la lîéloniu'.
Pour Liillicr, ll',j;lise invisible fsl coniposot' des seuls croyants; ri"<;li>c
\isili!c, composée de ces uièmes croyanls, uianil'estant extérieureuieiil leur
loi. caraclérisée par tieux marques extérieures, la prédication de la pun-
parole de Dieu cl l'admiMislration convenable des sacrements. l'our salislaii-e
au besoin dOrdre, il admet dans la Lettre aux Frères de Hohème une auto
rite |)rovenant de l'élection des tidèles et s'cxerçant avec la protection des
■^ouveraills teni|)orels.
l'our les Zwinj^liens et les (Calvinistes. l'Ilfilise est la Sijciété de> pi<:de>
tinés; mais il y a une l'^^lise visible et des si<(nes de cette Mj^lise.
Heliarinin déj^ajfe très bien cetti^ (biuble notion. L'i;j,'lise, bien (juclb-
soit visible, est en même temps objet <le loi, paret* «|u«', ce que l'on Aoit
d'elle, n'est pas ce que l'on en croit. On voit la société des hommes |>ro
fessant la mènn- foi. sous I autf)i-ité des pasteurs légitimes, et l'on croit
que cette même société, instituée par Jésus Clirist, est la seule \('ritablr
Kglise; \érité en elle-même révélée cl inévidente, »jui suppose la l'oi. Ain>i
IKffiise vi-»ible est eu même temps le corps mysti(|ue d<' .lésus-Clirist . dette
l'oi, du reste, est soutenue jus<}u'à un certain point par des raisons (témoi-
gnages, tiadilions, miracles, \alenr d<- l'r.j^lise).
Il semblerait assez exact de dire avec- .M<">um.u .S>//i/;o//(/fi<', III, ^S<) . (pie.
dans le catliolicismc. ri;).clise in\ isible sort de la visiblt^ et rjue c'est l'inverse
dans le protestantisme. La liaison nécessaire de l'Lglisc- visible et (b- Ir.glise
invisible est l'orlt-menl ariirmée dans riùi<'\ili(|uc .s'^j//.s- (•(ti^iiiliini du mj juin
iSyti.
Dans celte analyse «le la notion «rF.glise, j'ai eu surtout en vue les églises
cluétiennes; mais il serait aisé de montrer <pie les résultats dc{îaj,'c> ont iine
portée };énéralc. N'oir par exemple Tiu.! . lunlriliiiii^, II, p l'VS et sui^anle^.
()i.ni;Mun(;. I.a rrlii^^ion du liouddha, |», TV\ . La Communauté bouddliir|iie.
re|»résentnnt l'idi-c auparavant incarnée dans le Iloudillia, est l'unicpie dépo-
sitaiie de la Xi'rité ipii délivre. Lllc c-st l'unité idéale des moines orthodoxes
répandus sur toute la sur.ace de la terre. On consultera, sur l'ensemble de la
question. Tnoi.is< 11, (iesarnniclle Scliriltcn. t. I.
I) D'où la l'orniule de Tyrrell : L'J-Iglise n'est pas seulement une soi-iélc
on une école; elle est un my.slère l't un sacrement, comme l'humanité <lu
Christ, dont file est une rxlension.
1 , I \ r.FI.H.luN KT LA H)l
|)olilH|ues. I»' pratiquant a^il, si* di-pcnso, vl ses œuvres inmi-
rissent sa lui. I.«* ciill<- Iciul à pénétrer, à consaenT lonic lu
\ je (lu lidèle ( r .
I.<> li(K'l«-s oiik'iKlcnl If ciilU- de blendes manières; au lias
de 1 ((lielle il y a ceiiv <|iii. à tout propos, appellent la divinib-
à laide tle leui«« besoin> el de leurs désirs, et qui aeliètent
erite intervention par des pratiques; au sommet les fidèles en
esprit et en vérité, eeu\ qui. vivant dans la méditation eons-
tanle des dogmes, île l'histoire, des sentiments essentiels,
animent de leur spiritualité toutes les pratiques. Car la foi
ardente et profonde nexelnl pas le eulte, bien au contraire
la Toi s'épanche volontiers en actes, et volontiers aussi en
actes collectirs. Même chez les mystiques les [dus raffinés on
trouverait, croyonç-nous, qu'au moins à de certains moments
iMH' certaine place est faite au culte positif, ou qu'il eu est
créé des équivalents. Le culte, accompagnant tous les degrés
et toutes les formes de la foi, ne se rattache donc pas exclu-
sivement à une certaine forme de foi. Plus que Jamais il e>t
utile de rappeler ici les réserves que nous avons faites sur
notre classilication et nos coupures. Là même où il semble
sexercer de la faron la plus indépendante, le culte se joue dans
une atmos]>hère dintellectualité; les rites sont étroitement
liés à des mythes (a) ; la foi qui se fonde sur la pratique est
«loublée d'une foi plus ou moins explicite et plus ou moin-
réaliste à ce que la pialique «vprime et contient (3).
(Il Voir Hainvu.. la Vie inliine du lalholiqio- He\ne de Philosophie, i^i'i.
f>. 6o5<, el Li>iî,v, i tWangili' et l'tl^Lisc. p. 2o4-
tï) Nous rpvieudi-ons sur ce i»oint dans notre dernier cliapitre . Toute>
l«'N religions s'accordent à reconnaître celte correspondance générale des
<t'-rémonies et des dogmes Le rite el le dogme ne peuvent être dissocié»
• lu'abstraiteinent : le rite est virtuellement du d<»gme ; vérité dont les thé
Jojrit-ns ont abu^^é, par extmple en se servant des rites pour établir d
• li.^nies ; ainsi saint .Vug^stin se servant des rites usités dans le baptême d
• nlJinls pour établir le péché originel.
3' Inversement les signes el les emblèmes sont nécessaires pour per-
inettrp au sentiment de prendre conscience de soi; pour le maintenir, en
1 .voquant snns cesse. La vie int^'llectuelle et affective n'est possible q
es
•r-
en
1
I.K CI ITK I.»
Le cMillc est l\'iisriiil»lr des |»r;iluiucs |mc lts(jii«'ll<'^ \,i loi
s'cxpriinc et se reeréc.
( )n priil iMiiu'iicr ;t hoisscs iiii)lir> piiiuipaiix :
I l.a conunémoralioii : le culte ilii souvenir, l'euli-elieii de
la Nie alleetive pur la rc'suri'eelioii du [>ass('> saeié qui devient
un in'i'pétuel présent et un éternel avenir ; I abolition du temps
profane par le temps sacré, la substitution ;•. la vie profane du
rvllnne de l'histoire divine ramassée dans ses actes essentiels;
•j'Le besoin tl'une matière, qui soit un véhicule de la force
sacrée : la synthèse de la parole et de léh-menl, de la matière
et de l'esprit ; la ijràce captée, visible et voilée sous des
espèces sensibles (pii témoignent de sa réalité- et d- sa [>r(''-
sence:
3" L'exercice en comnmn, l'action sociale, et cela s(nis deux
formes: renthousiasme libre et ori^iaslicpie. l'exaltation des
foules; le culte orjfanisé et méthodique, la discipline céréino-
nielle. On pourrait parler d'un culte exlati(|ue et d'un culte
mi'thodicpn".
II va sans dire (pie ces motifs s'enlrc-t-roiseut cl se sou-
tieimeut mutuellenuMit .
LA COMMEMORATION
Les lhéolou^i«*ns et l<s historiens ont tmijours reconnu
(pi'une des lins de la lilur.iïic, c'«'st de rap[)eler le passé reli-
tjienv et de le rendr»- pre>»enl au moyen dune sorte de ref)ré-
jifràoe au vaslf syinlM>lisiin' <i«'> imlilinn > iniilci iti--. iW s reprc>fnlali»)iis
tigiirces. (1rs formules. I.rs j»'lij,'ions. cji particulier !«• caUiolitisinr, .s|(<cul«'-
roul sur ce besoin qu'a la nulun- linniainc d «•tn- couiluito au spiiihul par
le s<'iisililc : les tliéol<ij,M<iis (lisent t|ue I luiiuiiie (h'-eliu s'est soumis au sen-
sible, et <|u'il a besoiu de la médiation du sensible j»our s'approprier le
spirituel. Li» lilurjjie est eouime uue spiritualisatiou de la sinsibilit*-. Le
iidéle prend appui sur une realite lanirible et \ isible pour s'éle\er aux
choses spirituelles.
iG LA HKI.H1I<»N 1:T I. a 1()I
sentalion <lianiali«iiu'. 11 n'y a pa.s de litiiriiic (jui «'cliapix* à
celto vcs;\c (i).
L'Anni'C litui*}?iquc est un Mémorial. Le cycle des liles
annuels • originaiicnient coordonne au pocmc de la natnie. et
(jni re\|niniail alin de le n'aliser » esl deveini la comniénioia-
lion d'une liisloire nationale ou religieuse. La qualité i-eli-
gieuse du lenips, qui enchaîne, aux oi'ifi:ines, pour des raisons
nalurelh's ou sociales, tel rite à sa saison ou à son heure, el
(|ui entre en jeu dans l'eflicace du rite, consacrée à son tour
par les rites el les usages sacrés, s<* charge de plus en plus
d'un caractère spirituel et moral oii ap|)arait sa signification
évocalrice (2). Des fêles saisonnières, de earaclèn^ naturiste,
sont devenues des réjouissances nationales, chargées de sou-
venirs et d'«'spéranpes, et le signe eonnn('ino?'atif d'un monienl
*1<! l'histoire du salul ('3). Dans Ihistoii-e d'une fèti', eoinnu'
Pâques, ou retrouve la succession de ces motifs.
Nous j)rendi(Mis pour exemple la liturgie catholique.
^ ivre de la vie du Christ, telle est, pour les théologiens,
la pensée inspiratrice de la liturgie, et cette pensée est l'essence
même du (christianisme. « La liturgie est le grand sacramcntal
(pii fait pailieiper les Ames à tous les états <le Jésus-Christ. »
<i La vie hieratitpu", c'est l'entrée dans les états du Christ e
leur reproduction. Tout y est esprit et vie. La longue féerie
que de\iail èli<' la \ le des piètres el doiil l'Eglise voudrai!
Il) Voir ])ar p,x<mii|i1c iii iikiiiim. les Formes iléineiiiaires de la t/V reli
pieuse. Mciidcls.st»hii, iM-flcchissaiit sur le jiKtaisinc, appelait les céi-i-inonies
un langajf*' siif^gestil' de pensée et tic senliiiient.
(2) Voir IxjisY, le Sacrifice, 67, a.^i'i.
'i) C'est ainsi, par exemple, que, pour l'édiliealioii des lidcles, l'Kgli.se
ronvcrli certaines l'êtes païennes en l'èles ehrclieniies, transférant la signifi-
cation de «es l'êtes. Le lidèie senl à peine sons le nndil' nouveau, la persis
tance du iiiolir .-iMcii-n.
i.r. cii.ïi: 1-
élcndro le loisir à Ions ses hapli^cs. n'csl j»;is |)lii> in;t< lixc (|ii<'
k' loisir ('toincl (If Dieu (i). * Le eulte coiiliiuie à la lois ic'rl-
lemeiil et inysti([iuinenl la présence de Jésus, son action el
sa |>arole. La présence léelle se rapporte aux sacienieiits ;
non*> ne eonsidé-i'ons en ce inonicnl (pic la i>iés<'ncc niys-
li([ii<*.
Le cnllc réalise 1 liistoire et reprodnil niysli(picMicnl , uràce
an cycle des (êtes, les phases de la vie de Jésus: le cycle
cidluel oUre aux âmes un itin«Taire et un jiroufraniine annuel
tic rénovation, intelleeluelle el morale : c'est lAuni'c litnr-
i;i<pn' i-i); dans la liluririe épénique elle-même il y a heanconj)
<le commémoration : par exemple les expositions descriptives
ou doctrinales, par i'xcni|>le les lectures tiréi's des livres his-
lori(iues, les discours cl les récils. Il faudrait rappeler encore
les ol)j«'ls du culte avec leur vertu évocatrice, les monmnents.
les syndioles transparents, les e(''r('>monies (|iii imileni, les
imaiTi's.
Dans la liturgie sacrilicielle aussi, il enlrc une part de
connut'moration; la seconde paitie de la messe reproduit le
repas cucliaristi<[ue: encore f[iril ne subsiste cpie par sa rela-
ie Oi.i-.iussAC, tr MystiTf (If r/:'i^/i.sc, !Si). ^lIl^sMA^^, Pi- 'fiicr dn P,'til < .dlr-
:hisnir lilurffi(/tii' de l'alilir Duliliict, parle du i< tiuraltU- riiclianl'inriit et »lc
la iRTsistante éinotioii à .suivre I'îiu jour le jour adniiralilc di" ri',,si:lise... à
\i\ro niiiiulf par uiiuute. la vie du Christ. » Kn rouir (VV/iff-v (Àilholitiiii's.
Uk> : I >far(licr cùlc à côle avee .lésiis ; vivre l'au jour le jour des l'Aan-
.riles ,. eonlier à l'année le rôle de servante iIm Xi>n\eaii l'eslanienl. d'i'niis-
•.aire /clee du culte. •>
i Doiu C.MUJoL. /c'.s- Orisfiiirs lilnri,n',ini's, i<)<»«'>, étudie de |>rès la ironè<>c
le l'annéi- lilurj,M(jue, et eu |)articiilier liullueiu-e, sur la lituririe universelle,
le la liturgie de .lérusaleiu a\ee le caractère lopographitiue el historique de
^es IVt<'s. — V. Dicuksm;, les Uiii>infS du <iilt'' chrrtini : Doiu Kisht.ikuk. la
lAtuvgie, Revue de l*liiliiso/)fiie. u^i'i: C. Khikh. in Kullur der (ieiiemvtirl. —
Doin FJsTrGiKUE niunlre bien que li- eyeh- cultuel du lalholicisuie présente
une succession détapes : lilur^'ie o|)lati\e de r.\vent. ascéli(|ue du Carènic,
Ihiiuinative de Noël, uuilive du temps [)ascal. Le po«iue de la Ht-deniption
^'adapte aux vicissitudes <les saisons; les l'êtes |irincipales. Xocl. P;ii|ues.
i'enlecôte, connnandent toute l'année. Voir aussi Ci.kuissac. le Mysterr de
"KiiUse, 1918. — Hatimoi,. Kludes ilv lAlui-^'f. k.h;» — Kisi\n<M i:u. Ilnndhiirh
1er Kiillinlistiu'ti l.ituri^il;. n.(fj.
l8 I.A HKI.ieiON KT LA KOI
lion objective au saerilîee de la croix et «fii'iJ «ii II te loulc
sa vertu, le sacrilice de la messe est pourtant aussi un
sacri-fîce de connnénioralion (i); la victinu* n'y est pas eifiec-
lavement détruite; il n'y faut chercher <|u'une mort et un«^
destruction mystiques {'j). Kntin. l'on peut dire de même que
les sacrements, en sus de leur cfficaciU' prol'onch'. ont uji<'
valeur de conuuémoration.
La liturgie intro(hiit ainsi le lidèlc au centre des représen-
tations religieuses (3). Elle fait participer le catholi(|ue à tous
les états de Jésus-Christ. Klle est donc comme la préparation à
la prière, et Ion a pu dire (lu'elle est le moyen par excellence
qui forme l'àme à l'oraison, ([ue l'oraison privée est pour
préparer l'àme à y prendre part et iju'ellc ej^t « la sûre entrée
dans les états du Qhrist •> ('f).
Ainsi la vie religieuse de chaque lidète se trouve reliée à la
religion de pays lointains et d'âges disparus.
I Coimile de Treiilr. Stss. xxii, cap. I, ^ quo i rucriUiui illuil stiCfiliciiiui
semel in cruco pcia;;^ iidiiiii ropreseiitarcliir: cjusquf iniMiioria in lim-n
•isque saeculi periajnicrcl ■■. Les Irtes preseiitrut <lc subtiles eoinljinaisous
de représentation réelle et de couiuiénioralion. Le» Tètes eliréliennes, i)a
exemple, eoinniénuiniit les fait*; de la \'ie du (^hiisl et réalisent sa présenc
dans un sacriliec cpii ren(iu\clle iudéliuiment sa passion.
2i BosstKT : Ë.\i>lic(ition île la Messe. L<iisv lait remarquer (Sacrijice, ^i
que le rituel de la Cène chrétienne répète le geste du Clirist bénissant 1
pain et le vin, puis les présentant à ses disciples, e'est-à-dire représent
l'înstitutioa du sacrement eucharistique.
T, Pégly disait : «' Je suis fie ces eatholicjues qui donneraient lout sain
Thoma-s pour le Salut, le Majrni(icat, l'Ave Maria et le Salve llegina. »
4' Clkkissac. Le M}'stèrr tfe t'I-'glise. XVII. Nic.om: dit, à peu jn-ès dans 1«
même sens, que la liturgie est" une méthode d'oraison mentale, dans laquelle
l'Eglise nous fournit les pensées mêmes des vérités que nous devons consl
dérer, et l'idée des mouvements que nous devons exciter en nous. » Traita
de l'Oraison, 5i-55.
DcHKUEi.M : Les Formes élémentaires, ^jp. o La raison d'être véritable des
cultes, même les plus matérialistes en apparence, ne doit pas être recherelié<
dans les gestes qu'ils prescrivent, mais lîans le renouvellement intérieur e
moral que ces gestes contribuciil à déterminer. "
HuvsMANs écrit : Pages Oilhulifjaes, '368 : « .\h! ne plus être ainsi divisa
demeurer impartible! avoir l'àme assez anéantie pour ne plus ressentir qu<
les douleurs, ne plus éprouver que les joies de la liturgie! ne phis êtrt
repris chaque jour que par Jésus et par Vous, ne plus suivre que votr*
propre existence se déroulant dans le cych- annuel desofHcesîse réjouir ave<
I.K CLLTK |«)
('.haquf acte t-lr coiirurmiU' axw <k' telles obseix aiict^s
lra<liti<Hiiielles possèdi' un pouvoir *]iiasi sacrainenlel pour
approfondir Ir sens •!«• lu solidarit»'* spiriliM'Ilc pooir forn^'r
un lu'ii nouveau entre tous <•! eliaeun i t.
Mais la lilurg^ie n est |>oiiil eïaipe pour loos les fidèles i'ii :
de <ela suftit à kémoiiîiier le tji'and nondjre d'onvraiJ^es p«irus
ces deiuières aiun-e^ pour initier les catlioIi<|iies au seeis de
leur litursi^ie lî). Le Syudjolisnie, hieide parfois à l'oriiTine, a
dévié et s'est compliqué. D'(m'i la néeessiti' de le réformer ou
d'en rafraîchir la sitniilication. La K('lornie juive réclame des
cérémonies adéijuaties et impressives à la place die cérémonies
« oht<olèlcs ■; le formalisme ne doit-il |>as «'voluer sons peime
d'être uiu' sup<"rslition? La Héforine i)rotestante a tranch('' dans
le vien\ rituel. Le <atlioli<îisnie d'aujourd'hui convient volon-
tiers que. poiH' nomhre de catholiques très pratiquaiits, le senf^
des cér»''m<mies reste un livre clos. « Ils ne voient cruèpe dans
les coideurs drs oiiMMucnts. la diversité de< priéi^^'-. ]••< chaiît-
la .\;ili>ilc, rire a l';i.|ii.^ Il.iuifs, plnncr |i<n<l:iiit l.i Semaiiu- Siiiiit<>, être
intinrrrfnl iiii rrslc, pomuir ne plus se complcr, se dcsintéresser louipJc-
tcuieiil de sa persouiic, quel rêve! »
LofiY montre bien (Sacrijiee, p. -:>), (|iie liiclion -.acroe, l*^ «f^'st^ riliK'l.
•Il niriiie temps que rite n)a),'i(pie, est coiiuiiéimiratioii, geste tvaditioniitl.
répétition.
" En .sorte <|ii<', si i»n l'enteiul bien, e'esl mui iiièaie aetion sacrée, qui.
lepiii.s If eoiiimeniiMiciil, se perpétue dans une soeiété donnée, expression
■ le sa \ ie incessaninicnl renouvelée, île son idéal et de si-s espérances. L'his-
toire, mais une sorti- d liistoire éti-rnellc, (pii n'i-sl enfermer ni dans h- teiiLps.
ni dans le lieu, une liisloirr mythique dn -^Miiupe six-ial et ndijîieux, entri-
.linsi dans la Ulurfci»? eomnic élément lij,'nré, maïquaul la eontinuité. l'unité
mystique df l'arlidn sacrer, di- la reliffion cl de hi société religieuse à travers
le temps, •
I <'etle aspiration c<d!eclivc peut devenir parfois le motif principal <lu
i-ulte. "N'oir Pu att : Tlir /«//V/of/.s ronsriousni'ss, p. ayi, sur le culte des € Ar\a
Samag rationalisics religieux indous. La lin que ^ is<- leur eulte c'est de
ymboM.ser la fr)i comuiune et de relier le groupe à un passé vénérable.
la l'as même pour les prêtres. Le canlinal M<'reier écinvait le '< juil
iet lot', à Doni Cagin .. .\\anl de vous a\(Mr lu, je n'ét»is jamais parvenu a
mettre de l'unité dans ces multiples rites et formnies tW. notre >fiHsel d'aii-
jourd'hiii. ■• ViiioiuKi. : Hniir il'Apnlofrétûjne, i;»!-"'. p. i i('>-
'5 Li'.MNCK m: <'.n.\.xr>M.\iM<»N : FAuiles tirs /Vvv.s rAi la Conipairnie df JèsiiH,
igii), ,Ti3. \dir aussi Hi v+mans : l'vi'-frirr du l*,-lil (:iiU-rliismo lit'irari'iiir d<-
l'abbé Oiiiilliet
A UKLIGION KT LA l'Ol
,a;eiiK'iits d'attitude du célébrant, qu'une variété agréable on
sur[>renanle. » « La série des Temps liturji;iques, leur variété,
leur adaptation aux saisons de l'année lerrcstre, aux àp:es de
la vie de l'humanité, aux étapes du pèlerinage rédempteur du
Christ ». tout ce symbolisme leur échappe. « L'assistance à la
messe demeure pour beaucoup, non seulement un mystère de
foi, mais une énigme de fait, lis ne comprcnneni ])as la langue
du drame divin qui se déroule sous leurs yeux... L'ordre, la
suite et le sens des rites essentiels échappent à trop d'assis-
tants, d'ailleurs pieux et bien disposés. » « Ils sont comme un.
homme en l'ace d'un beau livre illustré écrit dans une langue
étrangère; ils goûtent les images, mais ne peuvent les inter-
préter qu'en gros et superliciellement (i). » D'où la vertu de
certaines t'êtes populaires qui parlent à l'imagination et amX
sens : Noël, la Passion, la Fête des Morts; d'oii la vertu de
certains cultes nouveaux, le culte de la Vierge, le culte du
Sacré Cœur.
La plupart des fidèles, en présence des cérémonies de leur
religion, sont ainsi conmie en présence de cérémonies étran-
gères; et l'on sait s'il est aisé de se tromper en pareil cas (2).
Mais ils ont la bonne volonté, et iis subissent relf'et massif de
la cérémonie, doiil ils connaissent en gros l'intention et le
sens. S'ils sont plus hardis, ils ont leur exégèse personnelle,
qui les induit très certainement en erreur (3). mais (|ui a pour|
eux beaucoup de charme (/î).
Mais justement la cérémonie est là, et |)uise en elle-même]
sa propre force de suggestion (5). Puissante est la liturgie.;
\ii Li-MSCh. i>i. (fUA.vK.MAistj.x : J'Undes, 1919, 'n'i.
2) L'excmpli- éclatant <l(- saint Tlioiiias, interprétant les cérémonies desJuifs.
i On en verrait des exemples dans la littérature; par exemple Bahuey^
i>'Ai KHVHXY et son explicali(»n de la Messe dans l'Ensorcelée; Léon Bloy,
le Désespéré ; Hi:ys.ma.\s, lui-même.
(4) « I..a douceur de l'arôme que dégagent les textes ou les iii()uniiient.sj
de la litui'ffie. « Clkhissac : le Mystère de iJ'Jglisc, U.
ir>, « Si vous me demandez comment j'entends la messe, je vous réponds
passivement, porté par le eliant successif du K.\ rie, rjui est la supplieationvi
l.K tUITK yi
(hiinoiil a lufn inonlrr coinmenl la irlit^ioii ('•}i:yplioniU' ;ivail
réussvi à Home, d ahorcl |)ar son rilucl, à foicc opcTantc, [)ai-
sa liluriçie ((uoliilicniie, — la dévolion leiulant à remplir loulo
l'exisUince, — par les grandes solennités isiaciues, Navigiiini
Isidis, Invention d'Osiris. Le fidèle aborde la eérémonic ou
surpris ou pivvenu (i): et il reçoit Teiret de cet ordre liiiTa-
ti(pie ; un peu de mystère n'est point pour l'airaililii : ni c<'
qu'on pourrait appeler le niolil" esthéti(pi<' du culte, la heanh-
littéraire, la musique, la décoration du sanctuaire, le sanctuaire
lui-même (y), l'appel à tous les sens, la puissance (Iramaliijue
de cette solennité. Mais nous n'examinons pas en ce moment
l'inlluence réciprotpie de la liturgie et de l'art, Tinteraction de
l'émotion esthétique cl de l'émotion religieuse. Il est probable
<[ue certaines Cormes d art sont nées des cérémonies coinmé-
moralives.
De là vient (pie la force propre du culte, s'exhalant de la
cérémonie, peut se développer pour elle-même, à part de la
religion. Toutes les religions connaissent ces demi-lidèles, à
peu près convaincus de rinet'ficacilé du culte, et |)Ourtant
aussi ardents, parfois plus ardents à la vie cérémoniolle. (Tesl
qu'ils aiment ces vives images évoquées, ces symboles sugges-
tifs, ce jeu puissant d'émotions.
du Gloria qui est la joie, du Credo qui rsl l'assurance, de VAgniis JJci qui
est la douleur, avec un tfMups de silenci- au milieu, q\ii est l'adoralion et
quelquefois l'oltt-issanco. » Gni';i).\, Trmoii^iKiffc d'un converti, 179.
(il Le ;;Taiid déM-lopix-nient de la ccrcniDuic est couinie l'écho du tlicnn'
intérieur, uuiis telienient aniplidé et maj^nifié que le (croyant racccpto aisé-
ment eonniie la l'orniule absolue île ses aspirations. (Test le graud art dr
certaiiu^s relij^^ions d'avoir s»i eonstriiire umr liturgie très crouiplexe et très
sufjffestive : l'j^lise, niusi<|ue, parriiins, caractère plasti<iu(^ et drauiatique de
la cérémonie : apjtel aux sens et à l'imagination.
(ai " L'àuie des édifiées consacrés, qui, sans elle (la lilur<;fie) ne seriiient
que des corps inanimés d(! pierre... l'encens mt'lodique et le parfum de
l'Eplise même. ■' Huysmans, Préface du Petit CalcclUsnie titiirgiqiic. I.e .Sjinc-
tuaire est eonjme animé par la cérémonie lilnrj^ique, mais il a sa >ainleté
propre. Il est, par nature ou par consécrati<»n, le lieu où le dieu fré(|iiente.
le siè};e de la i»résenci- (li\ine L'.ielion, qui s'y .tccomplit, i-elèxc <Im monde
divin.
I \ Il Kl. H. ION i:
Le iei!ip> <'sl 1 inuiiTi' (ir 1 éternik'. ('.c (|iii <'sl diviu tsJ
jM»ur tous les temps; tel iiionieiil de I histoire divine se répèle
étt'itielle.ment. Ijq eiilte plonjire dans l'étenuté. l*ar la coaitiera-
piation el l'aetion, auxquelles il est convié, le Fidèle vit dans
Jélerm*! préseul. Il èpr<>iiv<' à sou tour l'atlrait sans cesse
l'eiiaissaut des g^antie^ scènes religieuses. 11 est transporté aux
oiijîiues de sa reliiriou. Il revit, par la comniémoratiou, les
inauds acte> 1*eligi«ux qui sont à la base des thèmes cultuels.
L'institution a changé sans doute; elle a suhi d'amples vicissi-
I iules historiques: sa siguification a dévié, s'est altérée, s'est
compliquée: son dévchippeuient et ses origiiïes interfèrent et
> intei'pénèti'ent: la liturgie est un vaste lang^age d'action et
démotion, et, eoiuuic tous les langages, eHe a son évolution
sémantique.
Ainsi la loi est Miseitée, animée, excitée, réveillée par les
souvenirs et par les images. Mais à condition que le Fidèle
ait foi dan- ces image* et dans ee qu*<îlles représentent. Et
<ette foi vient soil de l'attrait et de la puissance intrinsèque
«les imagf^s et des souvenirs, qui symbolisent la vérité à
laquelle il croit ou rt'pondent à ses aspirations profondes; soit
lie raisons extrinsèques comme celles que nous analysons
dans ce chapitre.
LA PUISSANCE DES CHOSES SACREES
L'efficace du désir et l'efficaoe des Rites.
Les signes et les procédés, (juc le culte met en oeuvra.,
dépassent la e<mimémoration et la réalisation plastiques. Le
fidèle crf>it à la ^<e^\^^ fies ol)jcts sacrés, à 1 efficace des rites.
\)(S résultats particuliers et pi^'^cis sont atteints par leur
moyen, en nrême lemps que, par <ni\, iî entre en contact avec
le Mioride surnaturel dans son ensemble.
I K (Ul.TK a'i
loi oiRHHt', le rite iic l'ail i\\ic l'cndrc, dans l'àiue d«i lidèle,
I « riicace dont son oriprine l'a charp:é; exjU'essioii de la foi, il
. -I à son lour iiislit^atciir de la foi. Mais entre la foi d'où il
l>i (K-èdc cl relie qu'il suscite, il y a tonte lliistoire du rite cl
loiik' celle de la communauté relip^ieuse. Le lite a pu se com-
l>li»|iier, dévier, s'altérer : souvent sa sip:ni(icatiou a chancre ou
(li>>parii. sa puissance directe de suggestion s'est allaiblie. Et
le lidèle d aujourd'hui ne retrouve plus, sinon à un faible
tl<irré <l [>ar ivceplion, à certaines occasions solennelles, sous
l;i |»oussée de l'cntliousiasme collectif, ou dans des moments
«It* ferveur privée, les grands états d'âme, oîi le sentiment sur
• 1<' soi et de sa puissance sur le monde, confère aux gestes et
iiix actes (jui l'expriment et aux objets (jui le reflètent, la
\<ttii de réaliser, souverainement, dans la nature ou dans un
monde surnaturel, l'intention profonde qui l'anime et la foi
dont il est chargé. Vinsi. sous la suggestion des rites, le
lidch' peut retrouver momentanément l'élan créateur d'où ils
piocètlenl. Mais, en dehors de ces moments de foi vive, et en
ilihors de cette possibilité latente., endormie dans les objets
K'iigieux et qui, toujours apte au réveil, leur confère, même du
fond <le son sommeil, une part de leur puissance, le lidèle
coi»tinue d "y croire {)ar habitude et par autorité.
Appelons réalisme cette croyance à la vertu des objets
sacrés, à l'eflicace des rites. Le réalisme sacramentel est très
probablement l'attitude première de la pensée religieuse. La
croyanc<' à la force des rites, à la puissance absolue des objets
sacrés, se retrouve dans toutes les religions élémentaires.
« Les rites des cultes primitifs sont des figurations qui sont
supposées pi'oduire l'ellet qu'idles représentent, lliti^ toté-
mi«pies, riles de chasse et de pèche, riles de guerre, rites
d'initiation, rites agraires, synd)olisant leur objet, le mettent
en scène el [»ar cela même son! e<Misés \r l'éaliser (i). » Ce
I I^oisv : Lu Relifii^iony ><•
24 LA HELH.ION ET LA lOI
n'est (|iia|)rès coup quv l'intcrprélation symbolique altribiic
une siu:nilieation plus subtile aux formules el aux rites leli-
;;:ieux, (pii ue correspondent plus aux aspirations des tem[)s
nouveaux. Ou peut suivre dans prestjue toutes les religions la
substituliou pi'oa^ressive du symbolisme au réalisme.
Mais le Symbolisme lui-même a bien des dejçrés. Lorscpie
au terme, on iuterjuèle les mythes et les rites eonnne l'illus-
I ration brillante d'un di*ame d'idées qui se sulïirait aisémeni à
soi-même, on est bien près de déclarer inutile cette envelopj)e
et ou ue la justilie guère (jue par des raisons de eondeseen-
tlance ou d'opportunité. Beaucoup, il est vrai, ne vont i>as si
loin, et tout en considérant le mythe et le rite comme inadé-
([uats à la signilication spirituelle, dont ils sont les signes, ils
les tiennent pour squ ex]>ression nécessaire : l'idée ne pouvant
se passer d'une matière, encore qu'elle la déborde.
Ainsi lattitude symboliste oscille entre la matière et l'es-
prit, avec une tendance croissante à rabaisser la matière
devant l'esprit ; ainsi les théories sacramenlaires qui sacrifient
la matière du sacrement et son action objective à la présence
spirituelle et à la grâce morale; symbolisme encore pourtant
puisque la matière sacramentaire retient encore une dignité
particulière de cette présence spirituelle dont elle est le signe.
Kniin l'on arrive au syndjolisme réiléehi. II y a de même trois
phases de création religieuse : l'objectivation directe de la
pensée et de l'intention dans des actes rituels, oîi, en toute
naïveté, elles se trouvent réalisées tout entières, présentes et
agissantes à la lettre, puis la demi-objectivalion du Symbo-
lisme proprement dit (i), oîi l'esprit a conscience de dépasser
le symbole, oii pourtant il se retrouve et se complaît; et enlin
le Symbolisme réfléchi : tel un artiste qui, volontairement el à
<i, Le caractore d'oljscurilé de celle Icndanc*,' .s'rx|)li(|U(r plus aiscjiu'iil
encore, si l'on admet qu'il y a dè.s l'orii-ine dans le Symbole nue certaine
confusion et une certaine richesse : il y a plusieurs idées <lans la mèuiei
matière, et la même idée dans difTérenlcs malières.
IK (L'I.Ti:
froid, t'iivelo|)|)o une morale dans une j)araljole : telles irnigmc,
l'alléi^orie et la niélaphore littéraire (ij. Ces trois |)li,ises de
création relit^ieuse el ces Irois |)r()cédés d'interprélalion s»-
correspondent h).
Il peut sembler, au premier ahord.que révolution hisloriiinc
lémoigne que les rites sacramenlaires aboutissent à nrlic plus
II) Tel sera le systi-ine de rciix i|ui \ lultuil que « luaie partie il t'-j^lise. lunl
objet matériel servant au eulte ■ et l'on pourrait ajouter tout aetc rilucl soit
« la traduction d'une M'rilé thi'oio<fiqu<' ». lit vs.man<s, là (^atlii'dntlr, l'a!>i's
catholi<iucs, 3ii.
21 Voir p. e\. Mouiq, Hais fl (li<'u.\ tl'J'ffjiih'. p. an. A rorij,'iue le -«acri-
lice du Dieu m Efîypte était inconseient cl ses eil'ets bienfaisants sur l'iiunia-
nité, involontaires. C'est la loree d'un rite jjurenienl magique (jui ressuscite
Osiris : et c'est au nom du même principe que les hoiiiines qui imitent la
mort d'Osiris participeront aulouiatii|ui'nicnt à sa rcnussance et à l'imnior-
talité. A mesure qu'on avance dans la civilisation é}.'"yptienne, le sacrilice du
dieu tend à être considéré comme un acli' raisonné. Au temps des niyslêr<'s
isiaques. l'évolution dans le sens spiritualiste est encore plus mariinée ; c'est
Isis elle-même <jui appclli' le néoi)liyte : le baptême isiaque lave l'âme plus
que le corps; la mori du niyste sijiuilie surtout que l'âme meurt au péclié; la
rt'iiaissance est le point île dé])art d'une \\i- nioiale épurée, la transliifuratiou
de l'initié en ilieu Hà, c'est l'apothéose d<- lliommc ; voir aussi, p. '{lo. les
trois étapes dans l'éxolution d'Osiris. ('imont, trs Religions orientales, a
bien sif^nalé la puissance du rituel, dans la religion -gyptienne. I.e rite \ a
une l'orme opérante par lui-même, et <pielles que soicit les intentions du
célébrant et b'S dispositions intimes du lidi le; l'homiuf .icquiert par la con-
naissanee d<î la liturgie un pouvoir immense sur le monde des esprits. D'où
la fixité el rabundanec du rituel. NVaxdt, Voll.erp.tychologie, II, 3" partie,
veut voir dans les dogmes catholique, lutiii'iien et calviniste de l'Eucharistie
b'S degrés d'é\olution <Ie la Magie sympalhiiiuc à la Spiritualité, f-eci demaii
derait à être examiné de plus près; il faudrait analyst^r très exactement les
notions de présence réelle et de présen<e spirituelle. En un certain sens, il
y a dans le catholicisme plus île symbolisme (ju'on n'en aperçoit à premièic
vue, voir Hossi'kt, I V/r/V///o/*.s, IV, laf» : > Hien plus, il faut reconnaître que
totit ce qui est le plus vérité, |)t>ur ainsi parler, dans la religion chrétienne,
est tout ensembb- mystère et signe sacré. L'incarnation de Jésus Christ nous
(igure l'union parfaite que nous ilevons a\oir avec la divinité dans la grâce
et dans la gloire. Sa naissance et sa mort sont la ligure de notre nais-
sance el de notre mort spirituelles. Si, dans le mystère de l'Einharislie, il
«laigne s'ai>prochi r de nos corps en sa |»ropie chair el en son piopre sang,
par là il nous imite à l'unité des esprits el nous la tigure. Enlin, jusqu'à ci-
que nous soyons venus à la pleine et inanifesie vérité qui nous rendra éter-
nellement heureux, tcmtc vérité nous sera la ligur" dune \ irilc plus
intime. •■ La théorie catholique des sacrements lémoign*- aniplcmenl que le
sensible est moyen pour le s|)irituel et, à certains é^'urds. n'existe (|ue par
défaut de spiritualilt' ; la nature humaine a besoin de signes sensibles (jui la
conduisent à la vie spirituelle cl qui attestent la communication de la grâce.
L'homme déchu s'est soumis au sensible et a besoin d'tme médialion seu-
!<iblc [)our s'approprier le s|iirituel. On pourrait dire, cm empruntant le lan-
•jf> I. V i!i;lii.uj\ kt la ioi
«|ue (les sitifnes {i ). dcslinés à iiipiH'lcr un évôneinenl <n»
une promesse, que le nalisinc oriuinair»' se perde dans
l;i lomniénioralion. Mais il iaudrail se deniandei* si lit
eounnénioi'iition elle-uiènu* n'ajoute pas au souvenir la vea-Ui
(le son idenlilieation avec la personne, la chose ou l'évé-
lu'menl représenté^. La reliii^ion ne peaise jçnère en images
mentales et en rap]»orl d'imap^es entre elles. Elle pense
ru choses, et là oii les imajïes son! présenles, les objets
aussi sont présents. Il y a donc souvent, sous la «oni-
MU'moration, si simple en apparence, léveil d'une foi pro-
f(inde. prête à donner le sens mystérieux dune présenct'
ou d'une efficace, à des fonnules verhales ou à des gestes
riluels, liés à l'image év0([uée. Elle disposa le croyant à
prendre le signe pour la chose uième. Les religions sont
Nolonliers réalistes parce qu'elles onl besoin d'agir sur une
realité divine, extérieur*' au tidèle.
iiimc kunlien, que les ;.iti-.iiiii(iils smil nu xlicinr «li>.Liiic .1 jtsMUfr lu pas-
>ajfc ilu spirituel au snnsihle.
D'autre part, il est Wicii probablf, malgré \u ci-itiqu«.- protuslunU.'., que le
r('aliviiic sarraiiifTitel date des premiers temps du christianisax- ; J>on pas
<|u'il se soit exprimé en tliéories aiialofioes à eellts de la sfolastiquc, ni
ritènie qn'il ait lait ap]»el à une nolion préi^se ; c'est et- (|ih! Loisv, l'Kvan-
::ilc r.l li'.glisc, p 284. parlant d(■•^ nrij^-ines flii'élienn«;s, a linemcnt exprimé.
• ()n ne spécule pas sur le sLg'nc, «m ne parle pas d'criicaeilé physique du
>acrenient dans le baptême, ni de Iranssubslanlialioii dans rEucliari.stir :
mais ce qu'on croit et ce iju'imi dit va j>rest|nc an delà de ces assertions
tljêol<>j,'ique>. Le culte de cet âj;e priniilil' pourrait se détLnii- : une sorte de
D-alismc spirituel qui ne connaît pas de purs symboles et qui est essentiel-
lement sacramenl-el parla place qu'y tient le rite comme \clii<iili' de l'Esprll
et ntoyen de vie divine
(i) Siius réserve des oxlllalion?, iné\itables, et des retours à l'upun ope-
ratum strir-t. Ainsi Loi>v rappelle justenjenl, Sacrijicc, 'ibg, que les rabbins
des itremiei-s siècles de notre ère ont enscLs'né que les sacritices du taureau
et du bonc de lahveh efTacaient les impuretés et b-s fautes involontaires, et
que l'exiMatifm de t«»ns les péchés et crimes se taisait par le bouc
émissaire.
On cil<- même de> r.'d)l»iiis (jui ont ens(!ij;né, e(jnlraii'6menl à l opinion
commune, qne la rémission de tous li-s péchés s'opérait pai' le l'ait même et
-ans que le repentir du pécheui- fût requis pour rcflicaeité t\\\ saerenn-nt.
U.-ibbi-Jndoli (voir Mooni-. Htu-ri (]<•(-. i-lncyi-l. Hil>li(|iie. ]\
IJ-: cri.iE
LE DESIR ET LA FORCE MAGIQUE
Il iKMis laul Uivn rlmJicr à grands Irails cette pensée
K alisle qui es! au fond du eidle et qui s'exhale eu eflluves
|>uissaules |>our eiieliauler ses lidèles ; il nous laul aussi
iiiar(|uer à grands traits ses dégradations vers le symbolisme
jusqu'au moment oii elle disparaît, eomnie se dissipe le rêve au
iV'veiL à moins que l'on n'aiiive à se l'aire illusion dans la
<-(Uistienee de rillusion même, à se rendre dupe du mirage au
«lomeiit même oii il se dissipe, ou à projeter sur la eréation
«rti<i<ielle que l'on li«iil eu son pouvoir des émotions plus
profondes (pii eontV'rent une réalité momentanée îi ce (pii, sans
elles, ne s<*rait qu'un jeu de l'esprit.
Le réalisme, c'est la eroyanee à relficacité externe, objective
(le certaines pratiques. Le Rite est véhicule de la force reli-
^euse et moyen de réalisation. Il tient à la fois de rintention
(jni 1 anime et des objets sur lescpiels il doit agir; au fond du
réalisme magique, il y a celte thèse qu'il arrive aux choses
exactement ce qui arrive aux moyens magiques qui les repré-
8enl<'nt, qu'une céin^monie produit exactement ce qu'elle ligure.
lu symlK)lisme iéalist<'. telle est la forme extrême du culte.
CU'lle forme extrême, c'est la Magie. Naturellement nous ne
songeons pas ici à l'étudier en elle-même, mais nous s<>mmes
birn obligés d'eflleurei tout au moins ses problèmes, car la
force magicpie intervient dans la plupart des religions; on ne
|>e«t pas admettre en dehors de la religion, par exeujple le
sacrifice, acte essentiellement religieux, cpii enferme quchpic
chose de niagi(|uc : I inlluencre qiiVxerce sur le monde invisible
h» puissance libért'e par le sacrilice ; de même les sacjements,
sous l.i forme de Vo/ms u/tf/dfnm. Notons pourtant que bi
Magie va beaucoup plus loin dan-s le n'alismc (\ur la religiou.
Nwis vivons déjà dit que la mise en <rM\ vr cl liililisalion ^\^• la
a8 l.A HELHIION KT I. A I Ol
(Iràfo maU'rialisre, suppose la loi au sons larp:e; par exemple,
il faut ([u'il y ait elie/ le célébiaul riiilenliou de faire ce qu<
lait rili^lise ; sinon le Kite ne s'aeeoniplil pas (i) ; il faut qu'il 3
ait ( luv le lidèle une eerlaine disposition intérieure, sinon il m
hénélieie pas de la grâce sacramentelle (lî) ; les champions les
plus audacieux de Vnpns opc/dliiin ne vont pas Jusqu'à dire qu(
les saeremeiils confèrent la grâce e.v n/)crr opcnito chez <-eux
qui sont eu ('lai de péché mortel (3).
11 scmide (|ne la iclii,non a[)porle à l'aclion magique un(
restriction considérable : au cas loul au moins oii c<dle-e
s'e\(ucerait avec une eflicacité pleineiuent contraignante, indé-
pendanmient de la volonté du sujet, indépendamment aussi dt
la volonté du magicien. Pourtajil nous n'oserions pousser trof
loin cette distincticjn, car l'action magique n'est peut-être pas
de (orme sirictement mécanique, et peut-être requierl-cllc
qucl((ue intention? tout au moins e\ig<*-t-elle certaines précau-
I (;■( ^1 iiii [)oiiil Mir Icqui"! in>i.sle Kisjjmioi i:ii. Ilandbuch der Kalholi*
sckcn Lituiii'il;, l'jii?. |>- ^5, pour distinj^urr le « liluj'jje » du personnajj^C
uiagi(ju<'. Il faut >i^ualer pourUtnl que .Mari(;tt se* demande s'il y a des actionî
Hiagi<ju«'.s .sau> riiitiiveiiliuu de la voldiitô, si l'incantation ou à tout le luoim
la direction de linlcnlion ne parait pas, dans tous les cas, conditionnel
l'exercice de la magie
L'action magique nexige-l clic pas n»*n seulement la continuité cxtci-ieiire
des rites, mais encore une ferme i!onstance dans l'état d'esprit du ma;;icien
en ce qui concerne les forces magiques, i'\ l'intention dii rite'.* >'e doit-il pas
avoir dans le résultat automati(iue du rite une confiance qui ne lléchif i)()int'.'
L'attitude interne ne correspond-elle à l'allitujlc externe? L'acte n'entraîne-
l-il pas et ne supj»ONC-l il pas la foi'.' Cf. IIi nicnr et Maiss, Mélanges, p. '{*>.)
,2 (labricl Hii;!., in lil». iv. dist. i, qu. '3. La diftieulté relative au baptême
est le\ce, clicz l'adulte, par li' v<eu du haptèmc, eliez l'i-nfant ]>ar les argu-
ments «(ue nous étudierons plus loin ; le baptême étant donné dans l'Eglise,
c'est la foi de l'F.glise qui devance celle de l'enfant et (|ui s'oll're pour elle et
qui permet au rite d'a^oir plein cirel. Si on allait juxju'à l'entendre commo
un processus mccanitjue ilc purification à la suite dune infection indépen-
dante rie la vol<»nté du sJijet péché originel , il faudrait toujours remonter à
la volonté jtécheresse initiale et à l'intention divine de pardon, (|ui a institué
le sacrement.
(3) Pour différencier sacicnn*nt et magie, le eatliolicisme fait volontiers
appel à une notion morale.
" Le sacrement... c'est Dieu qui lui donne sa vertu par un elfet digne d<
lui, la sainteté du co-ur. Le symbole magirjue a sa vertu propre, son cfficacitc
«îonlraignante, inilépcndamment de toute pr<'paration ou précaution morale. »l
\\*. BoiviKit. IJrli^ioii i-l Magie. Rechercht's de Se. leligiense, 1912, xi et i<.)i'*-
i.K t:i;i.Ti: u()
lions (le sûreté liliu'llr, sans (|U(>i clic ne s'acconiplil |)as, ou
s'accoinf)lil contre le snjel : il y a des eoinpalilnlités et des
ineoMipalihililés entre les lorees (|nc la Maj^ic sn|>[)ose à
IfllIN If.
l'uni- le reste, nons réservons et laissons entiènniicnt de
eùlc le problème si déhatin et si difficile des relations liisto-
ri(|nes on lofîi(ines de la Mau^ie cl de la lieiiuion (ii.
( )n sait conimenl ['c(<»le anlliroi)ologi(ine anglaise explique
la Mau^ie par l'objeelivation des lois de l'association des idées ;
1 lioinnie transporterait natni'cllemenl dans les choses la conti-
iiuilv et la similarité, ces deux lois fondamenlalcs de sa pensée.
Tout n est pas faux dans celte hypothèse que Sir .lanu's Frazer
a exposée avec tant d'éclat, mais elle est certainement ineom-
plèle. Ses insuriisanees sont celles de la psyclioloijie «pii l'a
inspii(''e. La croyance magique, pas plus qu'aucun»' croyance,
ne saurait se ramener à une sinq:)le association d'idées.
L'association d"i(l('cs va à 1 inlini : les idées se suivent et se
suirui^èrcnt sans lin : dans l'opération magiiiue, comme dans
l(Hile action et dans loule croyance il y a des jugements : on
choisii des images, on les arrèle, ou abstrait, on dirige son
allculion et son intention. L'associaliou des idées s accompagne
d une vague cioyance; iu)us n'adhérons pas pleinement, sauf
le cas (lu ic\c ou du di-lir-e, au\ images «pii Iravcrseiil notre
I Notons seuliMiii-iit i|iic, ilaiis iJ-s r«'li};ioiis supt-rirurcs loiil au moins,
1rs l'orccs niii^i^iqnes sont !<• don d'nn 1)i<'n qui s»- lie lui nu-nic, ipii si- mol
dans les rites, qui s'ol)li<îc à oliéir à l<rur action conlraij^nnnte, justement
parce qu'il sesl identilié à eux. Sous Vo/ni.s ofuTatiim et sons ro/»»,s oiirruins
des saeremenis, il y a l'o/w/s ofn-nititis <pii est Oii'U ; l'action saerannMitellc
repose au fond sur rinstitntion ilivine. il non pas sur la nature tics ehoso
3o l.\ HEl-IGIO-N KT I.A lOl
esprit, l^e inai^icicn eroil l'otteinenl à ses pi'aticjues. Au Lia
chose est un clélUé d imajies, auLi-e chose 1 atlirma.Lioii de
l'objectivité. Une fois de plus la psycholoiçie aa^iaise a été
victime de iassocialionisnie, (|ui n'arrive pas k e\pli<fuei*
Irsprit humain (i). K\plkjuer;dt-on ainsi h» Magie, <[u'on se
reh'ouverait encore eu [)résenc<' du même problème, comme c«
matîicien poursuivi par le fantôme qu'il exorcise ; car l'Asso-
«iution des Idées, comme l'entend l'école anglaise, est une
sorte de magie, une attraction inexpliquée du conligu par le
contigu et du semblable par le semblable. Loin d'expliquer
l'esprit, l'Association le suppose; sans l'unité de conscience oii
les moments divers d'une même «'xpciiencc psychologi{pie
sont groupés de la façon la plus intime, de sorte que poui
toujours ils tiendront ensemble, la contiguïté resterait inefli-
cace ; sans l'unilc de raison (pi il y a sous les rapports fonda-
mentaux dont la ressemblance n'est que le nom confus, h
siuiilitude n'aboutirait à rien.
L hypothèse scuiblc plus heureuse <piaud il s'agit (rexj)li(iu«r
les moyens (pie la magie met eu œuvre: car ils sont enq)ruutés
aux choses mêmes sur lesquelles on veut agir; ou bien ils
imitent les choses et l'îiction (pi'ou xcul produire; ne voit-on
pas ici, à plein, la contiguïté et la similitude? Mais iNlM. Hubert
et Mauss out montré avec l)eaucou[) de force ([u'il y a un travail'
de choix et (rinterj)rétation dans la création des symboles
magiques; la similitude peut cire très conventionnelle; (h;
l'objet choisi, le magicien retient un trait scul(;ment, la coideur,
la forme, etc. : de plus, certaines (pialités seulemeut du symbole
sont transmises au symbolisé. Kniin, étant donné le petit
nombre des symboles magi(jues, alors (pi'cn droit ce nombre
I Notre critique très géncrale i-ejoint les objeelions très pénétrantes de
MM. HiBKRT et Mauss, basées sur l'analysi; des procédés magiques. (Voiw
JIiJu.uT et Mauss. Esquisse d'une théorie frrnrmlc de la Maffie, Anruie sociolo-
gique, t. VII, 1904, et Mélanges d'IUsloire dca Hcligions, j). xvii, lyoy. Voir ;iussi
Lkcha, La Psychologie des /ihtinomènes religieux, p. aro.)
i.K «:i;l:ik Si
«si iltiiiiilc, il laiil biiii ([(ic la liiulilioii rhoisissc et iiiipos*-
<|iul«|iifs syinholcs |>i'i\ Llégi«''S.
\iiisi il y a (h«ns la pcnséi' niaificpn.' <!»*!> opi-ialions mculalts
«oiniiU'xes. Kll»'f< soiil mises m j«'ii. soiitcimos cl diriffrcs pai-
♦It's iMlrrrls pjiissauls, f>ai* des besoins violents. Ou ne peut se
dispenser de l'aire inlerveiiir iei rinleraction du sentinienr
ri (!♦' la p«'iisee. La May:ie u fxislerait [)as sans le d«''sir:
«reilaiues lins, ardennnent souhaitées, mettent en monv( ineni
1 espiil (pii sÎMi^éme à les réaliser ei qui poursuit lenr réalisation
\>nv «les moyens nés dn dé'sir. L'uelion du désir t'sl. du reste.
renl'oret'e souvent jmi' des [)raliipies evLalicjues q»ii ellaecnt
dans resjM'il la distinetiou du po.ssible et du réel, par un »''lal
dr verlii^e <|(u allranehit pleiiiemeut la eroyance (i). Kniin
4U\s traditions sélablissenl, ,iL!:arantes de la [)uissanee niajiitjne
en irénéral, i^araides de la valeur parlieidière de eerlains rites.
Tne rna^ie calme, codiliée, accessible à tous, alterne ave<- la
inauMc e\cité<' ri rréahicc. Il nous faut examiner tout cela.
Kn premier lieu, la puissance du Sentiment. Un sentiment
\iolcnl. un désir impérieux s'aecompaifne d'espérance, c'est-à-
dire de loi dans l'aNcnir; aux moments les plus intimes du
désir, l'obstacle du lemps disparaît presque et l'objet espéré
de\icnt j>res(pjc réel. Il y a, dans le désir, une vive alteide,
nue predis{K>silion ii la foi.
Mais il y a bien autre chose dans la ma,i;ie. Klle ncsl pas
la croyance du désir en la réalité ou en la réalisation indé-
pendante de son objel, niais la croyance à la n'-alisation «le
son <d»jet pai- la mise en œuvre de moyens extérieurs. Même
si l'on a«bn«l l'existj'uce d'un»' niaii^i«* du pin* désir, la puissance
du pin- désir à produire ses objets, elle serait enc«)re la
eroyaiuM' ;i la r«'alisation de l'objet par la puissance du désir,
par r«'Xl«''ri()risafion dn «h'sir «'U (piehjue sorti', conçu comme
(i* C'est cr «pli' M NIxc-»^ :i Iml l>icii iiionlr»- (Voir VOri.,'ine des /nxnniis
i-A i.A ri:lh;io\ i.t i.a i oi
une Invci- cxtôru'iui . sii|M-i'irni'(' au siijcl cl c'a[)al)Io dv [)r()(luii'('
1 <»l»jcl. Le (lôsir soil dn siijcl n«)Ui' aUciiidic les choses, pour
s \ i)ltic(li\ cr. s'y rcalisci. Il y a dans loiilc niatxic la croyance
il la |Miissancc t)bjecliye. rcalisalrice du désir, que cette
puisNanc f soil coitsidcrcc eoniine inuui'dialc ou (pi'clle ail. au
(M)iilrairc. besoin de moyens [>our s'exercer.
( )r. le scnlimcnl s'«''panelic néccssaii'euiciil en nu)u\cnîcnts,
paiojes et u:estes ; en luonx cnicnls incoliéreiils, sui\ant la loi
de la d ('•(;! iar,u:e dilluse ; cl aussi en niouvcinents coliérents cl
ada|)lcs, parée (pie lout sentiment se i'ai)[)()rle à une action,
parce (pie tout sentiment répond à une adaptation nouvelle, à
une attilmle; l'Iiouime en colère ébauche l'atlaipie, l'homme en
|>roie à un désir violent., pai' ses li^cstes. ses paroles, ses imai^cs
mentales, prépare, commence la réalisation de son ilésir ;
il ébauche l'action qui le mettrait en possession de l'objet
on (|ui lui peiinettrait d'en jouir-. Tout désir est un commen-
eemenl d'action; tout désir contient le plan de construction
d'un acte au moyen d'imaj^es et de mouvements ; cette ébauche
esl dautant plus riche cl plus forte que le désir est plus
\ iolenl. elle est d'autaïit plus exacte qu'il est plus précis. Ainsi
le désir s'extériorise nécessairement en gestes qui s'adressent à
son objet , <•( (pii le représentent, comme il s'extériorise aussi.
en verhi de son intensité seule, en gestes quelconques.
Tous ei's gestes, nés du désir, sont en étroite relation, dans
le (h'sir, avec l'objet tlu désir. Désir, objet du désir, |)ression
mé'caniqui' on mimicpie du désir, ioul cela l'orme une profonde
unit('' [)sychoIogique.
La gesticulation du désir va droit aux choses, soit qu'elle
ail besoin de se dépenser par son action sur les choses, soit
(|u il y ait dans les choses (piehpie rapport avec l'objet du
désir qui l'attire sur elles; l'honnue l'uri(;ux casse une chaise
parce que sa fureur a besoin de se dépenser, et c'est le
premier objet rencontré qui pâlit de sa colère: mais il détruira
aussi un objet parce que cel objet lui sera hostile ou odieux:
I
i.r (ii.Ti: 3'J
ainsi riioiimir <iiii jt'llc an IVii le porliail de sa inailccssc (jui
l'a lioiiiix', ainsi le tani-oan (jni se inc sur le manteau laissé
dans 1 aicnc. I/éiiiotiou se dépense vuloiiliers sur des ohjcls,
liés d'une l'aron qutdconquc à son objet principal ; tout ce (pii
nous rap[)elle ee ([ue nous aimons on ce (pie nous haïssons,
nous l'aimons ou nous le haïssons et nous a}i:issons envers lui
connue envers l'ohjet i.nènie, dans la mesure exaclc oh il le
représente pour nous ; non ([u'il y ait là transfert d'émotion
par eontiu^uïté ou p,ar siinilaiité ; mais il y a unité, dans
l'émolion, (le tout ee cpii constitue l'ohjet de l'émotion; notre
amolli- s'adresse à toute la personne et comprend tout ce (pii
la constitue: telle partie d'elle-même, ses cheveux, ses vêle-
ments, isolés d'elle, retiennent queUpie chose d'elle : un charme
puisé en elle, dans l'émotion totale, synthétique, (pii s'adresse
d ahord cl d un seul coup à la personne entière. De même nous
aimons d'avance, dans l'amour que nous Vivons pour une
personnr, toutes les imaijes qui seront vraiment ca[)al)les de
l'évoquer devant notre esprit.
De la mcnu' manière, le désir anticipe l'action désirée; il
en réalise à l'avance l'esquisse. Ainsi l'imitation qui est à
la hase du culte majjique a son principe dans l'action ; c'est
elle (pii fonde l'association par similitude et le raisonnement
par analo}j:ie. Désirer, c'est comnu'ueer d'accomplir: et les
moyens que l'action met en œuvre, puisent, renforcent dans
l'action leur parenté avec la fin poursuivie. On pensera l'action
du semblable parce qu'on fera naturellement ce qu'on veut
qui soit, i)arce qu'on agira inévitablement le semblable.
L'action immédiate, spontanée, pur réflexe du désir, se
continuera, du reste, lorsqu'elle se sera montrée eflicace, par
l'imitation volontaire, (".'est toujours par l'imitation volontaire
qu'on passe de l'action naturelle à la convention. L imitation
volontaire, la convention, renforcée par la tradition, gardera;
grâce au succès et à la tradition, l'eflicace que son caractère
naturel assignait d'cmbh'e à I a( lion inunédiate, et la puissance
3
3 4 1 A HEI.K.ION KT l.A lOI
(If rijnhaiiilf (luOn lui alliihiiail sur les clioscs. l'^l dv niènu'
(juc fin/ liMilanl. 1 iinilalion Noloiilairc do ce qu'il désire
»'st le picmicr lanirau;»*. le preinicr l'Hoii poui' déolcnclicr
rinlerveiilion d'aulrui, k* lile, quand il se vide de sa puissance
iuuiK'dialenienl conlraiunanle. lesle sollieilalion, prière, expo-
siliou du hesoin ou du Vdu doni il est la représentalion mimée.
De m.'ini'. la valeur du conLael esl également puisée dans
raction ; les éléments conlip:iis (|ue relient pour ses opérations
latliou mai,M(|U(' sont liés natuiellement ou ueeidentellement
dans une action d ensemble. Un moment de l'action devient
la représentation de l'action totale; une partie d'mi objet ou
d un cire, la représentation du tout, parce qu'on réajçit à la
partie, liée au tout, connue on réa'j^it à la totalité; loi psycho-
loi;i(lue. que l'étude dvi^ réilexes conditionnels n'a l'ait (jue
ren forcer; la partie, l'élément isolé, pouvant être, du reste;,
plus ou moins intrinsèquement représentatifs de la totalité,
et plus ou moins aptes à recueillir et à condenser sa
puissance intrinsè(pie; d'où la vertu particulière du souffle,
de la salive, etc.
Voilà donc le désir, extériorisé par ses lois mêmes, en
gestes et en actions;, le voilà s'exerçant sur des choses qui
re|)résenlenl plus ou moins précisément son objet. Mais, si
nous tenons déjà l'explication de l'action map^i(iue, nous ne
tenons pas encore l'explication de la croyance magique; de la
croyance à l'efficace externe de tels gestes, de tels actes, de
tels objets; de la croyance à leur aptitiule à réaliser au dehors
la lin <jue poursuit le désir. Nous avons seulement cette indi-
cation que le désir croit aisément à ce qu'il espère; et aussi
(jM il croit aisément à ce qu'il elFectue spontanément vers la
i^i'alisalion de son objet ; se confondant volontiers avec sa lin
réalisée, il confond volontiers avec elle les moyens par lesquels
il ne fait que se réaliser soi-même. Il y a dans la grande
illusion du désir un commencement de croyance magique, mail
qui, le plus souvent, ou ne se développe pas, parce que celui qi
LK cri.TK 36
tiésii'c est |)('rdii dans son désir inème (l'cniotion violente ne
voit pas aM-<ielà deilc-mème). ou })ien est anssilôf lépriiiK''.
Nous en nionlrerons des e\enij)les.
II nous faul donc passer de cetleMagie implicite, fondée dans
le désir lui-même, dans son penchant à croire à sa valeur objec-
tive el à la valeur oiijeclive de son développement, à la Mairie
explicite (i). eesl-à-dire cette croyance que les gestes, mouve-
ments, paroles, par lesquels se traduit le désir ont une efficace
externe, que quelque chose leur correspond dans la réalité. Le
di'sir préi)are à une telle croyance, nous l'avons vu ; et il lui
fournit son support, ses moyens d action ; c est parce qu'il ébauche
l'action vers laquelle il tend, que l'imitation sera choisie comme
moyen magique pom* le réaliser; ([ue le semblable vaudra le
semblable (2); c'est parce qu'il assemble les divers éléments
d'un objet pour embrasser cet objet dans une vision synthé-
ti(pic (jue l'un de ces éléments pourra paraître apte à repré-
senter le tout, (pie la partie vaudra le tout. Mais la Magie
explicite change la valeur relative de ces deux éléments, le
désir et la chose; elle va droit à la chose et elle pense objec-
tivement les gestes du désir, comme des moyens symboliques
de la chose, propres à la produire.
Celte croyance à l'objectivité a son origine dans l'expé-
rience et dans l'esprit. Comme l'ont très bien vu les anthropo-
logues anglais, la Magie se soutient par son succès, (pii est dû
à des coïncidences. Ce succès, du reste, est souvent à peu près
inévitable, lorsqu'on s'adresse par exemple à des rythmes
I Celle distinction correspond à peu prés à celle que fait M. MAuniiTT
entre la Mia>,'ie rudinientaire et la inaf^ie développée. Voir The Tliresliold o/
religion, j). 44 <^* suivantes
>2. Le {jcste rituel a plus d iujportancc encore que la matière rituelle; il
porte avec lui lellicacité de l'action. Dans un rite «le pluie, l'eau sans doute-
est. ti<;ure de la pluie, n)ais c'est en répandant l'eau (ju'on représente et «|ue
l'on pense aniein-r la chute de la pluie. La chose (|ui est moyen i\t' l'action
sacrée prend une dij^'uité croissante et tend à devenir le principe de l'action
sacrée; le pain eucharistique représente toute la vertu du repas communie!.
3G l.V REI.H.ION KT I.A 1 Ol
naliiiels déjà prêts à se déclencher: comme lorsqu'on ciierch<
à amener la pluie vers la fin d'une péiiode de séelieresse, ou e<
(pii esl encore [)lus aisé, lorstpi'oii cherche à déclencher la
venue normale des saisons ; ou bien encore, lorsque l'opératioi
magi(pie est eflecluée sur des hommes et qu'elle a grande fbrc<
de suc:a:eslion : tel le rite de renvoùtemeut. Donc, comme leî
pratiques magiques (i) coïncident souvent avec leurs elFets
elles paraissent les produire. Indépendamment de la satisfac-
tion que l'acte magique procure au désir (2), cette coïncidence
a prohahlement contribué à engendrer la croyance magicjue
si l'acte attendu se produit en même temps que l'une des
expressions mimi((ues ou mécaniques de l'attente, un lier
s'étabUt entre l'acte et l'expression qui passe pour son symbob
efficace (3); on reproduit intentionnellement cet acte d'aborc
spontané; la liaison est d'autant plus facile à établir qu'elle s<
fait au sein du désir, et souvent dans des états d'exaltation e
d'obnubilation Cî).
^i M. Mahri;tt signale justement le rôle de la magie pratiquée pa
l'homme sur l'homme et dont le suceès est aidé par la suggestion.
(2; Satisfaction d'autant plus intense et d'autant i>lus propre à produir
l'illusion que le besoin est plus ardent. L'illusion coUcetive joue aussi uj
gi'ond rôle, comme l'a bien montré DunKUKi.M.
^3l C'est ce que Lkuba a fort bien montré, p. i86 et suiv.; v. par ex.
p. 2ot) : <• Nous avons essayé d'expli<iuer les danses magiques auxquelbvs Ii -
femmes se livrent pendant (jue leurs maris sont à la guerre, en les prr-( n-
lant comme étant dues, dans leur forme originale, à une expression sixm-
tanée d'inrjuiétude et d'émotion. La durée et la répétition de cet état d'exci
tation seraient favorables à sa manifestation i»ar des mouvements coordonnés,
intelligibles, par exemple une représentation mimée «lu combat. Si, main-
tenant, apparaît le sentiment d'une connexion nécessaire entre cette mimique
et le succès à la guerre, ce «pii n'était d'abord que la manifestation spontanée
dune émotion devient une i)ratique magique. O pas n'est [)as impossible à
franchir; en effet, si, pendant (juc la danse va son train, le désir de voir l
combattants triompher est à son paroxysme, la danse en viendra à èli
considérée comme une condition de suceès. Ce dernier pas serait l'expre:
sien de la loi de l'association : les choses qui se sont trouvées ensemb
dans l'esjirit tendent à se rappeler. Ainsi, des formes de conduite qui ont
leur point de départ dans un besoin de se soulager des tensions émotiv
assument graduellement un caractère défini et deviennent des moye
d'exerceriine influence magique. »
(4) Puisque la tradition ne fait que conserver l'autorité de pratiques déj
reçues, l'invention magique ne peut avoir lieu que sous deux formes: l'i:
l.K CL I.TE j-
•
1) aiilic |)ail. il faut bien l'aire IiiIcin <iiir un ('lai d cspi-il. La
Ma^'ic est le inonde du désir réalisé: |)uissanee et impuissance
du désir, puissance et impuissance des choses, tout cela se
heui Ir et se combine. L" dc-sic impuissant à se réaliser j)ai' soi
seul, aspiic à rcthjeetivité et se crée des moyens de réalisati(jn
indirects ([ui doivent captiver et asservir la puissance des
choses. Le monde subjectif et le monde objectif sallrontent et
s'entendent par compromis. Deux puissances contraires sont
aux prises; un moyen est établi pour subordonner la puissance
étrangère à la puissance intérieure. Le désir contraint le monde
au moyen de pratiques dont rellicace est toute puissante. 11 y
a donc dans la Magie une vaste'anticipation de l'expérience, un
excès de subjectivité ({ui déborde en objectivité, une sorte
dhyperadaplalion, si Ion peut dire, qui prévient la réalité,
(fuchpie chose comme cette attention e\pectanlc({ui crée l'image
hallucinatoire du signal. L'action, trop intensément préparée, se
déehar2:e en mouvements, eu croyance, en doctrine. Elle se
proclame elle-même. Car ce ({ue la Magie affirme, c'est la cau-
s dite du désir au moyen d'intermédiaires issus du désir; donc
la croyance que le monde sidjjectil' p.Mit se muer en monde
objectif par la mise en œuvre des forces objectives qui obéissent
au désir. Du même coup, et dès qu'elle se pense elle-même,
elle est un commencement de critique du désir, et une limita-
tion de la subjectivité, puisque malgré su puissance il se heurte
;iu\ choses, [)uis(pi il lui faut aller chercher dans les choses
mêmes un moyen de se soumettre les choses. Elle est donc un
appel aux forces naturelles, un commeueemeni de science : et
i-'est ce (juc plusieurs théories ont justement montré. Elle met
en jeu l'idée de causalité, encore qu'elle l'utilise à l'nws, au
si'iitidii imliviiliitllc clicz crrlains iiiilividiis privilé},'i('.s. ou Itien la poussoc
lirusijuc cl iiiiaiiiiuc de tout un {groupe. L'invention indiviilucllf a lieu à
l'état de ri-lU-xion ou dans des étals d'rxlasc. .Sur U»ut cela, voir Mai ss :
Oriffine des poin-oirs maffùiuos. On ne saurait trop insister sur les états d'ex'i-
lation, souvent entretenus et provf)(|ucs par des proeédé^ de toute «'spéee,
pie Ton trouve à l'orijjfine d»- la Majjie.
38 I.\ HEl.ir.ION KT I.V FOI
conliaiir de la toc'lmicjiu'. L'étal d'esprit inatçi(|ue c'est donc la
prédoniiiiaiico de la subjectivité, (pii se prend pour l'objccti-
vilé; un état d'esprit inculte, et (pie l'on doit retrouver partout
oii le senliinenl de l'objectivité n'est pas encore né ou s'afï'ai-
blil : il y a ici cette attitude réaliste, cette promptitude à réa-
liser que les psychologues ont si souvent siiçnalées comme un
mouvement naturel; im[)ulsivité, crédidité primitive opposées
au scepticisme acquis; pouvoir des images; cette participation
si profondément vécue qu'elle n'est pas encore pensée, et que la
représentation et ses objets demeurent confondus dans l'in-
distinction primitive que soutiennent les mouvements et les
actes. Ce n'est que progressivement que des freins se mon-
tent, des contre-poids s'établissent. Tout n'était pas inexact
dans la thèse de Frazer, qu'il y a dans lu Magie une objec-
tivation naturelle de l'esprit humain.
Si la Magie se développe, cela tient à la fois à ce qu'elle se
eonûrme par l'expérience et à ce qu'elle se renforce par la
spéculation : une philosophie naïve entrevoit la connexion
sous la consécution, l'identité sous la ressemblance et opère
sur la liaison et l'harmonie universelles, sans être encore
retenue par la détermination empirique ou rationnelle des
liaisons particulières. Science et philosophie, elle se donne la
double autorité d'un recueil de faits à la fois et d'un système.
KUe commence par reproduire intenlionnellement l'acte qui
s'est trouvé assurer le succès; ici le rite est tout près de
l'expression mimi(jue du désir ou de l'action qui lui esl
connexe; l opération rituelle est pres([ue naturelle. Puis
laction magique va de la nature à la convention et à l'élalilis-
sement d'un système d'opérations de plus en plus arbitraires.
Il se fait, si l'on peut dire, un glissement du symbolisme; de
même que l'écriture idéographi(iue s'éloigne, à mesure qu'elle
évolue, de son rapport naturel avec la chose qu'elle signilie :
de même que le geste naturel passe progressivement à la
convention; retenue et contrôle de l'expression d'abord spon-
r.i: ci'LTK '3<)
laiirc: al»i('-viali()ii et siin|»lilicali(tn «riiiic pail. coiiiplicalioii de
laulro, (Itvialioii projçi'essive du sens priinitil', iiisut'llalion clt-
inolils nouveaux, inlervontion de considérations théoriques.
>t«'n''otypit'. h'is sont les principaux lactcurs de ces altéra-
tions. Des principes rationnels se défçajj^ent ; des formes nou-
velles sont créées de propos délibéré. L'autorité de la tradi-
tion, l'autorité de inati:icicns particulièrement puissants,
laiilorité de la raison, tout cela se condjine et se renforce
Miuluellement. L'art maa:i(pie est le terme de la Magie; art
souv<Mit formidable : spéculation vertigineuse, entassement de
receltes, grimoires, (jui par la complication des idées et des
rites, par l'épanouissement du synd)olisme et de la mytho-
logie sont devenus inaccessibles à d'autres qu'à des initiés.
Les grandes synthèses confuses du début de l'art magique,
forgées dans l'hypertension émotive, l'extase et l'enthousiasme,
survivent à froid, soutenues par la tradition et par la complica-
tion même de l'auvre (jui en est issue ; et aussi, chez les
adeptes, par un vague besoin, qui, dans les circonstances
sociales où ils sont placés, serait incapable de les prodin're.
mais qui leur permet de les acceplei- et de les mainlenir. (l'est
ainsi (pie tant de grandes créations se survivent.
Lutin il convient de signaler qu'il y n dans l'action magique
une pail de pouvoii- personnel. Là oii la Magie est pratiipiéc.
toid le monde n'es! pas magicien: et lor5(|u'on présente les
(|iialil(''s ic(piises, il l'aiil une iniliation poui'le devenir (i).
*
Hegel a profond(''nienl eoin[uis la Magic (2), (juil a (''liidit'e
surtout d'a[)iès les rapports de Parry et lîoss sur les Ls(pii-
maux.
I \'(iir Mai ss : Ori^iitv des itoiwoiis i)iiii^i(jii<s
•2 /'liilns()/)liir ilr la Hi'lis^inii
.|0 LA l«KI.I«;lO\ DT I.A KOI
l*()ur lui. vWc rcposo dahoid sur la force des choses, siii
leui' action jnopre cl leur iideraclion. Le Magicien est l'eii-
elianleiir, mais c'est jiar la chose nièiiie <|ii'il se soumet la cho-
se. Ainsi opci'cia la Seience. Mais la Mairie ignore le rapport
ralionnel entre les choses, la relation mécanirpie du moyen el
du résultai. VA elle est orientée vers les objets du désir,
vers ces choses-là seulement qui attirent rallention inté-
ressée, c Le Soleil et la Lune n'exisleni (pie lorsqu'il
y a des éclipses. •> L'Universel n'existe pas pour l'homme
primitif.
La force du désir donne à l'honnne rinq)ression de l'em-
pire direct de la volonté sur la nature. Elle l'élève au-dessus
des moyens techniques par lesquels il assure les actes ordi-
'naires de sa vie. Elle lui semble dominer les choses parce (jue
le monde des choses n'est pas encore constitué.
Pour manier ctHte puissance, il faut s'élever à un état sin-
gulier, au-dessus de la conscience normale. Certains individus
privilégiés sont l'organe de cette force obscure, dans des
états j)rivilégiés d'engourdissement et d'obnubilalion. oîi leur
personnaliti' s'éteint, oii « la conscience abstraite et sensible»
est surexcitée à un point extrême. Danses, musique, cris,
orgie, promiscuité sexuelle, amènent ou favorisent cet engour-
dissement. Telle est la ditrérence entre la « conscience indi-
viduelle enq)i['i<|ue ■> et la « conscience magicjue ».
La spéculation renforce la praticjue. A la base de l'art
magique le principe de la liaison universelle, mais qui ne sait
j)as descendie, connne la science, aux liaisons particulières. La
tradition (ixe el consolide; il y a des pratiques délinies, que
le magicien doit apprendre.
La Magie est distincte de la religion, qui est libre adoration,
croyance en une puissairce libre. Entre elles, il y a une forme
intermédiaire, la Religion de la Magie. Les puis.sances de la
Nature apparaissent à l'homme comme des êtres universels et
par suite comme dominant la conscience individuelle et empi-
LK CULTK ,1
ii<|u<>. Mais en mriiic temps on s'elForce d'cxeiciT une ariion
sui' elles: radoralioii cl la .Mairie se mêlent.
*
* *
L'état (l'esprit, d'où la Magie procède, intervient même dans
notre perception la pins solide. Xons i)ailons, la phipail du
temps, pour constituer rol)jectivilé, de quehiues données sub-
jectives très rapides et très élémentaires. Nous croyons avoir
une perception ou une image ; un examen plus attentif révèle
que la phij)arl du temps nous n'avons que quelques esquisses
de mouvements, ou quelques mouvements commencés, avec
un vague savoir et un rare et pauvre éveil de sensations ou d'ima-
ges ; ces éléments sensoriels insigniliants jouent le rôle delà
perception ou de l'image complexes, parce qu'ils sont soutenus
par les mêmes tendances et les mêmes impressions affectives.
Nous les prenons pour la perception et l'image. DOii beaueouj)
d'erreurs et aussi (piehpies vérifés.
*
* *
(A't état d'esprit est bien visible encore, sous les revêtements
<le la civilisation, dès que (léchit l'équilibre instable entre
l'objeetivité et la subjectivité.
Tel est par exenqile l'état de jeu. On y voit à i)lein 1 Oprit
syndjolique de l'entant, sa tendance à objectiver ses sentiments
dans les figurations matérielles. L'intention cpii commence à se
réaliser passe à ses yeux pour la chose. L intention, débortlant
son objet, se contente de n'impoite (pielle liguration de
cet objet : tout peut devenir un jouet : un jouet peut tout de-
r-i LA IIKLIOION KV LA KOÏ
vcnii-: niin|)orte (juoi peut rcpirseiilcM' ii'nn|)orte quoi. iVcsi
<|iit' ratlenlioii oiienU'c surtout vers les scnliinents cl les aclei
neniprunleà la ii-alilé (pie ce(pi'il l'aut de inalière pour l'ouruii
un poini (le reix'i'e el uu support au rùxe de renlanl. L'enfau
<piijoue agit en levant ; son riive dépasse son aetion véiitable
une indiealion suffira à exprinuT une scène enti('re, un hala
pour repiéscnicr un cheval; des synd)oles, esquisse des actes
visés, figuration très approximative d'objets précis, valent poui
les actes mêmes et pour les choses; de même pour son art, e(
dahord poui- son dessin. Le jeu se crée un monde; des intcu-
lioiis se posent sur des cspt'ces sensibles et tout cela constitue
un univers qui pendant un temps est le seul réel. Le joueur s<
perd dans son jeu ; illusion que renforce l'assentiment des autrci
joueurs et Tinlhieupe de conventions préétablies, (^uc devien
<lrait le jeu, s'il n'était arrêté, eontnUé, et par les adultes, e
par ce (pi'il y a de vie adulte chez les enfants (i)?
• La \ ie adulte montre encore tous les germes de la supersti-
tion. Beaucoup d'individus ne passent pas pour superstitieux
parce qu'ils échappent aux superstitions Iraditionnelles ; mais
ils oui leurs petites prali(pies i)ersonnelles et une forte pro-
pension à la superstition; l'un et l'autre s'étalent naturellemenl
dans les moments d'émotion intense. Miss Fletcher, [)arlanl
des Indiens del'Américpiedu Nord, écrit que lors(pi'une course
a lieu, ils croient qu'en diritçcant leurs pensées et leur volonté
vers un des concurrents, ils l'aideront à gagner. Cet état d'esprit
nesl pas particulier aux Indiens. Sur le turf, au moment pas-
sioimanf de l'arrivée ou à lous les moments accidentés d'une
course, les spectateurs soutiennent du geste et de la voix le che-
I Pf>ur la riispositieii à la magie chez les enfants, voir une curieuse ob-
servalioii de I-'i.olh.xoy, AitIi. de /i-ijcli. Mai lorâ. Voir aussi .1. Suli.y, Studies'
of Cliildood, p. «o (la petih; fille (jui eroyait rpreii s'arrangeanl 1(!S cheveux, eli<-
eiiip«'cherail le vent fie souffler , et Lkira, J'sycholoffie, ]>. 2o<). (U: que nous sa
vons di- ee sch("niatisuie enfantin est iiien ii[)[niy('; par les études sur le dessin
des enfants.
LK C.l'LTF 4^
val a»M|U('l ils s'iiilrressent et certes [)eii(lant un moiiuMit ils
s'idenlit'icnt tclleineni à l'etTorl du cheval (jii'on ()eiil dire (|iie
leurs vocireiatioiisel leurs jj^esles sont [)lus([iie des actes d'encou-
raj?enienl ; [)()ur ur» moment ils luttent avec leur cheval, ils le
w portent au poteau» comme fait le jockey, ils sont le jockey,
le cheval, la course ramassée eu l'un des concurrents ; la violence
de leur désir leur donne l'impression de la puissance; pour
un moment il y a dans leur esprit comme l'ombre de cette idée
cpi'ils aident au succès. Ils sont au seuil de la Magie.
De ménu' le joueur. II joue avec ou contre une force inunense.
la fortune : le gain est moins un prolil ([ue le signe, le symbole
de la fortune; il fascine le joueur plus encore par la faveur
dont il l'assure ([ue par son ulililé matérielle; n'apparaîl-il pas
comme un bonJieur subit, exaltant le don gratuit d'une puis-
sance su|)érieure? Aussi le joueur, indéjiendamment de son
habileté, recourt-il à tous les nu)yens de fixer la fortune: mille
l)etites prati(pies, insigniliantes en elles-mêmes, lui paraissent
receler une \ ertu magique.
D'jine manière générale, dans tous les états d'excitation. - —
orientée vers l'attente et la réalisation, — dans tous les états
<l émotion violente, avec attente et intention, la Magie est en
geiine. (liiez un sujet très normal, au cours d'un élat d'anxiété
assez prononcé, dans l'attente incertaine de l'événement libéra-
t<'ur. j'ai vu ap[)araitre le désir de considter les sorts, le désir
du pacte, rinvoealion, l'action de grâces après le succès et le
don de reconnaissance. Même de grands actifs et des esprits
très précis n'ont pas échap|)é à la superstition; on a signalé
souvent chez de très grands honnnes d'action, sous la croyance
à leur fortune, à leur génie, à leur étoile, les rudiments d'un
culte magi(pie. Dès <[u'on pense en termes de désir, et (ju'en
face (le son désir on met une force, l'idée <pi'il y a des moyens
poui- le désir d'atteiiulre, de contraindre, de forcer celte force,
jaillit de la vie même du désir, de sa (léj)ense alfective et motrice
cl de la connexion des mouvements ou des actes, pai' les([uels
n LA REMdlO.N KT LA lOl
il st'xpi'iiiu', avec le résultai visé ci ohtemi. On osl sur le che-
iiiiii (h' la Matrif. Do là le vù\c des vdiix. dos pactes dans la vie
de tant de ireiis : la jHopensjoii si iialiiiclle à supposer une l'ela-
tioii eiili-e te(|iie nous faisons ou pensons et Tordre deschoses :
la leiidauee à croire (pie notre conduite, outre ses conséquences
naturelles, en a d'auties qu'on ne [)eut mesurer. On voit, au
cours de srrands événements, beaucoup de gens enclins à croire
que de ItMir conduite dépend en partie, |)a!' une sorte de trans-
|)ort d'iniluence. ce (pii se passe loin d'eux (i). De là l'efForl
pour lixer parfois par d'étranges moyens la destinée qui déjoue
la condtn'te humaine et qui se laisse duper pourtant. ]ieaucoup
épiouveni en |)areil cas le sentiment de l'étrangeté, du mystère,
du caprice, mais ne se laissent pas aller à des prali(jues corres-
[)ondantes. retenus qu'ils sont par l'éducation et l'esprit critique.
Ainsi la superstition, même dans les esprits normaux, n'est
souvent retenue que parle contrôle de l'objectivité ; elleaflleure
souvent les couches suj)érieures de la vie mentale. Rien d'éton-
nant (pTiile s'épanouisse et chez les individus incultes et dans
certaiiLs états de (lésé(piilibre. On la rencontre volontiers dans
la psychasthénie, sous la forme de gestes et lies de défense, de
réparation, de tics et gestes symboliques, de manie des pactes,
des présag«'S. de la conjuration, de la réparation, de l'expia-
tion : dans les délires de persécution (2) et d'inter[)rétation, dans
certaines formes légères de démence, dans certaines formes
d'exaltation ou de dépression mentale. Elle apparaît quand avec
l'airaiblissement de res[)rit critique et l'excitation émotive se
rencontrent une certaine disposition à l'interprélalion exogène,
une certaine perméabilité du diai)hragme psychique, l'altéralion
l; Ghkon : Tvinoif^naf^e d'un coinerli, 128 ; « Ali 1 le luomcnl où se lait le
silence, où l'arlillerie se taisant, les vaillants sortent des tranchées et où le
l'eu (les niitraillenses ennemies nous rensei^jnera sur leur sort. On elatjue des
dents dans la nuit; on tend toutes ses forces d'amour, /tour les aider de loin
et attirer sur eux la protection de l'invisible. »
(2^ Exorcismes, conjurations verbales, lormulcs écrites, ou niiuiifpie spé-
ciale du persécuté.
I K (1 11 I f^O
di's scnlimcnls tlo lolalioii. la IriulaïKc à allci' cliciclicr an
dehors les raisons do ce qui se passe au dedans el à supposer
la répercussion au deliors de ce qui se passe au dedans.
CONSÉCRATION, SACREMENTS, SACRIFICE
La Magie construit des rites ei'lieaces : puissance du désir,
puissance de la nature, s'unissent sous le masque de la vertu
maii^ifiue pour former cette eflicace. La Ma2:ie opère sur une
force mi-spirituelle, mi-mécanique. Un Dieu impersonnel, sans
nom, sans histoire, immanent au monde, analogue à la fois aux
élans de ralfectivité humaine et à la vie mesurée des choses, diffus
dans une multitude innombrable d'objets, telle est la notion mi-
pralique. mi-spéculalive sur laquelle elle repose, notion (jui n'est
([ue l'objcclivation mentale d'une pratique d'abord enthousiaste
et exaspérée. Comme la substance métaphysique, cette réalité
religieuse initiale est au-dessous de toute forme déterminée :
Ame, Nature, Société.
Il semble bien que les êtres sacrés se soient formés de cette
matière sacrée par une sorte de condensation. Jusquà un cer-
tain point, toute divinité est une individualisation de cette
force religieuse, construite par des esprits eux-mêmes mieux
individualisés et qui se spiritualisent. Le rite tout-puissant dis-
pensait du Dieu. L'affaiblissement de la liaison du rite et de
son elfet suscite le Dieu, d'abord attaché au rite et gardien
encore de son exécution, puis indépendant et personne libre,
accessible seulement à des procédés plus juridiques et [)lus
moraux, contrats, arrangements sociaux, vœux, prières. Le Culte
se meut ainsi entre l'actioTi magique et la suggestion spiri-
tuelle, sans qu'une de ces deux formes soit jamais entièrement
vide de l'autre.
Le Culte s'adresse à tout le Sacré el tout le Sacré est ol)jet
de culte. Le Sacré est inévitablement Puissance (il n'est sacré
|("> I,A ltKl,U.U)N FT l.A VO\
«|iu' |)ai' sa i)uissaiice), cl celle ))iiissance iiu'vitablciiienl s(
|>ropai;e par les voies déjà signalées du eonlaet et de l'assiiiii-
lation. Les pratiques rituelles et les interdictions rituelles, le
culle, sous sa forme positive et négative, n'est pas autre
chose que la manipulation du Sacré.
Il utilise d'abord, et c'est le moyen le plus simple, le plus
nalurel, le contact avec ce (juil reconnaît d'emblée comme
sacré; tel est le cas de la communion totémique, sacrement
par lequel les membres du clan lolémi(|ue communient entre
eux et avec leur totem en mangeant ce dernier; consécration
directe dun groupe par les voies immédiates de l'eirusion du
sang et de la communion alimentaire ( à moins, bien entendu,
qu'il ne s'agisse ici, comme le pensent quelques-uns, de rites
de nudtiplication); ou au contraire il prohibe de tels contacts.
S'approcher du sacré bienfaisant, s'éloigner du sacré redou-
table, et des réalités matérielles oîi transparait sa vertu, c'est
une démarche à peu près aussi naturelle que la recherche d'un
appui ou la fuite d'un danger : sous cette réserve bien enlendu,
<pie peu à peu les simulacres expriment de moins en moins la
réalité primitive, et que la part de la convention, et des forces
qu'elle suppose et met en œuvre, grandit à mesure que la part
de la nature diminue.
Le Culte est d'abord lart d'exploiter le Sacré, peut-être
après l'avoir construit; il est ensuite l'art de construire, à partir
de ce Sacré préalable, les intermédiaires nécessaires à l'entrée '
en relations avec lui, dans le cas où le contact immédiat est
impossible ou ne suffit pas. Ceci est la consécration, ou l'art de
conslruirc du sacré, pour en réaliser et en assurer les effets.
C'est naturellement du Sacré que l'on part et les sacrements,
qui ont pour iin la collation de la grâce par des moyens maté-
riels, ont pour origine les propriétés naturelles ou les dons
gracieux des êtres sacrés; de même les rites conséeratoires de
moindre envergure, lustrations, purifications, etc., qui visent
uniquement à permettre d'approcher le Sacré.
LR CUI-TF. ^^n
Tel fsl lo sacrilicc «iiii paiail dahlir la commiinicalioii ciilro
!«' sacrt" et le prolaiic pai' I inli rinédiaire dune viclimc, cCsI-à-
dii-e d'une cliose natiirelleiiient sacrée ou artilicielh'nKMil ton-
sacrée, déiruitc au cours de la cérémonie. La deslriiclion, le
meurtre laissenl après eux une matière sacrée et c'est elle qui
sert à développer les effets utiles du saeritice, aspersion, attou-
< licmcnl, application de la dépouille, moyens d'établir un
contact (jue la communion alimentaire peut ensuite porter au
plus liaul point (i).
Mais le Sacrilice semble bien être oblation, allribulion à des
êtres sacrés. Ne suppose-t-il pas des êtres sacrés, des esprits
<livins et la praticpie du don rituel? Le fidèle, comme on l'a
<lil. donne aux êtres sacrés un peu de ce qu'il reçoit d'eux, et
il rt'voit d'eux lonl ce (pi'il leur donne. L elticace niau:i(jue,
iOpiis operaluin et le commerce spirituel sont étroitement
mêlés dès les formes j2:rossières du sacrifice. Le sacrifice est
mairie, par l'action coercitive (pi'il prétend exercer sur les
esprits, cuite par la conciliation (ju'il leur propose. Il est ce
<pie sont les êtres auxquels il s'adresse, c'est-à-dire les sociétés
<pii le pratiquent. Il est la traduction pratique d'un c'-tat <1 esprlL
La vertu mystique de l'oblation a deux formes extrêmes;
conirainle maiirique iVun dieu asservi, don de soi à un dieu
libre.
La prétention de contraindre s'évanouit à mesure (pie croit
la liberté divine; ou, si le Dieu se laisse contraindre, c'est
d'abord (ju'il a bien voulu. Dans les reli^^ions sup('iieures. b's
sacrements reposent sur l'institution divine; magie divinement
it'vélée. qui sauvep;arde à la fois et l'efficace ma|i:i<pie et la
libcrl»' de la ,i?ràce divine : (pii ranime la croyance amoitie à
1 efficace mau:i([ue, à l'aide de la croyance, fraîche ("l vip:oureuse
à la jîiàce divine; faisant b(''n<''ficier encore le (idèle de tout ce
n Nims ne poinons que rnn oycr .tux savanlcs cl prot'oiidos l'-tudes
de HriiKHT et Mai'ss . .V/c'/aHfT.s d'Iiistoirc des nlig-ions.
4N LA UKI.IC.ION KT LA lOl
(|n il y a (rassure dans un rite t'()nliaiu:Manl. Ainsi dans le callio-
licisin»'. la ooiisôcralion de llioslio n'a lieu (|uc par la volonté
du (-lirist (|ui a insliiué lo sacronionl. La Coiinulc do la consô-
cralion n'a d'cflicacitô (luo |)ar colle volonlô, o'osl-à-dire par la
s^ràco i\v Dion. Mais à partir do octto institution, la formule de
la conséoration est otTieaco par ollc-inônie. soit (pi on attribue
celte oflîcacitt' à une prière, coninio fait ri*]u:liso orthodoxe, soil
cpion rattril)UO à la seule n'-pélition de la parole du (Ihrist,
insliluant rEucliaristie, eoniine fail 1 I\u:lise romaine.
Knfin l'éiémenl spiiiluol du sacrifice et des rites peut se
développer à tel point qu'ils ue sont plus qu'une forme eflicace
de la prii're : ([u'ils plaisent aux dieux à raison dos sentiments
<pii les inspirent (i) ; commerce sentimental entre le Dieu et
ses fidèles, amitié et amour, scelh's et supportés par des
liy^ures: jus([u'au moment oîi toute liuure s'évanouit dans ua
culte tout spirituel.
Ainsi, à travers les transformations de la religion, apparaît
constamment ce second motif du culte, avec lequel nous sommes
aux prises; l'Ohjectivation de la foi, le Réalisme de la foi. Elle
s exprime en un symbole matériel, elle se repose sur un sym^
bole matériel, de son intention, de son attente, de sa réalisa-
tion. Matière, Geste, Formule, qu'elle chacge d'effieaee et don!
elle absorbe l'efficace.
*
*
Le Sacrement, à son plein développemeni, suppose les
notions suivantes :
i) Ue là vient, coiniiic l'a très bien nionlrû Loisy {Sacrifice, 5i), que lea
conilitions .spéciales, qui avaient été réclamées d'abord par l'objet propre de
l'action niaj,'ique, safFaiblissant, les rituels tendent à s'unifier, à se condenser
en cérémonies complexes, qui peuvent s'appliquer à toutes les lins auxquelles
répondaient d'abord des rites spéciaux. C'est ainsi que la Messe catliolique
s'applique à toutes les intentions.
l.E CULTE ,9
I " l'iic nialièro ou sij^nc, <■ un élc'niciil coriioicl ou uiiilciicl
|)ioi)().s('' ('\h''iit'ui'('(ui'ul aux sens « (i).
•2" l lie Ibruu', ou l'oiiuulc verbale, <|ui conlV-i'c sa sip^iiificalion
à ifltc uiatit'ic; cCsl ainsi (juc. suixaul la rcnuuciuc de sainl
Aui,^uslin {Tract. <S<), in Joan. n. 3). dans le l)aptrni(', la uiatit'i'c
seule (lu saerenient. l'eau, ne seiail pas un sijjne sul'lisamnienl
expressif, s'il ne s'y ajoiilait une formule, (^est ainsi, (pie le
sacieuieni devieul |>ar()le visiMe. formule visihie : Accedit
\'erbuni ad eleiuentum cl fit sacranientain, etiaiii Ipsum lanquam
i>erbum \'i.siinle (ibid). Les paroles donnenl à l'aetion sa pleine
sif^nilicalion, par exeinj)le au fait de verser de l'eau sur la lèle,
le sens de la puiilicalioii dw péehé.
Ainsi une matière préeisée et délinie par une Ibiinule;
un sifi:ne au(iuel la parole allaelie une sii^niifiealion explicite.
II y a i\n reste entre la matière et la forme une compalihilité
naturelle, puiscjue toutes deux représentent, l'une par des paroles,
iatitre par un sii>:ne matériel une certaine u^ràee invisible et
spirituelle, (jid est l'àme de toutes deux. La parole, la formule,
e\[)rinu' de la façon la plus précise, la plus explicite, la siii;nifica-
tion par similitude (rx siniilLiiidine rcpra'scntans); |)ar exemple
l'eau du l>ai)tème, l'onction de la conlirmalion ou de rextréme
onction r«'présenlant la purification et le contact avec la force
sacrée: de même 1 atloucliement des vases sacrés lors de la
collalion de l'Ordre, 1 imposition ties mains, dans la conliiina-
lioii cl dans 1 ( )r(lre. représente la collation des pouvoirs : le pain
ri le vin dans l'iùicliaristie l'cprésenteiit la nouiiiture s[)iri-
liielle : les actes du jM-iiilent, contrition, confession, satisfaction,
le conscnlenu'nt mutuel au mariau^e sont une matière plus
spirituelle encore, (bss états de l'impénétrant. <piel«pie cliose
comme un vou du sacrement ; il n'y a |)lus ici. à propi<'ment
pailei'. de matièic (pii r<'[)r«''sente par similitude ('i).
•i\ Hct;uKs m; S vi.m -\'i» .roii. l)e Sacrniiwnlis cltristiaiui- fidri. l. \>. i\, o. 2.
la) I.e(Joiuilt*d»'Trciilc,S«'S.s. i4:cap. 3, parle ici lie (/iKisinialt'iiii. I)ans la<on
fcssion, la inalièrcseiisiiile, c'est l'aveu, on plutôt l'acte pliysiiiuc de la confession.
LA HKLUIION I:T LA I C)I
3" Ino cllicaro. Ia' sacroinoiil opôre cola môme (iiiil rcprr-
seiile: F.f ficit quod /ti>iiraf : il contienl et conlèie une giàco
invisible el spiriluelle. D'oii la rorimilo si hn'vo et si expressive
d'Occam : Sacranicntum est siitrinm i>ra(i(V slgnl/îcans ef
efjkax (Sont. 1\. qu. i) (i).
D'mie manière a:énéralc le sacrement apporte ou augmente
dans l'àmc la ij^ràce sanclilianle ; et de plus ehacpie sacrement
confère à l'àine des grâces spéciales en vue de fins spéciales ;
elKupie sacrement a sou action paiticulière, celle-là même qui
lait l'objet de son institution, qu'il représente par sa
matière et qu'il énonce par sa forme. C'est cette fragmen-
tation (le la (iràce (lui a abouti à la doctrine des sept
sacrements, consacrant les priucipaux moments de la vie
profane et marquant par conséquent les étapes décisives de la
vie spirituelle.
Les premières listes ont eu un i.*aractère arbitraire; tout
élément sensible était sacrement et mystère dès qu'il était sym-
bole et siq>port du divin : c'est peu à peu que de cette masse
indéterminée de i)rati(pies sacrées, est sortie la doctrine des
sept sacrements.
Cette action s'acconqdit, conmie on dit, ex opère operato,
c'esl-à-dirc j)ar efficace intrinsèque, indépendamment des
bonnes dispositions du fidèle: il suffit qu'il n'y mette point
formellement obstacle (2).
Le sacrement agit de plus ex opère opérante, c'est-à-dire
en vertu des bonnes dispositions du fidèle (3).
(I Duclrine très ancienne dans l'Éj^lise; synode dOiange (329), Oplaliis de
Milèvc 384,.
2; Nous avons cite plus liant les déiinitions très claires de Duns Scol et
de Gabriel lîiel. Voici celle de Hkllahmin : A'.v »/ ipaiits artionia sacramentalis
a Deo ad hoc insti(utn\ non ex mérita agcntiii vel suscipiciitis.
'3) (labriel Bifl, in lib. 11, dist. i, qu. J : Ex opère opérante vcro dicnnlur
sacramentu conferre graliani per inodum nieriti, quod scilicel sacranienluni forts
exhibifani non safficit ad graliw collulionem, sed ultra hoc reqiiiritur Iwnus
motus vel devolio interîor in suscipiente. secundum cujus intentionem con/ertur
gratta
LK «;ui/n: oi
f riiiliii {' O/ms f>/)('r(intis se coiiloiid, «laiis le cas du sacie-
iiH'iit avoc ['O/ms opcradim (i). Piiis(|uc c'est Dion (jui opèic la
\cilii (lu saci'cincnl. celte veilu est conforme à la puissance de
1 )ieu : c Csl la |)i;issaiiee mk-iuc de Dieu (|ui se; dépose sur- la
uiaticie saciamentelle ; un sacrement c'est de la Grâce solidifiée,
qui se dissont à l'inti'iieur du fidèle (2). L'action matérielle du
sactement découle de l'ahsolue puissance; (pii le l'onde ('3).
L'eriicacedu sacrement vient de Dieu lui-uu'ine. par rinstilulion
«le Jésus-i'.lirist (4).
Sur le rapport de la grâce et du signe sensible dans les
sacrements, les théologiens sont inévitablement partagés. Il y
a l'interprétation occasionaliste et spiritualiste de saint Bona-
\ enture : les sacrements ne contiennent pas substantiellement
la grâce ; ils ne la produisent pas physicpiement, car c'est dans
lame seule qu'elle vit et par Dieu seul (pi'elle est infuse. Il y
Il l/exijpossion O/h/s o/ieratnin se U'ouve déjù chez saint Honavciiliire.
la) (yt'st i.n torinule il'Irenée çiojixxov àOavacrîa;. IIiGij:s dk Saim -\'h;t(>u
dil avco précision : iJi'iis medicus, homo cpgrotus, sacerdos ministei-, gralin
tuiUduliini, ^'as sacrainenliiin.
i'^ HossiFT a Iri's bien nKjnlic coinnienl l'aclion niateiielle <IfS sacrcmmls
exprime lenr essence spirituelle, la toute-puissance de la (Iràce : « Hue si
l'on olijecte que, parmi nous, le sacrement a encore la même ellicace dans
les ailnlles que le liaptème dans les enfants) et y opère ex opère niierato, il
est aise de c()m[»rendre (|ue ce ncsl pas pour exclure en eux les bonnes dispo-
sitions nêcessaiies, mais seulement pour l'aire voir que ce ([ue Dieu opère en
nous iors<[u"il nous sanctilie par le sacrement, est au-dessus de tous nos
mérites, de loutes nos (euvres, de toutes nos dispositions précédentes; en un
niitl, un pur ell'et de sa «fràce et du mérite infini de .lésus-Clirist. ■> Variations
ni,yi. Il y a «lu reste «-ntre les sacrements et la justification le même rai)port
(ju'eulre la liberté et la f^-ràee. La jfràcc précède l'activité huuiainc ; puis ces
deux piiissanees, r[uand la dernière ne résiste pas. opèrent de concert le
même (nn r.Tf^e. Dans le cas où l'opérant n'est pas Dieu même, l'objet consacré
ne produit p;is son ell'et e.v o/terr openito: c'est la dillérence entre les Saere-^
mcnts et les Saerameulaux ou béné-diclions. Les sacramentaux, eau bénit»-,
etc., sont eonsarrés ou bénits p.ir ri';;rlise ; ils {i;;issent seulement c,v opère
opernniis. per niodtiin im/ielralioiiis l:crlesi(r c'est-à-dire que par le l'ait de leur
consécration ou bénédielit>n, ils amènent Dieu à pioduire des elfets spirituels
en ceux (jui se servent d'ejix, sans produire pliysiqucmcnt leur ell'et. (Voir
Dictionnaire de thvolo<(ie cntliolit/ue. Il, (HS.)
4 l.'o/ms (iperalain soulève la c|ucslion de savoir si l'eflicace des
sacrements tient à la seule force des rites, ou, an contraire, à leur eollation
par llljrlise. lloi-s de l'ilfflise, pas de sacrements, disait saint C.yiirien. .V
Ronie, au contraire, ou tenait que hors l'I^j^lise. <in peut administrer le
l>aptènie, [larec que la <;ràce du baptême lient au rite selon lequel on
02 I.A RELIGION KT LA l"Ol
a riiiU'rprrlation rralislc de Hugues de Sainl-N'iclor, et bien des
alliludes intenuédiaires. (Vest iiii des nombreux terrains où
s'airrontent l'idéalisme et le réalisme reliiîieux.
N'oilà l'ample doetrine qui s'est déveloj)pée de la doctrine
à peu j)rès universelle dans l'ancienne église, que le « -vio^a »
se dépose sur les « jÀa. « et leur confère un nouveau caractère.
On arrive avec saint Thomas à voir dans tout sacrement les
trois choses que Huji^ues de Saint-Victor dislingue dans l'Ku-
eliaristie : le sacrement seul, les espèces sensibles, le vin et
le pain : la « res lantum » du sacrement, l'union mystique avec
le Christ ; le <- sacramentum êtres saeramenti », le corps et le
sang du Christ.
Kn un sens, cette doctrine a son achèvement dans la théorie
catholicjue de l'Eucharistie. La présence réelle est la forme
extrême de l'idée sacramentelle, puisqu'elle signifie Jésus-Christ,
homme et dieu présent sous les espèces sensibles du sacre-
ment, et non [)liis seulement la Grâce divine présente dans un
signe, pnis(ju elle signilie la transformation du signe en la chose
signifiée (transsubstantiation) (i). Jésus-Christ est . vraiment,
réellement, substantiellementprésentdansl'Eucharistile. Comme
le faisait remarquer Malebranche, les autres sacrements lépan-
1 arliiiinislre. lJ';iiilr<' pail, IKj^lisr piidlaiiic. r(»iilie ll■^> tlimalibU-.. ijiic li-s
<|iialité.s personnelles tlii niinistrr, qui confère les sacrements, sont cliose
imiiirérenle ; c'esl la Ibriunlc d'Optatus : Kcclesia iina est, cuJks siiiiclUds de
sarrarnentLs colligUur, non de siiperbia personaruin colliffitur. ^'oir 1Iahn.\<;k,
J'ri-iis 'traduction p. 253.; Cf. li.\Tiii oi,. l'E<{lise naissante et le colliolùimne
4r", Ernsl, Die Ketzertaii/aniçelef^enlieif in der allchristliclien Kirelie nacï
dyprian, I9«>t.
I La transsubstantialioM. substitution invisible des essences, produit tar
<lif de la rédexion sccjla-^tifjue, sed'orçant d'exprimer- avec une rigueur absO'
lue. l'identité mystique fhi pain <l du vin avec le corps et le sang.
(li'nt la m'àcc, mais ils n vn coiiticinicnt pas le priiu-ipc cl l'aii-
k'ur; tic plus, ils ne tlonneiil oïdiiiaiionu'iit aux cliirlicns que
ce ipii U'uv l'sl lU'Ct'ssaire [)our conserver leur cpialilr : laudis
(pic les jusles rcvoiveut dans l'Eucharistie toute la forée et
toute la perfection dont ils sont eapal)les (i). L'Eu^lise la con-
sidère connue le mystère qui repose immcdialemenl sur l'incar-
nation et (pii contient le secret de la déification. Par la com-
munion, le fidèle contracte union intime avec son Dieu.
Mais rKucliaristie n'est point seulement sacrement, elle
est aussi sacrifice, c'est-à-dire deslruclion, par adoration,
d'une \iclime otrerte, et comme sacrifice elle est la cause de
toutes les grâces (jui sont données aux hommes. I^lle applique
indéfiniment aux lidèles le bienfait du sacrifice de la croix.
L'efficace de ce sacrifice a nalurellement été comprise de façon
diverse selon les temi)s: purilicalion de l'humanité par expul-
sion du péché, transfert sur la victime, substitution : valeur
satisfactoire de la mort volontairement acceptée. La théologie
chrétienne devait creuser ces thèmes, puisqu'elle a fait du
crucifiement de Jésus, un sacrifice.
Dans la doctrine et dans la praticpie catholi([ue des sacre-
ments, le spiritualisme le plus élevé se rencontre avec le maté
rialisme le plus précis. Force objective des rites, caractère
sacré des esi)èces sensibles, d'une part; élan de rame qui. dans
sa hâte vers le divin, s'arrête à peine à la sensibilité, d'autre
l)art (q). On sait comment se sont développées séparément ces
deux tendances, dans la théologie, dans le clergé, dans la
( I M alkhhancuk. Mt-diladons (•lir<''tii'nrics, xvii.
2 Mniii.i;!», S\inholi<iiii\ m, 3;',. Coiiimciit le fidilo calholitiue ne voit-il
sur les autels ni pain ni vin? Absorbé tlaiis la ('onteni|>lation du mystère, il
se dérobe aux iuipressious extérieures. (Jue sa loi cède un moment, il aper-
.) I 1. V l{i:i.I(.IO\ KT LA I OI
«Icvolion, cl roniinciil I l"i,^lisc sCsl loiijour.s t'iroicôo cl en réaliser
riiarinonic.
Los discussions sur la validilt" de la uiatière sacramenlelle,
la ciiiniic ôlranp:e que certains eanonistes conslruisenl à propos
du pain et du vin (i); les hypothèses sur la durée de la pré-
sence réelle (2) sont, entre heaucoup d'autres, une marque de
la première tendance, alors même qu'elle reste raisonnable et
subordonnée. Lorsqu'elle s'alFranchit tout à fait, on arrive au
littéralisme d'un Folmar de Trielelstein (3), à l'ultra-réalisme
d un Ilcribald d Au\erre (/{), atix questions invraiseml)lal)les
(jue se posent gravement des clercs ou des laïciues à l'esprit
biscornu (5).
La matière dii Sacrement a été elle aussi, à bien des
reprises, et est encore l'objet de dévotions exaja^érées. Le mot
didolàtrie a été souvent prononcé et pas toujours' par des
incroyants. Enfin les sacrements ont souvent ouvert la porte à
lirruption abusive des objets sacrés. Les reliques, les jugements
de Dieu, les miracles, les images ont toujours témoigné du
désir toujours latent, et parfois aigu dans la chrétienté, de vivre
dans un monde de prodiges, de goûter le sacré par tous les
sens, de recevoir de la divinité des secours magiques, d'avoir
des gages tangibles du salut. Le divin et le saint, descendu
cevra los cléiiiculs tcrrcsties. Cf. ^ i.h.xon Li.i:, Les nicnsongcs iikiiix. i~'i.
<■ L'cmotioii ri l'action sii))[)riin<-iit dans l'esiirit tout ce qui ne les eoneernc
pws direelcnient; tontes les contradictions extérieures à leur s[)hère perdent
leur ini[iorlan<-e. (,)uand un catlioli([ue pense à l'Eueliaristie, il cesse de main-
tenir si'parees lune di' l'autre les notions de pain et de vin, d'une i)art, de
chair et de sang, de l'anlre, chacune a\ee sou ascendance, sa descendance et
ses collatéiaux conduisant l'esprit dan/i «les directions opposées: il cesse
liareilleraent de tenir l'idéi- de Dieu isolée de l'idée de l'homme, celle d'au-
trefois de celle d'à présent; il laisse toinhei- les 9/10 «le la signification de
ces ditre'renls mois et laisse évanouir toutes leurs inconipalibilités. »
I \'oir sur ces questions 1*. CrAspAnni, 7'raclatus conoiiicus de s(inct.is>iiiiui
eticharislia, Paris. i8<)7.
2) Diclioimaire de théologie cn(lioU(/ue, Eucharistie, l'iô'i.
a Dictionnaire de tlo'Ologie ralfiolii/iie. Eucharistie, iu-2.
'4 Jhid.. i'2'jit.
à) La question du rat rongeant l'hostie après la consécralion, il'id.
I.K CLLTK
dans le imoikIc par I iiicai'iiaUon, se sonl Jiinsi t-irr dans I Miçlisc
un syslôiiu' tl objols iiiuloricls Iranscondanls, ollVits au culte
des fidèles. C'est être superstitieux, disait Pascal, cpie de meltre
son assurance dans les fornialilés.
D'autre part, certaines ànies sont froissées de la dispiopor-
lion entre l'esprit et la matière, le sens et le symbole. La
matière peut nuire à la chose du Sacrement. Je pourrais citer le
cas d'un enlant dont la ferveur avait été déçue par la vue de
l'hostie, lors de sa première communion. Sa foi était très vive,
sa |)ré|)aration avait été parfaite, mais il éprouva un heurt très
vif lorsque le prêtre, au cours d'une le(.'on de catéchisme,
mt)nlra une hostie à ses élèves, et encore qu'il ait fait sa
|>i'emière communion avec ardeur et qu'il ait persisté quelque
temps encore dans ses sentiments reliî?ieux, jamais il n'arriva
à mettre pleinement d'accord la vue de l'hostie et les émotions
relifirieuses que lui donnait la pensée de l'Eucharistie.
C'est à peu près l'impression que décrit Iluysmans : « Il
s'étoîîna de n'avoir pas ressenti mi transport inconnu de joie ;
puis il s'attarda sur un souvenir f?ènant, sur tout le côté trop
humain de la déglutition d'un Dieu... Ah! c'était encore trop
matériel ! Il neùt fallu qu'un lluide, (ju'im feu. cpi'iin parfum,
(jn'un souffle ! (i) »
Sac fin lien fa non iinp{entur diint //iinf, sc(/ tliun irrdunlur.
Voilà avec Luther la protestation du spiritualisme reli-
gieux. Ou encore avec Calvin : « Pensons d'abord <[ue le sacre-
ment est (juchpie chose de spirituel... (hi'il nous suffise de
lObtenir spirituellement... Insensé qui demandes à la puissance
de Dieu qu'il fasse tout ensend>le le pain être et n'être pas la
chair... Crie si tu le veux, cela est le corps et le sanir. moi je
I Kn route : l'ni^^cs idlholii/itcs, i~'i.
5*> I.A HKI.KlION KT LA lOl
le soutiendrai ({110 c'est le leslaiiu'iil dans le corps et le
sanc: (i)- " Ou encore, avec Zwinu-le : « Aifnl allud qiiain
:\'angcliiun et c/vttcrc... < '.aro non pindcxt <juu(jnani [1). » Kt
pourtant , l'exemple même des Réformateurs montre (pielle
diriicidlé l'esprit reliirieux rencontre à se passer du silène el'li-
cace. N'y a-t-il pas un reste d'opus operalnni dans le l)a[)lènîc
des enfants, tel que le conçoit Luther (3)? Kt sa doctrine de la
Cène, à défaut de la transsubstantiation, comporte la consub-
slanliation et ridenlilication du |)ain et du corps iflorieux ; elle
a soulevé les proti'stations de Calvin; cl si Calvin lui-même
rejette la présence réelle comme un abaissement indigne du
Christ glorilié, un élal incompatible avec la nature d'un vrai
corps humain, il admet une certaine présence ineffable du
Christ, une présence par puissance et par vertu : ce n'est point
par imagination ou pensée (|ue le lidèle reçoit son Dieu, mais h
substance lui en est véritablement donnée (4).
Au terme de la régression, le Sacrement redevient un signe
d'agrégation à l'Kglise, un acte symboli(jue de commémoration,
une confession de Foi selon des formes traditionnelles (5).
Mais il a souvent (|uelque peine à ne point retenir, pour ses
signes sensibles, quelque chose de la grâce de foi qu'il est
appelé à susciter (()).
I opéra, I, 12^.
(2 III, 24s.
3 LooFS, Dogmcngesvhichte, "i^ô.
(4 Insl. IV, c. 17, II. ly. Cf. LoisY, Le Sacrifice, p. 619. « Même les coiniuu-
iiaiih^s issues de la Réforme, par riuij)ortance qu'elles continuent d'attat-hcr
â la Cène, par la signification qu'elles lui prêtent, et tout en protestant (]up
la Cène n'est pas un sacrilice, même en niant la présence substantielle du
Christ, ne laissent pas d'attrihucr à la Cène une vertu, et elles n'ont réussi
qu'à en faire un sacrilice décoloré. Tant (jue l'on opère avec les notions de
péché et d expiation, de régénération niystiquc et de vie éternelle, comme
avec lies réalités. Ion reste dans la ligne d'év(dulion de l'action sacrée, sur
le terrain où a régné, où règne encore le sacritice. »
.") ZwiNGLE.
6) Voir, par exemple, sur ce point, l'embarras de l'Ajjologic : liitiis,
tjtii habent mandntarn iJei, et '{uibus esl addiUi prornissio graliae. Ap. 200, i.
Solae /)rt/fi'ssionis inler hominrs... scd mafris signa et teslimonia voluntalis dei
erga nos .. C'icrernonin est ijuisi pictiirn i'erl>i seu sigillnm. :i(»7, 70.
L 1 juliarislic a-l-clK' (''li'" dahord sciilcnu'iil comiiH-moialioii
<lu (k'inici' repas du Mailic? (iello (locU-inc, chère à la eriliiiue
proleslaiile, peiniel au protestantisme (h; se retrouver aux
orifîiiK's. Mais sainl I*aul |)r('n(l les loiiiuiles eueliaiisli(pies au
sens l'éalisle. 1^1 dès lôo. sans aucun doule, l'Kuchaiistie n Csl
plus (pi'un simulacre de repas. Klle est organisée comme rite et
dans sa relation avec la mort du Christ (i). Par quel travail
interne, sous ([uelles iniluenees, juive (2), })aïenne, s'est formée
et développée la doctrine eucharistique? Cette question (lé()asse
notre sujet et notre compétence ("jy.
( )n ne peut nier ni rextrème ri'é([uence. ni la grande im[)or-
tauce du motif ([ue nous venons d'analyser. Le « réalisme », le
besoin de réaliser le sacré, de le fixer ou de le traiter comme
fixé en des objets matériels, abonde dans toutes les formes de
religion et à tous les moments de l'histoire religieuse. Peut-être
n'est-il d'abord que l'impossibilité de ipenser l'un sans l'autre,
le sacré sans les forces ou les objets matériels qui le supportent
el le véhiculent. Comme tel, il est un trait nécessaire des
religions « primitives » et il persiste ou reparait avec l'état
d'esprit dont il est la suite. Peut-être, a[)rès tout, nous l'avons
I ("lOdii:!., L'Kiichurislie, Kjut.
1 HoissET, Hcliffion des Jn<lenllnims. 17;).
<i Lnisv. Les /iremicres années du clirLstianisine Itev. d'hist. des rrliifions',
iij-20, 177, attrilxir iiii }j;faii(l rote à la ooininiiiiiiiilé d'Antioclie : « C'est là qm-
la C.viiv cucliarisliciiic, an lien dèlri" iiiii(|u<-iiiciit pleiiu- de son souvenir cl
comme nn avant-};(nil de son avènement, int ressentie à l'instar des repas de
saerilice, eoninie un acte de eommunion actuelle avec sa sul>Iime i>ersonna-
lilé. (Ida se faisait par la force des choses, parce que les païens, pi^'ués à
t'esp('ranee (|ui s'attachait au nom de Jésus, ne pouvaient la s«'nlir relij,'icu-
seuïent que selon des eatéi^ories \crs lesquelles s'orienlail déjà la pensée de
leurs maîtres juifs. •>
r>S I.A HKI.KIION r.T l.A KOI
VU, n'('st-c'c là (|ue celle loi psyclioloifiquo (iiii allaehc la pensée
à ses images, soutenue par eelle aut.ie loi (jui altaehe le senli-
nient à ses niouvenienls d'expression.
Mais l'inlensité du réalisme varie sinii:ulièremciit. Les reli-
ifions et la relitrion dans son ensemble, malij:ié 1<'S oscillations
(jui sont de rèi^le. senddenl hien ('voluer du malérialisnie au
spiritualisme, (l'un rilualisme coercilit" à des relations plus
humaines. L'histoire de la communauté religieuse se rellèlc
dans ces institutions.
Certaines religions s'incorporent cette doctrine et ces
pratiques, auxquelles leur tendance primitive semblait opposée.
Il est bien probable que le chi'islianisme primitif, malgré toutes
les vertus (qu'une partie du judaïsme contemporain attribuait au
sacrifice, a été. chez ses premiers fondateurs, à j)eu près
étranger aux institutions rituelles qu'il s'est assez vite données.
Mais il demeurait enveloppé dans le culte judaïque, et à mesure
qu'il s'en aflranchissait, c'était pour tomber dans le cercle
d'idées et de pratiques des « Mystères païens ».
Comme il est de règle, une théologie se l'orme autour d(!
telles croyances et de telles pratiques, et leur Iburnissant des
raisons, elle leur lournit une raison de durer, contre d'autres
théologies.
Hien entendu, un fidèle indiflerent ou à peu près
et qui pratique, et même beaucoup de pratiquants d'un
niveau inférieur, se contentent de l'autorité et de la tra-
dition pour croire conmie on croit, agir comme on agit
et croire de l'action rituelle ce qu'on en croit. Mais les
fervents et les passionnés retrouvent en eux-mêmes quel-
que chose des forces initiales qui ont établi les rites et
quelque besoin de posséder l'objet de leur foi en une réalité
qui la fixe et qui l'assure; ils vont, pour ainsi dire, au-devant
de ce qu'on leur demande et retrouvent aisément dans le
culte, i)iatière, geste et formule, la réalisation de leur attente
secrète.
m: cii.TE 09
LE RITE ORAL
Le rilo manuel est doublé du rile oral. Non ({u ils se pré-
-. illent cnsenil)le toujours. Par exemple, on peut presque dire
'|iic le rite manuel prédomine dans le rituel du temple, dans le
iitiu'l lévilique, alors que ce sera le contraire pour la Syna-
-ue. Mais beaucoup de rites manuels sont une sorte de lan-
-<' par jîestes; comme l'a bien dit M. Mauss, toutes les dra-
iiirgies religieuses qui ont pour but de reproduire les hauts
is des dieux, leurs luttes contre les démons, sont des pra-
iH|ues équivalentes aux chants priés qui racontent aux dieux
It iir propre histoire et les incitent à renouveler leurs
' \ploits (i). Le rite se joue dans une atmosphère dintellec-
iiialité. La prière est à fin d'action (2).
Beaucoup de rites manuels sont accompagnés de prières
iu(hratives, d'un perpétuel commentaire mythique (3). La
loiinuh' détermine le sens du geste. Le rite manuel peut être
i« nipiacé par un simulacre, une prière ou même une simple
mention verbale. Le rile oral j>eut se développer au-dessus
lu rite manuel, tout <'n lui restant attaché : il l'envahit et le
iiph'le : invitation des (Ueux. description des (jualités de
Mtlime, définition des résultats que l on attend : les Vedas
-oui des recueils d'hymnes et de formules du sacrifice. Enfin,
la prière [)eut constituer à elle seule tout le culte, et même
- iillranchir. par sa libre elFusion, de tout mécanisme rituel:
nli-etien intime oii l'on se risque à raconter tout ce <pii |)asse
l>ai la tête, ou ferveur ardente (]ui se [)asse de mots.
ij M.\tss, Li l'riire, 79.
i2) M»*'iiie aux stailes élevés «le tli'velo|i|M'mtiit, ce caraclèic [louira ^c
iinintenir. Voir Buor, la Cornpaifnif de Jésus, ilievue </e l'hiUisofiltie itfi'j La
kie jésiiili«|Uf \<miI une prière siin|)le, courte; ilireilion vers Dieu eu toutes
■lioses. (|ui s'allie avec les exif^euces rie l'aetiou. La prière. e"est presrpie
lacliou toute seule, avec- la ilireeliou d'iuteutiou. 11i.an<:o éerivait au P. Barséi ;
' Si l'on diriffe tout daus le sens de Dieu, tout est piière, >
('Il MoRKT, h' liilwl (lu cultf dU'in journalier.
i.A lîi: i.HiioN i:t i.a loi
C/oiil ainsi (iiic la parole s'ajoulo à rack' ou le rcniplacej
(ians la vie Iminaine. L'ciiranl raconte el décril, en menu
temps (pi'il airil. dessin ou jeu : non j)oinl tout du long sans
doute, nuiis par exclamations el lètes de chapitres : il décrit
el il supplée. La parole intérieure de l'homme lui dit ce (pi'il
fait cl pour(|uoi; el souvent elle est commentaire pereeptiMe.
Aux moments d'excitation vi\('. la j)arole part, acconipagnant
la décharge de l'émotion; automaticpienu'ut ou par luxe, par
besoin de se représenter, de se peindre ce ([ue l'on fait, et
pour en redoubler l'eiret, et pour l'imposer à autrui par cette
suggestion puissante. Le silence passionné de certaines pas-
sions nous dit assez, par la crainte de la parole, la puissance
excitante (jue l'homme reconnaît à son langage. Enfin, le dis-
cours, intérieur ou extérieur, s'aliVanchit et se joue pour lui-
même. * '
Le principe et le début de la prière, c'est la puissance
réalisti; de la liguration rituelle et ici l'efficacité du mot : c'est
la force magi(jue de l'incantation. De l'incantation à l'invo-
cation, a dit Marrett, du charme à la prière. Le mot est pro-
jectile verbal. L'incantation agit d'elle-même; c'est le sort
prononcé, qui, directement, s'attache à la chose ensorcelée.
Surtout quand le mot est un nom; qui sait leur nom, et sur-
tout leur nom secret, tient les dieux. Ceci est un cas particulier
de l'efficacité magique : un cas particulièrement clair, puisqu
le langage est un puissant moyen de l'homme sur l'homme e
de l'homme sur lui-même. I']n même temps, le passage y es
j)artieulièrement clair, de l'efficace objective et contraignante à^
la sollicitation cl à la supplication.
De rite mécanique, matériel cl précis, de formule contrai-
gnante, elle devient alliliide d'Ame, pensée et effusion; et ell
I.K CULTE <>I
iiisi.nU' aux dieux ([uClle inv()(|ue, au conis île sou <1(\»'1(>|)-
pi'Uicul, les uuMUOs lal'IiucuK'Uls alltMlils ([ui se (léveloppout
cIkv. le sujet (pii plie, (l'esl aiusi <pie, visant d'abord à teuii- les
(lieux eu sei'vat^e, ou à les lier pai- un coulrat, elle j)rie pour
solliciter un dieu lavorable. pour- se confiera un dieu hou, [)uis
pour se perdre eu un dieu oîi elle retrouve son cllasion et qui
est elle-même. Rituel rigoureux d'abord, elle devient liynme
mytliit[ue, nu)ral, reli,!J:ieux. prière mentale, coneenlratiou
uiyslicpie supérieure aux rites, anéantissement de la eonseienee
individuelle au sein du Dieu absolu. Ivj^oïste et d'abord simple
e\itj:enee des désirs matériels : <■ ()ue ma volonté soit faite! •)
elle devient un jour « Que ta volonté soit faite et non la
mienne » (i). Et même, à son terme, il ne s'agit plus de
volonté ni de somuission ; tout est amoui- et commerce
d auioui-.
Ainsi la prière se spiritualise et elle s'individualise; elle
va du rite collectif et obligatoire (2) à la libre conversation
de 1 homme avec son dieu et uu-me au silence sacré de l'homme
en présence de son Dieu : de la prière liturgique à la prière
luystitpie (3). Mais ces formes supérieures sont l'expression
(1 une foi (pii dépasse de beaucoup, par sa complexité, celle;
<pie nous sommes en train d'c-ludier.
1 Voii- sur ce point I.i.iha, l'syclio/oific di's /ilicnomi'iu's n'Ui^ifiiA. ni;
Faiinkli,, riic E\oliili(iii of ri'liffion, 90"). — I'iia it a Ition ctudii'', '/'lie rrtiir. cous-
ciimsni'ss, 'hX, les difreroiiU-s lorines dr la pricn', île rcnraiil à l'adiiUf. (Du*/
luii coiiimc oIkz raulri", la prière ilr diiuaiidc sciiihlf la [>liis rié(|ucnle.
Néaiuiioiiis, Itraiicoiip de irens piieiil sans cioire à l'eflicacité de la prière,
et siuiplenient parée cpiils ne peuxeni s'en cnipèelier.
2 Mvointion i|iii n'est pas iné\ italdeiucnt eùntinne. Ainsi c'est ("lanialiel
«pii. après la rnine de Jcriisaleni. lit einnposci- les dix linit Iténédictions; <lésa[>-
pruuvé par eertains, par exeni|)le, par IMié/er <jni disait ; « lue |>rière. i|ui est
récitée d'après une l'orniule arranf^éi' d'a\anie, ne vient pas dn cienr ■ Cihaiiv,
nisloiri' (les .htifs, 111. j^i.
