Skip to main content

Full text of "La religion et la foi"

See other formats


>.Vv 


.t  .  < 


^  / 

\ 


"•'1k          A 

K  où 

^.fsA 


^'b^ 


^ 


S»>4bi3l. 


âttiir 


^^  H». 


J" 


J^ 


^";jw! 


\- 


2^  ô^ 


LA  RELIGION  LT  LA  FOI 


MEME 


UTEUR 


LIBRAIRIE     FKLIX    ALCAN 

Essai  sur  le  Mysticisme  spéculatif  en  Allemagne  au  XIV'  siècle,  i  vol.  in-8". 
Les  Grands  Mystiques  chrétiens.    Etudes  d'histoire  et  de  psychologie  du 

Mystirisnir,    i  vol.  iii-S".     (Épuisé.) 
La  Psychologie  de  Stendhal,  i  vol.  in-8". 


A    LA    LIBRAIRIE    ARMAND    COLIN 
.  En  collaboration  avec  MM.  Bouglk,  Brbhikr  et  Paroih. 

Du  sage  antique  au  citoyen  moderne,  in- 12°. 


LA 


RELK.ION  ET  LA  FOI 


PAR 


HENRI     DELACROIX 


Professeur  à  la  Sorbonne. 


PARIS 

LIBRAIRIE    FÉLIX    ALCAX 

Io8,     UOULEVARI)    SAINT-OEUMAIX,     loS 


r.'us  droits  de  traducli'jri,  de  reproduction  et  dadaptation  réservés. 


AVANT-PROPOS 


LA    RELIGION    ET    LA    FOI 

La  Foi  est,  pour  la  psychologie,  le  l'ait  relit^ieiix  primordial. 
N  est-elle  pas  au  cœur  de  tous  les  sentiments  et  de  tous  les 
actes  religieux,  ne  leur  assigne-t-elle  pas  leur  rapport  avec 
leur  objet,  n'est-elle  pas  l'acte  ou  l'attitude  par  lesquels  l'indi- 
vidu entre  ou  se  maintient  en  contact  avec  le  sacré,  sous 
toutes  les  formes  (pii  le  révèlent,  dogmes,  pratiques,  société 
religieuse?  Dans  certaines  religions  presque  subjectives,  dans 
certaines  formes  du  protestantisme  par  exemple,  létat  d'àme 
(pie  ce  mot  désigne,  est  presque  le  tout  de  la  vie  religieuse. 

Même  dans  les  religions  les  plus  objectives,  dans  celles  qui 
font  une  part  considérable  à  leflicacité  externe,  indépendante 
du  sujet,  des  forces  religieuses,  on  voit  intervenir,  au  moment 
essentiel,  l'attitude  du  sujet  qui  vise  à  les  utiliser.  C'est  bien 
l'opinion  des  àmcs  religieuses,  et  c'est  aussi  celle  des  Eglises. 
Prenons  pour  exenq)le  l'Kglise  catlioli([ue,  et  sa  doctrine  des 
sacrements.  La  théorie  la  plus  objective,  la  plus  réaliste, 
celle  de  Hugues  de  Saint -Victor  par  exemple,  veut  (jue  le 
sacrement  contienne  la  grâce  comme  le  remède  sa  vertu;  celle 
de  Duns  Seot  ou  de  Gabriel  Hiel,  avec  la  célèbre  distinction 
de  Vopiis  npci'atnm  et  de  Vojxis  oprrans  (i),  professe  (jue  V<>/}iis 


^Il  Duns  Scot.  in  lib.  iv,  tlisl.   i.  qii.  0  m  rr-iol.  —  (labru-l  Biix,  in  lih    iv 
dist.  I,  qu.  3. 


vin  AVANT-IMIOPOS 


operatum  confère  la  grâce  sacramentelle  par  sa  force  propre, 
sans  que  les  bons  mouvements  intérieurs  du  sujet  soient  néces-    J 
saires:   mais,  dans  les  deux  cas.  il  faut  tout  au  moins  (jue  le     i 
«  récipient  »  n'y  fasse  point  obstacle,  par  exemple,  qu'il  ne  soit     s 
pas  en  état  de  péché  mortel.  Et  c'est  là  une  doctrine  extrême; 
car  une  doctrine  toute  différente,  que  Dieu  opère  dans  l'àme  à 
l'oecasion  des  sacrements,  que  la  grâce  est  dans  l'àme  et  non 
dans  les    signes  visibles,    est   soutenue  par    des   théologiens 
comme    Saint-lionaventure  (i)  ;   et  entre  ces  deux  doctrines 
extrêmes    il  en  est  d'intermédiaires,  celle  de   Saint-Thomas, 
par  exemple,  ou  de  Bellarmin,  et  l'Kglise,  comme  toujours,  a 
pris  une  position  moyenne.  La  notion  de  la  grâce  sacramen- 
telle, remède  qui  agit  objectivement,  est  complétée  par  celle 
d'une  assimilation  subjective  (2).  Le  catholicisme  n'emploie  pas, 
pour  la  désigner,  le  mot  Foi,  parce  (juc  ce  mot  signifie,  pour 


II)  Saint-Boxaventihk,  lib.  iv,  dist.  i,  ji.  t,  arl.  i,  qu.  3.  :  <i  ?ion  causant 
f^ratiam,  nisi  fier  (luaindani  concomilantiain,  (/uia  Deus  saci'amentis  aclliibitis 
in  anima  opcratiir.  »  Nous  signalons  en  passant  l'analogio  de  la  théorie  des 
causes  occasionnelles  chez  Malehranche,  avec  l'explication  de  l'clficace  des 
sacrements  chez  Saint-Hona\ cnltire. 

(2  II  y  a,  il  est  vrai,  une  dérogation  à  ce  principe  dans  le  cas  du  baptême 
des  enlants.  Prescjne  toutes  les  confessions  chrétiennes  ont  rencontré  cette 
iliflicullé  ;  car  lObstaele  au  baptême  des  tout  Jeunes|enfants,  c'est  précisément 
limpossilùlité  de  la  loi  ou  d'une  disposition  (|ui  ressemble  à  la  loi  ;  et  d'autre 
part,  des  raisons  ijue  nous  étudierons  plus  tard  ont  amené  progressivement 
les  églises  chrétiennes  à  rapi)rocher  le  baptême  de  la  naissance.  Nous  étudie- 
rons plus  loin  les  moyens  ([uemploient  les  dilTérentes  confessions  chrétiennes 
pour  résoudre  la  difliculté.  Celles  qui  ne  traitent  i>oinl  le  baptême  des 
enfants  comme  un  acte  administratif,  un  rite  extérieur  d'incorporation  à 
l'Flglise,  ou  un  engagement  «juc  prennent  les  parents  et  que  l'enfant,  plus 
tard,  prendra  à  son  tour,  supposent  chez  l'enfant  une  foi  personnelle,  momen- 
tanée, nuraeuleusement  infuse,  ou  le  report  sur  lui  de  la  foi  de  l'Eglise. 

Une  autre  réserve'pourrait  venir  d'une  seconde  difliculté.  Quelles  doivent 
être  les  dispositions  subjectives  du  célébrant,  {)Oiir  que  le  sacrement  soit 
valide'.*  Par  exemi)le,  c'est  la  doctrine  catlioliijue,  (jue  la  foi  n'est  pas  néces- 
saire chez  le  ministre  pour  la  validité  du  sacrement;  mais  il  s'agit  de  la  foi 
au  sens  catholique  du  mot  ;  et  cette  validité  retjuiert  chez  le  ministre  l'inten- 
tion de  faire  ce  que  fait  l'Eglise;  si  les  paroles  de  la  consécration  sont  ])ronon- 
eées  sans  intention  en  présence  du  pain  et  du  vin,  il  n'y  a  pas  de  sacrement; 
les  paroles  nopèrcnt  (jue  par  l'intention  (jui  les  dirige;  c'est,  en  edet,  cette 
intention  qui  fait  du  ministre  l'instrument  de  Jésus-Christ,  qui  confère  au 
sacrement  .son  pouvoir.  Concile  de  Trente.  Session  vu.  {De  tsaci-uni.  in  gcn. 
can.  XII ;  de  bapt.  can.  iv). 


A\  ANT-l'noi'OS  II 

lui,  la  soumission  à  la  doctrine  de  TK^rlisc.  Mais  cette  assimi- 
lation subjective  du  salut,  ces  dispositions  et  satisfactions  sont 
des  conséquences  de  la  Foi,  et  la  Foi  même,  entendue  au 
sens  lartre  :  et  elles  ont  joué  un  rôle  dans  la  constitution  du 
concept  de  la  Foi  che/  les  Uétbrmatcurs  (i).  Sans  lecherclier 
encore  ce  qui  en  est  de  la  magie  proprement  dite,  ni  jusqu'à 
quel  point  la  volonté,  lintention  de  l'opérateur  ou  du  bénéti- 
ciaire  interviennent  dans  l'action  magique,  nous  voyons  que 
l'eflicace  externe  dos  sacrements  est  contrebalancée  et  complétée 
par  une  attitude  spirituelle,  qui  est  la  Foi  ou  qui  procède  de 
la  Foi. 

La  Foi  est  donc  le  tait  religieux  primitif  pour  la  psychologie, 
([ui  étudie  la  religion  dans  les  âmes  religieuses.  Toute  religion 
proclame  que  la  Foi  atteint  des  réalités,  indépendantes  de 
[individu;  mais  toute  religion  admet  aussi  que  c'est  par  la  Foi 
(juc  l'individu  entre  en  contact  avec  ces  réalités. 

Nous  allons  chercher  à  décrire  les  formes  élémentaires  de 
la  Foi,  je  veux  dire  les  attitudes  distinctes  et  irréductibles 
qu'enferme  cette  notion  complexe.  L'analyse  psychologique 
montre  qu'il  y  a  dillerentes  façons  de  croire;  on  peut  distinguer 
la  croyance  rationnelle,  qui  tend  vers  la  certitude  scientifique; 
la  croyance  sentimentale,  (jui  prend  appui  sur  des  besoins  et 
des  tendances  et  qui  confère  à  leurs  objets  une  valeur  singu- 
lière ;  la  croyance  par  autorité  et  par  ouï-dire  qui  repose  sur 
la  puissance  de  .l'opinion  ou  des  institutions.  Nous  retrouvons 
dans  la  Foi  religieuse  ces  trois  formes  générales,  et  cette  grande 
division  s'impose.  Ce  n'est  (pi'un  schéma,  du  reste.  Nulle  part, 
dans  aucune  conscience  d'aujourd'hui  ou  de  jadis,  nous  ne 
trouverons,  à  l'état  pur,  une  de  ces  formes  de  foi  ;  même  celui 
(pii  croit  [)ar  pure  routine,  trouve  dans  sa  foi  une  satisfaction, 
imc  sécurité  (pii  dépassent  et  confirment  l'habitude  :  le  plus 
raisonneur  des  théologiens  fait  qucl([ue  place  à  l'inspiration  du 

(1)    TnoBLTscu,     l'roiestanlischcs    Kirchenthuni,     Kullnr    der     (icgenwart.    i. 
Al>t    IV,  p    2Ô8. 


AVAXT-l'ROl'OS 


sentiment  ;  là  me  la  plus  sentimentale  s'attache  à  {jnelque  idée 
<'t   raisonne  sur  son   sentiment  même.    La  théorie   peut  bien 
dessiner  des  types  purs,  mais  l'observation,  même  prolongée 
par   riiisloirc,  n'en  présente  probablement  pas  ;  si  le  docteur 
seolastique,    le   symbolofidéiste     contemporain,    le    routinier 
inculte  seml)lent  bien  les  réaliser  jusqu'à  un  certain  point,  une 
analyse   plus   exacte    a   vite   fait  de  déj^ager   une  réalité  plus 
complexe.  Et  cela  est  vrai  de  toutes  les  religions;  il  serait  tout 
à  fait  inexact  de  supposer,  par  exemple,  qu'il  existe  une  l'orme 
de  foi  propre  au  catholique  ou  an  protestant;  nous  verrons  que 
la  Foi  catholique  ne  diffère  de  la  Foi  protestante  que  par  un 
dosage  dilférent  de  ses    éléments,    par  une  valeur  différente 
attribuée    à  certains    d'entre    eux.    Les    différentes  religions 
assignent  une  valeur  différente  à  certaines  attitudes  que  l'on 
retrouve  dans  toutes  et  elles  tendent  par  là  à  développer  ces 
attitudes.  Il  y  a  lieu   aussi   de  tenir  compte  de  ce  fait  que  la  foi 
des    fidèles    n'est   pas  exactement    conforme  à  l'idéal  de  Foi 
décrit  par  les  docteurs  d'une  religion,  et  de  cet  autre,  que   la 
Foi  se  développe  et  varie  inévitablement  avec  l'âge  ;  une  phrase 
de  .T.-.L  Rousseau  dispense   de  tout  commentaire  :  «  J'ai  cru 
dans  mon  enfance  par  autorité,  dans  ma  jeunesse  par  senti- 
ment, dans  mon  âge  mùr  par  raison,  maintenant  je  crois  parce 
quej'ai  toujours  cru.  »  (i)  En  revanche,  nous  verrons  certaines 
formes  de  foi  prédominer  à  certaines  époques,  sous  l'empire 
de   circonstances  historiques  ;    qu'il   suffise   d'indiquer  que  la 
glorification  du  sentimentalisme  tient  pour  beaucoup  au  déve- 
loppement de  la  science,  de  l'histoire  et  de  la  philosophie,  qui 
ont  rendu  difficile  à  bien  des  esprits  le  maintien  de  certaines 
positions  théologiques;  qu'elle  est  liée  d'autre  part  à  un  mou- 
vement général  de  repli  vers  la  vie  intérieure,  au  primat  de 
l'affectivité,  au  règne  du  cœur  :  réaction  contre  la  culture  intel- 
lectuelle excessive,  le  développement  de  la  civilisation  scienti- 


(i    J.-J.    lîoissKAf,  lettre    «lu    i'>  janvier  i^'V).  Œuvres,  l'arit;,    1H20.    t.    xx, 
p.  162. 


WANT-riiOI'OS  XI 

fK|ue.  industrielle  et  juridique.  Qu'il  sullise  d'indiquer  que 
répocjne  priviléi^it'e  de  la  foi  raisonnante,  c'est  le  Moyen  Ap^c, 
làjjo  des  universités  et  de  l'exploitation  de  la  philosophie 
gieeque,  l'épotiue  oii  la  théologie,  qui  s'épanouit  sur  les  ruines 
restaurées  de  la  philosophie  antique,  est  si  puissante,  que  eeux-là 
même  qui  combattent  l'orthodoxie  catholique,  sont  encore 
des  ihéolotriens.  ()u'il  suffise  enfin  d'indiquer  (pie  les  formes 
personnelles  de  la  foi,  foi  rationnelle  ou  senlimcnlale,  se  déve- 
loppent amplement,  en  même  temps  ([ue  les  t^glises,  à  la  fois 
universalistes  et  individualistes,  à  la  chute  des  religions  natio- 
nales, (pii  enserrent  l'individu  dans  la  cité. 

Nous  allons  chercher  d'abord  à  dégager  ces  formes  élémen- 
taires de  la  Foi  ;  nous  les  analyserons  sur  des  exemples  typicjucs, 
d'après  des  faits  précis  ;  nous  chercherons  à  comprendre  leur 
formation  et  leur  évolution,  ce  qui  fait  que  tel  mouvement  du 
cœur  et  de  l'esprit,  telle  virtnallh-  fondamentale  de  l'âme 
humaine  s'explicite  à  tel  moment  de  l'histoire  et  se  présente 
sous  telle  forme  et  sous  telle  succession  de  formes.  Nous  cher- 
cherons à  comprendre  l'utilisation  religieuse  de  ces  formes,  la 
justification  doctrinale  (pii  en  est  fournie;  enfin  nous  tiendrons 
compte  de  la  complexité  des  cas  concrets,  des  combinaisons, 
des  types  mixtes  :  nous  suivrons  jusqu'à  la  réalité  vécue, 
jusqu'à  l'expérience  religieuse  des  individus,  l'épanouissement 
de  ces  formes  ;  à  ce  degré,  la  foi  devient  la  vie  de  la  foi  ;  c'est  le 
développement  religieux  de  l'individu,  son  «  expérience  reli- 
gieuse »,  connue  on  dit  volontiers  aujourd'hui.  Nous  l'étudie- 
rons  dans  ses  états  aigus,  comme  le  mysticisme,  l'inspiration 
prophétique,  le  fanatisme;  dans  son  évolution,  par  dévelopix- 
ment  progressif  ou  par  crises,  dans  la  conversion,  la  sancti- 
lication,  la  dissolution  de  la  foi.  Knhn  dans  un  chapitre  inévita- 
blement sommaire,  nous  chercherons  comment  elle  se  comporte 
et  <piel  rôle  jouent  ses  différents  éléments  dans  la  formation  des 
notions  et  des  institutions  religieuses  fondamentales.  Ayant 
conunencé  par  traiter  les  religions  comme  des  données,  au  sein 


XU  AVANT-1*H<)I»(>S 

(los(iiielIos  se  conslitiio  la  foi  dos  sujols  religieux,  nous  indi<iue- 
roiis  cnlin,  mais  à  1res  grands  traits,  couïnient  cette  loi  aboutit 
aux  éléments  eonstitutil's  des  religions. 

C'est  donc  la  manière  de  croire  (jue  nous  étudions,  cl  non 
pas  les  croyances,  au  sens  que  le  lang^age  courant  donne  à  ce 
mot.  Et  nous  tenons  avant  tout  à  spécifier,  à  séparer,  et  à  dis- 
tinguer, avant  de  recomj)oser  et  de  reconstruire.  La  Psycho- 
logie sait  fort  bien  combien  difrérentes  sont  les  formes  des 
croyances,  puiscjuc  tour  à  tour  les  théories  mettent  l'accent 
sur  l'une  d'entre  elles,  et  ((ue  tour  à  tour  l'intellectualisme,  1( 
volontarisme,  le  lidéisme  sentimental,  l'autoritarisme  socia 
prétendent  à  tout  cxplicpier.  Une  fois  de  plus  nous  constaterons 
que  la  réalité  est  complexe  et  que  ses  différents  éléments  ne  s( 
réduisent  pas  les  uns  aux  autres.  Et  la  foi  que  la  raison  a  en 
elle-même  n'est  pas  foi,  mais  raison;  car  cette  contiance  repose 
sur  la  possibilité  anticipée  de  la  vérification  et  sur  ce  principe 
que  l'hypothèse  du  Grand  Trompeur,  sous  quelque  forme  méta^ 
physique  qu'elle  se  [)résente,  Malin  Génie,  ou  Inlelligencc 
supérieure  à  rinlelligence  humaine  et  autrement  constituée,  oi 
Nature  impénétrable  à  l'intelligence,  n'est  (pi'uuc  fiction  comme 
l'idée  de  Néant,  les  assertions  d'une  intelligence  pouvant  tou- 
jours se  transposer  en  un  autre  langage,  eu  un  autre  système  d€ 
notions  et  la  clef  de  cette  transposition  étant  alors  une  intel- 
ligence, supérieure  et  comnume  aux  deux  autres;  la  Nature 
et  l'Intelligence  n'étant  point  radicalement  incompatibles, 
puisqu'elles  communiquent  et  vivent  l'une  dans  l'autre  et  par 
l'autre,  sinon  par  un  jeu  de  la  pensée. 


LA    lîKLKiIOX    I:T    l.A    lOI 


LIVRE   PREMIER 


CHAPITRE    PREMIER 
LA     FOI     IMPLICITES) 


Il  y  a.  siii\aiil  ta  \  iifoiiicusf  cxprt'ssion  <!»•  lioiioiivici-.  un 
vortip:e  de  coiilorinismc.  I.a  |)liipai-t  des  hommes  •  ce  ii Cst 
qu'en  se  senlaiil  appuyés  et  eouiirmés  par  tout  ee  «|iii  les 
entoure,  (piils  ol)li(-iinen(  une  loi  ferme.  I/aeeord  des  idées,  la 
communion  des  eceuis.  luuih'  des  prali<pies,  réaliseni  une 
manière  d'exislenee  visii)le  de  la  e«'ili(iide  ».  (letle  "  existeuee 
visible  de  la  («Tlitude  »  est  pour  Iteaueoup  le  jn'ineipe  de  la  loi. 

La  foi  implicite,  c'est  d'abord  la  foi  d'autorité  :  la  pidssanee 
<lu  milieu  relii^icux,  la  pression  de  la  socit'Jé  relii^ieusc  sur  I  in- 


i  Nous  pi-oiioiis  le  mot  iiii|>liciU>  •■  un  sriis  où  !<•  |»icinl  |i;n-  i\iiii|ilr 
Sciii':m;M.  Mi'hinîfcs  de  Utirrafiirr  /v/ty/t'H.stf  /  «  Il  «'st  iiiic  loi  naïve  cl  une  lui 
conscitidc  ilellc  inèinc,  une  loi  implicite,  qui.  sans  examen,  einlira.sse  luut 
un  systinie,  cl  une  loi  cfiliijuc  qui  appri'-cie  avant  liatlniettie.  I.a  première 
est  (lél<rniin(^e  par  la  pri  ssitui  <jir<'xerccnl  sur  nous  l'cducalion.  riuilutudc 
rasccndanl  des  |)crsonnes  qui  nous  entourent.  Il  v  a  dan>  la  loi  implicite,  a 
la  fois  (les  rai^voiiN  cMveloppi'cs  el  caclu'i's.  «-l  une  al>scricc  de  raisuns  à  iaquclic 
suppléent  l'autorité.  la  <-uutunie.  elc  .  Notre  aual\sc  montrera  prcci>éiuenl 
l'action  ut  rinleraetinn  ile  ces  diNcr»   iiiolil». 

I 


IV     Kn.lGlON    KT    LA     lOl 


<li\i(lii  ;  contraiiitt'  souvcnl  iiia|H'rviie  cl  d'aulaiil  plus  insiiiuanle 
ou  impérieuse.  Cette  forme  de  foi,  à  l'élal  |)ur.  exclut  les  raisous 
aeeeptécs  ou  choisies,  l'altilude  persouuelle,  iusliuetive  ou 
volontaire.  Elle  impose  au  sujet  des  manières  de  sentir,  de 
jx'user  ou  d'agir  (jui  sont  réalisées  en  dehors  tie  lui  et  (pii  pénè- 
trent en  lui,  sans  adhésion  explicite,  à  la  faveur  de  sa  confor- 
mité naturelle  avec  autrui,  à  la  faveur  du  conformisme  qui  tend 
à  le  faire  plus  semhlahh»  encore  à  autrui.  (Vest  doue  elle  qui 
prédomine  partout  oîi  l'individu  est  implicpié,  absorbé  dans  son 
groupe;  dans  les  religions  de  clans,  de  tribus,  de  cités,  de 
nations.  Elle  abonde  aussi  dans  les  religions  universalistes  ; 
certes  au  moment  oîi  ces  religions  se  forment,  la  foi  person- 
nelle apparaît  de  façon  éclatante  :  car  faisant  a[)|)el  à  tous,  jus- 
lemeiit  parce  (pie  leu^s  principes  sont  capables  d'universalité, 
elles  sont  des  sociétés  volontaires  et  non  pas  héréditaires,  qui 
se  recrutent  et  se  maintiennent  par  adhésion  ;  et  elles  gardent 
toujours  ce  caractère  pour  leurs  croyants  supérieurs  ;  en  droit, 
elles  (ont  toujours  appel  à  racceptation  personnelle  de  leurs 
(idèles.  Mais  en  fait,  elles  redeviennent,  sauf  lexception  d'une 
élite,  qui  vit  vraiment  de  sa  foi,  et  sauf  celle  de  la  conversion 
des  adult<'S,  des  sociétés  auxquelles  on  appartient  pai-  la  nais- 
sance, cl,  au  moins  ([uehjues-unes  d'entre  elles,  des  religions 
d'État  ;  lorsque  la  seconde  ou  la  troisième  génération  a  disparu, 
lorsque  s'est  éloignée  l'époque  des  fondateurs,  des  apôtres, 
des  premiers  convertis,  de  ceux  qui  ont  connu  les  ancêtres 
et  vécu  de  loin  leurs  travaux  et  leurs  épreuves,  lorsqu'on 
appartient  à  la  religion  nouvelle  non  plus  par  conversion,  mais 
par  narssance  et  par  tradition,  la  religion  de  l'expérience  vivante 
et  de  la  foixievient,  pour  la  plupart,  une  religion  de  la  coutume, 
et  par  conséquent  de  la   forme  et  de   la  loi  (i).   Ainsi  la    foi 


Il  Notons  encore  l'iulluciice  de  la  <<)utiiiiie  el  des  inslitiitious  même  sur 
lii  vie  religieuse  la  plus  personnelle.  Quel  est  l'iioninie  qui  rie  se  repose  pas, 
pur  moments,  sur  autrui,  du  soin  de  renfler  ses  sentiments  et  sa  conduite  ; 
•  luol  est  l'initiateur  dont  la  loi  ne  se  récliaun'e  [)as,  par  moments,  à  celle  de 
ses  disciples,  ou  à  la  vertu  des  institutions  qu'il  a  londées'.' 


l,  V     loi    IMI'LIC.ITi: 


iiupliciU'  [cud  à  se  iclahlir  sous  ludlirsioii  proloiidc  cl  (k'ii- 
bi'i'ée  ;  pour  nous  vn  convaincre,  nous  n'a\  ons  qu'à  ol»servci- 
nos  contemporains. 


i.a  Foi  implicite,  ainsi  enicndue,  esl  donc  essenliellemcnl, 
uniquement  collective.  (l<'rles  il  y  a  quelque  chose  de  collectif 
dans  la  foi  croyance  et  dans  la  foi  con liante  ;  tons  les  étals 
psyclioloii:iques  se  jouent  dans  la  dimension  sociale:  les  rai- 
sons, sur  lesipielles  le  croyant  édifie  sa  (oi,  lui  viennent  poui- 
la  plupart  de  la  tradition  :  mais,  s'il  est  un  croyant  véiilablc. 
son  adhésion  est  bien  à  lui  el  les  raisons  collectives  devicnnciil 
les  siennes  par  cette  adhésion;  les  sentiments,  (pii  constituent 
la  foi  c»)nliancc,  provienuenL  jus(pi'à  un  certain  point  des  for- 
mules, tics  rites  d'une  reliti:ion  positive;  mais  ils  les  dépassent 
et  surtout  ils  révèlent  l  attitude  profonde  dune  personnalité, 
son  orientation,  son  choix,  son  <  caractère  intelligible  ».  La 
foi  implicite  n'en  demaJide  pas  tant;  si  nous  l'appelons  impli- 
cite, c'est  justement  (pi'elle  n'explicite  ni  raisons,  ni  sentiments, 
(le  n'est  pas  (prelle  ne  provoque  parfois  des  sentiments  très 
puissants;  à  côté  de  ses  formes  éteintes,  il  y  en  a  de  violentes. 
comme  dans  les  cas  d'excitation  collecti\e  ;  mais  les  sentiments 
([u'ellc  provoipie.  tout  individuels  (ju'ils  soient,  puisqu'ils  sont 
ceux  d'un  sujet  donné,  sont  des  sentiments  eu  ([uehpie  sorte 
impersonnels,  puis(pie  le  sujet  les  reçoit  d'aulrui  plutôt  c[u'il 
ne  les  produit,  et  qu'absorbé  eu  eux,  il  ne  les  pense  pas 
connue  l'expression  d<'  soi-iuème.  comme  le  signe  elfectif  de 
siui  attachement  personnel  aux  objets  de  sa  foi:  au  c(UJtraiie, 
la  foi  conliance  est  un  don  conscient  et  consenti  de  soi-même  à 
un  dieu.  Ce  n'est  pas  non  plus  que  juscpi'à  un  certain  point 
elle  n'ait  ses  raisons  ou  plutôt  sa  raison  ;  Spinoza  et  llenouvier 
ont  fait  renu»r(|uer  (pu-  la  foi  d'autoritt'  siqi|)os«'  la  croyance  à 


:^  l.\    RELIGION    El     I.A     l»»I 

la  valeur  do  rauloriU'  ;  mais  quand  celle  croyance  se  lormule, 
on  est  bien  près  de  sortir  de  la  foi  implicite  ;  on  est  bien  près 
d'entreprendre  une  juslificalion  lalionnelle  de  l'autonté;  et  la 
pluparl  du  lemps  elle  nc^se  formule  pas,  cl  la  [)luparl  du  temps 
aussi  ce  n'est  pas  celle  raison  cachée  qui  csl  la  racines  de  cc^tle 
foi;  elle  repose  sur  un  mécanisme  élémentaire  et  sur  des  pio- 
cessus  qui  n'ont  rien  d'intellectuel. 

Kn  un  autre  sens  (les  deux  sens  communiquent  justement 
par  les  processus  inférieurs  (jui,  dans  les  deux  cas,  soiil  à 
l'œuvre  pour  forger  la  foi)  la  Foi  implicite  est  la  foi  d'habitude. 
Sous  cette  forme  encore,  elle  coexiste  avec  les  formes  de  foi 
supérieures  ;  il  suflit  de  rappeler  l'un  des  rôles  que  Pascal 
assignait  à  la  coutume,  celui  de  suppléer  et  d'incliner  l'esprit. 
"  car  d'avoir  toujours  les  preuves  présentes,  c'est  trop  d'af- 
faire ».  Les  fonctions  supérieures  reposent  sur  l'automatisme  : 
l'habitude  est,  en  autres  choses,  savoir  implicite  et  personna- 
lité virtuelle. 

LE    FIDÈLE     ET    LA    COMMUNAUTÉ 

On  peut  étudier  séparément  :  i"  l'influence  de  la  société 
religieuse  comme  telle,  avec  l'ensemble  de  doctrines,  d'usages, 
((u'elle  admet  et  ([u'elle  impose;  2"  l'inlluence  de  la  prali(jue, 
l'action  du  culte  cl  des  rites  sur  les  fidèles. 


* 
* 


ij:s  j)ii  fkhknts  modes  de  guoi  im:mi;nt  mkligikix 

Dans  le  c  conformisme  »  interviennent  deux  principes,  qui 
peuvent  jouer  à  part  ou  se  combiner. 

Vn  principe  de  moindre  effort,  de  moindre  résistance, 
d'impuissance  à  l'atlilude  personnelle;  de  là,  l'imitation  au 
sens  mécanique  du  mot,  la  tendance  à  reproduire  ce  ([ue  l'on 
perçoit,   la  suggestion,   la   soumission   sans    critique  et    sans 


i.v   loi   iMiM.icni; 


K-x-rvc.  '  LMiaMliidt'  fomminu-  (|iiclles  (jneii  soient  les 
sources,  au\(|iielles  on  no  remonte  pas,  el  (juelle  (ju'en  soit  la 
jiislilieation  (ju'on  ne  se  demande  pins,  devient  l'habit nde  de 
eliacund).  »  L'individu  qui  se  laisse  ainsi  dominer  par  le 
jîi'oupe,  n'est  momentanément  au  niveau  ni  de  la  pensée,  ni 
de  l'action  {•2).  A  cette  faiblesse,  à  ce  désir  de  sécurité,  à  cette 
horreur  du  chanj;em(>nl  répondent  an  dehors  révélation,  auto- 
lilé,  innnulabiiiti'.  el  cette  ])rcssion  extérieure  est  d'autant 
plus  puissante,  (pi'elle  est  continue,  répétée,  massive  (3). 

(  n  principe  d'attrait  ou  de  crainte,  de  sympathie,  en  tous 
cas.  tpii  aboutit  au  consentement,  à  la  participation  confiante, 
ou  à  la  soumission.  L  individu  se  sent  partie  du  groupe;  il  ne 
se  borne  pas  à  le  rélléchir  passivement;  il  éprouve  qu'il  est 
solidaire,  il  collabore.  L'émotion  tendre,  l'élan  qui  permettent 
à  la  sympathie  de  dépasser  sa  forme  élémentaire,  son  stade  de 
réilexion  méeanicpie.  s'épanouiss(Mil  en  sentiments  de  fusion 
ou  de  respect.  L'individu  trouve  dans  la  société  une  réponse  à 
ses  aspirations.  La  société  s'impose  ici,  par  son  prestige,  par 
les  biens  qu'elle  aj>|)()rte  et  dont  elle  enrichit  ses  membres; 
elle  exer(  e  une  sorte  de  fascination,  dont  l'individu  sent  plus 
la  puissance  (pie  la  raison;  à  un  stade  encore  supérieur,  cette 
raison  se  dégagera  ;  elle  deviendra  une  vue  et,  plus  tard,  une 
théorie  de  la  société.  La  société,  du  reste,  dispose  de  sanctions 
pour  maintenir  la  fidélité  de  ses  membres  ;  l'opinion,  blàmc  ou 
ridicule,  les  peines:  elle  est  un  gouvernement,  plus  ou  moins 
c«un[)lexe  et  plus  ou  nioins  hiérarchisé,  (pii  use  simultanément 
et  tour  à  tour  de  la  contrainte  matérielle  et  de  la  puissance 
morale.  L'individu  sent  cette  force  supérieure  et  plie  devant 
elle. 


I     lli  NoiviEn,  i\uinTl/'-  Moiindologie,  p    a()S. 

•2  Voir  l)M,\r.Hinx,  l>(  /'Aiitnniafisinr  ihins  l' hiiildlinn.  J.  tiv  /'.s)(7i  n.jai, 
!)"  «•'  suiv. 

■{  I,'iini(iiti(Mi  ainsi  oiittiuluc  est  vide  de  toute  âme,  de  toute  spcnitanéité  ", 
didërente  par  ennsi'»|ueiit  dis  cas  où,  sous  la  eonta}j:ioii,  eu  apparenee  pure- 
ment extérieure,  il  y  a  un  fond  d"i'l;ds  ('prou\(''s  en  cnnnnun. 


♦)  I.A    Ri:i.I«;lON    KT    l.\     I  ol 

Ton!  le  coiifoiMuismc  s'explique  par  ces  deux  piiiicipcs. 
depuis  le  bien-être  béat  de  l'arnorplie,  (pii  est  impuissant  à 
rien  être  sauf  autrui,  jusqu'à  lentliousiasme  pour  le  Grand 
lOire.  Ces  deux  principes,  selon  les  cas,  collaborent  ou  se  dis- 
lin^:uenl  ou  sopposenl  :  ils  portent  avee  eux  toul  le  mal  cl 
lout  le  bien  de  la  soeiété. 

Le  conformisme  expli(|ue  seulement  l'autorité  «les  sociétés, 
des  institutions  et  des  coutumes,  la  vertu  de  la  tradition,  avant 
lout  essai  par  l'individu.  Il  est  bien  évident  que,  sauf  le  cas 
extrême  de  l'imilalion  mécani(pie,  ees  traditions  ne  pénètrent 
pas  automatiqu<'nient  dans  l'individu  ;  elles  se  proposent  à  lui 
comme  des  modèles  qu'il  lui  faut  reproduire;  il  apprend,  il 
crée  à  nouveau;  l'éducation,  l'apprentissage  supposent  une 
dcconi[)osition  et  une  recomposition  intelligente,  même  pour 
l'assimilation  des  coutumes  les  plus  déraisonnables.  Il  y  a 
beaucoup  d'activité  sous  la  passivité  apj)arente  de  la  coutume 
ou  de  la  mode.  Mais  cette  activité  est  au  service  de  la  passivité 
initiale  ;  et  dans  la  sphère  où  nous  sommes,  s'il  y  a  une  activité 
d'assimilation,  il  n'y  a  pas  encore  d'originalité  personnelle. 

* 
*     * 

Mais  plutôt  que  de  nous  arrêtera  ces  généralités,  il  convient 
de  passer  en  revue  les  différents  modes  de  groupement  reli- 
gieux et  leur  rapport  avec  la  foi  implicite.  L'ordre  (jue  nous 
suivrons  ne  préjuge  aucune  question  d'origine,  de  succession 
historique  ou  de  valeur. 

i"  Nous  ne  ferons  que  mentionner  l'individualisme  reli- 
gieux, qui,  bien  entendu,  n'a  pas  grand'chose  à  voir  ici.  H 
oscille  entre  deux  formes  extrêmes  :  des  cultes  individuels 
:;refi'és  sur  le  système  religieux  commun,  simple  aspect  indivi- 
duel delà  religion  commune,  et  rinv<'ntion  religieuse.  On  passe 
graduellement  d'une  de  ces  formes  à  l'autre.  Sous  sa  forme  supé- 
rieure tout  au  moins,  il  suppose  le  caractère  personnel,  intérieur. 


i.A    it)i    imim.icut:  j 

expli<il«'  lU'  la  loi,  une  personne  (jui  se  lail  à  elle-même  sh 
croyanee.  et  en  parlie  les  ohjcts  de  sa  eroyanee.  Tonte  organi- 
sation ne  Ini  est  pas  étrangère,  car  tonte  foi  vise  à  se  eonunn- 
ni<pier.  mais  il  est  jalonx  de  lie  se  commnniqner  (pi'à  des 
personnes  elioisies,  et  l'organisation  à  hupielle  il  atioutit  est 
très  lâche  et  très  ineeiiainc. 

■2"  La  Secte  relia:iense.  Le  mot  a  sonvent  un  sens  péjoiatir: 
dans  la  honelie  des  orthodoxes  il  désigne  les  dissidents  hors 
de  la  tradition  et  de  la  communauté  ecclésiastiques  ;  et  comme 
les  dissidents  sont  souvent  [)assionnés  et  fanatiques,  il  a  retenu 
dans  h'  langage  commun  (|uelque  chose  de  cette  acception 
secondaire.  Mais  d'ahord  la  secte  est  un  phénomène  religieu\ 
normal  :  point  d'Eglise  qui  ne  se  fragmente  en  sectes,  et  quel- 
<fues-unes  de  ces  sectes  devicnncnl  des  Eglises;  point  d'Eglise 
qui  n'ait  comnwncé  par  être  une  secte.  La  secte  e\|irime  la 
diversité,  la  variété  des  individus  et  des  groupes  religieux,  la 
distinction  an  sein  d'une  religion  donnée  d<*s  dillérentes  formes 
<pi  (Ile  est  capahle  de  revêtir  et  leur  s<''paration. 

Il  est  presqueinévital)le(pi'elleaitpour  caractères,  le  plus  sou- 
vent, l'étroitess*'  de  l'horizon  intellectuel  et  l'intensité  du  senti- 
ment. Car  elle  se  [U'oduit  lorscju  inie  miuoiitc,  dans  un  milieu  hos- 
tile, se  constitue,  en  constrasteeten  lutte  avecMui,  avec  des  pré- 
tentions à  une  moralité  [)Ius  haute  cl  à  un  état  plus  parfait. 

Elle  est  d  autant  plus  compacte  el  plus  passionnée  ([u'ellc  est 
moins  nond)reuse,  cl  (juc  son  milieu  la  j)ersécute  davantage. 

Elle  peut  être  un  phénomène  initial  ou  un  phénomène  linal. 
lorscpie  se  réfugient  en  elle  les  dcrnicis  ief)résentanls  d'unt' 
cause  ancienne,  dépassée  et  vaincue. 

La  secte,  |niisqu'elle  se  distingue  et  se  sépare,  nenfeiine 
qu'une  partie  de  la  nation  ou  de  T Eglise  ;  elle  s»-  recrute  [)ar 
piosclylismc  :  le  plus  souvent  du  reste,  elle  est  frappf'c  ili- 
suspicion  ou  persécutée.  Elle  fait  don(  api)el  au  choix,  à 
l'adhésion  volontaire;  elle  est,  au  moins  à  son  oiigine.  une 
lihre  ré-union  de  lidèles  conscienl>  cl  sincères  (|ui  se   sépaicnl 


i.A   iM.i.n.ioN   i:r  i.\   lui 


«lu  monde  et  de  I  l'ijrlise.  pour  se  grouper  en  petits  cereles,  une 
<M)ninninauté  de  l'adliésion  libre,  de  la  toi  vive;  d'oîi  la  ten- 
dance ;i  I  indiA  idualisnie  et  à  lenlliousiasme  :  roppositi»)n  à 
riljLïIise  avec  ses  tonnes  objeetives.  tradition,  eorj)s  sacerdotal, 
sacrenu'nts;  la  lutlc  contre  IKiflise  on  l'abstenlion  de  l'I'^î^lise 
avec  le  rel'n^e  daii>  lisolcnient  et  la  rclrailc. 

La  S<'cte  csl  active  et  créalricc  :  cr«''atrice  {\v  croyances,  de 
pralicpu's,  de  lorines  d'organisation  nouvelles.  Klle  s'organise  à 
partir  de  inonvcnicnls  de  foule  et  antour  d'une  personnalité. 
Sons  peine  dr-  »lisparaili-e  rapidement,  de  n'être  «pi'nn  mouve- 
ment ile  foule,  elle  ne  peut  pas  ne  pas  s'organiser.  Wesley 
disait  très  justemeni  :  «  .le  suis  persuade  que  la  prédication 
apostoli(pie,  sans  une  assemblée  de  convertis,  et  leur  éducation 
dans  les  voies  de  Dieu,  n'est  pas  autre  eliose  qu'eng<'ndrer  les 
enfants  à  la  morl.  ■  Elle  s'organise  plus  ou  moins.  Demeui'ent 
des  sectes,  les  gioupemcnls  impuissants  à  de  grandes  organisa- 
li«ujs.  (pii  sacrilient  l\\lension  à  l'intensité;  deviennent  des 
i^glises,  ceux  cpii,  pai-  aeerois.sement  numéri(pie,  renforcement 
de  l'élément  clérical,  culture  Ihéologique,  adoucissement  de 
l'opposilion  au  monde,  recrutement  familial,  ont  ellacé  les  traits 
printitifs.  Tout  mouvement  religieux  tend  à  l'autorité  cl  aussi 
à  matérialiser  son  objet  dans  des  formes  sensibles,  pour  rendre 
cette  autorité  <'xlérieure  et  visible.  C^'est  ce  (]ui  l'ail  (pie  la  secte 
tend  vers  l'Kglise,  et  que  les  petites  sectes  deviemieni  parfois 
de  grandes  religions. 

i  1/Kgli.se  se  présente  sous  deux  formes  ;  selon  qu'elle 
s'identifie  avec  l'ivtat.  la  nation,  le  groupe  soci;d.  ou  selon 
(ju'elle  s'en  distingue. 

Sous  la  première  forme  (religions  nationales)  (i),  la  religion 
est  un  aspect  du  s«'nlimenl  et  de  la  vie  nationale  ;  l'iiulividu  lai 


(1)  Nous  prenons  <■«■  mol  fu  iiu  sens  Iri-s  lai(^<',  el  (|iii  «lûsigiir  aussi,  par 
t\emple,  les  religions  tribales.  D'une  manière  assez  semblable,  Tii:ij;  montre 
bien  (l'.inleilunc:,  I,  119'  eominent,  «tans  Jes  »  religions  de  la  nature  >•.  l'orga- 
nisation rie  la  religion  se  eoufond  ;t\  «  c  relie  de  la  soeir-té  ;  l'exemple  qu'il 
analyse  est  eelui  i\c  \'V.^\Ac. 


I,\     KOI     IMI'LlCITi: 


ii|>I»aili(iil,  (.oiiiiiu'  il  aj)j)arlieMl  ;'i  la  nation.  Ce  sonl  lo  aspira- 
lions  natiunairs  (|ne  la  rclijîion  divinise.  La  nation  esl  à  la  t'ois  \v 
siijrt  «'I  rol>jot  (le  la  icliii^ion.  La  icliiiion  |)eiil,  au  reste,  eoni- 
piendre  le  |>eu()le  entier,  ou  seulement  une  fVaetion  du 
|>eu|»le  (i). 

S<»us  la  seconde  ioiine  (i'elij;it)ns  univeisalistes,  ép;lises 
|)i(»|»i-enient  dites),  la  relijçion  l'ail  appel  à  toutes  les  nations; 
eesl  l'individu,  (juel  <juil  soit,  c'est  l'homme  à  qui  elle  offre  le 
salut.  Ses  ia|>porls  avee  la  société  civile,  avec  l'Llal  peuvent 
varier  singulièrement;  réj)rol>ation  de  TLlal  (négation  de  la 
société  civile  et  du  monde,  la  l'uite  du  monde,  le  monacliisme), 
sini|)le  leconnaissanee  de  la  société  civile,  collaboration.  |)ré- 
ti'ution  à  l'indépendance  absolue,  exigence  du  concouis  de 
ri'.tat.  appui  prêté  à  l'Ltat,  tendance  à  le  dominer,  tyrannie 
lliéocratiqiu'.  etc.;  en  sens  inverse,  domination  de  l'Ltat  sur 
rilglise.  appui  prêté  [)ai'  le  bras  séculier,  simple  reconnaissance, 
séparation,  réprobation  et  persécution. 

Lorscpion  dit  par  exemple  <pi'une  Kglise  universelle,  donc 
internationale  dans  son  principe,  redevient  une  religion  d'Ktat, 
ce  mot  est  pris  dans  une  acception  nouvelle;  on  veut  dire  que 
cette  l'église  est  privilégiée,  exclusivement  reconnue  et  soutenue 
par  l'Ltat. 

On  comprend  ipu'  les  attitudes  du  sujet  varient  dans  ces 
«liU'érentes  hypothèses,  et  (pi'il  y  ait  complication,  interférence, 
conilit,  des  sentiments  civicpies  et  de  la  piét('. 


I)  Tiolc  clitnhc  à  moiilit  r  qur  la  ri'llgion  salTraHcliil  dt-  l'IUat  par  deux 
inoyoMs:  la  formation  d'une  puissante  caste  sacordolalr  qui  douiine  et  ahsortu* 
ri'llal;  la  tornialion  de  sociétés  secrètes  et  de  sectes.  Le  processus  est  plu.s 
varié  et  pt  iil,  du  reste,  se  réaliser  liistoriqucmeut  de  bien  des  manières.  Voir 
|>ar  exemple  Uoi  sskt,  ndif^'inn  des  Jndi'ii/liiims,  p.  Oa,  sur  la  rorniatitui  il'un»! 
K>îli>^e  juive  au  temps  des  Maeeiiabées.  La  domination  étrangère  décliarjje  les 
IMeux  de  tout  souci  politique  ou  national.  L'I'.tat  profané  cesse  d'être  le 
support  de  la  reli}fion.  Kn  même  temps,  la  communauté  juive,  par  la  Dias- 
pora, franchit  les  limites  de  la  nationalité.  Mais  ici  la  tentlauce  à  l'Universa- 
iisme  reste  à  mi-c;heiuin  et  le  earaclèic  national  se  mainlieut,  en  incrae 
temits  que  le-,  espérances  d'avenir  et  le  Me-sianisme. 


I,  \     HKLHilON     I:T    l.A     loi 


Les  Kjïliso  iiiUi  nationales  tciKlciit  à  se  nationaliser  à  nou- 
veau, el  snrtoiil  aux  péiiodes  où  le  senlinient  national  s'exas- 
père. In  Dieu  supérieur  aux  peuples  tend  à  redevenir  le  Dieu 
<run  peuple  parlieulii-r. 


*     * 


l  ne  Ktflise  est  une  société  relip^ieuse  organisée  et  indépen- 
dante; une  soeiété  dr  fidèles  uids  par  la  même  profession  de 
loi,  par  l'exerciee  du  même  culte,  par  la  soumission  à  la 
mènï<*  aulorilc'.  Cette  soei(''t(''  s'atlril»u<'  une  valeur  transeen- 
dante. 

Tue  Kp^lise  entièrement  développ<''e  a  donc  un  eanon,  un< 
tradition,  une  théologie:  un  eorps  sacerdotal  avec  une  liiérar- 
eliie  plus  ou  moins  (•om|)le\e;  un  culte,  un  rituel,  des  sacre- 
ments, un  calendrier,  des  fêtes,  une  règle  de  vie  pour  ses 
fidèles:  entrée  dans  l'Kglise,  noviciat,  profession  de  foi.  disci- 
pline eeelésiasticpic.  |)énitence. 

Ti'Kglise  se  rattache  les  fidèles  par  un  triple  lien:  le  lien 
hiérarchicfue,  le  lien  synd)olique.  le  lien  lilurgicpic.  Tout  cela  S( 
lient.  Il  faut  <|mimi('  religion  soil  un  culte,  sous  peine  d<'  n< 
plus  exister.  Le  dogme  apporte  la  vérité  :  il  fournit  un  témoi- 
i^niagc  appaicnl  d'adhésion  à  l'I^glise  d)  ;  il  décide  entre  def 
o[)inioiis  divergentes,  il  donne  une  règle  de  discipline  et  d'ortho- 
doxie. Dogme  et  hiérarchie  s'impliquent  et  se  supportent  poui 
l'organisation  des  croyants  en  soeiété  et  la  conservation  de  cette 
société,  (lar  l'autorité  soutient  la  formule  en  qui  elle  puise 
aidorilé.    Ou   comprend   quelle   autorité   donne   au    clergé    h 


Il  L«'s  eredos  ne  soûl  guère  dévelo|>pé.s  qm-  dans  les  cultes  universalisteJ 
cl  propafrandistes.  Comme  le  disait  U.  Smith,  les  vieilles  religions  consisteni 
jti(s<|iic  cxclusivfiiienl  en  institutions  vA  <ii  i'it<'s. 


I  A   itH    iMi'i.n  ni: 


l'Uiircnlciitioii  (liiii^  les  inriiics  mains  des  loiittions  adiiiiiiislia- 
livcs  (1),  (In  soin  dCiisri^iRM'  la  loi.  du  |>ii\  ilôi^c  de  disposer 
(le  la  ttnee  des  riUs. 

('-elle  autorité  (loi,^iuali(|ue.  ec  inai;islère  s  t'xeicc  du  iislc 
sous  (les  l'oi-mes  dilIVi-eiiteset  |)lus  oiinioins  lu'llenienl  ddiuics; 
ainsi  par  exeinj)!»'  les  délinitioiis  l'orinrlles  de  ranloiih-  eceU'- 
siasti(|ue;  renseignement  exprès  liabilucllenient  eonnnunicpu-  : 
l'enseitmemeid  implicite  contenu  dans  la  discipline  el  la  ])r'a- 
litpie  générale  de  l'ili^lise  :  l'approhaliou  tacite  (pie  1  l^^lis(• 
donne  lors(pi'elle  laisse  un  ensei^nemenl  se  n'pandre. 

(le  qui  frappe  avant  tout,  c'est  le  caractère  ohjeclil"  de 
rKi;lise.  Mlle  csl  un  (h'-pi")!,  un  U^sor  des  içràces,  indc'peudanl 
(les  individus;  elle  adn»inistre  les  iorces  i-eligieuses,  les  sacre- 
inents  el  la  parole:  la  V(''rité  y  est  conserv(^e  :  le^salul  y 
circule.  Autorité  extérieure  s(mstraite  aux  oscillations  de 
l'enthousiasme  individuel,  elle  conserve  et  propose  au 
lidèle  des  nu)yens  de  salut,  rpi'il  est  incapable  d'atteindre 
lui-même  ('2). 

Mais  la  foi  (pjc  l'Église  «heille  dans  ses  lidèles.  la  loi 
qu'elle  leur  impose  par  son  existence  même,  se  développe  et 
se   prolonge   pour   deux    raisons    (ju'il    est    aisé   d'apercevoir. 


I  AiiUtr-ilt-  i|iii  \a,  «laiis  cfrtjiiiis  cr-..  jii.si|u  .1  riii<|Misitit>ii  cl  au  (lfS|M( 
lisiiio.  La  conruiniilé  est  surveillée  cl  iinposcc  ;  ap|Miyée  de  l'onnes  «le 
contrainte  pins  «m  nmins  impérieuses.  |"|!e  i>enl  se  doubler  aussi  d'une 
prétention  au  pouvoir  temporel  :  ne  découlc-t-il  i)as  de  la  puissanec  spiri- 
tuelle V  Pour  <|ue  les  ànics  soient  soumises,  ne  laui-il  jias  un  pouvoir  coereitil. 
»|ui  rcjfiie  sur  les  corps  et  {gouverne  la  soei('tc  ".' 

•i  11  y  a  li<'u  de  lenii-  compte,  en  outre,  du  dcj^ré  d'organisation  cl  di- 
eondensation  de  l'Kj^'-lise.  Historiquement,  une  M;,'-lise  nest  constituée  comme 
telle  que  quand  les  trois  éléments  liturj^iqnc,  syniholique,  liiérarclii(|uc  di- 
sent défrayés.  Mais  elle  peut  exislei-  antérieurement  en  puissanee  et  en  a>pi 
ration;  l'histoire  de  la  l'ormation  de  i'Kfîlise  clirétienne  vn  t«'nioi«;ncrait.  Lc> 
communautés  cneori"  dépourvues  de  lien  piditiquc  commun  .«;<*  savaient  a|q»ai- 
tenir  à  l'M^^lisc  quinedc\inl  \i-aiment  une  réalité  que  vers  la  lin  du  iir  siècle 
L'unité  dog^maliqne,  liturgique,  liiérarcliiqne  csl  pr-éeédé«'  et  préparée  pai-  les 
pr<d"i'Ssions  de  toi  de  la  prédication  é%an^éliquc,  l'autorité  du  Seii^neur  et  i\i- 
la  tradition  apostidique,  le  erédit  dont  jouissait  nt  les  apoties,  prophètes, 
«locteurs  L'I.jflise,  d  aliord  eouiniunion  des  .Saints,  par  la  possession  de 
l'Ksprit.  de  la  loi  en  Dieu^  «le  l'espérance  et  de  la  sainteté  de  la  vie,  de\  ieni 
peu  à  |>en  linslitutioii  \  isilde  de  ccMe  même  conl'ession  de  foi 


i.\    i!i:i.i«;io\   i:t  la   koi 


INiisque  l'indivulii  i'0(*oil  sa  relii^ioii  du  doliors,  par  tradiliou, 
la  ci'oyance  à  la  tradition  devient  l'essentiel  :  la  eroyance 
passe  de  la  ehose  jraianlie  à  la  garantie.  La  foi  de  l'Kglise 
snseile  la  foi  dans  rKjrlise;  c'est  ainsi  que  les  Kglises  sont  logi- 
(pienient  amenées  à  renforcer,  à  rendre  plus  visible  leur 
authentieilé:  et  aussi  à  exalter  leur  caractère  sacré  (i).  D'autre 
pari,  (le  Tllglise  visiMe  se  dégage  l'Eglise  invisible.  L'Eglise  est 
une  réalité  ;  mais  aussi  une  idée,  une  société  idéale  en  même 
lemps  qu'une  société  réelle;  visible,  elle  est  pourtant  objet  de 
foi  (i).  dune  foi  (pii  dépasse  de  loin  ce  (pii  lui  est  propose  (3)  et 


Il  L'Kglisc  ayant,  en  <'(lcl.  pour  mission  de  U'ansnictlrc  le  dépôl  de  In 
révélation,  s'interpose  iné\  italiieinent  entre  la  révélation  et  le  lidèlc.  Elle 
tend  à  se  substituer  à  la  révélation  sans  arriver  jamais,  à  en  tenir  la  place, 
même  dans  les  relifrions  (}ui  lui  font  la  j)lus  grande  part.  Par  exemple,  dons 
le  calliolieisme,  ll'.fiflisr  qni  garantit  la  révélation  divine,  pnise  «lans  cette 
révélation  toute  la  valeur  de  sa  garantie.  Ce  qui  est  transmis  par  elle  est 
accepté  comme  vrai,  non  point  parce  qu'elle  le  dit,  mais  parce  que  Dieu  l'a 
<lit  La  théorie  catholicjne  est  que,  dans  l'Eglise  catholique,  on  ne  croit  rien 
que  parce  (jue  Dieu  l'a  dit.  Kl  même  (piand  on  y  croit,  comme  inrailliblemenl 
vrai,  ce  que  l'IOglisc  ariirme  axoir  été  dit  par  Dieu,  parce  que  l'Eglise  l'anirme, 
ici  encore  on  ne  tient  comme  infaillible  l'autorité  de  l'Eglise  que  parce  que 
Dieu,  dans  la  personne  du  Christ,  a  affirmé  cette  infaillibilité.  (A'oir  Pi;f;iTi;s, 
Coinmenlaiiv  de  la  Sninnic  Ihroloi'iqae  do  saint  Thomas,  X.  85  . 

2.  MuwLi.ii,  S}inholiff  lie.  Il,  7.  En  un  sens,  l'Eglise  est  l'incarnation  pcrma- 
neule  du  lils  de  Dieu,  la  parole  du  Christ  devenue  objective. 

(3  11  y  a  une  notion  mystique  et  religieuse,  et  une  notion  ecclésiastique  et 
lirati<|ue  tic  l'Eglis»'.  Hatii  lOL  {Le  catholicisme  de  saint  Aw^ustin)  montre  bien 
•■uniment  la  théorie  de  l'Eglise  est  chez  lui  une  conciliation  de  la  foi  en 
la  sainteté  du  corjis  mysti(|ue  et  du  fait  de  la  société  mêlée  (}u'est  la  «  (]atho- 
lica    ■  visible. 

L'Eglise,  d'abord  «•omniunioii  des  Saints,  devient  une  institution  visible, 
une  société  juridifjiie,  (|ni  a  ses  titres  de  légitimité.  Mais  soii.s  l'institution 
visible  transparaît  la  communion  «b's  Saints.  De  même,  la  notion  de  la  sain- 
teté de  l'Eglise  a  eu  beaucou])  d'iiiii)ortanee.  La  pratique  du  pardon  des 
péchés  a  modifié  l'idée  de  l'Eglise  chrétienne;  elle  contient  des  lors  les  purs 
et  les  impurs.  Elle  n'est  saint<'  qu'objectivement,  en  vertu  de  son  institution 
<t  de  sa  lin.  Ainsi  se  précise  la  distinction  de  l'Eglise,  communauté  des 
saints,  et  de  la  Suinte  Eglise  visible,  bujuelle  est  une  accommodation  de  la 
ehrétientf'-  au  iiirmde,  tem|»érée  et  cf>rrigée  par  les  moyens  de  grâce. 

Ainsi  la  notion  mystique  et  religieuse,  la  noli(ni  ecclésiastique  et  pratiqut^ 

•  le  l'Eglise,  interfèrent  pendant  t»>ute  l'histoire  i-cclésiastique  ;  cl   l'on  repro 

•  liera  souvent  au  catholicisme  d'atlribiK^r  à  son  organisation  les  pouvoir 
-.urnaturels  et  les  prérogatives  <livines  de  la  société  idéale  des  cri)yaiits,  pa 
•■onfusion  de  l'Eglise  au  sens  religieux  et  de  l'Eglise  au  sens  jurifli(pie,  d 
l'Eglise  invisible  et  de  l'Eglise  \  isible.  Voir  Smiim,  Wrscn  iinil  f'rs/irinif,'-  dt 
h'nthtilizismiis,  191J  . 


i.K  <:l'i.ti: 


i|iii  atti'iiil,  sons  les  marques  visibles,  la  pure  essence  de  spiri- 
tualité, rasseniblée  idéale  des  élus,  «mis  dans  le  C.lirist  (i  i. 


LE    CULTE 

La  prali(Hie  de  la  relij^ion,  la  parlieipalion  eflcelive  du 
lidèle  à  la  \  ie  relip^ieuse,  dépassent  larj-çenieul  l'adlK-sion  laeilc, 
le  siniple  enveloppement  dans  l'Mjçlise.  aiupiel  nous  nous  en 
sommes  tenus  juscju'à  présent,  ('.(uume  le  «  militant  »  des  j)ailis 


Ct'lle  (li>liiicti()n  ;i  oli-  précisée  U'és  lurltfineiil  par  les  rélV)riii;itciijs  il 
par  h's  lliédlo^iiMis  callioliijiiL's  api't'>  la  lîéloniu'. 

Pour  Liillicr,  ll',j;lise  invisible  fsl  coniposot'  des  seuls  croyants;  ri"<;li>c 
\isili!c,  composée  de  ces  uièmes  croyanls,  uianil'estant  extérieureuieiil  leur 
loi.  caraclérisée  par  tieux  marques  extérieures,  la  prédication  de  la  pun- 
parole  de  Dieu  cl  l'admiMislration  convenable  des  sacrements.  l'our  salislaii-e 
au  besoin  dOrdre,  il  admet  dans  la  Lettre  aux  Frères  de  Hohème  une  auto 
rite  |)rovenant  de  l'élection  des  tidèles  et  s'cxerçant  avec  la  protection  des 
■^ouveraills  teni|)orels. 

l'our  les  Zwinj^liens  et  les  (Calvinistes.  l'Ilfilise  est  la  Sijciété  de>  pi<:de> 
tinés;  mais  il  y  a  une  l'^^lise  visible  et  des  si<(nes  de  cette  Mj^lise. 

Heliarinin  déj^ajfe  très  bien  cetti^  (biuble  notion.  L'i;j,'lise,  bien  (juclb- 
soit  visible,  est  en  même  temps  objet  <le  loi,  paret*  «|u«',  ce  que  l'on  Aoit 
d'elle,  n'est  pas  ce  que  l'on  en  croit.  On  voit  la  société  des  hommes  |>ro 
fessant  la  mènn-  foi.  sous  I  autf)i-ité  des  pasteurs  légitimes,  et  l'on  croit 
que  cette  même  société,  instituée  par  Jésus  Clirist,  est  la  seule  \('ritablr 
Kglise;  \érité  en  elle-même  révélée  cl  inévidente,  »jui  suppose  la  l'oi.  Ain>i 
IKffiise  vi-»ible  est  eu  même  temps  le  corps  mysti(|ue  d<'  .lésus-Clirist .  dette 
l'oi,  du  reste,  est  soutenue  jus<}u'à  un  certain  point  par  des  raisons  (témoi- 
gnages,  tiadilions,  miracles,  \alenr  d<-  l'r.j^lise). 

Il  semblerait  assez  exact  de  dire  avec-  .M<">um.u  .S>//i/;o//(/fi<',  III,  ^S<)  .  (pie. 
dans  le  catliolicismc.  ri;).clise  in\  isible  sort  de  la  visiblt^  et  rjue  c'est  l'inverse 
dans  le  protestantisme.  La  liaison  nécessaire  de  l'Lglisc-  visible  et  (b-  Ir.glise 
invisible  est  l'orlt-menl  ariirmée  dans  riùi<'\ili(|uc  .s'^j//.s-  (•(ti^iiiliini  du  mj  juin 
iSyti. 

Dans  celte  analyse  «le  la  notion  «rF.glise,  j'ai  eu  surtout  en  vue  les  églises 
cluétiennes;  mais  il  serait  aisé  de  montrer  <pie  les  résultats  dc{îaj,'c>  ont  iine 
portée  };énéralc.  N'oir  par  exemple  Tiu.!  .  lunlriliiiii^,  II,  p  l'VS  et  sui^anle^. 
()i.ni;Mun(;.  I.a  rrlii^^ion  du  liouddha,  |»,  TV\ .  La  Communauté  bouddliir|iie. 
re|»résentnnt  l'idi-c  auparavant  incarnée  dans  le  Iloudillia,  est  l'unicpie  dépo- 
sitaiie  de  la  Xi'rité  ipii  délivre.  Lllc  c-st  l'unité  idéale  des  moines  orthodoxes 
répandus  sur  toute  la  sur.ace  de  la  terre.  On  consultera,  sur  l'ensemble  de  la 
question.  Tnoi.is<  11,  (iesarnniclle  Scliriltcn.  t.  I. 

I)  D'où  la  l'orniule  de  Tyrrell  :  L'J-Iglise  n'est  pas  seulement  une  soi-iélc 
on  une  école;  elle  est  un  my.slère  l't  un  sacrement,  comme  l'humanité  <lu 
Christ,  dont  file  est  une  rxlension. 


1  ,  I    \     r.FI.H.luN    KT    LA    H)l 

|)olilH|ues.  I»'  pratiquant  a^il,  si*  di-pcnso,  vl  ses  œuvres  inmi- 
rissent  sa  lui.  I.«*  ciill<-  Iciul  à  pénétrer,  à  consaenT  lonic  lu 
\  je  (lu  lidèle  (  r  . 

I.<>  li(K'l«-s  oiik'iKlcnl  If  ciilU-  de  blendes  manières;  au  lias 
de  1  ((lielle  il  y  a  ceiiv  <|iii.  à  tout  propos,  appellent  la  divinib- 
à  laide  tle  leui««  besoin>  el  de  leurs  désirs,  et  qui  aeliètent 
erite  intervention  par  des  pratiques;  au  sommet  les  fidèles  en 
esprit  et  en  vérité,  eeu\  qui.  vivant  dans  la  méditation  eons- 
tanle  des  dogmes,  île  l'histoire,  des  sentiments  essentiels, 
animent  de  leur  spiritualité  toutes  les  pratiques.  Car  la  foi 
ardente  et  profonde  nexelnl  pas  le  eulte,  bien  au  contraire 
la  Toi  s'épanche  volontiers  en  actes,  et  volontiers  aussi  en 
actes  collectirs.  Même  chez  les  mystiques  les  [dus  raffinés  on 
trouverait,  croyonç-nous,  qu'au  moins  à  de  certains  moments 
iMH'  certaine  place  est  faite  au  culte  positif,  ou  qu'il  eu  est 
créé  des  équivalents.  Le  culte,  accompagnant  tous  les  degrés 
et  toutes  les  formes  de  la  foi,  ne  se  rattache  donc  pas  exclu- 
sivement à  une  certaine  forme  de  foi.  Plus  que  Jamais  il  e>t 
utile  de  rappeler  ici  les  réserves  que  nous  avons  faites  sur 
notre  classilication  et  nos  coupures.  Là  même  où  il  semble 
sexercer  de  la  faron  la  plus  indépendante,  le  culte  se  joue  dans 
une  atmos]>hère  dintellectualité;  les  rites  sont  étroitement 
liés  à  des  mythes  (a)  ;  la  foi  qui  se  fonde  sur  la  pratique  est 
«loublée  d'une  foi  plus  ou  moins  explicite  et  plus  ou  moin- 
réaliste  à  ce  que  la  pialique  «vprime  et  contient  (3). 


(Il  Voir  Hainvu..  la  Vie  inliine  du  lalholiqio-  He\ne  de  Philosophie,  i^i'i. 
f>.  6o5<,  el  Li>iî,v,  i  tWangili'  et  l'tl^Lisc.  p.  2o4- 

tï)  Nous  rpvieudi-ons  sur  ce  i»oint  dans  notre  dernier  cliapitre .  Toute> 
l«'N  religions  s'accordent  à  reconnaître  celte  correspondance  générale  des 
<t'-rémonies  et  des  dogmes     Le    rite   el    le    dogme    ne  peuvent  être  dissocié» 

•  lu'abstraiteinent  :  le  rite  est  virtuellement  du  d<»gme  ;  vérité  dont   les  thé 
Jojrit-ns   ont    abu^^é,  par  extmple    en    se  servant    des    rites    pour  établir  d 

•  li.^nies  ;  ainsi  saint  .Vug^stin  se  servant  des  rites  usités  dans  le  baptême  d 

•  nlJinls  pour  établir  le  péché  originel. 

3'  Inversement  les  signes  el  les  emblèmes  sont  nécessaires  pour  per- 
inettrp  au  sentiment  de  prendre  conscience  de  soi;  pour  le  maintenir,  en 
1  .voquant   snns    cesse.  La    vie    int^'llectuelle  et  affective    n'est   possible  q 


es 

•r- 
en 

1 


I.K    CI   ITK  I.» 

Le  cMillc  est    l\'iisriiil»lr    des   |»r;iluiucs    |mc   lts(jii«'ll<'^   \,i    loi 
s'cxpriinc  et  se  reeréc. 

(  )n  priil  iMiiu'iicr  ;t  hoisscs  iiii)lir>  piiiuipaiix  : 

I  l.a  conunémoralioii  :  le  culte  ilii  souvenir,  l'euli-elieii  de 
la  Nie  alleetive  pur  la  rc'suri'eelioii  du  [>ass('>  saeié  qui  devient 
un  in'i'pétuel  présent  et  un  éternel  avenir  ;  I  abolition  du  temps 
profane  par  le  temps  sacré,  la  substitution  ;•.  la  vie  profane  du 
rvllnne  de  l'histoire  divine  ramassée  dans  ses  actes  essentiels; 

•j'Le  besoin  tl'une  matière,  qui  soit  un  véhicule  de  la  force 
sacrée  :  la  synthèse  de  la  parole  et  de  léh-menl,  de  la  matière 
et  de  l'esprit  ;  la  ijràce  captée,  visible  et  voilée  sous  des 
espèces  sensibles  (pii  témoignent  de  sa  réalité-  et  d-  sa  [>r(''- 
sence: 

3"  L'exercice  en  comnmn,  l'action  sociale,  et  cela  s(nis  deux 
formes:  renthousiasme  libre  et  ori^iaslicpie.  l'exaltation  des 
foules;  le  culte  orjfanisé  et  méthodique,  la  discipline  céréino- 
nielle.  On  pourrait  parler  d'un  culte  exlati(|ue  et  d'un  culte 
mi'thodicpn". 

II  va  sans  dire  (pie  ces  motifs  s'enlrc-t-roiseut  cl  se  sou- 
tieimeut  mutuellenuMit . 


LA    COMMEMORATION 

Les  lhéolou^i«*ns  et  l<s  historiens  ont  tmijours  reconnu 
(pi'une  des  lins  de  la  lilur.iïic,  c'«'st  de  rap[)eler  le  passé  reli- 
tjienv  et  de  le  rendr»-  pre>»enl  au  moyen   dune  sorte  de  ref)ré- 


jifràoe  au  vaslf  syinlM>lisiin'  <i«'>  imlilinn  >  iniilci  iti--.  iW  s  reprc>fnlali»)iis 
tigiirces.  (1rs  formules.  I.rs  j»'lij,'ions.  cji  particulier  !«•  caUiolitisinr,  .s|(<cul«'- 
roul  sur  ce  besoin  qu'a  la  nulun-  linniainc  d  «•tn-  couiluito  au  spiiihul  par 
le  s<'iisililc  :  les  tliéol<ij,M<iis  (lisent  t|ue  I  luiiuiiie  (h'-eliu  s'est  soumis  au  sen- 
sible, et  <|u'il  a  besoiu  de  la  médiation  du  sensible  j»our  s'approprier  le 
spirituel.  Li»  lilurjjie  est  eouime  uue  spiritualisatiou  de  la  sinsibilit*-.  Le 
iidéle  prend  appui  sur  une  realite  lanirible  et  \  isible  pour  s'éle\er  aux 
choses  spirituelles. 


iG  LA    HKI.H1I<»N    1:T    I. a     1()I 

sentalion    <lianiali«iiu'.  11  n'y  a  pa.s  de   litiiriiic  (jui  «'cliapix*  à 
celto  vcs;\c  (i). 

L'Anni'C  litui*}?iquc  est  un  Mémorial.  Le  cycle  des  liles 
annuels  •  originaiicnient  coordonne  au  pocmc  de  la  natnie.  et 
(jni  re\|niniail  alin  de  le  n'aliser  »  esl  deveini  la  comniénioia- 
lion  d'une  liisloire  nationale  ou  religieuse.  La  qualité  i-eli- 
gieuse  du  lenips,  qui  enchaîne,  aux  oi'ifi:ines,  pour  des  raisons 
nalurelh's  ou  sociales,  tel  rite  à  sa  saison  ou  à  son  heure,  el 
(|ui  entre  en  jeu  dans  l'eflicace  du  rite,  consacrée  à  son  tour 
par  les  rites  el  les  usages  sacrés,  s<*  charge  de  plus  en  plus 
d'un  caractère  spirituel  et  moral  oii  ap|)arait  sa  signification 
évocalrice  (2).  Des  fêles  saisonnières,  de  earaclèn^  naturiste, 
sont  devenues  des  réjouissances  nationales,  chargées  de  sou- 
venirs et  d'«'spéranpes,  et  le  signe  eonnn('ino?'atif  d'un  monienl 
*1<!  l'histoire  du  salul  ('3).  Dans  Ihistoii-e  d'une  fèti',  eoinnu' 
Pâques,  ou  retrouve  la  succession  de  ces  motifs. 


Nous  j)rendi(Mis  pour  exemple  la  liturgie  catholique. 

^  ivre  de  la  vie  du  Christ,  telle  est,  pour  les  théologiens, 
la  pensée  inspiratrice  de  la  liturgie,  et  cette  pensée  est  l'essence 
même  du  (christianisme.  «  La  liturgie  est  le  grand  sacramcntal 
(pii  fait  pailieiper  les  Ames  à  tous  les  états  <le  Jésus-Christ.  » 
<i  La  vie  hieratitpu",  c'est  l'entrée  dans  les  états  du  Christ  e 
leur  reproduction.  Tout  y  est  esprit  et  vie.  La  longue  féerie 
que   de\iail    èli<'   la   \  le  des   piètres  el   doiil  l'Eglise  voudrai! 


Il)  Voir  ])ar  p,x<mii|i1c  iii  iikiiiim.  les  Formes  iléineiiiaires  de  la  t/V  reli 
pieuse.  Mciidcls.st»hii,  iM-flcchissaiit  sur  le  jiKtaisinc,  appelait  les  céi-i-inonies 
un  langajf*'  siif^gestil'  de  pensée  et  tic  senliiiient. 

(2)  Voir  IxjisY,  le  Sacrifice,  67,  a.^i'i. 

'i)  C'est  ainsi,  par  exemple,  que,   pour  l'édiliealioii  des  lidcles,  l'Kgli.se 
ronvcrli   certaines  l'êtes  païennes  en    l'èles  ehrclieniies,  transférant  la   signifi- 
cation de  «es  l'êtes.  Le   lidèie  senl  à    peine  sons  le   nndil'   nouveau,    la  persis 
tance  du  iiiolir  .-iMcii-n. 


i.r.  cii.ïi:  1- 

élcndro  le  loisir  à  Ions  ses  hapli^cs.  n'csl  j»;is  |)lii>  in;t<  lixc  (|ii<' 
k'  loisir  ('toincl  (If  Dieu  (i).  *  Le  eulte  coiiliiuie  à  la  lois  ic'rl- 
lemeiil  et  inysti([iuinenl  la  présence  de  Jésus,  son  action  el 
sa  |>arole.  La  présence  léelle  se  rapporte  aux  sacienieiits  ; 
non*>  ne  eonsidé-i'ons  en  ce  inonicnl  (pic  la  i>iés<'ncc  niys- 
li([ii<*. 

Le  cnllc  réalise  1  liistoire  et  reprodnil  niysli(picMicnl ,  uràce 
an  cycle  des  (êtes,  les  phases  de  la  vie  de  Jésus:  le  cycle 
cidluel  oUre  aux  âmes  un  itin«Taire  et  un  jiroufraniine  annuel 
tic  rénovation,  intelleeluelle  el  morale  :  c'est  lAuni'c  litnr- 
i;i<pn'  i-i);  dans  la  liluririe  épénique  elle-même  il  y  a  heanconj) 
<le  commémoration  :  par  exemple  les  expositions  descriptives 
ou  doctrinales,  par  i'xcni|>le  les  lectures  tiréi's  des  livres  his- 
lori(iues,  les  discours  cl  les  récils.  Il  faudrait  rappeler  encore 
les  ol)j«'ls  du  culte  avec  leur  vertu  évocatrice,  les  monmnents. 
les  syndioles  transparents,  les  e(''r('>monies  (|iii  imileni,  les 
imaiTi's. 

Dans  la  liturgie  sacrilicielle  aussi,  il  enlrc  une  part  de 
connut'moration;  la  seconde  paitie  de  la  messe  reproduit  le 
repas  cucliaristi<[ue:  encore  f[iril  ne  subsiste  cpie  par  sa  rela- 


ie Oi.i-.iussAC,  tr  MystiTf  (If  r/:'i^/i.sc,  !Si).  ^lIl^sMA^^,  Pi-  'fiicr  dn  P,'til  < .dlr- 
:hisnir  lilurffi(/tii'  de  l'alilir  Duliliict,  parle  du  i<  tiuraltU-  riiclianl'inriit  et  »lc 
la  iRTsistante  éinotioii  à  .suivre  I'îiu  jour  le  jour  adniiralilc  di"  ri',,si:lise...  à 
\i\ro  niiiiulf  par  uiiuute.  la  vie  du  Christ.  »  Kn  rouir  (VV/iff-v  (Àilholitiiii's. 
Uk>  :  I  >far(licr  cùlc  à  côle  avee  .lésiis  ;  vivre  l'au  jour  le  jour  des  l'Aan- 
.riles  ,.  eonlier  à  l'année  le  rôle  de  servante  iIm  Xi>n\eaii  l'eslanienl.  d'i'niis- 
•.aire  /clee  du  culte.  •> 

i  Doiu  C.MUJoL.  /c'.s-  Orisfiiirs  lilnri,n',ini's,  i<)<»«'>,  étudie  de  |>rès  la  ironè<>c 
le  l'annéi-  lilurj,M(jue,  et  eu  |)articiilier  liullueiu-e,  sur  la  lituririe  universelle, 
le  la  liturgie  de  .lérusaleiu  a\ee  le  caractère  lopographitiue  el  historique  de 
^es  IVt<'s.  —  V.  Dicuksm;,  les  Uiii>infS  du  <iilt''  chrrtini  :  Doiu  Kisht.ikuk.  la 
lAtuvgie,  Revue  de  l*liiliiso/)fiie.  u^i'i:  C.  Khikh.  in  Kullur  der  (ieiiemvtirl.  — 
Doin  FJsTrGiKUE  niunlre  bien  que  li-  eyeh-  cultuel  du  lalholicisuie  présente 
une  succession  détapes  :  lilur^'ie  o|)lati\e  de  r.\vent.  ascéli(|ue  du  Carènic, 
Ihiiuinative  de  Noël,  uuilive  du  temps  [)ascal.  Le  po«iue  de  la  Ht-deniption 
^'adapte  aux  vicissitudes  <les  saisons;  les  l'êtes  |irincipales.  Xocl.  P;ii|ues. 
i'enlecôte,  connnandent  toute  l'année.  Voir  aussi  Ci.kuissac.  le  Mysterr  de 
"KiiUse,  1918.  —  Hatimoi,.  Kludes  ilv  lAlui-^'f.  k.h;»  —  Kisi\n<M  i:u.  Ilnndhiirh 
1er  Kiillinlistiu'ti  l.ituri^il;.  n.(fj. 


l8  I.A    HKI.ieiON    KT    LA     KOI 

lion  objective  au  saerilîee  de  la  croix  et  «fii'iJ  «ii  II  te  loulc 
sa  vertu,  le  sacrilice  de  la  messe  est  pourtant  aussi  un 
sacri-fîce  de  connnénioralion  (i);  la  victinu*  n'y  est  pas  eifiec- 
lavement  détruite;  il  n'y  faut  chercher  <|u'une  mort  et  un«^ 
destruction  mystiques  {'j).  Kntin.  l'on  peut  dire  de  même  que 
les  sacrements,  en  sus  de  leur  cfficaciU'  prol'onch'.  ont  uji<' 
valeur  de  conuuémoration. 

La  liturgie  intro(hiit  ainsi  le  lidèlc  au  centre  des  représen- 
tations religieuses  (3).  Elle  fait  participer  le  catholi(|ue  à  tous 
les  états  de  Jésus-Christ.  Klle  est  donc  comme  la  préparation  à 
la  prière,  et  Ion  a  pu  dire  (lu'elle  est  le  moyen  par  excellence 
qui  forme  l'àme  à  l'oraison,  ([ue  l'oraison  privée  est  pour 
préparer  l'àme  à  y  prendre  part  et  iju'ellc  ej^t  «  la  sûre  entrée 
dans  les  états  du  Qhrist   •>  ('f). 

Ainsi  la  vie  religieuse  de  chaque  lidète  se  trouve  reliée  à  la 
religion  de  pays  lointains  et  d'âges  disparus. 


I  Coimile  de  Treiilr.  Stss.  xxii,  cap.  I,  ^  quo  i  rucriUiui  illuil  stiCfiliciiiui 
semel  in  cruco  pcia;;^ iidiiiii  ropreseiitarcliir:  cjusquf  iniMiioria  in  lim-n 
•isque  saeculi  periajnicrcl  ■■.  Les  Irtes  preseiitrut  <lc  subtiles  eoinljinaisous 
de  représentation  réelle  et  de  couiuiénioralion.  Le»  Tètes  eliréliennes,  i)a 
exemple,  eoinniénuiniit  les  fait*;  de  la  \'ie  du  (^hiisl  et  réalisent  sa  présenc 
dans  un  sacriliec  cpii  ren(iu\clle  iudéliuiment  sa  passion. 

2i  BosstKT  :  Ë.\i>lic(ition  île  la  Messe.  L<iisv  lait  remarquer  (Sacrijice,  ^i 
que  le  rituel  de  la  Cène  chrétienne  répète  le  geste  du  Clirist  bénissant  1 
pain  et  le  vin,  puis  les  présentant  à  ses  disciples,  e'est-à-dire  représent 
l'înstitutioa  du  sacrement  eucharistique. 

T,  Pégly  disait  :  «'  Je  suis  fie  ces  eatholicjues  qui  donneraient  lout  sain 
Thoma-s  pour  le  Salut,  le  Majrni(icat,  l'Ave  Maria  et  le  Salve  llegina.  » 

4'  Clkkissac.  Le  M}'stèrr  tfe  t'I-'glise.  XVII.  Nic.om:  dit,  à  peu  jn-ès  dans  1« 
même  sens,  que  la  liturgie  est"  une  méthode  d'oraison  mentale,  dans  laquelle 
l'Eglise  nous  fournit  les  pensées  mêmes  des  vérités  que  nous  devons  consl 
dérer,  et  l'idée  des  mouvements  que  nous  devons  exciter  en  nous.  »  Traita 
de  l'Oraison,  5i-55. 

DcHKUEi.M  :  Les  Formes  élémentaires,  ^jp.  o  La  raison  d'être  véritable  des 
cultes,  même  les  plus  matérialistes  en  apparence,  ne  doit  pas  être  recherelié< 
dans  les  gestes  qu'ils  prescrivent,  mais  lîans  le  renouvellement  intérieur  e 
moral  que  ces  gestes  contribuciil  à  déterminer.    " 

HuvsMANs  écrit  :  Pages  Oilhulifjaes,  '368  :  «  .\h!  ne  plus  être  ainsi  divisa 
demeurer  impartible!  avoir  l'àme  assez  anéantie  pour  ne  plus  ressentir  qu< 
les  douleurs,  ne  plus  éprouver  que  les  joies  de  la  liturgie!  ne  phis  êtrt 
repris  chaque  jour  que  par  Jésus  et  par  Vous,  ne  plus  suivre  que  votr* 
propre  existence  se  déroulant  dans  le  cych-  annuel  desofHcesîse  réjouir  ave< 


I.K    CLLTK  |«) 

('.haquf  acte  t-lr  coiirurmiU'  axw  <k'  telles  obseix  aiict^s 
lra<liti<Hiiielles  possèdi'  un  pouvoir  *]iiasi  sacrainenlel  pour 
approfondir  Ir  sens  •!«•  lu  solidarit»'*  spiriliM'Ilc  pooir  forn^'r 
un  lu'ii   nouveau  entre  tous  <•!  eliaeun     i  t. 

Mais  la  lilurg^ie  n  est  |>oiiil  eïaipe  pour  loos  les  fidèles  i'ii  : 
de  <ela  suftit  à  kémoiiîiier  le  tji'and  nondjre  d'onvraiJ^es  p«irus 
ces  deiuières  aiun-e^  pour  initier  les  catlioIi<|iies  au  seeis  de 
leur  litursi^ie  lî).  Le  Syudjolisnie,  hieide  parfois  à  l'oriiTine,  a 
dévié  et  s'est  compliqué.  D'(m'i  la  néeessiti'  de  le  réformer  ou 
d'en  rafraîchir  la  sitniilication.  La  K('lornie  juive  réclame  des 
cérémonies  adéijuaties  et  impressives  à  la  place  die  cérémonies 
«  oht<olèlcs  ■;  le  formalisme  ne  doit-il  |>as  «'voluer  sons  peime 
d'être  uiu'  sup<"rslition?  La  Héforine  i)rotestante  a  tranch(''  dans 
le  vien\  rituel.  Le  <atlioli<îisnie  d'aujourd'hui  convient  volon- 
tiers que.  poiH'  nomhre  de  catholiques  très  pratiquaiits,  le  senf^ 
des  cér»''m<mies  reste  un  livre  clos.  «  Ils  ne  voient  cruèpe  dans 
les  coideurs  drs  oiiMMucnts.  la  diversité  de<  priéi^^'-.  ]••<  chaiît- 


la  .\;ili>ilc,  rire  a  l';i.|ii.^  Il.iuifs,  plnncr  |i<n<l:iiit  l.i  Semaiiu-  Siiiiit<>,  être 
intinrrrfnl  iiii  rrslc,  pomuir  ne  plus  se  complcr,  se  dcsintéresser  louipJc- 
tcuieiil  de  sa  persouiic,  quel  rêve!  » 

LofiY  montre    bien    (Sacrijiee,  p.  -:>),    (|iie  liiclion   -.acroe,  l*^  «f^'st^  riliK'l. 

•Il  niriiie  temps  que  rite  n)a),'i(pie,  est  coiiuiiéimiratioii,  geste  tvaditioniitl. 
répétition. 

"  En  .sorte  <|ii<',  si  i»n   l'enteiul  bien,  e'esl   mui  iiièaie  aetion   sacrée,  qui. 

lepiii.s  If  eoiiimeniiMiciil,  se  perpétue  dans  une  soeiété  donnée,  expression 
■  le  sa  \  ie  incessaninicnl  renouvelée,  île  son  idéal  et  de  si-s  espérances.  L'his- 
toire, mais  une  sorti-  d  liistoire  éti-rnellc,  (pii  n'i-sl  enfermer  ni  dans  h-  teiiLps. 
ni  dans  le  lieu,  une  liisloirr  mythique  dn  -^Miiupe  six-ial  et  ndijîieux,  entri- 
.linsi  dans  la  Ulurfci»?  eomnic  élément  lij,'nré,  maïquaul  la  eontinuité.  l'unité 
mystique  df  l'arlidn  sacrer,  di-  la  reliffion  cl  de  hi  société  religieuse  à  travers 
le  temps,  • 

I  <'etle  aspiration  c<d!eclivc  peut  devenir  parfois  le  motif  principal  <lu 
i-ulte.  "N'oir  Pu att  :  Tlir  /«//V/of/.s  ronsriousni'ss,  p.  ayi,  sur  le  culte  des  €  Ar\a 
Samag        rationalisics   religieux   indous.   La    lin    que   ^  is<-   leur   eulte   c'est    de 

ymboM.ser  la  fr)i  comuiune  et  de  relier  le  groupe  à  un  passé  vénérable. 

la     l'as    même    pour    les   prêtres.   Le   canlinal   M<'reier   écinvait  le  '<  juil 
iet  lot',  à  Doni  Cagin      ..  .\\anl    de   vous   a\(Mr  lu,  je  n'ét»is  jamais  parvenu  a 
mettre  de  l'unité  dans   ces  multiples   rites  et  formnies   tW.   notre  >fiHsel   d'aii- 
jourd'hiii.  ■•  ViiioiuKi.  :  Hniir  il'Apnlofrétûjne,  i;»!-"'.  p.   i  i('>- 

'5     Li'.MNCK   m:  <'.n.\.xr>M.\iM<»N  :  FAuiles  tirs   /Vvv.s   rAi  la  Conipairnie  df  JèsiiH, 

igii),  ,Ti3.     \dir   aussi    Hi v+mans   :    l'vi'-frirr  du   l*,-lil    (:iiU-rliismo    lit'irari'iiir   d<- 

l'abbé  Oiiiilliet 


A    UKLIGION    KT    LA    l'Ol 


,a;eiiK'iits  d'attitude  du  célébrant,  qu'une  variété  agréable  on 
sur[>renanle.  »  «  La  série  des  Temps  liturji;iques,  leur  variété, 
leur  adaptation  aux  saisons  de  l'année  lerrcstre,  aux  àp:es  de 
la  vie  de  l'humanité,  aux  étapes  du  pèlerinage  rédempteur  du 
Christ  ».  tout  ce  symbolisme  leur  échappe.  «  L'assistance  à  la 
messe  demeure  pour  beaucoup,  non  seulement  un  mystère  de 
foi,  mais  une  énigme  de  fait,  lis  ne  comprcnneni  ])as  la  langue 
du  drame  divin  qui  se  déroule  sous  leurs  yeux...  L'ordre,  la 
suite  et  le  sens  des  rites  essentiels  échappent  à  trop  d'assis- 
tants, d'ailleurs  pieux  et  bien  disposés.  »  «  Ils  sont  comme  un. 
homme  en  l'ace  d'un  beau  livre  illustré  écrit  dans  une  langue 
étrangère;  ils  goûtent  les  images,  mais  ne  peuvent  les  inter- 
préter qu'en  gros  et  superliciellement  (i).  »  D'où  la  vertu  de 
certaines  t'êtes  populaires  qui  parlent  à  l'imagination  et  amX 
sens  :  Noël,  la  Passion,  la  Fête  des  Morts;  d'oii  la  vertu  de 
certains  cultes  nouveaux,  le  culte  de  la  Vierge,  le  culte  du 
Sacré  Cœur. 

La  plupart  des  fidèles,  en  présence  des  cérémonies  de  leur 
religion,  sont  ainsi  conmie  en  présence  de  cérémonies  étran- 
gères; et  l'on  sait  s'il  est  aisé  de  se  tromper  en  pareil  cas  (2). 
Mais  ils  ont  la  bonne  volonté,  et  iis  subissent  relf'et  massif  de 
la  cérémonie,  doiil  ils  connaissent  en  gros  l'intention  et  le 
sens.  S'ils  sont  plus  hardis,  ils  ont  leur  exégèse  personnelle, 
qui  les  induit  très  certainement  en  erreur  (3).  mais  (|ui  a  pour| 
eux  beaucoup  de  charme  (/î). 

Mais  justement  la  cérémonie  est  là,  et  |)uise  en  elle-même] 
sa    propre  force  de  suggestion  (5).    Puissante  est   la   liturgie.; 


\ii  Li-MSCh.  i>i.  (fUA.vK.MAistj.x  :  J'Undes,  1919,  'n'i. 

2)  L'excmpli- éclatant  <l(- saint  Tlioiiias,  interprétant  les  cérémonies  desJuifs. 

i    On  en  verrait  des  exemples  dans  la    littérature;  par  exemple  Bahuey^ 

i>'Ai  KHVHXY   et   son  explicali(»n  de    la  Messe    dans    l'Ensorcelée;   Léon  Bloy, 

le  Désespéré  ;  Hi:ys.ma.\s,  lui-même. 

(4)  «  I..a  douceur  de  l'arôme  que   dégagent   les  textes    ou   les    iii()uniiient.sj 
de  la  litui'ffie.  «  Clkhissac  :  le  Mystère  de  iJ'Jglisc,  U. 

ir>,  «  Si  vous  me  demandez  comment  j'entends  la  messe,  je  vous  réponds 
passivement,  porté  par  le  eliant    successif  du    K.\  rie,   rjui  est  la   supplieationvi 


l.K   tUITK  yi 


(hiinoiil  a  lufn  inonlrr  coinmenl  la  irlit^ioii  ('•}i:yplioniU'  ;ivail 
réussvi  à  Home,  d  ahorcl  |)ar  son  rilucl,  à  foicc  opcTantc,  [)ai- 
sa  liluriçie  ((uoliilicniie,  —  la  dévolion  leiulant  à  remplir  loulo 
l'exisUince,  —  par  les  grandes  solennités  isiaciues,  Navigiiini 
Isidis,  Invention  d'Osiris.  Le  fidèle  aborde  la  eérémonic  ou 
surpris  ou  pivvenu  (i):  et  il  reçoit  Teiret  de  cet  ordre  liiiTa- 
ti(pie  ;  un  peu  de  mystère  n'est  point  pour  l'airaililii  :  ni  c<' 
qu'on  pourrait  appeler  le  niolil"  esthéti(pi<'  du  culte,  la  heanh- 
littéraire,  la  musique,  la  décoration  du  sanctuaire,  le  sanctuaire 
lui-même  (y),  l'appel  à  tous  les  sens,  la  puissance  (Iramaliijue 
de  cette  solennité.  Mais  nous  n'examinons  pas  en  ce  moment 
l'inlluence  réciprotpie  de  la  liturgie  et  de  l'art,  Tinteraction  de 
l'émotion  esthétique  cl  de  l'émotion  religieuse.  Il  est  probable 
<[ue  certaines  Cormes  d  art  sont  nées  des  cérémonies  coinmé- 
moralives. 

De  là  vient  (pie  la  force  propre  du  culte,  s'exhalant  de  la 
cérémonie,  peut  se  développer  pour  elle-même,  à  part  de  la 
religion.  Toutes  les  religions  connaissent  ces  demi-lidèles,  à 
peu  près  convaincus  de  rinet'ficacilé  du  culte,  et  |)Ourtant 
aussi  ardents,  parfois  plus  ardents  à  la  vie  cérémoniolle.  (Tesl 
qu'ils  aiment  ces  vives  images  évoquées,  ces  symboles  sugges- 
tifs, ce  jeu  puissant  d'émotions. 


du  Gloria  qui  est  la  joie,  du  Credo  qui  rsl  l'assurance,  de  VAgniis  JJci  qui 
est  la  douleur,  avec  un  tfMups  de  silenci-  au  milieu,  q\ii  est  l'adoralion  et 
quelquefois  l'oltt-issanco.  »  Gni';i).\,  Trmoii^iKiffc  d'un  converti,  179. 

(il  Le  ;;Taiid  déM-lopix-nient  de  la  ccrcniDuic  est  couinie  l'écho  du  tlicnn' 
intérieur,  uuiis  telienient  aniplidé  et  maj^nifié  que  le  (croyant  racccpto  aisé- 
ment eonniie  la  l'orniule  absolue  île  ses  aspirations.  (Test  le  graud  art  dr 
certaiiu^s  relij^^ions  d'avoir  s»i  eonstriiire  umr  liturgie  très  crouiplexe  et  très 
sufjffestive  :  l'j^lise,  niusi<|ue,  parriiins,  caractère  plasti<iu(^  et  drauiatique  de 
la  cérémonie  :  apjtel  aux  sens  et  à   l'imagination. 

(ai  "  L'àuie  des  édifiées  consacrés,  qui,  sans  elle  (la  lilur<;fie)  ne  seriiient 
que  des  corps  inanimés  d(!  pierre...  l'encens  mt'lodique  et  le  parfum  de 
l'Eplise  même.  ■'  Huysmans,  Préface  du  Petit  CalcclUsnie  titiirgiqiic.  I.e  .Sjinc- 
tuaire  est  eonjme  animé  par  la  cérémonie  lilnrj^ique,  mais  il  a  sa  >ainleté 
propre.  Il  est,  par  nature  ou  par  consécrati<»n,  le  lieu  où  le  dieu  fré(|iiente. 
le  siè};e  de  la  i»résenci-  (li\ine  L'.ielion,  qui  s'y  .tccomplit,  i-elèxc  <Im  monde 
divin. 


I   \     Il  Kl. H.  ION     i: 


Le  iei!ip>  <'sl  1  inuiiTi'  (ir  1  éternik'.  ('.c  (|iii  <'sl  diviu  tsJ 
jM»ur  tous  les  temps;  tel  iiionieiil  de  I  histoire  divine  se  répèle 
étt'itielle.ment.  Ijq  eiilte  plonjire  dans  l'étenuté.  l*ar  la  coaitiera- 
piation  el  l'aetion,  auxquelles  il  est  convié,  le  Fidèle  vit  dans 
Jélerm*!  préseul.  Il  èpr<>iiv<'  à  sou  tour  l'atlrait  sans  cesse 
l'eiiaissaut  des  g^antie^  scènes  religieuses.  11  est  transporté  aux 
oiijîiues  de  sa  reliiriou.  Il  revit,  par  la  comniémoratiou,  les 
inauds  acte>  1*eligi«ux  qui  sont  à  la  base  des  thèmes  cultuels. 
L'institution  a  changé  sans  doute;  elle  a  suhi  d'amples  vicissi- 
I iules  historiques:  sa  siguification  a  dévié,  s'est  altérée,  s'est 
compliquée:  son  dévchippeuient  et  ses  origiiïes  interfèrent  et 
>  intei'pénèti'ent:  la  liturgie  est  un  vaste  lang^age  d'action  et 
démotion,  et,  eoiuuic  tous  les  langages,  eHe  a  son  évolution 
sémantique. 

Ainsi  la  loi  est  Miseitée,  animée,  excitée,  réveillée  par  les 
souvenirs  et  par  les  images.  Mais  à  condition  que  le  Fidèle 
ait  foi  dan-  ces  image*  et  dans  ee  qu*<îlles  représentent.  Et 
<ette  foi  vient  soil  de  l'attrait  et  de  la  puissance  intrinsèque 
«les  imagf^s  et  des  souvenirs,  qui  symbolisent  la  vérité  à 
laquelle  il  croit  ou  rt'pondent  à  ses  aspirations  profondes;  soit 
lie  raisons  extrinsèques  comme  celles  que  nous  analysons 
dans  ce  chapitre. 


LA     PUISSANCE    DES    CHOSES    SACREES 

L'efficace    du    désir    et    l'efficaoe    des    Rites. 

Les  signes  et  les  procédés,  (juc  le  culte  met  en  oeuvra., 
dépassent  la  e<mimémoration  et  la  réalisation  plastiques.  Le 
fidèle  crf>it  à  la  ^<e^\^^  fies  ol)jcts  sacrés,  à  1  efficace  des  rites. 
\)(S  résultats  particuliers  et  pi^'^cis  sont  atteints  par  leur 
moyen,  en  nrême  lemps  que,  par  <ni\,  iî  entre  en  contact  avec 
le  Mioride  surnaturel  dans  son  ensemble. 


I  K   (Ul.TK  a'i 

loi  oiRHHt',  le  rite  iic  l'ail  i\\ic  l'cndrc,  dans  l'àiue  d«i  lidèle, 
I  «  riicace  dont  son  oriprine  l'a  charp:é;  exjU'essioii  de  la  foi,  il 
.  -I  à  son  lour  iiislit^atciir  de  la  foi.  Mais  entre  la  foi  d'où  il 
l>i  (K-èdc  cl  relie  qu'il  suscite,  il  y  a  tonte  lliistoire  du  rite  cl 
loiik'  celle  de  la  communauté  relip^ieuse.  Le  lite  a  pu  se  com- 
l>li»|iier,  dévier,  s'altérer  :  souvent  sa  sip:ni(icatiou  a  chancre  ou 
(li>>parii.  sa  puissance  directe  de  suggestion  s'est  allaiblie.  Et 
le  lidèle  d  aujourd'hui  ne  retrouve  plus,  sinon  à  un  faible 
tl<irré  <l  [>ar  ivceplion,  à  certaines  occasions  solennelles,  sous 
l;i  |»oussée  de  l'cntliousiasme  collectif,  ou  dans  des  moments 
«It*  ferveur  privée,  les  grands  états  d'âme,  oîi  le  sentiment  sur 
•  1<'  soi  et  de  sa  puissance  sur  le  monde,  confère  aux  gestes  et 
iiix  actes  (jui  l'expriment  et  aux  objets  (jui  le  reflètent,  la 
\<ttii  de  réaliser,  souverainement,  dans  la  nature  ou  dans  un 
monde  surnaturel,  l'intention  profonde  qui  l'anime  et  la  foi 
dont  il  est  chargé.  Vinsi.  sous  la  suggestion  des  rites,  le 
lidch'  peut  retrouver  momentanément  l'élan  créateur  d'où  ils 
piocètlenl.  Mais,  en  dehors  de  ces  moments  de  foi  vive,  et  en 
ilihors  de  cette  possibilité  latente.,  endormie  dans  les  objets 
K'iigieux  et  qui,  toujours  apte  au  réveil,  leur  confère,  même  du 
fond  <le  son  sommeil,  une  part  de  leur  puissance,  le  lidèle 
coi»tinue  d  "y  croire  {)ar  habitude  et  par  autorité. 

Appelons  réalisme  cette  croyance  à  la  vertu  des  objets 
sacrés,  à  l'eflicace  des  rites.  Le  réalisme  sacramentel  est  très 
probablement  l'attitude  première  de  la  pensée  religieuse.  La 
croyanc<'  à  la  force  des  rites,  à  la  puissance  absolue  des  objets 
sacrés,  se  retrouve  dans  toutes  les  religions  élémentaires. 
«  Les  rites  des  cultes  primitifs  sont  des  figurations  qui  sont 
supposées  pi'oduire  l'ellet  qu'idles  représentent,  lliti^  toté- 
mi«pies,  riles  de  chasse  et  de  pèche,  riles  de  guerre,  rites 
d'initiation,  rites  agraires,  synd)olisant  leur  objet,  le  mettent 
en   scène  el    [»ar  cela    même    son!  e<Misés    \r  l'éaliser  (i).  »     Ce 


I    I^oisv  :  Lu  Relifii^iony   ><• 


24  LA    HELH.ION    ET    LA    lOI 

n'est  (|iia|)rès  coup  quv  l'intcrprélation  symbolique  altribiic 
une  siu:nilieation  plus  subtile  aux  formules  el  aux  rites  leli- 
;;:ieux,  (pii  ue  correspondent  plus  aux  aspirations  des  tem[)s 
nouveaux.  Ou  peut  suivre  dans  prestjue  toutes  les  religions  la 
substituliou  pi'oa^ressive  du  symbolisme  au  réalisme. 

Mais  le  Symbolisme  lui-même  a  bien  des  dejçrés.  Lorscpie 
au  terme,  on  iuterjuèle  les  mythes  et  les  rites  eonnne  l'illus- 
I ration  brillante  d'un  di*ame  d'idées  qui  se  sulïirait  aisémeni  à 
soi-même,  on  est  bien  près  de  déclarer  inutile  cette  envelopj)e 
et  ou  ue  la  justilie  guère  (jue  par  des  raisons  de  eondeseen- 
tlance  ou  d'opportunité.  Beaucoup,  il  est  vrai,  ne  vont  i>as  si 
loin,  et  tout  en  considérant  le  mythe  et  le  rite  comme  inadé- 
([uats  à  la  signilication  spirituelle,  dont  ils  sont  les  signes,  ils 
les  tiennent  pour  squ  ex]>ression  nécessaire  :  l'idée  ne  pouvant 
se  passer  d'une  matière,  encore  qu'elle  la  déborde. 

Ainsi  lattitude  symboliste  oscille  entre  la  matière  et  l'es- 
prit, avec  une  tendance  croissante  à  rabaisser  la  matière 
devant  l'esprit  ;  ainsi  les  théories  sacramenlaires  qui  sacrifient 
la  matière  du  sacrement  et  son  action  objective  à  la  présence 
spirituelle  et  à  la  grâce  morale;  symbolisme  encore  pourtant 
puisque  la  matière  sacramentaire  retient  encore  une  dignité 
particulière  de  cette  présence  spirituelle  dont  elle  est  le  signe. 
Kniin  l'on  arrive  au  syndjolisme  réiléehi.  II  y  a  de  même  trois 
phases  de  création  religieuse  :  l'objectivation  directe  de  la 
pensée  et  de  l'intention  dans  des  actes  rituels,  oîi,  en  toute 
naïveté,  elles  se  trouvent  réalisées  tout  entières,  présentes  et 
agissantes  à  la  lettre,  puis  la  demi-objectivalion  du  Symbo- 
lisme proprement  dit  (i),  oîi  l'esprit  a  conscience  de  dépasser 
le  symbole,  oii  pourtant  il  se  retrouve  et  se  complaît;  et  enlin 
le  Symbolisme  réfléchi  :  tel  un  artiste  qui,  volontairement  el  à 


<i,    Le  caractore  d'oljscurilé  de   celle    Icndanc*,'  .s'rx|)li(|U(r  plus   aiscjiu'iil 
encore,  si  l'on  admet  qu'il   y   a  dè.s  l'orii-ine   dans  le   Symbole  nue  certaine 
confusion    et  une    certaine   richesse  :  il  y    a  plusieurs   idées  <lans   la   mèuiei 
matière,  et  la  même  idée  dans  difTérenlcs  malières. 


IK    (L'I.Ti: 


froid,  t'iivelo|)|)o  une  morale  dans  une  j)araljole  :  telles  irnigmc, 
l'alléi^orie  et  la  niélaphore  littéraire  (ij.  Ces  trois  |)li,ises  de 
création  relit^ieuse  el  ces  Irois  |)r()cédés  d'interprélalion  s»- 
correspondent  h). 

Il  peut  sembler,  au  premier  ahord.que  révolution  hisloriiinc 
lémoigne  que  les  rites  sacramenlaires  aboutissent  à  nrlic  plus 


II)  Tel  sera  le  systi-ine  de  rciix  i|ui  \  lultuil  que  «  luaie  partie  il  t'-j^lise.  lunl 
objet  matériel  servant  au  eulte  ■  et  l'on  pourrait  ajouter  tout  aetc  rilucl  soit 
«  la  traduction  d'une  M'rilé  thi'oio<fiqu<'  ».  lit  vs.man<s,  là  (^atlii'dntlr,  l'a!>i's 
catholi<iucs,  3ii. 

21  Voir  p.  e\.  Mouiq,  Hais  fl  (li<'u.\  tl'J'ffjiih'.  p.  an.  A  rorij,'iue  le  -«acri- 
lice  du  Dieu  m  Efîypte  était  inconseient  cl  ses  eil'ets  bienfaisants  sur  l'iiunia- 
nité,  involontaires.  C'est  la  loree  d'un  rite  jjurenienl  magique  (jui  ressuscite 
Osiris  :  et  c'est  au  nom  du  même  principe  que  les  hoiiiines  qui  imitent  la 
mort  d'Osiris  participeront  aulouiatii|ui'nicnt  à  sa  rcnussance  et  à  l'imnior- 
talité.  A  mesure  qu'on  avance  dans  la  civilisation  é}.'"yptienne,  le  sacrilice  du 
dieu  tend  à  être  considéré  comme  un  acli'  raisonné.  Au  temps  des  niyslêr<'s 
isiaques.  l'évolution  dans  le  sens  spiritualiste  est  encore  plus  mariinée  ;  c'est 
Isis  elle-même  <jui  appclli'  le  néoi)liyte  :  le  baptême  isiaque  lave  l'âme  plus 
que  le  corps;  la  mori  du  niyste  sijiuilie  surtout  que  l'âme  meurt  au  péclié;  la 
rt'iiaissance  est  le  point  île  dé])art  d'une  \\i-  nioiale  épurée,  la  transliifuratiou 
de  l'initié  en  ilieu  Hà,  c'est  l'apothéose  d<-  lliommc  ;  voir  aussi,  p.  '{lo.  les 
trois  étapes  dans  l'éxolution  d'Osiris.  ('imont,  trs  Religions  orientales,  a 
bien  sif^nalé  la  puissance  du  rituel,  dans  la  religion  -gyptienne.  I.e  rite  \  a 
une  l'orme  opérante  par  lui-même,  et  <pielles  que  soicit  les  intentions  du 
célébrant  et  b'S  dispositions  intimes  du  lidi  le;  l'homiuf  .icquiert  par  la  con- 
naissanee  d<î  la  liturgie  un  pouvoir  immense  sur  le  monde  des  esprits.  D'où 
la  fixité  el  rabundanec  du  rituel.  NVaxdt,  Voll.erp.tychologie,  II,  3"  partie, 
veut  voir  dans  les  dogmes  catholique,  lutiii'iien  et  calviniste  de  l'Eucharistie 
b'S  degrés  d'é\olution  <Ie  la  Magie  sympalhiiiuc  à  la  Spiritualité,  f-eci  demaii 
derait  à  être  examiné  de  plus  près;  il  faudrait  analyst^r  très  exactement  les 
notions  de  présence  réelle  et  de  présen<e  spirituelle.  En  un  certain  sens,  il 
y  a  dans  le  catholicisme  plus  île  symbolisme  (ju'on  n'en  aperçoit  à  premièic 
vue,  voir  Hossi'kt,  I V/r/V///o/*.s,  IV,  laf»  :  >  Hien  plus,  il  faut  reconnaître  que 
totit  ce  qui  est  le  plus  vérité,  |)t>ur  ainsi  parler,  dans  la  religion  chrétienne, 
est  tout  ensembb-  mystère  et  signe  sacré.  L'incarnation  de  Jésus  Christ  nous 
(igure  l'union  parfaite  que  nous  ilevons  a\oir  avec  la  divinité  dans  la  grâce 
et  dans  la  gloire.  Sa  naissance  et  sa  mort  sont  la  ligure  de  notre  nais- 
sance el  de  notre  mort  spirituelles.  Si,  dans  le  mystère  de  l'Einharislie,  il 
«laigne  s'ai>prochi  r  de  nos  corps  en  sa  |»ropie  chair  el  en  son  piopre  sang, 
par  là  il  nous  imite  à  l'unité  des  esprits  el  nous  la  tigure.  Enlin,  jusqu'à  ci- 
que  nous  soyons  venus  à  la  pleine  et  inanifesie  vérité  qui  nous  rendra  éter- 
nellement heureux,  tcmtc  vérité  nous  sera  la  ligur"  dune  \  irilc  plus 
intime.  •■  La  théorie  catholique  des  sacrements  lémoign*-  aniplcmenl  que  le 
sensible  est  moyen  pour  le  s|)irituel  et,  à  certains  é^'urds.  n'existe  (|ue  par 
défaut  de  spiritualilt' ;  la  nature  humaine  a  besoin  de  signes  sensibles  (jui  la 
conduisent  à  la  vie  spirituelle  cl  qui  attestent  la  communication  de  la  grâce. 
L'homme  déchu  s'est  soumis  au  sensible  et  a  besoin  d'tme  médialion  seu- 
!<iblc  [)our  s'approprier  le  s|iirituel.  On  pourrait  dire,  cm    empruntant   le  lan- 


•jf>  I.  V   i!i;lii.uj\  kt  la   ioi 

«|ue  (les  sitifnes  {i  ).  dcslinés  à  iiipiH'lcr  un  évôneinenl  <n» 
une  promesse,  que  le  nalisinc  oriuinair»'  se  perde  dans 
l;i  lomniénioralion.  Mais  il  iaudrail  se  deniandei*  si  lit 
eounnénioi'iition  elle-uiènu*  n'ajoute  pas  au  souvenir  la  vea-Ui 
(le  son  idenlilieation  avec  la  personne,  la  chose  ou  l'évé- 
lu'menl  représenté^.  La  reliii^ion  ne  peaise  jçnère  en  images 
mentales  et  en  rap]»orl  d'imap^es  entre  elles.  Elle  pense 
ru  choses,  et  là  oii  les  imajïes  son!  présenles,  les  objets 
aussi  sont  présents.  Il  y  a  donc  souvent,  sous  la  «oni- 
MU'moration,  si  simple  en  apparence,  léveil  d'une  foi  pro- 
f(inde.  prête  à  donner  le  sens  mystérieux  dune  présenct' 
ou  d'une  efficace,  à  des  fonnules  verhales  ou  à  des  gestes 
riluels,  liés  à  l'image  év0([uée.  Elle  disposa  le  croyant  à 
prendre  le  signe  pour  la  chose  uième.  Les  religions  sont 
Nolonliers  réalistes  parce  qu'elles  onl  besoin  d'agir  sur  une 
realité  divine,  extérieur*'  au  tidèle. 


iiimc  kunlien,  que  les  ;.iti-.iiiii(iils  smil  nu  xlicinr  «li>.Liiic  .1  jtsMUfr  lu  pas- 
>ajfc  ilu  spirituel  au  snnsihle. 

D'autre  part,  il  est  Wicii  probablf,  malgré  \u  ci-itiqu«.-  protuslunU.'.,  que  le 
r('aliviiic  sarraiiifTitel  date  des  premiers  temps  du  christianisax-  ;  J>on  pas 
<|u'il  se  soit  exprimé  en  tliéories  aiialofioes  à  eellts  de  la  sfolastiquc,  ni 
ritènie  qn'il  ait  lait  ap]»el  à  une  nolion  préi^se  ;  c'est  et-  (|ih!  Loisv,  l'Kvan- 
::ilc  r.l  li'.glisc,  p  284.  parlant  d(■•^  nrij^-ines  flii'élienn«;s,  a  linemcnt  exprimé. 
•  ()n  ne  spécule  pas  sur  le  sLg'nc,  «m  ne  parle  pas  d'criicaeilé  physique  du 
>acrenient  dans  le  baptême,  ni  de  Iranssubslanlialioii  dans  rEucliari.stir  : 
mais  ce  qu'on  croit  et  ce  iju'imi  dit  va  j>rest|nc  an  delà  de  ces  assertions 
tljêol<>j,'ique>.  Le  culte  de  cet  âj;e  priniilil'  pourrait  se  détLnii-  :  une  sorte  de 
D-alismc  spirituel  qui  ne  connaît  pas  de  purs  symboles  et  qui  est  essentiel- 
lement sacramenl-el  parla  place  qu'y  tient  le  rite  comme  \clii<iili'  de  l'Esprll 
et  ntoyen  de  vie  divine 

(i)  Siius  réserve  des  oxlllalion?,  iné\itables,  et  des  retours  à  l'upun  ope- 
ratum  strir-t.  Ainsi  Loi>v  rappelle  justenjenl,  Sacrijicc,  'ibg,  que  les  rabbins 
des  itremiei-s  siècles  de  notre  ère  ont  enscLs'né  que  les  sacritices  du  taureau 
et  du  bonc  de  lahveh  efTacaient  les  impuretés  et  b-s  fautes  involontaires,  et 
que  l'exiMatifm  de  t«»ns  les  péchés  et  crimes  se  taisait  par  le  bouc 
émissaire. 

On  cil<-  même  de>  r.'d)l»iiis  (jui  ont  ens(!ij;né,  e(jnlraii'6menl  à  l  opinion 
commune,  qne  la  rémission  de  tous  li-s  péchés  s'opérait  pai'  le  l'ait  même  et 
-ans  que  le  repentir  du  pécheui-  fût  requis  pour  rcflicaeité  t\\\  saerenn-nt. 
U.-ibbi-Jndoli  (voir  Mooni-.  Htu-ri (]<•(-.  i-lncyi-l.  Hil>li(|iie.  ]\ 


IJ-:  cri.iE 


LE    DESIR     ET     LA    FORCE    MAGIQUE 

Il  iKMis  laul  Uivn  rlmJicr  à  grands  Irails  cette  pensée 
K  alisle  qui  es!  au  fond  du  eidle  et  qui  s'exhale  eu  eflluves 
|>uissaules  |>our  eiieliauler  ses  lidèles  ;  il  nous  laul  aussi 
iiiar(|uer  à  grands  traits  ses  dégradations  vers  le  symbolisme 
jusqu'au  moment  oii  elle  disparaît,  eomnie  se  dissipe  le  rêve  au 
iV'veiL  à  moins  que  l'on  n'aiiive  à  se  l'aire  illusion  dans  la 
<-(Uistienee  de  rillusion  même,  à  se  rendre  dupe  du  mirage  au 
«lomeiit  même  oii  il  se  dissipe,  ou  à  projeter  sur  la  eréation 
«rti<i<ielle  que  l'on  li«iil  eu  son  pouvoir  des  émotions  plus 
profondes  (pii  eontV'rent  une  réalité  momentanée  îi  ce  (pii,  sans 
elles,  ne  s<*rait  qu'un  jeu  de  l'esprit. 

Le  réalisme,  c'est  la  eroyanee  à  relficacité  externe,  objective 
(le  certaines  pratiques.  Le  Rite  est  véhicule  de  la  force  reli- 
^euse  et  moyen  de  réalisation.  Il  tient  à  la  fois  de  rintention 
(jni  1  anime  et  des  objets  sur  lescpiels  il  doit  agir;  au  fond  du 
réalisme  magique,  il  y  a  celte  thèse  qu'il  arrive  aux  choses 
exactement  ce  qui  arrive  aux  moyens  magiques  qui  les  repré- 
8enl<'nt,  qu'une  céin^monie  produit  exactement  ce  qu'elle  ligure. 
lu  symlK)lisme  iéalist<'.  telle  est  la  forme  extrême  du  culte. 

CU'lle  forme  extrême,  c'est  la  Magie.  Naturellement  nous  ne 
songeons  pas  ici  à  l'étudier  en  elle-même,  mais  nous  s<>mmes 
birn  obligés  d'eflleurei  tout  au  moins  ses  problèmes,  car  la 
force  magicpie  intervient  dans  la  plupart  des  religions;  on  ne 
|>e«t  pas  admettre  en  dehors  de  la  religion,  par  exeujple  le 
sacrifice,  acte  essentiellement  religieux,  cpii  enferme  quchpic 
chose  de  niagi(|uc  :  I  inlluencre  qiiVxerce  sur  le  monde  invisible 
h»  puissance  libért'e  par  le  sacrilice  ;  de  même  les  sacjements, 
sous  l.i  forme  de  Vo/ms  u/tf/dfnm.  Notons  pourtant  que  bi 
Magie  va  beaucoup  plus  loin  dan-s  le  n'alismc  (\ur  la  religiou. 
Nwis  vivons  déjà  dit  que  la  mise  en  <rM\  vr  cl  liililisalion  ^\^•  la 


a8  l.A    HELHIION    KT    I. A     I  Ol 

(Iràfo  maU'rialisre,  suppose  la  loi  au  sons  larp:e;  par  exemple, 
il  faut  ([u'il  y  ait  elie/  le  célébiaul  riiilenliou  de  faire  ce  qu< 
lait  rili^lise  ;  sinon  le  Kite  ne  s'aeeoniplil  pas  (i)  ;  il  faut  qu'il  3 
ait  (  luv  le  lidèle  une  eerlaine  disposition  intérieure,  sinon  il  m 
hénélieie  pas  de  la  grâce  sacramentelle  (lî)  ;  les  champions  les 
plus  audacieux  de  Vnpns  opc/dliiin  ne  vont  pas  Jusqu'à  dire  qu( 
les  saeremeiils  confèrent  la  grâce  e.v  n/)crr  opcnito  chez  <-eux 
qui  sont  eu  ('lai  de  péché  mortel  (3). 

11  scmide  (|ne  la  iclii,non  a[)porle  à  l'aclion  magique  un( 
restriction  considérable  :  au  cas  loul  au  moins  oii  c<dle-e 
s'e\(ucerait  avec  une  eflicacité  pleineiuent  contraignante,  indé- 
pendanmient  de  la  volonté  du  sujet,  indépendamment  aussi  dt 
la  volonté  du  magicien.  Pourtajil  nous  n'oserions  pousser  trof 
loin  cette  distincticjn,  car  l'action  magique  n'est  peut-être  pas 
de  (orme  sirictement  mécanique,  et  peut-être  requierl-cllc 
qucl((ue  intention?  tout  au  moins  e\ig<*-t-elle  certaines  précau- 


I  (;■(  ^1  iiii  [)oiiil  Mir  Icqui"!  in>i.sle  Kisjjmioi  i:ii.  Ilandbuch  der  Kalholi* 
sckcn  Lituiii'il;,  l'jii?.  |>-  ^5,  pour  distinj^urr  le  «  liluj'jje  »  du  personnajj^C 
uiagi(ju<'.  Il  faut  >i^ualer  pourUtnl  que  .Mari(;tt  se*  demande  s'il  y  a  des  actionî 
Hiagi<ju«'.s  .sau>  riiitiiveiiliuu  de  la  voldiitô,  si  l'incantation  ou  à  tout  le  luoim 
la  direction  de  linlcnlion  ne  parait  pas,  dans  tous  les  cas,  conditionnel 
l'exercice  de  la  magie 

L'action  magique  nexige-l  clic  pas  n»*n  seulement  la  continuité  cxtci-ieiire 
des  rites,  mais  encore  une  ferme  i!onstance  dans  l'état  d'esprit  du  ma;;icien 
en  ce  qui  concerne  les  forces  magiques,  i'\  l'intention  dii  rite'.*  >'e  doit-il  pas 
avoir  dans  le  résultat  automati(iue  du  rite  une  confiance  qui  ne  lléchif  i)()int'.' 
L'attitude  interne  ne  correspond-elle  à  l'allitujlc  externe?  L'acte  n'entraîne- 
l-il  pas  et  ne  supj»ONC-l  il  pas  la  foi'.'    Cf.  IIi  nicnr  et  Maiss,  Mélanges,  p.  '{*>.) 

,2  (labricl  Hii;!.,  in  lil».  iv.  dist.  i,  qu.  '3.  La  diftieulté  relative  au  baptême 
est  le\ce,  clicz  l'adulte,  par  li'  v<eu  du  haptèmc,  eliez  l'i-nfant  ]>ar  les  argu- 
ments «(ue  nous  étudierons  plus  loin  ;  le  baptême  étant  donné  dans  l'Eglise, 
c'est  la  foi  de  l'F.glise  qui  devance  celle  de  l'enfant  et  (|ui  s'oll're  pour  elle  et 
qui  permet  au  rite  d'a^oir  plein  cirel.  Si  on  allait  juxju'à  l'entendre  commo 
un  processus  mccanitjue  ilc  purification  à  la  suite  dune  infection  indépen- 
dante rie  la  vol<»nté  du  sJijet  péché  originel  ,  il  faudrait  toujours  remonter  à 
la  volonté  jtécheresse  initiale  et  à  l'intention  divine  de  pardon,  (|ui  a  institué 
le  sacrement. 

(3)  Pour  différencier  sacicnn*nt  et  magie,  le  eatliolicisme  fait  volontiers 
appel  à  une  notion  morale. 

"  Le  sacrement...  c'est  Dieu  qui  lui  donne  sa  vertu   par  un  elfet  digne  d< 
lui,  la  sainteté  du  co-ur.  Le  symbole  magirjue  a  sa  vertu  propre,  son  cfficacitc 
«îonlraignante,  inilépcndamment  de  toute  pr<'paration  ou  précaution  morale.  »l 
\\*.  BoiviKit.  IJrli^ioii  i-l  Magie.   Rechercht's  de  Se.  leligiense,  1912,  xi  et  i<.)i'*- 


i.K  t:i;i.Ti:  u() 

lions  (le  sûreté  liliu'llr,  sans  (|U(>i  clic  ne  s'acconiplil  |)as,  ou 
s'accoinf)lil  contre  le  snjel  :  il  y  a  des  eoinpalilnlités  et  des 
ineoMipalihililés    entre    les     lorees    (|nc     la    Maj^ic    sn|>[)ose    à 

IfllIN  If. 

l'uni-  le  reste,  nons  réservons  et  laissons  entiènniicnt  de 
eùlc  le  problème  si  déhatin  et  si  difficile  des  relations  liisto- 
ri(|nes  on  lofîi(ines  de  la  Mau^ie  cl  de  la  lieiiuion  (ii. 


(  )n  sait  conimenl  ['c(<»le  anlliroi)ologi(ine  anglaise  explique 
la  Mau^ie  par  l'objeelivation  des  lois  de  l'association  des  idées  ; 
1  lioinnie  transporterait  natni'cllemenl  dans  les  choses  la  conti- 
iiuilv  et  la  similarité,  ces  deux  lois  fondamenlalcs  de  sa  pensée. 
Tout  n  est  pas  faux  dans  celte  hypothèse  que  Sir  .lanu's  Frazer 
a  exposée  avec  tant  d'éclat,  mais  elle  est  certainement  ineom- 
plèle.  Ses  insuriisanees  sont  celles  de  la  psyclioloijie  «pii  l'a 
inspii(''e.  La  croyance  magique,  pas  plus  qu'aucun»'  croyance, 
ne  saurait  se  ramener  à  une  sinq:)le  association  d'idées. 
L'association  d"i(l('cs  va  à  1  inlini  :  les  idées  se  suivent  et  se 
suirui^èrcnt  sans  lin  :  dans  l'opération  magiiiue,  comme  dans 
l(Hile  action  et  dans  loule  croyance  il  y  a  des  jugements  :  on 
choisii  des  images,  on  les  arrèle,  ou  abstrait,  on  dirige  son 
allculion  et  son  intention.  L'associaliou  des  idées  s  accompagne 
d  une  vague  cioyance;  iu)us  n'adhérons  pas  pleinement,  sauf 
le  cas  (lu   ic\c  ou  du   di-lir-e,   au\    images  «pii   Iravcrseiil    notre 


I  Notons  seuliMiii-iit  i|iic,  ilaiis  iJ-s  r«'li};ioiis  supt-rirurcs  loiil  au  moins, 
1rs  l'orccs  niii^i^iqnes  sont  !<•  don  d'nn  1)i<'n  qui  s»-  lie  lui  nu-nic,  ipii  si-  mol 
dans  les  rites,  qui  s'ol)li<îc  à  oliéir  à  l<rur  action  conlraij^nnnte,  justement 
parce  qu'il  sesl  identilié  à  eux.  Sous  Vo/ni.s  ofuTatiim  et  sons  ro/»»,s  oiirruins 
des  saeremenis,  il  y  a  l'o/w/s  ofn-nititis  <pii  est  Oii'U  ;  l'action  saerannMitellc 
repose  au  fond   sur  rinstitntion  ilivine.   il   non  pas  sur   la   nature  tics  ehoso 


3o  l.\     HEl-IGIO-N    KT    I.A     lOl 

esprit,  l^e  inai^icicn  eroil  l'otteinenl  à  ses  pi'aticjues.  Au  Lia 
chose  est  un  clélUé  d  imajies,  auLi-e  chose  1  atlirma.Lioii  de 
l'objectivité.  Une  fois  de  plus  la  psycholoiçie  aa^iaise  a  été 
victime  de  iassocialionisnie,  (|ui  n'arrive  pas  k  e\pli<fuei* 
Irsprit  humain  (i).  K\plkjuer;dt-on  ainsi  h»  Magie,  <[u'on  se 
reh'ouverait  encore  eu  [)résenc<'  du  même  problème,  comme  c« 
matîicien  poursuivi  par  le  fantôme  qu'il  exorcise  ;  car  l'Asso- 
«iution  des  Idées,  comme  l'entend  l'école  anglaise,  est  une 
sorte  de  magie,  une  attraction  inexpliquée  du  conligu  par  le 
contigu  et  du  semblable  par  le  semblable.  Loin  d'expliquer 
l'esprit,  l'Association  le  suppose;  sans  l'unité  de  conscience  oii 
les  moments  divers  d'une  même  «'xpciiencc  psychologi{pie 
sont  groupés  de  la  façon  la  plus  intime,  de  sorte  que  poui 
toujours  ils  tiendront  ensemble,  la  contiguïté  resterait  inefli- 
cace  ;  sans  l'unilc  de  raison  (pi  il  y  a  sous  les  rapports  fonda- 
mentaux dont  la  ressemblance  n'est  que  le  nom  confus,  h 
siuiilitude  n'aboutirait  à  rien. 

L  hypothèse  scuiblc  plus  heureuse  <piaud  il  s'agit  (rexj)li(iu«r 
les  moyens  (pie  la  magie  met  eu  œuvre:  car  ils  sont  enq)ruutés 
aux  choses  mêmes  sur  lesquelles  on  veut  agir;  ou  bien  ils 
imitent  les  choses  et  l'îiction  (pi'ou  xcul  produire;  ne  voit-on 
pas  ici,  à  plein,  la  contiguïté  et  la  similitude?  Mais  iNlM.  Hubert 
et  Mauss  out  montré  avec  l)eaucou[)  de  force  ([u'il  y  a  un  travail' 
de  choix  et  (rinterj)rétation  dans  la  création  des  symboles 
magiques;  la  similitude  peut  cire  très  conventionnelle;  (h; 
l'objet  choisi,  le  magicien  retient  un  trait  scul(;ment,  la  coideur, 
la  forme,  etc.  :  de  plus,  certaines  (pialités  seulemeut  du  symbole 
sont  transmises  au  symbolisé.  Kniin,  étant  donné  le  petit 
nombre  des  symboles  magi(jues,  alors  (pi'cn  droit  ce  nombre 


I  Notre  critique  très  géncrale  i-ejoint  les  objeelions  très  pénétrantes  de 
MM.  HiBKRT  et  Mauss,  basées  sur  l'analysi;  des  procédés  magiques.  (Voiw 
JIiJu.uT  et  Mauss.  Esquisse  d'une  théorie  frrnrmlc  de  la  Maffie,  Anruie  sociolo- 
gique, t.  VII,  1904,  et  Mélanges  d'IUsloire  dca  Hcligions,  j).  xvii,  lyoy.  Voir  ;iussi 
Lkcha,  La  Psychologie  des  /ihtinomènes  religieux,  p.  aro.) 


i.K  «:i;l:ik  Si 

«si  iltiiiiilc,  il  laiil  biiii  ([(ic  la  liiulilioii  rhoisissc  et  iiiipos*- 
<|iul«|iifs  syinholcs  |>i'i\  Llégi«''S. 

\iiisi  il  y  a  (h«ns  la  pcnséi'  niaificpn.'  <!»*!>  opi-ialions  mculalts 
«oiniiU'xes.  Kll»'f<  soiil  mises  m  j«'ii.  soiitcimos  cl  diriffrcs  pai- 
♦It's  iMlrrrls  pjiissauls,  f>ai*  des  besoins  violents.  Ou  ne  peut  se 
dispenser  de  l'aire  inlerveiiir  iei  rinleraction  du  sentinienr 
ri  (!♦'  la  p«'iisee.  La  May:ie  u fxislerait  [)as  sans  le  d«''sir: 
«reilaiues  lins,  ardennnent  souhaitées,  mettent  en  monv(  ineni 
1  espiil  (pii  sÎMi^éme  à  les  réaliser  ei  qui  poursuit  lenr  réalisation 
\>nv  «les  moyens  nés  dn  dé'sir.  L'uelion  du  désir  t'sl.  du  reste. 
renl'oret'e  souvent  jmi'  des  [)raliipies  evLalicjues  q»ii  ellaecnt 
dans  resjM'il  la  distinetiou  du  po.ssible  et  du  réel,  par  un  »''lal 
dr  verlii^e  <|(u  allranehit  pleiiiemeut  la  eroyance  (i).  Kniin 
4U\s  traditions  sélablissenl,  ,iL!:arantes  de  la  [)uissanee  niajiitjne 
en  irénéral,  i^araides  de  la  valeur  parlieidière  de  eerlains  rites. 
Tne  rna^ie  calme,  codiliée,  accessible  à  tous,  alterne  ave<-  la 
inauMc  e\cité<'  ri  rréahicc.  Il  nous  faut  examiner  tout  cela. 

Kn  premier  lieu,  la  puissance  du  Sentiment.  Un  sentiment 
\iolcnl.  un  désir  impérieux  s'aecompaifne  d'espérance,  c'est-à- 
dire  de  loi  dans  l'aNcnir;  aux  moments  les  plus  intimes  du 
désir,  l'obstacle  du  lemps  disparaît  presque  et  l'objet  espéré 
de\icnt  j>res(pjc  réel.  Il  y  a,  dans  le  désir,  une  vive  alteide, 
nue  predis{K>silion  ii  la  foi. 

Mais  il  y  a  bien  autre  chose  dans  la  ma,i;ie.  Klle  ncsl  pas 
la  croyance  du  désir  en  la  réalité  ou  en  la  réalisation  indé- 
pendante de  son  objel,  niais  la  croyance  à  la  n'-alisation  «le 
son  <d»jet  pai-  la  mise  en  œuvre  de  moyens  extérieurs.  Même 
si  l'on  a«bn«l  l'existj'uce  d'un»'  niaii^i«*  du  pin*  désir,  la  puissance 
du  pin-  désir  à  produire  ses  objets,  elle  serait  enc«)re  la 
eroyaiuM'  ;i  la  r«'alisation  de  l'objet  par  la  puissance  du  désir, 
par  r«'Xl«''ri()risafion  dn  «h'sir  «'U  (piehjue  sorti',  conçu  comme 


(i*  C'est  cr  «pli'   M    NIxc-»^  :i  Iml  l>icii   iiionlr»-     (Voir  VOri.,'ine  des  /nxnniis 


i-A  i.A  ri:lh;io\   i.t  i.a   i  oi 

une  Invci-  cxtôru'iui  .  sii|M-i'irni'('  au  siijcl  cl  c'a[)al)Io  dv  [)r()(luii'(' 
1  <»l»jcl.  Le  (lôsir  soil  dn  siijcl  n«)Ui'  aUciiidic  les  choses,  pour 
s  \  i)ltic(li\  cr.  s'y  rcalisci.  Il  y  a  dans  loiilc  niatxic  la  croyance 
il  la  |Miissancc  t)bjecliye.  rcalisalrice  du  désir,  que  cette 
puisNanc f  soil  coitsidcrcc  eoniine  inuui'dialc  ou  (pi'clle  ail.  au 
(M)iilrairc.  besoin  de  moyens  [>our  s'exercer. 

(  )r.  le  scnlimcnl  s'«''panelic  néccssaii'euiciil  en  nu)u\cnîcnts, 
paiojes  et  u:estes  ;  en  luonx  cnicnls  incoliéreiils,  sui\ant  la  loi 
de  la  d ('•(;! iar,u:e  dilluse  ;  cl  aussi  en  niouvcinents  coliérents  cl 
ada|)lcs,  parée  (pie  lout  sentiment  se  i'ai)[)()rle  à  une  action, 
parce  (pie  tout  sentiment  répond  à  une  adaptation  nouvelle,  à 
une  attilmle;  l'Iiouime  en  colère  ébauche  l'atlaipie,  l'homme  en 
|>roie  à  un  désir  violent.,  pai'  ses  li^cstes.  ses  paroles,  ses  imai^cs 
mentales,  prépare,  commence  la  réalisation  de  son  ilésir  ; 
il  ébauche  l'action  qui  le  mettrait  en  possession  de  l'objet 
on  (|ui  lui  peiinettrait  d'en  jouir-.  Tout  désir  est  un  commen- 
eemenl  d'action;  tout  désir  contient  le  plan  de  construction 
d'un  acte  au  moyen  d'imaj^es  et  de  mouvements  ;  cette  ébauche 
esl  dautant  plus  riche  cl  plus  forte  que  le  désir  est  plus 
\  iolenl.  elle  est  d'autaïit  plus  exacte  qu'il  est  plus  précis.  Ainsi 
le  désir  s'extériorise  nécessairement  en  gestes  qui  s'adressent  à 
son  objet ,  <•(  (pii  le  représentent,  comme  il  s'extériorise  aussi. 
en  verhi  de  son  intensité  seule,  en  gestes  quelconques. 
Tous  ei's  gestes,  nés  du  désir,  sont  en  étroite  relation,  dans 
le  (h'sir,  avec  l'objet  tlu  désir.  Désir,  objet  du  désir,  |)ression 
mé'caniqui'  on  mimicpie  du  désir,  ioul  cela  l'orme  une  profonde 
unit(''  [)sychoIogique. 

La  gesticulation  du  désir  va  droit  aux  choses,  soit  qu'elle 
ail  besoin  de  se  dépenser  par  son  action  sur  les  choses,  soit 
(|u  il  y  ait  dans  les  choses  (piehpie  rapport  avec  l'objet  du 
désir  qui  l'attire  sur  elles;  l'honnue  l'uri(;ux  casse  une  chaise 
parce  que  sa  fureur  a  besoin  de  se  dépenser,  et  c'est  le 
premier  objet  rencontré  qui  pâlit  de  sa  colère:  mais  il  détruira 
aussi  un  objet  parce  que  cel   objet  lui  sera  hostile  ou  odieux: 


I 


i.r  (ii.Ti:  3'J 

ainsi  riioiimir  <iiii  jt'llc  an  IVii  le  porliail  de  sa  inailccssc  (jui 
l'a  lioiiiix',  ainsi  le  tani-oan  (jni  se  inc  sur  le  manteau  laissé 
dans  1  aicnc.  I/éiiiotiou  se  dépense  vuloiiliers  sur  des  ohjcls, 
liés  d'une  l'aron  qutdconquc  à  son  objet  principal  ;  tout  ce  (pii 
nous  rap[)elle  ee  ([ue  nous  aimons  on  ce  (pie  nous  haïssons, 
nous  l'aimons  ou  nous  le  haïssons  et  nous  a}i:issons  envers  lui 
connue  envers  l'ohjet  i.nènie,  dans  la  mesure  exaclc  oh  il  le 
représente  pour  nous  ;  non  ([u'il  y  ait  là  transfert  d'émotion 
par  eontiu^uïté  ou  p,ar  siinilaiité  ;  mais  il  y  a  unité,  dans 
l'émolion,  (le  tout  ee  cpii  constitue  l'ohjet  de  l'émotion;  notre 
amolli-  s'adresse  à  toute  la  personne  et  comprend  tout  ce  (pii 
la  constitue:  telle  partie  d'elle-même,  ses  cheveux,  ses  vêle- 
ments, isolés  d'elle, retiennent  queUpie  chose  d'elle  :  un  charme 
puisé  en  elle,  dans  l'émotion  totale,  synthétique,  (pii  s'adresse 
d  ahord  cl  d  un  seul  coup  à  la  personne  entière.  De  même  nous 
aimons  d'avance,  dans  l'amour  que  nous  Vivons  pour  une 
personnr,  toutes  les  imaijes  qui  seront  vraiment  ca[)al)les  de 
l'évoquer  devant  notre  esprit. 

De  la  mcnu'  manière,  le  désir  anticipe  l'action  désirée;  il 
en  réalise  à  l'avance  l'esquisse.  Ainsi  l'imitation  qui  est  à 
la  hase  du  culte  majjique  a  son  principe  dans  l'action  ;  c'est 
elle  (pii  fonde  l'association  par  similitude  et  le  raisonnement 
par  analo}j:ie.  Désirer,  c'est  comnu'ueer  d'accomplir:  et  les 
moyens  que  l'action  met  en  œuvre,  puisent,  renforcent  dans 
l'action  leur  parenté  avec  la  fin  poursuivie.  On  pensera  l'action 
du  semblable  parce  qu'on  fera  naturellement  ce  qu'on  veut 
qui  soit,  i)arce  qu'on  agira  inévitablement  le  semblable. 
L'action  immédiate,  spontanée,  pur  réflexe  du  désir,  se 
continuera,  du  reste,  lorsqu'elle  se  sera  montrée  eflicace,  par 
l'imitation  volontaire,  (".'est  toujours  par  l'imitation  volontaire 
qu'on  passe  de  l'action  naturelle  à  la  convention.  L  imitation 
volontaire,  la  convention,  renforcée  par  la  tradition,  gardera; 
grâce  au  succès  et  à  la  tradition,  l'eflicace  que  son  caractère 
naturel  assignait  d'cmbh'e  à  I  a(  lion  inunédiate,  et  la  puissance 

3 


3  4  1  A     HEI.K.ION    KT    l.A    lOI 

(If  rijnhaiiilf  (luOn  lui  alliihiiail  sur  les  clioscs.  l'^l  dv  niènu' 
(juc  fin/  liMilanl.  1  iinilalion  Noloiilairc  do  ce  qu'il  désire 
»'st  le  picmicr  lanirau;»*.  le  preinicr  l'Hoii  poui'  déolcnclicr 
rinlerveiilion  d'aulrui,  k*  lile,  quand  il  se  vide  de  sa  puissance 
iuuiK'dialenienl  conlraiunanle.  lesle  sollieilalion,  prière,  expo- 
siliou  du  hesoin  ou  du  Vdu  doni  il  est  la  représentalion  mimée. 

De  m.'ini'.  la  valeur  du  conLael  esl  également  puisée  dans 
raction  ;  les  éléments  conlip:iis  (|ue  relient  pour  ses  opérations 
latliou  mai,M(|U('  sont  liés  natuiellement  ou  ueeidentellement 
dans  une  action  d  ensemble.  Un  moment  de  l'action  devient 
la  représentation  de  l'action  totale;  une  partie  d'mi  objet  ou 
d  un  cire,  la  représentation  du  tout,  parce  qu'on  réajçit  à  la 
partie,  liée  au  tout,  connue  on  réa'j^it  à  la  totalité;  loi  psycho- 
loi;i(lue.  que  l'étude  dvi^  réilexes  conditionnels  n'a  l'ait  (jue 
ren forcer;  la  partie,  l'élément  isolé,  pouvant  être,  du  reste;, 
plus  ou  moins  intrinsèquement  représentatifs  de  la  totalité, 
et  plus  ou  moins  aptes  à  recueillir  et  à  condenser  sa 
puissance  intrinsè(pie;  d'où  la  vertu  particulière  du  souffle, 
de  la  salive,  etc. 

Voilà  donc  le  désir,  extériorisé  par  ses  lois  mêmes,  en 
gestes  et  en  actions;,  le  voilà  s'exerçant  sur  des  choses  qui 
re|)résenlenl  plus  ou  moins  précisément  son  objet.  Mais,  si 
nous  tenons  déjà  l'explication  de  l'action  map^i(iue,  nous  ne 
tenons  pas  encore  l'explication  de  la  croyance  magique;  de  la 
croyance  à  l'efficace  externe  de  tels  gestes,  de  tels  actes,  de 
tels  objets;  de  la  croyance  à  leur  aptitiule  à  réaliser  au  dehors 
la  lin  <jue  poursuit  le  désir.  Nous  avons  seulement  cette  indi- 
cation que  le  désir  croit  aisément  à  ce  qu'il  espère;  et  aussi 
(jM  il  croit  aisément  à  ce  qu'il  elFectue  spontanément  vers  la 
i^i'alisalion  de  son  objet  ;  se  confondant  volontiers  avec  sa  lin 
réalisée,  il  confond  volontiers  avec  elle  les  moyens  par  lesquels 
il  ne  fait  que  se  réaliser  soi-même.  Il  y  a  dans  la  grande 
illusion  du  désir  un  commencement  de  croyance  magique,  mail 
qui,  le  plus  souvent,  ou  ne  se  développe  pas,  parce  que  celui  qi 


LK  cri.TK  36 

tiésii'c  est  |)('rdii  dans  son  désir  inème  (l'cniotion  violente  ne 
voit  pas  aM-<ielà  deilc-mème).  ou  })ien  est  anssilôf  lépriiiK''. 
Nous  en  nionlrerons  des  e\enij)les. 

II  nous  faul  donc  passer  de  cetleMagie  implicite,  fondée  dans 
le  désir  lui-même,  dans  son  penchant  à  croire  à  sa  valeur  objec- 
tive el  à  la  valeur  oiijeclive  de  son  développement,  à  la  Mairie 
explicite  (i).  eesl-à-dire  cette  croyance  que  les  gestes,  mouve- 
ments, paroles,  par  lesquels  se  traduit  le  désir  ont  une  efficace 
externe,  que  quelque  chose  leur  correspond  dans  la  réalité.  Le 
di'sir  préi)are  à  une  telle  croyance,  nous  l'avons  vu  ;  et  il  lui 
fournit  son  support,  ses  moyens  d  action  ;  c  est  parce  qu'il  ébauche 
l'action  vers  laquelle  il  tend,  que  l'imitation  sera  choisie  comme 
moyen  magique  pom*  le  réaliser;  ([ue  le  semblable  vaudra  le 
semblable  (2);  c'est  parce  qu'il  assemble  les  divers  éléments 
d'un  objet  pour  embrasser  cet  objet  dans  une  vision  synthé- 
ti(pic  (jue  l'un  de  ces  éléments  pourra  paraître  apte  à  repré- 
senter le  tout,  (pie  la  partie  vaudra  le  tout.  Mais  la  Magie 
explicite  change  la  valeur  relative  de  ces  deux  éléments,  le 
désir  et  la  chose;  elle  va  droit  à  la  chose  et  elle  pense  objec- 
tivement les  gestes  du  désir,  comme  des  moyens  symboliques 
de  la  chose,  propres  à  la  produire. 

Celte  croyance  à  l'objectivité  a  son  origine  dans  l'expé- 
rience et  dans  l'esprit.  Comme  l'ont  très  bien  vu  les  anthropo- 
logues anglais,  la  Magie  se  soutient  par  son  succès,  (pii  est  dû 
à  des  coïncidences.  Ce  succès,  du  reste,  est  souvent  à  peu  près 
inévitable,    lorsqu'on   s'adresse    par    exemple    à  des    rythmes 


I  Celle  distinction  correspond  à  peu  prés  à  celle  que  fait  M.  MAuniiTT 
entre  la  Mia>,'ie  rudinientaire  et  la  inaf^ie  développée.  Voir  The  Tliresliold  o/ 
religion,  j).  44  <^*  suivantes 

>2.  Le  {jcste  rituel  a  plus  d  iujportancc  encore  que  la  matière  rituelle;  il 
porte  avec  lui  lellicacité  de  l'action.  Dans  un  rite  «le  pluie,  l'eau  sans  doute- 
est.  ti<;ure  de  la  pluie,  n)ais  c'est  en  répandant  l'eau  (ju'on  représente  et  «|ue 
l'on  pense  aniein-r  la  chute  de  la  pluie.  La  chose  (|ui  est  moyen  i\t'  l'action 
sacrée  prend  une  dij^'uité  croissante  et  tend  à  devenir  le  principe  de  l'action 
sacrée;  le  pain  eucharistique   représente  toute  la  vertu  du  repas  communie!. 


3G  l.V    REI.H.ION    KT    I.A    1  Ol 

naliiiels  déjà  prêts  à  se  déclencher:  comme  lorsqu'on  ciierch< 
à  amener  la  pluie  vers  la  fin  d'une  péiiode  de  séelieresse,  ou  e< 
(pii  esl  encore  [)lus  aisé,  lorstpi'oii  cherche  à  déclencher  la 
venue  normale  des  saisons  ;  ou  bien  encore,  lorsque  l'opératioi 
magi(pie  est  eflecluée  sur  des  hommes  et  qu'elle  a  grande  fbrc< 
de  suc:a:eslion  :  tel  le  rite  de  renvoùtemeut.  Donc,  comme  leî 
pratiques  magiques  (i)  coïncident  souvent  avec  leurs  elFets 
elles  paraissent  les  produire.  Indépendamment  de  la  satisfac- 
tion que  l'acte  magique  procure  au  désir  (2),  cette  coïncidence 
a  prohahlement  contribué  à  engendrer  la  croyance  magicjue 
si  l'acte  attendu  se  produit  en  même  temps  que  l'une  des 
expressions  mimi((ues  ou  mécaniques  de  l'attente,  un  lier 
s'étabUt  entre  l'acte  et  l'expression  qui  passe  pour  son  symbob 
efficace  (3);  on  reproduit  intentionnellement  cet  acte  d'aborc 
spontané;  la  liaison  est  d'autant  plus  facile  à  établir  qu'elle  s< 
fait  au  sein  du  désir,  et  souvent  dans  des  états  d'exaltation  e 
d'obnubilation  Cî). 


^i  M.  Mahri;tt  signale  justement  le  rôle  de  la  magie  pratiquée  pa 
l'homme  sur  l'homme  et  dont  le  suceès  est  aidé  par  la  suggestion. 

(2;  Satisfaction  d'autant  plus  intense  et  d'autant  i>lus  propre  à  produir 
l'illusion  que  le  besoin  est  plus  ardent.  L'illusion  coUcetive  joue  aussi  uj 
gi'ond  rôle,  comme  l'a  bien  montré  DunKUKi.M. 

^3l   C'est  ce   que    Lkuba  a   fort  bien  montré,  p.    i86   et    suiv.;    v.    par    ex. 
p.  2ot)  :  <•  Nous  avons  essayé  d'expli<iuer  les  danses  magiques  auxquelbvs  Ii  - 
femmes  se  livrent  pendant  (jue    leurs  maris  sont  à  la  guerre,  en  les  prr-( n- 
lant  comme  étant  dues,  dans  leur   forme   originale,  à  une  expression  sixm- 
tanée  d'inrjuiétude  et  d'émotion.  La  durée  et  la  répétition  de  cet  état  d'exci 
tation  seraient  favorables  à  sa  manifestation  i»ar  des  mouvements  coordonnés, 
intelligibles,  par  exemple    une  représentation    mimée  «lu   combat.    Si,    main- 
tenant, apparaît  le  sentiment  d'une  connexion  nécessaire  entre  cette  mimique 
et  le  succès  à  la  guerre,  ce  «pii  n'était  d'abord  que  la  manifestation  spontanée 
dune  émotion  devient  une  i)ratique  magique.  O  pas  n'est   [)as  impossible  à 
franchir;  en  effet,  si,  pendant  (juc  la  danse  va  son  train,  le  désir  de  voir  l 
combattants   triompher   est   à    son   paroxysme,    la   danse   en   viendra  à  èli 
considérée  comme  une   condition  de  suceès.  Ce  dernier  pas  serait  l'expre: 
sien  de  la  loi   de   l'association  :   les   choses  qui  se   sont   trouvées   ensemb 
dans  l'esjirit  tendent  à  se  rappeler.  Ainsi,  des  formes  de  conduite  qui  ont 
leur  point  de   départ  dans  un  besoin   de   se  soulager  des  tensions  émotiv 
assument     graduellement     un    caractère   défini    et     deviennent    des    moye 
d'exerceriine  influence  magique.  » 

(4)  Puisque  la  tradition  ne  fait  que  conserver  l'autorité  de  pratiques  déj 
reçues,  l'invention  magique  ne  peut  avoir  lieu   que  sous  deux  formes:  l'i: 


l.K    CL  I.TE  j- 

• 

1)  aiilic  |)ail.  il  faut  bien  l'aire  IiiIcin  <iiir  un  ('lai  d  cspi-il.  La 
Ma^'ic  est  le  inonde  du  désir  réalisé:  |)uissanee  et  impuissance 
du  désir,  puissance  et  impuissance  des  choses,  tout  cela  se 
heui  Ir  et  se  combine.  L"  dc-sic  impuissant  à  se  réaliser  j)ai'  soi 
seul,  aspiic  à  rcthjeetivité  et  se  crée  des  moyens  de  réalisati(jn 
indirects  ([ui  doivent  captiver  et  asservir  la  puissance  des 
choses.  Le  monde  subjectif  et  le  monde  objectif  sallrontent  et 
s'entendent  par  compromis.  Deux  puissances  contraires  sont 
aux  prises;  un  moyen  est  établi  pour  subordonner  la  puissance 
étrangère  à  la  puissance  intérieure.  Le  désir  contraint  le  monde 
au  moyen  de  pratiques  dont  rellicace  est  toute  puissante.  11  y 
a  donc  dans  la  Magie  une  vaste'anticipation  de  l'expérience,  un 
excès  de  subjectivité  ({ui  déborde  en  objectivité,  une  sorte 
dhyperadaplalion,  si  Ion  peut  dire,  qui  prévient  la  réalité, 
(fuchpie  chose  comme  cette  attention  e\pectanlc({ui  crée  l'image 
hallucinatoire  du  signal.  L'action,  trop  intensément  préparée,  se 
déehar2:e  en  mouvements,  eu  croyance,  en  doctrine.  Elle  se 
proclame  elle-même.  Car  ce  ({ue  la  Magie  affirme,  c'est  la  cau- 
s  dite  du  désir  au  moyen  d'intermédiaires  issus  du  désir;  donc 
la  croyance  que  le  monde  sidjjectil'  p.Mit  se  muer  en  monde 
objectif  par  la  mise  en  œuvre  des  forces  objectives  qui  obéissent 
au  désir.  Du  même  coup,  et  dès  qu'elle  se  pense  elle-même, 
elle  est  un  commencement  de  critique  du  désir,  et  une  limita- 
tion de  la  subjectivité,  puisque  malgré  su  puissance  il  se  heurte 
;iu\  choses,  [)uis(pi  il  lui  faut  aller  chercher  dans  les  choses 
mêmes  un  moyen  de  se  soumettre  les  choses.  Elle  est  donc  un 
appel  aux  forces  naturelles,  un  commeueemeni  de  science  :  et 
i-'est  ce  (juc  plusieurs  théories  ont  justement  montré.  Elle  met 
en  jeu  l'idée  de  causalité,  encore   qu'elle   l'utilise  à    l'nws,  au 


si'iitidii  imliviiliitllc  clicz  crrlains  iiiilividiis  privilé},'i('.s.  ou  Itien  la  poussoc 
lirusijuc  cl  iiiiaiiiiuc  de  tout  un  {groupe.  L'invention  indiviilucllf  a  lieu  à 
l'état  de  ri-lU-xion  ou  dans  des  étals  d'rxlasc.  .Sur  U»ut  cela,  voir  Mai  ss  : 
Oriffine  des  poin-oirs  maffùiuos.  On  ne  saurait  trop  insister  sur  les  états  d'ex'i- 
lation,  souvent  entretenus  et  provf)(|ucs  par  des  proeédé^  de  toute  «'spéee, 
pie  Ton  trouve  à  l'orijjfine  d»-  la  Majjie. 


38  I.\     HEl.ir.ION    KT    I.V    FOI 

conliaiir  de  la  toc'lmicjiu'.  L'étal  d'esprit  inatçi(|ue  c'est  donc  la 
prédoniiiiaiico  de  la  subjectivité,  (pii  se  prend  pour  l'objccti- 
vilé;  un  état  d'esprit  inculte,  et  (pie  l'on  doit  retrouver  partout 
oii  le  senliinenl  de  l'objectivité  n'est  pas  encore  né  ou  s'afï'ai- 
blil  :  il  y  a  ici  cette  attitude  réaliste,  cette  promptitude  à  réa- 
liser que  les  psychologues  ont  si  souvent  siiçnalées  comme  un 
mouvement  naturel;  im[)ulsivité,  crédidité  primitive  opposées 
au  scepticisme  acquis;  pouvoir  des  images;  cette  participation 
si  profondément  vécue  qu'elle  n'est  pas  encore  pensée,  et  que  la 
représentation  et  ses  objets  demeurent  confondus  dans  l'in- 
distinction  primitive  que  soutiennent  les  mouvements  et  les 
actes.  Ce  n'est  que  progressivement  que  des  freins  se  mon- 
tent, des  contre-poids  s'établissent.  Tout  n'était  pas  inexact 
dans  la  thèse  de  Frazer,  qu'il  y  a  dans  lu  Magie  une  objec- 
tivation  naturelle  de  l'esprit  humain. 

Si  la  Magie  se  développe,  cela  tient  à  la  fois  à  ce  qu'elle  se 
eonûrme  par  l'expérience  et  à  ce  qu'elle  se  renforce  par  la 
spéculation  :  une  philosophie  naïve  entrevoit  la  connexion 
sous  la  consécution,  l'identité  sous  la  ressemblance  et  opère 
sur  la  liaison  et  l'harmonie  universelles,  sans  être  encore 
retenue  par  la  détermination  empirique  ou  rationnelle  des 
liaisons  particulières.  Science  et  philosophie,  elle  se  donne  la 
double  autorité  d'un  recueil  de  faits  à  la  fois  et  d'un  système. 
KUe  commence  par  reproduire  intenlionnellement  l'acte  qui 
s'est  trouvé  assurer  le  succès;  ici  le  rite  est  tout  près  de 
l'expression  mimi(jue  du  désir  ou  de  l'action  qui  lui  esl 
connexe;  l  opération  rituelle  est  pres([ue  naturelle.  Puis 
laction  magique  va  de  la  nature  à  la  convention  et  à  l'élalilis- 
sement  d'un  système  d'opérations  de  plus  en  plus  arbitraires. 
Il  se  fait,  si  l'on  peut  dire,  un  glissement  du  symbolisme;  de 
même  que  l'écriture  idéographi(iue  s'éloigne,  à  mesure  qu'elle 
évolue,  de  son  rapport  naturel  avec  la  chose  qu'elle  signilie  : 
de  même  que  le  geste  naturel  passe  progressivement  à  la 
convention;  retenue  et  contrôle  de  l'expression  d'abord  spon- 


r.i:  ci'LTK  '3<) 

laiirc:  al»i('-viali()ii  et  siin|»lilicali(tn  «riiiic  pail.  coiiiplicalioii  de 
laulro,  (Itvialioii  projçi'essive  du  sens  priinitil',  iiisut'llalion  clt- 
inolils  nouveaux,  inlervontion  de  considérations  théoriques. 
>t«'n''otypit'.  h'is  sont  les  principaux  lactcurs  de  ces  altéra- 
tions. Des  principes  rationnels  se  défçajj^ent ;  des  formes  nou- 
velles sont  créées  de  propos  délibéré.  L'autorité  de  la  tradi- 
tion, l'autorité  de  inati:icicns  particulièrement  puissants, 
laiilorité  de  la  raison,  tout  cela  se  condjine  et  se  renforce 
Miuluellement.  L'art  maa:i(pie  est  le  terme  de  la  Magie;  art 
souv<Mit  formidable  :  spéculation  vertigineuse,  entassement  de 
receltes,  grimoires,  (jui  par  la  complication  des  idées  et  des 
rites,  par  l'épanouissement  du  synd)olisme  et  de  la  mytho- 
logie sont  devenus  inaccessibles  à  d'autres  qu'à  des  initiés. 

Les  grandes  synthèses  confuses  du  début  de  l'art  magique, 
forgées  dans  l'hypertension  émotive,  l'extase  et  l'enthousiasme, 
survivent  à  froid,  soutenues  par  la  tradition  et  par  la  complica- 
tion même  de  l'auvre  (jui  en  est  issue  ;  et  aussi,  chez  les 
adeptes,  par  un  vague  besoin,  qui,  dans  les  circonstances 
sociales  où  ils  sont  placés,  serait  incapable  de  les  prodin're. 
mais  qui  leur  permet  de  les  acceplei-  et  de  les  mainlenir.  (l'est 
ainsi  (pie  tant  de  grandes  créations  se  survivent. 

Lutin  il  convient  de  signaler  qu'il  y  n  dans  l'action  magique 
une  pail  de  pouvoii-  personnel.  Là  oii  la  Magie  est  pratiipiéc. 
toid  le  monde  n'es!  pas  magicien:  et  lor5(|u'on  présente  les 
(|iialil(''s  ic(piises,   il  l'aiil  une  iniliation  poui'le  devenir  (i). 


* 


Hegel  a  profond(''nienl  eoin[uis  la  Magic  (2),  (juil  a  (''liidit'e 
surtout  d'a[)iès  les  rapports  de  Parry  et  lîoss  sur  les  Ls(pii- 
maux. 


I    \'(iir  Mai  ss  :  Ori^iitv  des  itoiwoiis  i)iiii^i(jii<s 
•2    /'liilns()/)liir  ilr  la  Hi'lis^inii 


.|0  LA    l«KI.I«;lO\    DT    I.A    KOI 

l*()ur  lui.  vWc  rcposo  dahoid  sur  la  force  des  choses,  siii 
leui'  action  jnopre  cl  leur  iideraclion.  Le  Magicien  est  l'eii- 
elianleiir,  mais  c'est  jiar  la  chose  nièiiie  <|ii'il  se  soumet  la  cho- 
se. Ainsi  opci'cia  la  Seience.  Mais  la  Mairie  ignore  le  rapport 
ralionnel  entre  les  choses,  la  relation  mécanirpie  du  moyen  el 
du  résultai.  VA  elle  est  orientée  vers  les  objets  du  désir, 
vers  ces  choses-là  seulement  qui  attirent  rallention  inté- 
ressée, c  Le  Soleil  et  la  Lune  n'exisleni  (pie  lorsqu'il 
y  a  des  éclipses.  •>  L'Universel  n'existe  pas  pour  l'homme 
primitif. 

La  force  du  désir  donne  à  l'honnne  rinq)ression  de  l'em- 
pire direct  de  la  volonté  sur  la  nature.  Elle  l'élève  au-dessus 
des  moyens  techniques  par  lesquels  il  assure   les   actes   ordi- 
'naires  de  sa  vie.  Elle  lui  semble  dominer  les  choses  parce  (jue 
le  monde  des  choses  n'est  pas  encore  constitué. 

Pour  manier  ctHte  puissance,  il  faut  s'élever  à  un  état  sin- 
gulier, au-dessus  de  la  conscience  normale.  Certains  individus 
privilégiés  sont  l'organe  de  cette  force  obscure,  dans  des 
états  j)rivilégiés  d'engourdissement  et  d'obnubilalion.  oîi  leur 
personnaliti'  s'éteint,  oii  «  la  conscience  abstraite  et  sensible» 
est  surexcitée  à  un  point  extrême.  Danses,  musique,  cris, 
orgie,  promiscuité  sexuelle,  amènent  ou  favorisent  cet  engour- 
dissement. Telle  est  la  ditrérence  entre  la  «  conscience  indi- 
viduelle enq)i['i<|ue  ■>  et  la  «  conscience  magicjue  ». 

La  spéculation  renforce  la  praticjue.  A  la  base  de  l'art 
magique  le  principe  de  la  liaison  universelle,  mais  qui  ne  sait 
j)as  descendie,  connne  la  science,  aux  liaisons  particulières.  La 
tradition  (ixe  el  consolide;  il  y  a  des  pratiques  délinies,  que 
le  magicien  doit  apprendre. 

La  Magie  est  distincte  de  la  religion,  qui  est  libre  adoration, 
croyance  en  une  puissairce  libre.  Entre  elles,  il  y  a  une  forme 
intermédiaire,  la  Religion  de  la  Magie.  Les  puis.sances  de  la 
Nature  apparaissent  à  l'homme  comme  des  êtres  universels  et 
par  suite  comme  dominant  la  conscience  individuelle  et  empi- 


LK   CULTK  ,1 

ii<|u<>.  Mais  en  mriiic  temps  on  s'elForce   d'cxeiciT  une  ariion 
sui'  elles:  radoralioii  cl  la  .Mairie  se  mêlent. 


* 
*     * 


L'état  (l'esprit,  d'où  la  Magie  procède,  intervient  même  dans 
notre  perception  la  pins  solide.  Xons  i)ailons,  la  phipail  du 
temps,  pour  constituer  rol)jectivilé,  de  quehiues  données  sub- 
jectives très  rapides  et  très  élémentaires.  Nous  croyons  avoir 
une  perception  ou  une  image  ;  un  examen  plus  attentif  révèle 
que  la  phij)arl  du  temps  nous  n'avons  que  quelques  esquisses 
de  mouvements,  ou  quelques  mouvements  commencés,  avec 
un  vague  savoir  et  un  rare  et  pauvre  éveil  de  sensations  ou  d'ima- 
ges ;  ces  éléments  sensoriels  insigniliants  jouent  le  rôle  delà 
perception  ou  de  l'image  complexes,  parce  qu'ils  sont  soutenus 
par  les  mêmes  tendances  et  les  mêmes  impressions  affectives. 
Nous  les  prenons  pour  la  perception  et  l'image.  DOii  beaueouj) 
d'erreurs  et  aussi  (piehpies  vérifés. 


* 
*     * 


(A't  état  d'esprit  est  bien  visible  encore,  sous  les  revêtements 
<le  la  civilisation,  dès  que  (léchit  l'équilibre  instable  entre 
l'objeetivité  et  la  subjectivité. 

Tel  est  par  exenqile  l'état  de  jeu.  On  y  voit  à  i)lein  1  Oprit 
syndjolique  de  l'entant,  sa  tendance  à  objectiver  ses  sentiments 
dans  les  figurations  matérielles.  L'intention  cpii  commence  à  se 
réaliser  passe  à  ses  yeux  pour  la  chose.  L  intention,  débortlant 
son  objet,  se  contente  de  n'impoite  (pielle  liguration  de 
cet  objet  :  tout  peut  devenir  un  jouet  :  un  jouet  peut  tout  de- 


r-i  LA    IIKLIOION    KV    LA    KOÏ 

vcnii-:  niin|)orte  (juoi  peut  rcpirseiilcM'  ii'nn|)orte  quoi.  iVcsi 
<|iit'  ratlenlioii  oiienU'c  surtout  vers  les  scnliinents  cl  les  aclei 
neniprunleà  la  ii-alilé  (pie  ce(pi'il  l'aut  de  inalière  pour  l'ouruii 
un  poini  (le  reix'i'e  el  uu  support  au  rùxe  de  renlanl.  L'enfau 
<piijoue agit  en  levant  ;  son  riive  dépasse  son  aetion  véiitable 
une  indiealion  suffira  à  exprinuT  une  scène  enti('re,  un  hala 
pour  repiéscnicr  un  cheval;  des  synd)oles,  esquisse  des  actes 
visés,  figuration  très  approximative  d'objets  précis,  valent  poui 
les  actes  mêmes  et  pour  les  choses;  de  même  pour  son  art,  e( 
dahord  poui-  son  dessin.  Le  jeu  se  crée  un  monde;  des  intcu- 
lioiis  se  posent  sur  des  cspt'ces  sensibles  et  tout  cela  constitue 
un  univers  qui  pendant  un  temps  est  le  seul  réel.  Le  joueur  s< 
perd  dans  son  jeu  ;  illusion  que  renforce  l'assentiment  des  autrci 
joueurs  et  Tinlhieupe  de  conventions  préétablies,  (^uc  devien 
<lrait  le  jeu,  s'il  n'était  arrêté,  eontnUé,  et  par  les  adultes,  e 
par  ce  (pi'il  y  a  de  vie  adulte  chez  les  enfants  (i)? 

•  La  \  ie  adulte  montre  encore  tous  les  germes  de  la  supersti- 
tion. Beaucoup  d'individus  ne  passent  pas  pour  superstitieux 
parce  qu'ils  échappent  aux  superstitions  Iraditionnelles  ;  mais 
ils  oui  leurs  petites  prali(pies  i)ersonnelles  et  une  forte  pro- 
pension à  la  superstition;  l'un  et  l'autre  s'étalent  naturellemenl 
dans  les  moments  d'émotion  intense.  Miss  Fletcher,  [)arlanl 
des  Indiens  del'Américpiedu  Nord,  écrit  que  lors(pi'une  course 
a  lieu,  ils  croient  qu'en  diritçcant  leurs  pensées  et  leur  volonté 
vers  un  des  concurrents,  ils  l'aideront  à  gagner.  Cet  état  d'esprit 
nesl  pas  particulier  aux  Indiens.  Sur  le  turf,  au  moment  pas- 
sioimanf  de  l'arrivée  ou  à  lous  les  moments  accidentés  d'une 
course,  les  spectateurs  soutiennent  du  geste  et  de  la  voix  le  che- 


I  Pf>ur  la  riispositieii  à  la  magie  chez  les  enfants,  voir  une  curieuse  ob- 
servalioii  de  I-'i.olh.xoy,  AitIi.  de  /i-ijcli.  Mai  lorâ.  Voir  aussi  .1.  Suli.y,  Studies' 
of  Cliildood,  p.  «o  (la  petih;  fille  (jui  eroyait  rpreii  s'arrangeanl  1(!S  cheveux,  eli<- 
eiiip«'cherail  le  vent  fie  souffler  ,  et  Lkira,  J'sycholoffie,  ]>.  2o<).  (U:  que  nous  sa 
vons  di-  ee  sch("niatisuie  enfantin  est  iiien  ii[)[niy(';  par  les  études  sur  le  dessin 
des  enfants. 


LK    C.l'LTF  4^ 

val  a»M|U('l  ils  s'iiilrressent  et  certes  [)eii(lant  un  moiiuMit  ils 
s'idenlit'icnt  tclleineni  à  l'etTorl  du  cheval  (jii'on  ()eiil  dire  (|iie 
leurs  vocireiatioiisel  leurs  jj^esles  sont  [)lus([iie  des  actes  d'encou- 
raj?enienl  ;  [)()ur  ur»  moment  ils  luttent  avec  leur  cheval,  ils  le 
w  portent  au  poteau»  comme  fait  le  jockey,  ils  sont  le  jockey, 
le  cheval,  la  course  ramassée  eu  l'un  des  concurrents  ;  la  violence 
de  leur  désir  leur  donne  l'impression  de  la  puissance;  pour 
un  moment  il  y  a  dans  leur  esprit  comme  l'ombre  de  cette  idée 
cpi'ils  aident  au  succès.  Ils  sont  au  seuil  de  la  Magie. 

De  ménu'  le  joueur.  II  joue  avec  ou  contre  une  force  inunense. 
la  fortune  :  le  gain  est  moins  un  prolil  ([ue  le  signe,  le  symbole 
de  la  fortune;  il  fascine  le  joueur  plus  encore  par  la  faveur 
dont  il  l'assure  ([ue  par  son  ulililé  matérielle;  n'apparaîl-il  pas 
comme  un  bonJieur  subit,  exaltant  le  don  gratuit  d'une  puis- 
sance su|)érieure?  Aussi  le  joueur,  indéjiendamment  de  son 
habileté,  recourt-il  à  tous  les  nu)yens  de  fixer  la  fortune:  mille 
l)etites  prati(pies,  insigniliantes  en  elles-mêmes,  lui  paraissent 
receler  une  \  ertu  magique. 

D'jine  manière  générale,  dans  tous  les  états  d'excitation.  - — 
orientée  vers  l'attente  et  la  réalisation,  —  dans  tous  les  états 
<l  émotion  violente,  avec  attente  et  intention,  la  Magie  est  en 
geiine.  (liiez  un  sujet  très  normal,  au  cours  d'un  élat  d'anxiété 
assez  prononcé,  dans  l'attente  incertaine  de  l'événement  libéra- 
t<'ur.  j'ai  vu  ap[)araitre  le  désir  de  considter  les  sorts,  le  désir 
du  pacte,  rinvoealion,  l'action  de  grâces  après  le  succès  et  le 
don  de  reconnaissance.  Même  de  grands  actifs  et  des  esprits 
très  précis  n'ont  pas  échap|)é  à  la  superstition;  on  a  signalé 
souvent  chez  de  très  grands  honnnes  d'action,  sous  la  croyance 
à  leur  fortune,  à  leur  génie,  à  leur  étoile,  les  rudiments  d'un 
culte  magi(pie.  Dès  <[u'on  pense  en  termes  de  désir,  et  (ju'en 
face  (le  son  désir  on  met  une  force,  l'idée  <pi'il  y  a  des  moyens 
poui-  le  désir  d'atteiiulre,  de  contraindre,  de  forcer  celte  force, 
jaillit  de  la  vie  même  du  désir,  de  sa  (léj)ense  alfective  et  motrice 
cl  de  la  connexion  des  mouvements  ou  des  actes,  pai'  les([uels 


n  LA    REMdlO.N    KT    LA    lOl 

il  st'xpi'iiiu',  avec  le  résultai  visé  ci  ohtemi.  On  osl  sur  le  che- 
iiiiii  (h'  la  Matrif.  Do  là  le  vù\c  des  vdiix.  dos  pactes  dans  la  vie 
de  tant  de  ireiis  :  la  jHopensjoii  si  iialiiiclle  à  supposer  une  l'ela- 
tioii  eiili-e  te(|iie  nous  faisons  ou  pensons  et  Tordre  deschoses  : 
la  leiidauee  à  croire  (pie  notre  conduite,  outre  ses  conséquences 
naturelles,  en  a  d'auties  qu'on  ne  [)eut  mesurer.  On  voit,  au 
cours  de  srrands  événements,  beaucoup  de  gens  enclins  à  croire 
que  de  ItMir  conduite  dépend  en  partie,  |)a!'  une  sorte  de  trans- 
|)ort  d'iniluence.  ce  (pii  se  passe  loin  d'eux  (i).  De  là  l'efForl 
pour  lixer  parfois  par  d'étranges  moyens  la  destinée  qui  déjoue 
la  condtn'te  humaine  et  qui  se  laisse  duper  pourtant.  ]ieaucoup 
épiouveni  en  |)areil  cas  le  sentiment  de  l'étrangeté,  du  mystère, 
du  caprice,  mais  ne  se  laissent  pas  aller  à  des  prali(jues  corres- 
[)ondantes.  retenus  qu'ils  sont  par  l'éducation  et  l'esprit  critique. 
Ainsi  la  superstition,  même  dans  les  esprits  normaux,  n'est 
souvent  retenue  que  parle  contrôle  de  l'objectivité  ;  elleaflleure 
souvent  les  couches  suj)érieures  de  la  vie  mentale.  Rien  d'éton- 
nant (pTiile  s'épanouisse  et  chez  les  individus  incultes  et  dans 
certaiiLs  états  de  (lésé(piilibre.  On  la  rencontre  volontiers  dans 
la  psychasthénie,  sous  la  forme  de  gestes  et  lies  de  défense,  de 
réparation,  de  tics  et  gestes  symboliques,  de  manie  des  pactes, 
des  présag«'S.  de  la  conjuration,  de  la  réparation,  de  l'expia- 
tion :  dans  les  délires  de  persécution  (2)  et  d'inter[)rétation,  dans 
certaines  formes  légères  de  démence,  dans  certaines  formes 
d'exaltation  ou  de  dépression  mentale.  Elle  apparaît  quand  avec 
l'airaiblissement  de  res[)rit  critique  et  l'excitation  émotive  se 
rencontrent  une  certaine  disposition  à  l'interprélalion  exogène, 
une  certaine  perméabilité  du  diai)hragme  psychique,  l'altéralion 


l;  Ghkon  :  Tvinoif^naf^e  d'un  coinerli,  128  ;  «  Ali  1  le  luomcnl  où  se  lait  le 
silence,  où  l'arlillerie  se  taisant,  les  vaillants  sortent  des  tranchées  et  où  le 
l'eu  (les  niitraillenses  ennemies  nous  rensei^jnera  sur  leur  sort.  On  elatjue  des 
dents  dans  la  nuit;  on  tend  toutes  ses  forces  d'amour,  /tour  les  aider  de  loin 
et  attirer  sur  eux  la  protection  de  l'invisible.  » 

(2^  Exorcismes,  conjurations  verbales,  lormulcs  écrites,  ou  niiuiifpie     spé- 
ciale du  persécuté. 


I  K    (1   11  I  f^O 

di's  scnlimcnls  tlo  lolalioii.  la  IriulaïKc  à  allci'  cliciclicr  an 
dehors  les  raisons  do  ce  qui  se  passe  au  dedans  el  à  supposer 
la  répercussion  au  deliors  de  ce  qui  se  passe  au  dedans. 


CONSÉCRATION,    SACREMENTS,    SACRIFICE 

La  Magie  construit  des  rites  ei'lieaces  :  puissance  du  désir, 
puissance  de  la  nature,  s'unissent  sous  le  masque  de  la  vertu 
maii^ifiue  pour  former  cette  eflicace.  La  Ma2:ie  opère  sur  une 
force  mi-spirituelle,  mi-mécanique.  Un  Dieu  impersonnel,  sans 
nom,  sans  histoire,  immanent  au  monde,  analogue  à  la  fois  aux 
élans  de  ralfectivité  humaine  et  à  la  vie  mesurée  des  choses,  diffus 
dans  une  multitude  innombrable  d'objets,  telle  est  la  notion  mi- 
pralique.  mi-spéculalive  sur  laquelle  elle  repose,  notion  (jui  n'est 
([ue  l'objcclivation  mentale  d'une  pratique  d'abord  enthousiaste 
et  exaspérée.  Comme  la  substance  métaphysique,  cette  réalité 
religieuse  initiale  est  au-dessous  de  toute  forme  déterminée  : 
Ame,  Nature,  Société. 

Il  semble  bien  que  les  êtres  sacrés  se  soient  formés  de  cette 
matière  sacrée  par  une  sorte  de  condensation.  Jusquà  un  cer- 
tain point,  toute  divinité  est  une  individualisation  de  cette 
force  religieuse,  construite  par  des  esprits  eux-mêmes  mieux 
individualisés  et  qui  se  spiritualisent.  Le  rite  tout-puissant  dis- 
pensait du  Dieu.  L'affaiblissement  de  la  liaison  du  rite  et  de 
son  elfet  suscite  le  Dieu,  d'abord  attaché  au  rite  et  gardien 
encore  de  son  exécution,  puis  indépendant  et  personne  libre, 
accessible  seulement  à  des  procédés  plus  juridiques  et  [)lus 
moraux,  contrats,  arrangements  sociaux,  vœux,  prières.  Le  Culte 
se  meut  ainsi  entre  l'actioTi  magique  et  la  suggestion  spiri- 
tuelle, sans  qu'une  de  ces  deux  formes  soit  jamais  entièrement 
vide  de  l'autre. 

Le  Culte  s'adresse  à  tout  le  Sacré  el  tout  le  Sacré  est  ol)jet 
de  culte.  Le  Sacré  est  inévitablement  Puissance  (il  n'est  sacré 


|(">  I,A    ltKl,U.U)N    FT    l.A    VO\ 

«|iu'  |)ai'  sa  i)uissaiice),  cl  celle  ))iiissance  iiu'vitablciiienl  s( 
|>ropai;e  par  les  voies  déjà  signalées  du  eonlaet  et  de  l'assiiiii- 
lation.  Les  pratiques  rituelles  et  les  interdictions  rituelles,  le 
culle,  sous  sa  forme  positive  et  négative,  n'est  pas  autre 
chose  que  la  manipulation  du  Sacré. 

Il  utilise  d'abord,  et  c'est  le  moyen  le  plus  simple,  le  plus 
nalurel,  le  contact  avec  ce  (juil  reconnaît  d'emblée  comme 
sacré;  tel  est  le  cas  de  la  communion  totémique,  sacrement 
par  lequel  les  membres  du  clan  lolémi(|ue  communient  entre 
eux  et  avec  leur  totem  en  mangeant  ce  dernier;  consécration 
directe  dun  groupe  par  les  voies  immédiates  de  l'eirusion  du 
sang  et  de  la  communion  alimentaire  (  à  moins,  bien  entendu, 
qu'il  ne  s'agisse  ici,  comme  le  pensent  quelques-uns,  de  rites 
de  nudtiplication);  ou  au  contraire  il  prohibe  de  tels  contacts. 
S'approcher  du  sacré  bienfaisant,  s'éloigner  du  sacré  redou- 
table, et  des  réalités  matérielles  oîi  transparait  sa  vertu,  c'est 
une  démarche  à  peu  près  aussi  naturelle  que  la  recherche  d'un 
appui  ou  la  fuite  d'un  danger  :  sous  cette  réserve  bien  enlendu, 
<pie  peu  à  peu  les  simulacres  expriment  de  moins  en  moins  la 
réalité  primitive,  et  que  la  part  de  la  convention,  et  des  forces 
qu'elle  suppose  et  met  en  œuvre,  grandit  à  mesure  que  la  part 
de  la  nature  diminue. 

Le  Culte  est  d'abord  lart  d'exploiter  le  Sacré,  peut-être 
après  l'avoir  construit;  il  est  ensuite  l'art  de  construire,  à  partir 
de  ce  Sacré  préalable,  les  intermédiaires  nécessaires  à  l'entrée  ' 
en  relations  avec  lui,  dans  le  cas  où  le  contact  immédiat  est 
impossible  ou  ne  suffit  pas.  Ceci  est  la  consécration,  ou  l'art  de 
conslruirc  du  sacré,  pour  en  réaliser  et  en  assurer  les  effets. 
C'est  naturellement  du  Sacré  que  l'on  part  et  les  sacrements, 
qui  ont  pour  iin  la  collation  de  la  grâce  par  des  moyens  maté- 
riels, ont  pour  origine  les  propriétés  naturelles  ou  les  dons 
gracieux  des  êtres  sacrés;  de  même  les  rites  conséeratoires  de 
moindre  envergure,  lustrations,  purifications,  etc.,  qui  visent 
uniquement  à  permettre  d'approcher  le  Sacré. 


LR    CUI-TF.  ^^n 

Tel  fsl  lo  sacrilicc  «iiii  paiail  dahlir  la  commiinicalioii  ciilro 
!«'  sacrt"  et  le  prolaiic  pai'  I  inli  rinédiaire  dune  viclimc,  cCsI-à- 
dii-e  d'une  cliose  natiirelleiiient  sacrée  ou  artilicielh'nKMil  ton- 
sacrée,  déiruitc  au  cours  de  la  cérémonie.  La  deslriiclion,  le 
meurtre  laissenl  après  eux  une  matière  sacrée  et  c'est  elle  qui 
sert  à  développer  les  effets  utiles  du  saeritice,  aspersion,  attou- 
<  licmcnl,  application  de  la  dépouille,  moyens  d'établir  un 
contact  (jue  la  communion  alimentaire  peut  ensuite  porter  au 
plus  liaul  point  (i). 

Mais  le  Sacrilice  semble  bien  être  oblation,  allribulion  à  des 
êtres  sacrés.  Ne  suppose-t-il  pas  des  êtres  sacrés,  des  esprits 
<livins  et  la  praticpie  du  don  rituel?  Le  fidèle,  comme  on  l'a 
<lil.  donne  aux  êtres  sacrés  un  peu  de  ce  qu'il  reçoit  d'eux,  et 
il  rt'voit  d'eux  lonl  ce  (pi'il  leur  donne.  L  elticace  niau:i(jue, 
iOpiis  operaluin  et  le  commerce  spirituel  sont  étroitement 
mêlés  dès  les  formes  j2:rossières  du  sacrifice.  Le  sacrifice  est 
mairie,  par  l'action  coercitive  (pi'il  prétend  exercer  sur  les 
esprits,  cuite  par  la  conciliation  (ju'il  leur  propose.  Il  est  ce 
<pie  sont  les  êtres  auxquels  il  s'adresse,  c'est-à-dire  les  sociétés 
<pii  le  pratiquent.  Il  est  la  traduction  pratique  d'un  c'-tat  <1  esprlL 
La  vertu  mystique  de  l'oblation  a  deux  formes  extrêmes; 
conirainle  maiirique  iVun  dieu  asservi,  don  de  soi  à  un  dieu 
libre. 

La  prétention  de  contraindre  s'évanouit  à  mesure  (pie  croit 
la  liberté  divine;  ou,  si  le  Dieu  se  laisse  contraindre,  c'est 
d'abord  (ju'il  a  bien  voulu.  Dans  les  reli^^ions  sup('iieures.  b's 
sacrements  reposent  sur  l'institution  divine;  magie  divinement 
it'vélée.  qui  sauvep;arde  à  la  fois  et  l'efficace  ma|i:i<pie  et  la 
libcrl»'  de  la  ,i?ràce  divine  :  (pii  ranime  la  croyance  amoitie  à 
1  efficace  mau:i([ue,  à  l'aide  de  la  croyance,  fraîche  ("l  vip:oureuse 
à  la  jîiàce  divine;  faisant  b(''n<''ficier  encore  le  (idèle  de  tout  ce 


n    Nims   ne    poinons    que    rnn oycr    .tux    savanlcs    cl    prot'oiidos   l'-tudes 
de  HriiKHT  et  Mai'ss  .   .V/c'/aHfT.s  d'Iiistoirc  des  nlig-ions. 


4N  LA    UKI.IC.ION    KT    LA     lOl 

(|n  il  y  a  (rassure  dans  un  rite  t'()nliaiu:Manl.  Ainsi  dans  le  callio- 
licisin»'.  la  ooiisôcralion  de  llioslio  n'a  lieu  (|uc  par  la  volonté 
du  (-lirist  (|ui  a  insliiué  lo  sacronionl.  La  Coiinulc  do  la  consô- 
cralion  n'a  d'cflicacitô  (luo  |)ar  colle  volonlô,  o'osl-à-dire  par  la 
s^ràco  i\v  Dion.  Mais  à  partir  do  octto  institution,  la  formule  de 
la  conséoration  est  otTieaco  par  ollc-inônie.  soit  (pi  on  attribue 
celte  oflîcacitt'  à  une  prière,  coninio  fait  ri*]u:liso  orthodoxe,  soil 
cpion  rattril)UO  à  la  seule  n'-pélition  de  la  parole  du  (Ihrist, 
insliluant  rEucliaristie,  eoniine  fail  1  I\u:lise  romaine. 

