L'ILLUSTRATION
Supplément de "La Revue Franco-Américaine "
Vol. VIII. No 1.
Montréal, 1er Novembre 1911
M. JOSEPH SAUCIER,
Artiste lyrique.
Président de l' Académie de Musique de Québec
LES PATRIOTES DU MAINE
MTRE GODFROI S. DUPRÉ,
Membre et aviseur légal du comité per-
manent de la cause nationale.
Dr Ai.bkrt C. Maynard,
Trésorier du comité permanent de la
cause nationale.
:Mons. a. t. Bèl^AND,
Secrétaire du comité permanent de la
cause nationale.
Dr Geo. C. Prècourt,
Membre du comité permanent de la
cause nationale.
Chez les Colons Canadiens-Français
[Reproduction des brochures Vastes champs, publiées par M, Alfred Pelland,
publiciste du ministère de la colonisation, à Québec]
Mata pkdia. — :Mont lyaurier — L'église.
Industrie; forestière. — Cie des Laurentides.
Les Grands Spectacles Canadiens
Un feu (le forêt.
Les chûtes Niagara.
r- ' -"-. ■■
La Revue
Franco- Américaine
LA SOCIETE DE
LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
197, RUE Notre-Dame Est, Montréal
La Revue
Franco-Américaine
Quatrième Année
Tome VIII. Novembre 1911
Directeur Administrateur
J.-L. K.-LAFLAMME J.-A. LCFEBVRE
Montréal
197, rue Notre-Dame Est
t.?
TABLE DES MATIERES
VOL Vlll
Nov. 191 1 à Avril 1912
Ah ! vraiment ! Michel Re- Agriculture (!') au Dane-
nouf, 129 msiYk, Henri de Varigny... 348
Affaire bien comprise, /. A nos abonnés, J.-L. K.-L.
A. Lefebvre 253 flamme.. 464
A Percé, poésie, W. Chap-
man, 337
B
Bonne (une) affaire pour flamme, 167
nos amis, J. A. Lefebvre, 163 Bibliographie 226
Bonne année ! T.-L. K.-La-
Corporation Sole — Plaidoyer Ceux qui partent, /.-L. K-
de Mtre Godfroi S. Dupré, Lajlamme, 259
devant la commission lé- "Corporation Sole", T.-L.
gislative de l'Etat du K.- Laflamme, 384
Maine. (Voir vol. VII) 46, 141
D
Décret (un) romain et la loi sociations religieuses,
de New-York sur les as- J.-L. K.-Laflamme 121
2 TABLE DES MATIÈRES
E
Ecossais (les) du Cap Bre- Est-ce orientation nouvelle
ton, Errol Bouchette, 6 de l'Eglise? Michel Re-
Ecole (F) des Belles-Mères, nouf, 390
(comédie), Eugène Brieux, 24 84 Encombrement des profes-
Etude socifile, Saint- Sorlin 214 seurs libérales et le fonc-
Education physique, Dr tionnarisme, Charles
Henri Lasnier 267 Bowrgouin, 465
Etude sociale, Saint-Sorlin 378
Eau (1') d'alimentation de
Montréal, J, A. Lefehvre, 387
F
Feu l'abbé Edmond Mar- Fonctionnarisme et Techno-
coux, Adolphe Poisson, 264 \ogit,J.-L. K.-Laflamme 419
G H
Guerre (la) italo-turque et Hiver (poésie), Paul Harel, 341
la France, Antoine Re-
dier, 50
I
Il manque une clause à la Industrie (F) nationale, l/i-
loi électorale de M. Gouin. 394 chel Renouf, 449
L
L'aube nouvelle (poésie), Le feront-ils taire ? Michel
Véga, 49 Renouf, 196
"Le Gaulois", J.-L. K.-La- Lee présents (poésie), Catit^-
flamme, 60 le Mendès, 257
Les deux filles de Maître L'horloge du cœur (poésie),
Bienaimé (scènes norman- Jean Rameau, 258
des) roman par Marie Le La lecture des romans, René
ilfiére,65,159,230,318,400,482 Bazin, 290
Le givre (poésie), W, Chap-
man 169
TABLE DES[|mATIÈEES
M
Mines (les), J. A. Lefehvre
Montcalm (poésie), W. Chap-
man
Nation (la) Franco-Nor-
mande au Canada, Fiie de
Ouiatchouan (1'), poésie,
W. Chapman
Mensonge de chien, Jean
Aicard, 458
68
N
O
Fronsac, 115, 199, 274,
364, 437
Origines (les) de notre his-
81 toire parlementaire, E7'-
rol Bouchette 171
Politique canadienne (la) et
les Canadiens-Français,
Louis Gérenval.
I — Q uelqu es pages
d'histoire
II — Questions actuel-
les 188,
102
295
III — Notre avenir politi-
que 472
Présence d'esprit, Alfred
Capus 301
Questions (les) économi-
ques et la politique na-
tionale (I), Dr de la
Glèbe
Questions (les) économi-
ques et la politique na-
tionale (II), Dr de la
843 Glèbe 426
R
Réponse (la) des faits,
Charles Dupil 48
Revue des faits et des œu-
vres.— Léon Kemner.
Le vote du 21 septembre.. 132
Le champ de bataille du 13
sept. 1759 132
Français et Allemands au
Maroc 221
Plus de billets à la porte de
l'église 222
Ouvriers anglais et ou-
vriers américains 225
Le voilà l'parapluie ! 305
TABLE DES MATIÈRES
Changements dans le cabi-
net anglais 133
La persécution chez les Aca-
diens 134
Les Franco-Américains du
Connecticut 135
Les écoles bilingues dans le
Manitoba 136
Nouveau supérieur du Col-
lège Canadien à Rome.. . 137
Chez les Forestiers Catho-
liques 138
Nos compatriotes de l'Ouest
américain 218
L'Ecole Sociale populaire. . 218
Retour au catholicisme. ... 220
Comment on les traite .... 306
Un voyageur inconnu .... 307
Doux pays ! 308
A propos de cardinalat 309
Avant le "Grain" . ... 311
Les Canadiens dans Onta-
rio., 312
Plaisanterie intempestive. . 313
La Louisiane — Aperçu gé-
néral 315
Un monument à La Véran-
drye 466
Avez-vous des enfants ? . . . 468
L'obole de la veuve 469
Un exemple à suivre 470
Tapisseries (les), poésie,
Jean d' Harcelines 417
Voix d'Acadie, Valentin A.
Landry... 33, 149, 179, 354
" Vraie (la) presse catholi-
que."— Arthur Preuss.. . 397
Les Ecossais du Cap-Breton
Par M. ERROL BOUCHETTE
(I)
Sommaire : Situation économique du pays. — Vétat social. — Deux
familles. — Le type anglo-américain. — Quelques mots des
groupes français.
La présente étude ne comporte pas une description com-
plète et approfondie de la population du Cap-Breton. Ce
n'est qu'une esquisse destinée à fixer les reliefs d'un état
social d'autant plus intéressant qu'il disparaît rapidement.
La population du Cap-Breton subira en effet l'évolution
commune aux races parlant la langue anglaise sur notre
continent. Sous l'influence des conditions anglo-améri-
caines, celles-ci tendent à se fusionner en un type uniforme.
Cette observation est certainement vraie pour les Etats amé-
ricains du littoral de l'Atlantique, ainsi que pour les pro-
vinces maritimes et la province d'Ontario au Canada. Tout
observateur attentif pourra se rendre compte que dans cette
région la formation sociale est au fond essentiellement et
constamment la même. On remarquera des divergences
superficielles; et si Ton pousse ses études jusque dans
l'Ouest américain et canadien, on trouvera, chez les pion-
niers, des traits caractéristiques temporaires, mais partout
la tendance ultime est la même et aboutit au type anglo-
américain.
Ce type domine donc dans presque toutes les provinces
anglaises du Canada. Le pays subit du reste, sous une foule
de rapports, une transformation radicale. Déjà enrichi et
(i) Travail lu par l'auteur devant la Société Royale du Canada, le 28
septembre 1910.
6 LA REVUE FRANCO -AMT^^RIC AINE
formé aux idées du progrès intense, son peuple éprouvera
bientôt l'impérieux besoin des hautes cultures intellec-
tuelles. Comme aux Etats-Unis, nous assisterons ici à une
renaissance universitaire assez générale pour influer nota-
blement sur notre avenir. La population tard venue et d'ori-
gine cosmopolite dépassera bientôt l'ancienne en impor-
tance numérique. Celle-ci, il est vrai, détiendra longtemps
encore la direction politique et la forte part des valeurs
économiques, malgré l'appoint important du capital étran-
ger.
Situation économiqe du Cap-Breton
Il n'en sera pas ainsi dans toutes les parties du Canada,
et nous trouvons au Cap-Breton une exception à cette règle.
L'importance de sa situation militaire et par-dessus tout ses
richesses minérales y attirent déjà, avec d'immenses capi-
taux, une population nouvelle venant en partie des. autres
provinces canadiennes, mais principalement de la Grande-
Bretagne et des Etats-Unis. Aussi f audra-t-il que son peuple
se transforme ou qu'il cède la place.
La ville de Louisbourg, ou plus probablement celle de
Sydney, deviendra la principale base de la défense navale
du Canada ; ainsi le veut la position stratégique de ces
havres situés à l'entrée du golfe Saint-Laurent. Choix des
ingénieurs français du i8e siècle, ce site s'impose encore
davantage aujourd'hui. La houille et ses dérivés sont deve-
nus le pouvoir moteur des flottes, et les charbonnages du
Cap-Breton sont les seuls que l'on trouve sur le littoral de
l'Atlantique. On se ferait difficilement une idée de l'im-
portance que vont prendre les mines et les aciéries. Leur
développement ne fait que commencer (l). Un incident le
(i) Bn 1908, le Canada produisait en chiffres ronds 8,200,000 tonnes de
houille. Cette même année, la seule Dominion Coal Company, du Cap-
Brstou, en produisait 3,600,000 tonnes. Ivcs mines de cette compagnie
couvrent 145 milles de terrain et on calcule que le gisement total doit
dépasser un milliard et demi de tonnes. D'autres compagnies possèdent
des mines presque aussi vastes et riches que celle-ci, très accessibles sur-
tout et rapprochées d'excellents ports. On comprendra donc que dans
LES ÉCOSSAIS DU CAP BRETON 7
fera comprendre. Un jour, cheminant à pied dans la forêt
des environs de Mira, nous nous efforcions de retracer la
marche sur Louisbourg du contingent français dont les
vaisseaux s'étaient brisés aux récifs de Scutari. Quelle fut
notre surprise, en trouvant tout à coup une ville en pleine
forêt ! Elle s'élève sur un coteau près d'un beau lac, et plu-
sieurs édifices considérables entourent un hôtel d'un style
tout à fait élégant, et luxueux à l'intérieur. Les rues sont
correctement tracées, mais les maisons, sauf le groupe cen-
tral, très rares. Dans la vallée s'étendent de vastes usines
et on aperçoit les ouvertures de plusieurs puits de mines.
Le tout était désert et silencieux. C'était la ville de
Broughton, siège principal de la Cape Breton Mining Com-
pany, rivale de demain de la Dominion Coal Company.
Un procès suspend actuellement l'entreprise et avec le tra-
vail et le salaire les hommes sont disparus, mais demain la
ville de Broughton renaîtra. Ce n'est pas un exemple isolé.
Déjà les grands centres miniers et manufacturiers de l'île
ne peuvent plus compter pour s'approvisionner sur la pêche
côtière ou sur l'agriculture, dans leur état actuel. La pêche
pourra se transformer; la petite barque fera place au grand
chalutier à vapeur, et le pêcheur côtier pourra, suivant ses
talents, devenir patron ou matelot, sans cesser d'être pê-
cheur. Quant à l'agriculture, il n'est pas certain qu'une
transformation avantageuse soit possible pour le moment.
Ce n'est pas l'espace qui manque. La superficie du Cap-
Breton est d'environ le tiers de celle de l'Ecosse, elle est
presque égale à celle de la Belgique dont la belle agricul-
culture, sous la même latitude, nourrit sept millions
d'hommes. Mais les conditions ne sont pas les mêmes. Ici
le climat est moins favorable. Les vents et les courants de
l'Atlantique poussent vers les côtes des banquises qui y sé-
journent parfois presque jusqu'en mai, sans cependant blo-
quer les ports. Bien que fertile, le sol n'offre pas Texubé-
quelques années le Cap-Breton sera littéralement absorbé par l'industrie
de la houille et celle de l'acier, lesquelles en attireront d'autres. Ce sera
un des grands foyers manufacturiers du monde.
8 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
rante productivité de celui des plaines de l'Ouest ; d'autre
part, les algues, les varechs, les déchets de poisson se trou-
vant partout en abondance pour l'enrichir, il ne s'épuise
pas facilement et peut donner de riches moissons. Au midi
de la Suède, où la terre et le ciel offrent à peu près les
mêmes ressources et les mêmes inconvénients, on a fait
merveille; l'Irlande renaît sous l'impulsion de quelques sa-
vants agronomes et l'exode de ses habitants a à peu près
cessé. Ces réformes demandent un effort que le Cap- Breton
ne fera pas maintenant, car on trouve plus de profita ache-
ter les produits agricoles de l'Ouest canadien ; on épuisera
cette ressource avant que d'en chercher plus près de soi.
L'agriculture, au Cap-Breton, semble donc devoir retomber
au second plan, pour renaître à une époque ultérieure.
Aussi constate-t-on que la population rurale et côtière,
ainsi que les produits de leur industrie, n'ont guère aug-
menté depuis vingt ans. Les vrais et appréciables progrès
se bornent aux centres miniers et industriels, habités en
grande partie par des étrangers à l'île dont nous sommes
à étudier l'état social.
Etat Social
Le Cap-Breton a eu plusieurs historiens, surtout M. Brown
et notre regretté collègue à la Société Roj^ale, Sir Joiin
Bourinot. Les richesses minérales si variées de la région
ne sont un secret pour personne; elles étaient connues en
partie des premiers explorateurs. Décrire ce pays serait
donc superflu et il nous suffira de rappeler au fur et à me-
sure les points essentiels à la thèse.
On sait que le célèbre lac du Bras-d'Or divise géographi-
quement cette île en deux parties; il en est de même au
point de vue social, exemple remarquable de l'influence du
lieu sur les moeurs. En abordant à la rive nord de ce fjord,
on trouve tout d'abord un pays montueux aboutissant à un
plateau très vaste et pratiquement inexploré qui s'élève
parfois à plus de douze cents pieds au-dessus du niveau de
la mer. Sur de grandes étendues ce plateau est'dénudé et
exposé aux vents du large ; l'agriculture n'y donnerait que
LES ÉCOSSAIS DU CAP lUlETON 9
de médiocres résultats, mais c'est le paradis du gibier et
notamment du caribou qui le parcourt en hordes nombreu-
ses. On pourrait avantageusement établir là un parc na-
tional. Vue de l'Atlantique la côte apparaît aride et déserte,
mais on trouve dans l'intérieur, nous disent les explora-
teurs, de profondes vallées où des forêts de chênes et d'é-
rables ombragent un sol vierge, fertile et protégé contre les
souffles du large.
C'est sur la rive septentrionale du Bras-d'Or et jusqu'à
quelques milles dans les vallées intérieures que se groupe le
gros de la population catholique d'origine écossaise. Elle
semble avoir conservé, encore mieux que ses compatriotes
de la vieille Ecosse, les mœurs et les traditions des ancê-
tres. Je n'ai fait que passer dans cette région sans pouvoir
l'étudier, mais j'en ai vu assez pour me rendre compte que
les habitants sont bien des montagnards écossais, parlant
encore assez généralement la langue gaélique. Leurs occu-
pations sont l'agriculture et la pêche, mais ils n'ont pas su
leur donner de grands développements. C'est que leur émi-
gration fut antérieure à la réforme agricole en Ecosse. Le
duc d'Argyll, dans son remarquable ouvrage : Scotland as it
was and as it is, établit que la misère publique qui a déter-
miné l'expatriation de tant de familles, tenait presque en-
tièrement à un mauvais système d'agriculture qu'on refusait
d'abandonner pour un système meilleur. L'exode d'une
population très intelligente dans de telles conditions, témoi-
gne de la puissance de la routine et des efforts qu'il faut
déployer pour la combattre. Ce groupe est d'un physique
avantageux, mais le milieu est assez pauvre; les jeunes gens
sont beaucoup mieux instruits que leurs pères, grâce aux
excellentes écoles communes de la Nouvelle Ecosse. Bien
qu'ils ne fussent que tenanciers dans leur paj^s d'origine,
les colons ont su depuis cent ans conserver la propriété de
leurs terres. C'est un progrès réel accompli, grâce à un
concours de circonstances favorables.
Au midi du Bras-d'Or, le pays est moins accidenté, l'agri-
culture et la pêche plus faciles, la population plus dense,
plus instruite et plus prospère. II s'agit ici naturellement de
10 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
la population rurale établie sur le sol. En dehors de cette
population et ayant assez peu de rapports avec elle, se
trouve la population ouvrière des mines et des fabriques.
Ces populations urbaines, déjà très importantes, dépasse-
ront bientôt en nombre la population originaire du Cap-
Breton. Celle-ci, au sud comme au nord du Bras-d'Or, se
compose en partie des descendants d'émigrants de la haute
Ecosse, mais avec un fort mélange de " lov/landers" et des
successeurs de soldats ayant obtenu "-des octrois de terres.
Le culte presbytérien domine presque partout. Ici encore
on observe les anciennes mœurs ; la langue gaélique est
pieusement cultivée, bien que la transformation qui se pro-
duit soit évidente, surtout chez les jeunes gens. Dans telle
église, par exemple, le service se fait en langue gaélique
d'abord, pour les anciens, puis en anglais pour la jeunesse
qui ne comprend plus guère la langue de ses pères.
Nous avons donc devant nous comme une miniature de
l'Ecosse, dont le Cap-Breton est en quelque sorte la réplique.
Comme en Ecosse, les côtes sont découpées en baies pro-
fondes et entourées d'îles. Un important bras de mer forme
la ligne de démarcation entre les terres hautes et basses.
Ici comme dans l'ancienne patrie la population du nord est
catholique, tandis qu'au sud du Bras-d'Or comme de la
Forth, la race celtique se mêle à l'élément anglo-saxon dont
elle partage la langue et la religion. Pour que rien ne
manque au tableau, on trouve ici comme eu Ecosse, de nom-
breux souvenirs français, sans parler des établissements
acadiens, des côtes occidentale et méridionale et de l'île
Madame. Ceux-ci cependant forment un groupement so-
cial séparé rappelant les vieilles colonies Scandinaves des
Orcades.
Les Ecossais du Cap-Breton ont conservé pour leur pays
d'origine un attachement très vivace. A ceux qui se sont
établis ailleurs sur le continent, il ne reste le plus souvent
qu'un souvenir affectueux ; ils ont perdu la tradition et sur-
tout les mœurs. Au Cap-Breton les moeurs se sont peu mo-
difiées et la tradition est restée longtemps à peu près in-
tacte, car ce pays isolé ne différait pas essentiellement de
LES ÉCOSSAIS DU CxiP BRETON 11
la haute Ecosse. Aussi peut-on dire que pendant près de
cent ans les Ecossais du Cap-Breton ont fait tache au mi-
lieu de la population américaine originaire de la Grande-
Bretagne. Ils sont restés distincts de la masse par les
moeurs et en partie par la langue. C'est en vivant au milieu
de ces hommes qu'on comprend qu'il pèse encore sur eux
quelque chose de la tristesse de leurs pères arrachés à leur
patrie. Cette tristesse Robert Louis Stevenson l'a fortement
décrite : "A l'entrée du loch Aline un grand navire est à
l'ancre. Sur son pont et sur la plage voisine se presse une
foule compacte; elle s'agite, passe et repasse continuelle-
ment par d'innombrables barques entre la rive et le vais-
seau. Une lamentation funèbre s'élève des flots et ceux qui
sont restés sur la rive y répondent en accents tristes et dé-
chirants. C'est un départ d'émigrants en destination d'A-
mérique. Notre barque approche; les exilés penchés sur les
bastingages tendent vers nous leurs mains suppliantes.
Mais voici le signal du départ, les voiles se déploient, le
navire s'éloigne lentement et bientôt nous n'entendons plus
que le triste refrain : Adieu, adieu Lochaber, s'éteignant
comme un lointain sanglot."
Pour ce qui est du Cap-Breton, cette émigration eut lieu
surtout de l802 à l8l2, ou 1827, dit M. Edv^^ard Gilpin (l).
Pendant cette période, plus de 25,000 personnes, venues
pour la plupart du versant occidental de la haute Ecosse,
se sont établies dans le pays. Ce n'est pas volontairement
que ces braves gens s'éloignaient de leur patrie si aimée.
La cause première de l'exode était sans doute la faillite de
l'agriculture traditionnelle devenue insuffisante pour nour-
rir la population. Mais il est certain aussi que plusieurs
grands propriétaires terriens encourageaient systématique-
ment leur départ, trouvant leur profit à convertir de pauvres
métairies en pâturages. Les montagnards, l'esprit de clan
aidant, se soumettaient docilement, mais le cœur serré, à
(I) Le régime des octrois des terres de la Couronne a pris fin en iSlo;
depuis lors jusqu'en 1818 on y a substitué le régime des permis (Crown
I^icences, Warrants, etc, etc.).
12 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
l'exil qu'on leur imposait. Cet esprit de clan se manifes-
tait aussi chez les seigneurs, ils savaient que malgré les
déchirements du départ, le sort de leurs censitaires se trou-
verait en définitive amélioré. La plupart du temps ils les
faisaient accompagner d'hommes de confiance, chargés de
les diriger et de veiller à leur premier établissement dans
leur nouvelle patrie. L'autorité de ces hommes était une
délégation de celle du seigneur ou du chef de clan. N'étant
sanctionnée par aucune loi, les colon s ^'en affranchissaient
en général dès leur arrivée en Amérique et les chefs qui,
comme le célèbre Laird McNab, dans Ontario, ont voulu
imposer une autorité féodale, n'ont pas tardé à le regretter.
Au Cap Breton il en fut autrement, par suite de l'isole-
ment des émigrés. On y conserva longtemps, on n'a pas
encore complètement perdu cette caractéristique de la race
celtique : fidélité aux personnes plutôt qu'aux idées et aux
principes. Parmi les chefs qui conservèrent longtemps
dans l'île une autorité considérable, on en cite un qui
portait le sobriquet de Long-Doigt, parce que deux des
doigts de sa main droite étaient démesurément longs et
rigides ; cette difformité singulière est sans doute pour
quelque chose dans sa célébrité. Il semble cependant avoir
possédé quelques-unes des qualités d'un meneur d'hommes
et il exerçait une influer.ce assez notable. On le prenait vo-
lontiers pour arbitre des différends et s'il arrivait aux auto-
rités de Sydney d'émettre un avis contraire au sien il en-
fourchait sa monture et se rendait à la ville où juges et
avocats craignaient sa véhémence sinon ses arguments.
Les chefs de la première génération disparurent dans
le cours ordinaire de la nature, mais l'esprit communau-
taire de clan persistant toujours, ils eurent des succes-
seurs. Pendant de longues années, un excellent prêtre, le
révérend messire McLeod, fut le maître incontesté de la
région du nord, tandis que son cousin, le révérend pas-
teur McLeod, presbytérien, exerçait une influence ana-
logue au sud. Ce dernier avait obtenu l'autorisation de
percevoir la dîme. Et ce droit, aux termes de son titre
de concession, était transmissible à ses descendants qu'ils
LES ÉCOSSAIS DU CAP BRETON 13
fussent ou non ministres du culte. C'est un exemple des
fréquentes concessions irrégulières faites dans ce pays (l).
Comme tous les événements de Torigine, celui-ci décèle la
formation communautaire qui donna lieu à tant d'abus du
système féodal en Ecosse, en Irlande et dans certaines par-
ties de la France. On sait que la féodalité, restée en somme
favorable à l'expansion sociale dans les pays anglo-saxons
et francs, se compliqua bientôt chez les groupes celtiques
d'exactions sans nombre. Cela donna lieu à la longue à des
soulèvements populaires, mais pendant des siècles, surtout
en Ecosse, les peuples souffrirent en silence; ils s'effa-
cèrent. La merveilleuse chronique de saint Colomban
d'Iona, redit la carrière du saint dans ses moindres détails
quant à sa vie spirituelle et à ses rapports avec les grands ;
mais quant au peuple qu'il a aimé et protégé, qui vénérait
la trace de ses pas, on chercherait en vain dans ce docu-
ment des indices sur sa manière d'être et de penser; on di-
rait qu'il n'existe pas. On sait d'autre part que les chefs de
clans, qui n'étaient revêtus d'aucune autorité légale, exer-
çaient alors et longtemps après, un pouvoir absolu d'autant
plus difficile à entamer que le peuple semblait chérir ses
liens.
Les traces de ce régime existent encore au Cap-Breton.
Elles deviennent de plus en plus faibles et rares et elles
s'effaceront bientôt entièrem.ent, car le pays tout entier est
en pleine transformation. Cette évolution est généralement
plus rapide au sud qu'au nord, mais on trouve encore, même
au sud du Bras-d'Or, des exemplaires de la tendance an-
cienne et moderne.
(i). La confusion des titres au Cap-Breton a toujours été très grande.
C'est à tel point qu'en 1839 le gouvernement du Cap-Breton les annulait
en gros dans le but d'accorder des titres nouveaux. La loi de 1843, d'autre
part abroge celle 1839, et remet tout en question. Aujourd'hui les titre»
de propriétés sont assez bien établis ; mais il n'en est pas de même p>c"ur
les droits miniers. Une foule de prétentions contradictoires retardent
l'extraction du minerai de fer sur l'île.
14 LA REVUE FRANCO- AMERICAINE
Deux Familles.
Deux familles que j'ai pu observer représentent assez bien
Tune Fancien type écossais du Cap-Breton, l'autre celui qui
évolue très rapidement vers un état social plus moderne. Il
serait intéressant et utile de les passer toutes deux au crible
de la méthode de M. Léon Gérin, et je crois posséder pour
cela les données nécessaires. Mais outre que la transcrip-
tion de ces observations comporterait une étude beaucoup
plus longue que la présente, je m'en'" trouve détourné pour
des raisons personnelles. J'espère que les quelques indica-
tions données ici seront jugées suffisantes. Chacune de ces
familles occupe une terre agricole à l'embouchure de la
rivière Mira, qui en cet endroit coule étroite et profonde
entre des rives hautes et escarpées. Une crevasse qu'on
appelle " Mira Gut " (détroit de Mira) livre passage à la ri-
vière jusqu'à la mer ; son cours s'élargit en remontant vers
les jolis lacs qui forment sa source. La terre que possède
chacune de ces familles est d'une égale fertilité, mais celle
qui occupe le promontoire de gauche est assez pierreuse.
Sur les bords de la mer, au pied de ces deux propriétés cir-
culent les trains de la voie ferrée Sydney et Louisbourg,
qui passent par les centres importants de Glace Bay et de
Morienne. Des bateaux à vapeur d'un tonnage suffisant
remontent la Mira sur une cinquantaine de milles, touchant
à plusieurs villages et à des points d'une importance indus-
trielle. La baie de Mira est d'autre part un lieu de villé-
giature idéal ; grève magnifique, paysage très intéressant
souvenirs historiques de tous les côtés.
Sur la rive droite demeure le fils de l'ancien chef de clan,
Long-Doigt. C'est un homme de soixante-quinze ans, à
barbe blanche, mais grand, droit et vert, n'ayant presque
rien perdu de son activité et de sa vigueur. Il porte le béret
écossais et se drape volontiers dans un plaid qui ne man-
que pas d'une certaine élégance. Il est fier de son nom, de
son origine, de sa personne et il nous fait voir une charrue
apportée d'Ecosse par son père et construite en 1708. Cette
charrue est presque le seul souvenir matériel qui lui reste,
LES ÉCOSSAIS DU CAP BRETON 15
si ce n'est quelques procès qui durent encore. Ses frères et
ses sœurs sont dispersés au loin, lui-même ne s'est marié
que bien tard et il est le père de plusieurs enfants dont
l'aîné n'a que seize ans.
Dans cette famille le père commande en maître absolu
et on comprend bien vite en lui parlant que la paix ne
régnerait pas longtemps au foyer si la mère ou les enfants
risquaient la moindre contradiction. Et cependant, dans
ses rapports avec ses voisins, une timidité étrange se mêle
à un ton naturellement tranchant. C'est que les choses ont
bien changé. Ce personnage autoritaire dans sa famille et
cela par la conception traditionnelle de son rôle de chef,
aurait exercé dans la région une influence analogue à celle
de son père, s'il eut possédé ses talents, et surtout si le
milieu social ne s'était pas profondément modifié. Aujour-
d'hui, il se trouve presque seul de son espèce, du moins au
sud du Bras-d'Or; ses voisins, tout en ayant soin de ne pas
entrer en conflit avec lui, n'acceptent plus ses idées. Puis
on sait qu'au fond du cœur il a des prétentions qu'il ferait
valoir s'il en avait le pouvoir.
La terre du fils de Long-Doigt a une étendue de cent
acres environ; c'est un plateau ondulé se terminant au pro-
montoire de Mira, au sommet duquel se trouve sa maison,
assez vaste, mais de pauvre apparence et pas très bien te-
nue. Cette maison est en bois, elle est exposée à tous les
vents et facile à incendier. Tout près un coteau s'incline
doucement vers la Mira ; on y trouve les restes d'un beau
verger, d'un potager et d'une fontaine dont les eaux arro-
saient des plates-bandes. Cela entoure les ruines d'une so-
lide maison de pierre abritée contre les vents. Pourquoi
avoir abandonné cet excellent site pour un endroit beau-
coup moins favorable ? Pourquoi quitter des maisons solides
et substantielles pour de pauvres baraques de bois ? Per-
sonne n'a su me donner une explication satisfaisante de
cette singulière manière d'agir qui est générale pourtant
dans cette partie du Cap-Breton. Ces anciennes maisons
françaises, offraient pour la -plupart des logements plus
désirables sous tous les rapports que les maisons actuelles;
16 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
leur entretien ne présentait aucune difficulté. Cependant on
voit leurs murs ruinés ou leurs solides cheminées se dres-
sant soudain dans les champs comme des spectres du passé.
La principale ressource de cette famille est une agri-
culture assez rudimentaire et laissant peu de surplus pour
la vente, si ce n'est un peu de foin. La pêche côtière faite
très en petit, mais régulièrement, forme aussi un appoint
important. Du reste toute la famille est suffisamment et
décemment vêtue, sli nourriture est ^saine et suffisante, se
composant surtout d'avoine bouillie, le mets national écos-
sais, de poisson, de lait, de pommes de terre et aussi sou-
vent de boeuf ou de lard, et la santé de tous ne laisse rien
à désirer. Sa vie isolée, les traditions qui l'entourent, les
préjugés auxquels son chef est attaché, son isolement so-
cial et même jusqu'à un certain point religieux, tout con-
court à former ici, au point de vue économique et social, un
type bien inférieur à ceux de la province de Québec que
décrit M. Gérin. Si le père élevait ses enfants à sa guise,
ceux-ci hériteraient de beaucoup de ses préjugés et de ce
qu'on pourrait appeler ses incompétences sociales, sans
acquérir les vertus un peu barbares de son ancêtre Long-
Doigt.
Seulement, et c'est là un point capital dans l'étude qui
nous occupe, les enfants de cet homme de formation su-
rannée pour ne pas dire inférieure, sont obligés de par la
loi de fréquenter les excellentes écoles établies par le gou-
vernement de la Nouvelle-Ecosse; les autorités municipales
veillent de près à la rigoureuse observance de cette loi. Il
est donc probable que les enfants ayant acquis l'instruction
et des idées plus modernes, cesseront de vivre dans un
isolement relatif ; leur formation sera supérieure non seule-
ment à celle de leurs parents, mais aussi à celle de certains
types qui peuvent être considérés comme plus avancés que
leur type ancestral, mais qui n'ont que la tradition familiale
comme guide. Celle-ci (la tradition, la mentalité) a sans
doute sa très grande importance, mais si elle n'est pas for-
tifiée par l'instruction elle va nécessairement en s'affaiblis-
sant.
LES ÉCOSSAIS DU CAP BRETON 17
Supérieure au type précédent, supérieure aussi, je crois,
à celui de Thabitant de Saint-Justin, la famille M offre
un exemple du groupe écossais du Cap-Breton ayant à peu
près complété l'évolution qui en fait l'égal des types anglo-
saxons les plus avancés du continent américain. La compa-
raison entre cette famille et la précédente est d'autant plus
intéressante que toutes deux, je l'ai dit, occupent des terres
voisines de même valeur et étendue à peu de chose près, qui
leur sont parvenues par héritage. Nous verrons qu'ils ont
tiré un parti bien différent d'avantages à peu près analogues.
Cette famille M se compose de neuf personnes, le
père, la mère, deux fils, quatre filles tous adultes, moins une
seule fille, et une tante célibataire. On n'emploie pas de
domestiques, bien que la présence dans la maison, pendant
la saison d'été, de plusieurs pensionnaires, semblerait le
justifier. Le père, âgé de 65 ans environ, est le descendan
d'un ancien soldat dont le régiment a été licencié au Cap-
Breton. Le vétéran obtint un octroi de terre que ses des-
cendants cultivèrent de père en fils. En général, au Cap-
Breton, le fils aîné d'un cultivateur cherche fortune à l'ex-
térieur ou à l'étranger, pour ne pas obérer le budget fami-
lial et aussi, s'il se peut, pour augmenter ses ressources
jusqu'à son mariage. Il en a été ainsi habituellement dans
la famille M Son chef actuel avait un frère aîné qui est
devenu marin et qui a péri dans un naufrage. Le fils aîné
de la génération présente, victime d'un accident qui le rend
impropre au travail manuel, est télégraphiste sur le chemin
de fer Sydney et Louisbourg, et en bonne voie de prospé-
rité. Le cadet, âgé aujourd'hui de vingt-un ans, aide à son
père et lui succédera. Au physique comme au moral ce
père et ce fils sont des types supérieurs ; ils sont instruits,
lisent des livres et des journaux, discutent leurs propres
affaires et les affaires publiques avec intelligence et modé-
ration. On ne remarque pas chez eux cette rudesse dans
les manières qu'on déplore souvent chez les gens de la cam-
pagne. Les M et ceux qui les entourent sont des gentle-
men dans leurs manières. Je n'ai pas du reste rencontré de
gens impolis au Cap-Breton.
18 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Ils tirent du sol le meilleur parti qu'ils peuvent sans
changer absolument les méthodes anciennes. Trop exposée
aux vents du large, leur terre produit difficilement et tar-
divement les céréales. Il faudrait pour la mettre en rapport
augmenter le troupeau qui ne se compose actuellement que
de quatre ou cinq têtes, et se livrer davantage à l'industrie
laitière. L'agriculture est cependant la principale ressource
de la famille.
Dans la famille M on ne fait pjus la pêche. Le tra-
vail est très exactement réparti entre les divers membres.
La mère s'occupe exclusivement de la maison, des enfants,
et, l'été, de ses pensionnaires. Sa belle-sœur et ses filles lui
aident à tour de rôle, mais chacune a en outre ses occupa-
tions particulières. La tante tient le bureau de poste de
Mira; la fille aînée seule est simple fermière, toutes les
autres, bien que ne dédaignant pas ces travaux, fréquen-
tent l'école normale et ont obtenu ou obtiendront des di-
plômes d'institutrices; l'une possède un vrai talent pour la
musique, mais toutes sont sans prétention, modestes dans la
mise et le maintien.
Cela constitue un intérieur agréable oii règne la paix
absolue. L'habitation modeste est saine et bien tenue, la
nourriture variée et convenablement apprêtée est semblable
à celle des cultivateurs aisés de la Nouvelle-Angleterre et
d'Ontario, peut-être un peu plus recherchée; le vêtement
est sans recherche, on soigne surtout la personne, les che-
veux, les dents. Un harmonium, plusieurs liasses de bonne
musique, livres, revues, journaux, sont la ressource des soi-
rées d'hiver. Le rouet, qui ne sert plus, reste néanmoins
dans un coin du " living room."
Toute cette vie familiale laborieuse, animée et heureuse
est en grande partie l'oeuvre de l'excellent système des
écoles publiques de la Nouvelle-Ecosse. Ici sans doute l'é-
volution était déjà commencée dans la génération précé-
dente, les parents se trouvent eux-mêmes en état de diriger
leurs enfants. Mais grâce à une instruction plus complète
et à une formation énergique, les enfants feront encore
mieux. C'est ainsi que le fils cadet, successeur de son père,
LES ÉCOSSAIS DU CAP BRETON 19
se prépare de longue main à faire valoir la propriété. La
modeste pension, pouvant recevoir une dizaine de per-
sonnes, sera entourée de chalets qui rendront la plage po-
pulaire. Puis il exploitera les carrières qui se trouvent sur
sa terre et construira des fours à chaux. Cette pierre, utili-
sable dans l'industrie, entrave l'agriculture mais il nous a
fait remarquer qu'elle ne nuit en aucune façon à l'élevage
des vaches laitières et des animaux de boucherie.
Naturellement, une telle famille exerce une influence
saine sur son entourage. Appartenant au culte baptiste,
dont les adhérents sont peu nombreux, elle s'occupe de
l'entretien de la chapelle et héberge le pasteur plus sou-
vent qu'à son tour. Ses rapports de voisinage sont fréquents
et les associations dont elle forme partie tiennent surtout
de l'école et de l'église. On s'occupe peu des affaires mu-
nicipales, si ce n'est au point de vue de ces groupements ;
quant à la politique, on en suit les développements, mais
sans passion. Enfin chacun des membres de la famille
affirme dans tous ses actes, la doctrine si salutaire de la
confiance en soi : " self-reliance et self-help."
Le type anglo-arnéricain.
Ces deux familles sont des exemplaires assez typiques de
la population écossaise rurale du Cap-Breton à l'heure ac-
tuelle. Sa destinée ultime ne me parait pas douteuse. Elle
perd rapidement sa caractéristique traditionnelle pour se
fondre dans la masse anglo-saxonne américaine. Celle-ci
est partout presque identique, car partout on trouve des in-
fluences identiques à l'oeuvre : les pouvoirs publics et l'é-
cole s 'inspirant d'un même principe et agissant dans des
milieux où les moyens d'existence ne sont pas essentielle-
ment différents. La facilité et la rapidité des transports
mettent les mêmes objets et les mêmes ressources à la por-
tée de tous. Ce phénomène semble du reste général dans
l'Amérique septentrionale. C'est la langue qui détermine
les groupements. Les gens de langue française au Canada,
si différents en France, en Belgique et en Suisse, perdent
20 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
rapidement ici leurs traits distinctifs. Quant aux Anglais
modernes, ils ne reconnaissent plus leurs cousins d'Amé-
rique tant ceux-ci ont évolué.
Ce type américain ne s'est pas, on le conçoit, formé en
un jour. On en trouve l'origine aux Etats-Unis. Dès le
milieu du XVIIIe siècle l'influence d'une élite nouvelle in-
tellectuelle et sociale se manifestait parmi les descendants
des pi Igri m fat hers qui s'étaient expatriés pour satisfaire à
une conviction profonde. Ce fut là^ le foyer de la révolu-
tion américaine à laquelle le peuple des Etats hors de la
Nouvelle-Angleterre, ne se rallia d'abord qu'en hésitant. La
révolution politique triomphante fit la révolution sociale
dont l'école publique fut l'instrument. Des citoyens gran-
dirent imbus des traditions plus ou moins véritables de
cette révolution. On ne craignit pas de nourrir les enfants
de gloires quelquefois un peu problématiques afin de sti-
muler leur ambition patriotique. L'effort fut calculé, una-
nime, énergique. Ses initiateurs, s'affranchissant de toutes
entraves traditionnelles, s'appliquèrent à former les jeunes
intelligences d'après un programme de philosophie pra-
tique nouveau dans l'histoire de l'humanité.