'} \'<)ir. par cxoniplè. l)r«:iii;sM:, les Oiii^ines du eiiUc ehrélien. lîe;iiic<»iip
de reliifions assij,'nont une valeu:- particulière à la prière litur},Mi|ue : ainsi
rislaniisuie, (|ni en l'ail 1 nl>li<;ati(>n principale du niusnluian, et qui en renfle
très niinutieuseuient le temps, la durée, la posture, l'orientation spatiale, les
consécrations |)rcalables, la roruiule. \ oir Ciai i>i;i-iu)v-l)i:%n).MiYM:s, /<>%■ Insti-
tutions niusulrnaties.
<>'J LA RELIGION KT LA l'(^I
Aux {linV'inUos étapes de son (Iével()|)pement, elle retie
(lueUiue chose de ses origines. Pour coiubien de croyants
ailleurs qu'aux origines, ne se (ige-t-elle pas en objets maté-
riels : moulins à prières, ex-voto, etc. Les prières de la liturgie
s'adaptent à travers les temps, à tous les états d'Ame, à tous
les âges. 11 y a aussi les formules qui perdent leur sens, les
mots qui s'usent, le mystère des langues sacrées, l'en'acement
de la répétition, le verbiage eoutumier ou professionnel, les
suppliques des marchands de piété. Les hautes effusions sont
rares. Le grand lyrisme intérieur, empêché de s'épanouir,
recourt aux images de convention, ou bien est empêché de
s'épanouir [)ar l'afllux des images conventionnelles.
LA OlSCIPLINE CÉRÉMONIELLE
LE CULTE MÉTHODIQUE
La discipline cérémonielle est commandée par la nature même
du culte; la vie religieuse d'une Eglise tend, nous l'avons vu, à
s'exprimer dans ses [u-atiqucs: il faut bien que ces pratiques
s'organisent, pour devenir connnunes. L'acte rituel enferme du
rcsic la nécessité de la précision; il doit être accompli avec une
correction absolue ; d'oîi le renforcement de l'ordre cérémoniel
et la science des cérémonies.
Suivant les religions et les moments de l'histoire des reli-
gions, on assiste à la conq^lication de la liturgie ou au contraire
à sa simplification. La liturgie n'abandonne pas volontiers ses
acquisitions ; elle est volontiers archaïsante. Mais comme, ei^
inèiiie l<'nq)S, il faut qu'elle s'adapte à sa l'onclion, les rites sou
vent s'allègent. Dans les Kgliscs chrétiennes^ le rituel du baj)
tême s'est considérablemenl rc-duil, quand le baptême des
enfants a pris le pas sur le baptême des adidtes f[ui avait poui
ministre l'Eglise, pour témoin le peuple, à qui on donnail lout(
la solennité possible, (pion enveloppait de tous les rite
capables de symboliser la k naissance. Mais, en sens inverse
LE CULTE 63
11' Vile IcikI à se com|)li([iK'r. vl la caslc saccrdolale y Iravailli' :
le iK'soiii aii((nel il réjtoiid iniiUi|)lie les symboles et reiiroicc le
caraclèie saeié de l'acte lilmi,^i<iue.
LKglise s'injj:ère plus on moins dans la vie du lidèle : au
terme inférieur, la vie du lidèle tout entière est assujettie à des
prali<|ues, sacralisée par fraprmeiitalion des moyens de grâce;
au l( rine le plus élevé, le culle intérieur se ramasse dans une
iuleulion, dans une pensée unique, qui domine toute l'existence.
llnlin. dans l'enceinte d'une même religion, il y a les dévo-
tions particulières des dilTércnts groupes et les raClinements de
dévotion des individus; c'est ainsi que les ordres religieux du
catholicisme ont chacun leurs pratiques spéciales; c'est ainsi
que chaque confrérie musulmaiu* vise à fournir à ses fidèles
une pratique particulièrement puissante. Le sous-groupe ou
l'individu ajoute au culte public les habitudes de son cvdte
privé.
Sous cette forme donc, le culte produit la foi. Il suftit de se
rappeler les profondes remarques de Pascal sur la coutume. Le
culte est une règle de vie, le cadre d'une vie religieuse : comme
tel il supprime des ol)stacles à la foi, puis([u'il empêche le cœur
de se laisser aller à l'étourdissement des plaisirs et des pas-
sions, puisqu'il apaise les passions en disciplinant les mouve-
ments; comme tel il commence la foi puisque c'est le souverain
artilice de l'habitude qu'elle simule l'inclination même de la
nature ; puisque les gestes et les attitudes, expressions de sen-
timenls. sont aussi l'ébauche de sentiments (i). Il donne à
l'adoration, à la supplication, au repentir le soutien matériel
de l'attitude et du milieu favorable. Le corps se coordonne à
l'espril. <|ui s'oriente sans résistance, ou même est sollicité à
s'orienter vers l'unification interne et les objets religieux :
l'appui que le corps liù prèle, lui permet de le dépasser. L'es-
I II siiflit (Ir rapjx'lcr le r«Mc assigné à raUitnde par tant d'orijanisateurs
rcliifiiiix : par exemple les Jesiiiles ou Aiijçusle Coiule.
6.J LA RKI.IGION ET LA lOI
jiril (U scoihI dans le inrcaiiisnic pour s'en l'aire un insIrunuMir
L liahiludc (ixc cl tonscrvo; les atliludcs mentales liées à des
jçesles, prcnnenl la fixité de leur support matériel, comme par-
fois aussi sa pauvreté el sa raideur (i).
Enfin, le rite se joue dans une atmosphère (rintelleetiialilé ;
charité de sis^nifieation et de formule, il suscite, comme nous
l'avons montré plus haut, des façons de penser et de sentir;
il incline à penser ce riuil faut, de même qu'il conduit adroite-
ment à ne j)as penser.
Ainsi, parmi les pratiques, les unes créent une disposition
somatique qui favorise les actes de la vie spirituelle: ainsi les
agenouillements, les attitudes de la prière. Les aulies ont sur-
tout une valeur symholiciue, qui excite et nourrit l'esprit; ainsi
le si,c:nc de la croix, la vénération des images, la contemplation
des cérémonies ; aj)plication des sens et colloque, en nu-me
temps ([u'exercice. Elles peuvent devenir machinales. Mais,
comme le fait remarquer très finement le P. Maréchal, leur
sii^nifieation relip^ieuse revit au moindre appel; et l'accomplis
sèment du rite extérieur est, à chaque fois, une orientation, au
moins momentanée, de l'automatisme vers l'esprit, une pre-
mière et modeste canalisation de la sensibilité (2).
Indépendannnent de ces moyens insinueux, le culte est,
pour les ii^iandes émotions relijçieuscs, l'occasion de se déj)loyer
et par conséquent de se rafraîchir et de se créer à nouveau; il
est inulile de répéter tout ce que nous avons dit sur sa puis-
sance d'ohjectivation, sur sa valeur d'évocation ; la joie, la paix
intérieure, la consolation, la sérénité, l'enthousiasme suii^MSj
sent de ses objets et de ses pratiques.
1 Le iiioiMcriieiit i)Oul encore commander, déclenclier l'anilude, même
s'il est puiemcnl conventionnel el vide de toute sif^nilicalion ; il suffit i|u'il
ait été lié accidentellenient à l'attitude : les réflexes conditioijnels.
2 P. Mahkcuai, : Jieviic de fildlosophie, i\)i-2.
L'ascétisme ne fera ({u'amplifici- tous ces tlicmes ; il est, par l'un de s
aspects. roi"f;anisatif)n iiiéUiodi(|ue de la vie corporelle en vue dr- certaines
tins spirituelles, et l'utilisation de celte discipline pour celle fin : le rcj,''lcmea|
de Ions les automatismes, une discipline de la sensibilité et de la niolilité.ll
LE CUUK 65
Ainsi s'expli<iii(' aisi'-mcMl i^uv hoaucoup de (idèles vivent
dans les (euvies et ne nionlient (in'indiiréi'ciice à l'éf^-ard de la
doetrine (i). Le culte a quehiue chose de captivant et de lasci-
natcur;par lui beaucoup se sauvent du doute 2;. Ces! la phrase
de Huysmans : « Les tentations contre la Foi se dissipaient; il
ne doutait plus; il lui semblait qu'à Saint-Sulpiee, la pi-àce se
mêlait aux splendeurs des lilurgies el que des appels passaient
pour lui dans l'obscure aflliction des voix. . En revanche cer-
taines Ames délicates sont froissées. La matière peut nuire à la
« chose du sacrement (3j ».
Du culte el du lidèle, il est difficile de séparer le prêtre, qui
est auprès des dieux le représentant de la société, auprès de la
société le représentant des dieux. La caste sacerdotale exerce
sur la communauté une suggestion puissante et systématique.
C'est une autorité organisée. Comme telle, et par la puissance
du divin ([uelle représente, et par le culte qu'elle dirige, par
l'instruction qu'elle dispense et l'éducation, dont elle est
jusqu à un certain point maîtresse, par les sanctions diffuses
ou systématisées qu'elle contrôle et applique à son gré, police
et inquisition, elle ajoute beaucoup à la puissance de tous les
motifs (pie nous avons analysés. Le prêtre joue dans le groupe
organisé, le même rôle que le prophète ou le meneur parmi les
foules. Il a la possession du rite et la maîtrise de l'action
sacrée. Il est personne sacrée, de par le pouvoir qu'il manie.
I .Ii><;sT, Kulhis u„d (rrsrhichtsreUgiun, ujoi, ,li.slinj;uc doux espèces
ue cliieticns : ceux (lui appi-llent i'inteiveiitioi, contimielle de la divinité en
faveur do leurs besoins, iaclK-teril par le culte; c.-ux qui vivent dans la foi
a Voir Ix)isv, Choses pas.seVs. }} ; KUi ; Ki;. Damant (|uil y a dan.s toute
reiijfion les « dévotions i)arlieulières ... L'individu choisit, ou il s-aLTÙL'c à
une eonlrene qui lui fournit des prati<,ues. .|ui lui conviennent particulière-
ment. \ oir MoUDAs. iIsUiinisnw, p. a^O.
(•} Hien de moins excitant, de moins faseinatcur que la cérémonie quand
on la prend a rehours, ou même froid.inent. C'est alors que se vérifie la f.>r-
mule de Stkm.h.m.: ., Tout ee .(ui est eérémoni.-, par son essence dètrc une
chose afTeetee.t prévue davanee. dans hupiellc il s'agit de se comporter d'une
manière e..nvenal.le, paraly.se l'imagination, et ne la lais.se éveillée (jue pour
ce qui est .ontra.r.- au but de la cérémonie el ridicule ; de là leirel mairique
de la moindre j)laisanterie •■ f)f (Amour, 42.1
5
6«) 1 A RI LIGIOX ET LA 1 OI
Il csl environné d inlei'tlits destinés à préserver ou à accroilie
la vertu «|uil est appelé à dispenser.
Ainsi le pouvoir de laelion <aerée se concentre en des mains
expertes qui en ont assumé la grandeur et la servitude. Le
prestige de l'action sacrée rejaillit sur le ministre. Le Sacerdoce
est volontiers institutionnel et conservateur. Il est. comme l'a
bien dit Coe, logique de la consistance et valeur du passé. Il
est le gai-dien rituel de 1 Lcriture, de la littérature sacrée. Il
rt^iste volontiers aux inq>ulsions nouvelles, à 1 inspiration pri-
vée. Son danger c'est le formalisme mort et la routine méca-
ni(|ne.
L'EXCITATION COLLECTIVE. LE CULTE EXTATIQUE
Le (^ulte extati(iue. c'est l'excitation collective qui, soutenue
ou non par des pratiques rituelles, comme les danses et les
chants, aboutit à des états confus et vertigineux, qui se
prêtent à une interprétation spirituelle: tels les cultes orgias-
li(pies dont lliisloire et l'ellinograpliie nous fournissent d«
nombreux exemples : tels aussi tous ces réveils, avec leui'S
mouvements de foule, que nous pouvons étudier tout près de
nous. En effet, il y a lieu de distinguer deux aspects du culte
extatique ; l'aspect inorganisé, si Ion peut dire, (jui conq)rend
surtout des états de foule: l'aspect organisé, qui est un véri-
table culte, pratiqué dans l'excitation et le délire.
Rappelons à grands traits les caractères principaux de ces
états de foule. S'ils sont assez rares aujourd'hui, au sein des
religions fortement constituées, s'ils détonnent même dans les
religions d'aujourd'hui, parce (pic le culte y est nettement
réglé, parce qu'un clergé spécialisé s'est réscjvé tous les pou-
voirs, et que la foule n'y fonctionne qu'encadrée et dirigée, il
ne faut pas md*lier qu ils sont l'état normal dans toutes 1«é
sociétés oîi le culte implique la participation eifective et complè
1
LE CULTE 67
des litlèlos. où tous les assistants sont à la lois ollicianls.
acti'iirs <'( spectateurs (i).
Dans la foule, l'individu satisfait le besoin f^iéj;aire el 1 ins-
linet moutonnier; il sort de lisolenient où il s'étiole ; il int<;r-
ronipt la monotonie quotidienne pour jçoùter des émotions
puissantes et fraîclies. Voici les lois pi'inci[)ales qui paraissent
rég:ier ces états de foule (2) :
1° Dans la foule disparaissent les habitudes de contrôle
personnel el la contrainte sociale coutumière; on se laisse
aller; il se produit une sorte de détente et d'abolition delà
critique qui préparent l'expansion de l'atleclivité, l'invasion de
l'excitation étrangère (3). La foule religieuse est plus ou moins
uniliée dès l'origine parla fin quelle poursuit en connnun (4),
par la direction qu'elle reçoit souvent d'une personnalité
prépond(''rante.
2" La foule est en état d'attention expectante et d'adoration
ou de crainte épewlue. l'ne exigence obscure, un vague pres-
sentiment la hantent; son aspiration confuse est traversée de
(i) Voir Hubert, Inli-odutlinn du Mttmiel d'iiistoire des religions de Chan-
le/iie de Ui Saassaye, p. 29.
(•2) DiDHHOT Us avait bien entreyues, Lettre sur les Sourds et les Muets,
j). (iK) ; .1 II est de la nature de tout enthousiasme de se comiuuiiicjuer et de
s'accroilre par le nombre des enthousiastes. Les hommes ont alors une ciclion
réciproque les uns sur les autres, par l'imaj^e énerj^ique et Ai\ante qu'ils
s'ollrent tous de la passion dont chacun (l'eux est transporté; île là cette joie
insensée de nos fîtes publiques, la l'ureur de nos émeutes populaires et les
ellets suiprenants de la musicjue chez les Anciens. »
i3 13ans son livre sur le Hih'eil au l'ays de Galles, lîois a bien observé,
dans les Assemblées auxrpielles il assistait, la disparition de la contrainte
sociale; chacun v puise le sentiment quil peut librement se laisser emiiorter
À sa nature. Au contraire, l'expansion d'un mouvement populaire peut être
tenue rn échec s'il y a un faraud nombre d'individus avec des habitudes de
coulrCde phis sévères ou des raisons de ne pas se laisser aller. (Ju'on se
rapjjclle l'ellct qu'un farceur peut produire dans une foule.
i4) Pauk, Masse uiiU Puhlikunt, 1904, <> bien fait observer (ju'une foule est
une, non seulemeivt à cause de l'action réciprocjuc des individus les uns sur
les auLi-es, mais aussi parce que les sentiments et les volontés indi\ idiielles
tendent vers un même objet. Dans les foules, dans les Assemblées, un pro-
cessus d'attention c<dlective fait l'unité de la masse, avant même (ju'un meneur
ait besoin de provocpier l'imitation îles individus. L'unité du <îroupe est Ihéléo-
<>S LA IIEI.KIION KT LA FOI
frissons. l'Ile csl toiuliio loul onlirro scnsoriellomenl el
imisculairenu'nt vcms (jnchiiR' chose qui va venir; quchjue
chose (le vague, (jui prend diUérenlcs ligures au cours de la
réunion. Il y a des nioinenls de lension et de délente ; celte
excitation a ses sommets, ses paroxysmes, et aussi ses zones,
ses phases d'incompréhension et de non-réceptivité. C'est le
mol de Huysmans, parlant des foules de Lourdes : « La foule
se charge et se comprime dans l'atlenlc pour exploser. » L'agi-
tation diffuse se précise par instants (i). ,
3" De vagues virtualités passent à l'acte. Les sentiments se
déchargent en mouvements, en cris, en actes. Le premier pas
est fait par ceux (jui ont moins de contrôle sur leur esprit et
sur leurs muscles. L'état psychique se renforce : '1° de ses
j>ropres manifestations ; jusqu'à l'état de vertige que peut pro-
duire chez un individu la perception de ses propres mouve-
ments ou de ses propres cris; ainsi le jeu poursuivi jusqu'à
épuisement ; l'imitation circulaire de IJaldwin ; 1" du retentis-
sement de celte expression sur la conscience d'autrui, dont les
manifestations exubérantes, à leur tour, se réfléchissent sur
le sujet; c'est une sorte d'écho, une avalanche grossissante;
une intensification croissante qui fait ({ue l'individu est dominé,
élevé au-dessus de lui-même, qu'il se désintéresse de soi et se
donne aux fins communes ; en même temps il se sent libre ; sa
vie propre lui revient exaltée; il domine et il est dominé; tel
le bon nageur <- qui se pàmc dans l'onde ».
Cela se produit surtout aux extrêmes ; chez le fort, l'homme
<jui parle à la foule et qui est animé par elle, qui reçoit^
(Il Voir rexcfUentc observation de Maeterlinck dans sa Préface au livrï
de Jules Uestrke, En Italie. Désirée, au début de la guerre, faisait en Itali*
une série de conlërences pour la cause de la Belgi(|ue et de l'Entente : « La
foule, coninie toutes les foules en attendant leur niaitre. se tassait à ses piedsj
silencieusement bruissante, indécise, amorphe, ne sachant pas encore ce
qu'elle allait vouloir. » Et il signale aussi l'orateur qui « tâte les points sen-
sibles, les points magnétiques de l'être énorme et inconnu dont il fallait
atteindre l'âme ». Les mots lui reviennent « chargés de fluides, de sympathies^
de forces et de renseignements précis».
LK CUI.TK Ch)
accriio. rcxcitahon (|n'il toinimiiii(|iie ; clic/ le luiblc. di-livrc
(lu senlinu'iil de sa laihU'ssc. Iiavcisc par une force lniihijc «■(
ininicnsc.
4" Sur un terrain ainsi prépare, dans ces esprits déséqui-
librés et surexcités tombent des suj!:i?cslions qui se développent
à l'abri de toute critique. La réceptivité est accrue ; dans une
sorte dobnubilalion. la suggestion s'installe et s'épanouit :
« Abasourdissement », dit encore Huysmans ; on vil alors dans
un milieu sans proportion ; et c'est justement qu'il parle des
« chambres de clianllc de la piété ».
Ainsi se l'orme un être nouveau, plus puissant, une efFerves-
cence qui s'épanche en débordement furieux (i), ou qui, retenue,
canalisée, reste un tumulte réglé, un désordre encore rythmé,
l.a foule d'action, foule d'amour ou foule de haine, se soude en
un tout solidaire, en un groupe ardent et vociférateur, qui
profère les mêmes exclamations, exécute les mêmes mouve-
ments et les mêmes actes. Les réveils religieux entre autres
nous montrent clairement (jue cette effervescence peut prendre
bien des formes et (pi'elle admet bien des degrés, selon les
conditions ([ui les ont préparés, selon la qualité de ceux (jui y
prennent part ; dans les derniers bas-fonds de la piété, dans les
milieux primitifs, cela tombe souvent à des excès presque
incroyables (2); mais de nombreux exemples tirés de l'histoire
du jansénisme montrent aussi jusqu'oîi peuvent aller des
hommes froids et compassés dans la vie ordinaire (3); d'autant
<iue rexcitationse renforce presque aussitôt d'une théorie toute
pi'ête, et que les hommes ont toujours vu, dans certains mouve-
ments violents, dans certaines formes exaltées d'agilalion, la
niartpie de l'invasion de l'espril.
(i) Les lorces ainsi (léfjagces se ropaiuli-nl soiivi-iil sans l>ii( : Aclivile de
luxe, (lélxtrdeinent des passions déeliainces. (UiUKUiaM.)
(a Davkm'iiht : « La fonh- remet l'individu dans des étals priinitifs. »
{'i) Comparer la déclaration de Uois : « Je nai eu nulle part limiiressioii
de e(unprendre l'il^dise primitive comme au pays de Galles. «
i.A uKi.iGiON irr I.A loi
( >ii [)eul (lire que Ui foule, e'est rimi>ulsion. eouinic le
iCi'oui>e saeerdotal, c'est la règle, eonune le groupe clélihéralif,
ecst la discussion (i). Maié les foules religieuses ne sont pas
des foules (|ueleonques. Elles ont des intérêts communs, et
certaines circonstances générales donnent une direction à leurs
pensées et à leurs actions ce son^ des foules homo-
gènes (2).
Tue idée commune les inspire. Un réveil religieux, par
exemple, est |>réj)aré et soutenu par une attente collective.
Nous ne [>arlons pas encore des conditions profondes qui
]>euvent susciter ce réveil. Le fait seul de se réunir implique
une intention commune. Sans doute la foule peut être ouverte (3);
elle est un groupe fugitif et passionnel et elle ne contient pas
toujours que des adhérents préalables. A côté du fervent, et de
ralliré,il y aie simple curieux, rindilï'érent amené par d'autres,
le passant, le sceptique, le négatif, le farceur. Mais dans les
cas que nous étudions, ce sont les fervents et les attirés qui
dominent. Kt ces foules prennent vite des habitudes; il y a des
« styles de réveil (4) »•
Certaines conditions générales préparent et orientent leur
agitation. Sous les états de foule, il y a les dispositions coUec-
tives. les courants sociaux. La foule suppose des groupes
sociaux organisés. 11 y a des conditions générales qui font que
simultanément un grand nombre d'individus se trouvent
disposés de même. Les conditions d'expansion du christianisme
étaient, si l'on peut dire, jnéalables à ces mouvements de foules
oii retentissait la [)rédication des apôtres (5). Elie Halévy a fort
,1 Cf. CoE, Psycholof^y of Religion.
2 Taw.nkv, The I\^atiirc of Crowds, PsycU. Bull. i5 oclolirc ujoh<.
3 La foule est, coiiiiiie le dit fort J>ien Davy Journal de Psychologie
Kjao. '"^'i . " une forme d'iissociatioii inférieure, iiiipsirlailenicnt organisée
teiniioraire ■■.
4, CÔk, Psychol., 12 J.
5 II n'en est pas moins vrai que eclte société en formation, ([m'i étai
alors le christianisme, s'eal propagée d'abord j»ar contagion, en ramassant
les éléments dissociés de la société juive et de la société grecque ; et 1
i.K <:l'ltk ^I
J)ifii iiioiili'c coiimu'iil rcnllioiisiasiiu' iix-lliodislc rsl une
(•(Hiiln'iiaisou (l\''léni(_'iit.s ])rôexi.staiits cl parrailcincnl ilélinis, et
(jucls lartciiis économiques et politiques ont rcchaullé la piété
(le la masse des liilèies (i). Des indications analou^ues f)eu\('nl
être constamment fournies : réveil catlioIi([ue et l'omantisme,
doctrine du salut universel et mouvement poIili(|ue de i8"3o,
réveil ïrallois et charbonnages, les exemples sont innomhiahles.
D'une manière générale, les périodes de crise sont particuliè-
rement favorables à l'agitation des foules, (|ui cherche, dans
l'angoisse ou l'enthousiasme, l'explication on la solution de
malaises confus.
Enlin il y a une forme asthénicjue des mouvements de foule.
L impuissance à être, à se constituer connne ensemble, à rien
organiser est un fait fréquent: souvent la foule piétine; les
démarches indi^ iduelles s'enlie-choipient et s'amiihilent : et
aussi le dérobement brusque de tout le groupe, la dissolution
de tontes ses énergies, la pani(pie. (pii transforme en poussière
d'atomes des grou[)es organisés. L inteiïsité de la brusque
détente nerveuse dont les individus sont victimes est déciq)lée
par la pression (pi'ils exercent les uns sur les autres.' et le déro-
benicii! colleclil' aboutit à la dissolution de la colU'clivité.
De l'excitation collective aucun fait ne nous doniicra mieux
lidée ([U(r les .\ss( inblées des Ucveils.
On sait (|ue le mot Réveil signifie ou bien un renouNcau de
zèle chez ceux (pii partagent déjà la mènu' foi religieuse, ou bien
a.ss«'inl>lcfs religit'use.s, le.s réiinidris de prière et de [»rèdicali<>n (»nl elr
do(^i>ives, j)oiir la mise en eoiiiinun des rcprcseiilations obscures el des ton-
diuices en éveil, pour l'essor des aspinilions (•ollecl^^■es.
I Hai.iïvy, la yaissanrc tlu Mcflioilisinr m An •(■tf ferre. i<)o(>.
^a i.A iiKi.iGioN r:r i.\ loi
la c'onvt'isioM, dans un i'S[tacc do U'in[)s rclalivcnicnt court
(lun noinhi'o oxceplionnellenicnt p^rand de personnes jusque-U
inc'onvrriies ou cousidéircs coninit' k'Ucs. Les Réveils coii-
lieiinent des faits (jui relèvent de la j)syeliolou:ie des Ibules e
d autres (jui relèvent des conditions sociales (jui l'ont <jue siniul
tanénient un ii:rand nombre d'individus se trouvent dans del
dispositions identiques. Il n y aurait pas à étendre beaucoup h
sens du mot pour y faire entrer tous les moments d'excilalioi
reliiîiense, toutes les périodes d'activité qui alternent avec le!
[)ériodes de lan,u:ueur.
Les bonnes descriptions de ces assemblées abondent: il
en a di' toutes les époques et de tous les milieux; ces dernièrej
années. Bois et Roques de Fursac nous en ont rap])orté di
pays de (ialles. Ln voici une qui provient du récent mouvemcn
« de la Pentecôte »' :
« La prière confuse et simultanée devient toujours pluj
monotone; on répète incessamment avec ime emphase crois
santé : à Jésus, viens! C'est enlin un seul g^émissement et lii
seul soupir à travers la salle. L'impression est atroce et ai
[)lus haut [)oint contagieuse. La scène est interrompue d(
temps à autre par le chant de quelques versets. Les convulsions
commencent. ()^uand la confusion et l'excitation sont au j)lus
haut point, commence la glossolalie. La réunion exulte et plus
encore les baptisés en esprit (i). »
Le r(Me des [)hénomènes moteurs varie grandement du reste
selon le (bîgré de culture des participants. Le style du Réveil
est dillérent chez les nègres (rAméri<pie et les [>uritains de la
Nouvelle Angleterre; encore que la foule retombe volontiers à
l'excitation des primitifs ('2). Mais, ce (jui intervient surtout,
(i) Pfisteii, Die Psycholo^ische Enlrdtseliinff der religiôsen Glossolalic
(2) On peut citer rexeiiiphi des Assemblées jansénistes. Voici celui des
i- Sauteurs ". Les memlires de la secte des Sauteurs, née des réveils métho-
distes, se jettent à plat ventre quand le prédicateur commence à jiarlc-r,
puis, lorsqu'ils se sentent en proie à l'inspiration d'en baut, se relèvent pour
sauter en cadence, et cela dure des beures entières. (IIalévy, le Peuple
anglais, I, 'içjG.j
i.i: ciLTE 73
. t si uiu' notion llu''oii(|ii<'. l'idi'c (|ii(' \v trioiipc <,('. (ail de l'l*]s-
|ii it. La notion d l'esprit, au tours de l'histoire religieuse, a sou-
\t'nl été liée à des « eharismes » tels que la glossolalie. ou la
[M opliétic extatique, ou les convulsions du possédé. Bovet a fait
Il iuai(iuer avec justesse qnv, dans le christianisme, plus une
><icte est l)ihli<[ue, plus volontiers elle cultive de tels phéno-
iiH'ues, si lré<[uents aux origines du (Ihristianisnie. L'individu
I -servi est amoureux de ce qui l'asservit; il y a une passion des
I -semblées comme il y a une passion somnambulique. Ola
.([•parait très clairement dans les cas de conversion au cours de
1» éveils. Il y a ceux qui ont constaté ou (jui connaissent les
' llets surprenants de ces réunions et qui sont suggestionnés par
ridée qu'ils peuvent être convertis malgré eux ; ceux qui, dési-
rant vivement ètie convertis, sont amenés par la pression de l'en-
tourage à inter|)réter les violents états afrectifs (juils subissent
toiiune des signes de régénération; ceux qui sont à demi con-
vertis et ceux qui croient l'être : l'erreur des larmes et des san-
glots; ceux qui sont entraînés et qui, au moment même oii ils
le sont, ont conscience que leur état n'a rien de religieux (i).
iî II y a aussi ilrs réactions on sens inverse. Un témoin très reliffieux
«les réunions wesleyennes, ÎMallIier, qui avait été le précepteur de /.inzen-
dorf, écrivait : « La preniicre l'ois que je fus à leurs assenil)lécs, je lus sur-
pris et pres((ue indigné : leurs soupirs et leurs gémissements, leurs 0 Wini-
mern •> et hurlements, leurs gestes étranges, qu'ils prenaient pour une
preuve de l'action de l'esprit... » Wesley. lui-même, était étonné et Irouhlé
de ces plicnoiuènes étranges, du a Pouvoir » dans les Réveils niélhodistcs.
(V. GoK, 141..
HosT raconte {Mémoires, I. ai; il s'agit des Assemblées raoraves à
Cienèvc : « Le Vendredi Saint, dans l'assemblée du soir, au moment où se
lisent ces paroles : « Et ayant baissé la tète, Jésus rendit l'esprit », \t\ lecteur
ne manipie jamais de s'arrêter : toute l'église tombe :\ genoux, il n'y a plu.s
de paroles, il n'y a (jiie îles laiines... (^e dernier fait lui-même montre que si
cette émotion peut avoir son coté vraiment religieux, elle a aussi son ccUc
simplement contagieux, sim|demcnt pli\si<pic. Je réilécliissais qu'il était
assez singulier (]u'(in pût ainsi pleurer à jour fixe; je m'aperçus que ma con-
duite n'était pa> toujours sainte à proportion de l'attendrissement (pie j'avais
éprouvé, et je conqiris bientôt (pi'il ne faut i)as prendre des émotions de ce
genre pour mesure de sa piété. »
Knlln les Réveils ont fait des rev<dtés, (hiand l'esprit se tixe dans
I attente dune expérience (jucn ^•erlu de sa constitution il ne peut t-protncr
il peut en résulter une révolte, désespoir ou rejet <le la religion.
1
74 I.^ UKLHilON ET LA KOI
Lrs |)sy(holou:iics anu'iicains oui recueilli des doeuiuenLs
l)ien siiïiiilicatirs aii\(jiu'ls il faut reuvoyer; tel le cas de eetti
jeune lille. citée par SlaihucU, (jui assista à six meetings sans
en recevoir aucune impression ; au dernier, elle senl uiie excw
tatioii considérable; <piand on appelle ceux (pii veulent être du
côté du Seigneur, elU' se lève et se tient dchout : « Je n'avais
pas de motif conscient, j'étais simplemeni ])0ussée par l'excita-
tion et je ne savais pas ce (juc je faisais. L'excitation crois
sait 1). > Ou encore ce pasteur cité par Starbuck, dont la pre-
niière conversion s'(;st produite au cours d'un Uéveil : « Le^
forces qui m'ont conduit à ma conversion me semblent dt
caractère liypnotiipie. Ma volonté sendjlait totalement à la
merei d'autres, particulièrement du revivaliste M... Il n'y avait
absoliunent aucun élément intellectuel, je ne pensais ni dogme,
ni doctrine; c'était' pur sentiment... Je me retourne nuùntenant
vers ce passé avec honte et répugnance. J'étais dans un état
anormal et je ne pouvais m'y maintenir (u). »
Celle fascination est puissante mais éphémère; elle ne per-
siste que si elle est autre chose que de l'excitation; si elle
apporte à un individu ([iii y aspire, ou qui, tout au moins est
capable de la recevoir, la puissance d'un thème religieux; c'est
ce (pu' montrent très bien des études très précises sur l'alfai-
bliss<'ment et le déclin rapide de ces Réveils, sur la frécpience
des chutes et la fragilité des conversions (3). La puissance de
1 SiAKi»! CK, 'J'he PsyclioLoi^y of Religion, p. i6(j. (Ict étal a duré si
mois et la eonveilic «st ictoinhée dans rindiirérrncc. A côté de l'excitationi
il y avait une action plus sul)tile et plus prolonde : " S'il y avait uni
inUiiencc, c'était l'amour de ma mère qui j)riail à mes côtés»; sur cette puis
sance de l'excitation colleelive, voir une bien curieuse observation de Uichari
Wag.\e«, Ma Vie, 1, 6H.
2 Stahkl'CK, p. iC.i.
(3 Heaucoup de convertis retombent dès qu'ils sont soustraits à cettâl
puissante action de la foule. Stahblck estime, d'après ses enquêtes, que, sur
cent conversions indi\ iduelles, soixante durent; dans les Réveils, treize
seulement. ^American Journal, VllI, [/J-ij"]] L'impression de Bois et du Rév.
Elvet Lewis est la même en ce qui concerne le récent Réveil du pavs de_
('.all<>.
I
I.K CUI.Ti:
la toiile l'eliiïicuso parUcipt' à la l'ois de la loiilc d de la
rrliKion.]
Une bonne part de la puissance desKéveils vicnl en ellct du
thème qui y est prêché et qui répond aux convenances d un
milieu et d'un temps (i); c'est ce ([ue prouve abondamment
l'élude hislori(pic de tous les tarauds Héveils. Wesley, Kdwaidg.
Finney, Kvan Uoberls el tant d'autres. A des groupes qui ont
rompu le contact avec la théologie traditionnelle, ou pour qui
elle a |>erdu sa puissance de séduction, chacpic Réveil présente
un thème religieux, qui laisse à l'arrière-plau la complexité de
la théologie, et qui ramasse pour ainsi dire toute la puissance
éparse de la religion, en quelques idées essentielles, en mie
courte doctrine du salut. Un appel violent est adressé à la ter-
reur ou à l'amour. C'est ainsi qu'Edwards, en prêchant, contre
l'Arminianisme qui avait peu à peu gagné les puritains venus
d Angleterre, la corruption absolue et la prédestination, susci-
tait d'abord la terreur pour la taire tout d'un coup disparaître
dans la conlianee rédemptrice. D'abord l'angoisse du péché,
l'épouvante de l'impuissance, puis la délivrance gratuite et irré-
sistible. On comprend l'ellet psychologique d'un tel schéma,
(jui incpiiète les non convertis par l'idée de la possibilité d'une
conversion malgré eux, et qui anuMie ceux (jui désirent être
convertis à noter les moindres changements all'ectit's qui se
pourraient interpréter comme signes de la régénération (2).
'I Bkciithrkw monlre comment en Russie la pn^dication insensée de
Maliovaiiny se trouve catirer avec les besoins d'une population tarée, d'une
excessive instabilité nii'iilalc, d'une crasse ignorance, assoillée d'un idéal
quelcoïKjue, dont elle était aijsuluuicnt privée. {La Sii<rfrcsli<)/i, 2114.
(2' C'est Edwards lui-même qui a écrit : « Une loi reçue et établie pat le
consentement commun a une grande inlliience, — quoique iiisensible à beau-
coup de personnes, — sur la l'ormation de leurs notions quant à leur propre
expérience... Très souvent leur expérience apiiarail d'abord comme un chaos
confus; jiuis elles y démêlent les cléments qui ont le plus de rapptirl avec
les états d'esprit qu'on leur a présentés comme indis|)cnsables. Leur atten-
tion se pKrlc sur ces éléments dont ils parlent cl reparlent jusqu'à les l'aire
ressortir toujours plus clairement, taudis (|iie les éléments néfjlij^és s'clFa
cent toujours davantage. C'est ainsi (ju'ils sollicitent peu a i)eu leur ex|>é-
ricucc personnelle pour la rendre exactement conforme au type imprimé
-(i I.A HKI.K.ION ET LA KOI
a On est un sainl par cll'roi de se découvrir un réprouvé. » lilt
(piandee seliéma, pratiqué quelque tem|)S et à la rigueur, abou-
tit à son tour à la Corme extrême (pii raimiliile et à une nou-
velle torpeur religieuse (i), Finncy tente la fortune du thème
contraire et met l'accent sur la liberté et la justice par les
œuvres. Chacune de ces conceptions aboutit à une systémalisa-
lion prati([ue. à un code stéréotypé, qu'appliquent de nom-
breux disciples ou épigones. Un certain style de réveil s'ins-
talle ainsi pour un temps. Ainsi les conversions de Réveil
rellèlent cette théologie : elles sont la combinaison d'une
théologie, de l'action personnelle d'un prophète, de l'ex-
citalion d'une foule et des dispositions mentales d'un
sujet (-2).
('oe a bien mis en lumière la grande suggestibilité des con-
vel'tis des Réveils. Il a montré en particulier que dans un
groupe de dix-sept personnes (pii attendaient du Réveil une
transformalion radicale et qui l'ont éprouvée, douze étaient de
grands émotifs; que dans un groupe de dou/c autres qui se sont
montrées réfractaires à cette transformation, pourtant atten-
due, il y avait neuf sujets, chez qui l'intelligence ou la volonté
prédominaient. Les convertis étaient des sujets qui avaient
présenté, antérieurement à leur conversion, des automatismes
sensoriels ou moteurs : songes frappants, photismes, senti-
ment de présence, voix intérieures, hallucinations, idées d'in-
fluence, rire irrésistible, frissons violents, etc. L'examen les
montre nettement suggestibles et même décèle une certaine
dans leur esprit. De leur côté les ministres, ayant affaire à des personnel
qui insistent sur la nécessite des distinctions jjrccises et des niétljodei
claires, sont amenés à procéder de la même façon. » (Treutise concerning llu
relif(iou.<t ajlectiotia )
I La doctrine de la prédestination aboutit en droit et parfois en lait j
la négation de toute ajtologétique; si le salût est un don gratuit de Dieu, il
n'est ni permis, ni possible à l'homme, de convertir son semblable.
(2 S'il était besoin d'insister, nous trouverions de nombreux faits con
firmatifs dans l'élude des pèlerinages. Voir sur le pèlerinage de La Mecqu
Gauokfroy-Di:.mo.miiv.nks, le^ InstitntioiiH inusulnianes, 96.)
i.K ci.i.ri-: 'j'j
I (»i [(.spoïKlaiicr (Mire la forme de k'iir siiggcstibilil»' cl le
1)1 11 me de leur ex[)érienee relii^ieuse (i).
C'est ainsi (jne la solitude détait souvent l'action de la fouie,
Cela seul est durable que l'individu élabore de lui-inènie dans
la solitude : cela seul ([u'il accepte, continue et refait. Les
meneurs (jui sont les produits de la foule dis[)araissent ; les
convertis par action de la foule retombent. L'exaltation collec-
tive, l'etfervescence sociale ne sont point créatrices par elles-
mêmes et pour longtemps; du reste elles tombent vite; c'est
de l'idée qui traverse la foule que vient tout ce qui persiste,
tout ce (]ui survit à la foule (2); de l'idée aussi (pie vient la
valeur des chefs; c'est elle ([ui sépare les grands mouvements
créaleurs des mouvements confus des foules. Gela seul dure et
s'im|)()se (jui a valeur humaine et qui peut subir l'épreuve de
l'homme. Peut-être en est-il de même de la société organisée,
iniiniment plus puissante pourtant ; sa solidil,é repose après
tout sur l'acceptation, le contrôle, l'élaboration de l'individu,
sur sa convenance à sa nature, à ses aspirations et à ses
besoins: elle est un équilibre de deux forces.
*
Vax face île ces foules passionnées, des chefs ardents. Tous
ceux (pie l'on a étudiés de près présentaient plusieurs carac-
tères, dont quel([ues-uns ont été bien signalés par Coe :
(i) Coi;, Spiritual Life. Kaltenhacli montre que c'est l'adolescence qui
fournil les plus forts contingents de convertis. D'après Bois, 20 0/0 des
alit'ués admis dans les asiles du i)ays de Galles dans les derniers mois de
igol) t'iaicnt îles participants du Réveil.
Ro},'ues de Fnrsae constate un peu rapidement <pic le cliilfre des entrées,
par suite d'alcoolisme, a baissé et (jue le chiffre des psychoses, par exalta-
lion religieuse, a monté.
Ja.m:t, Mcdicdtions, III, iGo, écrit : « Il est ,i)rol)aI)le que les prétendus
convertis dont parle W. James étaient tout simplement des dé|)rimés mécon-
nus qui, au cours des cérémonies religieuses, sous des iniluences quel-
con(jues, présentaient des phénomènes d'excitation plus ou moins durables
et ilrs sentiments de joie inelfable. »
^a) (Juand le Héveil répond à des conditions profondes, il laisse après hii
une secte capable d'adronter au moins pour un temps l'opposition de l'Eglise
7^ I A KKI.IGION ET I.A FOI
i" D'abord 1 cxtrc-iiu' ôniolivilé. Eux aussi souvent se sont
convertis lu'iisquement ; ainsi \Vesley, ainsi Finney, Robeiis.
In Kvan Hoherts se sig:nale par i'émotivilé extrême, la niohi-
lilé anormale des idées, l'impulsivité des réaclions.
'2" Le besoin et le sens profond de la foule; la puissance
de siiffirestion. Les cliefs du réveil gallois, en dehors du réveil,
étaient ternes et ne i>ouvaient exercer leur fonclion qu'à condi-
tion d'être excités sans cesse. Evan Roberts est conduit par
l'assemblée, au moins autant qu'il la conduit. Roberts laissait
son meeting s'échauirer avant de venir : il le tàtait avant de
parler, dans une apparente inditlerence et dans une attentive
immobilité, il l'examinait soigneusement, s'appliquait à discer*
ner les esprits, c'est-à-dire à localiser les zones d'acquiesce-
ment ou de résistajice. Il se préparait ainsi plutôt afïectiveinent
<ju"intellectuellcment. Suivant son propre témoignage, souvent
il ignorait, quand il commençait à prêcher, ce qu'il allait dire.
Il « empoignait » alors l'assemblée par les grandes mises en
scène où il portait ses péchés et les souffrances de Jésus.
Le chef de la foule a parfois de la grandiloquence ou de
1 outrance qui lui viennent inévitablement du sentiment qu'il
est dominé par une puissance qui le dépasse. A la fois sugges-
tionneur et fasciné, il est prêt à revêtir des caractères divers
au contact de la foule. C'est la multanimité de Rossi (iV Le
meneur est conduit lui-même par les aspirations secrètes de Iîl
foule. Très souvent il subit de la part de son auditoire un<
véritable contagion qui lui fait dire bien des choses, pour lu
impr«'vues. Il lit, au fur et à mesure, dans l'attitude de ceui
(|ui l'écoutent. les mesures prochaines de sa musique oratoire
Sa propre certitude lui revient en écho.
Comme l'orateur, il n'est point dans -le monde des purej
id«^s, mais bien dans le monde des réalités passionnées; soi
officielle; à condition bien entendu que cette secte s'organise comme lavai;
&i vivement «ompris Wes.ley.
(1 Les Sugffestionneurs et la Foule, l'aris, Micbelon, 1904.
I.K CUl-TK 79
,i|>|n'l a qucNjue chose de dirccl, <le vécu: un Iioninic (jui
- adresse à des hoinnios ; un lioinme qui a lonipu avec les
.(inveiilions ou qui les domine et qui va droit à l'homme; (jui
.1 I ail el l'impudeur <r()ser el de frapper Ibrl. Celte audace peut
se parer ou s'envelop[)er de (lualilés très diverses, force et
énerii:ie ou bien rondeur et familiarité de manières, charme
insinuant, et s'aider de qualités lechni(pies très diverses. Si la
puissance intellectuelle et morale y concourent, on a le i^rand
chef. Ce sont elles surtout qui font les difîérences entre les
au:itatcurs, avec le thème du réveil.
Ainsi s'établit, par oscillation et va-et-vient, 1 adhésion
d'abord presque physique de l'auditoire qui se laisse emporter
par la musiqne <lu discours. A mesure que l'orateur s'anime et
que ses gestes dessinent plus fortement sa pensée et son
émotion, les auditeurs attirés à l'intérieur de ce mouvement
adoptent le rythme de l'émotion (r).
Le culte extaticpie peut s'organiser, c'est-à-dire créer des
pratiques cxtali(|ues qui se répètent et qui durent ; soutenues
au besoin par des procédés ascétiques ou orgiasti(|ues, macé-
rations, intoxications. L'excitation est ici dirigée par le rite,
provocjuée et développée selon les règles d'un culte. Il s'agit
toujours «le produire des états confus qui se prêtent à une
iutciprétalion spirituelle, et qui apparaissent au sujet comme
la forme la plus élevée de la comuumion avec la (li\ iiiiti- ci).
La prédisposition des sujets assure au rite sa pleine eflicaee.
il) « Et quand rpspcolueiisciupnl il allait de sa stalle à l'aiilel. Ic> plis de
son lonj,' .surplus flottant avoi" une sorte de rjllmio. il eoncentrait l'attention
au point de créer le sentiment qu'il nous menait tous prendre part a un acte
d'une sainteté spéciale. >. (Kinsman, Snh-e Mater, cité |tar IVmii roi., Ffiules,
1930, 9G3.1
(2; Voir noln- élude, le Mjslirisinc cl la lU-Ugioii (Scieiilia, itjij . Les confré-
ries nuisulmanes fourniraient de nombreux exeni7)les de pratiques extatiques.
8o I.A UELKIIO.N KT LA FOI
Le ciillc c\lali(iuo repose sur l'exeilutioii de tous et d
chacun: sur lexcilation de tous qui se transmet à chacun, par
le mécanisme (jue nous avons analysé; et aussi sur l'apport
propre de chacun, sur sa g^esticulalion et l'ivresse motrice
qu'elle produit: danses sacrées, chants sacrés, étourdissement
du mouvement, trouble des gestes et des cris, musique verbale
cl musculaire, impression de vie surabondante et folle, joie
é])erdue, oubli, commencements d'infini; un vertige complaisant
qui s'oll're à la foi et à qui la foi |)rescrit ses formes. On réalise
en dansant les objets de sa foi. De telles pratiques délient le
croyant de son corps et livrent ce corps à son Dieu.
A mesure (pie le sujet s'excite, il sent qu'il se divinise, son
excitation prend la ligure de son rêve. Le trouble sensoriel,
le désordre nnisculaire, l'agitation confuse déclenchent l'obnu-
bilation confuse d'oii émergent, comme d'un fond insondable,
les inspirations et les grands élans affectifs.
Mais il est trop clair que cette ivresse sensorielle et motrice
est supportée et fécondée par l'interprétation spirituelle. Une
machinerie ascétique et orgiastique concourt à la produire;
elle serait vaine ou de bien court effet, si le sujet en quête
d'infini n'orientait son trouble par une sorte d'abstraction
sentimentale, par une direction d'intention, par la fixation de
la pensée et par la méditation. ?sous retrouverons la question
à propos du Mysticisme. Qu'il nous suffise ici d'avoir signalé
la part de cette agitation extatique dans la formation de la foi,
et l'interaction inévitable des deux termes.
i
Dans les jeux sacrés et dans les fêtes, le thème de la foule
s'unit aux motifs précédents. Si l'habitude journalière amortit
les rites, la fête les ravive. Elle est renversement de la vie
I.K r.UI.TK 8l
(inolidiomio, et souvenl réaction d'iine pénitence; elle est
allliix (l'héroïsme, de poésie, de sensualité.
r*l.ie(''e au j)()int eriticjue de la vie relip;ieuse et de la vie
naturelle, elle associe la relip^ion, le rythme de la nature et de
raelivité sociale. Elle reforme le groiipe, elle rehausse l'in-
dividu. Klle est la commotion de runauime, Texaltation de
l'activité publicpie, la Société en acte. Elle accomplit les
rites dans une atmosphère de solennité et d'excitation (jiii
leur donne leur pleine valeur, ou bien elle met en ceuvre un
rituel exceptionnel, siui^ulièrement sui^f^estil". Devant la foule
exaltée, le rituel se développe en représentation solennelle, et
la force impressive du drame se renforce de toute la commé-
moration. Les dieux sont présents et leur puissance sentie
donne une nouvelle vigueur à la force opérante des sacrements.
LES VARIETES PSYCHOLOGIQUES
La foi implicite est celle de beaucoup, et l'on en trouverait
partout (pu'lcjue trace ; elle accompagne aussi et soutient
même chez les âmes supérieures les formes supérieures de la
foi. L'l']glise est plus u^rande cpie ses fidèles; une reliiçion
déhorde l'expérience reliu;ieuse, ol)lij2;ée de s'en remettre à
l'Eglise et d'adhérer implicitement à sa parole. Il serait aisé de
montrer (juil en est de même de toutes les religions (i).
Certains individus s'adaptent si exactement à leur religion
(|ue leur jx'rsonualilé est eonnne absorbée, (juils n'éprouvent
jamais le moindre trouble, ([u'ils ne remarcpient jamais la
moindre dillerenee entre leur propre expérience et les symboles
traditionnels; cela peut venir sans doute d'une harmonie par-
faite, mais cela vient plus souvent d'une passivité extrême, dune
plasticité telle ipie l'accommodation exacte au milieu ne laisse
ni I.c livn- dr La Vai.i.i.i: l'orssiN [ISoiuldUisine , en l'oiMiiir;iil il'cxccllculs
exempU's.
8a LA RELIGION ET LA FOI
p;is subsister d'iiiitiativo iiidividuello (i). D'autres resseï
li'iit parfois un k'ixei" lunirl ; devant mi doi^nio ou une praliqu(
uni' hésitatit)u s'éveilU' et j)ourtaut no se Ibrnmle pas en un
doute préeis; il y a des doules implieites comme il y a des
croyances implicites. D'autres iemar([ueiil ce doute, cette dill'é-
rence. mais ils en ont horreur ; ils ont peur de se trouver tout à
coup dans une région de libre examen, oîi ils seraient aban-
donnés à eux-mêmes et ils se rejettent en hâte à la croyance
coulnmière. Il y a qui'hpu'fois de la lâcheté, de l'insincérité, de
la malhonnêteté intellectuelle dans ces retours; quelquefois
aussi le contraire. L'expérience personnelle, le libre choix
peuvent conduire l'homme à accepter la religion traditionnelle;
à garder, par exemple, la foi dans laquelle il a été élevé ; il se
(lira souvent (pion vit dans une forme de vie spirituelle comme
on parle sa langue maternelle; que les efforts du groupe
humain dont il relève, ne sauraient être totalement vains, que
l'expérience individuelle n'a de valeur qu'autant cpi'clle s'ac-
corde avec une tradition. C'est ainsi que la valeur tradition-
nelle, nationale, sociale d'une religion peut survivre à sa valeur
religieuse.
C'est le thème ([ne Renan a magniliquement dévelop[)é dans
Patrice : « Quand le catholicisme se pose comme la forme reli-
gieuse de la société où je suis né, comme la forme religieuse,
sinon la plus parfaite, du moins la plus appropriée à cette
(I Voir LAifi.nTiioNMKiMî, l'Inlosojihie relii^iense, 2^1 ; « (Jeux <jui reroiv cnl
rensc-ij,'n«-iiienl iclif^icux av«'C une dofilité de cire molle qui so laisse pétrir
sans (lu'aufuiic opposition a|)parenle surgisse du lond de leur âme, sans
qu'un cri de le\ir nature leur révèle à eux-mêmes qu'il y a en eux qiu-lque
chose à meurtrir, pcjur ceux-là il y a tout lieu de craindre (ju'ils ne le reçoi-
vent qu'à la surface de leur être, qu'ils ne s'en |»énètrent pas et <|u'ils n'en
comprennent ni le sens, ni la portée. Leur docilité n'est-ellc pa.s de l'inerUe'.' »
" L'opposition incite et sourde des passifs et des irrcflccliis (jui ne sont
chrétiens que par des habitudes extérieures est elle moins contraire au régne
du Christ <|ue la révolte ouverte et consciente des orgueilleux qui se dres-
sent contre la vérité'? ■>
« Ceux-là ne traversent pas de crise sans doute ; mais c'est qu'au fond,
quelles que .soient les apparences, la chair eu eux ne s'est laissée jamais
entamer [)ar l'esprit. »
f
i.i; cLi II; S3
xxhIc. cuiisidci iiiil (1 une paît ([uv la i('li;,Mon est mi oli'inoiil
lU'iTs.saire (U* loiilo sociôlé. do l'auirc, (jiic la relii^ion ne s»'
eonvoit pas pour un peiipk- sans une foiine particulière et plus
ou moins étroite, {l'une autre enlin, (|iie le eatliolicisnie est
eette l'orme, je suis ramené à pouvoir me diie eatiioli(pie, non
pas i\iw je eède un seul des droits imprescriptibles de la
science, mais paixe (jne je ne veux pas m'isoler de la société où
le sort ma lait naître et qu'après tout nos pères ont ainsi
ador»' (i). »
!■ Patrice, p. 47: ft aill(Ui'> ; » N'y auruit-il jjîis rjuclcpic moyen d'<"tre
eatlialii|ue. s^ins croire au catliolieisme ? Car, d'une part, j ai envie île pouvoir
m'appc'Ici- catliolicpie, et, d'autre part, il m'est alisolument impossible de
proii-e en bloc tout le catliolieisme... Si j'avais un esprit moins rif^oureux, je
i'ti'iaisun voile sur ces points épineux et, adhérant à l'ensenjble du système,
■ iirrais, eonime tant d'autres, m'appeler catholi(|ne, tout en étant licri'-
, • sur une fouie de points de détail. >> (45 il y a de plus, dans Patrice,
liderijiu- la relii,'ion, fausse dans son objet, est vraie comme sentiment, comme
reli^'ion en {jfénëral, au dessus des formes où elie s'exprime. Dans tous les
ca> lie ce jceiire. le lidèle demeure relié à sa relifjion par des motifs d'oppor-
Uiiiité morale.
Voir l.oisY, Ctiosi'n passées, p. 3o6. « Ce matin, en récitant les prières du
missel, j'avais pres(|ue le désir (jue ce fût pour la dernière fois. Grois-je
le assez pour me dire catholique, et ce que je crois est-ii catholique ? Je
dans l'J^ijIise pour des motifs qui ne sont i)as selon la foi catholique,
uai> d opportunité morale. Il faudrait peu de chose, bien peu de chose, pour
pie je ne puisse jias honnêtement continuer mon métier de prêtre. Si ce peu
arrivait, je n'en serais jtas étonné, je crois même que je n'en serais pas fâché. •■
!.»■ même Loisy écrira plus loin : •< Je suis décidé à travailler et à servir
l'Kfîlise ijui a fait cl à qui appartient léducalion de l'humanité. Sans renier
sa tradition, et à eou<lilion d'en retenir l'esprit de préférence à la lettre, elle
reste une institution nécessaire et la plus di^■ine chose qui soit sur la terre.
Elle a (■a|»italis(- les subtilités des théologiens, mais elle a aussi amassé les
principes d'ordre, de dévouement, de vertu, qui j^arantissent le bonheur à
la famille et la paix de la société. Vouloir aujourilhui organiser la vie morale
a diboiN du (Christ et de l'Ejrlisc serait une utopie. «
Bi.am:iikt i-emarque jusiement (Campanelld, lo'}, « Combien de libres
IMînscurs. de dissidents et tl'liérétiques n'a ton pas vus, alors que leur Intel
ligeiiee se détachait projçressivement des dojjmes, conserver conseienunent ou
i leur insu des sentiments d'amour ou de respect pour l'Ejrlise qui avait su,
;râce à .sa forte organisation, grâce à l'iidhience toute-puissante des cérémo-
aics, former et éduquer leur sensibilité, et tisser dans leur cceur les liens
liirables d'un tendre attachement pour la société des tidèle-», en dehors de
laquelle la Aie morale l«'ur semblait désormais inféconde on diminuée. •>
Ot état il'àme est de tous les temps. Pour le Ca-eilius de Mimt.hs Fi:i.i\,
Ions son ()ila\iiis. la reli<;ion romaine se présente comme un ensendde «le
raditions vénérables. au\(|uelles la grandeur »le Home a toujours été liée. Li"
iationali>mc romain Si)uliciil la Foi.
84 l.V UKLIGION ET I.A. KOI
Iiuiiqiunis à j^rands (rails, puisiiiic nous y reviendrons, lej
diverses foiiiies du développeineiil relitçieux. L'enfant reroil
sa reliirion, eomnic il i-eçoit son langag^e ; la relii^ion est, cliea
lui. uii développement prématuré, une actualisation qui répon(
peul-éire à certaines virtualités, mais qui les dépasse. La fol
enfantine, ciuand elle existe, est le plus souvent sans examei
et sans réserves. Il y a des adultes qui gardent la foi d^
l'enfant, sans hésitation et sans trouble. D'autres s'y attachent'
avec violence: ce n'est pas opinion, c'est opiniâtreté. La plu-
part pourtant la transforment à leur mesure. 11 y a ceux qui
sentent qu'ils devraient la mettre en question et qui n'osent
pas : ceux cpii la mettent en question un moment et (jui
reviennent autonialitpiement à ré{[uilil)re, qui renoncent à
penser : ceux f[ui la mettent en question et y reviennent libre-
ment cl par adhésion consentie; ceux ([ui, par suite de leur
examen et de leur doute, rejettent certains éléments de la foi
ancienne et se taillent ainsi une religion à leur usage ; ceux
qui cessent de croire sans même mettre en question, simple-
ment parce qu'ils changent de milieu ou d'habitudes ou de
caractère ; ceux qui cessent de croire parce qu'ils ont mis en
question et rejeté ; ceux qui changent de religion par conver-
sion rélléchie ; ceux qui se convertissent par pression exté-
rieure, violente ou calme. Et toutes ces formes de déve-
loppement religieux ou viri'éligieux suivent les modalités
générales de tout développement : progressif ou par bonds
et par crises, avec des phases de stabilisation et de retour
en arrière ; déclin et dissolution, retour de la vieillessj
aux croyances de l'enfance, stéréotypisation de la foj
etc. (i).
(i) Arri;at, dans son livre sur le Sentiment religieux en France, distinifue
quatre espèces de croyants : les eroyants par routine, les pratiquants che|
qui le sentiment religieux existe vraiment, les croyants qui raisonnent
qui sentent vivement, et enfin ceux qui doutent, usent de compromis, et sol
prêts à se détacher.
i.K cui.Ti: 85
VERS LES FORMES SUPERIEURES DE LA FOI
On a somciil opposé, du point do vue do la loi, les reli-
f^ioMS nalionak's aux irlij^ions universalislcs ; le rilualisme, le
li''f?dlismt' dv ces culk's à la loi plus profonde des religions
de 1 esprit (i). D'une laçon plus jj^énéiale encore, on a dit que
le progrès de la foi seiail lié à celui de l'individualisme ; dans
les sociétés primilives où la personnalité humaine n'est pas
encore constituée, tout serait social, la religion comme toul le
reste; c'est la société <jui pense à travers chaque conscience
particulière ('i). Au contraire, à l'époque chrétienne, par
exemi)le, la personnalité individuelle se serait dégagée, et la
religion serait avant tout chose intime et personnelle (3). Ce
que nous avons dit de la foi implicite dans son rapport avec
les Kglises montre qu'elle n'est pas une forme de foi exclusi-
vement propre aux cultes nationaux. D'autre part, s'il est vrai
quelle prédomine dans les cultes nationaux, il est vrai aussi
que CCS cultes manifestcnl souvent des formes supérieures
de foi.
Mais il demeure vrai ([ue la foi croyance et peut-être cer-
taines formes de la foi conliance ne s'épanouissent amplement
«lans riiisloire (pie lorsque la religion |)erd son caractère
(i)Voir, par exciiiiile, IJousset, HV-scn der Rclii^^iuii. — Voir aussi : Relis^ion
dca Judt'ntunis, j). i75.
2) Si, |>oiir Chawlby {Mystic Rose) les tabous [niiuilifs niar(|uciit une
tcnlali\(' pour .s'isoler et tenir à l'écart les lorces rclij^icuses ou uiaf^iques, et
conliciinrut |>ar consécpicnt un };eruu' d'in(li\i(lualisuic, sijjfniliant la « situa-
tion insulaire » de rin<li\iclu à l'intérieur de la soeiété, selon Durkheiru, au
contraire, le principe de la contaj^'ion syuipatlii(jue, qui est à la hase di" ces
pratiques, est nianirestenicnl la néjratiou de toute croyance individualiste. La
tendance de lindividu à fuir les ra[)ports avec le dehors et à s'isoler n'est
qu'un t'IIorl liihori<ux pour écha|>pei' à ce comniunisiue, à cet inipersonna-
lisiue. (jui l'eiiNeloppe el (jui .s'iuipt)se à lui a\ ce une nécessité physique,
("^ ^■Issl■.n^:n, Rclifjiitn iind sozia(rs Lcben hei deti .\tituri'i)ll;crn, it)ii (Voir
aussi IIahnac.k : L'Essence dn Clirisliaiiisitte, p. i()'< • A mesure (jue chaque
Israélite |)rend conscience d<' son indi\ idualité au milieu de son peuple el
commence à concevoir son peuple comme une somme d'individus, la t'ornie
jK'rsonnelle de la foi en la Providence apparaît à côté de la forme politique.
8G l.A HKLIGIOX KT LA lOI
national v\ se (lôvi'loppe on Mglisr : auparavant, la foi csl sur-
tout une allitude cl une habitude qui va do soi, ([ui est impli
quée dans lonsemhlo do la vie. Quand IKiçlise apparaît, il si
orouso un ahîmo outre les croyants et les incroyants; le plein
don do soi-niènio à la religion, l'adhésion explicite à une profes-
sion de foi deviennent nécessaires, jusqu'au moment où la foi
danslKglise tend à se substituera la foi que l'Eglise avait éveil-
lée.
Pour montrer rapidement la coexistence, avec les cultes
natioiuiux, de formes supérieures de foi, il suffit de rappeler,
à l'époque classique de la Grèce, la contiance dans les dieux (i),
et. dans le judaïsme, la foi des prophètes : l'obéissance à la loi n'y
est pas seulement observance extérieure, elle est aussi obéis-
sance du c(our, soumission intérieure (2); c'est ce que saint Paul
appellera du zèle pour Dieu, mais du zèle sans connaissance. Il
est probable, au reste, qu'avec le déclin de la fortune nationale,
la Foi est devenue plus spirituelle et plus individuelle.
Il y a un moment de Thistoire oîi Ton assiste au rapide
épanouissement de ces germes; c'est l'époque de la dissolution
ot de la transformation des religions antiques. Et d'abord les
Mystères. Au lieu que les religions nationales poursuivent des
intérêts collectifs, de caractère temporel, l'ordre et la fortune
de la cité, les cultes des mystères concernent avant tout le bien
s[)iriluel dos individus, leur immortalité [)orsonnelle, qu'ils ont
la prétention de garantir, ot ils se préoccupent aussi de leur vie
intérieure; en même temps les mythes se transforment; les
dieux deviennent des dieux sauveurs, dont la mort et la renais-
sance sont le principe de la régénération spirituelle et morale
I Voir CriKAHD, Le Sentimenl religieux en Grèce. I
(2) Saf^esne. lô, 2. 3. «> Te connaître csl toute la justice et savoir ta force
est la racine <lc limmortalité. ■> i Macvh. a, 5i, to. (Voir Bousset, lieligion des
Judentiiina, p. i^â.)
Ehman, Lm lieligion égyptienne, 1907, p. 118, montre, sur des documents
décisifs ce mouvement de piété, d'amour personnel et de confiance pour le
Dieu, à la fin du Nouvel Empire.
LE CUI/PK 8^
des honiines. en mémo temps que de la vie de la nature (r). La foi
devient un acte personnel, une identilication avec le Dieu dont
on attend le salut, elle est cultivée par l'extase, appuyée sur
des traditions (2). Rappelons les mystères d'Eleusis: la toi à
l'immortalité bienheureuse, le salut par la foi, soutenu par les
œuvres et par la connaissance des recettes map^icpies qui permet-
tent à l'initié de s orienter dans le pays des morts; rappelons la
religion dionysiaque et l'orphisme (3), rappelons les mystères
d'Isis et de Milhra (4)-
Les (lieux des Mystères, Isis et Osiris, Adonis, Attis et
Cyl)èle, Mithra, Dionysos, Tammouz, dieux venus après
d'autres dieux, représentent une épuration et une spiritualisa-
in LoisY, Les Mystères païens et le Mystère chrétien.
al Reitzknstein, Die Jwllrnistischen Mysterienreli^ionen, 1910.
3) Ghcim'K, Griechische Mythologie. II, a bien montré comment la religion
classique de la Grèce, la « relijfion de l'Art » a été prolondément affectée par
la transformation politique de la société grecque après Philippe et Alexandre ;
c'était une religion de cités. La société civile et la société politique fournis-
saient les cadres de la société religieuse; la vie se relira presque entière-
ment de cet organisme politi(jue défaillant, et, par suite, de la forme corres-
pondante «le religion. Au contraire, les libres groupements religieux, thiases,
sociétés or|)lii(jues, tjui vivaient obscurément dans le sous-sol de la société
anti({ue et i)res(|ue en dehors de la cité, se fortifièrent à mesure -que le
reste déclin:iit. I)où la nouvelle lloraison de ror[)hisme. Dans le crépuscule
des dieux (dympiens, Dionysos et l'Orphisme établirent leur empire sur les
âmes. D'autre part, les sociétés nouvelles, formées du mélange des nations
et des civilisations, tendaient vers une religion .syncrétiquc. L'unilication du
monde par riiellénisme, puis par l'empire romain, a ])réparé l'avènement de
cette forme de vie religieuse.
1^ CiMoNT : les lU'lii>ions orientales dans le paganisme romain, a explicjué
avec beaucoup de pénétration l'expansion des mystères barbares à Rome :
l'extalisme, l'émotionalisujc violent, l'accablement et lallcgresse des dieux
qui meurent et qui renaissent, contre le caractère prosa'ique et légaliste de
la religion romaine; une théologie compliquée et raflinée contre une religion
réduite à un système de rites inintelligibles; la richesse et l'abondance des
cérémonies rituelles, des mortifications et des pénitences, la puissance
morale du clergé; la conquête de la pureté perdue, la sanctification, liuinior-
lalité; l'intériorité contre la religion civique forme de l'esprit <le famille
et ilu patriotisme; ti>ut cela du reste soutenu et porté par le mélange des
peuples, par les grands courants commerciaux et sociaux, par l'unité romaine.
(^uniont montre très bien comment cet esprit nou\eau était plus éloigné
du culte ({n'avait prétendu restaurer Auguste, que du christianisme qui le
combattit et comment il prépara tous les peuples à se réunir dans le sein
d'une Église universelle.
L'élaigissement des religions anti«jues a aussi pour cause la ruine des
iclés antiques, l'indifférence des dieux locaux qui ont laissé périr leur ville.
88 I-A HELKIION ET I.A FOI
tion dos vieilles rclifîions : de rite puieiiient map:ique le saci'i
lice d'Osiris est devenu sacriliee volontaire et rénovation d
Ihommc; un moyen d'échapper à la mort est devenu l'identili
cation avec un Dieu sauveur, rédempteur et justicier, sacrifi
pour les hommes et qui les rachète par ses soullrances (i)
Heg^el déjà avait bien vu qu'Osiris, qui représente bien de
choses, l'année, le soleil, le Nil, meurt et renaît de la mort d^
la nature comme être spirituel, qu'il est, en même temps que 1(
Seigneur des morts, celui qui a vaincu la mort, le juge, le droii
et la moralité; la nature qu'il contient est toute pénétrée d'es
prit. De l'exaltation tumultueuse, de Fextatisme violent qu
accompagnent la renaissance de la végétation, s'est dégagée
une aspiration ardente, ascétique et sensuelle, vers des forcei
à la fois plus cosmiques et plus liumaines ; les dieux qu;
meurent et qui renaissent sont des dieux du salut, qui sauven
leurs fidèles en les identifiant avec eux. Leur histoire es
l'histoire de la Nature et l'histoire de l'Ame. Nature, Ethique
Mysticité, joignent leurs thèmes pour l'hymne final de résur
rection et de rédemption.
En même temps, cette spiritualisation progressive a con-
tribué au syncrétisme religieux que rendaient nécessaire l
mélange des nations, le mouvement de l'Orient vers l'Occi-
dent, la mission universelle de Rome; un thème unique
aisément intelligible, se fragmente en une variété de dieux
sous la variété de ces dieux, leurs fidèles aperçoivent l'aspi
ration identique.
Purilication, Initiation, Epoptie, tels sont les grands degréi
de ces cultes, où, suivant la fonnule d'Aristote sur les Mystère
i) MonET, liais et dieux d'Jigy/ile, p. i3o; p. 211. Il y aurait eu ^p. 3ifl
trois étapes dans la religion égyptienne : i" échapper à la mort, continuer li
vie terrestre dans un autre uionde, et forcer par des moyens magique
l'entrée de cet au delà; a* puis la conception dun dieu sauveur et rédemp
teur, Osiris, qui est sacrifié par les hommes et les rachète de la mort jiar sei
soulFrances; 3° eniin Osiris sauveur est devenu Osiris justicier, qui pèse 1(
niérife des âmes, et n'admet à l'immortalité, que ceux qui, à son exemplfl
furent vertueux.
l.K CUI.TK 89
tlllk'usis, il sapait d'c-prouvcr ol non (ra[)prciidrc. On accède
;iti\ Mystères par adlicsion volontaire (i); ils supposent une
initiation, parfois même plusieurs initiations graduelles : ce
-Miii des sociétés fermées et secrètes; à l'entrée, des ablutions,
(les jeûnes, sont requis. Ces sociétés se vantent de détenir une
iinti(juc sagesse, de garder une révélation, qui serait la révé-
lation primitive. Elles ont pour lin le salut individuel, l'im-
mortalité dans l'au delà et ici-bas la protection de la divinité.
Prenez eonlianee, ô Mystes, car le dieu est sauvé, et, pour
vous aussi, de vos épreuves sortira le salut. ) Des espoirs
inlinis sont ouverts au fidèle. Le moyen, c'est la lin elle-même;
la réconciliation, le recours au médiateur, l'union avec le dieu
sauveur : exaltation, extase, possession sacrée, tous les pro-
cédés des cultes orgiastiques, toutes les formes d'excitation et
de macération, toute l'extravagance de la soulfrance, de la
volupté et du délire sont appelés à les produire; des j^ratiques
primitives et grossières, débris de vieux cultes, sont mises au
service d'une spiritualité trouble, d'un naturalisme spirituel,
oîi viennent se fondre toutes les inquiétudes et tous les espoirs
d'un monde inquiet ; toutes les formes du sentiment, les
grands contrastes affectil's, l'allégresse ardente après la dou-
leur ('perdue, la vie sortant de la mort, la nature luxuriante
et llélrie; les contraires réunis, liaine et amour tle la chair,
plaisir des larmes, éclat du deuil, sensualité raffinée de la
soulfrance, sang et frénésie sensuelle, macérations, mutila-
tions, renoncements excitateurs du désir, orgie ascétique,
ascétisme passionné, matière qui se débat contre elle-même et
qui aspire à soi-même dans son propre renoncement : tout cela
ce sont des moments de la vie divine, la passion même du dieu
que le fidèle subit par amour, et d'où il sort, comme le dieu,
liausli^ruré.
(l) Les fidèles se la repri-sonlcnt soin eut ct)iiiiiif une vocation divine
par exemple, eliez Ai)ulèe, 1 idée de la -povota d'I.si-;, (|ui saine ses servi-
teurs
90 l.A UF.I.l(iU».\ KT LA I"0[
Sj)ii'ilnalisine enveloppé cU' matière, exlalisme magique;
des pratiques slrieles et et'licaces, des rites multiples et minu-
tieusement réglés, des consécrations et des marques indélé-
biles. Cette violente vie affective, cette poursuite ardente de la
grâce, s'appuient sur des moyens extérieurs de grâce, sur des
assurances objectives; une religion sacramentelle se développe
dans la matière, parallèlement à l'esprit; tous les artifices du
symbolisme sont appelés à relier les deux mondes, qu'une
exigence complexe pose simultanément. L'auteur des Mystères
des Egyptiens disait que le culte, à la lois esprit et matière,
convient aux âmes qui ne sont pas pures et délivrées de toute
genèse; qu'il y a une matière pure et divine, en aflinité avec
les dieux : « Ainsi le sacrifice, de cette manière, sollicite les
dieux à l'apparition; il les attire pour les recevoir, et quand
ils viennent, il les contient et les manifeste parfaitement » ;
l'ordre des cérémonies du reste imite l'ordre même des dieux ;
l'indivisible est renfermé dans des formes et ce qui est supé-
rieur à toiite image est représenté par des images; ainsi le
culte des phallus est signe de la puissance génératrice et appel
à cette puissance au printemps ; toute l'énergie spirituelle que
contiennent la matière du culte et l'ordre des cérémonies se
libère par la prière et s'unit aux dieux; le divin est naturelle-
ment présent à soi-même ; aucune des actions divines ne se
joue en dehors de lui.
Sous une forme très différente, le judaïsme évolue vers la
foi personnelle. Le judaïsme de la dispersion atténue le carac
tère national (i), accentue le besoin de prosélytisme; conversion
des gentils, universalisme, parfois tendances ascétiques,
mystiques et gnostiques ; prédominance, en somme, du senti-
ment religieux individuel sur le ritualisme national. La Syna-
gogue, conséquence de la dispersion et de la lutte populaire
fi) Voir Wendland, Die hellenistisch rômische Kuliiir, 1912, p. 208; Fried
LANDEB, Die reliffiosen Bnwegungen innerhalb des Judentums iin Zeilaller Jesu,
Uj(>:>; BoussFT, Religion des Judentums.
I.K Cl' LIE «)I
contre le ponlifieal, fait apparaître riii(iivi(liijns([ue-là absorbé
dans le culte national. Les Sectes juives qui se l'ornient à la
suite (le la crise des Macchabées s'imprègnent d'idées étran-
gères au ritualisme mosaïque. Un nouveau messianisme, de
nouvelles apocalypses marquent le projçrès dans la voie de la
spiritualisation et de la transcendance (i). Philon décrira en
termes éhxiuents tout le jeu de sentiments qu'il y a dans la
foi confiance (2) : « Je connais bien ta force débordante, je
connais la fécondité de ta puissance. J'approche de toi dans la
crainte et le tremblement et cependant je suis consolé, je
confesse de nouveau que je crains et me sens accablé. Et
cependant la crainte et la confiance ne mènent pas en moi un
combat inexpiable, mais s'accordent harmonieusement... Car
j'ai appris à mesurer mon néant et ta grandeur, et c'est quand
je vois (jue je ne suis que terre et cendre, que, précisément,
j'ose paraître devant loi. réduit en poussière, au point qu'il me
semble que je ne suis plus. »
[i> BoLssKT. Die judischc ApoLalypti/-.
a l'iiiLox, Qtiis rcrum ilhinarurn liaircs, iji.
CHAPITRE II
LA FOI RAISONNANTE
LA RECHERCHE DE LA VERITE
lieaiicoiij) (le li^èlcs croient par raison, ou du moins, la
raison entre pour une bonne part dans la formation et le main
tien de leur croyance. Descartes exprimait la pensée de beau-
cou[) d'hommes, lorsqu'il écrivait à propos de l'immortalité :
« (Quoique la religion nous enseigne beaucoup de choses
sur ce sujet, j'avoue néanmoins en moi une infirmité qui m'est,
ce me semble, commune avec la pluparl des lionnnes : à savoir
que nonobstant que nous veuillons croire et môme que nous
pensions croire très termemenl à tout ce qui nous est enseigné
par la religion, nous n'avons j)as néanmoins coutume d'être si
touchés des choses que la seule loi nous enseigne et où notre
raison ne peut atteindre, que de celles qui nous sont avec cela
persuadées par des raisons naturelles et fort évidentes (i). » VA
sainl Augustiii, dans une leltre à Nébridius, constate, non
sans (juel(|ue surprise, le besoin qu'il a de raisonner dans le^
I Correspondance, III, 080. Le racine Descartes écrit aussi : « Pour le
mystère de la Sainte-Triuité, je juge, avec saint Thomas, qu'il est puremenl
de la foi, et ne i)eut se connaître par la lumière naturelle. Mais je ne niei
point qu'il y ait des choses en Dieu que nous n'entendons pas, ainsi qu'il y
a, même en un trianj^le, plusieurs propriétés (juc jamais aucun matlicmati
cien ne connaîtra, bien que tous ne laissent pas pour cela de savoir ce que
c'est qu'un triangle. >■
L\ roi RAISONNA mi: Ç)3
luomonls iiirinc oîi il sent le [)liis ^ ivcrnt'iit sa loi ( i . Kl
rcplullicn 11»' (listinp^iiait-il poinl. en malit'ic de Coi. les simples,
iiicapahlcs et insoucieux de spéculalioii. (|iii se eonlciitcnl de
Il li'an<|Mille [)ossessiou de leur foi. mais ({iii sont exposés, en
raison de leur naïveté même, au\ sopliismes aniollissauls; et
les intellectuels, qui se piquent d'aborder les plus ahstiuses
([uestions «le la mélapliN sicjue relij^^ieuse (2) .'
Prall. dans son enquête, sui* les soixante-huit cas examinés,
en siirnale quatorze oîi la croyance en Dieu est basée sur des
raisonnements. Ainsi Hradlev n'avait j)oint tort de dire que,
pour certaines natures, la tendance intellectuelle à comprendre
l'existence est le moyen d'accès le phis important à la divi-
nité (3). Tels sont, en 2:énéral. et par nature et par |)roression,
les docteurs des Eglises. Beaucoup de simples lidèles adhèrent,
pour des raisons réfléchies, à rapoloij:éti([ue officielle, ou même
se font une apolo2:éti({ue personnelle, (pii représente leur
eflbri pour se maintenir dans leur croyance. Un des moyens
qui ont rendu possible la conversion de l'ancien monde au
christianisme, n'était-ce pas la formation d'une théolop^ie
exprimée dans le langage philosophique de l'époque et qui,
mieux que tout autre système d'idées, répondait aux besoins
du temps?
(Vest un lieu commun du catholicisme que d'insister sur le
rôle de la raison dans la foi : interrogez un catholique instruit
(le sa religion et intelligent; il vous dira fort bien (jiie les
graves réserves de Pascal sur la raison tiennent à son jansé-
nisme; il vous esquissera toute une apologétique en grande
partie rationnelle. La foi « du docteui' » est. du reste. prcs(pie
nécessaire à la plupart des chrétiens modernes, qui sont au
courant du monde : un monde oii le sens commun n'est plus
chrétien.
(I i:p.. IV, 2.
(a) De Baplism. I; adv. J>r.. II; a<l^'. Marc. I, II.
(3) Cité par Hoi'fding, Philosophes contemporains, p. O.M!
9| LA KELIOION ET l.A FOI
La vôrilé a sur les esprits un divin prestige. Beaucoup de
croyants diraient volontiers, avec Ernest Psichari :
« Que les faibles se nourrissent des plus nobles rêves :
Lui, il vent la vérité avec violence. Il est saisi i)ar la noble
ivirsse de lintelligence, et celte lièvre d'esprit le travaille,
d'aller à la véritable raison, à celte assurance très sereine de
la raison bien assise. Il demande d'abord que Jésus-Christ soit
vraiment le Verbe de Dieu, que l'Eglise soit de toute certitude
la icurdienne infaillible de la vérité, que Marie soit en toute
réalité la reine du ciel C'est en vain que... le rite, l'usage
seront invoqués. Si. le kMnple qui a su créer l'union des
peuples du Latium est mensonge, son œuvre ne sera pas
durable. Car le mensonge ne fonde rien, et les œuvres de
mensonge portent en elles leur condamnation. .Mais la que-
relle est misérable de savoir si telle illusion est nécessaire f i). »
Ou encore :
« Le désir de la connaissance essentielle. Le plus beau des
poèmes n'étanchera pas la soif immense de cette àme. Nulle
musique n'endormira plus ce malade que la misère du monde
a circonvenu. Il lui faut le pain de la substantielle réalité, aiin
que ces mirages, dont il meurt, s'évanouissent, — et non i)as
les douces rêveries du cœur, mais le vol sévère de l'esprit
tendu vers la possession éternelle... Il n'est pas de consola-
tion hors de la clarté de midi et de l'étincelante certitude...
II n'est de paix que de la raison (2). »
Si le croyant ne s'avise point par lui-même de cette exi-
gence de vérité, son directeur l'en fait souvenir. Voici com-
ment (1 Iléon, intérieurement pressé de se convertir, raconte
son entrevue avec le prêtre qu'il consulte :
« Je commence timidement, et, malgré moi, peu à peu je
m anime. Il ne m interrompt pas; il ne me calme pas; mais il
ne me semble pas participer. Quand j'ai fini, il tousse et sans
I Le voyaffe du Centurion, p. io4-
2; Jbid.. p. io6.
l.A I OI RAISONXANIl" gS
se dt'[)arlir de son iini)as.sibilité sacoidolale : '/ Si je vous com-
prends bien, dil-il, vous ôles venu à Dieu en artiste. » Alors,
toujours posé : « Mon eher enfant, Dieu est raison... •> Mais
je serais inca[)al)le aujourd'hui de restituer avee lidélité la
belle et l'roide leçon de doctrine ([u'il administre à mon cœur
exalté. Il me prouve par a-\-h que la loi caliioliciue est imbat-
table sur le terrain de la logique et de l'expérience des siècles:
il mexjdiciue pourquoi Dieu est, et Dieu étant, pour(]uoi notr<'
Dieu est le vrai. Ne nous laissons ])as és^arer par le senti-
ment : évidenmient, c'est une chose respectable, utile en son
temps (et j'en suis la preuve), mais sujette aux délections. Il
faut croire avec son esprit (ij. »
Même les esprits ordinaires, et que ne presse point un
ardent besoin dintellectualité, sentent qu'un minimum de
philosophie leur est nécessaire pour la foi. Voici ce que le
comte de Paris écrivait à M"' d'Hulst :
« Vous savez que je n'ai aucun goût pour la philosophie
dans mon existence actuelle; elle ne parle ni à mon cceur, ni
à mon imagination, ni à mon esprit. J'estime qu'il y aura bien
le temps de nous en occuper, avec des lumières plus grandes
dans l'autre monde, si cela en vaut encore la peine, et que, dans
le cas contraire, il n'y a pas lieu de s'en occuper dans celui-ci.
« Je ne demande qu'une chose : c'est que ma raison, mon
esprit, mon cœur et mon imagination soient absolument per-
suadés de l'existence de Dieu tout-puissant. Une fois ces pré-
misses adnùses. fout le reste en découle si naturellement que
je ne me préoccu[)e même pas de la démonstration (2). »
RATIONALISME ET IRRATIONALISME
La Foi oscille entre l'attitude rationaliste et l'attitude irra-
tionalisle. Elle se défend d'être la raison, car elle enseigne ce
(Il GiiiioN, Tcnioigiiaf^e d'un corwcrti, ao3.
(21 BAVDniLL.\HT, M*"^ d'Hulsl, II, JIR).
(»(-> I-V RKI.IGIO.N ET LA FOI
(luon lie pont pas savoir : elle disparaît devaiil le savoir (i).
Aussi le rationalisme religieux a-l-il toujours été mortel à la
religion : aussi bien le rationalisme qui fait de la religion un
symbole, une approximation de la vérité, l'enveloppe mythique
d'un idéal éternel, que celui qui prétend qu'en religion tout se
prouve, que la foi est toute raisonnable, qu'elle est la raison
même. L'explication et la démonstration des dogmes positifs
en abolit le caractère mystérieux. A redevenir naturelle, la
religion perd la puissance immense du Surnaturel.
D'autre [)art, ce qu'elle enseigne doit se justifier en quelque
manière. Le fidéisme absolu, c'est l'arbitraire pur.
Ainsi, la foi est un mélange de savoir et de non-savoir;
d'adhésion raisonnéc et d'élan irréfléchi.
Telle qu'elle est. la foi s'estime supérieure au savoir; ce
qu'elle contient d'obscurité lui parait une lumière supérieure à
la lumière naturelle; soit qu'elle humilie la raison humaine
devant elle et qu'elle ne veuille voir dans le monde du savoir
qu'un monde d'apparences; soit qu'elle condescende à
admettre que le savoir est un ordre de vérité, compatible
jusqu'à un certain point avec la foi et même préparateur de la
Foi; on sait combien de tentatives d'accommodation l'histoire
a successivement enregistrées.
Jusqu'à un certain point, la foi, certitude sans preuves,
représente, si elle ne la réalise pas entièrement, l'appréhension
immédiate d'une réalité suprasensiblc ; certes, la foi n'est pas
(' vision béatifi(pie » ; mais elle tend vers la vision béatifique,
elle eti est l'équivalent provisoire (2), et dans toutes les reli-
(li C'est l'axiome thomiste : Impossibile est (jiiod de eodem sil fuies et
scientia.
2 Pi-;oLEs, Commentaire de la Somme théologique, X, iiô : « Les (idèles ont
la connaissance des choses de la Foi, non parce qu'ils les voient en elles-
mêmes ou dans leur vérité intrinsèque, mais parce que la Foi les contient
et que cette lumière de la Foi qui les enveloppe ou les renferme en garantit
l'absolue certitude. Nous avons même dit que l'habitus surnaturel de la Foi
les fait un peu atteindre en elles-mêmes, pour autant qu'elle en donne à
notre esprit le goût intellectuel. ><
I,.V roi IIAISO.WA.MI. f)7
^ioiis il y a loiijoiiis eu des lidôlos (jiii ont piricndii passer de
la foi à la viie. de la i('|)r(''senlali()ii à la réalih' : ce sont les
niysti<|iies.
Inalioiiiielle en un s»'ns, la loi esl, i)ar là même. aU'eclive
et active : elle esl senliiuenl j)i'orond, coiiliaiice, conliaiice (jui
exalte; dans la loi le croyant éprouve une, pidssance ([in le
dépasse et (pii le réj^éiièie; elle a toujours, même dans ses
foiines les plus volontaires, quebpie chose de passif, d'iiié-
sistihle.
.lusfpi'à (piel point ses formules expriment-elles ce s(>nli-
incnl jU'ofond? Jus([u'à quel point le satisfont-elles? La Koi
subit-elle, en l'acceptant pleinement, comme une révélation
e\léri<'ure. une fornudc (pu la précède et s'impose? \'a-t-elle
au-devant de cette révélation, expression adé(piate ou inadé-
(|uate de ses cxiu:enccs? (^réc-t-clle son objet de sorte (pie le
do^'ine ne serait que la révélation de la Foi? (]rée-t-elle inévi-
ablement un doicme qui la représente ou peut-elle se satisfaire
de sa propre cU'iision. libre de t(jute forme positive?
L'histoire de la religion nous moidre le continuel anlai?o-
nisme de deux étals d'es])ril : rinlellectualisme, avec sa
ilédance de l'inconnaissable et' de la croyance pure, sans
onnaltre, à l'aveugle, comme par un e()U[) de force on de
lésespoir; le sentimentalisme, avec sa déliance de la science et
le la foi, comme conclusion d'un raisonnement. La plupart des
"élirions, pour la raison (jue nous avons dite, se sont appli-
[uées à concilier les deux tendances : la Foi (>royance enferme
ine part de raison, mais en même temps un surplus d'aflirma-
ion, qui vient dun élan de sentiment.
L'inlellectualiNnje se présente sous deux jj:randes formes. Ou
)i.cn il ignore ou abolit les notions de mystère et de révélation :
C>S LA RELir.ION ET LA KOI
les vérités reliifii'uscs sont alors dos propositions d'ordir
niélapliysiipic, aiixcpioUos la raison accède par des démarches
iialiiiellt's cl iiié , ilahles; le mystère n'est <pie 1 ol)Scnrité
initiale; la révélation, si elle existe, laide hienveillante d tm
Dieu qui j)révieul la raison et Iburnit à l'esprit le résultat avant
la rechcrelic. Un tel croyant est un métaphysicien. l{este à
savoir si, dans un tel système, l'enchaînement des raisonne-
ments aboutit, à lui seid. à la certitude; pour l'rauchir la proba-
bilité, la possibilité, pour sortir de l'hypothèse, ne faut-il pas
— et beaucoup le reconnaissent, et cette prétendue méla]>hy-
sique devient alors une métaphysique aH'cctive — une part
d adhésion affective, sentimentale, personnelle? Le mouvement
(|ui \a (le l'essence à l'existence n'a-t-il point toujours pour
moteur un surplus d'être? De la perfection log:ique à l'être,
de la possibilité à la réalité, le chemin ne passe-t-il pas
toujours par la valeur, c'est-à-dire par l'accord senti de l'hypo
Ibèse avec les aspirations les plus profondes du sujet? Qu'il
s'agisse de Dieu ou de la vie morale, du progrès de l'Humanité,
de la Société, du sort de la vérité et des valeurs, de l'avenir
de la Science, il n'y a peut-être toujours pour l'esprit (pic
des possibilités et des probabilités que l'ardeur des esprits et
des âmes transforme en certitude.
L'ne religion à mystères et à révélation, du moment (pie les
notions de mystère et de révélation sont foimellement pro-
clamées, reconnues et comprises, peut encore se proposer à la
raison par le détour de l'illumination et de l'intirition intel
lectuelle. D'où, en apparence, une seconde forme de ration;
lisme, qui, en réalité, ne lait (jue doubler la {)remière ou vers«
dans le sentimentalisme. La révélation se propose directemei
ijitrinsè«piement, [)ar elle-même et sans preuves externes; mal
alors c'est à une raison illuminée, à une intuition au-dess«
de la raison (pTelle s adresse, et cette illumination, complaisant
et guidée par la foi, est bien près de lui ressembler ; ou bi(
c'est au cœur qu'elle s'adresse, et l'on c(mviendra franchemei
LV KOI IlAISONN.VNTi: 99
<|u'iiiK' U'IIc iiiliiilion n'est (ju'uii aiilic nom de la seusihilitc et
tlu i-tnir : ('<|niM)(iiiaiit parfois sur le co'iir, comme Pascal; on
sort alors de linlelligence et c est parce (ju'elle convient à lame
vt <pi'elle lui propose, par exemple, une vie et une imai^e
idéales, (|iie la relij^ion est acceptée. Pour se justitier aux yeux
de la raison, il faut plus que cette adhésion de sentiment. Mais,
puisque le contenu de la foi est mystérieux et irrationnel.
puis(pie la critique de la raison tend à la vider de celle préten-
due fonction d'illumination, le rationalisme est obligé de faire
un détour; ce n'est plus le contenu, c'est le contenant qu'il s'ap-
]>li<pn'ra à justifier. Kt c'est une seconde forme d'intellectualisme.
On fera marcher de pair Ihistoire et la métaphysique. (Test
à un moment donné de l'histoire du monde que le Surnaturel
a fait irruption dans la nature. On peut faire l'histoire de son
apparition et de son développement; des témoins dont le
témoignage doit être reconnu connue valide le garantissent et
son caractère merveilleux; des témoins sûrs authentiquent
ainsi h- message du tépioin céleste, de l'envoyé de Dieu, quel
qu'il soit, qui est venu apporter des vérités surnaturelles, qui a
prouvé sa mission par des signes, au moins autant que par ces
vérités elles-mêmes. (Test la vérilicalion de ces liti'cs (jui
constitue le travail de la raison.
Par exemple, dans la religion chrétienne : un mort ressus-
cite SUT l'ordre de Jésus de Nazareth, un honnne cpii se dit
envoyé de Dieu: le fait de la mort, le fait de la résurrection, le
fait de l'intervention et de raflirmalion de Jésus sont du domaine
de l'observation et de l'histoire, et le raisonnement qui conclut
de ces faits à la réalité d'une intervention divine et à la vérité de
la mission de Jésus, a la prétention de s'appuyer sur des données
«t sur des principes |»arfailcinent t)bjeclifs et scientiliques [i).
(i) BnicouT, Où en est Diistolre dcn rellsçions? I, Z-. Amiml écrivait juste-
ment : « Le surnaturel doit se prouver liistoriquemenl, ou sinon il doit
renoncer à sortir du doinaiiic de la Foi et à entrer dans celui do l'histoire et
de la science. » iJounull, I. i43)
l.\ HKI.KilON F.T LA FOI
La ri^ninir do coltc vérification dôpend du niveau des
esprits et de l'état de la civilisation. Elle esl à chaque époque
ee (pie sont l'histoire et l'exégèse; la notion de nature et de
loi naturelle: la notion de Dieu et du divin. Par exemple, la
do< liine du miracle varie singulièrement au cours des temps ':
depuis la notion confuse du l'ait frappant et extraordinaire, de
rajiparilion magnifique, qui introduit dans le cours hahiluel et
attendu des choses une étrange rupture, jusqu'à rafllrmation
méthodique et tranquille de la prééminence de l'ordre de la
grâce sur l'ordre de la nature, lorsque s'est formée la doctrine
du déterminisme de la nature et celle de la distinction radicale
delà gri\ce et de la nature. De même, le Dieu révélateur et son
autorité évolueront d'une puissance et d'une sagesse à peine
su[)érieures à celles de l'homme, à la toute puissance et à la
toute sagesse de la théologie médiévale.
Il y a bien des degrés depuis rApologéti<iue grossière (jui
ne met en œuvre (pi'une théodicée sommaire, une physique
grossière et une théorie populaire du témoignage, jusqu'aux
Apologétiques savantes qui sont de grands systèmes com-
pli(piés. Mais dans toutes les religions positives, quelles qu'elles
soient, cette forme de rationalisme religieux met en (l'uvre les
moyens que nous avons distingués. Pour le mahométan, il y a
un problème de Mahomet, comme pour le juif un problème d<
Moïse, comme pour le bouddhiste un [)roblènie de Bouddha^
comme pour le chrétien un problème de Jésus; et pour tousJ
des questions d'histoire et d'exégèse, et pour tous des question*
(!<■ théodicée et un problème de Dieu et du divin. Même lei
dieux des religions élémentaires et leurs traditions posent aui
croyants les mêmes j)roblèmcs ; à moins (pie la tradition n<
feoit acceptée par simple autorité comme aussi la conclusion di!
raisonnement; mais nous retombons alors sur la forme de fc
que nous venons de décrire au précédent chapitre.
Il faut, du reste, distinguer encore les formes plus oi
moins rationalistes de ce rationalisme indirect et extrinsèque^
ë *
LA I 1)1 RAISO.WANTi: lOI
Lo ralioiialisino pur est celui elle/ (|ui l'adhésion e>'l piutliiile
nécessairement par les arpjuments de la raison naturelle. Les
motifs de crédibilité deviennent les motifs mêmes de la foi et
la Coi raisonnable se confond avec la foi rationnelle. Par
exemple, rauthenticité des écrits saints se démontre comme
celle de Pascal ou de Tite-Live : l'existence de Jésus-Clirisl se
prouve connue celle de César; ses miracles sont des faits histo-
ri(|ues aussi solidement établis (pie le passage du Rubicon ou
la victoire d'Alésia ; ainsi son caractère divin se dégage de
1 liistoire elle-même; ([uant à l'existence et à la véracité de
Dieu, dont il est le poite-parole et dont il faut croire rensei-
gnement, ce sont des dièses de philosophie naturelle, qui se
démontrent rationnellement. Il ne reste plus rien à croire; tout
est prouvé (i ). Le rationalisme pourra aller j)lus loin et expli([uer
les dogmes. Ainsi toute la religion positive deviendra religion
naturelle.
Le semi-lidéisme refuse à la raison, dans la démonstration
des préambules de la foi, la possibilité d'arriver à un jugement
ferme ; ou du moins il n'exige pas ce jugement ferme comme
condition de l'acte de foi, et ainsi il se contente de prol)abililés
ipie dépasse largement Télan de la foi.
Enfin le fldéismc nous mènerait hors du rationalisme. 11
nadmet pas ([uc l'on prouve d'abord les préambules de la Foi
par la raison naturelle, et qu'ainsi la raison conduise rhomiiie
à la Foi; il fonde la Foi sur la Foi. Il remplace la preuve ration-
nelle par l'autorité extérieure de la Révélation, ou par la Foi
toute pure à l'autorité de Dieu qui révèle, et qui révèle son
autorité, ou par un coup de volonté, une décision arbitraire du
sujet, ou i)ar une illumination subjective. Ce qu'expriment
toutes les formes du lidéisme, c'est la déliance tle la liiison.
(I) C'est la fonnulc de Saiiatikh : •■ Prouver qu'une doclrine est vraie par
«les ur^iinicnls rationnels, c'est l'aire d'elle une vérité rationnelle. Le rationa-
lisme de l'ar^uuient implique et amène nécessairement le rationalisme de la
eonelusion. » L-s rcUifions d'autorité, n.(o4-
I02
L\ HK1.IGION ET l.A FOI
Mais les raisons do cette déliance peuvent être didércntes : tra-
ditionalisme, autoritarisme, snbjectivisme, illiiminisme. volon-
tarisme. Le lidéisme a Ions les aspects de l'irrationalisme.
Il se tait de ces attitudes mentales, de ces positions logiques,
un mélang:e plus ou moins complexe et confus, selon certaines
nécessités historiques ou selon certaines exi£:ences systéma-
tiques. Nous les étudierons par la suite.
LA RAISON DANS LA FOI
Selon les diirérontes attitudes que nous venons de passer en
revue, ou bien la Foi disparaît dans la démonstration et elle
n'est qu'intelligence; ou bien elle admet un surplus d'affirma-
tion, ce surplus d'adhésion que nous trouvons dans toute
croyance à de grandes hypothèses; et elle est pour une part
démonstration, pour une part confiance; ou bien elle prétend
voir l'invisible, comprendre l'inintelligible; elle se donne pour
un moyen sujjérieur de connaissance, une sorte d'intuition
illuminée et illuminatrice: ou enfin elle est nettement affective ;
elle est l'exigence du cœur, (jui s'attribue le droit de choisir.
Intelligence et sentiment s'unissent, à des doses diverses, pour
former ces attitudes et constituer ces systèmes.
Prenons pour exemple la foi catholique telle qu'elle se définit
de nos jours. Elle a pour objet des mystères, dont la raison ne
peut ni démontrer l'existence, ni comprendre l'essence — même
après qu ils ont été révélés. Elle ne peut être une intuition, ni
une démonstration, qui enlèveraient à ces vérités leur caractère
mystérieux. En affirmant son caractère surnaturel la religion
\.\ KOI UAISONNAMK Io3
iriiiine tjn'ellt.' appoilo des vérités que le monde lu' manifesle
j),is et ne coimaîl pas. en même lemj)s (jiie des iiislitiilions desti-
nées à eoiidiiire l'Iiomiiie à une béatitude ([ui dépasse les e\i-
jfcnces de sa nature. Surnaturelle dans sa substance, dans son
objet, dans ee (pi'elle révèle, elle Test aussi dans son mode de
manifeslalion, puiscpi'elle s,e donne pour révélée (i).
Si le mystère écbappe à la raison, par quel artiliee la raison
parantira-t-elle le mystère? Sur le contenu de la loi, elle est
inq)uissante, mais sur son contenant? <' Aux objets ([ui dépas-
sent notre intelligence, dit saint Thomas, nous ne pouvons
donner notre assentiment qu'à cause du témoignage d'un autre,
( I c'est là proprement croire. » Croire ce que dit Dieu,
parce que c'est lui qui le dit, voilà la Foi, Pourquoi croyez-vous
le mystère de la Trinité, par exemple? Parce que Dieu, témoin
infaillible et dune autorité suprême l'a révélé; et c'est là le
motif s[)écilique de la Foi. Le premier point, l'infaillibilité du
témoignage divin, résulte de la notion de Dieu, et d'un raison-
nement plMlosoi)lii<pie de lliéodicée. Le second point résulte des
faits qui établissent la révélation chrétienne en général, et la
révélation de ce mystère en particulier. L'historicité des écrits
des apôtres, le caractère divin de la révélation chrétienne, établi
par les mi-racles et les prophéties de Jésus-Christ, l'historicité
des livi*es de Moïse, le caractère divin de la révélation mosaïque,
voilà les signes extrinsèques, mais absolument certains de la
I' St'lon la doclrinc calhnliqae, le surnaturel est ce qui dépasse les
ressources naturelles, les droits et les exigences de toute nature créée et
possilde. Voir Vacaxt, litudea tfiénloffifiiies, I. SSy.i La nature est l'ensemble
des clioses (|ue Dieu a créées ou pourrait créer : l'ordre (ini. l^ surna-
ture, l'enseiiible des choses qui sont au-dessus de tout ce «jui pi'iit être pro-
duit par création.
Les mystères ne peuvent être connus tialurellemeiil par aucune créature.
Ils sont au-dessus des lumières naturelles de toute intcllit,'ence créée.
Ils ne peuvent être connus que par une rtvelation appuyée sur l'.iutorilé
inlinie de Dieu.
Mystères, toutes les vérités i|ui rentrent dans ror<lre surnaturel et rejjar-
tlent la tin surnaturelle ou les moyens d'y parvenir, pourvu »|u<* ces vérités
n'aiq>artiennenl pas vu même temps à l'ordre naturel <pii déroule de la créa
lion
lOj I.A m.I.UilON KT l.A 1C»I
révélai ion <> signes d'aillonis accessibles à lintelligenee de
tous ».
Telli' est la doctrine des docteurs, et les lidcMes la répèlont.
« Les évang;élistes ont parlé, 4e témoignage a été porté, et la
quadruple afiirmation est si forte et si une qu'elle suffit et
donne à tout réponse. L'Kglise de Pierre la perpétue, portant
elle-même par l'accomplissement de sa promesse le gage de sa
vérité. Et parfois des signes formidables font trembler le
monde (i). »
Des j)rincipcs immétliatement évidents, des faits bien cons-
tatés, voilà ce qui, en dernière analyse, rend la foi raisonnable
et permet d'éviter le fidéisme. Mais la substance de la foi, son
objet, son contenu, échappent à la raison, (jui n'a prise (pie
sur les conditions « extrinsèques » de la Révélation. C'est
« l'exlrinsécisme » opposé à 1' « intrinsécisme », pour parler le
langage barbare des théologiens.
La Foi, ainsi entendue, est donc l'acte de rintelligcnce par
lequel le sujet tient pour vrai tout ce (jue Dieu a révélé, parce
(pi'il l'a révélé, et qu'il ne peut ni se tromper ni tromper.
L'objet de la foi, c'est donc ce que Dieu a révélé; le motif de la
foi, c'est la véracité de Dieu qui révèle. La démonstration du
fait de la révélation n'est pas le motif de la foi; elle rend sim-
plement croyables les vérités révélées en appoitant des preuves,
les motifs de crédibilité, miracles, prophéties, etc., qui donnent
la certitude que Dieu a parlé et qu'il a révélé telle ou telle
vérité. A partir de cette démonstration, le fidèle, ou plutôt le
théologien, procède à l'acte de foi (2) et dit : je crois, parce que
Dieu, vérité infaillible, a parlé (3).
I
(il PsiciiAiii, Af Voyage du Centurion, i63.
[a)- DioLKT, Traité des /irincipes de la Foi, i;;i6 : a II sufllt de s'informer si
Dieu a parlé pour s'aveiif,'ler sur ce qu'il a dit, et après les preuves de la
révélation, il n'en faut plus attendre des clioses révélées. » Avec moins de
respect, ScHEnEH dira Méiaiiffes, 1^71 que l'on veut empêcher la visite du bâti-
ment, sous prétexte que le pavillon couvre la raaichandise.
(3 C'est ce que dit (Iaiidkil Art. Crédibilité, Dictionnaire de Théologie,
catholique] : « Certain, j)ar une preuve extérieure, rjue telle formule de la foi
LA loi RAISON NANTK l05
*
*
^'<)i!;l 11' Ihc'ine. Avaiil di' l\'\aininer de plus pir-;. il
loiiviciil (!«' pn'senler qiiehnics roinarfiues.
Ct'rlc'S.il lU' faiil pas conroiidic les (loctiiiics des lin-oloLTiciis
avec les états d'àme des lidèlcs ou nièiiie des lliéol()t2:iens.
Tyrrell a pu écrire justenieut : « Si une analyse des actes de foi,
de charité ou de contrition l'ait paraître ces actes connue très dirti-
ciles à réaliser, nous savons par cela seul «pie celle analyse doit
être fausse, puisque les catlioli(|ues les |)lus simples et les plus
ifînorants i)roduisent de tels aeles lacilement et lVé(picinni(nl ' i). »
est vraie, j'ai eneorc à adliérer à cet oltjef dans tout ce (|ii'il est inft-rieuro-
nient. (Jii'csl-il intérieureincnl? Je ne le sais i)as, mais Dieu le sait. 11 nie
faut donc me tourner, avec respect et obéissance intellectuelle, vers ce Dieu
qui sait ce que j'ij;nore, et adhérera ce que j'iirnore.jiarce que Dieu le sait. »
l'ar la distinction radicale de la nature et du surnaturel, la révélation
risque de devenir une doctrine im[»enétrahle pour l'esprit, une formule
inaj;ique : d'où obéissance passive, abdication.
11 est dilticilc de mieux résumer la métliode de l'Extrinséeisme, que ne
l'a fait L.vi(i:uTnoNMi;RK : lissais de i>lnlosopfiii' ndii^iense, p. i()t).
a Le christianisme est essentiellement un fait historique. La vérité chré-
tienne «'st un enscnd)le de propositions connues par ou'i dire qui dépassent
complèt«'mcnt la jjorlée de notre esprit et dont tonte la crédibilité repose
sur les litres de l'autorité qui enseigne. On établit que Jésus-Christ a existé,
qu'il a réellement fait et dit ce qu'on lui attribue. On aboutit donc, sur les
événements en (piestion, à une certitude historitpie. Puis, examinant les faits
en eux-mêmes, à cause de leur caractère extraordinaire, on jufrc qu'ils sont
miraculeux; on en conclut que celui «jui en est rauleur est Dieu, comme il
l'a déclaré lui-même. Mais ])uis(|u'il est Dieu, on en conclut (juc la doctrine
qu'il a enseif^née et confirmée par ses miracles est divine et que par consé-
quent luius devons la croire, bien qu'elle dépasse la portée de notre esprit.
De cette m.inière, la doctrine chrétienne se présente à nous comme
quelque chose d'absolument étran;;er et d'abs(dument extérieur à ce (pie nous
sommes. Le surnaturel est une sorte «le superfétation.
l'ar suite même de la position i)rise, on supposera un ordre de vérités
naturelles, constituant une |)hiloso|)iiie achevée, définitive; et on siqipose,
d'autre part. que. par la révélation, nous sommes en présence d'un ordre de
vérités surnaturelles, parfaitement connues de la fa^-on <lont e^les peu\ ent rèli-e.
Le problème consiste à les con<ilier en évitant le i-atioiialisme et le iidéisme.
Comme il ne serait pas suffisant, pour le Ix-soin d'unité que l'on <herehe
asalisfaire.de montrer (jue la révélation ne contredit pas la raison et qu'elle
dit seulement autre chose, on s'efforce d'établir des analof^ies qui rendent
ces vérités surnaturelles au moins vrais<'mblables pour nous. On s'efforce «le
les concilier avec la science et la philosopliie. ■>
i De i'Jiaryhile en Seylla.S-2. L'auteur ajoute : « Le «lépot «le la foi n'est pas
simplement un svmbole, «nu- confession «le foi. I>a pr«)i'essi«>n «le foi est enve-
I(l6 LA HEKIGIOX ET LA FOI
Va pourlanl les doclriiuvs correspondiMil jiis(i«rà un ccilaiii
point avec les riais d'ànu' cl (loublonient : d'abord parce
(prelles oxerccnl sur les liomnies une suggestion puissante cl
(|u'elles se réalisent jusqu'à un certain point dans les con-
sciences ; et puis, ce (pii est plus important encore, parce
([u elles répondent à certaines exigences inlernes, parce (pi'ellcs
traduisent certaines attitudes psychologiques. La forme de loi.
(|ue nous sommes en train d étudier, se présente comme un
compromis entre certaines nécessités logiques et certaines exi-
gences psychologiques, et ses variétés répondent à des manières
d'être, à des virtualités diverses, en même temps qu'à des
exigences historiques. Xous nous efforcerons de les distinguer.
D'autre part, il est impossible de nier que celte doctrine se
présente avant tout comme la solution d'un problème logique,
(jui va se comphipiant et se précisant à travers l'histoire du
christianisme. Elle est donc un système et un produit de
l'histoire : nous aurons à préciser, de ce double point de vue,
ses conditions d'existence.
Le croyant a besoin de se garantir sa loi parce qu'il pense,,
et qu'il lui faut intégrer sa foi à son système de pensée. Quanc
il ne pense pas encore ou qu'il renonce à penser, il peut s
passer de garantie, et il [)eut se complaire à cette absence d<
preuves qui parfois exalte sa foi. (^uand il pense et qu'il pens<
sa toi, il se trouve devant l'objet de sa foi, ou devant le
raisons extérieures cpii la lui garantissent.
Or, malgré les distinctions théologiques, l'objet de sa foi
le dogme qu'il professe, n'est pas affecté d'une inintelligibilité
lopia-i- <lan.s la prière et doit en être dégagée. Les formulaires doivent toiijouri
«trc contrôlés et f;xpli(|iu''S par la religion concrète qu'ils formulent. L
orantii eut lex crederidi. » Loisy écrit dans le même sens : Autour d'un pcti
IWn'. 194 : « La déinonslralion philoso{)liique de l'existence de Dieu n'a jou
(juiin rnle très restreint cl tardif dans le développement de la religion et d<
la foi en Dieu. La priorité logicpu; de celte démonstration rationnelle, dans h
scliciiia officiel ilc la tlicologic catlioli«ine, ne correspond à aucune priorit)
réelle, et la connaissance religieuse de Dieu est autre chose que cette méta^
j>hysique de la divinité. «
I
LA KOI RAISON N \\ li: lO^
(l'uiir iucnni|U(liciisilMlih'' radicales, (^cst un tlicinc rcliniciiv .
(jui fait a()|)('l à la iialiiic luiiiiaiue et dont la puissance ail'cclive
est considcrahle ; c'est la solution d'une cnisîmi' morale et
inétapliysi(iue: le Dieu-Homme, le Dieu ([ui s'incarne dans la
nature hinnaine. qui se sacrilie, meurt et renaît de la morl.
rachetant ses lidèles par la vertu e\piatrice de son sang, n'est
pas simplement « une formule ('niirmatifjue et ténébreuse que
Dieu promuli^uerait au nom de sa toute-puissance, pour mater
l'orgueil de notre esprit (i) ». Les. dogmes ont, certes, un sens
moral et prati([ue; ils e.Kpriment la vie de Dieu en elle-même et
dans ses rap[)orts avec la vie de l'humanité, « ils expliquent
ce que nous sommes et ce que nous devons être et comment
nous le deviendrons. Ils constituent donc pour nous dans leur
ensemble une conception complète de la vie (2) ». Ils ne sont
vraiment crus qu'autant qu ils sont vécus ou qu'on s'imagine
pouvoir les vivre. Ils ont d'abord l'intelligibilité de la vie.
C'a été justement l'eirort de tous les grands novateurs et
réformateurs religieux d'aller droit à un grand thème, exci-
tateur d'énergie. Les novateurs l'inventent; les réformateurs
le retrouvent en débarrassant la religion des dogmes surannés,
en la ramenant à un petit nombre de points essentiels et
salutaires. Les âmes de foi se mettent ardemment en présence
de la doctrine pour la réaliser. Et ainsi " il n'y a [)lus une
doctrine qui nous serait imposée d'en haut et du dehors, sans
relation avec nous et que nous n'aurio-ns qu'à enregistrer
passivement. Les dogmes sont explicatifs de ce que n )us
sommes, explicatifs aussi de ce que nous avons à devenir (3) >.
(il L.\UEHTiio.\Mi;nK, l>hilosophir religieuse, 272.
al Jl)id.
il Ihiii., 207 : « La clmte d .Vdaiii, la Rédemption, ne sont plus des cvéïu'-
mi-nts tiui se sont proiluits, il y a quohpies milliers d'années, el (jn'une auto-
rité enseignante serait chargée de nous Caire connaître comme un l'ait
hi.sturi(|ue à jamais évanoui. C'est un événement (]ui domine le temps, que
nous expérimentons dans notre condition aelui-ile, qui prend un sens par ce
que nous sommes, de même que ce que nous sommes prend aussi un sens
pardui. "
lO^ LA KKLIi.Ut.N Kl l.V KOI
1
Ainsi, lo cioyanl placé on face du dogme en éprouve 1
vérité morale et la cohérence lop:i(pic ; ce sont des besoinj
aflectits et lofçiques qui ont ahouli à sa formation ; riet
d'étonnant (pi'ils s'y reconnaissent. Une vie se reconnaît dau!
une vie; un es])rit se reconnaît dans un devenir hislori(iue, (ju
a abouti à un système. Joignons à cela ces sentiinenti
intellectuels, sans compréhension véritable, ces imju'essions di
comprendre, (pii se joignent souvent à des états afrectifi
profonds, ces illusions sentimentales qui simulent linlel-
ligence.
Ola, c'est la verilas {hùc comme dit saint Thomas. Ces
1 attrait moral des dogmes et leur puissance exaltante
salutaire, le sens de la beauté, de la vérité, du bien confondus
c'est « l'Kvangiic ([ui parle au cœur ».
Il y aura (pielque chose de ce genre de vérité dans toute
croyance. Les dogmes ne sont jamais un bloc informe, entière-
ment inassimilable à l'esprit. On n'a jamais donné à croire
aux hommes (juelque chose qui, par aucun de ses éléments,
n'eût aucun rapj)ort à eux. Une religion est d'autant plus. crue
qu'elle suscite davantage les sentiments profonds. En ce sens,
il est vrai de dire que la foi est « la rencontre de deux amours
et non pas la liaison de deux idées (i) », que croire ce n'est pas
ap[)li(pier les facultés logiques de son esprit à la vérité sur-
naturelle en vue de l'organiser méthodiquement à partir de
certains principes ou de certaines données. « Croire, c'est
vivre (2). »
Entin, l'existence même de la théologie est là pour établir
que les dogmes peuvent se relier entre eux de façon à former
un tout organique, un système plus ou moins cohérent. Les
principes n'en sont point démontrables, mais, une fois adnns,
l'ensendjle se constitue sans trop de peine. La religion n'est
(i) Lauehtho.nmkhk, l'Iiilosojiliie n'iii^^inisf. i(ji.
(u) Ibid.
l.\ l'OI IIAISONNANTK KMJ
pas un lève iucohcrcnl cl sans coiisislancc (i). L(; danger de la
llu'ologic, c'est du reste qu'elle dépasse le bul. Emportée par
IVlaii (l()i;iMali<iiie. elle se laisse aller au système et à res[)rit de
-Nstème. Hien des choses, dans une dogmatique, ont cessé de
M pondre au sentiment primitif et ne lépondent plus qu'à
1 ( spiit de système.
Foui cela revient à dire ([ue res[)iil humain ou du moins le
( M ur humain, placé en face du dogme mystérieux, s'y retrouve
jiisipi à un certain point, et (pi'il y a dans le sentiment de
(ilie convenance le commencement d'un acquiescement.
Du reste, l'histoire et la psychologie concourront peut-être
:i montrer que le dogme, ([ui satisfait à cette exigence, est. au
moins en partie, le résultat de cette exigence, de sorte qu'ici
encore la foi qui se retrouve dans les objets religieux est, au
moins en partie, la foi qui les a créés.
Mais c'est justement contre cette hypothèse que s'est édifiée
la doctrine que nous examinons maintenant. Le Dieu « sensible
.111 cœur », dont la présence serait immédiatement sentie dans
les dogmes (pii l'expriment et ([ui le représentent, est relégué
ail lointain du ciel dogmatique, et il ne peut plus être atteint
«pic par des démarches indirectes et compliquées.
Cela vient d'abord de l'aflinement et de la précision crois-
sante de l'idée de vérité. .Vu contact de la pensée philoso-
phi(iue, la philosophie de la religion s'est accoutumée au
schéma de la démonstration et de la preuve. Or, les raisons du
cœur, l'harmonie de la religion avec nos dispositions morales
intimes, peuvent bien rendre aimable ou vénérable une vérité
de foi. Mais ce n'est ni évidence, ni démonstration. Et la
démonstration échoue, et même elle est impossible, puis([u'il
s'agit diin mystère. Donc, même si on les retient, les raisons
(I) Los llH-ologiciis (Mllidliiiiiis .((liiictleiil lri>i> principes ciiii ri'iuleiit
possihli' jiisfju'à un coilain poinl l'inlcllifrcnco dos Myslorcs : rapports avoc
la lin dorniore de l'iioninic, analo^'ies avoc l'ordre naturel. rai>p"rl des
Mystères entre eux
IIC) LA llELlGIOiN ET LA KOI
ilii cœur doivent, pour engendrer la crédibilité, l'aire un déLou^
par la véridicifé du lénioignage. On dira avec Pascal : « 0\i
donc a si bien connu le cœur de riiomme. si ce n'est Dieu?
Et l'on retombe ainsi sur le Dieu témoin et garant de la véril
des dogmes, que d'autres raisons garantissent ; ce n'est que dî
cette manière que les raisons du cœur, transformées ei
arguments à l'appui de l'existence du témoignage divin, peuvenj
devenir des motifs de crédibilité (i).
C'est qu'en effet la théologie, en même temps (pi'elle déve
loppait le dogme, a senti le besoin de maintenir et menu
d'accroitreson inaccessibilité ; c'est elle qui faitTinintelligibiliti
radicale du dogme, beaucoup moins inintelligible avant lei
distinctions delà théologie. Les idées de Mystère, de Surnaturel
de Révélation se sont juécisées à mesure qil'on les posait pouj
elles-mêmes et qu'on les examinait en elles-mêmes, car h
Révélation est, par essence, transcendante à la nature et ne b
])énètre <jue comme une réalité étrangère, visible aux spec
tateurs seulement comme une existence, comme un fai
contingent : ([u'on la prenne sans crili(jue, avant la critique, oi
après la critique, elle a quelque chose de limitatif et d'ex-
tensif à la fois; elle restreint la nature et elle la déborde
Mais la notion de Révélation s'est précisée surtout à mesure
qjic se précisaient les idées contraires de Nature et d'Intelligi-
bilité. Or, comme l'a vu profondément Stuart Mill, les preuves
internes de la révélation ne sauraient jamais autoriser à liii
attribuer une origine surnaturelle: nulle raison concluante d(
croire que les facultés humaines, qui peuvent percevoir c\
reconnaître l'existence de certaines doctrines morales, sont en
même temps impuissantes à découvrir ces doctrines (2). Ce»
'I; Voir Gaiu)i.ii„ Dict.de ThéoL callioL. Article ; (^icdibilité. D'autre part 1
oonfiance ne .siilïil jias et ne se sullit pas. « Il ne i)eiil pas y avoir de conlianc
en Dieu sans des conditions définies de Dieu et de ses rapports avec le niond
et avec l'humanité. La foi contient toujours un moment intellectuel san.s leque
elle nexLste pas; elle n'est jainai.s uniquement un sentiment ou un étal d'âmes i
2 Stuart Mii.L, lissai sur la religion, 202. :
I. \ KOI H VISO.WANTK III
ainsi i\\iv ras[)ecL cxItTicur du surnaturel est anieni' à iniiidri-
le pas sur l'aspect intéiieur. et la méthode empiiique sur
la méthode d'immanenee ; la vérité chrétienne s'impose du
<lehoi's. au lieu d'être recueillie et acceptée comme attendue et
réehunée du dedans.
Kl pourtaut, il faudra justilier jus(prà un cerlaiii point le
contenu de la relii,Mon. Car 4 ohlijçés de croire <pie la laison se
trompe en jugeant le contenu, nous pourrions croire aussi
({u'elle nous trompe en jugeant de la vérité du contenant. »
La raison est-elle ea[)able de piouver des connaissances <pi"t'lle
est incapable d'acquérir .^
Mystère. Miracle. Surnaturel, notions parentes, et (pii se
précisent par opposition. Il n'y a de Mystère qu'autant que se
4ouslitue l'intelligibilité <pii l'exclut. Ce qui sera mystérieux
plus tard, au sens plein, d'abord n'est qu'une anxieuse et vague
terreur. Le monde religieux des mythes et des dogmes est
tl'abord un monde étrange et familier, étranger, certes, au
cercle de la vie profane, mais pourtant étrangement mêlé a
lui. C'est le temps où
. . .le ciel sur la U'rro
Marchait cl respirait en un peuple de Di«Mi\.
Les représentations religieuses originelles, comme on la
bien montré, sont encore indifférenciées d'avec les mouve-
ments et les acles qui rendent effeclive pour le groupe ou le
sujet la communion oîi il tend : « La participation est si réelh-
menl vécue qu'elle n'est pas encore proprement pensée » (i;.
Il y a une foi (pii ne cherche j)as encore à comprendre ou à
s'expliquer son objet : « Ubicjuité ou niulliprésence des êtres,
identité de l'un et du multiple, du inênie et de l'autre, de
lindividu et de l'espèce, tout ce ({ui ferait le scandah' et le
tlésespoir d'une pensée assujelie au principe de eonlradiclion
est implicitement admis par cette mentalité prélogique... Elle
1 Lkvy-Hhi MI,, i'onr/ions mciitiilcs, !i3~
11-2 \.\ HKI.KIIO.N ET I,A 1X)1
a son expérionco à ollo, loulo inyslique, mais bien plus com-
plète, plus profonde . plus décisive que l'expérience souvent
ambiguë dont la pensée proprement dite sait qu'elle doit
accepter et même rechercher le contrôle. Elle s'en satisfait
entièrement (i). » Ainsi la notion de mystère grandit et se
précise à mesure (pie s'accroît la connaissance cpie l'homme
possède de lui-même et du monde. Cette notion a besoin du
contraste de la science pour s'afiirmer et se préciser. En même i
temps elle se développe et Uiid à envahir toute la religion :
obscurité invincible, secret divin, réalité qui dépasse toute
intelligence, que la raison est impuissante à expliquer, à
découvrir, à comprendre, même après la révélation.
Ainsi, (piand s'est organisée, pour les raisons et dans les
conditions (pie nous préciserons, la notion de deux mondes,
de deux ordres, la «distinction de l'ordre naturel et de l'ordre
surnaturel, les thèses incompatibles, précédemment unies dans
une confusion synthétique, en vinrent nécessairement à se
poser dans leur radicale incompatibilité (2). Et c'est alors que
le Surnaturel inintelligible, et cjui a besoin de l'intelligence,
n'a plus trouvé pour l'accueillir (|ue la méthode de « l'extrin-
sécisme ». Mais une telle méthode est inévitablement pleine
de difticultés et de périls. Ne, vide-t-elle pas la foi de son
molif principal? Ne risc|ue-t-elle pas de trop démontrer, ou,
au contraire, de rester lamentablement insuflisante et de se
résigner, en lin de compte, à faire appel à la transcendance
de l'Autorité pure (3)? Elle réussit aussi longtemps qu'unp
croyance universelle la rend superflue. « Ils prouveront la'
^i; Jbid., ^28.
(2) (>'est l'opposilioii iiaison-Foi et en même temps les difFérents essais de,
soIiiii(jn du conflit: juxtaposition pure et simple; opposition surmontée;
coordination et subordination.
(3) Labeutiio.nmkkk {Annales, 1908-1909, p. 4ii)- : « L'Apologétique ration-
nelle n'est rien de plus (juune fiction. (Jn commence par poser en principe*"
que les vérités religieuses doivent être démontrées au moins extrinscrjue-
ment : partant de certaines données qui seraient naturellement à la portée
de tout le monde, on doit aboutir, par la seule vertu du raisonnement, à
LA l'Ol HAISOXNANTK Il3
vôriU' (If la docliinc par les miracles, el les iiiiraelo [(.ii- la
(loeli'ine. lanl (jiie les peuples eroironl au miracle sur lémoi-
giiau:e el (pie la doehine ne sera pas eoutestée comme
(liviue (i). a
L'ACTE DE FOI
l^xamiiions de plus près la structure de l'acte de loi, selon
la Ihc'olojiie catholique. Elle d(3clare d'abord qu'il ne peut
être d(!'taclR' de la vie du lidc-le que par une fiction arbitraire.
L' (' habitude de la loi » prt'cède et prc^pare l'acte de loi. Cette
habitude, c'est, au sens psyehologi([ue, la manière d'être du
lidèle. l'ensemble de ses dispositions et de ses inspirations ;
au sens tlu'ologicpu', une vertu divinement infuse, une ij:ràce
habiluelle ([ui rend capable de produire des actes de loi sous
l'influence de la p:ràce actuelle.
La lhéoloii:ie d(''crit ici un fait incontestable, (pielle entend,
à vrai dire, comme un t'tat surnaturel. Xewman disait que
c'est la pureté du sentiment, la sainteté, la soumission ou
l'amour, peu importe le mot, qui est l'œil de la foi : on gagne
à saintement vivre une élévation, une délicatesse, une pureté
d'esprit indispensables à l'intelligence de la vérité des Ecri-
tures. Les ànies de sensualité ou d'orgueil se suffisent à elles-
mènu's.
l'ariiriiiiUioii lo},'i(iuc fjue de telles asserlions sont à croire. Mais on constate
ensuite ([iic la loi ne se produit |)as ainsi, i)arce que la loi exijii'e en outre
l'intervention de la j^ràce el de la volonté. Kt on constate ensuite qu'il n'est
pas i)ossilde de mettre sur pied cette dénionslration parfaite avant de se
décider el i)our se décider à croire, lîicn plus, il ne faut pas que celte dé-
monstration soit jamais parfaite i)arce que les vérités étant seientilitiuement
démontrée-; ne pourraient plus être objet de foi. Et c'est alors que sous des
formes dillérentes on fait ajipel aux suj)|)léances subjectives, aux disposi-
tions du sujet et à l'intervention de la }>:ràce... Hn même temps, pour ne
pas voir (jue de la sorte f)n avoue, non seulement rinsufllsanee de la
démonstration, mais le besoin qu'on a ([u'elle ne suflise pas, tout en la disant
néces-iaire et possiiile, o:i laisse entendre que si elle ne suflit i>as, c'est par
la faute des individus qui ne sont pas ce qu'ils devraient être. »
(il Uknouviku, Manuel de /ihilosoiihie tincieniic, II, 3yi
Il4 LA. HELIGION ET LA FOI
(Vfs! pourquoi riiabilude de la loi, qui maintient ferme le
litlèle. le dispeuse. jusq.i à un eerlain point, de rexamcn qui
prouve la croyance et des raisons sur lesquelles s'appuie la
erédihililc de la révélation. La plupart du temps, du reste, le
croyant s'arrête à l'intention de la toi. c'est-à-dire à cet acte
primitif et initial, ([ui contient à l'état de désir volontaire tout
ce qui constituera l'acte intégral de la foi formée.
Mais voici le schéma classique de cet examen.
Il y a des raisons de croire, des « motifs de crédibilité ».
L'assentiment de la foi n'est pas un aveugle mouvement de
l'esprit.
Les raisons de croire ne suffiraient pas, sans une illumina-
tion et une inspiration qui font trouver à tous suavité dans le
consentement et la croyance. La foi est une vertu surnaturelle
une grâce.
Cette illumination et cette inspiration, cette grâce, en un
mot, est l'essence de la foi. C'est à cause d'elle que l'on croit,
et non pas à cause des preuves et de leur action sur l'esprit.
L'absolu de Lassentiment du tidèle ne se mesure pas à la force
démonstrative des motifs rationnels d'adhésion. Dien se révèle
dans la grâce de révélation qu'est la foi. C'est la lumière
divine qui fait la certitude de l'acte de foi. La foi, c'est avan|i
tout la grâce de croire : de croire en la puissance qui est l^
grâce. La puissance de la grâce devient la puissance de croire (i).
