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Full text of "La Revue franco-américaine"

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L'ILLUSTRATION 

Supplément  de  "La  Revue  Franco-Américaine " 


Vol.  VIII.  No  1. 


Montréal,  1er  Novembre  1911 


M.     JOSEPH      SAUCIER, 

Artiste  lyrique. 
Président  de  l' Académie  de  Musique  de  Québec 


LES    PATRIOTES    DU     MAINE 


MTRE  GODFROI    S.    DUPRÉ, 

Membre  et  aviseur  légal  du  comité  per- 
manent de  la  cause  nationale. 


Dr  Ai.bkrt  C.  Maynard, 

Trésorier  du  comité  permanent  de   la 
cause  nationale. 


:Mons.   a.  t.   Bèl^AND, 

Secrétaire  du  comité  permanent  de  la 
cause  nationale. 


Dr  Geo.  C.  Prècourt, 

Membre  du  comité  permanent  de  la 
cause  nationale. 


Chez  les  Colons  Canadiens-Français 


[Reproduction  des  brochures   Vastes  champs,  publiées  par  M,  Alfred  Pelland, 
publiciste  du  ministère  de  la  colonisation,  à  Québec] 


Mata pkdia. — :Mont  lyaurier — L'église. 


Industrie;  forestière. — Cie  des  Laurentides. 


Les  Grands  Spectacles  Canadiens 


Un  feu  (le  forêt. 


Les  chûtes  Niagara. 


r-  '  -"-.    ■■ 


La  Revue 
Franco- Américaine 


LA  SOCIETE  DE 

LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

197,  RUE  Notre-Dame  Est,  Montréal 


La  Revue 
Franco-Américaine 


Quatrième  Année 
Tome  VIII.        Novembre  1911 


Directeur  Administrateur 

J.-L.  K.-LAFLAMME  J.-A.  LCFEBVRE 


Montréal 
197,  rue  Notre-Dame  Est 


t.? 


TABLE  DES  MATIERES 


VOL  Vlll 


Nov.  191 1  à  Avril  1912 


Ah  !  vraiment  !    Michel  Re-  Agriculture  (!')   au  Dane- 

nouf, 129  msiYk,  Henri  de  Varigny...  348 

Affaire  bien  comprise,    /.  A  nos  abonnés,  J.-L.  K.-L. 

A.  Lefebvre 253        flamme.. 464 

A  Percé,  poésie,  W.  Chap- 
man, 337 

B 

Bonne   (une)   affaire    pour  flamme, 167 

nos  amis,   J.  A.  Lefebvre,  163     Bibliographie 226 

Bonne   année  !  T.-L.  K.-La- 


Corporation Sole — Plaidoyer  Ceux  qui  partent,  /.-L.  K- 

de  Mtre  Godfroi  S.  Dupré,  Lajlamme, 259 

devant  la  commission  lé-  "Corporation   Sole",   T.-L. 

gislative    de    l'Etat    du  K.- Laflamme, 384 

Maine.  (Voir  vol.  VII)  46,  141 

D 

Décret  (un)  romain  et  la  loi  sociations       religieuses, 

de  New-York  sur  les  as-  J.-L.  K.-Laflamme 121 


2  TABLE  DES  MATIÈRES 

E 

Ecossais  (les)  du  Cap   Bre-  Est-ce  orientation  nouvelle 

ton,  Errol  Bouchette, 6  de  l'Eglise?  Michel  Re- 

Ecole  (F)  des  Belles-Mères,  nouf, 390 

(comédie),  Eugène  Brieux,  24  84  Encombrement  des  profes- 

Etude  socifile,  Saint- Sorlin  214  seurs  libérales  et  le  fonc- 

Education     physique,     Dr  tionnarisme,           Charles 

Henri  Lasnier 267  Bowrgouin, 465 

Etude  sociale,  Saint-Sorlin  378 
Eau  (1')  d'alimentation    de 
Montréal,  J,  A.  Lefehvre,  387 

F 

Feu    l'abbé    Edmond   Mar-  Fonctionnarisme  et  Techno- 

coux,   Adolphe  Poisson,  264         \ogit,J.-L.  K.-Laflamme  419 

G  H 

Guerre  (la)  italo-turque  et  Hiver  (poésie),  Paul  Harel,  341 

la   France,   Antoine  Re- 
dier, 50 

I 

Il  manque    une  clause  à  la              Industrie  (F)  nationale,  l/i- 
loi  électorale  de  M.  Gouin.  394  chel  Renouf, 449 

L 

L'aube    nouvelle     (poésie),  Le  feront-ils  taire  ?  Michel 

Véga, 49         Renouf, 196 

"Le  Gaulois",  J.-L.  K.-La-  Lee  présents  (poésie), Catit^- 

flamme, 60  le  Mendès, 257 

Les   deux  filles    de  Maître  L'horloge  du  cœur  (poésie), 

Bienaimé (scènes norman-  Jean  Rameau, 258 

des)  roman  par  Marie  Le  La  lecture  des  romans,  René 

ilfiére,65,159,230,318,400,482  Bazin, 290 

Le  givre  (poésie),  W,  Chap- 

man 169 


TABLE  DES[|mATIÈEES 

M 


Mines  (les),    J.  A.  Lefehvre 

Montcalm  (poésie),  W.  Chap- 

man 


Nation     (la)    Franco-Nor- 
mande au  Canada,  Fiie  de 


Ouiatchouan      (1'),    poésie, 
W.  Chapman 


Mensonge    de    chien,  Jean 
Aicard, 458 


68 


N 


O 


Fronsac,  115,  199,  274, 

364,  437 


Origines  (les)  de  notre  his- 
81  toire   parlementaire,  E7'- 

rol  Bouchette 171 


Politique  canadienne  (la)  et 
les    Canadiens-Français, 
Louis  Gérenval. 
I — Q uelqu  es    pages 

d'histoire 

II — Questions      actuel- 
les     188, 


102 
295 


III — Notre  avenir  politi- 
que     472 

Présence    d'esprit,    Alfred 
Capus 301 


Questions  (les)  économi- 
ques et  la  politique  na- 
tionale (I),  Dr  de  la 
Glèbe 


Questions     (les)    économi- 
ques et  la  politique  na- 
tionale   (II),    Dr   de    la 
843  Glèbe 426 


R 


Réponse  (la)  des  faits, 
Charles  Dupil 48 

Revue  des  faits  et  des  œu- 
vres.— Léon  Kemner. 

Le  vote  du  21  septembre..  132 

Le  champ  de  bataille  du  13 
sept.   1759 132 


Français  et  Allemands  au 
Maroc 221 

Plus  de  billets  à  la  porte  de 
l'église 222 

Ouvriers  anglais  et  ou- 
vriers américains 225 

Le  voilà  l'parapluie  ! 305 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Changements  dans  le  cabi- 
net anglais 133 

La  persécution  chez  les  Aca- 
diens 134 

Les  Franco-Américains  du 
Connecticut 135 

Les  écoles  bilingues  dans  le 
Manitoba 136 

Nouveau  supérieur  du  Col- 
lège Canadien  à  Rome.. .    137 

Chez  les  Forestiers  Catho- 
liques      138 

Nos  compatriotes  de  l'Ouest 
américain 218 

L'Ecole  Sociale  populaire. .    218 

Retour  au  catholicisme. ...    220 


Comment  on  les  traite ....  306 

Un  voyageur  inconnu ....  307 

Doux  pays  ! 308 

A  propos  de  cardinalat 309 

Avant  le  "Grain" .  ...  311 

Les  Canadiens  dans  Onta- 
rio.,   312 

Plaisanterie  intempestive. .  313 
La  Louisiane — Aperçu   gé- 
néral   315 

Un  monument  à  La  Véran- 

drye 466 

Avez-vous  des  enfants  ? . . .  468 

L'obole  de  la  veuve 469 

Un  exemple  à  suivre 470 


Tapisseries     (les),     poésie, 
Jean  d' Harcelines 417 


Voix  d'Acadie,  Valentin  A. 
Landry...  33,  149,  179,  354 

"  Vraie  (la)  presse  catholi- 
que."— Arthur  Preuss.. .    397 


Les  Ecossais  du  Cap-Breton 


Par  M.  ERROL  BOUCHETTE 


(I) 


Sommaire  :  Situation  économique  du  pays. — Vétat  social. — Deux 
familles. — Le  type  anglo-américain. — Quelques  mots  des 
groupes  français. 

La  présente  étude  ne  comporte  pas  une  description  com- 
plète et  approfondie  de  la  population  du  Cap-Breton.  Ce 
n'est  qu'une  esquisse  destinée  à  fixer  les  reliefs  d'un  état 
social  d'autant  plus  intéressant  qu'il  disparaît  rapidement. 

La  population  du  Cap-Breton  subira  en  effet  l'évolution 
commune  aux  races  parlant  la  langue  anglaise  sur  notre 
continent.  Sous  l'influence  des  conditions  anglo-améri- 
caines, celles-ci  tendent  à  se  fusionner  en  un  type  uniforme. 
Cette  observation  est  certainement  vraie  pour  les  Etats  amé- 
ricains du  littoral  de  l'Atlantique,  ainsi  que  pour  les  pro- 
vinces maritimes  et  la  province  d'Ontario  au  Canada.  Tout 
observateur  attentif  pourra  se  rendre  compte  que  dans  cette 
région  la  formation  sociale  est  au  fond  essentiellement  et 
constamment  la  même.  On  remarquera  des  divergences 
superficielles;  et  si  Ton  pousse  ses  études  jusque  dans 
l'Ouest  américain  et  canadien,  on  trouvera,  chez  les  pion- 
niers, des  traits  caractéristiques  temporaires,  mais  partout 
la  tendance  ultime  est  la  même  et  aboutit  au  type  anglo- 
américain. 

Ce  type  domine  donc  dans  presque  toutes  les  provinces 
anglaises  du  Canada.  Le  pays  subit  du  reste,  sous  une  foule 
de  rapports,  une  transformation  radicale.    Déjà  enrichi  et 


(i)  Travail  lu  par  l'auteur  devant  la  Société  Royale  du  Canada,  le  28 
septembre  1910. 


6  LA    REVUE    FRANCO -AMT^^RIC AINE 

formé  aux  idées  du  progrès  intense,  son  peuple  éprouvera 
bientôt  l'impérieux  besoin  des  hautes  cultures  intellec- 
tuelles. Comme  aux  Etats-Unis,  nous  assisterons  ici  à  une 
renaissance  universitaire  assez  générale  pour  influer  nota- 
blement sur  notre  avenir.  La  population  tard  venue  et  d'ori- 
gine cosmopolite  dépassera  bientôt  l'ancienne  en  impor- 
tance numérique.  Celle-ci,  il  est  vrai,  détiendra  longtemps 
encore  la  direction  politique  et  la  forte  part  des  valeurs 
économiques,  malgré  l'appoint  important  du  capital  étran- 
ger. 

Situation  économiqe  du  Cap-Breton 

Il  n'en  sera  pas  ainsi  dans  toutes  les  parties  du  Canada, 
et  nous  trouvons  au  Cap-Breton  une  exception  à  cette  règle. 
L'importance  de  sa  situation  militaire  et  par-dessus  tout  ses 
richesses  minérales  y  attirent  déjà,  avec  d'immenses  capi- 
taux, une  population  nouvelle  venant  en  partie  des.  autres 
provinces  canadiennes,  mais  principalement  de  la  Grande- 
Bretagne  et  des  Etats-Unis.  Aussi  f audra-t-il  que  son  peuple 
se  transforme  ou  qu'il  cède  la  place. 

La  ville  de  Louisbourg,  ou  plus  probablement  celle  de 
Sydney,  deviendra  la  principale  base  de  la  défense  navale 
du  Canada  ;  ainsi  le  veut  la  position  stratégique  de  ces 
havres  situés  à  l'entrée  du  golfe  Saint-Laurent.  Choix  des 
ingénieurs  français  du  i8e  siècle,  ce  site  s'impose  encore 
davantage  aujourd'hui.  La  houille  et  ses  dérivés  sont  deve- 
nus le  pouvoir  moteur  des  flottes,  et  les  charbonnages  du 
Cap-Breton  sont  les  seuls  que  l'on  trouve  sur  le  littoral  de 
l'Atlantique.  On  se  ferait  difficilement  une  idée  de  l'im- 
portance que  vont  prendre  les  mines  et  les  aciéries.  Leur 
développement  ne  fait  que  commencer  (l).     Un  incident  le 


(i)  Bn  1908,  le  Canada  produisait  en  chiffres  ronds  8,200,000  tonnes  de 
houille.  Cette  même  année,  la  seule  Dominion  Coal  Company,  du  Cap- 
Brstou,  en  produisait  3,600,000  tonnes.  Ivcs  mines  de  cette  compagnie 
couvrent  145  milles  de  terrain  et  on  calcule  que  le  gisement  total  doit 
dépasser  un  milliard  et  demi  de  tonnes.  D'autres  compagnies  possèdent 
des  mines  presque  aussi  vastes  et  riches  que  celle-ci,  très  accessibles  sur- 
tout et  rapprochées  d'excellents  ports.     On  comprendra  donc  que  dans 


LES   ÉCOSSAIS   DU   CAP   BRETON  7 

fera  comprendre.  Un  jour,  cheminant  à  pied  dans  la  forêt 
des  environs  de  Mira,  nous  nous  efforcions  de  retracer  la 
marche  sur  Louisbourg  du  contingent  français  dont  les 
vaisseaux  s'étaient  brisés  aux  récifs  de  Scutari.  Quelle  fut 
notre  surprise,  en  trouvant  tout  à  coup  une  ville  en  pleine 
forêt  !  Elle  s'élève  sur  un  coteau  près  d'un  beau  lac,  et  plu- 
sieurs édifices  considérables  entourent  un  hôtel  d'un  style 
tout  à  fait  élégant,  et  luxueux  à  l'intérieur.  Les  rues  sont 
correctement  tracées,  mais  les  maisons,  sauf  le  groupe  cen- 
tral, très  rares.  Dans  la  vallée  s'étendent  de  vastes  usines 
et  on  aperçoit  les  ouvertures  de  plusieurs  puits  de  mines. 
Le  tout  était  désert  et  silencieux.  C'était  la  ville  de 
Broughton,  siège  principal  de  la  Cape  Breton  Mining  Com- 
pany, rivale  de  demain  de  la  Dominion  Coal  Company. 
Un  procès  suspend  actuellement  l'entreprise  et  avec  le  tra- 
vail et  le  salaire  les  hommes  sont  disparus,  mais  demain  la 
ville  de  Broughton  renaîtra.   Ce  n'est  pas  un  exemple  isolé. 

Déjà  les  grands  centres  miniers  et  manufacturiers  de  l'île 
ne  peuvent  plus  compter  pour  s'approvisionner  sur  la  pêche 
côtière  ou  sur  l'agriculture,  dans  leur  état  actuel.  La  pêche 
pourra  se  transformer;  la  petite  barque  fera  place  au  grand 
chalutier  à  vapeur,  et  le  pêcheur  côtier  pourra,  suivant  ses 
talents,  devenir  patron  ou  matelot,  sans  cesser  d'être  pê- 
cheur. Quant  à  l'agriculture,  il  n'est  pas  certain  qu'une 
transformation  avantageuse  soit  possible  pour  le  moment. 

Ce  n'est  pas  l'espace  qui  manque.  La  superficie  du  Cap- 
Breton  est  d'environ  le  tiers  de  celle  de  l'Ecosse,  elle  est 
presque  égale  à  celle  de  la  Belgique  dont  la  belle  agricul- 
culture,  sous  la  même  latitude,  nourrit  sept  millions 
d'hommes.  Mais  les  conditions  ne  sont  pas  les  mêmes.  Ici 
le  climat  est  moins  favorable.  Les  vents  et  les  courants  de 
l'Atlantique  poussent  vers  les  côtes  des  banquises  qui  y  sé- 
journent parfois  presque  jusqu'en  mai,  sans  cependant  blo- 
quer les  ports.     Bien  que  fertile,  le  sol  n'offre  pas  Texubé- 


quelques  années  le  Cap-Breton  sera  littéralement  absorbé  par  l'industrie 
de  la  houille  et  celle  de  l'acier,  lesquelles  en  attireront  d'autres.  Ce  sera 
un  des  grands  foyers  manufacturiers  du  monde. 


8  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

rante  productivité  de  celui  des  plaines  de  l'Ouest  ;  d'autre 
part,  les  algues,  les  varechs,  les  déchets  de  poisson  se  trou- 
vant partout  en  abondance  pour  l'enrichir,  il  ne  s'épuise 
pas  facilement  et  peut  donner  de  riches  moissons.  Au  midi 
de  la  Suède,  où  la  terre  et  le  ciel  offrent  à  peu  près  les 
mêmes  ressources  et  les  mêmes  inconvénients,  on  a  fait 
merveille;  l'Irlande  renaît  sous  l'impulsion  de  quelques  sa- 
vants agronomes  et  l'exode  de  ses  habitants  a  à  peu  près 
cessé.  Ces  réformes  demandent  un  effort  que  le  Cap- Breton 
ne  fera  pas  maintenant,  car  on  trouve  plus  de  profita  ache- 
ter les  produits  agricoles  de  l'Ouest  canadien  ;  on  épuisera 
cette  ressource  avant  que  d'en  chercher  plus  près  de  soi. 
L'agriculture,  au  Cap-Breton,  semble  donc  devoir  retomber 
au  second  plan,  pour  renaître  à  une  époque  ultérieure. 
Aussi  constate-t-on  que  la  population  rurale  et  côtière, 
ainsi  que  les  produits  de  leur  industrie,  n'ont  guère  aug- 
menté depuis  vingt  ans.  Les  vrais  et  appréciables  progrès 
se  bornent  aux  centres  miniers  et  industriels,  habités  en 
grande  partie  par  des  étrangers  à  l'île  dont  nous  sommes 
à  étudier  l'état  social. 

Etat  Social 

Le  Cap-Breton  a  eu  plusieurs  historiens,  surtout  M.  Brown 
et  notre  regretté  collègue  à  la  Société  Roj^ale,  Sir  Joiin 
Bourinot.  Les  richesses  minérales  si  variées  de  la  région 
ne  sont  un  secret  pour  personne;  elles  étaient  connues  en 
partie  des  premiers  explorateurs.  Décrire  ce  pays  serait 
donc  superflu  et  il  nous  suffira  de  rappeler  au  fur  et  à  me- 
sure les  points  essentiels  à  la  thèse. 

On  sait  que  le  célèbre  lac  du  Bras-d'Or  divise  géographi- 
quement  cette  île  en  deux  parties;  il  en  est  de  même  au 
point  de  vue  social,  exemple  remarquable  de  l'influence  du 
lieu  sur  les  moeurs.  En  abordant  à  la  rive  nord  de  ce  fjord, 
on  trouve  tout  d'abord  un  pays  montueux  aboutissant  à  un 
plateau  très  vaste  et  pratiquement  inexploré  qui  s'élève 
parfois  à  plus  de  douze  cents  pieds  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer.  Sur  de  grandes  étendues  ce  plateau  est'dénudé  et 
exposé  aux  vents  du  large  ;  l'agriculture  n'y  donnerait  que 


LES    ÉCOSSAIS    DU    CAP    lUlETON  9 

de  médiocres  résultats,  mais  c'est  le  paradis  du  gibier  et 
notamment  du  caribou  qui  le  parcourt  en  hordes  nombreu- 
ses. On  pourrait  avantageusement  établir  là  un  parc  na- 
tional. Vue  de  l'Atlantique  la  côte  apparaît  aride  et  déserte, 
mais  on  trouve  dans  l'intérieur,  nous  disent  les  explora- 
teurs, de  profondes  vallées  où  des  forêts  de  chênes  et  d'é- 
rables ombragent  un  sol  vierge,  fertile  et  protégé  contre  les 
souffles  du  large. 

C'est  sur  la  rive  septentrionale  du  Bras-d'Or  et  jusqu'à 
quelques  milles  dans  les  vallées  intérieures  que  se  groupe  le 
gros  de  la  population  catholique  d'origine  écossaise.  Elle 
semble  avoir  conservé,  encore  mieux  que  ses  compatriotes 
de  la  vieille  Ecosse,  les  mœurs  et  les  traditions  des  ancê- 
tres. Je  n'ai  fait  que  passer  dans  cette  région  sans  pouvoir 
l'étudier,  mais  j'en  ai  vu  assez  pour  me  rendre  compte  que 
les  habitants  sont  bien  des  montagnards  écossais,  parlant 
encore  assez  généralement  la  langue  gaélique.  Leurs  occu- 
pations sont  l'agriculture  et  la  pêche,  mais  ils  n'ont  pas  su 
leur  donner  de  grands  développements.  C'est  que  leur  émi- 
gration fut  antérieure  à  la  réforme  agricole  en  Ecosse.  Le 
duc  d'Argyll,  dans  son  remarquable  ouvrage  :  Scotland  as  it 
was  and  as  it  is,  établit  que  la  misère  publique  qui  a  déter- 
miné l'expatriation  de  tant  de  familles,  tenait  presque  en- 
tièrement à  un  mauvais  système  d'agriculture  qu'on  refusait 
d'abandonner  pour  un  système  meilleur.  L'exode  d'une 
population  très  intelligente  dans  de  telles  conditions,  témoi- 
gne de  la  puissance  de  la  routine  et  des  efforts  qu'il  faut 
déployer  pour  la  combattre.  Ce  groupe  est  d'un  physique 
avantageux,  mais  le  milieu  est  assez  pauvre;  les  jeunes  gens 
sont  beaucoup  mieux  instruits  que  leurs  pères,  grâce  aux 
excellentes  écoles  communes  de  la  Nouvelle  Ecosse.  Bien 
qu'ils  ne  fussent  que  tenanciers  dans  leur  paj^s  d'origine, 
les  colons  ont  su  depuis  cent  ans  conserver  la  propriété  de 
leurs  terres.  C'est  un  progrès  réel  accompli,  grâce  à  un 
concours  de  circonstances  favorables. 

Au  midi  du  Bras-d'Or,  le  pays  est  moins  accidenté,  l'agri- 
culture et  la  pêche  plus  faciles,  la  population  plus  dense, 
plus  instruite  et  plus  prospère.  II  s'agit  ici  naturellement  de 


10  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

la  population  rurale  établie  sur  le  sol.  En  dehors  de  cette 
population  et  ayant  assez  peu  de  rapports  avec  elle,  se 
trouve  la  population  ouvrière  des  mines  et  des  fabriques. 
Ces  populations  urbaines,  déjà  très  importantes,  dépasse- 
ront bientôt  en  nombre  la  population  originaire  du  Cap- 
Breton.  Celle-ci,  au  sud  comme  au  nord  du  Bras-d'Or,  se 
compose  en  partie  des  descendants  d'émigrants  de  la  haute 
Ecosse,  mais  avec  un  fort  mélange  de  "  lov/landers"  et  des 
successeurs  de  soldats  ayant  obtenu  "-des  octrois  de  terres. 
Le  culte  presbytérien  domine  presque  partout.  Ici  encore 
on  observe  les  anciennes  mœurs  ;  la  langue  gaélique  est 
pieusement  cultivée,  bien  que  la  transformation  qui  se  pro- 
duit soit  évidente,  surtout  chez  les  jeunes  gens.  Dans  telle 
église,  par  exemple,  le  service  se  fait  en  langue  gaélique 
d'abord,  pour  les  anciens,  puis  en  anglais  pour  la  jeunesse 
qui  ne  comprend  plus  guère  la  langue  de  ses  pères. 

Nous  avons  donc  devant  nous  comme  une  miniature  de 
l'Ecosse,  dont  le  Cap-Breton  est  en  quelque  sorte  la  réplique. 
Comme  en  Ecosse,  les  côtes  sont  découpées  en  baies  pro- 
fondes et  entourées  d'îles.  Un  important  bras  de  mer  forme 
la  ligne  de  démarcation  entre  les  terres  hautes  et  basses. 
Ici  comme  dans  l'ancienne  patrie  la  population  du  nord  est 
catholique,  tandis  qu'au  sud  du  Bras-d'Or  comme  de  la 
Forth,  la  race  celtique  se  mêle  à  l'élément  anglo-saxon  dont 
elle  partage  la  langue  et  la  religion.  Pour  que  rien  ne 
manque  au  tableau,  on  trouve  ici  comme  eu  Ecosse,  de  nom- 
breux souvenirs  français,  sans  parler  des  établissements 
acadiens,  des  côtes  occidentale  et  méridionale  et  de  l'île 
Madame.  Ceux-ci  cependant  forment  un  groupement  so- 
cial séparé  rappelant  les  vieilles  colonies  Scandinaves  des 
Orcades. 

Les  Ecossais  du  Cap-Breton  ont  conservé  pour  leur  pays 
d'origine  un  attachement  très  vivace.  A  ceux  qui  se  sont 
établis  ailleurs  sur  le  continent,  il  ne  reste  le  plus  souvent 
qu'un  souvenir  affectueux  ;  ils  ont  perdu  la  tradition  et  sur- 
tout les  mœurs.  Au  Cap-Breton  les  moeurs  se  sont  peu  mo- 
difiées et  la  tradition  est  restée  longtemps  à  peu  près  in- 
tacte, car  ce  pays  isolé  ne  différait  pas  essentiellement  de 


LES   ÉCOSSAIS   DU   CxiP   BRETON  11 

la  haute  Ecosse.  Aussi  peut-on  dire  que  pendant  près  de 
cent  ans  les  Ecossais  du  Cap-Breton  ont  fait  tache  au  mi- 
lieu de  la  population  américaine  originaire  de  la  Grande- 
Bretagne.  Ils  sont  restés  distincts  de  la  masse  par  les 
moeurs  et  en  partie  par  la  langue.  C'est  en  vivant  au  milieu 
de  ces  hommes  qu'on  comprend  qu'il  pèse  encore  sur  eux 
quelque  chose  de  la  tristesse  de  leurs  pères  arrachés  à  leur 
patrie.  Cette  tristesse  Robert  Louis  Stevenson  l'a  fortement 
décrite  :  "A  l'entrée  du  loch  Aline  un  grand  navire  est  à 
l'ancre.  Sur  son  pont  et  sur  la  plage  voisine  se  presse  une 
foule  compacte;  elle  s'agite,  passe  et  repasse  continuelle- 
ment par  d'innombrables  barques  entre  la  rive  et  le  vais- 
seau. Une  lamentation  funèbre  s'élève  des  flots  et  ceux  qui 
sont  restés  sur  la  rive  y  répondent  en  accents  tristes  et  dé- 
chirants. C'est  un  départ  d'émigrants  en  destination  d'A- 
mérique. Notre  barque  approche;  les  exilés  penchés  sur  les 
bastingages  tendent  vers  nous  leurs  mains  suppliantes. 
Mais  voici  le  signal  du  départ,  les  voiles  se  déploient,  le 
navire  s'éloigne  lentement  et  bientôt  nous  n'entendons  plus 
que  le  triste  refrain  :  Adieu,  adieu  Lochaber,  s'éteignant 
comme  un  lointain  sanglot." 

Pour  ce  qui  est  du  Cap-Breton,  cette  émigration  eut  lieu 
surtout  de  l802  à  l8l2,  ou  1827,  dit  M.  Edv^^ard  Gilpin  (l). 
Pendant  cette  période,  plus  de  25,000  personnes,  venues 
pour  la  plupart  du  versant  occidental  de  la  haute  Ecosse, 
se  sont  établies  dans  le  pays.  Ce  n'est  pas  volontairement 
que  ces  braves  gens  s'éloignaient  de  leur  patrie  si  aimée. 
La  cause  première  de  l'exode  était  sans  doute  la  faillite  de 
l'agriculture  traditionnelle  devenue  insuffisante  pour  nour- 
rir la  population.  Mais  il  est  certain  aussi  que  plusieurs 
grands  propriétaires  terriens  encourageaient  systématique- 
ment leur  départ,  trouvant  leur  profit  à  convertir  de  pauvres 
métairies  en  pâturages.  Les  montagnards,  l'esprit  de  clan 
aidant,  se  soumettaient  docilement,  mais  le  cœur  serré,  à 


(I)  Le  régime  des  octrois  des  terres  de  la  Couronne  a  pris  fin  en  iSlo; 
depuis  lors  jusqu'en  1818  on  y  a  substitué  le  régime  des  permis  (Crown 
I^icences,  Warrants,  etc,  etc.). 


12  LA   REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

l'exil  qu'on  leur  imposait.  Cet  esprit  de  clan  se  manifes- 
tait aussi  chez  les  seigneurs,  ils  savaient  que  malgré  les 
déchirements  du  départ,  le  sort  de  leurs  censitaires  se  trou- 
verait en  définitive  amélioré.  La  plupart  du  temps  ils  les 
faisaient  accompagner  d'hommes  de  confiance,  chargés  de 
les  diriger  et  de  veiller  à  leur  premier  établissement  dans 
leur  nouvelle  patrie.  L'autorité  de  ces  hommes  était  une 
délégation  de  celle  du  seigneur  ou  du  chef  de  clan.  N'étant 
sanctionnée  par  aucune  loi,  les  colon  s  ^'en  affranchissaient 
en  général  dès  leur  arrivée  en  Amérique  et  les  chefs  qui, 
comme  le  célèbre  Laird  McNab,  dans  Ontario,  ont  voulu 
imposer  une  autorité  féodale,  n'ont  pas  tardé  à  le  regretter. 

Au  Cap  Breton  il  en  fut  autrement,  par  suite  de  l'isole- 
ment des  émigrés.  On  y  conserva  longtemps,  on  n'a  pas 
encore  complètement  perdu  cette  caractéristique  de  la  race 
celtique  :  fidélité  aux  personnes  plutôt  qu'aux  idées  et  aux 
principes.  Parmi  les  chefs  qui  conservèrent  longtemps 
dans  l'île  une  autorité  considérable,  on  en  cite  un  qui 
portait  le  sobriquet  de  Long-Doigt,  parce  que  deux  des 
doigts  de  sa  main  droite  étaient  démesurément  longs  et 
rigides  ;  cette  difformité  singulière  est  sans  doute  pour 
quelque  chose  dans  sa  célébrité.  Il  semble  cependant  avoir 
possédé  quelques-unes  des  qualités  d'un  meneur  d'hommes 
et  il  exerçait  une  influer.ce  assez  notable.  On  le  prenait  vo- 
lontiers pour  arbitre  des  différends  et  s'il  arrivait  aux  auto- 
rités de  Sydney  d'émettre  un  avis  contraire  au  sien  il  en- 
fourchait sa  monture  et  se  rendait  à  la  ville  où  juges  et 
avocats  craignaient  sa  véhémence  sinon  ses  arguments. 

Les  chefs  de  la  première  génération  disparurent  dans 
le  cours  ordinaire  de  la  nature,  mais  l'esprit  communau- 
taire de  clan  persistant  toujours,  ils  eurent  des  succes- 
seurs. Pendant  de  longues  années,  un  excellent  prêtre,  le 
révérend  messire  McLeod,  fut  le  maître  incontesté  de  la 
région  du  nord,  tandis  que  son  cousin,  le  révérend  pas- 
teur McLeod,  presbytérien,  exerçait  une  influence  ana- 
logue au  sud.  Ce  dernier  avait  obtenu  l'autorisation  de 
percevoir  la  dîme.  Et  ce  droit,  aux  termes  de  son  titre 
de  concession,  était  transmissible  à  ses  descendants  qu'ils 


LES  ÉCOSSAIS  DU  CAP  BRETON  13 

fussent  ou  non  ministres  du  culte.  C'est  un  exemple  des 
fréquentes  concessions  irrégulières  faites  dans  ce  pays  (l). 
Comme  tous  les  événements  de  Torigine,  celui-ci  décèle  la 
formation  communautaire  qui  donna  lieu  à  tant  d'abus  du 
système  féodal  en  Ecosse,  en  Irlande  et  dans  certaines  par- 
ties de  la  France.  On  sait  que  la  féodalité,  restée  en  somme 
favorable  à  l'expansion  sociale  dans  les  pays  anglo-saxons 
et  francs,  se  compliqua  bientôt  chez  les  groupes  celtiques 
d'exactions  sans  nombre.  Cela  donna  lieu  à  la  longue  à  des 
soulèvements  populaires,  mais  pendant  des  siècles,  surtout 
en  Ecosse,  les  peuples  souffrirent  en  silence;  ils  s'effa- 
cèrent. La  merveilleuse  chronique  de  saint  Colomban 
d'Iona,  redit  la  carrière  du  saint  dans  ses  moindres  détails 
quant  à  sa  vie  spirituelle  et  à  ses  rapports  avec  les  grands  ; 
mais  quant  au  peuple  qu'il  a  aimé  et  protégé,  qui  vénérait 
la  trace  de  ses  pas,  on  chercherait  en  vain  dans  ce  docu- 
ment des  indices  sur  sa  manière  d'être  et  de  penser;  on  di- 
rait qu'il  n'existe  pas.  On  sait  d'autre  part  que  les  chefs  de 
clans,  qui  n'étaient  revêtus  d'aucune  autorité  légale,  exer- 
çaient alors  et  longtemps  après,  un  pouvoir  absolu  d'autant 
plus  difficile  à  entamer  que  le  peuple  semblait  chérir  ses 
liens. 

Les  traces  de  ce  régime  existent  encore  au  Cap-Breton. 
Elles  deviennent  de  plus  en  plus  faibles  et  rares  et  elles 
s'effaceront  bientôt  entièrem.ent,  car  le  pays  tout  entier  est 
en  pleine  transformation.  Cette  évolution  est  généralement 
plus  rapide  au  sud  qu'au  nord,  mais  on  trouve  encore,  même 
au  sud  du  Bras-d'Or,  des  exemplaires  de  la  tendance  an- 
cienne et  moderne. 


(i).  La  confusion  des  titres  au  Cap-Breton  a  toujours  été  très  grande. 
C'est  à  tel  point  qu'en  1839  le  gouvernement  du  Cap-Breton  les  annulait 
en  gros  dans  le  but  d'accorder  des  titres  nouveaux.  La  loi  de  1843,  d'autre 
part  abroge  celle  1839,  et  remet  tout  en  question.  Aujourd'hui  les  titre» 
de  propriétés  sont  assez  bien  établis  ;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  p>c"ur 
les  droits  miniers.  Une  foule  de  prétentions  contradictoires  retardent 
l'extraction  du  minerai  de  fer  sur  l'île. 


14  LA    REVUE    FRANCO- AMERICAINE 

Deux  Familles. 

Deux  familles  que  j'ai  pu  observer  représentent  assez  bien 
Tune  Fancien  type  écossais  du  Cap-Breton,  l'autre  celui  qui 
évolue  très  rapidement  vers  un  état  social  plus  moderne.  Il 
serait  intéressant  et  utile  de  les  passer  toutes  deux  au  crible 
de  la  méthode  de  M.  Léon  Gérin,  et  je  crois  posséder  pour 
cela  les  données  nécessaires.  Mais  outre  que  la  transcrip- 
tion de  ces  observations  comporterait  une  étude  beaucoup 
plus  longue  que  la  présente,  je  m'en'"  trouve  détourné  pour 
des  raisons  personnelles.  J'espère  que  les  quelques  indica- 
tions données  ici  seront  jugées  suffisantes.  Chacune  de  ces 
familles  occupe  une  terre  agricole  à  l'embouchure  de  la 
rivière  Mira,  qui  en  cet  endroit  coule  étroite  et  profonde 
entre  des  rives  hautes  et  escarpées.  Une  crevasse  qu'on 
appelle  "  Mira  Gut  "  (détroit  de  Mira)  livre  passage  à  la  ri- 
vière jusqu'à  la  mer  ;  son  cours  s'élargit  en  remontant  vers 
les  jolis  lacs  qui  forment  sa  source.  La  terre  que  possède 
chacune  de  ces  familles  est  d'une  égale  fertilité,  mais  celle 
qui  occupe  le  promontoire  de  gauche  est  assez  pierreuse. 
Sur  les  bords  de  la  mer,  au  pied  de  ces  deux  propriétés  cir- 
culent les  trains  de  la  voie  ferrée  Sydney  et  Louisbourg, 
qui  passent  par  les  centres  importants  de  Glace  Bay  et  de 
Morienne.  Des  bateaux  à  vapeur  d'un  tonnage  suffisant 
remontent  la  Mira  sur  une  cinquantaine  de  milles,  touchant 
à  plusieurs  villages  et  à  des  points  d'une  importance  indus- 
trielle. La  baie  de  Mira  est  d'autre  part  un  lieu  de  villé- 
giature idéal  ;  grève  magnifique,  paysage  très  intéressant 
souvenirs  historiques  de  tous  les  côtés. 

Sur  la  rive  droite  demeure  le  fils  de  l'ancien  chef  de  clan, 
Long-Doigt.  C'est  un  homme  de  soixante-quinze  ans,  à 
barbe  blanche,  mais  grand,  droit  et  vert,  n'ayant  presque 
rien  perdu  de  son  activité  et  de  sa  vigueur.  Il  porte  le  béret 
écossais  et  se  drape  volontiers  dans  un  plaid  qui  ne  man- 
que pas  d'une  certaine  élégance.  Il  est  fier  de  son  nom,  de 
son  origine,  de  sa  personne  et  il  nous  fait  voir  une  charrue 
apportée  d'Ecosse  par  son  père  et  construite  en  1708.  Cette 
charrue  est  presque  le  seul  souvenir  matériel  qui  lui  reste, 


LES  ÉCOSSAIS  DU  CAP  BRETON  15 

si  ce  n'est  quelques  procès  qui  durent  encore.  Ses  frères  et 
ses  sœurs  sont  dispersés  au  loin,  lui-même  ne  s'est  marié 
que  bien  tard  et  il  est  le  père  de  plusieurs  enfants  dont 
l'aîné  n'a  que  seize  ans. 

Dans  cette  famille  le  père  commande  en  maître  absolu 
et  on  comprend  bien  vite  en  lui  parlant  que  la  paix  ne 
régnerait  pas  longtemps  au  foyer  si  la  mère  ou  les  enfants 
risquaient  la  moindre  contradiction.  Et  cependant,  dans 
ses  rapports  avec  ses  voisins,  une  timidité  étrange  se  mêle 
à  un  ton  naturellement  tranchant.  C'est  que  les  choses  ont 
bien  changé.  Ce  personnage  autoritaire  dans  sa  famille  et 
cela  par  la  conception  traditionnelle  de  son  rôle  de  chef, 
aurait  exercé  dans  la  région  une  influence  analogue  à  celle 
de  son  père,  s'il  eut  possédé  ses  talents,  et  surtout  si  le 
milieu  social  ne  s'était  pas  profondément  modifié.  Aujour- 
d'hui, il  se  trouve  presque  seul  de  son  espèce,  du  moins  au 
sud  du  Bras-d'Or;  ses  voisins,  tout  en  ayant  soin  de  ne  pas 
entrer  en  conflit  avec  lui,  n'acceptent  plus  ses  idées.  Puis 
on  sait  qu'au  fond  du  cœur  il  a  des  prétentions  qu'il  ferait 
valoir  s'il  en  avait  le  pouvoir. 

La  terre  du  fils  de  Long-Doigt  a  une  étendue  de  cent 
acres  environ;  c'est  un  plateau  ondulé  se  terminant  au  pro- 
montoire de  Mira,  au  sommet  duquel  se  trouve  sa  maison, 
assez  vaste,  mais  de  pauvre  apparence  et  pas  très  bien  te- 
nue. Cette  maison  est  en  bois,  elle  est  exposée  à  tous  les 
vents  et  facile  à  incendier.  Tout  près  un  coteau  s'incline 
doucement  vers  la  Mira  ;  on  y  trouve  les  restes  d'un  beau 
verger,  d'un  potager  et  d'une  fontaine  dont  les  eaux  arro- 
saient des  plates-bandes.  Cela  entoure  les  ruines  d'une  so- 
lide maison  de  pierre  abritée  contre  les  vents.  Pourquoi 
avoir  abandonné  cet  excellent  site  pour  un  endroit  beau- 
coup moins  favorable  ?  Pourquoi  quitter  des  maisons  solides 
et  substantielles  pour  de  pauvres  baraques  de  bois  ?  Per- 
sonne n'a  su  me  donner  une  explication  satisfaisante  de 
cette  singulière  manière  d'agir  qui  est  générale  pourtant 
dans  cette  partie  du  Cap-Breton.  Ces  anciennes  maisons 
françaises,  offraient  pour  la  -plupart  des  logements  plus 
désirables  sous  tous  les  rapports  que  les  maisons  actuelles; 


16  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

leur  entretien  ne  présentait  aucune  difficulté.  Cependant  on 
voit  leurs  murs  ruinés  ou  leurs  solides  cheminées  se  dres- 
sant soudain  dans  les  champs  comme  des  spectres  du  passé. 

La  principale  ressource  de  cette  famille  est  une  agri- 
culture assez  rudimentaire  et  laissant  peu  de  surplus  pour 
la  vente,  si  ce  n'est  un  peu  de  foin.  La  pêche  côtière  faite 
très  en  petit,  mais  régulièrement,  forme  aussi  un  appoint 
important.  Du  reste  toute  la  famille  est  suffisamment  et 
décemment  vêtue,  sli  nourriture  est  ^saine  et  suffisante,  se 
composant  surtout  d'avoine  bouillie,  le  mets  national  écos- 
sais, de  poisson,  de  lait,  de  pommes  de  terre  et  aussi  sou- 
vent de  boeuf  ou  de  lard,  et  la  santé  de  tous  ne  laisse  rien 
à  désirer.  Sa  vie  isolée,  les  traditions  qui  l'entourent,  les 
préjugés  auxquels  son  chef  est  attaché,  son  isolement  so- 
cial et  même  jusqu'à  un  certain  point  religieux,  tout  con- 
court à  former  ici,  au  point  de  vue  économique  et  social,  un 
type  bien  inférieur  à  ceux  de  la  province  de  Québec  que 
décrit  M.  Gérin.  Si  le  père  élevait  ses  enfants  à  sa  guise, 
ceux-ci  hériteraient  de  beaucoup  de  ses  préjugés  et  de  ce 
qu'on  pourrait  appeler  ses  incompétences  sociales,  sans 
acquérir  les  vertus  un  peu  barbares  de  son  ancêtre  Long- 
Doigt. 

Seulement,  et  c'est  là  un  point  capital  dans  l'étude  qui 
nous  occupe,  les  enfants  de  cet  homme  de  formation  su- 
rannée pour  ne  pas  dire  inférieure,  sont  obligés  de  par  la 
loi  de  fréquenter  les  excellentes  écoles  établies  par  le  gou- 
vernement de  la  Nouvelle-Ecosse;  les  autorités  municipales 
veillent  de  près  à  la  rigoureuse  observance  de  cette  loi.  Il 
est  donc  probable  que  les  enfants  ayant  acquis  l'instruction 
et  des  idées  plus  modernes,  cesseront  de  vivre  dans  un 
isolement  relatif  ;  leur  formation  sera  supérieure  non  seule- 
ment à  celle  de  leurs  parents,  mais  aussi  à  celle  de  certains 
types  qui  peuvent  être  considérés  comme  plus  avancés  que 
leur  type  ancestral,  mais  qui  n'ont  que  la  tradition  familiale 
comme  guide.  Celle-ci  (la  tradition,  la  mentalité)  a  sans 
doute  sa  très  grande  importance,  mais  si  elle  n'est  pas  for- 
tifiée par  l'instruction  elle  va  nécessairement  en  s'affaiblis- 
sant. 


LES  ÉCOSSAIS  DU  CAP  BRETON  17 

Supérieure  au  type  précédent,  supérieure  aussi,  je  crois, 

à  celui  de  Thabitant  de  Saint-Justin,  la  famille  M offre 

un  exemple  du  groupe  écossais  du  Cap-Breton  ayant  à  peu 
près  complété  l'évolution  qui  en  fait  l'égal  des  types  anglo- 
saxons  les  plus  avancés  du  continent  américain.  La  compa- 
raison entre  cette  famille  et  la  précédente  est  d'autant  plus 
intéressante  que  toutes  deux,  je  l'ai  dit,  occupent  des  terres 
voisines  de  même  valeur  et  étendue  à  peu  de  chose  près,  qui 
leur  sont  parvenues  par  héritage.  Nous  verrons  qu'ils  ont 
tiré  un  parti  bien  différent  d'avantages  à  peu  près  analogues. 

Cette  famille  M se  compose  de  neuf  personnes,  le 

père,  la  mère,  deux  fils,  quatre  filles  tous  adultes,  moins  une 
seule  fille,  et  une  tante  célibataire.  On  n'emploie  pas  de 
domestiques,  bien  que  la  présence  dans  la  maison,  pendant 
la  saison  d'été,  de  plusieurs  pensionnaires,  semblerait  le 
justifier.  Le  père,  âgé  de  65  ans  environ,  est  le  descendan 
d'un  ancien  soldat  dont  le  régiment  a  été  licencié  au  Cap- 
Breton.  Le  vétéran  obtint  un  octroi  de  terre  que  ses  des- 
cendants cultivèrent  de  père  en  fils.  En  général,  au  Cap- 
Breton,  le  fils  aîné  d'un  cultivateur  cherche  fortune  à  l'ex- 
térieur ou  à  l'étranger,  pour  ne  pas  obérer  le  budget  fami- 
lial et  aussi,  s'il  se  peut,  pour  augmenter  ses  ressources 
jusqu'à  son  mariage.     Il  en  a  été  ainsi  habituellement  dans 

la  famille  M Son  chef  actuel  avait  un  frère  aîné  qui  est 

devenu  marin  et  qui  a  péri  dans  un  naufrage.  Le  fils  aîné 
de  la  génération  présente,  victime  d'un  accident  qui  le  rend 
impropre  au  travail  manuel,  est  télégraphiste  sur  le  chemin 
de  fer  Sydney  et  Louisbourg,  et  en  bonne  voie  de  prospé- 
rité. Le  cadet,  âgé  aujourd'hui  de  vingt-un  ans,  aide  à  son 
père  et  lui  succédera.  Au  physique  comme  au  moral  ce 
père  et  ce  fils  sont  des  types  supérieurs  ;  ils  sont  instruits, 
lisent  des  livres  et  des  journaux,  discutent  leurs  propres 
affaires  et  les  affaires  publiques  avec  intelligence  et  modé- 
ration. On  ne  remarque  pas  chez  eux  cette  rudesse  dans 
les  manières  qu'on  déplore  souvent  chez  les  gens  de  la  cam- 
pagne. Les  M et  ceux  qui  les  entourent  sont  des  gentle- 
men dans  leurs  manières.  Je  n'ai  pas  du  reste  rencontré  de 
gens  impolis  au  Cap-Breton. 


18  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

Ils  tirent  du  sol  le  meilleur  parti  qu'ils  peuvent  sans 
changer  absolument  les  méthodes  anciennes.  Trop  exposée 
aux  vents  du  large,  leur  terre  produit  difficilement  et  tar- 
divement les  céréales.  Il  faudrait  pour  la  mettre  en  rapport 
augmenter  le  troupeau  qui  ne  se  compose  actuellement  que 
de  quatre  ou  cinq  têtes,  et  se  livrer  davantage  à  l'industrie 
laitière.  L'agriculture  est  cependant  la  principale  ressource 
de  la  famille. 

Dans  la  famille  M on  ne  fait  pjus  la  pêche.  Le  tra- 
vail est  très  exactement  réparti  entre  les  divers  membres. 
La  mère  s'occupe  exclusivement  de  la  maison,  des  enfants, 
et,  l'été,  de  ses  pensionnaires.  Sa  belle-sœur  et  ses  filles  lui 
aident  à  tour  de  rôle,  mais  chacune  a  en  outre  ses  occupa- 
tions particulières.  La  tante  tient  le  bureau  de  poste  de 
Mira;  la  fille  aînée  seule  est  simple  fermière,  toutes  les 
autres,  bien  que  ne  dédaignant  pas  ces  travaux,  fréquen- 
tent l'école  normale  et  ont  obtenu  ou  obtiendront  des  di- 
plômes d'institutrices;  l'une  possède  un  vrai  talent  pour  la 
musique,  mais  toutes  sont  sans  prétention,  modestes  dans  la 
mise  et  le  maintien. 

Cela  constitue  un  intérieur  agréable  oii  règne  la  paix 
absolue.  L'habitation  modeste  est  saine  et  bien  tenue,  la 
nourriture  variée  et  convenablement  apprêtée  est  semblable 
à  celle  des  cultivateurs  aisés  de  la  Nouvelle-Angleterre  et 
d'Ontario,  peut-être  un  peu  plus  recherchée;  le  vêtement 
est  sans  recherche,  on  soigne  surtout  la  personne,  les  che- 
veux, les  dents.  Un  harmonium,  plusieurs  liasses  de  bonne 
musique,  livres,  revues,  journaux,  sont  la  ressource  des  soi- 
rées d'hiver.  Le  rouet,  qui  ne  sert  plus,  reste  néanmoins 
dans  un  coin  du  "  living  room." 

Toute  cette  vie  familiale  laborieuse,  animée  et  heureuse 
est  en  grande  partie  l'oeuvre  de  l'excellent  système  des 
écoles  publiques  de  la  Nouvelle-Ecosse.  Ici  sans  doute  l'é- 
volution était  déjà  commencée  dans  la  génération  précé- 
dente, les  parents  se  trouvent  eux-mêmes  en  état  de  diriger 
leurs  enfants.  Mais  grâce  à  une  instruction  plus  complète 
et  à  une  formation  énergique,  les  enfants  feront  encore 
mieux.   C'est  ainsi  que  le  fils  cadet,  successeur  de  son  père, 


LES  ÉCOSSAIS  DU  CAP  BRETON  19 

se  prépare  de  longue  main  à  faire  valoir  la  propriété.  La 
modeste  pension,  pouvant  recevoir  une  dizaine  de  per- 
sonnes, sera  entourée  de  chalets  qui  rendront  la  plage  po- 
pulaire. Puis  il  exploitera  les  carrières  qui  se  trouvent  sur 
sa  terre  et  construira  des  fours  à  chaux.  Cette  pierre,  utili- 
sable dans  l'industrie,  entrave  l'agriculture  mais  il  nous  a 
fait  remarquer  qu'elle  ne  nuit  en  aucune  façon  à  l'élevage 
des  vaches  laitières  et  des  animaux  de  boucherie. 

Naturellement,  une  telle  famille  exerce  une  influence 
saine  sur  son  entourage.  Appartenant  au  culte  baptiste, 
dont  les  adhérents  sont  peu  nombreux,  elle  s'occupe  de 
l'entretien  de  la  chapelle  et  héberge  le  pasteur  plus  sou- 
vent qu'à  son  tour.  Ses  rapports  de  voisinage  sont  fréquents 
et  les  associations  dont  elle  forme  partie  tiennent  surtout 
de  l'école  et  de  l'église.  On  s'occupe  peu  des  affaires  mu- 
nicipales, si  ce  n'est  au  point  de  vue  de  ces  groupements  ; 
quant  à  la  politique,  on  en  suit  les  développements,  mais 
sans  passion.  Enfin  chacun  des  membres  de  la  famille 
affirme  dans  tous  ses  actes,  la  doctrine  si  salutaire  de  la 
confiance  en  soi  :  "  self-reliance  et  self-help." 

Le  type  anglo-arnéricain. 

Ces  deux  familles  sont  des  exemplaires  assez  typiques  de 
la  population  écossaise  rurale  du  Cap-Breton  à  l'heure  ac- 
tuelle. Sa  destinée  ultime  ne  me  parait  pas  douteuse.  Elle 
perd  rapidement  sa  caractéristique  traditionnelle  pour  se 
fondre  dans  la  masse  anglo-saxonne  américaine.  Celle-ci 
est  partout  presque  identique,  car  partout  on  trouve  des  in- 
fluences identiques  à  l'oeuvre  :  les  pouvoirs  publics  et  l'é- 
cole s 'inspirant  d'un  même  principe  et  agissant  dans  des 
milieux  où  les  moyens  d'existence  ne  sont  pas  essentielle- 
ment différents.  La  facilité  et  la  rapidité  des  transports 
mettent  les  mêmes  objets  et  les  mêmes  ressources  à  la  por- 
tée de  tous.  Ce  phénomène  semble  du  reste  général  dans 
l'Amérique  septentrionale.  C'est  la  langue  qui  détermine 
les  groupements.  Les  gens  de  langue  française  au  Canada, 
si  différents  en  France,  en  Belgique  et  en  Suisse,  perdent 


20  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

rapidement  ici  leurs  traits  distinctifs.  Quant  aux  Anglais 
modernes,  ils  ne  reconnaissent  plus  leurs  cousins  d'Amé- 
rique tant  ceux-ci  ont  évolué. 

Ce  type  américain  ne  s'est  pas,  on  le  conçoit,  formé  en 
un  jour.  On  en  trouve  l'origine  aux  Etats-Unis.  Dès  le 
milieu  du  XVIIIe  siècle  l'influence  d'une  élite  nouvelle  in- 
tellectuelle et  sociale  se  manifestait  parmi  les  descendants 
des  pi  Igri  m  fat  hers  qui  s'étaient  expatriés  pour  satisfaire  à 
une  conviction  profonde.  Ce  fut  là^  le  foyer  de  la  révolu- 
tion américaine  à  laquelle  le  peuple  des  Etats  hors  de  la 
Nouvelle-Angleterre,  ne  se  rallia  d'abord  qu'en  hésitant.  La 
révolution  politique  triomphante  fit  la  révolution  sociale 
dont  l'école  publique  fut  l'instrument.  Des  citoyens  gran- 
dirent imbus  des  traditions  plus  ou  moins  véritables  de 
cette  révolution.  On  ne  craignit  pas  de  nourrir  les  enfants 
de  gloires  quelquefois  un  peu  problématiques  afin  de  sti- 
muler leur  ambition  patriotique.  L'effort  fut  calculé,  una- 
nime, énergique.  Ses  initiateurs,  s'affranchissant  de  toutes 
entraves  traditionnelles,  s'appliquèrent  à  former  les  jeunes 
intelligences  d'après  un  programme  de  philosophie  pra- 
tique nouveau  dans  l'histoire  de  l'humanité. 

Naturellement  cette  innovation  donna  lieu  à  de  vives  cri- 
tiques, les  mêmes  du  reste  qu'on  fait  entendre  aujourd'hui 
dans  d'autres  pays  où  l'on  tente  des  expériences  sociales 
analogues.  Il  est  vrai  que  le  premier  produit  de  l'éducation 
nouvelle  fut  franchement  désagréable.  Les  nouveaux  ci- 
toyens manifestaient  leur  liberté  par  la  grossièreté  et  la 
violence.  Charles  Dickens  en  a  fait  un  portrait  inoubliable. 
Mais  il  avait  écrit  sans  assez  refléchir,  car  les  descendants 
des  hommes  qu'il  critiquait,  sortis  du  même  moule  scolaire, 
ont,  à  certains  points  de  vue,  réalisé  l'idéal  de  l'écrivain. 

Le  système  scolaire  d'Ontario,  des  provinces  maritimes 
et  de  l'Ouest  canadien  fut  calqué  sur  celui  des  Etats-Unis. 
L'institution  est  trop  connue  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'en 
faire  la  description.  On  y  exalte  systématiquement  l'effort, 
mais  l'effort  concentré,  impassible  et  sans  démonstration 
extérieure,  ce  qui  décuple  les  forces  d'un  homme  en  face 
d'un  ennemi  non  averti.     C'est  une  armure.     C'est  ce  qu'un 


LES   ÉCOSSAIS   DU   CAP   BRETON  21 

écrivain  a  appelé  :  "  to  learn  the  lesson  of  the  race."  Les 
jeunes  gens  ainsi  formés  sont  capables  presque  de  tout,  car 
on  leur  a  persuadé  que  rien  ne  leur  est  impossible  et  qu'en 
toutes  choses  ils  doivent  compter  sur  leurs  propres  forces, 
leur  propre  jugement.  Que  nous  sommes  loin  du  citoyen 
idéal  décrit  par  le  vicomte  M.  de  Vogué  :  "  prêt  à  tous  les 
dévouements  et  à  tous  les  sacrifices  sur  un  signe  du  chef 
qui  sait  capter  sa  confiance,  n'exigeant  en  retour  de  ce  chef 
qu'une  garantie  de  protection  après  la  lutte  quand  les  com- 
battants licenciés  retombent  dans  leur  apathie."  Chez  les 
populations  de  formation  anglo-américaine,  on  peut  dire 
que  l'apathie  n'existe  pas,  on  ne  demande  la  protection  de 
personne,  on  ne  reconnaît  point  de  chef  et  c'est  tout  au 
plus  si  on  consent  à  déléguer  certains  des  pouvoirs  popu- 
laires pour  un  temps  limité.  Ces  populations  sont  com- 
plètement particularistes  et,  à  notre  avis,  l'avantage  est 
énorme. 

Plusieurs  romanciers  anglo-américains  et  canadiens,  no- 
tamment messieurs  Robert  Barr,  Knowles  et  Montgomery 
se  sont  faits  les  peintres  de  cet  état  social.  Certaines  par- 
ties des  Etats-Unis,  surtout  la  Nouvelle- Angleterre,  sont,  on 
le  conçoit,  en  avance  sur  le  Canada  où  le  milieu  est  moins 
riche  et  le  terrain  moins  préparé.  Aussi  trouve-t-on  dans 
la  république  américaine  une  magnifique  floraison  d'écoles 
supérieures,  dont  on  peut  juger  de  l'esprit  en  étudiant  cette 
personnalité  remarquable,  le  Dr  Goldwin  Smith,  qui  en  fut 
une  des  âmes  dirigeantes. 

Impossible  de  nier  en  tout  ceci  l'influence  du  régime  sco- 
laire. Mais  l'école  ne  donne  ces  résultats  que  parce  que  le 
milieu  est  favorable.  Le  réformateur  reste  impuissant  en 
face  de  certaines  conditions  antisociales.  Dans  les  très 
grandes  villes  et  dans  certains  centres  industriels,  où  sont 
parquées  les  masses  prolétaires,  on  trouve  une  population 
bien  diflicile  à  classifier.  L'organisation  des  unions  ou- 
vrières lui  a  donné  une  formation,  inférieure  il  est  vrai  à 
celle  que  nous  venons  de  décrire,  mais  bien  supérieure  à 
son  état  antérieur.  Il  ne  faut  pas  l'oublier,  en  effet,  une 
masse  prolétaire  non  organisée  et  amorphe,  est  réfractaire 


22  LA   REVUE    FRANCO -AMÉRICAINE 

au  progrès  social.  On  constate  donc  qu'en  Amérique  comme 
ailleurs,  la  classe  ouvrière  reste  distincte  du  reste  de  la  po- 
pulation et  que  la  divergence  entre  les  deux  est  profonde. 
Il  en  est  déjà  ainsi  au  Cap-Breton.  Un  assez  grand  nom- 
bre de  jeunes  gens,  il  est  vrai,  abandonnent  l'agriculture 
pour  le  travail  des  mines,  mais  on  remarque  que  ceux  qui 
ont  suffisamment  évolué  vers  le  type  supérieur  anglo-amé- 
ricain évitent  de  se  laisser  entraîner  de  ce  côté. 

Les  groupes  français. 

C'est  cette  force  sociale  dont  nous  venons  de  parler  qui 
développe  l'Amérique  septentrionale.  Son  esprit  est  un  peu 
exclusif,  mais  sa  puissance  est  formidable.  Ceux  qu'elle 
n'assimile  pas  elle  les  isole,  elle  les  emmure  d'indifférence 
et  de  silence,  comme  les  abeilles  ensevelissent  dans  la  cire 
les  intrus  qui  pénètrent  dans  la  ruche.  Cela  n'est  pas  l'effet 
d'un  calcul,  c'est  la  résultante  d'une  impulsion  d'oîi  l'ins- 
tinct n'est  pas  absent.  Les  immigrants  qui  s'attendent  à 
des  conditions  nouvelles  se  conforment  autant  qu'ils  le  peu- 
vent aux  conditions  de  l'Amérique,  mais  les  Anglais  qui 
croient  retrouver  des  Anglais  en  restent  fort  surpris  ;  aussi 
les  malentendus  sont-ils  fréquents.  Il  en  est  de  même  pour 
les  Français;  il  ne  comprennent  plus  d'abord  les  Cana- 
diens-français. 

Seul  un  groupe  puissant,  homogène  et  économiquement 
indépendant,  peut  résister  à  cette  assimilation  civilisatrice, 
mais  un  peu  trop  uniforme  et  despotique,  et  cela  à  la  con- 
dition de  lui  opposer  un  élément  civilisateur  également 
avantageux.  Il  est  bien  évident  que  si  la  formation  qu'on 
voulait  opposer  à  la  civilisation  anglo-américaine  lui  était 
vraiment  inférieure,  il  ne  serait  pas  sage  d'insister  pour 
qu'elle  survive.  Heureusement,  la  formation  sociale  cana- 
dienne-française, laquelle  nous  vient  de  France,  n'est  pas 
inférieure  à  l'anglo-saxonne.  Il  est  indéniable  cependant 
qu'il  y  a  arrêt  dans  le  développement  normal  de  nos  com- 
patriotes. Les  Canadiens-français  sont  assez  nombreux  et 
organisés  pour  résister  à  l'assimilation  ;  ils  l'ont  fait  avan- 
tageusement,  alors   qu'opposés   à   une   population   angle- 


LES  ÉCOSSAIS  DU  CAP  BRETON  23 

saxonne  moins  avancée  que  celle  d'aujourd'hui,  ils  ont  con- 
quis la  liberté.  Ont-ils  su  conserver  leurs  avantages  ?  Ont- 
ils  compris  la  nécessité  d'un  effort  soutenu  ?  Ont-ils  conquis 
surtout  l'indépendance  économique,  corollaire  obligé  des 
libertés  politiques  ?  Ne  sont-ils  pas  plutôt,  comme  le  ci- 
toyen idéal  de  M.  de  Vogué,  retombés  dans  l'apathie  ?  Ont- 
ils  jamais  réfléchi  que  s'il  leur  arrive  de  se  laisser  devan- 
cer dans  la  lutte,  le  contre-coup  pénible  de  leur  infériorité 
même  temporaire  se  fera  sentir  jusque  dans  le  plus  infime 
groupement  français  de  l'Amérique,  et  à  plus  forte  raison 
du  Canada?  Si  les  colonies  françaises  de  la  Nouvelle- 
Angleterre,  du  Nouvcau-Brunswick,  du  Cap-Breton  sont 
prospères  et  respectées,  c'est  que  la  province  de  Québec 
aura  fait  son  devoir;  sont-elles  malheureuses  et  léthar- 
giques, c'est  que  dans  la  province  de  Québec  on  est  ou- 
blieux du  devoir  social.  Les  circonstances  ne  m'ont  pas 
permis  de  visiter  les  groupes  français  de  l'île  du  Cap-Bre- 
ton, je  ne  les  connais  que  par  ouï-dire  ;  je  ne  saurais  donc 
dire  jusqu'à  quel  point  ils  souffrent  de  nos  fautes.  Ce  que 
je  sais  bien,  c'est  que  ces  fautes  ne  sont  pas  irréparables, 
que  le  Canada  français  peut  encore  se  racheter  et  reprendre 
son  véritable  rôle,  au  prix  d'un  effort  unanime  et  sérieux. 
Et  s'il  fait  cet  effort,  les  Acadiens,  vivant  en  villages  isolés 
sur  l'ancienne  île  Royale,  verront  s'ouvrir  devant  eux  un 
brillant  avenir  sans  qu'ils  aient  à  sacrifier  pour  cela  la 
langue  qui  leur  est  chère.  Il  fut  un  temps  où  le  peuple  grec, 
jadis  si  glorieux,  n'était  plus  représenté  que  par  une  poi- 
gnée de  paysans  ruinés  et  rendus  à  dem.i-sauvages  par  des 
siècles  d'oppression.  Et  cependant  nous  voyons  aujour- 
d'hui la  nation  grecque  refleurir  non  seulement  en  Grèce, 
mais  aussi  dans  toute  la  Turquie  d'Europe  où  elle  domine 
par  sa  culture  et  par  sa  puissance  économique,  en  attendant 
sa  complète  émancipation.  De  tels  exemples  prouvent  que 
les  rejetons  d'un  peuple  illustre  peuvent  tout  espérer,  s'ils 
veulent  faire  de  sérieux  efforts  pour  reconquérir  leur  place 
au  soleil,  sur  une  terre  où  l'oppression  est  inconnue  et  où 
l'intelligence  et  l'effort  sont  sûrs  de  trouver  une  prompte 
récompense. 


L'Ecole  des  Belles-Mè 


ères 


COMEDIE  EN  UN  ACTE 


PERSONNAGES 

FIFINE,  femme  d'André.. Mmes  DULUC 

Mme  GRAINDOR,  mère  de  Fifine JENNY  ROSE 

Mme  MEILLET,  mère  d'André Netza 

LEONTINE,   bonne DiCKSONN 

M.  GRAINDOR MM.  Lerand 

ANDRE... Maury 

En  p  e  nos  jours. 

Un  salon 


SCENE  PREMIERE 
fifine,  ANDRE 

André  entre  par  la  porte,  en  bras  de  chemise,  tenant  sa  ja- 
quette à  la  main.     Il  ne  voit  pas  Fifine  qui  met  son 
chapeau. 
André.  C'est  trop  fort  !  (Il  appuie  avec  force,  à  plusieurs 
reprises,  sur  un  bouton  électrique  ;  il  va  à  la  porte  du  fond 
et  l'ouvre  en  criant.)  Léontine  !  Léontine  ! 

Fifine  est  arrivée  sur  la  pointe  des  pieds  jusqu'auprès 
de  son  mari  qui  ne  l'a  pas  encore  vue;  elle  crie  également. 
— Léontine  !  Léontine  !  (Elle  éclate  de  rire  et  descend  en 
scène.) 

Ah  !  tu  es  là  !  Et  la  bonne  } 

Léontine  ? 

Oui,  ma  jaquette  n'est  pas  brossée. 

Tu  vas  voir  des  malades,  ce  matin,  monsieur  le 


André. 
Fifine. 
André. 
Fifine. 
docteur  } 
André. 


Tu  sais  bien  que  je  n'en  ai  pas.  Depuis  un  mois 


l'école  des  belles-mères 


25 


que  j'ai  passé  mon  dernier  examen...  Mais  je  sonne  depuis 
une  heure. 

Fifine.     Et  personne  ne  répond  ? 

André.     Non  ! 

Fifine.     Ca  ne  m'étonne  pas  ! 

André.     Pourquoi } 

Fifine.     Parce  qu'il  n'y  a  personne.  (Elle  rit.) 

André.    Tu  ne  seras  jamais  sérieuse. 

Fifine.     Si,  quand  j'aurai  vingt  ans. 

André.     Mais  moi,  j'en  ai  vingt-cinq  et  je. . . 

Fifine.     Mon  pauvre  André. . .  Faut  te  brosser  toi-même 
comme  pendant  notre  voyage  de  noces  à  Paris. 

André.    Je  n'ai  pas  trouvé  la  brosse. 

Fifine.     Ah!   attends!  (Elle   lui   prend   la   jaquette   des 
mains  et  la  secoue  un  peu.)  Là! 

André,    (mettant  sa  jaquette). — Et  Léontine  ? 

Fifine.     Elle  est  sortie  pour  chercher  une  place. 

André.    Une  place  !  On  l'a  donc  mise  à  la  porte  ? 

Fifine.     Oui  ! 

André.     Qui } 

Fifine.     Maman,  parbleu  ! 

André.     Pourquoi  ? 

Fifine.    Je  ne  sais  pas. . .  Qu'est-ce  que  ça  peut  te  faire  ? 

André.     Et  l'autre  ? 

Fifine.    L'autre,  elle  est  allée  faire  une  course. 

André.     Où  ça  ? 

Fifine.  (riant).  En  voilà,  des  questions!  Est-ce  que  je 
sais. — C'est  maman  qui  l'a  envoyée.     Tu  es  fâché  ? 

André.    Non  ! 

Fifine.     Faisez  une  risette  ! 

André,    (riant).  Embrasse- moi. 

Fifine.  Encore  ? . . .  N'abîme  pas  mon  chapeau.  (Il  l'em- 
brasse.) Là  !.. .  C'est  assez. . .  Comment  le  trouves-tu,  mon 
chapeau  ? 

André.     Très  gentil. 

Fifine.     Tu  dis  ça  ;  tu  ne  l'as  pas  regardé. 

André.     Mais  si. . .  Tu  sors  ? 

Fifine.     Tu  vois. 


26  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICIANE 

André.     N'oublie  pas  de  passer  chez  le  tapissier. 

Fifine.     Maman  y  est  allée. 

André.     Qu'est-ce  qu'il  a  répondu  ? 

Fifine.    Elle  te  le  dira. 

André.     Où  vas- tu  ? 

Fifine.    Je  vais  avec  maman. 

André.     Quoi  faire  ? 

Fifine     Ah  î  voilà  ! . . .  Acheter  un  chien  ? 

André.     Un  chien  ? 

Fifine.  Oui!  Oh!  il  est  si  petit,  que  tune  t'apercevras 
pas  de  sa  présence.  C'est  un  amour,  gros  comme  ça,  avec 
des  petites  oreilles,  des  yeux  noirs. . .  tu  verras.  Il  ressemble 
à  ma  tante.  Tu  sais,  ma  vieille  tante.  Je  le  ferai  jouer.  Nous 
jouerons  tous  les  deux.  Tu  lui  apprendras  à  faire  le  beau. 
(Elle  saute  de  joie.)  Ce  qu'on  va  s'amuser. 

André  (riant).    Et  combien,  cet  amour  ? 

Fifine.  Cher  ! . . .  mais  c'est  comme  en  tout  :  quand  on 
veut  avoir  du  beau,  il  faut  y  mettre  le  prix. 

André.     Combien,  encore  ? 

Fifine.     Cent  cinquante  francs. 

André.  Tu  es  folle,  ma  petite  Fifine  ?  Voyons,  réflé- 
chis... Tu  ne  l'auras  pas  huit  jours,  que  tu  en  seras 
lasse. .. 

Fifine.     Tu  crois  ? 

André.  Certainement.  Et  puis. . .  je  ne  sais  pas  bien 
comment  te  dire  cela. . .  il  faut  un  peu  surveiller  nos  dé- 
penses. 

Fifine  (sans  mauvaise  humeur.)  C'est  bon  !  je  ne  l'achète- 
rai pas. . .  Es-tu  content }. . . 
André.     Oui  ! 
Fifine.     Au  revoir  !  Au  revoir  !  (Elle  sort  en  courant.) 

SCENE  II 

André  (seul,  puis  Léontine) 

André.  J'ai  peut-être  eu  tort  de  la  priver  de  son  chien. .  • 
mais  je  ne  veux  pas  laisser  sa  mère  gouverner.  (Entre  Léon- 
tine. 


l'écgle  oes  belles-mères  27 

Léontine.     Monsieur  me  demande? 

André.     Non  !  C'était  pour. .  .ce  n'est  plus  la  peine. 

Léontine.     Monsieur  sait  qu'on  m'a  renvoyée  ? 

André.     Oui.   Pourquoi  ? 

Léontine.  Parce  que  j'avais  demandé  à  madame — à  la 
mère  de  madame — d'aller,  dimanche,  chez  mon  grand-père 
qui  est  malade. 

André.  Eh  bien,  vous  irez  chez  votre  grand-père  et  vous 
resterez  à  mon  service. 

Léontine.     Merci,  monsieur  !  (On  entend  sonner.) 

André.     On  sonne  !  Allez  donc  voir  !  (Elle  sort) 

SCENE  III 
André  (seul,  puis  Madame  Meillet) 

André.  Je  veux  être  le  maître  chez  moi,  saperlotte  !  (La 
bonne  fait  entrer  Mme  Meillet.) 

Madame  Meillet— Mon  cher  enfant  !  (Embrassades.)  Je 
viens  entre  deux  trains,  chez  le  notaire,  pour  signer  des  pa- 
piers. Je  n'ai  pas  voulu  passer  dans  ta  rue,  sans  monter  te 
dire  bonjour.  Fifine  va  bien } 

André.     Très  bien  !  Elle  est  sortie. 

Madame  Meilkt  Déjà  !  Alors,  je  me  sauve. . .  Et  la  clien- 
tèle ? 

André.  Rien  !  Seulement,  nous  comptons  beaucoup  sur 
l'influenza,  au  commencement  de  l'hiver. 

Madame  Meillet  Tant  mieux  !  Et  le  ménage,  ça  marche 
toujours,  avec  ta  belle-mère  }  Quelle  idée  vous  avez  eue  de 
venir  habiter  ici. . .  Alors,  ça  marche  ? 

André.     Oui,  seulement. . . 

Madame  Meillet     Seulement  ? 

André.  Il  y  a  des  petits  tiraillements.  Fifine  n'est  pas 
assez  affectueuse. . .  Elle  n'aime  pas  assez  son  chez 
soi. . .  enfin. . . 

Madame  Meillet  Je  vois  ce  que  c'est  II  faudrait  l'oeil 
de  ta  mère  là-dedans. 

André.     J'ai  peut-être  eu  tort  de  te  dire  cela. 

Madame  Meillet.     Du  tout  !  du  tout  !  Je  cours  chez  mon 


28  LA   REVUE   FRANCO-AMJÉRICAINE 

notaire,  parce  qu'il  ne  serait  plus  là,  si  j'arrivais  en  re- 
tard. . .  et  je  reviens  ici.  Et — écoute  bien  ce  que  ta  mère  va 
te  dire — je  n'en  partirai  pas  avant  que  tout  y  soit  en  ordre. 

André.  Ma  foi,  je  te  remercie.  Je  n'osais  pas  te  le  de- 
mander. . .  ce  sera  une  bonne  chose. 

Madame  Meillet.  Tranquiliise-toi.  J'arrangerai  tout,  et  ce 
ne  sera  pas  long.  A  tantôt  ! 

André  (la  reconduisant).  A  tantôt. .  .  (Il  reste  un  moment 
à  la  porte,  redescend  et  sonne.     Léontine  paraît.) 

SCENE  IV 

André,  Léontine 

André.     Vous  mettrez  trois  couverts,  ce  soir  ! 

Léontine  (surprise).    Trois  couverts  ? 

André.  Oui,  ma  mère  dînera  ici. . .  Qu'est-ce  que  vous 
avez  ? 

Léontine.     Mais,  monsieur,  c'est  impossible  ! 

André.     Parce  que  .?. . . 

Léontine.  Mais,  jusqu'ici,  monsieur  et  madame  ont  tou- 
jours pris  leur  repas  chez  les  parents  de  madame,  en  bas  ; 
alors,  la  cuisine  n'est  pas  en  éiat. 

André.     Allons  !  C'est  bien  ! 

SCENE  V 

Léontine,  André,  (puis)  Fifine 

Entre  Fifine  avec  un  petit  chien  sous  le  bras. 

Fifine.    Je  n'ai  pas  été  longtemps. . . 

André.  Qu'est-ce  que  c'est  que  ça  ? 
.  Fifine.  Est-il  gentil,  hein  ?  N'est-ce  pas  qu'il  ressemble  à 
ma  tante  .?  (A  son  chien.)  Faisez  une  risette  à  son  père. 
(A  son  mari.)  Embrasse-le. . .  Approche-toi,  il  va  t'embras- 
ser...  approche-toi  donc.  .  .  (André,  après  résistance, 
se  fait  embrasser  par  le  chien.  Il  s'essuie  la  figure.) 
Oh  !  tu  n'as  pas  besoin  de  t'essuyer  comme  ça.  Il  n'y  a  rien 
de  plus  sain  que  la  langue  d'un  chien.  (Au  chien.)  11  est 
messant,  son  papa  ?  Oh  !  n'amour  !  qu'il  était  zoli,  zoli,  le 
petit  sien  sien,  à  sa  mémère. . .  (Elle  l'embrasse.) 


l':école  des  belles-mères  29 

André.    Je  croyais  que  tu  ne  devais  pas  Tacheter. 

Fifine.  Je  ne  l'ai  pas  acheté,  j'ai  dit  à  maman  que  j'en 
avais  envie.  Elle  m'en  a  fait  cadeau.  Regardez,  Léon- 
tine,  s'il  est  joli,  et  son  petit  nez,  et  ses  petites  noreilles. . . 
Vous  allez  faire  du  feu  dans  la  petite  chambre  et  l'installer 
dans  la  niche  qu'on  a  apportée. . .  Et  puis,  il  faut  lui  faire 
de  la  soupe  ;  allez  chercher  des  os,  en  bas,  et  de  l'eau  ;  n'ou- 
bliez pas  de  l'eau  et  un  bout  de  sucre.  Allez  !  (Elle  lui 
donne  le  chien. — A  son  mari.)  Non,  mais  regarde.  André, 
regarde,  il  veut  que  tu  lui  dises  bonsoir.  On  dirait  qu'il 
comprend  que  tu  n'en  voulais  pas.  Pauvre  tite  bête  !. . .  Bon- 
soir, mon  trésor  chéri.  (Elle  lui  envoie  un  baiser. — Léontine 
sort) 

André,  sans  mauvaise  humeur. — Heureux  chien  ! 

Fifine  (riant  et  lui  montrant  le  doigt).  Oh  !  Je  sais  pour- 
quoi tu  dis  ".  heureux  chien." — Assieds-toi  là. . .  Tiens,  tu  es 
un  bon  mari. . .  J'avais  très  peur  d'être  grondée. . .  mais  c'est 
maman  qui  m'a  forcée  à  le  prendre.  Tu  es  gentil  de  ne  rien 
me  dire.  Voilà  pour  ta  peine.  (Elle  l'embrasse.  André  veut 
la  retenir.)  Non  !  c'est  assez,  chut  !  Soyez  sage  ! 

André.    Méchante  ! 

Fifine.     Vas-tu  quelque  part,  tantôt  ? 

André.  Je  devais  aller  à  une  répétition  de  l'opéra  nou- 
veau, au  théâtre  des  Arts  ;  je  n'irai  probablement  pas. 

Fifine.     Oh  !  si,  vas-y. 

André.     Tu  y  tiens  ? 

Fifine.     Oui. . .  et  emmène-moi  ! 

André.    Ma  chère  enfant,  c'est  impossible. 

Fifine.     Pourquoi } 

André.  Ce  n'est  pas  convenable. . .  Il  faut  passer  par  les 
coulisses. . .  il  faut. . .  Enfin,  ce  n'est  pas  ta  place. 

Fifine.  Tu  dis  tout  le  temps  ça. . .  Et,  lorsque  tu  te  dé- 
cides à  me  prendre  avec  toi,  tu  es  bien  content  après. . .  Tes 
amis  le  disent  bien,  qu'on  peut  conduire  sa  femme  à  une 
foule  d'endroits,  où  tu  ne  veux  pas  que  j'aille. 

André.  Oui,  mais  aucun  n'y  emmène  fa  sienne  !  Allons  1 
tu  resteras  là  !  tu  t'occuperas. 


30  LA    REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

Fifine.  Je  resterai  là. . .  je  resterai  là. . .  Pas  ici,  toujours. 
En  bas  !  chez  maman. 

André.  Pourquoi  ?  C'est  ici. . .  chez  nous,  ce  n'est  pas  en 
bas. 

Fifine.  Oh  !  oui,  mais  ici,  je  m'ennuie,  toute  seule,  je  ne 
sais  pas  où  sont  les  choses. . .  Tandis  que,  chez  maman,  j'ai 
toutes  mes  petites  affaires  à  leur  place,  toutes  mes  commo- 
dités. . .  Enfin,  je  m'y  plais  mieux. . .  Mais  tu  serais  si  gen- 
til de  m'emmener  !  Si  tu  savais  comrçe  ça  m'amuse,  de  sor- 
tir !    Je  voudrais  être  toujours  dehors. 

André.     Ce  n'est  pas  possible. 

Fifine.     Tant  pis  ! 

André.  Tu  vas  comprendre. . .  Il  faut  t'habituer  à  rester 
davantage  chez  toi,  prendre  plus  à  coeur  ton  rôle  de  maî- 
tresse de  maison. 

Fifine.     Puisque  maman  est  là. 

André,  Mais  nous  ne  resterons  pas  éternellement  chez 
tes  parents. 

Fifine.     Pourquoi  pas  ? 

André.  Mais. . .  un  jour  viendra  où  j'aurai  des  clients. . . 
Alors. . . 

Fifine  (s'échappant).  Ah!  Voilà  maman!  (Elle  va  au- 
devant  de  sa  mère  qui  entre.) 

SCENE  VI 

André,  Fifine,  Madame  Graindor 

Madame  Graindor.    Bonjour,  André. 

André.     Bonjour,  bonne  maman  ! 

Fifine.  Dis  donc,  maman,  André  ne  veut  pas  que  j'aille  à 
une  répétition  au  théâtre  des  Arts. 

Madame  Graindor.     André  a  parfaitement  raison  î 

Fifine.    Il  y  va,  lui. 

Madame  Graindor.  Eh  bien  !  c'est  qu'il  a  besoin  d'y 
aller...  Toi,  tu  viendras  chez  nous. . .  Tu  ne  seras  pas  à 
plaindre. 

Fifine.    J'aurais  voulu. . . 

Madame  Graindor.  Ce  n'est  pas  la  place  d'une  femme 
comme  il  faut. 


l'école  des  belles-mères  31 

André.     C'est  ce  que  je  lui  disais.  .  . 

Madame  Graindor.  J'ai  vu  Léontine,  en  entrant. . .  A-t- 
elle trouvé  une  place  ? 

André.     Elle  n'en  cherche  plus. 

Madame  Graindor.    Ah  ! 

André.    Je  la  garde. 

Madame  Graindor.     Ah  ! 

André.    Je  lui  ai  permis  d'aller  chez  son  grand-père. 

Madame  Graindor.  Je  ne  lui  aurais  pas  refusé  d'aller  là  ! 
mais  je  crains  que,  sous  ce  prétexte.  .  . 

André.     Je  suis  sûr  que  c'est  là  qu'elle  va. 

Madame  Graindor.  Alors  vous  avez  bien  fait.  Tenez, 
c'est  pour  vous,  ce  paquet  que  je  viens  d'apporter.  (A  Fifine.) 
Tu  vas  voir,  comme  il  va  être  content.  .  .  D'abord,  il  faut 
me  dire  si  vous  avez  grondé  bien  fort  à  propos  du  chien. 

Fifine.     Il  n'a  rien  dit. 

Madame  Graindor.  Vrai  ? 

Fifine.    Rien  !  Il  est  mignon  tout  plein. 

Madame  Graindor.  Si  vous  aviez  vu  comme  elle  en 
avait  envie.  Et  cette  petite  bête,  on  aurait  dit  qu'il  com- 
prenait, il  lui  faisait  des  caresses  à  n'en  plus  finir. 

Fifine.  En  pleurant  !  Et  en  faisant  comme  ça  avec  ses 
petites  papattes. 

Madame  Graindor.  Je  n'ai  pas  su  résister. . .  et  je  crois 
qu'à  ma  place,  vous  auriez  cédé  comme  moi.  Seulement, 
nous  avions  bien  peur  toutes  les  deux,  n'est-ce  pas,  Fifine  ? 

Fifine.  Oh  !  oui,  moi,  îe  coeur  me  battait,  en  ouvrant  la 
porte. 

Madame  Graindor.  Et  si  je  suis  montée  aussi  vite,  c'est 
pour  être  tout  de  suite  certaine  que  vous  ne  me  gardez  pas 
rancune. 

André.    Fifine  est  si  contente  ! 

Madame  Graindor.  Alors,  si  vous  ne  m'en  voulez  pas, 
ouvrez. .  . 

André  (obéissant).  Des  cigares. . .  quatre  boîtes  de  vingt- 
cinq.   Oh  !   bonne  maman  ! 

Madame  Graindor.    Et  quels  cigares,  s'il  vous  plaît  ? 
André.    Des  exquisitos  à  quatre-vingts  centimes. 


32  LA   REVUE   FRANCO-AMiRICAINE 

Madame  Graindor.    Parfaitement  ! 

André.    Mais  vous   faites   des   folies,   bonne  maman. . 
C'est  trop.  .  .  comment  avez-vous  eu  Tidée  ? 

Madame  Graindor.    Vous  ne  vous  rappelez  pas  ? 

André.    Non  î 

Fifine.    Hier.  .  .  après  dîner.  .  . 

André.    Ah  !  le  cigare  qu'on  m'avait  donné. 

Fifine.    Et  que  tu  as  trouvé  si  bon. 

Madame  Graindor.  Vous  avez  dit  :  '^Sapristi,  je  m'y 
habituerais  bien,  à  ces  cigares-là  !  "   '- 

Fifine.  Je  t'ai  demandé  le  prix  et  le  nom,  sans  avoir  l'air 
de  rien  ! 

Madame  Graindor.  Et  voilà  !  .  . .  Qu'on  dise,  maintenant* 
du  mal  des  belles-mères  ! 

André.    Il  faudrait  ne  pas  vous  connaître. 

Madame  Graindor.  Ca,  c'est  gentil.  .  ..  je  suis  venue  un 
peu  vous  voir,  je  me  suis  dit  :  "  Ils  sont  tout  seuls,  là-haut,  ils 
vont  peut-être  s'ennuyer,"  et  j'ai  apporté  mon  ouvrage. .  . 
(Tout  en  causant,  elle  s'installe.)  Dites-moi  un  peu  pour- 
quoi il  est  convenu  que  toutes  les  grand'mères  sont  bonnes 
et  toutes  les  belles-mères  méchantes,  alors  qu'une  grand'- 
mère  est  toujours  une  belle-mère  ? 

André.  Je  ne  sais,  mais  vous  serez  une  grand'mère  ado- 
rable. 

Madame  Graindor.    Oh  !  le  plus  tard  possible. 

André.    Je  dis,  moi,  le  plus  tôt  possible. 

Madame  Graindor.  C'éstpour  vous  que  je  parle.  Jouissez 
de  votre  jeunesse,  allez  !  les  enfants  viendront  toujours 
assez  tôt  et  assez  nombreux. 

André.    Je  ne  suis  pas  de  votre  avis  ! 

Madame  Graindor.    Heureux  ceux  qui  n'en  ont  pas. 

André.  J'espère  bien  que,  l'an  prochain,  vous  serez  mar- 
raine. 

Madame  Graindor.    Déjà  ! 

André.    Les  enfants,  c'est  la  joie  et  la  paix  du  foyer. 

{A  suivre.) 


Voix  d'Acadie 


Le  travail  d'assimilation 
II 

LES  LEÇONS   DE  L'HISTOIRE 

"  L'histoire  est  la  maîtresse  de  la  vie  ;  elle  enseigne  aux 
nations  comme  aux  individus  à  préparer  l'avenir  " — Plût  à 
Dieu  que  notre  histoire  eût  eu  ce  résultat  sur  notre  peuple  ! 
Mais,  il  faut  le  dire  et  le  répéter,  notre  peuple  ne  connut 
que  très  imparfaitement  son  histoire.  Les  ouvrages  qui, 
comme  ceux  de  M.  l'abbé  Casgrain,  traitent  spécialement 
de  l'Acadie  ;  ou  comme  ceux  de  Mgr  H.  Têtu,  sur  les 
évêques  de  Québec,  en  traitent  indirectement;  les  œuvres 
de  Rameau  de  St-Père  et  d'autres  écrivains  de  la  vieille 
France,  rien  de  tout  cela  n'est  connu  chez  nous.  Je  ne  serais 
pas  étonné  que  la  plupart  de  nos  lettrés,  prêtres  et  laïcs,  à 
deux  ou  trois  exceptions  près,  ne  connaissent  même  pas 
ces  noms, 

A  ces  ouvrages,  il  convient  d'ajouter  le  livre  vengeur  du 
comité  de  prêtres  de  Québec,  en  réponse  aux  mensonges 
sans  vergogne  de  l'archevêque  O'Brien.  Si  ce  livre  venge 
surtout  l'honneur  outragé  du  saint  épiscopat  de  Québec, 
par  la  force  même  des  choses  il  venge  aussi  le  peuple  aca- 
dien,  représenté  naguère  encore  par  un  écrivain  français 
de  France,  comme  un  peuple  aux  idées  mesquines,  étroites, 
gens  têtus  et  insurbordonnés  :  échos  irrécusables  du  senti- 
ment officiel  de  l'archevêché  d'Halifax  (Les  Français  du 
Sud-Ouest  de  la  Nouvelle-Ecosse,  par  le  P.  Dagnaud,  eudiste). 

Je  ne  ferai  pas  ressortir  le  contraste  frappant  entre  le 
genre  de  familles  des  évêques  français  et  le  genre  de  celles 
des  autres,  dans  les  Provinces  Maritimes  surtout  :  on  ne 
naît  point  comme  on  veut 


34  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICIANE 

Mais  on  me  permettra  bien  de  faire  voir  le  contraste 
d'éducation  entre  les  deux  genres  de  prélats. 

Le  l6  septembre  1/79,  Mgr  Briand,  évêque  de  Québec, 
écrivant  aux  Acadiens,  s'adresse  ainsi  : 

''  Nos  très  chers  enfants" (Mémoire  vengeur,  page  17). 

Mgr  d'Esglis,  le  19  octobre  1787,  s'adressant  aux  catho- 
liques des  Provinces  Maritimes,  Acadiens  et  autres,  écrit  : 

*'  A  nos  très  chers  Enfants  en  N.-S.-J.-C "  (Mémoire 

vengeur,  page  50).  Chaque  fois  que  les  évêques  écrivirent 
à  nos  pères,  ils  le  firent  avec  les  démonstrations  du  plus 
véritable  amour  paternel. 

Le  5  juillet  1818,  l'Edmund  Burke  voyait  ses  intrigues 
couronnées  de  succès  :  il  devint  ce  jour-là  vicaire  aposto- 
lique de  la  Nouvelle-Ecosse— et  de  ce  jour- là  les  fidèles 
catholiques,  français  et  autres,  furent  sevrés  de  cette  affec- 
tion si  nécessaire  à  tous,  surtout  à  ceux  qui  peinent  et  qui 
souffrent,  au  pauvre  peuple. 

Les  Evêques  et  les  prêtres  français  (j'entends  par  là  ceux 
de  langue  française  :  Français  de  France,  Canadiens- 
français,  Acadiens)  prenaient  et  prennent  un  soin  tout 
paternel  de  ceux  qui  leur  sont  confiés.  Ils  sont  vraiment  les 
guides,  les  conseillers,  les  pères  des  fidèles.  Cependant,  la 
calomnie  déversée  à  flots  contre  eux  depuis  Edmund  Burke 
jusqu'au  "Mémoire  irlandais"  de  1905,  a  causé  à  Rome  une 
impression  qui  est  loin  d'être  effacée,  encore  que  cet  eft^ace- 
ment  soit  commencé.  Le  22  mars  1910,  un  éminent  per- 
sonnage disait  devant  témoin  à  l'un  de  mes  amis  :  *'Ne 
croyez  pas,  cher  ami,  que  l'épiscopat  français  du  Canada 
jouisse  de  la  moindre  considération  à  Rome.  J'ai  vu,  il  n'y 
a  pas  longtemps,  une  lettre  d'une  très  haute  personnalité 
de  Rome  à  un  autre  au  Canada,  et  je  vous  assure  que  dans 
cette  lettre  l'épiscopat  français  du  Canada  était  fort  mal 
arrangé,  et  que  ce  personnage  de  Rome  s'en  moquait  ferme." 

On  accuse  les  Français  qui  se  défendent — "  Revue  Fran- 
co-Américaine," journaux  de  la  province  de  Québec,  votre 
humble  serviteur — d'être  violents,  d'exciter  les  haines  de 


VOIX  d'acadie  35 

races.  Crier  lorsqu'on  est  frappé,  et  raconter  cette  brutalité, 
c'est  de  la  violence  ? — Insondable  bêtise  chez  les  uns,  pro- 
fonde méchanceté  chez  les  autres,  qui  dénaturent  ainsi  les 
faits,  encore  que  ce  soit  pour  s'attirer  les  bonnes  grâces 
d'un  dignitaire  quelconque. 

Tout  est  employé  contre  nous  pour  nous  tenir  ou  nous 
mettre  sous  la  domination  de  l'être  insatiable  que  l'on  sait. 
Afin  de  donner  plus  de  poids  encore  aux  noms  portés  au 
bas  du  "  Mémoire  "  de  1905,  il  faut  savoir  comment  ce 
"  Mémoire  "  parvint  à  destination  avec  autorité,  avec  cer- 
titude. Et  tout  cela,  on  en  conviendra,  dépasse  tout  ce  qui 
se  peut  concevoir  en  fait  de  malignité  de  coeurs  ingrats. 

Par  tout  le  monde  catholique,  excepté  dans  certains  mi- 
lieux à  Rome  et  chez  l'insulteur  public,  on  sait  que  c'est  le 
saint  épiscopat  français  de  Québec  qui  a  fait  l'Eglise  ca- 
tholique dans  toute  l'Amérique  du  Nord,  comme  l'abeille 
fait  la  ruche.  Et  l'on  peut  affirmer,  sans  la  moindre  témé- 
rité, que  cette  Eglise  catholique,  constituée  patiemment,  au 
prix  des  plus  durs  sacrifices,  sera  détruite  tout  aussi  sûre- 
ment, mais  rapidement,  par  l'épiscopat  assimitateur,  si  Dieu 
lui  laisse  vie  et  puissance.  La  "Correspondance  de  Rome," 
après  sa  fameuse  question  (au  printemps  dernier)  aux  jour- 
naux catholiques-  américains,  doit  le  savoir,  si  elle  n'est 
pas,  elle  aussi,  sourde  et  aveugle.  Elle  a  appris  par  eux — 
après  que  les  journaux  français  l'avaient  dit  et  répété  de- 
puis des  années — qu'ils  ne  comptent  pas  quinze  millions  de 
catholiques  quand  l'immigration  et  les  naissances  forcent 
à  en  supposer  au  moins  cinquante  millions.  Et  la  "Cor- 
respondance de  Rome  "  (organe  du  Vatican)  ne  voit  pas, 
ou  ne  veut  pas  voir,  que  c'est  à  déchristianiser  le  peuple 
français  dans  toute  l'Amérique  du  Nord,  Canada  y  compris, 
que  travailler  avec  un  acharnement  digne  d'un  Julien  l'A- 
postat, anglo-saxon  et  assimilateur. 

A  travers  ses  mensonges,  l'ar^chevêque  d'Halifax  ose 
dire  "que  c'est  aux  prêtres  irlandais  que  les  Acadiens  doi- 
vent leur  reconnaissance  "  (page  142)  ;  "  que  c'est  grâce 
aux  prêtres  irlandais  et  malgré  les  évêques  de  Québec  que 
les  Acadiens  avaient  gardé  leur  foi  "  (page  58). 

On  croit  rêver 


36  LA   REVUE    FRANCO -AMÉRICAINE 

LES  NOTRES  CONTRE   NOUS 

Lorsque,  par  suite  de  je  ne  sais  quel  miracle  de  la  Provi- 
dence, il  fut  connu  à  Rome  qu'il  existait  au  Nouveau- 
Monde,  au  Canada,  un  héroïque  petit  peuple  français  mar- 
tyrisé dans  sa  vie  matérielle,  puis  martyrisé  dans  sa  vie 
morale,  l'épiscopat  des  Provinces  Maritimes  se  hâta  d'é- 
clairer le  Souverain  Pontife  et  de  lui  faire  remarquer  "  que 
ce  petit  peuple  vivait  d'herbes  et  de.  racines  dans  le  fond 
des  bois,  comme  les  sauvages  ;  que  ces  gens  n'avaient  ni 
biens  (c'est  toujours  la  partie  essentielle,  chez  l'assimila- 
teur  :  voyez  Walsh  !  ),  ni  éducation,  ni  la  moindre  instruc- 
tion ;  que  les  quelques  prêtres  sortis  de  leurs  rangs  n'a- 
vaient ni  la  science,  ni  la  sainteté,  et  qu'ils  n'étaient  point 
du  bois  dont  on  fait  les  évêques."  Et  autres  inepties  calom- 
nieuses de  ce  genre. 

Rome  crut  nos  persécuteurs  et  nous  abandonna  à  leur 
rapacité. 

Ceci  est  de  l'histoire  moderne — très  actuelle  même. — 

L'archevêque  d'Halifax  avait  peut-être  fait  généreuse- 
ment— avec  l'argent  de  la  partie  acadienne  de  son  trou- 
peau— hommage  de  son  livre  au  Saint-Père  ?...  Qui  veut  la 
fin  veut  les  moyens.  Et  ce  moyen,  certes,  était  excellent 
pour  garder  toute  l'Acadie  sous  le  joug. 

Le  "  Mémoire  "  vengeur  de  Québec,  j'oserais  le  jurer,  n'a 
jamais  été  connu  à  Rome 

Et  d'ailleurs,  à  quoi  bon  ? 

Ce  petit  peuple  trahi,  vendu  par  ses  frères  (.?),  recourt  au 
Pape  dès  qu'il  sait,  enfin,  que  c'est  son  droit.  On  le  re- 
pousse, lui  et  les  admirables  évêques  français,  sous  prétexte 
que  "  c'en  est  fait  de  la  langue  française  en  Amérique,  qu'il 
importe  peu  de  donner  aux  fidèles  français  des  évêques  de 
leur  race  et  de  leur  nationalité."  Et  cela  se  dit  dans  l'en- 
tourage immédiat  du  Pape 

Spectacle  stupéfiant  :  on  voit  même  un  journaliste.  Fran- 
çais de  France,  établi  en  Nouvelle- Angleterre,  parvenir  à 
faire  imprimer  au  Canada,  dans  un  journal  qui,  je  le  crois, 


VOIX  d'acadie  ^  37 

est  dévoué  à  la  cause  de  notre  race,  des  faussetés  de  ce 
genre  : 

"  Que  les  temps  sont  changés  !  Le  Saint-Siège  est  occupé  aujour- 
d'hui par  un  saint  si  détaché  des  choses  de  ce  monde,  que  les  prières  de 
la  chrétienté  n'arrivent  pas  toutes  jusqu'à  lui.  C'est  ainsi  qu'on  explique 
le  silence  obstiné  qui  suit  toute  supplique  envoyée  à  Rome  pour  chercher 
un  remède  aux  maux  dont  souffrent  les  Canadiens-Français,  et  surtout 
les  Franco-Américains.  Sa  Sainteté,  dit-on,  mettrait  tout  de  suite  un 
terme  aux  mauvais  traitements  dont  les  Canadiens-Français  sont  l'objet, 
si  elle  en  avait  seulement  connaissance. 

*'  Ce  sont  là,  à  notre  avis,  des  propos  de  gens  peu  au  courant  du  gou- 
vernement du  Saint-Siège,  ou  des  consolations  banales  qu'ils  se  donnent 
à  eux-mêmes  et  à  leurs  coreligionnaires,  au  lieu  de  se  demander  si  leurs 
prétentions  sont  acceptables, 

"  Voici  ces  prétentions  en  quelques  mots  :  La  langue  française  est  la 
sauvegarde  de  la  foi  parmi  les  Franco-Américains — pour  ne  parler  que 
d'eux.  L'intérêt  même  de  l'Eglise  leur  fait  un  devoir  de  conserver  leur 
langue  et  de  réclamer  des  prêtres  de  leur  nationalité. 

"  C'est  fort  bien  dit  ;  mais  malheureusement  il  se  dit  aussi  partout  que 
le  français  se  perd  dans  la  Nouvelle-Angleterre,  que  les  sociétés  franco- 
américaines  ne  recrutent  plus  de  membres  nouveaux,  parce  que  les  jeunes 
gens  ne  parlent  pas  assez  bien  le  français  et  ne  s'en  soucient  pas.  Mal- 
heureusement, tout  cela  n'est  que  trop  vrai  ;  tout  cela  s'imprime  dans  les 
journaux  franco-américains,  et  les  Irlandais  ont  vite  fait  de  mettre  sous 
les  yeux  du  Saint-Siège  l'aveu  écrit  par  eux-mêmes  de  l'impuissance  des 
Franco-Américains  à  perpétuer  cette  langue  française  qu'ils  disent  être 
la  sauvegarde  de  leur  foi.  Une  langue  dont  la  jeunesse  ne  veut  pas,  ne 
peut  sauvegarder  rien,  c'est  évident.  D'un  autre  côté,  les  Irlandais  met- 
tent au  service  de  l'Eglise  une  langue  bien  vivante,  pleine  d'avenir  dans 
le  Nouveau-Monde,  une  langue  qui  doit  unifier  tout  le  troupeau  dans  ses 
descendants,  et  par  là  en  rendre  le  gouvernement  plus  facile.  Les  vieux 
s'en  iront  bientôt  avec  leurs  coutumes  étrangères,  qui  causent  tout  le 
trouble  ;  les  jeunes  suivront  docilement  celles  du  pays  où  ils  sont  nés.  Ne 
voilà-t-il  pas  de  bonnes  raisons,  et,  faut-il  s'étonner  que  la  Papauté  garde 
le  silence  ?  Peut-être  attend-elle  que  les  vieux  soient  disparus  et  leurs 
réclamations  avec  eux  ?...."  {Moniteur,  Hawkesbury,  Ont.,  le  25  août 
1911). 

Le  reste  de  l'article  est  une  réclame  barnumesque  en 
faveur  de  la...  méthode  de  l'écrivain  prétendant  enseigner 
le  français  par  des  moyens  impossibles. 

Ceux  qui,  prêtres  ou  laïcs,  ont  séjourné  quelque  peu  aux 
Etats-Unis  durant  ces  dernières  années,  savent  combien 


38  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

le  français  a  repris  de  vogue,  d'ascendant,  dans  toute  la 
Nouvelle-Angleterre.  Les  derniers  événements  d'ailleurs, 
où  l'on  a  vu  l'explosion  de  la  haine  la  plus  aveugle  chez 
un  dignitaire  de  la  nouvelle  église  nationale  qui,  petit  à 
petit,  se  dresse  contre  celle  de  Rome;  ces  événements  ont 
été  un  coup  de  fouet  salutaire  aux  Franco- Am^éricains — trop 
portés  à  s'endormir,  et  à  stimuler  le  courage  religieux  et 
patriotique  des  vigilants. 

Certes,  si  nos  journaux  français, ^et  du  Canada  et  des 
Etats-Unis,  ne  servaient  qu'à  publier  des  choses  dans  le 
genre  de  ce  qui  vient  d'être  cité,  la  religion  de  Rome 
pourrait  être  surprise  et  faussée  à  tout  jamais  à  notre 
endroit.  Il  suffisait  des  efforts  gigantesques  des  prélats  de 
l'Eglise  américanisante  et  de  leurs  "K.  of  C."  et  de  leurs 
complices  du  Canada,  sans  que  nous-mêmes  nous  ingéniions 
à  fourbir  des  armes  contre  nous.  Il  est  temps,  aux  Etats- 
Unis  et  ici,  que  nous  profitions  de  toutes  ces  leçons  de 
l'histoire  qui  se  déroule  quotidiennement  sous  nos  yeux — . 

DENIGREMENT  PAR  LES  NOTRES 

Il  faut  bien,  malgré  qu'il  m'en  coûte,  que  je  montre  ici  le 
travail  d'ensemble  fait  contre  nous.  Travail  d'ensemble  : 
parce  que,  malheureusement,  l'assimilateur  trouva  de 
précieux  alliés  parmi  les  nôtres.  Je  ne  remonterai  point  à 
l'établissement  du  siège  épiscopal  d'Halifax,  bien  que  ce 
soit  un  fait  contemporain.  Je  me  bornerai  à  ce  qui  s'est 
passé  au  temps  de  la  génération  présente.  Contre  l'admi- 
rable épiscopat  français,  nous  avons  eu,  en  1892,  le  livre 
d'O'Brien,  archevêque  d'Halifax.  Il  fallait  achever 
l'œuvre  malsaine  commencée  par  ce  livre  :  après  l'épisco- 
pat  français,  il  fallait  noircir  le  peuple  français. 

O'Brien  ne  pouvait  ni  ne  voulait  se  charger  de  cette 
besogne  :  chat  échaudé  craint  l'eau  froide.  Il  ne  fallait 
pas,  d'ailleurs,  songer  à  attaquer  le  peuple  de  la  province 
de  Québec  :  ces  gens-là  savent  se  défendre,  O'Brien  le  sait 
à  ses  dépens.  Mais  les  Acadiens,  qui  se  soucierait  des 
attaques  que  l'on  pourrait  porter  contre  eux  ?... 

Reste  à  trouver  l'instrument. 


VOIX  d'acadte  39 

Bientôt,  l'instrument  se  façonne  :  la  résistance  passive 
de  paroissiens  entièrement  dévoués,  mais  que  l'on  voudrait 
conduire  comme  un  troupeau  d'êtres  presque  sans  raison, 
va  faire  éclore  un  projet  quasi  monstrueux  :  l'œuvre 
néfaste  commencée  par  O'Brien  se  trouvera  complétée  par 
quelqu'un  de  notre  sang,  de  notre  langue. 

Sur  qui  va-t-on  s'appuyer  pour  étayer  sa  thèse  contre 
le  peuple  d'Acadie  ?  —  Sur  le  prêtre  le  plus  dévoué  qui  ait 
exercé  le  saint  ministère  depuis  la  dispersion  dans  le 
sud-ouest  de  la  Nouvelle-Ecosse  (une  petite  partie  seule- 
ment de  l'Acadie;  le  lecteur  peut  très  bien  l'ignorer);  sur 
l'un  des  prêtres  les  plus  vénérés  de  l'Acadie  entière, 
aujourd'hui  encore  ;  sur  M.  l'abbé  Maudé  Sigogne,  mission- 
naire de  la  Baie  Sainte-Marie  et  du  Cap  de  Sable  de  1799 
à  1844,  date  de  sa  précieuse  mort. 

Dès  les  premières  lignes  de  son  livre,  l'auteur  donne  la 
dominante  de  ce  livre: 

"Comment  s'étonner  après  cela  que  le  caractère  acadien, 
d' 07' dinaire  pacifique  et  endurant  (retenons  cet  aveu),  se  soit 
aigri  dans  cette  lutte  IMPUISSANTE  et  ait  pris  l'habitude  de 
se  mettre  en  garde  contre  tout  acte  d'autorité  f..."  (Page  52). 

Sans  le  vouloir,  l'auteur  nous  donne,  en  ces  quelques 
mots,  la  raison  de  son  amertume  à  lui.  Autoritaire,  domi- 
nateur, l'auteur,  alors  curé  de  Sainte-Marie,  voulait  conduire 
tout  à  son  gré.  La  résistance,  respectueuse  mais  ferme, 
qu'il  rencontra,  l'exaspéra.  '^Comment  s'étonner  après  cela 
que  son  caractère  se  soit  aigri  et  qu'il  ait  pris  le  parti  de 
noircir  ce  peuple  d'ordinaire  pacifique  et  endurant? 

Si  Ton  doutait  de  cette  disposition  de  l'esprit  de  l'auteur, 
on  serait  fixé  immédiatement  par  la  belle  préface  de  ce 
livre  par  un  autre  Français  de  France  qui  avait  visité 
l'Acadie,  avait  interrogé,  avait  remarqué.  Celui-ci,  supé- 
rieur général  des  eudistes,  est  bon;  avant  tout  et  par- 
dessus tout,  il  est  juste;  il  ne  se  laisse  point  égarer  par  la 
passion.  Chaque  ligne  de  sa  préface  semble  vouloir  rache- 
ter une  dureté  ou  une  méchanceté  de  l'auteur.  "Occupé 
tout  entier  à  continuer  et  à  développer  son  oeuvre  (de  M. 
l'abbé  Sigogne),  vous  rencontrez  à  chaque  heure,  à  chaque 


40  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

pas,  dans  les  faits,  dans  les  localités,  et  surtout  dans  le  cœur 
reconnaissant  c/es  Acadiens,  le  témoignage  vivant  des  grandes 
choses  qu'il  a  faites  pour  ce  peuple  "(Préface,  VIII. — "... 
Vous  ne  voulez  nous  parler  que  de  ces  Acadiens  du  sud-ouest 
de  la  Nouvelle-Ecosse  que  vous  avez  sous  les  yeux,  que  vous 
évangélisez  et  dont  vous  avez  pu  apprendre  sur  place 
l'histoire,  par  l'étude  de  documents  originaux  et  par  les 
traditions  encore  vivaces  des  familles  qui  vous  entourent. 
"  Et  pourtant,  que  de  glorieuses  et  nobles  choses  vous  auriez 
pu  nous  apprendre  sur  les  origines  de  ce  peuple  de  héros  et  de 
martyrs!  Combien  vous  auriez  pu  nous  intéresser  en  nous 
faisant  parcourir  les  péripéties  si  variées  de  sa  vie,  où  il  n'y 
a  de  constant  que  SON  ATTACHEMENT  A  LA  FRANCE  ET  A 

L'Eglise. 

Nul  écrit  d'imagination,  nul  poème  ne  vaudra  jamais 
L'HISTOIRE  VRAIE  de  cet  extraordinaire  petit  peuple." 
(Préface,  XI). 

Dans  sa  description  du  peuple  acadien,  le  révéren- 
dissime  Père  LeDoré  dit  : 

...Longfeîlow  se  trompait.  Les  Acadiens  n'étaient  pas  une  poussière 
stérile  que  les  vents  emportent  ;  c'était  un  essaim  d'hirondelles  fuyant 
sous  l'orage  qui  a  renversé  leurs  nids,  mais  qui  reviendront  auK  premiers 
jours  de  soleil,  attirées  par  un  invinciMe  besoin,  s'abattre  au  même  lieu 
et  rebâtir  leurs  demeures  avec  une  patience  qui  ne  connaît  pas  le 
découragement. 

Aujourd'hui,  les  Acadiens  sont  encore  là,  sur  ce  sol  que  leurs  pères 
ont  doublement  sanctifié  ;  ils  cultivent  la  même  terre,  ils  sillonnent  les 
mêmes  eaux,  ils  parlent  toujours  la  même  langue,  la  langue  du  XVIIIième 
siècle.  Leurs  mœurs,  non  plus,  n'ont  pas  changé.  Leurs  prêtres  sont 
toujours  leurs  pères  et  leur  conseil  ;  ils  prient  toujours  les  mêmes  prières, 
chantent  les  mêmes  cantiques,  s'agenouillent  toujours  sur  les  vieilles 
tombes  rangées  autour  de  l'église...,  où  dorment,  à  l'ombre  des  grands 
saules,  aux  bruissements  du  vent  du  large  dans  les  sapins,  les  aïeux  qui 
ont  souffert.   (Préface,  XIX— XV) . 

Il  faudrait  tout  citer. 

Après  avoir  rappelé  l'incendie  du  presbytère  de  Sainte- 
Marie  en  1893,  celui  du  collège  en  1899,  le  révérendissime 
Père  Le  Doré  poursuit  : 

"  Ni  les  habitants,  ni  nos  Pères  ne  se  laissèrent  décourager  par  ce 
double  malheur.     Grâce  aux  libéralités  des  Acadiens  et  aux  généreux 


VOIX  d'acadie  41 

sacrifices  de  notre  Congrégation,  un  magnifique  édifice,  assez  vaste  pour 
abriter  l'œuvre  du  Juvénat,  a  remplacé  le  modeste  presbytère  de  M. 
l'abbé  Sigogne,  et  cette  année  (I905)  j'ai  pu  admirer,  à  la  place  du  col- 
lège incendié  en  1899,  une  construction  beaucoup  plus  vaste  et  mieux 
appropriée,  avec  ure  très  jolie  et  très  vaste  chapelle.  Je  ne  dis  rien  des 
belles  églises  de  Sainte-Marie,  de  Saulnierville  et  des  Concessions.  On 
peut  évaluer  à  cinq  on  six  mille  le  noynbre  des  habitants  de  ce  centre  de  la 
population  acadienne  de  Clare.''     (Préface,  XXI— XXII). 

Cette  dernière  phrase  fait  rêver...  Cinq  ou  six  mille  habi- 
tants pour  accomplir  une  telle  tâche  !... 

Le  dernier  paragraphe  de  cette  superbe  préface  résume 
tout  : 

**  Enfin,  tous  ceux  qui  s'intéressent  au  sort  des  congrégations  exilées,  à 
la  colonisation  et  à  la  manifestation  de  la  vie  et  de  l'âme  françaises  à 
l'étranger,  voudront  prendre  connaissance  de  votre  livre,  qui  leur  appren- 
dra une  partie  de  l'histoire  de  ce  peuple  si  hospitalier,  demeuré  si  français 
par  sa  religion,  sa  langue,  ses  traditions  et  son  coeur.  Après  l'avoir  lu, 
tous  répéteront  à  leur  tour  les  paroles  que  d'autres  ont  dites  bien  souvent  : 
"  Vraiment  ce  peuple  acadien  est  aussi  étonnant  par  ses  vertus  que  par 
ses  malheurs  ;  il  est  bien  toujours  la  France,  la  France  des  grands  siècles, 
la  France  fille  ainée  de  l'Eglise  et  le  soldat  de  Dieu." 

Admirable  paroles,  séchant  les  larmes  que  fait  couler  la 
lecture  du  livre  ! 
Un  trait  piquant  au  sujet  de  ce  livre  : 

M.  l'abbé  J.  J.  S.  alors  curé  assimilateur  de  Weymouth, 
dont  le  souvenir  est  plein  de  peines  pour  les  paroissiens, 
reçut  un  assez  grand  nombre  d'exemplaires  de  ce  livre  pour 
les  vendre  aux  Acadiens  de  sa  paroisse.  Après  Tavoir  lu, 
le  prêtre  Irlandais  voulut  tous  les  jeter  au  feu  :  "  Les  Aca- 
diens, dit-il,  ne  méritent  pas  ces  injures  î  " — Il  n'en  vendit 
pas  un  seul. 

Ce  fut  le  sermonnaire  de  M.  l'abbé  Sigogne  qui  servit  à 
l'auteur  à  formuler  la  charge  qu'il  a  faite  contre  le  peuple. 
Il  eût  dû  se  rappeler  qu'une  paroisse  est  une  grande  famille 
où  il  peut  se  produire  des  divergences  de  vues.  Sans  au- 
cune mauvaise  intention,  le  bon  M.  l'abbé  Sigogne  ne  te- 
nait pas  toujours  compte  des  meilleures  raisons  de  ses  pa- 
roissiens. Un  curé,  parlant  à  ses  paroissiens,  le  fait  dans 
une  réelle  intimité.     S'il  le  fait  parfois  sévèrement,  il  ne 


42  LA    REVUE    FRANCO -AMERICx\INE 

s'adresse  pas  aux  étrangers,  il  ne  veut  pas  que  cela  aille 
plus  loin  que  les  murs  de  son  église.  Pense-t-on  que  quand 
feu  Mgr  Rogers,  évêque  de  Chatham,  injuriait  bassement 
la  bonne  population  de  Caraquet,  assimilant  à  des  chiens, 
et  cela  du  haut  de  la  chaire,  les  vaillants  pêcheurs  de  ce 
village  qui  rognaient  le  morceau  de  pain  durement  gagné 
pour  en  donner  la  grosse  part  à  l'évêque,  pense-t  on  que 
Monseigneur  eût  dit  ces  paroles  devant  tout  le  peuple  des 
Provinces  Maritimes  ? . . .  Et  ces  pauvres  gens  qui  se  dé- 
pouillaient de  tout  pour  payer  les  sommes  énormes  que  l'é- 
vêque imposait  aux  villages  français,  étaient-ils  des  chiens  ? 
Dira-t-on,  aujourd'hui,  que  les  Acadiens  sont  des  pires  mal- 
faiteurs, des  assassins,  parce  que,  du  haut  de  la  chaire,  le 
curé  irlandais  de  la  plus  populeuse  paroisse  française  du 
Nouveau-Brunswick  a  traité  une  association  essentielle- 
ment catholique,  mais  française,  de  "  Main  noire  "  ? — Les 
paroissiens  de  M.  Sigogne  prévoyaient  l'avenir  et  se  de- 
mandaient si  leurs  enfants  trouveraient  pratiques  les  plans 
de  M.  Sigogne.  Il  s'agissait  autant  d'intérêts  matériels, 
soit  par  les  sommes  à  engager,  soit  autrement,  que  d'inté- 
rêts spirituels.  Il  y  avait  matière  à  discussion.  Un  con- 
ducteur d'hommes — prêtre  ou  autre — ne  doit  pas  adopter  la 
manière  d'agir  de  Luther  :  Sic  volo,  sicjiibeo,  sit  pro  ratione 
voluntas.  Ce  que  faisait  comprendre  au  zélé  curé  son  évêque, 
Mqr  Denaut,  lui  écrivant  le  29  septembre  1800  : 

Tonnez,  menacez,  à  la  bonne  heure,  mais  soyez  aussi  doux 
que  N.-S.  Soyez  patient,  sans  cesser  d'être  ferme,  selon  l'avis 
de  saint  Paul  ''(Mémoire"  vengeur,  page  157). 

Voilà  malheureusement  ce  que  perdent  de  vue  générale- 
ment les  Français  de  France,  dès  qu'ils  ont  mis  le  pied  sur 
ce  sol  du  Nouveau-Monde.  Ils  se  croient  les  seuls  civili- 
sés !... 

Valentin-A.  Landry. 

Halifax,  N.-E.,  le  1er  octobre  191 1. 


La  Réponse  des  faits 

Dans  un  No.  de   The  Extension  Magazine  (Vol.  V.  No.  Il) 
traduit  dans  la  Correspondance  de  Rome  du   19  mai  1911, 
nous  trouvons   cette   accusation   étrange  et  cette  attaque, 
qui,  Tune  et  l'autre,  nous  semblent  injustifiées. 

L'auteur  tente  de  répondre  à  cette  question:  'VEglise 
catholique  a-t-elle  éprouvé  des  pertes  aux  Etats-Unis  ?"(l). 

Il  y  va  d'un  aveu  sincère  mais  il  dira  à  tous  les  curieux 
étrangers  avec  une  désinvolture  parfaite  :  "Le  nombre  de 
ces  pertes  est  tel  que  vous  seriez  épouvantés  en  apprenant 
quelle  a  été  votre  part  en  elles,  si  le  blâme  devait  être  partagé 
entre  ceux  qui  sont  restés  fidèles..." 

Il  les  explique,  ces  pertes,  par  les  difficultés  du  début,  la 
pénurie  des  prêtres,  la  dispersion  des  fidèles  "disséminés 
sur  un  immense  territoire"  —  A  cela  rien  à  redire  —  mais 
voici  l'accusation  que  porte  l'écrivain  de  l'Extension 
Magazine  : 

"Plusieurs  (des  pays  d'où  viennent  les  immigrants)  nous 
refusent  des  prêtres  qui  seraient  disposés,  ou  capables,  ou 
dignes  de  nous  aider  à  résoudre  ce  problème  difficile." 
(L'évangélisation  des  immigrants.)  Lesquels  s'il  vous 
plait.? 

Un  peu  plus  loin,  il  ajoute  •  "Nous  avons  raison  de 
répondre  à  nos  critiques  européens  et  canadiens  (ces  frères 
du  Canada,  toujours  prêts  à  faire  de  malicieuses  compa- 
raisons, oubliant  que  nous  avons  à  traiter  avec  des  races 
différentes  sans  aucun  des  avantages  de  la  solidarité)  que, 
si  le  peuple  qu'ils  nous  ont  envoyé  avait  été  mieux  instruit, 
il  lui  aurait  peut-être  été  plus  facile  de  soutenir  le  feu  de  la 
lutte  religieuse  que  ceux  qui  errent  loin  de  leurs  foyers 
doivent  nécessairement  subir  d'une  façon  plus  forte  que 
ceux  qui  restent  chez  eux." 


(i)  Voir  "Questions  actuelles"  No  7,  12  août,  19I1. 


44  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

L^auteur  s'il  avait  voulu  être  sincère  aurait  pu  préciser 
mieux  son  grief.  Quel  pays  refuse  d'envoyer  ici  des 
prêtres  pour  s'occuper  des  immigrants  de  sa  race  ?  A  quelle 
nationalité  appartient  cette  classe  des  ignorants,  proies 
faciles  livrées  à  l'esprit  d'irréligion  si  intense  dans  la 
grande  république  ? 

Puis,  grâces  aux  statistiques,  il  aurait  pu  nous  faire 
toucher  du  doigt  les  conséquences  fatales,  la  perte  de  la 
foi  de  ces  ignorants  ? 

Sont-ce  les  Canadiens  ?  Je  ne  le  crois  pas.  Des  1300000 
Franco-Américains  qui — vivent  sur  le  territoire  des  Etats- 
Unis,  1,260,000,  pour  le  moins,  sont  enfants  fidèles  de  la 
sainte  Eglise.  Ils  sont  des  mieux  organisés  comme  groupe, 
possédant  de  magnifiques  églises,  des  écoles  paroissiales 
qui  donnent  une  solide  éducation  religieuse  aux  enfants  et 
cela  partout  où  il  y  a  un  noyau  quelque  peu  important  de 
familles  ;  ayant  en  outre  la  plus  grande  proportion  de 
prêtres,  de  religieux  et  de  religieuses  voués  à  l'apostolat 
sous  toutes  ses  formes  ;  de  magnifiques  sociétés  ;  sept 
journaux  quotidiens  et  plus  de  15  autres  hebdomadaires,  etc. 
Est-ce  à  ce  groupe  que  les  Américains  non  préjugés  se 
plaisent  à  décerner  les  éloges  les  plus  mérités  d'esprit 
d'initiative,  de  civisme  et  de  loyauté,  sans  méconnaître  les 
hautes  qualités  et  la  solide  instruction  des  hommes  célèbres 
sortis  de  leurs  rangs,  qu'on  peut  appliquer  le  terme  d'igno- 
rants ?  Ignorants  !  soit,  ils  le  sont  dans  l'art  de  la  duplicité, 
parce  qu'ils  sont  d'une  race  fière  et  loyale  qui  ne  veut  que 
sa  part  d'influence  légitimement  acquise  par  son  oeuvre 
laborieuse  et  féconde  ! 

Non,  ce  n'est  pas  à  eux  qu'on  peut  appliquer  le  terme 
d'ignorants. —  Le  Canada  a-t-il  jamais  refusé  des  prêtres 
aux  E-U?  Il  vaudrait  bien  mieux  rendre  justice  et  compter 
ceux  que  le  Canada  a  instruits  dans  ses  collèges  et  ses 
séminaires  dans  le  passé. 

Mais  les  missionnaires  canadiens  ont-ils  à  l'heure 
actuelle  la  liberté  apostolique  à  laquelle  ils  auraient  droit  ? 

Les  canadiens  qui  demandent  des  prêtres  de  leur  race, 
parlant  leur  langue,  ont-ils  partout  dans  l'Est  justice .? 


LA   RÉPONSE   DES    FAITS  45 

Et  pour  n'avoir  pas  cette  justice  en  est-il  qui  perdent  la  foi, 
ou  du  moins  qui  abandonnent  les  pratiques  de  leur  religion  ? 

La  manie  de  l'assimilation  qui  guide  certain  évêque  ne 
fait-elle  pas  un  tort  considérable  aux  âmes  en  certains 
endroits  ? 

Que  gagnent-ils  à  violer  le  droit  naturel  et  à  proscrire 
de  la  prédication  et  de  l'enseignement  la  langue  française  ? 

Voilà  des  questions  que  pourraient  étudier  avec  intérêt 
l'écrivain  de  l 'Extension  Magazi?ie. 

Puis,  s'il  veut  bien  se  souvenir  que  1,5000,000  d'Irlandais 
pour  le  moins  ont  déserté  l'Eglise  aux  Etats-Unis  et  qu'un 
nombre  considérable  la  déserte  chaque  année,  peut-être 
cherchera-t-il  —  en  face  de  la  fidélité  des  franco-améri- 
cains,— d'autre  cause  que  l'ignorance  des  immigrants.  A 
moins  que  l'ignorance  ne  soit  leur  fait. 

Mais  non,  il  ne  faut  pas  être  bien  renseigné  sur  le  passé 
pour  ne  pas  constater  le  mal  de  l'école  neutre  (l'école 
publique)  des  sociétés  neutres  et  secrètes,  de  la  recherche 
de  la  fortune  et  des  places,  des  succès  politiques  payés 
très  souvent  par  l'abandon  de  la  foi,  des  mariages  mixtes, 
etc.  etc.  Après  cela  qu'on  fasse  la  part  du"J'nien  foutisme'* 
d'une  certaine  partie  du  clergé  trop  zélée  pour  les  piastres, 
les  dignités  et  le  bien-être,  et  très  reveche  aux  travaux  des 
missions  pénibles  et  peu  rénumératrices... 

Et  l'écrivain  de  V Extension  Magazine  comprendra  notre 
pensée  quand  nous  lui  disons  que  l'aumône  qu'il  sollicite 
fut-elle  donnée  par  millions  —  si  elle  peut  défrayer  les 
missions  du  chapelcar  —  ne  donnera  pas  un  apôtre  de  plus 
aux  âmes  qui  demandent  des  prêtres  de  leur  race  et  de  leur 
langue. 

Ce  n'est  pas  en  intriguant  autour  des  mitres  que  tous  les 
D.  D.  américains  sauveront  les  âmes  des  émigrants,  mais 
en  accomplissant  le  ministère  apostolique  selon  l'esprit  du 
Christ  :  évangéliser  les  pauvres  et  catéchiser  les  enfants 
en  parlant  la  langue  du  peuple  et  non  en  obligeant  le 
peuple  à  parler  la  langue  des  missionnaires. 

Charles  Dupil. 


"  Corporation  Sole  '* 


Plaidoyer  de  Mtre  Godfroi  Dupré,  devant  la  commission 
législative  du  Maine,  le  7  mars  1911.  Réponses  de 
Sa  Grandeur  Monseigneur  Walsh,  du  Grand  Vicaire 
McDonough,  etc.  Exposé  complet  de  la  question. 

(Suite) 


Avant  le  discours  de  M.  Dupré,  le  juge  Poster — un  des  membres  les 
plus  distingués  du  Barreau  du  Maine, — agissant  comme  conseil  des  péti- 
tionnaires, avait  en  quelques  mots  attire  l'attention  des  commissaires  sur 
l'importance  de  la  question  qui  allait  leur  être  soumise. 

"  Nous  demandons,  tout  simplement,  dit-il,  en  terminant,  qu'on  nous 
rende  les  droits  dont  nous  jouissions  avant  1887." 

M.  Poster  céda  ensuite  la  parole  à  M,  Dupré  qui  prononça  le  terrible 
réquisitoire  dont  on  a  pu  lire  le  compte  rendu  très  fidèle  dans  les  trois 
derniers  numéros  de  la  Revue. 

Après  M.  Dupré,  l'avocat  de  l'évêque,  un  M,  Snow,  tenta  une  réplique, 
puis  le  Grand  Vicaire  du  diocèse,  Mgr  McDonough,  puis  Mgr  Walsh  lui- 
même. 

On  verra,  par  les  trois  comptes  rendus  que  nous  allons  en  donner, 
quelle  défense  on  a  faite  du  système.  Ces  comptes  rendus  sont  basés  sur 
des  notes  sténographiques  prises  à  l'enquête. 

M.  Snow  (avocat  de  l'évêque) — J'ai  écouté  avec  beau- 
coup d'intérêt  le  savant  discours  de  mon  confrère,  M. 
Dupré  ;  j'ai  essayé  de  le  suivre  d'aussi  près  que  possible, 
mais  pour  y  découvrir  la  révélation  de  ce  que  nous  déplo- 
rons tous,  soit  :  une  querelle  au  sein  dhine  grande  dénomination 
religieuse  de  l'Etat  du  Maine.  Si  je  ne  me  trompe  pas,  le  but 
de  cette  enquête  c'est  l'abrogation  d'une  loi  passée  en  1887. 

Nous  n'avons  pas  ici  à  traiter  d'une  question  de  droit  ; 
ce  n'est  pas  le  but  de  cette  réunion.  Nous  sommes  ici  pour 
décider  s'il  faut  abroger  une  loi  passée  en  1887,  et  non 
pour  redresser  les  griefs  que  certains  peuvent  avoir  souf- 
ferts. 


"CORPORATION   SOLE  "  47 

C'est  toute  la  question  qui  est  soumise  à  votre  comité  et 
il  faut  d'abord  savoir  si  vous  êtes  compétents  à  agir  dans 
l'espèce.  Il  ne  s'agit  pas  ici  d'une  question  de  dollars  et  de 
cents.  M.  Dupré  vous  demande  :  "Qu'est-ce  que  l'on  a  fait 
de  l'argent  collecté  dans  les  églises  .?  "  Or,  nous  prétendons 
que  le  remède  à  cette  situation  doit  venir  des  cours  de  jus- 
tice et  non  de  la  Législature.  On  prétend  qu'il  y  a  eu  abus 
de  confiance,  si  l'argument  des  proposeurs  est  fondé;  on  a 
alors  le  droit  de  demander  aux  cours  de  justice  de  nommer 
un  receveur  pour  la  dissolution  de  la  corporation. 

Au  lieu  de  cela  on  vous  demande  de  modifier  la  loi  géné- 
rale. Mais  je  veux  revenir  à  la  proposition  exacte  que  je 
veux  défendre  devant  ce  comité.  Lisons  d'abord  la  loi 
qu'on  vous  demande  d'abroger  : 

Loi  constituant  en  eorpopation  "l'Èv-êque  catholique  romain  de 
Portland  et  ses  successeurs  " 

he  Sénat  et  la  Chambre  des  Représentants  à  La  Législature,  en  session, 
décrètent  ce  qui  suit  : 

Sec.  I.  L'évêque  catholique  romain  actuel  du  diocèse  de  Portland,  et 
ses  successeurs  en  office,  sont,  par  la  présente  loi,  constiiués  en  un  corps 
politique  et  incorporé  sous  les  nom  et  titre  de  "  1,'Evêque  catholique  ro- 
main de  Portland,"  et  sous  ce  nom  le  dit  évêque  et  ses  successeurs  en 
office  seront  connus  et  se  succéderont,  avec  tous  pouvoirs,  droits  et  pri- 
vilèges prescrits,  et  sujets  à  toutes  les  obligations  qu'imposent  les  statuts 
généraux  de  l'Ktat. 

Sec.  2.  La  dite  corporation  aura  droit  de  recevoir,  prendre  et  posséder 
par  vente,  don,  bail,  testament  ou  autrement,  des  biens,  meubles  et  im- 
meubles de  toute  description  pour  des  fins  de  charité,  d'éducation,  d'in- 
humation, de  religion  et  de  culte,  de  les  gérer  et  d'en  disposer  sous  toute 
forme  de  transport  ou  cession  légaux  conformément  à  la  discipline  et  au 
gouvernement  de  l'Eglise  catholique  romaine,  avec  plein  pouvoir  et  pleine 
autorité  d'emprunter  de  l'argent  et  de  transporter  par  contrats  d'hypo- 
thèque. 

Voici,  messieurs,  la  loi  qu'on  vous  demande  d'abroger. 
Y  est-il  question  de  collecte,  etc.  ?  C'est  seulement  une 
question  de  bon  sens,  complètement  étrangère  à  la  ques- 
tion des  collectes  et  des  collecteurs. 

Avant  que  la  corporation  fût  organisée  la  propriété  était 


48  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

entre  les  mains  de  Tévêque.  Lorsque  ce  dernier  entrait  en 
fonction  il  lui  fallait  faire  un  testament  laissant  toute  la 
propriété  à  son  successeur.  Il  y  avait  toujours  danger  qu'un 
évêque  mourût  sans  laisser  de  testament  ce  qui  aurait  pu 
amener  de  graves  complications.  Puis  la  ^'  Corporation 
Sole"  n'est  rien  de  nouveau  en  ce  pays.  Elle  existe  dans 
la  Nouvelle- Angleterre,  comme  dans  tout  le  Maine.  L'accu- 
sation que  l'évêque  a  hypothéqué  la  propriété  est  fausse. 

L'évêque,  à  son  titre  de  corporation  simple  (Corporation 
Soie)  a  donné  son  billet  et  emprunté  de  l'argent. 

Le  bill  qu'on  propose  est  inconstitutionnel.  Il  cherche 
a  abolir  une  corporation,  à  enlever  une  propriété  à  une 
corporation  pour  la  donner  à  une  autre.  Ceci  est  inconsti- 
tutionnel et  il  est  inutile  de  le  discuter  plus  longtemps. 
Cette  loi  donne  à  cinq  hommes  quelconques  le  droit  de 
diviser  et  de  prendre  possession  de  toute  la  propriété  de 
l'église  dans  une  période  de  7  jours.  Les  lois  de  TEtat 
donnent  à  une  corporation  trois  ans  pour  régler  ses  affaires. 
La  *' Corporation  Sole  "  a  donné  de  nombreux  billets  aux 
banques.  Vous  pouvez  prendre  une  propriété  à  quelqu'un 
et  la  donner  à  un  autre.  Du  moment  que  cette  corporation 
est  dissoute  il  n'y  a  plus  personne  à  qui  donner  les  titres  de 
sa  propriété.  Supposez  qu'on  mette  fin  à  une  propriété  pa- 
roissiale, où  va  le  titre  1  II  est  dans  l'air,  il  disparaît. 

M.  Dupré  trouve  à  redire  parce  qu'il  ne  sait  pas  où  est 
allé  l'argent  des  paroisses.  Que  pensera-t-il  d'une  loi  qui 
ne  dit  pas  où  va  la  propriété  1 

Cette  loi  n'affecte  pas  toutes  les  églises — elle  n'affecte 
pas  les  Méthodistes,  les  Congrégationalistes.  Elle  n'affecte 
que  les  catholiques.  Si  l'on  proposait  une  loi  affectant 
toutes  les  églises,  elle  pourrait  être  constitutionnelle,  mais 
pas  celle-ci  ! 

Pour  ce  qui  est  du  côté  légal  de  la  question,  les  propo- 
seurs ne  se  sont  pas  adressé  à  la  bonne  place,  ils  auraient 
dû  s'adresser  à  une  Cour  d'équité. 

M.  Poster,  l'avocat  des  proposeurs  dit  que  la  propriété 
des  proposeurs  a  été  enlevée.  Mais  toutes  les  propriétés  sont 
encore  ici  dans  l'Etat  du  Maine.    On  n'en  a  rien  enlevé. 


"CORPORATION   SOLE  "  49 

M.  Poster  dit  encore  que  le  pouvoir  de  Tévêque  est  illi- 
mité. Tout  ce  pouvoir  est  limité. 

M.  Snow  déclare  ensuite  qu'il  veut  faire  entendre  quel- 
ques témoins. 

//  présente  Mgr  McDonough,  grand  vicaire  du  diocèse. 

{A  suivre.) 


-:o:- 


L'aube  nouvell 


Le  feu  pâli  se  meurt  dans  la  cendre  entassée; 
La  lampe  qui  veilla  toute  la  nuit  s'éteint; 
Le  but  tant  désiré  n'est  pas  encore  atteint, 
Mais  le  sommeil  s'abat  sur  sa  tête  lassée. 

Ecarte  tes  volets  ;  l'ombre  s'est  dispersée  ; 
Tandis  qu'en  ta  maison  pénètrent  le  matin 
Et  l'air  vivifiant  de  l'Océan  lointain, 
La  force  et  la  clarté  rentrent  dans  ta  pensée. 

Tu  te  redresses  prêt  à  des  efforts  nouveaux. . . 
Elle  viendra  pourtant,  la  fin  de  tes  travaux; 
Les  lueurs  d'ici-bas  te  manqueront  peut-être  : 

Plus  de  flambeaux  ardents  ni  de  foyer  vermeil; 
Prie,  ouvre  l'âme  au  ciel,  à  l'aube  la  fenêtre  : 
Tu  ressusciteras  à  l'éternel  soleil. 

Vega. 


:o:- 


UACTUALITE. 

La  Guerre  Italo- Turque  et  la  France 


Les  Italiens  sont  des  gens  heureux.  lis  étaient,  il  y  a  cin- 
quante ans,  assoiffés  de  liberté.  Après  des  siècles  de  divi- 
sions stériles,  leurs  belles  cités,  Palerme,  Naples,  Livourne, 
Gênes,  Milan,  rêvaient  une  féconde  et  forte  union.  Notre 
pavillon  aux  trois  couleurs  était,  pour  ces  villes  éprises 
d'indépendance,  la  bandiera  di  libertà.  C'est  cette  bannière 
libératrice  qui  vint  donc,  à  point  nommé,  les  affranchir. 

A  l'Italie  nouvelle,  il  manqua  bientôt  la  puissance.  Nous 
ne  pouvions  point  la  lui  donner,  ayant  perdu  nous-mêmes, 
à  batailler  au  delà  des  Alpes,  le  reste  de  nos  forces.  Mais 
l'Allemagne  était  là.  Après  Sedan,  c'est  vers  l'Allemagne 
que  les  Italiens  devaient  se  tourner  :  elle  seule  donnerait  à 
leur  existence  nouvelle  sa  consécration  et  les  ferait  admet- 
tre un  jour  dans  les  conseils  de  l'Europe.  Ils  se  firent  donc, 
contre  nous,  les  amis  des  Allemands  et  devinrent,  suivant 
leurs  rêves,  une  grande  puissance.  Le  temps  passa.  A  leurs 
intérêts  politiques,  ils  avaient  d'abord  tout  sacrifié.  Deve- 
nus forts,  ils  songèrent  à  s'enrichir.  La  guerre  de  tarifs 
avec  la  France  les  ruinait  :  ils  s'adressèrent  donc  à  la 
France,  qui  se  hâta  d'oublier  ses  rancunes  et  de  traiter  avec 
eux.  Une  prospérité  inouïe  revint  aussitôt  dans  la  péninsule. 

Riches,  puissants,  affranchis  à  l'intérieur,  ils  entendirent, 
par  surcroît,  ne  dépendre,  au  dehors,  de  personne.  Ils  vou- 
lurent être  les  maîtres  de  leurs  alliances  et  la  protection  de 
l'Allemagne  leur  pesait.  Pour  secouer  ce  joug,  ils  avaient 
une  ressource,  qui  était  de  reconquérir  bruyamment  l'amitié 
de  la  France.  Alors  ils  nous  ont  tendu  la  main  et  nous,  peu 
satisfaits  de  la  leur  serrer  avec  effusien,  nous  leur  avons 
donné  comme  gage  de  nos  sentiments  nouveaux,. la  Tripo- 
litaine. 


LA   GUERRE    ITALO-TURQUE    ET   LA    FRANCE  51 

Qui  se  souvient,  en  France,  des  événements  de  1900- 
1901  ?  Il  y  eut,  il  y  a  onze  ans,  une  heure  de  touchantes 
effusions  entre  la  France  et  l'Italie.  Le  14  décembre  1900, 
M.  Prinetti,  ministre  des  Affaires  étrangères  d'Italie,  répon- 
dant à  un  député,  qui  l'avait  interrogé  au  sujet  de  troubles 
signalés  à  Tripoli,  faisait  devant  la  Chambre  cette  décla- 
tion.  "Les  relations  amicales  de  la  France  et  de  l'Italie 
sont  devenues  telles,  qu'elles  ont  permis  aux  deux  gouver- 
nements d'échanger  des  explications,  aussi  nettes  que  sa- 
tisfaisantes, sur  leurs  intérêts  dans  la  Méditerranée." 

Et,  quelques  jours  plus  tard,  M.  Delcassé  vint,  dans  la 
forme  inattendue  d'une  interview  au  Gioniale  d'Italia, 
apporter  des  affirmations  positives.  Par  lui  nous  apprîmes 
qu'il  s'agissait  à  la  fois,  dans  cette  affaire,  de  la  Tripoli- 
taine  et  du  Maroc,  les  Italiens  ayant  obtenu  notre  assenti- 
ment à  leurs  entreprises  éventuelles  sur  Tripoli,  en 
échange  de  leur  abstention  dans  tout  l'ouest  africain. 

Ainsi,  contre  le  Maroc,  qu'ils  ne  nous  donnaient  point  et 
sur  lequel  ils  n'avaient  ni  droits  ni  possibilité  d'acquérir 
jamais  l'ombre  d'un  droit,  nousleur  offrions  la  Tripolitaine, 
qui,  certes,  n'était  pas  à  nous,  mais  que  nous  avions  sous  la 
main  et  dont  nous  étions  parfaitement  maîtres  de  leur  per- 
mettre ou  de  leur  interdire  l'accès. 

Les  Italiens  avaient  gagné  une  belle  partie.  Ces  roués, 
qui  n'étaient  rien,  rêvaient  peut-être  de  devenir  les  maîtres 
de  l'Europe.  Jusque-là  Français  contre  l'Allemagne  ou 
Allemands  contre  la  France,  ils  seraient  à  l'avenir  Italiens 
contre  tout  le  monde.  L'exemple'de  l'Angleterre  les  hantait. 

Ils -admiraient  la  splendide  solitude  de  ces  insulaires  et 
le  terme  de  leur  ambition,  c'était  de  garder,  eux  aussi,  un 
superbe  isolement  dans  leur  péninsule. 


La  Tripolitaine  est  donc,  bel  et  bien,  un  cadeau  qui  fut 
fait  gratuitement  par  la  France  à  sa  sœur  latine.  C'est,  à 
vrai  dire,  un  désert  brûlant  et  désolé.  De  la  Tunisie  à 
l'Egypte,  c'est,  tout  le  long  de  la  mer,  la  plaine  basse,  dé- 


52  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

roulant  à  perte  de  vue  ses  steppes  et  ses  sables  ;  à  l'inté- 
rieur, c'est,  de  l'occident  à  l'orient,  la  chaîne  montagneuse 
du  Djebel,  escarpée,  stérile,  éclatante  de  lumière. 

Dans  la  plaine,  les  Arabes  poussent  leurs  troupeaux.  Cà 
et  là,  l'immense  mer  de  sable  est  coupée  d'oasis.  Des  vil- 
lages sont  cachés  au  milieu  des  palmiers;  toute  une  popu- 
lation de  femmes  laborieuses  et  d'enfants  aux  mines  éveil- 
lées vit  autour  des  sources  limpides.  Ces  oasis  malheureuse- 
ment sont  elles-mêmes  envahies  peu  à  peu  par  les  sables, 
que  le  vent  amoncelle  autour  d'elles.  La  plus  belle,  celle  de 
la  Mechiya,  qui  avoisine  Tripoli,  est  particulièrement 
atteinte  par  cette  désolante  invasion.  Or,  les  oasis  sont,  à 
elles  seules,  tout  le  pays  ;  dès  qu'on  quitte  ces  îlots  de  ver- 
dure, c'est  pour  retrouver  les  dunes  mouvantes  de  l'éternel 
désert. 

A  100  kilomètres  au  sud,  dans  la  montagne,  vivent  d'é- 
tranges êtres.  Les  Berbères  de  cette  région  n'habitent 
point  sous  la  tente  comme  les  Arabes  de  la  côte,  ou  dans 
de  fraîches  cabanes  pareilles  à  celle  des  oasis  :  ils  ont  miné 
le  sol  et  leurs  villages  sont  des  taupinières.  Le  bois  manque 
à  ces  déshérités  pour  la  construction  des  maisons  ;  ils  ne 
peuvent  ni  travailler  la  pierre,  trop  dure,  ni  se  servir,  pour 
faire  du  ciment,  de  l'eau,  trop  précieuse;  alors  ils  ont 
creusé  dans  la  marne  des  puits  de  6  à  7  mètres  de  diamètre. 
Le  fond  sert  de  cour  et  le  long  des  parois  s'ouvrent  des 
galeries  voûtées,  qui  sont  les  chambres  où  l'on  vit,  les  ma- 
gasins où  l'on  amasse  les  récoites,  l'orge,  les  olives,  les 
figues,  les  dattes,  la  cire  et  le  miel. 

Tout  le  pays  est  d'ailleurs  misérable.  Sur  une  superficie 
de  plus  de  i  million  de  kilomètres  carrés,  il  y  a  une  seule 
ville  digne  de  ce  nom  :  c'est  Tripoli.  Mais  Tripoli  est,  à  un 
certain  point  de  vue,  une  place  de  premier  ordre,  qui  vaut, 
à  elle  seule,  la  plus  vaste  colonie,  et  les  Italiens  finalement 
n'ont  pas  fait  une  si  mauvaise  affaire  en  jetant  leur  dévolu 
sur  ce  méchant  port,  isolé  dans  un  désert. 

Un  coup  d'œil  jeté  sur  la  carte  de  l'Afrique  suffit,  en  effet, 
pour  constater  que  le  débouché  direct  du  Soudan  et  de  tout 
le  centre  africain  dans  la   Méditerranée  ne  sera  jamais, 


LA  GUERRE  ITALO-TURQUE  ET  LA  FRANCE       53 

quoi  que  nous  fassions,  Alger  ni  Tunis,  mais  Tripoli.  Le 
golfe  de  la  Syrte,  en  échancrant  profondément  la  côte  tri- 
politaine,  la  rapproche  singulièrement  des  centres  com- 
merciaux du  désert,  économisant  aux  caravanes  plus  de  lOO 
lieues.  En  leur  livrant  un  empire  désolé,  rebut  du  nord- 
africain,  c'est  donc  la  clef  même  de  l'Afrique  centrale  que 
nous  avons  donnée  aux  Italiens. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  intérêts  commerciaux  sont  encore 
secondaires  auprès  de  certains  autres.  Oublions  donc  que 
les  Italiens  sont  à  la  veille  de  devenir,  par  notre  faute,  nos 
concurrents  victorieux  dans  l'exploitation  du  trafic  transsa- 
harien. Oublions  aussi  qu'une  mince  partie  de  la  Tripoli- 
taine,  la  Cyrénaïque,  est  une  des  terres  les  plus  fécondes 
qui  soient.  Laissons,  sans  montrer  d'amertume,  nos  amis 
trafiquer  et  coloniser.  Il  faut  bien  que  chacun  ait  sa  place 
au  soleil. 

Ce  qui  est  intolérable,  c'est  de  songer  que,  maîtres  désor- 
mais de  la  côte  comprise  entre  l'Egypte  et  la  Tunisie,  les 
Italiens  vont  occuper,  dans  le  bassin  oriental  de  la  Médi- 
terranée, une  situation  stratégique  de  premier  ordre,  que 
nous  pouvions  ambitionner  pour  nous-mêmes,  ou,  tout  au 
moins,  ne  pas  laisser  prendre  par  d'autres. 

On  ne  cesse  de  répéter,  même  en  France,  que  l'Afrique 
du  Nord  doit  ne  nons  appartenir  que  pour  moitié  et  que 
nous  devons  nous  réserver  la  partie  occidentale  de  la  côte, 
laissant  à  nos  rivaux  Anglais,  Turcs,  Italiens,  l'autre  partie. 
On  oublie  ainsi  que  la  Méditerranée  orientale,  c'est  pro- 
prement, en  vertu  de  la  tradition  même,  la  Méditerranée 
française,  c'est-à-dire  celle  des  rivages  levantins  où  nous 
avons,  de  tout  temps,  exercé  notre  protectorat.  Notre  pa- 
villon a  sa  place  dans  les  eaux  bleues  qui  sont  la  route  des 
Echelles.  Or,  dans  tout  cet  important  bassin,  dont  il  est 
juste  de  dire  que  nous  tenons  l'entrée  par  Bizerte,  nous  n'a- 
vons pas  un  dépôt  de  charbon,  pas  un  point  d'appui  pour 
nos  croiseurs,  pas  le  plus  mince  abri  pour  des  torpilleurs. 

L'Angleterre,  naguère  encore,  n'y  possédait  rien  non 
plus.  Longtemps  elle  n'a  occupé  que  les  deux  extrémités 
de  l'autre  bassin,  avec  Gibraltar  et  Malte.     Or,  elle  est  à 


54  LA  REVUE  rRANCO-AMERICAINE 

Chypre  aujourd'hui  et  elle  tient  l'Egypte.  L'Italie  aura  de- 
main, sur  la  côte  tripolitaine,  Tobruck,  le  plus  beau  port 
naturel  de  toute  la  côte  d'Afrique.  Avant  peu  d'années,  la 
prépondérance  stratégique  de  l'Angleterre  et  de  l'Italie  sera 
donc  écrasante  dans  ces  mers  du  Levant,  où  nous  avons 
tant  et  de  si  graves  intérêts  engagés. 

Un  moment,  on  a  pu  croire  que  nous  trouverions  à  Myti- 
lène  le  poste  de  choix  dont  nous  avons  besoin  pour  faire 
respecter,  dans  les  eaux  turques,  nos  trois  couleurs.  L'en- 
voi devant  l'antique  Lesbos  d'une  division  de  l'escadre  de 
la  Méditerranée  avait  rempli,  on  s'en  souvient,  d'espoir  et 
d'émotion  tous  ceux  qui  savent  quel  rôle  prépondérant 
pourrait  encore  jouer  la  France  dans  ces  régions,  si  elle 
voulait.  Il  paraissait  évident  que  nous  saisirions  un  gage 
territorial,  et  qu'enfin  nous  posséderions  là-bas  la  base  d'o- 
pération nécessaire.  Ni  l'Angleterre,  qui  s'est  emparée  de 
Chypre,  ni  l'Allemagne,  qui  venait  justement  de  planter  son 
pavillon,  sans  autre  forme  de  procès,  sur  l*archipel  turc  des 
îles  Farsan,  dans  la  mer  Rouge  ;  ni  la  Russie,  notre  alliée, 
n'auraient  pris  contre  nous,  si  nous  avions  été  plus  fermes 
'dans  nos  résolutions,  la  défense  du  sultan.  Seule  peut-être 
l'Italie  eût  mis  quelque  mauvaise  grâce  à  nous  laisser  faire. 
Mais  que  pouvait,  toute  seule,  l'Italie  contre  nous  ?  La  Tri- 
politaine était  d'ailleurs  là.  dont  nous  pouvions  à  ce  mo- 
ment lui  parler... 

Cependant  nous  avons  quitté  les  eaux  turques,  abandon- 
donnant  le  précieux  gage.  La  faute  est  commise  :  il  faut 
l'oublier.  On  peut  seulement  rapprocher,  non  sans  amer- 
tume, l'insouciance  que  nous  avons  montrée  là  pour  nos  in- 
térêts stratégiques  dans  le  Levant,  de  l'empressement  avec 
lequel  nous  avons  pourvu  à  ceux  des  Italiens. 

La  Tripolitaine,  débouché  naturel  de  tout  le  trafic  du 
centre  de  l'Afrique,  position  stratégique  de  premier  ordre 
dans  le  bassin  oriental  de  la  Méditerranée,  est,  en  outre,  le 
trait  d'union  entre  la  Barbarie  et  l'Egypte  et  nous  aurions 
dû,  à  ce  troisième  titre,  plus  encore  qu'aux  deux  autres, 
nous  garder  de  la  donner  à  qui  que  ce  fût. 

Tout  le  long  de  la  plaine  sablonneuse,  qui,  nous  l'avons 


LA    GUERRE    ITALO-TURQUE    ET    LA    FRANCE  55 

VU,  longe  indéfiniment  la  mer  depuis  notre  frontière  tuni- 
sienne jusqu'au  Nil,  des  oasis  nombreuses  et  soignées  for- 
ment une  véritable  ligne  d'étapes,  fréquentée  jadis  par  les 
pèlerins  du  Maroc,  d'Algérie,  de  Tunisie,  qui  se  rendaient  à 
la  Mecque.  Il  y  a  là,  reliant  la  Barbarie  à  l'Orient,  une 
sorte  de  chaussée  stratégique,  susceptible  de  devenir  un 
jour  une  route  militaire  de  premier  ordre.  C'était  jadis  la 
voie  des  invasions  musulmanes  vers  l'Occident  ;  ce  pourrait 
être  demain  pour  nous,  si  nous  voulions,  le  chemin  de  TE- 

gypte. 

Il  faut  songer  que  nous  sommes,  au  point  de  vue  de  l'in- 
dustrie navale,  à  l'époque  des  profondes  révolutions.  Les 
lourdes  escadres,  qui  donnent  encore  à  l'heure  présente  la 
maîtrise  de  la  mer,  n'auront  peut-être  pas  toujours  la  même 
valeur  militaire.  Les  sous-marins,  malgré  l'inévitable  im- 
perfection des  œuvres  nouvelles,  ont  montré  déjà  que  les 
parages  fréquentés  par  eux  cesseraient  tôt  ou  tard  d'être 
navigables  pour  les  gros  navires.  Pas  plus  que  les  hommes 
ne  se  baignent  dans  les  eaux  infestées  de  requins,  les  cui- 
rassés ne  s'aventureront  à  l'avenir  dans  celles  où  pourront 
évoluer  des  navires  submersibles.  Il  y  aura  ainsi,  le  long 
notamment  de  toutes  les  côtes  françaises  ou  relevant  de  la 
France,  une  zone  de  défense  absolument  infranchissable, 
allant  jusqu'à  250  Du  300  milles  au  large.  En  même  temps, 
le  croiseur,  qui  représente,  à  côté  de  la  force  brutale  du 
cuirassé,  la  force  intelligente,  souple  et  vive,  fera  la  guerre 
aux  navires  de  commerce. 

Nous  sommes  donc  peut-être  à  la  veille  de  reprendre 
quelque  avantage  sur  nos  rivaux,  notamment  sur  les  An- 
glais, naguère  invincibles.  Frappés  dans  leurs  richesses, 
c'est-à-dire  au  cœur  même,  obligés  de  disperser  leurs  forces 
pour  la  protection  des  grandes  voies  commerciales,  ceux-ci 
n'auront  même  plus  la  ressource  d'attaquer  nos  rivages,  de- 
venus invulnérables  et  redoutables  au  suprême  degré.  Pour 
nous,  délivrés  du  souci  d'engager  sur  mer  d'inutiles  et  rui- 
neuses batailles  rangées,  nous  pourrons  enfin  porter  hardi- 
ment le  combat  sur  la  terre,  où  les  Anglais  ont  suffisam- 
ment montré  qu'ils  ne  seront  jamais  les  plus  forts. 


56  LA   REVUE    FRANCO -AM^^RICAINE 

Malheureusement,  nos  points  de  contact  avec  eux  sont  en 
petit  nombre.  L'Egypte  était,  à  cet  égard,  une  des  rares 
parties  du  globe  où  il  nous  était  possible  de  les  aller  sur- 
prendre. 

De  l'Algérie  et  de  la  Tunisie,  une  armée  d'invasion  eût 
pu  se  ruer,  à  travers  la  Tripolitaine,  jusqu'au  Nil.  La  route 
est  longue,  certes.  Mais  2,500  kilomètres  ne  sont  pas  pour 
effrayer  des  soldats  d'Afrique  et,  tandis  que  nos  croiseurs 
auraient  porté  la  ruine  sur  le  marché  anglais,  nos  troupes 
eussent  frappé  au  Caire,  à  Alexandrie,  au  pied  des  pyra- 
mides, de  glorieuse  mémoire,  un  coup  à  terrasser  le  plus 
rude  ennemi  pour  toujours. 

Il  n'en  sera  pas  ainsi,  puisque  les  Italiens,  demain,  seront 
à  Tripoli,  nous  barrant  la  route.  La  France  s'est  montrée 
généreuse  :  c'est  très  bien  fait.  Mais  vraiment  ses  généro- 
sités commencent  à  ressembler  fort  à  des  prodigalités,  et 
l'on  me  pardonnera  d'avoir  mis  à  le  constater  quelque 
amertume. 

Les  Anglais,  ont,  d'ailleurs,  admirablement  compris  quel 
éminent  service  nous  leur  avons  rendu  là.  Ils  se  gardent, 
pour  leur  part,  d'empêcher  la  conquête  de  la  Tripolitaine 
par  les  Italiens.  Des  journaux  ont  pu  montrer,  au  premier 
moment  quelque  dépit  du  rapprochement  des  deux  nation^ 
latines.  Pas  un  n'a  protesté  contre  notre  assentiment  aux 
vues  de  nos  nouveaux  amis  sur  le  nord  de  l'Afrique, — ce 
qui  nous  amène,  en  passant,  à  constater  que,  la  sympathie 
de  l'Angleterre  étant,  d'avance,  acquise  à  leurs  projets, 
notre  avis  avait  le  prix  exceptionnel  d'une  approbation  dé- 
finitive, emportant  le  dernier  obstacle. 

La  résistance  des  Turcs,  au  surplus,  ne  retardera  nulle- 
ment la  conquête,  si  les  Italiens  font  en  sorte  de  l'entre- 
prendre sérieusement.  On  a  quelque  peu  parlé,  dans  les 
journaux,  des  garnisons  ottomanes  éparses  dans  la  colonie. 
Le  sultan  entretient  là  30,000  hommes,  qui  ne  se  rendront 
certes  pas  sans  combats  acharnés.  Pvlais  si  l'armée  d'inva- 
sion ne  doit  pas  s'attendre  à  faire,  comme  nous  en  Tunisie, 
une  simple  promenade  militaire,  nos  voisins  ne  retrouve- 
ront pas  non  plus,  sur  cette  côte  sans  défenses  naturelles, 


LA  GUERRE  ITALO  TURQUE  ET  LA  FRANCE       57 

les  désastres  abyssins.  Les  soldats  du  sultan  sont,  à  la 
vérité,  d'assez  pitoyables  hères.  Dans  les  rues  de  Tripoli, 
on  les  voit  par  bandes  enguenillées,  marchant  pieds  nus  ou 
chaussées  de  souliers  crevés,  n'ayant  point  tout  l'uniforme, 
mais  seulement  la  veste  ou  le  pantalon.  Ils  vont,  parcou- 
rant les  marchés  et  se  procurant,  çà  et  là,  leur  nourriture. 
Beaucoup,  pour  gagner  quelque  argent,  se  font,  en  dehors 
des  exercices,  commissionnaires  ou  porteurs  d'eau. 

Vraiment,  si  les  Italiens  ne  viennent  pas  à  bout  de  ces 
gens-là,  ce  sera  leur  faute.  En  conscience,  nous  pouvons, 
sans  attendre  les  événements,  considérer  que  le  cadeau  est 
fait. 

La  Revue  Française,  Paris,  24  sept.  191 1.  ^ 

Antoine  Redier. 


CHRONIQUE  FINANCIERE. 

Les  Mines 


De  tous  les  placements  c'est  peut-être  celui-là  qui,  tout 
en  offrant  le  plus  de  séduction,  inspire  quand  même  le  plus 
de  défiance  au  capitaliste.  C'est  là  surtout  que  le  petit 
capitaliste — plus  pressé  et  surtout  plus  impatient  de  réaliser 
de  gros  profits  à  courte  échéance — risque  le  plus  et  aussi 
qu'il  se  fait  le  plus  souvent  tromper.  Trompeur  comme  une 
mine  !  Ce  dicton  est  connu  tout  aussi  bien  qu'en  est  le 
pendant  :  riche  comme  une  mine  ! 

Au  reste,  les  mines  sont  tout  à  fait  comme  l'occasion 
qu'il  faut  saisir  par  les  cheveux,  en  s'assurant  bien  de  ne 
pas  tenir  une  perruque. 

Mais  pourquoi  tant  de  gens  se  font-ils  exploiter  dans  de 
prétendues  entreprises  minières  }  A  cette  question  que  je 
posais  à  un  mineur,  j'obtins  la  réponse  suivante  : 

Dans  la  province  de  Québec,  cela  est  dû  à  diverses  causes 
dont  la  principale  est,  à  n'en  pas  douter,  l'ignorance  a  peu 
près  complète  de  la  population  sur  ce  genre  d'opérations. 
Et  ce  ne  sont  pas  assurément  les  énormités  publiées  par  nos 
journaux  sur  ce  sujet  qui  amélioreront  cet  état  de  choses. 
Ajoutez  à  cela  l'indifférence  du  gouvernement  de  la  pro- 
vince envers  le  prospecteur,  l'incompétence  de  95%  de  ceux 
qui  s'occupent  des  mines  et  n'obtiennent  qu'un  lamentable 
fiasco  là  où  ils  ont  trouvé  tous  les  éléments  (\v\  succès; 
cette  disposition  instinctive  du  plus  grand  nombre  à  rêver 
plutôt  qu'à  réfléchir  et  qui  les  rend  une  proie  facile  de  tous 
les  agents  hardis,  aux  gestes  nerveux  et  au  verbe  élevé,  qui 
vendraient  des  mines  dans  la  lune  si  on  leur  offYait  une 
commission  raisonnable. 

Et  pourtant  les  mines  offrent  encore  un  des  placements 
les  plus  rémunérateurs — ils  sont  de  tout  premier  ordre  si 
l'on  a  à  faire  avec  une  mine  d'or  ou  d'argent. 


LES    MINES  59 

Les  avantages  offerts  par  la  province  d'Ontario  sont 
tout  particulièrement  intéressants.  L'histoire  de  Cobalt  est 
là  pour  nous  l'apprendre.  Il  y  a  de  ce  côté-là  d'excellents 
placements  à  faire  ;  l'important  est  de  les  découvrir.  On 
peut  y  arriver  par  divers  moyens. 

A  part  la  confiance  que  l'on  peut,  que  Ton  doit  accorder 
à  l'annonce  lue  dans  un  journal  sérieux,  honnête  et  compé- 
tent, à  part  les  renseignements  que  l'on  peut  obtenir  de  ses 
amis  sur  la  nature  des  propositions  qui  nous  sont  faites,  il 
est  certaines  mesures  de  précautions  dont  on  aurait  tort  de 
s'écarter  : 

1°  Par  quels  moyens  l'agent  qui  veut  vous  vendre  des 
actions  de  mine  s'est-il  introduit  chez  vous  .? 

2°  Est-il  un  mineur  compétent.? 

3°  Vous  promet-il  plus  de  beurre  que  de  pain  ou  tout 
simplement  des  profits  réalisables  en  se  basant  sur  ce  qui 
a  été  fait  de  mieux  par  les  compagnies  les  plus  prospères. 

4°  La  compagnie  qu'il  représente  est-elle  administrée 
économiquement;  a-t-elie  eu  de  gros  accidents  qui  lui  ont 
occasionné  des  frais  supplémentaines,  combien  a-t-elle 
d'actions  dans  son  trésor  1  etc.,  etc. 

Nous  reviendrons,  du  reste,  sur  ce  sujet.  L'industrie  mi- 
nière est  une  des  plus  importantes  de  la  province  de  Qué- 
bec ;  il  suffit  de  le  faire  voir  au  public.  C'est  une  tâche  qui 
a  été  admirablement  remplie  jusqu'ici  par  les  journaux 
d'Ontario  pour  leur  province.  Pourquoi  n'en  ferions-nous 
pas  autant  chez  nous  ? 

Pour  sa  part  la  Revue  F ranco- Américaine  entend  consacrer 
à  cette  question  quelques  pages  chaque  mois.  C'est  un  dé- 
partement nouveau  qui  non  seulement  ne  manquera  pas 
d'intérêt  mais  qui,  surtout,  est  appelé  à  rendre  de  précieux 
services  à  nos  compatriotes. 

J.=A.  Lefebvre. 


.:o: 


Un   développement  —  Le    "  Gaulois  '* 


Nous  avons  annoncé  dans  le  dernier  numéro  de  la  Revue 
la  publication  prochaine  du  "  Gaulois,"  hebdomadaire — 
politique,  littéraire,  artistique.  C'est  le  développement  na- 
turel de  l'œuvre  entreprise  il  y  a  quatre  ans  par  la  Revue 
Franco- Américaine. 

Que  cette  œuvre  ait  été  utile,  les  résultats  obtenus  ne 
nous  permettent  plus  d'en  douter.  Grâce  au  précieux  en- 
couragement de  nos  amis,  nous  avons  pu  voir  ce  que  peu- 
vent exercer  d'influence  salutaire  sur  l'opinion  des  amis 
comme  chez  des  ennemis,  quelques  travailleurs  groupés  au- 
tour d'une  publication  vengeresse  que  ni  la  crainte  ni  l'in- 
térêt n'arrêtent,  qui  arrache  les  masques  et  déchire  les  voiles 
sans  se  préoccuper  des  figures  que  la  vérité  surprendra 
derrière. 

Nous  avons,  depuis  vingt  ou  trente  ans,  exploré  des 
champs  trop  vastes;  nous  nous  sommes  engagés,  comme 
race,  sur  des  routes  trop  diverses  pour  que  nous  n'ayons  ja- 
mais commis  d'erreurs,  pour  que  les  routes  suivies  soient 
toutes  également  bonnes.  C'est  à  l'examen  de  cette  situa- 
tion que  nous  nous  sommes  attachés,  et  vous  nous  êtes  té- 
moins de  la  lumière  abondante  que  nous  avons  versée  sur 
des  plaies  qui  saignent  le  plus  pur  de  n«^tre  sang,  des  aver- 
tissements que  nous  avons  placés  à  l'entrée  des  routes  tor- 
tueuses, si  elles  paraissent  plus  faciles,  où  l'intérêt,  l'ambi- 
tion, les  appétits,  poussent  à  rangs  pressés  ceux  que  nous 
étions  tentés  de  prendre  pour  des  héros  et  qui  n'étaient,  le 
plus  souvent,  que  les  tristes  champions  de  notre  impré- 
voyance nationale. 

Et  pour  juger  de  notre  vraie  condition  le  meilleur  moyen 
est  encore  de  mesurer  notre  faiblesse  à  l'audace  de  nos 
ennemis.  Mais  le  mal  ne  serait  déjà  pas  si  grand  si  nous 
pouvions  en  limiter  la   constatation   à   la   découverte  de 


UN   DÉVELOPPEMENT. — LE   "GAULOIS"  61 

quelques  documents  poudreux  arrachés  des  mains  des  cons- 
pirateurs. Il  y  a  par-dessus  tout  cela — et  c'est  bien  ce  qui 
a  couvert  du  secret  officiel  tant  d'intrigues  dirigées  contre 
nos  institutions  et  nos  plus  précieuses  libertés — il  y  a  par- 
dessus tout  cela  cette  fausse  mentalité,  ce  tempérament 
d'esclave,  qui  en  est  sorti,  qui  pousse  un  si  grand  nombre  de 
Canadiens-français  à  croire  que  leur  état  de  minorité  leur 
enlève  jusqu'au  droit  de  dire  qu'on  les  vole  quand,  sous 
leurs  yeux,  quelques  chauvins,  aidés  de  quelques  opportu- 
nistes, déchirent  les  traités  les  plus  solennels. 

Aussi  bien  le  grand  danger  vient-il  moins  du  fait  que 
nous  sommes  une  minorité  que  de  ce  que  nous  nous  mon- 
trons dans  trop  de  circonstances  une  minorité  faible,  dé- 
sunie, sans  détermination.  Je  ne  rappellerai  pas  ici  les 
circonstances  où,  avec  des  moyens  plus  nombreux,  nous 
avons  reculé  devant  des  situations  qui  trouvèrent  les  pères 
de  nos  libertés  politiques  irréductibles  et  vainqueurs.  Je  ne 
veux  même  pas  tenter  de  faire  le  bilan  canadien-français 
sous  les  deux  régimes  qui  se  sont  succédés  à  Ottawa  de- 
puis la  Confédération.  On  m'accuserait  de  broyer  inutile- 
ment du  noir.  Du  reste,  le  changement  de  régime  qui  date 
du  21  septembre  dernier,  sans  calmer  nos  appréhensions, 
vient  d'ouvrir  un  champ  nouveau  à  notre  observation. 

Même,  je  crains  bien  d'avoir  poussé  trop  loin  cette  di- 
gression quand  je  voulais  me  borner  à  annoncer  aux  amis 
de  la  Revue  l'entreprise  nouvelle  qui  doit  compléter  son 
œuvre. 

Pour  ce  qui  est  de  la  Revue  elle-même,  on  comprend  que  je 
ne  veuille  pas  entreprendre  de  la  juger.  Je  ne  serais  pas 
impartial. 

C'est  une  besogne  qu'il  appartient  à  d'autres  d'accomplir. 
Et,  je  l'ai  déjà  dit,  la  forte  sympathie  qu'on  n'a  pas  cessé 
de  nous  montrer  depuis  trois  ans  est  bien  l'éloge  sur  lequel 
nous  comptons  le  plus. 

Plutôt  soucieux  de  remettre  en  lumière  certains  idéaux 
que  les  tendances  matérialistes  de  notre  époque  et  de  notre 
milieu  laissaient  tomber  en  désuétude,  nous  avons  moins 
songé  à  imprimer  une  direction  nouvelle  à  la  politique  de 


62  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

notre  pays  qu'à  réveiller  les  énergies,  à  dérouiller  les 
consciences,  à  grouper  autour  des  institutions  menacées  les 
bonnes  volontés  et  les  dévouements  accessibles  au  souci 
patriotique.     En  cela  notre  travail  ne  fait  que  commencer. 

Jusqu'aujourd'hui,  on  a  pu  le  constater,  nous  nous  sommes 
surtout  appliqués,  en  jetant  les  bases  d'une  solide  docu- 
mentation, à  ravitailler  les  groupes  placés  au  front  de  ba- 
taille, à  distribuer  des  armes  aux  recrues,  à  dévoiler  les 
plans  insidieux  et  toujours  soigneusement  préparés  de  l'en- 
nemi. Ce  travail  n'est  pas  fini,  mais  il  est  assez  complet 
pour  que  nous  songions  à  lui  en  associer  un  autre  qui  prouve 
sa  nécessité  et  lui  fasse  produire  les  fruits  attendus. 

Nous  allons  désormais  prendre  l'offensive,  ce  qui  est  en- 
core le  meilleur  moyen  de  nous  défendre.  Et  sur  ce  point 
comme  sur  tous  les  autres,  nous  tâcherons  de  mériter  la 
confiance  et  de  justifier  les  encouragements  qu'on  nous  a 
donnés. 

Nous  avons  plusieurs  fois  fait  appel  à  la  générosité,  au 
dévouement  de  nos  amis.  Ces  appels  nous  les  ferons  encore  ; 
c'est  à  ce  prix  seul  que  nous  avons  pu  donner  à  notre  insti- 
tution de  solides  assises.  Des  projets  élaborés  avec  soin, 
société  de  publication  ou  association  de  protection,  pren- 
dront, dans  le  cours  de  l'année,  une  formai  définitive  et 
apporteront  à  l'œuvre  commune  le  précieux  appoint  d'une 
organisation  complète,  d'une  puissance  d'action  mieux 
aguerrie. 

Le  "Gaulois"  que  nous  fondons  ne  vise  pas  à  autre 
chose  qu'à  la  réalisation  plus  rapide  et  plus  complète  de 
tous  ces  projets. 

J.-L.  K.-Laf lamine. 


•:o: 


Montcalm 


Poèvie  lu  par  V auteur,  à  Québec,  au  pied  du  monument, 
le  jour  dit  dévoilement,  le  16  octobre  1911. 


Tout  près  d'ici,  tout  près  du  sol  que  nous  foulons, 
Altier  comme  Québec  debout  sur  sa  falaise, 
Plein  du  feu  des  Klébers  et  des  Timoléons, 
En  voulant  rallier  ses  fougueux  bataillons, 
Montcalm  tomba,  frappé  par  une  balle  anglaise. 

Montcalm  tomba,  vaincu  par  le  destin  jaloux  ; 

Mais  sa  défaite  fut  glorieuse  et  féconde, 

Et  son  nom,  radieux  et  caressant  pour  nous. 

Et  que  nous  devrions  répéter  à  genoux, 

Comîme  un  flambeau  divin  éclaire  tout  un  mondie. 

Oui,  sa  défaite  fut  féconde  sous  nos  yeux. 
Et  le  sang  qu'il  versa  dans  la  plaine  voisine, 
0  miracle  !    baigna  tout  le  sol  des,  aïeux, 
Y  fit  croître  et  fleurir  des  rejetons  nomibreux. 
Dont  nul  soc  meurtrier  n'atteindra  la  racine. 

Oui,   grâce  à  sa  valeur,  grâce  à  son  dévoueiment. 

Le  fier  triomphateur  respecta  notre  race, 

Et,  sous  le  sceptre  anglais,  nous  portons  hardiment, 

Pour  repousser  l'entrave  et  l'asservissement, 

La  loyauté  pour  lance  et  la  foi  pour  cuirasse. 

La  gloire  de  Montcalm  ignore  tout  déclin. 
Toujours  elle  grandit,  comime  croît  la  lumière, 
Comime  dans  un  ciel  pur  le  soleil  du  matin, 
A  mesure  qu'il  momte  à  l'horizon  lointain, 
Verse  plus  de  rayons  éclatants  à  la  terre. 


64  LA    REVUE    F1^A^X'0-AMERICA1NE 

Et  tant  que  vers  la  mer  le  fleuve  souverain, 

Qui  vit  combattre  et  choir  l'immortel  capitaine, 

Roulera  ses  flots  d'or,  forte  comme  l'airain 

Qui  nous  montre  aujourd'hui  son  front  vaste  et  serein, 

Sa  mémoire  vivra  dans  l'âme  canadienne. 

Son  premier  revers  fut  un  suprême  succès  ; 
Et  quand  on  le  coucha  dans  le  sol  qu'une  bombe 
Avait  ouvert  non  loin  d'un  bastion  français, 
Le  feu  d'une  rancœur  séculaire  à  janmais 
S'ensevelit  avec  le  guerrier  dans  sa  tombe. 

Tel  Wolfe  terrassé  dans  l'âpre  engagement 
Qui  décidait  du  sort  d'un  peuple  à  la  mamelle, 
Par  sa  mort  Montcalm  a,  sous  notre  firmament, 
Commencé'  l'union   qui  lie  étroitement 
La  puissante  Albion  à  la   Gaule  inianor telle. 

Et  pendant  que,   pieux,  monte  vers  le  héros 
L'hommage  de  la  vieille  et  fière  capitale, 
Peut-être  les  vaillants  et  glorieux  rivaux 
Cherchent-ils,   réveillés  en  leurs  sombres  caveaux, 
A  se  serrer  la  main  dans  l'ombre  sépulcrale. 

Il  semble  que  l'un  d'eux  nous  dise  en  ce  moment  : 
— Puisque  Dieu  veut  qu'ici  des  races  étrangères 
D'un  empire  nouveau  jettent  le  fondeiment, 
Formez,  mariant  l'or  pur  au  pur  diamant, 
De  deux  peuples  naissants  un  grand  peuple  de  frères  !. 

Sentant  couler  en  vous  le  sang  noble  et  fécond 
Que  prodiguèrent,  plein  d'une  ardeur  sans  rivale, 
Les  hardis  descendants  du  Franc  et  du  Saxon, 
Efforcez-vous,  les  yeux  sur  le  même  horizon, 
De  cimenter   partout  1' "Entente   cordiale  !  " — 

:o: 


Les  deux  Filles  de  Maître  Bienaimé 

(SCENES       MORMANDES) 

PAR 

Marie  Le  Mière 


(Suite.) 

— Ah  !  tu  CI  ois.  .  tu  crois  qu'elle  l'aurait  endoctrinée  ?  fit 
Maître  Bienaimé,  bondissant  ;  si  je  savais  ça.  .  je  te  garantis 
bien.  . 

— Non,  je  ne  le  crois  pas,  répondit  l'abbé  Brissot  en  le  cal- 
mant du  geste .  .  Je  ne  puis  pas  le  croire.  Mais  ses  manières, 
ses  idées,  son  histoire  et  tout .  .  Tu  me  comprends. 

Puis  ils  se  rapprochèrent  d'Eugène,  tandis  que  Léa  relevait 
une  seconde  fois  la  tête  en  voyant  une  ombre  se  projeter  à  sea 
pieds,  sur  le  sable. 