Naturellement cette innovation donna lieu à de vives cri-
tiques, les mêmes du reste qu'on fait entendre aujourd'hui
dans d'autres pays où l'on tente des expériences sociales
analogues. Il est vrai que le premier produit de l'éducation
nouvelle fut franchement désagréable. Les nouveaux ci-
toyens manifestaient leur liberté par la grossièreté et la
violence. Charles Dickens en a fait un portrait inoubliable.
Mais il avait écrit sans assez refléchir, car les descendants
des hommes qu'il critiquait, sortis du même moule scolaire,
ont, à certains points de vue, réalisé l'idéal de l'écrivain.
Le système scolaire d'Ontario, des provinces maritimes
et de l'Ouest canadien fut calqué sur celui des Etats-Unis.
L'institution est trop connue pour qu'il soit nécessaire d'en
faire la description. On y exalte systématiquement l'effort,
mais l'effort concentré, impassible et sans démonstration
extérieure, ce qui décuple les forces d'un homme en face
d'un ennemi non averti. C'est une armure. C'est ce qu'un
LES ÉCOSSAIS DU CAP BRETON 21
écrivain a appelé : " to learn the lesson of the race." Les
jeunes gens ainsi formés sont capables presque de tout, car
on leur a persuadé que rien ne leur est impossible et qu'en
toutes choses ils doivent compter sur leurs propres forces,
leur propre jugement. Que nous sommes loin du citoyen
idéal décrit par le vicomte M. de Vogué : " prêt à tous les
dévouements et à tous les sacrifices sur un signe du chef
qui sait capter sa confiance, n'exigeant en retour de ce chef
qu'une garantie de protection après la lutte quand les com-
battants licenciés retombent dans leur apathie." Chez les
populations de formation anglo-américaine, on peut dire
que l'apathie n'existe pas, on ne demande la protection de
personne, on ne reconnaît point de chef et c'est tout au
plus si on consent à déléguer certains des pouvoirs popu-
laires pour un temps limité. Ces populations sont com-
plètement particularistes et, à notre avis, l'avantage est
énorme.
Plusieurs romanciers anglo-américains et canadiens, no-
tamment messieurs Robert Barr, Knowles et Montgomery
se sont faits les peintres de cet état social. Certaines par-
ties des Etats-Unis, surtout la Nouvelle- Angleterre, sont, on
le conçoit, en avance sur le Canada où le milieu est moins
riche et le terrain moins préparé. Aussi trouve-t-on dans
la république américaine une magnifique floraison d'écoles
supérieures, dont on peut juger de l'esprit en étudiant cette
personnalité remarquable, le Dr Goldwin Smith, qui en fut
une des âmes dirigeantes.
Impossible de nier en tout ceci l'influence du régime sco-
laire. Mais l'école ne donne ces résultats que parce que le
milieu est favorable. Le réformateur reste impuissant en
face de certaines conditions antisociales. Dans les très
grandes villes et dans certains centres industriels, où sont
parquées les masses prolétaires, on trouve une population
bien diflicile à classifier. L'organisation des unions ou-
vrières lui a donné une formation, inférieure il est vrai à
celle que nous venons de décrire, mais bien supérieure à
son état antérieur. Il ne faut pas l'oublier, en effet, une
masse prolétaire non organisée et amorphe, est réfractaire
22 LA REVUE FRANCO -AMÉRICAINE
au progrès social. On constate donc qu'en Amérique comme
ailleurs, la classe ouvrière reste distincte du reste de la po-
pulation et que la divergence entre les deux est profonde.
Il en est déjà ainsi au Cap-Breton. Un assez grand nom-
bre de jeunes gens, il est vrai, abandonnent l'agriculture
pour le travail des mines, mais on remarque que ceux qui
ont suffisamment évolué vers le type supérieur anglo-amé-
ricain évitent de se laisser entraîner de ce côté.
Les groupes français.
C'est cette force sociale dont nous venons de parler qui
développe l'Amérique septentrionale. Son esprit est un peu
exclusif, mais sa puissance est formidable. Ceux qu'elle
n'assimile pas elle les isole, elle les emmure d'indifférence
et de silence, comme les abeilles ensevelissent dans la cire
les intrus qui pénètrent dans la ruche. Cela n'est pas l'effet
d'un calcul, c'est la résultante d'une impulsion d'oîi l'ins-
tinct n'est pas absent. Les immigrants qui s'attendent à
des conditions nouvelles se conforment autant qu'ils le peu-
vent aux conditions de l'Amérique, mais les Anglais qui
croient retrouver des Anglais en restent fort surpris ; aussi
les malentendus sont-ils fréquents. Il en est de même pour
les Français; il ne comprennent plus d'abord les Cana-
diens-français.
Seul un groupe puissant, homogène et économiquement
indépendant, peut résister à cette assimilation civilisatrice,
mais un peu trop uniforme et despotique, et cela à la con-
dition de lui opposer un élément civilisateur également
avantageux. Il est bien évident que si la formation qu'on
voulait opposer à la civilisation anglo-américaine lui était
vraiment inférieure, il ne serait pas sage d'insister pour
qu'elle survive. Heureusement, la formation sociale cana-
dienne-française, laquelle nous vient de France, n'est pas
inférieure à l'anglo-saxonne. Il est indéniable cependant
qu'il y a arrêt dans le développement normal de nos com-
patriotes. Les Canadiens-français sont assez nombreux et
organisés pour résister à l'assimilation ; ils l'ont fait avan-
tageusement, alors qu'opposés à une population angle-
LES ÉCOSSAIS DU CAP BRETON 23
saxonne moins avancée que celle d'aujourd'hui, ils ont con-
quis la liberté. Ont-ils su conserver leurs avantages ? Ont-
ils compris la nécessité d'un effort soutenu ? Ont-ils conquis
surtout l'indépendance économique, corollaire obligé des
libertés politiques ? Ne sont-ils pas plutôt, comme le ci-
toyen idéal de M. de Vogué, retombés dans l'apathie ? Ont-
ils jamais réfléchi que s'il leur arrive de se laisser devan-
cer dans la lutte, le contre-coup pénible de leur infériorité
même temporaire se fera sentir jusque dans le plus infime
groupement français de l'Amérique, et à plus forte raison
du Canada? Si les colonies françaises de la Nouvelle-
Angleterre, du Nouvcau-Brunswick, du Cap-Breton sont
prospères et respectées, c'est que la province de Québec
aura fait son devoir; sont-elles malheureuses et léthar-
giques, c'est que dans la province de Québec on est ou-
blieux du devoir social. Les circonstances ne m'ont pas
permis de visiter les groupes français de l'île du Cap-Bre-
ton, je ne les connais que par ouï-dire ; je ne saurais donc
dire jusqu'à quel point ils souffrent de nos fautes. Ce que
je sais bien, c'est que ces fautes ne sont pas irréparables,
que le Canada français peut encore se racheter et reprendre
son véritable rôle, au prix d'un effort unanime et sérieux.
Et s'il fait cet effort, les Acadiens, vivant en villages isolés
sur l'ancienne île Royale, verront s'ouvrir devant eux un
brillant avenir sans qu'ils aient à sacrifier pour cela la
langue qui leur est chère. Il fut un temps où le peuple grec,
jadis si glorieux, n'était plus représenté que par une poi-
gnée de paysans ruinés et rendus à dem.i-sauvages par des
siècles d'oppression. Et cependant nous voyons aujour-
d'hui la nation grecque refleurir non seulement en Grèce,
mais aussi dans toute la Turquie d'Europe où elle domine
par sa culture et par sa puissance économique, en attendant
sa complète émancipation. De tels exemples prouvent que
les rejetons d'un peuple illustre peuvent tout espérer, s'ils
veulent faire de sérieux efforts pour reconquérir leur place
au soleil, sur une terre où l'oppression est inconnue et où
l'intelligence et l'effort sont sûrs de trouver une prompte
récompense.
L'Ecole des Belles-Mè
ères
COMEDIE EN UN ACTE
PERSONNAGES
FIFINE, femme d'André.. Mmes DULUC
Mme GRAINDOR, mère de Fifine JENNY ROSE
Mme MEILLET, mère d'André Netza
LEONTINE, bonne DiCKSONN
M. GRAINDOR MM. Lerand
ANDRE... Maury
En p e nos jours.
Un salon
SCENE PREMIERE
fifine, ANDRE
André entre par la porte, en bras de chemise, tenant sa ja-
quette à la main. Il ne voit pas Fifine qui met son
chapeau.
André. C'est trop fort ! (Il appuie avec force, à plusieurs
reprises, sur un bouton électrique ; il va à la porte du fond
et l'ouvre en criant.) Léontine ! Léontine !
Fifine est arrivée sur la pointe des pieds jusqu'auprès
de son mari qui ne l'a pas encore vue; elle crie également.
— Léontine ! Léontine ! (Elle éclate de rire et descend en
scène.)
Ah ! tu es là ! Et la bonne }
Léontine ?
Oui, ma jaquette n'est pas brossée.
Tu vas voir des malades, ce matin, monsieur le
André.
Fifine.
André.
Fifine.
docteur }
André.
Tu sais bien que je n'en ai pas. Depuis un mois
l'école des belles-mères
25
que j'ai passé mon dernier examen... Mais je sonne depuis
une heure.
Fifine. Et personne ne répond ?
André. Non !
Fifine. Ca ne m'étonne pas !
André. Pourquoi }
Fifine. Parce qu'il n'y a personne. (Elle rit.)
André. Tu ne seras jamais sérieuse.
Fifine. Si, quand j'aurai vingt ans.
André. Mais moi, j'en ai vingt-cinq et je. . .
Fifine. Mon pauvre André. . . Faut te brosser toi-même
comme pendant notre voyage de noces à Paris.
André. Je n'ai pas trouvé la brosse.
Fifine. Ah! attends! (Elle lui prend la jaquette des
mains et la secoue un peu.) Là!
André, (mettant sa jaquette). — Et Léontine ?
Fifine. Elle est sortie pour chercher une place.
André. Une place ! On l'a donc mise à la porte ?
Fifine. Oui !
André. Qui }
Fifine. Maman, parbleu !
André. Pourquoi ?
Fifine. Je ne sais pas. . . Qu'est-ce que ça peut te faire ?
André. Et l'autre ?
Fifine. L'autre, elle est allée faire une course.
André. Où ça ?
Fifine. (riant). En voilà, des questions! Est-ce que je
sais. — C'est maman qui l'a envoyée. Tu es fâché ?
André. Non !
Fifine. Faisez une risette !
André, (riant). Embrasse- moi.
Fifine. Encore ? . . . N'abîme pas mon chapeau. (Il l'em-
brasse.) Là !.. . C'est assez. . . Comment le trouves-tu, mon
chapeau ?
André. Très gentil.
Fifine. Tu dis ça ; tu ne l'as pas regardé.
André. Mais si. . . Tu sors ?
Fifine. Tu vois.
26 LA REVUE FRANCO-AMÉRICIANE
André. N'oublie pas de passer chez le tapissier.
Fifine. Maman y est allée.
André. Qu'est-ce qu'il a répondu ?
Fifine. Elle te le dira.
André. Où vas- tu ?
Fifine. Je vais avec maman.
André. Quoi faire ?
Fifine Ah î voilà ! . . . Acheter un chien ?
André. Un chien ?
Fifine. Oui! Oh! il est si petit, que tune t'apercevras
pas de sa présence. C'est un amour, gros comme ça, avec
des petites oreilles, des yeux noirs. . . tu verras. Il ressemble
à ma tante. Tu sais, ma vieille tante. Je le ferai jouer. Nous
jouerons tous les deux. Tu lui apprendras à faire le beau.
(Elle saute de joie.) Ce qu'on va s'amuser.
André (riant). Et combien, cet amour ?
Fifine. Cher ! . . . mais c'est comme en tout : quand on
veut avoir du beau, il faut y mettre le prix.
André. Combien, encore ?
Fifine. Cent cinquante francs.
André. Tu es folle, ma petite Fifine ? Voyons, réflé-
chis... Tu ne l'auras pas huit jours, que tu en seras
lasse. ..
Fifine. Tu crois ?
André. Certainement. Et puis. . . je ne sais pas bien
comment te dire cela. . . il faut un peu surveiller nos dé-
penses.
Fifine (sans mauvaise humeur.) C'est bon ! je ne l'achète-
rai pas. . . Es-tu content }. . .
André. Oui !
Fifine. Au revoir ! Au revoir ! (Elle sort en courant.)
SCENE II
André (seul, puis Léontine)
André. J'ai peut-être eu tort de la priver de son chien. . •
mais je ne veux pas laisser sa mère gouverner. (Entre Léon-
tine.
l'écgle oes belles-mères 27
Léontine. Monsieur me demande?
André. Non ! C'était pour. . .ce n'est plus la peine.
Léontine. Monsieur sait qu'on m'a renvoyée ?
André. Oui. Pourquoi ?
Léontine. Parce que j'avais demandé à madame — à la
mère de madame — d'aller, dimanche, chez mon grand-père
qui est malade.
André. Eh bien, vous irez chez votre grand-père et vous
resterez à mon service.
Léontine. Merci, monsieur ! (On entend sonner.)
André. On sonne ! Allez donc voir ! (Elle sort)
SCENE III
André (seul, puis Madame Meillet)
André. Je veux être le maître chez moi, saperlotte ! (La
bonne fait entrer Mme Meillet.)
Madame Meillet— Mon cher enfant ! (Embrassades.) Je
viens entre deux trains, chez le notaire, pour signer des pa-
piers. Je n'ai pas voulu passer dans ta rue, sans monter te
dire bonjour. Fifine va bien }
André. Très bien ! Elle est sortie.
Madame Meilkt Déjà ! Alors, je me sauve. . . Et la clien-
tèle ?
André. Rien ! Seulement, nous comptons beaucoup sur
l'influenza, au commencement de l'hiver.
Madame Meillet Tant mieux ! Et le ménage, ça marche
toujours, avec ta belle-mère } Quelle idée vous avez eue de
venir habiter ici. . . Alors, ça marche ?
André. Oui, seulement. . .
Madame Meillet Seulement ?
André. Il y a des petits tiraillements. Fifine n'est pas
assez affectueuse. . . Elle n'aime pas assez son chez
soi. . . enfin. . .
Madame Meillet Je vois ce que c'est II faudrait l'oeil
de ta mère là-dedans.
André. J'ai peut-être eu tort de te dire cela.
Madame Meillet. Du tout ! du tout ! Je cours chez mon
28 LA REVUE FRANCO-AMJÉRICAINE
notaire, parce qu'il ne serait plus là, si j'arrivais en re-
tard. . . et je reviens ici. Et — écoute bien ce que ta mère va
te dire — je n'en partirai pas avant que tout y soit en ordre.
André. Ma foi, je te remercie. Je n'osais pas te le de-
mander. . . ce sera une bonne chose.
Madame Meillet. Tranquiliise-toi. J'arrangerai tout, et ce
ne sera pas long. A tantôt !
André (la reconduisant). A tantôt. . . (Il reste un moment
à la porte, redescend et sonne. Léontine paraît.)
SCENE IV
André, Léontine
André. Vous mettrez trois couverts, ce soir !
Léontine (surprise). Trois couverts ?
André. Oui, ma mère dînera ici. . . Qu'est-ce que vous
avez ?
Léontine. Mais, monsieur, c'est impossible !
André. Parce que .?. . .
Léontine. Mais, jusqu'ici, monsieur et madame ont tou-
jours pris leur repas chez les parents de madame, en bas ;
alors, la cuisine n'est pas en éiat.
André. Allons ! C'est bien !
SCENE V
Léontine, André, (puis) Fifine
Entre Fifine avec un petit chien sous le bras.
Fifine. Je n'ai pas été longtemps. . .
André. Qu'est-ce que c'est que ça ?
. Fifine. Est-il gentil, hein ? N'est-ce pas qu'il ressemble à
ma tante .? (A son chien.) Faisez une risette à son père.
(A son mari.) Embrasse-le. . . Approche-toi, il va t'embras-
ser... approche-toi donc. . . (André, après résistance,
se fait embrasser par le chien. Il s'essuie la figure.)
Oh ! tu n'as pas besoin de t'essuyer comme ça. Il n'y a rien
de plus sain que la langue d'un chien. (Au chien.) 11 est
messant, son papa ? Oh ! n'amour ! qu'il était zoli, zoli, le
petit sien sien, à sa mémère. . . (Elle l'embrasse.)
l':école des belles-mères 29
André. Je croyais que tu ne devais pas Tacheter.
Fifine. Je ne l'ai pas acheté, j'ai dit à maman que j'en
avais envie. Elle m'en a fait cadeau. Regardez, Léon-
tine, s'il est joli, et son petit nez, et ses petites noreilles. . .
Vous allez faire du feu dans la petite chambre et l'installer
dans la niche qu'on a apportée. . . Et puis, il faut lui faire
de la soupe ; allez chercher des os, en bas, et de l'eau ; n'ou-
bliez pas de l'eau et un bout de sucre. Allez ! (Elle lui
donne le chien. — A son mari.) Non, mais regarde. André,
regarde, il veut que tu lui dises bonsoir. On dirait qu'il
comprend que tu n'en voulais pas. Pauvre tite bête !. . . Bon-
soir, mon trésor chéri. (Elle lui envoie un baiser. — Léontine
sort)
André, sans mauvaise humeur. — Heureux chien !
Fifine (riant et lui montrant le doigt). Oh ! Je sais pour-
quoi tu dis ". heureux chien." — Assieds-toi là. . . Tiens, tu es
un bon mari. . . J'avais très peur d'être grondée. . . mais c'est
maman qui m'a forcée à le prendre. Tu es gentil de ne rien
me dire. Voilà pour ta peine. (Elle l'embrasse. André veut
la retenir.) Non ! c'est assez, chut ! Soyez sage !
André. Méchante !
Fifine. Vas-tu quelque part, tantôt ?
André. Je devais aller à une répétition de l'opéra nou-
veau, au théâtre des Arts ; je n'irai probablement pas.
Fifine. Oh ! si, vas-y.
André. Tu y tiens ?
Fifine. Oui. . . et emmène-moi !
André. Ma chère enfant, c'est impossible.
Fifine. Pourquoi }
André. Ce n'est pas convenable. . . Il faut passer par les
coulisses. . . il faut. . . Enfin, ce n'est pas ta place.
Fifine. Tu dis tout le temps ça. . . Et, lorsque tu te dé-
cides à me prendre avec toi, tu es bien content après. . . Tes
amis le disent bien, qu'on peut conduire sa femme à une
foule d'endroits, où tu ne veux pas que j'aille.
André. Oui, mais aucun n'y emmène fa sienne ! Allons 1
tu resteras là ! tu t'occuperas.
30 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Fifine. Je resterai là. . . je resterai là. . . Pas ici, toujours.
En bas ! chez maman.
André. Pourquoi ? C'est ici. . . chez nous, ce n'est pas en
bas.
Fifine. Oh ! oui, mais ici, je m'ennuie, toute seule, je ne
sais pas où sont les choses. . . Tandis que, chez maman, j'ai
toutes mes petites affaires à leur place, toutes mes commo-
dités. . . Enfin, je m'y plais mieux. . . Mais tu serais si gen-
til de m'emmener ! Si tu savais comrçe ça m'amuse, de sor-
tir ! Je voudrais être toujours dehors.
André. Ce n'est pas possible.
Fifine. Tant pis !
André. Tu vas comprendre. . . Il faut t'habituer à rester
davantage chez toi, prendre plus à coeur ton rôle de maî-
tresse de maison.
Fifine. Puisque maman est là.
André, Mais nous ne resterons pas éternellement chez
tes parents.
Fifine. Pourquoi pas ?
André. Mais. . . un jour viendra où j'aurai des clients. . .
Alors. . .
Fifine (s'échappant). Ah! Voilà maman! (Elle va au-
devant de sa mère qui entre.)
SCENE VI
André, Fifine, Madame Graindor
Madame Graindor. Bonjour, André.
André. Bonjour, bonne maman !
Fifine. Dis donc, maman, André ne veut pas que j'aille à
une répétition au théâtre des Arts.
Madame Graindor. André a parfaitement raison î
Fifine. Il y va, lui.
Madame Graindor. Eh bien ! c'est qu'il a besoin d'y
aller... Toi, tu viendras chez nous. . . Tu ne seras pas à
plaindre.
Fifine. J'aurais voulu. . .
Madame Graindor. Ce n'est pas la place d'une femme
comme il faut.
l'école des belles-mères 31
André. C'est ce que je lui disais. . .
Madame Graindor. J'ai vu Léontine, en entrant. . . A-t-
elle trouvé une place ?
André. Elle n'en cherche plus.
Madame Graindor. Ah !
André. Je la garde.
Madame Graindor. Ah !
André. Je lui ai permis d'aller chez son grand-père.
Madame Graindor. Je ne lui aurais pas refusé d'aller là !
mais je crains que, sous ce prétexte. . .
André. Je suis sûr que c'est là qu'elle va.
Madame Graindor. Alors vous avez bien fait. Tenez,
c'est pour vous, ce paquet que je viens d'apporter. (A Fifine.)
Tu vas voir, comme il va être content. . . D'abord, il faut
me dire si vous avez grondé bien fort à propos du chien.
Fifine. Il n'a rien dit.
Madame Graindor. Vrai ?
Fifine. Rien ! Il est mignon tout plein.
Madame Graindor. Si vous aviez vu comme elle en
avait envie. Et cette petite bête, on aurait dit qu'il com-
prenait, il lui faisait des caresses à n'en plus finir.
Fifine. En pleurant ! Et en faisant comme ça avec ses
petites papattes.
Madame Graindor. Je n'ai pas su résister. . . et je crois
qu'à ma place, vous auriez cédé comme moi. Seulement,
nous avions bien peur toutes les deux, n'est-ce pas, Fifine ?
Fifine. Oh ! oui, moi, îe coeur me battait, en ouvrant la
porte.
Madame Graindor. Et si je suis montée aussi vite, c'est
pour être tout de suite certaine que vous ne me gardez pas
rancune.
André. Fifine est si contente !
Madame Graindor. Alors, si vous ne m'en voulez pas,
ouvrez. . .
André (obéissant). Des cigares. . . quatre boîtes de vingt-
cinq. Oh ! bonne maman !
Madame Graindor. Et quels cigares, s'il vous plaît ?
André. Des exquisitos à quatre-vingts centimes.
32 LA REVUE FRANCO-AMiRICAINE
Madame Graindor. Parfaitement !
André. Mais vous faites des folies, bonne maman. .
C'est trop. . . comment avez-vous eu Tidée ?
Madame Graindor. Vous ne vous rappelez pas ?
André. Non î
Fifine. Hier. . . après dîner. . .
André. Ah ! le cigare qu'on m'avait donné.
Fifine. Et que tu as trouvé si bon.
Madame Graindor. Vous avez dit : '^Sapristi, je m'y
habituerais bien, à ces cigares-là ! " '-
Fifine. Je t'ai demandé le prix et le nom, sans avoir l'air
de rien !
Madame Graindor. Et voilà ! . . . Qu'on dise, maintenant*
du mal des belles-mères !
André. Il faudrait ne pas vous connaître.
Madame Graindor. Ca, c'est gentil. . .. je suis venue un
peu vous voir, je me suis dit : " Ils sont tout seuls, là-haut, ils
vont peut-être s'ennuyer," et j'ai apporté mon ouvrage. . .
(Tout en causant, elle s'installe.) Dites-moi un peu pour-
quoi il est convenu que toutes les grand'mères sont bonnes
et toutes les belles-mères méchantes, alors qu'une grand'-
mère est toujours une belle-mère ?
André. Je ne sais, mais vous serez une grand'mère ado-
rable.
Madame Graindor. Oh ! le plus tard possible.
André. Je dis, moi, le plus tôt possible.
Madame Graindor. C'éstpour vous que je parle. Jouissez
de votre jeunesse, allez ! les enfants viendront toujours
assez tôt et assez nombreux.
André. Je ne suis pas de votre avis !
Madame Graindor. Heureux ceux qui n'en ont pas.
André. J'espère bien que, l'an prochain, vous serez mar-
raine.
Madame Graindor. Déjà !
André. Les enfants, c'est la joie et la paix du foyer.
{A suivre.)
Voix d'Acadie
Le travail d'assimilation
II
LES LEÇONS DE L'HISTOIRE
" L'histoire est la maîtresse de la vie ; elle enseigne aux
nations comme aux individus à préparer l'avenir " — Plût à
Dieu que notre histoire eût eu ce résultat sur notre peuple !
Mais, il faut le dire et le répéter, notre peuple ne connut
que très imparfaitement son histoire. Les ouvrages qui,
comme ceux de M. l'abbé Casgrain, traitent spécialement
de l'Acadie ; ou comme ceux de Mgr H. Têtu, sur les
évêques de Québec, en traitent indirectement; les œuvres
de Rameau de St-Père et d'autres écrivains de la vieille
France, rien de tout cela n'est connu chez nous. Je ne serais
pas étonné que la plupart de nos lettrés, prêtres et laïcs, à
deux ou trois exceptions près, ne connaissent même pas
ces noms,
A ces ouvrages, il convient d'ajouter le livre vengeur du
comité de prêtres de Québec, en réponse aux mensonges
sans vergogne de l'archevêque O'Brien. Si ce livre venge
surtout l'honneur outragé du saint épiscopat de Québec,
par la force même des choses il venge aussi le peuple aca-
dien, représenté naguère encore par un écrivain français
de France, comme un peuple aux idées mesquines, étroites,
gens têtus et insurbordonnés : échos irrécusables du senti-
ment officiel de l'archevêché d'Halifax (Les Français du
Sud-Ouest de la Nouvelle-Ecosse, par le P. Dagnaud, eudiste).
Je ne ferai pas ressortir le contraste frappant entre le
genre de familles des évêques français et le genre de celles
des autres, dans les Provinces Maritimes surtout : on ne
naît point comme on veut
34 LA REVUE FRANCO-AMÉRICIANE
Mais on me permettra bien de faire voir le contraste
d'éducation entre les deux genres de prélats.
Le l6 septembre 1/79, Mgr Briand, évêque de Québec,
écrivant aux Acadiens, s'adresse ainsi :
'' Nos très chers enfants" (Mémoire vengeur, page 17).
Mgr d'Esglis, le 19 octobre 1787, s'adressant aux catho-
liques des Provinces Maritimes, Acadiens et autres, écrit :
*' A nos très chers Enfants en N.-S.-J.-C " (Mémoire
vengeur, page 50). Chaque fois que les évêques écrivirent
à nos pères, ils le firent avec les démonstrations du plus
véritable amour paternel.
Le 5 juillet 1818, l'Edmund Burke voyait ses intrigues
couronnées de succès : il devint ce jour-là vicaire aposto-
lique de la Nouvelle-Ecosse— et de ce jour- là les fidèles
catholiques, français et autres, furent sevrés de cette affec-
tion si nécessaire à tous, surtout à ceux qui peinent et qui
souffrent, au pauvre peuple.
Les Evêques et les prêtres français (j'entends par là ceux
de langue française : Français de France, Canadiens-
français, Acadiens) prenaient et prennent un soin tout
paternel de ceux qui leur sont confiés. Ils sont vraiment les
guides, les conseillers, les pères des fidèles. Cependant, la
calomnie déversée à flots contre eux depuis Edmund Burke
jusqu'au "Mémoire irlandais" de 1905, a causé à Rome une
impression qui est loin d'être effacée, encore que cet eft^ace-
ment soit commencé. Le 22 mars 1910, un éminent per-
sonnage disait devant témoin à l'un de mes amis : *'Ne
croyez pas, cher ami, que l'épiscopat français du Canada
jouisse de la moindre considération à Rome. J'ai vu, il n'y
a pas longtemps, une lettre d'une très haute personnalité
de Rome à un autre au Canada, et je vous assure que dans
cette lettre l'épiscopat français du Canada était fort mal
arrangé, et que ce personnage de Rome s'en moquait ferme."
On accuse les Français qui se défendent — " Revue Fran-
co-Américaine," journaux de la province de Québec, votre
humble serviteur — d'être violents, d'exciter les haines de
VOIX d'acadie 35
races. Crier lorsqu'on est frappé, et raconter cette brutalité,
c'est de la violence ? — Insondable bêtise chez les uns, pro-
fonde méchanceté chez les autres, qui dénaturent ainsi les
faits, encore que ce soit pour s'attirer les bonnes grâces
d'un dignitaire quelconque.
Tout est employé contre nous pour nous tenir ou nous
mettre sous la domination de l'être insatiable que l'on sait.
Afin de donner plus de poids encore aux noms portés au
bas du " Mémoire " de 1905, il faut savoir comment ce
" Mémoire " parvint à destination avec autorité, avec cer-
titude. Et tout cela, on en conviendra, dépasse tout ce qui
se peut concevoir en fait de malignité de coeurs ingrats.
Par tout le monde catholique, excepté dans certains mi-
lieux à Rome et chez l'insulteur public, on sait que c'est le
saint épiscopat français de Québec qui a fait l'Eglise ca-
tholique dans toute l'Amérique du Nord, comme l'abeille
fait la ruche. Et l'on peut affirmer, sans la moindre témé-
rité, que cette Eglise catholique, constituée patiemment, au
prix des plus durs sacrifices, sera détruite tout aussi sûre-
ment, mais rapidement, par l'épiscopat assimitateur, si Dieu
lui laisse vie et puissance. La "Correspondance de Rome,"
après sa fameuse question (au printemps dernier) aux jour-
naux catholiques- américains, doit le savoir, si elle n'est
pas, elle aussi, sourde et aveugle. Elle a appris par eux —
après que les journaux français l'avaient dit et répété de-
puis des années — qu'ils ne comptent pas quinze millions de
catholiques quand l'immigration et les naissances forcent
à en supposer au moins cinquante millions. Et la "Cor-
respondance de Rome " (organe du Vatican) ne voit pas,
ou ne veut pas voir, que c'est à déchristianiser le peuple
français dans toute l'Amérique du Nord, Canada y compris,
que travailler avec un acharnement digne d'un Julien l'A-
postat, anglo-saxon et assimilateur.
A travers ses mensonges, l'ar^chevêque d'Halifax ose
dire "que c'est aux prêtres irlandais que les Acadiens doi-
vent leur reconnaissance " (page 142) ; " que c'est grâce
aux prêtres irlandais et malgré les évêques de Québec que
les Acadiens avaient gardé leur foi " (page 58).
On croit rêver
36 LA REVUE FRANCO -AMÉRICAINE
LES NOTRES CONTRE NOUS
Lorsque, par suite de je ne sais quel miracle de la Provi-
dence, il fut connu à Rome qu'il existait au Nouveau-
Monde, au Canada, un héroïque petit peuple français mar-
tyrisé dans sa vie matérielle, puis martyrisé dans sa vie
morale, l'épiscopat des Provinces Maritimes se hâta d'é-
clairer le Souverain Pontife et de lui faire remarquer " que
ce petit peuple vivait d'herbes et de. racines dans le fond
des bois, comme les sauvages ; que ces gens n'avaient ni
biens (c'est toujours la partie essentielle, chez l'assimila-
teur : voyez Walsh ! ), ni éducation, ni la moindre instruc-
tion ; que les quelques prêtres sortis de leurs rangs n'a-
vaient ni la science, ni la sainteté, et qu'ils n'étaient point
du bois dont on fait les évêques." Et autres inepties calom-
nieuses de ce genre.
Rome crut nos persécuteurs et nous abandonna à leur
rapacité.
Ceci est de l'histoire moderne — très actuelle même. —
L'archevêque d'Halifax avait peut-être fait généreuse-
ment— avec l'argent de la partie acadienne de son trou-
peau— hommage de son livre au Saint-Père ?... Qui veut la
fin veut les moyens. Et ce moyen, certes, était excellent
pour garder toute l'Acadie sous le joug.
Le " Mémoire " vengeur de Québec, j'oserais le jurer, n'a
jamais été connu à Rome
Et d'ailleurs, à quoi bon ?
Ce petit peuple trahi, vendu par ses frères (.?), recourt au
Pape dès qu'il sait, enfin, que c'est son droit. On le re-
pousse, lui et les admirables évêques français, sous prétexte
que " c'en est fait de la langue française en Amérique, qu'il
importe peu de donner aux fidèles français des évêques de
leur race et de leur nationalité." Et cela se dit dans l'en-
tourage immédiat du Pape
Spectacle stupéfiant : on voit même un journaliste. Fran-
çais de France, établi en Nouvelle- Angleterre, parvenir à
faire imprimer au Canada, dans un journal qui, je le crois,
VOIX d'acadie ^ 37
est dévoué à la cause de notre race, des faussetés de ce
genre :
" Que les temps sont changés ! Le Saint-Siège est occupé aujour-
d'hui par un saint si détaché des choses de ce monde, que les prières de
la chrétienté n'arrivent pas toutes jusqu'à lui. C'est ainsi qu'on explique
le silence obstiné qui suit toute supplique envoyée à Rome pour chercher
un remède aux maux dont souffrent les Canadiens-Français, et surtout
les Franco-Américains. Sa Sainteté, dit-on, mettrait tout de suite un
terme aux mauvais traitements dont les Canadiens-Français sont l'objet,
si elle en avait seulement connaissance.
*' Ce sont là, à notre avis, des propos de gens peu au courant du gou-
vernement du Saint-Siège, ou des consolations banales qu'ils se donnent
à eux-mêmes et à leurs coreligionnaires, au lieu de se demander si leurs
prétentions sont acceptables,
" Voici ces prétentions en quelques mots : La langue française est la
sauvegarde de la foi parmi les Franco-Américains — pour ne parler que
d'eux. L'intérêt même de l'Eglise leur fait un devoir de conserver leur
langue et de réclamer des prêtres de leur nationalité.
" C'est fort bien dit ; mais malheureusement il se dit aussi partout que
le français se perd dans la Nouvelle-Angleterre, que les sociétés franco-
américaines ne recrutent plus de membres nouveaux, parce que les jeunes
gens ne parlent pas assez bien le français et ne s'en soucient pas. Mal-
heureusement, tout cela n'est que trop vrai ; tout cela s'imprime dans les
journaux franco-américains, et les Irlandais ont vite fait de mettre sous
les yeux du Saint-Siège l'aveu écrit par eux-mêmes de l'impuissance des
Franco-Américains à perpétuer cette langue française qu'ils disent être
la sauvegarde de leur foi. Une langue dont la jeunesse ne veut pas, ne
peut sauvegarder rien, c'est évident. D'un autre côté, les Irlandais met-
tent au service de l'Eglise une langue bien vivante, pleine d'avenir dans
le Nouveau-Monde, une langue qui doit unifier tout le troupeau dans ses
descendants, et par là en rendre le gouvernement plus facile. Les vieux
s'en iront bientôt avec leurs coutumes étrangères, qui causent tout le
trouble ; les jeunes suivront docilement celles du pays où ils sont nés. Ne
voilà-t-il pas de bonnes raisons, et, faut-il s'étonner que la Papauté garde
le silence ? Peut-être attend-elle que les vieux soient disparus et leurs
réclamations avec eux ?...." {Moniteur, Hawkesbury, Ont., le 25 août
1911).
Le reste de l'article est une réclame barnumesque en
faveur de la... méthode de l'écrivain prétendant enseigner
le français par des moyens impossibles.
Ceux qui, prêtres ou laïcs, ont séjourné quelque peu aux
Etats-Unis durant ces dernières années, savent combien
38 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
le français a repris de vogue, d'ascendant, dans toute la
Nouvelle-Angleterre. Les derniers événements d'ailleurs,
où l'on a vu l'explosion de la haine la plus aveugle chez
un dignitaire de la nouvelle église nationale qui, petit à
petit, se dresse contre celle de Rome; ces événements ont
été un coup de fouet salutaire aux Franco- Am^éricains — trop
portés à s'endormir, et à stimuler le courage religieux et
patriotique des vigilants.
Certes, si nos journaux français, ^et du Canada et des
Etats-Unis, ne servaient qu'à publier des choses dans le
genre de ce qui vient d'être cité, la religion de Rome
pourrait être surprise et faussée à tout jamais à notre
endroit. Il suffisait des efforts gigantesques des prélats de
l'Eglise américanisante et de leurs "K. of C." et de leurs
complices du Canada, sans que nous-mêmes nous ingéniions
à fourbir des armes contre nous. Il est temps, aux Etats-
Unis et ici, que nous profitions de toutes ces leçons de
l'histoire qui se déroule quotidiennement sous nos yeux — .
DENIGREMENT PAR LES NOTRES
Il faut bien, malgré qu'il m'en coûte, que je montre ici le
travail d'ensemble fait contre nous. Travail d'ensemble :
parce que, malheureusement, l'assimilateur trouva de
précieux alliés parmi les nôtres. Je ne remonterai point à
l'établissement du siège épiscopal d'Halifax, bien que ce
soit un fait contemporain. Je me bornerai à ce qui s'est
passé au temps de la génération présente. Contre l'admi-
rable épiscopat français, nous avons eu, en 1892, le livre
d'O'Brien, archevêque d'Halifax. Il fallait achever
l'œuvre malsaine commencée par ce livre : après l'épisco-
pat français, il fallait noircir le peuple français.
O'Brien ne pouvait ni ne voulait se charger de cette
besogne : chat échaudé craint l'eau froide. Il ne fallait
pas, d'ailleurs, songer à attaquer le peuple de la province
de Québec : ces gens-là savent se défendre, O'Brien le sait
à ses dépens. Mais les Acadiens, qui se soucierait des
attaques que l'on pourrait porter contre eux ?...
Reste à trouver l'instrument.
VOIX d'acadte 39
Bientôt, l'instrument se façonne : la résistance passive
de paroissiens entièrement dévoués, mais que l'on voudrait
conduire comme un troupeau d'êtres presque sans raison,
va faire éclore un projet quasi monstrueux : l'œuvre
néfaste commencée par O'Brien se trouvera complétée par
quelqu'un de notre sang, de notre langue.
Sur qui va-t-on s'appuyer pour étayer sa thèse contre
le peuple d'Acadie ? — Sur le prêtre le plus dévoué qui ait
exercé le saint ministère depuis la dispersion dans le
sud-ouest de la Nouvelle-Ecosse (une petite partie seule-
ment de l'Acadie; le lecteur peut très bien l'ignorer); sur
l'un des prêtres les plus vénérés de l'Acadie entière,
aujourd'hui encore ; sur M. l'abbé Maudé Sigogne, mission-
naire de la Baie Sainte-Marie et du Cap de Sable de 1799
à 1844, date de sa précieuse mort.
Dès les premières lignes de son livre, l'auteur donne la
dominante de ce livre:
"Comment s'étonner après cela que le caractère acadien,
d' 07' dinaire pacifique et endurant (retenons cet aveu), se soit
aigri dans cette lutte IMPUISSANTE et ait pris l'habitude de
se mettre en garde contre tout acte d'autorité f..." (Page 52).