I
î
i) Cest te que Leibniz a puissamment compris : « La foi divine, quan^
elle est allumée dans l'àuic, est quelque cliose de plus qu'une opinion, et ne
dépend pas des occasions ou des motifs qui l'ont fait naître; elle va au delà
de l'entendement et s'empare de la volonté et du cœur pour nous faire agfif
avec clialeur et plaisir, comme la loi de Dieu le commande, sans <(u'on oit
plus besoin de penser aux raisons, ni de s'arrêter aux dinicultés de raisQ»-
nement que l'esprit peut envisager. » [Discours delà Conformité de la Foi
de la Raison, p. 29.;
I.V l'OI n.VISftNNWTK Il5
Mai< la diriiciillé inévitahlc, c'ost q«io la loi, qui, en un sens,
rsl iiliiniinalioii ol inspiration p:ratniles. au delà do lor:lc
raison, csl. en un autre sens, raison de croiie.
Selon (jue la théologie aceentue luii ou 1 autre élénienl.
laete de loi prend couleur de lidéismc ou de rationalisme :
mais, inévitahlemeni, les exitjenees de l'orthodoxie ramrneni
l'autre élément pour l'aire contrepoids au premier. De sorle
qu'au sein de chaque système, il y «a plus ou moins la
recherche du compromis; de sorte ({ue la succession des sys-
tèmes est gouvernée jusqu'à un certain point par cette oscilla-
tion.
Kl en elFet, il y a des théolog^iens (pii mettent la science
daus la foi, et (jui assimilent la foi divine à la foi scientifique
fondée sur l'évidence du témoi;i:na,2:e. Je crois parce que je vois
que Dieu l'a dit et (pie ce que Dieu dit est vrai. Puisque la foi
est une adhésion intellectuelle et raisonnable et qu'elle ne
repose pas sur l'évidence directe de la vérité, c'est donc sur
l'évidence de la vérité dans le dire d'autrui, sur l'évidence du
lémoi2:nau:e, qu'elle est fondée. L'acte de foi tend ici vei^
l'acte de science. Il deviendrait aisément une simple conclusion
loifiijue de prémisses rationnelles (i), la vue trop nette de
l'aulorilé abolirait la foi. (jui repose sur l'autorité pure et
simple (d'un côté l'autorité ne peut se passer de l'évidence, et
de l'autre l'évidence est destructive de l'autorité), si le théolo-
gien ne constatait aussitôt l'excès de l'adhésion sur les motifs :
ce <pii lui fait admettre qu'elle est proportionnée au poi<ls i\i'
l'autorité, non |)as telle qu'elle apparaît, mais telle qu'elle est
en elle-mcm«'. Autrement et sans franchir la nature, commeni
atteindre le monde surnaturel? De sorte (jue le réalisme de la
grAce vient compenser l'inteliectualisnie de la raison raison-
I On usera, il est vrai, de siihfprfufjes, pour parer nu clan<;er; liberté
d'examiner ou «le ne pas examiner; liberté dallitude intt'rieare au lours de
la rerherelie, lilierlé «l'un refus dans le passaj;c du juj^einent de loi à l'acte
âe foi.
Il() l.A HKI.KtIDN KT I,.\ KOI
nanti' et la loroo surnaliircllr dv la limiièro divine sajouler
aux conelusions (le la lumière naliirelle. L'orthodoxie esl
sauve : sauve aussi la vérité psycholos^iquc.
Mais, à la limite, ne |){ iil-il y avoir, sous l'empire de la volonté,
une adliésit)M de l'espiit indépendante de lotdc influence logi(iue
des motifs et de toute vue de la véiité?
Seulement, si l'on superpose une telle adhésion à la [)i'e-
niière. ne eesse-t-elle j)as d'être une adhésion raisonnable, à
moins de rester en rapport avec les preuves?
Ou bien encore, nest-il pas possible, dans l'acte même de l'oi,
de fusionner les motifs de crédibilité avec r« objet formel », l'au-
torité de Dieu. <iu'ils éclairent d'une lumière rationnelle. Les
prémisses ne peuvent-elles être admises immédiatement avec
leurs preuves tellement renfermées en elles-mêmes, tellement
fusionnées avec elles, (pi'il n'en résulte plus (pi'une seule pro-
position Innnédiatement connue, par une sorte de vision syn-
théti(pie (i). Le discours disparaît et fait place à l'intuition.
(3u bien encore, la Foi n'est-elle pas un simple déplaccmeni
de p^ravité de l'àme humaine? L'adhésion naturelle, c'est unej
adhésion de simple constatation ; les vérités divines n'y pré-
sentent ancun intérêt ; elles y sont comme non avenues, comnrt
si elles Ji'existaient pas. L'adhésion surnaturelle, au contraire,!
consiste, sous Taction de la ii:ràce, à adhérer à ces mêmes véri-
tés, comme au bien suprême auquel l'homme est destiné. Ainsi
la foi surnaturelle succède immédiatement à la crédibilité théo-
loj.îi(pie, la vérité est à la fois objet de foi et o])jet de science (2)J
(1) LUGO.
(2) Père IIiLAi!(E, Eludes franciscaines, i;)oS. Hermès distinj^uait, on le sait,
la 0 foi de connaissance », pi-oduit naturel et nécessaire de l'examen rationnel,
assentiment qui se produit sans la <yiàce et sans la liberté, et la « foi dl
cciur » a^issatil par la charité, foi surnaturelle, foi vraiment libre. Mais l'in^
tellectualisine d'IIerniès esl imprégné de Kantisme. La \crité et la réalité d<
1 histoire évanjjélifjue ne j)euvent, d'après lui, être admises de telle fa<;on qu<
tout doute spéculatif soil exclu. Il ne serait j)as aljsurde, pour la raison spéj
culative, d'admettre que .Jésus, en se disant Dieu, ail clé lrom|)eiirou lrr)nipéJ
Hermès, après avoir discuté si le nouveau Testament et la tradition orale sonj
hisloriquement vrais « d'une fa^on extérieure », remet à la raison pratique If
I.V lor HAI.-Q\.\.\MK 117
()ii liit'ii t'iic'oic. on ft'ia ix'im'Iici' plus |)r()roiul«''monl la
place dans le Iravail do la raison. I/honinic pcul-il, sans l'illu-
niinalioii de la Lrràct', pcrccvoii- (.-oinnio ptcuNos les prc'ainhulcs
de la Foi? S'il vu est ainsi, il no fanl |>oinl iniai^iner iU'
ju^:cnlont do orôdil»iIilô, (pii oonsliliio un aolo dislincl. La
poi'coplion do la orôdibilil»'- no fait ([n'iin avec Tacto de toi. « 11
n'y aurait plus lieu de dédt)ul)lor ■ la loi vivante en un aele
de raison et un aete surnaturel », « d'applicpier sur l'aete
nalurol la dorure du surnaturel (i) >.
Une grande part est faite iei à la nature, sans que soit nié
pourtant le caractère surnaturel de l'acte de foi. Mais la grâce
surnaturelle ne sollicite à faire que ce que les lumières de la
raison suggèrent: grâce surnaturelle, non ([uani à la substance,
mais <piant an modo d'opération.
(l'est pour(pioi une autre école soutiendra ([ue les lumières
de la raison ne sauraient fournir le motif d actes surnaturels.
Pour que la foi soit vraiment foi divine, il faut que l'autorité
du Dieu révélateur qui l'inspire soit ill(-mèn;e 011:0 par un
acte de foi.
Va ceux dos Salmanticenses qui voient dans cette assertion
de Suare/ un cercle vicieux et qui croient ré|)ondre au
problème par la distinction de Dieu comme auteur de l'ordre
naturel et comme auteur, de l'ordre surnaturel, et qui
enseignent (jue la foi n'est surnaturelle et salutaire ([u'autant
qu'elle s'à[)puie sur le témoignage de Dieu considéré comme
auteur de l'ordre surnaturel, aboutissent en lin de compte à la
question même : Dieu, auteur de la Foi, est-il connu naturel-
lement ou surnatuiellement?
soin de (Iccieler si la tloi-lrine tli- Josus. tcUo (|u'cll«' est proposée dans et" li\ rc
el dans cfltc liadition, csl " iiitcrii'ureiiuMit " vraif.
D'où lin snl)jtclivisiiie, qui attriiit aussi la lliéolofîii' morale; car, pour
Hermès, 1rs coniinandcini-nts de Difu nacipiièrcnl l'on-e obli^^aUdro, (|ncn
tant qu'ils sont inlérifurcnicnt, aprts exaiui-n dv leur objet, reconnus con-
formes imx exijrences de la raison pratique.
(I) lloissELOT, lifchf relies de sciences relii^icuses, njnt cl i<)i^-
Ilb< LA UELIGION Kl LA FOI
D'autres siipposonl la vue de la vérilé coinnic coiulilion
préalable de l'aclc de foi, mais ils en font abstraction dans
Tacle inèiiie. Les jugements sur la véracilé divine et sur le t'ait
de la révélation ne conduisent qu'au seuil du sanctuaire
L'adhésion de foi ne se fonde plus sur l'évidence du témoi-
irnage ; mais sur la seule autorité du témoin.
La Foi suppose la vue des motifs, mais elle est motivée
uni(juement par l'autorité divine, sans aucune inlluence
logique de la vue préalable sur l'assentiment. L'autorité divine,
Egarante des vérités révélées, n'est plus seulement le motif de
la croyance; elle t*n devient la cause. La Foi, c'est l'autorité
divine acceptée purement et simplement ; c'est le respect qui
s'incline devant la suj)ériorité. Croire, c'est captiver son
intellij^ence sous l'autorité de Dieu. L'acte de foi s'appuie
ontolop:iquement, mais non logiciuement sur les certitudes
préalables.
Mais, après tout, il se nourrit de ces raisonnements. Le
départ est diflicile entre la foi proprement dite et la conliancfi
de la raison en elle-même et en son œuvre.
*
*
La doctrine classique de saint Thomas ouvre magistralemenl
l'ère de ces périlleuses spéculations. En voici l'économi<
essentielle :
Les dogmes ne peuvent être l'objet d'une adhésion natu-
relle de l'intelligence. L'objet sur lequel porte l'acte de foi^
n'a pas le pouvoir par lui-même de causer l'adhésion ; p*]
lui-même, il rebuterait plutôt l'intelligence, car il présenti
LA lOI RAISONNANTi: II9
M des apparences Ibrniidables d'impossibilité (i) *> ! La science
<|ui' nous avons de Dieu est eellc ([u'à partir de données
sensibles nous pouvons ae(juérir d'un être purement intel-
ligible. Ainsi l'entendement, se tondant sur le témoij^naKe des
sens, peut inférer que Dieu existe ; mais non connaître l'essence
divine.
L'adhésion au dogme a lieu par l'inlermédiaire de laulorilé
divine, qui est reconnue par la raison et qui meut la volonté.
A partir de celte illuminalion, l'Iiomme commence à parti-
ciper de la vie éternelle. La foi se trouve entre deux pensées
enquêteuses : l'une inclinant la volonté à croire, et celle-ci
précède la loi; l'autre tendant à l'intelligence des choses que
l'on croit déjà; et celle-là est ensemble avec l'assentiment de
la foi.
Et voici comment est traité le problème qui nous occupe.
L'acte de l'intelligence, qui précède et [)répare l'acte de foi, et
qui travaille sur les motifs de crédibilité, aboutit à une
adhésion, qui est la conclusion d'une enquête, qui est une
adhésion de science. L'enquête satisfaisant l'esprit, il conclut
favorablement. C'est un acte de foi au surnaturel, mais ([ui est
d'ordre naturel.
Ainsi, à l'aide de l'histoire et du raisonnement, le sujet
établit que Dieu a parlé et que sa parole est vraie. Le témoi-
gnage divin ou la révélation divine est, de ce point de vue,
chose (pii se prouve, objet de science. Donc, cette reconnais-
sance du fait et de l'autorité de la parole de Dieu ne lait pas
partie iiilrinsèque de l'acte de foi, même «piaiid elle est rell'el
de la grâce.
Mais l'autorité divine, ainsi établie à litre de conclusion,
devient, dans l'acte de foi pro()rement dit. le motif de l'aflir-
malion. Elle échappe alors à toute prise de la raison, et porte
en elle-même sa vertu justilicalive. La volonté abandonne le
(ï l'KtiiES, (Joniriwntdirc, X. 01.
120 L\ UEI.K.ION ET LA KOI
savoir, et s'al)an(loniK' à celle auloiilé, (jui devient la cause
(U- ladliésion. Linlelligence, élevée au-dessus d'elle-même,
alleint en <[uel(iue sorte la lumière de Dieu en elle-même,
raison inlrinsè([ue de la vérité de loi. acceptée [)Our elle et
sur son témoignage. C'est donc Dieu lui-même qui se propose
à la volonté, l'attire et s'affirme dans l'esprit par son entre-
mise. Dans l'acte propre de la loi, l'autorité divine est chose
(jui ne se prouve pas, mais ([ui s'impose par elle-même;
l'aflirmation divine se justifie par elle seule et c'est dans le fait
d'y adhérer pour elle-même que consiste exactement la foi. La
vérité première est à la fois ce (jui fait croire et ce qui est cru;
ou, pour parler avec l'École, l'objet formel et l'objet matérie
de la foi. Mais la Vérité [)remière n'est pas appréhendée en
elle-même.; elle n'est présente dans l'esprit que par son
inipulsion sur l'esprit. La Foi n'est pas vision. La Foi est d^
l'ordre de l'absence.
Pour résumer en peu de mots, le travail de la raison me
l'àme en présence de Dieu, mais devant Dieu, la raison s'elface
le cœur se donne tout entier, et c'est la Foi qui apparaît.
Il send)le bien (^u'il faille distinguer deux stades: au
premier c'est surtout l'intelligence qui agit, même quand elle
est soutenue par les dispositions affectives : au second c'est un
élan (jui dépasse l'intelligence, une puissance d'affirmation
saisie de vertige devant l'immensité qui affirme et qui est^
affirmée.
Celte doctrine est un dosage savant, un compromis
délicat (i). (^ue l'on force un peu l'un des termes, et l'une des
tendances conciliées, prenant le dessus, s'épanouira par-dessus
toutes les autres, et ce sera le Rationalisme, ou au contraire le
Fidéisme.
ij II sajjil de concilier une- antinomie religieuse : la foi est libre dans .soi
principe; et croire est toujours une solution personnelle et singulière. L.
science amène à des conclusions qui s'inqiosent nécessairement et qui son
impersonnelles et universelles.
I.A KOI RAISONNANIK
Mais cet élat (rcspril liii-niùnic présenle, lliistoirc en
U'iiioiLTiu', des variétés et des variations nulabies. Xolie but
n'est pas de suivre les eonti'overses sur l'analyse de la Foi,
parlieulièreiiuiil vives (lej)uis le (loneile de Trente, mais seule-
ment de déurager les dillerentes attitudes qu'elles impli(pient,
en tant qu'elles ne sont pas de pures eonstruetions de l'esprit
de syslènic. de purs produits de riinai,Mualion tliéoloii:i(pie.
*
*
Le théologien, le doeleur, et avec lui le fidèle cpii raisonne,
no peut pourtant pas, si loin (pi'il pousse le raisonnement, se
résigner à connaître tic façon purement raisonnable l'autorité
de Dieu, motif de la foi; sinon il n'est plus qu'un philosophe
et la foi proprement dite disparaît. Ne sent-il pas du reste,
parvenu en présence de Dieu qui révèle, une autorité qui
déj)asse les arguments de sa raison, un surplus d'affirmation
et d'être, qui lui a[)paraissent comme inexplicables? Pour
parler comme les théologiens, l'autorité de Dieu intervient,
dans l'acte de foi, sous une forme toute autre ([ue dans les
préambules de la foi.
Un des théologiens de Salamanque, hlizalde, dira que, dans
le processus qui commence par les préambules et qui finit par
la Foi, il y a plus de vertu motrice, et par conséiiuent plus de
certitude à la fin qu'an conmieneement. C'est précisément cet
excès de certitude (jui est la foi.
Voici Suarcz qui dit nettement que c'est Dieu même qui
est, en même temps, l'objet et le fondement de la foi. La foi se
fonde sur l'autorité de Dieu ; elle affirme en même temps ce
qu'elle croit et ce (jui la fait croire, cela sur l'autorité de ceci.
Or c'est Dieu (pii est cru et (jui fait croire. Dieu en se révélant
révèle sa véracité ; il révèle qu'il révèle, il se révèle.
laa I.A RELIGION KT LA 1 OI
C'est le luoinoiit lidôiste du syslènie dans 1 iiclc de foi ;
1 autorité divine et la révélation ne sont admis que sur la parole
de Dieu, e'est-à-dirc par motif de foi divine. On adhère pan un
acte de Foi à l'autorité de Dieu, au lieu d'y adliérer simplement
à eause des j>reuves fournies par la raison.
En ellet. la raison humaine ne saurait être le fondement de
la Foi ; « encore ([ue la raison humaine soit requise, pour
percevoir ee (]ui est proposé à croire, pour le connaître, pour
juger (piil est j)rudent de le croire et que cela n'est pas
impossiltle. pourlant cela n'est pas le fondement de la Foi
elirétienne ».
Ce (jui fait que le système n'est pas tout entier lidéiste,
c'est qu'avant l'acte de foi, le croyant affirme l'autorité de
Dieu et le fait de la révélation, en vertu de motifs autres (pie le
motif spéciti(pie de la Foi divine. C'est seulement dans l'acte de
foi lin-mème qu'il n'admet plus l'autorité divine et le fait de
la révélation (jue sur la parole de Dieu, c'est-à-dire par le
motif de la Foi divine. Car l'évidence naturelle n'est pas la Foi.,
Et alors même que, chez les doctes, la Foi se double d'évidence
naturelle, elle «ipporte toujours sa certitude obscure et son
acquiescement au jugement de crédibilité.
Il y a donc dans l'assentiment de foi plus de certitude
qu'il n'y en a dans les raisons qui le dirigent; entre le jugement
naturel, et l'entraînement de la volonté de croire, une illumi
nation surnaturelle. La raison, soutenue par l'habitude de la
Foi, prépare l'acte de foi. L'acte de foi est tout entier un acte
surnaturel; la volonté, entraînée par une ilhimination, dépasse
les raisons de croire. L'autorité extérieure de Dieu, proposée
à la raison, devient, dans l'acte de foi, l'autorité intérieure,
qui fait aflirnier Dieu.
D'autres appuieront sur le jnoment objectif de cette autorité,
La Foi, ce n'est plus la connaissance subjective delà révélation ;
c'est la révélation même, agissant objectivement dans le lidèlej
L'autorité du témoin devient l'action de Dieu. La Foi ne
l.A. l'OI nAISONNAMi: la'i
cuniiail plus daiiloritr, mais racLion divine, la vciUi iiiliisc
ariinno en clic cl par elle les « objels nuilériels », les do^Miies
en (pji consiste l'acte de loi. Ce n'est pas la connaissance de la
vt'i'aeilé divine (jiii lail la Foi, mais la véracité divine elle-niènie,
la toute-puissan(;e divine qui opère et (jui élève lintelligenee
pour pi'oduiie lassentiinent. Seule l'autorité de Dieu en elle-
même est capable de fonder une adhésion [)artaite, et non [)as
l'évidcnee de la vérité du lémoij?nagc. Seule l'autorité objective,
el non pas l'acte subjectif, par lequel l'autorité est aflirméed).
C'est donc, après les motifs de crédibilité, qu(^k(ue chose
connue une suj?gestion < intérieure, la sufçp^estion divine,
l'appréhension suasive (a).
D'aulres accentueront la dilFérence, l'abîme <pi'il y a entre
le Dieu de la laison et de la nature et le Dieu de la révélation
et de la Foi. Comment le premier introduirait-il le lidèle dans
l'ordre surnaturel ? Les Salmanticenses distinti^uent Dieu
comme auteur de Tordre naturel et de l'ordre surnaturel, el ils
ensei}i:nent (pie la F^oi n'est surnaturelle qu'autant qu'elle
s'appuie sur le lémoignaj?e de Dieu considéré comme auteur de
l'ordre surnatui'el.
D'autres encore appuieront davantage sur l'acte de volonté.
C'est la volonté <pii, après les raisonnements, fait passer l'esprit
de la science à la Foi: l'esprit j)erd pied dans ce passage et fait
un saut dans la nuit: la lumière de la raison s'éteint dans le
sanctuaire de la Foi (3). Peut-être même, pour ce coup d'état
de la volonté libre, faut-il oublier les motifs de crédibilité,
dépouiller Dieu de ses preuves, admettre immédiatement et
sans preuves : un couf) de volonté dans la nuit (1).
(il Elizai.dk, /•'o/v/u/ ifrui' rcligionis. tNapIes, iCiCa). — TiiYnsK ('ionzaie/., I)c
in failli h i lit (lie rnmani fiontijitis, Iloiiiae, i>)89, l't Miinuductio tid coiisfisionrm
inuhoinelanoruin, Dilliiigcii, 1689. — Cardinal ItiLUn, De <,irlulibus infiisis.
(2* éd. Iloiiu- ii)oJ.,
(2 Ul.l.OA.
(3 Ma/./,ki.lv.
(^) AuiiiAOA, Vi\;i.
lU^ LA RELIGION FT LA 1 OI
Voloiik' rpordiu' ri lascinée (lui. ajurs la recherche de
1 espril. vient s'ahaUre sur le Dieu (jui se dérobe à la raison;
grâce divine (jui illumine et qui suiçgère : deux manières
dillérenles et pomlanl liés voisines d'exprimer en lennes
d'iirationalilé une action su[)ra-intellectuelle; (luehjue chose
(pii est de l'ordre aU'ectif el senlimental : principes qui se
combinenl du reste dans de tels systèmes empressés à l'aire
coopérer la grâce el la liberté.
Du reste, l'obscurité n'est point totale dans cette nuit de la
Foi. Le regard reste tourné vers la vérité première, qui mani-
tesle o[)scuréinent, mais avec une et'iicace (pie rien ne trouble,
la vérilé contenue dans l'assertion proposée. L'acte de toi
scientilicpie, qui précède lacle de Foi proprement dit, laisse
des traces dans l'esprit. Tandis ({ue la foi embrasse son objet
dans l'obscurité, l'esprit du croyant reste dans la lumière qui
lui montre l'objet comme croyable, et il ne tient qu'à lui de
regarder vers la lumière. L'acte de loi n'est pas une vision de
la vérité, mais il se l'ait dans la lumière.
Tel est donc letlort de la Foi. Ou bien immanent à la nature
et se retrouvant dans la raison même : l'acte de Foi n'est alors
que la raison exaltée. Ou bien transcendant à la nature et
séparant profondément l'acte naturel et l'acte surnaturel. Dans
ce dernier même on est amené à distinguer, selon qu'on le
considère comme [)lus ou moins radicalement distinct de l'acte
naturel : selon que l'objet de science se retrouve plus ou moins
dans la Foi, ou (ju'au contraire la Foi est considérée comme
radicalement étrangère à la science (i).
I) 11 sfiiil)li: qtK' loiilcs fcs doctrines aient un trait commun. Le travail
de la raison met 1 anic en présence de Dieu ; mais devant Dieu, la laison
s'efface el c'est la Foi qui ajipai'ait.
Le motif de la Foi est alurs l'autorité de Dieu. Mais la notion de Dieu e(
de son autorité, est-elle rationnelle ou révélée'.' Ici commencent les diver-
{^ences. Kst-ce le Dieu d'Ainaliam cl de .lacolt, ou le Dieu des philosophes el
des sa\ants'.'
hi l'autorité de Dieu est certaine par raison, et si c'est le concept rationne
de Dieu qui l'ait l'autorité de la Foi, y a-t-il dans la Foi autre cliose que U
LA vol KAISON.NANTK I '20
()ii«'ll('s <|iio soient les (livcii^t'iucs (l(>s docliMirs, il y a iiiu'
docliiiu' lallioliiiuc el le Cloiicik' du \'alicaii la roriiiidc avec
nelU'lé. La droite raison démonlie les fondements de la Foi.
Mais les mol ils de erédibililé ne sont j)as la Foi el ne l'en^^en-
dronl pas néeessairenient : il se peut fort bien (jn'ils soient
connus et (pi'on demeure incrédule; qu'on soit ineapahie de les
examiner el cpi'on ait pourtant la Foi.
Ainsi la Foi veut être raisonnal)le sans être pourtant lation-
nelle. Les préambules de la Foi sont une condition ilécessaire
et |)()ui'tanl insufllsanle. Ceci contre le Fidéisme qui refuse à la
raison le pouvoir de connaître les vérités relif^ieuses ou nu)rales
d'ordre naturel, et affirme l'absolue nécessité de la révélation
pour manifester ces vérités et en donner la certitude. Le
Fidéisme. par défiance de la valeur de la raison humaine ou par
e\ai!:ération de l'autorité, fonde la Foi, et même la raison, sur
la Foi qui p<'ul seule donner une véritable cerlitude des prin-
cipes de la raison. ]-]t contie le semi-iidéisme, qui refuse à la
raison, dans la preuve des préambules de la Foi, la possibilité
d'arriver à un juirement ferme; ou tout au moins qui n'exij^e
pas ce jujfcment ferme comme eondilion de l'acte de foi.
Le motif de la l'oi suppose donc (pie l'esprit se rende eonq)te
de la vérité de plusieurs propositions : Dieu existe; il ne peut
raison? Si elle est eertaiiu- par- ih'\ (-latioii cxlt^ricure ou iiiti'i-it nre, à quoi
lion la raison ? Si elle est certaine par révélation iiitt-rieure, à (pioi iioii les
Krrilnres, rKffliso, la révélation extérieure?
Mais cosl larl du (Catholicisme, de savoir doser el niélani,'er les extrêmes
et les ineonipatiMes.
Le l)i<Mi de la Révélation peut il se passer, liu reste, du Dieu de la
Nature? (Jn'esl-ee (jui lait les dieux divins? (Ju'estce (jui lait reconnaître
les dieux eoniuK' divins, sinon le eoneept des Dieux? ^lènie dans le verti},'e
de sn IVii, comme dans celui île l'extase, le croyant n emporte-t il pas une
«olion, une idée, qui éclaire cet abime ? hml il est diflicili- de se p;i-;s.M- de
la raison même <lans les élans hy|»erralionnels.
I.,V nELIGION ET LA FOI
ni SI' tromper, ni nous tromper; il a révélé telle doctrine et
s'en porte jïarant. Cela étant connu, la Foi s'établit par sou
motif pro|)ie : proptcr auctorltatem Dei révélant Is.
11 y a donc un minimum de critique conlié à la raison et
cpii piéeède l'acte de foi (i).
(.yest bien le sens des propositions (pie l'Eglise lit sous-
crire à Bautain en i835. Le raisonnement peut prouver avec
cerlitude l'existence de Dieu; la révélation mosaïque se prouve^
avec eerlilnde j)ar la tradition orale et écrite de la synaiçogue
et du ehrislianisme; la révélation chrétienne se prouve avec
certitude par la double tradition écrite et orale, qui établit à
son tour les miracles et la résurrection de Jésus-Glirist. En
un mot « l'usage de la raison précède la foi et y conduit
l'homme par la révélation et la grâce ». La Foi est postérieure
à la révélation. L'assentiment à la vérité révélée présuppose
non seulement le fait de la révélation, mais encore une con-
naissance sutlisamment certaine de ce fait, ainsi que des
raisons spécidatives et pratiques d'adhérer à cette révélation
Mais cet assentiment n'a lieu que par un secours intérieur, par
l'illumination et l'inspiration.
La raison va même plus loin. La raison éclairée par la Foi
trouve quelque intelligence, et même très fructueuse, des
mystères, tant par l'analogie des choses qu'elle connaît natu^
Tellement, que par le rapport des mystères entre eux et avcQ
la fin dernière de l'homme, encore qu'elle ne devienne jamais
apte à les percevoir comme les vérités qui constituent son
objet propre (2).
1 Lkibmz. ULscourH de la Conformité de la Foi et de la liaison, \n\r. 29
I' Li's inoliCs île crcdihiiilc .jiisli(icnl une fois pour toutes l'autorité de l
Sainte Ecriture devant le triliunal de la raison, afin que la raison lui cèd
dans la suite, connue à une nouv<'lIe luiui«'re, et lui sacrifie toutes ses vrair
senil)lances... car il faut bien qu'elle ait des caractères que les fausses reli
{;i<)ns n'ont pas; autrement Zoroastre, Brama... seraient aussi croyables qu(
Moi.>,e et Jcsus-Ciirist. ■
2 Concile dti Vatican.
Cf. Lkibmz Discours de la Conformité, par. 54 : « Les mystères reçoiven
une explication, mais cette explication est imparfaite. Il suffit (fue nom
I.A 1 OI IIAISONNAM i: 12^
Ainsi la raison se coordonne à la Foi. ■' <hi()i([U(' la loi
soi! an-dessus de la raison, il ne peut y avoir de véritable
désaeeord entre la loi et la raison. Cette ap[)arence de contra-
diction vient ou de ce (jne les dogmes de la Foi n'ont pas été
compris et e\pos(''s suivant res|)rit de l'Kglise, ou de ce cpic
les erreurs des opinions sont prises pour des jugements de la
raison...
La Foi et la raison se prêtent un mutuel secours ; la droite
raison démontre les fondements de la Foi, et, éclairée par sa
lumière, elle développe la science des choses divines : la Foi
délivre et prémunit la raison contre les erreurs et l'enrichit
d'amples connaissances. ■>
L'AUTORITE DE L'EVIDENCE
ET L'ÉVIDENCE DE L'AUTORITÉ
A {)artir de la philosophie thomiste, l'autorité de l'évidence
s'efTace définitivement devant l'évidence de l'autorité. Le
schéma oriiciel de l'Eglisiv basé sur cette philosophie, c'est
que la foi est soumission à l'autorité divine. L'autorité elle-
même est placée entre deux vérités : la vérité naturelle des
pn-ambules de la Foi, la vérité surnaturelle des dogmes. Entre
le monde de la nature et le monde surnaturel, la Foi est le
médiateur et le véhicule. Elle va d'un moment à l'autre de la
vie divine.
La vérité des dogmes n'intervient pas dans la Foi. Ils
transcendent la raison humaine. Eclairée par la foi, elle peut
s'en faire quelque représentation : analogie, liaison des
dogmes les uns avec les autres, rapport des dogmes aux fins
^•ons «lut'IfTue intelligence analogique d'un niyslère... mais il n'est point
nécessaire que l'explication aille aussi loin qu'il serait à souliaiter, eest-à-
dire qu'elle aille jusqu'à la couiprciiension et au coiuuient. » Cf. par. 56.
IjS I.A UKLK.ION KT l.A FOI
surnalurellcs de Ihoinnu'; tels seront les moyens de la théo
lo;::ie. Mais lout eela est au second j>lan, après la foi, et n'y
intervient j>as. ('e n'est pas le contenu de la Coi (jui l'impose,
mais d'abord le lémoij^nage extrinsèque.
l'ne philosophie naturelle s'est édifiée, qui a rendu le
dogme étranger à la raison. L'idée de révélation s'est établie
de plus en plus dans sa spécificité et dans sa transcendance.
Pour rattacher le surnaturel à la nature, il faut dorénavant
l'artilice d'un détour, une opération extrinsèque, une garantie
externe de la révélation; et ce garant, c'est un être, auteur de
la nature à la fois et du monde surnaturel, qui, créateur de
l'un et principe de l'autre, assure le passage de l'un à l'autre,
revêtant dans son passage de l'un à l'autre des caractères
nouveaux.
Si la foi chrétienne a pour objet des mystères, dont la
raison naturelle ne peut ni démontrer l'existence, ni com-
prendre l'essence (même après la révélation), la foi chrétienne
ne peut être une intuition ni une démonstration philosophique,
qui enlèverait à ces vérités leur caractère mystérieux : elle ne
peut être (ju'une connaissance extrinsèque, appuyée sur le
témoignage de Dieu, qui livre le fait, l'incarnation par exemple,
sans en expliquer le mode intime, laissant ainsi la vérité enve-
loppée d'ombre.
Le salut de l'homme exige en effet que la révélation divine
lui fasse connaître un ccitain nombre de vérités, incom-
préhensibles j)our sa raison (i).
Ainsi, à mesure que l'intelligence constate, en même temps
que l'existence du dogme, son inintelligibilité, elle fait le
(léloiir i\v j'extrinsécisme, et va chercher en dehors de lui,!
(I. Il est hifn entendu qu'AIhcrl Je Grand a précédé saint Tlioiiia>. dans
cette voie. Il distinj,'ue très nettement la doctrine rationnelle et l'évidence
d'une part, et la loi obscure et l'autorité, d'autre part. Il aflirme catégori-
quement l'impossibilité de croire et de savoir une même vérité à un même
point fie vue. Avec lui la philosophie démontre les préambules de la foi,
sans pénétrer dans le contenu mystérieux de la foi.
i
I V KOI H \ISO\.\A.\IK ■ I2()
■'iiis I liisloili' cL la |)liil().S()|)lii(\ sa raison délit' <•! sa
- .laiilie (i).
Mais il nc'ii a pas loiijours vlv de même. Kl il scinhlc (juc
k' t'oiitenu. le momeul intolloclucl du dogme, elTacé de la foi,
ù partir du thomisme, y soil très marqué, au eoutraire, à une
épocpie autéjieure. Il est exagéré de préfendie avec ([uehjues-
uiis (pi'il y ait régné seul, ou même qu'il y ail été prépondé-
rant. Mais il y a été présent el agissant, au lieu d'être relégué,
comme par le tliomisnu'. dans la perspective (pi'ouvre la toi.
Du couple primilir, la révolution thomiste a accenlué l'un des
membres, l'Autorité, laissant dans l'ombre la Vérité, si nous
entendons par Vérité le contenu même du dogme (2).
*
* *
p]sl-ce à dire que le giand problème pour les Pères, surtout
pour les Pères Grecs, ail été, comme on l'a dit, celui de la
raison dans la foi, et non celui de la raison avant la foi? C'est
sur le dogme, sur le mystère que porterait leur ellbrt. Saint
Augustin même et saint Anselme auraient été bien plus préoc-
cupés de faire entendre qu'on verra dès qu'on auia cru que de
(l) Descartes ne s'ost-il point soiivriui ilc saiiil Tlutiiias '.' Il I)l•ou^■e
l'existence de Dieu, puis fait appel à la véracile divine pour garantir tout
l'irrationnel de la pensée. Il y a là une démarche analogue à l'extrinséeisnie
de saint Thomas. Mais l'irrationnel de la pensée, que le Dieu cartésien
garantit, ce ne sont pas des dogmes, c'est la connaissance sensible en
général, connaissance par les sens ou connaissance [)ar la mémoire, ce qui
se passe dans le lein|)s.
2 La iliniculté de « l'extrinséeisnie " c'est <|ue, si la raison liumaine
n'atteint point l'être, si elle est hi-l«'rogène à la raison divine, il est dil'licile
d'aflirnier leur unit»'-, ou, ce (|ui revient au même, leur conciliation possible.
Arislolc, saint Thomas et Kant, rencontrent tous trois la même diriiculté, et
sont i)lus près les uns des aiilres «ju'il ne semble.
L'extrinsécismc amène inévitablement la protestation de tons ceux qui
croient <|ue la déliance envers la raison est mortelle, \'oir E.michson, .1«/o-
/>»'()^Trt/)/(/c, I, i-2h : . Dieu ne lait pas usayi- de l'Autorilc- personnelle. C'est
l'ellct direct tie toute vérité s|)irituelle (rabr«>ger, d<' nulliticr l'aulorilé per-
sonnelle. »
rio lA HKI.IGION KT LA I OI
(loiini'r (les raisons tic croire en prouvant la révélation (i)
(.est penl-èlie al|er trop loin, mais on peut, jusqu'à un certaii;
point, admetire, avec HeitzetMan(lonnet(î2), l'absence,, jusqu'ai
tlioinisme. d'une distinction formelle entre le domaine de Is
philosophie cl celui de la théoloi^ie, c'est-à-dire entre l'ordr
des vérités ralionnelles et celui des vérités révélées. Les deu:
ordres restent confondus : la philosophie proprement dit
étant intégrée à la révélation, sur le plan de laquelle elle es
haussée, parce (juclle procède d'une illumination, l'intelli-
ifcncc humaine n'accomplissant sou opération que sousTaclior
illuminatrice et immédiate de Dieu, et trouvant ses principes
mêmes dans la lumière de la science divine. Ou bien, si les
deux ordres sont distingués, la distinction demeure théorique,
et, en fait, n'aboutit pas.
Ainsi, chez la plupart de ces théologiens, la connais-
sance rationnelle serait comlitionnée de telle sorte par l'illumi-
nation divine, (ju'un théologien moderne serait embarrassé
de dire si c'est la connaissance rationnelle ([ui est surna-
turelle ou la révélation qui est rabaissée au niveau de la
raison.
La raison, illuminée par la lumière divine, peut pénétrer le
sens des mystères chrétiens; commencement de vision béati-
li(iue. Le contenu même de la révélation, objet de foi, devient
ol)jcl d'intelligence. On vise à connaître intrinsèquement la
vérité révélée.
La connaissance naturelle se distingue encore mal de la foi
surnaturelle. Le Surnaturel enveloppe tout, et l'Ame, éclairée
par la (iràce, vit familièrement dans cette intelligibilité suj)é-
ricurc. Les motifs extrinsèques, qui prouvent l'autorité du
M
I, Uai.wkl, L'a casai de systf'nudisdtion npolofft'Hfjne. JicK'ue d'Ai>oloi>é
iiqne, 1908.)
(2) Hkitz, lîsHais hislorviues sur 1rs rapports dp la liaison el de la Foi,
liérenger de Tours à saint Thomas.
Mando.nxkt, Sif^er de livahant. (Vilson vient de reprendre cette tlièsc
diins ses Klndes de philosophie médiévale.
I
LA ICI RAISONNANTE l3l
témoignage, le cèdenl aux raisons intrinsèques qui tendent à
légitimer directement les Mystères (i).
An eontraire, le Thomisme, sous linlluenee de la pliilo-
sophie aristotélicienne, apporte la solution devenue classique
dés relations de la Foi et de la Science.
L'Iionmie ne connaît que le sensible, et s'il peut savoir
naturellement (pie Dieu est, il ne peut savoir ce c|u'il est. Toute
la vérité divine est du domaine de la révélation. Même l'ana-
logie ne permet pas de saisir, si peu que ce soit, le surnaturel
en lui-même. Le motif de croire n'est donc jamais « la vérité
intrinsèque », mais seulement l'autorité divine, qui repose sur
les démonstrations de la raison.
Ainsi la première philosophie chrétienne n'aurait pas fait
de distinction radicale entre le Mystère et la Raison ; elle se
meut sur le plan du (inosticisme et du Néoplatonisme. Au
contraire «- l'Extrinsécisme a s'est développé à mesure que se
précisaient les notions de Raison et de Mystère, de Nature et
<le Surnaturel. L'Aristotélisme avec sa psychologie de la
nature et sa doctrine de la connaissance sensible, entrant, de
par saint Thomas, dans l'économie chrétienne, l'opposition de
la raison naturelle et du dogme chrétien s'est précisée. La
philosophie est devenue une espèce d'introduction à la reli-
gion, une espèce de religion naturelle, fondement de la reli-
gion positive, mais incapable d'en pénétrer ou d'en justiller les
dogmes. Le passage de l'une à l'autre, et leur juxtaposition
dans l'esprit, n'est alors possil)lc (juc par les artitices ([uc nous
avons (Ic'orils (-i).
(Il Gahueii., iJictionnttire de Théolo^if caHtuli(/U(% art. (a-ôdibililc.
(a) Il s'agit de (■oncili<T une vérilal)!»' aiitiiioiuie rolii^ii-iise, dont voici Ips
deux trriius : p Le Surnaturel et la Nature srmt hélérofcènes ; a' le Suriin-
lurel et la Nature dniNcnl former un système rationnel et pouvoir être olijtt
de srienee. Le rationalisme illumine aussi bien (jue l'extrinsceisnie thomiste
ne représentent du reste (|u'une partie des tendanees i|ui s'a<,'itenl dans
l'Efflise. Il faudrait y joindre tf»utes les formes de lidéisme, pour eompléter
le tableau. (ïilson a bien montré eonimenl saint Pierre-Dnmien représente
ropposilion à la raison dans la l'"oi : et il rap|ii'lli- Im'iiciu^ciihiiI le mot di'
rî-2 LA UELKWON KT LA l'OI
Plus tard la polônH([»o protcstaïUo viendra raviver le pro-
Mènio, en préeisanl l'opposition de la Foi confiance et de la
Foi croyance (ij. Et le conllil de la science et de la eriti([ue
philosophi(pie avec la théolojçie conduira la théolog^ie à
maintenir et à accentuer la distinction des deux ordres.
*
*
Thèse excellente, à condition de ne point l'exagérer.
Certainement la doctrine aui?ustiiiienne de « T Illumination >»
domine le Moyen Age. Augustin voulait dire que l'àme ne peut
atteindre à la vérité intellectuelle sans une influence mysté-
rieuse de Dieu, qui produit en elle comme une image de la
vérité : nous voyons la vérité de toutes choses dans la vérité
de Dieu. Ainsi Dieu opère dans la raison même, non pas par
une révélation proprement dite, mais par une sorte de coopé-
ration et de création continuée (2).. Et ce docteur attend
beaucoup de la raison illuminée : ne reeonnaît-il pas que les
platoniciens lui ont enseigné le Dieu infini et le Dieu triple,.
Créateur, A'érilé, Bonté? 11 n'y a pas deux vérités; mais une
seule enseignée dans l'Evangile, et dont il cherche la raison dans
la philosophie.
Mais saint Augustin reproche à ces mêmes platoniciens
d'ignorer ou de repousser l'Incarnation, la Rédemption et la
Grâce. Il proclame le caractère mystérieux des Mystères. Il
admet la Foi, adhésion intellectuelle aux vérités divines,
garanties non par une vision interne, mais par des témoins
(Iréyoire IX : Fuies non hnhel rncriiuin, cui hurnana ratio prœbel experirnen-
iutn. Eludes, 45' J
1) Voir le chapitre siiiv;mt. '
{2) Saint Bonavcntiire dira après lui que la lumi«>re de rintellecl créé
est insuflisante par elle-même à nous assurer la compréhension certaine
d'une chose «juelconque sans la lumière du Verbe éternel et que la lumière
divine est plus intérieure ù l'àmc fjue ne l'est l'âme elle-même.
LA lOI nMSONNAMK l33
difçnes de créance. Avaiil toute foi, la raison doit montrer, non
la vérité infiin<' des aflinnations du témoin, mais ses litres à
être cru sur parole. Dans laele de foi même, la raison 1,'ardc
cette vision de l'autorité du témoignage autorisé : les téuioi-
gnages « (jiiibiis mw, non visa creduntiir ». Ainsi, la loi précède
la raison : la raison s'arrête au seuil du mystère, sans demander
à la foi «l'attendre, juscju'à ce (pfelle ait mieux compris (i).
(^est après avoir cru que le fidèle cherchera des explications
plus ou moins satisfaisantes du dogme (2).
L'autorité, vérifiée et reconnue par la raison (3), est le
support de la foi. et non pas la vérité intrinsèque des objets
de la foi. Et l'autorité providentielle de l'Eglise joue dans la
foi augustinienue un rôle considérable (4).
Pourtant cette vérité intrinsèque est plus près de la raison
qu'elle ne le sera après saint Thomas, et beaucoup de docteurs
suivent la doctrine augustinienue de l'illumination.
Pour un saint Anselme, la raison, aidée de l'illumination
<livine, approfondit, après la foi, le contenu de la croyance et
'i) (Jue la (ioclriiie de riihiiiiinalioii rationnelle ni-nlraiiic i)as inévita-
blrnient à spéculer sur les choses divines, c'est ce «|uc prouve l'exemple de
Guillaume d'Auverj,'ue.
(21 Telle sera bien l'atlitude d'un saint Honaventure ; la raison, avertie
par la foi, se satisfait dans la considération i\\\ mystère de la Trinité.
(3) Les miracles et les pro[»béties, la sainteté (lu christianisme et la trans-
formation morale du monde, voilà, pt)ur Auf,'ustin, les raisons tle croire au
christianisme. Toute preuve de la révélation par les miracles suppose, du
reste, la connaissance naturelle de Dieu. (V. PonTAi.iii, art. Auj^ustin, in
Divl. de 'l'Iiéol. rat II., et Hattiiol, Le ('.athnlicisine de saint Aiiifuslin. — Voir
aussi Cil. lîovHH. L'Idée de Vérité dans in l'Iiilosopliir tie saint Augii'itin, p. ir»()
et sniv.i
l.e caractère amhi^u de la raison laisse dans le vague, — avant les ana-
lyses thomistes, — le passage de la raison à la foi, dans l'acte de foi, et le
rôle (le l'anloiité divine.
I.a raison illuminée dispense jusqu'à un certain point de la foi, puis-
qu'elle peut atteindre les mystères; elle |>eut donc faire disparaître le
problème.
Mais là où elle le laisse subsister, n'y a-t il pas souvent tendance à
pénétrer de raison laperception de l'auloriti-, base de la foi'.'
(4' Il y a toujours eu chez les grands calholi<|ues une nuance de ce tradi-
tionalisme (pii |)ortera un <!<• Honald, un Lamennais à aftirmer que la raison
indi\ iduelle est inca|)able d'atteindre la vérité sans' la raison universelle.
i34 LA rf:lioion et la foi
arrivt' ainsi, par son travail discursif, à un élal inlermédiaire
entre la foi pure et simple et l'évidence de la vision. Anselme
veut démontrer par des raisons nécessaires, après lEcriture,
mais sans recourir à son autorité, les enseignements de la
foi sur la Trinité et l'absolue nécessité de l'Incarnation.
Préparé par la foi, et illuminé d'en haut, l'honmie atteint
rintelliji:ence des mystères divins (i). « La raison atteint dans
cette vie, à l'intelligence des vérités éternelles. La foi simple et
naïve s'enrichit de conclusions théologiques, qui sont conmie
des illuminations, des révélations supplémentaires, descendues
d'eu haut pendant la méditation des divins mystères. » Dans le
même sens, les Victorins iront aussi loin.
En un autre sens il est excessif d'étendre à toute la philo-
sophie médiévale cçttc même thèse de la non -distinction de la
foi et de la raison et de dire, avec Heitz, (|u'il n'y a pas de
rationalistes au Moyen Age et que la raison, même chez Scot
Erigène, Roscelin, Siger de Brahant, c'est toujours la raison
illuminée (2).
De ce courant ilhmiiniste, il subsisteiu quelque action;
même après le Iriompiie du thomisme. 11 y a dans le Mysticisme ,
spéculatif la prétention à une faculté intermédiaire entre l'intui-
tion mystique, extatique et irrationnelle, et la pure raison;
as.sez analogue à la Raison illuminée et très capable de péné-
trer les mystères, de suivre l'Etre depuis son fond et son
origine, à travers .ses aventures et toutes ses manifestations.
I) Goiiiine le dit justement Gilson, Etudes de pliilosoplde médiévale, p. 17 :
La raison « déiuonlro après qu'elle se trouve prévenue et informée de ce
qu'il y a lieu de ilcmonlrer -..
12) La thèse est véritablement excessive pour ces auteurs. Elle l'est
peut-être même pour Abélard. (Voir Kaiser, Pierre Abélard critique, 1901,
p. i46.) IJans ses solides Études de philosophie médiévale, p. 14, Gilson s'efforce
d'établir, luj aussi, que la préoccupation principale de Scot Erigène fut de
confondre piiilosophic et théologie s<ms l'indiscutable autorité de l'Écriture,
et (|u'ii courut la connaissance philosophique et naturelle comme un cas
particulier de la révélation. Et s'il reconnaU qu'Abélard sait mieux que ses
prédécesseurs ce qu'est une démonstration rationnelle et qu'il distingue
l'altitude du philosophe de celle du croyant, il s'efforce, avec beaucoup de
vigueur, île montrer que son prétendu rationalisme va de la foi à la raison.
LA l-OI ItAISO.NNAM K I 35
Lr romaiilisiiit* roliirieux voudra iis(|uoi' lui aussi la iiu'inr
forliinc. (lommc Fitlilc, llcj^cl on S(•ll(■lliu^: n't'oiislriiisairiit le
moiidt' à parlii- du Moi. de IKlrc, ou de l'Ahîmc sans Ibnd,
(liïnllici- drvclopix'ia la suilc des mystères, pai' une série de
déinarehes ralionnellcs, à pailii- du sujet absolu (|ni s'oppose
ù soi-niènie et surnionl*' eetle ()pp»)sili()n.
(l'est, sons des doelrines diveises. une des i^randes len-
danees iUi eliiislianisnie, issue de la j)liil()sopliie anlicpie: la
raison de l'Iioninie, participation bornée mais inmiédiale ii la
raison de Dieu; l'aete [)rimordial de la pensée suspendu à
l'intuition de l'Être divin, (l'est la philosophie anticpie. au
moins telle qu'elle était au temps du Néoplatonisme, eirculant
à travers les catégories de la j)ensce chrétienne. L'autre t^i'andt;
tendance ira contre la Mélaphy.si(|ue reliii:ieuse et contre l'Anti-
<piité. Elle distini^rue deux ordres, strictement hétérogènes,
enferme la raison dans la nature créée et relègue la vie divine
dans le divin même, dans l'inaccessible surnaturel.
L<' rationalisme illuminé vient de i»lus loin que saint Augus-
tin. 11 remonte à l'hellénisme, au platonisme, à la doctrine des
Idées, et il se rattache expressément au Néoplatonisme et à sa
prétention de saisir l'être à. tous ses degrés de manifestation,
à partir de son inintelligibililé primordiale : le Gnostieisme
n'est (pie rexi)ression hétérodoxe de cette tendance ; la Gnose,
une connaissance supérieure, qui. chez les Gnostiques, s'unit
à la praliipie de moyens mystérieux, qui mènent au salut (r).
Dans la gnose chrétienne d'un Clément d'Alexandrie, la foi.
reçue dans le baptême, dissipe les péchés ([ui aveuglent l'homme
et rend à l'ceil spirituel la faculté de voir Dieu. Groire, c'est
être régénéré, recevoir la connaissance de Dieu, s'élever à la
vie de l'esprit. Sans s'être appliquée; à cheicher Dieu, la Foi
confesse ipi'il est Dieu. Il l'aiil partir de celle foi et. croissant
I norssKT, Ilaupt problème tler (iiiosis, 11)07. — ni I'am , (iuoslniufs c(
Gnosticisrne, 1913. — lloi sskt, Kyrios CUristos, iyi3.
l36 I.A UKI.KIION KT I.V FOI
(Ml grâce (levanl Dieu, accjiK'rir la connaissance. Croire que
Dieu est le Fils, ([u'il est venu, ([u'il est apparu sous une
certaine forme, ]>()ur une certaine cause et qu'il a souffert,
c'est l'objet de la loi. Dépasser ces laits, demander ce qu'est
le Fils, essayer de comprendre sa nature, c'est l'objet de la
(înosc. La Foi accepte les laits, la (luose raisonne sur les
faits. La Foi est connue la « -fc.A/if.ç » stoïcienne, l'intuition
(jui précède le raisonnement. La (Inose, comme la " x.aTiÀr,'}-.?
le raisonnement cpii explicite et confirme. La Gnose est la
connaissance iiilellii;ente des ^érilés aux(pielles le fidèle donne
d'abord par la foi une sorte d'adhésion instinctive (i).
Il faut donc reconnaître que, chez quelques Pères i?recs et
même en partie chez les Pères latins, et aussi dans le haut
Moyen Age, le contenu de la foi juscpi'à un certain j)oint l'im-
pose, sans recours aux témoignages extrinsè([ues. A la période de
jeunesse dognudique, l'attention se porte sur l'élaboration du
dogme, et la fécondité systématique accapare l'effort et donne
l'impression de la vérité qui se développe par sa vertu propre.
Mais il faut ajouter aussitôt que l'autorité s'ajoute à l'évi-
dence intrinsècpie : le souv<'nir et le témoignage, la force de
la liadilion, la puissance du corps social qui fonde dans le
passé et sur la j)ersonne de son fondateur l'autorité de sa
doctiine, substituant la mémoire à la perception directe,
substituant à la vision du Christ vivant cl parlant, la chaîne des
témoins et des garants qui s'allonge à mesure que le tempi^
dure, de sorte (pic le langage muet de ce témoin vivant qui
est l'Fglise, Unit par i)rendre prescpie la place de Jésus-Christ.
Ft le r(jle de cette enveloppe autoritaire devient en elfet
[)rédominant, à mesure qu'une philosophie naturelle s'édifie,
(pii rend le dogme étranger à la raison. Pour le réintégrer
dans la nature, il faut une opération extrinsèque, une garantie
externe de la révélation.
(i Paedng., I, a^-aS. — Sironi.. VII, 'tâ-^»-].
I.A KOI It Al SON. NANTI': I 3^
La t,'^aiantic de la révélation par un éli'c (jiii lient de la
nahirc cl on même temps du monde surnaturel, cpii fait et (pii
assure le passage de l'un à raulic. revêtant dans son passage
de l'un à l'antre des attributs nouveaux, (pii venant du monde
sunialurel et tenant pourtant de la nature, est retourné au
monde surnalurel : Jésus-CJirist, devenu Dieu. Le porteur des
dogmes est devenu un dogme: une personne historique et un
dogme à la fois: el (pii louejie |)ar la vertu des témoignages
la personne elle-même, se trouve en présenee d'un Dieu qui
s'est révélé et ([ui en se révélant a révélé en même temps
loiite rinaeeessihle vérité.
L'Apologétique du ii" el du iii^ siècle témoigne, elle aussi,
<lu médiocre pouvoir de |)énétrer les choses divines (jue le
Christianisme, hundjle en ses origines, confère à la raison.
Cela est trop vrai, bien entendu, de ceux qui, comme Tatien,
n'ont à l'égard de l'hellénisme ([ue réprobation et opposition,
et (pii fondent précisémcnl la nécessité de la révélation sur
l'impuissance de la raison.
Mais même chez .luslin, comme chez Aristide, la raison
humaine qui partiei|)e de la raison divine, souiee de toute
lumièi»', ne j)eut aller plus loin cpie la connaissance du Dieu
Père. La révélation bibli(]ue, puis la lévélalion chrélienne
dépassent cette raison. Le Verbe révélateur, ([ui avail besoin
de tilres pour accréditer sa mission, se les était préparés
d'avance dans l'Ancien Testament par les prophéties (i).
II est viai ([ue ces Apologies sont de docirine assez faible
et (ju'il n'en faut pas exagérer l'aulorilé. Ainsi en a-l-il été
d] PcKcii, Les Apoloffistes grecs. (Voir aussi I3orciiK-Li;(:i.i:m;<), L'Intolc-
ninre reliirieusc et la Politique. — Wkndi.axd, Die Urcliristliihen l.itenitnrfor-
tiKii. IIahxack, Mission und Ausbreilun^-, a' t-dilion.^
1 3^ LA in:ij(;iON kt la loi
pîrscjuc loujouis tics Apoloi^ies du (-hrisliuiiisinc : la plupart
«lu Unips ouvrajçes de circonstance, deslincs à repousser une
altaipie récente, dirii^ée^sui- un point particulier, ou bien, sous
une apparence de plus grande généralité, antidote spécial à la
l'orme dominante d'incrédulité. lUen de ce (pie Vinet appelait
l'Apologie éternelle (i), qui, ayant égard aux besoins de tous
les temps, devançant toute forme d'incrédulité, pénétrant plus
avant dans le doute cpie les douteurs, atteindrait, avec les
secrets de la foi, la racine du mal pour l'extirper. Mais si rien
n'est plus assujetti aux mouvements du temps (jue l'Apologie,
s'il est juste de dire que chaque siècle a son apologie, inspiré^
par les nécessités du moment et appropriée aux besoins immé-
diats des fidèles, il faut convenir (pie Justin et Aristide sont
d'assez bons témoins des exigences de la conscience chré-
tienne : des témoins assez plats, il est vrai, et (pii ne sont pas
au niveau de la haute culture de leur temps.
Dans sa partie négative, l'Apologétique critique le paga-
nisme, avec l'aide de la philosophie grec(pie et de l'Apologé-
tique juive, — pour la démonstration du monothéisme et le
commentaire de la Bible, — et le judaïsme, contre qui elle
démontre le caractère messianique de Jésus. Positive, elle
s'attache à justifier la foi par les preuves histori(pies, miracles
et prophéties, par l'argument moral, la sainteté de la vie chré-
tienne, par l'appel au cœur de l'homme, par des essais d'argu-
mentation rationnelle. Mais l'usage de la Raison, et l'utilisation
de la philosophie du Logos, (jui rendait la Christologie accep
table au public hellénique, ne vont pas jusqu'à faire de la
Révélation une raison.
il est difficile, du reste, de préciser. Cette théologie peu
savante, arrive-t-ellc à la pleine intelligence du caractère
surnaturel de la révélation? Ou bien la révélation ne fait^elle
(pie suppléer et aider la connaissance nal nielle de l'homme,
I ViMT, l 'fiscal, |). 17. ^
IV IDI h.M^O.N.NA.N I I l'Jg
ol»?-(iir( ic [»ai If |»<clit'? Le <.losap:e de ces dcti\ oléiiu-iits,
Pliilosopliic. lU'-volalion, est (Jilïicilc. Mais il ne semble pas
que la Raison ail pouvoir de comprendre ce (|ui est le Mystère
de la Foi.
Aux temps où la raison a pris conscience de soi et aussi de
ses limites, séparant, sous rinlluencc d'Aristotc appelé à
fournir au Christianisme une philosophie naturelle, de sa
prétention à vivre dans le monde suprasensihle, les dogmes
chrétiens lui sont devenus transcendants, et ce n'est que par
le détour de l'autorité, rationnellement fondée et établie,
qu'elle a pu en poser la vérité. S'il n'est pas tout à fait exact
de dire que la spéculation chrétienne, antérieure à la grande
entrée d'Aristotc dans le monde latin, par une confusion
encore inévitable de la foi et de la raison, visait à pénétrer
les Mystères en eux-mêmes, du moins csi-il exact que la Vérité
avait moins précisément recours à l'Autorité et que le schéma
de r « Extrinsécisme », par la suite devenu officiel, n'était pas
encore nettement établi. L'opposition Foi-Raison, Vérité
intrinsèque, Autorité du témoignage divin, se développe à
partir d'une implication initiale.
Au début d'une religion, les mythes et les dogmes, enfer-
mant dans leur confusion synthétique une bonne partie des
éléments (jue la théologie ultérieure distinguera et enchaînera
en un système, parlent aux tidèles un langage de vie et de
vérité. Ils attirent et satisfont. Ils ont l'autorité de l'évidence.
Point n'est besoin d'autorité pour atteindre la vérité. Elle est
là. d'emblée, si l'on [>eut dire, sous la double forme, indistincte
encore, de la satisfaction logique et de la fécondité pratique,
de rillumination intellectuelle et sentimentale. Elle est de
niveau avec l'àme et l'esprit de ses lidèles. C'est à peine si le
I^O LA RELIGION KT LA I OI
mythe et le do^nie, élranges et éblouissants, suscitent limpres
sion d'un ordre supérieur, impression d'oîi se déu:agera l'oppo-
sition loijique (|uc nous avons analysée, à mesure que se déga-
geront du germe primitif les contradictions enveloppées dans
la confusion originelle, à mesure aussi que. par l'usage, la
raison se formera et se définira.
D'autre part, ces mythes et ces dogmes se présentent, appor-
tés par des prophètes ou enseignés en vertu d'une tradition (|ui
elle-même a pour origine, à un moment de l'histoire, le contact
des hommes et des dieux. Plus la révélation est récente et
impressive, moins il est besoin de recherche pour attester
l'autorité, A l'origine, pour ceux, pour qui il n'y a plus de témoins,
qui sont eux-mêmes les témoins, rien ne s'interpose entre eux
et l'autorité immédi.^ile, la puissance du divin, rayonnante à
travers un homme. On per(*oit, on appréhende directement,
bien plus qu'on ne contrôle et vérilie : on contemple l'iiistoire
divine. I']t pour afArmcr la réalité du Dieu qui transparaît à
travers son messager, son héraut, son incarnation éphémère,
ce n'est pas la théologie qui est à l'œuvre, mais la foi implicite
et l'élan du cœur.
*
* *
Vérité et Autorité sont ensemble à l'origine. L'Autorité est
évidente et la Vérité impérative. La Vérité apparaît à travers
l'Autorité.
Toute religion repose à ses origines sur un message et sur
un messager. Le message fait la force du messager, le messager
la force du message.
La première génération chrétienne avait derrière elle toute
la perspective mosaïque, et devant elle des promesses, la mcssia-
nité de Jésus, l'avènement du règne de Dieu, non point des
dogmes à la rigueur, mais un mythe d'avenir immédiat, encadré
I.A KOI UAlSO.WANTi: Ii^I
dans la jtt'ispcclivc niosaï(iiio, et (jiii ri'poiulail à ses as[)iralioiis
ardcnU's. Klle partai^eail d'abord la Coi juive; c'est-à-diie (pie
la eoiiscieiice elliuicuic, le sentiment national, la solidarité
étroite des générations, la tradition, la coutume, tout ee que
nous avons étudié sous le non» de toi im[)lieite. lui faisait
admet lie (rend)lée lliistoricité, rautlientieilé, le earaclère
inspiré de la révélation mosaïque ; le peu de développement de
la dogmati(pie et l'absence de toute philosophie naturelle préve-
nant du reste roj)|)osition d'une raison, non encore éveillée ou
instruite, au contenu intellectuel de la révélation.
( ) ue pouvait signitier pour elle la vérité du nouveau message,
sinon une réponse parfaite à ses aspirations, une excitation,
une stinmlation telles que la répugnance judaïque tombait
devant lui ? Cela, et l'Autorité du porteur du message, elle-même
reposant en partie sur celte puissance de la doctrine, Autorité
<pn, imposant une doctrine, était en train déjà de donner nais-
sance à une doctrine, de devenir un dogme et de prendre le
caractère divin des j)r()messes qu'elle apportait.
La vérité de la doctrine et l'autorité du prophète, ces deux
choses que la théologie dissociera par la suite, sont d'abord
étroitement mêlées; car l'Autorité vient en partie de la puis-
sance de la doctrine, et la Vérité en partie de la puissance du
prophète. Le caractère miraculeux, surnaturel, le prestige
extraordinaire du prophète; l'impression profonde de la révé-
lation nouvelle, la doctrine juge du miracle et le miracle signe
de la vérité de la doctrine, ce cercle vicieux que la théologie
rencontrera toujours, inévitablemeiit (r), fait, à l'origine, la force
irrésistible' de la nouvelle révélation, par la fusion de deux
|)uissanees. La distinction du contenant et du contenu de la
révélation ne fera plus tard (pi'expliciter cette inqilication
piiniitive. commune à tous les âges apostoliques; c'est d'elle
li L'hypoliu-se inverse du délcrminisuie va, t-Uc aussi, do la doL-lriiu- aux
faits et des faits à la doctrine.
I^a LA RELIGION KT LA lOr
<luo se défjajîera. m môme temps que les dogmes, rartilicc
dogmati([ue (|iii prétend en établir la vérité: « Les choses
peuvent avoir un sens et une réalité ponr tout l'homme, loiia;-
temps avant d'avoir un sens clair pour l'intelligence, dont
l'oflice est de traduire en formules appauvries ce qui est donné
dans l'expérience concrète (i). ->
Et toujours la puissance n'est puissance que par la vérité, et
toujours la vérité s'affirme comme puissance. Le Miracle, fait
étrange, étonnant, synthèse de l'admirable et de l'arbitraire, fait
divin qui se détache de la trame des phénomènes naturels,
pont jeté entre le Naturel et le Surnaturel, signe sensible d'une
intention divine, signature apposée au bas de la révélation, le
Miracle n'est point miracle, c'est-à-dire fait surnaturel, par sa
puissance seule, mais par sa vérité. Conmient sait-on qu'il est
miracle, sinon par un recours à Dieu, dont préalablement on
admet l'existence et l'activité, qui seules en établissent la possi-
bilité? Ensuite le cœur pieux verra dans le fait surprenant
l'action de Dieu, à cause de la signification religieuse de ce
fait. L'étonnement peut susciter l'hypothèse du surnaturel;
mais celui-là seul qui croit déjà à une puissance surnaturelle
peut croire au miracle. Ainsi le miracle qui discerne la doc-
trine suppose, liii-mème. une doctrine (2).
Admis, à la faveur d'une théologie sommaire, il apportera
à la doctrine l'autorité du surnaturel, dont il est le signe. On a
dit quïl ne prouvait pas la mission (Uvine du propbète, parce
qu'il est sans connexion avec sa doctrine. Mais la foi ne peut
s'empêcher d'apercevoir comme évident le rapport entre le
miracle et la vérité qu'il garantit; la connexité dans le temps,
l'effet d'édification, la liaison du miracle et de la foi, dans la
conscience du tliaumaturge ou dans celle du miraculé, four-
I
(ly Héukrt, Le Sentiment rt la Connaissance religieuse (Ann. de Pliilosophie
chrétienne, 1906, p. 38i;.
(2 Jusqu'au moment où le miracle disparait dans la doctrine; le fait
objectif, isolé et passé., dans les faits éternels et spirituels; le prodige local
dans la vision de Dieu derrière la nature.
I.A. l'OI UAISO.WAM i; I^'i
nissciit (l<'s in;ir(Hies sullisaulcs irévidcnco. Dans !«• cas du
|)i'()[)lK'le, c'est le niùine sujet (jui est à la fois le i'éeej)teur et
1 a2:ent de la puissance divine et le héraut de la vérité ; cest
«lans l'identité de sa personne ([ne se eontondcnl la |)uissance
et la vérité.
Ainsi la valeur du niessaj^e doj^nialique concourt à l autorité
<lu prophète. En partie elle en provient, en partie elle la constitue.
Kn partie elle la constitue; car si étrange et extraordinaire <pu-
fût sa personnalité physique et morale, si puissante que lui sa
fascination, une révélation insigniliante et puérile en réduirait
à néant les elTets, sauf pour des arriérés et des déhiles. De plus,
son prestige lui-même tient à des notions plus ou moins expli-
cites ; (pi'est-ce ([ui fait les dieux divins'.' Qu'est-ce qui permet
d'attribuer à un être une valeur surnaturelle, sinon la corres-
pondance de ce que nous constatons chez lui avec un certain
idéal, qui n'est, du reste, pas toujours formulé, qui, quel([uefois
même, ne se formule qu'en lui et à propos de lui.
En partie, la valeur du message provient de l'autorité du
prophète, car une l)onne part de sa force imprcssivc vient de
lui et, soutenue par un honnne (juelconque, elle ne ferait pas
son chemin dans le monde. Ainsi les deux forces se soutiennent.
<'t le souvenir du prestige se perpétue par témoignage. Les
Apôtres témoignent sur le fondateur; la tradition fait la chaîne
<lu témoignage ; à travers sa continuité circulent et la vérité
originaire et la puissance originelle. L'Apostolicité devient
ainsi la garantie de la doctrine.
.\insi l'Autorité accompagne la Vérité à travers toute Ihis-
toire d'une religion. Et même dans certaines religions elle se
renforce: dans celles, par exemple, ({ui divinisent leur fonda-
teur. L'Autorité, alors, se renforce, à mesure que le personnage
4livin avance [)lus avant dans la divinité. Et plus étroite et plus
profonde devient l'interaction de la Vérité dogmaticpie et de
l'Autorité i)rophélique. Jésus, étant deyeim un Dieu dogma-
ti(pie, l'adoration de .lésus et le culte de sa personne tend à
144 l'A llKI.KilON ET LA KOI
supplanter la lolit^ioii (pi il a[)porlail. L'aiiiionciateur de l'Kvaii-
jj:il(', le porteur des dojçmcs, est devenu lui-même un dogme.
Et qui touchera par la vertu des témoiiçnages la personne du
Christ, sera en présence de Dieu lui-même, se révélant.
En même temps, à mesure que les dogmes se formulent et
se développent, à mesure que la contradiction et l'inintelligi-
bilité s'étalent et se proclament, à mesure aussi que se définit
une règle de vérité de plus en plus étrangère à l'ivresse dogma-
tique, le recours à l'Autorité devient inévitable, la Vérité
dogmatique tendant à se dérober, et c'est sur l'Autorité, sur
une Autorité sans cesse élayée et renforcée, que les religions,
à métaphysique surchargée et irrationnelle, tendront à établir
leur périlleux édifice (i).
*
* *
Eoi dans une personnalité puissante et créatrice, connue et
aimée : amitié, amour, fascination du héros ; foi de ceux qui
trouvent paix et réconciliation dans une présence, dans un
message, dans une expérience, dans une doctrine nouvelle ;
foi de ceux qui créent et propagent la foi; foi qui se nourrit de
sa propre exaltation et de ses œuvres extraordinaires, foi de
l'Apôtre; foi du visionnaire et du thaumaturge, foi des commu-
nautés enthousiastes ; mise en coumiun de représentations
obscures et de sentiments puissants, essor des rêves collectifs
d'une société ardente ; il y a de tout cela sans doute dans ce
qu'a pu être la foi à l'âge héroupie du christianisme.
(^onliance et croyance en des personnes et en des mythes,
Autorité et ^ érité, nous l'avons vu, se mêlent étroitement en
cet âge mythique et prédogmatique encore.
ij Partout où la prouve logi<iue nest pas possible ou n'est pas suffi-
sante, on retrouve ce mélange d'extrinsi'-cisine et d'intrinsccisme. (^c qui
prouve l'authenticité d'un objet d'art, ce n'est pas seulement l'impression, c'est
aussi la critique historique et matérielle.
i.\ KOI KMsowwii: 145
Le (".liiisl viciil (I Cm liaiil, il rsl l'cinoyc' de Dicii: Dieu
j^aïaiilil sou ('iisci^^iicmciil : le lrmoi^:nag(' de Jrsiis Mir l)i<Mi
est le It'inoiîTiiaiîc de Dieu inrim' : « (Icliii (|iic Dieu a ciiNoy»''
(lil les paroU'S (le Dieu. > Ainsi pciisciil les A poires loi*s(Hi ils
pc'iisont. Kl pour les lidèlcs ullérioiirs li's A poires sout les
(émoius, eoux (jui oui véeu dans la eonfidence de Jésus et (pii
peiivenl lénioigner sin- lui. Paul, cpii ne l'a pas vu, donn*' |K)iir
preuves de son apostolat les pr()(Iii::es cl les miracles, sit,nia-
ture du lcnioi,i2:na,L!:e divin, (pii le l'ont reconnailie connue
envoyé cl sa })arolc comme parole de Dieu.
L'a[)ostolii'ilc devient ainsi la ^aranlic de la doctrine; cl à
travers une chaîne de témoignages et la continuité inmiobile
de la tradition, ciicule jusqu'à nos jours la vérité originaire de
la doctrine.
Mais le système apparaît très tôt. Dès saint Paul, tout le
christianisme est constitué en dehors et au-dessus de la raison;
un drame cosmique, où la vie et la mort de Jésus sont le sens
iiu monde et le mot de la destinée.
Cela est bien au delà de la sagesse profane. Cela parle à la
Foi qui s'y retrouve et non pas à la raison ; à la Foi, qui est la
vie du Christ dans l'àme, la substitution an péché, à la chair,
à la loi des membres et au corps de mort, de Jésus mort pour
les péchés, enseveli, ressuscité; résurrection avec le ressuscité;
<'t'(icace de la résurrection, rédemption, salut par la Foi. F'oi
dans la résurrection. <pii fait rerUcace de la Foi. Foi (|ui se
nourrit de la formule salutaire, expression des faits surna-
liMcIs, dont la foi est l'expression subjective.
I ne illumination éblouissante a mis l'apôtre en |)réscnce
(le .Icsiis- (ihrist ; il a vécu, lamassé en une vision «pii esl un
miracle, l'éipiivalent du miracle continué <pii a ('lé la vie des
autres apôtres en compatrnie de Jésus. Le miracle a uaianli la
doctrine inspirée: l'inspiiation au dedans, le miracle au dehors,
les deux voies cl les deux preuves. La l'cligion nouvelle.
i^aranlie par le persouna^^e di\ in. lui esl devenue divine : divine
10
l4«i LA HKLKilON ET LA KOI
aussi. Icxpicssion ihéologiiiuo, pourlanl si personnelle, le
système. La loi vivante et le système reposent, au fond, sui*
le témoifçnage divin, en même temps qu'ils lui eonl'èrent une
part de son autorité, en lui donnant toute sa signilieation
divine. Le drame cosmic^ue, dont la résurrection est le sens et
la garantie, garantit Jésus-Christ, que l'histoire et la vision
miruculeuse garantissent. Une illumination et une explication.
VALEUR ET VERITE
La piété précède les dogmes et ignore les problèmes dogma-
tiques, qu'elle pose pourtant inévitablement. Un mouvement
de foi vers un être ou un objet le divinise, d'abord comme la
passion divinise son objet, par le plein don de soi-même à
l'objet aimé et par une sorte d'éblouissement devant son inson-
dable valeur. Ce qui sera plus tard vérité est d'abord surtout
valeur, valeur absolue. Et c'est précisément l'intensité et
l'identité de cette réaction affective en face d'objets différents,
qui fera la difficulté, lorstju'il faudra leur donner une vérité
égale à leur valeur. L'adoration et le culte du Christ exigeront
qu'on en fasse un Dieu, qu'on le mette au même rang que
Dieu. Le sentiment vif de son humanité, le désir ardent du
salut exigeront (ju'on lui laisse sa personnalité historique et sa
nature humaine. Une même réaction affective à l'égard de deux
objets différents, dans le premier cas, une réaction affective,
complexe et double, à l'égard du même objet dans le second.
lors(jn'elles se traduiront en forniulcs, créeront deux difficultés
dogmatiques, deux inconq>réliensibilités. Le Mystère vient en
partie de cet effort pour traduire en langage de raison des
identités et des distinctions passionnées (i).
Ainsi d'abord la foi fait plus que se représenter son objet;
elle le possède, elle le vit ; elle est ex[)érience concrète,
(I Nous l'eviendi'ons sur toutes ces questions dans le dernier chajjitre.
\.\ loi UAISO.WANTK l \~
iiiliriu' [)ai(ici|)ali()n. VA par delà les systèmes (lo^iiKi(i<iiies.
(loiil la eoinplieation vise à i-eslaurer eette unité perdue, la
piélé ehereliera toujours le eoiilact direet. l'imniédialion. la
certitude vivante, supérieure à toutes les synthèses inlellee-
tuelles.
La formule élanl en partie la traduction intellectuelle,
l'expression logique de réactions allectives, ardentes et profon-
dément passionnées, possède, pour autant qu'elle est sentie
comme l'expression adécpiate de ces réactions, une valeur de
léponse indubitable. Le mythe, le dogme résolvent les exi-
gences du salut; ils répondent aux aspirations de la piété. Le
sentiment religieux confère la vie aux formules qui le satisfont.
L<' rapport des dogmes avec les lins suprêmes de l'honmie leur
confère une sorte d'intelligibilité supérieure. L'homme s'y
retrouve ou s'y reconnaît; c'est bien cela (ju'il cherchait et
(pi'il lui faut.
Ainsi la nébuleuse dogmatique, oîi les dogmes peu à peu
s'organisent, est plénitude, anq)leur. intensité; en même temps
indétermination et confusion. Ce n'est pas sentiment pur, c'est
sentiment intellectuel; les formules subséquentes y sont préli-
gurées, les objets de la foi y sont présents : non pas un i)nr
inellablc, mais une richesse confuse en présence de données
intellectuelles et (|ui suscite et dégage des aflirmalions intel-
lectuelles.
En ell'et. d'une part, c'est par un travail interne de « cristal-
lisation '), de « justilication » que le sentiment parvient à la
formule; le sentiment excitant et dirigeant l'esprit, qui, d'une
pari, l'exprime en langage objectif, d'autre i)art, constiuit les
rai>()()iis (le son objet avec lui. et lui fournit ses raisons d'éli'c.
Le .sentiment, tout pénétré de confusion intellectuelle, recherclie
la foinude paice (pi'il a besoin de prendre èonseienee .de soi
d'abord et ensuite de fonder, en dehors de soi, dans le monde
objectif, les réalités dont il cherche à prendre conscience et
les rapports d'action qui y sont inclus.
I^H l.A UKLKIION KT l.A KOI
D'autre [)ail. l'esprit est là, enveloppant la vie allective de
ses ealéiçoi'ies (jiii lui préexistent. Il a son monde de ehoses et
d'ohjets. son monde d(; formes et d'idées oii il vise à tout
intéiçrer. Il a ses formes et ses procédés d'cxplieation, puisés <
dans la manipulation du réel, et ses systèmes noétiques, ses
piénotions. ses habitudes inlelleetuelles.
Sous l'ellet de ces deux principes, la piété s'efforce vers
l'expression logique : fermentation de systèmes qui prétendent
à exprimer la donnée primitive. Du mythe, elle fait un dogme.
Et de nombreux esprits sont simultanément au travail :
quelques-uns géniaux et créateurs d'hypothèses ; les autres
dont il faut l'assentiment. La conclusion théologique qui prend
valeur tlogmali(pie le doit moins à ses (jualités dialecti(pies
([u'à sa valeur de représentation capable de fixer et d'unir dans
une même profession de foi l'universalité des fidèles.
La piété chrétienne rencontre la philosophie grecque et ses
habitudes de pensée et ses procédés d'explication. La conversion
de (irecs au christianisme, les nécessités de rapologéti(|ue
précisent et renforcent ce contact. De nombreux systèmes
dogmatiques s'édifient, des gnoses chrétiennes, ou païennes.
Et ce grand effort dogmatique d'ensemble est l'œuvre de la
j)remière philosophie chrétienne. Puis l'Eglise consacre, dans
le détail, un certain nombre de dogmes particuliers. Enlin, de
ces dogmes consacrés, la théologie essaie de faire un système
cohérent.
Ainsi le Mystère, entendu au sens théologi(jue, n'existe pas
pour la piété initiale. Elle se représente les objets de sa foi
dans leur rapport avec les besoins qu'ils satisfont, et dans leur
analogie avec les relations humaines qui peuvent les rendre
familiers. Une bonne partie de la piété populaire reste à ce
stade : celle qui anlhropomorphise le monde divin, celle qiii
l'entend vulgairement. Ce <iui correspond au Mystère, dans
l'ordre de la piété, c'est le sentiment de l'étrange, étrange en
même temps et familier ; l'éblouissement (h; la foi, la trem-
I.A lOI ItAISONN AMT, I|i)
bliinlc invraisoinblance de la oorlilude. C'est, du poinl de vue
alleclil". le u:eriue de la distinction qui se fera plus tard; mais
les (leii\ ordres ne sont pas encore séparés. Le Mystère nail,
soit du sentinu*nt de l'inadéquation entre le sentiment et la
fornude. de la (lisj)r()p<)rlion en sonnne entre le sentiment et
rintellip:('nee, soit — dans le |)lan de l'inlellii^enee seule —
d'une ineom[)alil)ilité entre l'ordre logique — eon(,ni comme tel
— et un autre «jrdrc dont on n'aperçoit point la consistance el
(pii s'exprime jjourtant en termes logiques. A l'origine, les
deux sens du mot sont confondus. Il y a dans le Mystère, à la
fois l'étrangeté obscure et le scandale d'assertions qui cli0(]uenl
les liahiludes de la vie.
La fornude dogmatique est donc explication avant de
devenir Mystère: explication (|ui étonne sans doute, qui est
enveloppée d'une imj)ression de mystère, mais oîi la clarté
[)rédomine. l-^lle est explication qui a valeur alleclive : parce
qu'elle répond à la recherche du salut ; parce qu'elle s'exprime
dans le langage d'une philosophie et d'abord en termes d'intel-
li'j:il)ililé. Le contenu logicpie de la formule l'impose jusqu'à un
cerlain point à l'esprit. A la période d'ivresse dogmali(pie,
rélal)oration du dognu', sa fécondité théorique, donnent aux
théologiens l'impression d'opérer dans le monde de la vérité.
C'est ([u'ils opèrent à l'aide d'un jeu de notions dont l'in-
telligibilité est communémenl admise. Par exemple, (juand la
foi au (Mirist a cherché des formules pour s'exprimer, elle a
parh- le langage courant de théologies incontestées. Le C-hrist
est j)rophète, homme de Dieu, Messie jvnf, Logos : mots (jui,
dans un grouj)e (lonn<'', ont un sens précis, dont la valeur n'est
point rcvo(iuée en doute. Les habitudes d'esprit dilférentes de
diirérenls groupes chrétiens apparaissent dans le choix de la
dénomination; mais pour lous elle est aisément acceptable. Le
Logos fait partie de la philosophie grecque du temps. Le cou-
rant d'ascension de Jésus vers Dieu, le courant chrétien, ren-
contre le courant deseeiulant du Néoplatonisme, la procession
l.M) LA UKLIGION ET LA KOI
(les hypostasos qui al)aisse Dieu vers le monde. Ainsi un cer-
tain nombre de notions connuunément admises, projettent
leur clarté sur les asj)iralions confuses de la piété.
Mais le Mystère apparaît, quand on prétend les penser à
la rigueur, et définir strictement leur relation avec les objets
de la foi. Car la contradiction a|)j)araît, du fait que Ton amène
sur le même plan, pour les faire coïncider dans un s(;ul être,
des notions incompatibles; par exemple le Verbe consubstan-
tiel à Dieu, par exemple le Verbe vrai Dieu et vrai homme.
Même pour qui se pla(.;ait dans le système néoplatonicien des
liypostases et des émanations, l'identilication radicale de
l'homme Jésus et du Logos était difficile à penser; les hérésies
de toute espèce qui [)ullulent autour du problème des deux
natures, témoignent d un effort désespéré pour penser l'impen-
sable, jusqu'au moment oîi l'Eglise en fait résolument un
dogme. De même, ridcnliticationdu Logos et de Dieu, la fusion
de ces deux notions incompatibles, le Dieu unique de la Bible,
et l'Ltre premier du Néoplatonisme.
Sur le plan de la spéculation, le Mythe, devenu dogme,
devient contradiction et Mystère. De cette contradiction on
peut distinguer plusieurs raisons. Kl d'abord les exigences
contradictoires de la foi. Elle veut tout avoir, ne rien laisser
perdre. 11 lui faut Jésus homme el Jésus Dieu. Il lui faudra
donc construire son Christ de telle façon que l'homme y soit
tout entier, et pourtant le Dieu aussi, et l'union étroite des
deux natures. Tant que cette aspiration restait informulée, ou
se contentait de formules indécises, la contradiction restait
latente et implicite. Mais la raison s'épuisera à distinguer à la
fois et à unir des notions inextricablement confondues dans
un acte d'adoration et de confiance. Et si le Christ n'est pas en
Dieu, n'est pas Dieu, si Dieu n'est pas plusieurs et Un, le
salut est en péril. Tout compromis raisonnable, tout arrêt dans
la voie redoutable tjui mène à ridentilicalion radicale des
diversités inconciliables, parait tiédeur et trahison envers la
LA loi UAISO.W A.MK lOI
piété. Ses aflinnalions sont toujours plus audacieuses; chaque
degré métaphysique <|u'elle atteint lui sert à se hausser davan-
taure (i).
Ensuite, les thèmes dogmatiques passent en des groupes
religieux qui ne manient pas les mômes catégories et (jui ne
parlent pas le même langage. Le Logos grec, le Dieu juif et
tout le cortège de notions qui leur sont suspendues, expriment
et supposent des habitudes de pensée bien dill'érentes. Mais,
comme il arrive pour le langage, chaque groupe reverse au
trésor comnmn le [)roduit de sa spéculation; et comme elle
porte sur les mêmes objets, ces difierences, ces incompatibi-
lités vont s affronter.
Enlin la polititiue de l'Eglise consacre et proclame la con-
tradiction. Son esprit, c'est l'Unanimité. Elle est résolument
unanimiste et contradictoire. Visant la cohérence et la conti-
nuité logique, répondant à la foi et aux habitudes de certains
groupes et de certains hommes, les systèmes, les philosophies
religieuses affirment nettement les thèses ou les antithèses des
Antinomies : Monarchie ou Multiplicité divine, Divinité ou
Humanité du (Christ. L'Eglise est plus grande que ses premières
théologies. Elle accepte simultanément la thèse et l'antithèse.
<2ui choisit est hérétique. Une théologie c'est d'abord presque
une hérésie: jusqu'au moment où la théologie réprime l'hérésie
<'t enlin systématise les résultats des conilits dogmatiques.
Elle aussi, l Eglise, ne veut rien perdre de la foi. ni de ses
«xpressions dogmaticjues. Elle prend en même temps les asser-
tions opposées. Et comme il est impossible de les accorder,
prises à la rigueur, elle proclame le mystère et se résigne à ne
point acheter l'unité logique, au prix d'un élément important de
sa tradition. La réalité religieuse déborde l'ordre rationnel. Le
dogme (jui l'exprime en termes rationnels définit un Mystère.
(1) C'est^ ce que (Ilk'.xkbeiit appelli' les « inajoriilions île lu fui «.
I.'J\nhilinn des Dogmes.
lOa LA RKI.K.ION KT I.V KOI
L'Kjçliso a donc, sans frayeur, rasseinhlô les contradic-
tions, versé la pensée juive et le salut chrétien dans les cadres
de riieliénisnie, les aspirations obscures des sentiments de
tous dans des doctrines, qui seront celles de tous. Tout le
monde aura raison et tout le monde aura tort. Choisir est héré-
li(pie. Il faut prendre tout. Ramassant, après les controverses
et les hésitations, les niend)res épars du do|?me, déchirés par
les hérésies, — hérésies qui sont une phase, un mouicnt de la
vie dogmatique, qui éclatent au moment et sur le point où le
dogme se développe, qui naissent des questions que soulève
la marche du dogme, (jui expriment l'inquiétude, la vie de la
fui, — le jugement délinitif de l'Église coiisacrc une synthèse,
où thèse et antithèse juxtaposées ne sont conciliées et dépas-
sées que dans la perspective d'une Raison supérieure et plei-
nement adé(iuale à la réalité. C'est une paix imposée à tous, et
qui concède à tous quelque chose. Derrière les luttes théologi-
ques il y a l'effort de l'Eglise pour constituer une discipline
intellectuelle, une doctrine indiscutée et indiscutable, dans un
temps ou le monde antique chancelait; un empire romain reli-
gieux, avec une milice de docteurs préposés au maintien et à
l'unité de la Foi.
La contradiction était moins blessante alors qu'elle ne l'a
été plus tard. La Métaphysique néoplatonicienne, norme d'in-
telligibilité pour beaucoup, ne s'achevait-ellc pas en inintelli-
gibililé, cl n'inslallait-elle pas l'inintelligibililé à tous les degrés
de l'Etre, par la présence en chacun d'eux des hypostases
supérieures, coexistant avec eux-mêmes? La philosophie de ce
temps a le mépris du monde sensible, et même jusqu'à un cer-
tain point de la logi(|ue. Elle spécule dans l'imaginaire (i). Des
esprits formés à son école ne se troubleront pas aisément.
Mais les progrès de la théologie accentuent l'inintelligibilité
radicale du dogme; en approfondissant la révélation et le sur-
i; Voir sur ce point Gliunkiiicht, Le fJlirislianisrne antique.
LA loi RAISOWAMK I.">'i
naliiicl, on doiiiu' <lo plus en |)liis au Mystère; cmi acceptant
une pliilosopliie naturelle, comme le xiii' siècle accepte Aris-
tot<\ ou le XM' siècle la science commençante, on accentue la
nature. Les deux ordres, s'allirmant, sCnUe-choqnent.
D'où l'appel inévitable à l'Autorilé : la renonciation à com-
prendre et r « Extrinsceisme » de la théologie. Transposée en
vérité, la valeur ne se contente plus du sentiment de la
valeur; et ne trouvant point dans la vérité formulée l'intelli-
gihilité indispensable, l'Autorité de l'évidence, elle recourt,
suivant le procédé que nous avons analysé, à l'évidence de
l'Autorité.
QUELQUES REMARQUES CONFIRMATIVES
Un coup d'œil sur l'histoire du Judaïsme nous montrera
dans ({uelles conditions tend à apparaître la foi dogmatique et
comment, même lorsqu'elle est réduite à son minimum, elle
tend à glisser du dogme lui-même à l'autorité qui le révèle et
(jui le transmet.
Le Judaïsme est, au moins depuis le Deutéronome, une
religion de la Loi : une loi de prêtres, conçue sous l'inspira-
tion des |>rophètes. En la Thora est l'unité du Judaïsme.
C'est autour d'elle ([ue se sont constitués successivement
les divers pouvoirs ecclésiastiques; après Esdras, le Synhe-
drin ; après la chute de Jérusalem, le nouveau Synhedrin, puis
l'Hcole d'Iabné; le Collège de Palestine, les Académies baby-
loniennes, les (îaonim;
Le Commentaire juridi([U(' de la Loi est devenu, après la
ruine du Temple, la source [)rincipale de la vie religieuse (i).
Le Taluiud (le l'ahylone résume six siècles de l'iiistoire juive :
I, En étaitlissanl iiii Synlic-drin ;i lahnc, .loli;inaii ïwn /akUai inonlra que
rcxistciKC (lu judaïsme uctail nullenieiil lice à loxistcnco du toniple, ni à
riustitiUioii tii's sacrillces.
l54 LA KKLIGION ET LA 1 OI
altacliement étroit aux iM'alicjucs et (U'veloppement des subti-
lités religieuses.
Il est donc vrai de dire, avec la plupart des théologiens
Israélites, qu'à travers toute son histoire, le judaïsme n'est pas
une loi dogmatique, ([uil n a pas de théologie officielle. Reli-
gion nationale, il a été surtout, et il est demeuré surtout un
ritualisme, complété par la confiance, par l'abandon du cœur à
Dieu. Mais, sous celte pratique de la loi, il y a inévitablement
la reconnaissance implicite et, à certains moments de l'histoire,
explicite de certains principes fondamentaux : Dieu, la révé-
lation, la jiistiee divine.
Le Canon contient une doctrine. Il y a une doctrine des
prophètes : lahveh avec sa sainteté et sa justice, la spiritualité
et l'universalité de 'Dieu. Les Psaumes et le Livre de la
Sagesse enferment des croyances définies (i). Mais l'élément
intellectuel n'a pas cristallisé en un dogme rigide. Au cours
du cycle biblique, il n'y a pas de théologie à proprement
parler, de dogmes promulgués, ni même explicitement for-
mulés. Jusqu'à un certain point, on pourrait dire que pour le
monothéisme biblique, la science attente à la toute puissance
de Dieu. Vouloir savoir est un attentat à sa puissance. Toute
recherche théologique serait un attentat contre Dieu (2).
Quoique Josèphe ait rattaché la lutte des Pharisiens et des
Sadducéens à des doctrines (Providence, résurrection du Corps)
il semble bien qu'elle dépende surtout de l'attitude politique de
ces deux partis.
C'est là peut-être un trait commun aux religions Jiatioiiales.
L'apj>artenance au groupe national définit suffisamment le carac-
tère religieux des fidèles, et dispense de toute profession de
foi.
(il La récitation oljii'^atoire du Scli'iua : •.' Ecoute, Israël, lahveli est notre
Dieu », est une confession de foi. (Bousset, Religion des Judentliurns, p. i6H
et suiv.)
2- Karppb, Le Zoliar. Le Canon est r<eu\re du Prophète, du prêtre et du
scribe, et non point du théologien.
I.A KOI M VI SON. NANTI-; l55
Lrs conicssions de loi naissent avec les dissensions
iuU'ines, les attaques exléiieures et la nécessité d'enseigner les
prosélytes.
Le strict nationalisme des Juifs les enferme dans Icui- reli-
gion el les élève au-dessus du contact avec le dehors, de la
polcmitiue religieuse et de l'Apologétique.
Lintéicl religieux d'israi'l est conccnlié sur la Loi cl sur la
pi'ali([ue (I).
Dans la Diaspora (2), la doctrine est contrainte de s'ébau-
cher, par réaction contre le paganisme. La première lentalive
pour formuler des articles de foi est due à Pliilon d'Alexan-
drie, sous riniluenee de la pensée grecque. Dans son De iniindi
Opificio Philon énonce cinq articles de foi. Le Judaïsme dog-
matique est lié à la fois à l'influence de l'Hellénisme et à la
réaction contre l'Hellénisme.
*
*
L'originalité du judaïsme talmudique, c'est encore sa
richesse en pratiques et sa pauvreté en dogmes. La religion
cérémonielle fonde une unité extérieure (pii permet de tiaverser
victorieusement les siècles d'épreuve. Toute la vie de l'Israé-
lite est délinie par la multiplicité. des prescriptions du Nouveau
(".ode. La spéculation s'exerce sur la pratique : dOîi le caractère
particulier de la Ilalaka.
(l) Le pè{.fleMicnl do la réccplioii des noopliylfs, qui s'est (lé\ cloit|)i' au
cours des temps, inuiiil'este oc caractiTC prali(iuc. AccDinplir c'«M'tains rilfs,
liaplciuc, circoncision, sacrilice, est la preuve de la loi du converti. Il est
lo|i^u<-uient instruit des délails rituels, et coininc; iiroIVssion de loi on ne lui
demande (lue lic rceonnailrc l'unité de Dieu et de reji-ler l'idol.itrie. L'essen-
tiel est la connaissance tic la Loi (;t loLéissarjce à la Loi. (Jeni.s7i Kncyrlt'jx'dy.
Art. Faith.;
Q Les Syna^jogues dispersées correspondaient ave*- Jérusalem par les
oUrandes régulières et les pèlerinajfcs. Le juilaïsine était une sorte doplise
nationale, dispersée dans l'uniNcrs.
l56 I.A KKI.K.IOX KT LA TOI
Li'iiseifçneniont dogmatiiiue de l'Agada est dominé par les
driix dogmes de la ProvideiKc et de la vie future; mais ee n'est
point un enseignement didactique. Il procède par sentences,
nuixinies, préceptes, lég(;ndes, tout en reposant sur le fond
commun de l'exégèse bibli([ue, créée par les organes de la
tradition. La raison et la réllexion y interviennent peu (i).
* *
I/IaoIc lliéologicpie, connue toutes les théologies médié-
vales, se réfère à l'Hellénisme et surtout à Aristote (2J. Avec
Maïmonide, on voit apparaître des dogmes. Avec Saadia avaient
commencé les spéculations sur le rapport de la révélation et
de la raison.
" Dans tous les milieux où s'est présenté Aristote, les
mêmes phénomènes se sont reproduits avec une étonnante
régularité. D'abord, envers et contre tous, Aristote, par la
vertu de sa puissance éducatrice, fait son entrée, et prend
effectivement possession des esprits. Mais, dans ce travail, jdus
ou moins accéléré, il soulève, d'une part, tout un groupe d'àmes
religieuses, (pii lui font opj)<)sition et (juek[uefois lui déclarent
une guerre acharnée. D'autre part, les esprits portés à la spé-
culation radicalement indépendante, ou inclinés à se mettre en
travers de l'enseignement religieux, l'acceptent dans toute sa
(I Contre la tradition, il }■ eut au niii" siècle la léaction Karaïle. Les
Karaïtes, niant la tradition, et revenant à l'Eeriture, substituèrent à une
orthodoxie tyrannique, mais néc^essaire au maintien de l'unité, les fantaisies
de l'interprétation individuelle. Ils ne tardèrent pas à .se subdiviser.
Vers la même époque, dans le nujnde musulman, les Chiites, c'est-à-dire
les adxersaires de la Tiadition, s'opposaient aux Sunnites.
Le Karaïsme ne possédait ni centre religieux, ni autorité centrale capable
de maintenir l'unité de la doctrine. D'où des divergences considérables.
(2 Avec la philosofdiic grecque et contre elle s'organise la théologie.
I A KOI HAIsnWAM i: 15^
teneur cominc le symholc de la lihcrh' de pciisn-, cl s'cirorcent
de inellic en ('•\ ideiice ses c()tés iiiédiiclihlcs à la loi. l^ntie
ces deux exlrènies. les esprits convaincus de la valeur de
l'œuvre d'Arislole et l'especlueiix de raiitorilc- relii,Meuse lenleiit
un comj>r()nus \i). »
Mais on peut dire, d'une manière ijénérale, (jue rinilucnee
de la llîcolosîie dans le judaïsme n'a jamais clé aussi considé-
rable (pic dans le christianisme. A l'exclusion des juifs espa-
gnols, capables de s'assimiler la science cl la civilisalion
arabes, l'horizon intelleclucldn judaïsme était des plus bornés.
D'autre part, l'épanouissement de l'école théoIos?i(pic coïncide
avec les persécutions d'Espagne, donl le dernier mot lut l'ex-
pulsion générale des Juifs (12). El les masses se rejetaient vers
les consolations de la foi traditionnelle. L'Ecole Ihéologique a
donc suscité une violente réaction, jusqu'à l'excomumnication
cl l'anathcme, chez les Israélites méridionaux, et surtout chez
les Provençaux, qui professaient alors l'orthodoxie dans toute
sa rigueur et dans tout son exclusivisme. C'ctle lutlc violente
dura plus d'un siècle.
Il Mamk>nnkt, .S/g-er de lirnbant. p. G 2" ('-(lil. .
A quel point les trois religions vont dr pjiir, fest-à-dire doivent incvita-
l>l(iuent rencontrer les mômes problèmes, la dinicnllé dètahlir quelle
induence elles ont exercé l'une sur laulre (lorsqu'elles paraissent en avoir
exercé une le prouve suriisanniient. Par exemple, la doctrine des Mutazelites
iMutaknllim ,(|ui parait avoir exercé nue «îrandc influence sur les doctrines
juives Karaïtes, n'a t-elle pas été elle-même intluenc('e i)ar le judaïsme, en
particulier sur les deux i)oints de l'opposition à rantliropomorpliisnic et de
la liberté? V. ScHHiiiNKH, Drr Kalurn in dcr Jiidischcn LUenilur. Berlin, 1890' .
D'autre («art, la polémique chrétienne n'a-t elle pas joué un rôlc'.'C.-II. Rkckkh
/. ////• Assyrii)l<)frit', i<)i2, 17;"» lui rapporte la forme sous laquelle le pro-
blème de la liberté a été «iiscuté dans le maliométismi-; la discussion sur
l'éternité du (:»)ran est éj,'alemcnt rapprochée par lui de la ([uestion du
I.OfJOS.
Le problème de la Trinité a comme pendant, dans le juilaïsme et dans
l'islamisme, celui de la réalité et de la nature des Attributs di\ ins.
(3 L'expulsion des Juifs <rKspa<;ne, à la lin du xv siècle. mar(jucra pour
le juda'jsmc tout entier une période de trois siècles «le confusion, d'abaisse-
ment intellectuel, d'af;itation stérile. Le souvertir et la crainte des persécu-
tions a entretenu chez les Juifs orthodoxes une piété sombre, exaltée,
exclusive, tournée vers le ritualisme ou vers les rc\eries du Zoliar.
l58 LA RELIGION ET I.A KOI
* *
Maïmonide est le premier qui fornuila Ireize articles de foi,
coninie (lo2:nu's obligatoires, excluant de la vie éternelle tous
ceux qui ne les acceptaient pas (i). Les grands théologiens,
ses prédécesseurs, Saadia, lia'hya, le Khozari, s'ils avaient
bien traité de l'existence, de l'unité de Dieu, de la Providence,
ne les avaient jamais formulées en dogmes obligatoires.
Maïmonide a été suivi par un grand nombre de théologiens,
Hisdaï, Albo, Isaac Arama.
L'orthodoxie lui objecte (2) que, dans la Bible, tout est
article de foi, tout exige la croyance de l'Israélite. Le doute
n'est pas permis, même à l'égard du passage le plus insignifiant
de l'Kcriture. Il n'y'a donc pas dans la loi certaines croyances
fondamentales ('3). Autrement pourquoi ne figureraient-elles
pas dans le Décalogue ou dans la Tradition. Les Pères de la
Synagogue n'ont pas admis de dogmes spéciaux. Ni l'Ecriture,
ni la Tradition ne formulent des croyances spéculatives, en
dehors de la pratique rituelle. La base de la religion, c'est
1 étude de la Loi et la prati(jue des choses saintes (4). Le dogme
reste latent dans les faits capitaux de l'histoire nationale et
religieuse, dans la célébration périodique des fêtes commémo-
ratives, dans la lecture de la Loi. La conception intellectua-
liste de la foi n'a pas de place dans le judaïsme bien entendu.
i> On a, du reste, discuté la portée de eelle exclusion. 11 est possible
qu'il s'ajjfisse de ceux (jui, ne se contentant pas de douter dans leur l'or inté-
rieur, érigeraient l'athéisme en [irincipe. Ainsi ce seraient des actes, et non
pas des croyances, qui seraient flétri» et condamnés.
(2 Voir p. ex. AltUAVANEL.
'8) Hasdonaï Cresca [Or Adonaïj réduira à 7 les articles de Maïmonide,
distinguant ainsi : i' des principes fondamentaux; 2° des propositions obliga-
toires, mais non fondamentales ; 3'' des conceptions abandonnées à la réflexion
personnelle.
'4/ We même que j)oiir Abravanel cliaque mot de la ïhora, pour David
bcn Zimra, Ies6i3 commandements de la Tliora, (|ue R. Simlai avait énumérés
au iir siècle, sont articles de foi.
I.A lOI n AISO.N.NA.NTi: I.H)
La Foi — Kmiiiui — ne sicrnilk' pas raccc[)lalion d un cietio
eccl»''siasli(iue, mais la confiance de l'enfant dans la paternelle
fidi'litr de Dieu ( i).
Quelle sorle de loi inipli(pienL les dogmes, pour les théolo-
giens cpii admettent les doi^mes.
Pour Saadia (2), la spéculaliou et l'investigation rationnelle
servent de confirmation à la révélation prophétique. La révéla-
tion, appuyée par des miracles, et reçue par la foi, correspond
rigoureusement à la spéculation rationnelle.
Elle est nécessaire pourtant, parce que le travail de la pen-
sée est difficile ; parce (pi'on ne peut se passer de la certitude,
pendant le temps de la recherche ou du doute, parce que beau-
couj) sont incapables de recherche spéculative (3).
11 y a ici le pendant de doctrines que nous connaissons
déjà : la raison illuminée, d'accord avec le dogme.
De tous les docteurs juifs, Maïmonide est celui qui a fait le
plus puissant effort pour ac(;order avec la raison, e'est-à-dirc
avec larislotélisme, les données de rKcriture. On connaît son
système d'interprétation allégorique; on sait (pi'il n'hésite pas
à contredire parfois le Talmud, qu'il passe sous silence là résur-
rection et (jue. dans le « Guide », il fait à peine allusion au
Messie. La tendance de sa doctrine, c'est qu'entre le judaïsjiic
révélé et la philosophie il n'y a aucune opposition et qu'au
fond ils sont idenlicjues, l'Kcriture et la raison étant également
d'origine divine. La démonstration logicpie vient à l'appui de la
Tradition.
1 Koiii.KK. o.c, p. 2.*). Luzziilo (i8<K)-iS(>r> coixliimiu- [onlc aUiliuic spi'cii-
lalive. l.f juduisiae est vie morale : un lliéisiiie éUiiiiu»'.
2 Le Gaoïi Snailia bon .loseph. 8*(2-9(2.
■< Saadia couilwil ici le sceplicisnie juif de son époque, en particulier le
raltii;mitt' IIi\i Alliarlii. qui niait la ^('■^■^•lali(>n.
l(»0 LA UELIOIOX ET LA FOI
Poiu laiil la ri'vôlalion complète la raison. La Création (i),
la Providence, le Miracle débordent la philosophie naturelle,
sans la contredire (2). La raison ne les exige pas, mais ne les
exclut pas (3).
Donc la raison s'incline, au terme, devant l'autorité de la
Révélation : « Arrêtons-nous à ce (pii est en notre puissance et
ne nous fatiguons pas à scruter ce qui nous échappe. Pour ce
qui se dérobe au raisonnement, acceptons la parole du grand
inspiré Moïse (4J. »
Cette autorité s'appuie, du reste, sur le miracle. « La reli-
gion nous a l'ait connaître ce que nous sommes incapables de
concevoir, et le miracle atteste la vérité de ce que nous sou-
tenons (5). »
Il y a ici à la fois ce sens commun religieux pour qui cer-
tains signes sensibles extraordinaires sont la preuve d'une doc-
trine — l'autorité du messager refluant sur le message — et le
germe de l'extrincésisme, (pu' nous rencontrons si développé
chez saint Thomas ; le contenant garantissant le contenu ((y).
Mais ce germe ne se développe guère, d'abord parce que la
théologie ne se développe pas. Et puis la théologie du judaïsme
(i) Pour préciser, selon Maïrnonide, l'étornité du monde n'a pas été démon-
trée par Aristote, et la création n'est pas iuipossihlc ; d'autre part, l'Kcrituri'
ne proclame pas absolument et sans c()ntestation i)ossil»le la création du
monde. Mais l'éternité du monde n'étant j)as déiuonlrcc, il ne convient pas de
faire violence aux termes bibliques ; admettre l'éternité du monde et la
nécessité qui en découle, ce serait nier le miracle et par conséquent la reli-
{,Mon.
(21 Là où il y a conflit manifeste, c'est la raison qui l'emporte : « Il faut
avoir recours à rinteri)rctation alléfforique chaque fois que Je sens littéral
étant réfuté par une démonstration, on sait d'avance que ce texte est sujet à
l'interprétation. « Guide II, 2Ô ; 196.
3; Il y a, même du jtoint de vue rationnel, une vraisemblance loj;;i(jue de
la Providence; par excuq)le (Guide III, cb. 17, )>. 199.)
i4) Guide II, ch. 24, lyô.
5) Ihid. ch. 2.") ; 198.
6) De même pour Jose[)li Albo. Ikarim, livre I, ch. 24. La Loi est divine :
!• |>ar sa ^aleur morale; 2° par la preuve surnaturelle de la mission du pro-
phète législateur. La véracité de la mission de l'envoyé a été prouvée, de
façon surnaturelle, en présence de toute une nation, dans le cas de la révé-
lation sinaïtique.
I.A l'OI I< AISONNA.MK
[0,
lie ((Hiliciil pas (le inyslôrcs coinine la Triiiitr, l liuaiiialioii, la
Krdcnijilioii. l*]ll(' n'a point, coininc le christianisme, Iraversé,
pour la formai ion de ses notions essentielles, plnsieurs plans
(le spéculât ion, ni fail eonvei'u:er vers le même pointées apports
(lilleients et dont la réunion est contiadieloii'e. L'harmonie de
la foi avec la raison y est plus aisée à réaliser. De[)uis Saadia,
le vrai critérium de la révélation et de la prophétie, c'est la
\aleiir de la doctrine. Le miracle ne fait <pie eonlirmer. L'Au-
torité est secondaire, par rapport à la Vérité.
Les écrits de Maïmonide, qui, dans sa pensée, (levaient
clore les discussions rabbiniques et réconcilier délinitivemenl
la foi et la raison, s'ils furent accueillis avec enthousiasme
parmi les juifs du midi de la France, suscilèrenl lliorieur des
rabbins de l'ancienne école.
On connaît les anathèmes de Salomon de Monl[)ellier, la
condamnation du synode de Barcelone. Les « obscurants » du
dedans travaillèrent en même temps (pie les oppresseurs du
dehors à la ruine de la théologie juive. En face de la philo-
sophie abstraite des disciples de Maïmonide, la Cabbale se ligua
avec l'orthodoxie pour éloulfer la philosophie ; le Talmud et
le Zohar; la spéculation vertigineuse sur la prati(iue rituelle,
ou la poursuite des puissances célestes par la spéculation gnos-
ti(iue et la magie du grimoire. Les nouveaux Hassidim réagis-
sent contre le Talmud ; mais leur réaction reste au stade de
l'émotivité extati(4ue, étroitement liée du reste à un livre et à
un ritualismc strict. De nos jours, la théologie dogmati(iue n'a
reparu dans le judaïsme de la lléforme que sous rasj)eet des
formules de concorde.
Nous trouvons aussi i)ien dans l'Islam et la foi (logmali(pie,
œuvre de la théologie, et la justilication par l'autorité, partout
11
i6a i,.v HKi.KiioN irr la ioi
1
(i) MAcnoNAi.f), Tlie rcll^ious Ailihidc aiid Life in Islam, 1909. — Cahha
DK Vaux, (iazali. Maï.momdi;, Guide des Efra/vs, 1, 337.
2) GoLiiZiHKH, Vorlesiingcn iiber den Islam. CIoluziiier insiste justement
siirle failli»* rùledii dogme dans l'Islam. Il n'y a jtas de conciles et desynodes
jtour formuler les symboli-s ; il n'y a pas de fonction ecclésiastique (jui repré-
sente le critérium de l'orthodoxie. Les parties ont de la peine à se mettre
d'accord sur la notion du <■ Consensus » qui assurerait la solution des ques-
tions dogmatiques.
OÙ ci'He foi cesse de correspondre strielement à la philosophie.
Mais, ehez aucun théoloi;ien, le doi?ine n'a pris un (h'veloppe-
inenl comparable à celui du Christianisme, et (pielles cpie
soient les divergences avec la raison, elles y sont beau-
coup moindres, pour le motif que nous sii^nalions il n'y a qu'un
instant.
Au temps de la scolastique arabe, on distingue très netle-
inent la foi purement traditionnelle, la foi de la populace
(eonliance dans le narrateur, circonstances frappantes, exigence
sentimentale); la foi scolastique, par démonstration, exhaustive
et complète, ou par probabilité, basée sur des principes
généralement acceptés par les maîtres et qu'on ne peut rejeter
sans honte ; la foi par expérience profonde, lumière de certi-
tude qui tend vers l'extase mysti([ue (i). On voit la doctrine
s'organiser au cours 'du dévelop|)ement de l'Islam; formation
dune tradition, à côté du Coran ; doctrine de l'infaillibilité de
l'Eglise qui interprète, apologéticjue contre les adversaires de
l'Islam, controverse au sein de l'Islam (les contradictions du
Coran, la foi et les œuvres, la liberté et la prédestination)
(piestions politiques, inlluence de l'Aristotélisme (2).
Le rationalisme pur d'un Averroës fait de la religion une
j>hilosophi(-' ; et l'Islam, jusqu'à nos jours abonde en s(îctes
ralioualistes.
Un Gazali se réfugie dans la loi avec aussi peu de recours
(}ue possible à l'intelligence. Le Dieu du croyant est prodi-
gieusement distant du Dieu des philosophes. Un Avicenne
rencontre les mêmes problèmes (jue la scolastique chré-
tienne.
I.A 1 Ol n \lSO.\NANTK l63.
LA RELIGION NATURELLE
La |)aili(' ralioniielle des dogmes religieux peut se déve-
lopper en une sorte de méla[)liysi(iue religieuse, qui revendique
sou indé[)eMdaiiie à l'égard de la religion et prétend même se
substituer à elle. C'est ce qu'on a appelé, à diverses époques,
la religion naturelle, par opposition à la religion positive. La
religion naturelle ne veut se réclamer que de la nature humaine,
cœur et raison.
La Religion naturelle s'oppose à la Religion révélée ou
l)osilive. Elle lui est chronologiquement postérieure. Les
religions positives, avec leur appel à la Révélation, ont été
pratiquées et admises pour vraies d'une vérité supérieure aux
lumières de la conscience, longtemps avant qu'on imaginât
d'en extraire l'essence, plus ou moins suhlilement traitée, pour
en faire l'expression suprême de la nature humaine. La religion
a eu le sort de l'idée de Nature et, comme elle, s'est dégagée
peu à peu d'un ensemble confus et indistinct, en même temps
que l'idée précise de Surnaturel. Comme elle, elle s'est le plus
souvent i)roposé de supprimer cette dernière, et s'est le plus
souvent formulée en conflit avec la Révélation et le Surnaturel.
La Religion naturelle traite les religions positives connue
un amalgame de raison et de déraison; la confusion d'esprit,
la prédominance de l'imagination, la faiblesse de resi)rit
critique expliqueraient sufilsamment l'étrangelé des mythes
religieux. Parfois on verra dans cette étrangeté même, comme
une «'xpression et une préparation symboliques de la raison.
Suivant l'usage (ju'on entend faire de l'idée de nature, la
Religion naturelle sera conçue comme la suite et l'épuration
des Religions révélées, ou comme la réaction saine de la pure
raison contre un amas d'illusions et d'erreurs.
C'est ainsi qu'historicpiement la religion naturelle se
présente comme une épuration, une simplilication, une ratio-
l6| LA HKI.K.ION F.T I,.\ KOI
iinlisalion dos relii^ioiis positives. Uoussoan disait : « Le vi'ai
christianisme n'est (jne la reliii^ion naturelle mieux expli-
quée » (i). On n'aura donc point de peine à montrer le « concert
de la nature avec la révélation » (pii, ou bien se réduit à la
nature, ou bien s'y superpose, mais en tout cas tire sa force
de la reliu:ion naturelle.
Dans l'antiquité, l'interprétation allégorique tendait à
élaguer les floraisons de la mythologie. Une idée générale et
synthétique de la divinité, très flottante et très noble, cherchait
à s'insinuer dans les anciens dieux. La philosophie stoïcienne
répond à un besoin pratique de croyance religieuse; mais elle
constitue un objet de croyance capable de s'exprimer en propo-
sitions rationnelles. La philosophie de Plutarque répond au
même esprit. La religion est, pour lui, une philosopliie
naturelle, enveloppée de fables par les Grecs et par les
Barbares .-une théologie rendue mystérieuse et secrète par des
énigmes et des allégories. La tâche du philosophe est d'expli-
quer ce qu'il y a d'étrange et d'inadmissible dans les histoires
des dieux ; de séparer la théologie d'avec la mythologie ;
sous la religion poétique et civile, il retrouve la vraie nature
des dieux.
L'humanisme religieux achevait en religion naturelle sa
restauration de la nature humaine. Sous la diversité des
religions positives, les uns retrouvent une religion unique :
d'autres voient dans un christianisme épuré l'expression suprême
de l'àme de l'homme. Relevée de la déchéance originelle,
conflante en ses propres forces, la Raison traite en égale avec
la Religion ; elle se réserve le droit de la reconnaître, et de la
promulguer; de l'amender même et de la faire conforme à soi.
L'Humanisme achève le travail de ceux (pii, au cours de
i; AnAiziT \'. -M. Masson. I. 207 . « Il y a contradiction à dire qu'un dof^nie
est révélé et qu'il est incomproliensihlc... Ce qui doit le plu.s nous occuper,
c'est la méditation des vérités claires et à notre portée «jue la religion ren-
Jerme... c'est l'étude et la pratique de nos devoirs. »
I.A roi IlMSO.WANTi:
riiisloiir, onl nuiiiiU'Uii contre' la t^ràcc les droils de la naliiic,
coiilic la roliii:ion, la raison, riioinnie contre .lésus-C.lirisl.
Au wiii' siî'clc. la Religion naturelle est à la fois la
riili(ini' i)liilosoi)lii(iue de la notion de révélation, et du
l'oiitenu des religions révélées; v\ en niènic t('inj)s une altitude
religieuse, ou tout au moins une habitude religieuse, selon les
es|Hils. l'allé niar(|ue la persistance de la religion même ([u'elle
c-ondtal, et l'ellort pour garder un niinimtini de religion. l'Ule
<st, elle/ les uns, elïbrt pour rester religieux en cessant d'être
traditionnels; — chez d'autres, effort pour concilier la religion
(h'faillante avec les habitudes d'esj)rit (pie crée une civilisation
nouvelle, elïbrt ])Our éviter à la lois « l'impiété et la super-
stition ; pour trouver le juste milieu entre le fanatisme et les
lumières ». Chez d'autres encore, comme chez MorcUet ou
Diderot, elle sera une machine de guerre contre la ndigion
positive. La Nature, c'est pour un Diderot comme un appel à
l'insurrection contre les erreurs de l'enfance, contre tous les
préjugés de l'éducation, tous les scrupules de la morale
sociale.
Mlle a le sort de l'idée de Xature. llestauration ou révo-
lution, ainsi se présente-t-elle suivant les esprits. Elle réunit,
dans une notion complexe, contradictoire et confuse, l'idée de
spontanéité, de développement et de progrès libre, contre
l'ascétisme et le traditionalisme religieux ; l'idée d'une raison
vivante et agissante, capable de comprendre le monde el
juscpi'au fond la nature des choses; l'idée d'une sentimentalité
(pii a SCS droits et notamment celui de supposer l'existence de
l'objet de ses désirs. El toutes ces aspirations sont considérées
comme une donnée primitive. D'oîi, chez beaucoup, l'idée d'un
retour à la nature après les lalsilications de la société.
Beaucoup |)rojcttent à l'origine de riiunianité, sous le nom de
religion naturelle, cv (|ni leur paraissait ètie la religion ration-
nelle. De là le rêve d'une religion (|ui serait la même dans
tous les Aires, dans tous les pays, dans tons jr-; mondes, d'une
l66 I.A RELIGION KT LA KOI
rc'litJ:ion iiiiiiuime. clariliée « aux pures lumières de la raison »,
(jui serait la nature eonscientc, sentie et aimée pour elle-
même; et. comme on Ta dit, «une réplicjue tiiéolo^ique aux
rêves de l'âge d'or > (i).
Pascal avait dit du christianisme, pour lui en faire honneur
comme d'un signe de vériîé, « qu'il était la seule religion contre
la nature ». Le christianisme humanisé risque de devenir « le
règne de la belle nature », une divinisation de la nature
humaine. Kt ceux qui n'iront pas si loin feront bien maigre
encore la part de la révélation.
Le droit pour la raison de la contrôler, et d'en exclure ce
fpii serait contraire à la raison, le droit de faire décider par la
raison ce ([ui est vraiment révélation, ramène inévitablement
la religion à la philosophie. Ceux qui continuent d'admettre
la révélation la traitent comme un surplus, qui doit satisfaire
à deux exigences opposées : dépasser les lumières naturelles
et s'y trouver aussitôt conforme ; ou bien ils admettent que, si
la Révélation n'apporte rien à l'humanité qu'elle ne puisse
atteindre d'elle-même, elle lui donne plus tôt ce qu'il lui
importe le plus de savoir : le symbole précède l'idée claire,
la foi historique précède la foi rationnelle et peut servir encore
aujourd'hui à éclairer ceux qui ne sont pas capables de
pure pensée.
Mais la tendance inévitable de la religion naturelle, c'est
de juger la révélation inutile et indémontrable. Inutile à cause
de la raison qu'elle ne peut que voiler. Indémontrable, parce
qu'après tout les preuves extrinsèques ne reposent que sur les
'Il La « religion natiirflle » envaliira au xviii" siècle toutes les confessions
religieuses, aussi bien le protestantisme que le catholicisme. En envahissant
le protestantisme, elle refoule l'idée de péché ori},'-incl et tout le pessimisme
sur lequel est fondé le calvinisme, par exemple chez Sulzer, Vernest. (Voir
P. M. Masson, 1, 259 et suiv.) Elle refoule aussi le dof^matisme. Turrettin
(P. M. Masson, I, 200) : « Siircharj^er la religion de merveilles et de mystères,
c'est la corrompre; elle n'est jamais plus belle que dans sa simplicité origi-
nale^.. On n'est pas mal avancé dans la théologie quand on a appris à
ignorer certaines clioses. »
I.A l(M RAISO.WA.NTK 167
preuves intrinsèques. Rousseau dira des miracles et des
prophéties : c i*onr être certain (ju'il y en eût, il faudrait
connaître tous les secrets de la nature. » Puisqu'il y a de faux
miracles et de fausses prophéties, leur valeur repose sur la
doctrine, dont la raison demeure le juge suprtMiie.
*
*
Le Romantisme rêve lui aussi d'un syncrétisme religieux, oii
viendraient s'estomper les lignes des dogmes et dans lequel toutes
les confessions communieraient. Le Romantisme religieux tend
à montrer que le contenu de la Révélation est rationnel. Mais
la raison telle (pi'il la comprend, n'est point la raison froide
et sèche du rationalisme des «lumières». Ltre et Raison se
rejoignent dans les profondeurs de l'intuition intellectuelle. La
vie de la pensée, le développement de ses moments expriment
la réalité nu'me. La suite des dogmes se développe à partir de
I intuition du divin. Le Mysticisme spéculatif du Moyen Age,
le Romantisme religieux du xix' siècle sont deux expressions
de la même tendance. Kt même ce divin a ligure de christianisme.
La philosophie romantiipie. si indéterminé que soit l'Abîme
oiiginaire d'où elle tire les choses, construit le monde selon les
lii,Mies du christianisme.
* *
Le développement des religions rationalistes n'est point
négli<;i'al)le depuis le xviii- siècle; théophilanthropie, rationa-
lisme protestant, églises rationalistes anglaises, religion de
l'humanité. Mais la «religion naturelle» est prise enjre la reli-
l68 LA HELIGION ET I.A lOI
ifioii et la raison; enlie la puissanio lasciiiation des religions
positives et la crili(pie (pie la raison fait (rclle-nu''me. Se lier à
la raison, pour la solution des problèmes niélaphysiipies, c'est
une prétention cpu'le scepticisme et le criticisme ont amplement
combattue. La Foi de la Raison, contre la Foi liistori(pie,
suppose une foi dans la l'aison que la ])hilosojiliie ne soutient
pas toujours.
Une bonne partie de la force de la religion naturelle vient
de la valeur des idées qu'elle manie, plutôt que de leur vérité.
La contianee accourt à l'aide de la croyance. C'est ce qu'on
verrait en étudiant quelques-uns de ceux pour qui la religion
naturelle a été vraiment une religion. Rousseau, est-il besoin
de le dire, n'est pas un logicien, un démonstrateur, encore que
son système, nous le verrons, ne se soit pas formé sans dialec-
tique ni discussion. Mais sa construction dogmaticpie repose
surtout sur les bases du sentiment : Julie, ou le besoin d'aimer,
l'aflection surabondante, au delà des choses terrestres et finies,
incapables d'occuper entièrement l'àmc ; le Vicaire Savoyard,
ou la gratitude d'exister ; le besoin du eteur, la lumière intérieure
d'oîi sort un système de théologie naturelle, un rationalisme
sentimental ; le Promeneur Solitaire, ou l'extatisme : l'intuition
profonde qui remplit toute l'àme, le Dieu extatique qui confère
la certitude au Dieu chrétien de la Religion naturelle.
Rousseau, c'est la Vie sous la Religion, le sentiment libéré,
rendu à soi-même et qui se retrouve dans les dogmes et dans
les souvenirs chrétiens ; la nature, l'enchantement de la musique
■et de la rêverie paresseuse ; le refuge dans l'apaisement ineffable
des grandes ondulations bienheureuses, loin du monde méchant ;
et sous le thème traditionnel du Dieu juste, le besoin d'appui
et de revanche du .Iiiste persécuté.
lA lOI HMSONNAMK 1 69
LES ÉLÉMENTS DE LA FOI RAISONNANTE
La raison fonduil à la loi, la iNahnc au Siirnaluiel. Il y a
(It'ux mondes et le croyant passe de 1 un à l'autre. La loi c'est
précisément ce passade de l'un des ordres à l'autre, et l'état
d'àme par lequel le croyant, s'élevant au-dessus de rinlelliaence,
s'installe dans la vie sacrée. « L'Apologéli(|ue n'est cpi'une ]»r(''-
paration ou une défense. Elle n'est point la vie de l'a me. (jui
rst la grâce sanctifiante (i). » L'acte de foi se pose et pose le
croyant dans un autre ordre, l'ordre du mystère, et dans un
autre monde, le monde de la vie divine. « Qui d'entre nous, un
certain jour de sa vie, ne s'est senti transporté dans l'invisible?
La Nalui'c cl l'Art, la communication de tout ce cpii est inetrahle
dans l'harmonie du monde ou dans l'expression de l'Ame
humaine, nous ont transfigurés (juelquefois. Purs dans notre
amour, forts dans notre volonté, illuminés dans notre enten-
dement, nous avons compris, mais ce furent des instants trop
courts, cette admirable parole de l'apôtre : la foi c'est la
démonstration de l'invisible, c'est la substance des choses que
nous espérons (2). »
Sentiment d'élation et d'exaltation, qui naturellement vaiic
beaucoup; d'abord selon la manière dont est perçue, posée et
affirmée la relation des deux ordres ; nous y reviendrons ; puis
suivant le caractère plus ou moins personnel, plus ou moins
volontaire de l'acte. Le sujet peut avoir plus ou moins conscience
de l'élévation de son acte au-dessus des actes naturels de son
intelligence (3). Ilpeutse sentir plus ou moins «agi » ou agissant.
l'i^ Clkhissac, Mysfrre de l'Ki^'-lisc, <).
(ai Ui;Mtuvii;n. Mtiiinel de l'hilosojdiie ancienne, u, 39').
(3) C'est, pour les théolofficiis, la question de la perceplibilité <l<' lelal de
>;râco. En priiieipe les actes siinialnrpls sont estimes ineonseients, paire qu'ils
<lcpassent l'ordre eréé sur lequel s'exerec la connaissanee naturelle. .. L'état
de );râee ne salirait être eonnu naltirelleuient par aucune créature, i>arce que
la vie surnaturelle «pi'il nous donne n'est |)oinl une vie créée, ni créalile, mais
l^O I A UELir.ION ET LA FOI
La foi, c'est le vertifje de Dieu. Rappelons -nous l'amoui
la passion <pii s'enc:ou(Tre dans son objet, renonçant à la
diseussion el an eonlrùle, acceptant de cet objet toute la nature
et toutes les décisions. Mais ici le vertige est précédé d un
examen, et il en garde le rellet. Dans ce vertige, qui n'est point
le verlige mystique, — abolition de rinlcUigcnee, — toutes les
délinilions sont maintenues. Un surplus apparaît, qui dé[)asse
les raisons de croire, et qui est comme la marque et la présence
de l'objet de croyance lui-même. Le sujet s'arrête, se détend,
cesse d'agir, de vouloir, se laisse aller au gré d'une force supé-
rieure (i). Au\ motifs qui paraissent suffisants pour justifier un
assentiment intellectuel, s'ajoute « cette part de conviction qui
va non plus d'un sujet connaissant à un objet cormu, mais d'un
être à un autre être; qui, par conséquent, procède d'autres
puissances que de l'entendement et s'attache moins à l'intelli-
gibilité qu'à l'activité ou à la bonté de ce en quoi l'on met sa
croyance (2) * .
Ainsi une sorte d'illumination plus ou moins impérieuse, oîi
la puissance qui fait croire (3) s'affirme dans l'acte de croyance
une participation à la vie même de Dieu. » VaCwVNT, ii, 2o5. Mais la grâce peut
être jusqu'à un certain point sentie ou conclue. Dans certains étals même, et
ce sont les étals mystiques, l'efracement de la nature ouvre le champ à l'aper-
ception (lu surnaturel agissant.
(il II y a ici quelque chose d'analogue à l'acte de volonté, selon Berg.son :
dans les moments graves, le conflit des motifs; puis, au delà des motifs,
rélahoralJDn de la nouveauté; de même l'intuition créatrice au delà du
travail intellectuel préliminaire.
2 Blo.vdkl, Vocabulaire de philosophie Lalande), article Croyance. C'est
ce (|u'(xprinie liien cette jjhrase de Newman (<) oct. I84■^) : " Puissé-je avoir,
en fait de vraie Foi, un dixième de la conviction intoUecluelle où je suis en
ce qui concerne la véritc-... mon cœur est si dur, je fais tout avec si peu
d'élan, rpie je me suis demandé en tremblant si j'aurais assez de P'oi et de
contrition pour recevoir toutes les grâces du sacrement. Peut-être une même
personne ne i)eul-elle à la fois croire et savoir. » (S. -F. P'i.etchkh, A Short Life
of C. yewman, H7.
(3 C'est Dieu aflirmé intellectuellement qui devient le Dieu de la foi-
L'être de i'aflirnialion rationnelle s'exalte jusqu'à l'inconditionnel, jusqu'à
l'absolu. Lessence de la foi, c'esl précisément cette puissance de l'objet qui
pénétre et tiansforme le sujet : celle puissance invasive et coercitive, cette
façon de s'affirmer soi-même dans le sujet de l'affirmation ; cet élan du senti-
ment qui entraîne tout l'être et fait 1 adhésion absolue, totale el sans réserve.