— .  .  Alors,  cela  ne  va  pas  comme  vous  voudriez  ? 

Louis  était  près  d'elle,  sous  le  noisetier  séculaire  dont  les 
basses  branches  le  touchaient  au  front. 

— Non,  cela  ne  va  pas  du  tout. 

Il  fut  frappé  de  cet  accent  mélancolique,  de  l'expression 
morne  répandue  sur  cette  physionomie,  naguère  si  vivante. 

— 11  ne  faut  pas  vous  affecter,  reprit-il  doucement,  ce  serait 
bien  pire.     Mais .  .  soufïrez-vous  donc,  Léa  ? 

— Je  ne  souffre  pas,  je  dépéris,  murmura-t-elle,  déchique- 
tant une  feuille  de  noisetier.  Que  voulez-vous  ?  Ce  qui  de- 
rait  arriver  arrive.  C'est  une  maladie  d'ennui  ;  j'ai  la  cam- 
pagne en  horreur. 

Louis  Chaumel  pâlit  légèrement,  comme  s'il  eût  reçu  un 
coup  dans  la  poitrine. 


Q6  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

— Ah  !  ne  dites  pas  cela,  vous  me  feriez  trop  de  peine. 

Ce  cri  lui  échappa  si  impétueusement  qu'il  en  fut  étonné 
lui-même.  Puis  près  d'elle  maintenant,  il  continuait,  d'une 
voix  presque  suppliante  : 

— Vous  ne  le  pensez  pas.  C'est  impossible,  ce  serait  renier 
votre  race,  renier  votre  père  !  Vous  Léa,  vous  n'aimeriez  pas 
la  terre  où  vous  êtes  née,  où  les  vôtres  dorment.  C'est  un 
caprice,  une  imagination  ;  votre  c^eur  n'y  est  pour  rien .  . 
Léa.  .  voyons,  Léa.  . 

Mais  elle  secouait  la  tête  et  ne  regardait  même  pas  celui 
dont  le  regard  l'eût  peut-être  éclairée.  Pauvre  enfant  !  Etait- 
il  possible  !  se  faire  de  pareilles  idées  à  son  âge,  et  se  rendre 
malade  à  cause  de  cela  !  Elle  paraissait  plus  frêle  en  son  atti- 
tude alanguie,  avec  ses  deux  petites  mains  abandonnées  sur 
son  tablier  ;  et  pourtant  son  visage,  où  des  lueui-s  de  soleil 
voletaient  coaime  des  mouches  lumineuses,  ne  demandait  qu'à 
sourire.  Oh  !  quel  désir  de  la  relever,  de  l'orienter,  de  la  dé- 
fendre, désir  encore  irraisonné,  mais  d'une  indicible  force,  s'é- 
mut au  fond  de  ce  coeur  viril  ! 

— Vous,  si  gaie  par  nature,  vous  qui  travailliez,  cette  année 
encore  au  milieu  des  faneuses  une  fourche  à  la  main .  . 

— Je  m'étourdissais  !  On  ne  vit  pas,  ici,  on  y  végète  !  on 
n'y  respire  pas,  on  y  étouffe  ! 

—On  y  étouffe  !  protesta  Louis,  se  redressant  d'un  bond 
juvénile  ;  mais  sentez  donc  tout  ce  qui  passe  dans  cet  air -là  ! 

Devant  eux  s'ouvrait  une  éclaircie  radieuse  ;  un  vent  chaud 
apportait  l'odeur  mielleuse  des  fleurs  de  sarrasin.  Des  nuages 
floconneux  défilaient  devant  le  soleil,  faisant  courir  d'immen- 
ses vagues  d'ombre  et  de  clarté  sur  le  marais  peuplé  de  trou- 
peaux somnolents,  sur  toute  cette  terre  encore  verte  malgré 
les  ardeurs  de  la  canicule.  Des  bruits  d'attelages  emplissaient 
rétendue  ;  trois  cloches,  au  loin,  carillonnaient  pour  un  bap- 
tême. 

— Mais  regardez  !  mais   écoutez  !   insistait  Louis  Chaumel. 

— ^C'est  toujours  pareil,  fit  Léa. 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  67 

— C'est  toujours  nouveau,  répliqua  le  jeune  homme. 

— C'est  la  mort  ! 

— C'est  la  vie  ! 

Cette  fois,  elle  le  regarda,  car  jamais  il  ne  lui  avait  parlé 
de  la  sorte  ;  l'enthousiasme  s'emparait  de  Louis,  faisait  mon- 
ter à  son  visage  son  beau  sang  de  terrien. 

— La  vie,  on  l'entend  chanter  dans  le  plus  petit  oiseau,  on 
la  voit  mûrir  dans  la  moindre  plante.  La  vie  !  ils  s'en  pénè- 
trent, allez,  ceux  qui  la  cultivent  par  un  travail  si  bon,  si 
sain,  un  des  plus  nobles  qu'on  puisse  voir. 

—C'est  vrai  que  la  terre  demande  des  forces,  mais  comme 
elle  les  conserve  !  Vous  ne  trouvez  pas  que  c'est  beau  de  tra- 
vailler au  grand  air,  en  plein  jour,  sous  le  ciel  d'où  le  bon 
Dieu  fait  luire  son  soleil  et  tomber  sa  pluie  ?  C'est  bien  là, 
dans  les  champs,  qu'on  sent  la  nécessité  de  prier  matin  et  soir. 
C'est  bien  là,  dans  le  pays  où  les  nôtres  ont  vécu,  et  où  leurs 
traces  se  voient  encore,  que  nous  sentons  nos  relations  avec 
eux,  et  l'obligation  de  suivre  leurs  exemples.  Gardons  l'esprit 
de  clocher.  Léa  !  On  en  a  trop  médit  ;  celui  qui  aime  la  petite 
patrie  aime  la  grande  ,  il  aime  aussi  l'honneur,  la  vertu,  tout 
ce  que  les  siens  ont  aimé... 

Les  mots,  ardents,  vibrants,  s'échappaient  d'eux-mêmes, 
sans  qu'il  cherchât  à  les  retenir.  Elle  écoutait,  surprise,  va- 
guement remuée  au  point  le  plus  inconnu  de  son  âme,  par  la 
supériorité  de  cette  intelligence  et  de  ce  caractère.  Peut-être 
aussi  sentait-elle  passer  près  d'elle  un  souffle  nouveau.  .  quel- 
que chose  de  pur  et  de  fort,  dont  ses  lectures  ne  lui  avaient 
jamais  donné  l'idée.  .  Là-bas,  le  prêtre  et  le  fermier,  longeant 
la  maison,  causaient  toujours,  et  derrière  Louis,  dans  une 
allée  voisine  Mathilde  étendait  du  linge  sur  un  fil  de  fer  sou- 
tenu par  des  poteaux. 

— C'est  très  beau,  ce  que  vous  dites,  reprit  Léa,  du  bout 
des  lèvres  ;  mais  le  qualifierez- vous  encore  de  noble,  cet  ou- 
vrage si  grossier,  si  vulgaire,  auquel  une  femme  doit  se  con- 
damner ici  ? 


68  LA   REVUE    FRANCO-AMERICAINE 

Il  recula  d'un  pa^s. 

— De  quoi  parlez- vous  ?  De  ce  que  font  ma  mère  et  ma 
grand'mère  ?  De  ce  que  ferait  ma  soeur,  si  elle  vivait  ?  Léa, 
poursuivit- il  plus  doucement,  en  la  voyant  rougir,  vous  ne 
regardez  que  le  petit  côté  des  choses  !  A  travers  l'outil,  l'ins- 
trument plus  ou  moins  vulgaire,  comme  vous  dites,  cherchez 
l'idée  qui  l'ennoblit  !  Pensez  donc  que  vous  continuez  le  passé, 
que  vous  préparez  l'avenir  ;  en  contribuant  au  bon  fonction- 
nement de  la  ferme  vous  créez  du  bien  être  pour  ceux  qui 
vous  suivront.  Vous  contribuez,  pour  votre  petite  part,  à  des 
oeuvres  très  grandes  :  le  relèvement  de  la  prospérité  des  cam- 
pagnes, l'amélioration  du  sort  des  paysans.  Et  puisque  vous 
êtes  bonne  chrétienne,  pourquoi  ne  pas  vous  placer  au  point 
de  vue  chrétien,  le  plus  haut  de  tous  ? 

Mathilde  approchait,  lentement,  à  pas  silencieux  :  les  pièces 
de  linge  qu'elle  fixait  sur  le  fil  volaient  autour  d'elle,  comme 
des  ailes  blanches,  au  vent  parfumé.  Mais  Louis  ne  pouvait 
s'apercevoir  de  sa  présence.  Il  continuait,  réellement  entraî- 
nant parce  qu'il  mettait  au  jour  le  fond  le  plus  sacré  de  son 
âme,  l'idée  maîtresse  de  son  existence,  et  aussi  parce  que,  sans 
se  l'avouer  encore,  il  parlait  sous  l'empire  de  ce  sentiment 
dont  Lacordaire  a  dit  :  ■'  Celui  qui  a  aimé  dans  sa  vie,  a  été 
vraiment  éloquent,  ne  fût-ce  qu'une  fois." 

— Que  de  bien  vous  pourriez  faire  autour  de  vous,  avec 
votre  nature  expansive  !  Vos  occupations  vous  rapprochent 
de  certaines  misères  ;  vous  êtes  en  contact  perpétuel  avec  de 
pauvres  gens,  à  l'esprit  peu  éclairé.  Que  d'occasions  de  prati- 
quer toutes  les  charités,  d'acquérir  de  l'influence  et  de  l'exer- 
cer au  profit  de  la  bonne  cause  !  Voilà,  j'espère,  de  quoi  élar- 
gir votre  horizon  et  vous  faire  accepter  votre  sort. 

Elle  cillait  comme  devant  une  lumière  qui  lui  eût  blessé  les 
yeux  ;  puis  elle  se  renversa  de  nouveau,  les  deux  mains  croi- 
sées sous  la  tête,  et  demeura  inerte  un  long  moment. 

Vous  êtes    un   fervent  de  la  terre,  chuchota-t-elle  enfin. 


LÈS  DEUX  FILLES  DE  MAITRE  BIENAIMÉ  69 

Qu'est-ce  que  vous  penseriez  alors  si  je  m'en  allais  un  de  ces 
jours .  .  pour  vivre  à  Paris  ? 

— Vous,  Léa  !  Déserter  ! 

Il  avait  saisi  l'une  des  branches.  Puis,  lâchant  brusque- 
■aent  le  bois  qui  siffla  au-dessus  de  lui  : 

— C'est  un  enfantillage  reprit-il.  Vous  voulez  rire  ? .  .  dites 
dites .  .  Pourquoi  f eriez-vous  cela  ? 

— Parce  qu'à  Paris  on  se  distrait,  on  s'amuse,  articula-t-elle 
avec  une  sorte  de  bravade  ;  parce  que  je  meurs  d'envie  de 
connaître  des  choses  nouvelles,  un  monde  différent  de  celui  où 
j'ai  toujours  vécu  ;  parce  que.  . 

Elle  s'arrêta,  car  elle  ne  pouvait  ajouter  qu'elle  se  trouvait 
trop  jolie  pour  habiter  Clairville  ;  mais   déjà   Louis  s'écriait  : 

— Et  pour  ces  petits  motifs-là,  vous  iriez  troubler  la  paix 
de  votre  famille,  abandonner  votre  poste,  vous  jeter  à  l'aveu- 
gle, dans  un  milieu  pour  lequel  vous  n'êtes  point  faite  et  dont 
TOUS  ignorez  tout  ! 

— Merci  bien  !  fit  Léa,  vexée.  Je  suis  donc  si  campa- 
gnarde ? 

— Eh  !  certainement  ;  est-ce  un  tort,  ou  une  décliéance  ? 
Peut-on  eflfacer  le  cachet  de  son  origine  ?  Croyez -vous  que  je 
ne  m'honore  point  d'être  campagnard  ?  dit  fièrement  le  jeune 
homme,  regardant  ses  mains  hâlées.  Votre  race  et  la  mienne 
en  valent  bien  d'autres,  je  suppose  ;  nous  n'avons  pas  à  en 
rougir. 

Mais  il  vit  trembler  les  lèvres  de  la  jeune  fille,  et  il  eut 
peur  d'avoir  frappé  un  peu  fort. 

— Léa,  murmura-t-il  en  se  penchant  sur  le  fauteuil,  j«  vous 
ai  parlé  comme  un  vieil  ami.     Vous  n'êtes  pas  fâchée  ? 

— Je  ne  vous  comprends  pas,  déclara-t-elle  sèchement  ;  on 
voit  pourtant  des  gens,  pris  de  dégoût  pour  la  campagne,  aller 
à  la  ville .  .  et  y  réussir. 

Louis  devina  qu'elle  pensait  à  Mme  Lagarde,  et  il  répon- 
dit : 

— J'en  conviens  ;  mais  pour  un  qui  réussit  et  dont  on  parle 


70  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

combien  d'autres  qui  échouent  et  dont  on  ne  parle  pas  ! 
D'abord  il  faudrait  savoir  si  ceux  qui  chantent  victoire 
ne  sont  pas,  au  fond,  des  vamcus .  .  s'ils  n'ont  pas  perdu  la 
foi,  par  exemple,  l'honnêteté,  la  délicatesse,  la  santé  même  : 
toutes  choses  plus  précieuses  que  la  fortune  et  la  situation 
qu'ils  ont  pu  conquérir .  . 

— Alors,  interrompit-elle,  à  vous  entendre,  on  devrait  blâ- 
mer tous  ceux  qui  s'éloignent  de  leur  village  pour  se  faire 
soldats,  médecins,  commerçants,  prêtres.  . 

— Ah  !  mais  permettez,  protesta  Louis  en  souriant  ;  il  y  a 
des  attraits  sérieux,  il  y  a  des  vocations.  Vous  voudrez  bien 
convenir  que  votre .  .  fantaisie  ne  rentre  pas  dans  ces  catégo- 
ries-là !  Ecoutez-moi,  Léa,  continua-t-il,  redevenant  très 
grave  :  votre  place  est  dans  votre  monde  ;  ce  serait  mal  à 
vous  d'en  sortir.  Prenez  garde  :  si  vous  alliez,  du  même 
coup,  faire  votre  malheur  et  le  malheur  des  vôtres  !  Quand 
on  détache  un  anneau  d'une  chaîne,  on  brise  l'anneau  et  on 
brise  la  chaîne.  Et,  dans  le  cas  qui  nous  occupe,  le  bon  Dieu 
ne  se  charge  pas  toujours  de  la  réparation. 

De  cet  oeil  brillant,  de  cette  voix  chaude,  se  dégageait  une 
puissance  de  persuasion  vraiment  extraordinaire  ;  Léa,  d'un 
geste  enfantin,  porta  les  deux  mains  en  avant. 

— Allez-vous  en  :  je  ne  veux  plus  de  vous  !  Je  ne  veux 
pas  être  convertie  ! 

— Et  moi,  je  veux  vous  convertir,  répliqua  Louis  Chaumel 
avec  une  expression  intense .  .  J'ai  même  l'idée  que  cela  ne  me 
sera  pas  très  difficile .  . 

Mathilde  allait  du  jardin  à  la  buanderie,  de  la  buanderie  à 
la  cuisine  ;  vers  onze  heures,  elle  vit  repasser  l'abbé  Brissot, 
essoufflé,  tirant  sa  montre. 

— Je  vais  manquer  le  tramway  !  s'exclama-t-il.  C'est  de  la 
faute  de  ce  brave  Louis  Chaumel.  Ah  !  le  bon  garçon,  le  bon 
chrétien  !  Nous  avons  causé  tout  à  l'heure,  en  prenant  un 
verre  de  cidre  avec  ton  père  ;  la  conversation  est  tombée  sur 
les  affaires  actuelles .  .    En  voilà  un  qui  ne  se  gêne  pas  pour 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAITRE  BIENAIME  71 

dire  sa  façon  de  penser  !  Tu  n'étais  pas  là,  ma  fille  ;  c'est  dom- 
mage ! 

Mathilde  n'était  pas  surprise  ;  elle  n'ignorait  point  que  son 
voisin  était  un  véritable  apôtre,  qui  propageait  les  bons  jour- 
naux, combattait  l'alcoolisme,  s'entendait  avec  le  curé  de 
Clairville  pour  fonder  une  mutuelle  agricole.  Kt  comme  il 
parlait,  en  effet  !  Tantôt,  auprès  du  noisetier,  elle  n'avait  pas 
pu  se  défendre  d'écouter  un  peu.  Les  choses  qu'il  disait,  elle 
les  avait  pensées  bien  des  fois  ;  mais  elle  n'aurait  jamais  su 
les  démêler  une  à  une,  ni  surtout  les  exprimer  si  bien.  Ab  ! 
il  avait  le  droit  de  parler,  celui-  là,  car  il  prêchait  d'exemple  ! 
11  aurait  pu  devenir  un  monsieur  de  la  ville,  un  notaire,  un 
médecin,  tout  ce  qu'il  aurait  voulu  !  C'était  par  goût  qu'il 
avait  choisi  la  culture.  II  ne  tenait  pas  seulement  à  la  terre 
par  intérêt,  par  habitude,  comme  tant  d'autres  ;  il  l'aimait.  . 
oui,  comme  on  aime  une  personne  !  Il  aimait  l'âme  de  la  terre  ! 
11  avait  consacré  sa  vie  à  défendre  la  terre,  à  la  rendre  plus 
belle  et  meilleure,  à  lui  conserver  des  enfants. 

— C'est  avec  ces  caractères-là  qu'on  refait  un  pays  !  décla- 
rait l'abbé  Brissot  en  traversant  la  cour..  Qu'est-ce  que  tu 
as,  toi,  ma  fille  ?  demanda-t-il  subitement  à  sa  nièce,  qui  l'ac- 
compagnait jusqu'au  bas  de  la  côte. 

— Rien,  mon  oncle.  .  C'est  à-dire,  je  suis  triste  parce  que 
vous  vous  en  allez  ! .  . 

Certes,  la  réponse  était  parfaitement  sincère  ;  mais  peut- 
être,  au  fond,  tout  au  fond  du  coeur  de  Mathilde,  murmurait 
la  parole  qu'elle  s'était  répétée  maintes  fois,  pour  refouler  des 
souffrances  physiques  : 

"  Il  ne  faut  pas  s'écouter." 

VIII 

l'assemblée 

Les  feux  de  Tété  embrasaient  Clairville,  desséchaient  les 
abreuvoirs,  faisaient  taire  les  oiseaux  ;  la  verdure  perpétuelle 


72  LA   REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

du  marais  encadrait  les  chaumes  ras,  les  sarrasins  mûrs,  les 
pommiers  où  perlaient  déjà  les  pommes.  Une  couche  de  pous- 
sière donnait  à  la  campagne  un  reflet  blanc,  et,  dans  le  village 
assoupi,  les  roses  trémières  et  les  "  soleils  "  penchaient  leurs 
têtes  lourdes  par- dessus  les  murs  dégradés. 

Cette  langueur  des  choses  rejaillissait  sur  Léa,  qui  remon- 
tait vers  la  ferme  au  retour  d'une  messe  matinale  entendue 
à  la  paroisse  voisine.  Elle  suivait  la  Vérelle,  la  jolie  rivière 
qui  glisse  derrière  les  masures,  se  frôle  presque  au  monticule 
ombreux  de  l'église,  et,  se  détournant  tout  à  coup,  s'enfonce 
dans  le  marais,  comme  si,  malgré  sa  paresse,  elle  bondissait  de 
joie  devant  cet  immense  espace  lumineux  ! 

Léa  "  gardait,"  ce  dimanche-là  ;  c'était  son  tour  !  Oh  !  l'in- 
tolérable ennui  de  rester  des  heures  enfermée  à  surveiller  le 
pot-au-feu  ! 

Combien  de  temps  faudrait-il  se  soumettre  encore  à  tous 
ces  vieux  usages  ridicules,  ne  .laissant  aucun  jeu  à  la  fantai- 
sie, à  la  variété  !  C'était  un  couvent,  la  Closerie, — si  bien 
nommée,  hélas  ! — la  discipline  y  était  pire  que  chez  les  Car- 
mélites. Chacun  y  avait  son  rôle,  étroitement  délimité,  sa 
place  dans  la  hiérarchie .  .  La  diatribe  intérieure  fut  inter- 
rompue par  le  bruit  de  deux  sabots  cahotants  ;  la  mère  Na- 
nette,  au  bas  des  marches  disjointes  qui  descendaient  de  son 
jardinet  vers  la  rivière,  abordait  Léa  en  lui  soufflant  mysté- 
rieusement : 

— Enfin,  vous  voilà  !  Depuis  le  temps  que  je  vous  guette  ? 

Avec  un  rire  de  sa  bouche  édentée  et  de  ses  petits  yeux  en 
trous  de  vrilles,  la  commère  tirait  de  son  tichu  croisé  une 
enveloppe  de  format  élégant. 

— Ce  que  ça  sent  bon,  Mam'zelle  Léa  !  reprenait-elle,  exa- 
minant, en  dessous,  la  figure  rayonnante.  Mes  hardes  vont 
en  garder  l'odeur  pendant  plusieurs  jours. 

— Merci,  Nanette  ! 

Et,  dans  son  eftusion,  la  jeune  fille  tendit  une  pièce  d3 
vingt  sous  à  la  vieille  dont  l'ébahissement  fut  tel,  qu'elle  de- 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  73 

meura  deux  secondes  immobile,  à  regarder  le  disque  d'argent 
briller  au  creux  de  sa  main. 

.  .  Quelle  transformation  chez  Léa  !  Maintenant  elle  s'en- 
vole, rasant  l'herbe  brûlée  ;  rentrée  à  la  maison,  elle  se  sauve 
dans  sa  chambre,  et,  d'un  coup  d'ongle,  fend  l'enveloppe  ;  sur 
le  vélin  aux  bords  déchiquetés — dernier  cri  de  la  mode  ! — la 
haute  écriture  artificielle  de   Mme   Latrarde  a  tracé  ces  mots 

"  Ma  chère  enfant,  ne  me  juge  pas  sur  les  apparences,  et 
ne  suspecte  jamais  l'intérêt  affectueux  que  je  te  conserve.  Ta 
confiance  en  moi  me  touche  profondément,  et  je  te  l'aurais 
déjà  dit  de  vive  voix  si  les  circonstances  ne  m'imposaient  une 
discrétion  absolue .  .  Tu  comprends  bien,  n'est-ce  pas.  que  je 
ne  puis  revenir  à  la  Closerie  sans  une  invitation  de  ton  père, 
et  ta  manière  de  t'exprimer,  le  mode  de  correspondance  que 
tu  me  proposes,  me  font  penser  qu'on  ne  désire  guère,  autour 
de  toi,  voir  se  poursuivre  nos  relations. 

"  Mais  prends  patience,  ma  pauvre  chère  petite,  ou  je  me 
trompe  fort,  ou  je  trouverai,  d'ici  peu,  l'occasion  de  te  ren- 
contrer sans  porter  ombrage  à  personne .  .  " 

Léa  baisa  par  deux  fois  ce  dernier  paragraphe.  Pour- 
tant .  .  avec  quel  sourire  Amélie  avait  écrit  cette  page  ! .  .  De 
quel  ton  la  chère  tante  avait  murmuré  en  posant  la  plume  : 
"  Après  tout,  que  m'importe  ?  Je  ne  m'engage  à  rien,  je  n© 
risque  rien.  .  Je  n'ai  rien  à  perdre,  et  j'ai  beaucoup  à  gagner." 

Tout  de  suite,  Léa  se  sentit  renaître  ;  une  sève  nouvelle 
circula  dans  son  petit  être  capricieux.  Quinze  jours  plus  tard, 
le  fermier,  revenu  du  marché  de  la  Haye-du-Puits  où  il  avait 
rencontré  son  jeune  voisin,  annonça  en  se  mettant  à  t^able  : 

— C'est  jeudi  la  fête  de  la  Salette  ;  il  y  aura  de  la  place 
pour  vous  dans  la  voiture  de  la  Haie  d'Epine  si  le  cœur  vous 
en  dit. 

— Oh  !  je  veux  bien  !  s'écria  Mathilde  avec  un  sourire  très 
rapide,  mais  incroyablement  jeune. 

— Avec  les  Arcent  de  Bruneville  et  les  Ghaumel  de  Saint- 
Damien,  vous  serez   toute   une   voiturée,  ajouta  Maître  Bien- 


74  LA    REVUE    FRANCO-AMTÎRICAINE 

aimé.  Ils  pîirfciiont  aussitôt  après  dîner,  dans  la  carriole  à 
trois  bancs. 

Mathilde  sourit  encore,  en  versant  du  cidre  à  Eugène;  elle 
se  sentait  toute  joyeuse,  la  grande  fille  de  la  Closerie,  la  grave 
ménagère,  sitôt  privée  de  délassements  et  de  distractions. 

A  six  kilomètres  de  Clairville  s'élève  un  sanctuaire  dédié  à 
la  Vierge  des  Alpes,  et  très  renommé  dans  le  pays  ;  pendant 
la  belle  saison,  les  pèlerinages  paroissiaux  y  affluent  de  se- 
maine en  semaine,  et  le  19  septemlïre,  jour  anniversaire  de 
l'apparition  de  Notre-Dame  aux  deux  bergers,  est  marqué  par 
une  grande  fête,  à  la  fois-  religieuse  et  profane,  où  toutes  les 
communes  d'alentour  se  donnent  rendez-vous.  Mathilde,  à 
cette  pensée,  croyait  redevenir  petite  ;  ce  serait  gentil  de  faire 
un  tour  dans  l'assemblée,  de  retrouver  à  chaque  pas  des  amis, 
des  connaissances,  de  s'amuser  un  peu  aux  boutiques,  aux 
loteries,  aux  "  curiosités  " .  .  Mais  comme  ce  serait  meilleur 
encore  de  s'agenouiller  devant  Notre-Dame  de  la  Salette,  de 
la  prier  bien  fort  dans  la  chapelle  comble,  d'écouter  la  parole 
si  bonne  du  vieux  Curé — un  saint  ! — et  de  revenir  à  la 
"  fraîche  "  en  chantant  des  cantiques  ! 

— Mme  Chaumel  invite  Eugène  aussi .  .  ajouta  le  père,  en 
ouvrant  son  couteau, 

Mathilde  posa  la  main  sur  l'épaule  de  son  frère. 

— Veux-tu  venir  à  la  îSalette  ?  à  l'assemblée  ?  Veux-tu  ? 

Il  la  regarda  fixement,  sans  paraître  comprendre.  Et  un 
souffle  froid  éteignit  la  joie  de  la  jeune  fille. 

— Oh  !  dit-elle  à  mi-voix,  je  resterais  bien,  alors.  . 

— j.*u  tout  !  intervint  Brissot  ;  ta  sœur  y  est  allée  sans  toi 
les  années  dernières  ;  tu  te  donnes  assez  de  mal  pour  mériter 
de  prendre  un  peu  de  plaisir. 

— Pourvu  qu'il  fasse  beau  !  s'écria  Léa. 

Car  s'il  faisait  beau,  elle  pourrait  se  pavaner  dans  sa  toi- 
lette de  cérémonie,  habituellement  réservée  à  la  fête  patro- 
nale et  à  la  Fête-Dieu  ! 

Les  vœux  de  la  jeune  coquette  furent  servis  à  souhait  ; 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  75 

l'azur  était  radieux  et  la  route  incandescente  lorsque,  le  jeudi 
suivant,  la  carriole  de  la  Haie  d'Epine  atteignit,  vers  deux 
heures,  les  abords  de  la  chapelle.  Le  véhicule  était  si  long,  si 
large,  si  plein  que  le  vigoureux  percheron  soufflait,  couvert 
d'écume  malgré  la  brièveté  de  sa  course  et  la  modération  de 
son  allure  ;  le  conducteur, — un  valet  des  Chaumel, — avait  dû, 
faute  de  place,  s'asseoir,  les  jambes  pendantes,  sur  le  rebord. 
Il  descendit  pour  guider  le  cheval  par  la  bride  à  travers  l'é- 
norme affluence  de  voitures  et  des  piétons  qui  débouchaient 
de  toutes  parts.  En  haut  de  la  côte,  face  à  un  horizon  fertile 
et  rayonnant,  le  monument  se  dessinait,  blanc,  élégant  et 
simple  avec  son  fin  campanile,  au  milieu  de  son  enclos  orné 
de  parterres,  fermé  d'une  grille  fleurie  et  terminé  par  une 
esplanade  d'oii  s'élance  triomphalement,  vers  le  ciel,  un  beau 
calvaire  taillé  en  plein  granit. 

Le  conducteur  ayant  découvert  un  endroit  propice,  on  se 
mit  en  devoir  d'opérer  la  descente,  assez  laborieuse,  mais  fa- 
cilitée par  le  double  marchepied.  Mme  Chaumel,  très  digne 
avec  sa  robe  noire,  son  corsage  à  basques  et  son  bonnet  su- 
perbe, en  précieuse  dentelle  de  fil,  tendit  au  domestique  les 
enfants  :  toute  une  tribu  de  petits  Arcent  aux  joues  rouges, 
aux  yeux  futés.  Les  femmes  sautèrent  toutes  seules,  défri- 
pant leurs  jupes  d'un  geste  prompt,  non  dépourvu  d'une  grâce 
instinctive.  Enfin  le  valet  abaissa,  au  fond  de  la  carriole,  le 
panneau  démontable  ,  et  les  occupants  du  dernier  banc,  les 
Chaumel  de  Saint- Damien,  parents  éloignés,  mais  amis  trè? 
intimes  des  Chaumel  de  Clairville,  surgirent  à  leur  tour  ; 
après  la  mère,  une  Bessinaise,  qui  avait  conservé,  de  son  pays 
natal,  la  petite  coiffe  plate  en  forme  de  calotte  allongée,  ceinte 
d'un  ruban  de  velours,  vint  le  grand-père,  un  vieux  en  longue 
blouse,  au  type  de  patriarche,  puis  la  cousine  Marthe,"  gen- 
tille brune  de  dix-sept  ans,  fort  timide  sous  ses  cheveux  lé- 
gèrement tirés  et  son  chapeau  noir  enguirlandé  de  cerises. 
D'une  chaise  logée  on  ne  sait  où,  se  leva  Mathilde  Brissot, 
habillée  de  gris  ;  alors  seulement,  avec  mille  précautions  qui 


76  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

ne  la  rendaient  ni  gauche  ni  embarrassée,  Léa  descendit,  belle 
comme  la  princesse  Aurore,  éblouissante  de  fraîcheur  avec  sa 
robe  de  voile  rose-pâle,  ornée  de  plissés  soleil  et  de  dentelles 
Kenaissance,  et  sa  capeline  de  paille  dont  les  nœuds  de  gaze 
et  les  roses  pompon  s'entremêlaient  à  sa  vaporeuse  chevelure 
d'or. 

— Moi,  lui  avait  dit  sa  sœur,  je  trouve  que  ce  n'est  pas 
commode  pour  aller  en  voiture,  et  il  me  semble  que  cela  m'en- 
pêcherait  de  m'amuser .  . 

Louis  n'avait  pas  accompagné  sa  mère  :  voulant  faire  son 
pèlerinage  à  pied,  il  était  parti  seul,  une  heure  avant  la  car- 
riole. Mme  Chaumel,  après  avoir  donné  l'ordre  de  conduire 
le  cheval  à  une  auberge,  prit,  dans  sa  main  gantée  de  tissu 
noir,  sa  grosse  montre  d'or.  , 

— Les  vêpres  sont  à  deux  heures  et  demie,  dit-elle  ;  il  est 
grand  temps  d'entrer  si  nous  voulons  avoir  des  places  ! 

Puis,  se  mettant  à  la  tête  de  sa  bande,  elle  se  dirigea  vers 
le  porche. 

Entrer,  cela  se  pouvait  encore  ;  mais  découvrir  des  places, 
c'était  une  autre  affaire  !  Déjà  on  s'étouffait  dans  les  bancs,  on 
se  poussait  dans  la  nef  ;  Léa,  qui  marchait  la  dernière,  un 
peu  flâneuse,  fut  retardée  par  un  groupe  compact  qui  sortait 
du  magasin  de  cierges. 

— Ah  !  vous  voilà  !  fit-elle  en  reconnaissant  Louis  ;  nous 
arrivons,  nous  autres.    Pourquoi  donc  êtes- vous  venu  à  pied  ? 

— J'avais  promis. 

— Comme  vous  dites  cela  sérieusement  !  Qu'est-ce  que  vous 
avez  ! 

C'est  qu'il  la  regardait  sans  sourire,  avec  une  expression 
qui  semblait  le  grandir  encore  et  le  rendait  plus  beau. 

Une  puissante  rumeur  de  prière  les  enveloppait  tous  deux  : 
on  récitait  le  chapelet  aux  pieds  de  Notre-Dame.  En  face,  la 
croix  se  dressait  dans  la  lumière  vibrante,  du  milieu  des 
dahlias  flamboyants.  Au  bas  de  la  côte,  l'église  paroissiale 
carillonnait,  et  soudain  les  voix  d'argent  du  campanile  jailli- 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  77 

rent  au-dessus  de  Louis  et  de   Léa,  en  un  concert  aérien, 
hymne  d'amour  et  de  fête. 

Dans  cette  grande  joie  religieuse,  dans  ce  /déploiement  de 
splendeur  et  de  vie,  il  la  contemplait.  .  trop  ému  de  la  revoir 
ici,  de  lui  parler  au  seuil  du  cher  sanctuaire  où  il  était  venu 
prier  pour  elle,  confier  à  la  Vierge  toute  bonne  le  secret  de 
son  cœur. 

Non,  il  ne  prenait  pas  au  sérieux  les  prétentions  de  Léa, 
son  dégoût  des  choses  de  la  campagne.  Ce  n'étaient  là  que 
les  fantaisies  d'une  imagination  très  jeune  ;  cela  passerait 
certainement  dès  que  Léa  connaîtrait  la  vie  réelle,  dès  qu'elle 
connaîtrait  ce  véritable  amour. 

— Ecoutez,  dit-il  un  peu  vite  ;  j'ai  une  affaire  très  impor- 
tante que  je  vais  recommander  à  Notre-Dame  de  la  Salette.  . 
Voudrez-vous  bien  demander  ce  que  je  demande  et  prier  avec 
moi  ?.. 

Elle  répondit  oui,  de  la  tête,  et  ils  entrèrent  ensemble.  Au 
bénitier,  fait  d'une  vaste  coquille,  elle  toucha,  de  ses  petits 
doigts  gantés  de  peau  blanche,  la  main  féconde  du  jeune  tra- 
vailleur. Pendant  leur  court  dialogue,  Mme  Chaumel  était 
parvenue  à  placer  tant  bien  que  mal  les  enfants,  Marthe  et 
Matliilde  ;  les  autres  durent  rester  debout.  A  chaque  instant, 
des  groupes  nouveaux  arrivaient,  s'insinuaient  à  travers  la 
nef,  se  coulaient  dans  la  chapelle  latérale  où  un  prêtre  ma- 
niait vigoureusement  l'harmonium,  s'écrasaient  contre  la  ba- 
lustrade du  chœur.  Les  vêpres  étaient  commencées,  le  chant 
des  psaumes  s'enflait,  tonnait,  roulait  dun  bout  à  l'autre  du 
vaisseau  trop  étroit,  dans  la  pluie  étincelante  des  vitraux, 
dans  le  rayonnement  des  lustres,  dans  la  fulgurance  des  fais- 
ceaux de  cierges  grossis  de  minute  en  minute.  Et  la  grande 
statue,  élevée  en  arrière  de  l'autel,  illuminée  d'en  haut  par 
une  clarté  dorée,  semblait  sourire  à  la  foi  des  Normands. 

Oh  !  cette  foi,  qui  donc  eût  nié  sa  présence  devant  un  tel 
concours  de  foule,  devant  cet  enthousiasme  des  voix,  cette 
gravité  des  attitudes,  cette  profusion  de  flambeaux,  ces  innpm- 


78  LA  REVUE  FRANCO- AMERICAINE 

brables  ex-voto,  témoignages  des  faveurs  qui  l'ont  récompen- 
sée !  Sans  doute,  elle  est  souvent  entravée  par  les  préoccupa- 
tions matérielles,  refroidie  par  le  vent  de  scepticisme  qui 
souffle  de  partout,  hélas  !  Mais  pour  que,  malgré  les  causes 
contraires,  elle  puisse  pousser  encore  des  jets  si  robustes,  il 
faut  que  la  terre  soit  bonne  et  l'arbre  bien  vivant. 

La  moitié  de  l'assistance,  refoulée  au  dehors,  suivait  l'office 
avec  autant  de  ferveur  ;  une  multitude  immobile  stationnait 
devant  le  porche  ;  tout  le  long  des  grilles  de  clôture,  des 
hommes,  des  femmes,  des  enfants,  assis  sur  le  mur  d'appui  en 
files  ininterrompues,  priaient,  le  livre  ou  le  chapelet  en  main  ; 
d'autres  se  tenaient  debout,  accotés  au  mur  de  l'édifice,  sous 
les  verrières  ouvertes  d'où  les  chants  s'échappaient,  mêlés  à 
une  buée  lourde  et  brûlante. 

Cependant,  sur  l'esplanade,  la  circulation  demeurait  in- 
tense :  d'innombrables  voitures  arrivaient  encore,  s'entas- 
saient dans  un  champ  voisin  où  l'on  avait  établi  une  garde. 
Entre  les  parterres  défilaient  les  blouses  brillantes,  à  boutons 
de  nacre,  et  les  vestons  de  droguet  des  paysans,  parmi  les 
flots  de  bonnets  aux  brides  de  ruban  crème,  aux  ruches 'irré- 
prochables, souvent  mêlés  de  nœuds  ou  de  fleurs  ;  puis  c'é- 
taient les  bonnets  plus  hauts  du  pays  de  Gorges,  les  bonnets 
plats,  à  brides  noires,  pour  le  deuil,  et,  sur  les  vieilles  têtes,  les 
bonnets  à  courte-oreille,  les  havolets  tuyautés  sur  le  cou.  Les 
femmes  âgées  allaient  lentement,  balançant  leur  taille  déme- 
surément élargie  par  le  bourrelet  entourant  les  hanches.  Quel- 
ques aïeules  arboraient  encore  la  petite  coiffe  absolument  en- 
gainante, appelée  bonnette,  le  fichu  à  franges  et  à  fleurs  bro- 
chées, le  tablier  de  soie  gorge-de-pigeon.  Beaucoup  de 
paysannes  portaient  des  corsages  noirs,  à  basques,  sur  des 
jupes  de  couleur  crue  :  bleu-de-roi,  vert-épinard  ou  violet- 
monseigneur.  Tout  cela  fraternisait  avec  les  toilettes  plus  ou 
moins  estropiées,  représentant  la  gamme  entière  de  l'élégance 
campagnarde,  dont  les  robes  claires  et  les  chapeaux  empana- 
chés occupaient  le  sommet    Ça  et  là  glissait  la  silhouette  mo- 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  79 

nastique  d'une  veuve  dont  la  cape  rappelait  l'habit  des  Pe- 
tites Sœurs  des  Pauvres  ;  et  partout  fourmillaient  des  enfants, 
suçant  des  pipes  en  sucre  d'orge,  soufflant  dans  des  mirlitons 
ou  des  trompettes,  tenant  au  bout  d'un  fil  des  ballons  en  bau- 
druche, ou,  au  bout  d'une  baguette,  des  tourniquets  de  papier 
multicolore. 

Bientôt  un  double  courant  se  dessina  parmi  la  multitude  : 
un  fleuve  humain  se  déversait  par  le  porche,  à  l'issue  des 
vêpres,  et  toute  la  société  des  Chaumel  ne  tarda  point  à  repa- 
raître, se  dirigeant  vers  le  lieu  de  l'assemblée.  Marthe,  en 
arrière,  chuchotait  avec  Léa,  sa  compagne  de  pension.  A  la 
barrière  du  champ  de  foire,  Mme  Chaumel  tira  son  fils  par  la 
manche  et  lui  intima  brièvement  : 

— Donne  le  bras  à  ta  cousine. 

Louis  arrêta  sur  sa  mère  ses  prunelles  loyales  ;  mais  ayant 
regardé  Marthe,  il  obéit,  sentant  que  la  chose  ne  tirerait  pas 
à  conséquence;  la  fillette,  beaucoup  plus  intimidée  qu'heu- 
reuse, paraissait  très  occupée  à  relever  sa  robe  et  ne  dit  pas 
quatre  paroles  à  son  cousin  durant  tout  le  temps  qu'il  l'ac- 
compngna. 

Autour  d'eux  s'élevaient  les  boutiques  en  plein  vent,  où 
s'étalaient  les  jouets  d'un  sou,  les  "surprises,"  les  amandes 
sèches,  les  sucres  d'orge  qui  fondaient  au  soleil,  les  brioches 
et  les  "  cornnets,"  sortes  d'échaudés  à  cinq  ou  six  cornes,  dont 
le  secret  de  confeétion  est  jalousement  gardé  par  la  famille 
de  l'inventeur.  Les  baraques  de  saltimbanques  voisinaient 
avec  les  loteries,  les  tirs,  et  les  longues  tentes  unies  ou  rayées, 
installées  par  les  débitants  des  alentours  pour  abriter  les 
dîneurs.  Enfin,  au  beau  milieu  du  champ  de  foire,  les  che- 
vaux de  bois,  invraisemblables  bucéphales  dont  plusieurs 
8.vaient  perdu  la  queue  ou  les  oreilles,  tournaient, — mis  en 
branle  par  un  vrai  cheval,  leur  compagnon  d'infortune, — sous 
le  gigantesque  parasol  frangé  d'un  or  douteux. 

Et  c'étaient,  dans  le  soleil  et  la  poussière,  une  mêlée,  un 
piétinement,  un  brouhaha  indescriptibles  !  Par-dessus  le  roule- 


80  LA   REVUE   FRANCO- AMÉRICAINE 

ment  ininterrompu  des  conversations,  des  rires,  des  exclama- 
tions lancées  dans  ce  patois  rude  ou  l'on  croit  sentir  encore 
riûfluence  des  conquérants  d'outre-mer,  retentissaient  les 
appels  aigus  des  marchands,  les  mélopées  nasillardes  des  col- 
porteurs et  des  vendeurs  de  gaufres,  les  glapissements  des 
forains  à  la  parade,  les  battements  des  grosses  caisses,  les 
mugissements  des  trombones,  les  grincements  des  tourni- 
quets, les  coups  de  cloche  des  loteries,  les  coups  de  fusil  des 
tirs,  et,  dominant  tout,  la  musique  ^du  manège,  une  vieille 
frénétique,  broyant,  avec  le  bruit  de  mille  casse-noisettes,  les 
airs  les  plus  échevelés  ! 

C'étaient  les  chevaux  de  bois  qui  constituaient  la  grande 
attraction.  C'était  là  que  se  concentrait  cette  gaîté  bruyante, 
rustique,  peu  raffinée  évidemment,  mais  saine  en  elle-même  ; 
très  populaire,  mais  nullement  populacière,  et  fleurant  l'odeur 
franche  du  terroir. 

— Vas-tu  monter  ?  dit  Léa,  tout  bas,  à  Mathilde  qui  instal- 
lait dans  une  voiture,  les  quatre  petits  Arcent. 

— Bien  sûr  !  Pourquoi  pas  ?  répondit  la  jeune  fille,  sans 
penser  le  moins  du  monde  à  cacher  son  goût  pour  ce  divertis- 
sement rural.  Marthe  Chaumel  a  déjà  fait  deux  tours  ;  viens- 
tu,  Léa  ? 

— Oh  !  moi,  je  ne  sais  pas  si  je  dois,  murmura-t-elle,  per- 
plexe. 

M&rie  Le  Mière. 

(A  suivre  au  "prochain  numéro.) 


Ci  ntiùK  «us  Nousnrtiore  ^utiffim' 


POLITIQUE,     LITTERAIRE,     ARTISTIQUE 

(HEBDOMADAIRE) 


C'est  le  titre  d'une  publication  que  la  "  Revue 
Franco- Américaine"  va  entreprendre  pour  répondre 
au  désir  de  tous  les  amis  de  la  cause  qu'elle  défend. 

Nous  l'avons  annoncée  le  mois  dernier,  et  nous 
avons  déjà  pour  notre  future  publication  une  liste 
d'abonnés  fort  respectable.  Nous  en  remercions  très 
cordialement  nos  amis  pour  l'empressement  qu'ils 
mettent  à  nous  seconder  dans  cette  nouvelle  entre- 
prise. Qu'ils  continuent  la  propagande  dans  leur  en- 
tourage, parmi  leurs  amis  qui  sont  aussi  les  nôtres. 

Le  "Gaulois"  publiera  son  premier  numéro  dans 
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Le  "GAULOIS",  revue  littéraire,  politique  et 
artistique.    Grand  format. 

Questions  d'actualité,  traitées  au  point  de  vue 
des  intérêts  canadiens-français.  — ^  Feuilletons,  irré- 
prochables. —  Une  revue  qui  intéressera  tous  les 
membres  -de  la  famille  et  pourra  être  mise  entre  tou- 
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Voici,  ce  qu'en  disent  l'éditeur  et  l'auteur  : 

"  Nous  n'avons  pas  d'autre  but  que  d'ouvrir 
les  yeux  à  des  amis,  à  des  juges  obstinément  com- 
plaisants pour  nos  ennemis,  pour  les  pires  ennemis 
de  la  religion. 

"  Voyez  les  assimilateurs  en  action  !  Ce  ta- 
bleau vous  indigne  ?  Tant  mieux. 

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La  "Bêche"  est  ime  pièce  que  nos  lecteurs  vou- 
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DEUX  MEMOIRES 


I 

Mémoire  présenté  par  les  Irland&is  en  1901  et 

signé  par  M.  Charles  Murphy 

et  quelques  autres 

II 

Réponse  de  Sa  Grandeur  Monseigneur  Duhamel 

adressée  au  Cardinal  Préfet  de 

la  Propagande 


Extraits  de  la 

REVUE   FRANCO^AMÉRICAINE 

de  Mai,  Juin  et  Juillet  191 1 


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Quatre  ''Grands  Prix'' 


Au  sujet  de  la  part  prise  par  le  Grand-Tronc  dans  l'exhibition  tenue 
au  Crystal  Palace,  Londres,  Angleterre,  pendant  le  festival  de  l'Empire 
de  nouveaux  renseignements  venus  de  Londres  nous  apprennent  qu'au 
lieu  de  de«iX  prix  mentionnés  dans  les  premières  dépêches,  les  compagnies 
du  Grand-Tronc  et  du  Grand-Tronc-Pacifique  ont  reçu  quatre  "  Grands 
Prix." 

Ces  prix  ont  été  accordés  sous  les  titres  suivants  :  "  Arts  et  Métiers  ;  '* 
"  Vie  comique  ;  "  "Kclairage"  et  "Transportation;"  il  est  aussi  ques- 
tion des  "  Métiers  constructeurs  "  et  de  "  l'Annonce.  "  Tout  ceci  est  un 
grand  honneur  pour  les  compagnies  nommées,  car  les  autres  chemins  de 
fer  qui  ont  pris  part  à  l'exposition  n'ont  reçu  qu'une  récompense. 

Le  rapport  officiel  du  représentant  du  Grand-Tronc  à  cette  exposition 
pour  la  semaine  finissant  le  9  septembre,  porte  le  nombre  des.  visiteurs 
qui  se  sont  présentés  cette  semaine-là,  au  pavillon  du  Grand-Tronc,  à 
21,186.  A  cette  date,  le  nombre  total  des  visiteurs  au  pavillon  du  Grand- 
Tronc  était  de  279,942. 


A  partir  de  lundi  le  18  septembre,  le  chemin  de  fer  du  Grand-Tronc- 
Pacifique  a  établi  un  train  mixte  sur  la  branche  de  Régina,  entre  Melville 
et  Régina.  Les  lundis,  mercredis  et  vendredis,  ce  train  quittera  Melville 
à  10  h.  3t;  du  matin  et  arrivera  à  Régina  à  7  h.  35  du  soir.  Les  mardis, 
jeudis  et  samedis,  il  quittera  Régina  à  7  h.  du  matin  et  arrivera  à  Mel- 
ville à  4  h.  de  l'après-midi.    Il  arrêtera  aux  postes  intermédiaires. 


LE  PACIFIQUE  CANADIEN 

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Montréal  et  Ottawa, 

Montréal,  Joliette  et  St-Gabriel. 

Montréal,  Stë-Agrathe,  Noralningue 
et  les  Les  Laurentldes,i 

Montréal  et  les  Chutes  Shawlnl- 
san, 

Montréal  et  Ste-Anne  de  Beau- 
pré, 

Montréal  et  le  Cap  de  la  Magde- 
lelne, 

Montréal,  Bala  et  le  MuskoKa, 


Montréal,  St-Jean,  N.-B.,  et  les 
Provinces  Maritimes, 

Montréal,  Manchester,  Nashua, 
Loweil,  Boston  et  la  Nouvelle- 
Angleterre, 

Montréal,  Toronto,  Détroit  et  Chi- 
cago, 

Montréal,  Sault  Ste-Marie,  St- 
Paul,  Duluth,  MlnneapoJis, 

Montréal,  Fort  William,  WInnipeg, 
^Vaiiconver,  le  Kootenay  et  la 
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altitude  son  principal  sujet  d'intérêt,  de  même  que  tout  le 
profit  qu'en  rapportent  les  touristes. 

A  la  gare  du  Parc  Algonquin,  le  meilleur  poste  d'obser- 
vation le  long  du  chemin  de  fer,  l'élévation  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer  est  de  1700  pieds.  A  cette  hauteur,  l'air 
possède  des  propriétés  toniques  qu'on  ne  peut  comprendre 
sans  en  avoir  fait  l'essai.  Grâce  à  une  prévalence  des  vents 
du  nord  et  de  l'ouest,  l'air  est  purifié  en  passant,  comme  à  tra- 
vers un  tamis,  sur  plusieurs  millions  de  milles  carrés  de  forêt 
dont  la  plus  grande  partie  se  compose  de  pins  et  de  sapins. 

Le  "Highland  Inn"  offre  une  accommodation  exception- 
nellement bonne  aux  touristes,  qui  peuvent  visiter  ce  terri- 
toire en  n'importe  quelle  saison  de  l'année.  L'hôtel  est 
ouvert  toute  l'année. 

On  peut  se  procurer,  à  ce  sujet,  une  magnifique  brochure 
et  toutes  les  informations  désirables,  et  gratuitement,  en 
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Supplément  de  "La  Revue  Franco-Amépicaine  " 


\^ol.  VIII.  No  2. 


Montréal,  1er  Décembre  1911 


G.   W.    SÉGUIN, 

président  de  l'Union  St-Joseph  du  Canada,  décédé  subitement 
à  Ottawa,  le  6  décembre  1911. 


VUEIS     CANADIENNES 


Le  roi  de  la  forêt. 


Vu^S  CANADIENNES. — Sur  la  rivière  des  Quinze.  1 


PARLONS    AFFAIREIS! 


Pour  i<e;  gouvkrnkmknt  Gouin. —  Que  fait  là  ce  vieux  pont  de  bois? 

1 


CoRRKCTiON. — Cequi,  dans  notre  dernier  numéro  était  un  feu  de  forêt 
est  aujourd'hui  ce  qu'il  doit  être — une  chute  d'eau 
de  plusieurs  milliers  de  chevaux- vapeur.  Pour  avoir 
le  feu  de  forêt,  il  faut  letourner  la  vignette.  Ceux 
qui  ne  seront  pas  satisfaits  de  l'arrangement. . . . 


A     QUEBEC 


LA  QUESTION  DE  LA  GARE  CENTRALE 


M.  S.  N.  Parent, 

appuyé  par  le  gouvernement  Laurier,  ex-président  du  TranscontinentaL 
n'avait  rien  trouvé  de  mieux  que  ce  pied  de  falaise,  large  à  peine  de  50 
pieds,  pour  faire  entrer  dans  la  ville  de  Québec  un  des  plus  grands  che- 
mins de  fer  du  monde. 

Kt  le  même  M.  Parent  avait  décidé  de  mettre  au  pied  de  la  terrasse — 
une  des  plus  belles  prnmenades  du  monde — la  gare  centrale  de  ce  chemin 
de  fer.     Mais les  gouvernements  se  suivent  et  ne  se  ressemblent  pas  ! 


L'Ouiatchouan 


Il  tonne  ?  Non.     Le  lac  brise  sur  le  rivage  ? 

Non.     Regardons,  tournés  vers  la  forêt  sauvage, 

Entre  deux  rocs  abrupts,  se  dérouler  sans  fin 

Le  fluide  rideau  d'argent  clair  et  d'or  fin 

Dont  une  extrémité  tombe  à  pic  d'une  cime 

Et  l'autre  tourne  au  fond  d'un  insondable  abîme  : 

C'est  rOuiatchouan  qui  plonge  et  clame  éperdument 

Dans  son  vertigineux  entonnoir  écumant 

Où  le  soleil,  dorant  au  loin,  frêne,  orme  et  tremble, 

Ose  à  peine  glisser  une  lueur  qui  tremble. 

Approchons  !...  La  clameur  grandit  incessamment. 

Approchons  !  approchons  encore  !...  En  ce  moment 

Nous  sentons  sous  nos  pas  émus  frémir  la  combe. 

Et  le  fracas  du  mur  s'écroulant  sous  la  bombe. 

Les  craquements  du  cèdre  en  proie  à  l'ouragan, 

Les  rauqucs  meuglements  du  farouche  océan 

Qui  se  rue,  écumeux,  à  l'assaut  des  falaises. 

Les  crépitations  des  pins  et  des  mélèzes 

Allumés  par  l'éclair  incendiant  nos  bois, 

Le  bramement  des  daims  et  des  cerfs  aux  abois, 

Les  éclats  de  la  foudre  et  du  bronze  qui  tonne,  . 

Les  râlements  du  glas  dans  la  bise  d'automne, 

Le  hurlement  des  loups,  le  grognement  des  ours, 

Les  sifflements  du  vent,  les  longs  grondements  sourds 

Du  volcan  vomissant  la  lave  et  la  ruine, 

La  plainte  des  mineurs  enterrés  dans  la  mine, 

Tous  ces  sinistres  bruits,  tous  ces  affreux  sanglots 

Des  hommes,  des  forêts,  du  feu,  du  fer,  des  flots, 

Des  éléments  rageurs,  des  fauves  en  démence, 

S'élèvent  des  remous  fumants  du  gouffre  immense. 

Approchons  ! ...  approchons  toujours!...  Le  tonnerre  des  eaux 

Ici  nous  assourdit,  ébranle  nos  cerveaux. 


82  LA   REVUE    FRANCO-AMIÉRICIANE 

Nous  grise,  nous  écrase  ;  et,  la  paupière  close, 

Tremblant  sur  les  cailloux  où  notre  pied  se  pose, 

Nous  rêvons,  nous  voyons,  dans  Tombre  du  grand  bois 

Se  glisser,  l'arc  au  poing,  le  féroce  Iroquois  ; 

Nous  entendons,  parmi  le  fracas  formidable 

Du  torrent  qui  se  tord  dans  le  gouffre  insondable, 

Les  longs  cris  éperdus  de  prisonniers  hurons 

Scalpés  et  brûlés  vifs  par  des  hommes-démons, 

Les  lamentations  d'une  jeune  victime 

Qu'un  sachem,  le  front  nu,  va  lancer  à  l'abîme 

Pour  calmer  la  fureur  des  puissants  manitous... 

Par  moments  les  grands  flots  échevelés  et  fous 

— Que  nos  yeux  trompés  voient  choir  du  ciel  sur  la  terre 

Dans  un  apaisement  subit,  semblent  se  taire. 

Et  soudain  notre  oreille  émerveillée  entend 

L'ineffable  solo  d'un  rossignol  chantant 

Sur  un  mouvant  rameau  qui  surplombe  la  chute. 

Mais  aussitôt  des  trils  de  hautbois  et  de  flûte. 

Des  sons  mystérieux,  d'indicibles  accords. 

Des  éclats  de  clairons,  de  bugles  et  de  cors. 

Auxquels  le  sifflement  de  la  balle  se  mêle. 

Couvrent  l'hyme  suave  et  pur  de  Philomèle, 

Et,  redits  par  l'écho  dolent  comme  un  adieu. 

Montent  vers  l'impassible  infini  du  ciel  bleu. 

Puis  ce  concert  sans  nom,  dont  la  plage  frissonne, 

Redevient  un  long  bruit  discordant,  monotone. 

Etourdissant,  sinistre,  effroyable,  angoissant. 

Nous  venons  de  toucher  enfin  le  bord  glissant 
Du  gouffre,  où  maintenant  un  soleil  d'or  flamboie; 
Et,  moites  de  l'embrun  qui  jaillit  et  poudroie 
Sous  la  brise  berçant  tout  près  hêtre  et  bouleau. 
Nous  regardons  crouler  les  ondes... — Quel  tableau  I 
Nul  peintre  extasié,  que  la  nature  enflamme. 
Nul  poète  portant  un  brasier  dans  son  âme. 
Ne  pourrait  sur  la  toile  ou  dans  l'airain  des  vers 
Exprimer  la  splendeur  des  aspects  si  divers 
Que  sous  le  dais  ombreux  de  la  forêt  compacte 


l'ouiatchouan  83 

Déroule  la  farouche  et  lourde  cataracte. 
Oui,  devant  l'Ouiatchouan  tout  art  est  impuissant. 
Voyez!...  voyez!...  Des  flots  de  lait  rougi  de  sang, 
Des  feuilles  de  platine  et  des  grappes  de  perle, 
Roulent  dans  Teau  qui  choit,  tourne,  écume  et  déferle. 
A  nos  yeux,  tour  à  tour  charmés  et  stupéfaits. 
L'agate  et  le  rubis  confondent  leurs  reflets, 
Des  paillettes  d'argent,  des  lamelles  de  cuivre. 
Des  filigranes  d'or,  des  étoiles  de  givre. 
Des  pétales  d'iris,  de  rose,  de  muguet. 
D'éblouissants  flocons  de  neige  et  de  duvet 
Tourbillonnent  sans  fin  dans  la  masse  mouvante 
Dont  la  vaste  clameur  jette  au  bois  l'épouvante, 
Et,  mêlant  leurs  éclats  à  ceux  du  diamant. 
Font  de  ce  lieu  d'horreur  un  lieu  d'enchantement. 
Sur  qui  cependant  flotte  un  voile  de  tristesse. 

Les  mille  glas  des  eaux  semblent  croître  sans  cesse, 
Et  nous  sentons  en  nous  brûler  plus  ardemment 
La  fièvre  du  vertige  et  de  l'effarement. 

Quelqu'un  va-t-il  jamais  mettre  fin  au  supplice 

Du  blanc  torrent  poussé  vers  le  noir  précipice  ? 

Non,  non.     Le  torturé  furieux  vainement 

Tentera  d'échapper  à  l'engloutissement; 

Mais,  comme  le  colosse  échevelé  qui  lutte 

Sans  espoir  apparaît  plus  grand  après  sa  chute, 

L'Ouiatchouan,  au  sortir  du  puits  vertigineux 

Où  ses  flots  sont  de  blancs  serpents  tordant  leurs  nœuds, 

S'élargit,  se  transforme  en  un  bassin  limpide 

Qu'en  ce  moment  la  brise  à  peine  effleure  et  ride. 

Avec  un  doux  murmure  elle  plonge  et  se  fond 

Dans  le  sein,  vierge  encor,  d'un  lac  vaste  et  profond. 

Sans  laisser  sur  son  calme  azur  la  moindre  trace. 

Comme  s'évanouit  et  sans  retour  s'efface 

Le  conquérant  brutal  ou  le  monstre  indompté 

Dans  l'infini  du  temps  et  de  l'éternité. 

W.  Chapman. 


L*EcoIe  des  Belles-Mères 


COMEDIE  EN  UN  ACTE 


(Suite\ 

Madame  Graindor.  Ne  vous  pressez  pas  d'obéir,  cela 
viendra  assez  vite.  Si  vous  saviez  les  tracas,  les  chagrins 
que  les  enfants  apportent  avec  eux,  vous  changeriez  d'avis- 
Ayez-en  un,  un  petit,  deux  totit  au  plus.  .  .  Ce  sera  suffisant. 

André.  Moi,  j'ai  des  théories  là-dessus.  J'en  veux  avoir 
bientôt  et  j'en  veux  avoir  beaucoup.  La  France  en  a  besoin. 

Fifine  (riant.)    Je  me  vois  déjà  en  mère  Gigogne. 

Madame  Graindor  (se  forçant  pour  être  douce).  Vous 
parlez  sans  raison,  mon  cher  André.  D'abord,  la  santé  de 
Fifine  ne  permettra  pas  la  réalisation  de  ces  rêves. 

André.    Allons  donc  ! 

Fifine.    Moi,  je  suis  de  l'avis  de  maman  ! 

Madame  Graindor  (de  même).    Ton  mari  plaisante. 

André.     Pas  du  tout. 

Madame  Graindor  (de  même).  Vous  vous  ruinerez  en 
frais  de  nourrice. 

André.  J'ai  encore  des  idées  là-dessus  :  mes  enfants 
n'auront  pas  d'autre  nourrice  que  leur  mère. 

Madame  Graindor  (avec  très  peu  d'éclat).  Mais  vous  au- 
riez dû  me  dire  tout  cela  avant  de  l'épouser,  cher  monsieur. 

Fifine  (désolée).  Et  moi  qui  aime  les  corsages  se  bou- 
tonnant dans  le  dos  ! 

Madame  Graindor  (à  André).  J'espère  que  vous  ne  par- 
lez pas  sérieusement.  Je  trouve  inconvenants,  oui,  c'est  le 
mot,  inconvenants,  les  ménages  qui. .  . 

André  (un  peu  sec.)  Vous  avez  tort,  vous  avez  tort,  je 
vous  l'assure.   D'ailleurs,  ceci  ne  regarde  que  nous. 

Madame  Graindor  (douce).  Mais,  comme  vous  me  parlez, 
mon  cher  André  I  Vous  pensez  bien  que,  si  je  vous  donne 


L'iécOLE   DES   BELLES-MÈRES  85 

des  conseils,  c'est  dans  votre  intérêt  et  dans  celui  de  ma 
fille.  J'ai  vécu  plus  longtemps  que  vous,  mon  pauvre  ami,  et 
je  connais  mieux  la  vie.  Plus  tard,  vous  vous  apercevrez 
que  j'avais  raison  ;  mais  les  enfants  ne  croient  pas  au  sa- 
voir des  vieilles  mamans. 

André.  Ils  ont  raison.  Moi,  je  laisserai  mes  enfants  libres 
de  faire  ce  qu'ils  voudront.  Ils  seront,  à  leur  gré,  banquiers, 
notaires,  soldats,  sculpteurs,  peintres  ou  auteurs  drama- 
tiques. 

Madame  Graindor.    Pourquoi  pas  danseurs  de  corde  } 

André.    Et  danseurs  de  corde,  si  cela  leur  convient. 

Madame  Graindor  (riant  faux,  à  Fifine).  Et  moi  qui  pre- 
nais tout  cela  au  sérieux  ! 

André.     Vous  auriez  tort  d'en  rire. 

Madame  Graindor.  Vous  aimez  plaisanter.  (Un  temps.) 
J'ai  passé  chez  le  tapissier,  ce  matin  ;  il  viendra  mettre  les 
rideaux  au  lit. 

André.    Les  reprendre,  vous  voulez  dire  ? 

Madame  Graindor.    Non  !  les  poser. 

André.    J'avais  demandé  à  Fifine  de  les  faire  reprendre. 

Fifine.  C'est  vrai,  je  me  le  rappelle  maintenant.  (A  An- 
dré.) J'ai  seulement  dit  à  maman  que  tu  m'avais  priée  de 
passer  chez  le  tapissier  :  j'avais  oublié  pourquoi.  En  effet, 
c'était  pour  lui  rendre  les  rideaux  de  lit. 

Madame  Graindor.  Des  rideaux  que  je  vous  ai  donnés  ! 
S'ils  ne  vous  plaisent  pas,  on  les  changera. 

André.  Je  ne  veux  de  rideaux  en  aucune  façon  à  notre 
lit  :  c'est  contraire  à  l'hygiène.  L'air  ne  circule  pas  à  son 
aise.  Les  poussières  s'amassent  dans  les  plis,  et  les  pous- 
sières, ce  sont  des  mondes  de  microbes,  si  vous  ne  savez 
pas  ça,  bonne  maman. 

Madame  Graindor.  Nous  avons  toujours  eu  des  rideaux  à 
notre  lit,  Graindor  et  moi,  et  ça  ne  nous  a  pas  fait  mourir... 
Mettez-les  aux  fenêtres. 

André.  Pas  davantage.  D'ailleurs,  nous  couchons  la  fe- 
nêtre ouverte. 

Madame  Graindor  (à  Fifine).  Est-ce  vrai  ?  (Fifine  fait 
signe  que  oui). 


86  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

André.  L*hygiène,  bonne  maman  !  De  votre  temps,  on 
ignorait  l'hygiène  !  Tout  cela  vous  surprend.  Je  vais  vous 
étonner  plus  encore.   J'ai   deux   demandes  à  vous  adresser. 

Madame  Graindor.    Vous  me  faites  peur. 

André.  La  première,  c'est  de  nous  permettre,  à  Fifine  et 
à  moi,  de  dîner  et  de  déjeuner  chez  nous. 

Madame  Graindor.  Est-ce  que  vous  ne  mangez  pas  bien... 
en  bas  ?  Je  suis  étrangement  récompensée  de  tout  le  mal 
que  je  me  donne  de  vous  être  agréable. . .  je  ne  sais  qu'in- 
venter pour  vous  faire  plaisir.  Je  n'ai  pas  de  chance,  vrai- 
ment. Si  ma  cuisine  ne  vous  paraît  pas  bonne,  dites-le.  .  . 
dites  ce  que  vous  aimez.  .  .  (Prête  à  pleurer).  J'avais  remar- 
qué que  vous  adoriez  le  rôti  de  veau  :  nous  en  mangeons 
trois  fois  par  semaine.  .  .  Ca  me  fait  des  scènes  avec  mon 
mari  qui  ne  peut  pas  le  souffrir.  . .  mais  je  passe  par  là- 
dessus  pour  vous.  .  .  Ce  soir,  il  y  avait  un  perdreau  truffé. 
Vous  voyez  bien  que  je  ne  suis  pas  une  méchante  femme. 

André.    Vous  êtes  très  bonne,  je  ne  l'ai  jamais  contesté- 
Madame  Graindor.     Eh  bien  !  vous  viendrez  nous  deman- 
der à  dîner  quand  vous  voudrez,  aussi  rarement  que  vous 
voudrez. 

André.  Ma  seconde  demande  est  celle-ci  :  Je  désire  que 
vous  m'aidiez  à  retenir  Fifine  ici,  chez  elle,  où  elle  reste 
trop  peu  de  temps. 

Madame  Graindor,  Vous  ne  voulez  pa?  la  garder  en  pri- 
son ? 

André.  Non.  Je  veux  qu'elle  s'habitue  à  son  rôle  de  maî- 
tresse de  maison,  qu'elle  s'occupe  de  diriger  les  domes- 
tiques, etc.,  etc. 

Madame  Graindor.  Est-ce  que  je  ne  m'en  acquittais  pas 
bien  ? 

André.  Si,  mais  j'aime  mieux  que  ce  soit  plus  mal  fait  te 
que  ce  soit  fait  par  Fifine. 

Madame  Graindor.  Alors,  vous  ne  voulez  plus  qu'elle 
vienne  me  tenir  compagnie  ? 

André.    Si,  mais  moins  souvent. 

Madame  Graindor.  Elle  ne  pouvait  trouver,  chez  moi»^ 
que  de  bons  exemples. 


l'^cgle  oks  belles-mères  87 

André.  Mais  à  force  de  l'attirer  chez  vous  et  de  l'y  rete- 
nir, vous  en  étiez  arrivée  à  me  la  reprendre  presque  tout  à 
fait. 

Madame  Graindor.     C'est  bien  !  Vous  êtes  le  maître. 

André.  Je  vous  remercie.  Faites  comprendre  cela  à  Fi- 
fine,  je  vous  en  serai  reconnaissant.  (Il  sort). 

SCENE  VII 
Fifine,  Madame  Graindor 

Madame  Graindor  (éclatant).  Ah  !  c'est  trop  fort  !  Ah  ! 
je  ne  m'attendais  pas  à  ça  de  toi  !  Ah  !  non  !  Pendant  une 
demi- heure  on  insulte  ta  mère  devant  toi  et  tu  ne  trouves 
rien  à  dire,  et  tu  ne  prononces  pas  un  mot  pour  la  défendre  ! 

Fifine.    Mais,  maman,  André  ne  t'a  pas  insultée. 

Madame  Graindor.  C'est  cela,  approuve-le,  mon  enfant. 
C'est  parfait  !  il  ne  te  manquait  plus  que  de  l'approuver.  .  . 
Ah  !  le  mal  élevé,  le  grossier  personnage  !.  .  .  le.  .  .  Je  ne 
sais  pas  comment  j'ai  pu  me  contenir  aussi  longtemps.  .  . 
Et  moi,  bonne  tête,  je  lui  apportais  des  cigares  !  Ah  non  ! 
tu  me  trouverais  trop  sotte  et  l'on  se  moquerait  trop  de  la 
vieille,  ici.   (Elle  remballe  les  cigares). 

Fifine.    Mais,  maman.  .  . 

Madame  Graindor.  C'est  bon  !  c'est  bon  !  je  sais  ce  que 
je  fais  !  Des  exquisitos  pour  monsieur  !  A  quatre-vingts 
centimes  !  Ah  '  ah  !  Ton  père  les  fumera,  et  jusqu'au  bout, 
et  il  ne  les  gâchera  pas,  et  il  sera  bien  content.  Et,  lorsque 
mossieu  "  voudra  bien  nous  faire  l'honneur  de  venir  dînera 
la  maison,  on  lui  en  donnera  un.  .  .  au  dessert.  (Elle  porte 
le  paquet  à  la  porte  du  fond).  Léontine,  redescendez-moi 
cela  ! 

Fifine.  Tu  n'es  pas  raisonnable,  voyons.  Tu  ne  peux  pas 
lui  reprendre. 

Madame  Graindor.    Non,  je  me  gênerai. 

Fifine.    Mon  mari... 

Madame  Graindor.  Mon  mari. . .  mon  mari  ! . . .  Eh  bien  ! 
quoi,  ton  mari  î  On  dirait  que  tu  parles  d'un  bon  Dieu  !  Il 


88  LA    REVUE    FRANCO-AMERICAINE 

ne  me  fait  pas  peur,  tu  sais,  ton  médecin  de  quatre  sous, 
sans  clients  ! 

Fifine.  Ce  n'est  pas  de  sa  faute  s'il  n'a  pas  de  malades... 
Tu  as  mal  compris  ce  qu'il  te  disait. 

Madame  Graindor.  C'est  ça,  je  suis  une  imbécile,  n'est-ce 
pas  }  C'est  lui  qui  t'a  appris  à  me  répondre  comme  ça  ? 

Fifine.     André  a  très  bon  coeur  et  il  t'aime  beaucoup. 

Madame  Graindor.  Eh  bien  !  moi,  je  le  déteste  !.  .  .  De- 
puis le  premier  jour  où  il  a  été  question  d'un  mariage  avec 
toi.  Je  me  force  pour  lui  faire  bonne  mine,  parce  que  c'est 
mon  devoir,  et,  si  je  le  soigne  à  table,  si  je  lui  fais  des  ca- 
deaux, c'est  pour  toi,  c'est  pour  qu'il  ait  plaisir  à  venir  chez 
nous,  c'est  pour  qu'il  fasse  toutes  tes  volontés.  Je  te  dis  que 
je  le  déteste,  ton  mari. 

Fifine.    Qu'est-ce  qu'il  t'a  fait  ? 

Madame  Graindor.  Ce  qu'il  m'a  fait  ?  Il  t'a  prise  !  Je  suis 
jalouse  de  lui,  si  tu  veux  le  savoir. 

Fifine.    Je  ne  te  comprends  pas. 

Madame  Graindor.  Tu  me  comprendras  quand  ce  sera 
ton  tour. 

Fifine.  Cette  histoire  de  cigares  lui  causera  beaucoup  de 
chagrin. 

Madame  Graindor.  Tant  mieux  !  Nous  ne  serons  pas 
encore  quittes.  Et  qu'est-ce  que  tu  vas  faire,  toi  ?  Tu  vas  te 
laisser  mener  par  le  bout  du  nez.  Réponds,  entre  ta  mère  et 
ton  mari,  tu  n'hésiteras  pas,  hein  ?  Tu  choisiras  ce  bel 
oiseau-là  !  Dieu  se  chargera  de  te  punir. 

Fifine.    Oh  ! 

Madame  Graindor.  Tu  verras,  tu  verras  !  tu  seras  jolie, 
dans  quelques  années,  avec  ta  nichée  d'enfants,  qui  rempli- 
ront ia  maison  de  cris.  .  .  Ce  sera  gentil,  ici  !..  .  Oui,  avec 
des  berceaux  jusque  dans  l'antichambre  et  des  langes  sales 
dans  tous  les  coins.  .  .  Tu  seras  belle,  tu  auras  l'air  d'une 
vieille,  à  trente  ans  î  Et  je  te  promets  du  plaisir  lorsque  tu 
te  compareras  à  des  amies  qui  auront  eu  un  mari  moins  pa- 
triote que  celui-là  !  Et,  pendant  que  tu  seras  là,  à  moucher 
le  nez  à  toute  ta  bande,  lui,  bien  tranquille  et  fier,  s'en  ira 
faire  le  joli  coeur  chez  des  petites  dames  qui  auront  leurs 


l'école  des  belles-mères  89 

nerfs,  ou  papillonnera  dans  les  coulisses,  à  des  répétitions 
auxquelles  tu  n'assisteras  pas. 

Fifine.    André,  me  tromper  i 

Madame  Graindor  (ironique).  Non  !  il  est  autrement  que 
les  autres  !  .  .  .  Mais  tu  ne  vois  donc  rien  !  Mais  tu  es  donc 
aveugle  !  Tu  ne  comprends  donc  pas,  alors  ? 

Fifine.    Je  ne  comprends  pas,  quoi  ? 

Madame  Graindor.     Ce  qu'il  veut  ? 

Fifine.     Non  ! 

Madame  Graindor.  Mais  je  le  gêne,  ce  monsieur,  pour 
faire  ses  farces  !  Nous  le  gênons,  ton  père  et  moi  !  Et  il 
veut  se  débarrasser  de  nous. 

Fifine.    Comment  cela  ? 

Madame  Graindor.  Lorsqu'il  t'aura  forcée  à  dîner  ici,  il 
sait  bien  que  tu  seras  comme  toutes  les  femmes  :  que  tu 
voudras  paraître  heureuse  malgré  tout,  et  que  tu  nous  ca- 
cheras ses  dîners  en  ville  et  ses  soirées  je  ne  sais  où  !  Ah  ! 
ça,  tu  ne  l'auras  pas  volé,  et  je  ne  te  conseille  pas  de  venir 
te  plaindre  lorsque  ça  t' arrivera. 

Fifine.     Sois  tranquille. 

Madame  Graindor.  Regarde  autour  de  toi  !  M.  Boguin  a 
une  danseuse  ;  M.  Pelletier,  une  chanteuse  ;  M.  Prévost,  la 
caissière  du  café  des  Arts  ;  M.  Moutier,  celle  du  café  de  la 
Comédie  ;  M.  Del  amarre,  c'est  Mme  Courtin,  et  M.  Courtin, 
c'est  Mme  Bocquet. . .  Oh  !  je  sais  bien,  on  se  dit  toujours 
qu'on  sera  la  seule  à  échapper  au  sort  commun,  que  son 
mari  est  une  exception.  .  .  On  se  dit  ça  jusqu'au  jour  où  on 
se  trouve  en  face  de  la  réalité,  et,  alors,  on  regrette  de  n'a- 
voir pas  écouté  sa  mère. 

Fifine.    Je  t'en  prie,  maman. 

Madame  Graindor.  Maintenant,  si  tu  trouves  ça  de  ton 
goût,  à  ton  aise  !  Si  tu  veux  être  une  esclave,  ça  te  regarde. 
Seulement,  il  ne  faudra  pas  t'étonner  de  voir  les  gens  sou- 
rire sur  ton  passage  !  Le  fait  est  que  tu  seras  touchante, 
avec  ta  candeur  et  ta  crédulité.  On  commence  déjà,  d'ail- 
leurs, à  se  moquer  de  toi. 

Fifine.    Qui  ça  ? 

Madame  Graindor.    Quelqu'un  que  je  ne  tenommerai  pas. 


90  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Libre  à  toi  de  croire  que  ta  mère  a  menti,  ça  ne  doit  pas  te 
gêner,  avec  le  respect  que  les  enfants  d'aujourd'hui  ont 
pour  leurs  parents. 

Fifine.     Mais,  maman,  je  t'aime  toujours. 

Madame  Graindor.  Allons  donc  !  Si  c'était  vrai,  tu  ne 
nous  sacrifierais  pas  comme  tu  le  fais.  Est-ce  que  tu  crois 
que  c'est  pour  moi  ce  que  je  te  dis  là  .  .  .  Ah  !  tu  seras  heu- 
reuse, va,  toute  seule.  .  .  Nous.  .  .  je  ne  parle  pas  de  nous, 
ça  t'est  bien  indifférent.  D'ailleurs,  avec  les  chagrins  que  tu 
nous  fais,  ton  père  et  moi,  nous  n'en  aurons  pas  pour  long- 
temps, heureusement. 

Fifine.  Maman,  je  te  promets  de  parler  à  André,  je  te 
promets. 

Madame  Graindor  (s'attendrissant).  Allons  !  Au  revoir, 
ma  fille.  .  .  je  ne  t'en  veux  pas,  tu  sais.  Tu  viendras  nous 
voir  quand  on  te  le  permettra.  . .  Seulement,  si  tu  veux  que 
nous  ne  soyons  pas  trop  malheureux,  tu  tâcheras  que  ce  soit 
souvent.  (Elle  sort). 

SCENE  VIII 
Fifine  (seule,  puis)  André 

André.     Eh  bien  .? 

Fifine.     Eh  bien,  quoi  ? 

André.    Ta  mère  t'a-t-elle  fait  entendre  raison  ? 

Fifine.    Je  suis  assez  grande  pour  me  conduire  toute  seule. 

André.    Qu'est-ce  que  tu  as  résolu  ? 

Fifine.     J'ai  résolu  que  tu  n'irais  pas  à  cette  répétition. 

André.     Ah  ! 

Fifine.     Si  tu  y  vas,  j'irai  avec  toi. 

André.  J'irai,  et  j'irai  seul.  Je  ne  veux  pas  recevoir  d'or- 
dres ni  de  ta  mère  ni  de  toi. 

Fifine.    Il  n'est  pas  question  de  ma  mère. 

André.     C'est  elle  qui  t'a  monté  la  tête. 

Fifine.  Je  n'ai  besoin  de  personne.  J'y  vois  clair.  Si  tu 
tiens  autant  d'aller  à  cette  répétition,  sans  moi,  c'est  que  tu 
vas  y  retrouver  des  personnes  avec  lesquelles  tu  ne  te  sou- 
cies pas  de  me  faire  rencontrer. 


I 


l'école  des  belles-mères  91 

André.     Quelles  personnes  ? 

Fifine.    Est-ce  que  je  sais  les  noms  de  ces  femmes-là  ! 

André.  Tout  cela  ne  vient  pas  de  toi,  ma  chère  Fifine. 
Allons  !  avoue  que  ta  mère  t'a  raconté  des  choses  qui  t'ont 
rendue  jalouse. 

Fifine.  Tu  te  trompes  bien,  maman  ne  m'a  rien  dit  du 
tout  !  Tu  m'entends,  rien  du  tout. 

André.  Je  dis  que  ces  mauvaises  paroles  et  ces  mau- 
vaises pensées  sont  indignes  de  toi. 

Fifine.  Je  te  répète  qu'on  ne  m'a  rien  soufflé.  Je  suis  ca- 
pable d'avoir  une  idée  à  moi  toute  seule,  peut-être.  Tu  me 
trompes  ou  tu  vas  me  tromper,  je  le  sais.  Vous  êtes  tous  les 
mêmes,  d'abord.  Je  ne  suis  pas  assez  bête  pour  croire  que 
tu  es  une  exception...  je  n'ai  pas  envie  qu'on  se  moque  de 
moi 

André.  Si  ta  mère  ne  t'a  rien  dit  à  ce  sujet,  de  quoi  t'a-t- 
elle  parlé,  alors  ?...  T'a-t-elle  conseillé  de  rester  davantage 
chez  toi  ? 

Fifine.  Ah  !  oui  !...  Rester xhez  moi  !...  pour  que,  pen- 
dant ce  temps-là,  tu  ailles  faire  le  joli  cœur  devant  des  pe- 
tites dames  qui  auront  leurs  nerfs  ! 

André.  Ce  n'est  pas  encore  toi  qui  as  trouvé  cette 
phrase-là. 

Fifine.  Si  !  si  !  si  !  Oui,  c'est  moi  !  vous  êtes  des  despotes 
et  des  hypocrites  î  Mais,  si  je  suis  ta  femme,  je  ne  suis  pas 
ton  esclave  !  Et  je  sortirai  quand  je  voudrai,  je  sortirai  tous 
les  jours  ;  aussi  longtemps  que  je  voudrai.  Je  n'y  serai  ja- 
mais, ici  !  jamais  !  jamais  ! 

André.  Fifine,  écoute-moi  un  peu.  Tu  t'exaltes,  tu  dis 
des  bêtises...   tu  vas  te  faire  du  mal. 

Fifine.  Si  je  me  fais  du  mal,  tant  pis.  (Un  temps).  Maman 
t'a  repris  tes  cigares...  C'est  moi  qui  le  lui  ai  conseillé. 

André.     Elle  a  bien  fait  et  toi  aussi. 

Fifine.    Ne  dis  pas  de  mal  de  ma  mère. 

André  (un  silence).  Veux-tu  que  je  te  dise,  ma  petite 
Fifine...  Ta  mère  est  en  train  de  faire  notre  malheur  à  tous 
les  deux. 

Fifine.    Ne  dis  pas  de  mal  de  ma  mère...  c'est  inutile  !  tu 


92  LA    REV^UE    FRANCO-AMÉRICAINE 

ne  réussiras  pas  à  me  détacher  d'elle,  je  dînerai  chez  elle 
tous  les  jours,  je  déjeunerai  chez  elle  tous  les  jours...  Quand 
ça  ne  te  plaira  pas,  il  v  a  des  restaurants. 

André  (tendre).  Ta  mère  t'a  montée  contre  moi.  Elle  ne 
me  pardonnera  jamais  d'être  ton  mari.  Je  ne  lui  en  veux 
pas,  parce  que  je  devine  ce  que  souffre,  de  tout  cela,  son 
égoïsm.e  maternel.  Elle  aurait  voulu  te  garder  toute  sa  vie 
auprès  d'elle  et  me  hait  de  t'avoir  enlevée.  Elle  ne  se  rend 
pas  compte  du  mal  qu'elle  peut  nous  faire,  si  nous  ne  nous 
aimons  pas  bien.  Aime-moi  bien,  ma  chère  Fifine,  et  rien 
qu'en  nous  aimant  nous  trouverons  la  force  de  traverser 
cette  petite  crise,  sans  y  laisser  tout  notre  bonheur. 

Fifine  (ébranlée).  Mais  pourquoi  veux-tu  aller  à  cette 
rép'tition  ? 

André.     Je  n'y  tiens  pas  du  tout. 

Fifine  (plus  douce).  Tu  n'y  tiens  pas  !  Tu  n'y  tiens  pas  ! 
C'est  trop  fort.  Tout  à  l'heure...  (Entre  Mme  Meillet). 

Madame  Meillet.  Qu'est-ce  qu'on  me  dit  ?  On  se  dispute 
ici  ! 

André.    Fifine  est  un  peu  nerveuse,  voilà  tout. 

Fifine.     Non,  madame  ! 

André  (à  lui-même).  Heureusement,  voilà  ma  mère,  elle 
va  finir  d'arranger  tout  cela. 

SCENE  IX 
Fifine,  André,  Madame   Meillet 

Madame  Meillet  (allant  à  Fifine).  Bonjour,  ma  petite  ché- 
rie... Voyons,  ça  ne  va  pas,  ce  rnénage  ?...  Il  y  a  des  gros 
chagrins  et  des  grandes  colères.  Nous  allons  les  guérir. 
Toi,  André,  va  t'en...  va-t'en  là-bas...  au  fond,  lire  ton  jour- 
nal. Nous  allons  causer  toutes  les  deux  comme  des  amies... 
Allez-vous-en,  vilain  André!  Allez!  allez!  (A  Fifine). 
Asseyons-nous  ;  il  a  été  méchant,  le  petit  mari  ? 

Fifine.     Il  est  inutile  de   me  parler  comme  à  une  enfant. 

Madame  Meillet.     Séchez  vos  yeux. 

Fifine.    Je  ne  pleure  pas. 


lV.cole  des  belles-mères  93 

Madame  Meillet.  C'est  vrai,  vous  ne  pleurez  pas.  Alors, 
on  boude  ? 

Fifine.  Je  vous  assure,  madame,  que  je  ne  suis  pas  une 
fillette. 

Madame  Meillet,  Soit  !  Causons  comme  deux  damei 
âgées.  Vous  me  reconnaissez  bien  le  droit,  alors  que  je  vois 
mon  fils  malheureux,  de  m'inquiéter  auprès  de  vous  de  ce 
qui  fait  sa  peine? 

Fifine.     C'est  moi  qui  suis  malheureuse  et  non  lui. 

Madame  Meillet.  Oh  !  mon  enfant,  je  connais  mon  fils  : 
il  est  la  bonté  et  la  droiture  mêmes  et  je  sais  bien  que,  si 
l'un  de  vous  deux  a  des  torts  envers  l'autre,  ce  n'est  pas  lui 
vis-à-vis  de  vous. 

Eifine.    C'est  moi  qui  ai  tort  ? 

Madame  Meillet.  J'en  suis  certaine.  Vous  conviendrez, 
n'est-ce  pas  ?  qu'il  y  a  plus  longtemps  que  vous  que  je  con- 
nais André,  et,  si  vous  ne  savez  pas  apprécier  les  rares 
qualités  de  son  coeur,  j'ai  été  à  même  de  les  mettre  à  l'é- 
preuve. 

Fifine  (agacée).  Eh  bien  !  madame,  c'est  entendu  :  votre 
fils  est  un  ange  et  moi,  je  suis  un  monstre.  C'est  un  ange, 
c'est  un  ange,  c'est  un  ange,  je  le  dis,  je  le  répète,  je  le  pro- 
clame; il  a  toutes  les  vertus  et  moi  tous  les  défauts.  J'ajou- 
terai même  qu'il  a  des  clients,  si  vous  voulez...  Cela  doit 
vous  suffire. 

Madame  Meillet.  Oh  !  quel  petit  caractère  vous  avez, 
madame  !  Je  comprends  que  la  vie  avec  vous  ne  soit  pas 
tout  rose  pour  mon  pauvre  André.  Le  malheureux  enfant 
méritait  mieux  que  cela. 

Fifine.     Eh  !  bien  !  il  fallait  lui  trouver  mieux. 

Madame  Meillet.    Je  regrette  de  ne  pas  l'avoir  fait. 

Fifine.     Regrettez-le  et  laissez-moi  tranquille. 

Madame  Meillet.    Vous  êtes  une  mal  élevée. 

Fifine.     Et  vous... 

André.  Fifine,  je  te  défends  de  parler  à  ma  mère  sur  ce 
ton-là 

Fifine.    Alors,  dis-lui,  à  ta  mère,  qu'elle  me  laisse  la  paix. 

André.     Et  je  t'ordonne  de  te  taire  !  Je  n'ai  jamais  man- 


94  LA   REVUE   FRANCO- AMÉRICAINE 

que  de  respect  à  ma  mère,  moi,  et  je  ne  veux  pas  qu'une 
gamine  de  ton  âge... 

Fifine.     Gamine... 

André.  Oui,  gamine  !  Et  si  j'avais  su  prévoir  ton  manque 
de  coeur  et  ton  impertinence... 

Fifine.     Qu'est-ce  que  tu  aurais  fait? 

André.     Tais-toi,  tu  es  une  petite  sotte. 

Madame  Meillet  (pleurant).  Ne  vous  disputez  pas  pour 
moi...  je  m'en  vais...  mon  pauvre  André. 

André.  Reste  ici,  maman.  Fifine  te  doit  des  excuses  et 
elle  te  les  fera. 

Fifine  (narquoise).  Ah  !  ah  !  (Entrent  M.  et  Mme  Grain- 
dor.) 

SCENE  X 
Fifine,  André,  Madame  Meillet,  M.  et  Madame  Graindor 

Madame  Graindor.     Qu'est-ce  qu'il  y  a  } 

Graindor.    Qu'est-ce  qu'il  y  a.?  On  vous  entend  d'en  bas. 

Madame  Graindor.  J'ai  cru  qu'on  se  battait,  ici.  Qu'est-ce 
qu'il  y  a  .'*  On  vous  entend  d'en  bas. 

Madame  Graindor.  J'ai  cru  qu'on  se  battait,  ici.  Qu'est- 
ce  qu'ils  t'ont  fait,  ma  pauvre  Fifine  .? 

André.  Elle  a  été  insolente  avec  ma  mère,  et  je  veux 
qu'elle  lui  demande  pardon. 

NOTA. — (Ce  qui  suit  doit  être  dit  conformément  aux  indi- 
cations :  les  personnages  parlant  ensemble  ou  séparément 
comme  le  feraient  des  chanteurs  dans  une  quintette.  Lire 
ce  qui  suit  comme  de  la  musique)  : 


Fifine.    Je  n'ai  pas  été  insolente  ! 

André. Si,  tu  l'as  été. 

Mme  Meillet.    — (pleurant).    J'aurais  mieux  fait  de  mourir. 

Mme  Graindor.    Ma  fille  insolente. 

Graindor.     Oh  ! 

Fifine.    Jamais  ! 

André.     Mère  l  Mère  ! 

Mme  Meillet  (toujours  pleurant).  Elle  fera  ton  malheur. 

Graindor.    Voyons,  mes  enfants,  embrassez-vous. 

Mme  Graindor. C'est  lui  qui— 


l'école  des  belles-mères  95 


Fifine.     Non  !- 
André.    


Mme  Meillet.    (toujours  pleurant.) — Mon  Dieu  !  Mon  Dieu  ! 

Graindor.    Fifine,  va  embrasser  ton  mari. 

Mme  Graindor    fera  le  nôtre,    Pourquoi  donc  ça  !  N'y  va  pas,  Fifine. 
Fifine.    Il  m'a  appelée  petite  sotte,  petite  sotte,  petite  sotte. 

André.     Ah  !  si  elle  suit  vos  conseils. Tu  l'avais  mérité. 

Mme  Meillet.     (pleurant  jusqu'à  la  fin). Hou  !  Hou  !  Mon  Dieu  ! 

Graindor.    Voyons,  André  ! Voyons,  Marie  ! 

Mme  Graindor. Elle  aura  raison. Petite  sotte. 

Fifine. C'est  la  tienne  oui  ! C'est  la  tienne. 

André.     C'est  ta  mère  qui  est  cause  de  tout  cela.     Oui,  c'est  ta  mère. 

Mme  Meillet. Moi  !  Mon  Dieu  !  Mon  Dieu  ! 

Graindor.     Voyons,  Fifine,  va  embrasser  ton  mari. 

Mme  Graindor. Moi  ! ^Je  te  le  défends. 

Fifine.     On  veut  me  tenir  enfermée  ici. 

André. Pas  vrai  ! 

Mme  Meillet.     Votre  fille  est  une  mal  élevée  ! On  veut. .  . 

Graindor.     Madame  Meillet  !  Mais  voyons,  Marie  ! 

Mme  Graindor.    Et  vous,  qu'est-ce  que  vous  êtes  ? 

Fifine.     

André. 

Mme  Meillet. .  que  vous  fassiez  votre  devoir  qui  est  de  vous  occuper 
de  la  maison,  et  non  d'être  toujours  dehors. 

Graindor. 

Mme  Graindor.    Vous  ne  ferez  pas  la  loi  ici,  vous. 

Fifine.     C'est  trop  fort  !.  . .  Cet  trop  fort  ! 

André,     Parfaitement  !  Parfaitement  ! 

Mme  Meillet.    J'ai  autant  le  droit  de  faire  la  loi  ici  que  vous.  ]e  suis 
chez  mon  fils. 

Graindor.    --Etes-vous  entêtés  à  la 

Mme  Graindor.    Nous  verrons,  je  suis  chez  ma  fille. 

Fifine. Jamais  ! 

André.    Tu  feras  des  excuses  à  ma  mère. 

Mme  Meillet.     Quoi  ! Laisse-la  donc  ! 


Graindor.    fin  de  vous  disputer  comme  ça.    Tu  vas  te  taire  ! 
Mme  Graindor.     Avec  ses  manières  dirait-on   pas!  Non,  je  ne  me 
tairai  pas. 

TOUS   (criant). 
Fifine.    Qu'elle  m'en  fasse  d'abord,  ce  n'est  pas  moi  qui  ai  été  la 

chercher.     Non  !  je  n'en  ferai  pas,  non  ! 
André.     On  dira  ce  qu'on   voudra,  mais   jamais  je  ne  permettrai 

qu'elle  soit  impertinente  avec  ma  mère. 
Mme  Meillet.    Vous  n'avez  jamais  su  élever  vos  enfants.    Vous  avez 
fait  de  votre  fille  une  enfant  gâtée  !  Oui  ! 


96  LA   REVUE   FRANCO -AMÉRICAINE 

Graindor.     Vous  allez  vous  taire  tous  et  ne  pas  parler  comme  ça  tous 

à  la  fois.    Je  veux  qu'on  se  taise  ! 
Mme  Graindor.     Ma  fille  ne  s'est  pas  mariée  pour  faire  une  esclave. 
Mon  devoir  est  de  la  défendre  et  je  la  défendrai. 

Graindor.  (à  sa  femme.  Marie  !  Tais-toi  !  André  a  raison. 
Le  devoir  de  Fifine  est  de  s'occuper  davantage  de  son  mé- 
nage. 

Fifine.    Moi  î 

Madame  Meillet  et  André  (tripmphants).    Ah! 

Madame  Graindor.     Mais. . . 

Graindor.  Et  si  l'on  m'avait  écouté  lorsque  je  m'opposais 
à  ce  que  les  enfants  habitent  avec  nous,  cela  ne  serait  pas 
arrivé. 

Madame  Meillet  (sanglote  avec  des  :  Mon  Dieu  !  mon 
Dieu  !  (Madame  Graindor  pleure  également). 

Fifine  (regarde  son  père,  puis  après  un  silence).  Ah  ! 
c'est  ça,  c'est  bien,  alors  !  c'est  bien  !  (Elle  ôte  ses  boucles 
d'oreilles,  ses  bagues,  sa  broche — fiévreusement — et  les 
jette  sur  un  meuble.  Elle  arrache  les  dentelles  de  son  cor- 
sage et  sort  violemment).     C'est  bien,  alors,  c'est  bien  ! 

Madame  Meillet.  Pour  la  dot  que  vous  lui  avez  donnée, 
elle  ne  peut  pas  avoir  dix  domestiques. . . 

Madame  Graindor.  Comment,  pour  la  dot  !  Et  vous 
qui. . . 

Graindor.    Va  donc  voir  ce  que  fait  ta  fille  !. . . 

Madame  Graindor  (qui  ne  l'avait  pas  vue  sortir).  Fifine? 
où  est-elle  ?  Fifine  ?  (Elle  sort.  Mme  Graindor  revient 
avec  Fifine,  qu'elle  tient  par  la  main). 

Fifine.  Laisse-moi  !  laisse-moi  !  Puisqu'on  veut  que  je 
sois  la  bonne. . .  Laisse-moi. . .  Je  vais  retourner  à  la  cui- 
sine pour  laver  la  vaisselle.  (Elle  a  une  crise  de  larmes, 
des  sanglots  d'enfant.  Elle  essuie  ses  yeux  avec  le  revers 
de  sa  main.     Un  gros  chagrin). 

Madame  Graindor.  Fifine...  ma  petite  Fifine!...  Je  t'a- 
vais bien  dit  qu'il  ferait  ton  malheur. 

André.    Laissez-la  ! 

Madame  Graindor.     C'est  ma  fille,  monsieur. 

André.    C'est  ma  femme  ! 


l'école  des  belles-mères  97 

Madame  Graindor.    Vous  êtes  ici  chez  moi. 

André.     Eh  bien  !  Je  m'en  vais. 

Madame  Graindor.    Je  ne  vous  retiens  pas. 

Graindor.     Voyons... 

Madame  Graindor.  Laisse  donc!  Il  retourne  chez  sa 
mère. 

André.  Parfaitement  !  (A  sa  mère).  Partons  !  (A  Mme 
Graindor).  Et,  si  Fifine  veut  venir  me  rejoindre,  elle  vien- 
dra.   (Il  sort  avec  sa  mère). 

SCENE  XI 

Fifine,  Graindor,  Madame  Graindor 

Madame  Graindor.     Eh  bien  !  tant  mieux  ! 

Graindor.     Tant  mieux  ? 

Madame  Graindor  (l'entraînant  à  droite).  Allons,  toi,- 
tu  ne  vas  pas  garder  cette  figure  d'enterrement. . .  Fifine- 
lous  reste  :  il  ne  faut  pas  qu'elle  s'ennuie  ici.     (A  Fifine) 

'est  fini! 

Fifine.     Oui  !  c'est  fini  et  je  suis  contente  qu'il  soit  parti. 

Madame  Graindor.  A  la  bonne  heure  !  Nous  allons  bien 
lous  amuser. . .  (A  son  mari).     Sois  donc  gai,  toi  ! 

Graindor.     Moi  ? 

Madame  Graindor.  Hum  ! . . .  (A  Fifine).  Ce  soir,  nous 
langerons  des  œufs  à  la  neige. 

Fifine  (la  pensée  ailleurs).     C'est  cela. 

Madame  Graindor.     Ca  n'a  pas  l'air  de  te  faire  plaisir. 

Fifine.     Si!  Si! 

Madame  Graindor.     Nous  irons  au  théâtre. 

Fifine.  Mais  je  ne  veux  pas  qu'on  cherche  à  me  distraire, 
[e  ne  sais  pas  ce  que  vous  avez  après  moi.  Je  n'ai  aucune 
•aison  d'être  triste.  Je  ne  suis  pas  triste  du  tout,  pas  du  tout. 
[Elle  ne  peut  se  retenir  de  pleurer  silencieusement,  elle 
îssuie  une  larme  en  cachette). 

Madame  Graindor.  Nous  le  savons  bien,  que  tu  n'es  pas 
triste. 


98  LA  REVUE  FRANCO -AMÉRICAINE 

Graindor  (qui  réfléchit  longuement,  et  fait  un  geste 
comme  quelqu'un  qui  prend  une  décision,  à  sa  femme).  J'ai 
besoin  de  causer  avec  Fifine...  laisse-nous  ! 

Madame  Graindor.     Mais,  mon  ami  ! 

Graindor.  Je  te  dis  que  j'ai  besoin  de  causer  avec  elle. 
Va-t'en...  je  t'appellerai 

SCENE   XII 

Graindor,  Fifine 

Graindor.  Viens  ici,  Fifine,  assieds-toi  et  causons.. .  Ta 
mère  n'est  pas  là,  nous  sommes  seuls  tous  les  deux,  nous 
allons  tailler  de  la  bonne  besogne. . .  Qu'est-ce  que  tu  as 
l'intention  de  faire  } 

Fifine.    Rien,  père. 

Graindor.  Rien,  père. . .  Dis  papa. . .  comme  il  y  a  deux 
heures.  Je  ne  t'ai  rien  fait,  moi  !  Ta  mère,  elle. . .  je  ne  sais 
pas...  elle  est  allée  manigancer  dans  ton  ménage. ..  mais 
moi. . . 

Fifine.    Je  n'accuse  personne. 

Graindor.  La  question  n'est  pas  là...  Qu'est-ce  que  tu 
as  l'intention  de  faire,  demain,  par  exemple  ? 

Fifine.     Je  te  dis  :,  rien.     Ce  que  j'aurai  fait  aujourd'hui. 

Graindor.     Rester  ici  ? .. .  Demeurer  avec  nous  ? 

Fifine.     Oui! 

Graindor.    Tout  le  temps  ? 

Fifine.     Tout  le  temps. 

Graindor.     Ca  te  fera  plaisir } 

Fifine.     Oui. 

Graindor.  Oui,  mais  à  moi ...  Tu  ne  t'es  pas  demandé 
si  ça  me  ferait  plaisir,  à  moi ...  En  somme,  nous  t'avions 
mariée  . . .  Nous  nous  disions  :  "  Elle  est  casée,"  et  tu  nous 
retombes  sur  les  bras...  Enfin,  ça  va  peut-être  m'ennuyer, 
moi ...  je  voulais  louer  cet  appartement. 

Fifine.    Toi  ? 

Graindor.     Oui.     (Essayant  de  mentir).    Ta  mère  et  moi 


l'école  des  belles-mères  99 

nous  aimons  bien  être  seuls  pour  déjeuner ...  tu  nous  dé- 
ranges.. .  tu. . .  tu. . . 

Fifine  (très  calme).  Tais-toi  donc }  Vous  êtes  contents 
comme  tout.  Tu  veux  faire  semblant  que  ça  t'ennuie  pour 
que  . . .  Eh  bien  !  je  resterai  ici  jusqu'à  ce  que  tu  me  mettes 
à  la  porte. 

Graindor.    Tu  n'aimes  donc  plus  ton  mari  ? 

Fifine  (sans  force).    Non  ! 

Graindor.     Alors,  il  faut  divorcer. 

Fifine.     Divorcer  ! 

Graindor.  Dame.  (Avec  aplomb).  Je  crois,  d'ailleurs, 
qu'André  en  a  l'intention. 

Fifine.  Lui  !  (Un  silence  et  un  petit  sourire).  Tu  ne  me 
feras  pas  croire  cela  non  plus,  papa. 

Graindor.  Ah  !  je  ne  te  ferai  pas  croire . . .  Dans  ce  cas, 
je  n'essaierai  pas . . .  Parlons  sérieusement,  alors.  Ma  petite 
Fifine,  vous  n'avez  qu'une  brouille  d'amoureux,  il  ne  faut 
pas  la  faire  durer.  Ce  soir,  tu  ne  dîneras  pas  ici . . .  Tu  iras 
retrouver  ton  mari. 

Fifine.    Non  ! 

Graindor.     Pourquoi  ? 

Fifine.  Parce  qu'André  me  l'a  "  ordonné  "  et  que  je  ne 
veux  pas  avoir  l'air  de  lui  obéir. 

Graindor.  Ah  !  il  faut  donc  recourir  aux  grands  moyens. 
Tu  disais,  tout  à  l'heure,  que  tu  resterais  ici  jusqu'à  ce 
que  je  te  mette  à  la  porte.    Eh  bien  !  je  t'y  mets. 

Fifine.    Je  serais  curieuse  de  voir  ça  ! 

Graindor.  Tu  vas  le  voir ...  Je  ne  suis  pas  en  colère 
après  toi,  tu  sais,  je  t'aime  toujours  bien ...  ne  va  pas  te 
tromper  là-dessus . . .  Seulement,  je  te  mets  à  la  porte. 

Fifine.    Tu  veux  rire. 

Graindor.     Pas  le  moins  du  monde.    Lève-toi  et  va-t'en. 

Fifine  (inquiète,  mais  essayant  encore  de  sourire).  Il  fau- 
dra employer  la  force. 

Graindor  (ceci  très  tendre  et  très  détaillé).  Va-t'en,  ma 
bonne  petite  Fifine . . .  Vois-tu,  je  vais  tout  te  dire.  Si  je 
n'écoutais  que  mes  manies,  que  mon  propre  bonheur,  je  te 
prierais  de  rester  ici  tout  le  temps,  parce  que  je  suis  con- 


100  LA   REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

tent  de  te  voir,  de  t'entendre,  de  te  savoir  là  . . .  C'est  très 
doux,  à  mon  âge,  d'être  câliné,  d'être  dorloté  par  ces  petites 
mains-là  . . .  Mais  les  vieux  doivent  être  seuls  . . .  On  a  du 
mal  à  s'y  faire,  par  exemple . . .  (Un  temps).  On  a  de  la 
peine  à  s'y  décider...  La  plus  grande  preuve  d'amour 
qu'ils  peuvent  donner  à  leurs  enfants,  c'est  celle-là,  vois-tu, 
parce  que  ça  . . .  c'est  la  vraie  douleur  de  la  vie . . .  (Très 
tendre).     Va-t-en,  Fifine,  va-t'en  ! 

Fifine.     Comme  tu  es  bon  !  ^ 

Graindor.  Ma  foi,  je  crois,  en  effet,  que  je  le  suis  en  ce 
moment  ;  mais  ça  n'est  pas  si  commode  que  je  l'aurais  cru. 

Fifine.    Tu  as  du  chagrin  à  cause  de  moi  ? 

Graindor.  Oui,  c'est  à  ça  que  servent  les  enfants.  Si  tu 
veux  me  consoler,  c'est  bien  simple  :  sois  heureuse  !  Pas  un 
mot  de  résistance  . . .  Viens  !  (Il  la  prend  par  le  cou  et  la 
conduit  doucement  à  la  porte,  avec  une  grande  tendresse). 
Je  te  mets  à  la  porte,  va  mettre  ton  chapeau  et  ton  manteau. 

Fifine.    Je  veux  t'embrasser. 

Graindor  (qui  peut  à  peine  retenir  ses  larmes).  Non,  ce 
n'est  pas  la  peine  . . .  On  se  reverra,  on  se  reverra  ! . . .  (Il 
descend  en  scène,  en  se  mouchant.  Fifine  reste  un  moment 
à  la  porte  du  fond.     Entrent  André  et  sa  mère). 

SCENE  XIII 

Fifine,  Graindor,  André,  Madame  Meillet, 
(puis)  Madame  Graindor 

Madame  Meillet.  Nous  venons  faire  une  dernière  tenta- 
tive de  conciliation  . . .  Mon  fils  l'a  exigé. 

Graindor.  Ah  !  attendez  ! . . .  (Il  appelle  sa  femme).  Ma- 
dame Graindor!  Madame  Graindor!  (Entre  Mme  Graindor). 
Ecoute.     Voici  M.  André  et  sa  mère  qui  viennent  pour... 

Madame  Meillet.     Une  dernière  tentative... 

André.     De  conciliation. 

Madame  Graindor.     Mais... 

Graindor.  Laisse-moi  parler...  ça  dépend  des  enfants... 
Ils  vont  s'expliquer...  devant  nous... 


I 


l'écolb  des  belles-mères  101 

Madame  Graindor.    Il  faut  d'abord... 

Graindor.  Tais-toi!...  Ils  vont  s'expliquer  devant  nous, 
et  nous,  nous  ne  dirons  rien,  ni  les  uns  ni  les  autres...  Est-ce 
juré  ? 

Madame  Graindor.     Cependant... 

Graindor.     Allons,  c'est  juré... 

Madame  Meillet.     Moi,  je  le  jure... 

Madame  Graindor.     Moi  aussi,  alors... 

Graindor.  Et  moi,  de  même...  Allez,  mes  enfants,  expli- 
quez-vous !  (Longue  scène  muette.  Fifine  et  André  vont 
lentement  au-devant  Tun  de  l'autre,  se  tendent  la  main  sans 
se  dire  un  mot,  se  regardent,  sourient,  et  s'embrassent  avec 
tendresse). 

Graindor.  Voilà!...  Maintenant,  mes  petits  agneaux,  je 
suis  votre  propriétaire...  je  vous  donne  congé. 

André.     Où  irons-nous  ? 

Madame  Meillet.  Pas  chez  moi,  toujours...  la  leçon  me 
suffit. 

Graindor.  Et  moi,  je  ne  veux  pas  de  marmots,  ni  de 
chiens  dans  ma  maison  ! 

Eugène  Brieux. 

FIN 


■:o:- 


La   politique    canadienne   et   les  Cana- 
diens-Français. 


I. — Quelques  pages  d'histoire. 

La  politique  est  nécessaire  à  la  société  puisqu'elle  la 
constitue  ;  elle  est  le  lien  de  tous  les  groupes  sociaux,  si  pe- 
tits soient-ils.  Rien  n'est  plus  vrai,  car  au  début  la  poli- 
tique (et  son  étymologie  l'indique)  était  le  gouvernement 
d'une  ville.  Nous  tirons  tous  nos  avantages  de  la  société, 
donc  la  politique  est  bonne.  Mais  elle  n'en  est  pas  moins 
une  cause  de  querelles  intestines,  de  guerres  civiles,  de  con- 
flits internationaux.  C'est  elle  qui  fait  sortir  les  villes  de  la 
plaine  et  les  police,  qui  favorise  le  développement  des 
lettres  et  des  arts;  mais  c'est  elle  encore  qui  multiplie  les 
pronunciamentos  dans  l'Amérique  Centrale,  qui  lance  le 
Nord  contre  le  Sud,  qui  taille  et  retaille  les  peuples  sans 
merci  pour  augmenter  l'effectif  des  armées. 

Exercée  sous  un  régime  parlementaire,  la  politique  semble 
plus  juste,  du  moins  elle  est  plus  populaire.  Nous  ne  discu- 
terons pas  le  point  de  vue  théorique.  Mais  au  point  de  vue 
des  faits  (vous  savez  quelle  est  leur  force),  les  bienfaits  du 
parlementarisme  sont  très  discutés.  Les  Anglais,  par  un^ 
longue  pratique,  s'en  sont  fait  un  instrument  de  liberté  ci- 
vile incomparable  ;  les  peuples  latins  qui  en  ont  usé,  en  ont 
abusé  et  se  sont  blessés. 

Cependant,  bien  qu'ils  soient  latins  par  origine  et  par 
éducation,  les  Canadiens-Français  ont  m.aîtrisé  le  régime 
parlementaire  pour  s'y  être  soumis.  Abandonnés  par  la 
France  occupée  au  dévergondage  des  sens  et  de  l'esprit, 
cédés  à  l'Angleterre  devenue  marâtre  pour  ses  possessions, 
les  souvenirs  et  les  espoirs  de  leur  sang  les  poussèrent  à  la 
résistance  défensive,  ouverte  et  loyale,  ferme,  contre  l'An- 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  'ET  LES  CANADIENS- FRANÇAIS   103 

glais.  Descendants  des  Francs,  du  pays  de  la  franchise, 
fidèles  à  leur  passé  comme  à  leur  idéal,  ils  combattirent 
avec  droiture  pour  la  justice.  Les  droits  d'un  peuple  sont 
les  membres  de  la  justice.  Ils  en  deviennent  les  membres 
souffrants  aussitôt  qu'on  les  attaque  ou  qu'on  les  troque  par 
des  compromis.  Ni  le  vainqueur  ni  le  vaincu  n'ont  le  droit 
de  blesser  la  justice.  Ne  soyons  donc  pas  surpris  de  la 
"  bonne  envie  de  vivre  "  du  vaillant  petit  peuple  qui  habite 
les  bords  du  St-Laurent,  et  dont  il  admire  pratiquement  la 
force  et  la  fécondité. 

Des  paysans  (6o,000)  et  une  centaine  de  prêtres  :  c'était 
après  la  cession  notre  seul  actif,  un  actif  de  bonnes  volon- 
tés et  de  braves  cœurs.  Ces  gens  têtus  aimaient  leur  langue 
et  leur  foi.  Il  faut  dire  aussi  que  Dieu  les  aimait.  Aidant 
les  événements,  aidés  par  eux,  ils  commencèrent  de  respi- 
rer après  l'Acte  de  Québec,  en  1774. 

Jusqu'en  1791  la  politique  se  fit  dans  les  coulisses  à  Qué- 
bec et  à  Londres.  William  Pitt  nous  donna  la  constitution 
de  1791.  Les  fils  de  paysans  instruits  dans  les  presbytères 
et  au  Petit  Séminaire  de  Québec,  se  firent  élire  dans  la  ma- 
jorité des  comtés.  Les  luttes  parlementaires  commençaient. 

On  nous  donna  pendant  longtemps  des  gouverneurs  qui 
les  alimentaient  par  leur  arbitraire.  La  révolution  française 
avait  échauffé  l'esprit  des  Canadiens  et  leur  faisait  désirer 
plus  de  liberté  sans  les  rendre  révolutionnaires.  La  jeu- 
nesse intellectuelle  du  temps,  et  déjà  lancée  dans  la  poli- 
tique, dévorait  avidement  les  quelques  périodiques  venus 
de  France.  On  s'assimilait  l'éloquence,  trop  ampoulée  il 
est  vrai,  des  tribuns  français. 

Un  peu  plus  tard,  les  chevauchées  napoléoniennes  ve- 
naient renforcer  le  sentiment  français. 

Les  deux  Papineau,  Bédard,  Panet,  Bourdages,  Morin, 
Viger,  Blanchet,  Taschereau,  se  firent  les  défenseurs  de  leur 
race,  troublant  les  gouverneurs  et  les  membres  du  Family 
Compact  par  leurs  vigoureux  discours  dans  l'assemblée 
législative  et  leurs  comtés.  Les  mêmes,  aidés  plus  tard  par 
Etienne  Parent  et  Duvernay,  continuaient  la  lutte  dans  Le 
Canadien  ti  La  Minerve, 


104  LA   REVUE   FRANCO- AMÉRICAINE 

Mais,  Louis-Joseph  Papineau  fut  l'étoile  de  première 
grandeur  de  cette  pléiade. 

Il  fut  toute  une  époque,  et  longtemps  notre  race 

N'eut  que  sa  voix  pour  glaive  et  son  corps  pour  cuirasse. 

En  1835,  on  étouffait.  Le  sang  monta  à  la  tête  de  quel- 
ques-uns et  l'on  en  vint  aux  mains  avec  les  autocrates,  en 
1837-38.  On  en  finit  avec  des  torts  de  part  et  d'autre,  mais 
Tair  de  la  liberté  passa  plus  pur  à  travers  l'Union  Jack 
troué.  Le  Conseil  spécial  fit  la  paix  et  prépara  les  moyens 
de  nous  écraser  d'une  façon  plus  constitutionnelle. 

Et  la  bataille  va  continuer  sous  l'Union,  moins  mesquine 
du  côté  anglais  et  plus  obstinée  du  côté  français.  Lord 
Durham,  dans  son  Rapport,  avait  conseillé  l'Union 
comme  une  transition  à  la  confédération  de  toutes  les 
possessions  anglaises  de  l'Amérique  du  Nord,  seul  moyen 
de  noyer  l'élément  français. 

Le  Québec  commença  par  payer  la  dette  de  l'Ontario. 
En  retour,  une  minorité  fanatique  s'opposa  à  l'indemnisa- 
tion des  Canadiens  qui  avaient  souffert  des  pertes  injustes 
lors  de  la  répression  de  la  récente  rébellion.  Avec  cette 
hypocrisie  qui  caractérise  la  nation  qui  a  pu  conquérir  un 
empire  par  la  ruse,  on  dénonçait  cette  indemnité  comme 
récompense  aux  révoltés,  alors  qu'en  signe  de  protestation 
ou  brûlait  l'hôtel  du  gouvernement  à  Montréal  et  qu'on 
lançait  des  pierres  à  lord  Elgin  lui-même. 

"  Sans  ministère,  dit  Macanlay,  un  gouvernement  parle- 
mentaire ne  peut  jamais  fonctionner  sûrement."  La  res- 
ponsabilité ministérielle  une  fois  accordée,  il  devenait  plus 
facile  de  tenir  les  partis  dans  le  respect  de  nos  droits.  La 
crânerie  de  Lafontaine,  qui  fait  son  premier  discours  au 
parlement  en  français  malgré  la  constitution,  et  sa  vigueur 
de  réclamation  rendent  notre  langue  officielle.  On  nous 
méprise  si  l'on  ne  nous  hait  pas,  mais  on  nous  craint  cer- 
tainement. Notre  population  augmente  toujours  dans  des 
proportions  alarmantes  pour  les  derniers  venus  au  pays  ; 
malgré  l'établissement  des  régiments  écossais,  malgré  l'im- 
migration anglaise  et  celle  des  loyalistes  dans  les  Cantons 
de  l'Est,  nous  demeurons  numériquement  sur  le  même  pied 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    105 

que  les  Anglais.  Finalement,  il  fallut  nous  subir  comme 
un  fait  accompli.  Et  c'est  alors  que,  les  animosités  s'amor- 
tissant,  on  prit  le  parti  de  nousétudieret  de  nous  connaître. 
Une  fois  connus,  les  sympathies  nous  arrivèrent  de  plus  en 
plus  nombreuses,  surtout  de  la  part  des  gouverneurs. 

Lafontaine  est  la  grande  figure  de  la  première  époque  de 
l'Union.  Cartier  entre  dans  le  cadre  après  lui.  Tous  deux 
ont  des  amis  sincères,  surtout  Baldwin  et  Macdonald,  des 
hommes  à  esprit  large,  mais  dont  la  largeur  de  vue  est 
peut-être  due  un  peu  à  la  fermeté  des  premiers.  Ils  sont  les 
grands  législateurs  de  cet  âge  intermédiaire  de  notre  poli- 
tique. Sans  rien  concéder  de  nos  droits,  ils  ont  beaucoup 
fait,  par  leur  caractère  et  par  leur  appel  â  la  raison  de  leurs 
adversaires,   pour  créer   l'entente    entre    les    deux  races. 

A  leurs  côtés  on  remarquait  Morin,  Tâché,  Cauchon, 
Girouard,  Dorion.  Ces  hommes-là  n'avaient  pas  tous 
les  mêmes  idées,  mais  ils  avaient  tous  du  caractère- 
On  savait  alors  refuser  un  portefeuille  ou  en  remettre 
un.  Aujourd'hui,  à  trois  ou  quatre  exceptions  près, 
nos  politiques  nous  semblent  être  des  pygmées  à 
côté  de  ces  lutteurs;  ils  ont  plus  de  caoutchouc  et 
moins  d'acier  dans  l'épine  dorsale.  C'est  peut-être 
parce  qu'on  est  porté  à  faire  rentrer  dans  l'épopée 
tout  ce  qui  vieillit.  Qui  sait  si  les  générations  futures  ne 
prendront  pas  pour  des  grands  hommes  tous  nos  lâcheurs 
contemporains  .? . . . 

La  confédération  (1867),  conseillée  par  lord  Durham 
pour  éteindre  notre  influence  en  même  temps  qu'il  recom- 
mandait de  se  concilier  les  Canadiens,  ouvre  une  ère  nou- 
velle. 

A  la  conférence  de  Québec  (1864),  tous  nos  droits  avaient 
été  garantis.  Un  brillant  jeune  homme  venait  de  pronon- 
cer le  discours  d'adieu  de  ses  confrères  à  la  faculté  de  droit 
de  McGill  et  prêcher  l'union  des  deux  races  :  c'était 
Wilfrid  Laurier.  Deux  ans  plus  tard,  dans  Le  Défricheur, 
d'Arthabaska,  dont  il  était  devenu  le  rédacteur,  il  dénonçait 
violemment  la  confédération  comme  devant  être  le  tom- 
beau où  l'on  ensevelirait  notre  nationalité. 


106  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

Après  avoir  fréquenté,  dans  sa  tendre  jeunesse,  une 
école  protestante  à  New-Glasgow,  où  il  se  retirait  dans  une 
famille  presbytérienne,  et  après  avoir  fait  son  droit  à 
McGill,  le  jeune  avocat  devait  être  d'un  tempérament  éclec- 
tique, c'est-à-dire  disposé  à  concilier,  à  s'adopter  aux  mi- 
lieux; car  son  stage  avec  les  Anglais  avait  émoussé  en  lui 
le  patriotisme  lutteur  du  Français,  et  son  éducation  reçue 
au  collège  de  L'Assomption  avait  développé  chez  lui  les 
qualités  intellectuelles  et  sociates  du  latin.  En  un  mot» 
Wilfrid  Laurier  débutait  dans  la  vie  avec  beaucoup  de 
talent  et  de  distinction,  une  belle  souplesse  de  caractère  qui 
ne  diminue  pas  l'ambition,  et  la  sert  au  contraire  en  tirant 
des  inspirations  de  tous  les  événements  pour  la  conduite 
future.  Savoir  obéir  aux  circonstances,  c'est  souvent  se 
faire  obéir  des  hommes. 

M.  Laurier  naquit  à  la  vie  politique  avec  la  Confédéra- 
tion. Il  en  sera  un  jour,  que  dis-je  .'*  il  en  sera  pendant 
quinze  ans  le  premier  citoyen. 

L'acte  de  l'Amérique  Britannique  du  Nord  en  nous  don- 
nant un  gouvernement  fédéral  et  un  gouvernement  pro- 
vincial doublait,  pour  ainsi  dire,  notre  politique.  Et  jus- 
qu'en 1873,  quelques-uns  de  nos  politiques  furent  députés 
en  même  temps  aux  communes  et  à  l'assemblée  législa- 
tive. 

A  Québec,  le  parlement  est  français.  M.  Laurier  y  laissa 
pressentir  sa  carrière  en  1871.  Depuis  quarante  ans,  on  y  a 
entendu  des  discours  qui  auraient  fait  honneur  au  Palais- 
Bourbon.  Chapleau,  Mercier,  MM.  Chapais,  Bourassa  et 
Prévost  ont  été  applaudis  par  des  auditeurs  venus  des  villes 
les  plus  éloignées  du  pays.  Dans  aucune  autre  législature 
provinciale,  on  n'a  pu  rencontrer  autant  d'éloquence  et  de 
culture  intellectuelle. 

Dans  le  domaine  pratique  de  la  politique,  les  Canadiens- 
Français  peuvent  être  fiers  de  leur  province.  Ils  possèdent 
la  législation  civile  la  plus  équitable  et  la  plus  claire  de 
l'Amérique  ;  l'enseignement  secondaire  et  supérieur  ne  le 
cède  en  rien  à  celui  des  autres  provinces,  et  disons  à  ceux 
qui  admirent  toujours  l'état  du  voisin  que  nous  possédons 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS- FRANÇAIS    107 

la  seule  école  des  hautes  études  commerciales  du  pays; 
mais,  nous  avons  encore  à  apprendre  les  méthodes  d'ex- 
ploiter économiquement  nos  ressources  naturelles  :  forêts, 
houille  blanche,  mines,  etc. 

Depuis  dix  ans  nous  avons  cessé  de  faire  de  la  colonisa- 
tion. Et  pourtant  des  millions  d'acres  de  terre  fertile 
attendent  la  charrue.  Nos  familles  vont  s'asphyxier  dans 
les  villes.  Par  conséquent  la  natalité  diminue.  La  race  se 
meurt  puisqu'elle  a  plus  vécu,  et  l'on  dort  à  Québec.  Les 
colons  ne  manquent  pas  à  la  terre  vierge,  c'est  la  terre 
vierge  qui  manque  aux  colons.  On  refuse  de  leur  en  donner. 
On  a  vendu  la  province  aux  spéculateurs  étrangers  qui  l'ont 
mise  littéralement  en  coupe  réglée.  Périssent  au  plus  tôt 
tous  les  gouvernements  qui  refuseront  de  coloniser  le  nord 
et  l'est,  quels  que  soient  leurs  chefs  ! 

Notre  politique  provinciale  en  est  une  d'absurdités  de- 
puis quelques  années.  Soyons  juste  :  l'enseignement,  à  tous 
les  degrés,  a  beaucoup  avancé.  Mais,  hors  de  là,  si  nous 
avançons,  c'est  malgré  nous  ;  le  rapide  courant  du  progrès 
ne  peut  pas  nous  laisser  sur  la  rive.  Nous  nous  devons  à 
nous-mêmes, — parce  que  nous  sommes  la  minorité  en  ce  pays 
et  que  les  minorités  valent  par  leur  caractère, — de  marcher 
en  avant  de  toutes  les  autres  provinces  dans  le  domaine 
commercial  et  industriel,  comme  dans  le  domaine  intellec- 
tuel et  politique. 

Aux  communes,  nous  eûmes  depuis  1867  une  moyenne  de 
55  à  60  députés  de  langue  française,  soit  un  quart  environ 
de  la  députation  totale,  avec  trois  ministres  français  du 
Québec  dans  chaque  parlement,  sous  l'un  ou  l'autre  gou- 
vernement. Ces  ministres  furent  les  suivants,  nommés  dans 
l'ordre  chronologique  de  leur  appel  au  ministère  :  MM.  Car- 
tier, Langevin,  Chapais,  Robitaille,  Dorion,  Letellier  de  St- 
Just,  Fournier,  Geoiïrion,  Cauchon,  Laflamme,  Laurier, 
Baby,  Masson,  Mousseau,  Caron,  Chapleau,  Ouimet,  Angers, 
Desjardins,  Henry  Joly  de  Lotbinière,  Tarte,  Bernier,  Bro- 
deur, Préfontaine,  Lemieux,  Béland,  Monk,  Pelletier,  Nan- 
tel.  Ces  trois  derniers  viennent  d'être  appelés  au  Conseil 
par  M.  Borden.    De  ces  noms-là,  sept  ou  huit  seront  pro- 


108  LA    REVUE    FRANCO-AMERICAINE 

nonces  dans  les  dix  années  à  venir,  deux  ou  trois  entreront 
dans  notre  histoire,  et  fasse  le  Ciel  que  l'un  d'eux  ne  soit 
pas  trop  amoindri  !  Du  côté  anglais,  le  nom  de  Macdonald 
passera  seul  à  la  postérité. 

Dans  les  provinces  anglaises,  nos  compatriotes  ne  sont 
pas  effacés.  MM.  Joly  de  Lotbinière,  Cauchon,  Forget 
furent  lieutenants  gouverneurs.  Actuellement  leDrRéaume 
dans  l'Ontario,  M.  Landry  dans  le  Nouveau-Brunswick,  M. 
Turgeon  dans  la  Saskatchewan,vSont  ministres  avec  porte- 
feuille. L'Ile  du  Prince-Edouard  élira  des  premiers  mi- 
nistres canadiens- français  dans  vingt-cinq  ans,  si  elle  ne  se 
fusionne  pas  avec  les  provinces  voisines. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  la  situation  politique  des  nôtres 
aux  Etats-Unis,  où  nous  comptons  le  gouverneur  du  Rhode- 
Island,  M.  Pothier,  des  juges,  un  grand  nombre  de  députés 
et  de  maires. 

Les  récentes  élections  fédérales  nous  ont  donné  du  neuf. 

Ce  ne  fut  pas  sans  faire  crier  les  journaux  libéraux  qui  se 
seraient  déchiré  la  poitrine  s'ils  pouvaient  en  avoir  une. 
Après  la  défaite,  ils  attendaient  le  déluge.  Il  n'est  pas  venu, 
ils  en  sont  fâchés. 

M.  Laurier  a  fourni  une  longue  carrière.  Il  atteindra  sa 
70e  année  le  20  novembre.  Il  fut  quinze  ans  premier  mi- 
nistre. Il  sera  quelque  temps  chef  de  l'opposition.  Qua- 
rante années  de  vie  politique,  c'est  un  titre  à  la  retraite.  Le 
sort  des  armes  l'impose  parfois. 

Si  la  politique  est  l'art  de  manœuvrer  assez  habilement 
pour  atteindre  le  pouvoir  et  s'y  maintenir  longtemps,  M. 
Laurier  est  sans  doute  un  grand  politique.  S'il  suffit  en 
politique  de  posséder  du  prestige  personnel,  un  beau  port 
et  une  grande  variété  d'attitudes,  une  éloquence  entraî- 
nante, l'habileté  de  faire  partager  ses  opinions  ou  de  con- 
cilier celles  des  autres,  sir  Wilfrid  Laurier  est  certainement 
un  grand  homme  d'Etat.  On  ne  peut  pas  le  nier,  l'ancien 
premier  ministre  est  au  tout  premier  rang  des  politiques  de 
l'empire  britannique  depuis  quinze  ans;  il  fut  l'idole  de  son 
peuple  et  de  sa  race  ;  il  eut  tous  les  succès  au  parlement  et 
à  la  tribune,  en  France  et  dans  le  Royaume-Uni  comme 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    109 

chez  lui.  Ce  qui  frappe  et  impose  chez  M.  Laurier,  c'est  la 
dignité  de  sa  physionomie  ;  c'est  une  belle  tête  pour  le 
sculpteur  ou  le  peintre.  C'est  un  charmeur  !  Sa  mémoire 
vivra,  parce  qu'il  aura  été  un  politique  habile  et  qu'il  aura 
étonné  davantage  l'élément  anglais  du  pays. 

Mais,  sir  Wilfrid  Laurier  ne  sera  pas  reconnu  par  la 
postérité  comme  grand  homme,  parce  qu'il  aura  manqué  de 
caractère.  Un  grand  homme,  c'est  celui  qui  voue  sa  vie  au 
service  d'un  principe  quelconque  intéressant  l'humanité  et 
découlant  de  la  justice,  et  qui  réussit  à  force  de  sacrifices 
ou  qui  succombe  plutôt  que  de  sacrifier  le  principe. 

Le  ministère  Laurier  a  été  renversé  sur  une  question 
d'intérêt  tout  matériel.  N'aurait-il  pas  eu  plus  d'honneur  à 
tomber  il  y  a  six  ans,  plutôt  que  de  léser  la  minorité  de 
l'Ouest  dans  ses  droits  les  plus  chers  ? 

M.  Laurier  a  péché  bien  plus  par  omission  et  par  permis- 
sion que  par  commission.  Au  point  de  vue  canadien-fran- 
çais, il  a  péché  des  trois  façons.  Au  point  de  vue  adminis- 
tratif, M.  Laurier  était  franchement  trop  honnête  pour  tirer 
le  moindre  avantage  personnel  de  sa  position  ;  mais,  il  a 
toléré  dans  son  entourage  les  manipulations  et  les  pots-de- 
vin les  plus  éhontés.  Au  point  de  vue  politique,  il  a  per- 
mis à  la  presse  reptile  de  faire  les  campagnes  les  plus  scan- 
daleuses que  nous  avons  vues  au  pays. 

Il  serait  intéressant,  si  ce  n'était  pas  aussi  honteux  pour 
nous,  de  faire  l'histoire  de  la  presse  libérale  française,  et 
d'une  prétendue  presse  indépendante  depuis  dix  ans.  On  a 
exploité  vilement  les  sentiments  de  la  race,  quitte  à  la  li- 
vrer au  fanatisme,  comme  en  1905,  quand  le  marché  sera 
plus  avantageux.  Nous  avons  encore  des  Bigots,  des  Ver- 
gors  et  des  Vitrés. 

La  journée  du  21  septembre  est  une  sévère  punition  pour 
le  parti  libéral;  c'est  tout  particulièrement  un  coup  porté  au 
libéralisme  du  Québec  dont  les  tendances  au  radicalisme 
sont  assez  prononcées  ;  c'est  en  même  temps  un  exemple  et 
un  avertissement  pour  le  parti  qui  prend  le  pouvoir. 

On  a  manifesté  beaucoup  d'anxiété  sur  la  formation  du 
ministère.  M.  Borden  a  donné  trois  portefeuilles  aux  nôtres. 


110  LA   REVUE    FRANCO- AMIÉRICAINE 

M.  Landry  sera  président  du  Sénat,  et  M.  Blondin  vice-pré- 
sident de  la  Chambre.  Nous  n'avons  rien  à  craindre  pré- 
sentement de  M.  Borden. 

Le  premier  ministre  actuel  a  pratiqué  le  droit  dans  la 
Nouvelle-Ecosse  de  1878  à  1896.  Il  a  fait  sa  marque  comme 
avocat.  Il  est  reconnu  pour  son  honnêteté  et  son  grand 
amour  de  la  justice.  Il  se  faisait  élire  député  en  i8q6  et  de- 
venait le  chef  de  l'opposition  en  1901.  Né  à  Grand-Pré  en 
1854,  un  siècle  après  le  "  grand  dérangement,"  sur  cette 
terre  de  martyrs  dont  l'histoire,  celle  d'Evangéline,  a  dû 
causer  ses  premières  émotions,  M.  Borden  ne  peut  avoir 
qu'une  vive  sympathie  pour  les  Canadiens-Français  et  dé- 
sirer même  faire  oublier  l'histoire  de  1755,  en  favorisant  le 
règne  de  la  justice  chez  les  Acadiens. 

Quelle  sera  la  conduite  du  nouveau  parlement,  et  quelle 
attitude  prendront  les  députés  de  la  province  de  Québec  ? 

Pour  répondre  à  cette  grosse  question,  il  faudrait  repasser 
toute  la  politique  actuelle.  Indiquons  tout  simplement  un 
canevas  de  législation  : 

Commencer  d'abord  par  faire  des  enquêtes  générales  sur 
les  points  faibles  de  l'administration  précédente; 

Etendre  à  tout  le  pays  la  juridiction  de  la  commission  du 
service  civil  ; 

Refaire  la  loi  des  banques  de  façon  à  protéger  effective- 
ment les  dépositaires  ; 

Donner  corps  au  projet  de  loi  de  M.  Monk  sur  les  coopé- 
ratives de  crédit,  de  production  et  de  consommation  ; 

Remanier  le  tarif  et  en  donner  le  travail  à  une  commis- 
sion permanente  analogue  à  la  commission  des  chemins  de 
fer  ; 

Entreprendre  au  plus  tôt  le  canal  de  la  Baie  Géorgienne 
et  outiller  les  ports  du  St-Laurent  ; 

Imposer  des  droits  sur  la  marine  marchande  américaine 

naviguant  dans  nos  canaux  ; 

Baisser  le  tarif  postal  de  nos  échanges  avec  la  France  ; 

Restreindre  l'immigration  juive  en  établissant  une  fortf 

taxe   d'entrée   au   pays;  dépenser  pour   l'immigration   de 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    111 

langue  française  un  budget  au  prorata  de  nos  contributions 
au  trésor  public  ; 

Soumettre  au  peuple  la  question  de  la  participation  aux 
guerres  de  l'empire  et  de  l'entretien  d'une  marine  ; 

Commettre  la  nomination  des  juges  au  barreau  de  chaque 
province,  etc. 

Il  est  à  craindre  que  la  guerre  recomrhence  entre  les  deux 
partis  au  sujet  de  la  marine.  Il  y  a  là  un  gros  fonds  d'hy- 
pocrisie. Nous  dédions  aux  partisans  du  loyalisme  aveugle 
et  quand  même  ces  quelques  lignes  de  M.  Phillipps-Wolley, 
un  impérialiste  convaincu,  autrefois  député  canadien,  plus 
tard  député  aux  communes  anglaises  : 

"  Perhaps  the  very  best  way  in  which  Canada  can  show 
her  loyalty  to  the  Mother  Country,  where  électoral  corrup- 
tion is  practically  non-existent,  is  by  putting  an  end  to  ail 
forms  of  boodling  and  driving  the  crowds  of  office-seekers 
out  of  her  législative  Chambers.  Until  that  is  done  Canada 
will  be  loyal  only  in  the  letter,  not  in  the  spirit,  to  British 
institutions."  (l) 

Que  les  deux  partis  en  fassent  leur  bien  ! 

Nos  députés  devront  prendre  une  part  active  aux  travaux 
législatifs.  Pour  la  province,  les  deux  partis  seront  de  force 
égale.  Ce  sera  une  cause  d'émulation.  Il  y  a  du  côté  mi- 
nistériel un  bon  nombre  de  jeunes  députés  nouveaux  qui  se 
sont  signalés  par  leur  victoire  ;  notons  surtout  MM.  Rain- 
ville,  Lamarche,  Achim,  Sévigny  et  Lavallée.  Ils  ont  du  ta- 
lent et  du  caractère.  Souhaitons  qu'ils  cultivent  le  premier 
par  un  travail  assidu  et  qu'ils  fortifient  le  second  par  leur 
indépendance. 

C'est  du  caractère  que  nous  exigeons  aujourd'hui  de  nos 
hommes  publics.  Ils  en  auront  grand  besoin,  car  nous 
allons  avoir  encore  une  crise  d'impérialisme.  Lord  Grey 
n'a  pas  été  indifférent  à  la  nomination  du  duc  de  Con- 
naught  comme  gouverneur.    Nous  sommes  honorés  par  ce 


(i)  "World  Wide,"    il   mars   1905,    page   281,  col.   3;  reproduit  du 
Morning  Post,"  de  Londres. 


112  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

choix,  mais  il  ne   faudra  pas   nous   laisser  éblouir  par  les 
titres,  et,  à  cause   des   titres,   subir   toutes  les  inspirations. 

Le  temps  de  l'arbitraire  est  passé;  nous  sommes  au  règne 
de  la  diplomatie,  de  la  persuasion.  On  sait  que  la  force  ne 
vaut  pas  contre  nous. 

Lord  Grey  n'a-t-il  pas  circonvenu  nos  personnalités  poli- 
tiques et  religieuses  ?  Mgr  Fallon,  qui  n'est  pas  à  une  fal- 
lonnade  près,  n'a-t-il  pas  commencé  de  prêcher  l'impéria- 
lisme au  Sault-Ste-Marie  le  26  juillet  dernier  ? 

Nous  ne  reprochons  à  persohne  d'être  impérialiste 
militant  (en  tant  que  la  constitution  le  permet),  mais  nous 
tenons  à  exprimer  notre  droit  de  nous  en  défendre. 

Emile  Faguet,  qui  appelle  l'impérialisme  la  *'  forme  aiguë  " 
du  patriotisme,  dit  justement  qu'il  **  consiste  à  aimer  sa  pa- 
trie comme  faisait  un  Romain,  c'est-à-dire  à  croire  qu'elle 
est  la  patrie  par  excellence,  qu'elle  doit  s'imposer  au  genre 
humain,  que  le  genre  humain  ne  serait  que  sage  en  se  sou- 
mettant à  elle  et  en  s'incorporant  à  elle,  et  qu'en  même 
temps  que  patriotique,  il  n'est  qu'humain  d'asservir  le  genre 
humain  à  sa  patrie."  (l) 

Et  comme  la  patrie  est  faite  d'idéaux  communs,  et  comme 
anssi  "  la  langne  commune  est  un  lien  national  extrême- 
ment fort,"  (2)  les  tendances  de  l'impérialisme  anglais  se 
trouvent  assez  en  relief. 

Ces  tendances  sont  avouées  d'ailleurs  par  notre  ancien 
gouverneur  et  par  notre  nouveau. 

Voici  un  passage  du  discours  de  lord  Grey  à  l'hôtel 
Windsor,  le  4  octobre  dernier  : 

"  De  même  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  parti  dans  le  Sud-Afri- 
cain, à  savoir  le  parti  sud-africain  ou  britannique,  au  Ca- 
nada, il  n'y  a  aussi  qu'un  seul  parti  canadien  ou  britan- 
nique. (3) 

Pourtant,  nous  ne  sommes  pas  tous  prêts  à  dire  :  '*!  am 
British  to  the  core  !  " 


(1)  .Kmile  Faguet,  "  La  Patrie,"  ch.  I. 

(2)  Id.,  ch.  VII. 

(3)  "  Le  Devoir,"  3  octobre  191 1,  p.  2,  col.  2. 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    113 

Encore  :  "  Si  vous  devez  être  sauvés  d'un,  changement,  il 
faut  maintenir  la  suprématie  britannique  sur  mer  "...  "Quel 
est  l'idéal...  ?  Est-ce  d'être  un  parasite  sur  le  tronc  de  l'em- 
pire... ?  "  etc. 

Le  duc  de  Connaught  est  aussi  explicite  dans  son  dis- 
cours en  réponse  à  l'adresse  de  bienvenue  du  Québec  : 

"  Aux  jours  d'antan,  ce  fut  la  fusion  des  races  française 
et  anglaise  qui  fit  la  grandeur  de  l'Angleterre.  Ici,  l'his- 
toire se  répète  encore  et  voit  cette  fusion  qui  fait  votre 
grandeur."  (l) 

Il  est  si  difficile  de  cacher  ses  sentiments  ! 

La  fusion  n'est  pas  faite,  et  nous  entendons  bien  rester 
français  sans  mélange.  Nous  voulons  la  bonne  entente 
entre  les  deux  races,  "l'entente  cordiale  "  même,  mais  rien 
de  plus.     Cela  nous  suffit. 

L'impérialisme  est  bien  moins  un  danger  national  pour 
nous,  Canadiens-Français,  qu'un  danger  politique  pour  tous 
les  Canadiens.  C'est  pour  cela  que  les  députés  du  Québec 
auront  une  si  grande  part  dans  la  politique  canadienne; 
car  ils  sont,  eux,  plus  canadiens  que  les  autres,  par  la  pre- 
mière occcpation  du  sol  comme  par  l'histoire  de  ses  habi- 
tants. 

Ils  suivront,  nous  n'en  doutons  pas,  la  noble  attitude  de 
M.  Monk  et  de  M.  Bourassa. 

M.  Bourassa  fut  le  premier  à  prévoir  les  dangers  de  l'im- 
périalisme. Pour  les  avoir  dénoncés  il  a  retardé  de  plu- 
sieurs années  son  ascension  au  pouvoir.  Mais,  peu  importe  ! 
Le  pays  avant  le  parti  et  le  pouvoir,  se  dit  M.  Bourassa. 

Dût-il  n'être  jamais  premier  ministre,  M.  Bourassa  aura 
laissé  une  empreinte  profonde  sur  la  génération  actuelle.  Il 
aura  gouverné  dans  l'opposition  plus  efficacement  que  les 
premiers  ministres  ne  l'auront  fait  au  pouvoir. 

Cet  homme  semble  avoir  été  nourri  de  la  moelle  des  lions, 
tant  il  est  vaillant  et  intrépide.  Il  a  bravé  les  cailloux  et 
les  plus  grands  orateurs  de  son  temps,  le  dégoût  et  la  haine, 


(i)  "  Le  Devoir,"  13  octobre  191 1,  p.  3,  coL 


114  LA   REVUE    FRANCO- AMÉRICAIXE 

l'isolement  et  les  foules,  les  applaudissements  et  les  éloges. 
Rien  ne  l'a  ébranlé.  C'est  un  passionné  du  devoir  social, 
du  devoir  politique,  du  devoir  chrétien,  du  devoir  tout  court. 
Et  le  devoir,  c'est  la  justice  envers  Dieu,  la  société  et  soi- 
même.  Jamais  la  justice  ne  fut  défendue  plus  éloquemment, 
avec  plus  d'amour  et  de  passion,  que  dans  la  séance  de  clô- 
ture du  Congrès  Eucharistique,  à  Montréal,  le  10  septembre 
1910.  Ce  soir-là,  les  mânes  de  Montalembert,  d'O'Connell 
et  de  Moreno  ont  dû  tressaillir. 

Les  grandes  haines  ne  s'attachent  qu'aux  grands  carac- 
tères. M.  Bourassa  recevra  donc  encore  des  cailloux,  mais 
il  sera  invulnérable  tant  qu'il  n'aura  pas  rempli  la  mission 
qui  lui  est  évidemment  assignée.  Nous  souhaitons  ardem- 
ment qu'il  ait  de  nombreux  imitateurs  parmi  la  jeunesse 
d'aujourd'hui,  afin  qu'elle  soit  longue  la  liste  des  Canadiens- 
Français  qui  auront  fait  leur  marque  dans  la  politique  ca- 
nadienne :  Papineau,  Lafontaine,  Cartier,  Chapleau,  Mer- 
cier, Laurier,  Bourassa,  etc. 

{A  suivre.) 

Louis  Gerenv&l. 

Le  22  octobre  191 1. 


-:o:- 


La  Nation  Franco-Normande  au  Canada 


Par  Le  VICOMTE   FORSYTH  DE  FRONSAC 

I 

Je  fais  orécéder  cette  esquisse  historique  d'une  explica- 
tion du  titre  que  je  lui  donne  :  "Nation  Franco-Normande 
au  Canada,"  au  lieu  de  "  Nation  Canadienne  "  ou  "Nation 
Canadienne-Française." 

S'il  est  vrai  que  tous  les  habitants  d'un  même  pays,  sans 
distinction  de  race,  vivant  sous  un  même  gouvernement, 
forment  les  parties  constituantes  d'une  nation,  il  n'en  est 
plus  de  même  lorsque  dans  le  même  pays,  et  sous  le  même 
gouvernement,  vit  un  peuple  ayant  une  origine  différente, 
possédant  une  langue  à  lui,  des  droits  et  des  coutumes 
différents  des  droits  et  des  coutumes  des  autres  habitants 
du  pays  ;  alors,  ce  peuple  forme  non  seulement  une  nation, 
mais  une  race  avec  des  caractères  communs  perpétués  par 
l'hérédité  à  travers  les  siècles  (ces  caractères  peuvent  se 
modifier  plus  ou  moins  sous  l'influence  du  climat,  du  genre 
de  vie  et  du  croisement).  Et  si,  pour  approfondir  davan- 
tage le  sujet,  je  remonte  à  l'origine  de  ce  peuple,  je  trouve 
que  le  plus  grand  nombre  de  ses  familles  est  originaire  de 
Normandie,  en  France,  et  que  la  plupart  des  autres  vien- 
nent de  la  Touraine,  où  prédomine  le  sang  des  Francs  qui 
ont  donné  leur  nom — Francia^  France, — à  la  Gaule  qu'ils 
avaient  conquise. 

Voilà  pourquoi  je  donne  à  mon  article  ce  titre  :  "La  Na- 
tion Franco-Normande  au  Canada."  Je  n'ai  pas  employé 
le  terme  "  Canadiens-Français,"  parce  qu'il  renferme  quel- 
que chose  d'anormal.  Le  Franc  et  le  Normand  sont  d'une 
même  race  (germanique),  avec  les  mêmes  coutumes,  les 
mêmes  droits  coutumiers  qu'ils  ont  imposés  aux  Gallo-Ro- 
mains  en  les  conquérant. 


116  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

A  part  cela,  le  Franco-Normand  a  formé  l'aristocratie 
d'Ecosse  avec  les  de  Bruce,  Fleming  de  Douglass,  Forsyth 
de  Fronsac,  Beauchamp  de  Campbell,  Beaumont  de  Hamil- 
ton;  Fitzalan-Stuart,  de  Balieul;  celle  d'Angleterre  avec  Guil- 
laume le  ConquérantjMartel-Plantagenet  d'Anjou,Fortesque, 
Montague,  Neuville,  Beauchamp,  Saville,  Villiers,  Chaudos  ; 
celle  d'Irlande  avec  les  De  Courcy,  de  Vesci,  de  Burg, 
Fitzgerald,  de  Butler;  celle  d'Italie  avec  les  de  Maurienne 
(maison  de  Savoie),  Tancrèd,  Guiscard  (Guiscardini),  Ger- 
hard (Gerhardini),  et  la  famille""  Colombo  de  laquelle  des- 
cendit Christophe  Colomb,  le  découvreur  de  l'Amérique. 

L'organisat\on  de  la  race  Franco-Normande  au  Canada 
veut  dire  une  nation  autour  de  laquelle,  par  des  sympathies 
organiques  et  héréditaires,  peuvent  se  grouper  les  familles 
Franco-Normandes  d'Ecosse,  d'Angleterre,  d'Italie,  etc., 
habitant  l'Amérique  du  Nord  et  ayant  conservé,  propor- 
tionnellement à  la  pureté  de  leur  sang,  les  instincts  trans- 
mis qui  sont  semblables  aux  instincts  de  la  race  Franco- 
Normande  habitant  au  Canada. 

La  raison  de  ce  ralliement  autour  de  la  race  qui  est  au 
Canada  pour  se  transformer  en  mouvement  nationaliste, 
c'est  que  la  race,  au  Canada,  s'est  établie  sur  des  garanties 
internationales  assez  solides  pour  fournir  la  base  d'un  gou- 
vernement parmi  les  autres  gouvernements  du  monde,  un 
gouvernement  à  elle  possédant  les  garanties  suivantes  :  la 
constitution  établie  par  les  rois  de  France  au  Canada,  re- 
connue par  le  traité  international  de  1763  et  réaffirmée  par 
le  Canada  Act  de  1774,  loi  suprême  au-dessus  de  toutes  les 
autres  parce  que  déterminée  entre  souverains  signataires 
des  traités,  une  loi  qui  est  en  elle-même  une  constitution 
souveraine. 

La  réponse  aux  questions  suivantes  va  nous  donner  l'his- 
toire et  le  programme  de  l'Ordre  Aryen  et  Seigneurial  qui, 
avec  son  Collège  des  Armes  de  la  Nouvelle-France  fournit 
le  moyen  efficace  d'organiser  la  race  sur  des  bases  consti- 
tutionnelles. 

I*^. — Qu'est-ce  que  c'est   que   cette   Constitution  Souve- 
raine .? 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA      117 

2  . — Sur  quoi,  droit,  principe  ou  sentiment  est-elle  fon- 
dée ? 

3°, — Quels  obstacles  s'opposent  à  son  existence  ?  Quels 
sont  ses  ennemis  ? 

4°, — Où  peut-on  trouver  la  preuve  et  l'histoire  du  droit 
de  l'Ordre  Aryen  et  Seigneurial  ;  quels  sont  ceux 
qui  ont  qualité  pour  s'inscrire  dans  les  registres 
nobiliaires  de  son  Collège  des  Armes  de  la  Nou- 
velle France  (Canada)  ? 

I. — La  Constitution  Souveraine. 

La  Constitution  est  royale  et  la  royauté  est  héréditaire 
avec  le  consentement  des  grands  (noblesse).  Les  habitants 
se  divisent  en  la  noblesse,  la  bourgeoisie  et  la  paysannerie, 
l'Eglise  est  une  institution  d'Etat  et  ses  ministres  ont  une 
représentation  auprès  du  gouvernement. 

Dans  les  premiers  registres  du  Canada,  on  dit  que  le  mot 
"paysan"  n'est  pas  applicable,  parce  que  la  souche  du 
peuple  au  Canada  était  au-dessus  de  la  paysannerie  en 
France,  et  le  mot  *' habitant "  remplaça  le  mot  "paysan." 
Les  lois  sont  légitimées  en  conformité  avec  les  coutumes 
du  viscomté  et  prévôté  de  Paris  dans  le  duché  de  France. 
Comme  l'a  dit  Sir  Hippolyte  Lafontaine,  de  la  Cour  Suprême 
du  Canada  :  "  C'est  le  droit  commun  de  France  royale  et 
féodale." 

Les  institutions  nivellantes  de  la  démocratie  que  les 
Anglo-Saxons  anglais  ont  introduites  dans  le  pays  avec 
leur  régime  parlementaire  et  factieux  sont  ennemies  de  la 
constitution  royaliste  et  féodale;  de  plus,  elles  sont  les 
moyens  subtiles  par  lesquels  on  compte  bouleverser  les 
droits  et  les  privilèges  des  habitants,  séculiers  et  religi-eux, 
que  la  constitution  souveraine  protège.  Les  organes  prin- 
cipaux de  cette  constitution  sont  le  Roi,  l'Aristocratie,  la 
Bourgeoisie,  l'Eglise. 

LE  ROI 

Article  du  traité  de  cession  du  Canada,  du  Roi  de  France 
au  Roi  de  la  Grande-Bretagne  (1763)  :— "  Sa  Majesté  Très 


118  LA   REVUE   FRANCO-AMitRICAINE 

Chrétienne  -énonce  toutes  les  prétentions  qu'il  a  formées 
ou  avait  formées  à  la  Nouvelle  France  ou  Acadie  dans  toutes 
les  extensions  et  cède  le  tout  avec  toutes  ses  dépendances  au 
Roi  de  la  Grande  Bretagne.  Et  Sa  Majesté  Très  Chrétienne 
cède  et  garantit  à  la  dite  Majesté  Britannique  en  pleine 
souveraineté  le  Canada  avec  toutes  ses  dépendances,  le 
Cap  Breton  et  toutes  les  isles  et  costes  de  la  baie  et  fleuve 
Saint  Laurent  et  en  général  toute  chose  qui  dépende  de  les 
dites  terres  et  costes  du  pays  avec  la  souveraineté,  territoire, 
possession  et  tous  les  droits  transmis  de  traité  que  Sa  Ma- 
jesté Très  Chrétienne  et  la  Couronne  de  France  a  eu  jusqu'à 

présent en   prérogative   complète   sans   restriction    et 

sans  droit  dé  changer  ces  concessions  et  garants  sous  quel- 
ques prétextes  que  ce  soient." 

Pour  comprendre  les  prérogatives  ainsi  transmises  sans 
interruption  et  sans  délimitation  d'un  souverain  à  l'autre, 
voyons  en  quoi  consiste  la  rovauté  dans  notre  constitution 
souveraine. 

Le  roi,  c'est  le  chef  de  famille  de  l'état.  Le  roi,  c'est 
l'état  personnifié.  Sa  prérogative  s'étend  partout  sur  le 
territoire  de  l'état.  Celui  qui  tient  sa  terre  du  Roi  participe 
avec  lui  dans  la  prérogative  souveraine  sur  son  propre  do- 
maine, limitée  seulement  par  les  circonstances  de  son  fief. 
L'union  de  tous  les  fiefs,  grands  et  petits,  fait  l'état  lui- 
même.  L'union  de  tous  les  personages  qui  possèdent  ces 
fiefs  est  consolidée  dans  la  personne  du  Roi  qui  représente 
et  personnifie  la  souveraineté  de  tous  les  états  du  royaume. 
Les  tenanciers  de  ces  fiefs  sont  les  feudataires  du  Roi.  Leur 
devoir  est  de  s'unir  au  Roi  contre  tout  ennemi  du  royaume. 
Ils  sont  les  éléments  potentiels  dont  le  Roi  est  la  qualité 
positive — la  personnalité. 

Luchaire  dans  1'"  Histoire  des  Institutions  Monarchiques 
de  la  France  sous  les  Premiers  Capétiens,"  dit  que  les  Etats 
Généraux  du  royaume  tenus  à  Notre-Dame  de  Paris  en 
1302  déclarèrent  que:  "Le  royaume  de  France,  que  nos 
prédécesseurs  ont  conquis  sur  les  barbares  par  leur  propre 
courage  et  par  la  vaillance  de  leur  peuple,  qu'ils  ont  su  gou- 
verner ensuite  avec  fermeté  et  qu'ils  n'ont  jamais  tenu  de 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  119 

personne  que  de  Dieu  :  nous  l'avons  reçu  de  leurs  mains 
par  la  volonté  divine  ;  désirant  les  imiter  selon  notre  pou- 
voir, nous  sommes  prêts  à  exposer  notre  corps,  nos  biens  et 
tout  ce  que  nous  possédons  pour  conserver  libre  de  toute 
atteinte  l'indépendance  du  royaume,  et  nous  reputons  enne- 
mis de  ce  royaume  et  de  notre  personne  tous  ceux  qui 
s'opposeront  à  ce  dessein." 

La  suprématie  du  roi  dans  l'état  est  déclarée  par  les  Etats 
Généraux  de  1614,  en  ces  mots  :  "  Soit  inviolable  et  notoire 
à  tous,  que,  comme  le  Roi  est  reconnu  souverain  dans  son 
royaume,  ne  tenant  sa  couronne  que  de  Dieu  seul,  il  n'y  a 
puissance  en  terre,  spirituelle  ou  temporelle,  qui  ait  aucun 
droit  sur  son  royaume  pour  en  priver  les  personnes  sacrées 
de  nos  rois,  ni  dispenser  ou  absoudre  leurs  sujets  de  la 
fidélité  et  obéissance  qu'ils  doivent.  Tous  les  sujets  tien- 
dront cette  loi  comme  conforme  à  la  parole  de  Dieu,  sans 
distinction,  équivoque   ou   limitation   quelconque   laquelle 

sera  signée  et  jurée  par  tous  les  députés  du  royaume 

Tous  les  précepteurs,  légistes,  docteurs  et  prédicateurs  du 
royaume  sont  tenus  de  l'enseigner  et  publier." 

La  prérogative  des  rois  de  Prusse  vient  de  la  même 
souche  que  celle  des  rois  de  France — l'Empire  de  Charle- 
magne.  Roi  des  Francs  et  Empereur  Germanique  des  Ro- 
mains. Denis,  dans  son  ouvrage  "La  Fondation  de  l'Em- 
pire Allemand  (p.  240)  dit  :  ''  La  Prusse  est  une  monarchie 
constitutionelle,  c'est-à-dire,  que  le  souverain  s'est  engagé 
à  accorder  aux  sujets  certaines  garanties,  mais  ces  garan- 
ties sont  limitées  et  précises,  et  elles  n'altèrent  pas  le  pou- 
voir essentiel  à  la  souveraineté  ;  le  pouvoir  exécutif  appar- 
tient au  Roi  seul,  qui  n'est  responsable  que  devant  Dieu  ;  il 
choisit  ses  ministres  ;  les  Chambres  peuvent  examiner  leur 
conduite  et  même  les  censurer  ;  le  vote  de  défiance  des 
Chambres  a  pour  but  d'attirer  l'attention  du  Souverain  ;  si, 
après  réflexion,  il  les  maintient  en  fonction,  les  Chambres 
n'ont  qu'à  s'incliner.  Les  Chambres  ont  le  droit  de  repous- 
ser les  lois  nouvelles  et  les  surtaxes  d'impôts,  mais  elles  ne 
peuvent  modifier  l'ordre  de  choses  existant  que  de  l'aveu 
du  Souverain  :   c'est-à-dire  que  les  lois  demeurent  en  vi- 


120  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

gueur  et  que  les  impôts  continuent  à  être  régulièrement 
perçus  tant  que  le  Roi  trouve  bon  ;  sans  cela  on  tomberait 
dans  l'erreur  des  démocrates  qui  transportent  le  veto  du 
Roi  aux  Chambres,  de  sorte  que  le  Roi  n'est  plus  que  le 
président  d'une  corporation  de  politiciens  au  lieu  que  le 
Souverain  d'un  état." 

Les  démocrates  anglo-saxons  au  Canada  ont  réduit  la 
prérogative  du  Roi,  dans  la  constitution  souveraine  du 
pays,  au  niveau  de  la  présidence  de  leur  corporation  poli- 
tique.— Mais  c'est  contre  le  droit  eoutumier — la  loi  suprême. 

Il  est  incontestable  que  l'allégeance  personnelle  des  francs- 
tenanciers  est  un  devoir  envers  la  personne  du  Roi  dans  la 
souveraineté  duquel  ils  sont  les  facteurs  latents.  Le  Roi» 
renforcé  par  cette  puissance  consolidée  en  lui-même,  doit 
défendre  la  prérogative  de  souveraineté  de  chaque  franc- 
tenancier  en  son  fief  contre  tout  édit  de  la  législature  qui 
le  priverait  de  la  prérogative  de  franc-tenancier  de  la 
couronne.  Et  vice  versa,  chaque  franc-tenancier  doit  dé- 
fendre la  prérogative  du  Roi  contre  tout  édict  de  la  législa- 
ture qui  l'en  priverait. 

(A  suivre.) 


:o: 


Un  décret  romain  et  la  loi  de  New- York 
sur  les  associations  religieuses 


Ceux  qui  ont  étudié  avec  nous  la  grave  situation  qui  est 
faite  à  nos  compatriotes  du  Maine,  ont  cru,  avec  nombre  de 
journaux  franco-américains,  qu'un  récent  décret  de  la  Con- 
grégation du  Concile,  venait  de  régler  tout  le  débat. 

Certains  ont,  dès  l'apparition  de  la  nouvelle  dans  les 
journaux,  crié  au  triomphe  des  catholiques  du  Maine,  et 
applaudi  à  ce  qu'ils  appelaient  une  colossale  rebuffade  de 
Mgr  Walsh.  On  a  reconnu,  depuis,  que  la  rebuffade  n'é- 
tait ni  si  colossale  ni  la  victoire  si  complète.  M.  Dupré,  du 
reste,  le  chef  des  Franco- Américains  du  Maine,  l'a  déclaré 
d'une  façon  très  claire,  tandis  que  Mgr  Walsh,  avant  peut- 
être  d'avoir  saisi  tout  le  sens  du  décret,  affirmait  qu'il  ne 
le  liait  en  aucune  façon. 

Si  cette  opinion  de  l'évêque  de  Portland  était  la  bonne, 
la  Congrégation  du  Concile  serait  vraiment  bien  avancée  ! 
Il  sera,  dans  tous  les  cas,  intéressant  de  voir  comment  ce 
brave  homme  pourra  éluder  un  texte,  qui,  comme  tous  les 
textes  romains,  est  d'une  très  grande  clarté. 

Pour  ce  qui  est  du  décret  lui-même,  il  est  évident  qu'il 
répond  exactement  aux  désirs  de  ceux  qui  l'ont  demandé. 
Cela  ne  veut  pas  dire  qu'il  rende  entièrement  justice  aux 
fidèles  sur  qui  retombe  tout  le  fardeau  de  l'entretien  des 
églises.  Il  n'est  même  pas  douteux  que  la  Congrégation 
elle-même  a  dû  agir  sous  l'impression  que  la  loi  civile  aux 
Etats-Unis  mettait  des  entraves  aux  associations  religieu* 
ses,  ce  qui  est  loin  d'être  prouvé.  Car,  on  admettra  bien, 
je  suppose,  que  si  des  législateurs  américains  ont  pu,  à  la 
demande  d'un  évêque,  adopter  une  loi  aussi  arbitraire, 
aussi  odieuse  que  la  Corporation  Sole,  il  eût  été  aussi 
facile    d'en    obtenir    une    loi    donnant   à   l'Eglise  toutes 


Î22  LA    REVUE    FRANCO-AMERICAINE 

les  garanties  voulues,  tout  en  accordant  aux  fidèles 
la  juste  part  de  représentation  que  le  droit  commun, 
bien  plus,  que  l'Eglise  elle-même,  accordent  à  ceux 
qui  donnent  de  l'argent  pour  le  maintien  des  insti- 
tutions paroissiales.  Comme  question  de  fait,  les  évê- 
ques  ont  eu  aux  Etats-Unis  les  systèmes  qu'ils  ont  voulus. 
L'histoire  de  leurs  diocèses,  au  surplus,  montre  trop  souvent 
qu'ils  se  sont  écartés  à  dessein  des  lois  fondamentales  de 
l'Eglise,  et  que  leur  principal  souci  a  été  moins  de  consoli- 
der les  oeuvres  confiées  à  leur  direction  que  de  s'affermir 
dans  un  absolutisme  complet,  ne  considérant  plus  les  mil- 
lions de  catholiques  américains  que  comme  un  vaste  trou- 
peau taillable  et  corvéable  à  merci.  Cette  opinion,  ancrée 
dans  l'esprit  de  certains  évêques  puis  répandue  dans  le 
clergé  qui,  plus  rapproché  du  peuple  qui  paie,  est  devenu 
dans  bien  des  cas  l'agent  forcé  ou  inconscient  d'une  colos- 
sale ignominie,  a  donné  lieu  à  tous  les  abus  que  nous 
dénonçons  avec  une  vigueur  parfois  voisine  de  la  violence. 

Que  si  l'on  voulait  nous  accuser  de  donner  dans  l'exagé- 
ration, de  céder  au  parti  pris,  d'agir  sous  l'impulsion  des 
préjugés,  nous  n'aurions  plus  qu'à  inviternos  contradicteurs 
à  faire  consciencieusement  l'examen  de  la  question.  Des 
faits,  d'une  excessive  brutalité,  leur  ouvriront  les  yeux. 

Témoin,  pour  ne  citer  qu'un  exemple,  cet  extrait  d'un 
sermon  lu  dans  une  église  de  la  Nouvelle-Angleterre,  il  n'y 
a  pas  un  an,  et  au  sujet  de  l'acrimonieux  conflit  qui  a  mis 
aux  prises,  dans  l'Etat  du  Maine,  l'évêque  et  les  fidèles  : 

"  Le  Souverain  Pontife,  les  évêques,  disait  l'orateur  reli- 
gieux, sont  propriétaires  des  biens  de  l'Eglise  comme  un 
roi  est  propriétaire  des  biens  de  son  royaume.  Mais  com- 
ment les  ministres  de  l'Eglise  administrent-ils  ces  biens  ? 
Le  mode  varie  selon  les  temps,  selon  les  lieux,  et  même  se- 
lon les  diocèses.  Les  décrets  du  concile  de  Baltimore  en 
indiquent  trois  pour  les  Etats-Unis." 

Un  canoniste,  à  qui  je  faisais  lire  cette  déclaration  dans 
un  journal  reproduisant  le  sermon  en  entier,  se  contenta  de 
lever  les  épaules  et  de  dire:  "L'auteur  n'aura  pas  eu  le 
temps  de  lire  les  passages  du  concile  de  Baltimore  qui  se 


UN    DISCRET    ROMAIN  123 

rapportent  à  la  matière,  et  semble  ignorer  tout  à  fait  le 
droit  canon  et  les  affaires  de  son  pays." 

Or,  i^l  suffit  de  posséder  la  moindre  notion  des  décrets 
des  conciles  de  Baltimore  pour  savoir  que  les  trois  modes 
d'administration  dont  il  est  question  dans  ce  sermon  (fidéi- 
commis,  possession  simple,  corporation  d'un  seul)  ne  sont 
recommandés  que  pour  les  cas  où  on  ne  peut  pas  établir  le 
véritable  système  paroissial  de  l'Eglise;  que  ces  trois 
modes  ne  sont  pas  prescrits  mais  défendus,  excepté  dans 
les  Etats  où  un  mode  conforme  aux  lois  canoniques  n'est 
pas  admis.  Le  mode  conforme  aux  lois  canoniques,  c'est 
non  seulement  l'incorporation  légale  des  paroisses,  mais 
encore  l'élection  des  syndics,  des  marguilliers  par  les  pa- 
roissiens. Ce  mode  est,  je  crois,  en  usage  dans  le  Wiscon- 
sin. 

Mais  je  ne  veux  pas  me  laisser  entraîner  à  la  discussion 
d'un  problème  aussi  complexe  dans  cet  article  qui  n'a 
qu'un  but  :  mettre  sous  les  yeux  des  lecteurs  de  la  Revueles 
documents  essentiels  à  la  pleine  intelligence  de  la  situation 
nouvelle  qui  sera  faite  aux  catholiques  des  Etats-Unis.  Il 
sera  toujours  facile  d'y  revenir  et  d'étudier  dans  ses  détails 
une  situation  qui  semble,  surtout  aux  Etats-Unis,  varier  sui- 
vant le  temps,  le  lieu,  et  même  les  individus.  Voyons  donc 
d'abord  les  documents  :  le  premier  à  lire  est  bien,  on  le  com- 
prend, la  décision  de  la  Sacrée  Congrégation  du  Concile. 
En  voici  la  traduction  que  j'emprunte  au  "Devoir,"  de 
Montréal  : 

LE  DECRET 

Sacrée  Congrégation  du  Concii^e 

Rome,  10  août  191 1. 
Révérendissime  Seigneur  et  Frère, 

Il  est  très  à  la  louange  des  érêques  des  Etats-Unis  d'Amérique  qu'ils 
n'aient  jamais  manqué,  parmi  tous  les  soins  auxquels  leur  zèle  s'applique 
et  qui  leur  font  dépenser  leur  dévouement  et  leurs  forces  pour  le  progrès 
de  la  religion  catholique  et  le  soutien  de  la  piété  des  fidèles,  de  s'occuper 
avec  prudence  de  la  protection  des  biens  temporels  de  l'Eglise  et  de  leur 
bonne  administration.  Il  existe  sur  ce  point  de  nombreuses  preuves  de 
leur  sollicitude  pastorale,  parmi  lesquelles  il  faut  assurément  mentionner 


124  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

les  décrets  portés  par  les  conciles  pléniers  de  Baltimore  touchant  l'admi- 
nistration des  biens  ecclésiastiques. 

Récemment,  quelques  évêques,  considérant  les  circonstances  actuelles 
et  les  besoins  particuliers  de  certaines  localités,  ont  cru  utile  de  deman- 
der conseil  au  St-Siège  et  ont  prié  le  Saint-Père  de  fixer  des  règles  pour 
l'administration  des  biens  temporels  dans  toute  la  république  des  Etats- 
Unis  d'Amérique. 

Or,  la  Sacrée  Congrégation  du  Concile,  à  qui  l'affaire  a  été  confiée 
après  mûre  considération  et  après  s'être  enquise,  par  l'intermédiaire  de 
Monseigneur  le  Délégué  Apostolique,  du  désir  des  Révérendissimes  Ar- 
chevêques de  ce  pays,  et  se  conformant  surtout  à  ce  désir,  a  proposé  et 
décidé,  dans  sa  séance  plénière  du  29  juillfet  dernier,  ce  qui  suit  : 

I?  Des  systèmes  de  possession  et  d'administration  des  biens  ecclésias- 
tiques qui  sont  aujourd'hui  en  vigueur  dans  les  Etats-Unis  d'Amérique, 
celui  qui  porte  le  nom  de  Parish  Corporation  est  le  plus  préférable, 
pourvu  toutefois  qu'il  soit  appliqué  selon  les  conditions  et  avec  les  pré- 
cautions qui  sont  en  vigueur  dans  l'Btat  de  New- York.  Les  évêques 
prendront  soin  d'introduire  immédiatement  ce  système  d'administration 
des  biens  temporels  dans  leur  diocèse  respectif,  si  la  loi  civile  le  permet. 
Si  la  loi  civile  ne  le  permet  pas,  ils  feront  des  instances  énergiques  au- 
près des  autorités  civiles  pour  obtenir  aussitôt  que  possible  le  consente- 
ment de  la  loi  sur  ce  point. 

2?  Dans  les  endroits  où  la  loi  civile  ne  reconnaît  pas  la  Parish  G7r/>o- 
ra//<7«,  et  tant  qu'on  n'y  aura  pas  réussi  à  obtenir  cette  reconnaissance 
légale,  l'application  du  système  dit  Corporation  Sole  est  permise,  de  telle 
sorte  cependant  que  l'Evêque  ne  procède  dans  l'administration  des  biens 
ecclésiastiques  qu'après  avoir  entendu  l'avis  des  intéressés  et  des  consul- 
teurs  diocésains,  et,  dans  les  affaires  importantes,  qu'après  avoir  obtenu 
leur  cons::ntement,  la  Sacrée  Congrégation  laissant  à  la  conscience  de 
l'Evêque  lui-même  la  responsabilité  des  manquements  à  ces  prescriptions. 

3**  Le  système  qu'on  appelle  in  Fee  Simple  doit  être  absolument  aboli. 

Je  suis  heureux  de  vous  communiquer,  de  par  l'autorité  du  Saint-Père, 
ces  décisions  salutaires  que  les  Eminentissimes  Pères  ont  jugé  utile  de 
prendre,  espérant  que  leur  mise  à  exécution  sera  très  avantageuse  au  bien 
de  l'Eglise  dans  ce  noble  pays. 

[^'En  attendant,  je   prie   le   Seigneur  de  tout  cœur  qu'il   vous  accorde 
toutes  sortes  de  bienfaits,  et  je  me  dis  avec  respect, 

A.  T. 

Votre  frère, 

C.  Gard.  GENNARI,  Préfet, 

B  POMPÏLI,  Secrétaire. 

Voilà  le  document  qui  ne  lie  pas  Tévêque  de  Portland  ! 
Cest  fort  possible.     Dans  tous  les  cas  il  aura  bientôt  Toc- 


I 


UN    DÉCRET    ROMAIN  125 

casion  de  montrer  comment  il  entend  s'y  soustraire.  Au 
reste,  l'affaire  Ponsardin  qui  dut  être  jugée  deux  fois,  pour 
obtenir  la  soumission  de  feu  Mgr  Healey,  prouve  déjà  que 
dans  le  diocèse  de  Portland  la  discipline  épiscopale  ne  va 
pas  toujours  sans  subir  quelques  accrocs. 

Mais  ce  qu'il  importe  de  connaître  maintenant,  c'est  cette 
loi  de  New- York  qu'on  semble  avoir  représentée  à  Rome 
comme  le  dernier  mot  de  la  perfection  pour  l'administra- 
tion des  biens  paroissiaux.     Voyons  ce  qui  en  est  : 

LA  LOI  DE  NEW-YORK  (traduction)  (i) 

Texte  de  la  Loi  supplémentaire  "  POUR  LA  CONSTITUTION  CI- 
VILE DES  ASSOCIATIONS  RELIGIEUSES." 

Supplément  à  la  loi  intitulée  :  "  Loi  pourvoyant  à  l'incorporation  des 
Associations  religieuses,"  adoptée  le  5  avril  mil  huit  cent  treize. 

Adopté  le  25  mars  1863  •  les  trois  cinquièmes  des  membres  étant  pré- 
sents. 

La  population  de  l'Etat  de  New- York,  représentée  au  sénat  et  à  l'As- 
semblée législative,  décrète  ce  qui  suit  : 

Article  i. — La  loi  intitulée  "  Loi  pourvoyant  à  l'incorporation  des  Asso- 
ciations religieuses,"  adoptée  le  cinq  avril  mil  huit  cent  treize,  est  par  les 
présentes  amendée  en  y  ajoutant  les  dispositions  suivantes  : 

I. — Il  sera  permis  à  toute  église  catholique  romaine  ou  congrégation, 
se  trouvant  actuellement  dans  les  limites  de  cet  Etat,  ou  pouvant  s'y 
trouver  ci-après,  de  s'incorporer  conformément  aux  dispositions  de  cette 
loi  :  l'archevêque  ou  l'évêque  catholique  romain  du  diocèse  dans  lequel 
une  église  pourra  être  érigée  ou  devra  l'être  dans  l'avenir,  le  vicaire-gé- 
néral de  ce  diocèse,  et  le  curé  de  cette  église,  dans  le  moment,  respective- 
ment, ou  la  majorité  de  ceux-là,  devront  choisir  et  nommer  deux  laïques, 
membres  de  ladite  église,  et  devront  de  concert  avec  les  laïques,  signer 
un  certificat  en  double,  indiquant  le  nom  ou  le  titre,  en  vertu  duquel,  eux 
et  leurs  successeurs  seront  connus  et  désignés  comme  corporation,  en 
vertu  de  cette  loi,  lesquels  certificats  devront  être  dûment  reconnus  at- 
testés, de  la  même  manière  que  les  transports  d'immeubles  ;  l'un  de  ces 
certificats  devra  être  déposé  au  bureau  du  secrétaire  de  l'Etat,  et  l'autre 
au  bureau  du  greffier  du  comté,  dans  les  limites  duquel  cette  église  pourra 
ou  devra  être  érigée  ;  et  telle  église  ou  congrégation  pourra  être  considé- 
rée comme  un  corps  politique  incorporé  sous  le  nom  ou  le  titre  mentionné 
dans  tel  certificat,  et  lesdites  personnes  ayant  ainsi  signé  cedit  certificat 
devront  être  les  syndics  de  ladite  église  ou  congrégation.  Les  successeurs 

(i)  Le  texte  anglais  dont  nous  donnons  ici  une  traduction  est  extrait 
des  "  Statuts"  du  diocèse  d'Ogdensburg,  N.  Y. 