Sans le vouloir, l'auteur nous donne, en ces quelques
mots, la raison de son amertume à lui. Autoritaire, domi-
nateur, l'auteur, alors curé de Sainte-Marie, voulait conduire
tout à son gré. La résistance, respectueuse mais ferme,
qu'il rencontra, l'exaspéra. '^Comment s'étonner après cela
que son caractère se soit aigri et qu'il ait pris le parti de
noircir ce peuple d'ordinaire pacifique et endurant?
Si Ton doutait de cette disposition de l'esprit de l'auteur,
on serait fixé immédiatement par la belle préface de ce
livre par un autre Français de France qui avait visité
l'Acadie, avait interrogé, avait remarqué. Celui-ci, supé-
rieur général des eudistes, est bon; avant tout et par-
dessus tout, il est juste; il ne se laisse point égarer par la
passion. Chaque ligne de sa préface semble vouloir rache-
ter une dureté ou une méchanceté de l'auteur. "Occupé
tout entier à continuer et à développer son oeuvre (de M.
l'abbé Sigogne), vous rencontrez à chaque heure, à chaque
40 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
pas, dans les faits, dans les localités, et surtout dans le cœur
reconnaissant c/es Acadiens, le témoignage vivant des grandes
choses qu'il a faites pour ce peuple "(Préface, VIII. — "...
Vous ne voulez nous parler que de ces Acadiens du sud-ouest
de la Nouvelle-Ecosse que vous avez sous les yeux, que vous
évangélisez et dont vous avez pu apprendre sur place
l'histoire, par l'étude de documents originaux et par les
traditions encore vivaces des familles qui vous entourent.
" Et pourtant, que de glorieuses et nobles choses vous auriez
pu nous apprendre sur les origines de ce peuple de héros et de
martyrs! Combien vous auriez pu nous intéresser en nous
faisant parcourir les péripéties si variées de sa vie, où il n'y
a de constant que SON ATTACHEMENT A LA FRANCE ET A
L'Eglise.
Nul écrit d'imagination, nul poème ne vaudra jamais
L'HISTOIRE VRAIE de cet extraordinaire petit peuple."
(Préface, XI).
Dans sa description du peuple acadien, le révéren-
dissime Père LeDoré dit :
...Longfeîlow se trompait. Les Acadiens n'étaient pas une poussière
stérile que les vents emportent ; c'était un essaim d'hirondelles fuyant
sous l'orage qui a renversé leurs nids, mais qui reviendront auK premiers
jours de soleil, attirées par un invinciMe besoin, s'abattre au même lieu
et rebâtir leurs demeures avec une patience qui ne connaît pas le
découragement.
Aujourd'hui, les Acadiens sont encore là, sur ce sol que leurs pères
ont doublement sanctifié ; ils cultivent la même terre, ils sillonnent les
mêmes eaux, ils parlent toujours la même langue, la langue du XVIIIième
siècle. Leurs mœurs, non plus, n'ont pas changé. Leurs prêtres sont
toujours leurs pères et leur conseil ; ils prient toujours les mêmes prières,
chantent les mêmes cantiques, s'agenouillent toujours sur les vieilles
tombes rangées autour de l'église..., où dorment, à l'ombre des grands
saules, aux bruissements du vent du large dans les sapins, les aïeux qui
ont souffert. (Préface, XIX— XV) .
Il faudrait tout citer.
Après avoir rappelé l'incendie du presbytère de Sainte-
Marie en 1893, celui du collège en 1899, le révérendissime
Père Le Doré poursuit :
" Ni les habitants, ni nos Pères ne se laissèrent décourager par ce
double malheur. Grâce aux libéralités des Acadiens et aux généreux
VOIX d'acadie 41
sacrifices de notre Congrégation, un magnifique édifice, assez vaste pour
abriter l'œuvre du Juvénat, a remplacé le modeste presbytère de M.
l'abbé Sigogne, et cette année (I905) j'ai pu admirer, à la place du col-
lège incendié en 1899, une construction beaucoup plus vaste et mieux
appropriée, avec ure très jolie et très vaste chapelle. Je ne dis rien des
belles églises de Sainte-Marie, de Saulnierville et des Concessions. On
peut évaluer à cinq on six mille le noynbre des habitants de ce centre de la
population acadienne de Clare.'' (Préface, XXI— XXII).
Cette dernière phrase fait rêver... Cinq ou six mille habi-
tants pour accomplir une telle tâche !...
Le dernier paragraphe de cette superbe préface résume
tout :
** Enfin, tous ceux qui s'intéressent au sort des congrégations exilées, à
la colonisation et à la manifestation de la vie et de l'âme françaises à
l'étranger, voudront prendre connaissance de votre livre, qui leur appren-
dra une partie de l'histoire de ce peuple si hospitalier, demeuré si français
par sa religion, sa langue, ses traditions et son coeur. Après l'avoir lu,
tous répéteront à leur tour les paroles que d'autres ont dites bien souvent :
" Vraiment ce peuple acadien est aussi étonnant par ses vertus que par
ses malheurs ; il est bien toujours la France, la France des grands siècles,
la France fille ainée de l'Eglise et le soldat de Dieu."
Admirable paroles, séchant les larmes que fait couler la
lecture du livre !
Un trait piquant au sujet de ce livre :
M. l'abbé J. J. S. alors curé assimilateur de Weymouth,
dont le souvenir est plein de peines pour les paroissiens,
reçut un assez grand nombre d'exemplaires de ce livre pour
les vendre aux Acadiens de sa paroisse. Après Tavoir lu,
le prêtre Irlandais voulut tous les jeter au feu : " Les Aca-
diens, dit-il, ne méritent pas ces injures î " — Il n'en vendit
pas un seul.
Ce fut le sermonnaire de M. l'abbé Sigogne qui servit à
l'auteur à formuler la charge qu'il a faite contre le peuple.
Il eût dû se rappeler qu'une paroisse est une grande famille
où il peut se produire des divergences de vues. Sans au-
cune mauvaise intention, le bon M. l'abbé Sigogne ne te-
nait pas toujours compte des meilleures raisons de ses pa-
roissiens. Un curé, parlant à ses paroissiens, le fait dans
une réelle intimité. S'il le fait parfois sévèrement, il ne
42 LA REVUE FRANCO -AMERICx\INE
s'adresse pas aux étrangers, il ne veut pas que cela aille
plus loin que les murs de son église. Pense-t-on que quand
feu Mgr Rogers, évêque de Chatham, injuriait bassement
la bonne population de Caraquet, assimilant à des chiens,
et cela du haut de la chaire, les vaillants pêcheurs de ce
village qui rognaient le morceau de pain durement gagné
pour en donner la grosse part à l'évêque, pense-t on que
Monseigneur eût dit ces paroles devant tout le peuple des
Provinces Maritimes ? . . . Et ces pauvres gens qui se dé-
pouillaient de tout pour payer les sommes énormes que l'é-
vêque imposait aux villages français, étaient-ils des chiens ?
Dira-t-on, aujourd'hui, que les Acadiens sont des pires mal-
faiteurs, des assassins, parce que, du haut de la chaire, le
curé irlandais de la plus populeuse paroisse française du
Nouveau-Brunswick a traité une association essentielle-
ment catholique, mais française, de " Main noire " ? — Les
paroissiens de M. Sigogne prévoyaient l'avenir et se de-
mandaient si leurs enfants trouveraient pratiques les plans
de M. Sigogne. Il s'agissait autant d'intérêts matériels,
soit par les sommes à engager, soit autrement, que d'inté-
rêts spirituels. Il y avait matière à discussion. Un con-
ducteur d'hommes — prêtre ou autre — ne doit pas adopter la
manière d'agir de Luther : Sic volo, sicjiibeo, sit pro ratione
voluntas. Ce que faisait comprendre au zélé curé son évêque,
Mqr Denaut, lui écrivant le 29 septembre 1800 :
Tonnez, menacez, à la bonne heure, mais soyez aussi doux
que N.-S. Soyez patient, sans cesser d'être ferme, selon l'avis
de saint Paul ''(Mémoire" vengeur, page 157).
Voilà malheureusement ce que perdent de vue générale-
ment les Français de France, dès qu'ils ont mis le pied sur
ce sol du Nouveau-Monde. Ils se croient les seuls civili-
sés !...
Valentin-A. Landry.
Halifax, N.-E., le 1er octobre 191 1.
La Réponse des faits
Dans un No. de The Extension Magazine (Vol. V. No. Il)
traduit dans la Correspondance de Rome du 19 mai 1911,
nous trouvons cette accusation étrange et cette attaque,
qui, Tune et l'autre, nous semblent injustifiées.
L'auteur tente de répondre à cette question: 'VEglise
catholique a-t-elle éprouvé des pertes aux Etats-Unis ?"(l).
Il y va d'un aveu sincère mais il dira à tous les curieux
étrangers avec une désinvolture parfaite : "Le nombre de
ces pertes est tel que vous seriez épouvantés en apprenant
quelle a été votre part en elles, si le blâme devait être partagé
entre ceux qui sont restés fidèles..."
Il les explique, ces pertes, par les difficultés du début, la
pénurie des prêtres, la dispersion des fidèles "disséminés
sur un immense territoire" — A cela rien à redire — mais
voici l'accusation que porte l'écrivain de l'Extension
Magazine :
"Plusieurs (des pays d'où viennent les immigrants) nous
refusent des prêtres qui seraient disposés, ou capables, ou
dignes de nous aider à résoudre ce problème difficile."
(L'évangélisation des immigrants.) Lesquels s'il vous
plait.?
Un peu plus loin, il ajoute • "Nous avons raison de
répondre à nos critiques européens et canadiens (ces frères
du Canada, toujours prêts à faire de malicieuses compa-
raisons, oubliant que nous avons à traiter avec des races
différentes sans aucun des avantages de la solidarité) que,
si le peuple qu'ils nous ont envoyé avait été mieux instruit,
il lui aurait peut-être été plus facile de soutenir le feu de la
lutte religieuse que ceux qui errent loin de leurs foyers
doivent nécessairement subir d'une façon plus forte que
ceux qui restent chez eux."
(i) Voir "Questions actuelles" No 7, 12 août, 19I1.
44 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
L^auteur s'il avait voulu être sincère aurait pu préciser
mieux son grief. Quel pays refuse d'envoyer ici des
prêtres pour s'occuper des immigrants de sa race ? A quelle
nationalité appartient cette classe des ignorants, proies
faciles livrées à l'esprit d'irréligion si intense dans la
grande république ?
Puis, grâces aux statistiques, il aurait pu nous faire
toucher du doigt les conséquences fatales, la perte de la
foi de ces ignorants ?
Sont-ce les Canadiens ? Je ne le crois pas. Des 1300000
Franco-Américains qui — vivent sur le territoire des Etats-
Unis, 1,260,000, pour le moins, sont enfants fidèles de la
sainte Eglise. Ils sont des mieux organisés comme groupe,
possédant de magnifiques églises, des écoles paroissiales
qui donnent une solide éducation religieuse aux enfants et
cela partout où il y a un noyau quelque peu important de
familles ; ayant en outre la plus grande proportion de
prêtres, de religieux et de religieuses voués à l'apostolat
sous toutes ses formes ; de magnifiques sociétés ; sept
journaux quotidiens et plus de 15 autres hebdomadaires, etc.
Est-ce à ce groupe que les Américains non préjugés se
plaisent à décerner les éloges les plus mérités d'esprit
d'initiative, de civisme et de loyauté, sans méconnaître les
hautes qualités et la solide instruction des hommes célèbres
sortis de leurs rangs, qu'on peut appliquer le terme d'igno-
rants ? Ignorants ! soit, ils le sont dans l'art de la duplicité,
parce qu'ils sont d'une race fière et loyale qui ne veut que
sa part d'influence légitimement acquise par son oeuvre
laborieuse et féconde !
Non, ce n'est pas à eux qu'on peut appliquer le terme
d'ignorants. — Le Canada a-t-il jamais refusé des prêtres
aux E-U? Il vaudrait bien mieux rendre justice et compter
ceux que le Canada a instruits dans ses collèges et ses
séminaires dans le passé.
Mais les missionnaires canadiens ont-ils à l'heure
actuelle la liberté apostolique à laquelle ils auraient droit ?
Les canadiens qui demandent des prêtres de leur race,
parlant leur langue, ont-ils partout dans l'Est justice .?
LA RÉPONSE DES FAITS 45
Et pour n'avoir pas cette justice en est-il qui perdent la foi,
ou du moins qui abandonnent les pratiques de leur religion ?
La manie de l'assimilation qui guide certain évêque ne
fait-elle pas un tort considérable aux âmes en certains
endroits ?
Que gagnent-ils à violer le droit naturel et à proscrire
de la prédication et de l'enseignement la langue française ?
Voilà des questions que pourraient étudier avec intérêt
l'écrivain de l 'Extension Magazi?ie.
Puis, s'il veut bien se souvenir que 1,5000,000 d'Irlandais
pour le moins ont déserté l'Eglise aux Etats-Unis et qu'un
nombre considérable la déserte chaque année, peut-être
cherchera-t-il — en face de la fidélité des franco-améri-
cains,— d'autre cause que l'ignorance des immigrants. A
moins que l'ignorance ne soit leur fait.
Mais non, il ne faut pas être bien renseigné sur le passé
pour ne pas constater le mal de l'école neutre (l'école
publique) des sociétés neutres et secrètes, de la recherche
de la fortune et des places, des succès politiques payés
très souvent par l'abandon de la foi, des mariages mixtes,
etc. etc. Après cela qu'on fasse la part du"J'nien foutisme'*
d'une certaine partie du clergé trop zélée pour les piastres,
les dignités et le bien-être, et très reveche aux travaux des
missions pénibles et peu rénumératrices...
Et l'écrivain de V Extension Magazine comprendra notre
pensée quand nous lui disons que l'aumône qu'il sollicite
fut-elle donnée par millions — si elle peut défrayer les
missions du chapelcar — ne donnera pas un apôtre de plus
aux âmes qui demandent des prêtres de leur race et de leur
langue.
Ce n'est pas en intriguant autour des mitres que tous les
D. D. américains sauveront les âmes des émigrants, mais
en accomplissant le ministère apostolique selon l'esprit du
Christ : évangéliser les pauvres et catéchiser les enfants
en parlant la langue du peuple et non en obligeant le
peuple à parler la langue des missionnaires.
Charles Dupil.
" Corporation Sole '*
Plaidoyer de Mtre Godfroi Dupré, devant la commission
législative du Maine, le 7 mars 1911. Réponses de
Sa Grandeur Monseigneur Walsh, du Grand Vicaire
McDonough, etc. Exposé complet de la question.
(Suite)
Avant le discours de M. Dupré, le juge Poster — un des membres les
plus distingués du Barreau du Maine, — agissant comme conseil des péti-
tionnaires, avait en quelques mots attire l'attention des commissaires sur
l'importance de la question qui allait leur être soumise.
" Nous demandons, tout simplement, dit-il, en terminant, qu'on nous
rende les droits dont nous jouissions avant 1887."
M. Poster céda ensuite la parole à M, Dupré qui prononça le terrible
réquisitoire dont on a pu lire le compte rendu très fidèle dans les trois
derniers numéros de la Revue.
Après M. Dupré, l'avocat de l'évêque, un M, Snow, tenta une réplique,
puis le Grand Vicaire du diocèse, Mgr McDonough, puis Mgr Walsh lui-
même.
On verra, par les trois comptes rendus que nous allons en donner,
quelle défense on a faite du système. Ces comptes rendus sont basés sur
des notes sténographiques prises à l'enquête.
M. Snow (avocat de l'évêque) — J'ai écouté avec beau-
coup d'intérêt le savant discours de mon confrère, M.
Dupré ; j'ai essayé de le suivre d'aussi près que possible,
mais pour y découvrir la révélation de ce que nous déplo-
rons tous, soit : une querelle au sein dhine grande dénomination
religieuse de l'Etat du Maine. Si je ne me trompe pas, le but
de cette enquête c'est l'abrogation d'une loi passée en 1887.
Nous n'avons pas ici à traiter d'une question de droit ;
ce n'est pas le but de cette réunion. Nous sommes ici pour
décider s'il faut abroger une loi passée en 1887, et non
pour redresser les griefs que certains peuvent avoir souf-
ferts.
"CORPORATION SOLE " 47
C'est toute la question qui est soumise à votre comité et
il faut d'abord savoir si vous êtes compétents à agir dans
l'espèce. Il ne s'agit pas ici d'une question de dollars et de
cents. M. Dupré vous demande : "Qu'est-ce que l'on a fait
de l'argent collecté dans les églises .? " Or, nous prétendons
que le remède à cette situation doit venir des cours de jus-
tice et non de la Législature. On prétend qu'il y a eu abus
de confiance, si l'argument des proposeurs est fondé; on a
alors le droit de demander aux cours de justice de nommer
un receveur pour la dissolution de la corporation.
Au lieu de cela on vous demande de modifier la loi géné-
rale. Mais je veux revenir à la proposition exacte que je
veux défendre devant ce comité. Lisons d'abord la loi
qu'on vous demande d'abroger :
Loi constituant en eorpopation "l'Èv-êque catholique romain de
Portland et ses successeurs "
he Sénat et la Chambre des Représentants à La Législature, en session,
décrètent ce qui suit :
Sec. I. L'évêque catholique romain actuel du diocèse de Portland, et
ses successeurs en office, sont, par la présente loi, constiiués en un corps
politique et incorporé sous les nom et titre de " 1,'Evêque catholique ro-
main de Portland," et sous ce nom le dit évêque et ses successeurs en
office seront connus et se succéderont, avec tous pouvoirs, droits et pri-
vilèges prescrits, et sujets à toutes les obligations qu'imposent les statuts
généraux de l'Ktat.
Sec. 2. La dite corporation aura droit de recevoir, prendre et posséder
par vente, don, bail, testament ou autrement, des biens, meubles et im-
meubles de toute description pour des fins de charité, d'éducation, d'in-
humation, de religion et de culte, de les gérer et d'en disposer sous toute
forme de transport ou cession légaux conformément à la discipline et au
gouvernement de l'Eglise catholique romaine, avec plein pouvoir et pleine
autorité d'emprunter de l'argent et de transporter par contrats d'hypo-
thèque.
Voici, messieurs, la loi qu'on vous demande d'abroger.
Y est-il question de collecte, etc. ? C'est seulement une
question de bon sens, complètement étrangère à la ques-
tion des collectes et des collecteurs.
Avant que la corporation fût organisée la propriété était
48 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
entre les mains de Tévêque. Lorsque ce dernier entrait en
fonction il lui fallait faire un testament laissant toute la
propriété à son successeur. Il y avait toujours danger qu'un
évêque mourût sans laisser de testament ce qui aurait pu
amener de graves complications. Puis la ^' Corporation
Sole" n'est rien de nouveau en ce pays. Elle existe dans
la Nouvelle- Angleterre, comme dans tout le Maine. L'accu-
sation que l'évêque a hypothéqué la propriété est fausse.
L'évêque, à son titre de corporation simple (Corporation
Soie) a donné son billet et emprunté de l'argent.
Le bill qu'on propose est inconstitutionnel. Il cherche
a abolir une corporation, à enlever une propriété à une
corporation pour la donner à une autre. Ceci est inconsti-
tutionnel et il est inutile de le discuter plus longtemps.
Cette loi donne à cinq hommes quelconques le droit de
diviser et de prendre possession de toute la propriété de
l'église dans une période de 7 jours. Les lois de TEtat
donnent à une corporation trois ans pour régler ses affaires.
La *' Corporation Sole " a donné de nombreux billets aux
banques. Vous pouvez prendre une propriété à quelqu'un
et la donner à un autre. Du moment que cette corporation
est dissoute il n'y a plus personne à qui donner les titres de
sa propriété. Supposez qu'on mette fin à une propriété pa-
roissiale, où va le titre 1 II est dans l'air, il disparaît.
M. Dupré trouve à redire parce qu'il ne sait pas où est
allé l'argent des paroisses. Que pensera-t-il d'une loi qui
ne dit pas où va la propriété 1
Cette loi n'affecte pas toutes les églises — elle n'affecte
pas les Méthodistes, les Congrégationalistes. Elle n'affecte
que les catholiques. Si l'on proposait une loi affectant
toutes les églises, elle pourrait être constitutionnelle, mais
pas celle-ci !
Pour ce qui est du côté légal de la question, les propo-
seurs ne se sont pas adressé à la bonne place, ils auraient
dû s'adresser à une Cour d'équité.
M. Poster, l'avocat des proposeurs dit que la propriété
des proposeurs a été enlevée. Mais toutes les propriétés sont
encore ici dans l'Etat du Maine. On n'en a rien enlevé.
"CORPORATION SOLE " 49
M. Poster dit encore que le pouvoir de Tévêque est illi-
mité. Tout ce pouvoir est limité.
M. Snow déclare ensuite qu'il veut faire entendre quel-
ques témoins.
// présente Mgr McDonough, grand vicaire du diocèse.
{A suivre.)
-:o:-
L'aube nouvell
Le feu pâli se meurt dans la cendre entassée;
La lampe qui veilla toute la nuit s'éteint;
Le but tant désiré n'est pas encore atteint,
Mais le sommeil s'abat sur sa tête lassée.
Ecarte tes volets ; l'ombre s'est dispersée ;
Tandis qu'en ta maison pénètrent le matin
Et l'air vivifiant de l'Océan lointain,
La force et la clarté rentrent dans ta pensée.
Tu te redresses prêt à des efforts nouveaux. . .
Elle viendra pourtant, la fin de tes travaux;
Les lueurs d'ici-bas te manqueront peut-être :
Plus de flambeaux ardents ni de foyer vermeil;
Prie, ouvre l'âme au ciel, à l'aube la fenêtre :
Tu ressusciteras à l'éternel soleil.
Vega.
:o:-
UACTUALITE.
La Guerre Italo- Turque et la France
Les Italiens sont des gens heureux. lis étaient, il y a cin-
quante ans, assoiffés de liberté. Après des siècles de divi-
sions stériles, leurs belles cités, Palerme, Naples, Livourne,
Gênes, Milan, rêvaient une féconde et forte union. Notre
pavillon aux trois couleurs était, pour ces villes éprises
d'indépendance, la bandiera di libertà. C'est cette bannière
libératrice qui vint donc, à point nommé, les affranchir.
A l'Italie nouvelle, il manqua bientôt la puissance. Nous
ne pouvions point la lui donner, ayant perdu nous-mêmes,
à batailler au delà des Alpes, le reste de nos forces. Mais
l'Allemagne était là. Après Sedan, c'est vers l'Allemagne
que les Italiens devaient se tourner : elle seule donnerait à
leur existence nouvelle sa consécration et les ferait admet-
tre un jour dans les conseils de l'Europe. Ils se firent donc,
contre nous, les amis des Allemands et devinrent, suivant
leurs rêves, une grande puissance. Le temps passa. A leurs
intérêts politiques, ils avaient d'abord tout sacrifié. Deve-
nus forts, ils songèrent à s'enrichir. La guerre de tarifs
avec la France les ruinait : ils s'adressèrent donc à la
France, qui se hâta d'oublier ses rancunes et de traiter avec
eux. Une prospérité inouïe revint aussitôt dans la péninsule.
Riches, puissants, affranchis à l'intérieur, ils entendirent,
par surcroît, ne dépendre, au dehors, de personne. Ils vou-
lurent être les maîtres de leurs alliances et la protection de
l'Allemagne leur pesait. Pour secouer ce joug, ils avaient
une ressource, qui était de reconquérir bruyamment l'amitié
de la France. Alors ils nous ont tendu la main et nous, peu
satisfaits de la leur serrer avec effusien, nous leur avons
donné comme gage de nos sentiments nouveaux,. la Tripo-
litaine.
LA GUERRE ITALO-TURQUE ET LA FRANCE 51
Qui se souvient, en France, des événements de 1900-
1901 ? Il y eut, il y a onze ans, une heure de touchantes
effusions entre la France et l'Italie. Le 14 décembre 1900,
M. Prinetti, ministre des Affaires étrangères d'Italie, répon-
dant à un député, qui l'avait interrogé au sujet de troubles
signalés à Tripoli, faisait devant la Chambre cette décla-
tion. "Les relations amicales de la France et de l'Italie
sont devenues telles, qu'elles ont permis aux deux gouver-
nements d'échanger des explications, aussi nettes que sa-
tisfaisantes, sur leurs intérêts dans la Méditerranée."
Et, quelques jours plus tard, M. Delcassé vint, dans la
forme inattendue d'une interview au Gioniale d'Italia,
apporter des affirmations positives. Par lui nous apprîmes
qu'il s'agissait à la fois, dans cette affaire, de la Tripoli-
taine et du Maroc, les Italiens ayant obtenu notre assenti-
ment à leurs entreprises éventuelles sur Tripoli, en
échange de leur abstention dans tout l'ouest africain.
Ainsi, contre le Maroc, qu'ils ne nous donnaient point et
sur lequel ils n'avaient ni droits ni possibilité d'acquérir
jamais l'ombre d'un droit, nousleur offrions la Tripolitaine,
qui, certes, n'était pas à nous, mais que nous avions sous la
main et dont nous étions parfaitement maîtres de leur per-
mettre ou de leur interdire l'accès.
Les Italiens avaient gagné une belle partie. Ces roués,
qui n'étaient rien, rêvaient peut-être de devenir les maîtres
de l'Europe. Jusque-là Français contre l'Allemagne ou
Allemands contre la France, ils seraient à l'avenir Italiens
contre tout le monde. L'exemple'de l'Angleterre les hantait.
Ils -admiraient la splendide solitude de ces insulaires et
le terme de leur ambition, c'était de garder, eux aussi, un
superbe isolement dans leur péninsule.
La Tripolitaine est donc, bel et bien, un cadeau qui fut
fait gratuitement par la France à sa sœur latine. C'est, à
vrai dire, un désert brûlant et désolé. De la Tunisie à
l'Egypte, c'est, tout le long de la mer, la plaine basse, dé-
52 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
roulant à perte de vue ses steppes et ses sables ; à l'inté-
rieur, c'est, de l'occident à l'orient, la chaîne montagneuse
du Djebel, escarpée, stérile, éclatante de lumière.
Dans la plaine, les Arabes poussent leurs troupeaux. Cà
et là, l'immense mer de sable est coupée d'oasis. Des vil-
lages sont cachés au milieu des palmiers; toute une popu-
lation de femmes laborieuses et d'enfants aux mines éveil-
lées vit autour des sources limpides. Ces oasis malheureuse-
ment sont elles-mêmes envahies peu à peu par les sables,
que le vent amoncelle autour d'elles. La plus belle, celle de
la Mechiya, qui avoisine Tripoli, est particulièrement
atteinte par cette désolante invasion. Or, les oasis sont, à
elles seules, tout le pays ; dès qu'on quitte ces îlots de ver-
dure, c'est pour retrouver les dunes mouvantes de l'éternel
désert.
A 100 kilomètres au sud, dans la montagne, vivent d'é-
tranges êtres. Les Berbères de cette région n'habitent
point sous la tente comme les Arabes de la côte, ou dans
de fraîches cabanes pareilles à celle des oasis : ils ont miné
le sol et leurs villages sont des taupinières. Le bois manque
à ces déshérités pour la construction des maisons ; ils ne
peuvent ni travailler la pierre, trop dure, ni se servir, pour
faire du ciment, de l'eau, trop précieuse; alors ils ont
creusé dans la marne des puits de 6 à 7 mètres de diamètre.
Le fond sert de cour et le long des parois s'ouvrent des
galeries voûtées, qui sont les chambres où l'on vit, les ma-
gasins où l'on amasse les récoites, l'orge, les olives, les
figues, les dattes, la cire et le miel.
Tout le pays est d'ailleurs misérable. Sur une superficie
de plus de i million de kilomètres carrés, il y a une seule
ville digne de ce nom : c'est Tripoli. Mais Tripoli est, à un
certain point de vue, une place de premier ordre, qui vaut,
à elle seule, la plus vaste colonie, et les Italiens finalement
n'ont pas fait une si mauvaise affaire en jetant leur dévolu
sur ce méchant port, isolé dans un désert.
Un coup d'œil jeté sur la carte de l'Afrique suffit, en effet,
pour constater que le débouché direct du Soudan et de tout
le centre africain dans la Méditerranée ne sera jamais,
LA GUERRE ITALO-TURQUE ET LA FRANCE 53
quoi que nous fassions, Alger ni Tunis, mais Tripoli. Le
golfe de la Syrte, en échancrant profondément la côte tri-
politaine, la rapproche singulièrement des centres com-
merciaux du désert, économisant aux caravanes plus de lOO
lieues. En leur livrant un empire désolé, rebut du nord-
africain, c'est donc la clef même de l'Afrique centrale que
nous avons donnée aux Italiens.
Quoi qu'il en soit, les intérêts commerciaux sont encore
secondaires auprès de certains autres. Oublions donc que
les Italiens sont à la veille de devenir, par notre faute, nos
concurrents victorieux dans l'exploitation du trafic transsa-
harien. Oublions aussi qu'une mince partie de la Tripoli-
taine, la Cyrénaïque, est une des terres les plus fécondes
qui soient. Laissons, sans montrer d'amertume, nos amis
trafiquer et coloniser. Il faut bien que chacun ait sa place
au soleil.
Ce qui est intolérable, c'est de songer que, maîtres désor-
mais de la côte comprise entre l'Egypte et la Tunisie, les
Italiens vont occuper, dans le bassin oriental de la Médi-
terranée, une situation stratégique de premier ordre, que
nous pouvions ambitionner pour nous-mêmes, ou, tout au
moins, ne pas laisser prendre par d'autres.
On ne cesse de répéter, même en France, que l'Afrique
du Nord doit ne nons appartenir que pour moitié et que
nous devons nous réserver la partie occidentale de la côte,
laissant à nos rivaux Anglais, Turcs, Italiens, l'autre partie.
On oublie ainsi que la Méditerranée orientale, c'est pro-
prement, en vertu de la tradition même, la Méditerranée
française, c'est-à-dire celle des rivages levantins où nous
avons, de tout temps, exercé notre protectorat. Notre pa-
villon a sa place dans les eaux bleues qui sont la route des
Echelles. Or, dans tout cet important bassin, dont il est
juste de dire que nous tenons l'entrée par Bizerte, nous n'a-
vons pas un dépôt de charbon, pas un point d'appui pour
nos croiseurs, pas le plus mince abri pour des torpilleurs.
L'Angleterre, naguère encore, n'y possédait rien non
plus. Longtemps elle n'a occupé que les deux extrémités
de l'autre bassin, avec Gibraltar et Malte. Or, elle est à
54 LA REVUE rRANCO-AMERICAINE
Chypre aujourd'hui et elle tient l'Egypte. L'Italie aura de-
main, sur la côte tripolitaine, Tobruck, le plus beau port
naturel de toute la côte d'Afrique. Avant peu d'années, la
prépondérance stratégique de l'Angleterre et de l'Italie sera
donc écrasante dans ces mers du Levant, où nous avons
tant et de si graves intérêts engagés.
Un moment, on a pu croire que nous trouverions à Myti-
lène le poste de choix dont nous avons besoin pour faire
respecter, dans les eaux turques, nos trois couleurs. L'en-
voi devant l'antique Lesbos d'une division de l'escadre de
la Méditerranée avait rempli, on s'en souvient, d'espoir et
d'émotion tous ceux qui savent quel rôle prépondérant
pourrait encore jouer la France dans ces régions, si elle
voulait. Il paraissait évident que nous saisirions un gage
territorial, et qu'enfin nous posséderions là-bas la base d'o-
pération nécessaire. Ni l'Angleterre, qui s'est emparée de
Chypre, ni l'Allemagne, qui venait justement de planter son
pavillon, sans autre forme de procès, sur l*archipel turc des
îles Farsan, dans la mer Rouge ; ni la Russie, notre alliée,
n'auraient pris contre nous, si nous avions été plus fermes
'dans nos résolutions, la défense du sultan. Seule peut-être
l'Italie eût mis quelque mauvaise grâce à nous laisser faire.
Mais que pouvait, toute seule, l'Italie contre nous ? La Tri-
politaine était d'ailleurs là. dont nous pouvions à ce mo-
ment lui parler...
Cependant nous avons quitté les eaux turques, abandon-
donnant le précieux gage. La faute est commise : il faut
l'oublier. On peut seulement rapprocher, non sans amer-
tume, l'insouciance que nous avons montrée là pour nos in-
térêts stratégiques dans le Levant, de l'empressement avec
lequel nous avons pourvu à ceux des Italiens.
La Tripolitaine, débouché naturel de tout le trafic du
centre de l'Afrique, position stratégique de premier ordre
dans le bassin oriental de la Méditerranée, est, en outre, le
trait d'union entre la Barbarie et l'Egypte et nous aurions
dû, à ce troisième titre, plus encore qu'aux deux autres,
nous garder de la donner à qui que ce fût.
Tout le long de la plaine sablonneuse, qui, nous l'avons
LA GUERRE ITALO-TURQUE ET LA FRANCE 55
VU, longe indéfiniment la mer depuis notre frontière tuni-
sienne jusqu'au Nil, des oasis nombreuses et soignées for-
ment une véritable ligne d'étapes, fréquentée jadis par les
pèlerins du Maroc, d'Algérie, de Tunisie, qui se rendaient à
la Mecque. Il y a là, reliant la Barbarie à l'Orient, une
sorte de chaussée stratégique, susceptible de devenir un
jour une route militaire de premier ordre. C'était jadis la
voie des invasions musulmanes vers l'Occident ; ce pourrait
être demain pour nous, si nous voulions, le chemin de TE-
gypte.
Il faut songer que nous sommes, au point de vue de l'in-
dustrie navale, à l'époque des profondes révolutions. Les
lourdes escadres, qui donnent encore à l'heure présente la
maîtrise de la mer, n'auront peut-être pas toujours la même
valeur militaire. Les sous-marins, malgré l'inévitable im-
perfection des œuvres nouvelles, ont montré déjà que les
parages fréquentés par eux cesseraient tôt ou tard d'être
navigables pour les gros navires. Pas plus que les hommes
ne se baignent dans les eaux infestées de requins, les cui-
rassés ne s'aventureront à l'avenir dans celles où pourront
évoluer des navires submersibles. Il y aura ainsi, le long
notamment de toutes les côtes françaises ou relevant de la
France, une zone de défense absolument infranchissable,
allant jusqu'à 250 Du 300 milles au large. En même temps,
le croiseur, qui représente, à côté de la force brutale du
cuirassé, la force intelligente, souple et vive, fera la guerre
aux navires de commerce.
Nous sommes donc peut-être à la veille de reprendre
quelque avantage sur nos rivaux, notamment sur les An-
glais, naguère invincibles. Frappés dans leurs richesses,
c'est-à-dire au cœur même, obligés de disperser leurs forces
pour la protection des grandes voies commerciales, ceux-ci
n'auront même plus la ressource d'attaquer nos rivages, de-
venus invulnérables et redoutables au suprême degré. Pour
nous, délivrés du souci d'engager sur mer d'inutiles et rui-
neuses batailles rangées, nous pourrons enfin porter hardi-
ment le combat sur la terre, où les Anglais ont suffisam-
ment montré qu'ils ne seront jamais les plus forts.
56 LA REVUE FRANCO -AM^^RICAINE
Malheureusement, nos points de contact avec eux sont en
petit nombre. L'Egypte était, à cet égard, une des rares
parties du globe où il nous était possible de les aller sur-
prendre.
De l'Algérie et de la Tunisie, une armée d'invasion eût
pu se ruer, à travers la Tripolitaine, jusqu'au Nil. La route
est longue, certes. Mais 2,500 kilomètres ne sont pas pour
effrayer des soldats d'Afrique et, tandis que nos croiseurs
auraient porté la ruine sur le marché anglais, nos troupes
eussent frappé au Caire, à Alexandrie, au pied des pyra-
mides, de glorieuse mémoire, un coup à terrasser le plus
rude ennemi pour toujours.
Il n'en sera pas ainsi, puisque les Italiens, demain, seront
à Tripoli, nous barrant la route. La France s'est montrée
généreuse : c'est très bien fait. Mais vraiment ses généro-
sités commencent à ressembler fort à des prodigalités, et
l'on me pardonnera d'avoir mis à le constater quelque
amertume.
Les Anglais, ont, d'ailleurs, admirablement compris quel
éminent service nous leur avons rendu là. Ils se gardent,
pour leur part, d'empêcher la conquête de la Tripolitaine
par les Italiens. Des journaux ont pu montrer, au premier
moment quelque dépit du rapprochement des deux nation^
latines. Pas un n'a protesté contre notre assentiment aux
vues de nos nouveaux amis sur le nord de l'Afrique, — ce
qui nous amène, en passant, à constater que, la sympathie
de l'Angleterre étant, d'avance, acquise à leurs projets,
notre avis avait le prix exceptionnel d'une approbation dé-
finitive, emportant le dernier obstacle.
La résistance des Turcs, au surplus, ne retardera nulle-
ment la conquête, si les Italiens font en sorte de l'entre-
prendre sérieusement. On a quelque peu parlé, dans les
journaux, des garnisons ottomanes éparses dans la colonie.
Le sultan entretient là 30,000 hommes, qui ne se rendront
certes pas sans combats acharnés. Pvlais si l'armée d'inva-
sion ne doit pas s'attendre à faire, comme nous en Tunisie,
une simple promenade militaire, nos voisins ne retrouve-
ront pas non plus, sur cette côte sans défenses naturelles,
LA GUERRE ITALO TURQUE ET LA FRANCE 57
les désastres abyssins. Les soldats du sultan sont, à la
vérité, d'assez pitoyables hères. Dans les rues de Tripoli,
on les voit par bandes enguenillées, marchant pieds nus ou
chaussées de souliers crevés, n'ayant point tout l'uniforme,
mais seulement la veste ou le pantalon. Ils vont, parcou-
rant les marchés et se procurant, çà et là, leur nourriture.
Beaucoup, pour gagner quelque argent, se font, en dehors
des exercices, commissionnaires ou porteurs d'eau.
Vraiment, si les Italiens ne viennent pas à bout de ces
gens-là, ce sera leur faute. En conscience, nous pouvons,
sans attendre les événements, considérer que le cadeau est
fait.
La Revue Française, Paris, 24 sept. 191 1. ^
Antoine Redier.
CHRONIQUE FINANCIERE.
Les Mines
De tous les placements c'est peut-être celui-là qui, tout
en offrant le plus de séduction, inspire quand même le plus
de défiance au capitaliste. C'est là surtout que le petit
capitaliste — plus pressé et surtout plus impatient de réaliser
de gros profits à courte échéance — risque le plus et aussi
qu'il se fait le plus souvent tromper. Trompeur comme une
mine ! Ce dicton est connu tout aussi bien qu'en est le
pendant : riche comme une mine !
Au reste, les mines sont tout à fait comme l'occasion
qu'il faut saisir par les cheveux, en s'assurant bien de ne
pas tenir une perruque.
Mais pourquoi tant de gens se font-ils exploiter dans de
prétendues entreprises minières } A cette question que je
posais à un mineur, j'obtins la réponse suivante :
Dans la province de Québec, cela est dû à diverses causes
dont la principale est, à n'en pas douter, l'ignorance a peu
près complète de la population sur ce genre d'opérations.
Et ce ne sont pas assurément les énormités publiées par nos
journaux sur ce sujet qui amélioreront cet état de choses.
Ajoutez à cela l'indifférence du gouvernement de la pro-
vince envers le prospecteur, l'incompétence de 95% de ceux
qui s'occupent des mines et n'obtiennent qu'un lamentable
fiasco là où ils ont trouvé tous les éléments (\v\ succès;
cette disposition instinctive du plus grand nombre à rêver
plutôt qu'à réfléchir et qui les rend une proie facile de tous
les agents hardis, aux gestes nerveux et au verbe élevé, qui
vendraient des mines dans la lune si on leur offYait une
commission raisonnable.