Knfin  l'éiémenl  spiiiluol  du  sacrifice  et  des  rites  peut  se 
développer  à  tel  point  qu'ils  ue  sont  plus  qu'une  forme  eflicace 
de  la  prii're  :  ([u'ils  plaisent  aux  dieux  à  raison  dos  sentiments 
<pii  les  inspirent  (i)  ;  commerce  sentimental  entre  le  Dieu  et 
ses  fidèles,  amitié  et  amour,  scelh's  et  supportés  par  des 
liy^ures:  jus([u'au  moment  oîi  toute  liuure  s'évanouit  dans  ua 
culte  tout  spirituel. 

Ainsi,  à  travers  les  transformations  de  la  religion,  apparaît 
constamment  ce  second  motif  du  culte,  avec  lequel  nous  sommes 
aux  prises;  l'Ohjectivation  de  la  foi,  le  Réalisme  de  la  foi.  Elle 
s  exprime  en  un  symbole  matériel,  elle  se  repose  sur  un  sym^ 
bole  matériel,  de  son  intention,  de  son  attente,  de  sa  réalisa- 
tion. Matière,  Geste,  Formule,  qu'elle  chacge  d'effieaee  et  don! 
elle  absorbe  l'efficace. 


* 
* 


Le   Sacrement,    à   son    plein    développemeni,    suppose    les 
notions  suivantes  : 


i)  Ue  là  vient,  coiniiic  l'a  très  bien  nionlrû  Loisy  {Sacrifice,  5i),  que  lea 
conilitions  .spéciales,  qui  avaient  été  réclamées  d'abord  par  l'objet  propre  de 
l'action  niaj,'ique,  safFaiblissant,  les  rituels  tendent  à  s'unifier,  à  se  condenser 
en  cérémonies  complexes,  qui  peuvent  s'appliquer  à  toutes  les  lins  auxquelles 
répondaient  d'abord  des  rites  spéciaux.  C'est  ainsi  que  la  Messe  catliolique 
s'applique  à  toutes  les  intentions. 


l.E    CULTE  ,9 

I  "  l'iic  nialièro  ou  sij^nc,  <■  un  élc'niciil  coriioicl  ou  uiiilciicl 
|)ioi)().s(''  ('\h''iit'ui'('(ui'ul  aux  sens  «  (i). 

•2"  l  lie  Ibruu',  ou  l'oiiuulc  verbale,  <|ui  conlV-i'c  sa  sip^iiificalion 
à  ifltc  uiatit'ic;  cCsl  ainsi  (juc.  suixaul  la  rcnuuciuc  de  sainl 
Aui,^uslin  {Tract.  <S<),  in  Joan.  n.  3).  dans  le  l)aptrni(',  la  uiatit'i'c 
seule  (lu  saerenient.  l'eau,  ne  seiail  pas  un  sijjne  sul'lisamnienl 
expressif,  s'il  ne  s'y  ajoiilait  une  formule,  (^est  ainsi,  (pie  le 
sacieuieni  devieul  |>ar()le  visiMe.  formule  visihie  :  Accedit 
\'erbuni  ad  eleiuentum  cl  fit  sacranientain,  etiaiii  Ipsum  lanquam 
i>erbum  \'i.siinle  (ibid).  Les  paroles  donnenl  à  l'aetion  sa  pleine 
sif^nilicalion,  par  exeinj)le  au  fait  de  verser  de  l'eau  sur  la  lèle, 
le  sens  de  la  puiilicalioii  dw  péehé. 

Ainsi  une  matière  préeisée  et  délinie  par  une  Ibiinule; 
un  sifi:ne  au(iuel  la  parole  allaelie  une  sii^niifiealion  explicite. 

II  y  a  i\n  reste  entre  la  matière  et  la  forme  une  compalihilité 
naturelle,  puiscjue  toutes  deux  représentent,  l'une  par  des  paroles, 
iatitre  par  un  sii>:ne  matériel  une  certaine  u^ràee  invisible  et 
spirituelle,  (jid  est  l'àme  de  toutes  deux.  La  parole,  la  formule, 
e\[)rinu'  de  la  façon  la  plus  précise,  la  plus  explicite,  la  siii;nifica- 
tion  par  similitude  (rx  siniilLiiidine  rcpra'scntans);  |)ar  exemple 
l'eau  du  l>ai)tème,  l'onction  de  la  conlirmalion  ou  de  rextréme 
onction  r«'présenlant  la  purification  et  le  contact  avec  la  force 
sacrée:  de  même  1  atloucliement  des  vases  sacrés  lors  de  la 
collalion  de  l'Ordre,  1  imposition  ties  mains,  dans  la  conliiina- 
lioii  cl  dans  1  (  )r(lre.  représente  la  collation  des  pouvoirs  :  le  pain 
ri  le  vin  dans  l'iùicliaristie  l'cprésenteiit  la  nouiiiture  s[)iri- 
liielle  :  les  actes  du  jM-iiilent,  contrition,  confession,  satisfaction, 
le  conscnlenu'nt  mutuel  au  mariau^e  sont  une  matière  plus 
spirituelle  encore,  (bss  états  de  l'impénétrant.  <piel«pie  cliose 
comme  un  vou  du  sacrement  ;  il  n'y  a  |)lus  ici.  à  propi<'ment 
pailei'.  de  matièic  (pii  r<'[)r«''sente  par  similitude  ('i). 

•i\  Hct;uKs  m;  S  vi.m -\'i» .roii.  l)e  Sacrniiwnlis  cltristiaiui-  fidri.  l.  \>.  i\,  o.  2. 
la)  I.e(Joiuilt*d»'Trciilc,S«'S.s.  i4:cap.  3,  parle  ici  lie  (/iKisinialt'iiii.  I)ans  la<on 
fcssion,  la  inalièrcseiisiiile,  c'est  l'aveu,  on  plutôt  l'acte  pliysiiiuc  de  la  confession. 


LA    HKLUIION     I:T    LA    I  C)I 


3"  Ino  cllicaro.  Ia'  sacroinoiil  opôre  cola  môme  (iiiil  rcprr- 
seiile:  F.f ficit  quod  /ti>iiraf :  il  contienl  et  conlèie  une  giàco 
invisible  el  spiriluelle.  D'oii  la  rorimilo  si  hn'vo  et  si  expressive 
d'Occam  :  Sacranicntum  est  siitrinm  i>ra(i(V  slgnl/îcans  ef 
efjkax  (Sont.  1\.  qu.  i)  (i). 

D'mie  manière  a:énéralc  le  sacrement  apporte  ou  augmente 
dans  l'àmc  la  ij^ràce  sanclilianle  ;  et  de  plus  ehacpie  sacrement 
confère  à  l'àine  des  grâces  spéciales  en  vue  de  fins  spéciales  ; 
elKupie  sacrement  a  sou  action  paiticulière,  celle-là  même  qui 
lait  l'objet  de  son  institution,  qu'il  représente  par  sa 
matière  et  qu'il  énonce  par  sa  forme.  C'est  cette  fragmen- 
tation (le  la  (iràce  (lui  a  abouti  à  la  doctrine  des  sept 
sacrements,  consacrant  les  priucipaux  moments  de  la  vie 
profane  et  marquant  par  conséquent  les  étapes  décisives  de  la 
vie   spirituelle. 

Les  premières  listes  ont  eu  un  i.*aractère  arbitraire;  tout 
élément  sensible  était  sacrement  et  mystère  dès  qu'il  était  sym- 
bole et  siq>port  du  divin  :  c'est  peu  à  peu  que  de  cette  masse 
indéterminée  de  i)rati(pies  sacrées,  est  sortie  la  doctrine  des 
sept  sacrements. 

Cette  action  s'acconqdit,  conmie  on  dit,  ex  opère  operato, 
c'esl-à-dirc  j)ar  efficace  intrinsèque,  indépendamment  des 
bonnes  dispositions  du  fidèle:  il  suffit  qu'il  n'y  mette  point 
formellement  obstacle  (2). 

Le  sacrement  agit  de  plus  ex  opère  opérante,  c'est-à-dire 
en  vertu  des  bonnes  dispositions  du  fidèle  (3). 


(I  Duclrine  très  ancienne  dans  l'Éj^lise;  synode  dOiange  (329),  Oplaliis  de 
Milèvc    384,. 

2;  Nous  avons  cite  plus  liant  les  déiinitions  très  claires  de  Duns  Scol  et 
de  Gabriel  lîiel.  Voici  celle  de  Hkllahmin  :  A'.v  »/  ipaiits  artionia  sacramentalis 
a  Deo  ad  hoc  insti(utn\  non  ex  mérita  agcntiii  vel  suscipiciitis. 

'3)  (labriel  Bifl,  in  lib.  11,  dist.  i,  qu.  J  :  Ex  opère  opérante  vcro  dicnnlur 
sacramentu  conferre  graliani  per  inodum  nieriti,  quod  scilicel  sacranienluni  forts 
exhibifani  non  safficit  ad  graliw  collulionem,  sed  ultra  hoc  reqiiiritur  Iwnus 
motus  vel  devolio  interîor  in  suscipiente.  secundum  cujus  intentionem  con/ertur 
gratta 


LK  «;ui/n:  oi 

f  riiiliii  {' O/ms  f>/)('r(intis  se  coiiloiid,  «laiis  le  cas  du  sacie- 
iiH'iit  avoc  ['O/ms  opcradim  (i).  Piiis(|uc  c'est  Dion  (jui  opèic  la 
\cilii  (lu  saci'cincnl.  celte  veilu  est  conforme  à  la  puissance  de 
1  )ieu  :  c Csl  la  |)i;issaiiee  mk-iuc  de  Dieu  (|ui  se;  dépose  sur-  la 
uiaticie  saciamentelle  ;  un  sacrement  c'est  de  la  Grâce  solidifiée, 
qui  se  dissont  à  l'inti'iieur  du  fidèle  (2).  L'action  matérielle  du 
sactement  découle  de  l'ahsolue  puissance;  (pii  le  l'onde  ('3). 
L'eriicacedu  sacrement  vient  de  Dieu  lui-uu'ine.  par  rinstilulion 
«le  Jésus-i'.lirist  (4). 

Sur  le  rapport  de  la  grâce  et  du  signe  sensible  dans  les 
sacrements,  les  théologiens  sont  inévitablement  partagés.  Il  y 
a  l'interprétation  occasionaliste  et  spiritualiste  de  saint  Bona- 
\  enture  :  les  sacrements  ne  contiennent  pas  substantiellement 
la  grâce  ;  ils  ne  la  produisent  pas  physicpiement,  car  c'est  dans 
lame  seule  qu'elle  vit  et  par  Dieu  seul  (pi'elle  est  infuse.  Il  y 


Il  l/exijpossion  O/h/s  o/ieratnin  se  U'ouve  déjù  chez  saint  Honavciiliire. 

la)  (yt'st  i.n  torinule  il'Irenée  çiojixxov  àOavacrîa;.  IIiGij:s  dk  Saim -\'h;t(>u 
dil  avco  précision  :  iJi'iis  medicus,  homo  cpgrotus,  sacerdos  ministei-,  gralin 
tuiUduliini,  ^'as  sacrainenliiin. 

i'^  HossiFT  a  Iri's  bien  nKjnlic  coinnienl  l'aclion  niateiielle  <IfS  sacrcmmls 
exprime  lenr  essence  spirituelle,  la  toute-puissance  de  la  (Iràce  :  «  Hue  si 
l'on  olijecte  que,  parmi  nous,  le  sacrement  a  encore  la  même  ellicace  dans 
les  ailnlles  que  le  liaptème  dans  les  enfants)  et  y  opère  ex  opère  niierato,  il 
est  aise  de  c()m[»rendre  (|ue  ce  ncsl  pas  pour  exclure  en  eux  les  bonnes  dispo- 
sitions nêcessaiies,  mais  seulement  pour  l'aire  voir  que  ce  ([ue  Dieu  opère  en 
nous  iors<[u"il  nous  sanctilie  par  le  sacrement,  est  au-dessus  de  tous  nos 
mérites,  de  loutes  nos  (euvres,  de  toutes  nos  dispositions  précédentes;  en  un 
niitl,  un  pur  ell'et  de  sa  «fràce  et  du  mérite  infini  de  .lésus-Clirist.  ■>  Variations 
ni,yi.  Il  y  a  «lu  reste  «-ntre  les  sacrements  et  la  justification  le  même  rai)port 
(ju'eulre  la  liberté  et  la  f^-ràee.  La  jfràcc  précède  l'activité  huuiainc  ;  puis  ces 
deux  piiissanees,  r[uand  la  dernière  ne  résiste  pas.  opèrent  de  concert  le 
même  (nn  r.Tf^e.  Dans  le  cas  où  l'opérant  n'est  pas  Dieu  même,  l'objet  consacré 
ne  produit  p;is  son  ell'et  e.v  o/terr  openito:  c'est  la  dillérence  entre  les  Saere-^ 
mcnts  et  les  Saerameulaux  ou  béné-diclions.  Les  sacramentaux,  eau  bénit»-, 
etc.,  sont  eonsarrés  ou  bénits  p.ir  ri';;rlise  ;  ils  {i;;issent  seulement  c,v  opère 
opernniis.  per  niodtiin  im/ielralioiiis  l:crlesi(r  c'est-à-dire  que  par  le  l'ait  de  leur 
consécration  ou  bénédielit>n,  ils  amènent  Dieu  à  pioduire  des  elfets  spirituels 
en  ceux  (jui  se  servent  d'ejix,  sans  produire  pliysiqucmcnt  leur  ell'et.  (Voir 
Dictionnaire  de  thvolo<(ie  cntliolit/ue.  Il,  (HS.) 

4  l.'o/ms  (iperalain  soulève  la  c|ucslion  de  savoir  si  l'eflicace  des 
sacrements  tient  à  la  seule  force  des  rites,  ou,  an  contraire,  à  leur  eollation 
par  llljrlise.  lloi-s  de  l'ilfflise,  pas  de  sacrements,  disait  saint  C.yiirien.  .V 
Ronie,  au  contraire,  ou  tenait  que  hors  l'I^j^lise.  <in  peut  administrer  le 
l>aptènie,    [larec   que   la    <;ràce    du    baptême    lient     au    rite    selon    lequel    on 


02  I.A    RELIGION    KT    LA    l"Ol 

a  riiiU'rprrlation  rralislc  de  Hugues  de  Sainl-N'iclor,  et  bien  des 
alliludes  intenuédiaires.  (Vest  iiii  des  nombreux  terrains  où 
s'airrontent  l'idéalisme  et  le  réalisme  reliiîieux. 


N'oilà  l'ample  doetrine  qui  s'est  déveloj)pée  de  la  doctrine 
à  peu  j)rès  universelle  dans  l'ancienne  église,  que  le  «  -vio^a  » 
se  dépose  sur  les  «  jÀa.  «  et  leur  confère  un  nouveau  caractère. 
On  arrive  avec  saint  Thomas  à  voir  dans  tout  sacrement  les 
trois  choses  que  Huji^ues  de  Saint-Victor  dislingue  dans  l'Ku- 
eliaristie  :  le  sacrement  seul,  les  espèces  sensibles,  le  vin  et 
le  pain  :  la  «  res  lantum  »  du  sacrement,  l'union  mystique  avec 
le  Christ  ;  le  <-  sacramentum  êtres  saeramenti  »,  le  corps  et  le 
sang  du  Christ. 

Kn  un  sens,  cette  doctrine  a  son  achèvement  dans  la  théorie 
catholicjue  de  l'Eucharistie.  La  présence  réelle  est  la  forme 
extrême  de  l'idée  sacramentelle,  puisqu'elle  signifie  Jésus-Christ, 
homme  et  dieu  présent  sous  les  espèces  sensibles  du  sacre- 
ment, et  non  [)liis  seulement  la  Grâce  divine  présente  dans  un 
signe,  pnis(ju  elle  signilie  la  transformation  du  signe  en  la  chose 
signifiée  (transsubstantiation)  (i).  Jésus-Christ  est .  vraiment, 
réellement,  substantiellementprésentdansl'Eucharistile.  Comme 
le  faisait  remarquer  Malebranche,  les  autres  sacrements  lépan- 


1  arliiiinislre.  lJ';iiilr<'  pail,  IKj^lisr  piidlaiiic.  r(»iilie  ll■^>  tlimalibU-..  ijiic  li-s 
<|iialité.s  personnelles  tlii  niinistrr,  qui  confère  les  sacrements,  sont  cliose 
imiiirérenle  ;  c'esl  la  Ibriunlc  d'Optatus  :  Kcclesia  iina  est,  cuJks  siiiiclUds  de 
sarrarnentLs  colligUur,  non  de  siiperbia  personaruin  colliffitur.  ^'oir  1Iahn.\<;k, 
J'ri-iis  'traduction  p.  253.;  Cf.  li.\Tiii  oi,.  l'E<{lise  naissante  et  le  colliolùimne 
4r",  Ernsl,  Die  Ketzertaii/aniçelef^enlieif  in  der  allchristliclien  Kirelie  nacï 
dyprian,  I9«>t. 

I  La  transsubstantialioM.  substitution  invisible  des  essences,  produit  tar 
<lif  de  la  rédexion  sccjla-^tifjue,  sed'orçant  d'exprimer-  avec  une  rigueur  absO' 
lue.  l'identité  mystique  fhi  pain  <l  du  vin  avec  le  corps  et  le  sang. 


(li'nt  la  m'àcc,  mais  ils  n  vn  coiiticinicnt  pas  le  priiu-ipc  cl  l'aii- 
k'ur;  tic  plus,  ils  ne  tlonneiil  oïdiiiaiionu'iit  aux  cliirlicns  que 
ce  ipii  U'uv  l'sl  lU'Ct'ssaire  [)our  conserver  leur  cpialilr  :  laudis 
(pic  les  jusles  rcvoiveut  dans  l'Eucharistie  toute  la  forée  et 
toute  la  perfection  dont  ils  sont  eapal)les  (i).  L'Eu^lise  la  con- 
sidère connue  le  mystère  qui  repose  immcdialemenl  sur  l'incar- 
nation et  (pii  contient  le  secret  de  la  déification.  Par  la  com- 
munion,  le  fidèle  contracte  union  intime  avec  son  Dieu. 

Mais  rKucliaristie  n'est  point  seulement  sacrement,  elle 
est  aussi  sacrifice,  c'est-à-dire  deslruclion,  par  adoration, 
d'une  \iclime  otrerte,  et  comme  sacrifice  elle  est  la  cause  de 
toutes  les  grâces  (jui  sont  données  aux  hommes.  I^lle  applique 
indéfiniment  aux  lidèles  le  bienfait  du  sacrifice  de  la  croix. 
L'efficace  de  ce  sacrifice  a  nalurellement  été  comprise  de  façon 
diverse  selon  les  temi)s:  purilicalion  de  l'humanité  par  expul- 
sion du  péché,  transfert  sur  la  victime,  substitution  :  valeur 
satisfactoire  de  la  mort  volontairement  acceptée.  La  théologie 
chrétienne  devait  creuser  ces  thèmes,  puisqu'elle  a  fait  du 
crucifiement  de  Jésus,  un  sacrifice. 


Dans  la  doctrine  et  dans  la  praticpie  catholi([ue  des  sacre- 
ments, le  spiritualisme  le  plus  élevé  se  rencontre  avec  le  maté 
rialisme  le  plus  précis.  Force  objective  des  rites,  caractère 
sacré  des  esi)èces  sensibles,  d'une  part;  élan  de  rame  qui.  dans 
sa  hâte  vers  le  divin,  s'arrête  à  peine  à  la  sensibilité,  d'autre 
l)art  (q).  On  sait  comment  se  sont  développées  séparément  ces 
deux    tendances,   dans  la   théologie,   dans   le    clergé,    dans  la 


(  I     M alkhhancuk.  Mt-diladons  (•lir<''tii'nrics,  xvii. 
2    Mniii.i;!»,  S\inholi<iiii\  m,  3;',.  Coiiimciit   le   fidilo  calholitiue   ne  voit-il 
sur  les  autels  ni  pain  ni  vin?  Absorbé  tlaiis  la  ('onteni|>lation    du   mystère,  il 
se  dérobe  aux  iuipressious  extérieures.  (Jue  sa  loi  cède  un    moment,  il  aper- 


.)  I  1.  V    l{i:i.I(.IO\    KT    LA     I OI 

«Icvolion,  cl  roniinciil  I  l"i,^lisc  sCsl  loiijour.s  t'iroicôo  cl  en  réaliser 
riiarinonic. 

Los  discussions  sur  la  validilt"  de  la  uiatière  sacramenlelle, 
la  ciiiniic  ôlranp:e  que  certains  eanonistes  conslruisenl  à  propos 
du  pain  et  du  vin  (i);  les  hypothèses  sur  la  durée  de  la  pré- 
sence réelle  (2)  sont,  entre  heaucoup  d'autres,  une  marque  de 
la  première  tendance,  alors  même  qu'elle  reste  raisonnable  et 
subordonnée.  Lorsqu'elle  s'alFranchit  tout  à  fait,  on  arrive  au 
littéralisme  d'un  Folmar  de  Trielelstein  (3),  à  l'ultra-réalisme 
d  un  Ilcribald  d  Au\erre  (/{),  atix  questions  invraiseml)lal)les 
(jue  se  posent  gravement  des  clercs  ou  des  laïciues  à  l'esprit 
biscornu  (5). 

La  matière  dii  Sacrement  a  été  elle  aussi,  à  bien  des 
reprises,  et  est  encore  l'objet  de  dévotions  exaja^érées.  Le  mot 
didolàtrie  a  été  souvent  prononcé  et  pas  toujours'  par  des 
incroyants.  Enfin  les  sacrements  ont  souvent  ouvert  la  porte  à 
lirruption  abusive  des  objets  sacrés.  Les  reliques,  les  jugements 
de  Dieu,  les  miracles,  les  images  ont  toujours  témoigné  du 
désir  toujours  latent,  et  parfois  aigu  dans  la  chrétienté,  de  vivre 
dans  un  monde  de  prodiges,  de  goûter  le  sacré  par  tous  les 
sens,  de  recevoir  de  la  divinité  des  secours  magiques,  d'avoir 
des  gages  tangibles  du   salut.  Le   divin   et  le  saint,   descendu 


cevra  los  cléiiiculs  tcrrcsties.  Cf.  ^  i.h.xon  Li.i:,  Les  nicnsongcs  iikiiix.  i~'i. 
<■  L'cmotioii  ri  l'action  sii))[)riin<-iit  dans  l'esiirit  tout  ce  qui  ne  les  eoneernc 
pws  direelcnient;  tontes  les  contradictions  extérieures  à  leur  s[)hère  perdent 
leur  ini[iorlan<-e.  (,)uand  un  catlioli([ue  pense  à  l'Eueliaristie,  il  cesse  de  main- 
tenir si'parees  lune  di'  l'autre  les  notions  de  pain  et  de  vin,  d'une  i)art,  de 
chair  et  de  sang,  de  l'anlre,  chacune  a\ee  sou  ascendance,  sa  descendance  et 
ses  collatéiaux  conduisant  l'esprit  dan/i  «les  directions  opposées:  il  cesse 
liareilleraent  de  tenir  l'idéi-  de  Dieu  isolée  de  l'idée  de  l'homme,  celle  d'au- 
trefois de  celle  d'à  présent;  il  laisse  toinhei-  les  9/10  «le  la  signification  de 
ces  ditre'renls  mois  et  laisse  évanouir  toutes  leurs  inconipalibilités.  » 

I    \'oir  sur  ces  questions  1*.  CrAspAnni,    7'raclatus  conoiiicus  de  s(inct.is>iiiiui 
eticharislia,  Paris.  i8<)7. 

2)  Diclioimaire  de  théologie  cn(lioU(/ue,  Eucharistie,  l'iô'i. 
a    Dictionnaire  de  tlo'Ologie  ralfiolii/iie.  Eucharistie,   iu-2. 

'4    Jhid..  i'2'jit. 

à)  La  question  du  rat  rongeant  l'hostie  après  la  consécralion,  il'id. 


I.K    CLLTK 


dans  le  imoikIc  par  I  iiicai'iiaUon,  se  sonl  Jiinsi  t-irr  dans  I Miçlisc 
un  syslôiiu'  tl  objols  iiiuloricls  Iranscondanls,  ollVits  au  culte 
des  fidèles.  C'est  être  superstitieux,  disait  Pascal,  cpie  de  meltre 
son  assurance  dans  les  fornialilés. 

D'autre  part,  certaines  ànies  sont  froissées  de  la  dispiopor- 
lion  entre  l'esprit  et  la  matière,  le  sens  et  le  symbole.  La 
matière  peut  nuire  à  la  chose  du  Sacrement.  Je  pourrais  citer  le 
cas  d'un  enlant  dont  la  ferveur  avait  été  déçue  par  la  vue  de 
l'hostie,  lors  de  sa  première  communion.  Sa  foi  était  très  vive, 
sa  |)ré|)aration  avait  été  parfaite,  mais  il  éprouva  un  heurt  très 
vif  lorsque  le  prêtre,  au  cours  d'une  le(.'on  de  catéchisme, 
mt)nlra  une  hostie  à  ses  élèves,  et  encore  qu'il  ait  fait  sa 
|>i'emière  communion  avec  ardeur  et  qu'il  ait  persisté  quelque 
temps  encore  dans  ses  sentiments  reliî?ieux,  jamais  il  n'arriva 
à  mettre  pleinement  d'accord  la  vue  de  l'hostie  et  les  émotions 
relifirieuses  que  lui  donnait  la  pensée  de  l'Eucharistie. 

C'est  à  peu  près  l'impression  que  décrit  Iluysmans  :  «  Il 
s'étoîîna  de  n'avoir  pas  ressenti  mi  transport  inconnu  de  joie  ; 
puis  il  s'attarda  sur  un  souvenir  f?ènant,  sur  tout  le  côté  trop 
humain  de  la  déglutition  d'un  Dieu...  Ah!  c'était  encore  trop 
matériel  !  Il  neùt  fallu  qu'un  lluide,  (ju'im  feu.  cpi'iin  parfum, 
(jn'un  souffle  !  (i)  » 


Sac  fin  lien  fa  non  iinp{entur  diint  //iinf,  sc(/  tliun  irrdunlur. 
Voilà  avec  Luther  la  protestation  du  spiritualisme  reli- 
gieux. Ou  encore  avec  Calvin  :  «  Pensons  d'abord  <[ue  le  sacre- 
ment est  (juchpie  chose  de  spirituel...  (hi'il  nous  suffise  de 
lObtenir  spirituellement...  Insensé  qui  demandes  à  la  puissance 
de  Dieu  qu'il  fasse  tout  ensend>le  le  pain  être  et  n'être  pas  la 
chair...  Crie  si  tu  le  veux,  cela  est  le  corps  et  le  sanir.  moi  je 


I    Kn  route  :  l'ni^^cs  idlholii/itcs,  i~'i. 


5*>  I.A    HKI.KlION    KT    LA    lOl 

le  soutiendrai  ({110  c'est  le  leslaiiu'iil  dans  le  corps  et  le 
sanc:  (i)-  "  Ou  encore,  avec  Zwinu-le  :  «  Aifnl  allud  qiiain 
:\'angcliiun  et  c/vttcrc...  < '.aro  non  pindcxt  <juu(jnani  [1).  »  Kt 
pourtant ,  l'exemple  même  des  Réformateurs  montre  (pielle 
diriicidlé  l'esprit  reliirieux  rencontre  à  se  passer  du  silène  el'li- 
cace.  N'y  a-t-il  pas  un  reste  d'opus  operalnni  dans  le  l)a[)lènîc 
des  enfants,  tel  que  le  conçoit  Luther  (3)?  Kt  sa  doctrine  de  la 
Cène,  à  défaut  de  la  transsubstantiation,  comporte  la  consub- 
slanliation  et  ridenlilication  du  |)ain  et  du  corps  iflorieux  ;  elle 
a  soulevé  les  proti'stations  de  Calvin;  cl  si  Calvin  lui-même 
rejette  la  présence  réelle  comme  un  abaissement  indigne  du 
Christ  glorilié,  un  élal  incompatible  avec  la  nature  d'un  vrai 
corps  humain,  il  admet  une  certaine  présence  ineffable  du 
Christ,  une  présence  par  puissance  et  par  vertu  :  ce  n'est  point 
par  imagination  ou  pensée  (|ue  le  lidèle  reçoit  son  Dieu,  mais  h 
substance  lui  en  est  véritablement  donnée  (4). 

Au  terme  de  la  régression,  le  Sacrement  redevient  un  signe 
d'agrégation  à  l'Kglise,  un  acte  symboli(jue  de  commémoration, 
une  confession  de  Foi  selon  des  formes  traditionnelles  (5). 
Mais  il  a  souvent  (|uelque  peine  à  ne  point  retenir,  pour  ses 
signes  sensibles,  quelque  chose  de  la  grâce  de  foi  qu'il  est 
appelé  à  susciter  (()). 


I    opéra,  I,  12^. 

(2    III,  24s. 

3    LooFS,  Dogmcngesvhichte,  "i^ô. 

(4  Insl.  IV,  c.  17,  II.  ly.  Cf.  LoisY,  Le  Sacrifice,  p.  619.  «  Même  les  coiniuu- 
iiaiih^s  issues  de  la  Réforme,  par  riuij)ortance  qu'elles  continuent  d'attat-hcr 
â  la  Cène,  par  la  signification  qu'elles  lui  prêtent,  et  tout  en  protestant  (]up 
la  Cène  n'est  pas  un  sacrilice,  même  en  niant  la  présence  substantielle  du 
Christ,  ne  laissent  pas  d'attrihucr  à  la  Cène  une  vertu,  et  elles  n'ont  réussi 
qu'à  en  faire  un  sacrilice  décoloré.  Tant  (jue  l'on  opère  avec  les  notions  de 
péché  et  d  expiation,  de  régénération  niystiquc  et  de  vie  éternelle,  comme 
avec  lies  réalités.  Ion  reste  dans  la  ligne  d'év(dulion  de  l'action  sacrée,  sur 
le  terrain  où  a  régné,  où  règne  encore  le  sacritice.  » 

.")     ZwiNGLE. 

6)  Voir,  par  exemple,  sur  ce  point,  l'embarras  de  l'Ajjologic  :  liitiis, 
tjtii  habent  mandntarn  iJei,  et  '{uibus  esl  addiUi  prornissio  graliae.  Ap.  200,  i. 
Solae  /)rt/fi'ssionis  inler  hominrs...  scd  mafris  signa  et  teslimonia  voluntalis  dei 
erga  nos  ..  C'icrernonin  est  ijuisi  pictiirn  i'erl>i  seu  sigillnm.  :i(»7,  70. 


L  1  juliarislic  a-l-clK'  (''li'"  dahord  sciilcnu'iil  comiiH-moialioii 
<lu  (k'inici'  repas  du  Mailic?  (iello  (locU-inc,  chère  à  la  eriliiiue 
proleslaiile,  peiniel  au  protestantisme  (h;  se  retrouver  aux 
orifîiiK's.  Mais  sainl  I*aul  |)r('n(l  les  loiiiuiles  eueliaiisli(pies  au 
sens  l'éalisle.  1^1  dès  lôo.  sans  aucun  doule,  l'Kuchaiistie  n Csl 
plus  (pi'un  simulacre  de  repas.  Klle  est  organisée  comme  rite  et 
dans  sa  relation  avec  la  mort  du  Christ  (i).  Par  quel  travail 
interne,  sous  ([uelles  iniluenees,  juive  (2),  })aïenne,  s'est  formée 
et  développée  la  doctrine  eucharistique?  Cette  question  (lé()asse 
notre  sujet  et  notre  compétence  ("jy. 


(  )n  ne  peut  nier  ni  rextrème  ri'é([uence.  ni  la  grande  im[)or- 
tauce  du  motif  ([ue  nous  venons  d'analyser.  Le  «  réalisme  »,  le 
besoin  de  réaliser  le  sacré,  de  le  fixer  ou  de  le  traiter  comme 
fixé  en  des  objets  matériels,  abonde  dans  toutes  les  formes  de 
religion  et  à  tous  les  moments  de  l'histoire  religieuse.  Peut-être 
n'est-il  d'abord  que  l'impossibilité  de  ipenser  l'un  sans  l'autre, 
le  sacré  sans  les  forces  ou  les  objets  matériels  qui  le  supportent 
el  le  véhiculent.  Comme  tel,  il  est  un  trait  nécessaire  des 
religions  «  primitives  »  et  il  persiste  ou  reparait  avec  l'état 
d'esprit  dont  il  est  la  suite.  Peut-être,  a[)rès  tout,  nous  l'avons 


I    ("lOdii:!.,  L'Kiichurislie,  Kjut. 

1    HoissET,  Hcliffion  des  Jn<lenllnims.  17;). 

<i  Lnisv.  Les  /iremicres  années  du  clirLstianisine  Itev.  d'hist.  des  rrliifions', 
iij-20,  177,  attrilxir  iiii  }j;faii(l  rote  à  la  ooininiiiiiiiilé  d'Antioclie  :  «  C'est  là  qm- 
la  C.viiv  cucliarisliciiic,  an  lien  dèlri"  iiiii(|u<-iiiciit  pleiiu-  de  son  souvenir  cl 
comme  nn  avant-};(nil  de  son  avènement,  int  ressentie  à  l'instar  des  repas  de 
saerilice,  eoninie  un  acte  de  eommunion  actuelle  avec  sa  sul>Iime  i>ersonna- 
lilé.  (Ida  se  faisait  par  la  force  des  choses,  parce  que  les  païens,  pi^'ués  à 
t'esp('ranee  (|ui  s'attachait  au  nom  de  Jésus,  ne  pouvaient  la  s«'nlir  relij,'icu- 
seuïent  que  selon  des  eatéi^ories  \crs  lesquelles  s'orienlail  déjà  la  pensée  de 
leurs  maîtres  juifs.  •> 


r>S  I.A    HKI.KIION    r.T    l.A     KOI 

VU,  n'('st-c'c  là  (|ue  celle  loi  psyclioloifiquo  (iiii  allaehc  la  pensée 
à  ses  images,  soutenue  par  eelle  aut.ie  loi  (jui  altaehe  le  senli- 
nient  à  ses  niouvenienls  d'expression. 

Mais  l'inlensité  du  réalisme  varie  sinii:ulièremciit.  Les  reli- 
ifions  et  la  relitrion  dans  son  ensemble,  malij:ié  1<'S  oscillations 
(jui  sont  de  rèi^le.  senddenl  hien  ('voluer  du  malérialisnie  au 
spiritualisme,  (l'un  rilualisme  coercilit"  à  des  relations  plus 
humaines.  L'histoire  de  la  communauté  religieuse  se  rellèlc 
dans  ces  institutions. 

Certaines  religions  s'incorporent  cette  doctrine  et  ces 
pratiques,  auxquelles  leur  tendance  primitive  semblait  opposée. 
Il  est  bien  probable  que  le  chi'islianisme  primitif,  malgré  toutes 
les  vertus  (qu'une  partie  du  judaïsme  contemporain  attribuait  au 
sacrifice,  a  été.  chez  ses  premiers  fondateurs,  à  j)eu  près 
étranger  aux  institutions  rituelles  qu'il  s'est  assez  vite  données. 
Mais  il  demeurait  enveloppé  dans  le  culte  judaïque,  et  à  mesure 
qu'il  s'en  aflranchissait,  c'était  pour  tomber  dans  le  cercle 
d'idées  et  de  pratiques  des  «  Mystères  païens  ». 

Comme  il  est  de  règle,  une  théologie  se  l'orme  autour  d(! 
telles  croyances  et  de  telles  pratiques,  et  leur  Iburnissant  des 
raisons,  elle  leur  lournit  une  raison  de  durer,  contre  d'autres 
théologies. 

Hien  entendu,  un  fidèle  indiflerent  ou  à  peu  près 
et  qui  pratique,  et  même  beaucoup  de  pratiquants  d'un 
niveau  inférieur,  se  contentent  de  l'autorité  et  de  la  tra- 
dition pour  croire  conmie  on  croit,  agir  comme  on  agit 
et  croire  de  l'action  rituelle  ce  qu'on  en  croit.  Mais  les 
fervents  et  les  passionnés  retrouvent  en  eux-mêmes  quel- 
que chose  des  forces  initiales  qui  ont  établi  les  rites  et 
quelque  besoin  de  posséder  l'objet  de  leur  foi  en  une  réalité 
qui  la  fixe  et  qui  l'assure;  ils  vont,  pour  ainsi  dire,  au-devant 
de  ce  qu'on  leur  demande  et  retrouvent  aisément  dans  le 
culte,  i)iatière,  geste  et  formule,  la  réalisation  de  leur  attente 
secrète. 


m:  cii.TE  09 

LE     RITE    ORAL 

Le  rilo  manuel  est  doublé  du  rile  oral.  Non  ({u  ils  se  pré- 

-.  illent  cnsenil)le  toujours.  Par  exemple,  on  peut  presque  dire 

'|iic  le  rite  manuel  prédomine  dans  le  rituel  du  temple,  dans  le 

iitiu'l  lévilique,  alors  que  ce  sera  le  contraire  pour  la  Syna- 

-ue.  Mais  beaucoup  de  rites  manuels  sont  une  sorte  de  lan- 

-<'  par  jîestes;  comme  l'a  bien  dit  M.  Mauss,  toutes  les  dra- 

iiirgies  religieuses  qui  ont  pour  but  de  reproduire  les  hauts 

is  des  dieux,  leurs  luttes  contre  les  démons,  sont  des  pra- 

iH|ues  équivalentes  aux  chants  priés  qui  racontent  aux  dieux 

It  iir    propre    histoire    et    les    incitent    à    renouveler     leurs 

'  \ploits   (i).   Le  rite  se  joue  dans  une  atmosphère  dintellec- 

iiialité.  La  prière  est  à  fin  d'action  (2). 

Beaucoup   de   rites   manuels   sont  accompagnés  de  prières 

iu(hratives,    d'un    perpétuel    commentaire    mythique    (3).    La 

loiinuh'  détermine  le  sens  du  geste.  Le  rite  manuel  peut  être 

i«  nipiacé  par  un  simulacre,  une  prière  ou  même   une  simple 

mention  verbale.    Le   rile   oral   j>eut   se  développer  au-dessus 

lu  rite  manuel,   tout  <'n  lui  restant  attaché  :  il  l'envahit  et  le 

iiph'le   :  invitation   des   (Ueux.    description  des   (jualités   de 

Mtlime,  définition  des  résultats  que  l  on  attend  :  les  Vedas 

-oui  des  recueils  d'hymnes  et  de  formules  du  sacrifice.  Enfin, 

la   prière   [)eut   constituer  à  elle  seule  tout  le  culte,  et  même 

-  iillranchir.    par  sa  libre  elFusion,  de  tout  mécanisme  rituel: 

nli-etien  intime  oii  l'on  se  risque  à  raconter  tout  ce  <pii  |)asse 

l>ai  la  tête,  ou  ferveur  ardente  (]ui  se  [)asse  de  mots. 


ij  M.\tss,  Li   l'riire,  79. 

i2)  M»*'iiie  aux  stailes  élevés  «le  tli'velo|i|M'mtiit,  ce  caraclèic  [louira  ^c 
iinintenir.  Voir  Buor,  la  Cornpaifnif  de  Jésus,  ilievue  </e  l'hiUisofiltie  itfi'j  La 
kie  jésiiili«|Uf  \<miI  une  prière  siin|)le,  courte;  ilireilion  vers  Dieu  eu  toutes 
■lioses.  (|ui  s'allie  avec  les  exif^euces  rie  l'aetiou.  La  prière.  e"est  presrpie 
lacliou  toute  seule,  avec-  la  ilireeliou  d'iuteutiou.  11i.an<:o  éerivait  au  P.  Barséi  ; 
'  Si  l'on  diriffe  tout  daus  le  sens  de  Dieu,  tout  est  piière,    > 

('Il  MoRKT,  h'  liilwl  (lu  cultf  dU'in  journalier. 


i.A   lîi: i.HiioN  i:t  i.a   loi 


C/oiil  ainsi  (iiic  la  parole  s'ajoulo  à  rack'  ou  le  rcniplacej 
(ians  la  vie  Iminaine.  L'ciiranl  raconte  el  décril,  en  menu 
temps  (pi'il  airil.  dessin  ou  jeu  :  non  j)oinl  tout  du  long  sans 
doute,  nuiis  par  exclamations  el  lètes  de  chapitres  :  il  décrit 
el  il  supplée.  La  parole  intérieure  de  l'homme  lui  dit  ce  (pi'il 
fait  cl  pour(|uoi;  el  souvent  elle  est  commentaire  pereeptiMe. 
Aux  moments  d'excitation  vi\('.  la  j)arole  part,  acconipagnant 
la  décharge  de  l'émotion;  automaticpienu'ut  ou  par  luxe,  par 
besoin  de  se  représenter,  de  se  peindre  ce  ([ue  l'on  fait,  et 
pour  en  redoubler  l'eiret,  et  pour  l'imposer  à  autrui  par  cette 
suggestion  puissante.  Le  silence  passionné  de  certaines  pas- 
sions nous  dit  assez,  par  la  crainte  de  la  parole,  la  puissance 
excitante  (jue  l'homme  reconnaît  à  son  langage.  Enfin,  le  dis- 
cours, intérieur  ou  extérieur,  s'aliVanchit  et  se  joue  pour  lui- 
même.  *  ' 


Le   principe  et  le   début  de   la  prière,    c'est  la   puissance 
réalisti;  de  la  liguration  rituelle  et  ici  l'efficacité  du  mot  :  c'est 
la  force  magi(jue   de   l'incantation.  De   l'incantation  à  l'invo- 
cation, a  dit  Marrett,  du  charme  à  la  prière.  Le  mot  est  pro- 
jectile   verbal.    L'incantation   agit    d'elle-même;    c'est   le   sort 
prononcé,   qui,  directement,  s'attache  à   la  chose  ensorcelée. 
Surtout  quand  le  mot  est  un  nom;  qui  sait  leur  nom,  et  sur- 
tout leur  nom  secret,  tient  les  dieux.  Ceci  est  un  cas  particulier 
de  l'efficacité  magique  :  un  cas  particulièrement  clair,  puisqu 
le  langage  est  un  puissant  moyen  de  l'homme  sur  l'homme  e 
de  l'homme  sur  lui-même.   I']n  même  temps,  le  passage  y  es 
j)artieulièrement  clair,  de  l'efficace  objective  et  contraignante  à^ 
la  sollicitation  cl  à  la  supplication. 

De  rite  mécanique,  matériel  cl  précis,  de  formule  contrai- 
gnante, elle  devient  alliliide  d'Ame,  pensée  et  effusion;  et  ell 


I.K    CULTE  <>I 

iiisi.nU'  aux  dieux  ([uClle  inv()(|ue,  au  conis  île  sou  <1(\»'1(>|)- 
pi'Uicul,  les  uuMUOs  lal'IiucuK'Uls  alltMlils  ([ui  se  (léveloppout 
cIkv.  le  sujet  (pii  plie,  (l'esl  aiusi  <pie,  visant  d'abord  à  teuii-  les 
(lieux  eu  sei'vat^e,  ou  à  les  lier  pai-  un  coulrat,  elle  j)rie  pour 
solliciter  un  dieu  lavorable.  pour-  se  confiera  un  dieu  hou,  [)uis 
pour  se  perdre  eu  un  dieu  oîi  elle  retrouve  son  cllasion  et  qui 
est  elle-même.  Rituel  rigoureux  d'abord,  elle  devient  liynme 
mytliit[ue,  nu)ral,  reli,!J:ieux.  prière  mentale,  coneenlratiou 
uiyslicpie  supérieure  aux  rites,  anéantissement  de  la  eonseienee 
individuelle  au  sein  du  Dieu  absolu.  Ivj^oïste  et  d'abord  simple 
e\itj:enee  des  désirs  matériels  :  <■  ()ue  ma  volonté  soit  faite!  •) 
elle  devient  un  jour  «  Que  ta  volonté  soit  faite  et  non  la 
mienne  »  (i).  Et  même,  à  son  terme,  il  ne  s'agit  plus  de 
volonté  ni  de  somuission  ;  tout  est  amoui-  et  commerce 
d  auioui-. 

Ainsi  la  prière  se  spiritualise  et  elle  s'individualise;  elle 
va  du  rite  collectif  et  obligatoire  (2)  à  la  libre  conversation 
de  1  homme  avec  son  dieu  et  uu-me  au  silence  sacré  de  l'homme 
en  présence  de  son  Dieu  :  de  la  prière  liturgique  à  la  prière 
luystitpie  (3).  Mais  ces  formes  supérieures  sont  l'expression 
(1  une  foi  (pii  dépasse  de  beaucoup,  par  sa  complexité,  celle; 
<pie  nous  sommes  en  train  d'c-ludier. 


1  Voii-  sur  ce  point  I.i.iha,  l'syclio/oific  di's  /ilicnomi'iu's  n'Ui^ifiiA.  ni; 
Faiinkli,,  riic  E\oliili(iii  of  ri'liffion,  90").  —  I'iia  it  a  Ition  ctudii'',  '/'lie  rrtiir.  cous- 
ciimsni'ss,  'hX,  les  difreroiiU-s  lorines  dr  la  pricn',  île  rcnraiil  à  l'adiiUf.  (Du*/ 
luii  coiiimc  oIkz  raulri",  la  prière  ilr  diiuaiidc  sciiihlf  la  [>liis  rié(|ucnle. 
Néaiuiioiiis,  Itraiicoiip  de  irens  piieiil  sans  cioire  à  l'eflicacité  de  la  prière, 
et  siuiplenient  parée  cpiils  ne  peuxeni  s'en  cnipèelier. 

2  Mvointion  i|iii  n'est  pas  iné\  italdeiucnt  eùntinne.  Ainsi  c'est  ("lanialiel 
«pii.  après  la  rnine  de  Jcriisaleni.  lit  einnposci-  les  dix  linit  Iténédictions;  <lésa[>- 
pruuvé  par  eertains,  par  exeni|)le,  par  IMié/er  <jni  disait  ;  «  lue  |>rière.  i|ui  est 
récitée  d'après  une  l'orniule  arranf^éi'  d'a\anie,  ne  vient  pas  dn  cienr  ■  Cihaiiv, 
nisloiri'  (les  .htifs,  111.  j^i. 

'}  \'<)ir.  par  cxoniplè.  l)r«:iii;sM:,  les  Oiii^ines  du  eiiUc  ehrélien.  lîe;iiic<»iip 
de  reliifions  assij,'nont  une  valeu:-  particulière  à  la  prière  litur},Mi|ue  :  ainsi 
rislaniisuie,  (|ni  en  l'ail  1  nl>li<;ati(>n  principale  du  niusnluian,  et  qui  en  renfle 
très  niinutieuseuient  le  temps,  la  durée,  la  posture,  l'orientation  spatiale,  les 
consécrations  |)rcalables,  la  roruiule.  \  oir  Ciai  i>i;i-iu)v-l)i:%n).MiYM:s,  /<>%■  Insti- 
tutions niusulrnaties. 


<>'J  LA    RELIGION    KT    LA    l'(^I 

Aux  {linV'inUos  étapes  de  son  (Iével()|)pement,  elle  retie 
(lueUiue  chose  de  ses  origines.  Pour  coiubien  de  croyants 
ailleurs  qu'aux  origines,  ne  se  (ige-t-elle  pas  en  objets  maté- 
riels :  moulins  à  prières,  ex-voto,  etc.  Les  prières  de  la  liturgie 
s'adaptent  à  travers  les  temps,  à  tous  les  états  d'Ame,  à  tous 
les  âges.  11  y  a  aussi  les  formules  qui  perdent  leur  sens,  les 
mots  qui  s'usent,  le  mystère  des  langues  sacrées,  l'en'acement 
de  la  répétition,  le  verbiage  eoutumier  ou  professionnel,  les 
suppliques  des  marchands  de  piété.  Les  hautes  effusions  sont 
rares.  Le  grand  lyrisme  intérieur,  empêché  de  s'épanouir, 
recourt  aux  images  de  convention,  ou  bien  est  empêché  de 
s'épanouir  [)ar  l'afllux  des  images  conventionnelles. 

LA    OlSCIPLINE    CÉRÉMONIELLE 
LE    CULTE     MÉTHODIQUE 

La  discipline  cérémonielle  est  commandée  par  la  nature  même 
du  culte;  la  vie  religieuse  d'une  Eglise  tend,  nous  l'avons  vu,  à 
s'exprimer  dans  ses  [u-atiqucs:  il  faut  bien  que  ces  pratiques 
s'organisent,  pour  devenir  connnunes.  L'acte  rituel  enferme  du 
rcsic  la  nécessité  de  la  précision;  il  doit  être  accompli  avec  une 
correction  absolue  ;  d'oîi  le  renforcement  de  l'ordre  cérémoniel 
et  la  science  des  cérémonies. 

Suivant  les  religions  et  les  moments  de  l'histoire  des  reli- 
gions, on  assiste  à  la  conq^lication  de  la  liturgie  ou  au  contraire 
à  sa  simplification.  La  liturgie  n'abandonne  pas  volontiers  ses 
acquisitions  ;  elle  est  volontiers  archaïsante.  Mais  comme,  ei^ 
inèiiie  l<'nq)S,  il  faut  qu'elle  s'adapte  à  sa  l'onclion,  les  rites  sou 
vent  s'allègent.  Dans  les  Kgliscs  chrétiennes^  le  rituel  du  baj) 
tême   s'est   considérablemenl    rc-duil,    quand    le    baptême    des 
enfants  a  pris  le  pas  sur  le  baptême  des  adidtes  f[ui  avait  poui 
ministre  l'Eglise,  pour  témoin  le  peuple,  à  qui  on  donnail  lout( 
la    solennité    possible,    (pion    enveloppait    de    tous    les    rite 
capables  de  symboliser  la  k  naissance.  Mais,  en  sens  inverse 


LE    CULTE  63 

11'  Vile  IcikI  à  se  com|)li([iK'r.  vl  la  caslc  saccrdolale  y  Iravailli' : 
le  iK'soiii  aii((nel  il  réjtoiid  iniiUi|)lie  les  symboles  et  reiiroicc  le 
caraclèie  saeié  de  l'acte  lilmi,^i<iue. 

LKglise  s'injj:ère  plus  on  moins  dans  la  vie  du  lidèle  :  au 
terme  inférieur,  la  vie  du  lidèle  tout  entière  est  assujettie  à  des 
prali<|ues,  sacralisée  par  fraprmeiitalion  des  moyens  de  grâce; 
au  l(  rine  le  plus  élevé,  le  culle  intérieur  se  ramasse  dans  une 
iuleulion,  dans  une  pensée  unique,  qui  domine  toute  l'existence. 

llnlin.  dans  l'enceinte  d'une  même  religion,  il  y  a  les  dévo- 
tions particulières  des  dilTércnts  groupes  et  les  raClinements  de 
dévotion  des  individus;  c'est  ainsi  que  les  ordres  religieux  du 
catholicisme  ont  chacun  leurs  pratiques  spéciales;  c'est  ainsi 
que  chaque  confrérie  musulmaiu*  vise  à  fournir  à  ses  fidèles 
une  pratique  particulièrement  puissante.  Le  sous-groupe  ou 
l'individu  ajoute  au  culte  public  les  habitudes  de  son  cvdte 
privé. 

Sous  cette  forme  donc,  le  culte  produit  la  foi.  Il  suftit  de  se 
rappeler  les  profondes  remarques  de  Pascal  sur  la  coutume.  Le 
culte  est  une  règle  de  vie,  le  cadre  d'une  vie  religieuse  :  comme 
tel  il  supprime  des  ol)stacles  à  la  foi,  puis([u'il  empêche  le  cœur 
de  se  laisser  aller  à  l'étourdissement  des  plaisirs  et  des  pas- 
sions, puisqu'il  apaise  les  passions  en  disciplinant  les  mouve- 
ments; comme  tel  il  commence  la  foi  puisque  c'est  le  souverain 
artilice  de  l'habitude  qu'elle  simule  l'inclination  même  de  la 
nature  ;  puisque  les  gestes  et  les  attitudes,  expressions  de  sen- 
timenls.  sont  aussi  l'ébauche  de  sentiments  (i).  Il  donne  à 
l'adoration,  à  la  supplication,  au  repentir  le  soutien  matériel 
de  l'attitude  et  du  milieu  favorable.  Le  corps  se  coordonne  à 
l'espril.  <|ui  s'oriente  sans  résistance,  ou  même  est  sollicité  à 
s'orienter  vers  l'unification  interne  et  les  objets  religieux  : 
l'appui  que  le  corps  liù  prèle,  lui  permet  de  le  dépasser.  L'es- 


I    II  siiflit  (Ir  rapjx'lcr  le  r«Mc  assigné  à  raUitnde  par  tant  d'orijanisateurs 
rcliifiiiix  :  par  exemple  les  Jesiiiles  ou  Aiijçusle  Coiule. 


6.J  LA    RKI.IGION    ET    LA    lOI 

jiril  (U  scoihI  dans  le  inrcaiiisnic  pour  s'en  l'aire  un  insIrunuMir 
L  liahiludc  (ixc  cl  tonscrvo;  les  atliludcs  mentales  liées  à  des 
jçesles,  prcnnenl  la  fixité  de  leur  support  matériel,  comme  par- 
fois aussi  sa  pauvreté  el  sa  raideur  (i). 

Enfin,  le  rite  se  joue  dans  une  atmosphère  (rintelleetiialilé  ; 
charité  de  sis^nifieation  et  de  formule,  il  suscite,  comme  nous 
l'avons  montré  plus  haut,  des  façons  de  penser  et  de  sentir; 
il  incline  à  penser  ce  riuil  faut,  de  même  qu'il  conduit  adroite- 
ment à  ne  j)as  penser. 

Ainsi,  parmi  les  pratiques,  les  unes  créent  une  disposition 
somatique  qui  favorise  les  actes  de  la  vie  spirituelle:  ainsi  les 
agenouillements,  les  attitudes  de  la  prière.  Les  aulies  ont  sur- 
tout une  valeur  symholiciue,  qui  excite  et  nourrit  l'esprit;  ainsi 
le  si,c:nc  de  la  croix,  la  vénération  des  images,  la  contemplation 
des  cérémonies  ;  aj)plication  des  sens  et  colloque,  en  nu-me 
temps  ([u'exercice.  Elles  peuvent  devenir  machinales.  Mais, 
comme  le  fait  remarquer  très  finement  le  P.  Maréchal,  leur 
sii^nifieation  relip^ieuse  revit  au  moindre  appel;  et  l'accomplis 
sèment  du  rite  extérieur  est,  à  chaque  fois,  une  orientation,  au 
moins  momentanée,  de  l'automatisme  vers  l'esprit,  une  pre- 
mière et  modeste  canalisation  de  la  sensibilité  (2). 

Indépendannnent  de  ces  moyens  insinueux,  le  culte  est, 
pour  les  ii^iandes  émotions  relijçieuscs,  l'occasion  de  se  déj)loyer 
et  par  conséquent  de  se  rafraîchir  et  de  se  créer  à  nouveau;  il 
est  inulile  de  répéter  tout  ce  que  nous  avons  dit  sur  sa  puis- 
sance d'ohjectivation,  sur  sa  valeur  d'évocation  ;  la  joie,  la  paix 
intérieure,  la  consolation,  la  sérénité,  l'enthousiasme  suii^MSj 
sent  de  ses  objets  et  de  ses  pratiques. 


1  Le  iiioiMcriieiit  i)Oul  encore  commander,  déclenclier  l'anilude,  même 
s'il  est  puiemcnl  conventionnel  el  vide  de  toute  sif^nilicalion  ;  il  suffit  i|u'il 
ait  été  lié  accidentellenient  à  l'attitude  :  les  réflexes  conditioijnels. 

2  P.  Mahkcuai,  :  Jieviic  de  fildlosophie,  i\)i-2. 

L'ascétisme    ne  fera  ({u'amplifici-  tous  ces  tlicmes  ;   il  est,  par  l'un   de  s 
aspects.  roi"f;anisatif)n    iiiéUiodi(|ue  de  la  vie  corporelle   en  vue  dr-  certaines 
tins  spirituelles,  et  l'utilisation  de  celte  discipline  pour  celle  fin  :  le  rcj,''lcmea| 
de  Ions  les  automatismes,  une  discipline  de  la  sensibilité  et  de  la  niolilité.ll 


LE    CUUK  65 

Ainsi  s'expli<iii('  aisi'-mcMl  i^uv  hoaucoup  de  (idèles  vivent 
dans  les  (euvies  et  ne  nionlient  (in'indiiréi'ciice  à  l'éf^-ard  de  la 
doetrine  (i).  Le  culte  a  quehiue  chose  de  captivant  et  de  lasci- 
natcur;par  lui  beaucoup  se  sauvent  du  doute  2;.  Ces!  la  phrase 
de  Huysmans  :  «  Les  tentations  contre  la  Foi  se  dissipaient;  il 
ne  doutait  plus;  il  lui  semblait  qu'à  Saint-Sulpiee,  la  pi-àce  se 
mêlait  aux  splendeurs  des  lilurgies  el  que  des  appels  passaient 
pour  lui  dans  l'obscure  aflliction  des  voix.  .  En  revanche  cer- 
taines Ames  délicates  sont  froissées.  La  matière  peut  nuire  à  la 
«  chose  du  sacrement  (3j  ». 

Du  culte  el  du  lidèle,  il  est  difficile  de  séparer  le  prêtre,  qui 
est  auprès  des  dieux  le  représentant  de  la  société,  auprès  de  la 
société  le  représentant  des  dieux.  La  caste  sacerdotale  exerce 
sur  la  communauté  une  suggestion  puissante  et  systématique. 
C'est  une  autorité  organisée.  Comme  telle,  et  par  la  puissance 
du  divin  ([uelle  représente,  et  par  le  culte  qu'elle  dirige,  par 
l'instruction  qu'elle  dispense  et  l'éducation,  dont  elle  est 
jusqu  à  un  certain  point  maîtresse,  par  les  sanctions  diffuses 
ou  systématisées  qu'elle  contrôle  et  applique  à  son  gré,  police 
et  inquisition,  elle  ajoute  beaucoup  à  la  puissance  de  tous  les 
motifs  (pie  nous  avons  analysés.  Le  prêtre  joue  dans  le  groupe 
organisé,  le  même  rôle  que  le  prophète  ou  le  meneur  parmi  les 
foules.  Il  a  la  possession  du  rite  et  la  maîtrise  de  l'action 
sacrée.  Il  est  personne  sacrée,  de  par  le  pouvoir  qu'il  manie. 

I  .Ii><;sT,  Kulhis  u„d  (rrsrhichtsreUgiun,  ujoi,  ,li.slinj;uc  doux  espèces 
ue  cliieticns  :  ceux  (lui  appi-llent  i'inteiveiitioi,  contimielle  de  la  divinité  en 
faveur  do  leurs  besoins,   iaclK-teril  par  le  culte;  c.-ux  qui  vivent  dans  la  foi 

a  Voir  Ix)isv,  Choses  pas.seVs.  }}  ;  KUi  ;  Ki;.  Damant  (|uil  y  a  dan.s  toute 
reiijfion  les  «  dévotions  i)arlieulières  ...  L'individu  choisit,  ou  il  s-aLTÙL'c  à 
une  eonlrene  qui  lui  fournit  des  prati<,ues.  .|ui  lui  conviennent  particulière- 
ment.   \  oir  MoUDAs.  iIsUiinisnw,  p.  a^O. 

(•}  Hien  de  moins  excitant,  de  moins  faseinatcur  que  la  cérémonie  quand 
on  la  prend  a  rehours,  ou  même  froid.inent.  C'est  alors  que  se  vérifie  la  f.>r- 
mule  de  Stkm.h.m.:  .,  Tout  ee  .(ui  est  eérémoni.-,  par  son  essence  dètrc  une 
chose  afTeetee.t  prévue  davanee.  dans  hupiellc  il  s'agit  de  se  comporter  d'une 
manière  e..nvenal.le,  paraly.se  l'imagination,  et  ne  la  lais.se  éveillée  (jue  pour 
ce  qui  est  .ontra.r.-  au  but  de  la  cérémonie  el  ridicule  ;  de  là  leirel  mairique 
de  la  moindre  j)laisanterie   •■    f)f  (Amour,  42.1 

5 


6«)  1  A    RI  LIGIOX    ET    LA    1  OI 

Il  csl  environné  d  inlei'tlits  destinés  à  préserver  ou  à  accroilie 
la  vertu  «|uil  est  appelé  à  dispenser. 

Ainsi  le  pouvoir  de  laelion  <aerée  se  concentre  en  des  mains 
expertes  qui  en  ont  assumé  la  grandeur  et  la  servitude.  Le 
prestige  de  l'action  sacrée  rejaillit  sur  le  ministre.  Le  Sacerdoce 
est  volontiers  institutionnel  et  conservateur.  Il  est.  comme  l'a 
bien  dit  Coe,  logique  de  la  consistance  et  valeur  du  passé.  Il 
est  le  gai-dien  rituel  de  1  Lcriture,  de  la  littérature  sacrée.  Il 
rt^iste  volontiers  aux  inq>ulsions  nouvelles,  à  1  inspiration  pri- 
vée. Son  danger  c'est  le  formalisme  mort  et  la  routine  méca- 
ni(|ne. 


L'EXCITATION    COLLECTIVE.     LE    CULTE     EXTATIQUE 

Le  (^ulte  extati(iue.  c'est  l'excitation  collective  qui,  soutenue 
ou  non  par  des  pratiques  rituelles,  comme  les  danses  et  les 
chants,  aboutit  à  des  états  confus  et  vertigineux,  qui  se 
prêtent  à  une  interprétation  spirituelle:  tels  les  cultes  orgias- 
li(pies  dont  lliisloire  et  l'ellinograpliie  nous  fournissent  d« 
nombreux  exemples  :  tels  aussi  tous  ces  réveils,  avec  leui'S 
mouvements  de  foule,  que  nous  pouvons  étudier  tout  près  de 
nous.  En  effet,  il  y  a  lieu  de  distinguer  deux  aspects  du  culte 
extatique  ;  l'aspect  inorganisé,  si  Ion  peut  dire,  (jui  conq)rend 
surtout  des  états  de  foule:  l'aspect  organisé,  qui  est  un  véri- 
table culte,  pratiqué  dans  l'excitation  et  le  délire. 

Rappelons  à  grands  traits  les  caractères  principaux  de  ces 
états  de  foule.  S'ils  sont  assez  rares  aujourd'hui,  au  sein  des 
religions  fortement  constituées,  s'ils  détonnent  même  dans  les 
religions  d'aujourd'hui,  parce  (pic  le  culte  y  est  nettement 
réglé,  parce  qu'un  clergé  spécialisé  s'est  réscjvé  tous  les  pou- 
voirs, et  que  la  foule  n'y  fonctionne  qu'encadrée  et  dirigée,  il 
ne  faut  pas  md*lier  qu  ils  sont  l'état  normal  dans  toutes  1«é 
sociétés  oîi  le  culte  implique  la  participation  eifective  et  complè 


1 


LE    CULTE  67 

des    litlèlos.   où    tous    les  assistants   sont  à    la   lois   ollicianls. 
acti'iirs  <'(  spectateurs  (i). 

Dans  la  foule,  l'individu  satisfait  le  besoin  f^iéj;aire  el  1  ins- 
linet  moutonnier;  il  sort  de  lisolenient  où  il  s'étiole  ;  il  int<;r- 
ronipt  la  monotonie  quotidienne  pour  jçoùter  des  émotions 
puissantes  et  fraîclies.  Voici  les  lois  pi'inci[)ales  qui  paraissent 
rég:ier  ces  états  de  foule  (2)  : 

1°  Dans  la  foule  disparaissent  les  habitudes  de  contrôle 
personnel  el  la  contrainte  sociale  coutumière;  on  se  laisse 
aller;  il  se  produit  une  sorte  de  détente  et  d'abolition  delà 
critique  qui  préparent  l'expansion  de  l'atleclivité,  l'invasion  de 
l'excitation  étrangère  (3).  La  foule  religieuse  est  plus  ou  moins 
uniliée  dès  l'origine  parla  fin  quelle  poursuit  en  connnun  (4), 
par  la  direction  qu'elle  reçoit  souvent  d'une  personnalité 
prépond(''rante. 

2"  La  foule  est  en  état  d'attention  expectante  et  d'adoration 
ou  de  crainte  épewlue.  l'ne  exigence  obscure,  un  vague  pres- 
sentiment la  hantent;  son  aspiration  confuse  est  traversée  de 


(i)  Voir  Hubert,  Inli-odutlinn  du  Mttmiel  d'iiistoire  des  religions  de  Chan- 
le/iie  de  Ui  Saassaye,  p.  29. 

(•2)  DiDHHOT  Us  avait  bien  entreyues,  Lettre  sur  les  Sourds  et  les  Muets, 
j).  (iK)  ;  .1  II  est  de  la  nature  de  tout  enthousiasme  de  se  comiuuiiicjuer  et  de 
s'accroilre  par  le  nombre  des  enthousiastes.  Les  hommes  ont  alors  une  ciclion 
réciproque  les  uns  sur  les  autres,  par  l'imaj^e  énerj^ique  et  Ai\ante  qu'ils 
s'ollrent  tous  de  la  passion  dont  chacun  (l'eux  est  transporté;  île  là  cette  joie 
insensée  de  nos  fîtes  publiques,  la  l'ureur  de  nos  émeutes  populaires  et  les 
ellets  suiprenants  de  la  musicjue  chez  les  Anciens.  » 

i3  13ans  son  livre  sur  le  Hih'eil  au  l'ays  de  Galles,  lîois  a  bien  observé, 
dans  les  Assemblées  auxrpielles  il  assistait,  la  disparition  de  la  contrainte 
sociale;  chacun  v  puise  le  sentiment  quil  peut  librement  se  laisser  emiiorter 
À  sa  nature.  Au  contraire,  l'expansion  d'un  mouvement  populaire  peut  être 
tenue  rn  échec  s'il  y  a  un  faraud  nombre  d'individus  avec  des  habitudes  de 
coulrCde  phis  sévères  ou  des  raisons  de  ne  pas  se  laisser  aller.  (Ju'on  se 
rapjjclle  l'ellct  qu'un  farceur  peut  produire  dans  une  foule. 

i4)  Pauk,  Masse  uiiU  Puhlikunt,  1904,  <>  bien  fait  observer  (ju'une  foule  est 
une,  non  seulemeivt  à  cause  de  l'action  réciprocjuc  des  individus  les  uns  sur 
les  auLi-es,  mais  aussi  parce  que  les  sentiments  et  les  volontés  indi\  idiielles 
tendent  vers  un  même  objet.  Dans  les  foules,  dans  les  Assemblées,  un  pro- 
cessus d'attention  c<dlective  fait  l'unité  de  la  masse,  avant  même  (ju'un  meneur 
ait  besoin  de  provocpier  l'imitation  îles  individus.  L'unité  du  <îroupe  est  Ihéléo- 


<>S  LA    IIEI.KIION    KT    LA    FOI 

frissons.  l'Ile  csl  toiuliio  loul  onlirro  scnsoriellomenl  el 
imisculairenu'nt  vcms  (jnchiiR'  chose  qui  va  venir;  quchjue 
chose  (le  vague,  (jui  prend  diUérenlcs  ligures  au  cours  de  la 
réunion.  Il  y  a  des  nioinenls  de  lension  et  de  délente  ;  celte 
excitation  a  ses  sommets,  ses  paroxysmes,  et  aussi  ses  zones, 
ses  phases  d'incompréhension  et  de  non-réceptivité.  C'est  le 
mol  de  Huysmans,  parlant  des  foules  de  Lourdes  :  «  La  foule 
se  charge  et  se  comprime  dans  l'atlenlc  pour  exploser.  »  L'agi- 
tation diffuse  se  précise  par  instants  (i).  , 

3"  De  vagues  virtualités  passent  à  l'acte.  Les  sentiments  se 
déchargent  en  mouvements,  en  cris,  en  actes.  Le  premier  pas 
est  fait  par  ceux  (jui  ont  moins  de  contrôle  sur  leur  esprit  et 
sur  leurs  muscles.  L'état  psychique  se  renforce  :  '1°  de  ses 
j>ropres  manifestations  ;  jusqu'à  l'état  de  vertige  que  peut  pro- 
duire chez  un  individu  la  perception  de  ses  propres  mouve- 
ments ou  de  ses  propres  cris;  ainsi  le  jeu  poursuivi  jusqu'à 
épuisement  ;  l'imitation  circulaire  de  IJaldwin  ;  1"  du  retentis- 
sement de  celte  expression  sur  la  conscience  d'autrui,  dont  les 
manifestations  exubérantes,  à  leur  tour,  se  réfléchissent  sur 
le  sujet;  c'est  une  sorte  d'écho,  une  avalanche  grossissante; 
une  intensification  croissante  qui  fait  ({ue  l'individu  est  dominé, 
élevé  au-dessus  de  lui-même,  qu'il  se  désintéresse  de  soi  et  se 
donne  aux  fins  communes  ;  en  même  temps  il  se  sent  libre  ;  sa 
vie  propre  lui  revient  exaltée;  il  domine  et  il  est  dominé;  tel 
le  bon  nageur  <-  qui  se  pàmc  dans  l'onde  ». 

Cela  se  produit  surtout  aux  extrêmes  ;  chez  le  fort,  l'homme 
<jui   parle  à   la    foule   et  qui   est   animé    par   elle,   qui    reçoit^ 


(Il  Voir  rexcfUentc  observation  de  Maeterlinck  dans  sa  Préface  au  livrï 
de  Jules  Uestrke,  En  Italie.  Désirée,  au  début  de  la  guerre,  faisait  en  Itali* 
une  série  de  conlërences  pour  la  cause  de  la  Belgi(|ue  et  de  l'Entente  :  «  La 
foule,  coninie  toutes  les  foules  en  attendant  leur  niaitre.  se  tassait  à  ses  piedsj 
silencieusement  bruissante,  indécise,  amorphe,  ne  sachant  pas  encore  ce 
qu'elle  allait  vouloir.  »  Et  il  signale  aussi  l'orateur  qui  «  tâte  les  points  sen- 
sibles, les  points  magnétiques  de  l'être  énorme  et  inconnu  dont  il  fallait 
atteindre  l'âme  ».  Les  mots  lui  reviennent  «  chargés  de  fluides,  de  sympathies^ 
de  forces  et  de  renseignements  précis». 


LK   CUI.TK  Ch) 

accriio.  rcxcitahon  (|n'il  toinimiiii(|iie  ;  clic/  le  luiblc.  di-livrc 
(lu  senlinu'iil  de  sa  laihU'ssc.  Iiavcisc  par  une  force  lniihijc  «■( 
ininicnsc. 

4"  Sur  un  terrain  ainsi  prépare,  dans  ces  esprits  déséqui- 
librés et  surexcités  tombent  des  suj!:i?cslions  qui  se  développent 
à  l'abri  de  toute  critique.  La  réceptivité  est  accrue  ;  dans  une 
sorte  dobnubilalion.  la  suggestion  s'installe  et  s'épanouit  : 
«  Abasourdissement  »,  dit  encore  Huysmans  ;  on  vil  alors  dans 
un  milieu  sans  proportion  ;  et  c'est  justement  qu'il  parle  des 
«  chambres  de  clianllc  de  la  piété  ». 

Ainsi  se  l'orme  un  être  nouveau,  plus  puissant,  une  efFerves- 
cence  qui  s'épanche  en  débordement  furieux  (i),  ou  qui,  retenue, 
canalisée,  reste  un  tumulte  réglé,  un  désordre  encore  rythmé, 
l.a  foule  d'action,  foule  d'amour  ou  foule  de  haine,  se  soude  en 
un  tout  solidaire,  en  un  groupe  ardent  et  vociférateur,  qui 
profère  les  mêmes  exclamations,  exécute  les  mêmes  mouve- 
ments et  les  mêmes  actes.  Les  réveils  religieux  entre  autres 
nous  montrent  clairement  (jue  cette  effervescence  peut  prendre 
bien  des  formes  et  (pi'elle  admet  bien  des  degrés,  selon  les 
conditions  ([ui  les  ont  préparés,  selon  la  qualité  de  ceux  (jui  y 
prennent  part  ;  dans  les  derniers  bas-fonds  de  la  piété,  dans  les 
milieux  primitifs,  cela  tombe  souvent  à  des  excès  presque 
incroyables  (2);  mais  de  nombreux  exemples  tirés  de  l'histoire 
du  jansénisme  montrent  aussi  jusqu'oîi  peuvent  aller  des 
hommes  froids  et  compassés  dans  la  vie  ordinaire  (3);  d'autant 
<iue  rexcitationse  renforce  presque  aussitôt  d'une  théorie  toute 
pi'ête,  et  que  les  hommes  ont  toujours  vu,  dans  certains  mouve- 
ments violents,  dans  certaines  formes  exaltées  d'agilalion,  la 
niartpie  de  l'invasion  de  l'espril. 


(i)  Les    lorces  ainsi    (léfjagces  se   ropaiuli-nl  soiivi-iil  sans  l>ii(  :  Aclivile  de 

luxe,  (lélxtrdeinent  des  passions  déeliainces.  (UiUKUiaM.) 

(a    Davkm'iiht  :  «  La  fonh-  remet  l'individu  dans  des  étals  priinitifs.  » 

{'i)  Comparer  la  déclaration  de  Uois  :   «  Je  nai  eu  nulle  part  limiiressioii 

de  e(unprendre  l'il^dise  primitive  comme  au  pays  de  Galles.  « 


i.A   uKi.iGiON   irr  I.A   loi 


(  >ii  [)eul  (lire  que  Ui  foule,  e'est  rimi>ulsion.  eouinic  le 
iCi'oui>e  saeerdotal,  c'est  la  règle,  eonune  le  groupe  clélihéralif, 
ecst  la  discussion  (i).  Maié  les  foules  religieuses  ne  sont  pas 
des  foules  (|ueleonques.  Elles  ont  des  intérêts  communs,  et 
certaines  circonstances  générales  donnent  une  direction  à  leurs 
pensées  et  à  leurs  actions  ce  son^  des  foules  homo- 
gènes (2). 

Tue  idée  commune  les  inspire.  Un  réveil  religieux,  par 
exemple,  est  |>réj)aré  et  soutenu  par  une  attente  collective. 
Nous  ne  [>arlons  pas  encore  des  conditions  profondes  qui 
]>euvent  susciter  ce  réveil.  Le  fait  seul  de  se  réunir  implique 
une  intention  commune.  Sans  doute  la  foule  peut  être  ouverte  (3); 
elle  est  un  groupe  fugitif  et  passionnel  et  elle  ne  contient  pas 
toujours  que  des  adhérents  préalables.  A  côté  du  fervent,  et  de 
ralliré,il  y  aie  simple  curieux,  rindilï'érent  amené  par  d'autres, 
le  passant,  le  sceptique,  le  négatif,  le  farceur.  Mais  dans  les 
cas  que  nous  étudions,  ce  sont  les  fervents  et  les  attirés  qui 
dominent.  Kt  ces  foules  prennent  vite  des  habitudes;  il  y  a  des 
«  styles  de  réveil  (4)  »• 

Certaines  conditions  générales  préparent  et  orientent  leur 
agitation.  Sous  les  états  de  foule,  il  y  a  les  dispositions  coUec- 
tives.  les  courants  sociaux.  La  foule  suppose  des  groupes 
sociaux  organisés.  11  y  a  des  conditions  générales  qui  font  que 
simultanément  un  grand  nombre  d'individus  se  trouvent 
disposés  de  même.  Les  conditions  d'expansion  du  christianisme 
étaient,  si  l'on  peut  dire,  jnéalables  à  ces  mouvements  de  foules 
oii  retentissait  la  [)rédication  des  apôtres  (5).  Elie  Halévy  a  fort 


,1    Cf.  CoE,  Psycholof^y  of  Religion. 

2  Taw.nkv,  The  I\^atiirc  of  Crowds,  PsycU.  Bull.    i5  oclolirc  ujoh<. 

3  La  foule   est,    coiiiiiie    le    dit    fort   J>ien   Davy    Journal  de   Psychologie 
Kjao.  '"^'i  .    "  une  forme  d'iissociatioii  inférieure,  iiiipsirlailenicnt  organisée 
teiniioraire  ■■. 

4,  CÔk,  Psychol.,  12 J. 

5  II  n'en  est  pas  moins  vrai  que  eclte  société  en  formation,  ([m'i  étai 
alors  le  christianisme,  s'eal  propagée  d'abord  j»ar  contagion,  en  ramassant 
les   éléments  dissociés   de   la   société  juive  et  de  la  société  grecque  ;  et  1 


i.K  <:l'ltk  ^I 

J)ifii  iiioiili'c  coiimu'iil  rcnllioiisiasiiu'  iix-lliodislc  rsl  une 
(•(Hiiln'iiaisou  (l\''léni(_'iit.s  ])rôexi.staiits  cl  parrailcincnl  ilélinis,  et 
(jucls  lartciiis  économiques  et  politiques  ont  rcchaullé  la  piété 
(le  la  masse  des  liilèies  (i).  Des  indications  analou^ues  f)eu\('nl 
être  constamment  fournies  :  réveil  catlioIi([ue  et  l'omantisme, 
doctrine  du  salut  universel  et  mouvement  poIili(|ue  de  i8"3o, 
réveil  ïrallois  et  charbonnages,  les  exemples  sont  innomhiahles. 
D'une  manière  générale,  les  périodes  de  crise  sont  particuliè- 
rement favorables  à  l'agitation  des  foules,  (|ui  cherche,  dans 
l'angoisse  ou  l'enthousiasme,  l'explication  on  la  solution  de 
malaises  confus. 

Enlin  il  y  a  une  forme  asthénicjue  des  mouvements  de  foule. 
L  impuissance  à  être,  à  se  constituer  connne  ensemble,  à  rien 
organiser  est  un  fait  fréquent:  souvent  la  foule  piétine;  les 
démarches  indi^  iduelles  s'enlie-choipient  et  s'amiihilent  :  et 
aussi  le  dérobement  brusque  de  tout  le  groupe,  la  dissolution 
de  tontes  ses  énergies,  la  pani(pie.  (pii  transforme  en  poussière 
d'atomes  des  grou[)es  organisés.  L  inteiïsité  de  la  brusque 
détente  nerveuse  dont  les  individus  sont  victimes  est  déciq)lée 
par  la  pression  (pi'ils  exercent  les  uns  sur  les  autres.'  et  le  déro- 
benicii!  colleclil' aboutit  à  la  dissolution  de  la  colU'clivité. 


De  l'excitation  collective  aucun  fait  ne  nous  doniicra  mieux 
lidée  ([U(r  les  .\ss(  inblées  des  Ucveils. 

On  sait  (|ue  le  mot  Réveil  signifie  ou  bien  un  renouNcau  de 
zèle  chez  ceux  (pii  partagent  déjà  la  mènu'  foi  religieuse,  ou  bien 


a.ss«'inl>lcfs  religit'use.s,  le.s  réiinidris  de  prière  et  de  [»rèdicali<>n  (»nl  elr 
do(^i>ives,  j)oiir  la  mise  en  eoiiiinun  des  rcprcseiilations  obscures  el  des  ton- 
diuices  en  éveil,  pour  l'essor  des  aspinilions  (•ollecl^^■es. 

I    Hai.iïvy,  la  yaissanrc  tlu  Mcflioilisinr  m  An •(■tf ferre.  i<)o(>. 


^a  i.A  iiKi.iGioN  r:r  i.\  loi 

la  c'onvt'isioM,  dans  un  i'S[tacc  do  U'in[)s  rclalivcnicnt  court 
(lun  noinhi'o  oxceplionnellenicnt  p^rand  de  personnes  jusque-U 
inc'onvrriies  ou  cousidéircs  coninit'  k'Ucs.  Les  Réveils  coii- 
lieiinent  des  faits  (jui  relèvent  de  la  j)syeliolou:ie  des  Ibules  e 
d  autres  (jui  relèvent  des  conditions  sociales  (jui  l'ont  <jue  siniul 
tanénient  un  ii:rand  nombre  d'individus  se  trouvent  dans  del 
dispositions  identiques.  Il  n  y  aurait  pas  à  étendre  beaucoup  h 
sens  du  mot  pour  y  faire  entrer  tous  les  moments  d'excilalioi 
reliiîiense,  toutes  les  périodes  d'activité  qui  alternent  avec  le! 
[)ériodes  de  lan,u:ueur. 

Les  bonnes  descriptions  de  ces  assemblées  abondent:  il 
en  a  di'  toutes  les  époques  et  de  tous  les  milieux;  ces  dernièrej 
années.  Bois  et  Roques  de  Fursac  nous  en  ont  rap])orté  di 
pays  de  (ialles.  Ln  voici  une  qui  provient  du  récent  mouvemcn 
«  de  la  Pentecôte  »'  : 

«  La  prière  confuse  et  simultanée  devient  toujours  pluj 
monotone;  on  répète  incessamment  avec  ime  emphase  crois 
santé  :  à  Jésus,  viens!  C'est  enlin  un  seul  g^émissement  et  lii 
seul  soupir  à  travers  la  salle.  L'impression  est  atroce  et  ai 
[)lus  haut  [)oint  contagieuse.  La  scène  est  interrompue  d( 
temps  à  autre  par  le  chant  de  quelques  versets.  Les  convulsions 
commencent.  ()^uand  la  confusion  et  l'excitation  sont  au  j)lus 
haut  point,  commence  la  glossolalie.  La  réunion  exulte  et  plus 
encore  les  baptisés  en  esprit  (i).  » 

Le  r(Me  des  [)hénomènes  moteurs  varie  grandement  du  reste 
selon  le  (bîgré  de  culture  des  participants.  Le  style  du  Réveil 
est  dillérent  chez  les  nègres  (rAméri<pie  et  les  [>uritains  de  la 
Nouvelle  Angleterre;  encore  que  la  foule  retombe  volontiers  à 
l'excitation  des  primitifs  ('2).   Mais,  ce  (jui   intervient  surtout, 

(i)  Pfisteii,  Die  Psycholo^ische  Enlrdtseliinff  der  religiôsen  Glossolalic 
(2)  On  peut  citer  rexeiiiphi  des  Assemblées  jansénistes.  Voici  celui  des 
i-  Sauteurs  ".  Les  memlires  de  la  secte  des  Sauteurs,  née  des  réveils  métho- 
distes, se  jettent  à  plat  ventre  quand  le  prédicateur  commence  à  jiarlc-r, 
puis,  lorsqu'ils  se  sentent  en  proie  à  l'inspiration  d'en  baut,  se  relèvent  pour 
sauter  en  cadence,  et  cela  dure  des  beures  entières.  (IIalévy,  le  Peuple 
anglais,  I,  'içjG.j 


i.i:  ciLTE  73 

.  t  si  uiu'  notion  llu''oii(|ii<'.  l'idi'c  (|ii('  \v  trioiipc  <,('.  (ail  de  l'l*]s- 
|ii  it.  La  notion  d  l'esprit,  au  tours  de  l'histoire  religieuse,  a  sou- 
\t'nl  été  liée  à  des  «  eharismes  »  tels  que  la  glossolalie.  ou  la 
[M opliétic  extatique,  ou  les  convulsions  du  possédé.  Bovet  a  fait 
Il  iuai(iuer  avec  justesse  qnv,  dans  le  christianisme,  plus  une 
><icte  est  l)ihli<[ue,  plus  volontiers  elle  cultive  de  tels  phéno- 
iiH'ues,  si  lré<[uents  aux  origines  du  (Ihristianisnie.  L'individu 
I -servi  est  amoureux  de  ce  qui  l'asservit;  il  y  a  une  passion  des 
I -semblées  comme  il  y  a  une  passion  somnambulique.  Ola 
.([•parait  très  clairement  dans  les  cas  de  conversion  au  cours  de 
1» éveils.  Il  y  a  ceux  qui  ont  constaté  ou  (jui  connaissent  les 
'  llets  surprenants  de  ces  réunions  et  qui  sont  suggestionnés  par 
ridée  qu'ils  peuvent  être  convertis  malgré  eux  ;  ceux  qui,  dési- 
rant vivement  ètie  convertis,  sont  amenés  par  la  pression  de  l'en- 
tourage à  inter|)réter  les  violents  états  afrectifs  (juils  subissent 
toiiune  des  signes  de  régénération;  ceux  qui  sont  à  demi  con- 
vertis et  ceux  qui  croient  l'être  :  l'erreur  des  larmes  et  des  san- 
glots; ceux  qui  sont  entraînés  et  qui,  au  moment  même  oii  ils 
le  sont,  ont  conscience  que  leur  état  n'a  rien  de  religieux  (i). 


iî  II  y  a  aussi  ilrs  réactions  on  sens  inverse.  Un  témoin  très  reliffieux 
«les  réunions  wesleyennes,  ÎMallIier,  qui  avait  été  le  précepteur  de  /.inzen- 
dorf,  écrivait  :  «  La  preniicre  l'ois  que  je  fus  à  leurs  assenil)lécs,  je  lus  sur- 
pris et  pres((ue  indigné  :  leurs  soupirs  et  leurs  gémissements,  leurs  0  Wini- 
mern  •>  et  hurlements,  leurs  gestes  étranges,  qu'ils  prenaient  pour  une 
preuve  de  l'action  de  l'esprit...  »  Wesley.  lui-même,  était  étonné  et  Irouhlé 
de  ces  plicnoiuènes  étranges,  du  a  Pouvoir  »  dans  les  Réveils  niélhodistcs. 
(V.  GoK,  141.. 

HosT  raconte  {Mémoires,  I.  ai;  il  s'agit  des  Assemblées  raoraves  à 
Cienèvc  :  «  Le  Vendredi  Saint,  dans  l'assemblée  du  soir,  au  moment  où  se 
lisent  ces  paroles  :  «  Et  ayant  baissé  la  tète,  Jésus  rendit  l'esprit  »,  \t\  lecteur 
ne  manipie  jamais  de  s'arrêter  :  toute  l'église  tombe  :\  genoux,  il  n'y  a  plu.s 
de  paroles,  il  n'y  a  (jiie  îles  laiines...  (^e  dernier  fait  lui-même  montre  que  si 
cette  émotion  peut  avoir  son  coté  vraiment  religieux,  elle  a  aussi  son  ccUc 
simplement  contagieux,  sim|demcnt  pli\si<pic.  Je  réilécliissais  qu'il  était 
assez  singulier  (]u'(in  pût  ainsi  pleurer  à  jour  fixe;  je  m'aperçus  que  ma  con- 
duite n'était  pa>  toujours  sainte  à  proportion  de  l'attendrissement  (pie  j'avais 
éprouvé,  et  je  conqiris  bientôt  (pi'il  ne  faut  i)as  prendre  des  émotions  de  ce 
genre  pour  mesure  de  sa  piété.   » 

Knlln    les    Réveils    ont    fait    des    rev<dtés,    (hiand     l'esprit    se    tixe     dans 
I  attente  dune  expérience  (jucn  ^•erlu  de  sa  constitution  il  ne  peut  t-protncr 
il  peut  en  résulter  une  révolte,  désespoir  ou  rejet  <le  la  religion. 


1 

74  I.^    UKLHilON    ET    LA    KOI 

Lrs  |)sy(holou:iics  anu'iicains  oui  recueilli  des  doeuiuenLs 
l)ien  siiïiiilicatirs  aii\(jiu'ls  il  faut  reuvoyer;  tel  le  cas  de  eetti 
jeune  lille.  citée  par  SlaihucU,  (jui  assista  à  six  meetings  sans 
en  recevoir  aucune  impression  ;  au  dernier,  elle  senl  uiie  excw 
tatioii  considérable;  <piand  on  appelle  ceux  (pii  veulent  être  du 
côté  du  Seigneur,  elU'  se  lève  et  se  tient  dchout  :  «  Je  n'avais 
pas  de  motif  conscient,  j'étais  simplemeni  ])0ussée  par  l'excita- 
tion et  je  ne  savais  pas  ce  (juc  je  faisais.  L'excitation  crois 
sait  1).  >  Ou  encore  ce  pasteur  cité  par  Starbuck,  dont  la  pre- 
niière  conversion  s'(;st  produite  au  cours  d'un  Uéveil  :  «  Le^ 
forces  qui  m'ont  conduit  à  ma  conversion  me  semblent  dt 
caractère  liypnotiipie.  Ma  volonté  sendjlait  totalement  à  la 
merei  d'autres,  particulièrement  du  revivaliste  M...  Il  n'y  avait 
absoliunent  aucun  élément  intellectuel,  je  ne  pensais  ni  dogme, 
ni  doctrine;  c'était' pur  sentiment...  Je  me  retourne  nuùntenant 
vers  ce  passé  avec  honte  et  répugnance.  J'étais  dans  un  état 
anormal  et  je  ne  pouvais  m'y  maintenir  (u).  » 

Celle  fascination  est  puissante  mais  éphémère;  elle  ne  per- 
siste que  si  elle  est  autre  chose  que  de  l'excitation;  si  elle 
apporte  à  un  individu  ([iii  y  aspire,  ou  qui,  tout  au  moins  est 
capable  de  la  recevoir,  la  puissance  d'un  thème  religieux;  c'est 
ce  (pu'  montrent  très  bien  des  études  très  précises  sur  l'alfai- 
bliss<'ment  et  le  déclin  rapide  de  ces  Réveils,  sur  la  frécpience 
des  chutes  et  la  fragilité  des  conversions  (3).  La  puissance  de 


1  SiAKi»!  CK,  'J'he  PsyclioLoi^y  of  Religion,  p.  i6(j.  (Ict  étal  a  duré  si 
mois  et  la  eonveilic  «st  ictoinhée  dans  rindiirérrncc.  A  côté  de  l'excitationi 
il  y  avait  une  action  plus  sul)tile  et  plus  prolonde  :  "  S'il  y  avait  uni 
inUiiencc,  c'était  l'amour  de  ma  mère  qui  j)riail  à  mes  côtés»;  sur  cette  puis 
sance  de  l'excitation  colleelive,  voir  une  bien  curieuse  observation  de  Uichari 
Wag.\e«,  Ma  Vie,  1,  6H. 

2  Stahkl'CK,  p.  iC.i. 
(3    Heaucoup    de    convertis  retombent    dès  qu'ils  sont  soustraits  à   cettâl 

puissante  action  de  la  foule.  Stahblck  estime,  d'après  ses  enquêtes,  que,  sur 
cent  conversions  indi\  iduelles,  soixante  durent;  dans  les  Réveils,  treize 
seulement.  ^American  Journal,  VllI,  [/J-ij"]]  L'impression  de  Bois  et  du  Rév. 
Elvet  Lewis  est  la  même  en  ce  qui  concerne  le  récent  Réveil  du  pavs  de_ 
('.all<>. 


I 


I.K    CUI.Ti: 


la    toiile    l'eliiïicuso    parUcipt'   à    la    l'ois   de    la    loiilc   d    de   la 
rrliKion.] 

Une  bonne  part  de  la  puissance  desKéveils  vicnl  en  ellct  du 
thème  qui  y  est  prêché  et  qui  répond  aux  convenances  d  un 
milieu  et  d'un  temps  (i);  c'est  ce  ([ue  prouve  abondamment 
l'élude  hislori(pic  de  tous  les  tarauds  Héveils.  Wesley,  Kdwaidg. 
Finney,  Kvan  Uoberls  el  tant  d'autres.  A  des  groupes  qui  ont 
rompu  le  contact  avec  la  théologie  traditionnelle,  ou  pour  qui 
elle  a  |>erdu  sa  puissance  de  séduction,  chacpic  Réveil  présente 
un  thème  religieux,  qui  laisse  à  l'arrière-plau  la  complexité  de 
la  théologie,  et  qui  ramasse  pour  ainsi  dire  toute  la  puissance 
éparse  de  la  religion,  en  quelques  idées  essentielles,  en  mie 
courte  doctrine  du  salut.  Un  appel  violent  est  adressé  à  la  ter- 
reur ou  à  l'amour.  C'est  ainsi  qu'Edwards,  en  prêchant,  contre 
l'Arminianisme  qui  avait  peu  à  peu  gagné  les  puritains  venus 
d  Angleterre,  la  corruption  absolue  et  la  prédestination,  susci- 
tait d'abord  la  terreur  pour  la  taire  tout  d'un  coup  disparaître 
dans  la  conlianee  rédemptrice.  D'abord  l'angoisse  du  péché, 
l'épouvante  de  l'impuissance,  puis  la  délivrance  gratuite  et  irré- 
sistible. On  comprend  l'ellet  psychologique  d'un  tel  schéma, 
(jui  incpiiète  les  non  convertis  par  l'idée  de  la  possibilité  d'une 
conversion  malgré  eux,  et  qui  anuMie  ceux  (jui  désirent  être 
convertis  à  noter  les  moindres  changements  all'ectit's  qui  se 
pourraient  interpréter  comme  signes  de  la  régénération  (2). 


'I  Bkciithrkw  monlre  comment  en  Russie  la  pn^dication  insensée  de 
Maliovaiiny  se  trouve  catirer  avec  les  besoins  d'une  population  tarée,  d'une 
excessive  instabilité  nii'iilalc,  d'une  crasse  ignorance,  assoillée  d'un  idéal 
quelcoïKjue,  dont  elle  était  aijsuluuicnt  privée.  {La  Sii<rfrcsli<)/i,  2114. 

(2'  C'est  Edwards  lui-même  qui  a  écrit  :  «  Une  loi  reçue  et  établie  pat  le 
consentement  commun  a  une  grande  inlliience,  —  quoique  iiisensible  à  beau- 
coup de  personnes,  —  sur  la  l'ormation  de  leurs  notions  quant  à  leur  propre 
expérience...  Très  souvent  leur  expérience  apiiarail  d'abord  comme  un  chaos 
confus;  jiuis  elles  y  démêlent  les  cléments  qui  ont  le  plus  de  rapptirl  avec 
les  états  d'esprit  qu'on  leur  a  présentés  comme  indis|)cnsables.  Leur  atten- 
tion se  pKrlc  sur  ces  éléments  dont  ils  parlent  cl  reparlent  jusqu'à  les  l'aire 
ressortir  toujours  plus  clairement,  taudis  (|iie  les  éléments  néfjlij^és  s'clFa 
cent  toujours  davantage.  C'est  ainsi  (ju'ils  sollicitent  peu  a  i)eu  leur  ex|>é- 
ricucc  personnelle   pour  la  rendre   exactement   conforme    au    type   imprimé 


-(i  I.A    HKI.K.ION    ET    LA    KOI 


a  On  est  un  sainl  par  cll'roi  de  se  découvrir  un  réprouvé.  »  lilt 
(piandee  seliéma,  pratiqué  quelque  tem|)S  et  à  la  rigueur,  abou- 
tit à  son  tour  à  la  Corme  extrême  (pii  raimiliile  et  à  une  nou- 
velle torpeur  religieuse  (i),  Finncy  tente  la  fortune  du  thème 
contraire  et  met  l'accent  sur  la  liberté  et  la  justice  par  les 
œuvres.  Chacune  de  ces  conceptions  aboutit  à  une  systémalisa- 
lion  prati([ue.  à  un  code  stéréotypé,  qu'appliquent  de  nom- 
breux disciples  ou  épigones.  Un  certain  style  de  réveil  s'ins- 
talle ainsi  pour  un  temps.  Ainsi  les  conversions  de  Réveil 
rellèlent  cette  théologie  :  elles  sont  la  combinaison  d'une 
théologie,  de  l'action  personnelle  d'un  prophète,  de  l'ex- 
citalion  d'une  foule  et  des  dispositions  mentales  d'un 
sujet  (-2). 

('oe  a  bien  mis  en  lumière  la  grande  suggestibilité  des  con- 
vel'tis  des  Réveils.  Il  a  montré  en  particulier  que  dans  un 
groupe  de  dix-sept  personnes  (pii  attendaient  du  Réveil  une 
transformalion  radicale  et  qui  l'ont  éprouvée,  douze  étaient  de 
grands  émotifs;  que  dans  un  groupe  de  dou/c  autres  qui  se  sont 
montrées  réfractaires  à  cette  transformation,  pourtant  atten- 
due, il  y  avait  neuf  sujets,  chez  qui  l'intelligence  ou  la  volonté 
prédominaient.  Les  convertis  étaient  des  sujets  qui  avaient 
présenté,  antérieurement  à  leur  conversion,  des  automatismes 
sensoriels  ou  moteurs  :  songes  frappants,  photismes,  senti- 
ment de  présence,  voix  intérieures,  hallucinations,  idées  d'in- 
fluence, rire  irrésistible,  frissons  violents,  etc.  L'examen  les 
montre  nettement  suggestibles  et  même  décèle   une  certaine 


dans  leur  esprit.  De  leur  côté  les  ministres,  ayant  affaire  à  des  personnel 
qui  insistent  sur  la  nécessite  des  distinctions  jjrccises  et  des  niétljodei 
claires,  sont  amenés  à  procéder  de  la  même  façon.  »  (Treutise  concerning  llu 
relif(iou.<t  ajlectiotia  ) 

I  La  doctrine  de  la  prédestination  aboutit  en  droit  et  parfois  en  lait  j 
la  négation  de  toute  ajtologétique;  si  le  salût  est  un  don  gratuit  de  Dieu,  il 
n'est  ni  permis,  ni  possible  à  l'homme,  de  convertir  son  semblable. 

(2    S'il  était  besoin  d'insister,  nous  trouverions  de   nombreux  faits   con 
firmatifs  dans  l'élude  des  pèlerinages.    Voir  sur  le  pèlerinage  de  La  Mecqu 
Gauokfroy-Di:.mo.miiv.nks,    le^  InstitntioiiH  inusulnianes,  96.) 


i.K  ci.i.ri-:  'j'j 

I  (»i  [(.spoïKlaiicr    (Mire    la   forme   de    k'iir    siiggcstibilil»'    cl   le 
1)1  11  me  de  leur  ex[)érienee  relii^ieuse  (i). 

C'est  ainsi  (jne  la  solitude  détait  souvent  l'action  de  la  fouie, 
Cela  seul  est  durable  que  l'individu  élabore  de  lui-inènie  dans 
la  solitude  :  cela  seul  ([u'il  accepte,  continue  et  refait.  Les 
meneurs  (jui  sont  les  produits  de  la  foule  dis[)araissent  ;  les 
convertis  par  action  de  la  foule  retombent.  L'exaltation  collec- 
tive, l'etfervescence  sociale  ne  sont  point  créatrices  par  elles- 
mêmes  et  pour  longtemps;  du  reste  elles  tombent  vite;  c'est 
de  l'idée  qui  traverse  la  foule  que  vient  tout  ce  qui  persiste, 
tout  ce  (]ui  survit  à  la  foule  (2);  de  l'idée  aussi  (pie  vient  la 
valeur  des  chefs;  c'est  elle  ([ui  sépare  les  grands  mouvements 
créaleurs  des  mouvements  confus  des  foules.  Gela  seul  dure  et 
s'im|)()se  (jui  a  valeur  humaine  et  qui  peut  subir  l'épreuve  de 
l'homme.  Peut-être  en  est-il  de  même  de  la  société  organisée, 
iniiniment  plus  puissante  pourtant  ;  sa  solidil,é  repose  après 
tout  sur  l'acceptation,  le  contrôle,  l'élaboration  de  l'individu, 
sur  sa  convenance  à  sa  nature,  à  ses  aspirations  et  à  ses 
besoins:  elle   est    un  équilibre  de  deux  forces. 


* 


Vax  face  île  ces  foules  passionnées,  des  chefs  ardents.  Tous 
ceux  (pie  l'on  a  étudiés  de  près  présentaient  plusieurs  carac- 
tères, dont  quel([ues-uns  ont  été  bien  signalés  par  Coe  : 

(i)  Coi;,  Spiritual  Life.  Kaltenhacli  montre  que  c'est  l'adolescence  qui 
fournil  les  plus  forts  contingents  de  convertis.  D'après  Bois,  20  0/0  des 
alit'ués  admis  dans  les  asiles  du  i)ays  de  Galles  dans  les  derniers  mois  de 
igol)  t'iaicnt  îles  participants  du  Réveil. 

Ro},'ues  de  Fnrsae  constate  un  peu  rapidement  <pic  le  cliilfre  des  entrées, 
par  suite  d'alcoolisme,  a  baissé  et  (jue  le  chiffre  des  psychoses,  par  exalta- 
lion  religieuse,  a  monté. 

Ja.m:t,  Mcdicdtions,  III,  iGo,  écrit  :  «  Il  est  ,i)rol)aI)le  que  les  prétendus 
convertis  dont  parle  W.  James  étaient  tout  simplement  des  dé|)rimés  mécon- 
nus qui,  au  cours  des  cérémonies  religieuses,  sous  des  iniluences  quel- 
con(jues,  présentaient  des  phénomènes  d'excitation  plus  ou  moins  durables 
et  ilrs  sentiments  de  joie  inelfable.  » 

^a)  (Juand  le  Héveil  répond  à  des  conditions  profondes,  il  laisse  après  hii 
une  secte  capable  d'adronter  au  moins  pour  un  temps  l'opposition  de  l'Eglise 


7^  I  A    KKI.IGION    ET    I.A    FOI 

i"  D'abord  1  cxtrc-iiu'  ôniolivilé.  Eux  aussi  souvent  se  sont 
convertis  lu'iisquement  ;  ainsi  \Vesley,  ainsi  Finney,  Robeiis. 
In  Kvan  Hoherts  se  sig:nale  par  i'émotivilé  extrême,  la  niohi- 
lilé  anormale  des  idées,  l'impulsivité  des  réaclions. 

'2"  Le  besoin  et  le  sens  profond  de  la  foule;  la  puissance 
de  siiffirestion.  Les  cliefs  du  réveil  gallois,  en  dehors  du  réveil, 
étaient  ternes  et  ne  i>ouvaient  exercer  leur  fonclion  qu'à  condi- 
tion d'être  excités  sans  cesse.  Evan  Roberts  est  conduit  par 
l'assemblée,  au  moins  autant  qu'il  la  conduit.  Roberts  laissait 
son  meeting  s'échauirer  avant  de  venir  :  il  le  tàtait  avant  de 
parler,  dans  une  apparente  inditlerence  et  dans  une  attentive 
immobilité,  il  l'examinait  soigneusement,  s'appliquait  à  discer* 
ner  les  esprits,  c'est-à-dire  à  localiser  les  zones  d'acquiesce- 
ment ou  de  résistajice.  Il  se  préparait  ainsi  plutôt  afïectiveinent 
<ju"intellectuellcment.  Suivant  son  propre  témoignage,  souvent 
il  ignorait,  quand  il  commençait  à  prêcher,  ce  qu'il  allait  dire. 
Il  «  empoignait  »  alors  l'assemblée  par  les  grandes  mises  en 
scène  où  il  portait  ses  péchés  et  les  souffrances  de  Jésus. 

Le  chef  de  la  foule  a  parfois  de  la  grandiloquence   ou  de 
1  outrance  qui  lui  viennent  inévitablement  du  sentiment  qu'il 
est  dominé  par  une  puissance  qui  le  dépasse.  A  la  fois  sugges- 
tionneur  et  fasciné,  il  est  prêt  à  revêtir  des  caractères  divers 
au  contact  de  la  foule.  C'est    la   multanimité  de  Rossi  (iV  Le 
meneur  est  conduit  lui-même  par  les  aspirations  secrètes  de  Iîl 
foule.  Très  souvent  il  subit  de  la  part  de  son  auditoire  un< 
véritable  contagion  qui  lui  fait  dire  bien  des  choses,  pour  lu 
impr«'vues.  Il  lit,  au  fur  et  à  mesure,  dans  l'attitude  de   ceui 
(|ui  l'écoutent.  les  mesures  prochaines  de  sa  musique  oratoire 
Sa  propre  certitude  lui  revient  en  écho. 

Comme  l'orateur,  il  n'est  point  dans -le  monde   des  purej 
id«^s,  mais  bien  dans  le  monde  des   réalités  passionnées;   soi 


officielle;  à  condition  bien  entendu  que  cette  secte  s'organise  comme  lavai; 
&i  vivement  «ompris  Wes.ley. 

(1    Les  Sugffestionneurs  et  la  Foule,  l'aris,  Micbelon,  1904. 


I.K    CUl-TK  79 

,i|>|n'l  a  qucNjue  chose  de  dirccl,  <le  vécu:  un  Iioninic  (jui 
-  adresse  à  des  hoinnios  ;  un  lioinme  qui  a  lonipu  avec  les 
.(inveiilions  ou  qui  les  domine  et  qui  va  droit  à  l'homme;  (jui 
.1  I  ail  el  l'impudeur  <r()ser  el  de  frapper  Ibrl.  Celte  audace  peut 
se  parer  ou  s'envelop[)er  de  (lualilés  très  diverses,  force  et 
énerii:ie  ou  bien  rondeur  et  familiarité  de  manières,  charme 
insinuant,  et  s'aider  de  qualités  lechni(pies  très  diverses.  Si  la 
puissance  intellectuelle  et  morale  y  concourent,  on  a  le  i^rand 
chef.  Ce  sont  elles  surtout  qui  font  les  difîérences  entre  les 
au:itatcurs,  avec  le  thème  du  réveil. 

Ainsi  s'établit,  par  oscillation  et  va-et-vient,  1  adhésion 
d'abord  presque  physique  de  l'auditoire  qui  se  laisse  emporter 
par  la  musiqne  <lu  discours.  A  mesure  que  l'orateur  s'anime  et 
que  ses  gestes  dessinent  plus  fortement  sa  pensée  et  son 
émotion,  les  auditeurs  attirés  à  l'intérieur  de  ce  mouvement 
adoptent  le  rythme  de  l'émotion  (r). 


Le  culte  extaticpie  peut  s'organiser,  c'est-à-dire  créer  des 
pratiques  cxtali(|ues  qui  se  répètent  et  qui  durent  ;  soutenues 
au  besoin  par  des  procédés  ascétiques  ou  orgiasti(|ues,  macé- 
rations, intoxications.  L'excitation  est  ici  dirigée  par  le  rite, 
provocjuée  et  développée  selon  les  règles  d'un  culte.  Il  s'agit 
toujours  «le  produire  des  états  confus  qui  se  prêtent  à  une 
iutciprétalion  spirituelle,  et  qui  apparaissent  au  sujet  comme 
la  forme  la  plus  élevée  de  la  comuumion  avec  la  (li\  iiiiti-  ci). 
La  prédisposition  des  sujets  assure  au  rite  sa  pleine  eflicaee. 


il)  «  Et  quand  rpspcolueiisciupnl  il  allait  de  sa  stalle  à  l'aiilel.  Ic>  plis  de 
son  lonj,'  .surplus  flottant  avoi"  une  sorte  de  rjllmio.  il  eoncentrait  l'attention 
au  point  de  créer  le  sentiment  qu'il  nous  menait  tous  prendre  part  a  un  acte 
d'une  sainteté  spéciale.  >.  (Kinsman,  Snh-e  Mater,  cité  |tar  IVmii  roi.,  Ffiules, 
1930,  9G3.1 

(2;  Voir  noln-  élude,  le  Mjslirisinc  cl  la  lU-Ugioii  (Scieiilia,  itjij  .  Les  confré- 
ries nuisulmanes  fourniraient  de  nombreux  exeni7)les  de  pratiques  extatiques. 


8o  I.A    UELKIIO.N    KT    LA    FOI 

Le  ciillc  c\lali(iuo  repose  sur  l'exeilutioii  de  tous  et  d 
chacun:  sur  lexcilation  de  tous  qui  se  transmet  à  chacun,  par 
le  mécanisme  (jue  nous  avons  analysé;  et  aussi  sur  l'apport 
propre  de  chacun,  sur  sa  g^esticulalion  et  l'ivresse  motrice 
qu'elle  produit:  danses  sacrées,  chants  sacrés,  étourdissement 
du  mouvement,  trouble  des  gestes  et  des  cris,  musique  verbale 
cl  musculaire,  impression  de  vie  surabondante  et  folle,  joie 
é])erdue,  oubli,  commencements  d'infini;  un  vertige  complaisant 
qui  s'oll're  à  la  foi  et  à  qui  la  foi  |)rescrit  ses  formes.  On  réalise 
en  dansant  les  objets  de  sa  foi.  De  telles  pratiques  délient  le 
croyant  de  son  corps  et  livrent  ce  corps  à  son  Dieu. 

A  mesure  (pie  le  sujet  s'excite,  il  sent  qu'il  se  divinise,  son 
excitation  prend  la  ligure  de  son  rêve.  Le  trouble  sensoriel, 
le  désordre  nnisculaire,  l'agitation  confuse  déclenchent  l'obnu- 
bilation  confuse  d'oii  émergent,  comme  d'un  fond  insondable, 
les  inspirations  et  les  grands  élans  affectifs. 

Mais  il  est  trop  clair  que  cette  ivresse  sensorielle  et  motrice 
est  supportée  et  fécondée  par  l'interprétation  spirituelle.  Une 
machinerie  ascétique  et  orgiastique  concourt  à  la  produire; 
elle  serait  vaine  ou  de  bien  court  effet,  si  le  sujet  en  quête 
d'infini  n'orientait  son  trouble  par  une  sorte  d'abstraction 
sentimentale,  par  une  direction  d'intention,  par  la  fixation  de 
la  pensée  et  par  la  méditation.  ?sous  retrouverons  la  question 
à  propos  du  Mysticisme.  Qu'il  nous  suffise  ici  d'avoir  signalé 
la  part  de  cette  agitation  extatique  dans  la  formation  de  la  foi, 
et  l'interaction  inévitable  des  deux  termes. 


i 


Dans  les  jeux  sacrés  et  dans  les  fêtes,  le  thème  de  la  foule 
s'unit  aux  motifs  précédents.  Si  l'habitude  journalière  amortit 
les  rites,   la  fête  les  ravive.   Elle  est  renversement  de  la  vie 


I.K    r.UI.TK  8l 

(inolidiomio,    et    souvenl    réaction    d'iine    pénitence;    elle    est 
allliix  (l'héroïsme,  de  poésie,  de  sensualité. 

r*l.ie(''e  au  j)()int  eriticjue  de  la  vie  relip;ieuse  et  de  la  vie 
naturelle,  elle  associe  la  relip^ion,  le  rythme  de  la  nature  et  de 
raelivité  sociale.  Elle  reforme  le  groiipe,  elle  rehausse  l'in- 
dividu. Klle  est  la  commotion  de  runauime,  Texaltation  de 
l'activité  publicpie,  la  Société  en  acte.  Elle  accomplit  les 
rites  dans  une  atmosphère  de  solennité  et  d'excitation  (jiii 
leur  donne  leur  pleine  valeur,  ou  bien  elle  met  en  ceuvre  un 
rituel  exceptionnel,  siui^ulièrement  sui^f^estil".  Devant  la  foule 
exaltée,  le  rituel  se  développe  en  représentation  solennelle,  et 
la  force  impressive  du  drame  se  renforce  de  toute  la  commé- 
moration. Les  dieux  sont  présents  et  leur  puissance  sentie 
donne  une  nouvelle  vigueur  à  la  force  opérante  des  sacrements. 


LES    VARIETES    PSYCHOLOGIQUES 

La  foi  implicite  est  celle  de  beaucoup,  et  l'on  en  trouverait 
partout  (pu'lcjue  trace  ;  elle  accompagne  aussi  et  soutient 
même  chez  les  âmes  supérieures  les  formes  supérieures  de  la 
foi.  L'l']glise  est  plus  u^rande  cpie  ses  fidèles;  une  reliiçion 
déhorde  l'expérience  reliu;ieuse,  ol)lij2;ée  de  s'en  remettre  à 
l'Eglise  et  d'adhérer  implicitement  à  sa  parole.  Il  serait  aisé  de 
montrer  (juil  en  est  de  même  de  toutes  les  religions  (i). 

Certains  individus  s'adaptent  si  exactement  à  leur  religion 
(|ue  leur  jx'rsonualilé  est  eonnne  absorbée,  (juils  n'éprouvent 
jamais  le  moindre  trouble,  ([u'ils  ne  remarcpient  jamais  la 
moindre  dillerenee  entre  leur  propre  expérience  et  les  symboles 
traditionnels;  cela  peut  venir  sans  doute  d'une  harmonie  par- 
faite, mais  cela  vient  plus  souvent  d'une  passivité  extrême,  dune 
plasticité  telle  ipie  l'accommodation  exacte  au  milieu  ne  laisse 


ni  I.c  livn-  dr  La  Vai.i.i.i:  l'orssiN  [ISoiuldUisine  ,  en  l'oiMiiir;iil  il'cxccllculs 
exempU's. 


8a  LA    RELIGION    ET    LA    FOI 

p;is  subsister  d'iiiitiativo  iiidividuello  (i).  D'autres  resseï 
li'iit  parfois  un  k'ixei"  lunirl  ;  devant  mi  doi^nio  ou  une  praliqu( 
uni'  hésitatit)u  s'éveilU'  et  j)ourtaut  no  se  Ibrnmle  pas  en  un 
doute  préeis;  il  y  a  des  doules  implieites  comme  il  y  a  des 
croyances  implicites.  D'autres  iemar([ueiil  ce  doute,  cette  dill'é- 
rence.  mais  ils  en  ont  horreur  ;  ils  ont  peur  de  se  trouver  tout  à 
coup  dans  une  région  de  libre  examen,  oîi  ils  seraient  aban- 
donnés à  eux-mêmes  et  ils  se  rejettent  en  hâte  à  la  croyance 
coulnmière.  Il  y  a  qui'hpu'fois  de  la  lâcheté,  de  l'insincérité,  de 
la  malhonnêteté  intellectuelle  dans  ces  retours;  quelquefois 
aussi  le  contraire.  L'expérience  personnelle,  le  libre  choix 
peuvent  conduire  l'homme  à  accepter  la  religion  traditionnelle; 
à  garder,  par  exemple,  la  foi  dans  laquelle  il  a  été  élevé  ;  il  se 
(lira  souvent  (pion  vit  dans  une  forme  de  vie  spirituelle  comme 
on  parle  sa  langue  maternelle;  que  les  efforts  du  groupe 
humain  dont  il  relève,  ne  sauraient  être  totalement  vains,  que 
l'expérience  individuelle  n'a  de  valeur  qu'autant  cpi'clle  s'ac- 
corde avec  une  tradition.  C'est  ainsi  que  la  valeur  tradition- 
nelle, nationale,  sociale  d'une  religion  peut  survivre  à  sa  valeur 
religieuse. 

C'est  le  thème  ([ne  Renan  a  magniliquement  dévelop[)é  dans 
Patrice  :  «  Quand  le  catholicisme  se  pose  comme  la  forme  reli- 
gieuse de  la  société  où  je  suis  né,  comme  la  forme  religieuse, 
sinon    la  plus  parfaite,    du   moins   la  plus  appropriée   à   cette 


(I  Voir  LAifi.nTiioNMKiMî,  l'Inlosojihie  relii^iense,  2^1  ;  «  (Jeux  <jui  reroiv cnl 
rensc-ij,'n«-iiienl  iclif^icux  av«'C  une  dofilité  de  cire  molle  qui  so  laisse  pétrir 
sans  (lu'aufuiic  opposition  a|)parenle  surgisse  du  lond  de  leur  âme,  sans 
qu'un  cri  de  le\ir  nature  leur  révèle  à  eux-mêmes  qu'il  y  a  en  eux  qiu-lque 
chose  à  meurtrir,  pcjur  ceux-là  il  y  a  tout  lieu  de  craindre  (ju'ils  ne  le  reçoi- 
vent qu'à  la  surface  de  leur  être,  qu'ils  ne  s'en  |»énètrent  pas  et  <|u'ils  n'en 
comprennent  ni  le  sens,  ni  la  portée.  Leur  docilité  n'est-ellc  pa.s  de  l'inerUe'.'  » 

"  L'opposition  incite  et  sourde  des  passifs  et  des  irrcflccliis  (jui  ne  sont 
chrétiens  que  par  des  habitudes  extérieures  est  elle  moins  contraire  au  régne 
du  Christ  <|ue  la  révolte  ouverte  et  consciente  des  orgueilleux  qui  se  dres- 
sent contre  la  vérité'?  ■> 

«  Ceux-là  ne  traversent  pas  de  crise  sans  doute  ;  mais  c'est  qu'au  fond, 
quelles  que  .soient  les  apparences,  la  chair  eu  eux  ne  s'est  laissée  jamais 
entamer  [)ar  l'esprit.  » 


f 


i.i;  cLi  II;  S3 

xxhIc.  cuiisidci  iiiil  (1  une  paît  ([uv  la  i('li;,Mon  est  mi  oli'inoiil 
lU'iTs.saire  (U*  loiilo  sociôlé.  do  l'auirc,  (jiic  la  relii^ion  ne  s»' 
eonvoit  pas  pour  un  peiipk-  sans  une  foiine  particulière  et  plus 
ou  moins  étroite,  {l'une  autre  enlin,  (|iie  le  eatliolicisnie  est 
eette  l'orme,  je  suis  ramené  à  pouvoir  me  diie  eatiioli(pie,  non 
pas  i\iw  je  eède  un  seul  des  droits  imprescriptibles  de  la 
science,  mais  paixe  (jne  je  ne  veux  pas  m'isoler  de  la  société  où 
le  sort  ma  lait  naître  et  qu'après  tout  nos  pères  ont  ainsi 
ador»'  (i).  » 


!■  Patrice,  p.  47:  ft  aill(Ui'>  ;  »  N'y  auruit-il  jjîis  rjuclcpic  moyen  d'<"tre 
eatlialii|ue.  s^ins  croire  au  catliolieisme  ?  Car,  d'une  part,  j  ai  envie  île  pouvoir 
m'appc'Ici-  catliolicpie,  et,  d'autre  part,  il  m'est  alisolument  impossible  de 
proii-e  en  bloc  tout  le  catliolieisme...  Si  j'avais  un  esprit  moins  rif^oureux,  je 
i'ti'iaisun  voile  sur  ces  points  épineux  et,  adhérant  à  l'ensenjble  du  système, 
■  iirrais,  eonime  tant  d'autres,  m'appeler  catholi(|ne,  tout  en  étant  licri'- 
,  •  sur  une  fouie  de  points  de  détail.  >>  (45  il  y  a  de  plus,  dans  Patrice, 
liderijiu-  la  relii,'ion,  fausse  dans  son  objet,  est  vraie  comme  sentiment,  comme 
reli^'ion  en  {jfénëral,  au  dessus  des  formes  où  elie  s'exprime.  Dans  tous  les 
ca>  lie  ce  jceiire.  le  lidèle  demeure  relié  à  sa  relifjion  par  des  motifs  d'oppor- 
Uiiiité  morale. 

Voir  l.oisY,  Ctiosi'n  passées,  p.  3o6.  «  Ce   matin,  en   récitant  les   prières   du 

missel,  j'avais  pres(|ue    le  désir    (jue    ce    fût  pour  la  dernière    fois.    Grois-je 

le  assez  pour  me  dire  catholique,   et  ce  que  je  crois  est-ii  catholique  ?  Je 

dans  l'J^ijIise  pour  des  motifs  qui  ne  sont   i)as  selon    la  foi  catholique, 

uai>  d  opportunité  morale.  Il  faudrait  peu  de  chose,  bien  peu    de  chose,  pour 

pie  je  ne  puisse  jias  honnêtement  continuer  mon  métier  de  prêtre.   Si  ce  peu 

arrivait,  je  n'en  serais  jtas  étonné,  je  crois  même  que  je  n'en  serais  pas  fâché.  •■ 

!.»■  même  Loisy  écrira   plus  loin  :  •<  Je  suis  décidé  à  travailler  et  à   servir 

l'Kfîlise  ijui  a  fait  cl  à  qui  appartient    léducalion    de  l'humanité.  Sans   renier 

sa   tradition,  et  à  eou<lilion  d'en  retenir  l'esprit  de  préférence  à  la  lettre,    elle 

reste  une    institution  nécessaire  et  la  plus  di^■ine  chose  qui  soit  sur  la    terre. 

Elle  a  (■a|»italis(-  les  subtilités  des  théologiens,    mais  elle  a    aussi  amassé    les 

principes    d'ordre,  de  dévouement,  de    vertu,   qui    j^arantissent    le    bonheur  à 

la  famille  et  la  paix  de  la  société.  Vouloir  aujourilhui  organiser  la  vie  morale 

a  diboiN  du    (Christ  et  de  l'Ejrlisc  serait  une  utopie.   « 

Bi.am:iikt  i-emarque  jusiement  (Campanelld,  lo'},  «  Combien  de  libres 
IMînscurs.  de  dissidents  et  tl'liérétiques  n'a  ton  pas  vus,  alors  que  leur  Intel 
ligeiiee  se  détachait  projçressivement  des  dojjmes,  conserver  conseienunent  ou 
i  leur  insu  des  sentiments  d'amour  ou  de  respect  pour  l'Ejrlise  qui  avait  su, 
;râce  à  .sa  forte  organisation,  grâce  à  l'iidhience  toute-puissante  des  cérémo- 
aics,  former  et  éduquer  leur  sensibilité,  et  tisser  dans  leur  cceur  les  liens 
liirables  d'un  tendre  attachement  pour  la  société  des  tidèle-»,  en  dehors  de 
laquelle  la  Aie  morale  l«'ur  semblait  désormais  inféconde  on  diminuée.  •> 

Ot  état  il'àme  est  de  tous  les  temps.  Pour  le  Ca-eilius  de  Mimt.hs  Fi:i.i\, 
Ions  son  ()ila\iiis.  la  reli<;ion  romaine  se  présente  comme  un  ensendde  «le 
raditions  vénérables.  au\(|uelles  la  grandeur  »le  Home  a  toujours  été  liée.  Li" 
iationali>mc  romain  Si)uliciil  la  Foi. 


84  l.V    UKLIGION    ET    I.A.    KOI 

Iiuiiqiunis  à  j^rands  (rails,  puisiiiic  nous  y  reviendrons,  lej 
diverses  foiiiies  du  développeineiil  relitçieux.  L'enfant  reroil 
sa  reliirion,  eomnic  il  i-eçoit  son  langag^e  ;  la  relii^ion  est,  cliea 
lui.  uii  développement  prématuré,  une  actualisation  qui  répon( 
peul-éire  à  certaines  virtualités,  mais  qui  les  dépasse.  La  fol 
enfantine,  ciuand  elle  existe,  est  le  plus  souvent  sans  examei 
et  sans  réserves.  Il  y  a  des  adultes  qui  gardent  la  foi  d^ 
l'enfant,  sans  hésitation  et  sans  trouble.  D'autres  s'y  attachent' 
avec  violence:  ce  n'est  pas  opinion,  c'est  opiniâtreté.  La  plu- 
part pourtant  la  transforment  à  leur  mesure.  11  y  a  ceux  qui 
sentent  qu'ils  devraient  la  mettre  en  question  et  qui  n'osent 
pas  :  ceux  cpii  la  mettent  en  question  un  moment  et  (jui 
reviennent  autonialitpiement  à  ré{[uilil)re,  qui  renoncent  à 
penser  :  ceux  f[ui  la  mettent  en  question  et  y  reviennent  libre- 
ment cl  par  adhésion  consentie;  ceux  ([ui,  par  suite  de  leur 
examen  et  de  leur  doute,  rejettent  certains  éléments  de  la  foi 
ancienne  et  se  taillent  ainsi  une  religion  à  leur  usage  ;  ceux 
qui  cessent  de  croire  sans  même  mettre  en  question,  simple- 
ment parce  qu'ils  changent  de  milieu  ou  d'habitudes  ou  de 
caractère  ;  ceux  qui  cessent  de  croire  parce  qu'ils  ont  mis  en 
question  et  rejeté  ;  ceux  qui  changent  de  religion  par  conver- 
sion rélléchie  ;  ceux  qui  se  convertissent  par  pression  exté- 
rieure, violente  ou  calme.  Et  toutes  ces  formes  de  déve- 
loppement religieux  ou  viri'éligieux  suivent  les  modalités 
générales  de  tout  développement  :  progressif  ou  par  bonds 
et  par  crises,  avec  des  phases  de  stabilisation  et  de  retour 
en  arrière  ;  déclin  et  dissolution,  retour  de  la  vieillessj 
aux  croyances  de  l'enfance,  stéréotypisation  de  la  foj 
etc.  (i). 


(i)  Arri;at,  dans  son  livre  sur  le  Sentiment  religieux  en  France,  distinifue 
quatre  espèces   de  croyants  :    les  eroyants  par   routine,    les    pratiquants  che| 
qui  le    sentiment  religieux    existe  vraiment,    les  croyants    qui  raisonnent 
qui  sentent  vivement,  et  enfin  ceux  qui  doutent,  usent  de  compromis,  et  sol 
prêts  à  se  détacher. 


i.K  cui.Ti:  85 


VERS     LES     FORMES    SUPERIEURES    DE    LA    FOI 

On  a  somciil  opposé,  du  point  do  vue  do  la  loi,  les  reli- 
f^ioMS  nalionak's  aux  irlij^ions  universalislcs  ;  le  rilualisme,  le 
li''f?dlismt'  dv  ces  culk's  à  la  loi  plus  profonde  des  religions 
de  1  esprit  (i).  D'une  laçon  plus  jj^énéiale  encore,  on  a  dit  que 
le  progrès  de  la  foi  seiail  lié  à  celui  de  l'individualisme  ;  dans 
les  sociétés  primilives  où  la  personnalité  humaine  n'est  pas 
encore  constituée,  tout  serait  social,  la  religion  comme  toul  le 
reste;  c'est  la  société  <jui  pense  à  travers  chaque  conscience 
particulière  ('i).  Au  contraire,  à  l'époque  chrétienne,  par 
exemi)le,  la  personnalité  individuelle  se  serait  dégagée,  et  la 
religion  serait  avant  tout  chose  intime  et  personnelle  (3).  Ce 
que  nous  avons  dit  de  la  foi  implicite  dans  son  rapport  avec 
les  Kglises  montre  qu'elle  n'est  pas  une  forme  de  foi  exclusi- 
vement propre  aux  cultes  nationaux.  D'autre  part,  s'il  est  vrai 
quelle  prédomine  dans  les  cultes  nationaux,  il  est  vrai  aussi 
que  CCS  cultes  manifestcnl  souvent  des  formes  supérieures 
de  foi. 

Mais  il  demeure  vrai  ([ue  la  foi  croyance  et  peut-être  cer- 
taines formes  de  la  foi  conliance  ne  s'épanouissent  amplement 
«lans    riiisloire    (pie    lorsque    la    religion    |)erd    son    caractère 


(i)Voir,  par  exciiiiile,  IJousset,  HV-scn  der  Rclii^^iuii.  — Voir  aussi  :  Relis^ion 
dca  Judt'ntunis,  j).  i75. 

2)  Si,  |>oiir  Chawlby  {Mystic  Rose)  les  tabous  [niiuilifs  niar(|uciit  une 
tcnlali\('  pour  .s'isoler  et  tenir  à  l'écart  les  lorces  rclij^icuses  ou  uiaf^iques,  et 
conliciinrut  |>ar  consécpicnt  un  };eruu'  d'in(li\i(lualisuic,  sijjfniliant  la  «  situa- 
tion insulaire  »  de  rin<li\iclu  à  l'intérieur  de  la  soeiété,  selon  Durkheiru,  au 
contraire,  le  principe  de  la  contaj^'ion  syuipatlii(jue,  qui  est  à  la  hase  di"  ces 
pratiques,  est  nianirestenicnl  la  néjratiou  de  toute  croyance  individualiste.  La 
tendance  de  lindividu  à  fuir  les  ra[)ports  avec  le  dehors  et  à  s'isoler  n'est 
qu'un  t'IIorl  liihori<ux  pour  écha|>pei'  à  ce  comniunisiue,  à  cet  inipersonna- 
lisiue.  (jui  l'eiiNeloppe  el  (jui  .s'iuipt)se  à  lui  a\ ce  une  nécessité  physique, 

("^  ^■Issl■.n^:n,  Rclifjiitn  iind  sozia(rs  Lcben  hei  deti  .\tituri'i)ll;crn,  it)ii  (Voir 
aussi  IIahnac.k  :  L'Essence  dn  Clirisliaiiisitte,  p.  i()'<  •  A  mesure  (jue  chaque 
Israélite  |)rend  conscience  d<'  son  indi\  idualité  au  milieu  de  son  peuple  el 
commence  à  concevoir  son  peuple  comme  une  somme  d'individus,  la  t'ornie 
jK'rsonnelle  de  la  foi  en  la  Providence  apparaît  à  côté   de  la  forme  politique. 


8G  l.A    HKLIGIOX    KT    LA    lOI 

national  v\  se  (lôvi'loppe  on  Mglisr  :  auparavant,  la  foi  csl  sur- 
tout une  allitude  cl  une  habitude  qui  va  do  soi,  ([ui  est  impli 
quée  dans  lonsemhlo  do  la  vie.  Quand  IKiçlise  apparaît,  il  si 
orouso  un  ahîmo  outre  les  croyants  et  les  incroyants;  le  plein 
don  do  soi-niènio  à  la  religion,  l'adhésion  explicite  à  une  profes- 
sion de  foi  deviennent  nécessaires,  jusqu'au  moment  où  la  foi 
danslKglise  tend  à  se  substituera  la  foi  que  l'Eglise  avait  éveil- 
lée. 

Pour  montrer  rapidement  la  coexistence,  avec  les  cultes 
natioiuiux,  de  formes  supérieures  de  foi,  il  suffit  de  rappeler, 
à  l'époque  classique  de  la  Grèce,  la  contiance  dans  les  dieux  (i), 
et.  dans  le  judaïsme,  la  foi  des  prophètes  :  l'obéissance  à  la  loi  n'y 
est  pas  seulement  observance  extérieure,  elle  est  aussi  obéis- 
sance du  c(our,  soumission  intérieure  (2);  c'est  ce  que  saint  Paul 
appellera  du  zèle  pour  Dieu,  mais  du  zèle  sans  connaissance.  Il 
est  probable,  au  reste,  qu'avec  le  déclin  de  la  fortune  nationale, 
la  Foi  est  devenue  plus  spirituelle  et  plus  individuelle. 

Il  y  a  un  moment  de  Thistoire  oîi  Ton  assiste  au  rapide 
épanouissement  de  ces  germes;  c'est  l'époque  de  la  dissolution 
ot  de  la  transformation  des  religions  antiques.  Et  d'abord  les 
Mystères.  Au  lieu  que  les  religions  nationales  poursuivent  des 
intérêts  collectifs,  de  caractère  temporel,  l'ordre  et  la  fortune 
de  la  cité,  les  cultes  des  mystères  concernent  avant  tout  le  bien 
s[)iriluel  dos  individus,  leur  immortalité  [)orsonnelle,  qu'ils  ont 
la  prétention  de  garantir,  ot  ils  se  préoccupent  aussi  de  leur  vie 
intérieure;  en  même  temps  les  mythes  se  transforment;  les 
dieux  deviennent  des  dieux  sauveurs,  dont  la  mort  et  la  renais- 
sance sont  le  principe  de  la  régénération  spirituelle  et  morale 


I    Voir  CriKAHD,  Le  Sentimenl  religieux  en  Grèce.  I 

(2)  Saf^esne.  lô,  2.  3.     «>  Te   connaître  csl  toute  la  justice  et  savoir  ta   force 

est  la  racine  <lc  limmortalité.  ■>    i  Macvh.  a,  5i,  to.  (Voir  Bousset,  lieligion  des 

Judentiiina,  p.  i^â.) 

Ehman,  Lm  lieligion  égyptienne,   1907,  p.   118,  montre,  sur  des  documents 

décisifs  ce  mouvement  de  piété,  d'amour  personnel  et  de  confiance   pour  le 

Dieu,  à  la  fin  du  Nouvel  Empire. 


LE    CUI/PK  8^ 

des  honiines.  en  mémo  temps  que  de  la  vie  de  la  nature  (r).  La  foi 
devient  un  acte  personnel,  une  identilication  avec  le  Dieu  dont 
on  attend  le  salut,  elle  est  cultivée  par  l'extase,  appuyée  sur 
des  traditions  (2).  Rappelons  les  mystères  d'Eleusis:  la  toi  à 
l'immortalité  bienheureuse,  le  salut  par  la  foi,  soutenu  par  les 
œuvres  et  par  la  connaissance  des  recettes  map^icpies  qui  permet- 
tent à  l'initié  de  s  orienter  dans  le  pays  des  morts;  rappelons  la 
religion  dionysiaque  et  l'orphisme  (3),  rappelons  les  mystères 
d'Isis  et  de  Milhra  (4)- 

Les  (lieux  des  Mystères,  Isis  et  Osiris,  Adonis,  Attis  et 
Cyl)èle,  Mithra,  Dionysos,  Tammouz,  dieux  venus  après 
d'autres  dieux,  représentent  une  épuration  et  une  spiritualisa- 

in  LoisY,  Les  Mystères  païens  et  le  Mystère  chrétien. 

al  Reitzknstein,  Die  Jwllrnistischen  Mysterienreli^ionen,  1910. 

3)  Ghcim'K,  Griechische  Mythologie.  II,  a  bien  montré  comment  la  religion 
classique  de  la  Grèce,  la  «  relijfion  de  l'Art  »  a  été  prolondément  affectée  par 
la  transformation  politique  de  la  société  grecque  après  Philippe  et  Alexandre  ; 
c'était  une  religion  de  cités.  La  société  civile  et  la  société  politique  fournis- 
saient les  cadres  de  la  société  religieuse;  la  vie  se  relira  presque  entière- 
ment de  cet  organisme  politi(jue  défaillant,  et,  par  suite,  de  la  forme  corres- 
pondante «le  religion.  Au  contraire,  les  libres  groupements  religieux,  thiases, 
sociétés  or|)lii(jues,  tjui  vivaient  obscurément  dans  le  sous-sol  de  la  société 
anti({ue  et  i)res(|ue  en  dehors  de  la  cité,  se  fortifièrent  à  mesure  -que  le 
reste  déclin:iit.  I)où  la  nouvelle  lloraison  de  ror[)hisme.  Dans  le  crépuscule 
des  dieux  (dympiens,  Dionysos  et  l'Orphisme  établirent  leur  empire  sur  les 
âmes.  D'autre  part,  les  sociétés  nouvelles,  formées  du  mélange  des  nations 
et  des  civilisations,  tendaient  vers  une  religion  .syncrétiquc.  L'unilication  du 
monde  par  riiellénisme,  puis  par  l'empire  romain,  a  ])réparé  l'avènement  de 
cette  forme  de  vie  religieuse. 

1^  CiMoNT  :  les  lU'lii>ions  orientales  dans  le  paganisme  romain,  a  explicjué 
avec  beaucoup  de  pénétration  l'expansion  des  mystères  barbares  à  Rome  : 
l'extalisme,  l'émotionalisujc  violent,  l'accablement  et  lallcgresse  des  dieux 
qui  meurent  et  qui  renaissent,  contre  le  caractère  prosa'ique  et  légaliste  de 
la  religion  romaine;  une  théologie  compliquée  et  raflinée  contre  une  religion 
réduite  à  un  système  de  rites  inintelligibles;  la  richesse  et  l'abondance  des 
cérémonies  rituelles,  des  mortifications  et  des  pénitences,  la  puissance 
morale  du  clergé;  la  conquête  de  la  pureté  perdue,  la  sanctification,  liuinior- 
lalité;  l'intériorité  contre  la  religion  civique  forme  de  l'esprit  <le  famille 
et  ilu  patriotisme;  ti>ut  cela  du  reste  soutenu  et  porté  par  le  mélange  des 
peuples,  par  les  grands  courants  commerciaux  et  sociaux,  par  l'unité  romaine. 

(^uniont  montre  très  bien  comment  cet  esprit  nou\eau  était  plus  éloigné 
du  culte  ({n'avait  prétendu  restaurer  Auguste,  que  du  christianisme  qui  le 
combattit  et  comment  il  prépara  tous  les  peuples  à  se  réunir  dans  le  sein 
d'une  Église  universelle. 

L'élaigissement  des  religions  anti«jues  a  aussi  pour  cause  la  ruine  des 
iclés  antiques,  l'indifférence  des  dieux  locaux  qui   ont  laissé  périr  leur  ville. 


88  I-A    HELKIION    ET    I.A    FOI 

tion  dos  vieilles  rclifîions  :  de  rite  puieiiient  map:ique  le  saci'i 
lice  d'Osiris  est  devenu  sacriliee  volontaire  et  rénovation  d 
Ihommc;  un  moyen  d'échapper  à  la  mort  est  devenu  l'identili 
cation  avec  un  Dieu  sauveur,  rédempteur  et  justicier,  sacrifi 
pour  les  hommes  et  qui  les  rachète  par  ses  soullrances  (i) 
Heg^el  déjà  avait  bien  vu  qu'Osiris,  qui  représente  bien  de 
choses,  l'année,  le  soleil,  le  Nil,  meurt  et  renaît  de  la  mort  d^ 
la  nature  comme  être  spirituel,  qu'il  est,  en  même  temps  que  1( 
Seigneur  des  morts,  celui  qui  a  vaincu  la  mort,  le  juge,  le  droii 
et  la  moralité;  la  nature  qu'il  contient  est  toute  pénétrée  d'es 
prit.  De  l'exaltation  tumultueuse,  de  Fextatisme  violent  qu 
accompagnent  la  renaissance  de  la  végétation,  s'est  dégagée 
une  aspiration  ardente,  ascétique  et  sensuelle,  vers  des  forcei 
à  la  fois  plus  cosmiques  et  plus  liumaines  ;  les  dieux  qu; 
meurent  et  qui  renaissent  sont  des  dieux  du  salut,  qui  sauven 
leurs  fidèles  en  les  identifiant  avec  eux.  Leur  histoire  es 
l'histoire  de  la  Nature  et  l'histoire  de  l'Ame.  Nature,  Ethique 
Mysticité,  joignent  leurs  thèmes  pour  l'hymne  final  de  résur 
rection  et  de  rédemption. 

En  même  temps,  cette  spiritualisation  progressive  a  con- 
tribué au  syncrétisme  religieux  que  rendaient  nécessaire  l 
mélange  des  nations,  le  mouvement  de  l'Orient  vers  l'Occi- 
dent, la  mission  universelle  de  Rome;  un  thème  unique 
aisément  intelligible,  se  fragmente  en  une  variété  de  dieux 
sous  la  variété  de  ces  dieux,  leurs  fidèles  aperçoivent  l'aspi 
ration  identique. 

Purilication,  Initiation,  Epoptie,  tels  sont  les  grands  degréi 
de  ces  cultes,  où,  suivant  la  fonnule  d'Aristote  sur  les  Mystère 


i)  MonET,  liais  et  dieux  d'Jigy/ile,  p.  i3o;  p.  211.  Il  y  aurait  eu  ^p.  3ifl 
trois  étapes  dans  la  religion  égyptienne  :  i"  échapper  à  la  mort,  continuer  li 
vie  terrestre  dans  un  autre  uionde,  et  forcer  par  des  moyens  magique 
l'entrée  de  cet  au  delà;  a*  puis  la  conception  dun  dieu  sauveur  et  rédemp 
teur,  Osiris,  qui  est  sacrifié  par  les  hommes  et  les  rachète  de  la  mort  jiar  sei 
soulFrances;  3°  eniin  Osiris  sauveur  est  devenu  Osiris  justicier,  qui  pèse  1( 
niérife  des  âmes,  et  n'admet  à  l'immortalité,  que  ceux  qui,  à  son  exemplfl 
furent  vertueux. 


l.K    CUI.TK  89 

tlllk'usis,  il  sapait  d'c-prouvcr  ol  non  (ra[)prciidrc.  On  accède 
;iti\  Mystères  par  adlicsion  volontaire  (i);  ils  supposent  une 
initiation,  parfois  même  plusieurs  initiations  graduelles  :  ce 
-Miii  des  sociétés  fermées  et  secrètes;  à  l'entrée,  des  ablutions, 
(les  jeûnes,  sont  requis.  Ces  sociétés  se  vantent  de  détenir  une 
iinti(juc  sagesse,  de  garder  une  révélation,  qui  serait  la  révé- 
lation primitive.  Elles  ont  pour  lin  le  salut  individuel,  l'im- 
mortalité  dans  l'au  delà  et  ici-bas  la  protection  de  la  divinité. 
Prenez  eonlianee,  ô  Mystes,  car  le  dieu  est  sauvé,  et,  pour 
vous  aussi,  de  vos  épreuves  sortira  le  salut.  )  Des  espoirs 
inlinis  sont  ouverts  au  fidèle.  Le  moyen,  c'est  la  lin  elle-même; 
la  réconciliation,  le  recours  au  médiateur,  l'union  avec  le  dieu 
sauveur  :  exaltation,  extase,  possession  sacrée,  tous  les  pro- 
cédés des  cultes  orgiastiques,  toutes  les  formes  d'excitation  et 
de  macération,  toute  l'extravagance  de  la  soulfrance,  de  la 
volupté  et  du  délire  sont  appelés  à  les  produire;  des  j^ratiques 
primitives  et  grossières,  débris  de  vieux  cultes,  sont  mises  au 
service  d'une  spiritualité  trouble,  d'un  naturalisme  spirituel, 
oîi  viennent  se  fondre  toutes  les  inquiétudes  et  tous  les  espoirs 
d'un  monde  inquiet  ;  toutes  les  formes  du  sentiment,  les 
grands  contrastes  affectil's,  l'allégresse  ardente  après  la  dou- 
leur ('perdue,  la  vie  sortant  de  la  mort,  la  nature  luxuriante 
et  llélrie;  les  contraires  réunis,  liaine  et  amour  tle  la  chair, 
plaisir  des  larmes,  éclat  du  deuil,  sensualité  raffinée  de  la 
soulfrance,  sang  et  frénésie  sensuelle,  macérations,  mutila- 
tions, renoncements  excitateurs  du  désir,  orgie  ascétique, 
ascétisme  passionné,  matière  qui  se  débat  contre  elle-même  et 
qui  aspire  à  soi-même  dans  son  propre  renoncement  :  tout  cela 
ce  sont  des  moments  de  la  vie  divine,  la  passion  même  du  dieu 
que  le  fidèle  subit  par  amour,  et  d'où  il  sort,  comme  le  dieu, 
liausli^ruré. 


(l)  Les  fidèles  se  la  repri-sonlcnt  soin  eut  ct)iiiiiif  une  vocation  divine 
par  exemple,  eliez  Ai)ulèe,  1  idée  de  la  -povota  d'I.si-;,  (|ui  saine  ses  servi- 
teurs 


90  l.A    UF.I.l(iU».\    KT   LA    I"0[ 

Sj)ii'ilnalisine  enveloppé  cU'  matière,  exlalisme  magique; 
des  pratiques  slrieles  et  et'licaces,  des  rites  multiples  et  minu- 
tieusement réglés,  des  consécrations  et  des  marques  indélé- 
biles. Cette  violente  vie  affective,  cette  poursuite  ardente  de  la 
grâce,  s'appuient  sur  des  moyens  extérieurs  de  grâce,  sur  des 
assurances  objectives;  une  religion  sacramentelle  se  développe 
dans  la  matière,  parallèlement  à  l'esprit;  tous  les  artifices  du 
symbolisme  sont  appelés  à  relier  les  deux  mondes,  qu'une 
exigence  complexe  pose  simultanément.  L'auteur  des  Mystères 
des  Egyptiens  disait  que  le  culte,  à  la  lois  esprit  et  matière, 
convient  aux  âmes  qui  ne  sont  pas  pures  et  délivrées  de  toute 
genèse;  qu'il  y  a  une  matière  pure  et  divine,  en  aflinité  avec 
les  dieux  :  «  Ainsi  le  sacrifice,  de  cette  manière,  sollicite  les 
dieux  à  l'apparition;  il  les  attire  pour  les  recevoir,  et  quand 
ils  viennent,  il  les  contient  et  les  manifeste  parfaitement  »  ; 
l'ordre  des  cérémonies  du  reste  imite  l'ordre  même  des  dieux  ; 
l'indivisible  est  renfermé  dans  des  formes  et  ce  qui  est  supé- 
rieur à  toiite  image  est  représenté  par  des  images;  ainsi  le 
culte  des  phallus  est  signe  de  la  puissance  génératrice  et  appel 
à  cette  puissance  au  printemps  ;  toute  l'énergie  spirituelle  que 
contiennent  la  matière  du  culte  et  l'ordre  des  cérémonies  se 
libère  par  la  prière  et  s'unit  aux  dieux;  le  divin  est  naturelle- 
ment présent  à  soi-même  ;  aucune  des  actions  divines  ne  se 
joue  en  dehors  de  lui. 

Sous  une  forme  très  différente,  le  judaïsme  évolue  vers  la 
foi  personnelle.  Le  judaïsme  de  la  dispersion  atténue  le  carac 
tère  national  (i), accentue  le  besoin  de  prosélytisme;  conversion 
des  gentils,  universalisme,  parfois  tendances  ascétiques, 
mystiques  et  gnostiques  ;  prédominance,  en  somme,  du  senti- 
ment religieux  individuel  sur  le  ritualisme  national.  La  Syna- 
gogue, conséquence  de  la  dispersion  et  de  la  lutte  populaire 


fi)  Voir  Wendland,  Die  hellenistisch  rômische  Kuliiir,  1912,  p.  208;  Fried 
LANDEB,  Die  reliffiosen  Bnwegungen  innerhalb  des  Judentums   iin  Zeilaller  Jesu, 
Uj(>:>;  BoussFT,  Religion  des  Judentums. 


I.K    Cl' LIE  «)I 

contre  le  ponlifieal,  fait  apparaître  riii(iivi(liijns([ue-là  absorbé 
dans  le  culte  national.  Les  Sectes  juives  qui  se  l'ornient  à  la 
suite  (le  la  crise  des  Macchabées  s'imprègnent  d'idées  étran- 
gères au  ritualisme  mosaïque.  Un  nouveau  messianisme,  de 
nouvelles  apocalypses  marquent  le  projçrès  dans  la  voie  de  la 
spiritualisation  et  de  la  transcendance  (i).  Philon  décrira  en 
termes  éhxiuents  tout  le  jeu  de  sentiments  qu'il  y  a  dans  la 
foi  confiance  (2)  :  «  Je  connais  bien  ta  force  débordante,  je 
connais  la  fécondité  de  ta  puissance.  J'approche  de  toi  dans  la 
crainte  et  le  tremblement  et  cependant  je  suis  consolé,  je 
confesse  de  nouveau  que  je  crains  et  me  sens  accablé.  Et 
cependant  la  crainte  et  la  confiance  ne  mènent  pas  en  moi  un 
combat  inexpiable,  mais  s'accordent  harmonieusement...  Car 
j'ai  appris  à  mesurer  mon  néant  et  ta  grandeur,  et  c'est  quand 
je  vois  (jue  je  ne  suis  que  terre  et  cendre,  que,  précisément, 
j'ose  paraître  devant  loi.  réduit  en  poussière,  au  point  qu'il  me 
semble  que  je  ne  suis  plus.  » 


[i>  BoLssKT.  Die  judischc  ApoLalypti/-. 

a    l'iiiLox,  Qtiis  rcrum  ilhinarurn  liaircs,  iji. 


CHAPITRE    II 
LA    FOI    RAISONNANTE 


LA     RECHERCHE    DE     LA    VERITE 

lieaiicoiij)  (le  li^èlcs  croient  par  raison,  ou  du    moins,   la 
raison  entre  pour  une  bonne  part  dans  la  formation  et  le  main 
tien  de  leur  croyance.  Descartes  exprimait  la  pensée  de  beau- 
cou[)  d'hommes,  lorsqu'il  écrivait  à  propos  de  l'immortalité  : 

«  (Quoique  la  religion  nous  enseigne  beaucoup  de  choses 
sur  ce  sujet,  j'avoue  néanmoins  en  moi  une  infirmité  qui  m'est, 
ce  me  semble,  commune  avec  la  pluparl  des  lionnnes  :  à  savoir 
que  nonobstant  que  nous  veuillons  croire  et  môme  que  nous 
pensions  croire  très  termemenl  à  tout  ce  qui  nous  est  enseigné 
par  la  religion,  nous  n'avons  j)as  néanmoins  coutume  d'être  si 
touchés  des  choses  que  la  seule  loi  nous  enseigne  et  où  notre 
raison  ne  peut  atteindre,  que  de  celles  qui  nous  sont  avec  cela 
persuadées  par  des  raisons  naturelles  et  fort  évidentes  (i).  »  VA 
sainl  Augustiii,  dans  une  leltre  à  Nébridius,  constate,  non 
sans  (juel(|ue  surprise,  le  besoin  qu'il  a  de  raisonner  dans  le^ 


I  Correspondance,  III,  080.  Le  racine  Descartes  écrit  aussi  :  «  Pour  le 
mystère  de  la  Sainte-Triuité,  je  juge,  avec  saint  Thomas,  qu'il  est  puremenl 
de  la  foi,  et  ne  i)eut  se  connaître  par  la  lumière  naturelle.  Mais  je  ne  niei 
point  qu'il  y  ait  des  choses  en  Dieu  que  nous  n'entendons  pas,  ainsi  qu'il  y 
a,  même  en  un  trianj^le,  plusieurs  propriétés  (juc  jamais  aucun  matlicmati 
cien  ne  connaîtra,  bien  que  tous  ne  laissent  pas  pour  cela  de  savoir  ce  que 
c'est  qu'un  triangle.  >■ 


L\    roi    RAISONNA  mi:  Ç)3 

luomonls  iiirinc  oîi  il  sent  le  [)liis  ^  ivcrnt'iit  sa  loi  (  i  .  Kl 
rcplullicn  11»'  (listinp^iiait-il  poinl.  en  malit'ic  de  Coi.  les  simples, 
iiicapahlcs  et  insoucieux  de  spéculalioii.  (|iii  se  eonlciitcnl  de 
Il  li'an<|Mille  [)ossessiou  de  leur  foi.  mais  ({iii  sont  exposés,  en 
raison  de  leur  naïveté  même,  au\  sopliismes  aniollissauls;  et 
les  intellectuels,  qui  se  piquent  d'aborder  les  plus  ahstiuses 
([uestions  «le  la  mélapliN  sicjue  relij^^ieuse  (2)  .' 

Prall.  dans  son  enquête,  sui*  les  soixante-huit  cas  examinés, 
en  siirnale  quatorze  oîi  la  croyance  en  Dieu  est  basée  sur  des 
raisonnements.  Ainsi  Hradlev  n'avait  j)oint  tort  de  dire  que, 
pour  certaines  natures,  la  tendance  intellectuelle  à  comprendre 
l'existence  est  le  moyen  d'accès  le  phis  important  à  la  divi- 
nité (3).  Tels  sont,  en  2:énéral.  et  par  nature  et  par  |)roression, 
les  docteurs  des  Eglises.  Beaucoup  de  simples  lidèles  adhèrent, 
pour  des  raisons  réfléchies,  à  rapoloij:éti([ue  officielle,  ou  même 
se  font  une  apolo2:éti({ue  personnelle,  (pii  représente  leur 
eflbri  pour  se  maintenir  dans  leur  croyance.  Un  des  moyens 
qui  ont  rendu  possible  la  conversion  de  l'ancien  monde  au 
christianisme,  n'était-ce  pas  la  formation  d'une  théolop^ie 
exprimée  dans  le  langage  philosophique  de  l'époque  et  qui, 
mieux  que  tout  autre  système  d'idées,  répondait  aux  besoins 
du  temps? 

(Vest  un  lieu  commun  du  catholicisme  que  d'insister  sur  le 
rôle  de  la  raison  dans  la  foi  :  interrogez  un  catholique  instruit 
(le  sa  religion  et  intelligent;  il  vous  dira  fort  bien  (jiie  les 
graves  réserves  de  Pascal  sur  la  raison  tiennent  à  son  jansé- 
nisme; il  vous  esquissera  toute  une  apologétique  en  grande 
partie  rationnelle.  La  foi  «  du  docteui'  »  est.  du  reste.  prcs(pie 
nécessaire  à  la  plupart  des  chrétiens  modernes,  qui  sont  au 
courant  du  monde  :  un  monde  oii  le  sens  commun  n'est  plus 
chrétien. 


(I   i:p..  IV,  2. 

(a)  De  Baplism.  I;  adv.  J>r..  II;  a<l^'.  Marc.  I,  II. 

(3)  Cité  par  Hoi'fding,  Philosophes  contemporains,  p.  O.M! 


9|  LA    KELIOION    ET    l.A    FOI 

La  vôrilé  a  sur  les  esprits  un  divin  prestige.  Beaucoup  de 
croyants  diraient  volontiers,  avec  Ernest  Psichari  : 

«  Que  les  faibles  se  nourrissent  des  plus  nobles  rêves  : 
Lui,  il  vent  la  vérité  avec  violence.  Il  est  saisi  i)ar  la  noble 
ivirsse  de  lintelligence,  et  celte  lièvre  d'esprit  le  travaille, 
d'aller  à  la  véritable  raison,  à  celte  assurance  très  sereine  de 
la  raison  bien  assise.  Il  demande  d'abord  que  Jésus-Christ  soit 
vraiment  le  Verbe  de  Dieu,  que  l'Eglise  soit  de  toute  certitude 
la  icurdienne   infaillible  de  la  vérité,  que  Marie  soit  en  toute 

réalité  la  reine  du  ciel C'est  en  vain  que...  le  rite,  l'usage 

seront  invoqués.  Si.  le  kMnple  qui  a  su  créer  l'union  des 
peuples  du  Latium  est  mensonge,  son  œuvre  ne  sera  pas 
durable.  Car  le  mensonge  ne  fonde  rien,  et  les  œuvres  de 
mensonge  portent  en  elles  leur  condamnation.  .Mais  la  que- 
relle est  misérable  de  savoir  si  telle  illusion  est  nécessaire  f  i).  » 

Ou  encore  : 

«  Le  désir  de  la  connaissance  essentielle.  Le  plus  beau  des 
poèmes  n'étanchera  pas  la  soif  immense  de  cette  àme.  Nulle 
musique  n'endormira  plus  ce  malade  que  la  misère  du  monde 
a  circonvenu.  Il  lui  faut  le  pain  de  la  substantielle  réalité,  aiin 
que  ces  mirages,  dont  il  meurt,  s'évanouissent,  —  et  non  i)as 
les  douces  rêveries  du  cœur,  mais  le  vol  sévère  de  l'esprit 
tendu  vers  la  possession  éternelle...  Il  n'est  pas  de  consola- 
tion hors  de  la  clarté  de  midi  et  de  l'étincelante  certitude... 
II  n'est  de  paix  que  de  la  raison  (2).  » 

Si  le  croyant  ne  s'avise  point  par  lui-même  de  cette  exi- 
gence de  vérité,  son  directeur  l'en  fait  souvenir.  Voici  com- 
ment (1  Iléon,  intérieurement  pressé  de  se  convertir,  raconte 
son  entrevue  avec  le  prêtre  qu'il  consulte  : 

«  Je  commence  timidement,  et,  malgré  moi,  peu  à  peu  je 
m  anime.  Il  ne  m  interrompt  pas;  il  ne  me  calme  pas;  mais  il 
ne  me  semble  pas  participer.  Quand  j'ai  fini,  il  tousse  et  sans 


I    Le  voyaffe  du  Centurion,  p.  io4- 
2;  Jbid..  p.  io6. 


l.A     I  OI    RAISONXANIl"  gS 

se  dt'[)arlir  de  son  iini)as.sibilité  sacoidolale  :  '/  Si  je  vous  com- 
prends bien,  dil-il,  vous  ôles  venu  à  Dieu  en  artiste.  »  Alors, 
toujours  posé  :  «  Mon  eher  enfant,  Dieu  est  raison...  •>  Mais 
je  serais  inca[)al)le  aujourd'hui  de  restituer  avee  lidélité  la 
belle  et  l'roide  leçon  de  doctrine  ([u'il  administre  à  mon  cœur 
exalté.  Il  me  prouve  par  a-\-h  que  la  loi  caliioliciue  est  imbat- 
table sur  le  terrain  de  la  logique  et  de  l'expérience  des  siècles: 
il  mexjdiciue  pourquoi  Dieu  est,  et  Dieu  étant,  pour(]uoi  notr<' 
Dieu  est  le  vrai.  Ne  nous  laissons  ])as  és^arer  par  le  senti- 
ment :  évidenmient,  c'est  une  chose  respectable,  utile  en  son 
temps  (et  j'en  suis  la  preuve),  mais  sujette  aux  délections.  Il 
faut  croire  avec  son  esprit  (ij.  » 

Même  les  esprits  ordinaires,  et  que  ne  presse  point  un 
ardent  besoin  dintellectualité,  sentent  qu'un  minimum  de 
philosophie  leur  est  nécessaire  pour  la  foi.  Voici  ce  que  le 
comte  de  Paris  écrivait  à  M"'  d'Hulst  : 

«  Vous  savez  que  je  n'ai  aucun  goût  pour  la  philosophie 
dans  mon  existence  actuelle;  elle  ne  parle  ni  à  mon  cceur,  ni 
à  mon  imagination,  ni  à  mon  esprit.  J'estime  qu'il  y  aura  bien 
le  temps  de  nous  en  occuper,  avec  des  lumières  plus  grandes 
dans  l'autre  monde,  si  cela  en  vaut  encore  la  peine,  et  que,  dans 
le  cas  contraire,  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  occuper  dans  celui-ci. 

«  Je  ne  demande  qu'une  chose  :  c'est  que  ma  raison,  mon 
esprit,  mon  cœur  et  mon  imagination  soient  absolument  per- 
suadés de  l'existence  de  Dieu  tout-puissant.  Une  fois  ces  pré- 
misses adnùses.  fout  le  reste  en  découle  si  naturellement  que 
je  ne  me  préoccu[)e  même  pas  de  la  démonstration  (2).   » 

RATIONALISME     ET    IRRATIONALISME 

La  Foi  oscille  entre  l'attitude  rationaliste  et  l'attitude  irra- 
tionalisle.  Elle  se  défend  d'être  la  raison,  car  elle  enseigne  ce 


(Il  GiiiioN,  Tcnioigiiaf^e  d'un  corwcrti,  ao3. 

(21    BAVDniLL.\HT,    M*"^  d'Hulsl,    II,   JIR). 


(»(->  I-V    RKI.IGIO.N    ET    LA    FOI 

(luon  lie  pont  pas  savoir  :  elle  disparaît  devaiil  le  savoir  (i). 
Aussi  le  rationalisme  religieux  a-l-il  toujours  été  mortel  à  la 
religion  :  aussi  bien  le  rationalisme  qui  fait  de  la  religion  un 
symbole,  une  approximation  de  la  vérité,  l'enveloppe  mythique 
d'un  idéal  éternel,  que  celui  qui  prétend  qu'en  religion  tout  se 
prouve,  que  la  foi  est  toute  raisonnable,  qu'elle  est  la  raison 
même.  L'explication  et  la  démonstration  des  dogmes  positifs 
en  abolit  le  caractère  mystérieux.  A  redevenir  naturelle,  la 
religion  perd  la  puissance  immense  du  Surnaturel. 

D'autre  [)art,  ce  qu'elle  enseigne  doit  se  justifier  en  quelque 
manière.  Le  fidéisme  absolu,  c'est  l'arbitraire  pur. 

Ainsi,  la  foi  est  un  mélange  de  savoir  et  de  non-savoir; 
d'adhésion  raisonnéc  et  d'élan  irréfléchi. 

Telle  qu'elle  est.  la  foi  s'estime  supérieure  au  savoir;  ce 
qu'elle  contient  d'obscurité  lui  parait  une  lumière  supérieure  à 
la  lumière  naturelle;  soit  qu'elle  humilie  la  raison  humaine 
devant  elle  et  qu'elle  ne  veuille  voir  dans  le  monde  du  savoir 
qu'un  monde  d'apparences;  soit  qu'elle  condescende  à 
admettre  que  le  savoir  est  un  ordre  de  vérité,  compatible 
jusqu'à  un  certain  point  avec  la  foi  et  même  préparateur  de  la 
Foi;  on  sait  combien  de  tentatives  d'accommodation  l'histoire 
a  successivement  enregistrées. 

Jusqu'à  un  certain  point,  la  foi,  certitude  sans  preuves, 
représente,  si  elle  ne  la  réalise  pas  entièrement,  l'appréhension 
immédiate  d'une  réalité  suprasensiblc  ;  certes,  la  foi  n'est  pas 
('  vision  béatifi(pie  »  ;  mais  elle  tend  vers  la  vision  béatifique, 
elle  eti  est  l'équivalent  provisoire  (2),  et  dans  toutes  les  reli- 


(li  C'est  l'axiome  thomiste  :  Impossibile  est  (jiiod  de  eodem  sil  fuies  et 
scientia. 

2  Pi-;oLEs,  Commentaire  de  la  Somme  théologique,  X,  iiô  :  «  Les  (idèles  ont 
la  connaissance  des  choses  de  la  Foi,  non  parce  qu'ils  les  voient  en  elles- 
mêmes  ou  dans  leur  vérité  intrinsèque,  mais  parce  que  la  Foi  les  contient 
et  que  cette  lumière  de  la  Foi  qui  les  enveloppe  ou  les  renferme  en  garantit 
l'absolue  certitude.  Nous  avons  même  dit  que  l'habitus  surnaturel  de  la  Foi 
les  fait  un  peu  atteindre  en  elles-mêmes,  pour  autant  qu'elle  en  donne  à 
notre  esprit  le  goût  intellectuel.  >< 


I,.V    roi     IIAISO.WA.MI.  f)7 

^ioiis  il  y  a  loiijoiiis  eu  des  lidôlos  (jiii  ont  piricndii  passer  de 
la  foi  à  la  viie.  de  la  i('|)r(''senlali()ii  à  la  réalih'  :  ce  sont  les 
niysti<|iies. 

Inalioiiiielle  en  un  s»'ns,  la  loi  esl,  i)ar  là  même.  aU'eclive 
et  active  :  elle  esl  senliiuenl  j)i'orond,  coiiliaiice,  conliaiice  (jui 
exalte;  dans  la  loi  le  croyant  éprouve  une,  pidssance  ([in  le 
dépasse  et  (pii  le  réj^éiièie;  elle  a  toujours,  même  dans  ses 
foiines  les  plus  volontaires,  quebpie  chose  de  passif,  d'iiié- 
sistihle. 

.lusfpi'à  (piel  point  ses  formules  expriment-elles  ce  s(>nli- 
incnl  jU'ofond?  Jus([u'à  quel  point  le  satisfont-elles?  La  Koi 
subit-elle,  en  l'acceptant  pleinement,  comme  une  révélation 
e\léri<'ure.  une  fornudc  (pu  la  précède  et  s'impose?  \'a-t-elle 
au-devant  de  cette  révélation,  expression  adé(piate  ou  inadé- 
(|uate  de  ses  cxiu:enccs?  (^réc-t-clle  son  objet  de  sorte  (pie  le 
do^'ine  ne  serait  que  la  révélation  de  la  Foi?  (]rée-t-elle  inévi- 
ablement  un  doicme  qui  la  représente  ou  peut-elle  se  satisfaire 
de  sa  propre  cU'iision.  libre  de  t(jute  forme  positive? 


L'histoire  de  la  religion  nous  moidre  le  continuel  anlai?o- 
nisme  de  deux  étals  d'es])ril  :  rinlellectualisme,  avec  sa 
ilédance  de  l'inconnaissable  et' de  la  croyance  pure,  sans 
onnaltre,  à  l'aveugle,  comme  par  un  e()U[)  de  force  on  de 
lésespoir;  le  sentimentalisme,  avec  sa  déliance  de  la  science  et 
le  la  foi,  comme  conclusion  d'un  raisonnement.  La  plupart  des 
"élirions,  pour  la  raison  (jue  nous  avons  dite,  se  sont  appli- 
[uées  à  concilier  les  deux  tendances  :  la  Foi  (>royance  enferme 
ine  part  de  raison,  mais  en  même  temps  un  surplus  d'aflirma- 
ion,  qui  vient  dun  élan  de  sentiment. 

L'inlellectualiNnje  se  présente  sous  deux  jj:randes  formes.  Ou 
)i.cn  il  ignore  ou  abolit  les  notions  de  mystère  et  de  révélation  : 


C>S  LA    RELir.ION    ET    LA    KOI 

les  vérités  reliifii'uscs  sont  alors  dos  propositions  d'ordir 
niélapliysiipic,  aiixcpioUos  la  raison  accède  par  des  démarches 
iialiiiellt's  cl  iiié ,  ilahles;  le  mystère  n'est  <pie  1  ol)Scnrité 
initiale;  la  révélation,  si  elle  existe,  laide  hienveillante  d  tm 
Dieu  qui  j)révieul  la  raison  et  Iburnit  à  l'esprit  le  résultat  avant 
la  rechcrelic.  Un  tel  croyant  est  un  métaphysicien.  l{este  à 
savoir  si,  dans  un  tel  système,  l'enchaînement  des  raisonne- 
ments aboutit,  à  lui  seid.  à  la  certitude;  pour  l'rauchir  la  proba- 
bilité, la  possibilité,  pour  sortir  de  l'hypothèse,  ne  faut-il  pas 
—  et  beaucoup  le  reconnaissent,  et  cette  prétendue  méla]>hy- 
sique  devient  alors  une  métaphysique  aH'cctive  —  une  part 
d  adhésion  affective,  sentimentale,  personnelle?  Le  mouvement 
(|ui  \a  (le  l'essence  à  l'existence  n'a-t-il  point  toujours  pour 
moteur  un  surplus  d'être?  De  la  perfection  log:ique  à  l'être, 
de  la  possibilité  à  la  réalité,  le  chemin  ne  passe-t-il  pas 
toujours  par  la  valeur,  c'est-à-dire  par  l'accord  senti  de  l'hypo 
Ibèse  avec  les  aspirations  les  plus  profondes  du  sujet?  Qu'il 
s'agisse  de  Dieu  ou  de  la  vie  morale,  du  progrès  de  l'Humanité, 
de  la  Société,  du  sort  de  la  vérité  et  des  valeurs,  de  l'avenir 
de  la  Science,  il  n'y  a  peut-être  toujours  pour  l'esprit  (pic 
des  possibilités  et  des  probabilités  que  l'ardeur  des  esprits  et 
des  âmes  transforme  en  certitude. 

L'ne  religion  à  mystères  et  à  révélation,  du  moment  (pie  les 
notions  de  mystère  et  de  révélation  sont  foimellement  pro- 
clamées, reconnues  et  comprises,  peut  encore  se  proposer  à  la 
raison  par  le  détour  de  l'illumination  et  de  l'intirition  intel 
lectuelle.  D'où,  en  apparence,  une  seconde  forme  de  ration; 
lisme,  qui,  en  réalité,  ne  lait  (jue  doubler  la  {)remière  ou  vers« 
dans  le  sentimentalisme.  La  révélation  se  propose  directemei 
ijitrinsè«piement,  [)ar  elle-même  et  sans  preuves  externes;  mal 
alors  c'est  à  une  raison  illuminée,  à  une  intuition  au-dess« 
de  la  raison  (pTelle  s  adresse,  et  cette  illumination,  complaisant 
et  guidée  par  la  foi,  est  bien  près  de  lui  ressembler  ;  ou  bi( 
c'est  au  cœur  qu'elle  s'adresse,  et  l'on  c(mviendra  franchemei 


LV     KOI    IlAISONN.VNTi:  99 

<|u'iiiK'  U'IIc  iiiliiilion  n'est  (ju'uii  aiilic  nom  de  la  seusihilitc  et 
tlu  i-tnir  :  ('<|niM)(iiiaiit  parfois  sur  le  co'iir,  comme  Pascal;  on 
sort  alors  de  linlelligence  et  c  est  parce  (ju'elle  convient  à  lame 
vt  <pi'elle  lui  propose,  par  exemple,  une  vie  et  une  imai^e 
idéales,  (|iie  la  relij^ion  est  acceptée.  Pour  se  justitier  aux  yeux 
de  la  raison,  il  faut  plus  que  cette  adhésion  de  sentiment.  Mais, 
puisque  le  contenu  de  la  foi  est  mystérieux  et  irrationnel. 
puis(pie  la  critique  de  la  raison  tend  à  la  vider  de  celle  préten- 
due fonction  d'illumination,  le  rationalisme  est  obligé  de  faire 
un  détour;  ce  n'est  plus  le  contenu,  c'est  le  contenant  qu'il  s'ap- 
]>li<pn'ra  à  justifier.  Kt  c'est  une  seconde  forme  d'intellectualisme. 

On  fera  marcher  de  pair  Ihistoire  et  la  métaphysique.  (Test 
à  un  moment  donné  de  l'histoire  du  monde  que  le  Surnaturel 
a  fait  irruption  dans  la  nature.  On  peut  faire  l'histoire  de  son 
apparition  et  de  son  développement;  des  témoins  dont  le 
témoignage  doit  être  reconnu  connue  valide  le  garantissent  et 
son  caractère  merveilleux;  des  témoins  sûrs  authentiquent 
ainsi  h-  message  du  tépioin  céleste,  de  l'envoyé  de  Dieu,  quel 
qu'il  soit,  qui  est  venu  apporter  des  vérités  surnaturelles,  qui  a 
prouvé  sa  mission  par  des  signes,  au  moins  autant  que  par  ces 
vérités  elles-mêmes.  (Test  la  vérilicalion  de  ces  liti'cs  (jui 
constitue  le  travail  de  la  raison. 

Par  exemple,  dans  la  religion  chrétienne  :  un  mort  ressus- 
cite SUT  l'ordre  de  Jésus  de  Nazareth,  un  honnne  cpii  se  dit 
envoyé  de  Dieu:  le  fait  de  la  mort,  le  fait  de  la  résurrection,  le 
fait  de  l'intervention  et  de  raflirmalion  de  Jésus  sont  du  domaine 
de  l'observation  et  de  l'histoire,  et  le  raisonnement  qui  conclut 
de  ces  faits  à  la  réalité  d'une  intervention  divine  et  à  la  vérité  de 
la  mission  de  Jésus,  a  la  prétention  de  s'appuyer  sur  des  données 
«t  sur  des  principes  |»arfailcinent  t)bjeclifs  et  scientiliques  [i). 


(i)  BnicouT,  Où  en  est  Diistolre  dcn  rellsçions?  I,  Z-.  Amiml  écrivait  juste- 
ment :  «  Le  surnaturel  doit  se  prouver  liistoriquemenl,  ou  sinon  il  doit 
renoncer  à  sortir  du  doinaiiic  de  la  Foi  et  à  entrer  dans  celui  do  l'histoire  et 
de  la  science.  »  iJounull,  I.  i43) 


l.\    HKI.KilON    F.T    LA    FOI 


La  ri^ninir  do  coltc  vérification  dôpend  du  niveau  des 
esprits  et  de  l'état  de  la  civilisation.  Elle  esl  à  chaque  époque 
ee  (pie  sont  l'histoire  et  l'exégèse;  la  notion  de  nature  et  de 
loi  naturelle:  la  notion  de  Dieu  et  du  divin.  Par  exemple,  la 
do<  liine  du  miracle  varie  singulièrement  au  cours  des  temps  ': 
depuis  la  notion  confuse  du  l'ait  frappant  et  extraordinaire,  de 
rajiparilion  magnifique,  qui  introduit  dans  le  cours  hahiluel  et 
attendu  des  choses  une  étrange  rupture,  jusqu'à  rafllrmation 
méthodique  et  tranquille  de  la  prééminence  de  l'ordre  de  la 
grâce  sur  l'ordre  de  la  nature,  lorsque  s'est  formée  la  doctrine 
du  déterminisme  de  la  nature  et  celle  de  la  distinction  radicale 
delà  gri\ce  et  de  la  nature.  De  même,  le  Dieu  révélateur  et  son 
autorité  évolueront  d'une  puissance  et  d'une  sagesse  à  peine 
su[)érieures  à  celles  de  l'homme,  à  la  toute  puissance  et  à  la 
toute  sagesse  de  la  théologie  médiévale. 

Il  y  a  bien  des  degrés  depuis  rApologéti<iue  grossière  (jui 
ne  met  en  œuvre  (pi'une  théodicée  sommaire,  une  physique 
grossière  et  une  théorie  populaire  du  témoignage,  jusqu'aux 
Apologétiques  savantes  qui  sont  de  grands  systèmes  com- 
pli(piés.  Mais  dans  toutes  les  religions  positives,  quelles  qu'elles 
soient,  cette  forme  de  rationalisme  religieux  met  en  (l'uvre  les 
moyens  que  nous  avons  distingués.  Pour  le  mahométan,  il  y  a 
un  problème  de  Mahomet,  comme  pour  le  juif  un  problème  d< 
Moïse,  comme  pour  le  bouddhiste  un  [)roblènie  de  Bouddha^ 
comme  pour  le  chrétien  un  problème  de  Jésus;  et  pour  tousJ 
des  questions  d'histoire  et  d'exégèse,  et  pour  tous  des  question* 
(!<■  théodicée  et  un  problème  de  Dieu  et  du  divin.  Même  lei 
dieux  des  religions  élémentaires  et  leurs  traditions  posent  aui 
croyants  les  mêmes  j)roblèmcs  ;  à  moins  (pie  la  tradition  n< 
feoit  acceptée  par  simple  autorité  comme  aussi  la  conclusion  di! 
raisonnement;  mais  nous  retombons  alors  sur  la  forme  de  fc 
que  nous  venons  de  décrire  au  précédent  chapitre. 

Il    faut,   du   reste,   distinguer   encore   les   formes  plus  oi 
moins  rationalistes  de  ce  rationalisme  indirect  et  extrinsèque^ 


ë  * 


LA    I  1)1    RAISO.WANTi:  lOI 

Lo  ralioiialisino  pur  est  celui  elle/ (|ui  l'adhésion  e>'l  piutliiile 
nécessairement  par  les  arpjuments  de  la  raison  naturelle.  Les 
motifs  de  crédibilité  deviennent  les  motifs  mêmes  de  la  foi  et 
la  Coi  raisonnable  se  confond  avec  la  foi  rationnelle.  Par 
exemple,  rauthenticité  des  écrits  saints  se  démontre  comme 
celle  de  Pascal  ou  de  Tite-Live  :  l'existence  de  Jésus-Clirisl  se 
prouve  connue  celle  de  César;  ses  miracles  sont  des  faits  histo- 
ri(|ues  aussi  solidement  établis  (pie  le  passage  du  Rubicon  ou 
la  victoire  d'Alésia  ;  ainsi  son  caractère  divin  se  dégage  de 
1  liistoire  elle-même;  ([uant  à  l'existence  et  à  la  véracité  de 
Dieu,  dont  il  est  le  poite-parole  et  dont  il  faut  croire  rensei- 
gnement, ce  sont  des  dièses  de  philosophie  naturelle,  qui  se 
démontrent  rationnellement.  Il  ne  reste  plus  rien  à  croire;  tout 
est  prouvé  (i  ).  Le  rationalisme  pourra  aller  j)lus  loin  et  expli([uer 
les  dogmes.  Ainsi  toute  la  religion  positive  deviendra  religion 
naturelle. 

Le  semi-lidéisme  refuse  à  la  raison,  dans  la  démonstration 
des  préambules  de  la  foi,  la  possibilité  d'arriver  à  un  jugement 
ferme  ;  ou  du  moins  il  n'exige  pas  ce  jugement  ferme  comme 
condition  de  l'acte  de  foi,  et  ainsi  il  se  contente  de  prol)abililés 
ipie  dépasse  largement  Télan  de  la  foi. 

Enfin  le  fldéismc  nous  mènerait  hors  du  rationalisme.  11 
nadmet  pas  ([uc  l'on  prouve  d'abord  les  préambules  de  la  Foi 
par  la  raison  naturelle,  et  qu'ainsi  la  raison  conduise  rhomiiie 
à  la  Foi;  il  fonde  la  Foi  sur  la  Foi.  Il  remplace  la  preuve  ration- 
nelle par  l'autorité  extérieure  de  la  Révélation,  ou  par  la  Foi 
toute  pure  à  l'autorité  de  Dieu  qui  révèle,  et  qui  révèle  son 
autorité,  ou  par  un  coup  de  volonté,  une  décision  arbitraire  du 
sujet,  ou  i)ar  une  illumination  subjective.  Ce  qu'expriment 
toutes  les  formes  du  lidéisme,  c'est  la  déliance  tle  la  liiison. 


(I)  C'est  la  fonnulc  de  Saiiatikh  :  •■  Prouver  qu'une  doclrine  est  vraie  par 
«les  ur^iinicnls  rationnels,  c'est  l'aire  d'elle  une  vérité  rationnelle.  Le  rationa- 
lisme de  l'ar^uuient  implique  et  amène  nécessairement  le  rationalisme  de  la 
eonelusion.  »  L-s  rcUifions  d'autorité,  n.(o4- 


I02 


L\    HK1.IGION    ET    l.A    FOI 


Mais  les  raisons  do  cette  déliance  peuvent  être  didércntes  :  tra- 
ditionalisme, autoritarisme,  snbjectivisme,  illiiminisme.  volon- 
tarisme. Le  lidéisme  a  Ions  les  aspects  de  l'irrationalisme. 

Il  se  tait  de  ces  attitudes  mentales,  de  ces  positions  logiques, 
un  mélang:e  plus  ou  moins  complexe  et  confus,  selon  certaines 
nécessités  historiques  ou  selon  certaines  exi£:ences  systéma- 
tiques. Nous  les  étudierons  par  la  suite. 


LA    RAISON     DANS     LA    FOI 

Selon  les  diirérontes  attitudes  que  nous  venons  de  passer  en 
revue,  ou  bien  la  Foi  disparaît  dans  la  démonstration  et  elle 
n'est  qu'intelligence;  ou  bien  elle  admet  un  surplus  d'affirma- 
tion, ce  surplus  d'adhésion  que  nous  trouvons  dans  toute 
croyance  à  de  grandes  hypothèses;  et  elle  est  pour  une  part 
démonstration,  pour  une  part  confiance;  ou  bien  elle  prétend 
voir  l'invisible,  comprendre  l'inintelligible;  elle  se  donne  pour 
un  moyen  sujjérieur  de  connaissance,  une  sorte  d'intuition 
illuminée  et  illuminatrice:  ou  enfin  elle  est  nettement  affective  ; 
elle  est  l'exigence  du  cœur,  (jui  s'attribue  le  droit  de  choisir. 
Intelligence  et  sentiment  s'unissent,  à  des  doses  diverses,  pour 
former  ces  attitudes  et  constituer  ces  systèmes. 


Prenons  pour  exemple  la  foi  catholique  telle  qu'elle  se  définit 
de  nos  jours.  Elle  a  pour  objet  des  mystères,  dont  la  raison  ne 
peut  ni  démontrer  l'existence,  ni  comprendre  l'essence —  même 
après  qu  ils  ont  été  révélés.  Elle  ne  peut  être  une  intuition,  ni 
une  démonstration,  qui  enlèveraient  à  ces  vérités  leur  caractère 
mystérieux.  En  affirmant  son  caractère  surnaturel  la  religion 


\.\    KOI    UAISONNAMK  Io3 

iriiiine  tjn'ellt.'  appoilo  des  vérités  que  le  monde  lu'  manifesle 
j),is  et  ne  coimaîl  pas.  en  même  lemj)s  (jiie  des  iiislitiilions  desti- 
nées à  eoiidiiire  l'Iiomiiie  à  une  béatitude  ([ui  dépasse  les  e\i- 
jfcnces  de  sa  nature.  Surnaturelle  dans  sa  substance,  dans  son 
objet,  dans  ee  (pi'elle  révèle,  elle  Test  aussi  dans  son  mode  de 
manifeslalion,  puiscpi'elle  s,e  donne  pour  révélée  (i). 

Si  le  mystère  écbappe  à  la  raison,  par  quel  artiliee  la  raison 
parantira-t-elle  le  mystère?  Sur  le  contenu  de  la  loi,  elle  est 
inq)uissante,  mais  sur  son  contenant?  <'  Aux  objets  ([ui  dépas- 
sent notre  intelligence,  dit  saint  Thomas,  nous  ne  pouvons 
donner  notre  assentiment  qu'à  cause  du  témoignage  d'un  autre, 
(  I  c'est  là  proprement  croire.  »  Croire  ce  que  dit  Dieu, 
parce  que  c'est  lui  qui  le  dit,  voilà  la  Foi,  Pourquoi  croyez-vous 
le  mystère  de  la  Trinité,  par  exemple?  Parce  que  Dieu,  témoin 
infaillible  et  dune  autorité  suprême  l'a  révélé;  et  c'est  là  le 
motif  s[)écilique  de  la  Foi.  Le  premier  point,  l'infaillibilité  du 
témoignage  divin,  résulte  de  la  notion  de  Dieu,  et  d'un  raison- 
nement plMlosoi)lii<pie  de  lliéodicée.  Le  second  point  résulte  des 
faits  qui  établissent  la  révélation  chrétienne  en  général,  et  la 
révélation  de  ce  mystère  en  particulier.  L'historicité  des  écrits 
des  apôtres,  le  caractère  divin  de  la  révélation  chrétienne,  établi 
par  les  mi-racles  et  les  prophéties  de  Jésus-Christ,  l'historicité 
des  livi*es  de  Moïse,  le  caractère  divin  de  la  révélation  mosaïque, 
voilà  les  signes  extrinsèques,  mais  absolument  certains  de  la 


I'  St'lon  la  doclrinc  calhnliqae,  le  surnaturel  est  ce  qui  dépasse  les 
ressources  naturelles,  les  droits  et  les  exigences  de  toute  nature  créée  et 
possilde.  Voir  Vacaxt,  litudea  tfiénloffifiiies,  I.  SSy.i  La  nature  est  l'ensemble 
des  clioses  (|ue  Dieu  a  créées  ou  pourrait  créer  :  l'ordre  (ini.  l^  surna- 
ture, l'enseiiible  des  choses  qui  sont  au-dessus  de  tout  ce  «jui  pi'iit  être  pro- 
duit par  création. 

Les  mystères  ne  peuvent  être  connus  tialurellemeiil  par  aucune  créature. 
Ils  sont  au-dessus  des  lumières  naturelles  de   toute  intcllit,'ence  créée. 

Ils  ne  peuvent  être  connus  que  par  une  rtvelation  appuyée  sur  l'.iutorilé 
inlinie  de  Dieu. 

Mystères,  toutes  les  vérités  i|ui  rentrent  dans  ror<lre  surnaturel  et  rejjar- 
tlent  la  tin  surnaturelle  ou  les  moyens  d'y  parvenir,  pourvu  »|u<*  ces  vérités 
n'aiq>artiennenl  pas  vu  même  temps  à  l'ordre  naturel  <pii  déroule  de  la  créa 
lion 


lOj  I.A    m.I.UilON    KT    l.A    1C»I 

révélai  ion  <>  signes  d'aillonis  accessibles  à  lintelligenee  de 
tous   ». 

Telli'  est  la  doctrine  des  docteurs,  et  les  lidcMes  la  répèlont. 
«  Les  évang;élistes  ont  parlé,  4e  témoignage  a  été  porté,  et  la 
quadruple  afiirmation  est  si  forte  et  si  une  qu'elle  suffit  et 
donne  à  tout  réponse.  L'Kglise  de  Pierre  la  perpétue,  portant 
elle-même  par  l'accomplissement  de  sa  promesse  le  gage  de  sa 
vérité.  Et  parfois  des  signes  formidables  font  trembler  le 
monde  (i).  » 

Des  j)rincipcs  immétliatement  évidents,  des  faits  bien  cons- 
tatés, voilà  ce  qui,  en  dernière  analyse,  rend  la  foi  raisonnable 
et  permet  d'éviter  le  fidéisme.  Mais  la  substance  de  la  foi,  son 
objet,  son  contenu,  échappent  à  la  raison,  (jui  n'a  prise  (pie 
sur  les  conditions  «  extrinsèques  »  de  la  Révélation.  C'est 
«  l'exlrinsécisme  »  opposé  à  1'  «  intrinsécisme  »,  pour  parler  le 
langage  barbare  des  théologiens. 