126  LA  REVUE  FRANCO -AMÉRICAINE 

de  tsl  archevêque,  évêque,  vicaire-général  ou  curé,  respectivement,  pour 
le  temps  où  ils  seront  en  fonctions  devront,  en  vertu  de  leur  charge,  cons- 
tituer les  syndics  de  telle  église  au  lieu  et  place  de  leur  prédécesseur  :  et 
les  laïques  devront  conserver  leur  charge  respectivement  pendant  un  an 
et  au  cas  où  la  charge  de  quelqu'un  de  ces  laïques  deviendrait  vacante 
pour  cause  de  moralité,  de  départ,  de  démission  ou  autrement,  son  succes- 
seur devra  être  nommé  de  la  même  manière  que  ci-dessus  pourvu  pour  le 
premier  choix. 

II. — Les  syndics  de  toute  église  ou  congrégation  et  leurs  successeurs 
devront  jouir  de  tous  les  pouvoirs  et  de  toute  l'autorité  accordés  aux 
syndics  d'une  église,  d'une  congrégation  qii  d'une  société  quelconque, par 
l'article  quatre  de  la  loi  intitulée  "  L/Oi  pourvoyant  à  l'incorporation  des 
Associations  religieuses  "  adoptée  le  cinq  avril  mil  huit  cent  treize,  et 
devront  également  avoir  le  pouvoir  de  fixer  et  déterminer  le  salaire  qui 
devra  être  payé  au  curé  ou  à  l'assistant-curé  de  ladite  église,  mais  toute 
propriété  personnelle  ou  réelle  d'une  telle  église  ou  corporation,  à  l'ex- 
clusion de  l'édifice  de  l'église,  presbytère,  et  maison  d'école,  y  compris 
les  terrains  sur  lesquels  ils  peuvent  être  érigés,  de  même  que  les  cime- 
tières, ne  devront  pas  excéder  un  revenu  annuel  de  trois  mille  dollars  : 
mais  rien  de  ce  qui  est  contenu  dans  la  présente  loi  ne  peut  être  tenu  ou 
considéré  comme  abrogeant,  altérant  ou  diminuant  l'effet  du  chapitre 
trois  cent  soixante  des  lois  de  mil  huit  cent  soixante. 

III. — Les  syndics  d'une  église  incorporée  d'après  cette  loi  sont  obligés 
de  produire,  sous  serment,  à  la  cour  suprême  du  district  judiciaire,  dans 
lequel  ladite  église  se  trouve  comprise,  une  fois  tous  les  trois  ans,  un  in- 
ventaire de  toutes  les  propriétés  réelles  ou  personnelles,  appartenaat  à 
ladite  église,  en  même  temps  que  le  revenu  annuel  de  ces  propriétés,  le- 
quel inventaire  devra  être  déposé  au  bureau  du  greffier  du  comté  dans  le- 
quel les  édifices  se  trouvent  érigés. 

IV. — Au  cas  où  une  église  incorporée  d'après  cette  loi  serait  dissoute, 
par  suite  de  maladministration  ou  de  négligence  à  exercer,  aucun  des 
pouvoirs  nécessaires  pour  son  maintien,  ou  autrement,  cette  église  pourra 
être  incorporée  de  nouveau,  d'après  le  mode  prescrit  par  cette  loi,  durant 
les  six  années  de  la  date  de  cette  dissolution,  et  sur  ce,  toutes  les  proprié- 
tés réelles  ou  personnelles  appartenant  à  la  corporation  ainsi  dissoute, 
lors  de  sa  dissolution  appartiendront  à  la  nouvelle  corporation. 

Article  2. — La  législature  peut  en  tout  temps  modifier,  altérer  ou  abro- 
ger cette  loi. 
Article  3. — Cette  loi  entrera  en  vigueur  immédiatement. 

La  loi  qui  précède  n'est,  en  somme,  qu'une  modifi- 
cation de  la  loi  de  New-York  sur  les  associations  religieu- 
ses.    C'est  pour  cela  que  nous  y  cherchons  en  vain  le  texte 


UN    DECRET    ROMAIN  127 

définissant  plus  clairement  le  contrôle  des  paroissiens  sur 
leurs  propriétés  religieuses. 

Nous  devons  à  M.  le  juge  Boire,  de  Plattsburg,  le  rensei- 
gnement suivant  qui  jette  plus  de  lumière  sur  la  question. 
Voici  la  section  de  la  loi  qui  décrète  dans  quelles  conditions 
une  association  religieuse  peut  disposer  de  ses  propriétés  : 

"Srct.  12. —  Ventey  hypothèque  et  location  des  bnmeubles  des  associa- 
tions religieuses. 

Une  association  religieuse  ne  vendra  ou  n'hypothéquera  aucun  de  ses 
immeubles  sans  en  avoir  demandé  et  obtenu  la  permission  de  la  cour 
conformément  aux  règles  du  code  civil  de  procédure.  Les  syndics  d'une 
association  catholique  romaine  inco;  porée  ne  demanderont  pas  à  la  cour 
la  permission  de  vendre,  hypothéquer,  louer,  aucune  de  ses  propriétés 
immobilières  sans  le  consentement  de  l'archevêque  ou  de  l'é/êque  du  dio- 
cèse dans  lequel  se  trouve  son  église,  ou  en  leur  absence  ou  impossibilité 
d'agir,  sans  le  consentem.ent  du  vicaire-général  ou  de  l'administrateur  du 
diocèse.  La  requête  des  syndics  d'une  association  incorporée,  protesitante 
épiscopalienne  ou  catholique  romaine,  devra,  à  part  les  détails  exigés  par 
le  code  civil  de  procédure,  démontrer  que  les  stipulations  de  la  présente 
section  ont  été  observées.  Mais  les  lots,  lopins  de  terre  ou  permis  d'en- 
terrer dans  un  cin^etière  possédé  par  une  association  religieuse  pour- 
ront être  cédés  ou  vendus  sans  la  permission  de  la  cour.  Les  terrains  de 
cimetière  d'une  association  religieuse  ne  peuvent  pas  être  hypothéqués 
tant  qu'ils  sont  employés  comme  cimetière." 

Cet  article  12  est  déjà  d'une  importance  capitale,  mais  il 
nous  laisse  encore  loin  de  cet  amendement  à  la  loi  dont 
ont  parlé  quelques  journaux  et  en  vertu  duquel  "les  syn- 
dics ou  "trustées"  des  paroisses  ne  peuvent  faire  une  dé- 
pense ou  contracter  une  dette  au-dessus  de  mille  dollars, 
sans  obtenir  au  préalable  l'autorisation  du  tribunal  qui  a 
juridiction  en  la  matière." 

Cette  précaution  qui  n'existe  pas  dans  la  loi  est  tout  de 
même  comprise  dans  les  règlements  (By-laws)  que  les  asso- 
ciations religieuses  sont  invitées  à  adopter  et  dont  une  co- 
pie est  publiée  dans  l'appendice  des  "Statuts  "  (l)  du  dio- 
cèse d'Ogdensburg  (pages  66,  6/  et  68). 

L'article  7  de  ces  règlements  dit  :  "  Une  dette  liant  la  res- 


(1)  "  By-1,avjs  "  çuarum  adoptio  contmendatur  parœciis  juxta  hanc 
legem  constitutis.*'     Statuts  du  diocèse  d'Ogdensburg,  N.  Y. 


128  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

ponsabilité  de  cette  association  ne  peut  être  contractée 
qu'en  vertu  d'une  résolution  spéciale  adoptée  pour  cette 
fin,  inscrite  dans  ses  minutes  et  signée  par  au  moins  trois 
syndics,  si  elle  ne  dépasse  pas  un  total  de  MILLE  DOLLARS 
($l,000),  et  par  tous  les  syndics  si  elle  dépasse  cette  somme." 

Mais  cette  garantie,  si  considérable  qu'elle  paraisse,  ne 
vaut  encore  qu'en  proportion  de  l'influence  des  syndics 
laïcs  dans  la  corporation,  selon  qu'ils  représentent  plus  ou 
moins  directement  le  sentiment  de  ceux  qu'ils  sont  suppo- 
sés représenter.  v 

Or,  on  a  vu  par  la  loi  citée  plus  haut  qu'ils  étaient  choisis 
par  l'évêque,  le  grand-vicaire  et  le  curé. 

Pourquoi  n'a-t-on  pas  détruit  toute  chance  de  conflit  pour 
l'avenir  en  confiant  aux  paroissiens  le  soin  de  choisir  eux- 
mêmes  leurs  syndics  dans  une  grande  assemblée  de  la  pa- 
roisse }  (i)Assurément,  si  ce  dernier  mode  a  pu,  dans  certains 
quartiers,  prêter  à  quelques  abus,  il  est  universellement 
connu  que  l'autre  a,  lui  aussi,  soulevé  sa  grosse  part  de  ré- 
criminations et  d'abus. 

Et,  pourtant,  Dieu  sait  si  cette  loi  de  New- York  est  déjà 
une  amélioration  sur  des  systèmes  comme  la  "  Corporation 
Sole  !  " 

Pour  plusieurs,  la  décision  de  la  Congrégation  du  Concile 
n'apparaîtra  pas  comme  une  solution  définitive,  mais  comme 
un  acheminement  vers  une  législation  qui  rende  pleine  et 
entière  justice  à  tout  le  monde. 

Ce  n'est  pas  la  meilleure  loi  que  l'Eglise  pouvait  donner 
aux  catholiques  américains. 


(i)  Un  membre  éminent  du  clergé  suggère  que  les  sj^ndics  soient  élus 
par  les  propriétaires  de  bancs.  Il  suggère  encore  que  dans  les  paroisses 
mixtes  les  syndics  soient  Franco-Américains  quand  le  curé  est  irlandais. 

J.-L.  K.-Laflamme. 


Ah  !  vraiment  !  .  .  . 


Mon  Cher  Directeur, 

Le  croiriez-vous  ?  me  voici  victime  d'une  crise  de  popu- 
larité auprès  de  mes  amis  irlandais.  Ils  me  font  fête  :  je 
suis  l'objet  de  leur  conversation  quand  je  suis  absent  ;  et 
quand  ils  me  rencontrent,  ils  sont  communicatifs  à  l'ex- 
trême. Je  ne  voudrais  pas  commettre  plus  d'indiscrétion 
qu'il  ne  faut.  Pourtant  il  est  des  perles  qui  ne  peuvent  se 
dérober  perpétuellement  aux  regards. 

L'autre  jour,  mon  ami  Patrick  me  saute  au  cou,  et  m'em- 
brassant  avec  effusion,  il  me  demande  à  brûle-pourpoint  : 
"  Savez-vous  pourquoi  il  n'y  a  pas  eu  de  cardinal  cana- 
,dien  ?  "  Comme  je  n'aime  pas  les  problèmes  compliqués,  et 
que  je  ne  veux  pas  me  fatiguer  les  méninges  par  des  efforts 
intempestifs,  j'ai  répondu  le  plus  simplement  du  monde  : 
"Ma  foi,  je  n'en  sais  rien."  Mais  Patrick,  d'un  air  averti, 
me  dit  en  clignant  de  l'œil  :  "Je  le  sais  bien,  moi." 

Je  fis  mine  d'être  indifférent  à  ses  confidences  :  cette  atti- 
tude le  rendit  plus  loquace. 

"Là-bas,  on  est  miécontent,"  me  dit-il,  "des  écrits  de  cer- 
tains journalistes  ;  et  pour  se  venger  des  rédacteurs  de  ces 
feuilles,  on  prive  tel  archevêque  de  son  chapeau  de  cardi- 
nal." 

— Ah  !  vraiment  ! 

"  Parfaitement,"  fit-il  ;  et  il  se  mit  à  me  donner  des  noms. 

Je  voulus  lui  signifier  que  ses  raisons  ne  me  donnaient 
pas  satisfaction.  Il  se  fâcha  tout  rouge.  Quand  il  eut  re- 
couvré ses  sens,  j'essayai  de  lui  faire  un  brin  d'histoire 
contemporaine  pour  lui  démontrer  que  quelques  articles  un 
peu  courageux  ne  pouvaient  pas  être  la  cause  de  la  puni- 
tion infligée  à  tout  un  pays  aussi  vaste  que  le  Canada,  et 
qui  contient  tant  de  catholiques,  dont   la  très  grande  majo- 


180  LA   REVUE   FRANCO- AMÉRICAINE 

rite  est  de  langue  française  :  ce  que  mon  ami  oublie  tou- 
jours. 

"  Mgr  Bourne,  l'éminent  archevêque  de  Westminster  est 
cardinal,"  lui  dis-je. — Oh  !  oui  !  dil-il  avec  un  sourire  ex- 
tatique, qui  lui  fit  oublier  sa  petite  crise  de  tout  à  l'heure. — 
"Eh  !  bien,  vous  qui  êtes  un  intellectuel,  puisque  vous  lisez 
la  "  Revue  Franco- Américaine,"  vous  n'ignorez  pas  que  le 
*' Tablet  "  de  Londres,  qui  est  sous  la  direction  immédiate 
de  Mgr  Bourne,  a  publié  des  articles  modernistes  qui  ont  mé- 
rité de  faire  l'objet  des  commentaires  d'un  célèbre  profes- 
seur à  Rome.  A  plusieurs  reprises,  le  même  "Tablet"  a 
réédité  des  mensonges  historiques.  Tout  dernièrement,  il 
vient  de  faire  une  réclame  insensée  à  1' "Encyclopedia 
Britannica,"  ce  qui  lui  a  mérité  une  verte  semonce  de  la 
part  de  1' "  America,"  qui  se  dit  "profondément  humiliée," 
"heartily  ashamed,"  de  voir  la  conduite  du  journal  qu'elle 
flétrit,  en  disant  "The  once  respected  London  Tablet." 

"  Jamais,  dis-je  à  Pat...,  vous  me  ferez  croire  que  Rome 
est  plus  sensible  aux  bonnes  vérités  dites  pour  la  revendi- 
cation des  droits  de  la  race  en  Amérique  qu'aux  hérésies  et 
aux  insanités  imprimées  dans  le  "Tablet."  Rome  n'a  pas 
pu  vouloir  châtier  le  Canada,  pour  des  vérités  exprimées 
parfois  avec  violence,  et  récompenser  ceux  qui,  dans  un 
journal  qu'ils  dirigent  immédiatement,  laissent  passer  des 
hérésies,  des  doctrines  qui  frisent  l'hérésie  et  des  mensonges 
impudent  sy 

Cher  Patrice,  lisez  encore,  sans  préjugés.  Vous  préten- 
drez que  vous  êtes  au-dessus  des  questions  de  nationalité. 
C'est  peut  être  vrai,  si  l'on  admet  avec  vous,  qu'il  n'y  a 
qu'une  race  qui  a  droit  d'exister  en  Amérique  :  la  race  an- 
glaise. 

Voulez-vous  d'autres  exemples  pour  prouver  que  l'on  ne 
peut  punir  une  race,  sous  prétexte  que  des  articles  qui  ne 
plaisent  pas  à  tous  ont  été  publiés  dans  un  pays.  Je  vous 
en  servirai  à  souhait.  Personne  ne  songe  à  tenir  Son  Emi- 
nence  le  cardinal  Merry  del  Val  responsable  des  articles 
de  l'"Asino."  de  l'"Avanti,"  du  "  Messaggero,"  de  la 
"Tribuna,"  etc.,  journaux  publiés  à  Rome. 


I 


I- 


'  AH  !   VRAIMENT  !.  .  .  .  131 

Son  Eminence  ne  peut  pas  s'irriter,  comme  vous  le  dites, 
quand  dans  d'autres  pays,  où  il  y  a  encore  du  français,  on 
dit  de  bonnes  vérités.  Je  voulus  continuer.  Pat  s'enfuit  et 
court  encore. 


.  DESINTERESSEMENT  IRLANDAIS 

Dans  le  nouveau  diocèse  de  Régina,  il  y  a  un  seul  prêtre 
irlandais.  Au  jour  même  du  sacre  de  Mgr  Mathieu,  il  pré- 
senta à  son  évêque  ses  hommages.  Il  voulut  profiter  de 
l'occasion  pour  pousser  ses  petites  affaires.  Avec  un  air 
d'abnégation  totale  d'une  brebis  qui  sent  le  besoin  de  se 
faire  égorger,  il  dit  à  Sa  Grandeur  :  **  Monseigneur,  si  vous 
voulez  réussir  dans  votre  diocèse,  il  vous  faut  nommer  un 
grand  vicaire  irlandais"  Ce  prêtre  mérite  un  chapeau  de 
cardinal.     Il  ira  loin. . .  très  loin. . . 

NOUVELLE  FALLONNADE 

Amis  lecteurs,  vous  avez  cru  jusqu'à  ce  jour  que  l'éduca- 
tion des  enfants  appartient  aux  parents  d'un  droit  sacré  et 
inaliénable.  Saint  Thomas  d'Aquin  a  écrit  de  belles  choses 
à  ce  sujet.  Mais  tout  cela  est  changé.  Mgr  Fallon  a  dé- 
crété— et  vous  savez  qu'il  est  infaillible,  même  quand  il 
parlé  contre  les  enseignements  de  l'Eglise — Mgr  Fallon  a 
décrété,  lui,  qu'il  appartient  aux  enfants  de  dire  quel  genre 
d'éducation  ils  veulent  recevoir;  et  dans  son  grand  amour 
de  la  langue  française,  il  a  demandé  aux  enfants  d'origine 
française  quelle  langue  ils  désiraient  apprendre.  Les  pe- 
tits ont  répondu  *  ^'  L'anglais  "  ;  et  alors  la  question,  est  ré- 
glée ;  les  parents  n'ont  plus  rien  à  dire. 

Que  Sa  Grandeur  se  donne  donc  la  peine  d'étudier  la 
philosophie  et  les  enseignements  de  l'Eglise. 

Michel  Renouf. 


Revue  des  faits  et  des  oeuvres 


Le  vote  du  21  septetmbre 

Le  Greffier  en  chancellerie  d'Ottawa  a  rendu  public  le 
résultat  officiel  du  vote  enregistré  le  21  septembre. 
Voici  les  chiffres  du  vote  par  province  : 

Votes  Votes 
cons.  lib. 

Nouvelle-Ecosse 55,265  57,303 

Nouveau-Brunswick 38,880  40,194 

Ile  du  Prince-Edouard 14,638  13,512 

Québec 157,593  168,446 

Ontario 264,386  198,483 

Manitoba 43,346  37,512 

Saskatchewan  30,994  47,586 

Alberta 29,653  37,076 

Colombie  Britannique 25,622  16,350 

660,327       616,462 

Ainsi  il  y  a  eu  660,327  votes  conservateurs  et  616,462 
votes  libéraux,  soit  une  majorité  de  43,865. 

Le  champ  de  bataille  du  13  septembre  1759 

M.  Thomas  Chapais  dans  le  magnifique  et  solide  ouvrage 
qu'il  vient  de  publier  sur  le  Marquis  de  Montcalm,  écrit  à  ce 
sujet  : 

"  L'armée  française  était  rangée  en  bataille  en  avant  des 
Buttes-à-Neveu,  sur  le  sommet  de  la  déclivité  où  s'élève  au- 
jourd'hui le  couvent  des  Franciscaines,  à  peu  près  dans 
l'alignement  des  tours  Martello.  Les  bataillons  étaient 
disposés  comme  suit  :  à  droite,  sur  la  hauteur  où  l'hôpital 
Jeffrey  Haie  est  maintenant  construit,  il  y  avait  celui  de 


I 


revtje  des  faits  et  des  œuvres  133 

la  Sarre,  puis  celui  de  Languedoc  ;  au  centre,  Béarn  et 
Guyenne;  à  gauche,  Royal-Roussillon  et  des  milices.  Les 
troupes  de  la  colonie  et  les  milices  du  gouvernement  de 
Québec  étaient  en  présence  à  la  droite  du  bataillon  de  la 
Sarre.  Elles  occupaient  des  broussailles  dont  ce  terrain 
était  rempli  et  avaient  en  avant  d'elles  des  pelotons  pour 
inquiéter  les  Anglais.  Royal-Roussillon  avait,  lui  aussi,  en 
avant  de  lui  un  peloton  de  Canadiens.  Et  plusieurs  autres 
pelotons  de  milices  étaient  répandus  de  distance  en  dis- 
tance en  avant  de  tout  le  front  de  bataille.  Montcalm  était 
au  centre  avec  M.  de  Montreuil  ;  M.  de  Senezergues,  briga- 
dier et  lieutenant-colonel  de  la  Sarre,  commandait  la 
droite,  et  M.  de  Fontbonne,  lieutenant-colonel  de  Guyenne, 
commandait  la  gauche. 

L'armée  anglaise  était  à  une  petite  distance,  sa  droite 
s'appuyant  à  l'éminence  où  se  trouve  maintenant  la  prison 
de  Québec,  et  sa  ligne  se  prolongeant  vers  le  chemin  Ste- 
Foy,  entre  la  rue  de  Salaberry  et  l'avenue  des  Erables." 

Changements  dans  le  cabinet  anglais 

De  la  "  Vérité,"  Québec  : 

Une  dépêche  de  Londres  mande  que  d'importants  chan- 
gements viennent  d'être  opérés  dans  le  cabinet  anglais. 

Voici  les  principaux  :  Winston  Spencer  Churchill,  mi- 
nistre de  l'Intérieur,  devient  premier  Lord  de  l'Amirauté, 
et  Reginald  McKenna  laisse  ce  portefeuille  pour  prendre 
celui  de  ministre  de  l'Intérieur.  Le  comte  Carrington, 
ministre  de  l'Agriculture,  devient  Lord  du  Sceau  Privé; 
C.  E.  Hobhouse,  secrétaire  financier  au  Trésor,  a  été 
nommé  chancelier  du  Duc  de  Lancaster;  Walter  Runiman 
abandonne  le"  portefeuille  de  l'Instruction  Publique  pour 
prendre  celui  de  l'Agriculture,  et  l'ancien  chancelier  du 
duc  de  Lancaster,  J.  A.  Pease,  prendra  le  portefeuille  de 
l'Instruction  Publique. 

Sir  Edward  Strachey,  secrétaire  parlementaire  du  minis- 
tère de  l'Agriculture  et  le  Très  Hon.  Alfred  Emmott,  député 


134  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAIXE 

d'Oldham  et  vice-président  de  la  Chambre  des  Communes, 
seront  élevés  à  la  pairie. 

La  persécution  chez  les  Acadiens 

Un  vieil  ami  des  Acadiens  nous  adresse  l'intéressante 
note  que  voici  : 

"  L'ère  des  persécutions  ne  semble  pas  près  de  se  fermer 
chez  nos  frères  acadiens.  Le  2/  septembre  dernier,  une 
virago  orangiste  de  Moncton  qui,  en  vertu  de  l'extraordi- 
naire loi  de  l'Instruction  du  Nouveau-Brunswick,  fait  partie 
des  Commissaires  d'Ecoles  de  Moncton,  donnait  avis  qu'à 
la  prochaine  assemblée  elle  proposerait  l'abolition  de  l'en- 
seignement du  français  à  Vécole  catholique  française  Saint- 
Bernard  de  cette  ville.  Elle  fit  de  pressantes  démarches 
auprès  de  plusieurs  Commissaires  protestants  qui  refusèrent 
d'appuyer  sa  proposition  si  elle  l'émettait.  L'un  d'eux  lui 
conseilla  même  d'abandonner  définitivement  son  projet  : 
"Jamais,  répondit-elle.  Ce  n'est  que  le  commencement!. . .  " 
A  la  séance  de  la  Commission  des  Ecoles  du  l8  octobre 
dernier,  elle  prétendit  n'avoir  point  dit  que  sa  proposition 
devait  être  présentée  alors;  qu'elle  se  réservait  de  la  pré- 
senter quand  elle  le  jugerait  opportun.  Il  est  à  remarquer 
que  nos  frères  acadiens  de  Moncton  se  sont  vus  supprimer 
trois  ans  sur  quatre  d'enseignement  du  français  aux  tout 
petits  (il  y  a  deux  ans  de  cela),  grâce  à  l'action  énergique 
— contre  eux — du  curé  actuel  qui,  pour  cela,  s'allia  aux  traî- 
tres acadiens  et  aux  orangistes.  Le  fait  a  été  signalé  à  LL. 
EE.  NN.  SS.  Sbarretti  et  Stagni — sans  succès. — Elle  savait, 
cette  virago,  que  les  Français  ne  peuvent  compter  sur  AU- 
CUN de  leurs  prêtres  qui  sont  indifférents  ou  franchement 
hostiles  :  De  là  son  avis  de  motion  qui  reste  comme  uneépée 
suspendue  sur  la  tête  des  pauvres  enfants  acadiens.  La  po- 
pulation française  de  Moncton,  d'après  le  récent  recense- 
ment— si  mal  fait,  on  le  sait — forme  le  tiers  de  la  popula- 
tion totale  de  Ja  ville,  et  elle  n'a  qu'un  commissaire  sur 
neuf.  Ces  neuf  comptent  deux  femmes.  Le  mari  de  celle 
dont  nous  parlons  briguait  humblement  les  voix  françaises 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  185 

pour  se  faire  élire  maire  de  la  ville  il  y  a  quatre  ans— et- il 
y  réussit  : — il  eût  dû  avoir  la  franchise  (brutale  si  Ton  veut) 
de  prévenir  ses  électeurs  de  ce  que  sa  digne  commère, 
poussée  par  lui  préparait  contre  ces  mêmes  électeurs. 
(Nota. — Aux  termes  de  la  loi  du  Nouveau-Brunswick,  il  ne 
peut  y  avoir  d'écoles  confessionnelles  ou  séparées  ni  d'é- 
coles françaises  ;  c'est  par  pure  tolérance  qu'il  en  existe. 
Voilà  le  vraie  situation  !)." 

Les  Franco-Américains  du  Connecticut 

Nos  compatriotes  du  Connecticut  ont  tenu  leur  20ème 
congrès,  cette  année  (25  et  26  octobre)  à  Stafford  Springs. 
Il  y  avait  plus  de  200  délégués  parmi  lesquels  la  plupart 
des  prêtres  franco-américains  de  l'Etat.  A  une  séance  spé- 
ciale tenue  le  premier  soir  des  discours  furent  prononcés  par 
M.  Alfred  Bonneau,  directeur  de  la  Justice  de  Beddeford, 
Maine  et  par  W.  Eugène  L.  Jalbert,  un  jeune  et  brillant 
avocat  de  Woonsocket,  P.  Q. 

Les  congrès  a  adopté  les  résolutions  suivantes  préparées 
par  un  comité  composé  de  MM.  A.  O.  Baribault,  T.  Z.  Morin, 
A.  Morin,  Provost.  Allard  : 

Le  clergé, — Les  échecs  dn  catholicisme  chez  les  nôtres,  dans  le  diocèse 
de  Hartford,  sont  principalement  dus  au  marque  de  prêtres  de  notre  race 
là  où  nous  ne  cessons  de  les  demander  depuis  le  commencement  de  nos 
réunions  conventionnelles  en  1885.  Résolu  que  le  seul  et  unique  remède 
à  ce  déplorable  état  de  choses  est  le  recrutement  de  notre  propre  nationa- 
lité dont  le  nombre  de  prêtres  serait  au  moins  le  double  de  celui  que  nous 
avons  l'honneur  et  l'orgueil  de  posséder  actuellement. 

Education  et  Langue. — Les  droits  de  la  langue  française  dans  nos  fa- 
milles, nos  écoles  et  nos  églises  étant  reconnus  ;  aussi  bien,  le  rôle  et  la 
mission  que  la  Providence  a  dévolus  aux  Franco- Américains  pour  le  bien- 
être  commun  des  différents  éléments  dont  se  compose  la  République,  étant 
intimement  liés  à  l'éducation  et  à  l'instruction  que  nous  donnerons  à  nos 
enfants.  Résolu  qu'il  n'est  pas  juste  ni  raisonnable  que,  dans  nos  écoles 
paroissiales,  le  français  ne  soit  pas  enseigné  à  l'égal  de  l'anglais,  et  que 
nous,  représentants  attitrés  des  Américains  catholiques  d'origine  fran- 
çaise du  diocèse  de  Hartford,  réunis  en  cette  assemblée  solennelle,  nous 
nous  prononçons  carrément  pour  le  droit  inaltérable,  inviolable  et  intan- 
gible de  l'enseignement  et  de  la  diffusion  équitable  du  français  dans  tous 
nos  centres.    De  plus,  nous  ne  cessons  de  proclamer  comme  un  déni  de 


136  LA   REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

justice  flagrant,  contraire  à  nos  titres  de  fils  soumis  de  l'Eglise  et  de  ci- 
toyens libres  de  cette  République,  le  fait  que,  dans  certains  milieux,  on 
tente  sans  cesse  d'une  manière  sourde,  mais  avérée,  de  reléguer  notre  édu- 
cation et  notre  langue  françaises  à  l'arrière- plan. 

Sociétés  nationales. — Les  bases  fondamentales  de  notre  force  pour  la 
propagation  de  nos  désirs  nationaux  ont  toujours  été,  et  sont  encore,  nos 
belles  associations  de  mutualité  franco-américaines.  Résolu  que  ce  con- 
grès exprime  hautement  sa  gratitude  à  toutes  nos  sociétés,  sans  en  excep- 
ter une  seule,  pour  tout  le  bien  qu'elles  ont  fait,  et  qu'il  les  engage  cha- 
leureusement à  continuer  de  projeter  leur  influence  salutaire  dans  le  do- 
maine d'une  saine  action  sociale,  catholique  et  franco-américaine. 

Naturalisation.— Pour  être  considéré^-  comme  de  véritables  patriotes, 
capables  de  servir  nos  intérêts  et  nos  aspirations  légitimes,  il  est  admis 
aujourd'hui  qu'il  faut  être  citoyens  actifs  des  Etats-Unis,  Résolu  que 
nous  conseillons  avec  la  plus  grande  ardeur  à  tous  nos  compatriotes,  in- 
dividuellement et  collectivement,  de  continuer  à  s'occuper  activement 
de  la  naturalisation  des  Canadiens-français,  et,  par  ce  moyen,  agrandir 
l'influence  politique  à  laquelle  nous  avons  droit. 

L,a  Presse. — Nos  journaux  sont  un  élément  de  force  incalculable  pour 
l'avancement  de  notre  cause.  Il  faut  donc  les  encourager  de  toutes  nos 
forces  et  au  prix  de  n'importe  quel  sacrifice.  Résolu  que  chaque  délégué 
de  retour  chez  lui,  prêche  dans  toutes  nos  colonies  la  nécessité  urgente 
de  s'abonner  d'abord  auK  journaux  franco-américains  de  la  Nouvelle- 
Angleterre,  et  ensuite  de  solder  promptement  le  prix  d'abonnement  lors- 
que la  date  en  est  échue. 

Les  écoles  bilingues  dans  le  Manitoba 

Le  Patriote  de  V Ouest  (Duck  Lake,  Sask.,  2  nov.  1911) 
nous  apporte  un  vigoureux  article  au  sujet  d'un  incident 
survenu  dans  Tarrondissement  scolaire  de  Union  Point, 
près  de  St-Norbert,  Manitoba  : 

"  Il  s'agit,  dit-il,  d'un  procès  intenté  par  un  brave  père  de  famille  cana- 
dien-français, M.  Cyrus  Nolette,  contre  les  trois  commissaires  d'école  de 
la  localité  :  MM.  James  Cox,  Otto  Swenson  et  Alexander  Jackson,  trou- 
vés coupables  d'avoir  négligé  leur  devoir  en  n'engageant  pas  un  institu- 
teur qualifié  pour  l'enseignement  du  français. 

"  La  cause  fut  plaidée  devant  M.  Henri  de  Moissac,  de  St-Norbert,  et 
les  commissaires  furent  condamnés  par  ce  magistrat  à  une  amende  de. 
^20  et  payement  des  frais  de  cour. 

"  La  loi  du  Manitoba  est  très  claire  concernant  l'établissement  d'écoles 
bilingues.  La  clause  10  du  chapitre  26  des  Statuts  du  Manitoba  de  1897 
se  lit  comme  suit  : 

"  10.  Lorsque  dix  élèves  d'une  école  parlent  la  langue  française,  ou 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  137 

toute  langue  autre  que  l'anglais  comme  langue  maternelle,  l'enseigne- 
ment de  ces  élèves  se  fera  en  français  ou  autre  langue,  et  en  anglais,  d'a- 
près un  système  bilingue." 

"  Il  fut  prouvé  que  le  nombre  des  élèves  de  langue  française  à  Union 
Point  était  plus  que  suffisant  pour  justifier  la  demande  d'un  instituteur 
compétent  dans  l'enseignement  du  français.  Il  fut  prouvé  aussi,  par  un 
rapport  de  l'inspecteur,  que  l'instituteur  alors  en  fonction,  M.  Oliver  H. 
Brown,  n'avait  pas  la  compétence  voulue,  et  jugement  fut  rendu  contre 
les  commissaires  pour  avoir  voulu  maintenir  cet  instituteur  malgré  tout. 

"  Celui-ci  est  aujourd'hui  remplacé  par  Mlle  Lacroix,  de  la  province  de 
Québec,  mais  les  commissaires  ont  porté  leur  cause  en  appel  devant 
l'Hon.  Juge  Prud'homme,  de  St-Boniface,  et  le  premier  jugement  a  été 
maintenu." 

L'article  du  "  Patriote  "  s'applique  surtout  à  répondre  à 
un  journal  de  Winnipeg,  la  "Free  Press,"  qui,  sur  cette 
question  comme  sur  celle  du  collège  de  St-Boniface,  trouve 
de  précieux  alliés  ailleurs  que  dans  les  rangs  des  oran- 
gistes. 

La  "Free  Press"  réédite,  avec  ses  souffleurs  assimulateurs, 
les  stupides  illusions  ramenées  en  Europe  et  portées  jus- 
qu'à Rome  par  Mgr  Bourne,  et  les  observateurs  empressés 
du  genre  Tampieri,  savoir  :  l'Ouest  est  un  pays  de  langue 
anglaise,  il  faut  savoir  l'anglais  pour  être  autre  chose  que 
des  scieurs  de  bois  et  des  porteurs  d'eau,  etc.  Toute  la  "  fal- 
lonade"  y  passe. 

Le  "  Patriote  "  remet  les  choses  au  point  et  dit  résolu- 
ment à  ces  modernes  anglicisateurs  :  "Ce  pays  est  bilingue 
de  par  la  constitution,  et  vous  n'y  pouvez  rien  !  " 

Voilà,  pourtant,  une  question  qui  devait  être  réglée  défi- 
nitivement en  1896  !  Dans  tous  les  cas,  il  n'est  pas  sans  in- 
térêt de  voir  les  droits  des  nôtres  défendus  là-bas  par  un 
vaillant  journal  français  publié  dans  la  province  même 
qui  vit  la  dernière  reculade  de  notre  ex-gouvernement 
croupion. 

Nouveau  Supérieur  du  collège  Canadien  à 
Rome 

La  "  Revue  Franco- Américaine  "  offre  ses  plus  sincères 
félicitations  à  M.  l'abbé  Léonidas  Elz.  Perrin,  professeur 


138  •  LA    REVUE    FRANCO-AMERICAINE 

de  théologie  au  Grand  Séminaire  de  Montréal,  qui  a  été 
nommé  supérieur  du  Collège  canadien  à  Rome.  Cette  no- 
mination amène  un  changement  auquel  beaucoup  ne  s'at- 
tendaient guère,  mais  que  certains  événemients,  peu  connus 
du  public,  permettaient  aux  initiés  de  prévoir. 

M.  l'abbé  Perrin  remplacera  M.  Tabbé  Georges  Camille 
Clapin,  qui  vient  de  donner  sa  démission.  Le  nouveau  titu- 
laire a  déjà  quitté  Montréal  pour  se  rendre  à  son  nou- 
veau poste. 

M.  l'abbé  Perrin  est  né  à  St- Stanislas,  comté  de  Cham- 
plain,  le  26  décembre  1868.  Il  fut  ordonné  prêtre  à  Mont- 
réal le  3  juillet  1892,  et  entra  chez  les  Sulpiciens.  Il  séjourna 
à  Rome,  au  Collège  canadien,  dont  il  vient  d'être  nommé 
supérieur,de  1892  à  1896. 

Il  conquit  dans  les  grandes  universités  romaines  ses 
grades  de  docteur  en  philosophie,  en  théologie  et  en  droit 
canonique. 

A  son  retour  au  pays,  en  1896,  M.  l'abbé  Perrin  fut  nommé 
professeur  de  théologie  à  l'Université  Laval  de  Montréal, 
poste  qu'il  a  occupé  jusqu'à  ce  jour. 

M.  l'abbé  Perrin  est  l'un  de  nos  écrivains  les  plus  distin- 
gués. Collaborateur  à  la  ''Revue  Canadienne"  depuis  plu- 
sieurs années,  le  distingué  professeur  a  fourni  à  cette  revue 
de  nombreuses  et  solides  études  sur  des  sujets  de  philoso- 
phie et  de  théologie. 

Chez  les  Forestiers  Catholiques 

La  "Tribune"  de  Woonsocket,  R.  I.,  publiait  récem- 
ment la  note  suivante  qui  offre  un  intérêt  plus  qu'ordi- 
naire : 

"  La  "Gazette  Officielle  "  de  Québec  annonce  qu'une  cour  de  Fores- 
tiers catholiques,  composée  de  Canadiens-français,  vient  d'obtenir  sa  li- 
cence comme  société  de  secours  mutuels,  avec  bureau  principal  à  Mont- 
réal. Kst-ce  le  commencement  d'une  scission  d'avec  le  siège  officiel  de 
l'Ordre  des  Forestiers  Catholiques  qui  se  trouve  à  Chicago  ?  C'est  un  fait 
reconnu,  que  la  dernière  convention  des  Forestiers  Catholiques,  tenue  en 
août  dernier,  a  adopté  des  mesures  très  impopulaires  chez  les  membre* 
de  cette  société  demeurant  au  Canada.     Nous  verrons  peut-être  se  répé- 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  139 

ter  chez  nos  compatriotes  du  Canada  un  mouvement  semblable  à  cehii 
qui  s'est  produit  aux  Etats-Unis  il  y  a  quelques  années,  lorsqu'un  bon 
nombre  de  Forestiers  d'Amérique  abandonnèrent  cette  société  pour  don- 
ner naissance  à  l'ordre  des  Forestiers  Franco- Américains." 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  les  membres  franco- 
canadiens  ou  franco-américains  de  cette  société  cosmopo- 
lite ont  à  se  plaindre  de  la  façon  dont  ils  y  sont  traités. 
Mais  ce  qui  semble  faire  le  sujet  du  différend  actuel,  c'est  que 
les  membres  de  la  province  de  Québec  n'ont  pas  obtenu  dans 
la  formation  du  conseil  supérieur  de  l'Ordre  la  représenta- 
tion  à  laquelle  ils  ont  droit.  Comme  question  de  fait  ils  se  sont 
fait  balayer  par  le  mouvement  progressif  qui,  après  plu- 
sieurs années  d'efforts,  a  enfin  donné  au  système  d'assu- 
rance des  Forestiers  des  taux  raisonnables.  Et,  quand  on 
songe  que  depuis  bientôt  30  ans,  cette  société  vend  de  l'as- 
surance en  bas  du  prix  coûtant,  il  faut  moins  se  demander 
si  elle  vient  d'adopter  une  mesure  trop  rigoureuse  que  si 
elle  ne  l'a  pas  adoptée  trop  tard. 

Le  "Canada,"  qui  parle  aussi  de  l'affaire,  rappelle  l'in- 
dignation de  certains  délégués  franco-canadiens  à  la  con- 
vention de  Chicago  pour  la  façon  plutôt  cavalière  dont  ils 
auraient  été  traités  "  par  les  dignitaires  et  les  délégués  irlan- 
dais et  même  franco-américains.^^  Cette  indignation  peut 
être  motivée.  Je  ne  le  sais  pas.  Mais  l'incident  me  rap- 
pelle la  façon  dont  les  Forestiers  Catholiques  de  la  pro- 
vince de  Québec  reçurent  leurs  frères  de  la  Nouvelle- Angle- 
terre, quand  ces  derniers  leur  demandèrent  de  protester 
avec  eux,  en  1901,  contre  le  fameux  ukase  de  l'ex-secré- 
taireThiele,  défendant  aux  Forestiers  Catholiques  de  pren- 
dre part  au  Congrès  de  Springfield.  Ils  se  sont  tout  simple- 
ment moqués  d'eux.  Et,  ma  foi,  j'avoue  ne  pas  avoir  de 
très  fortes  sympathies  pour  des  messieurs  qui  sont  restés 
indifférents  devant  une  question  de  principe  et  se  soulè- 
vent aujourd'hui  sur  une  simple  question  de  gloriole  ou  de 
picotin. 

Dans  tous  les  cas,  et  quelle  que  soit  la  raison  invoquée,  il 
faut  plutôt  les  féliciter  de  songer  à  s'organiser  chez  eux,  à 
former  une  association  qui,  tout  en   étant  catholique,  soit 


140  LA  REVUE  FRANCO -AMÉRICAINE 

vraiment  nationale.  Seulement,  s'ils  fondent  une  société, 
qu'ils  la  fondent  sur  des  bases  solides  et  n'entreprennent 
pas  de  vendre  de  l'assurance  à  des  taux  ridicules.  C'est  à 
cette  condition  seulement  qu'ils  pourront  compter  sur  le 
succès  et  qu'ils  pourront,  en  fondant  une  oeuvre  durable, 
réparer  la  grave  erreur  qu'ils  ont  commise  en  confiant  pen- 
dant tant  d'années  leurs  épargnes  à  une  association  qui  ne 
pouvait  comprendre  leur  mentalité  ni  même  reconnaître  la 
légitimité  de  leurs  aspirations. 

Tout  de  même,  l'exemple  des  Forestiers  Catholiques  de- 
vrait servir  à  une  foule  de  nos  compatriotes  de  la  province 
de  Québec  qui,  enrôlés  dans  d'autres  associations  anglo- 
phones, commettent  la  même  erreur  et  s'acheminent  vers 
les  mêmes  déceptions, 

Léon  Kemner. 


.:o:- 


"  Corporation  Sole 


Plaidoyer  de  Mtre  Qodfroi  Dupré,  devant  la  commission 
iégislative  du  Maine,  le  7  mars  1911.  Réponses  de 
Sa  Grandeur  Monseigneur  Walsh,  du  Grand  Vicaire 
McDonough,  etc.  Exposé  complet  de  la  question. 

(Suite) 


Mgr  McDonough. — Avant  la  corporation  simple,  la  pro- 
priété du  diocèse  était  tenue  par  Tévêque.  Chaque  fois  qu'un 
nouvel  évêque  était  nommé,  il  fallait  se  rendre  au  bureau 
d'enregistrement,  afin  de  transporter  au  nouveau  titulaire 
tous  les  titres  de  la  propriété  d'église.  La  nouvelle  loi  fa- 
vorisait tout  simplement  une  bonne  administration  d'af- 
faires. Elle  permet  à  l'évêque  de  trouver,  en  donnant  des 
hypothèques,  de  l'argent  pour  l'organisation  des  nouvelles 
paroisses.  Aussi  on  pouvait  trouver  de  l'argent  pour  les 
paroisses  qui  n'avaient  pas  de  propriétés  à  offrir  en  garan- 
tie. Elle  permet  aux  jeunes  gens  qui  se  destinent  au  sa- 
cerdoce d'emprunter  de  l'argent  pour  acquérir  l'éducation 
nécessaire  à  leur  vocation;  en  d'autres  termes  elle  permet  aux 
faibles  d'emprunter  aux  plus  forts.  Les  garanties  offertes 
par  la  "Corporation  Sole"  sont  plus  facilement  négo- 
ciables. 

Le  but  de  l'évêque  Healy  en  organisant  cette  corpora- 
tion fut  d'avancer  les  affaires  de  l'Eglise.  Il  est  un  tout 
modeste  honnête  homme.  Le  crédit  d'une  institution  dé- 
pend de  l'intégrité  de  ses  officiers.  Si  on  veut  discréditer 
les  officiers  de  l'Eglise  dans  le  Maine,  on  s'est  trompé  d'a- 
dresse en  venant  ici  devant  la  Législature  du  Maine. 

Je  veux  tout  simplement  me  borner  aux  faits,  sans  perdre 


142  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

de  temps  à  lancer  des  feux  d'artifice.  La  "  Corporation 
Sole  "  n'a  rien  à  faire  avec  l'administration  des  paroisses  ; 
le  curé  est  l'agent  de  l'évêque,  mais  pas  celui  de  la  ''  Cor- 
poration Sole." 

Si  l'on  doute  de  l'honnêteté  du  curé,  il  est  facile  de  le 
traduire  devant  les  tribunaux  de  l'Eglise,  ou  devant  ceux 
de  l'Etat  Le  curé  est  obligé  par  les  lois  de  l'Eglise  à  tenir 
'des  livres;  ces  livres  sont  toujours  sujets  à  inspection. 

M.  Dupré. — Prétendez-vous  qu'il  ne  serait  pas  pratique 
de  confier  à  des  laïques  l'administration  des  biens  tempo- 
rels de  l'Eglise  1 

M.  McDonough. — Oh,  non  ! 

M.  Dupré. — Je  demandais  tout  simplement  un  renseigne- 
ment. 

M.  McDonough. — Très  bien,  vous  ne  prenez  pas  mon 
temps. 

M.  Dupré. — Vous  dites  que  toutes  les  collectes  sont  volon- 
taires } 

M.  McDonough. — Oui — Mais  il  y  a  une  règle  obligeant 
le  paiement — une  règle  de  pure  décence.  C'est  tout  sim- 
plement cette  obligation  morale  qui  engage  les  fidèles  à 
supporter  l'Eglise  dans  le  besoin. 

M.  Dupré. — Il  n'est  donc  pas  d'obligation  que  les  prêtres 
soient  payés  pour  leurs  services. 

M.  McDonough — Il  n'y  a  que  cette  obligation  morale. 

M.  Dupré. — N'est-ce  pas  une  loi  de  l'Eglise  qu'on  ne 
peut  pas  exiger  de  paiement  pour  les  baptêmes  et  les  funé- 
railles ? 

M.  McDonough. — Oui,  la  loi  dit  de  ne  pas  demander  de 
paiement. 

M.  Dupré. — Que  diriez-vous  au  prêtre  qui  a  refusé  d'as- 
sister un  homme. 

M.  McDonough. — Je  ne  suis  pas  à  une  conférence. 

Uincident  se  termine  par  une  sèche  admonestation  de  M.  Du- 
pré par  deux  membres  du  Comité,  MM.  Pattengall  et  Madîgan. 

On  interroge  ensuite,  à  la  suggestion  de  l'avocat  de  Vévêque, 
M.  SnoWy  les  représentants  de  deux  banques  ayant  fait  des  prêts 


"COKPORATION  SOLE  "  143 

à  la  Corporation  Sole.  Ce  sont  M.  Keegan,  de  Van  Buren,  et  M 
CoombSj  de  Portland. 

M.  Keegan. — Je  suis  intéressé  dans  la  "Van  Baren  Bank- 
ing Institution. 

M.  Snow. — Voulez-vous  dire,  à  votre  manière,  M.  Keegan, 
quels  avantages  sont  offerts  par  la  "Corporation  Sole." 

M.  Keegan. — Je  puis  assurément  dire  que  la  force  de  sol- 
vabilité de  la  "  Corporation  Sole  "  est  comparitivement  plus 
grande  que  ne  le  serait  le  crédit  de  plusieurs  petites  cor- 
porations. Nous  trouvons  en  arrière,  et  l'appuyant,  le  sen- 
timent des  paroissiens.  Le  fait  même  que  l'évêque  favo- 
rise ce  système  devrait  lui  donner  de  la  force.  Et,  moi  qui 
ai  vu  grandir  l'Eglise  catholique  dans  le  comté  d'Aroostook, 
je  n'ai  pas  eu  connaissance  que  dans  plus  de  un  ou  deux, 
au  plus  trois  cas.  on  se  soit  montré  en  faveur  du  bill  qui 
est  devant  vous.  Je  m'étonne  qu'on  ait  pu  obtenir  avec  si 
peu,  des  résultats  aussi  considérables.  Nous  regretterions 
beaucoup  qu'on  apportât  des  changements  à  la  loi  actuelle. 

Ceux  qui  veulent  des  positions  sur  les  bureaux  d'admi- 
nistration, sont  des  gens  qui  veulent  vendre  quelque  chose 
à  l'église. 

M.  Poster  (avocat^ des  requérants). — Que  dites- vous  de 
cette  requête  des  catholiques  de  Caribou  que  je  possède  et 
qui  contient  150  signatures. 

M.  Keegan. — Je  ne  connais  rien  de  cette  requête. 

M.  Poster. — Si  je  suis  bien  informé,  vous  n'avez  pas  d'é- 
coles paroissiales  dans  votre  comté  } 

M.  Keegan. — Non. 

M.  Coombs,  de  Portland,  succède  à  M.  Keegan. 

M.  Snow. — Vous  représentez  la  Maine  Savings  Bank, 
n'est-ce  pas  ?  Quel  effet  aurait  l'abrogation  de  cette   loi  ? 

M.  Coombs. — Je  représente  la  '"  Maine  Savings  Bank  "  de 
Portland.  J'ai  prêté  $100,000  à  l'église,  et  je  n'ai  qu'un  bil- 
let promissoire.  Si  la  corporation  était  dissoute,  le  résultat 
serait  désastreux. 

M.  Poster. — De  quelle  garantie  serait  le  billet  ? 

M.  Coombs. — Je  crois  qu'il  ne  serait  plus  qu'une  faible 
grarantie. 


144  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

M.  Poster. — Quelle  garantie  avez-vous  pour  vos  $100,000. 

M.  Coombs. — J'ai  ie  billet  de  la  "  Corporation  Sole." 

M.  Poster, — Prétendez-vous  qu'avec  ce  billet  de  $I00,000> 
vous  pourriez  aller  à  Biddeford,  ou  dans  tout  autre  centre, 
et  en  exiger  le  paiement  ?  Et  que  si  on  refusait  vous 
pourriez  intenter  une  action  contre  notre  église  ? 

M.  Coombs. — Je  le  pourrais  pourvu  que  la  Corporation 
existe  ;  et  je  pourrais  saisir  cette  propriété. 

M.  Poster. — Quelle  garantie  avez-vous  dit  posséder  pour 
votre  hypothèque  .? 

M.  Coombs. — Rien  autre  chose  que  le  billet  de  la  "  Cor- 
poration Sole." 

M.  Poster. — Si  une  paroisse  était  organisée  à  Portland 
est-ce  que  sa  propreté  ne  serait  pas  aussi  bonne  ? 

M.  Coombs. — Non. — La  Législature  elle-même  ne  pour- 
rait pas  nous  forcer  à  accepter  cette  garantie. 

M.  Poster. — Si  la  Législature  peut  légiférer  sur  cette  nou- 
velle corporation,  ne  peut-elle  pas  aussi  voir  à  ce  que  le 
paiement  de  ces  dettes  soit  garanti  ? 

M.  Coombs.— Avez-vous  lu  la  Constitution  de  cet  Etat  du 
Maine  ? 

M.  Poster.— Oui. 

M.  Coombs. — Alors  vous  avez  dû  lire  cette  section  qui  dit 
que  personne  ne  sera  privé  de  ses  droits. 

M.  Poster. — Qu'est-ce  que  la  Législature  peut  faire  } 

M.  Coombs. — Si  cette  Législature  décrétait  que  vous  avez 
droit  d'aller  au  Ciel,  vous  ne  la  croiriez  pas,  n'est-ce  pas  } 

M.  Snow,  (avocat  de  l'évêque). — Si  cette  loi  (Corporation 
Sole)  était  abrogée,  quel  serait  l'effet  sur  les  billets  actuelle- 
ment dus  ?  Qui  pourriez-vous  poursuivre  } 

M.  Coombs. — Il  ne  nous  resterait  personne  à  poursuivre. 

M.  Snow. — Il  y  a  soixante-douze  paroisses  dans  l'Etat  du 
Maine  et  nous  avons  des  contre-requêtes  de  soixante-sept 
ou  soixante-neuf.  Ces  contre-requêtes  sont  signées  par  les 
citoyens  les  plus  éminents  des  paroisses.  Permettez-moi 
de  vous  lire  un  paragraphe  d'une  lettre  écrite  par  le  curé 
d'une  paroisse  montrant  les  effets  bienfaisants  de  la  "  Cor- 
poration  Sole  "   pour  sa   paroisse   et   pour   tout  l'Etat  du 


"CORPORATION   SOLE"  145 

Maine.     "Pour  nous,  dit-il,  il  n'y  a  qu'un  pays,  qu'un  dra- 
peau, qu'un  idéal." 

Messieurs,  nous  devrions  remercier  Dieu  de  ce  qu'il  y  a, 
dans  notre  Etat,  une  institution  dont  les  prêtres  inculquent 
chaque  jour  à  notre  peuple  une  pareille  doctrine.  Nous  de- 
vrions remercier  Dieu  de  ce  que  cette  Eglise  existe  et  que 
nous  possédons  dans  l'Etat  du  Maine  des  hommes  animés 
de  cet  esprit  patriotique.  Ces  prêtres  écrivent  tous  que  la 
"  Corporation  Sole  "  s'adresse  au  riche  comme  au  pauvre. 
Ce  qu'ils  disent  ici  devrait  avoir  un  poids  plus  qu'ordinaire; 
j'espère  qu'il  en  sera  ainsi. 

La  défense  de  Mgr  Walsh 

Mgr  Walsh. — Qu'il  plaise  à  votre  honorable  comité  re- 
présentant la  Législature  de  l'Etat  du  Maine.  Je  me  sens 
presque  chez  moi,  mes  chers  frères,  en  voyant  ici  un  aussi 
grand  nombre  des  braves  gens  auxquels  j'ai  déjà  prêché 
dans  tout  l'Etat. 

Nous  avons  dans  le  Maine  la  "  Corporation  Simple  "  re- 
présentant l'autorité  de  l'Eglise  catholique  romaine.  J'ai 
été  élevé  à  l'épiscopat  en  1906,  et  j'ai  pris  possession  de 
mon  évêché  le  premier  jour  de  septembre  de  la  même  année. 
J'ai  trouvé  cette  loi  de  "Corporation  Simple"  en  exis- 
tence ici  depuis  1887.  Je  l'ai  étudiée  sous  la  direction  du 
juge  Putnam. 

J'avais  déjà  une  expérience  de  vingt-trois  ans  de  minis- 
tère dans  le  diocèse  de  l'archevêque  Williams  de  Boston. 

Je  trouve  aussi  qu'une  loi  semblable  existe  dans  le  Mary- 
land,  la  Californie,  le  Massachusetts,  à  Boston,  à  Fall  River, 
dans  le  Rhode  Island  et  le  New  Hampshire. 

Par  conséquent,  ce  mode  d'administrer  la  propriété,  d'é- 
glise fut  approuvé  à  Baltimore  par  soixante-dix-huit  évê- 
ques.  Il  a  été  approuvé  par  Rome  et  dans  votre  Etat  bien- 
aimé  du  Maine.  Il  a  l'appui  de  la  plus  haute  autorité  de 
l'Eglise  et  l'approbation  de  la  vaste  organisation  de  l'Eglise. 

Lorsque  je  devins  évêque,  je  traçai  mon  travail  trois  ans 
à  l'avance  sur  un  plan  que  j'ai,  depuis,  mis  à  exécution. 
Des  églises  à  Lewiston,  Biddeford,  Fort  Kent,  Waterville, 


146  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Bar  Harbor,  Portland  et  partout  dans  l'Etat  et  en  dehors 
de  l'Etat,  ont  pu  être  secourues  à  cause  de  l'existence  de 
cette  loi. 

Le  bill  présenté  à  la  place  de  la  "Corporation  Sole  *' 
n'est  pas  pratique.  Tous  les  avocats  du  Maine  ne  pour- 
raient pas  trouver  un  moyen  de  l'appliquer.  Je  pourrais 
vous  convaincre  qu'il  est  impraticable  de  cent  manières 
différentes. 

J'ai  acquis  beaucoup  d'expérience  depuis  trente  ans 
comme  prêtre  et  comme  évêque.""  Les  banques  nous  ont  fait 
crédit.  Elles  ont  accepté  le  crédit  de  l'Eglise  catholique, 
et  l'Eglise  catholique  n'a  jamais  répudié  et  ne  répudiera 
jamais  une  de  ses  dettes. 

Moi,  un  évêque,  je  ne  puis  pas  emprunter  $5,000  sans 
l'approbation  de  mon  Conseil.  La  "  Corporation  Sole  "  a 
le  pouvoir  légal,  mais  elle  n'a  pas  le  pouvoir  ecclésiastique. 

Plusieurs  assertions  ont  été  faites  dans  les  journaux  de- 
puis trois  ou  quatre,  ou  même  cinq  ans,  et  je  les  ai  toutes 
lues  et  relues  plusieurs  fois. 

Or,  je  défie  leur  auteur,  je  défie  qui  que  ce  soit  et  appar- 
tenant à  n'importe  quelle  paroisse  de  ce  diocèse,  de  m'ap- 
porter  la  moindre  preuve  qu'un  seul  sou  a  été  détourné.  Je 
déclare,  sur  mon  serment,  que  je  défendrai  avec  ma  vie,  que 
pas  un  sou  contribué  à  une  église  a  été  mal  employé.  Je 
ne  permettrais  pas  "qu'on  mette  en  doute  l'intégrité  des 
prêtres  catholiques  romains.  Montrez-moi  un  prêtre  qui  a 
détourné  un  seul  sou,  et  je  serai  le  premier  et  le  plus  em- 
pressé à  le  citer  devant  les  tribunaux. 

Si  j'avais  su  que  l'intégrité,  que  l'honneur  de  mes  prêtres 
aurait  été  mis  en  doute,  je  ne  serais  pas  venu  ici.  Ils  ne 
vivent  pas  dans  le  luxe,  ils  ne  sont  pas  riches  ;  et  je  vous 
assure,  Messieurs,  que  dans  tous  les  Etats-Unis  il  n'est  pas 
un  groupe  d'hommes  plus  dévoués  et  plus  désintéressés 
que  les  prêtres  catholiques  de  l'Etat  du  Maine. 

Donc,  cette  somme  fabuleuse  dont  on  nous  a  parlé  est 
absurde  à  tous  les  points  de  vue.  Je  ne  sache  pas  qu'un 
seul  sou  des  collectes  qui  ont  été  faites  dans  l'Eglise  ait 
jamais  été  détourné  de  sa  fin. 


i 


"  CORPORATION   SOLE  "  147 

On  vous  parle  de  l'orphelinat  de  Biddeford.  Je  n'ai  ja- 
mais eu  la  moindre  intention  d'hypothéquer  une  église  à 
Biddeford  ;  c'est  une  chose  que  je  ne  ferais  pas. 

Il  me  fait  peine  d'avoir  à  le  dire,  mais  je  suis  ici  pour 
défendre  l'Eglise.  Je  veux,  d'après  la  loi  actuelle,  la  diri- 
ger d'après  les  lois  de  l'Etat,  d'après  les  lois  de  l'Eglise  et 
lui  permettre  de  remplir  la  mission  pour  laquelle  elle  a  été 
établie  ici.  Nos  livres  sont  ouverts  à  la  Législature  en 
tout  temps  qu'elle  voudra  les  examiner. 

//  était  déjà  tard  quand  Mgr  Walsh  termina  son  discours.  On 
sait  que  la  séance  qui  devait  commencer  à  10  heures  du  matin  ne 
commence  qu'à  4  heures  de  Vaprès-midi,  Malgré  l'impatience 
manifestée  par  le  comité  qui  avait  Jugé  l'affaire  avant  d' entendre 
les  intéressés,  le  juge  Foster,  pour  les  pétitionnaires,  fit  une 
courte  réplique  dont  voici  le  résumé  : 

Je  ne  veux  pas,  dit-il,  faire  l'éloge  de  l'Eglise  catholi- 
que. Elle  n'en  a  pas  besoin.  Mais,  après  avoir  entendu  la 
"  Corporation  Sole  "  nous  dire  ce  qu'elle  peut  faire  et  ne 
peut  pas  faire,  il  est  juste  de  lui  donner  un  mot  de  réponse. 

C'est  ma  position  que  le  légiste  Kent  appuie  lorsqu'il 
dit  que  la  "Corporation  Sole  "  n'a  besoin  ni  de  livres  ni  de 
secrétaire  et  que  tous  les  loyers  qu'elle  perçoit  lui  appar- 
tiennent. 

Il  n'y  a  pas  de  moyen  d'atteindre  l'individu  constitué  en 
Corporation  Sole,  et  c'est  à  cause  de  cela  que  nous  som- 
mes ici.  Il  n'y  a  pas  de  moyen  de  prouver  son  honnêteté 
ou  sa  malhonnêteté.     Il  est  sa  propre  loi. 

J'affirme  que  la  loi  de  1887  est  anti-démocratique,  anti- 
républicaine et  contraire  aux  grands  principes  fondamen- 
taux de  l'Etat. 

Je  ne  suis  pas  ici  pour  rechercher  ce  que  l'Eglise  peut 
faire  ou  ne  peut  pas  faire. 

Tout  ce  que  je  sais,  c'est  qu'il  y  a  un  homme  qui  est  au- 
dessus  de  tous  les  autres  et  que  la  loi  ne  peut  pas  atteindre. 

On  a  prétendu  que  la  Législature  ne  pouvait  pas  consti- 
tutionnellement  abroger  la  loi.  Nous  n'en  sommes  pas  en- 
core rendus  à  ce  point  que  nous  avons  de  Barons  et  que 
tous  les  autres  ne   sont   que   des   serfs.     J'affirme  plus  que 


148  LA    REVUE    FRANCO -AMiRI GAINE 

jamais,  qu'il  est  inconstitutionnel  que  cette  corporation 
puisse  posséder  de  la  propriété  d'après  la  loi  de  notre 
Etat. 

Je  n'ai  rien  à  dire  contre  l'évêque  Healy  ni  contre  l'é- 
vêque  Walsh  pour  ce  qui  est  de  leur  intégrité  comme  indi- 
vidus, mais  comme  "  Corporation  Simple  "  ils  doivent  s'at- 
tendre à  tout  ce  qui  accompagne  le  système. 

Nous  demandons  tout  simplement  justice,  nous  deman- 
dons que  ce  qui  nous  appartient  nous  soit  donné. 


-:o:- 


Voix  d'Acadie 


Le  travail  d'assimilation 

ni 

POURQUOI  ? 

Pour  quels  motifs  l'auteur  dépeint-il  les  Acadiens  du 
Sud-Ouest  de  la  Nouvelle- Ecosse  comme  des  gens  opiniâ- 
tres, résistant  à  leurs  prêtres?  N'a-t-il  pas  essayé  lui-même 
d'imposer  ses  volontés  et,  voyant  la  résistance  passive, 
humble  mais  ferme  de  ses  paroissiens,  "  son  caractère  ne 
s'est-il  pas  aigri  dans  cette  lutte  impuissante  "  Pour  lui  ? 
Voilà  ce  que  la  génération  actuelle  peut  affirmer.  Si  cette 
première  raison  n'eût  pas  existé,  l'auteur  ne  pouvait  qu'in- 
terroger la  génération  qui  s'en  allait  quand  il  est  arrivé  et 
qui  avait  connu  M.  l'abbé  Sigogne.  Il  nous  dit  bien  l'avoir 
fait  :  le  lecteur  voit  tout  de  suite  que  le  livre  n'est  pas  le 
résultat  de  cet  interrogatoire.  A  son  propre  ressentiment, 
l'auteur  a  ajouté  une  amplification  un  peu  trop  forcée  des 
sermons  de  M.  l'abbé  Sigogne.  Nul  doute  que  s'il  eût  en- 
core vécu,  le  bon  abbé  n'eût  désapprouvé  les  commentaires 
de  son  historien.  Car  il  aimait  profondément  ses  Acadiens, 
il  le  dit  en  maintes  circonstances  et  le  prouve  même  par 
son  zèle. 

L'auteur  ne  pouvait-il  recourir  à  d'autres  sources  que 
celles  qu'il  cite,  et  pourquoi  ne  cite-t-il  pas  même  toutes 
celles  auxquelles  il  est  allé  .? — C'eût  été  instructif. 

Pourquoi  dédaigne-t-il  le  témoignage  de  vrais  historiens 
comme  M.  l'abbé  H.  Casgrain,  Rameau  de  St-Père,  Mgr 
Têtu  dans  son  "Journal  des  Visites  pastorales  de  1815  et 
1816,  par  Mgr  J.-O.  Plessis,  évêque  de  Québec  "  (Appendice 
C,  page  192 — ;  Note,  page  97)  ;  ce  dernier  ouvrage  paru  en 
1903  et  que  l'auteur  a  dû  connaître  ;  *'  la  vie  de  M.  l'abbé  de 


150  LA    REVUE    FHANCO -AMÉRICAINE 

Calonne,  mort  en  odeur  de  sainteté  aux  Trois-Rivières," 
par  les  Ursulines  des  Trois-Rivières,  imprimée  en  1892  (voir 
dans  ce  livre  l'éloge  des  Acadiens  par  le  saint  abbé  de  Ca- 
lonne ou  par  TEvêque  de  Québec,  entre  autres  pages  35,  38, 
46,  81). 

Peut-être  les  Acadiens,  après  leur  rentrée  en  Acadie, 
ont-ils  changé,  leur  caractère  s'est-il  transformé  en  mal  ? — 
A  cela  M.  l'abbé  Sigogne  et  M.  l'abbé  de  Calonne,  ainsi 
que  l'Evêque,  vont  répondre  eux-mêmes. 

Le  26  janvier  1800,  écrivant  à  son  ordinaire.  Mgr  Denaut, 
alors  évêque  de  Québec,  M.  Sigogne  dit  : 

"A  mon  arrivée  j'ai  trouvé  le  peuple  assez  bien  disposé, 
fort  satisfait  d'avoir  un  prêtre  français,  en  général  peu 
content  des  prêtres  irlandais. 

"  Je  les  trouve  dociles  et  de  bonne  volonté..."  (Mémoire 
vengeur,  page  156). 

Le  29  septembre  1800,  Mgr  Denaut  écrit  à  M.  de  Calonne. 

Le  détail  que  vous  me  donnez  de  l'état  actuel  des  mis- 
sions, me  réjouit  et  m'afflige  en  même  temps;  il  est  conso- 
lant, sans  doute,  pour  moi  d'entendre  l'éloge  que  vous 
faites  des  Acadiens  "si  instruits  de  leur  religion,  si  atta- 
chés à  leurs  devoirs,  "  si  reconnaissants  des  soins  que  l'on 
se  donne  pour  eux..."  (Mémoire,  page  160). 

Le  24  juillet  1804,  Mgr  Denaut  écrit  à  M.  l'abbé  Sigogne  : 

"  Je  vous  remercie  de  tous  vos  beaux  compliments  :  je 
suis  charmé  de  votre  reconnaissance  "  et  de  celle  de  tout 
votre  peuple  ;"  je  vous  laisse  la  manière  de  me  la  témoi- 
gner" (Mémoire,  page  191). 

Si  le  Père  Dagnaud  eut  dit  ces  choses,  le  lecteur  eût  trop 
compris.  M.  l'abbé  Sigogne  ne  cessa  point  de  correspon- 
dre avec  les  saints  Evêques  de  Québec  après  l'élévation  du 
Burke  à  l'épiscopat.  Il  n'y  a  pas  de  doute  qu'il  ne  se  fût 
plaint  à  ceux  qu'il  regardait  comme  ses  bienfaiteurs,  ses 
conseillers,  s'il  eût  eu  vraiment  motif  de  se  plaindre  de  ses 
paroissiens  qu'il  aimait  de  tout  son  cœur,  qui  le  lui  rendi- 
rent au  point  que,  chez  leurs  enfants,  sa  mémoire  est  encore 
en  bénédiction  et  aussi  vivace  que  chez  la  génération  dis- 
parue.   Si  l'auteur  avait,  comme  il  dit  l'avoir  fait,  interrogé 


VOIX  d'acadie  151 

à  fond  les  anciens  qui  connurent  M.  Tabbé  Sigogne,  il 
n'eût  point  chargé  ainsi  son  tableau. 

Le  Très  Révd  Père  Le  Doré  fait  pressentir,  dans  sa  belle 
Préface,  un  autre  mobile  qui  a  dû  animer  l'auteur  des 
"  Français  du  Sud-Ouest  de  la  Nouvelle-Ecosse."  On  dit, 
en  effet,  à  la  page  XXI  de  cette  Préface  : 

'*  Grâce  à  une  souscription  de  la  population,  aux  res- 
sources fournies  par  notre  Congrégation  et  à  une  fondation 
d'un  de  nos  Pères,  un  beau  collège  fut  construit  au  milieu 
des  terres  appartenant  à  l'église  Sainte-Marie.  Comme  la 
majeure  partie  des  frais  avait  été  supportée  par  nous, 
*'  S.  G.  Mgr  O'Brien  consentit,"  en  1893,  "  à  nous  en  assu- 
rer la  pleine  propriété,  et,  pour  cela,  "il  nous  vendit  le  col- 
lège et  le  terrain  nécessaire  à  son  fonctionnement."  (Ce 
qui  prouve  que  la  "  Corporation  Sole  "  sévit  en  Acadie). 

A  la  page  XXIII,  le  T.  R.  Père  dit  encore  : 

"En  1898,  S.  G.  Mgr  O'Brien,  toujours  bienveillant  pour 
notre  Congrégation,  nous  aidait  à  pénétrer  dans  le  Nouveau- 
Brunswick." 

L'auteur  voulait  donc  peut-être  payer  une  dette  de  re- 
connaissance {})  à  l'archevêque,  peut-être  se  ménager  ses 
bonnes  grâces,  ou  les^ deux  sentiments  à  la  fois. 

Mgr  O'Brien,  "toujours  bienveillant  pour  notre  Congré- 
gation," dit  le  T.  R.  Père  Le  Doré,  l'était-il  pour  ses  ouailles 
de  même  sang,  de  même  langue  que  les  Pères  Eudistes  ? 

"  L'auteur  des  "  Memoirs  of  Bishop  Burke  (Mgr  O'Brien) 
fait  de  grandes  protestations  d'attachement  aux  Acadiens 
et  à  la  langue  française  que  ceux-ci  tiennent  essentielle- 
ment à  conserver...  Ceux  qui  sont  au  courant  de  ce  qui  se 
passe  chez  nos  frères  les  Acadiens,  n'ont  pas  oublié  la  fa- 
meuse lettre  que  Mgr  O'Brien  a  adressée  à  la  grande  con- 
vention acadienne  tenue  à  la  Baie  Sainte-Marie  en  1890. 
En  donnant  son  approbation  à  un  projet,  déjà  émis  depuis 
quelque  temps,  de  fonder  un  collège  à  Sainte-Marie,  centre 
exclusivement  acadien,  "  il  reléguait  le  français  au  dernier 
rang,"  ne  préconisait  que  l'anglais,  ne  recommandait  que 
l'étude  de  cette  langue  ;  "si  bien  qu'on  ne  peut  lire  cette 
lettre  saViS  y  voir  une  exhortation  à  l'oubli  du  français"  au 


152  LA   REVUE    FRANCO -AMl^JRIC AINE 

profit  de  la  langue  anglaise.  "Là  était,  selon  lui,  l'avenir 
des  Acadiens.  (On  voit  qu'il  a  tracé  la  voie  aux  Fallon, 
aux  Scollard,  aux  Ireland,  aux  Bourne,  etc. — V.  A.  L.). 

"  Ceux  qui  sont  convaincus  de  ce  fait,  disait-il,  et  qui  ne 
"  craignent  pas  de  l'avouer,  en  s'efforçant  d'inculquer 
"  sa  pensée  dans  l'esprit  de  ceux  qui  doivent  en  bénéfi- 
"  cier,  "  que  la  chose  leur  soit  agréable  ou  non,"  sont  les 
"  vrais  guides  du  peuple  et  ses  vrais  amis." 

"  La  lecture  publique  de  cette  lettre  produisit  dans  la 
Convention  un  soulèvement  d'inddgnation  générale..." 

Des  résolutions  énergiques  furent  votées  à  l'unanimité. 

**  Elles  produisirent  leur  effet;  car  c'est  depuis  lors 
qu'eut  lieu  le  changement  de  front  que  l'on  constate..." 
(Mémoire,  pages  26S-269). 

Le  Père  Dagnaud  ne  souffle  mot  de  l'indignation  de  la 
Convention.  Au  contraire,  il  loue  le  zèle  de  l'archevêque 
en  cette  triste  occasion.  N'a-t-il  pas  compris  la  lettre  de 
Mgr  O'Brien  ? — Ce  serait  pour  le  moins  étrange. — Le  co- 
mité des  prêtres  du  diocèse  de  Québec,  les  auteurs  du 
"Mémoire  sur  les  Missions  de  la  Nouvelle-Ecosse,"  etc., 
savaient  à  quoi  s'en  tenir  quant  à  l'illustre  Mgr  C.  O'Brien," 
"  ami  sincère  et  dévoué  des  Acadiens."  Le  Père  Dagnaud 
a  publié  son  livre  en  1905  ;  le  Mémoire  vengeur  sortit  de 
presse  en  1895  :  le  Père  Dagnaud  ne  devait  pas  ignorer  cet 
ouvrage  auquel  il  semblerait  avoir  fait  quelques  emprunts 
fort  inoffensifs.  . 

UN  COLLEGE  ACADIEN  EN  N.-E. 

"  Le  projet  d'un  collège  acadien  était  émis  depuis  quel- 
que temps,"  lisait-on  tout  à  l'heure. 

Le  nom  vénéré  de  M.  l'abbé  Gay — également  Français 
de  France  où  il  retourna  mourir — ,  l'un  des  successeurs, 
par  les  vertus  et  le  désintéressement,  de  M.  l'abbé  Sigogne, 
ne  peut  être  passé  sous  silence.  Dès  1883,  pénétré  de  la 
nécessité  de  l'instruction  pour  ses  chers  Acadiens,  il  rêvait 
de  se  dépouiller  de  tout  ce  qu'il  possédait  et  de  son  pres- 
bytère même,  afin  d'en  faire  un  commencement  de  collège. 
Ils  s'en  ouvrit  à  Mgr  O'Brien  'dès  la  première  visite  pasto- 


VOIX  d'acadie  153 

raie  qu'en  été  même  l'archevêque,  nouvellement  élu,  fit  aux 
comités  de  Digby  et  de  Yarmouth. 

"  En  décembre  1886,  Mgr  O'Brien  fit  les  premières  dé- 
marches pour  établir  la  fondation  projetée  "  (P.  Dagnaud, 
p.  217),  mais  il  échoua  partout  où  il  s'adressa  pour  obtenir 
des  professeurs.  Les  années  1887  et  1888  ne  furent  plus 
heureuses. 

En  1888,  un  prêtre  anglais,  dont  le  nom  est  béni  chez  les 
Acadiens  de  la  Baie  Sainte-Marie,  M.  l'abbé  Parker,  entré 
en  religion  en  1909,  réunit  quelques  Acadiens  dévoués  et 
entreprenants,  parmi  lesquels  feu  M.  F.  X.  Vauteur,  V.  A. 
Landry  de  "  L'Evangéline  "  fondée  à  Weymouth  depuis 
un  an,  et  autres.  Cette  conférence  eut  pour  résultat  l'entrée 
en  scène  de  façon  très  active  du  jeune  prêtre  anglais.  Pré- 
cisément en  ce  même  temps,  l'éminent  historien  du  Canada 
français  et  de  l'Acadie  parcourait  la  Nouvelle-Ecosse,  pré- 
parant son  bel  ouvrage  :  "Voyage  au  pays  d'Evangéline. 
MM.  F.  X.  Vautour  et  V.  A.  Landry  se  rendirent  jusqu'au 
Petit-Ruisseau  où  le  grand  écrivain  était  descendu.  M. 
Vautour  lui  demanda  son  avis  sur  la  création  du  collège. 
M.  l'abbé  H.  Casgraia  se  fit  exposer  minutieusement  l'état 
de  cette  partie  de  l'Acadie  et,  ayant  tout  entendu,  approu- 
va hautement  le  projet. 

M.  l'abbé  Parker  '*  épousa,  avec  toute  l'ardeur  d'une  na- 
ture généreuse,  la  cause  acadienne,  et  comprenant  que  les 
ressources  matérielles  étaient  ici  la  première  condition  de 
succès,  il  appuya,  de  sa  parole  entraînante  et  chaude,  la 
souscription  qu'il  ouvrit»  pour  honorer  la  mémoire  du  Père 
Sigogne  par  un  monument  digne  de  l'apôtre  de  la  Baie 
Sainte-Marie.  L'avenir  dirait  quelle  serait  la  nature  de 
l'hommage  rendu  à  l'illustre  défunt.  La  souscription  ré- 
pondit à  l'attente  et  aux  fatigues  de  son  promoteur  et,  après 
quelques  mois,  le  Père  Parker  pouvait  annoncer  qu'elle  dé- 
passait 3,000  dollars  "  (P.  Dagnaud,  p.  219). 

M.  l'abbé  Parker,  dont  l'ascendant  sur  son  ordinaire 
était  très  grand,  ne  se  donna  de  repos  que  lorsque  la  cause 
fut  gagnée.  Et,  nous  dit  le  T.  R.  Père  Le  Doré,  les  Eudistes 


154  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

étant  survenus  sur  ces  entrefaites,  ils  trouvèrent  Mgr 
O'Brien  bien  disposé  à  leur  égard. 

Le  vénérable  M.  l'abbé  Gay,  plus  tard,  sacrifia  tout  son 
avoir  pour  le  collège  et  ne  demanda  en  retour  qu'une  mo- 
deste rente.  Le  Père  Ory,  Eudiste,  qui  possédait  une 
grande  fortune,  la  consacra  aussi  au  collège,  dit  le  Père 
Dagnaud.  Que  les  noms  de  ces  bienfaiteurs  du  peuple 
acadien  soient  éternellement  bénis,  ainsi  que  les  noms 
ignorés,  mais  que  Dieu  connaît  et  saura  récompenser,  de 
nos  compatriotes  à  l'aumône  pl^us  modique  mais  au  cœur 
très  large. 

Ainsi  fut  fondé  le  florissant  collège  acadien  de  la  Nou- 
velle-Ecosse qui,  aujourd'hui,  a  comme  Supérieur  un  fils  de 
nos  martyrs,  le  Rév.  Père  Chiasson. 

^    -f    ^ 

N'est-eîle  pas  cruellement  ironique  cette  dédicace  du 
livre  en  question  : 

"  Aux  Acadiens  des  Provinces  Mariâmes — Hommage  de 
"  sincère  attachement  et  de  respectueux  dévouement. — 
"  P.— M.  D." 

Le  livre  a  été  imprimé  en  France.  En  France  même  il  a 
produit  un  effet  déplorable.  Malheureusement,  tous  les 
Français  de  France  ne  connaissent  pas  i'Acadie,  eux  qui, 
de  leur  propre  aveu,  ne  connaissent  même  pas  l'Europe. 

EDUCATEURS  DU  PEUPLE 

Le  "Mémoire"'  vengeur  du  comité  de  prêtres  du  diocèse 
de  Québec  contient  plus  de  quarante  passages  montrant 
que  le  prêtre  irlandais  est  insubordonné,  inapte  à  conduire 
des  peuples,  mais  très  propre  à  semer  la  discorde.  Parmi 
ces  passages,  il  y  a  des  pages  entières.  Ce  n'est  point  sur 
des  suppositions  que  se  basent  les  auteurs  :  ils  ont  en  main 
les  archives  de  l'Archevêché  de  Québec,  des  documents  de 
la  Propagande  à  Rome.  Très  souvent  c'est  dans  les  écrits 
mêmes  des  prêtres  irlandais  qu'ils  trouvent  les  preuves  de 
ces  qualités  fort...  négatives  ! 


VOIX  d'acadie  155 

Si  l'on  objecte  qu'aujourd'hui,  les  prêtres  et  les  évêques 
irlandais,  nés  sur  ce  continent,  n'ont  plus  la  même  menta- 
lité que  ceux  d'alors  qui  venaient  directement  d'Irlande,  les 
faits  quotidiens,  ici  et  aux  Etats-Unis,  répondent  haute- 
ment "que  le  naturel  d'un  peuple  ne  se  détruit  pas."  Inutile 
d'essayer  de  citer  ces  faits  à  commencer  des  Fénians,  pas- 
sant par  les  Knights  of  Columbus  pour  arriver  aux  Walsh, 
aux  Fallon  et  tutti  quanti.  L'agitation  intense  aux  Etats- 
Unis  et  ici  en  faveur  du  "  Home  Rule."  Les  moyens  em- 
ployés dans  ces  différents  états  d'âme  de  l'Irlandais.  Et  si 
l'on  veut  des  faits  plus  précis,  citerai-je  ce  curé  irlandais 
de  la  plus  grande  paroisse  française  du  Nouveau-Brunswick 
annonçant  "  en  chaire,"  cette  année  1911,  une  séance  ré- 
créative payante  d'une  Société  mixte  soi-disant  catholique, 
dont  le  profit  devait  aller  en  Irlande  par  le  "  Home  Rule  ? 
Et  ce  même  prêtre,  le  9  avril  1911,  interdisant  du  haut  de 
la  chaire  aux  Sociétés  catholiques  françaises  de  donner  au- 
cune séance  récréative  payante  si  ce  n'est  pour  l'église  et 
pour  les  écoles  !  Quelles  écoles? — Les  écoles  catholiques 
françaises  de  la  paroisse  où,  il  y  a  quelques  mois,  de  con- 
cert avec  des  traîtres  et  les  ennemis  du  nom  français,  ses 
Hiberniens  unis  aux  Orangistes,  il  a  fait  supprimer  pres- 
que totalement  l'enseignement  de  .  la  langue  française. 
(Trois  années  furent  supprimées  sur  les  quatre  obtenues 
deux  ans  auparavant).— Oeuvre  de  discorde  s'il  en  fut,  et 
qui  divise  aujourd'hui  encore  la  paroisse  ! — Faut-il  dire  ce 
qui  se  trame,  aujourd'hui  encore,  grâce  à  ces  mêmes  in- 
fluences, pour  supprimer  la  seule  année  d'enseignement  de 
la  langne  française  qui  nous  reste  dans  les  écoles  catholi- 
ques françaises  1 

Quant  à  l'interdiction  des  séances  récréatives  payantes 
portée  par  ce  curé,  ni  le  droit  ecclésiastique  ni  le  droit 
civil  ne  permettent  de  formuler  cette  interdiction  dans  les 
conditions  où  elle  a  été  formulée.  Les  Sociétés  catholiques 
françaises  de  cette  paroisse  soumettent  toujours  au  prêtre 
français  les  pièces  à  jouer  et  le  programme  des  séances. 
C'est  leur  devoir  —  tout  leur  devoir — .  Elles  n'ont  point  à 


156  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

s^inquiéter  du  veto  de  leur  curé  tant  que  la  morale  est  sau- 
vegardée. 

L'Irlandais  est  le  même  en  IQII  qu'il  était  en  l8oo.  Une 
rivière  peut-elle  remonter  à  sa  source  pour  changer  son 
cours  ?  Peut-on  changer  le  naturel  d'un  peuple  qui,  s'il 
n'oublie  rien  des  persécutions  qu'il  a  subies  dans  son  pays, 
n'apprend  rien,  dans  le  pays  de  liberté  où  il  se  trouve 
transplanté,  au  contact  des  autres  peuples  si  ce  n'est  à  les 
opprim.er  à  son  tour,  lui  qui  était  né  esclave. 

Les  Ecossais  des  Provinces  Maritimes  en  savent  quelque 
chose  ;  mais  eux,  du  moins,  ne  se  laissent  pas  béatement 
piétiner  cemme  le  fait  le  peuple  français  d'Acadie — de 
presque  par  toute  l'Amérique  du  Nord  ! — 

■4^    ^    ^ 

Ma  santé  m'ayant  forcé  à  prendre  un  certain  temps  de 
repos,  je  passai  trois  mois  de  l'été  dernier  aux  Etats-Unis, 
partie  dans  le  Maine,  partie  en  Pennsylvanie.  Ce  voyage 
fut  très  fructueux...  pour  moi.  Je  pus  voir  de  mes  yeux, 
entendre  de  mes  oreilles,  bien  des  choses  relativement  à  la 
persécution  atroce  de  l'assimilateur  à  l'égard  de  nos  frères 
les  Franco-Américains.  Mais  je  puis  constater  aussi  les 
effets  merveilleux  que  produit  l'union  surtout  pour  une 
cause  juste. 

J'eus  l'honneur  et  le  bonheur  à  Biddeford,  cette  jolie 
ville  si  française  qui  a  une  église  et  deux  prêtres  de  notre 
sang,  de  notre  langue,  pour  ses  milliers  de  fidèles,  de  voir 
les  principaux  défenseurs  de  la  cause  française,  MM.  Du- 
pré,  avocat,  A.  J.  Béland,  le  vaillant  secrétaire  de  M.  Dupré, 
marchand  en  gros  et  en  détail,  Dr  Geo.  C.  Précourt,  membre 
du  comité  de  la  Cause  nationale,  et  d'autres. 

M.  l'avocat  Dupré  me  fit  entendre  qu'il  avait  tout  espoir 
de  voir  réussir  les  démarches  des  nôtres  tant  à  Rome  qu'à 
la  Législature  du  Maine.  En  ce  moment,  ils  jouissent  gran- 
dement, je  n'en  doute  pas,  de  leur  superbe  victoire  à  Rome, 
quelles  que  soient  les  résistances  intempestives  de  leur  or- 
dinaire. Grâce  à  l'énergie  de  M.  l'avocat  Dupré  et  son  co- 
mité, elle  est   donc   finie   aux   Etats-Unis   cette  hideur  qui 


VOIX  d'acadie  157 

avait  nom  :  "  Corporation  Sole  "  !  On  n'eût  pu  plus  juste- 
ment l'appeler " Incorporation  of  Soûls") — machine  dirigée, 
sous  n'importe  lequel  de  ces  deux  noms,  contre  les  âmes  de 
ceux  que  l'on  prétendait  assimiler  à  tout  prix,  au  nom  de 
Dieu. 

Cette  décision  de  Rome  ne  doit-elle  pas  s'appliquer,  de 
jure  et  de  facto,  dans  bien  des  paroisses  des  Provinces  Mari- 
times où  sévit  le  même  abus — entre  autres  à  Moncton — 
sous  le  nom  de  "Corporation  Episcopale  "  ?  Ou  nous  fau- 
dra-t-il,  à  notre  tour,  recourir  à  Rome  pour  provoquer  le 
même  décret  en  notre  faveur?... 

La  soif  des  jouissances  est  largement  démontrée  chez  les 
fils  de  la  verte  Erin  par  le  "  Mémoire  "  vengeur  des  prêtres 
de  Québec  :  il  y  en  a  des  pages  entières.  J'ai  entendu  moi- 
même,  durant  mon  séjour  aux  Etats-Unis  l'été  passé,  dans 
bien  des  églises  desservies  par  des  prêtres  irlandais,  de 
terribles  menaces  à  ceux  qui  ne  donneraient  point  ou  pour 
l'église  ou  pour  les  écoles  catholiques  prétendument...  ou 
le  "  Home  Rule  "  ?  L'office  terminé,  le  curé  passait  lui-même 
avec  un  sac,  un  homme  recueillant  dans  un  plateau  ce  que 
chacun  voulait  y  mettre.  Le  curé  avait  l'œil  sur  chaque 
don...  Il  faisait  bien  voir  quand  ce  don  lui  plaisait  ou  non  ! 

En  Pennsvlvanie,  une  jolie,  poputeuse  et  assez  riche  pa- 
roisse— mais  presque  entièrement  peuplée  d'Italiens — est 
dirigée  par  un  prêtre  italien  :  on  sait  que  le  Pape  lui-même 
a  donné  l'ordre  au  Délégué  Apostolique  d'accorder  ou  de 
faire  accorder  aux  Italiens  des  prêtres  de  leur  race  quand 
certaines  conditions  se  rencontrent.  Cette  belle  paroisse 
est  voisine  de  deux  autres,  irlandaises,  mais  bien  moins 
payantes  ?  Les  Irlandais  la  convoitent  donc  avec  grande 
envie,  vous  le  pensez  bien.  Ils  crurent  se  la  faire  attribuer 
en  employant  un  moyen  dénoncé  déjà  par  le  "  Mémoire" 
vengeur  :  tant  il  est  vrai  qu'ils  sont  toujours  les  mêmes  et 
le  resteront.  Ils  noircirent  le  prêtre  italien  auprès  de  Mgr 
Falconio,  incriminant  sa  conduite  privée...  Mgr  Falconio 
leur  répondit  à  peu  près  :  "  Pourquoi  ne  faites-vous  pas  ces 
mêmes  dénonciations  contre  ceux  d'entre  vous  qui  le  mé- 


158  LA   REVUE   FRANCO- AMÉRICAINE 

ritent  ?  Je  suis  Italien  :  la  paroisse  du  prêtre  incriminé  est 
italienne;  il  y  restera." 

^    ^    ^ 

Vous  allez,  mon  cher  Directeur,  fonder  une  nouvelle  pu- 
blication à  laquelle  je  souhaite  tout  le  succès  possible,  la 
plus  grande  diffusion,  particulièrement  en  Acadie  où  l'on 
commence  à  apprécier  votre  indomptable  vaillance,  vos 
nobles  efforts  pour  nous  garder  Français.  Je  voudrais  être 
le  premier  parmi  mes  compatriotes  à  vous  donner  un  en- 
couragement, bien  modeste,  mais  encouragement  tout  de 
même.  Sous  ce  pli  vous  trouverez  un  mandat- poste  pour 
mon  abonnement  d'un  an  à  votre  nouvelle  publication  dès 
qu'elle  paraîtra. 

Bravo  à  vous,  succès  et  prospérité  à  vos  œuvres. 

Valentin-A.  Landry. 

Novembre  191 1. 


-:o:- 


Les  dewx  Filles  de  Maître  Bienaimé 


(SCENES       N  ORIVf  A.IM  DES) 

PAR 

Marie  Le  Mière 


(Suite) 

C'était  si  commun  cela,  si  "  campagnard  "  !  Et  pourtant,  au 
fond,  elle  en  avait  tant  envie  ! .  .  Juste  à  ce  moment,  cinq  ou 
six  dames,  habillées  de  mousselines  et  de  linons,  passèrent  en 
riant,  escaladèrent,  sans  aucune  fausse  honte,  les  primitives 
montures.  .  La  femme  du  médecin,  la  sœur  du  pharmacien, 
la  fille  du  notaire  :  toute  la  haute  société  du  bourg!  Oh  !  bien, 
Léa  n'avait  plus  à  se  contraindre  ;  d'un  mouvement  vif  où 
éclatèrent  sa  jeunesse  et  sa  grâce,  elle  saisit  l'une  des  tiges  de 
fer,  et,  dédaignant  le  marchepied,  s'élança  près  de  Mathilde, 
sur  un  coursier  rouge,  à  l'air  féroce  ;  un  signal  retentit,  la 
musique  se  lit  plus  enti-aînante,  et  bientôt  la  rondo  folle  du 
manège  emporta  Léa  dans  son  tourbillon. 

Les  bêtes  apocalyptiques  tournaient  au  son  de  la  vielle 
enragée,  sous  l'œil  des  spectateurs  qui  s'amusaient  de  la  bigar- 
rure des  toilettes,  et  admiraient  les  rangées  de  filles  en  bon- 
net, amazones  bien  droites,  bien  sages,  tenant  à  deux  mains, 
comme  un  cierge,  la  tige  métallique,  et  laissant  leur  jupe 
flotter  en  queue  de  poisson  dans  le  courant  d'air. 

Léa,  malgré  sa  vanité,  fut  d'abord  tout  entière  à  l'agréable 
sensation  d'allégement  et  de  vitesse.  Elle  cherchait,  dans  la 
foule,  le  groupe  des  Chaumel,  et  s'étonnait  de  ne  plus  l'aperce- 
voir, quand,  soudain,  elle  eut  un  tel  soubresaut,  qu  elle  faillit 
tomber  à  bas  de  son  cheval. 

— Mathilde,  cria-t-elle,  en  touchant  le  bras  de  sa  sœur,  ma 
tante  Amélie  ! 

— Tu  rêves  ! 


160  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

— Non,  non,  regarde...  Au  premier  rang.  .  La  dame  en 
chapeau  mauve.     Elle  nous  a  vues  !  elle  me  fait  signe  ! 

Et  Léa,  frémissante,  saluait  de  la  tête,  de  la  main.  Par 
bonheur,  le  tour  allait  finir  tout  de  suite  !  Au  premier  signal 
de  l'arrêt,  elle  se  laissa  glisser,  n'y  pouvant  plus  tenir  ;  mais, 
étourdie  encore,  elle  chancela,  et  Mme  Lagarde  dut  étendre  le 
bras  pour  prévenir  une  chute. 

— Oh  !  ma  tante,  comme  je  vous  remercie  d'être  venue  ! 
Quelle  surprise  !  quelle  joie,  mon  Dieu  ! 

Un  remous  de  la  multitude  les  avait  repoussées  loin  du 
manège,  d'où  Mathilde  se  préparait  en  ce  moment  à  des- 
cendre. 

— Bonjour,  bonjour,  mignonne,  répétait  Amélie,  entraînant 
Léa  par  la  main,  je  constate  que  ton  indisposition  ne  t'a  pas 
fait  perdre  tes  exquises  couleurs.  Te  voilà  aussi  rose  que  ta 
robe  !  Et  comme  tu  t'amusais  tout  à  l'heure,  aux  chevaux  de 
bois  ! 

— Que  voulez-vous  ?.  .  balbutia  Léa;  faute  de  mieux.  . 

Une  voix  masculine,  inconnue,  s'éleva  près  d'elle  : 

— Je  ne  cherche  que  depuis  une  heure  et  j'ai  déjà  trouvé  ! 
Allons,  je  n'ai  pas  la  main  trop  malheureuse  ! 

Mme  Lagarde  se  retourna,  et,  pendant  deux  secondes,  sem- 
bla changée  en  pierre. 

Si  Léa  l'eût  regardée  alors,  elle  eût  compris  que  l'appari- 
tion la  prenait  au  dépourvu  et  n'entrait  point  dans  le  pro- 
gramme ;  mais  Léa  pouvait-elle  s'arrêter  à  cette  observation  ? 
Quelle  stupeur  !  Quel  rêve  !  Un  Monsieur  élégant  comme  un 
prince  avec  ses  cheveux  frisés,  ses  gants  jaunes,  et  le  monocle 
qui  lui  donnait  un  air  si  distingué,  s'inclinait  devant  elle, 
chapeau  bas,  et  Mme  Lagarde  disait  : 

— Léa,  c'est  mon  beau-fils,  Roger  Daubreuil. 

— Mademoiselle,  je  vous  présente  mes  hommages. 

Jamais  pareille  phrase,  jamais  pareil  salut  ne  s'étaient 
adressés  à  la  fille  de  Bienaimé  Brissot  ;  la  tête  lui  tourna, 
comme  à  la  descente  du  manège.     Elle  voulut  répondre  quel- 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIM^  161 

que  chose  qui  rentra  dans  sa  gorge.  Les  joues  brûlantes,  les 
yeux  cillant  dans  la  lumière  crue,  elle  s'accrocha  de  nouveau 
à  la  main  de  sa  tante,  en  répétant  à  tout  hasard  : 

— Que  je  suis  heureuse .  .  que  je  suis  heureuse  de  vous  re- 
voir ! 

Boger  considérait  avec  un  mélange  d'étonnement  profond 
et  d'admiration  amusée,  la  petite  créature  qui  restait  idéale- 
ment fine,  souple  et  jolie  dans  sa  rougeur  et  son  embarras. 

— Comment  se  fait-il .  .  interrogeait  Amélie,  très  contrariée 
au  fond,  mais  dissimulant  à  cause  de  sa  nièce, 

C'est  qu'elle  n'aimait  pas  du  tout  les  coups  de  théâtre  dans 
la  vie.  Elle  voulait  bien  étudier  les  chances  de  réussite, 
mais  non  pas  s'avancer  imprudemment,  et  elle  n'entendait 
point  que  Koger  intervînt  avant  l'heure,  au  risque  de  brouiller 
toutes  les  cartes.  Il  fallait  néanmoins  faire  bonne  conte- 
nance !  c'était,  pour  le  moment,  la   seule  diplomatie  possible. 

— Qu'est-ce  que  six  lieues  pour  mon  bijou  d'auto,  mon  hi- 
rondelle !  On  ne  voyage  pas  ;  on  part  et  on  arrive,  répondit 
le  jeune  homme,  pensant,  comme  toujours,  pour  la  galerie,  et- 
promenant  des  yeux  narquois  sur  les  passants  qui  le  dévisa- 
geaient- Figurez- vous  que  les  naturels  du  pays  en  sont  en- 
core à  la  frayeur  superstitieuse  devant  ces  machines-là  !  Je 
crois,  ma  parole  !  qne  j'ai  vu  une  bonne  femme  se  signer. 

Au  rire  complaisant  dont  Roger  soulignait  ses  propres  pa- 
roles, un  rire  frais,  perlé,  fit  écho  ;  Léa  s'était  complètement 
ressaisie,  et  levait  vers  le  jeune  Daubreuil  son  petit  nez  fin 
ses  roses  pompon  et  ses  yeux  dorés. 

— Depuis  tantôt.  Mademoiselle,  reprit-il,  intérieurement 
flatté  de  cette  admiration  ingénue,  je  marche  de  découverte 
en  découverte,  et  d'écrasement  en  écrasement.  Ce  n'est  pas 
une  assemblée,  c'est  un  étoufibir.  Ça  ne  manque  pas  d'intérêt 
malgré  tout.  Il  y  a  de  la  couleur  locale,  du  pittoresque.  J'ai 
rencontré  des  types  primitifs  à  mettre  sous  verre  dans  un 
musée  d'antiquités  !  Les  femmes  ne  sont  pas  jolies .  .  à  part 


162  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

quelques  exceptions  d'autant  plus  charmantes  que  la  règle 
générale  l'est  moins  ! 

Léa  rougit  derechef,  et  se  mit  à  tourmenter  les  glands  de 
son  ombrelle.  Vraiment  il  n'y  avait  que  les  Messieurs  de 
Paris  pour  savoir  tourner  les  compliments  d'une  façon  si  in- 
génieuse et  si  discrète.  Devant  le  trio  défilaient  des  couples 
campagnards  :  les  jeunes  filles  tenaient  le  bras  de  leurs  "  bons 
amis,  "  beaux  gars  en  blouse,  fiers  comme  des  Artabans. 
Et  voilà  que  Louis  Chaumel  pa§sa,  seul,  à  dix  pas  de  Mme 
Lagarde  ;  il  avait  l'air  préoccupé,  et  semblait  chercher  quel- 
qu'un ou  quelque  chose  ;  mais  la  robe  rose  de  Léa,  cachée  par 
l'ample  jupe  de  la  tante,  n'attira  point  l'attention  du  jeune 
cultivateur. 

— Oh  !  là  là  !  quel  colosse  !  fit  Roger  avec  sa  verve  mo- 
queuse ;  est-ce  un  toucheur  de  bœufs  ?  il  devrait  monter  sur 
les  tréteaux,  pour  lutter  avec  l'Hercule  vert  de  là-bas. 

Une  impression  pénible  glissa  sur  la  jeune  fille  ;  elle  eut 
envie  de  dire  :  c'est  notre  voisin,  notre  ami .  .  Elle  n'osa 
pas.  .  Et  tout  à  coup  Louis  Chaumel  lui  parue  lourd,  inélé- 
gant et  vulgaire  sous  le  complet  gris  qu'il  portait  ordinaire- 
ment les  dimanches  d'été. 

— Ma  chère  petite,  reprit  Amélie,  étreinte  par  une  gêne  in- 
définissable, et  fatiguée  de  rester  debuut  dans  cette  atmos- 
phère de  feu,  as-tu  fait  le  tour  du  champ  de  foire  ?  As- tu  ex- 
ploré tous  les  coins  ? 

Rocrer  saisit  la  balle  au  bond. 

—  M'est-il  permis  de  vous  ofirir  mon  bras.  Mademoiselle, 
pour  vous  conduire  où  il  vous  plaira  d'aller  ? 

Cela,  c'était  l'apothéose  ! 

Transportée,  grisée,  ravie,  Léa  posa  vivement  le  bout  de 
ses  doigts  sur  la  manche  du  Parisien,  en  répondant  avec  un 
élan  irréfléchi  : 

— Où  vous  voudrez  !  Cela  m'est  égal  ! 

M&rie  Le  Mière.  A 

{A  suivre.) 


CHRONIQUE  FINANCIERE. 


Une  bonne  affaire  pour  nos  amis 


C'est  grâce  à  l'appui  constant  de  nos  abonnés  si  la  Revue 
Franco-Américaine  a  pu  faire  face  aux  menaces,  aux  ennuis 
et  aux  coups  de  jarnac  montés  par  ceux  qui  méditent  notre 
perte  et,  jusqu'aujourd'hui,  nous  n'avons  pu  qu'offrir  de  la 
reconnaissance  à  nos  amis.  C'est  peu,  si  vous  voulez,  mais 
enfin  nous  n'avons  pas  pu  faire  d'avantage.  Toutefois,  il 
se  présente  actuellement,  pour  ceux  de  nos  lecteurs  qui 
voudront  en  profiter,une  occasion  tout  à  fait  exceptionnelle,- 
et  cela  sans  courir  de  risques,  -  d'acquérir  des  valeurs  qui 
seront  quintuplées  d'ici  peu  de  temps.  C'est  en  effet  dans 
l'intention  de  faire  bénéficier  nos  amis,  que  nous  nous 
sommes  rendus  acquéreurs  de  300,000  parts  d'une  com- 
pagnie minière  située  en  plein  centre  de  Cobalt,  ayant  des 
travaux  considérables  de  commencés  et  une  perspective  des 
plus  encourageantes.  C'est  donc  après  s'être  complètement 
renseignés  sur  "The  Malouf  Mines,  Limited"  que  nous 
avons  acquis  ces  300,000  parts  pour  les  offrir  à  nos  amis. 
Nous  en  céderons  150,000  à  20  cents  la  part,  et  150,000  à  25 
cents. 

Nous  sommes  donc  en  état  de  vous  dire  que  nous  déte- 
nons une  valeur  de  tout  premier  ordre  et  qui  se  trouve  entre 
les  mains  de  compatriotes  honorables  et  avertis.  Voulez- 
vous  en  profiter .? .  .  .  alors  faites  votre  chèque  payable  au 
pair  à  Montréal,  à  l'ordre  de  "The  Malouf  Mines,  Limited" 
et  adressez-le,  en  mentionnant  le  nombre  de  parts  que  vous 
voulez  acheter  à  La  Revue  Franco-Américaine.  D'un  autre 
côté,  seriez- vous  prêts  à  placer  quelques  dollars  dans  l'en- 
treprise et  désireriez-vous  payer  dans  quelque  temps  }  vous 
n'avez  qu'à  faire  votre  chèque  et  le  dater  comme  vous  l'en- 


164  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

tendrez,  à  condition  que  ce  ne  soit  pas  après  le  1er  mars 
prochain,  1912.  Les  mines  de  Cobalt  ont  déjà  enrichi  un 
bon  nombre  de  nos  compatriotes  ;  vous  devez  en  connaître 
dans  votre  entourage,  pourquoi  ne  profiteriez-vous  pas  de 
l'occasion  unique  qui  se  présente  à  vous  aujourd'hui.  "La 
Revue  Franco-Américaine"  a  audelà  de  50,000  lecteurs. 
Cela  veut  dire  que  vous  devrez  être  prompts  à  vous  décider, 
tout  en  étant  prudents,  si  vous  voulez  posséder  quelques- 
unes  des  300,000  parts  dont  nous  avons  pris  le  contrôle 
pour  vous.  "• 

Un  mot  maintenant  de  Cobalt  et  de  ses  richesses.  Voici 
comment  les  mines  furent  découvertes  :  un  forgeron  à 
l'emploi  du  chemin  de  fer  de  Témiscamingue  et  Nord 
Ontario  frappa  une  veine  d'argent  qui  courait  à  la  surface 
du  sol.  La  nouvelle  se  répandit  comme  une  traînée  de 
poudre,  et  six  mois  plus  tard  le  pays  était  couvert  de  pros- 
pecteurs, et  une  petite  ville  portant  le  nom  du  minerai  que 
l'on  avait  découvert  était  fondée.  Cela  avait  lieu  en  1903. 
En  1910,  grâce  aux  expéditions,  aux  entreprises  nom- 
breuses, attirées  par  la  richesse  du  pays,  la  production 
totale  du  minerai  d'argent  dans  la  région  de  Cobalt  attei- 
gnait déjà  $50,000,000.  Et  dans  ce  calcul  je  ne  compte  pas 
le  minerai  de  deuxième  classe  qui  est  en  quantité  énorme 
sur  les  décharges  de  mines  en  exploitation,  et  qui,  dans 
un  avenir  rapproché,  sera  exploité  à  son  tour,  avec  de  gros 
profits.  Les  mineurs  ont  d'abord  accordé  leur  attention  au 
minerai  le  plus  riche.  Voici,  du  reste,  les  détails  du  rende- 
ment de  Cobalt  pour  les  dernières  cinq  années  (cantons  de 
Bucke  et  Coleman,  Ont.) 


1906 

expédition 

de 

5856  tonnes  de  minerai 

1907 

t( 

1485 1 

it                (( 

1908 

it 

25362 

i(               ti 

1909 

n 

35000 

il                •( 

I9IO 

u 

40000 

H                                   (l 

donnant  de  $300  à  $6ooo  la  tonne. 


I 


CHRONIQUE   FINANCIÈRE  165 

Voilà,  assurément,  des  preuves  manifestes  de  la  richesse 
phénoménale  de  la  région.  Mais  cela  veut-il  dire  que  tous 
les  propositions  minières  qui  viennent  de  Cobalt  sont  éga- 
lement bonnes  ?  Pas  le  moins  du  monde. 

Cette  région,  comme  tous  les  grands  centres  miniers,  du 
reste,  a  fourni  le  prétexte  à  sa  bonne  part  de  spéculations 
véreuses  ;  elle  a  produit  ce  qu'en  termes  du  métier  on 
appelle  des  wild  cats  et  des  mines  dans  la  lune.  A  part 
cela,  il  y  a  eu  certain  nombre  d'organisations  qui  ont  vendu 
du  stock  sur  des  minerais  loués  de  voisins  complaisants, 
d'autres  qui,  possédant  d'excellentes  mines,  n'ont  pas 
réussi  parce  que  les  organisateurs,  grisés  par  l'assurance 
d'une  fortune  très  probable,  ont  mangé  en  folles  dépenses 
le  capital  souscrit  par  le  public,  afin  d'arracher  à  la  terre 
les  trésors  qu'elle  cachait  dans  son  sein.  Du  reste,  on 
connaît  le  dicton  :  argent  vite  gagné,  argent  vite  dépensé. 
Le  malheur  dans  tout  cela,  c'est  que  certains  organisateurs 
prennent  pour  de  l'argent  vite  gagné,  des  capitaux  qu'on 
leur  avait  confiés,  non  pas  pour  faire  des  épattes  ou  de 
l'esbrouffe,  mais  pour  développer  la  mine  dans  laquelle  on 
avait  acheté  des  actions. 

C'est  de  ce  genre  de  spéculation,  on  le  comprend,  que 
vient  cet  esprit  de  défiance  avec  lequel  on  est  instinctive- 
ment porté  à  accueillir  une  proposition  minière.  Et  on  n'a 
pas  tout  à  fait  tort.  Pourtant,  ceci  n'empêche  pas  que  l'in- 
dustrie minière  soit  encore  à  peu  près  îa  seule  qui  permette 
de  réaliser  de  très  gros  profits  sans  donner  prise  à  la  cri- 
tique. Comme  je  le  disais  dans  ma  dernière  chronique,  il 
faut  savoir  saisir  par  les  cheveux  une  occasion...  qui  a  des 
cheveux,  ou  plutôt,  il  faut  savoir  s'intéresser  à  une  mine 
qui  en  est  une  véritable. 

C'est  dans  ce  choix  qu'apparaît  bien  l'opportunité  et  l'u- 
tilité des  conseils  que  je  donnais  le  mois  dernier  au  sujet 
des  placements  à  faire  dans  l'industrie  minière.  Il  faut  sa- 
voir s'intéresser  à  une  entreprise  qui  offre  le  maximum  de 
chances  de  succès  en  même  temps  que  le  minimum  de 
risques.  C'est,  du  reste,  une  règle  de  gros  bon  sens  qui 
s'applique  à  toutes  les  entreprises. 


166  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

Je  lisais  tout  dernièrement  dans  les  journaux  l'avis  par 
lequel  une  compagnie  de  Cobalt  déclarait  un  dividende 
mensuel  de  5%,  c'est-à-dire  6o%  par  année,  avec  un  bonus, 
en  plus.  Cela  prouve  bien  que  l'industrie  minière,  et  en 
particulier  celle  de  Cobalt,  offre  des  chances  de  succès  qui 
valent  bien  qu'on  y  risque  quelque  chose.  Du  reste,  en 
prenant  toutes  les  précautions  voulues,  le  risque  ne  s'étend 
plus  guère  que  sur  la  marge  des  profits,  c'est-à-dire  que  ce 
qui,  dans  une  mine  sérieuse,  est  incertain,  ce  n'est  pas  le 
dividende,  mais  le  chiffre  que  ae  dividende  va  atteindre. 
C'est  là  qu'entre  en  ligne  de  compte  la  compétence  de  ceux 
qui  sont  chargés  de  diriger  l'entreprise.  "Rien  de  trop", 
voilà  la  devise  qui  devrait  être  inscrite  sous  les  yeux  de 
tous  les  directeurs  miniers.  C'est  avec  les  économies  faites 
raisonnablement  sur  le  coût  d'une  exploitation,  qu'on  arron- 
dit un  dividende. 

J.  A.  LEFEBVRE. 


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s'adressera:  LA  REVUE  PRANCO-ArdERÎCAîNIS,  2487  case  pos- 
tale,   Montréal. 


The  Malouî  Mines,  umited 

53  RUE  SAINT-JACQUES 


Capital  autorisé     -       -       -       -  $200,000 

Capital  déjà  souscrit       -       -       -       $100,000 


Cette  mine  est  située  dans  le  cœur  de  Cobalt, 
à  3  et  1-2  milles  du  chemin  de  fer  Témiscam.in^e 
&  Northern,  Ontario.  Un  chemin  public  du  gouver- 
nement longe  la  propriété. 

Actuellement,  les  actions  qui  restent  à  vendre 
sont  à  20  cents,  prises  par  lots  de  25  au  moins. 
Aux  prévoyants  nous  conseillons  d'acheter  immé- 
diatement tandis  que  c'est  le  temps.  Faites  vos 
paiements  par  chèque  payable  au  pair  à  Montréal 
ou  par  mandat-poste,  à  l'ordre  de  la  compagnie. 

Pour  plus  amples  informations,  analyses  de  mi- 
nerais, description  de  la  mine,  rapports  des  ingé- 
nieurs sur  les  opérations,  etc.,  s'adresser  à  la  com- 
pagnie qui  s'empressera  de  fournir  tous  les  rensei- 
gnements. 

BI^ANC  DE  SOUSCRIPTION. 

Messieurs, 

Je,  soussigné,  souscris  pour 

parts  entièrement  acquittées  et  non  assessables  du 
Capital-Actions  de  The  MALOUF  MINES  Limit- 
ed, pour  lesquelles  vous  trouverez  ci-inclus  la  som- 
me de  (S ) dollars 

Nom 

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Date .     .  19 


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Le  Canada- Français,    4    vol.    in-8   (Québec, 

1888-1891) 10  00 

Prière  d'écrire  immédiatement  ou  de  transmettre  la 
liste  de  vos  desiderata  à 

LA  SOCIÉTÉ 

de;  i<a  

Revue  Franco-Américaine 

Case  postale  2487,    MONTRÉAL. 


estimées,    )iOll,OUOjutiy.""  vernement, 

ont  été  réalisés  Jans  la  propriété  des  villes  de  l'Ouest  en  1909. 

Avez-v(.us  partieipé  à  ces  énormes  bénéfices?  Etes- vous  celui  qui  a  réa- 
lisé un  profit  ou  le  malheureux  qui  en  a  e  .  a  chance,  mais  ne  pussédait  pas 
assez  rie  jug-ement  pour  risquer  le  marché?  Une  personne  digne  de  sympa 
thic,  c'est  celle  qui  dit  :  "Il  y  a  cinq  ou  dx  ans,  j'ai  acheté  telle  ou  telle 
propriété  pour  $100  ou  $500  et  elle  vaut  maintenant  $:0,00()."  Allez-vous 
dire  dans  cinq  ans  d't»,,>jourdhui  que  voua  avez  acheté  des  lots  à  Poe,  Alta., 
à|50ou310ti  chacun,  q  c  vouh  avez  réalit-é  de  §1,000  à  $10,000  pour  avoir 
acheté  une  propriété  dans  c<  tte  ville  on  l'an  d^  grâce  1911  ? 

POE  UN  FUTUR  ^  ENTRE  COMMERCIAL. 

Poe  est  situé  sur  la  Y<.çr,n"  principale  dxi  Grand-Tronc-Pacifique  Pntre 
Edmonton  et  Saskatoon.  dans  l'un  des  plus  beaux  districts  agricoles  et  de» 
plus  peuplés  de  l'Ouest  Canadien,  possédant  de  riches  mines  de  charbon  ;  si- 
tué près  de  rivières  et  de  lacs  à  proximité  des  forète.  Ces  ressources  natu- 
relles assurent  aux  habitants  de  cette  ville,  un  coût  peu  élevé  de  la  vie,  et 
d'une  jErrande  activité  commerciale,  chos<'s  essentielles  pour  l'érection  d'une 
gi'ande  ville,  créant  ainsi  une  propriété  foncière  de  grande  valeur 
POE  UN  CENTRE  DE  MANUFACTURES. 

Ce  site  de  la  ville  et  le  territoire  contigu  a  toutes  les  choses  exigées  par 
les  manufacturiers  pou^  l'installation  de  grandes  upines  ou  de  grosses  entre- 
prises de  tous  Ket:rcs  emplcj^ant  un  grand  nombre  de  personnes.  Lesriviiîres 
et  les  lacs  fournissent  l'eaxi,  les  mines  et  les  forêts  fournissent  1.-  combustible 
et  le  matériel  de  conslru<^tion  à  bon  rnarc'-'é,  les  terres  agricoles  fournissent 
les  produits  de  la  ferme,  de  sorte  que  les  habitan  s  peuvent  vivre  à  un  vrai 
bon  marché. 

Déjà  plus  de  20D  Icts  out  été  vendus,  et  plusieurs  de  ces  lots  oot  déjà 
changé  de  mains  avec  une  auji-mentation  substannelle.  La  plupart  de  ces 
lots  ont  été  "chetés  par  des  hom'ues  d'atiàires  de  tout  le  Canada,  qui  main- 
tenant bénéficient  de  leur  prévoyance. 

Le  site  de  Li  ville  c  st  haut  et  sec  et  très  propice  à  la  ■construction. 
L'OPPORTUNITE 
ne  signifie  rien  si  vous  ne  possédez  pas  le  courage  d'agir.  Vous  pouvez  pos- 
séd':'r  une  grande  sag-  sse,  voyager  beaucoup  et  voir  ainsi  t'entes  sortes  de 
chances  de  fair'-  de  l'argent,  mais  à  moins  que  vous  n'ayez  le  courage  d'agir 
sur  votre  pi'opre  juge  uent  et  vutre  propre  sagesse,  ces  qualités  ne  vous  sont 
d'aucune  utilité. 

1  e-i  lots  de  Poe  sont  un  bon  placen.ent  aux  prix  actuels.  La  ville  est  for- 
cée de  eranriir  vite.  Grâco  aux  conditions  faciles  de  paiement,  vous  avez  la 
possibilité  d'acheter. 

LES  TITRES  TOFRENS. 

NoTS  possédons  la  ville  de  Poe  sous  le  système  des  titres  Torrens.    Avec 
ce  système,  le  titre  est  garanti  par  le  gouvcTnement,  dès  lors  absolument  si\r. 
PRIX  ET  TERMES. 

Les  prix  des  lots  sont  de  .Ç50  à  $100  chacnn,  et  on  peut  les  acheter  aux 
conditions  de  10  pour  cent  compt?nt.  la  balance  en  dix-huit  paiements  égaux 
mensuels  ;  ou  le  quart  comptant  et  la  balance  en  six,  douze  ou  dix-huit  mois. 
INFORMATIONS. 

Nous  avons  publié  une  circulaire  attrayante  donnant  toutes  les  informa- 
tions relatives  à  la  ville  et  à  ses  perspectives,  avec  une  carte  montrant  les 
lots  à  vendre.  Si  voxis  désirez  recevoir  cette  jolie  circulaire,  détachez  le  cou- 
pon c'-joint  et  adressez-nous  le  par  le  prochain  courrier. 

Poe  est  une  bonne  ville  nouvelle  où  vous  pouvez  allez  faire  des  afl^aires 
ou  pratiquer  une  profession. 

TERRAINS.  SITES  DE  VILLES 
ET  PLACEMENTS. 

''''fltllâZ^"  Winnipeg,  Canada. 

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avec  une  carte  et  la  liste  des  prix  et  obliger  votre  tout  dévoué, 

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Et  MAUJfiE  vous  NOOS  IttSTfROKS  ftMK/B' 


POLITIQUE,     LITTERAIRE,     ARTISTIQUE 

(HEBDOMADAIRE) 


C'est  le  titre  d'une  publication  que  la  "  Revue 
Franco- Américaine"  va  entreprendre  pour  répondre 
au  désir  de  tous  les  amis  de  la  cause  qu'elle  défend. 

Nous  l'avons  annoncée  le  mois  dernier,  et  nous 
avons  déjà  pour  notre  future  publication  une  liste 
d'abonnés  fort  respectable.  Nous  en  remercions  très 
cordialement  nos  amis  pour  l'empressement  qu'ils 
mettent  à  nous  seconder  dans  cette  nouvelle  entre- 
prise. Qu'ils  continuent  la  propagande  dans  leur  en- 
tourage, parmi  leurs  amis  qui  sont  aussi  les  nôtres. 

Le  "Gaulois"  publiera  son  premier  numéro  dans 
quelques  semaines. 

Nous  avertissons  ceux  qui  désirent  en  posséder 
la  série  complète,  de  ne  pas  tarder  à  nous  envoyer 
leur  abonnement  dès  maintenant. 

IvC  "GAUIyOIS",  revue  littéraire,  politique  et 
artistique.    Grand  format. 

Questions  d'actualité,  traitées  au  point  de  vue 
des  intérêts  canadiens-français.  —  Feuilletons  irré- 
prochables. —  Une  revue  qui  intéressera  tous  les 
membres  -de  la  famille  et  pourra  être  mise  entre  tou- 
tes les  mains. 

Prix  de  l'abonnement  :    f 2.00  par  année. 

Adresse:   I^K  CrAUI^OïS,  Boîte  34B7, 

MONTREAL 


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1 


BONNEZ-VOUS 


Encouragez 
l'œuvre  de 

La  Revue 

Franeo- 
Américaine 

Devenez 
un  abonné 
régulier  et  vous 
serez  heureux 
ensuite  de  la 
recommander 
à  vos  amis  et 
connaissances. 

-? 


ET   FAITES   ABONNER 
VOS   AMIS    .AEE^^E^^^= 

la  Revoe 
Fraflco-Affléricame 


CKTTE  publication  superbement  illustrée 
paraît  le  premier  de  chaque  mois  et 
s'occupe  spécialement,  sans  se  mêler  à  la 
politique,  des  revendications  nationales. 
Vous  la  trouverez,  en  Amérique,  dans  au-delà 
de  400  cercles,  salons  de  lecture,  clubs, 
unions,  etc.,  ainsi  que  dans  toute  famiHe 
aisée,  d'origine  française. 


v 


'"OUS  n'avez  pas  le  temps  ni  le  moyen  de  com- 
battre, comme  vous  le  voudriez,  pour  conser- 
ver les  droits  acquis  à  notre  nationalité,  alors,  par 
votre  «souscription  à  notre  œuvre,  vous  aurez  au 
moins  fait  une  partie  de  votre  devoir. 


T  A  Revue  Franco-Américaine  devrait  se  trouver 
dans  toutes  les  salles  d'attente  des  hommes  de 
profession,  avocats,  médecins,  notaires,  etc.,  dans 
tous  les  presbytères  et  couvents.  Elle  devrait  être 
le  ralliement,  le  signe  infaillible  que  vous  avez  à 
faire  avec  un  patriote  chaque  fois  que  vous  la  verrez 
dans  une  famille  d' origine  fî  ançaise. 


ABONNEZ- VOUS  et  faites  ABONNER  vos  amis. 


La  Revue  Franco=Américaine 

Bureaux:  197,  rue  Notre-Dame  Est,  Montréal 
Téléphone  Main  3496  2487,  case  postale,  Montréal 


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recevront  une  attention  toute  spéciale. 
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reux des  journaux  franco-américains. 

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M.    ARTHURLANQEVÎN 

371  Rue  Marquette,   Montréal. 

AGENT  DE  LA 

Revue    Franco-Américaine 

POUR  MONTREAI.  ET  DISTRICT 


RETOUR 

DES 

MONTAGNES   ROCHEUSES 


M.  A.  O.  Wheeler,  F.  R.  G.  S.,  directeur  du  Club  Alpin  du  Canada, 
vient  de  revenir  à  Vancouver  d'un  été  passé  dans  les  Montagnes  Rocheu- 
ses dans  le  voisinage  du  Passage  Yellowhead,  et  il  est  très  impressionné 
de  son  voyage. 

Dans  une  entrevue,  M.  Wheeler  a  ^it  :  "  Ce  fut  l'impression  générale 
que  les  Montagnes  Rocheuses  du  Canada  atteij.inent  leur  plus  grande 
hauteur  non  loin  au  nord  de  la  ligne  de  frontière.  Kn  ces  dernières 
années  l'on  a  beaucoup  entendu  parler  du  Mont  Robson,  qui  domir.e  la 
région  du  Passage  Yellowhead,  mais  l'opinion  générale  était  qu'il  n'y 
avait  rien  dans  les  environs  qui  valait  la  peine  d'être  vu,  et  que  le  Grand- 
Tronc-Pacifique  passerait  dans  une  région  très  peu  intéressante  au  point 
de  vue  du  touriste  ou  de  l'alpiniste. 

On  ne  se  trompait  pas  sur  le  Mont  Robson.  Il  est  sans  doute,  comme 
l'a  déclaré  l'un  des  alpinistes  les  plus  expérimentés  et  les  plus  habiles  du 
jour,  le  Dr  Norman  Collie,  l'une  des  montagnes  les  plus  magnifiques  au 
monde,  qu'il  soit  vu  du  sud,  la  vue  la  plus  familière,  ou  du  superbe  lac 
Berg,  il  est  encore  suprême.  Sur  le  circuit  de  cent  milles  du  grand 
massif,  on  a  trouvé  de  tous  côtés  des  barrières  de  neige,  des  ■  grands 
champs  couverts  de  neige,  des  chutes  de  glace,  des  torrents  impétueux, 
des  chutes  d'eau,  des  prairies  de  fleurs  et  de  vast-ïs  étendues  de  belles 
forêts  noires.  Beaucoup  des  sommets  ont  reçu  des  noms  des  arpenteurs, 
mais  ils  sont  légions,  et  cela  prendra  beaucoup  d'années  avant  qu'ils 
soient  connus  familièrement  comme  montagnes  individuelles." 

En  parlant  du  glacier  Robson,  qui  est  du  côté  Est  de  la  monstrueuse 
montagne,  M.  Wheeler  a  dit  :  "Nous  avons  été  stupéfiés  de  voir  qu'une 
chose  aussi  superbe,  aussi  grandiose  existait.  A  nos  pieds  coulait  la 
grande  rivière  de  glace,  chaque  crevasse,  chaque  glaçon  apparaissait 
clairement.  Droit  en  face  s'éle/ait  le  massif,  sa  hauteur  nette  de  la  base 
au  sommet  était  de  8,000  pieds.  Des  superbes  prairies  au  haut  de  la 
Vallée  Resplendissante  on  comptait  vingt-cinq  sommets  inconnus  et  sans 
nom.  On  voyait  partout  des  lacs  qui  offraient  peut-être  le  charme  le 
plus  caractéristique  de  toutes  les  Montagnes  Rocheuses. 

Au  sommet  du  Passage  Yellowhead,  le  parti  de  M.  Wheeler  érigea 
un  monument  limitant  la  frontière  entre  l'Alberta  et  la  Colombie 
Anglaise,  à  l'intersection  de  la  Grande  Division.  Sur  la  colonne  dressée, 
qui  est  entourée  d'un  tas  de  pierres,  sont  inscrits  les  mots  "Colombie 
Anglaise"  sur  le  côté  ouest,  et  "  Alberta  "  sur  le  côté  Est,  et  au  bas 
"3727-9S  Dieds,"  étant  l'altitude  du  sommet  au  point  où  la  colonne  est 
établie."  ' 


La  construction  sur  la  section  incomplète  du  Grand-Tronc-Pacifique, 
depuis  Tête-Jaune  en  se  dirigeant  à  l'ouest  vers  Aider,  dans  la  Vallée 
Bulkley,  a  été  commencée,  il  y  a  quelques  semaines,  par  les  entrepre- 
neurs, MM.  Foley,  Welch  &  Stewart.  Les  opérations  sont  astreintes  à 
la  route  le  long  de  la  fourche  Sud  du  Fraser,  entre  Tête-Jaune  et  Fort 
George. 


Le   Grand^Tronc 


HORAIRE  DES  TRAINS  PASSAGERS 

QUITTANT    LA    GARE    BOxMAVENTURE 

JUSQU'A  NOUVEL  ORDRE. 


7.16  A.M.— (Tous  les  jours)  pour  Richmoad  et  gares  intermédiaires. 

7.26  A.M.— (Tous  les"} ours,  dimanche  excepté)  pour  I^aprairie,  Heramingford,  Ste- 

Martine  Jet.,  Howiclc,  Ormstown,  Huntiugdon,  Fort  Covingtou  et  Mas- 

sena  Springs. 
8.00  A. M.— (Tous  les  jours)  pour  Richmond,  Sherbrooke,  Port'.and  ;  tous  les  jours, 

dimanche  excepté,  pour  L,évis  (Québec.) 

8.30  A.M.— (Tous  les  jours)  pour  Coteau  Jet.,  Glen  Robertson,  Alexaudria,  Ottawa, 

Valleyfield  et  les  points  sur  la  division  d'Ottawa. 

8.31  A. M.— (Tous  les  jours)  pour  8t-Jean,  St.  Albans,  Burlington,  Springfield,  Boston 

et  New-York  via  V.  C.  R'y. 

8.35  A.M.— (Tous  les  jours)  pour  St-Jeau,  Rouses  Point,  Plattsburg,  Troy,  Albany  et 
New-York  via  Cie  D.  &  H. 

8.51  A.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  Chambly,  Marieville,  Farnham, 
Granby  et  Waterloo  via  V.  C.  R'y. 

9.00  A. M. —(Tous  les  jours)  "International  Limitée"  pour  Cornwall,  Brockville, 
Kingston,  Toronto,  Hamiltou,  Niagara  Falls,  Buffalo,  Détroit,  uhicago 
et  tous  les  points  à  l'ouest. 

9.45  A.M. — (Tous  les  jours)  pour  Vaudreuil,  Cornwall,  Prescott,  Brockville,  King- 
ston, Belleville,  Toronto  et  gares  intermédiaires. 

1.35  P. M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  St-Jean,  Iberville,  St.  Albans, 
Burlington  et  White  River  Jet. 

3,00  P.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  St-Jean,  Rouses  Point,  Platts- 
burg, Troy,  Albany  ft  New-York. 

3.55  P.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  Ste-Anne,  Coteau  Jet.,  Valley- 
field, Glen  Robertson,  Alexandria,  Ottawa  et  les  points  sur  la  division 
d'Ottawa. 

4.16  P.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  St-Hyacinthe,  Richmond,  Lévis 
(Québec),  SherbrooTke  et  Island  Pond. 

4.20  P.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  Vaudreuil,  Valleyneld,  Cornwall, 

Brockville  et  gares  intermédiaires. 

4.21  P. M.— (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  Laprairle.  Heramingford,  Ste- 

Martine  Jet.,  Howick,  Ormstown,  Huntingdon  et  Fort  Covington. 

4.50  P.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  St-Jean,  Rouses  Point,  et  gares 
intermédiaires. 

4,55  P.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  Chambly,  Marieville,  Farnham, 
Frelighsburg.  Granby  et  Waterloo. 

5.20  P.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  St-Hyacinthe,  et  gares  inter- 
médiaires. 

5.30  P. M. —(Tous  les  jours,  dimanclie  excepté)  pour  St-Jean,  Iberville  et  St-Aîbans. 

6.25  P.M.— (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  St-Lambert,  Chambly,  Marie- 
ville  et  St-Césaire. 

7.25  P. M. —(Tous  les  jours)  pour  St-Jean,  Rouses  Point,  Plattsburg,  Troy,  Albany 
et  New-York  via  Cie  D.  &  H. 

7.30  P.M.— (Tous  les  jours)  pour  Cornwall,  Brockville,  Kingston.  Belleville  et  To- 
ronto. 

8.00  P.M. — (Tous  les  jours)  pour  Coteau  Jet.,  Alexandria,  Ottawa  et  les  points  sur 
la  division  d'Ottawa. 

8. 15  P.  M.— (Tous  les  jours)  pour  St-Hyacinthe,  Richmond,  Lévis,  (Québec),  »Sher- 
brooke,  Island  Pond  et  Portland. 

8.30  P.  M.— (Tous  lesjours)  pour  St-Jean,  St-Albans,  Burlington,  Springfield,  Boston 
et  New-York  via  V   C.  R'y. 

10.30  P.M. —(Tous  lesjours)  pour  Brockville,  Kingston,  Toronto,  Hamiltou,  .Viaga- 
ra  Falls,  Buffalo,  London.  Détroit,  Chicago  et  tous  les  points  à  i'ouest. 


Pour  billets,  taux,  mappes,  indicateurs,  wagons-lits,  et  toute  autre  information, 
s'adresser  au  bureau  de  la  compagnie,  130  rue  St-Jacques,  Tél.  Main  6905,  ou  à  la 
gare  Bonaventure,  Tel.  Main  4779. 


LE  PACIFIQUE  CANADIEN 

LA  ROITE  POPILAIRE 


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et  les 
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Montréal 

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Montréal 

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Montréal, 


et  Québec, 
et  Ottawa, 

Joliotte  eL  St-Gabrîel. 
Ste-Agathe,  Norniniiigue 
Les  Lnurenticles,  ; 
et  les  Chutes  Siiawini- 

et    Ste-Anne   de   Beau- 

et  le  Cap  de  la  Magde- 

Sala  et  le  MuskoKa, 


Montréal,  St-Jean,   N.-B.,   et    les 

Provinces  Maritimes, 
Montréal,     Manchester,     Nashua, 

Loweil,  Boston  et  la  Nouvelle- 

Anj?l8terre, 
Montréal,  Toronto,  Détroit  et  Chi- 
cago, 
Montréal,     Sault    Ste-Mar'.e,    St- 

Paul,  Duluth,  Minneapolis, 
Montréal,  Fort  William,  V/innipeg, 

Va!  conver,  le  Kootenay  et  la 

Côte  du  Pacifique. 


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REVUE  FRANCO-AMERICAINE. 


L'abonnement    et  le    renouvellement    des  étrennes    chaque  mois. 
Il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  de  se  rappeler  aux  amis. 


ï 


L'ILLUSTRATION 

Supplément  de  "La  Revue  Franco-Américaine" 


ol.  VIII.  No  3. 


Montréal,  1er  Janvier  1912 


M.   LUDGER    GrAVEI. 

Président  de  la  Société  des  Artisans  Canadiens-Français. 


M.  U.  H.  Dandurand 


MM.  Dandurand,  Marcil  et  Laval lée 
sont  candidats  à  la  mairie  de  Montréal. 

Cette  pléthore  de  candidats  cana- 
diens-français pourrait  peut-être  induire 
le  maire  irlandais  actuel,  M.  Guerin,  à 
se  faufiler  pour  un  nouveau  terme. 
Pendant  que  l'on  se  battrait  entre  nous, 
il  ferait  sanctionner  par  une  minorité, 
devenue  majorité,  ses  histoires  de 
course  aux  successions,  de  drapeau 
irlandais  sur  l'hôtel-de-ville,  de  voyage 
du  collier  du  maire,  etc.,  etc. 


M.  Gko.  Marcil 


Les  portraits  que  nous  reproduisons  ici  gra- 
tuitement, nous  ont  été  fournis  par  les  candi- 
dats eux-mêmes.  Certains  compareront  la  po- 
pularité du  candidat  avec  la  grandeur  du  por- 
trait. "D'autres  diront  ;  qui  s'agrandit  sera 
rapetissé,  qui  se  rapetisse  sera  agrandi 


M.  I,,  A.  Lav ALLÉE 


G  C 

©  y 


O 
Pi 


ivE  Mont  Hardisty 

Chaîne  de  montagnes  rocheuses,  le  long  de  la  rivière  Athabaska, 
sur  le  parcours  du  Grand-Tronc-Pacifique. 


Au  bord^du^Lac  Maligne, 
Survie  parcours  du  Grand-Tronc-Pacifique. 


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LA   REVUE  FRANCO-AMERICAINE 

sera  uniforme,  tant  pour  le  Canada  que  pour  l'étranger, 
soit  iii^2.00  par  aneée. 

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rages et  (jui  ne  paieront  pas  davance  pour  l'année 
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Environ  200  amis  de  la  Revue  négligent  chaque  an- 
née de  payer  à  temps  leur  abonnement  et  par  là  nous 
forcent  à  tenir  des  livres.  Conséquence  :  en  dehors  de 
ces  200  amis,  800  à  400  individus  qui  se  sont  abonnés 
par  lettre — et  qui  doivent  être  habitués  à  faire  ce  petit 
jeu  avec  tous  les  journaux — en  profitent  pour  ne  jamais 
payer.  Depuis  la  fondation  de  la  Revue  nous  avons, 
par  ee  ])rocédé,  perdu 

A^u-delà  de  $2,000 

Nous  trouvons  que  c'est  trop  et  nous  avons  décidé  de 
prendre  le  seul  moyen  radical  :  l'abonnement  payable 
d'avance.  Que  nos  vrais  amis,  retardataires  ou  négli- 
gents, ne  se  formalisent  pas,  mais  qu'ils  songent  à  ce 
qu'ils  feraient  s'ils  étaient  à  notre  place. 

LA  REVUE  FRANCO-AMERICAINE 


B 


onne  année  ! 


L'apparition  de  l'année  nouvelle  est  le  signal  de  réjouis- 
sances sans  nombre  auxquelles  nous  nous  empressons  de 
nous  joindre.  Et  nous  voulons  croire  qu'à  cette  époque  si 
admirablement  dominée  par  l'effusion  des  sentiments  affec- 
tueux, par  le  triomphe  de  l'universelle  bonté,  les  amis  de 
la  Revue  auront  pour  agréable  l'expression  des  vœux  très 
sincères  que  nous  formons  pour  leur  bonheur  et  la  réalisa- 
tion de  leurs  plus  chères  espérances. 

Formés  à  la  même  école  batailleuse  et  patriotique,  soli- 
daires des  mêmes  revendications  et  aussi  des  luttes  parfois 
ardentes  que  ces  revendications  soulèvent,  aussi  peu  sou- 
cieux d'éviter  les  coups  que  l'amour  de  la  vérité  nous  attire 
que  peu  désireux  de  tenter,  par  un  faux  amour  de  la  paix, 
le  moyen  pusillanime  des  temporisations  ruineuses,  nous 
croyons  répondre  à  un  désir  universellement  ressenti,  en 
convoquant  la  grande  famille  de  nos  lecteurs  et  amis  au- 
tour de  l'idée  qui  noivs  réunit  depuis  quatre  ans  et  en  les. 
invitant  à  formuler  pour  une  cause  chère  les  souhaits  qu'ils, 
se  sont  déjà  faits  les  uns  aux  autres. 

Du  reste,  on  ne  lutte  pas  impunément  pour  le  triomphe, 
d'un  idéal  commun.  Il  coule  de  l'ensemble  des  sacrifices 
faits,  des  dangers  courus  ensemble,  des  défaites  mêmes 
essuyées  sans  découragement,  une  source  profonde  de  sym- 
pathie, qui  relie  plus  étroitement  les  cœurs  après  avoir 
consacré  l'union  harmonieuse  des  esprits. 

L'œuvre  poursuivie  avec  ardeur  et,  aux  yeux  de  plusieurs, 
avec  acharnement,  par  la  REVUE  FRANCO-AMERICAINE, 
a  subi,  je  ne  le  cache  pas,  des  assauts  terribles  pendant 
l'année  qui  vient  de  s'écouler.  Mais,  comme  on  me  l'a  fait 
observer  plus  d'une  fois,  les  situations  les  plus  compliquées 
ne  sont  jamais  si  près  de  leur  solution  définitive  que  lors- 
qu'elles paraissent  le  plus  tendues.  Et  c'est  bien  ce  qui 
fait  entrevoir  à  travers  les  événements  des  derniers  jours 


168  LA   REVUE    FRANCO-AMTtRICAINE 

la  marche  lente,  mais  toujours  sûre,  de  la  vérité  et  du  droit 
vers  le  triomphe  final. 

Sans  doute,  si  nous  faisions  la  revue  de  nos  questions 
nationales  pour  en  calculer  le  progrès,  nous  serions  tentés 
de  dire  que  beaucoup  de  causes  ont  succombé  sous  des 
coups  moins  terribles  et  moins  nombreux  que  les  assauts 
livrés  contre  les  points  réputés  les  plus  forts  de  notre  orga- 
nisation nationale.  Est-ce  la  première  fois  que  les  conseils 
des  pusillanimes  ont  prévalu  }  Nous  tenons  encore  pour 
cette  doctrine  qu'il  n'y  a  pas  de  djoit  contre  le  droit.  Et, 
pour  ma  part,  je  ne  constate  pas  sans  un  sentiment  irré- 
pressible de  satisfaction  que  les  am.is  de  la  "  petite  paix" 
en  sont  encore  réduits,  malgré  l'autorité  de  leur  voix  ou  l'é- 
clat de  leur  nom,  à  discuter  l'opportunité  de  certaines  pa- 
roles ou  le  ton  de  certains  actes.  Cela  prouve  que  si  la  vé- 
rité met  du  temps  à  se  faire  jour,  elle  reste,  en  dépit  de 
tout,  solidement  assise  et  inébranlable  sur  ses  positions.  La 
Providence  se  chargera  bien  de  faire  le  reste.  Aux  patriotes 
de  ne  pas  oublier  que  si  la  Providence  ne  ménage  pas  sa 
protection  à  ceux  qui  l'invoquent,  elle  veut  aussi  que  l'on 
s'aide. 

Et  quel  autre. souhait  plus  pratique  peut  se  dégager  de 
ce  qui  précède,  si  ce  n'est  un  souhait  de  courage,  de  fermeté 
d'initiative  ?  C'est  le  souhait  qui  demeure,  c'est  celui  que 
nous  aimerons  à  retrouver  demain,  avant  de  reprendre 
notre  tâche  interrompue  par  le  culte  donné  aux  sereines 
joies  de  nos  foyers  ;  c'est  celui  que  nous  voudrons  revoir  à 
l'aube  des  luttes  qui  s'annoncent,  ouvriers  de  la  foi,  ouvriers 
de  la  race,  arrêtés  en  prière  devant  un  berceau  portant  sur 
un  peu  de  paille  le  Roi  du  monde;  c'est  lui  qu'il  vous 
plaira  d'entendre,  pasteurs  avant  de  reprendre  vos  hou- 
lettes, écrivains  avant  de  reprendre  vos  plumes,  poètes 
avant  de  reprendre  vos  lyres,  patriotes  avant  de  reprendre 
le  sillon  que  vous  creusez  avec  espoir  dans  le  vaste  champ 
du  Maître  ! 

J.-L.  K.-Laflamtne. 


.e  givre 


Depuis  un  mois  il  neige  à  flots.     La  nuit  dernière 

Il  a  plu.     Maintenant  sous  la  froide  lumière 

Du  soleil  hivernal  le  givre  immaculé 

Etincelle  aux  rameaux  du  grand  bois  constellé. 

Quel  séduisant  tableau  !  quelle  vaste  féerie  ! 

Chaque  fourré  devient  une  cristallerie  ; 

Et  les  blancheurs  du  lait,  de  la  nacre,  du  sel, 

De  l'onyx,  de  l'argent,  de  la  nappe  d'autel, 

Sur  les  branches  du  pin,  du  chêne  et  de  l'érable 

S'entremêlent  dans  une  harmonie  ineffable. 

Parfois  des  rayons  d'or  frappent  l'arbre  qui  luit, 

Et  l'on  dirait  alors  qu'au  milieu  de  la  nuit 

Une  fée  a  touché  du  bout  de  sa  baguette 

Les  fûts  de  la  forêt  solitaire  et  muette. 

En  a  fait  les  piliers  d'une  église  sans  nom; 

On  songe  au  merveilleux  temple  de  Salomon, 

Aux  trésors  apportés  du  Pérou  par  Pizarre. 

Parfois  sur  ces  piliers  d'agate  et  de  carrare 

Une  ombre  passe  et  fait  s'évanouir  soudain 

Le  vif  scintillement  de  ce  nouvel  Eden. 

Et  le  bois  assombri,  que  nul  souffle  n'agite. 

Devient  la  grotte  où  pend  la  blanche  stalactite; 

Le  soleil,  mi-voilé  d'un  nuage  blafard. 

Entre  d'épais  massifs  glisse  un  tremblant  regard, 

Tandis  qu'aux  alentours  un  feu  d'apothéose 

Sur  les  rameaux  vitreux  met  une  lueur  rose 

Projetant  sur  la  neige  un  reflet  de  vermeil. 

Mais  un  nuage  encor  nous  cache  le  soleil  : 

Le  morne  clair-obscur  des  vieilles  basiliques 

Filtre  à  peine  à  travers  les  fûts  mélancoliques 

Du  temple  indescriptible  habité  par  l'Hiver; 

Puis  tout  à  coup  des  traits  lumineux  fendent  l'air, 


170  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Et,  frappés  par  ces  traits  comme  par  un  bolide. 
Le  frimas  étoile,  le  glaçon  translucide. 
Reprennent  leur  éclat;  et  notre  œil  éblou 
S'enivre  de  nouveau  d'un  spectacle  inouï. 

Que  ne  saurait  décrire  aucune  langue  humaine 

Quel  prodige  !...  Toujours  une  nouvelle  scène 
Du  long  panorama  dessiné  par  le  gel 
Se  déroule  au  sommet  du  grand  bois  solennel. 
Comme  un  drapeau  géant  tissé  de  blanche  soie 
Sous  la  mitraille  d'or  du  soleil  qui  flamboie. 
Tantôt,  aux  vifs  rayons  qui  pleuvent  du  ciel  bleu, 
L'immensité  s'embrase  :  on  croirait  que  le  feu 
Dévore,  comme  en  juin,  la  forêt  centenaire. 
Tantôt,  dans  plus  d'un  arbre  inondé  de  lumière. 
Par  un  mystérieux  et  magique  travail, 
La  branche  se  transforme  en  rameau  de  corail. 
Tantôt  le  chêne  altier,  qu'hier  tordait  Eole, 

Prend  l'aspect  d'une  immense  et  riche  girandole 

Tout  ce  que  le  ciseau  patient  du  sculpteur 
Dans  le  marbre  glacé  sait  créer  d'enchanteur 
En  ciselant  le  lis,  le  lotus  et  l'acanthe, 
Scintille  sous  les  arcs  de  la  forêt  géante. 
Tout  ce  que  le  ciseau  du  maître  à  l'œil  de  feu 
Peut,  comme  un  blanc  reflet  de  la  maison  de  Dieu, 
Déployer  sur  le  mur  qui  doit  porter  la  fresque. 

Est  bien  pâle  à  côté  de  ce  tableau  dantesque 

Mais  peut-être  demain  le  grand  flambeau  des  cieux 
Fera  fondre  les  fleurs  du  givre  radieux. 
Et  tout  ce  vaste  éclat  de  prodige  et  de  rêve 
Devra  passer  ainsi  que  la  jeunesse  brève 
Qui,  reflétant  les  feux  du  soleil  des  amours, 
Eblouit  un  instant  et  s'éteint  pour  toujours. 

W.  Chapman. 


Les   origines   de   notre    histoire 
parlementaire 


Lacunes  dans  les  comptes  rendus  du  parlement  anglais 
au  X Ville  siècle.— Comment  il  serait  possible  de  les 
combler. — Découvertes  faites  par  M.  Paul  Mantoux. 
—Le  français  langue  des  tribunaux  en  Angleterre 
jusqu'en  1731. 

Personne  ne  contestera  au  Parlement  de  la  Grande- 
Bretagne  le  titre  que  lui  a  décerné  l'histoire.  Cette  auguste 
assemblée  est  bien  "  la  mère  des  parlements."  De  toutes 
les  anciennes  comices  féodales  c'est  la  seule  qui  se  soit 
normalement  développée.  Depuis  la  conquête  normande, 
on  peut  suivre  son  évolution  de  siècle  en  siècle  jusqu'à  nos 
jours.  Nous  possédons  pour  cette  étude  deux  documents 
précieux  :  "L'Histoire  parlementaire,"  compilation  de  Cob- 
bett,  en  trente-six  volumes,  publiée  en  1806,  et  embrassant 
la  période  de  1058  à  1804,  et  les  comptes  rendus  parlemen- 
taires de  Hansard  et  de  ses  successeurs,  formant  une  suite 
ininterrompue  de  1804  jusques  à  aujourd'hui  :  (l) 

L'historien  soucieux  de  la  précision  scientifique  peut 
accepter  presque  sans  réserve  les  comptes  rendus  du  dix- 
neuvième  siècle.  Us  sont  suffisants  ;  les  lacunes  graves,  les 
erreurs  absolues  y  sont  rares.  Oa  ne  saurait  en  dire  au- 
tant de  l'histoire  parlementaire  de  Cobbett,  et  cela  pour 
plusieurs  raisons.  Cette  œuvre  considérable  devait  néces- 
sairement s'appuyer  sur  des  sources  plus  anciennes,  dont 
elle  n'est  en  fait  qu'une  collection  ordonnée  et  jusqu'à  un 
certain  point  contrôlée  par  les  compilateurs.  Les ''jour- 
naux" (procès-verbaux)  de  la  Chambre  des  Lords  et  de  la 
Chambre  des  Communes,  dont   la  publication  commença 


(1)   lyuke  Hansard  n'était  que  l'imprimeur  des  débats,  mais  la  série 
n'en  porte  pas  moins  son  nom. 


172  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle, — mais  dont  la  série 
authentique  remonte  beaucoup  plus  loin, — nous  donnent 
bien  le  texte  des  motions  et  des  amendements,  ainsi  que  le 
résultat  des  votes  ou  divisions  ;  et  à  ce  point  de  vue  "  l'his- 
toire parlementaire  "  est  irréprochable.  Elle  laisse,  par 
eontre,  beaucoup  à  désirer  pour  ce  qui  est  des  débats  pro- 
prement dits  dans  les  deux  Chambres,  jusqu'à  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle.  L'absence  des  discours  historiques  de 
certains,  grands  parlementaires  est  particulièrement  re- 
grettable. 

Avant  le  dix-neuvième  siècle,  celui  qui  osait  publier  les 
débats  du  parlement  se  trouvait  par  ce  fait  coupable  d'un 
délit  et  passil)le  d'amende  et  d'emprisonnement.  Pour  être 
admis  à  assister  aux  séances,  il  fallait  obtenir  un  permis 
spécial  et  cette  faveur  était,  la  plupart  du  temps,  réservée 
à  de  grands  personnages,  parmi  lesquels  il  faut  mention- 
ner particulièremenc  les  diplomates  accrédités  des  puis- 
sances étrangères. 

Naturellement,  le  public  désirait  vivement  se  tenir  au 
courant  de  l'œuvre  législative  et  du  mouvement  politique. 
Aussi,  malgré  l'interdiction,  s'est-il  trouvé,  à  toutes  les 
époques,  mais  dans  l'avant-dernier  siècle  surtout,  des  gens 
qui  ont  transcrit,  tant  bien  que  mal,  certains  discours  im- 
portants et  qui  se  sont  efforcés  de  fixer  la  physionomie  de 
plusieurs  séances  mémorables.  Dans  ces  comptes-rendus, 
imprimés  tels  quels  par  Cobbett  et  ses  collaborateurs,  les 
lacunes  sont  innombrables.  C'est  ainsi,  pour  ne  citer 
qu'un  exemple  en  passant,  que  les  grands  discours  du  pre- 
mier Pitt  (Lord  Chatham)  n'y  figurent  en  aucune  façon  et 
semblent  perdus  pour  la  postérité,  la  censure  étant  devenue 
très  sévère  à  l'époque  la  plus  brillante  de  sa  carrière. 
D'autre  part,  les  collaborateurs  parlementaires  du  London 
Magazine  et  du  Gentleman' s  Magazine^  où  sont  surtout  con- 
signés ces  articles,  n'assistaient  pas  toujours  aux  séances  à 
cause  du  huis-clos  qui  excluait  souvent  le  public,  et  aussi 
des  huissiers  qui  connaissaient  les  nouvellistes  et  qui  les 
faisaient  sortir  sous  le  moindre  prétexte.  Ceux-ci  se  ren- 
seignaient  comme   ils   le    pouvaient   et   faisaient  souvent 


LES  ORIGINES  DE  NOTRE  HISTOIRE  PARLEMENTAIRE       178 

œuvre  d'imagination.  Ce  jugement  n'a  du  reste  rien  de 
désobligeant  pour  ces  écrivains  qui,  entourés  de  difficultés 
presque  insurmontables,  ont  cependant  réussi  à  produire 
une  oeuvre  historique,  précieuse  en  somme,  bien  que  très 
incomplète  et  souvent  inexacte.  Dans  ces  conditions,  il 
n'est  pas  surprenant  que  la  plupart  des  discours  qui  nous 
sont  ainsi  parvenus  paraissent  ternes  ;  mais,  d'autre  part, 
ils  s'élèvent  parfois  à  une  haute  éloquence  sous  la  plume 
d'un  homme  supérieur  comme  Samuel  Johnson,  sans  être 
pour  cela  plus  authentiques.  C'est  Johnson  lui-même  qui 
nous  en  avertit  sous  une  forme  assez  plaisante  dans  ses 
mémoires,  (i)  Il  reste  donc  acquis  que  les  sources  connues 
jusqu'à  présent  des  anciens  débats  du  Parlement  laissent 
beaucoup  à  désirer. 

Regrettables  au  point  de  vue  général  de  l'histoire,  ces  la- 
cunes sont  vraiment  déplorables  en  ce  qui  regarde  les  ori- 
gines de  la  domination  anglaise  au  Canada.  On  trouve- 
rait en  effet  dans  l'histoire  parlementaire  complète  du  dix- 
huitième  siècle  la  genèse  de  cette  politique  qui  a  préludé  à 
la  conquête,  et  aussi  celle  de  toutes  les  anciennes  luttes  cons- 
titutionnelles dans  notre  pays.  Même  dans  son  état  in- 
complet nous  pouvons  y  relever  des  faits  importants,  no- 
tamment cette  loi  si  intéressante  de  l'année  1731  décrétant 
"  That  ail  proceedmgs  in  Courts  of  Justice  shall  he  in  the  Efiglish 
anguâgeJ'  Mesure  capitale  au  point  de  vue  de  la  langue 
dont  on  devra  se  servir  dans  la  colonie  qui  sera  conquise 
trente  ans  plus  tard.  Les  adversaires  du  "  bili,"  dit  l'his- 
toire parlementaire,  affirmaient  qu'une  telle  loi  ferait  per- 
dre la  tradition  légale  tout  en  multipliant  outre  mesure  le 
nombre  des  avocats.  On  leur  répondait  que  la  tradition 
ne  courait  aucun  danger  et  qu'on  saurait  bien  limiter  par 
d'autres  mesures  le  nombre  des  hommes  de  loi.  Et  voilà 
tout.  Ce  sont,  on  le  voit,  des  généralités  qui  n'éclairent 
que  faiblement. 


(1)  Dans  la  préface  des  débats  rapportés  par  Henry  Cavendish,  M. P. 
(1768-1771)  reconstituant  en  partie  "  The  Unreported  Parliament,"  il 
est  dit  :  "  Au  moins  celui-ci  n'était  pas  exposé  à  être  mis  à  la  porte  au 
milieu  d'un  discours." 


174  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Pourtant,  le  seul  fait  qu'il  y  eut  opposition  à  l'usage  ex- 
clusif de  la  langue  du  pays  dans  les  plaidoiries,  indique 
déjà  quelle  large  place  le  français  occupait  encore  à  cette 
époque  dans  la  vie  publique  en  Angleterre.  Les  expres- 
sions et  les  formules  parlementaires,  celles  du  Conseil 
privé,  les  vocabulaires  aristocratique,  militaire,  municipal 
et  surtout  judiciaire  venaient  de  source  française  et  la 
langue  elle-même  subsistait  jusqu'à  un  certain  point.  Avant 
1731,  disent  Pollock  &  Maitland,  dans  leur  histoire  du 
droit  anglais,  on  se  servait  du  latin  et  du  français  comme 
de  l'anglais  devant  les  cours  de  justice. 

Séance  mémorable,  certes,  que  celle  où  s'est  accomplie 
cette  espèce  de  prise  de  possession  de  la  langue  nationale. 
La  date  relativement  récente  de  l'événement  explique 
peut-être  l'exclusivisme  absolu  et  intolérant  du  parler 
qu'on  remarque  dans  certains  milieux  anglo-saxons.  On 
a  dû  pourtant,  au  cours  du  débat,  faire  observer  que  s'il 
était  juste  et  avantageux  de  s'en  tenir  à  la  langue  nationale 
en  Angleterre,  il  serait,  par  contre,  malheureux  d'oublier  la 
française  dont  elle  dérive  en  si  grande  partie.  L'anglais 
classique,  dit-on  à  Oxford,  s'inspire  du  latin  et  du  français 
comme  du  saxon.  Ces  sources  diverses  l'enrichissent  et  en 
font  un  instrument  perfectionné  pour  la  transmission  de  la 
pensée. 

Qu'il  eût  été  intéressant  de  connaître  sur  ce  point  l'avis 
de  Walpole,  de  Pelham,  de  Wyndham,  de  Pulteney  et  sur- 
tout de  Chatham,  au  moment  où  il  se  préparait  à  une  lutte 
à  mort  contre  la  suprématie  française,  Chatham  dont  le 
geste  dominera  à  jamais  la  destinée  du  nouveau  monde, 
changée  par  ses  efforts. 

Mais  ce  n'est  là  qu'un  point  de  vue  spécial.  Nous  plaçant 
sur  un  terrain  plus  élevé,  n'est-il  pas  manifestement  im- 
portant de  pouvoir  suivre  de  très  près  le  fonctionnement 
du  parlementarisme  dans  une  crise  vitale  comme  celle 
provoquée  par  Chatham  ?  Bien  que  gênée  par  l'ingérence 
d'un  monarque  capricieux,  l'institution  se  révéla  puissante 
en  face  du  régime  absolutiste  français  soumis  à  toutes  les 
influences   corruptrices   et    désorganisants.     Nous   savons 


LES  ORIGINES  DE  NOTKE  HISTOIRE  PARLEMENTAIRE       175 

cela  d'une  manière  générale,  mais  les  détails  nous  font 
défaut. 

Afin  de  pouvoir  juger  de  la  portée  de  l'oeuvre  accomplie 
plus  tard  par  le  groupe  constitutionnel  canadien,  n'est-il 
pas  essentiel  de  connaître  le  fond  de  la  pensée  de  Chatham 
et  celle  de  son  fils,  plus  grand  encore  ?  Ils  incarnent  tous 
deux  l'aspiration  de  ce  peuple  qui,  suivant  l'ambassadeur 
français  Nivernois,  "  se  compare  volontiers  aux  Romains, 
qui  possède  effectivement  leur  orgueil  et  leur  entêtement, 
en  même  temps  que  l'âpreté  et  l'égoïsme  des  Carthagi- 
nois." (l)  On  connaît  l'esprit  qui  animait  alors  les  vain- 
queurs, dont  quelques-uns  prétendaient  pousser  les  consé- 
quences de  la  conquête  du  Canada  jusqu'à  dépouiller  les 
seigneurs  et  toute  la  population  du  Canada  et  de  l'Acadie 
de  leurs  propriétés  en  terres  (2).  La  connaissance  des  dé- 
bats qui  ont  manifesté  cet  état  d'esprit  serait  utile.  On 
saurait  mieux  alors  la  vraie  nature  de  ces  ressentiments  que 
les  Canadiens  eurent  à  vaincre  par  leur  attitude  calme  et 
conciliante,  mais  ferme  et  comportant  l'adaptation  à  leurs 
besoins  de  l'admirable  instrument  de  gouvernement  que 
leur  apportait  l'Angleterre. 

Toute  l'histoire,  toute  la  vie  nationale  canadienne 
tiennent  ainsi  par  certains  côtés  à  cette  époque 
mal  connue  de  l'histoire  parlementaire  britannique. 
Les  sources  anglaises  semblent  épuisées.  "La  vie  de 
Chatham,  dit  Lord  Roseberry,  est  extrêmement  difficile 
à  écrire  ;  à  vrai  dire  on  ne  pourra  jamais  l'écrire,"  (3)  Green, 
Macaulay,  Thackeray  et  plusieurs  autres  constatent  le 
même  fait,  non  seulement  pour  la  carrière  de  Chatham, 
mais  pour  toute  l'histoire  parlementaire  de  1737  à  1800, 
époque  qui  nous  intéresse  particulièrement.  C'est  en  1737 
que  Chatham  entre  en  scène  et  que  commence  le  duel  tita- 
nique  qui  valut  à  l'Angleterre  la  possession  de  l'Amérique 
française.     Pour  comprendre   dans  quelles  conditions  s'est 


(1)  Archives  du  ministère  des  Affaires  étrangères,  Tome  447  (1763). 

(2)  (Ibid). 

(1)   Lord  Chatham,  his  early  life  and  charaeter,  London,  1910. 


176  LA    REVUE    FRANCO -AMÉRICAINE 

faite  la  lutte,  et  nous  rendre  compte  de  la  situation  où  s'est 
trouvé,  à  la  paix,  le  groupe  français  resté  dans  la  colonie, 
il  faudrait  savoir  aussi  exactement  que  possible  ce  qui 
s'est  passé  au  Parlement  avant  et  après  cette  époque. 

Or  nous  constatons  que  cette  période  de  l'histoire  parle- 
mentaire est  particulièrement  difficile  à  rétablir.  De  1730 
à  I743>  les  collections  du  London  Magazine  et  du  Gentleman^ s 
Magazine  sont  peu  sûres  et  ne  touchent  guère  aux  questions 
qui  nous  intéressent  le  plus.  De  1743  à  1774  la  collection 
Almon,  qui  fait  suite  aux  rapports  de  Samuel  Johnson, 
laisse  encore  plus  à  désirer.  Nous  arrivons  ainsi,  toujours 
dans  les  ténèbres,  ou  plutôt  dans  un  crépuscule  historique, 
jusqu'à  l'époque  de  l'Acte  de  Québec  (1774)  et  de  l'Acte 
Constitutionnel  (1791). 

Telle  est  la  situation.  Comme  on  le  voit,  il  y  a  là  une 
réelle  lacune  à  combler.  Est-il  possible  de  reconstituer  ces 
débats  parlementaires  qui  éclaireraient  d'une  si  vive  lu- 
mière certains  côtés  de  notre  histoire?  Peut-être,  jusqu'à 
un  certain  point,  pouvons-nous  répondre.  Il  existe,  en  effet, 
d'autres  sources  auxquelles  l'on  ne  semble  pas  avoir  songé 
en  Angleterre. 

Nous  savons  que  les  ambassadeurs  et  certains  autres 
membres  du  corps  diplomatique  se  trouvaient  parmi  les 
privilégiés  admis  aux  séances  du  parlement.  Or  les  am- 
bassadeurs ont  pour  mission  de  renseigner  leurs  gouverne- 
ments sur  ce  qui  se  passe  dans  les  pays  auprès  desquels  ils 
sont  accrédités.  Il  devait  en  être  ainsi  surtout  à  cette 
époque  où  les  feuilles  publiques  étaient  bien  rares  et  les 
comptes  rendus  officiels  inconnus.  Deux  grands  souverains 
régnaient  alors  en  Europe  :  Catherine,  en  Russie,  et  Frédé- 
ric, en  Prusse.  Tous  deux  avaient  un  intérêt  direct  à  con- 
naître par  le  menu  ce  qui  se  passait  au  Parlement  Anglais. 
La  Prusse,  l'Autriche,  la  Hollande  touchaient  des  subven- 
tions pour  combattre  la  France.  La  France  elle-même, 
faisant  face  à  l'Europe,  devait  exiger  de  son  représentant 
des  renseignements  détaillés. 

Nos  archives  n'ont  encore  rien  recueilli  à  ce  sujet. 
L'abbé  Verreau  a  dépouillé  les  années  1761,   1762,   1763  et 


LES  ORIGINES  DE  NOTEE  HISTOIRE  PARLEMENTAIRE       177 

1764  des  archives  du  ministère  des  Affaires  étrangères  de 
France.  Mais  son  travail,  bien  que  fort  important,  ne 
touche  en  aucune  manière  aux  débats  parlementaires 
anglais,  car  il  s'est  attaehé  surtout  à  l'époque  où  ces  comp- 
tes rendus  étaient  interrompus  à  cause  de  la  guerre  qui 
avait  naturellemeat  mis  fin  aux  relations  diplomatiques. 

D'autres  chercheurs  sont  allés  plus  loin  et  nous  savons 
aujourd'hui,  qu'en  France  au  moins,  il  existe  toute  une  sé- 
rie de  comptes  rendus  parlementaires  anglais  inédits.  Un 
écrivain  distingué,  M.  Paul  Mantoux,  porte  à  notre  atten- 
tion dans  un  livre  récent  (l)  l'importance  de  la  "corres- 
pondance politique  "  dans  la  série  "  Angleterre  "  des  Ar- 
chives du  ministère  des  Affaires  étrangères  de  France. 
Cette  correspondance,  dit-il,  contient  de  nombreux  comptes 
rendus  du  Parlement  anglais  inégalement  repartis  parmi 
les  volumes  du  XVIIIe  siècle.  Leur  importance  historique, 
ajoute  t-il  d'ailleurs,  serait  médiocre,  si  nous  possédions 
d'autre  part  un  texte  complet  et  sûr  des  débats  parlemen- 
taires antérieurs  au  XIXe  siècle.  Nous  avons  déjà  constaté 
que  ce  texte  n'existe  pas. 

Mais,  fait  observer  M.  Mantoux,  "si  ces  comptes-rendus 
sont  parfois  courts  et  incomplets,  la  plupart  ont,  en  re- 
vanche, la  valeur  de  témoignages  directs  provenant  quel- 
quefois de  sources  officielles  et  qui,  dans  tous  les  cas,  n'ont 
nullement  été  empruntés  aux  publications  anglaises."  De 
nombreux  détails  sur  les  séances,  sur  la  manière  de  s'ex- 
primer des  orateurs  et  surtout  le  fait  que  les  dépêches  arri- 
vaient hebdomadairement  à  Paris,  tandis  que  les  maga- 
zines anglais  ne  paraissaient  que  chaque  mois,  établissent 
clairement  ce  point.  En  les  comparant  avec  l'œuvre  de 
Cobbett,  on  constate  que  certains  débats  transmis  en  France 
ne  se  trouvent  pas  dans  "l'histoire  parlementaire,"  que 
d'autres  sont  plus  détaillés  et  plus  précis  dans  les  dépêches 
de   l'ambassadeur    de   France.    Voilà    ce   aue  révèle    un 


(1)  Notes  sur  les  comptes  rendus  des  séances  du  parlement  anglais  du 
XVIIIe  siècle  conservés  aux  Archives  du  ministère  des  Affaires  étran- 
gères.   In-i2.  Paris.     V.  Giard  et  E.  Brière,  éditeurs,  1906, 


178  LA    REVUE    FRANOO-AMÉRICAINE 

examen  sommaire.  Le  livre  de  M.  Mantoux  contient  des 
extraits  fort  intéressants  mais  qui  ne  touchent  pas  directe- 
ment aux  choses  canadiennes,  car  il  ne  se  place  pas  au 
point  de  vue  spécial  qui  nous  occupe. 

Il  serait  certainement  fort  utile  de  faire  le  dépouillement 
de  ces  pièces  pour  enrichir  nos  archives,  et  de  consulter 
aussi  les  archives  d'autres  pays,  en  autant  qu'elles  peuvent 
être  accessibles,  pour  découvrir  la  nature  des  renseigne- 
ments qu'on  envoyait  à  Frédéric,  à  Catherine  et  à  d'autres 
souverains.  Même  si  nous  n'y  tVouvions  pas  de  documents 
portant  directement  sur  notre  pays,  elles  offriraient  cer- 
tainement un  grand  intérêt  au  point  de  vue  de  l'histoire  et 
des  traditions  parlementaires  de  la  Grande-Bretagne  qui  se 
perpétuent  et  se  continuent  au  Canada  comme  dans  la  mé-' 
ropole,  avec  des  adaptations  et  même,  disons-le,  des  amé- 
iorations  qui  ajoutent  encore  à  l'importance  et  à  la  saveur 
de  ces  records  anciens. 

Errdi  Bouchette. 


-:o:- 


Voix  d'Acadie 


Le  travail  d'assimilation 

TV 

L'Irlandais  est  bien  toujours  et  partout  le  même.  Le 
"  Mémoire  "  vengeur  du  comité  de  prêtres  de  Québec,  réfu- 
tant les  calomnies  d'OBrien,  archevêque  de  Halifax,  contre 
l'épiscopat  de  Québec,  montre  de  façon  irréfutable  la  mau- 
vaise foi  unie  à  la  méchanceté  froide  de  ces  obligés  des 
Français;  Inutile,  à  ce  sujet,  de  rappeler  l'entrevue  accor- 
dée à  l'envoyé  d'un  journal  de  Montréal  par  l'évêque  Walsh, 
entrevue  rapportée  dans  le  numéro  de  ce  journal  du  /  no- 
vembre dernier.  Mgr  Vv^alsh  y  proteste  de  son  tendre  amour 
pour  les  Français.  Qu'eût-ce  été.  Seigneur,  s'il  les  eût 
haïs  ?...  On  songe  à  ce  fait  conté  par  M.  l'abbé  Lacroix,  de 
Paris,  il  y  a  quelques  années,  dans  son  livre  :  Yankees  et 
Canadiens,  publié  à  la  suite  du  voyage  ici  fait  par  ce  prêtre 
distingué  vers  1892,  si  la  mémoire  de  l'ami  qui  me  cite  ce 
fait  est  fidèle.  M.  l'abbé  Lacroix  raconte  donc  qu'au  Ca- 
nada il  a  eu  l'honneur  de  faire  un  assez  long  trajet  en  che- 
min de  fer  en  compagnie  de  Mgr  Cameron,  évêque  d'Anti- 
gonish.  Apprenant  que  M.  l'abbé  Lacroix  était  de  Paris, 
l'évêque  lui  dit  avoir  une  grande  portion  de  son  troupeau 
de  langue  française.  Il  protesta  de  son  amour  pour  la  lan- 
gue et  pour  son  peuple  français  (du  Walsh  tout  pur!). 
Mais  j'appris  plus  tard,"  continue  M.  l'abbé  Lacroix,  "que 
cet  évêque  persécutait  ces  Français  qu'il  m'avait  dit  tant 
aimer.  Et  si  j'eusse  connu  ce  fait  avant  ma  conversation 
avec  lui,  je  ne  me  fusse  point  fait  défaut  de  lui  nanifester 
ma  surprise  et  mon  indignation."  Mgr  Cameron  était  un 
des  rares  Ecossais  à  l'esprit  étroit  qui  avaient  épousé  la 
haine  du  Français  à  l'école  de  l'Irlandais.  On  se  souvient, 
au  Canada  comme  en  Acadie,  des  mauvais  traitements  que 


180  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

cet  évêque  fit  subir  aux  meilleurs  de  nos  prêtres  acadiens 
de  son  diocèse  ajoutant  foi  aux  enseignements  de  l'Ecri- 
ture sainte  dans  son  récit  du  grand  prêtre  Matathias  et  de 
ses  fils  les  Macchabées.  M.  l'abbé  Guillaume  LeBlanc,  d'Ari- 
chat,  mort  en  1907,  fut  sa  dernière  victime. 

En  passant,  faisons  aussi  observer  que  ce  fut  cette  même 
méchanceté  froide  de  Mgr  Cameron,  uni  à  son  métropolitain 
l'archevêque  O'Brien  (toujours  !),  qui  poussa  ces  deux  pré- 
lats à  enlever  à  Arichat  le  siège  de  l'évêché  le  23  août 
1886,  parce  que  cette  ville  était ^trop  française,  pour  trans- 
porter ce  siège  à  Antigonish,  dans  des  conditions  de  véri- 
table injustice  relativement  à  certains  fonds... 

Ce  dernier  point  est  aussi  dans  les  traditions  constantes 
des  Irlandais.  Lisez,  dans  le  "Mémoire"  vengeur,  les 
vols  commis  au  détriment  des  nobles  Evêques  de  Québec 
"qui  n'avaient  même  pas  où  poser  la  tête,"  par  ce  Jones, 
grand  vicaire  d'Halifax,  prédécesseur  de  l'Edmund  Burke. 
Cela  commence  dès  la  page  80,  puis  l'accusation  se  précise 
avec  preuves  à  l'appui  pages  90,  91,  92,  93.  A  la  page  m, 
on  prouve  clairement  le  désir  de  Burke  de  mettre  le  grappin 
sur  l'argent  auquel,  d'aucune  manière,  ni  comme  homme 
ni  comme  prêtre,  il  ne  peut  toucher.  Voyez  ensuite  à  la 
page  119  la  haine  que  voue  ce  prêtre  au  prêtre  canadien- 
français  qui  a  fait  échouer  d'autres  plans  de  rapine,  de 
fiibusterie  du  futur  évêque  d'Halifax.  A  la  page  133,  Mgr 
Hubert,  évêque  de  Québec  démontre  au  Burke  l'injustice 
de  ses  aspirations.  La  page  215  laisse  planer  un  soupçon 
extrêmement  grave  sur  la  probité  de  ce  futur  évêque  : 
"  Gardait-il  pour  lui  les  dépôts  qui  lui  étaient  confiés  ?  " — 
Outre  le  cas  d 'Antigonish,  de  nos  jours,  n'avons-nous  pas 
aussi  le  cas  des  sommes  envoyées  de  France  pour  les  en- 
fants acadiens  et  les  Micmacs  et,  détournées  de  leur  but, 
allant  en  Irlande  servir  à  nous  préparer  d'autres  persécu- 
teurs.?— Et  les  évêques  assimilateurs  des  Etats-Unis... — 
Mais  toutes  ces  exactions,  ces  malversations  se  passent  au- 
jourd'hui, maintenant,  sous  nos  yeux  i  Seule,  Rome  semble 
ne  voir  ni  ne  comprendre. 
Qu'on  me  permette  une  petite  digression. 


VOIX  d'acadte  181 

Tous  les  lecteurs  de  la  REVUE  FranCO-AmeriCAINE  se 
rappellent  le  discours  prononcé  par  l'évêque  Fallon  devant 
tous  ses  prêtres,  il  y  a  quelques  mois.  Le  prélat  '^cow-boy  " 
se  vantait,  en  ce  discours,  de  n'obéir  ni  à  ceux  qui  sont  au- 
dessus  de  lui,  ni  à  plus  forte  raison  à  ceux  qui  sont  au- 
dessous  de  sa  grandeur.  "L'homme  est  souvent  puni  par 
où  il  a  péché,  dit  la  sainte  Ecriture.  Que  le  lecteur  savoure 
cette  petite  note  datée  de  Toronto  le  14  novembre  dernier 
et  qu'il  admire  la  vaillance  (?  !)  du  gnome  titubant  devant 
son  évêque  comme  certain  vicaire  de  l'Ile  Saint-Jean  de- 
vant le  Saint-Sacrement.  Encore  une  fois,  qu'est-ce  que 
Dieu  devant  ces  Fallon  et  ces  gnomes  1 

Voici  cette  dépêche  : 

Toronto,  14  nov.  191 1. — Le  Rév.  P.  J.  Gnam,  curé  de 
Wyoming,  en  a  appelé  de  la  décision  du  juge  McWatt, 
approuvant  Mgr  Fallon,  évêque  de  London,  de  le  rappeler 
de  sa  cure.  La  cause  sera  plaidée  devant  la  cour  de  Divi- 
sion. 

Mgr  Fallon  a  écrit  qu'il  s'était  vu  forcé  de  prendre  la  dé- 
cision de  rappeler  M.  Gnam,  à  cause  de  la  conduite  de  ce 
dernier  qui  fréquentait  les  buvettes  et  faisait  usage  de  li- 
queurs alcooliques. 

Si  ce  gnome  était  le  seul  de  son  espèce  !...  Hélas  !  ils  sont 
légion... 

Non,  l'Irlandais  n'a  pas  changé  :  il  est  bien  toujours  et 
partout  le  même.  Il  présente  une  caractéristique  toute  par- 
ticulière, propre  seulement  à  cette  nation.  Nous  y  sommes 
habitués,  nous  qui  sommes  nés  sur  ce  continent.  Mais  l'é- 
tranger en  est  frappé  et  ne  peut  en  cacher  son  indignation. 
Cette  caractéristique,  c'est  Vart  (.?  !)  de  calomnier.  J'entends, 
tout  ce  qui  a  trait  à  la  colomnie.  A  tout  crime,  il  y  a  le 
prologue  (si  j'ose  m'exprimer  ainsi)  où  l'on  trouve  les  mo- 
biles de  l'acte,  la  préméditation,  l'étude  du  plan.  Ensuite 
l'exécution,  à  laquelle  succèdent  le  châtiment  et  la  répara- 
tion. C'est  ici  que  se  distingue  le  génie...  rhauvais  de  THi- 
bernien.  Quelle  que  soit  la  réfutation  de  ses  calomnies, 
quel  que  soit  le  rang  social  de  celui  qui  les  a  réfutées  ;  en- 
core que  le  calomniateur  ait  paru  admettre  qu'il  n'est  qu'un 


182  LA  RJEVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

impudent  menteur,  il  ne  réparera  rien.  O'Brien  a  joué  mer- 
veilleusement ce  rôle  avec  le  Cardinal  Archevêque  de  Qué- 
bec :  il  a  frayé  la  voie;  les  Murphy,  les  Coleman,  les 
Devlin  et  autres  Walsh  et  Fallon  ont  emboîté  le  pas.  Ils 
faussent  l'histoire.  Ils  dénaturent  les  faits  les  plus  évidents. 
Ils  ridiculisent  les  peines  et  les  souffrances  de  nos  saints 
missionnaires.  Ils  croient  ternir  de  leur  bave  immonde  la 
blanche  hermine  de  nos  Evêques.  Ils  outragent  la  Papauté. 
Ils  blaguent  la  Divinité  par  leurs  chapel-cars...  Eux  seuls  sont 
sacro-saints.     Ils  veulent  être  adorés. 