Et pourtant les mines offrent encore un des placements
les plus rémunérateurs — ils sont de tout premier ordre si
l'on a à faire avec une mine d'or ou d'argent.
LES MINES 59
Les avantages offerts par la province d'Ontario sont
tout particulièrement intéressants. L'histoire de Cobalt est
là pour nous l'apprendre. Il y a de ce côté-là d'excellents
placements à faire ; l'important est de les découvrir. On
peut y arriver par divers moyens.
A part la confiance que l'on peut, que Ton doit accorder
à l'annonce lue dans un journal sérieux, honnête et compé-
tent, à part les renseignements que l'on peut obtenir de ses
amis sur la nature des propositions qui nous sont faites, il
est certaines mesures de précautions dont on aurait tort de
s'écarter :
1° Par quels moyens l'agent qui veut vous vendre des
actions de mine s'est-il introduit chez vous .?
2° Est-il un mineur compétent.?
3° Vous promet-il plus de beurre que de pain ou tout
simplement des profits réalisables en se basant sur ce qui
a été fait de mieux par les compagnies les plus prospères.
4° La compagnie qu'il représente est-elle administrée
économiquement; a-t-elie eu de gros accidents qui lui ont
occasionné des frais supplémentaines, combien a-t-elle
d'actions dans son trésor 1 etc., etc.
Nous reviendrons, du reste, sur ce sujet. L'industrie mi-
nière est une des plus importantes de la province de Qué-
bec ; il suffit de le faire voir au public. C'est une tâche qui
a été admirablement remplie jusqu'ici par les journaux
d'Ontario pour leur province. Pourquoi n'en ferions-nous
pas autant chez nous ?
Pour sa part la Revue F ranco- Américaine entend consacrer
à cette question quelques pages chaque mois. C'est un dé-
partement nouveau qui non seulement ne manquera pas
d'intérêt mais qui, surtout, est appelé à rendre de précieux
services à nos compatriotes.
J.=A. Lefebvre.
.:o:
Un développement — Le " Gaulois '*
Nous avons annoncé dans le dernier numéro de la Revue
la publication prochaine du " Gaulois," hebdomadaire —
politique, littéraire, artistique. C'est le développement na-
turel de l'œuvre entreprise il y a quatre ans par la Revue
Franco- Américaine.
Que cette œuvre ait été utile, les résultats obtenus ne
nous permettent plus d'en douter. Grâce au précieux en-
couragement de nos amis, nous avons pu voir ce que peu-
vent exercer d'influence salutaire sur l'opinion des amis
comme chez des ennemis, quelques travailleurs groupés au-
tour d'une publication vengeresse que ni la crainte ni l'in-
térêt n'arrêtent, qui arrache les masques et déchire les voiles
sans se préoccuper des figures que la vérité surprendra
derrière.
Nous avons, depuis vingt ou trente ans, exploré des
champs trop vastes; nous nous sommes engagés, comme
race, sur des routes trop diverses pour que nous n'ayons ja-
mais commis d'erreurs, pour que les routes suivies soient
toutes également bonnes. C'est à l'examen de cette situa-
tion que nous nous sommes attachés, et vous nous êtes té-
moins de la lumière abondante que nous avons versée sur
des plaies qui saignent le plus pur de n«^tre sang, des aver-
tissements que nous avons placés à l'entrée des routes tor-
tueuses, si elles paraissent plus faciles, où l'intérêt, l'ambi-
tion, les appétits, poussent à rangs pressés ceux que nous
étions tentés de prendre pour des héros et qui n'étaient, le
plus souvent, que les tristes champions de notre impré-
voyance nationale.
Et pour juger de notre vraie condition le meilleur moyen
est encore de mesurer notre faiblesse à l'audace de nos
ennemis. Mais le mal ne serait déjà pas si grand si nous
pouvions en limiter la constatation à la découverte de
UN DÉVELOPPEMENT. — LE "GAULOIS" 61
quelques documents poudreux arrachés des mains des cons-
pirateurs. Il y a par-dessus tout cela — et c'est bien ce qui
a couvert du secret officiel tant d'intrigues dirigées contre
nos institutions et nos plus précieuses libertés — il y a par-
dessus tout cela cette fausse mentalité, ce tempérament
d'esclave, qui en est sorti, qui pousse un si grand nombre de
Canadiens-français à croire que leur état de minorité leur
enlève jusqu'au droit de dire qu'on les vole quand, sous
leurs yeux, quelques chauvins, aidés de quelques opportu-
nistes, déchirent les traités les plus solennels.
Aussi bien le grand danger vient-il moins du fait que
nous sommes une minorité que de ce que nous nous mon-
trons dans trop de circonstances une minorité faible, dé-
sunie, sans détermination. Je ne rappellerai pas ici les
circonstances où, avec des moyens plus nombreux, nous
avons reculé devant des situations qui trouvèrent les pères
de nos libertés politiques irréductibles et vainqueurs. Je ne
veux même pas tenter de faire le bilan canadien-français
sous les deux régimes qui se sont succédés à Ottawa de-
puis la Confédération. On m'accuserait de broyer inutile-
ment du noir. Du reste, le changement de régime qui date
du 21 septembre dernier, sans calmer nos appréhensions,
vient d'ouvrir un champ nouveau à notre observation.
Même, je crains bien d'avoir poussé trop loin cette di-
gression quand je voulais me borner à annoncer aux amis
de la Revue l'entreprise nouvelle qui doit compléter son
œuvre.
Pour ce qui est de la Revue elle-même, on comprend que je
ne veuille pas entreprendre de la juger. Je ne serais pas
impartial.
C'est une besogne qu'il appartient à d'autres d'accomplir.
Et, je l'ai déjà dit, la forte sympathie qu'on n'a pas cessé
de nous montrer depuis trois ans est bien l'éloge sur lequel
nous comptons le plus.
Plutôt soucieux de remettre en lumière certains idéaux
que les tendances matérialistes de notre époque et de notre
milieu laissaient tomber en désuétude, nous avons moins
songé à imprimer une direction nouvelle à la politique de
62 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
notre pays qu'à réveiller les énergies, à dérouiller les
consciences, à grouper autour des institutions menacées les
bonnes volontés et les dévouements accessibles au souci
patriotique. En cela notre travail ne fait que commencer.
Jusqu'aujourd'hui, on a pu le constater, nous nous sommes
surtout appliqués, en jetant les bases d'une solide docu-
mentation, à ravitailler les groupes placés au front de ba-
taille, à distribuer des armes aux recrues, à dévoiler les
plans insidieux et toujours soigneusement préparés de l'en-
nemi. Ce travail n'est pas fini, mais il est assez complet
pour que nous songions à lui en associer un autre qui prouve
sa nécessité et lui fasse produire les fruits attendus.
Nous allons désormais prendre l'offensive, ce qui est en-
core le meilleur moyen de nous défendre. Et sur ce point
comme sur tous les autres, nous tâcherons de mériter la
confiance et de justifier les encouragements qu'on nous a
donnés.
Nous avons plusieurs fois fait appel à la générosité, au
dévouement de nos amis. Ces appels nous les ferons encore ;
c'est à ce prix seul que nous avons pu donner à notre insti-
tution de solides assises. Des projets élaborés avec soin,
société de publication ou association de protection, pren-
dront, dans le cours de l'année, une formai définitive et
apporteront à l'œuvre commune le précieux appoint d'une
organisation complète, d'une puissance d'action mieux
aguerrie.
Le "Gaulois" que nous fondons ne vise pas à autre
chose qu'à la réalisation plus rapide et plus complète de
tous ces projets.
J.-L. K.-Laf lamine.
•:o:
Montcalm
Poèvie lu par V auteur, à Québec, au pied du monument,
le jour dit dévoilement, le 16 octobre 1911.
Tout près d'ici, tout près du sol que nous foulons,
Altier comme Québec debout sur sa falaise,
Plein du feu des Klébers et des Timoléons,
En voulant rallier ses fougueux bataillons,
Montcalm tomba, frappé par une balle anglaise.
Montcalm tomba, vaincu par le destin jaloux ;
Mais sa défaite fut glorieuse et féconde,
Et son nom, radieux et caressant pour nous.
Et que nous devrions répéter à genoux,
Comîme un flambeau divin éclaire tout un mondie.
Oui, sa défaite fut féconde sous nos yeux.
Et le sang qu'il versa dans la plaine voisine,
0 miracle ! baigna tout le sol des, aïeux,
Y fit croître et fleurir des rejetons nomibreux.
Dont nul soc meurtrier n'atteindra la racine.
Oui, grâce à sa valeur, grâce à son dévoueiment.
Le fier triomphateur respecta notre race,
Et, sous le sceptre anglais, nous portons hardiment,
Pour repousser l'entrave et l'asservissement,
La loyauté pour lance et la foi pour cuirasse.
La gloire de Montcalm ignore tout déclin.
Toujours elle grandit, comime croît la lumière,
Comime dans un ciel pur le soleil du matin,
A mesure qu'il momte à l'horizon lointain,
Verse plus de rayons éclatants à la terre.
64 LA REVUE F1^A^X'0-AMERICA1NE
Et tant que vers la mer le fleuve souverain,
Qui vit combattre et choir l'immortel capitaine,
Roulera ses flots d'or, forte comme l'airain
Qui nous montre aujourd'hui son front vaste et serein,
Sa mémoire vivra dans l'âme canadienne.
Son premier revers fut un suprême succès ;
Et quand on le coucha dans le sol qu'une bombe
Avait ouvert non loin d'un bastion français,
Le feu d'une rancœur séculaire à janmais
S'ensevelit avec le guerrier dans sa tombe.
Tel Wolfe terrassé dans l'âpre engagement
Qui décidait du sort d'un peuple à la mamelle,
Par sa mort Montcalm a, sous notre firmament,
Commencé' l'union qui lie étroitement
La puissante Albion à la Gaule inianor telle.
Et pendant que, pieux, monte vers le héros
L'hommage de la vieille et fière capitale,
Peut-être les vaillants et glorieux rivaux
Cherchent-ils, réveillés en leurs sombres caveaux,
A se serrer la main dans l'ombre sépulcrale.
Il semble que l'un d'eux nous dise en ce moment :
— Puisque Dieu veut qu'ici des races étrangères
D'un empire nouveau jettent le fondeiment,
Formez, mariant l'or pur au pur diamant,
De deux peuples naissants un grand peuple de frères !.
Sentant couler en vous le sang noble et fécond
Que prodiguèrent, plein d'une ardeur sans rivale,
Les hardis descendants du Franc et du Saxon,
Efforcez-vous, les yeux sur le même horizon,
De cimenter partout 1' "Entente cordiale ! " —
:o:
Les deux Filles de Maître Bienaimé
(SCENES MORMANDES)
PAR
Marie Le Mière
(Suite.)
— Ah ! tu CI ois. . tu crois qu'elle l'aurait endoctrinée ? fit
Maître Bienaimé, bondissant ; si je savais ça. . je te garantis
bien. .
— Non, je ne le crois pas, répondit l'abbé Brissot en le cal-
mant du geste . . Je ne puis pas le croire. Mais ses manières,
ses idées, son histoire et tout . . Tu me comprends.
Puis ils se rapprochèrent d'Eugène, tandis que Léa relevait
une seconde fois la tête en voyant une ombre se projeter à sea
pieds, sur le sable.
— . . Alors, cela ne va pas comme vous voudriez ?
Louis était près d'elle, sous le noisetier séculaire dont les
basses branches le touchaient au front.
— Non, cela ne va pas du tout.
Il fut frappé de cet accent mélancolique, de l'expression
morne répandue sur cette physionomie, naguère si vivante.
— 11 ne faut pas vous affecter, reprit-il doucement, ce serait
bien pire. Mais . . soufïrez-vous donc, Léa ?
— Je ne souffre pas, je dépéris, murmura-t-elle, déchique-
tant une feuille de noisetier. Que voulez-vous ? Ce qui de-
rait arriver arrive. C'est une maladie d'ennui ; j'ai la cam-
pagne en horreur.
Louis Chaumel pâlit légèrement, comme s'il eût reçu un
coup dans la poitrine.
Q6 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
— Ah ! ne dites pas cela, vous me feriez trop de peine.
Ce cri lui échappa si impétueusement qu'il en fut étonné
lui-même. Puis près d'elle maintenant, il continuait, d'une
voix presque suppliante :
— Vous ne le pensez pas. C'est impossible, ce serait renier
votre race, renier votre père ! Vous Léa, vous n'aimeriez pas
la terre où vous êtes née, où les vôtres dorment. C'est un
caprice, une imagination ; votre c^eur n'y est pour rien . .
Léa. . voyons, Léa. .
Mais elle secouait la tête et ne regardait même pas celui
dont le regard l'eût peut-être éclairée. Pauvre enfant ! Etait-
il possible ! se faire de pareilles idées à son âge, et se rendre
malade à cause de cela ! Elle paraissait plus frêle en son atti-
tude alanguie, avec ses deux petites mains abandonnées sur
son tablier ; et pourtant son visage, où des lueui-s de soleil
voletaient coaime des mouches lumineuses, ne demandait qu'à
sourire. Oh ! quel désir de la relever, de l'orienter, de la dé-
fendre, désir encore irraisonné, mais d'une indicible force, s'é-
mut au fond de ce coeur viril !
— Vous, si gaie par nature, vous qui travailliez, cette année
encore au milieu des faneuses une fourche à la main . .
— Je m'étourdissais ! On ne vit pas, ici, on y végète ! on
n'y respire pas, on y étouffe !
—On y étouffe ! protesta Louis, se redressant d'un bond
juvénile ; mais sentez donc tout ce qui passe dans cet air -là !
Devant eux s'ouvrait une éclaircie radieuse ; un vent chaud
apportait l'odeur mielleuse des fleurs de sarrasin. Des nuages
floconneux défilaient devant le soleil, faisant courir d'immen-
ses vagues d'ombre et de clarté sur le marais peuplé de trou-
peaux somnolents, sur toute cette terre encore verte malgré
les ardeurs de la canicule. Des bruits d'attelages emplissaient
rétendue ; trois cloches, au loin, carillonnaient pour un bap-
tême.
— Mais regardez ! mais écoutez ! insistait Louis Chaumel.
— ^C'est toujours pareil, fit Léa.
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 67
— C'est toujours nouveau, répliqua le jeune homme.
— C'est la mort !
— C'est la vie !
Cette fois, elle le regarda, car jamais il ne lui avait parlé
de la sorte ; l'enthousiasme s'emparait de Louis, faisait mon-
ter à son visage son beau sang de terrien.
— La vie, on l'entend chanter dans le plus petit oiseau, on
la voit mûrir dans la moindre plante. La vie ! ils s'en pénè-
trent, allez, ceux qui la cultivent par un travail si bon, si
sain, un des plus nobles qu'on puisse voir.
—C'est vrai que la terre demande des forces, mais comme
elle les conserve ! Vous ne trouvez pas que c'est beau de tra-
vailler au grand air, en plein jour, sous le ciel d'où le bon
Dieu fait luire son soleil et tomber sa pluie ? C'est bien là,
dans les champs, qu'on sent la nécessité de prier matin et soir.
C'est bien là, dans le pays où les nôtres ont vécu, et où leurs
traces se voient encore, que nous sentons nos relations avec
eux, et l'obligation de suivre leurs exemples. Gardons l'esprit
de clocher. Léa ! On en a trop médit ; celui qui aime la petite
patrie aime la grande , il aime aussi l'honneur, la vertu, tout
ce que les siens ont aimé...
Les mots, ardents, vibrants, s'échappaient d'eux-mêmes,
sans qu'il cherchât à les retenir. Elle écoutait, surprise, va-
guement remuée au point le plus inconnu de son âme, par la
supériorité de cette intelligence et de ce caractère. Peut-être
aussi sentait-elle passer près d'elle un souffle nouveau. . quel-
que chose de pur et de fort, dont ses lectures ne lui avaient
jamais donné l'idée. . Là-bas, le prêtre et le fermier, longeant
la maison, causaient toujours, et derrière Louis, dans une
allée voisine Mathilde étendait du linge sur un fil de fer sou-
tenu par des poteaux.
— C'est très beau, ce que vous dites, reprit Léa, du bout
des lèvres ; mais le qualifierez- vous encore de noble, cet ou-
vrage si grossier, si vulgaire, auquel une femme doit se con-
damner ici ?
68 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
Il recula d'un pa^s.
— De quoi parlez- vous ? De ce que font ma mère et ma
grand'mère ? De ce que ferait ma soeur, si elle vivait ? Léa,
poursuivit- il plus doucement, en la voyant rougir, vous ne
regardez que le petit côté des choses ! A travers l'outil, l'ins-
trument plus ou moins vulgaire, comme vous dites, cherchez
l'idée qui l'ennoblit ! Pensez donc que vous continuez le passé,
que vous préparez l'avenir ; en contribuant au bon fonction-
nement de la ferme vous créez du bien être pour ceux qui
vous suivront. Vous contribuez, pour votre petite part, à des
oeuvres très grandes : le relèvement de la prospérité des cam-
pagnes, l'amélioration du sort des paysans. Et puisque vous
êtes bonne chrétienne, pourquoi ne pas vous placer au point
de vue chrétien, le plus haut de tous ?
Mathilde approchait, lentement, à pas silencieux : les pièces
de linge qu'elle fixait sur le fil volaient autour d'elle, comme
des ailes blanches, au vent parfumé. Mais Louis ne pouvait
s'apercevoir de sa présence. Il continuait, réellement entraî-
nant parce qu'il mettait au jour le fond le plus sacré de son
âme, l'idée maîtresse de son existence, et aussi parce que, sans
se l'avouer encore, il parlait sous l'empire de ce sentiment
dont Lacordaire a dit : ■' Celui qui a aimé dans sa vie, a été
vraiment éloquent, ne fût-ce qu'une fois."
— Que de bien vous pourriez faire autour de vous, avec
votre nature expansive ! Vos occupations vous rapprochent
de certaines misères ; vous êtes en contact perpétuel avec de
pauvres gens, à l'esprit peu éclairé. Que d'occasions de prati-
quer toutes les charités, d'acquérir de l'influence et de l'exer-
cer au profit de la bonne cause ! Voilà, j'espère, de quoi élar-
gir votre horizon et vous faire accepter votre sort.
Elle cillait comme devant une lumière qui lui eût blessé les
yeux ; puis elle se renversa de nouveau, les deux mains croi-
sées sous la tête, et demeura inerte un long moment.
Vous êtes un fervent de la terre, chuchota-t-elle enfin.
LÈS DEUX FILLES DE MAITRE BIENAIMÉ 69
Qu'est-ce que vous penseriez alors si je m'en allais un de ces
jours . . pour vivre à Paris ?
— Vous, Léa ! Déserter !
Il avait saisi l'une des branches. Puis, lâchant brusque-
■aent le bois qui siffla au-dessus de lui :
— C'est un enfantillage reprit-il. Vous voulez rire ? . . dites
dites . . Pourquoi f eriez-vous cela ?
— Parce qu'à Paris on se distrait, on s'amuse, articula-t-elle
avec une sorte de bravade ; parce que je meurs d'envie de
connaître des choses nouvelles, un monde différent de celui où
j'ai toujours vécu ; parce que. .
Elle s'arrêta, car elle ne pouvait ajouter qu'elle se trouvait
trop jolie pour habiter Clairville ; mais déjà Louis s'écriait :
— Et pour ces petits motifs-là, vous iriez troubler la paix
de votre famille, abandonner votre poste, vous jeter à l'aveu-
gle, dans un milieu pour lequel vous n'êtes point faite et dont
TOUS ignorez tout !
— Merci bien ! fit Léa, vexée. Je suis donc si campa-
gnarde ?
— Eh ! certainement ; est-ce un tort, ou une décliéance ?
Peut-on eflfacer le cachet de son origine ? Croyez -vous que je
ne m'honore point d'être campagnard ? dit fièrement le jeune
homme, regardant ses mains hâlées. Votre race et la mienne
en valent bien d'autres, je suppose ; nous n'avons pas à en
rougir.
Mais il vit trembler les lèvres de la jeune fille, et il eut
peur d'avoir frappé un peu fort.
— Léa, murmura-t-il en se penchant sur le fauteuil, j« vous
ai parlé comme un vieil ami. Vous n'êtes pas fâchée ?
— Je ne vous comprends pas, déclara-t-elle sèchement ; on
voit pourtant des gens, pris de dégoût pour la campagne, aller
à la ville . . et y réussir.
Louis devina qu'elle pensait à Mme Lagarde, et il répon-
dit :
— J'en conviens ; mais pour un qui réussit et dont on parle
70 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
combien d'autres qui échouent et dont on ne parle pas !
D'abord il faudrait savoir si ceux qui chantent victoire
ne sont pas, au fond, des vamcus . . s'ils n'ont pas perdu la
foi, par exemple, l'honnêteté, la délicatesse, la santé même :
toutes choses plus précieuses que la fortune et la situation
qu'ils ont pu conquérir . .
— Alors, interrompit-elle, à vous entendre, on devrait blâ-
mer tous ceux qui s'éloignent de leur village pour se faire
soldats, médecins, commerçants, prêtres. .
— Ah ! mais permettez, protesta Louis en souriant ; il y a
des attraits sérieux, il y a des vocations. Vous voudrez bien
convenir que votre . . fantaisie ne rentre pas dans ces catégo-
ries-là ! Ecoutez-moi, Léa, continua-t-il, redevenant très
grave : votre place est dans votre monde ; ce serait mal à
vous d'en sortir. Prenez garde : si vous alliez, du même
coup, faire votre malheur et le malheur des vôtres ! Quand
on détache un anneau d'une chaîne, on brise l'anneau et on
brise la chaîne. Et, dans le cas qui nous occupe, le bon Dieu
ne se charge pas toujours de la réparation.
De cet oeil brillant, de cette voix chaude, se dégageait une
puissance de persuasion vraiment extraordinaire ; Léa, d'un
geste enfantin, porta les deux mains en avant.
— Allez-vous en : je ne veux plus de vous ! Je ne veux
pas être convertie !
— Et moi, je veux vous convertir, répliqua Louis Chaumel
avec une expression intense . . J'ai même l'idée que cela ne me
sera pas très difficile . .
Mathilde allait du jardin à la buanderie, de la buanderie à
la cuisine ; vers onze heures, elle vit repasser l'abbé Brissot,
essoufflé, tirant sa montre.
— Je vais manquer le tramway ! s'exclama-t-il. C'est de la
faute de ce brave Louis Chaumel. Ah ! le bon garçon, le bon
chrétien ! Nous avons causé tout à l'heure, en prenant un
verre de cidre avec ton père ; la conversation est tombée sur
les affaires actuelles . . En voilà un qui ne se gêne pas pour
LES DEUX FILLES DE MAITRE BIENAIME 71
dire sa façon de penser ! Tu n'étais pas là, ma fille ; c'est dom-
mage !
Mathilde n'était pas surprise ; elle n'ignorait point que son
voisin était un véritable apôtre, qui propageait les bons jour-
naux, combattait l'alcoolisme, s'entendait avec le curé de
Clairville pour fonder une mutuelle agricole. Kt comme il
parlait, en effet ! Tantôt, auprès du noisetier, elle n'avait pas
pu se défendre d'écouter un peu. Les choses qu'il disait, elle
les avait pensées bien des fois ; mais elle n'aurait jamais su
les démêler une à une, ni surtout les exprimer si bien. Ab !
il avait le droit de parler, celui- là, car il prêchait d'exemple !
11 aurait pu devenir un monsieur de la ville, un notaire, un
médecin, tout ce qu'il aurait voulu ! C'était par goût qu'il
avait choisi la culture. II ne tenait pas seulement à la terre
par intérêt, par habitude, comme tant d'autres ; il l'aimait. .
oui, comme on aime une personne ! Il aimait l'âme de la terre !
11 avait consacré sa vie à défendre la terre, à la rendre plus
belle et meilleure, à lui conserver des enfants.
— C'est avec ces caractères-là qu'on refait un pays ! décla-
rait l'abbé Brissot en traversant la cour.. Qu'est-ce que tu
as, toi, ma fille ? demanda-t-il subitement à sa nièce, qui l'ac-
compagnait jusqu'au bas de la côte.
— Rien, mon oncle. . C'est à-dire, je suis triste parce que
vous vous en allez ! . .
Certes, la réponse était parfaitement sincère ; mais peut-
être, au fond, tout au fond du coeur de Mathilde, murmurait
la parole qu'elle s'était répétée maintes fois, pour refouler des
souffrances physiques :
" Il ne faut pas s'écouter."
VIII
l'assemblée
Les feux de Tété embrasaient Clairville, desséchaient les
abreuvoirs, faisaient taire les oiseaux ; la verdure perpétuelle
72 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
du marais encadrait les chaumes ras, les sarrasins mûrs, les
pommiers où perlaient déjà les pommes. Une couche de pous-
sière donnait à la campagne un reflet blanc, et, dans le village
assoupi, les roses trémières et les " soleils " penchaient leurs
têtes lourdes par- dessus les murs dégradés.
Cette langueur des choses rejaillissait sur Léa, qui remon-
tait vers la ferme au retour d'une messe matinale entendue
à la paroisse voisine. Elle suivait la Vérelle, la jolie rivière
qui glisse derrière les masures, se frôle presque au monticule
ombreux de l'église, et, se détournant tout à coup, s'enfonce
dans le marais, comme si, malgré sa paresse, elle bondissait de
joie devant cet immense espace lumineux !
Léa " gardait," ce dimanche-là ; c'était son tour ! Oh ! l'in-
tolérable ennui de rester des heures enfermée à surveiller le
pot-au-feu !
Combien de temps faudrait-il se soumettre encore à tous
ces vieux usages ridicules, ne .laissant aucun jeu à la fantai-
sie, à la variété ! C'était un couvent, la Closerie, — si bien
nommée, hélas ! — la discipline y était pire que chez les Car-
mélites. Chacun y avait son rôle, étroitement délimité, sa
place dans la hiérarchie . . La diatribe intérieure fut inter-
rompue par le bruit de deux sabots cahotants ; la mère Na-
nette, au bas des marches disjointes qui descendaient de son
jardinet vers la rivière, abordait Léa en lui soufflant mysté-
rieusement :
— Enfin, vous voilà ! Depuis le temps que je vous guette ?
Avec un rire de sa bouche édentée et de ses petits yeux en
trous de vrilles, la commère tirait de son tichu croisé une
enveloppe de format élégant.
— Ce que ça sent bon, Mam'zelle Léa ! reprenait-elle, exa-
minant, en dessous, la figure rayonnante. Mes hardes vont
en garder l'odeur pendant plusieurs jours.
— Merci, Nanette !
Et, dans son eftusion, la jeune fille tendit une pièce d3
vingt sous à la vieille dont l'ébahissement fut tel, qu'elle de-
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 73
meura deux secondes immobile, à regarder le disque d'argent
briller au creux de sa main.
. . Quelle transformation chez Léa ! Maintenant elle s'en-
vole, rasant l'herbe brûlée ; rentrée à la maison, elle se sauve
dans sa chambre, et, d'un coup d'ongle, fend l'enveloppe ; sur
le vélin aux bords déchiquetés — dernier cri de la mode ! — la
haute écriture artificielle de Mme Latrarde a tracé ces mots
" Ma chère enfant, ne me juge pas sur les apparences, et
ne suspecte jamais l'intérêt affectueux que je te conserve. Ta
confiance en moi me touche profondément, et je te l'aurais
déjà dit de vive voix si les circonstances ne m'imposaient une
discrétion absolue . . Tu comprends bien, n'est-ce pas. que je
ne puis revenir à la Closerie sans une invitation de ton père,
et ta manière de t'exprimer, le mode de correspondance que
tu me proposes, me font penser qu'on ne désire guère, autour
de toi, voir se poursuivre nos relations.
" Mais prends patience, ma pauvre chère petite, ou je me
trompe fort, ou je trouverai, d'ici peu, l'occasion de te ren-
contrer sans porter ombrage à personne . . "
Léa baisa par deux fois ce dernier paragraphe. Pour-
tant . . avec quel sourire Amélie avait écrit cette page ! . . De
quel ton la chère tante avait murmuré en posant la plume :
" Après tout, que m'importe ? Je ne m'engage à rien, je n©
risque rien. . Je n'ai rien à perdre, et j'ai beaucoup à gagner."
Tout de suite, Léa se sentit renaître ; une sève nouvelle
circula dans son petit être capricieux. Quinze jours plus tard,
le fermier, revenu du marché de la Haye-du-Puits où il avait
rencontré son jeune voisin, annonça en se mettant à t^able :
— C'est jeudi la fête de la Salette ; il y aura de la place
pour vous dans la voiture de la Haie d'Epine si le cœur vous
en dit.
— Oh ! je veux bien ! s'écria Mathilde avec un sourire très
rapide, mais incroyablement jeune.
— Avec les Arcent de Bruneville et les Ghaumel de Saint-
Damien, vous serez toute une voiturée, ajouta Maître Bien-
74 LA REVUE FRANCO-AMTÎRICAINE
aimé. Ils pîirfciiont aussitôt après dîner, dans la carriole à
trois bancs.
Mathilde sourit encore, en versant du cidre à Eugène; elle
se sentait toute joyeuse, la grande fille de la Closerie, la grave
ménagère, sitôt privée de délassements et de distractions.
A six kilomètres de Clairville s'élève un sanctuaire dédié à
la Vierge des Alpes, et très renommé dans le pays ; pendant
la belle saison, les pèlerinages paroissiaux y affluent de se-
maine en semaine, et le 19 septemlïre, jour anniversaire de
l'apparition de Notre-Dame aux deux bergers, est marqué par
une grande fête, à la fois- religieuse et profane, où toutes les
communes d'alentour se donnent rendez-vous. Mathilde, à
cette pensée, croyait redevenir petite ; ce serait gentil de faire
un tour dans l'assemblée, de retrouver à chaque pas des amis,
des connaissances, de s'amuser un peu aux boutiques, aux
loteries, aux " curiosités " . . Mais comme ce serait meilleur
encore de s'agenouiller devant Notre-Dame de la Salette, de
la prier bien fort dans la chapelle comble, d'écouter la parole
si bonne du vieux Curé — un saint ! — et de revenir à la
" fraîche " en chantant des cantiques !
— Mme Chaumel invite Eugène aussi . . ajouta le père, en
ouvrant son couteau,
Mathilde posa la main sur l'épaule de son frère.
— Veux-tu venir à la îSalette ? à l'assemblée ? Veux-tu ?
Il la regarda fixement, sans paraître comprendre. Et un
souffle froid éteignit la joie de la jeune fille.
— Oh ! dit-elle à mi-voix, je resterais bien, alors. .
— j.*u tout ! intervint Brissot ; ta sœur y est allée sans toi
les années dernières ; tu te donnes assez de mal pour mériter
de prendre un peu de plaisir.
— Pourvu qu'il fasse beau ! s'écria Léa.
Car s'il faisait beau, elle pourrait se pavaner dans sa toi-
lette de cérémonie, habituellement réservée à la fête patro-
nale et à la Fête-Dieu !
Les vœux de la jeune coquette furent servis à souhait ;
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 75
l'azur était radieux et la route incandescente lorsque, le jeudi
suivant, la carriole de la Haie d'Epine atteignit, vers deux
heures, les abords de la chapelle. Le véhicule était si long, si
large, si plein que le vigoureux percheron soufflait, couvert
d'écume malgré la brièveté de sa course et la modération de
son allure ; le conducteur, — un valet des Chaumel, — avait dû,
faute de place, s'asseoir, les jambes pendantes, sur le rebord.
Il descendit pour guider le cheval par la bride à travers l'é-
norme affluence de voitures et des piétons qui débouchaient
de toutes parts. En haut de la côte, face à un horizon fertile
et rayonnant, le monument se dessinait, blanc, élégant et
simple avec son fin campanile, au milieu de son enclos orné
de parterres, fermé d'une grille fleurie et terminé par une
esplanade d'oii s'élance triomphalement, vers le ciel, un beau
calvaire taillé en plein granit.
Le conducteur ayant découvert un endroit propice, on se
mit en devoir d'opérer la descente, assez laborieuse, mais fa-
cilitée par le double marchepied. Mme Chaumel, très digne
avec sa robe noire, son corsage à basques et son bonnet su-
perbe, en précieuse dentelle de fil, tendit au domestique les
enfants : toute une tribu de petits Arcent aux joues rouges,
aux yeux futés. Les femmes sautèrent toutes seules, défri-
pant leurs jupes d'un geste prompt, non dépourvu d'une grâce
instinctive. Enfin le valet abaissa, au fond de la carriole, le
panneau démontable , et les occupants du dernier banc, les
Chaumel de Saint- Damien, parents éloignés, mais amis trè?
intimes des Chaumel de Clairville, surgirent à leur tour ;
après la mère, une Bessinaise, qui avait conservé, de son pays
natal, la petite coiffe plate en forme de calotte allongée, ceinte
d'un ruban de velours, vint le grand-père, un vieux en longue
blouse, au type de patriarche, puis la cousine Marthe," gen-
tille brune de dix-sept ans, fort timide sous ses cheveux lé-
gèrement tirés et son chapeau noir enguirlandé de cerises.
D'une chaise logée on ne sait où, se leva Mathilde Brissot,
habillée de gris ; alors seulement, avec mille précautions qui
76 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
ne la rendaient ni gauche ni embarrassée, Léa descendit, belle
comme la princesse Aurore, éblouissante de fraîcheur avec sa
robe de voile rose-pâle, ornée de plissés soleil et de dentelles
Kenaissance, et sa capeline de paille dont les nœuds de gaze
et les roses pompon s'entremêlaient à sa vaporeuse chevelure
d'or.
— Moi, lui avait dit sa sœur, je trouve que ce n'est pas
commode pour aller en voiture, et il me semble que cela m'en-
pêcherait de m'amuser . .
Louis n'avait pas accompagné sa mère : voulant faire son
pèlerinage à pied, il était parti seul, une heure avant la car-
riole. Mme Chaumel, après avoir donné l'ordre de conduire
le cheval à une auberge, prit, dans sa main gantée de tissu
noir, sa grosse montre d'or. ,
— Les vêpres sont à deux heures et demie, dit-elle ; il est
grand temps d'entrer si nous voulons avoir des places !
Puis, se mettant à la tête de sa bande, elle se dirigea vers
le porche.
Entrer, cela se pouvait encore ; mais découvrir des places,
c'était une autre affaire ! Déjà on s'étouffait dans les bancs, on
se poussait dans la nef ; Léa, qui marchait la dernière, un
peu flâneuse, fut retardée par un groupe compact qui sortait
du magasin de cierges.
— Ah ! vous voilà ! fit-elle en reconnaissant Louis ; nous
arrivons, nous autres. Pourquoi donc êtes- vous venu à pied ?
— J'avais promis.
— Comme vous dites cela sérieusement ! Qu'est-ce que vous
avez !
C'est qu'il la regardait sans sourire, avec une expression
qui semblait le grandir encore et le rendait plus beau.
Une puissante rumeur de prière les enveloppait tous deux :
on récitait le chapelet aux pieds de Notre-Dame. En face, la
croix se dressait dans la lumière vibrante, du milieu des
dahlias flamboyants. Au bas de la côte, l'église paroissiale
carillonnait, et soudain les voix d'argent du campanile jailli-
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 77
rent au-dessus de Louis et de Léa, en un concert aérien,
hymne d'amour et de fête.
Dans cette grande joie religieuse, dans ce /déploiement de
splendeur et de vie, il la contemplait. . trop ému de la revoir
ici, de lui parler au seuil du cher sanctuaire où il était venu
prier pour elle, confier à la Vierge toute bonne le secret de
son cœur.
Non, il ne prenait pas au sérieux les prétentions de Léa,
son dégoût des choses de la campagne. Ce n'étaient là que
les fantaisies d'une imagination très jeune ; cela passerait
certainement dès que Léa connaîtrait la vie réelle, dès qu'elle
connaîtrait ce véritable amour.
— Ecoutez, dit-il un peu vite ; j'ai une affaire très impor-
tante que je vais recommander à Notre-Dame de la Salette. .
Voudrez-vous bien demander ce que je demande et prier avec
moi ?..
Elle répondit oui, de la tête, et ils entrèrent ensemble. Au
bénitier, fait d'une vaste coquille, elle toucha, de ses petits
doigts gantés de peau blanche, la main féconde du jeune tra-
vailleur. Pendant leur court dialogue, Mme Chaumel était
parvenue à placer tant bien que mal les enfants, Marthe et
Matliilde ; les autres durent rester debout. A chaque instant,
des groupes nouveaux arrivaient, s'insinuaient à travers la
nef, se coulaient dans la chapelle latérale où un prêtre ma-
niait vigoureusement l'harmonium, s'écrasaient contre la ba-
lustrade du chœur. Les vêpres étaient commencées, le chant
des psaumes s'enflait, tonnait, roulait dun bout à l'autre du
vaisseau trop étroit, dans la pluie étincelante des vitraux,
dans le rayonnement des lustres, dans la fulgurance des fais-
ceaux de cierges grossis de minute en minute. Et la grande
statue, élevée en arrière de l'autel, illuminée d'en haut par
une clarté dorée, semblait sourire à la foi des Normands.
Oh ! cette foi, qui donc eût nié sa présence devant un tel
concours de foule, devant cet enthousiasme des voix, cette
gravité des attitudes, cette profusion de flambeaux, ces innpm-
78 LA REVUE FRANCO- AMERICAINE
brables ex-voto, témoignages des faveurs qui l'ont récompen-
sée ! Sans doute, elle est souvent entravée par les préoccupa-
tions matérielles, refroidie par le vent de scepticisme qui
souffle de partout, hélas ! Mais pour que, malgré les causes
contraires, elle puisse pousser encore des jets si robustes, il
faut que la terre soit bonne et l'arbre bien vivant.
La moitié de l'assistance, refoulée au dehors, suivait l'office
avec autant de ferveur ; une multitude immobile stationnait
devant le porche ; tout le long des grilles de clôture, des
hommes, des femmes, des enfants, assis sur le mur d'appui en
files ininterrompues, priaient, le livre ou le chapelet en main ;
d'autres se tenaient debout, accotés au mur de l'édifice, sous
les verrières ouvertes d'où les chants s'échappaient, mêlés à
une buée lourde et brûlante.
Cependant, sur l'esplanade, la circulation demeurait in-
tense : d'innombrables voitures arrivaient encore, s'entas-
saient dans un champ voisin où l'on avait établi une garde.
Entre les parterres défilaient les blouses brillantes, à boutons
de nacre, et les vestons de droguet des paysans, parmi les
flots de bonnets aux brides de ruban crème, aux ruches 'irré-
prochables, souvent mêlés de nœuds ou de fleurs ; puis c'é-
taient les bonnets plus hauts du pays de Gorges, les bonnets
plats, à brides noires, pour le deuil, et, sur les vieilles têtes, les
bonnets à courte-oreille, les havolets tuyautés sur le cou. Les
femmes âgées allaient lentement, balançant leur taille déme-
surément élargie par le bourrelet entourant les hanches. Quel-
ques aïeules arboraient encore la petite coiffe absolument en-
gainante, appelée bonnette, le fichu à franges et à fleurs bro-
chées, le tablier de soie gorge-de-pigeon. Beaucoup de
paysannes portaient des corsages noirs, à basques, sur des
jupes de couleur crue : bleu-de-roi, vert-épinard ou violet-
monseigneur. Tout cela fraternisait avec les toilettes plus ou
moins estropiées, représentant la gamme entière de l'élégance
campagnarde, dont les robes claires et les chapeaux empana-
chés occupaient le sommet Ça et là glissait la silhouette mo-
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 79
nastique d'une veuve dont la cape rappelait l'habit des Pe-
tites Sœurs des Pauvres ; et partout fourmillaient des enfants,
suçant des pipes en sucre d'orge, soufflant dans des mirlitons
ou des trompettes, tenant au bout d'un fil des ballons en bau-
druche, ou, au bout d'une baguette, des tourniquets de papier
multicolore.