La  Foi,  ainsi  entendue,  est  donc  l'acte  de  rintelligcnce  par 
lequel  le  sujet  tient  pour  vrai  tout  ce  (jue  Dieu  a  révélé,  parce 
(pi'il  l'a  révélé,  et  qu'il  ne  peut  ni  se  tromper  ni  tromper. 
L'objet  de  la  foi,  c'est  donc  ce  que  Dieu  a  révélé;  le  motif  de  la 
foi,  c'est  la  véracité  de  Dieu  qui  révèle.  La  démonstration  du 
fait  de  la  révélation  n'est  pas  le  motif  de  la  foi;  elle  rend  sim- 
plement croyables  les  vérités  révélées  en  appoitant  des  preuves, 
les  motifs  de  crédibilité,  miracles,  prophéties,  etc.,  qui  donnent 
la  certitude  que  Dieu  a  parlé  et  qu'il  a  révélé  telle  ou  telle 
vérité.  A  partir  de  cette  démonstration,  le  fidèle,  ou  plutôt  le 
théologien,  procède  à  l'acte  de  foi  (2)  et  dit  :  je  crois,  parce  que 
Dieu,  vérité  infaillible,  a  parlé  (3). 


I 


(il  PsiciiAiii,  Af  Voyage  du  Centurion,  i63. 

[a)- DioLKT,  Traité  des  /irincipes  de  la  Foi,  i;;i6  :  a  II  sufllt  de  s'informer  si 
Dieu  a  parlé  pour  s'aveiif,'ler  sur  ce  qu'il  a  dit,  et  après  les  preuves  de  la 
révélation,  il  n'en  faut  plus  attendre  des  clioses  révélées.  »  Avec  moins  de 
respect,  ScHEnEH  dira  Méiaiiffes,  1^71  que  l'on  veut  empêcher  la  visite  du  bâti- 
ment, sous  prétexte  que  le  pavillon  couvre  la  raaichandise. 

(3  C'est  ce  que  dit  (Iaiidkil  Art.  Crédibilité,  Dictionnaire  de  Théologie, 
catholique]  :  «  Certain,  j)ar  une  preuve  extérieure,  rjue  telle  formule  de  la  foi 


LA    loi     RAISON  NANTK  l05 


* 
* 


^'<)i!;l  11'  Ihc'ine.  Avaiil  di'  l\'\aininer  de  plus  pir-;.  il 
loiiviciil  (!«'  pn'senler  qiiehnics  roinarfiues. 

Ct'rlc'S.il  lU'  faiil  pas  conroiidic  les  (loctiiiics  des  lin-oloLTiciis 
avec  les  états  d'àme  des  lidèlcs  ou  nièiiie  des  lliéol()t2:iens. 
Tyrrell  a  pu  écrire  justenieut  :  «  Si  une  analyse  des  actes  de  foi, 
de  charité  ou  de  contrition  l'ait  paraître  ces  actes  connue  très  dirti- 
ciles  à  réaliser,  nous  savons  par  cela  seul  «pie  celle  analyse  doit 
être  fausse,  puisque  les  catlioli(|ues  les  |)lus  simples  et  les  plus 
ifînorants  i)roduisent  de  tels  aeles  lacilement  et  lVé(picinni(nl  '  i).  » 


est  vraie,  j'ai  eneorc  à  adliérer  à  cet  oltjef  dans  tout  ce  (|ii'il  est  inft-rieuro- 
nient.  (Jii'csl-il  intérieureincnl?  Je  ne  le  sais  i)as,  mais  Dieu  le  sait.  11  nie 
faut  donc  me  tourner,  avec  respect  et  obéissance  intellectuelle,  vers  ce  Dieu 
qui  sait  ce  que  j'ij;nore,  et  adhérera  ce  que  j'iirnore.jiarce  que  Dieu  le  sait.  » 

l'ar  la  distinction  radicale  de  la  nature  et  du  surnaturel,  la  révélation 
risque  de  devenir  une  doctrine  im[»enétrahle  pour  l'esprit,  une  formule 
inaj;ique  :  d'où  obéissance  passive,  abdication. 

11  est  dilticilc  de  mieux  résumer  la  métliode  de  l'Extrinséeisme,  que  ne 
l'a  fait  L.vi(i:uTnoNMi;RK  :  lissais  de  i>lnlosopfiii'  ndii^iense,  p.  i()t). 

a  Le  christianisme  est  essentiellement  un  fait  historique.  La  vérité  chré- 
tienne «'st  un  enscnd)le  de  propositions  connues  par  ou'i  dire  qui  dépassent 
complèt«'mcnt  la  jjorlée  de  notre  esprit  et  dont  tonte  la  crédibilité  repose 
sur  les  litres  de  l'autorité  qui  enseigne.  On  établit  que  Jésus-Christ  a  existé, 
qu'il  a  réellement  fait  et  dit  ce  qu'on  lui  attribue.  On  aboutit  donc,  sur  les 
événements  en  (piestion,  à  une  certitude  historitpie.  Puis,  examinant  les  faits 
en  eux-mêmes,  à  cause  de  leur  caractère  extraordinaire,  on  jufrc  qu'ils  sont 
miraculeux;  on  en  conclut  que  celui  «jui  en  est  rauleur  est  Dieu,  comme  il 
l'a  déclaré  lui-même.  Mais  ])uis(|u'il  est  Dieu,  on  en  conclut  (juc  la  doctrine 
qu'il  a  enseif^née  et  confirmée  par  ses  miracles  est  divine  et  que  par  consé- 
quent   luius  devons  la  croire,  bien  qu'elle  dépasse  la  portée  de  notre  esprit. 

De  cette  m.inière,  la  doctrine  chrétienne  se  présente  à  nous  comme 
quelque  chose  d'absolument  étran;;er  et  d'abs(dument  extérieur  à  ce  (pie  nous 
sommes.  Le  surnaturel  est  une  sorte  «le  superfétation. 

l'ar  suite  même  de  la  position  i)rise,  on  supposera  un  ordre  de  vérités 
naturelles,  constituant  une  |)hiloso|)iiie  achevée,  définitive;  et  on  siqipose, 
d'autre  part.  que.  par  la  révélation,  nous  sommes  en  présence  d'un  ordre  de 
vérités  surnaturelles,  parfaitement  connues  de  la  fa^-on  <lont  e^les  peu\  ent  rèli-e. 
Le  problème  consiste  à  les  con<ilier  en  évitant  le  i-atioiialisme  et  le  iidéisme. 

Comme  il  ne  serait  pas  suffisant,  pour  le  Ix-soin  d'unité  que  l'on  <herehe 
asalisfaire.de  montrer  (jue  la  révélation  ne  contredit  pas  la  raison  et  qu'elle 
dit  seulement  autre  chose,  on  s'efforce  d'établir  des  analof^ies  qui  rendent 
ces  vérités  surnaturelles  au  moins  vrais<'mblables  pour  nous.  On  s'efforce  «le 
les  concilier  avec  la  science  et  la  philosopliie.   ■> 

i    De  i'Jiaryhile  en  Seylla.S-2.  L'auteur  ajoute  :  «  Le  «lépot  «le  la  foi  n'est  pas 
simplement  un  svmbole,  «nu-  confession  «le  foi.  I>a  pr«)i'essi«>n  «le  foi  est  enve- 


I(l6  LA    HEKIGIOX    ET    LA    FOI 

Va  pourlanl  les  doclriiuvs  correspondiMil  jiis(i«rà  un  ccilaiii 
point  avec  les  riais  d'ànu'  cl  (loublonient  :  d'abord  parce 
(prelles  oxerccnl  sur  les  liomnies  une  suggestion  puissante  cl 
(|u'elles  se  réalisent  jusqu'à  un  certain  point  dans  les  con- 
sciences ;  et  puis,  ce  (pii  est  plus  important  encore,  parce 
([u  elles  répondent  à  certaines  exigences  inlernes,  parce  (pi'ellcs 
traduisent  certaines  attitudes  psychologiques.  La  forme  de  loi. 
(|ue  nous  sommes  en  train  d  étudier,  se  présente  comme  un 
compromis  entre  certaines  nécessités  logiques  et  certaines  exi- 
gences psychologiques,  et  ses  variétés  répondent  à  des  manières 
d'être,  à  des  virtualités  diverses,  en  même  temps  qu'à  des 
exigences  historiques.  Xous  nous  efforcerons  de  les  distinguer. 

D'autre  part,  il  est  impossible  de  nier  que  celte  doctrine  se 
présente  avant  tout  comme  la  solution  d'un  problème  logique, 
(jui  va  se  comphipiant  et  se  précisant  à  travers  l'histoire  du 
christianisme.  Elle  est  donc  un  système  et  un  produit  de 
l'histoire  :  nous  aurons  à  préciser,  de  ce  double  point  de  vue, 
ses  conditions  d'existence. 

Le  croyant  a  besoin  de  se  garantir  sa  loi  parce  qu'il  pense,, 
et  qu'il  lui  faut  intégrer  sa  foi  à  son  système  de  pensée.  Quanc 
il  ne  pense  pas  encore  ou  qu'il  renonce  à  penser,  il  peut  s 
passer  de  garantie,  et  il  [)eut  se  complaire  à  cette  absence  d< 
preuves  qui  parfois  exalte  sa  foi.  (^uand  il  pense  et  qu'il  pens< 
sa  toi,  il  se  trouve  devant  l'objet  de  sa  foi,  ou  devant  le 
raisons  extérieures  cpii  la  lui  garantissent. 

Or,  malgré  les   distinctions  théologiques,  l'objet  de  sa  foi 
le  dogme  qu'il  professe,  n'est  pas  affecté  d'une  inintelligibilité 


lopia-i-  <lan.s  la  prière  et  doit  en  être  dégagée.  Les  formulaires  doivent  toiijouri 
«trc  contrôlés  et  f;xpli(|iu''S  par  la  religion  concrète  qu'ils  formulent.  L 
orantii  eut  lex  crederidi.  »  Loisy  écrit  dans  le  même  sens  :  Autour  d'un  pcti 
IWn'.  194  :  «  La  déinonslralion  philoso{)liique  de  l'existence  de  Dieu  n'a  jou 
(juiin  rnle  très  restreint  cl  tardif  dans  le  développement  de  la  religion  et  d< 
la  foi  en  Dieu.  La  priorité  logicpu;  de  celte  démonstration  rationnelle,  dans  h 
scliciiia  officiel  ilc  la  tlicologic  catlioli«ine,  ne  correspond  à  aucune  priorit) 
réelle,  et  la  connaissance  religieuse  de  Dieu  est  autre  chose  que  cette  méta^ 
j>hysique  de  la  divinité.  « 


I 


LA    KOI    RAISON  N  \\  li:  lO^ 

(l'uiir  iucnni|U(liciisilMlih''  radicales,  (^cst  un  tlicinc  rcliniciiv . 
(jui  fait  a()|)('l  à  la  iialiiic  luiiiiaiue  et  dont  la  puissance  ail'cclive 
est  considcrahle  ;  c'est  la  solution  d'une  cnisîmi'  morale  et 
inétapliysi(iue:  le  Dieu-Homme,  le  Dieu  ([ui  s'incarne  dans  la 
nature  hinnaine.  qui  se  sacrilie,  meurt  et  renaît  de  la  morl. 
rachetant  ses  lidèles  par  la  vertu  e\piatrice  de  son  sang,  n'est 
pas  simplement  «  une  formule  ('niirmatifjue  et  ténébreuse  que 
Dieu  promuli^uerait  au  nom  de  sa  toute-puissance,  pour  mater 
l'orgueil  de  notre  esprit  (i)  ».  Les. dogmes  ont,  certes,  un  sens 
moral  et  prati([ue;  ils  e.Kpriment  la  vie  de  Dieu  en  elle-même  et 
dans  ses  rap[)orts  avec  la  vie  de  l'humanité,  «  ils  expliquent 
ce  que  nous  sommes  et  ce  que  nous  devons  être  et  comment 
nous  le  deviendrons.  Ils  constituent  donc  pour  nous  dans  leur 
ensemble  une  conception  complète  de  la  vie  (2)  ».  Ils  ne  sont 
vraiment  crus  qu'autant  qu  ils  sont  vécus  ou  qu'on  s'imagine 
pouvoir  les  vivre.  Ils  ont  d'abord  l'intelligibilité  de  la  vie. 

C'a  été  justement  l'eirort  de  tous  les  grands  novateurs  et 
réformateurs  religieux  d'aller  droit  à  un  grand  thème,  exci- 
tateur d'énergie.  Les  novateurs  l'inventent;  les  réformateurs 
le  retrouvent  en  débarrassant  la  religion  des  dogmes  surannés, 
en  la  ramenant  à  un  petit  nombre  de  points  essentiels  et 
salutaires.  Les  âmes  de  foi  se  mettent  ardemment  en  présence 
de  la  doctrine  pour  la  réaliser.  Et  ainsi  "  il  n'y  a  [)lus  une 
doctrine  qui  nous  serait  imposée  d'en  haut  et  du  dehors,  sans 
relation  avec  nous  et  que  nous  n'aurio-ns  qu'à  enregistrer 
passivement.  Les  dogmes  sont  explicatifs  de  ce  que  n  )us 
sommes,  explicatifs  aussi  de  ce  que  nous  avons  à  devenir  (3)  >. 


(il  L.\UEHTiio.\Mi;nK,  l>hilosophir  religieuse,  272. 

al  Jl)id. 

il  Ihiii.,  207  :  «  La  clmte  d  .Vdaiii,  la  Rédemption,  ne  sont  plus  des  cvéïu'- 
mi-nts  tiui  se  sont  proiluits,  il  y  a  quohpies  milliers  d'années,  el  (jn'une  auto- 
rité enseignante  serait  chargée  de  nous  Caire  connaître  comme  un  l'ait 
hi.sturi(|ue  à  jamais  évanoui.  C'est  un  événement  (]ui  domine  le  temps,  que 
nous  expérimentons  dans  notre  condition  aelui-ile,  qui  prend  un  sens  par  ce 
que  nous  sommes,  de  même  que  ce  que  nous  sommes  prend  aussi  un  sens 
pardui.  " 


lO^  LA    KKLIi.Ut.N     Kl     l.V    KOI 


1 


Ainsi,  lo  cioyanl  placé  on  face  du  dogme  en  éprouve  1 
vérité  morale  et  la  cohérence  lop:i(pic  ;  ce  sont  des  besoinj 
aflectits  et  lofçiques  qui  ont  ahouli  à  sa  formation  ;  riet 
d'étonnant  (pi'ils  s'y  reconnaissent.  Une  vie  se  reconnaît  dau! 
une  vie;  un  es])rit  se  reconnaît  dans  un  devenir  hislori(iue,  (ju 
a  abouti  à  un  système.  Joignons  à  cela  ces  sentiinenti 
intellectuels,  sans  compréhension  véritable,  ces  imju'essions  di 
comprendre,  (pii  se  joignent  souvent  à  des  états  afrectifi 
profonds,  ces  illusions  sentimentales  qui  simulent  linlel- 
ligence. 

Ola,  c'est  la  verilas  {hùc  comme  dit  saint  Thomas.  Ces 
1  attrait  moral  des  dogmes  et  leur  puissance  exaltante 
salutaire,  le  sens  de  la  beauté,  de  la  vérité,  du  bien  confondus 
c'est  «  l'Kvangiic  ([ui  parle  au  cœur  ». 

Il  y  aura  (pielque  chose  de  ce  genre  de  vérité  dans  toute 
croyance.  Les  dogmes  ne  sont  jamais  un  bloc  informe,  entière- 
ment inassimilable  à  l'esprit.  On  n'a  jamais  donné  à  croire 
aux  hommes  (juelque  chose  qui,  par  aucun  de  ses  éléments, 
n'eût  aucun  rapj)ort  à  eux.  Une  religion  est  d'autant  plus. crue 
qu'elle  suscite  davantage  les  sentiments  profonds.  En  ce  sens, 
il  est  vrai  de  dire  que  la  foi  est  «  la  rencontre  de  deux  amours 
et  non  pas  la  liaison  de  deux  idées  (i)  »,  que  croire  ce  n'est  pas 
ap[)li(pier  les  facultés  logiques  de  son  esprit  à  la  vérité  sur- 
naturelle en  vue  de  l'organiser  méthodiquement  à  partir  de 
certains  principes  ou  de  certaines  données.  «  Croire,  c'est 
vivre  (2).  » 

Entin,  l'existence  même  de  la  théologie  est  là  pour  établir 
que  les  dogmes  peuvent  se  relier  entre  eux  de  façon  à  former 
un  tout  organique,  un  système  plus  ou  moins  cohérent.  Les 
principes  n'en  sont  point  démontrables,  mais,  une  fois  adnns, 
l'ensendjle  se  constitue  sans  trop  de  peine.  La  religion  n'est 


(i)  Lauehtho.nmkhk,  l'Iiilosojiliie  n'iii^^inisf.  i(ji. 
(u)  Ibid. 


l.\     l'OI     IIAISONNANTK  KMJ 

pas  un  lève  iucohcrcnl  cl  sans  coiisislancc  (i).  L(;  danger  de  la 
llu'ologic,  c'est  du  reste  qu'elle  dépasse  le  bul.  Emportée  par 
IVlaii  (l()i;iMali<iiie.  elle  se  laisse  aller  au  système  et  à  res[)rit  de 
-Nstème.  Hien  des  choses,  dans  une  dogmatique,  ont  cessé  de 
M  pondre  au  sentiment  primitif  et  ne  lépondent  plus  qu'à 
1  (  spiit  de  système. 

Foui  cela  revient  à  dire  ([ue  res[)iil  humain  ou  du  moins  le 
(  M  ur  humain,  placé  en  face  du  dogme  mystérieux,  s'y  retrouve 
jiisipi  à  un  certain  point,  et  (pi'il  y  a  dans  le  sentiment  de 
(ilie  convenance  le  commencement  d'un  acquiescement. 

Du  reste,  l'histoire  et  la  psychologie  concourront  peut-être 
:i  montrer  que  le  dogme,  ([ui  satisfait  à  cette  exigence,  est.  au 
moins  en  partie,  le  résultat  de  cette  exigence,  de  sorte  qu'ici 
encore  la  foi  qui  se  retrouve  dans  les  objets  religieux  est,  au 
moins  en  partie,  la  foi  qui  les  a  créés. 

Mais  c'est  justement  contre  cette  hypothèse  que  s'est  édifiée 
la  doctrine  que  nous  examinons  maintenant.  Le  Dieu  «  sensible 
.111  cœur  »,  dont  la  présence  serait  immédiatement  sentie  dans 
les  dogmes  (pii  l'expriment  et  ([ui  le  représentent,  est  relégué 
ail  lointain  du  ciel  dogmatique,  et  il  ne  peut  plus  être  atteint 
«pic  par  des  démarches  indirectes  et  compliquées. 

Cela  vient  d'abord  de  l'aflinement  et  de  la  précision  crois- 
sante de  l'idée  de  vérité.  .Vu  contact  de  la  pensée  philoso- 
phi(iue,  la  philosophie  de  la  religion  s'est  accoutumée  au 
schéma  de  la  démonstration  et  de  la  preuve.  Or,  les  raisons  du 
cœur,  l'harmonie  de  la  religion  avec  nos  dispositions  morales 
intimes,  peuvent  bien  rendre  aimable  ou  vénérable  une  vérité 
de  foi.  Mais  ce  n'est  ni  évidence,  ni  démonstration.  Et  la 
démonstration  échoue,  et  même  elle  est  impossible,  puis([u'il 
s'agit  diin  mystère.  Donc,  même  si  on  les  retient,  les  raisons 


(I)    Los    llH-ologiciis    (Mllidliiiiiis   .((liiictleiil  lri>i>    principes    ciiii    ri'iuleiit 

possihli'  jiisfju'à  un  coilain  poinl  l'inlcllifrcnco  dos  Myslorcs  :    rapports  avoc 

la    lin    dorniore    de    l'iioninic,    analo^'ies    avoc  l'ordre    naturel.   rai>p"rl    des 
Mystères  entre  eux 


IIC)  LA    llELlGIOiN    ET    LA    KOI 

ilii  cœur  doivent,  pour  engendrer  la  crédibilité,  l'aire  un  déLou^ 
par  la  véridicifé  du  lénioignage.  On  dira  avec  Pascal  :  «  0\i 
donc  a  si  bien  connu  le  cœur  de  riiomme.  si  ce  n'est  Dieu? 
Et  l'on  retombe  ainsi  sur  le  Dieu  témoin  et  garant  de  la  véril 
des  dogmes,  que  d'autres  raisons  garantissent  ;  ce  n'est  que  dî 
cette  manière  que  les  raisons  du  cœur,  transformées  ei 
arguments  à  l'appui  de  l'existence  du  témoignage  divin,  peuvenj 
devenir  des  motifs  de  crédibilité  (i). 

C'est  qu'en  effet  la  théologie,  en  même  temps  (pi'elle  déve 
loppait  le  dogme,  a  senti  le  besoin  de  maintenir  et  menu 
d'accroitreson  inaccessibilité  ;  c'est  elle  qui  faitTinintelligibiliti 
radicale  du  dogme,  beaucoup  moins  inintelligible  avant  lei 
distinctions  delà  théologie.  Les  idées  de  Mystère,  de  Surnaturel 
de  Révélation  se  sont  juécisées  à  mesure  qil'on  les  posait  pouj 
elles-mêmes  et  qu'on  les  examinait  en  elles-mêmes,  car  h 
Révélation  est,  par  essence,  transcendante  à  la  nature  et  ne  b 
])énètre  <jue  comme  une  réalité  étrangère,  visible  aux  spec 
tateurs  seulement  comme  une  existence,  comme  un  fai 
contingent  :  ([u'on  la  prenne  sans  crili(jue,  avant  la  critique,  oi 
après  la  critique,  elle  a  quelque  chose  de  limitatif  et  d'ex- 
tensif  à  la  fois;  elle  restreint  la  nature  et  elle  la  déborde 
Mais  la  notion  de  Révélation  s'est  précisée  surtout  à  mesure 
qjic  se  précisaient  les  idées  contraires  de  Nature  et  d'Intelligi- 
bilité. Or,  comme  l'a  vu  profondément  Stuart  Mill,  les  preuves 
internes  de  la  révélation  ne  sauraient  jamais  autoriser  à  liii 
attribuer  une  origine  surnaturelle:  nulle  raison  concluante  d( 
croire  que  les  facultés  humaines,  qui  peuvent  percevoir  c\ 
reconnaître  l'existence  de  certaines  doctrines  morales,  sont  en 
même  temps  impuissantes  à  découvrir  ces  doctrines  (2).  Ce» 


'I;  Voir  Gaiu)i.ii„  Dict.de  ThéoL  callioL.  Article  ;  (^icdibilité.  D'autre  part  1 
oonfiance  ne  .siilïil  jias  et  ne  se  sullit  pas.  «  Il  ne  i)eiil  pas  y  avoir  de  conlianc 
en  Dieu  sans  des  conditions  définies  de  Dieu  et  de  ses  rapports  avec  le  niond 
et  avec  l'humanité.  La  foi  contient  toujours  un  moment  intellectuel  san.s  leque 
elle  nexLste  pas;  elle  n'est  jainai.s  uniquement  un  sentiment  ou  un  étal  d'âmes  i 
2  Stuart  Mii.L,  lissai  sur  la  religion,  202.  : 


I.  \     KOI     H  VISO.WANTK  III 

ainsi  i\\iv  ras[)ecL  cxItTicur  du  surnaturel  est  anieni'  à  iniiidri- 
le  pas  sur  l'aspect  intéiieur.  et  la  méthode  empiiique  sur 
la  méthode  d'immanenee  ;  la  vérité  chrétienne  s'impose  du 
<lehoi's.  au  lieu  d'être  recueillie  et  acceptée  comme  attendue  et 
réehunée  du   dedans. 

Kl  pourtaut,  il  faudra  justilier  jus(prà  un  cerlaiii  point  le 
contenu  de  la  relii,Mon.  Car  4  ohlijçés  de  croire  <pie  la  laison  se 
trompe  en  jugeant  le  contenu,  nous  pourrions  croire  aussi 
({u'elle  nous  trompe  en  jugeant  de  la  vérité  du  contenant.  » 
La  raison  est-elle  ea[)able  de  piouver  des  connaissances  <pi"t'lle 
est  incapable  d'acquérir  .^ 

Mystère.  Miracle.  Surnaturel,  notions  parentes,  et  (pii  se 
précisent  par  opposition.  Il  n'y  a  de  Mystère  qu'autant  que  se 
4ouslitue  l'intelligibilité  <pii  l'exclut.  Ce  qui  sera  mystérieux 
plus  tard,  au  sens  plein,  d'abord  n'est  qu'une  anxieuse  et  vague 
terreur.  Le  monde  religieux  des  mythes  et  des  dogmes  est 
tl'abord  un  monde  étrange  et  familier,  étranger,  certes,  au 
cercle  de  la  vie  profane,  mais  pourtant  étrangement  mêlé  a 
lui.  C'est  le  temps  où 

. .  .le  ciel  sur  la  U'rro 
Marchait  cl  respirait  en  un  peuple  de  Di«Mi\. 

Les  représentations  religieuses  originelles,  comme  on  la 
bien  montré,  sont  encore  indifférenciées  d'avec  les  mouve- 
ments et  les  acles  qui  rendent  effeclive  pour  le  groupe  ou  le 
sujet  la  communion  oîi  il  tend  :  «  La  participation  est  si  réelh- 
menl  vécue  qu'elle  n'est  pas  encore  proprement  pensée  »  (i;. 
Il  y  a  une  foi  (pii  ne  cherche  j)as  encore  à  comprendre  ou  à 
s'expliquer  son  objet  :  «  Ubicjuité  ou  niulliprésence  des  êtres, 
identité  de  l'un  et  du  multiple,  du  inênie  et  de  l'autre,  de 
lindividu  et  de  l'espèce,  tout  ce  ({ui  ferait  le  scandah'  et  le 
tlésespoir  d'une  pensée  assujelie  au  principe  de  eonlradiclion 
est  implicitement  admis  par  cette  mentalité  prélogique...  Elle 


1    Lkvy-Hhi  MI,,  i'onr/ions  mciitiilcs,  !i3~ 


11-2  \.\    HKI.KIIO.N    ET    I,A    1X)1 

a  son  expérionco  à  ollo,  loulo  inyslique,  mais  bien  plus  com- 
plète, plus  profonde .  plus  décisive  que  l'expérience  souvent 
ambiguë  dont  la  pensée  proprement  dite  sait  qu'elle  doit 
accepter  et  même  rechercher  le  contrôle.  Elle  s'en  satisfait 
entièrement  (i).  »  Ainsi  la  notion  de  mystère  grandit  et  se 
précise  à  mesure  (pie  s'accroît  la  connaissance  cpie  l'homme 
possède  de  lui-même  et  du  monde.  Cette  notion  a  besoin  du 
contraste  de  la  science  pour  s'afiirmer  et  se  préciser.  En  même  i 
temps  elle  se  développe  et  Uiid  à  envahir  toute  la  religion  : 
obscurité  invincible,  secret  divin,  réalité  qui  dépasse  toute 
intelligence,  que  la  raison  est  impuissante  à  expliquer,  à 
découvrir,  à  comprendre,  même  après  la  révélation. 

Ainsi,  (piand  s'est  organisée,  pour  les  raisons  et  dans  les 
conditions  (pie  nous  préciserons,  la  notion  de  deux  mondes, 
de  deux  ordres,  la  «distinction  de  l'ordre  naturel  et  de  l'ordre 
surnaturel,  les  thèses  incompatibles,  précédemment  unies  dans 
une  confusion  synthétique,  en  vinrent  nécessairement  à  se 
poser  dans  leur  radicale  incompatibilité  (2).  Et  c'est  alors  que 
le  Surnaturel  inintelligible,  et  cjui  a  besoin  de  l'intelligence, 
n'a  plus  trouvé  pour  l'accueillir  (|ue  la  méthode  de  «  l'extrin- 
sécisme  ».  Mais  une  telle  méthode  est  inévitablement  pleine 
de  difticultés  et  de  périls.  Ne,  vide-t-elle  pas  la  foi  de  son 
molif  principal?  Ne  risc|ue-t-elle  pas  de  trop  démontrer,  ou, 
au  contraire,  de  rester  lamentablement  insuflisante  et  de  se 
résigner,  en  lin  de  compte,  à  faire  appel  à  la  transcendance 
de  l'Autorité  pure  (3)?  Elle  réussit  aussi  longtemps  qu'unp 
croyance   universelle  la    rend  superflue.    «    Ils   prouveront   la' 


^i;  Jbid.,  ^28. 

(2)  (>'est  l'opposilioii  iiaison-Foi  et  en  même  temps  les  difFérents  essais  de, 
soIiiii(jn  du  conflit:  juxtaposition  pure  et  simple;  opposition  surmontée; 
coordination  et  subordination. 

(3)  Labeutiio.nmkkk  {Annales,    1908-1909,  p.  4ii)-  :  «  L'Apologétique  ration- 
nelle n'est  rien  de  plus  (juune   fiction.  (Jn   commence  par  poser  en  principe*" 
que  les   vérités    religieuses    doivent  être   démontrées  au  moins   extrinscrjue- 
ment  :  partant  de   certaines  données  qui   seraient  naturellement  à  la  portée 
de  tout  le  monde,   on  doit  aboutir,  par   la  seule  vertu  du  raisonnement,  à 


LA    l'Ol     HAISOXNANTK  Il3 

vôriU'  (If  la  docliinc  par  les  miracles,  el  les  iiiiraelo  [(.ii-  la 
(loeli'ine.  lanl  (jiie  les  peuples  eroironl  au  miracle  sur  lémoi- 
giiau:e  el  (pie  la  doehine  ne  sera  pas  eoutestée  comme 
(liviue  (i).  a 

L'ACTE    DE    FOI 

l^xamiiions  de  plus  près  la  structure  de  l'acte  de  loi,  selon 
la  Ihc'olojiie  catholique.  Elle  d(3clare  d'abord  qu'il  ne  peut 
être  d(!'taclR'  de  la  vie  du  lidc-le  que  par  une  fiction  arbitraire. 
L'  ('  habitude  de  la  loi  »  prt'cède  et  prc^pare  l'acte  de  loi.  Cette 
habitude,  c'est,  au  sens  psyehologi([ue,  la  manière  d'être  du 
lidèle.  l'ensemble  de  ses  dispositions  et  de  ses  inspirations  ; 
au  sens  tlu'ologicpu',  une  vertu  divinement  infuse,  une  ij:ràce 
habiluelle  ([ui  rend  capable  de  produire  des  actes  de  loi  sous 
l'influence  de  la  p:ràce  actuelle. 

La  lhéoloii:ie  d(''crit  ici  un  fait  incontestable,  (pielle  entend, 
à  vrai  dire,  comme  un  t'tat  surnaturel.  Xewman  disait  que 
c'est  la  pureté  du  sentiment,  la  sainteté,  la  soumission  ou 
l'amour,  peu  importe  le  mot,  qui  est  l'œil  de  la  foi  :  on  gagne 
à  saintement  vivre  une  élévation,  une  délicatesse,  une  pureté 
d'esprit  indispensables  à  l'intelligence  de  la  vérité  des  Ecri- 
tures. Les  ànies  de  sensualité  ou  d'orgueil  se  suffisent  à  elles- 
mènu's. 


l'ariiriiiiUioii  lo},'i(iuc  fjue  de  telles  asserlions  sont  à  croire.  Mais  on  constate 
ensuite  ([iic  la  loi  ne  se  produit  |)as  ainsi,  i)arce  que  la  loi  exijii'e  en  outre 
l'intervention  de  la  j^ràce  el  de  la  volonté.  Kt  on  constate  ensuite  qu'il  n'est 
pas  i)ossilde  de  mettre  sur  pied  cette  dénionslration  parfaite  avant  de  se 
décider  el  i)our  se  décider  à  croire,  lîicn  plus,  il  ne  faut  pas  que  celte  dé- 
monstration soit  jamais  parfaite  i)arce  que  les  vérités  étant  seientilitiuement 
démontrée-;  ne  pourraient  plus  être  objet  de  foi.  Et  c'est  alors  que  sous  des 
formes  dillérentes  on  fait  ajipel  aux  suj)|)léances  subjectives,  aux  disposi- 
tions du  sujet  et  à  l'intervention  de  la  }>:ràce...  Hn  même  temps,  pour  ne 
pas  voir  (jue  de  la  sorte  f)n  avoue,  non  seulement  rinsufllsanee  de  la 
démonstration,  mais  le  besoin  qu'on  a  ([u'elle  ne  suflise  pas,  tout  en  la  disant 
néces-iaire  et  possiiile,  o:i  laisse  entendre  que  si  elle  ne  suflit  i>as,  c'est  par 
la  faute  des  individus  qui  ne  sont  pas  ce  qu'ils  devraient  être.  » 
(il  Uknouviku,  Manuel  de  /ihilosoiihie  tincieniic,  II,  3yi 


Il4  LA.    HELIGION    ET    LA    FOI 

(Vfs!  pourquoi  riiabilude  de  la  loi,  qui  maintient  ferme  le 
litlèle.  le  dispeuse.  jusq.i  à  un  eerlain  point,  de  rexamcn  qui 
prouve  la  croyance  et  des  raisons  sur  lesquelles  s'appuie  la 
erédihililc  de  la  révélation.  La  plupart  du  temps,  du  reste,  le 
croyant  s'arrête  à  l'intention  de  la  toi.  c'est-à-dire  à  cet  acte 
primitif  et  initial,  ([ui  contient  à  l'état  de  désir  volontaire  tout 
ce  qui  constituera  l'acte  intégral  de  la  foi  formée. 


Mais  voici  le  schéma  classique  de  cet  examen. 

Il  y  a  des  raisons  de  croire,  des  «  motifs  de  crédibilité  ». 
L'assentiment  de  la  foi  n'est  pas  un  aveugle  mouvement  de 
l'esprit. 

Les  raisons  de  croire  ne  suffiraient  pas,  sans  une  illumina- 
tion et  une  inspiration  qui  font  trouver  à  tous  suavité  dans  le 
consentement  et  la  croyance.  La  foi  est  une  vertu  surnaturelle 
une  grâce. 

Cette  illumination  et  cette  inspiration,  cette  grâce,  en  un 
mot,  est  l'essence  de  la  foi.  C'est  à  cause  d'elle  que  l'on  croit, 
et  non  pas  à  cause  des  preuves  et  de  leur  action  sur  l'esprit. 
L'absolu  de  Lassentiment  du  tidèle  ne  se  mesure  pas  à  la  force 
démonstrative  des  motifs  rationnels  d'adhésion.  Dien  se  révèle 
dans  la  grâce  de  révélation  qu'est  la  foi.  C'est  la  lumière 
divine  qui  fait  la  certitude  de  l'acte  de  foi.  La  foi,  c'est  avan|i 
tout  la  grâce  de  croire  :  de  croire  en  la  puissance  qui  est  l^ 
grâce.  La  puissance  de  la  grâce  devient  la  puissance  de  croire  (i). 


I 


î 


i)  Cest  te  que  Leibniz  a  puissamment  compris  :  «  La  foi  divine,  quan^ 
elle  est  allumée  dans  l'àuic,  est  quelque  cliose  de  plus  qu'une  opinion,  et  ne 
dépend  pas  des  occasions  ou  des  motifs  qui  l'ont  fait  naître;  elle  va  au  delà 
de  l'entendement  et  s'empare  de  la  volonté  et  du  cœur  pour  nous  faire  agfif 
avec  clialeur  et  plaisir,  comme  la  loi  de  Dieu  le  commande,  sans  <(u'on  oit 
plus  besoin  de  penser  aux  raisons,  ni  de  s'arrêter  aux  dinicultés  de  raisQ»- 
nement  que  l'esprit  peut  envisager.  »  [Discours  delà  Conformité  de  la  Foi 
de  la  Raison,  p.  29.; 


I.V     l'OI     n.VISftNNWTK  Il5 

Mai<  la  diriiciillé  inévitahlc,  c'ost  q«io  la  loi,  qui,  en  un  sens, 
rsl  iiliiniinalioii  ol  inspiration  p:ratniles.  au  delà  do  lor:lc 
raison,  csl.  en  un  autre  sens,  raison  de  croiie. 

Selon  (jue  la  théologie  aceentue  luii  ou  1  autre  élénienl. 
laete  de  loi  prend  couleur  de  lidéismc  ou  de  rationalisme  : 
mais,  inévitahlemeni,  les  exitjenees  de  l'orthodoxie  ramrneni 
l'autre  élément  pour  l'aire  contrepoids  au  premier.  De  sorle 
qu'au  sein  de  chaque  système,  il  y  «a  plus  ou  moins  la 
recherche  du  compromis;  de  sorte  ({ue  la  succession  des  sys- 
tèmes est  gouvernée  jusqu'à  un  certain  point  par  cette  oscilla- 
tion. 

Kl  en  elFet,  il  y  a  des  théolog^iens  (pii  mettent  la  science 
daus  la  foi,  et  (jui  assimilent  la  foi  divine  à  la  foi  scientifique 
fondée  sur  l'évidence  du  témoi;i:na,2:e.  Je  crois  parce  que  je  vois 
que  Dieu  l'a  dit  et  (pie  ce  que  Dieu  dit  est  vrai.  Puisque  la  foi 
est  une  adhésion  intellectuelle  et  raisonnable  et  qu'elle  ne 
repose  pas  sur  l'évidence  directe  de  la  vérité,  c'est  donc  sur 
l'évidence  de  la  vérité  dans  le  dire  d'autrui,  sur  l'évidence  du 
lémoi2:nau:e,  qu'elle  est  fondée.  L'acte  de  foi  tend  ici  vei^ 
l'acte  de  science.  Il  deviendrait  aisément  une  simple  conclusion 
loifiijue  de  prémisses  rationnelles  (i),  la  vue  trop  nette  de 
l'aulorilé  abolirait  la  foi.  (jui  repose  sur  l'autorité  pure  et 
simple  (d'un  côté  l'autorité  ne  peut  se  passer  de  l'évidence,  et 
de  l'autre  l'évidence  est  destructive  de  l'autorité),  si  le  théolo- 
gien ne  constatait  aussitôt  l'excès  de  l'adhésion  sur  les  motifs  : 
ce  <pii  lui  fait  admettre  qu'elle  est  proportionnée  au  poi<ls  i\i' 
l'autorité,  non  |)as  telle  qu'elle  apparaît,  mais  telle  qu'elle  est 
en  elle-mcm«'.  Autrement  et  sans  franchir  la  nature,  commeni 
atteindre  le  monde  surnaturel?  De  sorte  (jue  le  réalisme  de  la 
grAce  vient  compenser   l'inteliectualisnie    de  la  raison  raison- 


I  On  usera,  il  est  vrai,  de  siihfprfufjes,  pour  parer  nu  clan<;er;  liberté 
d'examiner  ou  «le  ne  pas  examiner;  liberté  dallitude  intt'rieare  au  lours  de 
la  rerherelie,  lilierlé  «l'un  refus  dans  le  passaj;c  du  juj^einent  de  loi  à  l'acte 
âe  foi. 


Il()  l.A     HKI.KtIDN     KT    I,.\     KOI 

nanti'  et  la  loroo  surnaliircllr  dv  la  limiièro  divine  sajouler 
aux  conelusions  (le  la  lumière  naliirelle.  L'orthodoxie  esl 
sauve  :  sauve  aussi  la  vérité  psycholos^iquc. 

Mais,  à  la  limite,  ne  |){  iil-il  y  avoir,  sous  l'empire  de  la  volonté, 
une  adliésit)M  de  l'espiit  indépendante  de  lotdc  influence  logi(iue 
des  motifs  et  de  toute  vue  de  la  véiité? 

Seulement,  si  l'on  superpose  une  telle  adhésion  à  la  [)i'e- 
niière.  ne  eesse-t-elle  j)as  d'être  une  adhésion  raisonnable,  à 
moins  de  rester  en  rapport  avec  les  preuves? 

Ou  bien  encore,  nest-il  pas  possible,  dans  l'acte  même  de  l'oi, 
de  fusionner  les  motifs  de  crédibilité  avec  r«  objet  formel  »,  l'au- 
torité de  Dieu.  <iu'ils  éclairent  d'une  lumière  rationnelle.  Les 
prémisses  ne  peuvent-elles  être  admises  immédiatement  avec 
leurs  preuves  tellement  renfermées  en  elles-mêmes,  tellement 
fusionnées  avec  elles,  (pi'il  n'en  résulte  plus  (pi'une  seule  pro- 
position Innnédiatement  connue,  par  une  sorte  de  vision  syn- 
théti(pie  (i).  Le  discours  disparaît  et  fait  place  à  l'intuition. 

(3u  bien  encore,  la  Foi  n'est-elle  pas  un  simple  déplaccmeni 
de  p^ravité  de  l'àme  humaine?  L'adhésion  naturelle,  c'est  unej 
adhésion  de  simple  constatation  ;  les  vérités  divines  n'y  pré- 
sentent ancun  intérêt  ;  elles  y  sont  comme  non  avenues,  comnrt 
si  elles  Ji'existaient  pas.  L'adhésion  surnaturelle,  au  contraire,! 
consiste,  sous  Taction  de  la  ii:ràce,  à  adhérer  à  ces  mêmes  véri- 
tés, comme  au  bien  suprême  auquel  l'homme  est  destiné.  Ainsi 
la  foi  surnaturelle  succède  immédiatement  à  la  crédibilité  théo- 
loj.îi(pie,  la  vérité  est  à  la  fois  objet  de  foi  et  o])jet  de  science  (2)J 


(1)  LUGO. 

(2)  Père  IIiLAi!(E,  Eludes  franciscaines,  i;)oS.  Hermès  distinj^uait,  on  le  sait, 
la  0  foi  de  connaissance  »,  pi-oduit  naturel  et  nécessaire  de  l'examen  rationnel, 
assentiment  qui  se  produit  sans  la  <yiàce  et  sans  la  liberté,  et  la  «  foi  dl 
cciur  »  a^issatil  par  la  charité,  foi  surnaturelle,  foi  vraiment  libre.  Mais  l'in^ 
tellectualisine  d'IIerniès  esl  imprégné  de  Kantisme.  La  \crité  et  la  réalité  d< 
1  histoire  évanjjélifjue  ne  j)euvent,  d'après  lui,  être  admises  de  telle  fa<;on  qu< 
tout  doute  spéculatif  soil  exclu.  Il  ne  serait  j)as  aljsurde,  pour  la  raison  spéj 
culative,  d'admettre  que  .Jésus,  en  se  disant  Dieu,  ail  clé  lrom|)eiirou  lrr)nipéJ 
Hermès,  après  avoir  discuté  si  le  nouveau  Testament  et  la  tradition  orale  sonj 
hisloriquement  vrais  «  d'une  fa^on  extérieure  »,  remet  à  la  raison  pratique  If 


I.V    lor     HAI.-Q\.\.\MK  117 

()ii  liit'ii  t'iic'oic.  on  ft'ia  ix'im'Iici'  plus  |)r()roiul«''monl  la 
place  dans  le  Iravail  do  la  raison.  I/honinic  pcul-il,  sans  l'illu- 
niinalioii  de  la  Lrràct',  pcrccvoii-  (.-oinnio  ptcuNos  les  prc'ainhulcs 
de  la  Foi?  S'il  vu  est  ainsi,  il  no  fanl  |>oinl  iniai^iner  iU' 
ju^:cnlont  do  orôdil»iIilô,  (pii  oonsliliio  un  aolo  dislincl.  La 
poi'coplion  do  la  orôdibilil»'-  no  fait  ([n'iin  avec  Tacto  de  toi.  «  11 
n'y  aurait  plus  lieu  de  dédt)ul)lor  ■  la  loi  vivante  en  un  aele 
de  raison  et  un  aete  surnaturel  »,  «  d'applicpier  sur  l'aete 
nalurol  la  dorure  du  surnaturel  (i)    >. 

Une  grande  part  est  faite  iei  à  la  nature,  sans  que  soit  nié 
pourtant  le  caractère  surnaturel  de  l'acte  de  foi.  Mais  la  grâce 
surnaturelle  ne  sollicite  à  faire  que  ce  que  les  lumières  de  la 
raison  suggèrent:  grâce  surnaturelle,  non  ([uani  à  la  substance, 
mais  <piant  an  modo  d'opération. 

(l'est  pour(pioi  une  autre  école  soutiendra  ([ue  les  lumières 
de  la  raison  ne  sauraient  fournir  le  motif  d  actes  surnaturels. 
Pour  que  la  foi  soit  vraiment  foi  divine,  il  faut  que  l'autorité 
du  Dieu  révélateur  qui  l'inspire  soit  ill(-mèn;e  011:0  par  un 
acte  de  foi. 

Va  ceux  dos  Salmanticenses  qui  voient  dans  cette  assertion 
de  Suare/  un  cercle  vicieux  et  qui  croient  ré|)ondre  au 
problème  par  la  distinction  de  Dieu  comme  auteur  de  l'ordre 
naturel  et  comme  auteur,  de  l'ordre  surnaturel,  et  qui 
enseignent  (jue  la  foi  n'est  surnaturelle  et  salutaire  ([u'autant 
qu'elle  s'à[)puie  sur  le  témoignage  de  Dieu  considéré  comme 
auteur  de  l'ordre  surnaturel,  aboutissent  en  lin  de  compte  à  la 
question  même  :  Dieu,  auteur  de  la  Foi,  est-il  connu  naturel- 
lement ou  surnatuiellement? 


soin  de  (Iccieler  si  la  tloi-lrine  tli-  Josus.  tcUo  (|u'cll«'  est  proposée  dans  et"  li\  rc 
el  dans  cfltc  liadition,  csl  "  iiitcrii'ureiiuMit  "  vraif. 

D'où  lin  snl)jtclivisiiie,  qui  attriiit  aussi  la  lliéolofîii'  morale;  car,  pour 
Hermès,  1rs  coniinandcini-nts  de  Difu  nacipiièrcnl  l'on-e  obli^^aUdro,  (|ncn 
tant  qu'ils  sont  inlérifurcnicnt,  aprts  exaiui-n  dv  leur  objet,  reconnus  con- 
formes imx  exijrences  de  la  raison  pratique. 

(I)  lloissELOT,   lifchf relies  de  sciences  relii^icuses,  njnt  cl  i<)i^- 


Ilb<  LA    UELIGION    Kl    LA    FOI 


D'autres  siipposonl  la  vue  de  la  vérilé  coinnic  coiulilion 
préalable  de  l'aclc  de  foi,  mais  ils  en  font  abstraction  dans 
Tacle  inèiiie.  Les  jugements  sur  la  véracilé  divine  et  sur  le  t'ait 
de  la  révélation  ne  conduisent  qu'au  seuil  du  sanctuaire 
L'adhésion  de  foi  ne  se  fonde  plus  sur  l'évidence  du  témoi- 
irnage  ;  mais  sur  la  seule  autorité  du  témoin. 

La  Foi  suppose  la  vue  des  motifs,  mais  elle  est  motivée 
uni(juement  par  l'autorité  divine,  sans  aucune  inlluence 
logique  de  la  vue  préalable  sur  l'assentiment.  L'autorité  divine, 
Egarante  des  vérités  révélées,  n'est  plus  seulement  le  motif  de 
la  croyance;  elle  t*n  devient  la  cause.  La  Foi,  c'est  l'autorité 
divine  acceptée  purement  et  simplement  ;  c'est  le  respect  qui 
s'incline  devant  la  suj)ériorité.  Croire,  c'est  captiver  son 
intellij^ence  sous  l'autorité  de  Dieu.  L'acte  de  foi  s'appuie 
ontolop:iquement,  mais  non  logiciuement  sur  les  certitudes 
préalables. 

Mais,  après  tout,  il  se  nourrit  de  ces  raisonnements.  Le 
départ  est  diflicile  entre  la  foi  proprement  dite  et  la  conliancfi 
de  la  raison  en  elle-même  et  en  son  œuvre. 


* 
* 


La  doctrine  classique  de  saint  Thomas  ouvre  magistralemenl 
l'ère  de  ces  périlleuses  spéculations.  En  voici  l'économi< 
essentielle  : 

Les  dogmes  ne  peuvent  être  l'objet  d'une  adhésion  natu- 
relle de  l'intelligence.  L'objet  sur  lequel  porte  l'acte  de  foi^ 
n'a  pas  le  pouvoir  par  lui-même  de  causer  l'adhésion  ;  p*] 
lui-même,   il   rebuterait  plutôt  l'intelligence,    car   il  présenti 


LA    lOI    RAISONNANTi:  II9 

M  des  apparences  Ibrniidables  d'impossibilité  (i)  *>  !  La  science 
<|ui'  nous  avons  de  Dieu  est  eellc  ([u'à  partir  de  données 
sensibles  nous  pouvons  ae(juérir  d'un  être  purement  intel- 
ligible. Ainsi  l'entendement,  se  tondant  sur  le  témoij^naKe  des 
sens,  peut  inférer  que  Dieu  existe  ;  mais  non  connaître  l'essence 
divine. 

L'adhésion  au  dogme  a  lieu  par  l'inlermédiaire  de  laulorilé 
divine,  qui  est  reconnue  par  la  raison  et  qui  meut  la  volonté. 

A  partir  de  celte  illuminalion,  l'Iiomme  commence  à  parti- 
ciper de  la  vie  éternelle.  La  foi  se  trouve  entre  deux  pensées 
enquêteuses  :  l'une  inclinant  la  volonté  à  croire,  et  celle-ci 
précède  la  loi;  l'autre  tendant  à  l'intelligence  des  choses  que 
l'on  croit  déjà;  et  celle-là  est  ensemble  avec  l'assentiment  de 
la  foi. 

Et  voici  comment  est  traité  le  problème  qui  nous  occupe. 
L'acte  de  l'intelligence,  qui  précède  et  [)répare  l'acte  de  foi,  et 
qui  travaille  sur  les  motifs  de  crédibilité,  aboutit  à  une 
adhésion,  qui  est  la  conclusion  d'une  enquête,  qui  est  une 
adhésion  de  science.  L'enquête  satisfaisant  l'esprit,  il  conclut 
favorablement.  C'est  un  acte  de  foi  au  surnaturel,  mais  ([ui  est 
d'ordre  naturel. 

Ainsi,  à  l'aide  de  l'histoire  et  du  raisonnement,  le  sujet 
établit  que  Dieu  a  parlé  et  que  sa  parole  est  vraie.  Le  témoi- 
gnage divin  ou  la  révélation  divine  est,  de  ce  point  de  vue, 
chose  (pii  se  prouve,  objet  de  science.  Donc,  cette  reconnais- 
sance du  fait  et  de  l'autorité  de  la  parole  de  Dieu  ne  lait  pas 
partie  iiilrinsèque  de  l'acte  de  foi,  même  «piaiid  elle  est  rell'el 
de  la  grâce. 

Mais  l'autorité  divine,  ainsi  établie  à  litre  de  conclusion, 
devient,  dans  l'acte  de  foi  pro()rement  dit.  le  motif  de  l'aflir- 
malion.  Elle  échappe  alors  à  toute  prise  de  la  raison,  et  porte 
en  elle-même  sa  vertu  justilicalive.    La  volonté  abandonne  le 


(ï    l'KtiiES,  (Joniriwntdirc,  X.  01. 


120  L\    UEI.K.ION    ET    LA    KOI 

savoir,  et  s'al)an(loniK'  à  celle  auloiilé,  (jui  devient  la  cause 
(U-  ladliésion.  Linlelligence,  élevée  au-dessus  d'elle-même, 
alleint  en  <[uel(iue  sorte  la  lumière  de  Dieu  en  elle-même, 
raison  inlrinsè([ue  de  la  vérité  de  loi.  acceptée  [)Our  elle  et 
sur  son  témoignage.  C'est  donc  Dieu  lui-même  qui  se  propose 
à  la  volonté,  l'attire  et  s'affirme  dans  l'esprit  par  son  entre- 
mise. Dans  l'acte  propre  de  la  loi,  l'autorité  divine  est  chose 
(jui  ne  se  prouve  pas,  mais  ([ui  s'impose  par  elle-même; 
l'aflirmation  divine  se  justifie  par  elle  seule  et  c'est  dans  le  fait 
d'y  adhérer  pour  elle-même  que  consiste  exactement  la  foi.  La 
vérité  première  est  à  la  fois  ce  (jui  fait  croire  et  ce  qui  est  cru; 
ou,  pour  parler  avec  l'École,  l'objet  formel  et  l'objet  matérie 
de  la  foi.  Mais  la  Vérité  [)remière  n'est  pas  appréhendée  en 
elle-même.;  elle  n'est  présente  dans  l'esprit  que  par  son 
inipulsion  sur  l'esprit.  La  Foi  n'est  pas  vision.  La  Foi  est  d^ 
l'ordre  de  l'absence. 

Pour  résumer  en  peu  de  mots,  le  travail  de  la  raison  me 
l'àme  en  présence  de  Dieu,  mais  devant  Dieu,  la  raison  s'elface 
le  cœur  se  donne  tout  entier,  et  c'est  la  Foi  qui  apparaît. 

Il  send)le  bien  (^u'il  faille  distinguer  deux  stades:  au 
premier  c'est  surtout  l'intelligence  qui  agit,  même  quand  elle 
est  soutenue  par  les  dispositions  affectives  :  au  second  c'est  un 
élan  (jui  dépasse  l'intelligence,  une  puissance  d'affirmation 
saisie  de  vertige  devant  l'immensité  qui  affirme  et  qui  est^ 
affirmée. 

Celte  doctrine  est  un  dosage  savant,  un  compromis 
délicat  (i).  (^ue  l'on  force  un  peu  l'un  des  termes,  et  l'une  des 
tendances  conciliées,  prenant  le  dessus,  s'épanouira  par-dessus 
toutes  les  autres,  et  ce  sera  le  Rationalisme,  ou  au  contraire  le 
Fidéisme. 


ij  II  sajjil  de  concilier  une-  antinomie  religieuse  :  la  foi  est  libre  dans  .soi 
principe;  et  croire  est  toujours  une  solution  personnelle  et  singulière.  L. 
science  amène  à  des  conclusions  qui  s'inqiosent  nécessairement  et  qui  son 
impersonnelles  et  universelles. 


I.A     KOI    RAISONNANIK 


Mais  cet  élat  (rcspril  liii-niùnic  présenle,  lliistoirc  en 
U'iiioiLTiu',  des  variétés  et  des  variations  nulabies.  Xolie  but 
n'est  pas  de  suivre  les  eonti'overses  sur  l'analyse  de  la  Foi, 
parlieulièreiiuiil  vives  (lej)uis  le  (loneile  de  Trente,  mais  seule- 
ment de  déurager  les  dillerentes  attitudes  qu'elles  impli(pient, 
en  tant  qu'elles  ne  sont  pas  de  pures  eonstruetions  de  l'esprit 
de  syslènic.  de  purs  produits  de  riinai,Mualion  tliéoloii:i(pie. 


* 
* 


Le  théologien,  le  doeleur,  et  avec  lui  le  fidèle  cpii  raisonne, 
no  peut  pourtant  pas,  si  loin  (pi'il  pousse  le  raisonnement,  se 
résigner  à  connaître  tic  façon  purement  raisonnable  l'autorité 
de  Dieu,  motif  de  la  foi;  sinon  il  n'est  plus  qu'un  philosophe 
et  la  foi  proprement  dite  disparaît.  Ne  sent-il  pas  du  reste, 
parvenu  en  présence  de  Dieu  qui  révèle,  une  autorité  qui 
déj)asse  les  arguments  de  sa  raison,  un  surplus  d'affirmation 
et  d'être,  qui  lui  a[)paraissent  comme  inexplicables?  Pour 
parler  comme  les  théologiens,  l'autorité  de  Dieu  intervient, 
dans  l'acte  de  foi,  sous  une  forme  toute  autre  ([ue  dans  les 
préambules  de  la  foi. 

Un  des  théologiens  de  Salamanque,  hlizalde,  dira  que,  dans 
le  processus  qui  commence  par  les  préambules  et  qui  finit  par 
la  Foi,  il  y  a  plus  de  vertu  motrice,  et  par  conséiiuent  plus  de 
certitude  à  la  fin  qu'an  conmieneement.  C'est  précisément  cet 
excès  de  certitude  (jui  est  la  foi. 

Voici  Suarcz  qui  dit  nettement  que  c'est  Dieu  même  qui 
est,  en  même  temps,  l'objet  et  le  fondement  de  la  foi.  La  foi  se 
fonde  sur  l'autorité  de  Dieu  ;  elle  affirme  en  même  temps  ce 
qu'elle  croit  et  ce  (jui  la  fait  croire,  cela  sur  l'autorité  de  ceci. 
Or  c'est  Dieu  (pii  est  cru  et  (jui  fait  croire.  Dieu  en  se  révélant 
révèle  sa  véracité  ;  il  révèle  qu'il  révèle,  il  se  révèle. 


laa  I.A    RELIGION    KT    LA    1  OI 

C'est  le  luoinoiit  lidôiste  du  syslènie  dans  1  iiclc  de  foi  ; 
1  autorité  divine  et  la  révélation  ne  sont  admis  que  sur  la  parole 
de  Dieu,  e'est-à-dirc  par  motif  de  foi  divine.  On  adhère  pan  un 
acte  de  Foi  à  l'autorité  de  Dieu,  au  lieu  d'y  adliérer  simplement 
à  eause  des  j>reuves  fournies  par  la  raison. 

En  ellet.  la  raison  humaine  ne  saurait  être  le  fondement  de 
la  Foi  ;  «  encore  ([ue  la  raison  humaine  soit  requise,  pour 
percevoir  ee  (]ui  est  proposé  à  croire,  pour  le  connaître,  pour 
juger  (piil  est  j)rudent  de  le  croire  et  que  cela  n'est  pas 
impossiltle.  pourlant  cela  n'est  pas  le  fondement  de  la  Foi 
elirétienne  ». 

Ce  (jui  fait  que  le  système  n'est  pas  tout  entier  lidéiste, 
c'est  qu'avant  l'acte  de  foi,  le  croyant  affirme  l'autorité  de 
Dieu  et  le  fait  de  la  révélation,  en  vertu  de  motifs  autres  (pie  le 
motif  spéciti(pie  de  la  Foi  divine.  C'est  seulement  dans  l'acte  de 
foi  lin-mème  qu'il  n'admet  plus  l'autorité  divine  et  le  fait  de 
la  révélation  (jue  sur  la  parole  de  Dieu,  c'est-à-dire  par  le 
motif  de  la  Foi  divine.  Car  l'évidence  naturelle  n'est  pas  la  Foi., 
Et  alors  même  que,  chez  les  doctes,  la  Foi  se  double  d'évidence 
naturelle,  elle  «ipporte  toujours  sa  certitude  obscure  et  son 
acquiescement  au  jugement  de  crédibilité. 

Il  y  a  donc  dans  l'assentiment  de  foi  plus  de  certitude 
qu'il  n'y  en  a  dans  les  raisons  qui  le  dirigent;  entre  le  jugement 
naturel,  et  l'entraînement  de  la  volonté  de  croire,  une  illumi 
nation  surnaturelle.  La  raison,  soutenue  par  l'habitude  de  la 
Foi,  prépare  l'acte  de  foi.  L'acte  de  foi  est  tout  entier  un  acte 
surnaturel;  la  volonté,  entraînée  par  une  ilhimination,  dépasse 
les  raisons  de  croire.  L'autorité  extérieure  de  Dieu,  proposée 
à  la  raison,  devient,  dans  l'acte  de  foi,  l'autorité  intérieure, 
qui  fait  aflirnier  Dieu. 

D'autres  appuieront  sur  le  jnoment  objectif  de  cette  autorité, 
La  Foi,  ce  n'est  plus  la  connaissance  subjective  delà  révélation  ; 
c'est  la  révélation  même,  agissant  objectivement  dans  le  lidèlej 
L'autorité  du   témoin    devient    l'action   de    Dieu.    La   Foi    ne 


l.A.    l'OI    nAISONNAMi:  la'i 

cuniiail  plus  daiiloritr,  mais  racLion  divine,  la  vciUi  iiiliisc 
ariinno  en  clic  cl  par  elle  les  «  objels  nuilériels  »,  les  do^Miies 
en  (pji  consiste  l'acte  de  loi.  Ce  n'est  pas  la  connaissance  de  la 
vt'i'aeilé  divine  (jiii  lail  la  Foi,  mais  la  véracité  divine  elle-niènie, 
la  toute-puissan(;e  divine  qui  opère  et  (jui  élève  lintelligenee 
pour  pi'oduiie  lassentiinent.  Seule  l'autorité  de  Dieu  en  elle- 
même  est  capable  de  fonder  une  adhésion  [)artaite,  et  non  [)as 
l'évidcnee  de  la  vérité  du  lémoij?nagc.  Seule  l'autorité  objective, 
el  non  pas  l'acte  subjectif,  par  lequel  l'autorité  est  aflirméed). 

C'est  donc,  après  les  motifs  de  crédibilité,  qu(^k(ue  chose 
connue  une  suj?gestion  <  intérieure,  la  sufçp^estion  divine, 
l'appréhension  suasive  (a). 

D'aulres  accentueront  la  dilFérence,  l'abîme  <pi'il  y  a  entre 
le  Dieu  de  la  laison  et  de  la  nature  et  le  Dieu  de  la  révélation 
et  de  la  Foi.  Comment  le  premier  introduirait-il  le  lidèle  dans 
l'ordre  surnaturel  ?  Les  Salmanticenses  distinti^uent  Dieu 
comme  auteur  de  Tordre  naturel  et  de  l'ordre  surnaturel,  el  ils 
ensei}i:nent  (pie  la  F^oi  n'est  surnaturelle  qu'autant  qu'elle 
s'appuie  sur  le  lémoignaj?e  de  Dieu  considéré  comme  auteur  de 
l'ordre  surnatui'el. 

D'autres  encore  appuieront  davantage  sur  l'acte  de  volonté. 
C'est  la  volonté  <pii,  après  les  raisonnements,  fait  passer  l'esprit 
de  la  science  à  la  Foi:  l'esprit  j)erd  pied  dans  ce  passage  et  fait 
un  saut  dans  la  nuit:  la  lumière  de  la  raison  s'éteint  dans  le 
sanctuaire  de  la  Foi  (3).  Peut-être  même,  pour  ce  coup  d'état 
de  la  volonté  libre,  faut-il  oublier  les  motifs  de  crédibilité, 
dépouiller  Dieu  de  ses  preuves,  admettre  immédiatement  et 
sans  preuves  :  un  couf)  de  volonté  dans  la  nuit  (1). 


(il  Elizai.dk, /•'o/v/u/  ifrui'  rcligionis.  tNapIes,  iCiCa).  — TiiYnsK  ('ionzaie/.,  I)c 
in  failli  h  i  lit  (lie  rnmani  fiontijitis,  Iloiiiae,  i>)89,  l't  Miinuductio  tid  coiisfisionrm 
inuhoinelanoruin,  Dilliiigcii,  1689.  —  Cardinal  ItiLUn,  De  <,irlulibus  infiisis. 
(2*  éd.  Iloiiu-  ii)oJ., 

(2     Ul.l.OA. 

(3    Ma/./,ki.lv. 

(^)  AuiiiAOA,  Vi\;i. 


lU^  LA    RELIGION    FT    LA    1  OI 

Voloiik'  rpordiu'  ri  lascinée  (lui.  ajurs  la  recherche  de 
1  espril.  vient  s'ahaUre  sur  le  Dieu  (jui  se  dérobe  à  la  raison; 
grâce  divine  (jui  illumine  et  qui  suiçgère  :  deux  manières 
dillérenles  et  pomlanl  liés  voisines  d'exprimer  en  lennes 
d'iirationalilé  une  action  su[)ra-intellectuelle;  (luehjue  chose 
(pii  est  de  l'ordre  aU'ectif  el  senlimental  :  principes  qui  se 
combinenl  du  reste  dans  de  tels  systèmes  empressés  à  l'aire 
coopérer  la  grâce  el  la  liberté. 

Du  reste,  l'obscurité  n'est  point  totale  dans  cette  nuit  de  la 
Foi.  Le  regard  reste  tourné  vers  la  vérité  première,  qui  mani- 
tesle  o[)scuréinent,  mais  avec  une  et'iicace  (pie  rien  ne  trouble, 
la  vérilé  contenue  dans  l'assertion  proposée.  L'acte  de  toi 
scientilicpie,  qui  précède  lacle  de  Foi  proprement  dit,  laisse 
des  traces  dans  l'esprit.  Tandis  ({ue  la  foi  embrasse  son  objet 
dans  l'obscurité,  l'esprit  du  croyant  reste  dans  la  lumière  qui 
lui  montre  l'objet  comme  croyable,  et  il  ne  tient  qu'à  lui  de 
regarder  vers  la  lumière.  L'acte  de  loi  n'est  pas  une  vision  de 
la  vérité,  mais  il  se  l'ait  dans  la  lumière. 

Tel  est  donc  letlort  de  la  Foi.  Ou  bien  immanent  à  la  nature 
et  se  retrouvant  dans  la  raison  même  :  l'acte  de  Foi  n'est  alors 
que  la  raison  exaltée.  Ou  bien  transcendant  à  la  nature  et 
séparant  profondément  l'acte  naturel  et  l'acte  surnaturel.  Dans 
ce  dernier  même  on  est  amené  à  distinguer,  selon  qu'on  le 
considère  comme  [)lus  ou  moins  radicalement  distinct  de  l'acte 
naturel  :  selon  que  l'objet  de  science  se  retrouve  plus  ou  moins 
dans  la  Foi,  ou  (ju'au  contraire  la  Foi  est  considérée  comme 
radicalement  étrangère  à  la  science  (i). 


I)  11  sfiiil)li:  qtK'  loiilcs  fcs  doctrines  aient  un  trait  commun.  Le  travail 
de  la  raison  met  1  anic  en  présence  de  Dieu  ;  mais  devant  Dieu,  la  laison 
s'efface  el  c'est  la  Foi  qui  ajipai'ait. 

Le  motif  de  la  Foi  est  alurs  l'autorité  de  Dieu.  Mais  la  notion  de  Dieu  e( 
de  son  autorité,  est-elle  rationnelle  ou  révélée'.'  Ici  commencent  les  diver- 
{^ences.  Kst-ce  le  Dieu  d'Ainaliam  cl  de  .lacolt,  ou  le  Dieu  des  philosophes  el 
des  sa\ants'.' 

hi  l'autorité  de  Dieu  est  certaine  par  raison,  et  si  c'est  le  concept  rationne 
de  Dieu  qui  l'ait  l'autorité  de   la  Foi,  y  a-t-il  dans  la  Foi  autre   cliose  que  U 


LA     vol    KAISON.NANTK  I '20 


()ii«'ll('s  <|iio  soient  les  (livcii^t'iucs  (l(>s  docliMirs,  il  y  a  iiiu' 
docliiiu'  lallioliiiuc  el  le  Cloiicik'  du  \'alicaii  la  roriiiidc  avec 
nelU'lé.  La  droite  raison  démonlie  les  fondements  de  la  Foi. 
Mais  les  mol  ils  de  erédibililé  ne  sont  j)as  la  Foi  el  ne  l'en^^en- 
dronl  pas  néeessairenient  :  il  se  peut  fort  bien  (jn'ils  soient 
connus  et  (pi'on  demeure  incrédule;  qu'on  soit  ineapahie  de  les 
examiner  el  cpi'on  ait  pourtant  la  Foi. 

Ainsi  la  Foi  veut  être  raisonnal)le  sans  être  pourtant  lation- 
nelle.  Les  préambules  de  la  Foi  sont  une  condition  ilécessaire 
et  |)()ui'tanl  insufllsanle.  Ceci  contre  le  Fidéisme  qui  refuse  à  la 
raison  le  pouvoir  de  connaître  les  vérités  relif^ieuses  ou  nu)rales 
d'ordre  naturel,  et  affirme  l'absolue  nécessité  de  la  révélation 
pour  manifester  ces  vérités  et  en  donner  la  certitude.  Le 
Fidéisme.  par  défiance  de  la  valeur  de  la  raison  humaine  ou  par 
e\ai!:ération  de  l'autorité,  fonde  la  Foi,  et  même  la  raison,  sur 
la  Foi  qui  p<'ul  seule  donner  une  véritable  cerlitude  des  prin- 
cipes de  la  raison.  ]-]t  contie  le  semi-iidéisme,  qui  refuse  à  la 
raison,  dans  la  preuve  des  préambules  de  la  Foi,  la  possibilité 
d'arriver  à  un  juirement  ferme;  ou  tout  au  moins  qui  n'exij^e 
pas  ce  jujfcment  ferme  comme  eondilion  de  l'acte  de  foi. 

Le  motif  de  la  l'oi  suppose  donc  (pie  l'esprit  se  rende  eonq)te 
de  la  vérité  de  plusieurs  propositions  :  Dieu  existe;  il  ne  peut 


raison?  Si  elle  est  eertaiiu-  par-  ih'\  (-latioii  cxlt^ricure  ou  iiiti'i-it  nre,  à  quoi 
lion  la  raison  ?  Si  elle  est  certaine  par  révélation  iiitt-rieure,  à  (pioi  iioii  les 
Krrilnres,  rKffliso,  la  révélation  extérieure? 

Mais  cosl  larl  du  (Catholicisme,  de  savoir  doser  el  niélani,'er  les  extrêmes 
et  les  ineonipatiMes. 

Le  l)i<Mi  de  la  Révélation  peut  il  se  passer,  liu  reste,  du  Dieu  de  la 
Nature?  (Jn'esl-ee  (jui  lait  les  dieux  divins?  (Ju'estce  (jui  lait  reconnaître 
les  dieux  eoniuK'  divins,  sinon  le  eoneept  des  Dieux?  ^lènie  dans  le  verti},'e 
de  sn  IVii,  comme  dans  celui  île  l'extase,  le  croyant  n  emporte-t  il  pas  une 
«olion,  une  idée,  qui  éclaire  cet  abime  ?  hml  il  est  diflicili-  de  se  p;i-;s.M-  de 
la  raison  même  <lans  les  élans  hy|»erralionnels. 


I.,V    nELIGION    ET    LA    FOI 


ni  SI'  tromper,  ni  nous  tromper;  il  a  révélé  telle  doctrine  et 
s'en  porte  jïarant.  Cela  étant  connu,  la  Foi  s'établit  par  sou 
motif  pro|)ie  :  proptcr  auctorltatem  Dei  révélant Is. 

11  y  a  donc  un  minimum  de  critique  conlié  à  la  raison  et 
cpii  piéeède  l'acte  de  foi  (i). 

(.yest  bien  le  sens  des  propositions  (pie  l'Eglise  lit  sous- 
crire à  Bautain  en  i835.  Le  raisonnement  peut  prouver  avec 
cerlitude  l'existence  de  Dieu;  la  révélation  mosaïque  se  prouve^ 
avec  eerlilnde  j)ar  la  tradition  orale  et  écrite  de  la  synaiçogue 
et  du  ehrislianisme;  la  révélation  chrétienne  se  prouve  avec 
certitude  par  la  double  tradition  écrite  et  orale,  qui  établit  à 
son  tour  les  miracles  et  la  résurrection  de  Jésus-Glirist.  En 
un  mot  «  l'usage  de  la  raison  précède  la  foi  et  y  conduit 
l'homme  par  la  révélation  et  la  grâce  ».  La  Foi  est  postérieure 
à  la  révélation.  L'assentiment  à  la  vérité  révélée  présuppose 
non  seulement  le  fait  de  la  révélation,  mais  encore  une  con- 
naissance sutlisamment  certaine  de  ce  fait,  ainsi  que  des 
raisons  spécidatives  et  pratiques  d'adhérer  à  cette  révélation 
Mais  cet  assentiment  n'a  lieu  que  par  un  secours  intérieur,  par 
l'illumination  et  l'inspiration. 

La  raison  va  même  plus  loin.  La  raison  éclairée  par  la  Foi 
trouve  quelque  intelligence,  et  même  très  fructueuse,  des 
mystères,  tant  par  l'analogie  des  choses  qu'elle  connaît  natu^ 
Tellement,  que  par  le  rapport  des  mystères  entre  eux  et  avcQ 
la  fin  dernière  de  l'homme,  encore  qu'elle  ne  devienne  jamais 
apte  à  les  percevoir  comme  les  vérités  qui  constituent  son 
objet  propre  (2). 


1  Lkibmz.  ULscourH  de  la  Conformité  de  la  Foi  et  de  la  liaison,  \n\r.  29 
I'  Li's  inoliCs  île  crcdihiiilc  .jiisli(icnl  une  fois  pour  toutes  l'autorité  de  l 
Sainte  Ecriture  devant  le  triliunal  de  la  raison,  afin  que  la  raison  lui  cèd 
dans  la  suite,  connue  à  une  nouv<'lIe  luiui«'re,  et  lui  sacrifie  toutes  ses  vrair 
senil)lances...  car  il  faut  bien  qu'elle  ait  des  caractères  que  les  fausses  reli 
{;i<)ns  n'ont  pas;  autrement  Zoroastre,  Brama...  seraient  aussi  croyables  qu( 
Moi.>,e  et  Jcsus-Ciirist.    ■ 

2  Concile  dti  Vatican. 

Cf.   Lkibmz  Discours  de  la  Conformité,  par.  54  :  «   Les  mystères  reçoiven 
une    explication,    mais   cette   explication   est   imparfaite.    Il  suffit   (fue  nom 


I.A     1  OI     IIAISONNAM  i:  12^ 

Ainsi  la  raison  se  coordonne  à  la  Foi.  ■'  <hi()i([U('  la  loi 
soi!  an-dessus  de  la  raison,  il  ne  peut  y  avoir  de  véritable 
désaeeord  entre  la  loi  et  la  raison.  Cette  ap[)arence  de  contra- 
diction vient  ou  de  ce  (jne  les  dogmes  de  la  Foi  n'ont  pas  été 
compris  et  e\pos(''s  suivant  res|)rit  de  l'Kglise,  ou  de  ce  cpic 
les  erreurs  des  opinions  sont  prises  pour  des  jugements  de  la 
raison... 

La  Foi  et  la  raison  se  prêtent  un  mutuel  secours  ;  la  droite 
raison  démontre  les  fondements  de  la  Foi,  et,  éclairée  par  sa 
lumière,  elle  développe  la  science  des  choses  divines  :  la  Foi 
délivre  et  prémunit  la  raison  contre  les  erreurs  et  l'enrichit 
d'amples  connaissances.  ■> 


L'AUTORITE    DE     L'EVIDENCE 
ET    L'ÉVIDENCE     DE     L'AUTORITÉ 

A  {)artir  de  la  philosophie  thomiste,  l'autorité  de  l'évidence 
s'efTace  définitivement  devant  l'évidence  de  l'autorité.  Le 
schéma  oriiciel  de  l'Eglisiv  basé  sur  cette  philosophie,  c'est 
que  la  foi  est  soumission  à  l'autorité  divine.  L'autorité  elle- 
même  est  placée  entre  deux  vérités  :  la  vérité  naturelle  des 
pn-ambules  de  la  Foi,  la  vérité  surnaturelle  des  dogmes.  Entre 
le  monde  de  la  nature  et  le  monde  surnaturel,  la  Foi  est  le 
médiateur  et  le  véhicule.  Elle  va  d'un  moment  à  l'autre  de  la 
vie  divine. 

La  vérité  des  dogmes  n'intervient  pas  dans  la  Foi.  Ils 
transcendent  la  raison  humaine.  Eclairée  par  la  foi,  elle  peut 
s'en  faire  quelque  représentation  :  analogie,  liaison  des 
dogmes  les  uns  avec  les  autres,  rapport  des  dogmes  aux  fins 


^•ons  «lut'IfTue  intelligence  analogique  d'un  niyslère...  mais  il  n'est  point 
nécessaire  que  l'explication  aille  aussi  loin  qu'il  serait  à  souliaiter,  eest-à- 
dire  qu'elle  aille  jusqu'à  la  couiprciiension  et  au  coiuuient.  »  Cf.  par.  56. 


IjS  I.A    UKLK.ION    KT    l.A    FOI 

surnalurellcs  de  Ihoinnu';  tels  seront  les   moyens  de  la  théo 
lo;::ie.  Mais  lout   eela  est   au  second    j>lan,  après  la   foi,  et  n'y 
intervient  j>as.  ('e  n'est  pas  le  contenu  de  la  Coi  (jui  l'impose, 
mais  d'abord  le  lémoij^nage  extrinsèque. 

l'ne  philosophie  naturelle  s'est  édifiée,  qui  a  rendu  le 
dogme  étranger  à  la  raison.  L'idée  de  révélation  s'est  établie 
de  plus  en  plus  dans  sa  spécificité  et  dans  sa  transcendance. 
Pour  rattacher  le  surnaturel  à  la  nature,  il  faut  dorénavant 
l'artilice  d'un  détour,  une  opération  extrinsèque,  une  garantie 
externe  de  la  révélation;  et  ce  garant,  c'est  un  être,  auteur  de 
la  nature  à  la  fois  et  du  monde  surnaturel,  qui,  créateur  de 
l'un  et  principe  de  l'autre,  assure  le  passage  de  l'un  à  l'autre, 
revêtant  dans  son  passage  de  l'un  à  l'autre  des  caractères 
nouveaux. 

Si  la  foi  chrétienne  a  pour  objet  des  mystères,  dont  la 
raison  naturelle  ne  peut  ni  démontrer  l'existence,  ni  com- 
prendre l'essence  (même  après  la  révélation),  la  foi  chrétienne 
ne  peut  être  une  intuition  ni  une  démonstration  philosophique, 
qui  enlèverait  à  ces  vérités  leur  caractère  mystérieux  :  elle  ne 
peut  être  (ju'une  connaissance  extrinsèque,  appuyée  sur  le 
témoignage  de  Dieu,  qui  livre  le  fait,  l'incarnation  par  exemple, 
sans  en  expliquer  le  mode  intime,  laissant  ainsi  la  vérité  enve- 
loppée d'ombre. 

Le  salut  de  l'homme  exige  en  effet  que  la  révélation  divine 
lui  fasse  connaître  un  ccitain  nombre  de  vérités,  incom- 
préhensibles j)our  sa  raison  (i). 

Ainsi,  à  mesure  que  l'intelligence  constate,  en  même  temps 
que  l'existence  du  dogme,  son  inintelligibilité,  elle  fait  le 
(léloiir    i\v   j'extrinsécisme,  et  va   chercher  en  dehors   de  lui,! 


(I.  Il  est  hifn  entendu  qu'AIhcrl  Je  Grand  a  précédé  saint  Tlioiiia>.  dans 
cette  voie.  Il  distinj,'ue  très  nettement  la  doctrine  rationnelle  et  l'évidence 
d'une  part,  et  la  loi  obscure  et  l'autorité,  d'autre  part.  Il  aflirme  catégori- 
quement l'impossibilité  de  croire  et  de  savoir  une  même  vérité  à  un  même 
point  fie  vue.  Avec  lui  la  philosophie  démontre  les  préambules  de  la  foi, 
sans  pénétrer  dans  le  contenu  mystérieux  de  la  foi. 

i 


I   V    KOI     H  \ISO\.\A.\IK  ■      I2() 

■'iiis     I  liisloili'    cL    la     |)liil().S()|)lii(\     sa     raison    délit'     <•!     sa 
-  .laiilie  (i). 

Mais  il  nc'ii  a  pas  loiijours  vlv  de  même.  Kl  il  scinhlc  (juc 
k'  t'oiitenu.  le  momeul  intolloclucl  du  dogme,  elTacé  de  la  foi, 
ù  partir  du  thomisme,  y  soil  très  marqué,  au  eoutraire,  à  une 
épocpie  autéjieure.  Il  est  exagéré  de  préfendie  avec  ([uehjues- 
uiis  (pi'il  y  ait  régné  seul,  ou  même  qu'il  y  ail  été  prépondé- 
rant. Mais  il  y  a  été  présent  el  agissant,  au  lieu  d'être  relégué, 
comme  par  le  tliomisnu'.  dans  la  perspective  (pi'ouvre  la  toi. 
Du  couple  primilir,  la  révolution  thomiste  a  accenlué  l'un  des 
membres,  l'Autorité,  laissant  dans  l'ombre  la  Vérité,  si  nous 
entendons  par  Vérité  le  contenu  même  du  dogme  (2). 


* 
*     * 


p]sl-ce  à  dire  que  le  giand  problème  pour  les  Pères,  surtout 
pour  les  Pères  Grecs,  ail  été,  comme  on  l'a  dit,  celui  de  la 
raison  dans  la  foi,  et  non  celui  de  la  raison  avant  la  foi?  C'est 
sur  le  dogme,  sur  le  mystère  que  porterait  leur  ellbrt.  Saint 
Augustin  même  et  saint  Anselme  auraient  été  bien  plus  préoc- 
cupés de  faire  entendre  qu'on  verra  dès  qu'on  auia   cru  que  de 


(l)  Descartes  ne  s'ost-il  point  soiivriui  ilc  saiiil  Tlutiiias '.'  Il  I)l•ou^■e 
l'existence  de  Dieu,  puis  fait  appel  à  la  véracile  divine  pour  garantir  tout 
l'irrationnel  de  la  pensée.  Il  y  a  là  une  démarche  analogue  à  l'extrinséeisnie 
de  saint  Thomas.  Mais  l'irrationnel  de  la  pensée,  que  le  Dieu  cartésien 
garantit,  ce  ne  sont  pas  des  dogmes,  c'est  la  connaissance  sensible  en 
général,  connaissance  par  les  sens  ou  connaissance  [)ar  la  mémoire,  ce  qui 
se  passe  dans  le  lein|)s. 

2  La  iliniculté  de  «  l'extrinséeisnie  "  c'est  <|ue,  si  la  raison  liumaine 
n'atteint  point  l'être,  si  elle  est  hi-l«'rogène  à  la  raison  divine,  il  est  dil'licile 
d'aflirnier  leur  unit»'-,  ou,  ce  (|ui  revient  au  même,  leur  conciliation  possible. 
Arislolc,  saint  Thomas  et  Kant,  rencontrent  tous  trois  la  même  diriiculté,  et 
sont  i)lus  près  les  uns  des  aiilres  «ju'il  ne  semble. 

L'extrinsécismc  amène  inévitablement  la  protestation  de  tons  ceux  qui 
croient  <|ue  la  déliance  envers  la  raison  est  mortelle,  \'oir  E.michson,  .1«/o- 
/>»'()^Trt/)/(/c,  I,  i-2h  :  .  Dieu  ne  lait  pas  usayi-  de  l'Autorilc-  personnelle.  C'est 
l'ellct  direct  tie  toute  vérité  s|)irituelle  (rabr«>ger,  d<'  nulliticr  l'aulorilé  per- 
sonnelle. » 


rio  lA    HKI.IGION    KT    LA    I  OI 

(loiini'r  (les    raisons  tic   croire  en  prouvant  la    révélation   (i) 
(.est  penl-èlie  al|er  trop  loin,  mais  on  peut,  jusqu'à  un  certaii; 
point,  admetire,  avec  HeitzetMan(lonnet(î2),  l'absence,,  jusqu'ai 
tlioinisme.  d'une  distinction   formelle  entre  le  domaine  de  Is 
philosophie  cl  celui  de  la  théoloi^ie,  c'est-à-dire  entre   l'ordr 
des  vérités  ralionnelles  et  celui  des  vérités  révélées.  Les  deu: 
ordres  restent  confondus   :   la   philosophie    proprement   dit 
étant  intégrée  à  la  révélation,  sur  le  plan  de  laquelle  elle  es 
haussée,    parce    (juclle   procède   d'une    illumination,   l'intelli- 
ifcncc  humaine  n'accomplissant  sou  opération  que  sousTaclior 
illuminatrice  et  immédiate  de  Dieu,  et  trouvant  ses  principes 
mêmes  dans   la   lumière  de  la  science  divine.  Ou  bien,  si  les 
deux  ordres  sont  distingués,  la  distinction  demeure  théorique, 
et,  en  fait,  n'aboutit  pas. 

Ainsi,  chez  la  plupart  de  ces  théologiens,  la  connais- 
sance rationnelle  serait  comlitionnée  de  telle  sorte  par  l'illumi- 
nation divine,  (ju'un  théologien  moderne  serait  embarrassé 
de  dire  si  c'est  la  connaissance  rationnelle  ([ui  est  surna- 
turelle ou  la  révélation  qui  est  rabaissée  au  niveau  de  la 
raison. 

La  raison,  illuminée  par  la  lumière  divine,  peut  pénétrer  le 
sens  des  mystères  chrétiens;  commencement  de  vision  béati- 
li(iue.  Le  contenu  même  de  la  révélation,  objet  de  foi,  devient 
ol)jcl  d'intelligence.  On  vise  à  connaître  intrinsèquement  la 
vérité  révélée. 

La  connaissance  naturelle  se  distingue  encore  mal  de  la  foi 
surnaturelle.  Le  Surnaturel  enveloppe  tout,  et  l'Ame,  éclairée 
par  la  (iràce,  vit  familièrement  dans  cette  intelligibilité  suj)é- 
ricurc.   Les    motifs   extrinsèques,   qui    prouvent    l'autorité    du 


M 


I,    Uai.wkl,    L'a  casai   de  systf'nudisdtion    npolofft'Hfjne.    JicK'ue  d'Ai>oloi>é 
iiqne,  1908.) 

(2)  Hkitz,  lîsHais  hislorviues  sur   1rs  rapports  dp    la  liaison  el  de  la  Foi, 
liérenger  de  Tours  à  saint  Thomas. 

Mando.nxkt,  Sif^er    de   livahant.   (Vilson   vient  de    reprendre    cette    tlièsc 
diins  ses  Klndes  de  philosophie  médiévale. 


I 


LA    ICI    RAISONNANTE  l3l 

témoignage,  le  cèdenl  aux  raisons  intrinsèques  qui  tendent  à 
légitimer  directement  les  Mystères  (i). 

An  eontraire,  le  Thomisme,  sous  linlluenee  de  la  pliilo- 
sophie  aristotélicienne,  apporte  la  solution  devenue  classique 
dés  relations  de  la  Foi  et  de  la  Science. 

L'Iionmie  ne  connaît  que  le  sensible,  et  s'il  peut  savoir 
naturellement  (pie  Dieu  est,  il  ne  peut  savoir  ce  c|u'il  est.  Toute 
la  vérité  divine  est  du  domaine  de  la  révélation.  Même  l'ana- 
logie ne  permet  pas  de  saisir,  si  peu  que  ce  soit,  le  surnaturel 
en  lui-même.  Le  motif  de  croire  n'est  donc  jamais  «  la  vérité 
intrinsèque  »,  mais  seulement  l'autorité  divine,  qui  repose  sur 
les  démonstrations  de  la  raison. 

Ainsi  la  première  philosophie  chrétienne  n'aurait  pas  fait 
de  distinction  radicale  entre  le  Mystère  et  la  Raison  ;  elle  se 
meut  sur  le  plan  du  (inosticisme  et  du  Néoplatonisme.  Au 
contraire  «-  l'Extrinsécisme  a  s'est  développé  à  mesure  que  se 
précisaient  les  notions  de  Raison  et  de  Mystère,  de  Nature  et 
<le  Surnaturel.  L'Aristotélisme  avec  sa  psychologie  de  la 
nature  et  sa  doctrine  de  la  connaissance  sensible,  entrant,  de 
par  saint  Thomas,  dans  l'économie  chrétienne,  l'opposition  de 
la  raison  naturelle  et  du  dogme  chrétien  s'est  précisée.  La 
philosophie  est  devenue  une  espèce  d'introduction  à  la  reli- 
gion, une  espèce  de  religion  naturelle,  fondement  de  la  reli- 
gion positive,  mais  incapable  d'en  pénétrer  ou  d'en  justiller  les 
dogmes.  Le  passage  de  l'une  à  l'autre,  et  leur  juxtaposition 
dans  l'esprit,  n'est  alors  possil)lc  (juc  par  les  artitices  ([uc  nous 
avons  (Ic'orils  (-i). 


(Il  Gahueii.,  iJictionnttire  de  Théolo^if  caHtuli(/U(%  art.    (a-ôdibililc. 

(a)  Il  s'agit  de  (■oncili<T  une  vérilal)!»'  aiitiiioiuie  rolii^ii-iise,  dont  voici  Ips 
deux  trriius  :  p  Le  Surnaturel  et  la  Nature  srmt  hélérofcènes  ;  a'  le  Suriin- 
lurel  et  la  Nature  dniNcnl  former  un  système  rationnel  et  pouvoir  être  olijtt 
de  srienee.  Le  rationalisme  illumine  aussi  bien  (jue  l'extrinsceisnie  thomiste 
ne  représentent  du  reste  (|u'une  partie  des  tendanees  i|ui  s'a<,'itenl  dans 
l'Efflise.  Il  faudrait  y  joindre  tf»utes  les  formes  de  lidéisme,  pour  eompléter 
le  tableau.  (ïilson  a  bien  montré  eonimenl  saint  Pierre-Dnmien  représente 
ropposilion  à  la  raison   dans  la   l'"oi  :    et    il   rap|ii'lli-    Im'iiciu^ciihiiI    le   mot  di' 


rî-2  LA    UELKWON    KT    LA    l'OI 

Plus  tard  la  polônH([»o  protcstaïUo  viendra  raviver  le  pro- 
Mènio,  en  préeisanl  l'opposition  de  la  Foi  confiance  et  de  la 
Foi  croyance  (ij.  Et  le  conllil  de  la  science  et  de  la  eriti([ue 
philosophi(pie  avec  la  théolojçie  conduira  la  théolog^ie  à 
maintenir  et  à  accentuer  la  distinction  des  deux  ordres. 


* 
* 


Thèse  excellente,  à  condition  de  ne  point  l'exagérer. 

Certainement  la  doctrine  aui?ustiiiienne  de  «  T Illumination  >» 
domine  le  Moyen  Age.  Augustin  voulait  dire  que  l'àme  ne  peut 
atteindre  à  la  vérité  intellectuelle  sans  une  influence  mysté- 
rieuse de  Dieu,  qui  produit  en  elle  comme  une  image  de  la 
vérité  :  nous  voyons  la  vérité  de  toutes  choses  dans  la  vérité 
de  Dieu.  Ainsi  Dieu  opère  dans  la  raison  même,  non  pas  par 
une  révélation  proprement  dite,  mais  par  une  sorte  de  coopé- 
ration et  de  création  continuée  (2)..  Et  ce  docteur  attend 
beaucoup  de  la  raison  illuminée  :  ne  reeonnaît-il  pas  que  les 
platoniciens  lui  ont  enseigné  le  Dieu  infini  et  le  Dieu  triple,. 
Créateur,  A'érilé,  Bonté?  11  n'y  a  pas  deux  vérités;  mais  une 
seule  enseignée  dans  l'Evangile,  et  dont  il  cherche  la  raison  dans 
la  philosophie. 

Mais  saint  Augustin  reproche  à  ces  mêmes  platoniciens 
d'ignorer  ou  de  repousser  l'Incarnation,  la  Rédemption  et  la 
Grâce.  Il  proclame  le  caractère  mystérieux  des  Mystères.  Il 
admet  la  Foi,  adhésion  intellectuelle  aux  vérités  divines, 
garanties  non  par  une   vision   interne,   mais   par  des  témoins 


(Iréyoire  IX  :    Fuies  non  hnhel  rncriiuin,  cui  hurnana  ratio  prœbel  experirnen- 
iutn.  Eludes,  45'  J 

1)  Voir  le  chapitre  siiiv;mt.  ' 

{2)  Saint  Bonavcntiire  dira  après  lui  que  la  lumi«>re  de  rintellecl  créé 
est  insuflisante  par  elle-même  à  nous  assurer  la  compréhension  certaine 
d'une  chose  «juelconque  sans  la  lumière  du  Verbe  éternel  et  que  la  lumière 
divine  est  plus  intérieure  ù  l'àmc  fjue  ne   l'est  l'âme   elle-même. 


LA    lOI    nMSONNAMK  l33 

difçnes  de  créance.  Avaiil  toute  foi,  la  raison  doit  montrer,  non 
la  vérité  infiin<'  des  aflinnations  du  témoin,  mais  ses  litres  à 
être  cru  sur  parole.  Dans  laele  de  foi  même,  la  raison  1,'ardc 
cette  vision  de  l'autorité  du  témoignage  autorisé  :  les  téuioi- 
gnages  «  (jiiibiis  mw,  non  visa  creduntiir  ».  Ainsi,  la  loi  précède 
la  raison  :  la  raison  s'arrête  au  seuil  du  mystère,  sans  demander 
à  la  foi  «l'attendre,  juscju'à  ce  (pfelle  ait  mieux  compris  (i). 
(^est  après  avoir  cru  que  le  fidèle  cherchera  des  explications 
plus  ou  moins  satisfaisantes  du  dogme  (2). 

L'autorité,  vérifiée  et  reconnue  par  la  raison  (3),  est  le 
support  de  la  foi.  et  non  pas  la  vérité  intrinsèque  des  objets 
de  la  foi.  Et  l'autorité  providentielle  de  l'Eglise  joue  dans  la 
foi  augustinienue  un  rôle  considérable  (4). 

Pourtant  cette  vérité  intrinsèque  est  plus  près  de  la  raison 
qu'elle  ne  le  sera  après  saint  Thomas,  et  beaucoup  de  docteurs 
suivent  la  doctrine  augustinienue  de  l'illumination. 

Pour  un  saint  Anselme,  la  raison,  aidée  de  l'illumination 
<livine,  approfondit,  après  la  foi,  le  contenu  de  la  croyance  et 


'i)  (Jue  la  (ioclriiie  de  riihiiiiinalioii  rationnelle  ni-nlraiiic  i)as  inévita- 
blrnient  à  spéculer  sur  les  choses  divines,  c'est  ce  «|uc  prouve  l'exemple  de 
Guillaume  d'Auverj,'ue. 

(21  Telle  sera  bien  l'atlitude  d'un  saint  Honaventure  ;  la  raison,  avertie 
par  la  foi,  se  satisfait  dans  la  considération  i\\\  mystère  de  la  Trinité. 

(3)  Les  miracles  et  les  pro[»béties,  la  sainteté  (lu  christianisme  et  la  trans- 
formation morale  du  monde,  voilà,  pt)ur  Auf,'ustin,  les  raisons  tle  croire  au 
christianisme.  Toute  preuve  de  la  révélation  par  les  miracles  suppose,  du 
reste,  la  connaissance  naturelle  de  Dieu.  (V.  PonTAi.iii,  art.  Auj^ustin,  in 
Divl.  de  'l'Iiéol.  rat  II.,  et  Hattiiol,  Le  ('.athnlicisine  de  saint  Aiiifuslin.  —  Voir 
aussi  Cil.  lîovHH.  L'Idée  de  Vérité  dans  in  l'Iiilosopliir  tie saint  Augii'itin,  p.  ir»() 
et  sniv.i 

l.e  caractère  amhi^u  de  la  raison  laisse  dans  le  vague,  —  avant  les  ana- 
lyses thomistes,  —  le  passage  de  la  raison  à  la  foi,  dans  l'acte  de  foi,  et  le 
rôle  (le  l'anloiité  divine. 

I.a  raison  illuminée  dispense  jusqu'à  un  certain  point  de  la  foi,  puis- 
qu'elle peut  atteindre  les  mystères;  elle  |>eut  donc  faire  disparaître  le 
problème. 

Mais  là  où  elle  le  laisse  subsister,  n'y  a-t  il  pas  souvent  tendance  à 
pénétrer  de  raison  laperception  de  l'auloriti-,  base  de  la  foi'.' 

(4'  Il  y  a  toujours  eu  chez  les  grands  calholi<|ues  une  nuance  de  ce  tradi- 
tionalisme (pii  |)ortera  un  <!<•  Honald,  un  Lamennais  à  aftirmer  que  la  raison 
indi\  iduelle  est  inca|)able  d'atteindre  la  vérité  sans'  la  raison  universelle. 


i34  LA  rf:lioion  et  la  foi 

arrivt'  ainsi,  par  son  travail  discursif,  à  un  élal  inlermédiaire 
entre  la  foi  pure  et  simple  et  l'évidence  de  la  vision.  Anselme 
veut  démontrer  par  des  raisons  nécessaires,  après  lEcriture, 
mais  sans  recourir  à  son  autorité,  les  enseignements  de  la 
foi  sur  la  Trinité  et  l'absolue  nécessité  de  l'Incarnation. 
Préparé  par  la  foi,  et  illuminé  d'en  haut,  l'honmie  atteint 
rintelliji:ence  des  mystères  divins  (i).  «  La  raison  atteint  dans 
cette  vie,  à  l'intelligence  des  vérités  éternelles.  La  foi  simple  et 
naïve  s'enrichit  de  conclusions  théologiques,  qui  sont  conmie 
des  illuminations,  des  révélations  supplémentaires,  descendues 
d'eu  haut  pendant  la  méditation  des  divins  mystères.  »  Dans  le 
même  sens,  les  Victorins  iront  aussi  loin. 

En  un  autre  sens  il  est  excessif  d'étendre  à  toute  la  philo- 
sophie médiévale  cçttc  même  thèse  de  la  non -distinction  de  la 
foi  et  de  la  raison  et  de  dire,  avec  Heitz,  (|u'il  n'y  a  pas  de 
rationalistes  au  Moyen  Age  et  que  la  raison,  même  chez  Scot 
Erigène,  Roscelin,  Siger  de  Brahant,  c'est  toujours  la  raison 
illuminée  (2). 

De  ce  courant  ilhmiiniste,  il  subsisteiu  quelque  action; 
même  après  le  Iriompiie  du  thomisme.  11  y  a  dans  le  Mysticisme , 
spéculatif  la  prétention  à  une  faculté  intermédiaire  entre  l'intui- 
tion mystique,  extatique  et  irrationnelle,  et  la  pure  raison; 
as.sez  analogue  à  la  Raison  illuminée  et  très  capable  de  péné- 
trer les  mystères,  de  suivre  l'Etre  depuis  son  fond  et  son 
origine,  à  travers  .ses  aventures  et  toutes  ses  manifestations. 


I)  Goiiiine  le  dit  justement  Gilson,  Etudes  de  pliilosoplde  médiévale,  p.  17  : 
La  raison  «  déiuonlro  après  qu'elle  se  trouve  prévenue  et  informée  de  ce 
qu'il  y  a  lieu  de  ilcmonlrer  -.. 

12)  La  thèse  est  véritablement  excessive  pour  ces  auteurs.  Elle  l'est 
peut-être  même  pour  Abélard.  (Voir  Kaiser,  Pierre  Abélard  critique,  1901, 
p.  i46.)  IJans  ses  solides  Études  de  philosophie  médiévale,  p.  14,  Gilson  s'efforce 
d'établir,  luj  aussi,  que  la  préoccupation  principale  de  Scot  Erigène  fut  de 
confondre  piiilosophic  et  théologie  s<ms  l'indiscutable  autorité  de  l'Écriture, 
et  (|u'ii  courut  la  connaissance  philosophique  et  naturelle  comme  un  cas 
particulier  de  la  révélation.  Et  s'il  reconnaU  qu'Abélard  sait  mieux  que  ses 
prédécesseurs  ce  qu'est  une  démonstration  rationnelle  et  qu'il  distingue 
l'altitude  du  philosophe  de  celle  du  croyant,  il  s'efforce,  avec  beaucoup  de 
vigueur,  île  montrer  que  son  prétendu  rationalisme  va  de  la  foi  à  la  raison. 


LA    l-OI     ItAISO.NNAM  K  I  35 

Lr  romaiilisiiit*  roliirieux  voudra  iis(|uoi'  lui  aussi  la  iiu'inr 
forliinc.  (lommc  Fitlilc,  llcj^cl  on  S(•ll(■lliu^:  n't'oiislriiisairiit  le 
moiidt'  à  parlii-  du  Moi.  de  IKlrc,  ou  de  l'Ahîmc  sans  Ibnd, 
(liïnllici-  drvclopix'ia  la  suilc  des  mystères,  pai'  une  série  de 
déinarehes  ralionnellcs,  à  pailii-  du  sujet  absolu  (|ni  s'oppose 
ù  soi-niènie  et  surnionl*'  eetle  ()pp»)sili()n. 

(l'est,  sons  des  doelrines  diveises.  une  des  i^randes  len- 
danees  iUi  eliiislianisnie,  issue  de  la  j)liil()sopliie  anlicpie:  la 
raison  de  l'Iioninie,  participation  bornée  mais  inmiédiale  ii  la 
raison  de  Dieu;  l'aete  [)rimordial  de  la  pensée  suspendu  à 
l'intuition  de  l'Être  divin,  (l'est  la  philosophie  anticpie.  au 
moins  telle  qu'elle  était  au  temps  du  Néoplatonisme,  eirculant 
à  travers  les  catégories  de  la  j)ensce  chrétienne.  L'autre  t^i'andt; 
tendance  ira  contre  la  Mélaphy.si(|ue  reliii:ieuse  et  contre  l'Anti- 
<piité.  Elle  distini^rue  deux  ordres,  strictement  hétérogènes, 
enferme  la  raison  dans  la  nature  créée  et  relègue  la  vie  divine 
dans  le  divin  même,  dans  l'inaccessible  surnaturel. 

L<'  rationalisme  illuminé  vient  de  i»lus  loin  que  saint  Augus- 
tin. 11  remonte  à  l'hellénisme,  au  platonisme,  à  la  doctrine  des 
Idées,  et  il  se  rattache  expressément  au  Néoplatonisme  et  à  sa 
prétention  de  saisir  l'être  à.  tous  ses  degrés  de  manifestation, 
à  partir  de  son  inintelligibililé  primordiale  :  le  Gnostieisme 
n'est  (pie  rexi)ression  hétérodoxe  de  cette  tendance  ;  la  Gnose, 
une  connaissance  supérieure,  qui.  chez  les  Gnostiques,  s'unit 
à  la  praliipie  de  moyens  mystérieux,  qui  mènent  au  salut (r). 
Dans  la  gnose  chrétienne  d'un  Clément  d'Alexandrie,  la  foi. 
reçue  dans  le  baptême,  dissipe  les  péchés  ([ui  aveuglent  l'homme 
et  rend  à  l'ceil  spirituel  la  faculté  de  voir  Dieu.  Groire,  c'est 
être  régénéré,  recevoir  la  connaissance  de  Dieu,  s'élever  à  la 
vie  de  l'esprit.  Sans  s'être  appliquée;  à  cheicher  Dieu,  la  Foi 
confesse  ipi'il  est  Dieu.  Il  l'aiil   partir  de  celle  foi  et.  croissant 


I     norssKT,    Ilaupt problème   tler  (iiiosis,    11)07.    —    ni     I'am  ,    (iuoslniufs    c( 
Gnosticisrne,  1913.  —  lloi  sskt,  Kyrios  CUristos,  iyi3. 


l36  I.A    UKI.KIION    KT    I.V    FOI 

(Ml  grâce  (levanl  Dieu,  accjiK'rir  la  connaissance.  Croire  que 
Dieu  est  le  Fils,  ([u'il  est  venu,  ([u'il  est  apparu  sous  une 
certaine  forme,  ]>()ur  une  certaine  cause  et  qu'il  a  souffert, 
c'est  l'objet  de  la  loi.  Dépasser  ces  laits,  demander  ce  qu'est 
le  Fils,  essayer  de  comprendre  sa  nature,  c'est  l'objet  de  la 
(înosc.  La  Foi  accepte  les  laits,  la  (luose  raisonne  sur  les 
faits.  La  Foi  est  connue  la  «  -fc.A/if.ç  »  stoïcienne,  l'intuition 
(jui  précède  le  raisonnement.  La  (Inose,  comme  la  "  x.aTiÀr,'}-.? 
le  raisonnement  cpii  explicite  et  confirme.  La  Gnose  est  la 
connaissance  iiilellii;ente  des  ^érilés  aux(pielles  le  fidèle  donne 
d'abord  par  la  foi  une  sorte  d'adhésion  instinctive  (i). 

Il  faut  donc  reconnaître  que,  chez  quelques  Pères  i?recs  et 
même  en  partie  chez  les  Pères  latins,  et  aussi  dans  le  haut 
Moyen  Age,  le  contenu  de  la  foi  juscpi'à  un  certain  j)oint  l'im- 
pose, sans  recours  aux  témoignages  extrinsè([ues.  A  la  période  de 
jeunesse  dognudique,  l'attention  se  porte  sur  l'élaboration  du 
dogme,  et  la  fécondité  systématique  accapare  l'effort  et  donne 
l'impression  de  la  vérité  qui  se  développe  par  sa  vertu  propre. 

Mais  il  faut  ajouter  aussitôt  que  l'autorité  s'ajoute  à  l'évi- 
dence intrinsècpie  :  le  souv<'nir  et  le  témoignage,  la  force  de 
la  liadilion,  la  puissance  du  corps  social  qui  fonde  dans  le 
passé  et  sur  la  j)ersonne  de  son  fondateur  l'autorité  de  sa 
doctiine,  substituant  la  mémoire  à  la  perception  directe, 
substituant  à  la  vision  du  Christ  vivant  cl  parlant,  la  chaîne  des 
témoins  et  des  garants  qui  s'allonge  à  mesure  que  le  tempi^ 
dure,  de  sorte  (pic  le  langage  muet  de  ce  témoin  vivant  qui 
est  l'Fglise,  Unit  par  i)rendre  prescpie  la  place  de  Jésus-Christ. 

Ft  le  r(jle  de  cette  enveloppe  autoritaire  devient  en  elfet 
[)rédominant,  à  mesure  qu'une  philosophie  naturelle  s'édifie, 
(pii  rend  le  dogme  étranger  à  la  raison.  Pour  le  réintégrer 
dans  la  nature,  il  faut  une  opération  extrinsèque,  une  garantie 
externe  de  la  révélation. 


(i    Paedng.,  I,  a^-aS.  —  Sironi..  VII,  'tâ-^»-]. 


I.A     KOI     It  Al  SON. NANTI':  I  3^ 

La  t,'^aiantic  de  la  révélation  par  un  éli'c  (jiii  lient  de  la 
nahirc  cl  on  même  temps  du  monde  surnaturel,  cpii  fait  et  (pii 
assure  le  passage  de  l'un  à  raulic.  revêtant  dans  son  passage 
de  l'un  à  l'antre  des  attributs  nouveaux,  (pii  venant  du  monde 
sunialurel  et  tenant  pourtant  de  la  nature,  est  retourné  au 
monde  surnalurel  :  Jésus-CJirist,  devenu  Dieu.  Le  porteur  des 
dogmes  est  devenu  un  dogme:  une  personne  historique  et  un 
dogme  à  la  fois:  el  (pii  louejie  |)ar  la  vertu  des  témoignages 
la  personne  elle-même,  se  trouve  en  présenee  d'un  Dieu  qui 
s'est  révélé  et  ([ui  en  se  révélant  a  révélé  en  même  temps 
loiite  rinaeeessihle  vérité. 


L'Apologétique  du  ii"  el  du  iii^  siècle  témoigne,  elle  aussi, 
<lu  médiocre  pouvoir  de  |)énétrer  les  choses  divines  (jue  le 
Christianisme,  hundjle  en  ses  origines,  confère  à  la  raison. 
Cela  est  trop  vrai,  bien  entendu,  de  ceux  qui,  comme  Tatien, 
n'ont  à  l'égard  de  l'hellénisme  ([ue  réprobation  et  opposition, 
et  (pii  fondent  précisémcnl  la  nécessité  de  la  révélation  sur 
l'impuissance  de  la  raison. 

Mais  même  chez  .luslin,  comme  chez  Aristide,  la  raison 
humaine  qui  partiei|)e  de  la  raison  divine,  souiee  de  toute 
lumièi»',  ne  j)eut  aller  plus  loin  cpie  la  connaissance  du  Dieu 
Père.  La  révélation  bibli(]ue,  puis  la  lévélalion  chrélienne 
dépassent  cette  raison.  Le  Verbe  révélateur,  ([ui  avail  besoin 
de  tilres  pour  accréditer  sa  mission,  se  les  était  préparés 
d'avance  dans  l'Ancien  Testament  par  les  prophéties  (i). 

II  est  viai  ([ue  ces  Apologies  sont  de  docirine  assez  faible 
et  (ju'il    n'en    faut  pas   exagérer   l'aulorilé.   Ainsi    en  a-l-il  été 


d]  PcKcii,  Les  Apoloffistes  grecs.  (Voir  aussi  I3orciiK-Li;(:i.i:m;<),  L'Intolc- 
ninre  reliirieusc  et  la  Politique.  —  Wkndi.axd,  Die  Urcliristliihen  l.itenitnrfor- 
tiKii.  IIahxack,  Mission  und  Ausbreilun^-,  a'  t-dilion.^ 


1  3^  LA  in:ij(;iON  kt  la  loi 

pîrscjuc  loujouis  tics  Apoloi^ies  du  (-hrisliuiiisinc  :  la  plupart 
«lu  Unips  ouvrajçes  de  circonstance,  deslincs  à  repousser  une 
altaipie  récente,  dirii^ée^sui-  un  point  particulier,  ou  bien,  sous 
une  apparence  de  plus  grande  généralité,  antidote  spécial  à  la 
l'orme  dominante  d'incrédulité.  lUen  de  ce  (pie  Vinet  appelait 
l'Apologie  éternelle  (i),  qui,  ayant  égard  aux  besoins  de  tous 
les  temps,  devançant  toute  forme  d'incrédulité,  pénétrant  plus 
avant  dans  le  doute  cpie  les  douteurs,  atteindrait,  avec  les 
secrets  de  la  foi,  la  racine  du  mal  pour  l'extirper.  Mais  si  rien 
n'est  plus  assujetti  aux  mouvements  du  temps  (jue  l'Apologie, 
s'il  est  juste  de  dire  que  chaque  siècle  a  son  apologie,  inspiré^ 
par  les  nécessités  du  moment  et  appropriée  aux  besoins  immé- 
diats des  fidèles,  il  faut  convenir  (pie  Justin  et  Aristide  sont 
d'assez  bons  témoins  des  exigences  de  la  conscience  chré- 
tienne :  des  témoins  assez  plats,  il  est  vrai,  et  (pii  ne  sont  pas 
au  niveau  de  la  haute  culture  de  leur  temps. 

Dans  sa  partie  négative,  l'Apologétique  critique  le  paga- 
nisme, avec  l'aide  de  la  philosophie  grec(pie  et  de  l'Apologé- 
tique juive,  —  pour  la  démonstration  du  monothéisme  et  le 
commentaire  de  la  Bible,  —  et  le  judaïsme,  contre  qui  elle 
démontre  le  caractère  messianique  de  Jésus.  Positive,  elle 
s'attache  à  justifier  la  foi  par  les  preuves  histori(pies,  miracles 
et  prophéties,  par  l'argument  moral,  la  sainteté  de  la  vie  chré- 
tienne, par  l'appel  au  cœur  de  l'homme,  par  des  essais  d'argu- 
mentation rationnelle.  Mais  l'usage  de  la  Raison,  et  l'utilisation 
de  la  philosophie  du  Logos,  (jui  rendait  la  Christologie  accep 
table  au  public  hellénique,  ne  vont  pas  jusqu'à  faire  de  la 
Révélation  une  raison. 

il  est  difficile,  du  reste,  de  préciser.  Cette  théologie  peu 
savante,  arrive-t-ellc  à  la  pleine  intelligence  du  caractère 
surnaturel  de  la  révélation?  Ou  bien  la  révélation  ne  fait^elle 
(pie  suppléer  et  aider  la  connaissance  nal nielle  de  l'homme, 

I    ViMT,  l 'fiscal,  |).  17.  ^ 


IV     IDI     h.M^O.N.NA.N  I  I  l'Jg 

ol»?-(iir(  ic  [»ai  If  |»<clit'?  Le  <.losap:e  de  ces  dcti\  oléiiu-iits, 
Pliilosopliic.  lU'-volalion,  est  (Jilïicilc.  Mais  il  ne  semble  pas 
que  la  Raison  ail  pouvoir  de  comprendre  ce  (|ui  est  le  Mystère 
de  la  Foi. 


Aux  temps  où  la  raison  a  pris  conscience  de  soi  et  aussi  de 
ses  limites,  séparant,  sous  rinlluencc  d'Aristotc  appelé  à 
fournir  au  Christianisme  une  philosophie  naturelle,  de  sa 
prétention  à  vivre  dans  le  monde  suprasensihle,  les  dogmes 
chrétiens  lui  sont  devenus  transcendants,  et  ce  n'est  que  par 
le  détour  de  l'autorité,  rationnellement  fondée  et  établie, 
qu'elle  a  pu  en  poser  la  vérité.  S'il  n'est  pas  tout  à  fait  exact 
de  dire  que  la  spéculation  chrétienne,  antérieure  à  la  grande 
entrée  d'Aristotc  dans  le  monde  latin,  par  une  confusion 
encore  inévitable  de  la  foi  et  de  la  raison,  visait  à  pénétrer 
les  Mystères  en  eux-mêmes,  du  moins  csi-il  exact  que  la  Vérité 
avait  moins  précisément  recours  à  l'Autorité  et  que  le  schéma 
de  r  «  Extrinsécisme  »,  par  la  suite  devenu  officiel,  n'était  pas 
encore  nettement  établi.  L'opposition  Foi-Raison,  Vérité 
intrinsèque,  Autorité  du  témoignage  divin,  se  développe  à 
partir  d'une  implication  initiale. 

Au  début  d'une  religion,  les  mythes  et  les  dogmes,  enfer- 
mant dans  leur  confusion  synthétique  une  bonne  partie  des 
éléments  (jue  la  théologie  ultérieure  distinguera  et  enchaînera 
en  un  système,  parlent  aux  tidèles  un  langage  de  vie  et  de 
vérité.  Ils  attirent  et  satisfont.  Ils  ont  l'autorité  de  l'évidence. 
Point  n'est  besoin  d'autorité  pour  atteindre  la  vérité.  Elle  est 
là.  d'emblée,  si  l'on  [>eut  dire,  sous  la  double  forme,  indistincte 
encore,  de  la  satisfaction  logique  et  de  la  fécondité  pratique, 
de  rillumination  intellectuelle  et  sentimentale.  Elle  est  de 
niveau  avec  l'àme  et  l'esprit  de  ses  lidèles.  C'est  à  peine  si  le 


I^O  LA    RELIGION    KT    LA    I  OI 

mythe  et  le  do^nie,  élranges  et  éblouissants,  suscitent  limpres 
sion  d'un  ordre  supérieur,  impression  d'oîi  se  déu:agera  l'oppo- 
sition loijique  (|uc  nous  avons  analysée,  à  mesure  que  se  déga- 
geront du  germe  primitif  les  contradictions  enveloppées  dans 
la  confusion  originelle,  à  mesure  aussi  que.  par  l'usage,  la 
raison  se  formera  et  se  définira. 

D'autre  part,  ces  mythes  et  ces  dogmes  se  présentent,  appor- 
tés par  des  prophètes  ou  enseignés  en  vertu  d'une  tradition  (|ui 
elle-même  a  pour  origine,  à  un  moment  de  l'histoire,  le  contact 
des  hommes  et  des  dieux.  Plus  la  révélation  est  récente  et 
impressive,  moins  il  est  besoin  de  recherche  pour  attester 
l'autorité,  A  l'origine,  pour  ceux,  pour  qui  il  n'y  a  plus  de  témoins, 
qui  sont  eux-mêmes  les  témoins,  rien  ne  s'interpose  entre  eux 
et  l'autorité  immédi.^ile,  la  puissance  du  divin,  rayonnante  à 
travers  un  homme.  On  per(*oit,  on  appréhende  directement, 
bien  plus  qu'on  ne  contrôle  et  vérilie  :  on  contemple  l'iiistoire 
divine.  I']t  pour  afArmcr  la  réalité  du  Dieu  qui  transparaît  à 
travers  son  messager,  son  héraut,  son  incarnation  éphémère, 
ce  n'est  pas  la  théologie  qui  est  à  l'œuvre,  mais  la  foi  implicite 
et  l'élan  du  cœur. 


* 
*     * 


Vérité  et  Autorité  sont  ensemble  à  l'origine.  L'Autorité  est 
évidente  et  la  Vérité  impérative.  La  Vérité  apparaît  à  travers 
l'Autorité. 

Toute  religion  repose  à  ses  origines  sur  un  message  et  sur 
un  messager.  Le  message  fait  la  force  du  messager,  le  messager 
la  force  du  message. 

La  première  génération  chrétienne  avait  derrière  elle  toute 
la  perspective  mosaïque,  et  devant  elle  des  promesses,  la  mcssia- 
nité  de  Jésus,  l'avènement  du  règne  de  Dieu,  non  point  des 
dogmes  à  la  rigueur,  mais  un  mythe  d'avenir  immédiat,  encadré 


I.A     KOI     UAlSO.WANTi:  Ii^I 

dans  la  jtt'ispcclivc  niosaï(iiio,  et  (jiii  ri'poiulail  à  ses  as[)iralioiis 
ardcnU's.  Klle  partai^eail  d'abord  la  Coi  juive;  c'est-à-diie  (pie 
la  eoiiscieiice  elliuicuic,  le  sentiment  national,  la  solidarité 
étroite  des  générations,  la  tradition,  la  coutume,  tout  ee  que 
nous  avons  étudié  sous  le  non»  de  toi  im[)lieite.  lui  faisait 
admet  lie  (rend)lée  lliistoricité,  rautlientieilé,  le  earaclère 
inspiré  de  la  révélation  mosaïque  ;  le  peu  de  développement  de 
la  dogmati(pie  et  l'absence  de  toute  philosophie  naturelle  préve- 
nant du  reste  roj)|)osition  d'une  raison,  non  encore  éveillée  ou 
instruite,  au  contenu  intellectuel  de  la  révélation. 

(  )  ue  pouvait  signitier  pour  elle  la  vérité  du  nouveau  message, 
sinon  une  réponse  parfaite  à  ses  aspirations,  une  excitation, 
une  stinmlation  telles  que  la  répugnance  judaïque  tombait 
devant  lui  ?  Cela,  et  l'Autorité  du  porteur  du  message,  elle-même 
reposant  en  partie  sur  celte  puissance  de  la  doctrine,  Autorité 
<pn,  imposant  une  doctrine,  était  en  train  déjà  de  donner  nais- 
sance à  une  doctrine,  de  devenir  un  dogme  et  de  prendre  le 
caractère  divin  des  j)r()messes  qu'elle  apportait. 

La  vérité  de  la  doctrine  et  l'autorité  du  prophète,  ces  deux 
choses  que  la  théologie  dissociera  par  la  suite,  sont  d'abord 
étroitement  mêlées;  car  l'Autorité  vient  en  partie  de  la  puis- 
sance de  la  doctrine,  et  la  Vérité  en  partie  de  la  puissance  du 
prophète.  Le  caractère  miraculeux,  surnaturel,  le  prestige 
extraordinaire  du  prophète;  l'impression  profonde  de  la  révé- 
lation nouvelle,  la  doctrine  juge  du  miracle  et  le  miracle  signe 
de  la  vérité  de  la  doctrine,  ce  cercle  vicieux  que  la  théologie 
rencontrera  toujours,  inévitablemeiit  (r),  fait,  à  l'origine,  la  force 
irrésistible'  de  la  nouvelle  révélation,  par  la  fusion  de  deux 
|)uissanees.  La  distinction  du  contenant  et  du  contenu  de  la 
révélation  ne  fera  plus  tard  (pi'expliciter  cette  inqilication 
piiniitive.  commune  à  tous  les  âges  apostoliques;  c'est   d'elle 


li  L'hypoliu-se  inverse  du  délcrminisuie  va,  t-Uc  aussi,  do  la  doL-lriiu-  aux 
faits  et  des  faits  à  la  doctrine. 


I^a  LA    RELIGION    KT    LA    lOr 

<luo  se  défjajîera.  m  môme  temps  que  les  dogmes,  rartilicc 
dogmati([ue  (|iii  prétend  en  établir  la  vérité:  «  Les  choses 
peuvent  avoir  un  sens  et  une  réalité  ponr  tout  l'homme,  loiia;- 
temps  avant  d'avoir  un  sens  clair  pour  l'intelligence,  dont 
l'oflice  est  de  traduire  en  formules  appauvries  ce  qui  est  donné 
dans  l'expérience  concrète  (i).  -> 

Et  toujours  la  puissance  n'est  puissance  que  par  la  vérité,  et 
toujours  la  vérité  s'affirme  comme  puissance.  Le  Miracle,  fait 
étrange,  étonnant,  synthèse  de  l'admirable  et  de  l'arbitraire,  fait 
divin  qui  se  détache  de  la  trame  des  phénomènes  naturels, 
pont  jeté  entre  le  Naturel  et  le  Surnaturel,  signe  sensible  d'une 
intention  divine,  signature  apposée  au  bas  de  la  révélation,  le 
Miracle  n'est  point  miracle,  c'est-à-dire  fait  surnaturel,  par  sa 
puissance  seule,  mais  par  sa  vérité.  Conmient  sait-on  qu'il  est 
miracle,  sinon  par  un  recours  à  Dieu,  dont  préalablement  on 
admet  l'existence  et  l'activité,  qui  seules  en  établissent  la  possi- 
bilité? Ensuite  le  cœur  pieux  verra  dans  le  fait  surprenant 
l'action  de  Dieu,  à  cause  de  la  signification  religieuse  de  ce 
fait.  L'étonnement  peut  susciter  l'hypothèse  du  surnaturel; 
mais  celui-là  seul  qui  croit  déjà  à  une  puissance  surnaturelle 
peut  croire  au  miracle.  Ainsi  le  miracle  qui  discerne  la  doc- 
trine suppose,  liii-mème.  une  doctrine  (2). 

Admis,  à  la  faveur  d'une  théologie  sommaire,  il  apportera 
à  la  doctrine  l'autorité  du  surnaturel,  dont  il  est  le  signe.  On  a 
dit  quïl  ne  prouvait  pas  la  mission  (Uvine  du  propbète,  parce 
qu'il  est  sans  connexion  avec  sa  doctrine.  Mais  la  foi  ne  peut 
s'empêcher  d'apercevoir  comme  évident  le  rapport  entre  le 
miracle  et  la  vérité  qu'il  garantit;  la  connexité  dans  le  temps, 
l'effet  d'édification,  la  liaison  du  miracle  et  de  la  foi,  dans  la 
conscience  du  tliaumaturge  ou   dans  celle  du  miraculé,  four- 


I 


(ly  Héukrt,  Le  Sentiment  rt  la  Connaissance  religieuse  (Ann.  de  Pliilosophie 
chrétienne,  1906,    p.  38i;. 

(2  Jusqu'au  moment  où  le  miracle  disparait  dans  la  doctrine;  le  fait 
objectif,  isolé  et  passé.,  dans  les  faits  éternels  et  spirituels;  le  prodige  local 
dans  la  vision  de  Dieu  derrière  la  nature. 


I.A.    l'OI    UAISO.WAM  i;  I^'i 

nissciit  (l<'s  in;ir(Hies  sullisaulcs  irévidcnco.  Dans  !«•  cas  du 
|)i'()[)lK'le,  c'est  le  niùine  sujet  (jui  est  à  la  fois  le  i'éeej)teur  et 
1  a2:ent  de  la  puissance  divine  et  le  héraut  de  la  vérité  ;  cest 
«lans  l'identité  de  sa  personne  ([ne  se  eontondcnl  la  |)uissance 
et  la  vérité. 

Ainsi  la  valeur  du  niessaj^e  doj^nialique  concourt  à  l  autorité 
<lu  prophète.  En  partie  elle  en  provient,  en  partie  elle  la  constitue. 
Kn  partie  elle  la  constitue;  car  si  étrange  et  extraordinaire  <pu- 
fût  sa  personnalité  physique  et  morale,  si  puissante  que  lui  sa 
fascination,  une  révélation  insigniliante  et  puérile  en  réduirait 
à  néant  les  elTets,  sauf  pour  des  arriérés  et  des  déhiles.  De  plus, 
son  prestige  lui-même  tient  à  des  notions  plus  ou  moins  expli- 
cites ;  (pi'est-ce  ([ui  fait  les  dieux  divins'.'  Qu'est-ce  qui  permet 
d'attribuer  à  un  être  une  valeur  surnaturelle,  sinon  la  corres- 
pondance de  ce  que  nous  constatons  chez  lui  avec  un  certain 
idéal,  qui  n'est,  du  reste,  pas  toujours  formulé,  qui,  quel([uefois 
même,  ne  se  formule  qu'en  lui  et  à  propos  de  lui. 

En  partie,  la  valeur  du  message  provient  de  l'autorité  du 
prophète,  car  une  l)onne  part  de  sa  force  imprcssivc  vient  de 
lui  et,  soutenue  par  un  honnne  (juelconque,  elle  ne  ferait  pas 
son  chemin  dans  le  monde.  Ainsi  les  deux  forces  se  soutiennent. 
<'t  le  souvenir  du  prestige  se  perpétue  par  témoignage.  Les 
Apôtres  témoignent  sur  le  fondateur;  la  tradition  fait  la  chaîne 
<lu  témoignage  ;  à  travers  sa  continuité  circulent  et  la  vérité 
originaire  et  la  puissance  originelle.  L'Apostolicité  devient 
ainsi  la  garantie  de  la  doctrine. 

.\insi  l'Autorité  accompagne  la  Vérité  à  travers  toute  Ihis- 
toire  d'une  religion.  Et  même  dans  certaines  religions  elle  se 
renforce:  dans  celles,  par  exemple,  ({ui  divinisent  leur  fonda- 
teur. L'Autorité,  alors,  se  renforce,  à  mesure  que  le  personnage 
4livin  avance  [)lus  avant  dans  la  divinité.  Et  plus  étroite  et  plus 
profonde  devient  l'interaction  de  la  Vérité  dogmaticpie  et  de 
l'Autorité  i)rophélique.  Jésus,  étant  deyeim  un  Dieu  dogma- 
ti(pie,   l'adoration  de  .lésus  et  le  culte  de  sa  personne  tend  à 


144  l'A    llKI.KilON    ET    LA    KOI 

supplanter  la  lolit^ioii  (pi  il  a[)porlail.  L'aiiiionciateur  de  l'Kvaii- 
jj:il(',  le  porteur  des  dojçmcs,  est  devenu  lui-même  un  dogme. 
Et  qui  touchera  par  la  vertu  des  témoiiçnages  la  personne  du 
Christ,  sera  en  présence  de  Dieu  lui-même,  se  révélant. 

En  même  temps,  à  mesure  que  les  dogmes  se  formulent  et 
se  développent,  à  mesure  que  la  contradiction  et  l'inintelligi- 
bilité  s'étalent  et  se  proclament,  à  mesure  aussi  que  se  définit 
une  règle  de  vérité  de  plus  en  plus  étrangère  à  l'ivresse  dogma- 
tique, le  recours  à  l'Autorité  devient  inévitable,  la  Vérité 
dogmatique  tendant  à  se  dérober,  et  c'est  sur  l'Autorité,  sur 
une  Autorité  sans  cesse  élayée  et  renforcée,  que  les  religions, 
à  métaphysique  surchargée  et  irrationnelle,  tendront  à  établir 
leur  périlleux  édifice  (i). 


* 
*     * 


Eoi  dans  une  personnalité  puissante  et  créatrice,  connue  et 
aimée  :  amitié,  amour,  fascination  du  héros  ;  foi  de  ceux  qui 
trouvent  paix  et  réconciliation  dans  une  présence,  dans  un 
message,  dans  une  expérience,  dans  une  doctrine  nouvelle  ; 
foi  de  ceux  qui  créent  et  propagent  la  foi;  foi  qui  se  nourrit  de 
sa  propre  exaltation  et  de  ses  œuvres  extraordinaires,  foi  de 
l'Apôtre;  foi  du  visionnaire  et  du  thaumaturge,  foi  des  commu- 
nautés enthousiastes  ;  mise  en  coumiun  de  représentations 
obscures  et  de  sentiments  puissants,  essor  des  rêves  collectifs 
d'une  société  ardente  ;  il  y  a  de  tout  cela  sans  doute  dans  ce 
qu'a  pu  être  la  foi  à  l'âge  héroupie  du  christianisme. 

(^onliance  et  croyance  en  des  personnes  et  en  des  mythes, 
Autorité  et  ^  érité,  nous  l'avons  vu,  se  mêlent  étroitement  en 
cet  âge  mythique  et  prédogmatique  encore. 


ij  Partout  où  la  prouve  logi<iue  nest  pas  possible  ou  n'est  pas  suffi- 
sante, on  retrouve  ce  mélange  d'extrinsi'-cisine  et  d'intrinsccisme.  (^c  qui 
prouve  l'authenticité  d'un  objet  d'art,  ce  n'est  pas  seulement  l'impression,  c'est 
aussi  la  critique  historique  et  matérielle. 


i.\   KOI   KMsowwii:  145 

Le  (".liiisl  viciil  (I Cm  liaiil,  il  rsl  l'cinoyc'  de  Dicii:  Dieu 
j^aïaiilil  sou  ('iisci^^iicmciil  :  le  lrmoi^:nag('  de  Jrsiis  Mir  l)i<Mi 
est  le  It'inoiîTiiaiîc  de  Dieu  inrim'  :  «  (Icliii  (|iic  Dieu  a  ciiNoy»'' 
(lil  les  paroU'S  (le  Dieu.  >  Ainsi  pciisciil  les  A  poires  loi*s(Hi  ils 
pc'iisont.  Kl  pour  les  lidèlcs  ullérioiirs  li's  A  poires  sout  les 
(émoius,  eoux  (jui  oui  véeu  dans  la  eonfidence  de  Jésus  et  (pii 
peiivenl  lénioigner  sin-  lui.  Paul,  cpii  ne  l'a  pas  vu,  donn*'  |K)iir 
preuves  de  son  apostolat  les  pr()(Iii::es  cl  les  miracles,  sit,nia- 
ture  du  lcnioi,i2:na,L!:e  divin,  (pii  le  l'ont  reconnailie  connue 
envoyé  cl  sa  })arolc  comme  parole  de  Dieu. 

L'a[)ostolii'ilc  devient  ainsi  la  ^aranlic  de  la  doctrine;  cl  à 
travers  une  chaîne  de  témoignages  et  la  continuité  inmiobile 
de  la  tradition,  ciicule  jusqu'à  nos  jours  la  vérité  originaire  de 
la  doctrine. 

Mais  le  système  apparaît  très  tôt.  Dès  saint  Paul,  tout  le 
christianisme  est  constitué  en  dehors  et  au-dessus  de  la  raison; 
un  drame  cosmique,  où  la  vie  et  la  mort  de  Jésus  sont  le  sens 
iiu  monde  et  le  mot  de  la  destinée. 

Cela  est  bien  au  delà  de  la  sagesse  profane.  Cela  parle  à  la 
Foi  qui  s'y  retrouve  et  non  pas  à  la  raison  ;  à  la  Foi,  qui  est  la 
vie  du  Christ  dans  l'àme,  la  substitution  an  péché,  à  la  chair, 
à  la  loi  des  membres  et  au  corps  de  mort,  de  Jésus  mort  pour 
les  péchés,  enseveli,  ressuscité;  résurrection  avec  le  ressuscité; 
<'t'(icace  de  la  résurrection,  rédemption,  salut  par  la  Foi.  F'oi 
dans  la  résurrection.  <pii  fait  rerUcace  de  la  Foi.  Foi  (|ui  se 
nourrit  de  la  formule  salutaire,  expression  des  faits  surna- 
liMcIs,  dont  la  foi  est  l'expression  subjective. 

I  ne  illumination  éblouissante  a  mis  l'apôtre  en  |)réscnce 
(le  .Icsiis- (ihrist  ;  il  a  vécu,  lamassé  en  une  vision  «pii  esl  un 
miracle,  l'éipiivalent  du  miracle  continué  <pii  a  ('lé  la  vie  des 
autres  apôtres  en  compatrnie  de  Jésus.  Le  miracle  a  uaianli  la 
doctrine  inspirée:  l'inspiiation  au  dedans,  le  miracle  au  dehors, 
les  deux  voies  cl  les  deux  preuves.  La  l'cligion  nouvelle. 
i^aranlie  par  le  persouna^^e  di\  in.  lui  esl  devenue  divine  :  divine 

10 


l4«i  LA    HKLKilON    ET    LA    KOI 

aussi.  Icxpicssion  ihéologiiiuo,  pourlanl  si  personnelle,  le 
système.  La  loi  vivante  et  le  système  reposent,  au  fond,  sui* 
le  témoifçnage  divin,  en  même  temps  qu'ils  lui  eonl'èrent  une 
part  de  son  autorité,  en  lui  donnant  toute  sa  signilieation 
divine.  Le  drame  cosmic^ue,  dont  la  résurrection  est  le  sens  et 
la  garantie,  garantit  Jésus-Christ,  que  l'histoire  et  la  vision 
miruculeuse  garantissent.  Une  illumination  et  une  explication. 


VALEUR    ET    VERITE 

La  piété  précède  les  dogmes  et  ignore  les  problèmes  dogma- 
tiques, qu'elle  pose  pourtant  inévitablement.  Un  mouvement 
de  foi  vers  un  être  ou  un  objet  le  divinise,  d'abord  comme  la 
passion  divinise  son  objet,  par  le  plein  don  de  soi-même  à 
l'objet  aimé  et  par  une  sorte  d'éblouissement  devant  son  inson- 
dable valeur.  Ce  qui  sera  plus  tard  vérité  est  d'abord  surtout 
valeur,  valeur  absolue.  Et  c'est  précisément  l'intensité  et 
l'identité  de  cette  réaction  affective  en  face  d'objets  différents, 
qui  fera  la  difficulté,  lorstju'il  faudra  leur  donner  une  vérité 
égale  à  leur  valeur.  L'adoration  et  le  culte  du  Christ  exigeront 
qu'on  en  fasse  un  Dieu,  qu'on  le  mette  au  même  rang  que 
Dieu.  Le  sentiment  vif  de  son  humanité,  le  désir  ardent  du 
salut  exigeront  (ju'on  lui  laisse  sa  personnalité  historique  et  sa 
nature  humaine.  Une  même  réaction  affective  à  l'égard  de  deux 
objets  différents,  dans  le  premier  cas,  une  réaction  affective, 
complexe  et  double,  à  l'égard  du  même  objet  dans  le  second. 
lors(jn'elles  se  traduiront  en  forniulcs,  créeront  deux  difficultés 
dogmatiques,  deux  inconq>réliensibilités.  Le  Mystère  vient  en 
partie  de  cet  effort  pour  traduire  en  langage  de  raison  des 
identités  et  des  distinctions  passionnées  (i). 

Ainsi  d'abord  la  foi  fait  plus  que  se  représenter  son  objet; 
elle   le  possède,    elle    le    vit  ;    elle    est    ex[)érience    concrète, 


(I    Nous  l'eviendi'ons   sur  toutes   ces  questions  dans  le   dernier  chajjitre. 


\.\     loi    UAISO.WANTK  l  \~ 

iiiliriu'  [)ai(ici|)ali()n.  VA  par  delà  les  systèmes  (lo^iiKi(i<iiies. 
(loiil  la  eoinplieation  vise  à  i-eslaurer  eette  unité  perdue,  la 
piélé  ehereliera  toujours  le  eoiilact  direet.  l'imniédialion.  la 
certitude  vivante,  supérieure  à  toutes  les  synthèses  inlellee- 
tuelles. 

La  formule  élanl  en  partie  la  traduction  intellectuelle, 
l'expression  logique  de  réactions  allectives,  ardentes  et  profon- 
dément passionnées,  possède,  pour  autant  qu'elle  est  sentie 
comme  l'expression  adécpiate  de  ces  réactions,  une  valeur  de 
léponse  indubitable.  Le  mythe,  le  dogme  résolvent  les  exi- 
gences du  salut;  ils  répondent  aux  aspirations  de  la  piété.  Le 
sentiment  religieux  confère  la  vie  aux  formules  qui  le  satisfont. 
L<'  rapport  des  dogmes  avec  les  lins  suprêmes  de  l'honmie  leur 
confère  une  sorte  d'intelligibilité  supérieure.  L'homme  s'y 
retrouve  ou  s'y  reconnaît;  c'est  bien  cela  (ju'il  cherchait  et 
(pi'il  lui  faut. 

Ainsi  la  nébuleuse  dogmatique,  oîi  les  dogmes  peu  à  peu 
s'organisent,  est  plénitude,  anq)leur.  intensité;  en  même  temps 
indétermination  et  confusion.  Ce  n'est  pas  sentiment  pur,  c'est 
sentiment  intellectuel;  les  formules  subséquentes  y  sont  préli- 
gurées,  les  objets  de  la  foi  y  sont  présents  :  non  pas  un  i)nr 
inellablc,  mais  une  richesse  confuse  en  présence  de  données 
intellectuelles  et  (|ui  suscite  et  dégage  des  aflirmalions  intel- 
lectuelles. 

En  ell'et.  d'une  part,  c'est  par  un  travail  interne  de  «  cristal- 
lisation '),  de  «  justilication  »  que  le  sentiment  parvient  à  la 
formule;  le  sentiment  excitant  et  dirigeant  l'esprit,  qui,  d'une 
pari,  l'exprime  en  langage  objectif,  d'autre  i)art,  constiuit  les 
rai>()()iis  (le  son  objet  avec  lui.  et  lui  fournit  ses  raisons  d'éli'c. 
Le  .sentiment,  tout  pénétré  de  confusion  intellectuelle,  recherclie 
la  foinude  paice  (pi'il  a  besoin  de  prendre  èonseienee  .de  soi 
d'abord  et  ensuite  de  fonder,  en  dehors  de  soi,  dans  le  monde 
objectif,  les  réalités  dont  il  cherche  à  prendre  conscience  et 
les  rapports  d'action  qui  y  sont  inclus. 


I^H  l.A    UKLKIION    KT    l.A    KOI 

D'autre  [)ail.  l'esprit  est  là,  enveloppant  la  vie  allective  de 
ses  ealéiçoi'ies  (jiii  lui  préexistent.  Il  a  son  monde  de  ehoses  et 
d'ohjets.  son  monde  d(;  formes  et  d'idées  oii  il  vise  à  tout 
intéiçrer.  Il  a  ses  formes  et  ses  procédés  d'cxplieation,  puisés  < 
dans  la  manipulation  du  réel,  et  ses  systèmes  noétiques,  ses 
piénotions.  ses  habitudes  inlelleetuelles. 

Sous  l'ellet  de  ces  deux  principes,  la  piété  s'efforce  vers 
l'expression  logique  :  fermentation  de  systèmes  qui  prétendent 
à  exprimer  la  donnée  primitive.  Du  mythe,  elle  fait  un  dogme. 
Et  de  nombreux  esprits  sont  simultanément  au  travail  : 
quelques-uns  géniaux  et  créateurs  d'hypothèses  ;  les  autres 
dont  il  faut  l'assentiment.  La  conclusion  théologique  qui  prend 
valeur  tlogmali(pie  le  doit  moins  à  ses  (jualités  dialecti(pies 
([u'à  sa  valeur  de  représentation  capable  de  fixer  et  d'unir  dans 
une  même  profession  de  foi  l'universalité  des  fidèles. 

La  piété  chrétienne  rencontre  la  philosophie  grecque  et  ses 
habitudes  de  pensée  et  ses  procédés  d'explication.  La  conversion 
de  (irecs  au  christianisme,  les  nécessités  de  rapologéti(|ue 
précisent  et  renforcent  ce  contact.  De  nombreux  systèmes 
dogmatiques  s'édifient,  des  gnoses  chrétiennes,  ou  païennes. 
Et  ce  grand  effort  dogmatique  d'ensemble  est  l'œuvre  de  la 
j)remière  philosophie  chrétienne.  Puis  l'Eglise  consacre,  dans 
le  détail,  un  certain  nombre  de  dogmes  particuliers.  Enlin,  de 
ces  dogmes  consacrés,  la  théologie  essaie  de  faire  un  système 
cohérent. 

Ainsi  le  Mystère,  entendu  au  sens  théologi(jue,  n'existe  pas 
pour  la  piété  initiale.  Elle  se  représente  les  objets  de  sa  foi 
dans  leur  rapport  avec  les  besoins  qu'ils  satisfont,  et  dans  leur 
analogie  avec  les  relations  humaines  qui  peuvent  les  rendre 
familiers.  Une  bonne  partie  de  la  piété  populaire  reste  à  ce 
stade  :  celle  qui  anlhropomorphise  le  monde  divin,  celle  qiii 
l'entend  vulgairement.  Ce  <iui  correspond  au  Mystère,  dans 
l'ordre  de  la  piété,  c'est  le  sentiment  de  l'étrange,  étrange  en 
même  temps  et  familier  ;  l'éblouissement  (h;  la   foi,    la  trem- 


I.A    lOI     ItAISONN  AMT,  I|i) 

bliinlc  invraisoinblance  de  la  oorlilude.  C'est,  du  poinl  de  vue 
alleclil".  le  u:eriue  de  la  distinction  qui  se  fera  plus  tard;  mais 
les  (leii\  ordres  ne  sont  pas  encore  séparés.  Le  Mystère  nail, 
soit  du  sentinu*nt  de  l'inadéquation  entre  le  sentiment  et  la 
fornude.  de  la  (lisj)r()p<)rlion  en  sonnne  entre  le  sentiment  et 
rintellip:('nee,  soit  —  dans  le  |)lan  de  l'inlellii^enee  seule  — 
d'une  ineom[)alil)ilité  entre  l'ordre  logique  —  eon(,ni  comme  tel 
—  et  un  autre  «jrdrc  dont  on  n'aperçoit  point  la  consistance  el 
(pii  s'exprime  jjourtant  en  termes  logiques.  A  l'origine,  les 
deux  sens  du  mot  sont  confondus.  Il  y  a  dans  le  Mystère,  à  la 
fois  l'étrangeté  obscure  et  le  scandale  d'assertions  qui  cli0(]uenl 
les  liahiludes  de  la  vie. 

La  fornude  dogmatique  est  donc  explication  avant  de 
devenir  Mystère:  explication  (|ui  étonne  sans  doute,  qui  est 
enveloppée  d'une  imj)ression  de  mystère,  mais  oîi  la  clarté 
[)rédomine.  l-^lle  est  explication  qui  a  valeur  alleclive  :  parce 
qu'elle  répond  à  la  recherche  du  salut  ;  parce  qu'elle  s'exprime 
dans  le  langage  d'une  philosophie  et  d'abord  en  termes  d'intel- 
li'j:il)ililé.  Le  contenu  logicpie  de  la  formule  l'impose  jusqu'à  un 
cerlain  point  à  l'esprit.  A  la  période  d'ivresse  dogmali(pie, 
rélal)oration  du  dognu',  sa  fécondité  théorique,  donnent  aux 
théologiens  l'impression  d'opérer  dans   le  monde  de  la  vérité. 

C'est  ([u'ils  opèrent  à  l'aide  d'un  jeu  de  notions  dont  l'in- 
telligibilité est  communémenl  admise.  Par  exemple,  (juand  la 
foi  au  (Mirist  a  cherché  des  formules  pour  s'exprimer,  elle  a 
parh-  le  langage  courant  de  théologies  incontestées.  Le  C-hrist 
est  j)rophète,  homme  de  Dieu,  Messie  jvnf,  Logos  :  mots  (jui, 
dans  un  grouj)e  (lonn<'',  ont  un  sens  précis,  dont  la  valeur  n'est 
point  rcvo(iuée  en  doute.  Les  habitudes  d'esprit  dilférentes  de 
diirérenls  groupes  chrétiens  apparaissent  dans  le  choix  de  la 
dénomination;  mais  pour  lous  elle  est  aisément  acceptable.  Le 
Logos  fait  partie  de  la  philosophie  grecque  du  temps.  Le  cou- 
rant d'ascension  de  Jésus  vers  Dieu,  le  courant  chrétien,  ren- 
contre le  courant  deseeiulant  du  Néoplatonisme,  la  procession 


l.M)  LA    UKLIGION    ET    LA    KOI 

(les  hypostasos  qui  al)aisse  Dieu  vers  le  monde.  Ainsi  un  cer- 
tain nombre  de  notions  connuunément  admises,  projettent 
leur  clarté  sur  les  asj)iralions  confuses  de  la  piété. 

Mais  le  Mystère  apparaît,  quand  on  prétend  les  penser  à 
la  rigueur,  et  définir  strictement  leur  relation  avec  les  objets 
de  la  foi.  Car  la  contradiction  a|)j)araît,  du  fait  que  Ton  amène 
sur  le  même  plan,  pour  les  faire  coïncider  dans  un  s(;ul  être, 
des  notions  incompatibles;  par  exemple  le  Verbe  consubstan- 
tiel  à  Dieu,  par  exemple  le  Verbe  vrai  Dieu  et  vrai  homme. 
Même  pour  qui  se  pla(.;ait  dans  le  système  néoplatonicien  des 
liypostases  et  des  émanations,  l'identilication  radicale  de 
l'homme  Jésus  et  du  Logos  était  difficile  à  penser;  les  hérésies 
de  toute  espèce  qui  [)ullulent  autour  du  problème  des  deux 
natures,  témoignent  d  un  effort  désespéré  pour  penser  l'impen- 
sable, jusqu'au  moment  oîi  l'Eglise  en  fait  résolument  un 
dogme.  De  même,  ridcnliticationdu  Logos  et  de  Dieu,  la  fusion 
de  ces  deux  notions  incompatibles,  le  Dieu  unique  de  la  Bible, 
et  l'Ltre  premier  du  Néoplatonisme. 

Sur  le  plan  de  la  spéculation,  le  Mythe,  devenu  dogme, 
devient  contradiction  et  Mystère.  De  cette  contradiction  on 
peut  distinguer  plusieurs  raisons.  Kl  d'abord  les  exigences 
contradictoires  de  la  foi.  Elle  veut  tout  avoir,  ne  rien  laisser 
perdre.  11  lui  faut  Jésus  homme  el  Jésus  Dieu.  Il  lui  faudra 
donc  construire  son  Christ  de  telle  façon  que  l'homme  y  soit 
tout  entier,  et  pourtant  le  Dieu  aussi,  et  l'union  étroite  des 
deux  natures.  Tant  que  cette  aspiration  restait  informulée,  ou 
se  contentait  de  formules  indécises,  la  contradiction  restait 
latente  et  implicite.  Mais  la  raison  s'épuisera  à  distinguer  à  la 
fois  et  à  unir  des  notions  inextricablement  confondues  dans 
un  acte  d'adoration  et  de  confiance.  Et  si  le  Christ  n'est  pas  en 
Dieu,  n'est  pas  Dieu,  si  Dieu  n'est  pas  plusieurs  et  Un,  le 
salut  est  en  péril.  Tout  compromis  raisonnable,  tout  arrêt  dans 
la  voie  redoutable  tjui  mène  à  ridentilicalion  radicale  des 
diversités  inconciliables,  parait  tiédeur  et  trahison   envers  la 


LA     loi     UAISO.W  A.MK  lOI 

piété.  Ses  aflinnalions  sont  toujours  plus  audacieuses;  chaque 
degré  métaphysique  <|u'elle  atteint  lui  sert  à  se  hausser  davan- 
taure  (i). 

Ensuite,  les  thèmes  dogmatiques  passent  en  des  groupes 
religieux  qui  ne  manient  pas  les  mômes  catégories  et  (jui  ne 
parlent  pas  le  même  langage.  Le  Logos  grec,  le  Dieu  juif  et 
tout  le  cortège  de  notions  qui  leur  sont  suspendues,  expriment 
et  supposent  des  habitudes  de  pensée  bien  dill'érentes.  Mais, 
comme  il  arrive  pour  le  langage,  chaque  groupe  reverse  au 
trésor  comnmn  le  [)roduit  de  sa  spéculation;  et  comme  elle 
porte  sur  les  mêmes  objets,  ces  difierences,  ces  incompatibi- 
lités vont  s  affronter. 

Enlin  la  polititiue  de  l'Eglise  consacre  et  proclame  la  con- 
tradiction. Son  esprit,  c'est  l'Unanimité.  Elle  est  résolument 
unanimiste  et  contradictoire.  Visant  la  cohérence  et  la  conti- 
nuité logique,  répondant  à  la  foi  et  aux  habitudes  de  certains 
groupes  et  de  certains  hommes,  les  systèmes,  les  philosophies 
religieuses  affirment  nettement  les  thèses  ou  les  antithèses  des 
Antinomies  :  Monarchie  ou  Multiplicité  divine,  Divinité  ou 
Humanité  du  (Christ.  L'Eglise  est  plus  grande  que  ses  premières 
théologies.  Elle  accepte  simultanément  la  thèse  et  l'antithèse. 
<2ui  choisit  est  hérétique.  Une  théologie  c'est  d'abord  presque 
une  hérésie:  jusqu'au  moment  où  la  théologie  réprime  l'hérésie 
<'t  enlin  systématise  les  résultats  des  conilits  dogmatiques. 

Elle  aussi,  l  Eglise,  ne  veut  rien  perdre  de  la  foi.  ni  de  ses 
«xpressions  dogmaticjues.  Elle  prend  en  même  temps  les  asser- 
tions opposées.  Et  comme  il  est  impossible  de  les  accorder, 
prises  à  la  rigueur,  elle  proclame  le  mystère  et  se  résigne  à  ne 
point  acheter  l'unité  logique,  au  prix  d'un  élément  important  de 
sa  tradition.  La  réalité  religieuse  déborde  l'ordre  rationnel.  Le 
dogme  (jui  l'exprime  en  termes  rationnels  définit  un  Mystère. 


(1)   C'est^  ce     que    (Ilk'.xkbeiit     appelli'    les    «   inajoriilions    île    lu    fui  «. 
I.'J\nhilinn  des  Dogmes. 


lOa  LA    RKI.K.ION    KT    I.V    KOI 

L'Kjçliso  a  donc,  sans  frayeur,  rasseinhlô  les  contradic- 
tions, versé  la  pensée  juive  et  le  salut  chrétien  dans  les  cadres 
de  riieliénisnie,  les  aspirations  obscures  des  sentiments  de 
tous  dans  des  doctrines,  qui  seront  celles  de  tous.  Tout  le 
monde  aura  raison  et  tout  le  monde  aura  tort.  Choisir  est  héré- 
li(pie.  Il  faut  prendre  tout.  Ramassant,  après  les  controverses 
et  les  hésitations,  les  niend)res  épars  du  do|?me,  déchirés  par 
les  hérésies,  —  hérésies  qui  sont  une  phase,  un  mouicnt  de  la 
vie  dogmatique,  qui  éclatent  au  moment  et  sur  le  point  où  le 
dogme  se  développe,  qui  naissent  des  questions  que  soulève 
la  marche  du  dogme,  (jui  expriment  l'inquiétude,  la  vie  de  la 
fui,  —  le  jugement  délinitif  de  l'Église  coiisacrc  une  synthèse, 
où  thèse  et  antithèse  juxtaposées  ne  sont  conciliées  et  dépas- 
sées que  dans  la  perspective  d'une  Raison  supérieure  et  plei- 
nement adé(iuale  à  la  réalité.  C'est  une  paix  imposée  à  tous,  et 
qui  concède  à  tous  quelque  chose.  Derrière  les  luttes  théologi- 
ques il  y  a  l'effort  de  l'Eglise  pour  constituer  une  discipline 
intellectuelle,  une  doctrine  indiscutée  et  indiscutable,  dans  un 
temps  ou  le  monde  antique  chancelait;  un  empire  romain  reli- 
gieux, avec  une  milice  de  docteurs  préposés  au  maintien  et  à 
l'unité  de  la  Foi. 

La  contradiction  était  moins  blessante  alors  qu'elle  ne  l'a 
été  plus  tard.  La  Métaphysique  néoplatonicienne,  norme  d'in- 
telligibilité pour  beaucoup,  ne  s'achevait-ellc  pas  en  inintelli- 
gibililé,  cl  n'inslallait-elle  pas  l'inintelligibililé  à  tous  les  degrés 
de  l'Etre,  par  la  présence  en  chacun  d'eux  des  hypostases 
supérieures,  coexistant  avec  eux-mêmes?  La  philosophie  de  ce 
temps  a  le  mépris  du  monde  sensible,  et  même  jusqu'à  un  cer- 
tain point  de  la  logi(|ue.  Elle  spécule  dans  l'imaginaire  (i).  Des 
esprits  formés  à  son  école  ne  se  troubleront  pas  aisément. 

Mais  les  progrès  de  la  théologie  accentuent  l'inintelligibilité 
radicale  du  dogme;  en  approfondissant  la  révélation  et  le  sur- 


i;  Voir  sur  ce  point  Gliunkiiicht,  Le  fJlirislianisrne  antique. 


LA    loi    RAISOWAMK  I.">'i 

naliiicl,  on  doiiiu'  <lo  plus  en  |)liis  au  Mystère;  cmi  acceptant 
une  pliilosopliie  naturelle,  comme  le  xiii'  siècle  accepte  Aris- 
tot<\  ou  le  XM'  siècle  la  science  commençante,  on  accentue  la 
nature.  Les  deux  ordres,  s'allirmant,  sCnUe-choqnent. 

D'où  l'appel  inévitable  à  l'Autorilé  :  la  renonciation  à  com- 
prendre et  r  «  Extrinsceisme  »  de  la  théologie.  Transposée  en 
vérité,  la  valeur  ne  se  contente  plus  du  sentiment  de  la 
valeur;  et  ne  trouvant  point  dans  la  vérité  formulée  l'intelli- 
gihilité  indispensable,  l'Autorité  de  l'évidence,  elle  recourt, 
suivant  le  procédé  que  nous  avons  analysé,  à  l'évidence  de 
l'Autorité. 


QUELQUES    REMARQUES    CONFIRMATIVES 

Un  coup  d'œil  sur  l'histoire  du  Judaïsme  nous  montrera 
dans  ({uelles  conditions  tend  à  apparaître  la  foi  dogmatique  et 
comment,  même  lorsqu'elle  est  réduite  à  son  minimum,  elle 
tend  à  glisser  du  dogme  lui-même  à  l'autorité  qui  le  révèle  et 
(jui  le  transmet. 

Le  Judaïsme  est,  au  moins  depuis  le  Deutéronome,  une 
religion  de  la  Loi  :  une  loi  de  prêtres,  conçue  sous  l'inspira- 
tion des  |>rophètes.  En  la  Thora  est  l'unité  du  Judaïsme. 

C'est  autour  d'elle  ([ue  se  sont  constitués  successivement 
les  divers  pouvoirs  ecclésiastiques;  après  Esdras,  le  Synhe- 
drin  ;  après  la  chute  de  Jérusalem,  le  nouveau  Synhedrin,  puis 
l'Hcole  d'Iabné;  le  Collège  de  Palestine,  les  Académies  baby- 
loniennes, les  (îaonim; 

Le  Commentaire  juridi([U('  de  la  Loi  est  devenu,  après  la 
ruine  du  Temple,  la  source  [)rincipale  de  la  vie  religieuse  (i). 
Le  Taluiud  (le  l'ahylone  résume  six  siècles  de  l'iiistoire  juive  : 


I,  En  étaitlissanl  iiii  Synlic-drin  ;i  lahnc,  .loli;inaii  ïwn  /akUai  inonlra  que 
rcxistciKC  (lu  judaïsme  uctail  nullenieiil  lice  à  loxistcnco  du  toniple,  ni  à 
riustitiUioii  tii's  sacrillces. 


l54  LA    KKLIGION    ET    LA    1  OI 

altacliement  étroit  aux  iM'alicjucs  et  (U'veloppement  des  subti- 
lités religieuses. 

Il  est  donc  vrai  de  dire,  avec  la  plupart  des  théologiens 
Israélites,  qu'à  travers  toute  son  histoire,  le  judaïsme  n'est  pas 
une  loi  dogmatique,  ([uil  n  a  pas  de  théologie  officielle.  Reli- 
gion nationale,  il  a  été  surtout,  et  il  est  demeuré  surtout  un 
ritualisme,  complété  par  la  confiance,  par  l'abandon  du  cœur  à 
Dieu.  Mais,  sous  celte  pratique  de  la  loi,  il  y  a  inévitablement 
la  reconnaissance  implicite  et,  à  certains  moments  de  l'histoire, 
explicite  de  certains  principes  fondamentaux  :  Dieu,  la  révé- 
lation, la  jiistiee  divine. 

Le  Canon  contient  une  doctrine.  Il  y  a  une  doctrine  des 
prophètes  :  lahveh  avec  sa  sainteté  et  sa  justice,  la  spiritualité 
et  l'universalité  de  'Dieu.  Les  Psaumes  et  le  Livre  de  la 
Sagesse  enferment  des  croyances  définies  (i).  Mais  l'élément 
intellectuel  n'a  pas  cristallisé  en  un  dogme  rigide.  Au  cours 
du  cycle  biblique,  il  n'y  a  pas  de  théologie  à  proprement 
parler,  de  dogmes  promulgués,  ni  même  explicitement  for- 
mulés. Jusqu'à  un  certain  point,  on  pourrait  dire  que  pour  le 
monothéisme  biblique,  la  science  attente  à  la  toute  puissance 
de  Dieu.  Vouloir  savoir  est  un  attentat  à  sa  puissance.  Toute 
recherche  théologique  serait  un  attentat  contre  Dieu  (2). 

Quoique  Josèphe  ait  rattaché  la  lutte  des  Pharisiens  et  des 
Sadducéens  à  des  doctrines  (Providence,  résurrection  du  Corps) 
il  semble  bien  qu'elle  dépende  surtout  de  l'attitude  politique  de 
ces  deux  partis. 

C'est  là  peut-être  un  trait  commun  aux  religions  Jiatioiiales. 
L'apj>artenance  au  groupe  national  définit  suffisamment  le  carac- 
tère religieux  des  fidèles,  et  dispense  de  toute  profession  de 
foi. 


(il  La  récitation  oljii'^atoire  du  Scli'iua  :  •.'  Ecoute,  Israël,  lahveli  est  notre 
Dieu  »,  est  une  confession  de  foi.  (Bousset,  Religion  des  Judentliurns,  p.  i6H 
et  suiv.) 

2-  Karppb,  Le  Zoliar.  Le  Canon  est  r<eu\re  du  Prophète,  du  prêtre  et  du 
scribe,  et  non  point  du  théologien. 


I.A    KOI    M  VI SON. NANTI-;  l55 

Lrs  conicssions  de  loi  naissent  avec  les  dissensions 
iuU'ines,  les  attaques  exléiieures  et  la  nécessité  d'enseigner  les 
prosélytes. 

Le  strict  nationalisme  des  Juifs  les  enferme  dans  Icui-  reli- 
gion el  les  élève  au-dessus  du  contact  avec  le  dehors,  de  la 
polcmitiue  religieuse  et  de  l'Apologétique. 

Lintéicl  religieux  d'israi'l  est  conccnlié  sur  la  Loi  cl  sur  la 
pi'ali([ue  (I). 

Dans  la  Diaspora  (2),  la  doctrine  est  contrainte  de  s'ébau- 
cher, par  réaction  contre  le  paganisme.  La  première  lentalive 
pour  formuler  des  articles  de  foi  est  due  à  Pliilon  d'Alexan- 
drie, sous  riniluenee  de  la  pensée  grecque.  Dans  son  De  iniindi 
Opificio  Philon  énonce  cinq  articles  de  foi.  Le  Judaïsme  dog- 
matique est  lié  à  la  fois  à  l'influence  de  l'Hellénisme  et  à  la 
réaction     contre    l'Hellénisme. 


* 
* 


L'originalité  du  judaïsme  talmudique,  c'est  encore  sa 
richesse  en  pratiques  et  sa  pauvreté  en  dogmes.  La  religion 
cérémonielle  fonde  une  unité  extérieure  (pii  permet  de  tiaverser 
victorieusement  les  siècles  d'épreuve.  Toute  la  vie  de  l'Israé- 
lite est  délinie  par  la  multiplicité. des  prescriptions  du  Nouveau 
(".ode.  La  spéculation  s'exerce  sur  la  pratique  :  dOîi  le  caractère 
particulier  de  la  Ilalaka. 


(l)  Le  pè{.fleMicnl  do  la  réccplioii  des  noopliylfs,  qui  s'est  (lé\  cloit|)i'  au 
cours  des  temps,  inuiiil'este  oc  caractiTC  prali(iuc.  AccDinplir  c'«M'tains  rilfs, 
liaplciuc,  circoncision,  sacrilice,  est  la  preuve  de  la  loi  du  converti.  Il  est 
lo|i^u<-uient  instruit  des  délails  rituels,  et  coininc;  iiroIVssion  de  loi  on  ne  lui 
demande  (lue  lic  rceonnailrc  l'unité  de  Dieu  et  de  reji-ler  l'idol.itrie.  L'essen- 
tiel est  la  connaissance  tic  la  Loi  (;t  loLéissarjce  à  la  Loi.  (Jeni.s7i  Kncyrlt'jx'dy. 
Art.  Faith.; 

Q  Les  Syna^jogues  dispersées  correspondaient  ave*-  Jérusalem  par  les 
oUrandes  régulières  et  les  pèlerinajfcs.  Le  juilaïsine  était  une  sorte  doplise 
nationale,  dispersée  dans  l'uniNcrs. 


l56  I.A    KKI.K.IOX    KT    LA    TOI 

Li'iiseifçneniont  dogmatiiiue  de  l'Agada  est  dominé  par  les 
driix  dogmes  de  la  ProvideiKc  et  de  la  vie  future;  mais  ee  n'est 
point  un  enseignement  didactique.  Il  procède  par  sentences, 
nuixinies,  préceptes,  lég(;ndes,  tout  en  reposant  sur  le  fond 
commun  de  l'exégèse  bibli([ue,  créée  par  les  organes  de  la 
tradition.  La  raison  et  la  réllexion  y  interviennent  peu  (i). 


*     * 


I/IaoIc  lliéologicpie,  connue  toutes  les  théologies  médié- 
vales, se  réfère  à  l'Hellénisme  et  surtout  à  Aristote  (2J.  Avec 
Maïmonide,  on  voit  apparaître  des  dogmes.  Avec  Saadia  avaient 
commencé  les  spéculations  sur  le  rapport  de  la  révélation  et 
de  la  raison. 

"  Dans  tous  les  milieux  où  s'est  présenté  Aristote,  les 
mêmes  phénomènes  se  sont  reproduits  avec  une  étonnante 
régularité.  D'abord,  envers  et  contre  tous,  Aristote,  par  la 
vertu  de  sa  puissance  éducatrice,  fait  son  entrée,  et  prend 
effectivement  possession  des  esprits.  Mais,  dans  ce  travail,  jdus 
ou  moins  accéléré,  il  soulève,  d'une  part,  tout  un  groupe  d'àmes 
religieuses,  (pii  lui  font  opj)<)sition  et  (juek[uefois  lui  déclarent 
une  guerre  acharnée.  D'autre  part,  les  esprits  portés  à  la  spé- 
culation radicalement  indépendante,  ou  inclinés  à  se  mettre  en 
travers  de  l'enseignement  religieux,  l'acceptent  dans  toute  sa 


(I  Contre  la  tradition,  il  }■  eut  au  niii"  siècle  la  léaction  Karaïle.  Les 
Karaïtes,  niant  la  tradition,  et  revenant  à  l'Eeriture,  substituèrent  à  une 
orthodoxie  tyrannique,  mais  néc^essaire  au  maintien  de  l'unité,  les  fantaisies 
de  l'interprétation  individuelle.  Ils  ne  tardèrent  pas  à  .se  subdiviser. 

Vers  la  même  époque,  dans  le  nujnde  musulman,  les  Chiites,  c'est-à-dire 
les  adxersaires  de  la  Tiadition,  s'opposaient  aux  Sunnites. 

Le  Karaïsme  ne  possédait  ni  centre  religieux,  ni  autorité  centrale  capable 
de  maintenir  l'unité  de  la  doctrine.  D'où  des   divergences  considérables. 

(2    Avec  la  philosofdiic  grecque  et  contre  elle  s'organise  la  théologie. 


I  A    KOI    HAIsnWAM  i:  15^ 

teneur  cominc  le  symholc  de  la  lihcrh'  de  pciisn-,  cl  s'cirorcent 
de  inellic  en  ('•\  ideiice  ses  c()tés  iiiédiiclihlcs  à  la  loi.  l^ntie 
ces  deux  exlrènies.  les  esprits  convaincus  de  la  valeur  de 
l'œuvre  d'Arislole  et  l'especlueiix  de  raiitorilc-  relii,Meuse  lenleiit 
un  comj>r()nus  \i).  » 

Mais  on  peut  dire,  d'une  manière  ijénérale,  (jue  rinilucnee 
de  la  llîcolosîie  dans  le  judaïsme  n'a  jamais  clé  aussi  considé- 
rable (pic  dans  le  christianisme.  A  l'exclusion  des  juifs  espa- 
gnols, capables  de  s'assimiler  la  science  cl  la  civilisalion 
arabes,  l'horizon  intelleclucldn  judaïsme  était  des  plus  bornés. 
D'autre  part,  l'épanouissement  de  l'école  théoIos?i(pic  coïncide 
avec  les  persécutions  d'Espagne,  donl  le  dernier  mot  lut  l'ex- 
pulsion générale  des  Juifs  (12).  El  les  masses  se  rejetaient  vers 
les  consolations  de  la  foi  traditionnelle.  L'Ecole  Ihéologique  a 
donc  suscité  une  violente  réaction,  jusqu'à  l'excomumnication 
cl  l'anathcme,  chez  les  Israélites  méridionaux,  et  surtout  chez 
les  Provençaux,  qui  professaient  alors  l'orthodoxie  dans  toute 
sa  rigueur  et  dans  tout  son  exclusivisme.  C'ctle  lutlc  violente 
dura  plus  d'un  siècle. 


Il  Mamk>nnkt,  .S/g-er  de  lirnbant.  p.  G    2"  ('-(lil.  . 

A  quel  point  les  trois  religions  vont  dr  pjiir,  fest-à-dire  doivent  incvita- 
l>l(iuent  rencontrer  les  mômes  problèmes,  la  dinicnllé  dètahlir  quelle 
induence  elles  ont  exercé  l'une  sur  laulre  (lorsqu'elles  paraissent  en  avoir 
exercé  une  le  prouve  suriisanniient.  Par  exemple,  la  doctrine  des  Mutazelites 
iMutaknllim  ,(|ui  parait  avoir  exercé  nue  «îrandc  influence  sur  les  doctrines 
juives  Karaïtes,  n'a  t-elle  pas  été  elle-même  intluenc('e  i)ar  le  judaïsme,  en 
particulier  sur  les  deux  i)oints  de  l'opposition  à  rantliropomorpliisnic  et  de 
la  liberté?  V.  ScHHiiiNKH,  Drr  Kalurn  in  dcr  Jiidischcn  LUenilur.  Berlin,  1890' . 
D'autre  («art,  la  polémique  chrétienne  n'a-t  elle  pas  joué  un  rôlc'.'C.-II.  Rkckkh 
/.  ////•  Assyrii)l<)frit',  i<)i2,  17;"»  lui  rapporte  la  forme  sous  laquelle  le  pro- 
blème de  la  liberté  a  été  «iiscuté  dans  le  maliométismi-;  la  discussion  sur 
l'éternité    du   (:»)ran    est   éj,'alemcnt    rapprochée    par   lui   de   la    ([uestion    du 

I.OfJOS. 

Le  problème  de  la  Trinité  a  comme  pendant,  dans  le  juilaïsme  et  dans 
l'islamisme,  celui  de  la  réalité  et  de  la  nature  des  Attributs  di\  ins. 

(3  L'expulsion  des  Juifs  <rKspa<;ne,  à  la  lin  du  xv  siècle.  mar(jucra  pour 
le  juda'jsmc  tout  entier  une  période  de  trois  siècles  «le  confusion,  d'abaisse- 
ment intellectuel,  d'af;itation  stérile.  Le  souvertir  et  la  crainte  des  persécu- 
tions a  entretenu  chez  les  Juifs  orthodoxes  une  piété  sombre,  exaltée, 
exclusive,  tournée  vers  le  ritualisme  ou  vers  les  rc\eries  du  Zoliar. 


l58  LA    RELIGION   ET    I.A    KOI 


*       * 


Maïmonide  est  le  premier  qui  fornuila  Ireize  articles  de  foi, 
coninie  (lo2:nu's  obligatoires,  excluant  de  la  vie  éternelle  tous 
ceux  qui  ne  les  acceptaient  pas  (i).  Les  grands  théologiens, 
ses  prédécesseurs,  Saadia,  lia'hya,  le  Khozari,  s'ils  avaient 
bien  traité  de  l'existence,  de  l'unité  de  Dieu,  de  la  Providence, 
ne  les  avaient  jamais  formulées  en  dogmes  obligatoires. 

Maïmonide  a  été  suivi  par  un  grand  nombre  de  théologiens, 
Hisdaï,  Albo,  Isaac  Arama. 

L'orthodoxie  lui  objecte  (2)  que,  dans  la  Bible,  tout  est 
article  de  foi,  tout  exige  la  croyance  de  l'Israélite.  Le  doute 
n'est  pas  permis,  même  à  l'égard  du  passage  le  plus  insignifiant 
de  l'Kcriture.  Il  n'y'a  donc  pas  dans  la  loi  certaines  croyances 
fondamentales  ('3).  Autrement  pourquoi  ne  figureraient-elles 
pas  dans  le  Décalogue  ou  dans  la  Tradition.  Les  Pères  de  la 
Synagogue  n'ont  pas  admis  de  dogmes  spéciaux.  Ni  l'Ecriture, 
ni  la  Tradition  ne  formulent  des  croyances  spéculatives,  en 
dehors  de  la  pratique  rituelle.  La  base  de  la  religion,  c'est 
1  étude  de  la  Loi  et  la  prati(jue  des  choses  saintes  (4).  Le  dogme 
reste  latent  dans  les  faits  capitaux  de  l'histoire  nationale  et 
religieuse,  dans  la  célébration  périodique  des  fêtes  commémo- 
ratives,  dans  la  lecture  de  la  Loi.  La  conception  intellectua- 
liste de  la  foi  n'a  pas  de  place  dans  le  judaïsme  bien  entendu. 


i>  On  a,  du  reste,  discuté  la  portée  de  eelle  exclusion.  11  est  possible 
qu'il  s'ajjfisse  de  ceux  (jui,  ne  se  contentant  pas  de  douter  dans  leur  l'or  inté- 
rieur, érigeraient  l'athéisme  en  [irincipe.  Ainsi  ce  seraient  des  actes,  et  non 
pas  des  croyances,  qui  seraient  flétri»  et  condamnés. 

(2     Voir    p.    ex.    AltUAVANEL. 

'8)  Hasdonaï  Cresca  [Or  Adonaïj  réduira  à  7  les  articles  de  Maïmonide, 
distinguant  ainsi  :  i'  des  principes  fondamentaux;  2°  des  propositions  obliga- 
toires, mais  non  fondamentales  ;  3'' des  conceptions  abandonnées  à  la  réflexion 
personnelle. 

'4/  We  même  que  j)oiir  Abravanel  cliaque  mot  de  la  ïhora,  pour  David 
bcn  Zimra,  Ies6i3  commandements  de  la  Tliora,  (|ue  R.  Simlai  avait  énumérés 
au  iir  siècle,  sont  articles  de  foi. 


I.A    lOI    n  AISO.N.NA.NTi:  I.H) 

La  Foi  —  Kmiiiui  —  ne  sicrnilk'  pas  raccc[)lalion  d  un  cietio 
eccl»''siasli(iue,  mais  la  confiance  de  l'enfant  dans  la  paternelle 
fidi'litr  de  Dieu  (  i). 


Quelle  sorle  de  loi  inipli(pienL  les  dogmes,  pour  les  théolo- 
giens cpii  admettent  les  doi^mes. 

Pour  Saadia  (2),  la  spéculaliou  et  l'investigation  rationnelle 
servent  de  confirmation  à  la  révélation  prophétique.  La  révéla- 
tion, appuyée  par  des  miracles,  et  reçue  par  la  foi,  correspond 
rigoureusement  à  la  spéculation  rationnelle. 

Elle  est  nécessaire  pourtant,  parce  que  le  travail  de  la  pen- 
sée est  difficile  ;  parce  (pi'on  ne  peut  se  passer  de  la  certitude, 
pendant  le  temps  de  la  recherche  ou  du  doute,  parce  que  beau- 
couj)  sont  incapables  de  recherche  spéculative  (3). 

11  y  a  ici  le  pendant  de  doctrines  que  nous  connaissons 
déjà  :  la  raison  illuminée,  d'accord  avec  le  dogme. 

De  tous  les  docteurs  juifs,  Maïmonide  est  celui  qui  a  fait  le 
plus  puissant  effort  pour  ac(;order  avec  la  raison,  e'est-à-dirc 
avec  larislotélisme,  les  données  de  rKcriture.  On  connaît  son 
système  d'interprétation  allégorique;  on  sait  (pi'il  n'hésite  pas 
à  contredire  parfois  le  Talmud,  qu'il  passe  sous  silence  là  résur- 
rection et  (jue.  dans  le  «  Guide  »,  il  fait  à  peine  allusion  au 
Messie.  La  tendance  de  sa  doctrine,  c'est  qu'entre  le  judaïsjiic 
révélé  et  la  philosophie  il  n'y  a  aucune  opposition  et  qu'au 
fond  ils  sont  idenlicjues,  l'Kcriture  et  la  raison  étant  également 
d'origine  divine.  La  démonstration  logicpie  vient  à  l'appui  de  la 
Tradition. 


1  Koiii.KK.  o.c,  p.  2.*).    Luzziilo  (i8<K)-iS(>r>    coixliimiu-   [onlc  aUiliuic  spi'cii- 
lalive.  l.f  juduisiae  est  vie  morale  :  un  lliéisiiie  éUiiiiu»'. 

2  Le  Gaoïi  Snailia  bon  .loseph.  8*(2-9(2. 

■<    Saadia  couilwil   ici   le  sceplicisnie  juif  de   son  époque,  en  particulier  le 
raltii;mitt'  IIi\i  Alliarlii.  qui  niait   la  ^('■^■^•lali(>n. 


l(»0  LA    UELIOIOX    ET    LA    FOI 

Poiu  laiil  la  ri'vôlalion  complète  la  raison.  La  Création  (i), 
la  Providence,  le  Miracle  débordent  la  philosophie  naturelle, 
sans  la  contredire  (2).  La  raison  ne  les  exige  pas,  mais  ne  les 
exclut  pas  (3). 

Donc  la  raison  s'incline,  au  terme,  devant  l'autorité  de  la 
Révélation  :  «  Arrêtons-nous  à  ce  (pii  est  en  notre  puissance  et 
ne  nous  fatiguons  pas  à  scruter  ce  qui  nous  échappe.  Pour  ce 
qui  se  dérobe  au  raisonnement,  acceptons  la  parole  du  grand 
inspiré  Moïse  (4J.  » 

Cette  autorité  s'appuie,  du  reste,  sur  le  miracle.  «  La  reli- 
gion nous  a  l'ait  connaître  ce  que  nous  sommes  incapables  de 
concevoir,  et  le  miracle  atteste  la  vérité  de  ce  que  nous  sou- 
tenons (5).  » 

Il  y  a  ici  à  la  fois  ce  sens  commun  religieux  pour  qui  cer- 
tains signes  sensibles  extraordinaires  sont  la  preuve  d'une  doc- 
trine —  l'autorité  du  messager  refluant  sur  le  message  —  et  le 
germe  de  l'extrincésisme,  (pu'  nous  rencontrons  si  développé 
chez  saint  Thomas  ;  le  contenant  garantissant  le  contenu  ((y). 

Mais  ce  germe  ne  se  développe  guère,  d'abord  parce  que  la 
théologie  ne  se  développe  pas.  Et  puis  la  théologie  du  judaïsme 


(i)  Pour  préciser,  selon  Maïrnonide,  l'étornité  du  monde  n'a  pas  été  démon- 
trée par  Aristote,  et  la  création  n'est  pas  iuipossihlc  ;  d'autre  part,  l'Kcrituri' 
ne  proclame  pas  absolument  et  sans  c()ntestation  i)ossil»le  la  création  du 
monde.  Mais  l'éternité  du  monde  n'étant  j)as  déiuonlrcc,  il  ne  convient  pas  de 
faire  violence  aux  termes  bibliques  ;  admettre  l'éternité  du  monde  et  la 
nécessité  qui  en  découle,  ce  serait  nier  le  miracle  et  par  conséquent  la  reli- 
{,Mon. 

(21  Là  où  il  y  a  conflit  manifeste,  c'est  la  raison  qui  l'emporte  :  «  Il  faut 
avoir  recours  à  rinteri)rctation  alléfforique  chaque  fois  que  Je  sens  littéral 
étant  réfuté  par  une  démonstration,  on  sait  d'avance  que  ce  texte  est  sujet  à 
l'interprétation.  «    Guide  II,  2Ô  ;  196. 

3;  Il  y  a,  même  du  jtoint  de  vue  rationnel,  une  vraisemblance  loj;;i(jue  de 
la  Providence;  par  excuq)le    (Guide  III,  cb.  17,  )>.  199.) 

i4)  Guide  II,  ch.  24,  lyô. 

5)  Ihid.  ch.  2.")  ;  198. 

6)  De  même  pour  Jose[)li  Albo.  Ikarim,  livre  I,  ch.  24.  La  Loi  est  divine  : 
!•  |>ar  sa  ^aleur  morale;  2°  par  la  preuve  surnaturelle  de  la  mission  du  pro- 
phète législateur.  La  véracité  de  la  mission  de  l'envoyé  a  été  prouvée,  de 
façon  surnaturelle,  en  présence  de  toute  une  nation,  dans  le  cas  de  la  révé- 
lation sinaïtique. 


I.A    l'OI     I<  AISONNA.MK 


[0, 


lie  ((Hiliciil  pas  (le  inyslôrcs  coinine  la  Triiiitr,  l  liuaiiialioii,  la 
Krdcnijilioii.  l*]ll(' n'a  point,  coininc  le  christianisme,  Iraversé, 
pour  la  formai  ion  de  ses  notions  essentielles,  plnsieurs  plans 
(le  spéculât  ion,  ni  fail  eonvei'u:er  vers  le  même  pointées  apports 
(lilleients  et  dont  la  réunion  est  contiadieloii'e.  L'harmonie  de 
la  foi  avec  la  raison  y  est  plus  aisée  à  réaliser.  De[)uis  Saadia, 
le  vrai  critérium  de  la  révélation  et  de  la  prophétie,  c'est  la 
\aleiir  de  la  doctrine.  Le  miracle  ne  fait  <pie  eonlirmer.  L'Au- 
torité est  secondaire,  par  rapport  à  la  Vérité. 

Les  écrits  de  Maïmonide,  qui,  dans  sa  pensée,  (levaient 
clore  les  discussions  rabbiniques  et  réconcilier  délinitivemenl 
la  foi  et  la  raison,  s'ils  furent  accueillis  avec  enthousiasme 
parmi  les  juifs  du  midi  de  la  France,  suscilèrenl  lliorieur  des 
rabbins  de  l'ancienne  école. 

On  connaît  les  anathèmes  de  Salomon  de  Monl[)ellier,  la 
condamnation  du  synode  de  Barcelone.  Les  «  obscurants  »  du 
dedans  travaillèrent  en  même  temps  (pie  les  oppresseurs  du 
dehors  à  la  ruine  de  la  théologie  juive.  En  face  de  la  philo- 
sophie abstraite  des  disciples  de  Maïmonide,  la  Cabbale  se  ligua 
avec  l'orthodoxie  pour  éloulfer  la  philosophie  ;  le  Talmud  et 
le  Zohar;  la  spéculation  vertigineuse  sur  la  prati(iue  rituelle, 
ou  la  poursuite  des  puissances  célestes  par  la  spéculation  gnos- 
ti(iue  et  la  magie  du  grimoire.  Les  nouveaux  Hassidim  réagis- 
sent contre  le  Talmud  ;  mais  leur  réaction  reste  au  stade  de 
l'émotivité  extati(4ue,  étroitement  liée  du  reste  à  un  livre  et  à 
un  ritualismc  strict.  De  nos  jours,  la  théologie  dogmati(iue  n'a 
reparu  dans  le  judaïsme  de  la  lléforme  que  sous  rasj)eet  des 
formules  de  concorde. 


Nous  trouvons  aussi  i)ien  dans  l'Islam  et  la  foi  (logmali(pie, 
œuvre  de  la  théologie,  et  la  justilication  par  l'autorité,  partout 

11 


i6a  i,.v  HKi.KiioN  irr  la  ioi 


1 


(i)  MAcnoNAi.f),  Tlie  rcll^ious  Ailihidc  aiid  Life  in  Islam,  1909.  —  Cahha 
DK  Vaux,  (iazali.  Maï.momdi;,  Guide  des  Efra/vs,  1,  337. 

2)  GoLiiZiHKH,  Vorlesiingcn  iiber  den  Islam.  CIoluziiier  insiste  justement 
siirle  failli»*  rùledii  dogme  dans  l'Islam.  Il  n'y  a  jtas  de  conciles  et  desynodes 
jtour  formuler  les  symboli-s  ;  il  n'y  a  pas  de  fonction  ecclésiastique  (jui  repré- 
sente le  critérium  de  l'orthodoxie.  Les  parties  ont  de  la  peine  à  se  mettre 
d'accord  sur  la  notion  du  <■  Consensus  »  qui  assurerait  la  solution  des  ques- 
tions dogmatiques. 


OÙ  ci'He  foi  cesse  de  correspondre  strielement  à  la  philosophie. 
Mais,  ehez  aucun  théoloi;ien,  le  doi?ine  n'a  pris  un  (h'veloppe- 
inenl  comparable  à  celui  du  Christianisme,  et  (pielles  cpie 
soient  les  divergences  avec  la  raison,  elles  y  sont  beau- 
coup moindres,  pour  le  motif  que  nous  sii^nalions  il  n'y  a  qu'un 
instant. 

Au  temps  de  la  scolastique  arabe,  on  distingue  très  netle- 
inent  la  foi  purement  traditionnelle,  la  foi  de  la  populace 
(eonliance  dans  le  narrateur,  circonstances  frappantes,  exigence 
sentimentale);  la  foi  scolastique,  par  démonstration,  exhaustive 
et  complète,  ou  par  probabilité,  basée  sur  des  principes 
généralement  acceptés  par  les  maîtres  et  qu'on  ne  peut  rejeter 
sans  honte  ;  la  foi  par  expérience  profonde,  lumière  de  certi- 
tude qui  tend  vers  l'extase  mysti([ue  (i).  On  voit  la  doctrine 
s'organiser  au  cours 'du  dévelop|)ement  de  l'Islam;  formation 
dune  tradition,  à  côté  du  Coran  ;  doctrine  de  l'infaillibilité  de 
l'Eglise  qui  interprète,  apologéticjue  contre  les  adversaires  de 
l'Islam,  controverse  au  sein  de  l'Islam  (les  contradictions  du 
Coran,  la  foi  et  les  œuvres,  la  liberté  et  la  prédestination) 
(piestions  politiques,  inlluence  de  l'Aristotélisme  (2). 

Le  rationalisme  pur  d'un  Averroës  fait  de  la  religion  une 
j>hilosophi(-' ;  et  l'Islam,  jusqu'à  nos  jours  abonde  en  s(îctes 
ralioualistes. 

Un  Gazali  se  réfugie  dans  la  loi  avec  aussi  peu  de  recours 
(}ue  possible  à  l'intelligence.  Le  Dieu  du  croyant  est  prodi- 
gieusement distant  du  Dieu  des  philosophes.  Un  Avicenne 
rencontre  les  mêmes  problèmes  (jue  la  scolastique  chré- 
tienne. 