Ils  construisent  ainsi  leur  Eglise  nationale.  Il  faut  bien 
que  les  voies  soient  préparées  au  Pontife  qui  viendra — afin 
qu'il  trouve  la  Religion  tout  à  fait  dépeuplée  sur  ce  continent 
comme  dans  les  vieux  pays.  L'Arabe  dirait:  "C'est  fatal  !" 
nous  ajouterions  :  "  Grâce  à  eux..." 

ENCORE  DES  FAITS 

Dans  nos  remarques  parues  en  cette  Revue  au  mois 
d'août  dernier,  nous  avons  montré  comment  l'esclave  de- 
venu libre  entend  la  liberté  pour  les  autres.  J'ai  parlé  du 
beau  comté  français  de  Kent  et  j'y  reviens.  J'ai  dit  ce  qui 
se  passait  lors  des  élections.  Si  les  magistrales  raclées 
administrées  à  ces  ivrognes  par  nos  gens  ont  diminué  quel- 
que peu  les  assauts,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'il  se  pro- 
duit encore  des  bagarres. 

M.  Renaud,  Français  de  France,  ai-je  dit,  fut  le  premier 
député  fédéral  élu  par  les  Acadiens. 

Lors  d'une  de  ses  campagnes — je  ne  puis  me  rappeler  la 
date  exacte,  ce  qui  importe  peu  du  reste — ,  il  revenait  cer- 
taine nuit  de  Richibouctou  à  Bouctouche  où  il  résidait. 
Les  ennemis,  embusqués  derrière  des  arbres,  l'attendaient. 
Dès  que  la  voiture  parvint  à  leur  hauteur,  ils  tirèrent  sur 
lui  :  une  balle  traversa  la  manche  de  son  habit. 

L'un  des  principaux  citoyens  du  comté,  né  à  Saint-Louis, 
d'une  des  plus  respectables  familles  d'Acadie,  M.  Jean 
Vautour,  homme  très  capable,  obtint  par  l'entremise  du  dé- 
puté acadien  M.  Renaud,  de  sir  Georges-E.  Cartier,  alors 
ministre  des  Postes,  la  position  de  percepteur  des  Postes  à 


I 


VOIX  d'acadie  1H3 

Richibouctou.  C'était  aussi  le  premier  Acadien  parvenant 
à  un  emploi  enviable  du  gouvernement.  Cela  ne  faisait 
point  l'affaire  des  ennemis  du  nom  français.  Aussi  presque 
chaque  soir,  et  durant  longtemps,  M.  Vautour  se  vit  en  butte 
aux  pires  traitements.  Cachés  derrière  des  murs  ou  profi- 
tant des  nuits  très  obscures,  les  malandrins  lançaient  contre 
le  bureau  des  pierres  énormes,  brisant  les  fenêtres,  mettant 
en  danger  les  jours  de  M.  Vautour. 

Un  soir  qu'il  se  rendit  en  voiture  au  bureau  pour  affaires, 
un  vaurien  lui  lance  une  pierre,  de  près  de  cinq  livres!  avec 
tant  de  force  qu'elle  lui  brise  sa  montre  d'or.  Le  coup, 
heureusement,  ayant  été  amorti  par  la  montre,  ne  fut  point 
mortel.  Et,  quoique  gravement  blessé,  M.  Vautour  se  ren- 
dit à  son  bureau. 

Il  ne  pouvait  plus  hésiter.  Il  fit  donc  rapport  de  tous  ces 
faits,  de  l'imminence  du  danger  pour  lui,  à  son  chef,  sir 
Georges-E.  Cartier.  Immédiatement  le  ministre  lui  répon- 
dit, lui  donnant  instruction  formelle  de  tuer  le  premier  qui 
oserait  encore  l'attaquer,  lui  promettant  que  le  gouverne- 
ment le  protégerait. 

M.  Vautour  fit  faire  des  affiches  contenant  cet  ordre  du 
ministre  et  les  fit  apposer  par  toute  la  ville.  "  La  crainte  du 
fusil  est  le  commencement  de  la  sagesse"  du  fusil  de  la 
verte  Erin  :  les  attaques  contre  M.  Vautour  cessèrent  aussi- 
tôt. 

Le  comté  de  Kent  est  riche  en  faits  de  ce  genre— richesse 
peu  enviable  !  Je  me  permettrai  d'en  rapporter  de  temps  à 
autre  si  je  ne  suis  pas  lapidé  d'ici-là. 

Voilà  les  gens  qui  fournissent  ce  que  leurs  évêques  ont 
baptisé  du  nom  baroque  de  timber  à  faire  des  ministres  du 
Dieu  de  paix  et  d'amour. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  le  comté  de  Kent  que  se  pro- 
duisent les  actes  de  sauvagerie  dont  j'ai  donné  quelques 
exemples.  C'est  partout.  Vous-mêmes,  dans  la  province 
de  Québec,  vous  n'en  êtes  pas  exempts.  Cela  ne  vous  cor- 
rige pas  plus  que  nous,  et,  tout  aussi  stupidement  que  nous, 
vous  trouvez  moyen  de  pousser  ces  énergumènes,  sous  le 
prétexte,   adorable   de    bêtise    humaine,"    qu'il    faut   être 


184  LA    REVUE    FRANCO-AMERICAINE 

large..." — C'est  ainsi  que,  doucement  mais  sûrement,  nous 
nous  suicidons.  Nous  le  savons,  nous  le  voyons,  nous  le 
sentons.  Est-ce  que  ce  serait  à  notre  race  que  s'applique- 
rait la  parole  de  Virgile  :  Ouos  vult  perdere  Jupiter  dementatf 
— Malheur  de  vous,  en  ce  cas  !... 

OU  LES  COUPS  CONTINUENT 

Le  grand  comté  de  Northumberland  ne  compte  guère 
qu'un  quart  de  Français.  Je  ne  m'v  arrête  pas  aujourd'hui, 
pour  arriver  tout  de  suite  au  beai^  comté  de  Gloucester  aux 
trois  quarts  et  plus  français. 

Le  chef-lieu  de  ce  comté  est  Bathurst,  jolie  petite  ville  où 
à  l'origine  l'Irlandais  dominait.  Plus  au  sud  se  trouve  la 
paroisse  municipale  d'Inkerman,  mieux  connue  sous  le  nom 
de  Pokemouche.  C'est  le  meilleur  centre  agricole  du  comté. 
Je  fus  témoin  oculaire  de  ce  que  je  vais  rapporter.  J'étais 
alors  bien  jeune. 

Dès  que  l'automne  arrive,  c'est  la  coutume  de  se  réunir 
plus  ou  moins  nombreux  tantôt  chez  l'un,  tantôt  chez  l'autre, 
afin  de  passer  le  plus  agréablement  possible  les  longues 
veillées.  Presque  chaque  fois,  ces  réunions  toutes  paisibles 
étaient  troublées  par  les  Irlandais  pleins  de  whiskey  qui 
s'emparaient  même  avec  des  violences  regrettables  des 
maisons  où  s'amusaient  les  nôtres.  Quand  les  nôtres  étaient 
prévenus  à  temps,  ils  se  préparaient  en  conséquence  et  re- 
cevaient magistralement  les  assaillants,  forts  seulement 
lorsqu'ils  étaient  dix  contre  un.  Toute  la  population  de 
langue  anglaise  ne  formait  pas  un  quart  de  la  paroisse. 
Les  Anglais  eux-mêmes  vivaient  en  très  bonne  intelligence 
avec  les  Français  et  ne  prenaient  jamais  part  aux  sauvage- 
ries de  leurs  ilotes.  Ces  attaques  des  voyous  irlandais  de- 
vinrent si  graves,  les  lois  nous  protégeaient  si  peu,  la  note 
des  tribunaux  était  si  élevée  et  les  procès  duraient  si  long- 
temps, que  les  Français  finirent  par  où  ils  eussent  dû  com- 
mencer :  s'exercer  et  se  défendre  eux-mêmes.  La  jeunesse 
d'alors  se  mit  à  l'étude  de  la  boxe,  elle  s'adonna  au  pugilat. 
Nos  jeunes  gens  devinrent  si  forts  qu'un  seul  d'entre  eux 
mettait  aisément  à  mal  cinq  ou  six  de  ces  fier-à-bras.     Il  ne 


VOIX  d'acadie  185 

fallut  pas  une  génération  pour  en  arriver  à  ce  résultat, 
croyez-le  bien.  Et  bientôt,  nos  jeunes  gens  prouvèrent  par 
les  a,rguments  frappants — si  efficaces  auprès  de  nos  enne- 
mis— que  si  charbonnier  est  maître  chez  soi,  les  Acadiens 
entendaient  jouir  du  privilège  du  dit  charbonnier.  Les  Ir- 
landais, dès  lors,  commencèrent  à  réfléchir.  Que  de  horions 
ils  reçurent  pour  en  arriver  à  comprendre  le  précepte  de  la 
sagesse  des  nations  ! 

A  cette  époque— il  y  a  un  demi-siècle  environ — ,  il  n*y 
avait  à  Pokemouche  qu'un  seul  marchand  acadien,  le  pre- 
mier jusqu'alors.  Désireux  de  donner  une  bonne  instruc- 
tion à  ses  enfants,  il  les  enseignait  lui-même,  puis  décida 
d'en  envoyer  un  au  moins  à  Halifax,  les  collèges  étant 
rares  alors,  aucun  de  notre  langue  n'existant  encore.  Celui 
qui  fut  envoyé  à  Halifax  n'avait  pas  20  ans.  Il  demeura 
deux  ans  à  la  capitale  de  la  Nouvelle-Ecosse  et,  à  ses  études, 
joignit  un  cours  extrêmement  complet  de  boxe.  Revenu  au 
foyer  paternel,  il  eut  bientôt  l'occasion  de  montrer  son  sa- 
voir-faire et,  après  quelques  rencontres,  il  devint  la  ter- 
reur des  Irlandais.  Dans  une  bagarre  quelconque,  son  nom 
seul  jeté  dans  la  mêlée  par  l'un  des  nôtres  amenait  la  fuite 
des  assaillants. 

C'était  un  spectacle  réjouissant  !  Je  pourrais  citer  le  nom 
de  ce  brave  :  qu'il  me  suffise  de  vous  dire  qu'il  me  touche 
de  très  près. . . 

Je  passe  à  un  fait  assez  tragique  que  je  prends  entre 
cent  autres. 

Il  y  a  des  années. . .  pas  bien  des  années,  depuis  la  Con- 
fédération, un  de  nos  compatriotes  fut  nommé  par  le  gou- 
vernement fédéral  comme  officier  garde-pêche.  Il  devait 
surveiller  les  seines.  Un  dimanche,  il  en  saisit  une  certaine 
quantité  qui,  on  le  sut  bientôt,  appartenaient  à  quelques  fa- 
milles irlandaises  de  la  paroisse.  Cette  saisie,  jointe  à  la 
haine  du  Français  choisi  à  ce  poste  au  lieu  d'un  des  leurs, 
exaspéra  ces  gueux.  Ils  résolurent  donc  d'attenter  mêm.e  à 
la  vie  de  l'officier.  Ce  n'était  pas  assez.  Ils  formèrent  le 
complot  de  ruiner  sa  famille. 

Cet  officier,  fermier  très  à  Taise,  venait  d'achever  la 


186  LA    REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

construction  d'une  grande  et  belle  grange  de  quelques  mil- 
liers de  piastres.  Un  soir,  quatre  ou  cinq  de  ces  ennemis 
de  tout  ordre  et  de  toute  liberté  se  concentrent.  Ils  ont  pu- 
bliquement vociféré  des  menaces  de  toute  sorte  contre  les 
propriétés  et  la  vie  de  l'officier — grâce  à  l'excellence  de  nos 
lois,  à  la  protection  qu'elles  semblent  assurer  tout  spéciale- 
ment aux  criminels.  L'officier  et  sa  famille  venaient  de  se 
coucher  lorsque  le  feu  éclata  soudain  aux  dépendances. 
Les  incendiaires  menacent  du  fusil  le  brave  officier,  vic- 
time de  son  devoir.  En  peu  de'^temps  maison,  écuries,  re- 
mises, récoltes,  tout  est  anéanti  :  à  grande  peine  la  famille 
peut-elle  échapper  saine  et  sauve. 

Une  enquête  s'ouvre.  Ceux  qui  s'étaient  publiquement 
montrés  comme  auteurs  du  crime  sont  soupçonnés  et  arrêtés 
mis  en  prison  en  attendant  un  procès.  Le  procès  s'instruit. 
Le  curé  de  la  paroisse  (ce  n'était  pas  un  Français),  à  peine 
le  crime  consommé,  le  flétrit  en  chaire,  en  dénonce  les  fau- 
teurs, disant  qu'ils  doivent  être  traduits  devant  les  tribunaux 
pour  être  punis.  Il  ajoute  qu'il  connaît  les  coupables  (ce 
qui  n'était  un  mystère  pour  personne). 

Ce  beau  mouvement  ne  se  produisit  que  cette  seule  fois. 
Y  eut-il  des  menaces  faites  à  ce  prêtre  1. . .  ou  d'autres 
raisons  ?. . . 

Il  refusa,  depuis  lors,  de  s'occuper  aucunement  de  cette 
affaire. 

Il  fallut  choisir  le  jury.  Le  shérif  a  bien  le  droit  de  nom- 
mer ses  hommes — pourvu  que  le  choix  soit  impartial  et 
que  l'idée  de  justice  domine  dans  ce  choix. — Je  dois  ob- 
server que  ce  Shérif  n'était  pas  un  Anglais  :  je  veux  dire 
par  là  que  c'était  un  Irlandais  ou  un  Français.  Chose 
ignoble,  tout  le  jury  fut  choisi  parmi  les  Irlandais,  il  n'y 
eut  pas  un  seul,  que  je  sache,  de  ses  membres  qui  fût 
français.  Le  prêtre  de  la  paroisse  avait-il  mis  la  main 
à  cela  1 , ..  Mystère  ! . . . 

Vous  avez  déjà  prévu  l'issue  de  ce  procès  scandaleux  : 
les  incriminés  furent  libérés. . .  Voilà  nos  lois  ! — Ce  cas 
est  un  cas  de  pénitencier  pour  la  vie  :  ces  brutes  en  sorti- 
rent presque  glorifiées. . .  Le  gouvernement  indemnisa-t-il 


VOIX  d'acadie  187 

son  fidèle  serviteur  ? . . .  —  Croyez-le,  et  buvez  de  l'eau 
fraîche  si  le  cœeur  vous  en  dit. 

Le  curé  de  la  paroisse,  s'étant  attiré  la  disgrâce  de  ses. . . 
torcols  par  un  sermon  dans  lequel  il  s'oublia  au  point  de 
leur  rappeler  leurs  devoirs,  prêchait  à  la  grand* riiesse  le 
dimanche  suivant  :  la  servante  était,  elle  aussi,  à  la  messe. 
Elle  avait  préparé  la  table  pour  le  dîner. 

La  douce  canaille  (je  ne  parle  pas  de  la  servante),  qui  se 
tient  de  préférence  au  dehors  de  l'église  pendant  les  offices 
pour  mieux  préparer  ou  jouer  ses  tours,  se  rendit  à  la  grange 
du  curé,  vola,  brisa  tout  ce  qui  s'y  trouvait,  passa  au  pres- 
bytère, y  mit  la  table  en  pièces,  cassa  plats  et  soupière,  la 
vaisselle,  saccagea  à  son  goût.  Après  la  messe,  ces  braves 
prirent  la  fuite  sans  laisser  d'adresse. 

La  hiérarchie  irlandaise  affiche  ouvertement  son  mépris 
de  l'autorité  de  Rome  :  l'exemple  venant  ainsi  de  ces  gens- 
là,  ils  ne  doivent  pas  s'étonner  que  leurs  congénères  les 
imitent.     C'est  bien  qu'ils  récoltent  ce  qu'ils  ont  semé. 

Par  ce  qui  précède,  vous  pouvez  vous  imaginer  facile- 
ment l'énorme  quantité  d'excellent  "timber"  qu'ils  possè- 
dent pour  y  tailler  des  O'Brien,  des  Walsh  ou  des  Fallon  î 

V.-A.  Landry. 


:o: 


La   politique   canadienne   et    les  Cana- 
diens-Français. 


IL — Questions  actuelles. 

L— L'exploitation  dès  préjugés. 

Platon  était  philosophe  comme  on  en  rencontre  peu  de 
nos  jours.  Mais,  il  se  déridait  à  l'occasion,  comme  la  fois 
qu'il  écrivit  dans  "le  Politique"  que  la  politique  est  la 
science  du  gouvernement  "  des  bipèdes  sans  cornes  et  sans 
plumes."  Je  ne  dis  pas  que  Platon  exagère  les  qualités  de 
ses  contemporains,  mais  je  serais  gêné  d'avoir  autant  de 
franchise  à  l'égard  des  miens. 

Cousin  est  de  l'avis  de  Platon,  mais  il  le  dit  tout  autre- 
ment :  '*  la  vraie  politique  repose  sur  la  connaissance  de  la 
nature  humaine."  Cela  veut  dire  que  l'homme  est  un  bipède, 
qu'il  a  des  instincts  qu'il  faut  écouter  et  des  besoins  qu'il 
ne  faut  pas  contrarier.  Il  n'est  pas  que  la  vraie  politique 
qui  repose  sur  la  connaissance  de  la  nature  humaine,  l'au- 
tre aussi,  surtout  l'autre,  la  politique  qui  n'a  pas  de  qualifi- 
catif, celle  qui  vit  de  la  sottise  ambiante.  Cette  autre,  au 
lieu  d'étudier  la  nature  humaine  pour  obéir  à  ses  hautes 
aspirations,  en  recherche  toutes  les  faiblesses,  les  mau- 
vaises inclinations  et  les  tendances  ataviques  afin  de  s'en 
faire  un  marchepied  facile. 

Deux  grandes  races  se  partagent  le  Canada.  Elles  se  sont 
longtemps  combattues,  et  la  paix  s'est  faite.  Toutes  deux 
devraient  vivre  en  harmonie,  dans  le  respect  l'une  de  l'autre- 
Des  heurts  se  produisent  périodiquement,  toujours  causés 
par  la  politique,  provoqués  par  des  esprits  étroits  ou  des 
gens  de  mauvaise  foi.  On  peut  loyalement  différer  d'opi- 
nion, discuter  avec  ardeur  même,  mais  on  ne  devrait  ja- 
mais supposer  chez  l'adversaire  des  motifs   qui  n'existent 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    189 

pas.  Or,  le  rôle  d'un  bon  nombre  de  nos  hommes  politiques 
et  de  nos  journalistes,  depuis  une  vingtaine  d'années,  est 
précisément  celui  de  tromper  une  partie  du  peuple  sur  ce 
que  pense  l'autre  partie. 

Depuis  la  généreuse  folie  politique  de  Riel,  à  tous  les 
moments  d'excitation,  il  s'est  trouvé  chez  les  Anglais  et  les 
Français  de=J  opportunistes,  tels  par  égoïsme  ou  servilité, 
pour  donner  aux  faits  une  interprétation  fausse  et  aux 
choses  un  sens  qu'elles  n'avaient  pas.  Autrefois,  la  lutte 
entre  les  partis  était  plus  franche  On  était  ouvertement 
anglophobe  ou  francophobe  sur  les  questions  d'intérêt  na- 
tional. Aujourd'hui,  le  député  orangiste  mange  devant  ses 
électeurs  tous  les  Canadiens-Français  du  Québec  et  devient 
agneau  au  Parlement,  alors  que  le  député  opportuniste  ca- 
nadien-français jure  dans  son  comté  qu'il  mourrait  pour 
les  siens  à  les  défendre  contre  l'orangiste  et  vote  aux  Com- 
munes avec  son  chef  pour  n'importe  quelle  mesure  restric- 
tive de  nos  droits. 

Sir  Wilfrid  Laurier  s'est  employé  pendant  vingt  ans  à 
soulever  les  deux  races  l'une  contre  l'autre,  sous  le  prétexte 
de  les  rapprocher.  Nous  ne  doutons  pas  que  l'ex-premier 
ministre  ait  désiré  sincèrement  la  fusion  des  deux  groupes 
ethniques  canadiens.  Il  a  voulu  surtout,  avant  tout,  son 
succès.  Pour  l'obtenir,  il  a  posé  en  conciliateur,  auprès  de 
chacune  des  deux  races,  faisant  croire  à  des  sentiments 
d'hostilité  qu'il  exagérait,  gagnant  ses  élections  dans  le 
Québec  et  y  édifiant  sa  popularité  avec  la  vanité  nationale, 
y  cultivant  avec  soin  l'instinct  de  la  peur  de  l'Anglais  re- 
présenté faussement  comme  un  ogre,  d'un  autre  côté  ama- 
douant le  fanatisme  de  quelques  francophobes  par  des  con- 
cessions et  des  compromis,  se  plaisant  dans  les  provinces 
anglaises  à  se  dire  persécuté  par  ses  compatriotes  piour  ses 
idées  sur  l'unification  du  peuple  canadien. 

On  a  exploité  tous  les  préjugés  de  l'électorat  sur  la  ques- 
lion  des  écoles  en  1896,  lors  de  la  guerre  de  l'Afrique-Sud, 
lors  de  la  création  des  nouvelles  provinces,  et  lors  des  der- 
nières élections  fédérales.  Cette  vile  exploitation  continue 
dans  la  presse  et  sur  les  tribunes  :  en  Ontario,  des  députés 


190  LA    REVUE    FRANCO  AMÉRICAINE 

font  croire  à  leurs  commettants,  avec  Taide  des  journaux, 
que  le  gouvernement  du  Canada  est  aux  mains  des  natio- 
nalistes du  Québec,  alors  qu'ici  on  se  plaint  d'être  gouverné 
par  le  colonel  Hughes  et  le  Dr  Sproule. 

Sans  le  savoir  peut-être,  ces  exploiteurs  des  préjugés  na- 
tionaux, religieux  et' politiques,  préparent,  bien  qu'ils  po- 
sent en  prédicateurs  de  l'esprit  canadien,  la  division  com- 
plète entre  le  Canada  français  et  le  Canada  anglais;  ils  la 
rendent  inévitable. 

C'est  que  le  préjugé  politique  est  fort  lui  aussi,  plus  chez 
le  Canadien-Français  que  chez  les  autres.  L'homme  qui 
tourne  le  dos  à  son  parti  est  excommunié,  c'est  un  interdit 
politique.  Il  est  bien  difficile  de  ne  pas  changer  de  parti 
quand  on  ne  veut  pas  changer  d'opinion  ;  et  celui  qui  est 
très  attaché  à  son  parti  et  à  son  chef  doit  changer  d'opi- 
nions vingt  fois  l'an.  Cependant,  il  y  en  a  qui  sont  assez 
habiles,  parmi  les  chefs,  pour  ne  pas  changer  de  parti  tout 
en  changeant  d'opinion.  C'est  qu'ils  font  changer  d'opi- 
nion au  parti. 

Il  se  formera  un  esprit  canadien  plus  large  quand  la 
presse  sera  plus  libre  de  toutes  les  puissances  d'argent.  Si 
elle  ne  le  devient  pas,  cet  esprit  ne  se  formera  pas.  Et  les 
journalistes  anglais  devraient  étudier  davantage  le  Québec. 
Ils  n'en  connaissent  malheureusement  ni  la  langue  ni  la 
mentalité. 

Que  les  orateurs  anglais  sincères  viennent  exposer  leurs 
idées  dans  nos  villes,  et  que  les  orateurs  français  sincères 
aillent  exposer  les  leurs  dans  les  villes  anglaises.  On  se 
connaîtra  plus  et  mieux.  Les  préjugés  politiques  et  les 
autres  disparaîtront.  On  finira  par  se  convaincre,  à  force 
d'entendre  des  hommes  sincères,  que  l'esprit  de  parti  n'est 
pas  le  parti  de  l'esprit. 

2.— La  représentation  des  provinces  aux  Communes  et  la 
part  des  Canadiens-Français 

Le  préjugé  est  comme  une  hypertrophie  du  sentiment.  P 
faut   condamner  l'hypertrophie,  mais   non    le    sentiment. 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    191 

Chaque  groupe  du  peuple  canadien  voudrait  avoir  une  large 
part  dans  la  gouverne  du  pays,  la  plus  large  part.  C'est 
affaire  de  sentiment,  d'un  sentiment  d'orgueil.  L'ambition 
n'est  pas  téméraire  tant  que  le  groupe  mérite  autant  d'hon- 
neur, et  tant  qu'il  ne  lèse  pas  les  droits  des  autres  groupes. 

La  population  de  l'Est  du  Canada  voit  avec  chagrin 
l'influence  politique  augmenter  de  plus  en  plus  dans  l'Ouest. 
Les  Provinces  Maritimes  s'en  plaignent  tout  particulière- 
ment. D'entre  elles,  la  Nouvelle-Ecosse  a  fourni  des 
hommes  éminents  à  la  politique  canadienne.  Sa  popula- 
tion, comme  celle  de  ses  deux  provinces  sœurs,  est  stable, 
alors  que  la  population  des  provinces  de  l'Ouest  a  augmen- 
té de  175  p.  c.  durant  la  dernière  décade.  Résultat  :  cha- 
cune des  quatre  provinces  de  l'Ouest  gagne  cinq  députés 
par  le  dernier  recensement,  et  les  trois  Provinces  Maritimes 
en  perdent  cinq.  Vous  voyez  le  nœud  du  problème,  qui 
intéresse  jusqu'à  l'Ontario  perdant  aussi  quatre  députés  : 
les  provinces  de  l'Est,  qui  ont  tout  fait  pour  la  Confédéra- 
tion, vont-elles  perdre  leur  prestige }  Va-t-on  laisser  aux 
nouveaux  venus  le  soin  de  nous  gouverner  ?  Ne  convien- 
drait-il pas  de  fixer  un  minimun  de  représentation  aux 
vieilles  provinces  et  un  maximum  aux  nouvelles,  afin  de 
laisser  à  ceux  qui  ont  une  histoire  et  qui  connaissent  les 
traditions  de  notre  patrie  la  responsabilité  d'en  diriger  les 
destinées  ? 

Question  importante,  qui  peut  devenir  épineuse,  question 
de  sentiment,  mais  d'un  sentiment  juste.  Tôt  ou  tard  elle 
sera  abordée  de  front.  Nous  sommes  d'avis  que  l'article  51 
de  l'Acte  de  l'Amérique  britannique  du  Nord,  de  1867,  est 
parfaitement  équitable  et  qu'il  doit  demeurer  ce  qu'il  est, 
la  base  de  l'unité  de  représentation,  c'est-à-dire  le  soixante 
et  cinquième  de  la  population  du  Québec,  ne  doit  pas  chan- 
ger. Cette  unité  est  actuellement  de  30,780  de  population. 
Chaque  groupe  de  30,780  habitants  a  droit  à  un  député. 

Le  Québec  est  intéressé  au  problème  de  la  représenta- 
tion aux  Communes  au  même  titre,  et  plus,  que  les  Provinces 
Maritimes.  Nous  sommes  la  minorité  et  nous  avons  besoin 
d'avoir  toute  la  représentation  à  laquelle  nous  avons  droit. 


192  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Voici  une  considération  que  nous  croyons  bien  neuve  et 
dont  l'étude  pourra  garder  à  TEst  canadien  pour  cinquante 
ans  encore  sa  prépondérance  à  Ottawa.  Les  provinces  de 
rOuest  sont  peuplées  pour  plus  de  la  moitié  d'émigrés  eu- 
ropéens ou  américains  ;  et  de  ces  émigrés  près  de  la  moitié 
ne  sont  pas  sujets  britanniques,  n'ayant  pas  eu  le  temps  de 
le  devenir  ou  ne  le  voulant  pas.  Et  nous  ne  savons  pas 
combien  passeront  aux  Etats-Unis  ou  retourneront  dans 
leur  pays  d'origine  après  avoir  fait  une  petite  fortune.  Se- 
rait-il juste  de  donner  20  députes  de  plus  à  l'Ouest  pour 
600,000  immigrés  qui  ne  seraient  pas  sujets  canadiens  ? 

La  représentation  juste  serait  basée  sur  le  chiffre  de  la 
population  britannique. 

D'ailleurs,  au  point  de  vue  canadien,  comme  au  point 
de  vue  des  intérêts  de  l'Est,  l'accroissement  rapide  de 
l'Ouest,  s'il  fait  songer,  n'est  pas  encore  un  danger.  Il  le 
pourrait  devenir  si  l'immigration  continuait  à  être  aussi 
mal  choisie. 

Il  y  a  un  peu  de  jalousie  et  d'envie  dans  les  craintes  des 
Provinces  Maritimes  et  de  l'Ontario.  Remarquons  que  la 
population  de  l'Ouest  n'est  pas  encore  le  tiers  de  la  popu- 
lation de  l'Est,  soit  1,650,000  contre  5,425,000. 

La  Nouvelle-Ecosse,  le  Nouveau-Brunswick  et  l'Ile  du 
Prince  Edouard  gagneraient  beaucoup,  croyons-nous,  à 
former  une  seule  province  de  907,000  habitants.  Cependant, 
nous  croyons  que  l'état  actuel  favorise  mieux  l'expansion 
des  Acadiens. 

Le  meilleur  moyen,  pour  ses  provinces,  d'augmenter  le 
nombre  de  leurs  députés,  et  leur  influence  par  conséquent, 
c'est  de  favoriser  l'agriculture  et  la  colonisation.  Qu'elles 
améliorent  le  sort  des  Acadiens  assez  longtemps  traqués, 
et  ceux-ci  leur  donneront  la  population  que  l'immigration 
ne  leur  donne  pas. 

Avons-nous,  Canadiens-Français,  la  représentation  qui 
nous  revient  aux  Communes  ? 

L'unité  de  représentation,  avons-nous  dit,  est  de  30,000 
près,  exactement  30,780.  La  population  du  Canada  est  de 
7,100,000,  plus  que  moins.     La  population  française  se  ré- 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    193 

partit  comme  suit  :  Québec  :  1,700,000  (très  approximatif 
pour  1911);  Ontario  :  240,000  (1909);  Provinces  Maritimes  : 
150,000  (141.661  en  1901  ;  l'augmentation  que  nous  suppo- 
sons est  certainement  minorée);  les  Provinces  de  l'Ouest  : 
65,000  (1909)  ;  soit  le  total  de  la  population  française  : 
2,155,000. 

Nous  aurions  donc  le  droit  d'élire  67  députés  de  notre 
langue  et  nous  pourrions  en  élire  plus,  alors  que  nous  n'en 
élisons  que  56  sur  221.  Nous  sommes  trop  généreux  au 
Québec,  et  l'on  ne  nous  rend  pas  justice  dans  les  provinces 
anglaises.  Le  Nouveau-Brunswick  seul  nous  donne  un 
nombre  de  députés  proportionnel  à  notre  population  fran- 
çaise, trois.  En  Ontario,  nous  avons  deux  députés  aux 
Communes  quand  nous  y  avons  droit  à  huit.  L'Ouest  nous 
donne  un  député  au  lieu  de  deux.  La  Nouvelle-Ecosse 
nous  doit  un  gros  député,  puisque  nous  y  sommes  45,000, 
et  elle  nous  oublie  complètement.  Il  est  plus  juste  de  con- 
fesser que  nous  nous  oublions  nous-mêmes. 

Demeurons  généreux  chez  nous,  c'est  exercer  une  vertu 
française  ;  mais,  soyons  fermes  chez  le  voisin,  pour  exercer 
une  autre  vertu  française. 

3. —L'immigration 

La  population  du  Canada  s'est  accrue  de  32  p.  c.  durant 
la  dernière  décade.  C'est  évidemment  dû  à  l'immigration 
et  à  la  haute  natalité  chez  les  Canadiens-Français.  Depuis 
1901,  il  nous  est  venu  1,453,390  immigrants,  soit  un  cin- 
quième de  notre  population  totale.  En  1901,  près  d'un 
septième  de  notre  population  venait  de  l'étranger.  Donc,  si 
nous  n'avons  pas  payé  pour  faire  venir  des  immigrants  aux 
Etats-Unis  par  la  porte  du  Canada,  près  d'un  tiers  de  la 
population  du  Canada  est  étranger  à  notre  histoire,  à  nos 
moeurs,  en  un  mot  à  l'esprit  canadien. 

Relativement  à  leur  population,  les  Etats-Unis  n'ont  ja- 
mais reçu  autant  d'immigrants  que  nous.  Ils  ont  eu  le  soin 
de  varier,  souvent  cette  immigration,  l'appelant  tantôt  de 
TAllemagne,  tantôt  du  Royaume-Uni,  tantôt  des  pays  la- 


194  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

tins,  tantôt  de  la  Russie,  afin  de  permettre  à  chaque  groupe 
de  s'assimiler  au  plus  tôt.  Cependant,  ils  n'ont  pas  atteint 
leur  but  :  le  français  est  plus  parlé  qu'on  ne  le  voudrait 
dans  la  Nouvelle-Angleterre  et  la  Louisiane,  l'allemand 
depuis  la  Pennsylvanie  jusqu'au  Kansas,  l'espagnol  dans 
les  Etats  du  Sud.  On  ne  sait  pas  quelles  guerres  civiles 
attendent  encore  la  grande  République. 

Réussirons-nous  mieux  que  nos  voisins  à  nous  assimiler 
les  nouveaux  venus  ?  Quant  à  la  langue,  l'assimilation  est 
double,  française  dans  une  grossb  partie  de  l'Est  et  anglaise 
dans  l'Ouest.  Quanta  l'esprit  national,  "  canadien  avant 
tout,"  il  est  difficile  à  l'Européen  comme  à  l'Américain, 
surtout  à  ce  dernier  qui  en  est  si  proche,  d'oublier  la  terre 
natale.  On  arrive  ici  avec  les  préjugés  de  sa  patrie,  avec 
ses  haines,  et  l'on  est  forcé  souvent  de  se  retrouver  avec  des 
ennemis  nationaux.  Alors  les  animosités  se  font  jour  et  se 
déterminent.  Dans  l'Ouest,  bien  que  parlant  la  même  lan- 
gue, Anglais  et  Américains  se  regardent  de  travers.  Ces 
derniers  ne  se  gênent  pas,  en  pleine  terre  britannique,  pour 
afficher  à  la  fin  de  leurs  annonces  en  demande  de  travail- 
leurs l'habituel  *'No  Englishmen  need  apply."  Ils  sont  en- 
viron 400,000  qui  n'auront  de  reconnaissance  pour  l'Angle- 
terre que  si  elle  leur  donne  l'occasion  un  jour  de  lui  tomber 
dessus. 

Montréal  est  à  la  veille  d'avoir  sa  question  juive,  résultat 
d'une  immigration  insensée.  Il  s'y  trouve  une  forte  colonie, 
près  de  50,000,  d'Israélites,  gens  qui  n'auront  jamais  d'es- 
prit canadien  parce  qu'ils  sont  essentiellement  cosmopo- 
lites. On  les  a  tous  dirigés  dans  la  province  française  afin 
de  la  tondre.  Les  premiers  arrivés,  chiffonniers  il  y  a  dix 
ans,  regrattiers  il  y  a  huit  ans,  petits  usuriers  il  y  a  six  ans, 
agents  véreux  ou  manufacturiers  il  y  a  quatre  ans,  sont  de- 
venus gros  propriétaires  il  y  a  deux  ans,  et  font  de  la  grande 
spéculation  en  191 1.  Dans  quelques  années,  ils  seront  nos 
banquiers,  contrôleront  nos  marchés,  et  nous  nous  remue- 
rons avec  leur  permission.  Ils  ont  déjà  mis  une  main  plus 
large  qu'on  ne  le  croit  sur  notre  presse,  afin  de  former 
l'opinion    publique.     Ils   se   préparent    activement    à   dé- 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE 'ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    195 

buter  dans   la   politique.     Des   projets   de   lois  sont  déjà 
ébauchés. 

Les  Canadiens- Français  ont  le  devoir  de  réagir  vigou- 
reusement contre  toute  immigration  juive,  et  le  pluspromp- 
tement  possible.  Le  Juif  ne  détruira  pas  notre  nationalité  ; 
c'est  comme  dissolvant  de  la  morale  et  ,des  mœurs  publi- 
ques qu'il  faut  le  combattre.  Les  Anglais  sont  aussi  inté- 
ressés que  nous  à  lutter  contre  la  pénétration  juive,  s'ils  ne 
veulent  pas  que  la  haute  finance  leur  échappe. 

C'est  avec  le  flot  de  l'immigration  que  notre  criminalité 
s'est  élevée.  Dans  la  seule  ville  de  Montréal  où  les  trois  quarts 
de  la  population  sont  canadiens-français,  les  trois  quarts 
des  crimes  et  des  délits  sont  au  dossier  de  l'immigration. 

Il  fallait  avoir  du  toupet  politique  et  une  grande  con- 
fiance en  soi-même  pour  désirer  la  fusion  de  toutes  les 
races  au  Canada  en  un  seul  tout,  et  s'acharner  à  y  faire  en- 
trer tant  d'éléments  disparates. 

De  plus  l'immigration  nous  a  fourni  des  bras  incapables 
du  travail  de  la  terre,  inhabiles  aux  emplois  de  nos  indus- 
tries, des  sujets  décharnés  et  sans  vie.  Nous  n'avons  que 
faire  des  épileptiques,  des  rachitiques  et  des  alcooliques, 
qu'ils  viennent  de  la  Grande-Bretagne  ou  des  ghettos  de  la 
Russie. 

Il  ne  s'agit  pas  d'arrêter  complètement  l'immigration.  Ce 
qu'il  faut  arrêter,  c'est  l'émigration  de  nos  meilleurs  sujets 
canadiens.  L'immigration  nous  est  nécessaire,  et  nous  se- 
rions égoïstes  si  nous  ne  voulions  pas  faire  bénéficier  de 
nos  richesses  les  étrangers  qui  consentent  à  mener  une  vie 
commune  avec  nous.  Il  s'agit  tout  simplement  de  restrein- 
dre l'immigration  et  de  faire  un  choix  judicieux  des  immi- 
grants. 

On  a  trop  négligé  jusqu'ici  l'immigration  française  et 
belge,  celle  des  montagnards  italiens  et  espagnols. 

Il  nous  faut,  qu'on  les  prenne  où  l'on  voudra,  des  hommes 
sains  de  corps  et  d'esprit.  Une  nation  forte  ne  se  forme 
pas  avec  le  déchet  humain  des  vieux  pays. 

(A  suivre.) 

Louis  Gérenval. 


Le  feront-ils  taire  ? 


Mais  oui  !  imposera-t-on  silence  au  père  Vaughan  ?  Avec 
une  inconvenance  remarquable  le  cher  père  vient  ici  mettre 
les  pieds  dans  le  plat  avec  fracas^  en  disant  avec  éclat  : 

"Nous  pourrions  vivre  avec  moins  de  politiciens  et  plus 
d'hommes  d'Etat.  On  mêle  de  tout  à  la  politique.  Bien 
que  cela  ne  soit  pas  de  mes  affaires,  une  chose  me  semble 
claire  :  de  même  que  nous  aimons  qu'il  ne  se  parle  qu'une 
langue  dans  nos  maisons,  ainsi  dans  cette  grande  maison 
que  l'on  appelle  l'empire  britannique,  chacun  ne  devrait 
pas  considérer  seulement  comme  un  privilège,  mais  comme 
un  devoir  de  parler  la  langue  de  l'empire."  "Sans  doute 
les  autres  langues  doivent  être  tolérées,  mais  la  langue 
dominante  doit  être  hors  de  tout  doute,  la  langue  anglaise." 

Et  voilà  le  refrain  de  Son  Eminence  le  cardinal  Bourne. 
Y  a-t-il  conspiration,  oui  ou  non  ? 

Voilà  un  Anglais  de  Londres,  qui  est  ignorant  comme  une 
carpe  en  matière  d'histoire,  et  qui  vient  dire  que,  dans 
l'empire  britannique  la  langue  française  est  tolérée  seule- 
ment. Mais  cet  homme  devrait  penser  avant  de  laisser 
chevaucher  sa  langue  à  droite  ou  à  gauche.  Il  ne  sait  donc 
pas  que  la  langue  française  est  officielle  au  pays.  Il  n'a 
qu'à  relire  l'Acte  britannique  de  l'Amérique  du  Nord.  Je 
ne  veux  pas  refaire  l'histoire  constitutionnelle  de  notre 
langue.  Je  veux  tout  simplement  attirer  l'attention  de  cer- 
tains prélats  romains  qui  s'alarment  lorsque  nous  protes- 
tons contre  les  assimilateurs.  Oui  ou  non,  la  langue  fran- 
çaise est-elle  combattue  ici  1  Oui  ou  non,  le  père  Vaughan 
a-t-il  reçu  la  mission  de  venir  prêcher  l'impérialisme.  On, 
veut  bâillonner  les  journalistes  indépendants  qui  revendi- 
quent nos  droits.  Voudra-t-on  bâillonner  d'abord  ceux  qui 
viennent  ici  répéter  de  pareilles  inepties  .'' 


LE    FERONT- ILS  TAIRE  ?  197 

Mgr  Sbarretti  sera  sans  doute  dans  l'allégresse  de  voir 
que  de  fermes  zélateurs  continuent  ici  son  œuvre.  Nous  lui 
demandons  humblement  de  faire  valoir  toute  son  autorité 
auprès  des  congrégations  romaines  pour  faire  cesser  les 
persécutions  contre  la  race  française. 

On  dit  qu'il  prend  les  articles  de  revues  ou  de  journaux 
dans  lesquels  il  est  fait  mention   de  son  œuvre  et  qu'il  va 
les  mettre  sous  les  yeux  de  tel  ou  de  tel  prélat  en  disant  : 
"Voyez  comme  on  attaque  le  délégué  apostolique."     Ce 
procédé  manque  de  justice  et  d'équité.     Nous  n'avons  ja- 
mais  attaqué  la  délégation   apostolique  au  Canada.     Le 
Souverain  Pontife,  dans  sa  sagesse,  a  jugé  à  propos  de 
nous  donner  une  marque  de  sa  sollicitude,  en  nous  en- 
voyant un  délégu"^  permanent  ;    et  cet  envoyé  nous  l'avons 
toujours  traité  avec  tout  le  respect  qui  est  dû  à  son  rang 
dans   l'accomplissement   de   ses   fonctions.     Mais   chaque 
fois  qu'il  a  voulu  mettre  son  influence  au  service  de  la  race 
qu'il  croit  supérieure  pour  humilier  la  race  qu'il  suppose 
inférieure,  nous   avons   protesté   avec   énergie,  parce  que 
nous  savions  bien   que   Son   Excellence  outrepassait  ses 
.  pouvoirs.     Nous  tenons  à  le  lui  signifier  encore  une  fois. 
Que  Mgr  Sbarretti  ne  se  froisse  pas  pour  les  vérités  que 
nous  sommes  obligés  de  lui  signifier.     Qu'il  répare  tout  le 
mal  qu'il  a  fait  à  la  race  française  en  Amérique,  en  faisant 
taire  tous  les  impérialistes  religieux  qui  viennent  ici  prê- 
cher l'unité   de   langue.     Qu'il  dirige  tout   son   zèle   pour 
nous  protéger  et  qu'il  envoie   le   père  Vaughan  aux  Indes 
prêcher  la  nécessité  de  ne  parler  que   l'anglais  dans  cette 
portion   de   l'empire   britannique.     Les    Hindous  le  rece- 
vront sans  doute  comme  il  le  mérite. 

* 
*  * 

M.  l'abbé  McShane  a  des  visions  de  Pucelle  d'Orléans. 
Il  s'imagine  que  la  cause  du  catholicisme  sera  un  jour 
défendue  dans  la  bonne  ville  de  Montréal  par  l'élément 
irlandais.  Déjà,  il  entrevoit  dans  ses  rêves  la  création 
d'une   cinquantaine   de   paroisses   irlandaises.     Ah  !  vrai- 


198  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

ment,  les  Canadiens-Français,  dont  ce  monsieur  se  paie 
agréablement  la  tête  en  déclamant  partout  l'habitant  de 
Drummond  et  en  lisant  des  lettres  écrites  par  nos  compa- 
triotes en  mauvais  anglais,  seront  tous  descendus  dans  la 
tombe  ou  parleront  la  langue  anglaise,  destinée  à  devenir 
l'unique  langue  de  l'Empire.  On  le  dit  à  nos  portes  et 
nous  ne  protestons  pas  avec  assez  d'éloquence. 

Parlons  donc  plus  français.  Au  lieu  d'écrire  en  mauvais 
anglais  des  lettres  que  M.  l'abbé  McShane  promène  par- 
tout pour  se  moquer  de  nous,  ^écrivons  en  français;  obli- 
geons ces  messieurs  à  parler  le  français. 

Au  surplus,  on  pourrait  facilement  se  donner  la  joie  de 
déclamer  du  Chouinard  et  de  démontrer  que  nos  amis  les 
Anglais  commettent  des  bourdes  énormes  au  sujet  de  la 
langue  qui  est  la  nôtre.  N'insistons  pas  pour  aujourd'hui. 

Michel  Renouf. 


:o:- 


La  Nation  Franco-Normande  au  Canada 


Par  Le  VICOMTE  FORSYTH  DE  FRONSAC 

II 
LA  NOBLESSE  DE  NOM  ET  DES  ARMES 

Après  le  Roi  c'est  la  noblesse.  Sans  noblesse  pas  de 
monarchie,  dit  Montesquieu  dans  son  livre  "  L'Esprit  des 
Lois."  La  noblesse  est  la  seconde  partie  de  la  constitution. 

Au  Canada,  le  XVIIe  Article  de  la  Capitulation  de  Mont- 
réal de  1760,  signée  par  M.  de  Lévis  et  le  Marquis  de  Vau- 
dreuil  au  nom  du  Roi  de  France  et  contresignée  par  sir 
Jeffrey  Amherst  au  nom  du  Roi  Britannique,  dit  que  "La 
Noblesse,  les  officiers  militaires  et  civils...  et  tous  les  habi- 
tants tant  de  ville  que  de  campagne  conservent  l'entière 
possession  de  leurs  privilèges  et  biens,  nobles  et  bourgeois, 
mobiliers  et  immobiliers,  marchandises,  fourrures  et  bat- 
teaux."  Sauf  "  les  privilèges  et  biens  appartenant  au  Roi 
de  France,  lesquels  passent  par  cette  capitulation  au  Roi 
Britannique."  La  commission  donnée  au  Marquis  de  La 
Roche,  le  premier  gouverneur,  l'autorisa  à  concéder  "  aux 
gentilshommes  et  gens  de  mérite  des  fiefs  en  seigneurie  au 
Canada  et  autres  dignités  relevant  du  Roi,  à  la  charge  qu'ils 
serviront  à  l'entretien  et  défense  des  dits  pays."  Article 
258,  Ordonnance  d'Orléans,  déclare  :  "  Roturiers  et  non- 
nobles  "  achetant  fiefs  nobles  ne  seront  pour  ce  annoblis 
ni  mis  au  rang  de  nobles  de  quelque  valeur  que  seront  les 
biens  acquis  par  eux." 

L'étude  de  la  noblesse  est  bien  intéressante  :  c'est  l'his- 
toire de  la  nation,  de  ses  grands  faits  ;  au  Canada  parmi 
les  cent  vingt  noms  de  la  noblesse  seigneuriale,  c'est  la 
souche  de  toute  famille  illustre. 

Avec  les  registres  de  cette  noblesse  conservés  de  1604  à 


200  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

1763  aux  archives  de  l'intendance  au  Canada,  commencent 
les  collections  héraldiques  et  généalogiques  du  Collège 
des  Armes  du  Canada. 

La  noblesse,  c'est  l'aristocratie  en  fonction.  L'aristocratie, 
c'est  la  race  pure  aryenne  qui  a  dominé  la  civilisation  de 
l'ancien  monde. 

A  Rome,  au  moins  sous  l'Empire,  l'aristocratie,  selon  de 
Baume,  était  surtout  une  caste.  C'était  un  état  dans  l'Etat. 
Le  noble  avait  de  nombreux  privilèges  :  il  possédait  sou- 
vent de  très  grandes  propriétés,  "  mais  ce  n'était  pas  exclu- 
sivement de  la  possession  de  ses  privilèges  ou  de  ses  vastes 
domaines  qu'il  tenait  son  rang  ;  c'était  plus  encore  de  sa 
famille,  du  souvenir  de  l'illustration  de  ses  ancêtres." 

Parmi  les  Gaulois  et  les  Ecossais,  dit  le  même  auteur,  la 
nation  se  divise  en  trois  classes  :  celle  des  nobles  ou  che- 
valiers ;  celle  des  druides  et  le  peuple.  Les  deux  premières 
seules  exerçaient  le  pouvoir  et  tenaient  les  richesses.  La 
classe  de  la  noblesse  formait  la  cavalerie,  elle  exerçait  en 
outre  tous  les  commandements  dans  l'armée.  La  noblesse 
était  maîtresse  dans  les  assemblées  politiques,  fournissait 
seule  les  sénateurs  et  presque  tous  les  magistrats.  Elle  ne 
servait  que  dans  la  cavalerie,  armée  d'élite  que  César  dé- 
clarait redoutable.  La  noblesse  était  héréditaire,  mais 
tout  homme  riche  et  distingué  à  un  titre  quelconque  pou- 
vait y  parvenir,  à  la  condition  de  se  faire  accepter  d'abord 
parmi  les  soldurii  d'un  chef,  qui  ensuite  lui  facilitait  l'ac- 
cès à  la  classe  supérieure. 

Au-dessus  de  toutes  les  institutions  sociales  de  la  vieille 
Germanie,  Tacite  place  une  aristocratie  guerrière  qui  con- 
duit la  tribu  au  combat  et  qui  la  juge  pendant  la  paix.  La 
royauté  n'est  qu'une  émanation  de  cette  aristocratie  essen- 
tiellement mobile  comme  l'état  social  de  ces  jours-là,  qui 
n'a  pas  de  terres,  qui  n'a  pas  de  privilèges,  "qui  ne  pos- 
sède en  propriété  que  sa  gloire  et  son  renom  personnel,  et 
qui  les  transmet  à  ses  descendants."  Ses  guerriers  gou- 
vernent et  administrent  ceneurrement  avec  le  Roi  :  ils  en 
reçoivent  des  terres  à  titre  de  récompense,  "mais  ils  n'ad- 


LA  NATION  FRANCO -NORMANDE  AU  CANADA  201 

mettent  pas  que  le  souverain  pouvoir  soit  la  propriété  ex- 
clusive du  Roi  " 

Parmi  les  Francs,  le  Prologue  de  la  loi  Salique  dit  que  : 
l'illustre  nation  des  Francs,  constituée  par  la  main  de 
Dieu,  forte  dans  la  guerre,  profonde  dans  le  Conseil,  d'une 
noble  stature,  d'une  beauté  primitive  de  sang  et  de  forme, 
plein  de  courage,  de  promptitude  -jt  d'élan,  cherchant  la 
science  sous  l'inspiration  de  Dieu,  désirant  la  justice  et 
gardant  l'honneur  de  race  selon  ses  mœurs,  dicte  la  loi  Sa- 
lique *'par  l'organe  des  grands,  ses  chefs." 

Les  Francs  étaient  supérieurs  à  tous  les  autres  peuples, 
et  leurs  nobles  étaient  leurs  capitaines  à  la  guerre  et  leurs 
juges  à  la  paix.  Ils  restaurèrent  l'Empire  Romain  sur  la 
base  de  leur  féodalité  et  instituèrent  pour  les  élites  l'ordre 
de  la  Chevalerie. 

La  féodalité  était  l'ensemble  des  lois  tt  coutumes  consti- 
tuant la  constitution  d'Etat,  inviolable  en  soi,  qui  régirent 
l'ordre  politique  et  social  en  France  et  au  Canada  sous  l'an- 
cien régime.  Sous  le  régime  féodal,  la  royauté  ne  fut  plus 
que  le  centre  autour  duquel  se  groupèrent  les  états  féodaux. 
Une  hiérarchie  s'établit,  chaque  seigneur  demandant  la 
protection  et  devenant  le  vassal  d'un  seigneur  plus  impor- 
tant, et  le  Roi  n'est  que  le  seigneur  des  seigneurs. 

Le  contrat  d'inféodation  par  lequel  le  fief  était  constitué, 
comprenait  une  double  formalité  :  de  la  part  du  vassal, 
l'hommage  et  le  serment  de  fidélité;  de  la  part  du  seigneur, 
l'investiture  ou  mise  en  possession  du  fief.  Au  Canada  les 
cérémonies  de  l'investiture  eurent  lieu  au  Château  de  Saint- 
Louis,  à  Québec.  Le  vassal  devait  au  seigneur  le  service 
militaire,  l'assistance  dans  l'administration  de  la  justice. 
Pour  posséder  un  fief,  il  fallait  être  noble.  Selon  "Le  Code 
de  la  Noblesse,"  p.  141,  la  féodalité  était  un  ordre  régulier 
et  par  ce  seul  avantage  elle  l'emportait  de  beaucoup  sur  l'é- 
poque antérieure.  Elle  n'avait  été  constituée  ni  en  vue  de 
despotisme  (puisque  c'est  sous  son  empire  et  souvent  de 
son  propre  consentement  que  le  peuple  s'affranchit,  que  la 
classe  bourgeoise  se  fortifia),  ni  en  vue  de  ravilissement 
des  esprits  (puisque  c'est  de  son  temps  que  la  langue,  les 


202  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

mœurs,  la  littérature  et  les  arts  sortirent  de  la  barbarie  et 
enfantèrent  des  merveilles),  ni  en  vue  de  l'égoïsme  de  la 
classe  noble  (puisque  pendant  que  le  peuple  s'enrichit  et 
prospéra  à  l'ombre  des  vieux  manoirs,  les  seigneurs  féo- 
daux s'appauvrirent  volontairement  pendant  deux  siècles  à 
lutter  contre  les  infidèles  et  dévouèrent  généreusement  sous 
le  manteau  des  croisés,  ou  sous  les  côtes  des  mailles  du 
chevalier  leur  existence,  leur  courage  et  leur  sang  à  la  dé- 
fense des  opprimés,  des  misérables  et  des  faibles). 

La  féodalité  déploya  de  hautes  vertus  et  d'admirables 
instincts  :  elle  adoucit  les  moeurs  et,  dès  qu'elle  fut  à  son 
apogée,  un  dem.i-siècle  suffit  pour  donner  à  la  France  une 
face  nouvelle  pour  la  régénérer,  pour  guérir  les  blessures 
de  cinq  siècles  de  confusion  et  de  désordres.  Mais  bientôt 
éperonnée  par  la  criminelle  malice  des  démagogues,  le  tocsin 
des  communes  sonna  (1792)  le  glas  de  la  monarchie  en 
France  et  les  funérailles  de  l'antique  noblesse  que  la  mo- 
narchie plus  ambitieuse  que  prévoyante  avait  laissée  sans 
force.  Déjà  mutilée  par  le  feu  des  batailles,  avilée  et  rui- 
née par  les  courtisanneries  royales,  démoralisée  par  les 
sophismes  voltairiens,  elle  finit  par  tomber  sous  le  hideux 
couteau  révolutionnaire  et  par  emporter  avec  sa  constitu- 
tion pour  linceul,  le  salut,  la  grandeur  et  l'esprit  chevale- 
resque de  la  France. 

Martin,  le  grand  historien  de  France,  dit  :  La  féodalité 
apporte  avec  elle  un  idéal  politique;  sa  théorie  est  une 
hiérarchie  guerrière  partant  du  dernier  feudataire  posses- 
seur d'une  tour,  d'un  cheval  et  d'une  armure  pour  s'élever  de 
degré  en  degré  jusqu'au  Roi,  clef  de  voûte  de  l'édifice  et 
chef  de  cette  grande  armée  de  propriétaires  soldats,  jus- 
qu'au Roi  dont  la  couronne  ne  relève  que  de  Dieu  et  de  son 
épée.  A  tous  les  degrés  de  cet  ordre  de  noblesse  féodale  un 
serment  réciproque,  renouvelé  à  chaque  mutation  des  per- 
sonnes, lie  le  seigneur  et  le  vassal.  Le  vassal  doit  se  lever 
en  armes  au  ban  de  son  seigneur  et  siéger  comme  asses- 
seur dans  les  plaids  seigneuriaux  ;  le  seigneur  doit  proté- 
ger le  vassal  dans  la  jouissance  de  son  fief  envers  et  contre 
tous.     Le  vassal  perd  son  fief  pour  félonie  envers  son  sire. 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  203 

Le  seigneur  perd  sa  suzeraineté  s'il  vent  priver  son  vassal 
induement  de  son  fief  ou  de  ses  droits  de  personne  et  des 
biens.  Le  vieux  droit  germanique  de  se  faire  justice  à  soi- 
même  est  reconnu  à  tous  les  degrés  en  cas  d'infraction  de 
serment. 

Aujourd'hui  en  France  moderne,  une  impopularité  indélé- 
bile pèse  toujours  sur  le  souvenir  de  la  féodalité.  La  che- 
valerie, au  contraire  qui  semble  n'avoir  été  pourtant  que  la 
féodalité  armée  et  qui  rejetait  "dédaigneusement  des  rangs 
de  sa  milice  l'homme  étranger  à  la  caste  nobiliaire,"  a 
trouvé  grâce  devant  l'opinion  du  peuple  ;  son  nom  est  resté 
quelque  chose  de  national  en  France  et  n'évoque  dans  la 
mémoire  populaire  que  de  vagues  souvenirs  de  courage,  de 
loyauté,  de  générosité,  de  foi  ardente,  d'amour  idéal  et  cons- 
tant ;  le  fantôme  chevaleresque  apparaît  à  travers  les 
nuages  du  passé  abritant  sous  son  écu  sans  tache  les  veu- 
ves, les  orphelins,  les  opprimés  et  consacrant  sa  force  à  la 
défense  de  la  faiblesse  et  du  droit  outragé. 

Un  mot  caractéristique,  celui  de  courtoisie,  désigne  l'en- 
semble des  qualités  qui  naissent;  c'était  en  effet  dans  les 
cours  d'honneur  des  châteaux,  théâtre  des  jeux  guerriers, 
que  se  développaient  cette  galanterie,  cette  bonne  grâce, 
cette  politesse,  cette  générosité  qui  faisaient  le  chevalier 
courtois.  Le  récipiendaire  de  chevalerie  s'agenouillait  de- 
vant le  parrain  qui  lui  devait  conférer  l'ordre  et  ciui  lui 
rappelait  brièvement  les  devoirs  guerriers,  (lue  tout  cheva- 
lier doit  avoir  droiture  et  loyauté  ensemble  ;  il  doit  proté- 
ger les  pauvres  gens  pour  que  les  riches  ne  les  puissent 
fouler,  et  soutenir  les  faibles  pour  que  les  forts  ne  les  puis- 
sent honnir.  Il  se  doit  éloigner  de  tout  lieu  ou  gît  la  trahi- 
son ou  l'injustice.  Lorsque  dames  ou  demoiselles  ont  be- 
soin de  lui,  il  les  doit  aider  de  son  pouvoir.  Les  chevaliers 
doivent  garder  la  foi  inviolablement  à  tout  le  monde  et 
surtout  à  leurs  compagnons  ;  ils  &e  doivent  aimer,  honorer 
et  assister  les  uns  les  autres  en  toute  occasion. 

Ceci  est  en  bref  l'histoire  de  la  noblesse,  le  parti  princi- 
pal de  la  constitution  de  l'Etat.  Et  il  est  notable  que  la 
noblesse  ne  naquit  ni  du  Roi,   ni  du  peuple—parce  que  la 


204  LA   REVUE   FRANCO-AM^JIICAINE 

royauté  n'est  qu'aune  émanation  de  la  noblesse" — mais 
qu'elle  naquit  de  la  race  aryenne  germanique  des  Francs, 
des  Normands  et  des  Goths,  qui  de  sa  pureté  de  sang  et 
supériorité  d'honneur  et  d'esprit  se  prolonge  en  caste  avec 
ses  registres  généalogiques  et  signes  héraldiques  jusqu'à 
nos  jours  comme  la  noblesse  de  nom  et  des  armes. 


Les  Souches  des  Famiiles  de  la  Noblesse  de  nom  et  des 
armes,  seigneuriale,  consulaire,  bourgeoise  et  alum- 
nale  dans  les  Arckives  du  Collège  des  Armes  du 
Canada. 

Les  descendants  de  ces 
familles  en  noms  de  fa- 
mille qui  désirent  enregis- 
trer les  preuves  de  leur 
noblesse  dans  les  regis- 
tres du  Collège  et  recevoir 
le  diplôme,  le  bouton  et 
la  décoration  de  la  no- 
blesse de  l'Ordre  Aryen 
et  Seigneurial,  doivent  en- 
voyer  leurs  renseigne- 
ments au  bureau  de  cette 
Revue,  adressés  au  Vi- 
comte de  Fronsac,  maré- 
chal de  blason,  *'  Revue 
Franco- Américaine>  197, 
rue  N  o  t  r  e-Dame  Est, 
Montréal. 

LAW,  DUC  D'ARKANSAS 

Armes  :  D'hermine  à  ia  bande  de  gueules  accompagnée  de 
deux  coq  5  du  même,  l'un  en  pointe,  l'autre  en  chef,  une  bor- 
dure du  même,  couronne  de  duc  au-dessus  d'une  couronne 
seigneuriale. 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA      205 

histoire:  Le  duché  d'Arkansas,  créé  par  le  roi  Louis 
XIV,  fut  concédé  à  M.  Jean  Law,  son  ministre  des  finances, 
en  1715,  qui  y  envoya  quinze  cents  colons  parmi  lesquels 
était  l'ancêtre  de  Gortschauk  le  musicien.  La  famille  Law 
est  bien  célèbre  et  ancienne  dans  l'histoire  du  royaume 
d'Ecosse,  où  elle  possédait  plusieurs  baronnies  depuis  des 
siècles.  Jean  Law,  un  cadet  de  cette  ancienne  et  noble  fa- 
mille avec  son  frère  fondèrent  la  branche  française  de 
cette  famille.  Les  enfants  du  célèbre  financier  de  Louis 
XV  ne  laissa  pas  d'héritiers,  mais  son  frère,  un  officier  gé- 
néral des  troupes  dans  l'Inde  orientale  française,  avait 
l'honneur  de  transmettre  la  gloire  du  nom  illustré  par  un 
maréchal  des  armées  de  France  sous  Napoléon  1er  et  par 
quelques  généraux  de  distinction.  Le  chef  de  cette  famille 
en  France  porte  le  titre  de  marquis  de  Lauriston. 


CAEN,  BARON  DU  CAP  TOURMENT 

Armes  :  D'azur  à  une  fleur  de  lys  d'argent,  couronne 
seigneuriale. 

Histoire  :  Guillaume  de  Caen,  dont  le  nom  est  dérivé 
d'une  seigneurie  en  Normandie,  un  fief  noble  de  haute, 
moyenne  et  basse  justice,  avait  Thonneur  de  porter  le  titre 
de  la  première  baronnie  concédée  par  le  roi  de  France  au 
Canada,  quoiqu'il  fût  ensuite  dépossédé.  La  postérité  ré- 
side dans  la  Guadeloupe. 


LIENARD,  COMTE  DE  BEAUJEU 

Armes  :  D'or  au  lion  de  sable  armé  et  lampas.sé  de 
gueules. 

Histoire  :  Cette  famille  était  rangée  pendant  des  siècles  et 
depuis  le  IX  siècle  parmi  les  grands  feudataires  de  la 
France.  Le  nom  de  Beaujeu  de  Beaujolis  est  renommé  dans 
l'histoire.  De  cette  famille  fut  Anne  de  Beaujeu,  reine  de 
France. 


206  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Philippe,  comte  de  Beau/eu,  chef  du  gobelet  du  Roi,  gui- 
don des  chevaux  légers  de  la  garde  du  Roi  et  son  épouse 
Catherine  Gobert  eurent  un  fils  : 

Louis  Liénardf  comte  de  Beaujeu,  chevalier  de  St-Louis, 
major  des  troupes  envoyées  au  Canada  en  l/eo.  Il  naquti 
en  1682  et  épousa  à  Montréal  en  1706  Denise  T.,  fille  de 
Jean  B.  Migeor,  remeuse  de  L.  S.  les  enfants  de  la  famille 
royale.  Enfants  :  I  Louise,  II  Louis  J.,  III  Marie  J.,  IV  Da- 
niel H.,  V  Marie  C,  VI  Charlotte,  VII  Louise,  VIII  Louis, 
IX  Marie  J.  R,  X  Jean  B.  G. 

Louis  Liinard^  comte  de  Beaujeu,  né  en  17 16,  fils  du  précé- 
dent, seigneur  de  Villemonde,  lieutenant  des  troupes, 
épousa  (Québec  1747)  Louise  C,  fille  de  François  C.  Cugnet, 
et  ensuite  Geneviève,  fille  de  Paul  J.  Lemoyne  (1753),  de  la 
famille  du  baron  de  Longueuil.  Enfants  :  I  Julie  L.,  II  Eli- 
zabeth  G.,  III  Marie  L.,  IV  François,  V  Marie.  Le  chef 
actuel  de  la  famille  est  Marie,  Jules,  Georges,  Raoul,  Mo- 
nougahéla  Saveuse,  vicomte  de  Beaujeu,  et  membre  du 
conseil  de  l'Ordre  Seigneurial.  Cette  famille  a  donné  au 
Canada  un  des  héros  de  son  histoire  :  Daniel  Hyacinthe  de 
Beaujeu,  commandant  au  fort  Duquesne  sur  l'Ohio,  qui  dé- 
fit le  général  anglais  Braddock  et  son  armée  de  plus  de 
2,000  réguliers  avec  à  peine  600  Canadiens-Français  et 
Peaux  Rouges. 

* 
*  -* 

LORE 

Armes  :  D'hermine  à  trois  quintefeuilles  de  gueules. 
Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Maison  d'origine  chevaleresque  qui  a  pris  son 
nom  d'une  terre  située  à  trois  lieues  de  Mans  et  où  l'on 
comptait  cent  quarante-sept  feux.  Elle  florissait  dès  le 
treizième  siècle,  et  avait  contracté  des  alliances  avec  les 
plus  anciennes  familles  de  l'Anjou,  du  Poitou,  du  Maine 
et  de  la  Touraine. 


LA  NATION  FRANCO- NORMANDE  AU  CANADA  207 

PREVOST  DE  ST-FRANCOIS 

Armes  :  Tiercé  au  l  d'azur  au  croissant  d'argent  ;  au  2 
d'or  à  trois  étoiles  d'azur  ;  au  3  de  sable  à  la  sirène  d'ar- 
gent.    Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Famille  qui  a  donné  Robert  Prévost,  seigneur 
de  Montreuil  du  Péreux,  trésorier,  receveur  général  et 
payeur  des  rentes  de  l'hôtel  de  ville  de  Paris.  Né  vers  l'an 
1654,  ^ut  reçu  conseiller-secrétaire  du  Roi,  de  sa  maison  et 
de  la  couronne  de  France  et  de  ses  finances.  Cette  famille 
en  obtint  les  provisions  le  3  mai  1708. 

Jean  B.  Prévost,  sieur  de  St-François,  représentait  cette 
famille  au  Canada  en  1683,  date  de  son  mariage  à  Beau- 
port  avec  Marie,  fille  de  Martin  Giroci.  Mais  il  épousa 
ensuite  en  1712  à  Ste-Famille,  Marie  G.,  fille  de  Jean  Sedi- 
lot.  Son  père  fut  Martin  et  son  srand-père  et  grand'- 
mère  furent  Pierre,  et  Charlotte  (View)  Prévost  Montreuil 
sur  Bois  de  Vincennes. 

* 

•*  * 

DE  LA  MOTHE  DE  CADILLAC 

Armes  :  De  gueules  au  lion  d'or,  la  patte  dextre  surmon- 
tée d'une  étoile  du  même  au  canton  dextre  de  l'écu.  Devise  : 
Hinc  lucet,  hinc  dimicat.     Couronne  seigneuriale. 

histoire  :  La  famille  de  La  Mothe  est  une  des  plus  an- 
ciennes du  Vivarais  ;  elle  établit  par  actes  authentiques  sa 
filiation  depuis  l'an  1371.  Elle  a  porté  jusqu'en  1545  le 
nom  de  Chalendar,  époque  à  laquelle  elle  a  pris  le  nom  de 
La  Mothe.  Lors  de  la  vérification  des  titres  de  noblesse, 
des  jugements,  à  la  date  du  7  juillet  1668  et  au  1er  septembre 
1669  la  lui  confirmèrent  sous  ce  nom  dans  les  provinces  du 
Languedoc  et  du  Dauphiné.  Presque  tous  les  membres  de 
cette  famille  ont  servi  successivement  dans  les  pages  de 
la  Chambre  et  de  la  petite  écurie  et  ont  tenu  des  emplois 
élevés  dans  la  marine  et  dans  l'armée  territoriale.  Le  titre 
de  comte  a  toujours  été  à  la  famille  qui  jouissait,  avant 
1789,  de  tous  les  droits  seigneuriaux. 


208  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

Antoine  de  La  Mothe,  sieur  de  Cadillac,  de  cette  famille, 
était  capitaine  en  1699  commandant  le  fort  Pontchatrain 
dans  la  Louisiane,  de  laquelle  province  il  devenait  gouver- 
neur en  1714.  Il  naquit  en  1661,  fils  de  Jean  de  La  Mothe 
(frère  du  marquis  de  Jourdis)  et  de  Jeanne  de  Malenfant 
(Toulouse).  Il  épousa  à  Québec  en  1687  Marie  Thérèse,  fille 
de  Denis  Guyon. 

*  * 

AMYOT  DE  ST,E-CROlX 

Armes  :  D'azur  à  la  bande  d'argent  chargée  de  5  mou- 
chetures d'hermine  de  sable  posées  dans  le  sens  de  la 
bande.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Cette  famille  avait  donné  beaucoup  d'hommes 
illustres  dans  la  litérature  et  les  arts  en  France.  Elle  est 
d'origine  normande  et  fut  établie  à  Moyencourt  en  Nor- 
mandie. 

Mathieu  Amyot,  né  à  Chartres  (Normandie)  marié  au  Ca- 
nada à  Marie,  fille  de  Pierre  Miville  à  Québec  en  1650. 
Son  père  et  sa  mère  furent  Philippe  Amyot  (Chartres)  et 
Anne  Convent,  fille  de  Guillaume  et  d'Antoinette  de  Long- 
val,  évêché  de  Soissons.  Par  la  recommandation  du  mi- 
nistre Talon  auprès  du  Roi,  il  fut  doté  de  la  seigneurie  voi- 
sine de  Ste-Croix.     Son  fils  : 

Charles  Amyot,  seigneur  de  Vincelette,  marchand,  né 
en  1650,  épousa  Geneviève,  fille  de  François  de  Chavi- 
gny,  sieur  de  Berchereau-Créancé  en  Champagne,  et  de 
son  épouse  Eléonore  de  Grandmaison.     Son  fils  : 

Charles  Joseph  Amyot,  seigneur  du  Cap  St  Ignace,  épousa 
en  1691  Marie  Gabrielle,  fille  de  Jean  Hautmonay.  Issu 
de  lui  fut  : 

Gabriel J.  Amyot,  sieur  de  Hautmonay,  qui  épousa  à  Qué- 
bec en  1741,  Marie,  fille  de  J.  B.  La  Coudray. 

* 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  209 

AVICE  DE  LAGARDE 

Armes  :  D'azur  à  3  diamants  taillés  en  triangle  posés  sur 
leur  pointe.  Chaque  diamant  à  3  facettes.  Couronne 
seigneuriale. 

Histoire  :  D'une  ancienne  famille  de  Poitou,  Charles  H. 
Avice,  sieur  de  Mougon,  exempt  des  Gardes  du  Roi,  co- 
lonel de  cavalerie,  épousa  Blanche  Colombe  de  Rasilly 
(N.-D.  de  Niort,  Poitiers)  et  son  fils  : 

Michel  M.  Avice,  seigneur  de  la  Garde  au  Canada, 
épousa  à  Montréal  en  1760  Marie  A.,  fille  de  Louis  Prud'- 
homme. 

* 

AUDET  DE  BAYEUL 

Armes  :  D'azur  à  3  épées  d'argent  pointes  en  bas.  Cou- 
ronne seigneuriale. 

Histoire  :  De  cette  famille  d'Odet  ou  Audet  de  Bretagne, 
est  dérivé  : 

Louis  Audet,  sieur  de  Bayeul  au  Canada,  marié  en  1702,  à 
Contrecœur,  à  Madeleine,  fille  de  Toussaint  Chrétien,  et  en- 
suite en  1702  (Isle  de  Jersey),  à  Marie  A.,  fille  d'Antoine 
Trottier. 

* 
*   * 

D'AMOURS  DE  CHAUFOURS 

Armes  :  D'argent  à  trois  clous  de  sable  surmontés  d'un 
sanglier  du  même.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire:  Mathieu  D'Amours,  seigneur  de  Chaufours,  un 
des  grands  seigneurs  du  Canada,  né  en  1518,  marié  (Qué- 
bec, 1652)  à  Marie,  fille  de  Nicolas  Marsolet.  Il  fut  fils  de 
Louis  D'Amours,  conseiller  du  Roi  en  son  château  à  Paris, 
et  d'Elisabeth  Tessier  (St-Paul,  Paris),  et  la  cinquième  gé- 
nération de  François  D'Amours,  seigneur  du  Serin  (1490), 
maître  de  l'Hôtel  de  Sa  Majesté  Louis  XII.  Un.des  frères 
de  Mathieu  (Gabriel)  était  aumônier  de  S.  M.  le  Roi  Louis 


210  LA   REVUE   FRANCO- AMÉRICAINE 

XIV  en  1664,  et  un  autre  (Pierre),  chevalier  et  maréchal  des 
champs.     Mathieu  avait  plusieurs  fils  dont  : 

Louis  D'Amours^  sieur  de  Jemsey  en  Acadie,  né  en  1655, 
épousa  en  1686,  à  Québec,  Marguerite,  fille  de  Simon 
Guyon. 

René  D'Amours^  sieur  de  Clignancourt,  né  en  1660,  épousa 
Françoise  C,  fille  de  Charles  Le  Gardeur. 

Mathieu  D'Amours^  sieur  de  Preneuse,  né  en  1657,  épousa 
Louise,  fille  de  Simon  Guyon. 

Charles  D'Amours,  sieur  de  Louvière,  né  en  1662  (rivière 
St-Jean,  Acadie),  épousa  en  1698,  Marie  A.,  fille  de  François 
Genaple,  et  ensuite  à  Port  Royal,  Acadie,  Marie  A.,  fille 
de  Pierre  Thibodeau  et  de  n  Jeanne  Terio. 

Bernard  d'Amours,  sieur  de  Plaine,  officier  à  Port  Royal, 
Acadie,  marié  à  une  fille  de  La  Borgne  de  Belleisle. 


ADHELMAR  DE  ST-MARTIN,  ETC. 

Armes  :  D'or  à  3  bandes  d'azur.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Ancienne  famille  de  Provence  de  laquelle  était 
Antoine  Adhémar,  sieur  de  St-Martin,  notaire  royal  au 
Canada,  né  en  1740,  fils  de  Michel  Adhémar  et  de  Cécile 
Dalbe  (St-Salvy,  d'Alby,  haut  Languedoc),  qui  épousa  Ge- 
neviève, fille  d'Antoine  Segeot  et  de  Marguerite  ruffel,  St- 
André-des-Arts,  Paris.  De  la  même  famille  aussi  en  Ca- 
nada était  : 

Gaspard  Adhémar,  seigneur  de  Lantagnac,  fils  d^Antoine, 
gouverneur  de  Manton,  Provence,  et  de  Jeanne  de  Truck. 
Il  était  chevalier  et  lieutenant,  marié  (Québec  1720)  à  Gene- 
viève, fille  de  Mathieu,  sieur  de  Lino. 


BOURGONNIERE  DE  HAUTEVILLE 

Armes  :  De  gueules  au  chevron  d'or,  accompagné  de  3 
croissants  d'argent.     Couronne  seigneuriale. 


LA  NATION  FRANCO  NORMANDE  AU  CANADA      211 

Histoire  :  Le  premier  de  cette  illustre  famille  au  Canada 
fut: 

Barthélémy  François  Bourgonnière,  sieur  de  Hauteville, 
secrétaire  du  gouverneur,  né  en  1666,  fils  de  Yves  Bourgon- 
nière, notaire  royal  de  Bayeux,  et  de  Françoise  Testu.  Il 
épousa  (Québec  1696)  Marie  A.,  fille  de  Jean  Levrard. 

RIGAULT,  MARQUIS  DE  VAUDREUIL 

Armes  :  D'argent  au  lion  de  gueules,  couronné  d'or.  Cou- 
ronne seigneuriale. 

Histoire  :  Les  seigneurs  de  Rigault  furent  d'une  haute, 
ancienne  et  puissante  race  à  St-Papoul,  en  France. 

Jean  L.  de  Rigault,  seigneur  de  Castel-Verdun  et  de  Vau- 
dreuil,  accompagna  les  troupes  de  France  au  Canada 
comme  officier  supérieur.  Il  épousa  à  Québec,  en  1690, 
Louise  E.,  fille  de  Pierre  de  Joybert,  seigneur  de  Soulange. 
Ses  enfants  :  I  Louis  P.,  II  Philippe  A.,  III  Pierre,  IV  Hec- 
tor, V  François,  VI  Joseph  H.,  VII  Louise  E. 

Louis  Philippe  de  Rigault,  marquis  de  Vaudreuil,  capi- 
taine des  gardes,  né  en  1691,  fils  du  précédent,  fut  succédé 
par  son  frère  : 

Philippe  Anaud  de  Rigault,  marquis  de  Vaudreuil,  der- 
nier gouverneur-général  du  Canada  pour  le  Roi  de  France 
Louis  XV  en  1/59,  naquit  en  1705  et  épousa  Antoinette 
Colombel. 

Le  marquis  de  Vaudreuil  aussi  fut  gouverneur  de  la 
Louisiane  et  lorsque  la  collection  Vaudreuil,  contenant  les 
archives  du  Canada  et  de  la  Louisiane  de  son  administra- 
tion, fut  dotée  à  la  Louisiane  par  l'héritier  du  titre  dans  le 
XIX  siècle,  l'administration  anglaise  au  Canada  se  félicita 
de  la  perte  de  cette  collection. 

* 
*  * 

DE  ST-VINCENT,  BARON  DE  NARCY 

Armes  :  Ecartelé  aux  l  et  4  d'or  à  un  bœuf  passant  de 
gueules,  clarine  du  même,  au  canton  senestre  d'azur  chargé 
d'une  croix  potencée  et  alésée  d'or  ;  aux  2  et  3  d'or  à  une 


212  LA    REVUE    FRANCO -AMÉRICAINE 

cloche  de  gueules.  Couronne  de  baron  et  de  seigneur. 
Cimier  :  un  bœuf  issuant  entre  deux  bannières  aux  armes 
du  deuxième.     Aussi  couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Cette  famille  est  ancienne  et  noble  dans  la 
Champagne  et  les  Pays-Bas. 

Pierre  de  St-Vinceat,  baron  de  Narcy  en  Champagne, 
premier  capitaine  des  troupes  du  pays,  chevalier  de  St- 
Louis,  né  en  Iô6o,  épousa  Marie  Antoinette  Ducjard.  En- 
fants :  I  Marie  H.,  II  Henri  A.,  III  Jean  C,  IV  Daniel,  V 
Elisabeth. 

Henri  Albert  de  St- Vincent,  fils  du  précédent  baron  de 
Narcy,  officier  des  troupes  à  Lorette  (Canada)  en  1730, 
épousa  (Québec  1719),  Marie  M.  L.,  fille  du  seigneur  Jacques 
Le  Vasseur.  Enfants  :  I  Thomas  A.,  II  Marie  T.  E.,  III 
Charles  A. 

Thomas  Antoine  de  St- Vincent,  baron  de  Narcy,  fils  du 
précédent  dont  les  descendants  continuent  les  titres  et  les 
droits  de  famille. 


TONTY,  BARON  DE  PALUDY 

Armes  :  D'argent  à  la  bande  engraillée  de  sable.  Ci- 
mier :  Un  oiseau  au  naturel  affronté  de  3  plumes  d'autru- 
che de  gueules  comme  descendant  des  comtes  Dondi  à  Ve- 
nise.    Couronne  de  baron  et  de  seigneur. 

Histoire  :  Laurent  Tonty  épousa  Isabelle  de  Liette  et  son 
fils  fut  : 

Alphonse  Tonty,  baron  de  Paludy  capitaine-comman- 
dant le  poste  de  Détroit,  né  en  1659,  marié  d'abord  (Mont- 
réal 1689)  à  Anne,  fille  de  Pierre  Picoté,  famille  seigneuriale 
de  Bellestre,  et  ensuite  en  1717  à  Marie  A.,  fille  de  Jacques 
Roch  La  Marque.  Enfants  :  I  Marie  H.,  II  Louis,  III  Char- 
les II,  IV  Claude,  V  Thérèse,  VI  Pierre  A.,  VII,  Marie  J. 

Charles  Henri  Joseph  Tonty,  baron  de  Paludy,  gouver- 
neur du  fort  St-Louis,  sur  le  Mississipi,  fils  du  précédent, 
marié  (Chambly  1722)  à  Marie  M.,  fille  de  Pierre  Savourin, 


LA   NATION   FRANCO-NORMANDE   AU   CANADA  213 

et  ensuite  à  Louise,  fille  de  Charles  Renaud  (1732).  En- 
fants :  I  Angélique  et  des  autres  parmi  lesquels  a  été 
transmis  le  titre  de  Paludy.  Il  était  le  fondateur  des 
villes  de  Little  Rock  et  de  Preoria,  et  appelé  le  "  Père  d'Ar- 
kansas." 

(A  suivre.) 


:o:- 


Etud 


e  sociale 


Le  Canada  est  un  pays  riche  et  prospère.  On  le  dit  par- 
tout, même  à  l'étranger,  et  nous  avons  fini  par  y  croire, 
lorsque  c'est  par  là  que  nous  aurions  dû  commencer.  Il  faut 
donc  le  répéter  afin  que  personne  ne  l'ignore,  surtout  ceux 
qui  ne  participent  pas  à  la  richesse  nationale  dans  la 
mesure  qui  devrait  leur  en  revenir.  Cela  pourra  les  porter 
à  se  demander  pourquoi  ils  ne  jouissent  pas  de  toute  leur 
part  de  prospérité,  et  il  n'en  résultera  que  du  bien  au  point 
de  vue  social.  Il  faut  savoir  de  quoi  l'on  souffre  pour  y 
remédier,  et  c'est  en  remontant  de  l'effet  à  la  cause  que  l'on 
y  arrive  le  mieux. 

Nos  gouvernants  ont  le  pouvoir  de  maintenir  l'équilibre 
économique,  et  ils  doivent  le  faire  de  telle  sorte  qu'aucune 
classe  de  la  Société  ne  soit  plus  favorisée  qu'une  autre.  Ils 
ont  souvent  la  bonne  volonté  de  le  faire,  mais  leurs  bonnes 
intentions  sont  aussi  souvent  faussées  par  la  partisannerie 
moutonnière,  trop  facilement  satisfaite.  C'est  par  elle  que 
nous  manquons  à  notre  devoir  de  les  renseigner  sur  les 
besoins  réels  et  pressants.  Pour  bien  diriger  il  faut  bien 
connaître,  et  comment  arriver  à  la  vérité  économique 
lorsque  la  plupart  des  électeurs  sont  des  politiciens  com- 
promis avant  d'être  des  économistes  de  bonne  volonté. 

Il  y  a  d'heureuses  exceptions  et  votre  excellente  Revue 
est  avec  les  meilleures.  Cependant  son  nom  ne  nous  rap- 
pelle pas  moins  que  la  race  française  en  Amérique  est  par- 
tagée en  deux  grands  tronçons.  Si  nous  remontons  à  l'épo- 
que de  la  séparation,  qui  s'effectua  surtout  entre  l86oet  1875, 
il  faut  bien  dire  qu'il  ne  fut  rien  fait  de  pratique  pour 
enrayer  un  mouvement  que  Ton  a  justement  considéré 
comme  une  calamité  nationale.  Nous  aurions  dû  élever  le 
principe  économique  remédiateur  à  la  hauteur  d'une  ques- 
tion nationale;   l'on  préféra  dans  le  temps  en  faire  une 


ÉTUDE   SOCIALE  215 

question  de   parti,  quitte  à  en  déplorer   par   la  suite   les 
conséquences  néfastes. 

Nous  avons  constaté  brièvement  sans  discuter,  voulant 
seulement  en  arriver  à  formuler  un  vœu,  qui  est  celui-ci  : 
C'est  que  les  continuateurs  de  ceux  qui  nous  donnèrent  la 
protection,  cause  principale  de  la  prospérité  que  nous 
constations  au  début,  complètent  la  grande  œuvre  des  ini- 
tiateurs de  cette  politique  bienfaisante,  en  mettant  les 
questions  de  tarif  hors  du  domaine  de  la  politique  active 
et  des  débats  stériles  de  parti. 


Si  le  Canada  est  riche  et  prospère,  la  richesse  n'est  pas 
également  répartie  entre  les  différentes  races  qui  composent 
la  nation.  Nos  compatriotes  sont  d'excellents  travailleurs, 
et  leur  activité  contribue  grandement  au  développement 
de  la  richesse  nationale.  Néanmoins  la  race  française 
n'est  pas  cotée  bien  haut  que  nous  sachions  dans  la  fi- 
nance. Le  Star  de  Montréal  donnait  à  la  fin  de  1911  une 
liste  de  cent^millionnaires  de  notre  métropole,  et  dans  cette 
nomenclature  on  ne  relevait  que  trois  noms  français  :  For- 
get,  Beaubien  et  Béique. 

Notre  nationalité  produit  peut-être  autant  qu'une  autre 
en  Canada  ;  ce  qui  est  certain,  c'est  que  nous  sommes- 
moins  outillés  que  les  autres  pour  conserver  et  bénéficie/ 
des  fruits  de  notre  production.  La  finance,  c'est  l'argent 
des  autres,  a  dit  un  économiste.  La  finance  en  France  a 
été  grandement  alimentée  par  l'épargne  populaire,  qui  a 
fait  des  prodiges.  Il  faut  qu'il  en  soit  ainsi  pour  les  nôtres 
dans  ce  pays,  malgré  que  la  situation  soit  bien  différente. 
Il  y  a  dans  notre  ancienne  mère-patrie  unité  nationale, 
tandis  qu'ici  plusieurs  nationalités  se  coudoient  sans  se  fu- 
sionner. Mais  elles  peuvent  se  coaliser  contre  une  autre  et 
c'est  alors  que  la  vigilance  est  le  prix  de  la  liberté.  L'asser- 
vissement par  le  capital  est  une  vassalité  qui  n'est  pas 
plus  désirable  qu'une  autre  servitude. 

Lorsqu'il  n'y  a  point  unité  de  race,  il  ne  peut  y  avoir 


216  LÀ    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

unité  d^action  financière,  et  c'est  la  nationalité  qui  a  le 
plus  grand  nombre  d'institutions  financières,  qui  profite 
le  plus  de  l'argent  des  autres.  Il  faut  donc  un  mot 
d'ordre  :  alors  faisons  surgir  des  organisations  qui  offrent 
des  placements  sûrs  et  fructueux  à  l'épargne  populaire, 
tout  en  servant  à  l'accumulation  des  capitaux.  Organi- 
sons surtout  dans  les  branches  où  nous  faisons  la  plus 
piètre  figure.  De  plus,  ne  copions  pas  trop  les  institu- 
tions étrangères,  car  notre  mentalité  étant  différente, 
nous  n'y  trouverions  pas  toujours  le  succès.  Adaptons 
plus  tôt,  et  ce  qui  est  mieux,  créons  ce  qui  est  indispen- 
sable à  nos  besoins  actuels,  sans  cesser  d'améliorer  et  de 
perfectionner  ce  qui  existe  déjà. 

N'oublions  pas  que  dans  un  pays  comme  le  nôtre, 
une  race  ne  peut  être  maîtresse  de  ses  destinées  sans 
contrôler  les  institutions  qui  reçoivent  ses  épargnes,  et  nous 
trouverons  là  le  but  vers  lequel  doivent  tendre  nos  efforts. 
C'est  en  cherchant  une  solution  aussi  pratique  à  nos  pro- 
blèmes sociaux  que  nous  assoirons  l'avenir  sur  des  bases 
solides.  Nous  avons  tous  les  éléments  nécessaires  à  la  for- 
mation d'organisations  sérieuses,  capables  de  produire  la 
plus  grande  somme  de  bien.  Il  ne  s'agit  que  de  les  réunir 
et  de  les  mettre  en  action.  Les  grands  financiers  n'ont  pas 
toujours  le  temps  de  penser  aux  petits.  Pourquoi  ces  der- 
niers ne  prendraient-ils  pas  l'initiative  d'œuvres  qui  con- 
tribueront à  leur  émancipation  financière  } 

Nous  terminerons  cette  courte  étude  en  signalant  deux 
organisations  nouvelles  qui  promettent  beaucoup  et  qui 
tiendront  tout  ce  qu'elles  font  espérer  :  l'une  est  1'  "Epar- 
gne Foncière,"  l'autre  est  la  "Société  Hypothécaire.''  Elles 
sont  le  résultat  d'une  étude  approfondie  de  la  situation  et 
des  nécessités  présentes.  M.  P.  Bilaudeau  eut  le  premier 
l'idée  de  1'  "  Epargne  Foncière  "  et  son  travail  serait  peut- 
être  demeuré  à  l'état  de  projet  sans  les  encouragements  de 
MM.  J.-L.  K.-Laflamme  et  J.-A.  Lefebvre,  qui  non  seule- 


ÉTUDE   SOCIALE  217 

ment  approuvèrent   la  suggestion    mais   insistèrent   pour 
qu'elle  prît  au  plus  tôt  une  forme  réelle  et  active. 

L' "  Epargne  Foncière"  est  sous  demande  d'incorpora- 
tion et,  en  attendant  les  lettres  patentes  qui  en  feront  défi- 
nitivement une  corporation,  elle  a  ouvert  ses  bureaux  au 
No  71a,  rue  Saint-Jacques,  Montréal.  Ceux>de  nos  amis  qui 
s'intéressent  à  l'oeuvre  naissante  auront  de  plus  amples 
informations  en  s'adressant  à  la  REVUE.  Disons  de  suite 
que  cette  Compagnie  se  propose  de  demander  à  ses  adhé- 
rents une  piastre  par  semaine  pour  en  faire  le  placement 
sur  propriétés  foncières,  à  Montréal.  C'Qst  un  placement 
de  tout  repos  et  qui  produira  les  meilleurs  résultats.  Ainsi 
celui  qui  n'a  que  deux  ou  trois  cents  piastres  ne  peut,  dans 
l'état  actuel  du  marché  foncier,  faire  une  transaction  consi- 
dérable, mais  par  1'  "  Epargne  Foncière,'^  qui  réunira  la  mise 
de  chacun,  l'opération  peut  se  faire  avec  le  plus  grand 
avantage. 

Saint-Sorlin. 


■:o: 


Revue  des  faits  et  des  oeuvres 


Nos  compatriotes  de  l'ouest  américain 

Il  n'est  pas  trop  tard  pour  signaler  aux  lecteurs  de  la 
Revue  la  quatorzième  convention  de  l'Union  des  Sociétés 
canadiennes-françaises  de  l'ouest  américain,  tenue,  dans 
le  mois  de  septembre,  à  Iron  Mountain  (Michigan). 

A  cette  convention  on  a  adopté  les  taux  du  Congrès  fra- 
ternel, qui  sont,  on  le  sait,  le  tarif  minimum  à  exiger  par 
une  société  si  elle  désire  se  maintenir.  La  société,  à  l'ave- 
nir, émettra  des  polices  sur  la  vie  de  ses  membres  pour  des 
sommes  variant  de  $250  à  $2,000.  Les  conventions  de  la 
société  auront  lieu  tous  les  trois  ans  le  3e  mardi  de  sep- 
tembre. La  prochaine  convention  aura  lieu  à  Alpena, 
Mich. 

L'Union  des  sociétés  a  choisi  le  bureau  suivant  : 

Chapelain — R.  P.  Farceau,  de  Iron  Mountain,  Mich. 

Président— Mathias  Filion,  d'Escanaba,  Mich. 

1er  vice-président — Emile  F.  Prince,  de  Lake  Linden, 
Mich. 

2e  vice-président — Ant.  Chouinard,  de  Minneapolis. 

Secrétaire — Eusèbe  Bertrand,  de  Marquette,  Mich. 

Trésorier — Henri  Routhier,  d'Ishpeming,  Mich. 

Médecin-réviseur — Dr  Charles  F.  Pequenot,  de  Détroit, 
Mich. 

Directeurs— Eugène  Ménard,  Sault  Ste-Marie,  Mich.;  F. 
X.  Normand,  Iron  Mountain,  Mich.;  F.  Cloutier,  Calumet, 
Mich. 

L'Ecole  Sociale  Populaire 

C'est  une  œuvre  canadienne  de  fondation  récente  ;  elle 
est  appelée  à  faire  beaucoup  de  bien,  si  elle  reçoit  du  pu- 
blic l'encouragement  qu'elle  mérite.     L'E.  S.  P.  prit  nais- 


revije  des  faits  et  des  œuvres  219 

sance  à  Montréal,  en  janvier  191 1,  dans  un  congrès  inter- 
diocésain convoqué  par  la  Fédération  générale  des  Ligues 
du  Sacré-Cœur;  huit  diocèses  y  étaient  représentés.  L'E- 
cole veut  "  travailler  au  salut  du  peuple  et  à  Tamélioration 
de  son  sort,  en  propageant  l'idée  d'association  catholique, 
surtout  sur  le  terrain  professionnel."  Les  œuvres  dont  elle 
cherche  à  provoquer  l'établissement  sont  :  "les  caisses  ru- 
rales et  ouvrières,  les  secrétariats  ouvriers  ou  bourses  du 
travail,  les  unions  professionnelles,  les  ateliers  d'appren- 
tissage, les  patronages,  les  sociétés  coopératives,  les  habi- 
tations à  bon  marché,  etc."  Parmi  les  principaux  moyens 
d'action  on  remarque  :  I.  les  tracts  périodiques  ;  2.  les  cer- 
cles d'études  sociales;  3.  les  groupes  de  conférenciers  ; 
4.  les  secrétariats  sociaux  ;  5.  les  cours  de  l'Ecole  ;  6.  le  re- 
crutement des  membres  actifs.  L'E.  S.  P.  a  aussi  l'inten- 
tion, aussitôt  que  les  ressources  le  permettront,  de  fonder 
une  chaire  d'études  sociales,  une  bibliothèque  sociale  pu- 
blique, et  d'organiser  des  journées  sociales.  "  Prêtres  et 
laïques,  a  dit  S.  G.  Mgr  Bruchési,  dans  une  belle  lettre  aux 
organisateurs,  unissez-vous  pour  étudier  les  problèmes  éco- 
nomiques à  la  lumière  de  l'Evangile...  L'Eglise  compte  sur 
vous  et  la  patrie  vous  sera  reconnaissante,  parce  que  vous 
hériterez  à  brève  échéance  de  la  popularité  du  socialisme." 
L'Ecole  est  administrée  par  un  "Conseil  central"  et  par  un 
"Bureau  de  direction."  "Les  membres  d'honneur"  se  di- 
visent en  deux  catégories  :  a)  "  fondateurs,"  qui  contribuent 
$500  ou  plus  ;  b)  "  bienfaiteurs,"  qui  donnent  $100  en  un  ou 
plusieurs  versements.  "  Les  membres  actifs"  sont,  soit  :  a) 
"correspondants,"  nommés  par  NN.  SS.  les  Evêques  ;  soit 
b)  "actifs  proprement  dits,"  qui  prennent  part  aux  travaux 
de  l'Ecole  et  paient  la  contribution  annuelle  de  $1,  en  re- 
tour de  laquelle  ils  reçoivent  les  grands  tracts  et  sont  admis 
aux  conférences  gratuitement.  Comme  les  cercles  d'études 
peuvent  être  agrégés  à  l'E.  S.  P.,  nous  invitons  les  cercles 
de  l'A.  C.  J.  C.  à  se  mettre  en  communication  avec  notre 
vice-président,  Arthur  Saint-Pierre,  qui  est  le  secrétaire  de 
l'E.  S.  P.  et  se  fera  un  plaisir  de  fournir  tous  les  renseigne- 


220  LA   REVUE    FRANCO-AMERICAINE 

ments  désirés.    L'adresse  du  "  Secrétariat  de  l'Ecole  So- 
ciale Populaire  est  :  1075,  rue  Rachel,  Montréal. 

Retour  au  catholicisme 

A  Paris,  dans  la  *'  Revue  de  l'Archiconfrérie  de  N.-D.  de 
la  Compassion,"  M.  l'abbé  Billecocq  a  dressé  le  tableau  des 
principales  conversions  de  protestants  anglais  au  cours  de 
l'année  1910. 

On  connaît  déjà  les  plus  remarquables  parmi  ces  con- 
versions, notamment  celle  des  pasteurs  de  Brighton  entrés 
en  conflit  avec  leur  évêque  sur  la  question  du  culte  public 
à  rendre  au  Saint-Sacrement. 

En  dehors  de  ces  retours  sensationnels  opérés  à  Brighton, 
M.  Billecocq  signale  la  conversion  de  onze  autres  ministres 
protestants  et  donne  une  longue  liste  de  notables  convertis, 
parmi  lesquels  une  nièce  de  M.  Asquith,  premier  ministre, 
et  de  hauts  fonctionnaires  civils  et  militaires  d'Angleterre. 
Après  quoi,  l'autorité  ajoute  : 

"  Après  cette  énumération  des  conversions  les  plus  no- 
tables, nous  pourrions  ajouter  comme  saint  Jean  dans  l'A- 
pocalypse :  **  après  cela  je  vis  une  foule  immense  que  per- 
sonne ne  pouvait  compter,"  car  indépendamment  des  200 
conversions  de  Brighton,  enregistrées  ci-dessus,  la  "  Lamp  " 
de  Garrison,  de  mars  dernier,  affirme  que  dans  le  seul  dio- 
cèse de  Philadelphie,  plus  de  300  convertis  ont  été  confir- 
més en  mai  1910;  et  1'" Examiner"  de  Bombay,  du  25  fé- 
vrier dernier,  nous  fournit,  pour  la  même  année,  les  conso- 
lantes données  qu'on  va  lire. 

Et  il  énumère  des  conversions  globales  parmi  lesquelles 
nous  relevons,  en  décembre,  celle  de  \^  étudiants  de  St- 
Louis  aux  Etats-Unis.  M.  Billecocq  peut  donc  conclure 
sans  vain  optimisme  : 

"  L'année  1910  est  une  de  celles  qui  ont  vu  le  plus  de 
conversions,  et  parmi  ces  retours  un  grand  nombre  de  la 
plus  haute  importance...  Mais  ce  qui  est  plus  consolant  en- 
core, c'est  de  penser  que  cette  statistique  est  loin  d'être 
complète  et  qu'en  IQIO  il  y  a   eu,  en  dehors  de  ces  conver- 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  221 

sions,  un  grand  nombre  d'autres  ignorées,  qui  ont  contri- 
bué, comme  les  plus  éclatantes,  à  augmenter  dans  la  région 
où  elles  se  sont  produites,  le  prestige  de  l'Eglise  catholi- 
que. Le  mouvement  vers  Rome  s'accentue  tous  les  jours 
davantage,  parce  que  nos  frères  séparés  se  rendent  de  plus 
en  plus  compte  de  l'impuissance  du  protestantisme  à  leur 
transmettre  intégrale  et  pure  la  doctrine  de  Jésus-Christ." 

Français  et  Allemands  au  Maroc 

La  France  et  l'Allemagne  ne  se  battront  pas  au  sujet  du 
Maroc.  Il  fallait  bien  s'y  attendre  un  peu.  Pour  une  fois, 
les  diplomates  auront  suivi  le  conseil  de  l'abbé  Barthélémy  : 
"  Toute  guerre  finit  par  là  où  elle  devrait  commencer — la 
paix."  Ils  ont  conclu  un  accord  dont  voici  les  articles 
essentiels  : 

L'Allemagne  reconnaît  à  la  France  le  droit  d'établir  son 
protectorat  sur  le  Maroc,  que  les  deux  nations  vont  s'appli- 
quer à  faire  reconnaître  par  les  puissances  signataires  de 
l'acte  d'Algésiras. 

En  ce  qui  concerne  le  Maroc,  la  France  consent  à  respec- 
ter la  liberté  économique  et  commerciale  mentionnée  dans 
les  traités  existants. 

Comme  compensation,  la  France  cède  à  l'Allemagne  en- 
viron 250,000  kilomètres  carrés  de  territoire  dans  le  nord 
du  Congo,  voisin  du  Cameroun. 

Le  territoire  cédé  est  habité  par  un  million  de  nègres  en- 
viron, et  son  commerce  annuel  est  évalué  à  12  millions  de 
francs. 

La  nouvelle  frontière  de  la  colonie  allemande  part  de  la 
baie  de  Monda  jusqu'à  la  rivière  Sangha,  puis  à  la  rivière 
Kandeko  et  par  le  Congo  rejoint  le  lac  Tchad  en  suivant 
les  rivières  Oubanghi  et  Logoué. 

La  France  conserve  le  droit  d'exploiter  les  lignes  de  che- 
min de  fer  sur  le  territoire  allemand,  afin  de  réunir  les  diffé- 
rentes parties  de  ses  colonies  de  l'Afrique  occidentale. 
L'accord  ne  touche  en  rien  le  Togoland,  mais  l'Allemagne 
cède  la  partie  du  Cameroun  appelée  le  Bec  de  Canard  s'é- 
tendant  de  la  rivière  Chari  à  la  rivière  Logoué. 


222  LA   REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

Elle  cède  tout  le  territoire  réclamé  par  la  France  pendant 
la  longue  controverse  relative  à  la  délimitation  des  fron- 
tières du  Togoland  et  du  Dahomey. 

Elle  accorde  à  la  France  le  droit  d'établir  une  ligne  de 
postes  le  long  de  la  rivière  Benoué  et  le  Mayo  Kebbi  sur  le 
territoire  du  Cameroun.  De  cette  façon  les  communications 
seront  assurées  entre  les  bassins  du  lac  Tchad  et  du  Niger. 

La  France  et  l'Allemagne  acceptent  de  soumettre  au  tri- 
bunal de  la  Haye  toutes  les  difficultés  qui  pourraient  surgir 
par  la  suite. 

La  seule  allusion  aux  droits  commerciaux  dans  les  terri- 
toires cédés,  est  l'entente  mutuelle  de  respecter  les  droits 
des  compagnies  y  ayant  des  concessions. 

Et  maintenant,  si  vous  lisiez  tous  les  journaux  allemands 
et  français,  vous  finiriez  par  croire  que  des  deux  côtés  on  a 
fait  un  marché  de  dupes  ! 

Plus  de  biilets  à  la  porte  de  Téglise 

Son  Excellence  Mgr  Diomède  Falconio,  délégué  aposto- 
lique à  Washington,  a  adressé  à  tous  les  archevêques  et 
évêques  des  Etats-Unis,  la  lettre  circulaire  dont  la  teneur 
suit  : 

Délégation  Apostolique,  à  Washington. 
Monseigneur, 

Plusieurs  fois  déjà  des  plaintes  m'ont  été  adressées  au 
sujet  de  cette  coutume  qui  existe  en  maints  endroits,  de 
percevoir  à  la  porte  des  églises  un  certain  prix  d'entrée,  de 
la  part  de  ceux  qui  viennent  assister  à  la  messe,  ainsi  qu'à 
divers  autres  offices. 

J'ai  même  appris  que  dans  diverses  localités  des  billets 
se  vendent  habituellement  pour  entrer  à  l'église  à  l'occasion 
de  plusieurs  fêtes,  telles  que  Noël  et  Pâques.  Ces  billets 
sont  exigibles  à  la  porte  de  l'église. 

Une  enquête  était  devenue  nécessaire.  Elle  fut  faite,  et 
il  en  résulte  que  les  plaintes  sus-relatées  sont  malheureuse- 
ment trop  vraies.  La  coutume  que  nous  déplorons  est  en 
vigueur  dans  différentes   paroisses  de  la  plupart  des  dio- 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  223 

cèses.  Les  Ordinaires  intéressés  ont  d'ailleurs  été  préve- 
nus dûment  par  moi  déjà,  de  mettre  fin  à  cet  état  de  choses. 

Comme  la  coutume  de  percevoir  de  l'argent  selon  les  mé- 
thodes précitées  est  réellement  répréhensible,  comme  cette 
coutume  a  déjà  été  défendue  et  condamnée  et  qu'elle  peut 
aisément  se  propager  tout  en  causant  davantage  de  scan- 
dale encore,  non  seulement  chez  les  catholiques,  mais  aussi 
chez  ceux  qui  ne  le  sont  pas,  j'ai  cru  de  mon  devoir  devons 
expédier  cette  lettre-circulaire. 

On  sait  depuis  longtemps  combien  le  Saint-Siège  a  ré- 
prouvé sévèrement  de  telles  méthodes.  Ces  méthodes  ont 
été  condamnées  d'une  manière  très  explicite  par  le  Pape 
Pie  IX  en  1862.  Non  moins  explicites  que  la  susdite  répro- 
bation sont  les  prévisions  adoptées  par  le  second  et  le 
troisième  conciles  pléniers  de  Baltimore,  sur  le  même  sujet 
(cfr.  conc.  Pién.  Balt.  Il,  No,  397  et  conc.  Plén.  Balt.  III, 
No.  288).  A  tout  cela,  il  faut  ajouter  que  la  Sacrée  Con- 
grégation de  la  Propagande  a  adressé  aux  évêques  des 
Etats-Unis,  à  la  date  du  15  août  1869,  une  lettre  disant  no- 
tamment :  *'  Praxim  pecunias  exigendi  ad  fores  ecclesiarum 
ut  fidèles  ingredi  possint,  et  divinis  mysteriis  adesse. . .  pe- 
nitus  aboleri  atque  eliminari  cupiens,  S.  Congregatio  A. 
Tuam  nunc  in  Domino  adhortari  non  desinit,  ut  omnem  cu- 
ram  conféras,  si  forte  in  aliquibus  istius  diocesis  locis  con- 
suetudinem  hujusmodi  invaluisse  noveris,  NE  ULLI  OM- 
NINO  COLLECTORES,  quando  christifideles  in  ecclesiam 
ingrediuntur  quo  divinis  mysteriis  adstare,  vel  verbum  Dei 
audire  possint,  ad  earumdem  ecclesiarum  fores  ponan- 
tur."  (i) 

Je  tiens  à  vous  dire  en  outre  que  le  22  mai  1908,  Son  Emi- 
nence  le  cardinal-préfet  de  la  Propagande,  ayant  reçu  per- 
sonnellement des  plaintes  au  sujet  de  la  coutume  funeste 
qui  fait  l'objet  de  la  présente  lettre,  m'ordonna  de  prendre 
des  mesures  afin  de  prévenir  la  répétition  d'abus  sembla- 


(i)Xe  ne  sont  pas  les  seules  règles  des  conciles  de  Baltimore  restées 
lettre  morte  pour  nos  évêques  américains.  L'histoire  de  la  "  Corporation 
Sole  "  en  est  un  autre  exemple  !   (Réd.) 


224  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

bles.  Conformément  à  cet  ordre,  je  prévins  les  évêques 
dans  les  diocèses  desquels  les  dits  abus  se  commet- 
taient. 

Après  tout  ce  que  je  viens  de  dire,  Votre  Grandeur,  qui 
considère  la  dignité  de  TEglise  et  le  salut  des  âmes  comme 
première  loi,  sera  de  plus  en  plus  convaincue  de  la  néces- 
sité de  faire  cesser  radicalement  des  faits  aussi  perni- 
cieux. 

Conséquemment  je  vous  requiers  de  donner  l'ordre  aux 
curés  de  votre  diocèse  de  mettre  fin  à  toutes  les  coutumes  du 
genre  de  celles  dont  j'ai  parlé  plus  haut,  si  ces  coutumes 
existent  déjà  dans  leurs  paroisses,  et  de  ne  permettre  sous 
aucun  prétexte  de  les  mettre  en  pratique  si  elles  n'existent 
pas. 

Je  sais  parfaitement  que  dans  certaines  églises  on  per- 
çoit de  l'argent  à  la  porte  non  à  titre  de  don,  mais  en  paie- 
ment des  places  de  banc.  Cette  habitude  elle-même  doit 
êiire  abolie,  car  en  outre  qu'elle  jette  une  impression  défa- 
vorable sur  nous  et  qu'elle  a  été  la  cause  reconnue  de  faits 
très  regrettables,  elle  se  trouve  directement  et  manifeste- 
ment opposée  à  l'esprit  de  la  lettre  sus-relatée,  émanant  de 
la  Sacrée  Congrégation  de  la  Propagande.  Dans  cette 
lettre,  en  effet,  il  est  dit  d'une  manière  explicite  :  "Ne  ulli 
omnino  collectores. . .  ad  ecclesiarum  fores  ponantur  " — que 
cette  coutume  soit  donc  elle  aussi  abolie. 

Toutefois,  afin  que  le  revenu  des  bancs  ne  soit  pas  perdu, 
Votre  Grandeur  pourra  mettre  en  vigueur  quelque  autre 
méthode  contre  laquelle  nulle  objection  ne  puisse  s'éle- 
ver. 

Il  n'est  point  besoin  de  dire  naturellement  que  la  pré- 
sente lettre  n'empêchera  pas  la  distribution  de  billets  don- 
nés gratuitement,  lorsque  des  circonstances  spéciales  né- 
cessiteront leur  emploi. 

Je  suis  convaincu.  Monseigneur,  que  Votre  Grandeur  va 
mettre  à  exécution  sans  retard  ce  que  je  viens  d'ordonner 
comme  un  devoir  de  conscience  et  qu'Elle  va  en  même 
temps  annoncer  de  ma  part  à  son  clergé  que  si,  à  l'avenir, 
d'autres  plaintes  bien  fondées  me   sont  adressées  relative- 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  225 

ment  à  des  faits  du  genre  de  ceux  qui  ont  motivé  cette 
lettre,  le  curé  responsable  sera  très  sévèrement  puni  ! 

Veuillez  donc,  Monseigneur,  m'accuser  réception  de  cette 
lettre. 

Respectueusement  à  vous  en  N.  S.  J.  C. 

(Signé)  D.  FALCONIO, 

Délégué  Apostolique. 

Ouvriers  anglais  et  ouvriers  américains 

Parmi  les  arguments  sans  nombre  qui  ont  été  invoqués 
par  les  républicains  aux  cours  des  récentes  élections  lo- 
cales aux  Etats-Unis,  il  en  est  de  fort  ingénieux.  Ainsi, 
les  républicains  qui  depuis  cinquante  ans  ont  défendu  les 
théories  protectionnistes,  se  sont  surtout  appliqués  à  faire 
voir  aux  ouvriers  les  effets  que  pourrait  avoir  sur  leurs  sa- 
laires la  révision  du  tarif  promise  par  les  démocrates.  Et 
ils  concluaient  que  pour  être  certains  de  défaire  les  démo- 
crates aux  prochaines  élections  présidentielles,  il  fallait, 
dès  cette  année,  organiser  les  forces  protectionnistes  et  en- 
voyer des  majorités  républicaines  dans  toutes  les  législa- 
tures locales.  Et  on  a  suivi  ce  conseil  à  tel  point  que  le 
'^  Tammany  Hall,"  la  grande  et  longtemps  toute-puissante 
organisation  irlando-démocratique  de  New- York,  a  subi 
une  des  plus  rudes  défaites  de  son  histoire. 

On  lira  avec  intérêt  cette  comparaison  établie  entre  les 
ouvriers  anglais  et  les  ouvriers  américains,  qui  a  été  publiée 
dans  la  presse  franco-américaine.  On  attire  l'attention  des 
ouvriers  en  textile  sur  les  gages  payés  par  deux  manufac- 
turiers, un  anglais  et  un  américain,  puis  sur  la  différence 
du  coût  de  la  vie  dans  les  deux  pays,  les  chiffres  donné!: 
étant  ceux  des  deux  compagnies  mises  en  cause,  Joseph 
Beun  &  Fils,  de  Clayton,  Angleterre,  et  la  Compagnie 
Greystone,  du  Rhode  Island. 

En  résumé,  on  démontrait  que  sous  un  tarif  protecteur, 
l'ouvrier  américain  reçoit  130  pour  cent  de  plus  que  l'ou- 
vrier anglais,  tandis  que  ses  denrées  et  son  loyer  ne  lui  coû- 
taient que  52  p.c.  plus  cher. 


226 


LA   REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 


GAGES  COMPARES  PAR  SEMAINE  sSlford* 

Woolsorters  (day  work) $7-79 

Men  box  rainders 4.30 

Noble  comb  minders 4.87 

Can  gill  minders 3.04 

Drawers 3.04 

Rovers 2.68 

Spinning  overlookers 7.30 

Girl  spinners 2,74 

DoflFers 2.19 

Girl  twisters ^  2.68 

Girl  warpers 3.16 

Weavers 3.85 

Weaving  overlookers 8.76 

Joiners 7.75 

Mechanics 7.30 

Stokers 6.08 


PRIX  COMPARES   SUR  LES 
VIVRES 

Meilleure  farine  par  14  livres 

Meilleur  beurre  (Danois)  la  livre 

Meilleure  graisse,  la  livre 

Meilleur  fromage,  la  livre 

Sucre 

Petit  raisin  sec 

Raisin  sec .... 

Thé  de  Ceylan 

Café 

Oignons 

Jambon 

Lard  fumé  (Irlandais) 

Pommes 

Riz 

Lait,  la  pinte 

Vinaigre,  la  pinte 

Lait  suisse  de  Nestlé,  le  bidon 

Bananes,  la  douzaine 

*Americain. 


Clayton  and 
Bradford 

Prix 

Coopératifs 

Cents 

50.7 
34.5 
18.2 
20.3 

5.6 
10. 1 
14.2 
46.6 
40.5 

2.5 
26.4 
24.3 

6.6 

6.6 

6. 

8.1 
II. I 
16. 


Greystone. 

$16.22 
8.11 

9-63 
7.09 
7.09 
7.09 
15-21 
6.20 
4.56 
7.09 
8.11 

11.37 
16.22 
15-21 
15.21 
12.17 

Greystone 

Prix 
Coopératifs 

Cents 

54-7 

*32-4 

152 

20.3 

5-6 
12.7 
15.2 
44-5 
28.3 

5- 

25-3 
20.3 

3- 

9-1 

6. 

7.1 

7-7 
12,7 


-:o:- 


Bibliographie 


Pour  les  missions. — L'Apostolat  en  Afrique. 

C'est  un  joli  volume,  illustré,  d'une  matière  abondante,  variée  et  ins- 
tructive. Une  carte  géograpliique  bien  exécutée  ajoute  à  l'intérêt  en 
permettant  d'étudier  ces  territoires  de  missions  de  l'Afrique  du  nord, 
du  Sahara,  et  de  l'Afrique  du  centre  (équivalant  en  étendue  aux  ^  de  la 
Puissance  du  Canada)  confiés  aux  Pères  Blancs  et  aux  Sœurs  Blanches. 
Domaines  immenses,  pleins  de  promesses,  mais  où  tant  d'ouvriers,  tant 
de  ressources  pécuniaires  sont  indispensables  ! 

Cet  ouvrage,  imprimé  à  Québec,  nous  semble  avoir  une  note  suffisam- 
ment canadienne  puisqu'il  contient  une  cinquantaine  de  pages  écrites, 
sous  forme  de  lettres,  par  nos  missionnaires  (plus  de  60  déjà)  qui  sont  à 
semer  le  grain  de  sénevé  dans  cette  terre  de  désolation.  De  ce  chef  la 
lecture  devrait  en  être  pour  nous.  Canadiens,  d'un  intérêt  très  spécial. 

C'est  donc  un  livre  qu'il  faut  lire  et  que,  par  conséquent,  il  faut  ache- 
ter. Le  prix,  d'ailleurs,  est  à  portée  de  toutes  les  bourses.  A  nos  lec- 
teurs, particulièrement  à  nos  lectrices  de  la  Nouvelle-Angleterre,  nous 
demandons  cette  modeste  contribution  à  une  grande  œuvre. 

On  se  le  procure  à  L'Oeuvre  des  Missions  d'Afrique,  B.  P.  158,  Québec, 
ou  chez  les  libraires.  Prix:  20c.  franco,  25c.  Cartonné,  avec  beau  mo- 
nument du  cardinal  Lavigerie  à  Biskra,  au  recto,  et  carte  géographique, 
au  verso,  40c  ;  élégamment  relié  en  percaline,  45c.  par  10  exemplaires  et 
plus,  35  et  40c.  version  anglaise,  5c.  en  plus,  ajouter  5c.  pour  recevoir 
franco. 


POUR  VOUS,  MESDAMES.— Le  R.  P.  C.  Doyon,0.  P.,  a  mis  en  bro- 
chure sous  ce  titre,  toute  une  série  d'articles  antialcooliques  fort  instruc- 
tifs qu'il  a  dédiés  aux  femmes  canadiennes,  et  aux  femmes  de  son  pays, 
afin  qu'elles  sachent  mieuK  garder  l'honneur  de  nos  familles,  et  la  géné- 
ration de  demain  saine  et  vigoureuse,  en  la  préservant  de  l'alcoolisme 
sous  toutes  ses  formes.  Connaître  le  danger,  ajoute  l'auteur  dans  sa  dé- 
dicace, est  la  première  condition  pour  le  combattre  avec  succès. 

Il  faut  donc  lire  l'ouvrage  antialcoolique  du  P.  Doyon.  Dans  moins 
de  200  pages,  il  a  eniassé  une  foule  de  récits  intére«sanls  et  des  rensei- 
gnements utiles.  Voici  les  titres  de  quelques-uns  des  chapitres  de  cette 
brochure:  Boissons,  Poison  ;  L'ignorance  criminelle;  Le  préjugé;  L'hé- 
rédité; La  fée  verte;  La  lutte  sociale  ;  Le  rôle  de  la  femme  ;  etc. 


228  LA   REVUE    FRANCO- AMERICAINE 

On  peut  se  procurer  l'ouvrage  du   R.    P.  Doyon  en  s'adressant  à  l'au- 
teur, Fall  River,  Mass. 

L'unité,  25c.  franco,  cartonné  ;  30c.  franco,  relié. 


ASSURANCES,  par  Jos.  T.  Chenard. — Connaissances  utiles  à  tous  sur 
l'assurance,  principalement  aux  solliciteurs. 
150  pages,  relié  en  toile. 
Kn  librairie  |i.oo — Franco  $1.05. 


IvES  Deux  FILLES  DE  MAITRE  BIENAIMÉ.— Par  Marie  LeMière. 
Un  volume  in-12.  Prix  franco. .  3  francs.  Le  même,  relié  toile  bleue, 
tranches  marbrées,  3  fr.  50. 

Actuellement  en  cours  de  publication  par  la  "Revue  Franco- Améri- 
caine." 

C'est  dans  le  cadre  opulent  et  rutilant  de  la  Normandie,  que  l'auteur  a 
placé  l'action  principale  de  ce  roman  qui  mérite  d'être  mis  au  premier 
rang  des  productions  m  jdernes  de  notre  littérature. 

Maitre  Bienaiuié,  vieux  cultivateur  attaché  à  sa  terre,  comme  à  la 
mère  nourricière  qui  a  donné  l'opulence  à  tous  ceux  de  sa  race,  a  deux 
filles  aussi  dissemblables  de  caractère  qu'elles  le  sont  au  physique. 

Mathilde  est  un  peu  gauche,  un  peu  fruste.  Tout  chez  elle,  tient  du 
père,  dont,  avec  son  endurance  au  travail  et  son  esprit  de  pondération, 
elle  est  la  collaboratrice  précieuse.  Léa,  la  cadette,  est  la  vivante  anti- 
thèse de  son  aînée.  Menue,  délicate,  belle  d'une  beauté  qu'elle  n'ignore 
pas,  mise  en  éveil  par  des  lectures  dangereuses,  elle  a,  au  cœur,  des  aspi- 
rations qui  la  tourmentent  et  l'appellent  vers  un  intonnu  dont  elle 
caresse  le  prestigieux  mirage  sans  en  soupçonner  les  écueils. 

Sourde  aux  bons  avis  que  ne  lui  marchandent  ni  sa  sœur  ni  son  oncle, 
un  respectable  curé  du  pays,  la  pauvrette  repousse  un  honnête  cultiva- 
teur dont  l'amour  l'aurait  régénérée.  Une  scène  terrible  é.  late  entre  le 
père  et  la  fille  qui  fuit  la  maison  paternelle  pour  ce  Paris  qui  l'attire. 

Hélas!  la  fugue  de  Léa  entraîne  de  lamen'ables  conséquences  autant 
pour  elle-même  que  pour  ceux  qu'elle  a  abandonnés.  Ceux  qui  ont  lu  ce 
roman  dans  la  "Revue  Franco-Américaine"  seront  heureux  de  se  procu- 
rer l'ouvrage  sous  une  forme  séparée. 

Envoi  franco  contre  mandat-poste  ou  timbres  français,  non  coloniaux, 
à  l'adresse  de  M.  Henri  Gautier,  éditeur,  55,  quai  des  Grands-Au- 
gustins,  à  Paris. 

MAGALL — Par  M.  Delly.  Un  volume  in-12.  Prix  franco  .  .  3  francs. 
Le  même,  relié  toile  bleue,  tranches  marbrées 3  fr.  50. 

Pour  ouvrir  le  récit,  l'auteur  nous  place  dans  une  des  grandes  gares  de 
Paris;  un  train  vient  d'arriver;  déjà  les  voyageurs  s'éparpillent  dans 
tous  le»  sens  ;  seuls,  dans  leur  compartiment  sont  restés  une  jeune  femme 


BIBLIOGRAPHIE  229 

qui  semble  dormir  et  deux  enfants  en  pleurs.  La  femme  a  cessé  de 
vivre;  les  enfants  ne  peuvent  donner,  sur  leur  identité,  que  de  vagues 
indications  ;  ils  s'appellent  Fred  et  Magali  Daultey  et  viennent  de 
Bombay,  où  leur  père  est  mort  quelque  temps  auparavant  dans  des 
circonstances  tragiques.  La  mère,  Provençale  d'origine,  rentrait  en 
France,  dans  l'espoir  d'y  trouver  l'emploi  nécessaire  à  sa  subsistance. 

Voilà  les  pauvres  orphelins  sans  asile,  dans  une  ville  oii  ils  ne  con- 
naissent personne,  mais  la  Providence  veille  sur  eux  ;  une  voyageuse  les 
recueille  et  les  fait  adopter  par  la  duchesse  de  Staldiff. 

Cette  duchesse  est  hautaine,  mais  elle  a  le  cœur  compatissant.  Son 
fils,  lord  Gérald,  est  loin  d'être  mauvais,  mais  il  a  tout  l'orgueil  de  l'a- 
ristocratie anglaise.  Magali  respecte,  en  lui,  le  fils  de  sa  bienfaitrice, 
mais  elle  ne  l'aime  pas. 

Avec  les  années  qui  passent,  la  fillette  devient  une  belle  jeune  fille. 
Bien  des  sympathies  lui  vont,  mais  aussi  bien  des  rivalités  lui  tendent  des 
pièges,  auxquels  elle  échappera,  grâce  à  l'intervention  de  lord  Gérald  qui, 
malgré  ses  défauts,  reste  grand  seigneur,  loyal,  inaccessible  à  la  mesqui- 
nerie des  cabales. 

Et  une  intrigue  se  noue,  intrigue  d'un  charme  captivant  et  prime-sau- 
tier.  Par  un  acte  de  générosité  sublime,  lord  Gérald  gagne  le  cœur  de 
l'orpheline  et  les  jeunes  gens  comprennent  enfin  qu'un  irrésistible  attrait 
les  pousse  l'un  vers  l'autre.  Mais,  hélas!  il  faut  imposer  silence  à  la 
voix  du  cœur,  car  un  duc  de  Staldifî,  pair  d'Angleterre,  peut-il  épouser 
ime  pauvre  fille,  une  enfant  trouvée? 

Et  l'action  rentre  dans  le  drame.  Drame  extraordinairemeut  émou- 
vant, corollaire  de  cet  autre  drame  qui,  plusieurs  années  auparavant, 
coûta  la  vie  au  père  de  Magali. 

Quel  était  le  véritable  nom  de  cet  artiste  qui  se  faisait  appeler  Luc 
Daultey  ?  Quelle  fut  la  main  criminelle  qui  le  frappa  ?  Comment  saura- 
t-on  la  vérité  sur  ce  drame  lointain,  et  quelle  répercussion  aura-t-il  sur 
les  destinées  de  lord  Gérald  et  de  Magali  ? 

Le  divulguer  serait  amoindrir  le  plaisir  qu'on  aura  à  lire  ce  beau  et 
bon  roman. 

Envoi  franco  contre  mandat-poste  ou  timbres  français,  non  coloniaux, 
à  l'adresse  de  M.  Henri  Gaut^r,  éditeur.  55,  quai  des  Grands-Au- 
gustins,  à  Paris. 


L'ALMANACH  ROLLAND.— Agricole,  Commercial  et  des  Familles 
pour  1912.  Publié  par  la  COMPAGNIE  J.-B.  ROLLAND  &  F'ILS, 
6  à  14,  rue  Saint- Vincent,  Montréal. 

Prix  ;  10  cts,  franco  par  la  malle,  13  cts. 


-:o: 


Les  deux  Filles  de  Maître  Bienaimé 


(SCENES       NO  RIVI  A.N  DES) 

PAR 

Marie  Le  Mière 


(Suite) 

.  .  Maintenant,  suivie  de  Mme  Lagarde,  elle  marchait  près 
de  lui,  croyant  avoir  des  ailes,  ne  voyant  plus  rien,  ne  saluant 
plus  personne,  tout  occupée  de  celui  qui  venait  de  surgir, 
comme  par  miracle,  sur  sa  route.  Que  lui  disait-il  ?  elle  ne 
savait  plus  trop  ;  elle  écoutait  la  voix,  qui  était  harmonieuse, 
avec  une  pointe  légère,  très  légère,  d'accent  faubourien .  .  Elle 
riait  de  confiance  aux  traits  d'esprit  que  Roger  multipliait 
sans  relâche  ;  elle  s'extasiait  devant  cette  fî^conde  intarissable, 
et  cette  désinvolture  qu'elle  prenait  pour  le  "  nec  plus  ultra  " 
de  la  distinction  ! 

— Quel  dommage  qu'on  ne  danse  pas,  fit  le  petit  Monsieur, 
encore  excité  par  la  musique  endiablée  qui  lui  criait  en  ce 
moment  dans  les  oreilles.     C'est  assez  drôle,  cette  tarentelle  ! 

Puis  il  fredonna  : 

— La  si  do  la  si  do  ré, — si  si.  . 

— Ah  !  tout  cela  ne  ressemble  guère  à  Paris .  .  soupira  Léa, 
penchant,  d'un  air  dolent,  sa  tête  mignonne. 

— Tant  mieux,  cela  me  change  !  déclara  le  jeune  homme 
j'ai  l'impression  d'excursionner  dans  une  autre  planète. 

— Il  en  serait  de  même  pour  moi,  reprit- elle,  si  je  pouvais 
aller  là-bas.  . 

— Vous  aimeriez  Paris  ? 

— Oh  !  Paris  !  c'est  mon  rêve  !  exclama  Léa,  la  main  sur 
son  cœur. 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIEN  AIMÉ  231 

— Je  le  conçois  !  repartit  Roger,  qui,  décidément,  se  piquait 
au  jeu  ;  vous  y  seriez  parfaitement  à  votre  place,  et  beaucoup 
mieux  qu'ici  ! 

Léa  tressaillit  d'allégresse  jusqu'au  bout  de  ses  petits  sou- 
liers mordorés.  Elle  le  savait  bien,  qu'elle  n'était  pas  du  tout 
campagnarde  !  Mais  comme  il  était  aimable  de  le  lui  dire  ! 

— Ils  marchent  sur  vous,  ces  olibrius-là  !  exclama  d'un  air 
indigné  le  beau-iils  d'Amélie,  toisant  un  gros  paysan  qui  ve- 
nait de  coudoyer  la  jeune  fille.  Ah  çà  !  sommes-nous  chez  les 
Hurons  !  chez  les  Congolais  ?  On  ne  peut  pas  seulement  se 
faire  comprendre  de  ces  indigènes  !  Tantôt,  à  l'auberge,  la 
servante  me  regardait  comme  une  bête  curieuse  parce  que  je 
demandais  un  soda  ! 

— Qui,  la  bête  curieuse  ?  fit  Léa,  de  plus  en  plus  électrisée. 

— Mais  moi  !  s'écria  le  jeune  Daubreuil,  éclatant  de  rire.  . 
Non  ;  elle  plutôt  !  Tiens  !  tiens  î 

Et  ses  yeux  ajoutaient  : 

— Vous  avez  de  l'esprit.  Mademoiselle  !  De  l'esprit  aussi  !.  . 
Allons,  c'est  complet. 

Mme  Lagarde  voulait  intei venir  dans  la  conversation  :  Ro- 
ger ne  l'entendait  même  pas  ;  prodigieusement  diverti  par  le 
piquant  de  l'aventure,  glorieux  d'exhiber  ses  talents  et  avan- 
tages devant  des  regards  si  visiblement  éblouis  !  Il  prenait 
plaisir  encore,  tant  il  était  étourdi  et  fat,  à  promener  en 
triomphe,  au  milieu  de  ce  public  pourtant  si  dédaigné,  le  plus 
joli  minois  et  la  plus  jolie  robe  de  toute  l'assemblée. 

Ils  longeaient  une  file  de  loteries,  où  s'entassaient  en  pyra- 
mides savantes  les  bols,  les  verres  les  porte-flambeaux,  les, 
vases  à  fleurs,  spécimens  du  goût  le  plus  criard. 

— Si  nous  allions  tirer  ?  proposa  le  Parisien  ;  ce  serait  amu- 
sant de  gagner  quelques-unes  de  ces  petites  horreurs. 

— Des  abominations  !  renchérit  Léa,  oubliant  qu'elle  possé- 
dait, sur  la  cheminée  de  sa  chambre,  toute  une  collection  d'ob- 
jets de  cet  acabit.  Cela  ne  fait  rien  :  venez  essayer  votre 
chance. 


2^2  LA    REVUE    FRANCO-AMERICAINE 

— Ma  chance  !  répéta  Roger  relevant  sa  moustache  d'un  air 
vainqueur.     Elle  est  tout  essayée .  .  A  vous  d'abord .  . 

Une  femme  très  grande,  habillée  de  gris,  tournait  en  ce 
moment  l'angle  de  la  baraque  ;  une  main  s'avança  vers  la 
robe  rose,  deux  exclamations  retentirent  : 

^Léa! 

— Mathilde  ! 

Léa  se  frotta  rapidement  les  yeux  :  ah  !  oui,  Mathilde,  les 
Chaumel  !  Où  donc  les  avait-elle  laissés  ?  dans  quelle  sphère 
nébuleuse  ?  dans  quel  passé  lointain  ! 

La  fille  aînée  de  Brissot  était  haletante  et  semblait  cons- 
ternée, égarée.  Que  voyait-elie,  bon  Dieu  !  Qu'est-ce  que  cela 
voulait  dire  ?  Léa  paradant  avec  des  raines  coquettes  au  bras 
d'un  élégant,  d'un  inconnu.  .  et  causant,  riant  avec  lui,  de  fa- 
çon à  se  faire  remarquer  de  tout  le  monde  !  Mais  Mathilde 
aperçut  Mme  Lagarde,  et  crut  comprendre  ;  du  reste,  Léa,  les 
prunelles  pétillantes,  se  chargea  d'expliquer  : 

— Tu  me  cherchais,  me  voici,  avec  ma  tante  et  mon  cousin  ! 

— Très  honoré  du  privilège  !  répliqua  Daubreuil  avec  un 
plongeon.  D'ailleurs  nous  sommes  en  Normandie,  et  l'on  y 
cousine  à  perte  de  vue  ;  ce  qui  n'est  pas  pour  me  déplaire. 

Mathilde  tendit  simplement  la  main  au  jeune  homme,  s'in- 
forma, en  quelques  mots,  de  la  santé  d'Amélie  ;  mais  quelque 
chose  d'étrange  la  serrait  au  cœur. 

— Tu  nous  en  veux,  ma  bonne  fille,  de  t'a  voir  enlevé  ta 
soeur,  susurra  Mme  Lagarde,  comme  si  elle  l'eût  devinée. 

— Mais  pas  du  tout,  ma  tante,  et  je  resterais  bien  aussi 
avec  vous  ;  seulement,  nous  ne  sommes  pas  libres.  Les  voisins 
qui  vous  ont  amenées  sont  bien  "  en  soin  "  (1)  de  Léa  ;  depuis 
une  demi-heure,  ils  se  demandent  où  elle  est  passée.  . 

— Si  tu  crois  qu'il  n'est  pas  facile  de  se  perdre  là-dedans  ! 
interrompit  Léa. 

— Enfin,  l'essentiel  est  de  se  retrouver,  reprit  l'aînée  avec 


(i)  En  peine. 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  233 

un  sourire  tant  soit  peu  contraint.  Voilà  le  Salut  qui  sonne  : 
vous  y  venez,  ma  tante  ? 

— Impossible,  ma  chère  enfant  !  Je  le  regrette,  mais  dans 
cette  atmosphère  suffocante,  je  risquerais  de  m'évanouir. 

— Alors  on  va  être  obligé  de  vous  dire  "  à  une  autre  fois," 
conclut  Mathilde  de  son  accent  tranquille. 

— Mais  je  n'ai  pas  besoin  de  venir  au  Salut,  moi  !  protesta 
sa  cadette,  rouge  de  contrariété. 

— Mme  Chaumel  te  garde  une  place  ;  tu  ne  peux  pas  faire 
d'impolitesse.  Et  puis,  manquer  le  Salut,  ce  ne  serait  pas 
bien,  tu  sais  ?  Ma  tante  excusera. 

— (Jh  !  comment  donc  !  fit  Amélie. 

Et  après  un  rapide  échange  d'adieux,  Mathilde  s'éloigna, 
entraînant  sa  soeur  par  le  poignet. 

— Eh  bien  !  déclara  Roger  d'un  ton  admiratif,  en  voilà  une 
qui  n'y  va  pas  par  quatre  chemins  !  Elle  n'est  pas  mal  non 
plus,  en  son  genre.  .  Un  magnifique  modèle  pour  Millet.  .  si 
Millet  vivait  encore.  Mais  la  petite,  on  va  la  revoir,  dites, 
belle-maman  ?  JSon,  ce  qu'elle  est  amusant3  ! 

— Laissé  moi,  dit  sèchement  Mme  Lagai  de  en  l'écartant  du 
geste  :  j'ai  mal  à  la  tête. 

Au  moins,  qu'il  lui  donnât  le  temps  de  coordonner  ses 
idées  !  Devant  la  tournure  brusque,  inattendue,  que  prenaient 
les  choses,  elle  avait  presque  peur.  .  N'allait-elle  donc  rap- 
porter, de  sa  fugue  à  la  Salette,  que  la  sensation  d'une  mi- 
graine atroce,  et  l'impression  sourde,  irritante,  qu'elle  avait 
déchaîné  des  événements  dont  elle  ne  serait  plus  maîtresse  au 
jour  où  elle  prétendrait  les  diriger  ? 

.  .  Abasourdie,  comme  ceux  qui  viennent  de  faire .  une 
chute,  Léa  suivait  Mathilde  en  maugréant  indistinctement. 
Mathilde  ne  semblait  pas  entendre.  C'est  qu'il  n'avait  pas 
du  tout  l'air  sérieux,  ce  jeune  homme  !  Ne  s'était-il  pas  mo- 
qué de  Léa  ?  Est  ce  qu'on  pouvait  savoir  !  Enfin,  cela  n'avait 
pas  beaucoup  d'importance  ;  on  ne  le  feverrait  probablement 
jamais. 


234  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

— Entre,  dit  la  soeur  aînée  au  seuil  de  la  chapelle  ;  Mme 
Chaumel  est  à  droite,  vers  le  milieu.  Moi,  je  vais  acheter  un 
cierge. 

Déjà  le  Salut  commençait,  l'autel  n'était  plus  qu'un  bloc  de 
feu,  entouré  d'un  cercle  éblouissant  par  les  rangs  serrés  des 
chapes.  A  genoux  contre  la  grille  du  chœur,  le  plus  près 
possible  de  la  Vierge,  Louis  Chaumel  priait  de  toute  son  âme 
chrétienne,  de  tout  son  cœur  simple  et  profond. 

— Notre-Dame-de-la-Salette,  protégez  celle  à  qui  je  pen- 
sais, sans  m'en  douter,  quand  elle  était  encore  petite  ;  celle 
que  j'aime  tant,  que  j'ai  aimée  toujours  !  Bénissez  mes  pro- 
jets, faites-moi  heureux  pour  qu'on  soit  heureux  chez  nous  ! 
Rendez-la  sérieuse,  forte  et  vaillante  comme  ma  mère,  et  don- 
nez-la moi  bien  vite  pour  que  je  la  préserve  de  tout  ce  qui 
pourrait  lui  faire  du  mal. 

Absorbé  par  cette  ferveur  qui  lui  mettait  les  larmes  aux 
yeux,  il  ne  sentait  point  passer  les  minutes.  Mais  voilà  qu'un 
frisson  parcourut  l'assistance,  qu'un  souffle  frémit  et  gronda, 
pareil  au  grand  vent  de  mer  quand  il  rase  les  plaines  du  Co- 
tentin.  Un  prêtre  à  la  physionomie  ardente,  à  l'organe  rude 
et  puissant,  venait  d'entonner  le  cantique  populaire  : 

Reine  des  Normands,  nous  te  saluons  ! 
Vierge  immaculée,  en  toi  nous  croyons. 

On  eût  dit  que  la  voûte  et  les  murs  allaient  crouler  sous  la 
poussée  tumultueuse  des  ondes  sonores. 

Louis  se  leva  tout  droit  ;  sa  belle  voix  grave  entraînante, 
s'ujiit  à  l'enthousiaste  clameur  où  semblait  re  ître  la  piété 
naïve  des  vieux  âges. 

Jadis  nos  aïeux,  soumis  à  ta  loi. 

Sans  rien  réserver,  t'ont  donné  leur  foi. 

A  ce  moment,  la  voix  de  Mathilde  Brissot  retentit  près  du 
jeune  homme.  Après  avoir  offert  son  cierge,  elle  était  restée 
là,  pour  mieux  s'emplir  l'âme  d'encens  et  de  prière,  pour  rap- 


I 


LES  DELX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  2^5 

porter,  au  milieu  de  sa  vie  austère  et  laborieuse,  plus  d'idéal 
divin.  Le  reflet  des  flambeaux  donnait  à  ses  traits  une  dou- 
ceur chaude,  allumait  des  lueurs  dans  ses  grands  yeux.  Et  la 
voix  mâle  et  la  voix  fraîche  n'en  faisaient  qu'une. 

Bénis  nos  travaux  !  Donne  à  nos  sillons 
Soleil  et  rosée,  et  riches  moissons. 

Louis  fut  obligé  de  se  taire,  tant  l'émotion  le  poignait  ! 
Mais  pourquoi  Léa  n'était-elle  point  à  ses  côtés  ?  Comme  il 
aurait  voulu,  en  ce  moment  si  beau,  la  voir,  l'entendre,  la 
sentir  là,  tout  près,  vibrante  des  mêmes  émotions,  transportée 
par  la  même  prière  ! 

Quand  la  foule,  avec  un  bruit  de  reflux,  s'écoula  dans  le 
jour  qui  se  donait  chaudement,  Louis  chercha  en  vain  la  robe 
rose  .•  en  vain  il  se  posta  près  du  bénitier.  Déjà  Mathilde 
avait  rejoint,  sur  le  seuil,  Mme  Chaumel  et  toute  sa  compa- 
gnie. 

— Ah!  te  voilà  ?  fit  la  mère  de  Louis  en  apercevant  la 
jeune  fille.  Ta  sœur  est  sortie  avant  le  Tantum  ergo,  en  me 
disant  qu'elle  étouflîiît,  et  qu'on  la  retrouverait  d'ici  deux  mi- 
nutes auprès  du  Calvaire.  Je  ne  la  vois  pas .  .  C'est  qu'il  est 
bientôt  temps  de  ratteler  ! 

— Allez  où  vous  avez  affaire,  Madame  Chaumel,  répondit 
Jiiîathilde,  moi,  je  vais  attendre  Léa. 

Fort  contrariée,  elle  s'assit  sur  le  petit  mur,  à  gauche  du 
Calvaire.  Cette  éclipse  soudaine  l'inquiétait  pour  des  raisons 
multiples  ! 

— Mathilde  ?  appela  t-on  près  d'elle. 

Elle  se  retourna  si  vivement,  qu'elle  se  piqua  la  main  à  la 
fausse  épine  de  la  clôture. 

— Je  suis  obligé  de  repartir  tout  de  suite,  reprit  Louis 
Chaumel  ;  j'ai  là  deux  petites  médailles  que  je  viens  de  faire 
bénir  ;  voulez- vous  bien  en  accepter  une  pour  vous  et  une 
pour  votre  soeur  ? 

Oh!  celle-ci,  comme   il   eût  aimé  à    la  remettre  lui-même. 


236  LA  REVUE  rRANCO-AMÉRICAINE 

avec  des  mots  qui  auraient  donné  au  présent  une  signification 
toute  particulière  !  mais  puisqu'il  ne  pouvait  pas  rencontrer 
Léa.  . 

Les  joues  de  Mathilde  avait  rosi  sous  leur  hâle  léger. 

— Merci,  Louis,  répondit-elle  ;  merci  pour  nous  deux.  Vous 
êtes  bien  aimable  :  elles  sont  très  jolies. 

— Ce  n'est  rien  du  tout,  piotesta  le  jeune  homme  ;  seule- 
ment ces  petits  souvenirs-là  nous  portent  à  prier  les  uns  pour 
les  autres. 

Elle  le  regarda  s'éloigner  dans  la  clarté  orangée  ;  et  tout  à 
coup  elle  s'en  voulut  de  n'avoir  pas  su  trouver  d'autres  pa- 
roles pour  le  remercier  de  sa  bonne  attention  d'ami  : 

Mais  qu'est-ce  que  Léa  faisait  donc  ?  A  quoi  pensait-elle  ? 

La  multitude  s'essaimait  par  les  chemins,  le  roulement  inin- 
terrompu des  carrioles  se  mêlait,  dans  la  campagne,  aux  mu- 
gissements des  troupeaux.  Le  soleil  se  coucha  ;  un  peu  de 
buée  froide  flotta  dans  les  creux  et  Mathilde  frissonna  sur 
l'esplanade  déserte.     Un  appel  monta  du  chemin  : 

—  Mam'zelle  Brissot  ? 

La  jeune  fille  reconnut  le  valet  de  la  Haie-d'Fpine. 

—  Mme  Chaumel  m'envoie  vous  dire  qu'elle  vous  attend 
chez  Renard .  .  C'est-il  que  Mam'zelle  Léa  n'est  pas  encore 
revenue  ? 

— Mais  non  !  répondit  Mathilde  humiliée  et  troublée  au 
delà  de  toute  expression.  Je  ne  sais  pas  ce  que  cela  signifie .  . 
je  crois  qu'elle  était  avec  des  parents .  .  Pourvu  qu'il  ne  lui 
soit  rien  arrivé.  . 

La  pauvre  Mathilde  balbutiait  au  hasard.  Elle  qui  ne  s'é- 
nervait jamais  avait  envie  de  pleurer,  et  tiraillait  le  bout  de 
ses  gants  de  fil.     Une  crainte  folle  lui  traversa  l'esprit  : 

— Si  ma  tante  l'avait  emmenée  !  Il  ne  manquerait  plus  que 
cela  !  " 

L'homme,  perplexe,  demeurait  planté  au  pied  du  mur  ;  mais 
une  forme  claire  apparut  là-baa,   vers   la  grille,  un  pas  volti- 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  237 

géant  effleura  l'allée  du  parterre  ;  Léa  s'élança  vers  sa  soeur, 
avec  un  petit  air  à  la  fois  évaporé  et  décidé  : 

— Je  les  ai  retrouvés  !  Et  je  viens  de  les  mettre  en  auto. 
Ce  que  c'est  agréable,  l'auto  !  Et  M.  Daubieuil,  en  voilà  un 
chauffeur  *'  à  la  hauteur  "  !  Si  tu  l'avais  vu,  ma  chère  ! 

— C'est  bien,  fit  MathiMe,  mécontente.  Mais  tâche  une 
autre  fois,  de  prendre  moins  de  temps  pour  tes  adieux .  .  Les 
Chaumel  attendent  depuis  une  heure,  avec  la  voiture  attelée  ; 
c'est  ridicule  de  faire  poser  les  gens  comme  ça. 

— Alors  j'ai  commis  un  crime  en  allant  embrasser  ma 
tante  ?  répliqua  la  petite  personne,  d'un  ton  provocant.  Après 
tout,  fâche-toi  si  tu  veux  :  tu  auras  deux  peines  ! 

Et,  pirouettant  sur  ses  talons,  Léa  prit  délibérément  les 
devants,  et  se  mit  à  fredonner  : 

"  La  si  do  la  si  do  ré.  .  si  si  " 

.  .  Pendant  ce  temps,  la  voiturette,  fanaux  allumés,  filait 
dans  la  poussière  et  dans  la  brume  :  Koger,  dont  la  sveltesse 
avait  complètement  disparu  sous  l'accoutrement  de  chauffeur, 
continuait  de  rompre  la  tête  endolorie  de  Mme  Lagarde  assise 
à  ses  côtés. 

— J'ai  voulu  voir,  j'ai  vu!.  .  Ah  !  ah  !  belle-maman,  vous 
me  faisiez  des  mystères  !  savez- vous  qu'elle  est  furieusement 
jolie,  votre  nièce  ?  tous  mes  compliments  !..  La  reine  Mab 
en  personne.  Un  feu  follet  enfermé  dans  un  Tanagra  !..  Et 
pas  mal  habillée  du  tout  !  Un  chic  extraordinaire  !  Où  a-t- 
elle  pris  ça  dans  le  fond  de  sa  campagne  ?  Du  diable  si  je 
m'attendais.  . 

Vraiment,  cela  devenait  intolérable!  Raillait- il?  Préten- 
dait-il mystifier  sa  belle-mère  ?  Ou  bien .  .  était-ce  réel,  cet 
engouement  subit,  et  pouvait-on  espérer  en  faire  le  fonde- 
ment d'un  édifice  solide  qui  ne  risquât  point  de  s'écrouler  un 
beau  jour.  .  sur  la  tête  d'Amélie  ! 


238  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

IX 

LE    MONSIEUR    DE    PARIS 

Léa! 

— Tout  de  suite,  papa.  . 

Maîfre  Bienaimé  interrompit  sa  comptabilité  laborieuse, 
posa  ses  lunettes  sur  le  registre  et  se  dressa  sur  le  seuil  du 
petit  cabinet  ouvrant  au  pied  de  son  alcôve,  et  dont  il  gar- 
dait constamment  la  clé  sur  lui.     ^ 

Qu'est-ce  que  vous  voulez  ?  interrogea  sa  fille,  se  plantant 
au  milieu  de  la  cuisine  et  se  balançant  sur  un  pied,  comme 
une  valseuse  prête  à  partir. 

—Coupe  la  viande  pour  la  collation  des  hommes. 

— Oui,  papa.  . 

Kt,  s'armant  d'un  couteau  énorme,  remuant  la  tête  d'un 
air  délibéré  et  légèrement  narquois,  elle  se  mit  à  tailler  des 
tranches  dans  le  lard  rosé,  strié  de  veines  blanches  et  lui- 
santes comme  des  incrustations  de  marbre,  tandis  que  le 
maître  de  la  Closerie  surveillait  d'un  œil  scrupuleux  les  dé- 
tails de  lopération. 

— Hé  bien  !  Léa,  s'écria-t-il  tout  à  coup,  il  faut  dix  por- 
tions et  tu  en  fais  plus  de  quinze.  .  Bon,  bon  !  voilà  une 
autre  affaire  !  reprit-il,  en  la  voyant  diviser  chaque  tranche 
en  deux.     Qu'est-ce  (jue  ça  veut  dire  ?  Es  tu  dans  la  lune  ? 

Elle  le  regardait  vaguement,  en  personne  qui  ne  comprend 
pas. 

.  .  Ah  ça  !  devenait-elle  tout  à  fait  folle  ?  C'est  qu'il  s'agis- 
sait d'ouvrir  l'œil  ;  Maître  Bienaimé  n'ignorait  pas  ce  qui  s'é- 
tait passé  à  l'assemblée,  car  Mathilde,  en  évitant  toute  ré- 
flexion capable  d'indisposer  son  père  contre  sa  sœur,  avait 
cru  devoir,  néanmoins,  raconter  l'apparition  de  Mme  Lagarde 
et  de  M.  Daubreuii  sur  le  champ  de  foire.  Kt,  depuis  le  19 
septembre,  Léa  prenait  des  manières  nouvelles,  parlait  en  pin- 
çant la  bouche,  se  tournait  des  chignons  extraordinaires  et 
des  frisons  qui  lui  tombaient  jusque  dans  les  yeux  et  dans  les 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAITRE  BIENAIME  239 

oreilles,  chantonnait  du  matin  au  soir  des  "  do  ré  mi,"  des  "  la 
si  do,"  elle  qui  n'avait  jamais  appris  la  musique  et  n'aurait 
peut-être  pas  seulement  pu  monter  la  gamme  sur  un  accor- 
déon ! 

Qu'est-ce  qu'Amélie  était  venue  faire  à  la  Salette  ? .  .  Bris- 
sot  commençait  à  flairer  quelque  manœuvre  louche.  Jamais 
encore  personne  ne  s'était  joué  de  lui .  .  Ah  !  il  ne  faudrait 
pas  que  Mme  Lagarde  s'avisât  d'intriguer  à  ses  dépens  :  il  lui 
signifierait,  et  carrément,  qu'il  n'est  pas  du  bois  dont  on  fait 
les  dupes  ! 

Cependant  Léa  s'était  installée  de  nouveau  dans  la  salle,  et 
ses  petits  doigts  bruns  maniaient  un  crochet.  Léa  n'était 
point  à  proprement  parler  une  paresseuse  :  la  sève  exubé- 
rante qui  courait  en  elle  se  dépensait  volontiers  en  herbes 
folles,  mais  ne  lui  permettait  pas  l'oisiveté  complète.  Quand 
la  jeune  fille  ne  lisait  pas,  ou  qu'elle  ne  s'adonnait  point,  par 
ordre,  à  l'une  de  ces  besognes  qualifiées  par  elle  de  "  travaux 
forcés,"  elle  aimait  à  confectionner  des  riens  amusants,  comme 
ce  dessus  de  table  composé  de  rosaces  assemblées,  en  cordon- 
net blanc  et  rouge.  Mais  il  ne  fallait  pas  que  son  père  la 
surprît  dans  cette  occupation  alors  que  la  corbeille  à  raccom- 
modages débordait  de  chaussetttes  percées  ! 

Un  pas  retentissait  le  long  du  cûemin  qui  passait  sous  la 
fenêtre  ;  Léa  se  retira  vivement  en  arrière  du  rideau,  tandis 
que  son  peloton  roulait  sous  la  table.  .  Si  c'était  lui,  vrai- 
ment, et  s'il  l'apercevait,  habillée  comme  cela  !  Lui,  à  Clair- 
ville  !  Non,  cela  ne  se  pouvait  pas  ?  Et  pourtant.  .  sous  le 
long  pardessus  à  carreaux,  digne  d'un  insulaire  d'outre-Man- 
che, elle  avait  bien  cru  reconnaître  l'allure  preste,  souple,  la 
minceur  élégante.  Mais  pourquoi  cet  attirail  qu'il  portait  sur 
le  dos.  .  Décidément,  elle  se  trompait  :  ce  devait  être  un  pho- 
tographe. 

Le  soir,  Mathilde,  revenant  de  l'égfise  où  elle  s'était  con- 
fessée pour  la  fête  du  Rosaire,  suivait  le  chemin  qui  côtoie  la 
Vérelle.     A  ce  moment  des   vaches    débouchaient,  une  à  une, 


240  LA    REVUE    FRANCO-AMiRIGAINE 

d'une  "  chasse  "  (1)  étroite  qui  descendait  en  pente  raide  : 
c'était  le  troupeau  de  la  Closerie,  que  deux  valets  menaient 
boire  à  la  rivière. 

La  file  s'allongeait  ;  les  grandes  bêtes  au  pied  sûr,  à  l'allure 
tranquille,  pesamment  balancée,  faisaient  rouler  les  cailloux 
de  la  sente  ;  puis,  maintenues  par  les  deux  hommes,  elles  se 
massaient  au  milieu  du  chemin,  avec  de  lourds  remous,  des 
meuglements  profonds.  Elles  entraient  dans  l'eau  jusqu'à 
mi-corps,  et  les  flancs  tachetés  de  roux,  de  blanc,  de  noir,  fré- 
missaient d'aise  ;  et  les  mufles  roses  se  relevaient  en  cadence, 
laissant  découler,  parmi  les  roseaux,  des  jets  liquides,  irisés 
par  le  soleil. 

Arrêtée  à  dix  pas,  la  jeune  fille  observait  ;  puis,  sans  mot 
dire,  elle  passa  au  milieu  du  troupeau,  écartant  de  la  main 
deux  ou  trois  bêtes  qui  la  flairaient. 

Au  seuil  de  la  ferme,  Brissat  regardait  fonctionner  l'appa- 
reil à  beurre  :  un  baril  fixé  au  mur,  et  contenant  la  crème, 
barattée  par  un  mécanisme  ingénieux  qu'un  cheval  actionnait 
en  tournant  au  milieu  de  la  cour,  sous  la  conduite  du  grand 
valet.  Le  fermier  aperçut  sa  fille  et  lui  trouva  une  physio- 
nomie telle,  qu'il  rentra  instinctivement  dans  la  cuisine,  atten- 
dant que  Mathilde  parlât. 

— Papa,  dit-elle  en  ôtant  son  chapeau,  où  sont  donc  les 
quatre  belles  génisses  que  vous  aviez  achetées  à  la  Mu- 
guette  (2)  ? 

— Pourquoi  me  demandes-tu  ça  ? 

— Parce  que  je  viens  de  rencontier  tout  le  troupeau,  et  que 
je  ne  les  ai  pas  vues,  répondit  la  jeune  fille,  qui  délaçait 
maintenant  ses  bottines  sur  la  pierre  de  l'âtre.  .  Est-ce  que 
vous  les  auriez  vendues  avant-hier,  avec  les  bœeufs  ? 

— Pourquoi  pas  ?  Je  puis   vendre  mes  bêtes  quand  ça  me 

(i)   Petit  chemin. 

(2)  Grande  foire  de  mai.     Le  mois  des  muguets. 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  241 

plaît,  j'imagine,  fit  Brissot  d'un  ton  rogue,  en  chiffonnant  le 
rideau  de  cotonnade  rouge. 

— C'est  que.  .  voilà.  .  repiit  Mathildd  mettant  son  tablier, 
j'aurais  cru  que  ce  n'était  pas  le  meilleur  moment.  Dans 
quelques  mois,  elles  auraient  pu  valoir  cent  francs  de  plus 
chacune. 

Une  rougeur  montait  à  son  front,  tandis  qu'elle  commen- 
çait à  tailler  la  soupe  sur  le  bout  de  la  grande  table. 

— Je  m'y  connais  peut-être  aussi  bien  que  toi,  répliqua  le 
fermier. 

— Oh!  papa,  ce  n'est  pas  pour  dire.  .  seulement,  si  les 
choses  n'allaient  pas  comme  vous  voulez.,  si.,  vous  aviez 
des  ennuis,  j'aimerais  mieux  le  savoir,  je  tâcherais  de  veiller 
de  plus  près,  d'économiser  encore .  . 

La  petite  servante  rentrait  avec  un  panier  plein  de  légu- 
mes, et  le  dialogue  se  coupa  net  ;  mais  Mathilde,  malgré  son 
calme  apparent,  demeurait  confondue  ;  était-il  possible  que 
son  père  fût  serré  de  si  près  !...  Une  échéance,  sans  doute,  l'a- 
vait forcé  de  réaliser  immédiatement  une  somme  considérable, 
et  il  avait  emmené  ses  plus  belles  bêtes,  celles  qu'il  était  sûr 
de  vendre  !  Klle  savait  bien  que  l'année  n'était  pas  bonne, 
que  le  commerce  allait  mal,  que  les  foins  et  les  blés  avaient 
beaucoup  souffert  des  orages,  que,  maintenant,  la  sécheresse, 
malencontreuse  comme  l'avait  été  la  pluie  naguère,  empêchait, 
les  regains  de  pousser.  Autrefois,  maître  Bienaimé  se  tirait,  à 
son  honneur,  de  contretemps  analogues,  mais  aujourd'hui  !... 
Que  faire,  pourtant  ?  Il  fallait  absolument  sauvegarder  les 
apparences,  ménager  même  la  susceptibilité  ombrageuse  du 
fermier.  Mathilde  ne  s'offensait  pas  de  cette  humeur  irri- 
table :  l'homme  qui  souffre  devient  facilement  agressif,  à 
moins  d'être  un  grand  chrétien...  Et  le  maître  de  la  Closerie 
était  si  peu  chrétien  1  Sa  religion  se  réduisait  à  une  routine, 
évidemment  meilleure  que  l'abstention  complète,  mais  si  dé- 
plorablement  illogique  !  Tout  entier  aux  préoccupations  ter- 
restres, il  ne  se  mettait  même  pas  en  peine  d'établir   un  équi- 


242  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICIANE 

libre  quelconque  entre  les  pratiques  extérieures  qu'il  conser- 
vait et  les  théories  incohérentes  qu'il  professait.  Ainsi,  Maître 
Bienaimé  allait  à  la  messe  du  dimanche  et  rejetait  au  moins 
la  moitié  des  dogmes  du  Credo  ;  La  Croix,  prêtée  par  le  Curé, 
et  Le  Petit  Parisien,  prêté  par  l'instituteur,  voisinaient  fré- 
quemment dans  sa  poche  ;  en  politique,  il  n'avait  pas  d'opi- 
nion fixe  et  n'éprouvait  pas  le  besoin  de  s'en  former  une  ; 
souvent  l'abbé  Brissot  avait  tenté  de  l'amènera  réfléchir,  mais 
le  fermier  répondait  invariablement  : 

— Je  ne  m'occupe  pas  de  tout  ça  ;  c'est  bon  pour  ceux  qui 
ont  le  temps  ! 

Pendant  que  Mathilde  continuait  de  s'affairer,  tout  en  re- 
muant au  fond  d'elle-même  les  plus  tristes  pensées,  un  jeune 
étranger,  enveloppé  d'un  pardessus  écossais  et  suivi  d'un  ga- 
min d'environ  treize  ans,  porteur  d'un  chevalet,  d'un  pliant  et 
d'une  boîte  assez  volumineuse,  rôdait  autour  de  la  Closerie 
qu'il  examinait  sur  toutes  ses  faces.  Après  beaucoup  d'hési- 
tations, de  tâtonnements,  il  finit  par  découvrir  au  delà  des 
étables  une  barrière  non  cadenassée,  qui  fermait  un  champ 
immense,  tout  doré  de  soleil. 

— Ça  va  bien  !  murmura-t-il. 

Des  mains  de  son  portefaix  improvisé  qui  l'observait  avec 
des  yeux  énormes,  il  prit  l'attirail,  puis  d'un  geste  pompeux, 
il  tendit  une  pièce  de  deux  francs  en  disant  : 

— Tiens,  mon  brave  ! 

Un  gamin  de  Paris  eut  répondu  :  "  Merci,  mon  prince."  Le 
gamin  de  Clairville  se  contenta  de  rire,  d'un  rire  béat  qui  lui 
fendit  la  bouche  jusqu'aux  oreilles,  et  détala  précipitamment 
au  galop  de  ses  pieds  nus. 

Le  jeune  homme  s'avança  vers  le  point  culminant  du 
champ  et  s'installa  devant  son  chevalet,  sous  un  pommier  su- 
perbe ;  la  Closerie  se  présentait  à  son  avantage,  derrière  cette 
masse  d'arbres  arrondis  et  fructueux,  symbole  de  richesse  et 
de  prospérité  !  Quelle  idée  ingénieuse  il  avait  eue  là  !  Cela 
lui  permettait  d'attendre  sur  place  les  bonnes  inspirations  et 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  243 

peut-être  de  se  ménager  une  entrée  en  matière  !  Car,  com- 
ment se  présente-t-on  dans  ces  fermes  ?  En  quelle  langue 
parle-t-on  à  ces  paysans,  êtres  aussi  énigmatiques,  aussi  dé- 
concertants que  les  Groënlandais  et  les  Esquimaux  ?  Poui  la 
première  fois  de  sa  vie,  Roger  Daubreuil  se  sentait  embar- 
rassé. Puis  il  y  avait  là-bas  des  vaches  aux  yeux  hostiles, 
aux  cornes  menaçantes .  .  Mais  bah  !  à  vaincre  sans  péril  on 
triomphe  sans  gloire  ;  et  le  jeune  homme,  bravement,  se  mit 
à  vider  ses  tubes  de  couleurs. 

Au  bout  de  quelques  minutes,  il  s'aperçut  qu'il  n'était  pas 
seul  dans  le  champ  :  les  bêtes,  en  s'écartant,  venaient  de  dé- 
masquer une  grande  paysanne  massive  qui  évoluait  lourde- 
ment, près  d'une  haie,  au  milieu  des  cannes  (1)  qui  luisaient 
dans  l'herbe  comme  autant  de  soleils.  Elle  les  prenait  une  à 
une,  les  déposait  dans  une  petite  voiture  à  bras  et  finalement, 
empoignant  les  brancards  et  poussant  le  véhicule,  elle  s'a- 
vança entre  les  pommiers  dans  une  coulée  de  lumière  ar- 
deate  qui  faisait  flamber  ses  cheveux  roux. 

— Oh  '  délicieux  ! .  .  Très  normand .  .  pittoresque  au  pos- 
sible ! 

Zélie  lâcha  les  brancards  si  violemment,  qu'une  cruche  per- 
dit l'équilibre  et  laissa  jaillir  sur  l'herbe  un  brusque  flot  de 
lait. 

— Arrêtez  !  arrêtez  !  criait  le  Parisien,  joignant  le  geste  à 
la  parole  ;  restez  où  vous  êtes .  .  Cinq  minutes  !  Je  vous  de- 
mande cinq  minutes  pour  faire  votre  portrait. 

— Me  tirer  en  portrait  ?  bredouilla  la  servante. 

Cramoisie,  les  bras  pendants,  les  mains  raides,  elle  demeu- 
rait ébahie  devant  ce  Monsieur  qui  avait  l'air  très  bien,  qui 
tombait  on  ne  savait  d'où  et  qu'elle  trouvait  installé  là  comme 
chez  lui. 

— Monsieur  est  photographe  ?  put-elle  dire  enfin  de  sa 
voix  traînante. 

(i)  Cruches  à  lait. 


244  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

'  — C'est  ça  !  Je  fais  de  la  photographie  en  couleurs  ;  oh  ! 
soyez  sans  crainte,  voua  n'aurez  rien  à  payer  ;  c'est  pour  moi. 

Cette  fois,  l'ébahissement  atteignit  ce  degré  redoutable  où 
il  abolit  la  notion  du  réel  et  supprime  la  pen<^ée  ;  Zélie,  ré- 
duite à  un  état  purement  passif,  laissa  Eoger  opérer  à  l'aise 
pendant  un  laps  de  temps  qu'elle  ne  put  mesurer.  Subite- 
ment, une  voix  cristalline  retentit  au  seuil  du  clos  : 

— Zélie  !  on  m'envoie  vous  demander   ce  que  vous  faites.  . 

Tandis  que  la  servante,  interdit^  et  confuse,  balbutiait  des 
choses  inintelligibles,  Roger  se  levait,  étouftant  une  exclama- 
tion ravie.  Par  exemple  !  il  avait  trop  de  chance  :  elle  !  la 
petite  fée  rose  de  l'autre  jour  1  II  est  vrai  qu'elle  n'était  plus 
en  rose  :  elle  portait,  juste  Ciel  1  un  corsage  de  percale  dé- 
teinte et  une  vilaine  jupe  courte,  découvrant  une  paire  de 
gros  souliers  !  Par  quel  miracle  trouvait-elle  moyen  de  rester 
aussi  jolie,  et  d'effleurer  l'herbe  comme  avec  des  escarpins  ? 

Mais  Léa,  littéralement  abasourdie,  presque  'effblée  par  la 
stupeur  de  cette  rencontre  et  par  l'humiliation  d'être  sur- 
prise en  pareil  négligé,  se  tenait  immobile  à  dix  pas  du  jeune 
homme  ;  un  tumulte  d'impressions  contradictoires  la  faisaient 
trembler.  Elle  entendit  à  peine  la  phrase  de  salutation  ; 
bientôt,  pourtant,  la  joie  prit  le  dessus.  Alors,  luttant  contre 
son  embarras,  décuplé  par  la  présence  de  Zélie  qu'elle  n'eût 
cependant  pas  voulu  éloigner,  Léa  s'approcha,  minaudant  un 
peu,  avec  ce  mélange  de  naïveté  et  de  prétention  qui  lai  était 
spécial. 

— Bonjour,  mon  cousin  !  fit-elle  la  main  tendue,  comment 
va  ma  tante  ? 

— Elle  ne  va  pas  plue  mal.  Mademoiselle  ma  cousine,  et  je 
constate  avec  bonheur  que  vous  n'avez  pas  changé  non  plus 
depuis  l'assemblée  ! 

— Vous  dites  cela,  murmura-t-elle  en  rougissant,  mais  je 
suis  sûre  que  vous  ne  m'avez  pas  reconnue  d'abord... 

Et  i.éa,  d'un  air  très  affligé,  tiraillait  les  plis  de  sa  vieille 
jupe. 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  245 

— Comment  donc  !  protesta  le  jeune  Daubreuil,  vous  me 
faites  l'effet  d'être  déguisée,  voilà  !  Et  n'est-ce  pas  la  vérité  ? 
Ne  jouez-vous  pas.  à  la  fermière,  comme  les  marquises  de 
Trianon  ? 

— Merci  !  s'écria  Léa,  ne  pouvant  contenir  l'élan  de  sa  re- 
connaissance. 

Puis,  s'apercevant  qu'il  la  regardait  avec  étonnement,  elle 
eut  peur  d'avoir  dit  une  sottise. 

— Alors,  reprit-elle  d'une  voix  mal  assurée,  vous  voilà  dans 
le  imys  ? 

— Comme  vous  le  voyez;  je  profite  de  mes  vacances  pour 
explorer  la  contrée  avec  mon  chevalet,  aussi  sorcier  que  mon 
automobile  aux  yeux  des  bonnes  gens  !  Je  passais  tout  près 
de  Clairville,  et,  ma  foi.  . 

— Vous  allez  entrer  chez  nous  ?  invita  Mlle  Brissot  avec 
une  certaine  gêne,  car  un  vague  instinct  l'avertissait  que  la 
visite  ne  serait  pas  du  goût  de  son  père. 

— Certes  !  répondit  le  beau -fils  d'Amélie,  le  temps  de 
réunir  tous  mes  accessoiies,  et  de  les  confier.  .  Ah  ça  !  je  dois 
sans  doute  un  dédommagement  à  cette  brave  fille,  pour  la  se- 
monce qu'elle  va  s'attirer  à  cause  de  moi.  Elle  a  de  l'attitude 
de  la  couleur,  savez-vous  ?  Cela  a  tenté  mon  pinceau.  Mais 
je  l'ai  détournée  de  sa  besogne  et  de  plus,  j'ai  commis  une 
violation  de  propriété  !  Ne  sont-ce  point  là  deux  cas  pen- 
dables ? 

— Je  ne  crois  pas  qu'on  vous  pende,  même  une  fois  !  ré- 
pliqua-t-elle  en  riant,  de  son  joli  rire  si  frais. 

Mais,  sans  savoir  pourquoi,  elle  éprouvait  un  malaise.  Du 
portrait  de  Zélie  il  n'était  plus  question,  et  la  grande  rousse, 
libérée  de  sa  contraiute,  écoutait  curieusement,  tout  en  fai- 
sant mine  de  caler  ses  cruches  avec  la  paille  qui  garnissait  le 
fond  de  la  voiture. 

— Ainsi,  vous  save«  peindre  ?  interrogea  Léa. 

— Certainement  ;  j'ai  envoyé   plusieurs  tableaux  au  Salon. 


246  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Roger  se  gardait  bien  d'ajouter  que  ces  envois  avaient  été 
impitoyablement  exilés  du  sanctuaire  ! 

— Oh  !  montrez  donc,  s'écria  la  jeune  fille  en  se  glissant 
derrière  lui.     C'est  superbe  ! 

Et  Léa  joignait  les  mains,  en  toute  confiance,  devant  le  bar- 
bouillage où  l'œil  le  plus  expérimenté  eût  été  bien  en  peine 
de  démêler  quoi  que  ce  fût. 

Daubreuil  rangeait  ses  tubes  avec  une  lenteur  calculée  ; 
mais  la  situation  devenait  de  plus  en  plus  embarrassante  et 
ne  pouvait  se  prolonger.  Déjà  la  rosée  perlait  au  bout  des 
herbes  ;  de  longues  bandes  de  brume,  à  l'efiet  curieux, 
striaient  le  paysage  d'automne  ;  Zélie  finissait  par  s'éloigner 
du  côté  de  la  barrière,  et  Léa  répétait  : 

— Venez-vous  à  la  maison  ? 

Il  fallait  absolument  qu'il  entrât  ou  qu'il  s'en  allât... C'était 
une  alternative  fort  ennuyeuse  ;  s'en  aller  ainsi,  c'était  ridi- 
cule ;  entrer...  cela  ne  lui  disait  rien  pour  aujourd'hui.  Il 
avait  voulu  revoir  Léa,  qui,  décidément,  hantait  ses  rêves  ; 
il  l'avait  revue.  Que  lui  importait  le  reste,  cette  Closerie 
rébarbative,  cette  Mathilde  puritaine,  ce  fermier  qui  menait 
son  monde  à  la  baguette  et  que  Roger  se  représentait  comme 
un  père  tyran  ? 

L'étourdi  se  décida  brusquement  ;  tirant  sa  montre, — un 
chronomètre  des  plus  sélect — il  exclama  : 

—  Diantre  !  six  heures  un  quart  !  Désolé,  désolé  !  C'est  la 
faute  de  cette  bonne  fille  ;  je  dois  être  à  la  villa  dans  une 
demi-heure  !  On  y  fait  de  la  musique,  ce  soir,  et  l'on  compte 
sur  mon  violon  ! 

—  Vous  jouez  du  violon  ? 

—  Oh  !  je  joue  un  peu  de  tout,  répondit-il,  avec  le  petit 
rire  satisfait  dont  il  ponctuait  presque  toujours  ses  phrases. 
Alors,  j'aurai  l'honneur  de  m.e  présenter  une  autre  fois  chez 
Monsieur  votre  père  ;  d'abord,  il  est  tard,  je  craindrais  de 
déranger  en  tombant  ainsi,  comme  un  bolide ...  et  je  ne  suis 
vraiment  pas  en  tenue  de  visite  ! 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAITRE  BIENAIMÉ  247 

—  Eh  bien  !  au  revoir,  dit  Léa  troublée. 

—  Au  revoir  !  répéta  Roger  avec  un  accent  très  eigniticatif . 

Leurs  mains  se  tendirent  à  la  fois  l'une  vers  l'autre  ;  quel- 
ques secondes  après,  Daubreuil,  chargé  de  son  attirail,  arpen- 
tait la  route  en  monologuant  : 

—  Ce  n'est  pas  très  correct  cette  façon  de  s'esquiver  sans 
avoir  salué  le  "  paternel  ".  Bah  !  bah  !  ces  paysans  sont  bien 
incompétents  en  la  matière  ! 

Léa,  cillant  comme  une  personne  mal  éveillée  et  se  posant 
lille  questions,  rejoignait  Zélie  qui  faisait  entrer  la  voiture 
ma  la  cour  de  la  ferme  en  disant  d'un  air  bonasse  : 

—  Alors,  c'est  votre  cousin,  Mam'zelle  ?  LTn  joli  Monsieur, 
mr  sûr,  et  qui  doit  en  avoir  des  écus,  pour  se  promener 
)rame  ça  1  En  voilà  encore  un  qui  est  plus  riche  que  moi  ! 

X 

LA  HAIE- d'Épine 

Il  est  près  de  neuf  heures  ;  dans  la  grande  salle  de  la  Haie- 
'Epine,  Mme  Chaumel  tricote  sous  la  lampe,  tandis  que  son 
Ils,  adossé  à  la  cheminée,  feuillette  une  revue  agricole  ;  ils 
>nt  seuls  dans  la  vaste  pièce  à  quatre  fenêtres  qui  prend 
)ute  la  largeur  de  la  maison,  mais  ils  sentent,  autour  d'eux, 
['invisibles  présences.  En  cet  intérieur  patriarcal,  chaque 
)bjet  a  son  histoire  ;  les  meubles  anciens,  solides,  portent 
l'empreinte  d'une  race,  exhalent  le  parfum  des  traditions» 

L'immense  table  ronde,  qui   occupe  le  milieu,  fut  souvent 
)énie  par  la  main  d'un  prêtre,  pour  des  agapes  oi\  la  charité 
ïgna  toujours,  comme  en  témoigne  cet  écriteau,  cloué  sur  la 
)rte  d'entrée  : 

Hors  d'ici  médisants  dont  la  langue  coupable 
Déchire  l'honneur  des  absents; 
On  ne  permet  à  cette  table 
Que  des  entretiens  innocents,  (i) 

(i)  Inscription  remarquée  dans  une  maison  de  cultivateurs. 


248  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Depuis  des  minutes,  le  silence  est  profond  ;  on  entend  cli- 
queter les  aiguilles  du  tricot  ;  Louis  Chaumel  laisse  retomber 
la  revue  qui  lui  cachait  le  visage  ;  ses  traits  apparaissent,  un 
peu  défaits. 

—  Vous  ne  me  dites  plus  rien,  reprend- il  avec  douceur; 
est-ce  que  je  vous  aurais  froissée,  maman  ? 

—  Non,  mon  pauvre  garçon,  non,  répond  Mme  Chaumel 
d'une  voix  basse  et  rauque  ;  seulement,  je  ne  peux  pas  me 
faire  à  cette  idée-là.  Cela  ressemble  si  peu  à  ce  que  j'espérais. 