Bientôt un double courant se dessina parmi la multitude :
un fleuve humain se déversait par le porche, à l'issue des
vêpres, et toute la société des Chaumel ne tarda point à repa-
raître, se dirigeant vers le lieu de l'assemblée. Marthe, en
arrière, chuchotait avec Léa, sa compagne de pension. A la
barrière du champ de foire, Mme Chaumel tira son fils par la
manche et lui intima brièvement :
— Donne le bras à ta cousine.
Louis arrêta sur sa mère ses prunelles loyales ; mais ayant
regardé Marthe, il obéit, sentant que la chose ne tirerait pas
à conséquence; la fillette, beaucoup plus intimidée qu'heu-
reuse, paraissait très occupée à relever sa robe et ne dit pas
quatre paroles à son cousin durant tout le temps qu'il l'ac-
compngna.
Autour d'eux s'élevaient les boutiques en plein vent, où
s'étalaient les jouets d'un sou, les "surprises," les amandes
sèches, les sucres d'orge qui fondaient au soleil, les brioches
et les " cornnets," sortes d'échaudés à cinq ou six cornes, dont
le secret de confeétion est jalousement gardé par la famille
de l'inventeur. Les baraques de saltimbanques voisinaient
avec les loteries, les tirs, et les longues tentes unies ou rayées,
installées par les débitants des alentours pour abriter les
dîneurs. Enfin, au beau milieu du champ de foire, les che-
vaux de bois, invraisemblables bucéphales dont plusieurs
8.vaient perdu la queue ou les oreilles, tournaient, — mis en
branle par un vrai cheval, leur compagnon d'infortune, — sous
le gigantesque parasol frangé d'un or douteux.
Et c'étaient, dans le soleil et la poussière, une mêlée, un
piétinement, un brouhaha indescriptibles ! Par-dessus le roule-
80 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
ment ininterrompu des conversations, des rires, des exclama-
tions lancées dans ce patois rude ou l'on croit sentir encore
riûfluence des conquérants d'outre-mer, retentissaient les
appels aigus des marchands, les mélopées nasillardes des col-
porteurs et des vendeurs de gaufres, les glapissements des
forains à la parade, les battements des grosses caisses, les
mugissements des trombones, les grincements des tourni-
quets, les coups de cloche des loteries, les coups de fusil des
tirs, et, dominant tout, la musique ^du manège, une vieille
frénétique, broyant, avec le bruit de mille casse-noisettes, les
airs les plus échevelés !
C'étaient les chevaux de bois qui constituaient la grande
attraction. C'était là que se concentrait cette gaîté bruyante,
rustique, peu raffinée évidemment, mais saine en elle-même ;
très populaire, mais nullement populacière, et fleurant l'odeur
franche du terroir.
— Vas-tu monter ? dit Léa, tout bas, à Mathilde qui instal-
lait dans une voiture, les quatre petits Arcent.
— Bien sûr ! Pourquoi pas ? répondit la jeune fille, sans
penser le moins du monde à cacher son goût pour ce divertis-
sement rural. Marthe Chaumel a déjà fait deux tours ; viens-
tu, Léa ?
— Oh ! moi, je ne sais pas si je dois, murmura-t-elle, per-
plexe.
M&rie Le Mière.
(A suivre au "prochain numéro.)
Ci ntiùK «us Nousnrtiore ^utiffim'
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(HEBDOMADAIRE)
C'est le titre d'une publication que la " Revue
Franco- Américaine" va entreprendre pour répondre
au désir de tous les amis de la cause qu'elle défend.
Nous l'avons annoncée le mois dernier, et nous
avons déjà pour notre future publication une liste
d'abonnés fort respectable. Nous en remercions très
cordialement nos amis pour l'empressement qu'ils
mettent à nous seconder dans cette nouvelle entre-
prise. Qu'ils continuent la propagande dans leur en-
tourage, parmi leurs amis qui sont aussi les nôtres.
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DEUX MEMOIRES
I
Mémoire présenté par les Irland&is en 1901 et
signé par M. Charles Murphy
et quelques autres
II
Réponse de Sa Grandeur Monseigneur Duhamel
adressée au Cardinal Préfet de
la Propagande
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de Mai, Juin et Juillet 191 1
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Quatre ''Grands Prix''
Au sujet de la part prise par le Grand-Tronc dans l'exhibition tenue
au Crystal Palace, Londres, Angleterre, pendant le festival de l'Empire
de nouveaux renseignements venus de Londres nous apprennent qu'au
lieu de de«iX prix mentionnés dans les premières dépêches, les compagnies
du Grand-Tronc et du Grand-Tronc-Pacifique ont reçu quatre " Grands
Prix."
Ces prix ont été accordés sous les titres suivants : " Arts et Métiers ; '*
" Vie comique ; " "Kclairage" et "Transportation;" il est aussi ques-
tion des " Métiers constructeurs " et de " l'Annonce. " Tout ceci est un
grand honneur pour les compagnies nommées, car les autres chemins de
fer qui ont pris part à l'exposition n'ont reçu qu'une récompense.
Le rapport officiel du représentant du Grand-Tronc à cette exposition
pour la semaine finissant le 9 septembre, porte le nombre des. visiteurs
qui se sont présentés cette semaine-là, au pavillon du Grand-Tronc, à
21,186. A cette date, le nombre total des visiteurs au pavillon du Grand-
Tronc était de 279,942.
A partir de lundi le 18 septembre, le chemin de fer du Grand-Tronc-
Pacifique a établi un train mixte sur la branche de Régina, entre Melville
et Régina. Les lundis, mercredis et vendredis, ce train quittera Melville
à 10 h. 3t; du matin et arrivera à Régina à 7 h. 35 du soir. Les mardis,
jeudis et samedis, il quittera Régina à 7 h. du matin et arrivera à Mel-
ville à 4 h. de l'après-midi. Il arrêtera aux postes intermédiaires.
LE PACIFIQUE CANADIEN
LA ROUTE POPULAIRE
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Montréal et Québec,
Montréal et Ottawa,
Montréal, Joliette et St-Gabriel.
Montréal, Stë-Agrathe, Noralningue
et les Les Laurentldes,i
Montréal et les Chutes Shawlnl-
san,
Montréal et Ste-Anne de Beau-
pré,
Montréal et le Cap de la Magde-
lelne,
Montréal, Bala et le MuskoKa,
Montréal, St-Jean, N.-B., et les
Provinces Maritimes,
Montréal, Manchester, Nashua,
Loweil, Boston et la Nouvelle-
Angleterre,
Montréal, Toronto, Détroit et Chi-
cago,
Montréal, Sault Ste-Marie, St-
Paul, Duluth, MlnneapoJis,
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altitude son principal sujet d'intérêt, de même que tout le
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vation le long du chemin de fer, l'élévation au-dessus du
niveau de la mer est de 1700 pieds. A cette hauteur, l'air
possède des propriétés toniques qu'on ne peut comprendre
sans en avoir fait l'essai. Grâce à une prévalence des vents
du nord et de l'ouest, l'air est purifié en passant, comme à tra-
vers un tamis, sur plusieurs millions de milles carrés de forêt
dont la plus grande partie se compose de pins et de sapins.
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toire en n'importe quelle saison de l'année. L'hôtel est
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Contrôlons nos Epargnes !
Protégeons nos Familles !
Défendons nos Institutions Nationales !
Trois buts que l'on atteint en s'enrôlant dans
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Etats-Unis.
LISEZ *' L'UNION." organe officiel de la Société, le plus vigou-
reux des journaux franco-américains.
ADRESSE: L'Union St-Jean Baptiste d'Amérique, Woonsocket, R. I.
M. ARTHUR LANQEVIN
371 Rue Marquette, Montréal.
AGENT DE LA
REVUE Franco- AMERICAINE
POUR MONTRRAI, ET DISTRICT.
IvlLLUSTRATION
Supplément de "La Revue Franco-Amépicaine "
\^ol. VIII. No 2.
Montréal, 1er Décembre 1911
G. W. SÉGUIN,
président de l'Union St-Joseph du Canada, décédé subitement
à Ottawa, le 6 décembre 1911.
VUEIS CANADIENNES
Le roi de la forêt.
Vu^S CANADIENNES. — Sur la rivière des Quinze. 1
PARLONS AFFAIREIS!
Pour i<e; gouvkrnkmknt Gouin. — Que fait là ce vieux pont de bois?
1
CoRRKCTiON. — Cequi, dans notre dernier numéro était un feu de forêt
est aujourd'hui ce qu'il doit être — une chute d'eau
de plusieurs milliers de chevaux- vapeur. Pour avoir
le feu de forêt, il faut letourner la vignette. Ceux
qui ne seront pas satisfaits de l'arrangement. . . .
A QUEBEC
LA QUESTION DE LA GARE CENTRALE
M. S. N. Parent,
appuyé par le gouvernement Laurier, ex-président du TranscontinentaL
n'avait rien trouvé de mieux que ce pied de falaise, large à peine de 50
pieds, pour faire entrer dans la ville de Québec un des plus grands che-
mins de fer du monde.
Kt le même M. Parent avait décidé de mettre au pied de la terrasse —
une des plus belles prnmenades du monde — la gare centrale de ce chemin
de fer. Mais les gouvernements se suivent et ne se ressemblent pas !
L'Ouiatchouan
Il tonne ? Non. Le lac brise sur le rivage ?
Non. Regardons, tournés vers la forêt sauvage,
Entre deux rocs abrupts, se dérouler sans fin
Le fluide rideau d'argent clair et d'or fin
Dont une extrémité tombe à pic d'une cime
Et l'autre tourne au fond d'un insondable abîme :
C'est rOuiatchouan qui plonge et clame éperdument
Dans son vertigineux entonnoir écumant
Où le soleil, dorant au loin, frêne, orme et tremble,
Ose à peine glisser une lueur qui tremble.
Approchons !... La clameur grandit incessamment.
Approchons ! approchons encore !... En ce moment
Nous sentons sous nos pas émus frémir la combe.
Et le fracas du mur s'écroulant sous la bombe.
Les craquements du cèdre en proie à l'ouragan,
Les rauqucs meuglements du farouche océan
Qui se rue, écumeux, à l'assaut des falaises.
Les crépitations des pins et des mélèzes
Allumés par l'éclair incendiant nos bois,
Le bramement des daims et des cerfs aux abois,
Les éclats de la foudre et du bronze qui tonne, .
Les râlements du glas dans la bise d'automne,
Le hurlement des loups, le grognement des ours,
Les sifflements du vent, les longs grondements sourds
Du volcan vomissant la lave et la ruine,
La plainte des mineurs enterrés dans la mine,
Tous ces sinistres bruits, tous ces affreux sanglots
Des hommes, des forêts, du feu, du fer, des flots,
Des éléments rageurs, des fauves en démence,
S'élèvent des remous fumants du gouffre immense.
Approchons ! ... approchons toujours!... Le tonnerre des eaux
Ici nous assourdit, ébranle nos cerveaux.
82 LA REVUE FRANCO-AMIÉRICIANE
Nous grise, nous écrase ; et, la paupière close,
Tremblant sur les cailloux où notre pied se pose,
Nous rêvons, nous voyons, dans Tombre du grand bois
Se glisser, l'arc au poing, le féroce Iroquois ;
Nous entendons, parmi le fracas formidable
Du torrent qui se tord dans le gouffre insondable,
Les longs cris éperdus de prisonniers hurons
Scalpés et brûlés vifs par des hommes-démons,
Les lamentations d'une jeune victime
Qu'un sachem, le front nu, va lancer à l'abîme
Pour calmer la fureur des puissants manitous...
Par moments les grands flots échevelés et fous
— Que nos yeux trompés voient choir du ciel sur la terre
Dans un apaisement subit, semblent se taire.
Et soudain notre oreille émerveillée entend
L'ineffable solo d'un rossignol chantant
Sur un mouvant rameau qui surplombe la chute.
Mais aussitôt des trils de hautbois et de flûte.
Des sons mystérieux, d'indicibles accords.
Des éclats de clairons, de bugles et de cors.
Auxquels le sifflement de la balle se mêle.
Couvrent l'hyme suave et pur de Philomèle,
Et, redits par l'écho dolent comme un adieu.
Montent vers l'impassible infini du ciel bleu.
Puis ce concert sans nom, dont la plage frissonne,
Redevient un long bruit discordant, monotone.
Etourdissant, sinistre, effroyable, angoissant.
Nous venons de toucher enfin le bord glissant
Du gouffre, où maintenant un soleil d'or flamboie;
Et, moites de l'embrun qui jaillit et poudroie
Sous la brise berçant tout près hêtre et bouleau.
Nous regardons crouler les ondes... — Quel tableau I
Nul peintre extasié, que la nature enflamme.
Nul poète portant un brasier dans son âme.
Ne pourrait sur la toile ou dans l'airain des vers
Exprimer la splendeur des aspects si divers
Que sous le dais ombreux de la forêt compacte
l'ouiatchouan 83
Déroule la farouche et lourde cataracte.
Oui, devant l'Ouiatchouan tout art est impuissant.
Voyez!... voyez!... Des flots de lait rougi de sang,
Des feuilles de platine et des grappes de perle,
Roulent dans Teau qui choit, tourne, écume et déferle.
A nos yeux, tour à tour charmés et stupéfaits.
L'agate et le rubis confondent leurs reflets,
Des paillettes d'argent, des lamelles de cuivre.
Des filigranes d'or, des étoiles de givre.
Des pétales d'iris, de rose, de muguet.
D'éblouissants flocons de neige et de duvet
Tourbillonnent sans fin dans la masse mouvante
Dont la vaste clameur jette au bois l'épouvante,
Et, mêlant leurs éclats à ceux du diamant.
Font de ce lieu d'horreur un lieu d'enchantement.
Sur qui cependant flotte un voile de tristesse.
Les mille glas des eaux semblent croître sans cesse,
Et nous sentons en nous brûler plus ardemment
La fièvre du vertige et de l'effarement.
Quelqu'un va-t-il jamais mettre fin au supplice
Du blanc torrent poussé vers le noir précipice ?
Non, non. Le torturé furieux vainement
Tentera d'échapper à l'engloutissement;
Mais, comme le colosse échevelé qui lutte
Sans espoir apparaît plus grand après sa chute,
L'Ouiatchouan, au sortir du puits vertigineux
Où ses flots sont de blancs serpents tordant leurs nœuds,
S'élargit, se transforme en un bassin limpide
Qu'en ce moment la brise à peine effleure et ride.
Avec un doux murmure elle plonge et se fond
Dans le sein, vierge encor, d'un lac vaste et profond.
Sans laisser sur son calme azur la moindre trace.
Comme s'évanouit et sans retour s'efface
Le conquérant brutal ou le monstre indompté
Dans l'infini du temps et de l'éternité.
W. Chapman.
L*EcoIe des Belles-Mères
COMEDIE EN UN ACTE
(Suite\
Madame Graindor. Ne vous pressez pas d'obéir, cela
viendra assez vite. Si vous saviez les tracas, les chagrins
que les enfants apportent avec eux, vous changeriez d'avis-
Ayez-en un, un petit, deux totit au plus. . . Ce sera suffisant.
André. Moi, j'ai des théories là-dessus. J'en veux avoir
bientôt et j'en veux avoir beaucoup. La France en a besoin.
Fifine (riant.) Je me vois déjà en mère Gigogne.
Madame Graindor (se forçant pour être douce). Vous
parlez sans raison, mon cher André. D'abord, la santé de
Fifine ne permettra pas la réalisation de ces rêves.
André. Allons donc !
Fifine. Moi, je suis de l'avis de maman !
Madame Graindor (de même). Ton mari plaisante.
André. Pas du tout.
Madame Graindor (de même). Vous vous ruinerez en
frais de nourrice.
André. J'ai encore des idées là-dessus : mes enfants
n'auront pas d'autre nourrice que leur mère.
Madame Graindor (avec très peu d'éclat). Mais vous au-
riez dû me dire tout cela avant de l'épouser, cher monsieur.
Fifine (désolée). Et moi qui aime les corsages se bou-
tonnant dans le dos !
Madame Graindor (à André). J'espère que vous ne par-
lez pas sérieusement. Je trouve inconvenants, oui, c'est le
mot, inconvenants, les ménages qui. . .
André (un peu sec.) Vous avez tort, vous avez tort, je
vous l'assure. D'ailleurs, ceci ne regarde que nous.
Madame Graindor (douce). Mais, comme vous me parlez,
mon cher André I Vous pensez bien que, si je vous donne
L'iécOLE DES BELLES-MÈRES 85
des conseils, c'est dans votre intérêt et dans celui de ma
fille. J'ai vécu plus longtemps que vous, mon pauvre ami, et
je connais mieux la vie. Plus tard, vous vous apercevrez
que j'avais raison ; mais les enfants ne croient pas au sa-
voir des vieilles mamans.
André. Ils ont raison. Moi, je laisserai mes enfants libres
de faire ce qu'ils voudront. Ils seront, à leur gré, banquiers,
notaires, soldats, sculpteurs, peintres ou auteurs drama-
tiques.
Madame Graindor. Pourquoi pas danseurs de corde }
André. Et danseurs de corde, si cela leur convient.
Madame Graindor (riant faux, à Fifine). Et moi qui pre-
nais tout cela au sérieux !
André. Vous auriez tort d'en rire.
Madame Graindor. Vous aimez plaisanter. (Un temps.)
J'ai passé chez le tapissier, ce matin ; il viendra mettre les
rideaux au lit.
André. Les reprendre, vous voulez dire ?
Madame Graindor. Non ! les poser.
André. J'avais demandé à Fifine de les faire reprendre.
Fifine. C'est vrai, je me le rappelle maintenant. (A An-
dré.) J'ai seulement dit à maman que tu m'avais priée de
passer chez le tapissier : j'avais oublié pourquoi. En effet,
c'était pour lui rendre les rideaux de lit.
Madame Graindor. Des rideaux que je vous ai donnés !
S'ils ne vous plaisent pas, on les changera.
André. Je ne veux de rideaux en aucune façon à notre
lit : c'est contraire à l'hygiène. L'air ne circule pas à son
aise. Les poussières s'amassent dans les plis, et les pous-
sières, ce sont des mondes de microbes, si vous ne savez
pas ça, bonne maman.
Madame Graindor. Nous avons toujours eu des rideaux à
notre lit, Graindor et moi, et ça ne nous a pas fait mourir...
Mettez-les aux fenêtres.
André. Pas davantage. D'ailleurs, nous couchons la fe-
nêtre ouverte.
Madame Graindor (à Fifine). Est-ce vrai ? (Fifine fait
signe que oui).
86 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
André. L*hygiène, bonne maman ! De votre temps, on
ignorait l'hygiène ! Tout cela vous surprend. Je vais vous
étonner plus encore. J'ai deux demandes à vous adresser.
Madame Graindor. Vous me faites peur.
André. La première, c'est de nous permettre, à Fifine et
à moi, de dîner et de déjeuner chez nous.
Madame Graindor. Est-ce que vous ne mangez pas bien...
en bas ? Je suis étrangement récompensée de tout le mal
que je me donne de vous être agréable. . . je ne sais qu'in-
venter pour vous faire plaisir. Je n'ai pas de chance, vrai-
ment. Si ma cuisine ne vous paraît pas bonne, dites-le. . .
dites ce que vous aimez. . . (Prête à pleurer). J'avais remar-
qué que vous adoriez le rôti de veau : nous en mangeons
trois fois par semaine. . . Ca me fait des scènes avec mon
mari qui ne peut pas le souffrir. . . mais je passe par là-
dessus pour vous. . . Ce soir, il y avait un perdreau truffé.
Vous voyez bien que je ne suis pas une méchante femme.
André. Vous êtes très bonne, je ne l'ai jamais contesté-
Madame Graindor. Eh bien ! vous viendrez nous deman-
der à dîner quand vous voudrez, aussi rarement que vous
voudrez.
André. Ma seconde demande est celle-ci : Je désire que
vous m'aidiez à retenir Fifine ici, chez elle, où elle reste
trop peu de temps.
Madame Graindor, Vous ne voulez pa? la garder en pri-
son ?
André. Non. Je veux qu'elle s'habitue à son rôle de maî-
tresse de maison, qu'elle s'occupe de diriger les domes-
tiques, etc., etc.
Madame Graindor. Est-ce que je ne m'en acquittais pas
bien ?
André. Si, mais j'aime mieux que ce soit plus mal fait te
que ce soit fait par Fifine.
Madame Graindor. Alors, vous ne voulez plus qu'elle
vienne me tenir compagnie ?
André. Si, mais moins souvent.
Madame Graindor. Elle ne pouvait trouver, chez moi»^
que de bons exemples.
l'^cgle oks belles-mères 87
André. Mais à force de l'attirer chez vous et de l'y rete-
nir, vous en étiez arrivée à me la reprendre presque tout à
fait.
Madame Graindor. C'est bien ! Vous êtes le maître.
André. Je vous remercie. Faites comprendre cela à Fi-
fine, je vous en serai reconnaissant. (Il sort).
SCENE VII
Fifine, Madame Graindor
Madame Graindor (éclatant). Ah ! c'est trop fort ! Ah !
je ne m'attendais pas à ça de toi ! Ah ! non ! Pendant une
demi- heure on insulte ta mère devant toi et tu ne trouves
rien à dire, et tu ne prononces pas un mot pour la défendre !
Fifine. Mais, maman, André ne t'a pas insultée.
Madame Graindor. C'est cela, approuve-le, mon enfant.
C'est parfait ! il ne te manquait plus que de l'approuver. . .
Ah ! le mal élevé, le grossier personnage !. . . le. . . Je ne
sais pas comment j'ai pu me contenir aussi longtemps. . .
Et moi, bonne tête, je lui apportais des cigares ! Ah non !
tu me trouverais trop sotte et l'on se moquerait trop de la
vieille, ici. (Elle remballe les cigares).
Fifine. Mais, maman. . .
Madame Graindor. C'est bon ! c'est bon ! je sais ce que
je fais ! Des exquisitos pour monsieur ! A quatre-vingts
centimes ! Ah ' ah ! Ton père les fumera, et jusqu'au bout,
et il ne les gâchera pas, et il sera bien content. Et, lorsque
mossieu " voudra bien nous faire l'honneur de venir dînera
la maison, on lui en donnera un. . . au dessert. (Elle porte
le paquet à la porte du fond). Léontine, redescendez-moi
cela !
Fifine. Tu n'es pas raisonnable, voyons. Tu ne peux pas
lui reprendre.
Madame Graindor. Non, je me gênerai.
Fifine. Mon mari...
Madame Graindor. Mon mari. . . mon mari ! . . . Eh bien !
quoi, ton mari î On dirait que tu parles d'un bon Dieu ! Il
88 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
ne me fait pas peur, tu sais, ton médecin de quatre sous,
sans clients !
Fifine. Ce n'est pas de sa faute s'il n'a pas de malades...
Tu as mal compris ce qu'il te disait.
Madame Graindor. C'est ça, je suis une imbécile, n'est-ce
pas } C'est lui qui t'a appris à me répondre comme ça ?
Fifine. André a très bon coeur et il t'aime beaucoup.
Madame Graindor. Eh bien ! moi, je le déteste !. . . De-
puis le premier jour où il a été question d'un mariage avec
toi. Je me force pour lui faire bonne mine, parce que c'est
mon devoir, et, si je le soigne à table, si je lui fais des ca-
deaux, c'est pour toi, c'est pour qu'il ait plaisir à venir chez
nous, c'est pour qu'il fasse toutes tes volontés. Je te dis que
je le déteste, ton mari.
Fifine. Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
Madame Graindor. Ce qu'il m'a fait ? Il t'a prise ! Je suis
jalouse de lui, si tu veux le savoir.
Fifine. Je ne te comprends pas.
Madame Graindor. Tu me comprendras quand ce sera
ton tour.
Fifine. Cette histoire de cigares lui causera beaucoup de
chagrin.
Madame Graindor. Tant mieux ! Nous ne serons pas
encore quittes. Et qu'est-ce que tu vas faire, toi ? Tu vas te
laisser mener par le bout du nez. Réponds, entre ta mère et
ton mari, tu n'hésiteras pas, hein ? Tu choisiras ce bel
oiseau-là ! Dieu se chargera de te punir.
Fifine. Oh !
Madame Graindor. Tu verras, tu verras ! tu seras jolie,
dans quelques années, avec ta nichée d'enfants, qui rempli-
ront ia maison de cris. . . Ce sera gentil, ici !.. . Oui, avec
des berceaux jusque dans l'antichambre et des langes sales
dans tous les coins. . . Tu seras belle, tu auras l'air d'une
vieille, à trente ans î Et je te promets du plaisir lorsque tu
te compareras à des amies qui auront eu un mari moins pa-
triote que celui-là ! Et, pendant que tu seras là, à moucher
le nez à toute ta bande, lui, bien tranquille et fier, s'en ira
faire le joli coeur chez des petites dames qui auront leurs
l'école des belles-mères 89
nerfs, ou papillonnera dans les coulisses, à des répétitions
auxquelles tu n'assisteras pas.
Fifine. André, me tromper i
Madame Graindor (ironique). Non ! il est autrement que
les autres ! . . . Mais tu ne vois donc rien ! Mais tu es donc
aveugle ! Tu ne comprends donc pas, alors ?
Fifine. Je ne comprends pas, quoi ?
Madame Graindor. Ce qu'il veut ?
Fifine. Non !
Madame Graindor. Mais je le gêne, ce monsieur, pour
faire ses farces ! Nous le gênons, ton père et moi ! Et il
veut se débarrasser de nous.
Fifine. Comment cela ?
Madame Graindor. Lorsqu'il t'aura forcée à dîner ici, il
sait bien que tu seras comme toutes les femmes : que tu
voudras paraître heureuse malgré tout, et que tu nous ca-
cheras ses dîners en ville et ses soirées je ne sais où ! Ah !
ça, tu ne l'auras pas volé, et je ne te conseille pas de venir
te plaindre lorsque ça t' arrivera.
Fifine. Sois tranquille.
Madame Graindor. Regarde autour de toi ! M. Boguin a
une danseuse ; M. Pelletier, une chanteuse ; M. Prévost, la
caissière du café des Arts ; M. Moutier, celle du café de la
Comédie ; M. Del amarre, c'est Mme Courtin, et M. Courtin,
c'est Mme Bocquet. . . Oh ! je sais bien, on se dit toujours
qu'on sera la seule à échapper au sort commun, que son
mari est une exception. . . On se dit ça jusqu'au jour où on
se trouve en face de la réalité, et, alors, on regrette de n'a-
voir pas écouté sa mère.
Fifine. Je t'en prie, maman.
Madame Graindor. Maintenant, si tu trouves ça de ton
goût, à ton aise ! Si tu veux être une esclave, ça te regarde.
Seulement, il ne faudra pas t'étonner de voir les gens sou-
rire sur ton passage ! Le fait est que tu seras touchante,
avec ta candeur et ta crédulité. On commence déjà, d'ail-
leurs, à se moquer de toi.
Fifine. Qui ça ?
Madame Graindor. Quelqu'un que je ne tenommerai pas.
90 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Libre à toi de croire que ta mère a menti, ça ne doit pas te
gêner, avec le respect que les enfants d'aujourd'hui ont
pour leurs parents.
Fifine. Mais, maman, je t'aime toujours.
Madame Graindor. Allons donc ! Si c'était vrai, tu ne
nous sacrifierais pas comme tu le fais. Est-ce que tu crois
que c'est pour moi ce que je te dis là . . . Ah ! tu seras heu-
reuse, va, toute seule. . . Nous. . . je ne parle pas de nous,
ça t'est bien indifférent. D'ailleurs, avec les chagrins que tu
nous fais, ton père et moi, nous n'en aurons pas pour long-
temps, heureusement.
Fifine. Maman, je te promets de parler à André, je te
promets.
Madame Graindor (s'attendrissant). Allons ! Au revoir,
ma fille. . . je ne t'en veux pas, tu sais. Tu viendras nous
voir quand on te le permettra. . . Seulement, si tu veux que
nous ne soyons pas trop malheureux, tu tâcheras que ce soit
souvent. (Elle sort).
SCENE VIII
Fifine (seule, puis) André
André. Eh bien .?
Fifine. Eh bien, quoi ?
André. Ta mère t'a-t-elle fait entendre raison ?
Fifine. Je suis assez grande pour me conduire toute seule.
André. Qu'est-ce que tu as résolu ?
Fifine. J'ai résolu que tu n'irais pas à cette répétition.
André. Ah !
Fifine. Si tu y vas, j'irai avec toi.
André. J'irai, et j'irai seul. Je ne veux pas recevoir d'or-
dres ni de ta mère ni de toi.
Fifine. Il n'est pas question de ma mère.
André. C'est elle qui t'a monté la tête.
Fifine. Je n'ai besoin de personne. J'y vois clair. Si tu
tiens autant d'aller à cette répétition, sans moi, c'est que tu
vas y retrouver des personnes avec lesquelles tu ne te sou-
cies pas de me faire rencontrer.
I
l'école des belles-mères 91
André. Quelles personnes ?
Fifine. Est-ce que je sais les noms de ces femmes-là !
André. Tout cela ne vient pas de toi, ma chère Fifine.
Allons ! avoue que ta mère t'a raconté des choses qui t'ont
rendue jalouse.
Fifine. Tu te trompes bien, maman ne m'a rien dit du
tout ! Tu m'entends, rien du tout.
André. Je dis que ces mauvaises paroles et ces mau-
vaises pensées sont indignes de toi.
Fifine. Je te répète qu'on ne m'a rien soufflé. Je suis ca-
pable d'avoir une idée à moi toute seule, peut-être. Tu me
trompes ou tu vas me tromper, je le sais. Vous êtes tous les
mêmes, d'abord. Je ne suis pas assez bête pour croire que
tu es une exception... je n'ai pas envie qu'on se moque de
moi
André. Si ta mère ne t'a rien dit à ce sujet, de quoi t'a-t-
elle parlé, alors ?... T'a-t-elle conseillé de rester davantage
chez toi ?
Fifine. Ah ! oui !... Rester xhez moi !... pour que, pen-
dant ce temps-là, tu ailles faire le joli cœur devant des pe-
tites dames qui auront leurs nerfs !
André. Ce n'est pas encore toi qui as trouvé cette
phrase-là.
Fifine. Si ! si ! si ! Oui, c'est moi ! vous êtes des despotes
et des hypocrites î Mais, si je suis ta femme, je ne suis pas
ton esclave ! Et je sortirai quand je voudrai, je sortirai tous
les jours ; aussi longtemps que je voudrai. Je n'y serai ja-
mais, ici ! jamais ! jamais !
André. Fifine, écoute-moi un peu. Tu t'exaltes, tu dis
des bêtises... tu vas te faire du mal.
Fifine. Si je me fais du mal, tant pis. (Un temps). Maman
t'a repris tes cigares... C'est moi qui le lui ai conseillé.
André. Elle a bien fait et toi aussi.
Fifine. Ne dis pas de mal de ma mère.
André (un silence). Veux-tu que je te dise, ma petite
Fifine... Ta mère est en train de faire notre malheur à tous
les deux.
Fifine. Ne dis pas de mal de ma mère... c'est inutile ! tu
92 LA REV^UE FRANCO-AMÉRICAINE
ne réussiras pas à me détacher d'elle, je dînerai chez elle
tous les jours, je déjeunerai chez elle tous les jours... Quand
ça ne te plaira pas, il v a des restaurants.
André (tendre). Ta mère t'a montée contre moi. Elle ne
me pardonnera jamais d'être ton mari. Je ne lui en veux
pas, parce que je devine ce que souffre, de tout cela, son
égoïsm.e maternel. Elle aurait voulu te garder toute sa vie
auprès d'elle et me hait de t'avoir enlevée. Elle ne se rend
pas compte du mal qu'elle peut nous faire, si nous ne nous
aimons pas bien. Aime-moi bien, ma chère Fifine, et rien
qu'en nous aimant nous trouverons la force de traverser
cette petite crise, sans y laisser tout notre bonheur.
Fifine (ébranlée). Mais pourquoi veux-tu aller à cette
rép'tition ?
André. Je n'y tiens pas du tout.
Fifine (plus douce). Tu n'y tiens pas ! Tu n'y tiens pas !
C'est trop fort. Tout à l'heure... (Entre Mme Meillet).
Madame Meillet. Qu'est-ce qu'on me dit ? On se dispute
ici !
André. Fifine est un peu nerveuse, voilà tout.
Fifine. Non, madame !
André (à lui-même). Heureusement, voilà ma mère, elle
va finir d'arranger tout cela.
SCENE IX
Fifine, André, Madame Meillet
Madame Meillet (allant à Fifine). Bonjour, ma petite ché-
rie... Voyons, ça ne va pas, ce rnénage ?... Il y a des gros
chagrins et des grandes colères. Nous allons les guérir.
Toi, André, va t'en... va-t'en là-bas... au fond, lire ton jour-
nal. Nous allons causer toutes les deux comme des amies...
Allez-vous-en, vilain André! Allez! allez! (A Fifine).
Asseyons-nous ; il a été méchant, le petit mari ?
Fifine. Il est inutile de me parler comme à une enfant.
Madame Meillet. Séchez vos yeux.
Fifine. Je ne pleure pas.
lV.cole des belles-mères 93
Madame Meillet. C'est vrai, vous ne pleurez pas. Alors,
on boude ?
Fifine. Je vous assure, madame, que je ne suis pas une
fillette.
Madame Meillet, Soit ! Causons comme deux damei
âgées. Vous me reconnaissez bien le droit, alors que je vois
mon fils malheureux, de m'inquiéter auprès de vous de ce
qui fait sa peine?
Fifine. C'est moi qui suis malheureuse et non lui.
Madame Meillet. Oh ! mon enfant, je connais mon fils :
il est la bonté et la droiture mêmes et je sais bien que, si
l'un de vous deux a des torts envers l'autre, ce n'est pas lui
vis-à-vis de vous.
Eifine. C'est moi qui ai tort ?
Madame Meillet. J'en suis certaine. Vous conviendrez,
n'est-ce pas ? qu'il y a plus longtemps que vous que je con-
nais André, et, si vous ne savez pas apprécier les rares
qualités de son coeur, j'ai été à même de les mettre à l'é-
preuve.
Fifine (agacée). Eh bien ! madame, c'est entendu : votre
fils est un ange et moi, je suis un monstre. C'est un ange,
c'est un ange, c'est un ange, je le dis, je le répète, je le pro-
clame; il a toutes les vertus et moi tous les défauts. J'ajou-
terai même qu'il a des clients, si vous voulez... Cela doit
vous suffire.
Madame Meillet. Oh ! quel petit caractère vous avez,
madame ! Je comprends que la vie avec vous ne soit pas
tout rose pour mon pauvre André. Le malheureux enfant
méritait mieux que cela.
Fifine. Eh ! bien ! il fallait lui trouver mieux.
Madame Meillet. Je regrette de ne pas l'avoir fait.
Fifine. Regrettez-le et laissez-moi tranquille.
Madame Meillet. Vous êtes une mal élevée.
Fifine. Et vous...
André. Fifine, je te défends de parler à ma mère sur ce
ton-là
Fifine. Alors, dis-lui, à ta mère, qu'elle me laisse la paix.
André. Et je t'ordonne de te taire ! Je n'ai jamais man-
94 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
que de respect à ma mère, moi, et je ne veux pas qu'une
gamine de ton âge...
Fifine. Gamine...
André. Oui, gamine ! Et si j'avais su prévoir ton manque
de coeur et ton impertinence...
Fifine. Qu'est-ce que tu aurais fait?
André. Tais-toi, tu es une petite sotte.
Madame Meillet (pleurant). Ne vous disputez pas pour
moi... je m'en vais... mon pauvre André.
André. Reste ici, maman. Fifine te doit des excuses et
elle te les fera.
Fifine (narquoise). Ah ! ah ! (Entrent M. et Mme Grain-
dor.)
SCENE X
Fifine, André, Madame Meillet, M. et Madame Graindor
Madame Graindor. Qu'est-ce qu'il y a }
Graindor. Qu'est-ce qu'il y a.? On vous entend d'en bas.
Madame Graindor. J'ai cru qu'on se battait, ici. Qu'est-ce
qu'il y a .'* On vous entend d'en bas.
Madame Graindor. J'ai cru qu'on se battait, ici. Qu'est-
ce qu'ils t'ont fait, ma pauvre Fifine .?
André. Elle a été insolente avec ma mère, et je veux
qu'elle lui demande pardon.
NOTA. — (Ce qui suit doit être dit conformément aux indi-
cations : les personnages parlant ensemble ou séparément
comme le feraient des chanteurs dans une quintette. Lire
ce qui suit comme de la musique) :
Fifine. Je n'ai pas été insolente !
André. Si, tu l'as été.
Mme Meillet. — (pleurant). J'aurais mieux fait de mourir.
Mme Graindor. Ma fille insolente.
Graindor. Oh !
Fifine. Jamais !
André. Mère l Mère !
Mme Meillet (toujours pleurant). Elle fera ton malheur.
Graindor. Voyons, mes enfants, embrassez-vous.
Mme Graindor. C'est lui qui—
l'école des belles-mères 95
Fifine. Non !-
André.
Mme Meillet. (toujours pleurant.) — Mon Dieu ! Mon Dieu !
Graindor. Fifine, va embrasser ton mari.
Mme Graindor fera le nôtre, Pourquoi donc ça ! N'y va pas, Fifine.
Fifine. Il m'a appelée petite sotte, petite sotte, petite sotte.
André. Ah ! si elle suit vos conseils. Tu l'avais mérité.
Mme Meillet. (pleurant jusqu'à la fin). Hou ! Hou ! Mon Dieu !
Graindor. Voyons, André ! Voyons, Marie !
Mme Graindor. Elle aura raison. Petite sotte.
Fifine. C'est la tienne oui ! C'est la tienne.
André. C'est ta mère qui est cause de tout cela. Oui, c'est ta mère.
Mme Meillet. Moi ! Mon Dieu ! Mon Dieu !
Graindor. Voyons, Fifine, va embrasser ton mari.
Mme Graindor. Moi ! ^Je te le défends.
Fifine. On veut me tenir enfermée ici.
André. Pas vrai !
Mme Meillet. Votre fille est une mal élevée ! On veut. . .
Graindor. Madame Meillet ! Mais voyons, Marie !
Mme Graindor. Et vous, qu'est-ce que vous êtes ?
Fifine.
André.
Mme Meillet. . que vous fassiez votre devoir qui est de vous occuper
de la maison, et non d'être toujours dehors.
Graindor.
Mme Graindor. Vous ne ferez pas la loi ici, vous.
Fifine. C'est trop fort !. . . Cet trop fort !
André, Parfaitement ! Parfaitement !
Mme Meillet. J'ai autant le droit de faire la loi ici que vous. ]e suis
chez mon fils.
Graindor. --Etes-vous entêtés à la
Mme Graindor. Nous verrons, je suis chez ma fille.
Fifine. Jamais !
André. Tu feras des excuses à ma mère.