LA FOI RAISONNANTK 17'
iiic'iiR', oïl Dit'U parait se révéler en révélant. Un défçagement
d'énergie, un surplus d'être, qui dépasse ses conditions produc-
trices, et qui apparaît au sujet comme l'essence nu''mc de la
réalité sur laquelle travaillait son esprit. Mais, déterminé dans
ses conditions initiales, ce déploiement merveilleux reste déter-
miné dans son cours et dans ses effets ; ce n'est pas l'évasion
vers la grande rêverie de rinexprimahle : c'est la garantie de
cela même qui était en question, l'autorité conférée à l'indé-
montrable. Ou bien l'illumination directe du mystère, ou bien
riUnmination indirecte par l'autorité du témoignage divin ;
dans les deux cas, le retour à l'intelligibilité, la réflexion de ce
rayon de lumière sur les dogmes. Dans l'un et l'autre, la
raison enchantée de Dieu est comme en sympathie spiri-
tuelle avec lui. Dans le second, la nuance de Tobéissance
devant le révélateur divin, garant de la vérité. Ici la vérité
apparaît comme reposant sur ce témoignage ; l'àme entend
Dieu parler, témoigner. Ici la foi, c'est la parole de
Dieu murmurée au cœur du croyant, pour lui enseigner
des vérités que son intelligence ne peut ni découvrir, ni
comprendre : inspiration de Dieu, et comme parole de Dieu.
Mais Dieu est ici lumière, illumination, esprit (i). Suivant
le mot de Hegel, la Foi est le témoignage que l'esprit rend de
l'esprit.
Installé dans sa foi, le croyant voit les énigmes se résoudre.
Elle a tous les caractères de la certitude; illuminatioii, repos
et détente; puissance et anéantissement; exaltation dans
l'impersonnalité. Certitude absolue, elle est aussi certitude de
l'Absolu ; elle ouvre une perspective sur l'infini ; elle s'installe
au cœur de l'être, dans l'éternité. Familier avec les mystères
divins, le croyant comprend le monde, ou du moins tout ce cpii
(l) C'est ici ce que .lames appoIU- liiuaf^iiiation oiitoloj;i(iue, avec sa
puissance de persuasion; l'intuition sourde et implicite; lu conviction, aussi
Ibrle que la certitude d'une impression sensible ordinaire, et beaucoup plus
forte que ceile d'un raisonnement logique.
I^^ I-A lîEI.K.ION KT I A KOI
linh'resse dans le monde, tout ce ([u'il estime nécessaire de
comprendre; il sail el il comprend (i).
*
* *
Il laul d'abord situer cette forme de la foi. KUe lire son
caractère oriijinal de celle curieuse combinaison de raisonne-
ment el d'élan supraratioimel. Elle n'est ni la conformité,
extérieure el aussi dénuée que possible d'actes intellectuels, de
la foi imj)lieile ; ni le simple mouvement de confiance dans la
puissance ou la bonté transparentes à travers les dogmes; une
telle conliancc à l'état pur ne songe pas à se légitimer ; elle est
pliitùl sympathie airectivc (jue sympatliie intellectuelle, amour
plutôt que lumière, don du cœur plutôt qu'adhésion de la
pensée. Elle n'est pas davantage l'élan mysti([ue (jui « s'extasie
dans son infini objet béalitique «, qui « regarde son objet
immense dans son infinie fruition (2) », qui trouve en lui suavité
avant tout raisonnement (3). Pas davantage ce mouvement de
crédulité instinctive, soutenu par les exigences du cœur, et par
(i) Pascal peut servir d'exemple; il a, eomiiu' on sait, abondiiiiinient fait
nsage d'une telle explication ; les contrariétés de la nature humaine, bas
sesse et {grandeur; les deux natures et les deux mondes; les trois ordres;
l'extérieur, l'intérieur cl leur mélange dans la religion et même l'incroyance
et l'iiéré-sie.
V,l Ghatry écrivait :
« Il y a pour l'homme un état de vie intérieure, saint et vrai, ardent et
humble, chaste et clairvoyant, libre d'orgueil et d'illusion, que le contact
formel de Dieu f)eut seul donner : étal d'àme sans lequel l'ère sacrée de la
science n'est pas |)ossibl('. La science totale, à la fois divine et humaine, que
l'intervention eDicace, int<;rienre, du christianisme apporte seule. Les chrétiens,
vivant delà substance intime du christjanisme, peuvent seuls faire la moisson
des sciences. » Ghatry, Une étude sur la sophistique contemporaine, cité dans
Paffes choisies, de L.-A. Molikn (p. 4i) (i<p^)-
(2) Jean de .Saint-Samson, cité par Briîmom), Histoire littéraire du Sentiment
rdifrieux. II, "iSd.
i'ii Un disciple myslir|ue rie Saint-Samson, Dominique de Saint .\lbert,
nommé professeur fie théologie, lui écrivait : « L'exercice de la spc-eulation
est la plus profonde mort (jue l'esprit amoureux jtiiisse souffrir. » (Bm';,MO\D,
iind., 385.)
I.A lOI UAISONNAME 1-3
des lial)ilii{U's riliicllcs. (|iii so dispense de t()Ut<' oiKnirtc, soit
parce (lii'il craint de profaner le mystère par des essais de
(lénionstiation rationnelle : soit parce qu'il n'a aucune confiance
dans la laison, soit parce qu'il n'a en elle «pi'iinc demi-confiance
cl (pi'il y voit aulanl d'ohsciii'it»' (pie de clarté : lidéisme ou
scnii-lidéisme.
VA\c n'est pas davantage la simple confiance de la raison
dans ses raisonnements. Certes, il y a une foi religieuse ratio-
naliste, foi historique, foi scientilique. Pour autant que cette
foi est simple raison, contrainte de la vérité, autorité de
l'évidence ou de la démonstration, celle (jue nous étudions ici
s'en dislingue nettement. Mais il y a souvent dans la croyance
ratioiiiicllc quelque chose qui dépasse la raison; on accorde à
une liy()()thèse plus de confiance qu'elle n'apporte de preuve ;
lasseiitiment déborde la démonstration : désir (|ue la chose
soil vraie, qui se mue en apparence de vérité, défaillance de
l'esprit critique, qui oublie l'insuffisance constatée ou qui est
momentanément inapte à doser les fines nuances de la proba-
bilité, etc. Et c'est ici, avec cet excès de la certitude sur la
vérité, que commence la foi, souvent analogue à celle que nous
venons d'étudier.
La foi que nous avons décrite, réalise un état d'équilibre
très diflicile à maintenir : l'histoire le prouve en nous montrant
la continuelle oscillation de ce demi-rationalisme entre le ratio-
nalisme et l'irrationalisme. Ce n'est pas à dire que ce type pur
n'ait été réalisé nulle j)art ; bon nombre de docteurs scolas-
ticjues, de théologiens, de chrétiens instruits y sont parvenus
ou y parviennent encore aujourd'hui. Sous des dosages dill'é-
renls, sous des formes diirérentes de succession et de dévelop-
pement, ce mélange de raisonnement et d'affirmation gratuite
constitue la foi de beaucoup. Il répond au tcmj)érament de
beaucoup d'hommes (jui demandent (piehpies garanties pour
s'aventiuer et cpii ne craignent [)oinl de s'aventurer au delà des
garanties. Il est une expression de la natui-e humaine, portée
1^4 1 "^ IIEUGION KT LA KOI
à la fois à justifier et à ralionaliser ses aspirations, el à se
soiimellre à ses objets de croyance et de passion. Il est au fond
de toute vue sur l'existence, qui dépasse les données naturelles,
an fond de toutes les anticipations synthétiques. Il traduit le
inélaniïe dohjeclivité et de subjectivité qu'il y a dans riionime;
sul)jeclivité parfois purement arbitraire, caprice individuel,
parfois expression profonde de profondes tendances humaines.
La foi religieuse est un cas particulier.
Classons rapidement les grandes attitudes que nous avons
tout à l'heure analysées. Il nous semble qu'on peut distinguer
plusieurs grandes espèces de sujets :
1° Le rationaliste illuminé. Celui qui aperçoit directement la
vérité des dogmes; à peu près comme un philosophe aperçoit
la vérité d'une philosophie. Démonstration rationnelle, basée
sur l'évidence logique ; intuition intellectuelle ; ici nous avons,
d'une part, l'attitude du savant et du philosophe ; d'autre part,
l'attitude du mystique, et leur mélange. Nous reviendrons sur
les éléments de cette composition.
2" Le raisonneur qui interprète en langage surnaturel ses
procédés et ses opérations. Mais dans le raisonnement même,
quelque cliose intervient qui semble dépasser le raisonnement;
dans l'application de l'esprit, dans la direction de l'attention,
il y a comme un don de soi et une grâce supérieun;. Seule-
ment ici le raisonneur l'emporte, et son assurance n'a rien qui
étonne, et c'est parce qu'il est théologien, ou que le théologien
s'en mêle, parce qu'on veut introduire dans cet acte naturel
une intervention surnaturelle, qu'on traite ainsi l'activité men- '
taie comme une sorte d'inspiration. C'est un peu ainsi (jue
Malebranche disait : » L'attention est une prière. »
LA KOI R \ISON. NANTI-: I-O
■)' Le raisoiiiHMir riiHi : celui (jiii Iraiispose dans le plan de
1 aUV'clivitc et de la vie le travail de sa raison; la foi vivante, le
retentissement de la foi dans toute la conscience. Ici le raison-
iieMH ni piend sa valeur de vie. Mais si sa valeur de vie lui est
strietenient proportionnelle, nous ne sommes pas encore en
présence de ces jjrands élans de foi que nous avons vus décrits.
4" Le raisonneur (|ui s'enchante de sa certitude et s'envole bien
au delà de son raisonnement : la complaisance d'abord dans
la certitude rationnelle, puis l'approfondissement indélini de
ce sentiment de certitude, qui s'isolant de son point de départ
et l'oubliant, pour ainsi dire, tout en continuant i)ouitant à
iîraviler autour de lui, devient cette certitude immense, incondi-
tionnelle, irraisonnée dans laquelle apparaissent les objets de
la foi. Selon (jue les raisonnements préalables demeurent plus
ou moins présents à cette certitude, c'est ou bien la reprise
illuminée du discours rationnel; ou bien l'oubli de tout le
discours et la suggestion intérieure, le Dieu agissant.
y Celui qui fait violence à sa raison et qui se rend, par
une espèce de sacrifice de soi-même, à la force de l'autorité.
€ Il faut se détacher de soi-même ; il faut cpie la raison renonce
à cette délicate volupté de [)énétrer son objet, de se rex|)li(pier
et qu'elle lui prête pourtant une adhésion inébranlable. » C'est
le despotisme de la volonté, c'est le coup de volonté dans la
nuit; l'abandon de l'esprit propre, l'esprit humilié connue on
mortifie les sens. Acceptation douce ou violente, dans le calme
ou dans le trouble selon les sujets (i).
[D Un prèlre catholique, cité par Phatt, The religions conscioiititiess, [t.aM,
dit des dofîiups : « C'est une espèce de sacrements intellectuels; signes intel-
lectuels tl iiiiaginalirs de réalités siipra-intellcclucllcs connues par l'appré-
hension intuitive et profonde de la fi)i ; et qui tendent à produire et à per-
mettre c;<'tle vraie vision de foi (ju'ils expriment inadéquateinent. »
Et MAi.KitnANe.HK écrit l'.ntrelicns nitHaphysiqnes, xiv) : «' Je me suis senti
souvent agite j)ar des mouvements dangereux à la vue de nos incompréhen-
sibles mystères. Ltiir profondeur ui'elfrayait ; leur ohscuritc me saisissait; et
quoi(pie mon co-ur se rendit à la force de l'autoril»', ce n'était pas sans peine
delà part de l'esprit; car, comme vous savez, l'esprit appréhende naturelle-
ment dans les ténèbres. Mais maintenant, je trouve <|uen moi ttnit est
d'accord; l'esprit suit le cccur. »
I-C) LA Hi:i.l<;iO.N ET LA FOI
LES CONDITIONS INTELLECTUELLES
DE LA FOI RAISONNANTE
ConiiiK'iil se rciicoiilix'iit cl suiiisseiil dans la foi le travail
de la raison el rilluminalioii d'une réalité extra-logique, c'est]
ce tm il nous faut examiner de [)lus [)rès.
La (Jon/'iision fia'tVc.
La toi naïve de beaucoup de croyants est au-dessous du
problème. Le surnaturel paraît tout naturel. Le Mystère, au
sens tliéologique, n'existe pas pour le croyant qui humanise
son Dieu et comprend les dogmes en ternies vulgaires de rela-
tions naturelles ; de même qu'il cesse d'exister pour le philo-
sophe qui les volatilise en abstractions. Il n'existe que pour les
iliéologies en écjuilibre entre les deux tendances.
Il y a d'abord ceux pour qui le problème ne se pose pas ou
qui le résolvent sans faire appel à la pensée. Trinité, Incarna-
tion, Rédemi)ti()n; une histoire divine, entendue au sens
commun. Le thème religieux se déploie avec toute sa force
impressive, dans le langage de la vie et de l'histoire; on ne
recourt pas à des notions pour le penser. Il est mythe et non
point dogme ; images et sentiments, rapports affectifs, ou
lorsqu'ils sont logiques, empruntés à des modèles historlcjucs
et sociaux. De tels esprits n'ont point de difficulté à entendre
le Dieu historique comme Dieu surnaturel, l'Kcriture comme
historique et révélée.
A ce niveau ro[)posilion n'est pas aperçue, la contradiction
glisse à la surface de l'esprit. Les thèses contraires : Dieu-
Honmie, Unité-Trinité sont acceptées simultanément, sans
réflexion, ni discussion, ou successivement introduites par des
mécanismes dillérents ; habitude sociale, raisonnement, mouve-
ments de sentiment; mais à aucun moment, leur contradiction
n'est amenée au point clair de la conscience.
l.\ KOI UAISOWANTK IJ^
Sans doute cet étal despril peut tenir à une absence totale
tle pensée, à l'acee|)talion iinplieile. Mais c'est plus souvent
encore |)enséi' confuse et qui ne va pas au bout d'elle-niènie.
Les thèses ne sont pas lormiilces assez i'i|?ourcuseniciil pour
apparaître comme contraires; les notions fondamentales sont
prises de façon vaijue, ou si l'une d'elles est assez précis«'ment
formulée, l'aulrc ne l'est pas. Indépendanmient de la puissance
alleetive des dogmes, grands thèmes d'émotion et de vie, le
croyant recourt, pour comprendre, à l'analogie et à cette espèce
de glissement logi(pu', qui lui paraît relier entre eux les
dogmes: cette vague lueur de rationalité lui domie le change
et lui apparaît comme rationalité totale. C/est au fond le théo-
logien avec ses formules qui fait l'inintelligibilité radicale du
dogme, et qui place le Mystère devant le croyant. Pour la plu-
part des croyants la difficulté est moins aiguë. (Combien de
fois ii'arrive-t-il pas qu'une thèse rv'étanl point poussée à bout
ou prise à la rigueur, on n'aperçoit pas ce qu'elle contient.
Combien de gens sont incrédules ou hérétiques sans le
savoir (i). Coml)ien de croyants instruits n'ont point scruté la
difficidté inférieure de leur foi, ou ne se sont point préoccupés
d'en confronter les symboles avec le savoir.
Nombreux sont ceux à (pii s'adresse la belle invocation de
Renan :
(' Pour toi la grande harmonie n'est pas trouldée : religion,
devoir, amour, beauté, reposent pour loi dans une myslicpie et
sainte unité. Tu ne connais pas la lutte du saint contre le vrai,
du beau confie h- bon. du vrai contre lui-même. Dors toujours
ainsi au sou de la musi(pie des mondes, et puisses-tu ignorer
à jamais les souffrances réservées à celui (pii, par la fatalité de
sa nature, à cessé d'être un enfant (2). »
Ce (|ui, chez, hi phipail, est naïvelé. insuffisance de |)ensée.
confusit)n ou incoliérence, peut ètie chez certains altitude
(I) Hk.\a\-, St)Uicnirs. ',rtS.
(2 Patrice, à.
i-S i.A nEMGio.N i:t la ioi
volontaire, jeu siii- la conlradiclioii (i) ou (léCornialion volon-
taire. Loisy l'ait leniaïquer justement (lue l'aecoutumance à la
subtilité de raisonnements captieux détruit la clarté, la fer-
meté, la sincérité de l'esprit; l'on perd dans ces arguties le sens
de la vérité (2).
La Conjusion savante.
Il nous faudrait reproduire ici tout ce que nous disions du
Rationalisme illuminé, tout ce que nous dirons du Mysticisme
spéculatif. Le croyant a l'impression de comprendre l'incom-
préhensible. Il s'attribue l'intuition intellectuelle. Une méta-
physique composite, faite de raisonnements et d'élans affectifs,
l'installe au cœur de l'être, dont il revit l'ample développe-
ment. Ici encore la pensée est confuse. L'esprit ne va pas au
bout de l'analyse de ses principes et de ses procédés. Il se
meut sans critique à travers plusieurs plans de rationalité ou de
réalité. Il prend pour de l'esprit une étrange façon déraisonner,
toute mêlée de raisonnements suivis et de commencements et
d'interruptions extra-logiques, où les idées ont, en plus de
leur valeur de raison, la grande puissance enchanteresse des
thèmes poétiques et toute l'excitation de la vie. Tout se passe
dans un monde supralogique, au-dessus des catégories et des
<îontra<lictions.
La Distinction et la Conciliation.
La distinction est aperçue, acceptée, proclamée. On dis-
tingue les deux règnes, les deux ordres, Nature et Grâce,
Nature et Surnaturel. En même temps on suppose enrtre eux
une harmonie et on assure le passage. C'est la raison môme
(1) Rb.nan écrit, Souvenirs, p. 338 : « D'ailleurs, je vous lai dit, mou ami,
telle est ma position iutellcctuelle, que je puis paraître telle chose à celui-ci,
telle cho.sc à celui-là, sans rien feindre, sans que l'un ni l'autre se trompe,
ffrâce aujou}^ delà contradiction dont je me suis débarrassé pour un temps.»
Soir aussi Patrice, 8, 90).
2 Loisy, Discipline intellectuelle, 107.
LA I OI RAISONNA.NTK I^O
{\\n trace les limilfs (i). Au delà de la raison liiimainc, I li;ii-
iiionir s<' l'ail dans niio unilr siiixTiciiic, iiiacccssil)!!' à la
raison, mais doni les loiiclions supi-iiciircs de la raison pcuNcnl
allcindic (|ii«.'1<iimm<'I1(1. ( )ii i)i»ii niriiir. [)onr ([aniqnes-niis.
iinr loiiclion snpriieurc à la i-aison y peut atcc-dcr. Le passage
se l'ait par (picKpic ait i lier, eoniinc «eliii que nous avons ('•Indié
sons le nom d'extrinst'ci.snu' ; I écriture, la Tradition, {garan-
tissant de sa vérité liistoi'i(jue N* Dieu l'évélatenr des dotâmes.
(lin-/ (piehpics-nns la coiitradiclicjn du doi^inc cl de la
raison, de la Xatiiic cl du Sniiialiircl, est reconnue, mais '
n'est |)as poussée à fond. La raison est une raison <loeile et
encline à l'acceptation du doj^Mue. Loin de la paralyser, la
contradiction l'i^xcile ; elle est connue une slinndiilion \xn\v
r<'sprit, devant (pii elle ('•\()((ue un au delà de la pensée et du
sentiment. Le jeu des op|)Ositi()ns <jui s'alTrontent donne
rim()ression de pouvoir les déj)asser (j).
(liiez d'autres, ta raison est moins docile. L(!S (objections de
la pliilosopliie ou de la scien<<' aj)paraissent à plein. Les
procédé.s .de conciliation, les accommodations, les subterfuges
apparaissent ; que la conciliation se fas.se aux dépens de la
raison et de la science, dont on proclame l'infériorité; ou au
d(''pens (lu dogme, (jue l'cju aeconnnode plus ou moins aux
exigences d«; la science.
Il y a (piebpies grands prociWiés classi(jues d aci omnioda-
tion sur lesquels eliaeiin construit son apolotréti(|iie person-
(I " I/aci-r|)tali(iii de ! iiif\i>ii('ablc. el de l'irriUii»nri('l, si elle ii'esl [)us
unr atiilicatioii de la penser, doit être me-iin-c |»ar la pensée nièiue à ce
«jue celle-ci s'estime ca()al>le d'explicpicr ilistinetiinent el de ramener i des
raisons définies. ■• Dki.hos, Im l'hilosnfiliic fran'/aisi;, 4
•2 l'ar exemple, il semlilr <|iie le iioiiddlia ail accord»- les conlradictinns
dans rintuilion supérieure du salut. On ne peut l)ien viNre et bien m<'dit*;r
(|u'en suixant nue voie muyetine entre les " couples fri-xlrèmus » qui ^iicl
UmiI lu spcculation. Anéanlissemenl, éternité, pliénoménalisme, personnalisme.
• La tijçresse porte ses petits dans sa j^ueule en rapprochant assez les
in<ielioires p«Mir <|u'ils m- tnmiieni [»as, en ne les .serrant pas assez i»our les
bleiiser. » ij;s antinomies ouvrent de lointains horizons mystiques et d<xou-
rnf^enl la fantabne et l'orgueil de» pliilosoplies. La Vallï^k Pocssix, le Boud-
dhisme, à-.
i8<.
I.A KELKIION ET LA KOI
nellc (I). Au toinio, cl ([uaiid on uv pciil niieiix faire, on
s'arrête à la position que délinil le mot de Hossuet : x Tenons
fortement les deux houts de la eliaîne. » C'est la juxta|)osition
dans l'cspi'it des deux ordres séparés. On passe, suivant le
mol de Grasset, du laboratoire à l'oratoire. Il y a, comme on
dit enet)re. cloison étanclie.
Im foi à t/a\'c/s la (lontradictlon et le Scandale.
Pascal parlait de la demi-obscurité de la foi. Les preuves
ne sont pas convaincantes, la raison ne nécessite pas. L'Ecri-
ture doit être telle (pie claire pour les élus, elle rebute les
réprouvés par son obscurité. « Les prophéties, citées dans
l'Evangile, vous croyez qu'elles sont rapportées pour vous
faire croire? Non.' c'est j)our vous éloifçner de croire. »
(Ed. Brunsclnvig, :^^(^.)
Mais l'élément irrationnel, absurde, de la foi est contre-
balancé chez lui, comme chez tant d'autres, par l'élément
rationnel. Le catholicisme a le plus souvent associé les deux
termes, le protestantisme aussi.
Kirkej^aard est probablement le penseur (pii a le mieux
réalisé le caractère irrationnel de la foi; au svmbolisme intel-
(ij Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, p. 296, cite Silveslre de '
Sacv, si scrupuleux en fait de citatious et étonne des citations de l'Ancien
Testament dans le Nouveau. Il avait fini par croire que les deux Testaments,
cliacun de leur côté, sont intaillibies, mais que le Nouveau n'est i»as infail-
lilile quand il cile l'Ancien. « Il faut n'avoir pas la moindre habitude des
choses rclifjieuses pour s'étonner que des esprits sinf^ulièremenl appliqués
aient tenu en des prisilions aussi désespérées. Dans ces naufrages dune foi
dont on avait fait le centre de sa vie, on s'accroche aux moyens de sauvetage
les [)lus invraiseuihlahles plutôt que de laisser tout ce qu'on aime périr corps
el biens. »
Sur le caractère personnel de bien des Apologétiques voir aussi cet aveu
désenchanté de Loisy, Choses passées, 3.5o : « Mes livres d'afiologétique sont
de toute insuffisance pour amener à la foi les incrédules et les non-catho-
liques... ils représentent leirort que j'ai fait pour me maintenir moi-même
dans le catholicisme nonobst.'int rimpossil)ilité où je me suis trouvé de garder
dans leur signification littérale la plu[>art des thèses qui constituent rensei-
gnement catholique. Mes écrits n'ont donc pu avoir d'utilité que pour les
lecteurs qui étaient «lansune situation |)lus ou moins analogue à la mienne. »
I.A l'OI RAlSO.WAMi; l8l
ItHliu'I OU sciilimciil.il (le Tt-colo de ScIilciciiiiaclK r, ;i la
iiu'lhodc li('\u:(''Iiomi(' (k- coiuilialioi), il o[)|io.se \c choix et
rcvt'lusiuii, ro|)i)o.sili()n. La coiidadiclioii cl le scandale sont
le signe de la foi; l'absurde est le signe de la vérité. La foi
■-urmontc le paradoxe et le scandale; et c'csl en cela (jui^IIe
<sl la foi.
La réalité absolue cesl l'Ame, le Sujet. Le Dogme, l'objet,
>yslème abstrait el immuable s'oppose au sujet comme une
chose en soi; possible et passé, il s'oppose au rc-el et au
présent de la conscience. Le dogme objectif suscite dans le
sujet la plus forte opposition (jui se puisse concevoir. Mais
précisément parce que celle contradiction, cette passion est
la forme de vie la plus intense, donc la plus subjective, elle est
la plus vraie.
Paradoxe, Scandale, Foi, voilà les trois moments du chris-
tianisme. Le scandale, (pii naît du paradoxe, est le seul chemin
vers la foi. S'arrêter au scandale c'est se détruire soi-même et
désespérer sur soi ; franchir le scandale, c'est s'exalter dans
la foi.
L absolu paradoxe, c'est le Dieu Homme, absurdité vivante,
<lonc vérité chrétienne. Les preuves prouvent seulement (pie
la \ ic (lu (llirist est contre loule raison, (pi'elle ne peut être
(pi'objcl de foi; l'histoire ne sait rien de Dieu. Pour la foi les
preux (S sont des blasphèmes; l'histoire sainte n'est pas ime
histoire, elle est une foi; elle n'est pas hisloire, elle est le
piésent. L'histoire sainte suspend la vie humaine au présent
de r.\bs()lu, à la présence du (ihrist. La vie du Christ accom-
pagne cluupie àme el chaque génération comme une étei'nellc
hisloire.
Ainsi croire consiste à apercevoir le scandale et à ne pas se
scandaliser; les j)rélen(lues [)reuvcs inq)li(picnl la foi. Mors la
foi il n'est que désespoir. Scandale et péché, telle est laiiti-
thèse à la foi. Le (léses|)oir (pii s'ignore est le jnre de tous;
sentir son mal est le j)ri\ ilège du chrétien ; en guérir, la félicité
l8a l.V RELIGION KT LA lOI
du chrétien; désespéror. c'est sentir en soi-même cette contra-
diclion essentielle, (jiii est la eoiulilion de la toi.
Le elirislianisnie oflieiel a perdu le sens du elirisLianisine;
il a lait une religion bien sage et bien raisonnable. Kirkegaard
traite l'Kglise ollicielle du Danemark à |)eu près comme Pascal
avait lait des jésuites (i).
EXPÉRIENCE ET TRADITION
La Foi, (pie nous avons décrite, est un produit de l'histoire
et de la civilisation. Elle est trop complexe pour être une
réaction immédiate et naturelle. C'est un dosage délicat, une
mixture savante. Elle suppose l'élaboration de la religion.
Mais il en est de même de tout l'homme ; les sentiments
humains sont jusqu'à un certain point l'o-uvre et de la <■< spiri-
tualisation et de la socialisation >k L'amour, Stendhal l'a
admirablement montré, varie et évolue avec les formes de la
société. On pourrait écrire une histoire de l'amour comme
une histoire de la foi.
A telle époque, et pour des nécessités spéciales à cette
époque, prédomine telle forme de foi : par exemple la foi
thomiste et l'extrinsécisme dans le catholicisme d'aujourd'hui.
La société religieuse choisit parmi les formes de foi qu'elle a
suscitées et nourries; elle les varie, selon les besoins du temps,
et, quand il faut, elle innove.
Mais, sous ces attitudes ritualisées, il y a des faits spon^
tanés. Il faut donc distinguer trois choses :
La donnée immédiate; ici la tendance intellectuelle et
objective aux prises avec les tendances subjectives; ral)andon
(I. Kirkegaarfl siuinontc aisément rc^pjxjsitioii parce que l'un des deux
termes n'a point de valfMircn présence de l'autre.
CiiLsoN a bien montré dans aca Eludes, p. 5i, que la doctrine de la Double
Vérité n'a été au moyen àfje qu'une invention lliéologique, et que ceux (jui
paraissaient l'enseii^ner, en réalité, reiéfifuaicnl à un rang subalterne, soit la
Foi, soit la philosophie naturelle. Mais leur caraptère commun consiste en
ceci qu'ils ne cherchaient fioint de conciliation.
I.A KOI RAISONNANTE lH3
cuiiliant à rhy[)otlR'se insuflisainnient vérifiée, en même temjis
que l'examen et la eriliciue de l'Iiypothèse;
Le travail du sujet, sous la pression de son expérience
propre, et de la communauté religieuse ;
Les constructions tliéologi({ues, qui se meuvent de plus en
plus dans le monde des questions et des oppositions doi^ma-
liques. Le schéma du théologien tend ensuite à s'imposer à
l'expérienee ; il exerce une puissance de suggestion et de
délbrmalion. Ou bien on s'efïorcerà de le réaliser; ou bien,
s'il est irréalisable, par la magie des mots substitués à l'expé-
rience, on croira l'avoir réalisé.
Les disputes d'école intéressent pourtant la vie spirituelle.
Bérulle et Gibieul", si le molinisme triomphe, sont dans la
même détresse que Madeleine auprès du tombea,u vide : Nescio
ubi pusucrimt ciun. Ils auront perdu Jésus-Christ (i).
Ce qui était d'abord théologie peut devenir religion. Jansé-
niuset Arnauldsont deux théologiens. Mais les doctrines qu'ils
• )nt élaborées, ont affecté la vie intérieure d'une foule de chrétiens.
Une religion est aussi une philosophie; et la foi raisonnable
est la religion de ceux qui ont besoin de la raison pour se
senlir assurés dans leur foi. Tout homme qui raisonne, c'est-à-
dire tout homme qui pense, en est là. C'est pourquoi tout
ndèle est bien près d'en être là.
La scolastique s'est appliqiu'c à dégager toutes les raisons
de croire. Elle est le plus grand eil'ort (pie la religion ait lait
pour prendre pleinement conscience de toutes les thèses qu'elle
implique et de toutes les conditions intellectuelles auxquelles
il lui faut satisfaire: elle est l'efTort dune religion parvenue à
son a|>ogée, maîtresse des esprits, victorieuse des hérésies,
tlominalricedu savoir, et qui entend spéculer sur soi-même. Ce
triomphe au dehors et au dedans, après bien des luttes et bien
des controverses, devait nécessairemenf aboutir à de grands
vi1 Bké.mond, Sentiment reli^icii.w IV, 2<)
i84
LA lîKLIOlON ET L.V FOI
systèmes, comme à une i^rando oriçanisalioii ecclésiaslique et
politique, coniinc à de grandes callu'drales.Mais l'ohligalion
do se rendre eomple à soi-mènio de sa loi est née, nous l'avons
Nil. de causes plus élémentaires et plus proclics de la loi
immédiate ; certaines continuent dagii-, sous d'autres formes,
([ui ol)lii;eiit la Foi au même travail de complication. Si les
controverses, par exemple, ont un peu cessé et si le catholique
et le protestant d'aujourd'hui ne sont pas aussi pressés qu'au
xvir siècle de préciser leurs contrariétés dogmatiques, le déve-
loppement de la science et raffrancliissemenl de la philosophie
posent à tous les esprits cultivés le problème Science-Religion;
de sorte que chaque homme instruit est tenu de préciser ses
raisons de croire (i), à moins qu'il ne se réfugie dans la foi
implicite ou dans r^iveugle conliance.
LE DOUTE DANS LA FOI
Les théologiens disent volontiers que la foi exclut le
doute. « Si l'on n'est pas plus convaincu encore des choses
invisibles (\uc des visibles, ce ne peut être la foi (•2). » Et
ils ont raison sans doute ; là oîi l'esprit prend une attitude
négative, où le jugement est suspendu, là oîi raffirmation est
mêlée d'hésitation et de crainte, ce ne peut être la foi. Dans
l'acte de foi, le doute est surmonté; pour un moment tout au
(1) Le rapi)f>rl entre la foi et la science ou la philosophie est exaclemenl
le même «|ue le rapport — dans la foi — entre la raison et la foi [)ropreiiu'nt
dite ; il y a un rationalisme (jtii ne ^ oit (jiie la science et dénie à la foi toute
valeur; un denii-ratioualisnie <[ui distinj^ue deux ordres de vc-rito, jus(|u'à
un certain point compatibles, soit qu'il fasse du savoir une approximation de
la foi, soit qu'il fasse de la foi une approximation du savoir; un irratio-
nalisme qui humilie la raison devant la foi.
(2) Saint Jkan CunYSosTOMK, In IJeh., P. G., t. 6'3, col. i."»o. — ^ Saint Augustin
dit energiquement que la Foi ne peut souffrir le peut-être ; et Saint Bernard :
« Xon est Jides œslimatio, sed cerlitudo » — E. Psicuahi écrit [Voyage du (Jentu-
rion, p. 217) : « Alors il n'y a [dus la moindre petite arriére-pensée, la moindre
inquiétude, ni cette sournoise hésitation de l'iiomme inquiet, mais seulement
la jileine connaissance pacilique, la possession sereine, la certitude héali-
lique. n
L.\ lOI ItAISONNAMi; 1^5
moins, raflirnialion, semblc-l-il, est sans lései've. Mais le
doute peut procéder ou suivre el de l'orl près (i). Il peut
coexister avec l'état de foi, juscju'au moment ([ue nous étu-
dierons plus tard, oii il devient périlleux pour lui. VA lacle de
loi hii-nièuie peut implicpier un certain malaise ([u'il est inté-
ressant d'analyser; aussi bien dans sa forme aii?uë et brève ([ue
dans les oscillations (pii se présentent inévitablemenl s'il se
prolonj^e : oscillation d'un sentiment complexe, tout chargé
d'intellectualité, et où l'angoisse de la (|uestion peut reparaître
juscjuc dans la solution.
\ oici comment on peut classer ces modes d'hésitation :
I ' Dans le moment aigu de la loi a[)parail parfois ce qu'on
pourrait a|)peler l'étonnemcnl, la stupeur de la certitude. La
loi ([ui atteint son objet, l'attente (jui se réalise, la passion (jui
se satisfait, connaissent ce léger heurt, le choc de la réalité.
Souvent la réalisation produit un elfet détonnement, de sur-
prise, de rêve. Newman a finement exprimé cela. Souvent
dans 1 attente, dans la joie, dans la réalisation de ce (juc nous
avons espéré, il nous semble étrange que le rêve de notre vie,
nous l'ayons devant nos yeux. ;< Quand le Seigneur releva
Sion, nous étions connue ceux (jui rêvent (2). » Le léger
désaccord qu'il y a toujours entre le désir et son objet peut se
traduire par un abandon frénéli(jue ou par un moment d'hési-
tation el de trouble. Le bonheur d'être au comble du bonheur
peut être abandon total ou élonnement léger el reprise momen-
(11 'I Los «loutes irivolonlaircs (jiie les lidèles s'imaginent avoir au nionu-nl
nirme lii- l'acte de loi succèdent seulement à cet acte et ne coexistent pas
avec lui ; mais comme le doute el la (V»i se succèd<'nl alors sans intervalle
sensible, ils seiuhlenl coexister. >• A.ntoini;. Théol. Univers., Paris, 173;,
t. I, p. lO.").
i2) (iranimaire de iAsseiitiincnt, 1-7. Sti:ni>iiai. a d('eril, pour la i)assion,
<|uel»|ue cliose d'analogue. .. 11 était «lans cet étal d't-toiinemcut el de Irouble
iii<|uict, où tornlie l'âme (jui vient d'oidenir ce qu'elle a lon^:lemiis désiré.
Klle est haltiluée à désirer, ne trouve plus (|Uoi désirer, et cependant n'a pas
encore de souvenirs. » /,c Koiiifc et le .\oir, t. i, p. s."> : un moment de vide
après la i)lénituile et avant le retour sur la pleniluile et la métlilation de
cette plénitude.
l8G ^^^^M \..\. ItKl.IGIOX ET I.A KOI
tanéc de soi. Au sommet de la cerlilude, au moment où il
l'alleint, c'est parfois eommc un dei-nier sursaut de l'esprit, un
" non ce n'est pas possible » à la lois étonné et ravi. On se dit
I)ien qu'on y est parvejiu, mais on ne le réalise pas; il iaut un
peu de temps pour entrer dans la plénitude du salut. Pour ne
pas parler, naturellement, de l'insatisiaction qui peut se cacher
sous la satisfaction, de l'inadaptation dont cette surprise
légère peut être le signe, et qui pourra se développer plus tard
en doute franc. Mais ceci c'est tout autre chpse.
2° La nuance d'irritation, d'impatience, de violence, qu'il y
a parfois dans l'affirmation peut être une marque d'insécurité.
Toute affirmation n'est i)as sûre dello-nième, et peut avoir
besoin de se fortifier et de se garantir à elle-même.
3" Le malaise, qui n'est point un doute, mais qui provient
de ce que l'intelligence n'est pas entièrement satisfaite; la foi
n'est pas l'évidence rationnelle; la foi, avec sa connaissance
imparfaite des mystères, peut laisser chez certains croyants un
peu d'inquiétude intellectuelle et comme un désir de connaître
mieux. Orientée vers le mystère, alors môme qu'elle le touche
au plus près, elle en garde l'inquiétude en même temps (pie la
curiosité.
4° La foi peut garder, de l'enquête qui a précédé, de
l'examen antérieur, de l'attitude raisonneuse, des commen-
cements de doute. Il arrive que toute l'intelligence ne s'accorde
pas dans la solution ; que l'esprit n'y soit pas pleinement
unifié.
« De même que les Saints sont obsédés par des rêves dont
ils ne sont pas responsables, de même des lambeaux de contro-
verses anciennes, écrit Newman, reparaissent à l'esprit. Le
croyant est importuné par ses souvenirs ; il garde l'idée que le
doute serait possible, il peut se sentir troublé, comme s'il
n'était pas sûr, alors qu'il l'est. » « Certains esprits sont plus
sujets que d'autres à ces assauts, à ce trouble de vision
mentale, sorte de mouches volantes qui passent et repassent
I.A FOI liAISON.NAM i; l8^
sans L-esPt', obscurcissi'iit la vue, raiitùraes qu'ils savcul ne pas
exister réelleint'iit, mais qui n'en interviennent pas moins de
fa(.'on à troubler leur repos. » Ainsi resi)ril peut i^arder de la
conti'ovei'se préeédenle, queUpu; eliose eomme un {?oùt, une
saveur d'hésitation et de diseussion ; on bien certaines pensées
précises peuvent reparaître, sans aboutirdu reste à im juj^emeiit
formel, simples possibilités flottantes ; ou bien res|)ril se
dédoublant, en (jiiebpie sorte, imagine vaf^uemenl la i)ossibillté
d'une aulre attiludt d'esprit.
Ou bien encore, il peut se sentir mal à l'aise dans ce monde
complexe oîi la certitude la plus vivante cl la plus j)ers(>nnelle
jaillit du choc des abstractions. Les j)reuves, même les
meilleures, tendent souvent à troubler res|)ril dans sa paisible
possession de la vérité. Les raisons de croire sugjçèrent des
raisons de ne |)as croire. Avant la preuve l'imagination touchait
des réalités : la preuve faite, l'esprit n'atteint plus que des
abstractions ( i).
Mais tout cela ce ne sont point des doutes, ce sont des
difficultés (2). Des pensées vagues (jui troublent un moment
ne ressemblent en rien à la bataille (jue se livrent la loi et
(il L'exemple de Loisy {Chosi's passres, p. 2S1 nous inontie le grossissement
de ce phénomène :
■' Aillant la eontemplalion mystique des objets de la foi est en général
paeiliante i)oiir l'àme, même [tour lintelligenee ([iii se laisse dominer par le
sentiment, autant l'analyse plus ou moins rationnelle de la croyance devient
racilemcnt un exercice (les plus trouhlanls... Le premier contact de ma pensée
av<'f la doeirine ealh()li<iiie fut (|ueli|ue chose trinlinimeiU douUuireux et la
suite répondit à ce dcl)iit. » Kl p. 'i^ : <■ Autant tels de ces objets de foi il
s"agil fies mystères) m'avaient touché comme principes d'émolions religieuses,
autant leur ex|>osé scolastique jetait mon esprit dans un indéliiiissable
malaise, l'arce qu'il fallait maintenant penseï- toutes ces choses et n<m plus
seulement les sentir, j'étais dans un »'tal de per|)éluidle angoiss»-. (>ar mou
intelligence n'y mordait pas. et de toute ma eonscience d'cnl'ant timide, je
tremblais devant la ({iicstion (|ui se posait devant moi, malgré moi, à cliaqui*
instant du jour ; est ce qu'à ces théorèmes, corres[)ond une r<'alité ? •■
(a) • Je n'ai jamais j)u voir aucune coiinexité entre le sentiinent. si vil
qu'il puisse être, de ces difliciillés, entre leur iiomlire. si grand «pion le
sapi)ose, et le doute sur les doctrines aux(juclles elles sont allachi-es; suivant
moi dix mille difticnltés ne sont pas un doute; difliciilté et doute ne se
jufrent pas d'après la même mesure. > Newinaii, cite par Tu uni:. \i 1)am;ix,
II, %4
iS^ I..V HKi.icioN i:r i.A l'Oi
riiicrédulilô. La l'iMlilude ost Iriislive, au moins pour un
moment, de son éclat et de sa sérénité, mais elle subsiste. Si
elle n est plus, pour un moment, assentiment impétueux et
primesaulier, elle demeure assurance ealme et grave. Ces
<- tentai ions eontie la loi », ee trouble non motivé de la con-
science, ce doute involontaire de l'imagination reste distinct
du doute positif, précis, raisonné, dans lc([uel on se complaît :
il y a ici une simple sollicitation, très analogue à ces troubles
sensuels qui assaillent souvent les mystiques au moment de
l'oraison. C'est autre chose, je le répète, que la toi luttant
contre l'incrédulité, la toi qui, chez certaines âmes religieuses,
doit toujours se con([uérir : « Je crois. Seigneur, aide mon
incioyance »; foi volontaire et tendue, contre un doute agis-
sant el |>i'essaiit.
De toiles diflicullcs, le croyant pourra tirer un arj^^unient pour se ren-
forcer encore davantage dans la loi, comme le prouve l'exemple de Nicolk,
Lettres, III, 2y4 :
« La multitude des difficultés que l'on pourrait former sur les matières
de théologie doit avoir pour effet de nous délivrer de toutes difficultés. Pré-
tendre les examiner toutes est pure folie; en choisir quelques unes, en
négligeant les autres, est un \)\\r caprice. Il n'y a donc rien de plus raison-'
naliie «juc de se tenir fortement attaché à l'autorité de l'Eglise, qui peut
seule délivrer nos esprits de cette agitation inf|uiète et infinie. »
Il ajoute (lu reste que ce qui fait qu'on a des difficultés sur certains
articles, e'c^t que l'on fait peu de réflexions sur les difficultés que prcsen
feraient aussi bien les autres articles de la doctrine. « Si nous voulons nous
arrêter aux difficultés que notre esprit peut former, pourquoi en excluons-
nou^j tant d'autres, (jui ne sont pas moindres; et si nous pouvons bien
assujettir notre esprit aux anciennes décisions, nonobstant les difficultés
qui les accompagnent, que nt; praliqiionsnous le même à l'i'gard des nou-:
velles '.' "
CllAPITRK III
LA FOI CONFIANCE
LE SYMBOLO = FIDEISME
Nous allons chercher à décrire Tau Ire forme de la foi, l'at-
lilude alleclive. Nous la prendrons dabord aussi pure qu'il
se peut, aussi di'\ii:a2:ée que possible d'éléments intellectuels,
lùicore (jue Luther semble être celui qui a historitjuement
inaufçuré celte forme de la foi confiance, de la foi fiduciale, se
réclamant du christianisme orig:inaire et de saint Paul, c'est
d'après des modèles plus récents que nous l'exposerons
d'abord. Kn elTet, l'assentiment intellectuel, nous aurons occa-
sion de le montrer, tient encore assez fortement à la foi lidu-
ciale; au cours de l'histoire du protestantisme, il a repris une
place importante jus([u'au moment où la vasi:ue romantique de
Schleiermacber a balayé rintellectualisme. ('e (pion appelle
le Synd)olo-Fidéisme est probablemeni la forme la plus com-
plète du sentimentalisme relit?ieu\.
( kiel est l'étal d'âme diin protestant (pii adhère au sys-
tème religieux dont M. Ménéç^oz et M. Sabalier sont les pro-
moteurs? Le système est doul)le. Fidéisme, c'est-à-dire salut
par la foi, indépendamment des cioyances. Synd)olisme, c'est-
à-dire interprétation symboli(pie des dogmes, (pii ne sont
qu'une expression contingente, locale, temporaire, changeante
<iM sentiment religieux. Ainsi la foi. dans son essence pure.
IC)() LA ItELU'.ION KT LA FOI
est* anlrriciuv et supériouro aux croyancos. Elle les crée, les
oriraniso, lèffle loiii' (k''vol()j>[)LMn('nl. Les doiçnics sont l'imaiçe
i|iu' la loi se donne de soi-même, image que la réilexion
appiolondil.
Ce n'est pas seulement un système, le système de deux pen-
seurs isolés; nombre d'âmes religieuses prétendent vivre
aujourd'hui celte forme de foi, et l'histoire nous présente des
descriptions analogues.
Contre l'orthodoxie protestante, le Fidéisme serait la res-
tauration du Sola FUlc de Luther, dogme du salut par la
foi seule, contre le dogme du salut par la foi et les croyances,
c'est-à-dire par la foi enfermant un acte d'obéissance intellec-
tuelle à l'Evangile, à la Bible. Le salut, c'est la participation à
la vie divine: la foi (pii sauve, c'est l'acte suprême de la con-
science, son orientation vers la réalité la plus profonde, son
attitude essentielle de confiance et d'abandon.
Le Fidéisme adresse à l'orthodoxie, aux dogmes, la même
objection que Luther ou Calvin adressaient aux œuvres. Les
dogmes ne font pas partie de l'essence de la foi (i); loin de
fortifier la foi, ils peuvent l'ébranler. Que se passe-l-il si l'on
se trouve dans l'impossibilité de détruire dans son esprit les
doutes relatifs à un dogme, par exemple à la résurrection de
Jésus? Une telle incertitude produit un ellet déprimant, m\
malaise douloureux. Il y a dans la croyance une exigence
injustiliée, une oppression spirituelle.
Contre le lil)éralisme protestaut, théologie de l'Amour,
pour qui le salut dépend non d'un acte intellectuel, mais d'un
mouvement plus profond, plus intime de l'àme, le Fidéisme
reprend l'objection fjue les docteurs protestants adressent à
la Foi vive, a la Foi formée par la Charité des doctein's catho-
i VixKT avait déjà combattu Vopus operatum intellectualiste auquel le
Réveil avail abouti : " On déclame contre le mérite des œuvres, et l'on ne
voit pas qu'on en est tout imbu lorsqu'on prétend être sauvé par des doc-
trines; c'est un opun operatum (-omme un autre et quelquefois pire qu'tin
autre. » fV^oir Astik, Encycl. des Se rel., Xll, p. ii3.)
i..\ I t)i coNriwci: igi
li<|iies: Foi vive, qni ('-lait, pour eux. la Foi avec les œuvres.
La (loclriue de la eliaiilé retombe dans l'erreur du salut par
l'accouiplissenient de la loi, car c'est la loi que Jésus-Christ a
résumée dans le commandement : « Tu aimeras Dieu et ton pro-
chain. ' 1/ Amour serait le salut, s'il était absolument pur et
parlait. Il réaliserait alors la pleine absorption en Dieu. Mais
l'Amour imparfait ne peut servir à efï'aeer les péchés; il a
besoin de pardon pour ses défaillances. C'est justement l'insuf-
lisanee de l'amour qui condamne.
Ainsi l'acte qui sauve, c'est-à-dire l'acte qui affranchit
l'homme de lui-même, le place au cceur de la réalité essentielle
et lui communique l'assurance, l'acte d'abnégation, d'abandon
de soi-même et de participation à une réalité supérieure, dans
son essence, doit être libre de toute limitation intellectuelle,
les dojfmes ne faisant (jue restreindre son élan et troubler son
assurance, et de toute exigence active, l'action pleine étant
trop difficile, l'action incomplète étant insuffisante. Il est donc
entre l'intelligence et l'activité. Il est un mouvement de sen-
timent.
l'n mouvement de sentiment, identique sous les sentiments
divers oii vit la foi : repcntance, tendresse liliale, fidélité à un
devoir pénible, foi au pardon, communion intime avec le
Christ, dévouement à l'Fglise, pratique des (vuvres. Un mou-
vement élémentaire, une orientation', une attitude d'abandon
(en langage théologi(pie. consécration de l'àme à Dieu), quelque
chos<' dont la meilleure approximation sentimentale est la
conliance.
Sentiment très rudimenlaire tlu reste. Kn ell'et, d'une [>art
il n'aboutit pas nécessairement à des actes précis, d'autre part
on le dislingue des sentiments précis et formulés. Par exemple
Ménégoz distingue de la foi proprement dite le scntimenta-
lisnie de certains piétistes et revivalistes (jui fondent lassu-
rance de leur salut sur la vivacité de leurs émotions reli-
gieuses : il s'ensuit que lorsque celte émotion tond)e cl ([u'ils
igi LA r.r.I.IGIOX ET LA KOI
nOnI plus la scnsalion de Icui' oxallation spiiilucllc. ils cioicnl
avoir poiilu le saliil liii-iiièiiie.
Sentinicnl qui n'iui|)li(pi(.' (|u'un ohjol iiiiMime, qui n'im-
plique. ])Oui' ainsi dire, pas d'objet. Il csl possible de consacrer
son àme à Dieu et d'être sauvé sans croire en Jésus-Christ (i)
(encore que la consécration de l'ànie à Dieu entraine, dit-on,
la croyance à la justilication par Jésus-Christ). La foi n'im-
plique inrnie pas d'une manière rigoureuse la croyance con-
sciente à l'existence de Dieu. ()uel(pies-uns diront : Dieu n'est
qu'un simple nom (jucmploic le chrétien pour résumer ses
expériences religieuses. Comment, dira-ton, l'homme qui ne
croit pas à Dieu peut-il se consacrer à lui? Mais le premier
mouvement de la foi peut précéder toute croyance ; encore que
cette foi inconsciente doive nécessairement progresser vers
une foi consciente.
Ainsi une impression interne, une expérience subjective,
dont l'acte de foi est l'expression. L'acte de foi développe
devant l'esprit du croyant, et sous forme de croyance, le sen-
timent confus de l'immanence de Dieu dans l'àme en même
temps que l'affirmation de la valeur de cet état.
Cette foi s'objective en doctrine; à mesure qu'elle se
développe et s'explicite, elle retrouve le christianisme, mais
un christianisme aussi vidé que possible de théologie. Car la
foi n'aboutit qu'à des doctrines capables d'exprimer et de
satisfaire la foi. Par exemple si le fidéisme fait de. Jésus-Christ
la pierre angulaire de l'édifice religieux, son Christ est celui de
l'évangile j)rimitif et non pas un homme-dieu mythologique,
l'être hybride des conciles œcuménicjucs, la deuxième personne
d'une Trinité inconcevable. Il transpo.se dans le plan spiritueL
<'t moral, — hors du domaine de la substance et de ronto-
logie, — les théories lliéologiques; opérant par conséquent
sur les dogmes iclcnus j)ar le protestantisme originel une
I Mk.mîgoz, Publicalions diverses, I, 47-
I,\ KOI CONKIANCE 193
secQiidi' réduction, f^iiidée du irslc par le priiicip*' cpii avait
inspiré la proniiéro.
Ainsi la tliéolot^ir naît sponlanénicnt de la foi. Kllc a une
double (onction et un double caractère; elle est simultanément
( ritique et positive, (^riticjue, elle aide la conscience actuelle à
se rendre compte de son exiu:en(e lelii^ieuse, à la saisir dans
son oriu^inalilé native et sincère, à la dégager des erreurs
contraires, sans cesse combattues, renaissant sans cesse; elle
conslale la caducité des formes anciennes de la religion.
Positive, elle travaille à créer de nouvelles formes. La foi
produit la croyance : l'émotion se précise, s'objective; elle
s'explicite en images qui lui représentent son objet; par l'efl'et
de la réflexion, cette image devient doctrine et dogme (i).
La théologie travaille sur ce fait primordial; elle crée de
nouvelles formes religieuses, s'aidant de l'expérience intime,
qui disterne. apprécie et juge sûrement dans le passé et dans
le présent tout ce qui est de son essence permanente et ce qui
lui demeure étranger ou accessoire; de l'expérience scien-
tili(pie, de la comparaison de la conscience avec la science; de
l'expérience historique, des formes primitives de l'expérience
chrétienne, dont la Bible t^st l'authentique document.
Ainsi toute doctrine est un moment de la foi, un produit
de la conscience religieuse qui cherche à s'exprimer; la con-
science de chaque individu continue et recommence, en béné-
liciaut (le riiisloire. l'évolution de riiumanilé. La conscience
chrétienne, foi conliance. synthèse vive de deux sentiments
contraires, séparation et réunion, est le moment le plus élevé
<lu d(''\ elop[>ement de la eonseienee l'eligieuse; d'aboi'd senti-
ment dune ilis[)roportion métaphysicpie entre l'homme et
Dieu, j)uis sentiment d'un conflit entre l'homme pécheur et le
Dieu juste et saint: enlin sentiment du conflit apaisé et de la
vie divine rendue ;i riioniuie j^ai' riiuion de l'homme avec Dieu.
(i) Saiiatikk, lifliifions d'uulnrili'-.
13
19 I LA UKI.IGIOX KT LA KOI
L iiitrrôl, la loi. 1 amour se succèdeiil dans l'iiisloiro. coniinc
dans la conscienco individuello. La spiritualité se eherche et
se réalise dans ce mouvement.
La doctrine, à son tour, aiiit sur les esprits. Elle est mi
moyen d'éveiller, de développei*, de purifier la vie relij^fieuse;
là est le rôle de l'Ecriture, de l'Eglise. Donc la eroyance
engendre la Coi et il n'y a pas de loi sans croyance (i). La foi
naît de l'impression que la croyance produit sur le cœur. Mais
la eroyance la plus correcte ne produit pas nécessairement la
foi. La foi naît sous l'inlluence de la [)arole de Dieu, unie à
1 action interne du Saint-Esprit.
D'oîi certains théologiens ont pris texte pour objecter,
contre le Symbolo-Fidéismc : « Nous sommes sauvés ()ar la
' foi seule ; or la foi n'est pas indépendante des croyances ;
donc le salut n'est pas indépendant des croyances. »
jNIais la foi est autre chose que la croyance. D'autre part laî
croyance, sous la forme du dogme, est un produit de la foi.
Si la foi naît de la croyance, elle naît donc de sa propre
expression. Enfin cette expression ne provoque la foi, la
croyance qui vient du dehors ne provoque la vie religieuse, que
si elle rencontre dans le sujet un besoin latent, une prédispo-
sition à la foi.
La croyance joue ici, sous forme simplifiée, le incme rôle
que les préambules de la foi dans le catholicisme ; simple
commenceitienl de la foi, qui disparaît devant la foi même.
Mais la foi, ici, dans son essence propre, n'est plus adhésion
à une doctrine à cause de l'autorité de celui qui la révèle
projection à l'intérieur de l'autorité de la révélation extérieure;
adhésion qui traduirait ensuite, après ce détour, la charité,
l'espérance, les actes explicites du christianisme. Elle es!
confiance ([«li atteint immédiatement son objet, et (|ui se
II) Cf. FcLLiQUET, Précis de Dogmatique, p. 48i- H n'y a pas de Toi sanâ
pensée préalable, préformée : l'idée que Dieu mérite la confiance, le .jugc-j
ment que la confiance est mieux justifiée que la défiance.
LA roi COM-IANCK l9.')
ir|MH U' rnsuilr sur les croyances capables de la salislaire. l'Mc
csl jiiffe et gai'ante de la (loelriiio, loin (luelle obéisse à une
«loctiiiie (I).
\.v roniaiilismc religieux «le Sclileiermaclier avail proclame
la primauté du senlimeiil, «pii tend à s'objectiver dans le
dogme et dans le cnlte en des Cormes assez constantes pour
convenir à la communauté, assez variables pour être sensibles
aux mouvements des consciences. Le dogme n'est plus consi-
déré comme une vérité absolue et délinitive; c'est l'expression
de la toi. propre à une communauté religieuse toujours en
voie d évolution. Au principe est un sentiment, le sentiment
de la déi)en(lanee oii communient l'àme humaine et l'Inlini.
Uomanlismc religieux, parent du romantisme artistique et [)hi-
losoplii(pie: romantisme inys[i([ue, puisque toutes les formes
religieuses sortent ici d'un fond de génialité et d'indistinction
primordiales.
Le piélisme avait préparé les voies ; réaction de la loi
active et vivante, de la dévotion personnelle et pratique contre
lorlliodoxic morte et la tiédeur S[)irituelle; contre les disputes
confessionnelles et les querellés théologiques; contre l'asser-
vissement de la société religieuse aux consistoires et au pou-
voir temporel; attention à la vie intérieure ([ui ne devait pas
i) l.'i'tiule tlt' V « Kcole modi-rnc » en Alleni!it,'ne nu-iierait aux iiâôiiies
conclusions. Elle aussi décrit une sorte de sensation [)ieuse qui <lonne l'éveil
à la foi, la maintient tout ensenihle toujours Iraiclic et toiijours vafjue. (Voir
Kaktan, Dit' Vfrfilichlnn^ nuf dds llchennlniss in (1er CitiuLTelischm Kinlie,
i8<j{. — liMi'(;i:K, I>ic Jortschicitritdi' Eiil frcinilan^ von dcr Kircho irn Lichlv
fier Ccschichte. 1H9.',. — Ilobert Ki ijki,, L'brr den Untcrschied zuusclien dcr posi-
ftVcrt nnd der lihi'ralcn liiclttiint' in der niodrrni'n l'iienloffic, 1893.
Jusqu'à un cerlain point l'interprétation aiiéf^oriciue, en particulier celle
des Sto'i<"iens. jiwiit jout- dans ranliquitc le uièuK' rôle que le Sytulxdo-Fi-
dcisme. (l'est la luènie lenilanee à rajeunir, tout eu i^ardaut li-s r«»rine«« du
passé. !'• fond de la vie religieiise, avec plus île ratioualisuie il est vrai
196 LA UKI.KWON KT LA I Ol
tarder à s'enfermer de nouveau dans un schéma méthodique et
à s'exeitcr par (U's moyens factices. Les Myslicismes spirilua-
lisles. les théoh)îîies de la conscience absorbent les éléments
hislori(iues et positifs de la relijjjion, ou du moins les trans-
posent en termes spirituels : Histoire et Dogme deviennent des
Symboles. La nature humaine se retrouve dans les allégories
éternelles; sous une forme tantôt douloureuse, tantôt joyeuse
et exaltée, comme il arrivera sous rinlluence de l'optimisme du
XVIII* siècle. Une tendance analogue se manifeste, à bien des
époques et dans bien des religions. Il y a toujours eu une
forme de foi, (jui a consisté moins dans une connaissance
méthodi(iue de la religion, que dans l'accord senti entre une
disposition intérieure et ce que l'on sait de la religion (i).
Spener. Sébastien Franck, avant eux les Mystiques, avaient
commencé ce mouvement. Après Scldeiermacher, Ritschl et
Hermann l'ont continué. Le Symbolo-Fidéisme est une des
grandes formes du protestantisme.
LE MODERNISME
Le Modernisme catiiolique est lui aussi un retour à une
forme de fol purifiée du dogmatisme théologique. Autant
qu'il est [>ossible de ramener à quelques principes un mouve-
ment assez divers et diffus (2), le modernisme est d'abord une
école religieuse de critique historique ([ui, appliquant au Canon
et à la tradition les règles strictes de l'exégèse scientifique, ne
laisse rien subsister des préamijules historicpies de la Foi ; il
est ensuite une école de critique religieuse (pii, n'admettant
1 C'est ce que 1'as<:al expose. (Brunschvicg, 4:">", 46i, 4C2.)
2 LoiSY, Choses passées, 304 : « I^e prélfiidii Modernisme n'avait pas été
la doctrine de (juelques individus, c'était la tendance d'une foule... un ejrort
assez diffus, intense pourtant, pour a.ssouplir la rigueur de l'absolulisnie
romain et celle du dogmatisme Ihéologique... L'Eglise existante était comme
son point de dépari et l'objet de son action. »
\.\ loi co.M'iANCi: 197
|>liis les posliilals de la |>liil()sopliio scolasliijuc, lecoiiiiaît la
valt'iir dos objections i\nc la science et la raison a<lr«sscnl aux
ari;ninents de la loi (i). Ainsi il ne laisse rien subsislci- de la
foi scolasti([ne. sinon la loi elle-même. Car il est en même
temps une école de philosophie religieuse ([ui. s'emparanl de la
notion de la loi. y retrouve, pour la développer à [)arlir de son
incline, toute la relij^ion. Kt il n'y a plus de conllit possible
cuire la foi et la science, entre la foi et l'histoire (2), puis(pie
^'ohjct de la foi n'est pas matière de scii'nce. ni même d'histoire,
à pioprement parler, mais d'expérience morale. L'histoire et la
foi n'asservissent pas la théolou:ie, mais elles la mettent dans la
nécessité de se réformer elle-même, sous peine de devenir un
obstacle à la foi, au lieu d'en être l'auxiliaire.
Ainsi la foi se développe en dogmes cpii, incapables de l'ex-
primer exactement, n'ont (pie la valeur de synd)oles [)assagers:
la formule à la fois dévoile et cache la vérité : sous la formule,
la foi adhère à la vérité pleine et absolue que cache la formule
im[>arl'aile et relative.
Il) ("/esl ainsi «m'on couslale ciiez beaucoup de iiioclernisles un cd'oi't
Iioiir penser la loi en fonction de la science et de la philosophie du temps
présent et non de la scolastique. a Les Pères et les Conciles ont assurément
dojfuiatisé en fonciron de la philosopliie alors rejouante : le dojj;me n'est
point lié pour cela à telles ou telles lormes de la représentation théorique. »
(Ed. 1,1: llov, Dugtne et Critique, 262.) t La foi S(' pense en fonction de tontes
les philosojdiies avec lesquelles elle se trouve en contact, soit jjour s'harmo-
niser avec elles, soit pour s'en dégager, et elle cherche à entrer ainsi en con-
tact a\ ec toutes les philosophies (ju'élaltore successivement l'esprit humain »
Ibitl., 2--.J Volontiers celte tendance |iiiilosoplii(|ue rencontrera le pragma-
tisme qui est lui-même désir de trouver une délliiilion de la vérité (jui con-
vienne à des croyances non démontrables.
Le pragmatisme lui-même est en partie d'origine théologique. Les fonda-
teurs du pragmatisme ont vécu dans des milieux où lleiirissaient de nom-
breuses sectes en conllit; hnir (loctrine ex[>rime une certaine lassitude à
l'égard des querelles Ihéologiques, et ceitend.int le désir de faire une place
aux préoceu|)ations religieuses à côté îles i)rouccupalions scientiliques.
(2 1 Le trait commun à tous les lUDilernisles calholiqucs, c'est la
croyance à la [)()ssibilité d'une conciliation de leur catholicisme et des résul-
tats de la criti<iue historique. Ils dillèrent i|uanl à re^timalion tie ces résul-
tats et aux moyens d'obtenir cette conciliation. ■« 1 Tvhhki.l, le Clirislianisine à
Ui croisée des chemins, 'i-j.) « Le Modernisme a pour btit d'envisager à part
chacun des intérêts en jeu. avec l'espoir (pie les résultats de ce travail s'har-
liioniseronl. » {lltùi.j
1<»S LA RELIGION Kl' LA I OI
Lo inodeniisme voit dans la religion, ol par excellence dans
le calliolicisme, raclicveinent de la naliirc humaine; la religion.
(('Ile religion est postulée par le plein épanouissement de la
vie : iniriiiséeisme. Mais en même temps l'institution religieuse
lioi's de la conscience, l'Kglisc. assure à la foi et à la vie divine
une histoire qui dépasse de beaucoup le développement indi-
vidu»! el qui le règle : extrinsécisme. Tout ce travail dogma-
lique. Iuérarchi(|ue, cultuel, (pii aboutit à un résultai de plus en
plus parfait, suppose Dieu, ('onlrc le protestantisme, obsédé
par les origines, prisonnier de la charte constitulionnelle du
chrislianisme. esclave des Ecritures, le modernisme proclame
la valeur de l'Eglise, dépositaire et exégète de l'Evangile,
épouse et continuatrice du Christ. L'Eglise incarne la tradi-
tion, la continuité ininterrompue de l'expérience clirétienne
sous laction permanente du Saint-Esprit (i) : d'où la valeur
des enseignements de l'histoire religieuse depuis les origines
jusqu'à nos jours. L'Eglise incarne l'autorité, entendue au sens
-spirituel, intérieur, moral. Les dogmes ou les pratiques que le »
protestantisme reproche au catholicisme conmic une corruption
de la foi primitive, sont la vie de ri']glise, et le développement
régulier de la foi (2).
Ainsi le dogme est symbole et aussi l'histoire (3). La foi,
besoin, exigence, (pii porte en soi sa satisfaction, son objet,
(i) « Cette sensation de calliolicité, je veux dire de vie diffuse, de créa-
lion continue, de puissance dynaini«jue iudividuelle qui aspire à se donner,
se sourncltrc cl s'harmoniser pour un effort commun, éternel et inlini. »
(Sabatikh, Les Modernistes, X.WII.;
(2) C'est par là que le Modernisme se distingue profondément de cer-
taines formes de protestantisme libéral, basées elles aussi sur la critique
liistorirme. 11 se reluse à reconstruire les orij^incs suivant les besoins de la
conscience d'aujourd'hui, à lixer une fois pour toutes l'P'ssence du Christia-
nisme. (Voir les critiques de Loisy à Harnack, l'Evangile et l'Église.)
Tous les modernistes, anglicans, juifs, musulmans, bouddhistes, etc., ont
ceci de commun qu'ils croient ou espèrent que leurs Eg^lises respeclÏTes ne
sont pas éiiuisces, mais endormies.
(.S; Ce .Symbolisme a permis à heaucoup de modernistes d'accepter la
icttre el de rester dans l'Eglise. Loisy, à une date où il n'avait plus ncn à
apprendre de l'Eglise, écrivait encore : « Je lui reste attaché par le fond de
1 àme. l'ourrjuoi changer les orientations de son existence au gré d'opi-
, l.V FOI CO.VKIAXCK I99
s'expriniaiit au doliors, s'objectivant, construit loiil l'édince de
la ri'lii^ion ; elle se retrouve dans son œuvre, elle adhère à cela
même (ju'elle a créé; son assentiment vient de ce (ju'eile se
reconnaît dans l'objet de son assentiment. Ce qu'il y a d'Iiislo-
rique el de positif dans le christianisme devient ainsi l'expres-
sion de la spiritualité. Mais l'effort créateur n'est point épuisé :
« Le Monde des esj)rits n'est point fermé. •> Quel sens nouveau
infuser aux vieilles formules ? Quelles formules nouvelles leur
substituer (i) ? Le Magistère de l'Lglise, toujours renouvelé,
doit pourvoir à des besoins toujours nouveaux. Et la spiritualité
reste enveloppée dans la reliicion positive; le christianisme est
sous-jaeeut à ce fidéisme. La foi décrite est comme une (juintes-
sence de la senlimentalilé chrétienne, organisée autour des
dogmes chrétiens. Si elle se retrouve si aisément dans la reli-
gion positive, cela vient-il de ce qu elle en est la créatrice, cela
ne vient-il pas plutôt de ce (ju'elle en est le produit? Et
lorsqu elle s'en sépare, ne trouve-t-elle pas entre elle et les for-
mules rejetées une différence telle qu'elle s'apparaît débor-
dant de beaucoup ces formules, et par conséquent dans
son fond plus vaste et plus humaine (lu'elles. Ou bien une
sentimentalité chrétienne, produit, malgré tout, du christia-
nisme: ou bien un élan de sentimentalité humaine, qui se
trouve vu être très différent et qui ne s'y rattache que par des
artilices.
nious spéculatives'.' Ouc sont les croyances, sinon des symboles qui valfiit
par leur eflicacilc morale? N'clait-ce pas sc-ulement cette efficacité <[ui était
> rainient cs.sentielle? »
(I) (l'est peut-être ici que commence l'embarras, et Ldisy eu convient
volontiers? [Clioses [tassées, 1911 : 0 A vrai dire, j'aurais été moi-même fort
embarrassé si l'Kglise, an lieu de me condamner..., m'avait laissé développer
mes spéculations sur les dopmes et la toi, el qu'elle m'eût mis en demeure de
préciser ce que déi.-idémeut j'enseignerais à sa place. Tout en ^•^)yant la cadu-
cité des vieilles croyances, je me faisais l'illusion de penser que l'on |tour*
rait continuer à se ser\ ir des anti({ues formulaires en les iiiter[)rétant filus
ou moins en symlxdes. Mais c'était là une couiy)licali<>n assez superilue, et
même danj^ereuse, quand les .symboles suxK^'renl des idées fausses. II
m aurait donc fallu pri<'r l'Kjjlise de n'enseigner plus son Dieu créateur du
mondi . etc.. «
I.A UKI.K.ION KT I,\ KOI
♦
* *
Il ne t'aiuliuit pas voir là simpU-nienl une (locUinc, à plus
forte raison un sublorlu^îo. Sabalier a eu raison de dire qu'il
fallait éviter de rapprocher le prêtre trop libéral qui ne prend
pas tout à fait au sérieux son ministère, du prêtre qui, ayant
pénétré jusqu'au fond la vie de l'Eglise, trouve dans cette
comnuuiion intense une force nouvelle. Il y a eu chez les
apôtres du modernisme une grande intensité de vie religieuse,
et des âmes angoissées et désemparées (i). Il faut prendre tout
à fait à la lettre, croyons-nous, cette déclaration solennelle de
quelques-uns d'entre eux :
(' Nous avons passé de longues veilles dans l'angoisse du
doute, alors que l'étude loyale de la science ébranlait en nous
l'édilice arliliciel de l'interprétation scolastique du catholi-
cisme. A ce moment-là cependant nous n'avons pas man(iué de
foi, mais conliants dans l'harmonie qui ne s'est jamais démen-
tie entre la vérité de la révélation et la vérité de la raison, nous
avons tenté, en puisant aux sources les plus pures du christia-
nisme, de créer une nouvelle synthèse (2). »
Un élan de foi collective, régénératrice et créatrice, au delà
des dogmes et des formules, a sans doute été l'àme de ce mou-
vement. Les uns espéraient retrouver par la vertu de cette foi,,
libre et n'ayant besoin que d'elle-même, reflicace des dogmes
et des formules, que leur refusaient l'histoire et la raison, dans
le grand rêve d'avenir d'une Eglise agissante, dans la confiance
[i Uetenir cependanl celte déclaiation de LoiSY : « Pcul-être qu'avec
jiioiM>. de raison, et plus d'enthousiasme religieux, il (le Modernisme) eût
été plus fort. » [Choses passées, 354.)
(2; Le Programme des modernistes, 1G8. Loisy cci-it à l'abbé Bricout [Quel-
ques lettres, 181; : <■ Moi aussi j'ai connu le trouble de l'âme, et j'ai eu, non
des jours et des mois, mais des années de martyre secret. » (182) : a Moi qui
ai connu, autant que personne..., ces douloureuses perplexités d'une foi
menacée, moi qui n'y ai découvert de remède eflicace que dans la recherche
courageuse et sincère de la vérité. »
i,A l'oi r.oNi 1 v\(.i; 20 1
exaltée an sens nouveau. Clie/ daulres, il y a, pour soutenir
cette attitude, de l'eirorl et quchpie artilice : « Mes livres, écri-
vait Loisy, représentent l'eiroil (pie j'ai fait pour me maintenir
moi-même dans le eatholieisme (i). »
« Tu quia es? l ne lueur de courage sur un fond de désen-
clianlcment (2). » La formule est presque vraie aussi bien
lorscjue ce prêtre, près d'être banni, combat pour ses idées
contre la hiérarchie ecclésiastique, que quand il cherche encore,
au sein de ri^j?lise, la doctrine et la vie qui concilieront la
science et la loi. Son Apolos^étique est faite de courage et de
désenchantement. « .lai entrepris, après des années de labeur,
après de longues réllexions, après une longue période d'an-
goisses intérieures, durant laquelle je voyais tomber une à une,
comme des feuilles mortes, les idées reçues dont on avait entre-
tenu majeunesse..., j'ai entreprisdc montrer comment l'essentiel
du eatholieisme pouvait survivre à la crise de pensée contempo-
raine (3). »
C'est qu'ici une extraordinaire lucidité d'esprit, un don mer-
veilleux de criti(pie pénétiante, presque ironi(jue, une singu-
lière aptitude à n'être point dupe de soi-même, arrête et para-
lyse l'élan constructeur d'une foi d'ailleurs un peu sèche. Sur
la piété et la ferveur naïve de l'enfance, (pie ne voile aucun
Miuige de doute et ({u'entretient la douceur des cérémonies, le
premier regard sur le dogme a projeté le trouble de l'analyse
rationnelle de la croyance, la douleur de la pensée catholi([ue.
C'est d'abord anxiété intérieure, obsession énervante, épreuve ;
les spéculations religieuses laissent comme un vide dans l'es-
prit et accroissent les angoisses intimes sur l'objet de
la foi.
l'iêlre, il la été, plus par ell'oit de voloiilc ([ue [>ar convic-
tion joyeuse. A la démonstration chrélicnne il ne voit pas de
'ij Choses passées, 3r>o.
'2) thiil.. 67.
i (Jucltims leftrcs, i-j.
'J*^'J I A uEi.ic.rox i:t la loi
défaut apparent ; il ii'tn craint pas moins qu'elle ne porte sur
le \'n\i\ Il est préoccupé de se prouver cette vérité à soi-nu''nic.
L'exégèse vient séparer lliistoire de la foi. Mais le premier
contact n'est point destructeur. On peut nier la valeur histo-
riciue et garder la foi ; et cela on le t'ait aisément, par tour
d'esprit, plutôt que par système, (chercher une voie moyenne
entre « la routine qui se prend pour la tradition, et la nou-
veauté qui se prend pour la vérité (i). »
Cet examen fait, dans l'Kglise discerner deux choses : la
tradition morte, obstacle au développement intellectuel de l'hu-
manité, et l'institutrice morale, maîtresse de progrès. Ainsi il
reste de quoi s'attacher à l'Kglise, d'autant que la confiance
n'est pas encore entière dans les conclusions critiques.
Ainsi, le magistère de l'Eglise, changeant selon les besoins
nouveaux, vient compenser la critique de la révélation, l'insuf-
lisance des Ecritures comme règle de foi. Et n'est-ce pas assez,
pour répondre à l'Apologétique prolestante et pour édifier une
Apologétique catholique, pour coordonner ses conclusions
critiques à la foi que l'on veut garder?
Mais à mesure que le système d'Apologétique s'édifie, la
vie intérieure qui devait l'animer tombe. De 1881 à 1886, ce
qui restait de ferveur s'est éteint. Plus d'impressions reli-
gieuses. Si l'on continue à servir l'Eglise, c'est à cause de sa
valeur sociale, par foi morale et non plus par foi religieuse.
Mais l'ànie est désolation et tristesse, et l'esprit en dehors de
la pensée catholique. On n'est plus en communion de foi et
pourtant ou reste attaché à l'Eglise. Or, quelle réformation
sans enthousiasme?
C'est qu'il ne s'agit pas de réformer, mais seulement d'expli-
quer à d'autres et à soi-même, pourquoi et comment l'on doit
rester dans l'Eglise. Le maître a pitié de ses élèves et tâche de
trouver pour eux des moyens de conciliation provisoire entre
(i; Choxen passées, Gi.
I
I.A l'Ol COMI ANCK 2<)'3
1rs laits ciili(|iK's rlablis ol les dogiiu's. I.c calccliisli', rlic/ li'S
Dominicaines de Neuiily, reprend contact avec la vie relip:ieuse,
sans Ihéolop^ie. avec Taelion morale el la pratifim- culliiellcr oii
sont le ealme et le repos de là me.
Le conil)al contre la hiérarchie menaçante, les luîtes de
phnne, les entretiens ai^^res-donv. les démarches, les rancœurs,
les capitulations momentanées, les retours olïensirs dissipent
les derniers veslifçes de cet attachement profond, arrêtent les
derniers edorts pour se maintenir dans le catholicisme. La
paix, <|u'il n'a j)oinl trouvée dans ri\u:lise, lui vient enlin
dèlre hors l'Kglise : « Je jouissais du plaisir de n'être plus
(ri]u;lise. (i) »
* *
Modernisme, Symbolo-Fidéisme, deux l'ormes religieuses
«l'un grand mouvement contemporain. La doctrine de la
science, la théorie de la connaissance ont connu un même
choc odensif contre la formule et la fixité. C'est la Vie contre
rimmutahililé, le Devenir contre l'Eternité, l'Individualité
contre l'Universalité, la Liberté contre la Nécessité. La biologie
et l'histoire, la critique, la revision des valeurs intellectuelles
et morales, les aspirations confuses d'une société qui se trans-
Ibrine, tout concourt, l>ien des études l'ont montré, à établir
dans unv partie des esprits, contre les formules claires et
iiniversellemenl et éternellement valables, le prestige de la
vie mouvante. Mais la [)luj)art n'osent point se laisser aller
jusqu'au bout de l'indétermination et de l'aventure. D'oîi
l'ellorl pour maintenir, au moins à titres de synd)oles, les lois
et les dogmes anciens.
La pensée juridiipu' elle-même s'en est ressentie, lîeaucoup
de juristes réclament pour la jurispiiidcnce et la doctrine un
(i) Choses passéfs, 3<)8.
LA relu; ION i:t la loi
droit do lihio inlor[)rt'talioii de la loi. La loi, se détaclian«l (Il
la voloiilé du Ic^islalcur, devient une t'orninle indépendant
dadéqualion à la vie; une formule que chaque génération
légistes lègue à la suivante, à eliaige de l'assouplir, connue s'i
inq)orlait seuli'uient de l'adapter à la pralicpic présente, et pa^
du loul de respecter son sens initial (i). Mais pas plus que les
théologiens, les juristes n'osent aller jusqu'au bout de leur
principe de liberté.
LUTHER ET LA FOI FIDUCIALE
Revenons au protestantisme et aux réformateurs. Comment
Luther est-il venu à l'expérience et à la doctrine de la « Foi
seule? »
Luther, dès son entrée au cloître, éproilve une profonde
tristesse et un long abattement; il est obsédé du souvenir de
ses fautes : il a peur du jugement de Dieu. Les confessions ne
le calment pas. 11 subit parfois de véritables attaques de ter»
leur, suivies de faiblesse, accompagnées d'idées de damnation
C'est toujours, d'après son témoignage, la certitude de sofli
salut (pii le préoccupe. Ses études bibliques lui avaient montré
plusieurs erreurs de l'IOglise papale; l'écho des discussions des
hiunanistes qui signalaient les dillérences entre rEcrilure et
l'Kglise était j)arvenu jusqu'à lui. Mais il se disait : SolltesL du
alleiii klug- scLii?
t
i; Contre celle Ihèse, (rKHM;z, Méthodes d interprétation, II, ^oô-^v6.
0 En soi la loi esl l'expression d'une volonté émanée d'nn tiouime ou d'un
groupe d'iionitnes à la lumière de leur intelligence. Par suite et pour lui
assurer toute son enicacilé, on la doit interpréter suivant la volonté intclli
gente qui la produite, et eu se plaeant au moment où elle a été lormuléi
Aucun autre critérium n'est applicable si on veut rester fidèle à la nature de
la loi et maintenir ses avantages techniques. Notamment l'on ne saurait
admettre que la loi une fois formée constitue une entité indépendante qui se
détachciait de la pensée de son auteur et se développerait à part, suivant un
sort prr)pre, de t'uçon <iue sa signilicatiou piit changer au gré des circonstanc
ambiantes et de l'évolution de la vie sociale. »
I..\ KOI C.OM'IANCE Qo5
Les mortifications et les œuvres de saliil sont impuissanfes
k lui procurer l'assurance ([ii'il cherche : << Nous, sous la
papauté, nous avons jadis cric pour notre salut ctcrnel, |>our
le royaume de Dieu; nous avons violemment affligé, bien |)lus,
nous avons tué nos corps : non par le p:laive et h's armes, mais
par les jeûnes et les macérations corporelles; nous avons
cherché, nous avons frappé à la porte les nuits et les jours.
Moi nicme, si je n'avais été délivré par la consolation du (ihrist.
.111 moyen de l'Evangile. j(? n'aurais pas vécu deux ans, telle-
iiKMii j'étais tourmenté et tellement je fuyais devant la colère
<li\ine. Ni les larmes, ni les gémissements, ni les soupirs ne
manquaient, mais nous n'obtenions rien du tout (i). » « Après
la confession et la célébration de la Messe, je ne pouvais avoir
1 (sprit tranquille, car la conscience ne peut recevoir une solide
'oiisolation par les œuvres (2). » « Les moines pieux et sin-
I « ics, dont il a existé quelques-uns jadis dans le monde, qui
^( sont laissé tourner à l'aigre comme moi, en se mortifiant
et se torturant pour arriver à être comme le Christ et à être
heureux, qu'ont-ils obtenu avec tout cela? (3^ »
Les aveux que nous citons ont été écrits beaucoup plus
tard, vers i54<>* <^)n a dit que Luther, devenu mythicpie pour
lui-même, avait voulu à tout prix confirmer par les faits une
doctrine (pii lui ('lait chère (/}) ; on a dit (pi'il s'était trompé ou
qu'il avait menti sur sa vie monasti<pie (.">). De récents travaux,
qu'il est impossible de soupçonner de |)artialité, établissent
I' O/i. rxrffcficd Iddiid, \l\. 72. Voir Sc.iii lîr,. Dohitiiitulf zu /.nZ/tcrs'
lùitwickrluni;^, i»)ii
'a Sc.iiKia,. Ditk., 19.
i3).Sc.maa., Dnl;., 77. (Voir- <;i«istiam, LiiHut (ta Cain-ful. lii'vnr tles qm-stions
hisloriiiurs, i<m3.) Lnllier oscille «Mitre la j,'ràce sar'ranicuti-llc rt l'asct-tisnit'
monastique il'une part, et rl'aiitre part la miraculciisc j^ràce «r«'lt'ction. Le
compromis traditionnel entre la justi<;c Innnainr et la },'i'àee. l'idée de la coopé-
ration de la volonté, est |ir<''ci.sénient ce (|iii \r. jette dans l'incertilnde. Il
doutait tantôt de son mérite, t.intiH de son élection. Slaupilz le «lélivre de ce
doute pai" la doctriiu' niysti«|ue ; aliandon de la propre justice cl conlîance
<lans la >rrâce. (Voir Thoki.tscii, Ktiltiir i/rr (i('i';i'nnart, ■.•"]'■•
l|l Voir <;nisTiAxr, art. cité
:. Cr-t |:i Ih.'-e ,].• n,M,|,, /„tli-r flinl ,l<ls I. , Hirrl H ni .
aot> T-A UEMOION ET \.\ l'OI
bien ([lu' cctlo violente inquiétude a précédé et accompagné
son évolution doiïinaticjue (i).
Les récents travaux s'accordent à établir que cette évoil
lion dogmatique a été lente; commencée vers i5r2, ce n'(
guère (piau début de loiç) que Luther est en possession de s<
thèses essentielles et (ju'il les expose dans son commentai!
suf \ Epitre aux Galates (2).
LCxplieation des Psaumes de ir)ri-i5i5 nous expose
bille contre les Observants et contre la Sainteté par le»
(cuvres; notre justice n'est que péché.
Les Sermons de i5t5-ioiO exaltent la passivité mysti(|ue,
Tauler et la « Theologia deutsch ».
Les lettres de i5i6, les Leçons insistent sur l'impuissance
radicale de la nature, sur la justice du Christ contre la propre
justice. L'humanisme n'a rien à voir avec Luther; Aristote et
les {)aïens n'ont rien su de la justice. 11 faut reveuir à saint
Augustin.
11 n'y a encore dans tous ces écrits ([ue les signes avant-
coureurs d'une nouvelle théologie. Les leçons sur Y Epitre aux
Romains, de i5i5-i5i6, précisent tout cela. On y trouve la
justice impultative. la justilication par la Foi seule et le mépris
des œuvres (3).
Il Voir (Ihisar, Luther.
(2) GiMSAK, Luther, t. I. — BinrMKH, Luther, i<)i'}- Selon Holimer, yi. 4^,
entre i5i2 et i5i."> se forment, obscures encore et pleines de contradictions, les
idées propres de Luther : le péché, la confiance, la certitude que, par la fol,
Dieu donne à l'honinic la force du bien. La parole de VEpitre aux Koinains, l, ij,
avait déjà pour lui une signiHcation particulière. L'illumination dont il parle
plus lard est de i5i2 ou i.^i3. Mais ce n'est qu'en i5i0 fju'il se débarrasse de
Ja doctrine de la rcdcuijition d'Occam; ce n'est rpi'en i.'nG qu'il dépasse la
notion monastique de lliumilité, qu'il se rend conq)tc que l'humble abandon
au vouloir de Dieu n'est pas encore assez, qu'il faut encore; la corifiauce
joyeuse dans la ntiséricorde de Dieu; ce n'est (pi'à la lin de ifiiO iiji7 (]u'il
ose rejeter tous les doutes sur la certitude du salut; on ne peut avoir eonliaac
en Dieu sans être sur de son salut.
i3r (îKisAH a bien montré, L p. l'iS, les différents facteurs de cette évoh
tion : la lutte contre la sainteté par les œuvres ; l'influence d'Occam (négaliv<j
l'école d'Occam ne fait pas à la jjràce une part sufiisante; positive; la do<
trine de l'acceptation; de son scepticisme à l'égard de la raison, Occai
déduit que la réalité des choses n'a aucune importance; leur valeur déper
i.A KOI coNKiAN<:i: 207
I^s (Uspulos (le Witteiihei'p (i5i(>-i5i7) sur rimpiiissaiicf
tle l'homino, do Heidclhcrf? sur la foi et la ji^ràcc (i5 avril loiH).
(le WiHciiIxTi^ i5iS, s(jnl. selon l'expression de LuIJier lui-
nu-me, le eoinniencenient de la eaiise de lY'vans^ile : contre les
leuvics, la jiisliee par la Foi; contre la crainte de Dieu,
I aneanlissenient, la passixih' inysti(iue. le d(''ses|)oir de soi-
uicine et la conlianee dans 1 abime de la mis(îricorde divine.
A cette épocpu', il n'y a rien encore contre rautorit(3 de
l^j^lise, pas encore de principe d'examen; c'est la querelle des
Indulgences (i-">i7) ([ui ainC-ne ces (piestions au premier plan.
II fut dirilcile à Luther de s adranchir de rautoril(î et du
prestiofe du pape; c'est Cajetan, en somme, qui l'a lorc('' à tirer
de sa doelrin<' naissante toutes ses eonsc'quences, en lui
demandant de r(îvoquer deux thèses : l'une sur la n(»gation du
trésor des mt*rites de J(!'sus-Christ et des saints comme fonde-
ment des indulgences; l'autre sur la Foi comme seul principe
de la vertu des sacrements. (]ar la première thèse concernait
rKglise comme (k*p(>l de salut, la religion objective, et la
tiniqiiciuent du hou plaisir île Dieu. Lacceplatiou de Dieu peut reudre tout
surnaturel; et, d'autre part, la raison n'a rien à voir dans les choses de la
foi; eontre la scolastique, la pliilosoptiio et l'autorité exagérée dWristote, le
retour à l'Ecriture; la Mystique, en partieulier Tauler : la passivité, la nuit
de l'ànie. Luther rapporte cette doctrine à ses angoisses et y puise l'espoir <le
la i)aix futurei. La i)reinière citation de Tauler est dans le comuientaire sur
l'h'/iifiv aux Hornaiim de i5i.">. — BouMKit, Liilher, p. 42 et suiv., a bien
montré que la tliéologie « moderne », Occaui. Pierre d'.Villy, etc.. (doctrine «ii-
la puissance de la volonté humaine et de l'arbitraire absolu de la volonté
divine . la doctrine de la pénitence de Biel. la doctrine monastique- de l'hu-
mililc et de l'ainour ont contribué à précipiter Luther dans ses doutes et ses
tourments de conscience. Il montre bien l'inlluence d'tjccam 1 doctrine de
la llc\élation comme sonnne de vérités contraires à la raison, docliinc de
LKncliaristie, doctrine de racceptation) ; rinfluence de saint Au;;ustin et de
la Mystique du pseudo Aréiqtagite : l'essai de mysticisme de Luther est
arrêté par la ilodrine dOccam. lincapacilé de la raison humaine à sonder
l'essence ilivine. Néanmoins ce commerce avec la Mystique l'aide à s'allran-
chir d'tJccam. (^>uant à 'i'auler, Luther dit nettement ce qui l'a sé<luit dans sa
doctrine, dans le passa^'e du commentaire sur VEpi'trt^ aiLV iiornains où il le
cite, dans les Ilcsoltitions de la quinxième des <p thèses, dans les notes de
son exemplaire de» sermons de Tauler. La doctrine du la nuit mvsti(|ue, la
peinture de la détresse, de l'inquiétude, du dësesp«)ir (|ui précèdent la nou-
velle naissance, signes de l'abandon inconditionnel à Dieu, l'ont airermi dans
la certitude de son salut.
2o8 LA RELIGION ET LA FOI
secoiulc, la Foi, comme principe de rassimilalion du salut: el
Luther, en face de ces questions, était contraint denier rK2:lise
et d'insister sur ralfirination de la Foi.
C'est alors (jue l'autorité de l'Kglise s'éhranle, que l'auto-;
lité de l'Ecriture est proclamée. La dispute de Leipzig (loit))
inau2:ura une nouvelle attitude.
Avant i5i7, Luther a bien formé la notion de la justification
extérieure, mais sans la certitude du salut personnel. La foi est
encore mal définie; c'est tantôt Tassentiment de l'esprit aux
paroles du Christ, tantôt l'espoir en la miséricorde divine,
espoir qui est d'abord désespoir de soi-même : « Seigneur, tu
es ma justice et je suis ton péché » {Lettre à Spenlein, i5i6);
résignation à la volonté de Dieu, même si elle condanme,
désespoir salutaire^ comme il écrira plus tard (i).
Ainsi une inquiétude profonde, la peine d'une âme qui. en
présence du Dieu irrité et devant lequel il n'y a pas de conso-
lation, ne peut croire à sa délivrance et ne voit pas de fin à sa
peine, tâtonne à travers des doctrines, impuissance radicale de
la nature, négation de la valeur des œuvres qui ne consolent
pas, justification extérieure qui ne change pas le fond de la
nature et qui sauve pourtant, abandon désespéré à Dieu, jus-
qu'au moment où, vers la fin de 1617, la solution surgit commei
une illumination brusque, sous la forme de la foi fiduciale. Le'
mot de saint Paul : « Le juste vit de la Foi » dissipe son
inquiétude et le met en possession de la doctrine qui le
sauve (2). Il en rapporte la pleine intelligence à une inspi-,
ration.
Il De Servo arhitrio, 1025, 719.
(2) La formule de cette doctrine apparaît dans la deuxième leçon sur les
Psaumes ii5iK'. Voir aussi Serrno de triplici judtitia (i5i8j et De du/tlici Juslitia
'début i."»i9l. — 11 y a donc cliez Luther : 1° l'inquiétude du salut; 2° le
malaise croissant de la solution insulïisante (le cloître); 3° la solution par la
confiance, qui réussit à faire vivre ensemble les éléments incompatibles :
coexistence du péché invincible et de la f^ràce toute puissante dans \f même
homme; effroi transpercé de confiance. (Voir Cristiam, Du liithcranisme au
protestantisme.)
l.A KOI COM'IANCK 209
Voici les principaux caraclcics de la Foi, telle (jiic Liithor
l'entendra désormais :
1° Lu foi est contre les (envies cl la justice personnelle,
contre l'assurance en soi-même. La foi est don de Dieu ;
2° La foi est Tinslrument de la jnstilication, le moyen de
s'approprier la jnslifiealion e\trinsè(pie :
3" La loi esl e\[)éi'ience. Sapicnlla cxpc/LineiiialLs, par oppo-
sition à Sapientia doctrinalls. C'est la confiance en Dieu par
opposition à la croyance; c'est le sentiment qui, dans la con-
science, fait sentir le Christ lui-même, fait éprouver que telle chose
est la pai'ole de Dieu et fait adhérer à Dieu du fond du cœur(i).
Donc, si l'élément confiance, adhésion de toute l'àme (2),
est particulièrement marqué par Luther par o[)position avec
l'élément croyance intellectuelle (3), pourtant cette confiance
s'appli([ue nettement à un ohjet précis, Dieu ou le Christ. La
foi n'est pas l'ohéissance intellectuelle à des dogmes, à cause
de l'autorité de Dieu qui les révèle; elle n'est pas l'obéissance
intellectuelle à Dieu. Mais elle est le sentiment intérieur de la
parole de Dieu, le sentiment intérieur que le Christ est pré-
sent sous la parole et la doctrine. Elle est une espèce de sens
intérieur ([ui discerne le divin, le témoignage intérieur de
l*Esj)rit (/|). La preuve de l'inspiration repose sur elle-même,
II; Vonbeiderlci Geslall des Salcrainents, lôaa.
(a; nuclqucs liislorifiis rapprochent la foi liduciale, telle que la décrit
Luther, de certaines expériences mystiques, par exemple de la connaissance
expérimentale de Dieu, telle que la décrit Gerson. Dans celte contemplation
affective, la connaissance prccède-telle rami>ur ou le suit-elle? Gerson et
<(Uelqiies franciscains, Alvarez de Paz, Oviedo soutiennent contre les
Ihomislfs Suarez, Vaquez cpie la connaissance est sul)sé<|uente à l'étal
affcctir. f:'est sur ce modèle <jue Luther aur;ut cahjué sa théorie de la foi
fiduciah', 0>i:niti<> cxiicriinrntalis. (Voir Uirlioniuiirc de Thétdofjie catholique,
art. Dieu; *'t \iin STiinNUKnr.nE, Autour d'une coiitnn-erse mystifiiie.)
(3)« Dass zweicrlei Weis «rlaulU wird ; zum ersten von Gt>tt, das ist, wenn
ich glanbe, dass wahr sei, was man von Golt sa :t ; j^lcich als wenn ich
gflaube, dass wahr sei, was man von Tiirkcn. Teufel, Hidl sajjt; dieser
Glauhe ist nielir eine Wissenschaft odcr Mcrkunp, dann ein Glaube. » (Kd.
d'Erlan^ren. XXII, p. i.",;.
(4l <> Du musst liei dir selLsl im Gewisscii fiiliien Ghristuni sclhsl nnd
unweglich emplinden, dass es Gottes Worl sei. wenn auch aile Wclt <la\\ ider
siritle. So lang<- du das Fiililen nicht hast, so lan^e liast du {,'ewisslicii Gottes
n
aïO LA RELIGION ET LA FOI
sur sa propre évidiMui'. en doliors du secours do la science cl
«lu recours à Tl^i^lise. Mais jus([u"à un certain point la loi
reçoit ses objets.
4" La loi est croyance ; elle a un caractère positif; elle porte
sur l'ensemble des dopâmes, {garantis par le sentiment (i). La
croyance ne va pas sans la confiance. Le sentiment jusqu'à un
certain point domine le dogme. Du principe luthérien de la Toi
suit la réduction du doiçme. Luther ne garde de la dogmatique
catholique que cela seul qui est objet de foi et de confiance : Dieu
saint qui pardonne les péchés, la grâce qui élève, et aussi ce qui
peut certifier le salut au pécheur, la révélation, l'Incarnation (2).
Lee objets de la croyance sont les principes de la confiance, jus-
qu'à un certain point par conséquent la foi se donne ses objets.
5° L'assurance ài\ salut. Il est nécessaire de croire de foi
certaine que l on est justifié et de ne douter aucunement que
l'on a la grâce; car douter et être incertain, c'est n'être point
justifié et rejeter la grâce. Sans doute la certitude du salut
coûte beaucoup de ptùne : (Jaiisa justification is lubrica est. Si
l'on a des doutes il faut se rappeler que la faute est indéraci-
nable et qu'on est justifié malgré elle ; il faut lutter, se dire (pie
l'on est agréable à Dieu, malgré ses péchés dire à la loi : Non,
je n'ai pas de péché. Cela coûte de la sueur. Christ est sûr de
plaire à Dieu ; nous devons le croire aussi, |)arce que nous avons
lespril du Christ.
6' L'activité de la foi. La foi engendre l'amour et les œuvres ;
mais les œuvres ne constituent pas des mérites. Elles exaltent
la confiance: elles sont le signe et le sceau que la foi (;st pré-
sente. Klles servent à autrui.
Wort noch niclilgeschmcckt iiiid liangest nocli mit den Ohren an Menschen
Mund oder P'eder iind niclit mil des Ilerzens Griind an Wort. » [Von beixlerlei
fiestalt des Sakraiaenla, i522.)
fi) « Glaubefi heissl cigontlifli das fiir wahr halten und sicti von ganzcm
Herzen darauf erwegen, so das Evangeliura von Christo sagt iind aile Artikel
des Glaubfn.s. » Ed. d'Erlangcn, \II-, 221.)
(a) Troltsch. o. c ',39-
i.v loi CDM lAXci; an
*
C/ost doiK' c'oiilro lo faiihHiie de la justice propre, — action
ou raison. — ([ue se révolte Luther. La loi témoigne contre nous :
elle nous fait sentir notre impuissance; elle fait éclater en nous
le sentiment de la faute. Impuissance, voilà l'homme, Mystère
et Grâce, voilà la réponse de Dieu, confiance, voilà le lien.
La violente antithèse : Péché-Confiance, domine toute l'àme
de Luther : « Pèche fortement, mais confie-toi et réjouis-toi plus
fortement dans le Christ (i). » Il n'est point de ces Mystiques
chez (jui la grâce fond la nature. Il sait qu'il est sauvé en sachant
<|u'il est le même. Une sincérité, une lucidité, une humilité pro-
fonde ; et en même temps la virtuosité intellectuelle, i[m résout
l'angoisse du salut par l'appropriation des mérites du Christ.
Va tout cela, vécu pour soi d'abord, pour la chrétienté
ensuite. L'àme de Luther oii se jonc le salut, est assez grande
pour former l'àme de la chrétienté nouvelle. Le vif sentiment
de sa mission l'anime, depuis l'époque de sa révélation. Bien
des révélations lui sont faites (2) : il est un sage pour autrui.
Un sage violent et fanatique ; un révélateur exalté. Ame
tumultueuse et violente, il a, sous sa simplicité et son bon sens,
<les mouvements tourmentés. Il connaît les maladies si)iri-
tuelles, et avant tout la grande oscillation cyclothymique. Dieu
et le Diable, le salul et la damnation, la foi ardente et le doute
(le la mission.
*
* *
Comme la bien dit Andler (3), le Moyen Age est dominé par
la grande illumination mystique et la grande illumination ralion-
uelle.
'i) Lettre à Melanchton. i"' aoùl i.")2i. (Endcrs, III, 207.
(2) dniSAit, II, 57.
(3) Revue de Meta.. ujiS.
LA HELIC.ION KT \.\ KOI
Avec Luther la vie religieuse quille le plan de i'émotivilc
extatique et de la raison spéeulative. Elle est toute transportée
dans le vouloir el dans le sentiment. Elle a, de plus, quelque
chose de populaire. Plus d'aristocratie mystique ou intellec-
tuelle ; « des qualités plébéiennes de lidélilé, de soumission à
l'invisible chef (i) ».
L'essentiel de cette relig:iosité réformatrice, ce n'est pas la
doctrine de la justification par la foi, déjà soutenue par
d'autres ; ni le retour à IKcrilurc, qu'Erasme avait affirmé, lui
aussi, sans aboutir à la réformalion. C'est, d'une pari, l'affir-
mation de la vie et de la volonté contre l'intelleetualisme et la
réflexion dogmatique ; connaître le Christ, c'est connaître ses
bienfaits el non ses deux natures^ d'aulre part, l'afllrmalion
de la personne et de* sa valeur ; l'émancipation de la hiérarchie
et de la discipline. Enfin, l'organisation de l'activité de la foi,
dans la Société civile.
Pur de tout vestige de matérialisme religieux, die technique
sacerdotale et d'inlellectualisme, l'acte suprême de la con-
science n'a besoin ni du sacrement, ni de la pensée, ni de
l'extase, mais de la seule foi qui jaillit du cœur. Libérée du
mysticisme sacramentaire et contemplatif, de l'ascétisme et de
l'autorité de l'Eglise, « l'âme a soif de Dieu, du Dieu vivant ».
Confiance vivante cl hardie en la grâce, confiance et certitude
de la grâce divine : faute el grâce; orientation confiante de la
volonté, énergie active, apte à s'épanouir dans la vie religieuse
et dans le monde ; religion bien plutôt que métaphysique (2).
Mais ce fait primitif, ce subjeclivisme remonte à ses
conditions. La justification n'a de valeur qu'autant que ses
conditions dogmatiques en ont. Une œuvre de salut accomplie
I
(il Andleh, //>tV/. (Voir aussi Diltmey, 56/. «DcimichiiiiJchlc Gott nichl trauen,
wennicli niclit {jedachle, er ^^oIlc niir giiastig- und hold sein, dadurch ich ihm
wieder Lold und heweget werde. ihm hcrzlich zu Irauea », cité par Di'.they,
ibid.
(2 Chez un Zwingle plus humaniste que Lutlicr, la corruption de la nature
humaine sera moins accentuée. La conception de la foi est plus paisible.
I.\ 1 OI CONl'lANCR .>.l3
une l'ois pour toutes au couis de l'histoire, est la condition
objective de la foi ' i). L'Keriture s'engoulIVe dans la vie intime.
La théologie s'airranchit des spéculations scolastiqucs pour
prendre appin sur rexpérience, mais aussi sur la littérature
( hrétienne. La foi redevient soumission à la lettre de l'Kcriture.
lue nouvelle théologie naîtra de la loi et de l'Kcriturc.
*
* *
Poui- Calvin, la loi c'est l'illumination du cœur, l'Esprit
lui-même : « Le même Esprit ([ui a parlé par la bouche des
prophètes entre dans nos cœurs et les touche au vif pour les
persuader que les prophètes ont fidèlement mis en avant ce
<iui leur était commandé d'en haut. »
" Nous sentons là une expresse vertu de la divinité montrer
sa vigueur par laquelle nous sommes attirés et enflammés à
obéir sciemment et volontairement, »
Cette illumination du cœur est juscju'à un certain point le
pendant de la Raison illuminée des Pères, Elle est la lumière
(|iii distingue la vérité : « Nous connaissons la vérité des Livres
Saints directement, « sans arguments », par « sentiment »,
coinnic nous distinguons « le blanc du noir », le doux de
lamer. »
Calvin combat vivement la loi implicite : « Est-ce là croire,
de ne rien entendre moyennant qu'on soumette son sens à
l'Eglise? •) La foi git en la connaissance de Dieu et <hi Christ,
( i) I/inléi-rl rfli<^ieux oscille entre le draine ('osiiu(|ue et la scène intime,
i;i|)|>orl personnel avec !<' Christ et le Dieu Père). Schkhkh, o. c, 170, leru
1 1 niar<jnir, avec profondeur, (juc la doctrine rélornice de la Rcdeniptiou ne
lait (pie transposer la notion de Sacrement, iVO/itis Operativn. lin salut
objectif et surnaturel est nécessairement un salut «'xtérieur et majfique. La
■-atislaction olFcrte par Jcsus-Christ, la jiistillcation antérieure à tout clian^e-
m<nt lie cœur ne sont pas des actes moins extérieurs que le sacrement.
1. l'OVt attribué au sani; ilu (llirist n'est pas moins ina^ii[uc que la vertu
allaciiée à l'eau baptismale.
L
non pas en la révérence de l'Eglise «... cette lourde ip:norance
en laciuelle croupissent et sont endormis ceux qui se contentent
de la foi implicite » ; et aussi vigoureusement la foi histori(iue
des Sorboniques. Un simple assentiment sans crainte de Dieu
ou sentiment de piété n'est pas foi. Les théologiens sorbo-
niques ont couvert Jésus-CUirist d'un voile. Ils ne conçoivent
par la foi (pi'une volonté de s'accorder à riiisloire de l'Evangile,
l ne telle opinion, même persuasion, ne suffit pas.
Certes la foi est inséparable de la doctrine de l'Evangile.
Sinon elle est crédulité incertaine, erreur vaguant ça et là. La
foi est une connaissance de la volonté de Dieu prise de sa
parole. Le fondement d'icelle est la persuasion qu'on a de la
vérité de Dieu. Ainsi la foi est une connaissance qui s'achève
en assentiment du cœur « ferme et certaine connaissance de la
bonne volonté de Dieu envers nous, laquelle étant fondée sur
la promesse gratuite donnée en Jésus-Christ est révélée à notre
entendement et scellée en notre cœur par le saint Esprit » .
La connaissance que la foi implique est inséparable de
l'assentiment du cœ'ur. Le commencement de croire contient
en soi la réconciliation, par laquelle l'homme a accès à Dieu.
L'assentiment que nous donnons à Dieu est au cœur plutôt
qu'au cerveau et d'afi'ection plutôt que d'intelligence. Christ
ne peut être connu sans la sanctification de son esprit ; il
s'ensuit que la foi ne doit être nullement séparée de « bonne
affection ». Le fondement de la foi c'est la promesse gratuite.
Le point principal de la foi est que nous ne pensions pas
qu'elle est seulement vraie hors de nous et non pas en
nous ; mais en la recevant en notre cœur, nous la faisons
nôtre.
Ainsi la foi dépasse toute intelligence. Il faut que l'esprit
monte par-dessus soi pour y atteindre. Et même y étant
parvenu, il ne comprend pas ce qu'il entend ; mais ayant pour
certain ce qu'il ne peut comprendre, il entend plus par la cer-
titude de cette persuasion, que s'il comprenait quelque chose
I, A I OI CONKlANCi: 215
Iiuniainc selon sa capacité. Les clioses que nous connaissons
par foi nous sont absentes et cachées à notre vue.
La foi est (^cililiide, ceililude pleine et airèlée. (jni nicl
hors de doute la bonté de Dieu comme elle nous est proposée.
Kl celte certitude est certitude du salut. Cerlilude qui peut être
touchée de doutes, sécurité (|ui peut être assaillie de sollicitude :
il ne s'ensuit pas que nous soyons séparés de la foi. Tous les
doutes dont l'ànie lidèle est tourmentée tournent en plus
jrrandc cerlilude de celte confiance. Frayeur et Foi peuvent
habiter en une mèmcàme : contre les demi-papistes qui mettent
tellement la conscience entre espérance et crainte, que main-
tenant elle incline à lun, maintenant à l'autre.
La foi a[)porte nouveauté de vie et réconciliation jçratuile.
La foi est illumination du saint Esprit. L'entendement de
1 homme est illuminé pour entendre la vérité; ])uis après, son
cœur est en elle fortilié. Or, il y a plus de défiance au cœur
(|u<' d'aveufîlement en l'esprit, et il est plus difficile de donner
assurance au cœur que d'instruire l'entendement.
*
* *
\ incl cnseijïne, cl ceci résume assez bien tout ce qui
précède : ressence de la foi qui sauve, c'est-à-dire qui unit à
Dieu, ne consiste pas dans la certitude de tels ou tels f;iits
extérieurs. La foi s'acconq)lit dans la volonté d'acceplei- le
pardon de Dieu et de renoncer à la recherche de tous les autres
moyens de salut. De cette première donnée découle la seconde :
Dieu (jui a mis dans le c(eur de l'homme d'abdiquei' sa j)ropre
justice, met en lui celte féconde cerlilude cpi'il le revêt de sa
justice.
(l'est le ((cur qui connaît Dieu. Le Dieu de la métaphysi(pie
n'est qu un agrégat de propriétés al)straites. Il ne se rélléchil
vivant et substantiel (jue dans l'ànu'. qui seule connaît Dieu.
2i(> i.A. iiDLKiioN i:r I.V loi
Une vie lri)p inlcllccliielle eiuloit ce sous de Dieu. Sans
les préoceiipations tyraiiniqiies de rintellip^ence ou des sens,
iàme croirait nahirellenienl au Dieu vivant. ()^uaud la loi
n'est pas un acte si simple qu'on ne peut le décomposer, elle
n'est pas la foi. La plus jurande certitude obtenue sur les
sujets reli,u:ieu\ par la pensée est si peu la foi que, chez cer-
tains honunes, elle ressemble à l'incertitude ou du moins
laisse subsister à côté d'elle l'incrédulité (i).
Ce n'est pas assez de connaître par révélation les deux
grandes vérités du (Ihrislianisme, la sainteté de Dieu et sa
miséricorde, la condanmation et le salut; il faut les avoir
expérimentées : « Je crois qu'il faut avoir senti peser sur soi
la condamnation pour apprécier la grâce. Il n'y a que l'expé-
rience intime et le 'sentiment profond de notre condamnation
qui puisse nous inspirer, à l'égard de Jésus-Christ, une recon-
naissance proportionnée à son bienfait (2). >
Et lorsque Vinet adhérera au Réveil, il entendra faire voir
dans les aspérités, même les plus repoussantes de sa dogma-
tique, dans ses singularités les plus étranges, les moyens du
changement surnaturel qu"'clle opère chez ceux qui la reçoivent
en sincérité de cœur, et, par là même, les preuves de sa divi-
nité.
La dillerence entre la Foi croyance des théologiens catho-
liques et la Foi contiancc des réformateurs a été souvent for-
mulée de la manière suivante : '
(i) Lettres, II, 88; 128.
(2) Lettres, I, 290. Jf n'cnlcnds nullement ramener Vinet à Calvin ou
à Luther; je cite seulement quelques passages propres à éclairer la question
présente. Je sais fort bien qu'il y a chez lui, au moins à une certaine période,
un certain optimisme moral, un certain sens de la valeur de l'àme naturelle,
qui n'est jioint calviniste. D'autre part, son adhésion au Réveil ne représente
qu'un moment de sa vie et un aspect de sa personnalité religieuse.
I.A KOI (^OMI VNCK -i I 7
La Coi callioli<ni(' est avant tout croyance. doinuK' telle les
Ihéolojficiis l'appellent foi inl'oinie ou toi morte et la distin-
muMil de la foi vive ou foi formée par la charité, c'est-à-dire
(le la loi accompagnée de charité et d'amour. Kn elle-même,
la foi n'est qu'une vertu lumière, (pii dirige, qui excilc toute
vertu amour; par exemple, le chrétien aspire au ciel par l'espc-
rance : mais c'est la foi qui lui montre, le ciel. La foi est
donc, à l'égard des autres vertus, causa disponens et non porfi-
ricns et elle ne fait que montrer à chacune son motif spécial.
Voilà pour((uoi elle ne jusiide i)as, tout en élant le fondement
et la racine de toute justification; voilà pourquoi elle peut
coexister avec le péché. La foi qui justifie est la foi formée.
Ainsi la théologie catholique distingue l'assentiment de
l'esprit — ([ue nous avons précédemment étudié — et le chan-
gement d'âme déterminé par cet assentiment.
Les réformateurs rejettent la foi morte, la foi inefficace.
Puisque la foi est l'œuvre de Dieu seul, elle ne peut être inef-
ficace ; la foi inefficace n'est qu'une vaine apparence, un sem-
blant de foi (i). L'essence de la foi, c'est le don de soi.
La foi jusiilianh' ne s<' sépare pas de l'amour (2).
(i) Dans son comiucntaire sur lE/n'trc aux Koiiuiiiui (Ficker, II, 14I, LuIIut
écrit : Fides informis non est fides, sed polins ohjectnni Jîdci. Non enim credo
quod quis fuir inforini possit credere, sed hoc fiotcst bene videre, (ftix sinl cre-
drndii. et ita siispensus nianrre. Dans le cniiinientairo de i.">i() de X'Epilre ntix
< Kildics, V, (), il iKiniiiio la (ides aci/uù-ila de uirMue que \ a fides sine chtiritale
fides fictn, « et il se demande comment nn don de Dieu infns dans l'âme
|i;ir l'Ksprit Saint, peut coexister avec le péché.
j I.ulhcr écrit à Kf,'ranus : Fidern esjo juslificantenia charilate non se/iaro;
iruo ideo créditai-, t/uia placet et dilii^itur is in (/iieni creililiir. A prendre le mot
charité au sens strictement lhéoloj,M((uc. l'assertion nest pas exacte, et c'est
pourquoi dans le texte nous av(»ns «midoyé le mol .Vmour. Les théoloijien.s
montrent, en elTtît. que la foi qui jiislilie n'est pas la (ides cnritatc forwntn. La
justilication a lieu en eWcX fide soin et non operihus. Xulla opéra Jnslificant...,
sed soin Jides, Juslijicafns auleni facit opéra. Kn elTet, si c'est la charité qui
justilie, ce n'est pas la loi. Luther rejette la charifé comme habitns, nuaWasi
creala et inhaerens par Lujuelli- l'iiommi- aime Dieu de tout son cœur,
parce qu'il tient pour impossilde iei-has cet amour absolu. I.nfher voyait
dans la justilication par la charité une atteinte à l'absolue tcraluilé de la
justilication. (Voir A.-V. Mëi.i.KH, l.nihers lheoloij;isclie Quellen, \\)V2, p. i^y et
suiv.; ibixl. — (Voir Moulrh, I, iS'i\ .
■2l>^ LA nKLir.ION ET I.A l-OI
Mais. (l'aulro part, l'anioiir ii't'sl pas aveusîlo; il s'adresse
à Mil objet pi'écis. (l'est pourquoi dans la suite les tliéolo-
i;iens protestants oui dit que la Foi eonfiance est l'unité de
la eroyanee et de l'amour : ohjeetaul à la doctrine catho-
lique qu'elle sé])are la eroyanee et l'amour, qu'elle en fait
deux actes distincts, dont l'un s'appelle Foi et l'autre Gha-
ritc (II.
Le rapport de la contiance à la croyance a toujours été une
(|uestion end)arrassante pour les réformateurs. Nous avons vu
la solution de Luther. Melanchton oppose la foi comme cordis
(i^ectiis, .sensiis miser icord lue Del in corde à la foi historique
des scolastiques y'/'i^-iV/a o/)mio, notltia historiae. Mais quelque
chose de celte notitia est inhérent à la foi. Fides est non tantuni
n(ditia in intcllrctii, sed etiain Jîdiicia in voliintate.
L'assenlimenl, d'après ses analyses, se trouve souvent pré-
céder la confiance, et comme il doit reposer, en fin de compte, ou
bien sur une démonstration logique, ou bien sur l'autorité exté-
rieure de l'Kcriture, ou bien sur l'inspiration intérieure, on
conçoit que le protestantisme se soit séparé entre des ten-
dances diverses, dont l'une va à l'expérience immédiate, au
tidéisme sentimental, et l'aiilrc vers une orthodoxie de type
I Hauh, 111, 201. A quoi Molilcr répond : i" Ouc lou.s les théologiens
lidèles à Luther, de Chemnitz jusqu'à nos jours, dislinj^uent également et
écrivent Jides est notitia, asseasus cl Jiduiiu; w que la loi instrumentale, la
conliance. naît de l'amour, don de la eharilé, qui à son tour se développe et
se vivifie, appuyée sur la conliance. Eu elFet, l'idée d'un Dieu bon suppose
en nous lamour; l'amour seul conçoit Dieu comme bon, cl le mouvement de
conliance vers Dieu est amour. Hossiet (Projet de réunion entre les calho-
liqueset les protestants d'Alteniagne,, elierchant à concilier catholiques et pro-
teslantssur lellicace de la foi justifiante l'a bien montré la structure complexe de
la foi dans les deux religions : dans le catholicisme : i" croyance (]ue tout ce
<(ue Dieu a révélé ou promis est très véritable, eu particulier croyiance à
la gratuite rémission des péchés ; 2" cette foi relève des terreurs et fait regarder
la miséricorde de Dieu; 'i' ce qui fait (ju'on espère; le pardon, qu'on se confie
et qu on commence à ainn-r Dieu comme source de toute justice. « Voilà
donc toute la structure, [tour ainsi pai-ler, de la justification, uniquement
appuyée sur la foi, par latjuelle nous embrassons en particiilir-r la promesse
de la rémission gratuite de nos péchés à cause de Jésus-Christ et nous y
mettons notre confiance »; dans le protestantisme, l'efficace de la foi consiste
dans 1 invocation dont elle est le fondement.
i.A loi coNKiANci; a 19
catlioliquf (I) hasic sur la raison ot l'autorilc- rxlciicinf. ( >n
coiivoil aussi (ju il se soit f'ail un anialfi^aiiie du ces tendances et
(jiie le dosaare dillérent de ces éléments ait abouti aux combi-
naisons les i)lns variées (-i).
(]'est que le problème est posé au protestantisme par la
nature même de la coniiance :
«• Il ne peut pas y avoir de coniiance en Dieu sans des
conditions définies de Dieu et de ses rapports avec le monde et
avec l'humanité. La foi contient toujours « un moment intel-
lectuel » sans lequel elle n'existe pas; elle n'est jamais unique-
ment un sentiment ou un état d'âme (3). »
C'est la raison essentielle. Et la scolastique luthérienne ne
sera en rien gênée par ses principes pour la réintégration de cet
élément intellectuel de la foi, car elle se comporte à l'égard
du problème révélation et raison, à peu près comme la scolas-
tique catholi(pie. Sans doute, elle met au premier plan la
révélation : mais elle a des théologiens qui admettent chez
l'homme une certaine connaissance naturelle de Dieu, accjuise
et même innée. Elle en a d'autres, qui, dans l'état de nature
déchue, supprimant de l'intellect humain l'idée innée de Dieu,
laiss<nt au moins subsister la connaissance acquise (4,)- El il
n en fallait pas plus à saint Thomas pour fonder la connais-
sance rationnelle de Dieu : Dieu connu par tradition et par
expérience, puiscpi'il niait toute connaissance innée (5). Le
(I) Assensus proplfT auctoritalcm Dci revelanlis. iHollaz, Kxdnicn théol, ijO'J,
].. i(yj).
(at Voici, par exemple, une déliiiiliun tirée du catécliisme évanj^élique de
la confession d'Auj^sbonrg . Monlliéliard, 1848, p. 55-50.
« J'eaU-nds par la l'oi, la ferme conviction avec laquelle je crois aux
vérités que Dieu nous a révélées, et, en particulier, l'assurance consolante que
j'ai du pardon et de la f,'râce de Dieu en JésusClirist mon sauveur. »
" La loi que j'ai en Jésus-Christ doit être vivante, et se manifester i»ar de
bonnes œuvres qui témoignent de mon amour pour le Dieu Sauveur, qui m'a
racheté un si (^raïul prix. «
i3 Lii.M.Mt:, Heil.slhiitsnclwn uiid Glaiiberiscrfahrun^, 4o.
4 Voir sur ce point les textes nombreux et décisifs rassendilés par
K. «liHiiKNsoHN, iJie Kelifj^ion, 1903.
5 Voir sur ce [toint. CIilson, I.'Jnut-isrnc carfrsicn cl la théologie.
220 LA RKLIGION ET LA KOI
Iiitlu-i'anisnie et le protestanlisme en général ne se sont jamais
lait (le l'intellitïenee luiniainc une idée telle qu'elle leur a|>pa-
rùt comme radicalement incapable de toute connaissance des
'< préambules de la foi ». Aussi, lorsqu'ils tenteront de réin-
téîrrer la raison dans la foi, rencontreront-ils à peu près les
mêmes problèmes ([ue la doctrine catiiolicpie (i). Pourtant, la
scolastique protestante n'aura jamais la même intrépidité de
raison. Elle a les ailes coupées. Les conditions étaient devenues
moins favorables.
*
*
Au début de la Réforme on se plaisait à opposer au catho-
licisme la notion de la Foi fiduciale et de la justification par la
Foi.
L'opposition entre les deux doctrines est moins forte qu'il
ne semblait. Laissons de côté la doctrine de la justification.
En ce qui concerne la foi, certes la question des œuvres n'était
pas essentielle et les deux religions ont été bien souvent sur le
point de s'entendre ; sur le fond même de la foi, nous avons
déjà dit que la foi des Réformateurs était à mi-chemin de la
Foi informe et delà Foi formée des docteurs scolastiques; plus
que l'obéissance intellectuelle et moins (]ue la charité. Mais la
Foi informe du catholicisme ne fait que préparer la Foi formée;
elle s'achève en charité ; la foi est la lumière qui éclaire l'es-
pérance et la charité; de sorte que si on la prend dans tout son
cours, elle rencontre sur sa route la foi protestante. La Foi
au sens catholique et la Foi au sens protestant sont deux
moments choisis dans le développement naturel de la Foi
chrétienne, deux points déterminés sur le parcours total de la
I Voir, par exemple, la discussion sur les Articuli fidfi piiri et les Arti-
culi Jidei mixti. Qiexstedt, I, 2)2.
I.A lOl COMIANCK 321
Foi(i). Dans le catholicisme, la loi inlollectuelle se continue
CI» sciilimcnl, 1 àiuc trouve suavité et douceur dans le consen-
lenienl et dans la croyance; et celle foi commençante se con-
tinue en loi active; la piété, la dévotion, la vie chrétienne sont
rachèvement nécessaire de la foi intellectuelle. Grâce au carac-
tère intellectuel de la loi initiale, toutes les démarches de la vie
chrétienne sont Ibrtement éclairées; les objets de la foi, objet
matériel et o!)jet formel, sont présents à tout son développe-
ment.
D'autre part la loi conliance se détache difficilement d'un
certain élément de foi rationnelle. El^le a moins à faire avec
rarii:umentationel la contemplation; elle est avant tout attitude
de sentiment et d'action; mais il lui est bien difiicile de s'iso-
ler de toute donnée objective. En principe, cet assentiment
aboutit à la confiance, qui, par un retour, se porte sur les
dotâmes capables de la recevoir.
On comprend que le protestantisme ait dû évoluer dans
deux directions : une orthodoxie de type catholique et un sub-
jectivisme fidéiste, avec toutes les nuances intermédiaires.
Le protestantisme originaire est un dualisme; au dedans le
témoiu:nay:e intérieur, principe de la justilicalion par la foi et
du libre examen; au dehors la parole de Dieu, l'Ecriture, la
Liberté et l'Autorité. La tendance originaire est de mettre ces
deux principes sur le même plan.
Toute l'histoire du protestantisme est un mouvement d'os-
cillation entre ces deux [)rincipcs (a). Le témoignage intérieur
II) Dans riiuiiianismc chrétien ou rencontre des formes de transition et
la preuve que la Foi coudanee est jusqu'à un certain point compatible avec
le catliolicisme.
a) Coiiunc le montre fort bien 1). Sahatiimi {L'Expérience religieuse et le
prolestanlis/ne, Ann. de ph. chrét. lg^^H-UY^g^ , le principe formel du protestan-
tisme (l'autorité exclusive de l'Kcriturej est passé par des phases diverses :
Autorité exclusive des Ecritures et des cjuatre premiers siècles;
Infaillibilité verbale des I-:eritures seules, composées sous la dictée de
Dieu;
Autorité des Écritures en matière de Foi seulement;
Autorité du seul enseiffuement de Jc'-sus;
3aa l.A RKLIGION KT LA KOI
el lexpôriencc imiiu'dialc voiiL à la liherir absolue de croyanee,
à la théorie du do;2:me, expression contiiigenle, symbolique de
la foi. L'autorité de l'Ecriture conduit à l'orthodoxie et à l'au-
torité extérieure; pour certains protestants, l'Écriture est un
" pape en papier »; do2;matique scolasticpie et assentiment rai-
sonné; etForls pour démontrer l'autorité, de l'Kcriture et l'ins-
piration divine. La dogmatique protestante, en s'intellectualisan t
de plus en plus, devait susciter des révoltes contre la dogmati-
que. Toutes les tentatives de conciliation ont été faites, tous
les essais dunir, et aussi d'opposer ces deux choses Flde.s qiiœ
creditur et Fides qiia creditur (i), c'est-à-dire les droits de la
conscience et ceux de la tradition.
Autorité de l'esprit «enl de la nouvelle religion.
De même le principe uialcriel : justification par la foi émotive inlellec-
tuclle indépendamment des œuvres; par la foi émotive (jui transforme et
régénère dans une crise violente; par la foi intellectuelle à des doctrines
arrêtées, foi qui produit des œuvres; par la foi con(iance indépendamment
des croyances; [)ar les <ruvres sans la foi.
De même Amiel écrit en i86C [Journal, i, aSG) : « Le protestantisme est une
combinaison de deux facteurs: l'autorité des Ecritures et le libre examen;
dès qu'un des facteurs est menacé ou disparaît, le protestantisme disparait;
une nouvelle forme du christianisme lui succède, et par exemple, l'Eglise des
Frères du Libre Esprit ou celle du Théisme chrétien. Pour moi, je ne vois àce
résultat nul inconvénient; mais je crois les amis de l'Église protestante logi-
«jues dans leur refus d'abandonner le Symbole des a[)ôtres, et les indivi-
dualistes illogiques en croyant conserver le protestantisme sans l'autorité. »
(i) Dès li; début de la Uéforme, le mouvement baptistc se présente comme
une révolte contre la naissante orthodoxie.
La Réforme, à cause du rôle qu'elle faisait jouer à l'Ecriture, avait sul»-
stilué à la hiérarchie sacram<mtclle \v, primat de tliéologiens et de sujjérieurs
instruits dans la lîible.
Le Baptisme proclame la séparation de l'inspiration religieuse et de l'Ecri-
ture. Il est spontanéité religieuse, enthousiasme prophétique. Le critérium
pour l'interprétation de la Bible est la seule inspiration intérieure. Iladica-
ïismc d'une c«)nce()lion de la vie qui s'.apjtuie sur l'esprit du christianisme
originaire, hostile au monde, eschatologiquc. Mépris de l'état et de la Lex
nalurœ.
Les sectes avancées de la Réformation devaient s'éteindre dans l'extra-
vagance et dans le scandale.
Le témoignage intérieur, principe de la foi et du libre examen, devenu
la liberté de la critique, l'exégèse scientifique, devait, sous une autre forme,
à travers toute l'histijire du protestantisme, battre en brèche le principe de
l'autorité fies Ecritures. Concilier ces deux princi[)es, c'est, comme l'a dit si
finement Boutroux, le tourment de l'âme protestante. Et pourtant « plus on
tient à l'antorite des Saintes Écritures, plus on désire avoir les vrais docu-
I.V loi CO.NKIANCE au3
Le Syiiil)()l()-Fi(lt''isnie, (jiio nous avons éludit', n'est que la ves-
tauration (le l'cléinent originel irréduclible du proleslaulisnic;
l'eirorl le [»Ius consé([uent et le plus plausible d'un siècle, où
la critique scientilique a fait plus contre les orthodoxes (jue les
mouvenu'uts passionnés des confessions hostiles ou les dissen-
linienls des sectes, pour le déhanasser de lautorité extérieure
et de la contrainte dogmatique. Il opère sur le luthéranisme
ou le calvinisme une réduction analogue à celle que ceux-ci
avaient o|)érée sur le catholicisme; il juge le dogme d'après la
Foi; il n'en laisse subsister que ce qui est d'accord avec la Foi.
Mais comme nous l'avons vu, il n'a pas pu s'afïranchir de toute
i'royance dogmati([ue ; cette foi est encore une foi ciirétienne
<iui retrouve à peu près tout le christianisme (i;.