—  Oh  !  maman,  ne  me  parlez  pkis  de  fortune  !  La  fortune., 
j'en  ai,  malheureusement,  plus  que  ma  part,  ajouta-t-il,  pen- 
.sant  au  frère  et  à  la  sœur  disparus.    Une  jeune  tille  vaut-elle 

moins  parce  qu'elle  est  moins  dotée  ?  Vous  qui  v^enez  de  faire 
la  prière  avec  vos  domestiques,  aux  pieds  du  Crucifix  que 
voilà,  vous  qui  savez  si  bien  que  les  plus  pauvres  gens  sont 
nos  égaux  devant  Dieu .  . 

—  Tu  dis  de  belles  choses,  et  tu  es  plus  savant  que  moi, 
interrompit  la  mère  avec  un  mélange  d'humilité  et  d'entête- 
ment. Que  veux-tu  ?  j'ai  toujours  vu,  dans  les  mariages,  les 
familles  s'occuper  d'assortir  les  fortunes  comme  tout  le  reste, 
et  le  monde  n'en  allait  pas  plus  mal,  à  ce  qu'il  me  semble. 
Maître  Bienaimé  fait  valoir  les  terres  de  M.  de  Presly,  mai.s 
combien  a-t-il  de  vergées  à  lui  ?.  .  .Avec  ça,  on  prétend, ..il  y 
a  des  bruits  qui  courent.  .  .  Dire  que  si  tu  voulais  tu  aurais 
Marthe  !  Marthe  qui  t'irait  si  bien  ! .  . 

—  Mais  puisque  ce  n'est  pas  elle  que  j'aime,  interrompit 
Louis,  souffrant  réellement  de  se  trouver,  pour  la  première 
fois,  en  conflit  d'âme  avec  cette  mère  qu'il  entourait  d'un 
culte. 

—  C'est  cela  justement  !  répliqua  Mme  Chaumel  ;  quand  je 
pense  que  tu  aimes  Léa.  .  .  si  encore  tu  m'avais  parlé,  .d'une 
autre.  .  Mais  Léa.  .  Léa.  .  Léa.  . 

Posant  son  tricot,  tenant  ses  deux  mains  à  plat  sur  ses 
genoux,  elle  répétait  le  nom  comme  pour  enfoncer,  de  force, 
l'idée  en  son  esprit. 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  249 

—  Non,  jamais  je  ne  me  serais  figuré.  .  .  Toi  et  Léa,  mon 
pauvre  garçon  !   Mais  c'est  le  "jour  et  la  nuit  "  ! 

—  Vous  croyez  ?  fit  le  jeune  homme,  attachant  sur  elle  ses 
grands  yeux  tristes. 

—  Mais  quand  ça  s'est-il  fait.  .  .  et  comment.  .  . 

—  Je  ne  pourrais  pas  vous  le  dire,  murmura  Louis  Chau- 
mel,  s'accoudant  à  la  cheminée.  Elle  a  toujours  été  mêlée  à 
ma  vie,  si  bien  mêlée  que  je  ne  vois  plus  du  tout  ma  vie  sans 
elle,  ni  dans  le  passé,  ni  dans  l'avenir.  ,  .  Ah  !  elle  est  créée, 
celle  là,  pour  mettre  la  joie  et  l'animation  autour  d'elle.  Seu- 
lement elle  a  besoin  d'être  guidée,  comme  une  petite  qu'on 
tient  par  la  main.  .  .  Je  crois  qu'avec  la  grâce  du  bon  Dieu, 
je  la  prendiai  comme  il  faut  la  prendre...  et  vous  verrez, 
maman .  . 

Ah  !  c'était  beau,  cet  enthousiasme  juvénile,  cette  convic- 
tion absolue.  .  Mme  Chaumel,  impressi*  nnée,  fixait  ce  Louis 
qui  ne  doutait  de  rien  parce  qu'il  aimait  !  Oui,  plus  que  cette 
grâce,  cette  fraîcht'ur,  ce  sourire,  il  aimait  l'âme  qu'il  avait 
soif  d'initier  et  de  former.  Et  il  aimait  encore,  à  travers 
Léa,  sa  jeunesse  à  lui,  et  son  adolescence,  tout  illuminées  de 
cette  image,  tout  embaumées  de  ce  parfum.  Si  Louis  n'avait 
eu  à  combattre,  chez  Léa,  que  de  vagues  rêveries,  si  les 
illusions  de  la  jeune  fille  n'eussent  revêtu  en  ce  moment  une 
forme  concrète,  la  plus  séduisante  et  la  plus  redoutable,  elle 
eût  pu  être  facile  en  efiet,  la  victoire  de  l'amour  sauveur,  de 
l'amour  chrétien  ! 

Cependant  Mme  Chaumel  hocha  de  nouveau  sa  tête,  aux 
bandeaux  noirs  bien  plaqués  sur  le  front  ;  elle  ressemblait  à 
tant  d'autres  mères,  qui  veulent  forcer  leurs  fils  à  être  heu- 
reux comme  elles  l'entendent,  selon  un  programme  qu'elles 
ont  tracé  ;  mais  elle  voulait  surtout  que  Louis  fût  heureux, 
et,  à  se  dire  qu'il  faisait  fausse  route,  elle  sentait  une  angoisse 
la  mordre  au  cœur. 

—  Tu  es  tellement  pris,  soupira-t-elle  après  une  longue 
pause,  que  je  passerais  peut-être  sur   la  question  de  fortune. 


250  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

Mais  c'est  si  étourdi .  .  c'est  si  volage  !  La  vois-tu,  chez  nous, 
perdre  son  temps  en  lectures  et  en  toilette,  sans  vouloir 
mettre  la  main  à  rien  ?  Elle  te  ferait  de  la  peine,  va,  et  tu 
regretterais  bientôt.  . 

—  Oh  !  interrompit  Louis,  comme  vous  la  jugez  mal,  la 
pauvre  petite,  pour  quelques  idées  en  l'air,  quelques  paroles 
dites  sans  y  penser,  dans  des  moments  de  contrariété.  .  Elle 
qui  est  d'une  si  bonne  race,  d'une  race  de  travailleurs.  . 
allons  donc  !  D'abord,  continua-t-il.  très  graves,  si  elle  m'aime, 
elle  entrera  dans  mes  idées,  à  moi*-;  elle  sait  que  ma  femme 
devra  faire  comme  ma  mère,  et  je  n'ai  pas  l'intention  de 
tromper  Léa  sur  ce  que  je  demanderai  d'elle  Mais  je  lui 
rendrai  la  vie  si  douce,  qu'elle  n'aura  pas  envie  de  la  trouver 
trop  sévère. 

Mme  Chaumel  s'était  levée  ;  Louis  alla  vers  elle,  lui  saisit 
les  deux  mains,  et,  d'une  voix  suppliante  : 

—  D'ailleurs,  elle  aura  une  mère  ici.  .  Alors,  maman,  qu'est- 
ce  qui  lui  manquera  ? 

Elle  détourna  les  yeux  en  soupirant  encore  : 

—  Il  est  tard,  fit-elle  ;  c'est  assez  de  conversation  pour 
aujourd'hui. 

Le  jeune  homme  eut  le  cœur  serré  ;  il  s'inclina  toutefois, 
présenta  son  front  aux  lèvres  qui  se  refermaient,  rigides. 

—  Bonsoir,  maman. 

—  Bonsoir,  mon  garçon,  répondit-elle  avec  tristesse  ;  tâche 
de  dormir... 

Dormir,  il  n'y  songeait  guère  ;  longtemps  il  erra  dans  le 
jardin,  entre  les  poiriers  lourds  de  rosée.  Il  savait  bien  que 
sa  mère  finirait  par  céder,  par  sanctionner  un  choix  irrévo- 
cable ;  mais  c'était  douloureux,  cette  lutte,  et  —  il  le  sentait 
parfaitement — jamais  Mme  Chaumel  n'accueillerait  Léa 
qu'au  prix  d'un  sacrifice. 

"Si  encore  tu  me  parlais.  .  d'une  autre.  .  "  avait-elle  dit  ; 
son  fils  n'avait  même  pas  compris. 

Dans   sa    vie    austère,    parmi    ses  préoccupations  élevées. 


LES    DEUX    FILLES   DE   MAItRE   BIENAIMÉ  251 

Louis  Chaurael  gardait  une  extrême  jeunesse  de  cœur  ;  il 
voulait,  chez  celle  qui  serait  sa  compagne,  l'élan  joyeux,  la 
tendresse  épanouie,  répondant  à  ce  qu'il  pouvait  donner  lui- 
même.  Pour  lui,  Mathilde  était  comme  en  marge  ;  il  ne  la 
regardait  pas  plus  qu'on  ne  regarde  une  femme  mûre,,  ayant 
passé  l'âge  de  fonder  un  foyer.  Cette  impression,  qu'il  n'était 
pas  seul  à  ressentir,  s'expliquait  par  l'aspect  habituel  de  la 
jeune  tille,  ses  allures  si  calmes,  qu'elles  la  faisaient  paraître 
indifférente  ;  son  langage  un  peu  lourd,  et  presque  toujours 
embarrassé  quand  il  ne  s'agissait  pas  de  donner  des  ordres. 
Jamais  Louis  ne  l'avait  entendue  émettre  une  idée  person- 
nelle, traduire  un  sentiment,  une  émotion.  Elle  se  connais- 
sait trop  peu  pour  savoir  se  faire  connaître  ;  aussi  Louis,  tout 
en  l'appréciant  beaucoup  comme  ménagère  et  comme  fei 
mière,  n'aurait  pas  même  eu  la  pensée  de  chercher  en  elle  le 
rayon,  le  bonheur,  le  charme...  Comment,  d'ailleurs,  la  sépa^ 
rer  de  cette  Closerie  à  laquelle  elle  semblait  liée  indissoluble 
ment  ? 

Le  jeune  homme  rentrait,  et  se  disposait  à  faire  sa  ronde 
comme  tous  les  soirs,  lorsque,  dans  le  corridor,  une  main 
tremblante  lui  toucha  l'épaule  ;  il  poussa  un  cri  : 

— Orand'mère  !  Vous  n'êtes  pas  couchée  !  Etes-vous  ma- 
lade ? 

— Non,  mon  petit;  seulement.  .  j'étais  en  peine  de  toi. 

Doucement,  elle  le  ramenait  vers  le  jardin  ;  bien  qu'il  n'y 
eût  pas  de  lune,  la  nuit  était  très  claire  ;  le  ciel,  entre  les 
étoiles,  avait  une  teinte  bleuâtre,  lumineuse,  et  Mme  Jacques 
put  observer  la  physionomie  de  son  petit-fils. 

— Je  t'ai  vu  te  promener  là,  tout  seul,  continua-t-elle,  et 
t'arrêter,  la  tête  dans  la  main,  comme  un  homme  qui  souflTre... 
Eh  !  tu  n'as  pas  besoin  de  parler  ;  à  mon  âge,  on  devine  bien 
des  choses.  .  Mon  pauvre  Louis,  tu  souffriras  encore,  car  tu 
ne  prends  pas  le  bon  chemin  pour  être  heureux .  . 

— Vous  aussi,  grand'mère  !   murmura-t-il  sourdement.  . 

— Tu  ne  comprends  pas  ce  que  je  veux  dire,  interrompit  la 


252  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

vieille  femme,  haletant  sous  le  châle  de  tricot  dont  elle  s'é- 
tait enveloppée  jusqu'au  front.  Tu  vas  au-devant  d'un  cha- 
grin auquel  tu  ne  penses  pas  du  tout,  ni  ta  mère  non  plus .  . 
Et  je  ne  peux  pas  te  préserver  de  ça  !...Et  pour  t'adresser  là 
où  tu  n'as  que  faire,  tu  passes  auprès  de  celle  qui  te  con- 
vient. .  qui  semble  créée  et  mise  au  monde  exprès  pour  toi 
par  le  bon  Dieu  ! 

— Marthe  !  protesta  Louis.  Comment  savez- vous  cela, 
grand'mère  ?  Moi,  je  suis  persuadé  qu'elle  ne  voudrait  pas. 

Il  se  retourna,  car  déjà  Mme  Jacques  s'enfonçait  dans  le 
noir  du  corridor,  avec  un  geste  mélancolique. 

Ni  l'un  ni  l'autre  ne  se  doutaient  qu'à  cette  heure  même,  la 
paix  nocturne  de  la  Closerie  était  troublée  par  une  discussion 
beaucoup  plus  orageuse.  Au  pied  de  l'escalier  donnant  sur  la 
cuisine,  Maître  Bienaimé  se  tenait  debout,  les  bras  croisés  ; 
Léa,  dont  les  mains  étreignaient  la  boule  de  la  rampe,  et  dont 
le  petit  corps  fondait  ses  lignes  dans  l'ombre  compacte  du 
recoin,  balbutiait  d'une  voix  coupée  de  sanglots  et  cependant 
révoltée  : 

{A  suivre.) 

M&rie  Le  Mière. 


Savez-vous  que  la   Revue  Franco-Américaine, 
la  plus  belle,   la  mieux  illustrée,  sort  des  presses  de 

L'IMPRIMERIE    BILAUDEAU 

197  EST,  RUE   NOTRE-DAME 

MONTREAL. 

Avez- vous  des  travaux  à  faire  faire  ?  oui,  n'est-ce 
pas  ?  Alors,  venez  donc  nous  voir. 


CHRONIQUE  FINANCIERE. 


Une  affaire  bien  comprise 


Les  résultats  que  nous  avons  déjà  obtenus  avec  notre 
offre  des  actions  des  Mines  Malouf,  nous  a  démontré  qu'une 
bonne  proposition  est  toujours  sûre  de  rencontrer  auprès  du 
public  un  accueil  favorable.  Cela  nous  a  démontré,  en 
même  temps,  que  la  publicité  offerte  par  la  Revue  Franco- 
Américaine  est  de  tout  premier  ordre  et  qu'elle  s'adresse 
surtout  à  un  public  averti.  C'est  un  fait  qui  aura  le  double 
avantage  de  réjouir  nos  amis  et  de  faire  l'affaire  de  ceux 
d'entre  eux  qui  désirent  faire  des  placements  profitables  et 
qui  ont  profité  de  l'offre  que  nous  leur  avons  faite. 

Nous  avons  déjà  dit  quel  genre  d'entreprise  c'était  que 
les  Mines  Malouf.  Situées  dans  le  centre  le  plus  productif 
de  Cobalt  et  ayant  subi  avec  succès  les  épreuves  les  plus 
sévères,  elles  en  sont  rendues  à  une  simple  question  d'ex- 
ploitation. C'est-à-dire  qu'il  ne  s'agit  plus  que  sortir  du 
sol  le  minerai  argentifère  qui  s'y  trouve  en  quantités 
énormes. 

Dix  compagnies  de  Cobalt  qui  se  trouvent  tout  près  des 
Mines  Malouf  et  exploitent  une  formation  minière  identique 
produisant  l'argent  au  coût  moyen  de  7  cents  l'once.  Or, 
l'argent  qui  est  en  demande  constante  sur  le  marché,  à  une 
valeur  moyenne  établie  de  60  cents  l'once.  Il  suffit  pour  se 
convaincre  de  ce  fait  de  lire  les  chroniques  financières 
quelque  peu  sérieuses  publiées  par  les  journaux  On  peut 
y  voir,  au  chiffre  des  dividendes  déclarés,  combien  sérieuse 
est  la  proposition  que  nous  avons  faite  à  nos  lecteurs  qui 
ont  des  capitaux  à  placer. 


254  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Dans  cette  entreprise,  comme  dans  toutes  celles  du  même 
genre,  nous  conseillons  à  nos  amis  d'agir  avec  toute  la 
prudence  que  nous  avons  déployée  nous-mêmes  avant 
d'accepter  le  contrôle  des  300,000  parts  des  Mines  Malouf 
Plus  que  toute  autre,  une  entreprise  minière  a  besoin  de  la 
confiance  absolue,  de  l'enthousiasme  même  de  ceux  qui  s'y 
intéressent.  En  résumé,  nous  voulons  des  actionnaires 
comme  ceux  qui  nous  sont  venus  depuis  deux  semaines  que 
notre  proposition  est  sur  le  marché. 

Il  ne  fait  pas  de  doute  que  lefs  Mines  Malouf  ne  soient 
appelées  à  un  succès  colossal.  Et  cela  pour  une  foule  de 
raisons  que^ous  ne  saurions  répéter  trop  souvent. 

Economie  dans  l'exécution  des  travaux  d'autant  plus 
grands  que  l'exploitation  n'est  pas  soumise  aux  trop  coû- 
teuses spéculations  qui  ont  exigé  des  déboursés  énormes 
avant  d'atteindre  des  profits. 

Accès  facile  de  la  mine  à  proximité  d'un  chemin  de  fer. 

Formation  de  la  roche  commune  absolument  identique 
à  celles  des  mines  voisines  qui  paient  aujourd'hui  de  gros 
dividendes. 

J'en  ajoute  un  autre  qui  ne  manque  ni  d'intérêt,  ni  d'im- 
portance. C'est  que  les  ouvriers  chargés  de  creuser  le 
premier  puits  (lOO  pieds  de  profondeur  et  de  9  x  6)  ont  tous 
exigé  des  actions  pour  une  partie  de  leur  salaire. 

Ces  gens-là  ont  vu  la  mine  ;  ils  ont  palpé  son  minerai; 
ils  l'ont  comparé  avec  celui  des  mines  avoisinantes.  Leur 
expérience  vaut  donc  quelque  chose  et  ne  constitue  pas  un 
mince  encouragement  à  suivre  leur  exemple. 

Le  minerai  de  Malouf  est  à  base  d'argent  avec  une  forte 
proportion  de  nickel  et  de  cobalt.  C'est  la  reproduction 
exacte  du  minerai  qui  a  permis  à  d'autres  compagnies,  en 
extrayant  l'argent  seul,  de  réaliser  des  profits  énormes. 
Certaines  de  ces  dernières  déclaraient  tout  dernièrement 
un  dividende  mensuel  de  5%,  ce  qui  représente  un  taux 
annuel  de  6o%. 

Dans  ces  conditions,  on  peut  s'attendre  à  ce  que  les  Mines 
Malouf  fassent  iparler  d'elles,  et  prochainement,  et  soulè- 
vent un  intérêt  qui  ne  sera  pas  même  surpassé  par  la  re- 


CHRONIQUE    FINANCIÈRE  255 

nommée  des  premières  découvertes  qui  ont  été  faites  à  Co- 
balt. 

Les  actionnaires  des  Mines  Malouf  n'attendent  plus  que 
leurs  ouvriers  frappent  une  première  chute  d'argent  le  long 
des  veines  qu'ils  ont  déjà  mises  à  nu  pour  calculer  sûrement 
le  chiffre  de  leurs  profits.  Les  analyses  que  l'on  fait  con- 
tinuellement sur  le  minerai  sorti  de  la  mine  indiquent  sûre- 
ment que  l'on  va  vers  des  gisements  d'argent  natif  qui  dé- 
passeront toutes  les  prévisions. 

Ceux  qui  sont  sages,  mais  progressifs  en  même  temps,  fe- 
ront bien  de  ne  pas  perdre  de  vue  cette  entreprise. 

J.  A.   Lefebvre. 


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bliée dans  la  prem* ère  quin- 
zaine de  chaque  mois. 

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parla  ooste.  L'abonnement,  invariablement  piyabie  d'avance,  devra  être  fait  par 
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la  nouvelle  adre;  se  et  joindre  10  cents  en  timbres-poste. 

Taux  d'annonces:  20 cents  par  ligrne  agathe.  Pour  contrats  d'annonces, 
s'adressera:  LA  REVUE  FRANCO-AMERICAINE,  2487  case  pos- 
tale, MontpéaL 


The  Malouî  Mines,  umited 

52  RUE  SAINT- JACQUES 


Capital  autorisé     -       -       -       -  $200,000 

Capital  déjà  souscrit       .-       -       -       $100,000 


Cette  mine  est  située  dans  le  cœur  de  Cobalt, 
à  3  et  1-2  milles  du  chemin  de  fer  Témiscamin^e 
&  Northern,  Ontario.  Un  chemin  public  du  gouver- 
nement loi^ge  la  propriété. 

Actuellement,  les  actions  qui  restent  à  vendre 
sont  à  20  cents,  prises  par  lots  de  25  au  moins. 
Aux  prévoyants  nous  conseillons  d'acheter  immé- 
diatement tandis  que  c'est  le  temps.  Faites  vos 
paiements  par  chèque  payable  au  pair  à  Montréal 
ou  par  mandat-poste,  à  l'ordre  de  la  compagnie. 

Pour  plus  amples  informations,  analyses  de  mi- 
nerais, description  de  la  mtine,  rapports  des  ingé- 
nieurs sur  les  opérations,  etc.,  s'adresser  à  la  com- 
pagnie qui  s'empressera  de  fournir  tous  les  rensei- 
gnements. 

BLANC  DE  SOUSCRIPTION. 

Messieurs, 

Je,  soussigné,  souscris  pour 

parts  entièrement  acquittées  et  non  assessables  du 
Capital-Actions  de  The  MALOUF  MINES  Limit- 
ed, pour  lesquelles  vous  trouverez  ci-inclus  la  som- 
me de(| ) dollars 

Nom 

Adressé 

Date • 19 


p.  BILAUDEAU  J.-L.    K.-LAFLAMME  J.-A.  LEFEBVRE 

PRÉSIDENT  8KCKÉTA1KK  TRESOKIER 

HENRI-H.    DECELLES.    GERANT 

Capital,         -         -         $50,000.00 

L'EPARGNE  FONCIERE  IraiTEE 

Siège  Social  :  7Ia,  RUE  ST-JACQUES 
MONTRÉAL 


BUT. — Cette  Compagnie  reçoit  des  épargnes  pour 
les  appliquer  sur  propriétés  foncières  ; 

MOYEN. — On  contribue  une  piastre  par  semaine 
pour  former  une  part  de  S260,  et  on  peut  souscrire 
plusieurs  parts  ; 

GESTION. — La  Compagnie  ne  peut  distraire 
plus  de  $26.  par  part,  soit  10%  du  montant  à  contri- 
buer pour  frais  de  recrutement  et  de  gestion  ; 

PLACEMENT. — Les  contributions  sont  placées 
sur  biens-fonciers  et  les  revenus  sont  capitalisés  de 
la  même  manière,  après .  avoir  pourvu  aux  charges 
administratives  ; 

AVANTAGE.— Après  avoir  contribué  $260.  à 
une  piastre  par  semaine,  l'adhérent  reçoit  une  part 
de  revenus  proportionnelle  sur  toute  la  masse  accu- 
mulée, revenus  qui  lui  seront  remis  tous  les  trois  mois 
sa  vie  durant  ; 

REVENUS. — Aucun  adhérent  ne  peut  recevoir 
des  revenus  dépassant  $65.  par  part  la  première  an- 
née, S104.  la  2e  année,  S156.  la  3e  année,  $208.  la 
4e  année,  ni  plus  de  $260.  après  cela  en  une  seule 
année. 

^DEMANDEZ  UNE  CIRCULAIRE  EXPLICATIVE. "^J 


estimées,    JlUv,UUU,UuU.^"  vernement, 

ont  été  réalisés  dans  la  propriété  des  villes  de  l'Ouest  en  1909. 

Avez-\  ous  participé  à  ces  énormes  bénéfices  ?  Eltes-vous  celui  qui  a  réa- 
lisé un  profit  'u  le  malheureux  qui  en  a  e  i  a  chance,  mais  ne  possédait  pas 
assez  de  jugement  pour  risquer  le  marché?  Une  personne  digne  de  sympa- 
thie, c'est  celle  qui  dit  :  "Il  y  a  cinq  ou  dx  ans,  j'ai  acheté  telle  ou  telle 
propriété  pour  $100  ou  |500  et  elle  vaut  maintenant  $  0,000."  Allez-voua 
dire  dans  cinq  ans  d'aujourd  hui  que  vous  avez  acheté  des  lots  à  Poe,  Alta., 
à  $50  ou  $100  ehacmi,  q  -e  vous  avez  réali-é  de  $1,00^  à  $10,000  pour  avoir 
acheté  une  propriété  dans  cette  ville  en  l'an  de  grâce  1911  ? 

POE  UN  FUTUR  CENTRE  COMMERCIAL. 

Poe  est  situé  sur  la  ligne  principale  du  Grand-Tronc-Paciflque  f  ntre 
Edmonton  et  Saskatoon,  dans  l'un  des  plu-i  beaux  districts  agr  coles  et  des 
plus  peuplés  de  l'Ouest  Canadien,  possédant  de  riches  mines  de  charbon  ;  si- 
tué près  de  rivières  et  de  lacs  à  proximité  des  forête.  Ces  ressources  natu- 
relle» assurent  aux  habitants  de  cette  ville,  un  coût  peu  élevé  de  la  vie,  et 
d'une  grande  activité  commerciale,  choses  essentitlles  pour  l'érection  d'une 
grande  ville,  créant  ainsi  une  propriété  foncière  de  grande  valeur 
POK  UN  CENTRE  DE  kANUFACTURES. 

Ce  site  de  la  ville  et  le  territoire  contigu  a  toutes  les  choses  exigées  par 
les  manufacturiers  pour  rinstallation  de  grandes  usines  ou  de  grosses  entrc- 
priees  de  tot.s  Heures  employa:  t  un  grand  n<»t».bre  de  personnes.  Les  rivières 
et  les  lacs  fournissent  l'eau,  les  mines  et  les  forêts  fournissent  1  combustible 
et  le  matériel  de  construction  à  bon  marché,  les  terres  agricoles  fou^ni-^sent 
les  produits  de  la  ferme,  de  sorte  que  les  habitan  s  peuvent  vivre  à  un  vrai 
bon  marché. 

Déjà  plus  de  200  lots  ont  été  vendus,  et  plusieurs  de  ces  lots  ont  déjà 
changé  de  mains  avec  une  augmentation  substanielle.  T^a  plupart  de  ces 
lots  ont  été  >  chetés  par  des  hommes  d'ailaires  de  tout  le  Canada,  qui  main- 
tenant bénéficient  de  leur  prévoyance. 

Le  site  de  la  ville  est  haut  et  sec  et  très  propice  à  la  constructioD. 
L'OPPORTUNITE 
ne  signifie  rien  si  vous  ne  possédez  pas  le  courage  d'agir.  Vous  pouvez  pos- 
séder une  grande  sag' sse,  voyager  beaucoup  et  voir  ainsi  toutes  sortes  de 
chances  de  fair.;  de  l'argent,  mais  à  moins  que  vous  n'ayez  le  courage  d'agir 
sur  votre  propre  juge  nent  et  votre  propre  sagesse,  ces  qualités  ne  vous  sont 
d'aucune  utilité. 

Le-'  lots  de  Poe  sont,  un  bon  placement  aux  prix  actuels.  La  ville  est  for- 
cée de  arrandir  vite.  Grâce  aux  conditions  faciles  de  paiement,  vous  avez  la 
possibilité  d'acheter. 

LES  TITRES  TQTîRENS. 

Nous  possédons  la  ville  de  Poe  sous  le  système  des  titres  Torrens.    Avec 
oe  système,  le  titre  est  garanti  par  le  gouvernement,  dès  lors  absolument  sûr. 
PRIX  ET  TERMES. 

Les  prix  des  lots  sont  de  $50  à  $100  chacun,  et  on  peut  les  acheter  aux 
conditions  de  10  pour  cent  comptant,  la  balance  en  dix-huit  i  aiements  égaux 
mensuels  ;  ou  le  quart  comptant  et  la  balance  en  six,  douze  ou  dix-huit  mois. 

INFORMATIONS. 

Nous  avops  publié  une  circulaire  attrayante  donnant  toutes  les  informa- 
tions relatives  à  la  ville  et  à  ses  perspectives,  avec  une  carte  montrant  'es 
lots  à  vendre.  Si  vous  désirez  recevoir  cette  jolie  circulaire,  détachez  le  cou- 
pon ci-joint  et  adressez-nous  le  par  le  prochain  courrier. 

Poe  est  une  bonne  ville  nouvelle  où  vous  pouvez  allez  faire  de?  affaires 
ou  pratiquer  une  profession. 


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Bureau  de  Poste  et  Province 


Cl  KALûfil  VOUS  NOU&  RfSTCROnS  ^RAM/iS  ' 


POLITIQUE,     LITTERAIRE,     ARTISTIQUE 

(HEBDOMADAIRE) 


C'est  le  titre  d'une  publication  que  la  '*  Revue 
Franco- Américaine"  va  entreprendre  pour  répondre 
au  désir  de  tous  les  amis  de  la  cause  qu'elle  défend. 

Nous  l'avons  annoncée  le  mois  dernier,  et  nous 
avons  déjà  pour  notre  future  publication  une  liste 
d'abonnés  fort  respectable.  Nous  en  remercions  très 
cordialement  nos  amiis  pour  l'empressement  qu'ils 
mettent  à  nous  seconder  dans  cette  nouvelle  entre- 
prise. Qu'ils  continuent  la  propagande  dans  leur  en- 
tourage, parmi  leurs  amis  qui  sont  aussi  les  nôtres. 

Le  "Gaulois"  publiera  son  premier  numéro  dans 
quelques  semaines. 

Nous  avertissons  ceux  qui  désirent  en  posséder 
la  série  complète,  de  ne  pas  tarder  à  nous  envoyer 
leur  abonnement  dès  maintenant. 

Le  "GAULOIS",  revue  littéraire,  politique  et 
artistique.    Grand  format. 

Questions  d'actualité,  traitées  au  point  de  vue 
des  intérêts  canadiens-français.  — ^  Feuilletons  irré- 
prochables. —  Une  revue  qui  intéressera  tous  les 
membres  'de  la  famille  et  pourra  être  miise  entre  tou- 
tes les  mains. 

Prix  de  l'abonnement  :    $2.00  par  année. 
Adresse:   E^IS  ©AUILrOIS,  Boîte  2487, 

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Les    Dessins,    Modèles,    Modelag^e    et 
Sculpture  sur  Bois  et  Coulage  en  Plâtre 
recevront  une  attention  toute  spéciale. 
EXECUTION  PROMPTE  A  DES  PP.IX  TRES  B.4S 

Une  visite  est  respectueusement  solli- 
citée. Tei..  32S1 


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MONTREAL 


Contrôlons  nos  Epargnes  ! 
Protégeons  nos  Familles  ! 

Défendons  nos  Institutions  Nationales  ! 

Trois  buts  que  l'on  atteint  en  s'enrôlant  dans 

ha.  plus,  sûre,  la  mieux  organisée. des  sociétés  de  secours  mutuels  aux 
Etats-Unis. 

LISEZ  *♦  L'UNION,"  organe  officiel  de  la  Société,  le  pins  vigou- 
reux des  journaux  franco-américains. 

ADRESSE:  L'Union  St-Jean  Baptiste  d'Amérique,  Woonsocket,  R.  I. 

M.    AFTÎFmjT  L  A  N^"evTn 

371  Rue  Marquette,   Montréal. 

AGENT  DE  LA 

REVUE    Franco- AMERICAINE 

POUR  MONTREAI.  ET  DISTRICT 


Le   Grand^^Tronc 


HORAIRE  DES  TRAINS  PASSAGERS 

QUITTANT    LA    GARE    BON AVENTURE 

JUSQU'A  NOUVEL  OKDRE. 


7.16  A. M.— (Tous  le»  jours)  pour  Richinotid  et  gares  iatennédiaires, 

7.2(jA.M.. — (Tous  les^ours,  dimanche  excepté)  pour  t,aprairie,  Hetamingfford,  Ste- 

Martine  Jet.,  Howick,  Ormstovvn,  Iluntiugdon,  Fort  Covington  et  Mas- 

seùa  Springs. 
8.00  A. M.~(Tous  les  jours)  pour  Richmond,  Sherbrooke,   Portland;  tous  les  jours, 

dimanche  excepté,  pour  Lévis  (Québec.) 

8.30  A. M. —(Tous  les  jours)  pour  Coteau  Jet.,  G!en   Robertson,  Alexandria,  Ottawa, 

Valieyfield  et  les  poiuts  sur  la  division  d'Ottawa. 

8.31  A.M.— ( Tous  les  jours)  pour  St-Jean,  St.  Albaus,  Burlington,  Springfield,  Boston 

et  New-York  via  V.  C.  R'y. 

8.3.5  A. M.— (Tous  les  jours)  pour  St-Jeau,  Rouses  Point,  Plattsburg,  Troy,  Aibany  et 
New-York  via  Cie  D.  &  H. 

8.51  A.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  Cliambly,  Marieville,  Farnham, 
Granby  et  Waterloo  via  V.  C  R'y. 

9.00  A.  Vï.— (Tous  les  jours)  "  Internatioiial  Limitée"  pour  Cornwall,  Brockville, 
Kingston,  Toronto,  Hamiltoa,  Niagara  Falls,  Buffalo,  Détroit,  hicago 
et  tous  les  points  à  l'ouest. 

9.45  A. M. — (Tous  les  jours)  pour  Vaudreuil,  Cornwall,  Prescott,  Brockville,  King- 
ston, Beilevtile,  Toronto  et  gares  intermédiaires. 

1.35  P.M. — (Tous  les  jours,  dimanchf  excepté)  pour  St-Jean,  Iberville,  St.  Albaus, 
Buriington  et  V/liite  F<iver  Jet, 

3.00  P.M.— (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  St-Jean,  Rouses  Point,  Platts- 
burg, Troy,  Aibany  rt  New-York. 

3.55  P.M.—(  Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  Ste-Anne,  Coteau  Jet.,  Valiey- 
field, Glen  Robertson,  Alexandria,  Ottawa  et  les  points  sur  la  division 
d'Ottawa. 

4.16  P.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  poxir  St-Hyacinthe,  Richmond,  Lévis 
(Québec),  Sherbrooke  et  Island  Pond. 

4.20  P.M.— (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  Vaudreuil,  Valieyfield,  Cornwall, 

Brockville  et  gares  intermédiaires. 

4.21  P.M.— (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  Laprairle,  Hemmingfod,  Ste- 

Martine  Jet.,  Howick,  Ormstown,  Huntingdon  et  Fort  Covingjon. 

♦.SO  P.M. — (Tous  les  jours,  «limanche  exceoté)  pour  St-jean,  Rouses  Point  et  gares 
intermédiaires. 

4.55  P.M,— (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  Chambly,  Marieville,  Farnham, 
Freiighsburg.  Granby  et  Waterloo. 

5.20  P.M. — (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  St-Hyacinthe,  et  gares  inter- 
médiaires. 

5.30  P.M.— (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  St-Jean,  Iberville  et  St-.\lbans. 

6.26  P.''!.— (Tous  les  jours,  dimanche  excepté)  pour  St-Lambert,  Chambly,  Marie- 
ville  et  St-Césaire. 

7.25  P. M. —(Tous  les  jours)  pour  St-Jean,  Rouses  Point,  Plattsburg,  Troy  Aibany 
et  New-York  via  Cie  U.  &  H. 

7.30  P.M.— (Tous  les  jours)  pour  Cornwall,  Brockville,  Kingston.  Bellevilb  et  To- 
ronto. 

8.00  P.  M. — (Tous  les  jours)  pour  Coteau  Jet.,  Alexandria,  Ottawa  et  les  points  sur 
la  division  d'Ottawa. 

8.15  P.  M.— (Tous  les  jours)  pour  St-Hyacinthe,  Richmond,  Levis,  (Québec),  Sher- 
brooke, Island  Pond  et  Portland, 

8.30  P.  M.— (Tous  lesjours)  pour  St-Jean,  St-Albans,  Burlington,  Springfield,  Boston 
et  ^ew-Yoï-k  via  V  C.  R'y. 

10.30  P.M. — (Tous  leL-  jours)  pour  Brockville,  Kingston,  Toronto,  Hamiltou,  Niaga- 
ra Falls,  Buffalo,  London.  Détroit,  Chicago  et  tous  les  points  à  l'ouest . 


Pour  billets,  taux,  mappes,  indicateurs,  waçons-lits,  et  toute  autre  information' 
•'adresser  au  bureau  de  la  compagnie,  130  rue  St-Jacques,  Tél.  Main  6905,  ou  àla 
gare  Bonaventure,  Tel.  Main  4779. 


LE  PACIFIQUE  CANADIEN 

LA  ROUTE  POPULAIRE 


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et  les 
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Montréal. 


et  Québec, 
et  Ottawa, 

Juliette  et  St-Gabrlel. 
Ste-Agathe,  Nominlngue 
Les  Laurentides,  \ 
et  les  Chutes  Shawini- 

et   Ste-Ânne  de  Beau- 

et  le  Cap  de  la  Magde- 

Bala  et  le  MuskoKa, 


Montréal,  St-Jean,  N.-B.,  et  les 
Provinces  Maritimes, 

Montréal,  Manchester,  Nashua, 
Loweil,  Boston  et  la  Nouvelle- 
Angleterre, 

Montréal,  Toronto,  Détroit  et  Chi- 
cago, 

Montréal,  Sault  Ste- Marie,  St- 
Paul,  Duluth,  Minneapoiis, 

Montréal,  Fort  William,  Wlnnlpeg, 
VaT  conver,  le  Kootenay  et  la 
Côte  du  Pacifique. 


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sont  les  plus  modernes  et  les  plus  rapides  faisant  le  service  entre 
les  ports  Canadiens  et  I^iverpool. 
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Affent  Général  du  Trafic-Voyageur 
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FAITES  DURER  VOS  ETRENNES 


Un  montant  de  $2.00  paiera  un  abonnement  d'un  an  à  la 

REVUE  FRANCO-AMERICAINE. 

L/'abonnement    et  le    renouvellement    des  étrennes    chaque  mois. 
Il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  de  se  rappeler  aux  amis. 


1 


L'IIvIvUSTRATION 

Supplément  de  "La  Revue  Franco-Amépicaine  " 


Vol.  VIII.  No  4. 


Montréal,  1er  Février  1912 


Feu  l'abbé  Edmond  Marcoux. 


M.  Raymond  Poincark,  premier  ministre  de  France. 

M.  Raymond  Poincaré  nous   écrivait,  le  8  février  1910,  en  réponse  à  une 
enquête  faite  par  M.  J.  A.  Lefebvre:  "  Comme  on  nous  voit  en  France  "  : 

"  J'ai  lu  avec  un  vif  intérêt  le  numéro  de  la  Revue  Franco- Américaine 
que  vous  avez  bien  voulu  m'envoyer. 

"  Je  vois  avec  quelle  pieuse  fidélité  les  Canadiens-Français  conservent  le 
souvenir  de  leur  origine  et  avec  quelle  perfection  ils  parlent  et  écrivei 
notre  langue. 

"  J'applaudis  à  tout  ce  qui  peut  resserrer  les  liens  qui  noiis  unissent  à  èi 
et  je  suis  heureux  que  votre  Revue  me  fournisse  l'occasion  de  leur  envoyé 
le  salut  cordial  d'un  Français  d'Europe. 

"  Croyez  à  mes  sentiments  distingués." 


La  Fecme  dans  les  Eaux  Canadiennes 

LE  LONG  DU  GrAND-TrONC 


Tout  le  monde  est  heureux  :   Monsieur  et  madame  sont  enchantés 
de  leur  pêche. 


o  H 

'■5  '^ 


^  -5 

si 


o 


Les  jeunes  à  la  pêche.     A  qui  le  plus  gros  ? 
Camp  Cochrane  sur  le  G.  T.  R. 


De  la  truite  franche  du  "  Lake  of  Bays,"  près  de 
Dorset,  sur  le  G.  T.  R. 


La  pêche  an  brochet,  Rivière  aux  Français, 
le  long  du  Grand-Tronc. 


MB^ÊÊfÊÊ^  -     ,^.^,|i|briyHn 

|^J£^3l2 

Un  pique-nique  à  Rose  Point,  Baie  Géorgienne, 
le  long  du  Grand-Tronc. 


:*X 


Fig     156. 


Dr  He^nri  Lasnirr  (voir  son  article) 


Avis  à   nos  abonnés 


A  portir  du  1er  mai  1912  le  prix  d'abonnement  à 

LA  REVUE  FRANCO-AMERICAINE 

sera  uniforme,  tant  pour  le  Canada  que  pour  l'étrano-er, 
soit  $2.00  par  année. 

De  plus  la  Revue  se  voit  obligée  de 

RETRANCHER  DE  LA  LISTE 

ceux  de  ses  abonnés  qui  n'auront  pas  payé  leurs  arré- 
rages et  (]ui  ne  paieront  pas  d'avance  pour  l'année 
1912'"-1918. 

EN  VOICI  LE  POURQUOI  : 

Environ  200  amis  de  la  Revue  négligent  chacjue  an- 
née de  payer  à  temps  leur  abonnement  et  par  là  nous 
forcent  à  tenir  des  livres.  Conséquence  :  en  dehors  de 
ces  200  amis,  300  à  400  individus  qui  se  sont  abonnés 
par  lettre — et  qui  doivent  être  habitués  à  faire  ce  petit 
jeu  avec  tous  les  journaux — ^en  profitent  pour  ne  jamais 
payer.  Depuis  la  fondation  de  la  Revue  nous  avons, 
par  ce  procédé,  perdu 

ALU-delà  de  $2,000 

Nous  trouvons  que  c'est  trop  et  nous  avons  décidé  de 
prendre  le  seul  moyen  radical  :  l'abonnement  payable 
d'avance.  Que  nos  vrais  amis, -retardataires  ou  négli- 
gents, ne  se  formalisent  pas,  mais  qu'ils  songent  à  ce 
qu'ils  feraient  s'ils  étaient  à  notre  place. 

LA  REVUE  FRANCO-AMERICAINE 


Les  présents 


Enfant,  je  vous  donnerai 

Pour  vos  fiançailles 
Un  clair  bleuet  azuré 

Parmi  l'or  des  pailles; 
Et  jamais  un  bleu  plus  pur 
N'aura  teint  de   fleur  plus  belle, 
Sinon  dans  le  vierge  azur 

De  votre  prunelle. 

Enfant,  je  vous  donnerai 

Pour  vos  épousailles 
Un  œillet  rouge,  empourpré 

Comme  les  batailles  ; 
Et  jamais  calice  en  juin 
N'aura  versé  plus  de  fièvres, 
Sinon  l'œillet  purpurin 

De  vos  jeunes  lèvres  ! 

Enfant,  je  vous  donnerai 

Pour  vos  funérailles 
Un  lis  hélas  !  expiré 

Parmi  les  broussailles  ,- 
Et  jamais  plus  belle  fleur 
N'aura  blêmi  de  la  sorte 
Si  ce  n'est  dans  la  pâleur 
De  ta  beauté  morte. 


Catulle  Mendès. 


L'horloge   du   coeur 


Oui,  mon  enfant,  c'est  très  certain  : 
Dans  notre  poitrine  paisible 
Qui  fait  tic  tac,  soir  et  matin, 
Se  trouve  une  horloge  invisible. 

Jadis,  avant  d'ouvrir  vos  yeux, 
Un  ange  blanc  l'y  mit,  je  pense, 
Et  chaque  nuit  il  vient  des  cieux 
Pour  la  remonter  en  silence. 

Bon  ange  blanc,  venez,  venez. 
Du  paradis  où  Dieu  vous  loge, 
Et,  dans  le  cœur  des  nouveau-nés, 
Faites  battre  longtemps  l'horloge  ! 

Pour  que  les  pères  soient  joyeux, 
Pour  que  les  mères  soient  bénies, 
Et,  qu'en  souriant,  les  aïeux 
Ferment  leurs  paupières  ternies. 

O  mon  enfant,  mon  tendre  amour, 
Puisqu'on  ne  peut  taire  ces  choses. 
Puisque  l'horloge  sainte,  un  jour. 
Doit  s'arrêter  sous  vos  chairs  roses. 

Priez,  priez  avec  ferveur. 
Afin  qu'à  votre  heure  dernière. 
Quand  Dieu  reprendra  votre  cœur 
Des  mains  de  l'ange  de  lumière. 

Ce  cœur,  qui  fut  si  doux  au  mien, 
Soit,  sans  aigreur,  soit  sans  souillure 
Et  n'ait  battu  que  pour  le  bien 
Dans  votre  vie  honnête  et  pure. 


Jean  Rame&u. 


I 


Ceux   qui   partent 


Je  ne  sais  plus  quel  auteur  a  écrit  cette  parole  de  pro- 
fonde philosophie  :  "  Nos  aînés  s*en  vont;  nous  ne  les  avons 
pas  assez  consultés."  Le  souvenir  vient  d'en  être  éveillé 
dans  mon  esprit  par  une  courte  notice  que  m'adresse  M. 
Adolphe  Poisson  à  l'occasion  de  la  mort  de  notre  ami  com- 
mun, feu  Tabbé  Edmond  Marcoux,  ancien  curé  deFichburg, 
Mass.,  déc'^dé,  il  y  a  quelques  mois,  au  fond  d'une  province 
de  France.  Mais  le  billet  de  M.  Poisson  m'a  apporté  plus 
qu'un  souvenir.  Il  m'a  aussi  apporté  un  remords,  et  je  m'en 
veux  de  m'être  laissé  distraire  par  des  occupations,  si  nom- 
breuses qu'elles  aient  été,  du  devoir  que  m'imposaient  de- 
vant deux  tombes  à  peine  fermées  quinze  années  d'une  ami- 
tié fortifiée  par  des  luttes  sans  nombre  et  que  rien  n'a  pu 
ébranler.  Je  devais  cet  hommage  à  ceux  qui  pendant  tout 
ce  temps,  au  plus  fort  des  batailles  livrées  pour  nos 
compatriotes  des  Etats-Unis,  m'ont  encouragé  par  leur  ex- 
emple, aidé  de  leurs  conseils  et,  pourquoi  ne  le  dirais-je 
pas  ?  consolé,  avec  toute  l'éloquence  de  leur  foi  ardente, 
des  déboires  immérités  et  des  défections  les  plus  injustes. 

Aussi  comprendra-t-on  pourquoi  je  veux  associer  dans 
une  même  pensée  d'affection  la  mémoire  des  deux  patriotes 
que  furent  parmi  les  Franco-Américains  l'abbé  F.  X.  Cha- 
gnon,  ancien  curé  de  Champlain,  N.  Y.,  et  l'abbé  Marcoux, 
ancien  curé  de  Fitchburg. 

Etablis  aux  deux  extrémités  de  la  Nouvelle-Angleterre, 
ces  prêtres  patriotes  formaient  comme  les  traits  d'u- 
nion indispensables  pour  maintenir  l'unité  d'action  entre 
les  Franco-Américains  de  l'Ouest  et  de  l'Est,  le  premier  en 
apportant  à  son  confrère,  arrivé  plus  récemment  sur  le  ter- 
rain de  la  lutte,  le  fruit  de  plusieurs  années  de  travail  na- 
tional, et  le  second,,  vite  initié  aux  besoins  de  ses  compa- 
triotes, les  ressources  d'un  intarissable  dévouement. 

M.  l'abbé  Chagnon,  plus  peut-être   que  M.  Marcoux,  a 


260  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

attiré  l'attention  des  siens.  Lancé  plus  tôt  sur  une  scène  où 
il  devait  briller  pendant  près  d'un  demi-siècle,  initiateur 
enthousiaste  de  nos  premières  manifestations  nationales 
aux  Etats-Unis,  à  ce  point  qu'il  a  mérité  le  titre  de  "  Père 
des  conventions,"  orateur  d'une  éloquence  enjouée  et  per- 
suasive, écrivain  d'une  fprce  remarquable,  il  fut  pendant 
toute  une  époque  le  chevalier  sans  peur  que  les  premières 
organisations  franco-aaiéricaines  suivaient  avec  entrain,  le 
conseiller  ferme,  mais  toujours  prudent,  qui  leur  assura 
plus  d'une  victoire.  Ecrire  sa  Vie  ce  serait  écrire  l'histoire 
de  l'immigration  canadienne-française  vers  les  Etats-Unis. 
Autour  de  son  nom  rayonnent  d'autres  noms  mêlés  aux 
luttes  des  premiers  jours,  prêtres,  avocats,  journalistes, 
marchands,  artisans  tous  pionniers  de  lidée  française  et 
catholique,  sachant  voler  aux  rudes  exigences  d'une  vie 
transplantée  en  sol  nouveau,  le  temps  de  semer  autour  de 
leurs  paroisses  ou  de  leurs  foyers  les  germes  d'un  dévelop- 
pement que  certains  combattent  avec  une  frénésie  qui  res- 
semble à  la  démence. 

L'action  de  M.  l'abbé  Marcoux,  pour  s'être  exercée  plus 
particulièrement  dans  les  centres  de  la  Nouvelle-Angle- 
terre, n'en  a  été  ni  moins  suivie  ni  moins  féconde.  Con- 
vaincu de  la  justice  des  revendications  de  ses  compatriotes, 
soucieux  de  perpétuer  au  milieu  d'eux  cette  glorieuse  tra- 
dition qui  place  les  prêtres  canadiens-français  au  premier 
rang  des  sauveurs  de  la  race  après  la  conquête,  il  n'est  pas 
de  sacrifice  qu'il  n'ait  fait,  de  démarches  qu'il  ne  se  soit 
imposées  afin  de  faire  triompher  le  droit  et  de  faire  aimer 
l'Eglise.  Les  événements  qui  se  sont  déroulés  dans  la  Nou- 
velle-Angleterre depuis  quelques  années,  devaient  se  prêter 
admirablement  à  l'exercice  de  son  zèle  et  lui  confier  les 
plus  délicates  fonctions. 

Je  viens  de  relire  le  mémoire  si  fortement  agencé  qu'il 
prépara,  à  la  mort  de  Mgr  Stang,  en  faveur  du  choix  d'uni 
évêque  franco-américain  pour  le  diocèse  de  Fall  River.  Jej 
relis  ses  lettres  nombreuses,  que  je  voudrais  citer,  où  se] 
rencontre  à  chaque  ligne  la  parole  vengeresse  et  apostoli- 
que qui  défend  l'Eglise  contre  les  outrages  faits  à  son  nomj 


CEUX  QUI  PARTENT  261 

par  ceux-là  mêmes  qu'elle  accable  de  faveurs.  Elle  est  de  lui 
cette  parole,  que  je  citais  il  y  a  quelques  mois,  stigmatisant 
la  théorie  assimilatrice,  la  théorie  de  ceux  qui,  disait-il, 
"  veulent  coudre  cette  pièce  sur  la  robe  sans  couture  du 
Christ." 

Hélas!  dans  la  Nouvelle- Angleterre  il  n'y  a  pas  que  les 
causes  saintes  qui  soient  l'objet  d'une  douloureuse  indiffé- 
rence de  la  part  des  autorités  suprêmes  ;  ceux  qui  les  dé- 
fendent ne  sont  pas  toujours  à  l'abri  des  coups  des  puis- 
sants qui  profitent  d'une  longue  impunité  pour  essayer  de 
tarir  dans  leur  source  les  sentiments  de  fierté  nationale, 
jusqu'aux  instincts  eux-mêmes  de  conservation,  qui  pous- 
sent les  petits  groupes  nationaux  à  demander,  en  attendant 
qu'ils  l'exigent,  qu'on  les  laisse  vivre. 

La  mémoire  du  curé  Marcoux,  mort  en  terre  étrangère 
sous  le  coup  d'une  disgrâce  imméritée,  loin  de  ceux  qui  l'ai- 
maient, laissera  quelque  part,  je  le  crois,  si  la  conscience 
n'est  pas  un  vain  mot,  une  trace  profonde,  un  remords  cui- 
sant. La  tyrannie  peut  méconnaître  bien  des  sentiments, 
mais  un  châtiment  qui  la  suit  partout,  attaché  à  ses  flancs 
comme  une  robe  de  Nessus,  la  force  d'admirer  quand  même, 
et  jusque  dans  la  mort,  ceux  qu'elle  a  "pu  écraser,  mais 
qu'elle  n'a  pas  réussi  à  vaincre. 

Les  abbés  Chagnon  et  Marcoux  ont  fait  plus  que  dépen- 
ser leurs  vies  au  service  de  leurs  compatriotes.  Ils  leur  ont 
légué  un  grand  exemple  d'abnégation,  de  patriotisme  et  de 
foi.  Quelle  que  soit  la  destinée  qui  attende  les  groupes 
français  delà  république  américaine,  la  pensée  de  ces  deux 
prêtres  patriotes  sera  invinciblement  mêlée,  parmi  les  plus 
aimés,  aux  souvenirs  de  cette  lutte  gigantesque  soutenue  par 
un  million  et  demi  des  nôtres  pour  leur  existence  nationale. 
Et  ce  sera  une  des  consolations  de  l'Eglise  d'apprendre 
plus  tard,  quand  les  vérités  américaines  auront  atteint  les 
Sept  Collines,  que,  pendant  les  longues  années  d'épreuves 
traversées  par  ses  enfants  les  plus  fidèles,  des  héros  obscurs, 
forts  de  ses  vertus  divines,  ont  prêché  l'amour  de  son  nom 
aux  faibles  sollicités  par   la  révolte  et  dont  la  longue   et 


262  LA   REVUE   FRANCO -AMéRICAINE 

douloureuse  prière  fut  si  longtemps  couverte  par  la  voix 
plus  forte  des  politiciens  de  toute  robe. 

Je  sais  bien  qu'en  dehors  d'un  groupe  relativement  res- 
treint— ce  sont  les  fidèles — on  va  trouver  à  redire  sur  cette 
opinion,  très  sommaire,  du  reste,  exprimée  sur  la  vie  de  ces 
deux  amis  disparus.  Cela  n'enlèvera  rien  à  leur  gloire,  et 
bien  moins  encore  au  mérite  qu'ils  ont  eu  de  comprendre 
les  besoins  véritables  de  leur  race,  et  surtout  de  reconnaître 
les  meilleurs  moyens  de  lutter.  Ces  critiques,  ils  n'ont  pas 
eu  besoin  de  mourir  pour  en  ressentir  les  atteintes.  Habi- 
tués à  vivre  dans  un  monde  qui  n'était  pas  exempt  de  fai- 
blesses, coudoyant  les  pusillanimes  pour  lesquels  leur  cou- 
rage était  une  vivante  accusation,  mêlés  à  des  jouisseurs 
pour  lesquels  l'austérité  de  leur  vie  était  une  condamnation, 
ils  ont  appris  de  bonne  heure  à  souffrir  les  attaques  comme 
à  résister  aux  louanges. 

Chacun  d'eux  aurait  pu  faire  sienne  en  l'appliquant  à  la 
situation  contre  laquelle  ils  s'efforçaient  de  réagir,  cette 
opinion  du  cardinal  Pie  sur  la  société  de  son  époque  :  "  Si 
je  crois  apercevoir  les  plus  coupables  d'un  côté,  disait-il,  je 
reconnais  de  l'autre  les  plus  aveugles  et  les  plus  incorri- 
gibles. Les  premiers,  du  moins,  ont  la  logique  du  mal;  les 
autres  reculent  devant  la  logique  du  bien.  Malades  déses- 
pérés, qui  invoquent  à  grands  cris  le  médecin,  mais  à  la 
condition  de  lui  dicter  ses  ordonnances,  et  de  n'accepter 
pour  régime  curatif  que  celui-là  même  qui  les  a  réduits  à  la 
dernière  extrémité.  Naufragés  qui  voient  et  qui  appellent 
le  sauveteur,  mais  résolus  à  repousser  la  main  qu'il  leur 
offre  tant  qu'il  n'aura  pas  attaché  lui-même  à  son  cou  la 
pierre  qui  les  a  fait  descendre  et  qui  les  retient  au  fond  de 
l'abîme." 

Ils  voyaient  clair.  Aussi  je  connais  nombre  de  leurs  con- 
frères qui,  dans  les  paroisses  franco-américaines  de  la 
Nouvelle-Angleterre,  pensent  comme  eux  et  pour  qui,  leur 
départ  est  regardé  comme  une  calamité  nationale.  A 
chaque  départ  comme  ceux-là,  c'est  un  deuil  nouveau  et 
plus  profond  devant  l'incertitude  où  les  laisse  un  avenir 
bien  mal  préparé  devant  un  ennemi  sans  scrupule  toujours» 


CEUX    QUI    PARTENT  263 

quand  il  n'est  pas  scandaleusement  appuyé.  Cest  notre 
Grande  Armée  qui  se  décime  ;  ce  sont  les  aïeux  qui  partent 
un  à  un  sans  même  pouvoir  garantir  l'intégrité  du  patri- 
moine qu'ils  ont  fondé.  Nos  jeunes  compatriotes,  membres 
du  clergé  franco-américain,  n'y  songent  peut-être  pas  assez, 
mais  ils  devront  compenser  par  un  patriotisme  plus  intense, 
et  d'autant  plus  ardent  qu'il  sera  plus  combattu,  le  relâ- 
chement de  l'enthousiasme  national  émoussé  par  le  temps 
et  des  conditions  nouvelles. 

C'est  pour  eux  que  l'exemple  des  abbés  Chagnon  et  Mar- 
coux  est  d'un  prix  inestimable.  Sans  doute,  la  part  des  sa- 
crifices y  paraîtra  plus  grande  que  tout  le  reste,  mais  ils 
bénéficieront  aussi  des  longs  travaux  accomplis  pour  eux 
s'ils  savent  tirer  parti  de  ce  sentiment  profond  de  soli- 
darité qui,  dans  la  vie  d'une  race,  réunit  une  génération 
à  l'autre  et  ne  fait  que  réunir  les  œuvres  du  présent  à 
l'idéal  entrevu  et  poursuivi  par  les  ancêtres. 

Certains  vont  me  dire  que  ceci  est  beaucoup  plus  facile 
à  exprimer  en  quelques  phrases  qu'à  mener  à  parfaite 
réalisation,  que  les  tendances  de  notre  époque,  que  les 
puissants  même  qui  ont  le  plus  de  pouvoir  sur 
notre  destinée — à  part  celui  que  nous  avons  nous-mêmes 
et  qui  est  suprême — nous  traitent  déjà  comme  si  nous  n'é- 
tions pas,  que  nos  demandes  ne  sont  pas  entendues,  que 
nos  persécuteurs  sont  honorés.  Tout  ceci  peut  être  vrai 
sans  enlever  une  parcelle  des  devoirs  qu'impose  à  des 
hommes  de  cœur  la  lutte  pour  la  justice  et  le  droit. 

A  la  fin  ce  sont  toujours  ces  derniers  qui  triomphent. 
M  Paul  Bourget  l'a  dit  admirablement,  les  "vérités  se 
vengent."  Aman  ne  fut  jamais  si  près  de  sa  ruine  que 
le  jour  où  il  crut  avoir  dans  sa  main  le  sort  d'un  mendiant, 
d'un  émigré  assis  sur  les  marches  du  palais  d'Assuérus  et 
qui  s'appelait  Mardochée. 

J.-L.  K.-Laflamtne. 


R.  I.  P, 


Feu  l'abbé  Edmond  Marcoux 

Il  y  a  quelques  mois,  deux  ou  trois  journaux  de  la  pro- 
vince annonçaient  en  termes  très  brefs  le  décès  de  l'abbé 
Edmond  Marcoux  le  II  août  deraiier  à  Hyères,  dans  le  midi 
de  la  France  où  il  était  allé  refaire  sa  santé  chancelante.  Il 
espérait,  et  tous  ses  amis  avec  lui,  grâce  au  vivifiant  soleil 
de  la  Provence,  une  guérison  du  mal  qui  le  minait  depuis 
plusieurs  années...  Malheureusement  son  espoir  et  le  nôtre 
ont  été  déçus.  Il  lutta  toutefois  pendant  un  an  et  demi,  ayant 
à  ses  côtés,  compagne  assidue  et  dévouée,  sa  sœur  dont 
les  soins  empressés,  l'ont  aidé  à  traverser  avec  courage  et 
résignation  l'agonie  qui  l'a  cloué  si  longtemps  sur  son  lit 
de  souffrance.  Les  sommités  médicales  de  l'endroit  furent 
appelées  auprès  de  lui,  mais  la  science  française  se  déclara 
impuissante  devant  un  mal  qui  avait  pris  trop  racine. 
Averti  qu'il  n'avait  plus  à  compter  que  sur  l'intervention  di- 
vine, il  vit  venir  sa  fin  avec  cette  sérénité  de  caractère  que 
ses  amis  ont  toujours  admirée  chez  lui.  Ces  amis,  ils  étaient 
nombreux;  car,  tous  ceux  qui  l'ont  connu  intimement  devi- 
naient vite  sous  son  apparance  un  peu  froide  qu'il  cachait 
un  cœur  qui,  une  fois  donné,  restait  fidèle  à  l'amitié  jurée. 

De  taille  un  peu  au-dessous  de  la  moyenne,  on  remarquait 
chez  lui  une  forte  ossature  qui  révélait  une  force  peu  ordi- 
naire. Ainsi  constitué,  il  n'est  point  étonnant  qu'il  eût  une 
énergie  que  nul  obstacle  ne  pouvait  briser.  Aussi  sa  car- 
rière fut  très  mouvementée  dans  le  cercle  restreint  que  son 
caractère  de  prêtre  lui  assignait.  D'un  jugement  très  sûr, 
d'une  réserve  qui  au  premier  abord  pouvait  passer  pour  de 
la  timidité,  il  ne  s'emballait  jamais  et,  même  sur  les  bancs 
du  collège,  sa  façon  si  pratique  et  si  prudente  d'envisa- 
ger toute  question  jetait  souvent  du  froid  sur  l'enthousiasme 
de  ses  confrères.    Sans  posséder  un  esprit  caustique  sa  ma- 


FEU    l'ABIîÉ    EDMOND   MARCOUX  265 

nière  d'exprimer  son  opinion  avait  un  cachet  d'originalité 
qui  lui  attirait  assez  fréquemment  les  suffrages.  L'abbé 
Gingras  et  moi,  déjà  tourmentés  par  la  Muse,  nous  demeu- 
rions encore  pleins  des  illusions  de  la  jeunesse  que  notre 
ami  Marcoux  entrevoyait  la  vie  sous  un  aspect  plus  sombre 
et  se  préparait  mieux  que  nous  aux  luttes  de  l'avenir.  A-t-il 
été  pour  cela  plus  heureux  ?  Il  est  permis  d'en  douter  car 
c'est  à  se  dépenser  dans  une  activité  plus  fébrile  qu'il  a 
abrégé  ses  jours  et  privé  sa  patrie  des  services  qu'il  aurait 
pu  rendre  encore.  Cette  patrie,  il  l'aimait  avec  ardeur  et 
le  sort  a  voulu  qu'il  se  soit  éteint  à  3,000  milles  du  sol  qui 
l'a  vu  naître  et  qui  ne  reverra  pas  sa  dépouille  mortelle. 
Notre  ami  repose  sur  les  bords  enchanteurs  de  la  Méditer- 
ranée, et  il  ne  sera  peut-être  jamais  donné  à  aucun  de  nous 
d'aller  nous  agenouiller  sur  son  humble  tombe  et  prier  pour 
l'ami  fidèle  dont  l'amitié  ne  devait  être  rompue  que  par  la 
mort  cruelle  qui  l'a  enlevé  à  l'affection  de  tous  ceux  qui 
l'ont  connu. 

Il  exerça  le  ministère  pendant  20  ans  dans  la  république 
voisine  et  y  déploya  le  plus  grand  zèle  pour  les  intérêts  de 
nos  compatriotes  en  butte  à  tant  de  misères.  Son  cœur  de 
patriote  a  saigné  bien  souvent  et  il  s'est  usé  vite  à  com- 
battre l'action  dissolvante  des  assimilateurs  qui  paraissent 
avoir  juré  la  disparition  de  notre  langue  sur  le  continent 
américain.  Il  lui  a  été  épargné  de  voir  les  derniers  déve- 
loppements que  la  question  de  race  a  provoqués.  Son  cœur 
de  catholique  et  de  français  en  eût  souffert.  Il  ne  sera  plus 
là  pour  lutter  avec  ses  confrères,  mais  des  œuvres  restent 
pour  perpétuer  le  souvenir  d'un  homme  qui  fut  croyant  sans 
ostentation  et  patriote  sans  faiblesse. 

Voici  quelques  notes  biographiques  sur  le  regretté  dé- 
funt : 

Né  à  St-Charles  de  Bellechasse  le  26  octobre  1848,  du 
mariage  de  J.  B.  Marcoux_jet  de  dame  Hermine  Turgeon,  il 
fit  ses  études  au  séminaire  de  Québec  et  fut  ordonné  prêtre 
par  Monseigneur  Taschereau  le  7  juin  1873.  De  1873  à 
1885,  il  occupa  au  séminaire  les  charges  suivantes  :  pro- 
fesseur, assistant  directeur  et  directeur  du  petit  séminajre 


266  LA    REVUE    FRANCO-AMT^RICAINE 

et  du  pensionnat  de  l'Université  Laval.  Il  fut  aussi  biblio- 
thécaire de  cette  dernière  institution,  aumônier  des  Frères 
des  Ecoles  chrétiennes  et  du  couvent  de  Bellevue.  Il  laissa 
Québec  en  1885  pour  devenir  vice-recteur  de  l'Université 
Laval  à  Montréal,  charge  qu'il  occupa  jusqu'en  1889  alors 
qu'il  fut  appelé  à  exercer  le  ministère  à  Champlain,  Etat  de 
New-York.  Un  an  plus  tard  il  était  vicaire  à  Notre-Dame 
de  North  Adams,  Mass.  En  1893  il  était  promu  à  la  cure 
de  St-Raphaël  de  Williamstown.  Cette  paroisse  lui  doit  la 
construction  du  presbytère  et  l'organisation  d'une  école 
paroissiale.  En  même  temps  il  jetait  les  fondations  d'une 
église  à  Greylock.  De  St-Raphaël  il  fut  transféré  à  la  pa- 
roisse de  Indian  Orchard,  qui  lui  doit  aussi  une  école  pa- 
roissiale fondée  en  1898.  En  1901  il  devenait  curé  de  Tlm- 
maculée-Conception  de  Fitchburg,  Mass.,  qu'il  a  divisée  en 
1903  pour  fonder  la  nouvelle  paroisse  de  St- François  d'As- 
sise. Lorsqu'il  s'est  senti  atteint  du  mal  qui  devait  l'emporter, 
il  était  curé  de  Mittineague,  Mass.,  endroit  de  peu  d'impor- 
tance comparé  à  la  cure  qu'il  venait  de  laisser.  Il  accepta 
avec  résignation  cette  déchéance,  heureux  de  souffrir  pour  la 
cause  qui  lui  était  si  chère.  Sa  santé  n'en  fut  pas  moins 
affectée  et,  sentant  ses  forces  s'affaiblir,  il  comprit  que  son 
rôle  de  patriote  était  terminé  et  qu'il  ne  lui  restait  plus  qu'à 
lutter  contre  la  maladie  et  résolut  d'aller  sous  un  ciel  plus 
clément  finir  une  vie  consacrée  au  service  de  la  religion  et 
de  la  patrie.  Et  nous  qui  lui  survivons,  nous  qui  l'avons 
aimé,  faisons  voltiger  sur  sa  tombe  lointaine  la  douce  brise 
de  l'affection  et  du  souvenir. 

Monsieur  Marcoux  a  laissé  un  frère  M.  François 
Marcoux,  de  Victoriavillè,  et  trois  soeurs,  madame  Louis 
Dallaire,  madame  veuve  Eusèbe  Couture  et  mademoiselle 
Priscilla  dont  les  soins  et  le  dévouement  ont  accompagné 
son  frère  jusqu'à  son  dernier  soupir. 

Adolphe  Poisson. 


Education  physique 

PAR 

LE  DR  HENRI  LASNIER  DIRECTEUR 

DE 

"  l'Institut  de  Physiothérapie  " 


"  Le  mouvement  c'est  la  vie," 

disent  les  savante. 

"  La  paresse  est  un  péché," 

répètent  les  moralistes. 

Et  ils  ont  raison  les  savants  et  les  mora- 
listes !  Voilà  un  point  au  moins  sur  lequel 
s'accordent  la  religion  et  la  science. 

"  A  défaut  d'autre  foi,  d'autre  culte,  nous 
avons  foi  dans  le  sport,  le  culte  de  la  na- 
ture." 

L'un  nous  fait  plus  vaillant,  l'autre  nous 
rend  meilleurs. 

Regardée  sous  cet  angle,  une  bibliothè- 
que  de  culture  physique  devient  un  com- 
mentaire   de    l'Evangile. 
En  tout  cas,  c'est  sûrement 
l'évangile    de     ceux     qui 
veulent  bien  se  porter. 

"La  Revue  Franco-Américaine"  veut 
que  nous  promenions  ses  lecteurs  à  tra- 
vers cette  bibliothèque.  Nous  répondons 
à  cet  honneur  avec  plaisir,  mais  nous 
prévenons  de  suite  ceux  qui  vont  nous 
suivre,  que  nous  n'acceptons  ici  que  le 
rôle  de  guide  dans  un  musée.     Nous  di- 


ExtensioR  dm  tronc. 


Reiion  da  tronc. 


268 


LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 


rons  :  voyez  ceci,  voyez  cela.  Nous  tour- 
nerons pour  eux  les  pages  s'ils  le  veulent 
bien.  Nous  soulignerons  des  passages,  ex- 
poserons les  opinions  adverses,  ne  voulant 
accepter  la  responsabilité  d'aucune,  par- 
dessus tout  prenant  bien  garde  de  nous  po- 
ser comme  auteur. 

En  notre  temps  de  confort  à  outrance,  de 
chemins  de  fer,  de  tramways,  d'ascenseurs 


Bonne  station  droit* 


(^ 


^ 


C:^ 


et  de  bien  d'autres  choses  encore  qui  nous  dispensent  de 
tout  exercice,  la  culture  physique  est  devenue  une  néces- 
sité de  tous  les  âges,  de  toutes  les  conditions.  C'est  le  re- 
mède à  côté  des  maux  de  la  vie  sédentaire,  la  vraie  fon- 
taine de  Jouvence,  qui  nous  fera  recouvrer  à  l'instant  la 
souplesse,  la  jeunesse,  la  santé,  le  bonheur. 

C'est  le  secret  des  vieillards  qui  ont  fourni  une  carrière 
extraordinaire.  Gladstone  disait  que  sa  hache  et  sa  scie 
avaient  puissamment  aidé  dans  la  gouverne  de  l'Etat,  et  que 
le  placement  qu'on  fait  sur  sa  santé  paie  toujours  au  cen- 
tuple. 

L'importance  d'une  bonne  éducation  phy- 
sique n'est  plus  à  faire,  et  la  question  devait 
naturellement  être  traitée  ici  dans  une  revue 
où  les  idées  s'entrechoquent  comme  les 
épées  dans  une  passe  d'armes,  dans  une  re- 


iB/^/O     Je:      Ji'péifl 


:<^ 


Fle.xio,n  de  h- 


jamt 


EDUCATION   PHYSIQUE 


269 


&  bduction  des  bras  eo  arrière 


vue  qui  s'est  donné  poUr  mission  de 
fournir  continuellement  à  nos  com- 
patriotes des  armes  de  lutte  et  de  dé- 
fense. Elle  veut  leur  dire  que  nous  de- 
vons plus  que  tout  autre  être  forts, 
pour  être  calme,  mais  énergiques,  en- 
treprenants et  résistants  dans  la  lutte 
que  nous  avons  à  supporter  au  milieu 
des  autres  races  qui  nous  entourent. 
Au  point  de  vue  éducatif,  la  supério- 
rité de  la  culture  corporelle  sur  celle 
de  l'intelligence  seule  est  éclatante. 
Nous  avons  plus  de  paresse  dans  le 
muscle  que  dans  le  cerveau.  Si  l'on 
veut  acquérir  les  bonnes  habitudes,  base  de  toute  éduca- 
tion rationnelle,  c'est  par  le  muscle  qu'il  f^ut  commencer. 
Les  bonnes  habitudes  du  corps  doivent  précéder  celles  de 
l'âme. 

La  culture  physique  consiste  en  un  ensemble  de  mouve- 
ments et  d'exercices  méthodiques  ayant  pour  but  de  faire 
travailler  chacun  des  muscles  du  corps  graduellement, 
et  proportionnellement  à  l'importance  qu'il  occupe  dans 
l'économie. 

Elle  repose  sur  la  connaissance  de  l'anatomie  et  de  la 
physiologie. 

Elle  peut  se  faire  uniquement  par  les  ex- 
ercices naturels,  sans  ordre  ni  méthode.  Il 
y  a  des  sauvages  qui  sont  des  modèles  de 
développement  musculaire.  Mais  la  valeur 
finale  de  leur  éducation  physique  est  très 
incertaine,  étant  adaptée  aux  conditions  et 
aux  nécessités  du  milieu  où  ils  vivent. 

Ceux  des  civilisés  qui  n'étant  obligés  au 
travail  manuel  ont  le  loisir  de  prendre  une 
dose  suffisante  d'exercice  en  rapport  avec 
leur  constitution,  peuvent  sans  aucune  mé- 
thode arriver  à  un  complet  développement 
par  la  simple  pratique  de  l'exercice  naturel, 


270 


LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 


Adduction  da  ia  euissô. 


par  des  travaux  manuels.  Ils  imitent  en 
cela  l'homme  vivant  à  l'état  de  nature, 
mais  avec  la  différence  qu'ils  font  par 
plaisir  ce  que  les  autres  font  par  néces- 
sité. 

Ces  sujets  sont  l'exception.  En  général 
les  préjugés,  les  habitudes  de  la  vie  mo- 
derne sont  tels  que  dès  l'enfance,  l'acti- 
vité est  plutôt  refrénée  qu'encouragée. 
Dans  nos  couvents,  ne  propose-t-on  pas 
comme  modèle  de  *'  petite  demoiselle  "  la 
jeune  fille  qui,  tranquille  comme  une 
image,  ne  sait  que  marcher,  bien  posé- 
ment. N'appelle-t-on  pas  dissipées,  gar- 
çonnières même  celles  qui  se  donnent  du  mouvement,  sont 
turbulentes,  jouent  comme  des  garçons,  comme  si  au  point 
de  vue  des  exercices  il  devait  y  avoir  de 
la  différence  entre  fillettes  et  garçons  jus- 
qu'à l'âge  de  quinze  ans. 

Et  dans  nos  collèges  nombreux  sont 
ceux  qui  professent  pour  les  exercices  du 
corps  un  beau  mépris  du  moyen  âge. 
Les  "forts  à  bras"  comme  on  les  appelle 
trop  souvent  sont  tenus  en  mésestime,  on 
dit  que  chez  eux  "  la  chair  étouffe  l'in- 
telligence," parce  qu'ils  se  préoccupent 
autant  et  même  un  peu  plus  d'avoir  une 
bonne  santé  que 
d'être  un,  deux  ou 
trois  numéros  plus 
rapprochés  de  la 
tête  dans  les  concours  de  classe. 

ce  sont  ceux-là  qui  ont 


Rotation  de  la  cuisse 
on  dehors. 


Fjg.  26,  —  Fente  en  avant 
à  fond»  brasUotizontau^ 
de  côté. 


Pourtant 
raison. 

Tout  encourage  à  la  paresse  phy- 
sique dans  notre  civilisation. 
On  cite  souvent  des  exemples  de 


EDUCATION   PHYSIQUE 


271 


Flexion  du  pied. 


ri-.  i6i. 


sujets  fort  bien  doués  au  point  de 
vue  physique.  Mais  il  convient  de  re- 
marquer que  ces  sujets  avaient  générale- 
ment des  dispositions  naturelles,  et  en- 
suite que  s'ils  sont  tels  c'est  qu'ils  ont 
pratiqué  les  jeux  et  les  sports  qui  impli- 
quent la   marche,  la 


Rotation  de  la  cuisse 


en 


course,  la  natation, 
le  "  grimper,"  tous 
les  exercices  natu- 
rels et  leurs  dérivés. 

Si  malgré  les  difficultés  qu'il  ren- 
contre, l'habitant  des  pays  civilisés 
veut,  tout  en  restant  fidèle  aux  con- 
ventions    et 


Flexion  latérale  du  tronc. 


obligatio  ns 
sociales  arri- 
ver à  un  dé- 
veloppement 
physique 
complet,  ou 
simplem  e  n  t 
s'entretenir  en  bonne  santé,  il 
lui  faut  se  soumettre  aux  deux 
principales  obligations  suivan- 
tes : 


I?  Consacrer  journellement   à    pig.  369.  -  Conformation  défec 

la  culture  du  corps   un  temps  SUf-  tueuse  d'un  enfant  faible. 


272 


LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 


Dos  rond.  fisant  ;    2°  régler   mieux   la   dépense   de 

ce  temps  pour  ne  rien  faire  d'inutile. 

L'idéal  est  d'arriver  à  produire  dans 
un  temps  donné,  ou  dans  le  minimum  de 
temps  sans  nuire  à  l'organisme  une  dose 
d'activité  à  peu  près  égale  à  celle  que 
représenterait  une  journée  entière  de  vie 
au  grand  air  à  l'état  de  nature. 

Il  ne  peut  y  arriver  que  par  l'éducation 
physique,  méthodique,  scientifique,  médi- 
"^  cale,  que  sous  la  conduite  d'un  maître  et 
sous  le  contrôle  d'un  médecin  qui,  par  leur  collaboration, 
mettront  plus  de  précision  dans  le  travail,  éviteront  le  tâ- 
tonnement, tout  ce  qui  est  inutile,  et  contrôleront  les  résul- 
tats. 


Fig.  219. 


Fig.   116. 


Fip.  115. 

La  méthode  permet  alors  de  marcher  avec  certitude  vers 
le  but  à  atteindre,  surtout  quand  le  temps  est  limité. 

Si  l'on  considère  que  tout  en  cultivant  le  muscle,  il  faut 
corriger  certaines  difformités,  combattre  une  foule  d'afîec- 


Fig.  217. 


Saul  cil  liatileur  dvcc  éi.uii. 


EDUCATION    PHYSIQUE 


273 


tions,  on  comprendra  que  le  rôle  du  mé- 
decin, du  chirurgien,  de  l'orthopédiste, 
est  ici  nécessaire  et  combien  ridicules 
les  annonces  de  certains  athlètes  pré- 
tendant que  pour  n'avoir  pas  de  mus- 
cles hypertrophiés  à  montrer  comme 
en  parade  de  foire,  pour  n'avoir  pas  eu 
ses  diplômes  d'une  école  militaire 
quelconque,  un  médecin,  un  homme 
quelconque  ne  peut  faire  et  faire  faire 
de  la  bonne  culture  physique.  C'est 
dire  qu'il  n'est  pas  nécessaire  de  con- 
naître les  effets  physiologiques  sur  l'organisme,  de  connaître 
l'anatomie  et  les  agents  physiques  accessoires  qu'on  utilise 
dans  le  choix  de  la  méthode  appropriée  à  chaque  cas — qu'il 


Suspension  fléchie. 


*ittutj  luecesslfs. 

suffit  de  dire,  lever  la  jambe  tant  de  fois  comme  çâ,  comme 
moi,  et  que  l'ensemble  de  connaissances  qui  caractérisent  le' 
médecin  sont  inutiles.  Un  peu  plus  on  remplacerait  le  pro- 
fesseur de  culture  physique  par  un  appareil  mécanique  qui 
lèverait  des  poids,  grimperait  dans  des  câbles,  comme 
certains  jouets  mécaniques,  et  on  aurait  qu'à  dire  à  l'élève  : 
"  Imitez  ça." 


(A  suivre.) 


La  Nation  Franco-Normande  au  Canada 

Par  Le  VICOMTE  FORSYTH  DE  FRONSAC 


III 
LA  NOBLESSE  DE  NOM  ET  DES  ARMES 

Les  règles  établies  par  la  noblesse  elle-même,  contresi- 
gnées par  le  roi,  sont  incorporées  dans  le  Code  de  la  Noblesse 
et  régies  par  le  collège  des  Armes  où  sont  gardés  les  registres 
et  le  blason  des  familles.  Le  consentement  de  la  noblesse 
est  nécessaire  même  au  Canada,  dans  le  gouvernement 
royal.  **  Aucun  prince  carolingien   n'est  monté  sur  le  trône 

sans  avoir  été  formellement  reconnu L'aristocratie  ne 

considère  le  prince  que  comme  son  senior...  Cette  couronne 
n'est  pas  purement  et  simplement  héréditaire,  ni  élective  : 
au  début  elle  est  héréditaire  "  k  la  condition  du  consente- 
ment des  grands."  (Glasson,  "Histoire  de  Droit  et  des 
Institutions  de  la  France,"  tome  II,  p.  411.) 

Depuis  la  conquête  normande  la  même  règle  s'applique 
en  Angleterre  et,  par  le  traité  de  1763,  au  Canada.  Par 
exemple,  au  temps  de  Pépin  le  Pieux,  à  qui  les  grands 
des  Francs  avaient  offert  le  trône,  le  pape  Zacharie  écrit 
par  l'interimédiare  de  l'évêque  de  Wartzburg  que  de  l'avis 
des  nobles  romains,  il  serait  mieux  de  donner  le  nom  de  roi 
à  celui  qui  en  avait  la  sagesse  et  la  puissance  plutôt  qu'à 
celui  qui  n'avait  du  roi  que  le  nom  sans  l'autorité. 

Charlemagne  lui-même  n'était  pas  seulement  empereur 
des  Romains,  il  gardait  aussi  la  qualité  de  roi  des  Francs 
et  prit  celle  de  roi  des  Lombards,  mais  il  ''  était  surtout  et  i 
toujours  le  chef  de  l'aristocratie  austrasienne." 

Manque  de  foi  et  d'hommage  à  la  part  d'un  noble  déroge 
de  sa  noblesse  ;  manque  d'obligation  du  roi  à  sa  part  en- 
vers la  noblesse  déroge  de  sa  royauté. 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA     275 

Les  lois  des  nobles  Francs  établis  en  pays  conquis  de- 
vinrent personnelles.  Ce  principe  de  la  personnalité  a  ex- 
isté de  tout  temps  chez  les  Aryens  Germaniques.  Ils  ont 
attaché  une  grande  importance  à  ce  système  de  la  person- 
nalité des  lois,  qui  s'est  prolongé  beaucoup  plus  longtemps 
que  ne  le  disent  certains  savants.  Le  roi  des  Lombards, 
Ratchie,  pçrdit  son  trône  pour  avoir  voulu  régler  le  régime 
des  biens  vis-à-vis  de  sa  femme  Tassia,  d'après  la  loi  ro- 
maine au  lieu  d'observer  la  loi  du  Lombards.  Sous  les 
Francs,  chaque  peuple,  noble  et  commun,  avait  sa  loi-lex. 
Chaque  lex  s'applique  à  tout  membre  de  chaque  peuple, 
même  s'il  se  trouve  en  dehors  du  territoire  de  ce  peuple. 
On  peut  dire  que  les  *'  leges,"  à  la  différence  des  capitulaires 
"  ne  sont  pas  territoriales  " — les  "  lèges  "  constituent  à  pro- 
prement parler  le  droit  coutumier.  "Ainsi  la  personnalité 
des  peuples,  des  races,  des  nobles,  restaient  supérieures 
aux  circonstances  et  aux  localités. 

Pour  distinguer  la  noblesse,  ses  membres  portaient  des 
symboles  en  écu  qui  sont  leurs  marques  distinctives  par  ex- 
cellence. La  loi  donnée  par  les  Etats-Généraux  à  Angers, 
le  17  juin  1487,  met  ces  marques  et  le  droit  de  leurs  pos- 
sesseurs en  ordre;  elle  dit  :  "Que  plusieurs  princes,  rois, 
ducs,  comtes,  barons,  et  autres  nobles  hommes  pour  trans- 
mettre leur  mémoire  à  la  postérité  et  pour  se  faire  recon- 
naître dans  les  titres  qu'ils  avaient  mérités  par  leurs  faits 
vertueux  et  leur  magnanimité,  avaient  pris  des  armes  et 
des  enseignes  qui  répondaient  à  ce  qu'ils  avaient  de  re- 
commandable,  lesquelles  ils  avaient  transmises  à  leurs  des- 
cendants, afin  que  par  le  tableau  de  leurs  belles  actions, 
leurs  hoirs  et  successeurs  fussent  plus  attentifs  à  suivre  le 
chemin  de  la  vertu  ;  que  cet  usage,  connu  de  tout  le  monde 


(Note  A) — Glasson,  Histoire  du  Droit  et  des  Inst.  de  la  France,  tome 
I»  P-  197.  dit  que,  "  jusqu'à  l'époque  de  Constantin,  il  fut  admis  sans 
difficulté  que  la  coutume  pouvait  non  seulement  faire  la  loi,  mais  encore 
l'abroger". ..."  Constantin  à  son  tour,  contraire  à  la  coutume,  fît  pré- 
valoir ses  capitulaires,  mais,  "  après  la  conquête  de  l'empire  par  les 
Francs  et  les  Germains,  la  force  des  coutumes  fut  rétablie."  La  conserva- 
tion du  droit  coutumier  est  l'élément  distinctif  de  la  constitution  légitime. 


276  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

avait  été  particulièrement  attaché  à  la  nation  française, 
que  le  nom  et  les  armes  des  Français  seraient  en  honneur 
éternel,  et,  comme  l'intention  du  souverain  est  de  conser- 
ver cette  coutume,  il  ordonne  qu'il  sera  fait  un  catalogue 
dans  lequel  seront  inscrites  toutes  les  armes  des  ducs,  prin- 
ces, comtes,  barons,  seigneurs,  châlctains  et  autres  gens 
nobles  dans  toutes  les  provinces  et  autres  jurisdictionsdu 
royaume,  pays  de  Dauphiné,  comté  de  Provence  et  autres 
places  appartenant;  et,  comme  faute  de  connaissance  de  la 
science  de  blason,  plusieurs  arraes  étaient  fausses.  Sa  Ma- 
jesté donne  pouvoir  au  roi  des  armes,  au  maréchal  de  Bla- 
son, de  les  voir  et  visiter  en  ordre  dans  le  dit  catalogue 
chacun  selon  son  degré  afin  que  dorénavant  ceux  auxquels 
elles  appartiennent,  puissent  en  jouir  sans  débat  ni  con- 
traint." 

L'ordonnance  d'Amboise  du  26  mars  1555,  dit:  ''Pour 
éviter  les  suppositions  des  noms  et  des  armes,  défenses 
sont  faites  à  toutes  personnes  de  changer  leurs  noms  et 
leurs  armes  sans  auparavant  avoir  obtenu  des  lettres  de 
dispense  et  de  permission  à  peine  de  I,000  livres  d'amende, 
d'être  punies  comme  faussaires  et  dégradées  de  la  noblesse." 

L^ordonnance  d'Orléans  (1579),  article  258,  dit  que  la 
seule  possession  du  fief  ne  constitue  pas  un  noble  de  sang. 
C'était  parce  que  autres  que  les  nobles  avaient  commencé 
sous  l'encouragement  de  la  cour  à  acheter  des  fiefs  et  des 
titres.  D'Avenel  dit  dans  son  livre  "La  Noblesse  Française 
sous  Richelieu,"  p.  305  :  "En  mettant  la  noblesse  à  la  por- 
tée du  premier  venu,  le  souverain  l'avilit,  et,  en  l'avilissant 
par  insoucience  ou  par  calcul,  il  porta  préjudice  à  la  mo- 
narchie elle-même,  puisque  cet  ordre  était  censé  y  occuper 
la  première  place." 

Montesquieu  a  dit  dans  "l'Esprit  des  lois  '*  que  :  "  Tout  est 
perdu  lorsque  la  profession  lucrative  des  traitants  parvient 
par  ses  richesses  à  être  une  profession  d'honneur." 

Martin  dans  1'  "Histoire  de  France,"  tome  XVIII,  p.  5,  dé- 
clare :  "  Autrefois  le  noble  et  le  guerrier  ne  faisaient  qu'un... 
il  n'était  plus  ainsi  depuis  longtemps,  et  rien  n'était  plus 
choquant  que  de  voir  un  traitant,  un   usurier  acquérir  les 


LA  NATION  FRANCO  NORMANDE  AU  CANADA      277 

privilèges  nobiliaires  avec  l'argent  qu'il  avait  volé  du  peu- 
ple, tandis  qu'un  brave  officier,  pauvre  et  couvert  de  bles- 
sures, était  imposé  à  la  taille  comme  roturier." 

D'Avenel  dit:  "L'anoblissement  par  la  possession  des 
fiefs  fut  regardé  comme  usurpation  de  noblesse.  Tandis 
que  la  profession  des  armes  continua  à  anoblir  jusqu'au 
commencement  du  XVIIe  siècle  ceux  qui  l'exercèrent — même 
sans  posséder  des  terres  nobles."  (p.  8).  "Les  nobles  ser- 
vaient à  l'armée  en  grande  majorité  mais  non  pas  sans  ex- 
ception, tandis  que  tous  sans  exception  étaient  dispensés 
de  la  taille.  S'ils  étaient  dispensés  de  la  taille,  ce  n'était 
pas  parce  qu'ils  servaient,  mais  parce  qu'ils  étaient  nobles.' 

Le  privilège  n'était  pas  la  récompense  du  service  rendu 
mais  "  le  droit  de  la  naissance  "  (p.  40).  "Les  droits  hono- 
rifiques des  nobles  à  présent  sont  le  port  d'armes  et  le 
blason,  le  privilège  d'orner  leur  chapeau  d'un  plumet  blanc 
et  le  toit  de  leur  demeure  d'une  girouette  :  la  représenta- 
tion comme  corps  principal  du  gouvernement,  et  l'entrée 
à  la  cour  royale  après  la  famille  Royale — tels  étaient  les 
principaux  avantages  qu'un  gentilhomme  tirait  de  sa  qua- 
lité" (p.  23). 

Une  ordonnance  dit  que  :  ''Les  roturiers  acquéreurs  des 
terres  nobles  ne  puissent  en  prendre  les  titres  ni  obliger  les 
gentilshommes  qui  en  relevaient,  à  leur  rendre  hommage." 

Sur  diverses  remontrances  de  la  noblesse  présentées  au 
Roi  par  les  Etats  Généraux  tenus  à  Paris  en  1614  parce  que 
les  usurpations  continues  des  titres  et  des  droits  nobiliaires, 
tendaient  à  ce  qu'il  fût  établi  un  juge  d'armes  lequel  dres- 
serait des  registres  universels  des  familles  nobles  du 
royaume.  Sa  Majesté  créa  en  titre  d'office,  par  édit  du  mois 
de  juin  1615,  un  juge  général  d'armes  ''nommé  parmi  les 
gentilshommes  d'ancienne  race.  Cette  charge  fut  donnée 
d'abord  en  1615  à  François  de  Chemières  de  Saint- Maurice, 
qui  en  1633,  indigna  lui-même  au  Roi  Pierre  d'Hozier 
pour  son  successeur.  Depuis,  cette  charge  s'est  transmise 
héréditairement  dans  la  famille  d'Hozier  avec  l'agrément 
du  Roi — [de  Miville  "Armoriai  Historique  de  la  Noblesse 
de  France,"  p.  127]. 


278  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICIÀNE 

Ensuite,  l'ordonnance  de  1629  enjoignait  aux  gentils- 
hommes de  signer  "  le  nom  de  leur  famille  "  et  non  celui 
de  leurs  seigneuries. 

Un  gentilhomme  perdait  son  titre  en  vendant  sa  terre, 
"  tandis  qu'il  ne  pouvait  aliéner  sa  noblesse  "  [D'Avenel, 
"  La  Noblesse  Française  sous  Richelieu,"  p.  96.)  Mais  la 
femme  noble  mariée  à  un  roturier  cessait  même  de  jouir 
des  privilèges  de  la  noblesse — [ibid.,  p.  114]. 

Par  ces  lois  on  voit  la  grande  nécessité  de  préserver  la 
pureté  de  sang.  Les  remontrances  des  députés  de  la  no- 
blesse aux  Etats  Généraux  de  1626,  dit  :  "Nous  attribuons 
la  décadence  de  la  noblesse  au  mélange  des  races  nobles 
avec  les  roturiers  ;  aux  insolentes  et  trop  effrénées  ambi- 
tions de  quelques-uns  de  leur  ordre  du  siècle  passé  qui  ayant 
diminué  la  bienveillance  et  accru  la  défiance  des  rois  en 
leur  endroit  les  auraient  portés  à  croire  qu'il  fallait  en 
abaisser  la  puissance  par  l'élévation  du  tiers  état  et  par 
l'exclusion  des  charges  et  dignités  dont  ils  avaient  abusé." 

[Callet,  L'  "  Administration  en  France  sous  Richelieu,"  p. 
123].  Richelieu  certifie  que  :  *'  La  noblesse  a  été  depuis 
quelque  temps  si  abaissée  par  le  grand  nombre  d'officiers 
que  le  malheur  du  siècle  a  élevés  à  son  préjudice  qu'elle  a 
grand  besoin  d'être  soutenue  contre  l'entreprise  de  tels 
gens.  L'opulence  et  l'orgueil  des  uns  accablent  la  néces- 
sité des  autres  qui  ne  sont  riches  qu'en  courage,  ce  qui  les 
porte  à  employer  leur  vie  pour  l'état  dont  ces  officiers  tient 
la  subsistance  " — [ibid.,  p.  128].  Dans  son  testament  politi- 
que pour  le  roi,  Richelieu  continue  :  "Après  avoir  parlé 
séparément  des  divers  ordres  dont  l'Etat  est  composé,  il  ne 
me  reste  rien  à  dire  en  gros,  sinon  qu'ainsi  qu'un  tout  ne 
subsiite  que  par  l'union  de  ses  parties  en  leur  ordre  et 
lieu  naturel  :  aussi  ce  grand  royaume  ne  peut  être  florissant 
si  Votre  Majesté  ne  fait  subsister  les  corps  dont  il  est  com- 
posé en  leur  ordre. — Je  dis  hardiment  ce  fait,  parce  qu'il  est 
aussi  important  que  juste  d'arrêter  le  cours  des  entreprises 
de  certains  officiers  qui,  enflés  d'orgueil  soit  à  cause  des 
grands  biens  qu'ils  possèdent  ou  de  l'autorité  que  leur 
donne  l'emploi  de  leurs  charges  sont  présomptueux  jusqu'à 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  279 

tel  point  que  de  vouloir  avoir  le  premier  lieu  où  ils  ne  peu- 
vent prendre  que  le  troisième.  Ce  qui  est  tellement  contre 
la  raison  et  contre  le  bien  de  Votre  Majesté,  qu'il  est  abso- 
lument nécessaire  d'arrêter  le  cours  de  telles  entreprises, 
puisque  autrement  la  France  ne  serait  plus  ce  qu'elle  a  été 
et  ce  qu'elle  doit  être,  mais  seulement  un  corps  monstrueux 
qui  comme  tel  ne  pourrait  avoir  de  subsistance  ni  de 
durée." 

Ainsi,  c'est  l'histoire  qui  démontre  que  l'aristocratie  est 
un  produit  et  une  partie  de  la  constitution  de  La  Nature. 
D'abord  guidée  inconsciemment  par  les  lois  organiques  d'as- 
sociation des  semblables  dune  même  race,  ensuite,  quand 
l'aristocratie  est  devenue  forte  et  intelligente,  établie  sur 
les  principes  de  race,  d'honneur,  de  loyauté,  son  intelli- 
gence, s'affirmant  la  'mène  à  la  suprématie  dans  l'état  : 
son  honneur  donne  au  peuple  confiance  à  son  administra^ 
tion  des  affaires  :  sa  loyauté  envers  ses  membres  l'organise 
si  puissament  que  le  pouvoir  de  tous  est  le  pouvoir  de 
l'un,  et  les  droits  et  les  privilèges  de  l'un  leur  deviennent  une 
cause  commune.  Finalement  sa  bravoure  et  sa  stabilité  lui 
donnent  une  force  qui  ne  recule  jamais  devant  les  diffi- 
cultés que  ses  adversaires  lui  offrent. 

De  fait,  on  était  noble,  soit  d'après  sa  naissance,  soit  à 
cause  des  vertus  de  ses  pères,  l'illustration  de  race  elle- 
même.  Il  y  avait  ainsi  deux  sortes  de  nobles  :  (I)  les  an- 
ciens par  l'effet  du  privilège  de  race  attaché  depuis  un 
temps  immémorial  à  leur  famille  :  (II)  les  nouveaux  qui  de- 
vaient cette  dignité  à  la  réputation  que  s'étaient  acquise 
leurs  derniers  ancêtres. 

La  noblesse  ne  s'attache  pas  seulement  aux  hommes  capa- 
bles de  porter  les  armes  blasonnées  :  on  était  noble  dès  sa 
naissance,  les  femmes  comme  les  hommes,  même  les  jeunes 
filles  portaient  cette  qualité.  Cette  dignité  s'acquérait  diffi- 
cilement. En  fait,  les  familles  nobles  étaient  entourées  d'une 
haute  estime  auprès  du  public.  C'étaient  leurs  membres 
qu'on  préférait  pour  les  fonctions  publiques,  à  cause  du 
mérite  sur  lequel  elles  sont  établies.  Envers  leurs  enne- 
mis, comme    dit  André   Lebel   dans   "Le  Connétable  de 


280  LA   REVUE    FRANOO-AMÉRÏCAINE 

Bourbon,  p.  4,  ''Le  mérite  a  le  droit  d'en  vouloir  à  la 
sottise  qui  le  néglige  ou  à  la  médiocrité  qui  lui  ba:rre  la 
route." 

Lorsque  l'aristocratie  s'est  élevée  à  cette  condition  com- 
mandante dans  l'Etat,  consciente  de  soi-même,  elle  se  pro- 
clame la  noblesse  par  pronunciamento  d'état.  En  ceci  est 
la  différence  de  l'aristocratie  et  de  la  noblesse.  L'aristo- 
cratie est  la  noblesse  en  germe,  mais  elle  n'est  noblesse 
que  après  développement,  elle  domine  l'état.  Alors  elle 
élève  sur  son  bouclier  (son  écu  blasonné)  son  chef  et  le  fait 
roi.  Ce  fait  accompli,  l'état,  le  royaume  éinerge  de  l'a- 
narchie ;  l'ordre,  la  discipline,  la  confiance  succèdent. 

Une  famille  perd  la  qualité  de  noble  par  des  mariages 
non  nobles.  Aussi  on  peut  déroger  par  manque  de  parole 
d'honneur,  ou  par  manque  de  foi  engagée.  Un  gentilhomme 
ne  dérogeait  pas  en  faisant  le  commerce  maritime.  Henri 
IV  le  déclara  formellement  pour  favoriser  l'extension  de  la 
puissance  coloniale  en  Canada  et  autres  pays.  En  Breta- 
gne, par  un  privilège  spécial,  les  nobles  ne  dérogeaient  pour 
aucun  commerce;  seulement. pendant  tout  le  temps  qu'ils  se 
livraient  au  trafic,  négoce,  et  usaient  de  bourses  communes 
leur  noblesse  "  dormait."  Les  médecins  n'étaient  jamais 
réputés  déroger,  et  en  Dauphiné,  ceux  qui  n'étaient  pas  no- 
bles étaient  exempts  des  payements  roturiers,  lequel  était 
un  privilège  de  noblesse. 

Un  gentilhomme  cultivant  ses  terres  et  un  avocat  ne  dé- 
rogeaient pas  non  plus. 

Quand  un  gentilhomme  avait  dérogé  en  exerçant  quelque 
charge  serviie,  il  fallait  que  ses  descendants  obtinssent  des 
lettres  patentes  de  rétablissement  du  collège  des  Armes. 

La  domination  de  la  noblesse  française  était  l'épopée  du 
royaume.  "Enthousiasme,  dit  Renan  (Revue  des  Deux- 
Mondes  1906)  du  beau,  l'amour  de  la  gloire,  ont  disparu  avec 
la  race  noble  qui  incarnait  l'âme  de  la  France...  Le  juge- 
ment et  le  gouvernement  des  choses  sont  transportés  à  la 
masse  lourde  et  grossière  dont  l'esprit  est  fait  d'appétits 
purement  matériels  et  de  dédain  pour  le  sentiment  poétique 
d'honneur  et  de  gloire." 


LA  NATION   FRANCO- NORMANDE  AU  CANADA  281 

Avec  ses  droits,  ses  privilèges  et  ses  obligations  la  no- 
blesse en  Canada  se  continue  sur  le  modèle  de  celle  de 
l'ancien  régime  e-.i  Frap.ce,  protégée  par  le  traité  de  cession 
de  1763. 


Les  Familles  de  la  Noblesse  de  nom  et  des  armes,  sei- 
gneuriale, consulaire,  bourgeoise  et  alumnale  dans  les 
Archives  du  Collège  des  Armes  du  Canada. 

Les  descendants  de  ces 
familles  en  noms  de  fa- 
mille qui  désirent  enregis- 
trer les  preuves  de  leur 
noblesse  dans  les  regis- 
tres du  Collège  et  recevoir 
le  diplôme,  le  bouton  et 
la  décoration  de  la  no- 
blesse de  l'Ordre  Aryen 
et  Seigneurial,  doivent  en- 
>^^^H  voyer  leurs  renseigne- 
^^1^  ments  au  bureau  de  cette 
#''  Revue,  adressés  au  Vi- 
comte  de  Fronsac,  maré- 
chal de  blason,  *'  Revue 
Franco- Américaine,  197, 
rue  Notre-Dame  Est, 
Montréal. 

BE^AUSACQUE  DE  BOUILLEMONT 

Armes  :  D'azur  au  château  flanqué  de  2  tours,  sommé  d'une 
troisième  tour  sur  laquelle  flotte  une  bannière  d'argent  :  le 
tout  d'argent  maço-mé  de  sable,  au  lion  rampant  d'or  te- 
nant une  épée  d'argent  posée  sur  le  seuil  du  château.  Cou- 
ronne seigneuriale. 

Histoire  :  Louis  Beausacque,  contrôleur  et  directeur  dans 
rétendue  de  la  Picardie,  et  son  épouse  Geneviève  Michel 


282  LA    REVUE    FRANCO-AMiRlCAINE 

(St-Firmin,  Caôtillon)  avait  un  fils  : 

Michel  H.  Beausacque,  sieur  de  Bouillemont  en  Canada, 
né  en  1705,  marié  (Montréal  1729)  à  Catherine,  fille  d'Etienne 
de  l'Argenterie. 

*  •«- 

BRASSARD-DESCHENEUX  DE  NEUVILLE 

Armes  :  De  sable  au  chevron  d'or  accompagné  de  3 
fleurs  de  lys  du  même.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Charles  Brassard,  descendu  d'Antoine  Brassard 
(France  1609)  et  de  Françoise  Méry,  eut  un  fils  : 
.    Joseph  Brassard,  seigneur  de  Neuville,  de  St-Michel  et 
de  Livaudière  en  Canada,   secrétaire   de  l'intendant,  né  en 
1722,  marié  (Québec  1752)  à  Marie  A.,  fille  de  J.  B.  Vallée, 


CHESNAY  DH  LOTHALN VILLE 

Armes  :  D'or  à  un  chêne  arraché  d'azur,  le  tronc  chargé 
de  2  épées  de  gueules  passées  en  sautoire.  Couronne  sei- 
gneuriale. 

Histoire  :  Nicolas  Chesnay  et  Catherine  La  Ringue  (St- 
Brieuc,  Bretagne)  eut  un  fils  : 

Bertrand  Chesnay,  sieur  de  Lothainville  en  Canada,  né 
en  1621,  marié  (Québec  1656)  à  Marie  M.,  fille  de  François 
Bélanger,  et  ensuite  à  Elisabeth,  fille  de  Charles  Aubert. 

* 

*   * 

DE  FLEURY  DESCHAMBEAULT 

Armes  :  D'azur  à  un  rosier  d'argent  fleuri  de  3  pièces  de 
gueules.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Jacques  de  Fleury,  seigneur  Deschambeault  en 
Canada,né  en  l642,futfils  de  Jacques  de  Fleury  et  de  Perinne 
Gabar  (St-Jean  de  Montagne,  Luçon  Poitou),  conseiller  du 
Roi,  lieutenant  au  siège  ordinaire  de  la  justice  royale  de 
l'isle  de  Montréal,  épousa  d'abord  Marguerite,  fille  de  Fran- 
çois de  Chavigny,  et  ensuite  Marguerite  R.,  fille  de  Pierre 
Denys,  seigneur  de  La  Ronde. 


LA  NATION  FRANCO -NORMANDE  AU  CANADA  283 

DE  SOREL 

Armes  :  D'azur  à  la  croix  d'argent.  Couronne  seigneu- 
riale. 

Histoire  :  Cette  famille  de  l'ancienne  noblesse  a  porté 
le  même  blason  depuis  l'an  1427.  Mathieu  de  Sorel  et 
Jeanne  de  Giraud  (N.-D.  de  Grenoble)  envoya  leur  fils  : 
Pierre  de  Sorel,  en  Canada,  où  il  devint  seigneur  de  So- 
rel et  officier.  Il  naquit  en  1628  et  épousa  à  Québec  en 
1668  Catherine,  fille  de  Charles  Le  Gardeur. 


DES  CAILHAUT  DE  LA  TESSERIE 

Armes  :  D'or  au  lion  de  sable.  Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Jacques  des  Cailhaut,  sieur  de  la  Tesserie  en 
Canada,  conseiller  au  conseil  souverain  à  Québec,  né  en 
1624,  fils  de  Samuel  Des  Cailhaut  et  de  Louise  Le  Texier 
(St-Herbelain,  près  de  Nantes).  Il  épousa  (Québec  1663) 
Eléonore  de  Grandmaison. 

DESCHAMPS  DE   LA  BOUTE  ILLERIE 

Armes  :  D'azur  à  3  roses  d'argent.  Couronne  seigneu- 
riale. 

Histoire  :  Jean  B.  L.  Deschamps,  seigneur  de  la  Bouteil- 
lerie  en  Canada,  né  en  1646,  fils  de  Jean  Deschamps,  sei- 
gneur des  Landes  et  d'Elisabeth  de  Brien  (Clipponville, 
Rouen)  marié  l^  à  Catherine,  fille  de  Nicolas  Macard,  et 
2^  à  Jeanne  M.,  fille  de  Jean  Chevalier. 

*  * 
SABREVOIS  DE  BLEURY 

Armes  :  D'argent  à  la  fasce  de  gueules  accompagnée  de 
6  roses  du  même.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Jacques  de  Sabrevois,  seigneur  de  Bleury  en 
Canada,  né  en  1667,  fils  d'Henri  Sabrevois  de  Bleury,  sei- 
gneur de  Sermonville,  et  de  Gabrielle  Martin  (Châlons), 
épousa  (Boucherville  1698)  Jeanne,  fille  de  Pierre  Boucher, 
seigneur  de  Boucherville. 


284  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

DELACROIX  DE  MAUFOIES 

Armes  :  Ecartelé  aux  i  et  4  de  gueules,  à  la  croix  alésée 
d'or;  aux  2  et  3  d'argent  à  une  anille  de  sable.  Cimier — 
l'anille  de  sable.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Hubert  Delacroix,  seigneur  de  Maufoies,  chi- 
rurgien, fils  de  Dominique,  seigneur  de  Maufoies,  et  de  Ca- 
therine Clément  (Liège),  épousa  à  Québec,  en  1732,  Anne, 
fille  de  Jacques  Dontaille. 

* 
*   *   ^ 

DE  ROY  DE  LA  BARRE 

Armes  :  D'argent  au  chevron  d'or,  accompagné  de  3  cou- 
ronnes du  même.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Jean  M.  De  Roy,  sieur  de  la  Barre,  fils  de 
Claude  De  Roy  et  de  Jeanne  Dariveau  (Angers),  épousa  à 
Montréal,  en  1726,  Marie  A.,  fille  de  Joseph  Benoit. 

*-  * 

EURY  DE  LA  PERELLE 

Armes  :  De  gueulss  à  2  cotices,  accompagnés  d'un  lion 
léopardé  en  chef  et  une  étoile  en  point,  le  tout  en  argent. 
Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  J^e  premier  de  cette  famille  au  Canada  fut  : 
François  Eury,  sieur  de  La  Perelle,  major  de  l'Ile  Royale, 
qui  épousa  (1721)  Charlotte,  fille  da  Charles  Aubert,  sei- 
gneur de  la  Chenaye. 


FAUCHER  DE  ST-MAURICE 

Armes  :  Tiercé  en  fasce  :  aux  I  et  4  à  3  chausse-trape 
d'argent;  aux  2  et  3  à  3  molettes  d'or;  au  3  d'azur  à  3  annu- 
els d'or.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Léonard  Faucher,  sieur  de  St-Maurice,  né  en 
1646,  fils  de  Barthélémy  Faucher  et  de  Sybelle  Briant  (St- 
Maurice,  Limoges),  épousa  à  Québec  an  1669  Marie,  fille  de 
Pierre  Damoys. 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  285 

FOURNIER  DE  ST-CH ARLES 

Armes  :  D'azur  au  chevron  d'or,  accompagné  de  3  bustes 
humains  du  même. 

Histoire  :  Guillaume  Fournier,  seigneur  de  St-Charles 
en  Canada,  né  en  1619,  fils  de  Guillaume  Fournier  et  de 
Noëlle  Gagnon  (Couine,  Normandie),  épousa  à  Québec  en 
1654,  François,  fiille  de  Guil.  Hébert. 

* 
*  * 

GIFFARD  DE  BEAUPORT 

Armes  :  D'argent  à  la  croix  de  gueules  chargée  de  5  co- 
quilles d'or  et  cantonnée  de  4  lions  de  gueules  armés  et 
lampassés  et  couronnés  d'or.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Robert  Giffard,  seigneur  de  Beauport  en  Ca- 
nada, médecin,  etc.,  né  en  1587,  marié  à  Marie  Renouard  et 
eut  des  enfants  : 

Joseph  Giffard,  seigneur  de  Targy,  marié  (Québec  1663) 
à  Michelle  N.,  fille  de  Jacques  Nau,  et  ensuite  à  Denyse, 
fille  de  Jean  de  Peiras  en  1700. 


GODFROY  DE  LINCTOT 

Armes  :  D'azur  à  2  chevrons  d'argent  accompagnés  en 
chef  de  2  molettes  d'or  et  en  pointe  d'une  rose  du  même. 
Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Jean  B.  Godfroy,  seigneur  de  Linctot,  fils  de 
Pierre,  seigneur  de  Linctot,  et  de  Perette  Cavalier  (Caux, 
Normandie),  marié  (Québec,  1636)  à  Marie,  fille  de  Mathieu 
Le  Neuf,  sieur  du  Hérisson.     De  ses  fils  furent  : 

Louis  Godfroy  de  Linctot,  seigneur  de  Normanville,  ma- 
rié (Québec  l668)  à  Marguerite,  fille  d'Etienne  Seigneuret, 
il  était  procureur  du  Roi. 

Michel  Godfroy  de  Linctot,  sieur  Dutort,  marié  (Montréal, 
1664)  à  Perinne,  fille  de  Pierre  N.  Picoté,  seigneur  de  Bel- 
lestre. 


286  LA    REVUE   FRANCO-AMERICAINE 

René  Godfroy  de  Linctot,  seigneur  de  Tonnancour,  fils 
de  Louis,  seigneur  de  Normanville,  marié  (1693)  à  Margue- 
rite, fille  de  Séverin  Ameau.  Il  était  conseiller  du  Roi  et 
ieutenant-général  civil  et  criminel  en  1717. 

JOYBERT  DE  MARSAN-SOULANGES 

Armes  :  D'or  au  chevron  surmonté  d'un  croissant  de 
gueules  et  accompagné  de  3  roses  du  même.  Couronne 
seigneuriale. 

Histoire  :  La  famille  de  Joybert  est  originairement  du 
Perche,  et  d'une  ancienneté  qui  la  met  parmi  la  vieille  no- 
blesse. 

Pierre  de  Joybert,  sieur  de  Marsan-Soulanges,  comman- 
dant en  Acadie,  né  en  1644,  fils  de  Claude  de  Joybert  et 
de  Claude  Brissier  (St-Hilaire  de  Soulanges,  Châlons, 
Champagne),  était  le  premier  de  son  nom  au  Canada.  Il 
épousa  Marie,  fille  de  Louis  Theandre  Chartier,  seigneur 
de  Lotbinière. 

d'estienne 

Armes  :  D'az.  à  3  baades  d'or.  Supports  :  deux  griffons 
d'or.  Cimier  :  un  buste  d'homme  avec  un  chapeau  chargé  de 
quelques  plumes  en  mémoire  de  ce  que  l'origine  de  cette  fa- 
mille est  l'Albanie.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Estienne  en  Provence,  une  des  plus  anciennes  fa- 
milles de  la  province,  remonte  par  titres  authentiques  à  Jacques 
D' Estienne  qui  rendit  ses  comptes  en  1267  comme  châtelain 
de  Bouc  et  de  Pennes.  Son  fils  Pierre  D' Estienne  et  le  neveu 
de  celui-ci  furent  confirmés  dams  le  titre  de  chevalier  par 
Charles  II,  roi  de  Sicile  et  de  Jérusalem  en  1307,  attendu 
qu'ils  tiraient  leur  origine  d'anciens  chevaliers.  Leur  descen- 
dance, qui  se  divisa  en  plusieurs  branches,  dont  les  principales 
sont  celles  d'Estienne  de  Chaussegros  de  Lioux  et  d' Estienne 
de  St-Jean,   compte  plusieurs   représentants  :   Charles,    mar- 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  287 

quis  d'Estienne  de  Chaussegros  de  Lioux,  général  de  brigade, 
et  Ludovic- Joseph,  vicomte  d'Estienne  de  St-Jean  (1872)  Aix, 
Bouches-du-Rhône. 

Denis  d'Estienne,  noble,  lieutenant  dans  la  marine,  aide- 
major  à  Montréal,  né  en  1670,  est  le  premier  de  sa  famille  au 
Canada.  Il  fut  fils  de  Denis  D'EvStienne,  conseiller  du  Roi  au 
parlement  de  Provence,  et  de  noble  dame  Françoise  Desvoyer 
de  Clerin.  Il  épousa  à  Montréal,  en  1691,  Jeanne,  fille  de  Ga- 
briel Celles- Duclos. 

* 
*   * 

de:  grasse 

Armes  :  D'or  au  lion  de  sable,  couronné,  lampassé  de  gueu- 
les, écartelé  depuis  l'alliance  avec  Marthe  de  Foix,  descen- 
dante des  rois  de  France  (1535).  I  Foix  et  Béarn  (aj  d'or, 
3  pals  de  gueules(b)  or,  deux  vaches  de  gueules  ;  II  (Navarre) 
de  gueules  aune  chaîne  en  croix  et  en  sautoir  d'or  ;  III  Ara- 
gon et  Sicile,  gironné  de  4.  (a)  Foix  (b)  d'argent  à  l'aigle  dé- 
ployé de  sable.  IV  (Evreux)  d'azur,  à  la  bande  de  gueules 
chargée  de  3  billettes  d'argent  entre  3  fleurs  de  lys  d'argent  po- 
sées I  et  2.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  La  famille  de  Grasse  est  connue  dans  l'histoire 
depuis  la  fin  du  Xe  siècle  ;  elle  eut  titre  de  principauté  sur  la 
ville  et  le  comté  d'Antibes. 

Le  cartulaire  de  l'abbaye  de  Lérins  en  fait  mention  depuis 
Rodoard,  prince  d'Antibes  (980). 

Elle  a  donné  deux  chevaliers  croisés  (1096),  des  amiraux, 
généraux,  évêques,  gouverneurs  de  ville,  des  commandeurs, 
etc. ,  et  grands  prieurs  de  Malte. 

Elle  a  été  titrée  prince  d'Antibes  980,  comte  de  Bar  1535, 
comte  de  Grasse  1676,  marquis  de  Grasse  1709. 

Elle  a  formé  les  branches  du  Bar,  de  Mouans,  de  Boimer, 
du  Mar,  de  Cabrés,  de  Montauroux  de  St-Nazaire,  de  Brian- 
çon,  etc.,  en  Provence  (éteintes),  et  existante,  celle  de  Limer- 
mont  en  Picardie. 

Etienne,  comte  de  Grasse,   s,' établit  en  1708  en  Picardie  par 


288  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

suite  de  son  mariage  avec  Etiennette  d'Hallencourt,  dame  de 
lyimermont.  Le  neveu  du  comte  de  Grasse  s'établit  près  Ba- 
thurst,  N.  B.,  après  la  révolution  en  France. 

* 
*  * 

GOURDEAU    DE    BOILEAU 

Armes  :  D'argent  à  l'aigle  de  sable,  becqué  et  armé  d'or. 
Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Jacques  Gourdeau,  sieur  de  Boileau,  né  en  1624, 
fils  de  Nicolas  Gourdeau,  procureur  au  siège  royal  de  Niort 
en  Poitou,  marié  (Québec,  1652)  à  Eléonore  de  Grandmaison, 
veuve  de  François  de  Chavigny.     Son  fils  fut  : 

Jacques  Gourdeau,  sieur  de  Grosardière,  qui  épousa  à  Qué- 
bec en  1691  Marie,  fille  de  François  Bissot. 

* 
*   * 

LECOMPTE   DE    LA   VIMAUDIERE 

Armes  :  D'argent  au  chevron  de  gueules  accompagné  de  3 
corbeaux  de  sable.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Samuel  Lecompte,  sieur  de  la  Vimaudière,  chi- 
rurgien, né  en  1667,  fils  de  Noël  Lecompte  et  de  Françoise  Le- 
tellier(St- Georges,  St-Lô,  Coutances),  marié  (Château-Richer 
1695)  à  Anne,  fille  de  Louis  Jobidon. 

* 
*   * 

LECOMPTE   DU   PRÉ 

Armes  :  De  gueules  au  chevron  d'or  accompagné  en  chef  de 
2  étoiles  du  même,  et  en  pointe,  d'une  tête  de  lion  d'argent. 
Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Louis,  seigneur  Lecompte  du  Pré,  né  en  1654, 
fils  de  Charles  et  d'Anne  Defosse,  marié  (1683)  à  Marie  C, 
fille  d'Adrien  de  St-Georges.  Descendu  de  cette  famille  était 
le  colonel  Lecompte  St-Georges  du  Pré,  un  des  plus  vaillants 
défenseurs  de  Québec  en  1775. 


LA   NATION    FRANCO-NORMANDE    AU   CANADA  289 

LEFKBVRE   DUPLESSIS-FABER 

Armes  :  D'azur  au  chevron  d'or  surmonté  d'une  tour  d'ar- 
gent, accompagné  en  chef  de  2  étoiles  d'or,  et  en  pointe,  d'une 
ancolie  du  même.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  François  Lefebvre,  sieur  Duplessis-Faber,  capi- 
taine de  la  marine,  fils  de  Pierre,  maître  de  l'hôtel  du  Roi,  et 
de  Marguerite  Bassade  (St-Jean-en-Grève,  Paris)  marié  (Cham- 
plain  1689)  à  Marie  M.,  fille  de  François  Chosel. 

K  LE   GOUS   DE   GOUS 

K  Armes  :  De  sable  au  lion  d'or   armé  et  lampassé  de  gueules. 

Hbvise  :  "  Sans  défalloir."     Couronne  seigneuriale. 

I^paistoire  :  Louis  J.  Le  Gous,  seigneur  de  Gous,  chevalier, 

'capitaine  des  troupes,  né  en  1666,  fils  de  Charles  Le  Gous  et 

de  Catherine  Bonne  (St-Gilles,,  Bayeux)  marié  (Québec,  1694) 

à  Marguerite,  fille  de  Charles  Le  Gardeur,  sieur  de  Tilly. 

* 

LE   NEUF   DU    IIERRISON 

Armes  :  De  gueules  à  3  coUvSsins  houppes  d'or.  Couronne 
seigneuriale. 

Histoire  :  Une  des  familles  les  plus  considérables  dans  l'his- 
toire du  Canada. 

Mathieu  M.  Le  Neuf,  sieur  du  Herrison,  lieutenant-génëraî, 
né  en  1601,  marié  (Québec,  1636)  à  Jeanne  Lemarchand.  Son 
frère  : 

Jacques  Le  Neuf,  sieur  de  La  Poterie,  né  en  1606,  était  gou- 
\erneur- général  en  1665,  et  il  épousa  l^arguerite,  fille  de  René 
Le  Gardeur.     Son  fils  : 

Michel  Le  Neuf,  sieur  de  la  Vallière,  marié  à  Marie  F.,  fille 
de  Simon  Denys,  sieur  de  la  Trinité  ;  son  frère  : 

René  Le  Neuf,  .sieur  de  Beaubassin  en  Acadie,  lieutenant 
de  la  marine. 

(A  suivre.) 


La    lecture   des   romans 


Au  moment  où  deux  grands  prix  littéraires  de  ^i.ooo  viennent  d'être 
décernés,  en  France,  on  ne  lira  pas  sans  intérêt  cette  page  remarquable 
oii  réminent  collaborateur  de  la  "  Revue  Française,"  René  Bazin,  expose 
si  bien  les  raisons  pour  lesquelles  la  sagesse  des  parents  doit  interdire 
aux  trop  jeunes  gens  et  aux  jeunes  fiUes  la  lecture  des  romans. 

Quel  est  le  public  naturel  du  roman  ?  A  supposer  qu'une 
œuvre  romanesque  puisse  être  lue  par  tout  le  monde,  est-ce 
là  une  supériorité  ou  un  simple  accident  ?  Y  a-t-il  là  un 
idéal  dont  doive  se  préoccuper  un  écrivain,  ou  bien  existe- 
il,  dans  l'idée  même  du  roman,  un  élément  qui  détermine 
et  limite  le  public  auquel  s'adresse  le  romancier?  En  un 
mot,  quelle  valeur  faut-il  accorder,  esthétiquement,  à  la  fa- 
meuse formule  du  roman  "qui  peut  être  mis  entre  toutes 
les  mains  "  ?... 

Je  crois  et  je  vais  essayer  de  prouver  que  le  roman  pour 
les  jeunes  filles  ne  saurait  être  autre  chose  qu'un  accident 
heureux,  dans  une  littérature  qui  n'est  pas  faite  pour  elles 
Pour  mieux  poser  la  question,  je  crois  que  le  roman,  par  sa 
nature,  est  destiné  à  ceux-là  seuls  qui  ne  sont  pas  au  début 
de  la  vie. 

Une  des  raisons,  c'est  qu'il  est  une  oeuvre  destinée  à 
peindre  les  hommes  tels  qu'ils  sont. 

Que  le  roman  soit  d'abord  une  oeuvre  d'observation,  per- 
sonne n'y  contredira.  Sans  doute,  l'écrivain  aura  le  choix 
de  son  milieu,  de  ses  personnages,  de  l'intrigue  et  du  dé- 
nouement de  son  drame,  mais  toujours  son  récit  devra  don- 
ner quelque  figure  de  la  réalité,  en  produire  l'illusion.  Or, 
la  réalité  est  n^êlée  de  bien  et  de  mal,  et  la  proportion  du 
mal  dépasse  celle  du  bien.  Les  situations  tragiques  sur-j 
tout  ne  supposent-elles  pas,  presque  toujours,  une  faut 
dont  elles  sont  la  conséquence  ?  N'est-ce  pas  du  spectacl 
de  la  lutte  contre  les  plus  violentes  passions,  du  contrasté 


u 

1 


LA  LECTURE  DES  ROMANS  291 

entre  le  bien  et  le  mal  représentés  par  des  personnages 
différents,  ou  par  les  tendances  différentes  du  même  per- 
sonnage, que  naîtront  les  sentiments  que  l'auteur  veut  faire 
éprouver  au  lecteur  :  l'admiration,  la  crainte,  la  haine  ?  L'é- 
crivain le  plus  honnête  a-t-il  le  droit,  a-t-il  le  pouvoir  de 
chercher  ailleurs  le  principal   ressort   et  l'intérêt  de  son 
œuvre  r*  Evidemment  non.     Il  doit  savoir  et  il  doit  lire  le 
mal.    Et,  par  là,  son  devoir  est  tout  autre  que  celui  des  pa- 
rents, qui  est  de  préserver  l'enfant  de  la  vue  du  mal.     Ob- 
servez comme  ils  s'y  emploient  :  ils  l'écartent  des  compa- 
gnies dangereuses;  ils  ferment  à  clef  la  petite  bibliothèque 
vitrée;  ils  s'abstiennent  devant  lui,  non  seulement  des  mots 
libres,  mais  de  conversations  qui  pourraient,  tout  honnêtes 
qu'elles  soient,  lui  donner  trop  tôt  la  science  du  milieu  de 
la  vie;  ils  veillent  à  ne  l'initier  que  peu  à  peu  aux  préoccu- 
pations, aux  passions,  au  langage  même  des  âges  qui  ne 
sont  pas  venus  pour  lui.     On  peut  dire  que  ce  petit  com- 
I  battant  n'est  armé  que  par  degrés,  afin  que  ses  armes  ne  le 
I  blessent  pas  lui-même  tout  d'abord,  et  qu'il  les  reçoit  une 
I  à  une,  comme  les  enfants  des  chevaliers  d'autrefois,  selon 
i  l'aventure  qu'il  peut  courir.     Mais,  Si  tel  est  le  devoir  des 
parents,  n'aperçoit-on  pas  qu'on  ne  peut,  sans  exagération, 
I  sans  péril  pour  l'art,  en  étendre  l'obligation  aux  écrivains  ? 
Ceux-ci  répondront,  avec  raison,  qu'ils  n'écrivent  pas  pour 
[des  enfants;  qu'ils  n'ont  pas  à  se  préoccuper  de  l'âge  de 
I  ceux  qui  les  liront  ;  qu'ils  ne  sauraient  être  astreints  à  pein- 
I  dre  la  vie  autrement  qu'elle  n'est,  sous  prétexte  qu'ils  au- 
jront  peut-être  des  lecteurs  ignorants  de  la  vie;  ils  préten- 
I  dront,  et  ils  n'auront  pas  tort,  qu'ils  sont  quittes  envers  la 
i  morale  s'ils  écrivent  ce  que  d'honnêtes  gens  peuvent  hon- 
I  nêtement  et  utilement  lire. 

î  II  faut  ici  préciser.  La  licence  de  tout  dire  n'existe  pas. 
[Je  sais  bien  qu'elle  est  proclamée,  comme  un  dogme,  par 
I  toute  une  école  de  publicistes  qui  prétendent  que  l'art  n'a 
:  pas  de  règle,  n'a  pas  de  pudeur  et  n'a  pas  de  danger.  Je 
suis  d'un  avis  tout  contraire.  Je  crois  que  l'art  est  soumis 
'  à  la  loi  morale,  à  laquelle  n'échappe  aucune  manifestation 
de  l'activité  humaine,  et  qu'il  y  est  d'autant  mieux  soumis 


292  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

que  l'œuvre  d'art  est  une  œuvre  d'enseignement,  une  leçon, 
un  acte  d'influence  et  de  direction  sur  autrui.  Je  crois  que 
le  livre  est  une  puissance  extrêmement  féconde,  soit  pour 
le  bien,  soit  pour  le  mal.  Et  dès  lors,  pour  me  renfermer 
dans  le  sujet  que  j'ai  entrepris  de  traiter,  il  me  semble  que 
le  romancier  aura  pleinement  satisfait  à  la  morale,  s'il  rem- 
plit deux  conditions,  dont  l'une  concerne  le  but  et  l'autre 
les  moyens. 

Il  doit  d'abord  exprimer  ou  laisser  transparaître  une  con- 
clusion saine.  Je  ne  dis  pa§  une  conclusion  optimiste;  je 
ne  dis  pas  célébrer  le  triomphe  du  bien  sur  le  mal,  que  nous 
ne  voyons  pas  toujours  se  manifester,  hélas  !  dans  la  vie.  Je 
pense  seulement  que  le  livre  sera  bon  si  le  lecteur,  en  le  fer- 
mant, a  senti  plus  vivement  le  danger,  personnel  ou  social, 
de  la  faute  ou  de  l'erreur  que  l'auteur  a  décrite,  ou  s'il 
plus  clairement  compris  la  grandeur  et  la  nécessité  de  li 
loi  morale  à  laquelle  il  est,  comme  homme,  obligé  d'obéi^ 
Sans  cela,  et  si  le  livre  excite  l'homme  à  la  révolte,  je 
vois  plus  dans  l'oeuvre  écrite  qu'un  désordre,  que  toutes  1< 
raisons  d'art  ne  sauraient  excuser,  car  l'art  ne  peut  êtrj 
antisocial,  antihumain  ;  il  doit  être  un  agent  de  progrès,  e! 
une  force  pour  soulever  les  ârnes  ;  ou  bien  il  n'est  qu'un 
danger  qui  grandit  avec  le  talent  de  l'écrivain. 

Un  grand  nombre  de  romanciers  ont  eu  l'intelligence  de 
cette  obligation  première  et  s'y  sont  conformés.  Il  y  en  a 
très  peu  qui  se  soient  proposé,  délibérément,  de  laisser  à 
ceux  qui  les  lisent  une  impression  finale  contraire  à  la  mo- 
rale. Mais  cette  condition  ne  suffit  pas.  Je  connais,  vous 
connaissez  tous,  de  détestables  livres,  qui  ont  un  excellent 
chapitre  treptième.  On  citerait,  à  la  douzaine,  des  romans 
qui  ont  souillé  des  imaginations,  troublé  des  cervelles  et  des 
coeurs,  et  qui  renferment  quatre  pages  finales  de  la  plus 
belle  envolée,  d'une  philosophie  acceptable  et  même  ex- 
cellente. 

C'est  que,  en  effet,  une  autre  règle  plus  délicate,  infini- 
ment plus  difficile  à  observer,  s'impose  à  l'écrivain,  à  celui- 
là  surtout  qui  prétend  raconter  et  analyser  le  monde  des 
passions  humaines.    Obligé  de  dire  le  mal,  il  doit  en  éveil- 


LA    LECTURE    DES   ROMANS  298 

1er  l'idée  sans  en  exciter  le  désir.  Il  doit  prendre  garde 
que  la  peinture,  trop  complaisamment  poussée,  d'un  senti- 
ment mauvais,  d'un  vice,  d'une  faute,  ne  fasse  oublier  au 
lecteur  la  perversité  du  sentiment  ou  de  l'acte;  il  faut  qu'il 
mesure  le  danger  de  l'exemple  qu'il  crée  lui-même,  et  que, 
par  une  habileté  dont  le  public  ne  s'apercevra  peut-être 
pas,  sans  le  dire  le  plus  souvent,  il  laisse  aux  manifestations 
de  la  volonté  humaine  leur  caractère  de  liberté,  de  mérite 
ou  de  démérite.  Règle  redoutable  !  J'avoue  qu'elle  est  gê- 
nante, mais  il  n'y  a  rien  de  facile  en  art.  Il  suffit  qu'il  soit 
possible  de  la  suivre,  et  cela  n'est  pas  douteux.  La  diffi- 
culté n'est  pas  de  citer  des  exemples,  mais  de  les  imiter. 
Où  commence  l'inutile  excès  d'analyse.?  Où  la  secrète  in- 
dulgence qui  flatte  le  fond  perverti  de  l'homme  ?  Où  le  dé- 
tail qui  n'ajoutera  rien  à  la  valeur  du  livre  et  qui  risque 
d'en  altérer  le  sens  et  d'en  ruiner  le  bienfait?  Toutes  les 
explications  sont  ici  superflues,  tous  les  commentaires  ne 
guideraient  pas  sûrement.  Le  seul  guide  qui  ne  trompera 
pas,  c'est  une  conscience  affinée,  respectueuse  des  âmes,  et, 
pour  tout  dire,  le  tact  chrétien  de  l'auteur. 

Ainsi  l'écrivain  est  lié.  Faites  attention  qu'il  est,  en 
même  temps,  singulièrement  grandi  par  ses  obligations  en- 
vers la  loi  morale.  Mais  que,  tout  au  moins,  dans  ces  li- 
i  mites,  sa  liberté  soit  entière  !  Qu'on  n'aille  pas  la  restrein- 
I  dre,  sous  prétexte  que  des  enfants  de  quinze  ans  liront 
peut-être  ses  œuvres  Non  ;  là  commencerait  un  abus  tout 
à  fait  condamnable,  destructeur  de  la  sincérité,  de  la  beau- 
té, de  l'art  lui-même.  Cette  liberté,  nous  la  voulons  aussi 
respectée... 

Et  c'est  pourquoi  j'affirmais  tout  à  l'heure  que  le  roman 
"pour  toutes  les  mains"  est  un  genre  faux.  Il  écarte  de  la 
i  vie  un  élément  qui  appartient  à  la  vie  et  dont  le  plus  hon- 
I  nête  homme  ne  peut  pas  ne  pas  tenir  compte.  Il  conduit 
I  les  auteurs  à  ces  mièvreries  dont  les  petites  pensionnaires 
I  elles-mêmes  devinent  le  mensonge,  puisqu'elles  ne  les  re- 
I  lisent  pas.  Car,  c'est  une  observation  qui  fait  honneur  à 
[  rinstinct  de  la  jeunesse  :  les  jeunes  filles  de  vingt  ans  dé- 
!  daignent  les  livres  qu'elles  ont  dévorés  en  sortant  de  pen- 


294  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

sion.  Elles  ne  savent  pas  ce  qu'est  la  vie,  mais  elles  sa- 
vent que  la  vie  n'est  pas  dans  ces  contrefaçons  illicites,  et 
elles  sentent  qu'on  les  a  trompées.  Elles  en  acquièrent  plus 
tard  la  certitude.  A  quoi  bon  de  pareilles  lectures  ?  A  quoi 
bon  surtout  de  pareils  ouvrages  .?... 

La  lecture  du  roman  ne  peut  convenir  à  tout  le  monde, 
parce  qu'elle  demande  une  expérience  personnelle  de  la 
vie...  Ceux  qui  ont  souffert,  ignorants  ou  savants,  compren- 
dront toujours  quelque  chose  aux  récits  de  la  vie.  Que  les 
autres,  ceux  qui  sont  ieunes,^  attendent  la  leçon  commune 
qu'ils  laissent  de  côté  le  roman  comme  une  œuvre  pour  e 
vide  de  sens,  écrite  dans  une  langue  étrangère.  Ils  l'ouvrï 
ront  le  lendemain  du  jour  où  ils  auront  pleuré  :  cela 
tarde  jamais  beaucoup. 

René  Bazin, 
de  l'Académie  français 


i 

"1 


y  La   politique    canadienne   et    les  Cana- 
diens-Français. 


4.  — L'impérialisme 

Il  n'y  a  rien  de  neuf  dans  l'impérialisme  moderne.  Il  ressem- 
ble à  l'impérialisme  romain  comme  celui-ci  ressemblait  à  l'impé- 
rialisme des  Macédoniens,  à  celui  des  Perses,  à  celui  des  Baby- 
loniens ;  comme  lui  ressemblera  l'impérialisme  des  Japonais. 

ly'impérialisme,  c'est  le  pangermanisme,  le  panslavisme,  le 
panaméricanisme.  C'est  toujours  une  doctrine  ou  mieux  un 
idéal  politique  qui  tend,  sinon  à  l'asservissement,  du  moins  à 
la  dépendance  du  genre  humain,  à  une  nation  forte  et  orgueil- 
leuse dont  l'ambition  n'est  jamais  assouvie.  Le  motif  en  est 
tout  de  vanité  et  de  cupidité.  L'impérialisme  carlovingien  fut 
le  seul  qui  eut  une  fin  supérieure.  — 

Le  panbritannisme,  si  l'on  veut  permettre  le  mot,  désignerait 
bien  l'impérialisme  anglais,  mais  en  terre  britannique  plus  que" 
partout  ailleurs,  on  feint  de  vouloir  laisser  aux  groupes  hété- 
rogènes leur  entière  individualité  et  l'on  évite  d'user  d'une  ex- 
pression qui  ferait  entendre  clairement  ce  que  tout  homme 
averti  comprend  par  impérialisme. 

Car,  en  somme,  la  lutte  est  entre  l'impérialisme  et  le  natio- 
nalisme. Le  premier  veut  l'uniformisation,  l'unification,  la 
fusion,  l'alliage  de  tous  les  éléments  humains.  Le  second  tra- 
vaille au  développement  intensif  delà  nationalité,  presque  tou- 
jours une  minorité  combattue,  de  ses  facultés  politiques,  intel- 
lectuelles, commerciales.  D'une  autre  part,  l'internationa- 
lisme et  le  nationalisme  sont  aux  antipodes.  Cependant,  il  est 
curieux  de  voir  encore  une  fois  comment  les  extrêmes  se  tou- 
chent. L'impérialiste  est  un  nationaliste  exalté,  mais  puissant, 
qui  ne  voudrait  voir  sur  la  terre  qu'une  nation,  la  sienne. 
L'internationaliste  est  un  impérialiste  dont  le  rêve  est  de  faire 


296  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

de  rhumanité  une  nation,  une  république,  une  communauté, 
avec  les  caractères  que  le  hasard  lui  donnera.  L'impérialisme 
tend  à  diminuer  le  nombre  des  frontières,  l'internationalisme,  à 
les  supprimer. 

Les  petits  groupes  ethniques  tiennent  à  la  vie  comme  les  in- 
dividus. Les  uns  disparaissent  complètement  comme  les  dif- 
férentes peuplades  sauvages  de  l'Amérique.  Les  autres  sont 
condamnés  à  l'assimilation,  par  la  langue  ou  par  la  politique, 
comme  les  différents  peuples  germaniques  et  les  diverses  popu- 
lations de  l'Italie,  autrefois  divisés  et  souvent  en  guerre,  au- 
jourd'hui unis  par  un  même  esprit  national.  Les  groupes  qui 
ne  sont  pas  assez  forts  pour  dominer,  doivent  donc  disparaître 
ou  s'assimiler.  C'est  la  loi  de  la  "lutte  pour  la  vie"  :  les  fai- 
bles s'éteignent  pour  conserver  la  force  de  la  race.  Mais,  la 
résistance  est  parfois  longue.  Par  exemple,  toutes  les  pré- 
somptions sont  en  faveur  de  notre  nationalité  qui  a  su  pendant 
trois  siècles  défendre  son  intégrité  contre  des  populations  hos- 
tiles toujours  dix  fois  plus  nombreuses.  Voilà  la  démonstra- 
tion d'une  force  qui  assure  notre  survivance  et  même  notre 
droit  au  chapitre  des  nations,  dans  un  avenir  que  notre  énergie 
fera  plus  ou  moins  bref. 

La  question  se  pose  :  Doit-on  nous  identifier  avec  l'empire, 
ou  tendre,  lentement,  vers  l'indépendance  politique  pour  for- 
mer une  nation,  je  ne  dis  pas  canadienne,  mais  canadienne -fran- 
çaise? Car,  si  l'on  parle  d'un  nationalisme  canadien,  peut-être 
pour  donner  le  change,  il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  y  a  un  na- 
tionalisme canadien-français,  dont  on  parle  peu,  mais  qui  ex- 
iste, et  qui  est  couvert  par  l'autre. 

La  grandeur  de  l'empire  britannique  a  été  chantée  par  tons 
les  poètes  anglais  sur  toutes  les  cordes  de  leur  lyre.  Débarras- 
sée de  toute  rhétorique,  elle  est  la  résultante  de  cette  devise  : 
"What  we  iiave  we  hold,  what  we  hâve  not  we're  after.  " 
Depuis  Elisabeth  jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Victoria,  les  deux 
plus  grands  rois  de  l'Angleterre  puisque  ses  rois  ont  eu  des  ca- 
ractères de  reines,  les  ministres  anglais  ont  essayé  la  devise  sur 
toutes  les  terres  de  l'Amérique,  de  l'Asie,  de  l'Afrique  et  de 
l'Australasie,  avec  les  succès  que  l'on  connaît.  La  diplomatie 
anglaise  a  tout  fait  cela.     Il  est  vrai  qu'elle  ne  s'est  pas  tou- 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    297 

jours  exercée  dans  les  chancelleries,  qu'elle  a  beaucoup  travail- 
lé dans  les  loges  et  les  salons  des  banquiers  juifs,  mais  peu  im- 
porte pourvu  qu'elle  ait  atteint  son  but.  Allons-nous  deman- 
der compte  à  l'Angleterre  d'avoir  fait  l'unité  italienne  pour 
dépossédera  Pape  et  affaiblir  rAutriche,  d'avoir  formé  l'unité 
allemande  pour  écraser  la  France,  de  se  faire  aujourd'hui  des 
alliés  pour  faire  peur  à  l'Allemagne  ? 

Quelques  chiffres  nous  feront  connaître  l'état  de  l'empire 
britannique.  La  superficie  terrestre  du  globe  est  de  52,500,000 
milles  carrés,  l'empire  en  comprend  environ  12,000,000  soit 
près  d'un  quart.  Sa  population  est  de  400  millions,  dont  60 
millions  de  population  blanche,  alors  que  la  population  mon- 
diale est  de  1500  millions.  Le  commerce  de  l'empire  qui  n'é- 
tait que  de  ^170,000,000  en  1800,  était  de  ^1,500,000,000  en 
1900.  L'Angleterre  est  le  cœur  de  cet  immense  empire,  re- 
cevant par  ses  nombreuses  artères  les  produits  de  toutes  les  la- 
titudes. 

Il  n'est  pas  d'avantages  sans  inconvénients.  Les  colonies 
anglaises  sont  toutes  éloignées  de  la  mère-patrie,  couvrant  de 
grandes  portions  de  continents.  L'Angleterre,  par  ce  fait,  est 
autant  ;ine  puissance  continentale  qu'une  puissance  insulaire. 
Mais,  c'est  une  puissance  continentale  sans  armée.  La  guerre 
du  Transvaal  l'a  trop  démontré. 

Alors,  comment  l'Angleterre  va- t-elle  défendre  ses  nombreux 
territoires  ?  Elle  va  persuader  à  ses  colonies  que  ses  intérêts 
sont  les  leurs,  et  les  colonies  vont  contribuer  à  la  défense  im- 
périale en  hommes  ou  en  argent,  ou  même  des  deux  façons. 
Et  l'on  tombe  dans  la  question  la  plus  vive  de  l'impérialisme 
militaire,  car  il  esc  aassi  politique  et  commercial. 

Après  la  guerre  maritime  de  sept  ans  qui  lui  avait  coûté 
^90,000,000,  l'Angleterre  s'était  arrogé  le  droit  de  taxer  les 
colonies  d'Amérique,  afin  de  s'indemniser  des  pertes  subies  à 
les  défendre.  Les  gens  de  Boston  l'entendirent  de  la  mauvaise 
oreille,  et  la  séparation  suivit  après  une  longue  guerre.  Les 
autorités  impériales,  assagies  par  le  traité  de  Paris  (1783), 
acceptèrent  la  charge  complète  de  défendre  les  territoires  de 
l'empire,  jusqu'au  jour  où  le  contribuable  anglais,  écrasé  sous 
les  impôts,  commença  de  geindre. 


298  LA    REVUE    FRANCO- AMÉHICAINE 

Dès  la  fin  du  XVIIIe  siècle,  Burke  avait  médité  le  projet 
d'une  fédération  impériale,  mais  les  préoccupations  du  temps 
ne  lui  permirent  pas  de  le  pousser  de  l'avant.  Son  intention 
était  de  soulager  le  peuple  anglais  d'un  fardeau  qu'il  s'impa- 
tientait de  porter,  en  faisant  partager  aux  colonies  les  guerres, 
mais  aussi  le  gouvernement  de  l'empire. 

Vers  1850,  les  colonies  reçurent  la  liberté  de  commerce  et 
acceptèrent  en  principe  l'obligation  de  la  défense  territoriale. 
De  1846  à  I856,  elles  font  des  travaux  de  fortification.  Il  fut 
question  de  fédération  impériale  en  Nouvelle-Zélande  dès  1852. 
Cinq  ans  plus  tard,  les  représentants  des  colonies  australiennes 
à  Londres  soulevèrent  la  même  question. 

En  même  temps,  c'est-à-dire  de  1845  à  1875,  sous  l'influence 
surtout  de  Cobden  et  de  Bright,  la  ligue  de  Manchester 
(Manchester  School)  s'eft'orça  de  faire  comprendre  au  peu- 
ple que  les  colonies  étaient  à  charge  à  la  mère-patrie,  et 
que  le  plus  tôt  qu'elles  seraient  indépendantes,  mieux  ce  serait 
et  pour  elles-mêmes  et  pour  l'Angleterre 

La  réaction  ne  se  fit  pas  attendre  contre  ces  théories  subver- 
sives à  la  vie  de  l'empire.  La  publication  en  1868  d'un  ou- 
vrage, Greater  Britain,  par  sir  Charles  Dilke,  mort  récejnment, 
et  la  fondation,  la  même  année,  du  Royal  Colonial  Institute 
réveillèrent  ou  créèrent  des  sentiments  impérialistes.  Quel- 
ques apôtres  entreprirent  de  faire  l'éducation  des  masses,  en 
faisant  des  conférences  dans  les  principales  villes.  En  1884  se 
forma  l'Impérial  Fédération  League,  ayant  pour  but  d'assurer 
l'unité  permanente  de  l'empire  par  la  fédération  de  toutes  ses 
parties  pour  la  défense  de  leurs  intérêts  communs,  tout  en 
sauvegardant  l'autonomie  des  parlements  locaux.  Des  hommes 
de  tous  les  parties  politiques  s'y  rencontrèrent.  Mais  ils  ne 
furent  jamais  d'accord  sur  les  questions  concrètes.  Et  dix  ans 
après  sa  fondation  la  ligue  disparut. 

Cependant,  la  cause  de  la  fédération  impériale  ne  fut  pas  en- 
terrée. Les  conférences  coloniales  de  1887,  1894  (à  Ottawa), 
1897,  1902,  et  les  conférences  impériales  de  1907,  1909  et  191 1 
semblent  avoir  rapproché  de  plus  en  plus  l'Angleterre  de  ses 
colonies.  En  1895,  celles-ci  commencèrent  de  contribuer  aux 
dépenses  navales  de  l'empire. 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    299 

Mais  ie  Canada,  entraîné  par  le  mouvement  général,  parait 
s'être  ressaisi  depuis  un  an.  Nous  ne  discuterons  pas  ici  la 
loi  du  service  naval  due  à  M.  Laurier,  pas  plus  ses  antécé- 
dents que  ses  conséquences.  On  ne  sait  plus,  à  l'heure  ac- 
tuelle, de  quel  côté  le  pa3'S  penchera. 

Il  y  a  au  Canada  des  impérialistes  convaincus  et  outrés,  des 
autonomistes  constitutionnels,  des  partisans  de  l'indépendance 
immédiate.  Il  y  a  aussi  des  politiciens  qui  sont  prêts  à  tout 
accepter. 

Quelques  uns  voudraient  concilier  l'impérialisme  et  le  natio- 
nalisme, en  demandant  pour  le  Canada  qu'il  ait  sa  voix  au 
chapitre  de  l'empire,  qu'il  ait  le  droit  de  décider  de  la  guerre 
s'il  doit  y  participer.  Et  ils  tombent  en  pleine  fédération  im- 
périale. 

Et  voici  ce  qu'est  la  fédération  impériale,  réclamée  par  lord 
Beaconsfield,  Forster,  lord  Roseberry,  Young,  Parkin,  Cuning- 
ham,  Brassey,  etc.  On  donnerait  à  l'Angleterre,  à  l'Ecosse, 
à  l'Irlande  et  même  aux  Galles  des  parlements  locaux  auto- 
nomes chargés  des  affaires  locales,  les  colonies  gardant  leur 
status  actuel.  Puis,  on  créerait  un  parlement  vraiment  im- 
périal, représentant  le  Royaume-Uni  et  toutes  les  colonies, 
lequel  parlement  aurait  le  contrôle  de  l'armée  et  de  la 
marine,  des  relations  avec  les  puissances  étrangères  ;  des 
relations  intercoloniales  de  l'empire,  des  douanes  et  des 
finances,  des  postes  et  de  la  justice. 

ly'Inde,  dont  le  réveil  est  proche,  voudra  aussi  ses  députés 
à  ce  parlement  impérial.  En  supposant  que  l'unité  de  repré- 
sentation serait  de  2,000,000  de  population,  le  parlement  comp- 
terait 200  députés.  C'est-à-dire  que  nous,  Canadiens-Fran- 
çais, y  serions  représentés  par  un  député.  Le  voyez-vous,  ce 
député,  défendre  nos  droits  contre  199  députés  quand  nous  eu 
avons  60  ici  qui  ne  les  peuvent  défendre  contre  1 50  ?  Conce- 
vez-vous un  parlement  impérial  où  l'Angleterre  aurait  la  mi- 
norité des  députés  ?  Cro3'ez-vous,  par  ailleurs,  qu'elle  puisse 
ne  pas  donner  le  même  droit  de  représentation  à  toutes  ses  co- 
lonies ?  Et  supposant  que  l'Inde  n'y  enverrait  pas  de  députés, 
ne  trouvez-vous  pas  qu'il  serait  illusoire  d'opposer  trois  ou 
quatre  députés  à  cinquante  ou  plus  ? 


300  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINl 

I^a  fédération  impériale  peut  sourire  aux  anglochtones.  Ce 
serait  pour  eux  une  apothéose  avant  la  chute  de  l'empire. 
Nous  n'y  voyons  qu'un  moyen  de  fusionner  toutes  les  minori- 
tés. Quand  l'impérialisme  commercial  de  Chamberlain  sera 
accepté,  ou  passera  à  la  fédération  impériale  proprement  dite 
par  la  création  d'un  parlement  qui  visera  naturellement  à  l'u- 
niformité de  législation.  Après  le  servage  commercial,  écono- 
mique, ce  sera  le  servage  intellectuel  et  moral.  A  moins  que 
l'empire  croule  trop  tôt,  et  que  nous  émergions  trop  vite  au- 
dessus  des  débris.  v 

Louis  Gerenvsi. 

(Fin  au  prochain  numéro.) 


:o: 


Présence  d'esprit 


Le  petit  Serquy  et  Jules  Debot,  que  ses  amis  appelaient  plus 
communément  Bobo,  étaient  complètement  décavés  depuis  un 
temps  immémorial.  C'est  au  point  que,  sauf  les  ancêtres  du 
boulevard,  nul  ne  se  rappelait  avoir  vu  de  l'argent  entre  leurs 
mains.  Ils  étaient  arrivés  à  cette  situation  par  des  chemins 
différents,  mais  également  sûrs.  Bobo  avait  en  peu  d'années 
perdu  ou  gaspillé  un  assez  mince  patrimoine,  et  quant  au  petit 
Serquy,  il  n'avait  jamais  possédé  la  moindre  valeur.  Les  né- 
cessités de  l'existence  les  avaient  toujours  empêchés,  l'un  et 
l'autre,  d'exercer  une  profession  quelconque.  On  ne  connais- 
sait pas  leurs  familles  ;  d'ailleurs,  ils  vivaient  très  bien  et  ne 
se  montraient  que  vêtus  avec  une  extrême  élégance.  Ils  fré- 
quentaient aussi  la  meilleure  société.  Leur  âge  était  à  peu 
près  le  même,  quarante  ans  environ,  et  leur  réputation,  sans 
être  de  celles  qu'on  exige  des  arbitres  en  matière  d'honneur, 
était  encore  enviable. 

Une  bonne  humeur  charmante,  une  gaieté  inaltérable,  leur 
attiraient  des  invitations  fréquentes,  des  succès,  des  relations  ; 
et  on  leur  pardonnait,  grâce  à  ces  agréments  personnels,  les 
'  *  tapages  '  '   incessants  qui  constituaient  leur  seule  ressource. 

Car  ils  ne  subsistaient  véritablement  plus  que  de  cette  va- 
riété si  délicate  et  si  parisienne  de  l'emprunt,  à  laquelle  il  a 
bien  fallu  donner  un  nom  particulier  :  le  "  tapage,"  en  effet, 
n'est  pas  l'emprunt  et,  tout  en  étant  une  opération  financière 
de  la -même  famille,  il  s'en  distingue  par  des  traits  essentiels. 

Si  vous  demandez,  par  exemple,  une  somme  d'argent  à 
quelqu'un,  en  lui  promettant  de  la  lui  rendre  à  une  époque 
déterminée,  vous  contractez  un  emprunt  ;  si  vous  vous  conten- 
tez, au  contraire,  de  dire  à  un  ami  ou  à  une  simple  connais- 
sance ou  à  un  étranger  :  '  *  Prêtez-moi  donc  une  cinquantaine 
de  louis,"  sans  vous  engager  aucunement  à  les  lui  restituer, 
c'est  d'un  "  tapage  "  qu'il  s'agit.     Les  hommes  s'empruntent 


302  LA    IIEVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

réciproquement  de  l'argent  dans  tous  les  pays  et  dans  toutes 
les  conditions,  mais  on  ne  ''tape"  qu'à  Paris,  et  entre  gens 
d'un  certain  monde.  L'emprunt  est  souvent  pénible  :  il  vous 
place  momentanément  dans  une  position  inférieure  et  légère- 
ment humiliante.  Il  n'en  est  pas  de  même  du  tapage,  qui 
doit  être  pratiqué  avec  une  large  désinvolture  et  comme  si  le 
fait  de  taper  était  une  sorte  d'hommage  à  la  personne  choisie. 
Bobo  et  Serquy  excellaient  à  cet  art  redoutable.  Ils  avaient 
chacun  une  méthode  fixe  dont  ils  avaient  expérimenté  la  puis- 
sance par  un  long  usage.  La  force  du  petit  Serquy  consistait 
en  un  tact  surprenant  qui  lui  faisait  deviner  la  minute  exacte 
où  quelqu'un  pouvait  être  tapé  :  il  savait  lorsque  son  client 
avait  gagné  au  jeu,  il  guettait  l'air  de  sa  physionomie,  il  n'a- 
busait pas,  il  se  servait  de  phrases  brèves.  C'était  l'opérateur 
discret  qui  vous  arrache  une  dent  d'une  poigne  solide,  au  mo- 
ment qu'il  faut,  sans  étaler  ses  instruments.  Il  ne  comptait 
plus  ses  triomphes. 

Bobo  était  le  dentiste  plein  de  faconde  qui  n'attache  visible- 
ment aucune  importance  à  ce  que  vous  ayez  une  dent  de  plus 
ou  de  moins.  A  ses  gestes  bon  enfant,  à  sa  parole  souriante 
et  douce,  les  poches  s'ouvraient  naturellement.  Ainsi,  tous 
les  deux,  ils  menaient  une  existence  facile  et  joyeuse,  exempts 
de  pessimisme,  supportant  sans  dégoût  les  échecs  passagers  et 
se  fiant  aux  combinaisons  innombrables  du  hasard.  Même, 
ils  avaient  eu  dans  leur  vie  de  brillantes  périodes  et  jusqu'à 
des  heures  de  luxe  :  les  mois  qui  précédèrent  le  krach  res- 
taient dans  leur  souvenir,  puis  l'époque  du  Rio-Tinto.  Ils 
espéraient  toujours  que  des  moments  pareils  reviendraient,  car 
leurs  destinées  suivaient  les  péripéties  de  la  fortune  publique  ; 
et,  après  les  grands  coups  de  Bourse,  on  les  voj^ait  arriver  chez 
leurs  relations,  comme  des  glaneurs. 

Mais,  depuis  quelque  temps  déjà.  Bobo  et  Serquy  traver- 
saient une  crise  assez  dure  :  les  affaires  n'allaient  pas,  et  ils 
étaient  les  victimes  d'une  accalmie  déplorable.  Ils  venaient 
de  passer  une  semaine  avec  de  vagues  pièces  de  monnaie,  pre- 
nant leurs  repas  dans  des  restaurants  indignes,  se  rencontrant 
parfois  à  la  table  de  quelque  gargote,  les  soirs  oîi  ils  ne 
dînaient  pas  en  ville,  et  échangeaient  alors  des  considérations 


PRÉSENCE   d'esprit  303 

sur  la  difficulté  de  la  vie  à  Paris  et  l'augmentation  de  toutes 
choses.  Ils  conservaient,  cependant,  une  tenue  parfaite  vis-à- 
vis  l'un  de  l'autre  et  affectaient  de  réaliser  des  économies,  en 
attendant  que  les  affaires  reprissent. 

Par  une  coïncidence  fâcheuse,  la  plupart  de  leurs  clients  or- 
dinaires jouaient  de  déveine.  Blaclie,  le  coulissier,  qui  **  avait 
les  dix  louis  faciles,"  prenait  au  club  la  forte  culotte;  Dick 
perdait  aux  courses  une  somme  énorme.  Des  accidents  ana- 
logues frappaient  leurs  meilleurs  camarades.  Jamais,  peut- 
être,  ils  ne  s'étaient  trouvés  dans  des  circonstances  aussi  défa- 
vorables. 

Enfin,  une  nuit,  Bobo,  en  traversant  la  salle  de  jeu  du  cer- 
cle, comme  il  avait  coutume  chaque  jour  pour  savoir  les  nou- 
velles, apprit,  par  le  bruit  des  conversations,  que  Boisgenet, 
un  très  gentil  garçon,  tout  jeune,  presque  un  débutant,  venait 
de  tailler  ime  de  ces  banques  auxquelles  l'argot  des  joueurs 
donne  le  nom  pittoresque  de  "  rasoir."  Après  cet  exploit, 
Boisgenet  avait  immédiatement  quitté  la  partie.  Bobo  se 
hâta  de  regagner  son  domicile  et  laissa  à  son  concierge,  sur  une 
de  ses  cartes,  l'ordre  de  le  réveiller  à  dix  heures  du  matin. 

A  dix  heures  et  demie,  il  pénétrait  dans  l'antichambre  de 
Boisgenet. 

— Monsieur  est  sorti,  dit  le  domestique. 

Bobo  murmura  un  "  ah  !"  de  désappointement. 

— Mais  il  rentrera  sûrement  avant  midi  :  il  a  des  amis  à  dé- 
jeuner. 

— Parfait,  dit  Bobo  ;  je  vais  l'attendre  au  fumoir. 

Et  il  se  mit  à  lire  un  journal  avec  tranquillité.  Mais  il  avait 
à  peine  parcouru  quelques  lignes  que  le  domestique  ouvrait  la 
porte  de  nouveau  et  introduisait  un  visiteur  très  correct,  ganté 
de  clair,  souliers  vernis,  le  sourire  aux  lèvres.  C'était  Serquy. 
Bobo  et  Serquy  se  serrèrent  la  main  en  fronçant  imperceptible- 
ment les  sourcils. 

— Vous  allez  bien  ? 

— Pas  mal,  et  vous? 

— Tiens  !  comment  se  fait-il  qu'on  ne  v^ous  ait  pas  v^u  au 
club,  hier  soir  ?  demanda  Bobo. 


304  *LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Serquy  reprit  :  , 

— Je  suis  arrivé  un  peu  tard  ;  on  m'a  dit  que  vous  veniez  de 
partir. 

—Ah  ! 

— Un  silence  embarrassé  suivit  ces  paroles  ;  Bobo  et  Serquy 
connaissaient  trop  bien  l'existence  pour  conserver  le  plus  léger 
doute  sur  le  but  de  leurs  visites  ;  d'un  autre  côté,  ils  étaient 
trop  corrects  pour  se  permettre  des  plaisanteries  déplacées. 
Très  résolus  à  n'abandonner  le  terrain  ni  l'un  ni  l'autre,  ils  se 
regardèrent,  froids  graves,  attentifs.  Et  ils  commencèrent  à 
causer  de  choses  indifférentes,  évitant  de  prononcer  le  nom  de 
Boisgenet,  comme  s'ils  n'étaient  pas  chez  lui.  Une  demi- 
heure  s'écoula  ainsi. 

Tout  à  coup,  la  physionomie  de  Bobo  se  détendit.  Il  appela 
le  domestique  : 

— Vous  êtes  bien  certain  que  Monsieur  rentrera  pour  dé- 
jeuner ? 

— Absolument  certain. 

^Bien. 

lyC  domestique  disparut.     Bobo  se  tourna  vers  Serquy. 

—Figurez- vous,  cher  ami...  Au  fait,  je  peux  vous  dire  cela, 
à  vous...  Vous  connaissez  Boisgenet,  n 'est- pas  ?  Quel  char- 
mant garçon  !  Et  obligeant...  Figurez-vous  donc  que,  le  mois 
dernier,  Boisgenet  m'a  prêté  cent  louis...  avec  une  cordialité  î 
Ah  !  les  gens  qui  vous  prêtent  cent  louis  quand  vous  êtes  gêné 
deviennent  rares,  allez  !  Et  je  vous  avoue  que  ce  matin,  en  re- 
cevant de  l'argent  de  chez  moi,  j'ai  eu  un  plaisir  énorme  à 
penser  :  '  '  Tiens  !  je  vais  pouvoir  rendre  ses  cent  louis  à  Bois- 
genet !  "  Ma  foi,  il  nous  fait  un  peu  poser,  mais  je  l'attends 
tout  de  même.  Je  n'aurais  qu'à  les  reperdre  ce  soir...  Quel 
charmant  garçon,  ce  Boisgenet,  hein? 

— Charmant  !  fit  l'autre. 

Et,  comme  il  était  un  peu  énerve  par  l'attente,  Serquy  per- 
dit une  minute  la  netteté  de  son  esprit.  Il  songea  naïvement  : 
"  Ça  se  trouve  très  bien  ;  je  repasserai  après  déjeuner."  Et, 
se  levant  : 

— Ma  foi,  moi,  je  venais  tout  simplement  lui  demander  un 
renseignement  sur  les  courses  de  demain.  Je  le  verrai  ce  soir, 
il  sera  toujours  temps.     Au  revoir,  cher  ami. 

Et  ce  fut  Bobo  qui,  cette  fois-là,  tapa  Boisgenet. 

Alfred  Capus. 


Revue  des  faits  et  des  oeuvres 


Le  voilà  l'parapluie. 

De  la  REVUE  FRANÇAISE  POLITIQUE  ET  LITTERAIRE,  publiée 
à  Paris    (17,  rue  C&ssette)  : 

Votre  parapluie  a-t-il  des  fenêtres?  Oui,  des  plaques  de 
mica  fixées  dans  l'étoffe,  entre  les  baleines,  et  permettant 
devoir  devant  vous  tout  en  vous  protégeant  lorsque  la  pluie 
fouette  à  rencontre  ?  Vous  avez  sûrement  expérimenté  les 
inconvénients  du  parapluie  sans  fenêtres  dans  le  cas  sus- 
indiqué.  Que  se  passe-t-il  d'ordinaire  ?  Vous  tenez  votre 
"robinson"  le  manche  parallèle  aux  "  lances  de  l'averse," 
vous  vous  coiffez  jusqu'aux  épaules  du  dôme  opaque,  ré- 
sonnant et  ruisselant,  vous  courbez  l'échiné,  vous  regardez 
le  bout  de  vos  caoutchoucs  flic-flaquants,  vous  marchez 
vite  pour  gagner  l'abri  le  plus  proche  et...  vous  heurtez  un 
bec  de  gaz  impassible  ou  un  passant  qui  vous  prodigue  des 
épithètes  désagréables  !  Avec  le  parapluie  vitré,  rien  de 
pareil;  la  pluie  bat  votre  petit  carreau  de  mica  sans  em- 
pêcher la  vue  ;  un  œil  à  ce  petit  carreau,  et  plus  de  collision 
fâcheuse.     Est-ce  pratique  ? 

Eh  bien,  à  Londres — où  un  prince  russe  l'avait  dernière- 
ment importé — le  parapluie  vitré  n'a  eu  qu'un  succès  rela- 
tif !  C'est  vraiment  déconcertant  !  Il  suffit  jadis  qu'une  in« 
vention  fût  utile  pour  que  l'Angleterre  la  consacrât.  Nos 
amis  d'outre-Manche  se  lasseraient-ils  de  cet  honneur.? 
Vont-ils,  en  raison  de  l'entente  cordiale,  prier  désormais 
messieurs  les  Français  de  tirer  les  premiers.?  Quoi  qu'il  en 
soit,  en  ce  qui  concerne  la  mise  en  vogue  du  parapluie  vitré 
ils  nous  ont  laissé  le  champ  libre. 

Au  fait,  eût  dit  Alphonse  Allais,  si  nous  avons  le  champ 
libre,  nous  n'avons  plus  besoin  du  parapluie  vitré  !... 


306  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Comment  on  les  traite. 

Je  retrouve  parmi  mes  notes  une  découpure  du  "Devoir," 
de  Montréal,  au  sujet  de  l'enseignement  du  français  à 
Arnprior.  Il  y  est  question  d'un  fait  que  je  tiens  à  signa- 
ler ici,  parce  qu'il  a  sa  place  dans  la  documentation  que  la 
Revue  h ranco  Américaine  a  entrepris  de  préparer  sur  les 
questions  nationales. 

Nos  compatriotes  de  Arnprior  voulaient  obtenir  l'ensei- 
ment  du  français  dans  leur  école.  Pour  être  plus  sûr  que 
cela  pouvait  se  faire  sans  contrevenir  à  la  loi,  le  curé  de 
l'endroit  s'est  informé  auprès  du  ministre  de  l'Education 
des  exigences  de  la  loi  sur  ce  point.  Vous  allez  voir  com- 
ment les  choses  ont  tourné. 

Voici  la  lettre  que  l'honorable  M.  Whitney,  premier  mi- 
nistre d'Ontario,  a  fait  écrire  à  M.  l'abbé  Chaîne,  curé  d' Arn- 
prior, la  semaine  dernière,  touchant  le  droit  d'enseigner  le 
français  à  l'école  séparée  de  la  localité. 

ONTARIO 

Department  of  Education, 

Toronto,  July  25th,  191 1. 
Rev.  and  Dear  Sir  : — 

I  am  directed  by  the  Prime  Minister,  Sir  James  Whitney, 
to  acknowledge  your  letter  of  the  2lst,  and  to  state  that  no 
change  has  been  made  in  the  School  Law  or  the  Départ- 
mental  Régulations  affecting  the  study  of  the  French  lan- 
guage  in  the  schools. 

I  am  directed  to  point  out  that  the  question  is  one  entire- 
ly  under  the  control  of  the  Board  of  Trustées. 

I  hâve  the  honor  to  be, 

Your  obedient  servant, 

A.  H.  COLQUHOUN, 
Deputy  Minister  of  Education. 


IIEVLE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  307 

Il  n'y  a  pas  eu  de  changement  dans  la  loi  ou  dans  les  rè- 
glements scolaires  quant  à  l'enseignement  du  français  à 
l'école,  et  toute  la  question  est  du  ressort  des  commissaires. 

Les  Canadiens-Français  d'Arnprior  avaient  demandé  du 
français  à  l'école,  c'est-à-dire  une  classe  bilingue  à  l'usage 
des  élèves  commençants.  La  Commission,  présidée  par  M. 
Tabbé  Jones,  vicaire  à  Arnprior,  déclara  que  si  elle  pouvait 
légalement  accorder  la  classe,  elle  le  ferait  avec  un  grand 
plaisir.  La  lettre  de  sous-ministre  de  l'instruction  publique 
arriva  à  temps  à  la  réunion  de"  la  Commission  et  fut  lue  en 
public.  Malgré  cela,  la  commission  ne  voulut  pas  de  classe 
française  et  déclara  que  cela  augmenterait  les  taxes,  ce 
qui  est  faux.  On  s'empressa  d'engager  une  institutrice  qui 
ne  sait  pas  un  mot  de  français,  malgré  la  lettre  pourtant 
formelle  du  bureau  de  l'instruction  publique. 

Cela  donne  une  bonne  idée  de  la  confiance  qu'on  peut 
accorder  à  certains  de  nos  coreligionnaires  en  Ontario. 

A  ceux  qui  avaient  encore  des  doutes  sur  ce  point,  l'hon. 
-Vl.  Fov  s'est  chargé  depuis  de  dessiller  les  yeux! 

Un  vengeur  inconnu. 

Un  pur  hasard  m'a  fait  consulter,  il  y  a  quelque  temps,  à 
la  bibliothèque  du  parlement  provincial  à  Québec,  la  "Vie 
du  cardinal  Pitra,"  par  l'abbé  Battandier.  C'est  un  ouvrage 
très  intéressant.  Mais  il  paraît  que  certaines  conclusions 
du  livre  de  l'abbé  Battandier  n'ont  pas  plu  à  tout  le  monde. 
Ainsi,  un  inconnu  qui  redoutait  sans  doute  l'influence  de 
l'historien  du  vaillant  cardinal,  a  soigneusement  collé  entre 
les  pages  704  et  705  du  volume,  la  note  suivante  copiée  au 
dactylographe  : 

"  L'abbé  Battandier,  auteur  de  la  vie  du  cardinal  Pitra, 
n'a  rien  négligé  dans  les  pages  qui  précèdent  pour  justifier 
le  cardinal  de  s'être  opposé  ouvertement  au  pape  Léon  XIII 
dans  la  direction  qu'il  donnait  à  l'Eglise.  L'abbé  Battan- 
dier qui  était  alors  le  secrétaire  du  cardinal,  fut  un  de  ceux 
qui  le  poussa  avec  le  plus  d'imprudence  à  commettre  l'acte 
de  révolte  qui  attira  sur  lui  l'orage  terrible  que  Ton  sait.  Ce 


308  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

coup  de  foudre  n'a  pas  ramené  l'abbé  à  de  meilleurs  senti- 
ments. Voici  en  effet  ce  qu'il  vient  d'écrire,  en  parlant  de 
l'élection  du  Pape  Pie  X,  dans  la  correspondance  romaine 
de  la ''Semaine  Religieuse"  de  Montréal  (No  du  31  août 
rÇOSX  Qu'il  signe  Dom  Alessandro.  Son  hostilité  à  l'é- 
gard de  Léon  XIII  perce  clairement  dans  la  prétendue 
orientation  nouvelle  que  le  Pape  Pie  X  imprimerait  à  l'E- 
glise. 

"  Voici,  dit-il,  le  sens  exact  de  la  phrase  par  laquelle  au 
conclave  le  cardinal  Sarto  itvdiqua  le  nom  qu'il  voulait 
prendre. — J'ai  remarqué,  dit-il  (je  cite  le  sens  et  non  les 
termes)  que  les  pontifes  du  nom  de  Pie  ont  été  de  saints  et 
grands  papes;  de  plus  ceux  qui  ont  porté  ce  nom  plus  près 
d«  nous  ont  été  les  constants  adversaires  de  ceux  qui  vou- 
draient-détruire  l'Eglise,  et  c'est  pour  cela  que  je  prendrai 
le  nom  de  Pie  X.  Par  cette  phrase  habile,  il  indiquait  un 
retour  à  la  politique  de  Pie  IX,  et  le  faisait  d'une  manière 
qui  ne  pouvait  point  blesser  ceux  qui  étaient  contraires  à 
ce  changement  d'orientation." 

"  La  conclusion  à  tirer  de  cette  supposition,  d'ailleurs 
toute  gratuite,  n'est  que  trop  évidente  :  c'est  que  la  direc- 
tion suivie  par  Léon  XIII  n'était  pas  la  bonne,  puisque  le 
nouveau  pape  doit  l'abandonner  pour  suivre  une  autre 
orientation.  Pie  X  serait  bien  à  plaindre  s'il  n'avait  à 
Rome  d'autre  conseiller  que  l'abbé  Battandier." 

Et  après  .?  Je  conseille  à  ce  collaborateur  anonyme  de 
préparer  de  nouveaux  feuillets  pour  le  reste  de  l'histoire  de 
l'Eglise  ! 

Doux  pays  ! 

Les  journaux  illustrés  n'ont  pas  fini  de  publier  des  re- 
productions des  scènes  de  splendeur  qui  ont  marqué  le  cou- 
ronnement des  souverains  anglais  à  Delhi.  Et  les  histoires 
de  fortune  fabuleuse,  de  diamants  géants,  de  carrosses  de 
pur  argent  et  d'or  fin,  abondent  toujours  dans  les  légendes 
inscrites  au  bas  des  gravures.  Témoin  le  compte  rendu 
suivant  au  sujet  du  maharadjah  de  Baroda,  celui-là  même 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  309 

qui  tourna  si  prestement  le  dos  au  roi  Georges  V  et  à  la 
reine  Marie  après  leur  avoir  rendu  hommage. 

"  Parmi  les  potentats  hindous  qui  firent  escorte  aux  sou- 
verains anglais  pendant  les  fêtes  du  couronnement,  à 
Delhi,  un  des  plus  riches,  sinon  le  plus  riche,  fut  le  maha- 
radjah de  Baroda,  Sajadschi  Rao  III. 

"  Il  y  a  quinze  ans,  les  revenus  de  Sajadschi  Rao  étaient 
déjà  estimés  à  plus  de  seize  millions  de  roupies. 

"  Les  palanquins  de  ses  cinquante  éléphants,  que  soi- 
gnent cinq  cents  domestiques  et  cornacs,  sont  en  or  et  en 
argent  et  littéralement  couverts  des  plus  belles  pierres  pré- 
cieuses ;  les  chabraques  et  les  harnachements  se  composent 
d'un  tissu  en  fil  d'or  des  plus  précieux. 

"  Dans  les  grandes  solennités,  le  maharadjah  de  Baroda 
porte  un  collier  qui  représente  une  valeur  de  plus  de  $1,200,- 
000;  l'une  des  pierres  de  ce  collier  est  un  diamant  de  125 
carats  qu'on  dit  avoir  appartenu  autrefois  à  Napoléon  1er. 

"  Les  autres  ornements  du  maharadjah  sont  évalués  à 
dix  millions. 

"  Parmi  les  objets  bizarres  qui  emplissent  le  palais  de 
Sajadschi  Rao,  figure  un  grand  canon  en  argent  massif, 
estimé  à  $400,000. 

"  Malgré  sa  fortune  fabuleuse,  le  maharadjah  de  Ba- 
roda ne  dépense  pas  plus  de  $600,000  par  an. 

"  Ajoutons,  en  terminant,  que  dans  l'Inde  anglaise  où 
vit  ce  potentat  si  riche,  des  centaines  de  mille — quand 
ce  n'est  pas  des  millions — de  pauvres  diables  sont  em- 
portés par  des  famines  périodiques." 

A  propos  de  cardinalat 

Il  paraît  que  si  ne  devient  pas  cardinal  qui  veut,  il 
s'est  présenté  des  cas — il  y  a  passablement  longtemps,  du 
reste, — où  le  Pape  a  forcé,  au  nom  de  la  sainte  obéissance, 
des  ecclésiastiques  savants  et  pieux  à  accepter  la  pourpre 
romaine.  La  ''Semaine  Religieuse"  de  Montréal  nous 
donne  là-dessus  des  renseignements  très  précieux.  Même, 
ces  renseignements  publiés  quelques  jours  seulement  après 


310  LA    REVUE    FRANCO-AMiRICAINE 

la  nomination  des  cardinaux  américains  (?)  O'Connell, 
Farley  et  Falconio,  avaient  une  saveur  tout  particulière- 
ment délicieuse.  Donc,  dit  la  "Semaine  Religieuse,"  il 
n'est  pas  nécessaire  de  donner  son  consentement  pour  être 
fait  cardinal.  En  cela  le  "cardinal  "  diffère  de  "  l'épisco- 
pat,"  que  l'on  peut  refuser  efficacement  d'accepter,  car  ce 
dernier  est  un  contrat  entre  l'Eglise  et  son  pasteur,  et  il 
faut  dans  ce  dernier  la  volonté  d'accepter  le  lien. 