Mme Meillet. Quoi ! Laisse-la donc !
Graindor. fin de vous disputer comme ça. Tu vas te taire !
Mme Graindor. Avec ses manières dirait-on pas! Non, je ne me
tairai pas.
TOUS (criant).
Fifine. Qu'elle m'en fasse d'abord, ce n'est pas moi qui ai été la
chercher. Non ! je n'en ferai pas, non !
André. On dira ce qu'on voudra, mais jamais je ne permettrai
qu'elle soit impertinente avec ma mère.
Mme Meillet. Vous n'avez jamais su élever vos enfants. Vous avez
fait de votre fille une enfant gâtée ! Oui !
96 LA REVUE FRANCO -AMÉRICAINE
Graindor. Vous allez vous taire tous et ne pas parler comme ça tous
à la fois. Je veux qu'on se taise !
Mme Graindor. Ma fille ne s'est pas mariée pour faire une esclave.
Mon devoir est de la défendre et je la défendrai.
Graindor. (à sa femme. Marie ! Tais-toi ! André a raison.
Le devoir de Fifine est de s'occuper davantage de son mé-
nage.
Fifine. Moi î
Madame Meillet et André (tripmphants). Ah!
Madame Graindor. Mais. . .
Graindor. Et si l'on m'avait écouté lorsque je m'opposais
à ce que les enfants habitent avec nous, cela ne serait pas
arrivé.
Madame Meillet (sanglote avec des : Mon Dieu ! mon
Dieu ! (Madame Graindor pleure également).
Fifine (regarde son père, puis après un silence). Ah !
c'est ça, c'est bien, alors ! c'est bien ! (Elle ôte ses boucles
d'oreilles, ses bagues, sa broche — fiévreusement — et les
jette sur un meuble. Elle arrache les dentelles de son cor-
sage et sort violemment). C'est bien, alors, c'est bien !
Madame Meillet. Pour la dot que vous lui avez donnée,
elle ne peut pas avoir dix domestiques. . .
Madame Graindor. Comment, pour la dot ! Et vous
qui. . .
Graindor. Va donc voir ce que fait ta fille !. . .
Madame Graindor (qui ne l'avait pas vue sortir). Fifine?
où est-elle ? Fifine ? (Elle sort. Mme Graindor revient
avec Fifine, qu'elle tient par la main).
Fifine. Laisse-moi ! laisse-moi ! Puisqu'on veut que je
sois la bonne. . . Laisse-moi. . . Je vais retourner à la cui-
sine pour laver la vaisselle. (Elle a une crise de larmes,
des sanglots d'enfant. Elle essuie ses yeux avec le revers
de sa main. Un gros chagrin).
Madame Graindor. Fifine... ma petite Fifine!... Je t'a-
vais bien dit qu'il ferait ton malheur.
André. Laissez-la !
Madame Graindor. C'est ma fille, monsieur.
André. C'est ma femme !
l'école des belles-mères 97
Madame Graindor. Vous êtes ici chez moi.
André. Eh bien ! Je m'en vais.
Madame Graindor. Je ne vous retiens pas.
Graindor. Voyons...
Madame Graindor. Laisse donc! Il retourne chez sa
mère.
André. Parfaitement ! (A sa mère). Partons ! (A Mme
Graindor). Et, si Fifine veut venir me rejoindre, elle vien-
dra. (Il sort avec sa mère).
SCENE XI
Fifine, Graindor, Madame Graindor
Madame Graindor. Eh bien ! tant mieux !
Graindor. Tant mieux ?
Madame Graindor (l'entraînant à droite). Allons, toi,-
tu ne vas pas garder cette figure d'enterrement. . . Fifine-
lous reste : il ne faut pas qu'elle s'ennuie ici. (A Fifine)
'est fini!
Fifine. Oui ! c'est fini et je suis contente qu'il soit parti.
Madame Graindor. A la bonne heure ! Nous allons bien
lous amuser. . . (A son mari). Sois donc gai, toi !
Graindor. Moi ?
Madame Graindor. Hum ! . . . (A Fifine). Ce soir, nous
langerons des œufs à la neige.
Fifine (la pensée ailleurs). C'est cela.
Madame Graindor. Ca n'a pas l'air de te faire plaisir.
Fifine. Si! Si!
Madame Graindor. Nous irons au théâtre.
Fifine. Mais je ne veux pas qu'on cherche à me distraire,
[e ne sais pas ce que vous avez après moi. Je n'ai aucune
•aison d'être triste. Je ne suis pas triste du tout, pas du tout.
[Elle ne peut se retenir de pleurer silencieusement, elle
îssuie une larme en cachette).
Madame Graindor. Nous le savons bien, que tu n'es pas
triste.
98 LA REVUE FRANCO -AMÉRICAINE
Graindor (qui réfléchit longuement, et fait un geste
comme quelqu'un qui prend une décision, à sa femme). J'ai
besoin de causer avec Fifine... laisse-nous !
Madame Graindor. Mais, mon ami !
Graindor. Je te dis que j'ai besoin de causer avec elle.
Va-t'en... je t'appellerai
SCENE XII
Graindor, Fifine
Graindor. Viens ici, Fifine, assieds-toi et causons.. . Ta
mère n'est pas là, nous sommes seuls tous les deux, nous
allons tailler de la bonne besogne. . . Qu'est-ce que tu as
l'intention de faire }
Fifine. Rien, père.
Graindor. Rien, père. . . Dis papa. . . comme il y a deux
heures. Je ne t'ai rien fait, moi ! Ta mère, elle. . . je ne sais
pas... elle est allée manigancer dans ton ménage. .. mais
moi. . .
Fifine. Je n'accuse personne.
Graindor. La question n'est pas là... Qu'est-ce que tu
as l'intention de faire, demain, par exemple ?
Fifine. Je te dis :, rien. Ce que j'aurai fait aujourd'hui.
Graindor. Rester ici ? .. . Demeurer avec nous ?
Fifine. Oui!
Graindor. Tout le temps ?
Fifine. Tout le temps.
Graindor. Ca te fera plaisir }
Fifine. Oui.
Graindor. Oui, mais à moi ... Tu ne t'es pas demandé
si ça me ferait plaisir, à moi ... En somme, nous t'avions
mariée . . . Nous nous disions : " Elle est casée," et tu nous
retombes sur les bras... Enfin, ça va peut-être m'ennuyer,
moi ... je voulais louer cet appartement.
Fifine. Toi ?
Graindor. Oui. (Essayant de mentir). Ta mère et moi
l'école des belles-mères 99
nous aimons bien être seuls pour déjeuner ... tu nous dé-
ranges.. . tu. . . tu. . .
Fifine (très calme). Tais-toi donc } Vous êtes contents
comme tout. Tu veux faire semblant que ça t'ennuie pour
que . . . Eh bien ! je resterai ici jusqu'à ce que tu me mettes
à la porte.
Graindor. Tu n'aimes donc plus ton mari ?
Fifine (sans force). Non !
Graindor. Alors, il faut divorcer.
Fifine. Divorcer !
Graindor. Dame. (Avec aplomb). Je crois, d'ailleurs,
qu'André en a l'intention.
Fifine. Lui ! (Un silence et un petit sourire). Tu ne me
feras pas croire cela non plus, papa.
Graindor. Ah ! je ne te ferai pas croire . . . Dans ce cas,
je n'essaierai pas . . . Parlons sérieusement, alors. Ma petite
Fifine, vous n'avez qu'une brouille d'amoureux, il ne faut
pas la faire durer. Ce soir, tu ne dîneras pas ici . . . Tu iras
retrouver ton mari.
Fifine. Non !
Graindor. Pourquoi ?
Fifine. Parce qu'André me l'a " ordonné " et que je ne
veux pas avoir l'air de lui obéir.
Graindor. Ah ! il faut donc recourir aux grands moyens.
Tu disais, tout à l'heure, que tu resterais ici jusqu'à ce
que je te mette à la porte. Eh bien ! je t'y mets.
Fifine. Je serais curieuse de voir ça !
Graindor. Tu vas le voir ... Je ne suis pas en colère
après toi, tu sais, je t'aime toujours bien ... ne va pas te
tromper là-dessus . . . Seulement, je te mets à la porte.
Fifine. Tu veux rire.
Graindor. Pas le moins du monde. Lève-toi et va-t'en.
Fifine (inquiète, mais essayant encore de sourire). Il fau-
dra employer la force.
Graindor (ceci très tendre et très détaillé). Va-t'en, ma
bonne petite Fifine . . . Vois-tu, je vais tout te dire. Si je
n'écoutais que mes manies, que mon propre bonheur, je te
prierais de rester ici tout le temps, parce que je suis con-
100 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
tent de te voir, de t'entendre, de te savoir là . . . C'est très
doux, à mon âge, d'être câliné, d'être dorloté par ces petites
mains-là . . . Mais les vieux doivent être seuls . . . On a du
mal à s'y faire, par exemple . . . (Un temps). On a de la
peine à s'y décider... La plus grande preuve d'amour
qu'ils peuvent donner à leurs enfants, c'est celle-là, vois-tu,
parce que ça . . . c'est la vraie douleur de la vie . . . (Très
tendre). Va-t-en, Fifine, va-t'en !
Fifine. Comme tu es bon ! ^
Graindor. Ma foi, je crois, en effet, que je le suis en ce
moment ; mais ça n'est pas si commode que je l'aurais cru.
Fifine. Tu as du chagrin à cause de moi ?
Graindor. Oui, c'est à ça que servent les enfants. Si tu
veux me consoler, c'est bien simple : sois heureuse ! Pas un
mot de résistance . . . Viens ! (Il la prend par le cou et la
conduit doucement à la porte, avec une grande tendresse).
Je te mets à la porte, va mettre ton chapeau et ton manteau.
Fifine. Je veux t'embrasser.
Graindor (qui peut à peine retenir ses larmes). Non, ce
n'est pas la peine . . . On se reverra, on se reverra ! . . . (Il
descend en scène, en se mouchant. Fifine reste un moment
à la porte du fond. Entrent André et sa mère).
SCENE XIII
Fifine, Graindor, André, Madame Meillet,
(puis) Madame Graindor
Madame Meillet. Nous venons faire une dernière tenta-
tive de conciliation . . . Mon fils l'a exigé.
Graindor. Ah ! attendez ! . . . (Il appelle sa femme). Ma-
dame Graindor! Madame Graindor! (Entre Mme Graindor).
Ecoute. Voici M. André et sa mère qui viennent pour...
Madame Meillet. Une dernière tentative...
André. De conciliation.
Madame Graindor. Mais...
Graindor. Laisse-moi parler... ça dépend des enfants...
Ils vont s'expliquer... devant nous...
I
l'écolb des belles-mères 101
Madame Graindor. Il faut d'abord...
Graindor. Tais-toi!... Ils vont s'expliquer devant nous,
et nous, nous ne dirons rien, ni les uns ni les autres... Est-ce
juré ?
Madame Graindor. Cependant...
Graindor. Allons, c'est juré...
Madame Meillet. Moi, je le jure...
Madame Graindor. Moi aussi, alors...
Graindor. Et moi, de même... Allez, mes enfants, expli-
quez-vous ! (Longue scène muette. Fifine et André vont
lentement au-devant Tun de l'autre, se tendent la main sans
se dire un mot, se regardent, sourient, et s'embrassent avec
tendresse).
Graindor. Voilà!... Maintenant, mes petits agneaux, je
suis votre propriétaire... je vous donne congé.
André. Où irons-nous ?
Madame Meillet. Pas chez moi, toujours... la leçon me
suffit.
Graindor. Et moi, je ne veux pas de marmots, ni de
chiens dans ma maison !
Eugène Brieux.
FIN
■:o:-
La politique canadienne et les Cana-
diens-Français.
I. — Quelques pages d'histoire.
La politique est nécessaire à la société puisqu'elle la
constitue ; elle est le lien de tous les groupes sociaux, si pe-
tits soient-ils. Rien n'est plus vrai, car au début la poli-
tique (et son étymologie l'indique) était le gouvernement
d'une ville. Nous tirons tous nos avantages de la société,
donc la politique est bonne. Mais elle n'en est pas moins
une cause de querelles intestines, de guerres civiles, de con-
flits internationaux. C'est elle qui fait sortir les villes de la
plaine et les police, qui favorise le développement des
lettres et des arts; mais c'est elle encore qui multiplie les
pronunciamentos dans l'Amérique Centrale, qui lance le
Nord contre le Sud, qui taille et retaille les peuples sans
merci pour augmenter l'effectif des armées.
Exercée sous un régime parlementaire, la politique semble
plus juste, du moins elle est plus populaire. Nous ne discu-
terons pas le point de vue théorique. Mais au point de vue
des faits (vous savez quelle est leur force), les bienfaits du
parlementarisme sont très discutés. Les Anglais, par un^
longue pratique, s'en sont fait un instrument de liberté ci-
vile incomparable ; les peuples latins qui en ont usé, en ont
abusé et se sont blessés.
Cependant, bien qu'ils soient latins par origine et par
éducation, les Canadiens-Français ont m.aîtrisé le régime
parlementaire pour s'y être soumis. Abandonnés par la
France occupée au dévergondage des sens et de l'esprit,
cédés à l'Angleterre devenue marâtre pour ses possessions,
les souvenirs et les espoirs de leur sang les poussèrent à la
résistance défensive, ouverte et loyale, ferme, contre l'An-
LA POLITIQUE CANADIENNE 'ET LES CANADIENS- FRANÇAIS 103
glais. Descendants des Francs, du pays de la franchise,
fidèles à leur passé comme à leur idéal, ils combattirent
avec droiture pour la justice. Les droits d'un peuple sont
les membres de la justice. Ils en deviennent les membres
souffrants aussitôt qu'on les attaque ou qu'on les troque par
des compromis. Ni le vainqueur ni le vaincu n'ont le droit
de blesser la justice. Ne soyons donc pas surpris de la
" bonne envie de vivre " du vaillant petit peuple qui habite
les bords du St-Laurent, et dont il admire pratiquement la
force et la fécondité.
Des paysans (6o,000) et une centaine de prêtres : c'était
après la cession notre seul actif, un actif de bonnes volon-
tés et de braves cœurs. Ces gens têtus aimaient leur langue
et leur foi. Il faut dire aussi que Dieu les aimait. Aidant
les événements, aidés par eux, ils commencèrent de respi-
rer après l'Acte de Québec, en 1774.
Jusqu'en 1791 la politique se fit dans les coulisses à Qué-
bec et à Londres. William Pitt nous donna la constitution
de 1791. Les fils de paysans instruits dans les presbytères
et au Petit Séminaire de Québec, se firent élire dans la ma-
jorité des comtés. Les luttes parlementaires commençaient.
On nous donna pendant longtemps des gouverneurs qui
les alimentaient par leur arbitraire. La révolution française
avait échauffé l'esprit des Canadiens et leur faisait désirer
plus de liberté sans les rendre révolutionnaires. La jeu-
nesse intellectuelle du temps, et déjà lancée dans la poli-
tique, dévorait avidement les quelques périodiques venus
de France. On s'assimilait l'éloquence, trop ampoulée il
est vrai, des tribuns français.
Un peu plus tard, les chevauchées napoléoniennes ve-
naient renforcer le sentiment français.
Les deux Papineau, Bédard, Panet, Bourdages, Morin,
Viger, Blanchet, Taschereau, se firent les défenseurs de leur
race, troublant les gouverneurs et les membres du Family
Compact par leurs vigoureux discours dans l'assemblée
législative et leurs comtés. Les mêmes, aidés plus tard par
Etienne Parent et Duvernay, continuaient la lutte dans Le
Canadien ti La Minerve,
104 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Mais, Louis-Joseph Papineau fut l'étoile de première
grandeur de cette pléiade.
Il fut toute une époque, et longtemps notre race
N'eut que sa voix pour glaive et son corps pour cuirasse.
En 1835, on étouffait. Le sang monta à la tête de quel-
ques-uns et l'on en vint aux mains avec les autocrates, en
1837-38. On en finit avec des torts de part et d'autre, mais
Tair de la liberté passa plus pur à travers l'Union Jack
troué. Le Conseil spécial fit la paix et prépara les moyens
de nous écraser d'une façon plus constitutionnelle.
Et la bataille va continuer sous l'Union, moins mesquine
du côté anglais et plus obstinée du côté français. Lord
Durham, dans son Rapport, avait conseillé l'Union
comme une transition à la confédération de toutes les
possessions anglaises de l'Amérique du Nord, seul moyen
de noyer l'élément français.
Le Québec commença par payer la dette de l'Ontario.
En retour, une minorité fanatique s'opposa à l'indemnisa-
tion des Canadiens qui avaient souffert des pertes injustes
lors de la répression de la récente rébellion. Avec cette
hypocrisie qui caractérise la nation qui a pu conquérir un
empire par la ruse, on dénonçait cette indemnité comme
récompense aux révoltés, alors qu'en signe de protestation
ou brûlait l'hôtel du gouvernement à Montréal et qu'on
lançait des pierres à lord Elgin lui-même.
" Sans ministère, dit Macanlay, un gouvernement parle-
mentaire ne peut jamais fonctionner sûrement." La res-
ponsabilité ministérielle une fois accordée, il devenait plus
facile de tenir les partis dans le respect de nos droits. La
crânerie de Lafontaine, qui fait son premier discours au
parlement en français malgré la constitution, et sa vigueur
de réclamation rendent notre langue officielle. On nous
méprise si l'on ne nous hait pas, mais on nous craint cer-
tainement. Notre population augmente toujours dans des
proportions alarmantes pour les derniers venus au pays ;
malgré l'établissement des régiments écossais, malgré l'im-
migration anglaise et celle des loyalistes dans les Cantons
de l'Est, nous demeurons numériquement sur le même pied
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 105
que les Anglais. Finalement, il fallut nous subir comme
un fait accompli. Et c'est alors que, les animosités s'amor-
tissant, on prit le parti de nousétudieret de nous connaître.
Une fois connus, les sympathies nous arrivèrent de plus en
plus nombreuses, surtout de la part des gouverneurs.
Lafontaine est la grande figure de la première époque de
l'Union. Cartier entre dans le cadre après lui. Tous deux
ont des amis sincères, surtout Baldwin et Macdonald, des
hommes à esprit large, mais dont la largeur de vue est
peut-être due un peu à la fermeté des premiers. Ils sont les
grands législateurs de cet âge intermédiaire de notre poli-
tique. Sans rien concéder de nos droits, ils ont beaucoup
fait, par leur caractère et par leur appel â la raison de leurs
adversaires, pour créer l'entente entre les deux races.
A leurs côtés on remarquait Morin, Tâché, Cauchon,
Girouard, Dorion. Ces hommes-là n'avaient pas tous
les mêmes idées, mais ils avaient tous du caractère-
On savait alors refuser un portefeuille ou en remettre
un. Aujourd'hui, à trois ou quatre exceptions près,
nos politiques nous semblent être des pygmées à
côté de ces lutteurs; ils ont plus de caoutchouc et
moins d'acier dans l'épine dorsale. C'est peut-être
parce qu'on est porté à faire rentrer dans l'épopée
tout ce qui vieillit. Qui sait si les générations futures ne
prendront pas pour des grands hommes tous nos lâcheurs
contemporains .? . . .
La confédération (1867), conseillée par lord Durham
pour éteindre notre influence en même temps qu'il recom-
mandait de se concilier les Canadiens, ouvre une ère nou-
velle.
A la conférence de Québec (1864), tous nos droits avaient
été garantis. Un brillant jeune homme venait de pronon-
cer le discours d'adieu de ses confrères à la faculté de droit
de McGill et prêcher l'union des deux races : c'était
Wilfrid Laurier. Deux ans plus tard, dans Le Défricheur,
d'Arthabaska, dont il était devenu le rédacteur, il dénonçait
violemment la confédération comme devant être le tom-
beau où l'on ensevelirait notre nationalité.
106 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Après avoir fréquenté, dans sa tendre jeunesse, une
école protestante à New-Glasgow, où il se retirait dans une
famille presbytérienne, et après avoir fait son droit à
McGill, le jeune avocat devait être d'un tempérament éclec-
tique, c'est-à-dire disposé à concilier, à s'adopter aux mi-
lieux; car son stage avec les Anglais avait émoussé en lui
le patriotisme lutteur du Français, et son éducation reçue
au collège de L'Assomption avait développé chez lui les
qualités intellectuelles et sociates du latin. En un mot»
Wilfrid Laurier débutait dans la vie avec beaucoup de
talent et de distinction, une belle souplesse de caractère qui
ne diminue pas l'ambition, et la sert au contraire en tirant
des inspirations de tous les événements pour la conduite
future. Savoir obéir aux circonstances, c'est souvent se
faire obéir des hommes.
M. Laurier naquit à la vie politique avec la Confédéra-
tion. Il en sera un jour, que dis-je .'* il en sera pendant
quinze ans le premier citoyen.
L'acte de l'Amérique Britannique du Nord en nous don-
nant un gouvernement fédéral et un gouvernement pro-
vincial doublait, pour ainsi dire, notre politique. Et jus-
qu'en 1873, quelques-uns de nos politiques furent députés
en même temps aux communes et à l'assemblée législa-
tive.
A Québec, le parlement est français. M. Laurier y laissa
pressentir sa carrière en 1871. Depuis quarante ans, on y a
entendu des discours qui auraient fait honneur au Palais-
Bourbon. Chapleau, Mercier, MM. Chapais, Bourassa et
Prévost ont été applaudis par des auditeurs venus des villes
les plus éloignées du pays. Dans aucune autre législature
provinciale, on n'a pu rencontrer autant d'éloquence et de
culture intellectuelle.
Dans le domaine pratique de la politique, les Canadiens-
Français peuvent être fiers de leur province. Ils possèdent
la législation civile la plus équitable et la plus claire de
l'Amérique ; l'enseignement secondaire et supérieur ne le
cède en rien à celui des autres provinces, et disons à ceux
qui admirent toujours l'état du voisin que nous possédons
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS- FRANÇAIS 107
la seule école des hautes études commerciales du pays;
mais, nous avons encore à apprendre les méthodes d'ex-
ploiter économiquement nos ressources naturelles : forêts,
houille blanche, mines, etc.
Depuis dix ans nous avons cessé de faire de la colonisa-
tion. Et pourtant des millions d'acres de terre fertile
attendent la charrue. Nos familles vont s'asphyxier dans
les villes. Par conséquent la natalité diminue. La race se
meurt puisqu'elle a plus vécu, et l'on dort à Québec. Les
colons ne manquent pas à la terre vierge, c'est la terre
vierge qui manque aux colons. On refuse de leur en donner.
On a vendu la province aux spéculateurs étrangers qui l'ont
mise littéralement en coupe réglée. Périssent au plus tôt
tous les gouvernements qui refuseront de coloniser le nord
et l'est, quels que soient leurs chefs !
Notre politique provinciale en est une d'absurdités de-
puis quelques années. Soyons juste : l'enseignement, à tous
les degrés, a beaucoup avancé. Mais, hors de là, si nous
avançons, c'est malgré nous ; le rapide courant du progrès
ne peut pas nous laisser sur la rive. Nous nous devons à
nous-mêmes, — parce que nous sommes la minorité en ce pays
et que les minorités valent par leur caractère, — de marcher
en avant de toutes les autres provinces dans le domaine
commercial et industriel, comme dans le domaine intellec-
tuel et politique.
Aux communes, nous eûmes depuis 1867 une moyenne de
55 à 60 députés de langue française, soit un quart environ
de la députation totale, avec trois ministres français du
Québec dans chaque parlement, sous l'un ou l'autre gou-
vernement. Ces ministres furent les suivants, nommés dans
l'ordre chronologique de leur appel au ministère : MM. Car-
tier, Langevin, Chapais, Robitaille, Dorion, Letellier de St-
Just, Fournier, Geoiïrion, Cauchon, Laflamme, Laurier,
Baby, Masson, Mousseau, Caron, Chapleau, Ouimet, Angers,
Desjardins, Henry Joly de Lotbinière, Tarte, Bernier, Bro-
deur, Préfontaine, Lemieux, Béland, Monk, Pelletier, Nan-
tel. Ces trois derniers viennent d'être appelés au Conseil
par M. Borden. De ces noms-là, sept ou huit seront pro-
108 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
nonces dans les dix années à venir, deux ou trois entreront
dans notre histoire, et fasse le Ciel que l'un d'eux ne soit
pas trop amoindri ! Du côté anglais, le nom de Macdonald
passera seul à la postérité.
Dans les provinces anglaises, nos compatriotes ne sont
pas effacés. MM. Joly de Lotbinière, Cauchon, Forget
furent lieutenants gouverneurs. Actuellement leDrRéaume
dans l'Ontario, M. Landry dans le Nouveau-Brunswick, M.
Turgeon dans la Saskatchewan,vSont ministres avec porte-
feuille. L'Ile du Prince-Edouard élira des premiers mi-
nistres canadiens- français dans vingt-cinq ans, si elle ne se
fusionne pas avec les provinces voisines.
Nous ne parlerons pas de la situation politique des nôtres
aux Etats-Unis, où nous comptons le gouverneur du Rhode-
Island, M. Pothier, des juges, un grand nombre de députés
et de maires.
Les récentes élections fédérales nous ont donné du neuf.
Ce ne fut pas sans faire crier les journaux libéraux qui se
seraient déchiré la poitrine s'ils pouvaient en avoir une.
Après la défaite, ils attendaient le déluge. Il n'est pas venu,
ils en sont fâchés.
M. Laurier a fourni une longue carrière. Il atteindra sa
70e année le 20 novembre. Il fut quinze ans premier mi-
nistre. Il sera quelque temps chef de l'opposition. Qua-
rante années de vie politique, c'est un titre à la retraite. Le
sort des armes l'impose parfois.
Si la politique est l'art de manœuvrer assez habilement
pour atteindre le pouvoir et s'y maintenir longtemps, M.
Laurier est sans doute un grand politique. S'il suffit en
politique de posséder du prestige personnel, un beau port
et une grande variété d'attitudes, une éloquence entraî-
nante, l'habileté de faire partager ses opinions ou de con-
cilier celles des autres, sir Wilfrid Laurier est certainement
un grand homme d'Etat. On ne peut pas le nier, l'ancien
premier ministre est au tout premier rang des politiques de
l'empire britannique depuis quinze ans; il fut l'idole de son
peuple et de sa race ; il eut tous les succès au parlement et
à la tribune, en France et dans le Royaume-Uni comme
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 109
chez lui. Ce qui frappe et impose chez M. Laurier, c'est la
dignité de sa physionomie ; c'est une belle tête pour le
sculpteur ou le peintre. C'est un charmeur ! Sa mémoire
vivra, parce qu'il aura été un politique habile et qu'il aura
étonné davantage l'élément anglais du pays.
Mais, sir Wilfrid Laurier ne sera pas reconnu par la
postérité comme grand homme, parce qu'il aura manqué de
caractère. Un grand homme, c'est celui qui voue sa vie au
service d'un principe quelconque intéressant l'humanité et
découlant de la justice, et qui réussit à force de sacrifices
ou qui succombe plutôt que de sacrifier le principe.
Le ministère Laurier a été renversé sur une question
d'intérêt tout matériel. N'aurait-il pas eu plus d'honneur à
tomber il y a six ans, plutôt que de léser la minorité de
l'Ouest dans ses droits les plus chers ?
M. Laurier a péché bien plus par omission et par permis-
sion que par commission. Au point de vue canadien-fran-
çais, il a péché des trois façons. Au point de vue adminis-
tratif, M. Laurier était franchement trop honnête pour tirer
le moindre avantage personnel de sa position ; mais, il a
toléré dans son entourage les manipulations et les pots-de-
vin les plus éhontés. Au point de vue politique, il a per-
mis à la presse reptile de faire les campagnes les plus scan-
daleuses que nous avons vues au pays.
Il serait intéressant, si ce n'était pas aussi honteux pour
nous, de faire l'histoire de la presse libérale française, et
d'une prétendue presse indépendante depuis dix ans. On a
exploité vilement les sentiments de la race, quitte à la li-
vrer au fanatisme, comme en 1905, quand le marché sera
plus avantageux. Nous avons encore des Bigots, des Ver-
gors et des Vitrés.
La journée du 21 septembre est une sévère punition pour
le parti libéral; c'est tout particulièrement un coup porté au
libéralisme du Québec dont les tendances au radicalisme
sont assez prononcées ; c'est en même temps un exemple et
un avertissement pour le parti qui prend le pouvoir.
On a manifesté beaucoup d'anxiété sur la formation du
ministère. M. Borden a donné trois portefeuilles aux nôtres.
110 LA REVUE FRANCO- AMIÉRICAINE
M. Landry sera président du Sénat, et M. Blondin vice-pré-
sident de la Chambre. Nous n'avons rien à craindre pré-
sentement de M. Borden.
Le premier ministre actuel a pratiqué le droit dans la
Nouvelle-Ecosse de 1878 à 1896. Il a fait sa marque comme
avocat. Il est reconnu pour son honnêteté et son grand
amour de la justice. Il se faisait élire député en i8q6 et de-
venait le chef de l'opposition en 1901. Né à Grand-Pré en
1854, un siècle après le " grand dérangement," sur cette
terre de martyrs dont l'histoire, celle d'Evangéline, a dû
causer ses premières émotions, M. Borden ne peut avoir
qu'une vive sympathie pour les Canadiens-Français et dé-
sirer même faire oublier l'histoire de 1755, en favorisant le
règne de la justice chez les Acadiens.
Quelle sera la conduite du nouveau parlement, et quelle
attitude prendront les députés de la province de Québec ?
Pour répondre à cette grosse question, il faudrait repasser
toute la politique actuelle. Indiquons tout simplement un
canevas de législation :
Commencer d'abord par faire des enquêtes générales sur
les points faibles de l'administration précédente;
Etendre à tout le pays la juridiction de la commission du
service civil ;
Refaire la loi des banques de façon à protéger effective-
ment les dépositaires ;
Donner corps au projet de loi de M. Monk sur les coopé-
ratives de crédit, de production et de consommation ;
Remanier le tarif et en donner le travail à une commis-
sion permanente analogue à la commission des chemins de
fer ;
Entreprendre au plus tôt le canal de la Baie Géorgienne
et outiller les ports du St-Laurent ;
Imposer des droits sur la marine marchande américaine
naviguant dans nos canaux ;
Baisser le tarif postal de nos échanges avec la France ;
Restreindre l'immigration juive en établissant une fortf
taxe d'entrée au pays; dépenser pour l'immigration de
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 111
langue française un budget au prorata de nos contributions
au trésor public ;
Soumettre au peuple la question de la participation aux
guerres de l'empire et de l'entretien d'une marine ;
Commettre la nomination des juges au barreau de chaque
province, etc.
Il est à craindre que la guerre recomrhence entre les deux
partis au sujet de la marine. Il y a là un gros fonds d'hy-
pocrisie. Nous dédions aux partisans du loyalisme aveugle
et quand même ces quelques lignes de M. Phillipps-Wolley,
un impérialiste convaincu, autrefois député canadien, plus
tard député aux communes anglaises :
" Perhaps the very best way in which Canada can show
her loyalty to the Mother Country, where électoral corrup-
tion is practically non-existent, is by putting an end to ail
forms of boodling and driving the crowds of office-seekers
out of her législative Chambers. Until that is done Canada
will be loyal only in the letter, not in the spirit, to British
institutions." (l)
Que les deux partis en fassent leur bien !
Nos députés devront prendre une part active aux travaux
législatifs. Pour la province, les deux partis seront de force
égale. Ce sera une cause d'émulation. Il y a du côté mi-
nistériel un bon nombre de jeunes députés nouveaux qui se
sont signalés par leur victoire ; notons surtout MM. Rain-
ville, Lamarche, Achim, Sévigny et Lavallée. Ils ont du ta-
lent et du caractère. Souhaitons qu'ils cultivent le premier
par un travail assidu et qu'ils fortifient le second par leur
indépendance.
C'est du caractère que nous exigeons aujourd'hui de nos
hommes publics. Ils en auront grand besoin, car nous
allons avoir encore une crise d'impérialisme. Lord Grey
n'a pas été indifférent à la nomination du duc de Con-
naught comme gouverneur. Nous sommes honorés par ce
(i) "World Wide," il mars 1905, page 281, col. 3; reproduit du
Morning Post," de Londres.
112 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
choix, mais il ne faudra pas nous laisser éblouir par les
titres, et, à cause des titres, subir toutes les inspirations.
Le temps de l'arbitraire est passé; nous sommes au règne
de la diplomatie, de la persuasion. On sait que la force ne
vaut pas contre nous.
Lord Grey n'a-t-il pas circonvenu nos personnalités poli-
tiques et religieuses ? Mgr Fallon, qui n'est pas à une fal-
lonnade près, n'a-t-il pas commencé de prêcher l'impéria-
lisme au Sault-Ste-Marie le 26 juillet dernier ?
Nous ne reprochons à persohne d'être impérialiste
militant (en tant que la constitution le permet), mais nous
tenons à exprimer notre droit de nous en défendre.
Emile Faguet, qui appelle l'impérialisme la *' forme aiguë "
du patriotisme, dit justement qu'il ** consiste à aimer sa pa-
trie comme faisait un Romain, c'est-à-dire à croire qu'elle
est la patrie par excellence, qu'elle doit s'imposer au genre
humain, que le genre humain ne serait que sage en se sou-
mettant à elle et en s'incorporant à elle, et qu'en même
temps que patriotique, il n'est qu'humain d'asservir le genre
humain à sa patrie." (l)
Et comme la patrie est faite d'idéaux communs, et comme
anssi " la langne commune est un lien national extrême-
ment fort," (2) les tendances de l'impérialisme anglais se
trouvent assez en relief.
Ces tendances sont avouées d'ailleurs par notre ancien
gouverneur et par notre nouveau.
Voici un passage du discours de lord Grey à l'hôtel
Windsor, le 4 octobre dernier :
" De même qu'il n'y a qu'un seul parti dans le Sud-Afri-
cain, à savoir le parti sud-africain ou britannique, au Ca-
nada, il n'y a aussi qu'un seul parti canadien ou britan-
nique. (3)
Pourtant, nous ne sommes pas tous prêts à dire : '*! am
British to the core ! "
(1) .Kmile Faguet, " La Patrie," ch. I.
(2) Id., ch. VII.
(3) " Le Devoir," 3 octobre 191 1, p. 2, col. 2.
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 113
Encore : " Si vous devez être sauvés d'un, changement, il
faut maintenir la suprématie britannique sur mer "... "Quel
est l'idéal... ? Est-ce d'être un parasite sur le tronc de l'em-
pire... ? " etc.
Le duc de Connaught est aussi explicite dans son dis-
cours en réponse à l'adresse de bienvenue du Québec :
" Aux jours d'antan, ce fut la fusion des races française
et anglaise qui fit la grandeur de l'Angleterre. Ici, l'his-
toire se répète encore et voit cette fusion qui fait votre
grandeur." (l)
Il est si difficile de cacher ses sentiments !
La fusion n'est pas faite, et nous entendons bien rester
français sans mélange. Nous voulons la bonne entente
entre les deux races, "l'entente cordiale " même, mais rien
de plus. Cela nous suffit.
L'impérialisme est bien moins un danger national pour
nous, Canadiens-Français, qu'un danger politique pour tous
les Canadiens. C'est pour cela que les députés du Québec
auront une si grande part dans la politique canadienne;
car ils sont, eux, plus canadiens que les autres, par la pre-
mière occcpation du sol comme par l'histoire de ses habi-
tants.
Ils suivront, nous n'en doutons pas, la noble attitude de
M. Monk et de M. Bourassa.
M. Bourassa fut le premier à prévoir les dangers de l'im-
périalisme. Pour les avoir dénoncés il a retardé de plu-
sieurs années son ascension au pouvoir. Mais, peu importe !
Le pays avant le parti et le pouvoir, se dit M. Bourassa.
Dût-il n'être jamais premier ministre, M. Bourassa aura
laissé une empreinte profonde sur la génération actuelle. Il
aura gouverné dans l'opposition plus efficacement que les
premiers ministres ne l'auront fait au pouvoir.
Cet homme semble avoir été nourri de la moelle des lions,
tant il est vaillant et intrépide. Il a bravé les cailloux et
les plus grands orateurs de son temps, le dégoût et la haine,
(i) " Le Devoir," 13 octobre 191 1, p. 3, coL
114 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAIXE
l'isolement et les foules, les applaudissements et les éloges.
Rien ne l'a ébranlé. C'est un passionné du devoir social,
du devoir politique, du devoir chrétien, du devoir tout court.
Et le devoir, c'est la justice envers Dieu, la société et soi-
même. Jamais la justice ne fut défendue plus éloquemment,
avec plus d'amour et de passion, que dans la séance de clô-
ture du Congrès Eucharistique, à Montréal, le 10 septembre
1910. Ce soir-là, les mânes de Montalembert, d'O'Connell
et de Moreno ont dû tressaillir.
Les grandes haines ne s'attachent qu'aux grands carac-
tères. M. Bourassa recevra donc encore des cailloux, mais
il sera invulnérable tant qu'il n'aura pas rempli la mission
qui lui est évidemment assignée. Nous souhaitons ardem-
ment qu'il ait de nombreux imitateurs parmi la jeunesse
d'aujourd'hui, afin qu'elle soit longue la liste des Canadiens-
Français qui auront fait leur marque dans la politique ca-
nadienne : Papineau, Lafontaine, Cartier, Chapleau, Mer-
cier, Laurier, Bourassa, etc.
{A suivre.)
Louis Gerenv&l.
Le 22 octobre 191 1.
-:o:-
La Nation Franco-Normande au Canada
Par Le VICOMTE FORSYTH DE FRONSAC
I
Je fais orécéder cette esquisse historique d'une explica-
tion du titre que je lui donne : "Nation Franco-Normande
au Canada," au lieu de " Nation Canadienne " ou "Nation
Canadienne-Française."
S'il est vrai que tous les habitants d'un même pays, sans
distinction de race, vivant sous un même gouvernement,
forment les parties constituantes d'une nation, il n'en est
plus de même lorsque dans le même pays, et sous le même
gouvernement, vit un peuple ayant une origine différente,
possédant une langue à lui, des droits et des coutumes
différents des droits et des coutumes des autres habitants
du pays ; alors, ce peuple forme non seulement une nation,
mais une race avec des caractères communs perpétués par
l'hérédité à travers les siècles (ces caractères peuvent se
modifier plus ou moins sous l'influence du climat, du genre
de vie et du croisement). Et si, pour approfondir davan-
tage le sujet, je remonte à l'origine de ce peuple, je trouve
que le plus grand nombre de ses familles est originaire de
Normandie, en France, et que la plupart des autres vien-
nent de la Touraine, où prédomine le sang des Francs qui
ont donné leur nom — Francia^ France, — à la Gaule qu'ils
avaient conquise.
Voilà pourquoi je donne à mon article ce titre : "La Na-
tion Franco-Normande au Canada." Je n'ai pas employé
le terme " Canadiens-Français," parce qu'il renferme quel-
que chose d'anormal. Le Franc et le Normand sont d'une
même race (germanique), avec les mêmes coutumes, les
mêmes droits coutumiers qu'ils ont imposés aux Gallo-Ro-
mains en les conquérant.