Laissons de côté les formes de protestantisme qui ne sont
<[u'un déguisement du catholicisme; un catholicisme moins la
hiérarchie et le pape, mais non sans une aspiration très forte
à la hiérarchie comme moyen de contrôle et comme règle de
foi. Ne retenons ([ue le catholicisme d'une part et cette forme
particulièrement pure de protestantisme, qui s'intitule Symbolo-
Fidéismc. Sans doute la différence est grande dans la structure
<le la foi; mais après tout il ne s'agit que d'un dosage différent
des mêmes éléments. La différence essentielle c'est la tendance
à l'objcelivisme d'un côté, au subjectivisme de l'autre (2). d'où
découle le rôle assigné à la foi dans l'économie de la vie reli-
gieuse. Dans le catholicisme, l'Esprit divin est réalisé magnili-
(jiiement dans rFcritureet dans l'Fglise, plus humblement dans
incnts priiuilifs. Les questions de critique sont des (juostions de eonscicnoe ».
lE. DE I*Rr:ssi.xsK, Lettre à Hyacinthe Loyson, 2<j août i^Sç). Mais si l'on
<lccouvre <]u'il n'y a ])as de documenl.s iiriniitifs?
i^ LoisY L'I'À'angile et l'h'fflise, XIV, lait justement remarquer que. chez
Sal)atier, qui veut concilier la Coi chrciienne avec les exi^^ences de la science
«t de l'esprit scientiliciue, la foi se fait bien petite et bien modeste cl ren-
contre la science le moins qu'elle peut. Et cependant, le minimunt de Toi qui
demeure, extrait de la Hihle, peut devenir un obstacle assez sérieux à l'exer-
ciee de la liberté intellicluellc.
fa) ScuKKiat, i:>'^ : « Le centre de gravité du catholicisme est dans l'auto-
rité, tandis que celui «lu protestantisme est dans la liberté. »
au4 ^-^ uELu;U).N kt la foi
le lidôlo; la loi du iidèlo c'est, par poussée intérieure, l'adliésioii
à la grande révélation objective de l'esprit, présente dans
l'Kglise et dans les moyens de grâce. Dans le subjectivisnie
Jkléiste, l'esprit du croyant est directement l'Ksprit même; il.
est au-dessus des réalisations objectives, matérielles, de l'Ks-
prit et delKcrilure. La parole de Dieu n'a d'autorité qu'en tant
qu'elle éveille l'Esprit, qu'elle se rencontre avec lui.
De l'objectivisme catholique découlent la doctrine de l'Kglise,
la doctrine des sacrements, trésor objectif des grâces, la doc-
trine réaliste de la grâce. Du subjectivisnie protestant, les thèses
adverses.
De là une dillerence considérable dans le rôle assigné au
sentiment dans la vie intérieure.
Dans le catholici^sme, l expérience intérieure est tenue en
suspicion 5 et c'est du reste pourquoi le catholicisme est
arrivé, dans le mysticisme, à une exaltation si superbe de
la vie intérieure, à des raflinements si divers, à des compromis
si délicats. Le péril a aiguisé l'aventure. Mais, sauf ces excep- .
tions magniliques. et en thèse générale, la vérité extérieure
domine l'expérience. On ne peut jamais, par le moyen de
l'expérience, apprendre tout ce qu'on doit croire selon les
enseignements de l'Kglise. L'enseignement de l'Kglise impose
une foniio à la vie intérieure en soi-même suspecte et dange-
reuse.
Au contraire, pour le lidéisme, les croyances sont comman-
dées, voire produites par des sentiments : les sentiments sont
la suprême réalité. Ici l'expérience est la vérité : ce qu'on ne
peut éprouver à fond n'est pas vrai ; le réel domine l'idéal.
Mais malgré tout, sous peine de s'évader vers les entreprises de
l'inspiration i)rivée, ou les aventures de la génialité créatrice,
le sentiment est encore maintenu par une doctrine sous-jacente.
L'expérience dont il s'agit est une expérience chrétienne; et
cette foi sentimentale suppose une foi de la raison; elle implique
un objet et un jugement sur la valeur de cet objet. Le Dieu
I.A KOI COMIVNCK 2^5
soiisihlc au cd'ur est encore un Dieu de la loi ; ear <iu'esl-ee
{|ui le l'ail tel et divin, sinon «juil salislait à des conditions
|U'(''a[al)l('S ?
Lorst|ui* !<• proleslaul lilx rai s'iniat^ine (|u il |i(iil xisie de
si |)eu. son eiiciir vient de ce ([u il est, à son insu, soutenu et
|)oit('' par tout le contenu ohseur de sa relip^ion. Sa foi indé-
lerininée se joue au l'aile d'un système relij^ieux et d'une
concilialion. Mais quelle erreur do eroire qu'elle aurait sufti à
l(Mite la vie religieuse en un temps oîi rien de ce contenu
n'aurait existé, ("eei contre l'iiypotlièse (|ue tout le christia-
nisme patristi(pie et médiéval n'est que su|)ert'élation.
Kn réalité, tout le christianisme est sous-jaeenl à ee lidéisme :
comnu' le drame objectif de la Uéd(>mplion est sous-jaeenl à la
foi [jaulinienne ; comme les abstraits réalisés sont sous-jaeents
au nominalisme d'un Taine. La [)lupart du temps l'àme ne se
librre (pie devant rextrème détermination des choses.
L'ASSURANCE DU SALUT
La conlianee exiçe la lidélité. KUe apporte l'assurance du
salut. (î'est de ce problème religieux : comment ac([uérir la
(Cl titude du salut, problème ([ue lui posaient les incpnétudesde
Ka eons( ieiice. (pie Luther est |>arli. La |>réoccupation de Calvin
stla même. La ]u^tili(alion par la l'oi est le dogme des dogmes :
« Il est ici question de mettre les consciences en repos, sans
icipicl nous sommes tous malheni'cux, \()ire (piasi perdus. La
(|nesli()n, dis-je, t>st telle : où c'est (jue les eonseienecs se
doivent appuyer, pouravoir assurance de leur salut? (i) » C'est
cela (pu leur a l'ait rej(^ter les œuvres cpii in(iuiètent plus (pi'elles
ne rassurent, cl la l'oi charité; car. (pii peut cire assui'é d'avoir
la (•harit('' ? et la loi iiir(»rme. \>\\vv cioyance (pii n'apaise pas.
(li Opuscules, 1114."». ^Cilc par noiMi:i«<iiK, CdUin, II, ()4G.)
a.'»t I.A KKl.KilON KT LA KOI
Au conliaiio. la coiiliam'c rassure: elle est assurance, séeu-
lilé. el au delà (relle-nicine, at'Urmatiou el fj:araulie de sou
assurance. Klle est marque d'élcclion ; elle apporte la certitude
(lu salul.
Il y a ici deux choses. En [)reuiier lieu la profondeur el la
constance de la foi; la foi sûre (relle-niènie. In sentiment peut
s'ig^norer: il peut se tromper sur soi-même, soit qu'il se donne
un nom inexact, soit que sa complexité et ses contradictions
ou encore ses oscillations le dérobent à une formule précise :
Ali ! ne puis-je savoir si j'aime ou si je hais !
In sentiment constant, [)rofond et dont l'unité est bien
établie, sous la nndtiplicité du développement et des variations,
sous la diversité des thèmes dont le surchargent le mouvement
de la vie, la loi do contraste, la complexité de la nature
humaine, un tel sentiment, dis-je, a bien des chances de s'appa-
raître pour ce qu'il est. Kn ce premier sens, la foi c'est la
conscience de la foi. c'est la confiance sûre d'elle-même,
confiante en soi, c'est-à-dire, au fond, consciente de soi. Nous
avons vu la part de doute et d inquiétude que les réformateurs
admettaient dans cette confiance.
En second lieu la foi est la confiance absolue en sa propre
puissance salvatrice; l'affirmation d'une valeur objective. A qui
la possède, la foi apporte la justification, c'est-à-dire qu'elle
sauve, quelle que soit la notion (ju on se fait de la justification.
Au degré le plus humble, et au degré supérieur, au degré du
subjectivismc psychologique, comme au degré du subjectivisme
oQlologi(pu' des mystiques, la foi sauve par cela seul qu'elle
est présente, parce (ju'clle-mème est le salut, la ^ie : Dieu
mèjue. Aux degrés intermédiaires elle sauve parce qu'elle
apporte à l'àme un salut extérieur, objectif, transcendant, dont
elle est le gage (i). A la vérité il y a de ces deux aspects dans
les dogmes luthériens ou calvinistes du salut par la Foi. La foi
(1/ La foi, « une quittance » par la(juclle son l)énéficiaire atteste le [)rivi-
If-ge qu'il a déjà reçu. (ANriLKR. Luther, liev. de Met. 1918, p. 928.'
1
l.A lOl COM'IANCi: '.«'J-
«si la rt)nscieiici' tlo la prédestinalioii, de lu laveiii' ^Maluile cL
ôlernelle de Dieu, d'une amitié de Dieu dès réleriiilé. La pré-
desliualion a eu somme une raeine tliéoi'i(|ue et une ra(iu(^
j)sycli<)logi(iue. La raeine lliéoricjiie e'esl la doelrine de la lihie
volonU', de la toute-puissance de Dieu, de l'impuissanee radi-
( aie (le Diomme. La racine psycholoîçique c'est l'exaltation d'un
état d âme, sa tiansmulation en réalité onlolou:i(pie, l'assurance
<le l'élection donnée dans la vocation. Kn un sens, la doctrine
de la prédestination, c'est l'orgueil de la toi ; comme ces ajiiou-
K'ux (|ui veulent que leur amour soit le secret ressort du
monde, les réformateurs ont fait de la foi, non seulement le
supi'ème état religieux, mais la marque de l'entrée dans le
monde du salut. 11 y a là quelque chose de la certitude des
mystiques : toucher le fond de l'Etre et se teindre de sa splen-
<leur : mais le mystique ne pense plus au salut précisément,
|>arce (ju'il s'identifie essentiellement avec l'Etre, et qu'il n'y a
l)Ius que l'Etre, et qu'il n'est plus besoin de salut.
C'est la réalisation de l'idéal, l'éternité de l'éphémère. « Doch
iille Lust ii'ill Ewig-keit, ivill die tieje, tiefe Ew'iglîeit. » La foi
introduit au monde éternel et suprasensible. C'est ainsi ([ue
Calvin avait raison de dire que la prédestination, si elle est
bien uiédilée, n'est pas pour troubler la foi, mais plutôt pour la
( onfirmer. La Nécessité éternelle est ici l'assurance suprême (i) :
Anior Latl, mais le Fatum est favorable (2).
L'assurance du salut a préoccupé bien des âmes. Bien des
doctrines et bien des pratiques soiU nées de ce besoin. 1) Ordi-
naire le problème se traite en deux temps; il s'agit de lixer la
a) l.a N».-oe.ssite et la Liberlé peinent, aussi bien l'une (jue l'aulre, eni,'en-
<lrer des scnlinieiils opposés: l'cxallalion ou la dépression, la jxiir ou
l'aveugfle confiance : il y a la peur de la iil^erlé et la (ièvre de la libeité. la
teneur <l l'amour éperdu de la nécessite.
2j 1,'assuranne est oltjeclive plutôt «jue sultjecli\ c Le (idèle reste dan^ la
I rainle et le Ireniblenient. La foi est le sif^ne de la voralion, mais eouiuicnt
rire sûr d'avoir la vraie foi? Ce (jui rassure inquiète. De même (|ue la vérité,
réalité supérieure à l'esprit, suit dans r<'sprit le sort de la certitude, de
luèine le salut suit les iué\ ilaides oscillations île la conliaui-e.
aa8 i.v UELi»;i(iN Kr i.a foi
deslinée. de la soiislraiio aux clianjj^ciiKMils et aux caprices; il
laut que le inoutle surnalurel soil sûr, (jue le sort de l'être ne
puisse péricliter: de là les doctrines tle la prédestination, sous
toutes ses Iprmes : une faveur assurée dès l'éternité, et pour
réternilé, réternité supérieure au temps et réfractée dans le
monde du temps, un monde supérieur au changement, une
fortune qui soit une nécessité. Stabiliser le surnaturel. VA
d'autre pari il laut un gai^e de salut: recette magique, doctrine,
état d'âme, quelque chose (jui soit un signe palpable, connais-
sable ou sensible, au-dessus du doute. Et il faut ces deux condi-
tions ; curie salut non révélé à la conscience, ne saurait rassurer;
et un signe éphémère et qui demain peut avoir perdu sa valeur
n'a rien qui rassure.
Les initiés des Mystères avaient des mots de passe pour
l'au-delà ; les (Cathares avaient le consolamentum; les religions
magitpies ont l'eflicace des sacrements; mais il faut toujours
([ue la réalité soit fixée éternellement, en correspondance avec
le signe du salut : d'oîi les doctrines de la grande année, du
retour éternel, de la Nécessité du monde céleste,
La certitude du salut est liée, dans la Réforme, avec l'idée
(pi'ellc se fait de la nature déchue ; dès ([ue le chrétien éprouve
quekjue bon désir, quelque mouvement vers les choses d'en
haiil, ( "est la marque que Dieu a commencé et qu'il continuera
l'œuvre de son salut (i).
La certitude du salut suppose la prédestination, la grâce
irrésistible et ({ue Dieu n'accorde son secours qu'à ses
élus ("2). '
(i) C'est ainsi que Wesley disait : « Les grâces du Saint-Esprit ont-elles
si peu de force (jue nous ne pei-cevions point si nous les possédons ou non?
Oue rien ne garantisse notre persévérance iinale, d'accord! Mais ne sommes-
nous pas les plus misérables des créatures, si nous ne pouvons jamais avoir
la certitude d"t"lre dans l'étal de salut? »
Et lors de la conversion Ijrusque, » il me fut donné l'assurance qu'il
m'avait enlevé mes péchés et qu'il m'avait sauvé, moi personnellement, du
péclié et de la mort «. Voir Lk(;kk, I.a Jeiinefise de Wesley.)
(2) Sur la certitude de la jus(i(ication et du salut, .A/^o/.. IV, 4o, p. 83 : « Non
diliginuifi nisi ccito ntatuant corda, qiiud donata sit nobis reniissio pcccalorurn. »
LA loi CONMANCK U29
Au t'oiiliairc, dans le calliolicisnic, la nature l()!ul)(''(' n'étant
j)()inl <l«''j)ouill(''e de tout L^crinc de vie, OJi ne peut discerner, à
un sii^-^ne certain, l'opération de la ij:ràee d'avec les effets du
principe divin conservé dans riiommc ; par exemple, les consé-
(luences de la mystique auçcustiniennc et de la doctrine «le la
prédestination sont paralysées, chez Au^o^ustin, pai* cette
doctrine (pie personne ne peut se reconnaître comme \)vr-
dcstiné ( i).
La doctrine de l'Ei^lise a toujours été qu'une telle certitude
<'st impossible (2) ; et elle a laissé dans l'ombre la prédesti-
nation. Klle insiste sur la volonté salvilicpie de Dieu ; elle
déclare que si Dieu décrète de toute éternité la condamnation
des méchants, c'est à cause de leurs péchés qui lui sont
présents de toute éternité : de sorte (jue la damnation est le
lait de l'homme, et le salut, l'œuvre de Dieu et de l'homme.
Il est vrai que Dieu veut le salut d'un certain nombre
d hommes de telle façon que de fait, ceux-là soient sauvés (3).
( hiiine telle assurance soit difficile à maintenir, c'est ce
«pi'il est facile de comprendre ; car d'abord cette assurance du
salut, forme exaspérée de la foi. suit le sort de la foi : et
lexpérience montre que la foi oscille et qu'elle est troublée
par le doute et l'inquiétude. De plus, elle a ses raisons propres
d cti-e troublée : car la foi |)eut être vive, sans aboutir à cette
lie l'oviiilcnf, 20, \^. 1Ô7 : « Ifanc certHudincin Jidci nos dncemiis rerfuii-i in Iwan-
i^^elio. » Cf. Galviv, In'itit , IH, C 2, par. lO, loi 197. (Voir aussi Di;MKi.r:, I.u-
i'ier, III, tratJ. Pa-;<juier, j). 41, note. »
fi; Ul'urn quis<ine hoc dnniini (persc\'erantin') accc/irril. (lunnulin linn<- K-iltun
(lucil, inci'i'lnni De don. pers., I, i, x, p. \}<i}^■)
(2) Saint Tlionias ailmet seulf'iiuMit (|ue l'on ]^en\.'i cofinosccrc conjClnrnliti-r
lier aliffiia si^^na <^ ; il y a du rcslf (|uclqiies rcvt-lations exlraordii(ai"f's :
« lie\el(U cnini Dcus (dujnando nliijiiihns c.\ spcciali /trivilciiio <\ II, a, ii.', 5 c
]i o'ii. et le r.oNCir.K i>i-: Tmk.mk : " \aUns scirc i'aict tcrtitudine fidci, <ni non
finlist .'in1>esse fnlsnm, se f[rati(ini dri esse consecntnin. » Au contraire LniiKH,
Mtlauehton : « IS'eressc es/ crrtos nos esse de fçrniia. »
? Hhk.mom) iutcrprotant la « joie » de Pascal au .sens janséniste, en fait lo
sentinienl de la certifiidc du salut ; <|uelque ciiose d'analojjuc au « ténioi-
ffiiaf,'!' de l'Ksprit » siir Icriucl les inc-tliodistcs et Calvin lui-nicnie fondent
Iciif assinranrc lllxf iln Sentirnenl rrlitririix. ]\ , l'iS.
a3o LA Hi'.i.KiioN i:t i.a loi
assuranco ohjcclivo. Toiil un ôtlialaiuliiiic «loti^inatiqiu' se super-'
pose à la foi, ([ui peut être ébranlé isolément par toutes les
(liriicuUés (pii aneip;iient les thèses de la justilication. Enfin le
lien entre la jnstilieation objective et la conscience peut èlre^
atteint lui aussi; en ce sens (pie la loi sul^sistant et aussi la
justilication. on |>eut se demander si la foi est la marque infail-
lible de la justification et, d'une manière u^énérale, s'il y a des
marques de la jjfràee divine.
Kn fait, Tcxemple des réformateurs montre bien la peine
qu'ils ont eue à maintenir cette assurance (i; : (Uinsajnsfi/i-
catio/iis luhrica est. A travers des maladies spirituelles et
des doutes anjîoissants, Luther aspirait « nach einem gnddigen
Gott ■>. Il faut se rappeler, dans le doute, qu'on est justifié par
la foi (pion ne sentplus. Il faut se dire que l'on n'a point de
péché alors qu'on tremble de le sentir en soi. « Cela coûte de
la sueur. » Il faut beaucoup raisonner: Christ est sûr de plaire
à Uieu; nous aussi, puisque nous avons l'esprit du Christ. Il
faut admettre (pie la certitude peut être touchée de doutes, la
sécurité assaillie de sollicitude, que rien ne prouve contre la
foi, pas même la défiance de soi-même, et la détresse et la
calamité. « Tous les doutes dont l'âme fidèle est tourmentée,
écrit Calvin, tournent en plus grande certitude de cette
défiance. » Mais si la doctrine est aisée, l'art est diflicile (12).
(i) Le soir même (lu jour où Weslev reçut l'assurance du salul, il ressentit
une vive anxiélé.
(2) On pourrait étiidier toutes les nuances, tcnis les degrés de cette assu-
rance objective sur les Moraves qui entouraient Wesley. (Voir Lkgeh, La
jeunesse de Wesley, 346). tin fait les diflicultés qu'exprime Bossuet ont tout
au moins une grande valeur psychologique. Pour être assuré d'avoir la loi
qui remet les péchés, il faudrait être assuré que le péché ne règne plus en
nous; selon Luther, on ne peut être sûr de sa pénitence ni de la pureté de
son cd'ur, ce qui doit troubler l'assurance de la foi. « Et on a beau dire avec
l'Apologie : La foi ne compatit pas avec le péché mortel ; or, j'ai la foi, donc
je n'ai plus de péché mortel. Car c'est de là que vient tout l'embarras,
puisqu'on doit dire au contraire : La foi ne compatit'pas avec le péché mortel.
Or je ne suis pas assuré de n'avoir plus de péché mortel ; je ne suis donc
pas assuré d'avoir la foi. ■> Variatioits, III, loo et suiv.) (Jn n'a donc; pas cette
rémission des péchés: ou bien on l'a sans en être assuré ; ou bien on en est
assuré sans être assuré de la sincérité de sa foi ni de celle de .sa pénitence.
LA hoi <:oni-ia\«:k
'ÏU
Nous ici loiivoiis aillcMis ini jtrohli'mc aiialo^iic Dans le
ciilliolic'isnio, la Koi s ai'conipai^iuMl'csix'raiico. Sainl Aiii;iisliii
(lisait <iu<' res|H'rancc porte sur un l)ion riiUii' cl sur !<" l)ieu
licrsonncl de celui qui espère; i)as d'amour sans espéranee,
pas d'espérance sans amour, et ni l'un ni l'autre sans la Foi ;
lespéranee peut se trouver sans l'amour parfait. ( hi()i(pron ne
puisse espérer sans aimer, il peut arriver qu'on n'aime pas un
nu)yen nécessaire à la tin qu'on es[)ère. Ainsi l'on espère la
vie éternelle ((pii ne l'aimerait pas?j mais on n'aime pas la
justice sans laquelle personne ne peut y parvenir.
Mai-s inversement, n'est-il pas [)ossil)le d'avoir la Foi sans
( spérer? Kneore que la foi soit le fondement de res[)érance.
puisqu'elle énonce un jugement de possibilité sur son objet,
n'y a-t-il pas des cas oîi la foi semble se dépouiller de tcMile
l'spérance? C'est ce que semblerait prouver l'exenqde de
certains quiétistes.
Et contre l'orgueil prédestinationnisie, d'autres croyants
décriront la lidélité plus soumise et plus amoureuse (jui n'exige
point de garantie :
Sans doute, il est vrai ([ue rKsjnit témoigne à l'esprit (pie
nous sommes enfants de Dieu; mais cette voix intérieure est si
Irèle, si débile, (pu\ dans le sentiment de son indignité, le
lidèle ose à jx-iiie y [)rèter l'oreille.
Se eacber à ses propres yeux, vouloir rester un mystère à
elle-mènu^ voila le caractère de la viaie joie dans le Seigneur;
et plus l'homme est humble, plus il s'est élevé à un haut i)()iiit
de perfection,' moins il o.se se vanter d'une sécurité aussi
incompatible avec l'instabilité des choses d'ici-bas.
Le mystère et l'incertitude sont la sève de la vie spirituelle.
La lumière (pii la révèle à elle-même la llétrit. L'innocence (pii
xieiil à se reconnaître se perd dans cet acte inciiic.
UJa LA IlKLIGION KT LA KOI
AUTRES FORMES DE LA CONFIANCE
lU'iiiontant aux origines, on se lariçiie d'y retrouver celle
pure foi. N'esl-cc pas une formule de saint Paul (pii a l'ait
revivre dans l'espril de Lutlier le vrai sens religieux'? Et il est
vrai <pie, elicz saint Paul, la foi est conliance; mais il est vrai
aussi (pi'elle s'appuie sur un système reliii^ieux.
Pour un saint Paul, il y a d'abord la foi vivante; l'essence
de la foi, c'est le don de soi-même à Dieu, la vie en Dieu, en
Jésus-Clirist : « Je vis, non plus moi-même, mais le (Jirist vit
en moi o ; consécration, ((ui est mort au péché, renoncement à
la chair, à la loi des membres, au corps de mort ; transfor-
mation eUeetive de loul l'èlre: de là découlenl paix, fermeté,
espérance qui se nourrit même des aflliclions et des épreuves,
assurance de ne pouvoir être séparé de l'amour de Dieu. Foi
qui est agissante par la charité, et qui est par grâce, c'est-à-dire
don de Dieu.
Mais en même temps celle foi vient de ce qu'on entend ;
elle commence par la parole de Dieu entendue. On croit en
vain, si on ne croit pas et si on ne relient pas l'Evangile. Le
fondement de la Foi, c'est Jésus mort pour les péchés, enseveli,
ressuscité ; il faut connaître reflicaee de la résurrection pour
se rendre conforme à Jésus dans sa mort et participer à la
résurrection des morts. Ainsi la loi s'appuie sur l'œuvre exté-
rieure de la rédemption et de la justitication. Elle sauve parce
qu'elle est imputée à justice; c'est-à-dire (jue Dieu applique la
rédemj)tion qui est Jésus-Christ à ceux (pii ont la foi en Jésus-
Christ; |)ar la Foi, le fidèle participe au drame cosmique et
religieux qui s est accompli en dehors de lui. La foi enferme,
avec la confiance en Jésus-Christ, la connaissance de son
œuvre, exposée dans son évangile ; elle est la foi dans la résur-
rection qui fait lefficacc de la foi. Elle n'atteint le salut (pi'à
travers la formule du salut.
LA. KOI c:O.NFI.\\CK
•33
Kl si loin (lu'on lemonte aii\ orii^iiu's, la cunliancc dans la
|M'rsonn<' ou clans la <loclriiK' s'cnloiirt' de l'aulorilé d'un
syslrnu' religieux préexislaul, s'appuie sur des preuves, siixnes
et prodii^es, met en œuvre une apoloiJ:é4i<pie naïve. La peur de
rintelleelualisnie, le retour à la pure nature aflective sont des
[iht'iiomènes très eoniplexes et qui supposent les grandes «'lalio-
I allons systéniaticpies. contre lescpielles ils réagissent La foi j>ri-
mitiveesl plus tonfusénient eonii)le\e. Il faut raCliner les données
naturelles, pour arriver à tant de simplieité. Il faut ladaiblisse-
inent des raisons de croire, pour que se libère la fois ans raison.
Toutes les religions complexes présentent des pliénomènes
(lu même ordre. Le dégoût de rinielleetualisme envahisseur et
|)élriliant les rejette à de certaines époques vers la simplieité
'-pirituelle, et. par un phénomène de défense, (juand leurs
bases intelleetuelles sont menacées par la science, la philo-
sophie, la criticpie historique, les modifications de la vie et de
la société, elles font appel au sentiment pur, elles le proclament
leui' essence cl leur origine: ainsi pour l'Islam. Gazali.
A j)eu près à lépoque de François d'Assise, Honen, au
Japon, ramenait le bouddhisme à la confiance filiale en
l'amour paleriu'l et la bonté d'Amila Bouddha, le Seigneur du
pays de la béatitude :
Notre prière n'est |)as le fi iiit des lumières que peuvent
donner la science ou la sagesse.
()uand nous invoquons Houddha. (pie nous raiq)elons par
>on nom avec la ferme croyance que nous renaîtrons dans son pa-
radis, nous pouvons être sûrs d'être recueillis un jour par lui...
(hielcjue compréhension que l'on possède des doctrines
(pie C.akya-Muni exposa pendant sa vie, chacun doit se consi-
dérer dès l'instant oîi il met sa foi en le salut d' A mita, comme
1 é'j:al des ignorants qui n'en connaissent pas une lettre: il faut
mettre tout son c(ein- dans la méthode qui consiste à |)rononcer
le nom de Houddha, en compagnie des ignorants, et en dépouil-
lant enU("remenl les manières d'un sage. >
î'iî LA iii:t.i<;i()N i:t i.a koi
Ainsi Kvain,HI(' du salut et de la {{«''demplion par Hoiiddlia.
livan^ile du Salut l niversel, ([ui aura dos suites curieuses; les
uns diront qu'il suflil, pour assurer* le salut, de concentrer, ik
fùl-ce qu'une lois, sa pensée sur la p:ràcc de Bouddha, à cause
de rideutitt^ uiéta|)liysi(pie de son àme et de la nôtre ; d'où
parfois un certain laxisme. D'autres, qu'il faut y revenir perpé-
tuellement; d'où une routine mécanicjue. De même on se
tiuerelle sur la foi et les (euvres; sur la capacité de l'homme et
la générosité de Bouddha, i^es disputes doi^maticpips renaissent
de la réforme simplilleatriee. Shinran (ri7'3-i2(32) achève et
popularise cette doctrine «le la foi, supérieure à la sagesse ou
à la véiité.
" La foi, plutôt «pie la vertu >>, telle était sa formule. Cette
foi était un don de Bouddha et non pas un nu'rite personnel.
Le salut résulte du vœu fine fit le Bouddha d'accueillir ses ^
lidèles dans son paradis, et des mérites qu'il avait accumulés
pour 1 amour d'eux.
Ainsi la clef du salut, c'est de se perdre dans la grâce du
Bouddha, par une foi exclusive, oublieuse de soi-même et
totale en son pouvoir rédempteur.
L'Eglise de Shinran, connue sous le nom de Shinshu, la vraie
doctrine, est aujourd'hui encore, de toutes les sectes japonaises,
celle ({ui compte le plus grand nombre d'adhérents (i).
Le modernisme bouddliicpie met. lui" aussi, en avant le fait
concret, l'expérience personnelle; l'illumination spirituelle,
c'est le fait que l'homme devient conscient de la nature de son
être intime et de la vie universelle (2). N'est-ce pas l'esprit
même du bouddhisme primitif? Il ne s'agissait pas, en effet,
de comprendre le dogme de la douleur ou les quatre vérités
sublimes. Il fallait réaliser le sentiment profond et efficace de
l'impureté du corps, de l'inexistence du Moi, du néant imiversel.
i Anksaki, Quelques juiffcs de l histoire reli^inisc du Japon, 8i2
a Levba, Psychologie de la religion, 2M).
l.\ lOI CONKIAiNCi; ui.>
La connaissance théorique n'est ([u'un coniniencement : cil»'
(h'Irnil les vues erronées : elle constitue l'entn'e daus lo cou-
raul ou eouvcisioii ( [ ).
LA CONFIANCE
La Foi eonlianee, la Foi sentiment n'est point chose rare.
Pralt, dans son enquête, la trouve chez 3^ o/o de ceux ({ui oui
répondu à son questionnaire. Et elle a chez eux deux tbrni<*s
sentiin<'nl de la présence de Dieu, ou, comme ils disent. instiucL
conscience directe (2).
Toutes les formes de la eonlianee ont en comnnin la séeu-
I ité. l'abseuce de choc pénible, de trouble, de crainte, d'inquié-
liide. une sorte de bien-être, de détente et de calme en pré-
sence d'un être ou fl'une idée. La confiance est tranquillité
paisible ou apaisement, même dans la peine et dans l'épreuve :
dans la soulTranee, elle est bonheur; dans le délaissement cl
dans le désespoir, via^ueur nouvelle: dans l'an'^ois se. élévation :
dans la sécheresse et l'atonie, calme et attachement. Il semble
(|ue la volonté cesse de se tendre, d'aj^ir. de vouloir, qu'on se
laisse aller au gré dune force supérieure; saisissement, choc,
ou déroulement paisible. Il y a épanouissement, joie, dilatation,
enrichissement d'activité.
La confiance est un sentiment de ty[)e slhéni(pie ; sa forme
la plus humble c'est la confiance organicpie, l'euphorie, la toni-
cité accrue, et aussi la facilité, l'n tout petit enfant, (jui se
raidit dans les bras d'une personne étrangère, s'abandonne
eutièrement, au contraire, dans les bras de sa maman: le nageur
est so\q)le, là oii le eonmieuçant se raidit. Ses formes supé-
rieures en relii'iincut (piel((ue (;hose. La confiance a toujours
I D.vviu, I.r Moilcriii.smc houddhislc
121 F'ratt, 'l'Iie Hi'ligion coiiscinnsrwss, p. aif».
a3G |,A HII.UHON KT LA KOI
asri sur le toips : la Coi a dt's eirels ])liyyi(|ues. ]/alliancc oiihc
1 arl dv K'Jt'iir le eoi'[)s el l'art de i^uriii- l'àmc se relrouvc dans
toutes l(\s relip:ions ; toute relii^ion est, partiellement, une
nu'lliode de psychothérapie.
Mais la Foi eonlianee n'est j)as la eoulianec en soi ; ni la
eoulianee dans son corps, ni la confiance dans ses forces
proj)res. Au contraire, elle comuTenee souvent par l'inquiétude,
par la déliance de soi-nièine el [)ar l'abandon de soi.
Le caractère propre de la confiance, c'est, en même temps
que la ])résence des sentiments que nous avons décrits, le sen--
liment qu'il y a dans leur cause une réponse el une garantie.
La Foi confiance suppose la fidélité qu'elle voue elle-mèine;
fidélité imuiédiate ou contractuelle. KUe voit dans l'être auquel
elle s'ollVe. non seulement la cause de son réconfort, mais la
I)ropriété d'en être el d'en demeurer cause : avoir confiance
dans un remède, c'est non seulement savoir qu'il a p^uéri et
jfuérit. mais croire qu'il continuera de gnérir; avoir confiance
dans un ami. c'est croire ou savoir qu'il vous aime, (ju'il vous
veut du -bien. Ainsi le réconfort du sujet trouve une contre-
pactie a,2:issante dans l'objet, une fidélité réciproque, une assu-
rance en autrui ; s'assurer en autrui.
Donc elle est accroissement de force, vitalité accrue, avec
toutes ses expressions physiologiques, puissance en repos ou en
mouvement; mais puissance grâce à un autre être, que l'on sent
cause de la |)uis.sance, et (jui a dessein de la [«roduiic et de la
favoriser, un être inconnu, insondable, et jxmrtant familier.
Kn s'abandonnant à lui, en se soumeltanl à lui, le croyant met
en lui sa force. Il devient plus qu'il n'était, et ce va et vient
entre ce qu'il est, ce qu'il fait, d'une part, et cette cause exl<'-
rieure de son énergie, l'amplifie. La confiance se nourrit de
tout ce qu'elle suscite; ainsi la paix intérieure, en présence de
lobjel aimé, donne un aliment à la joie. File est attente heu-
reuse, jucssenlimeut paisible, résonnancc intense et j)rolongée
de la joie, possession ti ancjMille de soi.
LA roi COM'IA.NCK 23t
Donc la conliance n'est pas simplonieiit la sympalhic ou
l'ainoin'. (Icrlos l'ainoiir vl l'ômolion Icndie en sont tout près;
auioup. sympalhic. conliancc sont origiiiaircniciit unis, cl il
laul 1 expérience pour les disjoindre. L'Amour se joint de
volonlé avec l'objet aimé et se considère comme partie de lui.
L Amour, parce (pi'il aime, lend à se croire aimé; l'amoiir, à
lui lout seul, est J?age d'amour et il y a l'amour conliant, de
même (jue la conliance aimante. Mais l'amour peut douter de
la réponse et de la fidélité. On peut aimer sans avoir eonliance
» l sans se confier. L'obscur attachement, qui fait de celui qui
aime une dépendance de l'objet aimé, n'implique point cette
réciprocité de liaison, cette attente du retour qui caractérise
hi eonliance.
La eonliance est proche de ce sentiment de domination (pic
nous inspirent certains cires : autorité, prestiiçe, quelles ([ue
'soient leurs raisons physicpies ou morales, de nous en inq)oser.
de nous subjuguer. >Liis elle a toujours (|uel(pie ciîose de plus,
l'absence de réserve, l'attente d'une réciprocité, la croyance à
la slabilité, à la permanence, à la perdurabilité. On peut se
sentir dominé sans avoir eonliance : on peut cire sensible à un
pi'csliue et h' subir, sans s'y abandonner.
Il n'y a pas besoin de dire quelle puissance de vie elle
«lonne, puisqu'elle est précisément puissance, efficacité accrue,
lénergie, tout l'élan de l'àme humaine. Il n'y a pas besoin de
dire ([u'elle s"acconq)agne d'espérance, puis(pi'elle est par
essence espérance en ([uebpi'un ou quelque chose.
H Elle a bien des degrés, de[)uis l'intimité et l'abandon sans
réserve, jusqu'à un siniple mouvement de fidélité; bien des
nuances, depuis l'élan irrésistible jus(pi'au rapprochement dis-
cret; bien des formes, selon les conditions et les sentiments
<pii interfèrent.
On peut avoir confiance dans un être ou dans une idée
et dans les deux cas [)arce (ju'ils accroissent la puissance de
vivre et ([non leur attribue une puissance bienveillante : un
!l38 LA UELUWO.N KT I-A I OI
systôinc «'Il (jui l'on a conliance csl en rralilc la rcpiôscntalion
d'un syslèiiie d'êtres, un discours animé (jui répond et non
pas un univers muet; c'est un monde de choses disposé en
harmonie avec l'àme et capable de la l'aire vibrer intensément;
un univers familier oîi l'on se rchoiivc, oîi l'on est chez soi;
cela parle à l'àme.
Ainsi, la confiance enferme un jugement de convenance ou
une mullilude de jugements de convenance; cela me convient
et je conviens à cela et elle donne une immense valeur à cela :
la valeur de toute la force éprouvée, espérée ou conçue.
Kllc implique donc la croyance précisément en tout ce en
<|uoi elle a confiance, et pour autant que croyance signifie
conliance. Le problème Croyance confiance à vrai dire ne se
pose qu'à ravcnenient de la vérité; au moment où se pose le
problème du lléel en face des valeurs.
Au début, il n'y a que confiance; et aussi toutes les fois
que le sentiment de la vérité intellectuelle s'affaiblira; et toutes
les fois que l'on élèvera la vie au-dessus de la vérité. Au début
et peut-être à la fin est le pragmatisme; au milieu, la route de
l'intelligence et dé la raison. On a d'abord conliance dans un
monde expression de l'àme et de ses besoins; la subjectivité
se transforme en objectivité et se repaît de son objet où elle,
trouve as.surance. Sortant de soi, s'abandonnant, plus ([ue soi,
le sujet trouve dans l'objet de sa foi la force consentante, la
grâce qui veut bien de lui.
La Confiance, c'est donc la force de la Grâce, contre la
croyance proprement dite qui est la- force de la vérité.
Mais dans la conslilution de la valeur, fexistence n'entre-
t-elle pas? Dans la constitution de la puissance, la vérité n'entre
t-elle pas? En d'autres termes, la confiance ne suppose-t-elle
j>as un certain nombre de jugements de vérité?
Il y a une confiance qui n'est (jue le retentissement de la
vérité éprouvée, et dans les vérifications, sur lesquelles après
I ont elle s'appuie, ou dans les anticipations qui imaginen t ces véri- 1
I.A FOI CONKIANCK u39
litations, laconliance trouve quelque vérité. Il y a une conliauee
<|ni n'esf ([uo l'assurance de la cr()yan(;o et la force de la vérit»'-.
Mais il y a dans la foi conlianee (luehiue chose de préalable
et d'invériliahle : elle suj)pose, elle aftirnie (jue l'être est cons-
lilué comme il lui est nécessaire qu'il soit. Illumination joyeuse,
elle ne se demande |)as encore ou ne se demande plus ce que
<'est (jue la vérité; elle la décrète.
Aflirmalion préalable. (|ui entre peut-être dans la nature de
la représentation et du jugement, qui est à la base de la crédu-
lité naturelle et instinctive, de la confiance enfantine dans la
vie, de l'optinùsme général qui dépasse toutes les réalités.
Donc, il y a dans la foi sous toutes ses formes un surplus
ilaflirmalioM, (pielque chose qui dépasse les raisons d'adhérer.
Mais ce mouvement peut avoir plus ou moins de rapport avec
la croyance et lui ressend)ler plus ou moins; par exemple, dans
le calholicismc, il resscndjlc à l'obéissance intellectuelle ; dans
le protestantisme, à l'espérance de l'amour et à la confiance
dans la promesse, à la vitalité reconnaissante : des impres-
sions irrésistibles apportent le salut. Mais inévitablement,
surtout dans des esprits dogmatiques et au niveau de l'idée de
vérité, cette confiance aspire à se justifier et à produire ses
raisons. Même si elle est comme instinctive, elle projette en
avant d'elle une croyance. Entourée d'un monde de notions,
en présence de (pii elle agit, elle s'appuie sur elles. Chez un
Luther la eonliance rencontre la religion, la foi croyante ren-
contre la foi qui est crue. La religion préexiste, et combien
de raisonnements la foi ne contient-elle pas? l.'n Melanchton
osera les montrer; l'absurdité des erreurs païennes, l'antiquité
(le la vraie religion, les miracles, l'excellence de la doctrine,
^onl les (juatre arguments qui meuvent l'homme de bon sens,
< I à la veilu desquels s'ajoutent la repentance, la consolation
i'\ la vivilication (i). La confiance en celui (pii promet ledcvient
it 7/1. 1. Car. i:. XiV Cor/nis, t. XV, col. m(h»
•j\i> l.\ lîKl.lGlO.N i;i' LA I\)I
aisrinciil cHiiiliaiicc en ciliii <|ui |»ai le. la eonliance dans la
priuo redevient aisémeiil la croyance à l'eflicaee de sa vertu ,
à la nature de la fj^ràee. ,lus(|u'au moment où la défiance de
la laison ramène au sentiment pur, la confiance est la forme
nalui-elle de la foi, là oîi l'esprit n'est pas tourné vers la
preuve, là où il n'y a encore ni philosophie, ni science; ou
l)ien par réaction contre la science et la philosophie et pour
se défendre d'elles.
Il laut distinjj:uer deux formes de confiance tout au moins :
la confiance des forts, l'optimisme qui est expression d'une
puissance : la confiance des faibles, le besoin d'appui; on
s'ouvre à rinfiuence bienfaisante, on suj)prime les défenses
qui sj^ardent l'intimité du Moi.
Il va l'excès débile de la confiance, et la réserve invincible.
L'in(piiétu(le, l'anxiété permanente sont les antagonistes de la
confiance; douleur morale et incertitude, soulignées par une
sensation de conlriclion physicjue et de malaise diffus ; état
j)erpétuel d'appréhension, soutenu par l'aptitude aux spasmes
musculaires, aux tressaillements et aux sursauts, par l'éré-
thisme des réflexes, par la réaction brusque et intense du
système cardio-vasculairc; attrait des pensées tristes, réso-
nance prolongée du chagrin, hésitation, perplexité, doute,
douloureuse méditation de soi-même (i). Bien des ûmes reli-
gieuses oscillent de la confiance à une telle> défiance, par une
sorte de balancement cyclothymique. Beaucoup réussissent b
garder dans la sécheresse, le doute et la peine, une lueur d'atta-
chement encore à l'objet de leur foi, qui leur fait dire q"e ce
n'est point infidélité, mais épreuve (i).
Dirons-nous une fois de plus qu'une telle forme de foi n'est
pas l'apanage exclusif de telle ou telle religion? Les religions
ne se distinguent par par certaines formes de vie, par certaines
I
1/ Devaux et Luoim:, Les Anxieux, 1917.
(2) Sœur Marie-Colette du Sacré-Cœur, Oa.
i.A KOI coM iA.\ri: a4i
alliludcs int'ii'alos ou seiiliinciilalcs qui sei'aitMil à leur usajçe
propre, mais par la (ïk^îoii donl illcs on usent et donl elles les
inlèf^renl à leur système rcliji:ieu\. 11 n'y a pas une attitude
immédiate de foi, propre au ealholique ou au pi'oteslant, mais
un système catlioli([uc ou protestant de la foi qui font
jouer des altitudes assez eomplexes, qui les affinent et les
perfeelionnent. Ce eliapitre et le piéeédenl prouvent préci-
sément eombien la foi peut chanjçer. au sein d'une même
relii^ion.
UN EXEMPLE DE FOI COMPLEXE
(lomment s'unissent dans une âme religieuse, les difTé-
icntrs formes de foi que nous ayons distinguées, Texemple
de Pascal nous le montre excellemment, encore que. pour
des motifs que nous indicpierons. il soit amené à restreindre
le rôle de la raison.
Certes, on i)eut toujours se demaiuler dans quelle mesure
une apologie nous révèle les raisons de croire de son auteur;
beaucoup d'apologies rellèlent seulement les préoeeu[)ations,
les liahiludes d'esprit, les méthodes scolaires d'un groupe
religieux. Ce n'est pas le cas pour Pascal. Son apologétique
|)arait retracer assez bien sa propre histoire: elle n'est pas celle
de Port-Royal.
Pascal a éprouvé tout le j)reuiier la contradiction (ju'il
exposera à M. de Saci, la disproj)ortion innnense entre sa
condition et sa destinée, d'oii il tirera un si foit argument,
(est la cause lointaine de sa conversion, et en même temps il
liouve ([u'avec toute leui' science et leur habileté, les plus
urands |>hiI()Sophes n'arrivent pas à fournir, sur les choses (|ui
nous touchent le plus, une seule (U'inonslralion véritable.
Ainsi une insatisfaction, (pie la philosophie ne saurait
cahner, et qui cherche ses remè(h\s dans la religion. Or. préci-
sément à cette date, il est occupé de la règle des partis. Notre
iul(''rcl est (raflirnici- (pie c'est la croix ([ui a raison, eu vertu
. , j l.K HELUIION KT LA KOI
(lu caUiil (k's cliaiucs. Mais il esl inn)Os.sil)k' tle croire pac
inU*lliu;tMK't' ; \v Dieu des philosophes esl inulile, le cœur a
besoin du Dieu vixaul. L'obstacle à la loi. c'est donc le mau-
vais état du cœur, et pour lever cet obstacle, il faut ployer la
machine, car Ihomme esl mic machine dirip;ée par des impres-
sions el des hahiludes; il laul coud)altre les passions.
('/est alors bi lutte, riche en souffrances, de la nature
altatjuée et soUicitée par la grâce, puis le ravissement du
•j3 novembre ifiol; cerlitude, Dieu de Jésus-dhrisl. joie, total
ahandon.
Il y aurait donc eu d abord comme un de ces grands émois,
oîi s'engloutissent les anciennes valeurs et oîi se forment les
nouvelles: travail obscur oii toute l'àme conspire. Puis des
lueurs jetées par la, raison sur cette sombre voie, montrant la
route, qu'elle n'a pas tracée et qu elle ne donne point la force
de suivre. Puis la coutume, l'automatisme, jusqu'à un certain
point, amène à croire ce (pie nous avons décidé de croire. Enfin
l'inspiration.
(Test Pascal et non Port-Royal. Pascal expose son système
dès les premiers jours de sa retraite près de l'Abbaye. M. Sin-
glin et M. de Saci n'avaient que défiance à l'égard de la raison
et s'enfermaient dans la |)ratique. En revanche, Arnauld sépa-
rait radicalement la théologie de la philosophie à la
manière cartésienne, et voyait du pyrrhonisme dans la
prétention d'ériger la foi en |)rincipe universel de nos
jugements.
Ainsi se présentent dans sa propre vie les moyens de
croire, qu'il devait assembler pour constituer la foi totale : la
raison, la coutume, l'inspiration. Ouvrir son esprit aux preuves,
s'y (lisp(»ser et s'y condiiner par la coutume, s'offrir par les
humilialions aux inspirations cjui, seules, peuvent faire le vrai
et salutaire effet.
La raison incline à la foi [)ar les motifs de crédibilité et sur-
tout par la criti(juc (ju'elle fait d'elle-même. Car sa dernière
I.V KOI CONFIANCi: j^3
iU'inarche est de roconnaitre qu'il y a mic iiiliiiitr de choses
<Hii la siir[)ass('nt ; « que si les choses naturelles la sur[>asseut,
que dira-t-ou des surnaturelles? » Il n'y a rien de si eonCorme
à la laison que ee désaveu de la raison.
II faut donc humilier la raison qui voudrait juger de ioul.
et qui est impuissante à prouver ses propres principes, «pie le
cœur lui lournil.
Ainsi la raison porte à croire, mais ee n est pas elle (pii
fait la croyance. La preuve de Dieu qui rattache les vérités
i^éométriques à une |)remière vérité en qui elles existent; est
du déisme « presque aussi éloigné de la religion chrétienne
<iue l'athéisme ». Dieu ne se connaît qu'avec Jésus-Christ. Le
Dieu des chrétiens n'est pas le simple auteur des vérités géo-
métriques et de l'ordre des éléments; « c'est la part des païens
<'t des épicuriens ». La raison sans Jésus-Christ est stérile.
Alors même qu'elle servirait, ce ne serait ([ue pendant l'ins-
tant de la dénjonstration; car une heure après, on ne sait qu'en
croire et c'est à recommencer toujours. Nous sommes vraiment
incapables de connaître ni ce que Dieu est, ni s'il est.
Néanmoins la raison naturelle porte à croire. KUe fait
jouer, par l'argument du pari, le mobile naturel de l'intérêt.
HUc s'applique au fondement extérieur du christianisme, aux
ju'ophéties, aux miracles. Elle n'apporte point la clarté par-
faite qui, servant à l'esprit, luiirait à la volonté ; mais les
preuves, sans être convaincantes, sont plus fortes que les
arguments contraires (i). Mais n'étant point convaincantes,
• lies laissent assez à faire à la grâce, et c'est la grâce qui fait
sui\Te et non la raison.
La coutume ôte les obstacles, c'est-à-dire les passions : elle
prépare la machine, dresse l'automate à la spiritualité. (Test
la mauvaise volonté <|iii fait l'incrcHlulité. On la lève pai- la
I « Si on soumet tout à la raison, notre religion nmiia liou «le Mi\>lr-
rieux ni de surnaturel. Si on olioquo les principes de la raison, notre reli
^ion sera absurde et ridicule. •
q44 l.\ RKI.IGION ET LA 1 OI
diminution des passions, et par l'iniilation aulomali([ue de la
vie pieuse : on s'aceoulumc aux vertus intérieures par les
hahiludes extérieures. La coutume incline l'aulouuite, (pii
entraîne l'esprit sans (juil y pense. Klle apporte à la persua-
sion tout ce qui man([ue à la seule démonstration. Knlin, elle
conlirme, elle fait la solidité de la croyance. Car d'avoir les
preuves toujours présentes, c'est trop d'atraire. Ainsi elle fait
nos preuves « les plus fortes et les plus crues ».
L'inspiration, c'est « le sentiment du cœur » que Dieu
donne, sans quoi la foi n'est (pi'humaine et inutile pour le
salut. Elle est la grâce, elle est la croix; elle est ce qui ne vient
ni en sagesse ni en signes, mais qui vient pour convertir.
La foi, quand on y est parvenu, seule permet de com-
prendre l'iiomme, se» contradictions, et toutes ces vérités qui
se contredisent et pourtant subsistent toutes dans un ordre
admirable : tout, et la nature et la religion, et l'incroyance
même et l'ijérésie.
A la raison près, dont Pascal atténue le rôle, nous trouvons
dans ce puissant système les grands principes que nous
venons de voir à l'œuvre. C'est ([iie l'apologétique de Pascal,
dirigée contre les libertins, l'est aussi contre les Jésuites :
contre toute tentative d'ajuster les dogmes et la morale au
niveau de la raison, ou de les concilier avec les exigences
profanes de la pensée scientifique et de la vie en société (i).
La clarté parfaite servirait à l'esprit et nuirait à la volonté.
Pour éloigner le péril de l'atbéisme et du déisme, il faut
j)rendre le contre-pied des doctrines qui justifient le cbristia-
nisme en invoquant sa conformité à la raison. Ce n'est pas à
la nature d'expliquer le dogme, mais au dogme d'expliquer la
nature. Comme l'a très bien montré le regretté Blanehet, le
jansénisme, comme le luthéranisme et le calvinisme, est une
'I Dès 1647, Pascal dénonce le frère Saint- Ange ot sa doctrine optimiste
et déiste sur " l'alliance de la foi et du raisonnement ». 'V. Umbain, liei'ue
d'Ifist, litt., i5 juin 1895.1
LA FOI COM-iANCE 245
rraclion violeiUc (onlic l'Humanisme, qui s'cfTorce de retrouver
dans loutes les confessions un fonds ori2:inal et commun de
rc'lii,non nalurellc, et de diniiiuicr dans la relii^ion l;i part de la
lévélalion et de la grâce au prolit de celle de la nature (i). Au
lonlraire, les Jésuites, par leur essai d'adaptation du Chrislia-
nisine à la sociélé. par la tâche de leurs miss-ionnaires, étaient
amenés à faire de notables concessions à cette méthode; ne
leur reprochait-on pas d'affaiblir les enseignements du christia-
nisme, de trop chercher à découvrir derrière les rites et les
cultes les plus divers le fonds commun de religion naturelle qui
les rap{)rochait de la religion eatholicjue?
Au contraire, Pascal rencontrait les Jésuites dans l'emploi
(le toute cette mécanique de la croyance, (pie Uenouvier a
appelée une « |)rQvoeation au vertige mental ». La contradiction
profonde entre le fatalisme théologique du jansénisme et le
dessein d'une apologétique Unit par se révéler « dans le choix
l)aradoKal dune méthode de conversion, qui reconnnande
avant tout l'adoption d'une discipline de la coutume et de
l'automatisme, la soumission passive à des préceptes, le con-
formisme extérieur » (2 . Il est vrai que certains Jésuites
allaient plus loin (pie Pascal. Le P. Sirmond. opposant l'amour
rlle(.tif à l'ainonr allcctif, soutient que le chrétien (iiii ne fait
(pi'obscrver, [)ar crainte de l'enfer, les commandements, pos-
sède la vertu surnaturelle nécessaire au salut. C'est l'œuvre,
< est l'elfct extérieur (pii importe, et non la disposition
interne; c'est la soumission de la volont(', même sans la con-
\iction protonde de la raison et du eœui'.
I 13LAVf;iii:r, iMliliute relif^^icii^e des Jcsiiilcs cl les Souitcs du l'iiri de
l'dscal. Ih'v. de Met., 1919 ) I.c lidrisine «lir Pascal, sa criliquc proCoiule tl<' la
iMisim di-passent celte vaj^uc li-rulance à oiUrer « lincerlitiide de la ooiiiiais-
sauec liiiinaiiie. aliii d aUénuer dans le <loulc j,'éi»éi'al les dilluiiltés particii-
lirres de la leli^ioii et dr pousser à la foi coiniiic à 1111 rel'u};»' les esprits
all'amt's de repos » Si:iii;mkij , teiidaiiee (|ui est à la base de bien de> formes
du lidéisine. I-e semi-fidéisme de Pascal se rattache à son demi empirisme.
m rôle <(n'il fait jouer à la raison, entre les principes «pii viennent dn cieur
• t l'expc-iience.
a^ HlANCHIiT, (*. c . <"i',I.
LIVRE II
CHAPITRE PREMIER
LA CERTITUDE MYSTIQUE
« Certitude, Gertituile, Senlimtiil, Joie, Paix. ■
Écrit trouvé dans Ihahit de Pascal après sa mort.
Ed. Brlnsciivicg. p. i^a.
ï
LE MYSTICISME
Le My.sLi([iic parvient à la certitude l)éalifirnie el s y inslalle.
Le Myslieisme est un procédé pour rranchir les diflkullé.s
intellectuelles ou sentimentales (pii cliarj^ent de leur {)oids
1 existence du croyant, on l)ien inic altitude naïve (pii h s
i^Miore. Dans l'unidealion de la conscience disparaissent toutes
les paiticidarités, à travers la complication descpielles >e
l>oursuit et se construit la foi ordinaire. Le sujet y éprouve la
( ontiaiiitc de l'objet. Le plein don de soi-même à la eonteni-
|)lalion ellace et abolit tous les intermédiaires, cultuels, doj;-
matiipies. sentimentaux. Mais la plupart du temps, un [)areil
élat est complexe et construit, et sup[)()se un travail antérieur
(i une réllexion en retour. La \'n' est IVandiie d un élan,
mais on y retond>e el Ton revient à la justification inlellec-
luelle. L'intelliiicnce encadre, prépare et justilie.
a^8 LA UKI.IGION KT LA KOI
Du rosit", la loi ordinaire Iciui vors la conlemplalioii
njysti(|uc. C-clui (jui a la foi sent loujours (jue celle foi ne vient
pas seulement de lui, mais aussi de l'objet en qui il a foi; ce
don de soi-même esl commandé par la puissance à laquelle on
se donne : ébauche de passivité mysli([ue. De même les objels
de la foi sont affirmés au delà de la raison; ils apparaissent à
l'esprit, envelopi)és dinu* puissance d'aHirmation qui l'ail partie
d'eux-mêmes. La foi pressent au delà d'elle-même la vision,
l'appréhension de la réalité sous-jacentc aux objets de la foi
et qui les déborde. Enfin, elle aspire à s'assimiler à eux : le
sujet tend à se dépouiller de soi-même, à se faire send)lal)le à
la i(''alilé en la(|Mclle il a foi (i).
* *
Obscurilé et pourtant révélation; donc révélation mysté-
rieuse; secret et initiation, tel est le sens originaire du mot
Mysticisme, et quehpie chose de ce sens primitif est resté dans
le mot à travers toute l'histoire de la chose. Union intime et
direcle de l'individu avec l'être, appréhension immédiate du
divin, expérience intime de la présence divine ; fusion avec
l'absolu, disparition dans l'absolu, telle est la prétention du
mysticisme. Et de cet état d'âme suprême et hyperessentiel
rayonne mieux que la certitude, puiscpie l'àme est devenue la
vérité : ^'érilé obscure, sans doute, puisque l'esprit qui la
contemple s'est élevé au-dessus des modes ordinaires de l'intel-
Icction. Ainsi, plus (jue la certitude intellectuelle, el i)lus que
la certituile s.entimenlale, puisque le sujet est devenu cela même
en qui il met sa confiance, cela môme d'où lui viendrait, s'il
s'en distinjçuait, la certitude du sentiincnl.
I De luèine la coiilcmplalion iiiyslique laisse après elle un clat de vive
foi. Sœur Marie-ColeUe du Sacré-Cœur écrit : « Il resie au fond de l'àuie un
souverain respect envers lui el une confiance sans limite », o. <•., 288.
\
LA CERTITlltK MYSTIQUi: 249
(hinii toi ('lai IcMlc les àines religieuses, cela va «le soi;
(oiKluéi'ir l'Absolu, il vaut la peine d'y essayer. Le but allire,
cl beaucoup d'àFUcs — nous verrons lesquelles — sont ainsi
faites, ([uelles puissent y as[)irer. Kniin, indépendaniinenl de
( <'['laines conditions historiciues et sociales largement adju-
vantes, la religion même y conduit. Aux Cormes inférieures de
la religion, abondent les prati<pu's extati(|ucs j)our s'assurer le
contact utile avec la force divine; l'aspiration ambitieuse et
naïve des lidèles n'est pas encore arrêtée par les restrictions
de la sagesse et les tempéraments d'un culte prudent; le groupe
religieux, ou certains individus piivilégiés, excités par la
lechni(pie orgiasticpie ou ascéti(pie de la béatitude, s'identifient
avec la [)uissanee divine elle-nicnie. Aux formes supérieures, le
Mysticisme prend appui sur la religion, pour la dépasser. Il
\ ise à spiritualiser en l'unité d'une intuition, tout ce cpie le
culte <'l le dogme ont défini, distingué, fragmenté, matérialisé:
à rétablir au delà des intermédiaires rituels, sacramentels,
intellectuels et liiérarcbiques, un contact immédiat et une
entière possession.
Le Mysticisme est un phénomène universel et non [)oint
une rareté et une anomalie: encore (pie certaines époques et
certaines religions soient particulièrement favorables à son
épanouissement, encore qu'il parcoure bien des formes et bien
(les degrés, depuis les cultes d'excitation des primitifs,Jus(|u'à la
Ijrol'onde et savante vie intérieure (\i\ mysti(jue bouddhiste,
nnisulman ou chrétien.
L'Art et la philosophie ont aussi Icuis mystiques. Contre
les formes distinctes, les délinulations, la particularité, contie
la raison et ses règles, contre la fragmentation ries sentinic/its
et de leurs procédés d'expression, des âmes and)iticuses
1 »vendi(picnt. même dans ces domaines, le hautain privilège
<lc l'illimité.
LA RKI-ICION T^T LA KOI
L'EXTASE
Le l'ail inysliquo par excellence, c'est l'extase. Cette « sortie
de soi i), cette exaltation au-dessus de la vie journalière, qui a
son jrerme dans les plus frustes impressions d'infini, est aboli-
tion de la vie individuelle, de la conscience de soi, et réalisation
intérieure de la présence divine. Le sujet se sent à la l'ois
délivré de soi-même et possédé du divin.
Mais il y a l'extase lyrique, et l'extase utilitaire. Le shamane.
le nia'i:icien australien, cherchent avant tout, dans l'extase, des
hallucinations utiles: ils visent à provoquer chez eux, par des
macérations physiques et des préparations intellectuelles, un
état de confusion et il excitation, à la faveur duquel les es[)rits
leur api^araitront et les aideront à pénétrer dans l'autre monde,
tlOii ils reviendront chargés de pouvoirs magiques et de révé-
lations prophétiques. Ici, le vertij^e n'est point cultivé pour
lui-même et pour les états d'ànie qu'il procure; il n'est qu'un
moyen de se rendre particulièrement sensible aux profitables
influences des esprits. Cela, c'est l'élément utilitaire de l'extase.
Nous en retrouverons quelque chose en étudiant l'inspiration
prophétique.
L extase lyrique est une contemplation obscure. Au-des.sus
des formes définies de la relii^ion, le sujet s'élève à une intuition
qui enferme en une richesse ineffable tout ce que contenaient
les rites, tout ce que disaient la méditation et la prière, et même
iidiuiinent plus. Obscure, coutraij^nante, refoulant les modalités
de la conscience personnelle, cette vaste intuition s'étale et se
développe. C'est elle qui va nous occuper présentement.
Entre ces deux formes extrêmes, il y a, du reste, bien des
intermédiaires; car lacontenq)lation obscure est suivie souvent
de visions précises, et le vertige utile est d'abord un état
confus. Les mystiques les plus élevés connaissent la puissance
j»hvsi(jue de l'extase et l'empire de la sainteté sur la nature.
LA Cl'.UTI rUUK MYSIK^UE tàOl
\a' luysliquo oxploilc ses visions; et souvent, c'est en extase
(|iie le prophète vaticine.
*
Une exaltation confuse qu'illumine une inter[>i'éUitiou spiri-
tuelle; ainsi pouirait être détini l'état niysti([ae, cra[)rès son
contenu supraintellectuel et sa prétention ontologique. Une
( xaltalion où s'unifie tout le raffinement de radectivitc la plus
|)i'()fonde et la plus al)straile — la pure nmsicalité du sentiment
— et l'abstraction d une pensée vide d ima^^es et de formes et
([ui ne garde des concepts que leur résonance supralogique et
l'attitude de la connaissance orientée vers l'objectivité. Ainsi
de grandes altitudes alfectives, de grands états de sentiment,
aussi abstraits que possible, et se jouant dans leur spontanéité
pure, au-dessus, non seulement des situations qui les suscitent,
les encadrent et les précisent, mais encore des aspects sensibles
qu'ils revêtent dans l'existence quotidienne : tout pénétrés, du
reste, du sens ([ue leur eoid'èrent les idées auxquelles ils se
ratlaclieuL i)ar l'élan spirituel, (pii, dépassant ces formes men-
tales, relient encore ([uelque chose, dans l'inlini où il va se
perdre, des lignes qui le supportaient; et comme une affir-
mation profonde — sans formule — d'être l'Absolu vivant et
agissant.
Le docteur par excellence du Mysticisme, le pseudo
Denys. a résumé, d'une favon définitive, en trois caractères,
lexpérience myslicpie ; Passivité, Obscurité, Désappropriation.
Nous pourrions traduire en langage psychologicpie : tendance
à la dissocialion, à l'abolition de la conscience personnelle ;
émolivité intense, raffinée et délicate, étrangement mêlée aux
jeux d'une pensée déliante de précision et de clarté ; (jui aspire
-au delà de ses symboles et (jui pressent dans ses aspirations.
• dans ses élans, dans ses luouvenients. toujours une réalité
aoa I.A HKLKllON ET LA I OI
plus profonde que ses réalisations ; compliquée d'interprétation
()nU)l()u:i(ine, c'est-;»-dirr de la tendance à (aire de tels senti-
ments, sensibles ou intellectuels, de telles altitudes, un Absolu.
Alleclivité et intuitivitc aisément métaphysiciennes et qui
installent au plus profond de l'Etre leurs étals les plus confus
et les plus exaltés. Telle est la fa^on d'être, l'attitude psycho-
logique propre aux mystiques, l'aptitude, pourrait-on dire, (pii
entre çn jeu sous certaines condilions historiques et reli-
trieuses et aboutit à la formation de tels états. Sans une telle
aptitude, il n'y a pas de Mysticisme.
Sur ce fond psycholop^icpie. travaillent les conditions liisto-
ri(pies et sociales ; les moments conlus, les mélanges sociaux,
les périodes désordonnées ; l'abaissement des forces d'organisa-
tion et d'intellectualisation; tout ce (|ui favorise l'inquiétude
sentimentale et l'affranchissement du sentiment.
On pourra m)ler, — car l'histoire en témoigne abondam-
ment, — la prolifération des phénomènes mystiques aux
époques de crise religieuse ; aux débuts des religions : il suffit
de rappeler la période des charismes dans le christianisme
primitif: aux époques de fermentation : il suffit de rappeler les
profondes altérations de la société juive à l'époque de Jésus;
la Diaspora, la formation des sectes, celle de la synagogue ; le
mouvement qui précède la Réforme, les Frères du Libre Esprit,
les lîéghards hérétiques, le Mysticisme spéculatif du xiv" siècle;
ou encore les innond^rables réveils qui abondent dans toutes
les religions et qid s'accompagnent si souvent d'explosions de
Mysticisme; aux époijues où une religion troublée et ébranlée
reprend son éfpiilibrc : sainte Thérèse se rattache jusqu'à un
certain point au mouvement de la Contre-Kéformation, à la
réaction catholique du Concile de Trente ; de même le quiétisme
français ; aux époques de dissolution des religions : la dissolu-
tion des cultes nationaux sous l'empire romain, les Mystères ;
aux épocjucs de syncrétisme, comme en témoigne largement la
période alexandrine.
I.A CKRTIIUDE MYSTIQUE 2.53
Il est imilile de iiiiilliplier indéfiniment les exemples, ear
(oui cela revient à dire au fond que l'exaltation du Mysticisme
puise à toutes les conditions (pii permettent une vie religieuse
iiilense, alFranchie. ou (pii Icnd à s'alFranchir de toutes les
forces iiiérarchi(iucs, dogmatiques, cultuelles, qui font contre-
poids au Mysticisme. VA il resterait toujours à expliquer les
conditions (pii rendent possibles ces crises religieuses ; causes
historiques et sociales, formation et ruine de nations, luttes
sociales et historiques, mélange des peuples ; causes psycholo-
giques, causes j>roprement religieuses. L'inquiétude religieuse
est un phénomène trop complexe pour qu'on puisse, à l'heure
présente, formuler les conditions qui lui ont donné naissance,
dans tous les tenqis et dans tous les pays.
Le Mysticisme a, du reste, ses milieux de culture, oii il se
continue et se propage, quelles que soient les vicissitudes
hist(Mi(pies de la Société; ainsi les ordres monastic[ues ;
(juclques-uns d'entre eux font appel aux prédisposés et les
mettent dans des conditions excellentes j)our réaliser leur
prédisposition ; ils leur proposent un idéal de contemplation
mysti([ue, la fascination d'illustres exemples, et leur enseignent
et leur imposent les exercices spirituels et les procédés ascé-
ticjucs, qui volontiers aboutissent, — la prédisposition aidant,
— aux élats mystiques.
*
Sous leur diversité apparente, tous les. procédés (jui mènent
à l'extase ont pour objet d'établir des élats confus qui se prêtent
;i une interprétation spirituelle. L'orgie et les macérations
])euvent, l'une aussi bien que les autres, aboutir à l'extase; à
condition (juil y ait au-dessous d'elles une attitude desprit qui
les dirige et qui profite du trouble qu'elles provoquent : et cette
254 ^^ RKUGION KT LA lOI
altitiidt' (1 osjn'il snflit parfois à elle seule, car l'extase soil
aussi bien de l'approCondissemenl de la vie intérieure (i).
Qu'elle puisse sortir indinércmnient des macérations ou de
l'orjyie, cela n'a rien qui doive étonner, puisqu'elle a pour
condition un élat de trouMe. de vertige, de confusion qu'elles
peuvent également produire, et puiscpie toutes deux conduisent
à l'épuisement : les procédés ascéti(iues, le jeune, la privation
de sommeil, les exercices mécaniques ou spirituels peuvent, en
somme, aboutir au même résultat que l'excitation orgiaque,
danse, ivresse, fumigations, excès de toute nature. Mais ces
procédés tout seuls n'entraînent pas nécessairement l'extase, et
elle peut se produire sans eux.
Ils n'agissent en somme que sous condition d'une direction
mentale, d'une attitude d'esprit; il ne suffit pas déjeuner ou de
danser pour devenir un dieu, ou même pour contempler un
dieu ; il faut donner à l'excitation confuse qui vient du jeûne ou
de la danse la forme d'un dieu ; et cela n'arrive que si l'esprit
la porte déjà; soit que par un long travail il arrive à l'imposer
im jour aux ombres que l'askèse ou l'orgie ont suscitées; soit
f|ue cette forme et cette matière se rejoignent plus brusquement,
dans une conscience toute prête pour cette synthèse. Dans les
deux cas, la foi. implicite ou explicite, précède la réalisation de
l'objet de la foi (2) ; et quand cette réalisation est lente, on
voit à merveille comment la croyance, la méditation de la
croyance, l'aspiration de la prière, la passion qui se dégage des
objets spirituels longuement présents à l'esprit, ce vertige
spirituel, rejoignent cette passion et ce vertige qui viennent
(1I L'Ascétisme peut conduire aux états extatiques par deux moyens : la
simplification de la vie qiii concentre toute l'attention sur les thèmes reli-
g^ieux ; l'obnnbilation, le mélang-e de stupeur et d'excitation, qut provient de
la fatigue ou de l'i-puisemonl.
(2I Iavf.t Œfs Rèi'cs narcotiques et leurs eonséqaences, Journal de PsyckologU'
1921, 4o5\ fait justement remarquer que la plupart du temps le rêve narco-
tique « est favorise par une pliasc d'orientation volontaire préoniriijue qui le
circonscrit et le prépare, la narcose venant consécutivement lui donner tout
son lustre et sa lixité ». « Le désir et le toxique se prêtent un mutuel concours
pour dresser dans le psychisme l'idée flxe prévtilentp. »
i.v cKHirTini: mystiouk u5r>
«leii bas, cette excitation confuse ([ui se dég^aji^e des pratiques
orgiaques ou ascétiques. Ainsi la tension mentale est une
condition nécessaire et même parfois «[ui suflit; car elle sufdl
à elle seule à cn'er le trouble nécessaire, indépendamment de
lout procédé extérieur. Et l'attention que l'àme porte à elle-
même, la culture de la vie intérieure, rapprofondisscmeut de
la conscience, les raffinements de la sentimentalité, peuvent
aboutir tout seuls à cette profonde rêverie sans paroles et sans
ima^'cs, à cette élévation involontaire et ineffable, qui sont àa
matière de l'extase lyri<|ue. et dont s'empare son exigence
d'absolu pour les proclamer divines.
Ainsi l'extase s'iusljiUe aussi bien sur la torpeur contempla-
tive que sur l'agitation. Les danses extatiques utilisent l'étour-
<lissement du mouvement, l'ivresse motrice, Texcitation collec-
tive : impression de vie surabondante et folle, désir éperdu.
oubli, absorption, commencement dinlini ; l'excitation, le
\ertige et l'adoration construisent ensemble la possession
«llMUC.
I
L'extase est d'abord la négation de la vie habituelle ;
d'abord simple élévation au-dessus du niveau journalier, puis
oubli, désorientalion. A ses degrés plus élevés, abandon total
du « discours » et de la pensée fragmentaire par « composition
et par division », refoulement à l'état de virtualités subcon-
scientes de toute imagerie mentale, de toute représentation
sensible, abolition de toute conscience de la distinction du Moi
et de son Objet.
Les degrés et les noms varient avec les Mystiques (i):
artistes subtils ils se coinpiaisent à décrire ces moments de la
(I) Il II esl point nécessaire d'entrer i<i dans le détail ; renvoyons à sainte
Thérèse pour ses descriptions de la quiéttide, de l'nnion, <Ie l'extase et dn
ra\ issenient ; renvoyons à M"" Guyon et à sa voie passive en (bi ; renvoyons
250 LA IIKLIC.ION KT LA KOI
vie (le làine qui, réunis, l'ormeiit la vie mystique « comme les
saisons forment l'année » ; toutes ces variétés enferment une
essence commune, réalisation de la présence divine par aboli-
tion de la conscience personnelle ; intnition sans formule,
illumination sans explication ; passivité de Fàme élevée à ces
faveurs et ([ui ne peut ni résister ni se les procurer à son gré;
de sorte que ces états surgissent en dehors de toute attente et
de toute préparation mentale, sans travail ni effort, loin de
tous les procédés d'entraînement qui ont pu servir à les
commencer. Ce sont toujours les trois caractères que le Pseudo
Aréopagite assignait à toute expérience mystique ; abstraction,
obscurité, passivité. Ainsi une exaltation qui est aussi une
connaissance, une puissance qui est aussi une impuissance, une
gamme d'états délic^ieux à travers l'inquiétude et le trouble ;
car rinsalisfaction et le malaise accompagnent le progrès
spirituel conmie le signe de ce qui reste à accomplir, et
« l'horreur sacrée de la nuit de l'esprit » donne l'aspect d'un
abîme à cette obscurité pleine de lumière.
Les observations sont innombrables, et elles se ressemblent
beaucoup. Certaines d'entre elles permettent de bien séparer,
de numéroter presque les phases du phénomène. Dans un
document du plus haut intérêt, récemment publié par Flournoy,
la .Mystique moderne, dont il publie les notes, distingue quatre
phases :
La libération du Moi ;
La conscience d'une autre réalité, essentielle et immuable;
attente i)arfois peureuse, anxieuse, parfois résistance; ;
à tous ces anal\ slfs de la vie inléiieiire, (lui, suivant leur expérience et les
préoccupations de leur temps, l'ont décrite avec minutie et formulée copieu-
sement en un certain nombre de thèmes ; demeures de plus en plus éblouis-
santes et somptueuses, châteaux de l'ànie ; itinéraire du pèlerin, voyage;
degrés, montée du Carmel ; sceau et secret ; obscure nuit et illumination,
thèmes du jour et de la nuit; amour myslirjue, fiançailles, mariage spirituel,
vertige rl'amour, sensualité voilée de métaphores, cantique des cantiques;
carte de Tendre aussi et légers badinages, fioritures de naïf amour ; liqué-
faction, fusion, écoulement, les Ijaumes et les odeurs, la transformation, la
transmutation, l'alchimie ; coupe mystique, ivresse et sommeil.
L.V CEHTITUnr MYSTIQUE ■J.)J
Le moment paroxystiiiuc ; il n'y a plus rien t-t il y a (oui;
<'t'sl une forée vivante, un eouiant de vie, un eontact aniouieiix,
l)roron(l, avec la réalité nièuie ; savoir absolu cl poinljinl
mystère et ineirabilité :
Le retour à soi. la reprise de conscience; délectation
parfois un peu anxieuse, travail d'assimilation commençante;
une certaine peine à se remettre, comme le retour d'un choc
ou d'un évanouissement ; parfois même bouleversement.
Difficulté de réaliser et de formuler; mais impression persis-
tante, certitude absolue de la réalité de l'expérience et de la
|>résence du divin.
Otte description, en somme, résume bien 1 immense
variété de documents que nous transmettent les littératures.
Ce sentiment peut ensuite soulever des doutes, appeler un
travail de justification, ou s'affirmer en toute rigueur; le
Mystique essaiera, avec plus ou moins de bonheur, de l'intégrer
à sa vie.
ft' Tous ces moments, certes, s'impliquent et s'interpénétrent
plus ou moins. En particulier, un point préoccupe tous les
mystiques. Est-ce dans la phase paroxystique de l'extase qu'il
y a conviction de la présence du Divin, est-ce af)rès l'extase? (i )
Létal suprême admet-il ce commencement de dualité (ju'im-
l>Ii(jtu' une affirmation, la conscience claire de la transformation,
(le la possession, ou ne faut-il pas, |)()ur le réaliser, un peu de
recul ; de même que, dans toute éniotion vive, il semble que le
(hoc soit perçu d'abord comme tel, et (pie la qualité propre de
l'cmolic^n ne soit aperçue <ju'à mesure de l'adaptation commeu-
<;inti'.
i) Voir l'oliservation de b'i.oi ii\ii\. |i i io nalis.iiil dans 1 f\|i(ri(iirc. ou
\ ajoiilant après foiip une oiiuviclion <lc la présciico personnelle «le Dieu >,
< r. Saimi: Tiii.ni;si;. Traduetion nouvelle, II, l'i!^, i3r). ■■ (^oniniont al-elle vn et
< iilendu (jn'cUe a élc en Dien, iiuisqn'en cet état elle ne voit ni n'enten»! '.' Je
ne dis pas qu'elle la \u alors, mais qu'elle le voil clairement ensuite, el eela,
iinn au moyen d une vision, mais par une convietion (pii lui reste el que
Di<Mi seul peut donner. ■
17
a58 LA RELIGION ET LA FOI
Il est peu probable qu'il saisisse ici, même au moment
paroxystique, d'inconscience totale. Nous avons discuté la
qut'slion dans un autre livre. Certes il y a, dans tous les états
confus el dans l'émotion profonde, le péril d'aller, si l'on peut
dire, jusqu'aux limites de la conscience, de sorte que parfois
on revient à soi avec quelque stupeur :
J'étais tantôt l)ien loin d'ici...
Mais d'où je viens nul ne saurait le dire.
Il y a dans la béatitude extatique un moment où l'on ne se
sent plus vivre ; dans le paroxysme de l'exaltation, un abîme
où il semble que tout disparait : les éblouisscments, les émer-
veillements sont, en un sens, une rupture de la synthèse
mentale, un arrêt de la pensée.
Mais ce n'est poijit rinconscience de l'attaque épileplique,
ni même l'état crépusculaire, l'obnubilalion intellectuelle qu'on
y sigrnale si souvent. Pas davantage l'état de vide, d'engour-
dissement, de torpeur, de stupeur, d'étrangcté, d'irréalité,
qu'on note si souvent dans différentes psychoses. C'est un point
sur lequel il est beaucoup moins nécessaire d'insister aujour-
d'hui qu'autrefois. La peu inquiétante Dépersonnalisation,
elle-même, comme le montre bien Dugas, même dans ceux de
ses états où le sujet a conscience de sortir de soi, de se détacher
de son être, est autre chose. La contemplation passionnée de
l'extase « l'identilication de la personne en extase avec l'objet
de sa contemplation » fait violemment contraste avec l'indif-
férence du dépersonnalisé (i) : comme aussi l'élan synthétique,
l'intuition avec la multiplicité des impressions banales, que ce
dernier regarde, tout en s'en désintéressant.
Que la gamme mystique soit ample, et les états ainsi
décrits aptes à se diluer ou à se concentrer, il n'en faut point
douter. Le mot d'extase est vague et couvre bien des choses.
La série des états confus va de Tinfra au supralogique, des
(i DcGAs, Dépersonnalination, iG8. Voir noire tude : les Etats extatiques
d'Amiel. [Vers l'Unité ly^i-.
LA CERTiriDi: MYST1<,)UI. 209
apjtiiiiM'issements de conscience, de la stupidité et de l'abru-
tissement, jusqu'à rexaltalioii et la plénitude; de la torpeur
héale, de l'obnuMlalioii pathologi([u»' à l'extase lyrique du
grand artiste. \N illiam James l'a suivie dans son évoliilion;
nous renvoyons à ses analyses.
Ces états d'âme sont souvent accompagijés de troubles
pliysi<iues ; concomitants de l'émotion vive : phénomènes
convulsifs ou cataleptiques, (jui chez beaucoup de malades lont
le tout de la prétendue extase. Il y a tant de pseudomystiques,
(|ni ne sont que des aliénés ou des nerveux méconnus par un
pieux entourage! Il y a beaucoup de maladie surajoutée au
mysticisme : et parce qu'un certain déséquilibre nerveux
stigmatise volontiers les organisations exceptionnelles, et
parce que Tinfluence de la littérature et la suggestion d'exemples
vénérés agit puissamment sur des nerveux et des débiles.
L'extase nie l'expérience, et prétend « à une posilivité trans-
cendante •). Elle est conscience cosmique et supralogitiue.
Comme la foi, elle est certitude d'être au cœur de l'être, mais
les précisions intellectuelles ou sentimentales sur lesquelles
repose la loi ont disparu. Gomment donc un tel état d'àme
est-il possible? Quels sont les éléments qui le constituent?
*
* *
Il y entre beaucoup d'Amour ; adoration passionnée; grande
joie passive, plein don de soi-même, fusion, voilà les termes
(pii reviennent constamment dans ces vocabulaires si sem-
blables. Mais l'Amour mystique commence au sommet de
l'Amour. Certains Mystiques distinguent volontiers ce qu'ils
appellent 1' « Amour superficiel » de l « Anu)ur inunense et
simple » où l'àme disparait. Il n'y a qu'un Amour et sans retour
a()0 LA UKLli'.ION KT LA KOI
sur soi (1). C/esl plus haut que la vie amoureuse, à son ordi-
naire, où le don se eonibinc avec l'exigence, oîi le don laisse
tout au moins subsister le sentiment de soi. (^cla correspond à
cette zone de l'Amour où toute distinction s'efface, où tout se
perd dans l'ivresse pathétique.
Le Mysli([uu a commencé par l'amour; il a vécu dans
l'adoration, dans la fascination, soigneusement entretenue, du
divin objet de ses jeunes ardeurs; mais, si, au terme, il parle
encore d'amour, c'est que l'amour est le sentiment (jui l'a
conduit à cette exaltation suj)érieure et qui lui ressemble
encore le plus. Tout sentiment porte en soi comme un arrière-
fond de sentimenlalilé confuse et diffuse, et dès qu'il rêve sur
soi-même, au lieu de se tourner vers l'action et vers les situa-
tions (lu monde, dès ^ju'il j)rend forme extatique, il se dépouille
de sa détermination initiale. Il y a dans tout sentiment
profond un point oîi cesse sa (pialité propre, où le sentir,
exalté en <]ucl(iue sorte par le sentiment précis, le dépasse et
s'enfonce en soi-même, dans sa propre exaltation; quiétude ou
inquiétude oublieuse de ses origines, de ses motifs, de la
situation (pii l'encadre. Aussi les aspects dilTérenciés de la vie
affeclive sefï'acent, et ce qui subsiste, c'est une espèce d'exal-
tation ou de dépression alFective, une espèce d'aspiration ou
de détente, de satisfaction ou d'insatisfaction; une mer de
confuse affectivité, exaltée, recueillie, éperdue, qui submerge
tout l'être. Ainsi l'amour, ici, c'est le schéma dynamicpie de
(I) Voici un exemple : « C'est une grâce particulière à IVime qui aime,
quand elle ne sent pas les feux de son aniour. et quand elle doute même si
elle a qnehine amour. Car ain?;i ni le sentiment, ni la vue, ni l'assurance n'y
peuvent faire couler rien d'impur. »
• Il arrivera (|uel<|ue fois, nous dit-on encore, que voire cœur aimera en
elfet et qu'en mrme temps vous sentirez qu'il n'aime pas. N'en soyez pas
surpris; ces d«'ux choses s'accordent très bien; cette disposition est fort
sujjcrlte et fort corromi)ue. où le cieur humain repose danft son amour et non
pas dans l'objet de son amour, et par un retour et une réflexion iiilldcle,
apjiuie et se complaît dans le feu sacré qui le brûle, non pas dans celui qui
l'a allume : car c'est là justement pour éteindre cette flamme divine, et jjour
n avoir plus qu'un feu bjtard, qii'échaulfe et qu'allume ai)rcs unicjuemenl
l'amour j»ropre. «
i.A cKKTiriDi; M^siKu i: uOr
l'ainour cxallr ;i liiilini. eux aliissaiil loiilc la coiisciciicc : f.'esL
l'amour profond, coiiriis cl iiidislincL, rainour njysli(iu(\
incapable de se repiésentcr un objel, de se rcpréscntor à soi-
nu'inc sous une apparence d'objet, un anioui' (pii est comme
absorbé et ena^louli dans soi-même, au point de perdre
eonscienee de soi: d'où les mois de fusion, de li([uéfaction.
d'extase. -
Ainsi une exaltation du sentiment, (jue Ion peut à peine
encore appeler amour, vite ineflable, et qui s'éprouve divine et
se divinise lorsqu'elle s'aperçoit et se pense elle-même.
Ceci correspond à la phase suprême de la possession
amoureuse : tous les autres moments de l'amour ont leur
correspondant dans les étals mystiques : aspiration confuse et
attraelion subie, transports, inquiétudes, peines, sécheresses.
Et volontiers cette extase, oîi l'amour s'est perdu, revient à soi
sous la forme de l'amour. L'amour indiirércncié, lorsqu'il
s'a[)parail, [)rend la li|4urc de l'an^our; un objet et un sujet
s'élèvent de la confusion et du vertige. Ou bien l'objet n'a pas
encore de réalisation plastique; mais il a déjà, pourrait-on dire,
une réalité nuisicale. Deux voix s'élèvent du silence de tout à
r heure, comme deux voix le précédaient. Ou bien le mystique
donne liu:ure sensible à son amour : visions intellectuelles,
anu)urs particulières. L'objet idéal i)ren(l forme, fantôme
tendre, présence familière ou inattendue, objet d'un culte
jouinalier.
Connue il se nuMe à la sensualité un mysticisme inévitable,
il y a souvent quekjue sensualité dans le mysticisme. Kl d'abord
une sensualité d'imagination et de langaiçc. Un schéma alfeelif
commun s'enveloppe volontiers des nu'mes mots et des mêmes
imagi's.
Et puis les mysti<[ues savent bien (pie la sensibilité vibre et
que les formes de l'amour, (pi'ils disent inférieures et humaines,
sont voloiitiers éveillées par les mouvements du pur amonr.
In des plus grands doeletu's du myslieisme, saint Jean de la
2r>2 LA UKLIGION ET LA KOI
Croix, a traité subtilement de la luxure spirituelle. « Les mou-
vements de la sensualité s'élèvent souvent dans leurs exercices
spirituels : il nest pas en leur pouvoir de les empêcher; et
cela quelquefois arrive lorsque l'àme est appli(iuée à la plus
sublime oraison. »
Cette remar(|ue (ail droit à ce qu'il y a de solide dans la
théorie « érotou:énéli(jue » du mysticisme. Analogie du schéma
alTectif, sublimation parfois et déviation du besoin sexuel
comprimé. Erotisme et mysticisme peuvent et doivent se
rencontrer et s'accompagner quelque temps {i).
*
* *
La contemplation mystique ressemble au lyrisme et à la
musique. Les lyriques ont presque tous décrit des états compa-
rables; s'endormir et devenir une àme vivante qui voit jusqu'à
la vie des choses ; sentiment extatique de la vie ou de la nature
et protestation contre la séparation injuste (2) ; élan vers l'in-
lini, étourdissante extase.
Mais elle est un lyrisme vide d'images, ramassé à son point
de concentration, ramené à la nébuleuse initiale.
Au même sens, elle est musique. C'est un fait qui m'a
souvent frappé, que volontiers les musiciens reconnaissent le
son de leur àme dans l'expression des états mystiques.; et plus
d'un m'a dit qu'en lisant mes descriptions il avait reconnu
l'invention musicale. Beaucoup de mystiques et d'écrivains, qui
ont rélléchi sur le mysticisme, ont eu conscience de cette
(ij II y a chez certains niysli<jiies comme une oscillation entre la religion
ci l'érolisme. l'nc sorte d'état d'indécision et de jeu entre les deux. Le sujet
s'excite avec l'un et avec l'autre II confond les deux ordres à la faveur de
l'indistinrlion profonde des états troublants et parfois les confond avec' une
pointe de dilettantisme. On peut consulter sur ce point l'observation de
Flournoy.
{2; Caza.mia.v, L'Intailion panthéiste chez les Romantiques anglais, [liev.
germ., juillet-août 1908.)
LA CERTITUDE MYSTK^UK 2C3
intimo parenté; elle s'exprime bien dans ces paroles de
M''''(lay: ^< J'avais de la musique plein l'àme, plein le cœur,
plein la ti'te; et encore une musique morale bien aulicment
belle que celle qui peut se formuler par des sons! » (i)
An même sens, une sainte du moyen âge disait : « Sym-
phonialis est anima » et l'Imitation : « Si dos pacem,si gaudiinn
sanctnrn injiindis, erit anima servi lui plena modulatione. » (2)
Il y a de la musique chez Fran(;ois d'Assise et chez Suso.
E. Psichari a bien vu cela (3).
Ainsi, avant la précision affective et la réalisation matérielle
qui leur donne leur prix, leur valeur esthétique, dans la nébu-
losité initiale du lyrique et du musical flotte le mystique. Il
développe comme une large symphonie ses grandes intuitions,
ses sentiments généraux et comme abstraits, qui sont les
schémas affectifs des sentiments particuliers. Ainsi s'explique
que l'abstraction sentimentale soit le grand procédé qui mène
aux états mystiques. Car le Mysticjue raffinant le sentiment et
le réfléchissant, en ce sens qu'il s'applique à l'éprouver sous
des formes de plus en plus spirituelles, dépouillées et comme
abstraites, marche de sentiments qualifiés, précis et distincts,
à des sentiments plus généraux, plus profonds et plus
confus.
il) Lettres, t. I, p. 22, et: « Au dehors, j'ai quitté la musique, mais la
musique ne m'a jamais quitté. » (Voir un témoignage analogue : llicliard
RoLLK, cité par Unoeruill, p. 9a.)
'2) Voir l)om Bkssk, le Chant religieux catholique (Rev. de phil., igi'i.)
Clérissac, (>?|. Rousseau signale, sans y prendre garde, le caractère musical de
certaines de ses extases, u I,e flux et le reflux de cette eau, son bruit continu,
mais renflé par intervalles, Irapi^ant sans relàclie mon oreille et mes yeux,
suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi, et
sni'flsaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la
peine de penser. » {Uiheries, 5* j>romenade, p. 2{)2.)
'3) « La musique trouve son emploi dans une vie basée sur (juelques
abstractions. Alors le rythme est tout. Mais si l'on reste dans la diver.sité de
la vie terrestre, il faut se condamner à des suites d'itnages d'où l'unité
profonde est absente. C'est dans la inusi(|ue (|ue l'eflurt vor.s l'unité est porté
au plus liant point. Donc c'est la pairie des mystiques, qui s'elTorcent en
desespérés vers l'unité, et des conquérants, ces mystiques de l'aciion. » [Les
i'oix qui crient dans le désert, ~~.)
■jG4 la religion et L.V KOI
*
* *
Do mènie il procède par al)stracti()n intolkcluclie et c'est ce
qui l'ait le moment iioéli(pie de sa eonlemplatioii. Il ramasse les
thèmes de la médilalion, la com[)lexilé de la dog^matiqiie reli-
gieuse, dans l'unik' de l'inluitioii ; son intelligence, comme sa
sentimentalité, est en quête de l'iniini et ne se satisfait que
dans l'inelTable; de sorte que le fond de l'extase oscille sans
cesse entre le sentiment et la connaissance, dans la prétendue
unité (jui les synthétise. La critique exaspérée de' soi-même,
l'abstraction sentimentale, le ralTinement intellectuel libèrent
de grands états d'ànte, qui ne doivent plus rien à la parole,
aux images, à la raison, qui ne retiennent de tout ce qu'ils ont
dépassé que la vague conscience de l'avoir dépassé et d'être
par delà, d'être au delà de tout, donc au cœur même de l'être.
Ainsi, c'est, dans le silence intérieur, la perception d'une
relation immédiate à l'Absolu, l'unification de l'esprit par delà
les images et les discours (i).
Mais il reste beaucoup d'intellectualité dllFuse dans la con-
templation, qui se retire de la méditation, dans l'intuition qui
se retire du discours. Les « pensées imperceptibles » de Nicole
flottent à renlour. Uibot cite les Mystiques à l'appui de la
« Pensée sans images ».
*
* *
Voilà les éléments bruts et voilà le travail de l'esprit*. Les
attitudes de conscience rencontrent les spéculations sur l'inli-
1/ Mahkchal, La Mystique chrétienne, [liev. de jtli. iyi2j. La Mystique:
■' Une manitre sublime et vécue d'Fiypostasier, pour la projeter dans l'ordre
ontologique, la forme m*"me de notie esprit. » ("est un trait que l'on voit
particulièrement accentué chez ces demi-mysti(iues que sont certains philo-
sophes, Biran, Amiel. Voir sur ce dernier notre étude, citée plus haut.
LA CIMITIIL'I»!: MYSTI<.)UIC •jO.")
iiih' dixiiu': [>aralK'lc'in(Mil à lexpériencc, se poursuil la spécu-
lation inysli([iu-.
Kilo afiirme, elle a loujours alliinié (pie la réalité ne peut
"Ire conipiise à fond par rintclligciiec, mais qu'elle peut être
ap|)réliendce par un UKjde supérieur de eonnaissance et (juil
\ a ([uehpie adétpialion entre le réel et l'intellig^ible, de sorte
que I intellii^'^ence eonduit vers le réel, et (pie le réel se détenil
en intelligibilité. C'est la triple méthode de la iiéj^ation, de
I éminence et de la causalité.
Il y a chez les grands mystiques une perpétuelle interaction
de la vie et de la pensée. De par la théorie, autant (pie par sa
propre exigence, le Mysliiiue est toujours en (pièle de 1 Indis-
tinct. « Plus l'âme se fixera dans la connaissance distincte,
claire et surnaturelle de ([uekpie objet, moins elle aura de
disposition et de capacité pour entrer dans l'abime de la foi oii
toutes choses sont absorbées (i) ». Quand on étudie l'histoire
de l'extase on la voit s'approfondir, à lombre des spéculations
sur l'unité divine. Le Mysticisme spéculatif constitue l'extase
lyricpie, en lui ouvrant les profondeurs de l'intuition ineffable.
Nous avons montré ailleurs le r<")le des notions abstraites dans
l'expérience mysli<iue. Dans lafllux de virtualités ({ue l'extase
dessine et des modalités psychologicpies (pi'elle apporte, les
Mysti(pies chrétiens ont choisi, selon la direction des systèmes
spéculatifs. C'est ainsi ([u'ils ont relégué au seeond plan les
,11 Saint Jeax uk i.a (liioix, Monlécdii (au-hicI, III, c. III. — \ oir iiolre tra-
truvail : .Vo/f sur Clitisliaiiitinic et Myslicisine. [Kev. de Mi't.) II serait intéres-
sant danalj-ser à ce propos l'exemple de Fénelon, mystique et philosophe.
Le Traite de l'existence de Dieu, les Lettres sur la relii^'^ion soutiennent diin
bout à l'antre l'idée de l'intcriorilc de Dieu au monde; les preuves de
l'existencf de Dieu im|)li(iiient avant tout la passivité essentielle de toute
eréalure. De même la d<»(lrine du pur amour prescrit de se perdre en Dieu :
union et immanence. (^oniuK- le fait très bien remarquer Ui\icre [I.a Théo-
dieèe île IViieloii, Aitruites de /iliilosoiiliie clirélieime, njoS 11)09 , c'est la même
doctrine (jue dévelo|)pent parallclemerit le (juiélisme et la théorie; mais l'un
la considère dans sou application la plus spéciale et la plus émincntc, tandis
<iue l'autre l'expose dans son uni% ersalité. L'immanence de Dieu au inonde
est une jjénéralisatioii et un développement de l'union par la<|uelle Dieu
s'introduit et vil dans les ;ime.s t i-anst'ormées .
266 LA. REUGION FT LA KOI
éléments divinatoires et prophétiques, les connaissances dis-
tinctes, la valeur utilitaire: ils ont ciioisi lea états confus e
lyri<jues, la contemplation inetraLle. C est* une métaphysitpu
qui a contribué à élaborer cette expérience.
Ici encore un Diea guette le vertigre; il s'en empare et h
dirige ; un Dieu qui s'est formé peu à peu dans le fond d«
lesprit: le Dieu précis a ouvert la marche au Dieu ineflal)le; 1;
méditation a précédé la contemplation. Au seuil de l'ombre, h
Mystique se sent conduit par ce Dieu. Si dans l'ombre la plu!
épaisse il n'est point perdu, s'il se sent Dieu même, c'est qu(
son aventure réalise une profonde attente. Une sagesse volon-
tiers acceptée, puisqu'elle exprime leur aspiration la plus puis-
sante, enseigne aux mystiques la tradition d'un Diea Ineflabh
par delà toutes les 'manières d'être et auquel on n'accètle quel
retranchant de soi toute qualité; c'est ce Dieu dont les
Alexandrins et 1 Aréopagite après eux ont été les prophètes
qui s'incarne dans Tàme désappropriée. Mystérieux et infini, i
n'a point de peine à se retrouver dans cette conscience indé-
tinie. A l'heure oii la conscience se retrouve, elle saura donne
un nom et des caractères à l'expérience d'oii elle sort, par l
rapprochement de cette idée avec cette expérience. A riieuri
oii elle se perd, à l'heure oii tout s'oublie, il lui suffît d'avoir'
conscience de l'oubli, de la négation même, de savoir que ce
qui apparaît ne sort pas de ce qui précède et le dépasse infini-
ment, de sentir celte interruption et cette disproportion, cet
excès de puissance envahissante, pour, du même coup, se
sentir Dieu.
La compréhension est proche de l'extase ; de cela témoignent
les visions intellectuelles. Les Mystiques ont le sentiment de
comprendre intellectuellement les mystères (i). Toute exalta
i ¥è?fMLoy, Max. iU* ikdnls Édition critique, 3â6 : « Diea même donm
qaelqaefoiâ an milieu de la quiétade de? impressions de Jésos-Cbrist et dei
L\ CKRTITL'DE MYSTK^Ul* -iGj
lion ullective prôtciid à comprendre, et surtout l'cntliousiasme
(jui se double de la puissance et de la faeililé. Toute puissance
ouvre une perspceti\('. D un scnlinu'ut profond, il nous scinMe
que nous voyons tout.
Et du reste, n'y a-t-il pas dans les Mystères des relitçions
comme une [)ointc d intellit^ibilité? Les Mythes et les dogmes
symbolisent avec des doctrines. L'analogie les transporte dans
le plan logi([ue. Les piiilosophes, par l'inlerpiétation allégo-
rique, prétendent y retrouver leurs thèmes d'intelligibilité. Ils
s'enchaînent; un ordre gouverne leur suite et leur succession;
c'est comme l'esquisse d'un système. Enfin ils sont jusqu'à un
certain point l'expression d'états d'âme, et le cœur s'y recon-
naît. Le Mysti(iue peut bien appréhender, en d'apparentes
illuminations indicibles, tout ce qu'il y a d'intelligilde dans le
Mystère apparent, et prolonger cette intelleclion commentante
par l'émoi profond d'oîi lui paraissent surgir les cosmogonies
et les mondes.
*
* *
D'un tel état la certitude tient à sa concentration profonde.
Tout l'être le porte à l'Absolu, et il s'érige en Absolu par son
ampleur même. Le sujet achève en lui tout son passé religieux
et, au sortir de l'extase, il l'y retrouve. Ainsi s'explique le
débordement de la certitude.
La certitude linale reflue sur le départ. L'extase divini'
illumine le Dieu chrétien, thème de la méditation. La certitude
est au croisement de deux lignes, la voie ascendante de la mé-
ditation, la voie descendante de rillumination.
VHes «le ses mystères, qui sont admirables. >« — Voir aus.si Lucie Clirisline
O. c. (p. — Voir aussi SiL-ur Maiic-GoirUo du Sacré-Cuur, 50 : « Ouand Nolre-
Seipneur uie fait roinprendre les choses, c'est par un sitn[>le trait de lumière
quil envahit mon âme. sans que j'aie besoin pour cela de faire moi-même
aucune réllexiou ni considération. Cela vient subitement et quelquefois
quand je m'y attends le moins. »
I A RKLIOION ET LA FOI
La coi'tiliidc iiiysti(iiu' a (iu('l([ue cliose (l'iiiinu''(lial à la fois
et d'ac(inis. Kllc lionl du travail ([ui ramasse la conscience et la
concenlre, et des éblouissenients qui se sul)Stituenl peu à peu
el deniblée aux procédés IVaii^iles du raisonnement. Tous ceux
(jui savent s'installer au cœur des grandes intuitions aHectives
el intelleeluelles, les porter à Tabsolu et lier à elles, pour les
faire participer de leur plénitude, les fraj^mcnits de leur pensée
logicpie, sentent sourdre du plus profond de l'être comme une
grande nappe de paix et de certitude, où se rejoignent l'elïa-
cement de leurs fausses lumières, l'apaisement de leur esprit
en ([uète, lexubérance d'une spontanéité primordiale, béatitude
et infinité.
L'EXTASE ET LA VIE
Les états extatiques cherchent leur confirmation dans la
vie. De cette ombre sacrée, il faut redescendre et revenir au
monde sensible. Selon les âmes, les procédés d'accommodation
varient :
Ou bien c'est la prolongation el la répétition de l'extase,
aussi fréquente que possible. Elle envahit la vie, plongeant
l'individu dans une espèce de torpeur sacrée; les phases inter-
médiaires entre ces longues périodes extatiques ne sont, à ses
yeux, qu'une restauration de l'apparence, et, comme telles,
n'ont point de valeur. Certains les abandonnent sans contrôle
à tout ce qui peut arriver. L'extase dédaigne la vie. La
« partie inférieure » de l'àmc n'a point de part à la vie
extraordinaire.
Mais la plupart des mystiques sentent le besoin de sortir d(
rineffable, de l'impersonnel, de s'évader de cette mortelh
h'ihargie. Kt alors, ou bien c'est l'alternance continuée dé
l'extase et de la vie, de l'action et de la contemplation; la
brève communion divine illumine et féconde les retours à la
vie naturelle; c'est comme la succession bien réglée de jours
LA CFUTITUUE MVSIK^Ul:: 1269
<U' li'a\ail cl de niiils rrparalrices ; ou hicii cosl I ('tal lli(''()|ia-
li(|ii(' (pic J'ai (h'-cril ailleurs : « SubsliliuM' à l'extase un état
|)lns laf'iîc. oîi la conscience permanente du divin ne suspende
pas 1 aelion pralicpie; où l'action et la pensée précise se
détachent sur ce fond conlus, où la dis|)arilion du sculi-
nu'ul du Moi et le caractère spontané et impersonnel des
pensées et des tendances motrices ins|)irent au sujet l'idée
que ses actes ne sont pas de lui mais de source divine et que
c'est Dieu (jui vit et agit en eux. » (i) C'est alors la liaison de
la contemplation confuse et de la motion divine, le mysticisme
concpiérant. Le Mysticjue devient mi Absolu a^^issant; il s'est
approprié l'être et la puissance divine, il porte dans une vie
toute active sa nature toute contemplative. Le Christianisme
cl certaines écoles bouddhicpies ont développé cette solution
<lu problème (i).
En elfet il est impossible de réduire le Mysticisme à l'extase,
telle (pie nous venons de la })résenter. Sans vouloir le décrire
dans tous ses aspects, il nous faut pourtant compléter cette
image par quehpies traits partiels.
('ertes, beaucoup de mystiques s'arrêtent à ce degré, et
sortant de l'extase, se retrouvent eux-mêmes dans le nu)i et
dans la vie dont ils se sont affranchis un moment ; mais les
plus ratlinés sont justement ceux qui s'aperçoivent que l'extase
ne répond pas à toute leur exigence de déification, ceux ([ui ne
sont j>as satisfaits d'une communion brève avec la divinité. La
j»assi\ité mysli<pie envahit toute leur vie, les entraîne au delà
<lc la contemplation absorbante, facilement Iétliargi(|uc et
négative de toute activité, leur lait réaliser un état oîi la cons-
II Dki.ackihx., Les (iriiitds mysfuiiies clirrliens, lyoS, XI. — Amiki.. iiui a
«ioulourcusciuenl t'prouv»' roscillation enlro le porsonnel el liiiiprisnnncl,
intrrvoit c«'llr solution quand il écrit : « I.e problonu- serait d'acooniplir sa
liU'Iir- qiiotidicnno sons la conpole do la contomplalion, dajfir m |)rcscnc«' do
Dieu, dètr»' rolij^icuscnicnt dans un petit rôle. On redonne ainsi an détail,
an passaf,'er, an temporaire, à l'insi^înilianl. de la l)<^^^llé et dr la nold«sse. .<
iJoiirna/. II, kjô.)
•■i I)i;i..\(.noi\. Sricnlin, i;)''^-
2-0 i.A ni:i,u;ioN kt la koi
cicnce permanente de la déilication ne suspend pas l'activiti
pratirpie, oîi l'aclion seml)le surfïir de ce fond divin. Sam
(piiller la contemplalion qui les absorbe en Dieu, ilssesenten
mus par Dieu même à ap:ir et entraînés, par son opéralioi
immédiate et continue, à travailler dans le monde. Une fore»
supérieure pourvoit à Taclion, sans hupielle il n'est pas de vi(
chrétienne. La conscience d'une vie divine continue, dam
1 exaltation et la l)éatitude. l'inliibition de la réflexion et de h
volonté par la spontanéité subconsciente, orientée vers la vi<
et qui livre tout achevées ses inspirations et ses impulsions,
caractérisent cet état théopathiqiie. En général cet état défi-
nitif n'est atteint qu'après une crise, une période de dépression
d'absence divine oîi ils se purifient de l'attachement à soi
même, oii ils achèvent de perdre le sentiment de la valeur d(
leur personnalité (ij.
Ainsi ces g^rands iiiystiques aspirent à une transformatior
totale de leur personnalité. Elle s'opère sous la poussée inté-
rieure d'une conscience à la fois intuitive et active oîi s'unisi
sent l'élan lyrique et le courage pratique, la contemplalion e
laction ; et aussi sous la conduite de la tradition clirétienn<
qui impose comme nécessaires la vie et l'activité aj)ostoli(iues.
t]lle se constitue à la fois par générosité naturelle et par
réllexion systématique, l'intelligence surveillant et contrôlant
le développement mystique, réglant les apports de la subeons
cicnce, sans pourtant arrêter son élan naturel.
C'est ainsi qu'une systématisation progressive conduit le
sujet à un état définitif oii la contemplation et l'action se
réunissent : à ce stade, il ne représente plus Dieu, il l'ac
complit, il est son instrument, son action même, un Absolu
agissant ; il s'est approprié l'être et la puissance divine, il s'en
va à la conquête du monde. Les restrictions de l'askèse on
abouti à une immense largeur de vivre.
(I A.MiEi- parle de la « face riante et sombre de Dieu ». Fragm. Bouvier
(Revue de Genève, septembre 19^1 , p. 2y'3.
LA CERTITUDK MYSTI(,>UK 'J^I
Il osl intéressant de remai'(juer que cette (oimc de
Mystieisine. la plus achevée et la plus complexe, n'est [)as
particulière au seul chiistianisme. M. Sylvain L«''vï a montré
récemment que riiisloire du bouddhisme, au début de l'ère
chrétienne, présente des phénomènes analogues.
LES VISIONS
Les visions ne sont pas un phénomène nécessaire et cons-
liint. Beaucoup de mystiques les ignorent et se passent de
celte conlirmalion. Nous sommes ici en présence d'un problème
psychologi(iue analogue à celui que se posent les psychiatres,
(piant au rapport du délire et de l'hallucination. Pourquoi
certains paranoïaques ajoutent-ils [à leur délire des hallucina-
tions, et d'autres non, alors que le délire est dans les deux
cas l'inspirateur et l'artiste des hallucinations, le maître des
prestiges sensoriels? Il faut faire intervenir évidemment des
raisons physiologiques, comme les intoxications, et des raisons
psychologiques comme le plus ou moins d'esprit critique, la
dépense motrice du délire, etc. Il semble bien qu'échappent
aux visions ou n'en présentent guère, les mystiques abstraits
et spéculatifs; les critiques, ceux qui se détient du Dieu trop
précis, et de ses matérialisations ; les mysti([ues à automa-
tismes moteurs comme M™" Guyon (c'est à peine si chez elle
les visions sont représentées par les songes et quelques
paroles) et enlin peut-être certains mystiques actifs qui se
dépensent dans l'action.
Il faut faire intervenir aussi, en dehors de la prédisposition,
comme cause adjuvcintc ou provocatrice des visions, les lon-
gues oraisons, les jeiines prolongés, ou dans le cas des extases
orgiasticjues, les excès de toute nature; dans les deux cas, les
intoxications et aussi la préparation mentale, les exercices
spirituels, la direction mélhodi([ue de l'imagination. Il y a
•J^12 1 A HKI.KWON Kl' I.A lOl
dans l'applicalion dos stMis cl \v colloque, procédés lamilieis
à bien des mystiques, loul au moins une direction de l'atten-
lion vers les images, vers l'illusliation sensible de la pensée.
J'ai insisté ailleurs sur le caractère des visions mystiques,
([ui sont le plus souvent des hallucinations psychiques, au sens
de Baillarger. Séglas, des pseudohallucinations, au sens de
Kandinsky. des représentations aperecptives, au sens de
Petit, bien plutôt que des hallucinations psycho-sensorielles.
.laillies de la profusion d'automatismes et de la dissocia-
tion qui les supporte, elles remplissent plusieurs fins. Elles
juslilient l'oraison (i), elles présentent un objet précis, équi-
valent de l'extase indéfinie, oii la conscience, au sortir de
l'ombre, la contemple et se rassure. Les Mystiques orthodoxes
y retrouvent la contemplation des objets de leur foi. Ils s'y
donnent les images qu'il leur faut pour l'expliciter et la com-
prendre : illustration et confirmation, elles ont un caractère
synd)oli(pie et didactique.
Souvent aussi elles expriment le tempérament poétique
du sujet et l'élément lyrique de l'extase. L'extase déborde en
visions, comme la nébulosité poétique se solidifie en strophes
et en esquisses sonores. Par les visions le Mystique amortit le
monde réel et se crée un monde imaginaire ; les grands rêves
religieux, épanouissement de sa sensibilité, effacent le monde.
Ainsi s'exprime et s'affranchit son amc. Les visions sont une
j)oésie religieuse et une étape vers la libération, vers la nudité
de l'esprit.
Ijidn elles ont tendance utilitaire, et, par là, elles se rap-
I)ortent à ce que nous disions plus haut. Consolation, conqien-
sation, direction, art de se dicter à soi-même des lois divines.
E. Boutroux écrit que dans les paroles divines que sainte
I
I Par cxpniplc les j)r(;iiiières « paroles » de sainte Tlirrèse répondent à
un (l<jiite sur les faveurs qu'elle reçoit, réponse vcrliale à un trouble ad'eelif et
à un doute spéculatif. Elles s'accentuent et se luuitipiienl dans les périodes
de tribulation et d'éniolivité.
I.A Cr.RTITUDi: MYSTIC^UK U^J
Tliôrôse ciiteiid. « ses |)i()|)ios desseins lui revenaient extério-
risés (i) ». Kl même, Iors(jiie l'utilité est moins imniédiale, il
y a sous eelte poussée d'imaj?es un proeessus téléolo^Mcjuc.
réeompense du Sacrifiée, suppléance ou revanche de l'auto-
toniie. sublimation des tendances inférieures refoulées.
Les visions ont souvent un caractère progressif : d'une
<'S(piisse indistincte à des précisions croissantes. J'ai exposé
ailleurs les ("lapes de ce développement chez sainte Thérèse.
Lucie Christine se trouvant en butte à des obsessions, le regard
(le Jésus traverse son esprit comme l'éclair; elle ne voit pas
distinctement les yeux ; mais elle voit intérieurement « son
regard divin em[)reint d une grande puissance d. Cela c'est à
peine une image visuelle. Hugo, devant le meurtre de l'évèque
de Liège, demandait à Eugène Delacroix ce que c'était que l'un
(les personnages avait à la main, v J'ai voulu peindre le scintil-
lement d'une épée », dit le peintre, a Cela est de mon art et non
pas du vôtre ». dit le poète.
L au d a[)rès, elle revoit ce regard et peut le contempler :
c'est encore à peine une image visuelle. Elle ne voit pas la
forme des yeux ; mais elle voit la toute-puissance d'expression
et le charme qui rayonne de ce regard divin, où son àme reste
attachée.
Plus tard, elle voit les sourcils divins, puis le vêlement ;
puis lensemble du visage, puis tout Jésus-Christ.
Peut-être le travail, la concentration d'esprit, 1 eU'ort,
\ i<iiiienl-ils parfois au secours du sujet? Auguste Comte, un
jour (|M il avait les yeux fixés sur les reliques de Clotilde,
1 aperçut couchée, très pâle, telle (pi'il l'avait vue poui' la
dernière fois au moment de sa mort.
Depuis, il essaya de reproduire son hallucination dans ses
|»iières, dans ses eoinuM'Uiorations et ses elfusions. 11 i)r<)eé-
dail progressi\ eiiMiil : il évcxpiail d abord, les yeux fermés, la
I IlllUrlili <lr 1,1 SitrI.I,' ,!,' jih i I D^ufili ii- . I<|..ti
2*4 1 A RKLKIIO.N ET LA I Ol
ohanibrc morluairc : il se raj)j)olail l eiiseinhle puis les moin-
dres détails: et seulement lorsque la vision était devenue assez
clîiii'e, il ajoulail au tableau l'image de (Uotilde, dont il déter-
miuail avec soin la pose et le eostume (i .
LES ETATS NEGATIFS
La certitude mysticpu- se poursuit à travers des états
néffatils : dépression et sécheresse, oîi la joyeuse possession de
tout à l'heure se change en absence ; mais cependant la foi ne
lléchit pas. « Car cette sécheresse pour l'àme qui aime, est
plutôt une épreuve qui rend son amour encore plus fort et.
j)lus délicat, qu'une punition de ses infidélités : et quoiqu'on
puisse profiter de ces deux choses, il est facile de voir quand
c'est par épreuve (2). » De ces grandes oscillations, inévitables
chez de grands affectifs, les mystiques font volontiers un
système et une méthode de purification.
Enfin, il y a l'autre pôle du Surnaturel, le royaume des
démons. Les états démoniaques sont la contre- partie des étals.
1/ l)( MAS, Psychologie de ileiix Messies, 216.
fa Sd'ur Marie-ColcUe, iSi, i25. « Comme toujours, l'obscurité suit la
lumière, et les désolalions la consolation. Mon âme est ainsi conduite,
qu'elle est, à certains moments, prèle à toucher le ciel parce qu'il lui semble
éprouver de si suave et que bientôt après, il lui semble être au moins à la
j)orle de l'enfer. » Cf.. sainte Cliantal, Vie et (Muvres III, 461. « Les sécheresses
que les commençants en la vii* s]>irituellc peuvent appeler grâce insipide
ou cachée sont plus précieuses que toutes les consolations, parce que l'ex-
périence nous apprend que toutes ces vertus croissent .sous les aridités cl les
soulfrances comme le blé sous la neige. » Cf. Catherine de Jésus. iLa Vie de
sainte Catherine de Jésus. iGSi citée par Brémo.no. Ilist. Litt. du Sentiment
Religieux. II, 3'3fl.
« Il lui impriniail quelque chose du délaissement du l'ère éternel qu'il
fiorta en la croix. Cela faisait en elle un cITet si grand et si extrême qu'elle
croyait retourner au néant, ex{»rimait sa peine, tantôt par le nom d'anéantis-
sement, mais plus ordinairement par celui de privation, lui semblant que
Dieu lui faisait porter un retirement de lui qui lui était insupportable, non
pas ([u'elle vit que Dieu se retirait d'elle par la grâce nécessaire au salut, ni
par aucune sorte de grâce, mais c'était une manière de privation dont Dieu
usait avec elle, par une sorte d'épreuve et de souffrance... laquelle ne se
peut pas expliquer... et n'en peut en donner aucune raison, sinon* (jue celui
qui c^t tout-puissant l'a voulu et l'a fait ainsi. »
I,A CKRTITLDi: MYSIK^lfl. -J^a
<li\iiis. I.c .Myslicjiir Hotte cnt^o ces (1(mi\ conditions cxlrrmcs.
parfois lort cnihaiiassc de discernci'. La « Sauvagerie sans
nom •' lorce parlois la eonliaiiee.
L'EXTENSION DU MYSTICISME
De tels phénomènes ne sonl pas rares.
Nous avons déjà parlé des cultes d'exeitalion des prinulils.
L'ethnographie abonde en exemples. L'histoire nous a conservé
des formes nombreuses de cultes orgiastiques en Asie, en Alri-
([ue, en Grèce, à Rome. L'histoire du chrislianisme contient une
• pianlité considérable de phénomènes mysti(iucs de tout ordre
et de toute grandeur; période des cJiarismes. glossolalie et pro-
phétie; théologie mystique de l'Aréopagite et de son école,
mysticisme des cloîtres, les Viclorins, les dominicains allemands
du xiii" et du XIV*' siècle, le ('armel du xvi' siècle; mysticisme
(|es sectes hérétiques : quiétismc et illuminisme ; sentimen-
talisme religieux de certaines sectes réformées ; mysticisme
individualiste: prophélisme. phénomènes de réveil, l^t toulc<'hi
est loin d'être éteint de nos jours.
L'Inde est aujourd'hui encore une terre sacrée; elle a ses
^ ogis virtuoses de l'ascétisme, épris de contenq^lalion ; sa
c()nlem[)lation bouddhique ou brahmanique, son mysticisme
hindouiste, les l'èles d'excitation de Çiva. Dès l'époque brahma-
nique, les exercices ascéticpies <le r.\nachorète et de l'Ascète,
le a Ta[)as -) a trouvé un point d'appui dans la doctrine du lîiah-
i ma neutre. La synthèse de doctrines, par e\enq)le, le Sankya.
et de pratiques, le Yoga, est à l'origine du bouddhisme. Il n'y
a peut-être pas de groupe de religions où h' mysticisme^ s'étale
plus libiemeut.
L'Islam a eu et a encore ses sectes mystiques : ('hadelya,
Aissaoua, HcCaiya, Kadriya et bien d'autres cultivent l'enthou-
siasme. Le Soulisme s'est formé sans doute sous rinlluenee du
•J-G I.A HKI.KilON 1:T I.V lOl
Nroplaloiiismi'. cl pciil-rlic dr I'IikIi'; à un cHMlaiii inoincnl de
1 liisloiic (le rislain. la doelrine néoplatonicienne de rascélisnie
el de l'exlase. la doelrine l>oud(llii(|ue d'anéantissement et
d al)soi'|)lion soiil venues donner un fond (lop:niali(|ne aux pia-
li([ui's de eei'Uiituvs socles : en l'ace de l'Islaniisme Ibrnialisle et
dojçinaliipie, le Soulisme se eoniixnle à j)eu près connue \c
]\ryslicisn»(' elii-i'-lien à r»''i;ard de l'I^glisc (i).
Imicoic ([uisraël ne se soil allardé ni au (level()j)peuienl doi;-
niali(iue. ni au\ ellusions myslicpies, (pi'il se soit allaelié surtout
à sa loi eérénionielle et à sa loi j)ro|)héli(pie, oscillanl à liavers
sou liisloii ccl aujourd'hui encore «Mitre un Ihéisuie nniversaliste
et une reli,y:ion nationale (rol>s<'rvanee, il a eu, dans le passé,
ses prophètes, et maintes fois ses inspirés, et aussi, sous liu-
lluenee de l'hellénisme (^t de l'Orient, ses écoles exlaliques. Au
temps «les ( îai)iiiui, il y a <'u le uïysticisme de la Mercalx'h. La
Kahhale est une réaction contre la casuisticiue talmu(li(iue. Les
X«)uveau\ llassidim sont, à «ertains é^•ar(ls, une secte mysti(pie.
MYSTICISME ET RELIGION
Il y a des relij^ions sans mystieism«'. par exeuiple la vieille
r«'Iii;i«)U r«)main<' (2) : il y a dans les reli,t;i«)ns (pii admettent le
mystieisme, par e\em|)le le «hristianisme, une jurande ditrérence
entre le mysli([ne et le li«lèle ordinaire.
Le lidèle j)aiti(ipe activement aux aclt-s d'où son salut
dépeu«l ; le «idle et la croyance, la loi en sonmie lui procurent
une coniiaissane«' su|)rarationnelle sans doute, mais formulable
pourtant : il demeuic s«)i-mème sous les transformations que la
^i«' l'clii^ieuse lui inipos«', et il se nu'ut dans un univers r<'li,i;;ieux
de «pialités dislinclcs cl de i('alil<''s «h'-linies.
'I Voir Xi<;iioLb(j.\, Tlic M)-slict> 0/ JaUini, 191:5. — Montkt, De t'/''laf. pré-
srnt ri de l'Avenir de l' IsUiin, Hfii ; L Islam, 1921. — (iAri)i;rnoY-l)KM()MtvNKs
Les Jitslilitlions Musulmanes, 1921.
•>' Li*s considérations <{ni snivenl onl «iéjà pai-ii en parlic dans Scientia ;
juillet i<.)i7.
i,v c:i;m m DK MvsiH.ti'i; 277
l'oiiiliiiil. il y a (l.iiis rc\|)('iirii((' rcli^Mi'iisc le i^cinic de
I cxin'rit'iKM.' niysli<|ii(' cl l'on apcivoit sans jx'inc des roiiiu's de
liaiisilioii. Pai- ('\oiii|>U', le coiilre de l'<'\j)(''i'i«'MOc rclit^iciisc.
(• Csl la loi : ([iiil saisisse de loi iiiipliciU' cl coiiinic cxlciiciirc,
loi piiisi'c dans la |)iali(iiic ou daiis le lallacliciucnl à un ui'ou[)c
social; loi d'auloril»' : ([u'il s'ajj;issc de la loi croyance gii delà
loi conliancc. La loi, sons lonlcs ses formes, c\*sl nne |)rise île
|H)ssession, l'adhésion an\ objets de la rclit^non. Or, celui (|ui a
la Toi seul loujoui's (jue vi'[[c foi ne \ icnl |)as ahsoluuunl de lui,
mais aussi de l'objcl en (|ui il a loi ; toute loi csl un don de
soi-inèini', mais ce don csl comniandt'' pai- la puissance à la([u<'ll(;
on se donne. (]clle impression, spontanée, puisqu'on larclrouve
dans raltachemenl (pii est à la racine de toute passion, est
renlorcée par l'idée que le sujet se fait de cet objet et de cctie
puissance ; de leur supériorité et de leur transccntlance il conclu!
(pi'on ne va à elle (pi'avce leur aide et que même ses bons mou-
Ncmcnls ne viennent [)as de lui. Tout cela sans doute n'est pas
encore la passi\ilé (pie le m\sli(pie décrit, mais c'en est
réi>auclie ; et la passivité mysti(ju«^ admet des déparés ; jusqu'à
un certain point, le mysti(|ue a conscience d'inteivemr. de
préparer, d'acipiérir c la ('()ntenq)lalion ».
De même, si précises ipie soient les allirnialions de la loi,
elle a toujours (piehpie chose d'irialionnel : dalKud parce
(|u elle (h'passe les raisons d'allirmcr, cl puis [)arce (pTellc
allirme, au delà de la raison, la puissance darUi nialion (pii la
constitue.
l*uis(pie les objets de la foi son! amrnu''s au delà de la
raison, ils a|)paiaissent à l'esprit enveloppés d'une |)uissance
d allii inalion <pii lait paitie d'eux mêmes; il y a dans la Foi le
mystère, et la i)iMssance du mystèi'c. Mystère autpiel <'llc
se complaît encore (|u il lui soil im|)én(ii'able : sous la
croyance, elle imatririe volontiers la vision, l'appréhension
de la réalih' sous-jacenle aux objets de la Toi cl (pii les
déboi'dc.
378 I.A UELK.ION F.T l.A KOI
Kniiii. l'on na j)as de peine à coinprentli'e que la foi ardente
aspire à l'assiinilatuui avee ses objets: le sujet tend à sd
dépouiller de '^oi-niènie, à se faire sendjlal)le à la réalité en qui
il a foi.
Il va sans dire que nous pourrions aisément faire la même
analyse sur les applications de la foi; sur le culte oral ou
manuel, sur les -sentiments divers, sur les états d'esprit que l'on
trouve dans toute religion : la prière passionnée subit un élan
qui dépasse le sujet ; elle oublie les mois et les considérations
distinctes; elle oublie celui-là même qui prie; de même la
ferveur du culte ; de même l'aspiration (pii part de la médita-
tion et qui s'élève vers la conlemj)lalioii.
De ce rapprochement il semblerait résulter que le Mysti-
cisme est une forme e'xaltée des religions, le sentiment religieux
alT'ranclii des reslriclions, des réserves, des précisions; immé-
diation de la loi et de son objet, il supprime tous les intermé-
diaires, tous les moyens termes, hiérarchiques, pratiques,
intellectuels ou affectifs, que la foi connnune admet entre elle
et ses objets ; nous avons vu quels procédés psychologiques il
met en usage.
S'il en est ainsi, deux hypothèses sont possibles : ou bien le
Mysticisme n'a rien de créateur : il s'installe dans la religion
<pii lui préexiste et s'il la dépasse il ne vit que par elle. Ou
bien le Mysticisme est à l'origine de la religion même; elle vit
par lui avant qu'il ne vive par elle. Kt il est bien probable que
ces hypothèses sont vraies toutes deux et cpie le Mysticisme,
prêt à s'épanouir en ses deux formes dillérentes, est à la fois à
la base et au sommet de la religion. On dit par exemple: le
Mysticisme suppose la religion établie en culle et en dogme ;
contre cette extériorité, cette objectivation, il est une réaction
qui cherche à les ramener à un processus vivant, ou à les
compléter par l'excitation subjective ; c'est un phénomène de
compensation, par conséquent un phénomène secondaire : un
individualisme radical contre les églises et les sentes : un senti-
LA CEIM'U'UUE MYSri()UE 1-(i
mentalisme contre la dognialique et la praliciuc : uiiraiïiiiemcnt
<lii sontinu'ul, coiilrc le sentinicntlui-in(>me,soiis sa fonnc ohjoc-
livée. De lu vient (lu'il })eiit jouer dillerciits rôles au sein de l'é-
diliee religieux; par exemple il aide à l'aciiever en donnant une
réalité psychologique aux dogmes et aux pratiques; il les vivifie
une fois réalisées, il cond)le l'abime entre l'histoire et le présent,
entre les dogmes, les prati(jues et [)rot'ondeurs de la conscience ;
d'autre part il tend à dissoudre la religion positive et concrète à
force de la spiritualiser. Ces tendances différentes s'aflirnient
plus ou moins suivant les époques et les individus ; le mysticisme
peut être orthodoxe par fidélité, conservatctir par symbolisme
ou par indillércnce, anarcliique et résolument négateur.
Il est hors de doute que les formes supérieures du Mysti-
cisme doivent beaucoup aux religions sur lesquelles elles se
développent; elles présentent un caractère frappant de com-
plexité par l'interaction du vécu et du pensé, de rcxj)érience et
de la doctrine. L'histoire et l'analyse du Mysticisme montrent
une doctrine continuellement sous-jacente à l'expérience et
«ontinuellement aussi une expérience qui se formule en doctrine ;
c est cette ])énétration (|ui fait si riche rex|>érience mystique :
4jui distingue ses extases de l'éblouissemcnt naïf, des modes
enfantins de l'ingénuité sentimentale. Le Mysticisme bénéficie
<h' la tradition et de la pratique religieuse, sans parler de ses
Iradilions et de ses écoles, du système qu'il superpose au
système religieux et (pii est, dans une religion donnée, le patri-
moine de ses mystiques.
Il est vrai par conséquent que le Mysticisme, à un certain
ih'gré, repose sur les religions consliluées. A ce degré, il se
présente sous deux formes: une forme orthodoxe qui respecle
la religion et se borne à l'approfondir, à la réaliser; une forme
liétérodoxe qui tend ou bien à la dissoudre dans une spiritualité
<iu'aucune forme religieuse ne contenlc. ou bien à la contraindre
à dos innovations dogmatiques ou cnlluclles de plus haute
spiritualité.
uSo lA iu:i.i(;iON kt i,a i ot
Mais il y a, d'aulre pail, coUc imlicalioii dont nous avons
déjà tiré parli, que « los pliénomènes d'cxlase, les cxerciees
aseéliques sont d'autant i)lus fondamentaux qu'on se rapproche
plus des formes élémentaires de la religion (i) ». On ne saurait
oublier ces fails d'exaltation collective ou individuelle, cette
eil'ervescence confuse qu'on oonstale dans les reliiJ:ions primi-
tives (a).
L'histoire concourt avec l'ethnographie, en nous monUaul
la persistance ou le réveil fréquent des cultes orgiasticiues au
sein des religions plus rassises et la prolifération des phéno-
mènes niysli([ues au début des grands mouvements religieux.