Les  papes  ont  parfois  usé  des  censures  pour  forcer  des 
personnes  de  mérite  à  accepter^'la  distinction  du  cardinalat 
que  leur  modestie  ou  la  peur  de  la  responsabilité  à  encourir 
leur  faisait  refuser.     On  cite  les  exemples  suivants  : 

Saint  Pierre  Damien  n'accepta  que  sous  le  précepte  de 
l'obéissance  le  titr'e  de  cardinal  évêque  d'Ostie  que  lui  con- 
férait Etienne  X  (1057). 

Le  Bienheureux  Urbain  II  contraignit  par  les  censures 
Bernard  Hubert,  abbé  de  Vallombreuse,  à  accepter  le  car- 
dinalat. Martin  V  en  agit  de  même  avec  le  Bienheureux 
Nicolas  Albergati. 

Paul  III  dut  contraindre  Pierre  Caraffa  à  accepter  le  car- 
dinalat (1534).  Ce  cardinal  fut  depuis  pape  sous  le  nom  de 
Paul  IV,  et,  en  1539,  usa  même  des  censures  contre  Frédé- 
ric-Grégoire pour  lui  faire  agréer  cette  dignité. 

Paul  IV  dut  commander,  au  nom  de  l'obéissance,  à  Jean 
Croppero  d'accepter  sa  nomination,  et  Pie  IV  en  agit  de 
même  envers  Stanislas  Osio. 

On  trouva  un  cas  analogue  sous  saint  Pie  V  :  celui  du 
cardinal  Jérôme  Socher,  mais  celui-ci  avait  déjà  été  nommé 
cardinal  et  se  refusait  à  accepter  sa  nomination. 

On  a  trois  exemples  identiques  sous  Clément  VIII,  l'un 
pour  le  jésuite  François  Tolet  (1593),  l'autre  pour  Baronius 
(1596),  le  troisième  pour  le  Vénérable  Bellarmin  (l599)- 
Tous  furent  contraints  d'accepter   en  vertu  de  l'obéissance. 

Urbain  VIII  fit  de  même  à  l'égard  de  son  frère,  Antoine 
Barberini,  capucin  ;  de  Pierre  de  Bérulle,  qui  était  lié  par 
son  voeu  de  ne  point  accepter  de  dignités  ecclésiastiques, 
et  du  cardinal  de  Lugo,  jésuite. 

Alexandre  VIÎ  eut  à  contraindre,   en  vertu   de  la  sainte 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  311 

obéissance,  deux  jésuites,  Pallavicini  et  Nidardi,  à  devenir 
cardinaux. 

Le  cardinal  Orsini  fut  élevé  à  la  pourpre  contre  sa. vo- 
lonté par  Clément  X,  et  contraint  par  ordre  exprès  du  pape, 
d'accepter  cette  dignité. 

Flaminio  Taya  et  Tabbé  Rici  furent  créés  cardinaux  par 
Innocent  XI,  mais  comme  quarante-cinq  jours  après  le  con- 
sistoire, ils  ne  s'étaient  point  décidés  à  donner  leur  consen- 
tement, le  pape  les  fit  venir  devant  lui  et  leur  ordonna  d'a- 
jouter au  mérite  de  la  modestie  celui  de  l'obéissance. 

Avant  le  ** Grain  " 

L'Indépendant,"  de  Fall  River,  Mass.,  ne  voit  pas  sans 
une  certaine  crainte  les  fonctions  confiées  au  cardinal 
O'Connell,  de  Boston,  dans  certaines  congrégations  ro- 
maines. Voici,  du  reste,  ce  que  dit  le  journal  franco-amé- 
ricain : 

"  Un  câblogramme,  adressé  de  Rome  à  Boston,  annonce 
que  le  Pape  a  nommé  le  cardinal  O'Connell  membre  des 
congrégations  du  Concile  et  des  Etudes. 

"  Ces  congrégations  sont  d'une  très  grande  importance- 

"  En  effet,  celle  du  Concile  a  pour  mission  non  seulement 
d'interpréter  les  canons  de  l'Eglise  et  les  décrets  du  Concile 
de  Trente,  mais  encore  de  s'occuper,  dans  les  pays  érigés 
canoniquement,  comme  les  Etats-Unis,  par  exemple,  des 
problèmes,  souvent  délicats,  qui  concernent  la  régie  interne 
des  diocèses. 

"  Le  cardinal  O'Cop.nell,  d'après  le  câblogramme  dont  il 
est  question  plus  haut,  se  dit  particulièrement  heureux  de 
sa  nomination  à  la  congrégatioa  du  Concile,  et  nous  le 
croyons  sans  peine,  parce  qu'il  aura  plus  d'influencé  que 
jamais  dans  le  règlement  de  certaines  questions  qui  inté- 
ressent au  plus  haut  degré  les  divers  éléments  catholiques 
de  la  Répuplique  américaine. 

"  D'autre  part,  la  congrégation  des  Etudes  a  la  haute 
main  sur  les  institutions  ecclésiastiques  du  monde  entier. 

"  Et  le  cardinal  O'Connell  a  lieu  de  se  féliciter  égale- 


312  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

ment  d'en  faire  partie,  parce  qu'il  pourra  surveiller  de  près 
la  formation  des  prêtres  dans  la  Nouvelle-Angleterre,  où  il 
dépensera  la  plus  grande  partie  de  son  zèle,  de  ses  énergies 
et  de  son  activité. 

"  Le  temps  nous  fera  connaître  dans  leurs  moindres  dé- 
tails les  nouvelles  fonctions  du  cardinal  O'Connell. 

"  Mais  nous  avons  tenu  à  en  tracer  les  grandes  lignes,  afin 
de  laisser  entrevoir  à  nos  lecteurs  la  situation  religieuse 
que  peut  créer  aux  catholiques  américains  dont  l'anglais 
n'est  pas  la  langue  maternelle,  "-celui  qui  est  appelé  à  les 
exercer." 

Au  fond,  r  "Indépendant  "  a  bien  tort  de  s'inquiéter. 
Après  ce  qui  vient  d'arriver,  on  peut  s'attendre  à  ce  que  tout 
arrive  ! 

Les  Canadiens  dans  Ontario. 

D'ai)rès  une  étude  faite  par  le  "Toronto  Star,"  la  popu- 
lation française  de  l'Ontario  est  aujourd'hui  d'au  moins 
247,000,  groupée  dans  une  même  partie  de  la  province,  et 
y  ayant  la  majorité  dans  quatorze  comtés. 

L'augmentation  de  la  population  française  a  été  cons- 
tante depuis  le  dix-huitième  siècle,  mais  elle  s'est  surtout 
accentuée  depuis  cinquante  ans. 

En  185 1,  Prescott  et  Russell  avaient  une  population  de 
13,357)  dont"4,l25  français.  Dix  ans  plus  tard,  les  chiffres 
étaient  de  22,323  et  de  9,447,  soit  une  augmentation  de  67 
p.  c,  et  de  120  p.  c,  respectivement  en  1881,  vingt  ans  plus 
tard,  sur  une  population  de  47,939  âmes,  il  y  en  avait  24,223 
Français,  environ  la  moitié.  Vingt  ans  plus  tard,  au  der- 
nier recensement,  Prescott  et  Russell  avaient  une  popula- 
tion réunie  de  $62,201,  dont  36,712,  presque  60  p.  c,  françai- 
ses. Le  présent  recensement,  croit-on,  montrera  que  la  po- 
pulation française  de  ces  deux  comtés  atteindra  soixante- 
quinze  pour  cent. 

A  l'autre  bout  de  la  province,  le  comté  d'Essex  avait  en 
1851  une  population  de  16,817,  dont  5,424  Canadiens-fran- 
çais.    Au  dernier  recensement,  la   population  totale  était 


UEVUE  DES  FATTS  ET  DES  (EU  VUES  8  Ui 

de  33,418  dans  Essex-Nord  avec  une  population  française 
de  13,208,  tandis  qu'il  n'y  avait  que  3,177  Français  dans 
Essex-Sud  sur  une  population  de  25,326. 

Il  est  probable  que  le  recensement  de  1911  montrera  que 
la  population  de  la  frontière  nord  de  la  province  s'étendant 
jusqu'à  celle  du  Manitoba,  est  presque  exclusivement  fran- 
çaise. D'ailleurs  en  1901  sur  une  population  de  36,551  le 
district  de  Nipissing  comptait  15,384  français. 

Plaisanterie  intempestive. 

Remarques  inspirées  à  1'**  Action  Sociale/'  de  Québec, 
par  les  discours  du  désormais  fameux  Père  Vaughan  : 

"  Nous  aurions  mieux  aimé  et  avions  même  décidé  de  ne 
pas  parler  de  la  récente  manifestation  d'opinion  du  R.  P. 
Vaughan,  touchant  la  question  des  langues.  Puisque  la 
presse  s'en  occupe,  il  nous  faut  bien  en  dire  un  mot  pour 
nos  lecteurs.  Quelques-uns  de  ceux-ci  pensent  peut-être 
que  cette  manifestation  d'opinion  tire  à  conséquence,  et 
croient  qu'elle  vient  d'une  autorité  quelconque,  ou  au  moins 
d'un  homme  très  réservé  et  très  soucieux  de  ne  blesser,  que 
pour  des  raisons  très  sérieuses,  les  légitimes  susceptibilités 
de  ses  auditeurs  ou  de  ses  lecteurs.  La  vérité  est  qu'elle  ne 
tire  à  d'autre  conséquence  que  de  faire  voir  une  fois  de  plus 
que  le  R.  Père  aime  volontiers  exciter  l'étonnement  et  qu'il 
devient  de  plus  en  plus  coutumier  de  cette  originalité  qu'il 
affectionne. 

"  Voici  les  paroles  que  les  dépêches,  non  contredites, 
rapportent  comme  étant  de  cet  aimable  père,  et  dont  la 
première  partie  est  la  plus  vraie  :^ 

"  Nous  pourrions  vivre  avec  moins  de  politiciens  et  plus  d'hom- 
mes d'état.  On  mêle  de  tout  à  la  politique.  Bien  que  cela  ne  soit 
pas  de  mes  affaires,  une  chose  me  semble  claire  :  De  même  que 
nous  aimons  qu'il  ne  se  parle  qu'une  langue  dans  nos  rnaisons, 
ainsi  dans  cette  grande  maison  que  l'on  appelle  l'Empire  Britan- 
nique, chacun  ne  devrait  pas  considérer  seulement  comme  un  pri- 
vilège, mais  comme  un  devoir  de  parler  la  langue  de  l'empire. 


314  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

Sans  doute,  les  autres  langues  doivent  être  tolérées,  mais  la 
langue  dominante  doit  être,  hors  de  tout  doute,  la  langue  an- 
glaise.'^ 

"  Toute  la  force  de  ce  raisonnement  repose  sur  cette  base 
étonnante  que  l'empire  britannique  est  une  grande  maison. 
Or  dans  une  maison  on  parle  la  même  langue.  Donc...  On 
pourrait  continuer  très  longtemps  le  développement  de  ce 
raisonnement. 

*'  Dans  une  maison,  on  vit  à  la  même  température  :  donc 
aussi  dans  tout  l'empire.  Dans  une  maison,  on  mange  à  la 
même  table  :  donc  aussi  dans  tout  l'empire. 

"  Dans  une  maison,  on  porte  en  général  le  même  nom  : 
donc  aussi  dans  tout  l'empire.  Dans  une  maison,  on  est  de 
même  condition  sociale  :  donc  aussi  dans  tout  l'empire. 
Dans  une  même  maison,  on  se  lève  à  la  même  heure  :  donc 
aussi  dans  tout  l'empire.  Dans  une  même  maison,  il  n'y  a 
qu'une  salle  à  manger  et  qu'une  cuisine  :  donc  aussi  dans 
tout  l'empire.  Dans  une  même  maison,  il  n'y  a  qu'un  père 
et  qu'une  mère  :  donc  aussi  dans  tout  l'empire. 

"  Comme  on  le  voit,  ce  raisonnement  est  original  et  amu- 
sant. On  s'explique  qu'il  plaise  à  ce  bon  père  Vaughan, 
qui  ne  manque  pas  d'originalité  et  qui  aime  à  amuser  son 
monde. 

"  Malheureusement,  il  aurait  pu  réfléchir  que  la  plaisan- 
terie était  ici  de  mauvais  goût,  et  qu'un  prédicateur  de  son 
renom  devrait  avoir  autre  chose  à  faire  que  de  s'amuser  à 
raviver  des  difficultés  sur  lesquelles  notre  Saint-Père  le 
Pape  aime  à  voir  se  faire  la  paix. 

"  Il  n'a  pas  réfléchi  que  sa  plaisanterie  blessait  au  cœur 
une  portion  notable  des  meilleurs  sujets  britanniques,  qui 
existent  au  Canada,  de  ceux  qui  défendront  le  plus  long- 
temps les  droits  de  la  couronne  d'Angleterre  sur  la  terre 
d'Amérique. 

"  Si  le  bon  roi  Edouard,  qui  s'amusait  parfois  des  origi- 
nalités du  P.  Vaughan,  vivait  encore  et  que  le  bon  Père 
l'eût  consulté  sur  l'opportunité   de  sa  plaisanterie,  il  est 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  315 

probable  que  le  roi  lui  aurait  dit  :  "Oh  !  mon  père,  ne  faites 
pas  cette  gaffe." 

"  Le  bon  conseil  n'a  pu  être  donné.    La  gaffe  est  faite. 

"  Elle  excitera  le  fanatisme  de  ceux  qui  en  ont  déjà  trop. 
Elle  amusera  les  indifférents.  Elle  peinera  ceux  dont  la 
sensibilité  a  déjà  trop  souffert  des  inutiles  vexations  dont 
notre  langue  est  l'objet. 

"  Elle  fera  voir  à  tous  qu'il  est  singulièrement  facile  pour 
certains  hommes  d'esprit  de  paraître  parfois  tout  le  con- 
traire de  ce  qu'ils  sont.'' 

La  Louisiane — Aperçu  généra!. 

A  lire  cette  esquisse  publiée  par  A.  D'Avesne,  officier 
d'académie,  dans  le  "  Moniteur  Acadien"  : 

"  La  Louisiane,  dont  l'hospitalité  des  habitants  est  pro- 
verbiale, et  qui  tient  à  la  France  et  au  Canada  par  les  at- 
taches les  plus  saintes  de  l'histoire  et  de  la  religion,  avec 
son  climat  idéal  et  des  plus  salubres,  avec  ses  immenses 
étendues  de  terres  d'une  fertilité  incomparable,  peut  à  juste 
titre  revendiquer  le  nom  de  "  Eden  de  l'Amérique." 

"  Cet  état,  sous  la  pression  énergique  autant  que  désinté- 
ressée de  tous  ceux  qui  la  connaissent  ne  peuvent  qu'aimer 
dans  toute  la  force  du  terme  cette  véritable  terre  promise, 
passe  actuellement  par  une  heureuse  période  de  développe- 
ment qui  fera,  dans  un  temps  très  prochain,  du  vieux  "  Pé- 
lican State  "  le  pays  agricole  le  plus  riche  qui  soit  au 
monde. 

"  Le  mot  '*  développemejit  "  comporte  nombre  d'interpré- 
tations différentes;  ici,  il  a  toute  son  ampleur,  et  signifie 
non  seulement  l'amélioration  des  conditions  d'existence  des 
habitants  des  campagnes  de  la  Louisiane,  et  le  souci  d'un 
confort  inconnu  en  d'autres  pays,  mais  encore  l'application 
des  merveilleuses  inventions  de  la  science  moderne  à  la 
culture  des  produits  innombrables  qui...  (grâce  d'une  part 
à  une  fertilité  dépassant  en  intensité  celle  si  vantée  de  la 
vallée  du  Nil)...  peuvent  être  récoltés  dans  ces  terres  mer- 


316  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

veilleuses  qui  mériteront  bientôt  à  la  Louisiane  le  nom  si 
vrai  de  ''Jardin  de  l'Amérique." 

"  Le  véritable  développement  de  la  Louisiane  s'est  pres- 
que entièrement  manifesté  dans  ces  dernières  années  par 
suite  de  l'affluence  de  cultivateurs  étrangers,  qui,  appli- 
quant le  système  de  "  l'intense  culture  "  à  des  terrains  qui 
peuvent  produire  de  trois  à  quatre  récoltes  par  année,  ont 
obtenu  des  résultats  jusqu'alors  inconnus,  décuplant  ainsi 
leur  capital  initial  en  quelques  années, 

"  A  notre  époque,  où  grâce  aux  merveilleuses  inventions 
modernes,  les  nouvelles  se  transmettent  d'un  bout  du  monde 
à  l'autre,  et  sont  ensuite  communiquées  au  Public  par  la 
Presse,  qui,  de  jour  en  jour,  à  oas  de  géant,  guide  de  plus 
en  plus  l'opinion  publique  et  dirige  l'action  des  masses,  on 
peut  comprendre  qu'un  tel  mouvement  n'eût  pu  se  produire 
avec  tant  d'intensité,  si  cette  même  Presse...  (qui  toujours 
si  volontiers  prête  son  concours  autant  désintéressé  que  gé- 
néreux et  efficace,  à  toute  entreprise  où  le  bien  de  l'huma- 
nité est  en  jeu)  n'avait  apporté  son  précieux  appui  à  l'œuvre 
admirable  de  faire  connaître  au  monde  des  travailleurs, 
qu'il  y  avait  en  Amérique  un  pays  béni  de  Dieu,  où  ils  pour- 
raient sans  capital,  mais  avec  du  courage,  de  l'énergie  et 
quelques  connaissances,  même  élémentaires .  d'agriculture, 
se  créer,  pour  eux  et  pour  leur  famille  aimée,  un  avenir  de 
bonheur  et  de  prospérité  auquel  ils  n'eussent  pu  prétendre 
sous  d'autres  cienx. 

'*  En  Louisiane,  le  fermier  peut  cultiver  non  seulement 
la  canne  à  sucre  et  le  maïs,  mais  aussi  les  oranges,  les 
figues,  les  fraises  et  tous  autres  fruits  tant  ceux  du  Nord 
que  ceux  des  pays  semi-tropicaux,  et  encore  tous  les  légu- 
mes, tels  que  :  melons  d'eau,  laitue,  concombre,  radis,  as- 
4)erges,  pommes  de  terre,  choux,  etc.,  etc..  Les  pâturages 
y  sont  merveilleux  et  l'on  peut  obtenir  de  trois  à  quatre  ré- 
coltes de  foin  par  année. 

"  Les  bestiaux,  bœufs,  vaches,  moutons,  porcs,  etc.,  y 
sont  élevés  en  quantité  et  sans  presque  aucune  dépense 
pour  le  fermier,  grâce  au  climat  si  doux  de  la  Louisiane 
qui  permet  aux  bestiaux  de  vivre  en  plein  air  toute  l'année. 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  (El^VRES  317 

Les  volailles  de  toutes  espèces  offrent  aussi  une  magnifique 
source  de  revenus  pour  le  fermier. 

"  Les  terres  en  Louisiane,  peuvent  encore,  maintenant 
être  acquises  à  des  prix  des  plus  modérés,  deux  ou  trois  fois 
moins  élevés  que  ceux  demandés  dans  les  Etats  du  Nord 
ou  de  l'Est,  tout  en  produisant  pour  le  fermier  un  rapport 
annuel  trois  ou  quatre  fois  supérieur  à  celui  des  meilleures 
terres  du  Nord  ou  de  l'Est." 

Léon  Kemner. 

:o: 


''The  Malouf  Mines,  Limited." 


Le  Bureau  de  direction  de  "  The  Malouf  Mines  Limited" 
adresse  la  lettre  suivante  : 

AUX  ACTIONNAIRES, 

Le  bureau  de  direction  de  vôtre  compagnie,  réuni  en  assemblée  spéciale, 
a  l'honneur  de  faite  rapport  des  affaires  transigées  depuis  la  dernière  as- 
semblée générale,  et  en  même  temps  il  saisit  l'occasion  d'offrir  aux  acti- 
onnaires ses  remerciements  pour  leur  encouragement. 

L/'élection  des  officiers  actuels  eut  lieu  à  l'assemblée  générale  du  21 
juillet  191 1,  et  nous  pouvons  vous  assurer  que  cette  nouvelle  administra- 
tion fait  tout  en  son  pouvoir  pour  mener  l'entreprise  à  un  succès  éclatant. 

Uu  nouveau  contrat  a  été  signé  entre  un  nouvel  intermédiaire  pour  la 
vente  exclusive  de  300,000  actions,  dont  la  moitié  à  20  cents  et  la  balance 
à  25  cents,  et  nous  vous  affirmons  que  la  souscription  du  stock  se  fait  ra- 
pidement.. 

Et  depuis,  nous  avons  rentré  un  fonds  qui  nous  permettra  sous  peu  de 
faire  l'achat  de  nos  machineries  pour  l'installation  cette  hiver. 

l,es  actionnaires  qui  désirent  augmenter  le  nombre  de  leurs  actions, 
feront  bien  de  se  hâter,  car  nons  ne  pouvons  pas  vous  adresser  un  autre 
rapport  avant  l'assemblée  générale.  Nous  avons  l'intention  de  mettre 
uotre  stock  à  la  bourse,  et  ce  fait  devra  en  hausser  le  prix,  et  en  faciliter 
la  demande  incessante. 

CONDITIONS:  —  Toute  souscription  devra  nécessairement  être  ac- 
compagnée d'un  mandat  de  poste,  mandat  d'express  ou  d'un  chèque  ac- 
cepté, plutôt  que  par  lettre  enregistrée  à  l'ordre  de  "The  Malouf  Mines 
L/imited,"  et  adressée  au  trésorier. 


Les  deux  Filles  de  Maître  Bienaimé 


(SCENEIS       ISI  ORIVl  A.IM  DES) 

PAR 

Marie  Le  Mière 


(Suite) 

— Est-ce  que  je  pouvais  m'y  prendre  autrement,  moi  ? 
Est-ee  que  je  savais  qu'il  était-là  ?  Je  ne  l'ai  pas  seulement 
reconnu  d'abord  :  demandez  à  Zélie  ! 

— Je  ne  t'incrimine  pas,  reprit  le  fermier,  mais  c'est  bien  le 
moins  que  j'essaie  de  me  renseigner  sur  les  intentions  de  ceux 
qui  s'introduisent  chez  moi  et  qui  causent  avec  ma  fille  ! 

— Comme  si  je  les  connaissais,  moi,  ses  intentions  !  Est-ce 
qu'il  me  les  a  dites  !  Puisque  la  barrière  était  ouverte,  il  ne 
faisait  pas  grand  mal,  et  quand  il  aurait  écrasé  deux  ou  trois 
brins  d'herbe,  en  voilà  un  malheur  ! 

— Tâche  de  me  parlej:  sur  un  autre  ton,  et  de  ne  pas  dé- 
fendre un  individu  qni  s'est  conduit  comme  un  mal  élevé  !  ar- 
ticula rudement  Brissot,  avec  ce  formalisme  très  respectable 
que  professent  les  paysans  du  Cotentin, — n'en  déplaise  aux 
Messieurs  de  Paris. 

— Par  exemple  !  C'est  trop  fort!  s'écria  Léa,  bondissant 
d'indignation. 

— On  ne  rôde  pas  comme  ça  autour  de  la  maison  des  gens  ! 
appuya  Maître  Bienaimé  ;  ce  n'est  pas  des  "  manières"  !  Quand 
on  veut  entrer  chez  moi,  j'entends  qu'on  y  entre  par  la 
grande  poite. 

— Mais  puisque  c'était  pour  peindre  !  interrompit  Léa, 
crispée  des  pieds  à  la  tête,  puisque .  . 

— A  qui  fera-t-il  croire,    poursuivit   le   père    en  élevant  la 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  319 

voix,  qu'il  venait  là  seulement  pour  peindre  ma  servante  et 
lorgner  ma  ferme  ?  Non,  non,  ce  n'est  pas  à  moi  qu'il  faut 
conter  des  histoires  à  dormir  debout. 

— Oli  !  s'exclama-t-elle,  étendant  tragiquement  les  bras,  je 
ne  peux  plus  écouter  de  pareilles  injustices  î  Je  m'en  vais  ! 

Déjà  elle  avait  disparu  dans  la  spirale  étroite,  et  l'on  en- 
tendit claquer,  en  haut,  la  porte  de  la  chambre. 

Les  nerfs  du  fermier  tressaillaient  comme  s'ils  eussent  été 
à  nu  ;  sa  face  ardente,  creusée  et  pour  ainsi  dire  rongée  par 
tous  les  tourments,  eût  fait  mal  à  voir. 

Etaient-ce  là,  par  hasard,  des  manœuvres  d'Amélie  ?  Cette 
idée  le  vexait  si  cruellement  qu'il  se  sentait  hors  de  lui. 

Il  s'arrêta,  serrant  les  poings. 

— Surtout,  proféra-t-il,  que  celui-là  ne  s'avise  pas  de  reve- 
nir par  les  clos  ou  par  ailleurs..  Car  je  le  flanque  dehors, 
sans  plus  de  cérémonie  ! 

XI 

EMPRISE 

Hélas  !  il  était  si  clair  qu'elle  s'éprenait,  et  que,  déjà,  elle 
ne  se  possédait  plus  î  Pauvre  petite  tête,  grisée  par  la  pre- 
mière flatterie,  pourtant  si  vulgaire  !  obsédée  nuit  et  jour  par 
l'image  du  flatteur. 

Ce  n'était  plus,  chez  Léa,  l'humeur  simplement  inégale  et 
[nquiète,  laissant  place  à  des  éclairs  d'enjouement  gracieux,  à 
les  mouvements  de  sensibilité  charmante  :  c'était  un  détra 
(uement  universel  !  Les  qualités  natives,  les  influences  héré- 
litaires  s'annihilaient  dans  l'hypnotisme  produit  par  le  mi- 
rage de  la  ville,  par  le  prestige  du  luxe  et  des  frivolités,  sou 
knu  du  prestige  encore  plus  fascinant  d'un  attrait  romanes- 
|ue  !  Sur  le  terrain  si  bien  préparé  par  la  belle-mère,  le 
)eau-fils  s'établissait  en  maître  ;  à  cette  jeune  fille  très  igno- 
rante et  très  exaltée,  le  premier  élégant  à  la  langue  dorée, 
kux  bottines  vernies,  était  apparu  comme  l'Idéal  ! 


320  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICIANE 

Oh  !  combien  Louis  aurait  eu  peine  à  la  reconnaître,  la 
chère  petite  Léa  qu'il  rêvait  et  qu'il  aimait  ! 

Elle  et  son  père  se  heurtaient  continuellement,  les  scènes 
pénibles  se  multipliaient.  Et  là-bas>  à  Paris,  dans  les  bureaux 
des  chemins  de  fer  du  Nord,  Roger  Daubreuil  s'ennuyait  de 
moins  en  moins  et  travaillait  de  mal  en  pis,  car  une  vision 
rieuse  et  folâtre  lui  tenait  compagnie.  Entre  ses  yeux  et  les 
lettres  anglaises  qu'il  était  chargé  de  traduire,  une  silhouette 
fine  dansait,  une  robe  rose  flottait,  une  chevelure  d'or  s'ébou- 
riffait autour  d'un  visage  en  fleun 

Comme  elle  l'avait  admiré  tout  de  suite,  naïvement,  abso- 
lument !  Le  jour  où  il  le  voudrait,  il  se  ferait  passer  près 
d'elle  pour  un  héros  et  un  génie  !  La  délicate  et  fraîche  beauté 
de  Léa,  son  élégance  innée, — d'autant  plus  frappante  (ju'elle 
n'était  pas  un  produit  du  milieu, — l'entrain  sémillant  que  la 
jeune,  fille  avait  montré  lors  de  leur  rencontre,  l'amusement 
de  ce  demi-cousinage,  le  plaisir  de  jouer,  dans  une  vie  fémi- 
nine, le  rôle  du  Prince  Charmant  épousant  Cendrillon,  ou  du 
chevalier  délivrant  la  belle,  achevaient  d'expliquer,  chez  un 
être  aussi  superficiel  et  frivole,  l'entraînement  irréfléchi  qu'il 
éprouvait  à  cette  heure.  Et  la  fortune  assez  ronde  qu'il  sup- 
posait à  Léa  contribuait,  pour  une  part,  à  la  détermination 
du  jeune  homme;  cependant,  il  faut  l'avouer,  cette  préoccupa- 
tion passait  au  second  plan  :  le  beau- fils  d'Amélie  était  beau- 
coup plus  léger  que  vénal,  beaucoup  plus  capricieux  qu'insin- 
cère,  et  l'argent  lui  glissait  si  rapidement  entre  les  mains, 
qu'il  n'avait  pas  le  temps  d'y  attacher  son  cœur. 

Un  soir,  il  sortit  de  son  bureau  plus  précipitamment  que 
de  coutume,  et,  sans  prendre  le  loisir  de  chauflér  son  auto,  il 
héla  un  fiacre  pour  se  faire  conduire  chez  sa  belle-mère.  De- 
puis le  retour  à  Paris,  l'état  de  Mme  Lagarde  s'aggravait  de 
façon  assez  inquiétante  ;  en  ce  moment,  elle  se  reposait,  éten- 
due, dans  un  petit  salon  où  les  stores  peints  entretenaient  un 
demi-jour  doucement  coloré.  Enveloppée  d'une  robe  vague, 
une  brochure  à  la  main,  elle  lisait  la  pièce  nouvelle. 


LES  DEUX  FILI.es  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  .']21 

Le  mal  qui  rongeait  Amélie  et  lui  causait  parfois  d'intolé- 
rables souffrances  changeait  peu  à  peu  les  allures  compassées 
de  cette  femme,  embrumait  ses  yeux  gris  et  fouilleurs. 

— Guite  !  appela-t-elle  tout  à  coup. 

Une  forme  blanclie,  idéalement  flexible,  émergea  d'un  fouil- 
lis de  capillaires. 

— Que  désirez- vous,  maman  ?  interrogea  la  jeune  fille. 

— Veux-tu  arranger  mes  coussins  ? 

Marguerite  s'inclina  gracieusement  sur  le  canapé  broclié  ; 
ses,  cheveux  blond  pâle  entouraient  de  leurs  bandeaux  un  vi- 
sage un  peu  long,  au  teint  laiteux  ;  sans  être  jolie,  elle  avait 
un  charme  doux,  sérieux,  légèrement  mélancolique. 

— Oh  !  tu  n'es  pas  belle  aujourd'hui,  Marguerite,  fit  Amé- 
lie, promenant  un  regard  de  reproche  sur  la  simple  robe  de 
piqué,  sans  ruban  ni  dentelle. 

— Qu'importe,  maman  !  11  ne  va  venir  personne,  et  je  me 
plais  tant  ainsi  ! 

— Mais  moi,  repartit  Mme  Lagarde,  j'aime  à  te  voir  tou- 
jours très  bien  habillée,  ainsi  ([u'il  convient  à  une  jeune  fille 
riche  ! 

Kn  cet  instant  où  Amélie  cessait  dâ  se  contraindre,  comme 
on  sentait  en  elle  la  "  parvenue  ",  dans  l'acception  la  plus 
affligeante  du  terme  ! 

— Ne  me  répétez  pas  cela",  murmura  Mlle  Daubreuil,  avec 
un  mouvement  de  sensitive  qui  se  replie. 

— Pourquoi  donc  ?  exclama  la  mère. 

La  jeune  fille  ne  répondit  pas;  elle  rangeait  silencieuse- 
ment les  divers  objets  encombrant  l'étagère  mobile  placée 
près  du  canapé  :  ses  yeux  rencontrèrent  le  titre  de  la  brochure 
qui  reposait  maintenant  sur  la  tablette  supérieure,  et  un  flot 
rose  envahit  son  front  pur. 

Marguerite,  élevée  par  les  religieuses  de  Notre-Dame,  avait 
reçu  d'elles  d'autres  principes  et  d'autres  exemples  que  ceux 
de  sa  mère. 


322  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

Tandis  qu  elle  retournait  à  sa  broderie,  un  timbie  sonna 
par  trois  fois. 

— C'est  Roger,  soupira  Mme  Lagarde,  dont  les  sourcils 
noirs  se  foncèrent.  Je  reconnais  sa  façon .  .  Dieu,  quel  ennui  ! 
On  ne  peut  pas  avoir  une  minute  de  tranquillité. 

Tout  de  suite,  elle  quitta  sa  posture  abandomiée,  et  fixa  la 
porte  par  où  le  jeune  homme  ne  tarda  pas  à  entrer,  ganté  de 
frais,  arborant  un  nœud  de  cravate  inédit. 

— On  s'embrasse,  petite  sœur  ?  fit-il,  enlaçant  la  taille 
svelte  de  Marguerite  qui  venait  de  lui  ouvrir. 

— Tu  me  décoiffes,  grand  fou,  dit- elle  avec  un  sourire  in- 
dulgent. 

— Eh  bien  !  quelles  nouvelles  ?  s'enquit  Roger,  en  s'avan- 
çant  vers  sa  belle-mère. 

— Je  te  remercie,  répondit-elle  froidement  ;  je  n'ai  pas  souf- 
fert aujourd'hui.  J'ai  quelque  espoir  en  mon  nouveau  ré- 
gime. Assieds-toi,  je  t'en  prie,  ajouta  t-elle,  déjà  fatiguée  de 
le  voir  se  trémousser  à  travers  le  salon. 

— Ah  !  ceci  me  va  bien,  s'écria  le  jeune  homme,  s'installant 
commodément  dans  ua  fauteuil,  car  j'ai  l'intention  de  m'offrir 
un  entretien  sérieux .  .  Sujet  interdit  aux  demoiselles.  Aussi, 
ma  chère  soeur,  avec  tous  les  égards  qui  te  sont  dus .  . 

Marguerite,  ayant  jeté  un  coup  d'oeil  à  sa  mère,  plia  son 
ouvrage  et  sortit. 

— Vous  êtes  vous  occupée  de  moi  ?  demanda  carrément  le 
jeune  Daubreuil  dès  qu'elle  eut  disparu. 

Un  malaise  contracta  le  visage  d'Amélie. 

— Un  malaise  contracta  le  visage  d'Amélie.    . 
'    — Un  peu  de  patience  !   reprit-elle  :    laisse-moi   me  retour- 
ner.    Qui  m'assure,  d'abord,  que  ce  ne  soit  point  là  une  vel- 
léité, comme  il  t'en  a  déjà  passé  maintes  fois  dans  la  cervelle  ? 

— Ça  non  !  je  vous  le  jure  !  Je  suis  abs  Jument  pris,  ap- 
puya Daubreuil  ;  ça  ne  se  discute  pas,  c'est  un  fait. 

— Quand  je  l'admettrais,  poursuivit  Mme  Lagarde,  il  n'en 
resterait  pas  moins  vrai  que   la   situation   est  difficile  !  Mon 


LES  DEIjX  filles  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  â23 

frère  affecte  de  m'ignorer,  tu  le  sais  très  bien,  et  ta  démarche, 
au  moins  intempestive,  de  l'autre  jour,  a  pu  compliquer  terri- 
blement les  choses  ! 

Si  Amélie  hésitait  à  ce  point,  ce  n'était  nullement  par  scru- 
pule de  conscience  ou  de  coeur  !  Le  bonheur  de  Roger,  le  bon- 
heur de  Léa  lui  importaient  médiocrement,  on  peut  le  croire  ! 
Que  la  paix  d'un  foyer  fût  troublée,  qu'une  jeune  fille  se  ré- 
voltât contre  l'autorité  paternelle,  elle  n'en  avait  cure.  Elle 
désirait  seulement  .se  débarrasser  d'un  être  gênant  et  d'une 
inquiétude  suspendue  sur  sa  tête  comme  une  épée  de  Damo- 
clès.  Marier  Roger  :  certes,  elle  ne  demandait  que  cela  !  Au 
moins  failait-il  savoir  si  cette  petite  possédait  assez  de  for- 
tune pour  améliorer  la  situation  du  jeune  homme  ;  si  elle  se- 
rait capable,  une  fois  mariée,  de  le  retenir  dans  la  course  qui 
mène  à  l'abîme .  .  et  peut  forcer  les  proches  aux  plus  désa- 
gréables interventions  î 

— D'abord,  continua-t-elle,  songeuse,  je  ne  suis  pas  exacte- 
ment renseignée  sur  l'état  des  affaires  ;  il  paraît  que  la  mar- 
raine de  Léa  lui  a  laissé  des  pièces  de  terre  destinées  à  lui 
constituer  une  dot.  . 

— '  )ui,  oui,  oui  ;  allez  toujours,  belle  maman  !  On  le  dépla- 
cera, le  petit  capital,  on  lui  fera  rapporter  10  et  15  pour  cent. 
J'ai  des  amis  qui  me  donneront  des  "  tuyaux  "  numéro  un .  . 
Cioyez-vous,  d'abord,  que  le  bonheur  ne  fournit  pas  des  ins- 
pirations en  tout  genre  ? 

— Deviendrais-tu,  par  hasard,  un  homme  pratique  ?  fit 
Amélie  avec  scepticisme. 

— Je  serai  sage  comme  une  image  !  La  perle  des  maris  ! .  . 
Seulement,  pour  cela,  il  me  faut  votre  nièce .  .  Ma  foi  !  je  se- 
rais capable  de  l'épouser  pour  ses  beaux  yeux. 

Puis,  s'attendrissant  : 

— Ah!  la  délicieuse  petite  Parisienne  qu'elle  fera!..  Mi- 
gnonne et  raffinée  jusqu'au  bout  des  ongles.  Ah  !  je  la  resti- 
tuerai, moi,  à  son  élément  naturel  î  Non,  mais  a-t-on  idée  de 
cloîtrer  cette  malheureuse  enfant  dans  une  ferme,  de  l'obliger 


324  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

à  soigner  des  veaux  !  exclama  Roger,  bondissant  sur  son  fau- 
teuil avec  une  colère  subite.  Est-ce  assez  ridicule  !  est-ce 
assez  honteux  ! 

Jamais  Mme  Lagarde  ne  l'avait  vu  si  exalté. 

— Ne  t'emporte  pas,  ainsi,  conseilla-t-elle  ;  réfléchis  plutôt, 
mûris  tes  projets.  D'abord,  ne  l'oublie  pas,  je  ne  t'ai  rien 
promis. 

Vous  ne  m'avez  rien  promis  !  protesta-t-il,  le  rouge  au  vi- 
sage. Ah  !  ça,  par  exemple..^  J'ai  pourtant  besoin  d'espoir 
pour  me  faire  supporter  la  vie  que  je  mène.  Si  vous  croyez 
que  c'est  folâtre,  le  rond-de-cuir  pendant  six  heures  par  jour, 
et  mon  appartement  de  garçon  devant  l'hôpital  Lariboisière, 
dont  toutes  les  fenêtres  me  regardent  comme  autant  d'yeux 
sinistres  et  menaçants.  . 

— -Menaçants.  . 

— Eh  oui  !  répondit  le  jeune  homme,  faisant  miroiter  le 
chaton  de  sa  chevalière,  je  me  dis  :  "  C'est  peut-être  là  que  je 
mourrai  un  jour,  si  la  belle- maman  n'arrange  pas  mes  affai- 
res." 

— En  vérité  ! 

— J'ai  confiance  en  mes  talents,  poursuivit  Daubreuil,  s'ex- 
citant  à  ses  propres  paroles,  mais  le  courage  peut  manquer,  et 
le  ressort  se  détendre.  D'abord,  si  vous  me  refusez  votre 
nièce,  je  tire  ma  révérence  à  la  Compagnie  du  Nord,  dont  j'ai 
déjà  par- dessus  la  tête  ! 

— Te  refuser  ma  nièce.  .  Mais  est-ce  que  je  l'ai,  voyons  !  fit 
Amélie,  excédée. 

— Vous  l'aur.z  quand  vous  voudrez  !  Les  prétendants  ne 
doivent  pas  affluer  à  Clairville  :  ci  oyez- vous  que  M.  Brissot 
ne  sera  pas  enchanté  de  marier  sa  fille  dans  ces  conditions- là? 
Quant  à  son  consentement,  à  elle,  je  m'en  charge  !  déclara 
Daubreuil  avec  une  fatuité  souveraine. 

Quelle  alternative  !  D'un  pareil  coup  de  tête,  d'une  poussée 
d'imagination  aussi  violente,  pouvait-il  sortir  rien  de  rassu- 
rant ?   Par  contre,  si  ce  mariage  n'avaic  point  lieu,  l'irritation, 


J.ES  DEUX  FILLES  DE  MAITRE  BIENAIME  825 

le  dépit  ne  porteraient-ils  pas  Roger  aux  plus  déplorables  fo- 
lies ?  S'il  allait  jouer,  par  exemple.  .  ou  s'enrôler  avec  des  ca- 
botins, comme  il  l'en  avait  déjà  menacée.,  lui,  le  frère  de 
cette  Marguerite  dont  le  raffinement  et  la  distinction  étaient 
appréciés  dans  un  monde  supérieur  à  celui  de  sa  mère.  . 

Ah  !  les  conséquences  de  nos  actes  vont  plus  vite  que  nous, 
et  nous  entraîneiit  souvent  plus  loin  que  nous  le  voudrions. 
Mme  Lagardedut  congédier  son  beau-fils  sur  des  paroles  d'es- 
poir. Les  jours  suivants,  il  revint  à  la  charge  avec  de  telles 
instances,  qu'il  finit  par  lui  arracher  une  promesse  d'agir  !  Il 
y  avait  une  dot,  cela  était  certain,  et  le  chiffre  de  la  fortune 
n'était  plus  désormais  le  point  capital,  car  les  allures  de  Ro- 
ger ne  pouvaient  permettre  aucun  doute  :  Léa  représentait 
maintenant  la  seule  chance  de  salut.  Et  une  chance,  même 
très  hasardeuse,  est  toujours  préprérable  à  un  mal  assuré. 

— Tu  sais,  mon  ami,  conclut  la  belle-mère,  profitant  de  son 
avantage,  à  la  première  incartade,  j'abandonne  tout,  et  te 
laisse  seul  te  tirer  d'affaire  ! 

Daubreuil,  ravi,  promit  de  se  ranger,  se  confondit  en  té- 
moignage de  reconnaissance;  il  était  sincère,  d'ailleurs  :  son 
caprice  actuel  abolissait  momentanément  tous  les  autres.  A 
dater  de  ce  jour,  la  correspondance  clandestine  entre  la  tante 
et  la  nièce  devint  plus  assidue.  Mme  Lagarde,  pressée,  ta- 
lonnée, ne  négligeait  cependant  aucune  de  ces  précautions  qui» 
chez  elle,  étaient  instinctives  :  il  n'entrait  point  dans  ses  vues 
de  provoquer  un  éclat. 

— Essaie,  disait-elle,  de  convaincre  ton  père.  Prouve-lui, 
sagement,  raisonnablement,  que  rien  de  bon  ne  se  fait  par  la 
contrainte:  qu'en  exigeant  de  toi  une  besogne  incompatible 
avec  tous  tes  instincts,  il  compromet  ses  propres  intérêts  • 
Dis-lui  que,  ne  voulant  pas  épouser  un  homme  de  la  cam- 
pagne, il  importe  que  tu  te  prépares  à  un  autie  avenir. 

On  approchait  de  la  Toussaint  ;  Clairville  s'enveloppait  do 
brouillard  et  de  mélancolie,  la  nature  se  recueillait  pour  affion- 
ter  les  rigueurs  de  l'hiver.     L'habitude  de  veiller  en  commun 


326  LA    REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

a  presque  disparu  de  nos  fermes  normandes  ;  depuis  long- 
temps, à  la  Cioserie,  c'en  était  fini  des  longues  réunions  où 
les  maîtres  et  les  serviteurs  se  groupaient  autour  du  même 
foyer,  pour  entendre  les  histoires  de  "  goubelins  ",  que  les 
femmes  contaient  en  filant.  Mais,  le  souper  achevé  et  la 
maison  remise  en  ordre,  Mathilde  et  son  père  se  tenaient  vo- 
lontiers dans  la  cuisine  où  il  faisait  chaud,  et  d'où  la  surveil- 
lance était  toujours  facile.  Un  soir,  vers  sept  heures  et  de- 
mie, la  jeune  fille  cousait,  entre  l'alcôve  et  l'âtre,  près  d'une 
lampe  à  pétrole  posée  snr  une  petite  table  ronde.  L'abat- 
jour  de  carton  vert  projetait  un  cône  de  clarté  sur  la  brune 
travailleuse,  sur  l'aire  bien  balayée  où  deux  chats  erraient  à 
pas  de  velours,  tandis  que,  le  long  des  murs  et  au  plafond, 
l'ombre  s'amassaif,  semblait  reléguer  dans  des  lointains  inac- 
cessibles les  paquets  d'oignons  et  les  tranches  de  lard  suspen- 
dus aux  poutres,  les  chandeliers  d'étain  rangés  sur  la  chemi- 
née, et  laissait  à  peine  deux  ou  trois  reflets  de  cuivre,  tels  des 
étoiles  clignotantes,  apparaître  ça  et  là. 

Maître  Bienaimé,  de  l'autre  côté  de  la  lampe,  parcourait  nu 
journal  qu'Eugène  regardait  vaguement,  penché  sur  son 
épaule  ;  dans  un  coin,  la  petite  servante  cirait  des  chaussures, 
et  le  frottement  cadencé  de  la  brosse,  le  sifflement  du  vent 
accompagnaient  un  peu  de  bruit  montant  de  la  cour  et  des 
écuries,  où  des  valets  s'activaient  encore.  Personne  ne  parlait 
dans  la  grande  cuisine,  et  Mathilde  jetait,  de  temps  à  autre, 
un  coup  d'œil  triste  su)-  une  chaise  inoccupée,  sur  un  minus- 
cule panier  de  vannerie  laissant  traîner  un  bout  de  dentelle.  . 
Elle  était  partie  brusquement,  comme  cela  lui  arrivait  à  cha- 
que instant. 

Oh  !  pourquoi  changer  ainsi,  et  faire  tant  de  paine  à 
ceux  qu'on  pourrait  tant  réjour  !  Autrefois,  pendant  les 
soirs  d'autonnie,  elle  babillait  gentiment,  courait  par  la  mai- 
son, lutinait  les  chats  ;  elle  chantait,  de  sa  jolie  voix  fraîche 
et  gaie  comme  celle  des  merles,  de  petites  chansons  appri- 
ses au  couvent,  et  qui   amusaient  tout   le   monde  ;  les  donies- 


LES    DEUX    FILLES    DE    MAiXlîE    BlENALAlÉ  327 

tiques  s'arrêtaient  pour  l'écouter  ;  le  pauvre  Eugène  lui-même 
riait  avec  les  autres .  . 

Mais  Léa  s'étudiait  maintenant  à  s'isoler,  le  plus  complète- 
ment possible,  de  son  entourage,  à  marquer,  de  toutes  façons, 
les  divergences  qui  existaient  entre  elle  et  les  siens  ! .  .  Ma- 
thilde  croyait  la  voir  encore,  assise  à  cette  place,  tiavaillant 
à  demi-détournée,  l'air  à  la  fois  boudeur  et  dédaigneux  sous 
sa  coiffure  savante.  .  Elle  se  parfumait  très  fort,  mettait  un 
chapeau  et  des  gants  pour  traverser  le  village  ;  adieu  les  ju- 
pes courtes,  les  caracos  et  les  sabots  :  Léa  s'était  confectionné, 
pour  le  matin,  un  peignoir  élégant,  et  ne  portait  plus  que  ses 
tabliers  brodés. 

Mathilde  étoufia  un  soupir  qui  parvint  cependant  aux 
oreilles  de  son  père. 

— Où  est  ta  soeur  ?  interrogea-t-il. 

— Dans  sa  chambre,  je  pense,  répondit  la  jeune  fille  d'une 
voix  un  peu  lasse. 

— Va  la  chercher  ;  la  lumière  d'ici  peut  servir  à  tout  le 
monde  ;  il  n'est  pas  utile  de  brûler  du  pétrole  à  plaisir. 

Mais  Léa  n'était  pas  dans  sa  chambre,  et  Mathilde  l'appela 
en  vain  par  tous  les  coins  de  la  maison. 

— Ah  ça  !  Qu'est  ce  que  ça  \  (^ut  dire  !  exclama  le  fermier, 
jetant  sur  la  table  son  journal  et  ses  lunettes  ;  voilà  vingt  mi- 
nutes qu'elle  est  partie. 

Et  Maître  Bienaimé  se  rappela  que,  depuis  deux  ou  trois 
semaines,  les  disparitions  subites  de  Léa  se  renouvelaient 
bien  souvent.  Qu'étaient-ce  que  ces  mystères  ?  Qu'y  avait- 
il  au  fond  de  cette  révolte  ?  En  aurait-il  le  coeur  net,  à  la  tin  ! 
Il  se  précipita  au  dehors  ;  dans  la  cour,  des  ombres  se  mou- 
vaient, une  lanterne  s'agitait  vers  les  granges  ;  un  flot  de  lu- 
mière brouillée  se  déversait  par  le  portail  de  l'écurie,  et,  dans 
l'ouverture  cintrée,  trois  hommes,  qui  devisaient  en  gesticu- 
lant, se  turent  tout  à  coup  à  l'approche  du  maître. 

— Si  vous  n'avez  plus  rien  à  faire,  coucliez-vous  et  finissez 
en  !  ordonna-t-il. 


328  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

Puis  il  passa,  tai)dis  qu'on  ricanait  tout  bas  derrière  lui. 

— 11  a  la  poigne  diîre,  le  patron  !  déclarait  l'un  des  domes- 
tiques. 

— Et  moi  donc,  qu'est-ce  que  je  devrais  dire  !  répliqua  le 
grand  valet,  se  rengorgeant  d'un  air  de  suffisance  ;  il  m'a  fait 
travailler  aux  pommes  toute  la  journée  !  mais  s'il  y  revient 
je  lui  signifierai  carrément  que  je  ne  suis  pas  là  pour  ça  !  Je 
dois  rn'occuper  du  "harnais,"  moi,  pas  d'autre  chose  ;  (1)  seu- 
lement, voilà  :  il  ne  veut  pas  prendre  de  journaliers  autant 
qu'il  en  faudrait,  et  tout  nous  retombe  sur  le  dos  ! 

— Ce  n'est  pas  bien,  ce  que  vous  contez  là. 

A  ces  mots,  tous  trois  se  retournèrent,  stupéfaits  ;  la  petite 
servante  portant  un  broc  trop  lourd  pour  elle,  venait  de  sai- 
sir une  phrase  au  passage. 

— Tiens,  la  "  basse  !"  (2)  fit  un  gros  homme  bourru  ;  tâche 
de  ne  pas  nous  vendre,  ou  bien .  . 

— N'ayez  pas  de  crainte,  répondit  Maria,  levant  très  haut 
son  nez  retroussé,  je  ne  suis  pas  une  "moucharde,"  mais  je 
trouve  que  vous  n'avez  j)as  à  vous  plaindre  :  c'est  une  bonne 
maison,  où  on  a  toujours  à  manger  "  son  content."  Si  les  maî- 
tres demandent  de  l'ouvrage,  ils  en  font,  eux  les  tout  pre- 
miers. .  Ce  n'est  pas  quand  ils  ont  de  l'ennui  et  des  difficul- 
tés qu'il  faut  leur  crier  dessus  et  se  monter  contre  eux  ! 

— As-tu  vu  cette  gamine  ? 

Mais  Maria  s'éloignait,  contente  et  fière  de  son  interven- 
tion si  désintéressée  !  Car,  de  tous  ies  membres  du  person- 
nel, c'était  sans  contredit  cette  enfant,  placée  au  dernier  de- 
gré de  la  hiérarchie,  qui  peinait  le  plus  et  qui  gagnait  le 
moins. 

Pondant  ce  temps,  Jules,  le  plus  jeune  des  "triolets,"  avait 
an  été  le  fermier  près  de  la  barrière  en  lui  disant  : 

— Cherchez- vous  Mlle  Léa  ?  Je  l'ai  vue  traverser  la  cour 
voilà  un  bon  quart  d'heure,  et  filer  à  droite.  Elle  n'allait  pas 
loin,  probable,  car  elle  n'avait  pas  seulement  de  fichu. 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAITRE  BIENAIMÉ  329 

Léa  n'était  pas  loin,  en  effet  :  pourtant  elle  commençait  à 
rouver  effrayants  l'isolement  et  le  silence  du  petit  chemin 
creux  bordant  les  vergers  de  la  Closerie;  le  ciel,  très  bas, 
semblait  accrocher  ses  nuages  aux  pommieîs,  pareils  à  des 
dômes  lourds  ;  de  l'autre  côté  de  la  sente,  un  rang  de  bali- 
veaux aux  silhouettes  tourmentées  longeait  une  prairie  où  re- 
muaient de  grandes  formes  pâles,  où  tramaient  les  chaînes 
des  bestiaux  attachés  dans  les  regains. 

Au  bout  d'une  minute,  une  apparition  massive,  tournant  le 
coin  de  la  haie,  s'avança  dans  le  bruit  d'un  souffle  inégal. 

— Donnez  !  dit  précipitamment  Léa,  mais  une  autre  fois, 
tâchez  de  mieux  choisir  votre  heure  ! 

— Dame,  répliqua  la  mère  Nanette,  dont  les  petits  yeux, 
pareils  à  des  yeux  de  chat,  luisaient  faibleiïient  dans  l'obscu- 
rité, vous  vouliez  l'avoir  aujourd'hui  :  croyez-vous  que  c'était 
commode  avec  tout  le  "  remuement  "  qu'il  y  a  chez  vous,  rap- 
port aux  pommes  ? .  .  Merci  bien,  Marazelle  !  toujours  à  votre 
service. 

Déjà  Léa  se  sauvait,  regardant  à  droite  et  à  gauche,  s'ac- 
crochant  aux  ronces  traînantes  dont  elle  écrasait  les  fruits. 
Mais,  en  débouchant  sur  la  route,  elle  se  sentit  saisie  par  le 
poignet,  et  cria  d'effroi,  bondissant  en  arrière. 

— D'où  viens-tu  ?  fit  à  son  oreille  une  voix  sifflante. 

La  jeune  fille,  clouée  au  sol,  tant  par  la  stupeur  que  par 
cette  main  nerveuse,  ne  trouva  pas  un  mot  sur  ses  lèvres. 

— D'où  viens-tu  ?  répéta  Brissot,  l'entraînant  dans  le  ren- 
foncement d'une  barrière. 

— Oh  !  mon  Dieu  !  En  voilà.  .  en  voilà.  .  balbutia-t-elle. 
J'étais  à  deux  pas  dans  le  chemin .  . 

— Avec  qui  ?  interrogea  violemment  son  père. 

— Comme  si  je  ne  pouvais  pas  y  être  toute  seule  !  répli- 
qua-t-elle  avec  un  rire  qui  voulait  être  impertinent  et  qui 
sonnait  creux. 

Une  sueur  imprégnait  la  main  qui  serrait  toujours,  comme 
un  étau,  les  doigts  menus. 


330  LA   REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

— ïu  vas  parler  !  proféra  Brissot. 

—  Eh  bien  !  fit  Léa  s'efforçant  de  braver,  j'étais  avec  Na- 
nette  Lemaçon,  tout  bonnement,  puisque  vous  tenez  tant  à  le 
savoir.  i 

— Pouri|uoi  la  nuit  ?  Pourquoi  en  cachette  ?  On  ne  se  ca- 
che pas  quand  on  ne  fait  pas  de  mal.  Cette  femme- là  t'a  re- 
mis quelque  chose,  alors.  .  de  la  part  de  quelqu'un.  . 

Cette  scène,  dans  les  ténèbres,  au  milieu  des  arbres  où  des 
chouettes  hululaient,  était  impressionnante,  et  Léa  tremblait 
comme  un  brin  d'herbe. 

— Est-ce  une  lettre  ?  articula  le  fermier. 

—  Lâchez-moi  !  lâchez-moi  !  s'écria  t-elle. 

Mais  il  avait  aperçu  un  carré  blanc  qui  débordait  de  la 
poche  du  tablier  ;  Léa,  suprise  par  son  père,  avait  glissé  là  en 
toute  hâte,  le  message  mystérieux.  Vivement,  Brissc^  s'em- 
para de  l'enveloppe,  tandis  que  sa  fille  protestait  épeidue  : 

— Voulez-vous  bien!..  C'est  de  ma  tante,  je  vous  dis.. 
C'est  de  ma  tante! 

— Ah  !  ta  tante.  .  reprit-il  sourdement;  elle  n'a  pas  honte 
d'employer  ces  moyens-là  !  Et  toi,  tu  t'adresses  bien  pour  tes 
commissions,  petite  malheureuse  !  Tu  veux  donc  informer 
tout  le  monde  que  tu  reçois  des  lettres  "  en  arrière  "  de  nous  ? 
Qu'est-ce  qu'elle  peut  bien  croire,  la  femme  Lemaçon  ?  Et  les 
autres  ?  Tu  ne  sais  pas  ce  que  c'est  alors,  que  la  réputation 
d'une  fille  ? 

Mais  Léa  ne  manifestait  aucun  repentir,  tandis  que  Bris- 
sot,  crispé  par  l'indignation  et  la  colère,  reprenait  avec  elle  le 
chemin  de  la  maison.  Oh  !  en  la  voyant  adopter  certaines 
manières,  en  l'entendant  dire  certains  mots,  il  aurait  bien  du 
penser  qu'elle  ne  trouvait  pas  cela  toute  seule.  .  On  lui  souf- 
flait de  mauvaises  choses .  .  On  était  venu  chez  lui,  travailler 
contre  lui  ! 

Cela  surtout  était  intolérable .  .  Ainsi,  en  recevant  sa  soeur 
au  mois  de  mai,  il  avait  introduit  le  loup  dans  la  bergerie  ? 
Mais  pouvait-il  savoir  ! 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  331 

— Ecoute-moi,  scanda-t-il,  retenant  sa  fille  à  l'entrée  de  la 
ferme  :  je  te  défends  d'écrire  jamais  à  Mme  Lagarde,  et  tu 
m'obéiras  de  gré  ou  de  force.  Quant  à  moi,  je  lui  ferai  mon 
compliment  ! 

Hélas  !  il  avait  trop  peu  de  foi  pour  se  servir  de  l'argu- 
ment le  plus  efficace,  pour  rappeler  l'autorité  divine,  d'où,  ce- 
pendant, l'autorité  paternelle  tire  toute  sa  force  et  toute  sa 
dignité  !  Et  Léa,  frémissante,  furieuse,  s'enfuyait  vers  sa 
chambre  en  sifflant  : 

— C'est  bien  !  j'ai  mon  idée  ! 

XII 

l'homme   EN   BLOUSE 

La  charrue  est  au  bout  du  dernier  sillon  :  Louis  Chaumel, 
haletant  sous  le  tricot  marron  qui  moule  ses  bras  musculeux 
d'athlète,  se  redresse  à  la  tête  des  chevaux  qu'il  conduit,  et 
dilate,  au  vent  froid,  sa  large  poitrine. 

Le  champ  ressemble  à  une  mer  brune,  dont  les  flots  courts 
se  seraient  figés.  C'est  du  "  haut  fond,"  de  la  bonne  terre,  bien 
meuble,  où  le  soc  enfonce  mollement,  pleinement,  sans  crier, 
et  déjà,  comme  s'il  voyait  rouler  le  flot  d'or  de  la  récolte,  le 
jeune  laboureur  rend  grâce  a  Dieu. 

— Du  bel  ouvrage  !  exclame  le  valet  qui  tient  la  charrue, 
et  voilà  qui  vous  met  du  sang  dans  les  veines. 

C'est  que  l'effort  est  bon,  par  ce  temps  à  la  fois  glacial  et 
humide  ;  on  se  croirait  dans  une  presqu'île  ;  un  demi-cercle 
d'eau  borne  l'horizon  :  eau  morne,  terne,  reflétant  le  gris  des 
nuages  et  le  noir  des  bordure-*  boisées  ;  c'est  l'inondation  pé- 
riodique. "  Les  marais  sont  blancs,"  selon  l'expression  du 
pays. 

A  l'autre  extrémité  du  champ,  quelqu'un  s'avance  suivi 
d'un  chien,  le  long  d'un  sentier  pratiqué  contre  la  haie.  Louis, 
ayant  reconnu  son  voisin,  donne  l'ordre  de  ramener  la  char- 
rue et  s'approche  vivement  : 


332  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

— Comment  ça  va-t  il  chez  vous,  Maître  Bienaimé  ? 

— Pas  mieux  que  ça,  mon  garçon,  répond  Brissot  avec  une 
moue  soucieuse. 

Ils  vont  côte  à  côte  :  Louis,  découvert,  aspire  énergique- 
ment  la  bise,  tandis  que  son  compagnon  se  recroqueville,  fri- 
leux, sous  une  casquette  enfoncée  jusqu'aux  oreilles  ;  entre 
ces  deux  hommes  de  même  race,  le  contraste  impressionne  : 
par  la  faute  des  événements,  plus  que  par  celle  de  1  âge,  l'un 
monte,  et  l'autre,  hélas  !  descend .  . 

— Oui,  j'ai  entendu  dire,  reprend  le  jeune  homme  avec  in- 
quiétude, mais  ce  n'est  pas  plus  grave  que  la  première  fois, 
sans  doute  ? 

— Il  faut  espérer.  .  Une  petite  crise  de  faiblesse.  .  Peut- 
être  le  changement  de  saison.  . 

Louis  se  détourne  à  demi,  le  dos  à  la  haie.  Quelle  force  le 
décide  tout  à  coup  ?  Pourquoi  ici  plutôt  qu'ailleurs  ?  A  ce 
moment  plutôt  qu'à  un  autre  ?  Il  n'en  sait  rien,  mais  il  sent 
qu'il  ne  peut  plus  se  taire. 

— Maître  Bienaimé,  dit-il  d'une  voix  un  peu  voilée,  j'avais 
précisément  à  vous  parler  d'elle. 

— De  qui  ?  fit  le  fermier  en  un  sursaut.     De  Léa  ? 

— De  Léa,  répéta  Louis  plus  bas  encore. 

Et,  tout  simplement,  avec  une  émotion  qui  se  traduisait 
surtout  par  une  pâleur  légère,  il  regarda  Brissot  dans  les 
yeux  en  ajoutant  : 

— Est-ce  que  vous  voudriez  bien  me  la  donner  ? 

— Comment  ?  exclama  le  père,  n'osant  en  croire  ses  oreilles. 

Le  beau  regard  du  jeune  terrien  glissa  vers  l'horizon,  ses 
paupières  battirent  lorsqu'il  acheva. 

— Je  l'aime.  .  depuis  toujours.  .  Et  je  vous  promets  de  lui 
faire  une  vie  heureuse  ! 

Une  grande  envolée  de  corbeaux  passait  en  criant  ;  ni  Louis, 
ni  son  voisin  ne  les  entendirent.  Au  tumulte  des  impres- 
sions premières  avait  succédé,  chez  Brissot,  une  j^oie  telle- 
ment impétueuse,  qu'il  eut  la  sensation  d'en  être  .cassé. 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  333 

Mais,  en  témoignant  ouvertement  son  bonheur  'devant  une 
proposition  de  ce  genre,  il  eût  dérogé  à  tous  ses  principes  et 
à  toutes  ses  habitudes  ;  un  peu  solennel,  il  tendit  au  jeune 
homme  une  main  qu'il  ne  put,  cependant,  empêcher  de  trem- 
bler. 

— Votre  mère  consent  ?  interrogea-t-il. 

— Elle  consent... Vous  pensez  bien  que  j'ai  commencé  par 
m'adresser  à  elle.  '•' 

— Mon  cher  ami,  reprit  Maitre  Bienaimé  après  un  silence, 
moi,  je  ne  dis  pas  non,  vous  savez...  Nous  verrons  ça...  On  se 
connaît,  on  se  convient...  Il  est  un  fait  certain  ;  c'est  que  les 
gens  comme  vous  et  nous  sont  pour  aller  ensemble.  Dans 
quelques  jours,  vous  viendrez  me  trouver  à  la  maison,  et  on 
pourra  s'entendre  pour  les  affaires. 

— Comme  vous  voudrez,  répondit  Louis  avec  la  noblesse 
de  son  amour  très  pur;  mais  je  tiens  à  vous  dire,  dès  aujour- 
d'hui, que,  sur  ce  point-là,  il  n'y  aura  jamais  de  difficulté  en- 
tre nous! 

Et,  sur  une  nouvelle  poignée  de  main,  les  deux  hommes  se 
séparent. 

Maitre  Bienaimé,  d'abord,  poursuit  machinalement  sa  rou- 
te; mais  la. secousse  a  été  si  forte,  qu'il  est  bientôt  obligé  de 
s'asseoir  au  bout  d'une  ' 'banque",  les  pieds  allongés  dans  la 
terre  labourée  qui  s'attache  à  ses  sabots  . . . 

Il  promène  ses  yeux  vagues,  éblouis,  sur  les  choses  qu'il  ne 
reconnaît  plus.  Est-ce  qu'il  rêve  ?  A-t-il  senti  l'étreinte  de 
cette  main  généreuse  ?  A-t-il  vraiment  entendu  ces  paroles  : 
''Voulez-vous  me  la  donner?" 

Oui,  c'est  un  rêve...  Ainsi,  le  sort  lui  offrirait  une  telle  re- 
vanche? Lui,  si  cruellement  frappé  dans  sa  paternité,  il  pour- 
rait dire  "mon  fils"  au  premier  propriétaire  de  Clairville,  à 
un  garçon  si  beau,  si  vigoureux,  si  riche,  si  honoré  !  Il  ver- 
rait croître,  tout  près  de  lui,  sa  lignée  vaillante  et  prospère  ! 
Peu  à  peu,  des  perspectives  se  découvrent,  radieuses,  couniie 


834  LA   REVUE    FRANOO-AMÉRTCAINE 

en  un  paysage,  quand  la  brume  des  lointains  s'enlève  au  so- 
leil ! 

Les  coudes  sur  les  genoux,  la  tête  dans  les  mains,  Brissot 
murmure  : 

— Cela  sauverait  tout,  oui,  tout  ! 

Une  fois  lié  à  Louis  Chaumel  par  des  intérêts  communs, 
ah  !  il  aurait  bientôt  fait  reculer  la  mauvaise  fortune  et  do- 
miné de  haut  une  situation  qui,  tout  à  l'heure  encore,  lui 
semblait  si  menaçante  !  ^ 

— Voilà  qui  va  la  guérir  d'un  coup,  pensa  le  père  de  Léa, 
et  lui  faire  passer  toutes  ses  idées  ridicules.  Il  s'agit,  mainte- 
nant, de  prendre  Ja  vie  au  sérieux.  Elle  peut  se  vanter  d'a- 
voir de  la  chance,  celle-là...  plus  qu'elle  n'en  mérite,  ajouta-t- 
il  avec  un  retour  de  rancune. 

Soudain,  une  crainte  lui  vint...  une  crainte  si  atrocement 
douloureuse  qu'il  en  eut  le  frisson.  Il  se  leva,  cinglé  par 
une  rafale  stridente  qui  lui  enfonçait  des  vrilles  dans  les 
oreilles. 

— Bah'  bah  î  je  déraisonnne.  Ça  ne  se  peut  pas  !  ça  ne 
s'est  jamais  vu  !...  fit  Brissot  en  haussant  les  épaules. 

Mais  c'en  était  fini  du  transport  qui  l'avait  arraché,  mo- 
mentanément, à  toutes  ses  préoccupations,  il  chercha  dans  sa 
poche  un  papier  froissé:  la  lettre  enlevée  à  Léa,  la  nuit,  près 
de  la  barrière.  Tout  en  marchant,  il  parcourut  de  nouveau 
ces  lignes  tracées  à  la  hâte,  et  presque  insignifiantes  en  appa- 
rence :  le  nom  de  Roger  n'y  figurait  point,  et  Maître  Bienai- 
mé,  malgré  sa  finesse,  était  trop  paysan,  trop  peu  épistolier 
pour  savoir  lire  entre  les  phrases  alambiquées  de  sa  soeur. 
Il  lui  déplaisait  cependant  qu'Amélie  appelât  Léa  ''ma  pauvre 
petite",  et  lui  décrivît  en  termes  pompeux  les  magnificences 
de  la  capitale  en  hiver  ! 

Le  premier  mouvement  de  Brissot  avait  été  d'écrire  à  Mme 
Lagarde  pour  lui  demander  de  quel  droit  elle  se  mêlait  de  ce 
qui  ne  la  regardait  pas,  dans   quel  but   elle  usait    de  détours 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIEN  AIMÉ  335 

vilains...  Mais  si  le  fermier  de  la  Closerie  lisait  passablement 
et  comptait  parfaitement,  il  écrivait  fort  mal,  et  pour  la  ré- 
daction de  certaines  épîtres,  on  ne  saurait  emprunter  la  plu- 
me d'autrui. 

Pendant  que  Maître  Bienaimé  circule,  Romano  sur  les  ta- 
lons, Léa  se  blottit  encore  sous  ses  couvertures.  Elle  est  dé- 
faite et  pâle;  dans  son  visage  amenuisé,  ses  lèvres  paraissent 
fanées,  ses  yeux  fixes  ont  un  reflet  vitreux. 

Près  d'elle,  Mathilde,  désolée,  insiste  pour  lui  faire  accepter 
un  oeuf  à  la  coque. 

— Il  est  tout  frais;  je  viens  de  le  chercher  dans  le  nid  ex- 
près pour  toi. 

— Je  n'ai  pas  faim,  répond  Léa,  très  sombre. 

— Force-toi,  le  médecin  veut  que  tu  manges.  Un  œuf,  ça 
se  prend  bien  sans  faim,  voyons. 

Et  la  pauvre  Mathilde  ajoute,  de  son  ton,  le  plus  enga- 
geant : 

— Regarde  les  jolies  mouillettes  !  Je  les  ai  arrangées  comme 
tu  les  aimes,  avec  beaucoup  de  beurre...  Allons,  un  petit  effort. 

— Je  ne  peux  pas  ! 

Mathilde  découragée,  pose  l'assiette,  et  s'inclinant,  à  tou- 
cher de  ses  cheveux  noirs  les  cheveux  blonds  en  désordre  : 

— Qu'est-ce  que  tu  as  !  interroge-t-elle  avec  une  intonation 
singulière  ? 

— Tu  le  sais  !  réplique  Léa;  je  l'ai  dit  au  docteur.  C'est 
l'air  d'ici,  ce  vent,  cette  eau...  l'ennui  surtout...  Oh  !  cette  en- 
nui qui  me  tue... 

Et,  se  redressant  désespérément  sur  son  lit  : 

— Enfin,  puisqu'on  veut  que  je  meure  ! 

Elle  entrait  si  bien  dans  son  rôle,  que,  comme  les  tragé- 
diennes de  professioQ,  elle  arrivait  facilement  à  s'illusionner 
la  première...  Mathilde  avait  frémi  :  certains  iftots  ont  beau 
être  exagérés,  absurdes,  ils  font  toujours  du  mal. 

— Oh  !  Léa,  s'écria-t-elle  en  relevant  l'oreiller,  peux-tu 
dire  !  Nous  qui  t'aimons  tant. 


336  LA   REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

— Si  VOUS  m'aimiez,  vous  ne  me  demanderiez  pas  des  cho- 
ses impossibles,  vous  ne  m'imposeriez  pas  un  genre  de  vie 
que  je  hais  ! 

Sa  soeur,  déconcertée,  malheureuse,  la  regardait  avec  tris- 
tesse... Que  faire  î  Elle  avait  essayé  cent  fois  de  raisonner 
Léa,  de  lui  parler  du  bon  Dieu,  du  devoir,  de  la  mère  dispa- 
rue... Elle  n'avait  trouvé  sur  ses  lèvres  que  de  pauvres  phra- 
ses balbutiantes...  Ah  !  la  pitié  de  ne  pas  savoir  dire...  de  ne 
pas  pouvoir  ouvrir  son  coeur  !  IK  était  trop  lourd,  trop  dou- 
loureux devant  de  pareilles  misères.  Mais  pourquoi  Léa  ne 
devinait-elle  pas  ?  Pourquoi  semblait-elle  prendre  plaisir  à 
tourmenter  les  siens  ?  Une  idée  torturait  Mathilde  : 

— Cherche-t-elle  à  se  rendre  malade  ?  Est-ce  pour  cela 
qu'elle  refuse  de  manger? 

De  fait,  Léa  ne  prenait  que  ce  qui  lui  était  nécessaire 
pour  ne  pas  mourir  de  faim;  et,  l'afiaiblissement  survenant' 
les  nerfs  se  déséquilibraient,  la  fièvre  montait  tous  les  soirs, 
l'insomnie  agitait,  pendant  la  moitié  de  la  nuit,  cette  enfant 
imprudente  et  romanesque.  N'avait-elle  pas  vu,  .dans  l'un 
de  ses  feuilletons,  rhéroine  user  du  même  moyen  pour  en 
arriver  à  ses  fins  ! 

Vers  midi,  elle  se  levait,  et,  demeurant  étendue  près  de  sa 
fenêtre,  elle  s'enivrait  de  mélancolie  exaltée,  irritait  follement 
son  mal  dans  la  contemplation  du  paysage  d'hiver. 

Marie  Le  Mière. 

(A  suivre.) 

i^Les  articles  de  nos  vaillants  collaborateurs  MM. 
Michel  Renouf  et  V.  A.  Landry  nous  sont  parvenus  trop 
tard  pour  publication  dans  le  présent  numéro.  Ils  sont 
donc  remis  au  prochain  numéro  de  la  **  Revue." 


L'ILLUSTRATION 

Supplément  de  "La  Revue  Franco-Américaine" 


'vol.  VIII.  No  5. 


Montréal,  1er  MARS  1912 


M.  W.  Chapman 


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Des  Alpinistes  ?    Ne  devrait-on  pas  dire  plutôt  des 
Rochensistes  ",  puisqu'il  ne  s'agit  pas  ici  des  monts  al 
mais  des  Montagnes  Rocheuses,  sur  le  C.  P.  R. 


pins, 


Hôtel  sur  le  C.  P.  R.,  près  du  >Mont  Stepliens. 


Château  I^ake  Louise,  Ivaggan,  Colombie  Britannique, 
le  long  du  C.  P.  R.,  dans  les  Montagnes  Rocheuses. 


Débarcadère  près  du  magnifique  Hôtel  de  Banff, 
sur  le  C.  P.  R. 


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Basilique  de  Ste-Anne  de  Beaupré. 


L/Cs  Chutes  Niagara,  comme  on  les  voit  en  été. 


Avis  à  nos  abonnés 


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par  lettre — et  (jui  doivent  être  habitués  à  faire  ce  petit 
jeu  avec  tous  les  journaux — en  profitent  pour  ne  jamais 
payer.  Depuis  la  fondation  de  la  Revue  nous  avons, 
par  ce  procédé,  perdu 

A^u-delà  de   $2,000 

Nous  trouvons  que  c'est  trop  et  nous  avons  décidé  de 
prendre  le  seul  moyen  radical  :  l'abonnement  payable 
d'avance.  Que  nos  vrais  amis,  retardataires  ou  négli- 
gents, ne  se  formalisent  pas,  mais  qu'ils  songent  à  ce 
qu'ils  feraient  s'ils  étaient  à  notre  place. 

LA  REVUE  FRANCO-AMERICAINE 


A    Percé 


(I) 


A  M.  l'abbé  J.-Eug'ène  Martin 

Nous  sommes  sur  le  fier  plateau  du  mont  Sainte-Anne. 

Devant  nous,  vers  le  sud,  dans  la  mer  calme  et  plane 

—D'où  semble  s'élever  un  suave  sanglot — 

Ainsi  qu'un  colossal  et  muet  cachalot 

Emergeant  des  flots  bleus,  l'île  Bonaventure 

Profile  vaguement  son  contour  qui  s'azure 

A  travers  les  réseaux  d'un  brouillard  opalin 

Teinté  des  feux  pâlis  du  jour  à  son  déclin. 

Alentour,  par  milliers,  margots,  mauves,  marmettes, 

Grèbes,  macreuses,  gods,  cormorans  et  mouettes 

Tourbillonnent,  pendant  que,  plus  bas,  vers  le  nord, 

Sur  des  bateaux  mouillés  dans  l'onde  qui  s'endort 

En  caressant  leurs  flancs  de  ses  baisers  d'écume, 

Maints  pêcheurs  vont  tirant,  penchés  sur  l'eau  qui  fume. 

Le  poisson  que  le  Golfe  agglomère  en  son  lit. 

En  deçà,  près  du  bord,  voisin  du  mont  Joli, 

Comme  un  vaisseau  géant  qui  serait  de  calcaire 

Et  tournerait  son  large  éperon  vers  la  tferre. 

Entouré  de  brisants,  le  fameux  Roc  percé 

Dresse  orgueilleusement  son  sommet  élancé. 

Et,  sous  le  vol  bruyant  de  lourds  oiseaux  sans  nombre. 

Mire  au  cristal  des  eaux  l'arche  géante  et  sombre 

Ouverte  dans  son  flanc  poreux  et  lézardé 

Par  les  constants  assauts  du  grand  flot  débordé. 

A  droite,  en  contre-bas  de  collines  coquettes. 

Se  dessinent  les  toits  de  blanches  maisonnettes, 

Les  replis  de  chemins  bordés  d'arbres  ombreux, 

Des  prés  où  des  troupeaux  de  moutons  et  de  bœufs 

Broutent,  comme  noyés  dans  l'herbe  épaisse  et  haute. 


338  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICIANE 

A  gauche,  dominant  tous  les  caps  de  la  côte, 

Les  Murailles,  rochers  abrupts  et  sourcilleux. 

Semblent  dans  le  lointain  les  pilastres  des  cieux, 

Et  leur  hauteur  farouche  et  formidable  écrase 

Les  marins  dont  la  barque  approche  de  la  base 

De  ce  clîffoù  déjà  s'éteint  l'ombre  du  soir. 

En  arrière,  tout  près,  creusée  en  entonnoir, 

La  Grand'Coupe  à  la  fois  épouvante  et  fascine 

Le  voyageur  suivant,  à  travers  la  bruine 

Qui  s'élève  du  gave  à  mille  pieds  sous  lui, 

La  route  étroite  et  sombre,  où  nul  rayon  ne  luit. 

Qu'on  dirait  cramponnée  au  tuf  de  la  falaise 

Sous  le  couvert  du  pin,  du  cèdre  et  du  mélèze. 

Presque  à  nos  pieds,  dans  l'Anse  au  contour  sinueux. 

Le  long  village,  avec  ses  clochers  somptueux. 

Ses  toits  souvent  fouettés  par  la  bise  bourrue, 

Ses  files  de  vignots  où  sèche  la  morue, 

Resplendit  des  derniers  reflets  du  soleil  d'or 

Tombé  dans  les  grands  bois  lointains  du  Labrador, 

Et  fait  de  vingt  maisons  bruyamment  animées 

Monter  vers  le  ciel  bleu  de  paisible^  fumées 

Annonçant  que  bientôt  les  vieilles  en  bonnets, 

Devant  les  lourds  sarments  en  feu  sur  les  chenets. 

Pour  les  pêcheurs  qu'un  vent  léger  ramène  aux  grèves. 

Sur  la  table  de  lin  mettront  la  soupe  aux  fèves. 

Et,  par- dessus  les  flots,  par-dessus  les  forêts. 

Les  abîmes,  les  monts,  les  rocs  et  les  guérets. 

Le  zénith  ouvre  ainsi  qu'une  bannière  immense 

L'azur  éblouissant  d'un  ciel  de  la  Provence. 

Non,  nul  panorama  plus  vaste  et  saisissant 

N'a  fixé  le  regard  étonné  du  passant. 

Non,  jamais  l'infini  de  la  mer  claire  et  pure 


A   1>£KCÉ  339 

N'a  mieux  séduit  l'amant  de  la  grande  nature  ; 
Et  le  divin  pinceau  de  Salvator  Rosa, 
Que  le  feu  créateur  du  génie  embrasa, 
Nous  ferait  contempler  à  peine  un  reflet  terne 
De  ce  site  qui  tient  du  Pinde  et  de  rAverne. . . 
Et  Percé  dès  longtemps  a  conquis  un  renom 
Stable  comme  son  île,  altier  comme  son  .mont. 

Cependant  la  pénombre  envahit  la  prairie, 

La  montagne,  la  mer,  le  bois. . .  La  rêverie 

Avec  elle  descend  de  l'infini  des  cieux  ; 

L'astre  des  souvenirs,  moroses  ou  joyeux, 

Eclaire  notre  esprit,  et  devant  nos  prunelles 

Défilent  sur  les  eaux  galions,  caravelles. . . 

Et  nous  voyons  Cartier  et  ses  vaillants  Bretons 

Pénétrer  dans  le  Golfe,  au  hasard,  à  tâtons, 

Et  contempler  le  Roc — désormais  si  célèbre — 

Que  lentement  la  nuit  estivale  enténèbre  ; 

Nous  les  voyons  plonger  fiévreusement  les  yeux 

Dans  la  sombre  épaisseur  de  bois  mystérieux 

Balançant  leurs  arceaux  aux  brises  printanières 

Et  chercher  dans  ces  lieux  mornes  et  solitaires 

Une  cime  où  planter  pour  la  première  fois 

Le  drapeau  de  la  France  et  l'arbre  de  la  Croix. 

Sous  nos  yeux,  près  d'ici,  débarqué  du  navire 

Qui  l'amena  de  France  à  Percé  qu'il  admire, 

Laval,  le  grand  Laval,  au  pied  d'un  humble  autel. 

Elève  l'Ostensoir  vers  la  voûte  du  ciel. 

Puis,  sur  le  front  courbé  de  blancs  et  de  sauvages, 

Etend  la  main  qui  doit  chasser  tous  les  servages, 

Et  faire  luire,  au  bord  du  fleuve  illimité. 

Le  labarum  du  Christ  et  de  la  Liberté  ! 

Sous  nos  yeux,  loin,  là-bas,  les  flots  tordent  leur  crête,  - 


340  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Et,  dans  toute  l'horreur  sans  nom  d'une  tempête 
Qui  semble  soulever  les  ondes  jusqu'aux  cieux, 
La  flotte  de  Walker  s'engouffre  à  l'Ile — aux  Oeufs, 
Naufrage  qui  sauva  le  pays  en  détresse. 
A  travers  le  babil  du  vent  qui  nous  caresse 
Nous  entendons  gémir  les  malheureux  colons 
Oubliés  sur  le  sol  inclément  des  Sablons; 
Nous  entendons  pleurer  les  fils  de  l'Acadie, 
Victimes  de  la  guerre  et  de  la  perffdie, 
Entassés  dans  la  cale  infecte  de  trois-mâts 
Pour  être  dispersés  sous  de  lointains  climats 
Qui  les  verront  traqués  compe  bêtes  de  proie  ; 
Nous  entendons  aussi  vibrer  les  cris  de  joie 
D'un  peuple  revenu  d'un  exil  douloureux 
Au  terroir  fécondé  par  le  sang  de  ses  preux 
Et  loué  par  la  grande  et  sainte  Poésie  . . . 

Et  notre  oeil  tout  rêveur  de  nouveau  s'extasie 

Devant  les  mille  aspects  frappants  ou  gracieux 

Que  déroulent  la  mer,  les  champs,  les  monts,  les  creux. . . 

Soudain,  couvrant  les  bruits  indécis  de  la  plage, 
Les  sons  de  l'Angélus  s'élèvent  du  village. 

Répétés  par  l'écho  de  ravin  en  ravin 

Et,  dans  la  grande  voix  sonore  de  l'airain. 
Le  flot  d'argent,  le  pin  touffu,  la  fleur  suave, 
La  falaise,  l'écueil,  le  goémon,  l'épave. 
Le  gouffre  obscur,  la  cime  au  radieux  éclat, 
Tout,  tout  murmure  et  chante  :  Ave,  Maris  Stella  ! 

W.  Chapman. 

(l)  Cette  pièce  de  vers  fait  partie  d'une  série  de  poè- 
mes soumis  par  notre  callaborateur  au  concours  de  l'Aca- 
démie des  jeux  Floraux  et  qui  lui  ont  value  le  prix  Leconte 
de  Lisle. 


H 


iver 


Les  grands  arbres,  le  long  des  prés 

Et  dans  les  taillis,  sont  poudrés 

En  marquis,  jusqu'au  bout  des  branches  ; 

Et,  sous  le  soleil  froid  et  clair, 

Dans  les  champs,  les  pommiers  ont  l'air 

De  bons  bourgeois  à  têtes  blanches. 

Pinsons  joyeux,  merles  siffleurs, 
Chantez  !  Les  pommiers  sont  en  fleurs  ! 
Quoi  !  vous  vous  taisez,  vieux  et  jeunes  ? 
— Les  oiseaux  ne  s'y  trompent  pas, 
L'hiver  cache  sous  ses  frimas 
Le  froid  silence  et  les  longs  jeûnes. 

Sur  le  bord  des  ruisseaux  gelés. 
Les  martins-pêcheurs  désolés 
Grelottent  à  jeun  sous  leurs  plumes, 
Les  canards,  auprès  des  étangs. 
Ouvrant  le  bec  de  temps  en  temps, 
Barbotent  en  vain  dans  les  brumes. 

La  voix  rauque,  le  jabot  creux. 
Les  gloutons  se  plaignent  entre  eux, 
Et,  pour  tromper  la  faim  cruelle, 
Se  passent  le  bec  sur  le  dos. 
Puis  ils  attendent  en  repos 
Le  dégel,  la  tête  sous  l'aile. 

Le  houx,  couvert  de  fruits  rougis, 
Sert  de  refuge  et  de  logis 
A  la  grive  brune  qui  rôde  ; 
Le  pivert  semble  s'ébahir 
En  sentant  le  froid  l'envahir 
Sous  sa  tunique  d'émeraude. 


342  LA    REVUE    FRAXCO-AMÉRICAINE 

Tous  les  habitants  des  halliers 
Cherchent  des  toits  hospitaliers  : 
Les  corbeaux  ne  sont  plus  farouches, 
Et  les  pauvres  petits  rebecs 
Piquent  la  vitre  à  coups  de  becs 
En  croyant  attraper  des  mouches. 

Sous  le  firmament  nébuleux 

Le  merle  prend  des  airs  frileux  : 

Il  tremble,  ce  mangeur  4.e  pommes  ! 

Les  cigales  et  les  grillons 

Vont  sans  doute,  sous  les  sillons, 

Trouver  les  fourmis  économes. 

Sans  mie,  sans  eau,  sans  feu  ni  lieu. 
Les  créatures  du  bon  Dieu 
Semblent  chercher  qui  les  assiste  ; 
Le  vent  gémit  dans  les  roseaux, 
La  mort  menace  les  oiseaux. 
— Comme  parfois  l'hiver  est  triste  ! . . . 

Paul  Harel. 


-:o: 


Les  questions  économiques  et  la  politique 
nationale 


T 

Le  résultat  global  du  dernier  recensement,  mettant  à 
jour  un  déficit  d'un  million  d'âmes  sur  les  anticipations 
officielles,  fut  une  première  révélation  d'un  état  de  choses 
incontestablement  surfait  au  bénéfice  des  politiciens. 
Grande  fut  donc  la  déception  de  ces  optimistes  intéressés, 
tandis  que,  d'autre  part,  les  hommes  au  courant  des  mouve- 
ments de  la  population  canadienne  n'en  éprouvaient  au- 
cune surprise.  En  dépit  d'un  système  de  dénégation  par- 
faiternent  organisé,  ils  connaissaient  trop  bien  l'existence 
d'une  ''émigration  considérable"  et  toujours  persistante 
vers  les  Etats-Unis,  et  d'un  courant  de  retour  non  moins 
"  important  d'immigrants  d'Europe,"  qui  ne  font  que  "  pas- 
ser," ou  ne  séjournent  que  temporairement  sur  nos  rives. 
Plus  de  la  moitié  du  déficit  provient  de  ces  deux  chefs,  la 
balance  devant  être  attribuée  à  l'inscription  plusieurs  fois 
répétée  comme  "  immigrants  "  de  touristes  en  promenade 
au  pays  d'origine,  aux  fraudes  de  la  "  North  Atlantic  Trad- 
ing Co,"  et  aux  exagérations  calculées  des  "  boomers  "  poli- 
tiques. 

Mais  beaucoup  plus  grave  et  plus  déplorable  est  la  cons- 
tatation fourni^  par  le  mêine  recensement  d'une  "  décrois- 
sance notable  du  chiffre  de  la  population  agricole,  dans 
toute  la  partie  est  de  la  Confédération,"  parallèlement  à 
une  *' élévation  équivalente  "  du  prix  des  choses  nécessaires 
à  la  vie. 

J'irai  plus  loin  :  j'affirme  que  le  recensement  de  IQII  dé- 
montre un  réel  déficit  dans  le  nombre  des  cultivateufs 
considéré  d'une  manière  absolue.  La  presse  libérale  nie 
le  fait,  du  moins  dans  son  étendue,  et  se  raccroche  à  un 
prétendusurplus  de  la  classe  rurale  actuelle  sur  les  chiffres 


344  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

de  1901.  Or,  ce  surplus,  fort  minime  d'ailleurs,  disparaît 
entièrement  si  l'on  en  déduit — l'accroissement  de  la  popu- 
lation des  "villages"  de  campagne,  qui  est  proportionnel 
à  celui  des  villes  de  2,000  âmes  et  plus,  population  que  l'on 
attribue  à  tort  à  la  classe  des  "cultivateurs  pratiquants." 
Retranchons  en  effet  les  hommes  de  profession,  et  de  mé- 
tier, les  instituteurs  et  les  rentiers,  et  tous  les  citoyens  de 
ces  villages  qui  ne  sont  pas  des  "  producteurs  agricoles  " 
proprement  dits,  mais  des  "consommateurs,"  et  nous  au- 
rons là  la  preuve  d'un  déficit  bien  authentique. 

L'enquête  à  faire  ne  devrait  pas  nécessairement  s'étendre 
à  toutes  les  provinces  de  l'Est  limité  au  Québec,  dont  la 
population,  d'ailleurs,  sert  de  base  à  la  représentation  des 
autres  provinces  ;  le  relevé  que  je  suggère  fournirait  une  sta- 
tistique suffisant  à  établir  ma  prétention  "  que  les  chiffres 
actuels  de  la  population  rurale  sont  au-dessous  de  ce  qu'ils 
étaient  en  1901." 

Quoi  qu'il  arrive,  l'abandon  des  campagnes,  le  déclin 
marqué  de  la  production  agricole  dans  un  pays  jeune 
comme  le  nôtre  est  certainement  un  point  noir  qui  dépare 
notre  horizon  économique.  L'équilibre  social  se  déplace  et 
menace  de  se  rompre  en  causant  des  pertubations  domma- 
geables. Déjà  l'accroissement  anormal  du  nombre  des 
"  consommateurs  "  dans  les  centres  arrivant  en  même  temps 
que  la  diminution  non  moins  sensible  de  "producteurs 
agraires"  dans  les  campagnes,  a  provoqué  la  hausse  du 
prix  des  aliments  au  point  de  pouvoir  dire  que  nous  sommes 
entrés  en  "  pleine  crise  "  de  la  vie  chère.  Sans  doute,  l'ac- 
caparement des  vivres  par  les  trusts,  l'abondance  du  nu- 
méraire en  circulation  et  autres  faits  de  moindre  impor- 
tance expliquent  à  un  certain  point  le  malaise  du  jour. 
Mais  tout  le  monde  s'accorde  à  reconnaître  que  la  rareté  de 
certaines  denrées  en  exagère  la  valeur  et  que,  s'il  était  pos- 
sible, par  exemple  d'en  quadrupler  la  production,  le  prix 
en  fléchirait  sensiblement. 

A  diverses  reprises,  des  hommes  éclairés  signalèrent 
aux  autorités  fédérales  la  gravité  de  la  situation  ;  mais 
elles  firent  la  sourde  oreille,  tandis  que  la  presse  reptilienne 


LES  QUESTIONS  ÉONMIQUES  ET  LA  POLITIQUE  NATIONALE  345 

endormait  l'opinion  publique  en  assurant  que  la  dépopula- 
tion des  campagnes  était  un  phénomène  universel  sur  le- 
quel les  gouvernements  n'avaient  aucune  action  possible. 
Aussi  la  satisfaction  publique  fut  grande  lorsque,  durant 
la  dernière  campagne  électorale,  les  chefs  conservateurs 
s'engagèrent  à  remédier  au  mal  dans  la  mesure  de  leurs 
attributions.  Elle  redoubla  lorsqu'ils  déclarèrent,  après 
leur  triomphe,  qu'ils  allaient  incessamment  exécuter  cette 
partie  de  leur  programme  en  travaillant  à  améliorer  l'état 
présent  de  "  Pagriculture"  par  des  mesures  aussi  variées 
qu'efficaces. 

Il  serait  présomptueux  de  ma  part — et  le  cadre  restreint 
d'une  simple  correspondance  m'en  interdirait  l'entreprise — 
de  faire  l'étude  complète  des  "  causes  "  de  dépression  de 
l'élément  agricole  dans  notre  société,  ainsi  que  des 
"moyens"  de  l'enrayer  efficacement.  Le  sujet  d'ailleurs 
est  assez  souvent  traité  et,  comme  je  n'ai  d'autre  but  que 
d'être  utile  aux  tenants  des  principes  économiques  dont  je 
désire  voir  l'application,  je  me  bornerai  à  quelques  aperçus 
spéciaux,  inspirés  surtout  par  les  circonstances. 

On  admet  généralement  que  les  causes  de  "l'abandon" 
des  campagnes  sont  multiples  et  complexes.  On  peut  les 
ranger  cependant  en  deux  ordres  principaux  :  causes  mo- 
rales, causes  économiques. 

Je  ne  m'étendrai  pas  sur  les  premières.  Les  hommes  ai- 
ment le  bien-être,  la  vie  facile,  le  commerce  de  leurs  sem- 
blables. Les  cultivateurs  sont  des  hommes,...  leurs  fils  vi- 
sitent parfois  les  villes,  y  rencontrent  d'anciens  camarades, 
s'amusent  un  brin  et  s'en  retournent,  mélancoliques,  à  leur 
isolement  sur  la  terre  paternelle.  Ils  s'ennuient,  rêvent 
d'une  vie  plus...  vivante  et  s'en  vont.  C'est  simple  comme 
un  conte  de  Perrault.  Admise,  donc,  l'influence  des  causes 
morales. 

Les  causes  économiques,  pour  être  moins  évidentes  de 
prime  abord,  sont  tout  aussi  réelles  et  effectives  que  les 
autres.  Trop  souvent  on  en  néglige  l'étude,  et  elles  restent 
ainsi  lettre  morte.  A  part  l'ignorance  des  lois  de  "l'épar- 
gne," elles  se  résument  presque   toutes  dans  la  difficulté  de 


346  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

trouver  "les  voies  de  placement"  nécessaires  à  la  conser- 
vation— de  l'élément  agricole  dans  son  milieu.  Les  culti- 
vateurs ne  savent  que  faire  de  "leurs  fils,"  dont  l'établisse- 
ment, dans  un  voisinage  immédiat,  est  un  problème  insolu- 
ble. Arrivé  l'âge  de  fonder  à  leur  tour  un  foyer,  les  fils, 
n'en  voyant  aucunement  les  moyens,  "s'en  vont  "  aussi. 

Bien  des  fois  j'ai  soumis  à  des  hommes  expérimentés  ce 
problème  d'importance  majeure  en  l'espèce.  "Comment, 
dans  une  paroisse  dont  toutes  les  terres  sont  occupées,  le 
père  de  quatre  ou  cinq  garçons  les  établka-t-il  comme 
fermiers  ?  "  Les  "  garçons  "  sont  souvent  plus  "nombreux,  et 
le  pas  est  d'occurence  journalière.  Aucune  réponse  satis- 
faisante m'est  parvenue  jusqu'à  présent  et  je  n'en  attends 
pas,  non  plus,  aussi  longtemps  que  durera  le  mode  d'exploi- 
tation actuelle  de  la  propriété  rurale. 

Je  suis  un  médecin  de  campagne,  porté  naturellement  à 
l'observation  des  faits  et  de  leurs  causes.  Depuis  plus  de 
vingt  ans,  je  vis  dans  un  des  plus  anciens  et  des  plus  riches 
comtés  des  environs  de  Montréal,  et  j'y  poursuis  sans  relâ- 
che une  véritable  "  enquête  locale  "  sur  la  question  qui  nous 
occupe.     Mes  études  ont  abouti  aux  conclusions  suivantes. 

Il  y  a  déjà  plus  d'un  demi-siècle  que  le  chiffre  de  la  po- 
pulation agricole  suit  une  progression  descendante.  Il  n'at- 
teint pas  aujourd'hui  la  moitié  de  ce  qu'il  était  en  1860. 
"Trente  mille  personnes,"  au  bas  mot,  sont  parties  de  six 
paroisses  pour  aller  résider,  les  unes,  surtout  au  début  de 
l'exode,  dans  les  cantons  de  l'Est  et  les  Etats-Unis,  et  les 
.autres,  plus  récemment,  dans  la  ville  de  Montréal  ou  les 
territoires  du  Nord-Ouest  canadien.  Fait  digne  de  remar- 
que, une  partie  notable  de  déracinés  n'en  est  pas  moins 
restée  fidèle  à  l'agriculture,  ce  qui  démontre  que  le  dédain 
de  cette  dernière  n'est  pour  rien  dans  leur  éloignement  du 
clocher  natal. 

A  la  lumière  de  ces  constatations,  je  n'hésite  pas  à  affir- 
mer que  l'amélioration,  ou,  si  l'on  veut,  la  rénovation  de 
notre  système  de  culture  est  le  remède  par  excellence  à 
l'état  de  choses  actuel.  Et  j'ajouterai  que  l'administration 
fraîohement  issue  du  vote  du  21   septembre  191 1  paraissait 


LES  QUESTIONS  ÉCONOMIQUES  ET  LA  }»OITIQUE  NATIONALE     347 

l'entendre  ainsi,  lorsqu'elle  a  manifesté  sa  résolution  de 
contribuer  à  la  confection  de  la  voirie,  de  faire  bénéficier 
les  vieilles  provinces  des  avantages  de  l'immigration,  et, 
en  général,  d'y  promouvoir  le  développement  de  l'industrie 
agricole  "  en  étendant  de  son  côté  le  régime  fécond  de  la 
grande  politique  nationale,"  que  nous  devons  au  génie  de 
nos  chefs. 

Oui,  l'application  à  l'agriculture,  mntatis  mutandis,  des 
moyens  d'expansion  fournis  jadis  à  la  grande  industrie 
manufacturière,  tel  est  l'enchainement  logique  dans  lequel 
l'entraîne  l'initiative  généreuse  des  derniers  jours.  Telle 
est  également  la  recette  indiquée  pour  "alimenter"  à  des 
conditions  raisonnables  le  *Snarché  indigène"  crée  par 
cette  politique  nationale  et  pour  fournir,  d'autre  part,  aux 
travailleurs  du  sol  les  facilités  de  vivre  heureux  et  nom- 
breux au  sein  de  la  patrie  commune. 

Au  surplus,  ne  trouve-t-on  pas  dans  l'industrie  agricole, 
la  reine  de  toutes  les  autres,  et  dans  les  industries  connexes 
à  l'agriculture,  le  champ  d'exploitation  le  plus  vaste,  le  plus 
varié  et  en  même  temps  le  plus  stable  qui  soit  au  monde  .? 
Pendant  que  les  industries  manufacturières,  chimiques,  mi- 
nérales, etc.,  disparaissent  avec  les  éléments  et  la  matière 
première  qui  les  constituent,  l'industrie  agricole  et  ses  dé- 
rivées puisent  dans  la  terre  des  sources  de  vie  toujours  re- 
nouvelées, conservant  ainsi  une  jeunesse  perpétuelle. 

Formulé  en  deux  propositions,  qui  pourraient  être  ré- 
duites à  une  seule,  le  programme  qui  s'impose  devrait  con- 
sister "  à  mettre  en  vigueur  la  culture  intensive  "  dans  les 
régions  depuis  longtemps  établies  à  l'est  de  Winnipeg,  et, 
secondement,  à  former,  sur  le  même  champ  d'action,  "  de 
nouvelles  colonies  agricoles  "  à  même  le  domaine  national, 
encore  couvert  de  forêts  plus  ou  moins  vierges, — tout  en 
implantant  du  coup  et  partout  les  industries  se  rapportant 
à  l'art  agricole,  y  compris  les  innombrables  industries  do- 
mestiques en  honneur  chez  les  autres  peuples. 

Afin  d'atteindre  le  but  désiré,  quatre  choses  essentielles 
se  recommandent,  chez  nous,  à  l'attention  des  économistes 
et  administrateurs  des  affaires  publiques  : 


348  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

1° — La  diffusion  ou  vulgar'isation  de  l'enseignement  agri- 
cole au  sein  de  notre  population  rurale  ; 

2° — -L'apport  d'une  main-d'œuvre  abondante  et  à  prix 
raisonnable  ; 

3°  La  création  d'un  système  de  voirie  aussi  étendu  et 
complet  que  possible  ; 

4° — L'organisation  économique  de  la  classe  agricole. 

Rien  d'absolument  "nouveau"  en  fait  d'idées  dans  ce 
programme,  mais  en  voir  ''l'exécution"  serait  une  chose 
au  plus  haut  point  nouvelle  et  intéressante.  Aucune  partie, 
non  plus,  n'est  au-dessus  des  forces  humaines.  Une  volonté 
ferme  et  persévérante  suffirait  à  réaliser  l'entreprise.  Les 
ressources  intellectuelles  et  matérielles  abondent.  Alors, 
quoi  .^..  Mettons-nous  à  l'œuvre. 

Docteur  de  la  Glèbe* 


-:o:- 


L' Agriculture  au  Danemark 


La  cherté   des   denrées   alimentaires. — Le  triomphe  de  la 
science  et  de  la  méthode. — Ce  que  nous  apprend  M. 
Eugène  Tisserand. 
(Article  réproduit  de  L'OUVRIER,  55  quai  des  Grands-Au- 
gustins,  Paris,  31  janvier  1912.) 

Depuis  plusieurs  mois,  nous  ne  le  savons  que  trop,  les 
denrées  alimentaires  ont  beaucoup  renchéri.  Cela  tient 
sans  doute  à  des  causes  variées,  d'ordre  économique. 

Pourtant,  il  y  a  un  côté  scientifique  à  la  question,  et  M. 
Fernand  David,  rapporteur  du  budget  de  l'agriculture,  fai- 
sait observer  avec  raison  que  la  production  française  n'est 
pas  ce  qu'elle  devrait  être.  Elle  l'est  d'autant  moins  que  la 
France,  jouissant  d'une  variété  de  climats  appropriés,  est 
plus  qu'aucun  autre  pays  peut-être  en  état  de  s'adonner 
avec  succès,  et  facilité,  à  des  industries  agricoles  plus  di 
verses  et  nombreuses.     C'est  un  admirable  jardin,  propre 


L  AGRICULTURE  AU  DANEMARK  349 

aux  cultures  les  plus  variées,  tant  d'animaux  que  de  plantes. 

Mais  il  manque  la  méthode,  l'esprit  scientifique.  La  na- 
ture ne  peut  tout  faire  :  il  faut  l'aider;  une  organisation  est 
nécessaire,  et  nous  ne  la  possédons  pas. 

Ce  qu'on  peut  faire  avec  elle  est  prodigieux,  et  rien  ne  le 
montre  mieux  que  les  mémoires  où  M.  Eugène  Tisserand, 
directeur  honoraire  de  l'agriculture,  a  fait  connaître  les 
progrès  de  l'agriculture  danoise. 

Le  Danemark  est  quatorze  fois  plus  petit  que  la  France 
un  peu  plus  grand  que  la  Bretagne  ou  la  Normandie,  et 
porte  une  population  à  peu  près  égale  à  celle  de  chacune 
de  ces  provinces.     Il  vit  de  l'élevage,  malgré  un  climat  qui 
n'est  pas  exceptionnellement  favorable. 

En  1905 — date  de  la  dernière  statistique  citée  par  M.  E. 
Tisserand — il  a  trouvé  le  moyen  d'exporter  : 

29,421  chevaux,  autant  que  la  France  entière,  mulets  com- 
pris ; 

122,696  têtes  de  gros  bétail — trois  fois  plus  que  la  France 
110,490,000  kilos  de  viande  de  boucherie   et  de  porc  salé — 
dix-huit  fois  plus  que  la  France  ; 

79,400,000  kilos  de  beurre — quatre  fois  l'exportation  de  la 
France  ; 

350  millions  d'oeufs  environ,  alors  que  la  France  en  im- 
porte 130  millions  environ. 

Le  tout  représentant  près  de  500  millions  de  francs.  Et 
cela,  il  faut  le  répéter,  pour  un  pays  quatorze  fois  moindre 
que  le  nôtre.  Il  est  vrai,  l'agriculture  et  l'élevage  sont  les 
principales  industries  ;  les  autres  activités  industrielles  et 
commerciales  sont  peu  de  chose.  On  ne  pourrait  soutenir 
que  la  France  doit  produire  quatorze  fois  ce  que  produit  le 
Danemark.  Mais  on  peut  soutenir  qu'elle  est  en  état  de 
produire  au  moins  autant,  et  sans  doute  plusieurs  fois  au- 
tant. 

De  quelle  manière  le  Danemark  a  procédé  pour  prendre 
dans  les  industries  agricoles  la  place  éminente  où  il  est 
parvenu  depuis  quelques  années,  M.  Eugène  Tisserand  l'a 
raconté  de  façon  très  précise. 


350  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

A  la  base,  naturellement,  il  y  a  eu  une  évolution  impor- 
tante des  cultures.  Quantité  de  terres  non  exploitées,  landes, 
marécages,  et  le  reste,  ont  été  mises  en  état  de  produire. 
Les  landes  ont  été  défrichées,  les  marécages  desséchés,  les 
terres  humides  drainées,  les  terrains  sablonneux  marnés. 
Les  bois  même  se  sont  accrus  (et  il  ne  faudrait  pas  toucher 
à  la  forêt  en  France  pour  augmenter  la  superficie  arable)  et 
actuellement  la  superficie  du  sol  danois  se  décompose  de 
la  façon  suivante  : 

Terres  arables  et  prairies. . . .^ \  . 

Forêts  et  jardins i 

Tourbières,  marais 1  ^    . 

Plages,  landes i 

Plus  des  neuf  dixièmes  du  sol  sont  en  culture,  pour  le 
profit  ou  pour  l'agrément. 

Il  y  a  donc  utilisation  aussi  complète  que  possible.  Car  il 
ne  faut  pas  tenir  pour  inutile  la  superficie  non  cultivée  :  les 
tourbières  donnent  du  combustible  et  les  marécages  de  la 
litière  pour  le  bétail. 

Utilisation  plus  intelligente  aussi.  Le  Danemark  fait 
moins  de  blé  qu'autrefois;  il  en  importe,  trouvant  plus  pro- 
fitable de  faire  des  fourrages  et  d'exporter  le  beurre  et  la 
viande,  avec  le  prix  desquels  il  achète  du  blé.  Il  ne  faut 
pas  vouloir  faire  toute  culture  partout,  mais  adopter  celle 
qui  se  fait  le  plus  facilement,  et  avec  le  plus  de  profit. 

La  culture  fourragère  a  donc  pris  une  extension  énorme 
au  Danemark.  Plus  des  deux  tiers  de  la  surface  cultivée 
sont  employés  à  produire  des  grains  et  fourrages  pour  ani- 
maux, dont  on  vend  le  lait,  la  chair,  le  beurre,  les  œufs,  etc. 
L'extension  a  été  bien  conduite  en  même  temps  ;  par  la  sé- 
lection des  semences,  on  a  éliminé  les  espèces  inférieures 
pour  ne  conserver  que  celles  dont  le  rendement  est  ex- 
cellent. 

On  pourrait  croire  que  les  résultats  obtenus  supposent 
une  industrialisation  de  l'agriculture  et  de  l'élevage,  leur 
concentration  entre  les  mains  de  quelques  grands  proprié- 
taires, riches  et  intelligents,  ou  de  Sociétés  capitalistes  dis- 
posant des  ressources  de   la  science  et  de  l'argent;  de  So- 


l'agriculture  au  DANEMARK  35  l 

ciétés  ou  individus  représentant  le  bon  tyran,  et  dirigeant 
tout  de  façon  avisée.  Il  n'en  est  rien  ;  dans  l'immense  ma- 
jorité des  cas,  la  propriété  est  la  petite  propriété  (moins  de 
10  hectares);  on  compte  161,540  propriétés  de  moins  de  10 
hectares,  pour  l,20l  ayant  plus  de  120  hectares. 

C'est  donc  que  le  peuple  des  cultivateurs  doit  être  parti- 
culièrement instruit  des  choses  de  son  métier.  Il  l'est,  en 
effet,  et  c'est  là  le  point  important.  Et  il  consomme  de 
moins  en  moins  d'alcool,  malgré  le  climat. 

L'agriculture  danoise  est  celle  que  M.  E.  Tisserand  rêve 
pour  la  France  :  essentiellement  scientifique. 

L'agriculture  est  une  science,  reposant  sur  des  données 
très  nombreuses  et  complexes  :  un  agriculteur  digne  de  ce 
nom  est  un  homme  qui  sait  beaucoup  de  choses  et  de  très 
diverses,  en  physique,  en  chimie,  en  biologie. 

Or,  au  Danemark,  la  grande  préoccupation  a  été  l'ensei- 
ment  agricole,  théorique  et  pratique,  et  la  formation  d'un 
peuple  agricole  sachant  son  métier.  On  a  beaucoup  fait 
pour  l'instruction  populaire,  et  surtout  on  l'a  fait  de  façon 
intelligente.  Il  ne  suffit  pas  de  dépenser  des  millions  :  il 
faut  encore  les  dépenses  avec  discernement. 

C'est  ce  qui  a  été  fait  depuis  plus  de  cent  ans  "  sans  ja- 
mais perdre  de  vue  les  exigences  de  la  vie  présente  et  ré- 
elle." Le  Danemark  a  dans  ses  communes  rurales  71  écoles 
primaires  supérieures,  recevant  chaque  année  en  moyenne 
6,250  garçons  et  filles. 

A  côté  de  ces  établissements,  il  y  a  les  écoles  spéciales, 
et  tout  un  personnel  de  conseillerstechniquesdontletem.ps 
se  passe  à  parcourir  le  pays,  à  enseigner  les  méthodes  nou- 
velles, à  donner  des  conseils.  Ils  sont  tous  spécialisés  :  les 
uns  en  ce  qui  concerne  la  laiterie,  d'autres  en  ce  qui  con- 
cerne les  maladies  des  plantes,  la  zoologie  et  l'entomologie 
agricoles,  la  chimie,  l'horticulture,  les  machines,  l'élevage 
et  le  reste.  Tous  surveillent  et  conseillent.  Il  y  a  des  vé- 
térinaires aussi,  pour  la  protection  des  animaux  d'élevage. 
Grâce  à  eux,  la  tuberculose  bovine  disparaît  peu  à  peu. 

D'autres  surveillent  l'industrie  du  beurre.  On  a  estimé 
avec  raison  que  pour  créer  au  beurre  danois  un  marché  il 


252  LA    REVUE    FRANCO -AM^JRIC AINE 

fallait  avant  tout  lui  faire  une  réputation,  et  la  lui  conser- 
ver. De  là  une  législation  et  une  surveillance  spéciale  sur 
la  fabrication  :  même  celle  de  la  margarine. 

Le  beurre  danois  ne  devant  pas  pouvoir  être  soupçonné, 
la  loi  défend  de^abriquer  et  entreposer  la  margarine  là  ou 
se  vend  et  entrepose  le  beurre.  Et  ceci  encore  :  elle  va 
même  jusqu'à  interdire  de  marquer  sur  une  margarine  le 
fait  qu'elle  contient  du  beurre,  bien  que  l'addition  soit  per- 
mise, jusqu'à  un  certain  point.  Elle  a  raison,  car  il  ne 
manquerait  pas  d'industriels,  à  l^tranger,  pour  vendre  la 
margarine  additionnée  de  beurre,  pour  du  beurre  conte- 
nant un  peu  de  margarine. 

Toute  laiterie  a  sur  le  toit  une  épée  de  Damoclès  :  chaque 
matin  elle  peut  recevoir  l'ordre  d'envoyer  à  un  bureau 
d'examen  et  d'expertise  un  tonnelet  de  beurre  de  20  kilos, 
le  jour  même.  Il  faut  donc  qu'elle  envoie  sa  fabrication 
courante.  Et  celle-ci  est  examinée  par  une  série  de  spé- 
cialistes :  examen  à  la  suite  duquel  on  dresse  et  publie  la 
liste  des  "très  bons  beurres"  sur  laquelle  il  est  commer- 
cialement utile  de  figurer.  Les  laiteries  dont  le  beurre  a 
été  reconnu  moins  satisfaisant  reçoivent  des  observations 
et  des  conseils  sur  la  manière   d'améliorer  leur  production. 

On  a  perfectionné  l'industrie  des  œufs,  comme  celle  du 
beurre.  Non  point  en  exhortant  les  poules,  ce  qui  n'eût 
servi  de  rien,  mais  par  une  série  de  mesures  intelligentes  : 
sélection  des  pondeuses,  création  d'Unions  dont  les  mem- 
bres s'engagent  à  ne  livrer  que  des  œufs  frais  et  à  bien  te- 
nir leurs  poulaillers.  Bien  entendu,  l'engagement  ne  suffit 
pas  :  des  inspecteurs  vont  voir  si  les  poulaillers  sont  cor- 
rects ;  et,  comme  chaque  oeuf  porte  la  date  de  la  ponte  et 
la  marque  du  sociétaire,  on  examine  les  produits  au  hasard. 
Et  l'oeuf  impropre  à  la  consommation  coûte  ^  francs  au 
propriétaire,  qui  peut  être  exclu  de  la  Société,  et  dès  lors  a 
de  la  peine  à  vendre  sa  denrée.  Il  y  a  709  sociétés  d'ex- 
portation organisées  sur  la  base  qui  précède  et  comprenant 
57,000  membres.  Grâce  à  elles,  les  oeufs  exportés  sont  de 
qualité  uniforme,  et  la  marque  danoise  a  pris  la  valeur 
qu'elle  possède. 


AGRICULTURE  AU  DANEMARK  353 

Même  chose  pour  le  porc  et  le  bétail.  On  a  organisé  des 
abattoirs  coopératifs,  où  l'abatage  se  fait  proprement,  où 
la  viande  est  inspectée  avec  soin,  puis  conservée  comme  il 
convient. 

En  un  mot,  tout  ce  que  la  science  enseigne,  et  qui  inté- 
resse l'agriculture  et  l'élevage,  est  porté  à  la  connaissance 
de  tous,  et  appliqué.     Tout  est  organisé  scientifiquement. 

L'Etat  n'est  pas  seul  à  jouer  un  rôle  :  celui  de  l'initiative 
privée  est  considérable.  Ainsi,  une  Société  existe  dont  le 
but  est  d'indiquer  le  parti  à  tirer  des  landes,  l'utilisation  qui 
semble  la  meilleure  :  les  utilisations  plutôt,  car  la  solution 
varie  selon  les  conditions.  Elle  a  organisé  des  champs  de 
démonstration  qui  sont  d'excellentes  leçons  de  choses.  Elle 
a  pourvu  à  la  création  de  70,000  hectares  de  forêts  résineux  ; 
elle  a  drainé,  desséché,  planté,  extrait  de  la  marne  et  fait 
les  métiers  les  plus  divers.  Il  n'est  guère  de  pays  aussi  in- 
telligemment et  complètement  exploité  que  le  Danemark. 
*  Cela  suppose  une  très  forte  organisation  scientifique  du 
service  de  l'agriculture  et  des  sociétés  agricoles,  et  un  es- 
prit tout  particulièrement  ouvert  chez  les  agriculteurs  :  et, 
en  fait,  tout  cela  existe.  Mais  aussi  les  résultats  sont  là 
pour  faire  voir  à  quoi  l'on  arrive  avec  de  la  méthode.  Le 
Danemark  vit  bien  et  vend  admirablement  ses  produits  au 
dehors. 

Il  est  hors  de  doute  que  la  France  qui  exporte  moins  de 
bétail,  de  viande,  de  beurre  et  d'oeufs  que  le  Danemark 
pourrait  en  produire  beaucoup  plus.  Evidemment  il  est 
plus  facile  d'organiser  'scientifiquement  un  petit  pays  ho- 
mogène, ayant  même  climat  et  même  sol,  qu'un  grand  pays 
hétérogène.  Mais  ce  dernier  consiste  en  réalité  en  petits 
pays,  en  régions  ou  provinces  naturelles,  qui  diffèrent  par 
le  sol,  la  météorologie,  la  géologie,  et  les  aptitudes.  Il  suffi- 
rait de  faire  pour  chacune  d'elles  ce  qui  a  été  fait  pour  le 
Danemark,  de  déterminer  dans  chaque  cas  la  méthode  à 
suivre  et  les  industries  à  développer.  Est-ce  à  dire  qu'avec 
une  production  très  accrue  la  vie  serait  moins  chère  }  Il  se 
peut  que  non  :  mais  le  nombre  de  ceux  qui  souffrent  de  ce 
renchérissement  serait  diminué. 


364  LA   REYUE   FRÀNOO-ÀMÉRICAINE 

De  toute  façon  il  serait  très  désirable  que  l'exemple  des 
Danois  fût  suivi  en  France  et  que  les  conseils  de  M.  E. 
Tisserand  fussent  entendus.  Nul  ne  connaît^  la  matière 
mieux  que  lui. 

Henry  de  Varigny. 


:o: 


Voix  d'Acadie 


A  l'assaut  de  rAssomption  Nationale 

Jusqu'ici  je  me  suis  efforcé  de  faire  constater  l'attitude  de 
l'assimilateur  à  notre  égard  et  donnant  des  faits  pour  prouver 
ce  que  j'avançais.  Ces  faits  ne  sont  point  épuisés,  loin  de  là  ! 
Il  en  paraîtra  en  temps  et  lieu. 

Je  voudrais  aujourd'hui  montrer  la  manière  d'opérer  de  l'as- 
similateur pour  s'opposer  à  nos  œuvres,  pour  les  détruire  s'il 
l'eût  pu.  Combien  de  gens,  en  Acadie  même,  ne  savent  rien 
de  ces  choses  ! 

La  première  de  nos  œuvres,  œuvre  vitale  s'il  en  fut,  c'est 
bien  I'Assomption,  représentant  dans  l'esprit  des  fondateurs 
le  peuple  même,  tout  le  peuple  acadien.  Il  s'agit,  on  le  com- 
prend, de  r  ''Assomption  Nationale"  qui  date  effectivement 
du  premier  Congrès  d' Acadie,  tenu  à  Memramcook  en  1881. 

A  l'instant  où  fut  formée  cette  ligue  de  notre  peuple,  elle 
se  heurta  à  une  formidable  opposition  qui  pensa  la  faire  som- 
brer... Ce  n'était  pas  l'Anglais  qui  la  voulait  détruire  :  ceux 
qui  se  sont  mis  en  travers  de  son  chemîn,  ce  furent  ceux  dont  la 
mission  est  de  diriger  les  âmes,  de  répandre  parmi  les  fidèles 
du  Christ  la  paix  et  la  concorde.  Tout  a  été  tenté  ou  fait  paf 
la  hiérarchie  religieuse  pour  nous  écraser,  pour  tuer  dans 
l'œuf  le  projet  de  nos  chefs.  Le  clergé  acadien  entier  était 
avec  nous  :  nous  étions  donc  supposés  marcher  droit.  Rien 
n'}^  faisait  :  on  voulait  notre  disparition  comme  peuple. 

Je  me  suis  opposé  de  toutes  mes  forces  à  ce  qu'on  laissât 
tomber  la  Société  Nationale  aux  mains  d'une  Association  quel- 
conque, celle-ci  se  dit-elle  même  '  '  nationale.  '  '  Une  Associa- 
tion,   dont  la  fin  principale  est   l'assurance  de  ses  membres, 


VOIX  d'acadie  355 

peut  manquer,  si  puissante  soit-elle.  Tous  les  jours  on  en  a 
des  exemples.  Que  l'élément  constituant  le  Conseil  Exécutif 
de  la  Nation  se  retrempe,  se  vivifie,  se  renforce  par  l'adjonc- 
tion de  jeunes,  c'est  dans  l'ordre.  Mais  cela  ne  signifie  point 
qu'il  faille  livrer  le  peuple  aux  hasards,  aux  caprices  d'une 
compagnie  dont  l'intérêt  est  un  des  principaux  mobiles. 

Ivorsque  la  hiérarchie  religieuse  des  Provinces  Maritimes 
constata  le  courant  qui  se  formait  en  Acadie  en  faveur  du  re- 
lèvement du  peuple,  des  efforts  couronnés  de  succès  de  nos 
chefs  pour  nous  retirer  des  mains  de  l'envahisseur,  le  Métro- 
politain de  la  province  ecclésiratique  crut  frapper  notre  peuple 
de  rnort  en  adoptant,  avec  empressement,  la  nouvelle  législa- 
tion sur  l'Instruction  publique  de  la  Nouvelle- EcoSvSe  ;  croyant, 
par  ce  moyen,  faire  disparaître  la  langue  françaivSe,  ne  s 'ima- 
ginant pas  que  cette  loi  pouvait  être  utilisée  par  nous  et  nous 
aider  au  travail  de  notre  émancipation.  Un  jour,  frappant  du 
pied  avec  colère,  l'archevêque  Mgr  ConnoUy  avait  dit  : 

"  Je  ferai  disparaître  la  langue  française  de  mon  diocèse  !  " 
Il  a  disparu,  .  .  la  langue  française  s'étend  chaque  jour  da- 
vantage. 

AGISSEMENTS   DES   FRANCOPHOBES 

Des  requêtes  furent  adressées  de  toute  part  au  gouverne- 
ment, demandant  à  ouvrir  des  écoles  françaises.  ly'assimila- 
teur  ne  s'attendait  point  à  cela  ! 

Des  couvents  furent  édifiés  :  il  en  surgissait  de  tous  côtés. 
Les  Acadiens  prenaient  goût  à  l'instruction,  eux  qui  en 
avaient  été  totalement  privés  depuis  la  néfaste  dispersion,  de- 
puis la  mise  à  prix  des  têtes  de  leurs  admirables  missionnaires 
français,  modèles  sublimes  et  victimes  glorieuses  du  plus  pur, 
du  plus  ardent  patriotisme. 

Les  Acadiens  avaient  fini  par  comprendre  que  l'instruction 
leur  est  aussi  bonne,  aussi  nécessaire,  aussi  profitable  qu'aux 
Anglais.  Ceux-ci,  de  leur  côté,  nous  donnaient  immédiate- 
ment toutes  les  facilités  voulues. 

La  construction  des  couvents  sur  les  terrains  de  l'archevêché 
(la  néfaste  Corporation  Episcopale  en  tout  semblable  à  celle  de 
Walsh  :  que  le  digne  auteur  à  la  limace  me  pardonne  !  )  met- 


356  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

tait,  hélas  !  ces  couvents  à  la  merci  de  l'assimilateur.  Lorsque 
tout  fut  organisé,  que  l'enseignement  progressa,  l'Irlandais 
vit  avec  effroi  qu'il  y  avait  trop  de  français  enseigné.  Il  ré- 
solut de  le  faire  disparaître  au  plus  vite,  et  pour  cela  mit  la  di- 
rection des  couvents  entre  les  mains  de  religieuses  irlandaises 
avec  une  ou  deux  Sœurs  pour  le  français,  selon  l'importance 
de  l'établissement. 

Ainsi  fut-il  fait  pour  les  couvents  de  Sainte- Anne  d'Kel  Brook, 
de  Pubnico,  dans  le  comté  de  Yarmouth  ;  dans  celui  de  Digby, 
pour  les  couvents  de  Church  Poin^,  de  Meteghan  ;  à  l'Ile 
Royale  (Cap- Breton),  dans  le  comté  de  Richmond,  pour  deux 
couvents.  Plus  tard,  dans  le  comté  d'Inverness,  pour  deux 
couvents.  ly'un  d'eux,  érigé  par  le  zèle  de  M.  l'abbé  Fiset  avec 
le  concours  dévoué  de  tous  ses  paroissiens,  vit  le  même  arbi- 
traire :  tous  sous  l'épiscopat  désastreux  de  Mgr  ConnoUy,  le 
francophobe. 

Le  couvent  étant  construit,  il  fallait,  évidemment,  y  metttre 
des  Sœurs  institutrices.  L'archevêque  s'empressait  d'impo- 
ser ses  créatures.  Non  pas  toutes  irlandaises,  mais  la  direc- 
tion tout  entière.  Il  avait  trop  peur  d'une  révolte.  Je  l'ai 
dit,  selon  l'importance  de  l'établissement,  il  octroyait  géné- 
reusement une,  tout  au  plus  deux  Sœurs  subalternes  capables 
d'enseigner  quelque  peu  de  français.  Quelle  générosité,  quel 
amour  de  la  moitié  de  son  peuple  catholique  ! . .  . 

C'était  trop  de  condescendance  encore.  Il  y  avait  trop  de 
français  enseigné.  Il  diminua — ou  supprima — insensiblement 
le  nombre  de  Sœurs  françaises.  .  . 

Par  la  suite,  en  application  de  la  loi  nouvelle,  ces  couvents 
eurent  mission  de  tenir  l'école  publique,  qu'il  fallait  française. 

Les  pensionnats  restèrent  sous  la  coupe  de  l'assimilateur,  et 
le  français  en  fut  banni.  S'il  arriva  qu'il  ne  le  fut  pas  totale- 
ment, il  n'était  enseigné  que  comme  le  latin  dans  nos  écoles 
publiques  pour  se  faire  une  idée  de  ce  qu'est  l'enseignement 
du  français,  aujourd'hui  encore,  aux  grands  couvents  de  la 
province  !  On  voulut  même  diminuer  le  nombre  d'heures  de 
classe  dans  les  écoles  publiques,  afin  de  donner  la  prépondé- 
rance à  la  langue  anglaise.  Mais  les  syndics  veillaient.  L'ar- 
chevêque dut  plier. 


VOIX  d'acadie  367 

Actuellement  encore,  dans  ce  diocèse  d'Halifax,  en  bien 
des  endroits  tout  français,  les  Français  éprouvent  des  difficul- 
tés sérieuses  pour  faire  enseigner  la  langue  maternelle  à  leurs 
enfants. 

II.  FAUT  LK  TUER  ! 

Frustré  dans  ses  secrets  espoirs,  l'ennemi  résolut  de  frapper 
un  dernier  coup,  décisif,  croyait-il. 

lyC  collège  de  la  Pointe-de-l' Eglise  (Church  Point,  N.  E.) 
allait  s'ouvrir  sous  la  direction  des  excellents  Pères  Eudistes, 
venus  de  France  et  presque  tous  très  dévoués  à  leurs  malheu- 
reux frères  d'Acadie. 

L'archevêque  Connolly  était  allé  rendre  compte  de  sa  ges- 
tion à  Celui  par  qui  les  nations  existent  et  subsistent.  Mgr 
Hannan,  qui  lui  avait  succédé  le  20  mai  1877  et  s'était  montré 
juste  envers  les  Acadiens,  avait  eu  à  subir  lui-même  de  la  part 
des  siens  une  persécution  qui  abrégea  ses  jours.  Il  mourait  le 
17  avril  1882  et  était  remplacé  le  21  janvier  1883  par  Mgr 
O'Brien,  de  triste  mémoire. 

Les  13  et  14  août  1890  se  réunissait  précisément  à  la  Pointe- 
de-l'Eglise,  le  troisième  congrès  de  l'Acadie.  Les  évêques  de 
la  province  ecclésiastique  de  Halifax  avaient  usé  de  leur  pou- 
voir pour  eu  abuser  :  ils  avaient  interdit  à  nos  prêtres  d'y 
assister".  Six  mille  personnes  environ  y  accoururent  de  toutes 
les  parties  des  Provinces  Maritimes,  et  des  prêtres  acadiens  ve- 
nus de  la  Province  de  Québec. 

L'archevêque  O'Brien  envoya  à  la  Convention  une  lettre  qui 
se  trouve  en  entier  pages  211  et  suivantes  de  l'ouvrage  :  "  Con- 
ventions Nationales  des  Acadiens,  vol.  I — Imprimerie  du 
"  Moniteur  Acadien,"  Shediac,  1907.  Je  me  bornerai  adon- 
ner, de  cette  lettre  "  mortuaire,"  les  passages  publiés  dans  le 
"Mémoire"  vengeur  du  comité  des  prêtres  de  Québec  avec 
les  commentaires  autorisés  de  ces  savants  auteurs  : 

L'auteur  des  **  Memoirs  of  Bishop  Burke  "  fait  de  grandes 
protestations  d'attachement  aux  Acadiens  et  à  la  langue  fran- 
çaise que  ceux-ci  tiennent  essentiellement  à  conserver.  Si  ces 
protestations  sont  sincères — ce  que  nous  espérons, — elles  ne 
sont  pas  moins  en  contradiction  avec  ce  que  le  même  auteur 
disait  il  n'y  a  pas  longtemps.     Ceux  qui  sont  au  courant  de  ce 


358  LA    REVUE    FRANCO-AMERICAINE 

qui  se  passe  chez  nos  frères  les  Acadiens,  n'ont  pas  oublié  la 
fameuse  lettre  que  Mgr  O'Brien  a  adressée  à  la  grande  con- 
vention acadienne  tenue  à  la  Baie-Sainte-Marie  en  1890.  En 
donnant  son  approbation  à  un  projet,  déjà  émis  depuis  quel- 
que temps,  de  fonder  un  collège  à  Sainte- Marie,  centre  exclu- 
sivement acadien,  il  reléguait  le  français  au  dernier  rang,  ne 
préconisait  que  l'anglais,  ne  recommandait  que  l'étude  de  cette 
langue  ;  si  bien  qu'on  ne  peut  lire  cette  lettre  sans  y  voir  une 
exhortation  à  l'oubli  du  français  au  profit  de  la  langue  an- 
glaise.    Là  était,  selon  lui,  l'avenir  des  Acadiens. 

"  Ceux  qui  sont  convaincus  de  ce  fait,  disait-il,  et  qui  ne 
craignent  pas  d'avouer,  en  s 'efforçant  d'inculquer  *'sa" 
pensée  dans  l'esprit  de  ceux  qui  doivent  en  bénéficier,  "que 
la  chose  leur  soit  agréable  ou  non,"  sont  les  vrais  guides  du 
peuple  et  ses  vrais  amis  '  ' 

La  lecture  publique  de  cette  lettre  produisit  dans  la  Con- 
vention un  soulèvement  d'indignation  générale.  Une  série  de 
résolutions  furent  immédiatement  préparées  pour  protester 
contre  cette  abdication  et  réclamer  l'enseignement  de  la  langue 
française.  Ces  résolutions,  au  nombre  de  trois,  se  lisent  comme 
suit  : 

"  1°  La  convention  acadienne  décrète  qu'il  est  désirable  que 
dans  toutes  nos  écoles,  soit  primaires,  soit  secondaires,  académies 
ou  collèges,  couvents  ou  pensionnats,  la  langue  anglaise  soit 
enseignée  concurremment  avec  la  langue  française,  mais  qu'en 
autant  que  possible  la  langue  de  l'enseignement  soit  le  fran- 
çais. 

**  2°  La  convention  désire  attirer  humblement  l'attention 
des  autorités  religieuses  et  laïques  sur  le  fait  qu'il  existe  à  la 
Nouvelle- Ecosse  et  à  l'île  du  Prince- Edouard  un  grand  nom- 
bre de  localités  toutes  françaises  où  le  français  n'est  nullement 
enseigné  dans  les  institutions  d'éducation  ;  que  cet  état  de 
choses  est  très  préjudiciable  aux  meilleurs  intérêts  religieux 
et  matériels  des  Acadiens  ;  qu'il  est  désirable  d'y  remédier  en 
encourageant  l'enseignement  du  français  à  tous  les  Acadiens, 
sans  préjudice  à  renseignement  de  l'anglais  ou  de  toute  autre 
langue. 

"3°  La  convention  regrette  que  dans  un  très  grand  nombre 
de  nos  couvents,  principalement  dans  les  comtés  de  Digby,  de 
Richmond  et  de  Yarmouth,  la  langue  française  ne  soit  pas  en- 
seignée ou  ne  le  soit  qu'imparfaitement.  Cet  état  de  choses  se 
voit  dans  des  centres  où  la  majorité  et  même  la  totalité  des 
élèves  et  des  parents  sont  français.  Elle  désire  attirer  respec- 
tueusement l'attention  des  autorités  compétentes  sur  cette  re- 
grettable lacune.  " 


VOIX  d'acadie  3é9 

Ces  résolutions  proposées  en  séance  solennelle,  le  14  août, 
furent  votées  à  l'unanimité.  Elles  produisirent  leur  effet  ;  car 
c'est  depuis  lors  qu'eut  lieu  le  changement  de  front  que  l'on 
constate.  L'auteur  des  "  Memoirs  "  en  profite  pour  procla- 
mer bien  haut  dans  son  opuscule  que  c'est  grâce  à  ses  compa- 
triotes que  les  Acadiens  ont  eu  des  prêtres  parlant  le  français 
(  "speaking  their  own  language  "  ),  p.  142.  Qu'il  continue  à 
favoriser  de  plus  en  plus  l'enseignement  de  la  langue  française, 
concurremment  avec  l'anglais,  et  la  formation  d'un  clergé 
acadien,  nous  serons  les  premiers  à  lui  en  rendre  justice. 

Le  coup  décisif  de  l'archevêque  avait  raté  :  la  Providence 
avait  culbuté  à  plaisir  tous  ses  plans. 

EFFETS   DE  I.A  RAGE  IRI.ANDAIS 

Le  collège  de  Memramcook,  fondé  dans  les  larmes  et  à  tra- 
vers toutes  les  difficultés  que  peut  susciter  un  esprit  malfai- 
sant ;  ce  collège,  fondé  par  le  vénérable  M.  l'abbé  Lafrance, 
un  Canadien-Français  tout  dévoué  aux  Acadiens,  avait  vu  les 
temps  les  plus  sombres,  l'évêque  de  St-Jean,  N.  B.,  Mgr  Mc- 
Sweeny  ayant  déclaré  que  s'il  autorisait  ce  collège  pour  les 
Acadiens — la  majorité  de  son  troupeau  et  des  sueurs  duquel  il 
vivait  grassement — ,  c'était  uniquement  pour  en  faire  une 
"  Ecole  de  Réforme."  Et  il  ajoutait,  avec  un  sourire  que  Vol- 
taire eût  pu  lui  envier  ;   "  C'est  assez  bon  pour  les  Acadiens.  " 

Malheureusement  pour  lui,  on  ne  peut  trouver,  dans  toutes 
les  prisons  des  Provinces  Maritimes,  UN  SEUL  ACADIEN 
condamné  à  la  Réforme.  L'évêque  envoya  donc  à  notre  pre- 
mier établissement  d'instruction  secondaire  ses  Irlandais 
RÉFORMES  de  St-Jean  :  car  il  en  avait  une  cargaison.  Par  ce 
mo3^en,  l'évêque  **  empesta"  les  origines  de  ce  collège  :  les 
effets  de  cette  infection,  malgré  tout  le  travail  acharné  du  bon 
Père  Lefebvre,  se  font  sentir  aujourd'hui  encore.  vSi  l'on  veut 
des  témoignages  irrécusables  de  ce  que  j'avance,  je  suis  prêt  à 
les  donner. 

Si  ces  actes  ne  sont  pas  irlandais,  qu'on  leur  trouve  un  au- 
tre qualificatif. 

UN  JET   DE   LUMIÈRE 

J'ai  dit  précédemment  qu'un  journal  français  (  "  l'Evangé- 
line")  fut  fondé  en  Nouvelle-Ecosse,  où  le  besoin  s'en  faisait 
plus  vivement  sentir  qu'ailleurs. 


360  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

Comme  c'était  un  journal  catholique,  le  fondateur  crut  de- 
voir aviser  de  son  apparition  l'archevêque  O'Brien.  Avec  cette 
noble  bonté  qui  caractérise  le  peuple  obligé  de  la  toujours 
France,  il  daigna  répondre  "qu'il  ne  voyait  pas  l'opportunité 
d'un  journal  de  langue  française  en  Nouvelle- Ecosse  ;  que  le 
clergé  irlandais  avait  fait  beaucoup  pour  les  Acadiens  à  qui 
cela  devait  suffire.  '  ' 

Ce  qui  éclaire  et  illustre  le  livre  d'injures  qu'il  méditait  alors 
contre  l'admirable  Episcopat  de  Qhébec,  ses  fameux  "  Me- 
moirs  of  Edmund  Bnrke,"  cet  insoumis  qui  causa  la  mort  d'un 
très  bon  prêtre,  M.  l'abbé  Dufaux.  Lisez  cela  dans  le  "  Mé- 
moire vengeur,  à  la  page  130.  Voilà  le  "  timber  "  dont  ils 
font  des  êvêques — et  dont  ils  ont  le  cauchemar  de  faire  un 
pape.  .  .  ou  un  antipape,  peu  leur  importe.  .  . — 

A  la  Convention  générale  de  la  Pointe  de  l'Eglise,  en  1890, 
je  crois  devoir  donner  les  détails  suivants  : 

Mesdames,  Messieurs, 

En  m 'appelant  à  porter  la  parole,  en  cette  occasion  solen- 
nelle, vous  savez  que  vous  m'imposez  une  tâche  difficile  ;  et  si 
vous  ne  le  savez  tous,  laissez- moi  vous  l'assurer  à  tous.  Et  si 
je  n'étais  pas  mêlé  à  une  œuvre  acadienne,  qui,  je  l'espère, 
fera  sa  part  de  bien  dans  la  Nouvelle- Ecosse  et  un  peu  ailleurs, 
dans  les  Provinces  Maritimes,  je  n'oserais  pas  me  rendre  à  votre 
gracieuse  invitation. 

Quelqu'un  a  dit  chez  les  anciens  que  le  succès  seconde  l'au- 
dace.    Celui-là  n'a  pas  menti. 

Messieurs,  j'ai  toujours  cru  que  nul  d'entre  nous  ne  pouvait 
se  créer  une  position  parmi  nos  compatriotes  d'autre  origine 
qu'en  faisant  violence  aux  circonstances  qui  nous  entourent  et 
à  force  d'efforts  et  de  ténacité. 

Aussi  en  fondant  le  journal  "  l'Evangéline  '  '  que  le  public 
acadien  a  .si  bien  encouragé  et  si  bien  apprécié  jusqu'à  ce  jour, 
il  m'a  fallu  et  de  l'audace  et  une  persévérance  subséquente 
dont  j'ai  connu  plus  d'une  fois  les  fatigues,  les  labeurs  et  les 
ennuis. 

Si  je  n'eusse  connu  la  Nouvelle-Ecosse  comme  je  la  con- 
naissais, jamais  je  n'aurais  songé  à  me  placer  à  la  tête  d'une 
telle  œuvre,  comme  je  le  fis  en  1887. 

Il  y  a  près  de  trente  ans  que  j 'ai  foulé  pour  la  première  fois 
le  sol  d'Evangéline. 

J'étais  à  Saulnierville,   lorsqu'en   1866,  on  célébra  le  cente- 


VOIX  d'acadie  861 

naire  de  rétablissement  du  district  de  Clare,  à  la  Pointe- à- Ma- 
jor. Et  si,  dès  cette  époque,  je  n'avais,  à  coup  sûr,  aucune 
idée  d'y  jamais  fonder  un  journal,  je  puis  certifier  en  votre 
présence  cependant,  que  l'intérêt  que  j'éprouvai  dès- lors  en- 
vers les  Français  de  la  vieille  Acadie  fut  assez  grand  et  vif 
pour  m'en  faire  prendre  le  dessein, — si  tel  dessein  eût  alors 
paru  réalisable. 

Mais  ce  qui  ne  paraissait  pas  réalisable  en  1866  est  passé  à 
l'état  d'affaires  accomplies  pour  les  Acadiens,  non  seulement 
dans  le  journalisme,  mais  dans  les  diverses  échelles  sociales  et 
dans  les  rangs  de  la  milice  ecclésiastique. 

"  En  1864,  surgissait  l'oeuvre  par  excellence  du  collège  St- 
Joseph,  qui  a  fourni  tant  d'hommes  au  commerce,  aux  pro- 
fessions libérales  et  à  l'Eglise. 

En  1867,  le  "  Moniteur  Acadien,"  le  premier-né  dans  notre 
presse  acadienne,  paraissait  devant  le  public  des  provinces  ma- 
ritimes pour  dire  haut  et  fort  à  tous  ceux  qui  pouvaient  le  com- 
prendre, que  pour  conserv^er  sa  langue,  il  faut  que  le  peuple 
non-seulement  la  parle  dans  ses  entretiens  de  famille,  mais  qu'il 
doit  aussi  la  lire  dans  ses  lectures  du  foyer. 

En  1885,  "Le  Courrier  des  Provinces  Maritimes"  vit  le 
jour.  J'avais  été  pendant  huit  ans  inspecteur  des  écoles  au 
Nouveau- Brunswick.  J'avais  eu  souvent  l'occasion  de  con- 
naître et  d'apprendre  les  vues  du  clergé  au  sujet  d'une  telle 
fondation  ;  je  me  trouvais,  chaque  jour,  en  face  dés  besoins  de 
nos  populations  françaises  ; — aussi,  de  concert  avec  quelques 
nobles  et  braves  compatriotes,  je  m'intéressai  à  la  fondation 
du  journal  français  de  Bathurst.  J'y  pris  des  actions  en  grand 
nombre,  je  sollicitai  partout  des  abonnés  à  la  seconde  feuille 
acadienne  française  et  j'en  eus  l'administration  pendant  deux 
ans. 

Lorsque  ce  journal  fut  sur  un  pied  solide  et  entre  les  mains 
d'un  comité  qui  était  capable  de  le  maintenir,  comme  les  évé- 
nements l'ont  prouvé  jusqu'à  ce  }our,  je  me  dirigeai  vers  la 
Nouvelle-Ecosse.  ^ 

Sur  cette  vieille  plage  où  fut  placé  le  berceau  de  la  colonie 
par  Poutrincourt,  où  Evangéline  et  Gabriel  se  déclarèrent 
leurs  premiers  amours  et  se  jurèrent  une  éternelle  fidélité,  il 
me  semblait  qu' Evangéline  pouvait  renaître. 

Dieu  n'a  jamais  voué  à  une  devStruction  complète  ec  perma- 
nente les  races  qui  se  sont  multipliées  sur  la  surface  du  globe. 
Pourquoi  les  idiomes,  les  traditions  et  la  langue  des  peuples 
persécutés  ne  pourraient-ils  pas  revivre  là  même  où  ils  avaient 
semblé  périr. 

Je  vous  l'ai  déjà  dit  :  je  connaissais  bien  la  Nouvelle- Ecosse, 


362  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

surtout  les  deux  comités  de  Digby  et  de  Yarmouth  où  j'avais 
enseigné  pendant  plusieurs  années.  Je  savais  que  les  nom- 
breuses relations  commerciales  et  autres  de  nos  compatriotes 
d'ici  avec  leurs  proches  voisins  limotrophes — les  Américains — 
étaient  préjudiciables  à  la  langue  française,  parmi  les  popula- 
tions intelligentes  qui  forment  le  groupe  français  établi  sur  la 
Baie  Sainte- Marie. 

Je  savais,  de  plus,  que  nos  nationaux  étaient  désireux  d'a- 
voir au  milieu-d'eux  un  organe  français  qui  serait  là  pour  leur 
rappeler  leur  devoir  dans  la  conservation  de  ce  dépôt  sacré 
dont  nos  pères  ne  voulurent  point  se  départir. 

Point  de  collèges,  ni  d'académies,  il  fallait  au  moins  un 
foyer  quelconque,  un  centre  d'où  pourrait  sortir  la  lumière, 
quelque  faible  que  fut  cette  dernière. 

Il  fallait  un  messager  qui  pût  se  rendre  souvent  au  sein  des 
familles  acadiennes  de  la  Nouvelle- Ecosse,  leur  parler  avec 
l'idiome  de  nos  pères,  et  je  crus  que  nul  ne  serait  mieux  reçu 
que  la  poétique  et  historique  Evangéline. 

C'est  elle  qui  vous  entretiendrait  sur  le  sujet  si  important  de 
l'éducation.  C'est  elle  qui  parlerait  avec  connaissance  de 
cause  des  notions  si  utiles  de  l'hygiène,  qui  vous  fournirait  les 
renseignements  voulus  pour  faire  de  vous  des  agriculteurs  pra- 
tiques. Elle  irait  chaque  semaine  sous  vos  toits  pour  vous  ra- 
conter les  nouvelles  courantes  dans  une  langue  qui  semblait  in- 
terdite dans  la  presse  de  notre  province  depuis  que  notre  pro- 
vince et  r  Acadie  existent. 

Ce  plan  me  paraissait  beau  :  le  projet,  malgré  toutes  les 
difficultés  qui  s'y  rattachaient  nécCvSsairement,  me  parut  noble, 
patriotique,  digne  d'efforts  et  de  sacrifices. 

Pour  un  moment,  il  s'éleva  quelques  petites  oppositions, 
même  parmi  les  nôtres.  Mais,  la  voix  de  nos  vrais  patriotes 
laïques  et  hommes  du  clergé  s'éleva  dans  une  magnifique  pro- 
testation contre  tout  esprit  de  jalousie  qui  voulait  entraver 
l'expansion  de  nos  œuvres  nationales.  Aussi  cet  antagonisme 
fut-il  de  courte  durée. 

Il  fallait  de  plus  ne  pas  heurter  de  front  les  préjugés  des  po- 
pulations anglaises  qui  nous  entourent.  Car  l'élément  an- 
glais de  la  Nouvelle- Ecosse,  sachant  que  les  Acadiens  pou- 
vaient comprendre  les  journaux  anglais  plus  aisément  qu'ils 
ne  pouvaient  interpréter  un  journal  en  leur  propre  langue,  ne 
pouvaient  pas  s'expliquer  le  but  ou  l'utilité  d'une  telle  entre- 
prise. 

Un  jour,  lorsque  je  faisais  de  la  propagande  à  Yarmouth 
dans  le  but  de  trouver  quelques  annonceurs  pour  la  feuille  que 
j'étais  à  la  veille  de  fonder,   un  avocat  de  cette  dernière  ville 


VOIX  d'acadie  363 

me  fit  part  nettement  de  ses  appréhensions.  **  Pourquoi,  dit-il, 
vouloir  fonder  un  journal  en  langue  française,  au  milieu  de 
nous  ?  Est-ce  pour  susciter  les  vieilles  animosités  que  nous 
nous  efforçons  partout  d'éteindre?  Est-ce  pour  nous  mettre 
sans  cesse  sous  les  3'eux  des  actes  d'autrefois  dont  il  ne  devrait 
plus  être  fait  mention  dans  nos  relations  actuelles?  S'il  en 
est  ainsi,  me  dit-il,  votre  feuille  sera  une  publication  dange- 
reuse, elle  jettera  le  désordre  là  où  des  temps  plus  heureux  et 
de  meilleures  circonstances  ont  réussi  à  semer  et  à  entretenir 
la  bonne  entente  et  la  paix." 

Non,  lui  dis-je,  mais  vous  oubliez  quelque  chose.  Si  de 
meilleures  circonstances  ont  ramené  la  paix,  elles  n'ont  pas 
encore  donné  aux  Acadiens  les  chances  d'éducation  qu'elles 
vous  ont  données  à  vous  autres.  Car  les  Acadiens  veulent 
une  éducation  dans  leur  langue  à  l'égal  de  la  langue  anglaise. 
Or,  c'est  l'oeuvre  d'un  journal.  En  fondant  celui-ci,  notre 
but  est  de  stimuler  nos  compatriotes  à  s'instruire,  à  s'élever 
par  l'instruction  au  niveau  de  ceux  qui  les  entourent. 

IyCS  Acadiens  sont  actifs,  industrieux,  intelligents  ;  lorsqu'ils 
auront  les  mêmes  facilités  que  vous,  ils  n'auront  plus  droit  de 
se  plaindre  et  ils  en  seront  par  là  même  plus  portés  à  entrete- 
nir la  paix  •  par  le  fait  qu'ils  jouiront  des  mêmes  avantages 
que  vous  et  qu'ils  pourront  atteindre  le  même  degré  dans  l'é- 
chelle sociale.  Et  voilà  ce  qui  explique  et  détermine  la  néces- 
sité d'un  journal. 

Non  seulemont  l'avocat  m'a  compris,  mais  tous  les  Anglais, 
Ecossais,  Irlandais,  etc.,  de  la  Nouvelle- Ecosse  ont  compris 
qu'un  pareil  organe  était  indispensable  au  milieu  des  nôtres. 

Eh  bien,  messieurs,  c'est  à  vous  à  encourager  notre  presse 
acadienne  comme  vous  l'avez  fait  jusqu'aujourd'hui,  et  plus. 
Ceux  qui  président  à  cette  presse,  au  "  Moniteur,"  au  "  Cour- 
rier," et  à  r  "Evangéline  ;  ceux  qui  s'y  intéressent  directe- 
ment ou  de  près,  sont  des  hommes  du  paj^s,  qui  connaissent  la 
situation  du  peuple  et  qui  sont  par  conséquent  en  mesure  de 
la  sauvegarder. 

C'est  là  leur  mission  ;  s'ils  y  sont  infidèles,  à  vous  de  les 
censurer  ;  au  contraire,  s'ils  y  consacrent  leur  énergie  et  leurs 
deniers,  il  est  de  notre  devoir,  par  honneur  et  par  reconnais- 
sance, de  leur  donner  l'appui  qui  fera  de  la  presse  un  levier 
puissant  pour  la  cause  du  bien. — Discours  de  V.  A.  Landry. 

V.  A.  Landry. 


La  Nation  Franco-Normande  au  Canada 


Par  Le  VICOMTE   FORSYTH  DE  FRONSAC 


IV 

LA   NOBIyESSE   DE    NOM^ET   DES   ARMES 
ETABLISSEMENT   DE   LA   NOBLESSE   AU   CANADA 

lya  Noblesse  du  Canada  est  la  partie  la  plus  faible  de  la 
constitution,  quand  ses  membres  ne  sont  pas  unis  !  Séparés, 
ils  sont  les  premiers  à  être  renversés  par  des  actes  inconstitu- 
tionels  ;  mais,  unie  dans  ses  membres,  la  Noblesse  est  la  plus 
forte  partie  de  la  constitution  par  son  intelligence,  par  son  sa- 
voir faire,  par  la  renommée  de  son  passé,  par  son  audace 
fondée  sur  la  justice  de  ses  prétentions,  et  surtout,  par  la 
sympathie  que  sa  cause  excite  parmi  les  noblesses  étrangères 
de  toutes  les  nations  civilisées  du  monde. 

Les  familles  de  la  Noblesse  disparaîtront  une  à  une,  si  elles 
ne  s'unissent  pas  dans  leur  ordre^  qui  doit  être  pour  elles  leur 
planche  de  salut.  Comme  dit  M.  le  juge  A.  B.  Routhier  : — 
"  Il  y  a  dans  chaque  pays  des  familles  privilégiées  qui  sem- 
blent destinées  à  marcher  toujours  à  la  tête  de  la  société. 
Cette  constance  des  honneurs  s' attachant  à  un  nom  n'est  pas 
le  produit  du  hasard  :  elle  s'explique  par  une  véritable  mission 
que  la  Providence  impose  à  certaines  familles,  comme  à  cer- 
tains individus,  et  elle  se  justifie  par  la  perpétuation  du  talent 
et  de  l'honneur," 

Sir  Wilfrid  Laurier,  ex-premier  ministre  du  Canada,  dit  au 
jubilé  sacerdotal  du  cardinal  Taschereau  :  **  Quand  je  vais 
dans  mon  pays  natal  et  que  je  vois  le  domaine  seigneurial  en 
ruine,  les  bois  coupés,  les  jardins  rasés,  le  parc  devenu  pâtu- 
rage, le  manoir  occupé  par  un  excellent  homme  mais  décidé- 
ment trop  utilitaire,  je  me  sens  pris  d'un  invincible  sentiment 
de  tristesse,  je  voudrais  encore  voir  le  manoir  aux  mains  de 
ses  anciens  maîtres,  dans  l'état  d'aisance  et  de  splendeur  qui 
caractérisait  jadis  leur  train  de  maison." 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  365 

Mais  tous  ces  ho  aimes  n'ont  jamais  compris  le  principe  or- 
ganique de  la  noblesse.  "  Ils  oublient  qu'un  potentat,  un  roi, 
un  empereur,  un  autocrate  peut  bien  faire  un  prince,  un  duc, 
mais  qu'il  n'est  pas  en  son  pouvoir  de  faire  le  plus  mince  gen- 
tilhomme :  ils  oublient  qu'il  n'y  a  pas  d'autorité  sur  la  terre 
qui  puisse  effectuer  qu'un  homme  ne  soit  pas  le  fils  de  son 
père,  le  petit-fils  de  son  aïeul" — "Revue  de  la  Noblesse," 
tome  II,  p.  159.  Mais  ce  qu'ils  ont  dit  est  en  accord  avec 
l'instinct  de  race  dominatrice  et  chevaleresque  des  gentils- 
hommes franco- normands  qui  ont  apporté  de  l'étranger  au 
Canada  leurs  droits,  leurs  coutumes,  leurs  honneurs  et  leur 
blason  héréditaire.  S'ils  perdent*  seigneurie,  terre,  place  à 
la  cour,  ils  ne  perdent  jamais  ni  race,  ni  droits,  ni  naissance, 
ni  n'est  capable  quelque  souverain  que  ce  soit  d'élever  par  des 
titres  d'anoblissement  des  gens  serviles  et  de  race  inférieure  à 
leur  niveau.  Tels  sont  les  droits  de  race  sous  l'Empire  Germa- 
nique établi  par  Charlemagne,  roi  des  Francs,  et  perpétué  par- 
tout en  Europe  aryen.  Sous  ses  lois,  Charles  V,  dit  Charles 
Quint,  fils  de  Philippe  le  Beau,  roi  d'Espagne  (1516),  empe- 
reur d'Allemagne  et  des  Romains  (15 19),  organisa  les  gentils- 
hommes de  race  et  des  armes  venant  en  Amérique  par  édict 
de  1 540,  ayant  concédé  le  premier  fief — le  duché  de  Veragua — de 
cette  noblesse  à  Colon,  petit-fils  de  Christophe  Colomb  des- 
cendude  Colombo,  un  des  Normands  qui  accompagna  Tancrède 
en  Italie,  avant  la  première  croisade.  François  1er,  roi  de 
France  en  1515,  né  à  Cognac  en  1494,  filsde  Charles  d'Orléans, 
comte  d'Angoulême,  qui  disputa  à  Charles  Quint  la  couronne 
d'Allemagne- Romaine,  qui  a  mérité  les  titres  glorieux  de  père 
et  restaurateur  des  lettres,  projeta  aussi  la  même  organisation 
de  cet  ordre  de  la  noblesse  aryenne  de  l'empire  dans  ses  terres 
en  Amérique,  lequel  projet  fut  transmis  à  ses  successeurs  les 
rois  Henri  le  Grand  et  Louis  Quatorze,  qui  fortifia  la  chevale- 
rie au  Canada  par  des  titres  de  noblesse  et  des  terres  seigneu- 
riales. 

En  1880,  les  différentes  parties  de  cet  ordre  de  l'empire  de 
Charles  V  et  de  François  1er  en  Amérique,  étaient  confédérées 
sous  le  nom  de  l'Ordre  Aryen  et  Seigneurial  de  l'Empire  en 
Amérique,   enregistré  dans  le  collège  des  Armes  du  Canada 


366  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

lequel  collège  est  le  département  établi  par  les  rois  de  France 
au  Canada.  Dans  le  bureau, de  l'intendance  pour  registres,  se 
trouvent  les  titres  et  les  fiefs  de  noblesse  au  pays,  à  présent 
sous  l'autorité  du  conseil  souverain  de  cet  Ordre  Seigneurial. 
L'histoire  des  différents  ordres  confédérés  est  à  suivre  : 

Dans  la  première  commission  donnée  par  le  roi  Henri  IV 
de  France  et  de  Navarre,  au  marquis  de  La  Roche,  son  lieute- 
nant général  et  gouverneur  au  Canada,  commença  la  préro- 
gative de  la  Noblesse  au  Canada,  relevant  de  la  couronne, 
mais  appartenant  au  pays,  en  oi;;donnant  au  gouverneur  de 
donner  '  *  aux  gentilshommes  et  à  ceux  qu'il  jugera  gens  de  mé- 
rite, des  fiefs,  seigneuries,  comtés,  vicomtes,  baronnies  et  au- 
tres dignités  relevant  de  Nous,  à  la  charge  qu'ils  serviront  à 
l'entretien  et  défense  des  dits  paj^s." — Lareau,  "  Hist.  du 
Droit  Canadien,"  p.  159.  Par  cette  loi,  la  noblesse  avait  la 
prérogative  de  gouvernement  général. 

Lorsque  Richelieu  forma  la  Compagnie  des  Cent- Associés 
pour  le  gouvernement  au  Canada,  il  lui  fut  accordé  par  le  roi 
Louis  XIII,  toute  la  Nouvelle- France  en  pleine  propriété,  sei- 
gneurie et  justice,  avec  la  prérogative  de  donner  aux  terres 
inféodées  tels  titres,  droits  et  facultés  qu'elle  jugerait  conve- 
nables et  d'ériger  même  des  duchés,  marquisats,  comtés,  vi- 
comtes et  baronnies,  "  sauf  confirmation  par  le  Roi.  " 

La  Compagnie  ne  pouvait  songer,  néanmoins,  à  couvrir  de 
duchés  et  de  marquisats  un  pays  sans  habitation  ;  d'abord  elle 
y  concéda  de  simples  seigneuries.  Ily  eut  vingt-neuf  seigneu- 
ries accordées  à  des  marchands,  à  des  militaires  et  à  des  cor- 
porations religieuses,  de  1626  à  1663,  savoir  :  dix-sept  dans  le 
gouvernement  de  Québec,  six  dans  celui  de  Trois- Rivières  et 
un  pareil  nombre  dans  celui  de  Montréal. — Garneau,  *  'Hist.  du 
Canada,"  tome  I.,  p.  171. 

Le  premier  fief  noble  dont  les  registres  du  Canada  fassent 
mention,  est  celui  de  Saint- Joseph,  concédé  à  Louis  Hébert  en 
1626.  Mais  il  paraît  que  le  Cap  Tourmente  avait  été  déjà 
érigé  en  baronnie,  en  faveur  de  Guillaume  de  Caen,  qui  en 
avait  été  ensuite  dépossédé. 

Pour  la  noblesse  étrangère  résidant  dans  le  pays  :  Dans  la 
charte  de  concession  de  la  Compagnie  Royale  du  Canada,  fon- 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  367 

dée  par  le  roi  au  mois  de  mai  de  l'an  mil  six  cent  soixante- 
quatre  et  le  vingts  deuxième  de  son  règne,  il  est  dit  :  "La  dite 
compagnie  sera  composée  de  tous  ceux  de  nos  sujets  qui  vou- 
draient y  entrer,  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils  soient, 
*  '  sans  pour  cela  déroger  à  leurs  noblesse  et  privilèges.  Les 
étrangers  qui  entreront  dans  la  dite  compagnie  seront  réputés 
français  et  régnicoles." 

"  Pourra  la  dite  compagnie  prendre  pour  ses  armes  un  écus- 
son  en  champ  d'azur  semé  de  fleurs-de-lys  d'or  sans  nombre, 
l'écu  timbré  d'une  couronne  tréflée.  Supports  :  deux  sauvages 
en  grande  tenue." 

En  1667,  Talon,  comte  d'Orsainville  dans  l'Ordre  Seigneu- 
rial du  Canada  (comté sur  le  fleuve  du  Saint-Laurent),  admi- 
nistrant la  province  pour  le  roi,  demanda  des  lettres  d'admis- 
sion à  cette  noblesse  pour  MM,  Godefoy,  Denys,  Lemoyne  et 
Amyot,  quatre  des  habitants  les  plus  considérables  du  pays, 
Parmi  les  premiers  colons  qui  vinrent  aussi  s'établir  au  Cana- 
da dans  le  17e  et  le  i8e  siècle,  plusieurs  appartenaient 
déjà  à  la  haute  aristocratie  française.  De  plus,  le  roi  Louis 
XIV,  fier  de  cette  noblesse  qui,  "'au  risque  des  plus  grands 
périls,  essayait  de  fonder  en  Amérique  une  nouvelle  France," 
investit  ses  membres  d'une  organisation  autonome,  **  relevant 
de  la  couronne,  mais  appartenant  au  pays."  Les  cérémonies  de 
l'investiture  avaient  lieu  dans  le  château  de  Saint-Louis  à  Qué- 
bec et  étaient  enregistrées  dans  le  Collège  des  Armes. 

LES   DROITS   d'administration   LOCALE   DE   LA  NOBLESSE 

On  ne  doit  pas  confondre  la  prérogative  gouvernementale  de 
la  noblesse,  qui  était  en  général  à  "  tenir  en  tuition  et  défense 
le  pays,"  selon  la  commission  donnée  par  Henri  IV  (laquelle 
était  un  '  '  transcriptum  "  de  la  prérogative  de  la  noblesse  en 
France)  avec  les  droits  d'administration  locale,  à  savoir  : 

Le  Seigneur  canadien  était  j  uge  et  capitaine  dans  les  limites 
de  son  fief .  Il  av^ait  "la  connaissance  de  toute  espèce  d'of- 
fense, sauf  le  crime  de  lèse-majesté  divine  ou  humaine,  fausse 
monnaie,  port  d'armes,  assemblées  illicites,  assassinats." 

L'application  de  la  prérogative  du  gouvernement  général, 
sous  le  régime  français,  voit  les  nobles,  les  seuls  associés  dans  le 


368  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

conseil  supérieur  du  pays,  avec  les  officiers  envoyés  de  France 
par  le  Roi.  Il  n'y  a  pas  d'exemple  de  la  formation  d'un  con- 
seil gouvernant  le  pays  sans  la  participation  de  la  noblesse  du 
pays  parmi  les  membres  du  conseil,  représentant  le  pays. 
Cette  prérogative  est  distincte  des  droits  appartenant  aux  sei- 
gneuries— des  droits  particuliers. 

LA    NOBLKSSK   sous   L'ADMINISTRATION   ANGLAISE. 

Lorsque  le  roi  d'Angleterre  succéda  à  la  souveraineté  du 
roi  de  France  en  1760,  par  la  capitulation  de  Montréal,  il 
promit  par  son  représentant  de  continuer  à  la  noblesse  du 
Canada  tous  ses  droits  et  toutes  ses  prérogatives  qui  exis- 
taient sous  les  rois  de  France.  Dans  le  traité  de  Paris,  de 
1763,  cédant  le  Canada  du  roi  de  France  au  roi  d'Angle- 
terre, il  çst  stipulé  que  toutes  choses  resteraient  en  "statu 
quo,"  et  que  les  coutumes  de  Paris  seraient  le  droit  cana- 
dien comme  auparavant.  Ces  coutumes — la  loi  commune 
de  la  France — sont  celles  de  qui  est  dérivée  la  prérogative 
générale  de  la  noblesse,  mentionnée  dans  la  commission 
d'Henri  IV,  "à  tenir  en  tuition  et  défense  le  dit  pays,"  et 
les  droits  particuliers  des  seigneurs  sur  leurs  fiefs. 

De  1774,  et  pour  plusieurs  années,  le  gouvernement  an- 
glais au  Canada  respecta  ses  obligations  vis-à-vis  des  sei- 
gneurs :  c'est-à-dire,  la  prérogative  du  gouvernement  gé- 
néral de  la  noblesse  fut  reconnu.  Avec  les  officiers  de  la 
couronne  envoyés  de  l'Angleterre  dans  la  suite  du  gouver- 
neur-général, furent  associés  des  seigneurs  dans  le  conseil 
établi  sur  demande  des  pétitionnaires  nobles,  lesquelles  de- 
mandes ayant  formé  la  base  de  l'Acte  de  1774. 

Mais  après  le  terme  du  gouverneur  Carleton,  lord  Dor- 
chester,  par  les  luttes  néfastes  des  sectes  religieuses,  celles 
des  démagogues  du  peuple  et  de  la  bureaucratie  anglaise, 
quelquefois  tous  les  trois  s'unissant  contre  la  prérogative 
et  les  droits  privés  de  la  noblesse,  les  seigneurs  furent 
écartés  un  à  un  des  affaires  «publiques  ;  on  commença  à 
ignorer  leur  prérogative  de  gouvernance  générale. 

Encore  une  fois,  les  représentations  seigneuriales  au  Par- 
lement britannique  réussirent  dans  l'Acte  de  1791,  erroné- 


LA  xNATION  FRANCO- NOKMANDE  AU  CANADA  369 

ment  appelé  "  la  Constitution  de  I/QI,"  où  il  est  dit  :  Aux 
certains  droits  de  représentation  dans  le  conseil  supérieur 
du  pays,  l'Acte  autorise  le  roi  à  ajouter  des  sièges  hérédi- 
taires dans  ce  conseil.  Mais  les  préjugés  contre  la  consti- 
tution furent  trop  grands  à  la  faible  intelligence  et  au  sens 
éthique  de  l'administration. 

En  France,  où  sous  le  régime  légitime,  un  tel  dévouement 
de  la  part  de  la  noblesse  aurait  mérité  la  reconnaissance 
de  cette  monarchie  qui  fonda  l'Ecole  royale  militaire,  en 
1757,  ne  pouvant,  comme  il  est  dit  dans  la  lettre  de  fonda- 
tion :  ''envisager  sans  attendrissement  que  plusieurs  mem- 
bres de  notre  noblesse,  après  avoir  consommé  leurs  biens 
pour  la  défense  de  l'Etat,  leurs  fils  se  trouvassent  laissés 
sans  éducation,  eux  qui  auraient  pu  servir  un  jour  d'appui 
à  leurs  familles,  et  qu'ils  eussent  le  triste  sort  de  périr  ou  de 
vieillir  dans  notre  armée,  avec  la  douleur  de  prévoir  l'avi- 
lissement de  leurs  noms  dans  une  postérité  hors  d'état  d'en 
soutenir  le  lustre." 

Mais  le  gouvernement  anglais,  au  lieu  de  cette  reconnais- 
sance, sanctionna  en  1854,  après  un  long  conflit  civil  en  Ca- 
nada de  toutes  les  parties  anglaise  (les  descendants  des 
traîtres  anglais  de  1775-83),  contre  la  noblesse  (loyale  à  la 
couronne  en  1775-83),  l'abolition  de  la  tenure  seigneuriale. 
Le  préambule  de  l'Acte  Seigneurial  est  ainsi  conçu  :  "At- 
tendu qu'il  est  expédient  d'abolir  tous  droits  et  devoirs  féo- 
daux dans  le  Bas-Canada,  soit  qu'ils  portent  sur  le  censi- 
taire ou  sur  le  seigneur,  et  d'assurer  une  compensation  au 
dernier  pour  tout  droit  lucratif  qu'il  possède  aujourd'hui  lé- 
galement, et  qu'il  perdra  par  telle  abolition  ;  et,  attendu 
qu'en  considération  des  grands  avantages  qui  doivent  ré- 
sulter pour  la  province  de  l'abolition  des  dits  droits  et  de- 
voirs féodaux  et  de  la  substitution  d'une  tenure  libre  à  celle 
sous  laquelle  ont  été  tenues  jusqu'ici  les  propriétés  qui  y 
sont  sujettes,  il  est  expédient  d'aider  le  censitaire  à  rache- 
ter les  dites  charges,  plus  spécialement  pour  ce  qui  est  de 
celle  qui,  tout  en  pesant  le  plus  lourdement  sur  l'industrie 
et  l'esprit  d'entreprise,  ne  peuvent,  par  leur  nature  même 
être  autrement  rendues  immédiatement  rachetables,  sans 


870  LA   REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 

oppression  ni  justice  dans  beaucoup  de  cas:  à  ces  causes, 
qu'il  soit  statué,"  etc. 

Cet  Acte  parle  de  "justice!"  Lorsque  la  législature 
usurpe  le  droit  de  renverser  la  Constitution  du  pays,  les  ar- 
ticles du  traité  de  cession  de  1763  et  le  gage  d'honneur  de 
1774  entre  la  noblesse  du  Canada  et  la  Couronne,  un  gage 
iquî  avait  tenu  le  pays  "  en  tuition  et  défense  "  contre  les 
insurgés  du  dehors  et  les  traîtres  du  dedans  !  La  procédure  du 
gouvernement  anglais  en  Canada,  par  ce  fait,,  n'est  pas 
constitutionnelle;  c'est  révolutionnaire,  mais  si  les  Anglais 
aiment  mieux  assister  à  la  révolution,  qu'ils  garent  à  la  ré- 
volution. 

M.  Turcotte  dit,  dans  sou  "  Hist.  du  Canada  sous  l'Union, 
p.  244-5  "  •  "Dès  le  début,  les  seigneurs  jouèrent  au  Canada 
un  beau  rôle,  celui  de  protecteurs,  de  conseillers  du  colon 
Ils  avaient  dans  leurs  mains  l'autorité  civile  et  militaire 
qu'ils  avaient  conquise  par  leur  éducation,  par  leur  position 
et  par  leur  fortune.  Ils  se  montrèrent  généreux  et  tolérants 
envers  leurs  censitaires,  et  ces  nobles  qualités  se  transmi- 
rent à  leurs  successeurs  dans  beaucoup  de  seigneuries." 
Hist.,  p.  163.  M.  Papineau  (seigneur  de  Montebello)  censu- 
ra la  conduite  de  ceux  qui  agitaient  l'abolition  de  la  tenure 
seigneuriale.  Il  soutint  que  le  seigneur  était  propriétaire 
absolu  de  ses  domaines,  et  prétendit  que  les  cours  de  jus- 
tice avaient  toujours  décidé  que  le  taux  de  rente  était  à  la 
volonté  du  seigneur.  ''  Cette  tenure,  contre  laquelle  on  a 
tant  crié,  continua-t-il,  est  fondée  sur  la  sagesse  et  sur  la 
justice,  et  il  est  absurde  de  supposer  que  les  seigneurs 
peuvent  être  forcés  à  concéder  leurs  terres  bon  gré  mal 
gré...  L'agitation  actuelle  "  n'a  été  créée  que  par  des  men- 
diants de  popularité." 

La  couronne  britannique  sanctionna  cette  mesure  incons- 
titutionnelle, mais  la  position  de  la  couronne  britannique 
au  Canada  n'est  pas  constitutionnelle  elle-même.  Selon  le 
traité  de  1763,  "  la  Jcouronne  britannique  succéda  aux  pré" 
rogatives  de  la  couronne  de  France  sur  le  pays."  Les  pré- 
rogatives de  la  couronne  de  France  étaient  personnelles  et 
royales,   appartenant  au   roi,  comme  roi  ;    c'est  le  roi,  en 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA      371 

France,  qui  nomma  les  ministres  et  les  gouverneurs,  et  le 
parlement  n'avait  pas  voix  dans  ces  matières.  Les  pré- 
rogatives de  la  couronne  d'Angleterre  sont  fictives,  appar- 
tenant ^ux  ministres  du  parlement  ;  c'est  le  parlement  en 
Angleterre  qui  nomma  les  ministres,  et  par  les  mains  de 
ses  ministres,  les  gouverneurs.  Ea  coaséquence,  tous  les 
actes  du  gouvernement  anglais  au  Canada  sont  révolution- 
naires, illégaux.  Ils  ont  force  "de  facto,"  mais  pas  "de 
jure."  Le  roi  doit  faire  ses  nominations  au  Canada,  en 
"propria  persona,"  comme  roi,  selon  les  prérogatives 
dont  il  a  hérité  par  le  traité  de  cession  de  1763,  qui  est  la 
loi  suprême  au-dessus  de  toute  loi  de  parlement  :  c'est  la 
constitution  du  pays. 

La  maison  de  première  noblesse  en  Amérique  représen- 
tant les  empereurs  romains  ou  germaniques  dans  l'ordre 
Aryen  et  Seigneurial  de  l'Empire,  avec  le  titre  de  recon- 
naissance le  plus  grand,  est  celle  de  Christophe  Colomb, 
qui  porte  le  titre  de  duc  de  Véragua,  amiral  héréditaire 
des  Indes  Occidentales  et  vice-roi,  avec  la  faculté  de  propo- 
ser pour  les  hauts  emplois  trois  candidats  dans  chaque  pro- 
vince, ayant  en  plus  le  dixième  des  revenus  royaux  en 
perles,  pierres  précieuses,  or,  argent,  épices  et  autres 
denrées. 

Colomb  serait  seul  juge  dans  tous  les  procès  re- 
latifs au  commerce  de  ces  terres  avec  l'Espagne,  se  ré- 
servant de  fournir  le  huitième  de  la  dépense  de  l'expédi- 
tion, et  recevrait  en  outre  le  huitième  du  bénéfice  total. 

Ce  grand  homme,  le  fondateur  de  cette  maison  ducale, 
Christophe  Colomb,  le  découvreur  de  l'Amérique,  fut  fils  de. 
Dominico  Colombo,  et  petit-fils  de  Giovanni  Colombo,  ap- 
paremment originaire  de  la  vallée  génoise  de  la  Fontana- 
buona.  Ses  prédécesseurs  furent  d'une  famille  respectable 
de  la  bourgeoisie,  dont  les  membres  appartenaient  à  la 
"  Compagnie  des  tisserands."  Colomb  ne  reçut  dans  sa 
jeunesse  qu'une  éducation  très  élémentaire,  mais  plus  tard 
pendant  son  séjour  en  Portugal,  dans  ses  voyages,  il  s'ins- 
truisit par  ses  propres  efforts.  Il  semble  qu'il  abandonna 
l'emploi    de  tisserand    pour    se    faire    marin.      Lorsqu'il 


372  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

eut  conçu  son  projet  de  découvrir  les  pays  d'Ouest,  il  fut 
encouragé  par  Noscanelli,  un  des  plus  grands  et  des  plus  ins- 
truits marins  de  l'Europe.  11  essaya  naturellement  de  le  faire 
adopter  par  le  roi  du  Portugal,  mais  les  Portugais  n'en- 
trèrent pas  dans  les  vues  de  Colomb.  Celui-ci  porta  alors 
son  projet  à  l'Espagne  à  la  France  et  à  l'Angleterre  (1488). 
En  son  dernier  appel  en  1491,  les  gens  de  la  cour  l'avaient 
raillé.  Désespéré,  il  se  rendit  à  Huelva  chez  un  homme 
nommé  Muliar,  époux  d'une  sœur  de  sa  femme,  où  il  ren- 
contra le  médecin  Garcia  Keindez,  dé  Palos,  qui  savait  un 
peu  de  cosmographie,  et,  admirant  le  plan  qu'on  lui  divul- 
guait, résolut  que  le  frère  Juan  Pérez,  ancien  confesseur 
de  1  i  reine  Isabelle,  enverrait  une  lettre  à  sa  souveraine. 
Le  frère  conféra  avec  la  reine,  lui  fit  partager  sa  confiance 
et  revint  à  la  Rabida  chercher  Colomb,  qu'il  ramena  au 
camp  de  Santa  Fe  en  déc.  1491.  Dans  le  mois  de  janvier 
1492  il  décidait  une  expédition  qui  devait  donner  à  l'Es- 
pagne les  domaines  les  plus  vastes.  Il  partit  peu  de 
mois  après  la  même  année  avec  trois  vaisseaux  portant  120 
hommes  d'équipage  et  officiers.  La  deuxième  fois  que  Colomb 
croisa  les  mers  pour  l'Amérique,  il  amena  avec  lui  15,000 
hommes,  un  millier  de  marins,  des  officiers,  50  pages,  20 
lanciers  montés,  etc. 