I.A     1  Ol     n  \lSO.\NANTK  l63. 


LA     RELIGION     NATURELLE 

La  |)aili('  ralioniielle  des  dogmes  religieux  peut  se  déve- 
lopper en  une  sorte  de  méla[)liysi(iue  religieuse,  qui  revendique 
sou  indé[)eMdaiiie  à  l'égard  de  la  religion  et  prétend  même  se 
substituer  à  elle.  C'est  ce  qu'on  a  appelé,  à  diverses  époques, 
la  religion  naturelle,  par  opposition  à  la  religion  positive.  La 
religion  naturelle  ne  veut  se  réclamer  que  de  la  nature  humaine, 
cœur  et  raison. 

La  Religion  naturelle  s'oppose  à  la  Religion  révélée  ou 
l)osilive.  Elle  lui  est  chronologiquement  postérieure.  Les 
religions  positives,  avec  leur  appel  à  la  Révélation,  ont  été 
pratiquées  et  admises  pour  vraies  d'une  vérité  supérieure  aux 
lumières  de  la  conscience,  longtemps  avant  qu'on  imaginât 
d'en  extraire  l'essence,  plus  ou  moins  suhlilement  traitée,  pour 
en  faire  l'expression  suprême  de  la  nature  humaine.  La  religion 
a  eu  le  sort  de  l'idée  de  Nature  et,  comme  elle,  s'est  dégagée 
peu  à  peu  d'un  ensemble  confus  et  indistinct,  en  même  temps 
que  l'idée  précise  de  Surnaturel.  Comme  elle,  elle  s'est  le  plus 
souvent  i)roposé  de  supprimer  cette  dernière,  et  s'est  le  plus 
souvent  formulée  en  conflit  avec  la  Révélation  et  le  Surnaturel. 

La  Religion  naturelle  traite  les  religions  positives  connue 
un  amalgame  de  raison  et  de  déraison;  la  confusion  d'esprit, 
la  prédominance  de  l'imagination,  la  faiblesse  de  resi)rit 
critique  expliqueraient  sufilsamment  l'étrangelé  des  mythes 
religieux.  Parfois  on  verra  dans  cette  étrangeté  même,  comme 
une  «'xpression  et  une  préparation  symboliques  de  la  raison. 
Suivant  l'usage  (ju'on  entend  faire  de  l'idée  de  nature,  la 
Religion  naturelle  sera  conçue  comme  la  suite  et  l'épuration 
des  Religions  révélées,  ou  comme  la  réaction  saine  de  la  pure 
raison  contre  un  amas  d'illusions  et  d'erreurs. 

C'est  ainsi  qu'historicpiement  la  religion  naturelle  se 
présente  comme  une  épuration,  une  simplilication,  une  ratio- 


l6|  LA    HKI.K.ION    F.T    I,.\     KOI 

iinlisalion  dos  relii^ioiis  positives.  Uoussoan  disait  :  «  Le  vi'ai 
christianisme  n'est  (jne  la  reliii^ion  naturelle  mieux  expli- 
quée »  (i).  On  n'aura  donc  point  de  peine  à  montrer  le  «  concert 
de  la  nature  avec  la  révélation  »  (pii,  ou  bien  se  réduit  à  la 
nature,  ou  bien  s'y  superpose,  mais  en  tout  cas  tire  sa  force 
de  la  reliu:ion  naturelle. 

Dans  l'antiquité,  l'interprétation  allégorique  tendait  à 
élaguer  les  floraisons  de  la  mythologie.  Une  idée  générale  et 
synthétique  de  la  divinité,  très  flottante  et  très  noble,  cherchait 
à  s'insinuer  dans  les  anciens  dieux.  La  philosophie  stoïcienne 
répond  à  un  besoin  pratique  de  croyance  religieuse;  mais  elle 
constitue  un  objet  de  croyance  capable  de  s'exprimer  en  propo- 
sitions rationnelles.  La  philosophie  de  Plutarque  répond  au 
même  esprit.  La  religion  est,  pour  lui,  une  philosopliie 
naturelle,  enveloppée  de  fables  par  les  Grecs  et  par  les 
Barbares  .-une  théologie  rendue  mystérieuse  et  secrète  par  des 
énigmes  et  des  allégories.  La  tâche  du  philosophe  est  d'expli- 
quer ce  qu'il  y  a  d'étrange  et  d'inadmissible  dans  les  histoires 
des  dieux  ;  de  séparer  la  théologie  d'avec  la  mythologie  ; 
sous  la  religion  poétique  et  civile,  il  retrouve  la  vraie  nature 
des  dieux. 

L'humanisme  religieux  achevait  en  religion  naturelle  sa 
restauration  de  la  nature  humaine.  Sous  la  diversité  des 
religions  positives,  les  uns  retrouvent  une  religion  unique  : 
d'autres  voient  dans  un  christianisme  épuré  l'expression  suprême 
de  l'àme  de  l'homme.  Relevée  de  la  déchéance  originelle, 
conflante  en  ses  propres  forces,  la  Raison  traite  en  égale  avec 
la  Religion  ;  elle  se  réserve  le  droit  de  la  reconnaître,  et  de  la 
promulguer;  de  l'amender  même  et  de  la  faire  conforme  à  soi. 
L'Humanisme    achève   le    travail  de   ceux    (pii,    au    cours    de 


i;  AnAiziT  \'.  -M.  Masson.  I.  207  .  «  Il  y  a  contradiction  à  dire  qu'un  dof^nie 
est  révélé  et  qu'il  est  incomproliensihlc...  Ce  qui  doit  le  plu.s  nous  occuper, 
c'est  la  méditation  des  vérités  claires  et  à  notre  portée  «jue  la  religion  ren- 
Jerme...  c'est  l'étude  et  la  pratique  de  nos  devoirs.  » 


I.A     roi     IlMSO.WANTi: 


riiisloiir,  onl  nuiiiiU'Uii  contre'  la  t^ràcc  les  droils  de  la  naliiic, 
coiilic  la    roliii:ion,  la  raison,   riioinnie  contre  .lésus-C.lirisl. 

Au  wiii'  siî'clc.  la  Religion  naturelle  est  à  la  fois  la 
riili(ini'  i)liilosoi)lii(iue  de  la  notion  de  révélation,  et  du 
l'oiitenu  des  religions  révélées;  v\  en  niènic  t('inj)s  une  altitude 
religieuse,  ou  tout  au  moins  une  habitude  religieuse,  selon  les 
es|Hils.  l'allé  niar(|ue  la  persistance  de  la  religion  même  ([u'elle 
c-ondtal,  et  l'ellort  pour  garder  un  niinimtini  de  religion.  l'Ule 
<st,  elle/  les  uns,  elïbrt  pour  rester  religieux  en  cessant  d'être 
traditionnels;  —  chez  d'autres,  effort  pour  concilier  la  religion 
(h'faillante  avec  les  habitudes  d'esj)rit  (pie  crée  une  civilisation 
nouvelle,  elïbrt  ])Our  éviter  à  la  lois  «  l'impiété  et  la  super- 
stition ;  pour  trouver  le  juste  milieu  entre  le  fanatisme  et  les 
lumières  ».  Chez  d'autres  encore,  comme  chez  MorcUet  ou 
Diderot,  elle  sera  une  machine  de  guerre  contre  la  ndigion 
positive.  La  Nature,  c'est  pour  un  Diderot  comme  un  appel  à 
l'insurrection  contre  les  erreurs  de  l'enfance,  contre  tous  les 
préjugés  de  l'éducation,  tous  les  scrupules  de  la  morale 
sociale. 

Mlle  a  le  sort  de  l'idée  de  Xature.  llestauration  ou  révo- 
lution, ainsi  se  présente-t-elle  suivant  les  esprits.  Elle  réunit, 
dans  une  notion  complexe,  contradictoire  et  confuse,  l'idée  de 
spontanéité,  de  développement  et  de  progrès  libre,  contre 
l'ascétisme  et  le  traditionalisme  religieux  ;  l'idée  d'une  raison 
vivante  et  agissante,  capable  de  comprendre  le  monde  el 
juscpi'au  fond  la  nature  des  choses;  l'idée  d'une  sentimentalité 
(pii  a  SCS  droits  et  notamment  celui  de  supposer  l'existence  de 
l'objet  de  ses  désirs.  El  toutes  ces  aspirations  sont  considérées 
comme  une  donnée  primitive.  D'oîi,  chez  beaucoup,  l'idée  d'un 
retour  à  la  nature  après  les  lalsilications  de  la  société. 
Beaucoup  |)rojcttent  à  l'origine  de  riiunianité,  sous  le  nom  de 
religion  naturelle,  cv  (|ni  leur  paraissait  ètie  la  religion  ration- 
nelle. De  là  le  rêve  d'une  religion  (|ui  serait  la  même  dans 
tous  les  Aires,  dans  tous  les  pays,  dans  tons  jr-;  mondes,  d'une 


l66  I.A    RELIGION    KT    LA    KOI 

rc'litJ:ion  iiiiiiuime.  clariliée  «  aux  pures  lumières  de  la  raison  », 
(jui  serait  la  nature  eonscientc,  sentie  et  aimée  pour  elle- 
même;  et.  comme  on  Ta  dit,  «une  réplicjue  tiiéolo^ique  aux 
rêves  de  l'âge  d'or  >  (i). 

Pascal  avait  dit  du  christianisme,  pour  lui  en  faire  honneur 
comme  d'un  signe  de  vériîé,  «  qu'il  était  la  seule  religion  contre 
la  nature  ».  Le  christianisme  humanisé  risque  de  devenir  «  le 
règne  de  la  belle  nature  »,  une  divinisation  de  la  nature 
humaine.  Kt  ceux  qui  n'iront  pas  si  loin  feront  bien  maigre 
encore  la  part  de  la  révélation. 

Le  droit  pour  la  raison  de  la  contrôler,  et  d'en  exclure  ce 
fpii  serait  contraire  à  la  raison,  le  droit  de  faire  décider  par  la 
raison  ce  ([ui  est  vraiment  révélation,  ramène  inévitablement 
la  religion  à  la  philosophie.  Ceux  qui  continuent  d'admettre 
la  révélation  la  traitent  comme  un  surplus,  qui  doit  satisfaire 
à  deux  exigences  opposées  :  dépasser  les  lumières  naturelles 
et  s'y  trouver  aussitôt  conforme  ;  ou  bien  ils  admettent  que,  si 
la  Révélation  n'apporte  rien  à  l'humanité  qu'elle  ne  puisse 
atteindre  d'elle-même,  elle  lui  donne  plus  tôt  ce  qu'il  lui 
importe  le  plus  de  savoir  :  le  symbole  précède  l'idée  claire, 
la  foi  historique  précède  la  foi  rationnelle  et  peut  servir  encore 
aujourd'hui  à  éclairer  ceux  qui  ne  sont  pas  capables  de 
pure  pensée. 

Mais  la  tendance  inévitable  de  la  religion  naturelle,  c'est 
de  juger  la  révélation  inutile  et  indémontrable.  Inutile  à  cause 
de  la  raison  qu'elle  ne  peut  que  voiler.  Indémontrable,  parce 
qu'après  tout  les  preuves  extrinsèques  ne  reposent  que  sur  les 


'Il  La  «  religion  natiirflle  »  envaliira  au  xviii"  siècle  toutes  les  confessions 
religieuses,  aussi  bien  le  protestantisme  que  le  catholicisme.  En  envahissant 
le  protestantisme,  elle  refoule  l'idée  de  péché  ori},'-incl  et  tout  le  pessimisme 
sur  lequel  est  fondé  le  calvinisme,  par  exemple  chez  Sulzer,  Vernest.  (Voir 
P.  M.  Masson,  1,  259  et  suiv.)  Elle  refoule  aussi  le  dof^matisme.  Turrettin 
(P.  M.  Masson,  I,  200)  :  «  Siircharj^er  la  religion  de  merveilles  et  de  mystères, 
c'est  la  corrompre;  elle  n'est  jamais  plus  belle  que  dans  sa  simplicité  origi- 
nale^.. On  n'est  pas  mal  avancé  dans  la  théologie  quand  on  a  appris  à 
ignorer  certaines  clioses.  » 


I.A     l(M    RAISO.WA.NTK  167 

preuves  intrinsèques.  Rousseau  dira  des  miracles  et  des 
prophéties  :  c  i*onr  être  certain  (ju'il  y  en  eût,  il  faudrait 
connaître  tous  les  secrets  de  la  nature.  »  Puisqu'il  y  a  de  faux 
miracles  et  de  fausses  prophéties,  leur  valeur  repose  sur  la 
doctrine,  dont  la  raison  demeure  le  juge  suprtMiie. 


* 

* 


Le  Romantisme  rêve  lui  aussi  d'un  syncrétisme  religieux,  oii 
viendraient  s'estomper  les  lignes  des  dogmes  et  dans  lequel  toutes 
les  confessions  communieraient.  Le  Romantisme  religieux  tend 
à  montrer  que  le  contenu  de  la  Révélation  est  rationnel.  Mais 
la  raison  telle  (pi'il  la  comprend,  n'est  point  la  raison  froide 
et  sèche  du  rationalisme  des  «lumières».  Ltre  et  Raison  se 
rejoignent  dans  les  profondeurs  de  l'intuition  intellectuelle.  La 
vie  de  la  pensée,  le  développement  de  ses  moments  expriment 
la  réalité  nu'me.  La  suite  des  dogmes  se  développe  à  partir  de 
I  intuition  du  divin.  Le  Mysticisme  spéculatif  du  Moyen  Age, 
le  Romantisme  religieux  du  xix'  siècle  sont  deux  expressions 
de  la  même  tendance.  Kt  même  ce  divin  a  ligure  de  christianisme. 
La  philosophie  romantiipie.  si  indéterminé  que  soit  l'Abîme 
oiiginaire  d'où  elle  tire  les  choses,  construit  le  monde  selon  les 
lii,Mies  du  christianisme. 


*     * 


Le  développement  des  religions  rationalistes  n'est  point 
négli<;i'al)le  depuis  le  xviii-  siècle;  théophilanthropie,  rationa- 
lisme protestant,  églises  rationalistes  anglaises,  religion  de 
l'humanité.  Mais  la  «religion  naturelle»  est  prise  enjre  la  reli- 


l68  LA    HELIGION    ET    I.A    lOI 

ifioii  et  la  raison;  enlie  la  puissanio  lasciiiation  des  religions 
positives  et  la  crili(pie  (pie  la  raison  fait  (rclle-nu''me.  Se  lier  à 
la  raison,  pour  la  solution  des  problèmes  niélaphysiipies,  c'est 
une  prétention  cpu'le  scepticisme  et  le  criticisme  ont  amplement 
combattue.  La  Foi  de  la  Raison,  contre  la  Foi  liistori(pie, 
suppose  une  foi  dans  la  l'aison  que  la  ])hilosojiliie  ne  soutient 
pas  toujours. 


Une  bonne  partie  de  la  force  de  la  religion  naturelle  vient 
de  la  valeur  des  idées  qu'elle  manie,  plutôt  que  de  leur  vérité. 
La  contianee  accourt  à  l'aide  de  la  croyance.  C'est  ce  qu'on 
verrait  en  étudiant  quelques-uns  de  ceux  pour  qui  la  religion 
naturelle  a  été  vraiment  une  religion.  Rousseau,  est-il  besoin 
de  le  dire,  n'est  pas  un  logicien,  un  démonstrateur,  encore  que 
son  système,  nous  le  verrons,  ne  se  soit  pas  formé  sans  dialec- 
tique ni  discussion.  Mais  sa  construction  dogmaticpie  repose 
surtout  sur  les  bases  du  sentiment  :  Julie,  ou  le  besoin  d'aimer, 
l'aflection  surabondante,  au  delà  des  choses  terrestres  et  finies, 
incapables  d'occuper  entièrement  l'àmc  ;  le  Vicaire  Savoyard, 
ou  la  gratitude  d'exister  ;  le  besoin  du  eteur,  la  lumière  intérieure 
d'oîi  sort  un  système  de  théologie  naturelle,  un  rationalisme 
sentimental  ;  le  Promeneur  Solitaire,  ou  l'extatisme  :  l'intuition 
profonde  qui  remplit  toute  l'àme,  le  Dieu  extatique  qui  confère 
la  certitude  au  Dieu  chrétien  de  la  Religion  naturelle. 

Rousseau,  c'est  la  Vie  sous  la  Religion,  le  sentiment  libéré, 
rendu  à  soi-même  et  qui  se  retrouve  dans  les  dogmes  et  dans 
les  souvenirs  chrétiens  ;  la  nature,  l'enchantement  de  la  musique 
■et  de  la  rêverie  paresseuse  ;  le  refuge  dans  l'apaisement  ineffable 
des  grandes  ondulations  bienheureuses,  loin  du  monde  méchant  ; 
et  sous  le  thème  traditionnel  du  Dieu  juste,  le  besoin  d'appui 
et  de  revanche  du  .Iiiste  persécuté. 


lA    lOI    HMSONNAMK  1 69 


LES    ÉLÉMENTS    DE     LA     FOI     RAISONNANTE 

La  raison  fonduil  à  la  loi,  la  iNahnc  au  Siirnaluiel.  Il  y  a 
(It'ux  mondes  et  le  croyant  passe  de  1  un  à  l'autre.  La  loi  c'est 
précisément  ce  passade  de  l'un  des  ordres  à  l'autre,  et  l'état 
d'àme  par  lequel  le  croyant,  s'élevant  au-dessus  de  rinlelliaence, 
s'installe  dans  la  vie  sacrée.  «  L'Apologéli(|ue  n'est  cpi'une  ]»r(''- 
paration  ou  une  défense.  Elle  n'est  point  la  vie  de  l'a  me.  (jui 
rst  la  grâce  sanctifiante  (i).  »  L'acte  de  foi  se  pose  et  pose  le 
croyant  dans  un  autre  ordre,  l'ordre  du  mystère,  et  dans  un 
autre  monde,  le  monde  de  la  vie  divine.  «  Qui  d'entre  nous,  un 
certain  jour  de  sa  vie,  ne  s'est  senti  transporté  dans  l'invisible? 
La  Nalui'c  cl  l'Art,  la  communication  de  tout  ce  cpii  est  inetrahle 
dans  l'harmonie  du  monde  ou  dans  l'expression  de  l'Ame 
humaine,  nous  ont  transfigurés  (juelquefois.  Purs  dans  notre 
amour,  forts  dans  notre  volonté,  illuminés  dans  notre  enten- 
dement, nous  avons  compris,  mais  ce  furent  des  instants  trop 
courts,  cette  admirable  parole  de  l'apôtre  :  la  foi  c'est  la 
démonstration  de  l'invisible,  c'est  la  substance  des  choses  que 
nous  espérons  (2).  » 

Sentiment  d'élation  et  d'exaltation,  qui  naturellement  vaiic 
beaucoup;  d'abord  selon  la  manière  dont  est  perçue,  posée  et 
affirmée  la  relation  des  deux  ordres  ;  nous  y  reviendrons  ;  puis 
suivant  le  caractère  plus  ou  moins  personnel,  plus  ou  moins 
volontaire  de  l'acte.  Le  sujet  peut  avoir  plus  ou  moins  conscience 
de  l'élévation  de  son  acte  au-dessus  des  actes  naturels  de  son 
intelligence  (3).  Ilpeutse  sentir  plus  ou  moins  «agi  »  ou  agissant. 


l'i^  Clkhissac,  Mysfrre  de  l'Ki^'-lisc,  <). 

(ai  Ui;Mtuvii;n.  Mtiiinel  de  l'hilosojdiie  ancienne,  u,  39'). 

(3)  C'est,  pour  les  théolofficiis,  la  question  de  la  perceplibilité  <l<'  lelal  de 
>;râco.  En  priiieipe  les  actes  siinialnrpls  sont  estimes  ineonseients,  paire  qu'ils 
<lcpassent  l'ordre  eréé  sur  lequel  s'exerec  la  connaissanee  naturelle.  ..  L'état 
de  );râee  ne  salirait  être  eonnu  naltirelleuient  par  aucune  créature,  i>arce  que 
la  vie  surnaturelle  «pi'il  nous  donne  n'est  |)oinl  une  vie  créée,  ni  créalile,  mais 


l^O  I  A    UELir.ION    ET    LA    FOI 

La  foi,  c'est  le  vertifje  de  Dieu.  Rappelons -nous  l'amoui 
la  passion  <pii  s'enc:ou(Tre  dans  son  objet,  renonçant  à  la 
diseussion  el  an  eonlrùle,  acceptant  de  cet  objet  toute  la  nature 
et  toutes  les  décisions.  Mais  ici  le  vertige  est  précédé  d  un 
examen,  et  il  en  garde  le  rellet.  Dans  ce  vertige,  qui  n'est  point 
le  verlige  mystique,  —  abolition  de  rinlcUigcnee,  —  toutes  les 
délinilions  sont  maintenues.  Un  surplus  apparaît,  qui  dé[)asse 
les  raisons  de  croire,  et  qui  est  comme  la  marque  et  la  présence 
de  l'objet  de  croyance  lui-même.  Le  sujet  s'arrête,  se  détend, 
cesse  d'agir,  de  vouloir,  se  laisse  aller  au  gré  d'une  force  supé- 
rieure (i).  Au\  motifs  qui  paraissent  suffisants  pour  justifier  un 
assentiment  intellectuel,  s'ajoute  «  cette  part  de  conviction  qui 
va  non  plus  d'un  sujet  connaissant  à  un  objet  cormu,  mais  d'un 
être  à  un  autre  être;  qui,  par  conséquent,  procède  d'autres 
puissances  que  de  l'entendement  et  s'attache  moins  à  l'intelli- 
gibilité qu'à  l'activité  ou  à  la  bonté  de  ce  en  quoi  l'on  met  sa 
croyance  (2)  * . 

Ainsi  une  sorte  d'illumination  plus  ou  moins  impérieuse,  oîi 
la  puissance  qui  fait  croire  (3)  s'affirme  dans  l'acte  de  croyance 


une  participation  à  la  vie  même  de  Dieu.  »  VaCwVNT,  ii,  2o5.  Mais  la  grâce  peut 
être  jusqu'à  un  certain  point  sentie  ou  conclue.  Dans  certains  étals  même,  et 
ce  sont  les  étals  mystiques,  l'efracement  de  la  nature  ouvre  le  champ  à  l'aper- 
ception  (lu  surnaturel  agissant. 

(il  II  y  a  ici  quelque  chose  d'analogue  à  l'acte  de  volonté,  selon  Berg.son  : 
dans  les  moments  graves,  le  conflit  des  motifs;  puis,  au  delà  des  motifs, 
rélahoralJDn  de  la  nouveauté;  de  même  l'intuition  créatrice  au  delà  du 
travail  intellectuel  préliminaire. 

2  Blo.vdkl,  Vocabulaire  de  philosophie  Lalande),  article  Croyance.  C'est 
ce  (|u'(xprinie  liien  cette  jjhrase  de  Newman  (<)  oct.  I84■^)  :  "  Puissé-je  avoir, 
en  fait  de  vraie  Foi,  un  dixième  de  la  conviction  intoUecluelle  où  je  suis  en 
ce  qui  concerne  la  véritc-...  mon  cœur  est  si  dur,  je  fais  tout  avec  si  peu 
d'élan,  rpie  je  me  suis  demandé  en  tremblant  si  j'aurais  assez  de  P'oi  et  de 
contrition  pour  recevoir  toutes  les  grâces  du  sacrement.  Peut-être  une  même 
personne  ne  i)eul-elle  à  la  fois  croire  et  savoir.  »  (S. -F.  P'i.etchkh,  A  Short  Life 
of  C.  yewman,  H7. 

(3  C'est  Dieu  aflirmé  intellectuellement  qui  devient  le  Dieu  de  la  foi- 
L'être  de  i'aflirnialion  rationnelle  s'exalte  jusqu'à  l'inconditionnel,  jusqu'à 
l'absolu.  Lessence  de  la  foi,  c'esl  précisément  cette  puissance  de  l'objet  qui 
pénétre  et  tiansforme  le  sujet  :  celle  puissance  invasive  et  coercitive,  cette 
façon  de  s'affirmer  soi-même  dans  le  sujet  de  l'affirmation  ;  cet  élan  du  senti- 
ment qui  entraîne  tout  l'être  et  fait  1  adhésion  absolue,  totale  el  sans  réserve. 


LA    FOI    RAISONNANTK  17' 

iiic'iiR',  oïl  Dit'U  parait  se  révéler  en  révélant.  Un  défçagement 
d'énergie,  un  surplus  d'être,  qui  dépasse  ses  conditions  produc- 
trices, et  qui  apparaît  au  sujet  comme  l'essence  nu''mc  de  la 
réalité  sur  laquelle  travaillait  son  esprit.  Mais,  déterminé  dans 
ses  conditions  initiales,  ce  déploiement  merveilleux  reste  déter- 
miné dans  son  cours  et  dans  ses  effets  ;  ce  n'est  pas  l'évasion 
vers  la  grande  rêverie  de  rinexprimahle  :  c'est  la  garantie  de 
cela  même  qui  était  en  question,  l'autorité  conférée  à  l'indé- 
montrable. Ou  bien  l'illumination  directe  du  mystère,  ou  bien 
riUnmination  indirecte  par  l'autorité  du  témoignage  divin  ; 
dans  les  deux  cas,  le  retour  à  l'intelligibilité,  la  réflexion  de  ce 
rayon  de  lumière  sur  les  dogmes.  Dans  l'un  et  l'autre,  la 
raison  enchantée  de  Dieu  est  comme  en  sympathie  spiri- 
tuelle avec  lui.  Dans  le  second,  la  nuance  de  Tobéissance 
devant  le  révélateur  divin,  garant  de  la  vérité.  Ici  la  vérité 
apparaît  comme  reposant  sur  ce  témoignage  ;  l'àme  entend 
Dieu  parler,  témoigner.  Ici  la  foi,  c'est  la  parole  de 
Dieu  murmurée  au  cœur  du  croyant,  pour  lui  enseigner 
des  vérités  que  son  intelligence  ne  peut  ni  découvrir,  ni 
comprendre  :  inspiration  de  Dieu,  et  comme  parole  de  Dieu. 
Mais  Dieu  est  ici  lumière,  illumination,  esprit  (i).  Suivant 
le  mot  de  Hegel,  la  Foi  est  le  témoignage  que  l'esprit  rend  de 
l'esprit. 

Installé  dans  sa  foi,  le  croyant  voit  les  énigmes  se  résoudre. 
Elle  a  tous  les  caractères  de  la  certitude;  illuminatioii,  repos 
et  détente;  puissance  et  anéantissement;  exaltation  dans 
l'impersonnalité.  Certitude  absolue,  elle  est  aussi  certitude  de 
l'Absolu  ;  elle  ouvre  une  perspective  sur  l'infini  ;  elle  s'installe 
au  cœur  de  l'être,  dans  l'éternité.  Familier  avec  les  mystères 
divins,  le  croyant  comprend  le  monde,  ou  du  moins  tout  ce  cpii 


(l)  C'est  ici  ce  que  .lames  appoIU-  liiuaf^iiiation  oiitoloj;i(iue,  avec  sa 
puissance  de  persuasion;  l'intuition  sourde  et  implicite;  lu  conviction,  aussi 
Ibrle  que  la  certitude  d'une  impression  sensible  ordinaire,  et  beaucoup  plus 
forte  que  ceile  d'un  raisonnement  logique. 


I^^  I-A    lîEI.K.ION    KT    I  A    KOI 

linh'resse  dans  le  monde,   tout  ce  ([u'il  estime  nécessaire  de 
comprendre;  il  sail  el  il  comprend  (i). 


* 
*     * 


Il  laul  d'abord  situer  cette  forme  de  la  foi.  KUe  lire  son 
caractère  oriijinal  de  celle  curieuse  combinaison  de  raisonne- 
ment el  d'élan  supraratioimel.  Elle  n'est  ni  la  conformité, 
extérieure  el  aussi  dénuée  que  possible  d'actes  intellectuels,  de 
la  foi  imj)lieile  ;  ni  le  simple  mouvement  de  confiance  dans  la 
puissance  ou  la  bonté  transparentes  à  travers  les  dogmes;  une 
telle  conliancc  à  l'état  pur  ne  songe  pas  à  se  légitimer  ;  elle  est 
pliitùl  sympathie  airectivc  (jue  sympatliie  intellectuelle,  amour 
plutôt  que  lumière,  don  du  cœur  plutôt  qu'adhésion  de  la 
pensée.  Elle  n'est  pas  davantage  l'élan  mysti([ue  (jui  «  s'extasie 
dans  son  infini  objet  béalitique  «,  qui  «  regarde  son  objet 
immense  dans  son  infinie  fruition  (2)  »,  qui  trouve  en  lui  suavité 
avant  tout  raisonnement  (3).  Pas  davantage  ce  mouvement  de 
crédulité  instinctive,  soutenu  par  les  exigences  du  cœur,  et  par 


(i)  Pascal  peut  servir  d'exemple;  il  a,   eomiiu'  on  sait,  abondiiiiinient  fait 
nsage  d'une  telle  explication  ;  les   contrariétés  de  la   nature  humaine,  bas 
sesse  et  {grandeur;  les   deux   natures  et  les   deux  mondes;  les  trois  ordres; 
l'extérieur,  l'intérieur  cl  leur  mélange  dans  la  religion  et  même  l'incroyance 
et  l'iiéré-sie. 

V,l  Ghatry  écrivait  : 

«  Il  y  a  pour  l'homme  un  état  de  vie  intérieure,  saint  et  vrai,  ardent  et 
humble,  chaste  et  clairvoyant,  libre  d'orgueil  et  d'illusion,  que  le  contact 
formel  de  Dieu  f)eut  seul  donner  :  étal  d'àme  sans  lequel  l'ère  sacrée  de  la 
science  n'est  pas  |)ossibl('.  La  science  totale,  à  la  fois  divine  et  humaine,  que 
l'intervention  eDicace,  int<;rienre,  du  christianisme  apporte  seule.  Les  chrétiens, 
vivant  delà  substance  intime  du  christjanisme,  peuvent  seuls  faire  la  moisson 
des  sciences.  »  Ghatry,  Une  étude  sur  la  sophistique  contemporaine,  cité  dans 
Paffes  choisies,  de  L.-A.  Molikn  (p.  4i)  (i<p^)- 

(2)  Jean  de  .Saint-Samson,  cité  par  Briîmom),  Histoire  littéraire  du  Sentiment 
rdifrieux.  II,  "iSd. 

i'ii  Un  disciple  myslir|ue  rie  Saint-Samson,  Dominique  de  Saint  .\lbert, 
nommé  professeur  fie  théologie,  lui  écrivait  :  «  L'exercice  de  la  spc-eulation 
est  la  plus  profonde  mort  (jue  l'esprit  amoureux  jtiiisse  souffrir.  »  (Bm';,MO\D, 
iind.,  385.) 


I.A     lOI     UAISONNAME  1-3 

des  lial)ilii{U's  riliicllcs.  (|iii  so  dispense  de  t()Ut<'  oiKnirtc,  soit 
parce  (lii'il  craint  de  profaner  le  mystère  par  des  essais  de 
(lénionstiation  rationnelle  :  soit  parce  qu'il  n'a  aucune  confiance 
dans  la  laison,  soit  parce  qu'il  n'a  en  elle  «pi'iinc  demi-confiance 
cl  (pi'il  y  voit  aulanl  d'ohsciii'it»'  (pie  de  clarté  :  lidéisme  ou 
scnii-lidéisme. 

VA\c  n'est  pas  davantage  la  simple  confiance  de  la  raison 
dans  ses  raisonnements.  Certes,  il  y  a  une  foi  religieuse  ratio- 
naliste, foi  historique,  foi  scientilique.  Pour  autant  que  cette 
foi  est  simple  raison,  contrainte  de  la  vérité,  autorité  de 
l'évidence  ou  de  la  démonstration,  celle  (jue  nous  étudions  ici 
s'en  dislingue  nettement.  Mais  il  y  a  souvent  dans  la  croyance 
ratioiiiicllc  quelque  chose  qui  dépasse  la  raison;  on  accorde  à 
une  liy()()thèse  plus  de  confiance  qu'elle  n'apporte  de  preuve  ; 
lasseiitiment  déborde  la  démonstration  :  désir  (|ue  la  chose 
soil  vraie,  qui  se  mue  en  apparence  de  vérité,  défaillance  de 
l'esprit  critique,  qui  oublie  l'insuffisance  constatée  ou  qui  est 
momentanément  inapte  à  doser  les  fines  nuances  de  la  proba- 
bilité, etc.  Et  c'est  ici,  avec  cet  excès  de  la  certitude  sur  la 
vérité,  que  commence  la  foi,  souvent  analogue  à  celle  que  nous 
venons  d'étudier. 

La  foi  que  nous  avons  décrite,  réalise  un  état  d'équilibre 
très  diflicile  à  maintenir  :  l'histoire  le  prouve  en  nous  montrant 
la  continuelle  oscillation  de  ce  demi-rationalisme  entre  le  ratio- 
nalisme et  l'irrationalisme.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  ce  type  pur 
n'ait  été  réalisé  nulle  j)art  ;  bon  nombre  de  docteurs  scolas- 
ticjues,  de  théologiens,  de  chrétiens  instruits  y  sont  parvenus 
ou  y  parviennent  encore  aujourd'hui.  Sous  des  dosages  dill'é- 
renls,  sous  des  formes  diirérentes  de  succession  et  de  dévelop- 
pement, ce  mélange  de  raisonnement  et  d'affirmation  gratuite 
constitue  la  foi  de  beaucoup.  Il  répond  au  tcmj)érament  de 
beaucoup  d'hommes  (jui  demandent  (piehpies  garanties  pour 
s'aventiuer  et  cpii  ne  craignent  [)oinl  de  s'aventurer  au  delà  des 
garanties.  Il  est  une  expression  de  la   natui-e  humaine,  portée 


1^4  1  "^    IIEUGION    KT    LA    KOI 

à  la  fois  à  justifier  et  à  ralionaliser  ses  aspirations,  el  à  se 
soiimellre  à  ses  objets  de  croyance  et  de  passion.  Il  est  au  fond 
de  toute  vue  sur  l'existence,  qui  dépasse  les  données  naturelles, 
an  fond  de  toutes  les  anticipations  synthétiques.  Il  traduit  le 
inélaniïe  dohjeclivité  et  de  subjectivité  qu'il  y  a  dans  riionime; 
sul)jeclivité  parfois  purement  arbitraire,  caprice  individuel, 
parfois  expression  profonde  de  profondes  tendances  humaines. 
La  foi  religieuse  est  un  cas  particulier. 


Classons  rapidement  les  grandes  attitudes  que  nous  avons 
tout  à  l'heure  analysées.  Il  nous  semble  qu'on  peut  distinguer 
plusieurs  grandes  espèces  de  sujets  : 

1°  Le  rationaliste  illuminé.  Celui  qui  aperçoit  directement  la 
vérité  des  dogmes;  à  peu  près  comme  un  philosophe  aperçoit 
la  vérité  d'une  philosophie.  Démonstration  rationnelle,  basée 
sur  l'évidence  logique  ;  intuition  intellectuelle  ;  ici  nous  avons, 
d'une  part,  l'attitude  du  savant  et  du  philosophe  ;  d'autre  part, 
l'attitude  du  mystique,  et  leur  mélange.  Nous  reviendrons  sur 
les  éléments  de  cette  composition. 

2"  Le  raisonneur  qui  interprète  en  langage  surnaturel  ses 
procédés  et  ses  opérations.  Mais  dans  le  raisonnement  même, 
quelque  cliose  intervient  qui  semble  dépasser  le  raisonnement; 
dans  l'application  de  l'esprit,  dans  la  direction  de  l'attention, 
il  y  a  comme  un  don  de  soi  et  une  grâce  supérieun;.  Seule- 
ment ici  le  raisonneur  l'emporte,  et  son  assurance  n'a  rien  qui 
étonne,  et  c'est  parce  qu'il  est  théologien,  ou  que  le  théologien 
s'en  mêle,  parce  qu'on  veut  introduire  dans  cet  acte  naturel 
une  intervention  surnaturelle,  qu'on  traite  ainsi  l'activité  men-  ' 
taie  comme  une  sorte  d'inspiration.  C'est  un  peu  ainsi  (jue 
Malebranche  disait  :  »  L'attention  est  une  prière.  » 


LA    KOI    R  \ISON. NANTI-:  I-O 

■)'  Le  raisoiiiHMir  riiHi  :  celui  (jiii  Iraiispose  dans  le  plan  de 
1  aUV'clivitc  et  de  la  vie  le  travail  de  sa  raison;  la  foi  vivante,  le 
retentissement  de  la  foi  dans  toute  la  conscience.  Ici  le  raison- 
iieMH  ni  piend  sa  valeur  de  vie.  Mais  si  sa  valeur  de  vie  lui  est 
strietenient  proportionnelle,  nous  ne  sommes  pas  encore  en 
présence  de  ces  jjrands  élans  de  foi  que  nous  avons  vus  décrits. 
4"  Le  raisonneur  (|ui  s'enchante  de  sa  certitude  et  s'envole  bien 
au  delà  de  son  raisonnement  :  la  complaisance  d'abord  dans 
la  certitude  rationnelle,  puis  l'approfondissement  indélini  de 
ce  sentiment  de  certitude,  qui  s'isolant  de  son  point  de  départ 
et  l'oubliant,  pour  ainsi  dire,  tout  en  continuant  i)ouitant  à 
iîraviler  autour  de  lui,  devient  cette  certitude  immense,  incondi- 
tionnelle, irraisonnée  dans  laquelle  apparaissent  les  objets  de 
la  foi.  Selon  (jue  les  raisonnements  préalables  demeurent  plus 
ou  moins  présents  à  cette  certitude,  c'est  ou  bien  la  reprise 
illuminée  du  discours  rationnel;  ou  bien  l'oubli  de  tout  le 
discours  et  la  suggestion  intérieure,  le  Dieu  agissant. 

y  Celui  qui  fait  violence  à  sa  raison  et  qui  se  rend,  par 
une  espèce  de  sacrifice  de  soi-même,  à  la  force  de  l'autorité. 
€  Il  faut  se  détacher  de  soi-même  ;  il  faut  cpie  la  raison  renonce 
à  cette  délicate  volupté  de  [)énétrer  son  objet,  de  se  rex|)li(pier 
et  qu'elle  lui  prête  pourtant  une  adhésion  inébranlable.  »  C'est 
le  despotisme  de  la  volonté,  c'est  le  coup  de  volonté  dans  la 
nuit;  l'abandon  de  l'esprit  propre,  l'esprit  humilié  connue  on 
mortifie  les  sens.  Acceptation  douce  ou  violente,  dans  le  calme 
ou  dans  le  trouble  selon  les  sujets  (i). 

[D  Un  prèlre  catholique,  cité  par  Phatt,  The  religions  conscioiititiess,  [t.aM, 
dit  des  dofîiups  :  «  C'est  une  espèce  de  sacrements  intellectuels;  signes  intel- 
lectuels tl  iiiiaginalirs  de  réalités  siipra-intellcclucllcs  connues  par  l'appré- 
hension intuitive  et  profonde  de  la  fi)i  ;  et  qui  tendent  à  produire  et  à  per- 
mettre c;<'tle  vraie  vision  de  foi  (ju'ils  expriment  inadéquateinent.  » 

Et  MAi.KitnANe.HK  écrit  l'.ntrelicns  nitHaphysiqnes,  xiv)  :  «'  Je  me  suis  senti 
souvent  agite  j)ar  des  mouvements  dangereux  à  la  vue  de  nos  incompréhen- 
sibles mystères.  Ltiir  profondeur  ui'elfrayait  ;  leur  ohscuritc  me  saisissait;  et 
quoi(pie  mon  co-ur  se  rendit  à  la  force  de  l'autoril»',  ce  n'était  pas  sans  peine 
delà  part  de  l'esprit;  car,  comme  vous  savez,  l'esprit  appréhende  naturelle- 
ment dans  les  ténèbres.  Mais  maintenant,  je  trouve  <|uen  moi  ttnit  est 
d'accord;  l'esprit  suit  le  cccur.  » 


I-C)  LA    Hi:i.l<;iO.N    ET    LA    FOI 

LES    CONDITIONS     INTELLECTUELLES 
DE     LA    FOI    RAISONNANTE 

ConiiiK'iil  se  rciicoiilix'iit  cl  suiiisseiil  dans  la  foi  le  travail 
de  la  raison  el  rilluminalioii  d'une  réalité  extra-logique,  c'est] 
ce  tm  il  nous  faut  examiner  de  [)lus  [)rès. 

La  (Jon/'iision  fia'tVc. 

La  toi  naïve  de  beaucoup  de  croyants  est  au-dessous  du 
problème.  Le  surnaturel  paraît  tout  naturel.  Le  Mystère,  au 
sens  tliéologique,  n'existe  pas  pour  le  croyant  qui  humanise 
son  Dieu  et  comprend  les  dogmes  en  ternies  vulgaires  de  rela- 
tions naturelles  ;  de  même  qu'il  cesse  d'exister  pour  le  philo- 
sophe qui  les  volatilise  en  abstractions.  Il  n'existe  que  pour  les 
iliéologies  en  écjuilibre  entre  les  deux  tendances. 

Il  y  a  d'abord  ceux  pour  qui  le  problème  ne  se  pose  pas  ou 
qui  le  résolvent  sans  faire  appel  à  la  pensée.  Trinité,  Incarna- 
tion, Rédemi)ti()n;  une  histoire  divine,  entendue  au  sens 
commun.  Le  thème  religieux  se  déploie  avec  toute  sa  force 
impressive,  dans  le  langage  de  la  vie  et  de  l'histoire;  on  ne 
recourt  pas  à  des  notions  pour  le  penser.  Il  est  mythe  et  non 
point  dogme  ;  images  et  sentiments,  rapports  affectifs,  ou 
lorsqu'ils  sont  logiques,  empruntés  à  des  modèles  historlcjucs 
et  sociaux.  De  tels  esprits  n'ont  point  de  difficulté  à  entendre 
le  Dieu  historique  comme  Dieu  surnaturel,  l'Kcriture  comme 
historique  et  révélée. 

A  ce  niveau  ro[)posilion  n'est  pas  aperçue,  la  contradiction 
glisse  à  la  surface  de  l'esprit.  Les  thèses  contraires  :  Dieu- 
Honmie,  Unité-Trinité  sont  acceptées  simultanément,  sans 
réflexion,  ni  discussion,  ou  successivement  introduites  par  des 
mécanismes  dillérents  ;  habitude  sociale,  raisonnement,  mouve- 
ments de  sentiment;  mais  à  aucun  moment,  leur  contradiction 
n'est  amenée  au  point  clair  de  la  conscience. 


l.\    KOI    UAISOWANTK  IJ^ 

Sans  doute  cet  étal  despril  peut  tenir  à  une  absence  totale 
tle  pensée,  à  l'acee|)talion  iinplieile.  Mais  c'est  plus  souvent 
encore  |)enséi'  confuse  et  qui  ne  va  pas  au  bout  d'elle-niènie. 
Les  thèses  ne  sont  pas  lormiilces  assez  i'i|?ourcuseniciil  pour 
apparaître  comme  contraires;  les  notions  fondamentales  sont 
prises  de  façon  vaijue,  ou  si  l'une  d'elles  est  assez  précis«'ment 
formulée,  l'aulrc  ne  l'est  pas.  Indépendanmient  de  la  puissance 
alleetive  des  dogmes,  grands  thèmes  d'émotion  et  de  vie,  le 
croyant  recourt,  pour  comprendre,  à  l'analogie  et  à  cette  espèce 
de  glissement  logi(pu',  qui  lui  paraît  relier  entre  eux  les 
dogmes:  cette  vague  lueur  de  rationalité  lui  domie  le  change 
et  lui  apparaît  comme  rationalité  totale.  C/est  au  fond  le  théo- 
logien avec  ses  formules  qui  fait  l'inintelligibilité  radicale  du 
dogme,  et  qui  place  le  Mystère  devant  le  croyant.  Pour  la  plu- 
part des  croyants  la  difficulté  est  moins  aiguë.  (Combien  de 
fois  ii'arrive-t-il  pas  qu'une  thèse  rv'étanl  point  poussée  à  bout 
ou  prise  à  la  rigueur,  on  n'aperçoit  pas  ce  qu'elle  contient. 
Combien  de  gens  sont  incrédules  ou  hérétiques  sans  le 
savoir  (i).  Coml)ien  de  croyants  instruits  n'ont  point  scruté  la 
difficidté  inférieure  de  leur  foi,  ou  ne  se  sont  point  préoccupés 
d'en  confronter  les  symboles  avec  le  savoir. 

Nombreux  sont  ceux  à  (pii  s'adresse  la  belle  invocation  de 
Renan  : 

('  Pour  toi  la  grande  harmonie  n'est  pas  trouldée  :  religion, 
devoir,  amour,  beauté,  reposent  pour  loi  dans  une  myslicpie  et 
sainte  unité.  Tu  ne  connais  pas  la  lutte  du  saint  contre  le  vrai, 
du  beau  confie  h-  bon.  du  vrai  contre  lui-même.  Dors  toujours 
ainsi  au  sou  de  la  musi(pie  des  mondes,  et  puisses-tu  ignorer 
à  jamais  les  souffrances  réservées  à  celui  (pii,  par  la  fatalité  de 
sa  nature,  à  cessé  d'être  un  enfant  (2).  » 

Ce  (|ui,  chez,  hi  phipail,  est  naïvelé.  insuffisance  de  |)ensée. 
confusit)n    ou    incoliérence,    peut    ètie    chez    certains    altitude 

(I)  Hk.\a\-,  St)Uicnirs.    ',rtS. 
(2    Patrice,  à. 


i-S  i.A  nEMGio.N  i:t  la   ioi 

volontaire,  jeu  siii-  la  conlradiclioii  (i)  ou  (léCornialion  volon- 
taire. Loisy  l'ait  leniaïquer  justement  (lue  l'aecoutumance  à  la 
subtilité  de  raisonnements  captieux  détruit  la  clarté,  la  fer- 
meté, la  sincérité  de  l'esprit;  l'on  perd  dans  ces  arguties  le  sens 
de  la  vérité  (2). 

La   Conjusion  savante. 

Il  nous  faudrait  reproduire  ici  tout  ce  que  nous  disions  du 
Rationalisme  illuminé,  tout  ce  que  nous  dirons  du  Mysticisme 
spéculatif.  Le  croyant  a  l'impression  de  comprendre  l'incom- 
préhensible. Il  s'attribue  l'intuition  intellectuelle.  Une  méta- 
physique composite,  faite  de  raisonnements  et  d'élans  affectifs, 
l'installe  au  cœur  de  l'être,  dont  il  revit  l'ample  développe- 
ment. Ici  encore  la  pensée  est  confuse.  L'esprit  ne  va  pas  au 
bout  de  l'analyse  de  ses  principes  et  de  ses  procédés.  Il  se 
meut  sans  critique  à  travers  plusieurs  plans  de  rationalité  ou  de 
réalité.  Il  prend  pour  de  l'esprit  une  étrange  façon  déraisonner, 
toute  mêlée  de  raisonnements  suivis  et  de  commencements  et 
d'interruptions  extra-logiques,  où  les  idées  ont,  en  plus  de 
leur  valeur  de  raison,  la  grande  puissance  enchanteresse  des 
thèmes  poétiques  et  toute  l'excitation  de  la  vie.  Tout  se  passe 
dans  un  monde  supralogique,  au-dessus  des  catégories  et  des 
<îontra<lictions. 

La  Distinction  et  la  Conciliation. 

La  distinction  est  aperçue,  acceptée,  proclamée.  On  dis- 
tingue les  deux  règnes,  les  deux  ordres,  Nature  et  Grâce, 
Nature  et  Surnaturel.  En  même  temps  on  suppose  enrtre  eux 
une  harmonie  et  on  assure  le  passage.  C'est  la  raison  môme 


(1)  Rb.nan  écrit,  Souvenirs,  p.  338  :  «  D'ailleurs,  je  vous  lai  dit,  mou  ami, 
telle  est  ma  position  iutellcctuelle,  que  je  puis  paraître  telle  chose  à  celui-ci, 
telle  cho.sc  à  celui-là,  sans  rien  feindre,  sans  que  l'un  ni  l'autre  se  trompe, 
ffrâce  aujou}^  delà  contradiction  dont  je  me  suis  débarrassé  pour  un  temps.» 
Soir  aussi    Patrice,  8,  90). 

2    Loisy,  Discipline  intellectuelle,  107. 


LA    I  OI    RAISONNA.NTK  I^O 

{\\n  trace  les  limilfs  (i).  Au  delà  de  la  raison  liiimainc,  I  li;ii- 
iiionir  s<'  l'ail  dans  niio  unilr  siiixTiciiic,  iiiacccssil)!!'  à  la 
raison,  mais  doni  les  loiiclions  supi-iiciircs  de  la  raison  pcuNcnl 
allcindic  (|ii«.'1<iimm<'I1(1.  (  )ii  i)i»ii  niriiir.  [)onr  ([aniqnes-niis. 
iinr  loiiclion  snpriieurc  à  la  i-aison  y  peut  atcc-dcr.  Le  passage 
se  l'ait  par  (picKpic  ait i lier,  eoniinc  «eliii  que  nous  avons  ('•Indié 
sons  le  nom  d'extrinst'ci.snu' ;  I  écriture,  la  Tradition,  {garan- 
tissant de  sa  vérité  liistoi'i(jue  N*  Dieu  l'évélatenr  des  dotâmes. 

(lin-/  (piehpics-nns  la  coiitradiclicjn  du  doi^inc  cl  de  la 
raison,  de  la  Xatiiic  cl  du  Sniiialiircl,  est  reconnue,  mais ' 
n'est  |)as  poussée  à  fond.  La  raison  est  une  raison  <loeile  et 
encline  à  l'acceptation  du  doj^Mue.  Loin  de  la  paralyser,  la 
contradiction  l'i^xcile  ;  elle  est  connue  une  slinndiilion  \xn\v 
r<'sprit,  devant  (pii  elle  ('•\()((ue  un  au  delà  de  la  pensée  et  du 
sentiment.  Le  jeu  des  op|)Ositi()ns  <jui  s'alTrontent  donne 
rim()ression  de  pouvoir  les  déj)asser  (j). 

(liiez  d'autres,  ta  raison  est  moins  docile.  L(!S  (objections  de 
la  pliilosopliie  ou  de  la  scien<<'  aj)paraissent  à  plein.  Les 
procédé.s  .de  conciliation,  les  accommodations,  les  subterfuges 
apparaissent  ;  que  la  conciliation  se  fas.se  aux  dépens  de  la 
raison  et  de  la  science,  dont  on  proclame  l'infériorité;  ou  au 
d(''pens  (lu  dogme,  (jue  l'cju  aeconnnode  plus  ou  moins  aux 
exigences  d«;  la  science. 

Il  y  a  (piebpies  grands  prociWiés  classi(jues  d  aci omnioda- 
tion  sur  lesquels  eliaeiin    construit    son    apolotréti(|iie  person- 


(I  "  I/aci-r|)tali(iii  de  !  iiif\i>ii('ablc.  el  de  l'irriUii»nri('l,  si  elle  ii'esl  [)us 
unr  atiilicatioii  de  la  penser,  doit  être  me-iin-c  |»ar  la  pensée  nièiue  à  ce 
«jue  celle-ci  s'estime  ca()al>le  d'explicpicr  ilistinetiinent  el  de  ramener  i  des 
raisons  définies.  ■•  Dki.hos,  Im  l'hilosnfiliic  fran'/aisi;,  4 

•2  l'ar  exemple,  il  semlilr  <|iie  le  iioiiddlia  ail  accord»-  les  conlradictinns 
dans  rintuilion  supérieure  du  salut.  On  ne  peut  l)ien  viNre  et  bien  m<'dit*;r 
(|u'en  suixant  nue  voie  muyetine  entre  les  "  couples  fri-xlrèmus  »  qui  ^iicl 
UmiI  lu  spcculation.  Anéanlissemenl,  éternité,  pliénoménalisme,  personnalisme. 
•  La  tijçresse  porte  ses  petits  dans  sa  j^ueule  en  rapprochant  assez  les 
in<ielioires  p«Mir  <|u'ils  m-  tnmiieni  [»as,  en  ne  les  .serrant  pas  assez  i»our  les 
bleiiser.  »  ij;s  antinomies  ouvrent  de  lointains  horizons  mystiques  et  d<xou- 
rnf^enl  la  fantabne  et  l'orgueil  de»  pliilosoplies.  La  Vallï^k  Pocssix,  le  Boud- 
dhisme, à-. 


i8<. 


I.A     KELKIION    ET    LA    KOI 


nellc  (I).  Au  toinio,  cl  ([uaiid  on  uv  pciil  niieiix  faire,  on 
s'arrête  à  la  position  que  délinil  le  mot  de  Hossuet  :  x  Tenons 
fortement  les  deux  houts  de  la  eliaîne.  »  C'est  la  juxta|)osition 
dans  l'cspi'it  des  deux  ordres  séparés.  On  passe,  suivant  le 
mol  de  Grasset,  du  laboratoire  à  l'oratoire.  Il  y  a,  comme  on 
dit  enet)re.  cloison  étanclie. 


Im  foi  à  t/a\'c/s  la  (lontradictlon  et  le  Scandale. 

Pascal  parlait  de  la  demi-obscurité  de  la  foi.  Les  preuves 
ne  sont  pas  convaincantes,  la  raison  ne  nécessite  pas.  L'Ecri- 
ture doit  être  telle  (pie  claire  pour  les  élus,  elle  rebute  les 
réprouvés  par  son  obscurité.  «  Les  prophéties,  citées  dans 
l'Evangile,  vous  croyez  qu'elles  sont  rapportées  pour  vous 
faire  croire?  Non.'  c'est  j)our  vous  éloifçner  de  croire.  » 
(Ed.  Brunsclnvig,  :^^(^.) 

Mais  l'élément  irrationnel,  absurde,  de  la  foi  est  contre- 
balancé chez  lui,  comme  chez  tant  d'autres,  par  l'élément 
rationnel.  Le  catholicisme  a  le  plus  souvent  associé  les  deux 
termes,  le  protestantisme  aussi. 

Kirkej^aard  est  probablement  le  penseur  (pii  a  le  mieux 
réalisé  le  caractère  irrationnel  de  la  foi;  au  svmbolisme  intel- 


(ij  Renan,  Souvenirs  d'enfance  et  de  jeunesse,  p.  296,  cite  Silveslre  de  ' 
Sacv,  si  scrupuleux  en  fait  de  citatious  et  étonne  des  citations  de  l'Ancien 
Testament  dans  le  Nouveau.  Il  avait  fini  par  croire  que  les  deux  Testaments, 
cliacun  de  leur  côté,  sont  intaillibies,  mais  que  le  Nouveau  n'est  i»as  infail- 
lilile  quand  il  cile  l'Ancien.  «  Il  faut  n'avoir  pas  la  moindre  habitude  des 
choses  rclifjieuses  pour  s'étonner  que  des  esprits  sinf^ulièremenl  appliqués 
aient  tenu  en  des  prisilions  aussi  désespérées.  Dans  ces  naufrages  dune  foi 
dont  on  avait  fait  le  centre  de  sa  vie,  on  s'accroche  aux  moyens  de  sauvetage 
les  [)lus  invraiseuihlahles  plutôt  que  de  laisser  tout  ce  qu'on  aime  périr  corps 
el  biens.  » 

Sur  le  caractère  personnel  de  bien  des  Apologétiques  voir  aussi  cet  aveu 
désenchanté  de  Loisy,  Choses  passées,  3.5o  :  «  Mes  livres  d'afiologétique  sont 
de  toute  insuffisance  pour  amener  à  la  foi  les  incrédules  et  les  non-catho- 
liques... ils  représentent  leirort  que  j'ai  fait  pour  me  maintenir  moi-même 
dans  le  catholicisme  nonobst.'int  rimpossil)ilité  où  je  me  suis  trouvé  de  garder 
dans  leur  signification  littérale  la  plu[>art  des  thèses  qui  constituent  rensei- 
gnement catholique.  Mes  écrits  n'ont  donc  pu  avoir  d'utilité  que  pour  les 
lecteurs  qui  étaient  «lansune  situation  |)lus  ou  moins  analogue  à  la  mienne.  » 


I.A     l'OI    RAlSO.WAMi;  l8l 

ItHliu'I  OU  sciilimciil.il  (le  Tt-colo  de  ScIilciciiiiaclK  r,  ;i  la 
iiu'lhodc  li('\u:(''Iiomi('  (k-  coiuilialioi),  il  o[)|io.se  \c  choix  et 
rcvt'lusiuii,  ro|)i)o.sili()n.  La  coiidadiclioii  cl  le  scandale  sont 
le  signe  de  la  foi;  l'absurde  est  le  signe  de  la  vérité.  La  foi 
■-urmontc  le  paradoxe  et  le  scandale;  et  c'csl  en  cela  (jui^IIe 
<sl  la  foi. 

La  réalité  absolue  cesl  l'Ame,  le  Sujet.  Le  Dogme,  l'objet, 
>yslème  abstrait  el  immuable  s'oppose  au  sujet  comme  une 
chose  en  soi;  possible  et  passé,  il  s'oppose  au  rc-el  et  au 
présent  de  la  conscience.  Le  dogme  objectif  suscite  dans  le 
sujet  la  plus  forte  opposition  (jui  se  puisse  concevoir.  Mais 
précisément  parce  que  celle  contradiction,  cette  passion  est 
la  forme  de  vie  la  plus  intense,  donc  la  plus  subjective,  elle  est 
la  plus  vraie. 

Paradoxe,  Scandale,  Foi,  voilà  les  trois  moments  du  chris- 
tianisme. Le  scandale,  (pii  naît  du  paradoxe,  est  le  seul  chemin 
vers  la  foi.  S'arrêter  au  scandale  c'est  se  détruire  soi-même  et 
désespérer  sur  soi  ;  franchir  le  scandale,  c'est  s'exalter  dans 
la  foi. 

L  absolu  paradoxe,  c'est  le  Dieu  Homme,  absurdité  vivante, 
<lonc  vérité  chrétienne.  Les  preuves  prouvent  seulement  (pie 
la  \  ic  (lu  (llirist  est  contre  loule  raison,  (pi'elle  ne  peut  être 
(pi'objcl  de  foi;  l'histoire  ne  sait  rien  de  Dieu.  Pour  la  foi  les 
preux  (S  sont  des  blasphèmes;  l'histoire  sainte  n'est  pas  ime 
histoire,  elle  est  une  foi;  elle  n'est  pas  hisloire,  elle  est  le 
piésent.  L'histoire  sainte  suspend  la  vie  humaine  au  présent 
de  r.\bs()lu,  à  la  présence  du  (ihrist.  La  vie  du  Christ  accom- 
pagne cluupie  àme  el  chaque  génération  comme  une  étei'nellc 
hisloire. 

Ainsi  croire  consiste  à  apercevoir  le  scandale  et  à  ne  pas  se 
scandaliser;  les  j)rélen(lues  [)reuvcs  inq)li(picnl  la  foi.  Mors  la 
foi  il  n'est  que  désespoir.  Scandale  et  péché,  telle  est  laiiti- 
thèse  à  la  foi.  Le  (léses|)oir  (pii  s'ignore  est  le  jnre  de  tous; 
sentir  son  mal  est  le  j)ri\  ilège  du  chrétien  ;  en  guérir,  la  félicité 


l8a  l.V    RELIGION    KT    LA    lOI 

du  chrétien;  désespéror.  c'est  sentir  en  soi-même  cette  contra- 
diclion  essentielle,  (jiii  est  la  eoiulilion  de  la  toi. 

Le  elirislianisnie  oflieiel  a  perdu  le  sens  du  elirisLianisine; 
il  a  lait  une  religion  bien  sage  et  bien  raisonnable.  Kirkegaard 
traite  l'Kglise  ollicielle  du  Danemark  à  |)eu  près  comme  Pascal 
avait  lait  des  jésuites  (i). 

EXPÉRIENCE     ET    TRADITION 

La  Foi,  (pie  nous  avons  décrite,  est  un  produit  de  l'histoire 
et  de  la  civilisation.  Elle  est  trop  complexe  pour  être  une 
réaction  immédiate  et  naturelle.  C'est  un  dosage  délicat,  une 
mixture  savante.  Elle  suppose  l'élaboration  de  la  religion. 

Mais  il  en  est  de  même  de  tout  l'homme  ;  les  sentiments 
humains  sont  jusqu'à  un  certain  point  l'o-uvre  et  de  la  <■<  spiri- 
tualisation  et  de  la  socialisation  >k  L'amour,  Stendhal  l'a 
admirablement  montré,  varie  et  évolue  avec  les  formes  de  la 
société.  On  pourrait  écrire  une  histoire  de  l'amour  comme 
une  histoire  de  la  foi. 

A  telle  époque,  et  pour  des  nécessités  spéciales  à  cette 
époque,  prédomine  telle  forme  de  foi  :  par  exemple  la  foi 
thomiste  et  l'extrinsécisme  dans  le  catholicisme  d'aujourd'hui. 
La  société  religieuse  choisit  parmi  les  formes  de  foi  qu'elle  a 
suscitées  et  nourries;  elle  les  varie,  selon  les  besoins  du  temps, 
et,  quand  il  faut,  elle  innove. 

Mais,  sous  ces  attitudes  ritualisées,  il  y  a  des  faits  spon^ 
tanés.  Il  faut  donc  distinguer  trois  choses  : 

La  donnée  immédiate;  ici  la  tendance  intellectuelle  et 
objective  aux  prises  avec  les  tendances  subjectives;  ral)andon 


(I.  Kirkegaarfl  siuinontc  aisément  rc^pjxjsitioii  parce  que  l'un  des  deux 
termes  n'a  point  de  valfMircn  présence  de  l'autre. 

CiiLsoN  a  bien  montré  dans  aca  Eludes,  p.  5i,  que  la  doctrine  de  la  Double 
Vérité  n'a  été  au  moyen  àfje  qu'une  invention  lliéologique,  et  que  ceux  (jui 
paraissaient  l'enseii^ner,  en  réalité,  reiéfifuaicnl  à  un  rang  subalterne,  soit  la 
Foi,  soit  la  philosophie  naturelle.  Mais  leur  caraptère  commun  consiste  en 
ceci  qu'ils  ne  cherchaient  fioint  de  conciliation. 


I.A    KOI    RAISONNANTE  lH3 

cuiiliant  à  rhy[)otlR'se  insuflisainnient  vérifiée,  en  même  temjis 
que  l'examen  et  la  eriliciue  de  l'Iiypothèse; 

Le  travail  du  sujet,  sous  la  pression  de  son  expérience 
propre,  et  de  la  communauté  religieuse  ; 

Les  constructions  tliéologi({ues,  qui  se  meuvent  de  plus  en 
plus  dans  le  monde  des  questions  et  des  oppositions  doi^ma- 
liques.  Le  schéma  du  théologien  tend  ensuite  à  s'imposer  à 
l'expérienee  ;  il  exerce  une  puissance  de  suggestion  et  de 
délbrmalion.  Ou  bien  on  s'efïorcerà  de  le  réaliser;  ou  bien, 
s'il  est  irréalisable,  par  la  magie  des  mots  substitués  à  l'expé- 
rience, on  croira  l'avoir  réalisé. 

Les  disputes  d'école  intéressent  pourtant  la  vie  spirituelle. 
Bérulle  et  Gibieul",  si  le  molinisme  triomphe,  sont  dans  la 
même  détresse  que  Madeleine  auprès  du  tombea,u  vide  :  Nescio 
ubi  pusucrimt  ciun.  Ils  auront  perdu  Jésus-Christ  (i). 

Ce  qui  était  d'abord  théologie  peut  devenir  religion.  Jansé- 
niuset  Arnauldsont  deux  théologiens.  Mais  les  doctrines  qu'ils 
•  )nt  élaborées,  ont  affecté  la  vie  intérieure  d'une  foule  de  chrétiens. 

Une  religion  est  aussi  une  philosophie;  et  la  foi  raisonnable 
est  la  religion  de  ceux  qui  ont  besoin  de  la  raison  pour  se 
senlir  assurés  dans  leur  foi.  Tout  homme  qui  raisonne,  c'est-à- 
dire  tout  homme  qui  pense,  en  est  là.  C'est  pourquoi  tout 
ndèle  est  bien  près  d'en  être  là. 

La  scolastique  s'est  appliqiu'c  à  dégager  toutes  les  raisons 
de  croire.  Elle  est  le  plus  grand  eil'ort  (pie  la  religion  ait  lait 
pour  prendre  pleinement  conscience  de  toutes  les  thèses  qu'elle 
implique  et  de  toutes  les  conditions  intellectuelles  auxquelles 
il  lui  faut  satisfaire:  elle  est  l'efTort  dune  religion  parvenue  à 
son  a|>ogée,  maîtresse  des  esprits,  victorieuse  des  hérésies, 
tlominalricedu  savoir,  et  qui  entend  spéculer  sur  soi-même.  Ce 
triomphe  au  dehors  et  au  dedans,  après  bien  des  luttes  et  bien 
des  controverses,  devait  nécessairemenf  aboutir  à  de  grands 


vi1  Bké.mond,  Sentiment  reli^icii.w  IV,  2<) 


i84 


LA    lîKLIOlON    ET    L.V    FOI 


systèmes,  comme  à  une  i^rando  oriçanisalioii  ecclésiaslique  et 
politique,  coniinc  à  de  grandes  callu'drales.Mais  l'ohligalion 
do  se  rendre  eomple  à  soi-mènio  de  sa  loi  est  née,  nous  l'avons 
Nil.  de  causes  plus  élémentaires  et  plus  proclics  de  la  loi 
immédiate  ;  certaines  continuent  dagii-,  sous  d'autres  formes, 
([ui  ol)lii;eiit  la  Foi  au  même  travail  de  complication.  Si  les 
controverses,  par  exemple,  ont  un  peu  cessé  et  si  le  catholique 
et  le  protestant  d'aujourd'hui  ne  sont  pas  aussi  pressés  qu'au 
xvir  siècle  de  préciser  leurs  contrariétés  dogmatiques,  le  déve- 
loppement de  la  science  et  raffrancliissemenl  de  la  philosophie 
posent  à  tous  les  esprits  cultivés  le  problème  Science-Religion; 
de  sorte  que  chaque  homme  instruit  est  tenu  de  préciser  ses 
raisons  de  croire  (i),  à  moins  qu'il  ne  se  réfugie  dans  la  foi 
implicite  ou  dans  r^iveugle  conliance. 

LE    DOUTE    DANS    LA    FOI 

Les  théologiens  disent  volontiers  que  la  foi  exclut  le 
doute.  «  Si  l'on  n'est  pas  plus  convaincu  encore  des  choses 
invisibles  (\uc  des  visibles,  ce  ne  peut  être  la  foi  (•2).  »  Et 
ils  ont  raison  sans  doute  ;  là  oîi  l'esprit  prend  une  attitude 
négative,  où  le  jugement  est  suspendu,  là  oîi  raffirmation  est 
mêlée  d'hésitation  et  de  crainte,  ce  ne  peut  être  la  foi.  Dans 
l'acte  de  foi,  le  doute  est  surmonté;  pour  un  moment  tout  au 


(1)  Le  rapi)f>rl  entre  la  foi  et  la  science  ou  la  philosophie  est  exaclemenl 
le  même  «|ue  le  rapport  —  dans  la  foi  —  entre  la  raison  et  la  foi  [)ropreiiu'nt 
dite  ;  il  y  a  un  rationalisme  (jtii  ne  ^  oit  (jiie  la  science  et  dénie  à  la  foi  toute 
valeur;  un  denii-ratioualisnie  <[ui  distinj^ue  deux  ordres  de  vc-rito,  jus(|u'à 
un  certain  point  compatibles,  soit  qu'il  fasse  du  savoir  une  approximation  de 
la  foi,  soit  qu'il  fasse  de  la  foi  une  approximation  du  savoir;  un  irratio- 
nalisme qui  humilie  la  raison  devant  la  foi. 

(2)  Saint  Jkan  CunYSosTOMK,  In  IJeh.,  P.  G.,  t.  6'3,  col.  i."»o. — ^  Saint  Augustin 
dit  energiquement  que  la  Foi  ne  peut  souffrir  le  peut-être  ;  et  Saint  Bernard  : 
«  Xon  est  Jides  œslimatio,  sed  cerlitudo  »  —  E.  Psicuahi  écrit  [Voyage  du  (Jentu- 
rion,  p.  217)  :  «  Alors  il  n'y  a  [dus  la  moindre  petite  arriére-pensée,  la  moindre 
inquiétude,  ni  cette  sournoise  hésitation  de  l'iiomme  inquiet,  mais  seulement 
la  jileine  connaissance  pacilique,  la  possession  sereine,  la  certitude  héali- 
lique.  n 


L.\    lOI     ItAISONNAMi;  1^5 

moins,  raflirnialion,  semblc-l-il,  est  sans  lései've.  Mais  le 
doute  peut  procéder  ou  suivre  el  de  l'orl  près  (i).  Il  peut 
coexister  avec  l'état  de  foi,  juscju'au  moment  ([ue  nous  étu- 
dierons plus  tard,  oii  il  devient  périlleux  pour  lui.  VA  lacle  de 
loi  hii-nièuie  peut  implicpier  un  certain  malaise  ([u'il  est  inté- 
ressant d'analyser;  aussi  bien  dans  sa  forme  aii?uë  et  brève  ([ue 
dans  les  oscillations  (pii  se  présentent  inévitablemenl  s'il  se 
prolonj^e  :  oscillation  d'un  sentiment  complexe,  tout  chargé 
d'intellectualité,  et  où  l'angoisse  de  la  (|uestion  peut  reparaître 
juscjuc  dans  la  solution. 

\  oici  comment  on  peut  classer  ces  modes  d'hésitation  : 
I  '  Dans  le  moment  aigu  de  la  loi  a[)parail  parfois  ce  qu'on 
pourrait  a|)peler  l'étonnemcnl,  la  stupeur  de  la  certitude.  La 
loi  ([ui  atteint  son  objet,  l'attente  (jui  se  réalise,  la  passion  (jui 
se  satisfait,  connaissent  ce  léger  heurt,  le  choc  de  la  réalité. 
Souvent  la  réalisation  produit  un  elfet  détonnement,  de  sur- 
prise, de  rêve.  Newman  a  finement  exprimé  cela.  Souvent 
dans  1  attente,  dans  la  joie,  dans  la  réalisation  de  ce  (juc  nous 
avons  espéré,  il  nous  semble  étrange  que  le  rêve  de  notre  vie, 
nous  l'ayons  devant  nos  yeux.  ;<  Quand  le  Seigneur  releva 
Sion,  nous  étions  connue  ceux  (jui  rêvent  (2).  »  Le  léger 
désaccord  qu'il  y  a  toujours  entre  le  désir  et  son  objet  peut  se 
traduire  par  un  abandon  frénéli(jue  ou  par  un  moment  d'hési- 
tation el  de  trouble.  Le  bonheur  d'être  au  comble  du  bonheur 
peut  être  abandon  total  ou  élonnement  léger  el  reprise  momen- 


(11  'I  Los  «loutes  irivolonlaircs  (jiie  les  lidèles  s'imaginent  avoir  au  nionu-nl 
nirme  lii-  l'acte  de  loi  succèdent  seulement  à  cet  acte  et  ne  coexistent  pas 
avec  lui  ;  mais  comme  le  doute  el  la  (V»i  se  succèd<'nl  alors  sans  intervalle 
sensible,  ils  seiuhlenl  coexister.  >•  A.ntoini;.  Théol.  Univers.,  Paris,  173;, 
t.  I,  p.  lO."). 

i2)  (iranimaire  de  iAsseiitiincnt,  1-7.  Sti:ni>iiai.  a  d('eril,  pour  la  i)assion, 
<|uel»|ue  cliose  d'analogue.  ..  11  était  «lans  cet  étal  d't-toiinemcut  el  de  Irouble 
iii<|uict,  où  tornlie  l'âme  (jui  vient  d'oidenir  ce  qu'elle  a  lon^:lemiis  désiré. 
Klle  est  haltiluée  à  désirer,  ne  trouve  plus  (|Uoi  désirer,  et  cependant  n'a  pas 
encore  de  souvenirs.  »  /,c  Koiiifc  et  le  .\oir,  t.  i,  p.  s.">  :  un  moment  de  vide 
après  la  i)lénituile  et  avant  le  retour  sur  la  pleniluile  et  la  métlilation  de 
cette  plénitude. 


l8G  ^^^^M  \..\.    ItKl.IGIOX    ET    I.A    KOI 

tanéc  de  soi.  Au  sommet  de  la  cerlilude,  au  moment  où  il 
l'alleint,  c'est  parfois  eommc  un  dei-nier  sursaut  de  l'esprit,  un 
"  non  ce  n'est  pas  possible  »  à  la  lois  étonné  et  ravi.  On  se  dit 
I)ien  qu'on  y  est  parvejiu,  mais  on  ne  le  réalise  pas;  il  iaut  un 
peu  de  temps  pour  entrer  dans  la  plénitude  du  salut.  Pour  ne 
pas  parler,  naturellement,  de  l'insatisiaction  qui  peut  se  cacher 
sous  la  satisfaction,  de  l'inadaptation  dont  cette  surprise 
légère  peut  être  le  signe,  et  qui  pourra  se  développer  plus  tard 
en  doute  franc.  Mais  ceci  c'est  tout  autre  chpse. 

2°  La  nuance  d'irritation,  d'impatience,  de  violence,  qu'il  y 
a  parfois  dans  l'affirmation  peut  être  une  marque  d'insécurité. 
Toute  affirmation  n'est  i)as  sûre  dello-nième,  et  peut  avoir 
besoin  de  se  fortifier  et  de  se  garantir  à  elle-même. 

3"  Le  malaise,  qui  n'est  point  un  doute,  mais  qui  provient 
de  ce  que  l'intelligence  n'est  pas  entièrement  satisfaite;  la  foi 
n'est  pas  l'évidence  rationnelle;  la  foi,  avec  sa  connaissance 
imparfaite  des  mystères,  peut  laisser  chez  certains  croyants  un 
peu  d'inquiétude  intellectuelle  et  comme  un  désir  de  connaître 
mieux.  Orientée  vers  le  mystère,  alors  môme  qu'elle  le  touche 
au  plus  près,  elle  en  garde  l'inquiétude  en  même  temps  (pie  la 
curiosité. 

4°  La  foi  peut  garder,  de  l'enquête  qui  a  précédé,  de 
l'examen  antérieur,  de  l'attitude  raisonneuse,  des  commen- 
cements de  doute.  Il  arrive  que  toute  l'intelligence  ne  s'accorde 
pas  dans  la  solution  ;  que  l'esprit  n'y  soit  pas  pleinement 
unifié. 

«  De  même  que  les  Saints  sont  obsédés  par  des  rêves  dont 
ils  ne  sont  pas  responsables,  de  même  des  lambeaux  de  contro- 
verses anciennes,  écrit  Newman,  reparaissent  à  l'esprit.  Le 
croyant  est  importuné  par  ses  souvenirs  ;  il  garde  l'idée  que  le 
doute  serait  possible,  il  peut  se  sentir  troublé,  comme  s'il 
n'était  pas  sûr,  alors  qu'il  l'est.  »  «  Certains  esprits  sont  plus 
sujets  que  d'autres  à  ces  assauts,  à  ce  trouble  de  vision 
mentale,  sorte  de  mouches  volantes  qui  passent  et  repassent 


I.A    FOI     liAISON.NAM  i;  l8^ 

sans  L-esPt',  obscurcissi'iit  la  vue,  raiitùraes  qu'ils  savcul  ne  pas 
exister  réelleint'iit,  mais  qui  n'en  interviennent  pas  moins  de 
fa(.'on  à  troubler  leur  repos.  »  Ainsi  resi)ril  peut  i^arder  de  la 
conti'ovei'se  préeédenle,  queUpu;  eliose  eomme  un  {?oùt,  une 
saveur  d'hésitation  et  de  diseussion  ;  on  bien  certaines  pensées 
précises  peuvent  reparaître,  sans  aboutirdu  reste  à  im  juj^emeiit 
formel,  simples  possibilités  flottantes  ;  ou  bien  res|)ril  se 
dédoublant,  en  (jiiebpie  sorte,  imagine  vaf^uemenl  la  i)ossibillté 
d'une  aulre  attiludt  d'esprit. 

Ou  bien  encore,  il  peut  se  sentir  mal  à  l'aise  dans  ce  monde 
complexe  oîi  la  certitude  la  plus  vivante  cl  la  plus  j)ers(>nnelle 
jaillit  du  choc  des  abstractions.  Les  j)reuves,  même  les 
meilleures,  tendent  souvent  à  troubler  res|)ril  dans  sa  paisible 
possession  de  la  vérité.  Les  raisons  de  croire  sugjçèrent  des 
raisons  de  ne  |)as  croire.  Avant  la  preuve  l'imagination  touchait 
des  réalités  :  la  preuve  faite,  l'esprit  n'atteint  plus  que  des 
abstractions  (  i). 

Mais  tout  cela  ce  ne  sont  point  des  doutes,  ce  sont  des 
difficultés  (2).  Des  pensées  vagues  (jui  troublent  un  moment 
ne  ressemblent  en  rien   à  la   bataille   (jue  se  livrent  la   loi  et 


(il  L'exemple  de  Loisy  {Chosi's  passres,  p.  2S1  nous  inontie  le  grossissement 
de  ce  phénomène  : 

■'  Aillant  la  eontemplalion  mystique  des  objets  de  la  foi  est  en  général 
paeiliante  i)oiir  l'àme,  même  [tour  lintelligenee  ([iii  se  laisse  dominer  par  le 
sentiment,  autant  l'analyse  plus  ou  moins  rationnelle  de  la  croyance  devient 
racilemcnt  un  exercice  (les  plus  trouhlanls...  Le  premier  contact  de  ma  pensée 
av<'f  la  doeirine  ealh()li<iiie  fut  (|ueli|ue  chose  trinlinimeiU  douUuireux  et  la 
suite  répondit  à  ce  dcl)iit.  »  Kl  p.  'i^  :  <■  Autant  tels  de  ces  objets  de  foi  il 
s"agil  fies  mystères)  m'avaient  touché  comme  principes  d'émolions  religieuses, 
autant  leur  ex|>osé  scolastique  jetait  mon  esprit  dans  un  indéliiiissable 
malaise,  l'arce  qu'il  fallait  maintenant  penseï-  toutes  ces  choses  et  n<m  plus 
seulement  les  sentir,  j'étais  dans  un  »'tal  de  per|)éluidle  angoiss»-.  (>ar  mou 
intelligence  n'y  mordait  pas.  et  de  toute  ma  eonscience  d'cnl'ant  timide,  je 
tremblais  devant  la  ({iicstion  (|ui  se  posait  devant  moi,  malgré  moi,  à  cliaqui* 
instant  du  jour  ;  est  ce  qu'à  ces  théorèmes,  corres[)ond  une  r<'alité  ?  •■ 

(a)  •  Je  n'ai  jamais  j)u  voir  aucune  coiinexité  entre  le  sentiinent.  si  vil 
qu'il  puisse  être,  de  ces  difliciillés,  entre  leur  iiomlire.  si  grand  «pion  le 
sapi)ose,  et  le  doute  sur  les  doctrines  aux(juclles  elles  sont  allachi-es;  suivant 
moi  dix  mille  difticnltés  ne  sont  pas  un  doute;  difliciilté  et  doute  ne  se 
jufrent  pas   d'après    la   même  mesure.   >    Newinaii,  cite   par  Tu  uni:. \i    1)am;ix, 

II,  %4 


iS^  I..V   HKi.icioN  i:r   i.A   l'Oi 

riiicrédulilô.  La  l'iMlilude  ost  Iriislive,  au  moins  pour  un 
moment,  de  son  éclat  et  de  sa  sérénité,  mais  elle  subsiste.  Si 
elle  n  est  plus,  pour  un  moment,  assentiment  impétueux  et 
primesaulier,  elle  demeure  assurance  ealme  et  grave.  Ces 
<-  tentai  ions  eontie  la  loi  »,  ee  trouble  non  motivé  de  la  con- 
science, ce  doute  involontaire  de  l'imagination  reste  distinct 
du  doute  positif,  précis,  raisonné,  dans  lc([uel  on  se  complaît  : 
il  y  a  ici  une  simple  sollicitation,  très  analogue  à  ces  troubles 
sensuels  qui  assaillent  souvent  les  mystiques  au  moment  de 
l'oraison.  C'est  autre  chose,  je  le  répète,  que  la  toi  luttant 
contre  l'incrédulité,  la  toi  qui,  chez  certaines  âmes  religieuses, 
doit  toujours  se  con([uérir  :  «  Je  crois.  Seigneur,  aide  mon 
incioyance  »;  foi  volontaire  et  tendue,  contre  un  doute  agis- 
sant el  |>i'essaiit. 


De  toiles  diflicullcs,  le  croyant  pourra  tirer  un  arj^^unient  pour  se  ren- 
forcer encore  davantage  dans  la  loi,  comme  le  prouve  l'exemple  de  Nicolk, 
Lettres,  III,  2y4  : 

«  La  multitude  des  difficultés  que  l'on  pourrait  former  sur  les  matières 
de  théologie  doit  avoir  pour  effet  de  nous  délivrer  de  toutes  difficultés.  Pré- 
tendre les  examiner  toutes  est  pure  folie;  en  choisir  quelques  unes,  en 
négligeant  les  autres,  est  un  \)\\r  caprice.  Il  n'y  a  donc  rien  de  plus  raison-' 
naliie  «juc  de  se  tenir  fortement  attaché  à  l'autorité  de  l'Eglise,  qui  peut 
seule  délivrer  nos  esprits  de  cette  agitation  inf|uiète  et  infinie.  » 

Il  ajoute  (lu  reste  que  ce  qui  fait  qu'on  a  des  difficultés  sur  certains 
articles,  e'c^t  que  l'on  fait  peu  de  réflexions  sur  les  difficultés  que  prcsen 
feraient  aussi  bien  les  autres  articles  de  la  doctrine.  «  Si  nous  voulons  nous 
arrêter  aux  difficultés  que  notre  esprit  peut  former,  pourquoi  en  excluons- 
nou^j  tant  d'autres,  (jui  ne  sont  pas  moindres;  et  si  nous  pouvons  bien 
assujettir  notre  esprit  aux  anciennes  décisions,  nonobstant  les  difficultés 
qui  les  accompagnent,  que  nt;  praliqiionsnous  le  même  à  l'i'gard  des  nou-: 
velles  '.'  " 


CllAPITRK    III 
LA    FOI    CONFIANCE 


LE    SYMBOLO  =  FIDEISME 

Nous  allons  chercher  à  décrire  Tau  Ire  forme  de  la  foi,  l'at- 
lilude  alleclive.  Nous  la  prendrons  dabord  aussi  pure  qu'il 
se  peut,  aussi  di'\ii:a2:ée  que  possible  d'éléments  intellectuels, 
lùicore  (jue  Luther  semble  être  celui  qui  a  historitjuement 
inaufçuré  celte  forme  de  la  foi  confiance,  de  la  foi  fiduciale,  se 
réclamant  du  christianisme  orig:inaire  et  de  saint  Paul,  c'est 
d'après  des  modèles  plus  récents  que  nous  l'exposerons 
d'abord.  Kn  elTet,  l'assentiment  intellectuel,  nous  aurons  occa- 
sion de  le  montrer,  tient  encore  assez  fortement  à  la  foi  lidu- 
ciale;  au  cours  de  l'histoire  du  protestantisme,  il  a  repris  une 
place  importante  jus([u'au  moment  où  la  vasi:ue  romantique  de 
Schleiermacber  a  balayé  rintellectualisme.  ('e  (pion  appelle 
le  Synd)olo-Fidéisme  est  probablemeni  la  forme  la  plus  com- 
plète du  sentimentalisme  relit?ieu\. 

(  kiel  est  l'étal  d'âme  diin  protestant  (pii  adhère  au  sys- 
tème religieux  dont  M.  Ménéç^oz  et  M.  Sabalier  sont  les  pro- 
moteurs? Le  système  est  doul)le.  Fidéisme,  c'est-à-dire  salut 
par  la  foi,  indépendamment  des  cioyances.  Synd)olisme,  c'est- 
à-dire  interprétation  symboli(pie  des  dogmes,  (pii  ne  sont 
qu'une  expression  contingente,  locale,  temporaire,  changeante 
<iM    sentiment  religieux.  Ainsi    la   foi.   dans   son  essence  pure. 


IC)()  LA    ItELU'.ION    KT    LA    FOI 

est*  anlrriciuv  et  supériouro  aux  croyancos.  Elle  les  crée,  les 
oriraniso,  lèffle  loiii'  (k''vol()j>[)LMn('nl.  Les  doiçnics  sont  l'imaiçe 
i|iu'  la  loi  se  donne  de  soi-même,  image  que  la  réilexion 
appiolondil. 

Ce  n'est  pas  seulement  un  système,  le  système  de  deux  pen- 
seurs isolés;  nombre  d'âmes  religieuses  prétendent  vivre 
aujourd'hui  celte  forme  de  foi,  et  l'histoire  nous  présente  des 
descriptions  analogues. 

Contre  l'orthodoxie  protestante,  le  Fidéisme  serait  la  res- 
tauration du  Sola  FUlc  de  Luther,  dogme  du  salut  par  la 
foi  seule,  contre  le  dogme  du  salut  par  la  foi  et  les  croyances, 
c'est-à-dire  par  la  foi  enfermant  un  acte  d'obéissance  intellec- 
tuelle à  l'Evangile,  à  la  Bible.  Le  salut,  c'est  la  participation  à 
la  vie  divine:  la  foi  (pii  sauve,  c'est  l'acte  suprême  de  la  con- 
science, son  orientation  vers  la  réalité  la  plus  profonde,  son 
attitude  essentielle  de  confiance  et  d'abandon. 

Le  Fidéisme  adresse  à  l'orthodoxie,  aux  dogmes,  la  même 
objection  que  Luther  ou  Calvin  adressaient  aux  œuvres.  Les 
dogmes  ne  font  pas  partie  de  l'essence  de  la  foi  (i);  loin  de 
fortifier  la  foi,  ils  peuvent  l'ébranler.  Que  se  passe-l-il  si  l'on 
se  trouve  dans  l'impossibilité  de  détruire  dans  son  esprit  les 
doutes  relatifs  à  un  dogme,  par  exemple  à  la  résurrection  de 
Jésus?  Une  telle  incertitude  produit  un  ellet  déprimant,  m\ 
malaise  douloureux.  Il  y  a  dans  la  croyance  une  exigence 
injustiliée,  une  oppression  spirituelle. 

Contre  le  lil)éralisme  protestaut,  théologie  de  l'Amour, 
pour  qui  le  salut  dépend  non  d'un  acte  intellectuel,  mais  d'un 
mouvement  plus  profond,  plus  intime  de  l'àme,  le  Fidéisme 
reprend  l'objection  fjue  les  docteurs  protestants  adressent  à 
la  Foi  vive,  a  la  Foi  formée  par  la  Charité  des  doctein's  catho- 


i  VixKT  avait  déjà  combattu  Vopus  operatum  intellectualiste  auquel  le 
Réveil  avail  abouti  :  "  On  déclame  contre  le  mérite  des  œuvres,  et  l'on  ne 
voit  pas  qu'on  en  est  tout  imbu  lorsqu'on  prétend  être  sauvé  par  des  doc- 
trines; c'est  un  opun  operatum  (-omme  un  autre  et  quelquefois  pire  qu'tin 
autre.  »  fV^oir  Astik,  Encycl.  des  Se  rel.,  Xll,  p.  ii3.) 


i..\   I  t)i   coNriwci:  igi 

li<|iies:  Foi  vive,  qni  ('-lait,  pour  eux.  la  Foi  avec  les  œuvres. 
La  (loclriue  de  la  eliaiilé  retombe  dans  l'erreur  du  salut  par 
l'accouiplissenient  de  la  loi,  car  c'est  la  loi  que  Jésus-Christ  a 
résumée  dans  le  commandement  :  «  Tu  aimeras  Dieu  et  ton  pro- 
chain. '  1/ Amour  serait  le  salut,  s'il  était  absolument  pur  et 
parlait.  Il  réaliserait  alors  la  pleine  absorption  en  Dieu.  Mais 
l'Amour  imparfait  ne  peut  servir  à  efï'aeer  les  péchés;  il  a 
besoin  de  pardon  pour  ses  défaillances.  C'est  justement  l'insuf- 
lisanee  de  l'amour  qui  condamne. 

Ainsi  l'acte  qui  sauve,  c'est-à-dire  l'acte  qui  affranchit 
l'homme  de  lui-même,  le  place  au  cceur  de  la  réalité  essentielle 
et  lui  communique  l'assurance,  l'acte  d'abnégation,  d'abandon 
de  soi-même  et  de  participation  à  une  réalité  supérieure,  dans 
son  essence,  doit  être  libre  de  toute  limitation  intellectuelle, 
les  dojfmes  ne  faisant  (jue  restreindre  son  élan  et  troubler  son 
assurance,  et  de  toute  exigence  active,  l'action  pleine  étant 
trop  difficile,  l'action  incomplète  étant  insuffisante.  Il  est  donc 
entre  l'intelligence  et  l'activité.  Il  est  un  mouvement  de  sen- 
timent. 

l'n  mouvement  de  sentiment,  identique  sous  les  sentiments 
divers  oii  vit  la  foi  :  repcntance,  tendresse  liliale,  fidélité  à  un 
devoir  pénible,  foi  au  pardon,  communion  intime  avec  le 
Christ,  dévouement  à  l'Fglise,  pratique  des  (vuvres.  Un  mou- 
vement élémentaire,  une  orientation',  une  attitude  d'abandon 
(en  langage  théologi(pie.  consécration  de  l'àme  à  Dieu),  quelque 
chos<'  dont  la  meilleure  approximation  sentimentale  est  la 
conliance. 

Sentiment  très  rudimenlaire  tlu  reste.  Kn  ell'et,  d'une  [>art 
il  n'aboutit  pas  nécessairement  à  des  actes  précis,  d'autre  part 
on  le  dislingue  des  sentiments  précis  et  formulés.  Par  exemple 
Ménégoz  distingue  de  la  foi  proprement  dite  le  scntimenta- 
lisnie  de  certains  piétistes  et  revivalistes  (jui  fondent  lassu- 
rance  de  leur  salut  sur  la  vivacité  de  leurs  émotions  reli- 
gieuses :  il  s'ensuit  que  lorsque  celte  émotion  tond)e  cl  ([u'ils 


igi  LA    r.r.I.IGIOX    ET    LA    KOI 

nOnI  plus  la  scnsalion  de  Icui'  oxallation  spiiilucllc.  ils  cioicnl 
avoir  poiilu  le  saliil  liii-iiièiiie. 

Sentinicnl  qui  n'iui|)li(pi(.'  (|u'un  ohjol  iiiiMime,  qui  n'im- 
plique. ])Oui'  ainsi  dire,  pas  d'objet.  Il  csl  possible  de  consacrer 
son  àme  à  Dieu  et  d'être  sauvé  sans  croire  en  Jésus-Christ  (i) 
(encore  que  la  consécration  de  l'ànie  à  Dieu  entraine,  dit-on, 
la  croyance  à  la  justilication  par  Jésus-Christ).  La  foi  n'im- 
plique inrnie  pas  d'une  manière  rigoureuse  la  croyance  con- 
sciente à  l'existence  de  Dieu.  ()uel(pies-uns  diront  :  Dieu  n'est 
qu'un  simple  nom  (jucmploic  le  chrétien  pour  résumer  ses 
expériences  religieuses.  Comment,  dira-ton,  l'homme  qui  ne 
croit  pas  à  Dieu  peut-il  se  consacrer  à  lui?  Mais  le  premier 
mouvement  de  la  foi  peut  précéder  toute  croyance  ;  encore  que 
cette  foi  inconsciente  doive  nécessairement  progresser  vers 
une  foi  consciente. 

Ainsi  une  impression  interne,  une  expérience  subjective, 
dont  l'acte  de  foi  est  l'expression.  L'acte  de  foi  développe 
devant  l'esprit  du  croyant,  et  sous  forme  de  croyance,  le  sen- 
timent confus  de  l'immanence  de  Dieu  dans  l'àme  en  même 
temps  que  l'affirmation  de  la  valeur  de  cet  état. 

Cette  foi  s'objective  en  doctrine;  à  mesure  qu'elle  se 
développe  et  s'explicite,  elle  retrouve  le  christianisme,  mais 
un  christianisme  aussi  vidé  que  possible  de  théologie.  Car  la 
foi  n'aboutit  qu'à  des  doctrines  capables  d'exprimer  et  de 
satisfaire  la  foi.  Par  exemple  si  le  fidéisme  fait  de.  Jésus-Christ 
la  pierre  angulaire  de  l'édifice  religieux,  son  Christ  est  celui  de 
l'évangile  j)rimitif  et  non  pas  un  homme-dieu  mythologique, 
l'être  hybride  des  conciles  œcuménicjucs,  la  deuxième  personne 
d'une  Trinité  inconcevable.  Il  transpo.se  dans  le  plan  spiritueL 
<'t  moral,  —  hors  du  domaine  de  la  substance  et  de  ronto- 
logie,  —  les  théories  lliéologiques;  opérant  par  conséquent 
sur  les  dogmes   iclcnus    j)ar    le    protestantisme    originel    une 


I    Mk.mîgoz,  Publicalions  diverses,  I,  47- 


I,\    KOI    CONKIANCE  193 

secQiidi'   réduction,    f^iiidée   du    irslc  par  le  priiicip*'  cpii  avait 
inspiré  la  proniiéro. 

Ainsi  la  tliéolot^ir  naît  sponlanénicnt  de  la  foi.  Kllc  a  une 
double  (onction  et  un  double  caractère;  elle  est  simultanément 
(  ritique  et  positive,  (^riticjue,  elle  aide  la  conscience  actuelle  à 
se  rendre  compte  de  son  exiu:en(e  lelii^ieuse,  à  la  saisir  dans 
son  oriu^inalilé  native  et  sincère,  à  la  dégager  des  erreurs 
contraires,  sans  cesse  combattues,  renaissant  sans  cesse;  elle 
conslale  la  caducité  des  formes  anciennes  de  la  religion. 
Positive,  elle  travaille  à  créer  de  nouvelles  formes.  La  foi 
produit  la  croyance  :  l'émotion  se  précise,  s'objective;  elle 
s'explicite  en  images  qui  lui  représentent  son  objet;  par  l'efl'et 
de  la  réflexion,  cette  image  devient  doctrine  et  dogme  (i). 

La  théologie  travaille  sur  ce  fait  primordial;  elle  crée  de 
nouvelles  formes  religieuses,  s'aidant  de  l'expérience  intime, 
qui  disterne.  apprécie  et  juge  sûrement  dans  le  passé  et  dans 
le  présent  tout  ce  qui  est  de  son  essence  permanente  et  ce  qui 
lui  demeure  étranger  ou  accessoire;  de  l'expérience  scien- 
tili(pie,  de  la  comparaison  de  la  conscience  avec  la  science;  de 
l'expérience  historique,  des  formes  primitives  de  l'expérience 
chrétienne,  dont  la  Bible  t^st  l'authentique  document. 

Ainsi  toute  doctrine  est  un  moment  de  la  foi,  un  produit 
de  la  conscience  religieuse  qui  cherche  à  s'exprimer;  la  con- 
science de  chaque  individu  continue  et  recommence,  en  béné- 
liciaut  (le  riiisloire.  l'évolution  de  riiumanilé.  La  conscience 
chrétienne,  foi  conliance.  synthèse  vive  de  deux  sentiments 
contraires,  séparation  et  réunion,  est  le  moment  le  plus  élevé 
<lu  d(''\  elop[>ement  de  la  eonseienee  l'eligieuse;  d'aboi'd  senti- 
ment dune  ilis[)roportion  métaphysicpie  entre  l'homme  et 
Dieu,  j)uis  sentiment  d'un  conflit  entre  l'homme  pécheur  et  le 
Dieu  juste  et  saint:  enlin  sentiment  du  conflit  apaisé  et  de  la 
vie  divine  rendue  ;i  riioniuie  j^ai'  riiuion  de  l'homme  avec  Dieu. 


(i)  Saiiatikk,  lifliifions  d'uulnrili'-. 

13 


19  I  LA    UKI.IGIOX    KT    LA    KOI 

L  iiitrrôl,  la  loi.  1  amour  se  succèdeiil  dans  l'iiisloiro.  coniinc 
dans  la  conscienco  individuello.  La  spiritualité  se  eherche  et 
se  réalise  dans  ce  mouvement. 

La  doctrine,  à  son  tour,  aiiit  sur  les  esprits.  Elle  est  mi 
moyen  d'éveiller,  de  développei*,  de  purifier  la  vie  relij^fieuse; 
là  est  le  rôle  de  l'Ecriture,  de  l'Eglise.  Donc  la  eroyance 
engendre  la  Coi  et  il  n'y  a  pas  de  loi  sans  croyance  (i).  La  foi 
naît  de  l'impression  que  la  croyance  produit  sur  le  cœur.  Mais 
la  eroyance  la  plus  correcte  ne  produit  pas  nécessairement  la 
foi.  La  foi  naît  sous  l'inlluence  de  la  [)arole  de  Dieu,  unie  à 
1  action  interne  du  Saint-Esprit. 

D'oîi  certains    théologiens   ont   pris    texte   pour   objecter, 
contre  le  Symbolo-Fidéismc  :   «  Nous  sommes  sauvés  ()ar  la 
'  foi  seule  ;  or  la  foi    n'est  pas    indépendante  des    croyances  ; 
donc  le  salut  n'est  pas  indépendant  des  croyances.  » 

jNIais  la  foi  est  autre  chose  que  la  croyance.  D'autre  part  laî 
croyance,  sous  la  forme  du  dogme,  est  un  produit  de  la  foi. 
Si  la  foi  naît  de  la  croyance,  elle  naît  donc  de  sa  propre 
expression.  Enfin  cette  expression  ne  provoque  la  foi,  la 
croyance  qui  vient  du  dehors  ne  provoque  la  vie  religieuse,  que 
si  elle  rencontre  dans  le  sujet  un  besoin  latent,  une  prédispo- 
sition à  la  foi. 

La  croyance  joue  ici,  sous  forme  simplifiée,  le  incme  rôle 
que  les  préambules  de  la  foi  dans  le  catholicisme  ;  simple 
commenceitienl  de  la  foi,  qui  disparaît  devant  la  foi  même. 
Mais  la  foi,  ici,  dans  son  essence  propre,  n'est  plus  adhésion 
à  une  doctrine  à  cause  de  l'autorité  de  celui  qui  la  révèle 
projection  à  l'intérieur  de  l'autorité  de  la  révélation  extérieure; 
adhésion  qui  traduirait  ensuite,  après  ce  détour,  la  charité, 
l'espérance,  les  actes  explicites  du  christianisme.  Elle  es! 
confiance    ([«li    atteint    immédiatement    son    objet,    et    (|ui    se 


II)  Cf.  FcLLiQUET,  Précis  de  Dogmatique,  p.  48i-  H  n'y  a  pas  de  Toi  sanâ 
pensée  préalable,  préformée  :  l'idée  que  Dieu  mérite  la  confiance,  le  .jugc-j 
ment  que  la  confiance  est  mieux  justifiée  que  la  défiance. 


LA     roi    COM-IANCK  l9.') 

ir|MH  U'  rnsuilr  sur  les  croyances  capables  de  la  salislaire.  l'Mc 

csl  jiiffe  et  gai'ante  de  la  (loelriiio,   loin  (luelle  obéisse  à  une 
«loctiiiie  (I). 


\.v  roniaiilismc  religieux  «le  Sclileiermaclier  avail  proclame 
la  primauté  du  senlimeiil,  «pii  tend  à  s'objectiver  dans  le 
dogme  et  dans  le  cnlte  en  des  Cormes  assez  constantes  pour 
convenir  à  la  communauté,  assez  variables  pour  être  sensibles 
aux  mouvements  des  consciences.  Le  dogme  n'est  plus  consi- 
déré comme  une  vérité  absolue  et  délinitive;  c'est  l'expression 
de  la  toi.  propre  à  une  communauté  religieuse  toujours  en 
voie  d  évolution.  Au  principe  est  un  sentiment,  le  sentiment 
de  la  déi)en(lanee  oii  communient  l'àme  humaine  et  l'Inlini. 
Uomanlismc  religieux,  parent  du  romantisme  artistique  et  [)hi- 
losoplii(pie:  romantisme  inys[i([ue,  puisque  toutes  les  formes 
religieuses  sortent  ici  d'un  fond  de  génialité  et  d'indistinction 
primordiales. 

Le  piélisme  avait  préparé  les  voies  ;  réaction  de  la  loi 
active  et  vivante,  de  la  dévotion  personnelle  et  pratique  contre 
lorlliodoxic  morte  et  la  tiédeur  S[)irituelle;  contre  les  disputes 
confessionnelles  et  les  querellés  théologiques;  contre  l'asser- 
vissement de  la  société  religieuse  aux  consistoires  et  au  pou- 
voir temporel;  attention  à  la  vie  intérieure  ([ui  ne  devait   pas 


i)  l.'i'tiule  tlt'  V  «  Kcole  modi-rnc  »  en  Alleni!it,'ne  nu-iierait  aux  iiâôiiies 
conclusions.  Elle  aussi  décrit  une  sorte  de  sensation  [)ieuse  qui  <lonne  l'éveil 
à  la  foi,  la  maintient  tout  ensenihle  toujours  Iraiclic  et  toiijours  vafjue.  (Voir 
Kaktan,  Dit'  Vfrfilichlnn^  nuf  dds  llchennlniss  in  (1er  CitiuLTelischm  Kinlie, 
i8<j{.  —  liMi'(;i:K,  I>ic  Jortschicitritdi'  Eiil frcinilan^  von  dcr  Kircho  irn  Lichlv 
fier  Ccschichte.  1H9.',.  —  Ilobert  Ki  ijki,,  L'brr  den  Untcrschied  zuusclien  dcr  posi- 
ftVcrt  nnd  der  lihi'ralcn  liiclttiint'  in  der  niodrrni'n  l'iienloffic,  1893. 

Jusqu'à  un  cerlain  point  l'interprétation  aiiéf^oriciue,  en  particulier  celle 
des  Sto'i<"iens.  jiwiit  jout-  dans  ranliquitc  le  uièuK'  rôle  que  le  Sytulxdo-Fi- 
dcisme.  (l'est  la  luènie  lenilanee  à  rajeunir,  tout  eu  i^ardaut  li-s  r«»rine««  du 
passé.  !'•  fond  de  la  vie  religieiise,  avec  plus  île  ratioualisuie  il  est  vrai 


196  LA    UKI.KWON    KT    LA     I  Ol 

tarder  à  s'enfermer  de  nouveau  dans  un  schéma  méthodique  et 
à  s'exeitcr  par  (U's  moyens  factices.  Les  Myslicismes  spirilua- 
lisles.  les  théoh)îîies  de  la  conscience  absorbent  les  éléments 
hislori(iues  et  positifs  de  la  relijjjion,  ou  du  moins  les  trans- 
posent en  termes  spirituels  :  Histoire  et  Dogme  deviennent  des 
Symboles.  La  nature  humaine  se  retrouve  dans  les  allégories 
éternelles;  sous  une  forme  tantôt  douloureuse,  tantôt  joyeuse 
et  exaltée,  comme  il  arrivera  sous  rinlluence  de  l'optimisme  du 
XVIII*  siècle.  Une  tendance  analogue  se  manifeste,  à  bien  des 
époques  et  dans  bien  des  religions.  Il  y  a  toujours  eu  une 
forme  de  foi,  (jui  a  consisté  moins  dans  une  connaissance 
méthodi(iue  de  la  religion,  que  dans  l'accord  senti  entre  une 
disposition  intérieure  et  ce  que  l'on  sait  de  la  religion  (i). 

Spener.  Sébastien  Franck,  avant  eux  les  Mystiques,  avaient 
commencé  ce  mouvement.  Après  Scldeiermacher,  Ritschl  et 
Hermann  l'ont  continué.  Le  Symbolo-Fidéisme  est  une  des 
grandes  formes  du  protestantisme. 


LE     MODERNISME 

Le  Modernisme  catiiolique  est  lui  aussi  un  retour  à  une 
forme  de  fol  purifiée  du  dogmatisme  théologique.  Autant 
qu'il  est  [>ossible  de  ramener  à  quelques  principes  un  mouve- 
ment assez  divers  et  diffus  (2),  le  modernisme  est  d'abord  une 
école  religieuse  de  critique  historique  ([ui,  appliquant  au  Canon 
et  à  la  tradition  les  règles  strictes  de  l'exégèse  scientifique,  ne 
laisse  rien  subsister  des  préamijules  historicpies  de  la  Foi  ;  il 
est  ensuite  une  école    de  critique  religieuse    (pii,    n'admettant 


1  C'est  ce  que  1'as<:al  expose.  (Brunschvicg,  4:">",  46i,  4C2.) 

2  LoiSY,  Choses  passées,  304  :  «  I^e  prélfiidii  Modernisme  n'avait  pas  été 
la  doctrine  de  (juelques  individus,  c'était  la  tendance  d'une  foule...  un  ejrort 
assez  diffus,  intense  pourtant,  pour  a.ssouplir  la  rigueur  de  l'absolulisnie 
romain  et  celle  du  dogmatisme  Ihéologique...  L'Eglise  existante  était  comme 
son  point  de  dépari  et  l'objet  de  son  action.  » 


\.\   loi  co.M'iANCi:  197 

|>liis  les  posliilals  de  la  |>liil()sopliio  scolasliijuc,  lecoiiiiaît  la 
valt'iir  dos  objections  i\nc  la  science  et  la  raison  a<lr«sscnl  aux 
ari;ninents  de  la  loi  (i).  Ainsi  il  ne  laisse  rien  subsislci-  de  la 
foi  scolasti([ne.  sinon  la  loi  elle-même.  Car  il  est  en  même 
temps  une  école  de  philosophie  religieuse  ([ui.  s'emparanl  de  la 
notion  de  la  loi.  y  retrouve,  pour  la  développer  à  [)arlir  de  son 
incline,  toute  la  relij^ion.  Kt  il  n'y  a  plus  de  conllit  possible 
cuire  la  foi  et  la  science,  entre  la  foi  et  l'histoire  (2),  puis(pie 
^'ohjct  de  la  foi  n'est  pas  matière  de  scii'nce.  ni  même  d'histoire, 
à  pioprement  parler,  mais  d'expérience  morale.  L'histoire  et  la 
foi  n'asservissent  pas  la  théolou:ie,  mais  elles  la  mettent  dans  la 
nécessité  de  se  réformer  elle-même,  sous  peine  de  devenir  un 
obstacle  à  la  foi,  au  lieu  d'en  être  l'auxiliaire. 

Ainsi  la  foi  se  développe  en  dogmes  cpii,  incapables  de  l'ex- 
primer exactement,  n'ont  (pie  la  valeur  de  synd)oles  [)assagers: 
la  formule  à  la  fois  dévoile  et  cache  la  vérité  :  sous  la  formule, 
la  foi  adhère  à  la  vérité  pleine  et  absolue  que  cache  la  formule 
im[>arl'aile  et  relative. 


Il)  ("/esl  ainsi  «m'on  couslale  ciiez  beaucoup  de  iiioclernisles  un  cd'oi't 
Iioiir  penser  la  loi  en  fonction  de  la  science  et  de  la  philosophie  du  temps 
présent  et  non  de  la  scolastique.  a  Les  Pères  et  les  Conciles  ont  assurément 
dojfuiatisé  en  fonciron  de  la  philosopliie  alors  rejouante  :  le  dojj;me  n'est 
point  lié  pour  cela  à  telles  ou  telles  lormes  de  la  représentation  théorique.  » 
(Ed.  1,1:  llov,  Dugtne  et  Critique,  262.)  t  La  foi  S('  pense  en  fonction  de  tontes 
les  philosojdiies  avec  lesquelles  elle  se  trouve  en  contact,  soit  jjour  s'harmo- 
niser avec  elles,  soit  pour  s'en  dégager,  et  elle  cherche  à  entrer  ainsi  en  con- 
tact a\  ec  toutes  les  philosophies  (ju'élaltore  successivement  l'esprit  humain  » 
Ibitl.,  2--.J  Volontiers  celte  tendance  |iiiilosoplii(|ue  rencontrera  le  pragma- 
tisme qui  est  lui-même  désir  de  trouver  une  délliiilion  de  la  vérité  (jui  con- 
vienne à  des  croyances  non  démontrables. 

Le  pragmatisme  lui-même  est  en  partie  d'origine  théologique.  Les  fonda- 
teurs du  pragmatisme  ont  vécu  dans  des  milieux  où  lleiirissaient  de  nom- 
breuses sectes  en  conllit;  hnir  (loctrine  ex[>rime  une  certaine  lassitude  à 
l'égard  des  querelles  Ihéologiques,  et  ceitend.int  le  désir  de  faire  une  place 
aux  préoceu|)ations  religieuses  à  côté  îles  i)rouccupalions  scientiliques. 

(2  1  Le  trait  commun  à  tous  les  lUDilernisles  calholiqucs,  c'est  la 
croyance  à  la  [)()ssibilité  d'une  conciliation  de  leur  catholicisme  et  des  résul- 
tats de  la  criti<iue  historique.  Ils  dillèrent  i|uanl  à  re^timalion  tie  ces  résul- 
tats et  aux  moyens  d'obtenir  cette  conciliation.  ■«  1  Tvhhki.l,  le  Clirislianisine  à 
Ui  croisée  des  chemins,  'i-j.)  «  Le  Modernisme  a  pour  btit  d'envisager  à  part 
chacun  des  intérêts  en  jeu.  avec  l'espoir  (pie  les  résultats  de  ce  travail  s'har- 
liioniseronl.  »  {lltùi.j 


1<»S  LA    RELIGION    Kl'    LA    I  OI 

Lo  inodeniisme  voit  dans  la  religion,  ol  par  excellence  dans 
le  calliolicisme,  raclicveinent  de  la  naliirc  humaine;  la  religion. 
(('Ile  religion  est  postulée  par  le  plein  épanouissement  de  la 
vie  :  iniriiiséeisme.  Mais  en  même  temps  l'institution  religieuse 
lioi's  de  la  conscience,  l'Kglisc.  assure  à  la  foi  et  à  la  vie  divine 
une  histoire  qui  dépasse  de  beaucoup  le  développement  indi- 
vidu»! el  qui  le  règle  :  extrinsécisme.  Tout  ce  travail  dogma- 
lique.  Iuérarchi(|ue,  cultuel,  (pii  aboutit  à  un  résultai  de  plus  en 
plus  parfait,  suppose  Dieu,  ('onlrc  le  protestantisme,  obsédé 
par  les  origines,  prisonnier  de  la  charte  constitulionnelle  du 
chrislianisme.  esclave  des  Ecritures,  le  modernisme  proclame 
la  valeur  de  l'Eglise,  dépositaire  et  exégète  de  l'Evangile, 
épouse  et  continuatrice  du  Christ.  L'Eglise  incarne  la  tradi- 
tion, la  continuité  ininterrompue  de  l'expérience  clirétienne 
sous  laction  permanente  du  Saint-Esprit  (i)  :  d'où  la  valeur 
des  enseignements  de  l'histoire  religieuse  depuis  les  origines 
jusqu'à  nos  jours.  L'Eglise  incarne  l'autorité,  entendue  au  sens 
-spirituel,  intérieur,  moral.  Les  dogmes  ou  les  pratiques  que  le  » 
protestantisme  reproche  au  catholicisme  conmic  une  corruption 
de  la  foi  primitive,  sont  la  vie  de  ri']glise,  et  le  développement 
régulier  de  la  foi  (2). 

Ainsi  le  dogme  est  symbole  et  aussi  l'histoire  (3).  La  foi, 
besoin,   exigence,  (pii  porte  en   soi  sa   satisfaction,   son  objet, 


(i)  «  Cette  sensation  de  calliolicité,  je  veux  dire  de  vie  diffuse,  de  créa- 
lion  continue,  de  puissance  dynaini«jue  iudividuelle  qui  aspire  à  se  donner, 
se  sourncltrc  cl  s'harmoniser  pour  un  effort  commun,  éternel  et  inlini.  » 
(Sabatikh,  Les  Modernistes,  X.WII.; 

(2)  C'est  par  là  que  le  Modernisme  se  distingue  profondément  de  cer- 
taines formes  de  protestantisme  libéral,  basées  elles  aussi  sur  la  critique 
liistorirme.  11  se  reluse  à  reconstruire  les  orij^incs  suivant  les  besoins  de  la 
conscience  d'aujourd'hui,  à  lixer  une  fois  pour  toutes  l'P'ssence  du  Christia- 
nisme.  (Voir  les  critiques  de  Loisy  à  Harnack,  l'Evangile  et  l'Église.) 

Tous  les  modernistes,  anglicans,  juifs,  musulmans,  bouddhistes,  etc.,  ont 
ceci  de  commun  qu'ils  croient  ou  espèrent  que  leurs  Eg^lises  respeclÏTes  ne 
sont  pas  éiiuisces,  mais  endormies. 

(.S;  Ce  .Symbolisme  a  permis  à  heaucoup  de  modernistes  d'accepter  la 
icttre  el  de  rester  dans  l'Eglise.  Loisy,  à  une  date  où  il  n'avait  plus  ncn  à 
apprendre  de  l'Eglise,  écrivait  encore  :  «  Je  lui  reste  attaché  par  le  fond  de 
1  àme.    l'ourrjuoi    changer    les    orientations    de   son    existence  au    gré    d'opi- 


,  l.V    FOI    CO.VKIAXCK  I99 

s'expriniaiit  au  doliors,  s'objectivant,  construit  loiil  l'édince  de 
la  ri'lii^ion  ;  elle  se  retrouve  dans  son  œuvre,  elle  adhère  à  cela 
même  (ju'elle  a  créé;  son  assentiment  vient  de  ce  (ju'eile  se 
reconnaît  dans  l'objet  de  son  assentiment.  Ce  qu'il  y  a  d'Iiislo- 
rique  el  de  positif  dans  le  christianisme  devient  ainsi  l'expres- 
sion de  la  spiritualité.  Mais  l'effort  créateur  n'est  point  épuisé  : 
«  Le  Monde  des  esj)rits  n'est  point  fermé.  •>  Quel  sens  nouveau 
infuser  aux  vieilles  formules  ?  Quelles  formules  nouvelles  leur 
substituer  (i)  ?  Le  Magistère  de  l'Lglise,  toujours  renouvelé, 
doit  pourvoir  à  des  besoins  toujours  nouveaux.  Et  la  spiritualité 
reste  enveloppée  dans  la  reliicion  positive;  le  christianisme  est 
sous-jaeeut  à  ce  fidéisme.  La  foi  décrite  est  comme  une  (juintes- 
sence  de  la  senlimentalilé  chrétienne,  organisée  autour  des 
dogmes  chrétiens.  Si  elle  se  retrouve  si  aisément  dans  la  reli- 
gion positive,  cela  vient-il  de  ce  qu  elle  en  est  la  créatrice,  cela 
ne  vient-il  pas  plutôt  de  ce  (ju'elle  en  est  le  produit?  Et 
lorsqu  elle  s'en  sépare,  ne  trouve-t-elle  pas  entre  elle  et  les  for- 
mules rejetées  une  différence  telle  qu'elle  s'apparaît  débor- 
dant de  beaucoup  ces  formules,  et  par  conséquent  dans 
son  fond  plus  vaste  et  plus  humaine  (lu'elles.  Ou  bien  une 
sentimentalité  chrétienne,  produit,  malgré  tout,  du  christia- 
nisme: ou  bien  un  élan  de  sentimentalité  humaine,  qui  se 
trouve  vu  être  très  différent  et  qui  ne  s'y  rattache  que  par  des 
artilices. 


nious  spéculatives'.'  Ouc  sont  les  croyances,  sinon  des  symboles  qui  valfiit 
par  leur  eflicacilc  morale?  N'clait-ce  pas  sc-ulement  cette  efficacité  <[ui  était 
>  rainient  cs.sentielle?  » 

(I)  (l'est  peut-être  ici  que  commence  l'embarras,  et  Ldisy  eu  convient 
volontiers?  [Clioses  [tassées,  1911  :  0  A  vrai  dire,  j'aurais  été  moi-même  fort 
embarrassé  si  l'Kglise,  an  lieu  de  me  condamner...,  m'avait  laissé  développer 
mes  spéculations  sur  les  dopmes  et  la  toi,  el  qu'elle  m'eût  mis  en  demeure  de 
préciser  ce  que  déi.-idémeut  j'enseignerais  à  sa  place.  Tout  en  ^•^)yant  la  cadu- 
cité des  vieilles  croyances,  je  me  faisais  l'illusion  de  penser  que  l'on  |tour* 
rait  continuer  à  se  ser\  ir  des  anti({ues  formulaires  en  les  iiiter[)rétant  filus 
ou  moins  en  symlxdes.  Mais  c'était  là  une  couiy)licali<>n  assez  superilue,  et 
même  danj^ereuse,  quand  les  .symboles  suxK^'renl  des  idées  fausses.  II 
m  aurait  donc  fallu  pri<'r  l'Kjjlise  de  n'enseigner  plus  son  Dieu  créateur  du 
mondi  .  etc..    « 


I.A    UKI.K.ION     KT    I,\    KOI 


♦ 
*       * 


Il  ne  t'aiuliuit  pas  voir  là  simpU-nienl  une  (locUinc,  à  plus 
forte  raison  un  sublorlu^îo.  Sabalier  a  eu  raison  de  dire  qu'il 
fallait  éviter  de  rapprocher  le  prêtre  trop  libéral  qui  ne  prend 
pas  tout  à  fait  au  sérieux  son  ministère,  du  prêtre  qui,  ayant 
pénétré  jusqu'au  fond  la  vie  de  l'Eglise,  trouve  dans  cette 
comnuuiion  intense  une  force  nouvelle.  Il  y  a  eu  chez  les 
apôtres  du  modernisme  une  grande  intensité  de  vie  religieuse, 
et  des  âmes  angoissées  et  désemparées  (i).  Il  faut  prendre  tout 
à  fait  à  la  lettre,  croyons-nous,  cette  déclaration  solennelle  de 
quelques-uns  d'entre  eux  : 

('  Nous  avons  passé  de  longues  veilles  dans  l'angoisse  du 
doute,  alors  que  l'étude  loyale  de  la  science  ébranlait  en  nous 
l'édilice  arliliciel  de  l'interprétation  scolastique  du  catholi- 
cisme. A  ce  moment-là  cependant  nous  n'avons  pas  man(iué  de 
foi,  mais  conliants  dans  l'harmonie  qui  ne  s'est  jamais  démen- 
tie entre  la  vérité  de  la  révélation  et  la  vérité  de  la  raison,  nous 
avons  tenté,  en  puisant  aux  sources  les  plus  pures  du  christia- 
nisme, de  créer  une  nouvelle  synthèse  (2).  » 

Un  élan  de  foi  collective,  régénératrice  et  créatrice,  au  delà 
des  dogmes  et  des  formules,  a  sans  doute  été  l'àme  de  ce  mou- 
vement. Les  uns  espéraient  retrouver  par  la  vertu  de  cette  foi,, 
libre  et  n'ayant  besoin  que  d'elle-même,  reflicace  des  dogmes 
et  des  formules,  que  leur  refusaient  l'histoire  et  la  raison,  dans 
le  grand  rêve  d'avenir  d'une  Eglise  agissante,  dans  la  confiance 


[i  Uetenir  cependanl  celte  déclaiation  de  LoiSY  :  «  Pcul-être  qu'avec 
jiioiM>.  de  raison,  et  plus  d'enthousiasme  religieux,  il  (le  Modernisme)  eût 
été  plus  fort.  »  [Choses  passées,  354.) 

(2;  Le  Programme  des  modernistes,  1G8.  Loisy  cci-it  à  l'abbé  Bricout  [Quel- 
ques lettres,  181;  :  <■  Moi  aussi  j'ai  connu  le  trouble  de  l'âme,  et  j'ai  eu,  non 
des  jours  et  des  mois,  mais  des  années  de  martyre  secret.  »  (182)  :  a  Moi  qui 
ai  connu,  autant  que  personne...,  ces  douloureuses  perplexités  d'une  foi 
menacée,  moi  qui  n'y  ai  découvert  de  remède  eflicace  que  dans  la  recherche 
courageuse  et  sincère  de  la  vérité.  » 


i,A  l'oi  r.oNi  1  v\(.i;  20 1 

exaltée  an  sens  nouveau.  Clie/  daulres,  il  y  a,  pour  soutenir 
cette  attitude,  de  l'eirorl  et  quchpie  artilice  :  «  Mes  livres,  écri- 
vait Loisy,  représentent  l'eiroil  (pie  j'ai  fait  pour  me  maintenir 
moi-même  dans  le  eatholieisme  (i).  » 

«  Tu  quia  es?  l  ne  lueur  de  courage  sur  un  fond  de  désen- 
clianlcment  (2).  »  La  formule  est  presque  vraie  aussi  bien 
lorscjue  ce  prêtre,  près  d'être  banni,  combat  pour  ses  idées 
contre  la  hiérarchie  ecclésiastique,  que  quand  il  cherche  encore, 
au  sein  de  ri^j?lise,  la  doctrine  et  la  vie  qui  concilieront  la 
science  et  la  loi.  Son  Apolos^étique  est  faite  de  courage  et  de 
désenchantement.  «  .lai  entrepris,  après  des  années  de  labeur, 
après  de  longues  réllexions,  après  une  longue  période  d'an- 
goisses intérieures,  durant  laquelle  je  voyais  tomber  une  à  une, 
comme  des  feuilles  mortes,  les  idées  reçues  dont  on  avait  entre- 
tenu majeunesse...,  j'ai  entreprisdc  montrer  comment  l'essentiel 
du  eatholieisme  pouvait  survivre  à  la  crise  de  pensée  contempo- 
raine (3).  » 

C'est  qu'ici  une  extraordinaire  lucidité  d'esprit,  un  don  mer- 
veilleux de  criti(pie  pénétiante,  presque  ironi(jue,  une  singu- 
lière aptitude  à  n'être  point  dupe  de  soi-même,  arrête  et  para- 
lyse l'élan  constructeur  d'une  foi  d'ailleurs  un  peu  sèche.  Sur 
la  piété  et  la  ferveur  naïve  de  l'enfance,  (pie  ne  voile  aucun 
Miuige  de  doute  et  ({u'entretient  la  douceur  des  cérémonies,  le 
premier  regard  sur  le  dogme  a  projeté  le  trouble  de  l'analyse 
rationnelle  de  la  croyance,  la  douleur  de  la  pensée  catholi([ue. 
C'est  d'abord  anxiété  intérieure,  obsession  énervante,  épreuve  ; 
les  spéculations  religieuses  laissent  comme  un  vide  dans  l'es- 
prit et  accroissent  les  angoisses  intimes  sur  l'objet  de 
la  foi. 

l'iêlre,  il  la  été,  plus  par  ell'oit  de  voloiilc  ([ue  [>ar  convic- 
tion joyeuse.  A  la  démonstration  chrélicnne  il  ne  voit  pas  de 


'ij   Choses  passées,  3r>o. 
'2)  thiil..  67. 
i    (Jucltims  leftrcs,  i-j. 


'J*^'J  I  A  uEi.ic.rox  i:t  la  loi 

défaut  apparent  ;  il  ii'tn  craint  pas  moins  qu'elle  ne  porte  sur 
le  \'n\i\  Il  est  préoccupé  de  se  prouver  cette  vérité  à  soi-nu''nic. 

L'exégèse  vient  séparer  lliistoire  de  la  foi.  Mais  le  premier 
contact  n'est  point  destructeur.  On  peut  nier  la  valeur  histo- 
riciue  et  garder  la  foi  ;  et  cela  on  le  t'ait  aisément,  par  tour 
d'esprit,  plutôt  que  par  système,  (chercher  une  voie  moyenne 
entre  «  la  routine  qui  se  prend  pour  la  tradition,  et  la  nou- 
veauté qui  se  prend  pour  la  vérité  (i).  » 

Cet  examen  fait,  dans  l'Kglise  discerner  deux  choses  :  la 
tradition  morte,  obstacle  au  développement  intellectuel  de  l'hu- 
manité, et  l'institutrice  morale,  maîtresse  de  progrès.  Ainsi  il 
reste  de  quoi  s'attacher  à  l'Kglise,  d'autant  que  la  confiance 
n'est  pas  encore  entière  dans  les  conclusions  critiques. 

Ainsi,  le  magistère  de  l'Eglise,  changeant  selon  les  besoins 
nouveaux,  vient  compenser  la  critique  de  la  révélation,  l'insuf- 
lisance  des  Ecritures  comme  règle  de  foi.  Et  n'est-ce  pas  assez, 
pour  répondre  à  l'Apologétique  prolestante  et  pour  édifier  une 
Apologétique  catholique,  pour  coordonner  ses  conclusions 
critiques  à  la  foi  que  l'on  veut  garder? 

Mais  à  mesure  que  le  système  d'Apologétique  s'édifie,  la 
vie  intérieure  qui  devait  l'animer  tombe.  De  1881  à  1886,  ce 
qui  restait  de  ferveur  s'est  éteint.  Plus  d'impressions  reli- 
gieuses. Si  l'on  continue  à  servir  l'Eglise,  c'est  à  cause  de  sa 
valeur  sociale,  par  foi  morale  et  non  plus  par  foi  religieuse. 
Mais  l'ànie  est  désolation  et  tristesse,  et  l'esprit  en  dehors  de 
la  pensée  catholique.  On  n'est  plus  en  communion  de  foi  et 
pourtant  ou  reste  attaché  à  l'Eglise.  Or,  quelle  réformation 
sans  enthousiasme? 

C'est  qu'il  ne  s'agit  pas  de  réformer,  mais  seulement  d'expli- 
quer à  d'autres  et  à  soi-même,  pourquoi  et  comment  l'on  doit 
rester  dans  l'Eglise.  Le  maître  a  pitié  de  ses  élèves  et  tâche  de 
trouver  pour  eux  des  moyens  de  conciliation  provisoire  entre 


(i;  Choxen  passées,  Gi. 


I 


I.A     l'Ol    COMI ANCK  2<)'3 

1rs  laits  ciili(|iK's  rlablis  ol  les  dogiiu's.  I.c  calccliisli',  rlic/  li'S 
Dominicaines  de  Neuiily,  reprend  contact  avec  la  vie  relip:ieuse, 
sans  Ihéolop^ie.  avec  Taelion  morale  el  la  pratifim-  culliiellcr  oii 
sont  le  ealme  et  le  repos  de  là  me. 

Le  conil)al  contre  la  hiérarchie  menaçante,  les  luîtes  de 
phnne,  les  entretiens  ai^^res-donv.  les  démarches,  les  rancœurs, 
les  capitulations  momentanées,  les  retours  olïensirs  dissipent 
les  derniers  veslifçes  de  cet  attachement  profond,  arrêtent  les 
derniers  edorts  pour  se  maintenir  dans  le  catholicisme.  La 
paix,  <|u'il  n'a  j)oinl  trouvée  dans  ri\u:lise,  lui  vient  enlin 
dèlre  hors  l'Kglise  :  «  Je  jouissais  du  plaisir  de  n'être  plus 
(ri]u;lise.  (i)  » 

*     * 


Modernisme,  Symbolo-Fidéisme,  deux  l'ormes  religieuses 
«l'un  grand  mouvement  contemporain.  La  doctrine  de  la 
science,  la  théorie  de  la  connaissance  ont  connu  un  même 
choc  odensif  contre  la  formule  et  la  fixité.  C'est  la  Vie  contre 
rimmutahililé,  le  Devenir  contre  l'Eternité,  l'Individualité 
contre  l'Universalité,  la  Liberté  contre  la  Nécessité.  La  biologie 
et  l'histoire,  la  critique,  la  revision  des  valeurs  intellectuelles 
et  morales,  les  aspirations  confuses  d'une  société  qui  se  trans- 
Ibrine,  tout  concourt,  l>ien  des  études  l'ont  montré,  à  établir 
dans  unv  partie  des  esprits,  contre  les  formules  claires  et 
iiniversellemenl  et  éternellement  valables,  le  prestige  de  la 
vie  mouvante.  Mais  la  [)luj)art  n'osent  point  se  laisser  aller 
jusqu'au  bout  de  l'indétermination  et  de  l'aventure.  D'oîi 
l'ellorl  pour  maintenir,  au  moins  à  titres  de  synd)oles,  les  lois 
et  les  dogmes  anciens. 

La  pensée  juridiipu'  elle-même  s'en  est  ressentie,  lîeaucoup 
de  juristes  réclament  pour  la  jurispiiidcnce  et  la  doctrine  un 


(i)  Choses  passéfs,  3<)8. 


LA  relu; ION  i:t  la  loi 


droit  do  lihio  inlor[)rt'talioii  de  la  loi.  La  loi,  se  détaclian«l  (Il 
la  voloiilé  du  Ic^islalcur,  devient  une  t'orninle  indépendant 
dadéqualion  à  la  vie;  une  formule  que  chaque  génération 
légistes  lègue  à  la  suivante,  à  eliaige  de  l'assouplir,  connue  s'i 
inq)orlait  seuli'uient  de  l'adapter  à  la  pralicpic  présente,  et  pa^ 
du  loul  de  respecter  son  sens  initial  (i).  Mais  pas  plus  que  les 
théologiens,  les  juristes  n'osent  aller  jusqu'au  bout  de  leur 
principe  de  liberté. 


LUTHER    ET    LA    FOI    FIDUCIALE 

Revenons  au  protestantisme  et  aux  réformateurs.  Comment 
Luther  est-il  venu  à  l'expérience  et  à  la  doctrine  de  la  «  Foi 
seule?  » 

Luther,  dès  son  entrée  au  cloître,  éproilve  une  profonde 
tristesse  et  un  long  abattement;  il  est  obsédé  du  souvenir  de 
ses  fautes  :  il  a  peur  du  jugement  de  Dieu.  Les  confessions  ne 
le  calment  pas.  11  subit  parfois  de  véritables  attaques  de  ter» 
leur,  suivies  de  faiblesse,  accompagnées  d'idées  de  damnation 

C'est  toujours,  d'après  son  témoignage,  la  certitude  de  sofli 
salut  (pii  le  préoccupe.  Ses  études  bibliques  lui  avaient  montré 
plusieurs  erreurs  de  l'IOglise  papale;  l'écho  des  discussions  des 
hiunanistes  qui  signalaient  les  dillérences  entre  rEcrilure  et 
l'Kglise  était  j)arvenu  jusqu'à  lui.  Mais  il  se  disait  :  SolltesL  du 
alleiii  klug-  scLii? 


t 


i;  Contre  celle  Ihèse,  (rKHM;z,  Méthodes  d interprétation,  II,  ^oô-^v6. 

0  En  soi  la  loi  esl  l'expression  d'une  volonté  émanée  d'nn  tiouime  ou  d'un 
groupe   d'iionitnes  à  la    lumière  de  leur   intelligence.  Par  suite   et   pour  lui 
assurer  toute  son  enicacilé,  on  la  doit  interpréter  suivant  la  volonté  intclli 
gente  qui  la  produite,  et  eu  se  plaeant  au   moment  où  elle  a  été    lormuléi 
Aucun  autre  critérium  n'est  applicable  si  on  veut  rester  fidèle  à  la  nature  de 
la    loi   et   maintenir    ses   avantages    techniques.    Notamment    l'on    ne    saurait 
admettre  que  la  loi  une  fois  formée  constitue  une  entité  indépendante  qui  se 
détachciait  de  la  pensée  de  son  auteur  et  se  développerait  à  part,  suivant  un 
sort  prr)pre,  de  t'uçon  <iue  sa  signilicatiou  piit  changer  au  gré  des  circonstanc 
ambiantes  et  de  l'évolution  de  la  vie  sociale.  » 


I..\     KOI    C.OM'IANCE  Qo5 

Les  mortifications  et  les  œuvres  de  saliil  sont  impuissanfes 
k  lui  procurer  l'assurance  ([ii'il  cherche  :  <<  Nous,  sous  la 
papauté,  nous  avons  jadis  cric  pour  notre  salut  ctcrnel,  |>our 
le  royaume  de  Dieu;  nous  avons  violemment  affligé,  bien  |)lus, 
nous  avons  tué  nos  corps  :  non  par  le  p:laive  et  h's  armes,  mais 
par  les  jeûnes  et  les  macérations  corporelles;  nous  avons 
cherché,  nous  avons  frappé  à  la  porte  les  nuits  et  les  jours. 
Moi  nicme,  si  je  n'avais  été  délivré  par  la  consolation  du  (ihrist. 
.111  moyen  de  l'Evangile.  j(?  n'aurais  pas  vécu  deux  ans,  telle- 
iiKMii  j'étais  tourmenté  et  tellement  je  fuyais  devant  la  colère 
<li\ine.  Ni  les  larmes,  ni  les  gémissements,  ni  les  soupirs  ne 
manquaient,  mais  nous  n'obtenions  rien  du  tout  (i).  »  «  Après 
la  confession  et  la  célébration  de  la  Messe,  je  ne  pouvais  avoir 
1  (sprit  tranquille,  car  la  conscience  ne  peut  recevoir  une  solide 
'oiisolation  par  les  œuvres  (2).  »  «  Les  moines  pieux  et  sin- 
I  «  ics,  dont  il  a  existé  quelques-uns  jadis  dans  le  monde,  qui 
^(  sont  laissé  tourner  à  l'aigre  comme  moi,  en  se  mortifiant 
et  se  torturant  pour  arriver  à  être  comme  le  Christ  et  à  être 
heureux,  qu'ont-ils  obtenu  avec  tout  cela?  (3^  » 

Les  aveux  que  nous  citons  ont  été  écrits  beaucoup  plus 
tard,  vers  i54<>*  <^)n  a  dit  que  Luther,  devenu  mythicpie  pour 
lui-même,  avait  voulu  à  tout  prix  confirmer  par  les  faits  une 
doctrine  (pii  lui  ('lait  chère  (/})  ;  on  a  dit  (pi'il  s'était  trompé  ou 
qu'il  avait  menti  sur  sa  vie  monasti<pie  (.">).  De  récents  travaux, 
qu'il   est   impossible  de   soupçonner   de   |)artialité,  établissent 


I'  O/i.  rxrffcficd  Iddiid,  \l\.  72.  Voir  Sc.iii  lîr,.  Dohitiiitulf  zu  /.nZ/tcrs' 
lùitwickrluni;^,  i»)ii 

'a    Sc.iiKia,.  Ditk.,  19. 

i3).Sc.maa.,  Dnl;.,  77.  (Voir-  <;i«istiam,  LiiHut  (ta  Cain-ful.  lii'vnr  tles  qm-stions 
hisloriiiurs,  i<m3.)  Lnllier  oscille  «Mitre  la  j,'ràce  sar'ranicuti-llc  rt  l'asct-tisnit' 
monastique  il'une  part,  et  rl'aiitre  part  la  miraculciisc  j^ràce  «r«'lt'ction.  Le 
compromis  traditionnel  entre  la  justi<;c  Innnainr  et  la  },'i'àee.  l'idée  de  la  coopé- 
ration de  la  volonté,  est  |ir<''ci.sénient  ce  (|iii  \r.  jette  dans  l'incertilnde.  Il 
doutait  tantôt  de  son  mérite,  t.intiH  de  son  élection.  Slaupilz  le  «lélivre  de  ce 
doute  pai"  la  doctriiu'  niysti«|ue  ;  aliandon  de  la  propre  justice  cl  conlîance 
<lans  la  >rrâce.  (Voir  Thoki.tscii,  Ktiltiir  i/rr  (i('i';i'nnart,  ■.•"]'■• 

l|l  Voir  <;nisTiAxr,  art.  cité 

:.     Cr-t    |:i    Ih.'-e    ,].•    n,M,|,,    /„tli-r    flinl  ,l<ls    I.  ,  Hirrl  H  ni . 


aot>  T-A    UEMOION    ET    \.\    l'OI 

bien  ([lu'  cctlo  violente  inquiétude  a  précédé  et  accompagné 
son  évolution  doiïinaticjue  (i). 

Les  récents  travaux  s'accordent  à  établir  que  cette  évoil 
lion  dogmatique  a  été  lente;  commencée  vers  i5r2,  ce  n'( 
guère  (piau  début  de  loiç)  que  Luther  est  en  possession  de  s< 
thèses  essentielles  et  (ju'il  les  expose  dans  son  commentai! 
suf  \  Epitre  aux  Galates  (2). 

LCxplieation  des  Psaumes   de    ir)ri-i5i5   nous   expose 
bille   contre   les    Observants    et    contre    la    Sainteté    par    le» 
(cuvres;  notre  justice  n'est  que  péché. 

Les  Sermons  de  i5t5-ioiO  exaltent  la  passivité  mysti(|ue, 
Tauler  et  la  «  Theologia  deutsch  ». 

Les  lettres  de  i5i6,  les  Leçons  insistent  sur  l'impuissance 
radicale  de  la  nature,  sur  la  justice  du  Christ  contre  la  propre 
justice.  L'humanisme  n'a  rien  à  voir  avec  Luther;  Aristote  et 
les  {)aïens  n'ont  rien  su  de  la  justice.  11  faut  reveuir  à  saint 
Augustin. 

11  n'y  a  encore  dans  tous  ces  écrits  ([ue  les  signes  avant- 
coureurs  d'une  nouvelle  théologie.  Les  leçons  sur  Y  Epitre  aux 
Romains,  de  i5i5-i5i6,  précisent  tout  cela.  On  y  trouve  la 
justice  impultative.  la  justilication  par  la  Foi  seule  et  le  mépris 
des  œuvres  (3). 

Il    Voir  (Ihisar,  Luther. 

(2)  GiMSAK,  Luther,  t.  I.  —  BinrMKH,  Luther,  i<)i'}-  Selon  Holimer,  yi.  4^, 
entre  i5i2  et  i5i.">  se  forment,  obscures  encore  et  pleines  de  contradictions,  les 
idées  propres  de  Luther  :  le  péché,  la  confiance,  la  certitude  que,  par  la  fol, 
Dieu  donne  à  l'honinic  la  force  du  bien.  La  parole  de  VEpitre  aux  Koinains,  l,  ij, 
avait  déjà  pour  lui  une  signiHcation  particulière.  L'illumination  dont  il  parle 
plus  lard  est  de  i5i2  ou  i.^i3.  Mais  ce  n'est  qu'en  i5i0  fju'il  se  débarrasse  de 
Ja  doctrine  de  la  rcdcuijition  d'Occam;  ce  n'est  rpi'en  i.'nG  qu'il  dépasse  la 
notion  monastique  de  lliumilité,  qu'il  se  rend  conq)tc  que  l'humble  abandon 
au  vouloir  de  Dieu  n'est  pas  encore  assez,  qu'il  faut  encore;  la  corifiauce 
joyeuse  dans  la  ntiséricorde  de  Dieu;  ce  n'est  (pi'à  la  lin  de  ifiiO  iiji7  (]u'il 
ose  rejeter  tous  les  doutes  sur  la  certitude  du  salut;  on  ne  peut  avoir  eonliaac 
en  Dieu  sans  être  sur  de  son  salut. 

i3r  (îKisAH  a  bien  montré,  L  p.  l'iS,  les  différents  facteurs  de  cette  évoh 
tion  :  la  lutte  contre  la  sainteté  par  les  œuvres  ;  l'influence  d'Occam  (négaliv<j 
l'école  d'Occam  ne  fait  pas  à  la  jjràce  une  part  sufiisante;  positive;  la  do< 
trine  de  l'acceptation;  de  son  scepticisme  à  l'égard  de  la  raison,  Occai 
déduit  que  la  réalité  des  choses  n'a  aucune  importance;  leur  valeur  déper 


i.A  KOI  coNKiAN<:i:  207 

I^s  (Uspulos  (le  Witteiihei'p  (i5i(>-i5i7)  sur  rimpiiissaiicf 
tle  l'homino,  do  Heidclhcrf?  sur  la  foi  et  la  ji^ràcc  (i5  avril  loiH). 
(le  WiHciiIxTi^  i5iS,  s(jnl.  selon  l'expression  de  LuIJier  lui- 
nu-me,  le  eoinniencenient  de  la  eaiise  de  lY'vans^ile  :  contre  les 
leuvics,     la   jiisliee    par    la    Foi;    contre   la    crainte   de    Dieu, 

I  aneanlissenient,   la  passixih'   inysti(iue.    le  d(''ses|)oir  de  soi- 
uicine  et   la  conlianee   dans  1  abime  de  la  mis(îricorde  divine. 

A  cette  épocpu',  il  n'y  a  rien  encore  contre  rautorit(3  de 
l^j^lise,  pas  encore  de  principe  d'examen;  c'est  la  querelle  des 
Indulgences  (i-">i7)  ([ui  ainC-ne  ces  (piestions  au  premier  plan. 

II  fut  dirilcile  à  Luther  de  s  adranchir  de  rautoril(î  et  du 
prestiofe  du  pape;  c'est  Cajetan,  en  somme,  qui  l'a  lorc(''  à  tirer 
de  sa  doelrin<'  naissante  toutes  ses  eonsc'quences,  en  lui 
demandant  de  r(îvoquer  deux  thèses  :  l'une  sur  la  n(»gation  du 
trésor  des  mt*rites  de  J(!'sus-Christ  et  des  saints  comme  fonde- 
ment des  indulgences;  l'autre  sur  la  Foi  comme  seul  principe 
de  la  vertu  des  sacrements.  (]ar  la  première  thèse  concernait 
rKglise  comme  (k*p(>l  de   salut,    la    religion    objective,    et  la 


tiniqiiciuent  du  hou  plaisir  île  Dieu.  Lacceplatiou  de  Dieu  peut  reudre  tout 
surnaturel;  et,  d'autre  part,  la  raison  n'a  rien  à  voir  dans  les  choses  de  la 
foi;  eontre  la  scolastique,  la  pliilosoptiio  et  l'autorité  exagérée  dWristote,  le 
retour  à  l'Ecriture;  la  Mystique,  en  partieulier  Tauler  :  la  passivité,  la  nuit 
de  l'ànie.  Luther  rapporte  cette  doctrine  à  ses  angoisses  et  y  puise  l'espoir  <le 
la  i)aix  futurei.  La  i)reinière  citation  de  Tauler  est  dans  le  comuientaire  sur 
l'h'/iifiv  aux  Hornaiim  de  i5i.">.  —  BouMKit,  Liilher,  p.  42  et  suiv.,  a  bien 
montré  que  la  tliéologie  «  moderne  »,  Occaui.  Pierre  d'.Villy,  etc..  (doctrine  «ii- 
la  puissance  de  la  volonté  humaine  et  de  l'arbitraire  absolu  de  la  volonté 
divine  .  la  doctrine  de  la  pénitence  de  Biel.  la  doctrine  monastique- de  l'hu- 
mililc  et  de  l'ainour  ont  contribué  à  précipiter  Luther  dans  ses  doutes  et  ses 
tourments  de  conscience.  Il  montre  bien  l'inlluence  d'tjccam  1  doctrine  de 
la  llc\élation  comme  sonnne  de  vérités  contraires  à  la  raison,  docliinc  de 
LKncliaristie,  doctrine  de  racceptation)  ;  rinfluence  de  saint  Au;;ustin  et  de 
la  Mystique  du  pseudo  Aréiqtagite  :  l'essai  de  mysticisme  de  Luther  est 
arrêté  par  la  ilodrine  dOccam.  lincapacilé  de  la  raison  humaine  à  sonder 
l'essence  ilivine.  Néanmoins  ce  commerce  avec  la  Mystique  l'aide  à  s'allran- 
chir  d'tJccam.  (^>uant  à  'i'auler,  Luther  dit  nettement  ce  qui  l'a  sé<luit  dans  sa 
doctrine,  dans  le  passa^'e  du  commentaire  sur  VEpi'trt^  aiLV  iiornains  où  il  le 
cite,  dans  les  Ilcsoltitions  de  la  quinxième  des  <p  thèses,  dans  les  notes  de 
son  exemplaire  de»  sermons  de  Tauler.  La  doctrine  du  la  nuit  mvsti(|ue,  la 
peinture  de  la  détresse,  de  l'inquiétude,  du  dësesp«)ir  (|ui  précèdent  la  nou- 
velle naissance,  signes  de  l'abandon  inconditionnel  à  Dieu,  l'ont  airermi  dans 
la  certitude  de  son  salut. 


2o8  LA    RELIGION    ET   LA    FOI 

secoiulc,  la  Foi,  comme  principe  de  rassimilalion  du  salut:  el 
Luther,  en  face  de  ces  questions,  était  contraint  denier  rK2:lise 
et  d'insister  sur  ralfirination  de  la  Foi. 

C'est  alors  (jue  l'autorité  de  l'Kglise  s'éhranle,  que  l'auto-; 
lité  de  l'Ecriture  est  proclamée.  La  dispute  de  Leipzig  (loit)) 
inau2:ura  une  nouvelle  attitude. 

Avant  i5i7,  Luther  a  bien  formé  la  notion  de  la  justification 
extérieure,  mais  sans  la  certitude  du  salut  personnel.  La  foi  est 
encore  mal  définie;  c'est  tantôt  Tassentiment  de  l'esprit  aux 
paroles  du  Christ,  tantôt  l'espoir  en  la  miséricorde  divine, 
espoir  qui  est  d'abord  désespoir  de  soi-même  :  «  Seigneur,  tu 
es  ma  justice  et  je  suis  ton  péché  »  {Lettre  à  Spenlein,  i5i6); 
résignation  à  la  volonté  de  Dieu,  même  si  elle  condanme, 
désespoir  salutaire^  comme  il  écrira  plus  tard  (i). 

Ainsi  une  inquiétude  profonde,  la  peine  d'une  âme  qui.  en 
présence  du  Dieu  irrité  et  devant  lequel  il  n'y  a  pas  de  conso- 
lation, ne  peut  croire  à  sa  délivrance  et  ne  voit  pas  de  fin  à  sa 
peine,  tâtonne  à  travers  des  doctrines,  impuissance  radicale  de 
la  nature,  négation  de  la  valeur  des  œuvres  qui  ne  consolent 
pas,  justification  extérieure  qui  ne  change  pas  le  fond  de  la 
nature  et  qui  sauve  pourtant,  abandon  désespéré  à  Dieu,  jus- 
qu'au moment  où,  vers  la  fin  de  1617,  la  solution  surgit  commei 
une  illumination  brusque,  sous  la  forme  de  la  foi  fiduciale.  Le' 
mot  de  saint  Paul  :  «  Le  juste  vit  de  la  Foi  »  dissipe  son 
inquiétude  et  le  met  en  possession  de  la  doctrine  qui  le 
sauve  (2).  Il  en  rapporte  la  pleine  intelligence  à  une  inspi-, 
ration. 


Il  De  Servo  arhitrio,  1025,  719. 
(2)  La  formule  de  cette  doctrine  apparaît  dans  la  deuxième  leçon  sur  les 
Psaumes  ii5iK'.  Voir  aussi  Serrno  de  triplici  judtitia  (i5i8j  et  De du/tlici  Juslitia 
'début  i."»i9l.  —  11  y  a  donc  cliez  Luther  :  1°  l'inquiétude  du  salut;  2°  le 
malaise  croissant  de  la  solution  insulïisante  (le  cloître);  3°  la  solution  par  la 
confiance,  qui  réussit  à  faire  vivre  ensemble  les  éléments  incompatibles  : 
coexistence  du  péché  invincible  et  de  la  f^ràce  toute  puissante  dans  \f  même 
homme;  effroi  transpercé  de  confiance.  (Voir  Cristiam,  Du  liithcranisme  au 
protestantisme.) 


l.A    KOI    COM'IANCK  209 

Voici  les  principaux  caraclcics  de  la  Foi,  telle  (jiic  Liithor 
l'entendra  désormais  : 

1°  Lu  foi  est  contre  les  (envies  cl  la  justice  personnelle, 
contre  l'assurance  en  soi-même.  La  foi  est  don  de  Dieu  ; 

2°  La  foi  est  Tinslrument  de  la  jnstilication,  le  moyen  de 
s'approprier  la  jnslifiealion  e\trinsè(pie  : 

3"  La  loi  esl  e\[)éi'ience.  Sapicnlla  cxpc/LineiiialLs,  par  oppo- 
sition à  Sapientia  doctrinalls.  C'est  la  confiance  en  Dieu  par 
opposition  à  la  croyance;  c'est  le  sentiment  qui,  dans  la  con- 
science, fait  sentir  le  Christ  lui-même,  fait  éprouver  que  telle  chose 
est  la  pai'ole  de  Dieu  et  fait  adhérer  à  Dieu  du  fond  du  cœur(i). 

Donc,  si  l'élément  confiance,  adhésion  de  toute  l'àme  (2), 
est  particulièrement  marqué  par  Luther  par  o[)position  avec 
l'élément  croyance  intellectuelle  (3),  pourtant  cette  confiance 
s'appli([ue  nettement  à  un  ohjet  précis,  Dieu  ou  le  Christ.  La 
foi  n'est  pas  l'ohéissance  intellectuelle  à  des  dogmes,  à  cause 
de  l'autorité  de  Dieu  qui  les  révèle;  elle  n'est  pas  l'obéissance 
intellectuelle  à  Dieu.  Mais  elle  est  le  sentiment  intérieur  de  la 
parole  de  Dieu,  le  sentiment  intérieur  que  le  Christ  est  pré- 
sent sous  la  parole  et  la  doctrine.  Elle  est  une  espèce  de  sens 
intérieur  ([ui  discerne  le  divin,  le  témoignage  intérieur  de 
l*Esj)rit  (/|).  La  preuve  de  l'inspiration  repose  sur  elle-même, 


II;  Vonbeiderlci  Geslall  des  Salcrainents,  lôaa. 

(a;  nuclqucs  liislorifiis  rapprochent  la  foi  liduciale,  telle  que  la  décrit 
Luther,  de  certaines  expériences  mystiques,  par  exemple  de  la  connaissance 
expérimentale  de  Dieu,  telle  que  la  décrit  Gerson.  Dans  celte  contemplation 
affective,  la  connaissance  prccède-telle  rami>ur  ou  le  suit-elle?  Gerson  et 
<(Uelqiies  franciscains,  Alvarez  de  Paz,  Oviedo  soutiennent  contre  les 
Ihomislfs  Suarez,  Vaquez  cpie  la  connaissance  est  sul)sé<|uente  à  l'étal 
affcctir.  f:'est  sur  ce  modèle  <jue  Luther  aur;ut  cahjué  sa  théorie  de  la  foi 
fiduciah',  0>i:niti<>  cxiicriinrntalis.  (Voir  Uirlioniuiirc  de  Thétdofjie  catholique, 
art.  Dieu;  *'t  \iin  STiinNUKnr.nE,  Autour  d'une  coiitnn-erse  mystifiiie.) 

(3)«  Dass  zweicrlei  Weis  «rlaulU  wird  ;  zum  ersten  von  Gt>tt,  das  ist,  wenn 
ich  glanbe,  dass  wahr  sei,  was  man  von  Golt  sa  :t  ;  j^lcich  als  wenn  ich 
gflaube,  dass  wahr  sei,  was  man  von  Tiirkcn.  Teufel,  Hidl  sajjt;  dieser 
Glauhe  ist  nielir  eine  Wissenschaft  odcr  Mcrkunp,  dann  ein  Glaube.  »  (Kd. 
d'Erlan^ren.  XXII,  p.  i.",;. 

(4l  <>  Du  musst  liei  dir  selLsl  im  Gewisscii  fiiliien  Ghristuni  sclhsl  nnd 
unweglich  emplinden,  dass  es  Gottes  Worl  sei.  wenn  auch  aile  Wclt  <la\\  ider 
siritle.  So  lang<-  du  das  Fiililen  nicht  hast,  so  lan^e  liast  du  {,'ewisslicii  Gottes 

n 


aïO  LA    RELIGION    ET    LA    FOI 


sur  sa  propre  évidiMui'.  en  doliors  du  secours  do  la  science  cl 
«lu  recours  à  Tl^i^lise.  Mais  jus([u"à  un  certain  point  la  loi 
reçoit  ses  objets. 

4"  La  loi  est  croyance  ;  elle  a  un  caractère  positif;  elle  porte 
sur  l'ensemble  des  dopâmes,  {garantis  par  le  sentiment  (i).  La 
croyance  ne  va  pas  sans  la  confiance.  Le  sentiment  jusqu'à  un 
certain  point  domine  le  dogme.  Du  principe  luthérien  de  la  Toi 
suit  la  réduction  du  doiçme.  Luther  ne  garde  de  la  dogmatique 
catholique  que  cela  seul  qui  est  objet  de  foi  et  de  confiance  :  Dieu 
saint  qui  pardonne  les  péchés,  la  grâce  qui  élève,  et  aussi  ce  qui 
peut  certifier  le  salut  au  pécheur,  la  révélation,  l'Incarnation  (2). 
Lee  objets  de  la  croyance  sont  les  principes  de  la  confiance,  jus- 
qu'à un  certain  point  par  conséquent  la  foi  se  donne  ses  objets. 

5°  L'assurance  ài\  salut.  Il  est  nécessaire  de  croire  de  foi 
certaine  que  l  on  est  justifié  et  de  ne  douter  aucunement  que 
l'on  a  la  grâce;  car  douter  et  être  incertain,  c'est  n'être  point 
justifié  et  rejeter  la  grâce.  Sans  doute  la  certitude  du  salut 
coûte  beaucoup  de  ptùne  :  (Jaiisa  justification is  lubrica  est.  Si 
l'on  a  des  doutes  il  faut  se  rappeler  que  la  faute  est  indéraci- 
nable et  qu'on  est  justifié  malgré  elle  ;  il  faut  lutter,  se  dire  (pie 
l'on  est  agréable  à  Dieu,  malgré  ses  péchés  dire  à  la  loi  :  Non, 
je  n'ai  pas  de  péché.  Cela  coûte  de  la  sueur.  Christ  est  sûr  de 
plaire  à  Dieu  ;  nous  devons  le  croire  aussi,  |)arce  que  nous  avons 
lespril  du  Christ. 

6' L'activité  de  la  foi.  La  foi  engendre  l'amour  et  les  œuvres  ; 
mais  les  œuvres  ne  constituent  pas  des  mérites.  Elles  exaltent 
la  confiance:  elles  sont  le  signe  et  le  sceau  que  la  foi  (;st  pré- 
sente. Klles  servent  à  autrui. 


Wort  noch  niclilgeschmcckt  iiiid  liangest  nocli  mit  den  Ohren  an  Menschen 
Mund  oder  P'eder  iind  niclit  mil  des  Ilerzens  Griind  an  Wort.  »  [Von  beixlerlei 
fiestalt  des  Sakraiaenla,  i522.) 

fi)  «  Glaubefi  heissl  cigontlifli  das  fiir  wahr  halten  und  sicti  von  ganzcm 
Herzen  darauf  erwegen,  so  das  Evangeliura  von  Christo  sagt  iind  aile  Artikel 
des  Glaubfn.s.  »    Ed.  d'Erlangcn,  \II-,  221.) 

(a)  Troltsch.  o.  c  ',39- 


i.v  loi  CDM  lAXci;  an 


* 


C/ost  doiK'  c'oiilro  lo  faiihHiie  de  la  justice  propre,  —  action 
ou  raison.  —  ([ue  se  révolte  Luther.  La  loi  témoigne  contre  nous  : 
elle  nous  fait  sentir  notre  impuissance;  elle  fait  éclater  en  nous 
le  sentiment  de  la  faute.  Impuissance,  voilà  l'homme,  Mystère 
et  Grâce,  voilà  la  réponse  de  Dieu,  confiance,  voilà  le  lien. 

La  violente  antithèse  :  Péché-Confiance,  domine  toute  l'àme 
de  Luther  :  «  Pèche  fortement,  mais  confie-toi  et  réjouis-toi  plus 
fortement  dans  le  Christ  (i).  »  Il  n'est  point  de  ces  Mystiques 
chez  (jui  la  grâce  fond  la  nature.  Il  sait  qu'il  est  sauvé  en  sachant 
<|u'il  est  le  même.  Une  sincérité,  une  lucidité,  une  humilité  pro- 
fonde ;  et  en  même  temps  la  virtuosité  intellectuelle,  i[m  résout 
l'angoisse  du  salut  par  l'appropriation  des  mérites  du  Christ. 

Va  tout  cela,  vécu  pour  soi  d'abord,  pour  la  chrétienté 
ensuite.  L'àme  de  Luther  oii  se  jonc  le  salut,  est  assez  grande 
pour  former  l'àme  de  la  chrétienté  nouvelle.  Le  vif  sentiment 
de  sa  mission  l'anime,  depuis  l'époque  de  sa  révélation.  Bien 
des  révélations  lui  sont  faites  (2)  :  il  est  un  sage  pour  autrui. 

Un  sage  violent  et  fanatique  ;  un  révélateur  exalté.  Ame 
tumultueuse  et  violente,  il  a,  sous  sa  simplicité  et  son  bon  sens, 
<les  mouvements  tourmentés.  Il  connaît  les  maladies  si)iri- 
tuelles,  et  avant  tout  la  grande  oscillation  cyclothymique.  Dieu 
et  le  Diable,  le  salul  et  la  damnation,  la  foi  ardente  et  le  doute 
(le  la  mission. 


* 
*   * 


Comme  la  bien  dit  Andler  (3),  le  Moyen  Age  est  dominé  par 
la  grande  illumination  mystique  et  la  grande  illumination  ralion- 
uelle. 


'i)  Lettre  à  Melanchton.  i"'  aoùl  i.")2i.  (Endcrs,  III,  207. 

(2)  dniSAit,  II,  57. 

(3)  Revue  de  Meta..  ujiS. 


LA    HELIC.ION    KT    \.\    KOI 


Avec  Luther  la  vie  religieuse  quille  le  plan  de  i'émotivilc 
extatique  et  de  la  raison  spéeulative.  Elle  est  toute  transportée 
dans  le  vouloir  el  dans  le  sentiment.  Elle  a,  de  plus,  quelque 
chose  de  populaire.  Plus  d'aristocratie  mystique  ou  intellec- 
tuelle ;  «  des  qualités  plébéiennes  de  lidélilé,  de  soumission  à 
l'invisible  chef  (i)  ». 

L'essentiel  de  cette  relig:iosité  réformatrice,  ce  n'est  pas  la 
doctrine  de  la  justification  par  la  foi,  déjà  soutenue  par 
d'autres  ;  ni  le  retour  à  IKcrilurc,  qu'Erasme  avait  affirmé,  lui 
aussi,  sans  aboutir  à  la  réformalion.  C'est,  d'une  pari,  l'affir- 
mation de  la  vie  et  de  la  volonté  contre  l'intelleetualisme  et  la 
réflexion  dogmatique  ;  connaître  le  Christ,  c'est  connaître  ses 
bienfaits  el  non  ses  deux  natures^  d'aulre  part,  l'afllrmalion 
de  la  personne  et  de*  sa  valeur  ;  l'émancipation  de  la  hiérarchie 
et  de  la  discipline.  Enfin,  l'organisation  de  l'activité  de  la  foi, 
dans  la  Société  civile. 

Pur  de  tout  vestige  de  matérialisme  religieux,  die  technique 
sacerdotale  et  d'inlellectualisme,  l'acte  suprême  de  la  con- 
science n'a  besoin  ni  du  sacrement,  ni  de  la  pensée,  ni  de 
l'extase,  mais  de  la  seule  foi  qui  jaillit  du  cœur.  Libérée  du 
mysticisme  sacramentaire  et  contemplatif,  de  l'ascétisme  et  de 
l'autorité  de  l'Eglise,  «  l'âme  a  soif  de  Dieu,  du  Dieu  vivant  ». 
Confiance  vivante  cl  hardie  en  la  grâce,  confiance  et  certitude 
de  la  grâce  divine  :  faute  el  grâce;  orientation  confiante  de  la 
volonté,  énergie  active,  apte  à  s'épanouir  dans  la  vie  religieuse 
et  dans  le  monde  ;  religion  bien  plutôt  que  métaphysique  (2). 

Mais  ce  fait  primitif,  ce  subjeclivisme  remonte  à  ses 
conditions.  La  justification  n'a  de  valeur  qu'autant  que  ses 
conditions  dogmatiques  en  ont.  Une  œuvre  de  salut  accomplie 


I 


(il  Andleh,  //>tV/.  (Voir aussi Diltmey, 56/.  «DcimichiiiiJchlc  Gott  nichl  trauen, 
wennicli  niclit  {jedachle,  er  ^^oIlc  niir  giiastig- und  hold  sein,  dadurch  ich  ihm 
wieder  Lold  und  heweget  werde.  ihm  hcrzlich  zu  Irauea  »,  cité  par  Di'.they, 
ibid. 

(2  Chez  un  Zwingle  plus  humaniste  que  Lutlicr,  la  corruption  de  la  nature 
humaine  sera  moins  accentuée.  La  conception  de  la  foi  est  plus  paisible. 


I.\     1  OI    CONl'lANCR  .>.l3 

une  l'ois  pour  toutes  au  couis  de  l'histoire,  est  la  condition 
objective  de  la  foi  '  i).  L'Keriture  s'engoulIVe  dans  la  vie  intime. 
La  théologie  s'airranchit  des  spéculations  scolastiqucs  pour 
prendre  appin  sur  rexpérience,  mais  aussi  sur  la  littérature 
(  hrétienne.  La  foi  redevient  soumission  à  la  lettre  de  l'Kcriture. 
lue  nouvelle  théologie  naîtra  de  la  loi  et  de  l'Kcriturc. 


* 
*     * 


Poui-  Calvin,  la  loi  c'est  l'illumination  du  cœur,  l'Esprit 
lui-même  :  «  Le  même  Esprit  ([ui  a  parlé  par  la  bouche  des 
prophètes  entre  dans  nos  cœurs  et  les  touche  au  vif  pour  les 
persuader  que  les  prophètes  ont  fidèlement  mis  en  avant  ce 
<iui  leur  était  commandé  d'en  haut.  » 

"  Nous  sentons  là  une  expresse  vertu  de  la  divinité  montrer 
sa  vigueur  par  laquelle  nous  sommes  attirés  et  enflammés  à 
obéir  sciemment  et  volontairement,  » 

Cette  illumination  du  cœur  est  juscju'à  un  certain  point  le 
pendant  de  la  Raison  illuminée  des  Pères,  Elle  est  la  lumière 
(|iii  distingue  la  vérité  :  «  Nous  connaissons  la  vérité  des  Livres 
Saints  directement,  «  sans  arguments  »,  par  «  sentiment  », 
coinnic  nous  distinguons  «  le  blanc  du  noir  »,  le  doux  de 
lamer.  » 

Calvin  combat  vivement  la  loi  implicite  :  «  Est-ce  là  croire, 
de  ne  rien  entendre  moyennant  qu'on  soumette  son  sens  à 
l'Eglise?  •)    La  foi  git  en  la  connaissance  de  Dieu  et  <hi  Christ, 


(  i)  I/inléi-rl  rfli<^ieux  oscille  entre  le  draine  ('osiiu(|ue  et  la  scène  intime, 
i;i|)|>orl  personnel  avec  !<'  Christ  et  le  Dieu  Père).  Schkhkh,  o.  c,  170,  leru 
1 1  niar<jnir,  avec  profondeur,  (juc  la  doctrine  rélornice  de  la  Rcdeniptiou  ne 
lait  (pie  transposer  la  notion  de  Sacrement,  iVO/itis  Operativn.  lin  salut 
objectif  et  surnaturel  est  nécessairement  un  salut  «'xtérieur  et  majfique.  La 
■-atislaction  olFcrte  par  Jcsus-Christ,  la  jiistillcation  antérieure  à  tout  clian^e- 
m<nt  lie  cœur  ne  sont  pas  des  actes  moins  extérieurs  que  le  sacrement. 
1.  l'OVt  attribué  au  sani;  ilu  (llirist  n'est  pas  moins  ina^ii[uc  que  la  vertu 
allaciiée  à  l'eau  baptismale. 


L 


non  pas  en  la  révérence  de  l'Eglise  «...  cette  lourde  ip:norance 
en  laciuelle  croupissent  et  sont  endormis  ceux  qui  se  contentent 
de  la  foi  implicite  »  ;  et  aussi  vigoureusement  la  foi  histori(iue 
des  Sorboniques.  Un  simple  assentiment  sans  crainte  de  Dieu 
ou  sentiment  de  piété  n'est  pas  foi.  Les  théologiens  sorbo- 
niques ont  couvert  Jésus-CUirist  d'un  voile.  Ils  ne  conçoivent 
par  la  foi  (pi'une  volonté  de  s'accorder  à  riiisloire  de  l'Evangile, 
l  ne  telle  opinion,  même  persuasion,  ne  suffit  pas. 

Certes  la  foi  est  inséparable  de  la  doctrine  de  l'Evangile. 
Sinon  elle  est  crédulité  incertaine,  erreur  vaguant  ça  et  là.  La 
foi  est  une  connaissance  de  la  volonté  de  Dieu  prise  de  sa 
parole.  Le  fondement  d'icelle  est  la  persuasion  qu'on  a  de  la 
vérité  de  Dieu.  Ainsi  la  foi  est  une  connaissance  qui  s'achève 
en  assentiment  du  cœur  «  ferme  et  certaine  connaissance  de  la 
bonne  volonté  de  Dieu  envers  nous,  laquelle  étant  fondée  sur 
la  promesse  gratuite  donnée  en  Jésus-Christ  est  révélée  à  notre 
entendement  et  scellée  en  notre  cœur  par  le  saint  Esprit  »  . 

La  connaissance  que  la  foi  implique  est  inséparable  de 
l'assentiment  du  cœ'ur.  Le  commencement  de  croire  contient 
en  soi  la  réconciliation,  par  laquelle  l'homme  a  accès  à  Dieu. 
L'assentiment  que  nous  donnons  à  Dieu  est  au  cœur  plutôt 
qu'au  cerveau  et  d'afi'ection  plutôt  que  d'intelligence.  Christ 
ne  peut  être  connu  sans  la  sanctification  de  son  esprit  ;  il 
s'ensuit  que  la  foi  ne  doit  être  nullement  séparée  de  «  bonne 
affection  ».  Le  fondement  de  la  foi  c'est  la  promesse  gratuite. 
Le  point  principal  de  la  foi  est  que  nous  ne  pensions  pas 
qu'elle  est  seulement  vraie  hors  de  nous  et  non  pas  en 
nous  ;  mais  en  la  recevant  en  notre  cœur,  nous  la  faisons 
nôtre. 

Ainsi  la  foi  dépasse  toute  intelligence.  Il  faut  que  l'esprit 
monte  par-dessus  soi  pour  y  atteindre.  Et  même  y  étant 
parvenu,  il  ne  comprend  pas  ce  qu'il  entend  ;  mais  ayant  pour 
certain  ce  qu'il  ne  peut  comprendre,  il  entend  plus  par  la  cer- 
titude de  cette  persuasion,  que  s'il  comprenait  quelque  chose 


I, A     I  OI    CONKlANCi:  215 

Iiuniainc  selon  sa  capacité.  Les  clioses  que  nous  connaissons 
par  foi  nous  sont  absentes  et  cachées  à  notre  vue. 

La  foi  est  (^cililiide,  ceililude  pleine  et  airèlée.  (jni  nicl 
hors  de  doute  la  bonté  de  Dieu  comme  elle  nous  est  proposée. 
Kl  celte  certitude  est  certitude  du  salut.  Cerlilude  qui  peut  être 
touchée  de  doutes,  sécurité  (|ui  peut  être  assaillie  de  sollicitude  : 
il  ne  s'ensuit  pas  que  nous  soyons  séparés  de  la  foi.  Tous  les 
doutes  dont  l'ànie  lidèle  est  tourmentée  tournent  en  plus 
jrrandc  cerlilude  de  celte  confiance.  Frayeur  et  Foi  peuvent 
habiter  en  une  mèmcàme  :  contre  les  demi-papistes  qui  mettent 
tellement  la  conscience  entre  espérance  et  crainte,  que  main- 
tenant elle  incline  à  lun,  maintenant  à  l'autre. 

La  foi  a[)porte  nouveauté  de  vie  et  réconciliation  jçratuile. 

La  foi  est  illumination  du  saint  Esprit.  L'entendement  de 
1  homme  est  illuminé  pour  entendre  la  vérité;  ])uis  après,  son 
cœur  est  en  elle  fortilié.  Or,  il  y  a  plus  de  défiance  au  cœur 
(|u<'  d'aveufîlement  en  l'esprit,  et  il  est  plus  difficile  de  donner 
assurance  au  cœur  que  d'instruire  l'entendement. 


* 
*     * 


\  incl  cnseijïne,  cl  ceci  résume  assez  bien  tout  ce  qui 
précède  :  ressence  de  la  foi  qui  sauve,  c'est-à-dire  qui  unit  à 
Dieu,  ne  consiste  pas  dans  la  certitude  de  tels  ou  tels  f;iits 
extérieurs.  La  foi  s'acconq)lit  dans  la  volonté  d'acceplei-  le 
pardon  de  Dieu  et  de  renoncer  à  la  recherche  de  tous  les  autres 
moyens  de  salut.  De  cette  première  donnée  découle  la  seconde  : 
Dieu  (jui  a  mis  dans  le  c(eur  de  l'homme  d'abdiquei' sa  j)ropre 
justice,  met  en  lui  celte  féconde  cerlilude  cpi'il  le  revêt  de  sa 
justice. 

(l'est  le  ((cur  qui  connaît  Dieu.  Le  Dieu  de  la  métaphysi(pie 
n'est  qu  un  agrégat  de  propriétés  al)straites.  Il  ne  se  rélléchil 
vivant  et  substantiel  (jue  dans  l'ànu'.  qui  seule  connaît  Dieu. 


2i(>  i.A.  iiDLKiioN   i:r  I.V   loi 

Une  vie  lri)p  inlcllccliielle  eiuloit  ce  sous  de  Dieu.  Sans 
les  préoceiipations  tyraiiniqiies  de  rintellip^ence  ou  des  sens, 
iàme  croirait  nahirellenienl  au  Dieu  vivant.  ()^uaud  la  loi 
n'est  pas  un  acte  si  simple  qu'on  ne  peut  le  décomposer,  elle 
n'est  pas  la  foi.  La  plus  jurande  certitude  obtenue  sur  les 
sujets  reli,u:ieu\  par  la  pensée  est  si  peu  la  foi  que,  chez  cer- 
tains honunes,  elle  ressemble  à  l'incertitude  ou  du  moins 
laisse  subsister  à  côté  d'elle  l'incrédulité  (i). 

Ce  n'est  pas  assez  de  connaître  par  révélation  les  deux 
grandes  vérités  du  (Ihrislianisme,  la  sainteté  de  Dieu  et  sa 
miséricorde,  la  condanmation  et  le  salut;  il  faut  les  avoir 
expérimentées  :  «  Je  crois  qu'il  faut  avoir  senti  peser  sur  soi 
la  condamnation  pour  apprécier  la  grâce.  Il  n'y  a  que  l'expé- 
rience intime  et  le  'sentiment  profond  de  notre  condamnation 
qui  puisse  nous  inspirer,  à  l'égard  de  Jésus-Christ,  une  recon- 
naissance proportionnée  à  son  bienfait  (2).   > 

Et  lorsque  Vinet  adhérera  au  Réveil,  il  entendra  faire  voir 
dans  les  aspérités,  même  les  plus  repoussantes  de  sa  dogma- 
tique, dans  ses  singularités  les  plus  étranges,  les  moyens  du 
changement  surnaturel  qu"'clle  opère  chez  ceux  qui  la  reçoivent 
en  sincérité  de  cœur,  et,  par  là  même,  les  preuves  de  sa  divi- 
nité. 


La  dillerence  entre  la  Foi  croyance  des  théologiens  catho- 
liques et  la  Foi  contiancc  des  réformateurs  a  été  souvent  for- 
mulée de  la  manière  suivante  :  ' 


(i)  Lettres,  II,  88;  128. 

(2)  Lettres,  I,  290.  Jf  n'cnlcnds  nullement  ramener  Vinet  à  Calvin  ou 
à  Luther;  je  cite  seulement  quelques  passages  propres  à  éclairer  la  question 
présente.  Je  sais  fort  bien  qu'il  y  a  chez  lui,  au  moins  à  une  certaine  période, 
un  certain  optimisme  moral,  un  certain  sens  de  la  valeur  de  l'àme  naturelle, 
qui  n'est  jioint  calviniste.  D'autre  part,  son  adhésion  au  Réveil  ne  représente 
qu'un  moment  de  sa  vie  et  un  aspect  de  sa  personnalité  religieuse. 


I.A    KOI    (^OMI  VNCK  -i  I  7 

La  Coi  callioli<ni('  est  avant  tout  croyance.  doinuK'  telle  les 
Ihéolojficiis  l'appellent  foi  inl'oinie  ou  toi  morte  et  la  distin- 
muMil  de  la  foi  vive  ou  foi  formée  par  la  charité,  c'est-à-dire 
(le  la  loi  accompagnée  de  charité  et  d'amour.  Kn  elle-même, 
la  foi  n'est  qu'une  vertu  lumière,  (pii  dirige,  qui  excilc  toute 
vertu  amour;  par  exemple,  le  chrétien  aspire  au  ciel  par  l'espc- 
rance  :  mais  c'est  la  foi  qui  lui  montre,  le  ciel.  La  foi  est 
donc,  à  l'égard  des  autres  vertus,  causa  disponens  et  non  porfi- 
ricns  et  elle  ne  fait  que  montrer  à  chacune  son  motif  spécial. 
Voilà  pour((uoi  elle  ne  jusiide  i)as,  tout  en  élant  le  fondement 
et  la  racine  de  toute  justification;  voilà  pourquoi  elle  peut 
coexister  avec  le  péché.  La  foi  qui  justifie  est  la  foi  formée. 

Ainsi  la  théologie  catholique  distingue  l'assentiment  de 
l'esprit  —  ([ue  nous  avons  précédemment  étudié  —  et  le  chan- 
gement d'âme  déterminé  par  cet  assentiment. 

Les  réformateurs  rejettent  la  foi  morte,  la  foi  inefficace. 
Puisque  la  foi  est  l'œuvre  de  Dieu  seul,  elle  ne  peut  être  inef- 
ficace ;  la  foi  inefficace  n'est  qu'une  vaine  apparence,  un  sem- 
blant de  foi  (i).  L'essence  de  la  foi,  c'est  le  don  de  soi. 

La  foi  jusiilianh'  ne  s<'  sépare  pas  de  l'amour  (2). 


(i)  Dans  son  comiucntaire  sur  lE/n'trc  aux  Koiiuiiiui  (Ficker,  II,  14I,  LuIIut 
écrit  :  Fides  informis  non  est  fides,  sed  polins  ohjectnni  Jîdci.  Non  enim  credo 
quod  quis  fuir  inforini  possit  credere,  sed  hoc  fiotcst  bene  videre,  (ftix  sinl  cre- 
drndii.  et  ita  siispensus  nianrre.  Dans  le  cniiinientairo  de  i.">i()  de  X'Epilre  ntix 
< Kildics,  V,  (),  il  iKiniiiio  la  (ides  aci/uù-ila  de  uirMue  que  \ a  fides  sine  chtiritale 
fides  fictn,  «  et  il  se  demande  comment  nn  don  de  Dieu  infns  dans  l'âme 
|i;ir  l'Ksprit  Saint,  peut  coexister  avec  le  péché. 

j  I.ulhcr  écrit  à  Kf,'ranus  :  Fidern  esjo  juslificantenia  charilate  non  se/iaro; 
iruo  ideo  créditai-,  t/uia  placet  et  dilii^itur  is  in  (/iieni  creililiir.  A  prendre  le  mot 
charité  au  sens  strictement  lhéoloj,M((uc.  l'assertion  nest  pas  exacte,  et  c'est 
pourquoi  dans  le  texte  nous  av(»ns  «midoyé  le  mol  .Vmour.  Les  théoloijien.s 
montrent,  en  elTtît.  que  la  foi  qui  jiislilie  n'est  pas  la  (ides  cnritatc  forwntn.  La 
justilication  a  lieu  en  eWcX  fide  soin  et  non  operihus.  Xulla  opéra  Jnslificant..., 
sed  soin  Jides,  Juslijicafns  auleni  facit  opéra.  Kn  elTet,  si  c'est  la  charité  qui 
justilie,  ce  n'est  pas  la  loi.  Luther  rejette  la  charifé  comme  habitns,  nuaWasi 
creala  et  inhaerens  par  Lujuelli-  l'iiommi-  aime  Dieu  de  tout  son  cœur, 
parce  qu'il  tient  pour  impossilde  iei-has  cet  amour  absolu.  I.nfher  voyait 
dans  la  justilication  par  la  charité  une  atteinte  à  l'absolue  tcraluilé  de  la 
justilication.  (Voir  A.-V.  Mëi.i.KH,  l.nihers  lheoloij;isclie  Quellen,  \\)V2,  p.  i^y  et 
suiv.;  ibixl.  —  (Voir  Moulrh,  I,  iS'i\ . 


■2l>^  LA    nKLir.ION    ET    I.A    l-OI 

Mais.  (l'aulro  part,  l'anioiir  ii't'sl  pas  aveusîlo;  il  s'adresse 
à  Mil  objet  pi'écis.  (l'est  pourquoi  dans  la  suite  les  tliéolo- 
i;iens  protestants  oui  dit  que  la  Foi  eonfiance  est  l'unité  de 
la  eroyanee  et  de  l'amour  :  ohjeetaul  à  la  doctrine  catho- 
lique qu'elle  sé])are  la  eroyanee  et  l'amour,  qu'elle  en  fait 
deux  actes  distincts,  dont  l'un  s'appelle  Foi  et  l'autre  Gha- 
ritc  (II. 

Le  rapport  de  la  contiance  à  la  croyance  a  toujours  été  une 
(|uestion  end)arrassante  pour  les  réformateurs.  Nous  avons  vu 
la  solution  de  Luther.  Melanchton  oppose  la  foi  comme  cordis 
(i^ectiis,  .sensiis  miser icord lue  Del  in  corde  à  la  foi  historique 
des  scolastiques  y'/'i^-iV/a  o/)mio,  notltia  historiae.  Mais  quelque 
chose  de  celte  notitia  est  inhérent  à  la  foi.  Fides  est  non  tantuni 
n(ditia  in  intcllrctii,  sed  etiain  Jîdiicia  in  voliintate. 

L'assenlimenl,  d'après  ses  analyses,  se  trouve  souvent  pré- 
céder la  confiance,  et  comme  il  doit  reposer,  en  fin  de  compte,  ou 
bien  sur  une  démonstration  logique,  ou  bien  sur  l'autorité  exté- 
rieure de  l'Kcriture,  ou  bien  sur  l'inspiration  intérieure,  on 
conçoit  que  le  protestantisme  se  soit  séparé  entre  des  ten- 
dances diverses,  dont  l'une  va  à  l'expérience  immédiate,  au 
tidéisme  sentimental,  et  l'aiilrc  vers   une  orthodoxie   de  type 


I  Hauh,  111,  201.  A  quoi  Molilcr  répond  :  i"  Ouc  lou.s  les  théologiens 
lidèles  à  Luther,  de  Chemnitz  jusqu'à  nos  jours,  dislinj^uent  également  et 
écrivent  Jides  est  notitia,  asseasus  cl  Jiduiiu;  w  que  la  loi  instrumentale,  la 
conliance.  naît  de  l'amour,  don  de  la  eharilé,  qui  à  son  tour  se  développe  et 
se  vivifie,  appuyée  sur  la  conliance.  Eu  elFet,  l'idée  d'un  Dieu  bon  suppose 
en  nous  lamour;  l'amour  seul  conçoit  Dieu  comme  bon,  cl  le  mouvement  de 
conliance  vers  Dieu  est  amour.  Hossiet  (Projet  de  réunion  entre  les  calho- 
liqueset  les  protestants  d'Alteniagne,,  elierchant  à  concilier  catholiques  et  pro- 
teslantssur  lellicace  de  la  foi  justifiante  l'a  bien  montré  la  structure  complexe  de 
la  foi  dans  les  deux  religions  :  dans  le  catholicisme  :  i"  croyance  (]ue  tout  ce 
<(ue  Dieu  a  révélé  ou  promis  est  très  véritable,  eu  particulier  croyiance  à 
la  gratuite  rémission  des  péchés  ;  2"  cette  foi  relève  des  terreurs  et  fait  regarder 
la  miséricorde  de  Dieu;  'i'  ce  qui  fait  (ju'on  espère;  le  pardon,  qu'on  se  confie 
et  qu  on  commence  à  ainn-r  Dieu  comme  source  de  toute  justice.  «  Voilà 
donc  toute  la  structure,  [tour  ainsi  pai-ler,  de  la  justification,  uniquement 
appuyée  sur  la  foi,  par  latjuelle  nous  embrassons  en  particiilir-r  la  promesse 
de  la  rémission  gratuite  de  nos  péchés  à  cause  de  Jésus-Christ  et  nous  y 
mettons  notre  confiance  »;  dans  le  protestantisme,  l'efficace  de  la  foi  consiste 
dans  1  invocation  dont  elle  est  le  fondement. 


i.A   loi  coNKiANci;  a  19 

catlioliquf  (I)  hasic  sur  la  raison  ot  l'autorilc-  rxlciicinf.  (  >n 
coiivoil  aussi  (ju  il  se  soit  f'ail  un  anialfi^aiiie  du  ces  tendances  et 
(jiie  le  dosaare  dillérent  de  ces  éléments  ait  abouti  aux  combi- 
naisons les  i)lns  variées  (-i). 

(]'est  que  le  problème  est  posé  au  protestantisme  par  la 
nature  même  de  la  coniiance  : 

«•  Il  ne  peut  pas  y  avoir  de  coniiance  en  Dieu  sans  des 
conditions  définies  de  Dieu  et  de  ses  rapports  avec  le  monde  et 
avec  l'humanité.  La  foi  contient  toujours  «  un  moment  intel- 
lectuel »  sans  lequel  elle  n'existe  pas;  elle  n'est  jamais  unique- 
ment un  sentiment  ou  un  état  d'âme  (3).  » 

C'est  la  raison  essentielle.  Et  la  scolastique  luthérienne  ne 
sera  en  rien  gênée  par  ses  principes  pour  la  réintégration  de  cet 
élément  intellectuel  de  la  foi,  car  elle  se  comporte  à  l'égard 
du  problème  révélation  et  raison,  à  peu  près  comme  la  scolas- 
tique catholi(pie.  Sans  doute,  elle  met  au  premier  plan  la 
révélation  :  mais  elle  a  des  théologiens  qui  admettent  chez 
l'homme  une  certaine  connaissance  naturelle  de  Dieu,  accjuise 
et  même  innée.  Elle  en  a  d'autres,  qui,  dans  l'état  de  nature 
déchue,  supprimant  de  l'intellect  humain  l'idée  innée  de  Dieu, 
laiss<nt  au  moins  subsister  la  connaissance  acquise  (4,)-  El  il 
n  en  fallait  pas  plus  à  saint  Thomas  pour  fonder  la  connais- 
sance rationnelle  de  Dieu  :  Dieu  connu  par  tradition  et  par 
expérience,  puiscpi'il    niait    toute   connaissance    innée  (5).    Le 


(I)  Assensus  proplfT  auctoritalcm  Dci  revelanlis.  iHollaz,  Kxdnicn  théol,  ijO'J, 
]..  i(yj). 