116 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
A part cela, le Franco-Normand a formé l'aristocratie
d'Ecosse avec les de Bruce, Fleming de Douglass, Forsyth
de Fronsac, Beauchamp de Campbell, Beaumont de Hamil-
ton; Fitzalan-Stuart, de Balieul; celle d'Angleterre avec Guil-
laume le ConquérantjMartel-Plantagenet d'Anjou,Fortesque,
Montague, Neuville, Beauchamp, Saville, Villiers, Chaudos ;
celle d'Irlande avec les De Courcy, de Vesci, de Burg,
Fitzgerald, de Butler; celle d'Italie avec les de Maurienne
(maison de Savoie), Tancrèd, Guiscard (Guiscardini), Ger-
hard (Gerhardini), et la famille"" Colombo de laquelle des-
cendit Christophe Colomb, le découvreur de l'Amérique.
L'organisat\on de la race Franco-Normande au Canada
veut dire une nation autour de laquelle, par des sympathies
organiques et héréditaires, peuvent se grouper les familles
Franco-Normandes d'Ecosse, d'Angleterre, d'Italie, etc.,
habitant l'Amérique du Nord et ayant conservé, propor-
tionnellement à la pureté de leur sang, les instincts trans-
mis qui sont semblables aux instincts de la race Franco-
Normande habitant au Canada.
La raison de ce ralliement autour de la race qui est au
Canada pour se transformer en mouvement nationaliste,
c'est que la race, au Canada, s'est établie sur des garanties
internationales assez solides pour fournir la base d'un gou-
vernement parmi les autres gouvernements du monde, un
gouvernement à elle possédant les garanties suivantes : la
constitution établie par les rois de France au Canada, re-
connue par le traité international de 1763 et réaffirmée par
le Canada Act de 1774, loi suprême au-dessus de toutes les
autres parce que déterminée entre souverains signataires
des traités, une loi qui est en elle-même une constitution
souveraine.
La réponse aux questions suivantes va nous donner l'his-
toire et le programme de l'Ordre Aryen et Seigneurial qui,
avec son Collège des Armes de la Nouvelle-France fournit
le moyen efficace d'organiser la race sur des bases consti-
tutionnelles.
I*^. — Qu'est-ce que c'est que cette Constitution Souve-
raine .?
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 117
2 . — Sur quoi, droit, principe ou sentiment est-elle fon-
dée ?
3°, — Quels obstacles s'opposent à son existence ? Quels
sont ses ennemis ?
4°, — Où peut-on trouver la preuve et l'histoire du droit
de l'Ordre Aryen et Seigneurial ; quels sont ceux
qui ont qualité pour s'inscrire dans les registres
nobiliaires de son Collège des Armes de la Nou-
velle France (Canada) ?
I. — La Constitution Souveraine.
La Constitution est royale et la royauté est héréditaire
avec le consentement des grands (noblesse). Les habitants
se divisent en la noblesse, la bourgeoisie et la paysannerie,
l'Eglise est une institution d'Etat et ses ministres ont une
représentation auprès du gouvernement.
Dans les premiers registres du Canada, on dit que le mot
"paysan" n'est pas applicable, parce que la souche du
peuple au Canada était au-dessus de la paysannerie en
France, et le mot *' habitant " remplaça le mot "paysan."
Les lois sont légitimées en conformité avec les coutumes
du viscomté et prévôté de Paris dans le duché de France.
Comme l'a dit Sir Hippolyte Lafontaine, de la Cour Suprême
du Canada : " C'est le droit commun de France royale et
féodale."
Les institutions nivellantes de la démocratie que les
Anglo-Saxons anglais ont introduites dans le pays avec
leur régime parlementaire et factieux sont ennemies de la
constitution royaliste et féodale; de plus, elles sont les
moyens subtiles par lesquels on compte bouleverser les
droits et les privilèges des habitants, séculiers et religi-eux,
que la constitution souveraine protège. Les organes prin-
cipaux de cette constitution sont le Roi, l'Aristocratie, la
Bourgeoisie, l'Eglise.
LE ROI
Article du traité de cession du Canada, du Roi de France
au Roi de la Grande-Bretagne (1763) :— " Sa Majesté Très
118 LA REVUE FRANCO-AMitRICAINE
Chrétienne -énonce toutes les prétentions qu'il a formées
ou avait formées à la Nouvelle France ou Acadie dans toutes
les extensions et cède le tout avec toutes ses dépendances au
Roi de la Grande Bretagne. Et Sa Majesté Très Chrétienne
cède et garantit à la dite Majesté Britannique en pleine
souveraineté le Canada avec toutes ses dépendances, le
Cap Breton et toutes les isles et costes de la baie et fleuve
Saint Laurent et en général toute chose qui dépende de les
dites terres et costes du pays avec la souveraineté, territoire,
possession et tous les droits transmis de traité que Sa Ma-
jesté Très Chrétienne et la Couronne de France a eu jusqu'à
présent en prérogative complète sans restriction et
sans droit dé changer ces concessions et garants sous quel-
ques prétextes que ce soient."
Pour comprendre les prérogatives ainsi transmises sans
interruption et sans délimitation d'un souverain à l'autre,
voyons en quoi consiste la rovauté dans notre constitution
souveraine.
Le roi, c'est le chef de famille de l'état. Le roi, c'est
l'état personnifié. Sa prérogative s'étend partout sur le
territoire de l'état. Celui qui tient sa terre du Roi participe
avec lui dans la prérogative souveraine sur son propre do-
maine, limitée seulement par les circonstances de son fief.
L'union de tous les fiefs, grands et petits, fait l'état lui-
même. L'union de tous les personages qui possèdent ces
fiefs est consolidée dans la personne du Roi qui représente
et personnifie la souveraineté de tous les états du royaume.
Les tenanciers de ces fiefs sont les feudataires du Roi. Leur
devoir est de s'unir au Roi contre tout ennemi du royaume.
Ils sont les éléments potentiels dont le Roi est la qualité
positive — la personnalité.
Luchaire dans 1'" Histoire des Institutions Monarchiques
de la France sous les Premiers Capétiens," dit que les Etats
Généraux du royaume tenus à Notre-Dame de Paris en
1302 déclarèrent que: "Le royaume de France, que nos
prédécesseurs ont conquis sur les barbares par leur propre
courage et par la vaillance de leur peuple, qu'ils ont su gou-
verner ensuite avec fermeté et qu'ils n'ont jamais tenu de
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 119
personne que de Dieu : nous l'avons reçu de leurs mains
par la volonté divine ; désirant les imiter selon notre pou-
voir, nous sommes prêts à exposer notre corps, nos biens et
tout ce que nous possédons pour conserver libre de toute
atteinte l'indépendance du royaume, et nous reputons enne-
mis de ce royaume et de notre personne tous ceux qui
s'opposeront à ce dessein."
La suprématie du roi dans l'état est déclarée par les Etats
Généraux de 1614, en ces mots : " Soit inviolable et notoire
à tous, que, comme le Roi est reconnu souverain dans son
royaume, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n'y a
puissance en terre, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun
droit sur son royaume pour en priver les personnes sacrées
de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs sujets de la
fidélité et obéissance qu'ils doivent. Tous les sujets tien-
dront cette loi comme conforme à la parole de Dieu, sans
distinction, équivoque ou limitation quelconque laquelle
sera signée et jurée par tous les députés du royaume
Tous les précepteurs, légistes, docteurs et prédicateurs du
royaume sont tenus de l'enseigner et publier."
La prérogative des rois de Prusse vient de la même
souche que celle des rois de France — l'Empire de Charle-
magne. Roi des Francs et Empereur Germanique des Ro-
mains. Denis, dans son ouvrage "La Fondation de l'Em-
pire Allemand (p. 240) dit : '' La Prusse est une monarchie
constitutionelle, c'est-à-dire, que le souverain s'est engagé
à accorder aux sujets certaines garanties, mais ces garan-
ties sont limitées et précises, et elles n'altèrent pas le pou-
voir essentiel à la souveraineté ; le pouvoir exécutif appar-
tient au Roi seul, qui n'est responsable que devant Dieu ; il
choisit ses ministres ; les Chambres peuvent examiner leur
conduite et même les censurer ; le vote de défiance des
Chambres a pour but d'attirer l'attention du Souverain ; si,
après réflexion, il les maintient en fonction, les Chambres
n'ont qu'à s'incliner. Les Chambres ont le droit de repous-
ser les lois nouvelles et les surtaxes d'impôts, mais elles ne
peuvent modifier l'ordre de choses existant que de l'aveu
du Souverain : c'est-à-dire que les lois demeurent en vi-
120 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
gueur et que les impôts continuent à être régulièrement
perçus tant que le Roi trouve bon ; sans cela on tomberait
dans l'erreur des démocrates qui transportent le veto du
Roi aux Chambres, de sorte que le Roi n'est plus que le
président d'une corporation de politiciens au lieu que le
Souverain d'un état."
Les démocrates anglo-saxons au Canada ont réduit la
prérogative du Roi, dans la constitution souveraine du
pays, au niveau de la présidence de leur corporation poli-
tique.— Mais c'est contre le droit eoutumier — la loi suprême.
Il est incontestable que l'allégeance personnelle des francs-
tenanciers est un devoir envers la personne du Roi dans la
souveraineté duquel ils sont les facteurs latents. Le Roi»
renforcé par cette puissance consolidée en lui-même, doit
défendre la prérogative de souveraineté de chaque franc-
tenancier en son fief contre tout édit de la législature qui
le priverait de la prérogative de franc-tenancier de la
couronne. Et vice versa, chaque franc-tenancier doit dé-
fendre la prérogative du Roi contre tout édict de la législa-
ture qui l'en priverait.
(A suivre.)
:o:
Un décret romain et la loi de New- York
sur les associations religieuses
Ceux qui ont étudié avec nous la grave situation qui est
faite à nos compatriotes du Maine, ont cru, avec nombre de
journaux franco-américains, qu'un récent décret de la Con-
grégation du Concile, venait de régler tout le débat.
Certains ont, dès l'apparition de la nouvelle dans les
journaux, crié au triomphe des catholiques du Maine, et
applaudi à ce qu'ils appelaient une colossale rebuffade de
Mgr Walsh. On a reconnu, depuis, que la rebuffade n'é-
tait ni si colossale ni la victoire si complète. M. Dupré, du
reste, le chef des Franco- Américains du Maine, l'a déclaré
d'une façon très claire, tandis que Mgr Walsh, avant peut-
être d'avoir saisi tout le sens du décret, affirmait qu'il ne
le liait en aucune façon.
Si cette opinion de l'évêque de Portland était la bonne,
la Congrégation du Concile serait vraiment bien avancée !
Il sera, dans tous les cas, intéressant de voir comment ce
brave homme pourra éluder un texte, qui, comme tous les
textes romains, est d'une très grande clarté.
Pour ce qui est du décret lui-même, il est évident qu'il
répond exactement aux désirs de ceux qui l'ont demandé.
Cela ne veut pas dire qu'il rende entièrement justice aux
fidèles sur qui retombe tout le fardeau de l'entretien des
églises. Il n'est même pas douteux que la Congrégation
elle-même a dû agir sous l'impression que la loi civile aux
Etats-Unis mettait des entraves aux associations religieu*
ses, ce qui est loin d'être prouvé. Car, on admettra bien,
je suppose, que si des législateurs américains ont pu, à la
demande d'un évêque, adopter une loi aussi arbitraire,
aussi odieuse que la Corporation Sole, il eût été aussi
facile d'en obtenir une loi donnant à l'Eglise toutes
Î22 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
les garanties voulues, tout en accordant aux fidèles
la juste part de représentation que le droit commun,
bien plus, que l'Eglise elle-même, accordent à ceux
qui donnent de l'argent pour le maintien des insti-
tutions paroissiales. Comme question de fait, les évê-
ques ont eu aux Etats-Unis les systèmes qu'ils ont voulus.
L'histoire de leurs diocèses, au surplus, montre trop souvent
qu'ils se sont écartés à dessein des lois fondamentales de
l'Eglise, et que leur principal souci a été moins de consoli-
der les oeuvres confiées à leur direction que de s'affermir
dans un absolutisme complet, ne considérant plus les mil-
lions de catholiques américains que comme un vaste trou-
peau taillable et corvéable à merci. Cette opinion, ancrée
dans l'esprit de certains évêques puis répandue dans le
clergé qui, plus rapproché du peuple qui paie, est devenu
dans bien des cas l'agent forcé ou inconscient d'une colos-
sale ignominie, a donné lieu à tous les abus que nous
dénonçons avec une vigueur parfois voisine de la violence.
Que si l'on voulait nous accuser de donner dans l'exagé-
ration, de céder au parti pris, d'agir sous l'impulsion des
préjugés, nous n'aurions plus qu'à inviternos contradicteurs
à faire consciencieusement l'examen de la question. Des
faits, d'une excessive brutalité, leur ouvriront les yeux.
Témoin, pour ne citer qu'un exemple, cet extrait d'un
sermon lu dans une église de la Nouvelle-Angleterre, il n'y
a pas un an, et au sujet de l'acrimonieux conflit qui a mis
aux prises, dans l'Etat du Maine, l'évêque et les fidèles :
" Le Souverain Pontife, les évêques, disait l'orateur reli-
gieux, sont propriétaires des biens de l'Eglise comme un
roi est propriétaire des biens de son royaume. Mais com-
ment les ministres de l'Eglise administrent-ils ces biens ?
Le mode varie selon les temps, selon les lieux, et même se-
lon les diocèses. Les décrets du concile de Baltimore en
indiquent trois pour les Etats-Unis."
Un canoniste, à qui je faisais lire cette déclaration dans
un journal reproduisant le sermon en entier, se contenta de
lever les épaules et de dire: "L'auteur n'aura pas eu le
temps de lire les passages du concile de Baltimore qui se
UN DISCRET ROMAIN 123
rapportent à la matière, et semble ignorer tout à fait le
droit canon et les affaires de son pays."
Or, i^l suffit de posséder la moindre notion des décrets
des conciles de Baltimore pour savoir que les trois modes
d'administration dont il est question dans ce sermon (fidéi-
commis, possession simple, corporation d'un seul) ne sont
recommandés que pour les cas où on ne peut pas établir le
véritable système paroissial de l'Eglise; que ces trois
modes ne sont pas prescrits mais défendus, excepté dans
les Etats où un mode conforme aux lois canoniques n'est
pas admis. Le mode conforme aux lois canoniques, c'est
non seulement l'incorporation légale des paroisses, mais
encore l'élection des syndics, des marguilliers par les pa-
roissiens. Ce mode est, je crois, en usage dans le Wiscon-
sin.
Mais je ne veux pas me laisser entraîner à la discussion
d'un problème aussi complexe dans cet article qui n'a
qu'un but : mettre sous les yeux des lecteurs de la Revueles
documents essentiels à la pleine intelligence de la situation
nouvelle qui sera faite aux catholiques des Etats-Unis. Il
sera toujours facile d'y revenir et d'étudier dans ses détails
une situation qui semble, surtout aux Etats-Unis, varier sui-
vant le temps, le lieu, et même les individus. Voyons donc
d'abord les documents : le premier à lire est bien, on le com-
prend, la décision de la Sacrée Congrégation du Concile.
En voici la traduction que j'emprunte au "Devoir," de
Montréal :
LE DECRET
Sacrée Congrégation du Concii^e
Rome, 10 août 191 1.
Révérendissime Seigneur et Frère,
Il est très à la louange des érêques des Etats-Unis d'Amérique qu'ils
n'aient jamais manqué, parmi tous les soins auxquels leur zèle s'applique
et qui leur font dépenser leur dévouement et leurs forces pour le progrès
de la religion catholique et le soutien de la piété des fidèles, de s'occuper
avec prudence de la protection des biens temporels de l'Eglise et de leur
bonne administration. Il existe sur ce point de nombreuses preuves de
leur sollicitude pastorale, parmi lesquelles il faut assurément mentionner
124 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
les décrets portés par les conciles pléniers de Baltimore touchant l'admi-
nistration des biens ecclésiastiques.
Récemment, quelques évêques, considérant les circonstances actuelles
et les besoins particuliers de certaines localités, ont cru utile de deman-
der conseil au St-Siège et ont prié le Saint-Père de fixer des règles pour
l'administration des biens temporels dans toute la république des Etats-
Unis d'Amérique.
Or, la Sacrée Congrégation du Concile, à qui l'affaire a été confiée
après mûre considération et après s'être enquise, par l'intermédiaire de
Monseigneur le Délégué Apostolique, du désir des Révérendissimes Ar-
chevêques de ce pays, et se conformant surtout à ce désir, a proposé et
décidé, dans sa séance plénière du 29 juillfet dernier, ce qui suit :
I? Des systèmes de possession et d'administration des biens ecclésias-
tiques qui sont aujourd'hui en vigueur dans les Etats-Unis d'Amérique,
celui qui porte le nom de Parish Corporation est le plus préférable,
pourvu toutefois qu'il soit appliqué selon les conditions et avec les pré-
cautions qui sont en vigueur dans l'Btat de New- York. Les évêques
prendront soin d'introduire immédiatement ce système d'administration
des biens temporels dans leur diocèse respectif, si la loi civile le permet.
Si la loi civile ne le permet pas, ils feront des instances énergiques au-
près des autorités civiles pour obtenir aussitôt que possible le consente-
ment de la loi sur ce point.
2? Dans les endroits où la loi civile ne reconnaît pas la Parish G7r/>o-
ra//<7«, et tant qu'on n'y aura pas réussi à obtenir cette reconnaissance
légale, l'application du système dit Corporation Sole est permise, de telle
sorte cependant que l'Evêque ne procède dans l'administration des biens
ecclésiastiques qu'après avoir entendu l'avis des intéressés et des consul-
teurs diocésains, et, dans les affaires importantes, qu'après avoir obtenu
leur cons::ntement, la Sacrée Congrégation laissant à la conscience de
l'Evêque lui-même la responsabilité des manquements à ces prescriptions.
3** Le système qu'on appelle in Fee Simple doit être absolument aboli.
Je suis heureux de vous communiquer, de par l'autorité du Saint-Père,
ces décisions salutaires que les Eminentissimes Pères ont jugé utile de
prendre, espérant que leur mise à exécution sera très avantageuse au bien
de l'Eglise dans ce noble pays.
[^'En attendant, je prie le Seigneur de tout cœur qu'il vous accorde
toutes sortes de bienfaits, et je me dis avec respect,
A. T.
Votre frère,
C. Gard. GENNARI, Préfet,
B POMPÏLI, Secrétaire.
Voilà le document qui ne lie pas Tévêque de Portland !
Cest fort possible. Dans tous les cas il aura bientôt Toc-
I
UN DÉCRET ROMAIN 125
casion de montrer comment il entend s'y soustraire. Au
reste, l'affaire Ponsardin qui dut être jugée deux fois, pour
obtenir la soumission de feu Mgr Healey, prouve déjà que
dans le diocèse de Portland la discipline épiscopale ne va
pas toujours sans subir quelques accrocs.
Mais ce qu'il importe de connaître maintenant, c'est cette
loi de New- York qu'on semble avoir représentée à Rome
comme le dernier mot de la perfection pour l'administra-
tion des biens paroissiaux. Voyons ce qui en est :
LA LOI DE NEW-YORK (traduction) (i)
Texte de la Loi supplémentaire " POUR LA CONSTITUTION CI-
VILE DES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES."
Supplément à la loi intitulée : " Loi pourvoyant à l'incorporation des
Associations religieuses," adoptée le 5 avril mil huit cent treize.
Adopté le 25 mars 1863 • les trois cinquièmes des membres étant pré-
sents.
La population de l'Etat de New- York, représentée au sénat et à l'As-
semblée législative, décrète ce qui suit :
Article i. — La loi intitulée " Loi pourvoyant à l'incorporation des Asso-
ciations religieuses," adoptée le cinq avril mil huit cent treize, est par les
présentes amendée en y ajoutant les dispositions suivantes :
I. — Il sera permis à toute église catholique romaine ou congrégation,
se trouvant actuellement dans les limites de cet Etat, ou pouvant s'y
trouver ci-après, de s'incorporer conformément aux dispositions de cette
loi : l'archevêque ou l'évêque catholique romain du diocèse dans lequel
une église pourra être érigée ou devra l'être dans l'avenir, le vicaire-gé-
néral de ce diocèse, et le curé de cette église, dans le moment, respective-
ment, ou la majorité de ceux-là, devront choisir et nommer deux laïques,
membres de ladite église, et devront de concert avec les laïques, signer
un certificat en double, indiquant le nom ou le titre, en vertu duquel, eux
et leurs successeurs seront connus et désignés comme corporation, en
vertu de cette loi, lesquels certificats devront être dûment reconnus at-
testés, de la même manière que les transports d'immeubles ; l'un de ces
certificats devra être déposé au bureau du secrétaire de l'Etat, et l'autre
au bureau du greffier du comté, dans les limites duquel cette église pourra
ou devra être érigée ; et telle église ou congrégation pourra être considé-
rée comme un corps politique incorporé sous le nom ou le titre mentionné
dans tel certificat, et lesdites personnes ayant ainsi signé cedit certificat
devront être les syndics de ladite église ou congrégation. Les successeurs
(i) Le texte anglais dont nous donnons ici une traduction est extrait
des " Statuts" du diocèse d'Ogdensburg, N. Y.
126 LA REVUE FRANCO -AMÉRICAINE
de tsl archevêque, évêque, vicaire-général ou curé, respectivement, pour
le temps où ils seront en fonctions devront, en vertu de leur charge, cons-
tituer les syndics de telle église au lieu et place de leur prédécesseur : et
les laïques devront conserver leur charge respectivement pendant un an
et au cas où la charge de quelqu'un de ces laïques deviendrait vacante
pour cause de moralité, de départ, de démission ou autrement, son succes-
seur devra être nommé de la même manière que ci-dessus pourvu pour le
premier choix.
II. — Les syndics de toute église ou congrégation et leurs successeurs
devront jouir de tous les pouvoirs et de toute l'autorité accordés aux
syndics d'une église, d'une congrégation qii d'une société quelconque, par
l'article quatre de la loi intitulée " L/Oi pourvoyant à l'incorporation des
Associations religieuses " adoptée le cinq avril mil huit cent treize, et
devront également avoir le pouvoir de fixer et déterminer le salaire qui
devra être payé au curé ou à l'assistant-curé de ladite église, mais toute
propriété personnelle ou réelle d'une telle église ou corporation, à l'ex-
clusion de l'édifice de l'église, presbytère, et maison d'école, y compris
les terrains sur lesquels ils peuvent être érigés, de même que les cime-
tières, ne devront pas excéder un revenu annuel de trois mille dollars :
mais rien de ce qui est contenu dans la présente loi ne peut être tenu ou
considéré comme abrogeant, altérant ou diminuant l'effet du chapitre
trois cent soixante des lois de mil huit cent soixante.
III. — Les syndics d'une église incorporée d'après cette loi sont obligés
de produire, sous serment, à la cour suprême du district judiciaire, dans
lequel ladite église se trouve comprise, une fois tous les trois ans, un in-
ventaire de toutes les propriétés réelles ou personnelles, appartenaat à
ladite église, en même temps que le revenu annuel de ces propriétés, le-
quel inventaire devra être déposé au bureau du greffier du comté dans le-
quel les édifices se trouvent érigés.
IV. — Au cas où une église incorporée d'après cette loi serait dissoute,
par suite de maladministration ou de négligence à exercer, aucun des
pouvoirs nécessaires pour son maintien, ou autrement, cette église pourra
être incorporée de nouveau, d'après le mode prescrit par cette loi, durant
les six années de la date de cette dissolution, et sur ce, toutes les proprié-
tés réelles ou personnelles appartenant à la corporation ainsi dissoute,
lors de sa dissolution appartiendront à la nouvelle corporation.
Article 2. — La législature peut en tout temps modifier, altérer ou abro-
ger cette loi.
Article 3. — Cette loi entrera en vigueur immédiatement.
La loi qui précède n'est, en somme, qu'une modifi-
cation de la loi de New-York sur les associations religieu-
ses. C'est pour cela que nous y cherchons en vain le texte
UN DECRET ROMAIN 127
définissant plus clairement le contrôle des paroissiens sur
leurs propriétés religieuses.
Nous devons à M. le juge Boire, de Plattsburg, le rensei-
gnement suivant qui jette plus de lumière sur la question.
Voici la section de la loi qui décrète dans quelles conditions
une association religieuse peut disposer de ses propriétés :
"Srct. 12. — Ventey hypothèque et location des bnmeubles des associa-
tions religieuses.
Une association religieuse ne vendra ou n'hypothéquera aucun de ses
immeubles sans en avoir demandé et obtenu la permission de la cour
conformément aux règles du code civil de procédure. Les syndics d'une
association catholique romaine inco; porée ne demanderont pas à la cour
la permission de vendre, hypothéquer, louer, aucune de ses propriétés
immobilières sans le consentement de l'archevêque ou de l'é/êque du dio-
cèse dans lequel se trouve son église, ou en leur absence ou impossibilité
d'agir, sans le consentem.ent du vicaire-général ou de l'administrateur du
diocèse. La requête des syndics d'une association incorporée, protesitante
épiscopalienne ou catholique romaine, devra, à part les détails exigés par
le code civil de procédure, démontrer que les stipulations de la présente
section ont été observées. Mais les lots, lopins de terre ou permis d'en-
terrer dans un cin^etière possédé par une association religieuse pour-
ront être cédés ou vendus sans la permission de la cour. Les terrains de
cimetière d'une association religieuse ne peuvent pas être hypothéqués
tant qu'ils sont employés comme cimetière."
Cet article 12 est déjà d'une importance capitale, mais il
nous laisse encore loin de cet amendement à la loi dont
ont parlé quelques journaux et en vertu duquel "les syn-
dics ou "trustées" des paroisses ne peuvent faire une dé-
pense ou contracter une dette au-dessus de mille dollars,
sans obtenir au préalable l'autorisation du tribunal qui a
juridiction en la matière."
Cette précaution qui n'existe pas dans la loi est tout de
même comprise dans les règlements (By-laws) que les asso-
ciations religieuses sont invitées à adopter et dont une co-
pie est publiée dans l'appendice des "Statuts " (l) du dio-
cèse d'Ogdensburg (pages 66, 6/ et 68).
L'article 7 de ces règlements dit : " Une dette liant la res-
(1) " By-1,avjs " çuarum adoptio contmendatur parœciis juxta hanc
legem constitutis.*' Statuts du diocèse d'Ogdensburg, N. Y.
128 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
ponsabilité de cette association ne peut être contractée
qu'en vertu d'une résolution spéciale adoptée pour cette
fin, inscrite dans ses minutes et signée par au moins trois
syndics, si elle ne dépasse pas un total de MILLE DOLLARS
($l,000), et par tous les syndics si elle dépasse cette somme."
Mais cette garantie, si considérable qu'elle paraisse, ne
vaut encore qu'en proportion de l'influence des syndics
laïcs dans la corporation, selon qu'ils représentent plus ou
moins directement le sentiment de ceux qu'ils sont suppo-
sés représenter. v
Or, on a vu par la loi citée plus haut qu'ils étaient choisis
par l'évêque, le grand-vicaire et le curé.
Pourquoi n'a-t-on pas détruit toute chance de conflit pour
l'avenir en confiant aux paroissiens le soin de choisir eux-
mêmes leurs syndics dans une grande assemblée de la pa-
roisse } (i)Assurément, si ce dernier mode a pu, dans certains
quartiers, prêter à quelques abus, il est universellement
connu que l'autre a, lui aussi, soulevé sa grosse part de ré-
criminations et d'abus.
Et, pourtant, Dieu sait si cette loi de New- York est déjà
une amélioration sur des systèmes comme la " Corporation
Sole ! "
Pour plusieurs, la décision de la Congrégation du Concile
n'apparaîtra pas comme une solution définitive, mais comme
un acheminement vers une législation qui rende pleine et
entière justice à tout le monde.
Ce n'est pas la meilleure loi que l'Eglise pouvait donner
aux catholiques américains.
(i) Un membre éminent du clergé suggère que les sj^ndics soient élus
par les propriétaires de bancs. Il suggère encore que dans les paroisses
mixtes les syndics soient Franco-Américains quand le curé est irlandais.
J.-L. K.-Laflamme.
Ah ! vraiment ! . . .
Mon Cher Directeur,
Le croiriez-vous ? me voici victime d'une crise de popu-
larité auprès de mes amis irlandais. Ils me font fête : je
suis l'objet de leur conversation quand je suis absent ; et
quand ils me rencontrent, ils sont communicatifs à l'ex-
trême. Je ne voudrais pas commettre plus d'indiscrétion
qu'il ne faut. Pourtant il est des perles qui ne peuvent se
dérober perpétuellement aux regards.
L'autre jour, mon ami Patrick me saute au cou, et m'em-
brassant avec effusion, il me demande à brûle-pourpoint :
" Savez-vous pourquoi il n'y a pas eu de cardinal cana-
,dien ? " Comme je n'aime pas les problèmes compliqués, et
que je ne veux pas me fatiguer les méninges par des efforts
intempestifs, j'ai répondu le plus simplement du monde :
"Ma foi, je n'en sais rien." Mais Patrick, d'un air averti,
me dit en clignant de l'œil : "Je le sais bien, moi."
Je fis mine d'être indifférent à ses confidences : cette atti-
tude le rendit plus loquace.
"Là-bas, on est miécontent," me dit-il, "des écrits de cer-
tains journalistes ; et pour se venger des rédacteurs de ces
feuilles, on prive tel archevêque de son chapeau de cardi-
nal."
— Ah ! vraiment !
" Parfaitement," fit-il ; et il se mit à me donner des noms.
Je voulus lui signifier que ses raisons ne me donnaient
pas satisfaction. Il se fâcha tout rouge. Quand il eut re-
couvré ses sens, j'essayai de lui faire un brin d'histoire
contemporaine pour lui démontrer que quelques articles un
peu courageux ne pouvaient pas être la cause de la puni-
tion infligée à tout un pays aussi vaste que le Canada, et
qui contient tant de catholiques, dont la très grande majo-
180 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
rite est de langue française : ce que mon ami oublie tou-
jours.
" Mgr Bourne, l'éminent archevêque de Westminster est
cardinal," lui dis-je. — Oh ! oui ! dil-il avec un sourire ex-
tatique, qui lui fit oublier sa petite crise de tout à l'heure. —
"Eh ! bien, vous qui êtes un intellectuel, puisque vous lisez
la " Revue Franco- Américaine," vous n'ignorez pas que le
*' Tablet " de Londres, qui est sous la direction immédiate
de Mgr Bourne, a publié des articles modernistes qui ont mé-
rité de faire l'objet des commentaires d'un célèbre profes-
seur à Rome. A plusieurs reprises, le même "Tablet" a
réédité des mensonges historiques. Tout dernièrement, il
vient de faire une réclame insensée à 1' "Encyclopedia
Britannica," ce qui lui a mérité une verte semonce de la
part de 1' " America," qui se dit "profondément humiliée,"
"heartily ashamed," de voir la conduite du journal qu'elle
flétrit, en disant "The once respected London Tablet."
" Jamais, dis-je à Pat..., vous me ferez croire que Rome
est plus sensible aux bonnes vérités dites pour la revendi-
cation des droits de la race en Amérique qu'aux hérésies et
aux insanités imprimées dans le "Tablet." Rome n'a pas
pu vouloir châtier le Canada, pour des vérités exprimées
parfois avec violence, et récompenser ceux qui, dans un
journal qu'ils dirigent immédiatement, laissent passer des
hérésies, des doctrines qui frisent l'hérésie et des mensonges
impudent sy
Cher Patrice, lisez encore, sans préjugés. Vous préten-
drez que vous êtes au-dessus des questions de nationalité.
C'est peut être vrai, si l'on admet avec vous, qu'il n'y a
qu'une race qui a droit d'exister en Amérique : la race an-
glaise.
Voulez-vous d'autres exemples pour prouver que l'on ne
peut punir une race, sous prétexte que des articles qui ne
plaisent pas à tous ont été publiés dans un pays. Je vous
en servirai à souhait. Personne ne songe à tenir Son Emi-
nence le cardinal Merry del Val responsable des articles
de l'"Asino." de l'"Avanti," du " Messaggero," de la
"Tribuna," etc., journaux publiés à Rome.
I
I-
' AH ! VRAIMENT !. . . . 131
Son Eminence ne peut pas s'irriter, comme vous le dites,
quand dans d'autres pays, où il y a encore du français, on
dit de bonnes vérités. Je voulus continuer. Pat s'enfuit et
court encore.
. DESINTERESSEMENT IRLANDAIS
Dans le nouveau diocèse de Régina, il y a un seul prêtre
irlandais. Au jour même du sacre de Mgr Mathieu, il pré-
senta à son évêque ses hommages. Il voulut profiter de
l'occasion pour pousser ses petites affaires. Avec un air
d'abnégation totale d'une brebis qui sent le besoin de se
faire égorger, il dit à Sa Grandeur : ** Monseigneur, si vous
voulez réussir dans votre diocèse, il vous faut nommer un
grand vicaire irlandais" Ce prêtre mérite un chapeau de
cardinal. Il ira loin. . . très loin. . .
NOUVELLE FALLONNADE
Amis lecteurs, vous avez cru jusqu'à ce jour que l'éduca-
tion des enfants appartient aux parents d'un droit sacré et
inaliénable. Saint Thomas d'Aquin a écrit de belles choses
à ce sujet. Mais tout cela est changé. Mgr Fallon a dé-
crété— et vous savez qu'il est infaillible, même quand il
parlé contre les enseignements de l'Eglise — Mgr Fallon a
décrété, lui, qu'il appartient aux enfants de dire quel genre
d'éducation ils veulent recevoir; et dans son grand amour
de la langue française, il a demandé aux enfants d'origine
française quelle langue ils désiraient apprendre. Les pe-
tits ont répondu * ^' L'anglais " ; et alors la question, est ré-
glée ; les parents n'ont plus rien à dire.
Que Sa Grandeur se donne donc la peine d'étudier la
philosophie et les enseignements de l'Eglise.
Michel Renouf.
Revue des faits et des oeuvres
Le vote du 21 septetmbre
Le Greffier en chancellerie d'Ottawa a rendu public le
résultat officiel du vote enregistré le 21 septembre.
Voici les chiffres du vote par province :
Votes Votes
cons. lib.
Nouvelle-Ecosse 55,265 57,303
Nouveau-Brunswick 38,880 40,194
Ile du Prince-Edouard 14,638 13,512
Québec 157,593 168,446
Ontario 264,386 198,483
Manitoba 43,346 37,512
Saskatchewan 30,994 47,586
Alberta 29,653 37,076
Colombie Britannique 25,622 16,350
660,327 616,462
Ainsi il y a eu 660,327 votes conservateurs et 616,462
votes libéraux, soit une majorité de 43,865.
Le champ de bataille du 13 septembre 1759
M. Thomas Chapais dans le magnifique et solide ouvrage
qu'il vient de publier sur le Marquis de Montcalm, écrit à ce
sujet :
" L'armée française était rangée en bataille en avant des
Buttes-à-Neveu, sur le sommet de la déclivité où s'élève au-
jourd'hui le couvent des Franciscaines, à peu près dans
l'alignement des tours Martello. Les bataillons étaient
disposés comme suit : à droite, sur la hauteur où l'hôpital
Jeffrey Haie est maintenant construit, il y avait celui de
I
revtje des faits et des œuvres 133
la Sarre, puis celui de Languedoc ; au centre, Béarn et
Guyenne; à gauche, Royal-Roussillon et des milices. Les
troupes de la colonie et les milices du gouvernement de
Québec étaient en présence à la droite du bataillon de la
Sarre. Elles occupaient des broussailles dont ce terrain
était rempli et avaient en avant d'elles des pelotons pour
inquiéter les Anglais. Royal-Roussillon avait, lui aussi, en
avant de lui un peloton de Canadiens. Et plusieurs autres
pelotons de milices étaient répandus de distance en dis-
tance en avant de tout le front de bataille. Montcalm était
au centre avec M. de Montreuil ; M. de Senezergues, briga-
dier et lieutenant-colonel de la Sarre, commandait la
droite, et M. de Fontbonne, lieutenant-colonel de Guyenne,
commandait la gauche.
L'armée anglaise était à une petite distance, sa droite
s'appuyant à l'éminence où se trouve maintenant la prison
de Québec, et sa ligne se prolongeant vers le chemin Ste-
Foy, entre la rue de Salaberry et l'avenue des Erables."
Changements dans le cabinet anglais
De la " Vérité," Québec :
Une dépêche de Londres mande que d'importants chan-
gements viennent d'être opérés dans le cabinet anglais.
Voici les principaux : Winston Spencer Churchill, mi-
nistre de l'Intérieur, devient premier Lord de l'Amirauté,
et Reginald McKenna laisse ce portefeuille pour prendre
celui de ministre de l'Intérieur. Le comte Carrington,
ministre de l'Agriculture, devient Lord du Sceau Privé;
C. E. Hobhouse, secrétaire financier au Trésor, a été
nommé chancelier du Duc de Lancaster; Walter Runiman
abandonne le" portefeuille de l'Instruction Publique pour
prendre celui de l'Agriculture, et l'ancien chancelier du
duc de Lancaster, J. A. Pease, prendra le portefeuille de
l'Instruction Publique.
Sir Edward Strachey, secrétaire parlementaire du minis-
tère de l'Agriculture et le Très Hon. Alfred Emmott, député
134 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAIXE
d'Oldham et vice-président de la Chambre des Communes,
seront élevés à la pairie.
La persécution chez les Acadiens
Un vieil ami des Acadiens nous adresse l'intéressante
note que voici :
" L'ère des persécutions ne semble pas près de se fermer
chez nos frères acadiens. Le 2/ septembre dernier, une
virago orangiste de Moncton qui, en vertu de l'extraordi-
naire loi de l'Instruction du Nouveau-Brunswick, fait partie
des Commissaires d'Ecoles de Moncton, donnait avis qu'à
la prochaine assemblée elle proposerait l'abolition de l'en-
seignement du français à Vécole catholique française Saint-
Bernard de cette ville. Elle fit de pressantes démarches
auprès de plusieurs Commissaires protestants qui refusèrent
d'appuyer sa proposition si elle l'émettait. L'un d'eux lui
conseilla même d'abandonner définitivement son projet :
"Jamais, répondit-elle. Ce n'est que le commencement!. . . "
A la séance de la Commission des Ecoles du l8 octobre
dernier, elle prétendit n'avoir point dit que sa proposition
devait être présentée alors; qu'elle se réservait de la pré-
senter quand elle le jugerait opportun. Il est à remarquer
que nos frères acadiens de Moncton se sont vus supprimer
trois ans sur quatre d'enseignement du français aux tout
petits (il y a deux ans de cela), grâce à l'action énergique
— contre eux — du curé actuel qui, pour cela, s'allia aux traî-
tres acadiens et aux orangistes. Le fait a été signalé à LL.
EE. NN. SS. Sbarretti et Stagni — sans succès. — Elle savait,
cette virago, que les Français ne peuvent compter sur AU-
CUN de leurs prêtres qui sont indifférents ou franchement
hostiles : De là son avis de motion qui reste comme uneépée
suspendue sur la tête des pauvres enfants acadiens. La po-
pulation française de Moncton, d'après le récent recense-
ment— si mal fait, on le sait — forme le tiers de la popula-
tion totale de Ja ville, et elle n'a qu'un commissaire sur
neuf. Ces neuf comptent deux femmes. Le mari de celle
dont nous parlons briguait humblement les voix françaises
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 185
pour se faire élire maire de la ville il y a quatre ans— et- il
y réussit : — il eût dû avoir la franchise (brutale si Ton veut)
de prévenir ses électeurs de ce que sa digne commère,
poussée par lui préparait contre ces mêmes électeurs.