Christophe  Colomb  obtint  par  lettres  patentes  données  à 
Burgos,  le  23  avril  1497,  l'autorisation  de  constituer  un  ma- 
jorât pour  perpétuer  dans  sa  famille  son  nom,  ses  armes, 
ses  titres  de  noblesse  et  ses  privilèges.  Il  institua  ce  majo- 
rât, le  22  janvier  1498  au  profit  de  son  fils  Diego. 

Le  père  de  Colomb  épousa  Suzanne  Fontanarossa,  origi- 
naire de  Bisagno  dans  la  banlieue  de  Gênes,  et  il  en  eut 
quatre  fils  (Christofo,  Giovanni-Pellegrino,  Bartolomeo,  et 
Diego)  et  une  fille  (Bianchinetta). 

Des  frères  de  Colomb,  "  Bartolomeo  "  fut  associé  à  des  en- 
treprises et  s'établit  à  Lisbonne,  où  il  était  apprécié  comme 
cartographe  et  comme  marin  pratique.  Il  était  cartographe 
auprès  la  reine  de  France  (Anne  de  Beaujeu),  quand  son  frère 
le  rappela  en  1493.  En  1494,  il  commanda  une  escadre 
destinée  à  ravitailler  son  frère.    Celui-ci  le  nomma  gouver- 


LA  NATION  FRANCO- NORMANDE  AU  CANADA  373 

neur  d'Hispaniola  (1494)  sénéchal  des  possessions  nou- 
velles (1496),  titre  confirmé  par  les  rois  d'Espagne.  Il  fonda 
Saint-Dominique.  Il  n'eut  qu'une  fille,  Maria,  née  en  1508. 
"  Diego,"  dernier  frère  de  Christofo,  né  en  1446,  mort  à 
Séville  en  I5I5>  suppléa  quelque  temps  son  frère  à  Hispa- 
niolaen  1496.  En  1500  il  entra  dans  les  ordres.  Sa  sœur, 
"Bianchinetta,  épousa  Giacomo  Bavarello  et  en  eut  un  fils, 
Pantaleone,  né  en  1490. 

"Christofo"  lui-même  épousa  Philippa  Moniz  et  en  eut 
un  fils  : 

"  Diego  Colon,"  né  en  i486,  page  de  la  reine  Isabeile  en 
1498.  A  la  mort  de  son  père,  il  hérita  de  ses  privilèges,  de  ses 
revenus  et  du  titre  d'amiral  des  Indes.  En  1509  il  partit  pour 
l'Hispaniola  comme  gouverneur  général,  avec  sa  femme, 
Maria  de  Toledo.  L'empereur  Charles  V  lui  rendit  en  1520, 
son  titre  de  vice-roi  des  Indes.  Mort  en  1526,  il  laissa  sept 
enfants  légitimes.  Il  épousa  Maria  de  Toledo,  fille  deFer- 
nando,  grand  fauconnier  et  commandeur,  major  de  l'Etat 
de  Léon,  frère  du  duc  d'Albe.  Ses  enfants  furent  :  I  Filippa, 
m.s.p.(l);  II  Maria,  mariée  à  Don  Sancho  de  Cardona,  amiral 
d'Aragon;  III  Juana,  mariée  à  Don  Louis  de  la  Cerda;  IV 
Isabelle,  mariée  à  Don  Jorge  de  Portugal  ;  V  Loiàs  (à  sui- 
vre) ;  VI  Cristoval,  souche  de  la  branche  actuelle  des  Co- 
lomb ;  VII  Diego,  m.  s.  p.  Par  ce  mariage,  les  Colomb  te- 
naient à  la  famille  royale  d'Espagne,  Maria  de  Toledo  étant 
petite-fille  de  Maria  Enriquez,  soeur  de  Juana,  mère  du  roi 
Ferdinand  le  Catholique. 

"  Louis  Colon  y  Toledo  (fils  de  Diego)  Ille  amiral  des  Indes 
et  1er  duc  de  Véragua.  Son  domaine  fut  définitiveuient  fixé 
au  nouveau  monde  par  l'empereur  Charles  V  de  25  lieues 
carrées  dans  la  province  de  Véragua  en  Amérique  Centrale 
avec  le  titre  et  les  fonctions  d'amiral  des  Indes  pour  lui  et 
ses  descendants. 

Il  avait  le  titre  de  capitaine-général  d'Hispaniola  en  iS^jO. 

"Cristoval  Colon,  son  frère  fut  successeur  du  précédent. 
Il  se  maria  trois  fois  :  l"*  avec  Léonore  Loazo  ;  2°  avec 
Anna   de  Pravia  ;    3^  avec  Madelena  de  Guzman  y  Maya, 

(l)   m.  s.  p.,  mort  sans  postérité. 


374 


LA    REVUE    FRANCO-AMIÉRICAINE 


tous  trois  de  Saint-Domingo.  Par  le  deuxième  mariage,  il 
eut  : 

"  Diego  Colon,"  qui  devint  titulaire  du  majorât,  duc  de 
Véragua,  etc.,  après  la  mort  de  son  oncle  Louis.  Il  épousa 
Filippa,  fille  cadette  de  Louis  en  1573.  Il  mourut  sans 
postérité  ;  et  sa  soeur  : 

"Franciexa  Colon  y  Pravia"  épousa  Don  Diego  Ortegon, 
juge  au  tribunal  de  Quito,  Pérou,  Amérique  du  Sud.  Elle 
résida  à  Panama  en  1574. 

Le  titre  est  porté  aujourd'hui  dans  la  lignée  femelle  des- 
cendue aussi  de  la  famille  de  Fitzjames  issue  du  roi 
Jacques  VII  d'Ecosse  et  II  de  la  Grande-Bretagne,  et 
Arabella  Chnr  chil!.  Le  duc  de  Véragua  demeure  actuel- 
lement à  Madrid,  en  Espagne. 


Les  Familles  de  la  Noblesse  de  nom  et  des  armes,  sei- 
gneuriale, consulaire,  bourgeoise  et  alumn&le  dans  les 
Archives  du  Collège  des  Armes  du  Canada. 

Les  descendants  de  ces 
familles  en  noms  de  fa- 
mille qui  désirent  enregis- 
trer les  preuves  de  leur 
noblesse  dans  les  regis- 
tres du  Collège  et  recevoir 
le  diplôme,  le  bouton  et 
la  décoration  de  la  no- 
blesse de  l'Ordre  Aryen 
et  Seigneurial,  doivent  en- 
voyer  leurs  renseigne- 
ments au  bureau  de  cette 
Revue,  adressés  au  Vi- 
comte de  Fronsac,  maré- 
chal de  blason,  "Revue 
Franco- Américaine,  197, 
rue  Notre-Dame  Est, 
Montréal. 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  375 

FITZJAMES  COLON  DE  LA  CERDA,  DUC  DE  VERAGUA 

Armes  :  Ecartelé,  I  et  4  le  blason  royal  du  roi  Jacques 
VII  d'Ecosse,  contourné  d'une  bordure  componée  des  lions 
et  des  fleurs  de  lis  ;  2  et  3  en  premier,  le  blason  du  royaume 
de  Castille  ;  en  second,  celui  du  royaume  de  Léon  ;  en  troi- 
sième, onde  d'azur  à  un  continent  et  29  îles  d'or;  en  qua- 
trième, d'azur  aux  5  ancres  d'or,  l'écu  enté  en  pointe 
à  une  bande  d'azur  accompagnée  d'un  chef  de  gueules. 
Couronne  ducale  au-dessus  de  celle  d'un  seigneur  de  l'Em- 
pire. 

LEPAGE  DE  RIMOUSKI 

Armes  :  D'argent  à  l'aigle  de  sable  armé,  becqué  et  épe- 
ronné  de  gueules.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  René  Lepage,  seigneur  de  Rimouski,  né  en 
1659,  fiis  de  Germain  et  petit-fils  d'Etienne  Lepage  et  de 
Nicole  Berthelot  (N.  D.  d'Ouenne,  Auxtrre),  marié  en  1686 
à  Marie  M.,  fille  de  Pierre  Gagnon.  Son  fils  : 

Pierre  Lepage,  sieur  de  St-Barnabé,  né  en  1687,  marié  au 
Château-Richer  en  1716  à  Marie  A.,  fille  de  François  de 
Trépagny. 

*  * 

MARTEL  DE  LA  CHENAYE 

Armes  :  D'azur  à  un  marteau  d'argent,  couronné  d'or,  en 
pal,  accompagné  d'un  croissant  du  second.  Cimier:  Un 
lion  issuant  d'argent,  couronné  d'or.  Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Raymond  Martel,  sieur  de  la  Chenaye,  fils  de 
Pierre  et  de  Jeanne  de  La  Hargue  (Clarence,  Rayonne),  ma- 
rié à  Batiscan  en  1697  à  Marie,  fille  d'Antoine  Trottier. 

MOREL  DE  LA  DURANTAYE 

Armes  :  D'argent  au  léopard  de  gueules.  Couronne 
seigneuriale. 

Histoire  :  Olivier  Morel,  sieur  de  La  Durantaye,  né  en 
1644,   fi^s   de  Thomas   et  d'AUiesse   du   Haussay  (Gaure, 


376  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Nantes)  marié  à  Québec  en  1670  à  Françoise,  fille  de  Denis 
Duquel.     Son  fils  : 

Olivier  Morel,   sieur   du    Haussay,   lieutenant,  marié   à 
Montréal  en  1696  à  Marie  T.  Guyon. 


NAU  DE  FOSSAMBAULT 

Armes  :  D'azur  au  lion  d'argent,  armé  et  lampassé  de 
gueules,  couronné  d'or,  tenant  en  patte  dextre  une  épée 
d'argent.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Jean  Nau,  seigneur  de  Fossambault,  né  en  1642, 
fils  de  Jacques  et  de  Perinne  Clavier  (Trinité  Moscou,  Bre- 
tagne), marié  à  Québec  en  1661  à  Marie,  fille  de  Nicolas 
Bonhomme. 

NEPVEU  DE  NORAYE 

Armes  :  De  gueules  à  6  billettes  d'argent  au  chef  du 
même.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Jean  Nepveu  seigneur  de  la  Noraye,  colonel  de 
milice,  né  en  1676,  fils  de  Philippe  et  de  Denyse  Sylvestre, 
marié  à  Montréal  en  1702  à  Marie  J.,  fille  de  Jacques  Pas- 
sard,  et  ensuite  en  1704  à  Françoise,  fille   de  Jean  Legras. 


NORMAND  DE  REPENTIGNY 

Armes  :  D'argent  au  chevron  de  sinople,  accompagné  en 
chef  de  2  croissants  et  en  pointe  d'une  tête  de  Maure  tor- 
tillée d'argent.    Couronné  seigneuriale. 

Histoire  :  Jean  B.  Normand,  seigneur  de  Repentigny,  né 
en  1717,  fils  de  Charles,  fils  de  Joseph,  fils  de  Pierre,  marié 
(1786)  à  Marie,  fille  de  J.  B.  Richaume. 


PAYEN  DE  NOYAU 

Armes  :  D'argent  à  3  tours  de  sable,  la  première  chargée 
d'une  rose  d'or.  Devise  :  "In  arduis  fortior."  Couronne  sei- 
gneuriale. 


LA    NATION    FRANCO- NORMANDE    AU    CANADA  377 

La  Nation  Franco-Normande  au  Canada 
Histoire  :  Pierre  Payen,  sieur  de  Noyau,  fils  de  Pierre, 
chevalier  de  Chevoir,  et  d'Hélène  Vivien  (Avraiiches),  marié 
en  1664  à  Catherine  J.,  fille  de  Charles  Lemoyne,  baron  de 
Longueuil  à  Québec. 

*  * 

PILET  DE  DIJON 

Armes  :  De  gueules  à  3  javelots  d'or  accompagnés  en 
chef  d'une  colombe  du  même.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Guy  Pilet,  seigneur  de  la  Valle  de  Dijon,  fils 
de  Jean  et  de  Claudine  de  la  Pierre  (Langres),  marié  à  Qué- 
bec en  1694  à  Louise,  fille  de  Jean  Minot. 

* 

*  * 

PIRON  DU  LONG 

Armes  :  D'argent  à  3  fasces  de  gueules  accompagnées  de 
10  molettes  du  même.     Couronne  seigneuriale. 

Histoire  :  Pierre  Piron,  sieur  du  Long,  né  en  1636,  fils  du 
Dr  Thomas  et  de  Françoise  Bajot  (Malicorne,  Mans),  ma- 
rié à  Québec  en  1663  à  Jeanne,  fille  de  Mathieu  Lorrion. 


Etud 


e  sociale 


Montréal  est  remarquable  à  plus  d'un  titre.  Admirable- 
ment située  au  pied  du  Mont-Royal,  sur  les  bords  enchan- 
teurs du  majestueux  St-Laurent,  pour  nous  le  plus  beau 
fleuve  du  monde,  notre  cité,  ^qui  s'étend  maintenant  en 
arrière  jusqu'à  la  rivière  des  Prairies,  au  cours  très  rapide, 
devrait  être  d'une  salubrité  parfaite. 

Vous  croyez  qu'il  en  devrait  être  ainsi  ?  Ah!  détrompez- 
vous.  Le  siècle  où  nous  vivons  demande  des  records  en 
tout  genre'.  Montréal  a  le  sien  :  c'est  celui  par  trop  macabre 
d'une  excessive  mortalité.  On  attrape  ce  que  l'on  peut.  Il 
n'en  mérite  pas  moins  de  ce  fait  le  surnom  peu  enviable, 
mais  suffisamment  caractéristique,  de  "Cité  de  la  Mort." 

Sa  spécialité  est  la  mortalité  infantile. 

Saturne  dévorait  ses  enfants  :  Montréal  est  satisfait  de 
les  voir  mourir  prématurément.  Cela  fait  moins  de  bouches 
à  nourrir.  Puis,  la  nécropole  du  Mont-Royal  est  si  vaste 
Néanmoins  les  journaux  à  nouvelles  en  font  mention  au 
temps  de  la  canicule.  On  va  même  parfois  jusqu'à  parler 
de  mesures  préventives.  Mais  la  statistique  ne  nous  a  point 
encore  révélé  l'efficacité  du  procédé. 

Passons  sans  insister. 

•X-    -x- 

Montréal  est  la  métropole  du  Canada. 

C'est  non  seulement  1^  plus  grande  et  la  plus  populeuse 
cité  de  la  Puissance,  c'en  est  encore  la  plus  prospère  et  la 
plus  riche.  On  y  compte  plus  de  cent  millionnaires.  Que 
pourrait-il  lui  manquer  pour  couronner  tout  cela } 

Rien  que  l'on  sache,  puisque  Montréal  est  en  même  temps 
la  ville  la  plus  malpropre  du  continent,  ce  qui  n'est  pas  peu 
dire.  Finis  coronat  opiis  ;  le  couronnement  est  digne 
d'une  ville  qui  se  distingue  également  par  ses  bicoques  in- 
salubres. Il  est  aussi  à  la  hauteur  du  civisme  de  ses  apa- 
thiques habitants. 


ÉTUDE    SOCIALE  379 

Sir  Guillaume  van  Horne,  au  retour  d'une  excursion  à 
Cuba,  a  pu  dire  récemment  que  les  rues  les  plus  sales  de  la 
Havane  ne  Tétaient  pas  autant  que  celles  de  la  métropole 
du  Canada. 

Le  nom  de  sir  Guillaume  a  été  mentionné  en  rapport 
avec  la  nouvelle  Commission  des  Parcs.  Il  connaît  son 
monde  et  sait  que  nous  prenons  surtout  les  petites  choses 
au  sérieux.  Il  a  jugé  le  sujet  assez  important  pour  nous 
parler  sans  détour.  Cela  n'aura  pas  pour  effet  de  nous  é- 
mouvoir  outre  mesure;  c'est  dès  maintenant  une  affaire 
classée  avec  la  mortalité  infantile,  jusqu'à  la  prochaine  ca- 
nicule. 

Seulement,  pour  une  fois,  la  grande  presse,  d'ordinaire  si 
avide  de  détails,  a  omis  de  nous  dire  si  l'illustre  voyageur 
avait  retroussé  ses  pantalons  avant  de  descendre  du  con- 
voi. Elle  pourra  se  reprendre  lorsque  le  futur  commissaire 
mettra  la  main  à  la  pâte,  pardon,  à  la  boue  des  parcs,  et 
nous  apprendre  alors  s'il  a  retroussé  ses  manches. 

Ne  poussons  pas  plus  loin  la  digression. 

*   * 

Montréal  est  donc  une  sale  ville. 

Une  partie  de  la  population  s'en  réjouira.  C'est  que,  en 
dehors  du  corps  échevinal,  on  compte  bel  et  bien  cinquante 
mille  Israélites.  Montréal  est  une  nouvelle  terre  promise 
très  hospitalière. 

Et  dans  cette  bonne  ville,  toujours  pour  se  distinguer,  on 
est  surtout  hospitalier  pour  les  étrangers.  C'est  une  glo- 
riole de  plus.  Comme  noblesse  oblige,  il  faut  bien  faire  en 
sorte  que  tout  ce  monde-là  grouille  à  l'aise,  et  il  est  en 
effet  bien  chez  lui. 

Max  O'Rell,  qui  voyageait  autant  que  sir  Guillaume  van 
Horne,  ne  connaissait  qu'un  pays  au  monde  où  il  n'y  a 
point  de  Juifs  :  l'Ecosse.  Par  là,  il  reconnaissait  une 
certaine  supériorité  aux  Ecossais.  L'auteur  de  "John  Bull 
et  son  Ile"  serait,  tout  comme  un  vulgaire  nationaliste,  ab- 
solument incompris  à  Montréal. 


380  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

On  a  entendu  dire  et  répéter  que,  pour  plaire  aux  Hé- 
breux, il  faut  surtout  deux  choses  :  de  la  malpropreté  et  de 
l'argent  à  amasser.  Montréal  leur  a  offert  l'une  et  l'autre 
en  abondance. 

Mais  tout  cela  ne  serait  plus  qu'une  légende,  que  le  pre- 
mier échevin  d'origine  juive  va  faire  disparaître.  En  effet, 
M.  Blumenthal  s'est  empressé  de  se  lever  pour  demander 
que  l'on  étudie  les  moyens  à  prendre  pour  faire  disparaître 
les  masures  et  les  taudis,  qu'on^a  pris  l'habitude  de  regarder 
comme  autant  de  monuments  d'un  autre  âge. 

Il  ne  restera  plus  à  la  bénévole  population  chrétienne  de 
la  métropole,  qu'à  attendre  la  récompense  qui  échoit  inévi- 
tablement à  tous  ceux  qui  ont  la  bosse  de  la  résignation 
par  trop  développée  :  un  maître  !... 

* 
*   * 

Nous  en  avons  déjà  plusieurs.  Au  point  de  vue  spirituel, 
les  Irlandais  le  sont  depuis  longtemps. 

Ayons  le  courage  de  faire  un  examen  de  conscience  ci- 
vique et  de  nous  demander,  en  rapport  avec  le  sujet  qui 
nous  occupe,  si  nous  sommes  bien  ce  que  nous  devrions 
être.  Si  nous  l'étions,  comment  ceux  qui,  dans  l'ordre  ré- 
gulier des  choses,  devraient  plutôt  nous  être  tributaires 
seraient-ils  nos  maîtres .? 

On  pourrait  s'en  rendre  compte  en  faisant  une  inquisition 
sur  la  propreté  de  chaque  groupe.  Et  si  l'on  s'enquiert  de 
ce  chef  auprès  des  Canadiens,  que  répondront-ils  }  Qu'ils 
sont  propres,  naturellement,  grâce  à  l'activité  de  leurs  mé- 
nagères, et  ils  n'auraient  qu'à  ouvrir  leurs  demeures  pour 
nous  en  donner  la  preuve.     N'est-ce  pas  suffisant  ? 

Cleanliness  is  next  to  godliness,  disent  les  Anglais.  Sir 
Guillaume  van  Horne,  parlant  pour  eux,  nous  a  librement 
fait  connaître  leur  sentiment.  Comme  toutes  les  minorités, 
ils  subissent  ce  qu'ils  ne  peuvent  empêcher. 

Alors  voici  qui  est  fort  étrange  :  la  majorité  de  la  popu- 
lation de  Montréal  est  propre  ;  elle  comprend  toute  l'impor- 
tance de  la  propreté,  elle  la  pratique  intérieurement  en  toute 
circonstance,  et  elle  tolère  sans  protester  que  les  rues  de  la 
ville  soient  aussi  mal  entretenues  ! 


ÉTUDE    SOCIALE  381 

Pourquoi  ne  pas  afficher  au  dehors  ce  qui  se  pratique  au 
dedans  ?  Pourquoi  cette  anomalie  ?... 

On  a  pu  croire,  et  apparemment  avec  raison,  que  c'était 
par  complaisance  pour  les  Juifs.  Pouvions-nous  autrement 
atténuer  notre  inconséquence  ?... 

Maintenant  tout  cela  nous  échappe.  Voilà  que  le  pre- 
mier enfant  d'Israël  que  nous  faisons  entrer  à  l'Hô- 
tel de  Ville,  fait  un  geste  énergique  pour  attester  qu'il  n'en 
est  rien.  Il  veut  faire  disparaître  les  taudis  :  c'est  un  grand 
nettoyage.  De  là  à  celui  des  rues  il  n'y  a  qu'un  pas.  Otte 
attitude  est  aussi  étonnante  qu'imprévue,  en  ce  qu'elle 
tend  à  dégager  la  responsabilité  sémitique. 

Le  soufflet  est  rude,  mais  il  nous  reste  une  autre  joue. 

*   * 

Ne  pourrait-on  pas  trouver,  au  sein  d'une  grande  et  po- 
puleuse cité  comme  Montréal,  des  hommes  propres  à  re- 
présenter leurs  propres  concitoyens  proprement,  en  dehors 
des  tribus  d'Israël .?... 

D'abord  peut-on  conséquemment  être  dans  la  vie  civique 
ce  qu'on  est  dans  la  vie  privée  .?...  Il  faut  être  de  bon  compte. 
Un  brave  citadin  peut  bien  vouloir  que  sa  maison  soit 
propre.  Peut-il  également  souffrir  que  son  mandataire 
le  soit  .^..  Qu'adviendrait-il  de  celui  qui,  par  inexpérience, 
oserait  pratiquer  ouvertement  ce  que  la  majorité  professe 
privément  à  cet  égard? 

On  ne  le  sait  que  trop  !... 

Il  faut  bien  être  de  son  temps  et  de  sa  ville,  accepter  les 
influences  malsaines  qui  surgissent  on  ne  sait  d'où,  changer 
nos  coutumes  pour  accepter  les  habitudes  malpropres  de 
tous  les  saligauds  dont  Montréal  est  le  refuge  !... 

Ne  faut-il  pas  subir  ce  qui  nous  domine  ? 

Tant  que  nous  avons  pu  supposer  que  la  malpropreté  de 
la  ville  convenait  mieux  aux  Israélites,  nous  avions  un  pré- 
texte pour  l'accepter  d'aussi  bonne  grâce.  A  présent  qu'on 
prévoit  qu'il  en  est  autrement,  allons-nous  continuer  à  nous 
la  laisser  imposer  de  la  même  manière  .?... 


382  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICIANE 

Nous  aimons  qu'on  nous  paye  de  mots.  Nous  avons  trop 
souvent  préféré  la  flagornerie  et  la  hâblerie  !...  Il  n'y  a  que 
les  gens  de  bien  qui  peuvent  entendre  toute  la  vérité,  et  ci- 
viquement  nous  n'y  sommes  pas.  Pour  devenir  conséquents 
avec  nous-mêmes,  il  faudrait  cesser  d'être  veules.  Au  point 
de  vue  civique,  en  sommes- nous  encore  capables  }  Notre 
force  d'inertie  est  bien  grande,  et  notre  esprit  public  bien 
étroit  ! 

N'avons-nous  pas  trop  d'engouement  pour  les  sépulcres 
blani:his  }  Nous  nous  y  attachions  parfois  jusqu'à  ce  qu'ils 
tombent  en  pièces.  On  pourrait  tout  renverser  pour  main- 
tenir tel  faiseur  au  pinacle,  mais  on  ne  donnerait  pas  un 
vote  pour  la  sauvegarde  d'une  prérogative;  on  ferait  une 
révolution  pour  porter  un  pygmée  quelconque,  genre  Giroux, 
sur  le  pavois,  sans  prendre  la  peine  de  lever  un  doigt  pour 
le  maintien  d'un  principe. 


Quoi  qu'il  en  soit,  les  rues  de  Montréal  n'en  restent  pas 
moins  sales,  plus  sales  qu'à  la  Havane.  Devons-nous  y 
voir  une  marque  indélébile  de  notre  moralité  civique  }  "Les 
vices  d'autrefois  sont  les  moeurs  d'auiourd'hui."  Cette  pa- 
role d'un  moraliste  serait  applicable  à  notre  cas. 

La  consigne  est  donc  d'être  malpropre. 

En  hiver  il  y  aurait  moins  raison  de  l'être.  Les  cendres 
y  contribuent  beaucoup,  et  le  sel  bien  davantage  :  il  rend 
la  neige  des  rues  friable  et  mouvante  comme  du  sable. 
Cette  neige  devient  rapidement  noire  et  infecte  ;  transpor- 
tée par  les  piétons  sur  les  trottoirs,  elle  les  rend  visqueux  et 
dégoûtants  au  possible. 

Cette  malpropreté  est  bien  volontaire.  Ce  ne  sont  pas 
les  moyens  qui  nous  manqueront  quand  il  nous  plaira  de 
nous  nettoyer.  Le  jour  n'est  pas  éloigné  où  les  revenus  de 
la  cité  de  Montréal  atteindront  dix  millions  de  piastres 
annuellement.  C'est  beaucoup  d'argent  !  Ne  pourrait-on  pas 
en  distraire  un  peu  plus  pour  la  toilette  municipale  }... 

C'est  une  vérité  de  La  Palice  que,  pour  tenir  la  ville  plus 
propre,  il  faudrait  dépenser  plus  d'argent  à  cette  fin.     Mais 


ÉCOLE   SOCIAL  383 

le  plus  économe  de  nos  échevins  connaît  trop  bien  que 
l'argent  n'est  pas  fait  pour  se  gaspiller,  du  moins  de  cette 
façon  !...  Et  puis,  en  dépit  de  leur  malpropreté,  les  rues  sont 
encore  passables  en  voiture  automobile. 

Comme  toujours,  les  gens  à  l'aise  peuvent  s'en  tirer. 
Quant  aux  menues  classes,  les  plus  nombreuses,  partant  les 
plus  responsables  du  régime,  c'est  moins  facile  mais  ce 
n'est  que  justice,  la  justice  immanente  des  choses. 

On  n'a  que  les  gouvernements  qu'on  mérite,  même  en  po- 
litique municipale. 

On  ne  peut  rien  faire  de  plus. 

La  sagesse  dit  bien  :  Aide-toi,  le  ciel  t'aidera.  L'incon- 
vénient est  qu'il  faut  s'aider.  Mais  s'il  fallait  changer  l'état 
de  choses  acceptés  si  bénévolement,  ce  serait  assez  pour 
dégoûter  le  premier  venu  dénué  de  tout  civisme,  n'ayant 
du  zèle  que  pour  le  patronage  ;  assez,  disons-nous,  pour  le 
dégoûter  à  jamais  d'être  échevin!... 

Heureusement  que  nous  ne  sommes  pas  sauvages  à  ce 
point. 

D'ailleurs  le  changement  nous  gâterait  notre  cher  Mont- 
réal, que  nous  connaissons  si  bien,  et  dont  le  moindre  cloa- 
que nous  est  si  familier;  notre  cité  si  bien  boueuse  les  jours 
de  pluie,  si  bien  remplie  de  poussière  les  jours  de  soleil  !... 
Pourrions-nous  jamais  consentir  à  voir  disparaître  tout 
cela  .?... 

Que  deviendrons-nous  ? 

Grand  Dieu!  n'avons-nous  pas  déjà  assez  d'embarras 
pour  remplacer  seulement  un  contrôleur  ?...  Jugez  donc  s'il 
fallait  faire  maison  nette!  Non,  n'ouvrons  point  cette  boîte 
de  Pandore  !... 

Mais  M.  Blumenthal  est  là  !...  Qu*arrivera-t-il  ? 

S&int-Sorlîn. 


Corporation    Sole 


Nos  lecteurs  ont  encore  présents  à  la  mémoire  les  événe- 
ments qui  se  sont  déroulés  dans  l'Etat  du  Maine,  depuis 
une  couple  d'années,  autour  d'une  question  singulièrement 
épineuse,  la  tenure  des  propriétés  paroissiales.  Le  superbe 
plaidoyer  de  maître  Dupré  devant  le  comité  des  lois  du 
parlement  de  l'Etat  du  Maine,  leur  a  montré  une  situation 
rigoureusement  exacte,  mais  étrange  à  ce  point  que  beau- 
coup, même  parmi  les  amis  de  la  cause,  ont  refusé  d'y  voir 
autre  chose  qu'une  charge  irréfléchie,  inspirée  par  des  pré- 
jugés sans  nombre,  par  une  sorte  de  sentiment  aigri  par  la 
lutte  sans  trêve  soutenue  par  les  nôtres  sous  la  verge  de  fer 
de  certains  évêques  de  la  Nouvelle-Angleterre. 

M.  Dupré  leur  a  montré  comment,  sans  avis,  les  catholi- 
ques du  diocèse  de  Portland  ont  été  privés  des  droits  les 
plus  sacrés  sur  la  simple  demande  de  Mgr  Healy.  Mais 
l'Etat  du  Maine  n'a  pas  été  le  seul  à  être  affligé  d'un%areil 
déni  de  justice,  comme  il  n'est  pas  le  seul,  du  reste,  a  pos- 
séder le  triste  honneur  de  voir  des  milliers  de  citoyens 
libres  livrés  à  la  curée  des  despotes  assimilateurs. 

J'ai  souvenance  qu'en  1903  se  produisit  un  grand  émoi 
dans  le  diocèse  de  Hartford,  Connecticut,  à  la  nouvelle  que 
la  législature  de  l'Etat  venait,  en  changeant  le  mode  d'é- 
lection des  syndics  paroissiaux,  de  priver  les  catholiques  du 
droit  d'exercer  un  certain  contrôle  sur  les  deniers  contri- 
bués au  culte.  Et,  en  relisant  les  lettres  de  quelques  pa- 
triotes qui  me  font  l'honneur  de  m'écrire  leurs  impressions 
sur  l'oeuvre  de  la  REVUE,  je  retrouve  une  lettre  racontant 
au  long  l'histoire  de  la  législation  spoliatrice  adoptée  par 
la  législature  du  Connecticut,  à  la  demande  de  feu  l'évêque 
Tierney.  Cette  lettre  est  un  véritable  document  historique 
que  je  tiens  à  vous  citer  en  entier.  Elle  est  écrite  par  un 
témoin  oculaire,  même  plus,  par  un  acteur,  hélas  !  impuis- 
sant contre  le  nombre,  dans  ce  que  je  peux  bien  appeler 


CORPORATION    SOLE  385 

ce  nouveau  drame  qui  fait,  avec  tant  d'autres,  le  fond  de  la 
vie  des  catholiques  franco-américains.    Lisons  ensemble  : 

"  Oui,  mon  cher  ami,  j'étais  présent  à  la  législature  du  Connecticut, 
en  1903,  lorsque  fut  changé,  par  une  loi,  le  mode  d'élection  de  nos  syndics 
paroissiaux.  Je  me  souviens  de  tout  cela  comme  si  c'était  arrivé  hier  ; 
c'est  même  un  drame  auquel  j'ai  pris  une  part  active. 

"  Tu  sais  qu'avant  1903  le  choix  des  syndics  dans  le  diocèse  de  Hartford 
se  faisait  de  la  façon  suivante  :  le  curé  convoquait  une  assemblée  de  pa- 
roisse ;  cette  assemblée  choisissait  deux  membres  d'un  comité  de  trois, 
dont  le  curé  était  membre  ex-officio.  Ce  comité,  composé  de  deux  laïques 
et  du  curé,  choisissait  ensuite  à  la  majorité  des  voix  les  deux  sgndics  de 
la  paroisse.  Ce  système  causait,  paraît-il,  quelques  ennuis  à  certains  cu- 
rés, surtout  dans  les  paroisses  mixtes  ou  dirigées  par  des  curés  européens 
la  plupart  ligués  avec  l'évêque  contre  les  Franco-Américains.  C'est  pour 
cela  que  Mgr  Tierney  demand^.  et  obtint  de  la  législature  une  loi  con- 
fiant le  choix  des  syndics  au  curé,  à  l'évêque  et  à  son  Grand  Vicaire. 

"  Pendant  cette  session  de  1903  j'avais  été  très  occupé  avec  un  collè- 
gue, un  "  good  fellow  "  qui  ne  disait  pas  grand'chose  et  ne  faisais  pas 
davantage,  à  surveiller  certains  projets  de  loi  intéressant  notre  ville.  Le 
Bill  de  Mgr  Tierney  passa  à  peu  près  inaperçu  à  la  chambre  basse,  puis 
au  sénat  qui  l'adopta  un  jeudi. 

"  Le  dimanche  suivant,  le  curé  de  Putnam  annonça  en  chaire  qu'il 
n'aurait  plus  de  trouble  avec  ses  paroissiens  pour  le  choix  des  syndics, 
qu'une  loi  recomment  adoptée  par  la  législature  venait  d'arranger  tout 
cela.  C'était  la  première  nouvelle  qu'on  en  avait  dans  tout  l'Etat.  Le 
Dr  Orner  Larue,  présent  à  la  messe,  arrivait  à  Hartford  le  mardi  suivant 
et  nous  partîmes  tous  deux  à  la  recherche  des  moyens  de  conjurer  ce 
danger  qui  nous  arrivait  d'une  façon  aussi  inattendue. 

"  J'appris  alors  que  le  fameux  bill  n'attendait  plus  que  la  signature  du 
gouverneur  pour  devenir  loi.  Avec  un  peu  de  travail  de  notre  ami  le 
sénateur  Brown,  le  bill  fut  rappelé  sans  opposition  par  le  sénat,  tandis 
qu'une  résolution  demandant  la  même  chose  était  présentée  à  la  chambre 
des  députés.  Immédiatement,  quelques  bons  Irlandais  prétendirent  que 
cette  opposition  au  bill  arrivait  après  coup  et  que  la  chambre  n'avait  pa» 
besoin  de  se  déjuger.  On  fit  alors  observer  aux  députés  que  le  bill  soule- 
vant une  très  forte  opposition  qui  se  serait  certainement  manifestée  à 
l'audience  si  on  lui  avait  donné  la  publicité  convenable  ;  que,  dans  tous 
les  cas,  la  chambre  basse  pouvait  fort  bien  suivre  l'exemple  du  sénat  qui 
venait  d'accorder  la  reconsidération  du  projet.     Cet  avis  prévalut. 

-'  Il  y  eut  une  nouvelle  audience  qui  permit  à  un  très  grand  nombre  de 
nos  compatriotes  de  protester  contre  une  loi  qui  leur  enlevait  tout  droit 
de  représentation  dans  les  affaires  temporelles  de  leurs  paroisses.  Nos 
amis  invoquèrent  le  principe  connu  :  No  taxation  without  représenta- 
tion, qui  avait  poussé  les  jeunes  colonies  américaines  à  prendre  les  aimes 


386  LA  REVUE  FRANX'O-AMÉRICAINE 

et  ils  firent  remarquer  que  le  bill  était  non  vSeulement  anti-âmérîcain  mais 
«le  n  ,ture  à  causer  des  torts  considérables  à  l'Eglise  elle-métne. 

"  Une  vive  polémique  fut  soulevée  dans  les  journaux.  Pour  ma  part, 
je  fus  l'objet  de  visites  assez  anusantes  de  la  part  de  certains  membres  du 
clergé  irlandais.  Un  d'entre  eux  qui  se  disait  chargé  de />r£^jr^«/z>  m'a- 
vertit charitablement  que  si  je  ne  cessais  pas  de  combattre  le  bill,  c'en 
était  fait  de  mon  avenir  politique.  Je  lui  répondis  que  mon  avenir  poli- 
tique ne  devait  plus  être  considéré  lorsqu'il  s'agissait  d'un  principe 
comme  celui  que  nous  défendions.  Le  bon  abbé  ne  fut  pas  sati  fait  de 
ma  réponse,  mais  il  a  tenu  parole  avec  les  siens  en  mettant  un  terme  à 
ma  carrière  politique,  ce  dont  je  ne  me  plains  pas  du  reste. 

"  Beaucoup  de  députés  dont  certains,  irlandais  dont  les  intérêts  sont 
identiques  aux  nôtres,  m'avaient  promis  avant  l'audience  de  voter  contre 
le  bill  de  Mgr  Tierne3^  Quelle  ne  fut  pas  ma  surprise  à  l'audience  de  les 
entendre  parler  en  faveur  de  la  mesure  qu'ils  avaient  promis  de  combat- 
tre. O  consisteficy ,  ihou  art  ajewel!  L'un  d'entre  eux  auquel  je  de- 
mandais des  explications  me  répondait  :  "  Well,  you  know,  we  cannot 
come  out  in  open  opposition  to  our  priest."  Ces  braves  gens  préfèrent 
abandonner  l'Kglise  plutôt  que  de  défendre  leurs  droits  contre  leurs  curés. 
Voilà  bien  une  des  causes  des  millions  de  défections  irlandaises  dans  l'E- 
glise des  Etats-Unis. 

"  Voyons  maintenant  le  bill  devant  la  Chambre.  Le  jour  du  vote,  il  y 
avait  dans  la  salle  des  séances  un  grand  nombre  de  prêtres,  tous  des  Ir- 
landais, venus,  paraît-il,  pour  surveiller  le  vote  des  députés  dont  ils  n'é- 
taient pas  sûrs.  Un  d'enirc  eux  était  assis  près  de  moi  et  avait  à  sa 
droite  un  des  députés  de  New  London  qui  m'avait  promis  de  voter  contre 
le  bill  et  qui  vota  pour  sous  l'œil  du  Révérend  Père.  Il  me  disait,  après 
la^éance,  tout  bas  et  dans  l'oreille,  qu'il  n'avait  pas  pu  refuser  de  voter 
pour  le  bill  à  son  curé  parce  que  ce  dernier  l'avait  marié. 

"le  comptais  faire  certaines  observations  contre  le  bill  devant  les  dé- 
putés. Le  président  de  la  chambre,  Michael  Kennealy,  dont  l'origine 
n'est  pas  douteuse,  décida  qu'il  n'y  aurait  pas  de  discussion.  Le  bill  fut 
adopté.  Et  je  t'assure  que  les  curés  n'ont  plus  de  trouble  ;  ils  ne  consul- 
tent même  pas,  dans  certaines  paroisses,  ceux  qu'ils  ont  choisis,  lorsqu'il 
s'agit  de  dépenser  des  sommes  très  considérables, 

"  Et  voilà,  mon  vieux,  comment  nous  fûmes  roulés  par  cette  loi  qui 
nous  laisse  piller  tous  les  jours  pour  la  plus  grande  gloire  de  Dieu  !" 

"  Et  puis,  t  ens,  écoute  ceci.  Puisque  je  suis  en  frais  de  t'écrire,  je  pro- 
fite de  l'occasion  pour  vous  féliciter  et  vous  remercier,  toi,  tes  collègues 
et  collaborateurs  de  la  Revue  Franco- Américaine,  pour  le  travail  colossal 
que  vous  faites  pour  la  cause  nationale.  La  REVUE  est  la  meilleure  pu- 
blication française  sur  le  continent  américain  ! 

"  Vous  faites  pénétrer  la  lumière  brillante  de  la  vérité  à  travers  lei 
menées  ténébreuses  des  assimilateurs.  Vous  faites  de  l'histoire,  une  be- 
sogne rare,  mais  qui  est  indispensable  pour  réveiller  nos  endormis. 


l'eau  d'alimentation  de  la  ville  de  MONTRÉAL      387 

*'  Je  te  souhaite  tout  le  succès  possible,  même  jusqu'au  miracle.  Con- 
tinuez votre  œuvre  admirable,  nous  avons  tous  les  yeux  sur  vous  et  la 
Revue." 

Cette  lettre  est  un  peu  longue  pour  être  insérée  dans  une 
note,  mais  je  suis  certain  que  le  lecteur  ne  s'en  est  guère 
aperçu.  Quant  au  couplet  de  la  fin,  j'avoue  y  prendre  un 
plaisir  extrême.  Au  fait,  un  ami  ne  peut  guère  se  montrer 
plus  aimable  tout  en  nous  prouvant  que  nous  ne  sommes 
pas  seuls  à  faire  de  l'histoire. 

J.  L.  K.-Laflamme 

L'eau  d'alimentation  de  la  ville  de 
Montréal 


M.  A.  Blumenthal,  récemment  élu  échevin  de  fa  ville  de 
Montréal  par  le  quartier  Saint-Louis,  à  une  séance  du  con- 
seil municipal,  a  posé  une  question  du  plus  haut  intérêt  et 
qui  peut  se  résumer  comme  suit  : 

Sait-on  qu'il  existe  à  Montréal  des  taudis  infectes,  d'une 
malpropreté  sans  nom,  qui  sont  une  menace  constante  pour 
la  santé  publique  ? 

La  ville  de  Montréal  a-t-elle  l'intention  d'adopter  des 
règlements  supprimant  ce  déplorable  état  de  choses  ? 

M.  Blumenthal  mérite  des  félicitations  pour  son  civisme 
éclairé.  Personne  ne  peut  connaître  mieux  que  lui  les  tau- 
dis dangereux  pour  la  santé  publique,  parce  qu'ils  se  trou- 
vent pour  la  plupart  dans  le  quartier  qui  l'a  élu. 

Voilà  un  échevin  que  "l'égoïste  et  basse  hantise  de  la 
réélection  ne  tient  pas  au  cou  comme  un  carcan,"  dirait 
Allombert.  Il  n'a  pas  eu  peur  d'appeler  les  choses  par 
leur  nom  et  de  dire,  indirectement,  leur  fait  à  ses  com- 
mettants.    Bravo  î 

Mais  il  y  a  bien  autre  chose  encore  qu'un  échevin  avisé 
pourrait  demander  au  Conseil  de  Ville.   Ceci  par  exemple  : 

I.  Sait-on  que  la  ville  de  Montréal  puise  son  eau  d'ali- 
mentation dans  le  fleuve  Saint-Laurent,  à  Lachine,  en  aval 
du  confluent  des  rivières  Saint-Laurent  et  Ottawa  ? 


388  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

2.  Sait-on  que  les  rivières  Saint-Laurent  et  Ottawa  et 
leurs  affluents  servent  d'égouts  à  un  immense  territoire 
couvert  de  fermes,  d'industries  de  toutes  sortes,  de  villes 
considérables  ? 

3.  Sait-on  qu'à  part  Toronto,  dont  la  population  est  d'en- 
viron 450,000  aujourd'hui  et  qui  atteindra  bientôt  son  pe- 
tit million,  il  y  a  du  côté  canadien,  sur  les  rives  du  Saint- 
Laurent,  d'autres  villes  considérables  dont  la  population 
augmente  toujours,  entre  autres  Niagara,  Hamilton,  Sainte- 
Catherine,  Belleville,  Kingston,  Brockville,  Cornwall, 
Valleyfield,  Beauharnois,  etc.,  etc.,  et  nombre  de  villes  du 
côté  américain;  que  sur  l'Ottawa  se  trouvent  les  villes  d'Ot- 
tawa, de  HuU,  Hawkesbury,  les  villages  de  Buckingham, 
Rigaud,  Vaudreuil,  Ste-Anne,  etc.,  etc.  ? 

4.  Sait-on  que  les  habitants  de  ces  villes  et  villages  ont 
les  mêmes  nécessités  que  les  habitants  de  Montréal,  et  que 
leurs  égouts  débouchent  dans  les  rivières  Saint-Laurent  et 
Ottawa,  qui  ont  leur  confluent  en  amont  de  la  prise  d'eau 
d'alimentation  pour  la  ville  de  Montréal } 

5.  Sait-on  qu'à  part  les  matières  excrémentielles  les  eaux 
de  ces  rivières  charroient  une  énorme  quantité,  qui  ira  tou- 
jours en  augmentant,  d'eaux  usées  et  contaminées  par  toutes 
sortes  de  manufactures,  de  tanneries,  de  tueries,  d'abattoirs, 
de  pulperies,  de  fabriques  de  produits  chimiques,  etc.,  si- 
tués soit  sur  les  rivières  Saint-Laurent  et  Ottawa  soit  le 
long  de  leurs  affluents  ainsi  que  des  déchets  innommables 
en  putréfaction  ? 

6.  Sait-on  qu'il  existe  une  brochure  intitulée  :  "  Report 
on  the  improved  water  supply  for  the  City  of  Montréal 
made  to  His  Worship  the  Mayor  and  the  Commissioners  of 
the  City  of  Montréal,  Montréal,  Québec,  Hering  and^FuUer 
Consulting  engineers,  July  2,  1910  .?" 

7.  Sait-on  que  ce  rapport  contient  des  assertions  qui  sont 
en  flagrante  contradiction  avec  celles  incontestables  d'ex- 
perts universellement  connus  ? 

§.  Sait-on  que  ledit  rapport  contient  des  chiffres  fantai- 
sistes qui  porteraient  à  croire  que  les  messieurs  qui  l'ont 
préparé  sont  ni  compétents,  ni  même  sérieux  ? 


l'eau  d'alimentation  de  la  ville  de  MONTRÉAL      389 

9.  Sait-on  que  Teau  d^alimentation  de  la  ville  de  Mont- 
réal, à  part  d'être  polluée,  est  une  eau  dure  et  insalubre  ? 

10.  Sait-on  que  la  ville  de  Montréal  est  admirablement 
située  pour  avoir  un  aqueduc  par  gravitation  ? 

11.  Sait-on  que  cet  aqueduc  par  gravitation  pourrait 
fournir  une  eau  pure  salubre,  douce  et  pouvant  alimen- 
ter plusieurs  millions  d'habitants  ? 

12.  Sait-on  que  ce  système  d'aqueduc  par  gravitation, 
pouvant  ainsi  fournir  toute  l'eau  nécessaire,  coûterait, 
moins  cher  à  la  ville  de  Montréal  que  le  système  de  pom- 
page actuel  ? 

13.  (Nombre  fatidique).  Sait-on  que  la  ville  de  Montréal 
détient  le  record  pour  la  mortalité  de  ses  habitants  ? 

Et  enfin  cet  échevin  avisé  pourrait  ajouter  : 
La  ville  de  Montréal  a-t-elle  l'intention  d'adopter  une 
mesure  mettant  fin  à  ce  déplorable  état  de  choses,  non  pas 
par  l'établissement  d'un  filtre  qui  n'enlèverait  rien  aux 
essences  déposées  dans  son  eau  d'alimentation  actuelle  par 
ses  généreux  amis  d'amont,  mais  en  allant  ppiser  aux  sour- 
ces mêmes  des  rivières,  la  belle,  bonne  et  vraie  eau  du  bon 
Dieu  .? 

J.  A.  Lefebvre. 

Réponse  à  M.  C.  B.  .  .  demandant  des  renseignements  sur  la 

Malouf  Mines  Co.,  Ltd. 

Vous  me  demandez  où  se  trouve  la  mine  Malouf.  Veuillez 
relire  mes  chroniques  financières  sur  cette  propriété  et  vous 
y  verrez  qu'elle  se  trouve  en  plein  domaine  minier  de 
Cobalt. 

Jusqu'aujourd'hui  il  n'a  guère  été  fait  que  des  travaux 
d'exploration  et  voilà  pourquoi  les  actions  ne  valent  que 
25cts.  L'exploiiation  de  la  mine  va  commencer  au  prin- 
temps, m'affirme-t-on.  Les  directeurs  sont  à  choisir  le  ma- 
tériel nécessaire  pour  conduire  l'entreprise  à  bonne  fin. 

Toutes  les  probabilités  sont,  au  dire  d'ingénieurs  compé- 
tents, pour  que  la  mine  renferme  les  mêmes  richesses  que 
ses  voisines,  assurant  ainsi  le  même  avenir,  et  puisque  vous 
désiriez  vous  intéresser  à  une  mine  de  Cobalt,  à  ses  débuts, 
je  ne  puis  que  vous  recommander  celle-ci,  que  j'étudie  de- 
puis longtemps  et  dont  je  suis  la  marche  avec  le  plus  grand 
soin. 

Encore  une  fois,  je  crois  que  l'affaire  est  bonne.  En  tout 
cas,  elle  est  soutenue  par  des  personnalités  marquantes  du 
monde  financier  et  industriel  de  Montréal. 

J.  A.  L. 


*> 


Est-ce  orientation  nouvelle  de  TEglise  ? 

L'  "Indépendant,  de  Fall  River,  Mass.,  du  2i  février  1912 
contient  la  note  suivante  : 

"  Le  cardinal  O'ConneU  et  Topera  de  Boston 

Les  journaux  de  Boston  publient  une  lettre  du  cardinal 
O'ConneU  à  M.,  Eben-D.  Jordan,  dans  laquelle  Son  Emi- 
nence  parle  de  l'intérêt  qu'il  porte  à  l'opéra  de  Boston. 

Il  en  profite  pour  transmettre  à  M.  Jordan  sa  contribu- 
tion au  fonds  prélevé  dans  l'intérêt  de  cette  institution  ré- 
cemment menacée  de  banqueroute. 

"  Ce  serait  profondément  déplorable,  écrit-il,  si  l'opéra 
devait  cesser  d'exister  faute  d'encouragement." 

Les  journaux  de  la  métropole  ne  mentionnent  pas  le 
montant  de  la  souscription  de  Son  Eminence;  mais  on  a 
lieu  de  croire  qu'il  est  important." 

Le  cardinal  irlandais  vient  de  faire  un  beau  geste,  n'est- 
ce  pas?  Mécène  jouissait  d'un  immense  crédit  auprès  d'Au- 
guste, empereur  des  Romains,  et  il  s'en  servait  pour  combler 
de  bienfaits  plus  d'un  "  lyreux,"  mais  onques  on  ne  vit 
prince  de  l'Eglise  catholique  encourager  des  œuvres  comme 
"Carmen"  la  zingara,  Mme  "Butterfly,"  "La  Juive,"  "La 
Vie  de  Bohème,  Salomé,  de  Strauss,  Pelléas  et  Méiisande, 
etc.     Pour  du  nouveau,  en  voilà,  et  dernier  genre,  encore. 

Evidemment  il  n'y  a  pas  de  nécessiteux  catholiques  dans 
l'archidiocèse  de  Boston.  Toutefois — me  sera-t-il  permis  de 
le  penser, — Son  Eminence  aurait  pu,  avant  de  faire  son 
chèque,  se  renseigner  auprès  de  ses  suffragants  ;  là,  sans 
doute,  on  aurait  trouvé  où  placer  cet  argent  :   il  y  a  si  peu 


EST-CE  ORIENTATION  NOUVELLE  Dfi  l'EOLLSE  ?  391 

longtemps  que  Mgr  de  Portland  fermait   les  portes  de  Tor- 
phélinat  franco-américain  de  Biddeford. 

J'ai  peut-être  tort  de  trouver  le  procédé  étrange,  car  Té- 
minent  cardinal  irlandais  fera  sa  part  à  chacun.  Son 
peuple  est  excessivement  généreux,  si  Ton  en  juge  par  la 
coupure  de  r  "Etoile,"  de  Lowell,  Mass.,  du  II  décembre 
1911,  que  je  me  permets  de  reproduire  : 

CADEAU   PRINCIER 

Les  Catholiques  de  l'Archevêché  de  Boston 
offriront  $100,000  au  Cardinal 

Un  cadeau  en  argent  qui  s'élèvera  à  $100,000  sera  pré- 
senté au  cardinal  O'Connell,  à  un  magnifique'banquet  qui 
doit  lui  être  offert  à  l'hôtel  Somerset,  à  Boston,  à  son  re- 
tour de  Rome,  par  les  catholiques  de  l'archevêché  de  Bos- 
ton, afin  de  montrer  leur  appréciation  du  grand  honneur 
qui  leur  a  été  fait  par  l'élévation  de  leur  archevêque  au 
cardinalat. 

Des  blancs  de  souscriptions  sont  en  circulation  parmi 
les  catholiques.  Chaque  personne  qui  contribue  donne  au 
moins  $100.  Un  don  de  $1500  a  été  fait  et  plusieurs  de 
$1000,  et  d'autres  encore  plus  nombreux  de  $500. 

La  Fédération  des  Sociétés  catholiques  dirige  la  cam- 
pagne de  souscriptions.  On  a  pensé  que  quelque  chose  de- 
vrait être  fait  pour  montrer  l'appréciation  de»  catholiques 
pour  l'honneur  fait  à  l'archevêché,  et  on  a  décidé  de  faire 
cette  offrande  au  nouveau  cardinal. 

Un  comité  s'occupe  de  la  chose  depuis  deux  semaines,  et 
les  chefs  des  différentes  sociétés  catholiques  furent  invités 
à  y  participer. 

Depuis  ce  temps-là,  plusieurs  blancs  de  souscriptions  cir- 
culent. Malgré  qu'il  n'y  ait  pas  encore  eu  d'assemblée  du 
comité  général,  pour  établir  les  comptes,  on  croit  qu'on 

n'est  pas  loin  des  $100,000. 

* 

*  * 

N'insistez  pas,  c'est  inutile 

On  écrit  de  Providence,  R.  I.  (l)  que  les  évêques  de  l'ar- 


(1)    "Le  Messager,"  de  Lewiston,  21  février  1912. 


392  LA   REVUE   FRANCO- AMJÉRIC AINE 

chidiocèse  de  Milwaukee  viennent  de  publier  une  lettre 
collective  lue  au  prône  dans  toutes  les  églises,  dimanche, 
le  l8  février,  au  sujet  des  Polonais  catholiques  qui  deman- 
dent à  Rome  un  épiscopat  polonais. 

Il  y  aune  trentaine  d'années,  les  Allemands  obtinrent  de 
Rome,  malgré  les  prétentions,  les  exigences  des  prélats  ir- 
landais des  Etats-Unis,  le  cardinal  ^Gibbons  en  tête,  la 
nomination  d'évêques  de  leur  race. 

Aujourd'hui  les  Polonais,  tout  comme  les  Allemands 
d'autrefois,  veulent  que  leurs  groupes  ethniques  soient  re- 
connus et  honorés  par  Rome. 

Inutile  de  rappeler  que  les  deux  races  ne  s'aiment  pas  et 
que  les  Polonais  n'ont  pas  à  craindre  l'arrivée  de  Guillaume 
et  de  ses  Teutons.  Aussi  l'on  se  bat  ferme  et  les  prélats 
allemands,  Mgr  Messm.er,  archevêque  de  Milwaukee,  Mgr 
Schwebach,  de  la  Crosse,  Mgr  Els,  de  Marquette,  Mgr  Shin- 
ner,  de  Superior,  etc.,  n'ont-ils  rien  trouvé  de  mieux  que  de 
condamner  deux  journaux  pour  leur  nationalisme  et  une  so- 
ciété nationale  polonaise  pour  la  défense  de  leurs  droits. 

La  lettre  de  Providence  qui  sent  son  irlandais  d'ici, 
prend  prétexte  pour  ajouter  : 

"Dans  tous  les  cas,  cette  agitation  partielle  et  ces  violen- 
ces de  langage  ne  font  jamais  bonne  impression  à  Rome, 
et  ce  n'est  que  de  Rome  que  l'on  pourra  obtenir  des  résul- 
tats durable^ 

"  Pendant  que  l'on  verse  des  torrents  d'éloquence  et  des 
flots  de  littérature  dans  nos  assemblées,  nos  fêtes  et  nos 
journaux,  les  autres,  dans  le  silence  et  la  tranquillité,  en- 
voient mémoires  et  statistiques,  cadeaux  et  protestations 
de  soumission  à  Rome,  et  leur  travail,  quoique  moins 
bruyant,  est  bien  plus  efficace. 

"  Aujourd'hui,  si  nous  voulons  nous  faire  entendre  à  Rome 
et  obtenir  ce  que  nous  demandons,  il  faut  aller  lentement, 
suivre  le  canal  ordinaire,  fonder  nos  réclamations  sur  des 
faits  et  des  chiffres." 

Vous  avez  bien  lu  "  envoient  mémoires  et  statisques  (on 
"  aurait  pu  ajouter,  "  secrets,"  mensonger,  perfides),  cadeaux 
"  et  protestations   de  soumission   à  Rome,  etc.,"  et  enfin 


EST-CE  ORIENTATION  NOUVELLE  DE  l'EGLISE  393 

^'  cette  lettre  conseille  de  "suivre  le  canal  ordinaire."  Nous 
le  connaissons  bien  ce  canal  ordinaire,  et  celui  gui  donne 
le  conseil  de  le  suivre  sait  lui  aussi  parfaitement  à  quoi  s'en 
tenir.  Il  semble  ne  pas  avoir  de  débouché  pour  nous,  les 
Français  d'Amérique.  Il  y  a  une  écluse  qui  ne  s'ouvre  pas 
quand  nos  nautoniers  veulent  faire  parvenir  au  port  nos  mé- 
moire sefstatistiques  publics,  nos  protestations  de  soumis- 
sion, réclamations  appuyées  par  des  faits  et  des  chiffres  réels 

Quant  à  nos  cadeaux 

L'éclusier  qui  garde  actuellement  le  bassin  intérieur  où 

aboutit  le  canal,  trouve,  paraît-il,  que  ces  nautoniers  n'ont 

pas  assez  d'expérience,  qu'ils  sont  trop  jeunes,  qu'ils  sont 

trop  petits  et  d'avance  ils  sont  condamnés  à  toujours   être 

petits,  puisqu'aucun  d'eux  ne  peut  dire  avec  la  chanson.  "  Il 

grandira  car  il  est  espagnol." 

*  * 
* 

Les  pieds  dans  les  plats 

"Le  Patriote"  de  Duck  Lake,  du  15  février  1912,  publie  : 
De  quoi  se  mêle-t-il? 

Le"Tablet,  de  Londres,  au  dire  de  l'impartiale  revue 
"  America,"  fut  "  autrefois  "  une  publication  catholique 
respectable." 

Depuis  une  vingtaine  de  mois  toutefois,  c'est-à-dire  de- 
puis qu'il  s'occupe  des  questions  canadiennes, — celles  de 
l'Ouest  surtout — avec  la  savante  compétence  d'un  rustaud 
malappris,  il  a  commis  plus  de  bourdes  qu'il  ne  suffit  à 
mériter  la  note  sévère  qu'on  lui  applique,  très  justement, 
dans  tous  les  milieux  impartiaux  où  la  doctrine  tapageuse 
de  Joe  Chamberlain  n'est  pas  érigée  sottement  à  la  hau- 
teur d'un  dogme  catholique. 

La  dernière  gaffe  du  "Tablet  "  a  trait  à  la  brûlante  ques- 
tion des  écoles  dans  les  territoires  qui  seront  prochaine- 
ment annexés  au  Manitoba.  Voici  ses  paroles  que  l'on  ne 
s'étonnerait  pas  de  rencontrer  dans  un  journal  orangiste, 
mais  qui  détonnent  singulièrement  dans  une  feuille  catho- 
lique, qui  passe,  à  tort  ou  à  raison  pour  être  l'organe  du 


394  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

cardinal  Bourne  :  "  Sur  ce  point  (l'extension  des  frontières 
manitobaines)  on  ne  voit  pas  bien  où  pourrait  se  trouver  la 
difficulté.  Si  le  Manitoba  élargit  ses  frontières,  son  système 
actuel  d'éducation  devrait  certainement  s'étendre  au  nou- 
veau territoire." 

Et  voilà  comment  le  "Tablet,"  avec  un  cynisme  écœu- 
rant, serait  prêt  d'un  trait  de  plume  à  supprimer  les  droits 
catholiques. 

La  "Tablet  vient  donc  de  commettre  de  nouvelles  gaffes. 
Dans  sa  haine  du  français,  il  vient  de  se  rendre  coupable 
d'une  criante  injustice  pour  les  nôtres.  Il  semble  même  se 
réjouir  de  constater  que  les  catholiques  seront  privés  de 
leurs  droits  dans  l'hypothèse  de  l'extension  des  limites  du 
Manitoba.  Nous  signalons  tout  cet  article  à  l'attention  de 
Mgr  Sbarretti  à  Rome.  Nous  savons  que  Sa  Grandeur  s'in- 
téresse vivement  à  notre  REVUE.  Nous  la  supplions  hum- 
blement de  prendre  le  "  Tablet  "  et  de  le  porter  à  la  Con- 
sistoriale  ou  à  Son  Eminence  le  Secrétaire  d'Etat,  et  d'em- 
ployer toute  son  influence  pour  faire  donner  une  verte  se- 
monce à  cet  organe  qui  se  mêle  des  choses  canadiennes,  au 
détriment  de  la  foi  catholique  et  des  intérêts  de  la  race 
française,  qui  ne  veut  pas  mourir. 

Michel  Renouf. 


Il  manque  une  clause  à  la  loi  électorale 
de  M.  Gouin 

Le  suffrage  universel  est  pratiquement  établi  dans  la 
province  de  Québec  par  la  nouvelle  loi  amendant  la  loi 
électorale. 

Cette  loi  établit  que  tout  homme  gagnant  $10  par  mois 
est  électeur.  Elle  accorde  donc  le  droit  de  vote  à  tous  les 
hommes  de  la  province,  exception  faite  des  fainéants  et 
des  vagabonds,  sans  moyen  d'existence  connu. 

Le  vote  plural  qui  existait  dans  la  Province  depuis  le 
temps  de  l'administration  coloniale  disparait. 

Par  cette  loi  l'évaluation  de  la  propriété  donnant  droit 


IL  MANQUE  UNE  CLAUSE  A  LA  LOI  ELETORALE  DE  M.  GOUIN  895 

de  vote  n'est  pas  nécessaire.  Si  un  père  prouve  qu'il  est 
propriétaire,  fermier,  locataire  ou  sous-locataire,  quelle  que 
soit  la  valeur  de  la  propriété,  il  aura  droit  de  vote,  et,  avec 
lui,  ses  fils  l'auront  également.  Elle  prévoit  le  cas  des  pe- 
tits-fils demeurant  avec  leur  grand  père.  Le  droit  de  voter 
est  accordé  aux  prêtres,  aux  professeurs,  aux  instituteurs, 
sur  leur  titre  professionnel,  et  rien  de  plus. 

La  loi  prévoit  que  la  loi  viendra  en  vigueur  le  premier 
mars  1913.  Ce  délai  est  nécessaire  à  la  confection  des 
nouvelles  listes  électorales. 

Une  clause  spéciale  établit  le  principe  qu'un  électeur  n'a 
droit  de  voter  qu'une  seule  fois  dans  une  élection.  Il  doit 
voter  dans  la  division  électorale  où  il  a  domicile. 

Si  j'étais  député  je  proposerais  une  autre  clause  spéciale 
qui  serait  la  suivante  : 

Le  vote  sera  obligatoire.  Tout  électeur  négligeant  ou  refu- 
sant d'exercer  son  vote  dans  une  élection  sera  condamné  à 
cinq  piastres  d'amende,  pour  la  première  offense  et  sera 
privé  de  son  droit  d'électeur  pendant  dix  ans  pour  chaque 
offense  subséquente.  Toutefois  cette  clause  ne  s'appli- 
quera pas  à  l'électeur  malade  pouvant  fournir  un  certificat 
de  médecin,  ni  à  celui  qui  sera,  le  jour  de  la  votation,  à  une 
distance  d'au  moins  vingt  milles  du  lieu  où  il  doit  exercer 
son  vote. 

Cette  clause  tuerait  du  coup  l'exploitation  éhontée  du 
partisan  "  convaincu,"  ce  partisan  "  ardent  "  et  presque 
"violent^' qui  ne  voterait  jamais  contre  son  parti — bleu, 
blanc  ou  rouge — mais  qui  exige,  ou  sinon  il  restera  chez 
lui  le  jour  de  la  votation  :  l°  qu'on  le  trimbale  de  paroisse 
en  paroisse,  chaque  fois  qu'il  y  a  une  assemblée  publique; 
2^  qu'on  le  bourre  de  fruits,  lui  et  ses  enfants;  3^  qu'on  lui 
emplisse  ses  poches  de  cigares;  4°  qu'on  le  régale  de  li- 
queurs de  toutes  sortes,  pendant  au  moins  trois  semaines 
ou  un  mois,  et  enfin  5°  qu'on  lui  paie,  pour  lui  et  son  "che- 
val," la  journée  qu'il  perd  pour  se  rendre  au  bureau  de  vo- 
tation. 

En  un  mot,  dans  certains  comtés,  chaque  partisan  con- 
vaincu coûte  au  malheureux   candidat — sans  compter  les 


396  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

ennuis  d'une  promiscuité  énervante — de  dix  à  vingt  pias- 
tres. Beaucoup  plus  que  celui  qui  se  vend  carrément. 

Voilà  ce  que  l'on  a  fait  de  l'électorat  dans  certains  coins 
du  pays.     C'est  la  faute  des  "politiciens." 

Ils  sont  pourtant  capables  de  réparer  une  partie  du  mal 
qu'ils  ont  fait,  et  le  moyen  c'est  de  rendre  le  vote  obliga- 
toire. Et,  quand  ils  se  présenteront  devant  ce  peuple 
qu'  "ils  aiment  tant"  ils  pourront  toujours  avoir  la  conso- 
lation de  se  dire  en  pensant  à  leurs^partisans  "  convaincus  : 
Vous  autres,  mes  vieux,  j'ai  fini  de  vous  gaver  et  de  me 
ruiner  pour  vous,  faites  votre  devoir  de  citoyen  ou  sinon 
l'amende  ou  la  déqualification. 

Ch&rles  Bourg[ouin. 


Correspondance 


Nous  avons  reçu  la  lettre  suivante  : 
Mon  cher  administrateur, 

Penuettez-moi  de  contribuer  au  succès  de  votre  œuvre  en  vous  en- 
voyant les  dix  dollars  ci-inclus.  Prière  de  ne  pas  mentionner  mon  nom. 
Vous  savez  pourquoi.  Continuez  votre  campagne  donnez  des  coups 
tant  que  vous  pourrez,  car  autrement  vous  en  recevrez  et  par  le  temps 
qui  court,  et  pour  nous  Canadiens-Français,  il  vaut  mieux,  je  crois,  don- 
ner que  recevoir.  lyaissez  les  disciples  de  Jérémie  dans  leur  coin  et  con- 
duisez les  autres,  ceux  qui  ont  du  cœur,  conduisez-les  au  feu.  Vous 
recevrez  des  œufs  pourris,  des  crachats,  même  du  dedans,  mais  vous 
ferez  votre  devoir  et  peu  importe  le  reste. 

Merci  pour  les  dix  dollars.  Quant  aux  crachats  et  aux 
œufs  pourris,  n'ayez  crainte,  si  jamais  ils  nous  atteignaient, 
on  s'apercevrait  que  nous  avons  mis  de  côté  la  doctrine 
du...  "présentez  l'autre  joue."  Les  petites  intrigues  du  de- 
dans nous  laissent  froid. 

Quelle  lutte  pourrait-on  faire  et  avec  quels  résultats  !...  si 
nous  avions  un  millier  de  patriotes,  comme  vous,  qui  sau- 
raient de  temps  en  temps  mettre  la  main  à  la  roue,  envoyer 
quelques  dollars. 

Merci  pour  votre  encouragement. 

L'Administrateur. 


"  La  vraie  presse  catholique"  —  "  Il  vaut 

mieux  commettre  des  erreurs  que  de 

subir  Tesclavage  '' 

Feu  Martin  I.  J.  Griffin,  dont  Thabileté  et  Thonnêtet? 
sont  si  généralement  et  si  hautement  proclamées  par  toute 
la  presse  catholique,  écrivit,  peu  de  temps  avant  sa  mort,  (l) 

un  article  sur  le  sujet  tant  débattu  de  la  "vraie  presse  ca- 
tholique." Cet  article  posthume  est  publié  dans  le  numéro 
de  janvier  des  "  American  Catholic  Historical  Researches 

(pp.  36  39). 

M.  Griffin  était  le  doyen  de  la  presse  catholique  améri- 
caine, un  écrivain  sans  peur,  plein  de  franchise,  et  ces  dé- 
tails, rapprochés  du  fait  qu'il  est  passé  là-haut  recevoir 
sa  récompense,  ajoutent  encore  plus  de  poids  aux  opinions 
qu'il  exprime  sur  le  sujet  que  nous  étudions. 

Son  article  est  trop  long  pour  être  reproduit  en  entier, 
mais  nous  croyons  qu'il  est  de  notre  devoir  d'en  reproduire 
les  principaux  passages  : 

"  La  "  vraie  presse  catholique,"  d'après  l'abbé  Toomey,(2) 

n'est  pas  établie  par  des  individus,  laïques  ou  clercs,  mais 
par  les  évêques — à  titre  d'organes  officiels — ayant  à  cause 
de  cela  l'Eglise  derrière  eux — parlant  d'autorité — et  de  ce 
fait  "  portant  l'avenir  du  journalisme  catholique." 

"  Pas  du  tout,  M.  l'abbé.  Une  des  raisons  pour  lesquelles 
nos  gens  n'accordent  pas  un  encouragement  généreux 
aux  journaux  qui  sont  des  "organes  officiels,"  c'est  qu'ils 
supposent  que  ces  journaux  ne  sont  pas  libres,  qu'ils  ne 
doivent  pas  parler  autrement  qu'on  leur  permet  de  le  faire, 
ou  qu'ils  ont  toujours  dans  l'idée  qu'un  prélat  a  les  yeux 
rivés  sur  le  rédacteur,  ou  que  le  prélat  pousse  du  coude  ce- 
lui qui  écrit. 


(i)  Voir  Review,  vol.  XVIII,  No  23,  pp.  690  suiv. 

(2)  Voir  Review,  vol.  XVIII,  No  18,  pp.  518,  suiv.  624,  647. 


398  LÀ   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

"  De  notre  temps,  les  "organes  officiels  "  ne  réussissent 
pas  mieux  que  les  journaux  non  revêtus  de  cette  sanction. 
On  a  porté  à  ma  connaissance  le  cas  d'un  journal  dont  Tin- 
succès  était  dû,  au  dire  même  de  son  rédacteur-propriétaire, 
au  fait  qu'il  était  un  "organe  officiel" — un  fait  qui  "  l'a 
tué,"  c'est  l'expression  dont  il  s'est  servi.  Les  gens  lui  ont 
refusé  leur  patronage  parce  que  c'était  l'organe  de  l'évêque. 
Cependant,  l'éditeur  qui  avait  placé  de  l'argent  dans  l'en- 
treprise a  fait  une  perte  considérable.  Les  gens  aimaient 
l'évêque  mais  pas  sa  i)olitique.     Voyez  ! 

"  Si  une  vaste  majorité  "  de  notre  peuple  a  "  été  avertie  " 
de  la  nécessité  d'une  presse  et  n'^  pas  été  "  plus  empressée 
à  reconnaître"  sa  puissance,  même  lorsque  des  évêques  et 
des  prêtres  l'ont  pressé  de  le  faire,  pensez-vous  que  ce 
même  peuple  sera  plus  "  prompt  "  à  accepter  un  journal 
parce  que  fondé  ou  possédé  par  un  évêque,  à  moins  que  ce 
dernier  ne  force  presque  ses  prêtres  à  l'imposer  à  leurs 
ouailles } 

"  Oh,  non  !  Les  lecteurs  catholiques  ne  sont  pas  attirés 
par  cette  dénomination  "  d'organe  officiel."  Ce  titre  est  un 
appas  pour  la  réclame  commerciale  protestante.  Il  ne  gagne 
pas  les  annonceurs  catholiques  mieux  avisés.  Les  efforts 
que  l'on  fait,  mêm^  de  nos  jours,  pour  quasi  forcer  nos 
gens  à  recevoir  les  journaux  fondés  par  des  évêques  ne 
sont  pas  couronnés  de  succès... 

"Un  journal  revêtu  de  l'approbation  épiscopale  peut 
être  un  journal  "vraiment  catholique,"  mais  cette  approba- 
tion n'est  pas  une  condition  essentielle  pour  qu'il  soit  "  vé- 
ritablement catholique."  Le  problème. . .  c'est  de  trouver 
des  gens  qui  lisent  nos  journaux.  Les  lecteurs  ne  peuvent 
pas  être  attirés  par  une  "approbation  épiscopale"  ni  par 
un  journal  possédé  par  un  évêque  ou  reconnu  comme 
"  journal  diocésain."  Le  fait  qu'il  est  un  "  organe  officiel  " 
en  fait  simplement  un  porte- voix  ou  lie  la  langue  à  l'expres- 
sion de  ses  idées,  de  telle  sorte  qu'il  se  trouve  disqualifié 
auprès  des  laïques  intelligents. 

"  L'opinion  personnelle  d'un  rédacteur  n'a  pas  besoin  de 
s'écarter  du  "  point  de  vue  catholique  "  dans  un  journal  qui 
est  la  propriété  d'un  particulier.  Pas  plus  que  dans  le  jour- 
nal d'un  évêque  une  assertion  ne  devient  pas  nécessaire- 
ment autre  chose  que  V  "opinion  personnelle  du  rédacteur," 
parce  que  souvent  les  journaux  "approuvés"  ont  des  opi- 
nions très  divergentes  au  "point  de  vue  catholique  "  sur  les 
"questions  du  jour," 
"  Plutôt  des  erreurs  que  l'esclavage  "  a  dit  l'archevêque 


LA  VRAIE  PRESSE  CATHOLIQUE  399 

Ryan  dans  le  sermon  qu'il  a  prononcé  au  jubilé  de  la 
fondation  du  Siège  de  Baltimore  en  1889,  et  en  se  faisant 
l'avocat  de  la  liberté  des  articles  de  rédaction.. . 

"  Les  évêques  ont  eu  du  trouble  avec  les  "organes  offi- 
ciels.'' Une  presse  "vraiment  catholique"  est  une  presse 
libre — la  vérité  rend  libre.  S'il  ne  tient  pas  qu'à  garder  sa 
situation,  un  rédacteur  s'éraille  s'il  n'est  pas  libre  et  n'ayant 
que  Dieu  et  sa  conscience  comme  censeurs  de  sa  pensée. 
"  Plutôt  des  erreurs  que  l'esclavage." 

Si  M.  Griffin  a  été  vraiment  un  grand  journaliste,  c'est 
qu'il  a  été  honnête  et  sans  peur  et  qu'il  a  trouvé  les  moyens 
de  créer  des  organes  dans  lesquels  il  a  pu  exprimer  ses 
opinions  librement.  S'il  avait  été  forcé,  pour  garder  une 
situation,  de  se  vendre  dans  une  sorte  "d'esclavage"  intel- 
lectuel, il  serait  mort  sans  que  l'on  honore  et  chante  sa  mé- 
moire, et  la  grande  somme  de  bien  qu'il  a  accomplie  serait 
restée,  pour  une  large  pan,  inaccomplie.  "  Plutôt  des  er- 
reurs que  l'esclavage  !" 

Donnez-nous  une  presse  catholique  libre  et  sans  entraves, 
des  évêques  de  la  trempe  de  l'immortel  Ketteler  pour  en- 
courager le  peuple  à  la  lutte  et  l'encourager,  et  la  vérité  et 
la  justice  triompheront. 

Arthur  Preuss. 

Traduit  de  "The  Catholic  Fortnightly  Review,"  Techny, 
Ills  — Vol.  XIX  p.  100  et  suiv. 


Les  deux  Filles  de  Maître  Bienaimé 


(SCENES       N  ORIV^  AN  DES) 

PAR 

Marie  Le  Mière 


(Suite) 


Pourtant,  un  coup  de  lumière,  et  le  tableau  devenait  féeri- 
que :  le  noir  et  le  gris  s'évanouissaient  dans  un  ruissellement 
de  pierreries  pâles,  une  magie  de  couleurs  tendres  et  de  rayons 
fondus.  Souvent,  au  coucher  du  soleil,  le  marais  se  chan- 
geait en  un  lac  d'or,  glacé  de  mauve,  de  bleu,  de  rose  ;  les 
bois  lointains,  les  villages  posés  au  bord  de  l'eau,  les  barriè- 
res et  les  poteaux  demi-émergés  prenaient  une  teinte  légère 
et  chaude  ;  les  bouquets  d'arbres  dépouillés,  dressés  comme 
des  îlots  au  milieu  de  l'étendue  calme,  avaient  tant  de  finesse 
aérienne  qu'on  eût  cru   les  voir  flotter. 

Mais  qu'importait  à  Léa  toute  cette  poésie  simple,  tran- 
quille et  grande  ?  Elle  ne  rêvait  que  de  Paris,  Paris,  Paris  ! 
Là-bas,  on  ne  sentait  pas  le  froid;  on  n'entendait  ni  le  vent, 
ni  la  pluie;  pendant  qu'à  la  ferme,  les  vaches,  rentrées  aux 
étables,  mugissaient  longuement  dans  le  soir,  que  les  sabots 
clapotaient  parmi  les  flaques,  dans  la  cour  boueuse,  la  gran- 
de cité  resplendissait,  les  équipages  roulaient  dans  l'étincelle- 
ment  des  magasins  de  merveilles,  la  foule  se  pressait  vers  les 
théâtres.  C'étaient,  de  toutes  parts,  des  accords  d'orchestre  i 
des  bruissements  de  soie,  des  visions  d'élégance  ;  c'était  le 
torrent  de  vie  ardente,tourbillonnante,  où  il  doit  faire  bon  se 
plonger,  se  griser  !.. 

Le  docteur,  soupçonnant  la  vérité,  et  n'osant  la  crier  tout 
haut,  de  peur  de  déchaîner  un  orage,  répétait  sans  cesse  : 


LES    DEUX    FILLES    DE    MAiTllE    BIENAIMÉ  401 

— Il  faut    absolument  vous   remonter  le  moral,    Mademoi- 
selle et  vaincre  votre  dégoût  pour  la  nourriture  !  Prenez  gar- 
de !  à  votre  âge  on  ne  joue    pas  impunément  avec    sa  santé 
si  vous  alliez  tomber  dangereusement  malade  ! 

Une  fois,  elle  répondit  en  un  rire  étrange  : 

— Tant  mieux  ! 

En  entendant  de  pareilles  divagations,  le  fermier  serrait 
les  poings,  et  finissait  par  sortir.  Ah  !  ce  n'était  guère  le  mo- 
ment de  parler  de  mariage,  de  transmettre  une  proposition 
sérieuse  ;  vingt  fois  déjà  il  avait  ouvert  la  bouche  pour  pro- 
noncer le  nom  de  Louis  Chaumel  ;  vingt  fois  il  avait  reculé 
devant  la  confidence,  car,  sans  se  l'avouer,  le  malheureux  a- 
vait  peur...  Oui,  peur  d'un  coup  qui  jetterait  à  bas  sa  conso- 
lation et  son  espoir  suprêmes  ! 

Or,  un  beau  jour,  Léa  se  lassa  de  ce  régime  et  de  cette 
claustration;  à  la  stupeur  générale,  elle  se  leva  vers  huit  heu- 
res, accepta  ce  qu'on  lui  servit;  Maître  Bienaimé,  assailli  par 
mille  pensées  bizarres,  l'accueillit  d'un  air  soupçconneux.  Elle 
voulait  sortir  au  plus  tôt,  car  elle  avait  son  plan  :  il  s'agissait 
de  trouver  un  nouvel  intermédiaire  pour  sa  correspondance 
avec  Amélie  !  Sa  conscience  avait  beau  protester  contre  ce 
mépris,  si  coupable,  des  ordres  paternels,  Léa  n'écoutait  plue; 
elle  allait,  emportée  comme  un  fétu  saisi  par  un  tourbillon  ! 

Mlle  Brissot  ignorait  complètement  si  son  père  avait  écrit 
à  Mme  Lagarde.  Elle  le  saurait  ;  elle  confierait  à  sa  tante 
qu'elle  était  résolue  à  en  finir,  et  surtout,  surtout,  elle  en- 
tendrait parler  encore  de  ce  Roger  dont  le  souvenir  ne  la 
quittait  plus  ! 

Oh  !  devenir  une  dame  de  Paris!  épouser  un  être  charmant 
qui  serait  toujours  à  ses  genoux,  épiant  ses  moindres  désirs 
pour  les  satisfaire  !  se  promener  fièrement  à  son  bras  le  lono- 
des  boulevards  étincelants,  écouter  les  choses  fines,  flatteuses 
que  seul  il  savait  murmurer  et  qui  faisaient  délicieusement  sou- 
rire !  Etre  choyée,  idolâtrée,  par  la  tante  Amélie  !  Vivre  dans 
un  enchantement  et  dans  un  triomphe  perpétuels  ! 


402  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

En  attendant,  elle  s'autorisait  de  vagues  paroles,  arrachées 
au  médecin,  pour  mener  l'existence  la  plus  vide  et  la  plus 
fantasque;  quand  il  faisait  beau,  elle  errait  à  l'aventure  le 
long  des  chemins,  et  les  gens  du  pays  avaient  peine  à  la  re- 
connaître !  On  ne  soumet  point,  sans  dommage,  son  tempéra- 
ment à  une  épreuve  comme  celle  que  Léa  venait  d'imposer  au 
sien  ;  ses  joues  prenaient  la  matité  de  l'ivoire,  ses  orbites  se 
cernaient  largement,  son  profil  mutin  s'allongeait,  et,  ce  qui 
*était  pis,  la  folle  du  logis  régnait  en  souveraine  sur  cet  orga- 
nisme énervé  outre  mesure  !  A  la  Closerie,  i'air  sentait  la 
tempête  :  Brissot  ne  pouvait  plus  se  le  dissimuler  :  sa  fille  le 
ibravait  absolument,  et  une  telle  situation  n'est  pas  de  celle 
qui  durent... 

Par  un  après  midi  de  pluie  et  de  vent,  Mathilde,  qui  triait 
du  linge,  entendit  s'élever  du  cabinet  voisin  les  voix  irritées 
de  son  père  et  de  sa  soeur. 

Non,  c'est  inutile,  déclarait    Léa  d'un  ton   préremptoire  ; 

il  y  a  des  choses  qu'on  ne  m©  fera  pas  faire  maintenant  ! 

Qui  est-ce  qui  commande  ici  !   clama  le  fermier,  assénant 

un  coup  de  poing  sur  la  table. 

Seio-neur  Jésus  !  soupira    Mathilde,  en    se  relevant  aussi 

blanche  que  le  linge  entassé  autour  d'elle. 

Mais  la  jeune  révoltée  répliquait,  le  verbe  haut  : 

— A  l'impossible  nul  n'est  tenu  ! 

L'impossible  !  abreuver    des  veaux  de    huit  jours  !    Voilà 

qui  est  dur  et  fatigant,  n'est-ce  pas  ?  Tu  es  donc  devenue  une 
propre  à  rien  ? 

Vous  le  dites;  je  ne    suis  propre  à    rien  ici,  parce    que  ce 

n'est  pas  ma  place;  j'y  suis  malade,  j'y  mourrais,  je  ne  veux 
pas  y  rester  et  je  n'y  resterai  pas  ! 

Brissot  se  leva  et,  tendant  le  cou,  penchant  le  buste  au- 
dessus  de  la  table  qui  craquait  sous  la  pression  de  ses  mains 

— Où  iras-tu  ?  proféra-t-il. 

— Cela  me  regarde. 

— Et  de  quoi  vivras  tu  ? 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENATMÉ  403 

— Je  ne  suis  pas  "sans  rien  !" 

— Tu  n'as  pas  un  sou  à  l'heure  qu'il  est  !  Tu  es  mineure,  et 
c'est  moi  qui  dispose  de  tout,  tu  entends! 

La  petite  tête  orgueilleuse  se  redressa. 

— J'ai  les  clos  que  ma  marraine  m'a  donnés  pour  ma  dot  ! 

— Alors  tu  prétends  te  marier  !  articula  Briasot  d'une  voix 
rauque. 

— C'est  mon  affaire. 

De  pourpre,  il  devint  pâle,  d'une  pâleur  terreuse...  Non,  il 
ne  méritait  pas  d'être  ainsi  traité  par  sa  fille  !  Le  respect  filial 
est  toujours  une  obligation  sacrée,  même  à  l'égard  des  parentt 
indignes,  et,  à  plus  forte  raison,  à  l'égard  d'un  homme  tel  que 
Brissot.  Si,  comme  beaucoup  de  paysans,  il  ignorait  les  ten- 
dresses de  langage  et  les  démonstrations  affectueuses,  si  son 
humeur  se  ressentait  souvent  de  ses  chagrins,  il  n'en  était 
pas  moins  un  bon  père,  veillant  jalousement  sur  le  bien-être 
de  ses  enfants  ;  pour  eux  il  avait  peiné,  sué  sang  et  eau.  .  Il 
ne  sut  plus  se  contenir  ! 

— Et  si  je  te  mettais  dehors  tout  de  suite,  à  la  minute,  s'é- 
cria-t-il,  comment  t'y  prendrais-tu  ?  qu'est-ce  que  tu  devien- 
drais ? 

Elle  eut  un  rire  strident,  nerveux,  et  s'échappa,  telle  qu'elle 
était,  avec  ses  pantoufles,  son  peignoir  rouge  et  son  tablier 
rose.  Cette  fois,  le  fermier  n'essaya  pas  de  la  retenir  ;  ses 
jambes  vacillaient,  et  il  s'écroula,  comme  assommé,  sur  une 
chaise.  . 

Elle  était  déjà  loin,  dans  la  campagne  :  elle  marchait,  mar- 
chait, convulsivement  raidie,  en  proie  à  une  sorte  de  désespoir, 
mêlé  d'une  farouche  résolution. 

— Ah  !  on  verra,  murmurait-elle  entre  ses  dents,  on  verra 
qui  de  nous  deux.  . 

Bientôt,  l'eau  boueuse  qui  remplissait  les  ornières  eut  im- 
prégné les  minces  chaussures  de  Léa  ;  une  averse  nouvelle 
surprit  la  jeune  fille  au  haut  de  la  côte,  mais  elle  éprouvait 


404  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICIANE 

je  ne  sais  quelle  sombre  joie  à  sentir  les  énormes  gouttes  ruis- 
seler sur  son  cou,  inonder  son  front,  transpercer  sa  robe. 

— Tant  mieux  si  je  suis  mouillée  !  pensait-elle  ;  tant  mieux 
si  j'ai  du  mal  !  Je  voudrais  tomber  là  !.  .  Il  faut  que  cela 
finisse  d'une  façon  ou  d'une  autre  ! 

Inconsciemment,  elle  tourna  sur  la  droite  ;  elle  avait  les 
membres  glacés  et  la  tête  en  feu  ;  à  travers  le  voile  blond  de 
ses  mèches  voletantes,  et  le  voile  gris  de  la  pluie  poussée  par 
masses,  le  paysage  échevelé  lui  paraissait  irréel.  Mais,  comme 
l'ondée  redoublait  de  fureur,  elle  frissonna  et  chercha  instinc- 
tivement un  abri. 

Au  bout  de  deux  minutes,  elle  aperçut,  au  bord  du  chemin 
chargé  de  pierres,  un  hangar  étroit,  et  se  glissa  précipitam- 
ment sous  la  toiture  de  chaume,  simplement  soutenue  par  des 
piliers  de  maçonnerie.  La  bise  rageait,  le  courant  d'air  était 
violent,  et  Léa  rabattit  sur  sa  tête  un  pan  de  son  tablier. 

—  .  .  Vous  !  vous  ici  ! .  . 

Au  son  de  cette  voix,  elle  tressaille,  écarte  ses  cheveux,  et 
fixe  devant  elle  un  regard  insensé.  .  Un  visage  connu  lui  ap- 
paraît comme  dans  un  brouillard,  un  visage  anxieux  qui  se 
penche  vers  le  sien. 

— Dans  quel  état,  mon  Dieu  !  et  qu'est-ce  que  vous  faites 
là,  pauvre  petite  !  reprend  Louis  Chaumel. 

— C'est  vrai,  murmure  Léa,  je  suis  un  peu  trempée.     - 

— Un  peu.  .  exclame-t-il,  examinant  la  figure  tirée.  Mais 
vous  ne  pouvez  pas  rester  comme  cela  !  vous  risquez  de  vous 
tuer. 

Elle  se  tut,  pendant  qu'il  continuait  de  l'observer  avec  une 
commisération  profonde,  n'osant  la  questionner  davantage, 
mais  sachant  bien  qu'il  n'allait  pas  la  laisser  là,  grelottante  et 
transie,  comme  un  pauvre  oiselet  surpris  par  la  tourmente. 

— Vous  ne  reconnaissez  donc  plus  la  Haie-d'Epine  ?  fit-il, 
guidant  Léa  vers  l'autre  extrémité  du  hangar,  et  lui  montrant 
les  toits  des  écuries. 

— Non,  je  ne  savais  pas  où  j 'étais,  répondit-elle  d'un  accent 
bizarre,  je  ne  savais  pas  du  tout.  . 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  405 

— Entrez  bien  vite  chez  nous,  reprit  Louis  ;  ma  mère  y  est. 
Un  bon  feu  et  une  tasse  de  café  vous  réchaufferont .  .  Excu- 
sez ma  tenue  :  je  viens  d'aider  mes  gens  à  finir  1  epandagc. 
Par  un  temps  pareil,  il  ne  fait  pas  bon  s'éterniser  dehors. 

.  .  Quelques  minutes  après,  sans  trop  savoir  comment,  Léa 
se  trouvait  dans  la  grande  salle  où,  tant  de  fois  elle  avait 
joué  avec  Berthe.  Pelotonnée  au  coin  de  l'âtre  flambant, 
dans  un  vieux  fauteuil  de  velours  d'Utrecht,  elle  legardait  sa 
robe,  d'où  s'exhalait  une  buée,  et  buvait  à  petits  coups  dans 
une  tasse  de  porcelaine  de  café  que  Mme  Chaumel  venait  de 
lui  apporter. 

Là  régnait  une  atmosphère  de  bien-être,  de  dignité,  de  vie 
large  et  simple  ;  on  sentait,  dans  les  détails,  un  certain  souci 
de  confort  inconnu  à  la  Closerie.  Une  paix  immense  tombait 
des  lambris  de  chêne,  des  rideaux  verts  aux  plis  raides,  aux 
franges  garnies  de  boules,  de  quelques  gravures  évidemment 
choisies  par  un  goût  délicat,  et  surtout  du  Christ  ancien, 
étendant  au-dessus  du  foyer  ses  bras  qui  bénissent  et  qui 
protègent. 

Léa  remercia  en  rendant  la  tasse,  et  fit  un  mouvement. 

— Ne  t'en  va  pas  encore,  ma  fille,  dit  Mme  Chaumel  ; 
prends  le  temps  de  te  sécher  comme  il  faut. 

Elle  s'éloigna,  soupirant  imperceptiblement.  .  On  l'enten- 
dit, par  la  porte  restée  ouverte,  aller  et  venir  dans  la  pièce 
contiguë.  La  fille  du  fermier,  prise  d'engourdissement,  avait 
fermé  les  yeux.  En  relevant  les  paupières,  elle  aperçut  Louis 
devant  elle.  Il  avait  changé  de  vêtements  ;  debout  à  deux 
pas,  il  la  regardait,  une  lumière  intense  sur  le  visage.    ' 

— Léa,  dit-il  avec  une  douceur  respectueuse,  infinie,  votre 
père  ne  vous  a  pas  encore  parlé  de .  .    de  mes  idées  ? 

Très  surprise,  elle  se  tendit  un  peu  en  avant. 

— Je  vois  que  non,  poursuivit  le  jeune  cultivateur  ;  en  tout 
cas,  il  m'a  permis  de  vous  en  parler  moi-même,  à  l'occasion. 
Cela  ne  peut  pas  vous  oftenser,  vous  me  connaissez  bien,  et 
depuis  si  longtemps  !  Léa.  .    reprit-il  très  ému,  en  s'inclinant 


406  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

vers  elle,  je  suis  trop  heureux  de  vous  voir  ici .  .  Dites-moi 
que  vous  voudrez  bien  y  entrer  un  jour.  .  en  maîtresse.  . 
votre  main  dans  la  mienne. 

Les  sourcils  haussés,  les  lèvres  entr'ouvertes,  elle  écoutait 
avec  stupeur. 

— Votre  femme  !  s'écria-t-elle.  Vous  me  demandez  de  de- 
venir votre  femme  ? 

— Oui,  Léa,  je  vous  le  demande,  avec  le  consentement  de 
votre  père,  et  devant  le  bon  Dieu  qui  nous  voit .  . 

— Pas  cela,  pas  cela,  je  vous  en  prie  !  interrompit- elle  en 
l'arrêtant  du  geste. 

— Vous  dites  ? 

— C'est  impossible,  mon  pauvre  Louis,  il  n'y  a  rien  de  com- 
mun entre  nous.  . 

11  la  fixait  d'un  œil  étrange  et  comme  vide.  .  Le  coup  avait 
été  si  étourdissant,  que,  d'abord,  il   n'en  sentit  pas  la  douleur. 

— Tout  nous  est  commun,  au  contraire  !  exclama-t-il.  La 
race,  le  pays,  les  traditions,  les  habitudes.  .  Qu'est-ce  que  vous 
me  dites  donc  ?  Qu'est-ce  que  vous  avez  ?  Remettez-vous, 
Léa  ;  je  vous  ai  prise  à  l'improviste...  j'ai  eu  tort,  peut-être  ; 
mais  vous  me  permettrez  bien  de  vous  expliquer. . . 

— Non,  non,  c'est  inutile  !  repartit-elle,  en  se  baissant  vers 
la  flamme  qui  courait  et  sifflait  parmi  les  bûches  ;  vous  me 
parlez  de  traditions,  vous  n'avez  que  le  "passé  à  la  bouche... 
On  ne  vit  pas  pour  le  passé  :  on  vit  pour  l'avenir.  Il  faut 
que  je  voie  le  monde,  à  la  fln  !  J'en  ai  assez  d'être  enfermée  à 
Clairville  ;  j'ai  trop  souffert  chez  nous  pour  vouloir,  en  me 
mariant,  recommencer  la  même  vie  !  Je  ne  Hie  marierai  que 
pour  sortir  de  là  ! 

Le  front  de  Louis  se  décolorait  de  seconde  en  seconde,  ses 
doigts  se  crispaient  sur  le  marbre  de  la  cheminée. 

— Mais  vous  ne  comprenez  pas,  Léa  ;  vous  ne  comprenez 
pas... 

Il  ne  trouvait  que  cela  sur  ses  lèvres,  et  répétait  sans  fin, 
avec  un  peu  d'égarement,  les   pauvres   paroles,  tandis  que,  le 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  407 

bras  à  l'accoudoir  et  la  main  à  la  joue,  elle  présentait  au  jeune 
homme  un  profil  durci,  aux  arêtes  accusées  par  le  vif  rayon- 
nement du  feu.  L'idée  que  son  père  et  Louis  s'étaient  mis 
d'accord  pour  la  faire  céder,  causait  à  la  jeune  fille  une  irrita- 
tion singulière. 

— Mais  je  vous  aime,  Léa  !  repiit-il  dans  un  élan  ;  je  veux 
vous  rendre  heureuse  !  Le  bonheur,  ce  n'est  pas  l'éclat,  ni  le 
luxe,  ni  l'amusement  ;  vous  valez  mieux  que  cela  ;  vous  sen- 
tez bien,  allons,  que  vous  êtes  faite  pour  une  existence  plus 
sérieuse,  plus  utile. 

— Je  ne  suis  pas  faite  pour  l'esclavage,  répliqua-t-elle,  tour- 
mentant nerveusement  sa  petite  bague  d'argent  ;  et  je  sais 
qu'une  femme,  dans  la  culture,  est  une  esclave  et  rien  de 
plus  ! 

Elle  était  trop  excitée  pour  mesurer  la  portée  de  ses  mots, 
trop  influencée  par  une  autre  image  pour  sentir,  désormais,  le 
charme,  la  valeur,  la  distinction  réelle  de  l'être  simple  et  fort 
qui'  lui  tendait  la  main. 

— Oh  !  s'écria  Louis  d'une  voix  étranglée,  connue  vous  êtes 
injuste  ! 

Vivait-il  réellement  cette  scène  inouïe  ?  Non  cela  ne  se 
pouvait  pas...  Cette  petite  créature  orgueilleuse,  révoltée,  à 
l'âme  désespérément  creuse  et  frivole,  non,  non,  ce  n'était  pas 
elle...  Et  cet  homme  qui  se  tenait  là,  confondu,  en  proie  à  la 
déception  la  plus  sanglante  et  à  la  souffrance  la  plus  immé- 
ritée, non,  non,  ce  n'était  pas  lui  ! 

— Une  esclave  !  poursuivit- il  sourdement  ;  est-ce  ainsi  que 
votre  père  a  traité  votre  mère,  que  mon  père,  à  moi,  a.  traité 
la  mienne  ?  Si  vous  me  croyez  capable  de  jouer  un  rôle  de 
tyran...  vous  méjugez  bien  mal,  ma  pauvre  enfant,  et  vous 
me  connaissez  bien  peu.... 

A  cet  accent,  elle  releva  la  tête,  prenant' à  demi  conscience 
du  mal  qu'elle  lui  infligeait,  vaguement  troublée  par  la  révé- 
lation de  cet  amour  dont  elle  ne  pénétrait  pas  l'essence  et 
dont  elle  n'était  pas  digne. 


408  LA   REVUE    FRANCO -ÀNCéRIOAINE 

— 11  ne  faudrait  pas  vous  chagriner  à  cause  de  moi,  niur- 
mura-t-elle. 

— C'est  que  vous  me  dites  des  choses,  aujourd'hui...  répon- 
dit Louis  Chaumel  avec  un  douloureux  sourire.  A^ous  me 
déconcertez,  je  ne  sais  plus  où  j'en  suis. 

Et  son  regard  ajoutait,  suppliant  : 

— Par  pitié,  montrez-vous  sous  un  autre  a.spect...  Eveillez- 
moi  du  rêve  cruel  que  je  fais. 

— -Voyez- vous,  prononça-t-elle  avec  emphase,  ce  n'est  pas 
ma  faute  :  je  ne  puis  pas  supporter  la  vie  terre-à-terre... 

Lo  jeune  homme  bondit  : 

— Moi  non  plus,  Léa  !  déclara-t-il  avec  force  ;  je  veux  m'é- 
lever,  et  il  faut  absolument  que  je  vous  emporte  avec  moi.. 
Allons,  soyez  bonne,  soyez  vous.  Ce  qui  fait  la  noblesse 
d'une  existence,  c'est  le  but  poursuivi,  ce  sont  les  pensées,  les 
sentiments,  vous  le  savez  bien,  au  fond,  dit-il  en  s'asse^^ant 
près  d'elle,  et  en  s'emparant  de  la  petite  main  qui  reposait 
sur  l'accoudoir...  Vous  voilà  plus  calme...  Ne  me  répondez  pas... 
Ecoutez-moi  seulement.  Vous  verrez  comme  notre  vie  sera 
belle,  intéressante,  comme  nous  aimerons  le  bon  Dieu  à  nous 
deux,  comme  on  l'aimera  chez  nous.  De  quoi  avez-vous  peur  ? 
Est-ce  que  j'oublierai  ({u'on  a  besoin  d'un  peu  de  distraction  à 
votre  âge  ?  Est-ce  que  je  prétends  vous  cloîtrer  ou  vous  fati- 
guer ?  Vous  serez  ici  comme  une  petite  reine  !  Vous  surveil- 
lerez, vous  dirigerez...  et  quand  il  vous  faudra  joindre  l'ex- 
emple au  précepte,  vous  verrez,  Léa,  (ju'il  ne  vous  en  coûtera 
pas  du  tout  !,.. 

Elle  fermait  à  demi  les  yeux,  et  il  se  trompait  à  l'abandon 
lassé  de  cette  attitude... 

— Ce  n'est  certes  pas  moi  qui  couperai  les  ailes  à  votre  es- 
prit, continua-t-il  en  retrouvant  son  beau  sourire  jeune.  Nous 
causerons,  nous  deux,  tant  qu'il  vous  plaira.  Habiter  un  vil- 
lage n'est  pas  s'iiiterdire  toute  communication  avec  le  reste 
du  monde  ;  si  cela  peut  v^ous  être  agréable,  nous  suivrons  en- 
semble le  mouvement  des  idées,  des  choses  actuelles.  Allons, 
c'est  oîii  ?  conclut-il  après  un  silence.     Vous  voulez  ? 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAITRE  BIENAIME  409 

— Mais  non,  je  ne  veux  pas  !  s'écria-t-elle,  en  retirant  brus- 
quement sa  main. 

Elle  reculait  si  violemment,  que  son  fauteuil  aussi  recula 
d'une  secousse  ;  ce  mouvement  la  plaça  dans  l'ombre...  Le 
jeune  homme  eut  l'impression  de  la  voir  diminuer,  flotter...  de 
ne  plus  trouver  devant  lui  qu'une  forme  vaine  et  vide. 

— Vous  me  refusez  alors...  vous  me  refusez...  balbutia-t-il 
presque  machinalement. 

Oh  !  eût-il  jamais  cru  que  le  don  de  son  cœur,  l'hommage 
de  sa  vie  serait  accueilli  de  la  sorte...  qu'elle  le  repousserait 
ainsi,  alors  qu'il  lui  ouvrait  toute  grande  sa  maison  prospère 
et  bénie,  asile  de  la  foi,  de  l'honneur,  des  plus  saintes  ten- 
dresses, des  plus  nobles  vertus  ! 

— Oubliez-moi,  répondit-elle  ;  choisissez  une  femme  qui 
partage  vos  goûts  :  cela  ne  vous  sera  pas  difficile. 

— Je  me  trompais,  alors,  fit-il  d'une  voix  hachée  ;  je  me 
trompais  en  pensant  que  vous  auriez  confiance  en  moi...  que 
vous  voudriez  bien  vous  laisser  guider,  vous  laisser  aimer 
par  moi .  .  croire  à  une  affection,  à  un  dévouement  uniques .  . 
uniques,  répétait-il.  Et,  dans  sa  bouche,  ce  mot  sonnait 
comme  un  glas. 

— C'est  donc  fini .  .  fini .  .  ajouta-t-il  sans  savoir  ce  qu'il 
disait. 

Oui,  fini,  pauvre  Louis  Chaumel  ;  son  bandeau  se  déchirait 
sous  cette  main  légère  et  inconsciente..  Il  était  bien  forcé, 
maintenant,  de  voir  Léa  telle  qu'il  ne  l'avait  jamais  vue .  . 
telle  qu'elle  était  devenue  ! 

— Vous  me  refusez,  et  sans  me  donner  aucune  raison  !  Car 
ce  ne  sont  pas  des  raisons,  ces  idées  de  ville,  d'ambition  et  de 
mondanité  qui  vous  tournent  la  tête  ! 

— Dites  donc  !  exclama  Léa,  cabrée  ;  je  ne  vous  permets 
pas  de  me  parler  comme  cela. 

Il  n'entendit  même  pas  cette  réplique  ;  accoudé  sur  la  table, 
il  meurtrissait,  de  ses   doigts,  son   front  subitement  sillonné. 

— Ah  !  je  souffrirais  moins,  murmura-t-il,  si  vous  m'aviez 
répondu,  par  exemple,  que  vous  en  aimez  un  autre  ! 


410  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Il  disait  vrai,  car  il  n'aurait  pas  eu  à  constater  alors,  comme 
il  venait  de  le  faire,  la  misère  de  son  illusion,  le  mensonge  de 
son  mirage  !  Mais  Léa  sentit  qu'elle  se  rapetissait,  qu'elle  se 
ternissait  elle-même  aux  yeux  de  cet  homme,  et  son  dépit  fut 
tel  qu'elle  lança  audac'ieusement  : 

— Hé  bien  !  oui  j'en  aime  un  autre  !  Un  autre  qui  me  pro- 
met de  la  joie  et  du  plaisir,  qui  me  placera  dans  le  milieu 
pour  lequel  je  suis  faite,  qui  m'enlèvera,  lui,  à  des  travaux 
que  je  déteste,  et  qui  m'emmènera^bien  loin...  à  Paris  I 

Louis  Chaumel  tressaillit  comme  sous  une  décharge  ;  cer- 
tains bruits  étaient  parvenus  à  ses  oreilles.  .  des  bruits  aux- 
quels il  n'avait  pas  voulu  croire  et  qu'elle  confirmait.  .  terri- 
blement. 

— Ah  !  pas  cela,  interrompit-il,  raidi  des  pieds  à  la  tête, 
c'est  trop  !.  .  Ne  me  dites  pas  que  vous  repoussez  votre  meil- 
leur ami,  votre  camarade  d'enfance,  pour  vous  laisser  prendre 
tout  de  suite  aux  belles  manières  du  premier  monsieur  ganté 
et  parfumé  qui  vous  fait  des  compliments  ! 

Un  nuage  rouge  s'étendit  sur  les  yeux  de  Léa  :  Louis,  em- 
porté par  l'indignation  de  sa  tendresse,  avait  frappé  trop 
juste.  Elle  le  toisa  du  haut  en  bas  ;  il  lui  seyait  bien,  vrai- 
ment, de  parler  de  messieurs  gantés  et  parfumés,  lui  qu'elle 
avait  surpris  tout  à  l'heure.,  dans  quelle  occupation,  dans 
quel  costume  !  Le  rapprochement  était  malheureux  ;  et,  ra- 
geuse, la  prunelle  en  feu,  Léa  répliqua,  poussée  par  on  ne  sait 
quelle  folie  : 

— En  tout  cas,  je  n'épouserais  jamais  un  homme  en  blouse.  . 
un  paysan  ! 

A  peine  eût-elle  ainsi  parlé,  qu'elle  en  eut  honte  ;  Louis 
Chaumel  se  levait  tout  droit,  atteint  au  plus  vif,  au  plus  in- 
time de  son  être.  Il  ne  dit  rien,  mais  il  lui  jeta  un  regard 
inoubliable. 

Ainsi,  non  seulement  elle  ne  voulait  pas  de  son  amour .  . 
mais  cet  amour,  elle  le  méprisait  !  Et  pourquoi,  pourquoi  ? 

Elle  aussi  s'était  levée  ;  il  était   horriblement  pâle  ;  il  lui 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAITRE  BIENAIMÉ  411 

parut  immensément  grand  avec  son  visage  rigide,  sa  physio- 
nomie presque  funèbre.  Et  soudain  elle  eut  peur  de  lui. 
comme  elle  aurait  eu  peur  d'un  blessé  inondé  de  sang .  .  En 
même  temps,  elle  se  rendit  compte  qu'elle  avait  traité  indi- 
gnement celui  qui  s'était  toujours  montré  si  bon  pour  elle, 
qui,  tout  à  l'heure  encore,  l'avait  recueillie  et  réchauffée  à  son 
foyer  ! 

— Je  n'ai  pas  voulu  vous  froisser.  .  essaya-t-elle. 

Mais  les  mots  qu'elle  avait  dits  ne  sont  pas  de  ceux  qui  se 
réparent.  .  et,  d'une  voix  qui  avait  peine  à  sortir  : 

— Vous  m'avez  fait  du  mal,  répondit-il.  Que  Dieu  vous  le 
pardonne. 

Ce  fut  seulement  après  plusieurs  minutes  qu'il  s'aperçut 
qu'elle  était  partie.  Il  restait  debout,  à  la  même  place,  éton- 
né de  retrouver  autour  de  lui  le  même  aspect  des  choses .  . 
Car  il  lui  semblait  être  devenu  très  vieux. 

Morte,  la  petite  Léa  qu'il  aimait.  .  Comme  tant  d'autres,  il 
s'était  épris  d'un  rêve,  et  le  deuil  de  certains  rêves  est  si  lourd 
qu'il  fait  fléchir  les  plus  robustes  épaules,  si  noir  qu'il  met  la 
nuit  dans  les  yeux .  . 

Flétris,  les  chers  souvenirs  d'enfance.  .  Défigurées,  les  ima- 
ges naïves  qui  lui  riaient  si  doucement  et  l'illuminaient  d'es- 
poir.  .  Perdu,  tout  cela,  mutilé,  piétiné,  comme  ces  prime- 
vères que  les  enfants  cueillent  toutes  fraîches  et  qu'on  re- 
trouve, au  bout  d'une  heure,  écrasées  par  centaines  dans  la 
poussière  du  chemin. 

— Si  c'est  possible  !  répétait,  près  du  jeune  homme,  une 
voix  courroucée.  Ah  !  la  sotte  et  l'ingrate...  Refuser  un  gar- 
çon comme  toi  !  Qu'est-ce  qu'elle  veut,  alors  ?  Lui  faut-il  un 
prince  ?  Cela  montre  ce  qu'elle  est,  va,  mon  Louis,  et  je  te  di- 
sais bien  que  tu  lui  faisais  trop  d'honneur.  • 

Mais  elle  aurait  mieux  aimé  s'être  trompée  et  ne  pas  le  voir 
ainsi,  avec  cette  figure.  Dire  qu'il  souffrait,  seigneur  !  et  à 
cause  de  Léa  !  lui  si  supérieur  à  elle. 


412  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

— Ne  la  regeefcte  pas,  surtout  !  continuait  la  mère  avec  une 
intraduisible  rancune  ;  elle  n'en  vaut  pas  la  peine.  C'est  une 
fille  sans  cœur,  ni  plus  ni  moins  ! 

Elle  s'était  rapprochée  de  lui,  presque  visage  à  visage  ; 
mais,  en  rencontrant  ce  regard,  elle  recula,  consternée,  et  ne 
sut  que  murmurer,  la  main  sur  l'épaule  de  son  grand  fils  : 

— Mon  pauvre  petit  ! 

Celui  qui  soufii-e  est  toujours  un  pauvre  petit  pour  sa 
mère.  .  Cette  simple  parole  fut  la  goutte  qui  détermina  l'ex- 
plosion .  .  Avec  un  seul  sanglot,  un  de  ces  sanglots  d'homme, 
si  brefs,  si  durs,  qui  brisent  et  qui  déchirent,  Louis  tomba  sur 
un  siège  en  balbutiant  d'une  voix  rauquc  : 

— Oh  !  maman... 

XIII 

MATHILDE 

— Vous  auriez  dû  me  laisser  faire  toute  seule,  Mamzelle 
Mathilde  ;  ça  n'a  pas  de  bon  sens  !  s'écria  la  petite  servante. 
Dire  que  vous  étiez  debout  à  quatre  heures,  et  que,  depuis, 
vous  n"  arrêtez  "  pas  !  Vous  ne  vous  êtes  pas  seulement  assise 
pour  dîner.     Vous  vous  tuerez  pour  sûr,  si  ça  continue  ! 

Toutes  deux  sortent  de  la  basse-cour  où  elles  ont  procédé  à 
des  nettoyages  fatigants  ;  la  lumière  meurt,  les  contours  s'ef- 
facent sous  une  pluie  pareille  à  une  fumée,  l'une  de  ces  pluies 
fines,  obstinées,  désespérantes,  qui  semblent  devoir  durer  éter- 
nellement. 

— Il  faut  bien  que  tout  se  fasse  !  répond  simplement  la 
jeune  fille,  essuyant  du  revers  de  la  main  les  grosses  gouttes 
de  sueur  qui  découlent  jusque  sur  son  col.  Et  nous  sommes 
en  retard,  encore  !  Allume  vite  le  feu  pendant  que  j'épluche 
les  légumes. 

Maria  s'éloigne  en  trottinant  vers  le  bûcher,  et  murmure 
entre  haut  et  bas  ': 

— Il  faut  que  tout  se  fasse.  .  Ma  foi,  il  y  a  des  gens  qui 
ont  bien  de  la  bonté  !  Celle-là  doit  travailler  double  alors, 
parce  que  l'autre  ne  veut  rien  faire  ? 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  413 

Matliilde,  ayant  pris  des  légumes  plein  son  tablier,  s'est 
déjà  installée  sur  une  chaise  basse,  au  coin  d'une  fenêtre  dont 
elle  a  relevé  le  rideau.  La  cuisine  est  vide;  les  " triolets " 
sont  aux  étables.  .  Le  chien  hurle  lamentablement  en  tirant 
sur  sa  chaîne,  et,  à  travers  le  bruit  monotone  de  la  pluie,  on 
distingue  les  coups  sourds  du  fléau  manié  par  le  valet  qui  bai 
les  fèves  dans  la  grange...  Et  la  tristesse  hivernale  oppresse 
la  fille  de  la  Closerie,  rend  plus  désolantes  les  images  dont 
elle  est  hantée.  Comment  dire  à  son  père  que,  dans  l'état  ac- 
tuel des  choses,  il  faudrait  absolument  une  servante  de  plus  ! 

Mais  voilà  qu'un  autre  bruit  parvient  aux  oreilles  de  Ma- 
thilde  :  une  sorte  de  soupir  étoufié  ;  quelqu'un  est  là,  dans  le 
réduit  entr'ouvert  au  pied  de  l'alcôve.  La  jeune  fille  se  lève 
sans  lâcher  son  couteau,  elle  traverse  la  cuisine,  letenant 
d'une  main  les  pans  de  son  tablier  bleu.  Oh  !  qui  donc  gé- 
mit dans  cette  ombre,  à  peine  éclairée  par  un  vitrage  grillé, 
où  des  branches  sans  feuilles  appliquent  un  rideau  noirâtre  ? 
Qui  donc  est  effondré  contre  le  petit  bureau  ?  Mathilde  re- 
cule d'effroi.  .  Son  père,  est-il  possible  !  son  père.  .  dans  cette 
attitude  de  vaincu  ! 

Elle  entre  vivement,  et  referme  la  porte  derrière  elle  ;  il 
s'est  redressé,  par  mouvements  hachés,  et  sa  fille  demeure 
confondue  devant  cette  face  désespérée. 

— Papa,  exclame- t-elle  d'une  voix  méconnaissable,  y  a-t-il 
du  malheur  ? 

— C'est  elle.,  c'est  toujours  elle...  Ah!  la  mauvaise  !  Pour 
me  faire  mal...  pour  le  plaisir  de  me  faire  mal... 

— Léa  ?  questionne  Mathilde,  consternée  devant  cet  égare- 
ment si  insolite,  ces  yeux  brûlés  par  des  larmes  de  colère  et  de 
douleur. 

— Oui,  oui,  répond-il.  Il  n'y  a  rien  à  lui  dire,  elle  est  bu- 
tée !  Quand  on  pense .  .  quand  on  pense  que  son  bonheur  à 
elle,  et  notre  bonheur  à  tous  est  là,  si  près,  et  qu'elle  n'en 
veut  pas  !  conclut  Brissot,  les  dents  grinçantes 

C'était  poignant,  ce  désespoir  d'un  travailleur,  d'un  opiniâ- 


414  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

tre,  qui  avait  lutté  pendant  trente  années  €tqui  échouait  con- 
tre cet  obstacle  misérable  :  la  ridicule  vanité  de  sa  fille  ! 

— Mais  qu'est-ce  qu'elle  ne  veut  pas  ?  dites-moi  donc,  insis- 
tait Mathilde,  les  yeux  élargis  et  le  cœur  palpitant. 

— Ah  !  c'est  vrai...  tu  ne  sais  pas,  toi...  bégaya  le  fermier 
dont  les  lèvres  happaient  l'air  avec  effort...  C'est  Louis,  en- 
tends-tu ?  Louis  Chaumel,  qui  la  demande  en  mariage  et 
qu'elle  refuse...  Qu'est-ce  (jue  tu  as  ?  exclama  le  père,  chan- 
geant de  ton. 

Une  plainte  tremblante   venait^'de  retentir;  la  jeune  fiïle 
serrait,  de  sa  main  droite,  sa  main  gauche  ensanglantée  :  par 
suite  d'un  faux  mouvement,  elle  s'était   fait  à   la  paume  une 
entaille  profonde  avec  le  couteau  qu'elle  tenait  encore. 
— Tu  t'es  coupée  ?  reprenait  Brissot. 
— Ce  n'est  rien...  ce  n'est  rien... 

Pâle  comme  la  mort,  elle  avait  reculé  dans  l'angle  ;  en  cette 
obscurité,  avec  ses  vêtements  sombres,  elle  ressemblait  à  une 
statue  de  bronze  dont  le  visage  serait  de  marbre. 

— Alors,  murmura-t-elle  au  bout  de  plusieurs  secondes,  vous 
dites  que  Léa  refuse... 

— Cette  situation-là,  cet  homme-là  !  continua  le  fermier, 
accentuant  farouchement  les  syllabes  ;  et  sans  motif  ;  car  quel 
motif  raisonnable  peut-elle  avoir  !  Elle  sait  bien  qu'en  di- 
sant oui,  elle  me  donnerait  de  la  joie...  de  la  joie,  appuya-t-il 
avec  un  regret  sauvage,  cela  suffit  pour  qu'elle  dise  non  ! 
Comprends-tu,  toi  ? 

— Non,  répondit-elle,  faiblement,  je  ne  comprends  pas... 
La  tête  lui   tournait,  elle  sortit,   enroulant  machinalement 
son  mouchoir    autour    de   sa    blessure.     Oh  !    non,   ce  n'était 
rien,  ceci.     Autre   chose  lui  faisait  mal...  autre  chose  saignait 
en  elle,  et  saignait  à  mourir  ! 

Tant  mieux,  tant  mieux  ;  car  il  fallait  tuer  cela  tout  de 
suite,  grand  Dieu  !  Quelle  secousse  brutale  !  quelle  lueur  d'é- 
clair ! 

Elle  défaille  à  présent,  la  forte,  la  vaillante  ;    elle  doit  s'ar- 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  415 

rêter  à  l'air,  sur  le  seuil  du  couloir,  sous  la  vigne-vierge  non 
encore  dégarnie,  qui  jette  au  vent  des  volées  de  perles  ternes. 
Elle  s'enfonce  à  demi  sous  une  retombée  des  rameaux  ;  quel- 
ques feuilles  rouges,  mouillées,  se  collent  à  ses  habits,  et  l'on 
dirait  d'autres  taches  de  sang. 

Est-il  possible  ?  Comment  cela  s'est-il  fait?  Ah  !  elle  l'ignore. 
Jamais  elle  ne  s'est  donné  la  peine  de  s'analyser,  jamais,  jus- 
qu'à ce  jour,  elle  n'a  pris  garde  à  un  sentiment  si  bien  enra- 
ciné, qui  avait  grandi  avec  elle...  C'était  trop  profond,  cela  te- 
nait trop  fort,..  C'était  comme  son  âme,  comme  son  cœur. 

Pouvait-il  en  être  autrement,  pauvre  généreuse  fille  ?  Con- 
naissait-elle un  seul  homme  qui  fut  comparable  à  son  ami 
d'enfance  ?  Cette  image,  cette  affection  s'harmonisaient  avec 
le  meilleur  et  le  plus  intime  d'elle-même  ;  quand  il  parlait 
elle  l'écoutait,  ravie,  car  il  touchait,  en  elle,  des  cordes  au  son 
révélateur  ;  il  donnait  une  forme  précise  aux  belles  pensées, 
aux  belles  émotions  qui  demeuraient  chez  elle  à  l'état  pres- 
que inconscient,  et  si  jamais  elle  avait  pu  mettre  à  nu  son 
âme,  Louis  Chaumel  y  eût  reconnu  la  sienne  comme  dans  le 
miroir  le  plus  pur  ! 

Comment  elle,  la  terrienne,  n'eût-elle  pas  aimé  le  terrien 
vibrant  et  convaincu,  qui,  partout,  autour  de  lui,  prêchait  la 
fidélité  au  Sol  ?  Comme  elle,  la  chrétienne,  n'eût-elle  pas  aimé 
le  chrétien  simple  et  grand,  l'apôtre  de  toutes  les  traditions 
saintes  ? 

Et  pourtant,  cet  amour,  c'était  l'impossible  ;  et  Mathilde 
cachait,  parmi  les  feuilles  détrempées,  son  front  aussi  lourd, 
aussi  froid  que  la  pierre. 

Une  ignorante  comme  moi .  .  gémit-elle  ;  une  fille .  si  au- 
dessous  de  lui.     Oh  !   Seigneur,  quelle  folie  ! 

Elle  ne  songe  pas,  dans  son  illogisme  admirable,  qu'une 
autre,  mille  fois  moins  digne,  avait  cependant  fixé  le  choix  du 
jeune  homme.  Habituée  au  sacrifice  permanent,  elle  s'est 
toujours  comptée  pour  rien,  et  ne  se  dit  pas  plus  aujourd'hui 
qu'autrefois  :  "  Je  me  sacrifie."    Une  vision  rapide  lui  montre 


416  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

son  père  heureux,  sa  soeur  heureuse  et  guérie  des  chimères, 
la  Closerie  sauvée. .  .  Oh  !  il  le  faut  !  il  le  faut  !  D'un  élan, 
elle  se  dresse,  pâle,  grave  et  douloureuse,  mais  tout  entière  à 
une  résolution  que  rien  n'a  ébranlée,  pas  môme  la  cruelle  sur- 
prise de  son  coeur. 

Le  ciel  pleure  sur  Mathilde  ;  dans  le  jour  mourant,  dans 
l'humidité  où  traînent  des  odeurs  de  pommes  écrasées,  un  tin- 
tement grêle,  entrecoupé,  s'étouffe...    C'est   l'angelus  du  soir. 

Mathilde  fait  un  grand  signe  de  croix. 

— Allons  !  dit-elle. 

.  .Léa,  dans  sa  chambre,  essayiait  une  coiffure  nouvelle, 
mais  ses  mains  tremblaient  si  fort,  qu'elle  n'arrivait  pas  à 
placer  les  peignes  et  les  rouleaux.  Elle  s'était  mise  à  cette 
occupation  par  une  sorte  de  bravade  ;  la  scène  avec  Louis  l'a- 
vait durement  secouée,  malgré  tout,  et  ce  visage  de  douleur 
la  poursuivait  à  la  manière  d'une  insupportable  obsession. 

Elle  se  tourna  impatiemment  vers  la  porte  et  ses  longs  che- 
veux lumineux  tombèrent  en  flot  sur  ses  bras,  sur  ses  épaules, 
Mathilde  entrait  sans  frapper,  sans  rien  dire,  et  sa  soeur  la 
reconnut  à  peine  ;  jamais  elle  ne  l'avait  vue  aussi  blanche, 
avec  des  yeux  aussi  brillants. 

Dans  le  rayonnement  de  l'abat-jour  de  mousseline  acheté 
par  Léa,  elle  approchait,  légèrement  raidie  ;  elle  s'inclina,  sai- 
sit le  poignet  qui  sortait  d'un  ruche  de  guipure,  et,  d'une  voix 
basse  : 

—  Léa,  murmura-t-elle,  ma  pauvre  petite..  . 

— Eh  bien  ?  questionna  sa  cadette  en  la  dévisageant. 

— On  me  dit  une  chose  que  je  ne  peux  pas  croire,  reprit 
Mathilde  dont  les  cils  battaient  largement  et  faisaient  remuer 
des  ombres  sur  l'ivoire  doré  des  joues.  .  .  on  me  dit  que  tu  re- 
fuses Louis  Chaumel  ! 

— Ah  !  toi  aussi  !  interrompit  sa  soeur  dont  les  doigts 
avaient  des  tressaillements  nerveux  ;  on  prétend  me  tyranni- 
ser jusque  dans  mon  coeur  ;  On  veut  forcer  mon  inclination  ; 
on  veut  m'imposer  un  mari  !  Non,  non  !  je  ne  me  laisserai  pas 
faire  ! 

(A  suivre.) 


L'IIvIvUSTRATION 

Supplément  de  "La  Revue  Franco-Américaine" 


Vol.  VIII.  No  6. 


Montréal,  1er  AVRIL  1912 


Ivcs  Alpinistes  dansles^^Montagnes  Rocheuses,  Canada. 


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Troupeau  de  montons,  dans  l'Ouest  Canadien, 
le  long  du  C.  P.  R. 


L^e  poisson  abonde  dans  l' Juest  Canadien  et  le  pêcheur 
le  moins  expert  fait  merveilles. 


lye  grand  glacier  du  ^Slont  Selkirk  dans  les  Ivlontagnes 
Rocheuses,  sur  le  C.  P.  R. 


Immense  verger  à  Agassiz,  Colombie  Britannique, 

^f^  lontr  fin  C.  P.  R. 


VI 


IvE  Printkmps.     i^a  loiile  des  neiges. 


Dans  les  Montagnes  Rocheuses,  le  long  du  C.  P.  R. 


VII 


Arrivée  de  nouveaux  colons,  à  Strathmore,  Alberta, 
sur  le  C.  P.  R. 


Intérieur  d'un  wagon-buffet  du  C.  P.  R. 


VIII 


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Les    Tapisseries 


Dans  les  murs  de  chêne  ciré, 
Dans  les  vieux  canevas  de  Flandre, 
En  plus  d'un  endroit  déchirés, 
Les  quatre  saisons,  sans  comprendre, 

Regardent  l'eau  d'un  déversoir, 
— Pleurs  de  laine  en  éclaboussure — 
Qui  fuit  le  long  du  cadre  noir. 
Et  disparaît  sous  la  bordure. 

L'une,  parmi  ses  points  vernis, 
Balance  en  des  verdures  tendres 
Des  fleurs,  des  parfums  et  des  nids  ; 
C'est  le  printemps  joyeux  des  Flandres 

Un  paysan  mène  un  rouleau. 
Ou  la  herse  à  travers  la  plaine. 
Dans  les  prés  et  les  blés  nouveaux 
D'où  s'exhale  une  fraîche  haleine. 

L'autre  endort  de  blanches  maisons. 
Et  l'étang  sous  un  soleil  rouge  ; 
La  terre  est  lourde  de  moissons, 
Dans  le  bois  profond  rien  ne  bouge  ; 

Mais  là,  liant  le  blé  jeté. 

Sous  leurs  genoux  les  moissonneuses 

Robustes  font  chanter  l'été 

Au  son  des  gerbes  lumineuses. 

La  troisième,  dans  ses  lacis. 
Offre  des  grappes  plein  la  vigne  ; 
Sous  un  arbre  un  passant  assis 
Voit  fuir  la  route  en  longue  ligne  ; 


X 


418  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Et  d'un  geste  large  un  semeur, 
Sur  le  sol  épand  en  cadence, 
Sous  le  crépuscule  qui  meurt, 
La  graine  d'or  de  l'espérance. 

Enfin  aux  branches  de  bois  mort, 
L'hiver  descend  sa  neige  lente, 
Sous  son  linceul  la  terre  dort. 
Rien  ne  murmure  et  rien  ne  chante  : 

Un  laboureur  abandonnant 
Le  soc  qui  s'ébrèche  à  la  borne 
Sur  son  cheval  passe,  inclinant 
La  tête,  comme  un  spectre  morne. 

Ainsi  d'un  coup  d'oeil  je  revois, 
Aux  laines  pâles  des  années. 
Les  quatre  saisons  d'autrefois. 
Dans  mes  souvenirs  dessinées. 

L'espoir  jeune  éclos,  puis  l'amour 
Au  zénith,  puis  la  feuille  morte, 
La  neige  couvrant  le  labour, 
Et  le  coeur  défunt  que  je  porte; 

Et,  dans  l'angle  du  cadre  noir. 
Cette  eau  qui  tombe  c'est  ma  vie. 
Fuyant,  sous  l'étreinte  du  soir, 
Le  vieux  rêve  en  tapisserie.. . 

Jean  d'Harcelines. 


:o:- 


Fonctionnarisme  et  technologie 


Je  viens  de  relire  un  discours  prononcé  par  le  Dr  J.  M. 
Beausoleil  le  22  octobre  1896.  Ce  n'est  pas  d'hier,  comme 
vous  voyez,  mais  il  me  semble  que  les  événements  n'ont  pas 
cessé,  depuis  bientôt  vingt  ans,  de  lui  donner  raison. 

"  Grâce  au  progrès  scientifique  des  cinquante  dernières 
années,  disait  M.  Beausoleil,  l'agriculture,  l'industrie,  le 
commerce  se  sont  développés  sur  des  bases  nouvelles  par- 
faitement sûres.  L'économie  politique,  la  science  sociale 
ont  trouvé  leurs  lois,  l'hygiène  est  devenue  une  science.  La 
vulgarisation  de  ces  données  a  permis  à  la  lumière  de  pé- 
nétrer jusqu'aux  plus  humbles  couches  sociales.  La  presse 
a  porté  sur  ses  ailes  les  idées  générales  qui  font  la  force 
des  peuples  comme  celle  des  individus.  La  science  n'est 
plus  le  partage  d^une  caste  :  elle  s'esi  démocratisée.  C'est 
elle  la  colonne  lumineuse  qui  doit  nous  guider  vers  la  terre 
promise,  c'est  elle  la  manne  du  désert! 

"  Il  y  a  aujourd'hui  deux  ans,  un  littérateur  français  pro- 
clamait "  la  banqueroute  de  la  science."  A  l'exemple  de 
cette  Athénienne  dont  parle  l'histoire,  la  science  humble, 
modeste  mais  convaincue,  répondit  dans  un  sourire  délicat  • 
''  Vous  n'êtes  pas  d'ici." 

"  S'il  est  vrai  que  la  science  est  la  compréhension  des 
rapports,  elle  ne  peut  déchoir;  et,  tant  qu'il  existera  des 
chercheurs  d'équations,  la  science  vivra  et  sera  honorée. 

"  Vous  n'ignorez  pas  que  les  procédés  d'analyse  ont  dé- 
rangé bien  des  calculs  faits  "  à  priori,"  qu'ils  ont  été  la 
ruine  d'une  multiplicité  de  conventions  adoptées  sans  exa- 
men. Le  contrôle  expérimental,  voilà  la  pierre  de  touche 
de  ce  qui  est. 

"  Mais,  je  ne  veux  pas  restreindre  ces  remarques  à  une 
certaine  classe  d'études  ;  au  mot  science,  substituez  le  mot 
"  instruction,  savoir."  Le  savoir  est  le  premier  besoin  de 
l'homme  ;  besoin  de  tous  les  jours,  en  tous  les  lieux. 


420  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

''  L'enfant  a  droit  à  une  part  d'instruction,  laquelle  doit 
concourir  à  son  développement  intellectuel,  physique  et 
moral.  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  lecture,  d'écriture,  de  calcul — 
simples  instruments — il  s'agit  d'un  enseignement  technique 
qui  lui  permette  d'accomplir  les  devoirs  de  sa  carrière." 

Culture  intellectuelle,  culture  physique,  enseignement 
qui  permette  à  chacun  des  nôtres  de  remplir  les  devoirs 
de  sa  carrière,  qui  lui  permette  même  d'accomplir  davan- 
tage et  le  mette  en  é^at  de  prendre  sa  place  dans  la  multi- 
tude des  situations  nouvelles  créées  par  le  progrès  et  les 
besoins  du  temps  su^"  tous  les  points  du  pays. 

Et  il  ne  se  dégagei"ait  que  cette  pensée  de  la  poussée  for- 
midable qui  s'est  ruée  contre  l'administration  fédérale  de- 
puis l'avènement  du  nouveau  régime,  qu'il  ne  faudrait  pas 
trop  se  plaindre  des  ennuis  sans  nombre  causés  par  les  cher- 
cheurs de  place  aux  maîtres  du  pays.  Mais  cette  pensée 
s'en  dégage  très  nettement. 

Ceux  qui  réussissent,  ce  sont  surtout  les  spécialistes  ;  et 
ils  réussissent  d'autant  mieux  que  leur  nombre,  très  res- 
treint, les  protège  contre  toute  concurrence.  Il  suffit  d'ob" 
server  les  développements  extraordinaires  de  nos  ressources 
nationales  dans  tous  les  domaines,  pour  comprendre  que 
les  sciences  appliquées  nous  conduisent,  pour  ainsi  dire, 
par  la  main.  Domaine  forestier,  mines,  explorations  géo- 
logiques, agriculture  perfectionnée,  partout  nous  rencon- 
trons le  praticien  q^e  des  connaissances  spéciales  indi- 
quent d'avance  et  font  rechercher  pour  les  grandes  entre- 
prises payantes. 

Or,  les  Canadiens-Français,  en  tenant  compte  de  certaines 
exceptions  notables  qui,  du  reste,  confirment  la  règle  que 
nous  voulons  établir,  n'ont  pas  assez  tenu  compte  de  ce  qui 
se  faisait  souvent  dans  leur  propre  domaine  et  n'ont  pas 
tenu  à  prendre  leur  part  des  progrès  qui  passaient. 

11  faut  reconnaître  là  dedans,  sans  doute,  une  question 
de  tempérament.  Je  ne  sais  plus  trop  quel  auteur  préten- 
dait que  nous  n'avions  pas  la  tête  faite  comme  les  Anglo- 
Saxons.  Le  mot  ne  manquait  pas  d'humour,  mais  il  nous 
tenait  encore  trop  loin  de  la   solution  des  problèmes  qui 


FONCTIONNARISME  ET  TECHNOLOGIE  421 

nous  intéressent  au  même  degré  que  l'une  ou  l'autre  des  ra- 
ces qui  ont  planté  leur  tente  à  côté  de  la  nôtre. 

Placés  depuis  un  siècle  et  demi  au  milieu  d'un  peuple  in- 
dustriel, négociant,  matérialiste  avant  tout  le  reste,  les  nô- 
tres se  montrent  trop  lents  à  sonder  le  terrain  sur  lequel  ils 
marchent,  à  comprendre  les  côtés  pratiques  des  efforts 
faits  dans  leur  entourage,  à  acquérir  des  qualités  mû- 
ries par  un  sang  qui  n'est  pas  le  leur,  mais  faisant  le  fond 
d'habitudes,  de  méthodes  spéciales  dont  ils  doivent  pren- 
dre leur  part  s'ils  veulent  lutter  à  armes  égales,  dans  leur 
propre  pays,  avec  une  race  qui  a  posé  avec  une  brutalité 
historique  sous  tous  les  cieux  le  principe  très  humain  du 
"struggle  for  life." 

Sans  doute,  il  n'est  pas  question  ici  des  coutumes  an- 
cestrales  conservées  par  chacun  de  nos  groupes  partout  où 
nous  avons  formé  un  essain. 

Ces  coutumes  qui  constituent,  en  quelque  sorte,  l'arche 
sainte  de  nos  aspirations  nationales,  où  l'on  garde  religieu- 
sement les  traits  caractéristiques  de  notre  race,  sont  pour 
nous  un  héritage  que*  nous  tenons  de  trop  haute  et  vieille 
source  pour  songer  un  seul  instant  à  en  amoindrir  l'impor- 
tance ou  en  ternir  l'éclat.  Grâce  à  elles  nous  pouvons  offrir 
à  nos  conquérants,  dont  l'admiration  est  vaincue,  le  spec- 
tacle sublime  et  unique  dans  l'histoire,  d'une  race  résistant 
à  la  propre  faiblesse  des  siens  et  trouvant  dans  son  coeur 
la  force  de  survivre  à  tous  les  cataclysmes  et  de  renaître 
après  les  pires  défaites. 

Mais  l'époque  où  nous  vivons,  en  nous  créant  des  besoins 
nouveaux,  des  concurrents  plus  aguerris,  indique  déjà  à 
notre  initiative  des  voies  nouvelles,  fournit  à  notre  ambi- 
tion des  buts  nouveaux  que  nous  sommes  portés  à  croire 
inaccessibles.  Pourtant  nous  n'avons  qu'à  tendre  la  main 
pour  saisir  les  armes  qui  rendront  moins  pénibles  nos  com- 
bats pour  la  vie  et  nous  mèneront  vers  des  triomphes  in- 
soupçonnés. Accepter  les  faits  accomplis  devient  alors 
non  seulement  uti  acte  de  prudence,  mais  un  signe  de  sa- 
gesse. 

On  a  beau  dire,  l'évolution  sociale  se  fait  avec  une  force 


422  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

irrésistible  dans  notre  siècle  d'électrique  activité,  et  le  con- 
servatisme revêt  assez  souvent  une  apparence  de  rétro- 
gression  qui  est,  de  longue  date,  passée  de  mode.  Plus  que 
jamais  on  est  forcé  d'admettre  l'axiome  que  "  tout  ce  qui  ne 
croît  pas  décroît." 

La  condition  des  classes  ouvrières  nous  offre  de  ce  fait 
un  exemple  tout  particulièrement  frappant. 

En  effet,  l'ouvrier  peut-il  raisqnnablement  se  refuser  à 
toute  idée  de  perfectionnement  dans  ses  manières  de  pro- 
céder quand  son  entourage  subit  sans  relâche  la  poussée 
du  progrès  ?  Evidemment  non.  Autrement  il  se  trouverait 
bientôt  dans  la  position  de  cet  homme  qui  était  né  un  quart 
d'heure  trop  tard  et  qui  n'avait  jamais  pu  rattraper  ce  quart 
d'heure.  Le  monde,  marchant  sans  lui,  le  laisserait  bien 
loin  sur  la  route  à  caresser  des  méthodes  vieillies,  des  pro- 
cédés dont  un  passé  déjà  lointain  s'est  emparé.  A  côté  de 
la  machine  perfectionnée  il  faut  le  travail  perfectionné,  il 
faut  l'expérience  mécanique  de  l'ouvrier,  cette  habileté  ma- 
nuelle qui,  devenant  presque  un  art,  sera  comme  l'éclatante 
revanche  de  l'esprit  sur  le  métal  qui  semble,  de  nos  jours, 
avoir  dérobé  la  pensée  de  l'homme. 

Et  les  moyens  d'atteindre  ce  résultat.?  Il  n'y  en  a  qu'un  : 
l'éducation  technique,  ce  raffinement  de  l'habileté  manuelle 
qui  en  faisant  de  chacun  un  maître  dans  son  métier  pourra 
"  constituer  l'homme  le  plus  indépendant  qui  ait  jamais 
existé."  C'est  d'ailleurs  un  point  sur  lequel  tous  les  écono- 
mistes sont  d'accord  et  sur  lequel  je  ne  suis  pas  seul  à  atti- 
rer l'attention  de  mes  compatriotes.  La  condition  particu- 
lière où  ces  derniers  se  trouvent,  surtout  aux  Etats-Unis  où, 
dans  plusieurs  endroits,  ils  ont  le  monopole  des  travaux  de 
fabrique,  leur  impose  l'obligation  d'étudier  avec  soin  cette 
nouvelle  proposition  du  problème  social.  Nous  traversons 
une  époque  d'évolution  générale,  l'industrie  soumise  aux 
données  de  la  science  s'avance  vers  des  sommets  plus  éle- 
vés et  il  faut  marcher  avec  elle.  Au  reste,  nos  compatriotes 
prolétaires  ont  déjà  subi  cette  influence  entraînante  du 
progrès  et  nous  les  savons  aujourd'hui  largement  représen- 
tés parmi  ceux  qui  donnent  le  ton.  Les  inventeurs  cana- 
é 


FONCTIONNARISME  ET  TECHNOLOGIE  423 

diens  ont  fait  plus  que  leur  part  des  inventions  qui  ont 
transformé  la  mécanique  et  sont  même  en  train  de  faire 
subir  une  transformation  radicale  à  l'industrie  manufac- 
turière qu'ils  soutiennent  de  leurs  bras.  Il  suffirait  de  géné- 
raliser le  mouvement. 

Un  économiste  écrivait  : 

"  L'habitude  est  une  seconde  nature.  On  peut  même  dire 
que  souvent  elle  s'implante  en  place  de  la  nature,  qu'elle  do- 
mine le  libre  arbitre  et  lui  fait  accomplir  des  actes  logi- 
quement inexplicables.  On  trouve  des  gens  qui  font  le 
contraire  de  ce  qu'ils  voudraient,  et  .même  qui  semblent 
s'en  plaindre.  C'est  vrai,  disent-ils,  mais  que  voulez-vous  ? 
C'est  l'habitude.  On  n'en  finirait  pas  si  l'on  prouvait  par 
des  exemples  combien  cette  force  est  grande."  Mais  pour 
être  grande,  cette  force  n'en  est  pas  plus  invincible  pour 
tout  cela.  Il  suffit  d'un  peu  de  bonne  volonté  pour  la  do- 
miner entièrement  et,  au  besoin,  pour  la  f aire'servir  au  plus 
grand  bien  de  la  cause  ^qu'elle  était  tout  naturellement  en- 
cline à  combattre.     Le  but  est  trouvé,  atteignons-le. 

Mais  que  cette  longue  digression  ne  nous  éloigne  pas  de 
l'idée  première  de  notre  article,  savoir  :  l'idée  que,  jusque 
dans  le  fonctionnarisme,  dans  les  services  de  l'administra- 
tion, règne  une  sorte  de  sélection  basée  sur  la  compétence 
des  sujets.  C'est  ce  qu'il  ne  faut  pas  oublier  même  si  l'on 
jouit  de  certaines  influences  qui  finissent  par  nous  ouvrir 
les  portes  des  ministères.  L'oublier  serait  se  condamner 
irrémédiablement  ;iux  postes  inférieurs  que  seuls  la  politi- 
que peut  dominer.  Ce  n'est  pas  là  qu'est  la  carrière  véri- 
table. 

On  me  permettra  bien,  je  suppose,  d'attirer  l'attention  de 
nos  maisons  d'éducation  là-dessus.  C'est  un  point,  du  reste, 
qui  n'est  pas  négligé  par  lesjinstitutions  anglaises  les  mieux 
réputées  du  pays.  On  trouvera,  après  examen  sérieux,  que 
ce  que  beaucoup  d'entre  nous  sont  tentés  de  prendre  pour  du 
favoritisme  ne  tient  pas  à  autre  chose  qu'à  la  nature  même 
des  charges  à  remplir  et  aux  qualifications  spéciales  qu'il 
faut  posséder  pour  les  remplir. 

Nous  ouvrons  chaque  année  des  territoires  immenses  à  la 


424  LA    REVUE    FRANCO-AMERICAINE 

colonisation,  notre  exploitation  forestière  a  pris  des  propor- 
tions colossales,  chaque  jour  les  chercheurs  découvrent  dans 
nos  régions  minières  des  trésors  qui  jettent  le  monde  dans 
rétonnement.  Mais  tout  ceci  ne  se  tait  pas  sans  ouvrir  des 
horizons  nouveaux  à  ceux  que  Tavenir  tente  et  que  le  tra- 
vail n'effarouche  pas. 

Mais  la  multiplicité  des  tâches  a  classifié  lentement  la 
nature  des  efforts,  l'efficacité  des  services  demandés  et  des 
fonctions  à  remplir.  Elle  nous  a^poussés  vers  la  spécialisa- 
tion des  connaissances,  vers  le  règne  incontesté  du  spé- 
cialiste 

C'est  de  là  qu'il  faut  partir  pour  arriver  à  cette  émulation 
saine  qui  pousse  l'artisan,  le  mécanique,  l'ingénieur,  le 
chimiste,  à  exceller  dans  la  sphère  qu'il  a  choisie  comme  son 
domaine.  Tout  le  terrain  gagné  de  cette  façon  est  une  vé- 
ritable conquête,  c'est  autant  d'ajouté  à  l'actif  d'une  race. 
C'est  un  avantage  sans  égal  pour  l'Allemagne,  pour  la 
France,  que  cette  réputation  qui  leur  a  été  faite  de  posséder 
les  premiers  spécialistes  du  monde. 

Napoléon  disait:  "J'ai  deux  cents  millions  dans  mes 
coffres  et  je  les  donnerais  tous  pour  le  maréchal  Ney.''  Le 
grand  empereur,  dans  ces  paroles,  lançait  le  cri  suprême 
que  le  monde  ne  cesse  de  répéter  depuis  :  "Donnez-nous 
un  homme!"  Nous  sommes  à  l'époque  des  spécialistes  et 
nous  n'avons  plus  qu'une  route  à  suivre  :  être  de  notre  épo- 
que, spécialiser.  Le  monde  industriel  exige  des  hommes 
supérieurs,  dont  la  main  est  habile,  l'œil  exercé,  l'intelli- 
gence primesautière  et  bien  développée.  Soyons  ceux-là. 
Sans  doute  un  pareil  résultat  ne  peut  pas  être  atteint  d'un 
seul  coup.  Il  ne  s'agit  pas  de  trouver  une  route  nouvelle. 
Perfectionnons  nos  moyens  actuels  d'action  qui  sont  un 
peu  comme  les  grandes  routes  dont  parle  Descartes,  ces 
chemins  "qui  tournaient  entre  des  montagnes  et  devien- 
nent, peu  à  peu,  si  unis,  si  commodes,  à  force  d'être  fré- 
quentés, qu'il  est  beaucoup  meilleur  de  les  suivre  que  d'en- 
treprendre d'aller  plus  droit,  en  grimpant  au-dessus  des  ro- 
chers et  descendant  jusqu'au  bas  des  précipices."  En  un 
mot,  ne  soyons  pas  réfractaires  à  l'évolution  qui  nous  en- 


QUESTIONS  ÉCONOMIQUES  ET  POLITIQUE  NATIONALE        425 

traîne  et,  si  c'est  possible,  soyons  au  premier  rang  de  ceux 
qui  répondent  à  sa  puissante  impulsion.  Le  résultat  serait 
déjà  magnifique  si  la  génération  actuelle  pouvait,  un  jour, 
réclamer  l'honneur  d'avoir  aplani  les  voies  à  celle  qui  la 
suivra,  et  bénie  serait-elle  si,  devenant  le  Christophe  Co- 
lomb d'un  autre  monde,  après  avoir  montré  à  ses  compa- 
gnons de  voyage  les  difficultés  de  la  traversée  qu'ils  font 
de  conserve,  elle  leur  ouvrait  les  radieuses  perspectives 
d'un  nouvel  avenir. 

J.-L.  K.-Laflamme. 


:o:- 


Les  questions  économiques  et  la  politique 

nationale 


II 

Sans  m'attarder  à  prouver  que  l'acquisition  des  connais- 
sances techniques  a  marché  prodigieusement  dans  toutes 
les  branches  de  Tactivité  humaine,  et  en  admettant  aussi 
que  notre  pays  possède  déjà  quelques  éléments  d'instruc- 
tion, j'attaque  directement  le  point  faible  chez  nous,  qui 
est  la  situation  phénoménalement  inférieure  de  notre  classe 
agricole  sous  ce  rapport. 

Prenant  la  moyenne,  disons  même  les  quatre  cinquièmes 
des  cultivateurs  canadiens-français,  quelles  sont  les  sour- 
ces d'instruction  mises  à  leur  portée  ?  Sorti  de  l'école  de 
son  village  ou  de  sa  concession  dans  laquelle  apprend-il  à 
lire,  pas  toujours  à  signer  son  nom,  "l'habitant"  de  nos 
campagnes  trouve  à  sa  disposition,  pour  ses  "  études  post- 
scolaires, d'abord  le  "Journal  d'Agriculture  "paraissant 
tous  les  mois,  puis  la  visite  annuelle  des  "expositions"  et 
des  "  partis  de  laboi.r,"  et,  une  fois  dans  sa  vie,  une  excur- 
sion, ou  pèlerinage  à  la  "ferme  expérimentale"  d'Ottawa. 
J'allais  omettre  le  "Conférencier  Agricole,"  parfois  d'un 
rare  mérite,  qui  passe  une  fois  l'an,  sans  bruit,  s'adresse  à 
un  auditoire  de  trente  à  quarante  personnes,  souvent  moins, 
et  s'en  retourne  tout  ravi,  si  d'aventure  il  a  rencontre  dans 
le  nombre  "un"  cultivateur  indiquant  par  quelques  ques- 
tions intelligentes  qu'il  a  compris  son  enseignement.  Le 
lendemain,  tout  est  oublié.  Ah  !  si  le  curé  de  la  paroisse  ne 
prêchait  qu'une  fois  l'an,  quelle  couche  d'ignorance  auraient 
ses  fidèles  en  matière  religieuse.  Et  Ton  voudrait  que  nos 
cultivateurs  possédassent  la  science  agricole  avec  un  en- 
traînement aussi  rudimentaire  ! 

L'homme  "Instruit"  subit  une  préparation  autrement  sé- 
rieuse à  l'exercice  de  ses  devoirs  professionnels.  Après 
plusieurs  années  d'école,  huit  ans  de  cours  classique,  quatre 


QUESTIONS  lécONOMIQUES  ET  POLITIQUE  NATIONALE      427 

ans  de  cléricature,  des  examens  de  plus  en  plus  sévères,  il 
se  croit  encore  obligé  de  consulter  ses  auteurs  dans  l'exer- 
cice de  ses  fonctions,  s'il  a  le  sentiment  de  ses  responsabi- 
lités. Le  cultivateur,  lui,  se  passe  bien  de  tout  cela  et  vit 
''  aussi  vieux  "  que  ses  ancêtres. 

Inutile  de  surcharger  un  tableau  que  tout  le  monde  re- 
connaîtra. Comme  conclusion,  je  ne  crains  pas  d'avancer 
qu'au  moyen  du  ''système  actuel,"  l'instruction  agricole 
n'atteint  qu'une  élite  très  peu  nombreuse  et  "qu'elle  est 
nulle  pour  le  commun  des  mortels."  Ainsi  que  je  l'ai  dit 
plus  haut,  nous  possédons  bien  quelques  éléments  d'ins- 
truction agricole,  et  ils  pourraient  être  utilisés  tout  de  suite 
pour  former  un  noyau  initial  "  d'enseignement."  Que  l'on 
confie  la  tâche  d'organiser  un  corps  enseignant  à  des 
hommes,  pour  n'en-citer  que  deux,  comme  le  Dr  Grignon  et 
M.  G.  A.  Gigault,  le  père  putatif,  à  ce  que  l'on  dit,  de  la 
doctrine  protectionniste  appliquée  par  sir  John  Mac- 
donald  ;  qu'on  mette  à  leur  disposition  le  capital  et  le  per- 
sonnel nécessaires,  et,  en  peu  d'années,  surgira  un  institut 
agronomique  moderne,  rappelant  ce  qui  existe,  en  cette 
ligne,  aux  Etats-Unis  et  en  Europe. 

J'ai  vu  "fonctionner"  dans  les  campagnes  françaises  et 
belges,  un  admirable  "  instrument  "  d'éducation  et  d'ins- 
truction agricole.  Il  n'est  pas  trop  compliqué  et  d'imitation 
plutôt  facile.  Les  représentants  du  ministère  de  l'Agricul- 
ture sont  chargés  "  d'acheter," ou  simplement  "louer,"  dans 
une  commune  une  ferme  destinée  à  vulgariser  les  pratiques 
de  culture  les  plus  profitables  à  la  région.  Elle  est  connue 
sous  le  nom  de  "ferme-école,  ou  "  moniteur."  L'intendant 
ou  gardien  est  tenu  par  son  contrat,  moyennant  un  prix 
arrêté,  d'avoir  à  la  disposition  des  gens  tels  grains  de  se- 
mence, plants,  engrais,  échantillons,  outils,  etc.;  de"  garder 
tels  animaux  reproducteurs  ;  de  faire  l'élevage  de  telles  es- 
pèces de  volailles,  abeilles,  etc.  Il  est  tenu  de  recevoir  tous 
les  ans,  pendant  une  semaine  ou  plus,  "l'ingénieur  agri- 
cole "  ou  "  conférencier"  du  gouvernement,  qui  vient  don- 
ner sur  place  un  cours  d'enseignement  pratique  aux  fer- 
miers.    D'ordinaire,  la  partie  théorique  du  cours  se  donne 


428  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

l'avant-midi.  Le  reste  du  jour  est  consacré  au  dehors,  aux 
leçons  de  choses,  à  la  mise  en  oeuvre  des  enseignements 
reçus  le  matin.  Dans  un  endroit  favorable  à  la  culture  de 
la  pomme,  par  exemple,  le  professeur  enseignera  toutes  les 
opérations  de  la  pomiculture,  depuis  l'ensemencement  du 
pépin  dans  le  sol  jusqu'à  l'empaquetage  du  fruit  mûr  prêt  à 
l'expédition  au  marché.  Ailleurs,  ce  sera  la  culture  du  ta- 
bac, de  la  tomate,  de  la  pomme'  de  terre,  de  la  betterave  à 
sucre,  des  arbres  fruitiers,  ou  du  bois  à  pulpe,  que  l'on  vul- 
garisera. Ailleurs  encore,  la  mise  <en  conserve  des  viandes, 
légumes,  fruits,  etc.;  puis  l'exploitation  des  déculeries,  la 
préparation  du  cidre,  du  vin,  de  l'alcool,  du  sucre  de  bette- 
rave et  de  tout  ce  qui  regarde  la  forme  "industrielle  "  de 
l'agriculture. 

On  imagine  sans  peine  les  résultats  féconds  de  telles 
méthodes,  qui,  règle  générale,  n'entraînent  pas  de  frais 
exagérés.  Sans  doute,  il  en  coûterait  quelque  chose  pour 
établir  le  système,  d'emblée  au  Canada,  mais  il  n'est  pas 
nécessaire  de  procéder  à  la  vapeur  et  de  tout  entreprendre 
à  la  fois.  Nul  danger,  d'ailleurs,  de  se  ruiner  à  cela  ;  les  avan- 
ces faites  à  l'agriculture  rapportent  toujours  au  centuple, 
parce  que  "la  terre  est  le  fonds  qui  manque  le  moins,"  au 
dire  du  bon  fabuliste.  Je  partage,  en  outre,  l'opinion  de 
M.  Gilbert,  dont  je  regrette  la  disparition  de  la  chambre, 
de  dépenser  annuellement,  pour  les  fins  agricoles,  un  nom- 
bre "minimum  de  millions  "  sur  le  budget  de  plus  en  plus 
rondelet,  dont  le  parlement  dispose.  Que  l'on  fasse  seule- 
ment un  essai  loyal  dans  le  sens  proposé  :  le  succès  d^une 
campagne  d'éducation  ainsi  menée  étonnera  même  ses 
promoteurs. 

Que  de  fois  ceux  qui  s'intéressent  au  développement  de 
l'industrie  agricole  en  demandant,  à  "nos  habitants"  pour- 
quoi ils  s'enlisent  dans  la  routine  et  restent  étrangers  à  la 
pratique  [de  la  culture  intensive,  pourtant  si  profitable  à 
tous  les  points  de  vue,  ont  reçu  cette  réponse  :  "Cher  mon- 
sieur, je  ne  demanderais  pas  mieux  que  de  l'adopter,  mais 
où  trouver  la  main-d'œuvre  indispensable".?  L'objection, 
fondée  sur  les  faits,  est  sérieuse  et  mérite  considération. 


QUESTIONS  lécONOMIQUES  ET  POLITIQUE  NATIONALE         429 

Les  industriels,  les  entrepreneurs,  les  corps  de  métiers 
les  grands  constructeurs,  les  bourgeois  de  chantiers  "  sont 
organisés"  pour  le  recrutement  de  leur  main-d'œuvre. 
"  Seuls  "  les  cultivateurs  s'en  raportent  au  hasard,  ou  en- 
core, de  façon  exclusive,  au...  gouvernement.  Dans  un 
pays  en  pleine  croissance  comme  le  nôtre,  tous  les  concours 
sont  avidement  recherchés  et  utilisés.  Trop  éloignés  au  fond 
des  campagnes  pour  entrer  en  concurrence  pour  la  recher- 
che de  l'aide  nécessaire  à  leurs  travaux,  ils  (les  habitants) 
commencèrent  par  substituer  "  la  machine  "  à  l'homme  et 
par  renoncer  graduellement  aux  genres  de  culture  requé- 
rant son  intervention  personnelle  et  directe.  C'est  ainsi 
que  dans  mon  district,  on  en  est  venu  à  cultiver  "  surtout 
du  foin,"  lequel,  en  raison  du  manque  de  voirie,  est  destiné 
pour  la  majeure  partie  à  l'exportation  étrangère.  Cela 
n'accommode  guère  les  consommateurs  de  la  métropole  voi- 
sine, dont  le  marché  est  abandonné  et  le  prix  des  aliments 
hors  pair. 

De  cette  façon,  le  même  agriculteur  peut  exploiter  deux, 
trois,  quatre  terres  ordinaires  et  plus.  Il  lui  importe  peu 
de  garder  ses  fils  avec  lui.  Plus  que  cela  ;  il  acquiert  les 
propriétés  adjacentes  à  la  sienne  et  en  déloge  les  familles 
qui  les  ont  occupées  jusqu'ici.  Et  voilà  comment  opère  le 
mécanisme  de  la  "dépopulation  rurale."  Les  gens  s'en 
vont,  non  pas  précisément  parce  qu'ils  sont  trop  pauvres, 
ou  que  le  sol  est  ingrat,  mais  parce  qu'ils  n'ont  plus  "  leur 
place"  dans  cette  organisation  sociale  modifiée. 

La  terre  est  toujours  là;  la  moyenne  des  fortune^  parti- 
culières  s'est  même  élevée  ;  mais  le  nombre  des  citoyens  di- 
minue et  les  conséquences  économiques  de  ce  mouvement 
étrange  s'aggravent  de  jour  en  jour. 

En  pratiquant  la  culture  intensive  et  les  diverses  indus- 
tries agricoles,  non  seulement  l'agriculteur  garderait  son 
fils  avec  lui,  mais  il  emploierait  d'autre  main-d'œuvre  et 
cela  durant  "toute  "  l'année.  Le  moyen,  pour  le  gouverne- 
ment, d'encourager  ce  genre  de  culture  serait  de  recruter  au 
sein  des  villes  trop  peuplées  du  Canada,  parmi  nos  compa- 
triotes des  Etats-Unis  et  dans  les  parties  pauvres  et  monta- 


430  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

gneuses  de  l'Europe  une  classe  spéciale  de  collaborateurs. 
Je  connais  dans  le  voisinage  de  Montréal  des  propriétaires 
à  Taise,  qui  n'hésiteraient  pas  à  "avancer"  le  passage  com- 
plet d'ouvriers  de  ferme,  tant  est  vif  leur  désir  de  faire  de 
la  culture  maraîchère.  Organisés  en  compagnies,  le  pro- 
cédé leur  serait  d'exécution  facile.  La  même  expérience, 
tentée  par  des  fermiers  de  la  République  Argentine  a  donné 
de  bons  résultats.  Si  je  ne  me  trompe  certaines  sociétés 
maritimes  transportent,  dans  des  ^conditions  identiques,  le 
personnel  nécessité  par  quelques  genres  d'ouvrages  spé- 
ciaux. Et  je  ne  serais  nullement  surpris  de  voir,  dans  un 
avenir  prochain,  des  *' moissonneurs  "'d'Europe  traverser 
l'océan  pour  prendre  part  aux  travaux  des  récoltes  en  Amé- 
rique et  retourner  dans  leurs  foyers,  une  fois  la  saison  ter- 
minée. Beaucoup  d'ouvriers  et  de  manoeuvres  italiens  ac- 
complissent déjà  cet  exploit.  Il  serait  curieux,  dans  tous 
les  cas,  de  soumettre  le  projet  à  l'entreprenante  compagnie 
du  Pacifique-Canadien.  La  part  dévolue  au  gouvernement 
en  cette  affaire  serait  de  favoriser  le  recrutement  de  cette 
sorte  de  main-d'oeuvre  aux  endroits  opportuns  par  des 
agents  habiles  et  prudents  et  d'en  opérer  ici  "  le  placement 
au  bénéfice  exclusif  des  cultivateurs  livrés  à  la  culture  in- 
tensive." 

Inutile  d'ajouter  qu'il  existe  outre  mer  d'autres  catégories 
d'émigrants  désirables,  dont  le  recrutement  pourrait  s'ef- 
fectuer d'une  minière  beaucoup  plus  sensée  que  celle  em- 
ployée en  France  et  en  Belgique  jusqu'à  cette  date.  Ne 
s'en  tiendrait-il  ([u'à  ma  première  suggestion,  le  gouverne- 
ment s'engagerait  dans  une  oeuvre  bienfaisante  et  fort  po- 
pulaire. 

En  vain  la  culture  intensive  n'aurait  plus  de  secrets  pour 
"  l'habitant"  canadien,  en  vain  la  main-d'oeuvre  lui  vien- 
drait abondante  et  peu  chère,  si  les  "  moyens  de  communi- 
cation "  lui  faisaient  défaut  pour  transporter  les  produits  de 
sa  ferme  au  marché.  L'initiative  de  l'administration  fédé- 
rale en  cette  matière  est  tellement  opportune  et  avanta- 
geuse, qu'il  n'y  a  qu'une  voix  pour  l'en  louer.  La  facilité  des 
rapports  en  toutes  saisons  entre  le  producteur  et  le  con- 


QUESTIONS  ÉCONOMIQUES  ET  POLITIQUE  NATIONALE      431 

sommateur  aura  pour  effet  de  supprimer  les  intermédiaires 
et,  par  là  même,  d'abaisser  le  prix  des  choses  nécessaires  à 
la  vie.  Les  journaux  mentionnaient  dernièrement  que  les 
oeufs  se  vendaient  soixante  centins  à  Toronto,  tandis  que, 
dans  un  rayon  de  quatre  ou  cinq  lieues,  on  les  achetait  à  la 
moitié  de  ce  prix. 

Au  point  de  vue  de  l'établissement  et  de  la  multiplica- 
tion des  industries  à  la  campagne,  l'obstacle  le  plus  insur- 
montable va  disparaître.  Jusqu'à  présent,  la  population 
rurale  envahissait  les  villes  pour  se  rappiocher  des  manu- 
factures. A  l'avenir  les  industries  vont  s'installer  au  sein 
des  régions  cultivées,  créant  une  foule  de  marchés  secon- 
daires et  offrant  à  la  main-d'oeuvre  un  emploi  toujours  à 
sa  portée.  L'habitant  des  campagnes,  "voyant  venir  à  lui  " 
ce  qu'il  va  d'ordinaire  ''chercher"  dans  les  centres,  ne 
songera  plus  même  à  "  se  déplacer." 

Quelle  évolution  féconde  et  digne  du  concours  enthou- 
siaste de  tous  les  Canadiens  ! 

J'hésiterais  à  aborder  une  question  d'aussi  grande  en- 
vergure si,  dans  les  circonstances,  elle  ne  s'imposait  impé- 
rieusement. L'opinion  publique  attend  une  initiative  de 
la  part  des  gouvernants,  et  tout  le  monde  semble  prêt  à 
l'étudier  au  point  de  vue  des  meilleurs  intérêts  du  pays. 
Dans  notre  province,  nous  sommes  peut-être  en  retard, 
malgré  que  des  hommes  éminents  comme  M.  Monk,  M.  Al- 
phonse Desjardins  et  quelque  autres  s'en  occupent  avec 
une  compétence,  un  désintéressement  et  un  courage  inlas- 
sables. L'exemple  de  l'influence  exercée  par  l'association 
des  "Grain-Growers  "  de  l'Ouest  devrait  nous  servir  d'en- 
seignement.    Bref  la  question  est  à  l'ordre  du  jour. 

"Le  Canada,"  disait  tout  récemment  M.  Nickle,  député 
de  Kingston,  est  déjà  rendu  au  point  où  il  doit  étudier  la 
question  sociale.  La  population  déserte  les  campagnes 
pour  les  villes  ;  les  petits  fabricants  disparaissent  devant 
les  "  combines  "  dont  les  employés  sont  froidement  remer- 
ciés aussitôt  que  leur  capacité  de  travail  diminuç.  L'aug- 
.  mentation  du  coût  de  la  vie  rend  le  problème  de  la  vieil- 
lesse plus  angoissant.  Le  jour  du  socialisme  est  arrivé,  non 


432  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

du  socialisme  qui  s'applique  à  fruster  l'ouvrier  du  fruit  de 
son  travail,  mais  d'un  socialisme  qui  veut  aider  l'homme 
lorsqu'il  a  besoin  d'être  soutenu." 

C'est  par  l'instruction  de  "l'épargne"  et  la  pratique  de 
la  "coopération  "  que  l'on  atteindra  plus  sûrement  ce  but. 
Outre  les  fervents  et  les  apôtres  de  la  cause  déjà  mention- 
née, l'autorité  religieuse  apporterait,  sans  doute,  son  con- 
cours puissant  à  une  oeuvre  qu'elle  apprécie  hautement  et 
ne  cesse  de  recommander  en  toute  occasion. 

L'angoissant,  problème  de  la  xiépopulation  des  cam- 
pagnes et  de  la  vie  chère  qui  en  résulte  mériterait  bien,  à 
mon  humble  opinion,  d'être  approfondi  sous  toutes  ses 
faces  "  par  une  commission  d'experts,"  comme  il  a  été  fait 
ailleurs,  spécialement  dans  les  Etats  de  l'est  américain. 
Rien  n'empêcherait  le  gouvernement,  durant  l'intervalle 
consacré  aux  études,  de  mettre  en  pratique  tous  les  moyens 
remédiateurs  sur  l'application  desquels  ne  surgit  aucune 
contradiction. 

L'extension  du  domaine  cultivé  par  l'addition  de  nou- 
velles unités  paroissiales  dans  les  "régions  décolonisa- 
tion "  serait  l'une  des  conséquences  naturelles  de  la  mise 
en  pratique  des  suggestions  contenues  dans  ce  trop  long 
mémoire.  Les  sociologues  de  tous  les  pays  n'ont  qu'un 
sentiment  sur  la  nécessité  de  créer  des  colonies  d'expan- 
sion. Dans  l'Est  du  Canada,  elles  sont  surtout  indispen- 
sables "pour  accroître  la  production  agricole,  fournir  des 
voies  de  placement  aux  fils  de  cultivateurs  "  des  vieux 
comtés  et  "  servir  de  marché" — marché  national  le  plus  ex- 
cellent de  tous, — au  commerce  et  à  l'industrie.  Ici  encore 
la  coopération  peut  jouer  un  rôle  prépondérant.  Je  connais 
par  expérience  qu'il  serait  possible  et  pratique  d'organiser 
un  mouvement  régulier  de  colonisation  des  "  anciennes  pa- 
roisses vers  les  nouvelles  ;  "  car  je  sais  aussi  pertinemment 
qu'une  forte  proportion  des  cultivateurs  n'abandonnent  les 
anciennes  campagnes  que  pour  continuer  ailleurs  l'exploi- 
tation du  sol.    Il  ne  s'agit  alors  que  d'un  simple  essaimage. 

Mais  â  rencontre  de  cette  oeuvre  colonisatrice  se  dresse 
un  obstacle  formidable.    Dans  toutes  les  provinces  de  l'est, 


QUESTIONS  ÉCONOMIQUES  ET  POLITIQUE  NATIONALE      433 

moins  peut-être  l'Ile  du  Prince  Edouard,  le  domaine  publi- 
que est  en  possession  des  gouvernements  locaux  ;  et  ceux- 
ci  l'ont  aliéné  au  profit  des  grands  exploiteurs  de  la  forêt, 
qui  se  croient  intéressés  à  maintenir  ce  régime  aussi  long- 
temps que  possible.  Depuis  vingt-cinq  ans,  la  lutte  entre 
le  possesseur  du  bois  et  le  travailleur  du  sol  se  poursuit 
avec  une  ardeur  croissante  et  semble  approcher  de  son  pa- 
roxysme. D'après  l'étude  des  phases  qu'elle  a  suivies  aux 
Etats-Unis,  on  peut  prévoir  que  la  fin  n'en  saurait  être  bien 
éloignée  chez  nous.  Au  reste,  l'histoire  nous  démontre  que 
partout,  dans  le  monde,  les  grandes  forêts  ont  fini  par  re- 
culer devant  la  civilisation,  qui  parfois  les  envahit  et  les 
occupe  pacifiquement  dans  les  espaces  cultivables. 

Les  gouvernements  provinciaux,  tous  plus  ou  moins  en- 
clins jusqu'à  présent  à  favoriser  les  prétentions  des  ma- 
gnats du  commerce  forestier,  viennent  de  recevoir  une 
dure  leçon  de  choses.  Les  chiffres  du  dernier  recensement 
leur  ont  révélé  qu'en  mettant  obstacle  au  peuplement,  par 
la  classe  agricole,  de  leur  domaine  inculte,  ils  sont  en  train 
"  de  perdre  leur  influence  "  dans  la  Confédération.  Tandis 
que,  d'autre  part,  l'opinion  publique  éclairée  leur  reproche, 
par  le  fait  de  limiter  "  la  production  "  des  aliments  fournis 
par  l'agriculteur,  d'affamer  les  citoyens  des  villes,  qui  com- 
mencent "à  trouver  intolérable  le  régime  de  la  vie  chère." 

Autrefois  les  apôtres  de  la  colonisation  s'épuisaient  à 
faire  valoir  des  arguments  de  propagande  d'un  ordre  élevé, 
comme  l'intérêt  de  la  civilisation  chrétienne,  la  raison  pa- 
triotique et  philantropique,  la  noblesse  de  la  carrière  agri- 
cole, etc.  Maintenant,  *'  c'est  le  ventre  qui  va  parler  !  "  et 
je  suis  sûr  que  les  choses  iront  plus  vite,  car  la  faim  a  des 
arguments  très  éloquents. 

Non,  le  système  d'exploitation  forestière  en  vigueur  n'est 
plus  tenable;  et,  dans  le  Nord  de  l'Ontario,  la  crise  en  est 
au  point  que  l'on  réclame  la  ''  sécession,"  ni  plus,  ni  moins. 
Dans  Québec,  l'on  verra  bientôt  si  le  pouvoir  pourra  tou- 
jours impunément  contrarier  *'la  vocation  des  Canadiens- 
Français  à  l'agriculture " 

Il  me  semble  pourtant  qu'il  y  aurait  moyen  de  faire  en- 


484  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

tendre  aux  marchands  de  bois  que  le  temps  des  conces- 
sions raisonnables  est  arrivé  et  qu'ils  ne  sauraient  davan- 
tage s'opposer  au  peuplement   de   nos  immenses  territoires 
'dont  le  vide  est  une  cause  de  faiblesse  pour  le  pays. 

Le  cabinet  Whitney  a  pris  des  mesures  de  détail  pour  fa- 
ciliter l'installation  des  colons  sur  les  terres  publiques  et 
en  a  promis  d'autres  plus  importantes.  En  face  du  parti 
pris  du  gouvernement  Gouin  de  tenir  le  colon  impitoyable- 
ment en  échec,  l'opposition  de  Québec  énonce  le  pro- 
gramme de  la  division  des  terres  publiques  en  "domaine 
cultivable  "  et  en  "  domaine  forestier,"  de  manière  à  garder 
constamment  une  réserve  abondante  de  lots  disponibles 
aux  défricheurs.  Au  Nouveau-Brunswick,  le  cabinet  dont 
l'hon.  M.  Hazen  était  le  chef  distingué,  a  pris,  en  certains 
cas,  le  parti  "  d'exproprier  les  droits"  des  machands  de  bois 
pour^tteindre  le  même  but.  Enfin  tout  le  monde  sent  le 
besoin  de  faire  quelque  chose   pour  activer  la  colonisation. 

A  cet  égard,  quel  pourrait  bien  être  le  rôle  du  pouvoir 
fédéral  1  Peut-être  de  contribuer  au  mode  de  rachat  inau- 
guré par  Thon.  M.  Hazen.  Mais  le  concours  le  plus  simple 
et  le  plus  effectif  serait  sans  doute  d'accepter  une  part  gé- 
néreuse dans  la  construction  des  "  chemins  de  colonisa- 
tion." En  beaucoup  de  cas,  cette  ligne  de  conduite  aurait 
pour  effet  de  renverser  tous  les  autres  obstacles  au  progrès 
de  l'oeuvre.  Aide  aux  grandes  routes  nationales  du  pays 
établies,  ouverture  des  voies  de  pénétration  au  coeur  des 
régions  incultes,  telle  est  la  double  tâche  réservée,  dans 
mon  humble  opinion,  au  gouvernement  de  la  Puissance... 
sans  parler  de  la  construction  des  chemins  de  fer  qu'il  de- 
vrait pousser  avec  une  intensité  croissante.  Seulement, 
qu'on  ne  l'oublie  lamais,  le  temps  est  venu  "  pour  les  épi- 
nettes  "  de  faire  place  au  **  monde  civilisé  !  " 

J'aime  autant  que  personne  à  conserver  la  forêt,  le  ré- 
gime des  eaux  et  tout  ce  qui  s'y  rapporte.  Il  est  bon,  il  est 
beau,  dans  une  mesure  raisonnable,  de  maintenir  les  bois 
et  leur  ombrage  bienfaisant.  Cependant,  il  ne  faudrait  pas 
être  les  dupes  de  ceux  qui  mettent  leur  importance  au-des- 
sus de  l'exploitation  agricole.     Je  n'ai  d'ailleurs  qu'une  foi 


QUESTIONS  T^CONGMIQUES  ET  POLITIQUE  NATIONALE        435 

limitée  dans  la  sincérité  de  ceux  qui  posent  en  conserva- 
teurs irréductibles  de  la  forêt.  Je  constate  les  énormes 
quantités  de  bois  soustraites  annuellement,  pour  les  besoins 
du  commerce  et  de  l'industrie,  à  nos  réserves,  prétendues 
inépuisables.  Je  vois  également  les  ravages  causés  par  les 
incendies,  alimentés,  quoi  qu'on  dise,  par  les  déchets  en- 
flammables  qu'abandonne,  derrière  elle,  une  exploitation 
trop  hâtive,  au  lieu  de  les  détruire  prudemment.  Je  vois 
encore  l'emploi  des  méthodes  américaines,  qui  ont  été  la 
ruine  des  forêts  de  nos  voisins.  Déjà  les  mêmes  résultats 
se  font  sentir  dans  les  Cantons  de  l'Est  et  sur  presque  toute 
la  rive  sud  du  Saint-Laurent.  Et,  d'après  l'autorité  du  Dr 
Fernoy,  de  l'Université  de  Toronto,  ce  n'est  plus  qu'une 
question  de  temps  très  court  qui  nous  sépare  de  l'époque 
où  les  ressources  forestières  du  Canada  seront  épuisées. 
Sous  plusieurs  rapports,  nous  paraissons  donc  suivre  les 
mêmes  phases  économiques  que  les  Etats-Unis. 

Puisqu'il  en  est  ainsi  et  qu'il  ne  faut  guère  compter  sur 
les  "grands"  propriétaires  pour  la  conservation  de  la  fo- 
rêt, vaut  autant  changer  de  procédé  et  tenter  l'expérience 
*' par  les  petits."  C'est-à-dire  qu'au  lieu  d'enrichir  à  mil- 
lions un  nombre  restreint  de  privilégiés  auxquels  on  donne 
le  monopole  du  bois,  on  fasse  servir  nos  ressources  fores- 
tières à  l'établissement  de  toute  une  population  vaillante, 
qui  accroîtra  l'influence  et  la  force  de  la  nation  canadienne. 