(at  Voici,  par  exemple,  une  déliiiiliun  tirée  du  catécliisme  évanj^élique  de 
la  confession  d'Auj^sbonrg  .  Monlliéliard,  1848,  p.  55-50. 

«  J'eaU-nds  par  la  l'oi,  la  ferme  conviction  avec  laquelle  je  crois  aux 
vérités  que  Dieu  nous  a  révélées,  et,  en  particulier,  l'assurance  consolante  que 
j'ai  du  pardon  et  de  la  f,'râce  de  Dieu  en  JésusClirist  mon  sauveur.  » 

"  La  loi  que  j'ai  en  Jésus-Christ  doit  être  vivante,  et  se  manifester  i»ar  de 
bonnes  œuvres  qui  témoignent  de  mon  amour  pour  le  Dieu  Sauveur,  qui  m'a 
racheté  un  si  (^raïul  prix.  « 

i3    Lii.M.Mt:,  Heil.slhiitsnclwn  uiid  Glaiiberiscrfahrun^,  4o. 

4  Voir  sur  ce  point  les  textes  nombreux  et  décisifs  rassendilés  par 
K.  «liHiiKNsoHN,  iJie  Kelifj^ion,  1903. 

5  Voir  sur  ce  [toint.  CIilson,  I.'Jnut-isrnc  carfrsicn  cl  la  théologie. 


220  LA    RKLIGION    ET    LA     KOI 

Iiitlu-i'anisnie  et  le  protestanlisme  en  général  ne  se  sont  jamais 
lait  (le  l'intellitïenee  luiniainc  une  idée  telle  qu'elle  leur  a|>pa- 
rùt  comme  radicalement  incapable  de  toute  connaissance  des 
'<  préambules  de  la  foi  ».  Aussi,  lorsqu'ils  tenteront  de  réin- 
téîrrer  la  raison  dans  la  foi,  rencontreront-ils  à  peu  près  les 
mêmes  problèmes  ([ue  la  doctrine  catiiolicpie  (i).  Pourtant,  la 
scolastique  protestante  n'aura  jamais  la  même  intrépidité  de 
raison.  Elle  a  les  ailes  coupées.  Les  conditions  étaient  devenues 
moins  favorables. 


* 
* 


Au  début  de  la  Réforme  on  se  plaisait  à  opposer  au  catho- 
licisme la  notion  de  la  Foi  fiduciale  et  de  la  justification  par  la 
Foi. 

L'opposition  entre  les  deux  doctrines  est  moins  forte  qu'il 
ne  semblait.  Laissons  de  côté  la  doctrine  de  la  justification. 
En  ce  qui  concerne  la  foi,  certes  la  question  des  œuvres  n'était 
pas  essentielle  et  les  deux  religions  ont  été  bien  souvent  sur  le 
point  de  s'entendre  ;  sur  le  fond  même  de  la  foi,  nous  avons 
déjà  dit  que  la  foi  des  Réformateurs  était  à  mi-chemin  de  la 
Foi  informe  et  delà  Foi  formée  des  docteurs  scolastiques;  plus 
que  l'obéissance  intellectuelle  et  moins  (]ue  la  charité.  Mais  la 
Foi  informe  du  catholicisme  ne  fait  que  préparer  la  Foi  formée; 
elle  s'achève  en  charité  ;  la  foi  est  la  lumière  qui  éclaire  l'es- 
pérance et  la  charité;  de  sorte  que  si  on  la  prend  dans  tout  son 
cours,  elle  rencontre  sur  sa  route  la  foi  protestante.  La  Foi 
au  sens  catholique  et  la  Foi  au  sens  protestant  sont  deux 
moments  choisis  dans  le  développement  naturel  de  la  Foi 
chrétienne,  deux  points  déterminés  sur  le  parcours  total  de  la 


I    Voir,  par  exemple,  la  discussion  sur  les  Articuli  fidfi  piiri  et  les  Arti- 
culi  Jidei  mixti.  Qiexstedt,  I,  2)2. 


I.A    lOl    COMIANCK  321 

Foi(i).  Dans  le  catholicisme,  la  loi  inlollectuelle  se  continue 
CI»  sciilimcnl,  1  àiuc  trouve  suavité  et  douceur  dans  le  consen- 
lenienl  et  dans  la  croyance;  et  celle  foi  commençante  se  con- 
tinue en  loi  active;  la  piété,  la  dévotion,  la  vie  chrétienne  sont 
rachèvement  nécessaire  de  la  foi  intellectuelle.  Grâce  au  carac- 
tère intellectuel  de  la  loi  initiale,  toutes  les  démarches  de  la  vie 
chrétienne  sont  Ibrtement  éclairées;  les  objets  de  la  foi,  objet 
matériel  et  o!)jet  formel,  sont  présents  à  tout  son  développe- 
ment. 

D'autre  part  la  loi  conliance  se  détache  difficilement  d'un 
certain  élément  de  foi  rationnelle.  El^le  a  moins  à  faire  avec 
rarii:umentationel  la  contemplation;  elle  est  avant  tout  attitude 
de  sentiment  et  d'action;  mais  il  lui  est  bien  difiicile  de  s'iso- 
ler de  toute  donnée  objective.  En  principe,  cet  assentiment 
aboutit  à  la  confiance,  qui,  par  un  retour,  se  porte  sur  les 
dotâmes  capables  de  la  recevoir. 

On  comprend  que  le  protestantisme  ait  dû  évoluer  dans 
deux  directions  :  une  orthodoxie  de  type  catholique  et  un  sub- 
jectivisme  fidéiste,  avec  toutes  les  nuances  intermédiaires. 

Le  protestantisme  originaire  est  un  dualisme;  au  dedans  le 
témoiu:nay:e  intérieur,  principe  de  la  justilicalion  par  la  foi  et 
du  libre  examen;  au  dehors  la  parole  de  Dieu,  l'Ecriture,  la 
Liberté  et  l'Autorité.  La  tendance  originaire  est  de  mettre  ces 
deux  principes  sur  le  même  plan. 

Toute  l'histoire  du  protestantisme  est  un  mouvement  d'os- 
cillation entre  ces  deux  [)rincipcs  (a).  Le  témoignage  intérieur 


II)  Dans  riiuiiianismc  chrétien  ou  rencontre  des  formes  de  transition  et 
la  preuve  que  la  Foi  coudanee  est  jusqu'à  un  certain  point  compatible  avec 
le  catliolicisme. 

a)  Coiiunc  le  montre  fort  bien  1).  Sahatiimi  {L'Expérience  religieuse  et  le 
prolestanlis/ne,  Ann.  de  ph.  chrét.  lg^^H-UY^g^ ,  le  principe  formel  du  protestan- 
tisme (l'autorité  exclusive  de    l'Kcriturej    est  passé  par  des  phases  diverses  : 

Autorité  exclusive  des  Ecritures  et  des  cjuatre  premiers  siècles; 

Infaillibilité  verbale  des  I-:eritures  seules,  composées  sous  la  dictée  de 
Dieu; 

Autorité  des  Écritures  en  matière  de  Foi  seulement; 

Autorité  du  seul  enseiffuement  de  Jc'-sus; 


3aa  l.A    RKLIGION    KT    LA    KOI 

el  lexpôriencc  imiiu'dialc  voiiL  à  la  liherir  absolue  de  croyanee, 
à  la  théorie  du  do;2:me,  expression  contiiigenle,  symbolique  de 
la  foi.  L'autorité  de  l'Ecriture  conduit  à  l'orthodoxie  et  à  l'au- 
torité extérieure;  pour  certains  protestants,  l'Écriture  est  un 
"  pape  en  papier  »;  do2;matique  scolasticpie  et  assentiment  rai- 
sonné; etForls  pour  démontrer  l'autorité,  de  l'Kcriture  et  l'ins- 
piration divine.  La  dogmatique  protestante,  en  s'intellectualisan  t 
de  plus  en  plus,  devait  susciter  des  révoltes  contre  la  dogmati- 
que. Toutes  les  tentatives  de  conciliation  ont  été  faites,  tous 
les  essais  dunir,  et  aussi  d'opposer  ces  deux  choses  Flde.s  qiiœ 
creditur  et  Fides  qiia  creditur  (i),  c'est-à-dire  les  droits  de  la 
conscience  et  ceux  de  la  tradition. 


Autorité  de  l'esprit  «enl  de  la  nouvelle  religion. 

De  même  le  principe  uialcriel  :  justification  par  la  foi  émotive  inlellec- 
tuclle  indépendamment  des  œuvres;  par  la  foi  émotive  (jui  transforme  et 
régénère  dans  une  crise  violente;  par  la  foi  intellectuelle  à  des  doctrines 
arrêtées,  foi  qui  produit  des  œuvres;  par  la  foi  con(iance  indépendamment 
des  croyances;  [)ar  les  <ruvres  sans  la  foi. 

De  même  Amiel  écrit  en  i86C  [Journal,  i,  aSG)  :  «  Le  protestantisme  est  une 
combinaison  de  deux  facteurs:  l'autorité  des  Ecritures  et  le  libre  examen; 
dès  qu'un  des  facteurs  est  menacé  ou  disparaît,  le  protestantisme  disparait; 
une  nouvelle  forme  du  christianisme  lui  succède,  et  par  exemple,  l'Eglise  des 
Frères  du  Libre  Esprit  ou  celle  du  Théisme  chrétien.  Pour  moi,  je  ne  vois  àce 
résultat  nul  inconvénient;  mais  je  crois  les  amis  de  l'Église  protestante  logi- 
«jues  dans  leur  refus  d'abandonner  le  Symbole  des  a[)ôtres,  et  les  indivi- 
dualistes illogiques  en  croyant  conserver  le  protestantisme  sans   l'autorité.  » 

(i)  Dès  li;  début  de  la  Uéforme,  le  mouvement  baptistc  se  présente  comme 
une  révolte  contre  la  naissante  orthodoxie. 

La  Réforme,  à  cause  du  rôle  qu'elle  faisait  jouer  à  l'Ecriture,  avait  sul»- 
stilué  à  la  hiérarchie  sacram<mtclle  \v,  primat  de  tliéologiens  et  de  sujjérieurs 
instruits  dans  la  lîible. 

Le  Baptisme  proclame  la  séparation  de  l'inspiration  religieuse  et  de  l'Ecri- 
ture. Il  est  spontanéité  religieuse,  enthousiasme  prophétique.  Le  critérium 
pour  l'interprétation  de  la  Bible  est  la  seule  inspiration  intérieure.  Iladica- 
ïismc  d'une  c«)nce()lion  de  la  vie  qui  s'.apjtuie  sur  l'esprit  du  christianisme 
originaire,  hostile  au  monde,  eschatologiquc.  Mépris  de  l'état  et  de  la  Lex 
nalurœ. 

Les  sectes  avancées  de  la  Réformation  devaient  s'éteindre  dans  l'extra- 
vagance et  dans  le  scandale. 

Le  témoignage  intérieur,  principe  de  la  foi  et  du  libre  examen,  devenu 
la  liberté  de  la  critique,  l'exégèse  scientifique,  devait,  sous  une  autre  forme, 
à  travers  toute  l'histijire  du  protestantisme,  battre  en  brèche  le  principe  de 
l'autorité  fies  Ecritures.  Concilier  ces  deux  princi[)es,  c'est,  comme  l'a  dit  si 
finement  Boutroux,  le  tourment  de  l'âme  protestante.  Et  pourtant  «  plus  on 
tient  à    l'antorite  des  Saintes  Écritures,  plus  on   désire  avoir  les  vrais  docu- 


I.V     loi    CO.NKIANCE  au3 

Le  Syiiil)()l()-Fi(lt''isnie,  (jiio  nous  avons  éludit', n'est  que  la  ves- 
tauration  (le  l'cléinent  originel  irréduclible  du  proleslaulisnic; 
l'eirorl  le  [»Ius  consé([uent  et  le  plus  plausible  d'un  siècle,  où 
la  critique  scientilique  a  fait  plus  contre  les  orthodoxes  (jue  les 
mouvenu'uts  passionnés  des  confessions  hostiles  ou  les  dissen- 
linienls  des  sectes,  pour  le  déhanasser  de  lautorité  extérieure 
et  de  la  contrainte  dogmatique.  Il  opère  sur  le  luthéranisme 
ou  le  calvinisme  une  réduction  analogue  à  celle  que  ceux-ci 
avaient  o|)érée  sur  le  catholicisme;  il  juge  le  dogme  d'après  la 
Foi;  il  n'en  laisse  subsister  que  ce  qui  est  d'accord  avec  la  Foi. 
Mais  comme  nous  l'avons  vu,  il  n'a  pas  pu  s'afïranchir  de  toute 
i'royance  dogmati([ue  ;  cette  foi  est  encore  une  foi  ciirétienne 
<iui  retrouve  à  peu  près  tout  le  christianisme  (i;. 

Laissons  de  côté  les  formes  de  protestantisme  qui  ne  sont 
<[u'un  déguisement  du  catholicisme;  un  catholicisme  moins  la 
hiérarchie  et  le  pape,  mais  non  sans  une  aspiration  très  forte 
à  la  hiérarchie  comme  moyen  de  contrôle  et  comme  règle  de 
foi.  Ne  retenons  ([ue  le  catholicisme  d'une  part  et  cette  forme 
particulièrement  pure  de  protestantisme,  qui  s'intitule  Symbolo- 
Fidéismc.  Sans  doute  la  différence  est  grande  dans  la  structure 
<le  la  foi;  mais  après  tout  il  ne  s'agit  que  d'un  dosage  différent 
des  mêmes  éléments.  La  différence  essentielle  c'est  la  tendance 
à  l'objcelivisme  d'un  côté,  au  subjectivisme  de  l'autre  (2).  d'où 
découle  le  rôle  assigné  à  la  foi  dans  l'économie  de  la  vie  reli- 
gieuse. Dans  le  catholicisme,  l'Esprit  divin  est  réalisé  magnili- 
(jiiement  dans  rFcritureet  dans  l'Fglise,  plus  humblement  dans 


incnts  priiuilifs.  Les  questions  de  critique  sont  des  (juostions  de  eonscicnoe  ». 
lE.  DE  I*Rr:ssi.xsK,  Lettre  à  Hyacinthe  Loyson,  2<j  août  i^Sç).  Mais  si  l'on 
<lccouvre  <]u'il  n'y  a  ])as  de  documenl.s  iiriniitifs? 

i^  LoisY  L'I'À'angile  et  l'h'fflise,  XIV,  lait  justement  remarquer  que.  chez 
Sal)atier,  qui  veut  concilier  la  Coi  chrciienne  avec  les  exi^^ences  de  la  science 
«t  de  l'esprit  scientiliciue,  la  foi  se  fait  bien  petite  et  bien  modeste  cl  ren- 
contre la  science  le  moins  qu'elle  peut.  Et  cependant,  le  minimunt  de  Toi  qui 
demeure,  extrait  de  la  Hihle,  peut  devenir  un  obstacle  assez  sérieux  à  l'exer- 
ciee  de  la  liberté  intellicluellc. 

fa)  ScuKKiat,  i:>'^  :  «  Le  centre  de  gravité  du  catholicisme  est  dans  l'auto- 
rité, tandis  que  celui  «lu  protestantisme  est  dans  la  liberté.  » 


au4  ^-^  uELu;U).N   kt  la  foi 

le  lidôlo;  la  loi  du  iidèlo  c'est,  par  poussée  intérieure,  l'adliésioii 
à  la  grande  révélation  objective  de  l'esprit,  présente  dans 
l'Kglise  et  dans  les  moyens  de  grâce.  Dans  le  subjectivisnie 
Jkléiste,  l'esprit  du  croyant  est  directement  l'Ksprit  même;  il. 
est  au-dessus  des  réalisations  objectives,  matérielles,  de  l'Ks- 
prit et  delKcrilure.  La  parole  de  Dieu  n'a  d'autorité  qu'en  tant 
qu'elle  éveille  l'Esprit,  qu'elle  se  rencontre  avec  lui. 

De  l'objectivisme  catholique  découlent  la  doctrine  de  l'Kglise, 
la  doctrine  des  sacrements,  trésor  objectif  des  grâces,  la  doc- 
trine réaliste  de  la  grâce.  Du  subjectivisnie  protestant,  les  thèses 
adverses. 

De  là  une  dillerence  considérable  dans  le  rôle  assigné  au 
sentiment  dans  la  vie  intérieure. 

Dans  le  catholici^sme,  l  expérience  intérieure  est  tenue  en 
suspicion  5  et  c'est  du  reste  pourquoi  le  catholicisme  est 
arrivé,  dans  le  mysticisme,  à  une  exaltation  si  superbe  de 
la  vie  intérieure,  à  des  raflinements  si  divers,  à  des  compromis 
si  délicats.  Le  péril  a  aiguisé  l'aventure.  Mais,  sauf  ces  excep-  . 
tions  magniliques.  et  en  thèse  générale,  la  vérité  extérieure 
domine  l'expérience.  On  ne  peut  jamais,  par  le  moyen  de 
l'expérience,  apprendre  tout  ce  qu'on  doit  croire  selon  les 
enseignements  de  l'Kglise.  L'enseignement  de  l'Kglise  impose 
une  foniio  à  la  vie  intérieure  en  soi-même  suspecte  et  dange- 
reuse. 

Au  contraire,  pour  le  lidéisme,  les  croyances  sont  comman- 
dées, voire  produites  par  des  sentiments  :  les  sentiments  sont 
la  suprême  réalité.  Ici  l'expérience  est  la  vérité  :  ce  qu'on  ne 
peut  éprouver  à  fond  n'est  pas  vrai  ;  le  réel  domine  l'idéal. 
Mais  malgré  tout,  sous  peine  de  s'évader  vers  les  entreprises  de 
l'inspiration  i)rivée,  ou  les  aventures  de  la  génialité  créatrice, 
le  sentiment  est  encore  maintenu  par  une  doctrine  sous-jacente. 
L'expérience  dont  il  s'agit  est  une  expérience  chrétienne;  et 
cette  foi  sentimentale  suppose  une  foi  de  la  raison;  elle  implique 
un  objet  et  un  jugement  sur  la  valeur  de  cet  objet.  Le  Dieu 


I.A    KOI    COMIVNCK  2^5 

soiisihlc  au  cd'ur  est  encore  un  Dieu  de  la  loi  ;  ear  <iu'esl-ee 
{|ui  le  l'ail  tel  et  divin,  sinon  «juil  salislait  à  des  conditions 
|U'(''a[al)l('S  ? 

Lorst|ui*  !<•  proleslaul  lilx  rai  s'iniat^ine  (|u  il  |i(iil  xisie  de 
si  |)eu.  son  eiiciir  vient  de  ce  ([u  il  est,  à  son  insu,  soutenu  et 
|)oit(''  par  tout  le  contenu  ohseur  de  sa  relip^ion.  Sa  foi  indé- 
lerininée  se  joue  au  l'aile  d'un  système  relij^ieux  et  d'une 
concilialion.  Mais  quelle  erreur  do  eroire  qu'elle  aurait  sufti  à 
l(Mite  la  vie  religieuse  en  un  temps  oîi  rien  de  ce  contenu 
n'aurait  existé,  ("eei  contre  l'iiypotlièse  (|ue  tout  le  christia- 
nisme patristi(pie  et  médiéval  n'est  que  su|)ert'élation. 

Kn  réalité,  tout  le  christianisme  est  sous-jaeenl  à  ee  lidéisme  : 
comnu'  le  drame  objectif  de  la  Uéd(>mplion  est  sous-jaeenl  à  la 
foi  [jaulinienne  ;  comme  les  abstraits  réalisés  sont  sous-jaeents 
au  nominalisme  d'un  Taine.  La  [)lupart  du  temps  l'àme  ne  se 
librre  (pie  devant  rextrème  détermination  des  choses. 


L'ASSURANCE    DU    SALUT 

La  conlianee  exiçe  la  lidélité.  KUe  apporte  l'assurance  du 
salut.  (î'est  de  ce  problème  religieux  :  comment  ac([uérir  la 
(Cl  titude  du  salut,  problème  ([ue  lui  posaient  les  incpnétudesde 
Ka  eons(  ieiice.  (pie  Luther  est  |>arli.  La  |>réoccupation  de  Calvin 
stla  même.  La  ]u^tili(alion  par  la  l'oi  est  le  dogme  des  dogmes  : 
«  Il  est  ici  question  de  mettre  les  consciences  en  repos,  sans 
icipicl  nous  sommes  tous  malheni'cux,  \()ire  (piasi  perdus.  La 
(|nesli()n,  dis-je,  t>st  telle  :  où  c'est  (jue  les  eonseienecs  se 
doivent  appuyer,  pouravoir  assurance  de  leur  salut?  (i)  »  C'est 
cela  (pu  leur  a  l'ait  rej(^ter  les  œuvres  cpii  in(iuiètent  plus  (pi'elles 
ne  rassurent,  cl  la  l'oi  charité;  car.  (pii  peut  cire  assui'é  d'avoir 
la  (•harit('' ?  et  la  loi  iiir(»rme.  \>\\vv  cioyance  (pii  n'apaise  pas. 


(li  Opuscules,  1114."».  ^Cilc  par  noiMi:i«<iiK,  CdUin,  II,  ()4G.) 


a.'»t  I.A     KKl.KilON     KT    LA     KOI 

Au  conliaiio.  la  coiiliam'c  rassure:  elle  est  assurance,  séeu- 
lilé.  el  au  delà  (relle-nicine,  at'Urmatiou  el  fj:araulie  de  sou 
assurance.  Klle  est  marque  d'élcclion  ;  elle  apporte  la  certitude 
(lu  salul. 

Il  y  a  ici  deux  choses.  En  [)reuiier  lieu  la  profondeur  el  la 
constance  de  la  foi;  la  foi  sûre  (relle-niènie.  In  sentiment  peut 
s'ig^norer:  il  peut  se  tromper  sur  soi-même,  soit  qu'il  se  donne 
un  nom  inexact,  soit  que  sa  complexité  et  ses  contradictions 
ou  encore  ses  oscillations  le  dérobent  à  une  formule  précise  : 

Ali  !  ne  puis-je  savoir  si  j'aime  ou  si  je  hais  ! 

In  sentiment  constant,  [)rofond  et  dont  l'unité  est  bien 
établie,  sous  la  nndtiplicité  du  développement  et  des  variations, 
sous  la  diversité  des  thèmes  dont  le  surchargent  le  mouvement 
de  la  vie,  la  loi  do  contraste,  la  complexité  de  la  nature 
humaine,  un  tel  sentiment,  dis-je,  a  bien  des  chances  de  s'appa- 
raître pour  ce  qu'il  est.  Kn  ce  premier  sens,  la  foi  c'est  la 
conscience  de  la  foi.  c'est  la  confiance  sûre  d'elle-même, 
confiante  en  soi,  c'est-à-dire,  au  fond,  consciente  de  soi.  Nous 
avons  vu  la  part  de  doute  et  d  inquiétude  que  les  réformateurs 
admettaient  dans  cette  confiance. 

En  second  lieu  la  foi  est  la  confiance  absolue  en  sa  propre 
puissance  salvatrice;  l'affirmation  d'une  valeur  objective.  A  qui 
la  possède,  la  foi  apporte  la  justification,  c'est-à-dire  qu'elle 
sauve,  quelle  que  soit  la  notion  (ju  on  se  fait  de  la  justification. 
Au  degré  le  plus  humble,  et  au  degré  supérieur,  au  degré  du 
subjectivismc  psychologique,  comme  au  degré  du  subjectivisme 
oQlologi(pu'  des  mystiques,  la  foi  sauve  par  cela  seul  qu'elle 
est  présente,  parce  (ju'clle-mème  est  le  salut,  la  ^ie  :  Dieu 
mèjue.  Aux  degrés  intermédiaires  elle  sauve  parce  qu'elle 
apporte  à  l'àme  un  salut  extérieur,  objectif,  transcendant,  dont 
elle  est  le  gage  (i).  A  la  vérité  il  y  a  de  ces  deux  aspects  dans 
les  dogmes  luthériens  ou  calvinistes  du  salut  par  la  Foi.  La  foi 


(1/  La  foi,   «   une  quittance  »  par  la(juclle  son  l)énéficiaire  atteste  le  [)rivi- 
If-ge  qu'il  a  déjà  reçu.  (ANriLKR.  Luther,  liev.  de  Met.  1918,  p.  928.' 


1 


l.A    lOl    COM'IANCi:  '.«'J- 

«si  la  rt)nscieiici'  tlo  la  prédestinalioii,  de  lu  laveiii'  ^Maluile  cL 
ôlernelle  de  Dieu,  d'une  amitié  de  Dieu  dès  réleriiilé.  La  pré- 
desliualion  a  eu  somme  une  raeine  tliéoi'i(|ue  et  une  ra(iu(^ 
j)sycli<)logi(iue.  La  raeine  lliéoricjiie  e'esl  la  doelrine  de  la  lihie 
volonU',  de  la  toute-puissance  de  Dieu,  de  l'impuissanee  radi- 
(  aie  (le  Diomme.  La  racine  psycholoîçique  c'est  l'exaltation  d'un 
état  d  âme,  sa  tiansmulation  en  réalité  onlolou:i(pie,  l'assurance 
<le  l'élection  donnée  dans  la  vocation.  Kn  un  sens,  la  doctrine 
de  la  prédestination,  c'est  l'orgueil  de  la  toi  ;  comme  ces  ajiiou- 
K'ux  (|ui  veulent  que  leur  amour  soit  le  secret  ressort  du 
monde,  les  réformateurs  ont  fait  de  la  foi,  non  seulement  le 
supi'ème  état  religieux,  mais  la  marque  de  l'entrée  dans  le 
monde  du  salut.  11  y  a  là  quelque  chose  de  la  certitude  des 
mystiques  :  toucher  le  fond  de  l'Etre  et  se  teindre  de  sa  splen- 
<leur  :  mais  le  mystique  ne  pense  plus  au  salut  précisément, 
|>arce  (ju'il  s'identifie  essentiellement  avec  l'Etre,  et  qu'il  n'y  a 
l)Ius  que  l'Etre,  et  qu'il  n'est  plus  besoin  de  salut. 

C'est  la  réalisation  de  l'idéal,  l'éternité  de  l'éphémère.  «  Doch 
iille  Lust  ii'ill  Ewig-keit,  ivill  die  tieje,  tiefe  Ew'iglîeit.  »  La  foi 
introduit  au  monde  éternel  et  suprasensible.  C'est  ainsi  ([ue 
Calvin  avait  raison  de  dire  que  la  prédestination,  si  elle  est 
bien  uiédilée,  n'est  pas  pour  troubler  la  foi,  mais  plutôt  pour  la 
( onfirmer.  La  Nécessité  éternelle  est  ici  l'assurance  suprême  (i)  : 
Anior  Latl,  mais  le  Fatum  est  favorable  (2). 

L'assurance  du  salut  a  préoccupé  bien  des  âmes.  Bien  des 
doctrines  et  bien  des  pratiques  soiU  nées  de  ce  besoin.  1) Ordi- 
naire le  problème  se  traite  en  deux  temps;  il  s'agit  de  lixer  la 


a)  l.a  N».-oe.ssite  et  la  Liberlé  peinent,  aussi  bien  l'une  (jue  l'aulre,  eni,'en- 
<lrer  des  scnlinieiils  opposés:  l'cxallalion  ou  la  dépression,  la  jxiir  ou 
l'aveugfle  confiance  :  il  y  a  la  peur  de  la  iil^erlé  et  la  (ièvre  de  la  libeité.  la 
teneur  <l  l'amour  éperdu  de  la  nécessite. 

2j  1,'assuranne  est  oltjeclive  plutôt  «jue  sultjecli\ c  Le  (idèle  reste  dan^  la 
I  rainle  et  le  Ireniblenient.  La  foi  est  le  sif^ne  de  la  voralion,  mais  eouiuicnt 
rire  sûr  d'avoir  la  vraie  foi?  Ce  (jui  rassure  inquiète.  De  même  (|ue  la  vérité, 
réalité  supérieure  à  l'esprit,  suit  dans  r<'sprit  le  sort  de  la  certitude,  de 
luèine  le  salut  suit  les  iué\  ilaides  oscillations  île  la  conliaui-e. 


aa8  i.v  UELi»;i(iN  Kr  i.a  foi 

deslinée.  de  la  soiislraiio  aux  clianjj^ciiKMils  et  aux  caprices;  il 
laut  que  le  inoutle  surnalurel  soil  sûr,  (jue  le  sort  de  l'être  ne 
puisse  péricliter:  de  là  les  doctrines  tle  la  prédestination,  sous 
toutes  ses  Iprmes  :  une  faveur  assurée  dès  l'éternité,  et  pour 
réternilé,  réternité  supérieure  au  temps  et  réfractée  dans  le 
monde  du  temps,  un  monde  supérieur  au  changement,  une 
fortune  qui  soit  une  nécessité.  Stabiliser  le  surnaturel.  VA 
d'autre  pari  il  laut  un  gai^e  de  salut:  recette  magique,  doctrine, 
état  d'âme,  quelque  chose  (jui  soit  un  signe  palpable,  connais- 
sable  ou  sensible,  au-dessus  du  doute.  Et  il  faut  ces  deux  condi- 
tions ;  curie  salut  non  révélé  à  la  conscience,  ne  saurait  rassurer; 
et  un  signe  éphémère  et  qui  demain  peut  avoir  perdu  sa  valeur 
n'a  rien  qui  rassure. 

Les  initiés  des  Mystères  avaient  des  mots  de  passe  pour 
l'au-delà  ;  les  (Cathares  avaient  le  consolamentum;  les  religions 
magitpies  ont  l'eflicace  des  sacrements;  mais  il  faut  toujours 
([ue  la  réalité  soit  fixée  éternellement,  en  correspondance  avec 
le  signe  du  salut  :  d'oîi  les  doctrines  de  la  grande  année,  du 
retour  éternel,  de  la  Nécessité  du  monde  céleste, 

La  certitude  du  salut  est  liée,  dans  la  Réforme,  avec  l'idée 
(pi'ellc  se  fait  de  la  nature  déchue  ;  dès  ([ue  le  chrétien  éprouve 
quekjue  bon  désir,  quelque  mouvement  vers  les  choses  d'en 
haiil,  (  "est  la  marque  que  Dieu  a  commencé  et  qu'il  continuera 
l'œuvre  de  son  salut  (i). 

La  certitude  du  salut  suppose  la  prédestination,  la  grâce 
irrésistible    et    ({ue    Dieu    n'accorde    son    secours  qu'à    ses 

élus    ("2).  ' 


(i)  C'est  ainsi  que  Wesley  disait  :  «  Les  grâces  du  Saint-Esprit  ont-elles 
si  peu  de  force  (jue  nous  ne  pei-cevions  point  si  nous  les  possédons  ou  non? 
Oue  rien  ne  garantisse  notre  persévérance  iinale,  d'accord!  Mais  ne  sommes- 
nous  pas  les  plus  misérables  des  créatures,  si  nous  ne  pouvons  jamais  avoir 
la  certitude  d"t"lre  dans  l'étal  de  salut?  » 

Et  lors  de  la  conversion  Ijrusque,  »  il  me  fut  donné  l'assurance  qu'il 
m'avait  enlevé  mes  péchés  et  qu'il  m'avait  sauvé,  moi  personnellement,  du 
péclié  et  de  la  mort  «.    Voir  Lk(;kk,  I.a  Jeiinefise  de  Wesley.) 

(2)  Sur  la  certitude  de  la  jus(i(ication  et  du  salut,  .A/^o/..  IV,  4o,  p.  83  :  «  Non 
diliginuifi  nisi  ccito  ntatuant  corda,  qiiud  donata  sit  nobis  reniissio  pcccalorurn.  » 


LA    loi    CONMANCK  U29 

Au  t'oiiliairc,  dans  le  calliolicisnic,  la  nature  l()!ul)(''('  n'étant 
j)()inl  <l«''j)ouill(''e  de  tout  L^crinc  de  vie,  OJi  ne  peut  discerner,  à 
un  sii^-^ne  certain,  l'opération  de  la  ij:ràee  d'avec  les  effets  du 
principe  divin  conservé  dans  riiommc  ;  par  exemple,  les  consé- 
(luences  de  la  mystique  auçcustiniennc  et  de  la  doctrine  «le  la 
prédestination  sont  paralysées,  chez  Au^o^ustin,  pai*  cette 
doctrine  (pie  personne  ne  peut  se  reconnaître  comme  \)vr- 
dcstiné  (  i). 

La  doctrine  de  l'Ei^lise  a  toujours  été  qu'une  telle  certitude 
<'st  impossible  (2)  ;  et  elle  a  laissé  dans  l'ombre  la  prédesti- 
nation. Klle  insiste  sur  la  volonté  salvilicpie  de  Dieu  ;  elle 
déclare  que  si  Dieu  décrète  de  toute  éternité  la  condamnation 
des  méchants,  c'est  à  cause  de  leurs  péchés  qui  lui  sont 
présents  de  toute  éternité  :  de  sorte  (jue  la  damnation  est  le 
lait  de  l'homme,  et  le  salut,  l'œuvre  de  Dieu  et  de  l'homme. 
Il  est  vrai  que  Dieu  veut  le  salut  d'un  certain  nombre 
d  hommes  de  telle  façon  que  de  fait,  ceux-là  soient  sauvés  (3). 

(  hiiine  telle  assurance  soit  difficile  à  maintenir,  c'est  ce 
«pi'il  est  facile  de  comprendre  ;  car  d'abord  cette  assurance  du 
salut,  forme  exaspérée  de  la  foi.  suit  le  sort  de  la  foi  :  et 
lexpérience  montre  que  la  foi  oscille  et  qu'elle  est  troublée 
par  le  doute  et  l'inquiétude.  De  plus,  elle  a  ses  raisons  propres 
d  cti-e  troublée  :  car  la  foi  |)eut  être  vive,  sans  aboutir  à  cette 


lie  l'oviiilcnf,  20,  \^.  1Ô7  :  «  Ifanc  certHudincin  Jidci  nos  dncemiis  rerfuii-i  in  Iwan- 
i^^elio.  »  Cf.  Galviv,  In'itit  ,  IH,  C  2,  par.  lO,  loi  197.  (Voir  aussi  Di;MKi.r:,  I.u- 
i'ier,  III,  tratJ.  Pa-;<juier,  j).  41,  note.  » 

fi;  Ul'urn  quis<ine  hoc  dnniini  (persc\'erantin')  accc/irril.  (lunnulin  linn<-  K-iltun 
(lucil,  inci'i'lnni     De  don.  pers.,  I,  i,  x,  p.  \}<i}^■) 

(2)  Saint  Tlionias  ailmet  seulf'iiuMit  (|ue  l'on  ]^en\.'i  cofinosccrc  conjClnrnliti-r 
lier  aliffiia  si^^na  <^  ;  il  y  a  du  rcslf  (|uclqiies  rcvt-lations  exlraordii(ai"f's  : 
«  lie\el(U  cnini  Dcus  (dujnando  nliijiiihns  c.\  spcciali  /trivilciiio  <\  II,  a,  ii.',  5  c 
]i  o'ii.  et  le  r.oNCir.K  i>i-:  Tmk.mk  :  "  \aUns  scirc  i'aict  tcrtitudine  fidci,  <ni  non 
finlist  .'in1>esse  fnlsnm,  se  f[rati(ini  dri  esse  consecntnin.  »  Au  contraire  LniiKH, 
Mtlauehton  :  «  IS'eressc  es/  crrtos  nos  esse  de  fçrniia.  » 

?  Hhk.mom)  iutcrprotant  la  «  joie  »  de  Pascal  au  .sens  janséniste,  en  fait  lo 
sentinienl  de  la  certifiidc  du  salut  ;  <|uelque  ciiose  d'analojjuc  au  «  ténioi- 
ffiiaf,'!'  de  l'Ksprit  »  siir  Icriucl  les  inc-tliodistcs  et  Calvin  lui-nicnie  fondent 
Iciif  assinranrc    lllxf    iln  Sentirnenl  rrlitririix.  ]\ ,  l'iS. 


a3o  LA  Hi'.i.KiioN  i:t  i.a   loi 

assuranco  ohjcclivo.  Toiil  un  ôtlialaiuliiiic  «loti^inatiqiu'  se  super-' 
pose  à  la  foi,  ([ui  peut  être  ébranlé  isolément  par  toutes  les 
(liriicuUés  (pii  aneip;iient  les  thèses  de  la  justilication.  Enfin  le 
lien  entre  la  jnstilieation  objective  et  la  conscience  peut  èlre^ 
atteint  lui  aussi;  en  ce  sens  (pie  la  loi  sul^sistant  et  aussi  la 
justilication.  on  |>eut  se  demander  si  la  foi  est  la  marque  infail- 
lible de  la  justification  et,  d'une  manière  u^énérale,  s'il  y  a  des 
marques  de  la  jjfràee  divine. 

Kn  fait,  Tcxemple  des  réformateurs  montre  bien  la  peine 
qu'ils  ont  eue  à  maintenir  cette  assurance  (i;  :  (Uinsajnsfi/i- 
catio/iis  luhrica  est.  A  travers  des  maladies  spirituelles  et 
des  doutes  anjîoissants,  Luther  aspirait  «  nach  einem  gnddigen 
Gott  ■>.  Il  faut  se  rappeler,  dans  le  doute,  qu'on  est  justifié  par 
la  foi  (pion  ne  sentplus.  Il  faut  se  dire  que  l'on  n'a  point  de 
péché  alors  qu'on  tremble  de  le  sentir  en  soi.  «  Cela  coûte  de 
la  sueur.  »  Il  faut  beaucoup  raisonner:  Christ  est  sûr  de  plaire 
à  Uieu;  nous  aussi,  puisque  nous  avons  l'esprit  du  Christ.  Il 
faut  admettre  (pie  la  certitude  peut  être  touchée  de  doutes,  la 
sécurité  assaillie  de  sollicitude,  que  rien  ne  prouve  contre  la 
foi,  pas  même  la  défiance  de  soi-même,  et  la  détresse  et  la 
calamité.  «  Tous  les  doutes  dont  l'âme  fidèle  est  tourmentée, 
écrit  Calvin,  tournent  en  plus  grande  certitude  de  cette 
défiance.  »  Mais  si  la  doctrine  est  aisée,  l'art  est  diflicile  (12). 


(i)  Le  soir  même  (lu  jour  où  Weslev  reçut  l'assurance  du  salul,  il  ressentit 
une  vive  anxiélé. 

(2)  On  pourrait  étiidier  toutes  les  nuances,  tcnis  les  degrés  de  cette  assu- 
rance objective  sur  les  Moraves  qui  entouraient  Wesley.  (Voir  Lkgeh,  La 
jeunesse  de  Wesley,  346).  tin  fait  les  diflicultés  qu'exprime  Bossuet  ont  tout 
au  moins  une  grande  valeur  psychologique.  Pour  être  assuré  d'avoir  la  loi 
qui  remet  les  péchés,  il  faudrait  être  assuré  que  le  péché  ne  règne  plus  en 
nous;  selon  Luther,  on  ne  peut  être  sûr  de  sa  pénitence  ni  de  la  pureté  de 
son  cd'ur,  ce  qui  doit  troubler  l'assurance  de  la  foi.  «  Et  on  a  beau  dire  avec 
l'Apologie  :  La  foi  ne  compatit  pas  avec  le  péché  mortel  ;  or,  j'ai  la  foi,  donc 
je  n'ai  plus  de  péché  mortel.  Car  c'est  de  là  que  vient  tout  l'embarras, 
puisqu'on  doit  dire  au  contraire  :  La  foi  ne  compatit'pas  avec  le  péché  mortel. 
Or  je  ne  suis  pas  assuré  de  n'avoir  plus  de  péché  mortel  ;  je  ne  suis  donc 
pas  assuré  d'avoir  la  foi.  ■>  Variatioits,  III,  loo  et  suiv.)  (Jn  n'a  donc;  pas  cette 
rémission  des  péchés:  ou  bien  on  l'a  sans  en  être  assuré  ;  ou  bien  on  en  est 
assuré  sans  être  assuré  de  la  sincérité  de  sa  foi  ni  de  celle   de  .sa  pénitence. 


LA   hoi  <:oni-ia\«:k 


'ÏU 


Nous  ici  loiivoiis  aillcMis  ini  jtrohli'mc  aiialo^iic  Dans  le 
ciilliolic'isnio,  la  Koi  s  ai'conipai^iuMl'csix'raiico.  Sainl  Aiii;iisliii 
(lisait  <iu<'  res|H'rancc  porte  sur  un  l)ion  riiUii'  cl  sur  !<"  l)ieu 
licrsonncl  de  celui  qui  espère;  i)as  d'amour  sans  espéranee, 
pas  d'espérance  sans  amour,  et  ni  l'un  ni  l'autre  sans  la  Foi  ; 
lespéranee  peut  se  trouver  sans  l'amour  parfait.  (  hi()i(pron  ne 
puisse  espérer  sans  aimer,  il  peut  arriver  qu'on  n'aime  pas  un 
nu)yen  nécessaire  à  la  tin  qu'on  es[)ère.  Ainsi  l'on  espère  la 
vie  éternelle  ((pii  ne  l'aimerait  pas?j  mais  on  n'aime  pas  la 
justice  sans  laquelle  personne  ne  peut  y  parvenir. 

Mai-s  inversement,  n'est-il  pas  [)ossil)le  d'avoir  la  Foi  sans 
(  spérer?  Kneore  que  la  foi  soit  le  fondement  de  res[)érance. 
puisqu'elle  énonce  un  jugement  de  possibilité  sur  son  objet, 
n'y  a-t-il  pas  des  cas  oîi  la  foi  semble  se  dépouiller  de  tcMile 
l'spérance?  C'est  ce  que  semblerait  prouver  l'exenqde  de 
certains  quiétistes. 

Et  contre  l'orgueil  prédestinationnisie,  d'autres  croyants 
décriront  la  lidélité  plus  soumise  et  plus  amoureuse  (jui  n'exige 
point  de  garantie  : 

Sans  doute,  il  est  vrai  ([ue  rKsjnit  témoigne  à  l'esprit  (pie 
nous  sommes  enfants  de  Dieu;  mais  cette  voix  intérieure  est  si 
Irèle,  si  débile,  (pu\  dans  le  sentiment  de  son  indignité,  le 
lidèle  ose  à  jx-iiie  y  [)rèter  l'oreille. 

Se  eacber  à  ses  propres  yeux,  vouloir  rester  un  mystère  à 
elle-mènu^  voila  le  caractère  de  la  viaie  joie  dans  le  Seigneur; 
et  plus  l'homme  est  humble,  plus  il  s'est  élevé  à  un  haut  i)()iiit 
de  perfection,'  moins  il  o.se  se  vanter  d'une  sécurité  aussi 
incompatible  avec  l'instabilité  des  choses  d'ici-bas. 

Le  mystère  et  l'incertitude  sont  la  sève  de  la  vie  spirituelle. 
La  lumière  (pii  la  révèle  à  elle-même  la  llétrit.  L'innocence  (pii 
xieiil  à   se  reconnaître  se  perd    dans  cet   acte  inciiic. 


UJa  LA    IlKLIGION    KT    LA    KOI 

AUTRES  FORMES  DE  LA  CONFIANCE 

lU'iiiontant  aux  origines,  on  se  lariçiie  d'y  retrouver  celle 
pure  foi.  N'esl-cc  pas  une  formule  de  saint  Paul  (pii  a  l'ait 
revivre  dans  l'espril  de  Lutlier  le  vrai  sens  religieux'?  Et  il  est 
vrai  <pie,  elicz  saint  Paul,  la  foi  est  conliance;  mais  il  est  vrai 
aussi  (pi'elle  s'appuie  sur  un  système  reliii^ieux. 

Pour  un  saint  Paul,  il  y  a  d'abord  la  foi  vivante;  l'essence 
de  la  foi,  c'est  le  don  de  soi-même  à  Dieu,  la  vie  en  Dieu,  en 
Jésus-Clirist  :  «  Je  vis,  non  plus  moi-même,  mais  le  (Jirist  vit 
en  moi  o  ;  consécration,  ((ui  est  mort  au  péché,  renoncement  à 
la  chair,  à  la  loi  des  membres,  au  corps  de  mort  ;  transfor- 
mation eUeetive  de  loul  l'èlre:  de  là  découlenl  paix,  fermeté, 
espérance  qui  se  nourrit  même  des  aflliclions  et  des  épreuves, 
assurance  de  ne  pouvoir  être  séparé  de  l'amour  de  Dieu.  Foi 
qui  est  agissante  par  la  charité,  et  qui  est  par  grâce,  c'est-à-dire 
don  de  Dieu. 

Mais  en  même  temps  celle  foi  vient  de  ce  qu'on  entend  ; 
elle  commence  par  la  parole  de  Dieu  entendue.  On  croit  en 
vain,  si  on  ne  croit  pas  et  si  on  ne  relient  pas  l'Evangile.  Le 
fondement  de  la  Foi,  c'est  Jésus  mort  pour  les  péchés,  enseveli, 
ressuscité  ;  il  faut  connaître  reflicaee  de  la  résurrection  pour 
se  rendre  conforme  à  Jésus  dans  sa  mort  et  participer  à  la 
résurrection  des  morts.  Ainsi  la  loi  s'appuie  sur  l'œuvre  exté- 
rieure de  la  rédemption  et  de  la  justitication.  Elle  sauve  parce 
qu'elle  est  imputée  à  justice;  c'est-à-dire  (jue  Dieu  applique  la 
rédemj)tion  qui  est  Jésus-Christ  à  ceux  (pii  ont  la  foi  en  Jésus- 
Christ;  |)ar  la  Foi,  le  fidèle  participe  au  drame  cosmique  et 
religieux  qui  s  est  accompli  en  dehors  de  lui.  La  foi  enferme, 
avec  la  confiance  en  Jésus-Christ,  la  connaissance  de  son 
œuvre,  exposée  dans  son  évangile  ;  elle  est  la  foi  dans  la  résur- 
rection qui  fait  lefficacc  de  la  foi.  Elle  n'atteint  le  salut  (pi'à 
travers  la  formule  du  salut. 


LA.    KOI    c:O.NFI.\\CK 


•33 


Kl  si  loin  (lu'on  lemonte  aii\  orii^iiu's,  la  cunliancc  dans  la 
|M'rsonn<'  ou  clans  la  <loclriiK'  s'cnloiirt'  de  l'aulorilé  d'un 
syslrnu'  religieux  préexislaul,  s'appuie  sur  des  preuves,  siixnes 
et  prodii^es,  met  en  œuvre  une  apoloiJ:é4i<pie  naïve.  La  peur  de 
rintelleelualisnie,  le  retour  à  la  pure  nature  aflective  sont  des 
[iht'iiomènes  très  eoniplexes  et  qui  supposent  les  grandes  «'lalio- 
I  allons  systéniaticpies.  contre  lescpielles  ils  réagissent  La  foi  j>ri- 
mitiveesl  plus  tonfusénient  eonii)le\e.  Il  faut  raCliner  les  données 
naturelles,  pour  arriver  à  tant  de  simplieité.  Il  faut  ladaiblisse- 
inent  des  raisons  de  croire,  pour  que  se  libère  la  fois  ans  raison. 

Toutes  les  religions  complexes  présentent  des  pliénomènes 
(lu  même  ordre.  Le  dégoût  de  rinielleetualisme  envahisseur  et 
|)élriliant  les  rejette  à  de  certaines  époques  vers  la  simplieité 
'-pirituelle,  et.  par  un  phénomène  de  défense,  (juand  leurs 
bases  intelleetuelles  sont  menacées  par  la  science,  la  philo- 
sophie, la  criticpie  historique,  les  modifications  de  la  vie  et  de 
la  société,  elles  font  appel  au  sentiment  pur,  elles  le  proclament 
leui'  essence  cl  leur  origine:  ainsi  pour  l'Islam.  Gazali. 

A  j)eu  près  à  lépoque  de  François  d'Assise,  Honen,  au 
Japon,  ramenait  le  bouddhisme  à  la  confiance  filiale  en 
l'amour  paleriu'l  et  la  bonté  d'Amila  Bouddha,  le  Seigneur  du 
pays  de  la  béatitude  : 

Notre  prière  n'est  |)as  le   fi  iiit  des  lumières  que  peuvent 
donner  la  science  ou  la  sagesse. 

()uand  nous  invoquons  Houddha.  (pie  nous  raiq)elons  par 
>on  nom  avec  la  ferme  croyance  que  nous  renaîtrons  dans  son  pa- 
radis, nous  pouvons  être  sûrs  d'être  recueillis  un  jour  par  lui... 

(hielcjue  compréhension  que  l'on  possède  des  doctrines 
(pie  C.akya-Muni  exposa  pendant  sa  vie,  chacun  doit  se  consi- 
dérer dès  l'instant  oîi  il  met  sa  foi  en  le  salut  d' A  mita,  comme 
1  é'j:al  des  ignorants  qui  n'en  connaissent  pas  une  lettre:  il  faut 
mettre  tout  son  c(ein-  dans  la  méthode  qui  consiste  à  |)rononcer 
le  nom  de  Houddha,  en  compagnie  des  ignorants,  et  en  dépouil- 
lant enU("remenl  les  manières  d'un  sage.    > 


î'iî  LA    iii:t.i<;i()N  i:t  i.a   koi 

Ainsi  Kvain,HI('  du  salut  et  de  la  {{«''demplion  par  Hoiiddlia. 
livan^ile  du  Salut  l  niversel,  ([ui  aura  dos  suites  curieuses;  les 
uns  diront  qu'il  suflil,  pour  assurer*  le  salut,  de  concentrer,  ik 
fùl-ce  qu'une  lois,  sa  pensée  sur  la  p:ràcc  de  Bouddha,  à  cause 
de  rideutitt^  uiéta|)liysi(pie  de  son  àme  et  de  la  nôtre  ;  d'où 
parfois  un  certain  laxisme.  D'autres,  qu'il  faut  y  revenir  perpé- 
tuellement; d'où  une  routine  mécanicjue.  De  même  on  se 
tiuerelle  sur  la  foi  et  les  (euvres;  sur  la  capacité  de  l'homme  et 
la  générosité  de  Bouddha,  i^es  disputes  doi^maticpips  renaissent 
de  la  réforme  simplilleatriee.  Shinran  (ri7'3-i2(32)  achève  et 
popularise  cette  doctrine  «le  la  foi,  supérieure  à  la  sagesse  ou 
à  la  véiité. 

"   La  foi,  plutôt  «pie  la  vertu  >>,  telle  était  sa  formule.  Cette 
foi  était  un  don  de  Bouddha  et  non  pas  un  nu'rite  personnel. 
Le   salut    résulte  du   vœu  fine    fit  le   Bouddha   d'accueillir  ses     ^ 
lidèles  dans  son  paradis,  et  des  mérites  qu'il  avait  accumulés 
pour  1  amour  d'eux. 

Ainsi  la  clef  du  salut,  c'est  de  se  perdre  dans  la  grâce  du 
Bouddha,  par  une  foi  exclusive,  oublieuse  de  soi-même  et 
totale  en  son  pouvoir  rédempteur. 

L'Eglise  de  Shinran,  connue  sous  le  nom  de  Shinshu,  la  vraie 
doctrine,  est  aujourd'hui  encore,  de  toutes  les  sectes  japonaises, 
celle  ({ui    compte   le   plus  grand   nombre   d'adhérents  (i). 

Le  modernisme  bouddliicpie  met.  lui"  aussi,  en  avant  le  fait 
concret,  l'expérience  personnelle;  l'illumination  spirituelle, 
c'est  le  fait  que  l'homme  devient  conscient  de  la  nature  de  son 
être  intime  et  de  la  vie  universelle  (2).  N'est-ce  pas  l'esprit 
même  du  bouddhisme  primitif?  Il  ne  s'agissait  pas,  en  effet, 
de  comprendre  le  dogme  de  la  douleur  ou  les  quatre  vérités 
sublimes.  Il  fallait  réaliser  le  sentiment  profond  et  efficace  de 
l'impureté  du  corps,  de  l'inexistence  du  Moi,  du  néant  imiversel. 


i     Anksaki,  Quelques  juiffcs  de  l  histoire  reli^inisc  du  Japon,  8i2 
a    Levba,  Psychologie  de  la  religion,  2M). 


l.\    lOI    CONKIAiNCi;  ui.> 

La  connaissance  théorique  n'est  ([u'un  coniniencement  :  cil»' 
(h'Irnil  les  vues  erronées  :  elle  constitue  l'entn'e  daus  lo  cou- 
raul       ou  eouvcisioii  (  [  ). 


LA    CONFIANCE 

La  Foi   eonlianee,  la  Foi  sentiment  n'est  point  chose  rare. 
Pralt,  dans  son  enquête,  la  trouve  chez  3^  o/o  de  ceux  ({ui  oui 
répondu  à  son  questionnaire.  Et  elle  a  chez  eux  deux  tbrni<*s 
sentiin<'nl  de  la  présence  de  Dieu,  ou,  comme  ils  disent.  instiucL 
conscience  directe  (2). 

Toutes  les  formes  de  la  eonlianee  ont  en  comnnin  la  séeu- 
I  ité.  l'abseuce  de  choc  pénible,  de  trouble,  de  crainte,  d'inquié- 
liide.  une  sorte  de  bien-être,  de  détente  et  de  calme  en  pré- 
sence d'un  être  ou  fl'une  idée.  La  confiance  est  tranquillité 
paisible  ou  apaisement,  même  dans  la  peine  et  dans  l'épreuve  : 
dans  la  soulTranee,  elle  est  bonheur;  dans  le  délaissement  cl 
dans  le  désespoir,  via^ueur  nouvelle:  dans  l'an'^ois se.  élévation  : 
dans  la  sécheresse  et  l'atonie,  calme  et  attachement.  Il  semble 
(|ue  la  volonté  cesse  de  se  tendre,  d'aj^ir.  de  vouloir,  qu'on  se 
laisse  aller  au  gré  dune  force  supérieure;  saisissement,  choc, 
ou  déroulement  paisible.  Il  y  a  épanouissement,  joie,  dilatation, 
enrichissement  d'activité. 

La  confiance  est  un  sentiment  de  ty[)e  slhéni(pie  ;  sa  forme 
la  plus  humble  c'est  la  confiance  organicpie,  l'euphorie,  la  toni- 
cité accrue,  et  aussi  la  facilité,  l'n  tout  petit  enfant,  (jui  se 
raidit  dans  les  bras  d'une  personne  étrangère,  s'abandonne 
eutièrement,  au  contraire,  dans  les  bras  de  sa  maman:  le  nageur 
est  so\q)le,  là  oii  le  eonmieuçant  se  raidit.  Ses  formes  supé- 
rieures en   relii'iincut  (piel((ue  (;hose.  La  confiance  a  toujours 


I    D.vviu,  I.r  Moilcriii.smc  houddhislc 
121   F'ratt,  'l'Iie  Hi'ligion  coiiscinnsrwss,  p.  aif». 


a3G  |,A    HII.UHON    KT    LA    KOI 

asri  sur  le  toips  :  la  Coi  a  dt's  eirels  ])liyyi(|ues.  ]/alliancc  oiihc 
1  arl  dv  K'Jt'iir  le  eoi'[)s  el  l'art  de  i^uriii-  l'àmc  se  relrouvc  dans 
toutes  l(\s  relip:ions  ;  toute  relii^ion  est,  partiellement,  une 
nu'lliode  de  psychothérapie. 

Mais  la  Foi  eonlianee  n'est  j)as  la  eoulianec  en  soi  ;  ni  la 
eoulianee  dans  son  corps,  ni  la  confiance  dans  ses  forces 
proj)res.  Au  contraire,  elle  comuTenee  souvent  par  l'inquiétude, 
par  la  déliance  de  soi-nièine  el  [)ar  l'abandon  de  soi. 

Le  caractère  propre  de  la  confiance,  c'est,  en  même  temps 
que  la  ])résence  des  sentiments  que  nous  avons  décrits,  le  sen-- 
liment  qu'il  y  a  dans  leur  cause  une  réponse  el  une  garantie. 
La  Foi  confiance  suppose  la  fidélité  qu'elle  voue  elle-mèine; 
fidélité  imuiédiate  ou  contractuelle.  KUe  voit  dans  l'être  auquel 
elle  s'ollVe.  non  seulement  la  cause  de  son  réconfort,  mais  la 
I)ropriété  d'en  être  el  d'en  demeurer  cause  :  avoir  confiance 
dans  un  remède,  c'est  non  seulement  savoir  qu'il  a  p^uéri  et 
jfuérit.  mais  croire  qu'il  continuera  de  gnérir;  avoir  confiance 
dans  un  ami.  c'est  croire  ou  savoir  qu'il  vous  aime,  (ju'il  vous 
veut  du -bien.  Ainsi  le  réconfort  du  sujet  trouve  une  contre- 
pactie  a,2:issante  dans  l'objet,  une  fidélité  réciproque,  une  assu- 
rance en  autrui  ;  s'assurer  en  autrui. 

Donc  elle  est  accroissement  de  force,  vitalité  accrue,  avec 
toutes  ses  expressions  physiologiques,  puissance  en  repos  ou  en 
mouvement;  mais  puissance  grâce  à  un  autre  être,  que  l'on  sent 
cause  de  la  |)uis.sance,  et  (jui  a  dessein  de  la  [«roduiic  et  de  la 
favoriser,  un  être  inconnu,  insondable,  et  jxmrtant  familier. 
Kn  s'abandonnant  à  lui,  en  se  soumeltanl  à  lui,  le  croyant  met 
en  lui  sa  force.  Il  devient  plus  qu'il  n'était,  et  ce  va  et  vient 
entre  ce  qu'il  est,  ce  qu'il  fait,  d'une  part,  et  cette  cause  exl<'- 
rieure  de  son  énergie,  l'amplifie.  La  confiance  se  nourrit  de 
tout  ce  qu'elle  suscite;  ainsi  la  paix  intérieure,  en  présence  de 
lobjel  aimé,  donne  un  aliment  à  la  joie.  File  est  attente  heu- 
reuse, jucssenlimeut  paisible,  résonnancc  intense  et  j)rolongée 
de  la  joie,  possession  ti  ancjMille  de  soi. 


LA    roi    COM'IA.NCK  23t 

Donc  la  conliance  n'est  pas  simplonieiit  la  sympalhic  ou 
l'ainoin'.  (Icrlos  l'ainoiir  vl  l'ômolion  Icndie  en  sont  tout  près; 
auioup.  sympalhic.  conliancc  sont  origiiiaircniciit  unis,  cl  il 
laul  1  expérience  pour  les  disjoindre.  L'Amour  se  joint  de 
volonlé  avec  l'objet  aimé  et  se  considère  comme  partie  de  lui. 
L  Amour,  parce  (pi'il  aime,  lend  à  se  croire  aimé;  l'amoiir,  à 
lui  lout  seul,  est  J?age  d'amour  et  il  y  a  l'amour  conliant,  de 
même  (jue  la  conliance  aimante.  Mais  l'amour  peut  douter  de 
la  réponse  et  de  la  fidélité.  On  peut  aimer  sans  avoir  eonliance 
»  l  sans  se  confier.  L'obscur  attachement,  qui  fait  de  celui  qui 
aime  une  dépendance  de  l'objet  aimé,  n'implique  point  cette 
réciprocité  de  liaison,  cette  attente  du  retour  qui  caractérise 
hi  eonliance. 

La  eonliance  est  proche  de  ce  sentiment  de  domination  (pic 
nous  inspirent  certains  cires  :  autorité,  prestiiçe,  quelles  ([ue 
'soient  leurs  raisons  physicpies  ou  morales,  de  nous  en  inq)oser. 
de  nous  subjuguer.  >Liis  elle  a  toujours  (|uel(pie  ciîose  de  plus, 
l'absence  de  réserve,  l'attente  d'une  réciprocité,  la  croyance  à 
la  slabilité,  à  la  permanence,  à  la  perdurabilité.  On  peut  se 
sentir  dominé  sans  avoir  eonliance  :  on  peut  cire  sensible  à  un 
pi'csliue  et  h'  subir,  sans  s'y  abandonner. 

Il  n'y  a  pas  besoin  de  dire  quelle  puissance  de  vie  elle 
«lonne,  puisqu'elle  est  précisément  puissance,  efficacité  accrue, 
lénergie,  tout  l'élan  de  l'àme  humaine.  Il  n'y  a  pas  besoin  de 
dire  ([u'elle  s"acconq)agne  d'espérance,  puis(pi'elle  est  par 
essence  espérance  en  ([uebpi'un  ou  quelque  chose. 
H  Elle  a  bien  des  degrés,  de[)uis  l'intimité  et  l'abandon  sans 
réserve,  jusqu'à  un  siniple  mouvement  de  fidélité;  bien  des 
nuances,  depuis  l'élan  irrésistible  jus(pi'au  rapprochement  dis- 
cret; bien  des  formes,  selon  les  conditions  et  les  sentiments 
<pii  interfèrent. 

On  peut  avoir  confiance  dans  un  être  ou  dans  une  idée 
et  dans  les  deux  cas  [)arce  (ju'ils  accroissent  la  puissance  de 
vivre  et  ([non  leur  attribue  une  puissance  bienveillante  :  un 


!l38  LA    UELUWO.N    KT    I-A     I OI 

systôinc  «'Il  (jui  l'on  a  conliance  csl  en  rralilc  la  rcpiôscntalion 
d'un  syslèiiie  d'êtres,  un  discours  animé  (jui  répond  et  non 
pas  un  univers  muet;  c'est  un  monde  de  choses  disposé  en 
harmonie  avec  l'àme  et  capable  de  la  l'aire  vibrer  intensément; 
un  univers  familier  oîi  l'on  se  rchoiivc,  oîi  l'on  est  chez  soi; 
cela  parle  à  l'àme. 

Ainsi,  la  confiance  enferme  un  jugement  de  convenance  ou 
une  mullilude  de  jugements  de  convenance;  cela  me  convient 
et  je  conviens  à  cela  et  elle  donne  une  immense  valeur  à  cela  : 
la  valeur  de  toute  la  force  éprouvée,  espérée  ou  conçue. 

Kllc  implique  donc  la  croyance  précisément  en  tout  ce  en 
<|uoi  elle  a  confiance,  et  pour  autant  que  croyance  signifie 
conliance.  Le  problème  Croyance  confiance  à  vrai  dire  ne  se 
pose  qu'à  ravcnenient  de  la  vérité;  au  moment  où  se  pose  le 
problème  du  lléel  en  face  des  valeurs. 

Au  début,  il  n'y  a  que  confiance;  et  aussi  toutes  les  fois 
que  le  sentiment  de  la  vérité  intellectuelle  s'affaiblira;  et  toutes 
les  fois  que  l'on  élèvera  la  vie  au-dessus  de  la  vérité.  Au  début 
et  peut-être  à  la  fin  est  le  pragmatisme;  au  milieu,  la  route  de 
l'intelligence  et  dé  la  raison.  On  a  d'abord  conliance  dans  un 
monde  expression  de  l'àme  et  de  ses  besoins;  la  subjectivité 
se  transforme  en  objectivité  et  se  repaît  de  son  objet  où  elle, 
trouve  as.surance.  Sortant  de  soi,  s'abandonnant,  plus  ([ue  soi, 
le  sujet  trouve  dans  l'objet  de  sa  foi  la  force  consentante,  la 
grâce  qui  veut  bien  de  lui. 

La  Confiance,  c'est  donc  la  force  de  la  Grâce,  contre  la 
croyance  proprement  dite  qui  est  la- force  de  la  vérité. 

Mais  dans  la  conslilution  de  la  valeur,  fexistence  n'entre- 
t-elle  pas?  Dans  la  constitution  de  la  puissance,  la  vérité  n'entre 
t-elle  pas?  En  d'autres  termes,  la  confiance  ne  suppose-t-elle 
j>as  un  certain  nombre  de  jugements  de  vérité? 

Il  y  a  une  confiance  qui  n'est  (jue  le  retentissement  de  la 
vérité  éprouvée,  et  dans  les  vérifications,  sur  lesquelles  après 
I ont  elle  s'appuie,  ou  dans  les  anticipations  qui  imaginen  t  ces  véri- 1 


I.A    FOI    CONKIANCK  u39 

litations,  laconliance  trouve  quelque  vérité.  Il  y  a  une  conliauee 
<|ni  n'esf  ([uo  l'assurance  de  la  cr()yan(;o  et  la  force  de  la  vérit»'-. 

Mais  il  y  a  dans  la  foi  conlianee  (luehiue  chose  de  préalable 
et  d'invériliahle  :  elle  suj)pose,  elle  aftirnie  (jue  l'être  est  cons- 
lilué  comme  il  lui  est  nécessaire  qu'il  soit.  Illumination  joyeuse, 
elle  ne  se  demande  |)as  encore  ou  ne  se  demande  plus  ce  que 
<'est  (jue  la  vérité;  elle  la  décrète. 

Aflirmalion  préalable.  (|ui  entre  peut-être  dans  la  nature  de 
la  représentation  et  du  jugement,  qui  est  à  la  base  de  la  crédu- 
lité naturelle  et  instinctive,  de  la  confiance  enfantine  dans  la 
vie,  de  l'optinùsme  général  qui  dépasse  toutes  les  réalités. 

Donc,  il  y  a  dans  la  foi  sous  toutes  ses  formes  un  surplus 
ilaflirmalioM,  (pielque  chose  qui  dépasse  les  raisons  d'adhérer. 
Mais  ce  mouvement  peut  avoir  plus  ou  moins  de  rapport  avec 
la  croyance  et  lui  ressend)ler  plus  ou  moins;  par  exemple,  dans 
le  calholicismc,  il  resscndjlc  à  l'obéissance  intellectuelle  ;  dans 
le  protestantisme,  à  l'espérance  de  l'amour  et  à  la  confiance 
dans  la  promesse,  à  la  vitalité  reconnaissante  :  des  impres- 
sions irrésistibles  apportent  le  salut.  Mais  inévitablement, 
surtout  dans  des  esprits  dogmatiques  et  au  niveau  de  l'idée  de 
vérité,  cette  confiance  aspire  à  se  justifier  et  à  produire  ses 
raisons.  Même  si  elle  est  comme  instinctive,  elle  projette  en 
avant  d'elle  une  croyance.  Entourée  d'un  monde  de  notions, 
en  présence  de  (pii  elle  agit,  elle  s'appuie  sur  elles.  Chez  un 
Luther  la  eonliance  rencontre  la  religion,  la  foi  croyante  ren- 
contre la  foi  qui  est  crue.  La  religion  préexiste,  et  combien 
de  raisonnements  la  foi  ne  contient-elle  pas?  l.'n  Melanchton 
osera  les  montrer;  l'absurdité  des  erreurs  païennes,  l'antiquité 
(le  la  vraie  religion,  les  miracles,  l'excellence  de  la  doctrine, 
^onl  les  (juatre  arguments  qui  meuvent  l'homme  de  bon  sens, 
<  I  à  la  veilu  desquels  s'ajoutent  la  repentance,  la  consolation 
i'\  la  vivilication  (i).  La  confiance  en  celui  (pii  promet  ledcvient 


it    7/1.  1.  Car.  i:.  XiV    Cor/nis,  t.  XV,  col.  m(h» 


•j\i>  l.\     lîKl.lGlO.N    i;i'    LA    I\)I 

aisrinciil  cHiiiliaiicc  en  ciliii  <|ui  |»ai  le.  la  eonliance  dans  la 
priuo  redevient  aisémeiil  la  croyance  à  l'eflicaee  de  sa  vertu , 
à  la  nature  de  la  fj^ràee.  ,lus(|u'au  moment  où  la  défiance  de 
la  laison  ramène  au  sentiment  pur,  la  confiance  est  la  forme 
nalui-elle  de  la  foi,  là  oîi  l'esprit  n'est  pas  tourné  vers  la 
preuve,  là  où  il  n'y  a  encore  ni  philosophie,  ni  science;  ou 
l)ien  par  réaction  contre  la  science  et  la  philosophie  et  pour 
se  défendre  d'elles. 

Il  laut  distinjj:uer  deux  formes  de  confiance  tout  au  moins  : 
la  confiance  des  forts,  l'optimisme  qui  est  expression  d'une 
puissance  :  la  confiance  des  faibles,  le  besoin  d'appui;  on 
s'ouvre  à  rinfiuence  bienfaisante,  on  suj)prime  les  défenses 
qui  sj^ardent  l'intimité  du  Moi. 

Il  va  l'excès  débile  de  la  confiance,  et  la  réserve  invincible. 
L'in(piiétu(le,  l'anxiété  permanente  sont  les  antagonistes  de  la 
confiance;  douleur  morale  et  incertitude,  soulignées  par  une 
sensation  de  conlriclion  physicjue  et  de  malaise  diffus  ;  état 
j)erpétuel  d'appréhension,  soutenu  par  l'aptitude  aux  spasmes 
musculaires,  aux  tressaillements  et  aux  sursauts,  par  l'éré- 
thisme  des  réflexes,  par  la  réaction  brusque  et  intense  du 
système  cardio-vasculairc;  attrait  des  pensées  tristes,  réso- 
nance prolongée  du  chagrin,  hésitation,  perplexité,  doute, 
douloureuse  méditation  de  soi-même  (i).  Bien  des  ûmes  reli- 
gieuses oscillent  de  la  confiance  à  une  telle>  défiance,  par  une 
sorte  de  balancement  cyclothymique.  Beaucoup  réussissent  b 
garder  dans  la  sécheresse,  le  doute  et  la  peine,  une  lueur  d'atta- 
chement encore  à  l'objet  de  leur  foi,  qui  leur  fait  dire  q"e  ce 
n'est  point  infidélité,  mais  épreuve  (i). 

Dirons-nous  une  fois  de  plus  qu'une  telle  forme  de  foi  n'est 
pas  l'apanage  exclusif  de  telle  ou  telle  religion?  Les  religions 
ne  se  distinguent  par  par  certaines  formes  de  vie,  par  certaines 


I 


1/  Devaux  et  Luoim:,  Les  Anxieux,  1917. 
(2)  Sœur  Marie-Colette  du  Sacré-Cœur,  Oa. 


i.A  KOI  coM  iA.\ri:  a4i 

alliludcs  int'ii'alos  ou  seiiliinciilalcs  qui  sei'aitMil  à  leur  usajçe 
propre,  mais  par  la  (ïk^îoii  donl  illcs  on  usent  et  donl  elles  les 
inlèf^renl  à  leur  système  rcliji:ieu\.  11  n'y  a  pas  une  attitude 
immédiate  de  foi,  propre  au  ealholique  ou  au  pi'oteslant,  mais 
un  système  catlioli([uc  ou  protestant  de  la  foi  qui  font 
jouer  des  altitudes  assez  eomplexes,  qui  les  affinent  et  les 
perfeelionnent.  Ce  eliapitre  et  le  piéeédenl  prouvent  préci- 
sément eombien  la  foi  peut  chanjçer.  au  sein  d'une  même 
relii^ion. 

UN  EXEMPLE  DE  FOI  COMPLEXE 

(lomment  s'unissent  dans  une  âme  religieuse,  les  difTé- 
icntrs  formes  de  foi  que  nous  ayons  distinguées,  Texemple 
de  Pascal  nous  le  montre  excellemment,  encore  que.  pour 
des  motifs  que  nous  indicpierons.  il  soit  amené  à  restreindre 
le  rôle  de  la  raison. 

Certes,  on  i)eut  toujours  se  demaiuler  dans  quelle  mesure 
une  apologie  nous  révèle  les  raisons  de  croire  de  son  auteur; 
beaucoup  d'apologies  rellèlent  seulement  les  préoeeu[)ations, 
les  liahiludes  d'esprit,  les  méthodes  scolaires  d'un  groupe 
religieux.  Ce  n'est  pas  le  cas  pour  Pascal.  Son  apologétique 
|)arait  retracer  assez  bien  sa  propre  histoire:  elle  n'est  pas  celle 
de  Port-Royal. 

Pascal  a  éprouvé  tout  le  j)reuiier  la  contradiction  (ju'il 
exposera  à  M.  de  Saci,  la  disproj)ortion  innnense  entre  sa 
condition  et  sa  destinée,  d'oii  il  tirera  un  si  foit  argument, 
(est  la  cause  lointaine  de  sa  conversion,  et  en  même  temps  il 
liouve  ([u'avec  toute  leui'  science  et  leur  habileté,  les  plus 
urands  |>hiI()Sophes  n'arrivent  pas  à  fournir,  sur  les  choses  (|ui 
nous  touchent  le  plus,  une  seule  (U'inonslralion  véritable. 

Ainsi  une  insatisfaction,  (pie  la  philosophie  ne  saurait 
cahner,  et  qui  cherche  ses  remè(h\s  dans  la  religion.  Or.  préci- 
sément à  cette  date,  il  est  occupé  de  la  règle  des  partis.  Notre 
iul(''rcl  est    (raflirnici-  (pie  c'est  la  croix  ([ui  a  raison,  eu   vertu 


.   ,  j  l.K    HELUIION    KT    LA    KOI 

(lu  caUiil  (k's  cliaiucs.  Mais  il  esl  inn)Os.sil)k'  tle  croire  pac 
inU*lliu;tMK't' ;  \v  Dieu  des  philosophes  esl  inulile,  le  cœur  a 
besoin  du  Dieu  vixaul.  L'obstacle  à  la  loi.  c'est  donc  le  mau- 
vais état  du  cœur,  et  pour  lever  cet  obstacle,  il  faut  ployer  la 
machine,  car  Ihomme  esl  mic  machine  dirip;ée  par  des  impres- 
sions el  des  hahiludes;  il  laul  coud)altre  les  passions. 

('/est  alors  bi  lutte,  riche  en  souffrances,  de  la  nature 
altatjuée  et  soUicitée  par  la  grâce,  puis  le  ravissement  du 
•j3  novembre  ifiol;  cerlitude,  Dieu  de  Jésus-dhrisl.  joie,  total 
ahandon. 

Il  y  aurait  donc  eu  d  abord  comme  un  de  ces  grands  émois, 
oîi  s'engloutissent  les  anciennes  valeurs  et  oîi  se  forment  les 
nouvelles:  travail  obscur  oii  toute  l'àme  conspire.  Puis  des 
lueurs  jetées  par  la, raison  sur  cette  sombre  voie,  montrant  la 
route,  qu'elle  n'a  pas  tracée  et  qu  elle  ne  donne  point  la  force 
de  suivre.  Puis  la  coutume,  l'automatisme,  jusqu'à  un  certain 
point,  amène  à  croire  ce  (pie  nous  avons  décidé  de  croire.  Enfin 
l'inspiration. 

(Test  Pascal  et  non  Port-Royal.  Pascal  expose  son  système 
dès  les  premiers  jours  de  sa  retraite  près  de  l'Abbaye.  M.  Sin- 
glin  et  M.  de  Saci  n'avaient  que  défiance  à  l'égard  de  la  raison 
et  s'enfermaient  dans  la  |)ratique.  En  revanche,  Arnauld  sépa- 
rait radicalement  la  théologie  de  la  philosophie  à  la 
manière  cartésienne,  et  voyait  du  pyrrhonisme  dans  la 
prétention  d'ériger  la  foi  en  |)rincipe  universel  de  nos 
jugements. 

Ainsi  se  présentent  dans  sa  propre  vie  les  moyens  de 
croire,  qu'il  devait  assembler  pour  constituer  la  foi  totale  :  la 
raison, la  coutume,  l'inspiration.  Ouvrir  son  esprit  aux  preuves, 
s'y  (lisp(»ser  et  s'y  condiiner  par  la  coutume,  s'offrir  par  les 
humilialions  aux  inspirations  cjui,  seules,  peuvent  faire  le  vrai 
et  salutaire  effet. 

La  raison  incline  à  la  foi  [)ar  les  motifs  de  crédibilité  et  sur- 
tout  par  la  criti(juc  (ju'elle   fait   d'elle-même.  Car  sa  dernière 


I.V    KOI    CONFIANCi:  j^3 

iU'inarche  est  de  roconnaitre  qu'il  y  a  mic  iiiliiiitr  de  choses 
<Hii  la  siir[)ass('nt  ;  «  que  si  les  choses  naturelles  la  sur[>asseut, 
que  dira-t-ou  des  surnaturelles?  »  Il  n'y  a  rien  de  si  eonCorme 
à  la  laison  que  ee  désaveu  de  la  raison. 

II  faut  donc  humilier  la  raison  qui  voudrait  juger  de  ioul. 
et  qui  est  impuissante  à  prouver  ses  propres  principes,  «pie  le 
cœur  lui  lournil. 

Ainsi  la  raison  porte  à  croire,  mais  ee  n  est  pas  elle  (pii 
fait  la  croyance.  La  preuve  de  Dieu  qui  rattache  les  vérités 
i^éométriques  à  une  |)remière  vérité  en  qui  elles  existent;  est 
du  déisme  «  presque  aussi  éloigné  de  la  religion  chrétienne 
<iue  l'athéisme  ».  Dieu  ne  se  connaît  qu'avec  Jésus-Christ.  Le 
Dieu  des  chrétiens  n'est  pas  le  simple  auteur  des  vérités  géo- 
métriques et  de  l'ordre  des  éléments;  «  c'est  la  part  des  païens 
<'t  des  épicuriens  ».  La  raison  sans  Jésus-Christ  est  stérile. 
Alors  même  qu'elle  servirait,  ce  ne  serait  ([ue  pendant  l'ins- 
tant de  la  dénjonstration;  car  une  heure  après,  on  ne  sait  qu'en 
croire  et  c'est  à  recommencer  toujours.  Nous  sommes  vraiment 
incapables  de  connaître  ni  ce  que  Dieu  est,  ni  s'il  est. 

Néanmoins  la  raison  naturelle  porte  à  croire.  KUe  fait 
jouer,  par  l'argument  du  pari,  le  mobile  naturel  de  l'intérêt. 
HUc  s'applique  au  fondement  extérieur  du  christianisme,  aux 
ju'ophéties,  aux  miracles.  Elle  n'apporte  point  la  clarté  par- 
faite qui,  servant  à  l'esprit,  luiirait  à  la  volonté  ;  mais  les 
preuves,  sans  être  convaincantes,  sont  plus  fortes  que  les 
arguments  contraires  (i).  Mais  n'étant  point  convaincantes, 
•  lies  laissent  assez  à  faire  à  la  grâce,  et  c'est  la  grâce  qui  fait 
sui\Te  et  non  la  raison. 

La  coutume  ôte  les  obstacles,  c'est-à-dire  les  passions  :  elle 
prépare  la  machine,  dresse  l'automate  à  la  spiritualité.  (Test 
la   mauvaise   volonté  <|iii  fait   l'incrcHlulité.  On    la  lève  pai-   la 


I  «  Si  on  soumet  tout  à  la  raison,  notre  religion  nmiia  liou  «le  Mi\>lr- 
rieux  ni  de  surnaturel.  Si  on  olioquo  les  principes  de  la  raison,  notre  reli 
^ion  sera  absurde  et  ridicule.   • 


q44  l.\    RKI.IGION    ET    LA    1  OI 

diminution  des  passions,  et  par  l'iniilation  aulomali([ue  de  la 
vie  pieuse  :  on  s'aceoulumc  aux  vertus  intérieures  par  les 
hahiludes  extérieures.  La  coutume  incline  l'aulouuite,  (pii 
entraîne  l'esprit  sans  (juil  y  pense.  Klle  apporte  à  la  persua- 
sion tout  ce  qui  man([ue  à  la  seule  démonstration.  Knlin,  elle 
conlirme,  elle  fait  la  solidité  de  la  croyance.  Car  d'avoir  les 
preuves  toujours  présentes,  c'est  trop  d'atraire.  Ainsi  elle  fait 
nos  preuves  «  les  plus  fortes  et  les  plus  crues  ». 

L'inspiration,  c'est  «  le  sentiment  du  cœur  »  que  Dieu 
donne,  sans  quoi  la  foi  n'est  (pi'humaine  et  inutile  pour  le 
salut.  Elle  est  la  grâce,  elle  est  la  croix;  elle  est  ce  qui  ne  vient 
ni  en  sagesse  ni  en  signes,  mais  qui  vient  pour  convertir. 

La  foi,  quand  on  y  est  parvenu,  seule  permet  de  com- 
prendre l'iiomme,  se»  contradictions,  et  toutes  ces  vérités  qui 
se  contredisent  et  pourtant  subsistent  toutes  dans  un  ordre 
admirable  :  tout,  et  la  nature  et  la  religion,  et  l'incroyance 
même  et  l'ijérésie. 

A  la  raison  près,  dont  Pascal  atténue  le  rôle,  nous  trouvons 
dans  ce  puissant  système  les  grands  principes  que  nous 
venons  de  voir  à  l'œuvre.  C'est  ([iie  l'apologétique  de  Pascal, 
dirigée  contre  les  libertins,  l'est  aussi  contre  les  Jésuites  : 
contre  toute  tentative  d'ajuster  les  dogmes  et  la  morale  au 
niveau  de  la  raison,  ou  de  les  concilier  avec  les  exigences 
profanes  de  la  pensée  scientifique  et  de  la  vie  en  société  (i). 
La  clarté  parfaite  servirait  à  l'esprit  et  nuirait  à  la  volonté. 
Pour  éloigner  le  péril  de  l'atbéisme  et  du  déisme,  il  faut 
j)rendre  le  contre-pied  des  doctrines  qui  justifient  le  cbristia- 
nisme  en  invoquant  sa  conformité  à  la  raison.  Ce  n'est  pas  à 
la  nature  d'expliquer  le  dogme,  mais  au  dogme  d'expliquer  la 
nature.  Comme  l'a  très  bien  montré  le  regretté  Blanehet,  le 
jansénisme,  comme  le    luthéranisme  et  le  calvinisme,  est  une 


'I  Dès  1647,  Pascal  dénonce  le  frère  Saint- Ange  ot  sa  doctrine  optimiste 
et  déiste  sur  "  l'alliance  de  la  foi  et  du  raisonnement  ».  'V.  Umbain,  liei'ue 
d'Ifist,  litt.,  i5  juin  1895.1 


LA    FOI    COM-iANCE  245 

rraclion  violeiUc  (onlic  l'Humanisme, qui  s'cfTorce  de  retrouver 
dans  loutes  les  confessions  un  fonds  ori2:inal  et  commun  de 
rc'lii,non  nalurellc,  et  de  diniiiuicr  dans  la  relii^ion  l;i  part  de  la 
lévélalion  et  de  la  grâce  au  prolit  de  celle  de  la  nature  (i).  Au 
lonlraire,  les  Jésuites,  par  leur  essai  d'adaptation  du  Chrislia- 
nisine  à  la  sociélé.  par  la  tâche  de  leurs  miss-ionnaires,  étaient 
amenés  à  faire  de  notables  concessions  à  cette  méthode;  ne 
leur  reprochait-on  pas  d'affaiblir  les  enseignements  du  christia- 
nisme, de  trop  chercher  à  découvrir  derrière  les  rites  et  les 
cultes  les  plus  divers  le  fonds  commun  de  religion  naturelle  qui 
les  rap{)rochait  de  la  religion  eatholicjue? 

Au  contraire,  Pascal  rencontrait  les  Jésuites  dans  l'emploi 
(le  toute  cette  mécanique  de  la  croyance,  (pie  Uenouvier  a 
appelée  une  «  |)rQvoeation  au  vertige  mental  ».  La  contradiction 
profonde  entre  le  fatalisme  théologique  du  jansénisme  et  le 
dessein  d'une  apologétique  Unit  par  se  révéler  «  dans  le  choix 
l)aradoKal  dune  méthode  de  conversion,  qui  reconnnande 
avant  tout  l'adoption  d'une  discipline  de  la  coutume  et  de 
l'automatisme,  la  soumission  passive  à  des  préceptes,  le  con- 
formisme extérieur  »  (2  .  Il  est  vrai  que  certains  Jésuites 
allaient  plus  loin  (pie  Pascal.  Le  P.  Sirmond. opposant  l'amour 
rlle(.tif  à  l'ainonr  allcctif,  soutient  que  le  chrétien  (iiii  ne  fait 
(pi'obscrver,  [)ar  crainte  de  l'enfer,  les  commandements,  pos- 
sède la  vertu  surnaturelle  nécessaire  au  salut.  C'est  l'œuvre, 
<  est  l'elfct  extérieur  (pii  importe,  et  non  la  disposition 
interne;  c'est  la  soumission  de  la  volont(',  même  sans  la  con- 
\iction  protonde  de  la  raison  et  du  eœui'. 


I  13LAVf;iii:r,  iMliliute  relif^^icii^e  des  Jcsiiilcs  cl  les  Souitcs  du  l'iiri  de 
l'dscal.  Ih'v.  de  Met.,  1919  )  I.c  lidrisine  «lir  Pascal,  sa  criliquc  proCoiule  tl<'  la 
iMisim  di-passent  celte  vaj^uc  li-rulance  à  oiUrer  «  lincerlitiide  de  la  ooiiiiais- 
sauec  liiiinaiiie.  aliii  d  aUénuer  dans  le  <loulc  j,'éi»éi'al  les  dilluiiltés  particii- 
lirres  de  la  leli^ioii  et  dr  pousser  à  la  foi  coiniiic  à  1111  rel'u};»'  les  esprits 
all'amt's  de  repos  »  Si:iii;mkij  ,  teiidaiiee  (|ui  est  à  la  base  de  bien  de>  formes 
du  lidéisine.  I-e  semi-fidéisme  de  Pascal  se  rattache  à  son  demi  empirisme. 
m  rôle  <(n'il  fait  jouer  à  la  raison,  entre  les  principes  «pii  viennent  dn  cieur 
•  t  l'expc-iience. 

a^    HlANCHIiT,   (*.  c  .  <"i',I. 


LIVRE    II 


CHAPITRE    PREMIER 


LA    CERTITUDE    MYSTIQUE 

«  Certitude,  Gertituile,  Senlimtiil,  Joie,  Paix.  ■ 
Écrit  trouvé  dans  Ihahit  de  Pascal  après  sa  mort. 
Ed.  Brlnsciivicg.  p.  i^a. 


ï 


LE     MYSTICISME 


Le  My.sLi([iic  parvient  à  la  certitude  l)éalifirnie  el  s  y  inslalle. 
Le  Myslieisme  est  un  procédé  pour  rranchir  les  diflkullé.s 
intellectuelles  ou  sentimentales  (pii  cliarj^ent  de  leur  {)oids 
1  existence  du  croyant,  on  l)ien  inic  altitude  naïve  (pii  h  s 
i^Miore.  Dans  l'unidealion  de  la  conscience  disparaissent  toutes 
les  paiticidarités,  à  travers  la  complication  descpielles  >e 
l>oursuit  et  se  construit  la  foi  ordinaire.  Le  sujet  y  éprouve  la 
(  ontiaiiitc  de  l'objet.  Le  plein  don  de  soi-même  à  la  eonteni- 
|)lalion  ellace  et  abolit  tous  les  intermédiaires,  cultuels,  doj;- 
matiipies.  sentimentaux.  Mais  la  plupart  du  temps,  un  [)areil 
élat  est  complexe  et  construit,  et  sup[)()se  un  travail  antérieur 
(i  une  réllexion  en  retour.  La  \'n'  est  IVandiie  d  un  élan, 
mais  on  y  retond>e  el  Ton  revient  à  la  justification  inlellec- 
luelle.   L'intelliiicnce  encadre,  prépare  et  justilie. 


a^8  LA    UKI.IGION    KT    LA    KOI 

Du  rosit",  la  loi  ordinaire  Iciui  vors  la  conlemplalioii 
njysti(|uc.  C-clui  (jui  a  la  foi  sent  loujours  (jue  celle  foi  ne  vient 
pas  seulement  de  lui,  mais  aussi  de  l'objet  en  qui  il  a  foi;  ce 
don  de  soi-même  esl  commandé  par  la  puissance  à  laquelle  on 
se  donne  :  ébauche  de  passivité  mysli([ue.  De  même  les  objels 
de  la  foi  sont  affirmés  au  delà  de  la  raison;  ils  apparaissent  à 
l'esprit,  envelopi)és  dinu*  puissance  d'aHirmation  qui  l'ail  partie 
d'eux-mêmes.  La  foi  pressent  au  delà  d'elle-même  la  vision, 
l'appréhension  de  la  réalité  sous-jacentc  aux  objets  de  la  foi 
et  qui  les  déborde.  Enfin,  elle  aspire  à  s'assimiler  à  eux  :  le 
sujet  tend  à  se  dépouiller  de  soi-même,  à  se  faire  send)lal)le  à 
la  i(''alilé  en  la(|Mclle  il  a  foi  (i). 


*     * 


Obscurilé  et  pourtant  révélation;  donc  révélation  mysté- 
rieuse; secret  et  initiation,  tel  est  le  sens  originaire  du  mot 
Mysticisme,  et  quehpie  chose  de  ce  sens  primitif  est  resté  dans 
le  mot  à  travers  toute  l'histoire  de  la  chose.  Union  intime  et 
direcle  de  l'individu  avec  l'être,  appréhension  immédiate  du 
divin,  expérience  intime  de  la  présence  divine  ;  fusion  avec 
l'absolu,  disparition  dans  l'absolu,  telle  est  la  prétention  du 
mysticisme.  Et  de  cet  état  d'âme  suprême  et  hyperessentiel 
rayonne  mieux  que  la  certitude,  puiscpie  l'àme  est  devenue  la 
vérité  :  ^'érilé  obscure,  sans  doute,  puisque  l'esprit  qui  la 
contemple  s'est  élevé  au-dessus  des  modes  ordinaires  de  l'intel- 
Icction.  Ainsi,  plus  (jue  la  certitude  intellectuelle,  el  i)lus  que 
la  certituile  s.entimenlale,  puisque  le  sujet  est  devenu  cela  même 
en  qui  il  met  sa  confiance,  cela  môme  d'où  lui  viendrait,  s'il 
s'en  distinjçuait,  la  certitude  du  sentiincnl. 


I  De  luèine  la  coiilcmplalion  iiiyslique  laisse  après  elle  un  clat  de  vive 
foi.  Sœur  Marie-ColeUe  du  Sacré-Cœur  écrit  :  «  Il  resie  au  fond  de  l'àuie  un 
souverain  respect  envers  lui  el  une  confiance  sans  limite  »,  o.  <•.,  288. 


\ 


LA    CERTITlltK    MYSTIQUi:  249 

(hinii  toi  ('lai  IcMlc  les  àines  religieuses,  cela  va  «le  soi; 
(oiKluéi'ir  l'Absolu,  il  vaut  la  peine  d'y  essayer.  Le  but  allire, 
cl  beaucoup  d'àFUcs  —  nous  verrons  lesquelles  —  sont  ainsi 
faites,  ([uelles  puissent  y  as[)irer.  Kniin,  indépendaniinenl  de 
(  <'['laines  conditions  historiciues  et  sociales  largement  adju- 
vantes, la  religion  même  y  conduit.  Aux  Cormes  inférieures  de 
la  religion,  abondent  les  prati<pu's  extati(|ucs  j)our  s'assurer  le 
contact  utile  avec  la  force  divine;  l'aspiration  ambitieuse  et 
naïve  des  lidèles  n'est  pas  encore  arrêtée  par  les  restrictions 
de  la  sagesse  et  les  tempéraments  d'un  culte  prudent;  le  groupe 
religieux,  ou  certains  individus  piivilégiés,  excités  par  la 
lechni(pie  orgiasticpie  ou  ascéti(pie  de  la  béatitude,  s'identifient 
avec  la  [)uissanee  divine  elle-nicnie.  Aux  formes  supérieures,  le 
Mysticisme  prend  appui  sur  la  religion,  pour  la  dépasser.  Il 
\  ise  à  spiritualiser  en  l'unité  d'une  intuition,  tout  ce  cpie  le 
culte  <'l  le  dogme  ont  défini,  distingué,  fragmenté,  matérialisé: 
à  rétablir  au  delà  des  intermédiaires  rituels,  sacramentels, 
intellectuels  et  liiérarcbiques,  un  contact  immédiat  et  une 
entière  possession. 

Le  Mysticisme  est  un  phénomène  universel  et  non  [)oint 
une  rareté  et  une  anomalie:  encore  (pie  certaines  époques  et 
certaines  religions  soient  particulièrement  favorables  à  son 
épanouissement,  encore  qu'il  parcoure  bien  des  formes  et  bien 
(les  degrés,  depuis  les  cultes  d'excitation  des  primitifs,Jus(|u'à  la 
Ijrol'onde  et  savante  vie  intérieure  (\i\  mysti(jue  bouddhiste, 
nnisulman  ou  chrétien. 

L'Art  et  la  philosophie  ont  aussi  Icuis  mystiques.  Contre 
les  formes  distinctes,  les  délinulations,  la  particularité,  contie 
la  raison  et  ses  règles,  contre  la  fragmentation  ries  sentinic/its 
et  de  leurs  procédés  d'expression,  des  âmes  and)iticuses 
1  »vendi(picnt.  même  dans  ces  domaines,  le  hautain  privilège 
<lc  l'illimité. 


LA    RKI-ICION    T^T    LA    KOI 


L'EXTASE 


Le  l'ail  inysliquo  par  excellence,  c'est  l'extase.  Cette  «  sortie 
de  soi  i),  cette  exaltation  au-dessus  de  la  vie  journalière,  qui  a 
son  jrerme  dans  les  plus  frustes  impressions  d'infini,  est  aboli- 
tion de  la  vie  individuelle,  de  la  conscience  de  soi,  et  réalisation 
intérieure  de  la  présence  divine.  Le  sujet  se  sent  à  la  l'ois 
délivré  de  soi-même  et  possédé  du  divin. 

Mais  il  y  a  l'extase  lyrique,  et  l'extase  utilitaire.  Le  shamane. 
le  nia'i:icien  australien,  cherchent  avant  tout,  dans  l'extase,  des 
hallucinations  utiles:  ils  visent  à  provoquer  chez  eux,  par  des 
macérations  physiques  et  des  préparations  intellectuelles,  un 
état  de  confusion  et  il  excitation,  à  la  faveur  duquel  les  es[)rits 
leur  api^araitront  et  les  aideront  à  pénétrer  dans  l'autre  monde, 
tlOii  ils  reviendront  chargés  de  pouvoirs  magiques  et  de  révé- 
lations prophétiques.  Ici,  le  vertij^e  n'est  point  cultivé  pour 
lui-même  et  pour  les  états  d'ànie  qu'il  procure;  il  n'est  qu'un 
moyen  de  se  rendre  particulièrement  sensible  aux  profitables 
influences  des  esprits.  Cela,  c'est  l'élément  utilitaire  de  l'extase. 
Nous  en  retrouverons  quelque  chose  en  étudiant  l'inspiration 
prophétique. 

L  extase  lyrique  est  une  contemplation  obscure.  Au-des.sus 
des  formes  définies  de  la  relii^ion,  le  sujet  s'élève  à  une  intuition 
qui  enferme  en  une  richesse  ineffable  tout  ce  que  contenaient 
les  rites,  tout  ce  que  disaient  la  méditation  et  la  prière,  et  même 
iidiuiinent  plus.  Obscure,  coutraij^nante,  refoulant  les  modalités 
de  la  conscience  personnelle,  cette  vaste  intuition  s'étale  et  se 
développe.  C'est  elle  qui  va  nous  occuper  présentement. 

Entre  ces  deux  formes  extrêmes,  il  y  a,  du  reste,  bien  des 
intermédiaires;  car  lacontenq)lation  obscure  est  suivie  souvent 
de  visions  précises,  et  le  vertige  utile  est  d'abord  un  état 
confus.  Les  mystiques  les  plus  élevés  connaissent  la  puissance 
j»hvsi(jue  de  l'extase  et  l'empire  de   la  sainteté  sur  la  nature. 


LA    Cl'.UTI  rUUK    MYSIK^UE  tàOl 

\a'   luysliquo  oxploilc  ses  visions;  et   souvent,  c'est  en  extase 
(|iie  le  prophète  vaticine. 


* 


Une  exaltation  confuse  qu'illumine  une  inter[>i'éUitiou  spiri- 
tuelle; ainsi  pouirait  être  détini  l'état  niysti([ae,  cra[)rès  son 
contenu  supraintellectuel  et  sa  prétention  ontologique.  Une 
(  xaltalion  où  s'unifie  tout  le  raffinement  de  radectivitc  la  plus 
|)i'()fonde  et  la  plus  al)straile  —  la  pure  nmsicalité  du  sentiment 
—  et  l'abstraction  d  une  pensée  vide  d  ima^^es  et  de  formes  et 
([ui  ne  garde  des  concepts  que  leur  résonance  supralogique  et 
l'attitude  de  la  connaissance  orientée  vers  l'objectivité.  Ainsi 
de  grandes  altitudes  alfectives,  de  grands  états  de  sentiment, 
aussi  abstraits  que  possible,  et  se  jouant  dans  leur  spontanéité 
pure,  au-dessus,  non  seulement  des  situations  qui  les  suscitent, 
les  encadrent  et  les  précisent,  mais  encore  des  aspects  sensibles 
qu'ils  revêtent  dans  l'existence  quotidienne  :  tout  pénétrés,  du 
reste,  du  sens  ([ue  leur  eoid'èrent  les  idées  auxquelles  ils  se 
ratlaclieuL  i)ar  l'élan  spirituel,  (pii,  dépassant  ces  formes  men- 
tales, relient  encore  ([uelque  chose,  dans  l'inlini  où  il  va  se 
perdre,  des  lignes  qui  le  supportaient;  et  comme  une  affir- 
mation profonde  —  sans  formule  —  d'être  l'Absolu  vivant  et 
agissant. 

Le  docteur  par  excellence  du  Mysticisme,  le  pseudo 
Denys.  a  résumé,  d'une  favon  définitive,  en  trois  caractères, 
lexpérience  myslicpie  ;  Passivité,  Obscurité,  Désappropriation. 
Nous  pourrions  traduire  en  langage  psychologicpie  :  tendance 
à  la  dissocialion,  à  l'abolition  de  la  conscience  personnelle  ; 
émolivité  intense,  raffinée  et  délicate,  étrangement  mêlée  aux 
jeux  d'une  pensée  déliante  de  précision  et  de  clarté  ;  (jui  aspire 
-au  delà  de  ses  symboles  et  (jui  pressent  dans  ses  aspirations. 
•  dans  ses   élans,    dans    ses    luouvenients.    toujours    une    réalité 


aoa  I.A    HKLKllON    ET    LA    I  OI 

plus  profonde  que  ses  réalisations  ;  compliquée  d'interprétation 
()nU)l()u:i(ine,  c'est-;»-dirr  de  la  tendance  à  (aire  de  tels  senti- 
ments, sensibles  ou  intellectuels,  de  telles  altitudes,  un  Absolu. 
Alleclivité  et  intuitivitc  aisément  métaphysiciennes  et  qui 
installent  au  plus  profond  de  l'Etre  leurs  étals  les  plus  confus 
et  les  plus  exaltés.  Telle  est  la  fa^on  d'être,  l'attitude  psycho- 
logique propre  aux  mystiques,  l'aptitude,  pourrait-on  dire,  (pii 
entre  çn  jeu  sous  certaines  condilions  historiques  et  reli- 
trieuses  et  aboutit  à  la  formation  de  tels  états.  Sans  une  telle 
aptitude,  il  n'y  a  pas  de  Mysticisme. 

Sur  ce  fond  psycholop^icpie.  travaillent  les  conditions  liisto- 
ri(pies  et  sociales  ;  les  moments  conlus,  les  mélanges  sociaux, 
les  périodes  désordonnées  ;  l'abaissement  des  forces  d'organisa- 
tion et  d'intellectualisation;  tout  ce  (|ui  favorise  l'inquiétude 
sentimentale  et  l'affranchissement  du  sentiment. 

On  pourra  m)ler,  —  car  l'histoire  en  témoigne  abondam- 
ment, —  la  prolifération  des  phénomènes  mystiques  aux 
époques  de  crise  religieuse  ;  aux  débuts  des  religions  :  il  suffit 
de  rappeler  la  période  des  charismes  dans  le  christianisme 
primitif:  aux  époques  de  fermentation  :  il  suffit  de  rappeler  les 
profondes  altérations  de  la  société  juive  à  l'époque  de  Jésus; 
la  Diaspora,  la  formation  des  sectes,  celle  de  la  synagogue  ;  le 
mouvement  qui  précède  la  Réforme,  les  Frères  du  Libre  Esprit, 
les  lîéghards  hérétiques,  le  Mysticisme  spéculatif  du  xiv"  siècle; 
ou  encore  les  innond^rables  réveils  qui  abondent  dans  toutes 
les  religions  et  qid  s'accompagnent  si  souvent  d'explosions  de 
Mysticisme;  aux  époijues  où  une  religion  troublée  et  ébranlée 
reprend  son  éfpiilibrc  :  sainte  Thérèse  se  rattache  jusqu'à  un 
certain  point  au  mouvement  de  la  Contre-Kéformation,  à  la 
réaction  catholique  du  Concile  de  Trente  ;  de  même  le  quiétisme 
français  ;  aux  époques  de  dissolution  des  religions  :  la  dissolu- 
tion des  cultes  nationaux  sous  l'empire  romain,  les  Mystères  ; 
aux  épocjucs  de  syncrétisme,  comme  en  témoigne  largement  la 
période  alexandrine. 


I.A    CKRTIIUDE    MYSTIQUE  2.53 

Il  est  imilile  de  iiiiilliplier  indéfiniment  les  exemples,  ear 
(oui  cela  revient  à  dire  au  fond  que  l'exaltation  du  Mysticisme 
puise  à  toutes  les  conditions  (pii  permettent  une  vie  religieuse 
iiilense,  alFranchie.  ou  (pii  Icnd  à  s'alFranchir  de  toutes  les 
forces  iiiérarchi(iucs,  dogmatiques,  cultuelles,  qui  font  contre- 
poids au  Mysticisme.  VA  il  resterait  toujours  à  expliquer  les 
conditions  (pii  rendent  possibles  ces  crises  religieuses  ;  causes 
historiques  et  sociales,  formation  et  ruine  de  nations,  luttes 
sociales  et  historiques,  mélange  des  peuples  ;  causes  psycholo- 
giques, causes  j>roprement  religieuses.  L'inquiétude  religieuse 
est  un  phénomène  trop  complexe  pour  qu'on  puisse,  à  l'heure 
présente,  formuler  les  conditions  qui  lui  ont  donné  naissance, 
dans  tous  les  tenqis  et  dans  tous  les  pays. 

Le  Mysticisme  a,  du  reste,  ses  milieux  de  culture,  oii  il  se 
continue  et  se  propage,  quelles  que  soient  les  vicissitudes 
hist(Mi(pies  de  la  Société;  ainsi  les  ordres  monastic[ues  ; 
(juclques-uns  d'entre  eux  font  appel  aux  prédisposés  et  les 
mettent  dans  des  conditions  excellentes  j)our  réaliser  leur 
prédisposition  ;  ils  leur  proposent  un  idéal  de  contemplation 
mysti([ue,  la  fascination  d'illustres  exemples,  et  leur  enseignent 
et  leur  imposent  les  exercices  spirituels  et  les  procédés  ascé- 
ticjucs,  qui  volontiers  aboutissent,  —  la  prédisposition  aidant, 
—  aux  élats  mystiques. 


* 


Sous  leur  diversité  apparente,  tous  les.  procédés  (jui  mènent 
à  l'extase  ont  pour  objet  d'établir  des  élats  confus  qui  se  prêtent 
;i  une  interprétation  spirituelle.  L'orgie  et  les  macérations 
])euvent,  l'une  aussi  bien  que  les  autres,  aboutir  à  l'extase;  à 
condition  (juil  y  ait  au-dessous  d'elles  une  attitude  desprit  qui 
les  dirige  et  qui  profite  du  trouble  qu'elles  provoquent  :  et  cette 


254  ^^    RKUGION    KT    LA    lOI 

altitiidt'  (1  osjn'il  snflit  parfois  à  elle  seule,  car  l'extase  soil 
aussi  bien  de  l'approCondissemenl  de  la  vie  intérieure  (i). 

Qu'elle  puisse  sortir  indinércmnient  des  macérations  ou  de 
l'orjyie,  cela  n'a  rien  qui  doive  étonner,  puisqu'elle  a  pour 
condition  un  élat  de  trouMe.  de  vertige,  de  confusion  qu'elles 
peuvent  également  produire,  et  puiscpie  toutes  deux  conduisent 
à  l'épuisement  :  les  procédés  ascéti(iues,  le  jeune,  la  privation 
de  sommeil,  les  exercices  mécaniques  ou  spirituels  peuvent,  en 
somme,  aboutir  au  même  résultat  que  l'excitation  orgiaque, 
danse,  ivresse,  fumigations,  excès  de  toute  nature.  Mais  ces 
procédés  tout  seuls  n'entraînent  pas  nécessairement  l'extase,  et 
elle  peut  se  produire  sans  eux. 

Ils  n'agissent  en  somme  que  sous  condition  d'une  direction 
mentale,  d'une  attitude  d'esprit;  il  ne  suffit  pas  déjeuner  ou  de 
danser  pour  devenir  un  dieu,  ou  même  pour  contempler  un 
dieu  ;  il  faut  donner  à  l'excitation  confuse  qui  vient  du  jeûne  ou 
de  la  danse  la  forme  d'un  dieu  ;  et  cela  n'arrive  que  si  l'esprit 
la  porte  déjà;  soit  que  par  un  long  travail  il  arrive  à  l'imposer 
im  jour  aux  ombres  que  l'askèse  ou  l'orgie  ont  suscitées;  soit 
f|ue  cette  forme  et  cette  matière  se  rejoignent  plus  brusquement, 
dans  une  conscience  toute  prête  pour  cette  synthèse.  Dans  les 
deux  cas,  la  foi.  implicite  ou  explicite,  précède  la  réalisation  de 
l'objet  de  la  foi  (2)  ;  et  quand  cette  réalisation  est  lente,  on 
voit  à  merveille  comment  la  croyance,  la  méditation  de  la 
croyance,  l'aspiration  de  la  prière,  la  passion  qui  se  dégage  des 
objets  spirituels  longuement  présents  à  l'esprit,  ce  vertige 
spirituel,  rejoignent  cette  passion  et  ce  vertige  qui  viennent 


(1I  L'Ascétisme  peut  conduire  aux  états  extatiques  par  deux  moyens  :  la 
simplification  de  la  vie  qiii  concentre  toute  l'attention  sur  les  thèmes  reli- 
g^ieux  ;  l'obnnbilation,  le  mélang-e  de  stupeur  et  d'excitation,  qut  provient  de 
la  fatigue  ou  de  l'i-puisemonl. 

(2I  Iavf.t  Œfs  Rèi'cs  narcotiques  et  leurs  eonséqaences,  Journal  de  PsyckologU' 
1921,  4o5\  fait  justement  remarquer  que  la  plupart  du  temps  le  rêve  narco- 
tique «  est  favorise  par  une  pliasc  d'orientation  volontaire  préoniriijue  qui  le 
circonscrit  et  le  prépare,  la  narcose  venant  consécutivement  lui  donner  tout 
son  lustre  et  sa  lixité  ».  «  Le  désir  et  le  toxique  se  prêtent  un  mutuel  concours 
pour  dresser  dans  le  psychisme  l'idée  flxe  prévtilentp.  » 


i.v  cKHirTini:  mystiouk  u5r> 


«leii  bas,  cette  excitation  confuse  ([ui  se  dég^aji^e  des  pratiques 
orgiaques  ou  ascétiques.  Ainsi  la  tension  mentale  est  une 
condition  nécessaire  et  même  parfois  «[ui  suflit;  car  elle  sufdl 
à  elle  seule  à  cn'er  le  trouble  nécessaire,  indépendamment  de 
lout  procédé  extérieur.  Et  l'attention  que  l'àme  porte  à  elle- 
même,  la  culture  de  la  vie  intérieure,  rapprofondisscmeut  de 
la  conscience,  les  raffinements  de  la  sentimentalité,  peuvent 
aboutir  tout  seuls  à  cette  profonde  rêverie  sans  paroles  et  sans 
ima^'cs,  à  cette  élévation  involontaire  et  ineffable,  qui  sont  àa 
matière  de  l'extase  lyri<|ue.  et  dont  s'empare  son  exigence 
d'absolu  pour  les  proclamer  divines. 

Ainsi  l'extase  s'iusljiUe  aussi  bien  sur  la  torpeur  contempla- 
tive que  sur  l'agitation.  Les  danses  extatiques  utilisent  l'étour- 
<lissement  du  mouvement,  l'ivresse  motrice,  Texcitation  collec- 
tive :  impression  de  vie  surabondante  et  folle,  désir  éperdu. 
oubli,  absorption,  commencement  dinlini  ;  l'excitation,  le 
\ertige    et    l'adoration    construisent    ensemble    la    possession 


«llMUC. 


I 


L'extase  est  d'abord  la  négation  de  la  vie  habituelle  ; 
d'abord  simple  élévation  au-dessus  du  niveau  journalier,  puis 
oubli,  désorientalion.  A  ses  degrés  plus  élevés,  abandon  total 
du  «  discours  »  et  de  la  pensée  fragmentaire  par  «  composition 
et  par  division  »,  refoulement  à  l'état  de  virtualités  subcon- 
scientes de  toute  imagerie  mentale,  de  toute  représentation 
sensible,  abolition  de  toute  conscience  de  la  distinction  du  Moi 
et  de  son  Objet. 

Les  degrés  et  les  noms  varient  avec  les  Mystiques  (i): 
artistes  subtils  ils  se  coinpiaisent  à  décrire  ces  moments  de  la 


(I)  Il  II  esl  point  nécessaire  d'entrer  i<i  dans  le  détail  ;  renvoyons  à  sainte 
Thérèse  pour  ses  descriptions  de  la  quiéttide,  de  l'nnion,  <Ie  l'extase  et  dn 
ra\  issenient  ;  renvoyons  à  M""  Guyon  et  à  sa  voie  passive  en  (bi  ;  renvoyons 


250  LA    IIKLIC.ION    KT    LA    KOI 

vie  (le  làine  qui,  réunis,  l'ormeiit  la  vie  mystique  «  comme  les 
saisons  forment  l'année  »  ;  toutes  ces  variétés  enferment  une 
essence  commune,  réalisation  de  la  présence  divine  par  aboli- 
tion de  la  conscience  personnelle  ;  intnition  sans  formule, 
illumination  sans  explication  ;  passivité  de  Fàme  élevée  à  ces 
faveurs  et  ([ui  ne  peut  ni  résister  ni  se  les  procurer  à  son  gré; 
de  sorte  que  ces  états  surgissent  en  dehors  de  toute  attente  et 
de  toute  préparation  mentale,  sans  travail  ni  effort,  loin  de 
tous  les  procédés  d'entraînement  qui  ont  pu  servir  à  les 
commencer.  Ce  sont  toujours  les  trois  caractères  que  le  Pseudo 
Aréopagite  assignait  à  toute  expérience  mystique  ;  abstraction, 
obscurité,  passivité.  Ainsi  une  exaltation  qui  est  aussi  une 
connaissance,  une  puissance  qui  est  aussi  une  impuissance,  une 
gamme  d'états  délic^ieux  à  travers  l'inquiétude  et  le  trouble  ; 
car  rinsalisfaction  et  le  malaise  accompagnent  le  progrès 
spirituel  conmie  le  signe  de  ce  qui  reste  à  accomplir,  et 
«  l'horreur  sacrée  de  la  nuit  de  l'esprit  »  donne  l'aspect  d'un 
abîme  à  cette  obscurité  pleine  de  lumière. 

Les  observations  sont  innombrables,  et  elles  se  ressemblent 
beaucoup.  Certaines  d'entre  elles  permettent  de  bien  séparer, 
de  numéroter  presque  les  phases  du  phénomène.  Dans  un 
document  du  plus  haut  intérêt,  récemment  publié  par  Flournoy, 
la  .Mystique  moderne,  dont  il  publie  les  notes,  distingue  quatre 
phases  : 

La  libération  du  Moi  ; 

La  conscience  d'une  autre  réalité,  essentielle  et  immuable; 
attente  i)arfois  peureuse,  anxieuse,  parfois  résistance;  ; 


à  tous  ces  anal\  slfs  de  la  vie  inléiieiire,  (lui,  suivant  leur  expérience  et  les 
préoccupations  de  leur  temps,  l'ont  décrite  avec  minutie  et  formulée  copieu- 
sement en  un  certain  nombre  de  thèmes  ;  demeures  de  plus  en  plus  éblouis- 
santes et  somptueuses,  châteaux  de  l'ànie  ;  itinéraire  du  pèlerin,  voyage; 
degrés,  montée  du  Carmel  ;  sceau  et  secret  ;  obscure  nuit  et  illumination, 
thèmes  du  jour  et  de  la  nuit;  amour  myslirjue,  fiançailles,  mariage  spirituel, 
vertige  rl'amour,  sensualité  voilée  de  métaphores,  cantique  des  cantiques; 
carte  de  Tendre  aussi  et  légers  badinages,  fioritures  de  naïf  amour  ;  liqué- 
faction, fusion,  écoulement,  les  Ijaumes  et  les  odeurs,  la  transformation,  la 
transmutation,  l'alchimie  ;  coupe  mystique,  ivresse  et  sommeil. 


L.V    CEHTITUnr    MYSTIQUE  ■J.)J 

Le  moment  paroxystiiiuc  ;  il  n'y  a  plus  rien  t-t  il  y  a  (oui; 
<'t'sl  une  forée  vivante,  un  eouiant  de  vie,  un  eontact  aniouieiix, 
l)roron(l,  avec  la  réalité  nièuie  ;  savoir  absolu  cl  poinljinl 
mystère  et  ineirabilité  : 

Le  retour  à  soi.  la  reprise  de  conscience;  délectation 
parfois  un  peu  anxieuse,  travail  d'assimilation  commençante; 
une  certaine  peine  à  se  remettre,  comme  le  retour  d'un  choc 
ou  d'un  évanouissement  ;  parfois  même  bouleversement. 
Difficulté  de  réaliser  et  de  formuler;  mais  impression  persis- 
tante, certitude  absolue  de  la  réalité  de  l'expérience  et  de  la 
|>résence  du  divin. 

Otte  description,  en  somme,  résume  bien  1  immense 
variété  de  documents  que  nous  transmettent  les  littératures. 

Ce  sentiment  peut  ensuite  soulever  des  doutes,  appeler  un 
travail  de  justification,  ou  s'affirmer  en  toute  rigueur;  le 
Mystique  essaiera,  avec  plus  ou  moins  de  bonheur,  de  l'intégrer 
à  sa  vie. 
ft'  Tous  ces  moments,  certes,  s'impliquent  et  s'interpénétrent 
plus  ou  moins.  En  particulier,  un  point  préoccupe  tous  les 
mystiques.  Est-ce  dans  la  phase  paroxystique  de  l'extase  qu'il 
y  a  conviction  de  la  présence  du  Divin,  est-ce  af)rès  l'extase?  (i  ) 
Létal  suprême  admet-il  ce  commencement  de  dualité  (ju'im- 
l>Ii(jtu'  une  affirmation,  la  conscience  claire  de  la  transformation, 
(le  la  possession,  ou  ne  faut-il  pas,  |)()ur  le  réaliser,  un  peu  de 
recul  ;  de  même  que,  dans  toute  éniotion  vive,  il  semble  que  le 
(hoc  soit  perçu  d'abord  comme  tel,  et  (pie  la  qualité  propre  de 
l'cmolic^n  ne  soit  aperçue  <ju'à  mesure  de  l'adaptation  commeu- 
<;inti'. 


i)  Voir  l'oliservation  de  b'i.oi  ii\ii\.  |i    i  io      nalis.iiil  dans  1  f\|i(ri(iirc.  ou 
\   ajoiilant  après  foiip   une  oiiuviclion  <lc    la   présciico  personnelle  «le  Dieu  >, 

<  r.  Saimi:  Tiii.ni;si;.  Traduetion  nouvelle,  II,  l'i!^,  i3r).  ■■  (^oniniont  al-elle  vn  et 

<  iilendu  (jn'cUe  a  élc  en  Dien,  iiuisqn'en  cet  état  elle  ne  voit  ni  n'enten»!  '.'  Je 
ne  dis  pas  qu'elle  la  \u  alors,  mais  qu'elle  le  voil  clairement  ensuite,  el  eela, 
iinn  au  moyen  d  une  vision,  mais  par  une  convietion  (pii  lui  reste  el  que 
Di<Mi  seul  peut  donner.    ■ 

17 


a58  LA    RELIGION    ET    LA    FOI 

Il    est   peu    probable   qu'il  saisisse  ici,  même  au  moment 

paroxystique,   d'inconscience    totale.   Nous   avons    discuté   la 

qut'slion  dans  un  autre  livre.  Certes  il  y  a,  dans  tous  les  états 

confus  el  dans  l'émotion  profonde,  le  péril  d'aller,  si  l'on  peut 

dire,  jusqu'aux  limites  de  la  conscience,  de  sorte  que  parfois 

on  revient  à  soi  avec  quelque  stupeur  : 

J'étais  tantôt  l)ien  loin  d'ici... 

Mais  d'où  je  viens  nul  ne  saurait  le  dire. 

Il  y  a  dans  la  béatitude  extatique  un  moment  où  l'on  ne  se 
sent  plus  vivre  ;  dans  le  paroxysme  de  l'exaltation,  un  abîme 
où  il  semble  que  tout  disparait  :  les  éblouisscments,  les  émer- 
veillements sont,  en  un  sens,  une  rupture  de  la  synthèse 
mentale,  un  arrêt  de  la  pensée. 

Mais  ce  n'est  poijit  rinconscience  de  l'attaque  épileplique, 
ni  même  l'état  crépusculaire,  l'obnubilalion  intellectuelle  qu'on 
y  sigrnale  si  souvent.  Pas  davantage  l'état  de  vide,  d'engour- 
dissement, de  torpeur,  de  stupeur,  d'étrangcté,  d'irréalité, 
qu'on  note  si  souvent  dans  différentes  psychoses.  C'est  un  point 
sur  lequel  il  est  beaucoup  moins  nécessaire  d'insister  aujour- 
d'hui qu'autrefois.  La  peu  inquiétante  Dépersonnalisation, 
elle-même,  comme  le  montre  bien  Dugas,  même  dans  ceux  de 
ses  états  où  le  sujet  a  conscience  de  sortir  de  soi,  de  se  détacher 
de  son  être,  est  autre  chose.  La  contemplation  passionnée  de 
l'extase  «  l'identilication  de  la  personne  en  extase  avec  l'objet 
de  sa  contemplation  »  fait  violemment  contraste  avec  l'indif- 
férence du  dépersonnalisé  (i)  :  comme  aussi  l'élan  synthétique, 
l'intuition  avec  la  multiplicité  des  impressions  banales,  que  ce 
dernier  regarde,  tout  en  s'en  désintéressant. 

Que  la  gamme  mystique  soit  ample,  et  les  états  ainsi 
décrits  aptes  à  se  diluer  ou  à  se  concentrer,  il  n'en  faut  point 
douter.  Le  mot  d'extase  est  vague  et  couvre  bien  des  choses. 
La   série  des  états   confus  va  de  Tinfra  au   supralogique,  des 


(i    DcGAs,  Dépersonnalination,  iG8.   Voir   noire  tude  :    les  Etats  extatiques 
d'Amiel.  [Vers  l'Unité  ly^i-. 


LA    CERTiriDi:    MYST1<,)UI.  209 

apjtiiiiM'issements  de  conscience,  de  la  stupidité  et  de  l'abru- 
tissement, jusqu'à  rexaltalioii  et  la  plénitude;  de  la  torpeur 
héale,  de  l'obnuMlalioii  pathologi([u»'  à  l'extase  lyrique  du 
grand  artiste.  \N  illiam  James  l'a  suivie  dans  son  évoliilion; 
nous  renvoyons  à  ses  analyses. 

Ces  états  d'âme  sont  souvent  accompagijés  de  troubles 
pliysi<iues  ;  concomitants  de  l'émotion  vive  :  phénomènes 
convulsifs  ou  cataleptiques,  (jui  chez  beaucoup  de  malades  lont 
le  tout  de  la  prétendue  extase.  Il  y  a  tant  de  pseudomystiques, 
(|ni  ne  sont  que  des  aliénés  ou  des  nerveux  méconnus  par  un 
pieux  entourage!  Il  y  a  beaucoup  de  maladie  surajoutée  au 
mysticisme  :  et  parce  qu'un  certain  déséquilibre  nerveux 
stigmatise  volontiers  les  organisations  exceptionnelles,  et 
parce  que  Tinfluence  de  la  littérature  et  la  suggestion  d'exemples 
vénérés  agit  puissamment  sur  des  nerveux  et  des  débiles. 

L'extase  nie  l'expérience,  et  prétend  «  à  une  posilivité  trans- 
cendante •).  Elle  est  conscience  cosmique  et  supralogitiue. 
Comme  la  foi,  elle  est  certitude  d'être  au  cœur  de  l'être,  mais 
les  précisions  intellectuelles  ou  sentimentales  sur  lesquelles 
repose  la  loi  ont  disparu.  Gomment  donc  un  tel  état  d'àme 
est-il  possible?  Quels  sont  les  éléments  qui  le  constituent? 


* 
*     * 


Il  y  entre  beaucoup  d'Amour  ;  adoration  passionnée;  grande 
joie  passive,  plein  don  de  soi-même,  fusion,  voilà  les  termes 
(pii  reviennent  constamment  dans  ces  vocabulaires  si  sem- 
blables. Mais  l'Amour  mystique  commence  au  sommet  de 
l'Amour.  Certains  Mystiques  distinguent  volontiers  ce  qu'ils 
appellent  1'  «  Amour  superficiel  »  de  l  «  Anu)ur  inunense  et 
simple  »  où  l'àme  disparait.  Il  n'y  a  qu'un  Amour  et  sans  retour 


a()0  LA    UKLli'.ION    KT    LA    KOI 

sur  soi  (1).  C/esl  plus  haut  que  la  vie  amoureuse,  à  son  ordi- 
naire, où  le  don  se  eonibinc  avec  l'exigence,  oîi  le  don  laisse 
tout  au  moins  subsister  le  sentiment  de  soi.  (^cla  correspond  à 
cette  zone  de  l'Amour  où  toute  distinction  s'efface,  où  tout  se 
perd  dans  l'ivresse  pathétique. 

Le  Mysli([uu  a  commencé  par  l'amour;  il  a  vécu  dans 
l'adoration,  dans  la  fascination,  soigneusement  entretenue,  du 
divin  objet  de  ses  jeunes  ardeurs;  mais,  si,  au  terme,  il  parle 
encore  d'amour,  c'est  que  l'amour  est  le  sentiment  (jui  l'a 
conduit  à  cette  exaltation  suj)érieure  et  qui  lui  ressemble 
encore  le  plus.  Tout  sentiment  porte  en  soi  comme  un  arrière- 
fond  de  sentimenlalilé  confuse  et  diffuse,  et  dès  qu'il  rêve  sur 
soi-même,  au  lieu  de  se  tourner  vers  l'action  et  vers  les  situa- 
tions (lu  monde,  dès  ^ju'il  j)rend  forme  extatique,  il  se  dépouille 
de  sa  détermination  initiale.  Il  y  a  dans  tout  sentiment 
profond  un  point  oîi  cesse  sa  (pialité  propre,  où  le  sentir, 
exalté  en  <]ucl(iue  sorte  par  le  sentiment  précis,  le  dépasse  et 
s'enfonce  en  soi-même,  dans  sa  propre  exaltation;  quiétude  ou 
inquiétude  oublieuse  de  ses  origines,  de  ses  motifs,  de  la 
situation  (pii  l'encadre.  Aussi  les  aspects  dilTérenciés  de  la  vie 
affeclive  sefï'acent,  et  ce  qui  subsiste,  c'est  une  espèce  d'exal- 
tation ou  de  dépression  alFective,  une  espèce  d'aspiration  ou 
de  détente,  de  satisfaction  ou  d'insatisfaction;  une  mer  de 
confuse  affectivité,  exaltée,  recueillie,  éperdue,  qui  submerge 
tout  l'être.  Ainsi  l'amour,  ici,    c'est  le  schéma   dynamicpie  de 


(I)  Voici  un  exemple  :  «  C'est  une  grâce  particulière  à  IVime  qui  aime, 
quand  elle  ne  sent  pas  les  feux  de  son  aniour.  et  quand  elle  doute  même  si 
elle  a  qnehine  amour.  Car  ain?;i  ni  le  sentiment,  ni  la  vue,  ni  l'assurance  n'y 
peuvent  faire  couler  rien  d'impur.  » 

•  Il  arrivera  (|uel<|ue  fois,  nous  dit-on  encore,  que  voire  cœur  aimera  en 
elfet  et  qu'en  mrme  temps  vous  sentirez  qu'il  n'aime  pas.  N'en  soyez  pas 
surpris;  ces  d«'ux  choses  s'accordent  très  bien;  cette  disposition  est  fort 
sujjcrlte  et  fort  corromi)ue.  où  le  cieur  humain  repose  danft  son  amour  et  non 
pas  dans  l'objet  de  son  amour,  et  par  un  retour  et  une  réflexion  iiilldcle, 
apjiuie  et  se  complaît  dans  le  feu  sacré  qui  le  brûle,  non  pas  dans  celui  qui 
l'a  allume  :  car  c'est  là  justement  pour  éteindre  cette  flamme  divine,  et  jjour 
n  avoir  plus  qu'un  feu  bjtard,  qii'échaulfe  et  qu'allume  ai)rcs  unicjuemenl 
l'amour  j»ropre.  « 


i.A   cKKTiriDi;  M^siKu  i:  uOr 

l'ainour  cxallr  ;i  liiilini.  eux  aliissaiil  loiilc  la  coiisciciicc  :  f.'esL 
l'amour  profond,  coiiriis  cl  iiidislincL,  rainour  njysli(iu(\ 
incapable  de  se  repiésentcr  un  objel,  de  se  rcpréscntor  à  soi- 
nu'inc  sous  une  apparence  d'objet,  un  anioui'  (pii  est  comme 
absorbé  et  ena^louli  dans  soi-même,  au  point  de  perdre 
eonscienee  de  soi:  d'où  les  mois  de  fusion,  de  li([uéfaction. 
d'extase. - 

Ainsi  une  exaltation  du  sentiment,  (jue  Ion  peut  à  peine 
encore  appeler  amour,  vite  ineflable,  et  qui  s'éprouve  divine  et 
se  divinise  lorsqu'elle  s'aperçoit  et  se  pense  elle-même. 

Ceci  correspond  à  la  phase  suprême  de  la  possession 
amoureuse  :  tous  les  autres  moments  de  l'amour  ont  leur 
correspondant  dans  les  étals  mystiques  :  aspiration  confuse  et 
attraelion  subie,  transports,  inquiétudes,  peines,  sécheresses. 
Et  volontiers  cette  extase,  oîi  l'amour  s'est  perdu,  revient  à  soi 
sous  la  forme  de  l'amour.  L'amour  indiirércncié,  lorsqu'il 
s'a[)parail,  [)rend  la  li|4urc  de  l'an^our;  un  objet  et  un  sujet 
s'élèvent  de  la  confusion  et  du  vertige.  Ou  bien  l'objet  n'a  pas 
encore  de  réalisation  plastique;  mais  il  a  déjà,  pourrait-on  dire, 
une  réalité  nuisicale.  Deux  voix  s'élèvent  du  silence  de  tout  à 
r heure,  comme  deux  voix  le  précédaient.  Ou  bien  le  mystique 
donne  liu:ure  sensible  à  son  amour  :  visions  intellectuelles, 
anu)urs  particulières.  L'objet  idéal  i)ren(l  forme,  fantôme 
tendre,  présence  familière  ou  inattendue,  objet  d'un  culte 
jouinalier. 

Connue  il  se  nuMe  à  la  sensualité  un  mysticisme  inévitable, 
il  y  a  souvent  quekjue  sensualité  dans  le  mysticisme.  Kl  d'abord 
une  sensualité  d'imagination  et  de  langaiçc.  Un  schéma  alfeelif 
commun  s'enveloppe  volontiers  des  nu'mes  mots  et  des  mêmes 
imagi's. 

Et  puis  les  mysti<[ues  savent  bien  (pie  la  sensibilité  vibre  et 
que  les  formes  de  l'amour,  (pi'ils  disent  inférieures  et  humaines, 
sont  voloiitiers  éveillées  par  les  mouvements  du  pur  amonr. 
In  des  plus  grands  doeletu's  du  myslieisme,  saint  Jean  de    la 


2r>2  LA    UKLIGION   ET    LA    KOI 

Croix,  a  traité  subtilement  de  la  luxure  spirituelle.  «  Les  mou- 
vements de  la  sensualité  s'élèvent  souvent  dans  leurs  exercices 
spirituels  :  il  nest  pas  en  leur  pouvoir  de  les  empêcher;  et 
cela  quelquefois  arrive  lorsque  l'àme  est  appli(iuée  à  la  plus 
sublime  oraison.  » 

Cette  remar(|ue  (ail  droit  à  ce  qu'il  y  a  de  solide  dans  la 
théorie  «  érotou:énéli(jue  »  du  mysticisme.  Analogie  du  schéma 
alTectif,  sublimation  parfois  et  déviation  du  besoin  sexuel 
comprimé.  Erotisme  et  mysticisme  peuvent  et  doivent  se 
rencontrer  et  s'accompagner  quelque  temps  {i). 


* 

*     * 


La  contemplation  mystique  ressemble  au  lyrisme  et  à  la 
musique.  Les  lyriques  ont  presque  tous  décrit  des  états  compa- 
rables; s'endormir  et  devenir  une  àme  vivante  qui  voit  jusqu'à 
la  vie  des  choses  ;  sentiment  extatique  de  la  vie  ou  de  la  nature 
et  protestation  contre  la  séparation  injuste  (2)  ;  élan  vers  l'in- 
lini,  étourdissante  extase. 

Mais  elle  est  un  lyrisme  vide  d'images,  ramassé  à  son  point 
de  concentration,  ramené  à  la  nébuleuse  initiale. 

Au  même  sens,  elle  est  musique.  C'est  un  fait  qui  m'a 
souvent  frappé,  que  volontiers  les  musiciens  reconnaissent  le 
son  de  leur  àme  dans  l'expression  des  états  mystiques.;  et  plus 
d'un  m'a  dit  qu'en  lisant  mes  descriptions  il  avait  reconnu 
l'invention  musicale.  Beaucoup  de  mystiques  et  d'écrivains,  qui 
ont    rélléchi  sur    le   mysticisme,   ont  eu    conscience    de   cette 


(ij  II  y  a  chez  certains  niysli<jiies  comme  une  oscillation  entre  la  religion 
ci  l'érolisme.  l'nc  sorte  d'état  d'indécision  et  de  jeu  entre  les  deux.  Le  sujet 
s'excite  avec  l'un  et  avec  l'autre  II  confond  les  deux  ordres  à  la  faveur  de 
l'indistinrlion  profonde  des  états  troublants  et  parfois  les  confond  avec'  une 
pointe  de  dilettantisme.  On  peut  consulter  sur  ce  point  l'observation  de 
Flournoy. 

{2;  Caza.mia.v,  L'Intailion  panthéiste  chez  les  Romantiques  anglais,  [liev. 
germ.,  juillet-août  1908.) 


LA   CERTITUDE    MYSTK^UK  2C3 

intimo  parenté;  elle  s'exprime  bien  dans  ces  paroles  de 
M''''(lay:  ^<  J'avais  de  la  musique  plein  l'àme,  plein  le  cœur, 
plein  la  ti'te;  et  encore  une  musique  morale  bien  aulicment 
belle  que  celle  qui  peut  se  formuler  par  des  sons!  »  (i) 

An  même  sens,  une  sainte  du  moyen  âge  disait  :  «  Sym- 
phonialis  est  anima  »  et  l'Imitation  :  «  Si  dos  pacem,si  gaudiinn 
sanctnrn  injiindis,  erit  anima  servi  lui  plena  modulatione.  »  (2) 
Il  y  a  de  la  musique  chez  Fran(;ois  d'Assise  et  chez  Suso. 
E.  Psichari  a  bien  vu  cela  (3). 

Ainsi,  avant  la  précision  affective  et  la  réalisation  matérielle 
qui  leur  donne  leur  prix,  leur  valeur  esthétique,  dans  la  nébu- 
losité initiale  du  lyrique  et  du  musical  flotte  le  mystique.  Il 
développe  comme  une  large  symphonie  ses  grandes  intuitions, 
ses  sentiments  généraux  et  comme  abstraits,  qui  sont  les 
schémas  affectifs  des  sentiments  particuliers.  Ainsi  s'explique 
que  l'abstraction  sentimentale  soit  le  grand  procédé  qui  mène 
aux  états  mystiques.  Car  le  Mysticjue  raffinant  le  sentiment  et 
le  réfléchissant,  en  ce  sens  qu'il  s'applique  à  l'éprouver  sous 
des  formes  de  plus  en  plus  spirituelles,  dépouillées  et  comme 
abstraites,  marche  de  sentiments  qualifiés,  précis  et  distincts, 
à  des  sentiments  plus  généraux,  plus  profonds  et  plus 
confus. 


il)  Lettres,  t.  I,  p.  22,  et:  «  Au  dehors,  j'ai  quitté  la  musique,  mais  la 
musique  ne  m'a  jamais  quitté.  »  (Voir  un  témoignage  analogue  :  llicliard 
RoLLK,  cité  par  Unoeruill,  p.  9a.) 

'2)  Voir  l)om  Bkssk,  le  Chant  religieux  catholique  (Rev.  de  phil.,  igi'i.) 
Clérissac,  (>?|.  Rousseau  signale,  sans  y  prendre  garde,  le  caractère  musical  de 
certaines  de  ses  extases,  u  I,e  flux  et  le  reflux  de  cette  eau,  son  bruit  continu, 
mais  renflé  par  intervalles,  Irapi^ant  sans  relàclie  mon  oreille  et  mes  yeux, 
suppléaient  aux  mouvements  internes  que  la  rêverie  éteignait  en  moi,  et 
sni'flsaient  pour  me  faire  sentir  avec  plaisir  mon  existence,  sans  prendre  la 
peine  de  penser.  »  {Uiheries,  5*  j>romenade,  p.  2{)2.) 

'3)  «  La  musique  trouve  son  emploi  dans  une  vie  basée  sur  (juelques 
abstractions.  Alors  le  rythme  est  tout.  Mais  si  l'on  reste  dans  la  diver.sité  de 
la  vie  terrestre,  il  faut  se  condamner  à  des  suites  d'itnages  d'où  l'unité 
profonde  est  absente.  C'est  dans  la  inusi(|ue  (|ue  l'eflurt  vor.s  l'unité  est  porté 
au  plus  liant  point.  Donc  c'est  la  pairie  des  mystiques,  qui  s'elTorcent  en 
desespérés  vers  l'unité,  et  des  conquérants,  ces  mystiques  de  l'aciion.  »  [Les 
i'oix  qui  crient  dans  le  désert,  ~~.) 


■jG4  la    religion    et    L.V    KOI 


* 
*      * 


Do  mènie  il  procède  par  al)stracti()n  intolkcluclie  et  c'est  ce 
qui  l'ait  le  moment  iioéli(pie  de  sa  eonlemplatioii.  Il  ramasse  les 
thèmes  de  la  médilalion,  la  com[)lexilé  de  la  dog^matiqiie  reli- 
gieuse, dans  l'unik'  de  l'inluitioii  ;  son  intelligence,  comme  sa 
sentimentalité,  est  en  quête  de  l'iniini  et  ne  se  satisfait  que 
dans  l'inelTable;  de  sorte  que  le  fond  de  l'extase  oscille  sans 
cesse  entre  le  sentiment  et  la  connaissance,  dans  la  prétendue 
unité  (jui  les  synthétise.  La  critique  exaspérée  de'  soi-même, 
l'abstraction  sentimentale,  le  ralTinement  intellectuel  libèrent 
de  grands  états  d'ànte,  qui  ne  doivent  plus  rien  à  la  parole, 
aux  images,  à  la  raison,  qui  ne  retiennent  de  tout  ce  qu'ils  ont 
dépassé  que  la  vague  conscience  de  l'avoir  dépassé  et  d'être 
par  delà,  d'être  au  delà  de  tout,  donc  au  cœur  même  de  l'être. 

Ainsi,  c'est,  dans  le  silence  intérieur,  la  perception  d'une 
relation  immédiate  à  l'Absolu,  l'unification  de  l'esprit  par  delà 
les  images  et  les  discours  (i). 

Mais  il  reste  beaucoup  d'intellectualité  dllFuse  dans  la  con- 
templation, qui  se  retire  de  la  méditation,  dans  l'intuition  qui 
se  retire  du  discours.  Les  «  pensées  imperceptibles  »  de  Nicole 
flottent  à  renlour.  Uibot  cite  les  Mystiques  à  l'appui  de  la 
«  Pensée  sans  images  ». 


* 
*     * 


Voilà  les  éléments  bruts  et  voilà  le  travail  de  l'esprit*.  Les 
attitudes  de  conscience  rencontrent  les  spéculations  sur  l'inli- 


1/  Mahkchal,  La  Mystique  chrétienne,  [liev.  de  jtli.  iyi2j.  La  Mystique: 
■'  Une  manitre  sublime  et  vécue  d'Fiypostasier,  pour  la  projeter  dans  l'ordre 
ontologique,  la  forme  m*"me  de  notie  esprit.  »  ("est  un  trait  que  l'on  voit 
particulièrement  accentué  chez  ces  demi-mysti(iues  que  sont  certains  philo- 
sophes, Biran,  Amiel.  Voir  sur  ce  dernier  notre  étude,  citée  plus  haut. 


LA    CIMITIIL'I»!:    MYSTI<.)UIC  •jO.") 

iiih'  dixiiu':  [>aralK'lc'in(Mil  à  lexpériencc,  se  poursuil  la  spécu- 
lation inysli([iu-. 

Kilo  afiirme,  elle  a  loujours  alliinié  (pie  la  réalité  ne  peut 
"Ire  conipiise  à  fond  par  rintclligciiec,  mais  qu'elle  peut  être 
ap|)réliendce  par  un  UKjde  supérieur  de  eonnaissance  et  (juil 
\  a  ([uehpie  adétpialion  entre  le  réel  et  l'intellig^ible,  de  sorte 
que  I  intellii^'^ence  eonduit  vers  le  réel,  et  (pie  le  réel  se  détenil 
en  intelligibilité.  C'est  la  triple  méthode  de  la  iiéj^ation,  de 
I  éminence  et  de  la  causalité. 

Il  y  a  chez  les  grands  mystiques  une  perpétuelle  interaction 
de  la  vie  et  de  la  pensée.  De  par  la  théorie,  autant  (pie  par  sa 
propre  exigence,  le  Mysliiiue  est  toujours  en  (pièle  de  1  Indis- 
tinct. «  Plus  l'âme  se  fixera  dans  la  connaissance  distincte, 
claire  et  surnaturelle  de  ([uekpie  objet,  moins  elle  aura  de 
disposition  et  de  capacité  pour  entrer  dans  l'abime  de  la  foi  oii 
toutes  choses  sont  absorbées  (i)  ».  Quand  on  étudie  l'histoire 
de  l'extase  on  la  voit  s'approfondir,  à  lombre  des  spéculations 
sur  l'unité  divine.  Le  Mysticisme  spéculatif  constitue  l'extase 
lyricpie,  en  lui  ouvrant  les  profondeurs  de  l'intuition  ineffable. 
Nous  avons  montré  ailleurs  le  r<")le  des  notions  abstraites  dans 
l'expérience  mysli<iue.  Dans  lafllux  de  virtualités  ({ue  l'extase 
dessine  et  des  modalités  psychologicpies  (pi'elle  apporte,  les 
Mysti(pies  chrétiens  ont  choisi,  selon  la  direction  des  systèmes 
spéculatifs.  C'est  ainsi  ([u'ils   ont   relégué   au  seeond  plan   les 


,11  Saint  Jeax  uk  i.a  (liioix,  Monlécdii  (au-hicI,  III,  c.  III.  —  \  oir  iiolre  tra- 
truvail  :  .Vo/f  sur  Clitisliaiiitinic  et  Myslicisine.  [Kev.  de  Mi't.)  II  serait  intéres- 
sant danalj-ser  à  ce  propos  l'exemple  de  Fénelon,  mystique  et  philosophe. 
Le  Traite  de  l'existence  de  Dieu,  les  Lettres  sur  la  relii^'^ion  soutiennent  diin 
bout  à  l'antre  l'idée  de  l'intcriorilc  de  Dieu  au  monde;  les  preuves  de 
l'existencf  de  Dieu  im|)li(iiient  avant  tout  la  passivité  essentielle  de  toute 
eréalure.  De  même  la  d<»(lrine  du  pur  amour  prescrit  de  se  perdre  en  Dieu  : 
union  et  immanence.  (^oniuK-  le  fait  très  bien  remarquer  Ui\icre  [I.a  Théo- 
dieèe  île  IViieloii,  Aitruites  de  /iliilosoiiliie  clirélieime,  njoS  11)09  ,  c'est  la  même 
doctrine  (jue  dévelo|)pent  parallclemerit  le  (juiélisme  et  la  théorie;  mais  l'un 
la  considère  dans  sou  application  la  plus  spéciale  et  la  plus  émincntc,  tandis 
<iue  l'autre  l'expose  dans  son  uni%  ersalité.  L'immanence  de  Dieu  au  inonde 
est  une  jjénéralisatioii  et  un  développement  de  l'union  par  la<|uelle  Dieu 
s'introduit  et  vil  dans  les  ;ime.s  t  i-anst'ormées . 


266  LA.    REUGION   FT    LA    KOI 

éléments  divinatoires   et  prophétiques,  les  connaissances  dis- 
tinctes, la  valeur  utilitaire:  ils  ont  ciioisi  lea  états  confus   e 
lyri<jues,  la  contemplation  inetraLle.  C  est*  une  métaphysitpu 
qui  a  contribué  à  élaborer  cette  expérience. 

Ici  encore  un  Diea  guette  le  vertigre;  il  s'en  empare  et  h 
dirige  ;  un  Dieu  qui  s'est  formé  peu  à  peu  dans  le  fond  d« 
lesprit:  le  Dieu  précis  a  ouvert  la  marche  au  Dieu  ineflal)le;  1; 
méditation  a  précédé  la  contemplation.  Au  seuil  de  l'ombre,  h 
Mystique  se  sent  conduit  par  ce  Dieu.  Si  dans  l'ombre  la  plu! 
épaisse  il  n'est  point  perdu,  s'il  se  sent  Dieu  même,  c'est  qu( 
son  aventure  réalise  une  profonde  attente.  Une  sagesse  volon- 
tiers acceptée,  puisqu'elle  exprime  leur  aspiration  la  plus  puis- 
sante, enseigne  aux  mystiques  la  tradition  d'un  Diea  Ineflabh 
par  delà  toutes  les 'manières  d'être  et  auquel  on  n'accètle  quel 
retranchant  de  soi  toute  qualité;  c'est  ce  Dieu  dont  les 
Alexandrins  et  1  Aréopagite  après  eux  ont  été  les  prophètes 
qui  s'incarne  dans  Tàme  désappropriée.  Mystérieux  et  infini,  i 
n'a  point  de  peine  à  se  retrouver  dans  cette  conscience  indé- 
tinie.  A  l'heure  oii  la  conscience  se  retrouve,  elle  saura  donne 
un  nom  et  des  caractères  à  l'expérience  d'oii  elle  sort,  par  l 
rapprochement  de  cette  idée  avec  cette  expérience.  A  riieuri 
oii  elle  se  perd,  à  l'heure  oii  tout  s'oublie,  il  lui  suffît  d'avoir' 
conscience  de  l'oubli,  de  la  négation  même,  de  savoir  que  ce 
qui  apparaît  ne  sort  pas  de  ce  qui  précède  et  le  dépasse  infini- 
ment, de  sentir  celte  interruption  et  cette  disproportion,  cet 
excès  de  puissance  envahissante,  pour,  du  même  coup,  se 
sentir  Dieu. 


La  compréhension  est  proche  de  l'extase  ;  de  cela  témoignent 
les  visions  intellectuelles.  Les  Mystiques  ont  le  sentiment  de 
comprendre  intellectuellement  les  mystères  (i).  Toute  exalta 


i    ¥è?fMLoy,  Max.  iU*  ikdnls   Édition  critique,  3â6   :   «   Diea  même  donm 
qaelqaefoiâ  an  milieu  de  la  quiétade  de?  impressions  de  Jésos-Cbrist  et  dei 


L\    CKRTITL'DE    MYSTK^Ul*  -iGj 

lion  ullective  prôtciid  à  comprendre,  et  surtout  l'cntliousiasme 
(jui  se  double  de  la  puissance  et  de  la  faeililé.  Toute  puissance 
ouvre  une  perspceti\('.  D  un  scnlinu'ut  profond,  il  nous  scinMe 
que  nous  voyons  tout. 

Et  du  reste,  n'y  a-t-il  pas  dans  les  Mystères  des  relitçions 
comme  une  [)ointc  d  intellit^ibilité?  Les  Mythes  et  les  dogmes 
symbolisent  avec  des  doctrines.  L'analogie  les  transporte  dans 
le  plan  logi([ue.  Les  piiilosophes,  par  l'inlerpiétation  allégo- 
rique, prétendent  y  retrouver  leurs  thèmes  d'intelligibilité.  Ils 
s'enchaînent;  un  ordre  gouverne  leur  suite  et  leur  succession; 
c'est  comme  l'esquisse  d'un  système.  Enfin  ils  sont  jusqu'à  un 
certain  point  l'expression  d'états  d'âme,  et  le  cœur  s'y  recon- 
naît. Le  Mysti(iue  peut  bien  appréhender,  en  d'apparentes 
illuminations  indicibles,  tout  ce  qu'il  y  a  d'intelligilde  dans  le 
Mystère  apparent,  et  prolonger  cette  intelleclion  commentante 
par  l'émoi  profond  d'oîi  lui  paraissent  surgir  les  cosmogonies 
et  les  mondes. 

* 
*    * 


D'un  tel  état  la  certitude  tient  à  sa  concentration  profonde. 
Tout  l'être  le  porte  à  l'Absolu,  et  il  s'érige  en  Absolu  par  son 
ampleur  même.  Le  sujet  achève  en  lui  tout  son  passé  religieux 
et,  au  sortir  de  l'extase,  il  l'y  retrouve.  Ainsi  s'explique  le 
débordement  de  la  certitude. 

La  certitude  linale  reflue  sur  le  départ.  L'extase  divini' 
illumine  le  Dieu  chrétien,  thème  de  la  méditation.  La  certitude 
est  au  croisement  de  deux  lignes,  la  voie  ascendante  de  la  mé- 
ditation, la  voie  descendante  de  rillumination. 


VHes  «le  ses  mystères,  qui  sont  admirables.  >«  —  Voir  aus.si  Lucie  Clirisline 
O.  c.  (p.  —  Voir  aussi  SiL-ur  Maiic-GoirUo  du  Sacré-Cuur,  50  :  «  Ouand  Nolre- 
Seipneur  uie  fait  roinprendre  les  choses,  c'est  par  un  sitn[>le  trait  de  lumière 
quil  envahit  mon  âme.  sans  que  j'aie  besoin  pour  cela  de  faire  moi-même 
aucune  réllexiou  ni  considération.  Cela  vient  subitement  et  quelquefois 
quand  je  m'y  attends  le  moins.  » 


I  A    RKLIOION    ET    LA    FOI 


La  coi'tiliidc  iiiysti(iiu'  a  (iu('l([ue  cliose  (l'iiiinu''(lial  à  la  fois 
et  d'ac(inis.  Kllc  lionl  du  travail  ([ui  ramasse  la  conscience  et  la 
concenlre,  et  des  éblouissenients  qui  se  sul)Stituenl  peu  à  peu 
el  deniblée  aux  procédés  IVaii^iles  du  raisonnement.  Tous  ceux 
(jui  savent  s'installer  au  cœur  des  grandes  intuitions  aHectives 
el  intelleeluelles,  les  porter  à  Tabsolu  et  lier  à  elles,  pour  les 
faire  participer  de  leur  plénitude,  les  fraj^mcnits  de  leur  pensée 
logicpie,  sentent  sourdre  du  plus  profond  de  l'être  comme  une 
grande  nappe  de  paix  et  de  certitude,  où  se  rejoignent  l'elïa- 
cement  de  leurs  fausses  lumières,  l'apaisement  de  leur  esprit 
en  ([uète,  lexubérance  d'une  spontanéité  primordiale,  béatitude 
et  infinité. 

L'EXTASE     ET    LA    VIE 

Les  états  extatiques  cherchent  leur  confirmation  dans  la 
vie.  De  cette  ombre  sacrée,  il  faut  redescendre  et  revenir  au 
monde  sensible.  Selon  les  âmes,  les  procédés  d'accommodation 
varient  : 

Ou  bien  c'est  la  prolongation  el  la  répétition  de  l'extase, 
aussi  fréquente  que  possible.  Elle  envahit  la  vie,  plongeant 
l'individu  dans  une  espèce  de  torpeur  sacrée;  les  phases  inter- 
médiaires entre  ces  longues  périodes  extatiques  ne  sont,  à  ses 
yeux,  qu'une  restauration  de  l'apparence,  et,  comme  telles, 
n'ont  point  de  valeur.  Certains  les  abandonnent  sans  contrôle 
à  tout  ce  qui  peut  arriver.  L'extase  dédaigne  la  vie.  La 
«  partie  inférieure  »  de  l'àmc  n'a  point  de  part  à  la  vie 
extraordinaire. 

Mais  la  plupart  des  mystiques  sentent  le  besoin  de  sortir  d( 
rineffable,  de  l'impersonnel,  de  s'évader  de  cette  mortelh 
h'ihargie.  Kt  alors,  ou  bien  c'est  l'alternance  continuée  dé 
l'extase  et  de  la  vie,  de  l'action  et  de  la  contemplation;  la 
brève  communion  divine  illumine  et  féconde  les  retours  à  la 
vie  naturelle;  c'est  comme  la  succession  bien  réglée  de  jours 


LA    CFUTITUUE    MVSIK^Ul::  1269 

<U'  li'a\ail  cl  de  niiils  rrparalrices  ;  ou  hicii  cosl  I  ('tal  lli(''()|ia- 
li(|ii('  (pic  J'ai  (h'-cril  ailleurs  :  «  SubsliliuM'  à  l'extase  un  état 
|)lns  laf'iîc.  oîi  la  conscience  permanente  du  divin  ne  suspende 
pas  1  aelion  pralicpie;  où  l'action  et  la  pensée  précise  se 
détachent  sur  ce  fond  conlus,  où  la  dis|)arilion  du  sculi- 
nu'ul  du  Moi  et  le  caractère  spontané  et  impersonnel  des 
pensées  et  des  tendances  motrices  ins|)irent  au  sujet  l'idée 
que  ses  actes  ne  sont  pas  de  lui  mais  de  source  divine  et  que 
c'est  Dieu  (jui  vit  et  agit  en  eux.  »  (i)  C'est  alors  la  liaison  de 
la  contemplation  confuse  et  de  la  motion  divine,  le  mysticisme 
concpiérant.  Le  Mysticjue  devient  mi  Absolu  a^^issant;  il  s'est 
approprié  l'être  et  la  puissance  divine,  il  porte  dans  une  vie 
toute  active  sa  nature  toute  contemplative.  Le  Christianisme 
cl  certaines  écoles  bouddhicpies  ont  développé  cette  solution 
<lu  problème  (i). 

En  elfet  il  est  impossible  de  réduire  le  Mysticisme  à  l'extase, 
telle  (pie  nous  venons  de  la  })résenter.  Sans  vouloir  le  décrire 
dans  tous  ses  aspects,  il  nous  faut  pourtant  compléter  cette 
image  par  quehpies  traits  partiels. 

('ertes,  beaucoup  de  mystiques  s'arrêtent  à  ce  degré,  et 
sortant  de  l'extase,  se  retrouvent  eux-mêmes  dans  le  nu)i  et 
dans  la  vie  dont  ils  se  sont  affranchis  un  moment  ;  mais  les 
plus  ratlinés  sont  justement  ceux  qui  s'aperçoivent  que  l'extase 
ne  répond  pas  à  toute  leur  exigence  de  déification,  ceux  ([ui  ne 
sont  j>as  satisfaits  d'une  communion  brève  avec  la  divinité.  La 
j»assi\ité  mysli<pie  envahit  toute  leur  vie,  les  entraîne  au  delà 
<lc  la  contemplation  absorbante,  facilement  Iétliargi(|uc  et 
négative  de  toute  activité,  leur  lait  réaliser  un  état  oîi  la  cons- 


II  Dki.ackihx.,  Les  (iriiitds  mysfuiiies  clirrliens,  lyoS,  XI.  —  Amiki..  iiui  a 
«ioulourcusciuenl  t'prouv»'  roscillation  enlro  le  porsonnel  el  liiiiprisnnncl, 
intrrvoit  c«'llr  solution  quand  il  écrit  :  «  I.e  problonu-  serait  d'acooniplir  sa 
liU'Iir-  qiiotidicnno  sons  la  conpole  do  la  contomplalion,  dajfir  m  |)rcscnc«'  do 
Dieu,  dètr»'  rolij^icuscnicnt  dans  un  petit  rôle.  On  redonne  ainsi  an  détail, 
an  passaf,'er,  an  temporaire,  à  l'insi^înilianl.  de  la  l)<^^^llé  et  dr  la  nold«sse.  .< 
iJoiirna/.  II,  kjô.) 

•■i    I)i;i..\(.noi\.  Sricnlin,   i;)''^- 


2-0  i.A  ni:i,u;ioN  kt  la  koi 

cicnce  permanente  de  la  déilication  ne  suspend  pas  l'activiti 
pratirpie,  oîi  l'aclion  seml)le  surfïir  de  ce  fond  divin.  Sam 
(piiller  la  contemplalion  qui  les  absorbe  en  Dieu,  ilssesenten 
mus  par  Dieu  même  à  ap:ir  et  entraînés,  par  son  opéralioi 
immédiate  et  continue,  à  travailler  dans  le  monde.  Une  fore» 
supérieure  pourvoit  à  Taclion,  sans  hupielle  il  n'est  pas  de  vi( 
chrétienne.  La  conscience  d'une  vie  divine  continue,  dam 
1  exaltation  et  la  l)éatitude.  l'inliibition  de  la  réflexion  et  de  h 
volonté  par  la  spontanéité  subconsciente,  orientée  vers  la  vi< 
et  qui  livre  tout  achevées  ses  inspirations  et  ses  impulsions, 
caractérisent  cet  état  théopathiqiie.  En  général  cet  état  défi- 
nitif n'est  atteint  qu'après  une  crise,  une  période  de  dépression 
d'absence  divine  oîi  ils  se  purifient  de  l'attachement  à  soi 
même,  oii  ils  achèvent  de  perdre  le  sentiment  de  la  valeur  d( 
leur  personnalité  (ij. 

Ainsi  ces  g^rands  iiiystiques  aspirent  à  une  transformatior 
totale  de  leur  personnalité.  Elle  s'opère  sous  la  poussée  inté- 
rieure d'une  conscience  à  la  fois  intuitive  et  active  oîi  s'unisi 
sent  l'élan  lyrique  et  le  courage  pratique,  la  contemplalion  e 
laction  ;  et  aussi  sous  la  conduite  de  la  tradition  clirétienn< 
qui  impose  comme  nécessaires  la  vie  et  l'activité  aj)ostoli(iues. 
t]lle  se  constitue  à  la  fois  par  générosité  naturelle  et  par 
réllexion  systématique,  l'intelligence  surveillant  et  contrôlant 
le  développement  mystique,  réglant  les  apports  de  la  subeons 
cicnce,  sans  pourtant  arrêter  son  élan  naturel. 

C'est  ainsi  qu'une  systématisation  progressive  conduit  le 
sujet  à  un  état  définitif  oii  la  contemplation  et  l'action  se 
réunissent  :  à  ce  stade,  il  ne  représente  plus  Dieu,  il  l'ac 
complit,  il  est  son  instrument,  son  action  même,  un  Absolu 
agissant  ;  il  s'est  approprié  l'être  et  la  puissance  divine,  il  s'en 
va  à  la  conquête  du  monde.  Les  restrictions  de  l'askèse  on 
abouti  à  une  immense  largeur  de  vivre. 


(I    A.MiEi-  parle  de  la  «   face  riante    et  sombre  de  Dieu  ».  Fragm.   Bouvier 
(Revue  de  Genève,  septembre  19^1  ,  p.  2y'3. 


LA    CERTITUDK    MYSTI(,>UK  'J^I 

Il  osl  intéressant  de  remai'(juer  que  cette  (oimc  de 
Mystieisine.  la  plus  achevée  et  la  plus  complexe,  n'est  [)as 
particulière  au  seul  chiistianisme.  M.  Sylvain  L«''vï  a  montré 
récemment  que  riiisloire  du  bouddhisme,  au  début  de  l'ère 
chrétienne,  présente  des  phénomènes  analogues. 


LES     VISIONS 

Les  visions  ne  sont  pas  un  phénomène  nécessaire  et  cons- 
liint.  Beaucoup  de  mystiques  les  ignorent  et  se  passent  de 
celte  conlirmalion.  Nous  sommes  ici  en  présence  d'un  problème 
psychologi(iue  analogue  à  celui  que  se  posent  les  psychiatres, 
(piant  au  rapport  du  délire  et  de  l'hallucination.  Pourquoi 
certains  paranoïaques  ajoutent-ils  [à  leur  délire  des  hallucina- 
tions, et  d'autres  non,  alors  que  le  délire  est  dans  les  deux 
cas  l'inspirateur  et  l'artiste  des  hallucinations,  le  maître  des 
prestiges  sensoriels?  Il  faut  faire  intervenir  évidemment  des 
raisons  physiologiques,  comme  les  intoxications,  et  des  raisons 
psychologiques  comme  le  plus  ou  moins  d'esprit  critique,  la 
dépense  motrice  du  délire,  etc.  Il  semble  bien  qu'échappent 
aux  visions  ou  n'en  présentent  guère,  les  mystiques  abstraits 
et  spéculatifs;  les  critiques,  ceux  qui  se  détient  du  Dieu  trop 
précis,  et  de  ses  matérialisations  ;  les  mysti([ues  à  automa- 
tismes moteurs  comme  M™"  Guyon  (c'est  à  peine  si  chez  elle 
les  visions  sont  représentées  par  les  songes  et  quelques 
paroles)  et  enlin  peut-être  certains  mystiques  actifs  qui  se 
dépensent  dans  l'action. 

Il  faut  faire  intervenir  aussi,  en  dehors  de  la  prédisposition, 
comme  cause  adjuvcintc  ou  provocatrice  des  visions,  les  lon- 
gues oraisons,  les  jeiines  prolongés,  ou  dans  le  cas  des  extases 
orgiasticjues,  les  excès  de  toute  nature;  dans  les  deux  cas,  les 
intoxications  et  aussi  la  préparation  mentale,  les  exercices 
spirituels,  la   direction  mélhodi([ue  de    l'imagination.    Il    y    a 


•J^12  1  A    HKI.KWON    Kl'    I.A    lOl 

dans  l'applicalion  dos  stMis  cl  \v  colloque,  procédés  lamilieis 
à  bien  des  mystiques,  loul  au  moins  une  direction  de  l'atten- 
lion  vers  les  images,  vers  l'illusliation   sensible   de  la  pensée. 

J'ai  insisté  ailleurs  sur  le  caractère  des  visions  mystiques, 
([ui  sont  le  plus  souvent  des  hallucinations  psychiques,  au  sens 
de  Baillarger.  Séglas,  des  pseudohallucinations,  au  sens  de 
Kandinsky.  des  représentations  aperecptives,  au  sens  de 
Petit,   bien  plutôt  que  des  hallucinations  psycho-sensorielles. 

.laillies  de  la  profusion  d'automatismes  et  de  la  dissocia- 
tion qui  les  supporte,  elles  remplissent  plusieurs  fins.  Elles 
juslilient  l'oraison  (i),  elles  présentent  un  objet  précis,  équi- 
valent de  l'extase  indéfinie,  oii  la  conscience,  au  sortir  de 
l'ombre,  la  contemple  et  se  rassure.  Les  Mystiques  orthodoxes 
y  retrouvent  la  contemplation  des  objets  de  leur  foi.  Ils  s'y 
donnent  les  images  qu'il  leur  faut  pour  l'expliciter  et  la  com- 
prendre :  illustration  et  confirmation,  elles  ont  un  caractère 
synd)oli(pie  et  didactique. 

Souvent  aussi  elles  expriment  le  tempérament  poétique 
du  sujet  et  l'élément  lyrique  de  l'extase.  L'extase  déborde  en 
visions,  comme  la  nébulosité  poétique  se  solidifie  en  strophes 
et  en  esquisses  sonores.  Par  les  visions  le  Mystique  amortit  le 
monde  réel  et  se  crée  un  monde  imaginaire  ;  les  grands  rêves 
religieux,  épanouissement  de  sa  sensibilité,  effacent  le  monde. 
Ainsi  s'exprime  et  s'affranchit  son  amc.  Les  visions  sont  une 
j)oésie  religieuse  et  une  étape  vers  la  libération,  vers  la  nudité 
de  l'esprit. 

Ijidn  elles  ont  tendance  utilitaire,  et,  par  là,  elles  se  rap- 
I)ortent  à  ce  que  nous  disions  plus  haut.  Consolation,  conqien- 
sation,  direction,  art  de  se  dicter  à  soi-même  des  lois  divines. 

E.  Boutroux  écrit  que  dans  les  paroles  divines  que  sainte 


I 


I  Par  cxpniplc  les  j)r(;iiiières  «  paroles  »  de  sainte  Tlirrèse  répondent  à 
un  (l<jiite  sur  les  faveurs  qu'elle  reçoit,  réponse  vcrliale  à  un  trouble  ad'eelif  et 
à  un  doute  spéculatif.  Elles  s'accentuent  et  se  luuitipiienl  dans  les  périodes 
de  tribulation  et  d'éniolivité. 


I.A    Cr.RTITUDi:    MYSTIC^UK  U^J 

Tliôrôse  ciiteiid.  «  ses  |)i()|)ios  desseins  lui  revenaient  extério- 
risés (i)  ».  Kl  même,  Iors(jiie  l'utilité  est  moins  imniédiale,  il 
y  a  sous  eelte  poussée  d'imaj?es  un  proeessus  téléolo^Mcjuc. 
réeompense  du  Sacrifiée,  suppléance  ou  revanche  de  l'auto- 
toniie.  sublimation  des  tendances  inférieures  refoulées. 

Les  visions  ont  souvent  un  caractère  progressif  :  d'une 
<'S(piisse  indistincte  à  des  précisions  croissantes.  J'ai  exposé 
ailleurs  les  ("lapes  de  ce  développement  chez  sainte  Thérèse. 
Lucie  Christine  se  trouvant  en  butte  à  des  obsessions,  le  regard 
(le  Jésus  traverse  son  esprit  comme  l'éclair;  elle  ne  voit  pas 
distinctement  les  yeux  ;  mais  elle  voit  intérieurement  «  son 
regard  divin  em[)reint  d  une  grande  puissance  d.  Cela  c'est  à 
peine  une  image  visuelle.  Hugo,  devant  le  meurtre  de  l'évèque 
de  Liège,  demandait  à  Eugène  Delacroix  ce  que  c'était  que  l'un 
(les  personnages  avait  à  la  main,  v  J'ai  voulu  peindre  le  scintil- 
lement d'une  épée  »,  dit  le  peintre,  a  Cela  est  de  mon  art  et  non 
pas  du  vôtre  ».  dit  le  poète. 

L  au  d  a[)rès,  elle  revoit  ce  regard  et  peut  le  contempler  : 
c'est  encore  à  peine  une  image  visuelle.  Elle  ne  voit  pas  la 
forme  des  yeux  ;  mais  elle  voit  la  toute-puissance  d'expression 
et  le  charme  qui  rayonne  de  ce  regard  divin,  où  son  àme  reste 
attachée. 

Plus  tard,  elle  voit  les  sourcils  divins,  puis  le  vêlement  ; 
puis  lensemble  du  visage,  puis  tout  Jésus-Christ. 

Peut-être  le  travail,  la  concentration  d'esprit,  1  eU'ort, 
\  i<iiiienl-ils  parfois  au  secours  du  sujet?  Auguste  Comte,  un 
jour  (|M  il  avait  les  yeux  fixés  sur  les  reliques  de  Clotilde, 
1  aperçut  couchée,  très  pâle,  telle  (pi'il  l'avait  vue  poui'  la 
dernière  fois  au  moment  de  sa  mort. 

Depuis,  il  essaya  de  reproduire  son  hallucination  dans  ses 
|»iières,  dans  ses  eoinuM'Uiorations  et  ses  elfusions.  11  i)r<)eé- 
dail  progressi\  eiiMiil  :  il  évcxpiail  d  abord,  les  yeux  fermés,  la 


I       IlllUrlili    <lr    1,1    SitrI.I,'  ,!,'   jih  i  I  D^ufili  ii- .    I<|..ti 


2*4  1  A    RKLKIIO.N    ET    LA    I  Ol 

ohanibrc  morluairc  :  il  se  raj)j)olail  l  eiiseinhle  puis  les  moin- 
dres détails:  et  seulement  lorsque  la  vision  était  devenue  assez 
clîiii'e,  il  ajoulail  au  tableau  l'image  de  (Uotilde,  dont  il  déter- 
miuail  avec  soin  la  pose  et  le  eostume  (i  . 


LES    ETATS     NEGATIFS 

La  certitude  mysticpu-  se  poursuit  à  travers  des  états 
néffatils  :  dépression  et  sécheresse,  oîi  la  joyeuse  possession  de 
tout  à  l'heure  se  change  en  absence  ;  mais  cependant  la  foi  ne 
lléchit  pas.  «  Car  cette  sécheresse  pour  l'àme  qui  aime,  est 
plutôt  une  épreuve  qui  rend  son  amour  encore  plus  fort  et. 
j)lus  délicat,  qu'une  punition  de  ses  infidélités  :  et  quoiqu'on 
puisse  profiter  de  ces  deux  choses,  il  est  facile  de  voir  quand 
c'est  par  épreuve  (2).  »  De  ces  grandes  oscillations,  inévitables 
chez  de  grands  affectifs,  les  mystiques  font  volontiers  un 
système  et  une  méthode  de  purification. 

Enfin,  il  y  a  l'autre  pôle  du  Surnaturel,  le  royaume  des 
démons.  Les  états  démoniaques  sont  la  contre- partie  des  étals. 


1/  l)(  MAS,  Psychologie  de  ileiix  Messies,  216. 

fa  Sd'ur  Marie-ColcUe,  iSi,  i25.  «  Comme  toujours,  l'obscurité  suit  la 
lumière,  et  les  désolalions  la  consolation.  Mon  âme  est  ainsi  conduite, 
qu'elle  est,  à  certains  moments,  prèle  à  toucher  le  ciel  parce  qu'il  lui  semble 
éprouver  de  si  suave  et  que  bientôt  après,  il  lui  semble  être  au  moins  à  la 
j)orle  de  l'enfer.  »  Cf..  sainte  Cliantal,  Vie  et  (Muvres  III,  461.  «  Les  sécheresses 
que  les  commençants  en  la  vii*  s]>irituellc  peuvent  appeler  grâce  insipide 
ou  cachée  sont  plus  précieuses  que  toutes  les  consolations,  parce  que  l'ex- 
périence nous  apprend  que  toutes  ces  vertus  croissent  .sous  les  aridités  cl  les 
soulfrances  comme  le  blé  sous  la  neige.  »  Cf.  Catherine  de  Jésus.  iLa  Vie  de 
sainte  Catherine  de  Jésus.  iGSi  citée  par  Brémo.no.  Ilist.  Litt.  du  Sentiment 
Religieux.  II,  3'3fl. 

«  Il  lui  impriniail  quelque  chose  du  délaissement  du  l'ère  éternel  qu'il 
fiorta  en  la  croix.  Cela  faisait  en  elle  un  cITet  si  grand  et  si  extrême  qu'elle 
croyait  retourner  au  néant,  ex{»rimait  sa  peine,  tantôt  par  le  nom  d'anéantis- 
sement, mais  plus  ordinairement  par  celui  de  privation,  lui  semblant  que 
Dieu  lui  faisait  porter  un  retirement  de  lui  qui  lui  était  insupportable,  non 
pas  ([u'elle  vit  que  Dieu  se  retirait  d'elle  par  la  grâce  nécessaire  au  salut,  ni 
par  aucune  sorte  de  grâce,  mais  c'était  une  manière  de  privation  dont  Dieu 
usait  avec  elle,  par  une  sorte  d'épreuve  et  de  souffrance...  laquelle  ne  se 
peut  pas  expliquer...  et  n'en  peut  en  donner  aucune  raison,  sinon*  (jue  celui 
qui  c^t  tout-puissant  l'a  voulu  et  l'a  fait  ainsi.  » 


I,A    CKRTITLDi:    MYSIK^lfl.  -J^a 

<li\iiis.  I.c  .Myslicjiir  Hotte  cnt^o  ces  (1(mi\  conditions  cxlrrmcs. 
parfois  lort  cnihaiiassc  de  discernci'.  La  «  Sauvagerie  sans 
nom    •'  lorce  parlois  la  eonliaiiee. 


L'EXTENSION     DU     MYSTICISME 

De  tels  phénomènes  ne  sonl  pas  rares. 

Nous  avons  déjà  parlé  des  cultes  d'exeitalion  des  prinulils. 
L'ethnographie  abonde  en  exemples.  L'histoire  nous  a  conservé 
des  formes  nombreuses  de  cultes  orgiastiques  en  Asie,  en  Alri- 
([ue,  en  Grèce,  à  Rome.  L'histoire  du  chrislianisme  contient  une 
•  pianlité  considérable  de  phénomènes  mysti(iucs  de  tout  ordre 
et  de  toute  grandeur;  période  des  cJiarismes.  glossolalie  et  pro- 
phétie; théologie  mystique  de  l'Aréopagite  et  de  son  école, 
mysticisme  des  cloîtres,  les  Viclorins,  les  dominicains  allemands 
du  xiii"  et  du  XIV*'  siècle,  le  ('armel  du  xvi'  siècle;  mysticisme 
(|es  sectes  hérétiques  :  quiétismc  et  illuminisme  ;  sentimen- 
talisme religieux  de  certaines  sectes  réformées  ;  mysticisme 
individualiste:  prophélisme.  phénomènes  de  réveil,  l^t  toulc<'hi 
est  loin  d'être  éteint  de  nos  jours. 

L'Inde  est  aujourd'hui  encore  une  terre  sacrée;  elle  a  ses 
^  ogis  virtuoses  de  l'ascétisme,  épris  de  contenq^lalion  ;  sa 
c()nlem[)lation  bouddhique  ou  brahmanique,  son  mysticisme 
hindouiste,  les  l'èles  d'excitation  de  Çiva.  Dès  l'époque  brahma- 
nique, les  exercices  ascéticpies  <le  r.\nachorète  et  de  l'Ascète, 
le  a  Ta[)as  -)  a  trouvé  un  point  d'appui  dans  la  doctrine  du  lîiah- 
i  ma  neutre.  La  synthèse  de  doctrines,  par  e\enq)le,  le  Sankya. 
et  de  pratiques,  le  Yoga,  est  à  l'origine  du  bouddhisme.  Il  n'y 
a  peut-être  pas  de  groupe  de  religions  où  h'  mysticisme^  s'étale 
plus  libiemeut. 

L'Islam  a  eu  et  a  encore  ses  sectes  mystiques  :  ('hadelya, 
Aissaoua,  HcCaiya,  Kadriya  et  bien  d'autres  cultivent  l'enthou- 
siasme. Le  Soulisme  s'est  formé  sans  doute  sous  rinlluenee  du 


•J-G  I.A     HKI.KilON    1:T    I.V     lOl 

Nroplaloiiismi'.  cl  pciil-rlic  dr  I'IikIi';  à  un  cHMlaiii  inoincnl  de 
1  liisloiic  (le  rislain.  la  doelrine  néoplatonicienne  de  rascélisnie 
el  de  l'exlase.  la  doelrine  l>oud(llii(|ue  d'anéantissement  et 
d  al)soi'|)lion  soiil  venues  donner  un  fond  (lop:niali(|ne  aux  pia- 
li([ui's  de  eei'Uiituvs  socles  :  en  l'ace  de  l'Islaniisme  Ibrnialisle  et 
dojçinaliipie,  le  Soulisme  se  eoniixnle  à  j)eu  près  connue  \c 
]\ryslicisn»('  elii-i'-lien  à  r»''i;ard  de  l'I^glisc  (i). 

Imicoic  ([uisraël  ne  se  soil  allardé  ni  au  (level()j)peuienl  doi;- 
niali(iue.  ni  au\  ellusions  myslicpies,  (pi'il  se  soit  allaelié  surtout 
à  sa  loi  eérénionielle  et  à  sa  loi  j)ro|)héli(pie,  oscillanl  à  liavers 
sou  liisloii ccl  aujourd'hui  encore  «Mitre  un  Ihéisuie  nniversaliste 
et  une  reli,y:ion  nationale  (rol>s<'rvanee,  il  a  eu,  dans  le  passé, 
ses  prophètes,  et  maintes  fois  ses  inspirés,  et  aussi,  sous  liu- 
lluenee  de  l'hellénisme  (^t  de  l'Orient,  ses  écoles  exlaliques.  Au 
temps  «les  ( îai)iiiui,  il  y  a  <'u  le  uïysticisme  de  la  Mercalx'h.  La 
Kahhale  est  une  réaction  contre  la  casuisticiue  talmu(li(iue.  Les 
X«)uveau\  llassidim  sont,  à  «ertains  é^•ar(ls,  une  secte  mysti(pie. 

MYSTICISME    ET    RELIGION 

Il  y  a  des  relij^ions  sans  mystieism«'.  par  exeuiple  la  vieille 
r«'Iii;i«)U  r«)main<'  (2)  :  il  y  a  dans  les  reli,t;i«)ns  (pii  admettent  le 
mystieisme,  par  e\em|)le  le  «hristianisme,  une  jurande  ditrérence 
entre  le  mysli([ne  et  le  li«lèle  ordinaire. 

Le  lidèle  j)aiti(ipe  activement  aux  aclt-s  d'où  son  salut 
dépeu«l  ;  le  «idle  et  la  croyance,  la  loi  en  sonmie  lui  procurent 
une  coniiaissane«'  su|)rarationnelle  sans  doute,  mais  formulable 
pourtant  :  il  demeuic  s«)i-mème  sous  les  transformations  que  la 
^i«'  l'clii^ieuse  lui  inipos«',  et  il  se  nu'ut  dans  un  univers  r<'li,i;;ieux 
de  «pialités  dislinclcs  cl  de  i('alil<''s  «h'-linies. 


'I  Voir  Xi<;iioLb(j.\,  Tlic  M)-slict>  0/  JaUini,  191:5.  —  Montkt,  De  t'/''laf.  pré- 
srnt  ri  de  l'Avenir  de  l' IsUiin,  Hfii  ;  L  Islam,  1921.  —  (iAri)i;rnoY-l)KM()MtvNKs 
Les  Jitslilitlions  Musulmanes,  1921. 

•>'  Li*s  considérations  <{ni  snivenl  onl  «iéjà  pai-ii  en  parlic  dans  Scientia  ; 
juillet  i<.)i7. 


i,v  c:i;m m  DK  MvsiH.ti'i;  277 

l'oiiiliiiil.    il    y    a  (l.iiis   rc\|)('iirii(('  rcli^Mi'iisc    le  i^cinic   de 

I  cxin'rit'iKM.'  niysli<|ii('  cl  l'on  apcivoit  sans  jx'inc  des  roiiiu's  de 

liaiisilioii.    Pai-  ('\oiii|>U',   le  coiilre   de  l'<'\j)(''i'i«'MOc    rclit^iciisc. 

(•  Csl  la  loi  :  ([iiil  saisisse  de  loi  iiiipliciU'  cl   coiiinic  cxlciiciirc, 

loi  piiisi'c  dans  la  |)iali(iiic  ou  daiis  le  lallacliciucnl  à  un  ui'ou[)c 

social;  loi  d'auloril»' :  ([u'il  s'ajj;issc  de  la  loi  croyance  gii  delà 

loi  conliancc.  La  loi,  sons  lonlcs  ses  formes,   c\*sl  nne  |)rise  île 

|H)ssession,  l'adhésion  an\  objets  de  la  rclit^non.  Or,  celui  (|ui  a 

la  Toi  seul  loujoui's  (jue  vi'[[c  foi  ne  \  icnl  |)as  ahsoluuunl  de  lui, 

mais   aussi  de  l'objcl   en  (|ui  il   a   loi  ;   toute  loi   csl    un   don   de 

soi-inèini',  mais  ce  don  csl  comniandt''  pai-  la  puissance  à  la([u<'ll(; 

on  se  donne.  (]clle  impression,  spontanée,  puisqu'on  larclrouve 

dans   raltachemenl   (pii   est  à   la  racine  de    toute  passion,  est 

renlorcée  par  l'idée  que  le  sujet  se  fait  de  cet  objet  et  de  cctie 

puissance  ;  de  leur  supériorité  et  de  leur  transccntlance  il  conclu! 

(pi'on  ne  va  à  elle  (pi'avce  leur  aide  et  que  même  ses  bons  mou- 

Ncmcnls  ne  viennent  [)as  de  lui.  Tout  cela  sans  doute  n'est  pas 

encore    la    passi\ilé    (pie    le     m\sli(pie    décrit,    mais    c'en    est 

réi>auclie  ;  et  la  passivité  mysti(ju«^  admet  des  déparés  ;  jusqu'à 

un    certain  point,   le    mysti(|ue   a   conscience   d'inteivemr.    de 

préparer,  d'acipiérir  c   la  ('()ntenq)lalion  ». 

De  même,  si  précises  ipie  soient  les  allirnialions  de  la  loi, 
elle  a  toujours  (piehpie  chose  d'irialionnel  :  dalKud  parce 
(|u  elle  (h'passe  les  raisons  d'allirmcr,  cl  puis  [)arce  (pTellc 
allirme,  au  delà  de  la  raison,  la  puissance  darUi  nialion  (pii  la 
constitue. 

l*uis(pie  les  objets  de  la  foi  son!  amrnu''s  au  delà  de  la 
raison,  ils  a|)paiaissent  à  l'esprit  enveloppés  d'une  |)uissance 
d  allii  inalion  <pii  lait  paitie  d'eux  mêmes;  il  y  a  dans  la  Foi  le 
mystère,  et  la  i)iMssance  du  mystèi'c.  Mystère  autpiel  <'llc 
se  complaît  encore  (|u  il  lui  soil  im|)én(ii'able  :  sous  la 
croyance,  elle  imatririe  volontiers  la  vision,  l'appréhension 
de  la  réalih'  sous-jacenle  aux  objets  de  la  Toi  cl  (pii  les 
déboi'dc. 


378  I.A    UELK.ION    F.T    l.A    KOI 

Kniiii.  l'on  na  j)as  de  peine  à  coinprentli'e  que  la  foi  ardente 
aspire  à  l'assiinilatuui  avee  ses  objets:  le  sujet  tend  à  sd 
dépouiller  de  '^oi-niènie,  à  se  faire  sendjlal)le  à  la  réalité  en  qui 
il  a  foi. 

Il  va  sans  dire  que  nous  pourrions  aisément  faire  la  même 
analyse  sur  les  applications  de  la  foi;  sur  le  culte  oral  ou 
manuel,  sur  les -sentiments  divers,  sur  les  états  d'esprit  que  l'on 
trouve  dans  toute  religion  :  la  prière  passionnée  subit  un  élan 
qui  dépasse  le  sujet  ;  elle  oublie  les  mois  et  les  considérations 
distinctes;  elle  oublie  celui-là  même  qui  prie;  de  même  la 
ferveur  du  culte  ;  de  même  l'aspiration  (pii  part  de  la  médita- 
tion et  qui  s'élève  vers  la  conlemj)lalioii. 

De  ce  rapprochement  il  semblerait  résulter  que  le  Mysti- 
cisme est  une  forme  e'xaltée  des  religions,  le  sentiment  religieux 
alT'ranclii  des  reslriclions,  des  réserves,  des  précisions;  immé- 
diation de  la  loi  et  de  son  objet,  il  supprime  tous  les  intermé- 
diaires, tous  les  moyens  termes,  hiérarchiques,  pratiques, 
intellectuels  ou  affectifs,  que  la  foi  connnune  admet  entre  elle 
et  ses  objets  ;  nous  avons  vu  quels  procédés  psychologiques  il 
met  en  usage. 

S'il  en  est  ainsi,  deux  hypothèses  sont  possibles  :  ou  bien  le 
Mysticisme  n'a  rien  de  créateur  :  il  s'installe  dans  la  religion 
<pii  lui  préexiste  et  s'il  la  dépasse  il  ne  vit  que  par  elle.  Ou 
bien  le  Mysticisme  est  à  l'origine  de  la  religion  même;  elle  vit 
par  lui  avant  qu'il  ne  vive  par  elle.  Kt  il  est  bien  probable  que 
ces  hypothèses  sont  vraies  toutes  deux  et  cpie  le  Mysticisme, 
prêt  à  s'épanouir  en  ses  deux  formes  dillérentes,  est  à  la  fois  à 
la  base  et  au  sommet  de  la  religion.  On  dit  par  exemple:  le 
Mysticisme  suppose  la  religion  établie  en  culle  et  en  dogme  ; 
contre  cette  extériorité,  cette  objectivation,  il  est  une  réaction 
qui  cherche  à  les  ramener  à  un  processus  vivant,  ou  à  les 
compléter  par  l'excitation  subjective  ;  c'est  un  phénomène  de 
compensation,  par  conséquent  un  phénomène  secondaire  :  un 
individualisme  radical  contre  les  églises  et  les  sentes  :  un  senti- 


LA    CEIM'U'UUE    MYSri()UE  1-(i 

mentalisme  contre  la  dognialique  et  la  praliciuc  :  uiiraiïiiiemcnt 
<lii  sontinu'ul,  coiilrc  le  sentinicntlui-in(>me,soiis  sa  fonnc  ohjoc- 
livée.  De  lu  vient  (lu'il  })eiit  jouer  dillerciits  rôles  au  sein  de  l'é- 
diliee  religieux;  par  exemple  il  aide  à  l'aciiever  en  donnant  une 
réalité  psychologique  aux  dogmes  et  aux  pratiques;  il  les  vivifie 
une  fois  réalisées,  il  cond)le  l'abime  entre  l'histoire  et  le  présent, 
entre  les  dogmes,  les  prati(jues  et  [)rot'ondeurs  de  la  conscience  ; 
d'autre  part  il  tend  à  dissoudre  la  religion  positive  et  concrète  à 
force  de  la  spiritualiser.  Ces  tendances  différentes  s'aflirnient 
plus  ou  moins  suivant  les  époques  et  les  individus  ;  le  mysticisme 
peut  être  orthodoxe  par  fidélité,  conservatctir  par  symbolisme 
ou  par  indillércnce,  anarcliique  et  résolument  négateur. 