Donc il n'est peut-être pas trop téméraire de supposer que
l'élément mystique, au sens oîi nous l'avons délini, a concouru
à produire la religioM. Les sentiments de puissance ou d'impuis-
sance, l'exaltation irrésistible, avec son double aspect d'exté-
riorité contraignante el d'éblouissement mystérieux, l'absorption
de la personnalité; ces caractères d'interruption et de dispro-
portion apparaissent volontiers à la conscience dans tous ses
actes de création : il serait étrange de ne point trouver cet élan
créateur à l'origine de la seule religion ; aussi bien l'histoire le _.
constatc-t-ellc à de nombreux moments d'inquiétude et de'fl
création leligieusc : se retourner vers cet élan pour l'adorer
(i Maiss, Année socinloffûjue, t. V, lyoa.
(2) Voir le beau livre de M. Duiklieim, les Formes élémentaires de la vie
relif^ieiise, Paria, 1912. M Durkheini voit dans r-etle efrcrvescence la base delà
relijfion tout entière, et il l'explique comme un fait d'excitation collective t
collective non pas seulement parce qu'elle se produit clicz les hommes^assem-
blés, mais parce qu'elle se i)roduit sur eux du seul l'ait (pi'ils sont assemblés,
el qu'elle ex|>riine en somme la communion sociale, l'exaltation de l'indivi-
dualité par la i)uissance du j^^roupe.
Sur le rôle que l'extase a pu jouer daus la formation de certaines notions,
comme la croyance à l'immorlalité, on connaît la thèse de Houoe, Psyché.
Amiel écrivait dans le même sens, Journal, I, 202: « Echapper par l'extase
intérieure au tourbillon du temps, s'apercevoir sab specie œlerni, c'est le
mol d'ordre de toutes les {grandes religions des races supérieures; el celte
possibilité psychologiqiie est le fondement de toutes les grandes espérances.
L'âme peut être immortelle parce qu'elle est apte à s'élever jusqu'à ce qui ne
naît point et ne meurt point, jusqu'à ce qui existe substantiellement, néces-
sairement, invariablement, c'eslà-dire jusqu'à Dieu. »
i.v i:i:Kruri)i-; mvstiqui; '-^^i
comme la soiirri' de vie la i)lii.s piol'onde et la plus pure, c'est
justement l'altilude mysli([ue. Il y a dans cet élan comme la
léaetion de Ihonnne à la vie dans son enscndjle, l'anirmatioii
enlliousiaste et confuse dune spontanéité cpii lui semble
présenti' en lui et plus grande ipie tout. Sous la l'orme indille-
l'enciée où nous le prenons ici. il domine dans toute la relit^ion.
nuiis il la porte à lui, prête à se flétaeher.
Le Mysticisme élémentaire s'ahsorhe dans les dieux (ju il
n'a pas pu ne pas se donner ; les cultes orgiastiques cultivent
rentliousiasme autour des notions cpii se fondent dans cet
enthousiasme même. Mais il porte avec soi les limites de la
réilexion et les exip:ences de l'action. Que cette théologie
encore im|)licile se développe, que ces pratiques spontanées et
ipii visent toutes à un ellet subjectif, à la production de l'extase,
s'organisent autour de notions et qu'elles visent à agir sur les
êtres (pie ces notions représentent, tâtonnant autour d'elles
pour les exploiter, alors naîtront un culte (pii se meut dans
une atmosphère d'intellectualilé, un ordre de notions qui
gouvernent la vie et règlent la conduite; d'un élan orgiastique
une religion proprement dite sera sortie. De même le caractère
divin de l'homme inspiré passe progressivement à certaines
personnalités privilégiées, puis à un corps sacerdotal, ([ui n'est
plus le Dieu lui-même, ni son incarnation, mais son repré-
sentant.
Le d(''N(lo|)pemenl de la icligion, à partir d un état élémen-
taire, indillérencié. ([ui renferme à la fois la religion et le Mysti-
cisme et qui ressend)le plus au Mysticisme qu'à la religion,
s'expli(pie df)ne connue s'expli(iuent le développement de la
spéculation, de la teehni<[ue, de la vie sociale. Nous n'avons
pas à essayer ici de rexj)li(pier. A mesure que les intermé-
diaires de toute nature se multiplient, dogmes, rites, hiérarchie,
on s'éloigne de l'iminédiation piiMiili\e, et la complication
même de ces intermédiaires ^ ise à remplai er dans une certaine
"mesure cette unité piM'due.
a8a Lv uELiGiox et la loi
On coniprend alors cotte présence virtuelle du Mysticisme
dans la rcliirion. et son cllaccnicnt souvent prcs([uc total, et sa
libération sitôt que lléchit le mécanisme réducteur. 11 est facile
de comprendre queleritualismeetrecclésiasticisme ne puissent
<[uc tolérer le Mysticisme. Au stade des religions tribales ou
nationales, légalistes, le culte est la base de la religion, qui ne
s'in(|uièl(' guère de foi personnelle, pour ne pas parler de Mysti-
cisme : parfois quelques pratiques orgiastiques survivent obscu-
rément, admises, tolérées ou ignorées par la religion régnante.
Au stade des religions uuiversalistes, des Eglises, l'organisation
et l'autorité tendent bien vite à prédominer; la religion s'objec-
tive également. Une Eglise est un dépôt, un trésor de grâces,
par les sacrements et la parole, indépendant des individus ; la
vérité y est donnée en formules ; le salut y circule. Le seul
acte de l'individu, c'est la foi qui prend contact, (jui assimile,
instrument d'adaptation au milieu salutaire ; ou bien la spécu-
lation théologique, la constitution et la méditation des dogmes
font passer au premier plan la foi croyance, la foi rationnelle.
De toute manière, la religion fixée, extériorisée, est soustraite
aux aventures affectives de l'enthousiasme individuel ou sectaire.
Pourtant l'histoire montre qu'à de certaines périodes le
Mysticisme reparaît largement (i). L'attitude des Eglises à son
égard varie : en général, même lorsqu'on lui accorde une place
dans l'économie du salut, même lorsqu'il est admis conmie une
sorte de vie éminente, connue un phénomène de compensation,
il est surveillé et limité, car on ne peut jamais, par le moyen
de l'expérience, apprendre tout ce qu'on doit croire selon les
enseignements d'une Eglise ; et les dogmes et le culte imposent
(i; Il est facile de comprendre que certaines religions lépugnenl particu-,
librement au Mysticisme; cela ne vient ni du caractère colloclif, ni du carac-j
tere utilitaire communs à toutes les religions, et qui permettent un cxtalism&l
collectif, une exaltation nationale, mais de certains traits particuliers, par'
/^•xemple : l'utilitarisme prosaïque et légaliste de la vieille religion romaine ;
le Mysticisme, à Rojne, sesl organisé autour de cultes étrangers ; par exemple,
la profonde croyance à la transcendance de Dieu, en Israël, et à l'impossibi-
lité de l'atteindre directement.
LA c:KRTiTuni; mvsikki:
sH'J
mu- liiiiiliiliou à la \'w iiiU'rieiii»'. en soi-iiK-mc sus|M'(;lti tl
Ksl-il possihk' de pirciscr les coiidilioiis ((ui ix'rmt'llcnt ou
• jni ravorisoiil la lil>éralioii du Myslieisine ?
Il l'aiil iiidi(|iiei' dabord qnc le Mysticisme- i'('j)araîL selon
les cas, sous deii\ formes ; celles-là même que nous avons
dislini^uées au début de cette étude, la forme liusle, élém<*n-
laire. et la loinie su[)éi'ieure.
La seconde forme n'est ])ossible ([uc par une théologie
niysli(iue; et c'est son attachement à une théologie qui la
tlistingue de la premièie. La spéculation avait coulribué à
tvausfoiiner renthousiasme en religion; ime spéculation néga-
tive contribue à transformer la religion en enthousiasme. Nous
avons \ u que le Mysticisme bouddhique naît de la synthèse du
Yoga et du Sankhya : le Mysticisme chrétien s'organise autour
du Mysticisme spéculatif du Pseudo-Aréopagitc. Le Mysticisme
spéculalif, <'n ouvrant les proiondeurs de l'intuition inell'able,
conslruit l extase lyri(iue que nous avons étudiée.
Ainsi, il faut noter d'abord que le développement du Mysti-
cisme tient tout entier entre les deux formes que nous avons
signalées et ([ue le passage de l'une à l'autre s'accomplit sous
la direction d une idée. N'est-ce pas ainsi que tous les états
d'àmc s'enrichissent et s'approfondissent? L'idéalisation des
sentiments n'est-elle pas la fornmle menu; de leur progrès?
11 faut se garder du reste de confondre crise religieuse et
Mysticisme.
Les Sectes réagissent conire les Kglises : connnunaulés
d'adhésion libre et consciente, déliantes de l'organisation ecch'-
siasti(pu' cl du nionde. qui s'en retirent ou cpii les atlacpu'iU.
cullivaul volontiers 1 enthousiasme et regagnant en iiilensilé ce
qu'elles perdent en extension. Mais beaucoup de sectes u ont
rien de m\sti<pic. S'il arrive IVé(pi( incnl (pu- l'on lrou\e aux
épo(pies de crise religieuse, chez les individus [)r(''disposés. d«'s
phénomènes frustes de Mysticisme, les cii-ic^ ifJiLîiciis.s iibou-
2»4 I.\ IIKLK.ION ET L.V KOI
lissent siii'loul à des formes nouvelles de religion ; par exemple,
le lidéisme protestant n'est (pie très exceplioniiellemeiit mys-
titpie : sous lu l'orme luthérienne ou calviniste du ,Sola Fide
les faits nous montrent que cette foi confiance est aussitôt
enchaînée à l'Kcrilure, de sorte ([ue le texte sacré arrête du
premier coup cet épanouissement sentimental; d'autre part, elle
est retenue par un processus étranger à la conscience indivi-
duelle, par la justification extérieure, grand drame religieux
qui s'accomplit tout entier en dehors de l'individu. De même, le
lidéisme à la lagon d'un Schleiermacher montre le sentiment
étricjué par la nécessité de retrouver une religion tlonnéc
d'avance.
D'autre part encore, le Mysticisme est jusqu'à un certain
point indépendant 'des crises religieuses; jusqu'à un certain
point il se suffit à soi-même et n'a pas besoin de puiser à une
lermenlalion plus générale : il y a des mouvements mysti(iues
qui se présentent comme des systèmes fermés. L'existence de
certaines traditions, de certains milieux de culture jouent du
reste un rôle considérable; par exemple, dans le mysticisme
catholi(jue, les cloîtres, les ordres contemplatifs, l'ascétisme
monacal, qui du reste n'ont pas été construits originairement
pour celte fin, et qui ne visent pas ([u'à elle; par exemple la
communauté bouddhi(jue.
^
CHAPITRE 11
L'INSPIRATION PROPHÉTIQUE
LE PROPHETE
Il faut distinguer d'abord l'inspiration privée et l'inspira-
tion proplK'ti(jut'. La première est une illumination qui éclaire
la conscience du sujel, soit cpie cette illumination projette un
jour nouveau sur une vérité qu'il savait déjà, soit qu'il y ait
dans sa conscience un apport nouveau; mais le sujet la garde
pour lui. La seconde est accompagnée de l'idée ou du senti-
ment d'une mission révélatrice. De la première nous avons
déjà j)arlé à plusieurs reprises. Kn étudiant l'inspiration pro-
phétique, nous l'étudierons. elle aussi, mais à une puissance
supérieure.
L"Insi>iré, le Prophète, est un chef religieux, un iiomme
de |)assion et d'entreprise, que sa mission conduit, et (jid
travaille h la reiuplir. Sa ligure se détache du gioupe des
grandes personnalités religieuses. Le Prêtre, animateur sans
doute, est surtout un administrateur. Le sacerdoce a fonction
conservatrice et institutionnelle; il organise: il maintient les
coutumes et gère les cérémonies. Il est, comme l'a bien dit (loe,
la logifpie de la consistance, la piiissaïu-e de la tradition (pii
fait conti'cpoids aux impulsions nouvelles, aux ceititiides
intiiilive<. Le Hituel, l'Iv-riture, la littérature sacrée, voilà ses
286 I.A UKl.K.lOX Kl l.\ KOI
moyens d'aclion. Il loiiihc aiscment au formalisme mori, à l(
rouline mécani(|U(' ( i ).
Uéaliscr do façon éminenle lidéal religieux, telle est h
tàeiie du Saint. Etablir le contaet avec le monde divin, telh
est celle du Mystique et de l'Inspiré. Mais l'Inspiré clierchi
dans le monde divin des enseignements et des ordres précis
des révélations utilisables, (juil transmet ici-bas. Il est un ini-
tiateur, et dans Tordre des valeurs religieuses, un inventeui
Non pas simplement un agitateur ou un chef : un agitateu
qui se lève pour donner une forme et assigner un but inuné-
(liai aux sourdes tendances de la foi populaire; un chef, qu
a|)porte la victoire à l'une des croyances en conllit, qui orga-
nise un parti par sa puissance à convaincre ou à déchaîne:
l'émotion. Mais un 'Prophète, celui qui apporte une nouveauté
([ui relève le Siècle de sa léthargie, qui révèle ou confirme un(
doctrine ou une règle de vie, qui fait voir au monde ce qu'i
désirait, qui révèle les hommes à eux-mêmes (2).
Il convient de distinguer, avec Coe, deux types de pro
])hèle : le type shamanistique, le type éthiciue; le premiei
représenté, par exemple, par les devins d'Israël, les deviuj
enthousiastes de l'antiquité grecque (3), par l'hommc-médecim
des tribus indiennes, par le shaman sibérien. La communica-
tion avec l'an delà vise à s'établir pour le profit immédiat di
magicien ou de son client, par le moyen' d'une espèce de pos-
session extatique, à la faveur de la transe et des visions. Li
forme éthi([ue est avant tout révélation morale, recours dire(
aux sources de la vie religieuse, appel à des forces en sommeil
en opposition à lautorité et à la tradition.
I; L'oppositifiii «lu iurtrc et ilii |)ii(i)liclc il été préscutén de façon incom
pai-îâble par lîarrès, (lans Ui (Jollinc ins/jirre-
2J Voir Coe, Psycholof^y of Jleliifion.
i3) 0 Furor, cum a corpore animiis ahstraclas dh'ino inslincta coiwilatur.
— (JiCKRON, De divin., I, 66. (Voir HoIkIc, Psyché : L'eiitliousiasmc n'est pa
resté en flrèee à l'état de nianilestalion accidentelle; un eoneoui-s de circons
tances lui a ouvert à Delphes un débit ié>,Milier.;
t.'iVsi'IRATION PROl'HJ'TKK i: 287
Toutefois la dôimircatioii est difticile. Beaucoup de grands
|>i'Oj)lu''tes ont ronim la possession e\tali([ue. les rêves et les
visions. Mais la ferveur et la puissance morale, ici. illuminent
tout et font le départ.
Le sliaman, voyant, devin, sorcier, hypnotiseur, oscille
entre le charlatan, le fou et linspiré; c'est un prédisposé qui.
j>our atteindre le monde mystérieux, se soumet à un réj?im<',
à une préparation ascétique : fumigations, jeûnes, intoxica-
tions, exercices intellectuels violents. ]1 parvient à la transe,
<[u'il interprète comme possession par les esprits, et d'oii il
rapporte des révélations. Ses automatismes lui apparaissent,
et aux autres, comme des [)ouvoirs supérieurs et c'est d'eux
«|u'il tire son autorité, que la réussite vient confirmer plus ou
moins. T/habileté à songer aux intérêts généraux du groupe.
à s'en occuper, donne plus d'ampleur à cet humhh' pro-
phète.
Il survit bien souvent quelque chose de ce primitif chez
beaucoup, <[ui interpréteraient ce rapprochement comme mie
olfense ; un Joseph Smith, une Mrs Eddy, répondent à certains
('■gard.s à ce ty[)e.
Il est probable ([ue, chez le shaman, la bomie foi et la simu-
lation s'unissent dans une proportion diflicile à définir. Il croit
aux j)OMvoirs supérieurs et il aide leur action. La tradition
lui imjxxse jus([u'à un certain point ses extases et ses visions
et lui eu lournit une interprétation. Ainsi il subit la suggestion
d'une tradition. D'autre part il est prédisposé à des accidents
convulsifs ou à des états oniriques, et l'autosuggestion ren-
force la nature et la tradilion: la préparation ascétique est.
nous lavons vu, un long elFort de direction d'intention, et la
provocation et l'exjiloilalion d'états physiologiques piopices
à ce <[uc l'on veut éprouver. Il médite ses aventures. Il ren-
conlre la crédulité publique, qui renforce sa conviction ou sa
demi-conviction. Et même lors([u'il aide son ministère de
<|uel(pies hâbleries, de ([ueh[ues mensonges professionnels et
a88 I.V RELIGION KT I.A KOI
(lo qiiehiucs tours de main, ils sont si bien eiuadiés dans tonte
eette foi (jn'ils en parlieipent à nioilié(i).
Il y a iei l'inteiaclion, déjà bien des lois signalée, d'une
doetrine el d'une expérience; la doctrine admise par autorité
(le la tradition et par contrainte sociale, et aussi parce (pTelle
répond aux dispositions du sujet; la doctrine suscitant ou
lavorisant des expériences, aidant à les interpréter, et sui)is-
sanl parfois leur contre-coup.
La Snggestion ainsi entendue est un processus complexe
oii s'unissent à une pression presque mécanique, la docilité,
la complaisance et le travail propre du sujet, d'un sujet chez
([ui les pouvoirs de résistance sont diminués et de par sa cons-
titution même et de par l'autorité extrême de la tradition;
d'un sujet ouvert à' des expériences invasives. L'esprit critique
est paralysé par la force de la croyance traditionnelle, et
l'expérience se présentant sur le plan de la tradition est admise
sans réserve; la tradition et la prédisposition ouvrent les
brèches par où pénètre la croyance.
Il y a en plus rAutosup:gestion. L'Autosuggestion, c'est le
travail du sujet; le sujet prend la suggestion à son compte et
s'appli(jue à s'aveugler soi-même, à se rendre captif de l'idée,
à se mettre dans un état favorable à son action; et cela par le
mécanisme conjoint de la direction d'intention et du régime
favorable. La méditation continue, se lixant sur les idées et
sur les faits, maintient et réalise l'idée directrice : tout devient
«igné et preuve. Ou bien l'idée, à l'insudu sujet, travaille; et il
la trouve en soi toute réalisée et comme une œuvre étrangère.
Le sujet est dupe de son œuvre, parce q l'il ne se voit pas
la faire, parce que, quand \[ agit seul, il croit ne faire que
collaborer; parce ([ue les élans et les mouvements de son
élaboration subconsciente dépassent et de beauconp les mo-1
ments du travail elfectif volontaire.
I Voir Us Unes analyses de Malss, l'Ori;jçiiie dea potwolrs imgiq:i3i, i5'J
l'inspiration imum*hi:ti()uk aSç)
Aciivilé et Passivité cilleriu'iil; (M mémo an milieu de son
aclivilr. le sujet est souvent surplis |)ar un afilux de passivité:
certains é[)is()des sont hors du plan préconeu, el sur\ icnnent
vw dehors de toute prévision, certains symptômes suri^isscut
<pii sont tout à fait difFérents de la préparation qui les fait naître.
Ainsi le sujet joue une scène dont il ignore souvent toute la
signification, et il est son premier spectateur et parfois sa
première victime.
C'est donc un mélange de sincérité et de comédie. Le sorcier
est un peu acteur: il a besoin de faire illusion et aussi de se
faire illusion; il a le goût de la réalisation plastique et de
l'expression dramatique; c'est un acteur pris par son rôle et
(h'jà à demi convaincu. Son esprit s'appli(pie au maintien de
son personnage et il exploite intelligemment les accidents
nerveux à demi provoqués par le schéma traditionnel,
l'attente du public et la crédulité d'autrui.
Le point de départ de tout cela, c'est donc une constitution
neuro-émotive; l'énorme puissance de la tradition; Tinstabililé
el la fragilité de l'esprit, <[ui subit et (jui élabore certains
schémas traditionnels.
Le prophète est soulevé et soutenu j)ar l'enthousiasme reli-
gieux el politique : c'est un génie religieux; pour certaines
épo(pies de la civilisation, il est l'expression de la raison et de
la conscience de l'humanité. Parti de la forme grossière (pie
nous avons décrite, et (pii renveloppc de son appareil con-
\iilsif, l'esprit prophétiipie s'en dégage peu à peu: el iiK'ine il
aboutit dans bien des religions à ce type ou à cet idéal dins-
piré, en j)leine possession de tontes ses facultés, régnant sou-
verainement sur les parties indomptées de l'àme, proi)h(''lisaut
dans un calme parfait, à l'heure oîi il veut. C'est le portrait
19
290 LA UELK.ION ET LA FOI
que Maïmonido tr;ice de Muïsc (r). Mais ce n'est cruèie qu'un
idéal, et dans la réalilé historique le prophétisme send)le s'ac-
compagrner toujours d'une excitation anormale qui aboutit sou-
vent à des troubles psychosensoriels. Comme l'a bien fait
remarquer ^Vlmdt, c'est précisément en cela que consiste
l'essence du prophétisme, ni dans les illusions et hallucina-
tions du pro[)lȏte, ni dans les simples mouvements religieux
et nationaux de son temps, mais bien dans l'exaltation que ces
mouvements produisent en ces personnalités exceptionnelles
et qui aboutit à une rupture d'équilibre psychique. I>e pro-
phète reste, dans le royaume ténébreux de l'enthousiasme, un
visionnaire, qui prend pour des révélations de Dieu les idées
qui se lèvent dans son esprit ; et il a l'idée d'une mission ; et
ses actions témoiifnent parfois de sa grande exaltation : Isa'ie
se promenait sans vêlements ni chaussures dans les rues de
Jérusalem, pour signifier le sort qui attendait ceux qui vou-
draient résister au roi d'Assur.
Dans l'histoire d'Israël, on peut suivre cette « évolution
qui, du voyant devin et sorcier, de l'enthousiasme délirant, a
fait le prophète des derniers temps de la monarchie, juge des
rois, défenseur des pauvres, prédicateur de justice, toujours
préoccupé de l'avenir par tradition d'état, mais coordonnant
ses prédictions à un enseignement moral » (2). L'exlase. sau-
vage, moralisée, est devenue enthousiasme pour le droit et la
justice, considérés comme la cause d'iahveh, dont le prophète
perçoit la parole dans la voix de sa conscience et par l'esprit
de qui il se sent poussé. Avec les prophètes se précise et
s'élargit la notion d'Iahveh, et celle de l'idéal national du
(i) Guide des Egarés, II. 264 et suiv. ; de même la divination enthousiaste
s'était présentée à l'esprit des Grecs sous trois aspects distincts, « d'abord
comme une irruption violente de l'esprit divin dans un corps humain d'où il
chasse le moi conscient, puis comme une ujiion plus ou moins intime «thaJji-
tuelle de l'âme avec les dieux; enfin comme une apothéose qui fait du pro-
phète une incarnation vivante de la divinité ». — HoLcuK-LECLKncQ, Divina-
tion dans ranlif/uilé, p. 273.
(2) LoisY, Religion d Israël, i63.
L INSIMUATION PROPHÉTIQUE igi
pouplo juif; (Ml des époques troiil)l(''es, parmi les crises natio-
nales el reliijjiouses, ils ont travaille' à remédier au grand mal
qu'ils sentaient en leur nation. L n sentiment moral très pur,
beaucoii[) île bon sens et de profonde raison, associés à de
hautes visions. Ce contact immédiat de l'homme avec Dieu
cessera ensuite. L'achèvement du canon fortifiera cette convic-
tion qu'il n'y a plus de prophètes en Israël. Le livre se subs-
titue à l'inspiration, la révélai ion externe à la révélation
interne. 'Israël devient une religion du livre et de la loi; mais
on attend des prophètes dans l'avenir : et à bien d^s époques
troublées ces prophètes ont surgi.
La notion d'I^sprit a même évolution historicpie (jue la
notion de prophète : d'un pneumatisme grossier et magique à
un pneumatisme métaphysique et moral (r), d'une force reli-
gieuse sauvage à l'idée de la force divine, du dieu lahveh ; elle
s'oriente vers le Logos, la Sophla. Elle n'est que l'aspect
objectif de la notion de prophète.
De même, chez Paid, le mot Lsprit a deux sens : la force
qiù s'empare de l'homme dans l'extase : la glossolalie par
exemple est un de ses effets; la force constante qui accomplit
dans l'homme l'œuvre de Dieu (2).
LES CONDITIONS DU PROPHJETISME
Nous pouvons tirer de l'histoire du christianisme les con-
clusions suivantes, que l'étude d'autres religions vérifierait
aisément.
I. — Le prophétismc se rencontre aboiulamment au début
des religions. VA il a d'autant plus d'autorité que la religion est
moins oru:anisée et hiérarchisée.
(i) VoLZ, Di'f Geisl Godes, 191 4. — l>ri'i\. L«.v Origines (U^s controverses
triniUUres, liasriu' d'histoire el de, Utf'ratnic retitriense, t. II, p. aao.
(a) BoussKT, Kj-rios Ctirislos, vji'i. p. lay et siiiv.
•2C^-2 LA UKI.KIION KT LA 1 OI
Selon la Didai'liè, la lui rarchic naissante des évè(|ues et
(les diacres élus j)ai' la eoninuuianlé locale, est encore subor-
donnée à un personnel itinérant de piopliètes, d'apôtres que
l'esprit pousse oîi il veut (i).
Le proplîétisnie csl libre, au moins jus(]u'à un certain point.
D'après la Didachè (XIII, 3, X, 7) Les propliètes ne sont pas
liés à la lilingie: ils ont le droit de prier comme ils l'enten-
de ni r2).
II. — Le charisme prophétique concerne d'abord l'individu
que l'esprit envahit pour le régénérer ; il lui communique une
vie et des facultés nouvelles, surnaturelles. Mais en même
temps, le prophète fait participer ses frères à la plénitude de
vie dont il surabonde ; d'après les Actes, il annonce la parole
de Dieu dans les synagogues ; il console ses frères : il les
fortihe par des discours (3). Ces deux tendances interfèrent et
parfois entrent en conflit, comme dans le cas de la glossolalie.
III. — Deux notions de la prophétie sont en lutte dès^ l'ori-
gine ; et à travers toute l'histoire : la prophétie extatique et la
prophétie raisonnable.
Les glossolales chrétiens prophétisent, autant qu'il semble,
dans une sorte d'état extatique. Le glossolale est passif, et
c'est justement cette passivité qui fait croire à l'intervention de
rp]sprit. Car l'Esprit, c'est justement la force qui s'empare de
l'homme dans l'extase. On rapporte à l'esprit l'action puis-
sante et mystérieuse ('î). Et aussi rininlelligil)ilité. La glosso-
lalie est inintelligible pour l'auditeur, parfois même pour le
glossolale. Mais si l'inspiré a tendance à coter très haut cette
révélation inintelligible (.5), l'Eglise, plus rassise, a vite fait de
'i Batikkoi-, Kliules d'histoire et de flirolofrie positii'e, 19)5.
(2 Ukitzi;.\stki\, l'oiinandres, 220.
(3i Dk Lauhfoi.i.i;, La Crise rnontaniste, 114.
(4^ C'est la roniiule de (ItNKKL. Die Wirkanf^cn des lieili^rn Geistes. (GoUin-
gen, 1888.) « Dos iincrldarlich gewallige ist Symptom der Geisteserscheiniing. »
fâj En vertu du principe énonce jiar Piuldn : « En nous rintelligcnce est
t)annie par l'invasion de l'Esprit divin ; lorsque celui-ci se relire, elle revient. »
Quis rer. div. hner., 53.
l'iNSIMRMK^N riJOI'HKTIQUK aç)3
rrpondic <iii(' piiiscin'oii ne comprcinl [las, il laiil intiT-piéler et
(pu', coiniiR' 1 iutciprclalion ii c^st pas possildc dans Ions les
cas. le pliénoinône est imililc. C/esl le mol de saint l*aid : << Si
je prie en lanu^ues, mon Kspril |)iie, mais mon inlcllit^cnce
demeuie stérile « (i).
La ^dossolalie déerite dans les épilies pauliniennes, est, en
eltet.un langaiçe enthousiaste, automatique, irrationnel, incom-
préhensible à l'auditeur, eonl'us et indistinct, l't pourtant
jus(pi'à un certain point elassable (2). Il a siji:nilieation reli-
gieuse; il vient de l'Ksprit et il est diriji^é vers Dieu. Le ii:losso-
lale esl proiomlément édilié par ces paroles cpiil profère et
(piil ne ii:oiiverne pas.
La glossolalic reparaît à bien des époques sous des formes
plus complexes.
Au plus bas dcicré, les formes içlossolaliques rudimen-
taires (3); cris inarticulés, simples balbutiements; émissions
vocales confuses, difliciles à discerner de simples érnelations
émotives ou nerveuses, d'autant (jue souvent elles sont accom-
jiau:nées de convulsions, de hocpiels, de sanp^lots ou de spasmes.
L'émission ver]*ale n'est qu'un réllexe de l'émotion et de l'état
de déséciuilibre. Ou bien elle est soutenue par nne idée : les
« nouveau-nés de l'Esprit » se comportent connue des enfants.
Plus haut, c'est un pseudo-lamjai^e, analoi^ue à celui des
jçlossolales de Corintlie, ininlelli,ii:ible à lauditeur, parfois nu''me
au glossolale : ou bien l'intelligence ([u il en a est inlermit-
tente. partielle et fragile,
Plus haut encore, c'est comme un langage véritable ; en ce
sens (pie le rapport des mots aux idées est constant et se
maintient tout au long des textes recueillis; c'est ici la contre-
façon pins ou moins adroite d un langage: ainsi Hélène Smith
(I) /. Cor., 14, 14.
(a) Pail, /. Cor., 12, 10. a8.
(3) l.oMUAiii), De la !,doiisolali('. i\)W. — Vfistkii, iJie psycholoifiai-fn' l-'ulriil.'ic-
Inuff der rcliifiôsi'n (ilossolalic, lyia. — L'un dps recueils «le (locunirnts les plus
intéressants est le livre de Cahhi-; m: Montc.kkon, La vcrité des miracles, etc.
394 LA RBLIGIOX ET I^ KOI
de Flournoy (i), ou la voyante de Prévorst de Jimp^ Stilling:.
EmaiK'ij>ation du lanp:age, ou confuse expression verbale de
scnlinients indicibles el étranges ?
Il y a aussi les discours véritables, soit dans une langue
peu familière au sujet et qui constitue pour lui comme une
langue sacré*' (ainsi les prophéties en français des C.amisards),
soit dans sa langue familière, mais rythmée et parfois rimée;
soit dans le langage ordinaire (2).
L'attitude du glossolale à l'égard de son langage prophé-
tique est aussi variable. Il y en a qui ne se comprennent pas
du tout; il y en a qui comprennent en gros ce qu'ils disent, on
(pii. du moins, ont présent à l'esprit simultanément et leur
langage, et une signification plus ou moins eonfu&e, mais dont,
parfois, le vague n'exclut pas l'intensité. Il y, a ceux <[ui, disant
ne pas comprendre, donnent aux assistants, par leur mimique
et l'allure de leur débit, l'impression vive qu'ils se compren-
nent ; d'autres gardent seulentent le souvenir d'avoir compris ;
d'autres enfin se comprennent tout à fait.
11 y a de nicme tous les degrés de conscience, depuis la
totale amnésie consécutive et l'inconscience absolue, jusc^u'à
la pleine conscience de l'impulsion subie : et différentes formes
d'impulsion ; parfois c'est seulement le sens général du dis-
cours qui est inspiré et le prophète reste maître de l'expres-
sion : il se sent contraint par l'inspiration, sans être contraint
dans le choix des paroles ; parfois les termes mêmes lui sont
soufflés, sans pourtant qu'il se sente contraint de les pronoacer
ou imi)uissant à leur rien ajouter ; parfois l'inspiration est
pleinement contraignante et le prophète s'écoute parler, comme
il écouterait une autre persoinie.
Gomme saint Paul contre les Glossolales, saint Epiphane
soutient contre les Montanistes le caractère raisonnable de
(ly Des Indes à la planèlc Mars.
lo) Il est dillicile, rlans toas ces cas, de préciser la part de la pensée et
celle du langage. Eniaaeipalioii du langage, aut<jinatrsmc verbal ou eCFort
d'expression V
l'insi'iuvtio.v l'rtopnÉTiQUE 295
liiispiralion ; il n'y a pas, cliez les vrais prophètes, abolition de
la coiiscieiice des actes et dos paroles, l'extase n'est pas le
v«''liieiile de la proi>hétie : au déliic vatieinatcur, on opj)OSC le
taractère mystérieux de la proi)liétie orthodoxe. Etiansjement
j)réoeeiipé des lins dernières, hanté par le retour du Christ et
ra[)parilion de la Jérusalem eéleste, christ ianisme ascétique et
inspiré, en relation continue avec le Paraelet incarné dans ses
prophètes, le Monlanisme admet les révélations pour complé-
ter l'œuvre du Christ, « régler la discipline, expliquer les Kcri-
tores, en redresser rinlelliji:ence, acheminer au progrès (i) ».
Kt l'on voit paraître très nettement chez les docteurs >[onta-
nistes l'idée que le divin ne peut coexister avec l'humain, et
«ju'il faut que la personnalité humaine s'efTace pour laisser
s'accomplir l'inspiration divine (2). La prophétie extatique du
Montanisme exclut la pei*sonnalité du prophète ; c'est Dieu
même qui parle. Les textes antimonlanistes suffiraient à le
prouver, <[ui traitent d'illusion cette vaticination divine :
« Agité par les esprits, Montanus devint soudain comme pos-
sédé et pris de fausse extase (3>. » Selon la description d'Eu-
sèhe, le rapliis extatique des Montanisles s'accompai;ne d'un
{i^rand désorilre physique, de transports furieux, d'articulations
incompréhensihl(59.
La crise montaniste a renforcé d-ans l'Lu^lise la défiance de
la j)rophétie extati(iue. L'extase [)rophéti(pie devient fausse et
eondaumable si elle inq>li(pie la passivité absolue, l'effacement
de la personnalité, l'obnubilation de l'espiil, les transports
antécédents ou concomitants. Les Pères et les docteurs s'atta-
cheront à définir une extase tranquille, un enthousiasme ([ui
laisse l'esprit intact ; ils identifieront la fureur prophéticpie avec
la manti(pie [>aïenne, (cuvre démoniacpie. Us insisteront sur
\V Tkhtui.uex, I)e Virgin, vel. 2.
a) Temtllmk.n, Adversaa Marc, «. 2-
'ij EusiiiiK, t. XVI. 9. Voir noire travail : .Vote sur Chrialittnisinc cl Mysti-
cisme; liei'. (le Mcl., ujoii. — Voir uk Ladrioi.lk ; La Crise rnontaiiistc. iyl3-
•Jt)G LA UKLIGIO.N ET LA KOI
rôtliiilihre de l'cspril. sur la prôsiMieo d'ospiil, sur la {)lcine
conscience, riiitellip^enee du prophète (i). Ils leronl aux Monla-
hiisles celte objection qu'ils ont «'lé dupes d'une fausse notion
de l'extase, (pi'ils n'ont pas su discerner les diil'ércntes accep-j
lions bibli(pies du mot Kxtase : sonniieil profond, excès d'éton-
nement, de crainte.
C'est (pi'il y a un danger grave dans l'inspiration privée/
surtout quand elle est ainsi : tuuudlueuse et irraisonnable. Elle
tend à détruire l'organisation ecclésiasti(j[ue. Elle remet tout;
en (pu'stion. L'Eglise s'etlorce de restreindre au proiit de sai
hiérarchie, le rôle des charismes et de l'initiative individuelle;'
substituer aux explosions mysti([ues la solidité et la continuité
d'une hiérarchie, absorber les charismes dans les sacrements,
restreindre l'initiative individuelle au [)rolit des clercs; telle a
été sa tâche constante. Comme l'a bien vu A. Comte, le Catho-
licisme restreint de plus en plus le droit d'inspiration surnatu-
relle. (' Cette inévitable tendance à de vagues et arbitraires
{Kl Itirbalions devient éminemment exceptionnelle, bornée à des
cas de plus en plus graves, à des élus de plus en plus rares, à
des temps de moins en moins ra|)[)rocli<''S, et assujettie à des
vérilicatious d authenticité de plus en |)lus sévères. » L'organi-
sation hiérarchique y supplée. Le catholicisme est constamment
occupé, dans la vie individuelle ou collective, à augmenter gra-
duellement le domaine de la sagesse humaine aux dépens de
celui de l'inspiration divine. L'Eglise revendique [)our elle-même
(i) V. p. ex. SiAiJKZ. Part. I, IX l. III; Sect. III). Effort du mémo genre-
chez Maïmoiiide. II faut le coiicouis de la rai.son et de l'imagination ; san.s.
quoi il n'y a que des vi.sions ehiméiifjue.s. ((luide II, 264 et suiv.)
Cela ne eon.slilue, du reste, cju'iin des aspects de la notion oitliodoxe de
la i>rophétie. 11 faut en plus la coiilormilc à l'I-^glise et l'acecplation par
l'Eglise ; en somme la doctrine, sans ia((uelle la pro[)liélie ne vaut point. Par
exemple, chez les Juifs, ce qui caractérise le Taux prophète, c'est ou bien
qu'il prêche contre la I^i ; ou bien (piil annonce à faux. Les mirachîs ne
valent pas sans la doclrine. Les caraeliies du |)roi)licle, d'après Ibn Klialdun,
.sont : i« la transe; -i" la jiurelé du eceiir ; 3° la piété et les bonnes (l'uvres ;
4° la distinction parmi le peujjle ; un parti ; 5» les miracles. (Macdonai.d, The',
religious Mliludc and Life in Islam, lyoy;.
I. INSIMUATION l'HOPIIKTKJUK -jgj
la luinii'ic |)r<)[)lK''li(|ii(' (|ui coiilimic en elle la ix'nst'c (li\iiic dit
(lliiisl. Le (Ion de propliclic (luCllc possrdc, c rsl son maifisli-re
oial et vixanl (|iii, crraiil une Iradiliou paiallrlc à I 1m riliirc.
luiii sciiIciiKiil jiiirt' le si'iis de rEcriturc, mais livc le coiilenu
it'vélt' de (cllc tiadilioii aNce une di\iiie aulorité. Ainsi ri^sjuil
collcclir domine et ahsorhc l'esprit individuel : « Don hahilUL'l
et permanent dans ri']^dise. tandis (jue dans k's âmes indivi-
duelles, elle n'est quun saisissement passaj^er de la vérité
dixine, la Prophétie alileste, non linfluence lointaine on la
visite luj^itive. mais la présence intime, raclion calme et stable
de ri]s[)iit Saint, (jui eonlèie à l'Eglise sa personnalité surna-
tiii-elle. Hien d'une tianse divinatrice, mais la l'onction noiinale
d'un être (pii a une pensée siiixie et ([ui re\|)rime. L'Kglise sait
dans quelles conditions elle peut user de ce don, et elle est sûre
de le posséder toujours (i). » L'Ksprit Saint assiste perpétuel-
lement rivirlise. Seulement à toutes les époques de crise, proli-
tant de lallaiblissement de l'organisation ou de l'autorité, ou
de l airail)lissement de leurs notions, l'inspiration prophétique
réclame ses droits. D'abord parce qu'elle correspond ii une
certaine modalité de la nature humaine; et puis parce <prelle
icpose sur une certaine théorie de ll^sprit. Il va à la based'un
tel j)rophétisme la rencontre d une notion et d une a[)litudc.
Le sujet est prédisposé aux automatismes et par sa constitution
et j)ar son régime: il y est cf)n(luit par la doctrine de ri''sprit,
lorce mystérieuse et toute-puissante, ine\plical)le j)uissance,
envahissement de la nature humaine ;.ètrc en proie à l'esprit.
I «st d abord sortii- de soi-même, (f'cst subir linx-asion d une
puissance supé-rieure, di'lirer. l ne tradition s établit. (Aie/.
beaucoup de sujets le désir de la glossolalie [)récèdc son a|)])a-
I (Im'.iiissac, le Mystère de l'I'.glise, na.
In plic-noiiiènc du nirine ordre se relrome en Isiai 1, loisijiio i'iielu\e-
menl du Canon refoule la propliélie. Israël devient une relij,'ioM du Livre el
de la Loi. La révélation vient de rinlerprélation de llù-riture. l'ourtanl les
droits de rin.s|)iration pro|iliélique sont réser\és. On attend des prophètes
dans l'avenir. L'ne religion eoupe lualaisénient le contael avee le surnaturel.
298 I-A RELIGION ET LA FOI
rition : en particulier dans les sectes protestantes, pour qui
l'Kîrlise primitive est ri\^lise vraie, la recherche des « cha-
rismes » est rré<|iiente. lîovet fait remarquer très judicieusement
que « plus une secte est biblique, plus il y a de chances i>our
que le parler en langues y apparaisse (i) ». La notion de la
Pentecôte domine la glossolalie chrétienne. L'interprétation de
la glossolalie comme xénoglossie est peut-être, elle aussi, domi-
née par un mythe; n'est-elle pas la contrepartie du mythe de
la Tour de Babel?
Le culte du délii^e survit donc inévitablement aux répres-
sions de la hiérarchie et le jeu de mots de Platon sur la man-
tique (2) est vrai de tous les temps.
A bien des époques, la prophétie reparaîtra sous cette
forme étrange. Sans ce caractère d'incompréhensibilité, dira
Irving, (' rien ne prouverait que c'est bien l'Esprit-Saint qui
parle et non pas un homme (3)». Plus l'abolition du contTôle
(il /fw. d'hist. des relig'ions, 1901.
Voici la description d'une scène de glossolalie à Los Angeles, 1906. La
prière confuse et simultanée devient toujours plus monotone : répétition
incessante avec emphase crcjissante : O Jésus, viens, ô Jésus viens, ô Jésus!
£nlin un seul gémissement et un seul soupir à travers la salle. L'impression
est atroce et au plus haut point contagieuse. La scène est interrompue de
temps à autre par le clianlde quelques versets. Les convulsions commencent
Quand la confusion et l'excitation sont arrivées au plus haut point, commence
la glossolalie. La réunion exulte; et plas encore les baptisés en esprit. (Voi»
Pusi in, o. c). Même au cours de telles asssemblées, un petit nombre seulement
de sujets se révèle glossolale ; A dross Almerode, une dizaine de personnes
à Port Gla.sgow, neuf; vingt à Christiania. (Voir Lo.miîak», III.)
Certains glossolales, victimes d'une conlusion, qui s'était déjà manifesté
dans l'histoire de l'Kglise. entre la glossolalie de type coi-inthien, et la xéno-
glossie décrite dans les Actes, ont cru que leur don les préparait à prêchci
l'Évangile dans des pays étrangers ; ils ont été cruellement déçus. (Voit
Henkk, The Gi/t 0/ Tongues. {Atn.J.of. TheoL, 1909; 2o5.)
Toutes nos remarques pourraient s'appliquer 'à l'écriture automatique e1
aa spiritisme.
La rencontre de l'aptitude p.sychologique et de la tliéorie peut se fairfi
plus ou moins tût. Voir la curieuse observation d'interprétation tardive rap
portée par Laionkl-Lavasti.nj:, Journal de l'aychoL, 1921, p. 5go.)
'2 Phèdre, 244. 2. ^^^
(3i Dp même le pasteur Paul, de Steglilz, au cours du dernier réveî
Die f/eiligung. déc I0<r; : ■' Quand quelqu'un est destiné à prophétiser de I;
manière ijue j'ai api)ris à connaître, il faut que Dieu puisse mouvoir h
bouche de cet homme, comme jadis la bouche de l'ânesse de Balaam..
L INSPIRATION PHOIMIHTIQUE 299
persoTinel se produit sous forme grossière, plus on est porté,
dans un milieu reliii:ienx inculte, à eroire (pie e'est bini la
divinité ([ui iiv^ïl.
Ainsi, à toutes époques, et surtout au\ époques troublées,
reparaîtront ces inspirés thaumaturges, ces enthousiastes
créateurs de rêves, aux promesses apocalyj)li(pies, aux appels
Iyri(pK's : lyrisme intérieur et apocalypses fui^^urantes, éclatant
en d'étranges visions, en d'étranges et furieux élans. Et cela
plus encore à mesure que seront proclamés les droits de
l'iuspiialion privée. Les Anabaptistes concluent justement de
la Uéforme que si chaque individu peut s'approcher directement
de Dieu et entendre sa voix, il peut aussi, une fois qu'il en est
là, devenir un prophète. La prophétie des Camisards profite et
des malheurs du temps, profond désespoir, ardente espérance,
et de la disparition de tout clergé régulier, et de la prophétie
savante d'un .luiieu (i).
Jurieu leur est favorable parce qu'aucun moyen ne peut
faire cesser les convulsions et les extases des prophètes, et qu'en
cet état ils disent des choses excellentes cl divines (-j). ^Slais
I«'s (Camisards se heurtent à une bonne partie de l'opinion
)i'<)testante (3).
Il est (lanj,'("i(Mix d'avoir à cx|>rliner tIfs choses que l'on ooniin-cnd... C'est
iMUinpioi DiiMi inopare ses proplièlos de telle s(»rte qu'ils s'expriment exac-
l»'uieut c-oninic l'Esprit leur donne de li' faire... Ou parle sans savoir ce (pi'on
lit. On se borne à sui\Te les pcisitions que la liouclic prend. »
[Il On consiillcra le Tlu'àtve sdciu- tles Ccic/i/ic.v. I.a |)Ius rcceiUe élude
"■-I celle de Cli. MosT. Ilci'uc historunie., 1921.1 — Du luènie aiiLc-ur, les Prédi-
'ants protrstiints des Ci-i-cnru's t't du Udf Lauffueduc. Paris, njij, a vol.).
(». Lrllrrs Pastorales, III, S;.
'3 \ Hii\M:iiois, l'iern- I.npinh-, dit liollnnd,et le prophéthtmc céwnol, Cienv\t\
^8i. — Ili<;ius, Mémoires d'Aiiti>inr (Joiirt. (Toulouse, iS.S») ) — Antoine (^ourl
livine li-s Inspirés en deux classes : les Fourlte.s et les Fous. Voir â la
la^r 'W:> la lettre de Pictet sur les Inspirés.
• Il ne tant pas eroire <pie tout ee qui est extraordiiuure- procède de
esprit de Dieu. Je conviens que louti-s les bonnes choses que ces g:ens disent
•ont tirées de la parole de Dieu, qui est l'ouvnijce du Saint Esprit, nuiis il ne
>en.suit pas qne ceux (jiii le di-i<'nt sont inspirés; cela sigiiitie seulement
juils <nil une heureuse luëuioirc pour retenir ce qu'ils ont appris. • Le
Àiusisloire de la Savoie ,1 I.undre.s condamne l«'s prophètes en dcilaranl qne
Icà niouvements de ces inspires n étaient qne l'etTet d une habitude volon-
■JOO I.A UKl.K.K^N KT l.A FOI
*
* *
Aux éi)0({iu'.s troiiltk'cs, dos j)1'oi)1r'Ics si' sont levés en
Israël, [)our reinéilier an jïraïul mal de la nation : un senlinienl
moral très pur, beaucoup île bon sens et de profonde raison
associés à de hautes visions. L'oppression des Philistins, souï
le roi Achab, la crise de la relis^ion nationale, l'adoration di
liaal syrien déchaînent les u:randcs voix j)r()phéli(iues.Les déchi
rements de la nation, vaincue i)ar les Edomites, les Assyriens
les Babyloniens, et traînée en exil, dictent les prédiction,'
messianiipies. Les pro[)hètes font durer les espoirs déçus. Ib
sont la conscience du peuple.
A mesure que le judaïsme tend à devenir plus religieux qu<
national, les espérances messianiques, sans d'ailleurs aban-
donner tout à fait la félicité matérielle, se portent sur li
régénération morale du monde et le règne de la Justice.
L'énergie religieuse s'exprime ainsi en inspiration et ei
appels contre le ritualisme étroit. Le mécontentement nationa
et social le soutient et raccueille. L'enthousiasme vain<pieu
dérive en prophéties. Le prophète est un mécontent et ui
enthousiaste i).
*
1
L Inspiration est bien connue. C'est un fait général et qu
s'étend bien au delà du domaine religieux. La religion y ajout
taire, tout à t;iit indijjne de la Saj^fcsse du Saint-Esprit; et qu'il y avait d
leurs iliscours des i)rédielion.s déjà réfutées par l'événenierit et des l)las
phènies très dangereux à la' religion ». — Colht, I/istoire des Carnisar
p. 226. (Alais, 1X19.)
(I) A. Chamberlain, .Veu' Religions amoiig the AorHi American Indi
(Journal of liel. Psycli., igi'ij, montre dans la nouvelle religion des Pueblosl
rôle des visions et des extases. Les motifs de la ferveur religieuse des Indien
sont de deux sortes: patriotiques et étliiciues ; la délivrance du joug étra
et l'établissement dune vie meilleure, autonomie et njoralité.
I
las
m
1
l/lNSflRA I 1().\ l'U()niKII<,)UK 'JOI
seiik'incal la notion dn divin, à huiiicllc. <lii rcslc rinspjialion,
inônu' profane, est cnclint'.
I/inspii-alion a bien des loi nies ; inipicssion de M'ilti'.
(lisrtM'ncnu'nl des os|nils, sonlimcnl de ce qni doil èli-e lait, de
ce (jui va se faire, de la présence on de la volonlé de Dieu, dn
sens de IKcriture, révélation précise, ordres formels; senti-
ments d'élévation et de dépression, rapportés à une présence
et à une action étransrère; appréhensions, anji^oisses, commo-
tions internes, souflles, sensations de pesanteur, d'écoulement :
automatismes sensoriels et moteurs. Tout peut être langage.
Ainsi M"" de Kriidener interprétait connue l'ordie d'aller
trouv<'r tel ou tel personnage des sensations pénibles qu'elle
éprouvait en s'en éloignant (i).
L'Inspiration se piésente avec les caractères suivants :
luterruplion. disproportion, puissance contraignante (a). L'idée
Il Mémoires de M'"° de Baigne, II, <)',-()8. L'inspiration peut <Hre loTit à fait
explicilf. X..., élève de l'École Noniuile Seienees, protestant tiède, assiste à
l'Oratoire à une réunion où il. C... demande des missionnaires jjour le
/.Hinlièze. Il n'a pas le sentiment d'être a|)j)elc à partir. Cette même nuit, dans
son .sommeil troublé, il entend une voix qui l'appelle directement en répé-
tant : « (Mii si-ront ces ffens-là '.' » Et cette menu; voix réi)ond en pronon(.>ant
le nom de X... La troisième fois, il s'éveille et entend distinctement la piirase
articulée à son oreille. Il voit là un appel de Dieu. Il s'od'ic à la mission et
«levient un missionnaire d'élite. — V. Hkmï/.kcu, (n appel de Dirii. Journal de
Ps)-chnto<rie. i<)07, ay.)
(2) On connaît le passa^'c cclèhre de Xiicr/.sciii; : « Pour peu <pi'ou ail
gardé en sr)i la moindre parcelle de superstition, on ne saurait en vérité se
dclVndre de l'idée qu'on n'est que l'incarnation, le porte-voix, le médium de
puissances supérieures. Le mot de révélation, — entendu dans ce sens ({ue
tout à coup <r <|uel(pic chose ■> se révèle à notre vue ou à notre ouïe avec une
iiulicilde précision, une ineiral>le délicatesse, « (pichpie chose » qui nous
ébranle, nous bouleverse jus(|u'au idus intime de notre être. — est l'expres-
sion de l'exacte réalité. On entend, — on ne cherche pas : ou prend, sans se
«lenuimler <le qui vient le don; la pensée jaillit soudain comme un éclair,
avec nécessité, sans hésitations ni retouches, —je n'ai jamais eu à faire un
i'hoix. C'est un enchanlenienl où notre àme démesurément tendue se soulajîc
parfois par un lorrept de larmes, où nos pas, sans (pie nous le voulions,
tantôt se précipitent, tantôt se rab-ntissent ; c'est une extase qui nous ravit
entièrement à nous-mêmes, en nous laissant la perception distincte de mille
liissons délicats (|ui nous font vibrer tout i-nticrs, jus(|u'au liout des orteils;
e est untv plénitude de bonheur... Tout cela se passe sans (jue noire liberté y
ait aucune pari, et pourtant nous sommes entraînés, comme en un touibillon,
par un sentiment enivrant de liberté, de souveraineté, de (oute-|)uissance,
<le divinité... Telle est mon expérience de l'inspiration. >•
3oa LA RELIGION ET LA FOI
OU rinipressioii rompt k' coins de hi conscience et se présen
avec une ap[)arencc de sponlanéilé et d'indé[)endance. p]U
enricliil làine: elle est nouveauté, surplus, plénitude. Endn le
sujet la suhil et elle sinipose à sa réflexion ou à son action.
L'Inspiration est excitation et impulsion; excitation et puis-
sance contraignante des pensées; impulsion qui fait du sujet
rinslrument actif de l'idée (pii lui est soufflée.
Ce sentiment de passivité est à vrai dire l'essentiel : car la
vie courante est pleine d'impressions ou d'idées qui surviennent,
et elle a parfois ses trouvailles. Ce qui distinp:ue l'inspiré
religieux, c'est que non seulement il ne se les attribue pas,
mais encore qu'il affirme qu'il est impossible qu'elles viennent
de lui, et qu'il les rapporte explicitement à une intervention
étrangère. C'est par là que l'inspiration est pour lui surnaturelle;
par sa forme et aussi par rexcellcnce de son contenu, qui lui
paraît dépasser sa nature; c'est la distinction et parfois le
conflit d'une nature et d'une surnature ; d'un coté, le plan
de la nature tel qu'il est connu par l'habitude, par la familiarité
avec soi-même, la suite ordinaire des états psychiques, leur
liaison avec ce qui précède, le retentissement en eux de tout
l'état mental, le contrôle et la direction que l'on peut exercer
sur eux, soit pour les appeler, soit pour les réprimer ; d'un
autre côté, des états qui surgissent en dehors de toute attente
et de toute préparation mentale, avec une excellence partie
lière et une marque d'irrésistibilité : spontanés, incoercible
obligatoires, vifs, profonds, efficaces ; donc une invasion, une
contrainte, un don merveilleux qu'on ne peut provoquer, mê
quand on s'y efforce (i).
Cette passivité, du reste, a ses degrés : ou bien simp!
conclusion logique, ou bien sentiment d'une action étrange
qui vient se mêler au sentiment de soi-même, et d'activi
(i) C'est pour sainte Thérèse la déilnition même du surnaturel : « J'appel
surnaturel ce que nous ne pouvons acquérir par nous-mêmes, quelque se
et quelque diligence que nous y apportions. «
l'inspiration proimiéti(,)ue 3o3
personnelle ciiic le snjel a i^ardé ; ou liieu senlimeiil de j)a.s.si-
vilé lolale, loule coopération el loiiU- [)os.sibili(é d'iiiliilMli(Hi
étant lovées.
LA GRACE
Une telle force s'appelle la Grâce, et toutes les religions la
connaissjMit. Le Mana, ce « tliéoplasine •>, se décèle par l'arbi-
traire apparent de son intervention, qui contredit au cours
ordinaire des choses, et par l'énergie particulière qu'il comrau-
iii([ue aux objets sur lesquels il se porte; Grâce et Miracle,
voilà les deux ternies dont il est la synthèse confuse. L'inspi-
ration est une grâce, c'est-à-dire un don de Dieu, c'est-à-dire
Dieu même; une grâce actuelle, et non point une qualité
ptM-nianente: um^ grâce gratuite qui fait éclater la puissajice
divine, j>liitot encore (pi'elle ne sert à h\ sauctilication.
Entre les faits internes et la doctrine de la Grâce va se
jouer l'inspiration. La doctrine, du reste, est en partie cons-
truite sur l'expérience, et la systématisation des faits que nous
avons décrits. Fai partie elle est a priori, spéculation sur ces
deux ternies ; Nature et Surnaturel, et sur leur rapport.
*
*
C'est précisément l'ambiguïté de la Gr;\ce, qu'elle a souvent
pour le croyant l'aspect de la nature, et (pic le discernement
est malaisé. De sorte que souvent c'est par raison logique (piil
conclut a l'action de la Gràee plutôt «[u'à celle de la Nature.
Sappuyant sur le principe théologique (pii veut (pie ce (\m
dépasse lOnlre créé dépasse la connaissance rationnelle, et
dans la mesure oîi elles proclumeni ce principe, certaines
théoiogiiv- déclarent que l'état de grâce ne saurait être connu
3o4 LA. RELIGION ET LA FOI
iialiii'cllcmcnl p.ir aucune oréatiiio, j)arc'0 que la vie surnatu-
relle (juil eonfèi'c n'esl pas une vie créée, ni créable, mais une
parlieipation à la vie même de Dieu. « Cet état surnaturel de
notre propre être est inconscient, parce qu'il dépasse l'ordre
-créé, sur kupu'llc s'exerce notre connaissance naturelle, (i) »
Tout ce qui est bon vient de Dieu, source de tout bien.
C'est pour la même raison que Kant déclare (2) que nous
n'avons pas de marques auxquelles reconnaître les ellets de la
<jràee, parce que notre concept de cause et d'effet ne peut
pas dépasser la nature. On peut admettre en théorie les ellets
de la p:ràce, mais en les déclarant inconnaissables et incom-
préhensibles (3). Car nous ne pouvons reconnaître nulle part
tin objet supra-sensible dans l'expérience ; vouloir percevoir en
soi des influences célestes est une espèce de délire. Le senti-
ment de la présence immédiate de l'Être suprême et la distinc-
tion de ce sentiment d'avec tout autre, même le sentiment
moral, serait du ressort d'une intuition, à laquelle, dans la
nature humaine, il n'y a pas de sens correspondant.
Seulement le même principe théologique de la distinction
du Surnaturel et de la Xature oblige d'admettre que le bien
accompli par l'homme ne vient pas de lui ; dans la mesure
précisément oii on délinira le bien comme surnaturel et dan
I Vacant, II, 20"). Ce-il la révélalion seule qui fait connaitrc l'existence
et riiillueiicc de la {^ràce et non pas la nature, incapable de la saisir, puis
qu'elle est surnaturelle et ■ f)()sitivenieul indue à la nature ». La grâce n'a
(lonc rien à voir avec la conscience [)sycliolof;ique, et elle entre dans l'ànie
sans corr<'spr)ndre à un l>esoin d'expansion de la nature humaine connue
telle Ainsi la ),'ràce est objet di; foi et non pas de fait; nous ne connaissons
pas nos actes lions comme surnaturels, nous ne les distinj^uons i)as d'actes
naturels .semblables. L'homme se connaît comme concupiscence et liberté, et
cette connais.sance lui suflit. Il ne peut pas découvrir qu'il lui manque un
principe d'activité. « L'homme peut savoir fju'il est capable de décisions
fermes, d'elforts énergiques de volonté, que la répétition de tels actes engendre
l'habitus, et que celui ci donne la facilité et la vigueur dans l'opération... il
ne pourra pas constater en lui le besoin d'un principe d'activité qu'il n'a
pas. " [)irt. de Tkéol. ralh. art. Grâce.
2) lieligion dans Les limilcs de la raison, p. 26.
(3) Kant ajoute une réserve pratique. On ne peut acquérir le bien par
l'inaction; se délier entièrement de soi-même et compter sur un secours
étranger énerve les forces de l'homme et le rend indigne de secours.
ï
l'inspiration l'HOI'lIKTIQUK 'io.")
lit mesure où l'on en dislinji^iu'ra la nature, au sunnnuni par
(•onsé([ lient, ([uand on supposera la nature déehue et vieiée
iii'rinr'iliahleineiil (i). De sorte que la lliéolou:ie rapportera à
la (Iràee les bons mouvements et les bonnes aelions de
1 liomme. L'homme étant appelé à la vie suinaluielle et ses
actes devant être proportionnés à cette (in, donc surnaturels,
ils ne peuvent provenir cjuc d'un principe surnaturel.
Mais la vie corrijî^e la rigueur de la théorie. On dirait qu'il
se l'ait une distinction entre la Grâce actuelle et la Grâce
habit uelle, et que ce qui est vrai de l'une, cesse d'être vrai de
l'autre. La Grâce actuelle est illumination, inspiration : des
lumières et des mouvements ; dans certains cas, un éclat, une
puissance, une direction, une force d'entraînement qui l'élèvent
manifestement au-dessus des pensées et des aspirations qui se
succèdent dans la conscience, suivant les lois de la psycho-
logie et de la logique. Elle peut |)rendre des allures impé-
rieuses et apparaître comme une violence faite à la nature.
Elle peut s'exercer si suavement (pi'elle soit à peine remarquée.
Au lieu d'un aspect radieux et trionq^liant, elle peut être perçue
au milieu d'hund)les dispositions. El, de tout temps, des âmes
religieuses ont prétendu agir par dépendance du mouvement
de la grâce, pur immédiate inspiration, par motion divine.
l*our elles, le Surnaturel est revêtu des qualités extraordi-
naires que nous avons signalées, et se dislingue « sensiblement
et pereeptiblement » des mouvements ordinaires. Il y a enlin
les m\sli(pu's, ceux ([ui proclament la passivité totale.
Ainsi la (iràce évolue entre le jeu des sentiments et la
spéculation lhéolo2:i(pie sur Nature et Surnature, liberté et
II) Kaiit sera bon protcslanl quand il écrira : « Il se nionlre de temps en
t«Mnps dans le ca'ur des iu(>u\ eincnls vers la moralité <|u'on no peut
s'expliijiuT et dont notre ifjnorance est forcée d'avouer : le a eut souille où il
veut, mais tu ne sais pas «l'où il vient. .» Kn sens inverse, plus on donniM-a à
la NalTire, cl plus on tendra à se passer de la Gràer ; |>our f'élaj^c. la gràee
n'est cpiun surplus et un secours; les bonnes <euvres naturelles sont, dclles-
mèmes. un " titre exi^'itir '> à recevoir la grâce ; |)Our Molina, il y a une
connexion infaillible entre la vie honnête naturelle et la concession tic la grâce.
20
3o6 LA nKLiGiON i:t la foi
nécessité. Bien et Mal. Il laiit toujours considérer simultané-
ment l'aclion simultanée de ces deux termes (i).
LE MECANISME DE L'INSPIRATION
I/inspiralion est le jeu d'un mécanisme mental (|ue nous
nidenlidons pas avec notre moi. Elle est ce qui se passe en
nous sans nous, et quelquefois contre nous. Elle a quelque
analogie avec ces courants secondaires de la pensée, avec ce
champ d'action secondaire, cette zone subeonsciente que nous
possédons tous et qui n'est pas orientée et dirigée par nos
préoccupations principales.
Elle a, nous l'avons vu, différents degrés de hauteur et de
complexité: au-dessous du niveau normal, équivalente, supé-
rieure : plus ou moins étrangère à l'ordre aclucl ou habituel des
idées; plus ou moins involontaire; depuis l'impulsion contrai-
gnante, comme quand le prophète est contraint de parler et
s'écoute soi-même, comme il écouterait un assistant, jusqu'à
cette simple sollicitation, cette accélération qu'il y a, par
exemple, dans la verve et dans l'improvisation.
La réaction du sujet est également variable ; du conflit à la
pleine soumission, de l'intellection plus ou moins précise de ce
qui se passe à la totale incompréhension, de la séparation
totale, comme il arrive dans les états d'absence, dont la
mémoire ne conserve aucune trace, à la collaboration.
Cette dissociation repose sur une aptitude psychologique,
souvent renforcée par un régime ; mais elle est soutenue, nous
(i) C'est ce qu'EcriRR a bien montré à propos de Socrate, dans son livre;
sur la Parole int(=rienre, 1.45 : " Pour l'ordinaire, la divinité des laits de sa vie'
intérieure n'était rju'une théorie née dialccliqueinent des prineipes de sa
philosophie : c'était une conclusion, ce n'était pas une évidence. Mais parfois
il se sentait forcé denier sa personnalité : quelque chose de subit et d'ini()révu.
se produisait en lui, qu'il ne reconnaissait pas comme sien... (le j)hénouicne
spécial eonlirmait la théorie de la Providence, et de même celte théorie lui
donnait un sens ; la doctrine justifiait l'apparence et l'expliquait. »
l'instihaiion i'hoimiktiquk 3o7
l'avons monliu'. par des traditions, par la contagion, l'exemple,
les théories du sujet, l'exercice, la culture.
Deux oi'dres de faits concourent ici; ce que Uibol ;i|)pelle
la Subeonscience dynaïiiicpie, c'est-à-dire l'élaboration, la
productivité subconsciente; el une certaine interprétation que
le sujet se donne de sa vie personnelle, de son Moi : en somme
la Subconscience créatrice el la Subconscience interprétée.
Notre moi, c'est notre manière habituelle d'être, de réagir,
de nous eonq)orter. Dans le courant de la vie cpiotidienne nous
ne sommes qu'un moi, par une sorte d'habitude constante el de
train fie vie coutumier. Kt certains d'entre nous sont parfaite-
menl uniliés. en ce sens que leur vie est parfailemeut ordonnée
par rapj)ort à certains centres d'intérêt, et parfaitement réj^lée
(piaiit à l'ordre de ses manifestations internes; rien d'inattendu
qui surj,nsse, rien qui surprenne, l'àme est comme translucide
à elle-même, ou du moins tout ce qu'elle é[)rouve lui est entiè-
rement familier, (juant à son contenu et quant à son mode
d'apparition. Cela se rencontre et dans les formes simples et
dans les formes élevées de la vie psychologique, car une telle
unité peut être don de nature, renoncement à la conq)lexilé,
unitication de la conqilexilé. Une telle unité est l'expression
du jeu pleinement harmonieux, sans obstacle et sans résistance,
de cette unité formelle, de cet acte d'aperception, <le cette
synthèse, sans lacpjelle il n'est point de conscience, ni de senti-
ment de soi.
Mais elle est menacée précisément i)ar la conq)lexité. Du
point (le vue matériel, amples sont les données qui se pré-
sentent — j)arfois rebelles — à l'unilication ; rares sont les
caractères tout d'une pièce, nombreux les cas où dilTéreutes
tendances, plus ou moins antagonistes se coml)inent moins
aisément. Du j)oint de vue formel, une division inévitable
s'établit enire la' conscience claire et la conscience oI)»cure,
entie le ehanq) d'aperception el ce cpii gravite indistimtenient
autour: oi- cette l'iclie m;ilièr'c fonl'iisf, piuTois (loiiiiiM-e et
3o8 L,\ HKI.HIIO.N ET LA FOI
iulornu-c par la (.'onsc-itMK-o claiic, phis soincnl lui (''clia[)p(.' ol
en loiil cas la di-hoidc ; ri la puissance d unir, la synllièse,
|)roilueli'iee (le loule unité, a, comme loule fonction, ses insul-
llsances et ses défaillances.
L'unité du moi se maintient ainsi le j)lus souvent, an centre
d uni' lara:e zone de pluialilé psychique; par simplicité natu-
relle, ()ar ell'oil volontaire, par indilleience. Par simplicité
naturelle, quand la diversité fait défaut, (piand tout concourt
naturellement vers l'unité. Pai' ellort volontaire, cpiand nous
maintenons de paiti pris notie manière d'être envers et contie
toutes les possibilités d'iidlexion et de déformation ; dans
l'acte volontaire, il y a toujours le maintien de l'unité du moi :
l'acte volontaire suppose un coidlit entre ce ({ui est et ce qui
peut être; mais le moi qui veut être, est et devient ce qu'il
veut précisément par le moi cfui est. Par indifférence, quand
nous né'^ligeons tout ce (jui n'est pas notre façon habituelle
d'agir et de sentir, (juand nons laissons aller, sans les retenir ^
ni même les accueillir, toutes les diversions, toutes les invites,
tous les commencements.
Mais, sous ce courant familier, bien des virtualités aspirent
à l'existence, r^'montent des profondeurs de la conscience,
brisent l'imité apparente et factice, le fantôme créé par l'habi-
tude. j)ar l'orgueil <t la paresse. C'est un autre aspect de nous-
mêmes, et qui peut, suivant le parti que nous prenons, nous
paraître plus intime ou étranger. Souvent nous avons ainsi la
révélation iMaltendue de nous-mêmes. Devant une résolution,
une illumination, nous nous reconnaissons : c'est bien nous,
mais (' nous ne nous en croyions pas capables », cela est au delà
de nos habitudes, et de notre habituelle puissance volontaire;
c'est connue une génialilé plus ])roronde et qui cependant est
nous encore, à cause de la parenté que nous sentons avec elle,^
et parce qu'après tout la nouveauté ne contredit pas absolu-
ment la familiarité, parce qu'elle suri^it sur un clianq) [)réparc.
Que ces deux coiidilions fassent défaut, qu'il y ail iiilerrup-
I.'iNSn It A I ION l'UOl'Ill 1 K.HK 'j()()
lion l'I (lis|)i()j)()rli()n, ol le moi nouveau, on le nlK-noinènc
nouveau, nous a|)|)arail déjà comme une révélai ion élian.i:ère;
lotal<Miienl éli'ani!:èi'e, surprenante, inattendue, mystérieuse,
([uand elle ronipl lonl à lait et avec nos liahiludcs et avec ce
que nous connaissons de notre nalure,
('/est 1 inspiration : l'inspiration, un mode particulier d in-
troiluction dans la conscience d'idées, d'impressions, de
mouvements dont lélahoralion échappe au sujet : soit (pTellc
éclate sous forme bruscpie et soudaine, soit (ju'elle mûrisse
lentement. La forme, le procédé d"ai)parition du phénomène,
concourt avec sa teneur, avec son contenu, [)()ur donner au
sujet l im[)ressi(>n d'une révélation, stdvant les cas, intime et
supérieure, extérieure, extérieure et supérieure : suivant les
cas, et aussi suivant les théories. Ici reparaît le rôle du sys-
tème et de la tradition que nous avons sifi:nalé à tant de
leprises.
Inutile de s'étendre sur des caractères (pu ont été bien
décrits. L'inspiration est parfois actualisation brusque, créa-
tion instantanée et sans préparation. Mais l'analyse psycholo-
gique montre le plus souvent (jue l'idée, qtn semble tout à fait
nouvelle, était déjà venue; seulement elle i)rcnd à certains
moments une valeur sinp^ulière, et une sinu^ulière impressivité.
On la voit souvent se trahir par plusieurs ébauches succes-
sives, s'enrichir peu à |)eu a\anl de s"inq)oser (h'tinitivement.
On la voit aussi surgir j)ar une sorte de tri, par une sorte
de choix, d'un ensembh' d'esquisses. C'est ainsi cpie lana-
lyse des doeunu'iits esthéticpies on religieux apj)oilerait d assez
imj)()rtantes restrictions au dogme poéli(iue ou religieux de
la soudaineté, de l'impcrsonnalité, de h\ contrainte irrésis-
tible.
La plu()art du tenqis. c'est une rumination subconseiente
qui prépare l'inspiration. Souvent nous pouvons suivre dans
une demi-torpeur le jeu, les vagues apparitions, 1 iniluence
croissante, tout le cache-cache de certains thèmes intellectuels
3lO LA KFXIOION ET LA FOI
OU alïcctiCs (i): et nous sentons cela à divers degrés de pro-
foudour : l'obscurilô est plus ou moins épaisse autour de cette
orjïanisation; certains sij^^iaux lumineux, images (jui sont la
projection de la tendance en voie d'élaboration, ou le symbole
de l'élaboration elle-même, la transpercent plus ou moins;
une certaine saveur alïective, un certain goût la trahissent plus
ou moins. Parfois l'on sent assez longtemps de suite ce travail
se poursuivre et se reprendre; certaines continuités de déve-
loppement subconscient accompagnent les âmes sensibles et
inventives.
Ainsi, du côté psychologique, on voit concourir dans l'ins-
piration la puissance créatrice de l'esprit, la synthèse brusque
et instantanée, la nouveauté subite; la réflexion qui prépare et
qui utilise; l'habitude qui maintient et qui prédispose; la
génialité naturelle, la nature élaboratrice et féconde, qui
s'exprime en mouvements subits et inattendus, qui s'apparaît
à soi-même, dans une illuiMiiiatioii, ilans une vision synthé-
tique. Ces instants de passivité transcendante succèdent sou-
vent aux phases de préparation, d'effort et de désir. Vn apport
émerge, dont le sujet ne remarque point la formation, et dont
il perçoit seulement la nouveauté. Cette révélation s'accomplit
dans le saisissement brusque d'une émotion qui éblouit ou
dans une sorte d'état de rêve, que favorise précisément la
période préalable de tension mentale.
Mais l'inspiration s'arrête à des impulsions vagues, à une
obscure croyance à sa propre transcendance, lorsqu'elle n'est
point renforcée par une théorie. Au contraire, comme dans la
religion, de sa rencontre avec un dogme, jaillit la certitude
pleine et riche. Le sujet éprouve cela même que sa religion
décrit: dans son « expérience psychologique « il retrouve les
doctrines et les réalise progressivement. Cette invasion (pi'il
(I) C'est iiinsi que beaucoup d'artistes sentent vibrer en eux l'atmosplière,
la nébuleuse musicale de l'œuvre, avant l'œuvre elle-même.
i/i.NsriitAi ION i'iu)i'iii:i KM i: 3ll
suhit. ce ii'i'si pas uiitie chose (juc la ^ràcc* divine; sa lorce et
sa l'ail (lisse reiKonlrcut le jeu de eelle puissance supé-
rieuie .
La sitnalion. i\\\ leslc. [)ciil se e()inpli([ner. Les jurandes
oseillalions (le I liunieni- ni)ns inoulienl que l'invention joyeuse,
les illnniinalions [)assagères, les touches mystérieuses aceoni-
patîuent plus volonliers revcilaliou; surtout si l'on n'oublie
pas ([u'il y a une ai^ilalion inquiète, douloureuse, et que bien
des àines religieuses éprouvent dans la détresse même et la
désolation le contact avec l'au-delà. Les instants « sublimes »
de la psychasthénic. ces instants oii le sujet a rim[)i'Cssion de
vivre pleinement et (pii traversent, comme des éclairs, lincom-
plélndc habituelle, expliipient certaines formes d'inspiration.
Connue aussi les exagérations du j)ithiali(pie, (pii, sur les faits
que nous avons décrits, accroche son autosuggestion et la
réalise en accidents à grand tapage. Comme aussi les thèmes
de grandeur et de persécution du paranoïaque et ses idées
d inlluence. Beaucoup d'inspirés relèvent nettement de la
psycliiàlrie ; beaucoup en longent les frontières. Mais l'inspi-
ration puissante et vigoureuse sait gouverner les prestiges.
Chez les grands inspirés, le trouble mental ne fait que permettre
au sentiment de s'objectiver. Les grands [)rophètes, lés grands
songeurs de l'Eternel et de l'Histoire j)lient leur excitation aux
exigences d'une haute mission; ceux-là surtout, qui sont des
organisateurs et chez qui le sens [)rati(jne n'abdicpie point en
faveur (lun système délirant. La mission est orgueil social,
mais il y a l'orgueil, conscience du génie, aussi bien que
l'orgueil pathologi(iue ; l'exaltation, la foi, la ténacité peuvent
s'associer ou non et plus ou moins au caractère psychopa-
lhi(jue. *
()^nc rinspiration se lie aisément à la thaumaturgie, cela se
Comprend facilement, puisipu' rinsi)iré vil dans le surnaturel.
Le miracle, c'est ras|)ect externe et [)hysi(pie de la grâce,
conunc rinspiration en est 1 as[)ect interne et psychologique.
3ia LA RELIGION ET LA KOI
Elle en peut dispenser, satisfaite d'elle-même; elle peut le
léelamcr. dans sa j)rélention à dominer même le monde
physicpie. Le miracle ne fait (pie constater, exprimer le pou-
voir causal de la foi, lorsque l'univers de rinsi)iré ou celui de
son temps sont tels ([ue la foi n'est pas seulement source de
représentations et de vie morale, mais (juclle est en même
temps force véritable, capable d'intervenir même parmi les
forces physicpies.
CIIAPITKK III
LE FANATISME
Dans sou l)oaii livre sm- les Maladies du Sciitinu'iil religieux,
Murisier s'est trompe, je erois, sur le fanatisme.
Pour lui le fanatisme serait une forme pathologique du
■^cnlinu'ut religieux, et sa forme sociale [)ai- opposition au
Mysticisme.
Nous avons vu plus haut ([ue le Mysticisme n'est point
tellement antisocial. Kt le Fanatisme n'est point tellement
pathologique. C'est une réaction d'affirmation de soi et de
défense des groupes sociaux. Les convictions collectives
revêtent souvent une forme religieuse, ([uand bien même elles
n'ont [)()iut pour ol)j<^'t une personnalité divine; et elles se
déploient avec une singulière intransigeance. Cette erreur a
pour consécpienee qu'une partie du sujet échappe à l'auteur.
Murisier n étudie «[u un groupe de lanatiques : les individus, <pii
dans la solitude de leur conscience, ne trouvent ([ue trouble,
et n Ont la paix (pi'au dehors; ceux pour ([ui l'unilication et le
bonheur n'existent cjue dans l'action : ceux qui ont besoin de la
certitude d'autrui pour créer la leur propre, et (pii se jettent
étouidiment. pour écliaj^per à eux-mêmes, et dans l'action, et
dans la certitude dautiui.
Les religions as[)ireut inévitablenuMit à dominer et à
s'imposer. C'est h'ur volonté de puissance, leur nu)uvement
naturel d'expansion, leur formide nièuje de vit*. Elles pré-
tendent doublement à la vérité et à la force.
3l4 lA KKLir.lOX KT LA KOI
Uelij^ioiis nationales, elks ont la puissance d'expansion de
la nation, (lest la nation ([ui a une mission dans le monde et
qui la réalise. Mais la religion nationale a la religion de cette
mission. Il est vrai que les religions nationales tolèrent la
plupart (lu lenq)s d'autres religions et ne prétendent pas
toujours à l'universalité; précisément parce que, pour les
professer, il faut appartenir à la nation, et que cette condition
fait une distinction irréductible et ([ui s'oppose à l'assimilation
universelle ([ue poursuivent les religions universalistes. Donc
l'exclusivisme national, jusqu'à un certain point, limite le
fanatisme.
Par exemple en Israël, l'étranger est d'abord simplement
toléré, s'il s'astreint à certaines règles. Mais comme le Judaïsme
est à la fois nation' et religion, que, d'une part, il maintient
jalousement les cérémonies et les rites qui isolent le peuple
juif dans sa sainteté prophéti(iue et son particularisme rituel,
que, d'autre part, il fait appel à tous les peuples, à mesure que
s'accentue cette dualité, Israël admet des prosélytes, qui
adoptant le monolliéisme et les principes fondamentaux de la
moralité juive sans se soumettre à la circoncision, ni observer
les lois eérémonielles, vivent, [)our ainsi dire, en marge du
judaïsme. Seulement les religions nationales souffrent souvent
du voisinage, et persécutent, moins pour assimiler que parce
qu'elles ont besoin de se défendre. Et en tout cas, elles ne
reconnaissent aux autres religions que les droits que l'Etat
reconnaît aux autres Etats.
Lorsque la religion et la nationalité se présentent disso-
ciées, le pouvoir spirituel, l'organisation ecclésiastique aspirent
au pouvoir total et à l'unité de société. Le Dogme aspire à
faire l'unité des esprits. Doîi, lorsqu'une Eglise est à sa
période de croissance, de force et d'expansion, lorsqu'elle
domine la société civile et prétend convenir à toute l'humanité,
l'ambition de régner totalement et de maintenir dans ses rangs
une implacable discipline.
I
LE FANATISME 3l5
Sailli riioinas, apris sainl Auii:iif^lin, c'Xi)ose qu<' la maison
de David ne peut pas avoir la paix jus({u à ce (pi Absaloii, le
fils <pii s'est révolté contre son père, ait disparn. La riiçueur
sauve : elle est une marcpic d'amoui'. Toul pi-clié d hérésie est
un crime social. L'E-j^lise en déduit (jue riM''réli([ue opiniâtre,
par son péché, a mérité, non pas seulement dèlre séparé de
l"l]j,dise par l'excommunication, mais encore d'être exclu du
monde par la mort, comme corrompant la foi. ([ui est la vie de
l'àme ; ce qui entraîne la subordination du pouvoir civil au
pouvoir reliiîieux (i), et l'organisation de la persécution.
L Incjuisition est un des exemples les plus connus et les plus
parfaits de celte organisation. Les moyens de la persécution
varient, du reste, suivant la puissance du u^roupe sacerdotal;
exécutifs, comminatoires, ou seulement synd>oliques, connue
est devenue de nos jours l'excommunicalion. Lorsque le
pouvoir d'une Eglise est contrebattu par d'autres, ou lorsqu'il
survit au sein d'une société que ses principes n'inspirent plus
et qui s'est atrranchie de toute théocratie et de toute immixtion
des pouvoirs ecclésiastiques, — car le succès du fanatisme
dépend de la domination de l'Église dans l'Etat, — l'Eglise
montre, à tout le moins, une r('|)ugnance agressive pour tout
ce (pii sort des idées traditionnelles et des habitudes
couraiiles.
De même les Sectes sont souvent agressives ; lélroitesse
des petits groupes spirituels se dédommage du renoncement
par 1 orgueil, et ils ne souH'renl pas volontiers la médiocrité
connnune.
Ce ne sont pas les religions, pas même celles ([ui en appa-
rence se réclament du libre examen, (pii apportent la liberté
religieuse. Si la Réforme a favorisé indirectement l'établisse-
ment d un régime de liberté et de tolérance, ce n'est ni par ses
principes, ni par ses méthodes; c'est parce ([u'elle a brisé
(ij Pèguks, Commentaire, X, aa^) et suiv
3i(; LA UKLKUOX ET \.\ FOI
lunitr (le llMirope cliit'hcmu'. opposé puissance à puissance
Lartirinalion de I;i liheilr leliiîieusc est née de la persécution^
la prati(pie de la liheiU'. des causes qui ont mis en échec lî
perséeulion.
*
*
Le fanati(pie est intolérant, passionné pour le triomphe d
sa foi. insensible à tout, prêt à employer, pour convertir oi
pour anéantir, la violence morale ou physique.
Ainsi vont d'abord loules passions, celles du moins qui
exiiçent autrui. L'Amour violent est dominateur et au besoin
destructeur. Il exige retour et soumission. L'Amour exigence
est une l'orme de l'amour, aussi bien que l'Amour don.
Mais le fanatisme puise aussi sa force dans la nature mémo
de la certitude. La Certitude, contrainte pour le sujet, volon-
tiers devient contrainte extérieure. L'Universalité qui est sa
forme, tend à universaliser au dehors: universaliser notre
certitude ; contraindre autrui. Et d'autant pins que la certitude
est plus indémontrable, et que par conséquent l'esprit se
dépense moins dans la démonstration, et se console moins de
la contradiction présente, par l'espoir ((ue la démonstration
triomphera tôt ou tard. Kt d'autant plus aussi, que le snjet peut
moins se démontrer à soi-même (i).
On vise à communiquer à autrui, par la violence, ce qui ne
peut se communiquer par la douce persuasion ; la vérité par la
force, à df-fant de la force de la vérité.
Le fanatisme est bien, comme l'a vu Ilenouvier, l'ardeui
de travailler par tons les moyens possibles à forcer chacun d(
croire et de confesser ce que l'on croit et professe soi-mèmj
(I) C'est ce qu'a bien vuStf.xdiial. De iAinoar, i5 : C'est parce qu'on ne peu
se rendre coni|)le du pourquoi de ses sentiments que l'homme le i)lus sag
est fanatique en musique.
LK FANATISME 3 I J
assimiler pci- las cl iicfas la t'onsficiice d'aiilnii ii la iwUic. Kl
si relie assiniilalioii csl inij)()ssil)le, peiséculci-. siij)|)riinci-
aiilnii. La viriU". dans ICspiil ([n'clle possède, lend à siniposer
iiiah'ricIlcnKMil. Le laiialicpjc cioit n rire (ju un inslrunicnl de
la ^^''l•il('•.
Il y a donc cpu'hpic raiscju au tlouble sens, du mot doj^nia-
lisnic; an sens vulgaire: assurance, aulorilarisme : au sens
pliiloso()ln<pie : atteindre la vérilé en elle-inènie. VA dans
lexlension du mot fanatisme, d'abord religieux, à toutes les
formes de l'intoléranee.
*
* *
Le mot s'est applicpié d abord aux cxlalicjues, vaticinant
dans l'enthousiasme, à ce point qu'on a pu supposer qu'il
n't'lail (pie la lianscription déligurée d'un mot grec, comme
9ç,evêTt>'.o; ou 'faivr,-:ty.ô: (l).
Ce sens relif^icux s'est maintenu lonji:lemps. Hossuel apj)elle
ianalicpies « ceux (pii croient que louies leurs rêveries leur
sonl inspirées », ceux (pii sont conduits non par la raison et la
piudenec. mais par l'instinct et un élan soudain.
Nicole identilie illuminés et l'anal i(pies. Ils |>résentent.
d'après lui. trois caractères :
I" Ils se donnent la liberté (rex[)li(pier l'iÀrilure et leur
fantaisie, sans consulter la tradition et la doctrine de rivii:lise:
•2" l'ne faiblesse d'esprit présom|)tueuse leur lait |)rendre
pour Iinnière et inspiration de Dieu tous les ellets d'uiu- ima-
p:ination surcliaulfée :
3' Ils ont le désir orgueilleux de s'élever à une \ ie int(''rieure
et surnat nielle, ('loignée de l'ordre colmmin.
(i, Mais «les textes précis le ineltiiil, sans doute possildo, en iap|)oi'l jm «-c
Fanuiu. i\'()ir I)ahi:miii:i«<; et Saoi.io. /)ir(. mot l'anii/n . (lit.MLi.oT. Lr Culte de
Cybéle, lyia, p. 3oi.
3l8 LA RKI.IOION ET LA FOI
Dans lo même sens, Mclanchtoii enlend par fanatiques,
6 les enthousiastes », qui, par delà la |)arole révélée de Dieu,
attendent l'inspiration eéleste de l'Esprit.
Leibniz, imitant Locke, se sert volontiers du mot Knthou-
siastes, pour désigner ceux qui croient sans fondement que
leurs mouvements viennent de Dieu.
L'EnlIiousiasme sul)stitue la vue et le sentiment à la rîiison;
il est iiLsj)irati<)n. c'esl-à-dire imagination animée par la pas-
sion, el nu'nioire heureuse.
De nu'mc, Kanl délinit le Fanatisme « cette folie qui croit à
une inspiialion immédiate et à une grande intimité avec les
puissances du ciel » (i).
Ainsi le sens d'inspiration divine, réglant la conduite, est
le sens originaire et* a longtemps prédominé. C'est au contraire
le sens d'ojjligation et de contrainte qui aujourd'hui prédomine.
Il était à vrai dire enveloppé dans le premier. Mais la con-
trainte, le Compelle intrare, allait si bien de soi que le fana-
tisme na'if ne s'apercevait même pas comme tel. Aujourd'hui,
c'est le seul sens qui subsiste, le nujt s'ctant la'icisé, ayant
perdu cette référence immédiate à l'inspiration, ne servant
plus qu'à caractériser la puissance d'expansion, l'exigence de
conformisme. Fanatisme est intolérance et dénomme toutes les
intolérances.
*
* *
W. James a écrit cpie les hommes, dont le caractère est
impérieux et agressif, sont seuls exposés à devenir fanatiques.
Ce n'est pas absolument exact. Il y a un fanatisme par force,
mais aussi un fanatisme par faiblesse, et un fanatisme par
fi Krfinl.heilen (les Kopfca, 22T, el Critique du jugement (Harm, I, 194)1
« celle illusion qui eroil voir quelque cliose au delà ries liiniles de la sonai-'
hilitc, c'esl-à-dire qui consiste à rêver avec de purs priucipes ».
LE FANATISME Sig
entiaÎMcniont. De plus, même dans le iJicmicr cas, le caractère
inijH rieiiv ot ai^rcssif n'est peut-cire qu'une cireonslauee adju-
vante du fanatisme et un trait surajouté. L'élément essentiel
est sans (ioute le rétrécissement de la conscience dans la (>er-
tilude, et la suj^î^estion d'aelivité de la Ortitude.
Il y a donc daus le Fanatisme un certain nombre de prin-
cipes à l'dMivre : et ils se combinent plus ou moins.
L'exaijération de la Certitude: certaines formes de carac-
tère: l'état ethnique ou social (}ui admet plus ou moins la vio-
lence, la rigueur, la cruauté, la barbarie, la pression sociale,
lia société relis^ieuse i)lus ou moins persécutrice, simposaut plus
ou moins à l'individu); un l)esoiii de défense: une suite de
l'ascétisme: l'austérité de làuie sainte se tournant aisément en
cruauté.
On peut (listinji:ucr [)lusieurs typei de Fanaticjues :
I. — Le Fanatisme par excès, par force, par puissance, par
débordeinent de certitude.
Un tel fanati<pie se considère comme un instrument divin;
c'est un exalté tenace, souvent désétpiilibré, qui sur une révé-
lation intérieure bâtit le thème d'une mission, œuvre de foi et
d'orfîueil. dett»' mission, il veut la remplir, de i^ré ou de force,
en convertissant ou en supprimant. Souvent il s'est préparé par
un réicime ascétique à la domination de l'idée envahissante et
directrice à laquelle il est en proie. 11 s'est créé des habitudes
intellectuelles qui lui ôtent le pouvoir ou le vouloir d'idées
diirérentes. La certitude déborde; partialité aveufçle ou exclu-
sive, fureur de sanj^.
Le fanaticpie est ici tout près du paranoïatpie, (jui, [)ersé-
cuteur, est lui aussi débordant de certitude; qu'il suffise de
rappeler le persécute'' du lypi' Falret-Lasègueavec son mélanine
de grandeur et de misère, et sa persécution en réponse à celle
qu'il subit; ses réactions violentes de défense; et j)lus précisé-
ment encore le raisonnant, le persécuté perséeiiteur. <pii, sous
l'empire d'une idée délirante. enq»loie toute son intelligence et
3io
\.\ ItEI.IC.ION ET LA. KOI
Umlo son îiclivitô anormale non |>as à la conslniclion d'un
roman délirant, mais bien à l'assouvissement de sa passion
morliido. Le ranaliijne (|ne nous décrivons n'atlacjuc j)as <jue
pour Si' (lélV-ndre. cl pour sa propre proleclion. Il vise à assi-
miler aiilnii à soi-mcmc, à imposer sa personne ou sa vérité, à
dciniiic (jui ne partage pas ses croyanees. Il a^it non seulement
en piéscncc de la vérité, mais pour imposer la vérité.
De même il y a des raisonnants ou des interprétants
dans le délire de qui entre une idée sociale et dont ils se font
rinslrumcnl. Déséquilibré et exalté, le régicide est un violent,
un exalté combatif, chez qui se forme la conviction d'une
jj^rande œuvre, la croyance à la foi ori^ueilleuse et altruiste,
qu'il est un justicier et un martyr; conviction obsédante et
dominatrice ([ui est parfois accompagnée dhallucinations. Son
acte, longtemps conçu, prémédité, préparé, est la conséquence
de cette idée obsédante, à lafjnelle il succombe, déchargeant
par un crime son esprit du i)oids et dn martyre de son
idée.
II. — Le fanatisme par besoin de stabilité: le fanatisme par
faiblesse, (|ui poursuit en autrui son propre doute; l'homme,
que l'opinion contraire ou que la seule pensée qu'il y a des
hommes qui ne pensent pas comme lui, bouleverse, ébranle
dans sa certitude, et qui s'élance contre les dissidents pour
r(''lab!ir sa paix intime. Sorte de fanatisme passif et de loya-
lisme exaspéré dans un esprit étroit, épris d'une intense fidé-
lité; souvent aussi vanité soulfrante, malheureuse, inquiète,
aux abois, dès qu'on la blesse le moins du monde, réaction de
déf<'nse et besoin de s'exciter soi-nu'me : « N'est-ce pas que
les àmcs faibles attachent à la destruction une idée d'audace
et de puissance? (i) »
III. — Le fanatisme social, par dévouement absolu à la
secte; fanatisme emprunté, subi. Nous avons assez parlé de
I \ Al VJiXARGLES, .54-
I.K KANATISMK 3'JI
rinU'ractioii socialr, , de rcntiaincmcnl collcclir pour rlic dis-
pciist's (rinsisk'r.
Tontes ces formes essentielles [)euvent naturellement se
combiner. La foi du Meneur dépend souvent de l'action (ju'il
exerce : elle s'affermil en se communiquant; la combinaison
(lu premier et du second type est plus fréquente (ju on ne
croit . Le fanatique est le plus souvent un homme de tempéra-
ment e\a]l('' et jaloux de son importance, dupe de son excita-
tion et de sa chaleur oratoire, qui a besoin de s'exciter contre
ses déceptions et ses inciuiétudes ; volontiers il vitupère (i).
Plus vive est lexallation, moins elle souffre les divergences.
()n se tue pour une nuance, dans les moments d'exaltation (*2).
Ici encore une doctrine soutient plus ou moins l'explosion
sentimentale : l'honneur, la gloire de Dieu,
*
* *
Charité et fanatisme se sont souvent alliés au lieu de se
combattre. Heaucoup de persécuteurs ont un ardent amour des
iiommes, et même de leurs victimes. C'est que la racine du
fanatisme est dans un excès de certitude, dans une certaine
incapacité mentale à la doser et la contenir. C'est pourquoi la
tolérance est une vcilu intellectuelle: défiance à l'égard de
l'impérieuse certitude, de la foi absolue et sans réserve: relâ-
chement du rapport entre certitude et vérité ; compréhension
<iu<' soi-nu''me ni personne ne comprend tout, qu'on n'a point
raison tout seul et à l'exception des autres : sentiment de rela-
tivité de la connaissance, compréhension dv l'incompréhension
(il Voir, par «'xcinplf, riiiU-ri'bS.inl chapilrc de ('ini>.\it, l'sycliotoffif des
Si-liellens, dans son Luther. II, 6'j.
2 El coMiiur Uknan le fait remarquer, souvonl. de toutes ces discor-
(lances sort une doctrine uni<|ue et un accord parfait rôj^nc ou parait rc<,'ner
filtre les disciples de t^^ens <pii se sont anatliciuatisés.
-M
3aa LA uELroioN et la koi
el du refus dautrui ; connaissance de l'esprit cl des esprits;
au terme serait la loléranee par scepticisme.
La tolérance suppose donc l'allinement de la vérité et la
critique de la connidssance : à moins qu'elle ne les anticipe
par un sentiment confus ; mais elle s'enhardit et se développe
en uiènie temps qu'eux.
Elle est aussi, je le sais, passivité indilïérente, ou caractère
débonnaire el foiblesse morale ; ou relativisme sentimental ;
sentiment qu'il y a chez tous des sentiments communs qui
peuvent s'exprimer par des idées cUIférentes et par des actes
dillcrents ; ou, comme chez le mystique, croyance que les
formules ne sont que des approximations; ou bien encore
humilité : que chacun rentre en soi-même et s'occupe à corriger
sa vie et non pas à condamner les autres; ou bien encore
respect des personnes et des volontés ; ou bien encore charité
absolue.
Mais elle est aussi et surtout peut-être, l'eiTet de la hmita-
tion des groupes sociaux les uns par les autres et de leur
pénétration mutuelle.
LIVRE III
CHAPITRE PREMIER
LA CONVERSION
b< LA FORMATION D'UN SYSTEME
^B Pour distinguer et opposer, nous étudierons d'abord à grands
'traits la formation lente, volontaire, personnelle, progressive
do croyances, (jui est changement de point de vue et cliange-
nu'iit (le vie, (jui csl adln-sion ardente et souvent passionnée.
ri à ([ui pourtant manquent certains des traits essentiels de la
loiivt isioii. Rousseau nous offre un exemple excellent (i).
l ne certaine insatisfaction sociale, défiance et peut-être
orgueil, le sentiment que son bonheur n'est point parmi les
hommes, de bonne heure et toujours le ramène à soi, à la
contemplation de soi-même, à la méditation de soi-même, à la
recherche de sa véritable fin. Un christianisme paisible,
rinllucnee de Mme de Warens, la solitude champêtre,
l'avaient rendu « dévot pres(pie à la manière de Fénelon ».
Lorscpi'il quitta sa douce retraite, il ne trouva rien dans le
monde (pii put llalter son cd'ut- : il y \éeiit jus(|u à (inarante ans
I' Ré^'eries du promeneur sulUaim, 3* pruiilenadr.
3a4 i-v iu:i.iciio.\ et la i-oi
« entre la sagesse el réi^aiciiieiil.. . au hasard, sans princii)es
l)iei) (Iceidés par sa laison ».
Dès sa jeunesse il s'était li\é celle époque de (piarante ans
eonimc le terme de ses elForts pour parvenir; il était résolu
dès cet Age de passer le reste de ses jours, au jour le jour, sans
plus s'occuper de l'avenir. Donc il (piilta « le monde et ses
pompes « et soumit son intérieur à un examen sévère. Il vou-
lait se faire une religion. Tue révolution se faisait en lui, un
autre monde moral se dévoilait à ses regards.
La plnloso[)liie moderne, dogmatiquement 'athée, avait
ébranlé toutes ses certitudes :
« Ils ne m'avaient pas persuadé, mais ils m'avaient inquiété.
Leurs arguments mavaienl ébranlé, sans jamais m'avoir con-
vaincu ; je n'y Irouvciis pas de bonne réponse, mais je sentais
qu'il y en devait avoir. Je m'accusais moins d'erreur que dinep-
tif, et mon c(eur leur répondait mieux que ma raison (i). «
Il cherchait donc la réponse, qui, muette encore, l'empêchait
pourtant déjà de se laisser convaincre. Fallait-il se laisser
ballotter par les sophismes de telles gens, dont la bonne foi
n'était même pas certaine? Il fallait chercher, fixer ses opinions
et ses principes pour le reste de sa vie.
Ce projet s'exécuta lentement et en plusieurs fois, mais avec
tout l'elfort et toute rallenlion dont il était capable. Tout son
repos, tout son sort en dépendait. Ce fut d'abord un v laby-
rinthe d'endjarras, de diflieullés, d'objections, de tortuosités,
de ténèbres ». Il fallut beaucoup de courage pour persister et
pour arriver à la profession de foi du Vicaire Savoyard : dès
lors il resta tranquille dans les principes qu'il avait adoptés,
après une medilalion si longue et si réiléehie.
Sans doute, il sait bien que les préjugés de l'enfance et les
vœux secrets de son cœur ont fait pencher la balance du <ùté
le plus consolant:
I lit'veries, 3" promenade, 232. (Ed. de 1783.
LA C.ONVKUSION
( )u so (h'tViHl tlil'Ik'ileiiKMil de croire ce (lu'oii désiic avec
lanl ilai'deur; el ([ui peut doiiler que liiiléièl d adinelli-e ou
i-ejelei' les jui^onients de lautre vie ne délerniine la loi de la
plupart des hommes sur leur espéiance ou leur crainte? i) »
Mai>< il avait aussi iuh rèl à ne point perdre cette vie poui'
une vie imajçinaire, et iU avait cherché en toute conscience,
(laiirnanl avant tout de se tromper.
Sans doute aussi il n'avait pas levé à son entière satisfac-
tion toutes les ditTicultés ([ui lavaient embarrassé. Mais, dans
ces ([uestions presque impénétrables, il avait toujours adopté le
sentiment le plus croyable, sans s'arrêter aux objections ([u'il
ne [)ouvait résoudre, <- mais qui se rétorquaient par d'autres
objections non moins lortes dans le systèine opposé » (2). De
cette Mianièi'c, si l'on se trompe, on a l'ait du moins tout ce
([u'on a pu : « Voilà le principe inébranlable (jui sert de base à
ma sécurité. »
Ainsi une sécurité suffisante et tranquille, (pii n est pourtant
point une cerlilude intempérante et aveugle, et qui ne se dissi-
uude point ses faiblesses. Il persévère dans ses principes fonda-
mentaux ado[)tés par sa raison, confirmés parson c(eur « el <pii
tous portaient le sceau de l'assentiment intérieur dans le silence
des passions ».
Les difficultés nouvelles ont pu rin(iui(''ter ; elles n'ont pu
l'ébranler. Il savait, il sentait que tout ce corps de doclrint>
solide el bien lié. formé avec tant de méditation et de soin,
reposait sur sa raison, son cœur, tout son être. Il y trouvait
une convenance parfaite entre son àme et le monde, et dans
< e système, résultat de ses recherches, tous les appuis dont il
avait besoin poui- sup|»orter les misèies de la vie.
N'y avait-il pas là île (pioi le soutenir contre ses persécu-
teui's el le rassurer dans ses épreuves? « Toutes les plus vives
il Ihid., a'V,.
(2 -ÏV^.
326 LA REI.KIIOX ET LA FOI
peines perdent leur force pour (juicoucpie en voit le dédomnia-
j?enieul grand et sur » (i).
Sans doute, au milieu de ees épreuves, des intervalles din-
quiélude el de doute venaient de temps à autre ébranler son
espérance et troubler sa tran(piillilé. Les objections qu'il n'avait
pu résoudre prenaient de la force, prolitant de son décourage-
ment. I.tail-il donc seul sage? N'était-il que dupe? Et il était
prêt à s abandonner au désespoir, perdant tout l'appui d'espé-
rance et de conliance (piil s'était ménagé pour l'adversité.
Mais ces crises étaient courtes, et devenaient plus rares et
plus rapides: si bien qu'elles n'avaient même plus la force de
troubler son repos : « légères incjuiéludes qui n'aflectent pas
plus mon âme, qu'une plume qui tombe dans la rivière ne peut
altérer le cours de l'eau » (2). Car il sentait que délibérer à
nouveau était inutile : il faisait crédit à des sentiments « adoptés
dans la vigueur de l'Age, dans toute la maturité de l'esprit,
après l'exameu le plus réfléchi et dans des temps oîi le calme
de ma vie ne mé laissait d'autre intérêt dominant que celui de
connaître la vérité » (3), Vieux et troublé par la détresse et les
mystères affreux qui l'environnaient, allait-il s'ôter à plaisir
toutes ressources qu'il s'était ménagées, et donner plus de
confiance à sa raison déclinante? Non, il s'en tient à la raison,
à sa raison, et raisonnant avec soi-même, il parvient à ne
plus se laisser ébranler.
Il s'accoutuma si bien à cette confiance tranquille; qu'aucune
«loctrine ne vint plus lémouvoir, ni troubler son repos. Non
que des doutes décourageants ne revinssent de temps à autre,
mais parce qu'il savait s'y refuser et leur opposer les principes
anciens de sa certitude:
" Tombé dans la langueur et l'appeisantisscment d'esprit,
j'ai oid>lié jusqu'aux raisonnements sur lesquels je fondais
Il IhUI.. 2'i(f
'2 Jhifl., j'fi.
'5 Ibid., a4a.
LA CONVERSION 327
ma croyance et mes maximes ; mais je n oublierai jamais les
conclusions (jue j'en ai tirées avec ra|)pi()hation de ma eon-
science et de ma raison et je m'y tiens désormais, (^uc tous les
philosophes viennent erj^oter contre : ils perdront leur temps
et leurs peines. Je me tiens pour le reste de ma vie en toute
chose, au parti que j'ai pris quand j'étais plus en état de bien
clioisir (i). >)
Voilà donc un système, monté peu à peu, sous la pression
de motifs sentimentaux, en présence cle la vérité; système qui
satisfait les vœux éternels du cœur, et qui fait contrepoids à la
persécution (2) ; mais qui s'accorde pourtant avec l'Univers,
Il Ibid., 245.
(a) Rousseau persécuti' se réfugie dans ses rêveries conCuses. Il ne songe
point à se retourner contre ses persécruteurs. Son naturel est « bien épuré de
toutes passions irascibles • [Rêveries, isi.) Et s'il a de la répugnance pour les
hommes, en qui d'abord il a mis trop de conliance, il n'a point de liaine : <• Je
m'aime trop moi-même pour haïr qui que ce soit, (^e serait resserrer, compri-
mer mon existence. >> Ibid. Du reste il répond aux événements pénibles par
des sentiments de bien-être. « Dans toutes les misères de ma vie, je me
sentais constamment rempli de sentiments tendres, touchants, délicieux qui,
versant un baume salutaire sur les blessures de mon cœur navré, sem-
blaient en convertir la douleur en volupté. » Ihid. 347.
A cette disposition naturelle, Rousseau ajoute des habitudes de défense;
il réduit la persécution à une sorte de gêne matérielle, dépouillée d'intention
lioslilc.
« L'homme .sage, (jui ne voit dans tous les malheurs (jui lui arrivent que
les coups de l'aveugle nécessité, n'a point ces agitations insensées; il crie
<lans sa <louleur, mais sans emporleuienl, sans colère; il ne sent du mal
dont il est la proie que l'attente matérielle; et les coups qu'il re(,^oit ont
beau i)lesser su personne, pas un n'arrive jusqu'à son co'ur. " Jhid. 35.0.
F^ndn il se réfugie dans l'estime de soi-même, dans l'amour de soi-même,
renonçant aux passions sociales, à l'amour-propre, et il arrive ainsi à l'indilTé-
n née. 11 est vrai qu'il n'en jouit (ju'aulant (lu'il est isolé des hommes : ■■ Le
ptrséeulcur (jue je ne vois point est nul pour moi. '^62. > Au milieu des
hommes il est tout aussi < facile à troubler, à navrer, à indigner <ju'aupa-
ravant ». » La présence de l'homme iiaineux m'alfecte viob-mment. 'i(\>. • 11 y
a peut-être sous ces oscillations, comme Roussi-au l'indique lui-iin nu-, un
r\lhnie naturel :
•■ Tout vient également d'un lemi)érament versatile qu'un vent impétueux
agite, mais qui rentre dans le calme à l'instant ijue le vent ne souffle plus;
c'est mon naturel ardent (jui m'agite, c'est mon naturel indolent qui
m'apaise... Tous les événements de la f<»rtune, .toutes les machines «les
hommes ont peu de prise' sur un homme ainsi constitiié... .le suis ce ipi'il
plait aux hommes, tant ((u'ils peuvent agir sur mes sens, mais au premier
instant de relâche, je redeviens ce que la nature a voulu; c'est là, quoi
qu'on puisse faire, mon état le plus couslant, et celui par lequel, en <!ép L
de la destinée, je goiite un bonheur i)our Icfjuel je me sens constitué. " 3(i6.
3a8 LA nKLIGION ET I.V 1 Ol
avec la constitiilioii di- ce inonde cl l'ordre physique; système
ébranle par des doutes, mais <pii trouve en soi-même et dans
son contenu et dans sa formation, rcj)onsc aux doutes; système
où la part de l'clan naturel est grande, oîi celle de la réllcxion
et de la volonté est plus considérable encore, et qui prend sa
l'orce en jurande partie d'être un système.
Rien ne survient qui paraisse étranp:er à la nature, llien.
sinon ces élans d'amour, au delà des choses terrestres el linies.
incapables de remplir le cceur; rien, sinon la i^ralitude d'exister,
la lumière intérieure ; rien, sinon les extases rêveuses du
Promeneur solitaire. ^Nlais tout cela entre dans le système, y
concourt, se déroule devant l'esprit, comme un moment de la
nature intime, comme un mouvement de la Nalure. Point de
choc de transcendance dans la religion naturelle ; point de
bouleversement sacré dans une àmc naturelle, dans cette
« belle àme ».
CHANGEMENT ET CONVERSION
Le phénomène de la Conversion nous permettra d'analyser
de plus près et aussi de vérilier nos conclusions précédentes.
Nous avons étudié la foi connne habitude, état, et aussi
comme acte, aux moments vifâ de ralfirmation explicite et
consciente de soi. La Conversion nous met en présence d'une
autre catégorie de mouvements vifs, el plus vifs encore. Car il
s'agit du choc, de l'entrée en possession avec tous ses émois,
et non plus de l'usage plus paisible ou de l'appropriation
métliodi(iuc. Nous y verrons plus à nu les ressorts de l'àme
religieuse. Celui (jui entre dans une Lglise ou ([ui en sort, le
plus souvent ne le fait pas sans d'importantes tergiversations
et des discussions avec soi-même.
De tous les faits religieux la Conversion est celui qui,
probablement, a été le mieux étudié par les psychologues*
LA t:ONVi:i«S10N 'iu\}
(,(l;i nous permettra d'rlre Itrefs et de ne retenir «jiic ee <|iii
intéresse direetemcnt notre snjet.
Nous avons déjà dit (jue la conseienee relij^ieuse [)eut se
eonslilner et se développer sans elioe ni heurt, sans à-eoups,
soit ([u'ellc se borne à se eonliiiner par l'hahitude et la pia-
ti(iue et ([ue lànie du croyant s'adapte en quel(pie sorte méca-
ni(pieinent à son Kglise ; soit par harmonie et harmonisation
croissante de la religion etdelàme. — sentiment et intelligence.
C'est ce (jne James appelle le développement rectiligne sans
crise (i); et il va sans dire ([ue la marche inverse existe, et
qut)n peut sortir dune Kglise par le même procédé. De cette
systématisation régulière, calme et progressive, Jean-Jac(pies
nous a fourni un exemple excellenl.
Au cours de ce développement rectiligne, il peut y avoir,
(lu leste, des moments privilégiés, des périodes d'accélération,
(Us instants d'illumination et, inversement, des temps nu)rts,
des espaces neutres. Le progrès lent, — dans toutes les lormes
d'acquisition et d'apprentis.sage, — est compliciué de périodes
de progrès brusque et parfois instantané. Il y a de véritables
crises religieuses d'élargissement, d'ap[)ropi'iation plus par-
faite (2). Mais ce ne sont pas là à proprement parler des
conversions. Le mot impli(jue ([u'il y ait négation, renonce-
luciil. rii|)liir('. ehangenienl de direction et d'attitude.
i ir renvoie aux exemples cités par James, Variétés, p. 70 et suiv. —
LAnBHTiioN.Mi;HK, Philosophie religieuse, 297, cite Mf Gay comme type «lu
ciiristianisiiie paisible, de la conversion sans hriiil, sans crise et comme i)ai-
proj^rcs naturel.
a) ^'oici un document tirr du Journal et des Pensées de cIukjuc jour.
dKi.isAiii:Tn LKsiaui. p. q.'i :
■' Ces instants-là ont été pleinement, surnalundlement heureux ; j'ai senti
vivre en moi, présent et m'apporlanL un amour inellahle, le Christ héni.
Dieu même; cette âme incomparahlc a parlé à la mienne, et toute la ten-
dresse infinie du .Sauveur a passé un instant en moi. . Le Christ tritun-
phant. le Verl)e Eternel... d pris possession de mon âme pour l'éternité
en celle minute inellalde ; je me suis sentie r<'nouvclée par Lui jusqu'aux
prtd'ondeurs, prête à la vie nouvelle, aux devoirs, à l'œuvre voulue par sa
I*ro\ i<lence. Je me suis donnée sans réserve et je Lai ai donné l'ave-
nir.
33o LA RELIGION ET LA FOI
Kn cllVl. la conversion suppose une interruption, un conllit
le sculinient de la rupture entre le moi d'avant et le mo
d après. Telle est la conversion véritable, qu'elle soit passai?!
de l'état d'incrédulité à l'état de croyance, ou simplement d<
l état de relâchement à. l'état de ferveur (i) et (jucl que soil
l'étal initial, hostilité, doute, inditlérence, tiédeur. "Sous cetti
seconde forme, il est évident qu'elle s'apparente davantagi
avec le développement rectilia^ne avec sursauts intenses
bruscpieSj que nous décrivions, il n'y a qu'un instant.
On peut se demander avec Schérer (2), si le passaçe de l
foi naïve ou implicite à la foi critique ou consciente de se
n'est pas inévitablement marqué par une crise. Mais je ne~"
crois pas comme Uii que, toujours et dans tous les cas, cette
crise soit provocpiée par « la négation qui détermine le doute,
qui s'accomplit par l'examen et qui donne naissance à la
science religieuse ». De telles crises se produisent très fréquem-
ment dans le monde moderne par suite de l'éducation scien-
tilique et du développement de l'esprit critique ; les objections
à la foi remplissent l'atmosphère intellectuelle, et le schéma
Doute, Examen, Preuve est fréquent. Mais même dans le
monde moderne, il y a des crises sans angoisse, ni désespoir,
ni doute ; des crises d'exaltation et d'élargissement, et la foi
peut aussi s'amplifier et s'approfondir par simple dévelop-
pement rectiligne, comme dit James.
LE CHANGEMENT D'AME
La conversion est changement d'âme. Pas de mot plus fort
que celui de Ghéon, « qu'elle a change dans sa bouche le goût
de la vie (3). » Elle est comme la passion, transformation de
(i) Convertis du dehors, convertis de l'intérieur, pour parler le lan<,'age
de Mainagb. Introduction à la Psychologie des convertis.]
(2 ScHKRER, Mélanfçes de critii/ue religieuse, 3.
(3} 7ëm.oii{naffe d'un converti.
LA. CONVKUSION i'il
la sfiisibililé (i). Mais elle est une passion sacrée et qui coii\ iriil
à la possession d'un absolu. Kl elle est, un reiiouvelleineiil de
vie. Le eonverli esl un lioninie ({ui réoriçanise sa vie morale
auloni- (1 un principe nouveau: en lui s'opère une transfoi-
uiaLioii, une recomposition, une réintégration du moi. Le
chauf^ement porte sur l'altitude essentielle du sujet, celle (jui
constitue son caractère, son mode de vie. De là vient que le
monde prend un sens nouveau, qu'une doctrine prend valeur
nouvelle, qu'une présence divine anime ce qui était auparavant
muet, indiirérenl ou désert.
Le sujet a eonscience d entrer dans une vie plus large. C est
émancipation, élargissement de son moi; victoire aussi sur
soi-même, sur le moi dépravé d'autrefois, relèvement de la
nature déchue. Kniin. il lui sendjle. au moins dans la plupart
des cas, que ce changement ne vient pas de lui-même; (juil'
n'est pas un simple j)roeessus interne, le résultat d'un déve-
loppement [)sychologique. Il lui send)le que quelque chose
de plus fort que lui a o[)éré en lui, ([uel <pie soit le nom (ju il
donne à cette force (2).
(i) •' La vision de la natm-e se modilia; les ambiances se transforraèrcnl :
«f hrouillard de tristesse qui les voilait s'cvanonit; réclaira^e soudain de
son ànie se répercuta sur les alentours.
" 11 eut eelle sensation de diiatcnient, de joie presque enfantine du
nudaile <|ui oprre sa |)renii(r(' sortie... tout se rajeunit. (]es allées, ces bois...
lui a|>|)arurenl sous on autre aspect. » Hiysm.vns, En roule {l'dirfls catka-
lit/iies, 201.
^a) Voici un tcmoignaj^'c très net à ce siijel :
■ Je sens (jue c'est de re.vtcricur (non pas d'une f^ràce surnaturelle que
doit me venir cette force nouvelle. D'où '.' Je nd sais pas. J'attends, car, pour
le moment, je dis coiuMie la vieille prière u incapables nous-mêmes d'aimer
bien ». Cette force extérieure, la vie immanenle, la vie de l'Kspril qui s'tpa-
nouit en moi, doit l'apporter; (|uand elli- aura forcé l'intimité de mon «"'tre
etéliminé ou supplanté les élénu-nls pernicieux, ce jour-là je serai « eonverli •.
Je cherrlie celle force; je sais (|ue le schéma de la conversion à laipielle
j'aspire est le mrme que celui de la ■< conversion cla.ssiipie ", mais le contenu
on resscnce di- < rite force (|ui lit de l'aul sur le chemin de Dam.is un héios,
je le convois autrement ; elle est immanente, dans le même plan, elle est
le nieu vivant en nous non pas là hanl dans les cieux). Je ci-ois d'ailleurs
qu'elle existe en ellct, indépcndanlc «les noms dont on l'alluble : Sainl-
Ksprit, (Iràcc, etc. » Maurice I.AMKKur. Journal, ~i.
Maurice Lambert était un jeune étudiant de Neufchàtcl venu à la Sor-
boiinc (Ml I'.)I7. <■• qui se prcp;iiMit à l'c-liiiif d<' l.i |i-.\i-liid">._ri.' ivliiricusf
33u LA RELIGION ET LA FOI
Ne l'olrouvoiis-nous pas ici les momcnis essentiels de la foi
<lti(' nous avons (ji'ci'its plus liant ? Le passasse (l'un monde
nalni-el an monde sunialnrel. It-lévation au-dessus de soi-
même, — le contact avec le Divin, le verliire de Dieu, la vaste
perspective qui s'ouvre, — le sentiment de la force qui agit toute-
puissante et irrésistible, ou soutenue par la collaboration du
lidèle. Ces moments essentiels, la conversion les étale, si elle
est lente, ou les ramasse au contraire dans un paroxysme dune
intensité singulière, et d'un caractère prolondément drama-
tique, si elle est courte. La conversion n'est pas autre chose
que la foi venue du fand de l'incroyance; ce qu'elle ajoute à la
foi, c'est un particulier sursaut, un particulier tressaillement
pour se lil)érer, pour se dérendre ; elle est une loi pénible,
tumultueuse, douloureuse, violentée; et toute foi de ce genre
a (pieUiue chose d une conversion. Et c'est pourquoi elle a le
caractère d'illumination de tous les moments vifs où se fait une
révélation, la clarté des instants sublimes, cette clarté lumi-
neuse qui les distingue des faits ordinaires de la vie et. qui les
place si au-dessus de la réalité, cette sensation d'enchantement
et d'irréalité de la vie sensible voilée par un éclat supérieur (i).
C'éUiil un esprit net et une àiue d'élite. Sa mort prématurée est une perte
pour nos études. Sa famille a réuni, par un pitMix souvenir, quelques fVaf,'-
menls de ses notes personnelles.
I Vfiifi quelques exemples tirés de (rUAiKY [Pages Choisies, lon^ :
. ... Ce beau phénomène intellectuel, bien connu des esprits (pii méditent,
et (|ue Ion peut appeler la transfiguration des mots. Quehiuel'ois un mot
s'ouvre, surtout si c'est un mot de l'Evangile, et il en sort une gerlie de
lumière, qui est une idée vive ' venant de source. Au fond de l'idée il y
une àme et au fond de celte ."une est Dieu. »
On peut citer a'tissi cette impression qu'il ressentait dans son enfance^
<< Je suis... je répétais avec transport, je suis! .. être, être! Tout le fon^
religieux, poétique, intelligent de l'âme, était en ce moment éveillé, remue
Une lumière pénétrante, que je crois voir encore, m'enveloppait : je voyail
que l'Etre est, que l'Etre est heau, bienheureux, aimable, plein de mystère
" <jui na pas dans sa vie un de ses souvenirs transfigurés sur lesquels
le temps ne peut rien'.' On voit encore, on voit toujours! On voit, au miliei
de l'obscurité des années, des jours, des heures environnantes et oubliée^
tin lieu, une scène, un paysage, un sentiment, une pensée et un mot... Vol
trouverez toujours, dans ces fonds lumineux, une émotion qui retentissal
ju>f|u'à Dieu... C'est de Dieu qtic l'on se souvient : Dieu est le fond de 1|
mémoire. • JfTid , lo.'i.
LA <:o.\vi:iisi()N '3'j3
LA PASSION
l'^llo a (luchiiic chose (111110 passion, quelque eliose aussi (h;
1 assenliiiieiil logiciue, mais elle va au delà de l'un et de l'aulre,
précisément parce qu'elle esl une loi ; lorsqu'une passion se
jut^e l'ahsoju. elle s'ajoute (pielque chose, une affirmation onlo-
Ioi,M([ue, (pie. simple j)assion, — elle ne formule qu'à Aoix
hasse. Elle a la lot^icpie passionnée, la passion lof;i(pic et plus
encore la prélention ontolojj:ique de la foi.
Elle est plus que la passion, mais à bien des égards elle lui
est semhlahle. La passion a, elle aussi, ce développement
dramatisé de crises ou cette éclosion brusque, ces violentes
antith('ses, ces profondes indécisions, cette profonde igno-
rance, cette aperception aiguë de soi. Elle aussi crée des
valeurs, suscite des intérêts nouveaux et singuliers, projette
un objel hors de soi et s'y retrouve et s'y épanouit, s'y perd et
s'y transforme : déploiement de soi et renoncement à soi. Elle
se recueille en son objet; recueillement en une présence intime,
vertige.
Elle se pailc à soi-même un langage d'inlinité, et son objet,
elle le divinise par projection de sa propre puissance, par certi-
tude préalable de soi-même^ et |)ar transport sur une image et
de eelle certitude et de celte adoration de soi ; travail de
l'esprit occupé à forger et à embellir, cristallisation. Opération
qui n'est pas sans un secret remords. N'y a-t-il [)as souvent
dans la passion comme l'obscur sentiment d'une erreur méta-
pliysi(iue, l'obscur senlimenl que le voile d'enehantemcnl est
tissé autour d'un objel profane?
Elle esl donc esclavage, subi et consenti, asservissenienl,
séduction, ca[)tivation ; la personnalité est vaincue et la passi-
vité domine; mais cet esclavage est renoncement, sacrifice et
exaltation du saciKice de soi.
3'i\ l.\ UKLir.ION r.T Î.A l'Ol
Kiiliii elle osl alllux de Ibiee, accroissement d'énerjçie ; et
pai- concenlration sur un objet, plein don de soi-même à une
seule tâche, et par action efficace et stimulante de cette tâche
consentie et aimée, excitation et mobilisation de réserves, qui,
venant de l'objet aimé, renforce l'impression d'influence et de
passivité.
De tout cela résulte ce clianp^ement d'âme, cette coloration
nouvelle de la vie, cette « nouveauté inventée d'hier », privilèii:e
du passionné comme du converti.
LE CARACTÈRE
La conversion ressemble aux changements de caractère.
Le converti est uri mécontent et un enthousiaste, (jui va du
mécontentement à l'enthousiasme.
Ce peut être un homme « à voie uni([ue », mais engagé
par erreur sur une autre voie et qui revient brusquement à la
première; une personnalité une, qu'une illusion cache à soi-
même, et qui, déchirant l'illusion, se démasque. Dans les cas
de ce genre l'unité du caractère est dissimulée sous de trom-
peuses apparences. C'est le même homme, s'appliquant tour à
tour de la même manière à des objets différents. Ses atti-
tudes psychiques fondamentales, son « comportement *
demeurent les mêmes; mais il se cherche tour à tour dans
des objets dilTérents. Saint Paul, après Damas, n'apporte-t-il
pas au christianisme les forces mêmes, et l'emportement, ei
la puissance qu'il employait à le persécuter? Ignace de Loyol
ne reste-t-il pas un chevalier? Ainsi, même parmi les unitiés
et les équilibrés, la conversion est possible, pourvu qu'un
erreur passagère ait abusé le sujet sur lui-môme. La conver
sion n'est alors que retour à soi. Le sujet s'est égaré dans so
objet, ou bien en soi-même, ayant [)ris j)onr soi et pour le fon
de sa nature quelque trompeuse apparence, reflet du miUe
ou d'un entraînement passager.
I.V CO.NVKUSIUN jJS
-Mais il y a dos inodilications plus inolondcs cl dos iKunincs
(lui chauffent radicaleniont. Ceux que Ribot appelle les contra-
dietoiies siiinilLaués, ceux qui, selon le lanf?age de l*aulliau.
soûl dominés par le contraste, de par les virtualités en conflit
que présente leur caractère, sont prédis|>()sés à des chanpre-
uients d'orientation; de même les instables ou polymorphes,
les impulsifs, les incohérents. Ceux que Ribot appelle les con-
tradictoires successifs ont souvent commencé par être des
contradictoires simultanés.
Donc il peut arriver que le sujet reste le même, mais se
voue successivement, avec le même caractère, à deux genres
de vie diflerents ; ou bien que le sujet change profondément, que
sa slructure psychique s'altère. Le changement peut atteindre
le contenu ou la forme de la vie, ou tous deux simultanément.
Si nous partons de l'homme profondément unillé et é(}ui-
libré. toujours fidèle à soi-même, stable et de développement
rectilignc, — celui chez qui le changement ne ressemble en rien
à la conversion. — nous rencontrons selon la complexité crois-
sanlc :
l'homme (jui s'appli(iue à des objets dilférents, qui devient
un ambitieux par exemple après avoir été un amoureux, mais
qui s'y appliciuede la même manière, avec les mêmes méthodes,
les mêmes moyens. Sa structure mentale n'a pas changé. Tout
au plus peut-on supposer chez lui la naissance ou le dévelop-
pement de certaines aspirations, que le premier objet est inca-
pable de satisfaire, et qui se cherchent dans le second;
riiommc, dont les fonctions psychicpies viennent à jouer
dilférenuuent; lu lenteur par exemple <pii devient ardeur, l'as-
lh('iii(', 1 indilférenci' qui deviennent é'ncrgic; il se peut (ju il
recherche, avec des procédés dilférents les mêmes objets et
qu'il continue d'aimer autrement les mêmes choses: il se peut
qu'il en recherche d autres et ((ue la moditication structurale
se double d'un déplacement ou d'une complication des ten-
dances.
330 LA RKI.IGION KT LA KOI
Le converti est donc un homme capable de changer et de
se passionner, et de changer de passion. Il y a chez lui, — sauf
le cas cité plus haut de l'homme cpii s'est fourvoyé et qui revient
à soi. — celle diversité latente, cette contradiction qu'il y a chez
tous ceux (jui changent, et cette excitabilité et cette systémati-
sation qu'il y a ciicz le passionné: pai l'ois aussi et en plus, ces
mouvements d'inq>ulsion, ces violences de choc qu'il y a chez
le sim[)le émotif, qui se distingue, à l'ordinaire, du passionné
vrai par son excitabilité diffuse et intermittente. Donc cette
excitabilité caj)al)le(le réalisation et de constance, qui dislingue
le passionné du simple émotif, — la passion, des boulfées
d'émotivilé, qui peuvent du reste compliquer la constitution du
passionné, — et de l'inquiet, qui est lui aussi un diffus et un
instable.
Il y a autour de toutes les religions des inquiets, qui en
approchent, en tàtent, tâtonnent autour et cherchent à s'exci-
ter sur elles. Mais ils portent une tare d'incomplétude ; ils
veulent tout, et plus qu'on ne peut leur donner, et rien de ce
(ju'on leur peut donner; tout, pourvu qu'on les dispense de
vouloir. Conscients de leur faiblesse incurable, incapables de
la supporter, ils cherchent un aj)pui; mais ils ne veulent rete-
nir des religions que tout juste ce dont ils ont besoin pour le
moment. Ils n'aboutissent pas, parce qu'ils sont incapables de
s'accommoder d'un système et de se plier à une règle de vie.
Ils restent toujours à mi-chemin de la conversion; leur inquié-
tude oscillante, leiir personnalité trop attachée à soi les retient
de rencontrer la sécurité, la protection, la consolation dont ils
ont tant besoin. Notre siècle en a vu beaucoup: un Sénancourj
un Hiran même, qui mit trente ans pour se mouvoir de li
<piiétude épicurienne au quiétisme fénelonien, une partie de \i
religiosité romantique pourraient servir d'exemple (i). Mais il
(Ij l*eut-(Hre aussi un Aniiel qui estime nécessaire une refonte du cliristiî
iiismc, nécessaire aussi une Eglise où ses vajjfues aspirations j)ersonneil6
prennent forme collective. Mais â quel credo aboutissent-elles? Peut-il en sorti!
LA. CONVERSION jj-
pciil iiiiixcr à (le tels instables d'avoir {)oiii- un njouu-nt l'illu-
sion «If la slalulit»'; d'oîi ccrlaiiios af)|>ar('iic('s do conversion,
nionienlanées et décevantes.
Il fant aussi faire entrer en ligne de compte la suggcstihilité,
(jue nous avons vue si nettement à l'œuvre dan< les conver-
sions grégaires, et Taulosuggestion.
Knlin il faut encore raj^peler les grandes oscillations des
eyclotliymi<}ues et les formes larvées de cyclolhymie (jue pré-
sente en foule l'expérience courante, alternatives de dépression
et d'excitation (i); de tels changements, qui fournissent à la
conversion un terrain favorable, ont lieu souvent sous lin-
lluence de l'âge, j)uberlé. m«''Uop;iusc. involulion •^éiiilr. ou
d'infections et d'intoxications.
Or, le passage d'une forme à l'autre, et ceci a cjuclque
importance, étant donné la brusquerie de beaucoup de conver-
sions, s'accomplit souvent par crise, avec accès d'agitation;
aux sentiments de dépression, ennui, déchéance, éloignement.