Par  une  législation  et  des  règlements  appropriés,  par  des 
primes  et  des  récompenses  sagement  distribuées  et  un  en- 
seignement attentif,  il  serait  relativement  facile  d'implan- 
ter ici  la  mode  d'exploitation  forestière  "  par  la  masse  du 
peuple."  Après  tout,  l'arboriculture  n'est  qu'une  culture  un 
peu  plus  longue  que  les  autres  et  parfaitem.ent  à  la  portée 
de  nos  gens.  Elle  se  pratique  depuis  des  siècles  dans  toutes 
les  parties  montagneuses  de  l'Europe  qui  forment  environ 
les  trois  quarts  de  sa  superficie.  En  outre  de  leurs  grains 
et  de  leurs  bestiaux,  les  cultivateurs  auraient  tous  les  ans 
"une  récolte  de  bois  à  vendre  "  pour  subvenir  au  besoin  de 
leur  famille.  J'en  surprendrai  plusieurs  sans  doute,  en  di- 
sant que  cette  pratique  est  déjà   suivie  de  façon  très  intel- 


436  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

ligente  dans  la  paroisse  de  Ste-Adèle  et  maints  endroits 
de  la  province.  Nos  gens,  qui  ne  sont  pas  plus  simples 
que  les  autres,  sauraient  bien  conserver  ce  qui  leur  est 
avantageux.  Et  nous  verrions  fleurir  ici  les  mille  petites 
industries  qui  font  la  richesse  de  la  Suisse,  de  la  Norvège, 
du  Danemark  et  de  certaines  parties  de  l'Allemagne. 

Dr  De  la  Glèbe. 


La  Nation  Franco-Normande  au  Canada 

Par  Le  VICOMTE  FORSYTH  DE  FRONSAC 

V 

LA   NOBLESSE   DE    NOM   ET   DES   ARMES 

Sous  le  privilège  donné  par  l'édit  de  1664,  par  le  roi 
Louis  XIV  au  Canada,  "  étrangers  peuvent  y  entrer  sans 
déroger  à  leur  noblesse."  Ainsi  furent  admis  les  Latour,  père 
et  fils,  barons  ou  baronnets  de  la  Nouvelle-Ecosse  dans  l'Or- 
dre seigneurial  du  Canada.  Par  le  précédent  donné,  tous 
les  autres  ordres  chevaleresques  et  nobiliaires  ont  le  même 
droit  d'enregistrement  au  collège  des  Armes  du  Canada, 
parce  que  le  ralliement  dans  leurs  ordres  respectifs  :  I  no- 
blesse, II  bourgeoisie,  III  plèbe,  est  le  droit  que  com- 
mande la  personnalité  de  la  loi.  "  Telle  est  la  fin  première 
et  principale  de  l'établissement  de  la  colonie  française  au 
Canada,  et  sa  fin  accessoire  est  de  faire  connaître  aux  par- 
ties de  la  terre  les  plus  éloignées  du  commerce  des  hommes 
sociables  la  grandeur  du  nom  du  roi  et  la  force  de  ses 
armes.  Sa  Majesté  a  donc  estimé  qu'il  n'y  avait  pas  de 
plus  sûr  moyen  d'arriver  à  ces  deux  fins  que  de  composer 
la  colonie  :  "  de  gens  capables  de  la  bien  conduire  par 
leurs  qualités  de  personne,  et  de  l'augmenter  par  travaux 
et  application  à  la  culture  des  terres." 

Concession  seigneuriale. 

L'ORDRE  DES  BARONNETS   DE  LA  NOUVELLE- ECOSSE 

Cet  ordre  fut  créé  par  Jacques  VI,  roi  d'Ecosse,  en  mai 
1611,  nommé  l'Ordre  des  Baronnets  de  la  Nouvelle-Ecosse 
et  établi  dans  cette  province  par  son  fils  le  roi  Charles  I,  en 
1625,  "  pour  avancer  la  plantation  de  la  Nouvelle-Ecosse  en 
Amérique  et  y  fonder  une  colonie."  Un  domaine  territorial 
était  concédé  à  chaque  baronnet  dans  la  colonie  ;  le  titre  de 
baronnet  était  héréditaire  ;   le  concessionnaire  devait  avoir 


438  LA    REVUE    FRANCO-AMitRICArNE 

''  un  grand-père  paternel  qui  fusse  gentilhomme."  Aux 
armes  de  la  famille  du  baronnet  furent  ajoutés  des  sup- 
poits,  et  dans  l'écu  de  famille,  un  écusson  portant  les  armes 
de  la  province,  savoir  :  d'argent  au  sautoir  d'azur,  au  centre 
duquel  un  écusson  plus  petit  encore  des  armes  d'Ecosse  ; 
d'or  au  lion  de  gueules  armé  et  lampassé,  contourné  d'une 
tressure  de  fleurs  de  lys,  timbré  d'une  couronne  d'Ecosse, 
Avec  le  costume  de  vert  foncé,  les  boutons  sont  plats,  do- 
rés, et  chargés  des  armes  des  baronnets  de  la  Nouvelle- 
Ecosse.  Ils  portaient  une  décoration  suspendue  d'un  ru- 
ban d'orange  autour  du  cou,  des  armes  de  la  province  cités 
plus  haut,  entourées  de  la  légende:  "Fiat  mentis  hones- 
tae  gloria."  Les  mots  de  concession  du  titre  dans  la 
charte,  sont  :  "  Praeficimus,  constituimus  et  creamus  ei- 
demque— in  dignitatem,  statum  et  gradum  Baronetii — no- 
men,  titulum,  locum  et  praecedentiam  praedicatam,"  etc. 

L'ORDRE  ARYEN  DE    L'EMPIRE  (ROMAIN  OU 
germanique)  en  AMERIQUE. 

Cet  ordre  était  réorganisé  en  1879,  mais  la  première  as- 
semblée n'eut  lieu  que  le  28  octobre  1880.  Cet  orclre  est  la 
réorganisation  de  tous  les  ordres  de  noblesse  formés  sur  le 
continent  américain,  depuis  la  première  formation  ordon- 
née par  Charles  V,  empereur  allemand  des  Romains,  roi 
d'Espagne,  grand-duc  d'Autriche,  etc.,  lorsqu'il  érigea  ses 
possessions  américaines  par  institut  impérial  en  fief  de  son 
empire  romain-germanique.  On  a  ajouté  à  cet  ordre  d'au- 
tres aristocraties  coloniales  dont  les  familles  ont  possédé 
des  concessions  manoriales  ou  des  titres  de  considération 
honorable,  héréditaire,  le  premier  ancêtre  en  Amérique 
étant  ou  un  officier  ou  un  propriétaire,  réglé  par  les  lois  sur 
la  dérogation  énumérée  dans  la  partie  de  cet  ouvrage  sur 
la  noblesse  de  France.  Le  doyen  actuel  de  cet  ordre  est 
Monseigneur  le  duc  de  Véragua,  qui  représente  le  duché  de 
Véragua,  concédé  à  son  ancêtre,  le  petit-fils  du  grand 
Christophe  Colomb,  en  Amérique  Centrale. 

Parmi  les  titres  de  cet  ordre  sont  ceux  de  landgraves  et  de 
caciques  de  la  Caroline,  qui,  avec  des  baronnies,  furent 
concédés,  de  1671  à  1686,  par  le  roi  Charles  II  de  la  Grande- 


,  LA  NATION  FRANCO  NORftlANDE  Al'  CANADA  489 

Bretagne,  avec  prérogative  de  gouvernement  sur  la  Caro- 
line du  Sud.  Le  titre  de  landgrave  correspond  à  celui  de 
comte,  et  le  titre  de  cacique,  à  celui  de  vicomte. 

SEIGNEURS  DES  MANOIRS  MARYLANDIENS 
En    1632,   lord    Baltimore,   fondateur    et    prince  Palatin 
Maryland,    avec    plein    pouvoir    et    souveraineté    du   roi 
Charles  I,   donna  les  droits  et  les   privilèges  à  tous  ceux 
d'assez  de  considération  pour  remplir  les  devoirs  des  sei- 
gneurs manoriaux  de   la   colonie.     Ces  concessions  mano- 
riales  furent  accompagnées  de   haute,  moyenne  et  basse 
^'ustice  sur  les  tenanciers,  de  commandement  militaire  du 
district  et  de  représentation   dans  le  conseil  du  seigneur- 
palatin,  ou  de  son  représentant,  le  gouverneur. 
SEIGNEURS  PATRONS 
Le  titre  de  seigneur  patron,  est  aussi  dans  cet  ordre,  en 
section  III,  charte  de  la  Nouvelle-Néerlande  tome  I,  p.  370, 
•'New- York  Hist,  Coll.,  2nd  Séries,"  il  dit  : 

"  Que  tous  ceux,  accrédités  Patrons  de  Nouvelle-Néer- 
lande, qui  dans  l'espace  de  quatre  ans  après  leur  don 
d'avoir  à  quelques  collèges  ou  chambres  de  la*  compagnie 
des  Indes,  Occidentales  ici  (Amsterdam)  ou,  au  comman- 
deur ou  au  conseil  là  (Amérique),  qu'ils  sont  prêt  à  y  trans- 
porter une  colonie  de  cinquante  personnes. 

"  Que  du  temps  qu'ils  ont  fait  annoncer  le  lieu  des  pla- 
ces où  ils  se  proposent  d'établir  leur  colonie,  ils  auront  la 
préférence  à  toute  autre  personne  à  la  seigneurie  des  dites 
terres." 

"  Que  les  Patrons  en  vertu  de  leur  pouvoir  ont  le  droit 
d'étendre  les  limites  de  leurs  terres  sur  quatre  lieues  de 
rivage. 

"  Qu'ils  auront  la  souveraineté  la  jouissance  de  toutes 
leurs  terres  en  perpétuité  et  aussi  le  commandement  mili- 
taire avec  haute,  moyenne  et  basse  justice.  Personne  n'a  le 
privilège  de  pêcher  ou  de  chasser  sans  le  consentement  du 
patron.  Et  quand  un  patron  a  établi  des  communes  ou  des 
villes,  la  commission  des  magistrats  et  autres  officiers  des 
dites  communes  et  villes  appartient  à  lui. 


440  LA    REVUE    FRANCO -AMÉRICAINE 

''  Ni  colon,  ni  domestique  n'a  le  droit  de  partir  sans  la  per- 
mission du  patron." 

Le  gouverneur  de  la  Virginie,  sir  Alex.  Spottswood 
donna  le  titre  de  chevalier  de  fer  d'or  de  cheval  aux  grands 
de  cette  colonie  qui  avaient  assisté  à  l'avancement  et  à  la 
prospérité  de  la  Virginie. 

L'ORDRE  DE  L'EMPIRE-UNI 

Il  y  a   trois    parties    principales  ^dans   l'histoire   de   la 
guerre  en  Amérique,  de  1775  à  1783,  savoir  :  I.  La  partie  la 
plus  noble — celle  pour   l'indépendance   américaine,   dont 
l'espoir  était  de  conserver  les  chartes  royales  des  colonies 
dans  toutes  leurs  étendues,  cette  partie  peu  de  nombreuse, 
alliée  au  roi  de  France,   fut   renversée    presque  immédiate- 
ment après  l'établissement  de  l'indépendance  américaine 
par  la  deuxième  partie.     IL  La   partie   révolutionnaire   et 
nivelleuse,  qui  rêvait  une  république — l'étiquette  d'un  pa- 
reil mot  ne  recouvrant  que   la   tyrannie  la  plus  hideuse  de 
toutes — le  despotisme  irresponsable  des  multitudes.     Plu- 
sieurs des  constitutionnels  de   la  partie  première  se  sauvè- 
rent en  I778*en  se  ralliant  à  la    troisième  partie — la  partie 
loyaliste.     Cette  partie  avait  un  esprit  d'attachement  ser- 
vile  au  gouvernement  britannique,  même  en  dépit  des  ac- 
tes tyranniques  et  inconstitutionnels  de  ce  gouvernement. 
Ces  plusieurs  constitutionnels  royalistes   ne  se  ralliaient  à 
cette  partie  qu'après  que  le  gouvernement  britannique  eut 
prôné,  par  l'Acte  du   Parlement   de    1778,   de  respecter  les 
droits  et  les  chartes  de  la  constitution  des  colonies. 

En  février  1871,  sir  Henri  Clinton,  avec  l'autorité  du  Roi, 
donna  une  commission  a  former  un  conseil  pour  les  'Asso- 
ciated Loyalists  of  America,"  à  William  Franklin,  gouver- 
neur de  Nev^  Jersey;  J.  S.  Martin,  gouverneur  de  North  Ca- 
rolina  ;  général  Timothy  Ruggles,  Massachusetts  ;  Daniel 
Coxe,  G.  Ludlow^  Edvv^ard  Lutwyche,  George  Romer, 
George  Léonard,  Anthony  Stewart  et  Robert  Alexander. 

De  1778  à  1782,  les  **  Loyalistes  Associés  "  formèrent  un 
gouvernement  eux-mêmes  dans  la  province  de  la  Géorgie, 
fondé   sur  l'ancienne   constitution   de   cette   province,   en 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  441 

chassèrent  les  révolutionnaires  et  défendirent  leur  ville  prin- 
cipale (Savannah)  des  assauts  de  leurs  ennemis;  ils  met- 
taient en  1780  la  province  en  paix  du  Roi  par  leurs  com- 
missaires et,  après  la  reddition  de  lord  Cornwalllis  avec 
son  armée  anglaise  à  Yorktown  en  1782  (un  événement  qui 
termina  la  guerre),  ils  offrirent  à  tenir  la  province  contre 
toute  aggression  révolutionnaire,  mais  le  gouvernement  an- 
glais avait  déjà  fait  une  capitulation  de  tous  ses  droits 
dans  les  colonies,  jadis  anglaises — même  dans  la  Géorgie, 
sans  le  consentement  des  Loyalistes  Associés,  qui  y  étaient 
victorieux  ! 

En  1783,  et  pour  plusieurs  années,  les  familles  loyalistes 
avec  des  familles  royalistes,  se  réfugièrent  au  Canada  con- 
tre la  tyrannie  de  la  démocratie  triomphant^  dans  les  an- 
ciennes colonies.  Unissant  avec  les  royalistes  français  du 
pays  en  Canada,  qui  avaient  porté  les  armes  et  pris  une 
part  principale  dans  la  lutte  pour  le  Roi  et  la  Constitution 
de  1775-83,  ils  obtinrent  de  la  Couronne  par  TActe  (Loya- 
liste) de  Québec  de  1789  un  renouvellement  de  leurs  droits 
de  préséance  semblable  à  un  ordre  de  noblesse  dans  l'état. 

Cet  acte  dit  :  "  Conseil  de  Québec,  9  nov.  1789,  en  pré- 
sence du  gouverneur  lord  Dorchester  et  des  conseillers,  les 
hons.  W.  Smith,  Hugh  Finlay,  T.  Dunn,  J.  G.  C.  de  Léry, 
F.  Baby,  Charles  de  Lanaudière,  Lecomte  Dupré,  etc. 

"  Sa  seigneurie  intima  au  conseil  que  c'est  son  vouloir 
d'accorder  "  une  distinction  "  aux  familles  qui  avaient 
adhérée  à  l'unité  de  l'empire  et  s'étaient  ralliées  à 
l'étendard  royal  en  Amérique  avant  le  traité  de  sépara 
tion  de  1783...  Le  conseil  consentit  et  ordonna  que  les  bu- 
reaux des  registres  des  terres  de  la  Couronne  (Land-Boards) 
prissent  soin  de  conserver  un  registre  de  toutes  les  .personnes 
de  la  dite  description  afin  que  leur  postérité  pût  être  dis- 
tinguée des  autres  colons."  Mais  ces  registres  à  présent 
sont  incorporés  avec  ceux  du  Collège  des  Armes  du  Canada 
et  les  descendants  en  noms  de  famille  des  officiers  de  ces 
registres  appartenant  en  outre  à  une  famille  armoriale 
sont  admis  à  la  noblesse  seigneuriale  du  pays  avec  la 
"  distinction  "    décrétée    par    cet    acte,    de    banneret    de 


442 


LA    REVUE    FRAXCO-AMERICAINE 


Québec  de  TEmpire-Uni  sous  la  présidence  héréditaire  de 
la  famille  Dorchester.  Le  président  des  bannerets  depuis 
1908  est  la  baronne  de  Dorchester,  qui  a  donné  une  décora- 
tion magnifique  aux  membres  des  ordres  confédérés  dans 
l'Ordre  Aryen  et  Seigneurial  de  TErapire  et  enregistrés  au 
collège  des  armes  du  Canada. 


Les  Familles  de  la  Noblesse  de  nom  et  des  armes,  sei- 
gneuriale, consulaire,  bourgeoise  et  alumnale  dans  les 
Archives  du  Collège  des  Armes  du  Canada. 

Les  descendants  de  ces 
familles  en  noms  de  fa- 
mille qui  désirent  enregis- 
trer les  preuves  de  leur 
noblesse  dans  les  regis- 
tres du  Collège  et  recevoir 
le  diplôme,  le  bouton  et 
la  décoration  de  la  no- 
blesse de  rOrdre  Aryen 
et  Seigneurial,  doivent  en- 
voye,r  leurs  renseigne- 
ments au  bureau  de  cette 
Revue,  adressés  au  Vi- 
comte de  Fronsac,  maré- 
chal de  blason,  **  Revue 
Franco- Américaine,  197, 
rue  N  o  t  r  e-Dame  Est, 
Montréal. 


DENYS  DE  LA  THIBAUDIERE 

Seigneuis  d-^  Bonnaventure,  de  Fronsac,  de  St-Simon,  de 
La  Ronde,  de  l.i  Trinité. 

Armes  :  De  gueules  à  la  grappe  de  raisin  d'argent;  L'écu 
timbré  de  la  couronne  de  comte,  supporté  par  deux  cerfs. 
Couronne  seigneuriale. 


LA    NATION    FRANCO-NOKMANDE    Al^    ('ANAl)A  443 

Histoire  :  Jean  Denys,  natif  de  Honfleur.  Il  était  un  des 
plus  audacieux  et  expérimentés  des  navigateurs  de  France. 
En  1504,  il  avait  fait  une  expédition  aux  côtes  de  Brésil; 
"  il  est  le  premier  des  Normands  qui  aborda  à  Terreneuve 
d'une  manière  authentique."  (Dionne.  En  la  Nouvelle 
France,"  p.  10/).  Il  est  Fauteur  d'une  carte  du  grand  golfe 
du  Canada  (Saint-Laurent)  en  1506.  On  retrouve  son  nom 
dans  un  manuscrit  du  XVe  siècle,  intitulé  :  "Registre  de  la 
charité  et  confrérie  fondée  en  l'église  Notre-Dame  de  Hon- 
fleur" en  1547.  Le  nom  y  paraît  de  son  fils  Jehan 
de  son  petit-fils  aussi  un  Jehan  et  de  son  arrière-petit-fils, 
un  autre  Jehan.  Ce  dernier  avait  un  fils,  le  capitaine  Je- 
han Denys,  marié  à  Marguerite,  fille  de  David  Forsyth, 
Seigneur  de  Dykes  en  Ecosse  et  vicomte  de  Fronsac  en 
France. 

Pierre  Denys,  un  des  fils  du  grand  explorateur,  s'établit 
à  Tours  en  Touraine,  et  devint  intendant  des  finances  de 
Tours.     Son  fils  : 

Mathurin  Denys,  sieur  de  la  Thibaudière,  était  capitaine 
des  gardes  du  roi.  On  raconte  que  le  7e  jour  de  mai  1589, 
le  roi  Henri  III,  étant  assiégé  dans  la  ville  de  Tours  par  le 
duc  de  Mayenne,  général  de  la  Ligue,  était  obligé  de  faire 
marcher  tout,  même  ses  gardes,  contre  le  duc,  sauf  Denys 
qui  devait  garder  le  roi.  Denys  fut  tué  à  son  poste  par  les 
ennemis.  Le  roi  lui  fit  l'honneur  de  sa  présence  aux 
funérailles,  le  corps  de  Denys  étant  accompagné  jusqu'au 
tombeau  à  Saint-Symphorien  par  les  gardes  rovaux.  Il 
épousa  Mlle  Aubert.     Son  fils  : 

Jacques  Denys,  sieur  de  la  Thibaudière,  était  un  officier 
de  distinction  dans  l'armée  d'Henri  III,  ayant  succédé  à  son 
père  dans  la  garde  royale.  Il  épousa  Marie,  fille  de  Hugues 
Cosnier  de  Beseau,  dont  le  fils  était  Emilien  Cosnier,  un  des 
cent  gentilshommes  du  roi.     Ses  fils  : 

I  Nicolas  Denys,  né  à  Tours  en  1598.  Lui  et  ses  frères 
héritèrent  du  capitaine  Jehan  Denys,  de  Honfleur,  leur  pa- 
rent (qui  avait  épousé  Marguerite  Forsyth  de  Fronsac),  de 
ses  droits  dans  la  Nouvelle  France.  Il  partit  en  1632 
avec  une  commission  militaire  dans  la  suite  de  Isaac  de 


444  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

Launoy,  chevalier  de  Razzili,  vice-amiral  de  France,  ré- 
cemment nommé  gouverneur  de  l'Acadie.  Il  devint  gou- 
verneur lui-même  par  commission  du  roi  du  30  janvier 
1654.  Il  établit  deux  colonies  :  une  à  Chedabouctou  et 
et  l'autre  à  St-Pierre.  Il  avait  la  concession  de  presque 
toute  l'île  du  Cap-Breton,  hors  les  établissements  militaires. 
Charlevoix,  dans  son  histoire  de  la  Nouvelle-France,  dit  de 
lui  qu'il  était  le  mieux  instruit  des  gouverneurs  du  pays.  Il 
est  auteur  de  la  première  histoire  en  français  de  l'Améri- 
que du  Nord,  ayant  publié  à  Paris  en  1672  son  ouvrage  in- 
titulé "Histoire  de  l'Amérique  Septentrionale",  et  un  autre, 
"  Avec  une  Histoire  Naturelle  du  Pays."  Par  recommanda- 
tion de  Talon,  comte  d'Orsainville,  et  intendant  de  la  Nou- 
velle-France, le  titre  de  Fronsac  lui  fut  concédé  en  1676. 
Il  épousa,  en  France,  Marguerite  de  la  Faye.  De  ses  deux 
enfants  : — I  Richard,  vicomte  de  Fronsac,  gouverneur  de 
Gaspésie,  obtint  une  concession  de  quinze  lieues  sur  la  Mi- 
ramichi,  érigée  en  seigneurie  en  1691.  Son  fils  et  ses  en- 
fants périrent  d'une  épidémie  en  1732,  et  son  successeur  était 
l'honorable  Mathieu  Forsyth.  II  Marguerite,  fille  de  Nico- 
las, le  gouverneur,  épousa  son  cousin,  le  capitaine  James 
Forsyth,  petit-fils  de  David  Forsyth,  Seigneur  de  Dykes  en 
Ecosse  et  de  Fronsac  en  France,  à  Honfleuren  1650,  le  titre 
de  Fronsac  reste  avec  leur  postérité. 

II  Jacques-Denys  (frère  de  Nicolas),  capitaine  des  trou- 
pes, quartier-maître  général  des  armées  du  roi,  tué  à  Can- 
die, dans  l'armée  navale  des  Vénitiens. 

III  Henri  Denys  (frère  de  Nicolas),  tué  en  Italie  dans  le 
régiment  des  gardes  du  roi. 

Simon  Denys,  aussi  frère  de  Nicolas),  sieur  de  la  Trinité 
en  Canada,  né  à  Tours  en  1599.  Capitaine  dans  le  célèbre 
régiment  Carignan-Salières  envoyé  au  Canada  par  le  roi 
Louis  XIV  en  1666,  enrôlé  dans  la  Noblesse  du  Canada  en 
mars  1668,  par  ordre  du  roi  sur  requête  de  l'intendant  royal. 
Talon.  Il  était  aussi  receveur  général  pour  la  compagnie 
de  la  Nouvelle-France  à  Québec.  Il  épousa  en  France,  en 
1630,  Jeanne  du  Breuil-soeur   du   sieur   du  Breuil,  procureur 


LA  NATION  FRANCO  NORMANDE  AU  CANADA      445 

du  roi  au  Gréniel  à   Sel   de   Tours.     En   seconde   noce,  il 
épousa  Françoise  du  Tertre  (1643).     Ses  enfants  : 

I  Pierre,  à  suivre. 

II  Charles,  sieur  de  Vitré. 

III  Françoise,  née  en  1644.  mariée  à  Michel  Le  Neuf, 
sieur  du  Hérisson. 

IV  Catherine,  née  en  1646. 

V  Paul,  sieur  de  St-Simon. 

VI  Marguerite  née  en  1651,  mariée  à  Michel  Cressé. 

VII  Barbe,  née  en  1652,  mariée  à  Antoine  Pecody-Contre- 
cœur,  etc. 

Pierre  Denys  (fils  aîné),  sieur  de  la  Ronde  né  à  Tours  en 
163 1).  En  Canada,  il  était  grand-maître  des  eaux  et  forêts. 
Il  épousa,  à  Québec,  en  1655,  Catherine  Le  Neuf  de  la  Val- 
lière,  fille  de  Jacques  Le  Neuf,  sieur  de  la  Poterie,  gouver- 
neur de  Trois-Rivières,  qui,  après  la  mort  du  gouverneur  de 
Mezie,  devint  administrateur  du  pays  au  nom  du  roi  ;  sa 
femme  était  Marguerite  Le  Gardeur  de  Tilly.  Il  est  mort 
en  1708.     Ses  enfants  : 

I  Marguerite  Renée,  née  aux  Trois-Rivières  en  1656,  ma- 
riée à  Thomas  de  la  Nouguère  et  en  seconde  noce,  à  Jac- 
ques Alex,  de  Fleury. 

II  Jacques,  né  en  1657. 

III  Simon  Pierre,  à  suivre. 

IV  Marie  Angélique,  née  en  1664,  mariée  à  Charles  Au- 
bert. 

V  Claude,  né  en  1663. 

VI  Françoise,  née  en  1644,  mariée  à  Guillaume  Bonthier 
en  seconde  noce  à  Nicolas  D'Ailleboust,  sieur  de  Menteth, 
de  la  famille  du  gouverneur. 

VII  Marie  Charlotte,  née  en  1 668,  mariée  à  Claude  de  Ra- 
mezay,  gouverneur  de  Montréal,  où  il  bâtit  le  château  de 
Ramezay  en  1705. 

VIII  Marie-Louise,  née  en  1671,  mariée  à  Pierre  D'Aille- 
boust, sieur  d'Argenteuil,  de  la  famille  du  gouverneur. 

IX  Louis,  sieur  de  la  Ronde,  né  en  1675,  marié  à  Louise 
Chartier  de  Lotbinière  (à  suivre). 

X  Anne  Ursule,  née  en  1677,  mariée  à  François  Aubert. 


446  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

Simon  Pierre  Denys,  chevalier  de  Bonnaventure,  né  en 
1659,  chevalier  de  l'ordre  de  St-Louis,  capitaine  de  frégate, 
gouverneur  de  Port-Royal  en  Acadie  en  1689.  Il  vainquit 
les  vaisseaux  de  guerre  anglais  partout,  jusqu'au  port  de 
Boston.  Il  épousa,  en  1686,  Geneviève  Couillard,  de  l'Es- 
pinay,  desEssars,  de  Beaumont,  fille  de  Louis,  sieur  de  l'Es- 
pinay,  et  en  seconde  noce,  Jeanne  Janière,  de  Homburg. 
Son  fils  : 

Claude  E.  Denys,  chevalier  de  Bonnaventure,  chevalier 
de  St-Louis,  amiral  de  France,  et  major  commandant  le 
bataillon  au  Cap-Breton.  Il  revint  en  France  après  la  ces- 
sion du  Canada  à  l'Angleterre,  avec  le  gouvernement  géné- 
ral des  troupes.  Il  meurt  à  Rochefort  des  suites  de  bles- 
sures reçues  au  siège  de  Louisbourg.  Il  épousa  sa  cousine, 
en  1748,  Louise,  fille  de  Louis  Denys,  sieur  de  la  Ronde,  et 
de  Mlle  Louise  Chartier  de  Lotbinière.     Son  fils  : 

Claude  Charles  Denys,  chevalier  de  Bonnaventure,  che- 
valier de  Saint-Louis,  capitaine  de  vaisseau,  né  le  15  oc- 
tobre 1749,  électeur  de  la  noblesse  d'Aunis  en  1789,  mourut 
en  émigration  en  1801.  Il  avait  épousé  Pélagie  de  Butler 
en  1790.     Ses  fils  : 

I  Amédie  (à  suivre). 

II  Adolphe,  né  en  1799,  mort  en  1871. 

Amédée  Denys,  chevalier  de  Bonnaventure,  né  en  1796, 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  et  de  Charles  III  d'Es- 
pagne.    Il  épousa  Mlle  Laurisseau.     Ses  fils  : 

I  Charles  (à  suivre). 

II  Achille,  né  en  1832,  marié  à  Emilie  de  Montlaur,  de 
Bonnecarère,  eut  trois  enfants  :  1er  Charles,  marié  à  Mlle 
de  Chauvigny,  2e  Marie  Louis  et  3e  Eugénie. 

III  Eugénie,  née  en  1832,  mariée  à  M.  de  Chûner,  eut  une 
fille,  Zénobie,  mariée  en  1886  à  M.  le  comte  de  Nucheze. 

Charles  Denys  de  Bonnaventure,  mort  en  1871.  Trésorier 
de  la  marine  en  1830,  il  épousa  Clémence  de  Villeron  de 
Courson.     Son  fils  : 

Louis  Denys  de  Bonnaventure,  né  en  1860,  marié  en  1886 
àMarthe  de  la  Ro  chelrochrd.     Ses  enfants  : 

Jean,  né  en  1889.     Elizabeth,  née  en  1887. 


LA  NATION  FRANCO-NORMANDE  AU  CANADA  447 

DENYS  DE  LA  RONDE 

Louis  Denys,  sieur  de  la  Ronde,  fils  de  Pierre  Denys  de 
a  Ronde  et  de  Catherine  Le  Neuf  de  la  Poterie,  enseigne, 
capitaine  dans  la  marine,  commandant  au  Port-Royal  en 
Acadie  ;  envoyé  auprès  des  colonies  de  la  Nouvelle-Angle- 
terre en  171 1.  Il  épousa,  en  1709,  à  Québec,  Marie  Louise, 
fille  de  René  Louis  Chartier,  seigneur  de  Lotbinière,  mem- 
bre du  Conseil  supérieur  de  Québec.     Ses  enfants  : 

I  François  Paul  Denys,  sieur  de  la  Thibaudière,  né  en 
1722,  officier,  marié  à  Marguerite,  fille  de  Alex.  Celles-Du- 
clos,  sieur  du  Sailly,  juge  civil  et  criminel  à  Montréal. 

II  Philippe  Denys  de  la  Ronde,  capitaine  d'un  détache- 
ment de  marins,  marié  à  Québec,  en  1753,  à  Louise  Margue- 
rite, fille  de  Jean  B.  Gaillard,  fils  de  Guillaume  Gaillard, 
seigneur  de  Tlsle  et  comté  de  St-Laurent. 

III  Pierre  Denys,  chevalier  de  la  Ronde,  chevalier  de 
St-Louis,  né  à  Québec  le  II  novembre  1726.  major 
des  troupes  envoyées  dans  la  Louisiane.  Il  épousa 
Madeline,  fille  d'Ignace  F.  de  Broutin,  capitaine  in- 
génieur, envoyé  de  France  dans  la  Louisiane;  il  était  pa- 
rent du  marquis  de  Vaudreuil,  dernier  gouverneur  français 
du  Canada.  Avant  son  mariage  avec  de  la  Ronde,  elle 
avait  épousé  le  lieutenant  Louis  Xavier  Chalmet  de  Lino. 
Ses  enfants  : 

I  Louise,  née  en  1758  à  la  Nouvelle-Orléans,  mariée  à  don 
André  Almonaster  y  Roxas,  natif  de  Mayrena,  Andalousie, 
en  Espagne,  né  en  1725,  chevalier  de  l'Ordre  royal  de  Car- 
los III,  colonel  dans  la  Louisiane,  lieutenant  royal  et  acalde 
del  Cabildo.  Son  père  était  don  Miguel  José  Almonaster 
et  sa  mère  donna  Maria  Juanna  de  Estrada  y  Roxas, — les 
deux  de  noble  naissance.  Don  Almonaster  est  enterré  en 
face  de  l'autel  Saint-François  d'Assise,  au-dessus  d'une 
feuille  de  marbre  sur  laquelle  sont  inscrits  son  nom,  le  blason 
de  sa  famille,  ses  honneurs  royaux  et  l'énumération  de  ses 
dons  magnifiques. — Il  avait  fondé  la  cathédrale  St-Louis, 
le  palais  de  justice,  le  presbytère  et  plusieurs  écoles  pour 
les  enfants,  et  l'hôpital  pour  les  lépreux.     Il  avait  une  fille 


448  LA  REVUE  FRANCO- AMÉRICAINE 

Michela  Leonardo,  née  en  1/95,  mariée  à  Joseph  C.  Delfau 
de  Pontalba,  lieutenant  dans  la  marine  française,  comman- 
dant auX  Côtes  des  Allemands  sur  le  Mississipi,  après,  gé- 
néral de  division  dans  l'armée  de  Napoléon  1er  et  fils  de 
Xavier  Delfau,  baron  de  Pontalba  et  officier  dans  les  ar- 
mées d'Espagne. 

II  Marie  Thérèse,  née  en  1759,  mariée  à  don  Juan  Pieto, 
à  la  Nouvelle-Orléans. 

III  Marguerite,  née  en  1761. 

IV  Pierre  Denys  de  la  Ronde,  né  à  la  Nouvelle  Orléans  en 
1762,  lieutenant  dans  le  régiment  royal  de  la  Louisiane, 
commandant,  civil  et  militaire  de  la  paroisse  St-Bernard, 
alcade  del  Cabildo  (1798-1803),  colonel  du  régiment  royal 
et  commandant  en  chef  des  troupes  de  la  Louisiane  à  la 
bataille  de  la  Nouvelle  Orléans  (1814),  gagnée  par  les  trou- 
pes de  la  Louisiane  contre  l'armée  anglaise.     Le  plan  de 

a  bataille  fut  projeté  par  lui  et  ordonné  par  le  général 
Jackson.  Il  était  membre  de  la  convention  constitution- 
nelle de  l'Etat  en  l8l2.  Il  épousa,  en  1788,  Eulalie.  fille  de 
Louis  Alex.  Gerbois,  officier  dans  l'armée  française.  Ses 
enfants  : 

I  Eulalie,  née  à  la  Nouvelle  Oi  léans,  en  1788,  mariée  à  Ga- 
briel Eréville  Villeré,  colonel  du  3e  régiment  de  la  Loui- 
siane à  la  bataille  de  la  Nouvelle-Orléans,  fils  du  major- 
général  Jacques  P.  Villeré,  2e  gouverneur  de  la  Louisiane. 

II  Elisabeth  Célestes,  née  en  1792,  mariée  à  Maunse 
White,  colonel  dans  la  guerre  du  Mexique  de  1846,  et  sé- 
nateur de  l'Etat  de  la  Louisiane. 

III  Keloïse,  née  1792. 

IV  Manette,  née  en  i;99,  mariée  au  général  Casimir  La- 
coste. 

V  Pépite,  née  en  1799. 

VI  Adélaïde  Adèle,  née  en  1803,  mariée  à  Thon.  Joseph 
Adolphe  Ducros. 

•  Note.— Le  régiment  royal  de  la  Louisiane  fut  ordonné 
par  le  roi  Charles  III  d'Espagne  en  1764.  M.  le  comte  de 
Unzaga  en  était  le  premier  colonel  et  don  J.  Estecheria 
était  son  successeur. 


L'industrie  nationale 


Mon  cher  directeur, 

Il  n'y  a  pas  que  la  question  irlandaise  qui  intéresse  vos 
lecteurs.  Ainsi,  je  reçois  à  tout  propos  et  à  tous  moments 
les  lettres  les  plus  étranges,  et  aussi  les  plus  intéressantes,  sur 
diverses  matières,  qui  prouvent  jusqu'à  l'évidence  que  dans 
tous  les  domaines  de  l'activité  humaine  nous  sommes,  sans 
nous  en  douter,  les  artisans  de  notre  propre  déchéance.  La 
question  irlandaise  elle-même  qui  nous  cause  en  ce  moment 
tant  de  soucis  n'a  pas  d'autre  cause  que  cette  apathie  inlas- 
sable qui  nous  laisse  indifférents  devant  nos  propres  intérêts 
et  qui,  depuis  des  années,  nous  fait  sans  cesse  tendre  le  dos  à 
tous  ceux  qui  veulent  bien  se  donner  la  peine  de  nous  tondre. 
Et  Dieu  sait  si  on  nous  tond  !  -Vous  avez  montré  que  la  crise 
dont  a  souffert  l'Université  d'Ottawa  n'était  pas  due  au  seul 
esprit  envahisseur  de  l'élément  irlandais,  mais  qu'elle  était  due 
en  grande  partie  à  ceux  qui,  pouvant  tout  conserver,  ont  subi 
toutes  les  conquêtes  et  cédé  devant  tous  les  empiétements. 

Un  journaliste  de  Montréal^  il  3^  a  un  peu  plus  d'un  an,  a 
soulevé  une  jolie  tempête  avec  un  seul  article  conseillant  un 
emploi  plus  judicieux  des  capitaux  canadiens- français  comme 
force  économique  nationale,  en  engageant  ses  compatriotes  à 
créer  pour  leur  profit  la  force  financière  qui  fait  en  somme 
toute  l'influence  anglaise.  Et  pourtant  il  avait  raison.  Aussi, 
pour  le  combattre  a-t-on  dû  dépasser  sa  pensée  et  prendre  à  la 
lettre  un  conseil  qui  demandait  tout  simplement  un  peu  de  dis- 
cernement dans  son  application. 

Ce  qui  est  vrai  du  rôle  des  capitaux  canadiens-français  ne 
l'est  pas  moins  de  notre  industrie  nationale.  Du  reste,  qui  dit 
industrie  dit  capital,  clientèle,  etc. 

C'est  dans  cet  ordre  d'idées  que  la  lettre  suivante  trouvée 
dans  mon  courrier,  parmi  une  foule  d'autres,  pose  un  problè- 
me qui  mérite  une  étude  et  une  publicité  que  vous  ne  lui  refu- 


450  LA  REVUE  FRAKOO-AMÉRICAINE 

serez  pas!  Il  suffit,  d'ailleurs,  d'exposer  une  foule  de  maux 
dont  nous  souffrons  pour  que  le  remède^à  appliquer  saute  à  l'es- 
prit spontanément,  sans  effort.  Et  les  plus  intéressés,  les 
plus  mêlés  à  la  discussion  souvent,  sontjles  premiers  à  dire  : 
"  Ma  foi,  nous  n'y  avions  pasj^ensé  !  " 

Le  chef  d'une  maison  canadienne-française  importante 
m'écrit  donc  ce  qui  suit  ; 

"Monsieur, —  Votre  franc-parler  me  porte  à  attirer  votre 
attention  sur  un  fait  d'une  importance  considérable.  Et  quel- 
que soit  la  surprise  que  cela  vous  cause,  je  puis  vous  assurer 
que  vous  seriez  étonné  bien  davantage  si  je  vous  donnais  en 
même  temps  tous  les  chiffres  et  tous  les  noms  qui  en  démon- 
trent la  véracité.  Mais  le  fait  est  assez  connu  pour  qu'il  soit 
nécessaire  de  trop  insister.  Je  me  contente  d'ajouter  les  con- 
sidérations qui  découlent  comme  de  source. 

"  Par  ce  temps  de  croisade  d'action  sociale  où  l'on  nous 
prêche,  avec  beaucoup  de  raison,  l'union  des  bonnes  volontés 
et  l'organisation  des  catholiques,  nous  croyons  de  notre  devoir, 
dans  l'intérêt  de  notre  race,  pour  assurer  son  développement 
économique  duquel  dépend  la  prospérité  de  nos  in.stitutions, 
pour  maintenir  la  foi  dans  les  âmes  et  garder  la  confiance  du 
peuple  envers  notre  clergé,  de  signaler  un  certain  état  de  cho- 
ses qui  nous  peine  grandement  et  faire  appel  à  un  esprit  de  jus- 
tice qui  sur  tous  les  autres  points  est  rarement  pris  en  défaut. 

"  Vous  n'ignorez  pas  que  notre  jeune  pays  est  encore  à  sa 
première  période  de  formation  ;  que  le  commerce  et  l'industrie 
chez  nous  sortent  à  peine  de  l'enfance  et  que  les  Canadiens- 
Français,  qui  n'ont  pas  eu  comme  les  Anglais  arrivant  ici  les 
capitaux  et  l'entraînemenc  pratique  de  la  mère-patrie  pour  se 
lancer  dans  les  affaires,  mais  qui  ont  dû  tout  improviser,  ont 
besoin  avec  toutes  leurs  ressources,  de  l'appui,  des  conseils  et 
de  l'encouragement  des  leurs,  concours  indispensable  que  l'on 
trouverait  dans  un  esprit  national  bien  éclairé. 
•  "  Ce  qui  nous  peine  c'est  de  constater  que  plusieurs  commu- 
nautés religieuses,  des  institutions  de  charité,  des  fabriques 
de  nos  paroisses  des  villes  et  des  campagnes  de  la  province  de 
Québec,  qui  savent  tendre  la  main  et  faire  appel  à  la  charité 
des  catholiques  de  ce  pays,  surtout  des  Canadiens-Français,  se 
servent  de  l'argent  ainsi  obtenu  pour  acheter  des  maisons  an- 
glaises protestantes,  des  francs-maçons  et  même,  sans  le  sa- 
voir, sans  doute,  des  Juifs,  lesquels  s'enrichissent  de  nos 
efforts  ainsi  dispersés,  augmentent  d'autant  leur  puissance 
contre  nous  et  nous  ignorent  ensuite  quand  nos  maisons  pour- 


l'industrie  nationalf  451 

raient  leur   procurer,    à   conditions   égales,    les   mêmes  mar- 
chandises. 

"  C'est  pénible  à  constater,  surtout  quand  on  a  travaillé 
pendant  nombre  d'années,  de  concert  avec  plusieurs  autres 
maisons  canadiennes-françaises  et  catholiques,  à  conquérir 
notre  place  dans  le  champ  de  l'activité  humaine  pour  pro- 
duire et  fournir  à  toute  notre  population  ce  dont  elle  peut 
avoir  besoin  et  en  même  temps  donner  de  l'ouvrage  à  nos  ou- 
vriers, de  voir  nos  efforts  paralysés.  Et  nous  qui  avons  fait 
une  œuvre  nationale  autant  qu'une  entreprise  financière  mal- 
gré des  débuts  humbles  et  un  capital  limité,  nous  sommes 
encore  exposés  à  l'oubli  ou  au  dédain  des  nôtres  plus  portés  à 
s'extasier  devant  la  grandeur  et  la  magnificence  d'établisse- 
ments anglais,  francs  maçons  ou  juifs,  qu'à  reconnaître  et  à 
encourager  l'humble  initiative  de  leurs  compatriotes  et  core- 
ligionnaires. 

"  Nous  comprenons,  et  vous  le  comprenez  de  même  facile- 
ment, que  dans  de  pareilles  conditions,  nous  puissions  paraître 
inférieurs  à  nos  concurrents  anglophones,  mais  alors,  si  cette 
chose  peut  être  constatée  sérieusement,  ne  serait-ce  pas  un  acte 
de  charité  bien  comprise  de  la  part  de  ces  institutions,  dont 
quelques-unes  ont  pour  mission  d'enseigner  au  peuple,  de  nous 
indiquer  en  quoi  nos  produits  nationaux  sont  inférieurs  aux 
autres.  Ne  serait-ce  pas  là  une  excellente  occasion  de  nous 
apprendre  ce  que  nous  sommes  pardonnables  d'ignorer  encore, 
et  de  faire  ainsi  œuvre  d'action  sociale  très  utile  et  très  pa- 
triotique, avant  de  s'adresser  aux  maisons  étrangères. 

"D'ailleurs,  ces  maisons  étrangères  n'ont  guère  de  titres 
à  ces  faveurs,  et  elles  le  savent.  Aussi  font-elles  très  adroi- 
tement et  très  assidûment  le  siège  de  nos  communautés.  Elles 
ne  contribuent  en  rien  à  ces  œuvres,  ne  soutiennent  guère 
notre  classe  ouvrière,  pauvre  mais  honnête,  qui  chôme  dans 
nos  villes  alors  que  l'argent  des  catholiques  répand  l'activité 
et  l'abondance  dans  les  établissements  étrangers.  Elles  font 
miroiter  les  gros  escomptes  plus  fictifs  que  réels,  emploient 
même  le  plus  souvent  des  Canadiens-Français  comme  sollici- 
teurs et  vont  jusqu'à  offrir,  nous  le  savons,  des  commissions 
souvent  considérables  au  tiers  qui  veut  leur  faciliter  l'entrée 
de  nos  communautés,  quitte  à  se  reprendre  sur  la  quantité,  la 
qualité  ou  le  prix  des  articles  vendus. 

"Si  quelqu'un  disait  que  le  Canadien-Français  n'a  pas  de 
cœur,  qu'il  est  égoïste,  elles  seraient  légions  les  voix  qui 
s'élèveraient  même  dans  les  milieux  où  on  le  méconnaît  le  plus 
dans  les  questions  d'affaires  pour  opposer  à  ses  détracteurs  le 
plus  énergique  démenti.   En  effet,  on  ne  fait  pas  en  vain  appel 


452  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICIANE 

aux  Canadiens-Français.  Nos  bourses  s'ouvrent  toujours  à 
l'appel  de  nos  pasteurs  :  riches  et  pauvres,  nous  versons  géné- 
reusement et  joyeusement  le  secours  demandé. 

"Ce  n'est  pas  à  vous,  monsieur,  que  nous  apprendrons  que 
nos  communautés  religieuses,  nos  patronages,  nos  hospices, 
en  un  mot,  tous  les  établissements  de  charité  et  d'enseigne- 
ment de  notre  ville  sont  soutenus  en  grande  partie  par  ses 
négociants. 

'  '  Les  différentes  communautés  religieuses  qui  nous  sont  ve- 
nues de  l'ancienne  mère-patrie  ont  trouvé  chez  nous  l'accueil 
le  plus  chaleureux  et  sur  ce  point  je  ne  chercherai  même  pas 
à  rappeler  ce  que  nous  avons  fait  dans  ces  circonstances.  Ce 
qui  a  été  fait  est  assez  connu  pour  nous  donner  le  droit  de 
demander  si  nous  avons  été  payés  de  retour. 

*  *  A  force  de  moisonner  on  épuise  la  meilleure  terre  et  si 
l'agriculteur  ne  rend  pas  au  sol  ce  que  des  moissons  successi- 
ves lui  ont  enlevé  il  s'expose  à  de  graves  conséquences  sinon 
à  la  ruine 

"  Nous  admettons  volontiers,  et  nous  sommes  heureux  de  le 
reconnaître,  que  les  services  rendus  par  nos  admirables  institu- 
tions de  charité  valent  bien  les  aumônes  données.  Mais  ne 
serait-ce  pas  tarir  les  sources  mêmes  de  la  charité,  compro- 
mettre la  permanence  de  ces  institutions,  affaiblir  la  confiance 
dans  la  sûreté  de  jugement  et  l'esprit  de  justice  de  ceux  qui 
les  dirigent,  que  de  négliger  d'adopter  une  politique  qui  serait 
à  la  fois  un  acte  de  reconnaissance  et  une  mesure  de  protec- 
tion nationale? 

'  '  Certains  vont  se  scandaliser  de  cette  franchise  avec  la- 
quelle j 'expose  une  situation  grosse  de  périls  pour  notre  or- 
ganisation sociale.  Soyez  certain,  monsieur,  que  les  plus 
prompts  à  protester  ne  seront  pas  les  plus  prompts  à  vider 
leur  bourse  dans  l'escarcelle  du  pauvre.  J'aurais  pu  comme 
bien  d'autres  flagorner  nos  chefs  hiérarchiques  et  miner  en 
dessous  leur  autorité  ou  encore  fournir  des  fonds  à  ceux  qui 
les  combattent.  Ce  n'est  pas  mon  genre.  Même  après  cette 
lettre  on  ne  s'apercevra  pas  que  la  contribution  de  notre 
maison  aux  œuvres  de  charité  a  diminué  d'un  sou  ;  on  pourra 
mêm(î  continuer  à  lire  nos  annonces  dans  une  foule  de  publi- 
cations qui  vont  porter  leur  clientèle  ailleurs  sans  se  demander 
s'il  serait  possible  de  trouver  ce  qu'il  leur  faut,  même  à 
chance  égale,  dans  des  maisons  canadiennes-françaises.  Tout 
ce  que  je  demande,  c'est  qu'on  apporte  un  remède  à  ce  que 
je  crois  être  un  vice  de  notre  organisation.  Et  c'est  parce 
que  je  m'intéresse  au  splendide  mouvement  d'action  sociale 
vers  lequel  on  pousse   les   Canadiens-Français   que  je  leur  de- 


l'industrie  nationale  453 

mande  d'exercer  V action  sociale  directe  et  pratique  et  d'inau- 
gurer enfin  pour  notre  industrie  nationale  cette  coopération 
discrète  qui  a  mené  le  commerce  anglais  à  la  conquête  du 
monde. 

"On  aura  beau  dire  qu'il  n'y  a  pas  de  sentiment  en  affaires, 
tout  le  monde  comprend  que  cette  parole  n'est  pas  tout  à  fait 
vraie. 

'  '  Nos  gouvernements,  nos  corporations  municipales  nous  en 
donnent  la  preuve  :  les  premiers  en  n'admettant  pas  de  travail- 
leurs étrangers  ;  les  seconds  en  exigeant  des  entrepreneurs 
l'emploi  exclusif  des  ouvriers  de  leurs  villes  et  d'après  une 
échelle  minima  de  salaires.  Pour  notre  part,  nous  croyons 
aussi  que  le  titre  de  canadien-français  et  catholique  est  un  lien 
vsufiisant  pour  nous  unir  et  nous  protéger  dans  le  domaine  éco- 
nomique tout  autant  que  dans  le  domaine  national." 

Cette  lettre  n'est  pas  le  fait  d'un  négociant  déçu,  et  si  elle 
demande  quelque  chose  c'est  qu'on  y  réfléchisse.  D'ailleurs 
elle  fait  beaucoup  plus  que  de  montrer  l'irréflexion  en  affaires 
dans  un  genre  particulier.  Elle  met  le  doigt  sur  une  plaie 
béante,  elle  montre  un  défaut  général.  Et,  pour  un  négociant 
qui  a  pris  la  peine  de  nous  écrire  ses  griefs,  il  en  est  cinquante 
qui  nous  ont  raconté  la  même  chose  en  mettant  d'autres 
acheteurs  en  cause,  et  il  en  est  des  centaines  qui  gardent  le 
silence  mais  pourraient  en  dire  tout  autant. 

M.  Sylva  Clapin  a  parlé  dans  ses  "Sensations  de  Nouvelle 
France"  de  notre  esprit  colonial.  C'est  cet  esprit  rétrograde 
et  routinier  qui  nous  porte  à  admirer  outre  mesure  nos  voisins 
et  à  négliger  les  moyens  qui  nous  feraient  leurs  égaux  dans  le 
commerce  comme  nous  sommes  leurs  égaux  dans  beaucoup  de 
choses  et  leurs  supérieurs  dans  beaucoup  d'autres. 

Il  est  un  fait  que  je  n'ai  jamais  pu  m 'expliquer.  .Plusieurs 
grosses  fortunes  ont  été  faites  dans  l'industrie  du  bois  par 
des  Anglais  arrivés  sans  le  sou  dans  la  province  de  Québec  et 
cela  dans  l'espace  de  quelques  années.  Parmi  ceux  qui,  dans  la 
même  industrie,  et  trop  souvent  à  même  le  domaine  national, 
s'enrichissent  actuellement  sous  nos  yeux,  combien  de  Cana- 
diens-Français comptez-vous?  Les  plus  chanceux  parmi  les 
nôtres  se  contentent  encore  de  ramasser  les  miettes  qui  tombent 
de  la  table  de  spéculateurs  qui  avant  de  couper  un  pied  de  bois 


454  LA   REVUE   FRANOO-AMiEICAINE 

sur  les  terres  de  la  Couronne  n'auraient  pas  pu  acheter  une 
paire  de  chevaux  à  crédit. 

Question  d'initiativ^e,  direz-vous  ?  Pour  une  large  part,  sans 
doute  ;  mais  aussi  question  de  prévoyance  et  de  saine  précau- 
tion. Il  n'est  pas  normal  que  les  négociants  canadiens-fran- 
çais soient  à  peu  près  au  même  point^ qu'il  y  a  cinquante  ans, 
que  nos  industriels  soient  encore,  par  notre  faute,  à  la  merci 
des  grandes  maisons  de  la  métropole  ou  encore  ;des  maisons 
anglaises  des  provinces  voisines. 

lye  projet  de  remanier  le  tarif  entre  le  Canada  et  les  Etats- 
Unis  a  mis  en  branle  tout  le  mécanisme  économique  de  l'Em- 
pire. Pourquoi  serions-nous  moins  jaloux  de  nos  propres  in- 
térêts ?  Il  est  bien  sûr  qu'ayant  à  traiter  |avec  un  peuple  es- 
sentiellement commerçant  notre  prestige  ne  pourra  que  s'ac- 
croître par  la  discrétion  sagement  [patriotique  que  nous  met- 
trons à  distribuer  nos  capitaux  et  notre  clientèle. 

A  ceux  qui  seraient  tentés  de  croire  que  nous  prêchons  de 
boycotter  les  maisons  anglaises  nous  ferons  remarquer  que 
nous  ne  demandons  j  rien  de  tel.  Nous  ne  demandons  pas 
autre  chose  pour  le  commerce  canadien-français^que  la_|îpart 
qui  lui  revient  de  droit  dans  une  province  aux  neuf-dixièmes 
canadienne-française,  que  les  nôtres  achètent  de  leurs  maisons 
canadiennes-françaises,  à  chance  égale,  avant  d'aller  ailleurs 
tout  comme  les  Anglais  ou  les  Juifs  achètent  de  leurs  compa- 
triotes avant  de  s'adresser  à  d'autres. 

Par  exemple,  on  serait  étonné  de  la  comparaison  entre  les 
achats  de  Québec  dans  Ontario  et  les  achats  d'Ontario  dans 
Québec. 

Dans  la  province  de  Québec,  les  banques  canadiennes-fran- 
çaises devraient  être  à  la  tête  de  toutes  les  autres.  Qu'est-ce 
qui  arrive  ?  Pour  $10,000,000,  que  nous  avons  dans  nos 
propres  institutions  nous  en  avons  $40,000,000,  dans  les  ins- 
titutions anglaises.  C'est  une  anomalie.  Les  affaires  iraient 
tout  aussi  bien  si  les  rôles  étaient  inverses,  et  dans  le  com- 
merce comme  dans  les  autres  sphères  nous  serions  les  maîtres 
chez  nous. 

On  peut  voir  que  l'industriel  qui  vient  de  nous  signaler 
quelques  cas  particuliers  à  son  genre  de  commerce,  a  soulevé 
une  question  bien  autrement  grave.  Michel  Renouf 


Encombrement  des   professions   libérales 
et  le  fonctionnarisme 


Les  journaux  nous  annonçaient  l'automne  dernier  que  les 
collèges  classiques  et  les  séminaires  de  la  province  de  Qué- 
bec, ont  tous  été  obligés  de  refuser  des  élèves  à  la  rentrée 
des  classes  en  septembre  dernier.  Le  nombre  en  était  trop 
grand  et  ces  maisons  trop  petites.  Ceux  qui  trouvent  que 
notre  peuple  n'a  rien  à  envier  aux  autres  se  réjouissent  et 
crient  bien  haut  cet  exemple,  mais  ceux  qui  connaissent  le 
but  de  cette  course  à  l'instruction  classique  déplorent  sincè- 
rement cet  état  de  choses,  parce  qu'ils  savent  que  tous  ces 
enfants  que  l'on  dirige  ainsi  vers  nos  collèges  sont  destinés 
soit  aux  professions  libérales,  soit  au  fonctionnarisme. 

Déjà  les  professions  libérales  sont  encombrées  et  il  est 
pénible  de  constater  dans  quelle  position  difficile  se  trouve 
le  jeune  médecin,  le  jeune  avocat  ou  le  jeune  notaire  qui 
vient  de  recevoir  ses  diplômes. 

C'est  une  plaie  de  notre  époque.  C'est  un  mal  endémique 
qui  affecte  tous  les  petits  Canadiens-Français  venant  au 
monde,  ou  du  moins  leurs  parents  joyeux  de  leur  naissance. 

Du  temps  des  fées,  ces  aimables  et  chimériques-personnes 
se  réunissaient  auprès  des  berceaux  pour  mettre  sur  l'oreil- 
ler du  nouveau-né  un  des  dons  de  leur  mystérieuse  puis- 
sance. "Tu  seras  beau,  disait  l'une  ;  riche,  ajoutait  l'autre  ; 
bon,  gracieux,  spirituel,  heureux,  aimé..."  et  l'on  s'efforçait 
à  ne  pas  déplaire  à  la  méchante  Carabosse  et  à  ses  satel- 
lites et  de  conjurer  tout  mauvais  sort.  Toutes  les  porteuses 
de  baguettes  magiques  d'autrefois  se  confondent  aujour- 
d'hui en  une  seule  qui  dépose,  sur  le  lit  minuscule  où  piaille 
le  petit  bout  *de  Canadien-Français,  tout  frais  éclos,  ce 
souhait  qui  résume  tous  les  bonheurs:  "Tu  seras  instruit  : 
par  conséquent,  curé,  peut-être,  ou  encore  avocat,  notaire, 


456  LA   REVUE   FRANCO-AMERICAINE 

médecin,  sinon,  tu  seras  pour  le  moins  fonctionnaire,  '*écri- 
vain  au  parlement." 

Etre  curé,  avocat,  notaire,  médecin,  fonctionnaire,  paraît 
à  un  nombre  extraordinaire  de  familles  le  but  suprême  de 
la  vie  humaine  et  le  comble  de  la  félicité.  Nourri  dans 
cette  idée,  qu'on  ne  cesse  de  faire  miroiter,  l'enfant  dès 
qu'il  a  une  ambition  n'a  pas  d'autre  ambition,  et  il  ne  voit 
rien  d'autre  qui  pourrait  lui  convenir,  il  veut  et  il  sera 
monsieur  le  notaire,  monsieur  le  docteur  ou  monsieur  le 
curé. 

C'est  ce  qui  fait  que  les  professions  libérales  sont  en- 
combrées ;  qu'un  grand  nombre  de  nullités...  médicales  ou 
légales — grâce  aux  examens  faciles,  de  parfaits  ignorants, 
sont  reçus  médecins,  avocats  ou  notaires — sont  obligées  de 
faire  des  petites  bassesses  et  mêmes  de  petites  infamies 
vivre  ;  qu'un  grand  nombre  de  personnes  vont  se  ruiner  pour 
devant  les  tribunaux  où  elles  ont  été  conduites  par  des  avo- 
catsqui  n'ont  jamais  compris  un  texte  de  loi  ;  que  des  notaires 
rédigent  des  testaments  qui  sont  de  véritables  nids  à  pro- 
cès et  qui  aboutissent  à  la  ruine  complète  des  héritiers, 
sans  toutefois  parvenir  à  déchiffrer  devant  les  cours  ce  que 
l'on  a  bien  voulu  dire  dans  ces  testaments  ou  actes  nota- 
riés ;  qu'un  nombre  incalculable  d'enfants  sont  expédiés 
ad  patres  par  d'obscures  ténébrions  à  qui  l'on  a  permis  de  se 
dire  "docteur". 

Le  tableau  est  tellement  noir  que  l'on  serait  tenté  de 
croire  à  de  l'exagération. 

Par  leur  incompétence  ces  avocats,  ces  médecias,  ces  no- 
taires, etc.,  sont  bientôt  abandonnés  des  quelques  clients 
qui  ont  cru  devoir  les  encourager,  et  ils  viennent  alors  se 
joindre  à  l'armée  des  quémandeurs  de  place  du  gouverne- 
ment. Pourtant  ces  derniers  sont  déjà  trop  nombreux,  car 
tout  individu  mâle  et  même  femelle,  puisque  certains  dé- 
partements regorgent  de  femmes,  approchant  de  sa  majo- 
rité se  considère  apte  à  remplir  sur  la  terre  une  mission 
administrative  et  accable  de  ses  sollicitations  les  élus  du 
pays  aux  divers  degrés,  lesquels  à  leur  tour  encombrent  de 


ENCOMBREMENT  DES  PROFESSIONS  LIBÉRALES  457 

leurs  recommandations  les  ministres  des  différents  services 
du  gouvernement. 

De  deux  choses  l'une  :  ou  les  candidats,  augmentés  des 
ratés  des  professions  libérales,  sont  nommés  ou  ils  ne  le 
sont  pas.  Dans  ce  second  cas,  comme  ils  ne  mettent  pas 
en  pratique  le  principe  de  Molière  :  "  On  désespère  alors 
qu'on  espère  toujours",  et  qu'ils  sont  convaincus  qu'un  jour 
ou  l'autre,  ils  se  réveilleront  fonctionnaires,  ils  négligent 
leur  métier  d'origine,  ou  ne  travaillent  plus  que  juste  le 
strict  nécessaire,  quand  ils  ne  vivent  pas  en  parasites  aux 
crochets  de  leurs  parents.  Peu  à  peu,  ils  s'étiolent  morale- 
ment, au  moins  dans  le  mépris  de  l'état  qu'ils  exercent 
momentanément,  croient-ils,  et  dans  l'énervement  d'une 
perpétuelle  attente.  Que  si,  plus  heureux,  ils  sont  casés, 
les  voilà  manœuvres  officiels  ou  ronds- de-cuir,  abandon- 
nant la  terre  nourricière  dont,  malgré  le  progrès  des  ma- 
chines, de  vastes  espaces  restent  en  friche  et  en  forêt, 
tandis  qu'eux  peuplent  les  villes  de  leur  nullité  encom- 
brante, les  bureaux  de  leur  oisiveté  rétribuée  et  leur  fa- 
mille de  dégénérés. 

Pour  quiconque  a  eu  à  fréquenter,  à  un  titre  ou  à  un  autre, 
les  officines  administratives,  il  est  hors  de  doute  que  la 
somme  du  travail  qu'y  s'y  accomplit  serait  aussi  bien  faite, 
sinon  mieux,  en  supprimant  deux  employés  sur  trois,  et 
celui  qui  resterait  serait  mieux  payé.  Résultat  :  avantage 
qui  lui  donnerait  des  ressources  suffisantes  au  lieu  d'un 
salaire  de  famine  qui  en  fait  un  crève-la- faim,  et  économie 
de  50%  pour  le  budget.  Si  vous  multipliez  cette  économie 
par  le  nombre  formidable  des  employés  de  tous  ordres, 
vous  verrez  à  quel  chiffre  vous  arriverez. 

J'en  ai  eu  des  exemples  typiques  sous  les  yeux,  un  entre 
autres.  Je  connais  un  homme  jeune  encore,  d'extraction 
très  modeste,  qui  est  employé  dans  un  ministère  que  je 
nommerai  pas,  pour  ne  pas  nuire  à  cet  estimable  bureau- 
crate. Il  s'en  va  chaque  matin  à  son  bureau  à  dix  heures, 
il  emporte  un  roman  sous  son  bras  ainsi  qu'une  botte  de 
journaux  pour  charmer  ses  loisirs  certains.  A  midi  il  va 
dîner.  Il  rentre  à  deux  heures,  fume  sa  pipe  de  tabac  cana- 


458  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

dien  en  devisant  avec  ses  deux  compagnons  de  bureau, 
tandis  qu'un  quatrième  dans  un  coin  les  supplie  de  ne  pas 
le  distraire  par  leurs  histoires.  Il  a  du  travail  à  livrer  ; 
c'est  toujours  le  même  qui  a  l'ouvrage.  Alors  mon  homme 
jeune  encore,  sommeille  pendant  quelques  minutes  et  se 
plonge  ensuite,  la  conscience  tranquille,  dans  son  roman, 
jusqu'à  cinq  heures,  où  le  bureau  ferme.  Total  :  cinq 
heures  de  travail  apparent  pour  lesquelles  le  gouvernement 
lui  alloue  mille  piastres  par  année.  Cette  somme  lui  permet 
de  vivre  béatement,  uniforménicnt,  niaisement,  inutilement. 
Il  a  dans  son  bureau  trois  collègues  dont  deux  en  font  tout 
autant  et  émargent  pour  la  même  somme  ;  le  quatrième,  celui 
qui  fait  le  travail,  n'a  que  huit  cents  piastres  par  année  :  on 
a  oublié  de  l'augmenter  avec  les  autres,  il  n'a  pas  eu  le 
temps  de  faire  les  démarches  nécessaires  auprès  des  dépu- 
tés, des  cabaleurs,  des  influences  qui  comptent  auprès  de 
son  ministre,  et  ses  compagnons  de  bureau  se  sont  bien 
tenus  de  l'avertir  que  le  ministre  était  prêt  à  augmenter  les 
salaires,  de  crainte  que  leur  augmentation  en  fût  diminuée 
d'autant.  Un  seul  des  quatre,  payé  deux  mille  piastres, 
serait  à  l'aise  et  produirait  tout  autant.  Le  Gouvernement, 
c'est-à-dire  notre  bourse,  y  gagnerait  dix-huit  cents  pias- 
tres et  nos  dignes  ronds-de-cuir  feraient,  comme  leurs  papas, 
des  chapeaux,  des  culottes  et  des  chaussures  pour  leurs 
concitoyens,  ce  qui  serait  infiniment  plus  utile  que  ce  qu'ils 
font. 

Mais  ils  ne  seraient  pas  "  M.  l'employé."  Quand  ils  vont 
en  congé  chez  eux,  leurs  compatriotes  ne  les  salueraient 
pas  avec  déférence,  croyant  voir  en  lui  un  reflet  de  la  puis- 
sance publique  et,  lorsqu'il  est  à  sa  sinécure,  son  père  ne 
pourrait  pas  dire  avec  orgueil  :  "  Mon  fils  est  écrivain  au 
gouvernement,  c'est  un  monsieur  à  c't-heure." 

Charles  Bourguoin 


Mensonge   de  chien 


J'avais  en  lui  une  confiance  aveugle  depuis  longtemps. 
Nous  nous  aimions.  C'était  un  chien  mouton.  Il  était 
blanc,  avec  une  calotte  brune.     Je  l'avais  appelé  Pierrot. 

Pierrot  grimpait  aux  arbres,  aux  échelles  î  Fils  de  bate- 
leur, peut-être,  il  exécutait  des  tours  de  force  ou  d'adresse 
inattendus.  Il  était  amoureux  d'une  boule  de  bois  grosse 
comme  une  bille  de  billard  ;  il  nous  l'avait  apportée  un 
jour,  et,  assis  sur  son  derrière,  il  avait  dit  :  "  Lance-la-moi 
bien  loin,  dans  la  broussaille. . ,  Je  la  retrouverai,  tu  ver- 
ras !"  On  le  fit.  Il  réussit  à  merveille  dans  son  projet.  Il 
devint  alors  très  ennuyeux  ;  il  disait  toujours  :  "  Jouons  à 
la  boule  !  " 

Il  entrait  dans  le  cabinet  de  travail  de  son  maître,  brus- 
quement, quand  il  pouvait,  avec  sa  boule  entre  les  dents,  se 
mettait  debout,  les  pattes  de  devant  sur  la  table,  au  milieu 
des  paperasses,  des  lettres  précieuses,  des  livres  ouverts  : 
"  Voilà  la  boule. . .  Jette-la  par  la  fenêtre,  j'irai  la  chercher. 
Ça  sera  très  amusant,  tu  verras,  bien  plus  amusant  que  tes 
papiers,  tes  romans,  tes  drames  et  tes  journaux  ! .. .  " 

On  lançait  la  boule  par  la  fenêtre. . .  Il  sortait. . .  Mais 
non,  on  l'avait  trompé,  le  bon  Pierrot!  Et  à  peine  était-il 
dehors,  que  la  boule  prenait  place  sur  la  t^ble,  en  serre-pa- 
pier. Pierrot,  au  dehors,  cherchait,  cherchait. . .  Puis,  reve- 
nant sous  les  fenêtres  :  *'  Eh  !  là-haut  !  l'homme  aux  pa- 
piers !  Ouah  !  ouah  !  Voilà  qui  est  un  peu  fort  !  Je  ne  trouve 
rien  !  C'est  donc  qu'elle  n'y  est  pas. . .  Si  un  passant  ne  l'a 
pas  prise,  alors,  pour  sûr,  tu  l'as  gardée  !  " 

Il  remontait,  fouillait  du  nez  dans  les  poches,  sous  les 
meubles,  dans  les  tiroirs  entr'ouverts,  puis  tout  à  coup,  de 
l'air  d'un  homme  qui  se  frappe  le  front,  il  vous  lorgnait  : 
"  Je  parie  qu'elle  est  sur  la  table  ! . . ."  On  se  gardait  bien  de 
parier  puisqu'elle  était,  en  effet,  sur  la  table. . .  D'un  coup 
d'oeil  intelligent,  il  avait  suivi  votre  regard. . .  Il  apercevait 


460  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

sa  boule. . .  Pour  la  cacher  encore,  on  l'enlevait  d'une  main 
brusque...  et  alors,  oh  !  alors,  bonsoir  le  travail!  C'étaient 
des  parties  de  gaieté  extravagantes  !  Il  sautait  après  la 
boule,  voulait  l'avoir  à  tout  prix,  suivait  vos  moindres  mou- 
vements, ne  vous  quittait  plus,  toujours  riant  de  la  queue. . . 
Avec  cela,  bon  gardien.  C'est  ce  qu'il  faut  à  la  cam- 
pagne. 

Il  me  faisait  souvent  penser  à  ces  hommes  métamorpho- 
sés en  chiens,  comme  on  en  voit  dans  les  contes  de  fée. 
L'oeil  était  d'une  humanité  tendre,  sprofonde,  implorante, 
et  disait  :  "Que  veux-tu.?  Je  ne  suis  que  ça  :  une  bête  à 
quatre  pattes,  mais  mon  coeur  est  un  coeur  humain,  meil- 
leur même  que  celui  de  la  plupart  des  hommes.  Le  mal- 
heur m'a  appris  tant  de  choses  !  j'ai  tant  souffert  !  je  souf- 
fre tant  encore  aujourd'hui,  de  ne  pouvoir  t'exprimer,  avec 
des  paroles  semblables  aux  tiennes,  ma  fidélité,  mon  dé- 
vouement ! . . .  Oui,  je  suis  tout  à  toi,  je  t'aime. . .  comme  un 
chien  !  Je  mourrais  pour  toi  s'il  le  fallait. . .  Ce  qui  t'appar- 
tient m'est  sacré. . .  Que  quelqu'un  vienne  y  toucher  et  l'on 
verra  !  " 

*\ 

Or,  nous  nous  brouillâmes  un  jour.  Ce  fut  un  gros  cha- 
grin. Les  gens  qui  croient  au  chien  aveuglément  me  com- 
prendront.    Voici  ce  qui  arriva  : 

La  cuisinière  avait  tué  deux  pigeons. 

— Je  les  mettrai  aux  petits  pois,  s'était-eUe  dit. 

Elle  alla  dans  une  pièce  voisine  chercher  une  corbeille 
où  jeter  les  plumes  de  ses  pigeons  à  mesure  qu'elle  les 
plumerait. 

Quand  elle  revint  dans  sa  cuisine,  elle  poussa  un  grand 
cri.  Un  de  ses  deux  pigeons  s'était  envolé  !  Elle  ne  s'était 
absentée  pourtant  que  quelques  secondes.  Un  mendiant 
sans  doute  était  passé  par  là,  avait  fait  main-basse  sur  l'oi- 
seau par  la  fenêtre  ouverte.  Elle  sortit  pour  chercher  le 
mendiant  imaginaire.  Personne.  Alors,  machinalement, 
elle  songea  :  "Le  chien!"  Et  aussitôt,  saisie  de  remords  : 
"Quelle  hoireur,  soupçonner  Pierrot!  Jamais  il  n'a  rien 
volé  !  Il  garderait,  au  contraire,  un   gigot  tout  un  jour  sans 


MENSONGE  DE  CHÏEN  Mil 

y  toucher,  même  ayant  faim  !. . .  Du  reste,  il  est  là,  Pierrot, 
dans  la  cuisine,  assis  sur  son  derrière — l'oeil  à  demi  fermé, 
bâillant  de  temps  à  autre  ;  il  s'occupe  bien  de  mes 
pigeons!" 

Pierrot  était  là,  en  effet,  somnolent,  avec  un  grand  air 
d'indifférence  !  Je  fus  appelé. . . 

— "  Pierrot  ?  "  Il  souleva  vers  moi  sa  paupière  appesan- 
tie. "  Eh  !  que  veux-tu,  mon  maître  }  J'étais  si  bien  !  Tiens, 
je  pensais. . .  à  la  boule  !  " 

— A  la  boule  }...  je  suis  de  votre  avis,  Catherine  ;  le  chien 
n'a  pu  voler  le  pigeon.  S'il  l'avait  volé,  d'abord,  il  serait 
en  train  de  le  plumer,  au  fond  de  quelque  fossé,  pour  sûr. 

— Regardez-le  pourtant,  Monsieur. . .  Ce  chien-là  n'est 
pas  chrétien. 

—Vous  dites .? 

— Je  dis  que  Pierrot,  en  ce  moment,  n'a  pas  l'air  franc. 

-^Regarde-moi,  Pierrot. 

Très  vite,  la  tête  un  peu  basse,  il  grommela  : 

— Est-ce  que  je  serais  ici,  bien  tranquille,  si  j'avais  volé 
un  pigeon  1  Je  serais  en  train  de  le  plumer  ! 

Il  me  servait  mon  argument.     Ceci  me  parut  louche, 

— Regarde-moi  dans  les  yeux,  comme  ça. . . 

— A  n'en  pas  douter,  il  feignait  l'indifférence! 

— Ah  !  mon  Dieu,  Catherine,  c'est  lui;  j'en  suis  sûr  î^c'est 
lui! 

Ce  que  j'avais  vu  dans  les  yeux  du  chien  était  pénible, 
affreusement  pénible  à  mon  coeur.  Je  vous  jure,  lecteur, 
que  je  suis  sérieux.. .  J'y  avais  vu,  distinctement,  un  "men- 
songe humain."  C'était  très  compliqué  !. . .  Il  voulait  mettre 
une  "fausse  apparence  de  sincérité  dans  son  regard,  et  il 
n'y  parvenait  point,  puisque  cela  est  impossible  même  à 
l'homme.  Ce  miracle  du  Malin  n'est,  dit-on,  possible  qu'à 
la  femme,  et  encore  ! 

Lui,  s'épuisait  en  efforts  vains.  Sa  volonté  profonde  de 
mentir  était,  dans  ses  yeux,  en  lutte  avec  la  faible  apparence 
de  sincérité  qu'il  parvenait  à  créer;  mais  ce  mensonge  ina- 
chevé était  plus  tristement  révélateur  qu'un  aveu  ! 

Je  voulus  en  avoir  le  coeur  net,  avoir  la  preuve. 


462  LA    REVUE    FRANCO- AMÉRICAINE 


* 


A  trompeur,  trompeur  et  demi. 

— Tiens,  lui  dis-je,  je  te  donne  ça  î . . . 

— Je  lui  offrais  le  pigeon  déparaillé.  .  .  Il  me  regarde,  son- 
geant :  "  Hum  !  ça  n'est  pas  possible  !  Toi,  tu  me  soupçon- 
nes, et  tu  veux  savoir  ?  Pourquoi  me  donnerais- tu  un  pigeon 
"  aujourd'hui  ?"  Ça  ne  t'est  jamais  arrivé  !  '  ' 

Il  le  souleva  dans  sa  gueule,  et  doucement,  tout  de  suite,  le 
remit  à  terre. 

Il  ajouta  :  "  Je  ne  suis  pas  une  bête  !  " 

— Enfin,  il  est  à  toi  !..  .  Puisque  je  te  le  dis  !..  .  Je  pense 
que  tu  aimes  les  pigeons  ?.  .  .  Eh  bien  !  en  voilà  un  !  Du  reste, 
j'en  avais  deux  :  il  m'en  fallait  deux  !.  .  .  Je  ne  sais  que  faire 
d'un  seul.  .  .  je  te  répète  qu'il  est  à  toi,  celui-ci.  .  ." 

Je  le  flattai  de  la  main,  en  songeant  : 

"  Canaille  !  voleur  !  tu  m'as  trahi  comme  si  tu  n'étais  qu'un 
homme  !  Tu  es  un  chien  perfide  !  Tu  as  menti  à  toute  une 
existence  de  loyauté,  grediu  !  '  ' 

A  haute  voix,  j'ajoutai  :  "  Oh  !  le  bon  chien  !  le  brave 
chien  !  l'honnête  chien  !  Oh  !  qu'il  est  beau  !  " 

Il  se  décida,  prit  le  pigeon  entre  les  dents,  se  leva,  et  s'en 
alla,  lentement,  non  sans  tourner  de  mon  côté  la  tête  plusieurs 
fois,  "  pour  voir  ma  pensée  véritable. 

Dès  qu'il  fut  dehors,  sur  la  terrasse,  je  fermai  la  porte  à 
claire- voie,  et  je  demeurai  à  l'épier. 

Il  fit  quelques  pas,  comme  résolu  à  aller  dévorer  sa  proie 
plus  loin,  puis  s'arrêta  de  nouveau,  posa  encore  son  pigeon  à 
terre  et  ''réfléchit  longtemps."  Plusieurs  fois  il  regarda  la 
porte  avec  son  œil  faux.  Puis  il  renonça  à  chercher  une  ex- 
plication satisfaisante,  se  contenta  du  fait,  ramassa  sa  proie  et 
s'éloigna...  Et  à  mesure  qu'il  s'éloignait,  la  queue,  timide  hé- 
sitante dans  ses  attitudes  depuis  notre  conversation,  devenait 
sincère  :  "  Bah  1  attrapons  toujours  ça!  Personne  ne  me  re- 
garde ?  Vive  la  joie'  !  Qui  vivra,  verra  !  " 

Je  le  suivis  de  loin  et  je  le  surpris  en  train  de  creuser  dans 
la  terre  un  trou  avec  ses  deux  pattes,  très  actives.  I^e  pigeon 
que  je  lui  avais  offert,  traîtreusement,  était  à  côté  de  la  fosse.  .  . 
Je  grattai  la  terre  moi-même,  tout  au  fond...  Le  premier  pi- 
geon était  là,  volé  !  habilement  caché  ! 


MENSONGE  DE  CHIEN  463 

J'étais  navré.  Mon  ami  Pierrot,  revenu  aux  instincts  de 
ses  congénères,  les  renards  et  les  loups,  enterrait  ses  provi- 
sions.    Mais,  animal  domestique,  "  il  avait  appris  à  mentir  !" 

Je  fis,  sous  les  yeux  du  menteur,  un  paquet  des  grosses 
plumes  de  mes  deux  pigeons,  et  je  déposai  ce  plumeau  sur  ma 
table  de  travail. 

Et  quand  Pierrot  m'apportait  la  boule,  en  disant  d'un  air 
dégagé  :  "  Eh  bien  !  voyons,  ne  pense  plus  à  ça,  jouons  !  " 
j'élevais  le  petit  balai  de  plumes.  .  .  et  Pierrot  baissait  la  tête.  .  . 
la  queue  se  rabattait  honteuse,  se  collait  à  son  pauvre  ventre 
frémissant.  .  .  La  boule  lui  tombait  des  dents  !  "  Mon  Dieu  ! 
mon  Dieu  !  tu  ne  me  pardonneras  donc  jamais  !  " 

— Tu  ne  m'aimais  pas,  lui  dis-je  un  matin,  non,  tu  ne  m'ai- 
mais pas,  puisque  tu  m'as  trompé,  et  si  savamment  ! 

Je  ne  sais  qui  me  répondit,  avec  bonne  humeur  :  "  Mais  si, 
mais  si,  mon  cher,  il  vous  aimait  !  et  il  vous  aime  encore  sin- 
cèrement... mais  que  voulez- vous  ?  Il  aimait  aussi  le  pigeon  !... 
Il  est  bien  assez  puni,  maintenant,  allez  ! 


Je  saisis  le  petit  balai  de  plumes,  et  pourtant  Pierrot  n'eut 
pas  peur. — "  Tu  le  vois,  lui  dis-je  pour  la  dernière  fois.  Pé- 
risse le  souvenir  de  ta  faute  !"  Je  jetai  l'objet  dans  le  feu. 
Pierrot,  gravement  assis,  le  regarda  brûler.  .  .  puis,  sans  éclat 
de  joie,  sans  sauts  ni  bonds,  noblement,  simplement,  il  vint 
m'embrasser.  .  .  Quelque  chose  d'infiniment  doux  gonfla  mon 
cœur.     C'était  le  bonheur  de  pardonner. 

Et  tout  bas,  mon  chien  me  disait  :  "  Je  le  connais,  ce  bon- 
heur-là. .  .  Que  de  choses  je  te  pardonne,  moi,  sans  que  tu  le 
saches  !" 

Jean  Aicard, 
de  V Académie  française^ 


A 


nos  abonnes 


La  Revue  Franco- Américaine  termine,  avec  le  présent 
numéro  sa  quatrième  année  de  publication.  Pour  ceux  qui 
connaissent  ce  que  coûte  une  publication  de  ce  genre,  qui 
savent  les  embarras  qu'il  faut  surmonter,  qui  soupçonnent 
les  embûches  de  toutes  sortes  tendues  contre  les  publications 
vraiment  courageuses,  patriotiques  et  libres,  pour  tous  ceux- 
là  quatre  années  d'existence  ininterrompue  c'est  un  succès 
colossal.  Mais  nous  avons  fait  plus  que  d'exister,  nous  avons 
grandi. 

Aussi  croyons- nous  que  nous  devons  profiter  de  toutes  les 
occasions,  d'en  imaginer  au  besoin,  pour  dire  à  nos  fidèles 
combien  nous  leur  sommes  reconnaissants.  Je  le  disais,  au 
commencement  de  l'année,  nous  avons  fini  par  former  une 
sorte  de  famille  réunie  par  les  liens  les  plus  étroits.  ^ 

Nous  acheminant  vers  un  même  but,  épris  des  mêmes 
idéaux,  si  nous  avons  quelquefois  mérité  le  ieproche  de  cer- 
tains de  nos  amis  ce  ne  fut  toujours  que  sur  les  moyens  em- 
ployés pour  atteindre,  et  jamais  sur  l'opportunité  des  luttes  à 
entreprendre.  On  rendra,  je  crois,  ce  témoignage  à  notre 
journal  qu'il  a,  depuis  quatre  ans,  jeté  quelque  lumière  sur 
certaines  questions,  qu'il  a  arraché,  peut-être  avec  un  peu  de 
violence,  au  gré  d'un  petit  nombre,  quelques  masques 
chifionné  quelques  panaches  et  vengé,  dans  tous  les  cas, 
la  vérité,  le  droit,  le  sens  communs  outragés. 

Dans  bien  des  cas  nous  avons  dû  prêter  une  oreille  indiffé- 
rente aux  conseils  que  nous  donnaient  de  braves  chevaliers 
retirés  sous  leur  tente.  Nous  n'avons  pas  voulu  acheter  une 
victoire — d'ailleurs  fort  problématique — en  prenant  des  at- 
titudes de  vaincus.  Notre  droit  a  subi  trop  d'assaut  de  la 
part  d'ennemis  cachés,  de   la   part  des  stratégistes  de  l'ombre, 


A  NOS  ABONNÉS  465 

pour  qu'il   espère  jamais  triompher  autrement  qu'au  grand 
jour. 

On  nous  prouvera  peut-être  que  nous  nous  sommes  trom 
pés  ;  il  sera  plus  difficile   de  trouver,   en  tenant  compte  des 
circonstances,  du  nombre   et   du   caractère  de  nos  adversaires 
que  beaucoup  d'autres,  à  notre  place,  auraient  pu  faire  mieux. 

Nous  avons  fait  notre  possible,  tout  notre  possible,  et  en  le 
faisant  nous  avons  éprouvé  la  satisfaction  d'avoir  conscien- 
cieusement rempli  tout  notre  devoir. 

Pourrons-nous  exiger  davantage  ? 

Sans  doute,  et  je  le  disais  plus  haut,  certains  de  nos  amis 
ont  pu  croire  que  nous  exagérions  ;  s'ils  veulent  nous  relire, 
il  s'apercevront  que  les  faits  n'ont  jamais  tardé  à  établir  le 
bien-fondé  des  assertions  que  nons  avions  faites.  D'autres, 
faciles  à  influencer  par  les  circonstances  de  temps  et  de  lieux, 
ont  cru  devoir  se  débarrasser  de  la  tyrannie  de  l'idée  que 
nous  leurs  teinons  constamment  devant  les  yeux.  Comme  la 
petite  chèvre  de  M.  Seguin,  ils  ont  voulu  gravir  les  hauteurs 
escalader  la  montagne  où  l'air  leur  paraissait  plus  vivifiant 
C'est  là  que  le  loup  les  attend  et  les  mangera  ! 

Pour  ce  qui  est  de  la  Revue,  elle  continuera  son  œuvre, 
avec  le  même  courage,  avec  la  même  persévérance.  Elle  no 
doit  pas  moins  aux  quelques  milliers  d'abonnés  qui  l'ont  en- 
couragée et  qui,  Dieu  merci,  lui  restent  fidèles. 

Elle  compte  même,  avec  sa  cinquième  année  qui  commen- 
cera le  mois  prochain  mettre  à  exécution  certains  projets 
d'amélioration  assez  importants.     On  verra  bien. 

En  attendant,  elle  rappelle  à  tous  que  les  abonnements 
sont  renouvelables  le  premier  mai. 

J.  L.  K.-Laflamme 


Revue  des  faits  et  des  oeuvres 


Un  monument  à  La  Vérendrye. 

On  va  élever  un  monument  à  La  Vérendrj^e,  '  '  le  découvreur 
du  Manitoba  et  des  immenses  plaines  qui  s'élèvent  jusqu'aux 
montagnes  Rocheuses."  Ce  monurtient  qui  va  s'élever  à  St- 
Boniface,  Mgr  Taché  de  sainte  et  patriotique  mémoire,  y  avait 
songé.  En  1877,  nous  disent  les  "  Cloches"  il  avait  réservé 
un  terrain  qu'il  changea  plus  tard  pour  un  site  plus  convenable, 
en  face  de  l'ancienne  académie  Provencher.  Le  24  juin  1886,  il 
bénit  solennellement  les  pierres  destinées,  dans  sa  pensée,  à 
former  la  base  du  monument.  Elles  y  sont  encore  et  attendent 
la  colonne  et  la  statue  rêvées  par  le  grand  archevêque. 

Voilà,  en  peu  de  mots,  le  projet  que  nous  annoncent  les 
"  Cloches  '  '  et  que  vient  de  reprendre,  après  un  quart  de  siècle, 
la  **  Société  Historique  de  Saint-Boniface."  Un  comité  a  été 
chargé  de  prélever  des  fonds.  C'est  le  "  comité  du  monument 
de  La  Vérendrye,"  dont  M.  Joseph  Lecompte  est  le  président 
et  M.  l'abbé  Denj^s  Lamy  est  le  secrétaire-trésorier. 

On  saura  donc  à  qui  adresser  les  sou.scriptions  que  nous  re- 
commandons d'envoyer  très  nombreuses  et  substantielles. 

Le  '  *  Cloches  '  '  nous  donnent  une  courte  mais  intéressante 
esquisse  biographique  du  grand  découvreur  de  l'Ouest  canadien. 
Nous  en  citerons  les  principaux  passages  : 

"  Né  aux  Trois- Rivières  le  17  novembre  1685,  Pierre  Gaul- 
tier de  Varennes,  sieur  de  La  Vérendrye,  commença  ses  expé- 
ditions vers  l'Ouest  en  1731  et  les  continua  les  années  suivan- 
tes en  établissant  des  forts  au  fur  et  à  mesure  qu'il  pénétrait 
plus  avant  dans  les  prairies  vierges.  En  1742,  il  envoya  deux 
de  ses  fils  explorer  l'extrême  Ouest.  Ceux-ci  se  rendirent 
jusqu'aux  montagnes  Rocheuses,  dont  ils  escaladèrent  les  pre- 
miers contreforts.  L'intrépide  découvreur  poursuivit  .ses  tra- 
vaux jusqu'en  1744,  époque  à  laquelle  il  fut  contraint,  faute 
de  ressources  et  par  suite  d'intrigues  de  ses  ennemis,   de  les 


revije  des  faits  et  des  œuvres  467 

abandonner,  après  y  avoir  consacré  les  treize  meilleures  années 
de  sa  vie.  Ses  découvertes  lui  avaient  coûté  une  fortune  per- 
sonnelle et  le  sang  de  l'un  de  ses  fils,  massacré  par  les  farou- 
ches Sioux  en  1736,  en  même  temps  que  le  P.  Aulneau,  de  la 
compagnie  de  Jésus,  et  dix-neuf  Français.  Son  neveu  La 
Jemmeraye  était  aussi  mort  victime  de  son  dévouement  la 
même  année  que  les  martyrs  de  l'Ile- au- Massacre. 

"  A  l'instar  de  Christophe  Colomb,  La  Vérendrye  ne  re- 
cueillit de  son  vivant  que  des  misères  et  de  l'ingratitude.  Ses 
plus  pures  intentions  furent  indignement  travesties,  et  la  cour 
de  France  ne  reconnut  que  très  tard  et  qu'imparfaitement  son 
intégrité  et  ses  mérites.  Elle  lui  accorda  en  1748  la  croix  de 
l'ordre  militaire  de  Saint-Louis  et  le  promut  au  grade  de  capi- 
taine. Il  ne  devait  pas  jouir  longtemps  de  ces  honneurs.  Il 
mourut  six  semaines  après  à  Montréal,  au  moment  où  il  se 
préparait  à  reprendre  le  chemin  de  l'Ouest.  Sa  dépouille  mor- 
telle fut  déposée  dans  les  cavaux  de  l'église  Notre-Dame." 

Le  comité  du  monument,  dans  la  superbe  proclamation  où 
nous  venons  de  découper  ce  qui  précède,  fait  un  appel  chaleu- 
reux à  la  générosité  de  nos  compatriotes  : 

*'  Aussi,  nous  avons  la  ferme  confiance  que  notre  appel  sera 
entendu  des  rives  du  Saint- Laurent  comme  de  toutes  les  plai- 
nes où  habitent  des  frères  de  La  Vérendrye  ;  des  villes  opu- 
lentes comme  des  plus  modestes  villages  où  se  conserve  pieuse- 
ment le  culte  de  nos  gloires  nationales.  Les  groupes  français 
de  l'Ontario  et  des  provinces  maritimes,  qui  luttent  comme 
nous  pour  étendre  et  développer  leur  influence,  seront  heureux 
de  s'associer  à  leurs  frères  de  Québec,  tandis  que  tous  les  des- 
cendants de  sang  français  de  l'Ouest  se  feront  un  devoir  de 
donner  un  exeuple  décisif  à  ceux  qui  les  entourent  et  vou- 
dront bien  à  l'occasion  leur  tendre  la  main  pour  assurer  le 
succès  de  la  grande  œuvre.  Inutile  de  déclarer  que  nous  som- 
mes tenus  en  honneur  d'ériger  un  monument  digne  du  héros  et 
de  l'idée  qu'il  représentera.  Il  y  aura  donc  du  travail  pour 
tous  et  pour  chacun. 

'  '  Nous  adresserons  prochainement  un  appel  spécial  à  la 
vieille  France.  La  Vérendrye  fut  l'une  des  gloires  de  la  domi- 
nation française  au  Canada.     C'est  au  nom  du  Christ  qu'il 


468  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

planta  la  croix  dans  nos  plaines,  et  au  nom  du  Roi  très  chré- 
tien qu'il  en  prit  possession,  en  y  arborant  le  drapeau  fleurde- 
lisé. 

*  *  Nous  déclarons  donc  ouverte  la  liste  de  souscriptions  pour 
le  monument  de  La  Vérendrye.  Qu'on  veuille  bien  adresser 
toute  offrande,  si  minime  soit-elle,  au  secrétaire-trésorier  qui  en 
accusera  dûment  réception." 

**  Avez-vous  des  enfants?  " 

Vous  a-t-on  posé  cette  question,  au  Canada,  un  jour  que 
vous  faisiez  la  chasse  aux  logis  ?  Sans  doute.  Il  y  a,  chez 
vous,  des  gens  qui  vous  louent  leur  maison  à  la  condition  que 
vous  l'habitiez  le  moins  possible.  Il  y  en  a  aussi  à  Paris,  ce  qui 
fournit  à  M.  Antoine  Redier,  directeur  de  la  "  Revue  Fran- 
çaise," un  article  vengeur  que  j'ai  lu  avec  délices,  et  dont 
je  vais  vous  citer  les  principaux  passages  : 

'  '  Doux  pa3's.     Ainsi  la  société  est  organisée  maintenant  de 
telle  façon  que  les  familles  nombreuses,    à  qui  jadis  allaient 
tous  les  respects,  sont  maltraitées,  honnies,  rejetées  comme  un 
fléau  public.     On   les   écarte,   parce  qu'elles  sont  une  gêne. 
Vous,  qui  n'avez  pas  d'enfant,   qui  n'avez  pas  voulu  en  avoir 
ou  qui  n'en   avez  qu'un,  parce  que  vous  êtes  égoïste  et  que 
vous  aimez  d'abord  votre  bien-être  et  votre  tranquillité,  il  ne 
vous  suffît  pas  de  bannir  les  enfants  de  votre  propre   foj-er. 
vous  entendez  encore  que  les  autres  foyers  soient  vides  comme 
le  vôtre.  Voilà  où  nous  en  sommes  !  On  a  tout  supprimé,  sauf 
les  appétits.     Le  goût  des  jouissances  matérielles  est  la  seule 
loi  qui  régisse  encore  notre  civilisation  démocratique.     Triste 
loi,  qui  conduira  rapidement  les  peuples  à  la  ruine  !   Certes  les 
enfants  sont  une  gêne.     Ils  donnent  des  joies,   mais  on  les 
paie  cher  et  nos  femmelettes  et   nos   égoïstes  ne  veulent  point 
s'encombrer  de  soucis.     Il  leur  faut  du  bonheur  tout  de  suite. 
Ils  sont  comme  ces  malheureux  qui  détruisent  les  forêts  ances- 
trales  pour  vendre  beaucoup  de  bois  et  mener  la  grande  vie. 
Autrefois  on  plantait  des    arbres,  en  songeant   aux  enfants, 
aux  arrière-petits-enfants,  qui  vivraient  sous  leur  ombre.     On 
travaillait  ferme  tandis  qu'on  était  jeune  et,  la  vieillesse  venue, 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  469 

on  recueillait  le  fruit  de  ses  peines  quelquefois.     En  tout  cas, 
on  goûtait  le  bonheur  d'avoir  fait  son  devoir. 

"  De  même,  quand  on  avait  fait  souche  d'une  belle  lignée, 
on  se  complaisait  à  voir  pousser  les  enfants  de  ses  enfants  et 
c'étaient  là  des  joies  pures  qui  faisaient  oublier  tous  les  soucis 
qu'on  avait  connus  à  son  entrée  en  ménage.  La  vie  était  plus 
belle  alors,  croyez-le  et,  si  je  radote  en  vous  disant  tout  cela, 
mes  radotages  ont  du  bon  et  je  n'en  rougis  point.  J'aime 
mieux  écrire  cela  que  de  vous  parler  du  dernier  scandale. 

Ainsi  cette  famille  Husson,  chassée  de  partout  par  des  lo- 
geurs sans  entrailles,  en  fut  réduite  à  essayer  de  s'installer 
aux  Tuileries.  Il  est  bien  dommage  que  ce  vSoit  M.  Cochon 
qui  ait  eu  à  s'occuper  de  ces  braves  gens. 

"  M.  Cochon  gardera  donc  son  nom  et  continuera  à  se  dé- 
penser pour  les  locataires  malheureux.  Il  a  bien  fait  de  s'in- 
tééeSvSer  à  la  famille  Husson  et  nous  devons  tous  méditer  sur 
ce  drame,  auquel  il  a  été  mêlé.  Nous  devons  nous  imposer  le 
devoir  de  réagir  contre  l'état  d'esprit  abominable  de  nos  con- 
temporains. Et,  pour  commencer,  il  y  a  une  discipline  que 
nous  devrions  tous  nous  imposer  :  c'est  de  ne  jamais  laisser 
passer  devant  nous,  sans  protester,  un  de  ces  mille  propos 
qu'on  entend  maintenant  chaque  jour,  même  dans  les  meilleurs 
familles,  sur  l'ennui  d'élever  des  enfants,  sur  la  joie,  égoïste 
et  monstrueuse,  de  n'en  point  avoir. 

"  Et  pour  finir  ce  sermon,  je  vous  dirai  que  je  connais 
quelqu'un  qui  sera  fort  embarrassé,  c'est  le  magistrat  qui  pré- 
sidera l'audience  où  comparaîtra  le  sieur  Cochon,  si  on  en 
vient  à  le  jeter  devant  les  tribunaux.  Je  voudrais  être  là 
quand,  obligé  de  l'interpeller,  il  n'aura  pas  la  ressource,  qui 
nous  sauve  tous  en  pareil  cas,  de  dire  :  Monsieur  Cochon.  Je 
voudrais  être  là  quand  il  prononcera  : 

— Cochon,  levez- vous  !" 

L'obole  de  la  veuve. 

Je  reçois  le  touchant  billet  que  voici  : 

•'  L'obole  de  la  veuve  peut-elle  se  répéter  ? 

"  Mais  oui  !  Veuillez  écouter  le  trait  suivant.  Il  y  a  peu 
de  jours,  la  Supérieure  d'une   Congrégation    de  Mission- 


470  LA    REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

naires  recevait  d'un  prêtre  un  court  billet  dont  voici' la 
substance:  "Madame,  je  vous  prie  de  trouver  inclus  $1.00 
que  m'a  remise  une  pauvre  femme  très  malade  et  mar- 
chant évidemment  à  la  mort.  En  me  la  confiant,  elle  m'a 
dit  :  "C'est  ma  dernière,  je  voudrais  l'offrir  pour  (telle  Mis- 
sion) ",  et  le  prêtre  ajoutait  :  Je  n'ai  point  peine  à  croire 
que  c'est  l'exacte  vérité." 

"  Alors  il  est  donc  vrai  que  de  la  générosité,  de  l'excel- 
lence, de  l'héroïsme  du  don,  toujours  le  pauvre  conservera 
la  palme. 

"  Et  comme  les  riches,  comme  les  heureux  du  monde 
semblent  peu  soucieux  de  la  lui  disputer  ! 

"  Ils  sont  légion  ceux  qui  trouveraient  profit  à  creuser 
ce  problème  et  qui,  pourtant,  négligent  ou  dédaignent  de 
s'y  arrêter  : 

"  N'avoir  rien  ou  peu  de  chose  et  donner  avec  joie,  sans 
même  vouloir  se  souvenir  de  l'héroïque  aumône  prise  sur  le 
nécessaire... 

"  Avoir  beaucoup,  donner  très  peu  et  garder  si  durable 
mémoire  des  quelques  bribes  arrachées  à  son  superflu,  sou- 
vent par  la  vanité,  par  le  désir  de  paraître. . . 

"  Puis,  dire  que  cet  égoïsme  et  cet  endurcissement  si  humi- 
liants, si  dangereux,  sont  chez  la  plupart  le  produit  de  l'es- 
prit de  lucre,  de  la  passion  de  l'argent  que  trop  de  gens  re- 
cherchent avec  une  ardeur  inlassable,  quand  personne,  ou 
à  peu  près,  n'a  la  prudence  de  s'en  méfier. 

"  Et  demandons-nous, — la  question  en  vaut  la  peine, — 
pourquoi  l'amour  des  richesses  signalé  par  l'expérience  des 
siècles,  par  la  sagesse  antique,  par  l'enseignement  formel 
de  l'Evangile,  comme  la  plus  redoutable  épreuve  que  puisse 
subir  la  créature  mortelle,  est-il  devenu  le  but  ultime,  le 
grand  amour  terrestre  ? 

"  Douloureuse  énigme  de  la  destinée  de  l'homme  !  Su- 
prême misère  du  coeur  humain  !  " 

Un  exemple  à  suivre. 

Nous  recevons  de  l'association  commerciale  du  district 
de  Windsor,  Ontario,  copie  de  son  programme  que  nous 
nous  faisons  un  plaisir  de  le  reproduire  : 


REVUE  DES  FAITS  ET  DES  ŒUVRES  471 

1.  De  grouper  la  classe  dirigeante  parmi  la  population 
canadienne- française  de  cette  ville  et  du  district,  dans  le  but 
d'aider  au  relèvement  et  à  l'avancement  des  intérêts  commer- 
ciaux intellectuels  et  autres  de  la  race. 

2.  De  faire  aimer  et  respecter  la  langue  française  (une  des 
deux  langues  officielles  de  ce  pays)  d'abord  en  s'engageant  so- 
lennellement à  s'en  servir  à  l'avenir,  non  seulement  au  foyer, 
mais  publiquement  et  dans  le  commerce  autant  que  possible, 
ensuite  de  faire  des  instances  auprès  des  autorités  civiques  pro_ 
vinciales,  fédérales,  et  des  compagnies  d'utilités  publiques,  afin 
de  les  amener  à  donner  FAIR  PI^AY  sous  ce  rapport  à  une 
partie  importante  de  la  population  de  cette  partie  de  la  provin- 
ce d'Ontario. 

3.  D'encourager  le  développement  des  talents  artistiques  de 
notre  race,  ceux  qui  ont  des  aptitudes  particulières  pour  la  mu- 
sique, le  chant,  la  peinture,  la  sculpture,  etc. 

4.  De  coopérer  avec  tout  autre  corps  commercial  ou  autre 
de  ce  district  dans  tout  mouvement  tendant  à  l'avancement  et 
au  progrès  de  notre  ville  et  de  notre  comté. 

5.  D'établir  des  classes  du  soir  et  d'inviter  la  jeunesse  à 
venir  assister  à  ces  cours  techniques,  commerciaux,  etc.,  afin 
de  la  préparer  à  lutter  avantageusement  avec  les  autres  races 
qui  viennent  en  contact  avec  elle. 

6.  D'encourager  le  rapatriement  des  Canadiens- Français 
des  Etats-Unis,  l'immigration  française  et  belge,  et  d'inviter 
cordialement  nos  compatriotes  de  la  province  de  Québec  à  venir 
fonder  des  succursales  de  leurs  institutions  dans  cette  partie 
du  paj^s. 

7.  D 'inviter  des  conférenciers  distingués  à  venir  donner  des 
conférences  aux  membres  de  cette  association,  sur  divers  sujets 
instructifs. 

8.  D'aspirer  et  faire  des  efforts  continuels  pour  la  construc- 
tion d'un  ''Monument  National"  dans  un  avenir  aussi  rappro- 
ché que  possible. 

9.  De  faire  connaître  les  avantages  de  la  coopération  et 
d'inciter  les  membres  et  autres  à  s'associer  ensemble  pour  l'ex- 
ploitation d'entreprises  industrielles,  commerciales,  agricoles, 
etc. 


472  LA   REVUE    FRANCO-AMÉRICAINE 

10.  De  donner  à  nos  enfants  une  éducation  bilingue  '  coû. 
te  qui  coûte",  pour  leur  plus  grand  bien  et  celui  de  notre  cher 
"Canada";  considérant  que  la  propagation  de  notre  langue 
est  la  plus  sûre  garantie  de  l'intégrité  politique  de  notre  patrie. 

1 1 .  D'encourager  et  de  protéger  de  toutes  nos  forces  nos 
vSociétés  nationales  et  de  secours  mutuels. 

12.  D'ajouter  d'autres  questions  à  notre  programme  au  fur 
et  à  mesure  que  les  circonstances  l'exigeront. 

13.  De  faire  et  d'agir  en  sorte  que  cette  association  soit  le 
modèle,  la  lumière  et  l'inspiratrice  de  notre  élément  tout  en- 
tier dans  l'Ouest  d'Ontario. 

Léon  Kemner 


-:o:- 


La' politique  canadienne  et  les  Cana- 
diens-Français 


III.— NOTRE  AVENIR  POLITIQUE 

Le  lichen  le  plus  actif  poussé  sur  le  rocher  le  plus  aride 
doit  continuellement  sa  vie  à  la  Providence.  Alors,  de  quels 
soins  celle-ci  n'entoure-t-elle  pas  l'individu  raisonnable  dont 
la  destinée  est  comme  infinie  comparée  à  la  fin  du  lichen  ? 

Et  la  société  l'emportant  sur  l'individu,  parce  qu'elle  a  une 
plus  grande  personnalité  morale  et  qu'elle  est  une  seconde 
providence  à  l'individu,  n'est-il  pas  juste  de  croire  que  le  Roi 
des  nations  veille  avec  un  œil  plus  vigilant  sur  chaque  peuple, 
cette  famille  élargie,  constituée  par  la  communauté  de  langue, 
de  foi,  d'aspirations  ?  Or,  le  peuple  canadien-français  paraît 
être  le  peuple  choisi  de  Dieu,  son  peuple  gâté.  L'héroïsme  et 
la  sainteté  ont  protégé  son  enfance.  Son  adolescense  est  pai- 
sible et  pleine  de  promesses.  Il  n'y  a  pas  de  secousses  dans  sa 
vie,  pas  de  cette  névrose  qui  caractérise  la  jeunesse  de  certains 
peuples.  Il  grandit  d'une  poussée  irrésistible  malgré  les  obs- 
tacles, comme  ces  chênes  au  cœur  dur  et  fort  que  le  nombre 
des  arbres  d'essence  inférieure  au  milieu  desquels  ils  poussent 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS- FRANÇAIS    473 

n'étouffe  pas,  et  dont  les  racines  sont  d'autant  plus  vigoureu- 
ses et  profondes  que  le  terrain  est  de  pénétration  plus  difficile. 
La  mission  providentielle  de  la  race  française  en  Amérique 
est  devenue  un  lieu  commun.  Nous  y  croyons  comme  nous 
croyons  à  la  mission  de  l'Eglise  à  travers  le  monde.  Les  es- 
prits forts  peuvent  sourire  devant  l'exposé  de  ces  faits  et  de 
ces  théories.  Mais  passons.  Les  esprits  forts  sont  de  faibles 
esprits. 

Il  est  certain  que  les  peuples  ont  une  vocation,  comme  les 
individus,  vocation  plus  ou  moins  noble,  plus  ou  moins  glo- 
rieuse et  bienfaisante,  selon  les  aptitudes  intellectuelles,  mo- 
rales et  physiques  d'un  chacun.  Nous  nous  plaisons  à  croire 
que  les  Canadiens- Français  marqueront  profondément  le  sol 
du  Nouveau- Monde,  qu'ils  y  laisseront  la  trace  d'une  civilisa- 
tion supérieure  par  sa  législation,  sa  moralité,  ses  beaux-arts 
et  sa  littérature.  C'est  du  domaine  de  l'avenir.  Ne  craignons 
pas  de  placer  notre  idéal  trop  haut,  n'ayons  pas  peur  des 
étoiles.  La  grandeur  du  caractère  national  se  mesure  à  la 
hauteur  de  l'idéal  national. 

Le  citoyen  doit  ses  principaux  moyens  d'action  à  son  état 
civil.  Un  peuple  prend  ses  libertés  et  tire  son  influence  de  son 
état  politique.  Il  est  donc  du  plus  grand  intérêt  d'étudier 
l'avenir  politique  qui  nous  est  ménagé,  plutôt  celui  que  nous 
devons  en  conscience  nous  préparer,  car  il  doit  être  conforme 
à  notre  vocation.  La  question  n'est  pas  prématurée  ;  elle 
n'est  pas  même  nouvelle.  Il  importe  de  considérer  de  bonne 
heure  ce  grave  problème  de  notre  avenir,  dans  la  paix  du  mo- 
ment, afin  de  faire  en  quelque  sorte  l'éducation  des  énergies 
nationales,  de  les  discipliner  pour  faire  face  à  toutes  les  év^en- 
tualités. 

Jusqu'ici  la  politique  économique  du  pays  n'a  jamais  été 
très  tourmentée.  Les  grandes  batailles  livrées  autour  du  libre- 
échange  et  du  protectionnisme  ont  eu  pour  principal  but  la 
conquête  du  pouvoir.  Et  nos  gouvernements  se  sont  toujours 
montrés  libre- échangistes  ou  protectionnistes  modérés.  Les 
chemins  de  fer  ont  rencontré  chaque  fois  une  forte  opposition 
à  leur  projet  de  construction,  et  mis  en  opération,  ils  ont  été 


474  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

d'un  grand  secours  au  pays,  faisant  plus  pour  la  colonisation 
et  l'industrie  que  l'initiative  de  nos  gouvernants. 

Par  contre,  notre  politique  sociale  est  plus  agitée.  Elle  a 
des  moments  de  longue  accalmie,  et  d'autres  de  trouble. 

Il  n'y  a  pas  à  s'en  faire  un  m5^stère,  l'entente  des  deux 
races  est  plutôt  apparente  que  réelle.  Elles  se  tolèrent  parce 
qu'elles  se  craignent.  Elles  ont  accepté  l'Acte  de  l'Amérique 
Britannique  du  Nord  de  1867,  parce  que  les  Anglais  espéraient 
nous  assimiler  par  leurs  institutions  commerciales  et  l'immi- 
gration, parce  qu'encore  nous  y  voyions  la  garantie  de  tous 
nos  droits.  En  théorie,  on  accepte  notre  constitution  comme 
un  chef-d'œuvre.  En  pratique,  on  y  fait  de  larges  amputa- 
tions au  détriment  de  nos  droits  les  plus  incontestables. 

Nous  nous  faisons  une  guerre  de  gens  très  avancés  en  civili- 
sation, sans  cuirassés,  sans  canons,  sans  fusils.  A  peine  se 
donne-t-on  encore  parfois  quelques  coups  de  poing  dans  les 
comtés  des  provinces  anglaises  envahis  par  les  nôtres,  quand 
on  y  fait  des  élections  municipales  ou  qu'on  y  choisit  des  com- 
missaires d'école.  Nous  nous  battons  sur  des  textes  de  lois, 
sur  les  contradictions  de  la  jurisprudence.  La  lutte  se  fait  par 
l'industrie,  par  le  commerce,  par  les  compagnies  d'utilité  pu- 
blique, par  la  finance. 

Les  pro\^inces  anglaises  sont  protestantes.  Le  Québec  est 
français  et  catholique,  et  sesj!  enfants  qui  s'éloignent  veulent 
demeurer  français  et  catholiques.  C'est  un  fait  qui  est  la 
cause  de  tous  les  conflits.  Les  méthodistes  de  l'Ontario,  les 
presbytériens  des  Provinces  Maritimes,  les  baptistes  de  l'Ouest 
ont  .peur  du  flot  montant  du  catholicisme.  Pour  eux  le  péril 
canadien- français  est  plus  grand  que  le  péril  jaune  ou  le  péril 
juif.  Malgré  les  discussions  faites  pour  savoir  si  le  Canada 
fut  conquis  ou  cédé  en  1759,  ils  sont  convaincus,  eux,  que  les 
Canadiens-Français  ne  sont  encore  ni  conquis,  ni  vaincus.  En 
effet,  si  nous  avons  capitulé  à  Québec  et  à  Montréal  devant  le 
nombre  et  la  famine,  la  langue  française  et  la  religion  catholi- 
que ne  capituleront  jamais  au  Canada. 

La  population  anglaise  du  pays  parait  avoir  renoncé  com- 
plètement à  l'assimilation  du  Québec.  Elle  a  assez  de  se  dé- 
fendre contre  nous  dans  ses  propres  quartiers.     Et  là  encore. 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    475 

elle  agit  mollement  ne  pouvant  faire  plus.  Il  faut  admettre 
qu'en  certains  milieux,  surtout  dans  les  Provinces  Maritimes, 
le  fanatisme  d'autrefois  s'est  grandement  émoussé  ;  les  princi- 
pes de  tolérance  et  de  justice  ont  pris  le  dessus,  et,  fait  curieux, 
plus  chez  les  Anglais  protestants  que  chez  les  Irlandais  catho- 
liques. Evidemment,  la  sympathie  ne  se  commande  pas,  et 
les  bienfaits  ne  l'achètent  pas. 

Il  est  reconnu  par  tous  que  la  minorité  anglaise  du  Québec, 
jouit  de  toutes  les  libertés.  Elle  forme  presque  un  état  dans 
l'état.  Au  contraire,  il  n'est  pas  une  province  anglaise  où  la 
minorité  française  n'ait  souffert  de  quelque  injustice.  Le  "  fair 
play"  anglais  est  l'une  des  plus  grosses  farces  qu'on  ait  in- 
ventées. 

Au  Canada,  tout  divise  les  deux  races  :  les  guerres  passées 
qu'on  n'oublie  pas,  les  injustices  présentes,  les  différences  de 
religion  et  de  langue,  l'éducation  domestique  et  la  formation 
intellectuelle,  les  aspirations. 

Dans  les  campagnes  électorales,  les  orateurs  des  deux  partis 
et  des  deux  langues  se  gardent  bien  cependant  de  faire  des  sor- 
ties contre  le  groupe  hétérogène.  Ils  parlent  au  contraire  de 
bonne  entente,  de  conciliation,  de  tolérance.  On  pourrait 
même  reprocher  aux  nôtres  de  prêcher  trop  souvent,  surtout 
en  temps  de  crise  aigiie,  l'aplatissement  devant  la  majorité. 

Donc,  les  deux  races  ont  des  fins  '  différentes  ;  elles  suivent 
chacune  sa  voie.  L'une  ne  dominera  jamais  l'autre  au  Ca- 
nada. La  domination  française  n'est  pas  à  craindre,  et  per- 
sonne ne  rêve  d'un  empire  français  couvrant  toute  l'Amérique 
Britannique  du  Nord.  La  domination  anglaise  deviendrait  un 
fait  en  peu  de  temps  si  nous  continuions  à  souffrir  de  l'immi- 
gration et  si  nous  ne  formions  pas  un  troisième  parti  à  Ottawa, 
un  parti  nationaliste  franchement  canadien-français. 

Les  minorités  sont  fortes  quand  elles  ont  un  seul  corps  et 
une  seule  âme.  La  Pologne  a  fait  pleurer,  gémir,  combattre 
pour  sa  cause  tout  ce  que  le  monde  possédait  de  plus  géné- 
reux, mais  ses  divisions  et  ses  jalousies  domestiques  l'ont 
luinée.  Ayons  toute  la  générosité,  toute  l'émotivité  de  la  Po- 
logne au  service  de  la  liberté  religieuse  et  civile  ;  mais,  gar- 
dons-nous de  ses  vices. 


476  LA   REVUE   FRANCO- AMÉRICAINE 

Dans  les  conversations  privées  il  est  parlé  de  la  formation 
d'un  parti  catholique,  d'un  Centre.  Les  journaux,  même 
ouvertement  catholiques,  ne  se  pressent  pas  d'aborder  le  sujet. 
Les  Irlandais,  ceux  qui  sont  demeurés  catholiques,  nous  étant 
obstinément  antipathiques  et  d'ailleurs  relativement  peu  nom- 
nombreux  au  Canada,  ce  Centre  serait  composé  presque  exclu- 
sivement de  Canadiens- Français.     Parti  nationaliste  ou  Centre 

catholique,  ce  serait  la  même  chose. 

V. 

Le  nationalisme  seul,  sous  notre  constitution  actuelle,  peut 
nous  préserver  d'une  domination  qui  peut  devenir  facilement 
outrageante  et  lourde.  Autrement,  il  nous  faudra  sortir  de  la 
Confédération.  D'ailleurs,  il  vaut  mieux  que  nous  fassions 
cette  sortie  de  notre  propre  initiative  que  sur  l'invitation  des 
provinces  de  l'Ouest  ou  de  l'Ontario. 

Enrégimenter  tous  les  Canadiens-Français,  surtout  nos  po- 
liticiens, dans  un  parti  qui  sera  toujours  un  parti  de  défense  et 
jamais  un  parti  chef  de  gouvernement,  et  sous  la  conduite 
d'un  homme  qui  a  porté  de  rudes  coups  quoique  opportuns, 
c'est  un  travail  considérable  et  pénible  qui  n'apportera  aucun 
profit  à  ceux  qui  l'entreprendront,  mais  c'est  un  travail  qui 
nous  paraît  nécessaire.  Qu'on  fasse  d'abord  l'éducation  du 
peuple,  par  la  presse  et  par  la  parole,  sur  cette  grave  question 
de  défense  nationale.  Qu'on  traite  ensuite  comme  transfuges 
tous  ceux  qui  passeront  dans  l'autre  camp,  qui  traverseront  la 
barrière.  Ils  anront  la  liberté  de  "lâcher,"  nous  aurons  le 
droit  de  nous  en  souvenir. 

Mais,  objectera-t-on,  notre  rôle  à  Ottawa  se  limitera  donc  à 
protéger  les  droits  des  minorités,  à  faire  reconnaître  ceux  que 
l'on  a  méconnus,  à  veiller  à  l'impression  bilingue  des  actes  du 
gouvernement  ? 

Ce  sera  beaucoup  plus  qu'aujourd'hui,  puisque  notre  rôle, 
à  Ottawa,  au  point  de  vue  canadien- français,  est  à  peu  près 
nul.  On  y  veille  seulement  à  avoir  un  nombre  de  ministres  et 
d'employés  civils  plus  ou  moins  proportionnel  à  notre  popula- 
tion. Aucun  gouvernement  ne  négligera  les  intérêts  matériels 
dn  Québec  parce  qu'ils  sont  ceux  de  tout  le  Canada.  On  passe 
chez  nous  pour  aller  dans  l'Ontario  et  l'Ouest,  et  pour  en  sor- 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS   477 

tir.  I^e  jour  où  ces  provinces  uous  jalouseront  trop  fort  nous 
n'aurons  qu'à  établir  le  protectionisme  au  Québec  pour  leur 
rendre  immédiatement  la  raison.  Et  même  on  nous  rendrait 
service,  croyons-nous,  si  l'on  faisait  bande  à  part,  car  nous 
commencerions  de  travailler  à  notre  émancipation  économique. 

Lja  grande  tâche  du  moment  c'est  de  rompre  l'esprit  de  parti 
chez  nous,  et,  pour  5^  arriver,  de  renverser  les  ministères  à 
chaque  faute  qu'ils  commettront  contre  nous.  Quand  nos  gens 
seront  convaincus  qu'en  somme  ils  n'ont  pas  à  attendre  plus 
d'un  parti  que  de  l'autre,  ils  songeront  bien  à  s'unir  et  à  faire 
la  garde  de  leurs  intérêts.  C'est  alors  que  nos  concitoyens 
d'autres  races  nous  respecteront,  car  le  respect  vient  de  la 
crainte. 

En  tout  cas,  notre  nationalisme,  nécessairement  canadien- 
français  (il  ne  peut  pas  être  double),  doit  s'exercer  principale- 
ment au  Québec.  Le  Québec  doit  être  le  château-fort,  inex- 
pugnable, de  la  race  française  en  Amérique.  Nous  y  sommes 
en  grande  majorité,  mais  cela  ne  suffit  pas.  La  population  de 
la  province  serait  aujourd'hui  de  3,000,000,  dont  les  neuf 
dixièmes  canadiens-français,  si  nos  gouvernants  avaient  eu  le 
souci  de  retenir  ici  notre  population  et  de  favoriser  la  colonisa- 
tion plus  en  octrois  de  terres  et  d'argent  qu'en  paroles.  Nous 
pouvons  avoir  ces  3,000,000  dans  les  quinze  ans  à  venir.  Le 
rapatriement,  pour  atteindre  ce  chiffre,  qui  s'impose  est  celui 
de  nos  compatriotes  de  l'ouest  et  du  centre  des  Etats-Unis, 
cultivateurs  en  grand  nombre  et  les  plus  exposés  à  "la  fusion 
dans  les  bras  du  Moloch  américain.  Ceux-là  coloniseraient 
l'est  de  la  province,  et  nos  vieilles  populations  conquerraient 
le  nord.  Hâtons-nous  de  nous  emparer  des  terres  qui  bordent 
le  Transcontinental  si  nous  ne  voulons  pas  y  voir  dans  dix  ans 
une  population  européenne  hétérogène.  Au  lieu  d'aller  cher- 
cher dans  les  filatures  de  la  Nouvelle- Angleterre  ceux  des 
nôtres  qui  ont  laissé  jadis  le  sol  natal  trouvé  trop  inculte  pour 
les  lancer  dans  le  tourbillon  des  prairies  de  la  Saskatchewan, 
il  semblerait  plus  tratique  de  les  attirer  dans  nos  petites  villes 
dont  l'industrie  s'est  emparé  depuis  quelques  années.  Leur  ex- 
périence y  trouverait  un  travail  rémunérateur,  et  les  industriels 
ne  seraient  plus  forcés  de  vider  nos  campagnes. 


478  LA    REVUE    FRANCO -AMÉRICAINE 

lye  mystère  de  notre  politique  provinciale,  c'est  qu'il  est  en- 
core plus  difficile  de  décider  le  gouvernement  à  faire  de  la  colo- 
nisation pratique  que  de  faire  respecter  nos  droits  à  Ottawa. 
On  dirait  vraiment  que  le  ministère  à  Québec  est  dirigé  par  un 
groupe  de  spéculateurs  anglais  jaloux  de  l'expansion  de  notre 
race,  et  qui  savent  que  l'accroissement  de  notre  population  dé- 
pend de  notre  courage.  Et  nos  colons  sont  plus  courageux 
que  nos  députés.  Louis  Blanc  pensait  à  eux  quand  il  disait  : 
Il  n'y  a  que  la  misère  qui  soit  proli^que.  Le  colon  n'a  de  joie 
que  celle  de  voir  le  sourire  de  sa  femme  et  celui  de  ses  enfants- 
Il  multiplie  des  bras  qui  bientôt  achèveront' de  vaincre  la  forêt 
ou  la  friche.  Bientôt  la  paroisse  est  fondée,  avec  son  clocher, 
ses  magasins,  ses  petits  ateliers.  C'est  un  nouveau  débouché 
pour  le  commerce.  Les  physiocrates  ont  bien  le  droit  de  con- 
sidérer la  terre  comme  la  grande  source  de  toutes  les  richesses. 

Il  faudrait  faire  encore  de  l'exploitation  de  nos  forêts  et  de 
nos  pouvoirs  hydrauliques  une  œuvre  nationale.  Nous  ne  vou- 
lons pas  aborder  ici  le  nationalisme  économique,  mais  notons 
que  nous  avons  le  tort  de  n'y  penser  pas  assez. 

Quand  le  Québec  aura  doublé  sa  population,  quand  il  aura 
nationalisé  son  industrie  et  son  commerce,  il  pourra  attendre 
les  événements  politiques  et  les  diriger  même  sans  crainte. 

Il  est  à  prévoir  que  la  géographie  politique  de  l'Amérique 
du  Nord  sera  complètement  changée  dans  cinquante  ans. 

Déjà,  il  se  manifeste  au  Canada  des  courants  d'opinion  con- 
traires qui  cherchent  une  issue.  L'idée  annexionniste  a  perdu 
beaucoup  de  terrain  depuis  vingt  ans.  Mais,  elle  n'est  pas 
éteinte  dans  l'Ouest.  Cependant,  nous  ne  croyons  pas  qu'elle 
soit  une  menace.  Le  Canada  reconnaît  l'avantage  d'être  la 
possession  d'une  puissance  éloignée.  Le  joug  est  plus  léger, 
et  la  protection  est  aussi  grande. 

L'esprit  séparatiste  l'emporte  de  beaucoup  sur  l'esprit  annex- 
ionniste dans  l'Ouest.  Et  le  Manitoba,  la  province  centrale 
du  pays,  depuis  qu'il  possède  un  large  débouché  maritime  sur 
la  baie  d'Hudson,  penche  plus  à  l'Ouest  qu'à  l'Est.  On  peut 
donc  s'attendre  bientôt  à  une  grande  campagne  pour  demander 
la  vSortie  de  la  Confédération  et  former  une  sorte  de  Common- 
wealth  ou  d'Union  des  quatre  provinces.     Quelques  journaux 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE 'ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS    479 

-et  quelques  orateurs,  mécontents  contre  l'Est,  ont  fait  des  in- 
sinuations très  prononcées.  Rien  ne  s'oppose  à  ce  projet.  Le 
Manitoba,  la  Saskatchewan  et  l'Alberta  ont  des  richesses  agri- 
coles inépuisables.  La  Colombie  possède  en  grande  quantité 
des  minerais  riches  et  variés  ;  ses  p  êcheries  sont  abondantes, 
ses  pouvoirs  hydrauliques  considérables,  ses  forêts  remplies 
d'essences  supérieures.  Elle  deviendra,  par  son  industrie,  la 
pourvoyeuse  de  ses  trois  sœurs.  Servie  par  deux  mers,  la  nou- 
velle Union  fera  des  échanges  commerciaux  avec  l'Asie,  l'Aus- 
tralie l'Amérique  latine  et  l'Europe,  sans  négliger  ses  voi- 
sins, les  Etats-Unis  et  le  vieux  Canada. 

Les  intérêts  de  l'Est  sont  solidaires.  Tout  naturellement, 
pour  faire  contrepoids  à  l'Union,  il  faudra  revenir  à  la  Con- 
fédération de  1867,  l'Ile  du  Prince  Edouard  en  plus.  Ce  sera 
du  moins  la  première  pensée  des  Provinces  Maritimes,  trop 
faibles  pour  s'isoler,  et  du  Québec.  L'Ontario  réfléchira  grave- 
ment et  exigera  de  grosses  garanties  avant  de  consentir  à  rester 
dans  une  Confédération  ou  l'influence  française  sera  presque 
prépondérante.  La  lutte  pacifique  continuera  plus  vive  que 
jamais  entre  l'esprit  latin  et  l'esprit  saxon.  C'est  ici  que  se 
prouvera  la  réelle  supériorité  de  l'un  sur  l'autre,  aux  yeux 
ébahis  de  l'Europe.  Des  forces  vierges  seront  aux  prises. 
Nous  espérons  tromper  les  croyants  à  "  la  décadence  des  races 
latines,"  et  à  "la  supériorité  des  Anglo-Saxons." 

Nous  ne  rêvons  pas.  Il  faut  le  dire  aux  endormis  qui  ne 
voient  jamais  rien,  aux  découragés,  aux  cœurs  mous  incapa- 
bles de  tout  effort  vers  un  but  qui  n'est  pas  personnel  ;  à  ceux 
qui  croient  à  l'avenir  pour  décupler  leurs  énergies  et  les  invi- 
ter à  faire  raj^onner  leurs  convictions.  Rassurons-les  tous  par 
des  chiffres.  Us  parlent  fort  et  sont  toujours  compris  des  gens 
pratiques. 

Nous  comptons  pour  29  p.c.  dans  la  population  totale  du 
Canada,  pour  39  p.  c.  dans  l'Est,  pour  10  p.  c.  en  Ontario, 
pour  17  p.  c.  dans  les  Provinces  Maritimes. 

Considérons  les  victoires  passés  pour  supporter  celles  de 
l'avenir. 

Les  Anglais  avaient  jadis  occupé  Québec,  Montréal,  la  Gas- 
pésie,  la  vallée  de  l'Outaonais  et  les  Cantons  de  l'Est,  afin  de 


480 


LA    REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 


nous  étouffer  dans  une  ceinture  anglaise  et  de  nous  mordre  an 
cœur.     Voyons  leur  succès  par  le  petit  tableau  suivant  : 


Montréal 

Québec 

^Gaspésie 

Vallée 
de  (1) 
rOntaouais 

Cantons 
de 

l'Est  (2) 

Ang. 

Franc 

Ang. 

Franc 

Ang.  1  Franc 

Ang. 

Franc 

Ang. 

Franc 

1881 

37964 
60199 
72591 
68634 

4242 

1851 

31675 
50369 
82705 

26020 

56856 

99990 

163016 

17546 
18809 
18817 

24506 
40890 
56273 
57016 

V 

10292  12056 
11957  22495 
15015  32693 
16688  39540 

34066 

1871 
1891 
1901 

38374 
45914 
46408 

28871 
54539 
71387 

83705 
136319 

Nous  n'avons  pas  encore  les  détails  du  recensement  de  191 1, 
ni  sous  la  main  quelques-uns  du  précédent.  Mais  il  appert 
évidemment  par  les  chiffres  cités  que  nous  avons  une  force  assi- 
milatrice  et  délogeante  extraordinaire.  En  1850  la  population 
anglaise  de  toute  la  province  est  de  50  pour  cent  de^la  popula- 
tion totale,  en  19 10  elle  n'est  plus  que  de  20  p.  c.  Montréal 
est  aux  trois  quarts  français  et  deviendra'  sous  peu  la  deuxième 
ville  française  du  monde. 

En  1831  nous  comptions  pour  10  p.  c.  dans  les  Cantons  de 
l'Est,  aujourd'hui  nous  comptons  pour  plus  de  75  p.  c.  Alors, 
.si  nous  sommes  150,000  dans  les  Provinces  Maritimes,  c'est-à- 
dire  17  p.  c.  de  la  population  totale,  pourquoi  n'j^  serions-nous 
pas  la  majorité  en  1950? 

Nous  sommes  pleinement  convaincus  que  l'Acadie  et  l'Ile 
Saint- Jean  redeviendront  françaises.  Le  sang  de  nos  martyrs 
et  les  pleurs  de  nos  déportés  n'ont  pas  fécondé  ce  sol  pour 
qu'il  appartienne  définitivement  à  des  étrangers. 

Laissons  l'Ouest  aux  Anglo-Saxons  ;  laissons- leur  même 
l'Ontario  en  entier.     Mais,  le  reste    est  à  nous  depuis  1535. 


(1)  Côté  nord  seulement  :  Ârgenteuil,  Ottawa   (Labelle  et  de  Wright) 
Pontiac. 

(2)  Arthabaska,  Brome,  Compton,   Drummond,   Mégantic,  Missiquoi, 
RiclimonJ,  Shefford,  Sherbrooke,  Stanstead,  Wolfe. 


LA  POLITIQUE  CANADIENNE  ET  LES  CANADIENS-FRANÇAIS   4M 

Le  jour  où  la  Confédération  de  l'Est  et  l'Union  de  l'Ouest 
se  détacheront  de  l'Empire  britannique,  sans  secousse  vio- 
lente, souhaitons-le,  les  Canadiens-Français  occuperont  tout 
le  territoire  compris  sur  le  versant  nord  de  l'Ontaouais  de- 
puis le  lac  Témiskamingue  et  la  baie  d'Hudson,  et  sur  les 
deux  rives  du  St-Laurent  depuis  le  lac  St-François  et  la 
ligne  45e  jusqu'à  l'Atlantique,  y  comprenant  cette  partie  du 
Maine  enlevée  par  le  traité  d'Ashburton  (1842). 

Les  minorités  françaises  de  l'Ouest  et  de  l'Ontario,  et 
celles  des  Etats  du  Sud,  républiques  ou  royaumes  sortis  des 
Etats-Unis,  formant  des  groupes  forts  cependant,  serviront 
à  maintenir  la  paix  entre  les  sept  ou  huit  Etats  qui  se  divi- 
seront l'Amérique  du  Nord, 

Les  Canadiens-Français  auront  formé  le  royaume  du  Ca- 
nada ou  de  Laurentie.  Canadiens,  tout  court,  ou  Lauren- 
tiens,  mais  Latins  toujours,  ils  seront  sur  le  continent  nord- 
américain,  les  héritiers  de  l'Europe  civilisée,  défendant  par- 
tout la  justice  et  la  foi  chrétienne. 

Louis  Gerenval. 


-:o:- 


Sur  la  ligne  du  Grand-Tronc- Pacifique 


Les  principaux  officiers  du  Grand-Tronc-Pacifique  viennent 
de  recevoir  une  lettre  envoyée  par  un  artiste  distingué]de  New- 
York,  qui  est  de  retour  d'un  voyage  aux  environs  des  monta- 
gnes Rocheuses,  sur  la  ligne  du  Grand-Tronc-Pacifique.  '  '  J 'ai 
traversé  la  Pointe  d'acier  sur  la  ligne  du  Grand-Tronc- Pacifi- 
que, de  là  prenant  la  direction  du  lac  Maligne,  où  j'ai  trouvé  le 
plus  beau  lac.  J'ai  fait  un  vo3^age  agréable,  et  j'ai  pris  plu- 
sieurs croquis.  De  retour  je  m'arrêtai  à  Waiuright,  pour  chas- 
ser le  canard  dans  différentes  directions  et  je  fus  très  satisfait. 
L'année  prochaine  j'espère  être  capable  d'y  retourner  plus  tôt 
que  l'année  dernière  afin,  d'avoir  le  temps  d'examiner  d'une 
manière  plus  détaillée  votre  magnifique  contrée. 


Les  deux  Filles  de  Maître  Bienaimé 


(SCENES       IMORIVfA.NDES) 

PAR 

Marie  Le  Mière 


(Suite) 


Parlant  très  haut,  avec  des  gestes  violents,  elle  reculait 
vers  la  fenêtre  ;  Mathilde  la  vit  se  coller  contre  les  vitres, 
s'accrocher  à  la  poignée,  évoquant  un  oiseau  qui  se  meurtrit 
follement  aux  barreaux  de  sa  cage. 

— Que  tu  es  enfant  !  soupira  l'aînée,  de  cette  même  voix 
profonde,  mouillée  par  toutes  les  larmes  retenues.  ïu  ne  l'as 
donc  jamais  regardé,  celui  qui  te  demande  ?  Tu  ne  le  vois 
donc  pas  comme  il  est,  si  bon  chrétien,  si  intelligent.  Et  il 
t'aime,  il  t'aime.  .  répéta-t-elle,  les  yeux  dans  la  nuit  déso- 
lée .  .  Oh  !   Léa  ! 

— Je  suis  maîtresse  de  mon  coeur  !  déclama  la  jeune  révol- 
tée eu  levant  les  deux  bras. 

Mais  Mathilde  les  rabattit,  ces  petits  bras  tendus  vers  le 
vide  et  le  mensonge  ;  elle  enveloppa  de  sa  généreuse  é\reinte 
celle  que  Louis  avait  choisie  ;  elle  la  porta  sur  le  fauteuil  de 
paille,  au  chevet  de  la  couchette.  Ah  !  cette  fois,  elle  savait 
se  montrer  tendre,  émue  et  chaleureuse  ;  c'est  qu'il  est  des 
héroïsmes  dont  l'effort  surhumain  descelle  les  lèvres  les  mieux 
closes,  arrache  l'âme,  pour  ainsi  dire,  et  la  jette  au  dehors, 
toute  vive  et  palpitante  ;  Mathilde  sortait  d'elle-même  ;  Ma- 
thilde trouvait  ses  mots. 

— Ton  coeur  !  Est-ce  que  tu  le  connais  seulement  !  C'est  ta 
tête  qui  s'exalte,  qui  t'emporte,  je  ne  sais  où.  .  Mais  quand  tu 
auras  réfléchi  devant  le  bon  Dieu,  comme  on  doit  réfléchir  sur 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  483 

une  chose  aussi  grave,  tu  comprendras  où  est  ton  bonheur  et 
aussi  ton  bien.  Louis'  est  un  guide  ;  avec  celui-là,  tu  ne  te 
perdras  jamais.  .  Entends-tu,  Léa,  entends-tu  ? 

Elle  s'était  mise  à  genoux  pour  être  au  niveau  de  sa  soeur, 
et  la  serrait  contre  elle,  puissamment,  comme  pour  lui  commu- 
niquer cette  confiance  absolue.  Mais  Léa  répondait  avec  un 
entêtement  passionné  : 

— Puisque  je  ne  l'aime  pas  ! 

— Cela  viendrait .  .  Comment  veux-tu  que  cela  ne  vienne 
pas  ?  reprit  Mathilde  dont  le  visage,  maintenant,  se  colorait 
d'une  flamme  divine.  Tu  ne  sais  pas  ce  que  c'est  que  d'aimer 
sérieusement  ;  il  te  l'apprendrait,  lui.  .  Et  tu  devrais  être  tou- 
chée, au  moins,  car  s'il  te  recherche,  c'est  bien  pour  toi .  . 

— Ah  !  oui,  sa  fortune  !  interrompit  Léa  dans  un  rire 
forcé  ;  parlons-en,  de  sa  fortune  !  De  quoi  lui  sert-elle  ?  Au- 
tant vaut  être  pauvre  que  d'être  riche  dans  ces  conditions-là. 
D'abord,  je  ne  me  marierai  pas  pour  de  l'argent  ;  j'épouserai 
celui  que  j'aimerai,  et  qui  m'aimera  comme  je  veux  être  aimée  ! 
Toujours  les  phrases  de  roman.  Mais  Mathilde,  emporté© 
par  l'impulsion  sublime,  continuait  sans  entendre  : 

— Pense  à  la  bonne  maison  où  tu  entrerais  ;  pense  un  peu 
au  bonheur  que  nous  aurions  tous.  .  Oui,  tous,  appuya-t-elle 
lentement,  ses  grands  yeux  fermés .  .  Papa  est  bien  tourmen- 
té, sais-tu  ?  Pour  le  consoler,  tu  n'aurais  qu'un  mot  à  dire,  et 
quel  mot,  Léa  ! .  . 

Frissonnante,  elle  dut  s'arrêter  deux  secondes.  .  Oh  !  cette 
vie  splendide,  ce  lot  merveilleux  d'honneur,  d'affection,  de  joie 
sainte  et  bénie,  était-il  possible  qu'une  autre  le  dédaignât  ! 

— Léa,  supplia-t-elle  avec  une  ardeur  épuissante,  ne  t'en- 
tête pas,  regarde  au  fond  des  choses,  demande  au  bon  Dieu 
qu'il  t'éclaire ,  .  Je  ne  suis  pas  seule  à  t'en  prier  !  Maman  est 
là  qui  te  supplie  de  même .  .  et  aussi  ta  compagne  d'autrefois, 
sa  soeur  à  lui .  .  la  petite  Berthe  que  tu  aimais  tant  ! 

Les  yeux  fiévreux  de  Léa  se  dilataient  par  degrés  devant 
cette  Mathilde  inconnue  ;  tout  à  coup,   son  buste  noyé  dans 


484  LA   REVUE   FRANCO-AMÉRICAINE 

les  grands  cheveux  s'abattit  de  côté  sur  le  lit.  Elle  suffo- 
quait, en  proie  à  une  crise  nerveuse  ;  à  travers  le  tumulte  des 
sanglots,  des  mots  perçaient,  incohérents. 

— Je  ne  peux  pas. . .  je  te  dis.  Jamais  !  Laisse-moi,  Ma- 
thilJe  !  Mon  Dieu. .  .  mon  Dieu...  je  suis  trop  malheureuse  ! 

L'aînée,  se  dominant  jusqu'au  bout,  s'empressa  autour 
d'elle,  la  déshabilla  comme  un  petit  enfant,  la  glissa  sous  les 
couvertures.  Ainsi,  par  son  héroïque  élan,  elle  n'avait  réussi 
qu'à  déchaîner  cet  accès  maladif  !.  .  .  Hélas  !  elle  ne  s'était 
point  adressée  à  un  esprit  sain,  à  une  âme  en  état  normal  ' 
sans  parler  des  lectures  qui  avaient  complètement  faussé  son 
optique,  Léa  subissait,  dans  toute  son  étendue,  l'emprise  de 
ce  sentiment  déséquilibré  qui  ne  mérite  pas  le  nom  d'amour, 
et  n'est,  en  somme,  qu'une  forme  de  l'adoration  de  soi-même  !... 
La  mère  morte...  la  petite  amie...  que  pouvaient-elles  aujour- 
d'hui, ces  images  éclipsées  ?  Le  bon  Dieu  ?  Léa,  depuis  cer- 
taine rencontre,  l'avait  bien  relégué  à  l'arrière-plan  de  sa  vie  ; 
la  paix  et  l'austérité  religieuses  cadraient  trop  mal  avec  sa 
hantise  actuelle,  son  désir  effréné  de  jouissance  et  de  clin- 
quant. 

— J'ai  fait  tout  ce  que  j'ai  pu...  tout,  mon  Dieu!  soupira 
Mathilde,  en  sortant  de  la  chambre  où  Léa,  calmée,  commen- 
çait à  s'endormir. 

Etourdie,  la  jeune  fille  allait  au  hasard  ;  sa  bougie  vacillait 
dans  sa  main  ;  son  visage  creusé  se  plaquait  d'ombres  lugubres. 

— Est-ce  moi  qui  ai  parlé  ?  Est-ce  moi  qui  ai  souffert  ? 
murmura-t-elle  en  se  retenant,  égarée,  à  une  saillie  de  la 
cloison. 

Mathilde  croyait  avoir,  depuis  une  heure,  vécu  toute  une 
éternité. 

XIV 

A   TOUTE   VAPEUR 

Les  roues  de  la  carriole  fendaient  lentement  la  couche  de 
neige,  que  les  sabots  du  cheval  creusaient  de  gros  trous  noirs, 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAITRE  BIENAIMÉ  485 

et  la  bise  cinglait  la  jeune  fille  assise  sur  le  siège,  dans  l'ou- 
verture de  la  bâche  de  toile  brune.  Aussi  loin  que  son  re- 
gard s'étendit,  elle  n'apercevait  aucune  forme  vivante  dans  la 
blancheur  du  ciel  et  la  blancheur  de  la  campagne  ;  il  ne  nei- 
geait plus,  mais  un  infini  de  mélancolie  s'exhalait  de  ce  pay- . 
sage  monochrome  et  glacé. 

— Allez  !  allez  donc  !  répétait  Mathild»,  imprimant  de  lé- 
gères secousses  aux  rênes  qu'elle  maintenait  avec  une  vigueur 
toute  masculine. 

En  tournant  au  carrefour,  elle  mit  sa  main  en  visière  :  sur 
cette  étendue  aveuglante,  quelque  chose  de  noir  voltigeait  ; 
un  prêtre  s'avançait  à  grands  pas,  alerte  et  décidé  sous  son 
manteau  flottant  au  vent,  et  son  chapeau  qu'il  soutenait  avec 
peine.  Déjà  Mathilde  avait  sauté  hors  de  la  voiture,  relevant 
ses  jupes  mouillées  qui  claquaient  autour  d'elle. 

— Ah  !  te  voici,  ma  bonne  enfant  !  s'écria  l'abbé  Brissot 
serrant  les  mains  gantées  de  laine  épaisse  et  cependant  tout 
endolories  par  le  froid  ;  seule  en  route  et  par  un  temps  pareil  !* 

— Je  rapporte  les  provisions,  mon  oncle  ;  papa  est  en  foire, 
et  comment  envoyer  un  homme  aujourd'hui  !  Toutes  les  bêtes 
sont  rentrées  à  cause  de  la  neige,  les  domestiques  sont  sur 
les  dents. 

— Je  m'en  suis  aperçu,  reprit  le  curé  des  Landelles,  car  je 
viens  de  là-bas. 

— Ah  !  c'est  triste,  là -bas...  murmura  Mathilde,  dont  les 
paupières  s'humectaient. 

— Triste,  appuya  le  prêtre.  Je  l'ai  raisonnée,  je  l'ai  exhor- 
tée... Peine  perdue  !  On  ne  sait  par  où  la  prendre.  Ce  n'est 
plus  Léa...  ce  n'est» plus  du  tout  Léa  ;  même  au  physique,  je 
ne  l'ai  pas  reconnue  ! 

"  Ses  nerfs  sont  montés  d'une  façon  effrayante.  Et  cette  idée 
fixe  de  partir,  ce  refus  de  s'expliquer  sur  ses  projets...  Il  y  a 
une  influence  là-dessous  !  Ta  sœur  est  soutenue,  excitée... 

— Attirée,  acheva  délibérément  Mathilde.  J'y  ai  pensé; 
mais  comment  ? 


486  LA   REVUE    FRANCO  AMÉRIC AI N^E 

— Es- tu  sûre  qu'elle  ne  reçoit  pas  de  lettres  ! 

— Peut-on  jamais  savoir  ?  répondit  sourdement  la  soeur 
aînée.  .  En  tout  cas,  papa  est  bien  malheureux  à  cause  d'elle... 
sans  parler  du  reste  !  car  les  affaires  ne  vont  pas  comme  il 
faudrait,  mon  oncle.  Tenez,  le  mois  dernier,  Jean  Médéric 
est  parti  ;  il  n'est  pas  encore  remplacé  ;  les  autres  se  plaignent 
en  disant  qu'ils  ont  trop  d'ouvrage  et  qu'ils  s'en  iront  si  ça 
continue.  Il  est  certain  que  six  hommes  et  deux  femmes,  ce 
n'est  pas  assez  chez  nous  ! 

—  Mon  Dieu  !  soupira  le  prêtre,  dont  les  traits  se  tendaient 
douloureusement,  si  je  pouvais  quelque  chose  ! 

Puis,  enfonçant  dans  les  yeux  noirs  son  regard  à  la  fois 
chaud  et  scrutateur  : 

— Et  toi  ?  prononça-t-il. 

— Moi  ?  fit-elle,  souriant  faiblement  et  détournant  la  tête, 
je  vais,  je  viens,  je  cours...  comme  toujours  ;  c'est  mon  sort. 

Mais  l'abbé  ne  prit  pas  le  change.  Avec  son  affection  pa- 
ternelle et  sacerdotale,  qui  lui  donnait  droit  à  tous  les  aveux  : 

— Mathilde,  insista-t-il,  ma  chère  enfant  ! 

— Mon  oncle...  balbutia-t-elle. 

Et,  brusquement,  elle  fondit  en  larmes. 

Il  fut  navré,  mais  non  surpris  ;  depuis  longtemps  il  avait 
lu  dans  l'âme  candide  et  forte  le  secret  ignoré  d'elle-même  ;  il 
savait  qu'en  ce  moment  Mathilde  avait  au  coeur  un  poids 
écrasant  comme  la  pierre  d'un  tombeau. 

— Courage,  ma  petite  fille,  murmurait  le  prêtre  ;  courage, 
pour  le  bon  Dieu,  pour  les  tiens... 

Elle  essuyait  rapidement  ses  pleurs  ;  le.  disque  blafard  et 
minuscule  du  soleil  apparut  un  instant  là-haut,  rendant  plus 
saisissante  encore  la  pureté  glaciale  de  la  solitude. 

— Merci,  mon  T^ncle,  repîit-elie  ;  je  veux  bien  souffrir,  moi, 
cela  ne  me  fait  rien  !  Mais  papa,  tous  les  miens,  notre  pauvre 
Closerie  ! .  .  Ah  !  c'est  dur,  allez,  quand  je  me  dis  que,  malgré 
ma  peine,  je  ne  les  sauverai  pas  ! .  . 


LES  DEUX  FILLES  1)12  MAITRE  BIENAIME  487 

Si,  ma  fille  !  répliqua  l'abbé  avec  force.  ïu  les  sauvcias  . 
une  âme  sacrifiée  est  la  bénédiction  et  la  protection  du  foyer. 
Prions  l'un  pour  l'autre  ;  je  ne  veux  pas  t'arrêter  davantage  : 
va,  Mathilde  ! 

Au  moment  de  s'élancer  en  voiture,  elle  se  retint,  la  main 
au  brancard. 

— Et  vos  affaires,  à  vous,  mon  oncle  ? 

— Rien  de  nouveau .  .  A  la  grâce  !  fit  l'abbé  Brissot  avec 
un  signe  vers  le  ciel. 

Et,  tandis  que  la  carriole  remontait  vers  Clairville,  le  curé 
des  Landelles  poursuivait  sa  route  en  sens  inverse,  portant, 
par  intervalles,  les  doigts  à  ses  paupières  que  le  souffle  de 
janvier  n'était  pas  seul  à  rougir. 

Il  ne  pensait  pas,  en  ce  moment,  au  sol  ingrat  qu'il  défri- 
chait, à  la  paroisse  divisée  où  il  s'acharnait  sans  fin  à  rétablir 
la  concorde,  au  presbytère  d'où,  bientôt  peut-être,  il  serait 
chassé  par  la  haine  imbécile  de  quelques  tyranneaux. 

— Pauvre  enfant  !  lépétait-il  ;  pauvre  admirable  enfant  ! 

Et  il  se  disait  que,  dans  tout  ce  drame  intime  qui  boulever- 
sait la  maison,  il  y  avait  un  peu,  hélas  !  de  la  faute  du  père... 
Chrétien,  Bienaimé  Brissot  aurait  pu  trouver  dans  sa  foi  les 
moj^ens  d'imposer  son  autorité  méconnue  ;  il  aurait  impitoya- 
blement proscrit  ces  feuilletons  que  l'oncle  venait  de  surpren- 
dre entre  les  mains  de  sa  nièce  ;  surtout,  il  aurait  laissé  Léa 
deux  ou  trois  années  de  plus  à  ces  religieuses  qui  n'avaient 
pas  eu  le  temps  d'accomplir  en  elle  une  œuvre  durable...  Mais 
le  curé  des  Landelles  plaignait  trop  son  frère  pour  songer  à 
le  blâmer. 

.  .  Là-bas,  la  cuisine  rougeoyait  tout  entière  daris  le  reflet 
d'un  superbe  feu  ;  la  flamme  dansante  et  chantante  mettait 
une  couronne  ardente  autour  de  la  vaste  *'  tuile  "  frottée  de 
saindoux,  où  la  main  preste  de  Maria  versait  la  pâte  épaisse 
faite  de  lait  écrémé  et  de  farine  de  sarrasin.  Eugène  se 
chauffait,  debout,  les  mains  tendues  ;  une  sensation  de  bien- 
être  imprégnait  sa  physionomie  d'une  quiétude   et   le  bra.sier 


488  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

allumait    des    lueurs    phospho-rescentes    dans    ses    cheveux 
trop  clairs. 

Mathilde  entra,  posa  ses  paniers  à  terre  ;  la  neige  collée  à 
ses  galoches  fondait,  traçant  sur  le  ciment  un  double  sillage 
noirâtre  ;  elle  approcha  du  foyer  son  visage  aux  lèvres  bleuies. 
Le  profil  aux  grandes  lignes  ressortait  très  rigide  sur  la  nappe 
de  clarté. 

Une  fille  accablée  par  une  tâche  surhumaine,  un  pauvre 
garçon  presque  idiot,  c'était  donc  là  toute  la  famille  du  fer- 
mier !  Déjà,  Léa  ne  comptait  plus  ;  et  ceux  qui  longeaient  le 
mur  du  jardin  de  la  Closerie  pouvaient  apercevoir,  derrière 
une  fenêtie,  un  visage  trop  effilé  sous  des  bandeaux  trop  gon- 
flés, deux  3^eux  avides,  luisants,  fouillant  désespérément  l'es- 
pace. 

,  Autour  de  Léa  s'amoncelaient  des  broderies,  des  dentelles 
à  peine  commencées  ;  au  fond  du  tiroir  de  la  table,  une  boîte 
soigneusement  dissimulée  renfermait  des  lettres  et  une  pho- 
tographie représentant  un  groupe  familial  :  une  grande 
femme  élégante,  deux  jeunes  gens  et  une  jeune  fille.  Et  Léa 
passait  des  heures  en  tête  à  tête  avec  cette  correspondance, 
maintenant  transmise  par  Mlle  Mage,  l'institutrice  prêteuse  de 
romans.  En  un  moment  d'expansion,  elle  avait  même  mon- 
tré à  cette  amie  devenue  intime  la  silhouette  dégagée,  les 
traits  fins,  la  moustache  conquérante  de  Roger  Daubreuil. 

Roger  Daubreuil  !  Le  joli  nom  et  l'idéal  personnage  !  Avec 
quel  battement  de  cœur  elle  avait  lu,  dans  une  missive  de  sa 
tante,  la  phrase  magique  dès  longtemps  pressentie  :  "  Je  sais 
qui  t'adore,  ma  mignonne,  et  qui  chante  tes  louanges  du  ma- 
tin au  soir  !  " 

Avec  quelle  ferveur  elle  contemplait  le  portrait  de  son 
pseudo-cousin  en  murmurant  : 

— Oh  1  Roger  !  Roger  !  que  vous  êtes  bon  de  vouloir  me 
délivrer  ! 

Elle  le  parait  de  toutes  les  supériorités  et  de  tous  les  char- 
mes ;  elle  le  voyait  dans  des  rôles  de  héros  et  de  paladin  ;  elle 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  489 

se  répétait  qu'elle  l'aimait,  qu  elle  lui  donnait  son  cœur,  ({u'elle 
ne  pouvait  vivre  sans  lui  et  qu'elle  niouirait  si  elle  ne  l'épou- 
sait pas  !  !  ! 

Et  des  projets  extravagants  s'ébauchaient  dans  son  cerveau. 
A  la  Closerie,  la  tristesse  pesait  plus  lourde  et  plus  froide  que 
la  neige  massée  en  un  bloc  sur  les  toits  ;  des  influences  dépri- 
mantes jetaient  le  trouble  dans  la  vaste  ruche  où  résonnait, 
naguère  si  plein,  le  rythme  de  la  vie  ;  en  dépit  des  eflbrts  de 
Mathilde,  la  désorganisation  se  glissait  partout. 

Maître  Bienaimé,  vieilli  de  dix  ans,  commençait  à  courber 
les  épaules  ;  un  ressort  s'était  rompu  en  lui  sous  le  choc  dont 
il  ne  pouvait  se  remettre.  Il  devenait  de  plus  en  plus  impé- 
rieux, irascible;  il  lui  arrivait  de  se  tromper  de  route  en  al- 
lant visiter  ses  champs.  Sa  fille  l'avait  blessé  dans  tous  ses 
instincts,  heurté  dans  toutes  ses  volontés,  ses  volontés,  brisé 
dans  toutes  ses  espérances. 

Adieu  le  rayonnement  de  bonheur  qui  aurait  tout  réchauf- 
fé, tout  rajeuni  !  Adieu  la  sève  riche  et  neuve  qui  eût  infusé 
la  vie  au  tronc  languissant  ! 

Le  dégel  vint  ;  les  chaumes  de  la  ferme  perdirent  leurs 
franges  de  glaçons  ;  sous  les  cascades  des  gouttières,  la  cour 
se  changea  en  un  lac  miroitant  au  doux  soleil  de  février.  Puis 
les  troupeaux  retournèrent  aux  herbages,  et,  dans  les  belles 
nuits  froides  où  les  plus  purs  diamants  du  ciel  scintillent, 
montèrent  de  nouveau  les  mugissements  profonds.  Au  jar- 
din, les  perce-neige  et  les  crocus  émergèrent  timidement  du 
sol  givré  ;  mais  Léa,  cette  fois,  demeura  insensible  à  ces  symp- 
tômes d'éveil  qui  l'animaient  jadis  d'une  gaîté  exubérante» 
Son  père  avait  des  crispations  quand  il  apercevait,  a  l'heure 
du  dîner,  ces  yeux  à  la  fois  mornes  et  provocants  dans  ce 
visage  de  cire  ;  et  lorsque  la  jeune  fille,  sans  avoir  articulé  un 
mot,  se  levait  avant  la  fin  du  repas  pour  retourner  à  sa  soli- 
tude, Brissot  fermait  son  couteau  en  un  claquement  sec  et 
sortait  à  son  tour  en  murmurant  d'une  voix  sifflante  : 

— Ça  ne  peut  pas  durer  !  Ce  n'est  plus  tenable  ! 


490  LA  REVUS  FRANCO-AMÉRICAINE 

De  fait,  elle  était  devenue,  par  sa  faute,  impropre  à  toute  be- 
sogne tant  soit  peu  fatigante  ;  elle  se  complaisait  en  son  amai- 
grissement, en  sa  pâleur,  et  sur  sa  longue  robe,  aux  plis  en- 
veloppants, elle  jetait  une  écharpe  de  soie  pourpre  qui  exagé- 
rait encore  la  décoloration  de  son  teint  ;  son  objectif  était  de 
ressembler  à  une  martyre  sentimentale,  une  de  ces  créatures 
alanguies  célébrées  par  les  romantiques  de  1830  ! 

Mathilde  ne  savait  plus  où  donner  de  la  tête  ;  la  cuisine  de 
la  famille,  le  raccommodage  lui  incombaient  maintenant,  en 
sus  de  tout  le  reste,  et  ell«  était  souvent  forcée  de  veiller  très 
tard  pour  achever  de  repriser  les  tricots.  Léa  recommençait 
à  refuser  la  nourriture,  à  renvoyer  intact  le  bol  de  lait  qu'on 
lui  apportait  chaque  matin  dans  sa  chambre.  Un  jour,  à  table, 
après  avoir  plongé  sa  cuiller  dans  l'assiette  pleine  de  potage, 
elle  se  ravisa  subitement,  repoussa  son  couvert,  éloigna  sa 
chaise  et  croisa  les  bras. 

— Eh  bien  !  Qu'est-ce  que  ça  veut  dire  ?  exclama  Maître 
Bienaimé  assis  en  face  d'elle. 

— Vous  le  voyez. 

— Tu  vas  mangei  ! 

— Je  ne  mangerai  pas. 

Jetant  violemment  sa  serviette,  Brissot  se  leva,  s'approcha 
de  sa  fille,  la  saisit  par  l'épaule. 

— Tu  v^as  manger  tout  de  suite  ! 

—Non  ! 

Léa  recula  soudain  avec  un  cri  aigu  :  la  main  du  fermier, 
sèche,  frémissante,  venait  de  la  souffleter  énergiquement. 
-  Mathilde  se  précipita  ;  Eugène,  debout,  s'était  mis  à  trem- 
bler de  tous  ses  membres  ;  demi -évanouie  d'humiliation  et  de 
rage,  Léa  se  laissait  aller  à  la  renverse  dans  les  bras  de  sa 
sœur. 

On  dut  la  traîner  chez  elle,  l'étendre  sous  son  édredon. 

— Oh  !  Léa,  gémissait  Mathilde,  vois-tu  ce  qui  arrive  ! 
Vois -tu  ce  que  tu  fais  de  la  maison  :  un  enfer!  Mon  Dieu  ! 
mon  Dieu  ! 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  401 

Elle  ne  répondait  pas,  ses  dents  étaient  serrées.  Les  larmes 
refusaient  de  jaillir  et  elle  ressentait  à  la  gorge,  au  cerveau, 
une  terrible  compression  intérieure.  Lorsque  Mathilde,  une 
heure  plus  tard,  rentra  sur  la  pointe  du  pied,  écarta  douce- 
ment les  rideaux,  elle  demeura  terrifiée  devant  ces  yeux  de 
démente  et  cette  rougeur  de  feu. 

— Tu  as  de  la  fièvre,  dit-elle  ;  veux-tu  quelque  chose  ? 

— Non. 

— Veux-tu  que  je  te  déshabille  tout  à  fait  ? 
•     —Non. 

La  nuit,  elle  ne  dormit  pas  une  seconde  :  Mathilde,  éveillée 
elle-même  et  si  malheureuse,  l'entendit  se  tourner  et  se  re- 
tourner sans  fin.  Léa,  dans  l'obscurité,  faisait  des  gestes  et 
parlait  à  mi-voix  : 

— Non,  non  je  ne  le  supporterai  pas  !  Après  l'esclavage,  les 
coups  !  Cette  fois,  la  mesure  est  comble  ! 

Et  plus  bas,  les  lèvres  tremblantes. 

— Oh  !  si  je  pouvais.  .  si  je  pouvais.  . 

L'idée  prenait  corps,  montait,  envahissait  tout  letre  ;  dans 
une  sorte  de  délire  lucide,  Léa  combinait,  discutait,  avec  une 
extraordinaire  précision  de  détails..  Tout  à  coup,  elle  eut 
un  sursaut  qui  fit  grincer  le  fer  de  sa  couchette  ;  comment 
n'y  avait-elle  pas  pensé  plus  tôt  ?.  .  C'était  demain  le  marché 
de  Périers,  et  elle  savait  que  son  père  devait  s'y  rendre.  Dès 
quatre  heures  et  demie,  il  serait  parti .  .  Alors .  .  alors .  .  peut- 
être.  . 

Elle  avait  la  sueur  aux  trempes  ;  avec  un  battement  de 
coeur  si  fort  qu'il  ressemblait  à  un  roulement  continu,  elle 
alluma  sa  bougie,  prit  une  jupe,  un  châle,  et  s'éloigna  nu-pieds. 

— Où  vas-tu  ?  soupira  Mathilde,  qui  commençait  à  s'assou- 
pir. 

— Chercher  de  l'eau  de  mélisse. 

— 11  fallait  me  demander.  .  sais-tu  où  est  la  clé,  seulement  ? 

Léa  descendait,  touchant  silencieusement  les  degrés  de  bois; 


492  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

mais  quand  elle  passa  devant  la  porte  de  la  cuisine,  Brissot, 
dont  le  sommeil  était  très  léger,  cria  du  fond  de  l'alcôve  : 

— Eh  !  là  !  qu'est-ce  que  c'est  ? 

Elle  répéta  son  mensonge,  puis  entra  dans  la  salle  et  se  di- 
rigea vers  un  tas  de  papiers  qu'elle  fouilla  fébrilement.  Ayant 
découvert  ce  qu'elle  cherchait,  elle  le  dissimula  sous  son  châle, 
remonta,  tira  d'un  placard  une  liasse  de  journaux  de  mode  et 
se  remit  au  lit,  s'adossant  à  son  oreiller  relevé. 

— Es  tu  plus  mal  ?  interrogea  sa  soeur. 

— Non,  je  vais  lire,  puisque  je  ne  peux  pas  dormir.  Dors, 
toi  ;  ne  te  gêne  pas .  . 

Bientôt  deux  heures  sonnèrent  en  bas,  à  la  vieille  horloge  ; 
Léa  souffla  la  boucrie,  orljssa  sous  le  matelas  l'indicateur  des 
chemins  de  fer.  .  Pour  oser  concevoir  un  tel,  projet,  il  fallait 
vraiment  sa  totale  inexpérience  de  la  vie,  son  ignorance  de  la 
loi  française  et  des  droits  paternels,  et  surtout  le  degré  d'exal- 
tation effrayante  où  elle  était  parvenue  !  Dans  son  aberration, 
elle  hésitait  d'autant  moins  et  s'absolvait  d'autant  plus  volon- 
tiers que  Roger  Daubreuil  n'habitait  pas  chez  Amélie. 

.  .  A  quatre  heures,  résonna  la  voix  stridente  du  réveille- 
matin  ;  déjà  Mathilde  se  levait  pour  prendre  soin  de  son  père 
et  le  mettre  en  voiture.  Elle  se  mouvait  avec  mille  précau- 
tions à  cause  de  sa  soeur  qui  faisait  semblant  de  dormir  pro- 
fondément. Mais  Léa,  dès  qu'elle  fut  seule,  sauta  hors  de  sa 
couche,  poussa  le  verrou,  procéda  immédiatement  à  sa  toilette. 
Affreusement  blanche  maintenant,  raide  et  contractée,  elle 
agissait  à  la  façon  d'une  somnambule. 

Elle  entendit  partir  les  deux  voitures  ;  son  oreille  doulou- 
reusement tendue  perçut  le  cahotement  pesant  de  la  charrette 
emmenant  les  veaux  et  les  porcs,  puis  le  roulement  sourd  de 
la  carriole  du  maître .  .  La  nuit  était  noire  encore  derrière  la 
buée  épaisse  et  pleurante  des  vitres.  Léa  glissa  dans  son 
porte-monnaie  quelques  pièces  d'or,  toute  sa  réserve.  Au  mi- 
lieu de  la  chambre,  une  valise  bâillait .  . 


LES  DEUX  FILLES  DE  MAÎTRE  BIENAIMÉ  493 

— Ouvre- moi  !  cria  soudain  Mathilde,  derrière  la  porte  qui 
résistait. 

Pas  de  réponse  ;  la  fille  aînée  du  fermier  distingua  un  peu 
de  biuit  dans  la  pièce,  vit  la  raie  lumineuse  qui  soulignait  le 
panneau.  Ne  pouvant  deviner  ce  que  faisait  Léa,  et  renon- 
çant à  vaincre  cet  entêtemer^t,  elle  redescendit,  entra  dans  le 
cabinet  à  linge...  Mais  le  verrou  avait  joué  sans  bruit  dans 
sa  gaine.  .  Léa,  retenant  son  souffle,  se  penchait  sur  la  rampe... 
Les  domestiques  dormaient  encore,  sauf  celui  qui  avait  ac- 
compagné son  maître...  Mathilde  seule  était  à  craindre...  Al- 
lons! il  fallait  risquer  le  tout  pour  le  tout  :  dans  quinze  ou 
vingt  minutes,  il  serait  trop  tard. 

La  jeune  fille  saisit,  en  bas,  le  grincement  bien  connu  d'une 
porte  d'armoire. 

— Elle  est  au  linge  !  balbutia-t-elle.  Vite,  vite  ! 
.  .  Nul  n'aperçut  l'ombre  furtive  qui  traversait  la  cuisine, 
où  les  fenêtres  jetaient,  ça  et  là,  des  pâleurs  incertaines  ;  nul 
ne  surprit  un  envolement  léger  le  long  des  vieux  murs  ! 
D'immenses  étoiles  brillaient  dans  le  carré  de  ciel  découpé 
par  les  toits  ;  une  bouffée  chaude,  une  odeur  de  lait  s'exha- 
lèrent des  étables,  et  caressèrent  la  fugitive  en  passant  dans 
l'air  limpide  et  vif  du  premier  matin .  . 

Le  chien  n'aboya  pas  ;  à  peine  remua-t-il  dans  sa  niche  de 
pierre.  Seuls  les  coqs,  chantant  dans  les  poulaillers,  trou- 
blaient le  silence  de  l'heure.  . 

Au  moment  où  Mathilde  se  rendait  à  la  basse-cour,  Léa  en- 
trait à  la  gare  après  une  course  de  cinq  kilomètres  ;  elle  ne 
sentait  ni  sa  fatigue,  ni  le  poids  de  sa  valise,  d'ailleurs  peu 
garnie.  Le  jour  naissait,  exquis  et  pur;  la  jeune  fille  se  pré- 
cipita vers  le  guichet,  en  rabattant  soigneusement  sa  voilette 
épaisse. 

— Un  billet  de  seconde.  .  aller...  Caen.  .  demanda-t-elle. 

Voulant  déjouer  les  soupçons,  elle  usait  de  supercherie  ;  à 
Caen  seulement,  elle  prendrait  son    billet  pour  Paris,  et  télé- 


494  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

graphierait  à  sa  tante.     Mais   le    chef  de  gare  ne  la  reconnut 
même  pas. 

Dès  qu'elle  fut  en  wagon,  une  torpeur  la  gagna,  et  elle  s'a- 
bandonna, passive,  au  train  qui  s'ébranlait.  .  Une  impression 
indéfinissable  lui  fit  ouvrir  les  yeux.  Le  soleil  se  levait, 
énorme  globe  rose,  sur  les  marais  séchés  par  le  vent  de  mars 
et  traversés  par  la  douce  Vérelle  enlaçante  ;  et  les  teintes  dé- 
gradées du  ciel  et  de  l'eau,  le  reflet  bleuâtre  des  pâturages 
poudrés  de  gelée  blanche,  la  couleurv  vermeille  des  arbres  loin- 
tains, des  maisons  d'où  montait  la  fumée,  composaient  une 
idéale  harmonie,  chantaient  un  poème  de  fraîcheur.  La  Nor- 
mandie féconde,  la  bonne  terre  nourricière,  envoyait  son 
adieu,  dans  son  plus  clair  sourire,  à  l'ingrate  qui  la  fuyait. 

Sentit-elle  ?  comprit-elle  ?  Soudain,  elle  s'étreignit  la  tête 
en  murmurant  : 

— Qu'est-ce  que  j'ai  fait  ? 

Un  effi'oi  irraisonné  la  précipita  vers  la  portière .  .  Mais  le 
train  filait,  filait,  comme  s'il  eût  couru  vers  un  abîme.  Le  sort 
en  était  jeté  !  Le  souâle  grondeur,  haletant  de  l'express,  enve- 
loppait la  jeune  fille,  et  cette  vitesse  eiYrénée  lui  donnait  le 
vertige  en  la  grisant.  Plus  vite,  plus  encore»!  Plus  loin,  les 
images  familières  du  passé  renié,  de  l'existence  haïe  !  Et  Léa, 
fermant  les  yeux,  tendit  les  deux  bras  vers  Paris. 

.  .  Une  heure  et  demie  plus  tard,  Mathilde,  pour  la  troi- 
sième fois,  frappait  à  la  porte  close. 

— Léa,  il  faut  que  j'entre  à  la  fin  !  J'ai  affaire.  Pourquoi 
ne  réponds-tu  pas  ? 

Continuant  de  prier,  de  supplier,  elle   collait  son  oreille  au 
bois .  .  Rien  !  Pas  le  moindre  frôlement  !    Un  silence  de  mort* 
— Si  tu  ne  réponds   pas,   je    fais    forcer  !  conclut  Mathilde 
au  supplice. 

Rien  rien  !  quelle  angoisse,  grand  Dieu  !  Etait-elle  éva- 
nouie ?  était-elle..  La  jeune  fille  se  cramponnait  à  la  poi- 
gnée ;  un  froid  d'agonie  lui  glaçait  le  sang  . . .    Elle  descendit 


LES    DEUX    FILLES    DE   MAÎTRE   BIENAIM^  495 

enfin,  se  soutenant  à  peine,  et  ordonna  qu'on  allât  chercher  le 
forgeron. 

Toute  la  maison  était  bouleversée;  Zélie  accourut  du  jar- 
din, affirmant  qu'il  y  avait  encore  de  la  luinièr3  dans  la 
chambre.  Les  domestiques  ne  savaient  que  dire  pour  rassurer 
leur  maîtresse,  qui  errait  çà  et  là,  défigurée  et  hagarde. 

— Et  le  père  qui  est  parti,  pour  comble  de  malheur,  chu- 
chotaient-ils entre  eux. 

Le  forgeron,  ses  outils  en  mains,  arriva  ;  Mathilde  et  les 
deux  servantes  s'élancèrent  avec  lui  dans  l'escalier. 

— Peut-on  fermer  à  clé  en  dedans  ?  interrogea- 1- il  après 
quelques  secondes  d'examen. 

— Non  :  en  dehors  seulement. 

— Alors,  c'est  du  dehors  que  la  porte  a  été  fermée.  C'est  le 
pêne  qui  tient,  ce  n'est  pas  le  verrou  ! 

Le  long  de  l'escalier  s'étouffaient  des  rumeurs  mystérieu- 
ses ;  l'ouvrier  crocheta  rapidement  la  serrure,  et  la  sœur  de 
Léa  se  jeta  dans  la  chambre.  Au  premier  regard,  elle  res- 
sentit l'impression  d'un  coup  épouvantable  sur  la  tête,  elle 
tourna  sur  elle-même  et  serait  tombée  si  Maria  ne  l'eût  re- 
tenue. 

La  bougie  achevait  de  se  consumer  ;  des  languettes  bleuâtres 
léchaient,  dans  le  grand  jour,  la  bobèche  de  verre.  Du  linge, 
des  vêtements  traînaient  sur  la  couchette  vide,  dont  les  draps 
pendaient  jusque  sur  le  parquet.  Léa  s'était  enfuie  comme  un 
soufile,  comme  un  esprit  !  Elle  désertait  la  vieille  maison  dont 
elle  avait  été  la  joie,  et,  après  y  avoir  déchaîné  l'orage,  elle  y 
laissait  maintenant  les  larmes  et  la  douleur. 

Le  surlendemain,  un  prêtre,  inondé  de  sueur  malgré  la 
fraîcheur  de  l'air,  pénétrait  précipitamment  dans  le  jardin  de 
la  Closerie,  et  s'approchait  d'un  homme  qui  bêchait  dans  un 
coin.  L'homme  redressa  son  torse  maigre,  où  le  tricot  flot- 
tait largement,  et  montra,  dans  la  clarté  blanche,  une  face 
plus  sombre  que  la  nuit. 


946  LA  REVUE  FRANCO-AMÉRICAINE 

— Mon  pauvre  ami  !  s'écria  l'abbé,  serrant  à  les  briser  les 
mains  pleines  de  terre. 

Mais  Brissot,  avec  des  paroles  à  peine  articulées,  se  déga- 
geait de  l'étreinte  et  se  remettait   farouchement  à  la  besogne. 

— Tu  es  sûr  qu'elle  est  à  Paris  ?  tu  n'as  pas  le  moindre 
doute  ? 

— Si  je  suis  sûr  ?  ricanna  le  fermier,  cassé  en  deux  ;  d'a- 
bord un  garçon  de  chez  Maître  Louis  l'a  reconnue  samedi 
matin  sur  la  route  de  la  gare.  ^ 

— Eh  bien  !  alors,  fit  le  prêtre  en  bondissant,  dans  deux 
jours  ta  fille  sera  revenue.  Ecris  tout  de  suite  1  Télégraphie  ! 
Use  de  ton  droit,  et,  au  besoin,  menace  ta  soeur. 

Le  même  ricanement  étrange  sortit  de  la  gorge  du  paysan. 

— Veux-tu  que  j'aille  la  chercher  ?  proposa  spontanément 
le  curé  des  Landelles.     Je  la  ramènerais,  je  t'en  réponds. 

— Je  te  le  défends. 

Maître  Bienaimé,  d'un  grand  coup,  enfonça  la  bêche  jus- 
qu'au manche,  et,  renversé  en  arrière,  raide  comme  une  barre 
métallique,  il  articula  : 

J'aimerais  mieux  tout,  que  de  recommencer  une  pareille 
vie.  .  J'en  ai  trop  enduré  ;  elle  m'en  a  trop  fait  voir  !  Tant  et 
si  bien  qu'on  en  cause  d'un  bout  à  l'autre  du  pays  !  Une  fille 
qui  se  moque  de  moi,  qui  finirait  peut-être  par  se  laisser  pé- 
rir, ou  par  me  donner  des  idées.  .  des  idées.  .  répéta-t-il  en 
serrant  les  dents.  .  Malheur  de  malheur  !  Il  y  a  des  moments 
où  on  ne  se  connaît  plus  ! 

L'abbé  Brissot  considérait  son  frère .  .  Pour  que  l'âme  du 
fermier  s'exhalât  en  cette  plainte  sauvage,  ah  !  il  fallait  qu'elle 
eût  longtemps  crié  seule,  et  saigné  en  dedans  ! 

— C'est  ta  fille,  pourtant,  dit  le  prêtre  avec  miséricorde,  et 
si  elle  te  revenait.  . 

— Je  la  mettrais  à  la  porte  !  scanda  Brissot,  dont  toutes 
les  syllabes  partaient  sèches  comme  des  coups  de  feu.  Amélie 
l'a  voulue  :  elle  la  gardera  I  Pour  moi,  ça  n'esfc  plus  mon 
affaire. 


^^^  La  Revue  franco- américaine 

R45 
t. 8 


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