Il  est  hors  de  doute  que  les  formes  supérieures  du  Mysti- 
cisme doivent  beaucoup  aux  religions  sur  lesquelles  elles  se 
développent;  elles  présentent  un  caractère  frappant  de  com- 
plexité par  l'interaction  du  vécu  et  du  pensé,  de  rcxj)érience  et 
de  la  doctrine.  L'histoire  et  l'analyse  du  Mysticisme  montrent 
une  doctrine  continuellement  sous-jacente  à  l'expérience  et 
«ontinuellement  aussi  une  expérience  qui  se  formule  en  doctrine  ; 
c  est  cette  ])énétration  (|ui  fait  si  riche  rex|>érience  mystique  : 
4jui  distingue  ses  extases  de  l'éblouissemcnt  naïf,  des  modes 
enfantins  de  l'ingénuité  sentimentale.  Le  Mysticisme  bénéficie 
<h'  la  tradition  et  de  la  pratique  religieuse,  sans  parler  de  ses 
Iradilions  et  de  ses  écoles,  du  système  qu'il  superpose  au 
système  religieux  et  (pii  est,  dans  une  religion  donnée,  le  patri- 
moine de  ses  mystiques. 

Il  est  vrai  par  conséquent  que  le  Mysticisme,  à  un  certain 
ih'gré,  repose  sur  les  religions  consliluées.  A  ce  degré,  il  se 
présente  sous  deux  formes:  une  forme  orthodoxe  qui  respecle 
la  religion  et  se  borne  à  l'approfondir,  à  la  réaliser;  une  forme 
liétérodoxe  qui  tend  ou  bien  à  la  dissoudre  dans  une  spiritualité 
<iu'aucune  forme  religieuse  ne  contenlc.  ou  bien  à  la  contraindre 
à  dos  innovations  dogmatiques  ou  cnlluclles  de  plus  haute 
spiritualité. 


uSo  lA  iu:i.i(;iON  kt  i,a  i  ot 

Mais  il  y  a,  d'aulre  pail,  coUc  imlicalioii  dont  nous  avons 
déjà  tiré  parli,  que  «  los  pliénomènes  d'cxlase,  les  cxerciees 
aseéliques  sont  d'autant  i)lus  fondamentaux  qu'on  se  rapproche 
plus  des  formes  élémentaires  de  la  religion  (i)  ».  On  ne  saurait 
oublier  ces  fails  d'exaltation  collective  ou  individuelle,  cette 
eil'ervescence  confuse  qu'on  oonstale  dans  les  reliiJ:ions  primi- 
tives (a). 

L'histoire  concourt  avec  l'ethnographie,  en  nous  monUaul 
la  persistance  ou  le  réveil  fréquent  des  cultes  orgiasticiues  au 
sein  des  religions  plus  rassises  et  la  prolifération  des  phéno- 
mènes niysli([ues  au  début  des  grands  mouvements  religieux. 
Donc  il  n'est  peut-être  pas  trop  téméraire  de  supposer  que 
l'élément  mystique,  au  sens  oîi  nous  l'avons  délini,  a  concouru 
à  produire  la  religioM.  Les  sentiments  de  puissance  ou  d'impuis- 
sance, l'exaltation  irrésistible,  avec  son  double  aspect  d'exté- 
riorité contraignante  el  d'éblouissement  mystérieux,  l'absorption 
de  la  personnalité;  ces  caractères  d'interruption  et  de  dispro- 
portion apparaissent  volontiers  à  la  conscience  dans  tous  ses 
actes  de  création  :  il  serait  étrange  de  ne  point  trouver  cet  élan 
créateur  à  l'origine  de  la  seule  religion  ;  aussi  bien  l'histoire  le  _. 
constatc-t-ellc  à  de  nombreux  moments  d'inquiétude  et  de'fl 
création  leligieusc   :  se  retourner  vers  cet  élan  pour  l'adorer 


(i    Maiss,  Année  socinloffûjue,  t.  V,  lyoa. 

(2)  Voir  le  beau  livre  de  M.  Duiklieim,  les  Formes  élémentaires  de  la  vie 
relif^ieiise,  Paria,  1912.  M  Durkheini  voit  dans  r-etle  efrcrvescence  la  base  delà 
relijfion  tout  entière,  et  il  l'explique  comme  un  fait  d'excitation  collective  t 
collective  non  pas  seulement  parce  qu'elle  se  produit  clicz  les  hommes^assem- 
blés,  mais  parce  qu'elle  se  i)roduit  sur  eux  du  seul  l'ait  (pi'ils  sont  assemblés, 
el  qu'elle  ex|>riine  en  somme  la  communion  sociale,  l'exaltation  de  l'indivi- 
dualité par  la  i)uissance  du  j^^roupe. 

Sur  le  rôle  que  l'extase  a  pu  jouer  daus  la  formation  de  certaines  notions, 
comme  la  croyance  à  l'immorlalité,  on  connaît  la  thèse  de  Houoe,  Psyché. 
Amiel  écrivait  dans  le  même  sens,  Journal,  I,  202:  «  Echapper  par  l'extase 
intérieure  au  tourbillon  du  temps,  s'apercevoir  sab  specie  œlerni,  c'est  le 
mol  d'ordre  de  toutes  les  {grandes  religions  des  races  supérieures;  el  celte 
possibilité  psychologiqiie  est  le  fondement  de  toutes  les  grandes  espérances. 
L'âme  peut  être  immortelle  parce  qu'elle  est  apte  à  s'élever  jusqu'à  ce  qui  ne 
naît  point  et  ne  meurt  point,  jusqu'à  ce  qui  existe  substantiellement,  néces- 
sairement, invariablement,  c'eslà-dire  jusqu'à  Dieu.  » 


i.v  i:i:Kruri)i-;  mvstiqui;  '-^^i 

comme  la  soiirri'  de  vie  la  i)lii.s  piol'onde  et  la  plus  pure,  c'est 
justement  l'altilude  mysli([ue.  Il  y  a  dans  cet  élan  comme  la 
léaetion  de  Ihonnne  à  la  vie  dans  son  enscndjle,  l'anirmatioii 
enlliousiaste  et  confuse  dune  spontanéité  cpii  lui  semble 
présenti' en  lui  et  plus  grande  ipie  tout.  Sous  la  l'orme  indille- 
l'enciée  où  nous  le  prenons  ici.  il  domine  dans  toute  la  relit^ion. 
nuiis  il  la  porte  à  lui,  prête  à  se  flétaeher. 

Le  Mysticisme  élémentaire  s'ahsorhe  dans  les  dieux  (ju  il 
n'a  pas  pu  ne  pas  se  donner  ;  les  cultes  orgiastiques  cultivent 
rentliousiasme  autour  des  notions  cpii  se  fondent  dans  cet 
enthousiasme  même.  Mais  il  porte  avec  soi  les  limites  de  la 
réilexion  et  les  exip:ences  de  l'action.  Que  cette  théologie 
encore  im|)licile  se  développe,  que  ces  pratiques  spontanées  et 
ipii  visent  toutes  à  un  ellet  subjectif,  à  la  production  de  l'extase, 
s'organisent  autour  de  notions  et  qu'elles  visent  à  agir  sur  les 
êtres  (pie  ces  notions  représentent,  tâtonnant  autour  d'elles 
pour  les  exploiter,  alors  naîtront  un  culte  (pii  se  meut  dans 
une  atmosphère  d'intellectualilé,  un  ordre  de  notions  qui 
gouvernent  la  vie  et  règlent  la  conduite;  d'un  élan  orgiastique 
une  religion  proprement  dite  sera  sortie.  De  même  le  caractère 
divin  de  l'homme  inspiré  passe  progressivement  à  certaines 
personnalités  privilégiées,  puis  à  un  corps  sacerdotal,  ([ui  n'est 
plus  le  Dieu  lui-même,  ni  son  incarnation,  mais  son  repré- 
sentant. 

Le  d(''N(lo|)pemenl  de  la  icligion,  à  partir  d  un  état  élémen- 
taire, indillérencié.  ([ui  renferme  à  la  fois  la  religion  et  le  Mysti- 
cisme et  qui  ressend)le  plus  au  Mysticisme  qu'à  la  religion, 
s'expli(pie  df)ne  connue  s'expli(iuent  le  développement  de  la 
spéculation,  de  la  teehni<[ue,  de  la  vie  sociale.  Nous  n'avons 
pas  à  essayer  ici  de  rexj)li(pier.  A  mesure  que  les  intermé- 
diaires de  toute  nature  se  multiplient,  dogmes,  rites,  hiérarchie, 
on  s'éloigne  de  l'iminédiation  piiMiili\e,  et  la  complication 
même  de  ces  intermédiaires  ^  ise  à  remplai  er  dans  une  certaine 
"mesure  cette  unité  piM'due. 


a8a  Lv  uELiGiox  et  la  loi 

On  coniprend  alors  cotte  présence  virtuelle  du  Mysticisme 
dans  la  rcliirion.  et  son  cllaccnicnt  souvent  prcs([uc  total,  et  sa 
libération  sitôt  que  lléchit  le  mécanisme  réducteur.  11  est  facile 
de  comprendre  queleritualismeetrecclésiasticisme  ne  puissent 
<[uc  tolérer  le  Mysticisme.  Au  stade  des  religions  tribales  ou 
nationales,  légalistes,  le  culte  est  la  base  de  la  religion,  qui  ne 
s'in(|uièl('  guère  de  foi  personnelle,  pour  ne  pas  parler  de  Mysti- 
cisme :  parfois  quelques  pratiques  orgiastiques  survivent  obscu- 
rément, admises,  tolérées  ou  ignorées  par  la  religion  régnante. 
Au  stade  des  religions  uuiversalistes,  des  Eglises,  l'organisation 
et  l'autorité  tendent  bien  vite  à  prédominer;  la  religion  s'objec- 
tive également.  Une  Eglise  est  un  dépôt,  un  trésor  de  grâces, 
par  les  sacrements  et  la  parole,  indépendant  des  individus  ;  la 
vérité  y  est  donnée  en  formules  ;  le  salut  y  circule.  Le  seul 
acte  de  l'individu,  c'est  la  foi  qui  prend  contact,  (jui  assimile, 
instrument  d'adaptation  au  milieu  salutaire  ;  ou  bien  la  spécu- 
lation théologique,  la  constitution  et  la  méditation  des  dogmes 
font  passer  au  premier  plan  la  foi  croyance,  la  foi  rationnelle. 
De  toute  manière,  la  religion  fixée,  extériorisée,  est  soustraite 
aux  aventures  affectives  de  l'enthousiasme  individuel  ou  sectaire. 

Pourtant  l'histoire  montre  qu'à  de  certaines  périodes  le 
Mysticisme  reparaît  largement  (i).  L'attitude  des  Eglises  à  son 
égard  varie  :  en  général,  même  lorsqu'on  lui  accorde  une  place 
dans  l'économie  du  salut,  même  lorsqu'il  est  admis  conmie  une 
sorte  de  vie  éminente,  connue  un  phénomène  de  compensation, 
il  est  surveillé  et  limité,  car  on  ne  peut  jamais,  par  le  moyen 
de  l'expérience,  apprendre  tout  ce  qu'on  doit  croire  selon  les 
enseignements  d'une  Eglise  ;  et  les  dogmes  et  le  culte  imposent 


(i;  Il  est  facile  de  comprendre  que  certaines  religions  lépugnenl  particu-, 
librement  au  Mysticisme;  cela  ne  vient  ni  du  caractère  colloclif,  ni  du  carac-j 
tere  utilitaire  communs  à  toutes  les  religions,  et  qui  permettent  un  cxtalism&l 
collectif,  une  exaltation  nationale,  mais  de  certains  traits  particuliers,  par' 
/^•xemple  :  l'utilitarisme  prosaïque  et  légaliste  de  la  vieille  religion  romaine  ; 
le  Mysticisme,  à  Rojne,  sesl  organisé  autour  de  cultes  étrangers  ;  par  exemple, 
la  profonde  croyance  à  la  transcendance  de  Dieu,  en  Israël,  et  à  l'impossibi- 
lité de  l'atteindre  directement. 


LA  c:KRTiTuni;  mvsikki: 


sH'J 


mu-   liiiiiliiliou    à    la   \'w    iiiU'rieiii»'.    en    soi-iiK-mc    sus|M'(;lti  tl 

Ksl-il  possihk'  de  pirciscr  les  coiidilioiis  ((ui  ix'rmt'llcnt  ou 
•  jni  ravorisoiil  la  lil>éralioii  du  Myslieisine  ? 

Il  l'aiil  iiidi(|iiei'  dabord  qnc  le  Mysticisme- i'('j)araîL  selon 
les  cas,  sous  deii\  formes  ;  celles-là  même  que  nous  avons 
dislini^uées  au  début  de  cette  étude,  la  forme  liusle,  élém<*n- 
laire.  et  la  loinie  su[)éi'ieure. 

La  seconde  forme  n'est  ])ossible  ([uc  par  une  théologie 
niysli(iue;  et  c'est  son  attachement  à  une  théologie  qui  la 
tlistingue  de  la  premièie.  La  spéculation  avait  coulribué  à 
tvausfoiiner  renthousiasme  en  religion;  ime  spéculation  néga- 
tive contribue  à  transformer  la  religion  en  enthousiasme.  Nous 
avons  \  u  que  le  Mysticisme  bouddhique  naît  de  la  synthèse  du 
Yoga  et  du  Sankhya  :  le  Mysticisme  chrétien  s'organise  autour 
du  Mysticisme  spéculatif  du  Pseudo-Aréopagitc.  Le  Mysticisme 
spéculalif,  <'n  ouvrant  les  proiondeurs  de  l'intuition  inell'able, 
conslruit  l  extase  lyri(iue  que  nous  avons  étudiée. 

Ainsi,  il  faut  noter  d'abord  que  le  développement  du  Mysti- 
cisme tient  tout  entier  entre  les  deux  formes  que  nous  avons 
signalées  et  ([ue  le  passage  de  l'une  à  l'autre  s'accomplit  sous 
la  direction  d  une  idée.  N'est-ce  pas  ainsi  que  tous  les  états 
d'àmc  s'enrichissent  et  s'approfondissent?  L'idéalisation  des 
sentiments  n'est-elle  pas  la  fornmle  menu;  de  leur  progrès? 

11  faut  se  garder  du  reste  de  confondre  crise  religieuse  et 
Mysticisme. 

Les  Sectes  réagissent  conire  les  Kglises  :  connnunaulés 
d'adhésion  libre  et  consciente,  déliantes  de  l'organisation  ecch'- 
siasti(pu'  cl  du  nionde.  qui  s'en  retirent  ou  cpii  les  atlacpu'iU. 
cullivaul  volontiers  1  enthousiasme  et  regagnant  en  iiilensilé  ce 
qu'elles  perdent  en  extension.  Mais  beaucoup  de  sectes  u  ont 
rien  de  m\sti<pic.  S'il  arrive  IVé(pi(  incnl  (pu-  l'on  lrou\e  aux 
épo(pies  de  crise  religieuse,  chez  les  individus  [)r(''disposés.  d«'s 
phénomènes  frustes  de  Mysticisme,  les  cii-ic^  ifJiLîiciis.s  iibou- 


2»4  I.\    IIKLK.ION    ET    L.V    KOI 

lissent  siii'loul  à  des  formes  nouvelles  de  religion  ;  par  exemple, 
le  lidéisme  protestant  n'est  (pie  très  exceplioniiellemeiit  mys- 
titpie  :  sous  lu  l'orme  luthérienne  ou  calviniste  du  ,Sola  Fide 
les  faits  nous  montrent  que  cette  foi  confiance  est  aussitôt 
enchaînée  à  l'Kcrilure,  de  sorte  ([ue  le  texte  sacré  arrête  du 
premier  coup  cet  épanouissement  sentimental;  d'autre  part,  elle 
est  retenue  par  un  processus  étranger  à  la  conscience  indivi- 
duelle, par  la  justification  extérieure,  grand  drame  religieux 
qui  s'accomplit  tout  entier  en  dehors  de  l'individu.  De  même,  le 
lidéisme  à  la  lagon  d'un  Schleiermacher  montre  le  sentiment 
étricjué  par  la  nécessité  de  retrouver  une  religion  tlonnéc 
d'avance. 

D'autre  part  encore,  le  Mysticisme  est  jusqu'à  un  certain 
point  indépendant 'des  crises  religieuses;  jusqu'à  un  certain 
point  il  se  suffit  à  soi-même  et  n'a  pas  besoin  de  puiser  à  une 
lermenlalion  plus  générale  :  il  y  a  des  mouvements  mysti(iues 
qui  se  présentent  comme  des  systèmes  fermés.  L'existence  de 
certaines  traditions,  de  certains  milieux  de  culture  jouent  du 
reste  un  rôle  considérable;  par  exemple,  dans  le  mysticisme 
catholi(jue,  les  cloîtres,  les  ordres  contemplatifs,  l'ascétisme 
monacal,  qui  du  reste  n'ont  pas  été  construits  originairement 
pour  celte  fin,  et  qui  ne  visent  pas  ([u'à  elle;  par  exemple  la 
communauté  bouddhi(jue. 


^ 


CHAPITRE    11 
L'INSPIRATION     PROPHÉTIQUE 


LE     PROPHETE 

Il  faut  distinguer  d'abord  l'inspiration  privée  et  l'inspira- 
tion proplK'ti(jut'.  La  première  est  une  illumination  qui  éclaire 
la  conscience  du  sujel,  soit  cpie  cette  illumination  projette  un 
jour  nouveau  sur  une  vérité  qu'il  savait  déjà,  soit  qu'il  y  ait 
dans  sa  conscience  un  apport  nouveau;  mais  le  sujet  la  garde 
pour  lui.  La  seconde  est  accompagnée  de  l'idée  ou  du  senti- 
ment d'une  mission  révélatrice.  De  la  première  nous  avons 
déjà  j)arlé  à  plusieurs  reprises.  Kn  étudiant  l'inspiration  pro- 
phétique, nous  l'étudierons.  elle  aussi,  mais  à  une  puissance 
supérieure. 

L"Insi>iré,  le  Prophète,  est  un  chef  religieux,  un  iiomme 
de  |)assion  et  d'entreprise,  que  sa  mission  conduit,  et  (jid 
travaille  h  la  reiuplir.  Sa  ligure  se  détache  du  gioupe  des 
grandes  personnalités  religieuses.  Le  Prêtre,  animateur  sans 
doute,  est  surtout  un  administrateur.  Le  sacerdoce  a  fonction 
conservatrice  et  institutionnelle;  il  organise:  il  maintient  les 
coutumes  et  gère  les  cérémonies.  Il  est,  comme  l'a  bien  dit  (loe, 
la  logifpie  de  la  consistance,  la  piiissaïu-e  de  la  tradition  (pii 
fait  conti'cpoids  aux  impulsions  nouvelles,  aux  ceititiides 
intiiilive<.  Le  Hituel,  l'Iv-riture,  la  littérature  sacrée,  voilà  ses 


286  I.A    UKl.K.lOX    Kl    l.\    KOI 

moyens  d'aclion.  Il  loiiihc  aiscment  au  formalisme  mori,  à  l( 
rouline  mécani(|U('  (  i  ). 

Uéaliscr  do  façon  éminenle  lidéal  religieux,  telle  est  h 
tàeiie  du  Saint.  Etablir  le  contaet  avec  le  monde  divin,  telh 
est  celle  du  Mystique  et  de  l'Inspiré.  Mais  l'Inspiré  clierchi 
dans  le  monde  divin  des  enseignements  et  des  ordres  précis 
des  révélations  utilisables,  (juil  transmet  ici-bas.  Il  est  un  ini- 
tiateur, et  dans  Tordre  des  valeurs  religieuses,  un  inventeui 

Non  pas  simplement  un  agitateur  ou  un  chef  :  un  agitateu 
qui  se  lève  pour  donner  une  forme  et  assigner  un  but  inuné- 
(liai  aux  sourdes  tendances  de  la  foi  populaire;  un  chef,  qu 
a|)porte  la  victoire  à  l'une  des  croyances  en  conllit,  qui  orga- 
nise un  parti  par  sa  puissance  à  convaincre  ou  à  déchaîne: 
l'émotion.  Mais  un 'Prophète,  celui  qui  apporte  une  nouveauté 
([ui  relève  le  Siècle  de  sa  léthargie,  qui  révèle  ou  confirme  un( 
doctrine  ou  une  règle  de  vie,  qui  fait  voir  au  monde  ce  qu'i 
désirait,  qui  révèle  les  hommes  à  eux-mêmes  (2). 

Il  convient  de  distinguer,  avec  Coe,  deux  types  de  pro 
])hèle  :  le  type  shamanistique,  le  type  éthiciue;  le  premiei 
représenté,  par  exemple,  par  les  devins  d'Israël,  les  deviuj 
enthousiastes  de  l'antiquité  grecque  (3),  par  l'hommc-médecim 
des  tribus  indiennes,  par  le  shaman  sibérien.  La  communica- 
tion avec  l'an  delà  vise  à  s'établir  pour  le  profit  immédiat  di 
magicien  ou  de  son  client,  par  le  moyen'  d'une  espèce  de  pos- 
session extatique,  à  la  faveur  de  la  transe  et  des  visions.  Li 
forme  éthi([ue  est  avant  tout  révélation  morale,  recours  dire( 
aux  sources  de  la  vie  religieuse,  appel  à  des  forces  en  sommeil 
en  opposition  à  lautorité  et  à  la  tradition. 


I;  L'oppositifiii  «lu  iurtrc  et  ilii  |)ii(i)liclc  il  été  préscutén  de  façon  incom 
pai-îâble  par  lîarrès,  (lans  Ui  (Jollinc  ins/jirre- 

2J  Voir  Coe,  Psycholof^y  of  Jleliifion. 

i3)  0  Furor,  cum  a  corpore  animiis  ahstraclas  dh'ino  inslincta  coiwilatur. 
—  (JiCKRON,  De  divin.,  I,  66.  (Voir   HoIkIc,  Psyché  :  L'eiitliousiasmc  n'est  pa 
resté  en  flrèee  à  l'état  de  nianilestalion  accidentelle;  un  eoneoui-s  de  circons 
tances  lui  a  ouvert  à  Delphes  un  débit  ié>,Milier.; 


t.'iVsi'IRATION    PROl'HJ'TKK  i:  287 

Toutefois  la  dôimircatioii  est  difticile.  Beaucoup  de  grands 
|>i'Oj)lu''tes  ont  ronim  la  possession  e\tali([ue.  les  rêves  et  les 
visions.  Mais  la  ferveur  et  la  puissance  morale,  ici.  illuminent 
tout  et  font  le  départ. 

Le  sliaman,  voyant,  devin,  sorcier,  hypnotiseur,  oscille 
entre  le  charlatan,  le  fou  et  linspiré;  c'est  un  prédisposé  qui. 
j>our  atteindre  le  monde  mystérieux,  se  soumet  à  un  réj?im<', 
à  une  préparation  ascétique  :  fumigations,  jeûnes,  intoxica- 
tions, exercices  intellectuels  violents.  ]1  parvient  à  la  transe, 
<[u'il  interprète  comme  possession  par  les  esprits,  et  d'oii  il 
rapporte  des  révélations.  Ses  automatismes  lui  apparaissent, 
et  aux  autres,  comme  des  [)ouvoirs  supérieurs  et  c'est  d'eux 
«|u'il  tire  son  autorité,  que  la  réussite  vient  confirmer  plus  ou 
moins.  T/habileté  à  songer  aux  intérêts  généraux  du  groupe. 
à  s'en  occuper,  donne  plus  d'ampleur  à  cet  humhh'  pro- 
phète. 

Il  survit  bien  souvent  quelque  chose  de  ce  primitif  chez 
beaucoup,  <[ui  interpréteraient  ce  rapprochement  comme  mie 
olfense  ;  un  Joseph  Smith,  une  Mrs  Eddy,  répondent  à  certains 
('■gard.s  à  ce  ty[)e. 

Il  est  probable  ([ue,  chez  le  shaman,  la  bomie  foi  et  la  simu- 
lation s'unissent  dans  une  proportion  diflicile  à  définir.  Il  croit 
aux  j)OMvoirs  supérieurs  et  il  aide  leur  action.  La  tradition 
lui  imjxxse  jus([u'à  un  certain  point  ses  extases  et  ses  visions 
et  lui  eu  lournit  une  interprétation.  Ainsi  il  subit  la  suggestion 
d'une  tradition.  D'autre  part  il  est  prédisposé  à  des  accidents 
convulsifs  ou  à  des  états  oniriques,  et  l'autosuggestion  ren- 
force la  nature  et  la  tradilion:  la  préparation  ascétique  est. 
nous  lavons  vu,  un  long  elFort  de  direction  d'intention,  et  la 
provocation  et  l'exjiloilalion  d'états  physiologiques  piopices 
à  ce  <[uc  l'on  veut  éprouver.  Il  médite  ses  aventures.  Il  ren- 
conlre  la  crédulité  publique,  qui  renforce  sa  conviction  ou  sa 
demi-conviction.  Et  même  lors([u'il  aide  son  ministère  de 
<|uel(pies    hâbleries,  de  ([ueh[ues  mensonges  professionnels  et 


a88  I.V    RELIGION    KT    I.A    KOI 

(lo  qiiehiucs  tours  de  main,  ils  sont  si  bien  eiuadiés  dans  tonte 
eette  foi  (jn'ils  en  parlieipent  à  nioilié(i). 

Il  y  a  iei  l'inteiaclion,  déjà  bien  des  lois  signalée,  d'une 
doetrine  el  d'une  expérience;  la  doctrine  admise  par  autorité 
(le  la  tradition  et  par  contrainte  sociale,  et  aussi  parce  (pTelle 
répond  aux  dispositions  du  sujet;  la  doctrine  suscitant  ou 
lavorisant  des  expériences,  aidant  à  les  interpréter,  et  sui)is- 
sanl  parfois  leur  contre-coup. 

La  Snggestion  ainsi  entendue  est  un  processus  complexe 
oii  s'unissent  à  une  pression  presque  mécanique,  la  docilité, 
la  complaisance  et  le  travail  propre  du  sujet,  d'un  sujet  chez 
([ui  les  pouvoirs  de  résistance  sont  diminués  et  de  par  sa  cons- 
titution même  et  de  par  l'autorité  extrême  de  la  tradition; 
d'un  sujet  ouvert  à' des  expériences  invasives.  L'esprit  critique 
est  paralysé  par  la  force  de  la  croyance  traditionnelle,  et 
l'expérience  se  présentant  sur  le  plan  de  la  tradition  est  admise 
sans  réserve;  la  tradition  et  la  prédisposition  ouvrent  les 
brèches  par  où  pénètre  la  croyance. 

Il  y  a  en  plus  rAutosup:gestion.  L'Autosuggestion,  c'est  le 
travail  du  sujet;  le  sujet  prend  la  suggestion  à  son  compte  et 
s'appli(jue  à  s'aveugler  soi-même,  à  se  rendre  captif  de  l'idée, 
à  se  mettre  dans  un  état  favorable  à  son  action;  et  cela  par  le 
mécanisme  conjoint  de  la  direction  d'intention  et  du  régime 
favorable.  La  méditation  continue,  se  lixant  sur  les  idées  et 
sur  les  faits,  maintient  et  réalise  l'idée  directrice  :  tout  devient 
«igné  et  preuve.  Ou  bien  l'idée,  à  l'insudu  sujet,  travaille;  et  il 
la  trouve  en  soi  toute  réalisée  et  comme  une  œuvre  étrangère. 

Le  sujet  est  dupe  de  son  œuvre,  parce  q  l'il  ne  se  voit  pas 
la   faire,   parce  que,  quand  \[  agit   seul,  il    croit   ne  faire   que 
collaborer;    parce   ([ue   les  élans   et  les    mouvements   de   son 
élaboration  subconsciente  dépassent  et  de  beauconp  les  mo-1 
ments  du  travail  elfectif  volontaire. 


I     Voir  Us  Unes  analyses  de  Malss,   l'Ori;jçiiie  dea  potwolrs  imgiq:i3i,  i5'J 


l'inspiration  imum*hi:ti()uk  aSç) 

Aciivilé  et  Passivité  cilleriu'iil;  (M  mémo  an  milieu  de  son 
aclivilr.  le  sujet  est  souvent  surplis  |)ar  un  afilux  de  passivité: 
certains  é[)is()des  sont  hors  du  plan  préconeu,  el  sur\  icnnent 
vw  dehors  de  toute  prévision,  certains  symptômes  suri^isscut 
<pii  sont  tout  à  fait  difFérents  de  la  préparation  qui  les  fait  naître. 
Ainsi  le  sujet  joue  une  scène  dont  il  ignore  souvent  toute  la 
signification,  et  il  est  son  premier  spectateur  et  parfois  sa 
première  victime. 

C'est  donc  un  mélange  de  sincérité  et  de  comédie.  Le  sorcier 
est  un  peu  acteur:  il  a  besoin  de  faire  illusion  et  aussi  de  se 
faire  illusion;  il  a  le  goût  de  la  réalisation  plastique  et  de 
l'expression  dramatique;  c'est  un  acteur  pris  par  son  rôle  et 
(h'jà  à  demi  convaincu.  Son  esprit  s'appli(pie  au  maintien  de 
son  personnage  et  il  exploite  intelligemment  les  accidents 
nerveux  à  demi  provoqués  par  le  schéma  traditionnel, 
l'attente  du  public  et  la  crédulité  d'autrui. 

Le  point  de  départ  de  tout  cela,  c'est  donc  une  constitution 
neuro-émotive;  l'énorme  puissance  de  la  tradition;  Tinstabililé 
el  la  fragilité  de  l'esprit,  <[ui  subit  et  (jui  élabore  certains 
schémas  traditionnels. 


Le  prophète  est  soulevé  et  soutenu  j)ar  l'enthousiasme  reli- 
gieux el  politique  :  c'est  un  génie  religieux;  pour  certaines 
épo(pies  de  la  civilisation,  il  est  l'expression  de  la  raison  et  de 
la  conscience  de  l'humanité.  Parti  de  la  forme  grossière  (pie 
nous  avons  décrite,  et  (pii  renveloppc  de  son  appareil  con- 
\iilsif,  l'esprit  prophétiipie  s'en  dégage  peu  à  peu:  el  iiK'ine  il 
aboutit  dans  bien  des  religions  à  ce  type  ou  à  cet  idéal  dins- 
piré,  en  j)leine  possession  de  tontes  ses  facultés,  régnant  sou- 
verainement sur  les  parties  indomptées  de  l'àme,  proi)h(''lisaut 
dans  un  calme  parfait,  à  l'heure  oîi  il  veut.  C'est  le  portrait 

19 


290  LA    UELK.ION    ET    LA    FOI 

que  Maïmonido  tr;ice  de  Muïsc  (r).  Mais  ce  n'est  cruèie  qu'un 
idéal,  et  dans  la  réalilé  historique  le  prophétisme  send)le  s'ac- 
compagrner  toujours  d'une  excitation  anormale  qui  aboutit  sou- 
vent à  des  troubles  psychosensoriels.  Comme  l'a  bien  fait 
remarquer  ^Vlmdt,  c'est  précisément  en  cela  que  consiste 
l'essence  du  prophétisme,  ni  dans  les  illusions  et  hallucina- 
tions du  pro[)lȏte,  ni  dans  les  simples  mouvements  religieux 
et  nationaux  de  son  temps,  mais  bien  dans  l'exaltation  que  ces 
mouvements  produisent  en  ces  personnalités  exceptionnelles 
et  qui  aboutit  à  une  rupture  d'équilibre  psychique.  I>e  pro- 
phète reste,  dans  le  royaume  ténébreux  de  l'enthousiasme,  un 
visionnaire,  qui  prend  pour  des  révélations  de  Dieu  les  idées 
qui  se  lèvent  dans  son  esprit  ;  et  il  a  l'idée  d'une  mission  ;  et 
ses  actions  témoiifnent  parfois  de  sa  grande  exaltation  :  Isa'ie 
se  promenait  sans  vêlements  ni  chaussures  dans  les  rues  de 
Jérusalem,  pour  signifier  le  sort  qui  attendait  ceux  qui  vou- 
draient résister  au  roi  d'Assur. 

Dans  l'histoire  d'Israël,  on  peut  suivre  cette  «  évolution 
qui,  du  voyant  devin  et  sorcier,  de  l'enthousiasme  délirant,  a 
fait  le  prophète  des  derniers  temps  de  la  monarchie,  juge  des 
rois,  défenseur  des  pauvres,  prédicateur  de  justice,  toujours 
préoccupé  de  l'avenir  par  tradition  d'état,  mais  coordonnant 
ses  prédictions  à  un  enseignement  moral  »  (2).  L'exlase.  sau- 
vage, moralisée,  est  devenue  enthousiasme  pour  le  droit  et  la 
justice,  considérés  comme  la  cause  d'iahveh,  dont  le  prophète 
perçoit  la  parole  dans  la  voix  de  sa  conscience  et  par  l'esprit 
de  qui  il  se  sent  poussé.  Avec  les  prophètes  se  précise  et 
s'élargit   la   notion    d'Iahveh,  et  celle    de   l'idéal   national  du 


(i)  Guide  des  Egarés,  II.  264  et  suiv.  ;  de  même  la  divination  enthousiaste 
s'était  présentée  à  l'esprit  des  Grecs  sous  trois  aspects  distincts,  «  d'abord 
comme  une  irruption  violente  de  l'esprit  divin  dans  un  corps  humain  d'où  il 
chasse  le  moi  conscient,  puis  comme  une  ujiion  plus  ou  moins  intime  «thaJji- 
tuelle  de  l'âme  avec  les  dieux;  enfin  comme  une  apothéose  qui  fait  du  pro- 
phète une  incarnation  vivante  de  la  divinité  ».  —  HoLcuK-LECLKncQ,  Divina- 
tion dans  ranlif/uilé,  p.  273. 

(2)  LoisY,  Religion  d  Israël,  i63. 


L  INSIMUATION    PROPHÉTIQUE  igi 

pouplo  juif;  (Ml  des  époques  troiil)l(''es,  parmi  les  crises  natio- 
nales el  reliijjiouses,  ils  ont  travaille'  à  remédier  au  grand  mal 
qu'ils  sentaient  en  leur  nation.  L  n  sentiment  moral  très  pur, 
beaucoii[)  île  bon  sens  et  de  profonde  raison,  associés  à  de 
hautes  visions.  Ce  contact  immédiat  de  l'homme  avec  Dieu 
cessera  ensuite.  L'achèvement  du  canon  fortifiera  cette  convic- 
tion qu'il  n'y  a  plus  de  prophètes  en  Israël.  Le  livre  se  subs- 
titue à  l'inspiration,  la  révélai  ion  externe  à  la  révélation 
interne. 'Israël  devient  une  religion  du  livre  et  de  la  loi;  mais 
on  attend  des  prophètes  dans  l'avenir  :  et  à  bien  d^s  époques 
troublées  ces  prophètes  ont  surgi. 

La  notion  d'I^sprit  a  même  évolution  historicpie  (jue  la 
notion  de  prophète  :  d'un  pneumatisme  grossier  et  magique  à 
un  pneumatisme  métaphysique  et  moral  (r),  d'une  force  reli- 
gieuse sauvage  à  l'idée  de  la  force  divine,  du  dieu  lahveh  ;  elle 
s'oriente  vers  le  Logos,  la  Sophla.  Elle  n'est  que  l'aspect 
objectif  de  la  notion  de  prophète. 

De  même,  chez  Paid,  le  mot  Lsprit  a  deux  sens  :  la  force 
qiù  s'empare  de  l'homme  dans  l'extase  :  la  glossolalie  par 
exemple  est  un  de  ses  effets;  la  force  constante  qui  accomplit 
dans  l'homme  l'œuvre  de  Dieu  (2). 


LES    CONDITIONS    DU    PROPHJETISME 

Nous  pouvons  tirer  de  l'histoire  du  christianisme  les  con- 
clusions suivantes,  que  l'étude  d'autres  religions  vérifierait 
aisément. 

I.  —  Le  prophétismc  se  rencontre  aboiulamment  au  début 
des  religions.  VA  il  a  d'autant  plus  d'autorité  que  la  religion  est 
moins  oru:anisée  et  hiérarchisée. 


(i)  VoLZ,  Di'f  Geisl  Godes,  191 4.   —   l>ri'i\.   L«.v   Origines   (U^s    controverses 
triniUUres,  liasriu'  d'histoire  el  de,  Utf'ratnic  retitriense,  t.  II,  p.  aao. 
(a)  BoussKT,  Kj-rios  Ctirislos,  vji'i.  p.   lay  et  siiiv. 


•2C^-2  LA     UKI.KIION    KT    LA    1  OI 

Selon  la  Didai'liè,  la  lui  rarchic  naissante  des  évè(|ues  et 
(les  diacres  élus  j)ai'  la  eoninuuianlé  locale,  est  encore  subor- 
donnée à  un  personnel  itinérant  de  piopliètes,  d'apôtres  que 
l'esprit  pousse  oîi  il  veut  (i). 

Le  proplîétisnie  csl  libre,  au  moins  jus(]u'à  un  certain  point. 
D'après  la  Didachè  (XIII,  3,  X,  7)  Les  propliètes  ne  sont  pas 
liés  à  la  lilingie:  ils  ont  le  droit  de  prier  comme  ils  l'enten- 
de ni  r2). 

II.  —  Le  charisme  prophétique  concerne  d'abord  l'individu 
que  l'esprit  envahit  pour  le  régénérer  ;  il  lui  communique  une 
vie  et  des  facultés  nouvelles,  surnaturelles.  Mais  en  même 
temps,  le  prophète  fait  participer  ses  frères  à  la  plénitude  de 
vie  dont  il  surabonde  ;  d'après  les  Actes,  il  annonce  la  parole 
de  Dieu  dans  les  synagogues  ;  il  console  ses  frères  :  il  les 
fortihe  par  des  discours  (3).  Ces  deux  tendances  interfèrent  et 
parfois  entrent  en  conflit,  comme  dans  le  cas  de  la  glossolalie. 

III.  —  Deux  notions  de  la  prophétie  sont  en  lutte  dès^  l'ori- 
gine ;  et  à  travers  toute  l'histoire  :  la  prophétie  extatique  et  la 
prophétie  raisonnable. 

Les  glossolales  chrétiens  prophétisent,  autant  qu'il  semble, 
dans  une  sorte  d'état  extatique.  Le  glossolale  est  passif,  et 
c'est  justement  cette  passivité  qui  fait  croire  à  l'intervention  de 
rp]sprit.  Car  l'Esprit,  c'est  justement  la  force  qui  s'empare  de 
l'homme  dans  l'extase.  On  rapporte  à  l'esprit  l'action  puis- 
sante et  mystérieuse  ('î).  Et  aussi  rininlelligil)ilité.  La  glosso- 
lalie est  inintelligible  pour  l'auditeur,  parfois  même  pour  le 
glossolale.  Mais  si  l'inspiré  a  tendance  à  coter  très  haut  cette 
révélation  inintelligible  (.5),  l'Eglise,  plus  rassise,  a  vite  fait  de 


'i    Batikkoi-,  Kliules  d'histoire  et  de  flirolofrie  positii'e,  19)5. 

(2    Ukitzi;.\stki\,  l'oiinandres,  220. 

(3i  Dk  Lauhfoi.i.i;,  La  Crise  rnontaniste,  114. 

(4^  C'est  la  roniiule  de  (ItNKKL.  Die  Wirkanf^cn  des  lieili^rn  Geistes.  (GoUin- 
gen,  1888.)  «  Dos  iincrldarlich  gewallige  ist  Symptom  der  Geisteserscheiniing.  » 

fâj  En  vertu  du  principe  énonce  jiar  Piuldn  :  «  En  nous  rintelligcnce  est 
t)annie  par  l'invasion  de  l'Esprit  divin  ;  lorsque  celui-ci  se  relire,  elle  revient.  » 
Quis  rer.  div.  hner.,  53. 


l'iNSIMRMK^N    riJOI'HKTIQUK  aç)3 

rrpondic  <iii('  piiiscin'oii  ne  comprcinl  [las,  il  laiil  intiT-piéler  et 
(pu',  coiniiR'  1  iutciprclalion  ii  c^st  pas  possildc  dans  Ions  les 
cas.  le  pliénoinône  est  imililc.  C/esl  le  mol  de  saint  l*aid  :  <<  Si 
je  prie  en  lanu^ues,  mon  Kspril  |)iie,  mais  mon  inlcllit^cnce 
demeuie  stérile  «  (i). 

La  ^dossolalie  déerite  dans  les  épilies  pauliniennes,  est,  en 
eltet.un  langaiçe  enthousiaste,  automatique,  irrationnel,  incom- 
préhensible à  l'auditeur,  eonl'us  et  indistinct,  l't  pourtant 
jus(pi'à  un  certain  point  elassable  (2).  Il  a  siji:nilieation  reli- 
gieuse; il  vient  de  l'Ksprit  et  il  est  diriji^é  vers  Dieu.  Le  ii:losso- 
lale  esl  proiomlément  édilié  par  ces  paroles  cpiil  profère  et 
(piil  ne  ii:oiiverne  pas. 

La  glossolalic  reparaît  à  bien  des  époques  sous  des  formes 
plus  complexes. 

Au  plus  bas  dcicré,  les  formes  içlossolaliques  rudimen- 
taires  (3);  cris  inarticulés,  simples  balbutiements;  émissions 
vocales  confuses,  difliciles  à  discerner  de  simples  érnelations 
émotives  ou  nerveuses,  d'autant  (jue  souvent  elles  sont  accom- 
jiau:nées  de  convulsions,  de  hocpiels,  de  sanp^lots  ou  de  spasmes. 
L'émission  ver]*ale  n'est  qu'un  réllexe  de  l'émotion  et  de  l'état 
de  déséciuilibre.  Ou  bien  elle  est  soutenue  par  nne  idée  :  les 
«  nouveau-nés  de  l'Esprit  »  se  comportent  connue  des  enfants. 

Plus  haut,  c'est  un  pseudo-lamjai^e,  analoi^ue  à  celui  des 
jçlossolales  de  Corintlie,  ininlelli,ii:ible  à  lauditeur,  parfois  nu''me 
au  glossolale  :  ou  bien  l'intelligence  ([u  il  en  a  est  inlermit- 
tente.  partielle  et  fragile, 

Plus  haut  encore,  c'est  comme  un  langage  véritable  ;  en  ce 
sens  (pie  le  rapport  des  mots  aux  idées  est  constant  et  se 
maintient  tout  au  long  des  textes  recueillis;  c'est  ici  la  contre- 
façon pins  ou  moins  adroite  d  un  langage:  ainsi  Hélène  Smith 

(I)  /.  Cor.,  14,  14. 

(a)  Pail,  /.  Cor.,   12,  10.  a8. 

(3)  l.oMUAiii),  De  la  !,doiisolali('.  i\)W.  —  Vfistkii,  iJie psycholoifiai-fn'  l-'ulriil.'ic- 
Inuff  der  rcliifiôsi'n  (ilossolalic,  lyia.  —  L'un  dps  recueils  «le  (locunirnts  les  plus 
intéressants  est  le  livre  de  Cahhi-;  m:  Montc.kkon,  La  vcrité  des  miracles,  etc. 


394  LA    RBLIGIOX    ET   I^    KOI 

de  Flournoy  (i),  ou  la  voyante  de  Prévorst  de  Jimp^  Stilling:. 
EmaiK'ij>ation  du  lanp:age,  ou  confuse  expression  verbale  de 
scnlinients  indicibles  el  étranges  ? 

Il  y  a  aussi  les  discours  véritables,  soit  dans  une  langue 
peu  familière  au  sujet  et  qui  constitue  pour  lui  comme  une 
langue  sacré*'  (ainsi  les  prophéties  en  français  des  C.amisards), 
soit  dans  sa  langue  familière,  mais  rythmée  et  parfois  rimée; 
soit  dans  le  langage  ordinaire  (2). 

L'attitude  du  glossolale  à  l'égard  de  son  langage  prophé- 
tique est  aussi  variable.  Il  y  en  a  qui  ne  se  comprennent  pas 
du  tout;  il  y  en  a  qui  comprennent  en  gros  ce  qu'ils  disent,  on 
(pii.  du  moins,  ont  présent  à  l'esprit  simultanément  et  leur 
langage,  et  une  signification  plus  ou  moins  eonfu&e,  mais  dont, 
parfois,  le  vague  n'exclut  pas  l'intensité.  Il  y,  a  ceux  <[ui,  disant 
ne  pas  comprendre,  donnent  aux  assistants,  par  leur  mimique 
et  l'allure  de  leur  débit,  l'impression  vive  qu'ils  se  compren- 
nent ;  d'autres  gardent  seulentent  le  souvenir  d'avoir  compris  ; 
d'autres  enfin  se  comprennent  tout  à  fait. 

11  y  a  de  nicme  tous  les  degrés  de  conscience,  depuis  la 
totale  amnésie  consécutive  et  l'inconscience  absolue,  jusc^u'à 
la  pleine  conscience  de  l'impulsion  subie  :  et  différentes  formes 
d'impulsion  ;  parfois  c'est  seulement  le  sens  général  du  dis- 
cours qui  est  inspiré  et  le  prophète  reste  maître  de  l'expres- 
sion :  il  se  sent  contraint  par  l'inspiration,  sans  être  contraint 
dans  le  choix  des  paroles  ;  parfois  les  termes  mêmes  lui  sont 
soufflés,  sans  pourtant  qu'il  se  sente  contraint  de  les  pronoacer 
ou  imi)uissant  à  leur  rien  ajouter  ;  parfois  l'inspiration  est 
pleinement  contraignante  et  le  prophète  s'écoute  parler,  comme 
il  écouterait  une  autre  persoinie. 

Gomme  saint  Paul  contre  les  Glossolales,  saint  Epiphane 
soutient  contre   les   Montanistes   le   caractère   raisonnable    de 


(ly  Des  Indes  à  la  planèlc  Mars. 

lo)  Il  est  dillicile,  rlans  toas  ces  cas,  de  préciser  la  part  de  la  pensée  et 
celle  du  langage.  Eniaaeipalioii  du  langage,  aut<jinatrsmc  verbal  ou  eCFort 
d'expression  V 


l'insi'iuvtio.v   l'rtopnÉTiQUE  295 

liiispiralion  ;  il  n'y  a  pas,  cliez  les  vrais  prophètes,  abolition  de 
la  coiiscieiice  des  actes  et  dos  paroles,  l'extase  n'est  pas  le 
v«''liieiile  de  la  proi>hétie  :  au  déliic  vatieinatcur,  on  opj)OSC  le 
taractère  mystérieux  de  la  proi)liétie  orthodoxe.  Etiansjement 
j)réoeeiipé  des  lins  dernières,  hanté  par  le  retour  du  Christ  et 
ra[)parilion  de  la  Jérusalem  eéleste,  christ ianisme  ascétique  et 
inspiré,  en  relation  continue  avec  le  Paraelet  incarné  dans  ses 
prophètes,  le  Monlanisme  admet  les  révélations  pour  complé- 
ter l'œuvre  du  Christ,  «  régler  la  discipline,  expliquer  les  Kcri- 
tores,  en  redresser  rinlelliji:ence,  acheminer  au  progrès  (i)  ». 
Kt  l'on  voit  paraître  très  nettement  chez  les  docteurs  >[onta- 
nistes  l'idée  que  le  divin  ne  peut  coexister  avec  l'humain,  et 
«ju'il  faut  que  la  personnalité  humaine  s'efTace  pour  laisser 
s'accomplir  l'inspiration  divine  (2).  La  prophétie  extatique  du 
Montanisme  exclut  la  pei*sonnalité  du  prophète  ;  c'est  Dieu 
même  qui  parle.  Les  textes  antimonlanistes  suffiraient  à  le 
prouver,  <[ui  traitent  d'illusion  cette  vaticination  divine  : 
«  Agité  par  les  esprits,  Montanus  devint  soudain  comme  pos- 
sédé et  pris  de  fausse  extase  (3>.  »  Selon  la  description  d'Eu- 
sèhe,  le  rapliis  extatique  des  Montanisles  s'accompai;ne  d'un 
{i^rand  désorilre  physique,  de  transports  furieux,  d'articulations 
incompréhensihl(59. 

La  crise  montaniste  a  renforcé  d-ans  l'Lu^lise  la  défiance  de 
la  j)rophétie  extati(iue.  L'extase  [)rophéti(pie  devient  fausse  et 
eondaumable  si  elle  inq>li(pie  la  passivité  absolue,  l'effacement 
de  la  personnalité,  l'obnubilation  de  l'espiil,  les  transports 
antécédents  ou  concomitants.  Les  Pères  et  les  docteurs  s'atta- 
cheront à  définir  une  extase  tranquille,  un  enthousiasme  ([ui 
laisse  l'esprit  intact  ;  ils  identifieront  la  fureur  prophéticpie  avec 
la   manti(pie   [>aïenne,   (cuvre  démoniacpie.    Us    insisteront   sur 


\V  Tkhtui.uex,  I)e  Virgin,  vel.  2. 
a)  Temtllmk.n,  Adversaa  Marc,  «.  2- 

'ij  EusiiiiK,  t.  XVI.  9.  Voir  noire  travail  :  .Vote  sur  Chrialittnisinc  cl  Mysti- 
cisme; liei'.  (le  Mcl.,  ujoii.  —  Voir  uk  Ladrioi.lk  ;  La  Crise  rnontaiiistc.  iyl3- 


•Jt)G  LA    UKLIGIO.N    ET    LA    KOI 

rôtliiilihre  de  l'cspril.  sur  la  prôsiMieo  d'ospiil,  sur  la  {)lcine 
conscience,  riiitellip^enee  du  prophète  (i).  Ils  leronl  aux  Monla- 
hiisles  celte  objection  qu'ils  ont  «'lé  dupes  d'une  fausse  notion 
de  l'extase,  (pi'ils  n'ont  pas  su  discerner  les  diil'ércntes  accep-j 
lions  bibli(pies  du  mot  Kxtase  :  sonniieil  profond,  excès  d'éton- 
nement,  de  crainte. 

C'est  (pi'il  y  a  un  danger  grave  dans  l'inspiration  privée/ 
surtout  quand  elle  est  ainsi  :  tuuudlueuse  et  irraisonnable.  Elle 
tend   à  détruire  l'organisation  ecclésiasti(j[ue.  Elle  remet  tout; 
en  (pu'stion.   L'Eglise  s'etlorce  de   restreindre  au  proiit  de  sai 
hiérarchie,  le  rôle  des  charismes  et  de  l'initiative  individuelle;' 
substituer  aux  explosions  mysti([ues  la  solidité  et  la  continuité 
d'une  hiérarchie,  absorber  les  charismes  dans  les  sacrements, 
restreindre  l'initiative  individuelle  au  [)rolit  des  clercs;  telle  a 
été  sa  tâche  constante.  Comme  l'a  bien  vu  A.  Comte,  le  Catho- 
licisme restreint  de  plus  en  plus  le  droit  d'inspiration  surnatu- 
relle.   ('    Cette  inévitable  tendance  à   de  vagues  et  arbitraires 
{Kl  Itirbalions  devient  éminemment  exceptionnelle,  bornée  à  des 
cas  de  plus  en  plus  graves,  à  des  élus  de  plus  en  plus  rares,  à 
des  temps  de  moins  en  moins  ra|)[)rocli<''S,  et  assujettie   à  des 
vérilicatious  d  authenticité  de  plus  en  |)lus  sévères.  »  L'organi- 
sation hiérarchique  y  supplée.  Le  catholicisme  est  constamment 
occupé,  dans  la  vie  individuelle  ou  collective,  à  augmenter  gra- 
duellement le  domaine  de  la  sagesse  humaine  aux  dépens  de 
celui  de  l'inspiration  divine.  L'Eglise  revendique  [)our  elle-même 


(i)  V.  p.  ex.  SiAiJKZ.  Part.  I,  IX  l.  III;  Sect.  III).  Effort  du  mémo  genre- 
chez  Maïmoiiide.  II  faut  le  coiicouis  de  la  rai.son  et  de  l'imagination  ;  san.s. 
quoi  il  n'y  a  que  des  vi.sions  ehiméiifjue.s.  ((luide  II,  264  et  suiv.) 

Cela  ne  eon.slilue,  du  reste,  cju'iin  des  aspects  de  la  notion  oitliodoxe  de 
la  i>rophétie.  11  faut  en  plus  la  coiilormilc  à  l'I-^glise  et  l'acecplation  par 
l'Eglise  ;  en  somme  la  doctrine,  sans  ia((uelle  la  pro[)liélie  ne  vaut  point.  Par 
exemple,  chez  les  Juifs,  ce  qui  caractérise  le  Taux  prophète,  c'est  ou  bien 
qu'il  prêche  contre  la  I^i  ;  ou  bien  (piil  annonce  à  faux.  Les  mirachîs  ne 
valent  pas  sans  la  doclrine.  Les  caraeliies  du  |)roi)licle,  d'après  Ibn  Klialdun, 
.sont  :  i«  la  transe;  -i"  la  jiurelé  du  eceiir  ;  3°  la  piété  et  les  bonnes  (l'uvres  ; 
4°  la  distinction  parmi  le  peujjle  ;  un  parti  ;  5»  les  miracles.  (Macdonai.d,  The', 
religious  Mliludc  and  Life  in  Islam,  lyoy;. 


I.  INSIMUATION    l'HOPIIKTKJUK  -jgj 

la  luinii'ic  |)r<)[)lK''li(|ii('  (|ui  coiilimic  en  elle  la  ix'nst'c  (li\iiic  dit 
(lliiisl.  Le  (Ion  de  propliclic  (luCllc  possrdc,  c  rsl  son  maifisli-re 
oial  et  vixanl  (|iii,  crraiil  une  Iradiliou  paiallrlc  à  I  1m  riliirc. 
luiii  sciiIciiKiil  jiiirt'  le  si'iis  de  rEcriturc,  mais  livc  le  coiilenu 
it'vélt'  de  (cllc  tiadilioii  aNce  une  di\iiie  aulorité.  Ainsi  ri^sjuil 
collcclir  domine  et  ahsorhc  l'esprit  individuel  :  «  Don  hahilUL'l 
et  permanent  dans  ri']^dise.  tandis  (jue  dans  k's  âmes  indivi- 
duelles, elle  n'est  quun  saisissement  passaj^er  de  la  vérité 
dixine,  la  Prophétie  alileste,  non  linfluence  lointaine  on  la 
visite  luj^itive.  mais  la  présence  intime,  raclion  calme  et  stable 
de  ri]s[)iit  Saint,  (jui  eonlèie  à  l'Eglise  sa  personnalité  surna- 
tiii-elle.  Hien  d'une  tianse  divinatrice,  mais  la  l'onction  noiinale 
d'un  être  (pii  a  une  pensée  siiixie  et  ([ui  re\|)rime.  L'Kglise  sait 
dans  quelles  conditions  elle  peut  user  de  ce  don,  et  elle  est  sûre 
de  le  posséder  toujours  (i).  »  L'Ksprit  Saint  assiste  perpétuel- 
lement rivirlise.  Seulement  à  toutes  les  époques  de  crise,  proli- 
tant  de  lallaiblissement  de  l'organisation  ou  de  l'autorité,  ou 
de  l  airail)lissement  de  leurs  notions,  l'inspiration  prophétique 
réclame  ses  droits.  D'abord  parce  qu'elle  correspond  ii  une 
certaine  modalité  de  la  nature  humaine;  et  puis  parce  <prelle 
icpose  sur  une  certaine  théorie  de  ll^sprit.  Il  va  à  la  based'un 
tel  j)rophétisme  la  rencontre  d  une  notion  et  d  une  a[)litudc. 
Le  sujet  est  prédisposé  aux  automatismes  et  par  sa  constitution 
et  j)ar  son  régime:  il  y  est  cf)n(luit  par  la  doctrine  de  ri''sprit, 
lorce  mystérieuse  et  toute-puissante,  ine\plical)le  j)uissance, 
envahissement  de  la  nature  humaine ;.ètrc  en  proie  à  l'esprit. 
I  «st  d  abord  sortii-  de  soi-même,  (f'cst  subir  linx-asion  d  une 
puissance  supé-rieure,  di'lirer.  l  ne  tradition  s  établit.  (Aie/. 
beaucoup  de  sujets  le  désir  de  la  glossolalie  [)récèdc  son  a|)])a- 


I    (Im'.iiissac,  le  Mystère  de  l'I'.glise,  na. 

In  plic-noiiiènc  du  nirine  ordre  se  relrome  en  Isiai  1,  loisijiio  i'iielu\e- 
menl  du  Canon  refoule  la  propliélie.  Israël  devient  une  relij,'ioM  du  Livre  el 
de  la  Loi.  La  révélation  vient  de  rinlerprélation  de  llù-riture.  l'ourtanl  les 
droits  de  rin.s|)iration  pro|iliélique  sont  réser\és.  On  attend  des  prophètes 
dans  l'avenir.  L'ne  religion  eoupe  lualaisénient  le  contael  avee  le  surnaturel. 


298  I-A    RELIGION    ET    LA    FOI 

rition  :  en  particulier  dans  les  sectes  protestantes,  pour  qui 
l'Kîrlise  primitive  est  ri\^lise  vraie,  la  recherche  des  «  cha- 
rismes »  est  rré<|iiente.  lîovet  fait  remarquer  très  judicieusement 
que  «  plus  une  secte  est  biblique,  plus  il  y  a  de  chances  i>our 
que  le  parler  en  langues  y  apparaisse  (i)  ».  La  notion  de  la 
Pentecôte  domine  la  glossolalie  chrétienne.  L'interprétation  de 
la  glossolalie  comme  xénoglossie  est  peut-être,  elle  aussi,  domi- 
née par  un  mythe;  n'est-elle  pas  la  contrepartie  du  mythe  de 
la  Tour  de  Babel? 

Le  culte  du  délii^e  survit  donc  inévitablement  aux  répres- 
sions de  la  hiérarchie  et  le  jeu  de  mots  de  Platon  sur  la  man- 
tique  (2)  est  vrai  de  tous  les  temps. 

A  bien  des  époques,  la  prophétie  reparaîtra  sous  cette 
forme  étrange.  Sans  ce  caractère  d'incompréhensibilité,  dira 
Irving,  ('  rien  ne  prouverait  que  c'est  bien  l'Esprit-Saint  qui 
parle    et  non  pas  un  homme  (3)».  Plus  l'abolition  du  contTôle 


(il  /fw.  d'hist.  des  relig'ions,  1901. 

Voici  la  description  d'une  scène  de  glossolalie  à  Los  Angeles,  1906.  La 
prière  confuse  et  simultanée  devient  toujours  plus  monotone  :  répétition 
incessante  avec  emphase  crcjissante  :  O  Jésus,  viens,  ô  Jésus  viens,  ô  Jésus! 
£nlin  un  seul  gémissement  et  un  seul  soupir  à  travers  la  salle.  L'impression 
est  atroce  et  au  plus  haut  point  contagieuse.  La  scène  est  interrompue  de 
temps  à  autre  par  le  clianlde  quelques  versets.  Les  convulsions  commencent 
Quand  la  confusion  et  l'excitation  sont  arrivées  au  plus  haut  point,  commence 
la  glossolalie.  La  réunion  exulte;  et  plas  encore  les  baptisés  en  esprit.  (Voi» 
Pusi  in,  o.  c).  Même  au  cours  de  telles  asssemblées,  un  petit  nombre  seulement 
de  sujets  se  révèle  glossolale  ;  A  dross  Almerode,  une  dizaine  de  personnes 
à  Port  Gla.sgow,  neuf;  vingt  à  Christiania.  (Voir  Lo.miîak»,  III.) 

Certains  glossolales,  victimes  d'une  conlusion,  qui  s'était  déjà  manifesté 
dans  l'histoire  de  l'Kglise.  entre  la  glossolalie  de  type  coi-inthien,  et  la  xéno- 
glossie décrite  dans  les  Actes,  ont  cru  que  leur  don  les  préparait  à  prêchci 
l'Évangile  dans  des  pays  étrangers  ;  ils  ont  été  cruellement  déçus.  (Voit 
Henkk,  The  Gi/t  0/  Tongues.  {Atn.J.of.  TheoL,  1909;  2o5.) 

Toutes  nos  remarques  pourraient  s'appliquer 'à  l'écriture  automatique  e1 
aa  spiritisme. 

La  rencontre  de  l'aptitude  p.sychologique  et  de  la  tliéorie  peut  se  fairfi 
plus  ou  moins  tût.  Voir  la  curieuse  observation  d'interprétation  tardive  rap 
portée  par  Laionkl-Lavasti.nj:,  Journal  de  l'aychoL,  1921,  p.  5go.) 

'2    Phèdre,  244.  2.  ^^^ 

(3i  Dp  même  le  pasteur  Paul,  de  Steglilz,  au  cours  du  dernier  réveî 
Die  f/eiligung.  déc  I0<r;  :  ■'  Quand  quelqu'un  est  destiné  à  prophétiser  de  I; 
manière  ijue  j'ai  api)ris  à  connaître,  il  faut  que  Dieu  puisse  mouvoir  h 
bouche   de    cet   homme,    comme   jadis   la   bouche  de   l'ânesse   de    Balaam.. 


L  INSPIRATION    PHOIMIHTIQUE  299 

persoTinel  se  produit  sous  forme  grossière,  plus  on  est  porté, 
dans  un  milieu  reliii:ienx  inculte,  à  eroire  (pie  e'est  bini  la 
divinité  ([ui  iiv^ïl. 

Ainsi,  à  toutes  époques,  et  surtout  au\  époques  troublées, 
reparaîtront  ces  inspirés  thaumaturges,  ces  enthousiastes 
créateurs  de  rêves,  aux  promesses  apocalyj)li(pies,  aux  appels 
Iyri(pK's  :  lyrisme  intérieur  et  apocalypses  fui^^urantes,  éclatant 
en  d'étranges  visions,  en  d'étranges  et  furieux  élans.  Et  cela 
plus  encore  à  mesure  que  seront  proclamés  les  droits  de 
l'iuspiialion  privée.  Les  Anabaptistes  concluent  justement  de 
la  Uéforme  que  si  chaque  individu  peut  s'approcher  directement 
de  Dieu  et  entendre  sa  voix,  il  peut  aussi,  une  fois  qu'il  en  est 
là,  devenir  un  prophète.  La  prophétie  des  Camisards  profite  et 
des  malheurs  du  temps,  profond  désespoir,  ardente  espérance, 
et  de  la  disparition  de  tout  clergé  régulier,  et  de  la  prophétie 
savante  d'un  .luiieu  (i). 

Jurieu  leur  est  favorable  parce  qu'aucun  moyen  ne  peut 
faire  cesser  les  convulsions  et  les  extases  des  prophètes,  et  qu'en 
cet  état  ils  disent  des  choses  excellentes  cl  divines  (-j).  ^Slais 
I«'s  (Camisards  se  heurtent  à  une  bonne  partie  de  l'opinion 
)i'<)testante  (3). 


Il  est  (lanj,'("i(Mix  d'avoir  à  cx|>rliner  tIfs  choses  que  l'on  ooniin-cnd...  C'est 
iMUinpioi  DiiMi  inopare  ses  proplièlos  de  telle  s(»rte  qu'ils  s'expriment  exac- 
l»'uieut  c-oninic  l'Esprit  leur  donne  de  li'  faire...  Ou  parle  sans  savoir  ce  (pi'on 
lit.  On  se  borne  à  sui\Te  les  pcisitions  que  la  liouclic  prend.  » 

[Il  On  consiillcra  le  Tlu'àtve  sdciu-  tles  Ccic/i/ic.v.  I.a  |)Ius  rcceiUe  élude 
"■-I  celle  de  Cli.  MosT.  Ilci'uc  historunie.,  1921.1  —  Du  luènie  aiiLc-ur,  les  Prédi- 
'ants  protrstiints  des  Ci-i-cnru's  t't  du  Udf  Lauffueduc.    Paris,  njij,  a  vol.). 

(».  Lrllrrs  Pastorales,  III,  S;. 

'3  \  Hii\M:iiois,  l'iern-  I.npinh-,  dit  liollnnd,et  le  prophéthtmc  céwnol, Cienv\t\ 
^8i. —  Ili<;ius,  Mémoires  d'Aiiti>inr  (Joiirt.  (Toulouse,  iS.S»)  )  —  Antoine  (^ourl 
livine  li-s  Inspirés  en  deux  classes  :  les  Fourlte.s  et  les  Fous.  Voir  â  la 
la^r  'W:>  la  lettre  de  Pictet  sur  les  Inspirés. 

•  Il  ne  tant  pas  eroire  <pie  tout  ee  qui  est  extraordiiuure-  procède  de 
esprit  de  Dieu.  Je  conviens  que  louti-s  les  bonnes  choses  que  ces  g:ens  disent 
•ont  tirées  de  la  parole  de  Dieu,  qui  est  l'ouvnijce  du  Saint  Esprit,  nuiis  il  ne 
>en.suit  pas  qne  ceux  (jiii  le  di-i<'nt  sont  inspirés;  cela  sigiiitie  seulement 
juils  <nil  une  heureuse  luëuioirc  pour  retenir  ce  qu'ils  ont  appris.  •  Le 
Àiusisloire  de  la  Savoie  ,1  I.undre.s  condamne  l«'s  prophètes  en  dcilaranl  qne 
Icà  niouvements  de  ces    inspires  n  étaient  qne   l'etTet  d  une    habitude  volon- 


■JOO  I.A    UKl.K.K^N    KT    l.A    FOI 


* 
*        * 


Aux  éi)0({iu'.s  troiiltk'cs,  dos  j)1'oi)1r'Ics  si'  sont  levés  en 
Israël,  [)our  reinéilier  an  jïraïul  mal  de  la  nation  :  un  senlinienl 
moral  très  pur,  beaucoup  île  bon  sens  et  de  profonde  raison 
associés  à  de  hautes  visions.  L'oppression  des  Philistins,  souï 
le  roi  Achab,  la  crise  de  la  relis^ion  nationale,  l'adoration  di 
liaal  syrien  déchaînent  les  u:randcs  voix  j)r()phéli(iues.Les  déchi 
rements  de  la  nation,  vaincue  i)ar  les  Edomites,  les  Assyriens 
les  Babyloniens,  et  traînée  en  exil,  dictent  les  prédiction,' 
messianiipies.  Les  pro[)hètes  font  durer  les  espoirs  déçus.  Ib 
sont  la  conscience  du  peuple. 

A  mesure  que  le  judaïsme  tend  à  devenir  plus  religieux  qu< 
national,  les  espérances  messianiques,  sans  d'ailleurs  aban- 
donner tout  à  fait  la  félicité  matérielle,  se  portent  sur  li 
régénération  morale  du  monde  et  le  règne  de  la  Justice. 

L'énergie  religieuse  s'exprime  ainsi  en  inspiration  et  ei 
appels  contre  le  ritualisme  étroit.  Le  mécontentement  nationa 
et  social  le  soutient  et  raccueille.  L'enthousiasme  vain<pieu 
dérive  en  prophéties.  Le  prophète  est  un  mécontent  et  ui 
enthousiaste    i). 


* 


1 


L  Inspiration  est  bien   connue.  C'est  un  fait  général  et  qu 
s'étend  bien  au  delà  du  domaine  religieux.  La  religion  y  ajout 


taire,  tout  à  t;iit  indijjne  de  la  Saj^fcsse  du  Saint-Esprit;  et  qu'il  y  avait  d 
leurs  iliscours   des    i)rédielion.s   déjà   réfutées    par   l'événenierit    et  des   l)las 
phènies  très   dangereux   à  la'  religion  ».    —   Colht,  I/istoire  des    Carnisar 
p.  226.  (Alais,  1X19.) 

(I)  A.   Chamberlain,   .Veu'    Religions  amoiig  the   AorHi   American  Indi 
(Journal  of  liel.  Psycli.,  igi'ij,  montre  dans  la  nouvelle  religion  des  Pueblosl 
rôle  des  visions  et  des  extases.  Les  motifs  de  la  ferveur  religieuse  des  Indien 
sont  de  deux  sortes:  patriotiques  et  étliiciues  ;  la  délivrance  du  joug  étra 
et  l'établissement  dune  vie  meilleure,  autonomie  et  njoralité. 


I 

las 

m 


1 


l/lNSflRA  I  1().\     l'U()niKII<,)UK  'JOI 

seiik'incal  la  notion  dn  divin,  à  huiiicllc.  <lii  rcslc  rinspjialion, 
inônu'  profane,  est  cnclint'. 

I/inspii-alion  a  bien  des  loi  nies  ;  inipicssion  de  M'ilti'. 
(lisrtM'ncnu'nl  des  os|nils,  sonlimcnl  de  ce  qni  doil  èli-e  lait,  de 
ce  (jui  va  se  faire,  de  la  présence  on  de  la  volonlé  de  Dieu,  dn 
sens  de  IKcriture,  révélation  précise,  ordres  formels;  senti- 
ments d'élévation  et  de  dépression,  rapportés  à  une  présence 
et  à  une  action  étransrère;  appréhensions,  anji^oisses,  commo- 
tions internes,  souflles,  sensations  de  pesanteur,  d'écoulement  : 
automatismes  sensoriels  et  moteurs.  Tout  peut  être  langage. 
Ainsi  M""  de  Kriidener  interprétait  connue  l'ordie  d'aller 
trouv<'r  tel  ou  tel  personnage  des  sensations  pénibles  qu'elle 
éprouvait  en  s'en  éloignant  (i). 

L'Inspiration  se  piésente  avec  les  caractères  suivants  : 
luterruplion.  disproportion,  puissance  contraignante  (a).  L'idée 

Il  Mémoires  de  M'"°  de  Baigne,  II,  <)',-()8.  L'inspiration  peut  <Hre  loTit  à  fait 
explicilf.  X...,  élève  de  l'École  Noniuile  Seienees,  protestant  tiède,  assiste  à 
l'Oratoire  à  une  réunion  où  il.  C...  demande  des  missionnaires  jjour  le 
/.Hinlièze.  Il  n'a  pas  le  sentiment  d'être  a|)j)elc  à  partir.  Cette  même  nuit,  dans 
son  .sommeil  troublé,  il  entend  une  voix  qui  l'appelle  directement  en  répé- 
tant :  «  (Mii  si-ront  ces  ffens-là '.'  »  Et  cette  menu;  voix  réi)ond  en  pronon(.>ant 
le  nom  de  X...  La  troisième  fois,  il  s'éveille  et  entend  distinctement  la  piirase 
articulée  à  son  oreille.  Il  voit  là  un  appel  de  Dieu.  Il  s'od'ic  à  la  mission  et 
«levient  un  missionnaire  d'élite.  —  V.  Hkmï/.kcu,  (n  appel  de  Dirii.  Journal  de 
Ps)-chnto<rie.  i<)07,  ay.) 

(2)  On  connaît  le  passa^'c  cclèhre  de  Xiicr/.sciii;  :  «  Pour  peu  <pi'ou  ail 
gardé  en  sr)i  la  moindre  parcelle  de  superstition,  on  ne  saurait  en  vérité  se 
dclVndre  de  l'idée  qu'on  n'est  que  l'incarnation,  le  porte-voix,  le  médium  de 
puissances  supérieures.  Le  mot  de  révélation,  —  entendu  dans  ce  sens  ({ue 
tout  à  coup  <r  <|uel(pic  chose  ■>  se  révèle  à  notre  vue  ou  à  notre  ouïe  avec  une 
iiulicilde  précision,  une  ineiral>le  délicatesse, «  (pichpie  chose  »  qui  nous 
ébranle,  nous  bouleverse  jus(|u'au  idus  intime  de  notre  être.  —  est  l'expres- 
sion de  l'exacte  réalité.  On  entend,  —  on  ne  cherche  pas  :  ou  prend,  sans  se 
«lenuimler  <le  qui  vient  le  don;  la  pensée  jaillit  soudain  comme  un  éclair, 
avec  nécessité,  sans  hésitations  ni  retouches,  —je  n'ai  jamais  eu  à  faire  un 
i'hoix.  C'est  un  enchanlenienl  où  notre  àme  démesurément  tendue  se  soulajîc 
parfois  par  un  lorrept  de  larmes,  où  nos  pas,  sans  (pie  nous  le  voulions, 
tantôt  se  précipitent,  tantôt  se  rab-ntissent  ;  c'est  une  extase  qui  nous  ravit 
entièrement  à  nous-mêmes,  en  nous  laissant  la  perception  distincte  de  mille 
liissons  délicats  (|ui  nous  font  vibrer  tout  i-nticrs,  jus(|u'au  liout  des  orteils; 
e  est  untv  plénitude  de  bonheur...  Tout  cela  se  passe  sans  (jue  noire  liberté  y 
ait  aucune  pari,  et  pourtant  nous  sommes  entraînés,  comme  en  un  touibillon, 
par  un  sentiment  enivrant  de  liberté,  de  souveraineté,  de  (oute-|)uissance, 
<le  divinité...  Telle  est  mon  expérience  de  l'inspiration.  >• 


3oa  LA    RELIGION    ET    LA    FOI 

OU  rinipressioii  rompt  k'  coins  de  hi  conscience  et  se  présen 
avec  une  ap[)arencc  de  sponlanéilé  et  d'indé[)endance.  p]U 
enricliil  làine:  elle  est  nouveauté,  surplus,  plénitude.  Endn  le 
sujet  la  suhil  et  elle  sinipose  à  sa  réflexion  ou  à  son  action. 
L'Inspiration  est  excitation  et  impulsion;  excitation  et  puis- 
sance contraignante  des  pensées;  impulsion  qui  fait  du  sujet 
rinslrument  actif  de  l'idée  (pii  lui  est  soufflée. 

Ce  sentiment  de  passivité  est  à  vrai  dire  l'essentiel  :  car  la 
vie  courante  est  pleine  d'impressions  ou  d'idées  qui  surviennent, 
et  elle  a  parfois  ses  trouvailles.  Ce  qui  distinp:ue  l'inspiré 
religieux,  c'est  que  non  seulement  il  ne  se  les  attribue  pas, 
mais  encore  qu'il  affirme  qu'il  est  impossible  qu'elles  viennent 
de  lui,  et  qu'il  les  rapporte  explicitement  à  une  intervention 
étrangère.  C'est  par  là  que  l'inspiration  est  pour  lui  surnaturelle; 
par  sa  forme  et  aussi  par  rexcellcnce  de  son  contenu,  qui  lui 
paraît  dépasser  sa  nature;  c'est  la  distinction  et  parfois  le 
conflit  d'une  nature  et  d'une  surnature  ;  d'un  coté,  le  plan 
de  la  nature  tel  qu'il  est  connu  par  l'habitude,  par  la  familiarité 
avec  soi-même,  la  suite  ordinaire  des  états  psychiques,  leur 
liaison  avec  ce  qui  précède,  le  retentissement  en  eux  de  tout 
l'état  mental,  le  contrôle  et  la  direction  que  l'on  peut  exercer 
sur  eux,  soit  pour  les  appeler,  soit  pour  les  réprimer  ;  d'un 
autre  côté,  des  états  qui  surgissent  en  dehors  de  toute  attente 
et  de  toute  préparation  mentale,  avec  une  excellence  partie 
lière  et  une  marque  d'irrésistibilité  :  spontanés,  incoercible 
obligatoires,  vifs,  profonds,  efficaces  ;  donc  une  invasion,  une 
contrainte,  un  don  merveilleux  qu'on  ne  peut  provoquer,  mê 
quand  on  s'y  efforce  (i). 

Cette  passivité,  du  reste,  a  ses  degrés  :  ou  bien  simp! 
conclusion  logique,  ou  bien  sentiment  d'une  action  étrange 
qui  vient  se   mêler  au  sentiment  de  soi-même,    et  d'activi 


(i)  C'est  pour  sainte  Thérèse  la  déilnition  même  du  surnaturel  :  «  J'appel 
surnaturel  ce  que  nous  ne  pouvons  acquérir  par  nous-mêmes,  quelque  se 
et  quelque  diligence  que  nous  y  apportions.  « 


l'inspiration  proimiéti(,)ue  3o3 

personnelle  ciiic  le  snjel  a  i^ardé  ;  ou  liieu  senlimeiil  de  j)a.s.si- 
vilé  lolale,  loule  coopération  el  loiiU-  [)os.sibili(é  d'iiiliilMli(Hi 
étant  lovées. 


LA    GRACE 

Une  telle  force  s'appelle  la  Grâce,  et  toutes  les  religions  la 
connaissjMit.  Le  Mana,  ce  «  tliéoplasine  •>,  se  décèle  par  l'arbi- 
traire apparent  de  son  intervention,  qui  contredit  au  cours 
ordinaire  des  choses,  et  par  l'énergie  particulière  qu'il  comrau- 
iii([ue  aux  objets  sur  lesquels  il  se  porte;  Grâce  et  Miracle, 
voilà  les  deux  ternies  dont  il  est  la  synthèse  confuse.  L'inspi- 
ration est  une  grâce,  c'est-à-dire  un  don  de  Dieu,  c'est-à-dire 
Dieu  même;  une  grâce  actuelle,  et  non  point  une  qualité 
ptM-nianente:  um^  grâce  gratuite  qui  fait  éclater  la  puissajice 
divine,  j>liitot  encore  (pi'elle  ne  sert  à  h\  sauctilication. 

Entre  les  faits  internes  et  la  doctrine  de  la  Grâce  va  se 
jouer  l'inspiration.  La  doctrine,  du  reste,  est  en  partie  cons- 
truite sur  l'expérience,  et  la  systématisation  des  faits  que  nous 
avons  décrits.  Fai  partie  elle  est  a  priori,  spéculation  sur  ces 
deux  ternies  ;  Nature  et  Surnaturel,  et  sur  leur  rapport. 


* 
* 


C'est  précisément  l'ambiguïté  de  la  Gr;\ce,  qu'elle  a  souvent 
pour  le  croyant  l'aspect  de  la  nature,  et  (pic  le  discernement 
est  malaisé.  De  sorte  que  souvent  c'est  par  raison  logique  (piil 
conclut  a  l'action  de  la  Gràee  plutôt  «[u'à  celle  de  la  Nature. 
Sappuyant  sur  le  principe  théologique  (pii  veut  (pie  ce  (\m 
dépasse  lOnlre  créé  dépasse  la  connaissance  rationnelle,  et 
dans  la  mesure  oîi  elles  proclumeni  ce  principe,  certaines 
théoiogiiv-  déclarent  que  l'état  de  grâce  ne  saurait  être  connu 


3o4  LA.    RELIGION    ET    LA    FOI 

iialiii'cllcmcnl  p.ir  aucune  oréatiiio,  j)arc'0  que  la  vie  surnatu- 
relle (juil  eonfèi'c  n'esl  pas  une  vie  créée,  ni  créable,  mais  une 
parlieipation  à  la  vie  même  de  Dieu.  «  Cet  état  surnaturel  de 
notre  propre  être  est  inconscient,  parce  qu'il  dépasse  l'ordre 
-créé,  sur  kupu'llc  s'exerce  notre  connaissance  naturelle,  (i)  » 
Tout  ce  qui  est  bon  vient  de  Dieu,  source  de  tout  bien. 

C'est  pour  la  même  raison  que  Kant  déclare  (2)  que  nous 
n'avons  pas  de  marques  auxquelles  reconnaître  les  ellets  de  la 
<jràee,  parce  que  notre  concept  de  cause  et  d'effet  ne  peut 
pas  dépasser  la  nature.  On  peut  admettre  en  théorie  les  ellets 
de  la  p:ràce,  mais  en  les  déclarant  inconnaissables  et  incom- 
préhensibles (3).  Car  nous  ne  pouvons  reconnaître  nulle  part 
tin  objet  supra-sensible  dans  l'expérience  ;  vouloir  percevoir  en 
soi  des  influences  célestes  est  une  espèce  de  délire.  Le  senti- 
ment de  la  présence  immédiate  de  l'Être  suprême  et  la  distinc- 
tion de  ce  sentiment  d'avec  tout  autre,  même  le  sentiment 
moral,  serait  du  ressort  d'une  intuition,  à  laquelle,  dans  la 
nature  humaine,  il  n'y  a  pas  de  sens  correspondant. 

Seulement  le  même  principe  théologique  de  la  distinction 
du  Surnaturel  et  de  la  Xature  oblige  d'admettre  que  le  bien 
accompli  par  l'homme  ne  vient  pas  de  lui  ;  dans  la  mesure 
précisément  oii  on  délinira  le  bien  comme  surnaturel  et  dan 


I  Vacant,  II,  20").  Ce-il  la  révélalion  seule  qui  fait  connaitrc  l'existence 
et  riiillueiicc  de  la  {^ràce  et  non  pas  la  nature,  incapable  de  la  saisir,  puis 
qu'elle  est  surnaturelle  et  ■  f)()sitivenieul  indue  à  la  nature  ».  La  grâce  n'a 
(lonc  rien  à  voir  avec  la  conscience  [)sycliolof;ique,  et  elle  entre  dans  l'ànie 
sans  corr<'spr)ndre  à  un  l>esoin  d'expansion  de  la  nature  humaine  connue 
telle  Ainsi  la  ),'ràce  est  objet  di;  foi  et  non  pas  de  fait;  nous  ne  connaissons 
pas  nos  actes  lions  comme  surnaturels,  nous  ne  les  distinj^uons  i)as  d'actes 
naturels  .semblables.  L'homme  se  connaît  comme  concupiscence  et  liberté,  et 
cette  connais.sance  lui  suflit.  Il  ne  peut  pas  découvrir  qu'il  lui  manque  un 
principe  d'activité.  «  L'homme  peut  savoir  fju'il  est  capable  de  décisions 
fermes,  d'elforts  énergiques  de  volonté,  que  la  répétition  de  tels  actes  engendre 
l'habitus,  et  que  celui  ci  donne  la  facilité  et  la  vigueur  dans  l'opération...  il 
ne  pourra  pas  constater  en  lui  le  besoin  d'un  principe  d'activité  qu'il  n'a 
pas.  "  [)irt.  de  Tkéol.  ralh.  art.  Grâce. 

2)  lieligion  dans  Les  limilcs  de  la  raison,  p.  26. 

(3)  Kant  ajoute  une  réserve  pratique.  On  ne  peut  acquérir  le  bien  par 
l'inaction;  se  délier  entièrement  de  soi-même  et  compter  sur  un  secours 
étranger  énerve  les  forces  de  l'homme  et  le  rend  indigne  de  secours. 


ï 


l'inspiration     l'HOI'lIKTIQUK  'io.") 

lit  mesure  où  l'on  en  dislinji^iu'ra  la  nature,  au  sunnnuni  par 
(•onsé([ lient,  ([uand  on  supposera  la  nature  déehue  et  vieiée 
iii'rinr'iliahleineiil  (i).  De  sorte  que  la  lliéolou:ie  rapportera  à 
la  (Iràee  les  bons  mouvements  et  les  bonnes  aelions  de 
1  liomme.  L'homme  étant  appelé  à  la  vie  suinaluielle  et  ses 
actes  devant  être  proportionnés  à  cette  (in,  donc  surnaturels, 
ils  ne  peuvent  provenir  cjuc  d'un  principe  surnaturel. 

Mais  la  vie  corrijî^e  la  rigueur  de  la  théorie.  On  dirait  qu'il 
se  l'ait  une  distinction  entre  la  Grâce  actuelle  et  la  Grâce 
habit uelle,  et  que  ce  qui  est  vrai  de  l'une,  cesse  d'être  vrai  de 
l'autre.  La  Grâce  actuelle  est  illumination,  inspiration  :  des 
lumières  et  des  mouvements  ;  dans  certains  cas,  un  éclat,  une 
puissance,  une  direction,  une  force  d'entraînement  qui  l'élèvent 
manifestement  au-dessus  des  pensées  et  des  aspirations  qui  se 
succèdent  dans  la  conscience,  suivant  les  lois  de  la  psycho- 
logie et  de  la  logique.  Elle  peut  |)rendre  des  allures  impé- 
rieuses et  apparaître  comme  une  violence  faite  à  la  nature. 
Elle  peut  s'exercer  si  suavement  (pi'elle  soit  à  peine  remarquée. 
Au  lieu  d'un  aspect  radieux  et  trionq^liant,  elle  peut  être  perçue 
au  milieu  d'hund)les  dispositions.  El,  de  tout  temps,  des  âmes 
religieuses  ont  prétendu  agir  par  dépendance  du  mouvement 
de  la  grâce,  pur  immédiate  inspiration,  par  motion  divine. 
l*our  elles,  le  Surnaturel  est  revêtu  des  qualités  extraordi- 
naires que  nous  avons  signalées,  et  se  dislingue  «  sensiblement 
et  pereeptiblement  »  des  mouvements  ordinaires.  Il  y  a  enlin 
les  m\sli(pu's,  ceux  ([ui  proclament  la  passivité  totale. 

Ainsi  la  (iràce  évolue  entre  le  jeu  des  sentiments  et  la 
spéculation   lhéolo2:i(pie    sur   Nature   et    Surnature,    liberté   et 


II)  Kaiit  sera  bon  protcslanl  quand  il  écrira  :  «  Il  se  nionlre  de  temps  en 
t«Mnps  dans  le  ca'ur  des  iu(>u\  eincnls  vers  la  moralité  <|u'on  no  peut 
s'expliijiuT  et  dont  notre  ifjnorance  est  forcée  d'avouer  :  le  a  eut  souille  où  il 
veut,  mais  tu  ne  sais  pas  «l'où  il  vient.  .»  Kn  sens  inverse,  plus  on  donniM-a  à 
la  NalTire,  cl  plus  on  tendra  à  se  passer  de  la  Gràer  ;  |>our  f'élaj^c.  la  gràee 
n'est  cpiun  surplus  et  un  secours;  les  bonnes  <euvres  naturelles  sont,  dclles- 
mèmes.  un  "  titre  exi^'itir  '>  à  recevoir  la  grâce  ;  |)Our  Molina,  il  y  a  une 
connexion  infaillible  entre  la  vie  honnête  naturelle  et  la  concession  tic  la  grâce. 

20 


3o6  LA  nKLiGiON  i:t  la  foi 

nécessité.  Bien  et  Mal.  Il  laiit  toujours  considérer  simultané- 
ment l'aclion  simultanée  de  ces  deux  termes  (i). 


LE     MECANISME     DE    L'INSPIRATION 

I/inspiralion  est  le  jeu  d'un  mécanisme  mental  (|ue  nous 
nidenlidons  pas  avec  notre  moi.  Elle  est  ce  qui  se  passe  en 
nous  sans  nous,  et  quelquefois  contre  nous.  Elle  a  quelque 
analogie  avec  ces  courants  secondaires  de  la  pensée,  avec  ce 
champ  d'action  secondaire,  cette  zone  subeonsciente  que  nous 
possédons  tous  et  qui  n'est  pas  orientée  et  dirigée  par  nos 
préoccupations  principales. 

Elle  a,  nous  l'avons  vu,  différents  degrés  de  hauteur  et  de 
complexité:  au-dessous  du  niveau  normal,  équivalente,  supé- 
rieure :  plus  ou  moins  étrangère  à  l'ordre  aclucl  ou  habituel  des 
idées;  plus  ou  moins  involontaire;  depuis  l'impulsion  contrai- 
gnante, comme  quand  le  prophète  est  contraint  de  parler  et 
s'écoute  soi-même,  comme  il  écouterait  un  assistant,  jusqu'à 
cette  simple  sollicitation,  cette  accélération  qu'il  y  a,  par 
exemple,  dans  la  verve  et  dans  l'improvisation. 

La  réaction  du  sujet  est  également  variable  ;  du  conflit  à  la 
pleine  soumission,  de  l'intellection  plus  ou  moins  précise  de  ce 
qui  se  passe  à  la  totale  incompréhension,  de  la  séparation 
totale,  comme  il  arrive  dans  les  états  d'absence,  dont  la 
mémoire  ne  conserve  aucune  trace,  à  la  collaboration. 

Cette  dissociation  repose  sur  une  aptitude  psychologique, 
souvent  renforcée  par  un  régime  ;  mais  elle  est  soutenue,  nous 


(i)  C'est  ce  qu'EcriRR  a  bien  montré  à  propos  de  Socrate,  dans  son  livre; 
sur  la  Parole  int(=rienre,  1.45  :  "  Pour  l'ordinaire,  la  divinité  des  laits  de  sa  vie' 
intérieure  n'était  rju'une  théorie  née  dialccliqueinent  des  prineipes  de  sa 
philosophie  :  c'était  une  conclusion,  ce  n'était  pas  une  évidence.  Mais  parfois 
il  se  sentait  forcé  denier  sa  personnalité  :  quelque  chose  de  subit  et  d'ini()révu. 
se  produisait  en  lui,  qu'il  ne  reconnaissait  pas  comme  sien...  (le  j)hénouicne 
spécial  eonlirmait  la  théorie  de  la  Providence,  et  de  même  celte  théorie  lui 
donnait  un  sens  ;  la  doctrine  justifiait  l'apparence  et  l'expliquait.  » 


l'instihaiion  i'hoimiktiquk  3o7 

l'avons  monliu'.  par  des  traditions,  par  la  contagion,  l'exemple, 
les  théories  du  sujet,  l'exercice,  la  culture. 

Deux  oi'dres  de  faits  concourent  ici;  ce  que  Uibol  ;i|)pelle 
la  Subeonscience  dynaïiiicpie,  c'est-à-dire  l'élaboration,  la 
productivité  subconsciente;  el  une  certaine  interprétation  que 
le  sujet  se  donne  de  sa  vie  personnelle,  de  son  Moi  :  en  somme 
la  Subconscience  créatrice  el  la  Subconscience  interprétée. 

Notre  moi,  c'est  notre  manière  habituelle  d'être,  de  réagir, 
de  nous  eonq)orter.  Dans  le  courant  de  la  vie  cpiotidienne  nous 
ne  sommes  qu'un  moi,  par  une  sorte  d'habitude  constante  el  de 
train  fie  vie  coutumier.  Kt  certains  d'entre  nous  sont  parfaite- 
menl  uniliés.  en  ce  sens  que  leur  vie  est  parfailemeut  ordonnée 
par  rapj)ort  à  certains  centres  d'intérêt,  et  parfaitement  réj^lée 
(piaiit  à  l'ordre  de  ses  manifestations  internes;  rien  d'inattendu 
qui  surj,nsse,  rien  qui  surprenne,  l'àme  est  comme  translucide 
à  elle-même,  ou  du  moins  tout  ce  qu'elle  é[)rouve  lui  est  entiè- 
rement familier,  (juant  à  son  contenu  et  quant  à  son  mode 
d'apparition.  Cela  se  rencontre  et  dans  les  formes  simples  et 
dans  les  formes  élevées  de  la  vie  psychologique,  car  une  telle 
unité  peut  être  don  de  nature,  renoncement  à  la  conq)lexilé, 
unitication  de  la  conqilexilé.  Une  telle  unité  est  l'expression 
du  jeu  pleinement  harmonieux,  sans  obstacle  et  sans  résistance, 
de  cette  unité  formelle,  de  cet  acte  d'aperception,  <le  cette 
synthèse,  sans  lacpjelle  il  n'est  point  de  conscience,  ni  de  senti- 
ment de  soi. 

Mais  elle  est  menacée  précisément  i)ar  la  conq)lexité.  Du 
point  (le  vue  matériel,  amples  sont  les  données  qui  se  pré- 
sentent —  j)arfois  rebelles  —  à  l'unilication  ;  rares  sont  les 
caractères  tout  d'une  pièce,  nombreux  les  cas  où  dilTéreutes 
tendances,  plus  ou  moins  antagonistes  se  coml)inent  moins 
aisément.  Du  j)oint  de  vue  formel,  une  division  inévitable 
s'établit  enire  la' conscience  claire  et  la  conscience  oI)»cure, 
entie  le  ehanq)  d'aperception  el  ce  cpii  gravite  indistimtenient 
autour:    oi-  cette    l'iclie    m;ilièr'c    fonl'iisf,    piuTois    (loiiiiiM-e    et 


3o8  L,\    HKI.HIIO.N    ET    LA    FOI 

iulornu-c  par  la  (.'onsc-itMK-o  claiic,  phis  soincnl  lui  (''clia[)p(.'  ol 
en  loiil  cas  la  di-hoidc  ;  ri  la  puissance  d  unir,  la  synllièse, 
|)roilueli'iee  (le  loule  unité,  a,  comme  loule  fonction,  ses  insul- 
llsances  et  ses  défaillances. 

L'unité  du  moi  se  maintient  ainsi  le  j)lus  souvent,  an  centre 
d  uni'  lara:e  zone  de  pluialilé  psychique;  par  simplicité  natu- 
relle, ()ar  ell'oil  volontaire,  par  indilleience.  Par  simplicité 
naturelle,  quand  la  diversité  fait  défaut,  (piand  tout  concourt 
naturellement  vers  l'unité.  Pai'  ellort  volontaire,  cpiand  nous 
maintenons  de  paiti  pris  notie  manière  d'être  envers  et  contie 
toutes  les  possibilités  d'iidlexion  et  de  déformation  ;  dans 
l'acte  volontaire,  il  y  a  toujours  le  maintien  de  l'unité  du  moi  : 
l'acte  volontaire  suppose  un  coidlit  entre  ce  ({ui  est  et  ce  qui 
peut  être;  mais  le  moi  qui  veut  être,  est  et  devient  ce  qu'il 
veut  précisément  par  le  moi  cfui  est.  Par  indifférence,  quand 
nous  né'^ligeons  tout  ce  (jui  n'est  pas  notre  façon  habituelle 
d'agir  et  de  sentir,  (juand  nons  laissons  aller,  sans  les  retenir  ^ 
ni  même  les  accueillir,  toutes  les  diversions,  toutes  les  invites, 
tous  les  commencements. 

Mais,  sous  ce  courant  familier,  bien  des  virtualités  aspirent 
à  l'existence,  r^'montent  des  profondeurs  de  la  conscience, 
brisent  l'imité  apparente  et  factice,  le  fantôme  créé  par  l'habi- 
tude. j)ar  l'orgueil  <t  la  paresse.  C'est  un  autre  aspect  de  nous- 
mêmes,  et  qui  peut,  suivant  le  parti  que  nous  prenons,  nous 
paraître  plus  intime  ou  étranger.  Souvent  nous  avons  ainsi  la 
révélation  iMaltendue  de  nous-mêmes.  Devant  une  résolution, 
une  illumination,  nous  nous  reconnaissons  :  c'est  bien  nous, 
mais  ('  nous  ne  nous  en  croyions  pas  capables  »,  cela  est  au  delà 
de  nos  habitudes,  et  de  notre  habituelle  puissance  volontaire; 
c'est  connue  une  génialilé  plus  ])roronde  et  qui  cependant  est 
nous  encore,  à  cause  de  la  parenté  que  nous  sentons  avec  elle,^ 
et  parce  qu'après  tout  la  nouveauté  ne  contredit  pas  absolu- 
ment la  familiarité,  parce  qu'elle  suri^it  sur  un  clianq)  [)réparc. 
Que  ces  deux  coiidilions  fassent  défaut,  qu'il  y   ail   iiilerrup- 


I.'iNSn  It  A  I  ION     l'UOl'Ill   1  K.HK  'j()() 

lion  l'I  (lis|)i()j)()rli()n,  ol  le  moi  nouveau,  on  le  nlK-noinènc 
nouveau,  nous  a|)|)arail  déjà  comme  une  révélai  ion  élian.i:ère; 
lotal<Miienl  éli'ani!:èi'e,  surprenante,  inattendue,  mystérieuse, 
([uand  elle  ronipl  lonl  à  lait  et  avec  nos  liahiludcs  et  avec  ce 
que  nous  connaissons  de  notre  nalure, 

('/est  1  inspiration  :  l'inspiration,  un  mode  particulier  d  in- 
troiluction  dans  la  conscience  d'idées,  d'impressions,  de 
mouvements  dont  lélahoralion  échappe  au  sujet  :  soit  (pTellc 
éclate  sous  forme  bruscpie  et  soudaine,  soit  (ju'elle  mûrisse 
lentement.  La  forme,  le  procédé  d"ai)parition  du  phénomène, 
concourt  avec  sa  teneur,  avec  son  contenu,  [)()ur  donner  au 
sujet  l  im[)ressi(>n  d'une  révélation,  stdvant  les  cas,  intime  et 
supérieure,  extérieure,  extérieure  et  supérieure  :  suivant  les 
cas,  et  aussi  suivant  les  théories.  Ici  reparaît  le  rôle  du  sys- 
tème et  de  la  tradition  que  nous  avons  sifi:nalé  à  tant  de 
leprises. 

Inutile  de  s'étendre  sur  des  caractères  (pu  ont  été  bien 
décrits.  L'inspiration  est  parfois  actualisation  brusque,  créa- 
tion instantanée  et  sans  préparation.  Mais  l'analyse  psycholo- 
gique montre  le  plus  souvent  (jue  l'idée,  qtn  semble  tout  à  fait 
nouvelle,  était  déjà  venue;  seulement  elle  i)rcnd  à  certains 
moments  une  valeur  sinp^ulière,  et  une  sinu^ulière  impressivité. 
On  la  voit  souvent  se  trahir  par  plusieurs  ébauches  succes- 
sives, s'enrichir  peu  à  |)eu  a\anl  de  s"inq)oser  (h'tinitivement. 
On  la  voit  aussi  surgir  j)ar  une  sorte  de  tri,  par  une  sorte 
de  choix,  d'un  ensembh'  d'esquisses.  C'est  ainsi  cpie  lana- 
lyse  des  doeunu'iits  esthéticpies  on  religieux  apj)oilerait  d  assez 
imj)()rtantes  restrictions  au  dogme  poéli(iue  ou  religieux  de 
la  soudaineté,  de  l'impcrsonnalité,  de  h\  contrainte  irrésis- 
tible. 

La  plu()art  du  tenqis.  c'est  une  rumination  subconseiente 
qui  prépare  l'inspiration.  Souvent  nous  pouvons  suivre  dans 
une  demi-torpeur  le  jeu,  les  vagues  apparitions,  1  iniluence 
croissante,  tout  le  cache-cache  de  certains  thèmes  intellectuels 


3lO  LA    KFXIOION    ET    LA    FOI 

OU  alïcctiCs  (i):  et  nous  sentons  cela  à  divers  degrés  de  pro- 
foudour  :  l'obscurilô  est  plus  ou  moins  épaisse  autour  de  cette 
orjïanisation;  certains  sij^^iaux  lumineux,  images  (jui  sont  la 
projection  de  la  tendance  en  voie  d'élaboration,  ou  le  symbole 
de  l'élaboration  elle-même,  la  transpercent  plus  ou  moins; 
une  certaine  saveur  alïective,  un  certain  goût  la  trahissent  plus 
ou  moins.  Parfois  l'on  sent  assez  longtemps  de  suite  ce  travail 
se  poursuivre  et  se  reprendre;  certaines  continuités  de  déve- 
loppement subconscient  accompagnent  les  âmes  sensibles  et 
inventives. 

Ainsi,  du  côté  psychologique,  on  voit  concourir  dans  l'ins- 
piration la  puissance  créatrice  de  l'esprit,  la  synthèse  brusque 
et  instantanée,  la  nouveauté  subite;  la  réflexion  qui  prépare  et 
qui  utilise;  l'habitude  qui  maintient  et  qui  prédispose;  la 
génialité  naturelle,  la  nature  élaboratrice  et  féconde,  qui 
s'exprime  en  mouvements  subits  et  inattendus,  qui  s'apparaît 
à  soi-même,  dans  une  illuiMiiiatioii,  ilans  une  vision  synthé- 
tique. Ces  instants  de  passivité  transcendante  succèdent  sou- 
vent aux  phases  de  préparation,  d'effort  et  de  désir.  Vn  apport 
émerge,  dont  le  sujet  ne  remarque  point  la  formation,  et  dont 
il  perçoit  seulement  la  nouveauté.  Cette  révélation  s'accomplit 
dans  le  saisissement  brusque  d'une  émotion  qui  éblouit  ou 
dans  une  sorte  d'état  de  rêve,  que  favorise  précisément  la 
période  préalable  de  tension  mentale. 

Mais  l'inspiration  s'arrête  à  des  impulsions  vagues,  à  une 
obscure  croyance  à  sa  propre  transcendance,  lorsqu'elle  n'est 
point  renforcée  par  une  théorie.  Au  contraire,  comme  dans  la 
religion,  de  sa  rencontre  avec  un  dogme,  jaillit  la  certitude 
pleine  et  riche.  Le  sujet  éprouve  cela  même  que  sa  religion 
décrit:  dans  son  «  expérience  psychologique  «  il  retrouve  les 
doctrines  et  les  réalise  progressivement.   Cette  invasion  (pi'il 


(I)  C'est  iiinsi  que  beaucoup  d'artistes  sentent  vibrer  en  eux  l'atmosplière, 
la  nébuleuse  musicale  de  l'œuvre,  avant  l'œuvre  elle-même. 


i/i.NsriitAi  ION    i'iu)i'iii:i  KM  i:  3ll 

suhit.  ce  ii'i'si  pas  uiitie  chose  (juc  la  ^ràcc*  divine;  sa  lorce  et 
sa  l'ail  (lisse  reiKonlrcut  le  jeu  de  eelle  puissance  supé- 
rieuie . 

La  sitnalion.  i\\\  leslc.  [)ciil  se  e()inpli([ner.  Les  jurandes 
oseillalions  (le  I  liunieni-  ni)ns  inoulienl  que  l'invention  joyeuse, 
les  illnniinalions  [)assagères,  les  touches  mystérieuses  aceoni- 
patîuent  plus  volonliers  revcilaliou;  surtout  si  l'on  n'oublie 
pas  ([u'il  y  a  une  ai^ilalion  inquiète,  douloureuse,  et  que  bien 
des  àines  religieuses  éprouvent  dans  la  détresse  même  et  la 
désolation  le  contact  avec  l'au-delà.  Les  instants  «  sublimes  » 
de  la  psychasthénic.  ces  instants  oii  le  sujet  a  rim[)i'Cssion  de 
vivre  pleinement  et  (pii  traversent,  comme  des  éclairs,  lincom- 
plélndc  habituelle,  expliipient  certaines  formes  d'inspiration. 
Connue  aussi  les  exagérations  du  j)ithiali(pie,  (pii,  sur  les  faits 
que  nous  avons  décrits,  accroche  son  autosuggestion  et  la 
réalise  en  accidents  à  grand  tapage.  Comme  aussi  les  thèmes 
de  grandeur  et  de  persécution  du  paranoïaque  et  ses  idées 
d  inlluence.  Beaucoup  d'inspirés  relèvent  nettement  de  la 
psycliiàlrie  ;  beaucoup  en  longent  les  frontières.  Mais  l'inspi- 
ration puissante  et  vigoureuse  sait  gouverner  les  prestiges. 
Chez  les  grands  inspirés,  le  trouble  mental  ne  fait  que  permettre 
au  sentiment  de  s'objectiver.  Les  grands  [)rophètes,  lés  grands 
songeurs  de  l'Eternel  et  de  l'Histoire  j)lient  leur  excitation  aux 
exigences  d'une  haute  mission;  ceux-là  surtout,  qui  sont  des 
organisateurs  et  chez  qui  le  sens  [)rati(jne  n'abdicpie  point  en 
faveur  (lun  système  délirant.  La  mission  est  orgueil  social, 
mais  il  y  a  l'orgueil,  conscience  du  génie,  aussi  bien  que 
l'orgueil  pathologi(iue  ;  l'exaltation,  la  foi,  la  ténacité  peuvent 
s'associer  ou  non  et  plus  ou  moins  au  caractère  psychopa- 
lhi(jue.  * 

()^nc  rinspiration  se  lie  aisément  à  la  thaumaturgie,  cela  se 
Comprend  facilement,  puisipu'  rinsi)iré  vil  dans  le  surnaturel. 
Le  miracle,  c'est  ras|)ect  externe  et  [)hysi(pie  de  la  grâce, 
conunc  rinspiration    en  est   1  as[)ect  interne  et  psychologique. 


3ia  LA    RELIGION    ET    LA    KOI 

Elle  en  peut  dispenser,  satisfaite  d'elle-même;  elle  peut  le 
léelamcr.  dans  sa  j)rélention  à  dominer  même  le  monde 
physicpie.  Le  miracle  ne  fait  (pie  constater,  exprimer  le  pou- 
voir causal  de  la  foi,  lorsque  l'univers  de  rinsi)iré  ou  celui  de 
son  temps  sont  tels  ([ue  la  foi  n'est  pas  seulement  source  de 
représentations  et  de  vie  morale,  mais  (juclle  est  en  même 
temps  force  véritable,  capable  d'intervenir  même  parmi  les 
forces  physicpies. 


CIIAPITKK    III 


LE    FANATISME 

Dans  sou  l)oaii  livre  sm-  les  Maladies  du  Sciitinu'iil  religieux, 
Murisier  s'est  trompe,  je  erois,  sur  le  fanatisme. 

Pour  lui  le  fanatisme  serait  une  forme  pathologique  du 
■^cnlinu'ut  religieux,  et  sa  forme  sociale  [)ai-  opposition  au 
Mysticisme. 

Nous  avons  vu  plus  haut  ([ue  le  Mysticisme  n'est  point 
tellement  antisocial.  Kt  le  Fanatisme  n'est  point  tellement 
pathologique.  C'est  une  réaction  d'affirmation  de  soi  et  de 
défense  des  groupes  sociaux.  Les  convictions  collectives 
revêtent  souvent  une  forme  religieuse,  ([uand  bien  même  elles 
n'ont  [)()iut  pour  ol)j<^'t  une  personnalité  divine;  et  elles  se 
déploient  avec  une  singulière  intransigeance.  Cette  erreur  a 
pour  consécpienee  qu'une  partie  du  sujet  échappe  à  l'auteur. 
Murisier  n  étudie  «[u  un  groupe  de  lanatiques  :  les  individus,  <pii 
dans  la  solitude  de  leur  conscience,  ne  trouvent  ([ue  trouble, 
et  n  Ont  la  paix  (pi'au  dehors;  ceux  pour  ([ui  l'unilication  et  le 
bonheur  n'existent  cjue  dans  l'action  :  ceux  qui  ont  besoin  de  la 
certitude  d'autrui  pour  créer  la  leur  propre,  et  (pii  se  jettent 
étouidiment.  pour  écliaj^per  à  eux-mêmes,  et  dans  l'action,  et 
dans  la  certitude  dautiui. 

Les  religions  as[)ireut  inévitablenuMit  à  dominer  et  à 
s'imposer.  C'est  h'ur  volonté  de  puissance,  leur  nu)uvement 
naturel  d'expansion,  leur  formide  nièuje  de  vit*.  Elles  pré- 
tendent doublement  à  la  vérité  et  à  la  force. 


3l4  lA    KKLir.lOX    KT    LA    KOI 

Uelij^ioiis  nationales,  elks  ont  la  puissance  d'expansion  de 
la  nation,  (lest  la  nation  ([ui  a  une  mission  dans  le  monde  et 
qui  la  réalise.  Mais  la  religion  nationale  a  la  religion  de  cette 
mission.  Il  est  vrai  que  les  religions  nationales  tolèrent  la 
plupart  (lu  lenq)s  d'autres  religions  et  ne  prétendent  pas 
toujours  à  l'universalité;  précisément  parce  que,  pour  les 
professer,  il  faut  appartenir  à  la  nation,  et  que  cette  condition 
fait  une  distinction  irréductible  et  ([ui  s'oppose  à  l'assimilation 
universelle  ([ue  poursuivent  les  religions  universalistes.  Donc 
l'exclusivisme  national,  jusqu'à  un  certain  point,  limite  le 
fanatisme. 

Par  exemple  en  Israël,  l'étranger  est  d'abord  simplement 
toléré,  s'il  s'astreint  à  certaines  règles.  Mais  comme  le  Judaïsme 
est  à  la  fois  nation'  et  religion,  que,  d'une  part,  il  maintient 
jalousement  les  cérémonies  et  les  rites  qui  isolent  le  peuple 
juif  dans  sa  sainteté  prophéti(iue  et  son  particularisme  rituel, 
que,  d'autre  part,  il  fait  appel  à  tous  les  peuples,  à  mesure  que 
s'accentue  cette  dualité,  Israël  admet  des  prosélytes,  qui 
adoptant  le  monolliéisme  et  les  principes  fondamentaux  de  la 
moralité  juive  sans  se  soumettre  à  la  circoncision,  ni  observer 
les  lois  eérémonielles,  vivent,  [)our  ainsi  dire,  en  marge  du 
judaïsme.  Seulement  les  religions  nationales  souffrent  souvent 
du  voisinage,  et  persécutent,  moins  pour  assimiler  que  parce 
qu'elles  ont  besoin  de  se  défendre.  Et  en  tout  cas,  elles  ne 
reconnaissent  aux  autres  religions  que  les  droits  que  l'Etat 
reconnaît  aux  autres  Etats. 

Lorsque  la  religion  et  la  nationalité  se  présentent  disso- 
ciées, le  pouvoir  spirituel,  l'organisation  ecclésiastique  aspirent 
au  pouvoir  total  et  à  l'unité  de  société.  Le  Dogme  aspire  à 
faire  l'unité  des  esprits.  Doîi,  lorsqu'une  Eglise  est  à  sa 
période  de  croissance,  de  force  et  d'expansion,  lorsqu'elle 
domine  la  société  civile  et  prétend  convenir  à  toute  l'humanité, 
l'ambition  de  régner  totalement  et  de  maintenir  dans  ses  rangs 
une  implacable  discipline. 


I 


LE    FANATISME  3l5 

Sailli  riioinas,  apris  sainl  Auii:iif^lin,  c'Xi)ose  qu<'  la  maison 
de  David  ne  peut  pas  avoir  la  paix  jus({u  à  ce  (pi  Absaloii,  le 
fils  <pii  s'est  révolté  contre  son  père,  ait  disparn.  La  riiçueur 
sauve  :  elle  est  une  marcpic  d'amoui'.  Toul  pi-clié  d  hérésie  est 
un  crime  social.  L'E-j^lise  en  déduit  (jue  riM''réli([ue  opiniâtre, 
par  son  péché,  a  mérité,  non  pas  seulement  dèlre  séparé  de 
l"l]j,dise  par  l'excommunication,  mais  encore  d'être  exclu  du 
monde  par  la  mort,  comme  corrompant  la  foi.  ([ui  est  la  vie  de 
l'àme  ;  ce  qui  entraîne  la  subordination  du  pouvoir  civil  au 
pouvoir  reliiîieux  (i),  et  l'organisation  de  la  persécution. 
L  Incjuisition  est  un  des  exemples  les  plus  connus  et  les  plus 
parfaits  de  celte  organisation.  Les  moyens  de  la  persécution 
varient,  du  reste,  suivant  la  puissance  du  u^roupe  sacerdotal; 
exécutifs,  comminatoires,  ou  seulement  synd>oliques,  connue 
est  devenue  de  nos  jours  l'excommunicalion.  Lorsque  le 
pouvoir  d'une  Eglise  est  contrebattu  par  d'autres,  ou  lorsqu'il 
survit  au  sein  d'une  société  que  ses  principes  n'inspirent  plus 
et  qui  s'est  atrranchie  de  toute  théocratie  et  de  toute  immixtion 
des  pouvoirs  ecclésiastiques,  —  car  le  succès  du  fanatisme 
dépend  de  la  domination  de  l'Église  dans  l'Etat,  —  l'Eglise 
montre,  à  tout  le  moins,  une  r('|)ugnance  agressive  pour  tout 
ce  (pii  sort  des  idées  traditionnelles  et  des  habitudes 
couraiiles. 

De  même  les  Sectes  sont  souvent  agressives  ;  lélroitesse 
des  petits  groupes  spirituels  se  dédommage  du  renoncement 
par  1  orgueil,  et  ils  ne  souH'renl  pas  volontiers  la  médiocrité 
connnune. 

Ce  ne  sont  pas  les  religions,  pas  même  celles  ([ui  en  appa- 
rence se  réclament  du  libre  examen,  (pii  apportent  la  liberté 
religieuse.  Si  la  Réforme  a  favorisé  indirectement  l'établisse- 
ment  d  un  régime  de  liberté  et  de  tolérance,  ce  n'est  ni  par  ses 
principes,    ni  par    ses  méthodes;    c'est    parce   ([u'elle   a   brisé 


(ij  Pèguks,  Commentaire,  X,  aa^)  et  suiv 


3i(;  LA    UKLKUOX    ET    \.\    FOI 

lunitr  (le  llMirope  cliit'hcmu'.  opposé  puissance  à  puissance 
Lartirinalion  de  I;i  liheilr  leliiîieusc  est  née  de  la  persécution^ 
la  prati(pie  de  la  liheiU'.  des  causes  qui  ont  mis  en  échec  lî 
perséeulion. 


* 

* 


Le  fanati(pie  est  intolérant,  passionné  pour  le  triomphe  d 
sa  foi.  insensible  à  tout,  prêt  à  employer,  pour  convertir  oi 
pour  anéantir,  la  violence  morale  ou  physique. 

Ainsi  vont  d'abord  loules  passions,  celles  du  moins  qui 
exiiçent  autrui.  L'Amour  violent  est  dominateur  et  au  besoin 
destructeur.  Il  exige  retour  et  soumission.  L'Amour  exigence 
est  une  l'orme  de  l'amour,  aussi  bien  que  l'Amour  don. 

Mais  le  fanatisme  puise  aussi  sa  force  dans  la  nature  mémo 
de  la  certitude.  La  Certitude,  contrainte  pour  le  sujet,  volon- 
tiers devient  contrainte  extérieure.  L'Universalité  qui  est  sa 
forme,  tend  à  universaliser  au  dehors:  universaliser  notre 
certitude  ;  contraindre  autrui.  Et  d'autant  pins  que  la  certitude 
est  plus  indémontrable,  et  que  par  conséquent  l'esprit  se 
dépense  moins  dans  la  démonstration,  et  se  console  moins  de 
la  contradiction  présente,  par  l'espoir  ((ue  la  démonstration 
triomphera  tôt  ou  tard.  Kt  d'autant  plus  aussi,  que  le  snjet  peut 
moins  se  démontrer  à  soi-même  (i). 

On  vise  à  communiquer  à  autrui,  par  la  violence,  ce  qui  ne 
peut  se  communiquer  par  la  douce  persuasion  ;  la  vérité  par  la 
force,  à  df-fant  de  la  force  de  la  vérité. 

Le  fanatisme  est  bien,  comme  l'a  vu  Ilenouvier,  l'ardeui 
de  travailler  par  tons  les  moyens  possibles  à  forcer  chacun  d( 
croire  et  de  confesser  ce  que  l'on  croit  et  professe  soi-mèmj 


(I)  C'est  ce  qu'a  bien  vuStf.xdiial.  De  iAinoar,  i5  :  C'est  parce  qu'on  ne  peu 
se  rendre  coni|)le  du  pourquoi  de  ses  sentiments  que  l'homme  le  i)lus  sag 
est  fanatique  en  musique. 


LK    FANATISME  3  I  J 

assimiler  pci-  las  cl  iicfas  la  t'onsficiice  d'aiilnii  ii  la  iwUic.  Kl 
si  relie  assiniilalioii  csl  inij)()ssil)le,  peiséculci-.  siij)|)riinci- 
aiilnii.  La  viriU".  dans  ICspiil  ([n'clle  possède,  lend  à  siniposer 
iiiah'ricIlcnKMil.  Le  laiialicpjc  cioit  n  rire  (ju  un  inslrunicnl  de 
la  ^^''l•il('•. 

Il  y  a  donc  cpu'hpic  raiscju  au  tlouble  sens,  du  mot  doj^nia- 
lisnic;  an  sens  vulgaire:  assurance,  aulorilarisme  :  au  sens 
pliiloso()ln<pie  :  atteindre  la  vérilé  en  elle-inènie.  VA  dans 
lexlension  du  mot  fanatisme,  d'abord  religieux,  à  toutes  les 
formes  de  l'intoléranee. 


* 
*    * 


Le  mot  s'est  applicpié  d  abord  aux  cxlalicjues,  vaticinant 
dans  l'enthousiasme,  à  ce  point  qu'on  a  pu  supposer  qu'il 
n't'lail  (pie   la    lianscription   déligurée   d'un  mot  grec,  comme 

9ç,evêTt>'.o;  ou  'faivr,-:ty.ô:  (l). 

Ce  sens  relif^icux  s'est  maintenu  lonji:lemps.  Hossuel  apj)elle 
ianalicpies  «  ceux  (pii  croient  que  louies  leurs  rêveries  leur 
sonl  inspirées  »,  ceux  (pii  sont  conduits  non  par  la  raison  et  la 
piudenec.  mais  par  l'instinct  et  un  élan  soudain. 

Nicole  identilie  illuminés  et  l'anal i(pies.  Ils  |>résentent. 
d'après  lui.  trois  caractères  : 

I"  Ils  se  donnent  la  liberté  (rex[)li(pier  l'iÀrilure  et  leur 
fantaisie,  sans  consulter  la  tradition  et  la  doctrine  de  rivii:lise: 

•2"  l'ne  faiblesse  d'esprit  présom|)tueuse  leur  lait  |)rendre 
pour  Iinnière  et  inspiration  de  Dieu  tous  les  ellets  d'uiu-  ima- 
p:ination  surcliaulfée  : 

3'  Ils  ont  le  désir  orgueilleux  de  s'élever  à  une  \  ie  int(''rieure 
et  surnat nielle,  ('loignée  de  l'ordre  colmmin. 


(i,  Mais  «les  textes  précis  le  ineltiiil,  sans  doute  possildo,  en  iap|)oi'l  jm  «-c 
Fanuiu.  i\'()ir  I)ahi:miii:i«<;  et  Saoi.io.  /)ir(.  mot  l'anii/n  .  (lit.MLi.oT.  Lr  Culte  de 
Cybéle,  lyia,  p.  3oi. 


3l8  LA    RKI.IOION    ET    LA    FOI 

Dans  lo  même  sens,  Mclanchtoii  enlend  par  fanatiques, 
6  les  enthousiastes  »,  qui,  par  delà  la  |)arole  révélée  de  Dieu, 
attendent  l'inspiration  eéleste  de  l'Esprit. 

Leibniz,  imitant  Locke,  se  sert  volontiers  du  mot  Knthou- 
siastes,  pour  désigner  ceux  qui  croient  sans  fondement  que 
leurs  mouvements  viennent  de  Dieu. 

L'EnlIiousiasme  sul)stitue  la  vue  et  le  sentiment  à  la  rîiison; 
il  est  iiLsj)irati<)n.  c'esl-à-dire  imagination  animée  par  la  pas- 
sion, el  nu'nioire  heureuse. 

De  nu'mc,  Kanl  délinit  le  Fanatisme  «  cette  folie  qui  croit  à 
une  inspiialion  immédiate  et  à  une  grande  intimité  avec  les 
puissances  du  ciel  »  (i). 

Ainsi  le  sens  d'inspiration  divine,  réglant  la  conduite,  est 
le  sens  originaire  et*  a  longtemps  prédominé.  C'est  au  contraire 
le  sens  d'ojjligation  et  de  contrainte  qui  aujourd'hui  prédomine. 
Il  était  à  vrai  dire  enveloppé  dans  le  premier.  Mais  la  con- 
trainte, le  Compelle  intrare,  allait  si  bien  de  soi  que  le  fana- 
tisme na'if  ne  s'apercevait  même  pas  comme  tel.  Aujourd'hui, 
c'est  le  seul  sens  qui  subsiste,  le  nujt  s'ctant  la'icisé,  ayant 
perdu  cette  référence  immédiate  à  l'inspiration,  ne  servant 
plus  qu'à  caractériser  la  puissance  d'expansion,  l'exigence  de 
conformisme.  Fanatisme  est  intolérance  et  dénomme  toutes  les 
intolérances. 


* 
*     * 


W.  James  a  écrit  cpie  les  hommes,  dont  le  caractère  est 
impérieux  et  agressif,  sont  seuls  exposés  à  devenir  fanatiques. 
Ce  n'est  pas  absolument  exact.  Il  y  a  un  fanatisme  par  force, 
mais    aussi  un   fanatisme   par  faiblesse,  et   un    fanatisme    par 


fi  Krfinl.heilen  (les  Kopfca,  22T,  el  Critique  du  jugement  (Harm,  I,  194)1 
«  celle  illusion  qui  eroil  voir  quelque  cliose  au  delà  ries  liiniles  de  la  sonai-' 
hilitc,  c'esl-à-dire  qui  consiste  à  rêver  avec  de  purs  priucipes  ». 


LE    FANATISME  Sig 

entiaÎMcniont.  De  plus,  même  dans  le  iJicmicr  cas,  le  caractère 
inijH  rieiiv  ot  ai^rcssif  n'est  peut-cire  qu'une  cireonslauee  adju- 
vante du  fanatisme  et  un  trait  surajouté.  L'élément  essentiel 
est  sans  (ioute  le  rétrécissement  de  la  conscience  dans  la  (>er- 
tilude,  et  la  suj^î^estion  d'aelivité  de  la  Ortitude. 

Il  y  a  donc  daus  le  Fanatisme  un  certain  nombre  de  prin- 
cipes à  l'dMivre  :  et  ils  se  combinent  plus  ou  moins. 

L'exaijération  de  la  Certitude:  certaines  formes  de  carac- 
tère: l'état  ethnique  ou  social  (}ui  admet  plus  ou  moins  la  vio- 
lence, la  rigueur,  la  cruauté,  la  barbarie,  la  pression  sociale, 
lia  société  relis^ieuse  i)lus  ou  moins  persécutrice,  simposaut  plus 
ou  moins  à  l'individu);  un  l)esoiii  de  défense:  une  suite  de 
l'ascétisme:  l'austérité  de  làuie  sainte  se  tournant  aisément  en 
cruauté. 

On  peut  (listinji:ucr  [)lusieurs  typei  de  Fanaticjues  : 

I.  —  Le  Fanatisme  par  excès,  par  force,  par  puissance,  par 
débordeinent  de  certitude. 

Un  tel  fanati<pie  se  considère  comme  un  instrument  divin; 
c'est  un  exalté  tenace,  souvent  désétpiilibré,  qui  sur  une  révé- 
lation intérieure  bâtit  le  thème  d'une  mission,  œuvre  de  foi  et 
d'orfîueil.  dett»'  mission,  il  veut  la  remplir,  de  i^ré  ou  de  force, 
en  convertissant  ou  en  supprimant.  Souvent  il  s'est  préparé  par 
un  réicime  ascétique  à  la  domination  de  l'idée  envahissante  et 
directrice  à  laquelle  il  est  en  proie.  11  s'est  créé  des  habitudes 
intellectuelles  qui  lui  ôtent  le  pouvoir  ou  le  vouloir  d'idées 
diirérentes.  La  certitude  déborde;  partialité  aveufçle  ou  exclu- 
sive, fureur  de  sanj^. 

Le  fanaticpie  est  ici  tout  près  du  paranoïatpie,  (jui,  [)ersé- 
cuteur,  est  lui  aussi  débordant  de  certitude;  qu'il  suffise  de 
rappeler  le  persécute''  du  lypi'  Falret-Lasègueavec  son  mélanine 
de  grandeur  et  de  misère,  et  sa  persécution  en  réponse  à  celle 
qu'il  subit;  ses  réactions  violentes  de  défense;  et  j)lus  précisé- 
ment encore  le  raisonnant,  le  persécuté  perséeiiteur.  <pii,  sous 
l'empire  d'une  idée  délirante.  enq»loie  toute  son  intelligence  et 


3io 


\.\    ItEI.IC.ION    ET    LA.    KOI 


Umlo  son  îiclivitô  anormale  non  |>as  à  la  conslniclion  d'un 
roman  délirant,  mais  bien  à  l'assouvissement  de  sa  passion 
morliido.  Le  ranaliijne  (|ne  nous  décrivons  n'atlacjuc  j)as  <jue 
pour  Si'  (lélV-ndre.  cl  pour  sa  propre  proleclion.  Il  vise  à  assi- 
miler aiilnii  à  soi-mcmc,  à  imposer  sa  personne  ou  sa  vérité,  à 
dciniiic  (jui  ne  partage  pas  ses  croyanees.  Il  a^it  non  seulement 
en  piéscncc  de  la  vérité,  mais  pour  imposer  la  vérité. 

De  même  il  y  a  des  raisonnants  ou  des  interprétants 
dans  le  délire  de  qui  entre  une  idée  sociale  et  dont  ils  se  font 
rinslrumcnl.  Déséquilibré  et  exalté,  le  régicide  est  un  violent, 
un  exalté  combatif,  chez  qui  se  forme  la  conviction  d'une 
jj^rande  œuvre,  la  croyance  à  la  foi  ori^ueilleuse  et  altruiste, 
qu'il  est  un  justicier  et  un  martyr;  conviction  obsédante  et 
dominatrice  ([ui  est  parfois  accompagnée  dhallucinations.  Son 
acte,  longtemps  conçu,  prémédité,  préparé,  est  la  conséquence 
de  cette  idée  obsédante,  à  lafjnelle  il  succombe,  déchargeant 
par  un  crime  son  esprit  du  i)oids  et  dn  martyre  de  son 
idée. 

II.  — Le  fanatisme  par  besoin  de  stabilité:  le  fanatisme  par 
faiblesse,  (|ui  poursuit  en  autrui  son  propre  doute;  l'homme, 
que  l'opinion  contraire  ou  que  la  seule  pensée  qu'il  y  a  des 
hommes  qui  ne  pensent  pas  comme  lui,  bouleverse,  ébranle 
dans  sa  certitude,  et  qui  s'élance  contre  les  dissidents  pour 
r(''lab!ir  sa  paix  intime.  Sorte  de  fanatisme  passif  et  de  loya- 
lisme exaspéré  dans  un  esprit  étroit,  épris  d'une  intense  fidé- 
lité; souvent  aussi  vanité  soulfrante,  malheureuse,  inquiète, 
aux  abois,  dès  qu'on  la  blesse  le  moins  du  monde,  réaction  de 
déf<'nse  et  besoin  de  s'exciter  soi-nu'me  :  «  N'est-ce  pas  que 
les  àmcs  faibles  attachent  à  la  destruction  une  idée  d'audace 
et  de  puissance?  (i)  » 

III.  —  Le  fanatisme  social,  par  dévouement  absolu  à  la 
secte;  fanatisme   emprunté,   subi.   Nous   avons  assez  parlé  de 

I     \  Al  VJiXARGLES,  .54- 


I.K    KANATISMK  3'JI 

rinU'ractioii  socialr, ,  de  rcntiaincmcnl  collcclir  pour  rlic  dis- 
pciist's  (rinsisk'r. 

Tontes  ces  formes  essentielles  [)euvent  naturellement  se 
combiner.  La  foi  du  Meneur  dépend  souvent  de  l'action  (ju'il 
exerce  :  elle  s'affermil  en  se  communiquant;  la  combinaison 
(lu  premier  et  du  second  type  est  plus  fréquente  (ju  on  ne 
croit .  Le  fanatique  est  le  plus  souvent  un  homme  de  tempéra- 
ment e\a]l(''  et  jaloux  de  son  importance,  dupe  de  son  excita- 
tion et  de  sa  chaleur  oratoire,  qui  a  besoin  de  s'exciter  contre 
ses  déceptions  et  ses  inciuiétudes  ;  volontiers  il  vitupère  (i). 
Plus  vive  est  lexallation,  moins  elle  souffre  les  divergences. 
()n  se  tue  pour  une  nuance,  dans  les  moments  d'exaltation  (*2). 

Ici  encore  une  doctrine  soutient  plus  ou  moins  l'explosion 
sentimentale  :  l'honneur,  la  gloire  de  Dieu, 


* 
*     * 


Charité  et  fanatisme  se  sont  souvent  alliés  au  lieu  de  se 
combattre.  Heaucoup  de  persécuteurs  ont  un  ardent  amour  des 
iiommes,  et  même  de  leurs  victimes.  C'est  que  la  racine  du 
fanatisme  est  dans  un  excès  de  certitude,  dans  une  certaine 
incapacité  mentale  à  la  doser  et  la  contenir.  C'est  pourquoi  la 
tolérance  est  une  vcilu  intellectuelle:  défiance  à  l'égard  de 
l'impérieuse  certitude,  de  la  foi  absolue  et  sans  réserve:  relâ- 
chement du  rapport  entre  certitude  et  vérité  ;  compréhension 
<iu<'  soi-nu''me  ni  personne  ne  comprend  tout,  qu'on  n'a  point 
raison  tout  seul  et  à  l'exception  des  autres  :  sentiment  de  rela- 
tivité de  la  connaissance,  compréhension  dv  l'incompréhension 


(il  Voir,  par  «'xcinplf,  riiiU-ri'bS.inl  chapilrc  de  ('ini>.\it,  l'sycliotoffif  des 
Si-liellens,  dans  son  Luther.  II,  6'j. 

2  El  coMiiur  Uknan  le  fait  remarquer,  souvonl.  de  toutes  ces  discor- 
(lances  sort  une  doctrine  uni<|ue  et  un  accord  parfait  rôj^nc  ou  parait  rc<,'ner 
filtre  les  disciples  de  t^^ens  <pii  se  sont  anatliciuatisés. 


-M 


3aa  LA  uELroioN  et  la  koi 

el  du  refus  dautrui  ;  connaissance  de  l'esprit  cl  des  esprits; 
au  terme  serait  la  loléranee  par  scepticisme. 

La  tolérance  suppose  donc  l'allinement  de  la  vérité  et  la 
critique  de  la  connidssance  :  à  moins  qu'elle  ne  les  anticipe 
par  un  sentiment  confus  ;  mais  elle  s'enhardit  et  se  développe 
en  uiènie  temps  qu'eux. 

Elle  est  aussi,  je  le  sais,  passivité  indilïérente,  ou  caractère 
débonnaire  el  foiblesse  morale  ;  ou  relativisme  sentimental  ; 
sentiment  qu'il  y  a  chez  tous  des  sentiments  communs  qui 
peuvent  s'exprimer  par  des  idées  cUIférentes  et  par  des  actes 
dillcrents  ;  ou,  comme  chez  le  mystique,  croyance  que  les 
formules  ne  sont  que  des  approximations;  ou  bien  encore 
humilité  :  que  chacun  rentre  en  soi-même  et  s'occupe  à  corriger 
sa  vie  et  non  pas  à  condamner  les  autres;  ou  bien  encore 
respect  des  personnes  et  des  volontés  ;  ou  bien  encore  charité 
absolue. 

Mais  elle  est  aussi  et  surtout  peut-être,  l'eiTet  de  la  hmita- 
tion  des  groupes  sociaux  les  uns  par  les  autres  et  de  leur 
pénétration  mutuelle. 


LIVRE    III 


CHAPITRE    PREMIER 
LA    CONVERSION 


b<  LA     FORMATION     D'UN     SYSTEME 

^B  Pour  distinguer  et  opposer,  nous  étudierons  d'abord  à  grands 
'traits  la  formation  lente,  volontaire,  personnelle,  progressive 
do  croyances,  (jui  est  changement  de  point  de  vue  et  cliange- 
nu'iit  (le  vie,  (jui  csl  adln-sion  ardente  et  souvent  passionnée. 
ri  à  ([ui  pourtant  manquent  certains  des  traits  essentiels  de  la 
loiivt  isioii.  Rousseau  nous  offre  un  exemple  excellent  (i). 

l  ne  certaine  insatisfaction  sociale,  défiance  et  peut-être 
orgueil,  le  sentiment  que  son  bonheur  n'est  point  parmi  les 
hommes,  de  bonne  heure  et  toujours  le  ramène  à  soi,  à  la 
contemplation  de  soi-même,  à  la  méditation  de  soi-même,  à  la 
recherche  de  sa  véritable  fin.  Un  christianisme  paisible, 
rinllucnee  de  Mme  de  Warens,  la  solitude  champêtre, 
l'avaient  rendu  «  dévot  pres(pie  à  la  manière  de  Fénelon  ». 
Lorscpi'il  quitta  sa  douce  retraite,  il  ne  trouva  rien  dans  le 
monde  (pii  put  llalter  son  cd'ut-  :  il  y  \éeiit  jus(|u  à  (inarante  ans 


I'  Ré^'eries  du  promeneur  sulUaim,  3*  pruiilenadr. 


3a4  i-v   iu:i.iciio.\  et  la   i-oi 

«  entre  la  sagesse  el  réi^aiciiieiil.. .  au  hasard,  sans  princii)es 
l)iei)  (Iceidés  par  sa  laison   ». 

Dès  sa  jeunesse  il  s'était  li\é  celle  époque  de  (piarante  ans 
eonimc  le  terme  de  ses  elForts  pour  parvenir;  il  était  résolu 
dès  cet  Age  de  passer  le  reste  de  ses  jours,  au  jour  le  jour,  sans 
plus  s'occuper  de  l'avenir.  Donc  il  (piilta  «  le  monde  et  ses 
pompes  «  et  soumit  son  intérieur  à  un  examen  sévère.  Il  vou- 
lait se  faire  une  religion.  Tue  révolution  se  faisait  en  lui,  un 
autre  monde  moral  se  dévoilait  à  ses  regards. 

La  plnloso[)liie  moderne,  dogmatiquement  'athée,  avait 
ébranlé  toutes  ses  certitudes  : 

«  Ils  ne  m'avaient  pas  persuadé,  mais  ils  m'avaient  inquiété. 
Leurs  arguments  mavaienl  ébranlé,  sans  jamais  m'avoir  con- 
vaincu ;  je  n'y  Irouvciis  pas  de  bonne  réponse,  mais  je  sentais 
qu'il  y  en  devait  avoir.  Je  m'accusais  moins  d'erreur  que  dinep- 
tif,   et  mon   c(eur  leur  répondait  mieux  que  ma    raison  (i).  « 

Il  cherchait  donc  la  réponse,  qui,  muette  encore,  l'empêchait 
pourtant  déjà  de  se  laisser  convaincre.  Fallait-il  se  laisser 
ballotter  par  les  sophismes  de  telles  gens,  dont  la  bonne  foi 
n'était  même  pas  certaine?  Il  fallait  chercher,  fixer  ses  opinions 
et  ses  principes  pour  le  reste  de  sa  vie. 

Ce  projet  s'exécuta  lentement  et  en  plusieurs  fois,  mais  avec 
tout  l'elfort  et  toute  rallenlion  dont  il  était  capable.  Tout  son 
repos,  tout  son  sort  en  dépendait.  Ce  fut  d'abord  un  v  laby- 
rinthe d'endjarras,  de  diflieullés,  d'objections,  de  tortuosités, 
de  ténèbres  ».  Il  fallut  beaucoup  de  courage  pour  persister  et 
pour  arriver  à  la  profession  de  foi  du  Vicaire  Savoyard  :  dès 
lors  il  resta  tranquille  dans  les  principes  qu'il  avait  adoptés, 
après  une  medilalion  si  longue  et  si  réiléehie. 

Sans  doute,  il  sait  bien  que  les  préjugés  de  l'enfance  et  les 
vœux  secrets  de  son  cœur  ont  fait  pencher  la  balance  du  <ùté 
le  plus  consolant: 


I    lit'veries,  3"  promenade,  232.  (Ed.  de  1783. 


LA    C.ONVKUSION 


(  )u  so  (h'tViHl  tlil'Ik'ileiiKMil  de  croire  ce  (lu'oii  désiic  avec 
lanl  ilai'deur;  el  ([ui  peut  doiiler  que  liiiléièl  d  adinelli-e  ou 
i-ejelei'  les  jui^onients  de  lautre  vie  ne  délerniine  la  loi  de  la 
plupart  des  hommes  sur  leur  espéiance  ou  leur  crainte?    i)  » 

Mai><  il  avait  aussi  iuh  rèl  à  ne  point  perdre  cette  vie  poui' 
une  vie  imajçinaire,  et  iU  avait  cherché  en  toute  conscience, 
(laiirnanl  avant  tout  de  se  tromper. 

Sans  doute  aussi  il  n'avait  pas  levé  à  son  entière  satisfac- 
tion toutes  les  ditTicultés  ([ui  lavaient  embarrassé.  Mais,  dans 
ces  ([uestions  presque  impénétrables,  il  avait  toujours  adopté  le 
sentiment  le  plus  croyable,  sans  s'arrêter  aux  objections  ([u'il 
ne  [)ouvait  résoudre,  <-  mais  qui  se  rétorquaient  par  d'autres 
objections  non  moins  lortes  dans  le  systèine  opposé  »  (2).  De 
cette  Mianièi'c,  si  l'on  se  trompe,  on  a  l'ait  du  moins  tout  ce 
([u'on  a  pu  :  «  Voilà  le  principe  inébranlable  (jui  sert  de  base  à 
ma  sécurité.  » 

Ainsi  une  sécurité  suffisante  et  tranquille,  (pii  n  est  pourtant 
point  une  cerlilude  intempérante  et  aveugle,  et  qui  ne  se  dissi- 
uude  point  ses  faiblesses.  Il  persévère  dans  ses  principes  fonda- 
mentaux ado[)tés  par  sa  raison,  confirmés  parson  c(eur  «  el  <pii 
tous  portaient  le  sceau  de  l'assentiment  intérieur  dans  le  silence 
des  passions  ». 

Les  difficultés  nouvelles  ont  pu  rin(iui(''ter  ;  elles  n'ont  pu 
l'ébranler.  Il  savait,  il  sentait  que  tout  ce  corps  de  doclrint> 
solide  el  bien  lié.  formé  avec  tant  de  méditation  et  de  soin, 
reposait  sur  sa  raison,  son  cœur,  tout  son  être.  Il  y  trouvait 
une  convenance  parfaite  entre  son  àme  et  le  monde,  et  dans 
<  e  système,  résultat  de  ses  recherches,  tous  les  appuis  dont  il 
avait  besoin  poui-  sup|»orter  les  misèies  de  la  vie. 

N'y  avait-il  pas  là  île  (pioi  le  soutenir  contre  ses  persécu- 
teui's  el  le  rassurer  dans  ses  épreuves?  «  Toutes  les  plus  vives 


il    Ihid.,  a'V,. 
(2    -ÏV^. 


326  LA     REI.KIIOX    ET    LA    FOI 

peines  perdent  leur  force  pour  (juicoucpie  en  voit  le  dédomnia- 
j?enieul  grand  et  sur  »  (i). 

Sans  doute,  au  milieu  de  ees  épreuves,  des  intervalles  din- 
quiélude  el  de  doute  venaient  de  temps  à  autre  ébranler  son 
espérance  et  troubler  sa  tran(piillilé.  Les  objections  qu'il  n'avait 
pu  résoudre  prenaient  de  la  force,  prolitant  de  son  décourage- 
ment. I.tail-il  donc  seul  sage?  N'était-il  que  dupe?  Et  il  était 
prêt  à  s  abandonner  au  désespoir,  perdant  tout  l'appui  d'espé- 
rance et  de  conliance  (piil  s'était  ménagé  pour  l'adversité. 

Mais  ces  crises  étaient  courtes,  et  devenaient  plus  rares  et 
plus  rapides:  si  bien  qu'elles  n'avaient  même  plus  la  force  de 
troubler  son  repos  :  «  légères  incjuiéludes  qui  n'aflectent  pas 
plus  mon  âme,  qu'une  plume  qui  tombe  dans  la  rivière  ne  peut 
altérer  le  cours  de  l'eau  »  (2).  Car  il  sentait  que  délibérer  à 
nouveau  était  inutile  :  il  faisait  crédit  à  des  sentiments  «  adoptés 
dans  la  vigueur  de  l'Age,  dans  toute  la  maturité  de  l'esprit, 
après  l'exameu  le  plus  réfléchi  et  dans  des  temps  oîi  le  calme 
de  ma  vie  ne  mé  laissait  d'autre  intérêt  dominant  que  celui  de 
connaître  la  vérité  »  (3),  Vieux  et  troublé  par  la  détresse  et  les 
mystères  affreux  qui  l'environnaient,  allait-il  s'ôter  à  plaisir 
toutes  ressources  qu'il  s'était  ménagées,  et  donner  plus  de 
confiance  à  sa  raison  déclinante?  Non,  il  s'en  tient  à  la  raison, 
à  sa  raison,  et  raisonnant  avec  soi-même,  il  parvient  à  ne 
plus  se  laisser  ébranler. 

Il  s'accoutuma  si  bien  à  cette  confiance  tranquille;  qu'aucune 
«loctrine  ne  vint  plus  lémouvoir,  ni  troubler  son  repos.  Non 
que  des  doutes  décourageants  ne  revinssent  de  temps  à  autre, 
mais  parce  qu'il  savait  s'y  refuser  et  leur  opposer  les  principes 
anciens  de  sa  certitude: 

"  Tombé  dans  la  langueur  et  l'appeisantisscment  d'esprit, 
j'ai   oid>lié   jusqu'aux    raisonnements   sur   lesquels  je   fondais 


Il  IhUI..  2'i(f 
'2  Jhifl.,  j'fi. 
'5    Ibid.,  a4a. 


LA    CONVERSION  327 

ma  croyance  et  mes  maximes  ;  mais  je  n  oublierai  jamais  les 
conclusions  (jue  j'en  ai  tirées  avec  ra|)pi()hation  de  ma  eon- 
science  et  de  ma  raison  et  je  m'y  tiens  désormais,  (^uc  tous  les 
philosophes  viennent  erj^oter  contre  :  ils  perdront  leur  temps 
et  leurs  peines.  Je  me  tiens  pour  le  reste  de  ma  vie  en  toute 
chose,  au  parti  que  j'ai  pris  quand  j'étais  plus  en  état  de  bien 
clioisir  (i).  >) 

Voilà  donc  un  système,  monté  peu  à  peu,  sous  la  pression 
de  motifs  sentimentaux,  en  présence  cle  la  vérité;  système  qui 
satisfait  les  vœux  éternels  du  cœur,  et  qui  fait  contrepoids  à  la 
persécution  (2)  ;   mais  qui  s'accorde  pourtant  avec  l'Univers, 


Il  Ibid.,  245. 

(a)  Rousseau  persécuti'  se  réfugie  dans  ses  rêveries  conCuses.  Il  ne  songe 
point  à  se  retourner  contre  ses  persécruteurs.  Son  naturel  est  «  bien  épuré  de 
toutes  passions  irascibles  •  [Rêveries,  isi.)  Et  s'il  a  de  la  répugnance  pour  les 
hommes,  en  qui  d'abord  il  a  mis  trop  de  conliance,  il  n'a  point  de  liaine  :  <•  Je 
m'aime  trop  moi-même  pour  haïr  qui  que  ce  soit,  (^e  serait  resserrer,  compri- 
mer mon  existence.  >>  Ibid.  Du  reste  il  répond  aux  événements  pénibles  par 
des  sentiments  de  bien-être.  «  Dans  toutes  les  misères  de  ma  vie,  je  me 
sentais  constamment  rempli  de  sentiments  tendres,  touchants,  délicieux  qui, 
versant  un  baume  salutaire  sur  les  blessures  de  mon  cœur  navré,  sem- 
blaient en  convertir  la  douleur  en  volupté.  »  Ihid.  347. 

A  cette  disposition  naturelle,  Rousseau  ajoute  des  habitudes  de  défense; 
il  réduit  la  persécution  à  une  sorte  de  gêne  matérielle,  dépouillée  d'intention 
lioslilc. 

«  L'homme  .sage,  (jui  ne  voit  dans  tous  les  malheurs  (jui  lui  arrivent  que 
les  coups  de  l'aveugle  nécessité,  n'a  point  ces  agitations  insensées;  il  crie 
<lans  sa  <louleur,  mais  sans  emporleuienl,  sans  colère;  il  ne  sent  du  mal 
dont  il  est  la  proie  que  l'attente  matérielle;  et  les  coups  qu'il  re(,^oit  ont 
beau  i)lesser  su  personne,  pas  un  n'arrive  jusqu'à  son  co'ur.  "  Jhid.  35.0. 

F^ndn  il  se  réfugie  dans  l'estime  de  soi-même,  dans  l'amour  de  soi-même, 
renonçant  aux  passions  sociales,  à  l'amour-propre,  et  il  arrive  ainsi  à  l'indilTé- 
n  née.  11  est  vrai  qu'il  n'en  jouit  (ju'aulant  (lu'il  est  isolé  des  hommes  :  ■■  Le 
ptrséeulcur  (jue  je  ne  vois  point  est  nul  pour  moi.  '^62.  >  Au  milieu  des 
hommes  il  est  tout  aussi  <  facile  à  troubler,  à  navrer,  à  indigner  <ju'aupa- 
ravant  ».  »  La  présence  de  l'homme  iiaineux  m'alfecte  viob-mment.  'i(\>.  •  11  y 
a  peut-être  sous  ces  oscillations,  comme  Roussi-au  l'indique  lui-iin  nu-,  un 
r\lhnie  naturel  : 

•■  Tout  vient  également  d'un  lemi)érament  versatile  qu'un  vent  impétueux 
agite,  mais  qui  rentre  dans  le  calme  à  l'instant  ijue  le  vent  ne  souffle  plus; 
c'est  mon  naturel  ardent  (jui  m'agite,  c'est  mon  naturel  indolent  qui 
m'apaise...  Tous  les  événements  de  la  f<»rtune,  .toutes  les  machines  «les 
hommes  ont  peu  de  prise' sur  un  homme  ainsi  constitiié...  .le  suis  ce  ipi'il 
plait  aux  hommes,  tant  ((u'ils  peuvent  agir  sur  mes  sens,  mais  au  premier 
instant  de  relâche,  je  redeviens  ce  que  la  nature  a  voulu;  c'est  là,  quoi 
qu'on  puisse  faire,  mon  état  le  plus  couslant,  et  celui  par  lequel,  en  <!ép  L 
de  la  destinée,  je  goiite  un  bonheur  i)our  Icfjuel  je  me  sens  constitué.  "  3(i6. 


3a8  LA    nKLIGION    ET    I.V    1  Ol 

avec  la  constitiilioii  di-  ce  inonde  cl  l'ordre  physique;  système 
ébranle  par  des  doutes,  mais  <pii  trouve  en  soi-même  et  dans 
son  contenu  et  dans  sa  formation,  rcj)onsc  aux  doutes;  système 
où  la  part  de  l'clan  naturel  est  grande,  oîi  celle  de  la  réllcxion 
et  de  la  volonté  est  plus  considérable  encore,  et  qui  prend  sa 
l'orce  en  jurande  partie  d'être  un  système. 

Rien  ne  survient  qui  paraisse  étranp:er  à  la  nature,  llien. 
sinon  ces  élans  d'amour,  au  delà  des  choses  terrestres  el  linies. 
incapables  de  remplir  le  cceur;  rien,  sinon  la  i^ralitude  d'exister, 
la  lumière  intérieure  ;  rien,  sinon  les  extases  rêveuses  du 
Promeneur  solitaire.  ^Nlais  tout  cela  entre  dans  le  système,  y 
concourt,  se  déroule  devant  l'esprit,  comme  un  moment  de  la 
nature  intime,  comme  un  mouvement  de  la  Nalure.  Point  de 
choc  de  transcendance  dans  la  religion  naturelle  ;  point  de 
bouleversement  sacré  dans  une  àmc  naturelle,  dans  cette 
«  belle  àme  ». 


CHANGEMENT  ET  CONVERSION 

Le  phénomène  de  la  Conversion  nous  permettra  d'analyser 
de  plus  près  et  aussi  de  vérilier  nos  conclusions  précédentes. 
Nous  avons  étudié  la  foi  connne  habitude,  état,  et  aussi 
comme  acte,  aux  moments  vifâ  de  ralfirmation  explicite  et 
consciente  de  soi.  La  Conversion  nous  met  en  présence  d'une 
autre  catégorie  de  mouvements  vifs,  el  plus  vifs  encore.  Car  il 
s'agit  du  choc,  de  l'entrée  en  possession  avec  tous  ses  émois, 
et  non  plus  de  l'usage  plus  paisible  ou  de  l'appropriation 
métliodi(iuc.  Nous  y  verrons  plus  à  nu  les  ressorts  de  l'àme 
religieuse.  Celui  (jui  entre  dans  une  Lglise  ou  ([ui  en  sort,  le 
plus  souvent  ne  le  fait  pas  sans  d'importantes  tergiversations 
et  des  discussions  avec  soi-même. 

De  tous  les  faits  religieux  la  Conversion  est  celui  qui, 
probablement,  a    été  le    mieux   étudié   par  les  psychologues* 


LA    t:ONVi:i«S10N  'iu\} 

(,(l;i  nous  permettra  d'rlre  Itrefs  et  de  ne  retenir  «jiic  ee  <|iii 
intéresse  direetemcnt  notre  snjet. 

Nous  avons  déjà  dit  (jue  la  conseienee  relij^ieuse  [)eut  se 
eonslilner  et  se  développer  sans  elioe  ni  heurt,  sans  à-eoups, 
soit  ([u'ellc  se  borne  à  se  eonliiiner  par  l'hahitude  et  la  pia- 
ti(iue  et  ([ue  lànie  du  croyant  s'adapte  en  quel(pie  sorte  méca- 
ni(pieinent  à  son  Kglise  ;  soit  par  harmonie  et  harmonisation 
croissante  de  la  religion  etdelàme. — sentiment  et  intelligence. 
C'est  ce  (jne  James  appelle  le  développement  rectiligne  sans 
crise  (i);  et  il  va  sans  dire  ([ue  la  marche  inverse  existe,  et 
qut)n  peut  sortir  dune  Kglise  par  le  même  procédé.  De  cette 
systématisation  régulière,  calme  et  progressive,  Jean-Jac(pies 
nous  a  fourni  un  exemple  excellenl. 

Au  cours  de  ce  développement  rectiligne,  il  peut  y  avoir, 
(lu  leste,  des  moments  privilégiés,  des  périodes  d'accélération, 
(Us  instants  d'illumination  et,  inversement,  des  temps  nu)rts, 
des  espaces  neutres.  Le  progrès  lent,  —  dans  toutes  les  lormes 
d'acquisition  et  d'apprentis.sage,  —  est  compliciué  de  périodes 
de  progrès  brusque  et  parfois  instantané.  Il  y  a  de  véritables 
crises  religieuses  d'élargissement,  d'ap[)ropi'iation  plus  par- 
faite (2).  Mais  ce  ne  sont  pas  là  à  proprement  parler  des 
conversions.  Le  mot  impli(jue  ([u'il  y  ait  négation,  renonce- 
luciil.  rii|)liir('.  ehangenienl  de  direction  et  d'attitude. 


i  ir  renvoie  aux  exemples  cités  par  James,  Variétés,  p.  70  et  suiv. — 
LAnBHTiioN.Mi;HK,  Philosophie  religieuse,  297,  cite  Mf  Gay  comme  type  «lu 
ciiristianisiiie  paisible,  de  la  conversion  sans  hriiil,  sans  crise  et  comme  i)ai- 
proj^rcs  naturel. 

a)  ^'oici  un  document  tirr  du  Journal  et  des  Pensées  de  cIukjuc  jour. 
dKi.isAiii:Tn  LKsiaui.  p.  q.'i  : 

■'  Ces  instants-là  ont  été  pleinement,  surnalundlement  heureux  ;  j'ai  senti 
vivre  en  moi,  présent  et  m'apporlanL  un  amour  inellahle,  le  Christ  héni. 
Dieu  même;  cette  âme  incomparahlc  a  parlé  à  la  mienne,  et  toute  la  ten- 
dresse infinie  du  .Sauveur  a  passé  un  instant  en  moi.  .  Le  Christ  tritun- 
phant.  le  Verl)e  Eternel...  d  pris  possession  de  mon  âme  pour  l'éternité 
en  celle  minute  inellalde  ;  je  me  suis  sentie  r<'nouvclée  par  Lui  jusqu'aux 
prtd'ondeurs,  prête  à  la  vie  nouvelle,  aux  devoirs,  à  l'œuvre  voulue  par  sa 
I*ro\  i<lence.  Je  me  suis  donnée  sans  réserve  et  je  Lai  ai  donné  l'ave- 
nir. 


33o  LA    RELIGION    ET    LA    FOI 

Kn  cllVl.  la  conversion  suppose  une  interruption,  un  conllit 
le  sculinient  de  la  rupture  entre  le  moi  d'avant  et  le  mo 
d  après.  Telle  est  la  conversion  véritable,  qu'elle  soit  passai?! 
de  l'état  d'incrédulité  à  l'état  de  croyance,  ou  simplement  d< 
l  état  de  relâchement  à.  l'état  de  ferveur  (i)  et  (jucl  que  soil 
l'étal  initial,  hostilité,  doute,  inditlérence,  tiédeur.  "Sous  cetti 
seconde  forme,  il  est  évident  qu'elle  s'apparente  davantagi 
avec  le  développement  rectilia^ne  avec  sursauts  intenses 
bruscpieSj  que  nous  décrivions,  il  n'y  a  qu'un  instant. 

On  peut  se  demander  avec  Schérer  (2),  si  le  passaçe  de  l 
foi  naïve  ou  implicite  à  la  foi  critique  ou  consciente  de  se 
n'est  pas  inévitablement  marqué  par  une  crise.  Mais  je  ne~" 
crois  pas  comme  Uii  que,  toujours  et  dans  tous  les  cas,  cette 
crise  soit  provocpiée  par  «  la  négation  qui  détermine  le  doute, 
qui  s'accomplit  par  l'examen  et  qui  donne  naissance  à  la 
science  religieuse  ».  De  telles  crises  se  produisent  très  fréquem- 
ment dans  le  monde  moderne  par  suite  de  l'éducation  scien- 
tilique  et  du  développement  de  l'esprit  critique  ;  les  objections 
à  la  foi  remplissent  l'atmosphère  intellectuelle,  et  le  schéma 
Doute,  Examen,  Preuve  est  fréquent.  Mais  même  dans  le 
monde  moderne,  il  y  a  des  crises  sans  angoisse,  ni  désespoir, 
ni  doute  ;  des  crises  d'exaltation  et  d'élargissement,  et  la  foi 
peut  aussi  s'amplifier  et  s'approfondir  par  simple  dévelop- 
pement rectiligne,  comme  dit  James. 

LE    CHANGEMENT     D'AME 

La  conversion  est  changement  d'âme.  Pas  de  mot  plus  fort 
que  celui  de  Ghéon,  «  qu'elle  a  change  dans  sa  bouche  le  goût 
de  la  vie  (3).   »  Elle  est  comme  la  passion,  transformation  de 


(i)  Convertis  du  dehors,   convertis  de   l'intérieur,  pour  parler  le  lan<,'age 
de  Mainagb.    Introduction  à  la  Psychologie  des  convertis.] 
(2    ScHKRER,  Mélanfçes  de  critii/ue  religieuse,  3. 
(3}  7ëm.oii{naffe  d'un  converti. 


LA.    CONVKUSION  i'il 

la  sfiisibililé  (i).  Mais  elle  est  une  passion  sacrée  et  qui  coii\  iriil 
à  la  possession  d'un  absolu.  Kl  elle  est,  un  reiiouvelleineiil  de 
vie.  Le  eonverli  esl  un  lioninie  ({ui  réoriçanise  sa  vie  morale 
auloni-  (1  un  principe  nouveau:  en  lui  s'opère  une  transfoi- 
uiaLioii,  une  recomposition,  une  réintégration  du  moi.  Le 
chauf^ement  porte  sur  l'altitude  essentielle  du  sujet,  celle  (jui 
constitue  son  caractère,  son  mode  de  vie.  De  là  vient  que  le 
monde  prend  un  sens  nouveau,  qu'une  doctrine  prend  valeur 
nouvelle,  qu'une  présence  divine  anime  ce  qui  était  auparavant 
muet,  indiirérenl  ou  désert. 

Le  sujet  a  eonscience  d  entrer  dans  une  vie  plus  large.  C  est 
émancipation,  élargissement  de  son  moi;  victoire  aussi  sur 
soi-même,  sur  le  moi  dépravé  d'autrefois,  relèvement  de  la 
nature  déchue.  Kniin.  il  lui  sendjle.  au  moins  dans  la  plupart 
des  cas,  que  ce  changement  ne  vient  pas  de  lui-même;  (juil' 
n'est  pas  un  simple  j)roeessus  interne,  le  résultat  d'un  déve- 
loppement [)sychologique.  Il  lui  send)le  que  quelque  chose 
de  plus  fort  que  lui  a  o[)éré  en  lui,  ([uel  <pie  soit  le  nom  (ju  il 
donne  à  cette  force  (2). 


(i)  •'  La  vision  de  la  natm-e  se  modilia;  les  ambiances  se  transforraèrcnl  : 
«f  hrouillard  de  tristesse  qui  les  voilait  s'cvanonit;  réclaira^e  soudain  de 
son  ànie  se  répercuta  sur  les  alentours. 

"  11  eut  eelle  sensation  de  diiatcnient,  de  joie  presque  enfantine  du 
nudaile  <|ui  oprre  sa  |)renii(r('  sortie...  tout  se  rajeunit.  (]es  allées,  ces  bois... 
lui  a|>|)arurenl  sous  on  autre  aspect.  »  Hiysm.vns,  En  roule  {l'dirfls  catka- 
lit/iies,  201. 

^a)  Voici  un  tcmoignaj^'c  très  net  à  ce  siijel  : 

■  Je  sens  (jue  c'est  de  re.vtcricur  (non  pas  d'une  f^ràce  surnaturelle  que 
doit  me  venir  cette  force  nouvelle.  D'où '.' Je  nd  sais  pas.  J'attends,  car,  pour 
le  moment,  je  dis  coiuMie  la  vieille  prière  u  incapables  nous-mêmes  d'aimer 
bien  ».  Cette  force  extérieure,  la  vie  immanenle,  la  vie  de  l'Kspril  qui  s'tpa- 
nouit  en  moi,  doit  l'apporter;  (|uand  elli-  aura  forcé  l'intimité  de  mon  «"'tre 
etéliminé  ou  supplanté  les  élénu-nls  pernicieux,  ce  jour-là  je  serai  «  eonverli  •. 
Je  cherrlie  celle  force;  je  sais  (|ue  le  schéma  de  la  conversion  à  laipielle 
j'aspire  est  le  mrme  que  celui  de  la  ■<  conversion  cla.ssiipie  ",  mais  le  contenu 
on  resscnce  di- <  rite  force  (|ui  lit  de  l'aul  sur  le  chemin  de  Dam.is  un  héios, 
je  le  convois  autrement  ;  elle  est  immanente,  dans  le  même  plan,  elle  est 
le  nieu  vivant  en  nous  non  pas  là  hanl  dans  les  cieux).  Je  ci-ois  d'ailleurs 
qu'elle  existe  en  ellct,  indépcndanlc  «les  noms  dont  on  l'alluble  :  Sainl- 
Ksprit,  (Iràcc,  etc.   »  Maurice  I.AMKKur.  Journal,  ~i. 

Maurice  Lambert  était  un  jeune  étudiant  de  Neufchàtcl  venu  à  la  Sor- 
boiinc    (Ml     I'.)I7.    <■•    qui  se  prcp;iiMit    à    l'c-liiiif    d<'    l.i    |i-.\i-liid">._ri.'    ivliiricusf 


33u  LA    RELIGION    ET    LA    FOI 

Ne  l'olrouvoiis-nous  pas  ici  les  momcnis  essentiels  de  la  foi 
<lti('  nous  avons  (ji'ci'its  plus  liant  ?  Le  passasse  (l'un  monde 
nalni-el  an  monde  sunialnrel.  It-lévation  au-dessus  de  soi- 
même,  —  le  contact  avec  le  Divin,  le  verliire  de  Dieu,  la  vaste 
perspective  qui  s'ouvre,  —  le  sentiment  de  la  force  qui  agit  toute- 
puissante  et  irrésistible,  ou  soutenue  par  la  collaboration  du 
lidèle.  Ces  moments  essentiels,  la  conversion  les  étale,  si  elle 
est  lente,  ou  les  ramasse  au  contraire  dans  un  paroxysme  dune 
intensité  singulière,  et  d'un  caractère  prolondément  drama- 
tique, si  elle  est  courte.  La  conversion  n'est  pas  autre  chose 
que  la  foi  venue  du  fand  de  l'incroyance;  ce  qu'elle  ajoute  à  la 
foi,  c'est  un  particulier  sursaut,  un  particulier  tressaillement 
pour  se  lil)érer,  pour  se  dérendre  ;  elle  est  une  loi  pénible, 
tumultueuse,  douloureuse,  violentée;  et  toute  foi  de  ce  genre 
a  (pieUiue  chose  d  une  conversion.  Et  c'est  pourquoi  elle  a  le 
caractère  d'illumination  de  tous  les  moments  vifs  où  se  fait  une 
révélation,  la  clarté  des  instants  sublimes,  cette  clarté  lumi- 
neuse qui  les  distingue  des  faits  ordinaires  de  la  vie  et.  qui  les 
place  si  au-dessus  de  la  réalité,  cette  sensation  d'enchantement 
et  d'irréalité  de  la  vie  sensible  voilée  par  un  éclat  supérieur  (i). 


C'éUiil  un  esprit  net  et  une  àiue  d'élite.  Sa  mort  prématurée  est  une  perte 
pour  nos  études.  Sa  famille  a  réuni,  par  un  pitMix  souvenir,  quelques  fVaf,'- 
menls  de  ses  notes  personnelles. 

I    Vfiifi  quelques  exemples  tirés  de  (rUAiKY  [Pages  Choisies,  lon^  : 
.    ...  Ce  beau  phénomène  intellectuel,  bien  connu  des  esprits  (pii  méditent, 
et  (|ue  Ion  peut  appeler   la     transfiguration    des    mots.    Quehiuel'ois    un    mot 
s'ouvre,    surtout  si  c'est  un  mot  de  l'Evangile,    et   il   en  sort   une  gerlie  de 
lumière,  qui  est  une   idée  vive  '  venant  de  source.    Au    fond  de    l'idée   il   y 
une  àme  et  au  fond  de  celte  ."une  est  Dieu.   » 

On  peut  citer  a'tissi  cette  impression  qu'il  ressentait  dans  son  enfance^ 
<<  Je  suis...  je  répétais  avec  transport,  je  suis!  ..  être,  être!  Tout  le  fon^ 
religieux,  poétique,  intelligent  de  l'âme,  était  en  ce  moment  éveillé,  remue 
Une  lumière  pénétrante,  que  je  crois  voir  encore,  m'enveloppait  :  je  voyail 
que  l'Etre  est,  que  l'Etre  est  heau,  bienheureux,  aimable,  plein  de  mystère 
"  <jui  na  pas  dans  sa  vie  un  de  ses  souvenirs  transfigurés  sur  lesquels 
le  temps  ne  peut  rien'.'  On  voit  encore,  on  voit  toujours!  On  voit,  au  miliei 
de  l'obscurité  des  années,  des  jours,  des  heures  environnantes  et  oubliée^ 
tin  lieu,  une  scène,  un  paysage,  un  sentiment,  une  pensée  et  un  mot...  Vol 
trouverez  toujours,  dans  ces  fonds  lumineux,  une  émotion  qui  retentissal 
ju>f|u'à  Dieu...  C'est  de  Dieu  qtic  l'on  se  souvient  :  Dieu  est  le  fond  de  1| 
mémoire.    •  JfTid  ,  lo.'i. 


LA  <:o.\vi:iisi()N  '3'j3 


LA     PASSION 

l'^llo  a  (luchiiic  chose  (111110  passion,  quelque  eliose  aussi  (h; 
1  assenliiiieiil  logiciue,  mais  elle  va  au  delà  de  l'un  et  de  l'aulre, 
précisément  parce  qu'elle  esl  une  loi  ;  lorsqu'une  passion  se 
jut^e  l'ahsoju.  elle  s'ajoute  (pielque  chose,  une  affirmation  onlo- 
Ioi,M([ue,  (pie.  simple  j)assion,  —  elle  ne  formule  qu'à  Aoix 
hasse.  Elle  a  la  lot^icpie  passionnée,  la  passion  lof;i(pic  et  plus 
encore  la  prélention  ontolojj:ique  de  la  foi. 

Elle  est  plus  que  la  passion,  mais  à  bien  des  égards  elle  lui 
est  semhlahle.  La  passion  a,  elle  aussi,  ce  développement 
dramatisé  de  crises  ou  cette  éclosion  brusque,  ces  violentes 
antith('ses,  ces  profondes  indécisions,  cette  profonde  igno- 
rance, cette  aperception  aiguë  de  soi.  Elle  aussi  crée  des 
valeurs,  suscite  des  intérêts  nouveaux  et  singuliers,  projette 
un  objel  hors  de  soi  et  s'y  retrouve  et  s'y  épanouit,  s'y  perd  et 
s'y  transforme  :  déploiement  de  soi  et  renoncement  à  soi.  Elle 
se  recueille  en  son  objet;  recueillement  en  une  présence  intime, 
vertige. 

Elle  se  pailc  à  soi-même  un  langage  d'inlinité,  et  son  objet, 
elle  le  divinise  par  projection  de  sa  propre  puissance,  par  certi- 
tude préalable  de  soi-même^  et  |)ar  transport  sur  une  image  et 
de  eelle  certitude  et  de  celte  adoration  de  soi  ;  travail  de 
l'esprit  occupé  à  forger  et  à  embellir,  cristallisation.  Opération 
qui  n'est  pas  sans  un  secret  remords.  N'y  a-t-il  [)as  souvent 
dans  la  passion  comme  l'obscur  sentiment  d'une  erreur  méta- 
pliysi(iue,  l'obscur  senlimenl  que  le  voile  d'enehantemcnl  est 
tissé  autour  d'un  objel  profane? 

Elle  esl  donc  esclavage,  subi  et  consenti,  asservissenienl, 
séduction,  ca[)tivation  ;  la  personnalité  est  vaincue  et  la  passi- 
vité domine;  mais  cet  esclavage  est  renoncement,  sacrifice  et 
exaltation  du  saciKice  de  soi. 


3'i\  l.\    UKLir.ION    r.T    Î.A    l'Ol 

Kiiliii  elle  osl  alllux  de  Ibiee,  accroissement  d'énerjçie  ;  et 
pai-  concenlration  sur  un  objet,  plein  don  de  soi-même  à  une 
seule  tâche,  et  par  action  efficace  et  stimulante  de  cette  tâche 
consentie  et  aimée,  excitation  et  mobilisation  de  réserves,  qui, 
venant  de  l'objet  aimé,  renforce  l'impression  d'influence  et  de 
passivité. 

De  tout  cela  résulte  ce  clianp^ement  d'âme,  cette  coloration 
nouvelle  de  la  vie,  cette  «  nouveauté  inventée  d'hier  »,  privilèii:e 
du  passionné  comme  du  converti. 

LE  CARACTÈRE 

La  conversion  ressemble  aux  changements  de  caractère. 
Le  converti  est  uri  mécontent  et  un  enthousiaste,  (jui  va  du 
mécontentement  à  l'enthousiasme. 

Ce  peut  être  un  homme  «  à  voie  uni([ue  »,  mais  engagé 
par  erreur  sur  une  autre  voie  et  qui  revient  brusquement  à  la 
première;  une  personnalité  une,  qu'une  illusion  cache  à  soi- 
même,  et  qui,  déchirant  l'illusion,  se  démasque.  Dans  les  cas 
de  ce  genre  l'unité  du  caractère  est  dissimulée  sous  de  trom- 
peuses apparences.  C'est  le  même  homme,  s'appliquant  tour  à 
tour  de  la  même  manière  à  des  objets  différents.  Ses  atti- 
tudes psychiques  fondamentales,  son  «  comportement  * 
demeurent  les  mêmes;  mais  il  se  cherche  tour  à  tour  dans 
des  objets  dilTérents.  Saint  Paul,  après  Damas,  n'apporte-t-il 
pas  au  christianisme  les  forces  mêmes,  et  l'emportement,  ei 
la  puissance  qu'il  employait  à  le  persécuter?  Ignace  de  Loyol 
ne  reste-t-il  pas  un  chevalier?  Ainsi,  même  parmi  les  unitiés 
et  les  équilibrés,  la  conversion  est  possible,  pourvu  qu'un 
erreur  passagère  ait  abusé  le  sujet  sur  lui-môme.  La  conver 
sion  n'est  alors  que  retour  à  soi.  Le  sujet  s'est  égaré  dans  so 
objet,  ou  bien  en  soi-même,  ayant  [)ris  j)onr  soi  et  pour  le  fon 
de  sa  nature  quelque  trompeuse  apparence,  reflet  du  miUe 
ou  d'un  entraînement  passager. 


I.V    CO.NVKUSIUN  jJS 

-Mais  il  y  a  dos  inodilications  plus  inolondcs  cl  dos  iKunincs 
(lui  chauffent  radicaleniont.  Ceux  que  Ribot  appelle  les  contra- 
dietoiies  siiinilLaués,  ceux  qui,  selon  le  lanf?age  de  l*aulliau. 
soûl  dominés  par  le  contraste,  de  par  les  virtualités  en  conflit 
que  présente  leur  caractère,  sont  prédis|>()sés  à  des  chanpre- 
uients  d'orientation;  de  même  les  instables  ou  polymorphes, 
les  impulsifs,  les  incohérents.  Ceux  que  Ribot  appelle  les  con- 
tradictoires successifs  ont  souvent  commencé  par  être  des 
contradictoires  simultanés. 

Donc  il  peut  arriver  que  le  sujet  reste  le  même,  mais  se 
voue  successivement,  avec  le  même  caractère,  à  deux  genres 
de  vie  diflerents  ;  ou  bien  que  le  sujet  change  profondément,  que 
sa  slructure  psychique  s'altère.  Le  changement  peut  atteindre 
le  contenu  ou  la  forme  de  la  vie,  ou  tous  deux  simultanément. 

Si  nous  partons  de  l'homme  profondément  unillé  et  é(}ui- 
libré.  toujours  fidèle  à  soi-même,  stable  et  de  développement 
rectilignc,  —  celui  chez  qui  le  changement  ne  ressemble  en  rien 
à  la  conversion.  —  nous  rencontrons  selon  la  complexité  crois- 
sanlc  : 

l'homme  (jui  s'appli(iue  à  des  objets  dilférents,  qui  devient 
un  ambitieux  par  exemple  après  avoir  été  un  amoureux,  mais 
qui  s'y  appliciuede  la  même  manière,  avec  les  mêmes  méthodes, 
les  mêmes  moyens.  Sa  structure  mentale  n'a  pas  changé.  Tout 
au  plus  peut-on  supposer  chez  lui  la  naissance  ou  le  dévelop- 
pement de  certaines  aspirations,  que  le  premier  objet  est  inca- 
pable de  satisfaire,  et  qui  se  cherchent  dans  le  second; 

riiommc,  dont  les  fonctions  psychicpies  viennent  à  jouer 
dilférenuuent;  lu  lenteur  par  exemple  <pii  devient  ardeur,  l'as- 
lh('iii(',  1  indilférenci'  qui  deviennent  é'ncrgic;  il  se  peut  (ju  il 
recherche,  avec  des  procédés  dilférents  les  mêmes  objets  et 
qu'il  continue  d'aimer  autrement  les  mêmes  choses:  il  se  peut 
qu'il  en  recherche  d  autres  et  ((ue  la  moditication  structurale 
se  double  d'un  déplacement  ou  d'une  complication  des  ten- 
dances. 


330  LA    RKI.IGION    KT    LA    KOI 

Le  converti  est  donc  un  homme  capable  de  changer  et  de 
se  passionner,  et  de  changer  de  passion.  Il  y  a  chez  lui,  —  sauf 
le  cas  cité  plus  haut  de  l'homme  cpii  s'est  fourvoyé  et  qui  revient 
à  soi.  —  celle  diversité  latente,  cette  contradiction  qu'il  y  a  chez 
tous  ceux  (jui  changent,  et  cette  excitabilité  et  cette  systémati- 
sation qu'il  y  a  ciicz  le  passionné:  pai l'ois  aussi  et  en  plus,  ces 
mouvements  d'inq>ulsion,  ces  violences  de  choc  qu'il  y  a  chez 
le  sim[)le  émotif,  qui  se  distingue,  à  l'ordinaire,  du  passionné 
vrai  par  son  excitabilité  diffuse  et  intermittente.  Donc  cette 
excitabilité  caj)al)le(le  réalisation  et  de  constance,  qui  dislingue 
le  passionné  du  simple  émotif,  —  la  passion,  des  boulfées 
d'émotivilé,  qui  peuvent  du  reste  compliquer  la  constitution  du 
passionné,  —  et  de  l'inquiet,  qui  est  lui  aussi  un  diffus  et  un 
instable. 

Il  y  a  autour  de  toutes  les  religions  des  inquiets,  qui  en 
approchent,  en  tàtent,  tâtonnent  autour  et  cherchent  à  s'exci- 
ter sur  elles.  Mais  ils  portent  une  tare  d'incomplétude  ;  ils 
veulent  tout,  et  plus  qu'on  ne  peut  leur  donner,  et  rien  de  ce 
(ju'on  leur  peut  donner;  tout,  pourvu  qu'on  les  dispense  de 
vouloir.  Conscients  de  leur  faiblesse  incurable,  incapables  de 
la  supporter,  ils  cherchent  un  aj)pui;  mais  ils  ne  veulent  rete- 
nir des  religions  que  tout  juste  ce  dont  ils  ont  besoin  pour  le 
moment.  Ils  n'aboutissent  pas,  parce  qu'ils  sont  incapables  de 
s'accommoder  d'un  système  et  de  se  plier  à  une  règle  de  vie. 
Ils  restent  toujours  à  mi-chemin  de  la  conversion;  leur  inquié- 
tude oscillante,  leiir  personnalité  trop  attachée  à  soi  les  retient 
de  rencontrer  la  sécurité,  la  protection,  la  consolation  dont  ils 
ont  tant  besoin.  Notre  siècle  en  a  vu  beaucoup:  un  Sénancourj 
un  Hiran  même,  qui  mit  trente  ans  pour  se  mouvoir  de  li 
<piiétude  épicurienne  au  quiétisme  fénelonien,  une  partie  de  \i 
religiosité  romantique  pourraient  servir  d'exemple  (i).  Mais  il 


(Ij  l*eut-(Hre  aussi  un  Aniiel  qui  estime  nécessaire  une  refonte  du  cliristiî 
iiismc,  nécessaire  aussi  une  Eglise  où  ses  vajjfues  aspirations  j)ersonneil6 
prennent  forme  collective.  Mais  â  quel  credo  aboutissent-elles?  Peut-il  en  sorti! 


LA.    CONVERSION  jj- 

pciil  iiiiixcr  à  (le  tels  instables  d'avoir  {)oiii-  un  njouu-nt  l'illu- 
sion «If  la  slalulit»';  d'oîi  ccrlaiiios  af)|>ar('iic('s  do  conversion, 
nionienlanées  et  décevantes. 

Il  fant  aussi  faire  entrer  en  ligne  de  compte  la  suggcstihilité, 
(jue  nous  avons  vue  si  nettement  à  l'œuvre  dan<  les  conver- 
sions grégaires,  et  Taulosuggestion. 

Knlin  il  faut  encore  raj^peler  les  grandes  oscillations  des 
eyclotliymi<}ues  et  les  formes  larvées  de  cyclolhymie  (jue  pré- 
sente en  foule  l'expérience  courante,  alternatives  de  dépression 
et  d'excitation  (i);  de  tels  changements,  qui  fournissent  à  la 
conversion  un  terrain  favorable,  ont  lieu  souvent  sous  lin- 
lluence  de  l'âge,  j)uberlé.  m«''Uop;iusc.  involulion  •^éiiilr.  ou 
d'infections  et  d'intoxications. 

Or,  le  passage  d'une  forme  à  l'autre,  et  ceci  a  cjuclque 
importance,  étant  donné  la  brusquerie  de  beaucoup  de  conver- 
sions, s'accomplit  souvent  par  crise,  avec  accès  d'agitation; 
aux  sentiments  de  dépression,  ennui,  déchéance,  éloignement. 
étrangelé,  irréalité,  succèdent  des  impressions  de  joie,  de 
lumière,  <rinlérèt  profond.  La  vie  de  certains  déprimés  est 
ainsi  constellée  d'instants  clairs,  ivresse  passagère,  sentiments 
aigus  <rexaltalion  et  de  bonheur,  inelfables,  analogues,  —  en 
sens  inverse,  —  aux  sentiments  dincomplélude  des  scrupu- 
leux. Janet  fait  rcmanjucr  linement  que  beaucoup  des  con- 
vertis dont  parle  W.  James  sont  tout  simplement  «  des  dépri- 
més méconnus,  (jui,  au  cours  de  cérémonies  religieuses,  sous 
des  influences  quelconcpies,  présentent  des  phénomènes  d'exci- 
tation plus  ou  moins  durable  et  des  sentiments  de  joie  inef- 
fable (2.  » 


une  tlit-olo^'ic  cl  niir  llicodicce '.'  »  .!«'  no  la  vois  |){is  distincl<'iii<-ut J'en  suis 

luênie    à  nie    dmiaudcr  si  la  crislallisation  de   nu'S  du^^nies  ♦•si  nécessaire?  » 
{Journal  intime,  I,  18^.) 

'0  Au  temps  du  Wesleyanism»-,  le  D'  Clieync,  The  h'n^dish  Mulady  n~'\7>\ 
ilécrivait  connue  rié«|u<'nts  cl  |trc><|uc  coMinie  un  «  mal  du  siècle  »  «les  étals 
de  dépression  neurasthénique,  dont  Klic  llalévv  reniar<|u<-  q'i  i'-  ^'^  '•••lr<>ii\  .'ni 
dans  les  crises  morales  de  plusieurs  Wesleyens. 

22 


338  LA.    RELIC.IOX    KT    LA    KOI 

Ainsi  les  troubles  mentaux  avec  alternance  d'excitation  et 
(le  dépression,  ou  d'excitation  et  de  rémission  donnent 
volontiers  naissance  à  des  clianp;ements  de  caractère,  qui,  dans 
certaines  conditions^  par  la  li^rande  altération  des  sentiments, 
jieuvent  produire  ou  sinmler  des  conversions.  De  même  le 
<léveloppement  anormal  du  caractère  vers  l'une  de  ses  ten- 
dances constitutives,  qui  devient  prédominante  et  exclusive, 
aboutit  à  une  systématisation;  de  même  les  oscillations  entre 
les  différentes  tendances,  le  déséquilibre  de  certains  anor 
maux. 


Starbuck  a  conclu  de  son  enquête  que  la  puberté  est  une 
époque  fréquente  en  conversions.  Les  grands  intérêts  de 
r humanité  s'ouvrent  à  ladolescent.  Il  s'agit  de  choisir  un 
idéal.  La  vie  spirituelle  s'ouvre  à  celui  qui  n'est  plus  un  enfant. 
La  conversion  intensifie,  mais  abrège  la  période  tumultueuse 
de  l'adolescence,  en  provoquant  une  décision. 

Mais  le  trouble  de  l'adolescence  est  confus  et  polymorpliea 
Ce  n'est  pas  seulement  l'esprit,  c'est  tout  l'organisme  qui  est 
en  travail.  Les  modifications  des  sécrétions  internes  font  naître 
des  besoins  nouveaux,  des  sensations  nouvelles,  et  donnent 
à  toute  la  vie  psychique  une  ampleur  et  uri  coloris  nouveaux. 
La  conscience  religieuse  de  l'enfant  subit  la  même  épreuvj 
que  sa  conscience  organique  et  que  son  esprit.  Tout  s'agrand^ 
et  tout  change.  La  religion  se  développe,  se  maintient,  o^ 
tombe.  L'adolescence  est  souvent  la  crise  oii  sombre  la  vil 
religieuse  de  l'âme  enfantine. 

L'éveil  des  sens  peut,  par  sublimation,  exciter  la  foi,  oi 
trop  découvert,  la  rendre  vaine.  Les  brutalités  de  l'instim 
peuvent  tuer  la  délicatesse  du  sens  intime.  La  chair  a  détournj 


LA    CONVERSION'  339 

de  Dieu  beaucoup  d'adolescents.  Parfois  rincrédulité  n'est  (jue 
le  mas(|ue  de  la  concupiscence.  Les  relip:ions  le  disent  et  avec 
trop  d  insislance. 

Mais  eest  parfois  vrai. 

CONVERSION     ET    THÉOLOGIE 

Pratt  a  raison  de  dire  que  la  conversion  est  souvent  régie 
par  un  schénia  théoloprique  et  d'interpréter,  contre  8tar])uck  et 
James,  la  plupart  des  grandes  crises  émotives  du  type  Bunyan 
comme  un  arrangement  littéraire  ou  comme  le  résultat  de 
suggestions  doctrinales.  11  est  certain  que  moins  considérable 
est  le  rôle  que  la  théologie  assigne  ii  la  conversion,  moins 
nombreux  sont  les  phénomènes  d'excitation  alfective  et  d'agi- 
t  al  ion  mentale  (pii  l'accompagnent.  En  somme,  la  conversion 
brus(jue,  instantanée,  le  bouleversement  subit  de  toute  l'àme, 
sont  plus  rares  qu'on  ne  le  dit,  et  se  rencontrent  surtout  chez 
ces  «  contradictoires  simultanés  ou  successifs  »  dont  nous 
venons  de  parler,  chez  des  instables,  ou  chez  des  gens  à  con- 
science morale  singulièrement  vive,  qui,  n'ayant  pas  fait  le  bien 
qu'ils  aiment  et  ayant  fait  le  mal  <pi"ils  haïssent,  réagissent 
bruscpiement  contre  leur  abaissement  moral  et  subissent  la 
bruscpie  impulsion  de  l'idéal  qu'ils  avaient  gardé. 

De  même  le  cours  de  la  conversion  est  en  partie  régi  par  la 
théologie  (i)  : 


(l)  Nous  avons  cilc  plus  liaiil  une  <lé(laralioii  iiii|)orlaiili'  do  Jonatlian 
Edwards.  Voici  imr  iiii])orlanle  innarquc  de  Vinci,  cilce  par  Haxiikiu    I,  hii^  : 

«  La  tliéol(»^;ic  du  Ui'-vfil  impose  une  luarclu"  au  développrnicnl  de  la  Yi<' 
religieuse.  Il  y  a  une  liisloii-e  oilliodoxe  de  la  conversion  et  de  ce  tjui  la 
stiit.  Les  choses  iloivcnt  se  passer  d'une  manière,  cl  dans  un  certain  ordre, 
et  non  aniremenl.  Bien  averti  de  tout  cela,  ou  s'y  prèle;  on  s'impressionne 
artificiellement;  on  se  fait  des  sentiments  factices.  L'àme  perd  toute  naïveté, 
la  spontanéité  disparaît,  et  la  religion  du  cœur  devient  une  mécanique. 
Le  Réveil,  avant  tout,  consulte  ses  sensations.  » 

Newman  dit  de  même  [Lcctnri's  on  jiistijication)  :  «  On  essaie  «le  nous 
convertir  en  nous  donnant  l'obsession  de  la  conversion...  L'auditeur  éprouve 
tel  ou  tel  senlimcnl  parce  qu'on  lui  dit  de  les  éprouver,  parce  «juil  pense 


34o  LA    RELIGION    ET    LA    KOI 

Ainsi,  dans  certaines  confessions,  la  nécessité  du  sentiment 
du  péché  et  de  l'abolition  de  l'eirorl,  le  «  siirrender  ».  Ailleurs 
la  plupart  des  ct)n versions  sonl.  au  contraire,  de  l'orme  nette- 
ment positive,  orientées  vers  Taveim' et  la  recherche  de  l'idéal 
nouveau,  et  l'important,  pour  le  sujet,  n'est  pas  de  cesser 
dap:ir,  mais  d'avoir  commencé  à  agir. 