étrangelé, irréalité, succèdent des impressions de joie, de
lumière, <rinlérèt profond. La vie de certains déprimés est
ainsi constellée d'instants clairs, ivresse passagère, sentiments
aigus <rexaltalion et de bonheur, inelfables, analogues, — en
sens inverse, — aux sentiments dincomplélude des scrupu-
leux. Janet fait rcmanjucr linement que beaucoup des con-
vertis dont parle W. James sont tout simplement « des dépri-
més méconnus, (jui, au cours de cérémonies religieuses, sous
des influences quelconcpies, présentent des phénomènes d'exci-
tation plus ou moins durable et des sentiments de joie inef-
fable (2. »
une tlit-olo^'ic cl niir llicodicce '.' » .!«' no la vois |){is distincl<'iii<-ut J'en suis
luênie à nie dmiaudcr si la crislallisation de nu'S du^^nies ♦•si nécessaire? »
{Journal intime, I, 18^.)
'0 Au temps du Wesleyanism»-, le D' Clieync, The h'n^dish Mulady n~'\7>\
ilécrivait connue rié«|u<'nts cl |trc><|uc coMinie un « mal du siècle » «les étals
de dépression neurasthénique, dont Klic llalévv reniar<|u<- q'i i'- ^'^ '•••lr<>ii\ .'ni
dans les crises morales de plusieurs Wesleyens.
22
338 LA. RELIC.IOX KT LA KOI
Ainsi les troubles mentaux avec alternance d'excitation et
(le dépression, ou d'excitation et de rémission donnent
volontiers naissance à des clianp;ements de caractère, qui, dans
certaines conditions^ par la li^rande altération des sentiments,
jieuvent produire ou sinmler des conversions. De même le
<léveloppement anormal du caractère vers l'une de ses ten-
dances constitutives, qui devient prédominante et exclusive,
aboutit à une systématisation; de même les oscillations entre
les différentes tendances, le déséquilibre de certains anor
maux.
Starbuck a conclu de son enquête que la puberté est une
époque fréquente en conversions. Les grands intérêts de
r humanité s'ouvrent à ladolescent. Il s'agit de choisir un
idéal. La vie spirituelle s'ouvre à celui qui n'est plus un enfant.
La conversion intensifie, mais abrège la période tumultueuse
de l'adolescence, en provoquant une décision.
Mais le trouble de l'adolescence est confus et polymorpliea
Ce n'est pas seulement l'esprit, c'est tout l'organisme qui est
en travail. Les modifications des sécrétions internes font naître
des besoins nouveaux, des sensations nouvelles, et donnent
à toute la vie psychique une ampleur et uri coloris nouveaux.
La conscience religieuse de l'enfant subit la même épreuvj
que sa conscience organique et que son esprit. Tout s'agrand^
et tout change. La religion se développe, se maintient, o^
tombe. L'adolescence est souvent la crise oii sombre la vil
religieuse de l'âme enfantine.
L'éveil des sens peut, par sublimation, exciter la foi, oi
trop découvert, la rendre vaine. Les brutalités de l'instim
peuvent tuer la délicatesse du sens intime. La chair a détournj
LA CONVERSION' 339
de Dieu beaucoup d'adolescents. Parfois rincrédulité n'est (jue
le mas(|ue de la concupiscence. Les relip:ions le disent et avec
trop d insislance.
Mais eest parfois vrai.
CONVERSION ET THÉOLOGIE
Pratt a raison de dire que la conversion est souvent régie
par un schénia théoloprique et d'interpréter, contre 8tar])uck et
James, la plupart des grandes crises émotives du type Bunyan
comme un arrangement littéraire ou comme le résultat de
suggestions doctrinales. 11 est certain que moins considérable
est le rôle que la théologie assigne ii la conversion, moins
nombreux sont les phénomènes d'excitation alfective et d'agi-
t al ion mentale (pii l'accompagnent. En somme, la conversion
brus(jue, instantanée, le bouleversement subit de toute l'àme,
sont plus rares qu'on ne le dit, et se rencontrent surtout chez
ces « contradictoires simultanés ou successifs » dont nous
venons de parler, chez des instables, ou chez des gens à con-
science morale singulièrement vive, qui, n'ayant pas fait le bien
qu'ils aiment et ayant fait le mal <pi"ils haïssent, réagissent
bruscpiement contre leur abaissement moral et subissent la
bruscpie impulsion de l'idéal qu'ils avaient gardé.
De même le cours de la conversion est en partie régi par la
théologie (i) :
(l) Nous avons cilc plus liaiil une <lé(laralioii iiii|)orlaiili' do Jonatlian
Edwards. Voici imr iiii])orlanle innarquc de Vinci, cilce par Haxiikiu I, hii^ :
« La tliéol(»^;ic du Ui'-vfil impose une luarclu" au développrnicnl de la Yi<'
religieuse. Il y a une liisloii-e oilliodoxe de la conversion et de ce tjui la
stiit. Les choses iloivcnt se passer d'une manière, cl dans un certain ordre,
et non aniremenl. Bien averti de tout cela, ou s'y prèle; on s'impressionne
artificiellement; on se fait des sentiments factices. L'àme perd toute naïveté,
la spontanéité disparaît, et la religion du cœur devient une mécanique.
Le Réveil, avant tout, consulte ses sensations. »
Newman dit de même [Lcctnri's on jiistijication) : « On essaie «le nous
convertir en nous donnant l'obsession de la conversion... L'auditeur éprouve
tel ou tel senlimcnl parce qu'on lui dit de les éprouver, parce «juil pense
34o LA RELIGION ET LA KOI
Ainsi, dans certaines confessions, la nécessité du sentiment
du péché et de l'abolition de l'eirorl, le « siirrender ». Ailleurs
la plupart des ct)n versions sonl. au contraire, de l'orme nette-
ment positive, orientées vers Taveim' et la recherche de l'idéal
nouveau, et l'important, pour le sujet, n'est pas de cesser
dap:ir, mais d'avoir commencé à agir.
Les relisi:ions ont ainsi, — et dilférent selon les temps, —
leur seiiéma favori de la conversion, qui n'est au fond qu'une
illustration psychologique de leur doctrine de la Grâce. Par
exemple, si la nature est radicalement déchue, la Grâce est
indispensable, avec son opération miraculeuse, et son appa-
rition tranche d'une façon éclatante sur le cours de la vie
naturelle. L'homme, mort dans le péché, est irrésistiblement
converti par la Grâce. La Réforme, et les sectes issues d'elle,
reprendront souvent ce thème. Pour la Fornmle de Concorde,
l'homme ne peut ni agir ni coopérer « nihil opcratur,sed taiiliim
patitur; nwre pas.sive se habet ». La conversion luthérienne se
devoir les éprouver, ]»arcc que ses voisins prctemleiit <|iril les éprouvent »,
d'où la véliéinence, le tumulte, la confusion.
Les piétisles ont concentré leur attention sur eiixiuêmes, sur leur état
<rânie, sur leur conversion, sur les proférés de leur sanctification personnelle
ils ont i)assé leur temps à se là ter le pouls.
Imposant au développement religieux des fidèles l'ordre de leur dogma-
tique, ils ont lu l'expérience à travers cette dogmatique, ou recouru à des
moyens factices pour produire dans les consciences cette succession métho-
dique d'expériences morales, et en particulier « ce combat de pénitence »
convulsif et désespéré qu'ils exigeaient de quiconque se convertit.
Cf. Iliigh Bevsox (Confessions d'an converti} : « Personne n'est jamais entré
dans la Cité de Dieu avecaussi peu d'émotion que moi. J'avais l'impression
d'être devenu ;disolument insensilde; et je n'é[)roiivais ni joie, ni tristesse, ni
crainte, ni exaltation... Il n'y avait rien en moi, me send)lait-il, qu'une certi-
tude absolue d'accomplir la volonté de Dieu (;n entrant dans son Eglise. »
Ne%\niaii iJfenri firérnond, III, i()07, , p. '594 ^t s\iiv., écrit aussi que ces émo-
tions religieuses ne sont pas l'essentiel. Mlles ne font pas changer de viej
Mais elles peuvent aider, par exemple au début, à aimer la vie nouvelle;
elles sont une compensation des premiers dégoûts et des premières souf-
frances.
Mais ce n'est pas être religieux que d'être ainsi ému; et le danger est que
quand ces sentiments disparaissent, on croit avoir perdu la foi.
■ On peut citer de même, dans le mouvement revivalistc, les critiques d<
Chauncy contre Edwards; le tort d'attacher aux émotions une im[)ortance'
extraordinaire: l'émotion devient le signe de la présence de l'Esprit.
LA COWERSIOX 341
résume en doux t('nij)s; l'edroi de la conscience et l'appro-
priation (le la justice du (Christ par l'apparition de la foi :
IciTcur et conlianoe passivement revues.
La notion mcthodiste est proche de la lutlicricnne i)ap la
sid)ile saisie de la conscience; elle en est distincte par son
caractère de changement moral et de retour aux bonnes
<i'uvres.
De inèinc, toutes les religions et les philosophies à vue pes-
simislc (|iiant à la nature humaine admettent volontiers la
nécessité du brusque écroulement du mal et de l'apparence, et
de la subite apparition de l'intuition ou de l'illumination qui
sauvent; ainsi certaines formes du bouddhisme, ainsi la « con-
version transcendantale « de Schopenhauer.
L'autre courant, dont le semi-pélagianisme est le meilleur
<'\(;mple, pose la notion d'une grâce simplement coopérante;
la Réforme mC'me n'y a pas échappé : ainsi le synergisme d'un
Melanchton. Le catholi(iue " classiciue » vise à se reconquérir,
non par ses propres forces, mais comme s'il était seul; résolu-
tion motivée à laquelle la commotion sensible n'est nullement
nécessaire. Le Miracle, le bouleversement de la Grâce dispa-
raît ici dans la coopération, (pii suppose un cllort et un travail
régulier, et la Grâce sensible tend à s'effacer, puisqu'elle peut
agir cl (jucUe agit le plus souvent sans être perçue, et qu'en
tout cas il n'y a pas d'opposition radicale entre la Nature et le
^nrnalurel (i).
LE SCHÉMA DE LA CONVERSION
Le schéma classique de la conversion est le suivant :
Première phase : incpiiétude, sentiment de faiblesse et d im-
puissance; impression de manque et d'imperfection, rêverie
(Il ■ l.n joie n'est pas la noie nécessaire de la conversion. « On peut être
converti depuis lon^ftcnips sans sentir la certitude consolatrire. La Foi peut
niêuiu coïiicid(^r avec la détresse infinie du doute à l'épard de soi-même, b
Hfnv, La ('.nincmion. Hoauchesne.)
3f^J LA RTÎLIGION ET LA FOI
pensive, dépression, analyse morbide 'de soi-même, peur de
l'avenir, ébranlement douloureux des convielions antérieures;
tels sont les principaux symptômes que décrivent les sujets.
Sur ce fond trouble, une lueur vaiçue ; l'idée d'une guérison
possible. En présence de cette idée l'esprit reste cruellement
agile et contradictoire (i), ou bien il s'attarde, incapable de
décision.
Deuxième pliase : crise plus ou moins brusque, plus ou
moins irrésistible. Attrait, aspiration, volonté séduite; volonté
saisie par une action, intérieure, afflux de passivité; sentiment
de délivrance et d'apaisement, de conliance dans la réalité,
d'adaptation de toute l'àme au nouveau prijuipe de vie.
Troisième phase : apaisement, vie nouvelle. Lall'ectivité est
calmée, l'intelligence est satisfaite (2).
Voici, par exemple, comment Wells décrit sa conversion
à sa religion nouvelle (3) :
Première phase :
Conscience intime d'un désarroi sans issue.
Deuxième phase :
La pensée de Dieu se présente à l'âme en détresse; au
premier abord, ce n'est là qu'une idée qui n implique aucun
élément positif, aucune croyance. Elle demeure quelque temps
latente, et flottante dans l'esprit insatisfait. On ne croit pas
encore en Dieu, mais on se rend compte que, s'il existait un,
être semblable, il fournirait la consolation et la direction dont<
on a besoin. Sous l'empire de cette conviction, on poursuit]
cette idée et on la creuse.
Troisième phase :
Alors, soudainement, à son heure. Dieu vient. Cette cxpé-|
rience capitale est une perception certaine, immédiate de Dieu.
I, (Quelquefois luênie négatif ot révolte'-. Il y a d«;s négations, qui sont des
commencements d'affirmation, qui recouvrent des tendances positives.
2 Cette phase s'accompagne parfois de modilîcations psycho-sensorielles. !
(Voir James, Variétés, iHô, note 2.1
;3) Wklls, Dieu, l'Invisible Roi, i^'i.
LA CONVKRSION 343
Cost uiu- impression analoj^iie, — mais plus complèle et plus
iulimc. — à cclh^ (pic l'on éprouve aux (ôlos dune personne
hMulremenl aimée et en <[ui Ton a une entière conlianee.
Dès ce moment, la vie est Iranslornu'*'.
La première phase peut mancpier, au moins en apparence,
comme dans le cas de lîradlev, de Ratisbonne. C'est la conver-
sion instantanée et explosive, dont on [)eul pourtant, dans bien
des cas, déceler les antécédents snbconscients.
Autour de ce schéma, on pourrait grouper bien des modes
variés; certaines altérations, certaines nnances peuvent prédo-
miner :
le passage d'un mode de vie à un autre; le changement;
l'opposition, la division, le moi partagé ; le conflit et la
solution ;
rinsatisfaelion, la tension, rin(piiétude. le vide; lapai-
scment, la délente, la dépression et l'excitation;
la douleur et la joie.
Kt toutes ces attitudes, tous ces jeux de sentiment, tous ces
couples peuvent se coni])li([uer, eommc nous l'avons dit, d'idées
théoriciucs et d'im[)ératils moraux, ou rester à l'état confus,
aireclif; d'où la prédominance parfois du sentiment du péché,
de la souillure, de la répugnance de soi.
Pour la même raison, la conversion oseille entre deux
grandes formes : la forme juridi(iue. la juslilieation forinsèque,
par imputation des mérites d'un autre, le fond du sujet restant
substantiellement le même (([u'on se lappelle la doctrine
luthérieinic);
la fornu' mystique, la transformation totale, l'absorption
dans le divin par disparition de la [xisomialité; qu'on se
rappelle nos descriptions antérieures.
344 LA RELIGION KT LA 1 OI
LA PROFONDEUR DE LA CONVERSION
Il faut se rai)i)ekT d aljord qu'il y a des conversions appa-
rentes. Souvent le converti est demeuré au fond le même; ou,
(lu moins, la transformation n'est ]>as si radicale cjuil parait
Souvent lindividu tâtonne et cherche, alors même qu'il a l'ail
de s'en cloly^ner, précisément ce qui le lixera ensuite. PSe^mai
disait justement que le premier point à éclaircir, lorsqu il es
(piestion de changement des certitudes religieuses, c'est d<
savoir (juelles sont au juste les doctrines, à la certitude
desquelles, avant ou après sa conversion, le converti a dî
renoncer; il y a peu de religions qui n'aient quchiucs point»
communs, pivots sur lesquels s'opère le changement.
Le P. Mainage,'dans son intéressant livre sur la Conver-
sion, a lrait('' ce point. Il distingue justement des conversion!
simulées; des conversions su])erlicielles, dictées par une senti
mentalité inconstante, comme celle de George Sand au temps
oii elle était élève au pensionnat des Anglaises; des couver
sions sincères et profondes, mais oîi le sujet ne persévère pas
ou qui subissent de longues éclipses; des conversions sincèrei
et profondes, mais qui laissent subsister des vestiges évident
d'habitudes antérieures; Iluysmans, après sa conversion, gardî
le plus grand nombre de ses défauts; c'est ce que remarqua
aussi Sagerel (i); enlin, des conversions intégrales et durables
S'il fallait croire à la lettre le témoignage des mystiques
la conversion serait radicale, étant transformation totale. Mai
il y a chez eux plus de prétention à la transformation totale e
à l'abolition du moi, que de réalité; et, sauf un assez peti
jiond)re de cas, de tels états sont transitoires. jVéanmoins oi
ne peut nier qu'il n'y ait chez eux un changement bien n©
d attitude, et c'est chez eux peut-être que l'on trouverait 1(
plus de diirérence entre l'homme ancien et l'homme nouveau.
(I; Les Grands Comerfis. Diirtal, on devenant catholique, ne eliange pas
L'Oblat nous ilépeint un Duiiai identique au curieux pécheur de jadis.
l.A CONVEHSION 3/J5
L'ILLUMINATION SUBITE
Sur toute cotte t'eruientatiou, sur tout ce travail, aux didé-
l'cnles étapes ai>paraissent des nioineuts d'illunuiiation. J.a
]>réparatiou autérieure ei'istallise brusquement.
De liordeu va d'un spiritualisme un peu confus au catho-
licisme. La conversion de (Claudel le séduit. « La conversion
<le (piel(iu"un ([u'on aime est un appel. » Le charme chrétien
renvahil.
l'ai" une belle nuit, où il était fort calme, admirant le ciel,
il seul il la présence de Dieu, « Qui es in cwlis. » Il s'abîma dai^s
cette |)ai{)le, avec une émotion indicible, mais sans violence,
jii <'\allation; tout était limpide, évident, ami. Il prit la réso-
lution de se convertir et il y réussit un peu plus tard (ij.
Le cas de Uené Salomon (2) montre bien comment une
orientation lente d'abord et lont;temps un jx'u ijidécise peut
-^f préciser et s'accélérer brusquement. Ici, c'est un te.vte de
Pascal, pourtant bien connu, qui l'arrache pour ainsi dire à
lui-même, pour le mettre brusquement en présence de Dieu.
Chez Weslev, une assurance subite vient clore une longue
|)ériode d'inquiet iule et de recherche. Wesley avait cherché
la paix de l'âme dans une combinaison curieuse de régime
iiu'dical et d'aspiration mysti({ue : il avait constitué sa petite
-ociét<'' d'Oxford, avec son programme d'action minutieu-
- inenl r(''glé, avec son caractère ritûaliste, avec son mysti-
cisme. Il avait accompli sa mission de (léorgie, connu les
Aloraves et les piétist«'s; mais aucune forme d'action ni de
régime ne lui avait assuré la paix qu'il cherchait : « .Te suis
allé en Amérique pour eouverlir les Indiens, et (pi'ai-je a|)[)ris?
que je n ai jamais été converti moi-mC'me! Oh, ([ui me conver-
tira? K
1' M.vi.xAGF., Les Te/nnins du lii'iwm't'an caUtnlù/ue, 8i.
(•2 Mainaok, Ibid.
3^G
LA REI.ir.IOX ET LA KOI
Bohlcr lui piochait l'assurance du salut, par illumination
momentance, « la convulsion spirituelle ». Or, en lisant la
préface de Lullier à \' Kpitrc aux llomains, Wesley se sentit
sauvé : « Je sentis mon cœur pénétré dune chaleur étrange.
Je sentis (jue je me liais au Christ, et au Christ seul, pour
raon salut; il me fut donné rassuiancc qu'il avait enlevé mes
péchés, mes propres péchés, et qu'il m'avait sauvé, moi per-
sonnellement, du péché efde la mort. »
Il est vrai que le soir même, il se sentit anxieux au sujet
de cette assurance. Il se consola par cette idée que la paix et
la foi n'impliquent pas nécessairement la joie; « les transports
de joie, Dieu (luekpicfois les accorde, quelquefois les refuse
selon sa volonté. «
^\ hitefield, Charles ^yesley ont connu eux aussi de telles
brusques illuminations. Ils en avaient pour garants l'Écriture
et les témoignages apportés par Bohler.
Claudel raconte que son génie poétique et sa vocation
catholique sont nés simultanément. A dix-huit ans, du catho-
licisme il ne lui restait rien : « J'avais complètement oublié
la religion, et j'étais à son <'gard dans une ignorance presque
sauvage. i> Les livres de Rimbaud lui avaient donné « l'impres-
sion vivante et presque physique du surnaturel »; « mais mon
état habituel d'asphyxie et de désespoir restait le même ».
Ktant venu à Notre-Dame pour s'exciter littérairement, à
la messe de Noël, tout d'un coup, il crut : « J'avais eu tout à
coup le sentiment déchirant de l'innocence, de l'éternelle
enfance de Dieu, une révélation ineffable. » En un instant se
déroula le long trajet de la possibilité à la certitude : « Si
c'était vrai pourtant? C'est vrai... Dieu m'aime, il m'appelle. »
Larmes, sanglots.
Kt pourtant ses convictions philosophiques restaient
entières. L'illumination brusque n'avait rien détruit. Il lui
fallut quatre ans pour adapter son esprit à sa nouvelle
croyance : « L'édifice de mes opinions et de mes connais-
t
I.A CONVERSION 347
sauces rt'stail dehoul, cl je n'y voyais aucun dcfaut. Il était
seulement arrivé ([ue j'en étais sorti (i). >.
Francis Janinies se revoit, une matinée, étendu sur un lil,
l'âme et le corps en détresse, humilié, neurasthénique.
( hiand je sortis de cette prostration qui (hua vingt minutes^
je prononçai avec des larmes dans la voix : « Il l'aul <pu' cela
soit ou il n'y a rien! »
Cela, c'était l'Eglise catholique que Claudel lui avait
enseignée. Dans le tréfonds de son être, une joie commençait
à se faire jour (i2'.
Retté connaît le dégoût de toutes les doctrines, le désarroi
intellectuel que soutiennent seuls une violente hostilité contre-
le socialisme et l'Eglise. Mais au cours d'une conférence
antireligieuse, on lui demande comment tout a commencé. Il
est troul)lé, mal à l'aise : « Si pourtant Dieu existait? » Il
Hotte dans cette anarchie intérieure, que modère seule une
vague velléité de christianisme. Une lecture de Dante lui
donne limpression qu'il peut être sauvé. Oh! si Dieu exis-
tait, (piclle chance pour moi. lue douceur insolite lui emplit
le cœur. L'Eglise est salutaire: elle apporte une règle de vie
aux pauvres âmes <pii errent douloureusement. Elle n'a jamais
varié; elle détient la vérité : consolatrice, salvatrice, immuable.
Et si elle la détient, comme elle déclare procéder d'une révé-
lation divine, c'est donc (pie Dieu existe : « Ce fut tout; mais
c'était suflisant puisque jamais plus, à partir de ce malin, la
conviction que Dieu existait ne sortit de mon àme (3). »
Lutoslawski raconte qu'ayant perdu la foi à l'âge de seize
ans, il traversa vingt ans d'indillérence religieuse. Un matin,
après un bain de vapeur, il surgit en lui l'idée de nettoyer
aussi son âme. (pu)i(pi il ne trouvât rien de ])articulier à se
reprocher. Il alla se confesser, sans émotion, ni contrition
(i) Clai DEL, Revue de la Jcnnessi', lo ocl. n}i'i.
(a) Mainac.k, Témoins du HenouK'eau cath(ili<iue, 7G.
(3) Rkttk, Du Diable à Dieu, i5" éd., 76-81.
3|8 LA UKLKIION KT LA KOI
profonde. Il dit au prètro (ju il no pouvait recevoir la commu-
nion puisqu'il ne croyait pas à la présence réelle. Le prêtre lui
conseilla pourtant de communier.
Au moment de la recevoir, cr je compris tout et surtout je
revus un ordre impératif, dune puissance indiscutable, d'unir
])<)ur toujours ma vie à l'existence de cette KiçUse que j'avais
abandonnée vingt ans auparavant. Ce fut comme un coup de
foudre... une soudaine révélation (r). »
C.arré de Montgeron, dans l.a Vérité des Miracles,
nous a laissé le long récit d'une transformation rapide et
presque instantanée, d'un ()r()f<)ii(l bouleversement moral qui
le ramena, sur le sol sacré du tombeau du diacre Paris, d'un
vague déisme au jansénisme le plus ardent. Il s'était décidé
jadis à vivre selon le monde, à se laisser aller à toute espèce
de débauches, et à se convertir à (juarante ans. Un léger
accident de voituie lui donna idée que le calcul n'était pas très
sur : « La vue du hasard que je courais d'être dans des supplices
éternels, si je venais à mourir avant le temps que j'avais
juarquc' moi-même pour une conversion, me Ht une impression
assez vive. Je résolus de ne plus attendre à me convertir. »
Mais il retomba bientôt à ses passions : « Mon cœur qui brû-
lait du désir de retourner à son vomissement obscurcit bientôt
les lumières de mon esj)rit. Je commençai à douter de la vérité
de la religion, parce que je souhaitais qu'elle ne fût pas. »
Il devint déiste, et quand parut la Constitution, remarquant
<iu'elle condaniuait les principes fondamentaux de la morale
(i; LrTObLA\\>hi, (longri's de Genève, lyio, p. 709 et suiv. Luloslawski
achevait sa conimunifalion en proposant une mélliode, qu'il avait y)rati(iuéc,
|)oiirla conversion ft'intellectuels. II leur proposait de se recueillir passive-
\emenl, devant un acte de foi acconi|ili par des croyants sincères. Dans et
but. il choisissait une église solitaire »t une heure matinale. L'infidèle
s'assied tranquillement au fond de l'éylise et ferme les yeux, en éloif^nanl
toute pensée profane et eu tâchant de deviner l'état d'âme des croyants. Ceu3
qui s'y sont soumis ont souvent é[)rouvé, ati bout de plusieurs jours, ui
chaufrement suljit. Le groupe des croyants priait pour la conversion.
f^omine tous les auteurs d'Exercices spirituels, Lutoslawski attribue à ui
pouvoir surnaturel les résultats de sa méthode.
LA C.ONVIMtSION 34<»
(hri'lienne, il ponsa (jiie tous les Consliliitionnaircs étaicnU
< omnie lui, dos ilristcs (l(''^uis«''S.
Va\ ij3i. il enlciulit parler de miracles opères au tombeau
du diacre Paris :
« Je piétendis d ahoi'd ([ue tout ee ([u ou ui en racontait était
faux, et qu'il pouvait seulement être arrivé <pie limaginalion.
;niu:mentant l'action des esprits animaux, eût procuré (juekpie
-oulai^ement passager à quelques malades, ou même facilite-
peu à peu leur guérison. »
Mais ces faits le jetaient mal,t!:r<'' lui, dans le trouble el
1 inquiétude.
Ln nouveau miracle lui inspira la résolution d'aller voir de
->es propres yeux. 11 alla au cimetière le j septembre i"3i.
Devant le recueillement des assistants, il lut saisi de respect,
se mit à genoux et pria :
'< O vous, par l'intercession de qui l on publie qu'il se fait
tant tle miracles, s'il est vrai qu'une partie de vous-même
vive encore après votre mort, ayez pitii' de mon aveugle-
ment et m'obtenez de sa miséricorde (pi il dissipe mes
ténèbres. »
Il resta immobile et à genoux trois ou (piatre heures dans
un ('tat d'attention profonde; et dans son esprit se succédaient
des raisonnements qui commençaient à l'ébranler : Dieu est
juste; or, ces appelants cpii l'aiment véritablement sont très
mallu'ureuK ; il doit les récompenser après leur mort.
Toute une apologétique intérieure se développait en lui. Les
arguments, ([u'il forgeait autrefois contre les mystères, avaient
perdu toute leur foice : « N'est-il pas évident (piil n'y a que le
souverain maître des esprits et des cours (pii ait pu faire
croire des mystères si incroyables, et cela malgré l'intérêt de
toutes les passions? »
« Dès ce moment je sentis mon cœur pressé, et je commen-
çai d'être convaincu : mais comme je m'aperçus sensiblement
que les réllexions que je faisais alors, étant appuyé sur le
35<> WÊ^K LA R1.L1GION KT LA FOI
Joiiibeau de M. Paris, étaient sans comparaison plus liinii-
lu'uses que celles que j'avais jamais laites à ce sujet, je me
déterminai à y demeurer encore quelque temps, j)our exa-
miner si les Apôtres mérilaient une foi entière par rapport à
lout ce qu'ils avaient écrit. »
Ces réflexions, après s'être développées l'une après l'autre,
se [)réscnlèrent ensoniMe toutes à la fois, et formèrent un tout,
<pii dissipa entièrement les lénèi)rcs :
« J'étais venu au tombeau pqur voir, pour examiner, pour
critiquer les miracles : je restai (juatre heures à genoux au
pied de ce tombeau : je ne critiquai que moi-même et je
<lemeurai parfaitement convaincu de la vérité de la rclip^ion.
^Nlais en même temps la vue de tous mes ])échés énormes...
me terrassa et me réduisit dans une espèce d'accablement..., je
revins chez moi touché, gémissant, abattu. Je voulus corriger
sur le papier mes ré/lexions..., il me semblait quelles m'étaient
■étrangères, que si je perdais le moment de les recueillir par
écrit, je ne pourrais jamais me les rappeler..., je les écrivis
sur toutes les feuilles que je trouvai alors sous ma main, tant
<pie ma plume pouvait aller. »
A partir de ce moment, tous les objets de ses passions
n'eurent plus aucun pouvoir sur son cœur.
Voilà des cas simples et (pii ont l'avantage de ne point
exiger d'exégèse préalable. Saint Augustin, bien plus illustre,
demande beaucoup plus de précautions. Qu'est-ce au juste que
la conversion brus([ie de 336, et la fameuse scène du jardin?
Plein d'aversion contre lui-même d'avoir cherché la sagesse et
<rêtre demeuré dans les plaisirs, et y)0urtant épris de ces
mêmes plaisirs, a-til été rameuL; à Jésus-Christ par la détente
brusque de cette agitation extraordinaire, que les Confessions
décrivent : « Seigneur, jusqu'à quand? » « Toile, lege » : « N
demeurez pas dans les festins et dans l'ivresse, dans les lits e
dans les impudicités, dans les rivalités et les vaincs jalousies
mais revêtez le Seigneur Jésus-Christ. »
L\ CONVERSION 15 1
Ou bien, les Confess-ions, ri'dij^ées.lonfçlemps aprrs l'évriic-
iiK'iit (I), iroiil-ellos pas vlr ('-crilcs pour iulcrprétcr tlu-olou:!-
<|ui'nient les l'ails plus encore (jue pour les raconter; pour
mettre eu pleine lumière laction souveraine de la fjràee de
Dieu? Et la conversion de saint Augustin, au lieu davoir eu
lieu brusijiiemeiit et délinitivement en août 386, nest-elle pas
le fruit d'une lente et normale évolution, au cours de laquelle
la crise de 386, conversion au Néoplatonisme et à la vie morale,
iiiar(|ue une étape décisive (2)?
Si brusque donc que puisse paraître, à distance, la conver-
sion, nous voyons que comme tous les autres processus
psycholoj^iques, comme tous les développements, comme
1 invention, la passion, la formation des habitudes, la mémori-
sation, etc., elle présente des phases de progrès lent et insen-
sible, et de progrès brusque et aigu: une période d'établisse-
ment et une période d état; et aussi des périodes de déclin, et
des retours et des reprises.
CONVERSION SANS CRISE
« Je n'ai pas traversé de crise en Mauritanie. Nul drame
intérieur. Nul déchirement. Nulle anxiété. Une attente calme,
appuyée sur la certitude que les Sacrements sauraient bien
me donner plus tard la foi qui me faisait défaut. »
Ernest Psicliari est le symbole achevé d'une génération
in([uiète, « déprise de la pensée pure et de la connaissance sté-
rile, éprise de l'action et de l'enthousiasme, mais étrangère à
d) M''iu-î reiu.ir<ia<.' sur la oonversioa de saint Paul, i.e tcxlc de VKpitre
aux Galales est pjsti-rieur de vingt ans à l'cvénement du chemin de Damas.
LoisY, V Ejtitre aux Galafcs, i'.)M>-
ai Vdir pour la seconde thèse Gol'rdox, Essai sur la conversion de saint
Augustin, 1930; et pour la tlièse orlliodoxe, Boykr, CUristinnisnie et Néoplato-
nisme dans la formation de saint Augustin, 1920 (historique de la polémique,
(pp. 1-7).
LA UKI.KilON Kl LA I Ol
l'ivrosso romani i(iiK\ ayant \v culte dune discipline et d'une
hiérarchie de rinlellip^encc ». lue içcnération préoccupée de
réairir contre les idoles de l'époque précédente, contre les
idoles de sa jeunesse peut-être; un li^roupe compact et lié par
d'étroites amitiés; un Massis, un Maiilain, l'autorité amie d'un
Père Glérissac n'ont pas été sans action sur Psichari.
Une jeunesse studieuse et brillante, la vie d'une l'amille
illustre, toute à l'intellcctualité, et très mêlée, par l'alFaire
l)re\ lus, aux agitalions de son Icmps ; une sensibilité vive,
inquiète, que l'on devine un peu instable et parfois excessive,
aple à sp jeter aux extrêmes, — tel du moins il m'est aj)paru,
dans les (jnclqnes mois que je l'ai connu à Montpellier. Si
Krnest Psichari a subi d'abord l'ascendant de son milieu, il a
réagi très vite et très violemment. L'Appel des Armes témoigne
du désir ardent de prendre en tout et partout le contre-pied de
son père.
Le point de départ de sa conversion n'est .pas encore reli-
gieux ; c'est l'Appel des Armes. Un malade, poursuivi par
dobscurfe remords, engagé dans le désordre des sentiments et
des pensées, mais qui n'est pas fait pour le doute ni pour les
blasphèmes, veut rompre avec les sophismes, se défendre contre
le mal, renouer la tradition de la race, enfin « prendre contre
soFi père le j)aili de ses pères ».
Dans la vie militaire il trouve la soumission, l'ordre et la
lidélilé à la race, l'image de la France des (Iroisés et de saint
Louis, ([ui s'exaltera plus tard au contact des Maures. C'est en
Afrique, dans la retraite de la nature saharienne, qu'il a pris
conscience de lui-même, qu'il est allé de l'armée à l'Kglise,
<pie le Centurion a commencé à se convertir.
Dans l'œuvre d'Afrique et dans le paysage africain qui laisse
face à face avec l'éternité, dans la tragique horreur des espaces
vides où l'on sent si bien le prix inlini d'être un éclair de pen-
sée, dans la solitude pleine de vertiges, dans l'écrasante cha-
leur, dans le silence, la voix clame dans le désert, calme
LA r.ONVKIlSION Vi'i
volonté do se t'Oii((iiorii', de ne pas résister, dalteiidrc sans
iiKjuiélude. Pas de crise, lud drame intérieur, iiiie ceitiliide que
ce sera un jour.
Grandeur el misère, seivilude cl lii)iilé, dij^nilé el iudl-
u:Milé, puissance el impuissance, l'érpiilibre [)arfail du catholi-
cisme ; le i^rand llièmc de Pascal suhjuii^ue ce croyant sans la
foi, ce catholi([ue sans la a:ràee, contre raffreuse défçradalion
de la pensée moderne, rabaissement de la science, la pourri-
turc de la polilicpie, le désordre de l'art, la pauvreté de la
morale. Et ce thème lui apporte, comme une vérité de raison,
(pi'il s'airit de faire vraie pour le cœur, sans que lui-même y
puisse rien, la chute el la llédemption, rincarnation, la (Iràce.
ISfais cela est déjà de Dieu : ehereher Dieu, c'est déjà lavoir
tioux é.
(^est alors la controverse intérieure entre la sap^esse natu-
relle et la sapresse chrétienne : a Mon Dieu, ne m'abandonnez
plus. Manifestez-vous, puisque seul vous pouvez le faire et que
je ne suis rien. » C/est le raisonnement subjugué parle dogme,
rebuté par {c mystère, et qui s'elforce de trouver dans le scan-
dale et dans le paradoxe le signe de la vérité.
Mais chercher Dieu n'im[)orte plus, puisque la recherche
(Cst elh'-méuie la trcjuvaille. 11 ne s'agit point de prouver Dieu,
mais de le rencontrer.
« Je ne vous connaissais pas parce ([ue je voulais vous
prouver, et maintenant je vous connais, parce (pie je ne peux
|)lus vous [)rouver... Je vous connais par ce qui est incon-
naissable en vous, par vos mystères... Pardoune/.-moi (ra\<)ir
voulu vous connaître, ce (pii ('lait, en (iuel([ue manière, ces-
ser lie vous connaître. »
Les diflicullés de l'exégèse ne valent pas conlie ce goùl du
ciel. L argumentation est vaine, eai- à tout argument on peut
opposer un argument: mais (jui connaît l'angoisse du chrétien,
(pu ne redoute pas l'absolu, rejelaul le sophisme et l'équi-
voipie, les preuves et les syllogismes, les inductions et les
23
"3.") 5 LA m: LU. ION i:i' la foi
«U'diR'lions, conquicrl ses içrades dans la l)caliliido. El à ce
dcf^iv. la raison, iin})iiissante à prouver et à comprendre,
trouve pourtant des raisons de croire.
('/est alors l étrange état d'esprit, l'heure trouble de ladenii-
croyanee : « Je ne croyais pas que Jésus-Christ fût le fils de
Dieu ; je savais bien (jue je mentais en racontant à Sidia son
hisloire, mais j'aurais menti bien davantage si je n'avais pas
confessé la vérité de mon Dieu. »
Ce sont aussi des moments vifs, des minutes ineffaçables de
certitude lointaine, de certitude à terme si l'on peut dire :
" Je savais de toute certitude que ces besoins seraient satis-
faits, (pie ces désirs seraient exaucés. » » J'étais bien sûr
<]ue je serais un jour catholique... que les Sacrements sau-
raient bien me donner plus tard la foi qui me faisait défaut. »
« Si Dieu existe, il ne manciuera pas de me le faire connaître,
il prendra ma bonne foi en considération, et pourvoira au
reste. » « Comme j'aimerai, quand je croirai! Mais je ne
doutais pas* que la Foi ne me fût donnée un jour. »
Des moments de bien-être étrange, d'entrée dans la béati-
tude éternelle, d'exaltalion extraordinaire.
En quillant l'Afrique, il savait où il allait : « J allais vers
la Sainte Eglise... Tout l'ordre chrétien m'apparaissait. » Le;
système des dogmes se déroule à ses yeux dans une mystérieuse
harmonie. L'Ame et l'Ecriture conspirent à le soutenir; les
preuves scripturaires, l'image de la Trinité dans l'Ame, la nature
humaine (jui montre un Dieu perdu, et que les deux natures
doivent être mêlées en un seul être pour que la nature humain
soit réconciliée avec la divine. Une àme éprise de vérité peu
se complaire a ce tableau, plénitude de vérité, pensée, non d
liclion, mais de réalité. Mais que sont toutes ces raisons san
la grâce, et surtout sans l'Eucharistie, qui est la pierre d
touche? Rien de plus diflicile à accepter pour la raison humaine
Et c'est pourquoi la Fraction du Pain est le gage de la eerti
tude.
l.A CONVERSION 355
A{)rôs rAfiiciuc et le retour h Paiis, en (l<'('<'ml)ic it)i2, ee
-cra le contact avec l'I^glise, les sacrement;?, la vie clnétieiine.
La Messe achèvera la prière et les sacrciiienls la toi.
LA PREPARATION ET LA BRUSQUE SYNTHESE
liuysmans distingue trois formes de conversion (i) : le bou-
leversement subit et violent de l'àme, le coup de foudre: « la
loi faisant à la lin explosion dans un terrain lentement et
savamment miné » ; enlin le troisième mode, celui qu il connaît
])ar sa propre expérience : « Il n'est rien survenu et l'on se
1 (Veille un beau matin, et sans que l'on sache ni comment, ni
pourijuoi, c'est fait. »
Si Ion prend soin d'ajouter que la première forme peut avoir
<leux aspects; la transformation brusque, radicale, sans qu'il
-i)it possible de déceler la préparation antérieure; la même
transformation, mais avec préparation lointaine, et discernable
tout au moins pour le psychologue, on a, je crois, épuisé les
grandes formes de la conversion et il ne reste qu'à contempler
les broderies de la diversité individuelle sur ces grands thèmes.
La première forme est probablement assez rare, lorsqu'il
s'agit dune vraie conversion. De tels assauts brusques et irré-
sistibles sont bien souvent, connue l'aura, la montée d'une
crise nerveuse, d'une tempête organlcjne (jui bouleverse tout
j)()ui' lin moment (2). VA loiscpic la modification porte sur tout
à) Pa^es cathoiiijuca, ^o.
(a) Voici, par exemple, comment Dostoïewrski raconte à .Sophie Kowalewski.
sa première atta(|ue d'épilepsie : Il était en exil, 1res seul ; tout à coup
arrive un ancien ami. C'était la veille du jour de Pîîques, dans la soirée; il
l'avait onldié; tous deux passent la nuit h causer avec animation, t'ontrc son
ami athée il aflirme sa croyance en Dieu : 1 11 y a un Dieu ! » cria enlln Dos-
toïewski hors de lui.
« Au même moment les cloches sonnent les matines de Pâques à la volée
et je nie senlia enj,'louli par la fusion du ciel et de la terre, j'ons la «vision
matérielle de la divinité, elle pénétra en moi. — Oui, Dieu existe, criai-je.
et je ne me rappelle plus rien de ce <|ui suivit. ■ 'Som'enirs d'eufnticc de
Sophie KoiiiilcfK'sld
3.")("> LA Ri:i,IGlOiN KT I,.\ KOI
lètrc psycho-sensoriel et ([u'elle persiste, la brusque métanior
pliose (le la personnalité n'est le j)lus souvent que l'expres-
sion cl une crise biologique, crise de croissance, puberté, invo-
lution sénile, intoxication, infection.
Dans bien des cas, du reste, on parvient à déceler la prépa-
ration lointaine : Ilermann ('ohen, qui devint le Père Augus-
tin-Murie, cutun jour, en assistant à la messe, une crise de larmes
et de remords ; soudain et « comme par intuition » il se lit en
lui comme une confession générale. Il sentit que Dieu lui faisait
grâce et qu'il était chrétien. Mais depuis quelque temps déjà il
désirait s'instruire de la religion catholi(|ue ; un prêtre lui avait
remis l'Exposé de la Doctrine chrétienne de Lhomond. Et si
Ton recherche dans, ses antécédents plus lointains, on voit (pie
l'élève brillant de Liszt retrouvait, quand il pénétrait dans les
églises, quehpic chose de l'émotion profonde (pi'il éprouvait
jadis, (juand, à la Synagogue, le rabbin maniait avec solennité
le rouleau des Ecritures. La voix de l'orgue produisait en lui un
tel ébranlement qu'on lui interdit de toucher, de cet instrumenl.
Dirigeant une messe en musique, une singulière émotion le
saisit et plusieurs fois de suite, au moment de la bénédiction du
Saint- Sacrement.
Beaucoup de faits dépouillent ainsi leur apparent mystère
devant la curiosité du psychologue. Il est bien difficile à ce
dernier de ne point cherciier une préparation lointaine ; com-
prendre et expli(|uer, c'est ramener à ce ({ui était déjà ; l'aban-
don de la notion de virtualité, de puissance est la mort de l'ana-
lyse. Le psychologue a l'amour de la causalité.
Mais il doit avoir le sentiment du devenir; les faits eux-
mêmes contraignent d'admettre (jue tout développement psycho
logi({ue dépasse à tout moment ses éléments constitutifs. Toute,
synthèse est créatrice, en ce sens que la composition ajoute
aux éléments qui la constituent; et il y a un point, dans toute
synthèse, celui (jui est proprement syntiiéticjue, oîi tout se fait
subitement; comme une solution qui brus([uement cristallise. 'î
LA CONVKUSION 35'j
Des laits c'onmu' riiiveiilion, la passion, It'moij^nciil de la
réalité de ces brusques apports, de ces décisions inattendues,
(le ces coups de foudre, de ces ehanp^emcnts instantanés et irré-
sistibles (I). Dans l'éclat de certaines passions, toute lànie tout
dun coup se réalise. Nous avons étudié plus haut dans quelles
conditions la constitution psychologique admet de telles inva-
sions cl de telles Iransfoiinations. A ces conditions profondes
(jui viennent du fond du sujet, il faut ajouter l'influence de
certains moments organiques privilégiés, état de bien-être,
d'euphorie, ces étals dont Maine de Biran, (jui les connaissait
bien, demandait s'ils étaient du corps ou de la grâce, qui
peuvent éclater de façon inattendue et qui donnent aux impres-
sions morales concomitantes une autorité singulière; de
certaines sensations organiques troublantes, frissons, spasmes,
-inglots; de certaines sensations fraîches et pénétrantes: une
Noix, un chant, une lumière ont parfois, dans ces descriptions,
un éclat étrange, une puissance fascinatrice (2) ; la concen-
tration de l'attention, entin la forte suggestion des doctrines,
des groupes eonslilués, des foules, de l'exemple et la i)erlide
'I \Vkj,ls décrit fort bien 'Les A/iiis /lassioniu's. p. 217) un l)rusquc et
total chaii<,'enient de dispositions alIVotives, analo-jfuc à une conversion :
•< J'étais sorti lioninic ni)atliique et niiséralde de mon hôtel de Vevey. .] \
rentrai avec l'esprit •jnéri et une volonté retrouvée.
« Ce l'ut tout à fait inattendu. J'eus l'impression qu'un nuajje noir cjui
«•tait au dessus de moi s'évanouissait. C'est comme si on sautait hors dun
Irou ^ ers une immensité.
« C'était une vision nouvelle de la vie, de liberté et de clarté. » — « C'était
«"«•rame si la {grande tranquillité «jui est derrière et au-dessus de tout, autour
du mon<le des sensations, communiquait, en (juehjue sorte, avec moi. >
2 Di-; (^)riNr.i:v [Lilcrary lleminisccnces, eh. xv) rapi)orte de AVoodworlh
une curieuse oitservation :
« J'ai souvent remar<|ué (jue lors(|ue notre attention a été éner^'i<nicnient
tendue dans le sens d'une observation (|uelconf|ue et d'une attente
passionnée, si, au moment où elle commence à s<' dt-lendre, un bel objet
nous frappe, il nous subjugue d'une favon toute particulière. Ainsi lanlùt
j'étais là, l'oreille contre terre, à guetter le bruit des roues (attendant le
courrier qui apporte Ic-i nouvelles de guerre;. Puis, lorsepi'il m'a fallu
abandonner tout espoir, au moment où mon attention conimenvait à se
relâcher, je me suis levé pour le retour, une étoile brillante a somlain
frappé ma vue et ma pénétré d'un sentiment de l'intini, mais intense et tel
que je ne l'aurais pas éjirouvé dans d'autres circonstances. ■
358 LA KKi.KiioN i:t la foi
attirance de cela même contre quoi l'on so défend. Tu quis es?
Ne serais-tii pas, au fond, cela mcme (jue tu ne veux pas être,
(jue lu n<' crois pas un luoincnt (pic lu sois?
La pluparl du Icmps, la conversion ne fait qu'ouvrir une
voie. Il faut se vaincre en détail, après s'être vaincu en bloc ;
s'assimiler totalement la vie spirituelle. Ce peut être un lone^
travail monotone et régulier : ce peut être, par saccades, un
rafraîchissement de l'expérience primitive de la conversion ;
une renaissance de l'enthousiasme.
* *
L'impression de transcendance est en raison inverse du rôle
de la volonté. Les deux sentiments, action volontaire, influence
supérieure, peuvent, du reste, se mêler étroitement. A côté de
la volonté nette et formulée, il y a le développement insidieux
et secret du thème qui se maintient par une sorte de compli-
cité inavouée ; il y a les détentes brusques et longues oii les
résultais de la préparation volontaire apparaisseut avec une
exubérance et une intensité qui semblent la dépasser et de
beaucoup ; il y a enfin ces apports inexplicables où la volonté
est absente et où la nature ne se reconnaît pas. Mais ces dons
surnaturels sont souvent ex[)loités par le sujet. Il se précipite
pour les retenir et les maintenir. Dans la plupart des conver-
sions, il y a plus de travail qu'on ne croit, et bien souvent une
tension volontaire continue et qui intervient puissamment.
I..V i:()Nvi;itsio.N . 35<)
C'esl sonvcnl iiiic décision du siijcl (jiii lô^Hc loiil (i). (iCsl
souvi'iil sa voloiUi' (jui le fail avancer envers el contre Ions, à
travers les hésitations de l'Ame, comme on marclie malgré la
lassitude, à travers la détresse et le désespoir. .1 avance en
dépit (le mes ehntes ; « môme s'il me frappe, je ven\ croire en
lui. »
INTELLIGENCE ET CONVERSION
Noms retronvons, dans la conversion, les motifs sons-jacenls
à la foi, l'autorité, la tradition, la règle, la puissance des
rites ; le sentiment, la raison. Il y a des conversions, par
exemple des conversions de protestants au catholicisme, par
hesoin d'autorité et d'unité (a); par besoin du ritualisme, par
la suggestion du culte (3). Le rôle de l'intelligence est si souvent
mis en doute qu'il convient de s'y arrêter un peu.
11 est certain que l'argumentation ne sullit pas. On peut être
persuadé, convaincu, sans se convertir. 11 faut que quelque
chose s'ajoute au raisonnement pour lui donner toute son efli-
cace (4).
C'est hien ce que nous disions de la foi et de ses préam-
bules. La foi n'est pas simplement assentiment logique, même
i) " On s'iiiia^in»' (|u il est nécessaire d'avoir dissipé tous les doutes avant
lie Irancliir le dernit-r pas; an contraire, il faut l'aire le plonfîeon pour en
arriver à tout voir et à tout eoni|)rendre. » ^Latiy Heriieht of Lra, Comment
j'i'iitrtti au bercail, cilé dans le Sillon, lo mars i}<<)><.) — Le jxère Hyacinthe
décrit (IIoiTiN, Le jtère Ilyaciiillte dnns l'Eglise ronniinc, <)i : « ces (Inclu.itioMs
de la pensée et du sentiment ijui .sont comme le bulletin d'une maladie et
qui n'excluent pas une fjran<le Cernietç dans la voie inlérieui-e. "
2 .4 Motlfrn l'ili^rim l'rof^^ress, i;(o<>.
■{ l'éguy écrivait : « Je suis de ces calholii|ues <|ui donneraient tout saint
Tliouias pour h- .Salut, le Mni^^ni Jicaf, l'.Ur Marin et le Sah'e Résina. ■
14 Voir le cas de Lamennais, M.vnKCHAL, 86. — Voir Mainagk, .")5 : >< Je
auis persuadé de la vérité du catholicisme ; je sens, de plus, qu'il me donne-
rait la paix el la joie de vivre f|ue je n'ai pas; je vouilrais ardemment pouvoir
dire du fond du ccvur ce mot : <> l)f)nnez-moi le baplènie. » et je ne le puis
pas. Il mancpic à ma volonté d'être chrétien quelque chose (juc je ne com-
prends pas .. J'ai en moi un obstacle obscur, un man(|ue «le je ne sais quoi. •
Le même auteur cite 7'J) le cas de Thayer, minisire [)rotestanl. qui commeni;a
par se convertir intellectuellement : « Mon esprit était convaincu, njais tuon
c«eur n'était pas change. ■
3(>0 LA KKI.KllON ET I.A FOI
l()rs(ni'ollo repose sur rasseutinieiil logique. Elle est adhésion
totale : on va de tout sou être et de toute sa vie à un système
de vérité, qui est, en même temps, un système de conduite;
parfois, eonmie chez les eatlioli(pies, avec une nuance d'obéis-
sance intellectuelle. Les motifs de croire provoquent de
mouvements dame, <pii les débordent singulièrement.
Mais ceci dit. beaucoup de convertis subissent la force de
la vérité :
« Que les faibles se nourrissent des plus nobles rêves! Luij
il veut la vérité avec violence. Il est saisi par la noble ivress
de lintelligence, et cette lièvre despril le travaille, d'aller à
la véritable raison, à celte assurance très sereine delà raisoni
bien assise. » (i) ^
L'illumination, sans explication remplace chez certainî
convertis toute enquête rationnelle ; mais chez d'autres, elle la
dirige ou la suit. L'Apologétique oflicielle des religions n'es
pas entièrement dénuée d'effet (2) ; et chaque aspirant s'y taill
son apologélicpie personnelle. C'est pourquoi la théologi
a])()logétique change de modes et de goûts à un point qu'on n
retrouve j)as dans la théologie proprement dite, car elle es
essenliellement un effort pour adapter la religion aux tendance
courantes de la pensée.
On retrouverait ici les deux formes de démonstration qu
nous avons distinguées à propos de la foi; la démonstralioi
intrinsèque, portant sur l'ensemble ou sur les détails du con
tenu de la Foi ; la démonstration extrinsèque. Dans le premiei
cas, on voit souvent que l'admission d'une croyance entraîne
tout le reste.
Le rôle de la démonstration logique dans la conversion es
(1 autant plus grand que ce qui est en cause apparaît commi
II Ernest PsicirAia, le Voyage du flentarion, p. 2;j4
(21 Encore <|ue de Ijons juges doutent de ces etrets; saint Vincent de Paul
cité par Aisklly, 281, disait qu'il n'avait jamais vu ni entendu « qu'aucun héréi
tique eût été converti par la suittilitc d'un argtiuient, mais bien par \t
douceur et par Ihumilité >.
LA i:o.Nvi:nsio.\ 36î
une qiicslion de vérité: par exemple, quand il s'agit (!<' passer
d'une eonfession à une autre eonfession voisine, l'ensemble
lelijîieux étant à peu près le même, mais certaines doctiines ou
certains moyens de démonstration étant mis en discussion ; ou
t iieore aux époques où la notion de vérité, fortement établie et
douée d'un haut prestige, s'impose aux esprits ; ou encore chez
des intellectuels qui ne peuvent pas s'alïranchir d'une telle
l)réoccupation.
*
Tatien s'est converti au cliristianisme, parce que cette philo-
sophie barbare, comme il disait, lui sendjlait expliquer l'origine
du monde. ( leorges Dumesnil, ayant entrepris à sa mode ce que
Diderot aj)pelait « l'histoire de Dieu », fut fort surpris de
reconnaître par raison que le concept de la Trinité chrétienne
comblait d'une richesse infinie tout ce que l'intelligence
humaine avait pu pressentir, et qu'il se présentait à elle comme
un bloc de diamant oii elle ne saurait trouver une fissure (i).
Dulilleul, qui a étudié un groupe de convertis de 1098 à 1660,
rencontre surtout des conversions de type intellectuel ; des
conversions laborieuses de huguenots au catholicisme (2). L'idée
(U' la conversion paraît et rencontre une forte résistance ; il y a
(le longs débats intérieurs. T/idée revient; enfin le sujet s'aper-
«oit (pie ce (pi'il estimait auparavant être constance et fermeté
Il était qu'opiniâtreté. C'est aussi pour des motifs tout à fait
intellectuels (pu' Ramsay passe du déisme au catholicisme (3).
Bayle à vingt-deux ans (i()()()) (piitte le pr()testanlisnu\ la
lecture des livres de controverse l'ayant rempli de doulc- «^ur
sa religion. Son catholicisme dure dix-huit mois.
(i Mainac.e, 'feinoins du renouveau cathoUr/nc
(2 DiTiLLEii-, Convertis et npoftiafs. {lîlnde.t i<)i<)
i3 (".nKiiKL, Fénelon an xviii' siècle, 4:'> t'I suiv.
3()-.) LA UKl.KilON ET LA FOI
Les objeclious catholiciucs (|iii lui firent ahaiulonner la loi
ilv (.alviii portaient contre le dofçnie « (|ui ne reconnaît sur la
terre aucun jui;e parlant, aux décisions duquel les particuliers
soient ol)li}?és de se soumettre, ([uand il arrive des disputes
sur le fait de la relij?ion » (i).
<• Le culte excessif qu'il voyait rendre aux créatures lui
ayant paru très suspect et la philosophie lui ayant fait
mieux comprendre rinq)OSsibililé de la transsubstantiation,
il conclut qu'il y avait du sophisme dans les objections
auxquelles il avait succondjé ; et, faisant un nouvel examen
des deux religions, il retrouva la lumière qu'il avait perdue,
et la suivit, sans avoir égard aux mille avantages temporels
dont il se privait. » {'i)
Ulrich Zasius se détourna de Luther à cause de l'autorité du
pape dont il avait étudié les bases comme juriste, et de la
négation du mérite des œuvres; Auerbach, à cause de
la doctrine de la .justification et du primat de l'évêque
romain (3j.
Vers la lin de juin iHSf), Newman, depuis longtemps engagé
dans la Via mcdUi, méditait sur l'histoire des Monophysites. Il
se demanda brusquement si les Anglicans n'étaient pas, par
rapport à l'Eglise universelle et au siège de Rome, dans la
même situation que ces héréli(|ucs d'Orient : « Similitude ter-
rible, d'autant plus terrible qu elle était muette et impassible,
entre les annales mortes du passé et la chronique fiévreuse du
présent. »
Securus judlcal orbis terrarum. La parole d'Augustin
contre les donatistes peu après le frappait avec une puissance
extraordinaire. Cétait comme le Jolie, lege : le premier assaut
<ln romanisme.
i
'I La Ckiinère de la cabale de lîoltçrdaia (Œuvres diverses, II, 739).
2i Ibid. Il est vrai quil écrit dans une lettre à Pinsin (Dksmaizkaux, \'ic
de llnyle, p. 2, n. a) : « Les [iremiêres imi)ression.s de l'éducation ayant rcgagn<-
le dessus, je me crus obligé de rentrer flans la religion où j'étais né. «
({ Ghisak, Luther, II, 676.
LA CONVEUSION 363
Avec le temps, son IrouMe s'apaisait; il décidait de se métier
des émotions, de suivre sa raison plus (jue son imagination. Si
la suirp^estion venait d'en liant, elle reviendrait cl plus forte-
ment. Après quelques semaines de trouble, il crut se retrouver
dans ses anciennes convictions; mais « j'avais vu l'ombre
dune main sur la miu'aille; celui qui a vu un esprit ne peut
être comme s'il ne l'avait pas vu. ■)
Au cours de l'été tS'Ji, « le fantôme lui apparut une
seconde fois ». Mais alors (ju'il désespérait de son Eglise et se
sentait de plus en plus disposé à voir dans l'Kglise de Rome
la véritable Eglise, il ne sentait pas l'obligation de s'y joindre :
« J avais été gravement tronqué; comment pouvais-je être
sur de ne pas l'être une seconde fois? Quelle preuve avais-je
(pie je ne cliangerais i)as encore, lorsque je serais devenu
catlioli(iue? J'avais toujours cette appréhension, tout en
croyant (ju'un temps viendrait oîi elle se dissiperait. »
Mais, daus ce doute, il ne se sentait pas en sûreté. En i84'3, il
trouva sa doctrine de la Vie des dogmes. L'obstacle était levé.
Les dogmes qu'il reprochait au catholicisme comme des cor-
ruptions de la foi priuiitive n'en étaient-ils pas le développe-
ment régulier? A la lin de i845, toutes ses incertitudes cessè-
rent.
Ainsi, il s'était soumis à l'Eglise, par un long travail de
discussion avec soi-même, et, comme il dit. « sans avoir subi
riniluence d'aucun catholique vivant, sans avoir mis le pied
dans une église cath<)li<[ue, ni vu la ligure d'un prêtre catho-
lique » (i).
De même Frédéric Kiiisman. évêue de Delaware, fut
raujoné à l'Eglise romaine par le problème de la légiliniilé de
l'Anglicanisme et par ses doutes sur la validité des ordinalious
anglicanes; il se détacha du protestantisme conmie d'une écpii-
(ii Ni;\\MAN, .\i)ologie. Lettres. — Tiiihkau-Daxc.in, Renaissance catholique
en Anv^li-lfrre, I, i8o el suiv.
364 • -^ nELKWON ET LA KOI
vo(iue cl (1*11110 incohrri'uce. Mais en même temps il souHiait
(lu (. fi'oid du protestantisme, et sa dt'votion pour la piH'Scnee
réelle l'inelinail à la liturgie eallioli(iue et à la ilévotion euc|ia-
rislique » (i).
L'INFLUENCE
« La conversion de (juek[u'un qu'on aime est un appel ». (2)
Le prestige de Claudel a récemment entraîné au catholicisme
tout un groupe d'amis. Il en a toujours été de même dans tous
les cénacles.
L'exemple du personne chère souvent pénètre , peu à peu la
vie et fait fondre Içpposition. Le journal si curieux et si rafliné
d'Elisabeth Leseur le montre bien (3). Cette femme du monde,
si ardemment et si suavement catholique, avait pour mari un
médecin, mondain et incrédule, (jui chercha à la converlir.
Mais en la voyant très malade, et qui puisait dans sa foi sa
belle force morale, il cessa ses instances. Son étonnement
devint du respect, puis de l'admiration. Ayant accompagné sa
femme à Lourdes avec l'idée de conlirmer de ses yeux l'image
que lui en avait fournie le livre de Zola, il ne sentit s'éveiller
que de la sympathie pour les manifestations pieuses dont il était
le témoin. Il emport a une inoubliable impression d'Elisabeth
en prière au pied de la croix.
Il était toujours rationaliste, mais l'action d'Elisabeth devint
toujours plus forte et surtout au cours de sa dernière maladie.]
Après sa mort, la lecture de son testament spirituel opér
en lui une révolution morale. Il comprit le sens de cette cxis^
tence et commença à apprécier la splendeur de la foi dont il
avait constaté de si merveilleux effets : « Je sentis Elisabeth]
it
I
(i) Hatiffol, La Conversion d'un évèque Correspondant, ^â déceiiiltrt' 1920I
(2 De Boudeu, cité par Maixagk, Les témoins du renouveau catkoliqi
p. 81.
i3., Journal et Pensées de chaque jour, Paris, de (ligord, i<)i!0.
LA C.ON'VKUSION 365
disparue en apparence, venir à moi, nie dirijçcr. » Et, comme
elle avait dil (pi'il se convertirait i^ràcc à son sacrifice, cette
aflirmalion aii^il aussi.
Il désira connaître le catholicisme et se convertit.
(Quantité de cas de ce genre pourraient avoir pour épigraphe
cette pensée d'Elisahelh Leseur : « Les idées grandes ou saintes,
les convictions [)rorondcs ont souvent pour véhicule auprès des
âmes le charme et l'influence personnelle de ceux qui les repré-
sentent » (i) ou encore : « Être une influence sans être une pro-
fession de foi ».
(irande est l'influence d'une chère image, qui n'est plus.
Transfiguré par la mort et médité par le vivant, un tel
fantôme hante puissamment. Dans son témoignage d'un
converti, Cihéon rapporte le déhut de sa conversion à
son ami Dupoucv, dont il subit rol)session depuis qu'il a été
tué sur l "^ ser.
« .le n'ai pas le bonheur de croire, mais Dupouey a fait ce
« miracle ([u'il ma déjà rouvert les portes de la foi; je crois
(« passionnément à son éternité et à sa glorification céleste ; je
« coinmuni(jue avec lui, et par lui avec un au-delà qui se pré-
« cise mal encore, que mon esprit ne réalise pas ainsi que
« le voudrait mon cceur, selon ce qui nous est enseigné. Mais,
« de cette espèce de grâce, incomplète et déjà si douce, je voue
(' une reconnaissance émue au cher grand Dupouey » (2).
Ccs[ souvent à une personne que Ton se convertit, au moins
autant qu'à une Eglise. Le Père Loyson, à Rome, convertit plu-
sieurs dames au catholicisme dont il était en train de se
détacher. M'"* Mallet lui reprocha de présenter à ses péni-
tentes limage du catholicisme de ses rêves pour les faire
entrer dans une Eglise (pii était Tantithèse de ces rêves (^3 .
(I Jonrndl. ir>S.
a'. fiUKoN, Témoignage d'un converti, n<).
l3 IIoni.N. Le l'ère Hyacinthe, aoO, n.
360 LA TllM.K'.ION KT I.A KOI
LES CIRCONSTANCES FAVORABLES
Les religions nationales n'ont pas de convertis, puisque la
religion et la nationalité sont confondues; elles admettent
pourtant des affiliés, des auxiliaires. Le judaïsme avait les
prosélytes de la porte.
Mais elles ont des convertis du dedans, des fidèles que
saisit un réveil de foi et de ferveur.
Les milieux les plus favorables à la conversion, comme
passage dune religion à une autre, sont donc ceux ou la reli-
gion se dissocie d'avec la nationalité; le contact des peuples
et toutes les conditions historiques qui favorisent le syncré-
tisme religieux; le prestige particulier de tel ou tel groupe reli-
gieux, prestige religieux ou social; et l'abaissement de tel ou
tel autre; par exemple, la cluite des cultes des cités, que les
dieux avaient mal protégées; les époques oii les misères et le
désarroi confèrent à une organisation religieuse un rôle privi-
légié ; Halévy a bien montré que le Réveil de Wesiey est soli-
daire d'une grave crise industrielle; la ferveur religieuse est
bien souvent une compensation aux maux d'un temps.
La propagation d'une foi dépasse le cadre des conversions
individuelles. L'ne société religieuse, à ses origines, les suscite
autour d elle par l'activité générale du groupe, par la puissance
de l'exemple, par ses institutions naissantes; puis vient l'acti-
vité missionnaire. L'Islam se propage encore dans l'Afrique
centrale par ses missionnaires, et par des créations de villages,
peuplés de convertis amenés du dehors, par l'école, par les
(cuvres de charité, par le mariage, par l'achat d'enfants païens,
par la supériorité de l'état social et économique, par les
raisons politiques.
La conversion à l'intérieur, lorsqu'elle se produit en mass(
et non pas seulement par cas sporadiques, a pour condiliont
les raisons que nous avons examinées plus haut, et qui favo-
TA C<)N\ KIISION 3O7
risent les réveils religieux : l'état plus ou moins concentra- de
la société relit^ieuse, et les raisons (|ui ronf'oieent sa concen-
hation: les causes économiques, j)(^lili(jiies, inleliccluelles,
«[iii jteuviiil l'obliger à l'aire front. On revient à elle, par
contagion des mouvements puissants, par besoin de icloiii-,
par insalisl'action ailleurs: c'est donc qu'on sentait le besoin
du salut et du bien-être et qu'on a découvert l'insuflisance des
moyens que l'on employait jusque-là; ou bien que brusquement
«lie a fait naître ces besoins, latents jusque-là, et promis de
les réaliser.
Ainsi sont attirés les tièdes. les indidércnts, les hostiles.
' Ces vingt dernières années ont vu, dans la bourgeoisie intel-
lectuelle, un groupe compact, homogène, revenir au catholi-
cisme. Dégoût de l'anarchie intellectuelle et morale, disent
tous ceux (jui ne voient point ce qu'il y a d'elïort vers l'orga-
nisation dans la société contemporaine. Dégoût de l'intellec-
tualisme, formel et vide, disent tous ceux qui n'admettent pas
la souveraineté de la raison. Mais peut-être aussi alï'aiblisse-
ment des exigences du sens critique, des scrupules de la
pensée en matière de vrai et de faux, du sentiment de la
rigueur implacable de la vérité. Ily a un peu d'impressionnisme
«sthétique dans le procès de l'intelligence.
C'est à des doctrines de bonheur social que se convertis-
sent religieusement, dans les conditions sociales oii nous
sommes, ceux (|ui ont à besogner i)our vivre.
Parmi ceux qui n'ont pas à besogner pour vivre, beaucoup
soulfrent d'ennui cl d inutilité. Ils n'ont plus à se disputer les
faveurs d'un roi, ni ses inclinations à ('tudicr: l'arrivisme n a
rien de l'ascinateur; la ploutocratie excite faiblenu'ut les apti-
tudes à l'honneur, au sacrifice et à l'enthousiasme. Si la vie
sociale ou domestique, l'art ou la science ne suffisent pas à
leur cœur, s'ils ne voient autour d'eux que motifs d'indignation
ou d'ironie, ils se rejettent vers, les idéaux du passé, vers le
<?ulte de la « tradition ». Beaucoup deviennent de ces croyants
3('>8 LA RKI.IC.ION ET I.A KOI
oppoiluiiistos (jnc nous avons déjà ('Uulios. Dautrcs sombrcnl
dans 1 anarchie de la pensée, dans le désordre égoïste, l'exas-
})» ration du moi, el s'en relèvent parfois par un sursaut, qui
est une conversion.
Tontes les fois (ju'il y a mal du sièele, c'est-à-dire qu'une
voie ouverte aux activités se ferme ou déçoit, toutes les fois
(piil y a ennui, au sens où Stendhal prenait ce mot, la religion
s'olfre comme un moyen de stimuler la sensibilité défaillante,
d'exciter l'activité endormie. Oii vient à elle avec passion et
on lui demande le salut, ou bien on tourne autour d'elle en
dilettante, on la traite en objet d'art, en curiosité, en évocatrice
d iniagres.
La conversion se double presque inévitablement d'un chan-
gement de groupe. C'est même une des choses qui retiennent
souvent les demi-convertis, que la nécessité de rompre avec
une famille, des amis, des habitudes, ou tout au moins de
perdre leur familiarité et leur estime. Changement d'àme, elle
est aussi changement de milieu.
L'INITIATION ET LA CONVERSION
Il y a dans linitiation deux principes qui entrent parfois en
conllil; un principe psychologique : l'adhésion personnelle, qui
conduit aux formes volontaires et tardives d'initiation, qui
ressend>lent par certains traits à la conversion; un principe
social, l'agrégation au groupe, qui peut pousser à des formes
|)récoces d'initiation, — comme le baptême des tout jeunes
enfants — , oii l'individu n'est i)oint consulté et n'éprouve rien
Les ethnographes ont abondamment décrit ces séries d
cérémonies, qui ont pour objet d'introduire le jeune homme à
I..\ CONVERSION 3ik)
la vit' religieuse ( I). Ce changement délai est regardé comme
une transformation totale : mort et naissance d'une seconde
personnalité. Durkhcini l'ait rcniaifiucr jiistcnicnl (jue cette
noiion de niélamorpliose domine loiite la vie religieuse, et (|ue,
dans l'Inde par exemple, le sacriûant change de personnalité
par cela seul qu'il entre dans le cercle des choses sacrées (i).
Ainsi l'enfant, par les rites d'initiation, entre dans le monde
religieux. Kn général, cette cérémonie d'accès, ce rite d'entrée
comporte des épreuves longues et pénibles. Comme le dit
bien Lévy Bruhl ('3), il ne s'agit point seulement de s'assurer
<lu courage de l'individu; on vise à produire par la fatigue, la
douleur, les privations, une sorte de dépersonnalisation, de
perte de conscience, bref une mort apparente suivie d'une
nouvelle naissance: un état de réceptivité voisin des états de
lève, de catalepsie, d'extase, conditions constantes de la com-
munication avec le monde invisible (/[).
Les sorciers, honnnes-médecine, shamans, docteurs, subis-
sent une initiation nouvelle et renforcée. Ce noviciat nouveau,
qui dure des mois et des années, sous la surveillance de
maîtres, est réservé à des individus déterminés, qui ont la
vocation. Les méthodes en sont les mêmes ; on épuise les
candidats, on les étourdit, on les stupélie. Au paroxysme de
cet état, ils sont morts et renaissent.
Ainsi lee pratiques ascétiques ont pour elFet de troubler la
conscience de l'individu, déjà fortement occupé de tout ce
qu il sait des rites, de leur but et de leurs cH'ets; il s'agit de
produire une altération j)assagère, assez forte pour lui faire
(i) Voir PII parliciilier Kr.vzku, Ilnn\e.(ni d'<)t\ III, '|22 et sniv.; \Vi:nsTKn,
PrimitiiC sccrcf societirs, 21-ôX ; Li'.vy-Iîhiiii., Fondions mentales.
'2; DiRKiii^iM, les f'ornies élémentaires, r>4.
(3; Les Fonctions nwnlales, 4i<'-
'4) " Dans la mesure où nous nous desincarnons, les choses spiiituflles
«levienncnl pour nous sensibles... dans la mesure où Ihonime extérieur
meurt, l'Iiomiue inlérieur renaît. .> Ainsi s'exprime Jean-Paul llieliter, à
propos des pratiifues du ma^rnélisme, récemment mis à la mode par Mesmer.
(Kreaz und nnerziiice des Killers Ahisz, 1793. t. I, j). 8',
3^1) LA UKLHUON KT LA FOI
ii'oire. avec lappui de toute la doi^inalique religieuse, qu'il
devient autre, (juc son moi profane s'abolit dans sa person-
nalité sacrée; sorte de crise, plus ou moins longue et plus ou
moins violente, qui, chez des adolescents ou des adultes, doit
ressemlder beaucoup à certains des phénomènes, (jue nous
avons décrils.
L'âge de l'initiation varie beaucoup, et les pratiques suivent
l'âge. L'initiation des tout jeunes consiste tout simplement en
une nuitilalion, en une marque. La cérémonie se vide de tout
ce qui faisait appel au concours de la conscience.
C'est ainsi que le baptême solennel du iv' ou du v' siècle,
grand sacrement oii l'Eglise, étalant son triomphe sur le paga-
nisme, terminait par une cérémonie éclatante, et toute chargée
de symboles, la préparation des catéchumènes, les rites
d'entrée dans la communauté religieuse, mettait son sceau sur
la conversion, c'est ainsi que le baptême solennel s'abrège à
mesure que le baptême des enfants prend le j)as sur celui des
adultes. Le baptême des adultes était revêtu de toute la solen-
nité j)ossil)le, parce ({u'il s'était compli(pié de tous les rites
qui pouvaient l'aire .comprendre au catéchumène qu'il devenait
un homme nouveau et parce qu'il était la profession publique
d'une foi consciente ; il avait pour ministre l'évêque, pour
témoin le peuple. Le baptême restera le rite de la renaissance,
(' AisL renatiui ex aqiia » (i), mais il est vidé de tous les pro-
cessus psychologiques de la transformation et de tous les rites
significatifs de cette transformation psychologique.
Le principe social de l'initiation entre souvent en conflit
avec le principe psychologique. (Test ce que prouve déjà ce
fait que la pidjcrté psychologique et la puberté sociale sont
deux choses dilïcrcntes et qui ne concordent que rarement;
à Home, par exemple, la puberté sociale était antérieure à la
(i; Comme le tauroholc, dans la religion de MiUira. V. Ccmont, Les Rrli-
8, 1(12.
LA CONVKUSION "Jj I
|)ul)«'itt'> pliysioloa^ùjuc; à Paiis. clU; lui est poslérieure (i). La
circoncision se j)rati(iiic à dos âges très dillV-icnts dans les
diiré l'en les réi^ions du Maroc explorées })ar Doiitlé (j). La
date du luiptème. dans les Kglises chrétiennes, s'est raj)pio-
iliée. autant ipie possible, de la naissance, alors (pie le
l»a[)tènie des adultes était la règle dans rKglise apostolique.
Si la date du baptême s'est rapi^rochée de la naissance, si
bien qu'au m siècle le baptême des eni'anls était généralement
j>ratiqué et qu'Origène le rapportait aux Apôtres, c'est sans
doute par sollicitude religieuse et en vertu de préoccupations
piati<iues: on craignait, en dillérant, que lenfaiit ne fût perdu
|)()ur 1" l'église (3). Aujourd'hui encore, conmie le tait remarcpier
justement Ménégoz, les familles baptistes zélées cherchent à
amener leurs enfants le plus tôt possible au baptême. Dès
(ju'on déc<mvre dans le cœur de l'enfant des dispositions rcli-
Lrieuses ([u'on peut interpréter dans le sens de la conversion,
on s'appli(]ue à éveiller chez lui le désir de se faire baptiser et
on y réussit généralement.
Le baptême est donc devenu un rite d'agrégation à l'Eglise
|)(>ur le(piel la foi explicite n'est pas nécessaire. Les diirérentes
confessions chrétiennes divergent du reste dans l'interpréta-
tion du rite, suivant leur théorie des sacrements. Pour les uns
le baptême produit vraiment la nouvelle naissance : pour les
autres, il la symbolise. Il va en somme de la grâce infuse à
l'acte administratif.
(iràce infuse ou acte administratif autoiisent également à
le eonfé'rer, sans condition de dispositions inli'rieures. donc
ii'i Vax Gknnkp. Les Itites d'inilinlinn. Les liitcs de passade, i<)<m>.'
2 Merrnkech, Paris, 191»», p. 2()2. Voir (lîuitrt-s docMinK'nls conlirinalifs
dans Amujkk : lieschnridnniî. Ethnoi^raphische l'aniUelcn, Lcipzijr, 1SS9.
(3) Cette iiréocciipalion sociale a eu aisément raison de ta tendance
contraire à reculer la date du baptèuie, parée «ju'il elFaee tous les péeliés.
C'est |)our la uiènK- raison <|ue, plus tard, les Caliiares s'eirorceront de
diirérer le C.onsolamentmn, jus(|u°à l'heure de la niorl 11 est donc probable
que l'organisation de la pénitence a agi, pour avancer la date du baptême,
dans le m-'-me sens que la préoccupation sociale : de même aussi le dogme
du [léché originel et rexeiuple de la eireoneisiou. ]iréliguration allégorique.
i-^-î l.\ UKI.K.ION ET LA FOI
aux tout pelils enfants. IMiis \v baplônic est considéré comme
un rite (|ui ai^il par sa propre force (i), ou une simple céré-
monie exiérieurc, plus la comnninaulé se croit fondée à
[imposer aux enfants. (Vest pourquoi Zwinp-le se rencontre
avec sainl Thomas.
Ensuite, pour juslilier le baptême des enfants, on sera
amené à supposer chez eux, soil une infection et une li^uérison
toutes mécani(iues (2), soit à supposer, avec Luther, qu'il peut
y avoir, chez le tout jeune enfant, une vie religieuse surnatu-
relle analofçue à celle de l'adulle (3 , soit à insister, comme
Calvin et Zwingle ('f), sur les raisons pédaiço^iques et sociales
de l'ap^régalion pri-coce à la connnunauté.
(i) D'où, par voie de conséquence exlrèine, le baptême iii utero.
(21 Si les enfants contractent le péché originel du seul fait de leur nais-
sance, et avant tout exercice de leur liberté, ils peuvent être just'fics du
seul fait df la rrgéncration baptismale, avant làge de raison. C'est la thèse
de Cyprien de Cartilage P .L. t. III, col. 1019 et dOrigène, P. G. III, col. 4<)() .
Cet argument a servi dans la controverse pélagienne. Les rites du baptême
ont fourni à saint Augustin une preuve de l'existence du péclié originel
dans l'âme des enfants. L'argument a été repris par Pierre le Vénérable, et
par Hugues de Saint-Victor de sacr. II. VI, c. XX) contre les adversaires du
l'édol)aptisme Vaudois, Cathares, .\lbigeois, Pétrobrusiens); saint Thomas
le développe et 3' ajoute cette autre idée, que l'enfant puise la vie spiri-
tuelle dans le sein de l'Eglise, comme il puise la vie naturelle dans le sein
de sa mère (Suinina thcoL. \\l' q LXVII a. g.). La doctrine formulée délini-
tivcment par le Concile de Trente (Canon l\ de la V' Session) est reprise
par Btllaimin et par Suarez. contre les Anabaptistes. Les enfants sont
baptisés < m fiie Kcclesùc » en raison de la foi de l'Eglise.
(3) En vertu de la théorie de la foi llducialc, Luther professe que per-
sonne ne peut être sauvé par la foi d'autrui. Donc, à cause de l'intercession
fies parents, qui ont la foi fiduciale, Dieu met dans l'enfant une foi person-
nelle et le justilje Sans doute le petit baptisé n'a pas la raison; mais n'est-
elle pas le principal obstacle à la foi '.' La formule de concorde de Wit-
tenberg déclare que l'enfant éprouve des mouvements semblables à ceux que
r.-ssentit .lean dans le sein d'Elisabeth, mouvements de foi et d'amour. Cer-
tains Néo-luthériens ont conscience du caractère « réaliste » de la doctrine
de Luther. « En alïirmant la régénération de l'enfant j)ar le baptême, nous
proclamons un mystère qui ne peut être ni compris, ni expliqué », écrit
Weber ; et Ilaerler, L'xp. de la doclrine de Luther itjoO : « Rien n'empêche le
Sainl-Esiirit d'agir sur le pUia jielit enfant. ■> H est jjossible que le Concile
de Trente ait voulu dire que le baptême apporte à l'enfant la vertu de foi
ilistinguée de l'acte de foi 1. Voir Dictionnaire de théologie catholique ; art.
Baptême.
.4) Calvin admettait que 1 enfant des lidéles tirait sa sanctificati«m de son
origine. Pourtant le baptême, rite extérieur, est nécessaire. Il introduit dajis
l'Eglise, confirme la foi des parents, assure l'éducation religieuse. Dieu peut
i.v (:(^^•^ KKsioN 'i~'i
La Conversion se présente donc coiiinic un cas parliiulicr
tle l'initiation. Elle en est, si l'on peut dire, le nionicnt psyclio-
loiricpie, développé, accru, reulbrcé de toutes les oscillations
et de toutes les vicissitudes morales du sujet. L'initiation peiil
se borner à l'apposition d'un signe ou d'une niaicpie, poiii'
l'intégration de l'individu au içroupc religieux.
Mais souvent clic |)rovoque elie/ lui une crise d'ànic. qui
est comme l'c-ipiivalcnl de la conversion. Le fait (pi'clle est
provocpiée et (ju'elle suit jusqu'à un certain point, par le
chemin des rites, un schéma préétabli, n'apporte pas d<' dilïé-
rence radicale. Car nous avons vu (pi'il y a des conversions
provoquées, et (pii obéissent à un schéma Ihc'oloi^iipie.
acconler aux curants ({uolques rayons dv iuniiore. Les UêlVirinôs considi-rent
le lfapt»'iue foniiiii' »in *'n};agenifnt, que prennent les parents, et r(Uf lenlant
prend ;< son tour par la conlirination du vœu du baptOine. La rceeption des
falrclninn'iii's i-st \i- \<'Til:ildr li;i plriiic.
CIIAIMTHE II
HORS LA FOI
LES EQUIVALENTS DE LA RELIGION
Les analyses précédentes dispensent de s'arrêter lontçue-
nient à l'ineroyance. Qnand les convictions (jue nous avons
analysées font défaut, il est naturel (pielle apparaisse. Mais
d'abord elle est plus rare qu'on ne pense. Dans deux cas tout
au moins et très fré(iuents, le sentiment religieux persiste sous
des pseudonymes, ('ertaines âmes ne peuvent soullrir aucune
?]glise, aucun Credo, et sont pourtant incai)al)les d'oiganiser
une secte et de se créer une doctrine; elles vivent dans une
sorte d'isolement relijçieux, qui n'est pas l'irréligion. Elles
adorent le Dieu inconnu. Beaucoup d'honmies reportent sur
la société, sur l'art, sur la métapliysi(iue, sur la vie, leur
ferveur religieuse (jue la religion ne contente point. Combien
de nos contemporains ont fait de doctrines sociales une reli-
gion, chez qui l'on retrouverait à peu piès exactement tous les
états que nous avons décrits ! Nombreux aussi sont ceux qui
se sont organisé dans les émotions esthétiques, une sorte <lc
monde supérieur, oii se réfugier, où trouver consolation et
expression adéquate de soi-même; ils n'y pénètrent (|u'av(îc
cette exaltation solennelle qui marque le passage du profane
au sacré, (hielques philosophes et quelques amoureux de la
raison vivent religieusement dans la contemplation cahnc et
MOUS I A |-OI 37.')
ccpoiulant enthousiaste, par laquelle ils arrivent à considérer
toutes ejioses comme formant un u:raii<l tout harmonieux. Il y
a une reli^rionde la Science et une religion de IKs^ril. LTiiit»'
de la pensée. l'Unité de la conscience intellectuelle et de la
conscience morale procure à ecrtafnes âmes un vertige aussi
profond (pie la fascination des dieux. Fichte donnait sa philo-
sopliie pour la vraie religion et les religions positives poin-
l'idolâtrie (i). L'Unité sans fond du Néoplatonisme, c'était le
vertige même de la spéculation, l'extase liypostasiée. Il ne
serait pas difficile de relever chez les philosophes de véritables
professions de foi (1).
Si nous faisons ahstiaction de ces équivalents de la
religion, qu'il en faut rapprocher et qui, comme elle, ont pour
mission d'assurer les valeurs suprêmes en réalité et d'étahlir
l'âme dans un monde sacré, si nous laissons de côté ceux (pii
< omhattent la religion au nom de croyances, qui sont elles-
mêmes, chez eux, des croyances religieuses, et toutes les formes
religieuses de l'irréligion, il restera pourtant certaines formes,
d'indiirérence, d'inaptitude radicale à uik' foi positive. D'une
part, les [)rosaï(iues, les positifs, ceux ([ui sont sur le plan du
monde sensible, cpii s'y trouvent entièi'(Mnenl à l'aise, ou tout
au moins, faits à sa mesure, à <iui toulc^ in(piiétude d'au delà
demeure étrangère; lésâmes religieuses les accuseront volon-
tiers de platitude. D'autre part, ceux chez qui la sentimenta-
lité, encline à diviniser, est refrénée par la criti(iue intellec-
tuelle. La poussée religieuse est enrayée par un état d'esprit
• lui la remet à sa place et lui assigne ses limites et sa valeur.
L'idée des limites de rexpérience et de la eonnaissanee |)os-
(1/ Xavikm Li':o\, La l'hilosaiihir ilr Ficlile.
•2 Voir IliuNsr.iivic.c;. yntiiic cl Uhertc. i56.
« Se rorincrat-il un royaume <le l'esprit, une éjjlise de refuge, une repu-
l>li<|ue «les àuies, dan.s laquelle, bien au delà du droil et de la sordiile
utilité, la beauté, le dévoueiueut. la sainteté, riiéroïsiue. ^enlllousia^^Inl•,
l'extraordinaire, linlini, auront un culte et une cité. Amii:i.. Journal
Inliinc, I, 3a.
S-JÔ l.\ nEMOION ET LA TOI
sible arrt'tc l'essor vers l'idéal ; la divinisalioii coinmençanle
est i-etenue et restreinte à n'être, au plus, qu'une demi-
cioyanee. Enlin ceux chez (jui les constructions intellectuelles,
volontiers ambitieuses et prenant liguie de grands systèmes, ne
sont sup[)ortées ou soutenues |)ar aucune sentimentalité; de
sorte (pi ('lies restent des (euvres d'intelliiçence pure, et comme
des jeux supérieurs de l'esprit, incapables de faire vibrer l'unie,
et de prendre, — simplement plausibles pour l'esprit, — teinte
de réalité dans les tréfonds de la conscience. Elles ne passent
point de la possibilité à rexistence.
DE LA FOI AU DOUTE
Plus intéressant est le passage de la toi au doute. En un
sens, on peut dire que le doute est inhérent à la foi. Vn senti-
ment aussi complexe, et tout pénétré d'intellectualité, tout
charge d'idées et d'argumentation admet des oscillations, des
lluctuations, des éclipses, des réserves. Ainsi dans l'état de foi,
et même dans l'acte de foi, on l'entrevoit. Sous cette forme,
où le nom de doute est à peine légitime, nous l'avons étudié
plus haut.
Le passage de la foi naïve à la foi consciente de soi, à la
foi critique, impli([ue parfois un ébranlement, une mise en
question, une revision, une recherche, avant la prise de pos-
session <lélinitive.
Enlin, plus précisément dessiné, le doute, qui apparaît là
où la foi lléciiit, peut s'installer de façon chronique et déiini-
tive, ou encore aboutir à un changement de religion ou à
l'incroyance raisonnée et systématique. Il apparaît encore dans
l'état inverse, dans la recherche de la croyance, dans l'orien-
tation vers la foi, 11 est un moment, une étape de la conver-
sion lente; il correspond à cette phase d'inquiétude que nous
avons déjà signalée, oîi s'exprime le heurt de l'état qui fléchit
et de l'état (jui vient.
HORS I.A KOI 377
* *
La loi ('laiil habitude sociale, croyance et sentiniciit, peut
être atteinte d'une triple manière, et (piehiuefois simultané-
ment :
(".oinine changement d'habitudes et passage d'un gTou[)e à
un autre :
(lomme croyance qui lléchit parce qu'elle cesse de répondre
;i létat de l'esprit, ou qu'elle est mise en discussion:
(iomme passion qui se llélril.
Dans le premier cas, c'est le changement, le heurt, l'insé-
curité et le sentiment d'étrangeté et de nouveauté qui accom-
pagnent la rupture des habitudes.
Dans le troisième, c'est l'épuisement de la passion dont le
sujet se lasse et ([ui cesse d'être lui-même; ou encore la montée
au jour d une passion neuve; un autre aspect de la personne,
demeuré latent, ou amené à la clarté par révolution du carac-
tère ou encore sa transformation : sublimation ou antithèse, ou
développement de la passion (pii })ivote autour d'un centre.
Un esprit qui ne se retrouve plus dans ses raisons de croire,
une àme qui ne se retrouve plus dans ses aspirations; la ru|)-
lurc d'harmonie avec les habitudes, avec le régime, avec le
milieu: voilà donc le doute religieux. Toujouis une modilica-
tion plus ou moins complexe et profonde de l'écpiilibre interne,
qui l'ait <pu' l'on se déprend et (ju'ou cherche, non sans inquié-
tude, autre chose (pie ce qu'on a.
La foruie aircctive du doute, c'est l'amortissenK'nl. ou les
moments lâches et ternes de la passion: ou encore le choc de
passions contraires; dans les deux cas l'hésitation all'ecdive,
une sorte de suspension sentimentale ; ou encore les alVaiblis-
sements du senliuient de soi, la dépersonnalisaliou eonmien-
çante : l'univers moins colon'", moins réel, la eonliance (jui se
3^8 LA RELIGION ET LA KOI
ri'tire. par ri'làclu'nu'iil de la Iciision nirntak'; les modilicalions
(le la perception externe ou interne au début de certaines
psychoses. Dans cette forme du doute s'exprime l'alFaiblisse-
ment. l'ébranlement de la personnalité: il traduit un ehani,^e-
menl, une transition (pii s'ignore.
Sous sa forme intellectuelle, le doute est oscillation men-
tale, indécision de l'esprit, eonllit de jugements; d'oîi un état
affectif pénible, cpii va du simple malaise à langoisse, et l'agi-
tation mentale, défense vaine et multiforme, qui se substitue
à l'action. Le conflit de jugements peut aboutir à un chaos
indéiinissable de sentiments indéterminés, de représentations
obsédantes, d'émotions subites et d'actes inutiles. Il arrive
souvent que le choc des raisons contraires cesse d'être présent,
actuel, et qu'il subsiste comme simple choc, comme incoordi-
nation, comme état suspensif, en (|uelque sorte, où les repré-
sentations ne sont plus formulées. Un état de ce genre précède
souvent le conflit des motifs. Dans les deux cas il y a, sous le
conflit de jugements, rupture des automatismes, du cours norr|
mal de l'idéation et de l'humeur: précédée ou suivie de tenla-3
tives pour aboutir à une stabilisation nouvelle. Dans les formes
graves et aiguës, c'est comme un « chavirement » de la pensée.
Le doute est aigu ou chronique; exprimant, dans le dernier
cas, l'impuissance du sujet, l'agitation mentale, le travail
stérile, incapable de parvenir à une conclusion. 11 est spontané
et involontaire, maîtrisant le sujet; ou, au contraire, dirigé par
lui, instrument de recherche entre ses mains.
Le doute est ainsi une oscillation sans anèt, parfois avec
inclination dans un sens, mais [)ourtant sans acquiescement
véritable; dès qu'on incline, on sort presque du doute; on
opine déjà. Le doute est avant tout l'impossibilité de terminer,
de conclure, d'arriver à un syslènu', à un arrêt.
Il implique des sentiments bien divers; d abord ceux (jiii
expriment le doute lui-même, l'état d'indécision, de lutte, de
conflit; puis ceux qui dépendent de l'objet du doute.
MOItS IV FOI 'j-,j
Lf doulc csl parfois inala(iio; maladie causée par le doule,
on doute expression d'un trouble profond; et à cause de celle
maladie, une impuissance plus aii^ui' ou plus générale.
Le doule pathoIo!?i(pie est bien connu; on a parfaifcment
analysé les douleurs j)atholo,i?i(iues. Iliésitanl, rin([uict. l'in-
décis, le scruj)uleu\, l'Iiypercrilicpie, l'opposant, à l'étal de crise,
ou chronique: le douleur qui doute sans raison ou contre la
raison, cl qui ne sait pas ou ne peut pas sorlir de son doute;
celui (jui est impuissant à peser, à doser et à se satisfaire de
la probabilité; il lui faut des certitudes énormes et seul autrui
peut les lui donner et seulement un instant. Il est toujours à
l'état de doute latent, et le doule réel qui surgit' n'est que la
l'orme momentanée de son état d'oscillation. « Im[)uissan<e à
irrètcr ce travail incessant de la pensée s'exerçant continuelle-
ment sur elle-même sans jamais arriver à aucun résultat déli-
litif * (i), telle est sa formule. Un abaissement de la tension
asychologicpie, si l'on veut; et de l'agitation consécutive.
Comme les déliants et les soupçonneux, qui finissent toujours
^ar cire dupes de <pielqu'un et dupes achevées, le doutcur
>'accroche souvent à l'obsession, expression, consolatioiî et
oui'mcnt de son incomplétude.
*
* *
On peut distinguer ici encore début, étal et déclin, dont
oici le tracé sch(''mati(pie :
I" Un système de croyances connnence à lléchir; d'oii «lioc
urprise, ou simplement nudaise. sourde incpiiélude. Le doute
•eut naître de fa«;on insidieuse on brutale.
L'attention s'oriente vers le point menace'': d'oii nn afilux
e représentations et de sentimcnis.
(l) I'"am»kt, Folie faisimnaiid'. Soc. mi-iliro/isycli.. 181K).
3Sn LA UEI.KlKtN 1:T I A FOI
La nouvelle cioyauce s'ébauche ; quehiuefois. à titre
simple j)<)ssil)ililé, elle se trouve avoir précédé le doute.
•2" Osçjllalion; coexistence dos deux systèmes ou suceessi
rapide d'afliruialions indécises et momentanées.
V Terminaison brusque: quelquefois avec rappel léger
doute évanoui ou léu:er trouble peisislaul.
Terminaison progressive, réorganisation : abandon de
croyance remplacée par l'incroyance systématique, ou par une
croyance nouvelle, ou reloui- à la croyance ancienne.
Le doute apparaît souvent bien plus tôt qu'on ne croit. La
foi enfantine, soutenue par l'action indirecte de l'entourage,
j)ar son action directe, c'est-à-dire par renseignement et les
conseils, par le développement personnel, est exposée, elle
aussi, à toute espèce de contlits ou de fléchissements. Connue
Pralt l'a bien montré dans son beau livre (i), l'enfant i)eut
professer un mythe, sans se faire illusion sur sa valeur (2);
ou il peut faire aux dogmes qu'on lui propose des objections
très précises. Bro\yn cite un enfant de quatre ans, qui disait,
en réponse à la toute-puissance de Dieu : a Si jai monté l'esca-
lier, peut-il faire que je ne Taie pas monté? » Dans une
observation que Ion ma transmise, une enfant de cinq aflli
à tous les dogmes, à tous les mystères qu'on lui euseigri!
r(''pond imperliirbablenieul : < ^laman, je ne crois pas cela.
Kt cependant, c'est une enfant docile, à dispositions religieus^
et (pie IKvangile attendrit.
Ces doutes, ces objections, cette opposition apparaisslj
surtout entre douze et quatorze ans. Us proviennent, pour
1 I'ratt, The religiows coiiscioustiess.
2 Nombreux cas cités par Baktii, Der liirninei in dcr Gedankenwel
unil II jàhrigcr Kinder ( MonatsbUitter fiir den ev. licligionsunlevricht. 191I
MOUS LA loi 3Sl
buniK- j)arl, de l'enseignement relii;iou\ lui-iMèmc; soil de sa
laiWlesse. soit de ses iinprudenees. (diéon sii^nale très juste-
ment la première <le ees raisons dans l'allaiblissement <!<' sa
foi enfantin»' ;
« Notre Ijon amnùnicr n'essayait pas d'entrer en eoncui-
rence, par eet attrait vivant (pii captive les jeunes esprits,
avec nos professeurs d'Iiunianités et de sciences... Sur notre
eham[) saeré, les connaissances |)urement humaines empié-
taient chaque joui' (i).
De nombreux jeunes u^ens ont été mis en f^arde contre les
dogmes, ou contre l'histoire sainte, i)ar certaines explications,
ou par des réponses aux objections, ([ue leur si;j:nalaieul leur
professeur d'instruction relii^ieuse. Les apologies maladroites
sont pleines de pc'ril. Ce n'est pas à tort que Loisy écrit (12 ; :
« M. Vigouroux était alors et il est demeuré le grand ai)o-
logiste catholique de la Jiible. Mais je dois dire que son
enseignement et ses livres ont plus fait |>our me détourner
des opinions orthodoxes en cette matière (pic tous les
rationalistes ensemble, Renan compris. »
Souvent la foi disparait très sim[)lement, sans crise et sans
angoisse, parce que l'enfant ou le jeune homme passent à un
antre milieu et à d'autres préoccupations intellectuelles; c est
là un phénomène fréquent dans les étals de civilisation, oii
(1) Têmoiffnaffr d'un converti, p. i5.
la) Choses /tossces. 5S. — De nirmr, Franklin fciit : . ( iiiclijncs lixn-^ t ..nin
le déismr loiubèrenl eiilrc nos mains; ils pit-tcnilaicnt résumer en substance
des sermons prèelics aux ■< Conférences Jlayle ■>. Il se trouva qu'ils proilui-
srrenl sur moi un clTel tout conlrnirc ù celui (ju'ils \is;iicMt; les arguments
des déistes, qu'ils citaient pour les réfuter, me parurent beaucoup plus
convaincants (jjie la réfutation ; en un mot, je «ievins bientôt un parfait
déiste. ■■ Cité par N\ . Hllr■.^. f.f (irnif ninrrirain. p. 34-
3hj i.A ui:li<;i()n ki la foi
rrducalion es! airlii^icuse ci la inajorili' iiuliClVroiUe ou lioslile.
Souvoiit. (lu rosli", la loi ii avait été (ju a[)parence; comme
dans \c cas dcciil par Aihcil iJayel :
« (^e n'est pas à la suite d Un grand dianie intime que j'ai
renonce aux îd«''es chrétiennes. Je me suis plutôt aperçu, par
d<'s épreuves rcpélces, que ces idées étaient comme posées
sur moi, mais qu'aucun lien ne m'attachait à elles. Elles me
semblaieni toutes simples, et, n'y pensant pas. je croyais y
croire; en y sont?eant,^ je me suis avisé (pielles m'avaient
toujours été étrangères, .le les ai quittées alors sans regret :
car -on ne saurait regretter ce (lu'on n'a jamais aimé (i). »
De même, le témoignage de Rimsky-Korsakov nous met
en présence d'une religiosité très faible, et qui n'a point de
peine à se dissiper (2) :
- Klevé dans une famille profondément pieuse, j'étais, dès
mon enfance, assez indifférent pour la prière. En faisant m 5
prière malin et^oir et en fréquentant l'église, je n'avais en
vue que d'obéir à la volonté de mes parents. Chose étrange,
en priant j'ai risqué parfois des paroles sacrijèges. comme
j»our éprouver Dieu et alin de savoir s'il m'en punirait ou
non. Gomme il ne m'en punissait pas, le doute naissait daiis
mon cœur ; parfois le remords me tenaillait ; mais autant que
je me souviens, je n'en souffrais pas trop.
' (lamin de douze ans, je harcelais ma mère de questions
s«ir le libre arbitre. Je lui faisais remarquer que s'il est vrai
(pic tout se passe sur la terre selon la volonté de Dieu,
1 homme doit (juand même être maître de ses actes, et que,
par suite, la volonté de Dieu ne doit point intervenir ; car
comment pourrait-il laisser l'un de nous commettre de mau-
vaises a(itions et l'en punir ensuite?
■<r Pendant les deux dernières années passées à l'Ecole
navale, deux de mes camarades m'assurèrent que « Dieu
(i Albert Haykt, Les idées mortes, aT).
(2 Rimsky-Korsakov, Ma vie musicale, p. 22.
iioas LA itu 383
« n Cxislail pas cl ({lu' loiil cela ne sont que «les iiivculious ».
I/un (1 eux me disait (juil avait lu " la Pliilosopliic de Vol-
taire ». Je uw suis aisément rangé à l'avis (jue « Dieu
n existait pas et que tout cela ne sont (jue des inventions ».
Au fond, cette pensée m'in(|uiétait peu et je ne songeais
nullement à ces graves questions ; seulement, ma religiosité,
d('jà faihie, disparut entièrement, et je n'en éprouvais aucune
-i)ir spirituelle, »
Il suflit parfois d'un rien pour dissiper la religiosité de
leufance. Pioudlion raconte qu'une plaisanterie; d'un de ses
» oiisins, au milieu d'une prière faite en fajnille, le troubla au
j)oinl (ju'il ne put jamais plus prier du fond du cœur (i). Plus
laid, pourtant, il eut un regain de foi. Se sentant appelé à deve-
nir un apologiste du christianisme, il voulut lire le pour et le
contre cl, celte fois, tout ce qui lui restait de croyance s'éva-
iioiiil délinitivemenl.
Dans le cas de Bernard Leroy (2), le sujet constate peu à
peu qu'il ne lui reste rien de ses croyances religieuses, que
l'année de pliilosophie a achevé de dissiper; mais c'est une
constatation calme et progressive, sans crise. Dès ladoles-
e( liée, il avait opéré dans les dogmes une sorte de triage, et
nombreux étaient ceux auxquels il ne pensait jamais. Vers
douze ou treize ans. la géologie lui parut contredire l'Ecriture
sainte; plus tard, il trouva quelque difliculté à concilier la
bonté de Dieu avec les conditions qu'il impose à ses créatures,
avanl de les admettre à un bonheur parfait. Mais c'étaient
là (les end)arras plutôt (jue des doutes; il restait con-
\aincu: il savait (piil comprendrait plus tard; ce qu'il ne
<oiiq)renail j)as n'en restait pas moins irréfutable. L'effa-
(cmenl des croyances s'est donc fait en une année, et très
Il :in(|uillemehl.
[) Phoidiion, Correspondancp, t. i. p. 27.
.', Bernard Li:hoy, Confession d'un croyant.
3><j LA RELIGION ET LA FOI
Taille (i) raconte ([iie juscjii'à l'ài?e de quinze ans, il élait
rhrétien et ne s'était jamais demandé ce (jue vaut cette vie,
doii il venait, ce (ju'il devait faire.
« La raison apparut en moi comme une lumière ; je com-
mençais à soupçonner qu'il y avait quelque chose au delà de
ce que j'avais vu; je me mis h chercher comme à tâtons dans
les ténèbres. Ce qui tomba d'abord devant cet esprit d'exa-
men, ce lui ma loi religieuse. Un doute en provoquait un
autre, chaque croyance en entraînait une autre dans sa
cimte... ')
Les trois années qui suivirent furent douces; ce furent trois
années de recherches et de découvertes.
Malgré la chute de son christianisme, il avait conservé les
dogmes de la religion naturelle : Dieu, lame, le devoir.
Au cours de ses années de philosophie, il les examina et y
trouva des probabilités, aucune certitude. D'où un scepticisme
général, (jui le réjouit d'abord, dont il s'attrista à la lin.
Puis, fatigué de contradictions, il. défendit le panthéisme ;t
outrance et se mit à en parler en artiste. Il s'y complut, ce
fut son salut.
Comprendre l'opposition des systèmes, apercevoir l'enchaî
nemcnt et l'ensemble; telle fut la solution.
■ Dans le cas de Benedetto Croce, nous voyons le conflit de
dogmes et de la réflexion amener comme un commencement de
crise religieuse.
Dans ses dernières années de collège, il subit une crise
« soigneusement cachée par moi à ma famille, et à mes amiî
mêmes, comme une honteuse infirmilé ».
dette crise fut provoquée par le directeur du collège lui
même, ecclésiastique pieux et théologien savant, qui eut l'ini
prudence de vouloir administrer à ses lycéens (afin de le
raffermir dans la loij quelques leçons sur ce qu'il appelait h
J
I Iaim;, fJorresp.. t. i, p. 20.
i
nous r,A loi 385
« pliilosopliif (\v la i-eliafioii » ; k'vain jet»'- dans un «'sj)iil.
iiicrlc jiis(jii('-là en face de ces prohlcnics. I/chianlcnicnl de sa
loi lui inspira une assez grande tristesse et l)eaucoup d'iiicjuié-
ludc. Il recliereha (comme le malade recherche une médecine)
des livres d'apologéticjue qui le laissèrent froid; quelque adou-
cissement lui fut apporté par les œuvres d'hommes sincèrement
religieux; 1rs Prisons de Pellico, par exemple, dont il haisa
parfois les pages avec un transport de joie. VA puis il s'étourdit,
emporté par la vie, sans j)lus se demander s'il était ou s'il
n'était pas croyant, continuant à accomplir, par habitude et
par respect des convenances extérieures, certains rites, jus-
<|uau Jour oîi peu à peu il les abandonna. Il s'aperçut alors,
et il se dit clairement « lui-même qu'il était complètement
alfranchi des croyances religieuses (i) ».
*
Dans d'autres cas, la foi disparaît doucement, i)arce qu'elle
cesse de répondre aux exigences affectives du sujet.
Dan?, une observation que j'ai recueillie. M'"' S. s'explicpie
ainsi :
" l*oiir(iuoi un Ici changement? Simplement parce que je
n avais plus besoin de Dieu. La foi profonde, active, je l'éprou-
vai de if à ij ans. Or, pendant ces années-là, je connus des
chagrins violents, causés par la mort de personnes aimées.
A cause de cela et de bien d'autres choses encore, je vécus
alors dans un désarroi moral assez grand pour me donner le
besoin d avoir quelqu'un qui nie souliiit, me guidât, me con-
solât. Ivn même temps, j'étais à l'âge oîi on apprend l'existence
des problèmes nn-tapliysiques, et oîi on les résout avec une
1) BenQd.CnocB, " (Jril il/ iw (le moi- inènie >^ Revue de métaphysique, i<ii'.)- I>
386 1. A lŒI.IGION ET LA l'OI
si'reine audace, parce qu'on veut une solution à toutes les
(luostions. Je me fis une idée de Dieu qui répondît à ce besoin
d'appui moral et do cerlitiide métaphysique. Tant que l'un et
l'autre me furent nécessaires, je donnai à Dieu une place pré-
pondérante dans mon existence. Mais, plus tard, ne souffrant
plus, ayant retrouvé le calme et appris à suspendre mon juge-
ment devant l'incertain, Dieu me devint moins nécessaire, et
j'y pensai de moins en moins. Au bout d'un certain temps, le
sentiment religieux avait disparu, sans que mes convictions
religieuses eussent été ébranlées. Mais à partir de ce moment,
celles-ci n'ayant plus de raison d'être, étaient à la merci du
moindre choc. Elles furent, en effet, détruites par des argu-
ments moins puissants que ceux auxquels elles avaient complè-
tement résisté autrefois. Et je ne souffris pas de la mort de ma
foi, parce qu'elle ne faisait plus partie de ma vie. Seulement,
pendant un certain temps, dans les minutes graves, je deman-
dai à Dieu de m'aider, élan aussitôt réprimé par la sensation
du silence qui seul me répondait, et cela ne laissait pas d'être
douloureux. Mais ce dernier vestige, lui aussi, disparut comme
une habitude que l'on perd. »
C'est ainsi qu'Emerson quitta l'Unitarisme, non parce que
les Ecritures étaient en conflit avec la science, mais parce que
ses révélations intérieures débordaient la religion révélée. Son
incrédulité procédait d'une foi plus profonde, qu'aucun sym-
bole ne satislit jamais.
Il eut toujours en répugnance la notion d'Eglise, et mèmt
celle de secte, et ce qu'elles impliquent d'arrêt de dévelop-j
pement, de répétition, de formalisme. 11 n'y voyait « qu'ui
élégant incognito pour s'épargner la peine de penser ».l
Il reprochait au mystique lui-même de clouer à un symboh
un sens ne varietur. Il en voulait au christianisme de ferme!
les horizons de l'àme avec son culte qui immobilise, avec se«
personnes saintes autour desquelles tournent des rites k date
fixe.
HORS I.V lOI JS-
LA CRISE DE DOUTE
La (lise (l(; doiile, oiilic riiuroyance el la croyance, a les
mcmes allures que la crise de conversion. Nous pourrions
rcpéter, à son propos, la plupart de nos remarques anté-
rieures. Le schéma psychologique est le même;- el, comme
[)lus haut, cette crise d'àme est le plus souvent aussi une crise
de situation oîi interviennent toute espèce de considérations
sociales ou mondaines.
Dans le cas de l'historien (ireen, nous voyons la ei'ise
réduite à son expression la plus simple et conduite par des
considérations intellectuelles. Les controverses tliéoloj?iques
lui parurenl s'elFondrer, mesquines et vaines, devant le nou-
veau livre de Darwin sur l'homme et son origine. « Sacrifice,
Justification. Inspiration, tout cela paraîtra à nos enfants
aussi ahsurde (jue nous paraissent à nous le gnosticisme et la
transsubstantiation. Je ne dis pas qu'une religion rationnelle
soit impossible... mais pour y arriver, il nous faut jeter aux
balayures les théologies vieillies et fiinées de l'enfance du
monde. »
Le cas du Père Hyacinthe Loyson présente un intérêt parti-
culier. Sa « conversion » à rebours n'est pas un changement
radical. C'est la prédominance définitive d'un des deux aspects
constants de sa nature, le libéralisme, contre l'autre, le tradi-
tionalisme. C'est le sentiment définitif que sa vocation n'est
point dans son Ordre ni même dans l'Eglise.
Toute sa vie s'est passée à la recherche du haut idéal chré-
tien à travers les institutions du christianisme et les désillu-
sions successives. Saccrdos in acternnm; un sacerdoce qu'il
n'a jamais renié, mais ([uil a seulement travaillé à élargir et à
agrandir. Et il s'est accroché aux institutions, tant qu'il a pu
Plus il se sentait entraîné vers le libéralisme, plus il se rejetait
388 i.A iiEi.KiioN i:t I.A lOI
iiivoloMlaiicMiiciit vers les l'ornu's li's plus inalérielles de la
roIip,i()ii.
II II a jamais cesisé dètrc, contre une puissante soUieitalion
intérieure, profondément amoureux d'une religion positive.
Les papiers de •' C.harles Venient », publiés par le « Mercure de
France » (i),nous montrent comment il s'est arrêté sur la penle
du théisme pur, du radicalisme reliu:ieux, encore qu'il lût vive-
ment tenté d'aller plus loin. (Iharles Venient représente cet
aspect extrême, radical de sa nature, un t^roupe cohérent et
stable de tendances et de préoccupations, cristallisé en une
demi-personnalité imaginaire, et «jui i)rend un nom. A lui
s'oppose l'autre tendance, la voix profonde de la subcou-
seicnce, la conciliation de la religion et du pur monothéisme
j)ar le mystère des mystères, v coexistence du Fini et de
rinlini >. « La grande erreur de Charles Venient est de ne pas
savoir s'arrêter et de ne voir qu'un côté des choses. » Le Père
Hyacinthe a été l'un et l'autre, mais à mesure qu'il avançait
dans la vie, la voix de (Charles Venient se faisait plus distincte,
sans arriver [)ourtant à dominer son interlocutrice.
La peur du traditionalisme et même du christianisme
remonte à son adolescence. Il y a toujours eu des doutes chez
lui. et particulièrement à certains moments vifs de sa vie reli-
gieuse. Au sein de son enfance chrétienne, parfois le christia-
nisme lui apparaissait menaçant, contraire à l'inspiration des
auteurs dont il faisait sa lecture favorite.
Son premier doute apparut à i2 ans, dans le recueillement,
(Ir la prière, et au moment où il venait de renouveler sa pre-j
mièrc communion. « Si cela n'était pas? » se dit-il en pensant
à la présence réelle, et, de son propre mouvement, il demandai
que sa communion suivante fût retardée.
Lu peu plus lard, en iH^'j, la conversation de Liszt provo-]
qua chez lui des angoisses d'incertitude.
I i(» sept. 1913.
lions i.A i(»i 389
Mais ses doutes poilaiciil sur le chiisUainsinc cl iioii |)as
sur le llu-isinc. (|iii (Icinciiia loiijours iiilacl dans son
espril.
Aussi, à iS ans, il peiicliail laiiLùl vers le duulc, lanl(H vt-rs
la siipcislitioii : <• Lorsque rien n'est absolument certain, loul
esl absolument possible. -
Il lui un séniinarisle très pieux et non [)as un étudiani de
llicoloiifie positive. Les débuts de sa vie sacerdotale sont bai^Miés
de Iciidresse. Il avait rêvé mariaj^e, il était resté amoureux.
En lun tle ses maîtres, Charles-Théodore jîaudry, il rencontra
lin objet d'amour et d'admiration. « Je n"api)artenais pas à la
leliu-ion eatlioliipie romaine, mais à la reliuion de Gliarles-
Tlicotlore liaudry. Je ne reposais pas mon âme sur l'inrailli-
bilite de l'Lii^lise, mais sur celle de Charles-Théodore Baudry. »
Il a d'abord appartenu, par amour, à la reliffion de Charles-
riieodore liaudry. Puis vient une [)ériode de transition, pen-
dant la([uelle il a dû s'appartenir à soi-même. Puis il est
entré dans une autre religion, celle d'Lmilie-Jeanne Meriman.
Mais ces deux reliji:ions d'amour n'en faisaient (pi'une et se
liaient à une troisième, encore innommée (i).
Prêtre le i^J juin 1801, il dit sa première messe. « dans (piel
iiK'lauge de doute et de loi! » « La messe a toujours été ma
grande souffrance en même temps que ma ii:rande joie. »
Il marcha entre des abîmes : l'Lglise et la Conscience; le
( armel, le ministère de la chaire, et sa vie intérieure toujours
jilus scienlifi(jue et plus libre. Il essayait de se faire illusion
sur son orthodoxie. Il luttait pour rester dans la foi. Le Syl-
labus « ne louchail en réalite à aucune des idées du libéralisme
saife. Il fallait n'accorder aucun examen volontaire à ses pen-
sées relatives à la foi, à la vocation, faire abnéi^ation de jut^e-
nient, sabandoimer dans la nuit de la foi. Il fallait accepter
les éh'ments actuels du Carmel, même en les comballanl. »
I Iloi TIN, 214.
'3«)0 LA UKLIGION KT LA 1 OI
Ne jamais renier le (ieveloppciiient progressif et légitime de
1 iiilelligenee et des soeiétés humaines, cl cependant resler
lidèle, soumis à l'aulorité extérieure et visii)le de l'Eglise dans
la sphère de son exercice obligatoire. Contra spem in speni
vredidit (i).
Pour rester moine, il essayait de croire (juil était un grand
pécheur, en particulier (ju'il avait abandonné à deux reprises
la foi chrétienne pour le déisme.
('/est en 1868, prêchant le Carême à Rome, ([u'il commen(;a
à se demander précisément s'il ne pourrait pas arriver un
moment où il devrait sortir des limites visibles de l'Eglise
catholicpie. Il se sentit revêtu d'une mission de prophète. Mais
si le catholicisme, d,ans son état actuel, n'était, pour ainsi dire,
plus acceptable, pourtant les sociétés ne peuvent s'en passer.
Donc demeurer dans l'Église et y attendre le grand renouvel-
lement providentiel.
Les persécutions de l'Ullramontanisme, son amour pour
celle (ju'il devait épouser plus tard précipitèrent sa crise. C'est
un fait <pie beaucoup de crises s'achèvent par l'intervention
amicale ou hostile de l'entourage. L'Kglise a souvent précipité
des apostasies hésitantes. D'autre part, la rencontre de
M""^ Meriman parait avoir été décisive. La tendresse enfantine
de jadis, l'amour juvénile qui l'avait fait hésiter devant le
sacerdoce, revenait, impérieux et viril, maître des sens
éveillés. Sous le thème de l'alliance mysticpie et de l'unité
d'âme dans la religion à laquelle il venait de la convertir, un
véritable amour aspirait à se satisfaire qui, rencontrant les lois
de l'Kglise romaine, devait, dans une conscience déjà prête à
se séparer d'elle, achever de tout bouleverser. D'autant qu'il]
apportait l'achèvement spirituel, (pii manquait jusqu'alors, ctj
dont l'absence avait laissé l'Ame dans l'indécision. Cet amour,
religieux et grave, était comme un approfondissement de laj
I HoLTIN, \'^(j.
nous LA lOl 3(JI
l'olilîion, la nouvelle religion pressentie, cherciiée, aimée;
<( la l'évélalion de Dieu par Emilie »,
(yest ainsi ([u'il sorlit du (larmel el de l'Eglise, secouant le
poids de ses ehaines. (^ette dernière crise, cette « agonie de
l'ûme » avait duré de longs mois. « J'entrai alors tout vivant
dans la mort (i). » Des deux iiommes qu'il était, lun avait
eonnnencé de vaincre l'autre. « La moitié de ma vie a mis
lautie au t<>nd)eau. »
*
L'argumentation, la discussion dogmatique, l'angoisse intel-
lectuelle tiennent peu de place dans la crise religieuse d'Hyacin tlic
Loyson. Il semble que la dogmalique catholique, superposée
aux tendances naturelles de son esprit et maintenue par une
sorte de déli à soi-même, il semble que la vie monacale et la"
vie ecclésiastique, prises par erreur pour l'expression de la
haute vie chrétienne, se soient progressivement volatilisées
dans l'élargissement progressif de son àme, et que le conilit
inévitable avec l'ultramontanisme et l'amour pour M""^ Meriman
aient achevé de les dissiper. Sans doute Charles Venient repré-
sente en lui le théisme strict et il combat en lui ce ([ui lui
reste 'de christianisme ; la discussion se prolonge au sein de la
personnalité dédoublée. Or on n'a pourtant pas l'impres-
sion que la queslion de vérité spécidative soit au premier plan,
mais bien celle de la valeur. Au contraire, c'est le problème de
la vérité du christianisme (pii a arraché Renan à la foi
catholique.
Il y a chez llenan deux crises, la crise de la foi et celle du
sacci'doce. ({ni, du reste, interfèrent (a). La crise de la foi a été
i) K. (le l'ressensr, pîw 1Iyai;i.\tiik Loyson. Discours prononce à Paris, le
Kj avril i,S<)t. p. i8.
21 HfiV.w, Souvenirs d'enfance et de jeunesse (aven les IcUrcs ù l'aMn"
Cognai, (In a!j août iS'|.i 'lu n sept. r8'i6 '; l'ragmcnfs intimes et rorruincsifue^
3t):l l.V UKLKilON KT l.\ lOI
pri'cisôe et pircipitrc clic/ lui par la ncccssilc d'accomplir des
actes iri'cvocaMcs.
En (piillanl Trcgiiicr cl ses vieux niaîlics, la scvcrc vie de
province, le catliolicism.e austère, le jeune Breton dépaysé
passait, connne il la dit, du catholicisme à une piété musquée ;
la solide enveloppe d'habitudes et d'inHuencc tombait, en
même temps que se présentaient à lui, à Issy et à Saint-Sulpice,
les difficultés de l'histoire et de la philosophie.
Renan a toujours dit que laphilosophie n'a été pour rien dans
son « apostasie ». Il s'organisait lentement en lui une doctrine (pii
n'était pas conforme au christianisme, mais qui ne l'en éloignait
pas. Les dogmes, lloltanl dans l'air métaphysique ne choquaient
en lui aucune opinion contraire. Ses raisons auraient toutes été
d'ordre philologique et critique.
Ses adversaires ont bien souvent prétendu (pie de telles
raisons n'auraient point pesé lourd si llenan n'avait, de parti
pris, nié le surnaturel (i), ce qui est une position philoso-
phique. Ernest Psichari, qui a voulu réparer par sa conversion
l apostasie de son grand-i)ère, et qui projetait sans doute de
rendre à l'Eglise le prêtre qu'elle avait perdu (2), pense peut-
être à Renan lorsqu'il écrit : « Les prétendues contradictions
des synoptiques ne servent qu'à ceux qui sont, dès l'abord et
avant tout examen, décidés à nier le surnaturel (3). »
les lettres i Liart ; Lettres intimes ; Caliiers de Jeunesse ; Nouveaux cahiers de
jeunesse; Lettres du Séminaire; Ma sa'ur Henriette; Patrice. J. Pommiuk, Un
opuscule inédit de Renan (Revue de Paris, i" sept. 1920 .
(i) C'est aussi en partie l'avis de Loisy (Choses passées, 176) : « Il n'est pas
sans intérêt de constater que l'esprit de la démonstration scolastique, après
lui avoir suggéré (jue la croyance religieuse était ohjct de certitude scienti-
fique en ce qui regarde les vérités dites de religion naturelle et les titres^
de la révélation, la induit d'abord à l'incrédulité quand il eut remarqua
l'absence de certitude, et lui a fait ensuite chercher dans la science une bas<
purement rationnelle pour les progrè'^ ultérieurs de l'humanité. Rien n'es!
plus propre que cet exemple à l'aire ressortir les inconvénients de l'apologé
tique dite traditionnelle. »
(2 Massis, Ernest Psichari.
(3i Les Voix qui crient dans le désert, 91. Cette assertion est bien conles5
table ; on peut admettre le surnaturel et critiquer les titres liistoriques d«
nous LA roi 393
Si Ton cvamine les docuincnls coiilcmporaiiis (jiic nous
avons cités, il semble que la vérité soit entre les deux thèses.
Ce n"esl pas la pliilosophie qui a poussé Renan hors (hi chiis-
lianisine, mais elle a lorlemenl ébranlé sa loi.
11 la abordée avec passion, mais comme une doctrine dhypo-
llièses oîi il n'y a pas de certitude ai)Solue, et (jui, levant une
foule de [)réju,i?és, mettant au ranj; de problèmes les jugements
(jui paraissent les plus certains, apprenant à tout voir à nu et
sans voile, est bien près de mener à un scepticisme universel (i).
Ainsi la philosophie lui a montré dabord des diCficultés
partout, là même oîi auparavant il n'en voyait pas lombre ;
mais il espérait que la solution viendrait plus tard (2j.
Mais l'i-branlement philosophiciue a été, ou est devenu plus
pi'ol'ond. Le 3 mai 184^2, Renan écrit à Liart cpu' la philosophie
est la plus dangereuse des études. Qui n'a pas la foi ferme, n'a
qu'à s'y donner {)our la perdre tout à fait. Jamais il n'avait eu
tant de diflicultés, ni même tant de doutes positifs.
« Je suis dans un drôle d'état; tour à tour déiste, panthéiste,
aulothéiste, idéaliste, matérialiste... Il n'y a que deux choses
(pii me eonlirmentdans la foi: la lecture de la Bible avec son
charme inexprimable, et celle de Pascal. Sans lui, je n'aurais
l>lus la foi depuis plus de six mois. Pascal a montré (^contre
le bon sens, ramassis d'opinions, d'habitudes, de eonven-
tellr ou Icllr iclij^'^ion ; ainsi l'ont loules les rcligioiis les unes conlrr les
autres.
l)n sait ({ue la thèse soutenue par K. Psieliari était celle de HKUNKiiiiHi-:
{Lin<i lettres sur Jù'nest Jteiian, p. 29, 3o). Dans un intéressant chapitre (lienan
et la théologie de Saint Sulj)icei de son livre sur V Utililr du l'rairtiKitisnie,
Cl. Soin L eonclul : « Renan avait donné une explication parfaitement raison-
nalde de sa rupture relij^ieuse, ipiand il avait dit (|ue ses éludes philolo-
{fiques avaient sulli pour lui montrer la vanité des thèses exposées dans le
traité De la vraie reli^^ioii ; il était à bon droit passé de ce premier scejiti-
cisnie à une néf,'atiou {générale du système clérical; on ne pourrait contester
son explication (|ue si on lui contestait un profond sentiment de l'histoire. »
Il Lettres intimes, 87 (23 mars iS4'Jj ; «j(» (i."» sept. iS^ai ; ibid., <>H. Nos convic-
tions n (luehiue éhranlées qu'elles aient pu être par les premières études de
la pliilosophie, qui donnent toujours un peu de lièvre ».
•j Fraifinents intimes, ii>ii. Lettre à Liarl, a'j jaiwier i^]j
■Jt)4 I.A UKl.lGIO.X KT L\ FOI
lions) l'incertitude «le tout savoir. Voilà un homme qui était
au-dessus des préjugés, et pourtant il a été chrétien, cela est
démonslratiC. »
Mais, si importants que soient ces textes de lannée i84'-î, te
n'est point en 1842 que s'est faite la rupture, et en 1843 il lui
arrivera encore de parler de la belle et vraie théologie apolo-
gétique, d'une profondeur étonnante (1).
On sait, d autre part, et par d,es documents suffisamment
abondants, l'effet de ses études d'exégèse. Il lui devint peu à peu
« scientifiquement » évident que l'explication orthodoxe de
l'Kcriture était insoutenable (2).
Sous l'effet combiné de la philosophie et de la critique
historique, il « cesse de croire au christianisme parce qu'il fait
rentrer dans la nature ce qu'autrefois il regardait comme supé-
rieur à la nature (3) >. Longtemps Jésus résista à tous ses
efforts. Il ne croyait plus au miracle que Jésus était encore
pour lui un miracle. Jésus-Christ n'est point un produit de
l'esprit grec. Il na pu surgir du judaïsme et de l'orienta-
lisme, ni par action, ni par réaction. Mais une vue plus étendue
de la psychologie de l'histoire lui montre ce qui peut se faire
dans les grandes crises de l'esprit humain. Les lois actuelles
suffisent en histoire, comme en géologie, pour produire les
révolutions (4).
C'est ainsi que Renan, à 1 Age <le vingt-deux ans, pendant
la retraite de l'ordination, à laquelle il devait participer comme
sous-diacre, maudissant le jour où il naquit à la pensée,
enviant ceux (jui dormirent toujours du sommeil de leur
(I) Lettres intimes, i53 (27 no\. lS43j ; c'est une des plus grandes marques
de la vérité du clirislianisnie que, pour prouver cette vérité, il Caille analyser
tout re qu'il y a de plus profond dans l'iidinine.
2, Cahiers de Jeunesse, p. 96 (juillet i845?)
^3) " Il faut bannir du monde le Dicti à fantaisie qu'avaient rêvé nos]
pères. » (Cahiers de Jeunesse, 3^.)
4) Voir PoMMrKH, Un opuscule inédilde Renan {Revuede Paris, i" se\>\.. igao.il
L'essai ps3cboloj,'i(iue sur .Jésus est de i845.
HORS l.V loi 'i<(.")
raison (r), sentait s'eflbiidrer l'hypothèse throhjc:i<HK" et appe-
lait Jésus muet à ses appels :
« Si pourtant, o Jésus, l'hypothèse théologique était vraie,
oh! fais-le-uioi eounaitre. Dis-le-moi donc! (lar, il faut
le reconnaître, si cette hypothèse est vraie, je suis bien
malheureux et loin du vrai. () Jésus, éclaire-moi, toi vérit<'',
toi vie. Je soulFre, o Jésus, d'avoir soulevé' ton problème.
Il est trop lourd pour moi, car je ne suis qu'un homme, et
lu étais ([uekfue chose de plus. Oh ! dis-moi donc ce que tu
es. — Mon Dieu, suis-je de bonne foi ? purilie-moi et une
bonne lois, dis-moi oui, ou non !
« Ici, j'ai été à la chapelle prier Jésus, et il ne m'a rien dit. •>
Ainsi toute mythologie du christianisme tombait devant la
criti([ue. Et il n'y avait point ici d'x\llemagne i)our concilier
les contradictions ou faire vivre ensemble la liberté scientifi([ue
et la foi chrétienne. Et pourtant, s'il ne croyait plus assez, s'il
doutait, llenan, même à cette date de i845, n'adhérait pas
encore à la négation de la foi (2). Mais les « désolantes pen-
sées » afiligeaient continuellement son àme, et cela dans une
elfrayantc progression d'accroissement. S'il nosait pas encore
faire le pas décisif, car il savait que les réllexions successives
avaient naguère amené des revirements, car il était pris dans
d inextricables réseaux, car il lui fallait arracher la moitié de
son àme pour s'en délivrer, il était bien décidé à ne pas accepter
le sous-diaconat pour la prochaine ordination et à chercher une
autre situation (3).