Les  relisi:ions  ont  ainsi,  —  et  dilférent  selon  les  temps,  — 
leur  seiiéma  favori  de  la  conversion,  qui  n'est  au  fond  qu'une 
illustration  psychologique  de  leur  doctrine  de  la  Grâce.  Par 
exemple,  si  la  nature  est  radicalement  déchue,  la  Grâce  est 
indispensable,  avec  son  opération  miraculeuse,  et  son  appa- 
rition tranche  d'une  façon  éclatante  sur  le  cours  de  la  vie 
naturelle.  L'homme,  mort  dans  le  péché,  est  irrésistiblement 
converti  par  la  Grâce.  La  Réforme,  et  les  sectes  issues  d'elle, 
reprendront  souvent  ce  thème.  Pour  la  Fornmle  de  Concorde, 
l'homme  ne  peut  ni  agir  ni  coopérer  «  nihil  opcratur,sed  taiiliim 
patitur;  nwre  pas.sive  se  habet  ».  La  conversion  luthérienne  se 


devoir  les  éprouver,  ]»arcc  que  ses  voisins  prctemleiit   <|iril   les  éprouvent  », 
d'où  la  véliéinence,  le  tumulte,  la  confusion. 

Les  piétisles  ont   concentré  leur  attention   sur  eiixiuêmes,  sur  leur  état 
<rânie,  sur  leur  conversion,  sur  les  proférés  de  leur  sanctification  personnelle 
ils  ont  i)assé  leur  temps  à  se  là  ter  le  pouls. 

Imposant  au  développement  religieux  des  fidèles  l'ordre  de  leur  dogma- 
tique, ils  ont  lu  l'expérience  à  travers  cette  dogmatique,  ou  recouru  à  des 
moyens  factices  pour  produire  dans  les  consciences  cette  succession  métho- 
dique d'expériences  morales,  et  en  particulier  «  ce  combat  de  pénitence  » 
convulsif  et  désespéré  qu'ils  exigeaient  de  quiconque  se  convertit. 

Cf.  Iliigh  Bevsox  (Confessions  d'an  converti}  :  «  Personne  n'est  jamais  entré 
dans  la  Cité  de  Dieu  avecaussi  peu  d'émotion  que  moi.  J'avais  l'impression 
d'être  devenu  ;disolument  insensilde;  et  je  n'é[)roiivais  ni  joie,  ni  tristesse,  ni 
crainte,  ni  exaltation...  Il  n'y  avait  rien  en  moi,  me  send)lait-il,  qu'une  certi- 
tude absolue  d'accomplir  la  volonté  de  Dieu  (;n  entrant  dans  son  Eglise.  » 
Ne%\niaii  iJfenri  firérnond,  III,  i()07, ,  p.  '594  ^t  s\iiv.,  écrit  aussi  que  ces  émo- 
tions religieuses  ne  sont  pas  l'essentiel.  Mlles  ne  font  pas  changer  de  viej 
Mais  elles  peuvent  aider,  par  exemple  au  début,  à  aimer  la  vie  nouvelle; 
elles  sont  une  compensation  des  premiers  dégoûts  et  des  premières  souf- 
frances. 

Mais  ce  n'est  pas  être  religieux  que  d'être  ainsi  ému;  et  le  danger  est  que 
quand  ces  sentiments  disparaissent,  on  croit  avoir  perdu  la  foi. 

■  On  peut  citer  de  même,  dans  le  mouvement  revivalistc,  les  critiques  d< 
Chauncy  contre  Edwards;  le  tort  d'attacher  aux  émotions  une  im[)ortance' 
extraordinaire:  l'émotion  devient  le  signe  de  la  présence  de  l'Esprit. 


LA    COWERSIOX  341 

résume  en  doux  t('nij)s;  l'edroi  de  la  conscience  et  l'appro- 
priation (le  la  justice  du  (Christ  par  l'apparition  de  la  foi  : 
IciTcur  et  conlianoe  passivement  revues. 

La  notion  mcthodiste  est  proche  de  la  lutlicricnne  i)ap  la 
sid)ile  saisie  de  la  conscience;  elle  en  est  distincte  par  son 
caractère  de  changement  moral  et  de  retour  aux  bonnes 
<i'uvres. 

De  inèinc,  toutes  les  religions  et  les  philosophies  à  vue  pes- 
simislc  (|iiant  à  la  nature  humaine  admettent  volontiers  la 
nécessité  du  brusque  écroulement  du  mal  et  de  l'apparence,  et 
de  la  subite  apparition  de  l'intuition  ou  de  l'illumination  qui 
sauvent;  ainsi  certaines  formes  du  bouddhisme,  ainsi  la  «  con- 
version transcendantale  «  de  Schopenhauer. 

L'autre  courant,  dont  le  semi-pélagianisme  est  le  meilleur 
<'\(;mple,  pose  la  notion  d'une  grâce  simplement  coopérante; 
la  Réforme  mC'me  n'y  a  pas  échappé  :  ainsi  le  synergisme  d'un 
Melanchton.  Le  catholi(iue  "  classiciue  »  vise  à  se  reconquérir, 
non  par  ses  propres  forces,  mais  comme  s'il  était  seul;  résolu- 
tion motivée  à  laquelle  la  commotion  sensible  n'est  nullement 
nécessaire.  Le  Miracle,  le  bouleversement  de  la  Grâce  dispa- 
raît ici  dans  la  coopération,  (pii  suppose  un  cllort  et  un  travail 
régulier,  et  la  Grâce  sensible  tend  à  s'effacer,  puisqu'elle  peut 
agir  cl  (jucUe  agit  le  plus  souvent  sans  être  perçue,  et  qu'en 
tout  cas  il  n'y  a  pas  d'opposition  radicale  entre  la  Nature  et  le 
^nrnalurel  (i). 

LE    SCHÉMA    DE     LA     CONVERSION 

Le  schéma  classique  de  la  conversion  est  le  suivant  : 
Première  phase  :  incpiiétude,  sentiment  de  faiblesse  et  d  im- 
puissance; impression   de   manque   et   d'imperfection,    rêverie 


(Il  ■  l.n  joie  n'est  pas  la  noie  nécessaire  de  la  conversion.  «  On  peut  être 
converti  depuis  lon^ftcnips  sans  sentir  la  certitude  consolatrire.  La  Foi  peut 
niêuiu  coïiicid(^r  avec  la  détresse  infinie  du  doute  à  l'épard  de  soi-même,  b 
Hfnv,  La  ('.nincmion.    Hoauchesne.) 


3f^J  LA    RTÎLIGION    ET    LA    FOI 

pensive,  dépression,  analyse  morbide 'de  soi-même,  peur  de 
l'avenir,  ébranlement  douloureux  des  convielions  antérieures; 
tels  sont  les  principaux  symptômes  que  décrivent  les  sujets. 
Sur  ce  fond  trouble,  une  lueur  vaiçue  ;  l'idée  d'une  guérison 
possible.  En  présence  de  cette  idée  l'esprit  reste  cruellement 
agile  et  contradictoire  (i),  ou  bien  il  s'attarde,  incapable  de 
décision. 

Deuxième  pliase  :  crise  plus  ou  moins  brusque,  plus  ou 
moins  irrésistible.  Attrait,  aspiration,  volonté  séduite;  volonté 
saisie  par  une  action,  intérieure,  afflux  de  passivité;  sentiment 
de  délivrance  et  d'apaisement,  de  conliance  dans  la  réalité, 
d'adaptation  de  toute  l'àme  au  nouveau  prijuipe  de  vie. 

Troisième  phase  :  apaisement,  vie  nouvelle.  Lall'ectivité  est 
calmée,  l'intelligence  est  satisfaite  (2). 

Voici,  par  exemple,  comment  Wells  décrit  sa  conversion 
à  sa  religion  nouvelle  (3)  : 

Première  phase  : 

Conscience  intime  d'un  désarroi  sans  issue. 

Deuxième  phase  : 

La  pensée  de  Dieu  se  présente  à  l'âme  en  détresse;  au 
premier  abord,  ce  n'est  là  qu'une  idée  qui  n  implique  aucun 
élément  positif,  aucune  croyance.  Elle  demeure  quelque  temps 
latente,  et  flottante  dans  l'esprit  insatisfait.  On  ne  croit  pas 
encore  en  Dieu,  mais  on  se  rend  compte  que,  s'il  existait  un, 
être  semblable,  il  fournirait  la  consolation  et  la  direction  dont< 
on  a  besoin.  Sous  l'empire  de  cette  conviction,  on  poursuit] 
cette  idée  et  on  la  creuse. 

Troisième  phase  : 

Alors,  soudainement,  à  son  heure.  Dieu  vient.  Cette  cxpé-| 
rience  capitale  est  une  perception  certaine,  immédiate  de  Dieu. 


I,  (Quelquefois  luênie  négatif  ot  révolte'-.  Il  y  a  d«;s  négations,  qui  sont  des 
commencements  d'affirmation,  qui  recouvrent  des  tendances  positives. 

2   Cette  phase  s'accompagne  parfois  de  modilîcations  psycho-sensorielles.  ! 
(Voir  James,  Variétés,  iHô,  note  2.1 

;3)  Wklls,  Dieu,  l'Invisible  Roi,  i^'i. 


LA    CONVKRSION  343 

Cost  uiu-  impression  analoj^iie,  —  mais  plus  complèle  et  plus 
iulimc.  —  à  cclh^  (pic  l'on  éprouve  aux  (ôlos  dune  personne 
hMulremenl  aimée  et  en  <[ui  Ton  a  une  entière  conlianee. 

Dès  ce  moment,  la  vie  est  Iranslornu'*'. 

La  première  phase  peut  mancpier,  au  moins  en  apparence, 
comme  dans  le  cas  de  lîradlev,  de  Ratisbonne.  C'est  la  conver- 
sion instantanée  et  explosive,  dont  on  [)eul  pourtant,  dans  bien 
des  cas,  déceler  les  antécédents  snbconscients. 

Autour  de  ce  schéma,  on  pourrait  grouper  bien  des  modes 
variés;  certaines  altérations,  certaines  nnances  peuvent  prédo- 
miner : 

le  passage  d'un  mode  de  vie  à  un  autre;  le  changement; 

l'opposition,  la  division,  le  moi  partagé  ;  le  conflit  et  la 
solution  ; 

rinsatisfaelion,  la  tension,  rin(piiétude.  le  vide;  lapai- 
scment,  la  délente,  la  dépression  et  l'excitation; 

la  douleur  et  la  joie. 

Kt  toutes  ces  attitudes,  tous  ces  jeux  de  sentiment,  tous  ces 
couples  peuvent  se  coni])li([uer,  eommc  nous  l'avons  dit,  d'idées 
théoriciucs  et  d'im[)ératils  moraux,  ou  rester  à  l'état  confus, 
aireclif;  d'où  la  prédominance  parfois  du  sentiment  du  péché, 
de  la  souillure,  de  la  répugnance  de  soi. 

Pour  la  même  raison,  la  conversion  oseille  entre  deux 
grandes  formes  :  la  forme  juridi(iue.  la  juslilieation  forinsèque, 
par  imputation  des  mérites  d'un  autre,  le  fond  du  sujet  restant 
substantiellement  le  même  (([u'on  se  lappelle  la  doctrine 
luthérieinic); 

la  fornu'  mystique,  la  transformation  totale,  l'absorption 
dans  le  divin  par  disparition  de  la  [xisomialité;  qu'on  se 
rappelle  nos  descriptions  antérieures. 


344  LA    RELIGION    KT   LA    1  OI 

LA  PROFONDEUR  DE  LA  CONVERSION 

Il  faut  se  rai)i)ekT  d  aljord  qu'il  y  a  des  conversions  appa- 
rentes. Souvent  le  converti  est  demeuré  au  fond  le  même;  ou, 
(lu  moins,  la  transformation  n'est  ]>as  si  radicale  cjuil  parait 
Souvent  lindividu  tâtonne  et  cherche,  alors  même  qu'il  a  l'ail 
de  s'en  cloly^ner,  précisément  ce  qui  le  lixera  ensuite.  PSe^mai 
disait  justement  que  le  premier  point  à  éclaircir,  lorsqu  il  es 
(piestion  de  changement  des  certitudes  religieuses,  c'est  d< 
savoir  (juelles  sont  au  juste  les  doctrines,  à  la  certitude 
desquelles,  avant  ou  après  sa  conversion,  le  converti  a  dî 
renoncer;  il  y  a  peu  de  religions  qui  n'aient  quchiucs  point» 
communs,  pivots  sur  lesquels  s'opère  le  changement. 

Le  P.  Mainage,'dans  son  intéressant  livre  sur  la  Conver- 
sion, a  lrait(''  ce  point.  Il  distingue  justement  des  conversion! 
simulées;  des  conversions  su])erlicielles,  dictées  par  une  senti 
mentalité  inconstante,  comme  celle  de  George  Sand  au  temps 
oii  elle  était  élève  au  pensionnat  des  Anglaises;  des  couver 
sions  sincères  et  profondes,  mais  oîi  le  sujet  ne  persévère  pas 
ou  qui  subissent  de  longues  éclipses;  des  conversions  sincèrei 
et  profondes,  mais  qui  laissent  subsister  des  vestiges  évident 
d'habitudes  antérieures;  Iluysmans,  après  sa  conversion,  gardî 
le  plus  grand  nombre  de  ses  défauts;  c'est  ce  que  remarqua 
aussi  Sagerel  (i);  enlin,  des  conversions  intégrales  et  durables 

S'il  fallait  croire  à  la  lettre  le  témoignage  des  mystiques 
la  conversion  serait  radicale,  étant  transformation  totale.  Mai 
il  y  a  chez  eux  plus  de  prétention  à  la  transformation  totale  e 
à  l'abolition  du  moi,  que  de  réalité;  et,  sauf  un  assez  peti 
jiond)re  de  cas,  de  tels  états  sont  transitoires.  jVéanmoins  oi 
ne  peut  nier  qu'il  n'y  ait  chez  eux  un  changement  bien  n© 
d  attitude,  et  c'est  chez  eux  peut-être  que  l'on  trouverait  1( 
plus  de  diirérence  entre  l'homme  ancien  et  l'homme  nouveau. 


(I;  Les  Grands  Comerfis.  Diirtal,  on  devenant  catholique,  ne  eliange  pas 
L'Oblat  nous  ilépeint  un  Duiiai  identique  au  curieux  pécheur  de  jadis. 


l.A    CONVEHSION  3/J5 

L'ILLUMINATION     SUBITE 

Sur  toute  cotte  t'eruientatiou,  sur  tout  ce  travail,  aux  didé- 
l'cnles  étapes  ai>paraissent  des  nioineuts  d'illunuiiation.  J.a 
]>réparatiou  autérieure  ei'istallise  brusquement. 

De  liordeu  va  d'un  spiritualisme  un  peu  confus  au  catho- 
licisme. La  conversion  de  (Claudel  le  séduit.  «  La  conversion 
<le  (piel(iu"un  ([u'on  aime  est  un  appel.  »  Le  charme  chrétien 
renvahil. 

l'ai"  une  belle  nuit,  où  il  était  fort  calme,  admirant  le  ciel, 
il  seul  il  la  présence  de  Dieu,  «  Qui  es  in  cwlis.  »  Il  s'abîma  dai^s 
cette  |)ai{)le,  avec  une  émotion  indicible,  mais  sans  violence, 
jii  <'\allation;  tout  était  limpide,  évident,  ami.  Il  prit  la  réso- 
lution de  se  convertir  et  il  y  réussit  un  peu  plus  tard  (ij. 

Le  cas  de  Uené  Salomon  (2)  montre  bien  comment  une 
orientation  lente  d'abord  et  lont;temps  un  jx'u  ijidécise  peut 
-^f  préciser  et  s'accélérer  brusquement.  Ici,  c'est  un  te.vte  de 
Pascal,  pourtant  bien  connu,  qui  l'arrache  pour  ainsi  dire  à 
lui-même,  pour  le  mettre  brusquement  en  présence  de  Dieu. 

Chez  Weslev,  une  assurance  subite  vient  clore  une  longue 
|)ériode  d'inquiet  iule  et  de  recherche.  Wesley  avait  cherché 
la  paix  de  l'âme  dans  une  combinaison  curieuse  de  régime 
iiu'dical  et  d'aspiration  mysti({ue  :  il  avait  constitué  sa  petite 
-ociét<''  d'Oxford,  avec  son  programme  d'action  minutieu- 
-  inenl  r(''glé,  avec  son  caractère  ritûaliste,  avec  son  mysti- 
cisme. Il  avait  accompli  sa  mission  de  (léorgie,  connu  les 
Aloraves  et  les  piétist«'s;  mais  aucune  forme  d'action  ni  de 
régime  ne  lui  avait  assuré  la  paix  qu'il  cherchait  :  «  .Te  suis 
allé  en  Amérique  pour  eouverlir  les  Indiens,  et  (pi'ai-je  a|)[)ris? 
que  je  n  ai  jamais  été  converti  moi-mC'me!  Oh,  ([ui  me  conver- 
tira?   K 


1'  M.vi.xAGF.,  Les  Te/nnins  du  lii'iwm't'an  caUtnlù/ue,  8i. 
(•2   Mainaok,  Ibid. 


3^G 


LA    REI.ir.IOX    ET    LA    KOI 


Bohlcr  lui  piochait  l'assurance  du  salut,  par  illumination 
momentance,  «  la  convulsion  spirituelle  ».  Or,  en  lisant  la 
préface  de  Lullier  à  \' Kpitrc  aux  llomains,  Wesley  se  sentit 
sauvé  :  «  Je  sentis  mon  cœur  pénétré  dune  chaleur  étrange. 
Je  sentis  (jue  je  me  liais  au  Christ,  et  au  Christ  seul,  pour 
raon  salut;  il  me  fut  donné  rassuiancc  qu'il  avait  enlevé  mes 
péchés,  mes  propres  péchés,  et  qu'il  m'avait  sauvé,  moi  per- 
sonnellement, du  péché  efde  la  mort.   » 

Il  est  vrai  que  le  soir  même,  il  se  sentit  anxieux  au  sujet 
de  cette  assurance.  Il  se  consola  par  cette  idée  que  la  paix  et 
la  foi  n'impliquent  pas  nécessairement  la  joie;  «  les  transports 
de  joie,  Dieu  (luekpicfois  les  accorde,  quelquefois  les  refuse 
selon  sa  volonté.   « 

^\  hitefield,  Charles  ^yesley  ont  connu  eux  aussi  de  telles 
brusques  illuminations.  Ils  en  avaient  pour  garants  l'Écriture 
et  les  témoignages  apportés  par  Bohler. 

Claudel  raconte  que  son  génie  poétique  et  sa  vocation 
catholique  sont  nés  simultanément.  A  dix-huit  ans,  du  catho- 
licisme il  ne  lui  restait  rien  :  «  J'avais  complètement  oublié 
la  religion,  et  j'étais  à  son  <'gard  dans  une  ignorance  presque 
sauvage.  i>  Les  livres  de  Rimbaud  lui  avaient  donné  «  l'impres- 
sion vivante  et  presque  physique  du  surnaturel  »;  «  mais  mon 
état  habituel  d'asphyxie  et  de  désespoir  restait  le  même  ». 

Ktant  venu  à  Notre-Dame  pour  s'exciter  littérairement,  à 
la  messe  de  Noël,  tout  d'un  coup,  il  crut  :  «  J'avais  eu  tout  à 
coup  le  sentiment  déchirant  de  l'innocence,  de  l'éternelle 
enfance  de  Dieu,  une  révélation  ineffable.  »  En  un  instant  se 
déroula  le  long  trajet  de  la  possibilité  à  la  certitude  :  «  Si 
c'était  vrai  pourtant?  C'est  vrai...  Dieu  m'aime,  il  m'appelle.  » 
Larmes,  sanglots. 

Kt  pourtant  ses  convictions  philosophiques  restaient 
entières.  L'illumination  brusque  n'avait  rien  détruit.  Il  lui 
fallut  quatre  ans  pour  adapter  son  esprit  à  sa  nouvelle 
croyance  :   «   L'édifice   de    mes  opinions  et  de  mes  connais- 


t 


I.A    CONVERSION  347 

sauces  rt'stail  dehoul,  cl  je  n'y  voyais  aucun  dcfaut.  Il  était 
seulement  arrivé  ([ue  j'en  étais  sorti  (i).   >. 

Francis  Janinies  se  revoit,  une  matinée,  étendu  sur  un  lil, 

l'âme    et    le    corps     en     détresse,     humilié,     neurasthénique. 

(  hiand  je  sortis  de  cette  prostration  qui  (hua  vingt  minutes^ 

je  prononçai  avec  des  larmes  dans  la  voix  :  «  Il  l'aul  <pu'  cela 

soit  ou  il  n'y  a  rien!  » 

Cela,  c'était  l'Eglise  catholique  que  Claudel  lui  avait 
enseignée.  Dans  le  tréfonds  de  son  être,  une  joie  commençait 
à  se  faire  jour  (i2'. 

Retté  connaît  le  dégoût  de  toutes  les  doctrines,  le  désarroi 
intellectuel  que  soutiennent  seuls  une  violente  hostilité  contre- 
le  socialisme  et  l'Eglise.  Mais  au  cours  d'une  conférence 
antireligieuse,  on  lui  demande  comment  tout  a  commencé.  Il 
est  troul)lé,  mal  à  l'aise  :  «  Si  pourtant  Dieu  existait?  »  Il 
Hotte  dans  cette  anarchie  intérieure,  que  modère  seule  une 
vague  velléité  de  christianisme.  Une  lecture  de  Dante  lui 
donne  limpression  qu'il  peut  être  sauvé.  Oh!  si  Dieu  exis- 
tait, (piclle  chance  pour  moi.  lue  douceur  insolite  lui  emplit 
le  cœur.  L'Eglise  est  salutaire:  elle  apporte  une  règle  de  vie 
aux  pauvres  âmes  <pii  errent  douloureusement.  Elle  n'a  jamais 
varié;  elle  détient  la  vérité  :  consolatrice,  salvatrice,  immuable. 
Et  si  elle  la  détient,  comme  elle  déclare  procéder  d'une  révé- 
lation divine,  c'est  donc  (pie  Dieu  existe  :  «  Ce  fut  tout;  mais 
c'était  suflisant  puisque  jamais  plus,  à  partir  de  ce  malin,  la 
conviction  que  Dieu  existait  ne  sortit  de  mon  àme  (3).  » 

Lutoslawski  raconte  qu'ayant  perdu  la  foi  à  l'âge  de  seize 
ans,  il  traversa  vingt  ans  d'indillérence  religieuse.  Un  matin, 
après  un  bain  de  vapeur,  il  surgit  en  lui  l'idée  de  nettoyer 
aussi  son  âme.  (pu)i(pi  il  ne  trouvât  rien  de  ])articulier  à  se 
reprocher.   Il   alla  se   confesser,   sans   émotion,    ni  contrition 


(i)  Clai  DEL,  Revue  de  la  Jcnnessi',  lo  ocl.  n}i'i. 
(a)  Mainac.k,  Témoins  du  HenouK'eau  cath(ili<iue,  7G. 
(3)  Rkttk,  Du  Diable  à  Dieu,  i5"  éd.,  76-81. 


3|8  LA    UKLKIION    KT    LA    KOI 

profonde.  Il  dit  au  prètro  (ju  il  no  pouvait  recevoir  la  commu- 
nion puisqu'il  ne  croyait  pas  à  la  présence  réelle.  Le  prêtre  lui 
conseilla  pourtant  de  communier. 

Au  moment  de  la  recevoir,  cr  je  compris  tout  et  surtout  je 
revus  un  ordre  impératif,  dune  puissance  indiscutable,  d'unir 
])<)ur  toujours  ma  vie  à  l'existence  de  cette  KiçUse  que  j'avais 
abandonnée  vingt  ans  auparavant.  Ce  fut  comme  un  coup  de 
foudre...  une  soudaine  révélation  (r).  » 

C.arré  de  Montgeron,  dans  l.a  Vérité  des  Miracles, 
nous  a  laissé  le  long  récit  d'une  transformation  rapide  et 
presque  instantanée,  d'un  ()r()f<)ii(l  bouleversement  moral  qui 
le  ramena,  sur  le  sol  sacré  du  tombeau  du  diacre  Paris,  d'un 
vague  déisme  au  jansénisme  le  plus  ardent.  Il  s'était  décidé 
jadis  à  vivre  selon  le  monde,  à  se  laisser  aller  à  toute  espèce 
de  débauches,  et  à  se  convertir  à  (juarante  ans.  Un  léger 
accident  de  voituie  lui  donna  idée  que  le  calcul  n'était  pas  très 
sur  :  «  La  vue  du  hasard  que  je  courais  d'être  dans  des  supplices 
éternels,  si  je  venais  à  mourir  avant  le  temps  que  j'avais 
juarquc'  moi-même  pour  une  conversion,  me  Ht  une  impression 
assez  vive.  Je  résolus  de  ne  plus  attendre  à  me  convertir.  » 

Mais  il  retomba  bientôt  à  ses  passions  :  «  Mon  cœur  qui  brû- 
lait du  désir  de  retourner  à  son  vomissement  obscurcit  bientôt 
les  lumières  de  mon  esj)rit.  Je  commençai  à  douter  de  la  vérité 
de  la  religion,  parce  que  je  souhaitais  qu'elle  ne  fût  pas.  » 

Il  devint  déiste,  et  quand  parut  la  Constitution,  remarquant 
<iu'elle  condaniuait  les  principes   fondamentaux  de  la   morale 


(i;  LrTObLA\\>hi,  (longri's  de  Genève,  lyio,  p.  709  et  suiv.  Luloslawski 
achevait  sa  conimunifalion  en  proposant  une  mélliode,  qu'il  avait  y)rati(iuéc, 
|)oiirla  conversion  ft'intellectuels.  II  leur  proposait  de  se  recueillir  passive- 
\emenl,  devant  un  acte  de  foi  acconi|ili  par  des  croyants  sincères.  Dans  et 
but.  il  choisissait  une  église  solitaire  »t  une  heure  matinale.  L'infidèle 
s'assied  tranquillement  au  fond  de  l'éylise  et  ferme  les  yeux,  en  éloif^nanl 
toute  pensée  profane  et  eu  tâchant  de  deviner  l'état  d'âme  des  croyants.  Ceu3 
qui  s'y  sont  soumis  ont  souvent  é[)rouvé,  ati  bout  de  plusieurs  jours,  ui 
chaufrement  suljit.  Le  groupe  des  croyants  priait  pour  la  conversion. 

f^omine  tous  les  auteurs  d'Exercices   spirituels,  Lutoslawski  attribue  à  ui 
pouvoir  surnaturel  les  résultats  de  sa  méthode. 


LA    C.ONVIMtSION  34<» 

(hri'lienne,  il  ponsa  (jiie  tous  les  Consliliitionnaircs  étaicnU 
< omnie  lui,  dos  ilristcs  (l(''^uis«''S. 

Va\  ij3i.  il  enlciulit  parler  de  miracles  opères  au  tombeau 
du  diacre  Paris  : 

«  Je  piétendis  d  ahoi'd  ([ue  tout  ee  ([u  ou  ui  en  racontait  était 
faux,  et  qu'il  pouvait  seulement  être  arrivé  <pie  limaginalion. 
;niu:mentant  l'action  des  esprits  animaux,  eût  procuré  (juekpie 
-oulai^ement  passager  à  quelques  malades,  ou  même  facilite- 
peu  à  peu  leur  guérison.  » 

Mais  ces  faits  le  jetaient  mal,t!:r<''  lui,  dans  le  trouble  el 
1  inquiétude. 

Ln  nouveau  miracle  lui  inspira  la  résolution  d'aller  voir  de 
->es  propres  yeux.  11  alla  au  cimetière  le  j  septembre  i"3i. 
Devant  le  recueillement  des  assistants,  il  lut  saisi  de  respect, 
se  mit  à  genoux  et  pria  : 

'<  O  vous,  par  l'intercession  de  qui  l  on  publie  qu'il  se  fait 
tant  tle  miracles,  s'il  est  vrai  qu'une  partie  de  vous-même 
vive  encore  après  votre  mort,  ayez  pitii'  de  mon  aveugle- 
ment et  m'obtenez  de  sa  miséricorde  (pi  il  dissipe  mes 
ténèbres.  » 

Il  resta  immobile  et  à  genoux  trois  ou  (piatre  heures  dans 
un  ('tat  d'attention  profonde;  et  dans  son  esprit  se  succédaient 
des  raisonnements  qui  commençaient  à  l'ébranler  :  Dieu  est 
juste;  or,  ces  appelants  cpii  l'aiment  véritablement  sont  très 
mallu'ureuK  ;  il  doit  les  récompenser  après  leur  mort. 

Toute  une  apologétique  intérieure  se  développait  en  lui.  Les 
arguments,  ([u'il  forgeait  autrefois  contre  les  mystères,  avaient 
perdu  toute  leur  foice  :  «  N'est-il  pas  évident  (piil  n'y  a  que  le 
souverain  maître  des  esprits  et  des  cours  (pii  ait  pu  faire 
croire  des  mystères  si  incroyables,  et  cela  malgré  l'intérêt  de 
toutes  les  passions?  » 

«  Dès  ce  moment  je  sentis  mon  cœur  pressé,  et  je  commen- 
çai d'être  convaincu  :  mais  comme  je  m'aperçus  sensiblement 
que   les  réllexions  que  je   faisais   alors,   étant    appuyé  sur   le 


35<>  WÊ^K  LA    R1.L1GION    KT    LA    FOI 

Joiiibeau  de  M.  Paris,  étaient  sans  comparaison  plus  liinii- 
lu'uses  que  celles  que  j'avais  jamais  laites  à  ce  sujet,  je  me 
déterminai  à  y  demeurer  encore  quelque  temps,  j)our  exa- 
miner si  les  Apôtres  mérilaient  une  foi  entière  par  rapport  à 
lout  ce  qu'ils  avaient  écrit.  » 

Ces  réflexions,  après  s'être  développées  l'une  après  l'autre, 
se  [)réscnlèrent  ensoniMe  toutes  à  la  fois,  et  formèrent  un  tout, 
<pii  dissipa  entièrement  les  lénèi)rcs  : 

«  J'étais  venu  au  tombeau  pqur  voir,  pour  examiner,  pour 
critiquer  les  miracles  :  je  restai  (juatre  heures  à  genoux  au 
pied  de  ce  tombeau  :  je  ne  critiquai  que  moi-même  et  je 
<lemeurai  parfaitement  convaincu  de  la  vérité  de  la  rclip^ion. 
^Nlais  en  même  temps  la  vue  de  tous  mes  ])échés  énormes... 
me  terrassa  et  me  réduisit  dans  une  espèce  d'accablement...,  je 
revins  chez  moi  touché,  gémissant,  abattu.  Je  voulus  corriger 
sur  le  papier  mes  ré/lexions...,  il  me  semblait  quelles  m'étaient 
■étrangères,  que  si  je  perdais  le  moment  de  les  recueillir  par 
écrit,  je  ne  pourrais  jamais  me  les  rappeler...,  je  les  écrivis 
sur  toutes  les  feuilles  que  je  trouvai  alors  sous  ma  main,  tant 
<pie  ma  plume  pouvait  aller.  » 

A  partir  de  ce  moment,  tous  les  objets  de  ses  passions 
n'eurent  plus  aucun  pouvoir  sur  son  cœur. 

Voilà  des  cas  simples  et  (pii  ont  l'avantage  de  ne  point 
exiger  d'exégèse  préalable.  Saint  Augustin,  bien  plus  illustre, 
demande  beaucoup  plus  de  précautions.  Qu'est-ce  au  juste  que 
la  conversion  brus([ie  de  336,  et  la  fameuse  scène  du  jardin? 
Plein  d'aversion  contre  lui-même  d'avoir  cherché  la  sagesse  et 
<rêtre  demeuré  dans  les  plaisirs,  et  y)0urtant  épris  de  ces 
mêmes  plaisirs,  a-til  été  rameuL;  à  Jésus-Christ  par  la  détente 
brusque  de  cette  agitation  extraordinaire,  que  les  Confessions 
décrivent  :  «  Seigneur,  jusqu'à  quand?  »  «  Toile,  lege  »  :  «  N 
demeurez  pas  dans  les  festins  et  dans  l'ivresse,  dans  les  lits  e 
dans  les  impudicités,  dans  les  rivalités  et  les  vaincs  jalousies 
mais  revêtez  le  Seigneur  Jésus-Christ.  » 


L\    CONVERSION  15 1 

Ou  bien,  les  Confess-ions,  ri'dij^ées.lonfçlemps  aprrs  l'évriic- 
iiK'iit  (I),  iroiil-ellos  pas  vlr  ('-crilcs  pour  iulcrprétcr  tlu-olou:!- 
<|ui'nient  les  l'ails  plus  encore  (jue  pour  les  raconter;  pour 
mettre  eu  pleine  lumière  laction  souveraine  de  la  fjràee  de 
Dieu?  Et  la  conversion  de  saint  Augustin,  au  lieu  davoir  eu 
lieu  brusijiiemeiit  et  délinitivement  en  août  386,  nest-elle  pas 
le  fruit  d'une  lente  et  normale  évolution,  au  cours  de  laquelle 
la  crise  de  386,  conversion  au  Néoplatonisme  et  à  la  vie  morale, 
iiiar(|ue  une  étape  décisive  (2)? 

Si  brusque  donc  que  puisse  paraître,  à  distance,  la  conver- 
sion, nous  voyons  que  comme  tous  les  autres  processus 
psycholoj^iques,  comme  tous  les  développements,  comme 
1  invention,  la  passion,  la  formation  des  habitudes,  la  mémori- 
sation, etc.,  elle  présente  des  phases  de  progrès  lent  et  insen- 
sible, et  de  progrès  brusque  et  aigu:  une  période  d'établisse- 
ment et  une  période  d  état;  et  aussi  des  périodes  de  déclin,  et 
des  retours  et  des  reprises. 


CONVERSION    SANS    CRISE 

«  Je  n'ai  pas  traversé  de  crise  en  Mauritanie.  Nul  drame 
intérieur.  Nul  déchirement.  Nulle  anxiété.  Une  attente  calme, 
appuyée  sur  la  certitude  que  les  Sacrements  sauraient  bien 
me  donner  plus  tard  la  foi  qui  me  faisait  défaut.  » 

Ernest  Psicliari  est  le  symbole  achevé  d'une  génération 
in([uiète,  «  déprise  de  la  pensée  pure  et  de  la  connaissance  sté- 
rile, éprise  de  l'action  et  de  l'enthousiasme,  mais  étrangère  à 


d)  M''iu-î  reiu.ir<ia<.'  sur  la  oonversioa  de  saint  Paul,  i.e  tcxlc  de  VKpitre 
aux  Galales  est  pjsti-rieur  de  vingt  ans  à  l'cvénement  du  chemin  de  Damas. 
LoisY,  V Ejtitre  aux  Galafcs,  i'.)M>- 

ai  Vdir  pour  la  seconde  thèse  Gol'rdox,  Essai  sur  la  conversion  de  saint 
Augustin,  1930;  et  pour  la  tlièse  orlliodoxe,  Boykr,  CUristinnisnie  et  Néoplato- 
nisme dans  la  formation  de  saint  Augustin,  1920  (historique  de  la  polémique, 
(pp.  1-7). 


LA    UKI.KilON    Kl     LA     I  Ol 


l'ivrosso  romani i(iiK\  ayant  \v  culte  dune  discipline  et  d'une 
hiérarchie  de  rinlellip^encc  ».  lue  içcnération  préoccupée  de 
réairir  contre  les  idoles  de  l'époque  précédente,  contre  les 
idoles  de  sa  jeunesse  peut-être;  un  li^roupe  compact  et  lié  par 
d'étroites  amitiés;  un  Massis,  un  Maiilain,  l'autorité  amie  d'un 
Père  Glérissac  n'ont  pas  été  sans  action  sur  Psichari. 

Une  jeunesse  studieuse  et  brillante,  la  vie  d'une  l'amille 
illustre,  toute  à  l'intellcctualité,  et  très  mêlée,  par  l'alFaire 
l)re\  lus,  aux  agitalions  de  son  Icmps  ;  une  sensibilité  vive, 
inquiète,  que  l'on  devine  un  peu  instable  et  parfois  excessive, 
aple  à  sp  jeter  aux  extrêmes,  —  tel  du  moins  il  m'est  aj)paru, 
dans  les  (jnclqnes  mois  que  je  l'ai  connu  à  Montpellier.  Si 
Krnest  Psichari  a  subi  d'abord  l'ascendant  de  son  milieu,  il  a 
réagi  très  vite  et  très  violemment.  L'Appel  des  Armes  témoigne 
du  désir  ardent  de  prendre  en  tout  et  partout  le  contre-pied  de 
son  père. 

Le  point  de  départ  de  sa  conversion  n'est  .pas  encore  reli- 
gieux ;  c'est  l'Appel  des  Armes.  Un  malade,  poursuivi  par 
dobscurfe  remords,  engagé  dans  le  désordre  des  sentiments  et 
des  pensées,  mais  qui  n'est  pas  fait  pour  le  doute  ni  pour  les 
blasphèmes,  veut  rompre  avec  les  sophismes,  se  défendre  contre 
le  mal,  renouer  la  tradition  de  la  race,  enfin  «  prendre  contre 
soFi  père  le  j)aili  de  ses  pères  ». 

Dans  la  vie  militaire  il  trouve  la  soumission,  l'ordre  et  la 
lidélilé  à  la  race,  l'image  de  la  France  des  (Iroisés  et  de  saint 
Louis,  ([ui  s'exaltera  plus  tard  au  contact  des  Maures.  C'est  en 
Afrique,  dans  la  retraite  de  la  nature  saharienne,  qu'il  a  pris 
conscience  de  lui-même,  qu'il  est  allé  de  l'armée  à  l'Kglise, 
<pie  le  Centurion  a  commencé  à  se  convertir. 

Dans  l'œuvre  d'Afrique  et  dans  le  paysage  africain  qui  laisse 
face  à  face  avec  l'éternité,  dans  la  tragique  horreur  des  espaces 
vides  où  l'on  sent  si  bien  le  prix  inlini  d'être  un  éclair  de  pen- 
sée, dans  la  solitude  pleine  de  vertiges,  dans  l'écrasante  cha- 
leur,   dans  le   silence,   la    voix  clame   dans  le   désert,   calme 


LA    r.ONVKIlSION  Vi'i 

volonté  do  se  t'Oii((iiorii',  de  ne  pas  résister,  dalteiidrc  sans 
iiKjuiélude.  Pas  de  crise,  lud  drame  intérieur,  iiiie  ceitiliide  que 
ce  sera  un  jour. 

Grandeur  el  misère,  seivilude  cl  lii)iilé,  dij^nilé  el  iudl- 
u:Milé,  puissance  el  impuissance,  l'érpiilibre  [)arfail  du  catholi- 
cisme ;  le  i^rand  llièmc  de  Pascal  suhjuii^ue  ce  croyant  sans  la 
foi,  ce  catholi([ue  sans  la  a:ràee,  contre  raffreuse  défçradalion 
de  la  pensée  moderne,  rabaissement  de  la  science,  la  pourri- 
turc  de  la  polilicpie,  le  désordre  de  l'art,  la  pauvreté  de  la 
morale.  Et  ce  thème  lui  apporte,  comme  une  vérité  de  raison, 
(pi'il  s'airit  de  faire  vraie  pour  le  cœur,  sans  que  lui-même  y 
puisse  rien,  la  chute  el  la  llédemption,  rincarnation,  la  (Iràce. 
ISfais  cela  est  déjà  de  Dieu  :  ehereher  Dieu,  c'est  déjà  lavoir 
tioux  é. 

(^est  alors  la  controverse  intérieure  entre  la  sap^esse  natu- 
relle et  la  sapresse  chrétienne  :  a  Mon  Dieu,  ne  m'abandonnez 
plus.  Manifestez-vous,  puisque  seul  vous  pouvez  le  faire  et  que 
je  ne  suis  rien.  »  C/est  le  raisonnement  subjugué  parle  dogme, 
rebuté  par  {c  mystère,  et  qui  s'elforce  de  trouver  dans  le  scan- 
dale et  dans  le  paradoxe  le  signe  de  la  vérité. 

Mais  chercher  Dieu  n'im[)orte  plus,  puisque  la  recherche 
(Cst  elh'-méuie  la  trcjuvaille.  11  ne  s'agit  point  de  prouver  Dieu, 
mais  de  le  rencontrer. 

«  Je  ne  vous  connaissais  pas  parce  ([ue  je  voulais  vous 
prouver,  et  maintenant  je  vous  connais,  parce  (pie  je  ne  peux 
|)lus  vous  [)rouver...  Je  vous  connais  par  ce  qui  est  incon- 
naissable en  vous,  par  vos  mystères...  Pardoune/.-moi  (ra\<)ir 
voulu  vous  connaître,  ce  (pii  ('lait,  en  (iuel([ue  manière,  ces- 
ser lie  vous  connaître.   » 

Les  diflicullés  de  l'exégèse  ne  valent  pas  conlie  ce  goùl  du 
ciel.  L  argumentation  est  vaine,  eai-  à  tout  argument  on  peut 
opposer  un  argument:  mais  (jui  connaît  l'angoisse  du  chrétien, 
(pu  ne  redoute  pas  l'absolu,  rejelaul  le  sophisme  et  l'équi- 
voipie,    les  preuves  et   les  syllogismes,   les   inductions   et  les 

23 


"3.") 5  LA   m: LU. ION   i:i'  la  foi 

«U'diR'lions,  conquicrl  ses  içrades  dans  la  l)caliliido.  El  à  ce 
dcf^iv.  la  raison,  iin})iiissante  à  prouver  et  à  comprendre, 
trouve  pourtant  des  raisons  de  croire. 

('/est  alors  l  étrange  état  d'esprit,  l'heure  trouble  de  ladenii- 
croyanee  :  «  Je  ne  croyais  pas  que  Jésus-Christ  fût  le  fils  de 
Dieu  ;  je  savais  bien  (jue  je  mentais  en  racontant  à  Sidia  son 
hisloire,  mais  j'aurais  menti  bien  davantage  si  je  n'avais  pas 
confessé  la  vérité  de  mon  Dieu.  » 

Ce  sont  aussi  des  moments  vifs,  des  minutes  ineffaçables  de 
certitude  lointaine,  de  certitude  à  terme  si  l'on  peut  dire  : 
"  Je  savais  de  toute  certitude  que  ces  besoins  seraient  satis- 
faits, (pie  ces  désirs  seraient  exaucés.  »  »  J'étais  bien  sûr 
<]ue  je  serais  un  jour  catholique...  que  les  Sacrements  sau- 
raient bien  me  donner  plus  tard  la  foi  qui  me  faisait  défaut.  » 
«  Si  Dieu  existe,  il  ne  manciuera  pas  de  me  le  faire  connaître, 
il  prendra  ma  bonne  foi  en  considération,  et  pourvoira  au 
reste.  »  «  Comme  j'aimerai,  quand  je  croirai!  Mais  je  ne 
doutais  pas*  que  la  Foi  ne  me  fût  donnée  un  jour.  » 

Des  moments  de  bien-être  étrange,  d'entrée  dans  la  béati- 
tude éternelle,  d'exaltalion  extraordinaire. 

En  quillant  l'Afrique,  il  savait  où   il  allait  :  «  J  allais  vers 
la  Sainte   Eglise...  Tout  l'ordre  chrétien  m'apparaissait.   »  Le; 
système  des  dogmes  se  déroule  à  ses  yeux  dans  une  mystérieuse 
harmonie.  L'Ame  et  l'Ecriture  conspirent  à  le   soutenir;    les 
preuves  scripturaires,  l'image  de  la  Trinité  dans  l'Ame,  la  nature 
humaine  (jui  montre  un  Dieu  perdu,  et  que  les  deux  natures 
doivent  être  mêlées  en  un  seul  être  pour  que  la  nature  humain 
soit  réconciliée  avec  la  divine.  Une  àme  éprise  de  vérité  peu 
se  complaire  a  ce  tableau,  plénitude  de  vérité,  pensée,  non  d 
liclion,  mais  de  réalité.  Mais  que  sont  toutes  ces  raisons  san 
la    grâce,  et  surtout  sans   l'Eucharistie,   qui   est    la   pierre   d 
touche?  Rien  de  plus  diflicile  à  accepter  pour  la  raison  humaine 
Et  c'est  pourquoi  la  Fraction  du  Pain  est  le  gage  de  la  eerti 
tude. 


l.A    CONVERSION  355 

A{)rôs  rAfiiciuc  et  le  retour  h  Paiis,  en  (l<'('<'ml)ic  it)i2,  ee 
-cra  le  contact  avec  l'I^glise,  les  sacrement;?,  la  vie  clnétieiine. 
La  Messe  achèvera  la  prière  et  les  sacrciiienls  la  toi. 


LA  PREPARATION  ET  LA  BRUSQUE  SYNTHESE 

liuysmans  distingue  trois  formes  de  conversion  (i)  :  le  bou- 
leversement subit  et  violent  de  l'àme,  le  coup  de  foudre:  «  la 
loi  faisant  à  la  lin  explosion  dans  un  terrain  lentement  et 
savamment  miné  »  ;  enlin  le  troisième  mode,  celui  qu  il  connaît 
])ar  sa  propre  expérience  :  «  Il  n'est  rien  survenu  et  l'on  se 
1  (Veille  un  beau  matin,  et  sans  que  l'on  sache  ni  comment,  ni 
pourijuoi,  c'est  fait.  » 

Si  Ion  prend  soin  d'ajouter  que  la  première  forme  peut  avoir 
<leux  aspects;  la  transformation  brusque,  radicale,  sans  qu'il 
-i)it  possible  de  déceler  la  préparation  antérieure;  la  même 
transformation,  mais  avec  préparation  lointaine,  et  discernable 
tout  au  moins  pour  le  psychologue,  on  a,  je  crois,  épuisé  les 
grandes  formes  de  la  conversion  et  il  ne  reste  qu'à  contempler 
les  broderies  de  la  diversité  individuelle  sur  ces  grands  thèmes. 

La  première  forme  est  probablement  assez  rare,  lorsqu'il 
s'agit  dune  vraie  conversion.  De  tels  assauts  brusques  et  irré- 
sistibles sont  bien  souvent,  connue  l'aura,  la  montée  d'une 
crise  nerveuse,  d'une  tempête  organlcjne  (jui  bouleverse  tout 
j)()ui'  lin  moment  (2).  VA  loiscpic  la  modification  porte  sur  tout 


à)  Pa^es  cathoiiijuca,  ^o. 

(a)  Voici,  par  exemple, comment  Dostoïewrski  raconte  à  .Sophie  Kowalewski. 
sa  première  atta(|ue  d'épilepsie  :  Il  était  en  exil,  1res  seul  ;  tout  à  coup 
arrive  un  ancien  ami.  C'était  la  veille  du  jour  de  Pîîques,  dans  la  soirée;  il 
l'avait  onldié;  tous  deux  passent  la  nuit  h  causer  avec  animation,  t'ontrc  son 
ami  athée  il  aflirme  sa  croyance  en  Dieu  :  1  11  y  a  un  Dieu  !  »  cria  enlln  Dos- 
toïewski  hors  de  lui. 

«  Au  même  moment  les  cloches  sonnent  les  matines  de  Pâques  à  la  volée 
et  je  nie  senlia  enj,'louli  par  la  fusion  du  ciel  et  de  la  terre,  j'ons  la  «vision 
matérielle  de  la  divinité,  elle  pénétra  en  moi.  —  Oui,  Dieu  existe,  criai-je. 
et  je  ne  me  rappelle  plus  rien  de  ce  <|ui  suivit.  ■  'Som'enirs  d'eufnticc  de 
Sophie  KoiiiilcfK'sld 


3.")(">  LA    Ri:i,IGlOiN    KT    I,.\    KOI 

lètrc  psycho-sensoriel  et  ([u'elle  persiste,  la  brusque  métanior 
pliose  (le  la  personnalité  n'est  le  j)lus  souvent  que  l'expres- 
sion cl  une  crise  biologique,  crise  de  croissance,  puberté,  invo- 
lution  sénile,  intoxication,  infection. 

Dans  bien  des  cas,  du  reste,  on  parvient  à  déceler  la  prépa- 
ration lointaine  :  Ilermann  ('ohen,  qui  devint  le  Père  Augus- 
tin-Murie,  cutun  jour,  en  assistant  à  la  messe,  une  crise  de  larmes 
et  de  remords  ;  soudain  et  «  comme  par  intuition  »  il  se  lit  en 
lui  comme  une  confession  générale.  Il  sentit  que  Dieu  lui  faisait 
grâce  et  qu'il  était  chrétien.  Mais  depuis  quelque  temps  déjà  il 
désirait  s'instruire  de  la  religion  catholi(|ue  ;  un  prêtre  lui  avait 
remis  l'Exposé  de  la  Doctrine  chrétienne  de  Lhomond.  Et  si 
Ton  recherche  dans, ses  antécédents  plus  lointains,  on  voit  (pie 
l'élève  brillant  de  Liszt  retrouvait,  quand  il  pénétrait  dans  les 
églises,  quehpic  chose  de  l'émotion  profonde  (pi'il  éprouvait 
jadis,  (juand,  à  la  Synagogue,  le  rabbin  maniait  avec  solennité 
le  rouleau  des  Ecritures.  La  voix  de  l'orgue  produisait  en  lui  un 
tel  ébranlement  qu'on  lui  interdit  de  toucher,  de  cet  instrumenl. 
Dirigeant  une  messe  en  musique,  une  singulière  émotion  le 
saisit  et  plusieurs  fois  de  suite,  au  moment  de  la  bénédiction  du 
Saint- Sacrement. 

Beaucoup  de  faits  dépouillent  ainsi  leur  apparent  mystère 
devant  la  curiosité  du  psychologue.  Il  est  bien  difficile  à  ce 
dernier  de  ne  point  cherciier  une  préparation  lointaine  ;  com- 
prendre et  expli(|uer,  c'est  ramener  à  ce  ({ui  était  déjà  ;  l'aban- 
don de  la  notion  de  virtualité,  de  puissance  est  la  mort  de  l'ana- 
lyse. Le  psychologue  a  l'amour  de  la  causalité. 

Mais  il  doit  avoir  le  sentiment  du  devenir;  les  faits  eux- 
mêmes  contraignent  d'admettre  (jue  tout  développement  psycho 
logi({ue  dépasse  à  tout  moment  ses  éléments  constitutifs.  Toute, 
synthèse  est  créatrice,  en  ce  sens  que  la  composition  ajoute 
aux  éléments  qui  la  constituent;  et  il  y  a  un  point,  dans  toute 
synthèse,  celui  (jui  est  proprement  syntiiéticjue,  oîi  tout  se  fait 
subitement;  comme  une  solution  qui  brus([uement  cristallise. 'î 


LA    CONVKUSION  35'j 

Des  laits  c'onmu'  riiiveiilion,  la  passion,  It'moij^nciil  de  la 
réalité  de  ces  brusques  apports,  de  ces  décisions  inattendues, 
(le  ces  coups  de  foudre,  de  ces  ehanp^emcnts  instantanés  et  irré- 
sistibles (I).  Dans  l'éclat  de  certaines  passions,  toute  lànie  tout 
dun  coup  se  réalise.  Nous  avons  étudié  plus  haut  dans  quelles 
conditions  la  constitution  psychologique  admet  de  telles  inva- 
sions cl  de  telles  Iransfoiinations.  A  ces  conditions  profondes 
(jui  viennent  du  fond  du  sujet,  il  faut  ajouter  l'influence  de 
certains  moments  organiques  privilégiés,  état  de  bien-être, 
d'euphorie,  ces  étals  dont  Maine  de  Biran,  (jui  les  connaissait 
bien,  demandait  s'ils  étaient  du  corps  ou  de  la  grâce,  qui 
peuvent  éclater  de  façon  inattendue  et  qui  donnent  aux  impres- 
sions morales  concomitantes  une  autorité  singulière;  de 
certaines  sensations  organiques  troublantes,  frissons,  spasmes, 
-inglots;  de  certaines  sensations  fraîches  et  pénétrantes:  une 
Noix,  un  chant,  une  lumière  ont  parfois,  dans  ces  descriptions, 
un  éclat  étrange,  une  puissance  fascinatrice  (2)  ;  la  concen- 
tration de  l'attention,  entin  la  forte  suggestion  des  doctrines, 
des  groupes  eonslilués,  des  foules,  de  l'exemple  et  la  i)erlide 


'I  \Vkj,ls  décrit  fort  bien  'Les  A/iiis  /lassioniu's.  p.  217)  un  l)rusquc  et 
total  chaii<,'enient  de  dispositions  alIVotives,  analo-jfuc  à  une  conversion  : 

•<  J'étais  sorti  lioninic  ni)atliique  et  niiséralde  de  mon  hôtel  de  Vevey.  .]  \ 
rentrai  avec  l'esprit  •jnéri  et  une  volonté  retrouvée. 

«  Ce  l'ut  tout  à  fait  inattendu.  J'eus  l'impression  qu'un  nuajje  noir  cjui 
«•tait  au  dessus  de  moi  s'évanouissait.  C'est  comme  si  on  sautait  hors  dun 
Irou  ^  ers  une  immensité. 

«  C'était  une  vision  nouvelle  de  la  vie,  de  liberté  et  de  clarté.  »  —  «  C'était 
«"«•rame  si  la  {grande  tranquillité  «jui  est  derrière  et  au-dessus  de  tout,  autour 
du  mon<le  des  sensations,  communiquait,  en  (juehjue  sorte,  avec  moi.   > 
2    Di-;  (^)riNr.i:v  [Lilcrary  lleminisccnces,  eh.  xv)    rapi)orte  de  AVoodworlh 
une  curieuse  oitservation  : 

«  J'ai  souvent  remar<|ué  (jue  lors(|ue  notre  attention  a  été  éner^'i<nicnient 
tendue  dans  le  sens  d'une  observation  (|uelconf|ue  et  d'une  attente 
passionnée,  si,  au  moment  où  elle  commence  à  s<'  dt-lendre,  un  bel  objet 
nous  frappe,  il  nous  subjugue  d'une  favon  toute  particulière.  Ainsi  lanlùt 
j'étais  là,  l'oreille  contre  terre,  à  guetter  le  bruit  des  roues  (attendant  le 
courrier  qui  apporte  Ic-i  nouvelles  de  guerre;.  Puis,  lorsepi'il  m'a  fallu 
abandonner  tout  espoir,  au  moment  où  mon  attention  conimenvait  à  se 
relâcher,  je  me  suis  levé  pour  le  retour,  une  étoile  brillante  a  somlain 
frappé  ma  vue  et  ma  pénétré  d'un  sentiment  de  l'intini,  mais  intense  et  tel 
que  je  ne  l'aurais  pas  éjirouvé  dans  d'autres  circonstances.    ■ 


358  LA  KKi.KiioN  i:t  la  foi 

attirance  de  cela  même  contre  quoi  l'on  so  défend.  Tu  quis  es? 
Ne  serais-tii  pas,  au  fond,  cela  mcme  (jue  tu  ne  veux  pas  être, 
(jue  lu  n<'  crois  pas  un  luoincnt  (pic  lu  sois? 


La  pluparl  du  Icmps,  la  conversion  ne  fait  qu'ouvrir  une 
voie.  Il  faut  se  vaincre  en  détail,  après  s'être  vaincu  en  bloc  ; 
s'assimiler  totalement  la  vie  spirituelle.  Ce  peut  être  un  lone^ 
travail  monotone  et  régulier  :  ce  peut  être,  par  saccades,  un 
rafraîchissement  de  l'expérience  primitive  de  la  conversion  ; 
une  renaissance  de  l'enthousiasme. 


*     * 


L'impression  de  transcendance  est  en  raison  inverse  du  rôle 
de  la  volonté.  Les  deux  sentiments,  action  volontaire,  influence 
supérieure,  peuvent,  du  reste,  se  mêler  étroitement.  A  côté  de 
la  volonté  nette  et  formulée,  il  y  a  le  développement  insidieux 
et  secret  du  thème  qui  se  maintient  par  une  sorte  de  compli- 
cité inavouée  ;  il  y  a  les  détentes  brusques  et  longues  oii  les 
résultais  de  la  préparation  volontaire  apparaisseut  avec  une 
exubérance  et  une  intensité  qui  semblent  la  dépasser  et  de 
beaucoup  ;  il  y  a  enfin  ces  apports  inexplicables  où  la  volonté 
est  absente  et  où  la  nature  ne  se  reconnaît  pas.  Mais  ces  dons 
surnaturels  sont  souvent  ex[)loités  par  le  sujet.  Il  se  précipite 
pour  les  retenir  et  les  maintenir.  Dans  la  plupart  des  conver- 
sions, il  y  a  plus  de  travail  qu'on  ne  croit,  et  bien  souvent  une 
tension   volontaire  continue  et   qui  intervient  puissamment. 


I..V  i:()Nvi;itsio.N  .       35<) 

C'esl  sonvcnl  iiiic  décision  du  siijcl  (jiii  lô^Hc  loiil  (i).  (iCsl 
souvi'iil  sa  voloiUi'  (jui  le  fail  avancer  envers  el  contre  Ions,  à 
travers  les  hésitations  de  l'Ame,  comme  on  marclie  malgré  la 
lassitude,  à  travers  la  détresse  et  le  désespoir.  .1  avance  en 
dépit  (le  mes  ehntes  ;  «  môme  s'il  me  frappe,  je  ven\  croire  en 
lui.  » 

INTELLIGENCE     ET     CONVERSION 

Noms  retronvons,  dans  la  conversion,  les  motifs  sons-jacenls 
à  la  foi,  l'autorité,  la  tradition,  la  règle,  la  puissance  des 
rites  ;  le  sentiment,  la  raison.  Il  y  a  des  conversions,  par 
exemple  des  conversions  de  protestants  au  catholicisme,  par 
hesoin  d'autorité  et  d'unité  (a);  par  besoin  du  ritualisme,  par 
la  suggestion  du  culte  (3).  Le  rôle  de  l'intelligence  est  si  souvent 
mis  en  doute  qu'il  convient  de  s'y  arrêter  un  peu. 

11  est  certain  que  l'argumentation  ne  sullit  pas.  On  peut  être 
persuadé,  convaincu,  sans  se  convertir.  11  faut  que  quelque 
chose  s'ajoute  au  raisonnement  pour  lui  donner  toute  son  efli- 
cace  (4). 

C'est  hien  ce  que  nous  disions  de  la  foi  et  de  ses  préam- 
bules. La  foi  n'est  pas  simplement  assentiment  logique,  même 


i)  "  On  s'iiiia^in»' (|u  il  est  nécessaire  d'avoir  dissipé  tous  les  doutes  avant 
lie  Irancliir  le  dernit-r  pas;  an  contraire,  il  faut  l'aire  le  plonfîeon  pour  en 
arriver  à  tout  voir  et  à  tout  eoni|)rendre.  »  ^Latiy  Heriieht  of  Lra,  Comment 
j'i'iitrtti  au  bercail,  cilé  dans  le  Sillon,  lo  mars  i}<<)><.)  —  Le  jxère  Hyacinthe 
décrit  (IIoiTiN,  Le  jtère  Ilyaciiillte  dnns  l'Eglise  ronniinc,  <)i  :  «  ces  (Inclu.itioMs 
de  la  pensée  et  du  sentiment  ijui  .sont  comme  le  bulletin  d'une  maladie  et 
qui  n'excluent  pas  une  fjran<le   Cernietç  dans  la  voie  inlérieui-e.  " 

2    .4  Motlfrn  l'ili^rim  l'rof^^ress,  i;(o<>. 

■{  l'éguy  écrivait  :  «  Je  suis  de  ces  calholii|ues  <|ui  donneraient  tout  saint 
Tliouias  pour  h-  .Salut,  le  Mni^^ni Jicaf,  l'.Ur  Marin  et  le  Sah'e  Résina.    ■ 

14  Voir  le  cas  de  Lamennais,  M.vnKCHAL,  86.  —  Voir  Mainagk,  .")5  :  ><  Je 
auis  persuadé  de  la  vérité  du  catholicisme  ;  je  sens,  de  plus,  qu'il  me  donne- 
rait la  paix  el  la  joie  de  vivre  f|ue  je  n'ai  pas;  je  vouilrais  ardemment  pouvoir 
dire  du  fond  du  ccvur  ce  mot  :  <>  l)f)nnez-moi  le  baplènie.  »  et  je  ne  le  puis 
pas.  Il  mancpic  à  ma  volonté  d'être  chrétien  quelque  chose  (juc  je  ne  com- 
prends pas  ..  J'ai  en  moi  un  obstacle  obscur,  un  man(|ue  «le  je  ne  sais  quoi.  • 
Le  même  auteur  cite  7'J)  le  cas  de  Thayer,  minisire  [)rotestanl.  qui  commeni;a 
par  se  convertir  intellectuellement  :  «  Mon  esprit  était  convaincu,  njais  tuon 
c«eur  n'était  pas  change.  ■ 


3(>0  LA    KKI.KllON    ET    I.A    FOI 


l()rs(ni'ollo  repose  sur  rasseutinieiil  logique.  Elle  est  adhésion 
totale  :  on  va  de  tout  sou  être  et  de  toute  sa  vie  à  un  système 
de  vérité,  qui  est,  en  même  temps,  un  système  de  conduite; 
parfois,  eonmie  chez  les  eatlioli(pies,  avec  une  nuance  d'obéis- 
sance intellectuelle.  Les  motifs  de  croire  provoquent  de 
mouvements  dame,  <pii  les  débordent  singulièrement. 

Mais  ceci  dit.  beaucoup  de  convertis  subissent  la  force  de 
la  vérité  : 

«  Que  les  faibles  se  nourrissent  des  plus  nobles  rêves!  Luij 
il  veut  la  vérité  avec  violence.  Il  est  saisi  par  la  noble  ivress 
de  lintelligence,  et  cette  lièvre  despril  le  travaille,  d'aller  à 
la  véritable  raison,  à  celte  assurance  très  sereine  delà  raisoni 
bien  assise.  »  (i)     ^ 

L'illumination,  sans  explication  remplace  chez  certainî 
convertis  toute  enquête  rationnelle  ;  mais  chez  d'autres,  elle  la 
dirige  ou  la  suit.  L'Apologétique  oflicielle  des  religions  n'es 
pas  entièrement  dénuée  d'effet  (2)  ;  et  chaque  aspirant  s'y  taill 
son  apologélicpie  personnelle.  C'est  pourquoi  la  théologi 
a])()logétique  change  de  modes  et  de  goûts  à  un  point  qu'on  n 
retrouve  j)as  dans  la  théologie  proprement  dite,  car  elle  es 
essenliellement  un  effort  pour  adapter  la  religion  aux  tendance 
courantes  de  la  pensée. 

On  retrouverait  ici  les  deux  formes  de  démonstration  qu 
nous  avons  distinguées  à  propos  de  la  foi;  la  démonstralioi 
intrinsèque,  portant  sur  l'ensemble  ou  sur  les  détails  du  con 
tenu  de  la  Foi  ;  la  démonstration  extrinsèque.  Dans  le  premiei 
cas,  on  voit  souvent  que  l'admission  d'une  croyance  entraîne 
tout  le  reste. 

Le  rôle  de  la  démonstration  logique  dans  la  conversion  es 
(1  autant   plus  grand  que  ce  qui  est  en  cause  apparaît  commi 


II    Ernest  PsicirAia,  le  Voyage  du  flentarion,  p.  2;j4 

(21  Encore  <|ue  de  Ijons  juges  doutent  de  ces  etrets;  saint  Vincent  de  Paul 
cité  par  Aisklly,  281,  disait  qu'il  n'avait  jamais  vu  ni  entendu  «  qu'aucun  héréi 
tique  eût  été  converti  par  la  suittilitc  d'un  argtiuient,  mais  bien  par  \t 
douceur  et  par  Ihumilité    >. 


LA  i:o.Nvi:nsio.\  36î 

une  qiicslion  de  vérité:  par  exemple,  quand  il  s'agit  (!<'  passer 
d'une  eonfession  à  une  autre  eonfession  voisine,  l'ensemble 
lelijîieux  étant  à  peu  près  le  même,  mais  certaines  doctiines  ou 
certains  moyens  de  démonstration  étant  mis  en  discussion  ;  ou 
t  iieore  aux  époques  où  la  notion  de  vérité,  fortement  établie  et 
douée  d'un  haut  prestige,  s'impose  aux  esprits  ;  ou  encore  chez 
des  intellectuels  qui  ne  peuvent  pas  s'alïranchir  d'une  telle 
l)réoccupation. 


* 


Tatien  s'est  converti  au  cliristianisme,  parce  que  cette  philo- 
sophie barbare,  comme  il  disait,  lui  sendjlait  expliquer  l'origine 
du  monde.  (  leorges  Dumesnil,  ayant  entrepris  à  sa  mode  ce  que 
Diderot  aj)pelait  «  l'histoire  de  Dieu  »,  fut  fort  surpris  de 
reconnaître  par  raison  que  le  concept  de  la  Trinité  chrétienne 
comblait  d'une  richesse  infinie  tout  ce  que  l'intelligence 
humaine  avait  pu  pressentir,  et  qu'il  se  présentait  à  elle  comme 
un  bloc  de  diamant  oii  elle  ne  saurait  trouver  une  fissure  (i). 
Dulilleul,  qui  a  étudié  un  groupe  de  convertis  de  1098  à  1660, 
rencontre  surtout  des  conversions  de  type  intellectuel  ;  des 
conversions  laborieuses  de  huguenots  au  catholicisme  (2).  L'idée 
(U'  la  conversion  paraît  et  rencontre  une  forte  résistance  ;  il  y  a 
(le  longs  débats  intérieurs.  T/idée  revient;  enfin  le  sujet  s'aper- 
«oit  (pie  ce  (pi'il  estimait  auparavant  être  constance  et  fermeté 
Il  était  qu'opiniâtreté.  C'est  aussi  pour  des  motifs  tout  à  fait 
intellectuels  (pu'  Ramsay  passe  du  déisme  au  catholicisme  (3). 

Bayle  à  vingt-deux  ans  (i()()())  (piitte  le  pr()testanlisnu\  la 
lecture  des  livres  de  controverse  l'ayant  rempli  de  doulc-  «^ur 
sa  religion.  Son  catholicisme  dure  dix-huit  mois. 


(i    Mainac.e,  'feinoins  du  renouveau  cathoUr/nc 
(2    DiTiLLEii-,  Convertis  et  npoftiafs.  {lîlnde.t  i<)i<) 
i3    (".nKiiKL,  Fénelon  an  xviii'  siècle,  4:'>  t'I  suiv. 


3()-.)  LA    UKl.KilON    ET    LA    FOI 


Les  objeclious  catholiciucs  (|iii  lui  firent  ahaiulonner  la  loi 
ilv  (.alviii  portaient  contre  le  dofçnie  «  (|ui  ne  reconnaît  sur  la 
terre  aucun  jui;e  parlant,  aux  décisions  duquel  les  particuliers 
soient  ol)li}?és  de  se  soumettre,  ([uand  il  arrive  des  disputes 
sur  le  fait  de  la  relij?ion  »  (i). 

<•  Le  culte  excessif  qu'il  voyait  rendre  aux  créatures  lui 
ayant  paru  très  suspect  et  la  philosophie  lui  ayant  fait 
mieux  comprendre  rinq)OSsibililé  de  la  transsubstantiation, 
il  conclut  qu'il  y  avait  du  sophisme  dans  les  objections 
auxquelles  il  avait  succondjé  ;  et,  faisant  un  nouvel  examen 
des  deux  religions,  il  retrouva  la  lumière  qu'il  avait  perdue, 
et  la  suivit,  sans  avoir  égard  aux  mille  avantages  temporels 
dont  il  se  privait.  »  {'i) 

Ulrich  Zasius  se  détourna  de  Luther  à  cause  de  l'autorité  du 
pape  dont  il  avait  étudié  les  bases  comme  juriste,  et  de  la 
négation  du  mérite  des  œuvres;  Auerbach,  à  cause  de 
la  doctrine  de  la  .justification  et  du  primat  de  l'évêque 
romain  (3j. 

Vers  la  lin  de  juin  iHSf),  Newman,  depuis  longtemps  engagé 
dans  la  Via  mcdUi,  méditait  sur  l'histoire  des  Monophysites.  Il 
se  demanda  brusquement  si  les  Anglicans  n'étaient  pas,  par 
rapport  à  l'Eglise  universelle  et  au  siège  de  Rome,  dans  la 
même  situation  que  ces  héréli(|ucs  d'Orient  :  «  Similitude  ter- 
rible, d'autant  plus  terrible  qu  elle  était  muette  et  impassible, 
entre  les  annales  mortes  du  passé  et  la  chronique  fiévreuse  du 
présent.  » 

Securus  judlcal  orbis  terrarum.  La  parole  d'Augustin 
contre  les  donatistes  peu  après  le  frappait  avec  une  puissance 
extraordinaire.  Cétait  comme  le  Jolie,  lege  :  le  premier  assaut 
<ln  romanisme. 


i 


'I    La  Ckiinère  de  la  cabale  de  lîoltçrdaia  (Œuvres  diverses,  II,  739). 

2i  Ibid.  Il  est  vrai  quil  écrit  dans  une  lettre  à  Pinsin  (Dksmaizkaux,  \'ic 
de  llnyle,  p.  2,  n.  a)  :  «  Les  [iremiêres  imi)ression.s  de  l'éducation  ayant  rcgagn<- 
le  dessus,  je  me  crus  obligé  de  rentrer  flans  la  religion  où  j'étais  né.  « 

({   Ghisak,  Luther,  II,  676. 


LA    CONVEUSION  363 

Avec  le  temps,  son  IrouMe  s'apaisait;  il  décidait  de  se  métier 
des  émotions,  de  suivre  sa  raison  plus  (jue  son  imagination.  Si 
la  suirp^estion  venait  d'en  liant,  elle  reviendrait  cl  plus  forte- 
ment. Après  quelques  semaines  de  trouble,  il  crut  se  retrouver 
dans  ses  anciennes  convictions;  mais  «  j'avais  vu  l'ombre 
dune  main  sur  la  miu'aille;  celui  qui  a  vu  un  esprit  ne  peut 
être  comme  s'il  ne  l'avait  pas  vu.  ■) 

Au  cours  de  l'été  tS'Ji,  «  le  fantôme  lui  apparut  une 
seconde  fois  ».  Mais  alors  (ju'il  désespérait  de  son  Eglise  et  se 
sentait  de  plus  en  plus  disposé  à  voir  dans  l'Kglise  de  Rome 
la  véritable  Eglise,  il  ne  sentait  pas  l'obligation  de  s'y  joindre  : 

«  J  avais  été  gravement  tronqué;  comment  pouvais-je  être 
sur  de  ne  pas  l'être  une  seconde  fois?  Quelle  preuve  avais-je 
(pie  je  ne  cliangerais  i)as  encore,  lorsque  je  serais  devenu 
catlioli(iue?  J'avais  toujours  cette  appréhension,  tout  en 
croyant  (ju'un  temps  viendrait  oîi  elle  se  dissiperait.  » 

Mais,  daus  ce  doute,  il  ne  se  sentait  pas  en  sûreté.  En  i84'3,  il 
trouva  sa  doctrine  de  la  Vie  des  dogmes.  L'obstacle  était  levé. 
Les  dogmes  qu'il  reprochait  au  catholicisme  comme  des  cor- 
ruptions de  la  foi  priuiitive  n'en  étaient-ils  pas  le  développe- 
ment régulier?  A  la  lin  de  i845,  toutes  ses  incertitudes  cessè- 
rent. 

Ainsi,  il  s'était  soumis  à  l'Eglise,  par  un  long  travail  de 
discussion  avec  soi-même,  et,  comme  il  dit.  «  sans  avoir  subi 
riniluence  d'aucun  catholique  vivant,  sans  avoir  mis  le  pied 
dans  une  église  cath<)li<[ue,  ni  vu  la  ligure  d'un  prêtre  catho- 
lique »  (i). 

De  même  Frédéric  Kiiisman.  évêue  de  Delaware,  fut 
raujoné  à  l'Eglise  romaine  par  le  problème  de  la  légiliniilé  de 
l'Anglicanisme  et  par  ses  doutes  sur  la  validité  des  ordinalious 
anglicanes;  il  se  détacha  du  protestantisme  conmie  d'une  écpii- 


(ii   Ni;\\MAN,  .\i)ologie.  Lettres.  — Tiiihkau-Daxc.in,  Renaissance  catholique 
en  Anv^li-lfrre,  I,  i8o  el  suiv. 


364  •  -^    nELKWON    ET    LA    KOI 

vo(iue  cl  (1*11110  incohrri'uce.  Mais  en  même  temps  il  souHiait 
(lu  (.  fi'oid  du  protestantisme,  et  sa  dt'votion  pour  la  piH'Scnee 
réelle  l'inelinail  à  la  liturgie  eallioli(iue  et  à  la  ilévotion  euc|ia- 
rislique  »  (i). 

L'INFLUENCE 


«  La  conversion  de  (juek[u'un  qu'on  aime  est  un  appel  ».  (2) 
Le  prestige  de  Claudel  a  récemment  entraîné  au  catholicisme 
tout  un  groupe  d'amis.  Il  en  a  toujours  été  de  même  dans  tous 
les  cénacles. 

L'exemple  du  personne  chère  souvent  pénètre  , peu  à  peu  la 
vie  et  fait  fondre  Içpposition.  Le  journal  si  curieux  et  si  rafliné 
d'Elisabeth  Leseur  le  montre  bien  (3).  Cette  femme  du  monde, 
si  ardemment  et  si  suavement  catholique,  avait  pour  mari  un 
médecin,  mondain  et  incrédule,  (jui  chercha  à  la  converlir. 
Mais  en  la  voyant  très  malade,  et  qui  puisait  dans  sa  foi  sa 
belle  force  morale,  il  cessa  ses  instances.  Son  étonnement 
devint  du  respect,  puis  de  l'admiration.  Ayant  accompagné  sa 
femme  à  Lourdes  avec  l'idée  de  conlirmer  de  ses  yeux  l'image 
que  lui  en  avait  fournie  le  livre  de  Zola,  il  ne  sentit  s'éveiller 
que  de  la  sympathie  pour  les  manifestations  pieuses  dont  il  était 
le  témoin.  Il  emport  a  une  inoubliable  impression  d'Elisabeth 
en  prière  au  pied  de  la  croix. 

Il  était  toujours  rationaliste,  mais  l'action  d'Elisabeth  devint 
toujours  plus  forte  et  surtout  au  cours  de  sa  dernière  maladie.] 

Après  sa  mort,  la  lecture  de  son  testament  spirituel  opér 
en  lui  une  révolution  morale.  Il  comprit  le  sens  de  cette  cxis^ 
tence  et  commença  à  apprécier  la  splendeur  de  la  foi  dont  il 
avait  constaté  de  si  merveilleux  effets  :  «  Je  sentis  Elisabeth] 


it 

I 


(i)  Hatiffol,  La  Conversion  d'un  évèque    Correspondant,  ^â  déceiiiltrt'  1920I 
(2    De  Boudeu,  cité   par    Maixagk,  Les  témoins  du  renouveau   catkoliqi 
p.  81. 

i3.,  Journal  et  Pensées  de  chaque  jour,  Paris,  de  (ligord,  i<)i!0. 


LA    C.ON'VKUSION  365 

disparue  en  apparence,  venir  à  moi,  nie  dirijçcr.  »  Et,  comme 
elle  avait  dil  (pi'il  se  convertirait  i^ràcc  à  son  sacrifice,  cette 
aflirmalion  aii^il  aussi. 

Il  désira  connaître  le  catholicisme  et  se  convertit. 

(Quantité  de  cas  de  ce  genre  pourraient  avoir  pour  épigraphe 
cette  pensée  d'Elisahelh  Leseur  :  «  Les  idées  grandes  ou  saintes, 
les  convictions  [)rorondcs  ont  souvent  pour  véhicule  auprès  des 
âmes  le  charme  et  l'influence  personnelle  de  ceux  qui  les  repré- 
sentent »  (i)  ou  encore  :  «  Être  une  influence  sans  être  une  pro- 
fession de  foi  ». 

(irande  est  l'influence  d'une  chère  image,  qui  n'est  plus. 
Transfiguré  par  la  mort  et  médité  par  le  vivant,  un  tel 
fantôme  hante  puissamment.  Dans  son  témoignage  d'un 
converti,  Cihéon  rapporte  le  déhut  de  sa  conversion  à 
son  ami  Dupoucv,  dont  il  subit  rol)session  depuis  qu'il  a  été 
tué  sur  l "^  ser. 

«  .le  n'ai  pas  le  bonheur  de  croire,  mais  Dupouey  a  fait  ce 
«  miracle  ([u'il  ma  déjà  rouvert  les  portes  de  la  foi;  je  crois 
(«  passionnément  à  son  éternité  et  à  sa  glorification  céleste  ;  je 
«  coinmuni(jue  avec  lui,  et  par  lui  avec  un  au-delà  qui  se  pré- 
«  cise  mal  encore,  que  mon  esprit  ne  réalise  pas  ainsi  que 
«  le  voudrait  mon  cceur,  selon  ce  qui  nous  est  enseigné.  Mais, 
«  de  cette  espèce  de  grâce,  incomplète  et  déjà  si  douce,  je  voue 
('   une  reconnaissance  émue  au  cher  grand  Dupouey  »  (2). 

Ccs[  souvent  à  une  personne  que  Ton  se  convertit,  au  moins 
autant  qu'à  une  Eglise.  Le  Père  Loyson,  à  Rome,  convertit  plu- 
sieurs dames  au  catholicisme  dont  il  était  en  train  de  se 
détacher.  M'"*  Mallet  lui  reprocha  de  présenter  à  ses  péni- 
tentes limage  du  catholicisme  de  ses  rêves  pour  les  faire 
entrer  dans  une  Eglise  (pii  était  Tantithèse  de  ces  rêves  (^3  . 


(I    Jonrndl.  ir>S. 

a'.  fiUKoN,  Témoignage  d'un  converti,  n<). 
l3    IIoni.N.  Le  l'ère  Hyacinthe,  aoO,  n. 


360  LA  TllM.K'.ION  KT  I.A  KOI 


LES  CIRCONSTANCES  FAVORABLES 

Les  religions  nationales  n'ont  pas  de  convertis,  puisque  la 
religion  et  la  nationalité  sont  confondues;  elles  admettent 
pourtant  des  affiliés,  des  auxiliaires.  Le  judaïsme  avait  les 
prosélytes  de  la  porte. 

Mais  elles  ont  des  convertis  du  dedans,  des  fidèles  que 
saisit  un  réveil  de  foi  et  de  ferveur. 

Les  milieux  les  plus  favorables  à  la  conversion,  comme 
passage  dune  religion  à  une  autre,  sont  donc  ceux  ou  la  reli- 
gion se  dissocie  d'avec  la  nationalité;  le  contact  des  peuples 
et  toutes  les  conditions  historiques  qui  favorisent  le  syncré- 
tisme religieux;  le  prestige  particulier  de  tel  ou  tel  groupe  reli- 
gieux, prestige  religieux  ou  social;  et  l'abaissement  de  tel  ou 
tel  autre;  par  exemple,  la  cluite  des  cultes  des  cités,  que  les 
dieux  avaient  mal  protégées;  les  époques  oii  les  misères  et  le 
désarroi  confèrent  à  une  organisation  religieuse  un  rôle  privi- 
légié ;  Halévy  a  bien  montré  que  le  Réveil  de  Wesiey  est  soli- 
daire d'une  grave  crise  industrielle;  la  ferveur  religieuse  est 
bien  souvent  une  compensation  aux  maux  d'un  temps. 

La  propagation  d'une  foi  dépasse  le  cadre  des  conversions 
individuelles.  L'ne  société  religieuse,  à  ses  origines,  les  suscite 
autour  d  elle  par  l'activité  générale  du  groupe,  par  la  puissance 
de  l'exemple,  par  ses  institutions  naissantes;  puis  vient  l'acti- 
vité missionnaire.  L'Islam  se  propage  encore  dans  l'Afrique 
centrale  par  ses  missionnaires,  et  par  des  créations  de  villages, 
peuplés  de  convertis  amenés  du  dehors,  par  l'école,  par  les 
(cuvres  de  charité,  par  le  mariage,  par  l'achat  d'enfants  païens, 
par  la  supériorité  de  l'état  social  et  économique,  par  les 
raisons  politiques. 

La  conversion  à  l'intérieur,  lorsqu'elle  se  produit  en  mass( 
et  non  pas  seulement  par  cas  sporadiques,  a  pour  condiliont 
les  raisons  que  nous  avons  examinées  plus  haut,  et  qui  favo- 


TA    C<)N\  KIISION  3O7 

risent  les  réveils  religieux  :  l'état  plus  ou  moins  concentra-  de 
la  société  relit^ieuse,  et  les  raisons  (|ui  ronf'oieent  sa  concen- 
hation:  les  causes  économiques,  j)(^lili(jiies,  inleliccluelles, 
«[iii  jteuviiil  l'obliger  à  l'aire  front.  On  revient  à  elle,  par 
contagion  des  mouvements  puissants,  par  besoin  de  icloiii-, 
par  insalisl'action  ailleurs:  c'est  donc  qu'on  sentait  le  besoin 
du  salut  et  du  bien-être  et  qu'on  a  découvert  l'insuflisance  des 
moyens  que  l'on  employait  jusque-là;  ou  bien  que  brusquement 
«lie  a  fait  naître  ces  besoins,  latents  jusque-là,  et  promis  de 
les  réaliser. 

Ainsi  sont  attirés  les  tièdes.  les  indidércnts,  les  hostiles. 
'  Ces  vingt  dernières  années  ont  vu,  dans  la  bourgeoisie  intel- 
lectuelle, un  groupe  compact,  homogène,  revenir  au  catholi- 
cisme. Dégoût  de  l'anarchie  intellectuelle  et  morale,  disent 
tous  ceux  (jui  ne  voient  point  ce  qu'il  y  a  d'elïort  vers  l'orga- 
nisation dans  la  société  contemporaine.  Dégoût  de  l'intellec- 
tualisme, formel  et  vide,  disent  tous  ceux  qui  n'admettent  pas 
la  souveraineté  de  la  raison.  Mais  peut-être  aussi  alï'aiblisse- 
ment  des  exigences  du  sens  critique,  des  scrupules  de  la 
pensée  en  matière  de  vrai  et  de  faux,  du  sentiment  de  la 
rigueur  implacable  de  la  vérité.  Ily  a  un  peu  d'impressionnisme 
«sthétique  dans  le  procès  de  l'intelligence. 

C'est  à  des  doctrines  de  bonheur  social  que  se  convertis- 
sent religieusement,  dans  les  conditions  sociales  oii  nous 
sommes,  ceux  (|ui  ont  à  besogner  i)our  vivre. 

Parmi  ceux  qui  n'ont  pas  à  besogner  pour  vivre,  beaucoup 
soulfrent  d'ennui  cl  d  inutilité.  Ils  n'ont  plus  à  se  disputer  les 
faveurs  d'un  roi,  ni  ses  inclinations  à  ('tudicr:  l'arrivisme  n  a 
rien  de  l'ascinateur;  la  ploutocratie  excite  faiblenu'ut  les  apti- 
tudes à  l'honneur,  au  sacrifice  et  à  l'enthousiasme.  Si  la  vie 
sociale  ou  domestique,  l'art  ou  la  science  ne  suffisent  pas  à 
leur  cœur,  s'ils  ne  voient  autour  d'eux  que  motifs  d'indignation 
ou  d'ironie,  ils  se  rejettent  vers,  les  idéaux  du  passé,  vers  le 
<?ulte  de  la  «  tradition  ».  Beaucoup  deviennent  de  ces  croyants 


3('>8  LA    RKI.IC.ION    ET    I.A    KOI 

oppoiluiiistos  (jnc  nous  avons  déjà  ('Uulios.  Dautrcs  sombrcnl 
dans  1  anarchie  de  la  pensée,  dans  le  désordre  égoïste,  l'exas- 
})»  ration  du  moi,  el  s'en  relèvent  parfois  par  un  sursaut,  qui 
est  une  conversion. 

Tontes  les  fois  (ju'il  y  a  mal  du  sièele,  c'est-à-dire  qu'une 
voie  ouverte  aux  activités  se  ferme  ou  déçoit,  toutes  les  fois 
(piil  y  a  ennui,  au  sens  où  Stendhal  prenait  ce  mot,  la  religion 
s'olfre  comme  un  moyen  de  stimuler  la  sensibilité  défaillante, 
d'exciter  l'activité  endormie.  Oii  vient  à  elle  avec  passion  et 
on  lui  demande  le  salut,  ou  bien  on  tourne  autour  d'elle  en 
dilettante,  on  la  traite  en  objet  d'art,  en  curiosité,  en  évocatrice 
d  iniagres. 


La  conversion  se  double  presque  inévitablement  d'un  chan- 
gement de  groupe.  C'est  même  une  des  choses  qui  retiennent 
souvent  les  demi-convertis,  que  la  nécessité  de  rompre  avec 
une  famille,  des  amis,  des  habitudes,  ou  tout  au  moins  de 
perdre  leur  familiarité  et  leur  estime.  Changement  d'àme,  elle 
est  aussi  changement  de  milieu. 


L'INITIATION    ET    LA    CONVERSION 

Il  y  a  dans  linitiation  deux  principes  qui  entrent  parfois  en 
conllil;  un  principe  psychologique  :  l'adhésion  personnelle,  qui 
conduit  aux  formes  volontaires  et  tardives  d'initiation,  qui 
ressend>lent  par  certains  traits  à  la  conversion;  un  principe 
social,  l'agrégation  au  groupe,  qui  peut  pousser  à  des  formes 
|)récoces  d'initiation,  —  comme  le  baptême  des  tout  jeunes 
enfants  — ,  oii  l'individu  n'est  i)oint  consulté  et  n'éprouve  rien 

Les  ethnographes  ont  abondamment  décrit  ces  séries  d 
cérémonies,  qui  ont  pour  objet  d'introduire  le  jeune  homme  à 


I..\    CONVERSION  3ik) 

la  vit'  religieuse  (  I).  Ce  changement  délai  est  regardé  comme 
une  transformation  totale  :  mort  et  naissance  d'une  seconde 
personnalité.  Durkhcini  l'ait  rcniaifiucr  jiistcnicnl  (jue  cette 
noiion  de  niélamorpliose  domine  loiite  la  vie  religieuse,  et  (|ue, 
dans  l'Inde  par  exemple,  le  sacriûant  change  de  personnalité 
par  cela  seul  qu'il  entre  dans  le  cercle  des  choses  sacrées  (i). 

Ainsi  l'enfant,  par  les  rites  d'initiation,  entre  dans  le  monde 
religieux.  Kn  général,  cette  cérémonie  d'accès,  ce  rite  d'entrée 
comporte  des  épreuves  longues  et  pénibles.  Comme  le  dit 
bien  Lévy  Bruhl  ('3),  il  ne  s'agit  point  seulement  de  s'assurer 
<lu  courage  de  l'individu;  on  vise  à  produire  par  la  fatigue,  la 
douleur,  les  privations,  une  sorte  de  dépersonnalisation,  de 
perte  de  conscience,  bref  une  mort  apparente  suivie  d'une 
nouvelle  naissance:  un  état  de  réceptivité  voisin  des  états  de 
lève,  de  catalepsie,  d'extase,  conditions  constantes  de  la  com- 
munication avec  le  monde  invisible  (/[). 

Les  sorciers,  honnnes-médecine,  shamans,  docteurs,  subis- 
sent une  initiation  nouvelle  et  renforcée.  Ce  noviciat  nouveau, 
qui  dure  des  mois  et  des  années,  sous  la  surveillance  de 
maîtres,  est  réservé  à  des  individus  déterminés,  qui  ont  la 
vocation.  Les  méthodes  en  sont  les  mêmes  ;  on  épuise  les 
candidats,  on  les  étourdit,  on  les  stupélie.  Au  paroxysme  de 
cet  état,  ils  sont  morts  et  renaissent. 

Ainsi  lee  pratiques  ascétiques  ont  pour  elFet  de  troubler  la 
conscience  de  l'individu,  déjà  fortement  occupé  de  tout  ce 
qu  il  sait  des  rites,  de  leur  but  et  de  leurs  cH'ets;  il  s'agit  de 
produire  une  altération  j)assagère,   assez  forte  pour  lui   faire 


(i)  Voir  PII  parliciilier  Kr.vzku,  Ilnn\e.(ni  d'<)t\  III,  '|22  et  sniv.;  \Vi:nsTKn, 
PrimitiiC  sccrcf  societirs,  21-ôX  ;  Li'.vy-Iîhiiii.,  Fondions  mentales. 

'2;  DiRKiii^iM,  les  f'ornies  élémentaires,  r>4. 

(3;  Les  Fonctions  nwnlales,  4i<'- 

'4)  "  Dans  la  mesure  où  nous  nous  desincarnons,  les  choses  spiiituflles 
«levienncnl  pour  nous  sensibles...  dans  la  mesure  où  Ihonime  extérieur 
meurt,  l'Iiomiue  inlérieur  renaît.  .>  Ainsi  s'exprime  Jean-Paul  llieliter,  à 
propos  des  pratiifues  du  ma^rnélisme,  récemment  mis  à  la  mode  par  Mesmer. 
(Kreaz  und  nnerziiice  des  Killers  Ahisz,  1793.  t.  I,  j).  8', 


3^1)  LA    UKLHUON    KT    LA    FOI 

ii'oire.  avec  lappui  de  toute  la  doi^inalique  religieuse,  qu'il 
devient  autre,  (juc  son  moi  profane  s'abolit  dans  sa  person- 
nalité sacrée;  sorte  de  crise,  plus  ou  moins  longue  et  plus  ou 
moins  violente,  qui,  chez  des  adolescents  ou  des  adultes,  doit 
ressemlder  beaucoup  à  certains  des  phénomènes,  (jue  nous 
avons  décrils. 

L'âge  de  l'initiation  varie  beaucoup,  et  les  pratiques  suivent 
l'âge.  L'initiation  des  tout  jeunes  consiste  tout  simplement  en 
une  nuitilalion,  en  une  marque.  La  cérémonie  se  vide  de  tout 
ce  qui  faisait  appel  au  concours  de  la  conscience. 

C'est  ainsi  que  le  baptême  solennel  du  iv'  ou  du  v'  siècle, 
grand  sacrement  oii  l'Eglise,  étalant  son  triomphe  sur  le  paga- 
nisme, terminait  par  une  cérémonie  éclatante,  et  toute  chargée 
de  symboles,  la  préparation  des  catéchumènes,  les  rites 
d'entrée  dans  la  communauté  religieuse,  mettait  son  sceau  sur 
la  conversion,  c'est  ainsi  que  le  baptême  solennel  s'abrège  à 
mesure  que  le  baptême  des  enfants  prend  le  j)as  sur  celui  des 
adultes.  Le  baptême  des  adultes  était  revêtu  de  toute  la  solen- 
nité j)ossil)le,  parce  ({u'il  s'était  compli(pié  de  tous  les  rites 
qui  pouvaient  l'aire  .comprendre  au  catéchumène  qu'il  devenait 
un  homme  nouveau  et  parce  qu'il  était  la  profession  publique 
d'une  foi  consciente  ;  il  avait  pour  ministre  l'évêque,  pour 
témoin  le  peuple.  Le  baptême  restera  le  rite  de  la  renaissance, 
('  AisL  renatiui  ex  aqiia  »  (i),  mais  il  est  vidé  de  tous  les  pro- 
cessus psychologiques  de  la  transformation  et  de  tous  les  rites 
significatifs  de  cette  transformation  psychologique. 

Le  principe  social  de  l'initiation  entre  souvent  en  conflit 
avec  le  principe  psychologique.  (Test  ce  que  prouve  déjà  ce 
fait  que  la  pidjcrté  psychologique  et  la  puberté  sociale  sont 
deux  choses  dilïcrcntes  et  qui  ne  concordent  que  rarement; 
à  Home,  par  exemple,  la  puberté  sociale  était  antérieure  à  la 


(i;  Comme  le  tauroholc,  dans  la   religion  de  MiUira.  V.  Ccmont,  Les  Rrli- 

8,    1(12. 


LA    CONVKUSION  "Jj  I 

|)ul)«'itt'>  pliysioloa^ùjuc;  à  Paiis.  clU;  lui  est  poslérieure  (i).  La 
circoncision  se  j)rati(iiic  à  dos  âges  très  dillV-icnts  dans  les 
diiré  l'en  les  réi^ions  du  Maroc  explorées  })ar  Doiitlé  (j).  La 
date  du  luiptème.  dans  les  Kglises  chrétiennes,  s'est  raj)pio- 
iliée.  autant  ipie  possible,  de  la  naissance,  alors  (pie  le 
l»a[)tènie  des  adultes  était  la  règle  dans  rKglise  apostolique. 

Si  la  date  du  baptême  s'est  rapi^rochée de  la  naissance,  si 
bien  qu'au  m  siècle  le  baptême  des  eni'anls  était  généralement 
j>ratiqué  et  qu'Origène  le  rapportait  aux  Apôtres,  c'est  sans 
doute  par  sollicitude  religieuse  et  en  vertu  de  préoccupations 
piati<iues:  on  craignait,  en  dillérant,  que  lenfaiit  ne  fût  perdu 
|)()ur  1" l'église  (3).  Aujourd'hui  encore,  conmie  le  tait  remarcpier 
justement  Ménégoz,  les  familles  baptistes  zélées  cherchent  à 
amener  leurs  enfants  le  plus  tôt  possible  au  baptême.  Dès 
(ju'on  déc<mvre  dans  le  cœur  de  l'enfant  des  dispositions  rcli- 
Lrieuses  ([u'on  peut  interpréter  dans  le  sens  de  la  conversion, 
on  s'appli(]ue  à  éveiller  chez  lui  le  désir  de  se  faire  baptiser  et 
on  y  réussit  généralement. 

Le  baptême  est  donc  devenu  un  rite  d'agrégation  à  l'Eglise 
|)(>ur  le(piel  la  foi  explicite  n'est  pas  nécessaire.  Les  diirérentes 
confessions  chrétiennes  divergent  du  reste  dans  l'interpréta- 
tion du  rite,  suivant  leur  théorie  des  sacrements.  Pour  les  uns 
le  baptême  produit  vraiment  la  nouvelle  naissance  :  pour  les 
autres,  il  la  symbolise.  Il  va  en  somme  de  la  grâce  infuse  à 
l'acte  administratif. 

(iràce  infuse  ou  acte  administratif  autoiisent  également  à 
le  eonfé'rer,   sans  condition  de    dispositions  inli'rieures.    donc 


ii'i  Vax  Gknnkp.  Les  Itites  d'inilinlinn.    Les  liitcs  de  passade,   i<)<m>.' 
2     Merrnkech,   Paris,    191»»,    p.    2()2.  Voir    (lîuitrt-s  docMinK'nls    conlirinalifs 
dans  Amujkk  :  lieschnridnniî.    Ethnoi^raphische  l'aniUelcn,  Lcipzijr,  1SS9. 

(3)  Cette  iiréocciipalion  sociale  a  eu  aisément  raison  de  ta  tendance 
contraire  à  reculer  la  date  du  baptèuie,  parée  «ju'il  elFaee  tous  les  péeliés. 
C'est  |)our  la  uiènK-  raison  <|ue,  plus  tard,  les  Caliiares  s'eirorceront  de 
diirérer  le  C.onsolamentmn,  jus(|u°à  l'heure  de  la  niorl  11  est  donc  probable 
que  l'organisation  de  la  pénitence  a  agi,  pour  avancer  la  date  du  baptême, 
dans  le  m-'-me  sens  que  la  préoccupation  sociale  :  de  même  aussi  le  dogme 
du  [léché  originel  et  rexeiuple  de  la  eireoneisiou.  ]iréliguration   allégorique. 


i-^-î  l.\    UKI.K.ION    ET    LA    FOI 

aux  tout  pelils  enfants.  IMiis  \v  baplônic  est  considéré  comme 
un  rite  (|ui  ai^il  par  sa  propre  force  (i),  ou  une  simple  céré- 
monie exiérieurc,  plus  la  comnninaulé  se  croit  fondée  à 
[imposer  aux  enfants.  (Vest  pourquoi  Zwinp-le  se  rencontre 
avec  sainl  Thomas. 

Ensuite,  pour  juslilier  le  baptême  des  enfants,  on  sera 
amené  à  supposer  chez  eux,  soil  une  infection  et  une  li^uérison 
toutes  mécani(iues  (2),  soit  à  supposer,  avec  Luther,  qu'il  peut 
y  avoir,  chez  le  tout  jeune  enfant,  une  vie  religieuse  surnatu- 
relle analofçue  à  celle  de  l'adulle  (3  ,  soit  à  insister,  comme 
Calvin  et  Zwingle  ('f),  sur  les  raisons  pédaiço^iques  et  sociales 
de  l'ap^régalion  pri-coce  à  la  connnunauté. 


(i)  D'où,  par  voie  de  conséquence  exlrèine,  le  baptême  iii  utero. 

(21  Si  les  enfants  contractent  le  péché  originel  du  seul  fait  de  leur  nais- 
sance, et  avant  tout  exercice  de  leur  liberté,  ils  peuvent  être  just'fics  du 
seul  fait  df  la  rrgéncration  baptismale,  avant  làge  de  raison.  C'est  la  thèse 
de  Cyprien  de  Cartilage  P  .L.  t.  III,  col.  1019  et  dOrigène,  P.  G.  III,  col.  4<)()  . 
Cet  argument  a  servi  dans  la  controverse  pélagienne.  Les  rites  du  baptême 
ont  fourni  à  saint  Augustin  une  preuve  de  l'existence  du  péclié  originel 
dans  l'âme  des  enfants.  L'argument  a  été  repris  par  Pierre  le  Vénérable,  et 
par  Hugues  de  Saint-Victor  de  sacr.  II.  VI,  c.  XX)  contre  les  adversaires  du 
l'édol)aptisme  Vaudois,  Cathares,  .\lbigeois,  Pétrobrusiens);  saint  Thomas 
le  développe  et  3'  ajoute  cette  autre  idée,  que  l'enfant  puise  la  vie  spiri- 
tuelle dans  le  sein  de  l'Eglise,  comme  il  puise  la  vie  naturelle  dans  le  sein 
de  sa  mère  (Suinina  thcoL.  \\l'  q  LXVII  a.  g.).  La  doctrine  formulée  délini- 
tivcment  par  le  Concile  de  Trente  (Canon  l\  de  la  V'  Session)  est  reprise 
par  Btllaimin  et  par  Suarez.  contre  les  Anabaptistes.  Les  enfants  sont 
baptisés   <  m  fiie  Kcclesùc  »  en  raison  de  la  foi  de  l'Eglise. 

(3)  En  vertu  de  la  théorie  de  la  foi  llducialc,  Luther  professe  que  per- 
sonne ne  peut  être  sauvé  par  la  foi  d'autrui.  Donc,  à  cause  de  l'intercession 
fies  parents,  qui  ont  la  foi  fiduciale,  Dieu  met  dans  l'enfant  une  foi  person- 
nelle et  le  justilje  Sans  doute  le  petit  baptisé  n'a  pas  la  raison;  mais  n'est- 
elle  pas  le  principal  obstacle  à  la  foi  '.'  La  formule  de  concorde  de  Wit- 
tenberg  déclare  que  l'enfant  éprouve  des  mouvements  semblables  à  ceux  que 
r.-ssentit  .lean  dans  le  sein  d'Elisabeth,  mouvements  de  foi  et  d'amour.  Cer- 
tains Néo-luthériens  ont  conscience  du  caractère  «  réaliste  »  de  la  doctrine 
de  Luther.  «  En  alïirmant  la  régénération  de  l'enfant  j)ar  le  baptême,  nous 
proclamons  un  mystère  qui  ne  peut  être  ni  compris,  ni  expliqué  »,  écrit 
Weber  ;  et  Ilaerler,  L'xp.  de  la  doclrine  de  Luther  itjoO  :  «  Rien  n'empêche  le 
Sainl-Esiirit  d'agir  sur  le  pUia  jielit  enfant.  ■>  H  est  jjossible  que  le  Concile 
de  Trente  ait  voulu  dire  que  le  baptême  apporte  à  l'enfant  la  vertu  de  foi 
ilistinguée  de  l'acte  de  foi  1.  Voir  Dictionnaire  de  théologie  catholique  ;  art. 
Baptême. 

.4)  Calvin  admettait  que  1  enfant  des  lidéles  tirait  sa  sanctificati«m  de  son 
origine.  Pourtant  le  baptême,  rite  extérieur,  est  nécessaire.  Il  introduit  dajis 
l'Eglise,  confirme  la  foi  des  parents,  assure  l'éducation  religieuse.  Dieu  peut 


i.v   (:(^^•^  KKsioN  'i~'i 


La  Conversion  se  présente  donc  coiiinic  un  cas  parliiulicr 
tle  l'initiation.  Elle  en  est,  si  l'on  peut  dire,  le  nionicnt  psyclio- 
loiricpie,  développé,  accru,  reulbrcé  de  toutes  les  oscillations 
et  de  toutes  les  vicissitudes  morales  du  sujet.  L'initiation  peiil 
se  borner  à  l'apposition  d'un  signe  ou  d'une  niaicpie,  poiii' 
l'intégration  de  l'individu  au  içroupc  religieux. 

Mais  souvent  clic  |)rovoque  elie/  lui  une  crise  d'ànic.  qui 
est  comme  l'c-ipiivalcnl  de  la  conversion.  Le  fait  (pi'clle  est 
provocpiée  et  (ju'elle  suit  jusqu'à  un  certain  point,  par  le 
chemin  des  rites,  un  schéma  préétabli,  n'apporte  pas  d<'  dilïé- 
rence  radicale.  Car  nous  avons  vu  (pi'il  y  a  des  conversions 
provoquées,  et  (pii  obéissent  à  un  schéma  Ihc'oloi^iipie. 


acconler  aux  curants  ({uolques  rayons  dv  iuniiore.  Les  UêlVirinôs  considi-rent 
le  lfapt»'iue  foniiiii'  »in  *'n};agenifnt,  que  prennent  les  parents,  et  r(Uf  lenlant 
prend  ;<  son  tour  par  la  conlirination  du  vœu  du  baptOine.  La  rceeption  des 
falrclninn'iii's  i-st    \i-  \<'Til:ildr  li;i  plriiic. 


CIIAIMTHE    II 
HORS    LA    FOI 


LES    EQUIVALENTS    DE    LA    RELIGION 

Les  analyses  précédentes  dispensent  de  s'arrêter  lontçue- 
nient  à  l'ineroyance.  Qnand  les  convictions  (jue  nous  avons 
analysées  font  défaut,  il  est  naturel  (pielle  apparaisse.  Mais 
d'abord  elle  est  plus  rare  qu'on  ne  pense.  Dans  deux  cas  tout 
au  moins  et  très  fré(iuents,  le  sentiment  religieux  persiste  sous 
des  pseudonymes,  ('ertaines  âmes  ne  peuvent  soullrir  aucune 
?]glise,  aucun  Credo,  et  sont  pourtant  incai)al)les  d'oiganiser 
une  secte  et  de  se  créer  une  doctrine;  elles  vivent  dans  une 
sorte  d'isolement  relijçieux,  qui  n'est  pas  l'irréligion.  Elles 
adorent  le  Dieu  inconnu.  Beaucoup  d'honmies  reportent  sur 
la  société,  sur  l'art,  sur  la  métapliysi(iue,  sur  la  vie,  leur 
ferveur  religieuse  (jue  la  religion  ne  contente  point.  Combien 
de  nos  contemporains  ont  fait  de  doctrines  sociales  une  reli- 
gion, chez  qui  l'on  retrouverait  à  peu  piès  exactement  tous  les 
états  que  nous  avons  décrits  !  Nombreux  aussi  sont  ceux  qui 
se  sont  organisé  dans  les  émotions  esthétiques,  une  sorte  <lc 
monde  supérieur,  oii  se  réfugier,  où  trouver  consolation  et 
expression  adéquate  de  soi-même;  ils  n'y  pénètrent  (|u'av(îc 
cette  exaltation  solennelle  qui  marque  le  passage  du  profane 
au  sacré,  (hielques  philosophes  et  quelques  amoureux  de  la 
raison  vivent  religieusement  dans   la  contemplation  cahnc  et 


MOUS    I  A     |-OI  37.') 

ccpoiulant  enthousiaste,  par  laquelle  ils  arrivent  à  considérer 
toutes  ejioses  comme  formant  un  u:raii<l  tout  harmonieux.  Il  y 
a  une  reli^rionde  la  Science  et  une  religion  de  IKs^ril.  LTiiit»' 
de  la  pensée.  l'Unité  de  la  conscience  intellectuelle  et  de  la 
conscience  morale  procure  à  ecrtafnes  âmes  un  vertige  aussi 
profond  (pie  la  fascination  des  dieux.  Fichte  donnait  sa  philo- 
sopliie  pour  la  vraie  religion  et  les  religions  positives  poin- 
l'idolâtrie  (i).  L'Unité  sans  fond  du  Néoplatonisme,  c'était  le 
vertige  même  de  la  spéculation,  l'extase  liypostasiée.  Il  ne 
serait  pas  difficile  de  relever  chez  les  philosophes  de  véritables 
professions  de  foi  (1). 

Si  nous  faisons  ahstiaction  de  ces  équivalents  de  la 
religion,  qu'il  en  faut  rapprocher  et  qui,  comme  elle,  ont  pour 
mission  d'assurer  les  valeurs  suprêmes  en  réalité  et  d'étahlir 
l'âme  dans  un  monde  sacré,  si  nous  laissons  de  côté  ceux  (pii 
<  omhattent  la  religion  au  nom  de  croyances,  qui  sont  elles- 
mêmes,  chez  eux,  des  croyances  religieuses,  et  toutes  les  formes 
religieuses  de  l'irréligion,  il  restera  pourtant  certaines  formes, 
d'indiirérence,  d'inaptitude  radicale  à  uik'  foi  positive.  D'une 
part,  les  [)rosaï(iues,  les  positifs,  ceux  ([ui  sont  sur  le  plan  du 
monde  sensible,  cpii  s'y  trouvent  entièi'(Mnenl  à  l'aise,  ou  tout 
au  moins,  faits  à  sa  mesure,  à  <iui  toulc^  in(piiétude  d'au  delà 
demeure  étrangère;  lésâmes  religieuses  les  accuseront  volon- 
tiers de  platitude.  D'autre  part,  ceux  chez  qui  la  sentimenta- 
lité, encline  à  diviniser,  est  refrénée  par  la  criti(iue  intellec- 
tuelle. La  poussée  religieuse  est  enrayée  par  un  état  d'esprit 
•  lui  la  remet  à  sa  place  et  lui  assigne  ses  limites  et  sa  valeur. 
L'idée  des  limites  de  rexpérience  et  de  la  eonnaissanee  |)os- 


(1/  Xavikm  Li':o\,  La    l'hilosaiihir  ilr  Ficlile. 
•2    Voir  IliuNsr.iivic.c;.  yntiiic  cl  Uhertc.  i56. 

«  Se  rorincrat-il  un  royaume  <le  l'esprit,  une  éjjlise  de  refuge,  une  repu- 
l>li<|ue  «les  àuies,  dan.s  laquelle,  bien  au  delà  du  droil  et  de  la  sordiile 
utilité,  la  beauté,  le  dévoueiueut.  la  sainteté,  riiéroïsiue.  ^enlllousia^^Inl•, 
l'extraordinaire,     linlini,    auront     un    culte    et    une    cité.  Amii:i..    Journal 

Inliinc,  I,  3a. 


S-JÔ  l.\    nEMOION    ET    LA    TOI 

sible  arrt'tc  l'essor  vers  l'idéal  ;  la  divinisalioii  coinmençanle 
est  i-etenue  et  restreinte  à  n'être,  au  plus,  qu'une  demi- 
cioyanee.  Enlin  ceux  chez  (jui  les  constructions  intellectuelles, 
volontiers  ambitieuses  et  prenant  liguie  de  grands  systèmes,  ne 
sont  sup[)ortées  ou  soutenues  |)ar  aucune  sentimentalité;  de 
sorte  (pi  ('lies  restent  des  (euvres  d'intelliiçence  pure,  et  comme 
des  jeux  supérieurs  de  l'esprit,  incapables  de  faire  vibrer  l'unie, 
et  de  prendre,  —  simplement  plausibles  pour  l'esprit,  —  teinte 
de  réalité  dans  les  tréfonds  de  la  conscience.  Elles  ne  passent 
point  de  la  possibilité  à  rexistence. 

DE     LA    FOI    AU    DOUTE 

Plus  intéressant  est  le  passage  de  la  toi  au  doute.  En  un 
sens,  on  peut  dire  que  le  doute  est  inhérent  à  la  foi.  Vn  senti- 
ment aussi  complexe,  et  tout  pénétré  d'intellectualité,  tout 
charge  d'idées  et  d'argumentation  admet  des  oscillations,  des 
lluctuations,  des  éclipses,  des  réserves.  Ainsi  dans  l'état  de  foi, 
et  même  dans  l'acte  de  foi,  on  l'entrevoit.  Sous  cette  forme, 
où  le  nom  de  doute  est  à  peine  légitime,  nous  l'avons  étudié 
plus  haut. 

Le  passage  de  la  foi  naïve  à  la  foi  consciente  de  soi,  à  la 
foi  critique,  impli([ue  parfois  un  ébranlement,  une  mise  en 
question,  une  revision,  une  recherche,  avant  la  prise  de  pos- 
session <lélinitive. 

Enlin,  plus  précisément  dessiné,  le  doute,  qui  apparaît  là 
où  la  foi  lléciiit,  peut  s'installer  de  façon  chronique  et  déiini- 
tive,  ou  encore  aboutir  à  un  changement  de  religion  ou  à 
l'incroyance  raisonnée  et  systématique.  Il  apparaît  encore  dans 
l'état  inverse,  dans  la  recherche  de  la  croyance,  dans  l'orien- 
tation vers  la  foi,  11  est  un  moment,  une  étape  de  la  conver- 
sion lente;  il  correspond  à  cette  phase  d'inquiétude  que  nous 
avons  déjà  signalée,  oîi  s'exprime  le  heurt  de  l'état  qui  fléchit 
et  de  l'état  (jui  vient. 


HORS    I.A     KOI  377 


*       * 


La  loi  ('laiil  habitude  sociale,  croyance  et  sentiniciit,  peut 
être  atteinte  d'une  triple  manière,  et  (piehiuefois  simultané- 
ment : 

(".oinine  changement  d'habitudes  et  passage  d'un  gTou[)e  à 
un  autre  : 

(lomme  croyance  qui  lléchit  parce  qu'elle  cesse  de  répondre 
;i  létat  de  l'esprit,  ou  qu'elle  est  mise  en  discussion: 

(iomme  passion  qui  se  llélril. 

Dans  le  premier  cas,  c'est  le  changement,  le  heurt,  l'insé- 
curité et  le  sentiment  d'étrangeté  et  de  nouveauté  qui  accom- 
pagnent la  rupture  des  habitudes. 

Dans  le  troisième,  c'est  l'épuisement  de  la  passion  dont  le 
sujet  se  lasse  et  ([ui  cesse  d'être  lui-même;  ou  encore  la  montée 
au  jour  d  une  passion  neuve;  un  autre  aspect  de  la  personne, 
demeuré  latent,  ou  amené  à  la  clarté  par  révolution  du  carac- 
tère ou  encore  sa  transformation  :  sublimation  ou  antithèse,  ou 
développement  de  la  passion  (pii  })ivote  autour  d'un  centre. 

Un  esprit  qui  ne  se  retrouve  plus  dans  ses  raisons  de  croire, 
une  àme  qui  ne  se  retrouve  plus  dans  ses  aspirations;  la  ru|)- 
lurc  d'harmonie  avec  les  habitudes,  avec  le  régime,  avec  le 
milieu:  voilà  donc  le  doute  religieux.  Toujouis  une  modilica- 
tion  plus  ou  moins  complexe  et  profonde  de  l'écpiilibre  interne, 
qui  l'ait  <pu'  l'on  se  déprend  et  (ju'ou  cherche,  non  sans  inquié- 
tude, autre  chose  (pie  ce  qu'on  a. 

La  foruie  aircctive  du  doute,  c'est  l'amortissenK'nl.  ou  les 
moments  lâches  et  ternes  de  la  passion:  ou  encore  le  choc  de 
passions  contraires;  dans  les  deux  cas  l'hésitation  all'ecdive, 
une  sorte  de  suspension  sentimentale  ;  ou  encore  les  alVaiblis- 
sements  du  senliuient  de  soi,  la  dépersonnalisaliou  eonmien- 
çante  :  l'univers  moins  colon'",  moins  réel,  la  eonliance  (jui  se 


3^8  LA    RELIGION    ET    LA    KOI 

ri'tire.  par  ri'làclu'nu'iil  de  la  Iciision  nirntak';  les  modilicalions 
(le  la  perception  externe  ou  interne  au  début  de  certaines 
psychoses.  Dans  cette  forme  du  doute  s'exprime  l'alFaiblisse- 
ment.  l'ébranlement  de  la  personnalité:  il  traduit  un  ehani,^e- 
menl,  une  transition  (pii  s'ignore. 

Sous  sa  forme  intellectuelle,  le  doute  est  oscillation  men- 
tale, indécision  de  l'esprit,  eonllit  de  jugements;  d'oîi  un  état 
affectif  pénible,  cpii  va  du  simple  malaise  à  langoisse,  et  l'agi- 
tation mentale,  défense  vaine  et  multiforme,  qui  se  substitue 
à  l'action.  Le  conflit  de  jugements  peut  aboutir  à  un  chaos 
indéiinissable  de  sentiments  indéterminés,  de  représentations 
obsédantes,  d'émotions  subites  et  d'actes  inutiles.  Il  arrive 
souvent  que  le  choc  des  raisons  contraires  cesse  d'être  présent, 
actuel,  et  qu'il  subsiste  comme  simple  choc,  comme  incoordi- 
nation, comme  état  suspensif,  en  (|uelque  sorte,  où  les  repré- 
sentations ne  sont  plus  formulées.  Un  état  de  ce  genre  précède 
souvent  le  conflit  des  motifs.  Dans  les  deux  cas  il  y  a,  sous  le 
conflit  de  jugements,  rupture  des  automatismes,  du  cours  norr| 
mal  de  l'idéation  et  de  l'humeur:  précédée  ou  suivie  de  tenla-3 
tives  pour  aboutir  à  une  stabilisation  nouvelle.  Dans  les  formes 
graves  et  aiguës,  c'est  comme  un  «  chavirement  »  de  la  pensée. 

Le  doute  est  aigu  ou  chronique;  exprimant,  dans  le  dernier 
cas,  l'impuissance  du  sujet,  l'agitation  mentale,  le  travail 
stérile,  incapable  de  parvenir  à  une  conclusion.  11  est  spontané 
et  involontaire,  maîtrisant  le  sujet;  ou,  au  contraire,  dirigé  par 
lui,  instrument  de  recherche  entre  ses  mains. 

Le  doute  est  ainsi  une  oscillation  sans  anèt,  parfois  avec 
inclination  dans  un  sens,  mais  [)ourtant  sans  acquiescement 
véritable;  dès  qu'on  incline,  on  sort  presque  du  doute;  on 
opine  déjà.  Le  doute  est  avant  tout  l'impossibilité  de  terminer, 
de  conclure,  d'arriver  à  un  syslènu',  à  un  arrêt. 

Il  implique  des  sentiments  bien  divers;  d  abord  ceux  (jiii 
expriment  le  doute  lui-même,  l'état  d'indécision,  de  lutte,  de 
conflit;  puis  ceux  qui  dépendent  de  l'objet  du  doute. 


MOItS    IV     FOI  'j-,j 

Lf  doulc  csl  parfois  inala(iio;  maladie  causée  par  le  doule, 
on  doute  expression  d'un  trouble  profond;  et  à  cause  de  celle 
maladie,  une  impuissance  plus  aii^ui'  ou  plus  générale. 

Le  doule  pathoIo!?i(pie  est  bien  connu;  on  a  parfaifcment 
analysé  les  douleurs  j)atholo,i?i(iues.  Iliésitanl,  rin([uict.  l'in- 
décis, le  scruj)uleu\,  l'Iiypercrilicpie,  l'opposant,  à  l'étal  de  crise, 
ou  chronique:  le  douleur  qui  doute  sans  raison  ou  contre  la 
raison,  cl  qui  ne  sait  pas  ou  ne  peut  pas  sorlir  de  son  doute; 
celui  (jui  est  impuissant  à  peser,  à  doser  et  à  se  satisfaire  de 
la  probabilité;  il  lui  faut  des  certitudes  énormes  et  seul  autrui 
peut  les  lui  donner  et  seulement  un  instant.  Il  est  toujours  à 
l'état  de  doute  latent,  et  le  doule  réel  qui  surgit' n'est  que  la 
l'orme  momentanée  de  son  état  d'oscillation.  «  Im[)uissan<e  à 
irrètcr  ce  travail  incessant  de  la  pensée  s'exerçant  continuelle- 
ment sur  elle-même  sans  jamais  arriver  à  aucun  résultat  déli- 
litif  *  (i),  telle  est  sa  formule.  Un  abaissement  de  la  tension 
asychologicpie,  si  l'on  veut;  et  de  l'agitation  consécutive. 
Comme  les  déliants  et  les  soupçonneux,  qui  finissent  toujours 
^ar  cire  dupes  de  <pielqu'un  et  dupes  achevées,  le  doutcur 
>'accroche  souvent  à  l'obsession,  expression,  consolatioiî  et 
oui'mcnt  de  son  incomplétude. 


* 

*     * 


On  peut  distinguer  ici  encore  début,  étal  et  déclin,  dont 
oici  le  tracé  sch(''mati(pie  : 

I"  Un  système  de  croyances  connnence  à  lléchir;  d'oii  «lioc 
urprise,  ou  simplement  nudaise.  sourde  incpiiélude.  Le  doute 
•eut  naître  de  fa«;on  insidieuse  on  brutale. 

L'attention  s'oriente  vers  le  point  menace'':  d'oii  nn  afilux 
e  représentations  et  de  sentimcnis. 


(l)  I'"am»kt,  Folie  faisimnaiid'.  Soc.  mi-iliro/isycli..    181K). 


3Sn  LA    UEI.KlKtN    1:T    I  A     FOI 

La    nouvelle    cioyauce  s'ébauche  ;  quehiuefois.  à   titre 
simple  j)<)ssil)ililé,  elle  se  trouve  avoir  précédé  le  doute. 

•2"  Osçjllalion;  coexistence  dos  deux  systèmes  ou  suceessi 
rapide  d'afliruialions  indécises  et  momentanées. 

V  Terminaison  brusque:  quelquefois  avec  rappel  léger 
doute  évanoui  ou  léu:er  trouble  peisislaul. 

Terminaison    progressive,    réorganisation  :    abandon   de 
croyance  remplacée  par  l'incroyance  systématique,  ou  par  une 
croyance  nouvelle,  ou  reloui-  à  la  croyance  ancienne. 


Le  doute  apparaît  souvent  bien  plus  tôt  qu'on  ne  croit.  La 
foi  enfantine,  soutenue  par  l'action  indirecte  de  l'entourage, 
j)ar  son  action  directe,  c'est-à-dire  par  renseignement  et  les 
conseils,  par  le  développement  personnel,  est  exposée,  elle 
aussi,  à  toute  espèce  de  contlits  ou  de  fléchissements.  Connue 
Pralt  l'a  bien  montré  dans  son  beau  livre  (i),  l'enfant  i)eut 
professer  un  mythe,  sans  se  faire  illusion  sur  sa  valeur  (2); 
ou  il  peut  faire  aux  dogmes  qu'on  lui  propose  des  objections 
très  précises.  Bro\yn  cite  un  enfant  de  quatre  ans,  qui  disait, 
en  réponse  à  la  toute-puissance  de  Dieu  :  a  Si  jai  monté  l'esca- 
lier, peut-il  faire  que  je  ne  Taie  pas  monté?  »  Dans  une 
observation  que  Ion  ma  transmise,  une  enfant  de  cinq  aflli 
à  tous  les  dogmes,  à  tous  les  mystères  qu'on  lui  euseigri! 
r(''pond  imperliirbablenieul  :  <  ^laman,  je  ne  crois  pas  cela. 
Kt  cependant,  c'est  une  enfant  docile,  à  dispositions  religieus^ 
et  (pie  IKvangile  attendrit. 

Ces  doutes,   ces  objections,  cette  opposition   apparaisslj 
surtout  entre  douze  et  quatorze  ans.  Us  proviennent,  pour 

1  I'ratt,  The  religiows  coiiscioustiess. 

2  Nombreux  cas   cités   par   Baktii,  Der    liirninei  in   dcr    Gedankenwel 
unil  II  jàhrigcr  Kinder  (  MonatsbUitter  fiir  den  ev.  licligionsunlevricht.  191I 


MOUS    LA    loi  3Sl 

buniK-  j)arl,  de  l'enseignement  relii;iou\  lui-iMèmc;  soil  de  sa 
laiWlesse.  soit  de  ses  iinprudenees.  (diéon  sii^nale  très  juste- 
ment la  première  <le  ees  raisons  dans  l'allaiblissement  <!<'  sa 
foi  enfantin»'  ; 

«  Notre  Ijon  amnùnicr  n'essayait  pas  d'entrer  en  eoncui- 
rence,  par  eet  attrait  vivant  (pii  captive  les  jeunes  esprits, 
avec  nos  professeurs  d'Iiunianités  et  de  sciences...  Sur  notre 
eham[)  saeré,  les  connaissances  |)urement  humaines  empié- 
taient chaque  joui'  (i). 

De  nombreux  jeunes  u^ens  ont  été  mis  en  f^arde  contre  les 
dogmes,  ou  contre  l'histoire  sainte,  i)ar  certaines  explications, 
ou  par  des  réponses  aux  objections,  ([ue  leur  si;j:nalaieul  leur 
professeur  d'instruction  relii^ieuse.  Les  apologies  maladroites 
sont  pleines  de  pc'ril.  Ce  n'est  pas  à    tort  que  Loisy  écrit  (12 ;  : 

«  M.  Vigouroux  était  alors  et  il  est  demeuré  le  grand  ai)o- 
logiste  catholique  de  la  Jiible.  Mais  je  dois  dire  que  son 
enseignement  et  ses  livres  ont  plus  fait  |>our  me  détourner 
des  opinions  orthodoxes  en  cette  matière  (pic  tous  les 
rationalistes  ensemble,  Renan  compris.  » 


Souvent  la  foi  disparait  très  sim[)lement,  sans  crise  et  sans 
angoisse,  parce  que  l'enfant  ou  le  jeune  homme  passent  à  un 
antre  milieu  et  à  d'autres  préoccupations  intellectuelles;  c  est 
là  un  phénomène  fréquent  dans   les  étals  de   civilisation,    oii 

(1)  Têmoiffnaffr  d'un  converti,  p.  i5. 

la)  Choses  /tossces.  5S.  —  De  nirmr,  Franklin  fciit  :  .  (  iiiclijncs  lixn-^  t  ..nin 
le  déismr  loiubèrenl  eiilrc  nos  mains;  ils  pit-tcnilaicnt  résumer  en  substance 
des  sermons  prèelics  aux  ■<  Conférences  Jlayle  ■>.  Il  se  trouva  qu'ils  proilui- 
srrenl  sur  moi  un  clTel  tout  conlrnirc  ù  celui  (ju'ils  \is;iicMt;  les  arguments 
des  déistes,  qu'ils  citaient  pour  les  réfuter,  me  parurent  beaucoup  plus 
convaincants  (jjie  la  réfutation  ;  en  un  mot,  je  «ievins  bientôt  un  parfait 
déiste.  ■■  Cité  par  N\  .   Hllr■.^.  f.f  (irnif  ninrrirain.  p.  34- 


3hj  i.A   ui:li<;i()n   ki   la   foi 

rrducalion  es!  airlii^icuse  ci  la  inajorili'  iiuliClVroiUe  ou  lioslile. 

Souvoiit.  (lu  rosli",  la  loi  ii  avait  été  (ju  a[)parence;  comme 
dans  \c  cas  dcciil  par  Aihcil  iJayel  : 

«  (^e  n'est  pas  à  la  suite  d Un  grand  dianie  intime  que  j'ai 
renonce  aux  îd«''es  chrétiennes.  Je  me  suis  plutôt  aperçu,  par 
d<'s  épreuves  rcpélces,  que  ces  idées  étaient  comme  posées 
sur  moi,  mais  qu'aucun  lien  ne  m'attachait  à  elles.  Elles  me 
semblaieni  toutes  simples,  et,  n'y  pensant  pas.  je  croyais  y 
croire;  en  y  sont?eant,^  je  me  suis  avisé  (pielles  m'avaient 
toujours  été  étrangères,  .le  les  ai  quittées  alors  sans  regret  : 
car -on  ne  saurait  regretter  ce  (lu'on  n'a  jamais  aimé  (i).  » 

De  même,  le  témoignage  de  Rimsky-Korsakov  nous  met 
en  présence  d'une  religiosité  très  faible,  et  qui  n'a  point  de 
peine  à  se  dissiper  (2)  : 

-  Klevé  dans  une  famille  profondément  pieuse,  j'étais,  dès 
mon  enfance,  assez  indifférent  pour  la  prière.  En  faisant  m 5 
prière  malin  et^oir  et  en  fréquentant  l'église,  je  n'avais  en 
vue  que  d'obéir  à  la  volonté  de  mes  parents.  Chose  étrange, 
en  priant  j'ai  risqué  parfois  des  paroles  sacrijèges.  comme 
j»our  éprouver  Dieu  et  alin  de  savoir  s'il  m'en  punirait  ou 
non.  Gomme  il  ne  m'en  punissait  pas,  le  doute  naissait  daiis 
mon  cœur  ;  parfois  le  remords  me  tenaillait  ;  mais  autant  que 
je  me  souviens,  je  n'en  souffrais  pas  trop. 

'  (lamin  de  douze  ans,  je  harcelais  ma  mère  de  questions 
s«ir  le  libre  arbitre.  Je  lui  faisais  remarquer  que  s'il  est  vrai 
(pic  tout  se  passe  sur  la  terre  selon  la  volonté  de  Dieu, 
1  homme  doit  (juand  même  être  maître  de  ses  actes,  et  que, 
par  suite,  la  volonté  de  Dieu  ne  doit  point  intervenir  ;  car 
comment  pourrait-il  laisser  l'un  de  nous  commettre  de  mau- 
vaises a(itions  et  l'en  punir  ensuite? 

■<r  Pendant  les  deux  dernières  années  passées  à  l'Ecole 
navale,    deux   de   mes   camarades    m'assurèrent    que   «    Dieu 

(i    Albert  Haykt,  Les  idées  mortes,  aT). 

(2    Rimsky-Korsakov,  Ma  vie  musicale,  p.  22. 


iioas  LA   itu  383 

«  n Cxislail  pas  cl  ({lu'  loiil  cela  ne  sont  que  «les  iiivculious  ». 
I/un  (1  eux  me  disait  (juil  avait  lu  "  la  Pliilosopliic  de  Vol- 
taire ».  Je  uw  suis  aisément  rangé  à  l'avis  (jue  «  Dieu 
n existait  pas  et  que  tout  cela  ne  sont  (jue  des  inventions  ». 
Au  fond,  cette  pensée  m'in(|uiétait  peu  et  je  ne  songeais 
nullement  à  ces  graves  questions  ;  seulement,  ma  religiosité, 
d('jà  faihie,  disparut  entièrement,  et  je  n'en  éprouvais  aucune 
-i)ir  spirituelle,  » 

Il  suflit  parfois  d'un  rien  pour  dissiper  la  religiosité  de 
leufance.  Pioudlion  raconte  qu'une  plaisanterie;  d'un  de  ses 
»  oiisins,  au  milieu  d'une  prière  faite  en  fajnille,  le  troubla  au 
j)oinl  (ju'il  ne  put  jamais  plus  prier  du  fond  du  cœur  (i).  Plus 
laid,  pourtant,  il  eut  un  regain  de  foi.  Se  sentant  appelé  à  deve- 
nir un  apologiste  du  christianisme,  il  voulut  lire  le  pour  et  le 
contre  cl,  celte  fois,  tout  ce  qui  lui  restait  de  croyance  s'éva- 
iioiiil  délinitivemenl. 

Dans  le  cas  de  Bernard  Leroy  (2),  le  sujet  constate  peu  à 
peu  qu'il  ne  lui  reste  rien  de  ses  croyances  religieuses,  que 
l'année  de  pliilosophie  a  achevé  de  dissiper;  mais  c'est  une 
constatation  calme  et  progressive,  sans  crise.  Dès  ladoles- 
e(  liée,  il  avait  opéré  dans  les  dogmes  une  sorte  de  triage,  et 
nombreux  étaient  ceux  auxquels  il  ne  pensait  jamais.  Vers 
douze  ou  treize  ans.  la  géologie  lui  parut  contredire  l'Ecriture 
sainte;  plus  tard,  il  trouva  quelque  difliculté  à  concilier  la 
bonté  de  Dieu  avec  les  conditions  qu'il  impose  à  ses  créatures, 
avanl  de  les  admettre  à  un  bonheur  parfait.  Mais  c'étaient 
là  (les  end)arras  plutôt  (jue  des  doutes;  il  restait  con- 
\aincu:  il  savait  (piil  comprendrait  plus  tard;  ce  qu'il  ne 
<oiiq)renail  j)as  n'en  restait  pas  moins  irréfutable.  L'effa- 
(cmenl  des  croyances  s'est  donc  fait  en  une  année,  et  très 
Il  :in(|uillemehl. 


[)  Phoidiion,  Correspondancp,  t.  i.  p.  27. 
.',   Bernard  Li:hoy,  Confession  d'un  croyant. 


3><j  LA    RELIGION    ET    LA    FOI 

Taille  (i)  raconte  ([iie  juscjii'à  l'ài?e  de  quinze  ans,  il  élait 
rhrétien  et  ne  s'était  jamais  demandé  ce  (jue  vaut  cette  vie, 
doii  il  venait,  ce  (ju'il  devait  faire. 

«  La  raison  apparut  en  moi  comme  une  lumière  ;  je  com- 
mençais à  soupçonner  qu'il  y  avait  quelque  chose  au  delà  de 
ce  que  j'avais  vu;  je  me  mis  h  chercher  comme  à  tâtons  dans 
les  ténèbres.  Ce  qui  tomba  d'abord  devant  cet  esprit  d'exa- 
men, ce  lui  ma  loi  religieuse.  Un  doute  en  provoquait  un 
autre,  chaque  croyance  en  entraînait  une  autre  dans  sa 
cimte...   ') 

Les  trois  années  qui  suivirent  furent  douces;  ce  furent  trois 
années  de  recherches  et  de  découvertes. 

Malgré  la  chute  de  son  christianisme,  il  avait  conservé  les 
dogmes  de  la  religion  naturelle  :  Dieu,  lame,  le  devoir. 

Au  cours  de  ses  années  de  philosophie,  il  les  examina  et  y 
trouva  des  probabilités,  aucune  certitude.  D'où  un  scepticisme 
général,  (jui  le  réjouit  d'abord,  dont  il  s'attrista  à  la  lin. 

Puis,  fatigué  de  contradictions,  il.  défendit  le  panthéisme  ;t 
outrance  et  se  mit  à  en  parler  en  artiste.  Il  s'y  complut,  ce 
fut  son  salut. 

Comprendre  l'opposition  des  systèmes,  apercevoir  l'enchaî 
nemcnt  et  l'ensemble;  telle  fut  la  solution. 
■    Dans  le  cas  de  Benedetto  Croce,  nous  voyons  le  conflit  de 
dogmes  et  de  la  réflexion  amener  comme  un  commencement  de 
crise  religieuse. 

Dans  ses  dernières  années  de  collège,  il  subit  une  crise 
«  soigneusement  cachée  par  moi  à  ma  famille,  et  à  mes  amiî 
mêmes,  comme  une  honteuse  infirmilé  ». 

dette  crise  fut  provoquée  par  le  directeur  du  collège  lui 
même,  ecclésiastique  pieux  et  théologien  savant,  qui  eut  l'ini 
prudence    de    vouloir  administrer  à  ses   lycéens   (afin    de   le 
raffermir  dans  la  loij  quelques  leçons   sur  ce  qu'il   appelait  h 


J 


I     Iaim;,  fJorresp..  t.  i,  p.  20. 


i 


nous  r,A  loi  385 

«  pliilosopliif  (\v  la  i-eliafioii  »  ;  k'vain  jet»'-  dans  un  «'sj)iil. 
iiicrlc  jiis(jii('-là  en  face  de  ces  prohlcnics.  I/chianlcnicnl  de  sa 
loi  lui  inspira  une  assez  grande  tristesse  et  l)eaucoup  d'iiicjuié- 
ludc.  Il  recliereha  (comme  le  malade  recherche  une  médecine) 
des  livres  d'apologéticjue  qui  le  laissèrent  froid;  quelque  adou- 
cissement lui  fut  apporté  par  les  œuvres  d'hommes  sincèrement 
religieux;  1rs  Prisons  de  Pellico,  par  exemple,  dont  il  haisa 
parfois  les  pages  avec  un  transport  de  joie.  VA  puis  il  s'étourdit, 
emporté  par  la  vie,  sans  j)lus  se  demander  s'il  était  ou  s'il 
n'était  pas  croyant,  continuant  à  accomplir,  par  habitude  et 
par  respect  des  convenances  extérieures,  certains  rites,  jus- 
<|uau  Jour  oîi  peu  à  peu  il  les  abandonna.  Il  s'aperçut  alors, 
et  il  se  dit  clairement  «  lui-même  qu'il  était  complètement 
alfranchi  des  croyances  religieuses  (i)  ». 


* 


Dans  d'autres  cas,  la  foi  disparaît  doucement,  i)arce  qu'elle 
cesse  de  répondre  aux  exigences  affectives  du  sujet. 

Dan?,  une  observation  que  j'ai  recueillie.  M'"'  S.  s'explicpie 
ainsi  : 

"  l*oiir(iuoi  un  Ici  changement?  Simplement  parce  que  je 
n  avais  plus  besoin  de  Dieu.  La  foi  profonde,  active,  je  l'éprou- 
vai de  if  à  ij  ans.  Or,  pendant  ces  années-là,  je  connus  des 
chagrins  violents,  causés  par  la  mort  de  personnes  aimées. 
A  cause  de  cela  et  de  bien  d'autres  choses  encore,  je  vécus 
alors  dans  un  désarroi  moral  assez  grand  pour  me  donner  le 
besoin  d  avoir  quelqu'un  qui  nie  souliiit,  me  guidât,  me  con- 
solât. Ivn  même  temps,  j'étais  à  l'âge  oîi  on  apprend  l'existence 
des  problèmes  nn-tapliysiques,   et   oîi   on    les  résout   avec  une 


1)  BenQd.CnocB,  "  (Jril il/ iw  (le  moi- inènie  >^  Revue  de  métaphysique,  i<ii'.)-  I> 


386  1. A    lŒI.IGION    ET    LA    l'OI 

si'reine  audace,  parce  qu'on  veut  une  solution  à  toutes  les 
(luostions.  Je  me  fis  une  idée  de  Dieu  qui  répondît  à  ce  besoin 
d'appui  moral  et  do  cerlitiide  métaphysique.  Tant  que  l'un  et 
l'autre  me  furent  nécessaires,  je  donnai  à  Dieu  une  place  pré- 
pondérante dans  mon  existence.  Mais,  plus  tard,  ne  souffrant 
plus,  ayant  retrouvé  le  calme  et  appris  à  suspendre  mon  juge- 
ment devant  l'incertain,  Dieu  me  devint  moins  nécessaire,  et 
j'y  pensai  de  moins  en  moins.  Au  bout  d'un  certain  temps,  le 
sentiment  religieux  avait  disparu,  sans  que  mes  convictions 
religieuses  eussent  été  ébranlées.  Mais  à  partir  de  ce  moment, 
celles-ci  n'ayant  plus  de  raison  d'être,  étaient  à  la  merci  du 
moindre  choc.  Elles  furent,  en  effet,  détruites  par  des  argu- 
ments moins  puissants  que  ceux  auxquels  elles  avaient  complè- 
tement résisté  autrefois.  Et  je  ne  souffris  pas  de  la  mort  de  ma 
foi,  parce  qu'elle  ne  faisait  plus  partie  de  ma  vie.  Seulement, 
pendant  un  certain  temps,  dans  les  minutes  graves,  je  deman- 
dai à  Dieu  de  m'aider,  élan  aussitôt  réprimé  par  la  sensation 
du  silence  qui  seul  me  répondait,  et  cela  ne  laissait  pas  d'être 
douloureux.  Mais  ce  dernier  vestige,  lui  aussi,  disparut  comme 
une  habitude  que  l'on  perd.  » 

C'est  ainsi  qu'Emerson  quitta  l'Unitarisme,  non  parce  que 
les  Ecritures  étaient  en  conflit  avec  la  science,  mais  parce  que 
ses  révélations  intérieures  débordaient  la  religion  révélée.  Son 
incrédulité  procédait  d'une  foi  plus  profonde,  qu'aucun  sym- 
bole ne  satislit  jamais. 

Il  eut  toujours  en  répugnance  la  notion  d'Eglise,  et  mèmt 
celle  de  secte,  et  ce  qu'elles  impliquent  d'arrêt  de  dévelop-j 
pement,  de  répétition,  de  formalisme.  11  n'y  voyait  «  qu'ui 
élégant  incognito  pour  s'épargner  la  peine  de  penser  ».l 
Il  reprochait  au  mystique  lui-même  de  clouer  à  un  symboh 
un  sens  ne  varietur.  Il  en  voulait  au  christianisme  de  ferme! 
les  horizons  de  l'àme  avec  son  culte  qui  immobilise,  avec  se« 
personnes  saintes  autour  desquelles  tournent  des  rites  k  date 
fixe. 


HORS    I.V     lOI  JS- 


LA     CRISE     DE     DOUTE 

La  (lise  (l(;  doiile,  oiilic  riiuroyance  el  la  croyance,  a  les 
mcmes  allures  que  la  crise  de  conversion.  Nous  pourrions 
rcpéter,  à  son  propos,  la  plupart  de  nos  remarques  anté- 
rieures. Le  schéma  psychologique  est  le  même;-  el,  comme 
[)lus  haut,  cette  crise  d'àme  est  le  plus  souvent  aussi  une  crise 
de  situation  oîi  interviennent  toute  espèce  de  considérations 
sociales  ou  mondaines. 

Dans  le  cas  de  l'historien  (ireen,  nous  voyons  la  ei'ise 
réduite  à  son  expression  la  plus  simple  et  conduite  par  des 
considérations  intellectuelles.  Les  controverses  tliéoloj?iques 
lui  parurenl  s'elFondrer,  mesquines  et  vaines,  devant  le  nou- 
veau livre  de  Darwin  sur  l'homme  et  son  origine.  «  Sacrifice, 
Justification.  Inspiration,  tout  cela  paraîtra  à  nos  enfants 
aussi  ahsurde  (jue  nous  paraissent  à  nous  le  gnosticisme  et  la 
transsubstantiation.  Je  ne  dis  pas  qu'une  religion  rationnelle 
soit  impossible...  mais  pour  y  arriver,  il  nous  faut  jeter  aux 
balayures  les  théologies  vieillies  et  fiinées  de  l'enfance  du 
monde.  » 

Le  cas  du  Père  Hyacinthe  Loyson  présente  un  intérêt  parti- 
culier. Sa  «  conversion  »  à  rebours  n'est  pas  un  changement 
radical.  C'est  la  prédominance  définitive  d'un  des  deux  aspects 
constants  de  sa  nature,  le  libéralisme,  contre  l'autre,  le  tradi- 
tionalisme. C'est  le  sentiment  définitif  que  sa  vocation  n'est 
point  dans  son  Ordre  ni  même  dans  l'Eglise. 

Toute  sa  vie  s'est  passée  à  la  recherche  du  haut  idéal  chré- 
tien à  travers  les  institutions  du  christianisme  et  les  désillu- 
sions successives.  Saccrdos  in  acternnm;  un  sacerdoce  qu'il 
n'a  jamais  renié,  mais  ([uil  a  seulement  travaillé  à  élargir  et  à 
agrandir.  Et  il  s'est  accroché  aux  institutions,  tant  qu'il  a  pu 
Plus  il  se  sentait  entraîné  vers  le  libéralisme,  plus  il  se  rejetait 


388  i.A   iiEi.KiioN   i:t  I.A    lOI 

iiivoloMlaiicMiiciit    vers    les    l'ornu's    li's    plus    inalérielles   de    la 
roIip,i()ii. 

II  II  a  jamais  cesisé  dètrc,  contre  une  puissante  soUieitalion 
intérieure,  profondément  amoureux  d'une  religion  positive. 
Les  papiers  de  •'  C.harles  Venient  »,  publiés  par  le  «  Mercure  de 
France  »  (i),nous  montrent  comment  il  s'est  arrêté  sur  la  penle 
du  théisme  pur,  du  radicalisme  reliu:ieux,  encore  qu'il  lût  vive- 
ment tenté  d'aller  plus  loin.  (Iharles  Venient  représente  cet 
aspect  extrême,  radical  de  sa  nature,  un  t^roupe  cohérent  et 
stable  de  tendances  et  de  préoccupations,  cristallisé  en  une 
demi-personnalité  imaginaire,  et  «jui  i)rend  un  nom.  A  lui 
s'oppose  l'autre  tendance,  la  voix  profonde  de  la  subcou- 
seicnce,  la  conciliation  de  la  religion  et  du  pur  monothéisme 
j)ar  le  mystère  des  mystères,  v  coexistence  du  Fini  et  de 
rinlini  >.  «  La  grande  erreur  de  Charles  Venient  est  de  ne  pas 
savoir  s'arrêter  et  de  ne  voir  qu'un  côté  des  choses.  »  Le  Père 
Hyacinthe  a  été  l'un  et  l'autre,  mais  à  mesure  qu'il  avançait 
dans  la  vie,  la  voix  de  (Charles  Venient  se  faisait  plus  distincte, 
sans  arriver  [)ourtant  à  dominer  son  interlocutrice. 

La  peur  du  traditionalisme  et  même  du  christianisme 
remonte  à  son  adolescence.  Il  y  a  toujours  eu  des  doutes  chez 
lui.  et  particulièrement  à  certains  moments  vifs  de  sa  vie  reli- 
gieuse. Au  sein  de  son  enfance  chrétienne,  parfois  le  christia- 
nisme lui  apparaissait  menaçant,  contraire  à  l'inspiration  des 
auteurs  dont  il  faisait  sa  lecture  favorite. 

Son  premier  doute  apparut  à  i2  ans,  dans  le  recueillement, 
(Ir  la  prière,  et  au  moment  où  il  venait  de  renouveler  sa  pre-j 
mièrc  communion.  «  Si  cela  n'était  pas?  »  se  dit-il  en  pensant 
à  la  présence  réelle,  et,  de  son  propre  mouvement,  il  demandai 
que  sa  communion  suivante  fût  retardée. 

Lu  peu  plus  lard,  en  iH^'j,  la  conversation  de  Liszt  provo-] 
qua  chez  lui  des  angoisses  d'incertitude. 

I     i(»  sept.   1913. 


lions  i.A   i(»i  389 

Mais  ses  doutes  poilaiciil  sur  le  chiisUainsinc  cl  iioii  |)as 
sur  le  llu-isinc.  (|iii  (Icinciiia  loiijours  iiilacl  dans  son 
espril. 

Aussi,  à  iS  ans,  il  peiicliail  laiiLùl  vers  le  duulc,  lanl(H  vt-rs 
la  siipcislitioii  :  <•  Lorsque  rien  n'est  absolument  certain,  loul 
esl  absolument  possible.    - 

Il  lui  un  séniinarisle  très  pieux  et  non  [)as  un  étudiani  de 
llicoloiifie  positive.  Les  débuts  de  sa  vie  sacerdotale  sont  bai^Miés 
de  Iciidresse.  Il  avait  rêvé  mariaj^e,  il  était  resté  amoureux. 
En  lun  tle  ses  maîtres,  Charles-Théodore  jîaudry,  il  rencontra 
lin  objet  d'amour  et  d'admiration.  «  Je  n"api)artenais  pas  à  la 
leliu-ion  eatlioliipie  romaine,  mais  à  la  reliuion  de  Gliarles- 
Tlicotlore  liaudry.  Je  ne  reposais  pas  mon  âme  sur  l'inrailli- 
bilite  de  l'Lii^lise,  mais  sur  celle  de  Charles-Théodore  Baudry.  » 

Il  a  d'abord  appartenu,  par  amour,  à  la  reliffion  de  Charles- 
riieodore  liaudry.  Puis  vient  une  [)ériode  de  transition,  pen- 
dant la([uelle  il  a  dû  s'appartenir  à  soi-même.  Puis  il  est 
entré  dans  une  autre  religion,  celle  d'Lmilie-Jeanne  Meriman. 
Mais  ces  deux  reliji:ions  d'amour  n'en  faisaient  (pi'une  et  se 
liaient  à  une  troisième,  encore  innommée  (i). 

Prêtre  le  i^J  juin  1801,  il  dit  sa  première  messe.  «  dans  (piel 
iiK'lauge  de  doute  et  de  loi!  »  «  La  messe  a  toujours  été  ma 
grande  souffrance  en  même  temps  que  ma  ii:rande  joie.  » 

Il  marcha  entre  des  abîmes  :  l'Lglise  et  la  Conscience;  le 
(  armel,  le  ministère  de  la  chaire,  et  sa  vie  intérieure  toujours 
jilus  scienlifi(jue  et  plus  libre.  Il  essayait  de  se  faire  illusion 
sur  son  orthodoxie.  Il  luttait  pour  rester  dans  la  foi.  Le  Syl- 
labus  «  ne  louchail  en  réalite  à  aucune  des  idées  du  libéralisme 
saife.  Il  fallait  n'accorder  aucun  examen  volontaire  à  ses  pen- 
sées relatives  à  la  foi,  à  la  vocation,  faire  abnéi^ation  de  jut^e- 
nient,  sabandoimer  dans  la  nuit  de  la  foi.  Il  fallait  accepter 
les    éh'ments    actuels   du   Carmel,   même  en   les  comballanl.    » 

I      Iloi  TIN,   214. 


'3«)0  LA    UKLIGION    KT    LA    1  OI 

Ne  jamais  renier  le  (ieveloppciiient  progressif  et  légitime  de 
1  iiilelligenee  et  des  soeiétés  humaines,  cl  cependant  resler 
lidèle,  soumis  à  l'aulorité  extérieure  et  visii)le  de  l'Eglise  dans 
la  sphère  de  son  exercice  obligatoire.  Contra  spem  in  speni 
vredidit  (i). 

Pour  rester  moine,  il  essayait  de  croire  (juil  était  un  grand 
pécheur,  en  particulier  (ju'il  avait  abandonné  à  deux  reprises 
la  foi  chrétienne  pour  le  déisme. 

('/est  en  1868,  prêchant  le  Carême  à  Rome,  ([u'il  commen(;a 
à  se  demander  précisément  s'il  ne  pourrait  pas  arriver  un 
moment  où  il  devrait  sortir  des  limites  visibles  de  l'Eglise 
catholicpie.  Il  se  sentit  revêtu  d'une  mission  de  prophète.  Mais 
si  le  catholicisme,  d,ans  son  état  actuel,  n'était,  pour  ainsi  dire, 
plus  acceptable,  pourtant  les  sociétés  ne  peuvent  s'en  passer. 
Donc  demeurer  dans  l'Église  et  y  attendre  le  grand  renouvel- 
lement providentiel. 

Les  persécutions  de  l'Ullramontanisme,  son  amour  pour 
celle  (ju'il  devait  épouser  plus  tard  précipitèrent  sa  crise.  C'est 
un  fait  <pie  beaucoup  de  crises  s'achèvent  par  l'intervention 
amicale  ou  hostile  de  l'entourage.  L'Kglise  a  souvent  précipité 
des  apostasies  hésitantes.  D'autre  part,  la  rencontre  de 
M""^  Meriman  parait  avoir  été  décisive.  La  tendresse  enfantine 
de  jadis,  l'amour  juvénile  qui  l'avait  fait  hésiter  devant  le 
sacerdoce,  revenait,  impérieux  et  viril,  maître  des  sens 
éveillés.  Sous  le  thème  de  l'alliance  mysticpie  et  de  l'unité 
d'âme  dans  la  religion  à  laquelle  il  venait  de  la  convertir,  un 
véritable  amour  aspirait  à  se  satisfaire  qui,  rencontrant  les  lois 
de  l'Kglise  romaine,  devait,  dans  une  conscience  déjà  prête  à 
se  séparer  d'elle,  achever  de  tout  bouleverser.  D'autant  qu'il] 
apportait  l'achèvement  spirituel,  (pii  manquait  jusqu'alors,  ctj 
dont  l'absence  avait  laissé  l'Ame  dans  l'indécision.  Cet  amour, 
religieux  et  grave,  était   comme   un   approfondissement  de  laj 

I      HoLTIN,    \'^(j. 


nous    LA    lOl  3(JI 

l'olilîion,    la    nouvelle     religion    pressentie,    cherciiée,    aimée; 
<(  la  l'évélalion  de  Dieu  par  Emilie  », 

(yest  ainsi  ([u'il  sorlit  du  (larmel  el  de  l'Eglise,  secouant  le 
poids  de  ses  ehaines.  (^ette  dernière  crise,  cette  «  agonie  de 
l'ûme  »  avait  duré  de  longs  mois.  «  J'entrai  alors  tout  vivant 
dans  la  mort  (i).  »  Des  deux  iiommes  qu'il  était,  lun  avait 
eonnnencé  de  vaincre  l'autre.  «  La  moitié  de  ma  vie  a  mis 
lautie  au  t<>nd)eau.  » 


* 


L'argumentation,  la  discussion  dogmatique,  l'angoisse  intel- 
lectuelle tiennent  peu  de  place  dans  la  crise  religieuse  d'Hyacin  tlic 
Loyson.  Il  semble  que  la  dogmalique  catholique,  superposée 
aux  tendances  naturelles  de  son  esprit  et  maintenue  par  une 
sorte  de  déli  à  soi-même,  il  semble  que  la  vie  monacale  et  la" 
vie  ecclésiastique,  prises  par  erreur  pour  l'expression  de  la 
haute  vie  chrétienne,  se  soient  progressivement  volatilisées 
dans  l'élargissement  progressif  de  son  àme,  et  que  le  conilit 
inévitable  avec  l'ultramontanisme  et  l'amour  pour  M""^  Meriman 
aient  achevé  de  les  dissiper.  Sans  doute  Charles  Venient  repré- 
sente en  lui  le  théisme  strict  et  il  combat  en  lui  ce  ([ui  lui 
reste 'de  christianisme  ;  la  discussion  se  prolonge  au  sein  de  la 
personnalité  dédoublée.  Or  on  n'a  pourtant  pas  l'impres- 
sion que  la  queslion  de  vérité  spécidative  soit  au  premier  plan, 
mais  bien  celle  de  la  valeur.  Au  contraire,  c'est  le  problème  de 
la  vérité  du  christianisme  (pii  a  arraché  Renan  à  la  foi 
catholique. 

Il  y  a  chez  llenan  deux  crises,  la  crise  de  la  foi  et  celle  du 
sacci'doce.  ({ni,  du  reste,  interfèrent  (a).  La  crise  de  la  foi  a  été 


i)  K.  (le  l'ressensr,  pîw  1Iyai;i.\tiik  Loyson.  Discours  prononce  à  Paris,  le 
Kj  avril  i,S<)t.  p.   i8. 

21  HfiV.w,  Souvenirs  d'enfance  et  de  jeunesse  (aven  les  IcUrcs  ù  l'aMn" 
Cognai,  (In  a!j  août    iS'|.i   'lu  n   sept.   r8'i6 ';  l'ragmcnfs  intimes  et  rorruincsifue^ 


3t):l  l.V    UKLKilON    KT    l.\    lOI 

pri'cisôe  et  pircipitrc  clic/  lui  par  la  ncccssilc  d'accomplir  des 
actes  iri'cvocaMcs. 

En  (piillanl  Trcgiiicr  cl  ses  vieux  niaîlics,  la  scvcrc  vie  de 
province,  le  catliolicism.e  austère,  le  jeune  Breton  dépaysé 
passait,  connne  il  la  dit,  du  catholicisme  à  une  piété  musquée  ; 
la  solide  enveloppe  d'habitudes  et  d'inHuencc  tombait,  en 
même  temps  que  se  présentaient  à  lui,  à  Issy  et  à  Saint-Sulpice, 
les  difficultés  de  l'histoire  et  de  la  philosophie. 

Renan  a  toujours  dit  que  laphilosophie  n'a  été  pour  rien  dans 
son  «  apostasie  ».  Il  s'organisait  lentement  en  lui  une  doctrine  (pii 
n'était  pas  conforme  au  christianisme,  mais  qui  ne  l'en  éloignait 
pas.  Les  dogmes,  lloltanl  dans  l'air  métaphysique  ne  choquaient 
en  lui  aucune  opinion  contraire.  Ses  raisons  auraient  toutes  été 
d'ordre  philologique  et  critique. 

Ses  adversaires  ont  bien  souvent  prétendu  (pie  de  telles 
raisons  n'auraient  point  pesé  lourd  si  llenan  n'avait,  de  parti 
pris,  nié  le  surnaturel  (i),  ce  qui  est  une  position  philoso- 
phique. Ernest  Psichari,  qui  a  voulu  réparer  par  sa  conversion 
l  apostasie  de  son  grand-i)ère,  et  qui  projetait  sans  doute  de 
rendre  à  l'Eglise  le  prêtre  qu'elle  avait  perdu  (2),  pense  peut- 
être  à  Renan  lorsqu'il  écrit  :  «  Les  prétendues  contradictions 
des  synoptiques  ne  servent  qu'à  ceux  qui  sont,  dès  l'abord  et 
avant  tout  examen,  décidés  à  nier  le  surnaturel  (3).  » 


les  lettres  i  Liart  ;  Lettres  intimes  ;  Caliiers  de  Jeunesse  ;  Nouveaux  cahiers  de 
jeunesse;  Lettres  du  Séminaire;  Ma  sa'ur  Henriette;  Patrice.  J.  Pommiuk,  Un 
opuscule  inédit  de  Renan  (Revue  de  Paris,  i"  sept.  1920  . 

(i)  C'est  aussi  en  partie  l'avis  de  Loisy  (Choses  passées,  176)  :  «  Il  n'est  pas 
sans  intérêt  de  constater  que  l'esprit  de  la  démonstration  scolastique,  après 
lui  avoir  suggéré  (jue  la  croyance  religieuse  était  ohjct  de  certitude  scienti- 
fique en  ce  qui  regarde  les  vérités  dites  de  religion  naturelle  et  les  titres^ 
de  la  révélation,  la  induit  d'abord  à  l'incrédulité  quand  il  eut  remarqua 
l'absence  de  certitude,  et  lui  a  fait  ensuite  chercher  dans  la  science  une  bas< 
purement  rationnelle  pour  les  progrè'^  ultérieurs  de  l'humanité.  Rien  n'es! 
plus  propre  que  cet  exemple  à  l'aire  ressortir  les  inconvénients  de  l'apologé 
tique  dite  traditionnelle.  » 

(2    Massis,  Ernest  Psichari. 

(3i  Les  Voix  qui  crient  dans  le  désert,  91.  Cette   assertion  est  bien  conles5 
table  ;  on  peut  admettre  le  surnaturel   et  critiquer  les  titres   liistoriques  d« 


nous  LA   roi  393 

Si  Ton  cvamine  les  docuincnls  coiilcmporaiiis  (jiic  nous 
avons  cités,  il  semble  que  la  vérité  soit  entre  les  deux  thèses. 
Ce  n"esl  pas  la  pliilosophie  qui  a  poussé  Renan  hors  (hi  chiis- 
lianisine,  mais  elle  a  lorlemenl  ébranlé  sa  loi. 

11  la  abordée  avec  passion,  mais  comme  une  doctrine  dhypo- 
llièses  oîi  il  n'y  a  pas  de  certitude  ai)Solue,  et  (jui,  levant  une 
foule  de  [)réju,i?és,  mettant  au  ranj;  de  problèmes  les  jugements 
(jui  paraissent  les  plus  certains,  apprenant  à  tout  voir  à  nu  et 
sans  voile,  est  bien  près  de  mener  à  un  scepticisme  universel  (i). 
Ainsi  la  philosophie  lui  a  montré  dabord  des  diCficultés 
partout,  là  même  oîi  auparavant  il  n'en  voyait  pas  lombre  ; 
mais  il  espérait  que  la  solution  viendrait  plus  tard  (2j. 

Mais  l'i-branlement  philosophiciue  a  été,  ou  est  devenu  plus 
pi'ol'ond.  Le  3  mai  184^2,  Renan  écrit  à  Liart  cpu'  la  philosophie 
est  la  plus  dangereuse  des  études.  Qui  n'a  pas  la  foi  ferme,  n'a 
qu'à  s'y  donner  {)our  la  perdre  tout  à  fait.  Jamais  il  n'avait  eu 
tant  de  diflicultés,  ni  même  tant  de  doutes  positifs. 

«  Je  suis  dans  un  drôle  d'état;  tour  à  tour  déiste,  panthéiste, 
aulothéiste,  idéaliste,  matérialiste...  Il  n'y  a  que  deux  choses 
(pii  me  eonlirmentdans  la  foi:  la  lecture  de  la  Bible  avec  son 
charme  inexprimable,  et  celle  de  Pascal.  Sans  lui,  je  n'aurais 
l>lus  la  foi  depuis  plus  de  six  mois.  Pascal  a  montré  (^contre 
le    bon    sens,    ramassis    d'opinions,    d'habitudes,    de    eonven- 


tellr    ou    Icllr    iclij^'^ion  ;  ainsi    l'ont    loules  les    rcligioiis  les   unes    conlrr   les 
autres. 

l)n  sait  ({ue  la  thèse  soutenue  par  K.  Psieliari  était  celle  de  HKUNKiiiiHi-: 
{Lin<i  lettres  sur  Jù'nest  Jteiian,  p.  29,  3o).  Dans  un  intéressant  chapitre  (lienan 
et  la  théologie  de  Saint  Sulj)icei  de  son  livre  sur  V Utililr  du  l'rairtiKitisnie, 
Cl.  Soin  L  eonclul  :  «  Renan  avait  donné  une  explication  parfaitement  raison- 
nalde  de  sa  rupture  relij^ieuse,  ipiand  il  avait  dit  (|ue  ses  éludes  philolo- 
{fiques  avaient  sulli  pour  lui  montrer  la  vanité  des  thèses  exposées  dans  le 
traité  De  la  vraie  reli^^ioii  ;  il  était  à  bon  droit  passé  de  ce  premier  scejiti- 
cisnie  à  une  néf,'atiou  {générale  du  système  clérical;  on  ne  pourrait  contester 
son  explication  (|ue  si  on  lui  contestait  un  profond  sentiment  de  l'histoire.   » 

Il  Lettres  intimes,  87  (23  mars  iS4'Jj  ;  «j(»  (i."»  sept.  iS^ai  ;  ibid.,  <>H.  Nos  convic- 
tions n  (luehiue  éhranlées  qu'elles  aient  pu  être  par  les  premières  études  de 
la  pliilosophie,  qui  donnent  toujours  un  peu  de  lièvre  ». 

•j    Fraifinents  intimes,  ii>ii.    Lettre  à  Liarl,  a'j  jaiwier  i^]j 


■Jt)4  I.A    UKl.lGIO.X    KT    L\    FOI 

lions)  l'incertitude  «le  tout  savoir.  Voilà  un  homme  qui  était 
au-dessus  des  préjugés,  et  pourtant  il  a  été  chrétien,  cela  est 
démonslratiC.  » 

Mais,  si  importants  que  soient  ces  textes  de  lannée  i84'-î,  te 
n'est  point  en  1842  que  s'est  faite  la  rupture,  et  en  1843  il  lui 
arrivera  encore  de  parler  de  la  belle  et  vraie  théologie  apolo- 
gétique, d'une  profondeur  étonnante  (1). 

On  sait,  d  autre  part,  et  par  d,es  documents  suffisamment 
abondants,  l'effet  de  ses  études  d'exégèse.  Il  lui  devint  peu  à  peu 
«  scientifiquement  »  évident  que  l'explication  orthodoxe  de 
l'Kcriture  était  insoutenable  (2). 

Sous  l'effet  combiné  de  la  philosophie  et  de  la  critique 
historique,  il  «  cesse  de  croire  au  christianisme  parce  qu'il  fait 
rentrer  dans  la  nature  ce  qu'autrefois  il  regardait  comme  supé- 
rieur à  la  nature  (3)  >.  Longtemps  Jésus  résista  à  tous  ses 
efforts.  Il  ne  croyait  plus  au  miracle  que  Jésus  était  encore 
pour  lui  un  miracle.  Jésus-Christ  n'est  point  un  produit  de 
l'esprit  grec.  Il  na  pu  surgir  du  judaïsme  et  de  l'orienta- 
lisme, ni  par  action,  ni  par  réaction.  Mais  une  vue  plus  étendue 
de  la  psychologie  de  l'histoire  lui  montre  ce  qui  peut  se  faire 
dans  les  grandes  crises  de  l'esprit  humain.  Les  lois  actuelles 
suffisent  en  histoire,  comme  en  géologie,  pour  produire  les 
révolutions  (4). 

C'est  ainsi  que  Renan,  à  1  Age  <le  vingt-deux  ans,  pendant 
la  retraite  de  l'ordination,  à  laquelle  il  devait  participer  comme 
sous-diacre,  maudissant  le  jour  où  il  naquit  à  la  pensée, 
enviant    ceux    (jui  dormirent   toujours    du    sommeil    de   leur 


(I)  Lettres  intimes,  i53  (27  no\.  lS43j  ;  c'est  une  des  plus  grandes  marques 

de  la  vérité  du  clirislianisnie  que,  pour  prouver  cette  vérité,  il  Caille  analyser 

tout  re  qu'il  y  a  de  plus  profond  dans  l'iidinine. 

2,  Cahiers  de  Jeunesse,  p.  96  (juillet  i845?) 

^3)  "    Il  faut   bannir  du    monde   le   Dicti   à  fantaisie  qu'avaient   rêvé   nos] 
pères.  »  (Cahiers  de  Jeunesse,  3^.) 

4)  Voir  PoMMrKH,  Un  opuscule  inédilde  Renan  {Revuede  Paris,  i"  se\>\..  igao.il 
L'essai  ps3cboloj,'i(iue  sur  .Jésus  est  de  i845. 


HORS    l.V    loi  'i<(.") 

raison  (r),  sentait  s'eflbiidrer  l'hypothèse  throhjc:i<HK"  et  appe- 
lait Jésus  muet  à  ses  appels  : 

«  Si  pourtant,  o  Jésus,  l'hypothèse  théologique  était  vraie, 
oh!  fais-le-uioi  eounaitre.  Dis-le-moi  donc!  (lar,  il  faut 
le  reconnaître,  si  cette  hypothèse  est  vraie,  je  suis  bien 
malheureux  et  loin  du  vrai.  ()  Jésus,  éclaire-moi,  toi  vérit<'', 
toi  vie.  Je  soulFre,  o  Jésus,  d'avoir  soulevé'  ton  problème. 
Il  est  trop  lourd  pour  moi,  car  je  ne  suis  qu'un  homme,  et 
lu  étais  ([uekfue  chose  de  plus.  Oh  !  dis-moi  donc  ce  que  tu 
es.  —  Mon  Dieu,  suis-je  de  bonne  foi  ?  purilie-moi  et  une 
bonne  lois,  dis-moi  oui,  ou  non  ! 

«   Ici,  j'ai  été  à  la  chapelle  prier  Jésus,  et  il  ne  m'a  rien  dit.  •> 

Ainsi  toute  mythologie  du  christianisme  tombait  devant  la 
criti([ue.  Et  il  n'y  avait  point  ici  d'x\llemagne  i)our  concilier 
les  contradictions  ou  faire  vivre  ensemble  la  liberté  scientifi([ue 
et  la  foi  chrétienne.  Et  pourtant,  s'il  ne  croyait  plus  assez,  s'il 
doutait,  llenan,  même  à  cette  date  de  i845,  n'adhérait  pas 
encore  à  la  négation  de  la  foi  (2).  Mais  les  «  désolantes  pen- 
sées »  afiligeaient  continuellement  son  àme,  et  cela  dans  une 
elfrayantc  progression  d'accroissement.  S'il  nosait  pas  encore 
faire  le  pas  décisif,  car  il  savait  que  les  réllexions  successives 
avaient  naguère  amené  des  revirements,  car  il  était  pris  dans 
d  inextricables  réseaux,  car  il  lui  fallait  arracher  la  moitié  de 
son  àme  pour  s'en  délivrer,  il  était  bien  décidé  à  ne  pas  accepter 
le  sous-diaconat  pour  la  prochaine  ordination  et  à  chercher  une 
autre  situation  (3). 

'  Il  est  bien  cruel  le  moment  où  il  faut  rompre  avec  ce  tjui 
a  rem[)li  les  rêves  et  fait  la  joie  du  passé;  longtemps  cette 
rupture  laisse  au  c<rur  un  vide  désolant  Cf).  »   Si  Renan  a  été 


li  Rev.  de  Paris,  i,5  sept,  xfyio  \  aCn.  N'y  a-t-il  pu-s  ici  rêb.'iiulu'  de  la  lua^-iii- 
liqiie  tirade  de  l'nfrire  :  •  Dors  toujours  ainsi  au  sou  de  la  musiqui-  d<'S 
nioïKfes.  " 

'■2)  Li-ttrrs  iiitim-s,  p.  a-J)  Cir  avril  tf^^ô). 
3)  FntiTin.  inlinws  d  roni.,  i'\  février  i8',.>;  aa  uiars    i845. 
fl  Lettres  intimes,  281,  12  sept.  i8'|n. 


3()t)  LA    IJELIC.IO.N    KT    LA    lOI 

sauvé  (K'  1  aspect  trai;i(|U('.  ([uo  pioiiiiciil  parfois  de  telles  crises, 
par  celte  bonne  liiinicui',  ce  tbiitl  d' optimisme  (i)  et  peut-être 
aussi  de  complexité  et  de  douce  ironie  (2),  dont  il  parle  dans 
les  Souvenirs  d'enl'ance  et  de  jeunesse,  pourtant  «  l'écroulcmen 
de  sa  vie  sur  elle-même  »  lui  laissa  un  sentiment  de  vide 
<•  comme'  celui  ([ui  suit  un  accès  de  lièvre  ou  un  amour  brisé  » 
Le  monde  lui  parut  médiocre;  lout  lui  parut  étroit  et  mes([uin 
Un  profond  désenchantement  suivit  celte  grande  conversion. 

Il  y  eut  des  moments  où  le  passé  reprenait  son  empire  (3) 
Mais  peu  à  peu  les  veslia:es  de  loi  devinrent  des  souvenirs.  At 
bout  dun  an,  il  avait  peine  à  comprendre  comment  autrel'oi 
il  avait  pu  croire.  Tout  le  passé  céda  devant  la  formation  d'ui 
idéal  nouveau. 

dette  longue  aventure  de  trois  ans  a  connu  des  oscillationf 
et  des  retours. 

Aux  jours  les  plus  agités  de  sa  vie,  parfois  avaient  succéd< 
des  jours  pleinement  heureux  et  tranquilles.  Après  la  tonsure 
les  doutes  s'étaient  momentanément  évanouis  (4)-  La  déeisiol 


^11  Soinffiiirti  d'cnj'aïue,  p.  i'j^.  Voii-  aussi  Letlrea  intimes,  -jab  (11  avr.  184») 
«  Jamais  toute  cspdrance  n'est  sortie  de  mon  cœur;  et  même  dans  ces  rares 
moments  où  la  mort  m'a  semblé  le  seul  remède  à  mes  maux,  eh  bien!  même 
alors  il  y  avait  encore  au  lond  de  mon  cœur  un  régime  assez  calme.  »  —  «  Je 
me  consolais  en  songeant  que  je  soutirais  pour  ma  conscience  et  pour  la 
vertu.  » 

[2j  Cette  nuance  est  exprimée  dans  Patrice,  8  :  «  Je  ne  cherche  pas  du  tout 
à  être  rigoureux  et  logique  dans  mon  système  de  vie...  Notre  esi)rit  est  partiel 
et  faible,  il  ne  voit  que  des  Iragmeuts  incohérents  du  système  des  choses.  Je 
[)rends  ce  «lue  je  trouve,  j'embrasse  tous  les  atomes  de  vérité  et  de  beauté;  je 
me  glorilie  de  mes  _c(mtradiclions.  (Juant  à  l'ensemble,  le  l'ère  céleste  sail 
ce  qu'il  en  tsl.  -  Ihid,  76  :  ■■  Le  défaut  de  ma  nature  fut  de  réunir  trop  d'élc 
ments  divers.  La  partialité  est  la  condition  nécessaire  de  l'esprit  liumain. 
Toute  phrase  isolée  est  fausse,  parce  (ju'eilc  ne  présente  qu'une  face  des 
choses.  » 

(il  Même  trait  chez  Joli- i-uoy  :  «  Bien  que  monintelligence  ne  considérât 
pas  sans  quebjue  orgueil  son  ouvrage,  mon  âme  ne  pouvait  s'accoutumer  à 
un  état  si  peu  fait  pour  la  faiblesse  humaine;  par  des  retours  violents  elle 
cherchait  à  regagner  les  rivages  qu'elle  avait  perdus  ;  elle  retrouvait  dans  IM 
cendre  des  croyances  passées  des  étincelles  qui  semblaient  par  intervallâ^ 
rallumer  sa  foi.  »  [Nouveaux  inrianges,  p.  iiâ.;  —  «  Des  élans  intérieurs,  des 
attendrissements  sul)its  me  rapi>elaient  à  mes  croyances  passées  et  éteintes.  » 

(4   Fragments  intimes,  253  (Lettre  à  Liarl,  uij  mars  18441 


lions  i.\  I  ()i  'i«)7 

aiiK'iR'  lin  repos  inomeiilaiic  clie/.  I  iii(|iiict.  Par  iiiomciils.  il 
«'•lait  à  la  fois  (•allioli(|ii('  et  rationaliste;  récitant  les  psaumes, 
avec  (les  vils  retours  de  dévotion  (i).  Mais  certains  voiles  «  une 
l'ois  soulevés  ne  se  replient  jamais  »  {-j).  En  vain  il  se  retenait 
sur  la  pente,  en  vain  il  s'accrochait  aux  plus  petits  appuis.  Kn 
vain  il  liiltail.  [)resque  de  mauvaise  loi  avec  soi-même  pour  s«> 
retenir  et  se  l'aire  croire  à  soi-même  (ju'il  croyait  (juand  il 
doutait  et  (pi'il  doutait  (piand  il  voyait  la  raison  contraiie  à  sa 
croyance  se  dresser  devant  lui  (3).  Nains  atermoiemenls.  vain 
cMoil  pour  se  duper  soi-même,  qu'encourage  pourtant  la  peur 
de  la  décision  quelle  qu'elle  soit. 

Ses  directeurs  l'ont  aidé,  un  temps,  à  se  maintenir,  précipi- 
tant les  vœux  pour  l'aire  disparaître  les  troubles.  Donc,  «  Jiat 
vohintas  tua,  et  faisons  ce  que  dit  notre  directeur  (4).  »  Kn  sens 
contraire,  la  direction  très  énerp:i([ue  et  si  doucement  voih'c  de 
sa  sa'ur  Henriette  apparaît  bien  dans  les  Lettres  intimes  et  à 
j)artii'  d'un  certain  moment  s'impose  ff)rtem<'nt  (5). 


Nous  avons  vu  chez  un  Loisy  le  trouble  ([ue  projette  lana- 
lyse  rationnelle  de  la  croyance,  la  doideur  de  la  pensée  catho- 
ii<pie.  sur  la  ferveur  naïve,  la  pi('l(''  cultuelle,  l'extase  attendrie 


'i)  •  J'ai  parfois  «les  retours.  Voici  un  ;in  <|in'  j  ;(i  rr(,ii  les  onlie^  iiiineiirs. 
Ces  lëles,  toiil  cela  me  touche.  Je  suis  pics(|uc  lent<"  de  re\enirâ  la  piëlé.  Ce 
mol  est  étroit,  petit,  mesquin,  mais  il  a  sa  douceur-.  Je  suis  quelquefois  tenté 
de  renoncer  à  mon  rationalisme  j)our  m'y  jeter.  II  n'est  pas  du  tout  impos- 
silde  d'étoullrr  ainsi  une  partie  de  soi  nn"me,    > 

(a    Lettres  intimes,  aHi. 

(■{    h'rapin.  intimes  et  romaiics<iues.  ni. 

(4)  FrafTin.,  2.S<).  (Dec.  iS'iS.' 

■5  lA'ttrcs  intimes,  2<io  (5  août  i^\h).  Bien  entendu  les  faits  sont  Iieauconp 
plus  complexes  que  ne  les  pn-senle  ce  raccourci  ps\eliolof;ique  ;  [larmi  les 
éléments  dont  il  faudrait  tenir  compte  pour  une  élude  plus  enniplète,  si>;na- 
lons  les  ménagements  qui  s'imposent  à  Uenan  à  l'é^fard  de  sa  mère,  les 
questions  de  vie  matérielli-  ipii  viennent  conq)liquer  sa  décision,  la  pari, 
dans    son    indécision,   de    son    interprétation    poéli<|uc   cl   morale  du   cliristia- 


j(|S  \.\     llEI.ir.ION    Kl"    I.A    KOI 

(les  cliaiils  d'éj^liso.  L;i  ihéoloi^R'  laisse  sou  esprit  vido  et  ne  (ail 
qu'accroître  ses  angoisses  intimes  sur  l'objet  de  la  foi.  G'esl 
un  acte  de  voloulé  qui  Ta  fait  prêtre,  contre  le  désarroi  de  sa 
pjenséc.  * 

Peut-être  le  serait-il  reste,  oubliant  tant  bien  que  mal  et  la 
lhéolog:ie  et  ses  doutes,  si  l'histoire  n'avait  mis  aux  prises  dans 
son  esprit  la  science  et  la  foi.  L'étude  des  textes  du  Nouveau 
Testament  y  fait  sombrer  la  notion  théolog;ique  de  l'inspiration 
scripturaire.  Nous  avons  vu  comment,  pour  rétablir  l'équilibre, 
il  entendait  ei  magnifiait  le  magistère  de  l'Kglise,  et  comment 
il  croyait  ainsi  répondre  à  l'eUort  critique  du  protestantisme  et 
à  la  science  critique  toute  pure. 

Et  peut-être  y  ijivait-il  là  une  doctrine  capable  de  maintenir 
la    foi,   si   elle  en   était   née.   Mais   cette  idée  fondamentale  a 
(juelque  chose  d'un  arlitice  volontaire;  elle  exprime  la  préoccu- 
pation de  coordonner  les  conclusions  critiques  à  la    foi  que 
Loisy  veut  garder.  «  Vent  garder  »  ce  sont  ses  termes  mêmes. 
Et  encore  que  la   doctrine  du  magistère  de  l'Église   lui   soit 
apparue  une  nuit  d'insomnie,  en   i883.  encore  qu'elle  soit  U 
résultat  d'une  sorte  de  fermentation  intérieure,  et  non  réllcxion 
froide  et  systématique,  elle  n'a  pas  été  soutenue  longtemps,  en 
admettant  quelle  en   soit  née,  par  la  ferveur  mystique,   qu 
seule  lui  eût  conféré  force  et  durée.  C.ar,  le  i5  novembre  i88( 
Loisy  écrit  que,  depuis  plusieurs  mois,  il  n'a  éprouvé  aucune 
impression  religieuse.  La  piété  contrariée  de  crainte,  qui  étai 
la  sienne  depuis  le  séminaire,  est  tombée.  Une  lutte  intérieun 
de  dix  années  vient  de  se  terminer.  Il  est  hors  du  catliolicisme 
sans  être  hors  de  l'Église  à  laquelle  il  demeure  attaché  pour  sa 
valeur  morale  et  sociale. 


nisine  i«  Un  mensonge  ne  produit  pas  d'aussi  beaux  Irnits  >>  ;  l'inlerprclatioil 
spirituelle  du  sacerdoce  (<■  Quand  même  le  christianisme  ne  serait  qu'une^ 
Fi'verie.  le  sacerdoce  n'en  serait  pas  moins  un  type  divin,  «i  Lettres  intimes^ 
çi»,  i5  sept.  1848  :  ibid.,  17  janvier  1843.  Nous  n'avons  pas  pu  profiter,  dan' 
celte  brève  étude,  des  importants  articles  publics  tout  récemment  pa 
M.  Lasskhre  dans  la  lieiiie  de  Paris. 


\ 


HORS    LA    loi  3c^ 

Nous  iivous  VU  plus  haut  ^uel  système,  (juclle  coiislruclion 
tlM'oiùiue  il  rt'pondu  à  ces  nécessités  intérieures  et  comment  il 
s  e.\pli(iuait  longuement  à  soi-même  pourquoi  et  comment  il  [)ou- 
vait  et  devait  rester  dans  l'Esçlise.  Et,  à  vrai  dire,  peut-être  y 
serait-il  resté,  si  l'ivjflise  avait  pu  s'accommoder  de  ses  accommo- 
dements. L'excommunication  de  Loisy  est  un  des  actes  retentis- 
sants par  les([uels  l'orthodoxie  s'est  affirmée  contre  l'hérésie 
moderniste,  la  réaction  vii^oureuse  d'une  religion  qui  n'entend 
point  laisser  altérer  ses  notions  fondamentales.  Certes,  Loisy 
n  était  plus  catholique  quand  il  entreprenait  de  montrer 
comment  ressenliel  du  catholicisme  pouvait  survivie  à  la  crise 
de  la  pensée  contemporaine  ;  et  il  n'était  pas  possible  au  catho- 
licisme de  se  contenter  des  titres  qu'il  lui  proposait.  Il  était 
inévitable,  —  l'Eglise  étant  ce  qu'elle  est  et  les  ecclésiastiques 
ce  (ju'ils  sont,  —  qu'il  fût  mis  hors  de  l'Eglise.  Mais  s'il  y  était 
resté,  il  n'aurait  pas  eu  même  l'illusion  d'être  en  communion  de 
foi  avec  elle.  Il  aurait  pu  l'avoir,  si  chez  lui  le  cœur  était 
demeuré  d'accord  avec  l'esprit,  si  les  impressions  religieuses, 
qui  avaient  supporté  le  doute  dogmatique,  et  qui  auraient  pu 
aussi  porter  et  animer  l'apologétique  nouvelle,  issue  de  doutes 
histori([ues,  ne  s'étaient  pas  irrémédiablement  fanées.  Et  c'est 
seulement  au  moment  où  il  se  laisse  reprendre  par  ses  émotions 
anciennes,  quand  le  couvent  de  Neuilly,  par  sa  douce  influence, 
jette  un  éclat  de  vie  religieuse  sur  son  rêve  intellectuel  et  senti- 
mental, c'est  dans  ces  suj)rêmes  mouvements  de  son  àme  catho- 
lique, qu'il  a  dû  sentir  s'animer  et  vivre  son  système  d'Apolo. 
géticpie,  et  l'Eglise  prendre  dans  son  Ame  la  force  et  la  uiission 
qu'il  lui  assignait  au  dehors. 

Mais  ce  désaccord  du  cœur  et  de  l'csiu'it,  d'oîi  venait-il  lui- 
même?  Pourquoi,  alors  que  l'esprit  s'entêtait  à  chercher  une 
conciliation  et  un  compromis,  le  cœur  s'était-il  désintéressé  de 
la  vie  catholique?  Il  est  possible  que  la  piété,  troublée  déjà  par 
la  théologie,  ait  cédé  peu  à  peu  à  la  lente  infiltration  de  l'exé- 
gèse. Si  c'est  lexégèse  (pii  est  en  cause,  elle  n'a  aori  que  peu  à 


}00  LA    IIKI.K.ION    F.T    I.A     FOI 

peu.  Car  en  1881,  lorsque  l'étude  des  textes  du  Nouveau  Testa- 
nienl  fit  soinhrcr  dans  son  esprit  la  notion  tliéoloe^iquc  de 
l'inspiration  scripturaire.  cotte  découverte  ne  le  troubla  pas. 
"  Au  contraire,  mes  incpiiëtudes  d'esprit  s'évanouissaient  à 
mesure  que  je  prenais  pied  sur  le  terrain  de  l'expérience  j 
(•riti([ue  (i)  ■>,  Et  encore,  en  i883.  il  était  trop  peu  assuré  de  ' 
ses  conclusions  <'ritiques  pour  s'en  servir  comme  d'arp^uments 
décisifs  contre  la  valeur  substantielle  des  dogmes,  et  trop  attaché 
à  l'Eglise  pour  aller  au  bout  de  sa  pensée. 

Il  est  possible  aussi  que  les  tracasseries  de  toute  espèce,  les 
polémiques,  les  humiliations,  tout  ce  «  duel  d'un  abbé  avec  la 
hiérarchie  catholique  »,  aient  transporté  Loisydans  un  monde  d( 
préoccupations  et  de  sentiments  tout  à  fait  éloigné  de  la  piété 
religieuse.  Encore  que,  chez  certains  réformateurs,  de  telles 
conditions  aboutissent  souvent  à  un  renforcement  de  la  piété, 

Mais  chez  ce  prêtre  subtil,  et  volontiers  ironique,  l'intelli- 
gence, une  fois  éveillée,  devait  inévitablement  prendre  le  pas 
sur  la  sensibilité.  Ce  qu'il  nous  a  laissé  voir  de  ses  luttes  inté- 
rieures en  établit  assez  le  sérieux  et  le  caractère  dramatique. 
Tout  ce  qu'il  y  a  de  causticpie  dans  son  esprit  n'excuse  qu'un 
instant  les  esprits  un  peu  lourds  qui  pensent  que  «  grand 
moqueur  devant  l'Eternel,  il  se  serait  offert  à  lui-même  1< 
divertissement  peu  banal  d'une  crise  religieuse  fa)  ». 


(i;  Choses  passées,  M. 
(2)  Ibid.,  2 ',4. 


CONCLUSIONS    ET    ANTICIPATIONS 


LA    FOI    CRÉATRICE 

Les  analyses  précédentes  nous  ont  montré  à  (juel  point  la 
foi  est  chose  diverse  et  complexe;  nous  nous  sommes  efïbreé 
d'en  distinguer  et  d'en  isoler  les  motifs  :  nous  les  avons  vus 
à  l'œuvre,  concurremment  avec  les  conditions  liistoricjues  et 
sociales  et  nous  avons  étudié  leur  interaction.  Mais  jusqu'à 
présent  nous  avons  toujours  supposé  la relis?ion  comme  donnée  : 
nous  avons  reclierclié  comment  la  foi  nait,  se  maintient, 
s'orffanise  et  sous  quelle  forme,  au  sein  d'une  relijj:ion  cons- 
tituée, connnentles  consciences  s'adaptent  aux  institutions  reli- 
u:ieuses,  comment  elles  en  assimilent  les  thèmes  doi^matiquesou 
les  impératifs  sentimentaux.  Or,  nous  avons  été  déjà  frappés  de 
ce  fait  (pie  la  relit^ion  s'établit  dans  les  consciences  et  s'y  con- 
serve en  |)artie  par  le  jeu  des  motifs  (pii  la  constituent.  Le 
moment  est  \ciiu  de  i-eclierelier  l)riè\(Miienl  (piel  r(')le  jonc  la 
foi  dans  la  lniin;ilioii  de  la  relii^ion,  d;ins  la  constitution  des 
mythes  et  des  dogmes,  des  rites  et  des  inslilulions.  Nous 
n'avons  [)as  la  prétention  de  traitera  fond  le  sujet.  Au  terme 
de  cette  recherche,  il  ne  peut  saisir  que  de  (piehpies 
indications  sujettes  à  r«'loiielie,  et  cpii  seront  reprises  plus 
tard.  Nous  ne  nous  dissimulons  point  tout  ce  (pi'il  <'utre  de 
conjecture  dans  les  considérations  (pii  v«>nt  suivre. 

26 


402  l.A    nKMClON    KT    L.\    FOI 

Klk's  no  prôteiulciit  <iii'îi  ([uelqiio  vraisemblance  psycholo- 
piciiu*.  Le  problème  recuiieiL  en  Ions  cas,  avec  nne  vne  snr  Ions 
les  (ails,  l'analyse  psyeli()loii:i(pie.  Xons  ne  croyons  pas  (pie 
la  simple  considération  d'nn  cfroni)e  de  lails.  oîi  (ju'on  le 
prenne,  apporte  une  solution.  VA  oii  prendre  ce  içronpe  de  laits  ? 
Sur  quels  lails  éindierla  foi  ciéalrice  ?  Oii  estle  commencement? 
L'histoire  des  reliiçions  n'atteint  pas  les  origines,  (^uand 
commence  l'histoire,  la  religion  existait  déjà  ;  l'étude  des  origines 
est  l'étnde  de  (pielqne  chose  qui  a  déjà  eonnncncé.  On  recons- 
truit les  origines  historiques,  et  à  plus  l'orte  raison  la  préhistoire, 
à  couj)  d'hypolhèses. 

L'ethnographie  nous  met-elle  en  présence  de  véritables 
primitifs  el  d'institu,tions  primitives?  Les  institutions  sauvages 
actuelles  ont  passé  par  une  longue  évolution  et  changé  de  sens 
et  de  motifs.  Nous  fournit-elle  des  faits  universellement  valables? 

Les  grandes  spéculations  sur  l'origine  tles  religions 
supposent  sans  preuve  qu'une  tendance  très  simple  s'est  peu  à 
peu  compli([uée  jusfpi'à  tout  produire,  qu'un  motif  unique,  Ame, 
Nature,  Société,  suffit  à  tout  explicpier;  elles  construisent,  au 
moyen  de  quelques  faits  savamment  choisis,  une  évolution 
complète  de  la  religion  dès  ses  commencements  les  plus  humbles, 
et  l'on  ne  peut  s'empêcher  de  trouver  que  chacun  de  ces 
schémas  esl  ])ien  artificiel. 

Le  problème  est  le  même  pour  toutes  les  grandes  œuvres  de 
l'humanité;  Langage,  Art,  Science,  Société.  Par  exemple,  sur 
les  origines  du  langage,  la  linguistique  histori(iue  est  muette. 
Mais  la  linguistique  générale  et  la  psychologie  connaissent  les] 
conditions  de  possibilité  du  langage  et  quelques-unes  des  lois 
qui  règlent  l'évolution  des  langues;  or,  ce  qui  est  intéressant,] 
oe  n'est  pas  tant  de  savoir  quels  ont  été  les  premiers 
sons  proférés,  ([ui  puissent  mériter  le  nom  de  langage,  qi 
de  dégager  les  conditions  de  possibilité  et  les  lois  d'évolutioi 
du  langage  en  général.  A  vrai  dire,  le  premier  langage  ne  nom 
montrerait  pas  mieux  (pi'un  autre  langage,  ce  que  c'est  que  1« 


I.V    lOI    CHKATIUCE  4**5 

Iair.^a^('.  Il  n'aurail  j)as  la  vciiu  de  nous  faire  asKistcr  à  sa 
geiH'sc  |)sycli()li)fj:i{|ii('.  Là  où  il  nous  est  donm''  de  saisii-  le  lait 
orifi:iiu'l,  il  nous  laul.  à  pailic  de  ToriL^ine,  leconslriiire  la 
genèse.  Le  eonnnenceineni  ne  [xiil  se  faire  coniitrendic  (jue 
quand  nous  voyons  ses  eonditions  et  eoninient  il  s'y  relie.  Oi', 
il  est  à  eiaindre  qu'une  telle  péiiode  ne  soit  toujours  obscure, 
réfraclaiic  à  1  liisloii-e.  [)réeiséincnl  parce  (jue  eesl  avec  elle  que 
se  forment  les  instinnients  inicllectuels  et  sociauv  (jui  per- 
ini'tlronl  plus  lard  de  conslituer  l'histoire.  Elle  est  celle  de  la 
Société  et  de  la  Kaison  constituantes.  Nous  ne  les  apercevons 
(j.ue  constituées. 

D'autre  part,  l  étude  des  origines  ne  dispense  pas  de  l'élude 

de  riiisloiiH'  :  bien  au  conlraiie.  On  ne  sait  et  on  ne  comprend 

que     |)ar    la    suite    et    le     déveIopj>ement.    L'embryolop:ie,    la 

,  psycliolojj:ie  de  l'enfant  éclairent  l'anatomie  et  la    psychologie 

•  générale,  mais  s'en  éclairent  aussi. 

11  faut  donc  condûncr  ce  (jue  l'on  sait  des  origines  perma- 
nentes, et  ce  que  l'on  sait  des  origines  et  du  développement 
historiques:  éclairer  i)ar  l'histoire  ce  (jue  Ton  sait  de  la  nature 
humaine,  et  réciproquement:  sans  méconnaître  ce  fait  que 
nous  éclairons  l'histoire  par  ce  qui  en  est  en  partie  le  produit 
et  réciproquement. 

Il  serait  du  reste  fanv  de  croire  (jue  toute  raetivilé  créatrice 
se  soit  dépensée  à  l'origine;  cl  (ju'il  n'y  ait  plus  tlès  lors  que 
conservation  et  développement  à  partir  d'un  germe  donné.  Les 
mêmes  foi-ces,  cpn'  son!  intervenues  dans  la  constitution  des 
religions,  iniciviennent  au  cours  de  leur  histoire.  Nous  avons 
rencontré  l'innovation  individuelle,  les  invcEitions  dognnitiques, 
sentimentales  ou  institutionnelles  d'individus  pri\ilégiés,  les 
poussées  créatrices  des  sectes  et  des  églises  :  une  église 
pas  ])lus  «pi'une  société  n'est  une  simple  puissance  de  conserva- 
tion; elle  a  ses  moments  d'activité  exubérante  et  inventive. 
Dans  le  culte  e\tali<iue,  nous  avons  signale  lenthousiasine 
collectif,    rinllucnce  des  meneurs,  la  convenance  des   thèmes 


4<J.j  I.A    RKI.IGIOX    ET    LA    FOI 

exploités  aux  iiisliiicls  du  <i:r()ii|)e  on  dc-lirc:  dans  le  culto  pra- 
li(IU('  et  réaliste,  la  piiissaiiee  et  la  niayie  du  désir  ([ui,  do  ses 
ujoyens  d'expression,  eréc  spontanément  des  moyehs  de  réali- 
sation: le  désir  inau:i(pie  et  la  manie  du  désir.  Nous  avons  vu  à 
1  (euvre  le  désir  el  les  besoins  aflcetits,  en  (piète  d'hypothèses 
apaisantes  ;  l'intelligenec  organisatrice  des  théolof^ics.  Nous 
avons  vu  de  hruscpies  poussées  ébranler  les  habitudes  aflectives 
el  meiUales  de  1  individu,  dans  la  conversion  et  l'inspiration,  et 
faire  apparaître  des  valeurs  nouvelles;  l'extase  niystiipie  recou- 
vrir, sul)merji;er  les  traditions  el  les  accoutumances  et  laisser  en 
se  retirant  rexij>enee  d'un  ordre  nouveau.  Nous  avons  vu  la 
société  et  1  individu  collaborer,  et  cela  seul  persister,  des  élans 
tumultueux  d'un  j^roupe,  ([ui  peut  supporter  l'épreuve  de  la  soli- 
tude. 


Toute  rcliq:ion  est  une  expression  du  besoin  de  vivre. 

La  religion  est  de  l'ordre  de  la  vie.  Les  hommes  ontdes  dieux 
dont  ils  se  puissent  servir.  La  religion  est  un  effort  pour 
maintenir  et  conserver  les  valeurs;  l'homme  lui  demande  le 
salut.  Voilà  le  j)remier  caractère  que  suggère  l'examen  de  toutes 
les  religions,  (juelles  (pi'elles  soient. 

La  notion  de  salut,  la  ([ualité  des  valeurs  que  la  religion  est 
appelée  à  maintenir,  varient  suivant  les  sociétés  Les  intérêts 
des  groupes  "  [)rimitifs  «  sont  étroits  et  tout  pratiques:  nourri- 
ture, mariage,  mort,  protection  ;  satisfaire  tel  appétit,  réussir 
à  la  chasse  ou  à  la  pèche,  écarter  tel  maléfice.  La  vie  n'est  pas 
spécialisée;  religion,  moralitc',  loi,  forment  une  masse  indivise. 
«(Capter,  soutenir  et  conduire  les  influences  bieii  faisan  les  ; 
contenir,  réduire,  écarter  les  iidluences  malfaisantes  pour  le  plus 
grand  avantage  du  groupe  humain  qui  accomplit  les  rites,  tel 


I.A    l(»I    CltEATlUCK  ,<).) 

|);u;iil  ;i\()ii-  ('lé  d'ahord  rohjcl  i>iiiici|);il  de  l;i  [•(■lii,M()ii.  (r)  »  Un 
jfroupc  Iciul  à  SI'  mainU'iiir  el  à  se  pcrpéluer  comme  fçroupe, 
par  la  réalisai  ion  de  ses  besoins  el  la  l'éu^ulation  des  relations 
sociales.  La  i'<'sseml)lance  tics  l'ormes  ('h'-iiienlaires  de  la  rcli- 
^:ion  s'explicpie  par  la  sim[)licilé  el  I  iiiiilniinité  des  inlérèls,  aux 
slades  «''h'mentaires  de  la  civilisalion  (2). 

Il  y  a  loin  décos  aspirations  primitives,  au  salut,  tel  que  l'en- 
visa};ent  les  i^randes  relii?ioiis.  A  l'autre  extrémité  s'ai)pli(jue  la 
formule  de  Hegel  :  «  La  reli2:ion  nous  élève  au-dessus  des 
choses  temporelles,  elle  est  la  réiçion  où  la  conscience  voit 
toutes  les  énij^mes  résolues,  toutes  les  contradlclions  conci- 
liées, tontes  les  douleurs  apaisées,  en  un  mot  la  réj^ion  de 
réternelle  vérité,  du  repos  et  de  la  félicité  éternels.  »  Se  servir 
des  dieux,  puis  les  servir.  Projeter  en  eux  les  inlérèls  les  plus 
prati(pics  et  les  plus  pressants,  puis  les  plus  spirituels;  grande 
est  la  différence;  et  pourtant,  dans  les  deux  cas,  les  lins 
suprêmes  de  la  société  s'expriment  en  eux.  Kt  il  n'y  a  pas  que  des 
intérêts  matériels  dans  les  religions  inférieures,  et  (jue  des 
intérêts  spirituels  dans  les  religions  supérieures.  Comme  le 
fait  très  bien  remarquer  Durklieim.  il  ne  faut  pas  considérer  le 
'<  primitif  >■>  comme  une  sorte  de  matérialiste  constitutionnel. 
Les  rites  primitifs  servent  à  des  lins  ([ui  dépassent  les  intérêts 
sensibles  el  individuels,  ne  fût-ce  qu'à  créer  et  recréer  périodi- 
<[ucmenl  l'idéal  moral  (jui  fait  l'unité  du  groupe  el  dont  les 
individus  sont  les  serviteurs.  D'autre  part,  il  n'y  a  guère  tle 
religion  d'oii  toute  fin  pliysi([ue  et  mal<''iielle  soit  exclue. 

Mais  la  religion  a  besoin  d'assurer  les  valeurs  (pi'elle  veut 
sauver  et  qui  sauvent.  La  Finalité  repose  sur  le  Mécanisme.  Il 
faut  une  nature  des  choses  oii  puisse  s'accomplir  le  bien  <*spéré. 
De  même  que  la  magie,  expression  du  d('sir,  a  besoin  d'un  ordn* 


(l)  LoisY,  Les  My/tlrres  païens,  ignj- 

(2,  U<;s.scinlilaiiee  r(iinpli(|uëe  (linL'vit!il)lcs  (liirérencps,  selon  la  situnlion 
géograpliiipir,  le  (lrvi.'l(»p|>einenl  ccon<>ini([uc,  l'organisation  sooialr  ri  poli- 
tique, les  ra[)pitrls  avec  les  groupes  voisins,  le  développement  mental,  la 
gcnialilé  indiviiiuelle. 


4»><>  l.A    RELIC.ION    KT    LA    FOI 

Cl  (1  une  connexion  des  choses  qui  puissent  réaliser  le  désir,  de 
nu'UK'  (juello  csl  rinim<''<Ualion  du  désir  et  de  la  lègle,  la  religion 
établit  des  causes  pour  stM'vir  à  ses  lins.  11  lui  faut  des  forces  et 
des  êtres  supérieurs,  et  une  connaissance  de  ces  forces  et  de 
ces  êtres.  Point  de  linalilé  sans  causalité.  Kt  si  les  causes  sont 
conçues  en  fonction  des  lins  qu'elles  ont  à  remplir,  les  fins  se 
nujdilient  à  mesure  (pie  les  causes  se  constituent,  à  mesure  que 
s  approfondit  leur  essence,  à  mesure  (pi'clles  teiulenl  à  exister 
en  elles-mêmes  et  pour  elles-mêmes.  C'est  ainsi  que  les  dieux 
s'élèvent  peu  à  peu  du  servage  oîi  leur  lidèle  prétendait,  les 
maiiileuir,  et  l'asservissent  à  son  tour.  Lcgenne  d'indé[)endanee 
qui  était  en  eux,  à  l'égard  des  fonctions  ([u'ils  étaient  censés 
remplir,  tend,  en  se  développant,  à  les  élever  inliniment  au- 
dessus  de  ces  fonctions. 

C'est  ainsi  (jue  la  religion  est  et  devient  l'unité  des  causes  et 
des  lins.  C'est  ainsi  qu'elle  sera  ou  s'efforcera  d'être,  aux  stadeS; 
évolués,  l'unité  de  la  conscience  intellectuelle  et  de  la  conscienc( 
morale. 

La  religion  n'existe  que  par  cette  intrication  de  causalité  et 
de  finalité.  Les  aspirations  les  plus  passionnées,  si  elles  restent 
dans  la  sphère  du  pui-  désir,  seront  bien  désir  et  peut-être  réa- 
lisation; mais  réalisation  du  désir  par  sa  force  propre,  sans 
concours  étranger;  or  ce  domaine  de  la  pure  vie  passionnelle, 
du  jeu,  de  l'épanouissement,  du  développement  des  forces 
proi)res,  et  "des  aspirations  personnelles,  n'est  pas  la  religion. ^ 
Il  faut  ppur  qu'elle  commence,  que  fmet  moyens  s'extériorisent  ;| 
(|ue  les  procédés  ou  que  l'être  appelés  à  réaliser  la  fin,  lui! 
soient  en  quelque  sorte  étriingers;  ou  tout  au  moins  étrangers 
au  sujet  qui  y  aspire,  si  bien  ([ue  les  fins  naturelles  paraîtront] 
imposées  et  prescrites,  il  faut  sortir  de  soi,  constituer  un  ordre 
des  choses,  un  système  des  forces,  un  monde  des  dieux.  Laj 
religion  peut  bien  être  action  et  allectivilé  ;  on  a  le  droit  de  dire) 
qu'elle  est  de  l'ordre  de  la  vie.  Mais  elle  est  aussi  de  l'ordre  du! 
savoir.  La  pratique,  le  rite  ont  besoin  dun  mythe  en  qui  s'en-^ 


l.A    I  OI    l.KKATKICE  ^OÇ 

vel()j)p<'i'.  San--  le  cuncoiirs  de  riiitellii^i'iicf  l'ullVcliN  ilo  reslo- 
Icrait  infécoïKlc. 

Ct'la  lie  si;,niili('  pas  <[ii'iiiie  icli'j:i()ii  soit  drs  ral»ord  orioii- 
1(0  VOIS  les  causes,  lliéoloj^ic.  Elle  est  d'abord  aelioii  iiislinc- 
live  (lui.  sous  la  poussée  des  sentiments,  use  coni'usénient  des 
idées  pour  s'assurer  ce  qu'elle  prétend.  Il  est  incontestable  que 
les  cérémonies  et  les  rites  ont  d'abord  un  caractère  eirectif  et 
non  point  représentatil'  :  manipulation  de  forces  dont  les  évé- 
nements sont  censés  dépendre.  Ces  forces  sont  pensées  en  rai- 
son de  leurs  ellets.  avant  d'être  reclierchées  (juantà  leur  nature; 
mais  elles  sont,  dès  l'abord,  en^quelque  manière,  pensées. 


Nous  avons  rencontré  cette  théorie  pliilosophiciuc,  cette 
doctrine  religrieuse  qui  veulent  que  le  sentiment  suflise  à  pro- 
duire la  reli^'i(jn,  et  que  les  doi^mes  et  les  pratiques  ne  soient 
pas  autre  chose  qu'un  syud>ole  dont  s'enveloppe  le  sentiment. 
(>"est  depuis  Schlcicrmacher  une  théorie  à  la  m(jde.  Le  ronian- 
tisme,  dans  sa  déliance  de  rintelli|j:ence,  avait  [)r()clamé  la  pri- 
mauté du  <(cur;  et  il  était  conforme  à  l'esprit  du  tenqis  et  aux 
intérêts  de  la  reli{^ion,  de  l'éloif^ner  de  la  sphère  de  la  vérité 
intellectuelle,  et  de  la  rattacher  à  la  réalité  souveraine.  A  vrai 
(lire, la  rcliy^ion  concourait  ici  avec  le  romantisme;  une  [lailiede 
la  ivaclioii  contre  l'inlellectualisme  est  d'origine  reliirieuse  et 
part  du  besoin  d'écha[)per  aux  criti([ues  de  la  raison. 

Nous  avons  expos(''  plus  haut  la  thèse  du  Synd>olo-lidéisme. 
I  ne  psyeholo.ti:ie  vient  à  son  aide,  (pii  i)rofesse  le  prinuil  de  la 
\ie  aireclive.  primauté  de  droit,  prinuiulé  d'origine.  L'AH'ccli- 
\ite  pure,  vide  de  loiile  représentation,  le  «  Sentir  »  serait  le 
tond  de  la  conscience  el  son  origine  même.  Le  Sentir  n'est- il 
pas  la   personnalité,    puiscju'il  est    la  réaction  iinm«''(liat(;  aux 


.^OH  LA    IIKI.IC.IO.N    ET    LA     1  OI 

clioses.  l'altiludo  (pii  la  consliliR'?L  intelligence,  c'est  le  monde; 
la  sensibilité,  c'csl  la  suhjeclivilé,  c'est  la  personne.  Et  qu'elle 
puisse  exister  à  l'étal  pur,  vide  de  toute  représentation,  préala- 
ble à  t(Mite  connaissance,  n'est-ce  pas  ce  que  prouvent  la  sensi- 
bilité inUM  ne,  la  coenestliésie,  certains  états  d'euphorie  ou  de 
dépression  vagues,  d'excitabilité  sans  cause,  de  peur  dilHise  et 
sans  objet.  Dans  ce  sentiment  vajriie,  confus,  dépouillé  de  la 
précision  des  situations  et  de  l'adaptation  aux  circonstances, 
aussi  désintellectualisé  que  possible,  dans  ce  sentiment  «  pur 
qu'une  école  psychologique  décrit  volontiers,  quelques-uns 
aper(.'oivenl  une  sorte  de  puissance  supérieure  à  tous  les  actes; 
une  sorte  d'absolu  psychologique,  le  tréfonds  de  la  conscience 
religieuse.  Une  mot>aphysi(iue  complaisante  rapprochera  aisé- 
ment de  celte  indétermination  intérieure  l'inaccessibilité,  l'in- 
délinité  de  l'Être  en  général,  ou  de  telle  divinité  particulière. 
De  ce  fond  obscur,  ou  de  son  contact  avec  le  divin  ou  les  dieux 
selon  ({u'on  est  subjeclivisle  ou  objectiviste,  se  développeront 
par  un  travail  mental  les  mythes  et  les  dogmes. 

L^  thème  admet  bien  des  variations.  ()uelques-uns  comm< 
Marinier  voudront  le  réaliser  dans  l'histoire  et  projetteront 
aux  origines,  sous  la  forme  d'une  angoisse  sacrée,  préexistante 
aux  croyances  et  aux  prati([ues,  cette  quintessence  d'analyse 
psychologi(jue.  D'autres  se  contenteront  de  savoir  qu'elle  est 
de  tous  les  temps,  d'où  il  suit  qu'elle  est  antérieure  à  tous  les 
temps.  D  autres  chargeront  un  sentiment  plus  particulier  de 
tenir  le  même  rôle.  Le  dernier  aspect  qu'ait  revêtu  la  doctrine 
est  sociologique.  L'exaltation  collective,  l'efl'ervescence  sociale,' 
en  somme  le  sentiment  collectif  à  l'état  d'excitation  aiguë,  serait 
la  matière  première  et  la  cause  efticiente  de  la  religion. 

Nous  avons  affaire  ici  à  une  doctrine  psychologique,  à  un< 
vue  sur  le  sentiment,  sa  nature,  son  rôle  dans  la  vie  mentale, 
ou  à  une  théorie  dialectique,  qui  rapproche  de  rindélermin^ 
divin  l'indétermination  sentimentale;  ou  qui  synthétise  dans  h 
sentiment  social  le  culte  métaphysique  de  la  société  et  le  culte 


I,V    loi    CIlKATUICi:  4*M> 

j)sycliol()f;i(|iii'  de  rnUcclivit»'.  L'aj)p.ircnlc  conliriiiîilioii  liislo- 
riqiic,  à  hKjuello  ou  prélend  parfois,  consiste  à  projclci-  dans 
l'ohscuriU'  dos  oriiîiiics  toi  te  iiulôlcrmiiiation  «onruse,  ou  à 
iiiloiprt'tcr  en  tciiiics  aHootirs  des  rudiineiUs  d'inslilulions  (\uc 
l'analyse  niuntic  plus  complexes. 

C'esl  en  \ain  (pi'on  essaierait  d'établir  par  l'histoire  des 
coniniencenients  l'exislence  d'une  telle  période  alleclive,  anté- 
rieure aux  rites  et  aux  mythes.  ()ue  pourrait-elle  avoir  laissé 
qui  l'attestât?  C'est  en  vain  aussi  qu'on  essaierait  de  la  conchiré 
de  l'existence  de  î^rands  faits  comme  le  Mysticisme.  Le  Mys- 
ticisme, nous  l'avons  vu,  n'est  pas  sentiment  pur:  il  im|)li(pie 
une  attitude  onlolo,ii:i<pie,  métaphysi(jue  :  si  on  le  prend  au 
commencement  d'un  mouvement  reliijrienx.  on  y  trouve  le  germe 
(le  nouvelles  spéculations  cl  de  nouvelles  attitudes  rituelles  ; 
s'il  apparaît,  au  cours  (ui  au  terme  du  développement  d'une 
religion,  il  est  bien  rêverie  inexprimable,  intuition,  mais  qui 
s'appuie  sur  tout  le  «  discours  »  religieux,  et  (jui  le  su})pose  tout 
entier.  Lorstpie  le  sentiment  a  l'air  de  llotter  ainsi  à  l'état 
libre,  c'est  ([u'il  a  progressivement  traversé  l'intelligence;  ou 
ipi'il  la  contient  confusément.  Les  états  alï'ectifs  coniplexes 
sont,  pour  une  bonne  part,  l'anticipation  ou  le  contre-coup  de 
formules,  de  prati(pies  rituelles. 

La  psychologie  du  sentimenl  n'est  pas  davantage  favorable 
à  une  telle  hypothèse,  parce  qu'une  analyse  mieux  faite  dissipe 
1  é([nivoque  sur  bupielle  elle  est  appuyée. 

Il  est  très  vrai,  nous  l'avons  dit,  ([ue  la  religion  repose  sur 
les  tendances.  Son  but  j)rcmier  est  d'assurer  les  valeurs,  et  il 
n  y  a  ûv  valeur  (pie  pour  une  activité  (pii  se  i)ropose  des  lins. 
Ayant  pioclaméce  principe,  nous  prévenons  tout  icproclie  d'in- 
tellectualisme étroit.  Mais  il  n'y  a  religion  ([u  autant  ([ue  les 
tendances  (pii  cherchent  à  se  satisfaire,  renoncent  aux  moyens 
immédiats  et  naturels,  à  leur  déveloi)pem(nt  spontané,  s'orga- 
nisent des  moyens  détournés,  |)rati(pies  magi([ucsou  religieuses, 
et  supposent  un  système  d'êtres  et  de  notions  (pii  gouvernent 


4lO  I.V    RELIGION    ET    l.A    lOI 

et  apsureiil  Iciii-  uccomplissement.  Toute  la  question  est  donc 
de  savoir  si  eos  rites  el  ces  mythes  sorteiil  purement  et  simple- 
ment des  sentiments  })ar  lesquels  ees  leiulaiices  t'oudainen taies 
se  mar(pient  et  s'expriment  :  sentiments  de  détresse,  d'augoisse 
el  de  peur;  sentiments  dexeilalion  et  d'exaltation  ;  joie  et  tris- 
tesse ;  amour  et  horitmr,  etc.  Car  il  n'y  a  point  de  sentiment 
reliiîieux  et  tous  les  sentiments  peuvent  devenir  reli;j^ieux.  De 
tels  sentiments  sont-ils  générateurs  des  rites  et  des  mythes? 

Or,  il  importe  de  faire,  à  ce  sujet,  deux  remarques  préalables. 
Lors(ju'on  professe  une  telle  doctrine,  on  joue  sur  le  mot  sen- 
timent :  on  attribue  au  sentiment  pur,  vide  de  toutes  repré- 
sentations et  de  toute  intellectualité,  pure  réaction  du  sujet, 
tout  ce  ([ni  appartient  à  un  sentiment  intellectualisé,  spiritua- 
lisé  et  complexe.  Il  est,  en  effet,  très  vrai  que  la  plui)art  du 
temps  un  sentiment  précède  un  ju'jfement,  que  la  plupart  de  nos 
croyances  sont  en  nous  à  l'état  implicite,  avant  de  s'exprimer 
en  jugements.  Le  sentiment  est  attitude  de  réaction,  et  en  même 
temps  perception  confuse  de  la  situation  et  des  divers  ordres 
logitpies  oii  elle  s'enea<lre.  Il  anticipe  sur  le  ju'^ement  formulé, 
il  assemble  en  une  synthèse  confuse  des  résidus  ou  des  esquis- 
ses de  jugements:  il  est  comme  une  ébauche  d'intuition,  au 
sens  cartésien  du  mol.  (Ji'est  ainsi  (piil  y  a,  avant  le  ju'j^ement 
explicite,  comme  une  orientation  de  l'esprit,  qui  en  est  le  des- 
sin préalable,  ou  du  moins  l'intention  ;  et  après  ce  jugement, 
comme  une  certaine  forme  d  écpiilibre  mental,  dont  les  éléments 
constituants  disparaissent,  alors  que  persiste  leur  elfet  sur 
l'esprit,  e'esl-a-<lire  la  nouvelle  attitude  mentale.  Les  recherches 
sur  la  pensée  sans  images  ont  largement  établi  le  rôle  de  tels  sen- 
timents, dans  la  compréhension,  I  invention,  la  criti(pie,  bref  au 
cours  des  diverses  étapes  et  des  diverses  formes  de  la  vie  mentadej 

Il  y  a  donc  une  [)ensée  silencieuse,  qui  précède  son  exprès 
sion  verbale  el  imagée,  ou  qui  la  déborde.  Nous  sentons  sou- 
vent en  nous  la  présence  encore  obscure  d'idées  déjà  trèt 
complexes,  mais  encore  étroitement  fondues.  Nous  avons  son* 


LA    KOI    (.ui:aihicr 


^('Ill  c'oiisciciicf  (|iic  (|url(jii('  clioso  s'oi'}<anisc  ;  un  nouvel  t'iat 
dcspril,  iMii'  orieiilalioii  iiiciitalc;  un  pouvoir  et  un  savoir;  des 
proeédrs  opi  raloires.  «'clairés  de  vap^tics  schémas,  et  traversés 
(le  <ln)es  alléclil's,  (pii  jalouueul  en  (pieltjue  soile  les  éla|)es  de 
l'incuhalion  ri  de  la  maluration. 

Mais,  sous  celle  foiine,  il  est  clair  (|ue  le  senliniciil  iinplicpie 
rinlelliiîciicc,  loin  de  l'explicpiei-.  Il  saisit  ici  de  scnlinients 
inlellectucls.ou  du  moins  lorteinenl  intellectualisés;  de  la  [)er- 
ce|)lion  délais  d'es[)rit,  de  la  conscience  d'un  travail  mental, 
avec  leurs  répercussions  sur  rallectivité,  avec  les  sentiments  de 
toute  espèce  (|ue  procure  an  sujet  l'apparition  ou  lereloulenienl, 
le  mélanine  ou  la  discordance  de  tels  et  tels  états  intellectuels. 

Ainsi  le  st'ulinient  est  bien,  si  l'on  veut,  la  première  forme 
sous  laquelle  un  contenu  menlal  a[>parait  chez  un  sujel.  Mais, 
suivant  le  mot  de  Heiçel,  ce  contenu  n'est  «  qu'à  l'état  d'envelop- 
piMiient  dans  notre  réaliU-  subjective  ».  0)nnne  contenu,  relève- 
t-il  du  sentiment  proprement  dit?  lle,:?el  avait  encore  raison 
d'écrire  :  «  En  tant  que  sentiment,  il  est  ce  même  contenu  qui  ne 
s'est  pas  ohjtMîlivé,  cpii  n'est  <pie  (pialilié.  » 

Vax  second  lieu,  tout  ce(pi'on  a[)pelle  action  du  sentiment  sur 
rintellii?ence  se  résume  en  deux  articles,  et  nous  y  voyons  l'im- 
puissanee  du  sentiment  à  rien  créer  par  lui-mènje  : 

Dune  [)art,  le  sentiment  tend  à  imposer  ses  objets.  Nos 
préférences  aU'ectives  ^^uident  notre  choix  entre  nos  idées.  Le 
'S(Mitiment  est  partial  et  partiel.  On  connaît  le  processus  de  la 
jusiiliealion,  et  comment  le  sentiment  excelle  à  douer  un  ctr»- 
on  une  chose  des  cpialités  (pu  con\  ienneiil ,  et  à  j)récise!'  le  rap- 
port (|u'elles  soutiennent  avec  le  sujet  :  il  dilue  poui'  ainsi  dire 
dans  ces  raisonnements  les -certitudes  préalables  (|ui  sont  con- 
centrées en  lui  ;  de  la  stimulation  du  désir  ou  de  la  crainte 
naissent  par  exemple  l'exaltation  ou  l'abaissement  de  l'objet, 
la  dialeeti<jue  plus  ou  moins  subtile  (pii  le  déforme  et  tpn  l'ap- 
proprie au  sujet.  Le  système  ainsi  consliuit  intercepte  la  r<'alilé, 
dresse  devant  l'expérience  un  échalaudai;e  dialeeli(iue.  "^ur  lui 


|IVÎ  LA    HEI.KllON    ET    I.A     I  Ol 

so  repolie  révideiiee  iniliale  du  senlimenl.  La  siirc^xcitation  alFec- 
live  exclut  l'Iiésitalion  cl  le  doute. 

C'est  ainsi  (|ue  j)ar  l'élan  constructeur  de  la  subjcctivilé, 
l'esprit  et  riniagination  IVanchissent  le  monde  réel.  L'imagina- 
tion, j)nissance  de  créer  selon  le  rythme  et  selon  les  aspirations 
des  sentiments,  fimi)!ilie,  compense,  substitue;  d'oîi  le  rêve,  la 
rêverie,  les  mondes  imaginaires,  et  ce  grand  monde  imaginaire, 
étranglement  mêlé  de  l'éalité,  qui  est  le  monde  visible  de  chacun 
de  nous. 

D'autre  part,  le  sentiment  exerce  sur  l'esprit  une  action  exci- 
tante ou  déprimante.  La  tension  inlellectnellc  ou  la  délente, 
l'exeilalion  ou  la  dépression  qu'il  impose,  amènent  des  change- 
ments dans  notre  ,fa(,'on  de  voir  et  de  comprendre.  Qu'on  se 
rappelle  seulement  l'inhibition  mentale  des  grandes  émotions 
déprimantes;  la  désadaptalion.  le  désarroi  momentané;  la  difti- 
culté  de  réadaptation,  la  confusion. 

Ainsi  l'état  afTeclif  suggère,  maintient,  anime,  impose  les 
interprétations  qui  s'accordent  avec  lui  ;  c'est  en  ce  sens  que 
beaucoup  tie  convictions,  au  lieu  de  venir  du  dehors,  si  l'on 
entend  par  là  l'expérience  et  la  raison,  viennent  du  dedans, 
c'est-à  dire  de  nos  sentiments.  Ainsi,  à  côté  des  problèmes 
que  lui  pose  la  nature,  l'intelligence  a  devant  elle  ceux  que  lui 
posent  les  sentiments,  et  elle  s'applique  à  les  résoudre,  sous 
l'empire  de  celte  suggestion  ;  mais  elle  les  formule  et  les  traite 
en  langage  intellectuel,  et  même  dans  la  formation  d'un  délire, 
tout  l'état  mental  intervient,  et  la  constitution  de  l'esprit,  ej 
non  pas  simplement  la  sensibilité  exaspérée. 

Donc,  les  o])jels  de  croyance  ne  sont  pas  de  pures  ligurî 
lions  du  sentiment,  même  si  la  croyance  vient  jusqu'à  un  cer^ 
tain  point  du  sentiment.  Il  y  a  à  la  base  de  la  religion,  comme 
la  base  du  langage,  ou  de  l'art,  par  exemple,  un  acte  intellectuel^ 
Le  langage  est  d'abord,  si  l'on  veut,  l'expression  naturelle  d'ém( 
lions  qui  se  dépensent  en  cris  ou  en  gestes  ;  mais  il  ne  deviei 
vraiment  langage  que  par  l'imitation  volontaire  de  soi-même 


LA     loi    Cin-ATIUCK  4l3 

cl  (|uand  on  truite  ces  cris  et  ces  gesles  comme  rc(|uivalent  de 
ces  émotions,  comme  leurs  symboles,  et  (jiiand  on  imau;ine 
un  système  (|ui  commande  ces  symboles.  De  mcme  Icmolion 
nedcviciil  i clitïirusc  <|iic  pai-  l'acle  de  l'esprit  (|iii  lui  (•(^nlV-re  sa 
valeur,  (jin  l'otienle  et  ()iii  la  situe  dans  un  monde  inlcilifj;il)le, 
dût  cet  acte  être  ('nleiinc  dans  cette  émotion,  et  ne  point 
paraître  à  part  d'elle.  La  raison  et  la  [)assion  collaborent  dans 
la  labrication  de  l'absolu. 

La  relij^^ion  nous  apparaît  donc  comme  un  compromis  entre 
la  snbjeclivité  allective  et  l'objectivité  rationnelle.  Manier  le 
monde  au  ^vé  des  désirs  et  des  besoins  :  le  penser  en  termes  de 
valeurs,  tel  est  bien  le  point  de  départ.  Et  la  religion  subsiste 
maljïré  la  science,  parce  que  l'iionnne  a  intérêt  à  certaines  elioses 
(juc  la  science  ne  peut  atteindre.  Mais  nous  l'avons  vu  :  il  faut 
assurer  ces  valeurs,  et  les  constituer  en  une  nature  des  cboses, 
où  elles  puissent  se  maintenir,  évoluer,  s'accom[)lir.  Point  de 
linalité  sans  causalité. 

Or,  on  ne  peut  constituer  cette  nature  des  choses  sans  la 
nature,  sans  le  savoir.  Il  ne  s'au:it  point  de  vaincre  en  imas^i- 
nation,  mais  bien  de  vaincre  en  réalité.  L'idéal,  j)our  triompher 
du  réel,  doit  mordre  d'abord  sur  le  réel.  Des  contraintes  maté- 
rieliesel  des  contraintes  lépjales  s'opposent  aux  élans  subjectifs. 
La  réalité  cxlérieure,  la  contrainte  du  fait  et  de  la  raison,  des 
rej^les  juridiques  et  morales,  l'intcUij^ibilité,  la  nécessité  domi- 
nent le  monde  reliu:ieux.  C'est  un  ujonde  de  lois  et  non  pas  de  |>ur 
désir.  La  reli^Mon.  comme  toute  théorie,  évolu(>  sous  la  pression 
simultan(''e  de  ces  (Icux  termes. 


Pourtant  ne  circide-t-il  |)as  à  travers  tout<'s  les  lornudes 
religieuses,  toutes  les  constiuetions  mythologi(|ues.  toutes  les 
praticjues  rituelles,  une  notion   plus  sinq)le   et  plus   obscure, 


p   I  LA    IlELIGION    ET    LA    KOI 

plus  vairue  cl  plus  profonde,  l'idéo  de  puissanco,  de  force  iin[)er- 
soiincUc,  sur  liKiiielle  les  syslèmcs  rclisçicux  se  seraient  édiliés? 
Et  celte  puissance  indélerminée  ne  serait-elle  pas  la  fii^uration 
inlellccluelle  du  Sentiment  ? 

Sous  l'idée  d'Ame,  sous  l'idée  de  Nature,  sous  l'idée  de 
totem,  partant  sous  les  syslèmes  qui  font  i?raviler  la  religion 
autour  de  l'une  de  ces  nolions  essentielles,  on  s'accorde  à  peu 
près  anjôurd'liui  à  entrevoir  l'idée  de  puissance,  de  force 
impersonnelle,  «  un  dieu  impersonnel,  sans  nom,  sans  histoire, 
immanent  au  monde,  difhis  dans  une  multitude  innombrable 
de  choses  »,  virtualité  capable,  du  reste,  de  se  lixer  en  des 
formes  concrètes. 

C'est  la  Force-Volonté  de  Rrinton,  Ame  du  Monde,  influence 
d'abord  vai^^ue,  impersonnelle,  indéfinie,  qui  se  ditï'érencie  et 
se  personnifie  par  degrés.  «  Tous  les  dieux  et  tous  les  objets 
sacrés  sont  simplement  des  véhicules,  au  moyen  desquels  la 
vie  et  la  force  font  irruption  dans  le  monde.  »  C'est  !'«  Ener- 
gétique juimitive  •>  de  Marrctt,  le  «  Dynamisme  primitif»  de 
Lcuba.  Analourues,  sauf  des  variantes,  sont  les  hypothèses  de 
Preuss,  de  Durkheim,  de  Hubert  et  de  Mauss.  On  sait  la  for- 
tune de  l'idée  de  «  Mana  ». 

"  Im  Anfang  war  die  That  ».  Au  principe  de  la  religion 
serait  donc  la  Force,  la  Volonté:  puissance  impersonnelle,  (jui 
n'est  pas  encore  la  vertu  d'un  être  déterminé.  Ce  «  quelqu<- 
chose  >  est  plus  simple  que  tous  les*  quelqu'un  ».C'estcomme 
la  catégorie  première,  mais  la  plus  pauvre,  la  Substance,  telle 
que  la  concevait  Hegel.  Et  Ion  comprend  que  l'origine  soit 
confusion  originelle,  que  la  première  hypothèse  exprime  dans 
son  indéfinilé,  dans  son  indétermination,  l'infinité  de  toutes  les 
hypothèses,  que  le  stade  inférieur  de  la  pensée  s'exprime  par 
un  chaos  actif  et  l'enfance  par  le  rêve  indistinct  d'une  puhjsance 
élémentaire.  Volontiers  les  raflinemcnts  de  la  pensée  dévelop- 
pée reviendront,  par  delà  les  distinctions,  à  cette  unité  origi- 
naire. 


I,V    KOI    cnÉATRICE  jl.) 

I^  iralilr  iclitïieusc  rondaim'iihilt'  semble  doue  à  l:t  lois 
plus  profoiule  el  plus  ohscuie  (pie  les  notions  déleiininées  sur 
lesipielles  certaines  théories,  longtemps  en  vop;ne,  ehereliaient 
à  ('laMii  la  reliu:ion.  De  tels  systèmes  destinés  à  expli(pier 
l'orit^ine  de  la  i'eli,u:ion.  prennent  pour  l'orij^ine  un  moment  du 
<iéveloppemenl  tle  la  rcliç:ion.  el  ont  raison  les  unes  eontre  les 
autres,  dans  les  erilicpies  (piils  ne  se  inénap:ent  pas. 

Au-dessous  de  l'idée  d'Ame  (Ame,  Ksprit,  KspritC.osmi<pie)il 
y  aurait  doMclidée  de  forec,  préalable  à  la  distinction  delà  force 
psyeliiipie  et  de  la  force  malf'rielle  :  la  eoidïision  de  l'Animé  et 
de  l  Inanimé,  mais  non  [)oint  par  animation  de  la  nature,  à 
partir  de  l'idée  d'Ame  déjà  constituée;  au  contraire,  une  indis- 
tinetion  i>réalahle,  à  partir  de  laquelle  se  développerait  la  notion 
d'Ame  individuelle,  d'abord  matière  rare  et  subtile,  distinete  et 
indépendante  du  cor])s.  et  j)Ourtant  étroitement  liée  à  lui,  loca- 
lisée en  eerlains  points  de  roru:anisme;  vivant  peu  à  peu  d'une 
vie  propre,  de  plus  en  [)lns  haute  et  spirituelle,  se  haussant  à  la 
vi3  divine. 

Au-<lessous  de  l'idé'e  de  nature,  telle  que  l'envisaLceait  le 
Naturisme,  distincte  de  l'homme  et  |)0ur  lui  miracle  jx-rma- 
nent,  par  son  uniformité,  ou.  au  contraire,  par  ses  violentes 
perturbations  passagères,  capable  de  prendre,  ^àce  au  langaîe, 
fiiîure  d'action  humaine,  forme  d'a?ciit  [>ers()nnel,  les  formes 
élémentaires  de  rclii^ion  manieraient  une  notion  j»lus  iiulis- 
tincle,  plus  fluide,  plus  humaine,  plus  souple. 

Au-dessous  du  totem,  être  sacré,  ou  imaore  emblémali(pie. 
s'aifilerail  une  force  confuse,  hypostasiée  et  présente  sous  les 
apparences  sensibles  de  l'être  totémi(pic  el  qui  le  déborde.  Le 
totem  en  bu-mème  est  bien  souvent  humble,  et  l'humilité  de  sa 
nature  fait  un  violent  contraste  avec  son  caraetèi-e  dix  in.  C  est 
cette  force  sous-jacen.te,  imparfaitement  et  maladroitement 
cxprinK-e.  cpii  fait  sa  force  et  sa  puissance  d'ex]»ansion.  Son 
caractère  sacré  ne  vient  donc  pas  de  ses  propriétés  iuliinsèipies, 
mais  s'y  surajoute.  Mais,  en  même  temps,  le  iotern  donne  un 


4l<i  LA    HICI.IGION    ET    LA    FOI 

noMi  ol  iiiu-  ;ij)paionce  à   celle  force  divine  :  il  lui  loiirnil  un 
symbole. 

('.elle  l'oice  divine  se  luésenle-l-elle  jamais  à  l'élat  totale- 
mcnl  indilléicncié,  sans  aucun  revêtement  aniinisle,  naturiste, 
loléniifjue?  Ola  est  douteux,  et  de  l'aveu  de  beaucoup,  ce 
sérail  une  liypolhèse  arbitraire,  de  supposer  par  exemple  une 
période  historique  préanimiste.  Mais  il  reste  vrai  (|uc  cette 
lorcc  déborde  de  beaucoup  ses  incarnations  originaires  et 
quelle  llolle,  [)Our  ainsi  dire,  alentour. 

De  (pioi  celle  force  religieuse  est-elle  l'expression?  Chacune 
des  théories  en  vogue  nous  le  dit  à  son  tour  avec  partialilé 
sans  doule,  en  appuyant  trop  sur  un  aspect  de  la  vérité,  mais 
en  apporlanl  cpichpie  chose  de  la  vérité.  L'histoire  de  l'àme cl 
son  développement  dialectique,  lels  que  les  conçoit  l'animisme, 
peuvent  bien  être  contestables  ;  il  resle  vrai  que  la  slruclurc  de 
la  conscience  humaine  concourl  à  la  formation  de  la  religion, 
et  que  le  moi  ou  l'àme  s'y  exprime  et  s'y  retrouve.  L'idée  de 
puissance  cosmique,  l'idée  de  nature,  qui  fait  le  fond  du  natu- 
risme, de  (piehiue  manière  (|u'on  l'envisage,  y  joue  inévitable- 
ment un  rôle  ;  car  la  religion  n'est  pas  seulement  un  système  de 
valeurs,  —  dont  (juelques-unes  du  reste  appartiennent  à  la 
nature,  —  c'est  un  moyen  de  les  assurer,  de  leur  donner  signi- 
licalion  objective,  de  les  intégrer  dans  un  monde  (jui  résiste 
aux  poussées  du  désir  et  aux  aspirations  du  moi.  Enfin  la  vie 
collective  et  l'excitation  sociale  concourent  sans  contredit  à  for- 
mer ces  valeurs  et  les  sentiments  qu'elles  suscitent. 

L'àme,  le  monde  et  Dieu;  telles  étaient  pour  Kanl,  qui 
voulait  ramener  au  plus  petit  nombre  possible  les  «  Idées  », 
comme  il  avait  fait  des  catégories,  et  (jui  y  a  réussi  avec  plus  (h 
bonheur,  les  dernières  synthèses,  celles  qui  embrassent  la 
totalité  de  l'expérience  et  les  seules  possibles.  Si  l'on  veut 
expli(jner  la  troisième,  au  moins  sous  la  forme  élémentaire  et 
larvée  que  nous  considérons  en  ce  moment,  force  est  bien  de 
recourir  aux  deux  autres.  Force  aussi  de  ne  point  négliger  un 


LA    KOI    OIIKATIUCK  ^4 1  7 

point  (le  vue  nouveau,  suriisaninicnt  syntli<''li([u<'  et  prohablc- 
menl  irrt'-cluclihle,  dont  la  considéiation  de  l'iiunianilé,  la 
l'éllexion  sur  l'histoire,  le  culte  et  le  respect  des  eolleclivilés, 
la  puissance  croissante  et  ranioui-  de  soi  des  niasses  arnoiphes 
en  voie  d'ori^anisation.  la  laïcisation  des  relij^ious  positives  au 
prolit  de  la  société  humaine,  ont  enrichi  la  pensée  spéculative  : 
Ihuinanité.  la  société,  ohjel  de  reliii^ion  pour  bcaucouj),  et 
<jui  n'en  a  (jue  plus  de  valeur  pour  explicpier  la  religion. 

Des  lacunes,  des  insuriisances  de  l'animisme  et  du  natu- 
risme, les  philosophes  ont  assez  discuté.  Nous  ne  défendons 
pas  ces  doctrines,  en  tant  ([u'elles  nient,  et  par  consécpient  en 
tant  qu'elles  se  présentent  comme  un  ellbrt  pour  tout  explitpier 
à  elles  seules.  X  y  revenons  pas.  Peut-être,  au  contraire,  est-il 
nécessaire  de  s'arrêter  un  moment  à  la  doctrine  plus  récente  qui 
rattache  la  religion  à  la  société. 

La  société  serait  à  ses  membres  ce  ([uun  dieu  est  à  ses 
lidéjcs  :  la  vie  eollective  une  force  (jui  domine  et  exalte. 
Dans  les  réunions,  dans  les  assemblées,  l'individu  sent  une 
force  extérieure  s'emparer  de  lui  et  le  dominer.  Cette  elïerves- 
cence  ahoutit  à  la  religion,  comme  certaines  formes  d'excitation 
au  délire.  Excitation  et  ivresse  ne  sont-elles  pas  des  moyens 
privilégiés  pour  provoquer  les  étals  religieux?  Ainsi  la  com- 
nuinion  des  consciences  est  génératrice  de  religion,  sous 
■certaines  conditions  d'unité,  d'intériorité,  d'intimité,  sous 
condition  aussi  que  les  sentiments  ainsi  suscités  se  lixent 
sur  un  objet  ou  sur  des  objets  concrets  (jiii  les  sym- 
bolisent. 

La  reli:,Mon  ne  snp|)f)se-t-!'lle  pas  la  dualité  de  la  nature 
humaine,  ro[)positi()n  du  moi  individuel,  empiri([ue  et  [)rorane, 
au  moi  social,  transcendant  et  sacré  qui  suppose  la  société? 
Les  seules  forces  morales  supérieures  à  celles  de  l'individu  sont 
les  forces  collectives.  Donc  seules  elles  jHMivent  rendre  coin|>le 
de  ce  que  l'individu  est  iuquiissant  à  proluii'c  «t  du  pouvoir 
su|)érieur  que  la  religion  lui  confère. 

27 


-jlb  I.\    KELKilON    I:T    la     KOI 

La  coinin union  des  conscieiiees,  qu'iiiipli<[ue  lonle  Aie 
sociale,  est  doue  la  source  de  loule  vie  impersonnelle,  tant 
dans  l'ordre  iillectif  que  dans  l'oinlre  intellecUiel  et  pratique, 
^t  «ette  aptitude  à  vivre  d'une  vie  iniper&Oinnelle  est  la  carac- 
térislique  de  riiuniaiiité  socialisée. 

Nous  avous  dit  idlleurs,  nous  avons  dit  assez,  au  couirs  de 
ce  livre,  tout  ce  qu'il  faut  concéder  au  soeiolo^isme,  tout  ce 
qu'il  apporte  de  véa*it«  nonvelle  en  psyclioloiçie.  Que  l'excita- 
tion collective,  que  relTervcscence  confuse  de  groupes  en  délire, 
eoneourent  à  la  formation  des  rclig^ions,  cela  est  incontes- 
table (i).  Mais  il  faut  (juelque  chose  de  plus  solide  que  ces  élans 
et  ces  poussées  éphémères,  dont  les  conversions  grégaires  nous 
offlt  mootré  la  fragilité  ;  il  faut  derrière  la  société  eoi  elTerves- 
cence^  la  société  organisée,  la  civilisation,  l'humanité.  Les 
foules  mues  par  une  préoccupation  supérieure  à  elles-mêmes, 
seules  font  la  religion.  Je  sais  bien  que  le  Soaiologisme  expli- 
(jue  tout,  ou  à  peu  pivs,  par  la  Société.  C'est  beaucoup,  et 
n'y  a-t-il  pas  dans  la  conscience  humaine,  à  tout  le  moins,  les 
conditions  de  jvossihililé  de  la  Société?  M'y-t-il  pas  un  mini- 
mum dénature  humaine,  sans  qui  la  Société  n'est  pas,  et  qui 
intervient  dans  toutes  les  institutioni^  sociales?  L'individuali-j 
salion  et  la  spiritualisation  croissante  de  la  religion  ne  suppo-j 
sent-clles  pas.,  au  début,  quehpic  chose  de  ce  (jn'elles  appoiv] 
teot  en  oours  de  route?  Et  si  l'on  soutient,  comme  DurkJieim, 
qu'un  fait  de  l'expérience  commune  ne  peutdonner  l'idée  d'ui 
chose  qui  a  pour  caractérislique  d'être  en  dehors  du  moade 
l'expérience  commune,  (juc  le  sacré  est  sans  commune  mesure 
avec  le  profane,  on  est  entraîné,  pour  donner  à  la  Société  puis^ 
sance  explicative,  à  l'omer  au  préalable  d'attributs  de  saiai/teit^ 


'I  A\  e(-  ixioiiis  de  res.f)Ccl  pour  la  sociélé,  Sclilegel  disait  à  Beiijiiiuii 
(Constant  que  «  les  lioiiimcs  ont  besoin  d'être  réunis  [)our  croire,  parce  que 
l'évidence  des  objets  réeîs  plaide  tellement  pour  le  doute  ou  la  négation  qn^ej 
pour  l'emporter  sur  cette  évidence,  il  faut  une  sorte  déleclricité  contfijji-iouse, 
qui  ne  se  traduit  que  |)ar  le  concours  et  le  CiUitact  de  beaucoui)  d'hommes 
réunis.  ^  Journal  intime  de  H.  (>o.\stant,   ia. 


LA    11)1    CUKATRICK  4^9 

ct-trémincncc.  à  la  supposcir  capable  de  tout  proiliiire  el  de  tout 
apportei"  a  l'individu  radicaleincut  inipuissaiil.  à  lui  rendre  ua 
<idlc,  à  on  luire  ie  (iraud  Etre.  Gi\  e'est  aller  bieu  hnn,  et  la 
Soeiété  n' apparaît-elle  pas  à  ses  mendires  aussi  profane  cfue 
sacrée?  Ganimcnl  piciidre  la  société  rœllc,  la  société  oii  Ton 
ploiip:e,  pour  aine  idéalité  relig'ieusc?  Tout  ce  que  Durkbeiin  dit 
contre  l'expérience  et  la  nature  se  ircto.urnc  cou  Ire  la  société. 
(a'  n'est  pas  la  soeiété  réelle,  c'est  l'idée  de  Iki  société,  c'est  la 
société  idéale  en  cpii  on  a  foi,  el  (pii  au  c(eur  de  cliacjuc  liomme 
travaille  à  fornier  les  reliti^ions  ;  à  peu  près,  comme  pouj'  tous 
les  croyants,  ri"]i,dise  invisible  est  sous-jacente  à  rivalise  visible 
el  lui  confère  la  sainteté.  Non  point  la  société  issue  des  besoins 
vitaux,  de  l'interdépendance  organique,  de  la  division  du  tra- 
vail ;  mais  la  eonimunaulé,  la  communication,  la  communion 
dans  ce  qui  unit  et  exalte,  le  grand  frisson  d'nnisson  alTectif  et 
d'identité  intellectuelle,  (pu  sont  à  la  première  comme  une  fin 
et  eomnic  une  religion.  Mais  cela  revient  à  dire  que  les  liauls 
intérêts  spirituels  de  l'humanité,  quelle  qu'en  soit  la  teneur, 
aux  dinérentes  formes  de  civilisation  et  aux  ditréreaits  moments 
de  l'histoire,  concourent  à  former  la  religion  ;  ce  que  nul  ue 
contestera,  de  ceux  tout  au  moins  qui  reconnaissent  une  valeur 
à  la  religion.  L'Humanité  travaille  sous  la  Société  et  par  la 
Société. 

H  faut  faire  intervenir  dans  la  formation  des  religions,  dans 
le  dévelo[)pement  dt\s  religions,  les  grands  faits  d'excitation  coll- 
leelive  et  d'eUérveseence  confuse  que  la  Sociologie  décrit  ;  les 
grands  ^^cntiments  de  puissance  et  d'iinpuissancc  (pie  décrit  la 
Psy(>hol()gi('.  lexaltation  iriH'>islible  avec  son  douhle  aspect 
d'extériorité  coiutraignante  et  d'éblouissemejit  mystérieux, 
tels  que  nous  les  avons  étudiés  dans  la  conversion,  <lans  l'ins- 
piration, dans  le  Mysticisnae  :  Ions  ces  ('tais  d'absoj'ption  et  .de 
transforma  lion  de  laipersonnalité,  d'interruption  de  la  vie  cou- 
l'unte  el  de  disproportion  d'av(>c  elle,  si  (récjuents  dans  la  vie 
religieuse  inlense,  ([ui  siiggri'c.nl    pai-  (Mix-méiiics  l'aflinnalion 


420  LA     lti:i.I(.I(^N    KT    LA    FOI 

enlhoiisiasto  et  conliise  (riiiu'  vaste  sponlaiiéilé,  d'une  grande 
force  (loininatrice.  d'une  puissance  dchordante.  W.  Janies  n'a 
point  toit  de  voir  dans  la  structure  de  la  eonscienee,  dans  ce 
fait  (ju'iine  partie  de  nous-mêmes  est  obscure  et  échappe  à  notre 
volonté,  et  prépare  notre  vie  consciente  et  la  dépasse,  une  des 
conditions  de  la  religion.  La  Subeonscience  psychologique 
opère  exactement  comme  la  surexcitation  collective  et  au  même 
titre.  KUe  a  même  caractère  de  transcendance  et  d'envelop- 
pen^cnt. 

Mais  cette  puissance  resterait  vague  et  nue,  sans  qualifica- 
lion  |>récise,  si  elle  ne  se  colorait  au  contact  des  valeurs.  La 
puissance  religieuse  n'est  pas  n'importe  quoi,  une  simple  l'orce, 
un  clioc,  un  surplus  ;,elle  est  ([ualifiée  par  rapport  aux  biens 
et  aux  maux  ([ue  l'humanité  éprouve  ou  supporte,  espère  ou 
craint.  On  lui  conlie  l'attente  el  l'espérance.  Elle  est  telle  qu'on 
ait  foi  en  elle.  Nous  avons  déjà  indiqué  cela  et  suriisammeut. 
Il  y  a  sous  les  religions  les  grands  désirs  qui  posent  les  valeurs. 

Voilà  déjà  deux  principes.  Les  valeurs  elles-mêmes,  avec 
toute  leur  intensité  ;  au-dessous  d'elles  les  grandes  ten- 
dances humaines,  individuelles,  ou  collectives,  inévitable- 
ment l'un  et  l'autre,  qui  les  constituent.  Et  leur  mode  de  pré- 
sentation, ra{)parencc  d'extériorité,  de  dédoublement,  de 
transcendance,  dont  nous  trouvons  l'origine  dans  la  psycholo- 
gie individuelle  ou  collective.  C'est  ainsi  qu'une  passion  tend  à 
diviniser  son  objet,  d'abord  parce  qu'elle  le  pose  à  force  de 
concentration,  comme  une  fin  dernière  et  absolue  ;  ensuite  par- 
ce qu'il  est  doué  d'une  vie  qui  lui  semble  la  déborder  et  lui 
échapper;  à  cause  de  sa  puissance  d'intrusion,  d'envahis- 
sement, d'absorption.  ?]ncore  souvent,  à  côté  de  la  passio-n 
y  a-t-il  assez  de  critique  pour  juger,  et  retenir  la  divinisation 
commençante;  faute  de  quoi  la  passion  devient  dévotion,  c'est- 
à-dire,  comme  disait  Spinoza,  amour  d'un  objet  qu'on  admire. 

Mais  un  troisième  élément  intervient,  et  qui  est  indispen- 
sable: un  acte  mental,  une  pensée,  une  pensée  du  Monde,  sans 


LA    loi    CKKATRICE  4  21 

<|uoi  loul  ce  travail  ne  s'aclu'NC  [)as.  D'où  Niciil  (|iio  loiilc  cm'Uc 
coiislniclion  n'est  |)as  un  rèvo,  une  lanlaisie,  et  traitée  comme 
telle?  De  ce  que  l'homme  lui  assip^ne  rohjeclivilé,  la  pense 
comme  un  monde  et  au  sein  d  un  monde.  Sans  cet  élément  cos- 
mologiciue,  sans  cette  l'usion  de  l'élément  psycholoj^ico-social 
avec  la  nature,  avec  une  nature,  sans  celte  intéj^ration,  point 
de  relif;ion.  Sans  dotâmes  il  n'y  a  pas  de  religion;  car  sans 
doîi:mes,  il  ne  peut  y  avoir  conscience  d'une  haiinonie  avec 
l'univers.  Nous  l'avons  signalé  déjà.  Point  de  linalité  sans  un 
mécanisme,  sans  un  ordre  de  causes  agissantes.  C'est  ici  cpi'in- 
terviennenl  le  plus  précisément  l'intelligence,  la  Nature.  Natu- 
relles déjà,  puis(pic  les  objets  (pii  les  peuvent  satisfaire  sont  le 
plus  souvent  des  objets  de  la  nature,  les  lins  humaines  renfor- 
cent ce  caractère  par  l'idée  d'une  nature  des  choses  propre  à 
assurer  et  re\istcnce  de  ces  objets  et  la  possibilité  de  les  attein- 
dre. La  Nature,  les  dieux  deviennent  un  ordre  cosmique,  les 
gardiens  des  valeurs.  A  son  tour,  la  linalité  réagit  sur  la  causa- 
lité :  point  de  linalité  sans  l'intention,  la  prescience  au  moins 
obscure  et  la  conscieiice. 

Considérons  de  nouveau  la  Magie,  désir  et  technique, 
mélange  de  l'un  et  de  lautre,  qui  assure  au  désir  sa  réalisation 
par  des  moyens  nés  du  désir.  Certaines  lins,  ardemment  sou- 
haitées, mettent  en  mouvement  l'esprit  (pii  s'ingénie  à  les 
réaliser,  et  (pii  poursuit  leur  réalisation  par  des  moyens  nés  du 
désir.  Nous  avons  vu  (ju'en  vertu  des  lois  de  rex[)ression  des 
émotions,  le  désir  s'extériorise  spontanément  et  par  des  mou- 
vements diflus,  et  par  réaction  émotive  à  la  j)artie  comme 
équivalent  du  tout,  et  par  des  actes  systématisés,  ceux-là  mêmes 
qu'il  suscite.  C(  ries  il  y  a  tendance  à  croire  à  la  valeur  objec- 
tive de  ce  désir  et  à  la  valeur  objective  de  ses  moyens  immédiats 
de  réalisation,  et  c'est  ce  <[Me  Marrelt  appelle  le  stade  de  la 
magie  implicite.  Mais  ce  n'est  pas  encore  la  magie;  la  vraie 
ma!?ie  commence  avec  la  croyance  à  l'objectivité,  avec  le 
moment  oîi    désir    et    moyen   de   réalisation  piennent    ligure 


\i'2  LA  nRLiniorf  et  la  foi 

dans  1«*  momie,  où  raction  majrkiiie  s'y  déploie.  La  forée 
mau^i«lU(',  c'est  l'eflicace  du  désir,  mais  aussi  relïicace  de  la 
natiipe. 

Le  sentiment,  sur  de  soi  et  de  sa  puissance  sur  le  monde, 
confère  au?t  j^esles  et  aux  actes^qui  l'expriment,  et  aux  objets 
qui  le  rellètent,  la  vertu  de  réaliser  l'intention  qui  l'anime  et  la 
foi  dont  il  est  chargé.  Ainsi  par  un  mélange  de  désir  et  de 
t^chnitpie,' par  le  mélange  du  souhait  et  de  la  loi,  dii  caprice 
et  du  nécessaire,  se  constitue  le  réalisme  sacramentel.  Le  Ril;e 
devient  véineide  de  la  force  religieuse,  et  moyen  de  réalisation. 
Les  actes  rituels  glisseront  peu  à  peu  de  la  nature  à  la  conven- 
tioQ,  par  toutes  Les  lois  de  la  déviation  sémanti(iue;  expression 
du'  désir  d'abord,  ils  prendront  enfin  des  formes  très  étrangères 
au  désir  et  à  son  expression  ;  par  ce  que  nous  aTons  appelé  le 
glissement  du  symbolisme,  par  la  retenue  et  le  contrôle  des 
mouvements  spontanés,  l'abréviation  et  la  simplification,  la 
complication,  la  déviation,  l'insufllation  de  motifs  noa^eaux, 
l'intervention  de  considérations  théoriques  et  de  la  spéculation, 
la  stéréotypie. 

AiasL  la  pensée  donne  une  valeur  cosmique  et  ontologique 
aux  poussées  du  sentiment,  au  jeu  des  valeurs.  Elle  les  orga- 
nise en  un  monde  supérieur,  et  c'est  parce  qu'elle  pense  les 
mondes.  Elle  crée  du  même  coup  le  inonde  de  l'expérience  et 
le  monde  transcendant.  Car  la  technique  bifurque,  d'une  part 
vers  la  pratique  et  vers  la  science,  aux  ordres  du  monde  ;  d'au- 
tre parti  obéissajit  aux  désir»,  aux  intérêts,  aux  valeur»,,  au  sec- 
vice  du  désir.  Et  les  deux  mondes  se  constituant  simnltanément. 
s'oppoHcnl,  se  séparent  et  s'affrontent.  A  mesure  que  l'objectivité 
du)  monde  sensible.se  constitue,  s'affirment  la  liberté,  lasupério- 
I  ité,  la  transcendance  du  monde  divin.  La  Grâce  s'organise  en 
regard  de  la  nature;  en  elle  se  réfugie  tout  ce  que  la  nalare  ne 
peut  plus  accepter.  Elle  ne  garde  de  la  nature  que  l'idée  d'un 
ordre  et  d'une  loi,  qui  les  maintient,  elle  et  la  nature,  en  regard 
et  en  connexion^ 


L\  1  or  <;réathi<:e  4*3 

A  |)lii^;  \'ov[o  raison,  loisijiio  inlerviemionl  les  pélloxions 
sur  le  moiulc,  loi'S(jue  la  pliilosophie  se  inrle  ù  la  velïj^oiï, 
lorsque  la  tiiéolop^ie  s'enjpare  des  dkux  et  des  histoires  divines. 
Pour  le  luonienl  nous  ne  voulons  que  martjuer  le  rôle  de  la 
pensée  et.  de  l'iclV-e  de  nature,  aux  origines  mêmes  l'es  pliTS 
obscures  de  la  rclig^ion.  L'élément  eosmolofçique  la  pénètre  de 
plus  en  plus. 

Ainsi  l'enlliousiasme,  même  cliarj^é  de  valeurs,  ne  devient 
reliiçion  «jue  par  le  eonlact  avec  l'objeclivilé,  par  l'idée  d'ordre 
et  de  connexion  :  la  nature  intervient  dans  la  religion  et  par 
son  contenu  et  par  son  idée  ;  et  parce  qu'elle  fournit  les  objets 
du  désir,  et  la  plupart  des  valeurs  des  biens  matériels,  efc 
parce  (pi'i'lle  lournit  l'exemple  du  monde,  la  règle  et  la  loi. 

C'est  la  [H'nsée  après  tout  (jui  eonl'ère  valeur  ontologique. 
Nous  l'avons  vu  du  mysticisme,  qui  resterait  vagiLC  rêverie 
intérieure,  sans  sa  reveiulication  d'objectivité.  Sans  les  concepts 
les  intuitions  sont  aveugles.  C'est  elle  qui  soutient  les 
mouvements  conl'us,  dessine  leurs  l'ornics,  en  tire  parti  et  au 
besoin  les  sascite.  Le  Dieu  sensible  au  cœur  suppose  un  Dieu 
de  l'esprit  :  le  Dieu  prochain  suppose  un  Dieu  lointain.  Sans 
l'idée  d'un  Dieu  à  qui  ils  se  comparent  et  s'égalent,  <pie 
seraient  tous  les  frémissemeEits  intérieurs  <jui  se  pressentent 
divins?  Ce  sout  les  vues  sur  le  monde  qui  suscitent  et  impriment 
les  grands  mouvements  de  sentiment  :  comme  aussi  les  grandes 
vues  sur  le  monde  sont  parfois  la  généralisation  cosmique 
d'expériences  intimes. 

Le  produit  de  ces  trois  principes,  c'est  la  puissance  qui 
dépasse  et  par  sa  sul)jectivité,  et  par  son  oJjjectivité;  la  puissance 
qui  dépasse  sans  être  soi-même  dépassée  par  rien,  parce  qu'elle 
est  la  syntlu'S<'.de  tout  ce  (pii  (b'-passe.  C'est  ce  (pii  est  premier 
dans  l'ordre  de  l'être  et  de  la  puissance,  le  religieux,  le  sacré,.  Le 
solennel.  C'est  la  dillérence  entre  le  saeré  et  ce  <pn  ne  l'est  pas^ 
que  le  sacré  dépasse  sans  mesure.  Pour  le  civilisé,  par  exemple, 
la  nature  n'est  j)as  sa(  i<'r.  l']llc  nousdéjîQsse,  maisn<»ns  la  dépas- 


^2\  I  A    IlKLIGION    I:T    LA    l'OI 

soiis.  Pascal  a  raison.  Mais  la  nature  redevient  sacrée,  ([uand 
la  vision  cstliéii(|nc  rallVanchit  do  celle  limitation,  quand  nous 
en  faisons  connue  une  âme  totale  et  supérieure,  qui  nous 
dépasse  sans  réserve  et  nous  enveloppe  :  «  in  qua  vivimiis, 
nio\'Cf)iiir\  et  suntns  ».  C'est  ainsi  que  le  Naturalisme  peut 
redevenir  religion. 


Le  Mythe  et  le  Uite  ne  peuvent  être  dissociés  (pi'arl)itraire- 
ment.  L'Action  magique  pure,  sans  un  mythe  qui  en  lasse  la 
théorie,  est  rare.  Comme  l'a  fort  bien  dit  iNL  Mauss,  le  rite  se 
joue  dans  une  atmosphère  d'intellectualité  (i). 

La  cérémonie  tend  à  l'utilité.  L'action  magique  vise  une 
lin,  chère  au  sujet  ou  au  groupe.  Elle  sort,  nous  l'avons  vu, 
des  mouvements  mêmes  par  lesquels  s'exprime  leur  désir. 
Mais  elle  persiste  après  que  l'intention  originelle  est  oubliée  ; 
on  inventera  des  raisons.  Et  alors  même  qu'elle  semble  sortir 
naturellement  de  la  sensii)ilité  en  émoi,  elle  suppose  toujours, 
nous  l'avons  vu,  une  certaine  projection  cosmique,  une  vue 
théorique  des  rapports  du  monde  et  des  intentions  du  sujet, 
une  spéculation  rudimentaire,  qui  se  développera  vers  la 
science  ou  vers  la  mythologie,  selon  qu'elle  insistera  sur  la 
nature  des  choses,  que  la  cérémonie  met  en  œuvre,  ou  sm-  les 
intentions  et  sur  la  grâce  qui  les  favorise.  Le  Mythe  se  déve- 
loppera donc  avec  les  intérêts  et  avec  les  notions.'  Mais  un 
Mythe  confus  est  impliqué  daus  tout  rite  :  Mythe  et  Rite  se 
rencontrent  dans  l'unité  préalable  de  l'action  intelligente.  Il 
est  faux  de  les  dissocier  à  l'origine,  et  de  ramener  le  Mythe  au 
Rite,  connue  il  est  faux  par  exemple  de  ramener  à  des  mouve- 
ments du  corps  les  opérations  complexes  de  l'esprit,  comme  le 


(i)  Année  sociologique,  IX,  266. 


LA    KO!    CltKATIUCE 


veut  lu  llu'orie  motrice  de  lintelliijeiice.  S'il  est  vrai  (juc  nos 
monvenu'iits  concourent  à  toutes  nos  opérations  mentales,  de 
la  i)erce[)li()n  au  ju^M'inent,  encore  n'a-l-on  poiiil  le  droit 
(lOuMier  (jue  les  nioiivcinenls  qui  y  Joiienl  un  rôle  sont  j)réei- 
sément  des  mouveuienls  bien  adaptés  à  la  situation,  construits 
de  façon  à  exéculer  l'opération,  intelligents  en  un  mot;  de 
sorte  ([ue,  (piand,  par  exemple,  nous  scandons  et  découpons  en 
qucl(iue  manière,  en  l'écoutant,  le  discours  d'autrui,ce  ([uinous 
aide  à  le  comprendre,  nos  mouvements  de  scansion,  de  répé- 
tition conmicneante,  de  décomposition,  ne  nous  aident  (pie 
dans  la  mesure  où  ils  portent  là  oii  il  Tant,  aux  tournants  du 
sens,  aux  arrêts  importants,  aux  moments  de  liaison  de  la  pen- 
sée exprimée,  bref,  sous  condition  d  intervention  intelliîçente. 
F]t  l'on  peut  étendre  cette  remaripie  à  tous  les  schémas 
moteurs.  Oui  ajiporterait  rinlelliii:ibilité,  sinon  l'inteHij^'cnce? 
Que  serait  un  rite,  sans  la  rencontre  d'une  intention  féconde  en 
gestes,  et  d'un  procéd(''  technique,  sanS,  au  moins,  une  vision 
confuse  de  la  causalité.  Le  Mythe  est  au  moins  la  représentation 
de  l'acte  et  des  conditions  de  l'acte,  (pii  accompagne  l'acte.  Il 
l'enveloppe.  L'acte  rituel  n'est  tel  qu'en  y  venant  s'insérer.  Le 
Mythe  se  développe,  bien  entendu,  lorsque  le  rite  cesse  d'agir 
par  lui  seul,  par  sa  vertu  propie,  lorsque  son  efficace  est  con- 
liée  à  des  ajjenls  divins,  distincts  des  procédés  rituels,  et  sur  la 
nature  desquels  l'imagination  et  la  spéculation  s'exercent.  Tant 
que  le  rite  agit  par  lui  seul,  mécaniquement,  il  n'est  pas  besoin 
d'agent  divin,  distinct  de  la  cérémonie;  la  végétation,  la  chasse, 
le  cours  des  phénomènes  naturels,  assurés  par  les  prali(|ues 
rituelles,  n'exigent  pas  qu'un  esprit  y  réside. 

Lors(pic  la  liaison  du  rile  et  de  l'eUet  attendu  cesse  d'être 
immédiate,  lorsque  la  linalité  prévaut  sur  la  causa!il<'  et  la 
transfigure,  au  lien  magique  se  substitue  un  esprit  ([ui  gou- 
verne les  eilcts  du  rite,  (l'est,  derrière  le  rite  divinisé,  un  être 
qui  y  correspond  d'abord  exactement,  plus  librement -ensuite. 
Quelles  que  soient  les  causes  du  passage  de  ce  que  Frazer 


4!l6  LA    RELIGIOÎV   KT    LA    ICI 

entcinl  par  mau:ie  à  ce  qu'il  entendi  par  religion  cl  réserves 
faites  sur  la  (lislinclion  radicale  qu'il  met  enire  elles,  —  les 
dieux  deviemient  peu  à  peu  indépendants  des  rites;  on  les 
prie  comme  des  personnes  libres  et  t[ur  disposent  à  leur  gré 
de  leur  force  divine.  On  sonde  leur  nature  et  on  spécule  sur 
leurs  attributs  et  leur  faveur. 

Il  est  donc  faux,  dans  la  plupart  des  cas,  d'entendre  les  rites 
en  général  comme  la  représentation  dramatique  dic  mythes 
préexistants:  inexact  aussi  de  soutenir  que  le  Mythe  ne  fait 
que  donner  la  raison  de  raccomplissement  du  Rite.  Il  n'y  a  pas, 
du  reste,  de  loi  uni(iue  de  correspondance  entre  les  Mythes  et 
les  liites.  ('ai-  les  cérémonies  persistent  après  que  leur  signili- 
eation  oriiçinelle  est  oubliée  ;  et  il  se  greffe  sur  elles  des  mythes 
(jui  leur  correspondent  vaguement;  car  il  y  a  des  rites  forte- 
ment inspirés  par  les  images  mythiques  ou  issus  de  mythes 
indépendants  et  qui  doivent  se  créer  des  rifes,  et  des  rites 
presque  vides  de  sens;  des  mythes  suTcliargé»  de  détails 
incohérents,  empruntés  aux  effets  du  rite;  des  rites  escortés 
d'une  suite  de  mythes  d'âges  divers  (i). 

Le  Mythe  se  maintient  et  se  répète  par  la  vertu  du  rite:  rares 
sont  les  mythes  sans  conséquences  rituelles. 


Le  Mythe  est  objet  de  croyance,  comme  le  dogme,  et  non 
pas  simple  thème  poétirjue  comme  le  conte.  Mais  il  est  une  his- 
toire, soit  qu'il  relate  la  fondation  d'un  culte,  soit  qu'il  raconte 
une  aventure  divine,  l'histoire  des  choses,  leur  naissance,  leur 
mort,  et  lîon  pas,  comme  le  dogme,  une  suite  de  notions  qui 


:i;.  Voir  les  1res  pénélrantes  remarques  de  Mauss,  Année  sociologique,  \l, 


i.v   loi   i.itKA  ruit.i:  1-87 

se  IbrmuN'iil  (M1  sysbVrao.  II  ;i  |K)inl;iril  vali'iir  cosmique,  comme 
\v  (loiîinc;  il  l'sl  une  vue  sur  l'uuivi  rs  :  il  est  une  explication, 
acceptahle  en  des  temps  oii  la  description  imaj^inaire  et  lliisloire 
ont  force  d'e\plicafi(»ii.  Il  est  donc  une  hisloire  élernelle  ou  dti 
moins  au-dessus  du  lenips:  une  hisloiic  <pii  a  pour  objet  1  expli- 
cation de  laits  jx'iinanenls  ou  de  laits  décisifs. 

Il  est  par  nature  llucluant  et  mobile,  et  il  suppose  un  état 
dépensée  assez  confus.  Ce  n'est  pas  la  logicpie  (pii  rèi^de  l'union 
de  ses  parties,  mais  bien  les  afiinités  alTectivcs,  ou  les  relations 
jde  fait,  les  rencontres  de  circonstances.  Son  unité  est  lyrique 
ou  dramatitiue  comme  celle  du  rère.  Il  est  proche  du  drame  et 
de  la  poésie,  et  dès  qu'il  se  précise  et  se  formule  en  notions, 
de  la  théoloîîie.  Comme  dans  le  pève,  il  y  a  dans  le  mythe 
surdétepmination  »  au  sens  de  Freud  :  c'est-à-dire  (pie 
rinjflj?e  mythique  est  ambiguë;  plusieurs  iraaj:^es  remplissent  La 
nicme  fonction  et  la  même  ima^;e  a  plusieurs  sens.  <-  Elle  a  des 
<  ehos  inliniment  divers  dans  la  pensée  relitrieuse.  »  l'neiniajçe 
inylhique  contient  et  éveille  phis  ou  moins  oLscurénient d'autres 
images.  T/esi  limaurination  peélicpie  qu'il  faut  invoiiucr  pour 
comprendre  le  Mythe. 

\  aiîue  et  mulliforme.  il  est  difticilemenL  recueilli  et  réibii^é. 
Ses  rédactions  sont  radimentaircs.  ineoliéreiitcs,  éqjiivo([ucs. 
Kt  souvent  il  subit  d'étranjçes  déformations,  quand  il  sort  du 
"anetuaire  ampiel  il  étai*  attaché  pour  entrer  dans  un  cycle 
ftranfrer. 

L'une  <les  premières  étapes  cle  la  fibrmation  du  mythe  e*t  la 
fixation  des  noms,  l'ne  fois  créés,  les  noms  créent  à  leur  tour 
l«'s  personnalités  divines,  cpii  tendent  à  se  détacher  des  choses, 
l-cs  rapj)orts  lo2:i(pies  et  f^rammaticanx  des  noms  entn'  eux  et 
«Tvrc  les  choses  [)roduLscnt,  comme  l'a  montré  l  sener,  de 
nouveaux  mythes. 

S<)u.s  la  biurai^rupc  mylliolojîicpie  on  aperçoit  aisément  certams 
types  assez  fermes,  certains  mythes  universels,  certaines  simili- 
tudes mythi(pics,  qui  reposent  sur  lidcntil»'  de  lespiit  humain, 


4^8  LA    RELIGION    F.T   LA    FOI 

au  moins  au  tant  que   sur  ridcnlité  des  conditions  historiques 
et  sociales. 

Ainsi  le  Mytlic,  par  l'un  de  ses  aspects  et  par  l'une  de  si 
fonctions,  est  proche   du  dogme  et  de  la  théologie.  Il  oscille 
entre   la   poésie    et    la    raison. 


I 


I 


Les  dieux  sont  rinearnation,  l'individualisation  de  la  force 
religieuse,  élémentaire,  anonyme,  impersonnelle,  qui  les 
déborde,  laissant,  flotter  autour  d'eux  un  nimbe  d'infinité.  Le 
Mysticisme  est  au  commencement  et  au  terme  de  la  religion. 
Au  terme  il  dissout  dans  l'infinité  divine  les  dieux  précis  et 
personnels.  Au  principe  il  se  donne  la  matière  divine,  dans 
laquelle  l'imagination  des  siècles  taille  les  dieux  des  nations 

Cette  force  élémentaire,  maniée  par  les  rites,  peut  demeurer 
difluse  aussi  longtemps  que  les  rites  tout-puissants  dispensent 
des  dieux  :  l'airaiblissement  de  la  liaison  du  rite  et  de  son  effet 
suscite  les  dieux.  Devant  les  démentis  de  l'expérience,  cette 
liaison,  d'abord  nécessaire,  devient  contingente.  Le  développe- 
ment de  la  personnalité  chez  les  fidèles  accentue  la  personna- 
lité du  dieu,  prompte  à  paraître,  dès  que  la  finalité  s'affirme  en 
face  de  la  causalité,  par  l'écart  (ju'entraîne  l'afl'aiblissement  de 
la  liaison  du  rite  et  de  son  effet,  la  finalité  qui  suppose  l'inten- 
tion, la  prescience,  la  conscience.  L'agent  divin  assure  l'elfel 
des  cérémonies  auxquelles  il  préside  ;  d'abord  attaché  aux  rites 
et  mal  distingué  d'eux  ;  ainsi  les  petits  dieux  des  «  indigita- 
menta  »;  puis  indépendant  et  libre;  un  individu,  c'est-à-diK 
une  forme  physique,  un  sexe,  un  caractère  psychologique,  uM 
histoire,  une  condition  sociale.  Ainsi  représentés,  on  les  prw 
on  fait  avec  eux  des  arrangements  et  des  contrats,  des  vœux  ei 
des  pactes.  Un  peuple  artiste  a  créé,  pour  ses  besoins,  un( 


I.A     lOI    CIIKATIUCK  ^^2(J 

faiiiillc  (le  (lieux  iiiiinortcls.  un  Olympe  dr  Imiiiric.  (nic  I;i 
l»i.'uut('' l'ail  siirvivic.  Les  dieux  rèirnenl  et  rrirlenl.  iMij)as.sil»les, 
le  cours  d<'  la  uaUuc  cl  de  la  vie  humaine. 

De  la  moil  et  de  la  renaissance  des  puissances  de  la  naliiic, 
du  désir  dCn  maintenir  la  puissance  j)ai'  la  renaissance  et  [)ar 
la  nioit,  du  sacrifice  qui  libère  des  forces  et  du  sacrifice  com- 
luuniel  qui  identifie  la  victime,  le  dieu  et  le  fidèle,  est  sorti 
I  autre  tliènu'  divin,  le  thème  du  dieu  vivant  qui  renaît  et  qui 
meurt,  et  la  violente  as[)iration  au  salut,  et  les  doctrines  de  la 
rédemjUion,  ont  mêlé  le  Dieu  Sauveur  et  le  Dieu  de  la  nature, 
la  frénésie  des  vieux  cultes  ai;raires,  et  l'enthousiasme  extatique 
de  rassimilalion  aux  dieux. 

Les  Dieux  se  composent  ainsi  de  la  force  reliii^ieusc  origi- 
naire et  itupersonuelle,  des  attributs  des  êtres  priviléu:iés  en 
ijiii  elle  s  incarne  inoiiK'utanément,  delà  nature,  de  l'esprit,  des 
intérêts  de  la  société.  Le  Dieu  est  celui  (pii  maintient  et  assure 
les  valeiips  ;  en  lui  s'unissent  la  valeur  et  la  puissance  de  la 
maintenir  cL  de  l'assurer.  C'est  la  valeur  et  la  puissance  qui 
l'ont  sa  divinité.  VA  la  divinité  évolue  des  valeurs  élémentaires 
aux  valeurs  idéales,  «les  r.'lii^ions  de  la  nature  aux  reliijions 
éllii(|ues. 

Doue  la  j^ràce  d'abord  diffuse,  sorte  de  force  physico-spiri- 
tuelle, devient  faveur  personnelle  ;  et  c'est  à  acquérir  par  des 
cérémonies,  ou  [)ar  des  mérites,  ou  |)ai'  des  éials  d'àmo.  la  faveur 
des  dieux  ([ue  les  reli.i^ions  travaillent  ;  juscpi'au  monu'nt  oii, 
l'Ius  hardies,  ayant  }çar<lé  de  leur  origine  le  respect  et  le  senti- 
ment de  la  force  anonyme,  et  ayant  construit  au  cours  d«'  leur 
liisioin»  dos  procédés  raffinés  et  spirituels  par  lesipiels  s'appio- 
tlier  des  dieux,  elles  se  reploii,t;ent  dans  lc<  aliîiii<'-<  «ji'  la  ili\  iniit- 
sans  forme  et  sans  manière  d'être. 

Nous  retrouvons  ainsi,  eoneouianl  à  la  formation  des  dieux, 
h's  ijrands  motifs  <pie  nous  avon^  analysés  plus  haut.  Le 
nu>tif  social,  à  la  fois  désint('«ressé  et  utilitaire  ,  l'evcilalion 
collective,  et  les  valeurs  ipu'  la  société  crée  ou  conserve,  cl  l'or- 


^3t»  LA    JIELICJION    ET    LA    FOI 

lire  sociîil,  et  les  cliels  qu'iclle  divinise;  le  motif  iiilcllcctuei; 
le  travail  de  Tespril  sur  les  condilions  de  la  sûreté,  du  salut,  de 
la  rémunération;  la  réllexiou  «ur  la  Nature,  s-ur  l'ordre  de  1« 
Nature,  sur  roriapine  des  choses,  la -inytliologie  et  la  théoioij^ie, 
dont  les  tliéolo^iens  ont  bien  se.nli  quelle  repose  sur  un  fond 
de  relii^ion  nalurelle.  eest-à-dire  sur  des  arii^umcnts  pojMilaires, 
sur  un  sens  eommun  Telii^ieux,  que  les  philosophiee  mettent 
en  fm-rae  :  ijuaudeur  et  beauté  du  monde,  commencentent  «t 
dépendance  du  monde,  fîrandeur  et  puissance  divine.  Eulin  le 
thème  mysti(iue,  (pii  élabore  la  l'orce  relii;ieuse  primitive  eu 
rattachant  à  des  signes  sensibles  et  à  des  èferes  privilégiés  qui 
la  représentent,  (jui  cherche  linlinité  dans  le  lini,  qui  gonfle 
les  dieux  de  la  force  divine  et  laisse  pourtant  Hotter  autour 
d'eux  un  nimbe  d  impcrsonnalismc,  une  vapeur  de  divinité. 

Les  personnalités  diviites  n'ont  pas  toutes  même  netteté,  ni 
même  unité.  Les  dieux  portent  souvent  la  trace  d'âges  dlIFérents 
et  toute  l'histoire  de  leur  religion  ;  k  dieu  national  a  souvent 
été  d'abord  un  dieu  local,  et  a  grandi  avec  la  fortune  locale;  la 
centralisation  politique  s'exprime  en  lui.  Les  divinités  se  con- 
taminent les  unes  les  autres,  d'abord  ad  sein  d'une  naèiiie  reli- 
gion, puis  par  les  emprunts,  les  intluences  et  les  échanges.  Les 
grands  dieux  absorbent  les  fonctions  des  petits.  Un  Dieu  est  un 
être  très  complexe,  et  Hegel,  à  propos  d'Qsiris  ou  d'Agni, 
a-vait  bieiî  signalé  cette  multiplicité  de  signification.  Aussi 
ont-ils  souvent  tendance  à  se  dédoubler,  à  se  multiplier,  t-outes 
les  fois  <[ue  leur  personnalité  n'est  pas  assez  arrclée  aux  yeux 
des  tidèles  pour  relenii- à  jamais  la  parldinlhicncc  divine  (jui 
leur  est  reconnue- 
La  fortune  politique  d  un  peuple  explique  donc  en  ])artie 
la  constitution  du  Panthéon  divin  où  les  dieux  se  partagent 
les  fonctions,  oii  les  familles  divines  se  juxtaposent,  la  société 
des  dieux,  la  hérarchie  divine,  parfois  la  recherche  de  l'unité 
divine;  et  aussi  le  travail  de  la  caste  sacerdotale,  la  spécula- 
tion religieuse,  opérant   s^r  les  données  primitives;  ainsi  dai 


riiide,  la  Ikibyloiiir,  rjvji-ypte,  où  les  [)i'èlrcs  ojil  laul  Iraviùllé 
sui'  !<'<  (lieux. 


* 


Doifine  et  Mythe  sont,  l'iiii  et  l'a-iitre,  oJ*jet  de  eroyancc, 
mais  le  tloij^ine  est  au  mythe  ce  (jue  la  spéculalion  est  à  la 
poésie  et  le  earactère  d'oblif?ation  y  est  renforcé,  l'n  dog'me 
est  une  vérité  doctrinale,  imposée  par  une  liglise  à  la  croyance 
de  ses  lidèies,  et  le  plus  souvent  comme  de  révélation  divine 
avec  netteté,  certitude,  inlenlion  mauiieste  d'obliij:er.  Ici  repa- 
raît le  sens  oriji^inaire  du  mot,  ([ui  est  précepte,  décision  d'auto- 
rité, —  sens  que  les  sénatus-eonsnltes  lui  ont  assuré,  sous 
l'emjùre  romain,  dans  les  pays  de  langue  grecque,  —  combinée 
avec  le  sens  d'affirmation  métaphysique,  qu'il  a  pris  dans  les 
écoles  philosophiques.  Tn dogme  est  donc  une  assertion  révélée! 
délinie  par  une  Eglise,  proposée  et  imposée  solenucllemcjit 
et  enseignée  par  son  magistère  ordinaire  à  la  foi  de  ses  fidè- 
les (i).  L'Eglise  garantit  l'identité  du  dogme  et  de  la  révé- 
lation primitive,  l'identité  du  dogme  et  de  l'Ecriture,  partout 
où  la  révélation  primitive  est  représentée  par  les  livres  cano- 
niques. 

Le  dogme  a  donc  le  caractère  surnaturel  du  Mythe  ;  il 
exprime  des  mystères,  auxquels  l'intelligence  ne  parvient  pas 
par  ses  seules  forces  et  qui,  même  après  la  révélation  divine, 


,1  Comme  le  remar^iae  très  i)ieii  CIakokil,  Le  Donne  révélé  et  la  ihéologle, 
77:»  La  rcceplioii  d'une  conclusion  llu''oIogi([ue  pur  la  foi  de  l'Eglise,  voil.'i 
ce  qui  la  met  dans  l'élut  d'ultime  disposition  préparatoire  au  doji^me  délini. 
Une  conclusion  tliéologique  j)eut  être  seulement  probable  et  donner  lieu  à 
définition  do|;îniatique.  Au  contraire,  il  y  a  cfcs  conclusions  lhéologi(|ues  de 
premier  ordre,  qui  ne  sont  pas  des  d(»f,'mes;  ainsi  la  vision  béalilique  du 
Ciirisl.  La  conclusion  tliéolo-^ique  qui  prend  valeur  dofruialiquc,  le  doit  moins 
à  sa  ri>^ueur  diaicctifjuc  <iu'à  sa  valeur  de  représentation  |)Our  fixer  et  unir 
dans  uucjucme  profession  l'universalité  des  lidèies.  >> 


.13-j 


L.\    UELIGION    KT    LA    KOI 


u:iir(lont  toujours  (|U('l([ue  clioso  d'insaisissable  à  la  raison. 
Ainsi  la  colloction  des  dogmes  a  ((iiel([iie  chose  d'iinpai  l'ail  ; 
les  l'oiinules  par  lesquelles  l'homme  traduit  la  nature  divine 
n'ont  qu'un  rapport  assez  lointain  avec  sa  plénitude. 

Le  doirme  est  donc  une  proposition  qui  a  une  signification 
niéta[)hysi(pie,  c'est-à-dire  qui  porte  sur  la  nature  dernière  de 
la  rcalité.  De  simples  récits  historiques  ne  seraient  pas  des 
dogmes  :  des  faits  comme  la  crucifixion,  la  résurrection,  ne 
prennent  valeur  dogmali((ue  que  par  leur  si-^nification  divine. 
C'est  aussi,  la  teneur  de  la  formule  exceptée,  le  caractère  du 
Mythe,  qui  ne  se  borne  pas  à  raconter,  mais  qui  vise  à  expli- 
quer et  à  fonder. 

En  même  temps,  on  le  compare  au  savoir  positif:  il  le 
dépasse  :  il  est  incommensurable  avec  lui. 

La  piété,  nous  l'avons  dit,- précède  la  foi  dogmatique.  Les 
dogmes  sortent  d'une  nébuleuse  dogmatique,  de  sentiments 
intellectuels.  La  Foi  est  d'abord  vécue;  elle  fait  plus  que 
se  représenter  ses  objets,  elle  les  possède^  elle  les  vit. 
Les  formules  sont  pour  une  part  l'expression  lo.^que  d'as- 
pirations alfectives  ardentes,  et  leur  premier  office  est  de 
répondre  aux  exigences  du  salut.  Mais  ces  aspirations  affec- 
tives ne  sont  pas  ineffabilité  pure;  elles  développent  une  con- 
science confuse  de  leur  objet  et  de  son  rapport  à  elles:  elles 
sont  chargées  d'inlellectualilé. 

Les  dogmes  existent  ainsi  àl'étatdefait  ou  de  croyance plua 
ou  moins  consciente  et  explicite,  avant  d'être  l'objet  de  spé- 
culations savantes  et  de  décisions  officielles.  Lepoint  de  départ 
d'un  dogme,  c'est  la  foi  vivante  des  masses  croyantes.  On  ren- 
contre, au  début,  la  foi  intensément  vécue,  et  non  pas  des  doo 
triiies  spéculatives  strictement  définies. 

Par  exemple,  le  dogme  christologique  a  été  l'expression  de 
ce  que  Jésus  représentait  pour  la  conscience  chrétienne.  Le 
Christ  de  la  théologie  et  de  la  dogmatique  s'est  dégagé  peu  à 
peu  du  souvenir  exallant  de  Jésus. 


LA    lOI    CUKATHItlK  ^33 

Ainsi  la  foi  avant  d'être  doctrine  et  de  se  transmettre  didac- 
ti(jiu'rncnt,  est  d'abord  eonfiance,  espérance,  transmises  de 
pi'ociie  en  proche. 

A  toutes  les  périodes  créatrices  la  foi  apparaît  sous  l'aspect 
assez  simple  que  l'etlmographie  constate  dans  ses  formes  élé- 
mentaires :  foi  qui  fait  plus  que  se  représenter  son  objet,  qui  1(; 
possède  et  en  est  possédée,  qui  communie  avec  lui,  qui  le  vit; 
comme  a  dit  Lévy-Bruld,  analysant  un  cas  particulier,  «  partici- 
pation si  réellement  vécue  ([u'elle  n'est  pas  encore  proprement 
pensée  *.  La  Foi  ne  cherche  pas  encore  à  comprendre  ou  à 
s'expli<[uer  sou  objet,  à  réaliser  hors  de  soi  les  êtres  avec  qui 
elle  se  sent  d'abord  en  comnmnion  mystique  (i).  Il  n'y  a  pas 
encore  cette  différenciation,  cette  distinction,  cette  analyse  ([ui 
créent  tout  un  monde  de  concepts  au  dessus  de  la  foi  primitive. 
Aux  périodes  d'inquiétude  et  de  création  religieuse,  c'est  comme 
une  aftirmation  enthousiaste  et  confuse,  qui  dépasse  toute 
formule  précise.  A  mesure  que  les  formules  s'établiront,  on 
s'éloignera  de  l'immédiation  primitive,  et  la  complication  même 
de  ces  intermédiaires  visera  à  remplacer  dans  une  certaine 
mesure  l'unité  perdue  (a). 

Mais  la  confusion  primitive  charriait  de  l'intelligence  con- 
fuse, anticipation  d'une  doctrine,  lorsqu'il  s'agit  de  vérital)les 
f)rigines,  souvenir  et  anticipation,  lorsqu'il  s'agit  de  religions 
<léjà  encadrées  dans  la  perspective  historique. 

Par  exemple,  le  dogme  christologique  a  pour  germe  la  con- 
lianee  des  Apôtres,  puis  des  masses  croyantes  dans  le  Christ  : 
en  somme  l'union  de  la  communauté  primitive  dans  le  culte  du 
Christ. 

Mais  c'est  d'abord  dans  le  cadre  du  judaïsme  que  leur  appa- 
raît le  Christ,  et  c'est  surlui(iue  réagira  d'abord  le  chrislianisme 


(li  "  Li's  choses  pcuvciil  avoir  un  sens  et  une  pcalilc  pour  tout  l'honiine. 
longtemps  avant  (lavoir  un  sens  clair  pour  riuleliij;eiu'e,  dont  l'oCliee  est  de 
traduire  en  formules  appauvries  ce  qui  est  donné  dans  lexpérienee  concrète  ". 
IIiiiiKUT,  Ann.  (/(•  l'Ii.  cliri'-t.  i<>o6,  38i. 

(2j   Lkvy-Briui.,  o  e.  p.  97. 


434  L\    RELIGION    ET    TA    FOI 

oiii?iiiaire.  Derrière  Jésus  il  y  a  le  Dieu  biblique  dont  il  se  dit 
le  Messie.  Il  y  a  les  Prophètes.  Jésus  semble  avoir  vécu  dans  la 
conscience  de  sa  vocation  messianique  (i),  et  c'est  de  cette 
notion  du  Messie,  Fils  de  Dieu,  posée  par  lui-même,  semble- 
t-il,  que  se  développera  le  dogme  de  sa  divinité.  Le  chris 
tianisme  est  d'abord  une  secte  juive,  (jui  croit  à  la  messianilé 
(le  Jésus  et  au  prochain  avènement  de  Dieu  (2). 

La  mort  de  Jésus,  loin  d'ébranler  les  disciples,  les  raHermit 
dans  la  pensée  «  que  leur  maître,  prédestiné  par  Dieu  à  la  fonc- 
tion messianique,  était  ressuscité,  et  qu'il  était  prêt  à  revenir 
pour  laecomplissemeut  de  son  œuvre  »  (3). 

De  la  Coi  au  Christ  sort  le  Christ  de  la  théologie  ou  de  la 
dogmatique.  On  sait  quelles  sont,  dès  le  début  de  la  réflexion, 
les  grandes  solutions  de  ce  problème  essentiel,  la  relation  de 
Jésus  à  Dieu.  Jésus,  un  homme  à  qui  Dieu  a  rendu  témoignage 
par  des  miracles;  Jésus,  le  Messie  juif,  devenu  roi  céleste: 
entré  dans  la  gloire  par  sa  passion,  qui  reçoit  l'Esprit  dans  la 
résurrection.  Jésus  qui  reçoit  l'esprit  dans  le  baptême  ;  Jésus 
qui  reçoit  l'esprit  lors  de  sa  conception.  Jésus,  Adam  céleste. 
Fils  de  Dieu;  Jésus  Verbe  de  Dieu  (la  notion  de  Messie  n'ayant 
de  sens  que  pour  les  Juifs;  alors  que  ia  notion  de  Fils  de  Dieu 
était  acceptable  aux  Grecs,  tout  en  maintenant  la  prééminence 
de  Dieu)  :  toutes  conceptions  qui  visent  à  exprimer  le  môme  fait 


(i)  Il  y  a  donc,  au  point  de  départ  du  dogmr  christoloj^ique.  l'autorilé 
de  ]'ensei)^neiuent  de  Jésus.  Jésus  hii-mèiue  se  présente  sons  l'autorité  du 
Dieu  biblique,  de  Moïse  et  des  i)roniesses  propbétiques.  Il  remplit  un  vide; 
il  réalise  une  attente;  il  est  le  Mes?;ie  promis  à  Israi'l.  C'est  sur  des  Juifs 
seulement  que  sa  prédication  pouvait  a{,'ir.  Elle  est  un  réveil,  une  crise  du 
Judaïsme,  loi  donc  l'autorité  du  i)roplicle  implique  l'autorité  de  la  doctrine 
admise  dont  il  s<-  récdamc,  l'autorité  de  sa  personne,  de  sa  prédication  si)é- 
oiale  (puissance  du  thème  messianique  et  de  l'avènement  du  royaume)  et  de 
ses  miracles. 

2/  II  y  a  peu  de  dilTérence  entre  les  juifs  jiieux  et  le  premier  jjroupe  des 
fidèles.  Ceux-ci  vont  au  temple  et  se  soumettent  aux  observances  communes 
du  judaïsme.  Un  seul  point  les  caractérise  :  le  Messie  est  venu.  (DucHESNJi, 
Hist.  anc.  de  l'Eglise,  i,  j5). 

'3  LoisY,  Les^  Premières  années  du  christianisme,  ilîei'.  d'hisl.  et  de  lilt. 
relitj.,  lyao. 


LA     KOI    CUKATHirK  j'j.'t 

—  diiréiT'iilcs  sans  doulc  à  cause  des  liubilndes  d'esprit  et  de 
l:i  tliéoloa^ie  implieile  de  ceux  qui  les  ont  imaginées  —  entre  ies- 
({uelles  les  lidèlcs  ont  iiésité  et  se  sont  partagés.  Mais  on  peut 
les  ranger,  (luelle  que  soit  la  date  à  laquelle  elles  se  sont  [»ré- 
sentées,  dans  un  ordre  de  divinisation  croissante,  et  c'est  bien 
vers  la  divinisation  fpi'clles  ont  continué  à  se  développer,  ('ette 
ascension  vers  Dieu,  celte  élévation  progressive  du  Seigneur 
Jésus  au  dessus  de  riiunianité,  rencontrait  les  ébauches  d'iiy- 
postases  qui  abaissaient  le  Dieu  d'Israël  vers  les  hommes: 
l'Esprit  de  Dieu,  la  .Sagesse,  le  Logos.  Ainsi  la  vie  de  la  loi 
s'exprime  et  s'entretient  par  la  divinisation  croissante  de  son 
objet  (i). 

(^est  ainsi  ([ue  plus  tard  roj)inion  chrétienne  ne  voudra  pas 
de  la  solutit)n  subordinatienne.  Elle  ne  renoncera  pas  à  l'unité 
de  Dieu,  mais  elle  n'y  attachera  que  valeur  de  principe  ; 
elle  ne  la  sent  pas,  elle  ne  la  vit  pas,  tandis  (pi'elle  sent  l'union 
du  chrétien  avec  le  Christ,  d'où  la  tendance  à  affirmer  la  con- 
substantialité  du  Père  et  du  Fils  (2). 

L'élan  de  la  foi,  entraînant  les  habitudes  mentales  et  les 
cadres  théologi({ues,  oblige  à  des  al'lirmations  qui  les  dépassent 
et  dont  chacune  sert  de  tremplin  à  une  autre  plus  hardie.  (Vesl 
comme  une  espèce  de  p.uissance  interne,  de  dynamisme  imma- 
nent. Elle  commence  par  accepter  et  par  dépasser,  par  rapport 
à  Jésus,  les^aClirmations  explicites  de  Jésus  sur  lui-même.  Elle 
ira  ensuite  bien  au  delà  dt^  ce  que  la  loi  originaire  pouvait  con- 
cevoir. (Iliaque  aflirmation  nouvelle  prend  son  point  d'appui  sur 
la  précédente  pour  la  dépasser.  Sur  cha(pie  anirmation  l'orniu- 
lé-e,  l'esprit  travaille,  et  il  en  tii^  ce  qu'elle  inq>li(|uail.  La 
croyance  à  la  résurrection,  issue  de  la  foi  de  la  communantt'' 
primitive  el  cpii  lait  de  Jé.sus  le  Messie  céleste,  se  projette  sur 


(I)  C'est    ce    que    (iiii^jiiebcrt  appelle    «  Majoralioii  o    dans  -><>n    livre   s)ir 
VbWolution  di's  Ooffnifs. 

21  Voir  CiiiGNKBKRT,  Li'  Dofj^mc  de  la  Trinité,  Scierdin,  19H». 


î'3»»  LA    RELIGION    ET    LA    FOI 

sa  vie  torrestro  ;  proi^ressivement,  la  transfiguration,  le  baptême, 
la  naissance,  reeiilcnl  ses  déhuls  divins. 

Kn  même  temps,  la  Cei  veui-  entretient  l'avidité  de  savoir,  de 
tout  savoir  ;  on  sj)éeule  sur  le  retour  du  Christ,  sur  sa  date, 
aussi  bien  que  sur  sa  personne  et  sa  nature.  Les  Evangiles 
apocryphes,  les  légendes  pieuses  nourrissent  la  foi  de  faits  et 
d'images.  Psyché  veut  tout  savoir  d'Kros,  et  non  point  seule- 
ment ([uel  il  est. 

Mais  l'expansion  chrétienne,  partie  de  Juifs  convertis,  s'est 
opérée  en  dehors  d'eux.  Et,  de  fait,  il  a  fallu  l'esprit  grec  pour 
promouvoir  le  dogme  chiistologique.  Pour  le  Juif,  la  distance 
est  infranchissalile  entre  l'homme  et  Dieu  et,  dans  la  voie  de 
la  divinisation,  l'homme  s'arrête  au  prophète  et  au  messager  de 
Dieu.  <  Le  développement  du  dogme  christologique  fut  causé 
par  l'état  d'esprit  et  de  culture  des  premiers  convertis,  venus 
de  la  gcntilité.  Us  eurent  besoin  de  s'interpréter  à  eux-mêmes 
la  nouvelle  foi.  ».Le  contact  de  la  foi  nouvelle  avec  le  mond< 
païen  n'est  pas  sans  avoir  exercé  quelque  action  déjà  sur  la 
théologie  paulinienne  (i)  et  sur  celle  du  quatrième  ?>angile, 
(jui  sont  l'une  et  l'autre  bien  au  delà  du  cadre  du  judaïsme 
L'hellénisation  de  la  doctrine  chrétienne  s'accentue  avec  lei 
Apologistes.  Le  développement  du  dogme  accuse  un  effort  de 
foi  et  d'intelligence,  où  s'associent  les  traditions  religieuses  et 
la  science  d'un  milieu  nouveau.  L'esprit  grec  travaille  sur  U 
terrain  de  l'Evangile  à  tel  point  que  les  notions,  à  raid< 
desquelles  ranti([uité  a  essayé  d'expliquer  et  de  garantir  l'ElvanJ 
gile,  ont  été  confondues  avec  son  contenu  même. 

Ainsi  le  milieu  où  se  développe  le  dogme  est  souvent  ur 
milieu  nouveau,  affranchi  des  habitudes  qui  retenaient  son 
développement  ;  une  génération  nouvelle,  libre  des  préjugés  de, 
la  précédente.  La  génialité,  l'invention  dogmatique  d'individui 
privilégiés  choisit  et  féconde  de  tels  milieux  ;  ainsi  l'aclivitj 


(i)  Voir  sur  ce  point  Tocssaint,  L'IIeiléniarne  de  saint  Paul. 


I.A     loi    CHKATUICK  4'^7 

spirilufllo  de  saint  Paul  dans  le  inondo  licUénuiuc.  Très  iné^'al, 
du  reste,  est  le  besoin  doiînialique  des  iJ^roupes  et  des  eonnnn- 
naiilés.  La  thcoloi,ne  du  judaïsme  par  exemple  esl  très  tardive. 
La  liii)le  révèle  une  moins  grande  aetivilé  dogmatiipie  que  le 
C.anon  chrétien.  Pour  les  juifs  pieux,  la  lîihle  tout  entière  est 
do^^me,  sans  renlernier  à  proprement  parler  de  doj^mes,  et  c'est 
sur  les  pratiques  rituelles  que  l'unité  et  la  stabilité  du  judaïsme 
sont  fondées  ;  les  vagues  tendances  dogmalicpies,  le  culte  de  la 
Tliora,  la  magniliealion  progressive  de  Moïse,  sont  restés  à 
l'état  de  virtualités  (i). 

De  même  le  culte  de  Marie  est  en  germe  dans  les  formules. 
Vierge  Marie,  Marie  toute  pure,  qui  sont  bibliques,  mais  qui 
prennent  pour  la  piété  un  sens  nouveau.  Le  dogme  de  l'Innna- 
culée  Conception,  jadis  contesté  par  saint  liernard  et  saint  An- 
selme, par  saint  IJonaventure  et  saint  Thomas,  «  est  un  des  cas 
les  plus  beaux  de  la  piété...  devançant  la  science,  éclairant  la 
science,  amenant  enfin  la  science  à  ratifier  les  intuitions  de 
l'amour  »  ('j).  La  foi  primitive  en  la  purelé  de  Marie  était  entra- 
vée par  le  dogme  de  l'universelle  rédemption  qui  avait  pour 
corollaire  Tirniversel  péché,  et  longtemps  on  s'était  arrêté  à 
riiypothèse  de  la  sanctification  avant  la  naissance.  Le  subter- 
fu'.i:e  logi([ue  de  Duns  Scof,  l'hypothèse  que  la  ré^lemption  j)ar- 
faile  est  plus  que  le  rachat  d'une  faute  contractée,  qu'elle  est 
préservation,  a  fourni  à  la  foi  commune  l'échappatoire  néces- 
saire. Klle  s'est  reconnue  dans  cette  idée.  (|ui  est  devenue  p(  u 
à  peu  théologie  reçue.  Et  contre  les  objections  de  ceux  (pii  se 
réclamaient  de  l'ancienne  règle  de  foi  de  Vincent  de  Lérins 
('  </iiO(/  u/>i(/ut',  uffic/ini(/U(\  ait  omniluts  »,  l'I'^glise  s'est  préci- 
sément réclamée  de  la  vie  mystérieuse  de  cette  croyance  dans 
l'Lglise  Ci. 


(i^  BovssKT,  lielii^iiiii  îles  JiulcnliunSy  \)o. 
(a    IVviwKj-,  Ktutiss,  r)i2-fi3a,  ">  diMM-mbre   191 J. 

(3)  "  Si,  par  tradition,  nous  entendons  la  transmission,  pour  ainsi  din"  nia- 
lêrifllc,  il'un  dépôt  inanimé,  di-  formules  tontes  faites  et  de  vérités  cristulli- 


4^^  I  A    KKI  H;1<>N    et    la    I'OI 

De  iiiômo.  La  Vallre-Poussin  explique  fort  bien(i)  comment 
le  Bouddha  est  devenu  un  Dieu.  Le  Jiouddhisme  ancien  ortho- 
doxe est  étrana^er  à  loute  idée  de  Dieu  :  le  culte  du  liouddha  y 
est,  il  est  vrai,  de  lu'cessité  de  salut.  Mais  les  moines,  pro- 
fessionnels de  la  délivrance,  confiants  dans  le  seul  renoncement, 
n'ont  pas  scnli  le  besoin  de  déilier  leur  maître.  (Le  Bouddhisme 
exclut  non  seulement  toute  idée  de  Dieu,  mais  encore  d'un  être 
(jùelconque  dont  on  puisse  craindre  ou  espérer  quoi  que  ce 
soit  :  «  Le  Moi  esl  le  protecteur  du  Moi;  quel  autre  protec- 
teur pourrait-on  avoir  que  soi-même?  »)  La  croyance  aux  dieux 
du  Veda  avait  disparu  devant  le  panthéisme  de  la  doctrine  de 
l'Atman  ;  et  même  cette  croyance  avait  pâli  devant  la  loi  natu- 
relle de  renehaînement  des  causes  et  des  effets.  «  Il  n'y  avait 
pas  de  notion  de  Dieu  que  les  disciples  pussent  faire  descen- 
dre sur  le  Maître,  pour  en  faire  un  médiateur.  » 

Mais  la  vieille  littérature  s'enrichit  de  données  inortho- 
doxes :  préexistence  de  Çakya  Mouni,  lutte  avec  Mara,  culte  des 
reliques,  etc.  ;  depuis  la  lin  de  l'âge  védique,  l'Inde  voit  dans 
les  dieux  des  maîtres  de  l'Ascétisme,  des  magiciens,  des  sacri- 
ficateurs, des  saints.  Çakya  prend  naturellement  place  parmi 
vn\,  porté  à  la  divinité  par  la  foi  des  fidèles. 


*    * 


Pourquoi  donc  des  formules?  La  Foi  a  besoin  de  se  con- 
naître ;  le  sentiment  cherche  son  image  et  l'encadre  dans  le 
savoir,  ne  fût-ce  que  pour  se  contempler.  Le  dogme  exprime 
la  foi,  parce  qu'il  en  est  partie  intégrante;  il  lui  est  nécessaire, 
il  lui  permet  de  prendre  conscience  de  soi.  Il  provient  de  l'ef- 
fort pour  saisir  la  pensée  fonclaincnlale  et  les  conditions,  qui. 


sées  dans  ces  forniiilfs,  nous  serions  bien  en  peine  de  justilier  ce  dog'nie  par 
tradition.  "  Kaiwel,  art.  cih'. 
(I    Bouddhisme,  ai'i. 


I.A     KOI    (.RKATUICE  /pQ 

du  (U'dans,  agitoiil  la  loi.  pour  s'explicpier  cette  toi  cl  en  faire 
l'applicalion. 

La  formule  est  d'abord  l'expression  verbale  des  aspirations 
alfectives.  Klle  répond  aux  exigences  internes,  à  lappel  du 
salut.  Elle  fournit  au  sentiment  son  objet,  son  aliment,  sa 
direction.  Elle  est  connue  l'imaji^e  que  se  crée  la  passion,  la 
construction  de  l'objet  aimé,  dont  chaque  trait  est  réponse  à 
une  attente,  promesse  de  bonheur. 

En  même  temps,  elle  sort  du  besoin  de  fonder  au  dehors, 
dans  le  monde  objectif,  les  réalités  dont  le  sentiment  cherche 
à  prendre  conscience  et  les  rapports  d'action  qui  y  sont  inclus. 
C'est  dire  qu'elle  cirerche  à  les  encadrer  dans  ses  catégories 
préexistantes  ou  à  créer  pour  elles  des  catégories  acceptables, 
c'est  dire  qu'elle  les  mesure  à  la  norme  de  la  vérité.  Nous 
venons  de  voir  que  le  christianisme  originaire  s'organisait  an 
sein  des  catégories  religieuses  du  jfodaïsme,  ou  de  l'hellénisme, 
lesquelles  possédaient  dans  ces  milieux  pleine  valeur  de  réa- 
lité. Nous  avons  vu  que  la  magie  primitive  encadre  ses  mou- 
vements de  désir  dans  un  mythe  de  la  causalité.  La  formule 
dogmatique  est,  en  partie,  une  assertion  métaphysique,  un 
fragment  de  philosophie.  C'est  dire  suffisamment  qu'à  la  valeur 
qu'elle  proclame,  elle  cherche  un  point  d'appui  dans  la  réalité; 
elle  la  fonde  dans  la  nature  qu'elle  dépasse,  dans  l'ordre  et  la 
connexion  des  choses,  tels  qu'ils  sont  reconnus,  ou  tels  qu'elle 
s'clforce,  dans  sa  puissance  d'invention,  de  les  faire  reconnaître. 

Ces  deux  raisons,  et  surtout  la  seconde,  font  que  les  sym- 
boles et  les  définitions  dogmatiques  sont  en  rapport  si  étroit 
avec  l'état  de  l'esprit  et  des  connaissances  dans  le  temps  et  le 
milieu  où  ils  ont  été  constitués.  L'Eglise  n'a  point  tort  de  vou- 
loir nous  maintenir  ou  nous  ramener  à  la  philosophie  du 
Moyen  Age.  Et  ceux  (jui  tiennent  pour  la  philosophie  moderne 
sentent  plus  ou  moins  que  le  changement  de  la  connaissance 
leiid  à  amener  un  changement  ou  nn«'  interprétation  nouvelle 
des   formules.   De   là  cette    crise  dans   laquelle    se  débattent 


4^0  I.A    UKLIGION    VA-    1  A    KOI 

toutes  les  religions  à  un  nionient  de  leur  évolution;  ce  besoin, 
chez  beaucoup,  de  distinguer  entre  le  sens  matériel  de  la  for- 
mule, en  rai)[)ort  avec  les  idées  d'autrefois,  et  le  sens  spirituel, 
le  sens  proprement  religieux,  c'est-à-dire  acceptable  à  un  esprit 
d'aujourd'hui,  celui  qui  est  en  rapport  avec  les  besoins  du 
temps  présent.  De  là  ces  appels  à  la  réalité  sous-jacente  aux 
formules,  ce  rel'ugc  dans  la  pratique  ou  la  Mystique.  De  là 
aussi  la  transformation  inévitable,  à  mesure  que  la  pensée  et 
les  systèmes  rationnels  se  modilient,  et  aussi  les  formes 
sociales.  Plus  sûrement  que  sous  le  coup  des  arguments,  les 
dogmes  lléchissent  et  tombent  quand  les  idées  qu'ils  représen- 
tent tombent  elles-mêmes  en  désuétude.  W.  James  a  raison 
d'écrire  qu'après  quelques  générations,  l'atmosphère  morale 
devient  funeste  à  certaines  conceptions  de  la  divinité  qui  s.'épa- 
nouissaient  naguère. 

La  formule,  l'expression  logique  se  constitue  ainsi  sous 
l'inlluencc  de  ces  deux  principes,  et  souvent  par  les  inventions 
géniales  d'individus  privilégiés,  qui  ressentent  avec  une  force 
singulière  les  besoins  de  leur  groupe  social  et  qui  sont  doués 
d'une  particulière  lucidité  pour  apercevoir  une  solution  ({ui 
satisfasse  intellectuellement  et  affectivement  aux  mouvements 
confus  de  la  sentimentalité.  De  tels  prophètes  ont  à  la  fois 
l'autorité  de  leur  personne  et  celle  de  leur  doctrine,  qui  se 
garantissent  réciproquement,  et  Tune  et  l'autre,  par  leur  con- 
venance avec  ce  que  le  groupe  appelle  vérité. 

Sous  l'influence  de  ces  principes,  des  systèmes  fermentent 
qui  visent  à  exprimer  les  faits  primitifs.  Des  mythes  émergent 
de  la  sentimentalité  intellectuelle.  Kt  la  poursuite  de  formules 
plus  précises  traduit  ces  mythes  en  dogmes.  C'est  ici  le  travail 
de  plusieurs;  et  derrière  eux  il  y  a  l'universalité  des  fidèles  et; 
la  recherciie  d'une  profession  de  foi  commune,  assurée  plus  ou; 
moins  par  une  organisation  ecclésiastique. 

Tout  se  passe  donc  comme  si  une  donnée  primitive  étaitj 
saisie  d'abord  comme  par  une  intuition  fondamentale  :  la  briè-j 


I,A     I(»l    CUKATIUCK 


volé,  la  pauMcli'  iiitiiu'  des  piriuirrs  mois  qui  l'expriiiu'iil  ne 
doit  pas  faire  illusion  ;  ear  ils  sont  chargés  de  plénitude,  d'am- 
pleur, de  valeur  intense.  Ils  recouvrent  beaucoup  d'implicite 
et  de  virlualilé.  Puis  de  eelle  originelle  eonfiision  synllu''li«pie 
se  dégagent  de  nombreuses  al'lirmations,  de  nombreux  sys- 
tèmes qui  prétendent  à  exprimer  le  fait  primilil",  qui  visent  à 
en  prendre  possession.  Enlin.  l'on  confronte  les  résultats 
de  cette  élaboration  avec  la  donnée  primitive.  Les  églises 
méditent  leurs  délinitions  dogmatiques  à  travers  des  déli- 
bérations» ([ui  jouent  le  même  rôle  (jue  les  motifs  de  crédi- 
bilité dans  la  genèse  de  la  foi  individuelle  et  (pii  visent  à 
relléter  la  foi  primitive  dans  la  théologie  savante.  Un  juge- 
ment délinitif,  une  solution  solennelle  prononce  en  dernier 
ressort. 

H  n'est  donc  point  inexact  d'admettre  avec  quelques 
théologiens  un  développement  de  limplicite  à  lexplieile, 
de  l'obscur  au  clair,  du  probable  au  certain  ;  ou  avec 
d  autres  une  phase  de  la  foi  implicite,  une  phase  des  con- 
troverses et  des  hésitations,  une  phase  de  la  foi  ecclésias- 
ti(pie. 

La  formule  est  souple  jusqu'aux  délinitions  solennelles,  qui 
lui  donnent  une  signification  arrêtée  dans  ses  détails,  et  iw 
\'(irk'(fir.  Ainsi  pendant  un  temps  elle  peut  senriehir,  ou  s'alté- 
rer; puis  elle  prétend  rester  immobile  et  conserver.  Entre  la 
formule  innnobile  et  la  foi  en  marche  les  eonllits  éclatent;  ou 
bien,  versant  un  vin  nouveau  dans  les  vieilles  outres,  on  s'ef- 
force à  l'entendre  en  un  sens  nouveau.  Le  développement  de 
l'esprit  et  du  savoir  qui,  à  un  moment,  a  suscité  le  dogme, 
le  dépassant,  l'expose  à  tous  les  retours  de  lliésitalion  et 
de  la  critique.  La  théologie  le  défend.  Après  avoir  essayé  de 
rejeter  et  de  réprimer  celles  des  assertions  du  savoir  séculier 
•qui  lui  paraissent  inconciliables  avec  elle,  elle  les  accommode. 
La  création,  l'ascension  du  Christ,  sa  descente  aux  enfers, 
n'ont  plus  le  même  sens  que  jadis. 


^4^  I.A    RKLIGION    KT    I,A    KOI 

L'évolution,  le  développement  du  dop:me  peut  être  pris  en 
trois  sens  dilTérenls  (i).  Il  est  probable  que  ees  trois  sens  sont 
vrais  et  que  chaque  théorie  trouverait,  dans  l'histoire  des 
dogmes,  des  exemples  à  qui  s'appliquer.  L'hypothèse  la  plus 
naturelle,  c'est  qu'un  dogme,  qui  est  dit  proiçresser  ou  se  déve- 
lopper, a  changé  de  sens.  La  divinité  de  Jésus-Christ  n'a  pas, 
pour  le  .Moyen  Age,  le  même  sens  que  pour  la  première  géné- 
ration chrétienne.  Le  sens  du  dogme  ultérieurement  défini 
n'est  plus  le  même  que  celui  de  la  révélation  primitive.  On 
peut,  du  reste,  dans  cette  hypothèse,  entendre  le  dogme  comme 
une  construction  rationnelle  de  valeur  relative,  comme  une 
théorie  qui  change  avec  le  temps;  ou  bien  comme  une  expres- 
sion du  sentiment,  symboliquement  interprétée  et  variable 
avec  le  sentiment  lui-même.  Ici  la  notion  de  développement 
est  prise  au  sens  de  changement;  c'est  le  caractère  de  change- 
ment, d'altération,  de  transformation,  qui  frappe  les  théori- 
ciens plus  soucieux  du  devenir  que  de  la  permanence  et  de 
l'identité.  L'idée  biologique  d'évolution  leur  fournit  un  exemple 
et  un  appui.  La  théorie  entraîne  à  juger  avec  une  certaine 
rigueur  la  prétention  des  religions  à  l'immutabilité.  Elle  dira 
volontiers,  avec  Renan,  que  l'histoire  religieuse  progresse  par 
une  série  de  contre-sens. 

Ou  bien,  comme  le  fait  par  exemple  Ncwman,  on  s'ef- 
force de  maintenir,  sous  le  changement,  la  permanence  du 
type  primitif;  on  parie  de  croissance  organique;  on  insiste 
alors  sur  la  constance  des  principes  directeurs,  Tunité  du 
type,  sa  puissance  d'assimilation,  sur  le  caractère  logique  du 
développement,  sur  la  préexistence  des  développements  futurs 
dans  le  noyau  primitif,  sous  forme  d'anticipation,  sur  la  con- 
servation des  acquisitions,  sur  la  vigueur  d'affirmation  qui  se 
soutient  à  travers  la  durée.  Ici  l'on  s'efiorce  de  faire  droit  à  la 
différence  comme  à  l'unité,  et  l'on  recourt  à  la  métaphore  de 


(i;  Voir  sur  ces  questions  Garukil,  Le  Donné  révélé  et  la  théologie. 


I.\     KOI    r.lU  AlItlCK  ||> 

la  croissance  orgauicjue,  où  la  nolioii  de  prédélerniinalioii  et 
de  préexistence  joue  un  rôle  capital  (i). 

Ou  bien  encore  c'est  au  prop:rès  de  ICsprit  que  l'on  recourt 
pour  fournir  une  tiiéorie  de  lidenlitc  sous  le  changement.  Nos 
idées,  les  œuvres  de  l'esprit  ap|)araissent  d'aborti  comme 
contusion  synthétique,  comme  indéterniination  capal)le  de 
développements  divers;  la  réllexion  travaille  sur  ces  données 
|)rimitives;  elle  y  introduit  des  distinctions,  des  définitions; 
elle  y  a[)erçoit  des  compatibilités  et  des  incompatibilités:  elle 
y  démêle  les  divers  développements  possibles.  Knlin,  l'esprit 
revient  riche  de  ce  travail,  sur  la  donnée  primitive,  pour  l'y 
intégrer.  Ici  la  métaphore  est  d'ordre  spirituel  et  l'on  traite  ce 
(jui  se  passe  dans  une  multiplicité  d'esprits  et  dans  ime  suite 
d'esprits,  comme  ce  qui  se  passe  dans  un  esprit.  L'esprit 
humain  n'est  j)lus  ([u'un  homme,  et  la  suite  des  générations  et 
la  diversité  des  sociétés  et  des  groupes  sociaux  simultanément 
existants  ne  sont  plus  que  la  vie  de  cet  homme  éternel. 

Les  métaphores  organiques  ne  s'appliquent  à  des  états 
il'esprit  que  prises  à  ce  degré  de  généralité  qui  se  trouve 
convenir  à  peu  près  à  tout  ce  qui  existe.  Le  récent  insuccès  de 
certaines  tentatives  qui  ont  voulu  verser,  telles  quelles,  dans  la 
sociologie  ou  dans  l'histoire  littéraire,  les  notions  et  les  lois 
qui  s'appli(iuent  aux  organismes  sulïiraicnt  à  nous  avertir  du 
caractère  précaire  de   telles  comparaisons.  C'est  bien  dans  la 


(Il  Oïl  j)Oiirrait  ici  citt-r  Ukci-.l  :  «  Le  Ino^l^■cIn(•llt  du  concei^l  est  dcvi-lup- 
jxMucnt,  par  l<'<|iiel  (Irv('lt)ppeijipnt  on  ne  pose  (juc  ce  qui  se  trouve  déjà 
présent  en  soi.  Dans  la  nature,  c'est  la  vie  or}îani(iue  qui  correspomi  à  la 
phase  du  concept.  Ainsi,  par  exemple,  la  plante  se  développe  de  son  j^ernie. 
Ce  dernier  contient  déjà  <'n  lui  la  plante  eiilicre,  mais  de  manière  idéale,  et 
c'est  pour(juoi  il  ne  faut  point  concevoir  .son  développement  de  telle  manière 
que  les  diverses  parties  de  la  plante,  racine,  tronc,  l'euillcs,  etc.  se  trouve- 
raient déjà  dans  le  j,'erme,  mais  toutes  petites.  C'est  FLypothèse  de  l'emboi- 
temenf,  dont  le  délàut  par  consé(|uent  consiste  en  ce  que  ce  (|ui  n'est  jiré- 
sent  que  de  manière  idt-ale  est  conçu  comme  étant  déjà  existant.  Cr  (ju  il  y 
a  au  contraire  de  juste  dans  cette  hypothési-,  c'est  le  lait  <pie  le  concept  an 
cours  de  son  processus  reste  en  lui  uicme  et  que  par  ce  processus  rien  do 
nouveau  n'est  posé  en  ce  «|ui  concerne  le  contenu,  mais  que  seul'-  uif  i>i".li- 
lieation  de  la  fornie  se  trouve  produite.  »  (  H'erAr,  \I,  p.  1^7  ) 


^^^  i.a  kki.k.ion  f.t  la  i  oi 

vie  spii'iiuelle  (ju'il  faul  tliorclior  les  lois  des  êtres  spirituels;  h 
condition  de  la  prendre  dans  toute  son  ampleur.  La  construc- 
tion cl  le  progrès  du  dogme  expriment  non  seulement  l'esprit, 
mais  aussi  les  passions,  les  coutumes,  les  institutions  des 
communautés:  la  théorie  de  la  satisfaction  d'Anselme  a  un 
caractère  juridique  et  n'est  possible  qu'à  un  certain  moment 
de  l'histoire  du  droit.  Les  l'ornuiles  juridi(iues  fournissent 
volontiers  une  représentation  claire  de  l'organisation  du  gou- 
vernement divin.  Le  développement  du  dogme,  ce  n'est  pas 
seulement  le  développement  d'un  dogme,  c'est  le  développe- 
ment dune  dogmatique  dont  toutes  les  parties  sont  en  rap- 
port; c'est  la  maturation  d'une  œuvre  d'ensemble  oîi  tout  pro- 
grès, toute  retouche  de  détail,  retentissent  sur  l'ensemble  (i). 
C'est  l'obligation  de  rechercher,  dans  le  cabinet  du  savant, 
dans  l'oratoire  des  fidèles,  dans  le  tumulte  des  conciles,  des 
idées  nouvelles  propres  à  com]>léter  et  à  expliquer  les 
anciennes. 

Bien  entendu,  même  lorsqu'il  s'accomplit  dans  l'esprit  d'un 
sujet  particulier,  le  développement  d'un  thème,  d'une  idée, 
n'est  point  simplement  passage  de  l'implicite  à  l'explicite;  un 
tel  mode  de  développement,  au  sens  étymologique  du  mot, 
n'est  qu'un  cas  particulier;  la  pensée  progresse  le  plus  sou- 
vent par  adjonction,  par  complication,  par  contamination,  en 
allant  chercher  hors  d'un  cercle  d'idées  de  quoi  l'enrichir;  elle 
est  synthétique  aussi  bien  qu'analytique,  et  l'analyse  progresse 


[Il  On  peut  utilement  rappeler  l'exposé  S}ntliéti(iur  de  Dohnek,  Grundriss 
dcr  Doginengcfichichle,  1893.  La  première  lornie  dfe  philosophie  chrétienne  est 
suscitée  par  le  gnoslicisme  et  par  les  nécessités  de  l'Apolo^Me.  Elle  a  moins 
pour  objet  de  lixer  des  dogmes  particuliers  que  de  présenter  un  système 
achevé;  par  exemple,  l'œuvre  d'Origène.  A  la  seconde  étape,  c'est  l'Kglise 
qui  entre  en  scène,  et,  tranchant  la  question,  consacre  successivement  par 
son  autorité  un  certain  nombre  de  dogmes;  après  quoi  on  tente  de  rassem- 
bler les  dogmes  eu  un  tout  et  d'en  Caire  un  système  cohérent,  l'Kglise  demeu- 
rant la  haute  autorité  dogmatirpie.  Enlin.  les  dogmes  ayant  été  fixés  dans 
leurs  grandes  lignes  et  approuvés  i)ar  l'Église,  le  moyen  àgc  constitue  des 
sommes  théologiques.  Plus  tard,  le  protestantisme,  tout  en  établissant  des 
confessions  de  foi,  croira  comprendre  l'esprit  originaire  du  christianisme  et: 
revenir  au  christianisme  d'avant  la  théologie. 


I. A   l'oi  cm; \THicK  ^^5 

non  point  par  iiii  simple  (Irroiilciiiont  des  synthèses  piinior- 
(liah's.  mais  le  [)lns  soiivonl  j)ai'  l'intervention  de  synthèses 
nouvelles.  Souvent  aussi  un  épisode,  un  moment  du  dévelop- 
pement, prend  valeur  propre  et  prop^resse  pour  soi  et  par  soi, 
La  c'oml)e  sinlléchit.  une  série  nouvelle  conmience  :  ainsi 
l'artiste  se  trouve  inventer  à  mesure,  en  prenant  appui  sur  ee 
(piil  a  déjà  l'ail:  ainsi  une  idée  d'à-côté  se  trouve  dominer  la 
eonseience,  un  courant  secondaire  se  trouve  l'envahir.  Et  cela 
est  bien  plus  vrai  encore  lorsque  l'esprit  (jui  travaille  sur  le 
dogme  n'est  pas  l'esprit  peu  mobile  d'un  individu  particulier, 
mais  l'esprit  très  changeant  d'individus  (pii  se  succèdent,  oîi  les 
idées  changent  par  cela  seul  qu'elles  passent  d'esprit  à  esprit, 
et  l'esprit  très  varié  d'individus  et  de  groupes  dilFérents,  oîi 
les  idées  communes  prennent  une  qualification  particulière,  oîi 
se  forment  des  idées  particulières  qui  se  reversent  au  fond 
commun.  C'est  pourquoi  le  dogme  dévore  ses  créateurs:  c'est 
|)our(|uoi  les  théologiens  tond)ent  tour  à  tour  sous  le  coup  de 
décisions  dogmatiques,  dont  ils  ont  eux-mêmes  posé  les  bases. 
C'est  pourquoi  la  nouveauté  la  plus  vive  se  rencontre  dans 
l'histoire  des  dogmaticpies.  à  côté  de  la  conservation  opi- 
niàtie.  C'est  pourquoi  le  développement  ne  s'inscrit  pas  seu- 
lement comme  progrès,  mais  est  aussi  bien,  à  certains  moments, 
réaction,  réforme,  transvalnation  des  valeurs.  Après  l'aseeii- 
•-ion  éclatante,  la  période  d'état  et  de  domination  plus  ou  moins 
trancpiille.  Puis  l'inévitable  déclin,  le  cré[)uscule  des  dieux. 
Les  (loguies  n'exj)riment  plus  l'esprit  du  temps.  La  science  et 
la  |)liilosoj)hie  ont  orienté  autrement  les  esprits.  Ils  londjent 
r\\  désuétude  ou  soni  battus  en  brèche.  Les  Eglises  les 
di-rcndeiil  à  coup  d'apologéti([iie,  les  accommodent  à  l'esprit 
nouveau  ou  les  maintieunent  lièrement  avec  mie  apparenei' 
d'inunulabilité  dans  un  univers  sj)iriluel  oii  ils  ne  s'ajustent 
plus.  La  virtuosité  des  théologiens  et  des  lidèles  s'exerce  sur 
ces  thèmes  périlleux.  A  vrai  dire  la  foi  a  toujours  connu  le 
péiil.  <pii   est  de  son  essence.   Mais  suivant    les  l«Mnps   elle    le 


H»'  LA    UKLKMON    ET    LA    FOI 


court  joyeusement    avec  la    certitude   de  la   victoire,  ou    bien 
avec  une  morne  inquiétude. 


* 
*    * 


La  P'oi  divinise  son  objet  et  tend,  nous  l'avons  dit,  à  le 
diviniser  davanta2:e.  On  peut  distinguer  plusieurs  procédés  qui 
concourent  à  cette  c  majoration  »,  à  cette  divinisation  crois- 
sante. 

D'abord  une  sorte  de  dynamisme  intehie.  Les  affirmations 
se  succcdent,  toujours  plus  audacieuses,  expression  d'un  senti- 
ment (jui  se  nourrit  de  soinu-me,  qui  se  développe,  qui  s'exalte 
et  s'excite  par  sa  durée  même;  période  d'établissement  avant 
d'arriver  à  la  période  d'état  ou  de  déclin.  Lu  foi  s'enivre  de 
ses  propres  olfrandes  et  de  ses  exaltations  multipliées. 

Le  travail  lof^ique  sur  les  formules  déjà  posées.  On  en  tire 
les  conséquences,  qui  souvent  vont  fort  loin;  on  les  rattache 
aux  autres  parties  de  la  dogmatique  ébauchée.  Les  différents 
dogmes  réagissent  les  uns  sur  les  autres. 

Le  passage  d'un  thème  en  des  groupes  ditlérents,  ou  des 
générations  successives,  qui,  n'étant  point  arrêtées  par  les 
mêmes  scrupules  dogmatiques,  par  les  mêmes  préjugés,  res- 
titue à  la  communauté  le  dogme  agrandi.  C'est  ce  qui  est 
arrivé  pour  le  (>hrist,  devenu  le  Logos  des  (irecs,  et  dont  la 
grandeur  était  préparée  au  sein  même  de  la  société  juive  par 
Barnabe  et  par  Paul,  qui  ne  pensaient  pas  en  juifs  stricts.  La 
diversité  des  groupes  sociaux,  la  variété  individuelle,  la  discon-, 
tinuité  des  groupes  sociaux  élargissent  le  dogme,  l'altèrent  et 
l'agrandissent. 

Ou  pourrait  peut-être  distinguer  dans  la  formation  du 
dogme  le  rôle  des  différentes  classes  religieuses  ;  la  foi  des 
simples,    alternativement    exigeante,    impérieuse,    majorante 


I,A     loi    CUKATRICE  4^7 

(lahoi'd,  cl  conservatrice^  la  loi  des  doctes,  ratiocinante,  syslé- 
inatique,  en  (juète  de  précision,  ouverte  à  routrance  des  sys- 
tèmes, à  l'ivresse  dogmatique;  la  loi  moyenne,  avec  ses  timi- 
dités, ses  réserves,  sou  souci  <ré([uilil)re. 


* 
*    * 


Le  doorme  réagit  sur  la  Foi.  Le  sentiment  s'excite  en  pré- 
sence des  signes  sensibles  qui  rexpriment.  Le  sentiment  s'excite 
en  présence  des  images  et  des  notions  (jue  la  pensée  lui  fournit. 
Le  dogme  est  chargé  de  puissance  atreclive.  Il  est  un  moyen 
nouveau  pour  faire  jaillir  une  source  d'espérance,  de  consola- 
tion, d'exaltation.  Il  tient  la  Foi  en  éveil  par  le  langage  abstrait 
dont  il  revct  ses  ardentes  aspirations. 

Le  dogme  n'est  pas  connaissance  pure;  il  est  langage  d'ac- 
tion, maintien  des  valeurs.  Pas  plus  que  l'action,  le  rite  n'est 
action  j)ure  ou  sentiment  aveugle.  Des  dogmes  comme  la 
Rédemption,  le  Péché  originel,  traduisent  les  oppositions,  les 
contrastes,  le  tragique  de  la  vie  intérieure.  Le  Médiateur  est 
celui  qui  apporte  le  salut. 

Le  dogme,  qui  a  la  durée  des  formules  et  des  systèmes, 
maintient  les  sentiments  et  leur  fournit  un  point  de  repère  et 
un  point  de  départ  durables. 

Parfois  même,  par  sa  sécheresse  rigoureuse  et  sa  froide 
abstraction,  il  avive  la  piété. 


Le  dogme  se  constitue  au  sein  des  hérésies,  dans  cette 
prolifération  de  thèses  et  de  doctrines  spéculatives  dont 
la    loi    travaille    les   esprits.    11   se  pose    en  s'opposant.   Il  est 


.^4S  I  A    UKI.ir.ION    ET    LA    KOI 

issu  du  môuic  besoin;  les  hérésies  n'éclatent  que  sur  les  points 
oîi  le  dogme  est  en  travail.  Vacant  a  raison  de  dire  que  les 
hérésies  naissent  des  questions  que  soulève  la  marche  du 
dogme  (i);  et  Duchesne  qu'à  l'orthodoxie  des  Conciles,  les  théo- 
logiens ont  travaillé,  d'abord  en  produisant  des  hérésies,  puis 
en  les  réprimant.  Par  exemple,  le  symbole  de  Nicée  a  été  rédigé 
contre  les  Ariens.  Arius  oblige  la  doctrine  du  Logos  à  s'affir- 
mer et  à  s'uniformiser.  L'Eglise  écarte  à  la  fois  l'interprétation 
sabellienne  et  l'arienne.  Pour  réfuter  Apollinaire,  on  se  préoc- 
cupe avant  tout  de  prouver  que  Jésus  n'aurait  pas  accompli 
entièrement  l'œuvre  de  la  Rédemption,  s'il  n'avait  pris  une 
ànie  raisonnable,  et  que  cette  àme  ne  mettait  en  péril  ni  l'unité, 
ui  la  sainteté  du  Verbe  Incarné.  L'Eglise  définit  contre  les 
Gnostiques,  niant  l'Immanité  de  Jésus-Christ,  contre  Eutychès, 
contre  le  Neslorianisme.  C'est  ainsi  que  se  constitue,  entre  des 
excès  opposés,  le  dogme,  expression  intellectuelle  d'un  besoin 
profond  de  la  conscience  chrétienne,  désireuse  de  trouver  à  la 
fois  dans  son  Christ  l'homme  et  Dieu. 

Ainsi  les  principaux  dogmes  des  orthodoxics  ne  trouvent 
leur  formule  délinitive  que  dans  les  contestations  et  les  dis- 
putes. Juste  est  le  mot  de  Newman  qu'aucune  doctrine  n'est 
définie  avant  d'avoir  été  violée. 

Des  théories  très  dînérentes,  souvent  même  opposées, 
naissent  en  même  temps  dans  dillérents  esprits  et  continuent 
ensuite  à  coexister  dans  la  communauté,  jusqu'à  ce  qu'un 
(Ircdo  dogmatique,  artificiellement  rédigé,  élimine  les  contra- 
dictions. C'est  la  tâche  des  Eglises  de  faire  un  choix  et  d'éta- 
blir des  compromis. 

Cette  tendance  est  particulièrement  manifeste  dans  l'Eglise 
romaine.  Elle  pousse  à  l'extrême  l'esprit  d'équilibre,  le  besoin 
de  penser  à  l'extrême  les  notions  antithétiques,  de  les  main- 
tenir face  à  face,  de  ne  rien  laisser  perdre  de  la  foi,  quitte  à 

(!■  II,  3oo. 


I,A    KOI    niKAIlUCE  44l> 

adincttre  la  coiilradiclioii  et  à  se  réfugier  dans  le  mystère  (i). 

Le  travail  lliéolof;i(iue  est  aux  [)rises  avec  les  exij^enees 
eontradictoires  de  la  Foi.  La  formule,  où  s'harmonisent  les 
antinomies,  sort  de  débats  passionnés.  Une  autorité  prononce, 
qui  ne  veut  rien  laisser  échapper  de  la  réalité  religieuse.  Par 
exemple,  elle  construit  le  Christ  de  telle  façon  que  l'homme  y 
soit  tout  entier,  et  Dieu  aussi,  anathématisant  à  la  fois  ceux 
([ui  le  rapprochent  ou  l'éloignent  trop  de  l'homme.  Les 
dogmes  de  la  consubslantialité  et  des  deux  natures  font  droit 
sinuiltanéinent  à  la  réalité  de  l'histoire  évangélique  et  à  la 
doctrine  du  Logos. 

Le  catholicisme  se  développe  selon  deux  principes,  l'un 
de  sauvage  luxuriance,  d'expansion  spontanée,  de  foisonne- 
ment d«'  formes,  de  variation  en  toute  direction;  l'autre, 
d'ordre,  de  contrainte,  d'unification.  Le  second  est  souvent  eu 
conflit  avec  le  premier,  souvent  submergé  par  sa  lâche,  tou- 
jours plus  ou  moins  en  arrière. 


Le  dogme  accentue  le  caractère  mystérieux  du  Mythe.  Le 
Mythe  et  aussi  les  fornmles  élémentaires  laissent  dans  l'esprit 
une  impression  confuse  de  mystère,  une  sorte  d'émoi  téné- 
breux, par  la  plénitude  vague  de  leur  contenu,  par  l'étrangeté 
de  leur  arrangement,  [)ar  la  discordance  de  l'expression  et  de 
l'intention.  Le  Mystère  dogmatique  est  incompatibilité  logique. 


(i)  «  L'orlliodoxi»^  purail  suivre  une  sortf  do  lij,'nc  politii[ue.  moyonuc  et 
ol)slinéni(»nt  conciliant»',  entre  les  conclusions  oxtiriues  (jue  l'on  peut  tirer 
des  données  qu'elle  a  en  dépôt.  Quand  elle  cesse  de  j>erce\ oir  l'iiccord  logiipie 
des  assertions  (juclli!  setnide  oj)p()ser  l'une  à  l'autre,  elle  pi-oelanie  le  mys- 
tère et  n'athète  pas  l'unité  de  sa  théorie  par  le  saerilice  d'un  élément  impor- 
tant de  sa  tradition.  Klle  s'('st  refusée  à  enfermer  l'ordre  réel  des  choses  reli- 
gieuses   dans    l'ordre    rationel    de    nos    conceptions.  »   fLuisv,     /.  Aa/i,y//e    el 

29 


45o  \.\   llTAACAOS    KT    l.A    lOt 

Sur  le  plan  do  la  spéculation,  le  Mythe,  devenu  dogme, 
devient  coulradiclioii  el  mystère.  Les  exij^cnces  contradic- 
toires de  la  Foi  et  de  la  dialectique  aboutissent  à  la  promulga- 
tion de  notions  inconciliables,  mais  confondues  dans  un  même 
acte  de  foi.  Les  thèmes  dogmatiques,  passant  à  travers  les 
groupes  religieux  et  les  écoles  religieuses,  s'y  compliquent  de 
notions  étrangères  et  de  sens  contradictoires.  La  politique  de 
ILglise  vient  ensuite  tout  prendre  et  tout  concilier.  Les  pro- 
grès de  la  théologie  accusent  donc  Tinintelligibilité  du  dogme, 
et  d'autant  plus  que  se  constitue  la  notion  laïque,  scientifique 
de  l'intelligibilité.  Nous  avons  étudié  le  conllit  à  propos  de 
saint  Tiiomas  et  de  l'Aristotélisme.  Nous  avons  vu  que  le 
recours  à  V  «  extrinsécismc  »  est,  dans  ce  cas,  la  solution  du 
pro])Ième  de  la  raison  et  de  la  foi. 

Ainsi  les  premiers  dogmes,  sortant  du  nimbe  d'étrangeté 
familière,  de  l'éblouissement  confus,  du  polymorphisme  pro- 
téiforme  qui  enveloppent  les  débuts  de  la  i)ensée  religieuse, 
baignent  d'abord  dans  une  sorte  d'intelligibilité  courante.  Cer- 
taines formules,  comme  celle  du  Logos,  sont  parfaitement 
intelligibles  à  une  époque  et  à  un  milieu.  Le  Mystère  appa- 
raît quand  on  fait  converger  plusieurs  modes  et  plusieurs 
plans  de  pensée  difTércnts,  dont  l'incompatibilité  éclate  un 
jour;  quand  on  veut  retrouver,  sous  la  précision,  l'unité,  la 
simplicité  logique,  la  multii)licité,  la  richesse  vague  de  la 
pensée  prélogique  ;  quand  on  veut,  par  exemple,  pour  ne  rien 
laisser  perdre  de  la  foi,  réunir  dans  le  même  être  la  notion 
juive  de  lahveii  et  la  notion  grecque  du  Logos,  fondre 
ensemble  le  Dieu  bibliciue,  incapable  d'hypostases,  et  le  Pre- 
mier néoplatonicien,  créateur  d'iiypostases. 

Mais  la  contradiction  n'est  pas  aperçue  d'abord.  La  théoj 

dicée  des  Néoplatoniciens,  au-dessus  de  Texpérienee  et  de  1^ 

pensée  strictement  logique,  admettait,  encourageait  la  contra-j 

diction  et  la  confusion.  La  «  liaison  illuminée  des  Pères  »  esi 

organe  mystérieux  de  l'intelligibilité  du  mystère. 


I.A    KOI    CHKATRICK  ^^)l 

VA  (inaïul  elle  confesse  qu'elle  ne  peut  ('clairer  le  Mystère, 
la  théolourie  prétend  tout  au  moins  montrer  cpi'il  n'est  pas 
contraire  à  la  raison,  qu'on  en  peut  trouver  des  confirmations 
dans  la  nature,  ([ue  le  rapport  des  mystères  entre  eux  et  leur 
rapport  avec  la  lin  dernière  de  l'homme,  leur  eonl'èrenl  une 
espèce  d'intellii;ihililé,  en  même  temps  (juc  leur  transcendanc*^ 
les  soustrait  à  la  contradiction  :  «  Les  afûrmations  trinilaircs 
ne  se  rapportant  pas  à  des  notions  claires  et  adé([uates  à  l'es- 
sence et  aux  [)ersonnes  divines,  ne  créent  pas  dans  notre 
esprit    un    conllil    évident    comme    le    heurt    de    deux   idées 

claires.  » 

* 
*    * 

La  puissance  administrative  et  sacerdotale  assure  la  règle 
de  la  loi.  LTnité  de  IKû^lise  s'exprime  dans  le  Crerlo,  qui 
assure  l'uniti-  de  Foi.  D'oii  l'intérêt  ecclésiastique  sous  l'intérêt 
reli2:ieux  ;  d'où  le  conservatisme  qui,  par  l'autorité  et  l'immo- 
bilité, assure  la  sécurité.  L'homogénéité  du  (jedo  donne  au 
groupe  le  sentiment  de  soi.  La  concentration  dans  les  mêmes 
mains  des  fonctions  administratives,  du  droit  de  surveiller  la 
doctrine  et  les  mceurs,  du  soin  d'enseigner  la  loi,  du  privi- 
lège de  disposer  de  la  force  des  rites  (i),  confère  au  dogme 
un  caractère  largement  social  qui  reflète  tous  les  aspects,  qui 
exprime  toutes  les  tendances  de  la  société  religieuse.  En 
même  temps  (jue  la  science  du  théologien,  l'inspiration  de  la 
sainteté  et  les  combinaisons  de  la  politique  y  concourent  (2). 

Ainsi,  assuré  sur  l'Kglise,  le  dOgme  se  propose  à  la  foi  des 
fidèles. 


(i)  Nous  avons  parlé  pins  haut  des  rites  et  des  mythes;  il  est  inutile 
de  nous  répéter  à  i)ropos  des  do<,'nics.  Certaines  lormiiles  eércnioniellrs 
concourent  à  la  formation  et  au  maintien  des  doj;mes.  Par  exemple,  on  alii'  ^ 
montré,  pour  le  dogme  de  la  Trinité,  le  rôle  de  la  liturgie  du  liai)tême. 

'2    Le    dogme  de   rinl'aillibilité,  jtar  exemple,  en  même   temps  qii'il  p.ir 
fait  l'économie  ecclésiastique,  venant  à  son  Leurc  dans  le  développement  de 
IKglise,  est  une  réaction  de  défense  contre  les  attaques  du  siècle  et  la  ruine 
progressive  de  la  puissance  temporelle. 


OUVRAGES     CITKS 


Abelly.  —  Saint  Vincent  de  Paul,  Paris,  1830. 
Abravanei..  —  Liber  de  capite  fidei,  Amstelodami,  1638. 
American  Journal  of  Psijcholofjij,  Baltimore,  1887  etstiiv. 
Amiel.  —  Journal  intime  (8"  éd.),  Genève,  1001. 

—  Fragments  (Revue  de  Genèoe),  Sept.  1921. 

ANntKR.  —  L'esprit    conservateur    et   l'esprit    révolutionnaire    dans    le 

Lutliéranismo,  Revue  de  Métaphysique,  1018. 
Andrek.  —  Etiinograpliisclie  Paiallelen,  Leipzig,  1883. 
Anesaki.  —  Quelques  pages  de  l'iiistoire  religieuse  du  Japon,  Paris,  1021. 
Année  sociologifjue.  —  Tomes  VI  et  IX,  Paris,  1001-1902;  1905-1900. 
Antoine.  —  Tliéologie  universelle,  Paris,  1737. 
ARRéAT.  —  Le  sentiment  religieux  en  France,  Paris,  1903. 
AsTiÉ.  —  Encyclopédie  des  Sciences  religieuses,  (Article  Vinet;. 
Saint  Augustin.  —  Opéra,  Paiis,  1836. 
liAiNVEL.  —  La  foi  et  l'acte  de  foi,  Paris,  1908. 

—  Etudes  publiées  par  les  P.P.  de  la  Compagnie  de  Jésus, 

5  décembre,  101  1. 

—  Revue  d'Apologétique,  Paris,  1008. 

—  La  vie  intime  du  catholiciue.   Revue   de  philosophie,  Paris 

1013. 
Haiuiks.  —  La  colline  ins|)irée,  Paris,  1013. 

Bartii.  —  Der  Himmel  in  der  Gedankenwelt  10  und   11  jaliriger  Iviiidcr, 
MonatsbUifter  filr  der  evangelischen   Retigionsunterricht, 

1011. 
BAriKmi,.  —  La  conversion  d'un  ovèque,  Le  Correspondant,  1020. 

—  Etudes  d'histoire  et  de  théologie  positive,  Paris,  1002  et  lOOô. 

—  Le  catholicisme  de  saint  Augustin,  Paris,  1920. 
L'Église  naissante  et  le  catholicisme,  Paris,  1000. 

—  Études  de  liturgie,  Paris,  1910. 

—  Leçons  sur  la  Messe,  Paris,  1010. 

—  Études,  Paris,  1920. 

Bayle.  —  Œuvres  diverses,  La  Haye,  1727. 

Bechterew.  —  La  Suggestion,  Paris,  1010. 

Bellarmin.  —  Disputaliones  de  controversiis  christiana-  fidei,  Lugduni. 

BuNEZECH.  —  Un  appel  de  Dieu,  Journal  de  Psi/cholof/ie,  I!)07. 

Benson.  —  Confession  d'un  converti,  Paris,  1013. 


454  I.A    REI.IGION    Kl     LA    KOI 

Berguer.  —  Revue  et  bibliographie  générales  de  psychologie  religieuse, 

Arc  h.  de  Psi/eh.  191'j. 
DoM  Bessb.  —  Reçue  de  philosophie,  1013. 
BiEi..  —  Collectoriuin  ex  Occamo,  Tùbingon,  1512. 
Cardinal  Billot.  —  De  Virtutibus  infUsis,  2«  édition,  Romœ,  1905.  . 
Bloy  (Léon).  —  Le  désespéré,  Paris,  1001. 
Blanchet.  —  Campanella,  Paris,  1920. 

—  Le  Pari  de  Pascal,  Reçue  de  Métaphysique,  1919. 
BôHMER.  —  Luther.  Leipzig,  1913. 

M'»^  de  BoiGNE.  —  Mémoires,  Paris,  1907. 
Bois.      -  Le  Réveil  au  pays  de  Galles,  Toulouse,  100*0. 
Salnt-Bonaventure.  —  Opéra  omnia,  Ad  claras  a(|uas,  1882  et  suiv. 
Ch.  BosT.  —  Les  prédicants  protestants  des  Cévennes  et  du  Bas-Lan- 
guedoc, Paris,  1912. 

—  Reçue' historique,  1912. 

Bouché-Leclercq.  —  La  divination  dans  l'Antiquité,  Paris,  1870. 

—  L'intolérance  religieuse  et  la  politique,  Paris,  1911. 
Bousset.  —  Religion  d^s  Judentums,  Berlin,  1003. 

—  Kyiios  Chrislos,  Gôttiiigen,  1913. 

—  Hau[)tprobleme  der  Gnosis,  Guttingen,  1007. 

—  Die  jiidische  Apokalyptik,  Berlin,  1003. 

—  Wesen  der  Religion,  Halle,  1903. 
Boi'TROux.  —  Science  et  religion,  Paris,  1008. 

—  Bulletin  de  la  Société  de  philosophie,  Paris,  1906. 

R.  P.  Bouvier.  —  Recherches  de  Sciences  religieuses,  Paris,  1912. 

BovET.  —  La  Glossolalie,  Revue  d'Histoire  des  Religions,  1901. 

Boyer.  —  L'idée  de  vérité  dans  la  philosophie  de  saint  Augustin,  Paris,  102  L 

—  Christianisme  et  Néoplatonisme  dans  la  formation  de  saint 

Augustin,  Paris,  1021. 
Bré.mont.  —  Histoire  littéraire  du  Sentiment   religieux,  Paris,    1010  et 

suiv. 
Bricout.  —  Où  en  est  l'histoire  des  religions?  Paris,  1011. 
Brou.  —  Reçue  de  philosophie,  1013. 
Bruger.  —  Die  fortschreitende  Entfiemdung  von  der  Kirche  im  Lichle 

der  Geschichte,  185'4. 
Brunetikre.  —  Cinq  lettres  sur  Ernest  Renan,  Paris,  lOO'i. 
DoM  Cabrol.  —  Les  origines  liturgifjues,  Paris,  1000. 
Calvin.  —  Opéra  quie  supersunt  omnia.  Corpus  reformatorum,  T. XXIX 

et  suiv. 
Carra  dm.  Vaux.  —  Gazali,  Paris,  1000. 
Carré  de  Montgeron.  —  La  vérité  des  miiacles,  s.l.  1737. 
Catéchisme  évangélique,  Montbéliard,  1818. 
Cazamian.  —  L'intuition  panthéiste  chez  les  romantiques  anglais,  Reçue 

germanique,  1008. 
Chamberlain.  —  New   Religions    among    the    North    American    Indians. 

American  Journal  of  religious  Psych.  1013. 
Chantepie  de  la  Saussaye.  —  Manuel  d'histoire  des  religions,  Paris,  lOO'i. 
Chérel.  —  Fénelon  au  XVIU'-  siècle,  Paris,  1915. 


OUVRAGES    CITKS  /\55 

1)'  CiihiYNE.  —   I'Ik'  onj^'lish  Malady,  173r>. 
CicÉRON.  —  De  diviiiatioiie,  Paris,  lîS'.)2. 
Ci.AUDEi..  —  Revue  (ie  la  jeunesse,  10  oct.  V.H'.i. 
Saint-Clkment  d'Alkxandrif..  —  Opéra,  Oxonii,  l.sil'.i. 
Clérissac.  —  Le  mystère  de  l'Eglise,  Paris,  \\)20. 
^CoE.  —  The  Spiritual  Life,  New-York,  lUOU. 

—  Psycliology  of  religion,  Chicago,    l'.HG.  (Ahondante  hiblio- 

graphie  mothodique  de  psyciiologie  religieuse.) 
Benjamin  Constant.  —  Journal  Intime.  Paris,  189"». 
Cni.sTiANi.  —  Lutiier  au  couvent,  Revue  des  questions  historiques,  1010. 

—  Du  luthéranisme  au  protestantisme,  Paris,  l'.Hl. 

li.  Croce.  —  Criti(|ae  de  moi-même,  Revue  de  métap/ujsitiue,  lUl'.). 

CuMONT.  —  Les  religions  orientales,  2«  éd.,  Paris,  lUOi). 

Cr.*.wi.ey.  —  Mystic  Rose,  Londres,  11)02. 

Daremberg  et  Saglio.  —  Dictionnaire  des  Antiquités,  Paris,  1875  et  suiv. 

Davenport.  —  Primitive  traits  in  religious  Revivais,  New-York,  l'.)05. 

David.  —  Le  modernisme  bouddhiste,  Paris,  l'.tll. 

Davv.  —  L'explication  sociologique  en  psychologie.  Journal  de  psijcho- 

logie,  11120. 
IL  Delacroix.  —  Les  grands  mystiques  chrétiens,  Paris,  11108. 

—  Le    mvsticisme    spéculatif  en    Allemagne    au    KIY*"   siècle, 

Pari's,  1000. 

—  Note  sur  Christianisme  et  Mysticisme,  Revue  de  mélnp/n/- 

sique,  XVL 

—  Mysticisme  et  religion,  ..S'c/en^t'a,  1007. 

—  Autour  d'une  mystique  moderne,  Arch.  de  psijeh.,  1015. 

—  Les  états  extatiques  d'Amiel,  Vers  V Unité,  Genève,  1021. 

—  De  l'Automatisme  dans  l'imitation,  J.  de  Psyc/i.,  1921. 

—  Sijren  Kirkegaard,  Revue  de  Métap/ujsique,  Vlli. 
Delhcs.  —  La  philosophie  rrun(;aise,  Paris,  1910. 

Denifle.  —  Luther  und  das  Lutherthum,  2^'-  Autt.  Mainz,  1904. 

Devaux  et  Logre.  —  Les  anxieux,  Paris,  1910, 

Dictionnaire  de  théologie  catholique,  Paris,  1003  et  suiv. 

Diderot.  —  Œuvres,  Paris,  1875. 

Dilthey.  —  ArcJiiv  fur  Geschichte  der  Philosophie,   V. 

Dorner.  —  Grundriss  der  Dogmengeschichte,  1803. 

Doutté.  —  Merrakech,  Paris,  1901. 

Duchesne.  —  Histoire  ancienne  de  l'Eglise,  Paris,  lOOG. 

—  Origines  du  culte  chrétien,  Paris,  1800. 
Dl'ga.s.  —  Dépersonnalisation,  Paris,  1011. 
Duguet,  —  Traité  des  principes  de  la  Foi,  Paris,  1737. 
Dl.mas.  —  Psychologie  de  deux  Messies,  Paris,  1005. 
DiN.s  Scof.  —  Opéra  omnia,  Paris,  1801 

Dli'IN.  —  Les  origines  dos  controverses   trinitaires.   Revue  d'histoire    et 

de  tilt,  religieuses,  If. 
Dlrkheim.  —  Les  formes  élémentaires  de  la  vie  religieuse,  Paris,  1012. 
DuTiLLEUL.  —  Convertis  et  apostats.  Études,  1010. 
EisENHOFER.  —  Handbuch  der  Katholischen  l.iturgik,  I-'reiburg  in  B.,  1022. 


45(î  t-.\    RELIGION    ET    LA    1 OI 

I-'lizai.dk.  —  Forma  veric  religionis,  Naples,  1062. 

Kmerson.  -^  Autobiographie,  trad.  franc,  Paris,  l'J2(). 

Erman.  —  Die  Aegyptische  Religion,  Berlin,  19UÔ. 

Ernst.  —  Die     Ketzertaut'angelegenheit    in    der   altcliristliclien    Kirclie, 

Mainz,  1901. 
EusÈBE.  —  Histoire  ecclésiastique,  Paris,  1905. 
Falret.  —  Folie  raisonnante,  Annales  ryiédieopsi/chologiques,  18G6. 
Farnell.  —  The  évolution  of  religion,  Londres,  1905. 
De  Faye.  —  Gnostiquee  et  Gnosticisme,  Paris,  1913. 
Fénelon.  —  Œuvres,  Lyon,  Paris,  1818. 

—  Maximes  des  Saints  (Edition  critique  de  Chérel),  Paris,  1915. 
DoM  Festugière.  —  La  liturgie.  Revue  de  philosophie,  1913. 

FicKER.  —  Luther,  Leipzig,  1908. 

Flournoy.  —  Des  Indes  à  la  planète  Mars,  Paris  et  Genève,  1900. 

—  Une  mystique  moderne.  Archives  de  psijchologie,  1915. 
J.  G.  Frazer.  —  The  golden  Bough,  3®  éd.,  Londres,  1906. 
Friedlander.  —  Die  religiosen  Bewegungen  innerhalb  des  .ludentums, 

1905.. 
Gardeil.  —  Le  donne  révélé  et  la  théologie,  Paris,  1912. 

—  La  Crédibilité  et  l'Apologétique,  Paris,  1908. 

Gasparri.  —  Traitatus  canonicus  de  sanctissinia  Eucharistia,  Paris,  1897. 

GALDEhROV  Dkmo.mmv.nes.  —  Les  institutions  musulmanes,  Paris,  1921. 

Van  Gennep.  —  Les  rites  de  passage,  Paris,  1909. 

Ghkon.  —  Témoignage  d'un  Converti,  Paris,  1920. 

GiLSON.  —  Etudes  de  philosophie  médiévale,  Strasbourg,  1921. 

Girard.  —  Le  sentiment  religieux  en  Grèce,  Paris,  1869. 

GiRGENSoHN.  —  Die  lieligion,  Leipzig,  1903. 

GoGUEi..  —  L'I'^ucharistie,  Paris,  1910. 

GoLDziHER.  —  Vorlesungen  ùber  den  Islam,  Heidelberg,  1910.* 

Thyrse-Gonzalks.  —  De  inf'aillibilitate  romani  pontificis,  Romfc,  1685, 

—  Manuductio   ad   conversionem    mahometanorun,  Dillingen, 

1689. 
GouRDON.  —  Essai  sur  la  conversion  de  saint  Augustin,  Cahors,  1900. 
Graetz.  —  Geschichte  der  Juden,  Leipzig,  1875. 
De  Grand.mai.son.  —  Eludes  des  Pères  de  la  Compagnie  de  Jésus,  Paris, 

1919. 
Gratry.  —  Pages  choisies,  Paris,  1908. 
Grisar.  —  Luther,  Freiburg  in  B.,  1911. 
Gruppe.  —  Grieciiische  Mythologie,  Miinchen,  1906. 
Guionebert.  —  L'Evolution  des  dogmes,  Paris,  1910. 

—  Le  Dogme  de  la  Trinité,  Scientia,  1919. 

—  Le  Christianisme  antique,  Paris,  1921. 

Glnkel.  —  Die  Wirkungen  des  heiligen  Geistes,  Gottingen,  1888. 
Haerter.  —  Exposition  de  la  doctrine  de  Luther,  Paris,  1901. 
Halhv^  .  —  Le  [leuple  anglais,  Paris  1912. 

—  La    naissance    du    méthodisme    en    Angleterre,    Reçue   de 

Paris,  1906. 
Harnack.  —  Dogmengeschichte,  Freiburg,  189')  ei  suiv. 


()L\KAC.KS    criKS  4'"'7 

IIai{na(K.  —  Mission   und  Ausbreitung,  l,oi|izi^,  19<)2. 

—  Wesen  des  Cliristuiitliums,  Leipzig,  li>08. 

IIkbeut.  —  Lo  seniiinont  et  la  connaissance  religieuse,  Ann.  de  phH. 
c/i  rétienne,  190(>. 

—  L'Evolution  do  la  Foi  callioli(iue,  Paris,  IVJOr). 

—  Le  Divin,   Paris,  l'.HJT. 
Hegki.    -  Werke,  lieilin,  18:32. 

I1f.it/.  —  Essai    historique   sur  les  rapports  de   la    raison    et   do    !;i    i'..; 

Paris,   1909. 
Henke.  —  The  Gil't  cl"  longues,  Am.  j'ourn.  of  TlieoL,  1905. 
Hen.nebois.  —  Pierre  Laporte  et  le  prophétisnie  cévenol,  Genève,  1881. 
P.  Hil.mre.  —  Eludes  franciscaines,  1908. 
HoLLAz.  —  Examen  théologique,  17(13. 
HouDAs.  —  L'Islamisme,  19()'i. 

HofTi.N.  —  Le  Père  Hyarimlio  daus  l'Église  romaine,  Paris,  1*.)2I. 
Hubert  et  >L\u.ss.  —  Mélanges  d'histoire  des  religions,  Paris,   19<i".i. 
HrouES.  —  Mémoires  d'Antoine  Court,  Toulouse,  1883. 

—  Histoire  des  Camisards,  Alais,  1819. 
llL<aEs  DE  Saint- N'icTOR.  —  Opéra,  (Migne  T.  175-177). 
Hlv.smans.  —  La  Cathédrale,  l'aris,  19U6. 

—  En  route,  Paris. 

—  Pages  catholiques,  Paris. 

Préface  du   petit  Catéchisme   liturgique  de   l'abbe  Duiilk-t, 

Paris. 
W.  Ja.me.s.  —  Les  variétés  de  rex|)érience  religieuse,  Paris,  19n(;. 
Pierre  Janet.         Les  médications  psychologiques,  Paris,  1919. 
Saint-Jean  CHHY.sosro.Mi:.  —  Opéra  omnia,  Paris,   1858. 
JoLFFROY.  —  Nouveaux  Mélanges,  Paris,  18'i2. 
Ji.NGST.  —  Kultus  und  (icschichts-ieligion,   19<»1, 
Kaktax.  —  Die  Verpllichtung  auf  das  Bekenntnisti  in  der  evangelischen 

Kirche,   1893. 
Kaiser.  —  Pierre  Abelard  critique,  Fribouig  (.Suisse),  1901. 
Kant.  —  Sammtliche  Werke,  Leip2ig,  18r(7. 
Karppe.  —  Le  Zohar,  Paris,  UK)1. 

Kirkegaard.  —  Ani;rilV  aui'  die  Christonheit,  Stuttgart,  1895. 
Kohleu.    —    Grundriss  einer  systenialischen  l'heologie  des  Judentums, 

Leipzig,  1910. 
Sophie  IvowALKWSKi.  —  Souvenirs  d'enfance,  Paris,  190'i. 
Klbel.    —    Uber  den  Unierschied  der  positiven  und   liberalen  Richtung 

in  der  modernen  Théologie;  1893. 
Laherthowièri:.  —  Philosojihie  religieuse,  Paris,  s.  d. 
De  Labkioi.le.  —  La  crise  montaniste,  Paris,  1913. 
Lalande.  —  Vocabulaire  de  philosophie,  Paris. 
Maurice  Lxmbeut.  —  Journal  (hors  comuiercei,  Neuchatcl,  191'.'. 
La  'Vai.i.ke  I^oussiN.  —  Bouddhisme,  Paris,  1910. 
Léger.  —  La  jeunesse  de  Wesley,  Paris,  1910. 
Leibniz.  —  (Euvres,  Berlin,  1875  et  suivantes. 
B.  Lermy.  —  Confession  d'un  incroyant,  Paris,  1913. 

•M 


4<">8  LA    IIELIGION    ET    LA    KOI 

Le  Rov.  —  Dogme  et  ciitique,  Paris,  1907. 

Mlisabetli  Leselii.  —  Journal  et  Pensées  de  chaque  jour,  Paris,  1920. 

Leuba.  —  i^sycliologie  des  phénomènes  religieux,  Paris,  lOl'i. 

LivET.  —  Journal  (le  psychologie,  1921. 

LoisY.  —  Choses  passées,  Paris,  191:}. 

—  Autour  d'un  petit  livre,  Paris,  190'i. 

—  Les  premières  années  du  christianisme  {Reoue  d'histoire  et 

(le  littérature  religieuses,  1920). 

—  L'Evangile  et  l'Eglise  {'i"  éd.),  Paris,  1908. 

—  Mystères  païens  et  Mystère  chrétien,  Paris,  1919. 

—  Le  Sacrifice,  Paris,  1920. 

—  L'E|ntre  aux  Galates,  Paris,  1916. 

—  La  Religion  d'Israël  (2"  éd.i,  Paris,  1908. 
LoisY.  —  La  religion,  Paris,  1917. 

—  La  discipline  intellectuelle,  Paris,  1019. 
LoMB.\RD.  —  La  glossolalie,  Paris,  1910. 

Looks,  —  Dogmengeschichte,  Halle,  1893. 

Luther.  —  WerUe,  Weimar,  1883. 

LuTosLAWSKi.  —  Congrès  de  Genève,  1910. 

Macdonald.  —  The  religious  Attitude  and  Life  in  Islam,  Chicago,  1909. 

MaLmonide,  —  Guide  des  Égarés,  185(>()0. 

Mainage.  —  Intioduction  à  la  psychologie  des  convertis,  Paris,  1913. 

—  Les  témoins  du  renouveau  catholique,  Paris,  1920. 

—  Psychologie  de  la  conversion,  Paris,  1919. 
Malebran(  HE.  -^  Méditations  chrétiennes,  Paris,  18'j2. 
Mandonnet.  —  Siger  de  Brahant,  Louvain,  1911. 
Maréchal.  —  La  jeunesse  de  Lamennais,  Paris,  1913. 

P.  Maréchal.  —  Sur  quehjues  traits  distinctifs  de  la  mystique  chrétienne, 

Reçue  de  philosophie,  1912. 
ll.-P.  Navatel.  —  SfRur  Marie-Colette  du  Sacré-Cœur,  Paris,  1921. 
Marrett.  —  Threshold  of  Religion,  Londres,  1905. 
Massls.  —  Ernest  Psichari,  Paris,  1920. 

P. -M.  Masson.  —  La  religion  de  Jean-Jacques  Rousseau,  Paris,  1916. 
Mauss.  —  La  prière  (hors  commerce),  Paris,  s.  d. 
Ménégoz.  —  Publications  diverses,  Paris,  1900. 
Stuart-Mill.   —  Essais  sur  la  religion,  Paris,  1901. 
MissoN.  —  'i'iiéâtre  sacré  des  Cévennes,  Londres,  1707. 
MoHLEK.  —  Symholik,  Mainz,  18'l3. 
Mo.NTET.  —  De  l'état  présent  et  de  l'avenir  de  l'Islam,  Paris,  1911. 

—  L'Islam,  Paris,  1921. 
Muret.  —   Le  rituel  du  culte  divin,  Paris,  1902. 

—  Rois  et  dieux,  Paris,  1911. 
A.-V.  McLLEK.  —  Luthers  theologische  Quellen,  Giessen,  1912. 
Mlrlsier.  —  Les  maladies  du  sentiment  religieux,  Paris,  1901. 
Newman.  —  Apologia,  Paris,  1868. 

—  Grammaire  de  l'assentiment,  Paris,  1907. 
NicHOLsoN.  —  The  Mystics  of  Islam,  Londres,  191'l 
Nicole.  —  Les  Imaginaires,  Liège,  1657. 


OUVllAGES    CITÉS  ^Ôg 

NiKTzscHE.  —  Sâmtliclie  Weike,  Loi|izig,  I8'.)'i  et  suiv. 

Oldenberg.  —  La  Keligion  du  Bouddha,  Paris,  l^ï.i. 

Pkgues.  —  Commentaire  français   littéral   de   la  Somme  tliéologique  de 

saint  Thomas  d'Aquin  (t.  IX  et  X  ;  Paris,  l'Jl'i  et  l'J15). 
Pfisteu.  —  Die  psychologische   Enlratselung  der  religiosen  Glossolalie, 

Leipzig,  1912. 
Philon.  —  Opéra,  Londres,   17'r2. 
PoKTAi.iK.  —  Aiticli'    Augustin,    Dictionnaire    de    théologie    catholique, 

lu  me  L 
Pratt.  —  The  religions  Consciou'sness,  New- York,  1920. 
Proudhon.  —  Correspondance,  Paris,  1875. 
Ernest  Psichari.  —  Le  voyage  du  Centurion,  Paris,  l'Jl'J. 

—  Les  voix  qui  crient  dans  le  désert,  Paris,  1920. 
PuEcn.  —  Les  apologistes  grecs,  Paris,  1912. 

RaMbert.  —  Vinet. 

Reitzenstein.  —  Poimandres,  Leijizig,  190'». 

—  Die  hellenistischen  Mysterienreligion,  1910. 
Renan.    -  Souvenirs  d'enfance  et  de  jeunesse,  Paris,  s.  d. 

—  Fi'agments  intimes  et  romanesques,  Paris,  191'k 

—  Lettres  intimes,  Paris,  ly'.K'. 

—  Cahiers  de  jeunesse,  Paris,  1906. 

—  Nouveaux  cahiers  de  jeunesse,  Paris,  1907. 

—  Lettres  du  séminaire,  Paris,  1902. 

—  Ma  sœur  Henriette,  Paris,  s.  d. 

—  Patrice,  Paris,  1908. 

—  Un  o|iuscule  inédit.  Reçue  (Je  Paris,  1920. 
Renocvier.  —  Nouvelle  monadologie,  Paris,  1X99. 

—  Manuel  de  philosophie  ancienne,  Paris,  18'i'i. 
Heitê.  —  Du  diable  à  Dieu,  l^aris,  1907. 

J.-P.  Richter.  —  WerUe,  Berlin,  s.d. 

\V,  RiLEY.  —  Le  génie  américain,  Paris,  1921. 

RiMSKY  Korsakov.  —  Ma  vie  musicale. 

RiviKKK.  —  La  Thoodicée  de  Fénelon,  Ann.  de  philosophie  chrétienne, 

1908. 
Rohde.  —  Psyché,  Freiburg,  in-B.  189i. 
Rossi.  —  Les  suggestionneurs  et  la  foule,  Paris,  190'». 
Rousseau.  —  <Euvros  complètes,  Paris,  1820. 

RoussEr.oT.  —  Recherciies  de  sciences  religieuses,  Paris,  1910  et  iVtlJ. 
A.  Sabatier.  —  Les  religions  d'autorité  et  la  religion  de   l'esprit,  Paris, 

1901. 
l'.  Sabatier.  —  L'expérience  religieuse  et  le  protestantisme.  Annales  de 

philosophie  chrétienne,  1908  et  l'.>09. 

—  Les  modei'nistes,  Paiis,  1912. 
Sageret.  —  Les  grands  convertis,  Paris,  1900. 
Scheel.  —  Dokumente  zu  Luthers  Entwickelung,  lVtU2. 
Scherer.  —  Mélanges  de  littérature  religieuse,  Paris,  18()0. 
SoHM.  —  Wesen  und  Urs[)rung  des  Katholizismus,  1912. 

G.  SoREL.  —  L'utilité  du  pragmatisme,  Paris,  1921. 


4t>0  LA    UELIGIOX    KT    LA    KOI 

ScMREiNKR.     -  Dei"  Ivalam  in  der  judisclien  Literatur,  Berlin,  18"J5. 
Staubcc  K.  —  Tlie  Psychology  of  lleligion,  Londres,  1899. 
Steniihal    —  De  l'amour  (Micliel-Lévv)  Paris,  1853. 

—  IjB  rouge  et  le   noir  (Michcl-Lévvj,  Paris,  1853. 

Van  Steenblrche.  —  Autour  d'une  controverse  mystique,  Paris,  1920. 

J.  Sully.  —  Études  sur  l'enfance,  I^aris,  1908. 

Taine.  —  Correspondance,  Paris,  1902  et  suiv. 

Tawney.  —  Psi/ch.  BalLeUn  15  octobre  l'.)05. 

Saixte-Tmérèse.  —  Traduction  nouvelle,  Paris,  1907. 

Saint  Thomas.  —  Opéra  umnia,  Rome,  1882. 

TiELE.  —  Einleituag  in  die  Heligionswissenscliaft,  Gotha,  1899. 

Toussaint.  —  L'hellénisme  de  saint  Paul,  Parus,  1921. 

Thureau-Dangin.  —   Renaissance  catholique  en  Angleterre,  Paris,  1890. 

Troeltsch.  —  Protestantisciies  Kirclienium,  Leipzig,  1909. 

Tyrrei  .  —  Le  cliristianisme  à  la  croisée  des  chemins,  Paris,  1911. 

—  De  Cliarybde  en  Scylla,  Paris,  1910. 
Undkrhill,  —  Mvsticism,  Londres,  1911. 

—  The  Mysùc  Way,  Londres,  1913. 

Urbain.   —   Revue  d'histoire  religieuse,  1895. 
"Vacant.  —  Etudes  théologii|ues,  Paris,  1885. 
Vauvenargues.  —  Œuvres,  Paris,  1857. 
ViGouREL.  —  Reçue  (VapolotidUque,  Paris,  1915. 
Vinet.  —  Etudes  sur  Pascal,  Paris,  s.  d. 

VisscHER.  —  Religion  und  soziales  Leben  bei  den  Xaturvôlkern,  1911. 
VoLZ.  —  Der  Geist  Gottes,  1914. 
R.  Wagner  —  Ma  vie  itrad.  franc),  Paris,  1911. 
Webster.  —  Primitive  secret  societies  1897. 
Welis.  —  Dieu,  l'invisible  Roi,  Paris,  1920. 

—  Les  amis  passionnés,  Paris,  1920. 

Wt  NPLANi).  —  Die  hellenisiische  rOraische  Kultur,  Tubingen,  1912. 

—  Die  Urchristlichen  Literalurformen,  Tubingen,  1913. 


TA  RLE     DES     MATIERES 


A\AM-i'ROPos.  —  La  Religion  et  la  Foi 1-XU 

LIVRE    PUEMIEH 

CHAPITRE  i.  —  La  Foi  implicite i-ga 

Le  Fidèle  et  la  Comiiiuuautc'',  4.  —  Les  dillerents  modes 
de  grfiujiciuenls  religieux,  4-  —  Le  Culte,  i3.  —  La  Com- 
ménioralioii,  i5.  —  La  Puissance  des  choses  sacrées  ; 
relficace  du  désir  et  l'elïicace  tles  rites,  22.  —  Le  désir  et 
la  force  niagfifiue,  27.  —  Ccnsécralioii,  sacrrnienls,  sacrifice, 
45.  —  Le  rilc  oral,  5c).  —  La  Discipline  cérénionielle,  le 
Culte  niélhoditiue,  62.  —  L'Excitation  )  collective,  le  Culte 
extatique,  (iO.  —  Les  variétés  jsychologiques,  81.  —  Vers 
les  fornies  supérieures  de  la  loi,  85. 

(  IIAPITRE    11.  ~  La  Foi  raisonnante 92-189 

La  Recherche  de  la  Vérité,  92.  —  Ratioiialisine  et  irratio- 
ualisnie,  95.  —  La  raisou  dans  la  foi,  102.  —  L'Acte  de 
loi,  ii3.  —  L" Autorité  de  l'évidtnte  et  l'évidence  de  l'Auto- 
rité, 127.  —  Valeur  et  vérité,  i4<').  —  Quelques  remarques 
conlirniatives,  i53.  —  La  religion  naturelle,  103.  —  Les  élé- 
ments de  la  loi  raisonnante,  i6ç).  --  Les  conditions  intellec- 
tuellt  s  de  la  foi  raisonnante,  178.  —  Expérience  et  tradition, 
182.  —   Le  tloute  dans  la  loi,  iH^. 

CHAPITRE   111.  -    La  Foi  confiance ^"^9-247 

Le  Synibolo-Eidéisnic,  i8<).  Le  Modernisme,  lyO.  — 
Luther  et  la  Foi  liducialc,  204.  —  L'Assurance  du  salut,  226. 
—  Autres  formes  de  la  Confiance,  232.  -  La  Conliance,  235.  — 
Un  exemple  de  foi  complexe,  241. 

LIVRE    II 

CHAPITRE   1.  —  La  Certitude  mystique 247-285 

Le  Mysticisme,  217.  -  L'ExIase,  25o.  —  L'Extase  et  la 
^'ie,  208.  —  Les  Visions,  271.  —  Les  Etats  négatifs,  271.  — 
L'Extension  du  Mysticisme,  275.  —  Mysticisme  et  religion,  27O. 

31 


^(i-i  TAIJLK     DES     MATIÈRES 

CHAFITKK  11.  -     L'Inspiration  prophétique 285-3ri 

Le  Prophète,  285.  —  Les  Comlilions  du  propliélisme,  291.  — 
La  Grâce,  3o3.  —  Le  Mécanisme  de  riuspiration,  3o(). 

CHAFITHE  IIL  —  Le  Fanatisme 3i3-32'3 

LIVRE    III 

CHAPITRE   I.  —  La  Conversion 323-37'i 

La  Format iou  duii  Syslènie,  323.  —  Changement  el  Con- 
version, 328.  —  Le  changement  d'àme,  33o.  —  La  Passion, 
333.  —  Le  Caractère,  334-  —  Conversion  et  Théologie,  339.  — 
Le  schéma  de  la  conversion,  34i.  —  La  profondeur  de  la 
conversion,  344-  —  L'illuminaliou  sul)ite,  345.  —  Conversion 
sans  crise,  35i.  —  La  préparation  et  la  brusque  synthèse, 
355.  —  Intelligence  et  conversion,  359.  —  L'inlluence,  364-  — 
Les  circonstances  favorables,  36(5.  —  L'Initiation  et  la  con- 
vei'sion,  368. 

CHAP1T411-:   II.        Hors  la  Foi 374-401 

Les  Equivalents  de  la  religion,  'ij^.  —  De  la  Foi  au  doute, 
376.  —  La  crise  de  doute,  387. 

Conclusions  ^t  Anticipations.  —  La  Foi  créatrice  .    .    .     4f^i-4''*i 
Tableau  BiBLiOGRAPmQUR 45i-4*'<> 


Paris.  —  Les  Prksses  IMvermtairks  dk  France. 


"f-./>y-V- 


.■■rvf>-^1^ 


!f^ 


?-     ^ 


f/f\j-!iV;ryi7-ni'.t' 


^  Vs 


V^  ^ 


*         '  jv 


V--  ^'.J.^' 


,'  w