' Il est bien cruel le moment où il faut rompre avec ce tjui
a rem[)li les rêves et fait la joie du passé; longtemps cette
rupture laisse au c<rur un vide désolant Cf). » Si Renan a été
li Rev. de Paris, i,5 sept, xfyio \ aCn. N'y a-t-il pu-s ici rêb.'iiulu' de la lua^-iii-
liqiie tirade de l'nfrire : • Dors toujours ainsi au sou de la musiqui- d<'S
nioïKfes. "
'■2) Li-ttrrs iiitim-s, p. a-J) Cir avril tf^^ô).
3) FntiTin. inlinws d roni., i'\ février i8',.>; aa uiars i845.
fl Lettres intimes, 281, 12 sept. i8'|n.
3()t) LA IJELIC.IO.N KT LA lOI
sauvé (K' 1 aspect trai;i(|U('. ([uo pioiiiiciil parfois de telles crises,
par celte bonne liiinicui', ce tbiitl d' optimisme (i) et peut-être
aussi de complexité et de douce ironie (2), dont il parle dans
les Souvenirs d'enl'ance et de jeunesse, pourtant « l'écroulcmen
de sa vie sur elle-même » lui laissa un sentiment de vide
<• comme' celui ([ui suit un accès de lièvre ou un amour brisé »
Le monde lui parut médiocre; lout lui parut étroit et mes([uin
Un profond désenchantement suivit celte grande conversion.
Il y eut des moments où le passé reprenait son empire (3)
Mais peu à peu les veslia:es de loi devinrent des souvenirs. At
bout dun an, il avait peine à comprendre comment autrel'oi
il avait pu croire. Tout le passé céda devant la formation d'ui
idéal nouveau.
dette longue aventure de trois ans a connu des oscillationf
et des retours.
Aux jours les plus agités de sa vie, parfois avaient succéd<
des jours pleinement heureux et tranquilles. Après la tonsure
les doutes s'étaient momentanément évanouis (4)- La déeisiol
^11 Soinffiiirti d'cnj'aïue, p. i'j^. Voii- aussi Letlrea intimes, -jab (11 avr. 184»)
« Jamais toute cspdrance n'est sortie de mon cœur; et même dans ces rares
moments où la mort m'a semblé le seul remède à mes maux, eh bien! même
alors il y avait encore au lond de mon cœur un régime assez calme. » — « Je
me consolais en songeant que je soutirais pour ma conscience et pour la
vertu. »
[2j Cette nuance est exprimée dans Patrice, 8 : « Je ne cherche pas du tout
à être rigoureux et logique dans mon système de vie... Notre esi)rit est partiel
et faible, il ne voit que des Iragmeuts incohérents du système des choses. Je
[)rends ce «lue je trouve, j'embrasse tous les atomes de vérité et de beauté; je
me glorilie de mes _c(mtradiclions. (Juant à l'ensemble, le l'ère céleste sail
ce qu'il en tsl. - Ihid, 76 : ■■ Le défaut de ma nature fut de réunir trop d'élc
ments divers. La partialité est la condition nécessaire de l'esprit liumain.
Toute phrase isolée est fausse, parce (ju'eilc ne présente qu'une face des
choses. »
(il Même trait chez Joli- i-uoy : « Bien que monintelligence ne considérât
pas sans quebjue orgueil son ouvrage, mon âme ne pouvait s'accoutumer à
un état si peu fait pour la faiblesse humaine; par des retours violents elle
cherchait à regagner les rivages qu'elle avait perdus ; elle retrouvait dans IM
cendre des croyances passées des étincelles qui semblaient par intervallâ^
rallumer sa foi. » [Nouveaux inrianges, p. iiâ.; — « Des élans intérieurs, des
attendrissements sul)its me rapi>elaient à mes croyances passées et éteintes. »
(4 Fragments intimes, 253 (Lettre à Liarl, uij mars 18441
lions i.\ I ()i 'i«)7
aiiK'iR' lin repos inomeiilaiic clie/. I iii(|iiict. Par iiiomciils. il
«'•lait à la fois (•allioli(|ii(' et rationaliste; récitant les psaumes,
avec (les vils retours de dévotion (i). Mais certains voiles « une
l'ois soulevés ne se replient jamais » {-j). En vain il se retenait
sur la pente, en vain il s'accrochait aux plus petits appuis. Kn
vain il liiltail. [)resque de mauvaise loi avec soi-même pour s«>
retenir et se l'aire croire à soi-même (ju'il croyait (juand il
doutait et (pi'il doutait (piand il voyait la raison contraiie à sa
croyance se dresser devant lui (3). Nains atermoiemenls. vain
cMoil pour se duper soi-même, qu'encourage pourtant la peur
de la décision quelle qu'elle soit.
Ses directeurs l'ont aidé, un temps, à se maintenir, précipi-
tant les vœux pour l'aire disparaître les troubles. Donc, « Jiat
vohintas tua, et faisons ce que dit notre directeur (4). » Kn sens
contraire, la direction très énerp:i([ue et si doucement voih'c de
sa sa'ur Henriette apparaît bien dans les Lettres intimes et à
j)artii' d'un certain moment s'impose ff)rtem<'nt (5).
Nous avons vu chez un Loisy le trouble ([ue projette lana-
lyse rationnelle de la croyance, la doideur de la pensée catho-
ii<pie. sur la ferveur naïve, la pi('l('' cultuelle, l'extase attendrie
'i) • J'ai parfois «les retours. Voici un ;in <|in' j ;(i rr(,ii les onlie^ iiiineiirs.
Ces lëles, toiil cela me touche. Je suis pics(|uc lent<" de re\enirâ la piëlé. Ce
mol est étroit, petit, mesquin, mais il a sa douceur-. Je suis quelquefois tenté
de renoncer à mon rationalisme j)our m'y jeter. II n'est pas du tout impos-
silde d'étoullrr ainsi une partie de soi nn"me, >
(a Lettres intimes, aHi.
(■{ h'rapin. intimes et romaiics<iues. ni.
(4) FrafTin., 2.S<). (Dec. iS'iS.'
■5 lA'ttrcs intimes, 2<io (5 août i^\h). Bien entendu les faits sont Iieauconp
plus complexes que ne les pn-senle ce raccourci ps\eliolof;ique ; [larmi les
éléments dont il faudrait tenir compte pour une élude plus enniplète, si>;na-
lons les ménagements qui s'imposent à Uenan à l'é^fard de sa mère, les
questions de vie matérielli- ipii viennent conq)liquer sa décision, la pari,
dans son indécision, de son interprétation poéli<|uc cl morale du cliristia-
j(|S \.\ llEI.ir.ION Kl" I.A KOI
(les cliaiils d'éj^liso. L;i ihéoloi^R' laisse sou esprit vido et ne (ail
qu'accroître ses angoisses intimes sur l'objet de la foi. G'esl
un acte de voloulé qui Ta fait prêtre, contre le désarroi de sa
pjenséc. *
Peut-être le serait-il reste, oubliant tant bien que mal et la
lhéolog:ie et ses doutes, si l'histoire n'avait mis aux prises dans
son esprit la science et la foi. L'étude des textes du Nouveau
Testament y fait sombrer la notion théolog;ique de l'inspiration
scripturaire. Nous avons vu comment, pour rétablir l'équilibre,
il entendait ei magnifiait le magistère de l'Kglise, et comment
il croyait ainsi répondre à l'eUort critique du protestantisme et
à la science critique toute pure.
Et peut-être y ijivait-il là une doctrine capable de maintenir
la foi, si elle en était née. Mais cette idée fondamentale a
(juelque chose d'un arlitice volontaire; elle exprime la préoccu-
pation de coordonner les conclusions critiques à la foi que
Loisy veut garder. « Vent garder » ce sont ses termes mêmes.
Et encore que la doctrine du magistère de l'Église lui soit
apparue une nuit d'insomnie, en i883. encore qu'elle soit U
résultat d'une sorte de fermentation intérieure, et non réllcxion
froide et systématique, elle n'a pas été soutenue longtemps, en
admettant quelle en soit née, par la ferveur mystique, qu
seule lui eût conféré force et durée. C.ar, le i5 novembre i88(
Loisy écrit que, depuis plusieurs mois, il n'a éprouvé aucune
impression religieuse. La piété contrariée de crainte, qui étai
la sienne depuis le séminaire, est tombée. Une lutte intérieun
de dix années vient de se terminer. Il est hors du catliolicisme
sans être hors de l'Église à laquelle il demeure attaché pour sa
valeur morale et sociale.
nisine i« Un mensonge ne produit pas d'aussi beaux Irnits >> ; l'inlerprclatioil
spirituelle du sacerdoce (<■ Quand même le christianisme ne serait qu'une^
Fi'verie. le sacerdoce n'en serait pas moins un type divin, «i Lettres intimes^
çi», i5 sept. 1848 : ibid., 17 janvier 1843. Nous n'avons pas pu profiter, dan'
celte brève étude, des importants articles publics tout récemment pa
M. Lasskhre dans la lieiiie de Paris.
\
HORS LA loi 3c^
Nous iivous VU plus haut ^uel système, (juclle coiislruclion
tlM'oiùiue il rt'pondu à ces nécessités intérieures et comment il
s e.\pli(iuait longuement à soi-même pourquoi et comment il [)ou-
vait et devait rester dans l'Esçlise. Et, à vrai dire, peut-être y
serait-il resté, si l'ivjflise avait pu s'accommoder de ses accommo-
dements. L'excommunication de Loisy est un des actes retentis-
sants par les([uels l'orthodoxie s'est affirmée contre l'hérésie
moderniste, la réaction vii^oureuse d'une religion qui n'entend
point laisser altérer ses notions fondamentales. Certes, Loisy
n était plus catholique quand il entreprenait de montrer
comment ressenliel du catholicisme pouvait survivie à la crise
de la pensée contemporaine ; et il n'était pas possible au catho-
licisme de se contenter des titres qu'il lui proposait. Il était
inévitable, — l'Eglise étant ce qu'elle est et les ecclésiastiques
ce (ju'ils sont, — qu'il fût mis hors de l'Eglise. Mais s'il y était
resté, il n'aurait pas eu même l'illusion d'être en communion de
foi avec elle. Il aurait pu l'avoir, si chez lui le cœur était
demeuré d'accord avec l'esprit, si les impressions religieuses,
qui avaient supporté le doute dogmatique, et qui auraient pu
aussi porter et animer l'apologétique nouvelle, issue de doutes
histori([ues, ne s'étaient pas irrémédiablement fanées. Et c'est
seulement au moment où il se laisse reprendre par ses émotions
anciennes, quand le couvent de Neuilly, par sa douce influence,
jette un éclat de vie religieuse sur son rêve intellectuel et senti-
mental, c'est dans ces suj)rêmes mouvements de son àme catho-
lique, qu'il a dû sentir s'animer et vivre son système d'Apolo.
géticpie, et l'Eglise prendre dans son Ame la force et la uiission
qu'il lui assignait au dehors.
Mais ce désaccord du cœur et de l'csiu'it, d'oîi venait-il lui-
même? Pourquoi, alors que l'esprit s'entêtait à chercher une
conciliation et un compromis, le cœur s'était-il désintéressé de
la vie catholique? Il est possible que la piété, troublée déjà par
la théologie, ait cédé peu à peu à la lente infiltration de l'exé-
gèse. Si c'est lexégèse (pii est en cause, elle n'a aori que peu à
}00 LA IIKI.K.ION F.T I.A FOI
peu. Car en 1881, lorsque l'étude des textes du Nouveau Testa-
nienl fit soinhrcr dans son esprit la notion tliéoloe^iquc de
l'inspiration scripturaire. cotte découverte ne le troubla pas.
" Au contraire, mes incpiiëtudes d'esprit s'évanouissaient à
mesure que je prenais pied sur le terrain de l'expérience j
(•riti([ue (i) ■>, Et encore, en i883. il était trop peu assuré de '
ses conclusions <'ritiques pour s'en servir comme d'arp^uments
décisifs contre la valeur substantielle des dogmes, et trop attaché
à l'Eglise pour aller au bout de sa pensée.
Il est possible aussi que les tracasseries de toute espèce, les
polémiques, les humiliations, tout ce « duel d'un abbé avec la
hiérarchie catholique », aient transporté Loisydans un monde d(
préoccupations et de sentiments tout à fait éloigné de la piété
religieuse. Encore que, chez certains réformateurs, de telles
conditions aboutissent souvent à un renforcement de la piété,
Mais chez ce prêtre subtil, et volontiers ironique, l'intelli-
gence, une fois éveillée, devait inévitablement prendre le pas
sur la sensibilité. Ce qu'il nous a laissé voir de ses luttes inté-
rieures en établit assez le sérieux et le caractère dramatique.
Tout ce qu'il y a de causticpie dans son esprit n'excuse qu'un
instant les esprits un peu lourds qui pensent que « grand
moqueur devant l'Eternel, il se serait offert à lui-même 1<
divertissement peu banal d'une crise religieuse fa) ».
(i; Choses passées, M.
(2) Ibid., 2 ',4.
CONCLUSIONS ET ANTICIPATIONS
LA FOI CRÉATRICE
Les analyses précédentes nous ont montré à (juel point la
foi est chose diverse et complexe; nous nous sommes efïbreé
d'en distinguer et d'en isoler les motifs : nous les avons vus
à l'œuvre, concurremment avec les conditions liistoricjues et
sociales et nous avons étudié leur interaction. Mais jusqu'à
présent nous avons toujours supposé la relis?ion comme donnée :
nous avons reclierclié comment la foi nait, se maintient,
s'orffanise et sous quelle forme, au sein d'une relijj:ion cons-
tituée, connnentles consciences s'adaptent aux institutions reli-
u:ieuses, comment elles en assimilent les thèmes doi^matiquesou
les impératifs sentimentaux. Or, nous avons été déjà frappés de
ce fait (pie la relit^ion s'établit dans les consciences et s'y con-
serve en |)artie par le jeu des motifs (pii la constituent. Le
moment est \ciiu de i-eclierelier l)riè\(Miienl (piel r(')le jonc la
foi dans la lniin;ilioii de la relii^ion, d;ins la constitution des
mythes et des dogmes, des rites et des inslilulions. Nous
n'avons [)as la prétention de traitera fond le sujet. Au terme
de cette recherche, il ne peut saisir que de (piehpies
indications sujettes à r«'loiielie, et cpii seront reprises plus
tard. Nous ne nous dissimulons point tout ce (pi'il <'utre de
conjecture dans les considérations (pii v«>nt suivre.
26
402 l.A nKMClON KT L.\ FOI
Klk's no prôteiulciit <iii'îi ([uelqiio vraisemblance psycholo-
piciiu*. Le problème recuiieiL en Ions cas, avec nne vne snr Ions
les (ails, l'analyse psyeli()loii:i(pie. Xons ne croyons pas (pie
la simple considération d'nn cfroni)e de lails. oîi (ju'on le
prenne, apporte une solution. VA oii prendre ce içronpe de laits ?
Sur quels lails éindierla foi ciéalrice ? Oii estle commencement?
L'histoire des reliiçions n'atteint pas les origines, (^uand
commence l'histoire, la religion existait déjà ; l'étude des origines
est l'étnde de (pielqne chose qui a déjà eonnncncé. On recons-
truit les origines historiques, et à plus l'orte raison la préhistoire,
à couj) d'hypolhèses.
L'ethnographie nous met-elle en présence de véritables
primitifs el d'institu,tions primitives? Les institutions sauvages
actuelles ont passé par une longue évolution et changé de sens
et de motifs. Nous fournit-elle des faits universellement valables?
Les grandes spéculations sur l'origine tles religions
supposent sans preuve qu'une tendance très simple s'est peu à
peu compli([uée jusfpi'à tout produire, qu'un motif unique, Ame,
Nature, Société, suffit à tout explicpier; elles construisent, au
moyen de quelques faits savamment choisis, une évolution
complète de la religion dès ses commencements les plus humbles,
et l'on ne peut s'empêcher de trouver que chacun de ces
schémas esl ])ien artificiel.
Le problème est le même pour toutes les grandes œuvres de
l'humanité; Langage, Art, Science, Société. Par exemple, sur
les origines du langage, la linguistique histori(iue est muette.
Mais la linguistique générale et la psychologie connaissent les]
conditions de possibilité du langage et quelques-unes des lois
qui règlent l'évolution des langues; or, ce qui est intéressant,]
oe n'est pas tant de savoir quels ont été les premiers
sons proférés, ([ui puissent mériter le nom de langage, qi
de dégager les conditions de possibilité et les lois d'évolutioi
du langage en général. A vrai dire, le premier langage ne nom
montrerait pas mieux (pi'un autre langage, ce que c'est que 1«
I.V lOI CHKATIUCE 4**5
Iair.^a^('. Il n'aurail j)as la vciiu de nous faire asKistcr à sa
geiH'sc |)sycli()li)fj:i{|ii('. Là où il nous est donm'' de saisii- le lait
orifi:iiu'l, il nous laul. à pailic de ToriL^ine, leconslriiire la
genèse. Le eonnnenceineni ne [xiil se faire coniitrendic (jue
quand nous voyons ses eonditions et eoninient il s'y relie. Oi',
il est à eiaindre qu'une telle péiiode ne soit toujours obscure,
réfraclaiic à 1 liisloii-e. [)réeiséincnl parce (jue eesl avec elle que
se forment les instinnients inicllectuels et sociauv (jui per-
ini'tlronl plus lard de conslituer l'histoire. Elle est celle de la
Société et de la Kaison constituantes. Nous ne les apercevons
(j.ue constituées.
D'autre part, l étude des origines ne dispense pas de l'élude
de riiisloiiH' : bien au conlraiie. On ne sait et on ne comprend
que |)ar la suite et le déveIopj>ement. L'embryolop:ie, la
, psycliolojj:ie de l'enfant éclairent l'anatomie et la psychologie
• générale, mais s'en éclairent aussi.
11 faut donc condûncr ce (jue l'on sait des origines perma-
nentes, et ce que l'on sait des origines et du développement
historiques: éclairer i)ar l'histoire ce (jue Ton sait de la nature
humaine, et réciproquement: sans méconnaître ce fait que
nous éclairons l'histoire par ce qui en est en partie le produit
et réciproquement.
Il serait du reste fanv de croire (jue toute raetivilé créatrice
se soit dépensée à l'origine; cl (ju'il n'y ait plus tlès lors que
conservation et développement à partir d'un germe donné. Les
mêmes foi-ces, cpn' son! intervenues dans la constitution des
religions, iniciviennent au cours de leur histoire. Nous avons
rencontré l'innovation individuelle, les invcEitions dognnitiques,
sentimentales ou institutionnelles d'individus pri\ilégiés, les
poussées créatrices des sectes et des églises : une église
pas ])lus «pi'une société n'est une simple puissance de conserva-
tion; elle a ses moments d'activité exubérante et inventive.
Dans le culte e\tali<iue, nous avons signale lenthousiasine
collectif, rinllucnce des meneurs, la convenance des thèmes
4<J.j I.A RKI.IGIOX ET LA FOI
exploités aux iiisliiicls du <i:r()ii|)e on dc-lirc: dans le culto pra-
li(IU(' et réaliste, la piiissaiiee et la niayie du désir ([ui, do ses
ujoyens d'expression, eréc spontanément des moyehs de réali-
sation: le désir inau:i(pie et la manie du désir. Nous avons vu à
1 (euvre le désir el les besoins aflcetits, en (piète d'hypothèses
apaisantes ; l'intelligenec organisatrice des théolof^ics. Nous
avons vu de hruscpies poussées ébranler les habitudes aflectives
el meiUales de 1 individu, dans la conversion et l'inspiration, et
faire apparaître des valeurs nouvelles; l'extase niystiipie recou-
vrir, sul)merji;er les traditions el les accoutumances et laisser en
se retirant rexij>enee d'un ordre nouveau. Nous avons vu la
société et 1 individu collaborer, et cela seul persister, des élans
tumultueux d'un j^roupe, ([ui peut supporter l'épreuve de la soli-
tude.
Toute rcliq:ion est une expression du besoin de vivre.
La religion est de l'ordre de la vie. Les hommes ontdes dieux
dont ils se puissent servir. La religion est un effort pour
maintenir et conserver les valeurs; l'homme lui demande le
salut. Voilà le j)remier caractère que suggère l'examen de toutes
les religions, (juelles (pi'elles soient.
La notion de salut, la ([ualité des valeurs que la religion est
appelée à maintenir, varient suivant les sociétés Les intérêts
des groupes " [)rimitifs « sont étroits et tout pratiques: nourri-
ture, mariage, mort, protection ; satisfaire tel appétit, réussir
à la chasse ou à la pèche, écarter tel maléfice. La vie n'est pas
spécialisée; religion, moralitc', loi, forment une masse indivise.
«(Capter, soutenir et conduire les influences bieii faisan les ;
contenir, réduire, écarter les iidluences malfaisantes pour le plus
grand avantage du groupe humain qui accomplit les rites, tel
I.A l(»I CltEATlUCK ,<).)
|);u;iil ;i\()ii- ('lé d'ahord rohjcl i>iiiici|);il de l;i [•(■lii,M()ii. (r) » Un
jfroupc Iciul à SI' mainU'iiir el à se pcrpéluer comme fçroupe,
par la réalisai ion de ses besoins el la l'éu^ulation des relations
sociales. La i'<'sseml)lance tics l'ormes ('h'-iiienlaires de la rcli-
^:ion s'explicpie par la sim[)licilé el I iiiiilniinité des inlérèls, aux
slades «''h'mentaires de la civilisalion (2).
Il y a loin décos aspirations primitives, au salut, tel que l'en-
visa};ent les i^randes relii?ioiis. A l'autre extrémité s'ai)pli(jue la
formule de Hegel : « La reli2:ion nous élève au-dessus des
choses temporelles, elle est la réiçion où la conscience voit
toutes les énij^mes résolues, toutes les contradlclions conci-
liées, tontes les douleurs apaisées, en un mot la réj^ion de
réternelle vérité, du repos et de la félicité éternels. » Se servir
des dieux, puis les servir. Projeter en eux les inlérèls les plus
prati(pics et les plus pressants, puis les plus spirituels; grande
est la différence; et pourtant, dans les deux cas, les lins
suprêmes de la société s'expriment en eux. Kt il n'y a pas que des
intérêts matériels dans les religions inférieures, et (jue des
intérêts spirituels dans les religions supérieures. Comme le
fait très bien remarquer Durklieim. il ne faut pas considérer le
'< primitif >■> comme une sorte de matérialiste constitutionnel.
Les rites primitifs servent à des lins ([ui dépassent les intérêts
sensibles el individuels, ne fût-ce qu'à créer et recréer périodi-
<[ucmenl l'idéal moral (jui fait l'unité du groupe el dont les
individus sont les serviteurs. D'autre part, il n'y a guère tle
religion d'oii toute fin pliysi([ue et mal<''iielle soit exclue.
Mais la religion a besoin d'assurer les valeurs (pi'elle veut
sauver et qui sauvent. La Finalité repose sur le Mécanisme. Il
faut une nature des choses oii puisse s'accomplir le bien <*spéré.
De même que la magie, expression du d('sir, a besoin d'un ordn*
(l) LoisY, Les My/tlrres païens, ignj-
(2, U<;s.scinlilaiiee r(iinpli(|uëe (linL'vit!il)lcs (liirérencps, selon la situnlion
géograpliiipir, le (lrvi.'l(»p|>einenl ccon<>ini([uc, l'organisation sooialr ri poli-
tique, les ra[)pitrls avec les groupes voisins, le développement mental, la
gcnialilé indiviiiuelle.
4»><> l.A RELIC.ION KT LA FOI
Cl (1 une connexion des choses qui puissent réaliser le désir, de
nu'UK' (juello csl rinim<''<Ualion du désir et de la lègle, la religion
établit des causes pour stM'vir à ses lins. 11 lui faut des forces et
des êtres supérieurs, et une connaissance de ces forces et de
ces êtres. Point de linalilé sans causalité. Kt si les causes sont
conçues en fonction des lins qu'elles ont à remplir, les fins se
nujdilient à mesure (pie les causes se constituent, à mesure que
s approfondit leur essence, à mesure (pi'clles teiulenl à exister
en elles-mêmes et pour elles-mêmes. C'est ainsi que les dieux
s'élèvent peu à peu du servage oîi leur lidèle prétendait, les
maiiileuir, et l'asservissent à son tour. Lcgenne d'indé[)endanee
qui était en eux, à l'égard des fonctions ([u'ils étaient censés
remplir, tend, en se développant, à les élever inliniment au-
dessus de ces fonctions.
C'est ainsi (jue la religion est et devient l'unité des causes et
des lins. C'est ainsi qu'elle sera ou s'efforcera d'être, aux stadeS;
évolués, l'unité de la conscience intellectuelle et de la conscienc(
morale.
La religion n'existe que par cette intrication de causalité et
de finalité. Les aspirations les plus passionnées, si elles restent
dans la sphère du pui- désir, seront bien désir et peut-être réa-
lisation; mais réalisation du désir par sa force propre, sans
concours étranger; or ce domaine de la pure vie passionnelle,
du jeu, de l'épanouissement, du développement des forces
proi)res, et "des aspirations personnelles, n'est pas la religion. ^
Il faut ppur qu'elle commence, que fmet moyens s'extériorisent ;|
(|ue les procédés ou que l'être appelés à réaliser la fin, lui!
soient en quelque sorte étriingers; ou tout au moins étrangers
au sujet qui y aspire, si bien ([ue les fins naturelles paraîtront]
imposées et prescrites, il faut sortir de soi, constituer un ordre
des choses, un système des forces, un monde des dieux. Laj
religion peut bien être action et allectivilé ; on a le droit de dire)
qu'elle est de l'ordre de la vie. Mais elle est aussi de l'ordre du!
savoir. La pratique, le rite ont besoin dun mythe en qui s'en-^
l.A I OI l.KKATKICE ^OÇ
vel()j)p<'i'. San-- le cuncoiirs de riiitellii^i'iicf l'ullVcliN ilo reslo-
Icrait infécoïKlc.
Ct'la lie si;,niili(' pas <[ii'iiiie icli'j:i()ii soit drs ral»ord orioii-
1(0 VOIS les causes, lliéoloj^ic. Elle est d'abord aelioii iiislinc-
live (lui. sous la poussée des sentiments, use coni'usénient des
idées pour s'assurer ce qu'elle prétend. Il est incontestable que
les cérémonies et les rites ont d'abord un caractère eirectif et
non point représentatil' : manipulation de forces dont les évé-
nements sont censés dépendre. Ces forces sont pensées en rai-
son de leurs ellets. avant d'être reclierchées (juantà leur nature;
mais elles sont, dès l'abord, en^quelque manière, pensées.
Nous avons rencontré cette théorie pliilosophiciuc, cette
doctrine religrieuse qui veulent que le sentiment suflise à pro-
duire la reli^'i(jn, et que les doi^mes et les pratiques ne soient
pas autre chose qu'un syud>ole dont s'enveloppe le sentiment.
(>"est depuis Schlcicrmacher une théorie à la m(jde. Le ronian-
tisme, dans sa déliance de rintelli|j:ence, avait [)r()clamé la pri-
mauté du <(cur; et il était conforme à l'esprit du tenqis et aux
intérêts de la reli{^ion, de l'éloif^ner de la sphère de la vérité
intellectuelle, et de la rattacher à la réalité souveraine. A vrai
(lire, la rcliy^ion concourait ici avec le romantisme; une [lailiede
la ivaclioii contre l'inlellectualisme est d'origine reliirieuse et
part du besoin d'écha[)per aux criti([ues de la raison.
Nous avons expos('' plus haut la thèse du Synd>olo-lidéisme.
I ne psyeholo.ti:ie vient à son aide, (pii i)rofesse le prinuil de la
\ie aireclive. primauté de droit, prinuiulé d'origine. L'AH'ccli-
\ite pure, vide de loiile représentation, le « Sentir » serait le
tond de la conscience el son origine même. Le Sentir n'est- il
pas la personnalité, puiscju'il est la réaction iinm«''(liat(; aux
.^OH LA IIKI.IC.IO.N ET LA 1 OI
clioses. l'altiludo (pii la consliliR'?L intelligence, c'est le monde;
la sensibilité, c'csl la suhjeclivilé, c'est la personne. Et qu'elle
puisse exister à l'étal pur, vide de toute représentation, préala-
ble à t(Mite connaissance, n'est-ce pas ce que prouvent la sensi-
bilité inUM ne, la coenestliésie, certains états d'euphorie ou de
dépression vagues, d'excitabilité sans cause, de peur dilHise et
sans objet. Dans ce sentiment vajriie, confus, dépouillé de la
précision des situations et de l'adaptation aux circonstances,
aussi désintellectualisé que possible, dans ce sentiment « pur
qu'une école psychologique décrit volontiers, quelques-uns
aper(.'oivenl une sorte de puissance supérieure à tous les actes;
une sorte d'absolu psychologique, le tréfonds de la conscience
religieuse. Une mot>aphysi(iue complaisante rapprochera aisé-
ment de celte indétermination intérieure l'inaccessibilité, l'in-
délinité de l'Être en général, ou de telle divinité particulière.
De ce fond obscur, ou de son contact avec le divin ou les dieux
selon ({u'on est subjeclivisle ou objectiviste, se développeront
par un travail mental les mythes et les dogmes.
L^ thème admet bien des variations. ()uelques-uns comm<
Marinier voudront le réaliser dans l'histoire et projetteront
aux origines, sous la forme d'une angoisse sacrée, préexistante
aux croyances et aux prati([ues, cette quintessence d'analyse
psychologi(jue. D'autres se contenteront de savoir qu'elle est
de tous les temps, d'où il suit qu'elle est antérieure à tous les
temps. D autres chargeront un sentiment plus particulier de
tenir le même rôle. Le dernier aspect qu'ait revêtu la doctrine
est sociologique. L'exaltation collective, l'efl'ervescence sociale,'
en somme le sentiment collectif à l'état d'excitation aiguë, serait
la matière première et la cause efticiente de la religion.
Nous avons affaire ici à une doctrine psychologique, à un<
vue sur le sentiment, sa nature, son rôle dans la vie mentale,
ou à une théorie dialectique, qui rapproche de rindélermin^
divin l'indétermination sentimentale; ou qui synthétise dans h
sentiment social le culte métaphysique de la société et le culte
I,V loi CIlKATUICi: 4*M>
j)sycliol()f;i(|iii' de rnUcclivit»'. L'aj)p.ircnlc conliriiiîilioii liislo-
riqiic, à hKjuello ou prélend parfois, consiste à projclci- dans
l'ohscuriU' dos oriiîiiics toi te iiulôlcrmiiiation «onruse, ou à
iiiloiprt'tcr en tciiiics aHootirs des rudiineiUs d'inslilulions (\uc
l'analyse niuntic plus complexes.
C'esl en \ain (pi'on essaierait d'établir par l'histoire des
coniniencenients l'exislence d'une telle période alleclive, anté-
rieure aux rites et aux mythes. ()ue pourrait-elle avoir laissé
qui l'attestât? C'est en vain aussi qu'on essaierait de la conchiré
de l'existence de î^rands faits comme le Mysticisme. Le Mys-
ticisme, nous l'avons vu, n'est pas sentiment pur: il im|)li(pie
une attitude onlolo,ii:i<pie, métaphysi(jue : si on le prend au
commencement d'un mouvement reliijrienx. on y trouve le germe
(le nouvelles spéculations cl de nouvelles attitudes rituelles ;
s'il apparaît, au cours (ui au terme du développement d'une
religion, il est bien rêverie inexprimable, intuition, mais qui
s'appuie sur tout le « discours » religieux, et (jui le su})pose tout
entier. Lorstpie le sentiment a l'air de llotter ainsi à l'état
libre, c'est ([u'il a progressivement traversé l'intelligence; ou
ipi'il la contient confusément. Les états alï'ectifs coniplexes
sont, pour une bonne part, l'anticipation ou le contre-coup de
formules, de prati(pies rituelles.
La psychologie du sentimenl n'est pas davantage favorable
à une telle hypothèse, parce qu'une analyse mieux faite dissipe
1 é([nivoque sur bupielle elle est appuyée.
Il est très vrai, nous l'avons dit, ([ue la religion repose sur
les tendances. Son but j)rcmier est d'assurer les valeurs, et il
n y a ûv valeur (pie pour une activité (pii se i)ropose des lins.
Ayant pioclaméce principe, nous prévenons tout icproclie d'in-
tellectualisme étroit. Mais il n'y a religion ([u autant ([ue les
tendances (pii cherchent à se satisfaire, renoncent aux moyens
immédiats et naturels, à leur déveloi)pem(nt spontané, s'orga-
nisent des moyens détournés, |)rati(pies magi([ucsou religieuses,
et supposent un système d'êtres et de notions (pii gouvernent
4lO I.V RELIGION ET l.A lOI
et apsureiil Iciii- uccomplissement. Toute la question est donc
de savoir si eos rites el ces mythes sorteiil purement et simple-
ment des sentiments })ar lesquels ees leiulaiices t'oudainen taies
se mar(pient et s'expriment : sentiments de détresse, d'augoisse
el de peur; sentiments dexeilalion et d'exaltation ; joie et tris-
tesse ; amour et horitmr, etc. Car il n'y a point de sentiment
reliiîieux et tous les sentiments peuvent devenir reli;j^ieux. De
tels sentiments sont-ils générateurs des rites et des mythes?
Or, il importe de faire, à ce sujet, deux remarques préalables.
Lors(ju'on professe une telle doctrine, on joue sur le mot sen-
timent : on attribue au sentiment pur, vide de toutes repré-
sentations et de toute intellectualité, pure réaction du sujet,
tout ce ([ni appartient à un sentiment intellectualisé, spiritua-
lisé et complexe. Il est, en effet, très vrai que la plui)art du
temps un sentiment précède un ju'jfement, que la plupart de nos
croyances sont en nous à l'état implicite, avant de s'exprimer
en jugements. Le sentiment est attitude de réaction, et en même
temps perception confuse de la situation et des divers ordres
logitpies oii elle s'enea<lre. Il anticipe sur le ju'^ement formulé,
il assemble en une synthèse confuse des résidus ou des esquis-
ses de jugements: il est comme une ébauche d'intuition, au
sens cartésien du mol. (Ji'est ainsi (piil y a, avant le ju'j^ement
explicite, comme une orientation de l'esprit, qui en est le des-
sin préalable, ou du moins l'intention ; et après ce jugement,
comme une certaine forme d écpiilibre mental, dont les éléments
constituants disparaissent, alors que persiste leur elfet sur
l'esprit, e'esl-a-<lire la nouvelle attitude mentale. Les recherches
sur la pensée sans images ont largement établi le rôle de tels sen-
timents, dans la compréhension, I invention, la criti(pie, bref au
cours des diverses étapes et des diverses formes de la vie mentadej
Il y a donc une [)ensée silencieuse, qui précède son exprès
sion verbale el imagée, ou qui la déborde. Nous sentons sou-
vent en nous la présence encore obscure d'idées déjà trèt
complexes, mais encore étroitement fondues. Nous avons son*
LA KOI (.ui:aihicr
^('Ill c'oiisciciicf (|iic (|url(jii(' clioso s'oi'}<anisc ; un nouvel t'iat
dcspril, iMii' orieiilalioii iiiciitalc; un pouvoir et un savoir; des
proeédrs opi raloires. «'clairés de vap^tics schémas, et traversés
(le <ln)es alléclil's, (pii jalouueul en (pieltjue soile les éla|)es de
l'incuhalion ri de la maluration.
Mais, sous celle foiine, il est clair (|ue le senliniciil iinplicpie
rinlelliiîciicc, loin de l'explicpiei-. Il saisit ici de scnlinients
inlellectucls.ou du moins lorteinenl intellectualisés; de la [)er-
ce|)lion délais d'es[)rit, de la conscience d'un travail mental,
avec leurs répercussions sur rallectivité, avec les sentiments de
toute espèce (|ue procure an sujet l'apparition ou lereloulenienl,
le mélanine ou la discordance de tels et tels états intellectuels.
Ainsi le st'ulinient est bien, si l'on veut, la première forme
sous laquelle un contenu menlal a[>parait chez un sujel. Mais,
suivant le mot de Heiçel, ce contenu n'est « qu'à l'état d'envelop-
piMiient dans notre réaliU- subjective ». 0)nnne contenu, relève-
t-il du sentiment proprement dit? lle,:?el avait encore raison
d'écrire : « En tant que sentiment, il est ce même contenu qui ne
s'est pas ohjtMîlivé, cpii n'est <pie (pialilié. »
Vax second lieu, tout ce(pi'on a[)pelle action du sentiment sur
rintellii?ence se résume en deux articles, et nous y voyons l'im-
puissanee du sentiment à rien créer par lui-mènje :
Dune [)art, le sentiment tend à imposer ses objets. Nos
préférences aU'ectives ^^uident notre choix entre nos idées. Le
'S(Mitiment est partial et partiel. On connaît le processus de la
jusiiliealion, et comment le sentiment excelle à douer un ctr»-
on une chose des cpialités (pu con\ ienneiil , et à j)récise!' le rap-
port (|u'elles soutiennent avec le sujet : il dilue poui' ainsi dire
dans ces raisonnements les -certitudes préalables (|ui sont con-
centrées en lui ; de la stimulation du désir ou de la crainte
naissent par exemple l'exaltation ou l'abaissement de l'objet,
la dialeeti<jue plus ou moins subtile (pii le déforme et tpn l'ap-
proprie au sujet. Le système ainsi consliuit intercepte la r<'alilé,
dresse devant l'expérience un échalaudai;e dialeeli(iue. "^ur lui
|IVÎ LA HEI.KllON ET I.A I Ol
so repolie révideiiee iniliale du senlimenl. La siirc^xcitation alFec-
live exclut l'Iiésitalion cl le doute.
C'est ainsi (|ue j)ar l'élan constructeur de la subjcctivilé,
l'esprit et riniagination IVanchissent le monde réel. L'imagina-
tion, j)nissance de créer selon le rythme et selon les aspirations
des sentiments, fimi)!ilie, compense, substitue; d'oîi le rêve, la
rêverie, les mondes imaginaires, et ce grand monde imaginaire,
étranglement mêlé de l'éalité, qui est le monde visible de chacun
de nous.
D'autre part, le sentiment exerce sur l'esprit une action exci-
tante ou déprimante. La tension inlellectnellc ou la délente,
l'exeilalion ou la dépression qu'il impose, amènent des change-
ments dans notre ,fa(,'on de voir et de comprendre. Qu'on se
rappelle seulement l'inhibition mentale des grandes émotions
déprimantes; la désadaptalion. le désarroi momentané; la difti-
culté de réadaptation, la confusion.
Ainsi l'état afTeclif suggère, maintient, anime, impose les
interprétations qui s'accordent avec lui ; c'est en ce sens que
beaucoup tie convictions, au lieu de venir du dehors, si l'on
entend par là l'expérience et la raison, viennent du dedans,
c'est-à dire de nos sentiments. Ainsi, à côté des problèmes
que lui pose la nature, l'intelligence a devant elle ceux que lui
posent les sentiments, et elle s'applique à les résoudre, sous
l'empire de celte suggestion ; mais elle les formule et les traite
en langage intellectuel, et même dans la formation d'un délire,
tout l'état mental intervient, et la constitution de l'esprit, ej
non pas simplement la sensibilité exaspérée.
Donc, les o])jels de croyance ne sont pas de pures ligurî
lions du sentiment, même si la croyance vient jusqu'à un cer^
tain point du sentiment. Il y a à la base de la religion, comme
la base du langage, ou de l'art, par exemple, un acte intellectuel^
Le langage est d'abord, si l'on veut, l'expression naturelle d'ém(
lions qui se dépensent en cris ou en gestes ; mais il ne deviei
vraiment langage que par l'imitation volontaire de soi-même
LA loi Cin-ATIUCK 4l3
cl (|uand on truite ces cris et ces gesles comme rc(|uivalent de
ces émotions, comme leurs symboles, et (jiiand on imau;ine
un système (|ui commande ces symboles. De mcme Icmolion
nedcviciil i clitïirusc <|iic pai- l'acle de l'esprit (|iii lui (•(^nlV-re sa
valeur, (jin l'otienle et ()iii la situe dans un monde inlcilifj;il)le,
dût cet acte être ('nleiinc dans cette émotion, et ne point
paraître à part d'elle. La raison et la [)assion collaborent dans
la labrication de l'absolu.
La relij^^ion nous apparaît donc comme un compromis entre
la snbjeclivité allective et l'objectivité rationnelle. Manier le
monde au ^vé des désirs et des besoins : le penser en termes de
valeurs, tel est bien le point de départ. Et la religion subsiste
maljïré la science, parce que l'iionnne a intérêt à certaines elioses
(juc la science ne peut atteindre. Mais nous l'avons vu : il faut
assurer ces valeurs, et les constituer en une nature des cboses,
où elles puissent se maintenir, évoluer, s'accom[)lir. Point de
linalité sans causalité.
Or, on ne peut constituer cette nature des choses sans la
nature, sans le savoir. Il ne s'au:it point de vaincre en imas^i-
nation, mais bien de vaincre en réalité. L'idéal, j)our triompher
du réel, doit mordre d'abord sur le réel. Des contraintes maté-
rieliesel des contraintes lépjales s'opposent aux élans subjectifs.
La réalité cxlérieure, la contrainte du fait et de la raison, des
rej^les juridiques et morales, l'intcUij^ibilité, la nécessité domi-
nent le monde reliu:ieux. C'est un ujonde de lois et non pas de |>ur
désir. La reli^Mon. comme toute théorie, évolu(> sous la pression
simultan(''e de ces (Icux termes.
Pourtant ne circide-t-il |)as à travers tout<'s les lornudes
religieuses, toutes les constiuetions mythologi(|ues. toutes les
praticjues rituelles, une notion plus sinq)le et plus obscure,
p I LA IlELIGION ET LA KOI
plus vairue cl plus profonde, l'idéo de puissanco, de force iin[)er-
soiincUc, sur liKiiielle les syslèmcs rclisçicux se seraient édiliés?
Et celte puissance indélerminée ne serait-elle pas la fii^uration
inlellccluelle du Sentiment ?
Sous l'idée d'Ame, sous l'idée de Nature, sous l'idée de
totem, partant sous les syslèmes qui font i?raviler la religion
autour de l'une de ces nolions essentielles, on s'accorde à peu
près anjôurd'liui à entrevoir l'idée de puissance, de force
impersonnelle, « un dieu impersonnel, sans nom, sans histoire,
immanent au monde, difhis dans une multitude innombrable
de choses », virtualité capable, du reste, de se lixer en des
formes concrètes.
C'est la Force-Volonté de Rrinton, Ame du Monde, influence
d'abord vai^^ue, impersonnelle, indéfinie, qui se ditï'érencie et
se personnifie par degrés. « Tous les dieux et tous les objets
sacrés sont simplement des véhicules, au moyen desquels la
vie et la force font irruption dans le monde. » C'est !'« Ener-
gétique juimitive •> de Marrctt, le « Dynamisme primitif» de
Lcuba. Analourues, sauf des variantes, sont les hypothèses de
Preuss, de Durkheim, de Hubert et de Mauss. On sait la for-
tune de l'idée de « Mana ».
" Im Anfang war die That ». Au principe de la religion
serait donc la Force, la Volonté: puissance impersonnelle, (jui
n'est pas encore la vertu d'un être déterminé. Ce « quelqu<-
chose > est plus simple que tous les* quelqu'un ».C'estcomme
la catégorie première, mais la plus pauvre, la Substance, telle
que la concevait Hegel. Et Ion comprend que l'origine soit
confusion originelle, que la première hypothèse exprime dans
son indéfinilé, dans son indétermination, l'infinité de toutes les
hypothèses, que le stade inférieur de la pensée s'exprime par
un chaos actif et l'enfance par le rêve indistinct d'une puhjsance
élémentaire. Volontiers les raflinemcnts de la pensée dévelop-
pée reviendront, par delà les distinctions, à cette unité origi-
naire.
I,V KOI cnÉATRICE jl.)
I^ iralilr iclitïieusc rondaim'iihilt' semble doue à l:t lois
plus profoiule el plus ohscuie (pie les notions déleiininées sur
lesipielles certaines théories, longtemps en vop;ne, ehereliaient
à ('laMii la reliu:ion. De tels systèmes destinés à expli(pier
l'orit^ine de la i'eli,u:ion. prennent pour l'orij^ine un moment du
<iéveloppemenl tle la rcliç:ion. el ont raison les unes eontre les
autres, dans les erilicpies (piils ne se inénap:ent pas.
Au-dessous de l'idée d'Ame (Ame, Ksprit, KspritC.osmi<pie)il
y aurait doMclidée de forec, préalable à la distinction delà force
psyeliiipie et de la force malf'rielle : la eoidïision de l'Animé et
de l Inanimé, mais non [)oint par animation de la nature, à
partir de l'idée d'Ame déjà constituée; au contraire, une indis-
tinetion i>réalahle, à partir de laquelle se développerait la notion
d'Ame individuelle, d'abord matière rare et subtile, distinete et
indépendante du cor])s. et j)Ourtant étroitement liée à lui, loca-
lisée en eerlains points de roru:anisme; vivant peu à peu d'une
vie propre, de plus en [)lns haute et spirituelle, se haussant à la
vi3 divine.
Au-<lessous de l'idé'e de nature, telle que l'envisaLceait le
Naturisme, distincte de l'homme et |)0ur lui miracle jx-rma-
nent, par son uniformité, ou. au contraire, par ses violentes
perturbations passagères, capable de prendre, ^àce au langaîe,
fiiîure d'action humaine, forme d'a?ciit [>ers()nnel, les formes
élémentaires de rclii^ion manieraient une notion j»lus iiulis-
tincle, plus fluide, plus humaine, plus souple.
Au-dessous du totem, être sacré, ou imaore emblémali(pie.
s'aifilerail une force confuse, hypostasiée et présente sous les
apparences sensibles de l'être totémi(pic el qui le déborde. Le
totem en bu-mème est bien souvent humble, et l'humilité de sa
nature fait un violent contraste avec son caraetèi-e dix in. C est
cette force sous-jacen.te, imparfaitement et maladroitement
cxprinK-e. cpii fait sa force et sa puissance d'ex]»ansion. Son
caractère sacré ne vient donc pas de ses propriétés iuliinsèipies,
mais s'y surajoute. Mais, en même temps, le iotern donne un
4l<i LA HICI.IGION ET LA FOI
noMi ol iiiu- ;ij)paionce à celle force divine : il lui loiirnil un
symbole.
('.elle l'oice divine se luésenle-l-elle jamais à l'élat totale-
mcnl indilléicncié, sans aucun revêtement aniinisle, naturiste,
loléniifjue? Ola est douteux, et de l'aveu de beaucoup, ce
sérail une liypolhèse arbitraire, de supposer par exemple une
période historique préanimiste. Mais il reste vrai (|uc cette
lorcc déborde de beaucoup ses incarnations originaires et
quelle llolle, [)Our ainsi dire, alentour.
De (pioi celle force religieuse est-elle l'expression? Chacune
des théories en vogue nous le dit à son tour avec partialilé
sans doule, en appuyant trop sur un aspect de la vérité, mais
en apporlanl cpichpie chose de la vérité. L'histoire de l'àme cl
son développement dialectique, lels que les conçoit l'animisme,
peuvent bien être contestables ; il resle vrai que la slruclurc de
la conscience humaine concourl à la formation de la religion,
et que le moi ou l'àme s'y exprime et s'y retrouve. L'idée de
puissance cosmique, l'idée de nature, qui fait le fond du natu-
risme, de (piehiue manière (|u'on l'envisage, y joue inévitable-
ment un rôle ; car la religion n'est pas seulement un système de
valeurs, — dont (juelques-unes du reste appartiennent à la
nature, — c'est un moyen de les assurer, de leur donner signi-
licalion objective, de les intégrer dans un monde (jui résiste
aux poussées du désir et aux aspirations du moi. Enfin la vie
collective et l'excitation sociale concourent sans contredit à for-
mer ces valeurs et les sentiments qu'elles suscitent.
L'àme, le monde et Dieu; telles étaient pour Kanl, qui
voulait ramener au plus petit nombre possible les « Idées »,
comme il avait fait des catégories, et (jui y a réussi avec plus (h
bonheur, les dernières synthèses, celles qui embrassent la
totalité de l'expérience et les seules possibles. Si l'on veut
expli(jner la troisième, au moins sous la forme élémentaire et
larvée que nous considérons en ce moment, force est bien de
recourir aux deux autres. Force aussi de ne point négliger un
LA KOI OIIKATIUCK ^4 1 7
point (le vue nouveau, suriisaninicnt syntli<''li([u<' et prohablc-
menl irrt'-cluclihle, dont la considéiation de l'iiunianilé, la
l'éllexion sur l'histoire, le culte et le respect des eolleclivilés,
la puissance croissante et ranioui- de soi des niasses arnoiphes
en voie d'ori^anisation. la laïcisation des relij^ious positives au
prolit de la société humaine, ont enrichi la pensée spéculative :
Ihuinanité. la société, ohjel de reliii^ion pour bcaucouj), et
<jui n'en a (jue plus de valeur pour explicpier la religion.
Des lacunes, des insuriisances de l'animisme et du natu-
risme, les philosophes ont assez discuté. Nous ne défendons
pas ces doctrines, en tant ([u'elles nient, et par consécpient en
tant qu'elles se présentent comme un ellbrt pour tout explitpier
à elles seules. X y revenons pas. Peut-être, au contraire, est-il
nécessaire de s'arrêter un moment à la doctrine plus récente qui
rattache la religion à la société.
La société serait à ses membres ce ([uun dieu est à ses
lidéjcs : la vie eollective une force (jui domine et exalte.
Dans les réunions, dans les assemblées, l'individu sent une
force extérieure s'emparer de lui et le dominer. Cette elïerves-
cence ahoutit à la religion, comme certaines formes d'excitation
au délire. Excitation et ivresse ne sont-elles pas des moyens
privilégiés pour provoquer les étals religieux? Ainsi la com-
nuinion des consciences est génératrice de religion, sous
■certaines conditions d'unité, d'intériorité, d'intimité, sous
condition aussi que les sentiments ainsi suscités se lixent
sur un objet ou sur des objets concrets (jiii les sym-
bolisent.
La reli:,Mon ne snp|)f)se-t-!'lle pas la dualité de la nature
humaine, ro[)positi()n du moi individuel, empiri([ue et [)rorane,
au moi social, transcendant et sacré qui suppose la société?
Les seules forces morales supérieures à celles de l'individu sont
les forces collectives. Donc seules elles jHMivent rendre coin|>le
de ce que l'individu est iuquiissant à proluii'c «t du pouvoir
su|)érieur que la religion lui confère.
27
-jlb I.\ KELKilON I:T la KOI
La coinin union des conscieiiees, qu'iiiipli<[ue lonle Aie
sociale, est doue la source de loule vie impersonnelle, tant
dans l'ordre iillectif que dans l'oinlre intellecUiel et pratique,
^t «ette aptitude à vivre d'une vie iniper&Oinnelle est la carac-
térislique de riiuniaiiité socialisée.
Nous avous dit idlleurs, nous avons dit assez, au couirs de
ce livre, tout ce qu'il faut concéder au soeiolo^isme, tout ce
qu'il apporte de véa*it« nonvelle en psyclioloiçie. Que l'excita-
tion collective, que relTervcscence confuse de groupes en délire,
eoneourent à la formation des rclig^ions, cela est incontes-
table (i). Mais il faut (juelque chose de plus solide que ces élans
et ces poussées éphémères, dont les conversions grégaires nous
offlt mootré la fragilité ; il faut derrière la société eoi elTerves-
cence^ la société organisée, la civilisation, l'humanité. Les
foules mues par une préoccupation supérieure à elles-mêmes,
seules font la religion. Je sais bien que le Soaiologisme expli-
(jue tout, ou à peu pivs, par la Société. C'est beaucoup, et
n'y a-t-il pas dans la conscience humaine, à tout le moins, les
conditions de jvossihililé de la Société? M'y-t-il pas un mini-
mum dénature humaine, sans qui la Société n'est pas, et qui
intervient dans toutes les institutioni^ sociales? L'individuali-j
salion et la spiritualisation croissante de la religion ne suppo-j
sent-clles pas., au début, quehpic chose de ce (jn'elles appoiv]
teot en oours de route? Et si l'on soutient, comme DurkJieim,
qu'un fait de l'expérience commune ne peutdonner l'idée d'ui
chose qui a pour caractérislique d'être en dehors du moade
l'expérience commune, (juc le sacré est sans commune mesure
avec le profane, on est entraîné, pour donner à la Société puis^
sance explicative, à l'omer au préalable d'attributs de saiai/teit^
'I A\ e(- ixioiiis de res.f)Ccl pour la sociélé, Sclilegel disait à Beiijiiiuii
(Constant que « les lioiiimcs ont besoin d'être réunis [)our croire, parce que
l'évidence des objets réeîs plaide tellement pour le doute ou la négation qn^ej
pour l'emporter sur cette évidence, il faut une sorte déleclricité contfijji-iouse,
qui ne se traduit que |)ar le concours et le CiUitact de beaucoui) d'hommes
réunis. ^ Journal intime de H. (>o.\stant, ia.
LA 11)1 CUKATRICK 4^9
ct-trémincncc. à la supposcir capable de tout proiliiire el de tout
apportei" a l'individu radicaleincut inipuissaiil. à lui rendre ua
<idlc, à on luire ie (iraud Etre. Gi\ e'est aller bieu hnn, et la
Soeiété n' apparaît-elle pas à ses mendires aussi profane cfue
sacrée? Ganimcnl piciidre la société rœllc, la société oii Ton
ploiip:e, pour aine idéalité relig'ieusc? Tout ce que Durkbeiin dit
contre l'expérience et la nature se ircto.urnc cou Ire la société.
(a' n'est pas la soeiété réelle, c'est l'idée de Iki société, c'est la
société idéale en cpii on a foi, el (pii au c(eur de cliacjuc liomme
travaille à fornier les reliti^ions ; à peu près, comme pouj' tous
les croyants, ri"]i,dise invisible est sous-jacente à rivalise visible
el lui confère la sainteté. Non point la société issue des besoins
vitaux, de l'interdépendance organique, de la division du tra-
vail ; mais la eonimunaulé, la communication, la communion
dans ce qui unit et exalte, le grand frisson d'nnisson alTectif et
d'identité intellectuelle, (pu sont à la première comme une fin
et eomnic une religion. Mais cela revient à dire que les liauls
intérêts spirituels de l'humanité, quelle qu'en soit la teneur,
aux dinérentes formes de civilisation et aux ditréreaits moments
de l'histoire, concourent à former la religion ; ce que nul ue
contestera, de ceux tout au moins qui reconnaissent une valeur
à la religion. L'Humanité travaille sous la Société et par la
Société.
H faut faire intervenir dans la formation des religions, dans
le dévelo[)pement dt\s religions, les grands faits d'excitation coll-
leelive et d'eUérveseence confuse que la Sociologie décrit ; les
grands ^^cntiments de puissance et d'iinpuissancc (pie décrit la
Psy(>hol()gi('. lexaltation iriH'>islible avec son douhle aspect
d'extériorité coiutraignante et d'éblouissemejit mystérieux,
tels que nous les avons étudiés dans la conversion, <lans l'ins-
piration, dans le Mysticisnae : Ions ces ('tais d'absoj'ption et .de
transforma lion de laipersonnalité, d'interruption de la vie cou-
l'unte el de disproportion d'av(>c elle, si (récjuents dans la vie
religieuse inlense, ([ui siiggri'c.nl pai- (Mix-méiiics l'aflinnalion
420 LA lti:i.I(.I(^N KT LA FOI
enlhoiisiasto et conliise (riiiu' vaste sponlaiiéilé, d'une grande
force (loininatrice. d'une puissance dchordante. W. Janies n'a
point toit de voir dans la structure de la eonscienee, dans ce
fait (ju'iine partie de nous-mêmes est obscure et échappe à notre
volonté, et prépare notre vie consciente et la dépasse, une des
conditions de la religion. La Subeonscience psychologique
opère exactement comme la surexcitation collective et au même
titre. KUe a même caractère de transcendance et d'envelop-
pen^cnt.
Mais cette puissance resterait vague et nue, sans qualifica-
lion |>récise, si elle ne se colorait au contact des valeurs. La
puissance religieuse n'est pas n'importe quoi, une simple l'orce,
un clioc, un surplus ;,elle est ([ualifiée par rapport aux biens
et aux maux ([ue l'humanité éprouve ou supporte, espère ou
craint. On lui conlie l'attente el l'espérance. Elle est telle qu'on
ait foi en elle. Nous avons déjà indiqué cela et suriisammeut.
Il y a sous les religions les grands désirs qui posent les valeurs.
Voilà déjà deux principes. Les valeurs elles-mêmes, avec
toute leur intensité ; au-dessous d'elles les grandes ten-
dances humaines, individuelles, ou collectives, inévitable-
ment l'un et l'autre, qui les constituent. Et leur mode de pré-
sentation, ra{)parencc d'extériorité, de dédoublement, de
transcendance, dont nous trouvons l'origine dans la psycholo-
gie individuelle ou collective. C'est ainsi qu'une passion tend à
diviniser son objet, d'abord parce qu'elle le pose à force de
concentration, comme une fin dernière et absolue ; ensuite par-
ce qu'il est doué d'une vie qui lui semble la déborder et lui
échapper; à cause de sa puissance d'intrusion, d'envahis-
sement, d'absorption. ?]ncore souvent, à côté de la passio-n
y a-t-il assez de critique pour juger, et retenir la divinisation
commençante; faute de quoi la passion devient dévotion, c'est-
à-dire, comme disait Spinoza, amour d'un objet qu'on admire.
Mais un troisième élément intervient, et qui est indispen-
sable: un acte mental, une pensée, une pensée du Monde, sans
LA loi CKKATRICE 4 21
<|uoi loul ce travail ne s'aclu'NC [)as. D'où Niciil (|iio loiilc cm'Uc
coiislniclion n'est |)as un rèvo, une lanlaisie, et traitée comme
telle? De ce que l'homme lui assip^ne rohjeclivilé, la pense
comme un monde et au sein d un monde. Sans cet élément cos-
mologiciue, sans cette l'usion de l'élément psycholoj^ico-social
avec la nature, avec une nature, sans celte intéj^ration, point
de relif;ion. Sans dotâmes il n'y a pas de religion; car sans
doîi:mes, il ne peut y avoir conscience d'une haiinonie avec
l'univers. Nous l'avons signalé déjà. Point de linalité sans un
mécanisme, sans un ordre de causes agissantes. C'est ici cpi'in-
terviennenl le plus précisément l'intelligence, la Nature. Natu-
relles déjà, puis(pic les objets (pii les peuvent satisfaire sont le
plus souvent des objets de la nature, les lins humaines renfor-
cent ce caractère par l'idée d'une nature des choses propre à
assurer et re\istcnce de ces objets et la possibilité de les attein-
dre. La Nature, les dieux deviennent un ordre cosmique, les
gardiens des valeurs. A son tour, la linalité réagit sur la causa-
lité : point de linalité sans l'intention, la prescience au moins
obscure et la conscieiice.
Considérons de nouveau la Magie, désir et technique,
mélange de l'un et de lautre, qui assure au désir sa réalisation
par des moyens nés du désir. Certaines lins, ardemment sou-
haitées, mettent en mouvement l'esprit (pii s'ingénie à les
réaliser, et (pii poursuit leur réalisation par des moyens nés du
désir. Nous avons vu (ju'en vertu des lois de rex[)ression des
émotions, le désir s'extériorise spontanément et par des mou-
vements diflus, et par réaction émotive à la j)artie comme
équivalent du tout, et par des actes systématisés, ceux-là mêmes
qu'il suscite. C( ries il y a tendance à croire à la valeur objec-
tive de ce désir et à la valeur objective de ses moyens immédiats
de réalisation, et c'est ce <[Me Marrelt appelle le stade de la
magie implicite. Mais ce n'est pas encore la magie; la vraie
ma!?ie commence avec la croyance à l'objectivité, avec le
moment oîi désir et moyen de réalisation piennent ligure
\i'2 LA nRLiniorf et la foi
dans 1«* momie, où raction majrkiiie s'y déploie. La forée
mau^i«lU(', c'est l'eflicace du désir, mais aussi relïicace de la
natiipe.
Le sentiment, sur de soi et de sa puissance sur le monde,
confère au?t j^esles et aux actes^qui l'expriment, et aux objets
qui le rellètent, la vertu de réaliser l'intention qui l'anime et la
foi dont il est chargé. Ainsi par un mélange de désir et de
t^chnitpie,' par le mélange du souhait et de la loi, dii caprice
et du nécessaire, se constitue le réalisme sacramentel. Le Ril;e
devient véineide de la force religieuse, et moyen de réalisation.
Les actes rituels glisseront peu à peu de la nature à la conven-
tioQ, par toutes Les lois de la déviation sémanti(iue; expression
du' désir d'abord, ils prendront enfin des formes très étrangères
au désir et à son expression ; par ce que nous aTons appelé le
glissement du symbolisme, par la retenue et le contrôle des
mouvements spontanés, l'abréviation et la simplification, la
complication, la déviation, l'insufllation de motifs noa^eaux,
l'intervention de considérations théoriques et de la spéculation,
la stéréotypie.
AiasL la pensée donne une valeur cosmique et ontologique
aux poussées du sentiment, au jeu des valeurs. Elle les orga-
nise en un monde supérieur, et c'est parce qu'elle pense les
mondes. Elle crée du même coup le inonde de l'expérience et
le monde transcendant. Car la technique bifurque, d'une part
vers la pratique et vers la science, aux ordres du monde ; d'au-
tre parti obéissajit aux désir», aux intérêts, aux valeur»,, au sec-
vice du désir. Et les deux mondes se constituant simnltanément.
s'oppoHcnl, se séparent et s'affrontent. A mesure que l'objectivité
du) monde sensible.se constitue, s'affirment la liberté, lasupério-
I ité, la transcendance du monde divin. La Grâce s'organise en
regard de la nature; en elle se réfugie tout ce que la nalare ne
peut plus accepter. Elle ne garde de la nature que l'idée d'un
ordre et d'une loi, qui les maintient, elle et la nature, en regard
et en connexion^
L\ 1 or <;réathi<:e 4*3
A |)lii^; \'ov[o raison, loisijiio inlerviemionl les pélloxions
sur le moiulc, loi'S(jue la pliilosophie se inrle ù la velïj^oiï,
lorsque la tiiéolop^ie s'enjpare des dkux et des histoires divines.
Pour le luonienl nous ne voulons que martjuer le rôle de la
pensée et. de l'iclV-e de nature, aux origines mêmes l'es pliTS
obscures de la rclig^ion. L'élément eosmolofçique la pénètre de
plus en plus.
Ainsi l'enlliousiasme, même cliarj^é de valeurs, ne devient
reliiçion «jue par le eonlact avec l'objeclivilé, par l'idée d'ordre
et de connexion : la nature intervient dans la religion et par
son contenu et par son idée ; et parce qu'elle fournit les objets
du désir, et la plupart des valeurs des biens matériels, efc
parce (pi'i'lle lournit l'exemple du monde, la règle et la loi.
C'est la [H'nsée après tout (jui eonl'ère valeur ontologique.
Nous l'avons vu du mysticisme, qui resterait vagiLC rêverie
intérieure, sans sa reveiulication d'objectivité. Sans les concepts
les intuitions sont aveugles. C'est elle qui soutient les
mouvements conl'us, dessine leurs l'ornics, en tire parti et au
besoin les sascite. Le Dieu sensible au cœur suppose un Dieu
de l'esprit : le Dieu prochain suppose un Dieu lointain. Sans
l'idée d'un Dieu à qui ils se comparent et s'égalent, <pie
seraient tous les frémissemeEits intérieurs <jui se pressentent
divins? Ce sout les vues sur le monde qui suscitent et impriment
les grands mouvements de sentiment : comme aussi les grandes
vues sur le monde sont parfois la généralisation cosmique
d'expériences intimes.
Le produit de ces trois principes, c'est la puissance qui
dépasse et par sa sul)jectivité, et par son oJjjectivité; la puissance
qui dépasse sans être soi-même dépassée par rien, parce qu'elle
est la syntlu'S<'.de tout ce (pii (b'-passe. C'est ce (pii est premier
dans l'ordre de l'être et de la puissance, le religieux, le sacré,. Le
solennel. C'est la dillérence entre le saeré et ce <pn ne l'est pas^
que le sacré dépasse sans mesure. Pour le civilisé, par exemple,
la nature n'est j)as sa( i<'r. l']llc nousdéjîQsse, maisn<»ns la dépas-
^2\ I A IlKLIGION I:T LA l'OI
soiis. Pascal a raison. Mais la nature redevient sacrée, ([uand
la vision cstliéii(|nc rallVanchit do celle limitation, quand nous
en faisons connue une âme totale et supérieure, qui nous
dépasse sans réserve et nous enveloppe : « in qua vivimiis,
nio\'Cf)iiir\ et suntns ». C'est ainsi que le Naturalisme peut
redevenir religion.
Le Mythe et le Uite ne peuvent être dissociés (pi'arl)itraire-
ment. L'Action magique pure, sans un mythe qui en lasse la
théorie, est rare. Comme l'a fort bien dit iNL Mauss, le rite se
joue dans une atmosphère d'intellectualité (i).
La cérémonie tend à l'utilité. L'action magique vise une
lin, chère au sujet ou au groupe. Elle sort, nous l'avons vu,
des mouvements mêmes par lesquels s'exprime leur désir.
Mais elle persiste après que l'intention originelle est oubliée ;
on inventera des raisons. Et alors même qu'elle semble sortir
naturellement de la sensii)ilité en émoi, elle suppose toujours,
nous l'avons vu, une certaine projection cosmique, une vue
théorique des rapports du monde et des intentions du sujet,
une spéculation rudimentaire, qui se développera vers la
science ou vers la mythologie, selon qu'elle insistera sur la
nature des choses, que la cérémonie met en œuvre, ou sm- les
intentions et sur la grâce qui les favorise. Le Mythe se déve-
loppera donc avec les intérêts et avec les notions.' Mais un
Mythe confus est impliqué daus tout rite : Mythe et Rite se
rencontrent dans l'unité préalable de l'action intelligente. Il
est faux de les dissocier à l'origine, et de ramener le Mythe au
Rite, connue il est faux par exemple de ramener à des mouve-
ments du corps les opérations complexes de l'esprit, comme le
(i) Année sociologique, IX, 266.
LA KO! CltKATIUCE
veut lu llu'orie motrice de lintelliijeiice. S'il est vrai (juc nos
monvenu'iits concourent à toutes nos opérations mentales, de
la i)erce[)li()n au ju^M'inent, encore n'a-l-on poiiil le droit
(lOuMier (jue les nioiivcinenls qui y Joiienl un rôle sont j)réei-
sément des mouveuienls bien adaptés à la situation, construits
de façon à exéculer l'opération, intelligents en un mot; de
sorte ([ue, (piand, par exemple, nous scandons et découpons en
qucl(iue manière, en l'écoutant, le discours d'autrui,ce ([uinous
aide à le comprendre, nos mouvements de scansion, de répé-
tition conmicneante, de décomposition, ne nous aident (pie
dans la mesure où ils portent là oii il Tant, aux tournants du
sens, aux arrêts importants, aux moments de liaison de la pen-
sée exprimée, bref, sous condition d intervention intelliîçente.
F]t l'on peut étendre cette remaripie à tous les schémas
moteurs. Oui ajiporterait rinlelliii:ibilité, sinon l'inteHij^'cnce?
Que serait un rite, sans la rencontre d'une intention féconde en
gestes, et d'un procéd('' technique, sanS, au moins, une vision
confuse de la causalité. Le Mythe est au moins la représentation
de l'acte et des conditions de l'acte, (pii accompagne l'acte. Il
l'enveloppe. L'acte rituel n'est tel qu'en y venant s'insérer. Le
Mythe se développe, bien entendu, lorsque le rite cesse d'agir
par lui seul, par sa vertu propie, lorsque son efficace est con-
liée à des ajjenls divins, distincts des procédés rituels, et sur la
nature desquels l'imagination et la spéculation s'exercent. Tant
que le rite agit par lui seul, mécaniquement, il n'est pas besoin
d'agent divin, distinct de la cérémonie; la végétation, la chasse,
le cours des phénomènes naturels, assurés par les prali(|ues
rituelles, n'exigent pas qu'un esprit y réside.
Lors(pic la liaison du rile et de l'eUet attendu cesse d'être
immédiate, lorsque la linalité prévaut sur la causa!il<' et la
transfigure, au lien magique se substitue un esprit ([ui gou-
verne les eilcts du rite, (l'est, derrière le rite divinisé, un être
qui y correspond d'abord exactement, plus librement -ensuite.
Quelles que soient les causes du passage de ce que Frazer
4!l6 LA RELIGIOÎV KT LA ICI
entcinl par mau:ie à ce qu'il entendi par religion cl réserves
faites sur la (lislinclion radicale qu'il met enire elles, — les
dieux deviemient peu à peu indépendants des rites; on les
prie comme des personnes libres et t[ur disposent à leur gré
de leur force divine. On sonde leur nature et on spécule sur
leurs attributs et leur faveur.
Il est donc faux, dans la plupart des cas, d'entendre les rites
en général comme la représentation dramatique dic mythes
préexistants: inexact aussi de soutenir que le Mythe ne fait
que donner la raison de raccomplissement du Rite. Il n'y a pas,
du reste, de loi uni(iue de correspondance entre les Mythes et
les liites. ('ai- les cérémonies persistent après que leur signili-
eation oriiçinelle est oubliée ; et il se greffe sur elles des mythes
(jui leur correspondent vaguement; car il y a des rites forte-
ment inspirés par les images mythiques ou issus de mythes
indépendants et qui doivent se créer des rifes, et des rites
presque vides de sens; des mythes suTcliargé» de détails
incohérents, empruntés aux effets du rite; des rites escortés
d'une suite de mythes d'âges divers (i).
Le Mythe se maintient et se répète par la vertu du rite: rares
sont les mythes sans conséquences rituelles.
Le Mythe est objet de croyance, comme le dogme, et non
pas simple thème poétirjue comme le conte. Mais il est une his-
toire, soit qu'il relate la fondation d'un culte, soit qu'il raconte
une aventure divine, l'histoire des choses, leur naissance, leur
mort, et lîon pas, comme le dogme, une suite de notions qui
:i;. Voir les 1res pénélrantes remarques de Mauss, Année sociologique, \l,
i.v loi i.itKA ruit.i: 1-87
se IbrmuN'iil (M1 sysbVrao. II ;i |K)inl;iril vali'iir cosmique, comme
\v (loiîinc; il l'sl une vue sur l'uuivi rs : il est une explication,
acceptahle en des temps oii la description imaj^inaire et lliisloire
ont force d'e\plicafi(»ii. Il est donc une hisloire élernelle ou dti
moins au-dessus du lenips: une hisloiic <pii a pour objet 1 expli-
cation de laits jx'iinanenls ou de laits décisifs.
Il est par nature llucluant et mobile, et il suppose un état
dépensée assez confus. Ce n'est pas la logicpie (pii rèi^de l'union
de ses parties, mais bien les afiinités alTectivcs, ou les relations
jde fait, les rencontres de circonstances. Son unité est lyrique
ou dramatitiue comme celle du rère. Il est proche du drame et
de la poésie, et dès qu'il se précise et se formule en notions,
de la théoloîîie. Comme dans le pève, il y a dans le mythe
surdétepmination » au sens de Freud : c'est-à-dire (pie
rinjflj?e mythique est ambiguë; plusieurs iraaj:^es remplissent La
nicme fonction et la même ima^;e a plusieurs sens. <- Elle a des
< ehos inliniment divers dans la pensée relitrieuse. » l'neiniajçe
inylhique contient et éveille phis ou moins oLscurénient d'autres
images. T/esi limaurination peélicpie qu'il faut invoiiucr pour
comprendre le Mythe.
\ aiîue et mulliforme. il est difticilemenL recueilli et réibii^é.
Ses rédactions sont radimentaircs. ineoliéreiitcs, éqjiivo([ucs.
Kt souvent il subit d'étranjçes déformations, quand il sort du
"anetuaire ampiel il étai* attaché pour entrer dans un cycle
ftranfrer.
L'une <les premières étapes cle la fibrmation du mythe e*t la
fixation des noms, l'ne fois créés, les noms créent à leur tour
l«'s personnalités divines, cpii tendent à se détacher des choses,
l-cs rapj)orts lo2:i(pies et f^rammaticanx des noms entn' eux et
«Tvrc les choses [)roduLscnt, comme l'a montré l sener, de
nouveaux mythes.
S<)u.s la biurai^rupc mylliolojîicpie on aperçoit aisément certams
types assez fermes, certains mythes universels, certaines simili-
tudes mythi(pics, qui reposent sur lidcntil»' de lespiit humain,
4^8 LA RELIGION F.T LA FOI
au moins au tant que sur ridcnlité des conditions historiques
et sociales.
Ainsi le Mytlic, par l'un de ses aspects et par l'une de si
fonctions, est proche du dogme et de la théologie. Il oscille
entre la poésie et la raison.
I
I
Les dieux sont rinearnation, l'individualisation de la force
religieuse, élémentaire, anonyme, impersonnelle, qui les
déborde, laissant, flotter autour d'eux un nimbe d'infinité. Le
Mysticisme est au commencement et au terme de la religion.
Au terme il dissout dans l'infinité divine les dieux précis et
personnels. Au principe il se donne la matière divine, dans
laquelle l'imagination des siècles taille les dieux des nations
Cette force élémentaire, maniée par les rites, peut demeurer
difluse aussi longtemps que les rites tout-puissants dispensent
des dieux : l'airaiblissement de la liaison du rite et de son effet
suscite les dieux. Devant les démentis de l'expérience, cette
liaison, d'abord nécessaire, devient contingente. Le développe-
ment de la personnalité chez les fidèles accentue la personna-
lité du dieu, prompte à paraître, dès que la finalité s'affirme en
face de la causalité, par l'écart (ju'entraîne l'afl'aiblissement de
la liaison du rite et de son effet, la finalité qui suppose l'inten-
tion, la prescience, la conscience. L'agent divin assure l'elfel
des cérémonies auxquelles il préside ; d'abord attaché aux rites
et mal distingué d'eux ; ainsi les petits dieux des « indigita-
menta »; puis indépendant et libre; un individu, c'est-à-diK
une forme physique, un sexe, un caractère psychologique, uM
histoire, une condition sociale. Ainsi représentés, on les prw
on fait avec eux des arrangements et des contrats, des vœux ei
des pactes. Un peuple artiste a créé, pour ses besoins, un(
I.A lOI CIIKATIUCK ^^2(J
faiiiillc (le (lieux iiiiinortcls. un Olympe dr Imiiiric. (nic I;i
l»i.'uut('' l'ail siirvivic. Les dieux rèirnenl et rrirlenl. iMij)as.sil»les,
le cours d<' la uaUuc cl de la vie humaine.
De la moil et de la renaissance des puissances de la naliiic,
du désir dCn maintenir la puissance j)ai' la renaissance et [)ar
la nioit, du sacrifice qui libère des forces et du sacrifice com-
luuniel qui identifie la victime, le dieu et le fidèle, est sorti
I autre tliènu' divin, le thème du dieu vivant qui renaît et qui
meurt, et la violente as[)iration au salut, et les doctrines de la
rédemjUion, ont mêlé le Dieu Sauveur et le Dieu de la nature,
la frénésie des vieux cultes ai;raires, et l'enthousiasme extatique
de rassimilalion aux dieux.
Les Dieux se composent ainsi de la force reliii^ieusc origi-
naire et itupersonuelle, des attributs des êtres priviléu:iés en
ijiii elle s incarne inoiiK'utanément, delà nature, de l'esprit, des
intérêts de la société. Le Dieu est celui (pii maintient et assure
les valeiips ; en lui s'unissent la valeur et la puissance de la
maintenir cL de l'assurer. C'est la valeur et la puissance qui
l'ont sa divinité. VA la divinité évolue des valeurs élémentaires
aux valeurs idéales, «les r.'lii^ions de la nature aux reliijions
éllii(|ues.
Doue la j^ràce d'abord diffuse, sorte de force physico-spiri-
tuelle, devient faveur personnelle ; et c'est à acquérir par des
cérémonies, ou [)ar des mérites, ou |)ai' des éials d'àmo. la faveur
des dieux ([ue les reli.i^ions travaillent ; juscpi'au monu'nt oii,
l'Ius hardies, ayant }çar<lé de leur origine le respect et le senti-
ment de la force anonyme, et ayant construit au cours d«' leur
liisioin» dos procédés raffinés et spirituels par lesipiels s'appio-
tlier des dieux, elles se reploii,t;ent dans lc< aliîiii<'-< «ji' la ili\ iniit-
sans forme et sans manière d'être.
Nous retrouvons ainsi, eoneouianl à la formation des dieux,
h's ijrands motifs <pie nous avon^ analysés plus haut. Le
nu>tif social, à la fois désint('«ressé et utilitaire , l'evcilalion
collective, et les valeurs ipu' la société crée ou conserve, cl l'or-
^3t» LA JIELICJION ET LA FOI
lire sociîil, et les cliels qu'iclle divinise; le motif iiilcllcctuei;
le travail de Tespril sur les condilions de la sûreté, du salut, de
la rémunération; la réllexiou «ur la Nature, s-ur l'ordre de 1«
Nature, sur roriapine des choses, la -inytliologie et la théoioij^ie,
dont les tliéolo^iens ont bien se.nli quelle repose sur un fond
de relii^ion nalurelle. eest-à-dire sur des arii^umcnts pojMilaires,
sur un sens eommun Telii^ieux, que les philosophiee mettent
en fm-rae : ijuaudeur et beauté du monde, commencentent «t
dépendance du monde, fîrandeur et puissance divine. Eulin le
thème mysti(iue, (pii élabore la l'orce relii;ieuse primitive eu
rattachant à des signes sensibles et à des èferes privilégiés qui
la représentent, (jui cherche linlinité dans le lini, qui gonfle
les dieux de la force divine et laisse pourtant Hotter autour
d'eux un nimbe d impcrsonnalismc, une vapeur de divinité.
Les personnalités diviites n'ont pas toutes même netteté, ni
même unité. Les dieux portent souvent la trace d'âges dlIFérents
et toute l'histoire de leur religion ; k dieu national a souvent
été d'abord un dieu local, et a grandi avec la fortune locale; la
centralisation politique s'exprime en lui. Les divinités se con-
taminent les unes les autres, d'abord ad sein d'une naèiiie reli-
gion, puis par les emprunts, les intluences et les échanges. Les
grands dieux absorbent les fonctions des petits. Un Dieu est un
être très complexe, et Hegel, à propos d'Qsiris ou d'Agni,
a-vait bieiî signalé cette multiplicité de signification. Aussi
ont-ils souvent tendance à se dédoubler, à se multiplier, t-outes
les fois <[ue leur personnalité n'est pas assez arrclée aux yeux
des tidèles pour relenii- à jamais la parldinlhicncc divine (jui
leur est reconnue-
La fortune politique d un peuple explique donc en ])artie
la constitution du Panthéon divin où les dieux se partagent
les fonctions, oii les familles divines se juxtaposent, la société
des dieux, la hérarchie divine, parfois la recherche de l'unité
divine; et aussi le travail de la caste sacerdotale, la spécula-
tion religieuse, opérant s^r les données primitives; ainsi dai
riiide, la Ikibyloiiir, rjvji-ypte, où les [)i'èlrcs ojil laul Iraviùllé
sui' !<'< (lieux.
*
Doifine et Mythe sont, l'iiii et l'a-iitre, oJ*jet de eroyancc,
mais le tloij^ine est au mythe ce (jue la spéculalion est à la
poésie et le earactère d'oblif?ation y est renforcé, l'n dog'me
est une vérité doctrinale, imposée par une liglise à la croyance
de ses lidèies, et le plus souvent comme de révélation divine
avec netteté, certitude, inlenlion mauiieste d'obliij:er. Ici repa-
raît le sens oriji^inaire du mot, ([ui est précepte, décision d'auto-
rité, — sens que les sénatus-eonsnltes lui ont assuré, sous
l'emjùre romain, dans les pays de langue grecque, — combinée
avec le sens d'affirmation métaphysique, qu'il a pris dans les
écoles philosophiques. Tn dogme est donc une assertion révélée!
délinie par une Eglise, proposée et imposée solenucllemcjit
et enseignée par son magistère ordinaire à la foi de ses fidè-
les (i). L'Eglise garantit l'identité du dogme et de la révé-
lation primitive, l'identité du dogme et de l'Ecriture, partout
où la révélation primitive est représentée par les livres cano-
niques.
Le dogme a donc le caractère surnaturel du Mythe ; il
exprime des mystères, auxquels l'intelligence ne parvient pas
par ses seules forces et qui, même après la révélation divine,
,1 Comme le remar^iae très i)ieii CIakokil, Le Donne révélé et la ihéologle,
77:» La rcceplioii d'une conclusion llu''oIogi([ue pur la foi de l'Eglise, voil.'i
ce qui la met dans l'élut d'ultime disposition préparatoire au doji^me délini.
Une conclusion tliéologique j)eut être seulement probable et donner lieu à
définition do|;îniatique. Au contraire, il y a cfcs conclusions lhéologi(|ues de
premier ordre, qui ne sont pas des d(»f,'mes; ainsi la vision béalilique du
Ciirisl. La conclusion tliéolo-^ique qui prend valeur dofruialiquc, le doit moins
à sa ri>^ueur diaicctifjuc <iu'à sa valeur de représentation |)Our fixer et unir
dans uucjucme profession l'universalité des lidèies. >>
.13-j
L.\ UELIGION KT LA KOI
u:iir(lont toujours (|U('l([ue clioso d'insaisissable à la raison.
Ainsi la colloction des dogmes a ((iiel([iie chose d'iinpai l'ail ;
les l'oiinules par lesquelles l'homme traduit la nature divine
n'ont qu'un rapport assez lointain avec sa plénitude.
Le doirme est donc une proposition qui a une signification
niéta[)hysi(pie, c'est-à-dire qui porte sur la nature dernière de
la rcalité. De simples récits historiques ne seraient pas des
dogmes : des faits comme la crucifixion, la résurrection, ne
prennent valeur dogmali((ue que par leur si-^nification divine.
C'est aussi, la teneur de la formule exceptée, le caractère du
Mythe, qui ne se borne pas à raconter, mais qui vise à expli-
quer et à fonder.
En même temps, on le compare au savoir positif: il le
dépasse : il est incommensurable avec lui.
La piété, nous l'avons dit,- précède la foi dogmatique. Les
dogmes sortent d'une nébuleuse dogmatique, de sentiments
intellectuels. La Foi est d'abord vécue; elle fait plus que
se représenter ses objets, elle les possède^ elle les vit.
Les formules sont pour une part l'expression lo.^que d'as-
pirations alfectives ardentes, et leur premier office est de
répondre aux exigences du salut. Mais ces aspirations affec-
tives ne sont pas ineffabilité pure; elles développent une con-
science confuse de leur objet et de son rapport à elles: elles
sont chargées d'inlellectualilé.
Les dogmes existent ainsi àl'étatdefait ou de croyance plua
ou moins consciente et explicite, avant d'être l'objet de spé-
culations savantes et de décisions officielles. Lepoint de départ
d'un dogme, c'est la foi vivante des masses croyantes. On ren-
contre, au début, la foi intensément vécue, et non pas des doo
triiies spéculatives strictement définies.
Par exemple, le dogme christologique a été l'expression de
ce que Jésus représentait pour la conscience chrétienne. Le
Christ de la théologie et de la dogmatique s'est dégagé peu à
peu du souvenir exallant de Jésus.
LA lOI CUKATHItlK ^33
Ainsi la foi avant d'être doctrine et de se transmettre didac-
ti(jiu'rncnt, est d'abord eonfiance, espérance, transmises de
pi'ociie en proche.
A toutes les périodes créatrices la foi apparaît sous l'aspect
assez simple que l'etlmographie constate dans ses formes élé-
mentaires : foi qui fait plus que se représenter son objet, qui 1(;
possède et en est possédée, qui communie avec lui, qui le vit;
comme a dit Lévy-Bruld, analysant un cas particulier, « partici-
pation si réellement vécue ([u'elle n'est pas encore proprement
pensée *. La Foi ne cherche pas encore à comprendre ou à
s'expli<[uer sou objet, à réaliser hors de soi les êtres avec qui
elle se sent d'abord en comnmnion mystique (i). Il n'y a pas
encore cette différenciation, cette distinction, cette analyse ([ui
créent tout un monde de concepts au dessus de la foi primitive.
Aux périodes d'inquiétude et de création religieuse, c'est comme
une aftirmation enthousiaste et confuse, qui dépasse toute
formule précise. A mesure que les formules s'établiront, on
s'éloignera de l'immédiation primitive, et la complication même
de ces intermédiaires visera à remplacer dans une certaine
mesure l'unité perdue (a).
Mais la confusion primitive charriait de l'intelligence con-
fuse, anticipation d'une doctrine, lorsqu'il s'agit de vérital)les
f)rigines, souvenir et anticipation, lorsqu'il s'agit de religions
<léjà encadrées dans la perspective historique.
Par exemple, le dogme christologique a pour germe la con-
lianee des Apôtres, puis des masses croyantes dans le Christ :
en somme l'union de la communauté primitive dans le culte du
Christ.
Mais c'est d'abord dans le cadre du judaïsme que leur appa-
raît le Christ, et c'est surlui(iue réagira d'abord le chrislianisme
(li " Li's choses pcuvciil avoir un sens et une pcalilc pour tout l'honiine.
longtemps avant (lavoir un sens clair pour riuleliij;eiu'e, dont l'oCliee est de
traduire en formules appauvries ce qui est donné dans lexpérienee concrète ".
IIiiiiKUT, Ann. (/(• l'Ii. cliri'-t. i<>o6, 38i.
(2j Lkvy-Briui., o e. p. 97.
434 L\ RELIGION ET TA FOI
oiii?iiiaire. Derrière Jésus il y a le Dieu biblique dont il se dit
le Messie. Il y a les Prophètes. Jésus semble avoir vécu dans la
conscience de sa vocation messianique (i), et c'est de cette
notion du Messie, Fils de Dieu, posée par lui-même, semble-
t-il, que se développera le dogme de sa divinité. Le chris
tianisme est d'abord une secte juive, (jui croit à la messianilé
(le Jésus et au prochain avènement de Dieu (2).
La mort de Jésus, loin d'ébranler les disciples, les raHermit
dans la pensée « que leur maître, prédestiné par Dieu à la fonc-
tion messianique, était ressuscité, et qu'il était prêt à revenir
pour laecomplissemeut de son œuvre » (3).
De la Coi au Christ sort le Christ de la théologie ou de la
dogmatique. On sait quelles sont, dès le début de la réflexion,
les grandes solutions de ce problème essentiel, la relation de
Jésus à Dieu. Jésus, un homme à qui Dieu a rendu témoignage
par des miracles; Jésus, le Messie juif, devenu roi céleste:
entré dans la gloire par sa passion, qui reçoit l'Esprit dans la
résurrection. Jésus qui reçoit l'esprit dans le baptême ; Jésus
qui reçoit l'esprit lors de sa conception. Jésus, Adam céleste.
Fils de Dieu; Jésus Verbe de Dieu (la notion de Messie n'ayant
de sens que pour les Juifs; alors que ia notion de Fils de Dieu
était acceptable aux Grecs, tout en maintenant la prééminence
de Dieu) : toutes conceptions qui visent à exprimer le môme fait
(i) Il y a donc, au point de départ du dogmr christoloj^ique. l'autorilé
de ]'ensei)^neiuent de Jésus. Jésus hii-mèiue se présente sons l'autorité du
Dieu biblique, de Moïse et des i)roniesses propbétiques. Il remplit un vide;
il réalise une attente; il est le Mes?;ie promis à Israi'l. C'est sur des Juifs
seulement que sa prédication pouvait a{,'ir. Elle est un réveil, une crise du
Judaïsme, loi donc l'autorité du i)roplicle implique l'autorité de la doctrine
admise dont il s<- récdamc, l'autorité de sa personne, de sa prédication si)é-
oiale (puissance du thème messianique et de l'avènement du royaume) et de
ses miracles.
2/ II y a peu de dilTérence entre les juifs jiieux et le premier jjroupe des
fidèles. Ceux-ci vont au temple et se soumettent aux observances communes
du judaïsme. Un seul point les caractérise : le Messie est venu. (DucHESNJi,
Hist. anc. de l'Eglise, i, j5).
'3 LoisY, Les^ Premières années du christianisme, ilîei'. d'hisl. et de lilt.
relitj., lyao.
LA KOI CUKATHirK j'j.'t
— diiréiT'iilcs sans doulc à cause des liubilndes d'esprit et de
l:i tliéoloa^ie implieile de ceux qui les ont imaginées — entre ies-
({uelles les lidèlcs ont iiésité et se sont partagés. Mais on peut
les ranger, (luelle que soit la date à laquelle elles se sont [»ré-
sentées, dans un ordre de divinisation croissante, et c'est bien
vers la divinisation fpi'clles ont continué à se développer, ('ette
ascension vers Dieu, celte élévation progressive du Seigneur
Jésus au dessus de riiunianité, rencontrait les ébauches d'iiy-
postases qui abaissaient le Dieu d'Israël vers les hommes:
l'Esprit de Dieu, la .Sagesse, le Logos. Ainsi la vie de la loi
s'exprime et s'entretient par la divinisation croissante de son
objet (i).
(^est ainsi ([ue plus tard roj)inion chrétienne ne voudra pas
de la solutit)n subordinatienne. Elle ne renoncera pas à l'unité
de Dieu, mais elle n'y attachera que valeur de principe ;
elle ne la sent pas, elle ne la vit pas, tandis (pi'elle sent l'union
du chrétien avec le Christ, d'où la tendance à affirmer la con-
substantialité du Père et du Fils (2).
L'élan de la foi, entraînant les habitudes mentales et les
cadres théologi({ues, oblige à des al'lirmations qui les dépassent
et dont chacune sert de tremplin à une autre plus hardie. (Vesl
comme une espèce de p.uissance interne, de dynamisme imma-
nent. Elle commence par accepter et par dépasser, par rapport
à Jésus, les^aClirmations explicites de Jésus sur lui-même. Elle
ira ensuite bien au delà dt^ ce que la loi originaire pouvait con-
cevoir. (Iliaque aflirmation nouvelle prend son point d'appui sur
la précédente pour la dépasser. Sur cha(pie anirmation l'orniu-
lé-e, l'esprit travaille, et il en tii^ ce qu'elle inq>li(|uail. La
croyance à la résurrection, issue de la foi de la communantt''
primitive el cpii lait de Jé.sus le Messie céleste, se projette sur
(I) C'est ce que (iiii^jiiebcrt appelle « Majoralioii o dans -><>n livre s)ir
VbWolution di's Ooffnifs.
21 Voir CiiiGNKBKRT, Li' Dofj^mc de la Trinité, Scierdin, 19H».
î'3»» LA RELIGION ET LA FOI
sa vie torrestro ; proi^ressivement, la transfiguration, le baptême,
la naissance, reeiilcnl ses déhuls divins.
Kn même temps, la Cei veui- entretient l'avidité de savoir, de
tout savoir ; on sj)éeule sur le retour du Christ, sur sa date,
aussi bien que sur sa personne et sa nature. Les Evangiles
apocryphes, les légendes pieuses nourrissent la foi de faits et
d'images. Psyché veut tout savoir d'Kros, et non point seule-
ment ([uel il est.
Mais l'expansion chrétienne, partie de Juifs convertis, s'est
opérée en dehors d'eux. Et, de fait, il a fallu l'esprit grec pour
promouvoir le dogme chiistologique. Pour le Juif, la distance
est infranchissalile entre l'homme et Dieu et, dans la voie de
la divinisation, l'homme s'arrête au prophète et au messager de
Dieu. < Le développement du dogme christologique fut causé
par l'état d'esprit et de culture des premiers convertis, venus
de la gcntilité. Us eurent besoin de s'interpréter à eux-mêmes
la nouvelle foi. ».Le contact de la foi nouvelle avec le mond<
païen n'est pas sans avoir exercé quelque action déjà sur la
théologie paulinienne (i) et sur celle du quatrième ?>angile,
(jui sont l'une et l'autre bien au delà du cadre du judaïsme
L'hellénisation de la doctrine chrétienne s'accentue avec lei
Apologistes. Le développement du dogme accuse un effort de
foi et d'intelligence, où s'associent les traditions religieuses et
la science d'un milieu nouveau. L'esprit grec travaille sur U
terrain de l'Evangile à tel point que les notions, à raid<
desquelles ranti([uité a essayé d'expliquer et de garantir l'ElvanJ
gile, ont été confondues avec son contenu même.
Ainsi le milieu où se développe le dogme est souvent ur
milieu nouveau, affranchi des habitudes qui retenaient son
développement ; une génération nouvelle, libre des préjugés de,
la précédente. La génialité, l'invention dogmatique d'individui
privilégiés choisit et féconde de tels milieux ; ainsi l'aclivitj
(i) Voir sur ce point Tocssaint, L'IIeiléniarne de saint Paul.
I.A loi CHKATUICK 4'^7
spirilufllo de saint Paul dans le inondo licUénuiuc. Très iné^'al,
du reste, est le besoin doiînialique des iJ^roupes et des eonnnn-
naiilés. La thcoloi,ne du judaïsme par exemple esl très tardive.
La liii)le révèle une moins grande aetivilé dogmatiipie que le
C.anon chrétien. Pour les juifs pieux, la lîihle tout entière est
do^^me, sans renlernier à proprement parler de doj^mes, et c'est
sur les pratiques rituelles que l'unité et la stabilité du judaïsme
sont fondées ; les vagues tendances dogmalicpies, le culte de la
Tliora, la magniliealion progressive de Moïse, sont restés à
l'état de virtualités (i).
De même le culte de Marie est en germe dans les formules.
Vierge Marie, Marie toute pure, qui sont bibliques, mais qui
prennent pour la piété un sens nouveau. Le dogme de l'Innna-
culée Conception, jadis contesté par saint liernard et saint An-
selme, par saint IJonaventure et saint Thomas, « est un des cas
les plus beaux de la piété... devançant la science, éclairant la
science, amenant enfin la science à ratifier les intuitions de
l'amour » ('j). La foi primitive en la purelé de Marie était entra-
vée par le dogme de l'universelle rédemption qui avait pour
corollaire Tirniversel péché, et longtemps on s'était arrêté à
riiypothèse de la sanctification avant la naissance. Le subter-
fu'.i:e logi([ue de Duns Scof, l'hypothèse que la ré^lemption j)ar-
faile est plus que le rachat d'une faute contractée, qu'elle est
préservation, a fourni à la foi commune l'échappatoire néces-
saire. Klle s'est reconnue dans cette idée. (|ui est devenue p( u
à peu théologie reçue. Et contre les objections de ceux (pii se
réclamaient de l'ancienne règle de foi de Vincent de Lérins
(' </iiO(/ u/>i(/ut', uffic/ini(/U(\ ait omniluts », l'I'^glise s'est préci-
sément réclamée de la vie mystérieuse de cette croyance dans
l'Lglise Ci.
(i^ BovssKT, lielii^iiiii îles JiulcnliunSy \)o.
(a IVviwKj-, Ktutiss, r)i2-fi3a, "> diMM-mbre 191 J.
(3) " Si, par tradition, nous entendons la transmission, pour ainsi din" nia-
lêrifllc, il'un dépôt inanimé, di- formules tontes faites et de vérités cristulli-
4^^ I A KKI H;1<>N et la I'OI
De iiiômo. La Vallre-Poussin explique fort bien(i) comment
le Bouddha est devenu un Dieu. Le Jiouddhisme ancien ortho-
doxe est étrana^er à loute idée de Dieu : le culte du liouddha y
est, il est vrai, de lu'cessité de salut. Mais les moines, pro-
fessionnels de la délivrance, confiants dans le seul renoncement,
n'ont pas scnli le besoin de déilier leur maître. (Le Bouddhisme
exclut non seulement toute idée de Dieu, mais encore d'un être
(jùelconque dont on puisse craindre ou espérer quoi que ce
soit : « Le Moi esl le protecteur du Moi; quel autre protec-
teur pourrait-on avoir que soi-même? ») La croyance aux dieux
du Veda avait disparu devant le panthéisme de la doctrine de
l'Atman ; et même cette croyance avait pâli devant la loi natu-
relle de renehaînement des causes et des effets. « Il n'y avait
pas de notion de Dieu que les disciples pussent faire descen-
dre sur le Maître, pour en faire un médiateur. »
Mais la vieille littérature s'enrichit de données inortho-
doxes : préexistence de Çakya Mouni, lutte avec Mara, culte des
reliques, etc. ; depuis la lin de l'âge védique, l'Inde voit dans
les dieux des maîtres de l'Ascétisme, des magiciens, des sacri-
ficateurs, des saints. Çakya prend naturellement place parmi
vn\, porté à la divinité par la foi des fidèles.
* *
Pourquoi donc des formules? La Foi a besoin de se con-
naître ; le sentiment cherche son image et l'encadre dans le
savoir, ne fût-ce que pour se contempler. Le dogme exprime
la foi, parce qu'il en est partie intégrante; il lui est nécessaire,
il lui permet de prendre conscience de soi. Il provient de l'ef-
fort pour saisir la pensée fonclaincnlale et les conditions, qui.
sées dans ces forniiilfs, nous serions bien en peine de justilier ce dog'nie par
tradition. " Kaiwel, art. cih'.
(I Bouddhisme, ai'i.
I.A KOI (.RKATUICE /pQ
du (U'dans, agitoiil la loi. pour s'explicpier cette toi cl en faire
l'applicalion.
La formule est d'abord l'expression verbale des aspirations
alfectives. Klle répond aux exigences internes, à lappel du
salut. Elle fournit au sentiment son objet, son aliment, sa
direction. Elle est connue l'imaji^e que se crée la passion, la
construction de l'objet aimé, dont chaque trait est réponse à
une attente, promesse de bonheur.
En même temps, elle sort du besoin de fonder au dehors,
dans le monde objectif, les réalités dont le sentiment cherche
à prendre conscience et les rapports d'action qui y sont inclus.
C'est dire qu'elle cirerche à les encadrer dans ses catégories
préexistantes ou à créer pour elles des catégories acceptables,
c'est dire qu'elle les mesure à la norme de la vérité. Nous
venons de voir que le christianisme originaire s'organisait an
sein des catégories religieuses du jfodaïsme, ou de l'hellénisme,
lesquelles possédaient dans ces milieux pleine valeur de réa-
lité. Nous avons vu que la magie primitive encadre ses mou-
vements de désir dans un mythe de la causalité. La formule
dogmatique est, en partie, une assertion métaphysique, un
fragment de philosophie. C'est dire suffisamment qu'à la valeur
qu'elle proclame, elle cherche un point d'appui dans la réalité;
elle la fonde dans la nature qu'elle dépasse, dans l'ordre et la
connexion des choses, tels qu'ils sont reconnus, ou tels qu'elle
s'clforce, dans sa puissance d'invention, de les faire reconnaître.
Ces deux raisons, et surtout la seconde, font que les sym-
boles et les définitions dogmatiques sont en rapport si étroit
avec l'état de l'esprit et des connaissances dans le temps et le
milieu où ils ont été constitués. L'Eglise n'a point tort de vou-
loir nous maintenir ou nous ramener à la philosophie du
Moyen Age. Et ceux (jui tiennent pour la philosophie moderne
sentent plus ou moins que le changement de la connaissance
leiid à amener un changement ou nn«' interprétation nouvelle
des formules. De là cette crise dans laquelle se débattent
4^0 I.A UKLIGION VA- 1 A KOI
toutes les religions à un nionient de leur évolution; ce besoin,
chez beaucoup, de distinguer entre le sens matériel de la for-
mule, en rai)[)ort avec les idées d'autrefois, et le sens spirituel,
le sens proprement religieux, c'est-à-dire acceptable à un esprit
d'aujourd'hui, celui qui est en rapport avec les besoins du
temps présent. De là ces appels à la réalité sous-jacente aux
formules, ce rel'ugc dans la pratique ou la Mystique. De là
aussi la transformation inévitable, à mesure que la pensée et
les systèmes rationnels se modilient, et aussi les formes
sociales. Plus sûrement que sous le coup des arguments, les
dogmes lléchissent et tombent quand les idées qu'ils représen-
tent tombent elles-mêmes en désuétude. W. James a raison
d'écrire qu'après quelques générations, l'atmosphère morale
devient funeste à certaines conceptions de la divinité qui s.'épa-
nouissaient naguère.
La formule, l'expression logique se constitue ainsi sous
l'inlluencc de ces deux principes, et souvent par les inventions
géniales d'individus privilégiés, qui ressentent avec une force
singulière les besoins de leur groupe social et qui sont doués
d'une particulière lucidité pour apercevoir une solution ({ui
satisfasse intellectuellement et affectivement aux mouvements
confus de la sentimentalité. De tels prophètes ont à la fois
l'autorité de leur personne et celle de leur doctrine, qui se
garantissent réciproquement, et Tune et l'autre, par leur con-
venance avec ce que le groupe appelle vérité.
Sous l'influence de ces principes, des systèmes fermentent
qui visent à exprimer les faits primitifs. Des mythes émergent
de la sentimentalité intellectuelle. Kt la poursuite de formules
plus précises traduit ces mythes en dogmes. C'est ici le travail
de plusieurs; et derrière eux il y a l'universalité des fidèles et;
la recherciie d'une profession de foi commune, assurée plus ou;
moins par une organisation ecclésiastique.
Tout se passe donc comme si une donnée primitive étaitj
saisie d'abord comme par une intuition fondamentale : la briè-j
I,A I(»l CUKATIUCK
volé, la pauMcli' iiitiiu' des piriuirrs mois qui l'expriiiu'iil ne
doit pas faire illusion ; ear ils sont chargés de plénitude, d'am-
pleur, de valeur intense. Ils recouvrent beaucoup d'implicite
et de virlualilé. Puis de eelle originelle eonfiision synllu''li«pie
se dégagent de nombreuses al'lirmations, de nombreux sys-
tèmes qui prétendent à exprimer le fait primilil", qui visent à
en prendre possession. Enlin. l'on confronte les résultats
de cette élaboration avec la donnée primitive. Les églises
méditent leurs délinitions dogmatiques à travers des déli-
bérations» ([ui jouent le même rôle (jue les motifs de crédi-
bilité dans la genèse de la foi individuelle et (pii visent à
relléter la foi primitive dans la théologie savante. Un juge-
ment délinitif, une solution solennelle prononce en dernier
ressort.
H n'est donc point inexact d'admettre avec quelques
théologiens un développement de limplicite à lexplieile,
de l'obscur au clair, du probable au certain ; ou avec
d autres une phase de la foi implicite, une phase des con-
troverses et des hésitations, une phase de la foi ecclésias-
ti(pie.
La formule est souple jusqu'aux délinitions solennelles, qui
lui donnent une signification arrêtée dans ses détails, et iw
\'(irk'(fir. Ainsi pendant un temps elle peut senriehir, ou s'alté-
rer; puis elle prétend rester immobile et conserver. Entre la
formule innnobile et la foi en marche les eonllits éclatent; ou
bien, versant un vin nouveau dans les vieilles outres, on s'ef-
force à l'entendre en un sens nouveau. Le développement de
l'esprit et du savoir qui, à un moment, a suscité le dogme,
le dépassant, l'expose à tous les retours de lliésitalion et
de la critique. La théologie le défend. Après avoir essayé de
rejeter et de réprimer celles des assertions du savoir séculier
•qui lui paraissent inconciliables avec elle, elle les accommode.
La création, l'ascension du Christ, sa descente aux enfers,
n'ont plus le même sens que jadis.
^4^ I.A RKLIGION KT I,A KOI
L'évolution, le développement du dop:me peut être pris en
trois sens dilTérenls (i). Il est probable que ees trois sens sont
vrais et que chaque théorie trouverait, dans l'histoire des
dogmes, des exemples à qui s'appliquer. L'hypothèse la plus
naturelle, c'est qu'un dogme, qui est dit proiçresser ou se déve-
lopper, a changé de sens. La divinité de Jésus-Christ n'a pas,
pour le .Moyen Age, le même sens que pour la première géné-
ration chrétienne. Le sens du dogme ultérieurement défini
n'est plus le même que celui de la révélation primitive. On
peut, du reste, dans cette hypothèse, entendre le dogme comme
une construction rationnelle de valeur relative, comme une
théorie qui change avec le temps; ou bien comme une expres-
sion du sentiment, symboliquement interprétée et variable
avec le sentiment lui-même. Ici la notion de développement
est prise au sens de changement; c'est le caractère de change-
ment, d'altération, de transformation, qui frappe les théori-
ciens plus soucieux du devenir que de la permanence et de
l'identité. L'idée biologique d'évolution leur fournit un exemple
et un appui. La théorie entraîne à juger avec une certaine
rigueur la prétention des religions à l'immutabilité. Elle dira
volontiers, avec Renan, que l'histoire religieuse progresse par
une série de contre-sens.
Ou bien, comme le fait par exemple Ncwman, on s'ef-
force de maintenir, sous le changement, la permanence du
type primitif; on parie de croissance organique; on insiste
alors sur la constance des principes directeurs, Tunité du
type, sa puissance d'assimilation, sur le caractère logique du
développement, sur la préexistence des développements futurs
dans le noyau primitif, sous forme d'anticipation, sur la con-
servation des acquisitions, sur la vigueur d'affirmation qui se
soutient à travers la durée. Ici l'on s'efiorce de faire droit à la
différence comme à l'unité, et l'on recourt à la métaphore de
(i; Voir sur ces questions Garukil, Le Donné révélé et la théologie.
I.\ KOI r.lU AlItlCK ||>
la croissance orgauicjue, où la nolioii de prédélerniinalioii et
de préexistence joue un rôle capital (i).
Ou bien encore c'est au prop:rès de ICsprit que l'on recourt
pour fournir une tiiéorie de lidenlitc sous le changement. Nos
idées, les œuvres de l'esprit ap|)araissent d'aborti comme
contusion synthétique, comme indéterniination capal)le de
développements divers; la réllexion travaille sur ces données
|)rimitives; elle y introduit des distinctions, des définitions;
elle y a[)erçoit des compatibilités et des incompatibilités: elle
y démêle les divers développements possibles. Knlin, l'esprit
revient riche de ce travail, sur la donnée primitive, pour l'y
intégrer. Ici la métaphore est d'ordre spirituel et l'on traite ce
(jui se passe dans une multiplicité d'esprits et dans ime suite
d'esprits, comme ce qui se passe dans un esprit. L'esprit
humain n'est j)lus ([u'un homme, et la suite des générations et
la diversité des sociétés et des groupes sociaux simultanément
existants ne sont plus que la vie de cet homme éternel.
Les métaphores organiques ne s'appliquent à des états
il'esprit que prises à ce degré de généralité qui se trouve
convenir à peu près à tout ce qui existe. Le récent insuccès de
certaines tentatives qui ont voulu verser, telles quelles, dans la
sociologie ou dans l'histoire littéraire, les notions et les lois
qui s'appli(iuent aux organismes sulïiraicnt à nous avertir du
caractère précaire de telles comparaisons. C'est bien dans la
(Il Oïl j)Oiirrait ici citt-r Ukci-.l : « Le Ino^l^■cIn(•llt du concei^l est dcvi-lup-
jxMucnt, par l<'<|iiel (Irv('lt)ppeijipnt on ne pose (juc ce qui se trouve déjà
présent en soi. Dans la nature, c'est la vie or}îani(iue qui correspomi à la
phase du concept. Ainsi, par exemple, la plante se développe de son j^ernie.
Ce dernier contient déjà <'n lui la plante eiilicre, mais de manière idéale, et
c'est pour(juoi il ne faut point concevoir .son développement de telle manière
que les diverses parties de la plante, racine, tronc, l'euillcs, etc. se trouve-
raient déjà dans le j,'erme, mais toutes petites. C'est FLypothèse de l'emboi-
temenf, dont le délàut par consé(|uent consiste en ce que ce (|ui n'est jiré-
sent que de manière idt-ale est conçu comme étant déjà existant. Cr (ju il y
a au contraire de juste dans cette hypothési-, c'est le lait <pie le concept an
cours de son processus reste en lui uicme et que par ce processus rien do
nouveau n'est posé en ce «|ui concerne le contenu, mais que seul'- uif i>i".li-
lieation de la fornie se trouve produite. » ( H'erAr, \I, p. 1^7 )
^^^ i.a kki.k.ion f.t la i oi
vie spii'iiuelle (ju'il faul tliorclior les lois des êtres spirituels; h
condition de la prendre dans toute son ampleur. La construc-
tion cl le progrès du dogme expriment non seulement l'esprit,
mais aussi les passions, les coutumes, les institutions des
communautés: la théorie de la satisfaction d'Anselme a un
caractère juridique et n'est possible qu'à un certain moment
de l'histoire du droit. Les l'ornuiles juridi(iues fournissent
volontiers une représentation claire de l'organisation du gou-
vernement divin. Le développement du dogme, ce n'est pas
seulement le développement d'un dogme, c'est le développe-
ment dune dogmatique dont toutes les parties sont en rap-
port; c'est la maturation d'une œuvre d'ensemble oîi tout pro-
grès, toute retouche de détail, retentissent sur l'ensemble (i).
C'est l'obligation de rechercher, dans le cabinet du savant,
dans l'oratoire des fidèles, dans le tumulte des conciles, des
idées nouvelles propres à com]>léter et à expliquer les
anciennes.
Bien entendu, même lorsqu'il s'accomplit dans l'esprit d'un
sujet particulier, le développement d'un thème, d'une idée,
n'est point simplement passage de l'implicite à l'explicite; un
tel mode de développement, au sens étymologique du mot,
n'est qu'un cas particulier; la pensée progresse le plus sou-
vent par adjonction, par complication, par contamination, en
allant chercher hors d'un cercle d'idées de quoi l'enrichir; elle
est synthétique aussi bien qu'analytique, et l'analyse progresse
[Il On peut utilement rappeler l'exposé S}ntliéti(iur de Dohnek, Grundriss
dcr Doginengcfichichle, 1893. La première lornie dfe philosophie chrétienne est
suscitée par le gnoslicisme et par les nécessités de l'Apolo^Me. Elle a moins
pour objet de lixer des dogmes particuliers que de présenter un système
achevé; par exemple, l'œuvre d'Origène. A la seconde étape, c'est l'Kglise
qui entre en scène, et, tranchant la question, consacre successivement par
son autorité un certain nombre de dogmes; après quoi on tente de rassem-
bler les dogmes eu un tout et d'en Caire un système cohérent, l'Kglise demeu-
rant la haute autorité dogmatirpie. Enlin. les dogmes ayant été fixés dans
leurs grandes lignes et approuvés i)ar l'Église, le moyen àgc constitue des
sommes théologiques. Plus tard, le protestantisme, tout en établissant des
confessions de foi, croira comprendre l'esprit originaire du christianisme et:
revenir au christianisme d'avant la théologie.
I. A l'oi cm; \THicK ^^5
non point par iiii simple (Irroiilciiiont des synthèses piinior-
(liah's. mais le [)lns soiivonl j)ai' l'intervention de synthèses
nouvelles. Souvent aussi un épisode, un moment du dévelop-
pement, prend valeur propre et prop^resse pour soi et par soi,
La c'oml)e sinlléchit. une série nouvelle conmience : ainsi
l'artiste se trouve inventer à mesure, en prenant appui sur ee
(piil a déjà l'ail: ainsi une idée d'à-côté se trouve dominer la
eonseience, un courant secondaire se trouve l'envahir. Et cela
est bien plus vrai encore lorsque l'esprit (jui travaille sur le
dogme n'est pas l'esprit peu mobile d'un individu particulier,
mais l'esprit très changeant d'individus (pii se succèdent, oîi les
idées changent par cela seul qu'elles passent d'esprit à esprit,
et l'esprit très varié d'individus et de groupes dilFérents, oîi
les idées communes prennent une qualification particulière, oîi
se forment des idées particulières qui se reversent au fond
commun. C'est pourquoi le dogme dévore ses créateurs: c'est
|)our(|uoi les théologiens tond)ent tour à tour sous le coup de
décisions dogmatiques, dont ils ont eux-mêmes posé les bases.
C'est pourquoi la nouveauté la plus vive se rencontre dans
l'histoire des dogmaticpies. à côté de la conservation opi-
niàtie. C'est pourquoi le développement ne s'inscrit pas seu-
lement comme progrès, mais est aussi bien, à certains moments,
réaction, réforme, transvalnation des valeurs. Après l'aseeii-
•-ion éclatante, la période d'état et de domination plus ou moins
trancpiille. Puis l'inévitable déclin, le cré[)uscule des dieux.
Les (loguies n'exj)riment plus l'esprit du temps. La science et
la |)liilosoj)hie ont orienté autrement les esprits. Ils londjent
r\\ désuétude ou soni battus en brèche. Les Eglises les
di-rcndeiil à coup d'apologéti([iie, les accommodent à l'esprit
nouveau ou les maintieunent lièrement avec mie apparenei'
d'inunulabilité dans un univers sj)iriluel oii ils ne s'ajustent
plus. La virtuosité des théologiens et des lidèles s'exerce sur
ces thèmes périlleux. A vrai dire la foi a toujours connu le
péiil. <pii est de son essence. Mais suivant les l«Mnps elle le
H»' LA UKLKMON ET LA FOI
court joyeusement avec la certitude de la victoire, ou bien
avec une morne inquiétude.
*
* *
La P'oi divinise son objet et tend, nous l'avons dit, à le
diviniser davanta2:e. On peut distinguer plusieurs procédés qui
concourent à cette c majoration », à cette divinisation crois-
sante.
D'abord une sorte de dynamisme intehie. Les affirmations
se succcdent, toujours plus audacieuses, expression d'un senti-
ment (jui se nourrit de soinu-me, qui se développe, qui s'exalte
et s'excite par sa durée même; période d'établissement avant
d'arriver à la période d'état ou de déclin. Lu foi s'enivre de
ses propres olfrandes et de ses exaltations multipliées.
Le travail lof^ique sur les formules déjà posées. On en tire
les conséquences, qui souvent vont fort loin; on les rattache
aux autres parties de la dogmatique ébauchée. Les différents
dogmes réagissent les uns sur les autres.
Le passage d'un thème en des groupes ditlérents, ou des
générations successives, qui, n'étant point arrêtées par les
mêmes scrupules dogmatiques, par les mêmes préjugés, res-
titue à la communauté le dogme agrandi. C'est ce qui est
arrivé pour le (>hrist, devenu le Logos des (irecs, et dont la
grandeur était préparée au sein même de la société juive par
Barnabe et par Paul, qui ne pensaient pas en juifs stricts. La
diversité des groupes sociaux, la variété individuelle, la discon-,
tinuité des groupes sociaux élargissent le dogme, l'altèrent et
l'agrandissent.
Ou pourrait peut-être distinguer dans la formation du
dogme le rôle des différentes classes religieuses ; la foi des
simples, alternativement exigeante, impérieuse, majorante
I,A loi CUKATRICE 4^7
(lahoi'd, cl conservatrice^ la loi des doctes, ratiocinante, syslé-
inatique, en (juète de précision, ouverte à routrance des sys-
tèmes, à l'ivresse dogmatique; la loi moyenne, avec ses timi-
dités, ses réserves, sou souci <ré([uilil)re.
*
* *
Le doorme réagit sur la Foi. Le sentiment s'excite en pré-
sence des signes sensibles qui rexpriment. Le sentiment s'excite
en présence des images et des notions (jue la pensée lui fournit.
Le dogme est chargé de puissance atreclive. Il est un moyen
nouveau pour faire jaillir une source d'espérance, de consola-
tion, d'exaltation. Il tient la Foi en éveil par le langage abstrait
dont il revct ses ardentes aspirations.
Le dogme n'est pas connaissance pure; il est langage d'ac-
tion, maintien des valeurs. Pas plus que l'action, le rite n'est
action j)ure ou sentiment aveugle. Des dogmes comme la
Rédemption, le Péché originel, traduisent les oppositions, les
contrastes, le tragique de la vie intérieure. Le Médiateur est
celui qui apporte le salut.
Le dogme, qui a la durée des formules et des systèmes,
maintient les sentiments et leur fournit un point de repère et
un point de départ durables.
Parfois même, par sa sécheresse rigoureuse et sa froide
abstraction, il avive la piété.
Le dogme se constitue au sein des hérésies, dans cette
prolifération de thèses et de doctrines spéculatives dont
la loi travaille les esprits. 11 se pose en s'opposant. Il est
.^4S I A UKI.ir.ION ET LA KOI
issu du môuic besoin; les hérésies n'éclatent que sur les points
oîi le dogme est en travail. Vacant a raison de dire que les
hérésies naissent des questions que soulève la marche du
dogme (i); et Duchesne qu'à l'orthodoxie des Conciles, les théo-
logiens ont travaillé, d'abord en produisant des hérésies, puis
en les réprimant. Par exemple, le symbole de Nicée a été rédigé
contre les Ariens. Arius oblige la doctrine du Logos à s'affir-
mer et à s'uniformiser. L'Eglise écarte à la fois l'interprétation
sabellienne et l'arienne. Pour réfuter Apollinaire, on se préoc-
cupe avant tout de prouver que Jésus n'aurait pas accompli
entièrement l'œuvre de la Rédemption, s'il n'avait pris une
ànie raisonnable, et que cette àme ne mettait en péril ni l'unité,
ui la sainteté du Verbe Incarné. L'Eglise définit contre les
Gnostiques, niant l'Immanité de Jésus-Christ, contre Eutychès,
contre le Neslorianisme. C'est ainsi que se constitue, entre des
excès opposés, le dogme, expression intellectuelle d'un besoin
profond de la conscience chrétienne, désireuse de trouver à la
fois dans son Christ l'homme et Dieu.
Ainsi les principaux dogmes des orthodoxics ne trouvent
leur formule délinitive que dans les contestations et les dis-
putes. Juste est le mot de Newman qu'aucune doctrine n'est
définie avant d'avoir été violée.
Des théories très dînérentes, souvent même opposées,
naissent en même temps dans dillérents esprits et continuent
ensuite à coexister dans la communauté, jusqu'à ce qu'un
(Ircdo dogmatique, artificiellement rédigé, élimine les contra-
dictions. C'est la tâche des Eglises de faire un choix et d'éta-
blir des compromis.
Cette tendance est particulièrement manifeste dans l'Eglise
romaine. Elle pousse à l'extrême l'esprit d'équilibre, le besoin
de penser à l'extrême les notions antithétiques, de les main-
tenir face à face, de ne rien laisser perdre de la foi, quitte à
(!■ II, 3oo.
I,A KOI niKAIlUCE 44l>
adincttre la coiilradiclioii et à se réfugier dans le mystère (i).
Le travail lliéolof;i(iue est aux [)rises avec les exij^enees
eontradictoires de la Foi. La formule, où s'harmonisent les
antinomies, sort de débats passionnés. Une autorité prononce,
qui ne veut rien laisser échapper de la réalité religieuse. Par
exemple, elle construit le Christ de telle façon que l'homme y
soit tout entier, et Dieu aussi, anathématisant à la fois ceux
([ui le rapprochent ou l'éloignent trop de l'homme. Les
dogmes de la consubslantialité et des deux natures font droit
sinuiltanéinent à la réalité de l'histoire évangélique et à la
doctrine du Logos.
Le catholicisme se développe selon deux principes, l'un
de sauvage luxuriance, d'expansion spontanée, de foisonne-
ment d«' formes, de variation en toute direction; l'autre,
d'ordre, de contrainte, d'unification. Le second est souvent eu
conflit avec le premier, souvent submergé par sa lâche, tou-
jours plus ou moins en arrière.
Le dogme accentue le caractère mystérieux du Mythe. Le
Mythe et aussi les fornmles élémentaires laissent dans l'esprit
une impression confuse de mystère, une sorte d'émoi téné-
breux, par la plénitude vague de leur contenu, par l'étrangeté
de leur arrangement, [)ar la discordance de l'expression et de
l'intention. Le Mystère dogmatique est incompatibilité logique.
(i) « L'orlliodoxi»^ purail suivre une sortf do lij,'nc politii[ue. moyonuc et
ol)slinéni(»nt conciliant»', entre les conclusions oxtiriues (jue l'on peut tirer
des données qu'elle a en dépôt. Quand elle cesse de j>erce\ oir l'iiccord logiipie
des assertions (juclli! setnide oj)p()ser l'une à l'autre, elle pi-oelanie le mys-
tère et n'athète pas l'unité de sa théorie par le saerilice d'un élément impor-
tant de sa tradition. Klle s'('st refusée à enfermer l'ordre réel des choses reli-
gieuses dans l'ordre rationel de nos conceptions. » fLuisv, /. Aa/i,y//e el
29
45o \.\ llTAACAOS KT l.A lOt
Sur le plan do la spéculation, le Mythe, devenu dogme,
devient coulradiclioii el mystère. Les exij^cnces contradic-
toires de la Foi et de la dialectique aboutissent à la promulga-
tion de notions inconciliables, mais confondues dans un même
acte de foi. Les thèmes dogmatiques, passant à travers les
groupes religieux et les écoles religieuses, s'y compliquent de
notions étrangères et de sens contradictoires. La politique de
ILglise vient ensuite tout prendre et tout concilier. Les pro-
grès de la théologie accusent donc Tinintelligibilité du dogme,
et d'autant plus que se constitue la notion laïque, scientifique
de l'intelligibilité. Nous avons étudié le conllit à propos de
saint Tiiomas et de l'Aristotélisme. Nous avons vu que le
recours à V « extrinsécismc » est, dans ce cas, la solution du
pro])Ième de la raison et de la foi.
Ainsi les premiers dogmes, sortant du nimbe d'étrangeté
familière, de l'éblouissement confus, du polymorphisme pro-
téiforme qui enveloppent les débuts de la i)ensée religieuse,
baignent d'abord dans une sorte d'intelligibilité courante. Cer-
taines formules, comme celle du Logos, sont parfaitement
intelligibles à une époque et à un milieu. Le Mystère appa-
raît quand on fait converger plusieurs modes et plusieurs
plans de pensée difTércnts, dont l'incompatibilité éclate un
jour; quand on veut retrouver, sous la précision, l'unité, la
simplicité logique, la multii)licité, la richesse vague de la
pensée prélogique ; quand on veut, par exemple, pour ne rien
laisser perdre de la foi, réunir dans le même être la notion
juive de lahveii et la notion grecque du Logos, fondre
ensemble le Dieu bibliciue, incapable d'hypostases, et le Pre-
mier néoplatonicien, créateur d'iiypostases.
Mais la contradiction n'est pas aperçue d'abord. La théoj
dicée des Néoplatoniciens, au-dessus de Texpérienee et de 1^
pensée strictement logique, admettait, encourageait la contra-j
diction et la confusion. La « liaison illuminée des Pères » esi
organe mystérieux de l'intelligibilité du mystère.
I.A KOI CHKATRICK ^^)l
VA (inaïul elle confesse qu'elle ne peut ('clairer le Mystère,
la théolourie prétend tout au moins montrer cpi'il n'est pas
contraire à la raison, qu'on en peut trouver des confirmations
dans la nature, ([ue le rapport des mystères entre eux et leur
rapport avec la lin dernière de l'homme, leur eonl'èrenl une
espèce d'intellii;ihililé, en même temps (juc leur transcendanc*^
les soustrait à la contradiction : « Les afûrmations trinilaircs
ne se rapportant pas à des notions claires et adé([uates à l'es-
sence et aux [)ersonnes divines, ne créent pas dans notre
esprit un conllil évident comme le heurt de deux idées
claires. »
*
* *
La puissance administrative et sacerdotale assure la règle
de la loi. LTnité de IKû^lise s'exprime dans le Crerlo, qui
assure l'uniti- de Foi. D'oii l'intérêt ecclésiastique sous l'intérêt
reli2:ieux ; d'où le conservatisme qui, par l'autorité et l'immo-
bilité, assure la sécurité. L'homogénéité du (jedo donne au
groupe le sentiment de soi. La concentration dans les mêmes
mains des fonctions administratives, du droit de surveiller la
doctrine et les mceurs, du soin d'enseigner la loi, du privi-
lège de disposer de la force des rites (i), confère au dogme
un caractère largement social qui reflète tous les aspects, qui
exprime toutes les tendances de la société religieuse. En
même temps (jue la science du théologien, l'inspiration de la
sainteté et les combinaisons de la politique y concourent (2).
Ainsi, assuré sur l'Kglise, le dOgme se propose à la foi des
fidèles.
(i) Nous avons parlé pins haut des rites et des mythes; il est inutile
de nous répéter à i)ropos des do<,'nics. Certaines lormiiles eércnioniellrs
concourent à la formation et au maintien des doj;mes. Par exemple, on alii' ^
montré, pour le dogme de la Trinité, le rôle de la liturgie du liai)tême.
'2 Le dogme de rinl'aillibilité, jtar exemple, en même temps qii'il p.ir
fait l'économie ecclésiastique, venant à son Leurc dans le développement de
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TA RLE DES MATIERES
A\AM-i'ROPos. — La Religion et la Foi 1-XU
LIVRE PUEMIEH
CHAPITRE i. — La Foi implicite i-ga
Le Fidèle et la Comiiiuuautc'', 4. — Les dillerents modes
de grfiujiciuenls religieux, 4- — Le Culte, i3. — La Com-
ménioralioii, i5. — La Puissance des choses sacrées ;
relficace du désir et l'elïicace tles rites, 22. — Le désir et
la force niagfifiue, 27. — Ccnsécralioii, sacrrnienls, sacrifice,
45. — Le rilc oral, 5c). — La Discipline cérénionielle, le
Culte niélhoditiue, 62. — L'Excitation ) collective, le Culte
extatique, (iO. — Les variétés jsychologiques, 81. — Vers
les fornies supérieures de la loi, 85.
( IIAPITRE 11. ~ La Foi raisonnante 92-189
La Recherche de la Vérité, 92. — Ratioiialisine et irratio-
ualisnie, 95. — La raisou dans la foi, 102. — L'Acte de
loi, ii3. — L" Autorité de l'évidtnte et l'évidence de l'Auto-
rité, 127. — Valeur et vérité, i4<'). — Quelques remarques
conlirniatives, i53. — La religion naturelle, 103. — Les élé-
ments de la loi raisonnante, i6ç). -- Les conditions intellec-
tuellt s de la foi raisonnante, 178. — Expérience et tradition,
182. — Le tloute dans la loi, iH^.
CHAPITRE 111. - La Foi confiance ^"^9-247
Le Synibolo-Eidéisnic, i8<). Le Modernisme, lyO. —
Luther et la Foi liducialc, 204. — L'Assurance du salut, 226.
— Autres formes de la Confiance, 232. - La Conliance, 235. —
Un exemple de foi complexe, 241.
LIVRE II
CHAPITRE 1. — La Certitude mystique 247-285
Le Mysticisme, 217. - L'ExIase, 25o. — L'Extase et la
^'ie, 208. — Les Visions, 271. — Les Etats négatifs, 271. —
L'Extension du Mysticisme, 275. — Mysticisme et religion, 27O.
31
^(i-i TAIJLK DES MATIÈRES
CHAFITKK 11. - L'Inspiration prophétique 285-3ri
Le Prophète, 285. — Les Comlilions du propliélisme, 291. —
La Grâce, 3o3. — Le Mécanisme de riuspiration, 3o().
CHAFITHE IIL — Le Fanatisme 3i3-32'3
LIVRE III
CHAPITRE I. — La Conversion 323-37'i
La Format iou duii Syslènie, 323. — Changement el Con-
version, 328. — Le changement d'àme, 33o. — La Passion,
333. — Le Caractère, 334- — Conversion et Théologie, 339. —
Le schéma de la conversion, 34i. — La profondeur de la
conversion, 344- — L'illuminaliou sul)ite, 345. — Conversion
sans crise, 35i. — La préparation et la brusque synthèse,
355. — Intelligence et conversion, 359. — L'inlluence, 364- —
Les circonstances favorables, 36(5. — L'Initiation et la con-
vei'sion, 368.
CHAP1T411-: II. Hors la Foi 374-401
Les Equivalents de la religion, 'ij^. — De la Foi au doute,
376. — La crise de doute, 387.
Conclusions ^t Anticipations. — La Foi créatrice . . . 4f^i-4''*i
Tableau BiBLiOGRAPmQUR 45i-4*'<>
Paris. — Les Prksses IMvermtairks dk France.
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