(Nota. — Aux termes de la loi du Nouveau-Brunswick, il ne
peut y avoir d'écoles confessionnelles ou séparées ni d'é-
coles françaises ; c'est par pure tolérance qu'il en existe.
Voilà le vraie situation !)."
Les Franco-Américains du Connecticut
Nos compatriotes du Connecticut ont tenu leur 20ème
congrès, cette année (25 et 26 octobre) à Stafford Springs.
Il y avait plus de 200 délégués parmi lesquels la plupart
des prêtres franco-américains de l'Etat. A une séance spé-
ciale tenue le premier soir des discours furent prononcés par
M. Alfred Bonneau, directeur de la Justice de Beddeford,
Maine et par W. Eugène L. Jalbert, un jeune et brillant
avocat de Woonsocket, P. Q.
Les congrès a adopté les résolutions suivantes préparées
par un comité composé de MM. A. O. Baribault, T. Z. Morin,
A. Morin, Provost. Allard :
Le clergé, — Les échecs dn catholicisme chez les nôtres, dans le diocèse
de Hartford, sont principalement dus au marque de prêtres de notre race
là où nous ne cessons de les demander depuis le commencement de nos
réunions conventionnelles en 1885. Résolu que le seul et unique remède
à ce déplorable état de choses est le recrutement de notre propre nationa-
lité dont le nombre de prêtres serait au moins le double de celui que nous
avons l'honneur et l'orgueil de posséder actuellement.
Education et Langue. — Les droits de la langue française dans nos fa-
milles, nos écoles et nos églises étant reconnus ; aussi bien, le rôle et la
mission que la Providence a dévolus aux Franco- Américains pour le bien-
être commun des différents éléments dont se compose la République, étant
intimement liés à l'éducation et à l'instruction que nous donnerons à nos
enfants. Résolu qu'il n'est pas juste ni raisonnable que, dans nos écoles
paroissiales, le français ne soit pas enseigné à l'égal de l'anglais, et que
nous, représentants attitrés des Américains catholiques d'origine fran-
çaise du diocèse de Hartford, réunis en cette assemblée solennelle, nous
nous prononçons carrément pour le droit inaltérable, inviolable et intan-
gible de l'enseignement et de la diffusion équitable du français dans tous
nos centres. De plus, nous ne cessons de proclamer comme un déni de
136 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
justice flagrant, contraire à nos titres de fils soumis de l'Eglise et de ci-
toyens libres de cette République, le fait que, dans certains milieux, on
tente sans cesse d'une manière sourde, mais avérée, de reléguer notre édu-
cation et notre langue françaises à l'arrière- plan.
Sociétés nationales. — Les bases fondamentales de notre force pour la
propagation de nos désirs nationaux ont toujours été, et sont encore, nos
belles associations de mutualité franco-américaines. Résolu que ce con-
grès exprime hautement sa gratitude à toutes nos sociétés, sans en excep-
ter une seule, pour tout le bien qu'elles ont fait, et qu'il les engage cha-
leureusement à continuer de projeter leur influence salutaire dans le do-
maine d'une saine action sociale, catholique et franco-américaine.
Naturalisation.— Pour être considéré^- comme de véritables patriotes,
capables de servir nos intérêts et nos aspirations légitimes, il est admis
aujourd'hui qu'il faut être citoyens actifs des Etats-Unis, Résolu que
nous conseillons avec la plus grande ardeur à tous nos compatriotes, in-
dividuellement et collectivement, de continuer à s'occuper activement
de la naturalisation des Canadiens-français, et, par ce moyen, agrandir
l'influence politique à laquelle nous avons droit.
L,a Presse. — Nos journaux sont un élément de force incalculable pour
l'avancement de notre cause. Il faut donc les encourager de toutes nos
forces et au prix de n'importe quel sacrifice. Résolu que chaque délégué
de retour chez lui, prêche dans toutes nos colonies la nécessité urgente
de s'abonner d'abord auK journaux franco-américains de la Nouvelle-
Angleterre, et ensuite de solder promptement le prix d'abonnement lors-
que la date en est échue.
Les écoles bilingues dans le Manitoba
Le Patriote de V Ouest (Duck Lake, Sask., 2 nov. 1911)
nous apporte un vigoureux article au sujet d'un incident
survenu dans Tarrondissement scolaire de Union Point,
près de St-Norbert, Manitoba :
" Il s'agit, dit-il, d'un procès intenté par un brave père de famille cana-
dien-français, M. Cyrus Nolette, contre les trois commissaires d'école de
la localité : MM. James Cox, Otto Swenson et Alexander Jackson, trou-
vés coupables d'avoir négligé leur devoir en n'engageant pas un institu-
teur qualifié pour l'enseignement du français.
" La cause fut plaidée devant M. Henri de Moissac, de St-Norbert, et
les commissaires furent condamnés par ce magistrat à une amende de.
^20 et payement des frais de cour.
" La loi du Manitoba est très claire concernant l'établissement d'écoles
bilingues. La clause 10 du chapitre 26 des Statuts du Manitoba de 1897
se lit comme suit :
" 10. Lorsque dix élèves d'une école parlent la langue française, ou
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 137
toute langue autre que l'anglais comme langue maternelle, l'enseigne-
ment de ces élèves se fera en français ou autre langue, et en anglais, d'a-
près un système bilingue."
" Il fut prouvé que le nombre des élèves de langue française à Union
Point était plus que suffisant pour justifier la demande d'un instituteur
compétent dans l'enseignement du français. Il fut prouvé aussi, par un
rapport de l'inspecteur, que l'instituteur alors en fonction, M. Oliver H.
Brown, n'avait pas la compétence voulue, et jugement fut rendu contre
les commissaires pour avoir voulu maintenir cet instituteur malgré tout.
" Celui-ci est aujourd'hui remplacé par Mlle Lacroix, de la province de
Québec, mais les commissaires ont porté leur cause en appel devant
l'Hon. Juge Prud'homme, de St-Boniface, et le premier jugement a été
maintenu."
L'article du " Patriote " s'applique surtout à répondre à
un journal de Winnipeg, la "Free Press," qui, sur cette
question comme sur celle du collège de St-Boniface, trouve
de précieux alliés ailleurs que dans les rangs des oran-
gistes.
La "Free Press" réédite, avec ses souffleurs assimulateurs,
les stupides illusions ramenées en Europe et portées jus-
qu'à Rome par Mgr Bourne, et les observateurs empressés
du genre Tampieri, savoir : l'Ouest est un pays de langue
anglaise, il faut savoir l'anglais pour être autre chose que
des scieurs de bois et des porteurs d'eau, etc. Toute la " fal-
lonade" y passe.
Le " Patriote " remet les choses au point et dit résolu-
ment à ces modernes anglicisateurs : "Ce pays est bilingue
de par la constitution, et vous n'y pouvez rien ! "
Voilà, pourtant, une question qui devait être réglée défi-
nitivement en 1896 ! Dans tous les cas, il n'est pas sans in-
térêt de voir les droits des nôtres défendus là-bas par un
vaillant journal français publié dans la province même
qui vit la dernière reculade de notre ex-gouvernement
croupion.
Nouveau Supérieur du collège Canadien à
Rome
La " Revue Franco- Américaine " offre ses plus sincères
félicitations à M. l'abbé Léonidas Elz. Perrin, professeur
138 • LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
de théologie au Grand Séminaire de Montréal, qui a été
nommé supérieur du Collège canadien à Rome. Cette no-
mination amène un changement auquel beaucoup ne s'at-
tendaient guère, mais que certains événemients, peu connus
du public, permettaient aux initiés de prévoir.
M. l'abbé Perrin remplacera M. Tabbé Georges Camille
Clapin, qui vient de donner sa démission. Le nouveau titu-
laire a déjà quitté Montréal pour se rendre à son nou-
veau poste.
M. l'abbé Perrin est né à St- Stanislas, comté de Cham-
plain, le 26 décembre 1868. Il fut ordonné prêtre à Mont-
réal le 3 juillet 1892, et entra chez les Sulpiciens. Il séjourna
à Rome, au Collège canadien, dont il vient d'être nommé
supérieur,de 1892 à 1896.
Il conquit dans les grandes universités romaines ses
grades de docteur en philosophie, en théologie et en droit
canonique.
A son retour au pays, en 1896, M. l'abbé Perrin fut nommé
professeur de théologie à l'Université Laval de Montréal,
poste qu'il a occupé jusqu'à ce jour.
M. l'abbé Perrin est l'un de nos écrivains les plus distin-
gués. Collaborateur à la ''Revue Canadienne" depuis plu-
sieurs années, le distingué professeur a fourni à cette revue
de nombreuses et solides études sur des sujets de philoso-
phie et de théologie.
Chez les Forestiers Catholiques
La "Tribune" de Woonsocket, R. I., publiait récem-
ment la note suivante qui offre un intérêt plus qu'ordi-
naire :
" La "Gazette Officielle " de Québec annonce qu'une cour de Fores-
tiers catholiques, composée de Canadiens-français, vient d'obtenir sa li-
cence comme société de secours mutuels, avec bureau principal à Mont-
réal. Kst-ce le commencement d'une scission d'avec le siège officiel de
l'Ordre des Forestiers Catholiques qui se trouve à Chicago ? C'est un fait
reconnu, que la dernière convention des Forestiers Catholiques, tenue en
août dernier, a adopté des mesures très impopulaires chez les membre*
de cette société demeurant au Canada. Nous verrons peut-être se répé-
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 139
ter chez nos compatriotes du Canada un mouvement semblable à cehii
qui s'est produit aux Etats-Unis il y a quelques années, lorsqu'un bon
nombre de Forestiers d'Amérique abandonnèrent cette société pour don-
ner naissance à l'ordre des Forestiers Franco- Américains."
Ce n'est pas la première fois que les membres franco-
canadiens ou franco-américains de cette société cosmopo-
lite ont à se plaindre de la façon dont ils y sont traités.
Mais ce qui semble faire le sujet du différend actuel, c'est que
les membres de la province de Québec n'ont pas obtenu dans
la formation du conseil supérieur de l'Ordre la représenta-
tion à laquelle ils ont droit. Comme question de fait ils se sont
fait balayer par le mouvement progressif qui, après plu-
sieurs années d'efforts, a enfin donné au système d'assu-
rance des Forestiers des taux raisonnables. Et, quand on
songe que depuis bientôt 30 ans, cette société vend de l'as-
surance en bas du prix coûtant, il faut moins se demander
si elle vient d'adopter une mesure trop rigoureuse que si
elle ne l'a pas adoptée trop tard.
Le "Canada," qui parle aussi de l'affaire, rappelle l'in-
dignation de certains délégués franco-canadiens à la con-
vention de Chicago pour la façon plutôt cavalière dont ils
auraient été traités " par les dignitaires et les délégués irlan-
dais et même franco-américains.^^ Cette indignation peut
être motivée. Je ne le sais pas. Mais l'incident me rap-
pelle la façon dont les Forestiers Catholiques de la pro-
vince de Québec reçurent leurs frères de la Nouvelle- Angle-
terre, quand ces derniers leur demandèrent de protester
avec eux, en 1901, contre le fameux ukase de l'ex-secré-
taireThiele, défendant aux Forestiers Catholiques de pren-
dre part au Congrès de Springfield. Ils se sont tout simple-
ment moqués d'eux. Et, ma foi, j'avoue ne pas avoir de
très fortes sympathies pour des messieurs qui sont restés
indifférents devant une question de principe et se soulè-
vent aujourd'hui sur une simple question de gloriole ou de
picotin.
Dans tous les cas, et quelle que soit la raison invoquée, il
faut plutôt les féliciter de songer à s'organiser chez eux, à
former une association qui, tout en étant catholique, soit
140 LA REVUE FRANCO -AMÉRICAINE
vraiment nationale. Seulement, s'ils fondent une société,
qu'ils la fondent sur des bases solides et n'entreprennent
pas de vendre de l'assurance à des taux ridicules. C'est à
cette condition seulement qu'ils pourront compter sur le
succès et qu'ils pourront, en fondant une oeuvre durable,
réparer la grave erreur qu'ils ont commise en confiant pen-
dant tant d'années leurs épargnes à une association qui ne
pouvait comprendre leur mentalité ni même reconnaître la
légitimité de leurs aspirations.
Tout de même, l'exemple des Forestiers Catholiques de-
vrait servir à une foule de nos compatriotes de la province
de Québec qui, enrôlés dans d'autres associations anglo-
phones, commettent la même erreur et s'acheminent vers
les mêmes déceptions,
Léon Kemner.
.:o:-
" Corporation Sole
Plaidoyer de Mtre Qodfroi Dupré, devant la commission
iégislative du Maine, le 7 mars 1911. Réponses de
Sa Grandeur Monseigneur Walsh, du Grand Vicaire
McDonough, etc. Exposé complet de la question.
(Suite)
Mgr McDonough. — Avant la corporation simple, la pro-
priété du diocèse était tenue par Tévêque. Chaque fois qu'un
nouvel évêque était nommé, il fallait se rendre au bureau
d'enregistrement, afin de transporter au nouveau titulaire
tous les titres de la propriété d'église. La nouvelle loi fa-
vorisait tout simplement une bonne administration d'af-
faires. Elle permet à l'évêque de trouver, en donnant des
hypothèques, de l'argent pour l'organisation des nouvelles
paroisses. Aussi on pouvait trouver de l'argent pour les
paroisses qui n'avaient pas de propriétés à offrir en garan-
tie. Elle permet aux jeunes gens qui se destinent au sa-
cerdoce d'emprunter de l'argent pour acquérir l'éducation
nécessaire à leur vocation; en d'autres termes elle permet aux
faibles d'emprunter aux plus forts. Les garanties offertes
par la "Corporation Sole" sont plus facilement négo-
ciables.
Le but de l'évêque Healy en organisant cette corpora-
tion fut d'avancer les affaires de l'Eglise. Il est un tout
modeste honnête homme. Le crédit d'une institution dé-
pend de l'intégrité de ses officiers. Si on veut discréditer
les officiers de l'Eglise dans le Maine, on s'est trompé d'a-
dresse en venant ici devant la Législature du Maine.
Je veux tout simplement me borner aux faits, sans perdre
142 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
de temps à lancer des feux d'artifice. La " Corporation
Sole " n'a rien à faire avec l'administration des paroisses ;
le curé est l'agent de l'évêque, mais pas celui de la '' Cor-
poration Sole."
Si l'on doute de l'honnêteté du curé, il est facile de le
traduire devant les tribunaux de l'Eglise, ou devant ceux
de l'Etat Le curé est obligé par les lois de l'Eglise à tenir
'des livres; ces livres sont toujours sujets à inspection.
M. Dupré. — Prétendez-vous qu'il ne serait pas pratique
de confier à des laïques l'administration des biens tempo-
rels de l'Eglise 1
M. McDonough. — Oh, non !
M. Dupré. — Je demandais tout simplement un renseigne-
ment.
M. McDonough. — Très bien, vous ne prenez pas mon
temps.
M. Dupré. — Vous dites que toutes les collectes sont volon-
taires }
M. McDonough. — Oui — Mais il y a une règle obligeant
le paiement — une règle de pure décence. C'est tout sim-
plement cette obligation morale qui engage les fidèles à
supporter l'Eglise dans le besoin.
M. Dupré. — Il n'est donc pas d'obligation que les prêtres
soient payés pour leurs services.
M. McDonough — Il n'y a que cette obligation morale.
M. Dupré. — N'est-ce pas une loi de l'Eglise qu'on ne
peut pas exiger de paiement pour les baptêmes et les funé-
railles ?
M. McDonough. — Oui, la loi dit de ne pas demander de
paiement.
M. Dupré. — Que diriez-vous au prêtre qui a refusé d'as-
sister un homme.
M. McDonough. — Je ne suis pas à une conférence.
Uincident se termine par une sèche admonestation de M. Du-
pré par deux membres du Comité, MM. Pattengall et Madîgan.
On interroge ensuite, à la suggestion de l'avocat de Vévêque,
M. SnoWy les représentants de deux banques ayant fait des prêts
"COKPORATION SOLE " 143
à la Corporation Sole. Ce sont M. Keegan, de Van Buren, et M
CoombSj de Portland.
M. Keegan. — Je suis intéressé dans la "Van Baren Bank-
ing Institution.
M. Snow. — Voulez-vous dire, à votre manière, M. Keegan,
quels avantages sont offerts par la "Corporation Sole."
M. Keegan. — Je puis assurément dire que la force de sol-
vabilité de la " Corporation Sole " est comparitivement plus
grande que ne le serait le crédit de plusieurs petites cor-
porations. Nous trouvons en arrière, et l'appuyant, le sen-
timent des paroissiens. Le fait même que l'évêque favo-
rise ce système devrait lui donner de la force. Et, moi qui
ai vu grandir l'Eglise catholique dans le comté d'Aroostook,
je n'ai pas eu connaissance que dans plus de un ou deux,
au plus trois cas. on se soit montré en faveur du bill qui
est devant vous. Je m'étonne qu'on ait pu obtenir avec si
peu, des résultats aussi considérables. Nous regretterions
beaucoup qu'on apportât des changements à la loi actuelle.
Ceux qui veulent des positions sur les bureaux d'admi-
nistration, sont des gens qui veulent vendre quelque chose
à l'église.
M. Poster (avocat^ des requérants). — Que dites- vous de
cette requête des catholiques de Caribou que je possède et
qui contient 150 signatures.
M. Keegan. — Je ne connais rien de cette requête.
M. Poster. — Si je suis bien informé, vous n'avez pas d'é-
coles paroissiales dans votre comté }
M. Keegan. — Non.
M. Coombs, de Portland, succède à M. Keegan.
M. Snow. — Vous représentez la Maine Savings Bank,
n'est-ce pas ? Quel effet aurait l'abrogation de cette loi ?
M. Coombs. — Je représente la '" Maine Savings Bank " de
Portland. J'ai prêté $100,000 à l'église, et je n'ai qu'un bil-
let promissoire. Si la corporation était dissoute, le résultat
serait désastreux.
M. Poster. — De quelle garantie serait le billet ?
M. Coombs. — Je crois qu'il ne serait plus qu'une faible
grarantie.
144 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
M. Poster. — Quelle garantie avez-vous pour vos $100,000.
M. Coombs. — J'ai ie billet de la " Corporation Sole."
M. Poster, — Prétendez-vous qu'avec ce billet de $I00,000>
vous pourriez aller à Biddeford, ou dans tout autre centre,
et en exiger le paiement ? Et que si on refusait vous
pourriez intenter une action contre notre église ?
M. Coombs. — Je le pourrais pourvu que la Corporation
existe ; et je pourrais saisir cette propriété.
M. Poster. — Quelle garantie avez-vous dit posséder pour
votre hypothèque .?
M. Coombs. — Rien autre chose que le billet de la " Cor-
poration Sole."
M. Poster. — Si une paroisse était organisée à Portland
est-ce que sa propreté ne serait pas aussi bonne ?
M. Coombs. — Non. — La Législature elle-même ne pour-
rait pas nous forcer à accepter cette garantie.
M. Poster. — Si la Législature peut légiférer sur cette nou-
velle corporation, ne peut-elle pas aussi voir à ce que le
paiement de ces dettes soit garanti ?
M. Coombs.— Avez-vous lu la Constitution de cet Etat du
Maine ?
M. Poster.— Oui.
M. Coombs. — Alors vous avez dû lire cette section qui dit
que personne ne sera privé de ses droits.
M. Poster. — Qu'est-ce que la Législature peut faire }
M. Coombs. — Si cette Législature décrétait que vous avez
droit d'aller au Ciel, vous ne la croiriez pas, n'est-ce pas }
M. Snow, (avocat de l'évêque). — Si cette loi (Corporation
Sole) était abrogée, quel serait l'effet sur les billets actuelle-
ment dus ? Qui pourriez-vous poursuivre }
M. Coombs. — Il ne nous resterait personne à poursuivre.
M. Snow. — Il y a soixante-douze paroisses dans l'Etat du
Maine et nous avons des contre-requêtes de soixante-sept
ou soixante-neuf. Ces contre-requêtes sont signées par les
citoyens les plus éminents des paroisses. Permettez-moi
de vous lire un paragraphe d'une lettre écrite par le curé
d'une paroisse montrant les effets bienfaisants de la " Cor-
poration Sole " pour sa paroisse et pour tout l'Etat du
"CORPORATION SOLE" 145
Maine. "Pour nous, dit-il, il n'y a qu'un pays, qu'un dra-
peau, qu'un idéal."
Messieurs, nous devrions remercier Dieu de ce qu'il y a,
dans notre Etat, une institution dont les prêtres inculquent
chaque jour à notre peuple une pareille doctrine. Nous de-
vrions remercier Dieu de ce que cette Eglise existe et que
nous possédons dans l'Etat du Maine des hommes animés
de cet esprit patriotique. Ces prêtres écrivent tous que la
" Corporation Sole " s'adresse au riche comme au pauvre.
Ce qu'ils disent ici devrait avoir un poids plus qu'ordinaire;
j'espère qu'il en sera ainsi.
La défense de Mgr Walsh
Mgr Walsh. — Qu'il plaise à votre honorable comité re-
présentant la Législature de l'Etat du Maine. Je me sens
presque chez moi, mes chers frères, en voyant ici un aussi
grand nombre des braves gens auxquels j'ai déjà prêché
dans tout l'Etat.
Nous avons dans le Maine la " Corporation Simple " re-
présentant l'autorité de l'Eglise catholique romaine. J'ai
été élevé à l'épiscopat en 1906, et j'ai pris possession de
mon évêché le premier jour de septembre de la même année.
J'ai trouvé cette loi de "Corporation Simple" en exis-
tence ici depuis 1887. Je l'ai étudiée sous la direction du
juge Putnam.
J'avais déjà une expérience de vingt-trois ans de minis-
tère dans le diocèse de l'archevêque Williams de Boston.
Je trouve aussi qu'une loi semblable existe dans le Mary-
land, la Californie, le Massachusetts, à Boston, à Fall River,
dans le Rhode Island et le New Hampshire.
Par conséquent, ce mode d'administrer la propriété, d'é-
glise fut approuvé à Baltimore par soixante-dix-huit évê-
ques. Il a été approuvé par Rome et dans votre Etat bien-
aimé du Maine. Il a l'appui de la plus haute autorité de
l'Eglise et l'approbation de la vaste organisation de l'Eglise.
Lorsque je devins évêque, je traçai mon travail trois ans
à l'avance sur un plan que j'ai, depuis, mis à exécution.
Des églises à Lewiston, Biddeford, Fort Kent, Waterville,
146 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Bar Harbor, Portland et partout dans l'Etat et en dehors
de l'Etat, ont pu être secourues à cause de l'existence de
cette loi.
Le bill présenté à la place de la "Corporation Sole *'
n'est pas pratique. Tous les avocats du Maine ne pour-
raient pas trouver un moyen de l'appliquer. Je pourrais
vous convaincre qu'il est impraticable de cent manières
différentes.
J'ai acquis beaucoup d'expérience depuis trente ans
comme prêtre et comme évêque."" Les banques nous ont fait
crédit. Elles ont accepté le crédit de l'Eglise catholique,
et l'Eglise catholique n'a jamais répudié et ne répudiera
jamais une de ses dettes.
Moi, un évêque, je ne puis pas emprunter $5,000 sans
l'approbation de mon Conseil. La " Corporation Sole " a
le pouvoir légal, mais elle n'a pas le pouvoir ecclésiastique.
Plusieurs assertions ont été faites dans les journaux de-
puis trois ou quatre, ou même cinq ans, et je les ai toutes
lues et relues plusieurs fois.
Or, je défie leur auteur, je défie qui que ce soit et appar-
tenant à n'importe quelle paroisse de ce diocèse, de m'ap-
porter la moindre preuve qu'un seul sou a été détourné. Je
déclare, sur mon serment, que je défendrai avec ma vie, que
pas un sou contribué à une église a été mal employé. Je
ne permettrais pas "qu'on mette en doute l'intégrité des
prêtres catholiques romains. Montrez-moi un prêtre qui a
détourné un seul sou, et je serai le premier et le plus em-
pressé à le citer devant les tribunaux.
Si j'avais su que l'intégrité, que l'honneur de mes prêtres
aurait été mis en doute, je ne serais pas venu ici. Ils ne
vivent pas dans le luxe, ils ne sont pas riches ; et je vous
assure, Messieurs, que dans tous les Etats-Unis il n'est pas
un groupe d'hommes plus dévoués et plus désintéressés
que les prêtres catholiques de l'Etat du Maine.
Donc, cette somme fabuleuse dont on nous a parlé est
absurde à tous les points de vue. Je ne sache pas qu'un
seul sou des collectes qui ont été faites dans l'Eglise ait
jamais été détourné de sa fin.
i
" CORPORATION SOLE " 147
On vous parle de l'orphelinat de Biddeford. Je n'ai ja-
mais eu la moindre intention d'hypothéquer une église à
Biddeford ; c'est une chose que je ne ferais pas.
Il me fait peine d'avoir à le dire, mais je suis ici pour
défendre l'Eglise. Je veux, d'après la loi actuelle, la diri-
ger d'après les lois de l'Etat, d'après les lois de l'Eglise et
lui permettre de remplir la mission pour laquelle elle a été
établie ici. Nos livres sont ouverts à la Législature en
tout temps qu'elle voudra les examiner.
// était déjà tard quand Mgr Walsh termina son discours. On
sait que la séance qui devait commencer à 10 heures du matin ne
commence qu'à 4 heures de Vaprès-midi, Malgré l'impatience
manifestée par le comité qui avait Jugé l'affaire avant d' entendre
les intéressés, le juge Foster, pour les pétitionnaires, fit une
courte réplique dont voici le résumé :
Je ne veux pas, dit-il, faire l'éloge de l'Eglise catholi-
que. Elle n'en a pas besoin. Mais, après avoir entendu la
" Corporation Sole " nous dire ce qu'elle peut faire et ne
peut pas faire, il est juste de lui donner un mot de réponse.
C'est ma position que le légiste Kent appuie lorsqu'il
dit que la "Corporation Sole " n'a besoin ni de livres ni de
secrétaire et que tous les loyers qu'elle perçoit lui appar-
tiennent.
Il n'y a pas de moyen d'atteindre l'individu constitué en
Corporation Sole, et c'est à cause de cela que nous som-
mes ici. Il n'y a pas de moyen de prouver son honnêteté
ou sa malhonnêteté. Il est sa propre loi.
J'affirme que la loi de 1887 est anti-démocratique, anti-
républicaine et contraire aux grands principes fondamen-
taux de l'Etat.
Je ne suis pas ici pour rechercher ce que l'Eglise peut
faire ou ne peut pas faire.
Tout ce que je sais, c'est qu'il y a un homme qui est au-
dessus de tous les autres et que la loi ne peut pas atteindre.
On a prétendu que la Législature ne pouvait pas consti-
tutionnellement abroger la loi. Nous n'en sommes pas en-
core rendus à ce point que nous avons de Barons et que
tous les autres ne sont que des serfs. J'affirme plus que
148 LA REVUE FRANCO -AMiRI GAINE
jamais, qu'il est inconstitutionnel que cette corporation
puisse posséder de la propriété d'après la loi de notre
Etat.
Je n'ai rien à dire contre l'évêque Healy ni contre l'é-
vêque Walsh pour ce qui est de leur intégrité comme indi-
vidus, mais comme " Corporation Simple " ils doivent s'at-
tendre à tout ce qui accompagne le système.
Nous demandons tout simplement justice, nous deman-
dons que ce qui nous appartient nous soit donné.
-:o:-
Voix d'Acadie
Le travail d'assimilation
ni
POURQUOI ?
Pour quels motifs l'auteur dépeint-il les Acadiens du
Sud-Ouest de la Nouvelle- Ecosse comme des gens opiniâ-
tres, résistant à leurs prêtres? N'a-t-il pas essayé lui-même
d'imposer ses volontés et, voyant la résistance passive,
humble mais ferme de ses paroissiens, " son caractère ne
s'est-il pas aigri dans cette lutte impuissante " Pour lui ?
Voilà ce que la génération actuelle peut affirmer. Si cette
première raison n'eût pas existé, l'auteur ne pouvait qu'in-
terroger la génération qui s'en allait quand il est arrivé et
qui avait connu M. l'abbé Sigogne. Il nous dit bien l'avoir
fait : le lecteur voit tout de suite que le livre n'est pas le
résultat de cet interrogatoire. A son propre ressentiment,
l'auteur a ajouté une amplification un peu trop forcée des
sermons de M. l'abbé Sigogne. Nul doute que s'il eût en-
core vécu, le bon abbé n'eût désapprouvé les commentaires
de son historien. Car il aimait profondément ses Acadiens,
il le dit en maintes circonstances et le prouve même par
son zèle.
L'auteur ne pouvait-il recourir à d'autres sources que
celles qu'il cite, et pourquoi ne cite-t-il pas même toutes
celles auxquelles il est allé .? — C'eût été instructif.
Pourquoi dédaigne-t-il le témoignage de vrais historiens
comme M. l'abbé H. Casgrain, Rameau de St-Père, Mgr
Têtu dans son "Journal des Visites pastorales de 1815 et
1816, par Mgr J.-O. Plessis, évêque de Québec " (Appendice
C, page 192 — ; Note, page 97) ; ce dernier ouvrage paru en
1903 et que l'auteur a dû connaître ; *' la vie de M. l'abbé de
150 LA REVUE FHANCO -AMÉRICAINE
Calonne, mort en odeur de sainteté aux Trois-Rivières,"
par les Ursulines des Trois-Rivières, imprimée en 1892 (voir
dans ce livre l'éloge des Acadiens par le saint abbé de Ca-
lonne ou par TEvêque de Québec, entre autres pages 35, 38,
46, 81).
Peut-être les Acadiens, après leur rentrée en Acadie,
ont-ils changé, leur caractère s'est-il transformé en mal ? —
A cela M. l'abbé Sigogne et M. l'abbé de Calonne, ainsi
que l'Evêque, vont répondre eux-mêmes.
Le 26 janvier 1800, écrivant à son ordinaire. Mgr Denaut,
alors évêque de Québec, M. Sigogne dit :
"A mon arrivée j'ai trouvé le peuple assez bien disposé,
fort satisfait d'avoir un prêtre français, en général peu
content des prêtres irlandais.
" Je les trouve dociles et de bonne volonté..." (Mémoire
vengeur, page 156).
Le 29 septembre 1800, Mgr Denaut écrit à M. de Calonne.
Le détail que vous me donnez de l'état actuel des mis-
sions, me réjouit et m'afflige en même temps; il est conso-
lant, sans doute, pour moi d'entendre l'éloge que vous
faites des Acadiens "si instruits de leur religion, si atta-
chés à leurs devoirs, " si reconnaissants des soins que l'on
se donne pour eux..." (Mémoire, page 160).
Le 24 juillet 1804, Mgr Denaut écrit à M. l'abbé Sigogne :
" Je vous remercie de tous vos beaux compliments : je
suis charmé de votre reconnaissance " et de celle de tout
votre peuple ;" je vous laisse la manière de me la témoi-
gner" (Mémoire, page 191).
Si le Père Dagnaud eut dit ces choses, le lecteur eût trop
compris. M. l'abbé Sigogne ne cessa point de correspon-
dre avec les saints Evêques de Québec après l'élévation du
Burke à l'épiscopat. Il n'y a pas de doute qu'il ne se fût
plaint à ceux qu'il regardait comme ses bienfaiteurs, ses
conseillers, s'il eût eu vraiment motif de se plaindre de ses
paroissiens qu'il aimait de tout son cœur, qui le lui rendi-
rent au point que, chez leurs enfants, sa mémoire est encore
en bénédiction et aussi vivace que chez la génération dis-
parue. Si l'auteur avait, comme il dit l'avoir fait, interrogé
VOIX d'acadie 151
à fond les anciens qui connurent M. Tabbé Sigogne, il
n'eût point chargé ainsi son tableau.
Le Très Révd Père Le Doré fait pressentir, dans sa belle
Préface, un autre mobile qui a dû animer l'auteur des
" Français du Sud-Ouest de la Nouvelle-Ecosse." On dit,
en effet, à la page XXI de cette Préface :
'* Grâce à une souscription de la population, aux res-
sources fournies par notre Congrégation et à une fondation
d'un de nos Pères, un beau collège fut construit au milieu
des terres appartenant à l'église Sainte-Marie. Comme la
majeure partie des frais avait été supportée par nous,
*' S. G. Mgr O'Brien consentit," en 1893, " à nous en assu-
rer la pleine propriété, et, pour cela, "il nous vendit le col-
lège et le terrain nécessaire à son fonctionnement." (Ce
qui prouve que la " Corporation Sole " sévit en Acadie).
A la page XXIII, le T. R. Père dit encore :
"En 1898, S. G. Mgr O'Brien, toujours bienveillant pour
notre Congrégation, nous aidait à pénétrer dans le Nouveau-
Brunswick."
L'auteur voulait donc peut-être payer une dette de re-
connaissance {}) à l'archevêque, peut-être se ménager ses
bonnes grâces, ou les^ deux sentiments à la fois.
Mgr O'Brien, "toujours bienveillant pour notre Congré-
gation," dit le T. R. Père Le Doré, l'était-il pour ses ouailles
de même sang, de même langue que les Pères Eudistes ?
" L'auteur des " Memoirs of Bishop Burke (Mgr O'Brien)
fait de grandes protestations d'attachement aux Acadiens
et à la langue française que ceux-ci tiennent essentielle-
ment à conserver... Ceux qui sont au courant de ce qui se
passe chez nos frères les Acadiens, n'ont pas oublié la fa-
meuse lettre que Mgr O'Brien a adressée à la grande con-
vention acadienne tenue à la Baie Sainte-Marie en 1890.
En donnant son approbation à un projet, déjà émis depuis
quelque temps, de fonder un collège à Sainte-Marie, centre
exclusivement acadien, " il reléguait le français au dernier
rang," ne préconisait que l'anglais, ne recommandait que
l'étude de cette langue ; "si bien qu'on ne peut lire cette
lettre saViS y voir une exhortation à l'oubli du français" au
152 LA REVUE FRANCO -AMl^JRIC AINE
profit de la langue anglaise. "Là était, selon lui, l'avenir
des Acadiens. (On voit qu'il a tracé la voie aux Fallon,
aux Scollard, aux Ireland, aux Bourne, etc. — V. A. L.).
" Ceux qui sont convaincus de ce fait, disait-il, et qui ne
" craignent pas de l'avouer, en s'efforçant d'inculquer
" sa pensée dans l'esprit de ceux qui doivent en bénéfi-
" cier, " que la chose leur soit agréable ou non," sont les
" vrais guides du peuple et ses vrais amis."
" La lecture publique de cette lettre produisit dans la
Convention un soulèvement d'inddgnation générale..."
Des résolutions énergiques furent votées à l'unanimité.
** Elles produisirent leur effet; car c'est depuis lors
qu'eut lieu le changement de front que l'on constate..."
(Mémoire, pages 26S-269).
Le Père Dagnaud ne souffle mot de l'indignation de la
Convention. Au contraire, il loue le zèle de l'archevêque
en cette triste occasion. N'a-t-il pas compris la lettre de
Mgr O'Brien ? — Ce serait pour le moins étrange. — Le co-
mité des prêtres du diocèse de Québec, les auteurs du
"Mémoire sur les Missions de la Nouvelle-Ecosse," etc.,
savaient à quoi s'en tenir quant à l'illustre Mgr C. O'Brien,"
" ami sincère et dévoué des Acadiens." Le Père Dagnaud
a publié son livre en 1905 ; le Mémoire vengeur sortit de
presse en 1895 : le Père Dagnaud ne devait pas ignorer cet
ouvrage auquel il semblerait avoir fait quelques emprunts
fort inoffensifs. .
UN COLLEGE ACADIEN EN N.-E.
" Le projet d'un collège acadien était émis depuis quel-
que temps," lisait-on tout à l'heure.
Le nom vénéré de M. l'abbé Gay — également Français
de France où il retourna mourir — , l'un des successeurs,
par les vertus et le désintéressement, de M. l'abbé Sigogne,
ne peut être passé sous silence. Dès 1883, pénétré de la
nécessité de l'instruction pour ses chers Acadiens, il rêvait
de se dépouiller de tout ce qu'il possédait et de son pres-
bytère même, afin d'en faire un commencement de collège.
Ils s'en ouvrit à Mgr O'Brien 'dès la première visite pasto-
VOIX d'acadie 153
raie qu'en été même l'archevêque, nouvellement élu, fit aux
comités de Digby et de Yarmouth.
" En décembre 1886, Mgr O'Brien fit les premières dé-
marches pour établir la fondation projetée " (P. Dagnaud,
p. 217), mais il échoua partout où il s'adressa pour obtenir
des professeurs. Les années 1887 et 1888 ne furent plus
heureuses.
En 1888, un prêtre anglais, dont le nom est béni chez les
Acadiens de la Baie Sainte-Marie, M. l'abbé Parker, entré
en religion en 1909, réunit quelques Acadiens dévoués et
entreprenants, parmi lesquels feu M. F. X. Vauteur, V. A.
Landry de " L'Evangéline " fondée à Weymouth depuis
un an, et autres. Cette conférence eut pour résultat l'entrée
en scène de façon très active du jeune prêtre anglais. Pré-
cisément en ce même temps, l'éminent historien du Canada
français et de l'Acadie parcourait la Nouvelle-Ecosse, pré-
parant son bel ouvrage : "Voyage au pays d'Evangéline.
MM. F. X. Vautour et V. A. Landry se rendirent jusqu'au
Petit-Ruisseau où le grand écrivain était descendu. M.
Vautour lui demanda son avis sur la création du collège.
M. l'abbé H. Casgraia se fit exposer minutieusement l'état
de cette partie de l'Acadie et, ayant tout entendu, approu-
va hautement le projet.
M. l'abbé Parker '* épousa, avec toute l'ardeur d'une na-
ture généreuse, la cause acadienne, et comprenant que les
ressources matérielles étaient ici la première condition de
succès, il appuya, de sa parole entraînante et chaude, la
souscription qu'il ouvrit» pour honorer la mémoire du Père
Sigogne par un monument digne de l'apôtre de la Baie
Sainte-Marie. L'avenir dirait quelle serait la nature de
l'hommage rendu à l'illustre défunt. La souscription ré-
pondit à l'attente et aux fatigues de son promoteur et, après
quelques mois, le Père Parker pouvait annoncer qu'elle dé-
passait 3,000 dollars " (P. Dagnaud, p. 219).
M. l'abbé Parker, dont l'ascendant sur son ordinaire
était très grand, ne se donna de repos que lorsque la cause
fut gagnée. Et, nous dit le T. R. Père Le Doré, les Eudistes
154 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
étant survenus sur ces entrefaites, ils trouvèrent Mgr
O'Brien bien disposé à leur égard.
Le vénérable M. l'abbé Gay, plus tard, sacrifia tout son
avoir pour le collège et ne demanda en retour qu'une mo-
deste rente. Le Père Ory, Eudiste, qui possédait une
grande fortune, la consacra aussi au collège, dit le Père
Dagnaud. Que les noms de ces bienfaiteurs du peuple
acadien soient éternellement bénis, ainsi que les noms
ignorés, mais que Dieu connaît et saura récompenser, de
nos compatriotes à l'aumône pl^us modique mais au cœur
très large.
Ainsi fut fondé le florissant collège acadien de la Nou-
velle-Ecosse qui, aujourd'hui, a comme Supérieur un fils de
nos martyrs, le Rév. Père Chiasson.
^ -f ^
N'est-eîle pas cruellement ironique cette dédicace du
livre en question :
" Aux Acadiens des Provinces Mariâmes — Hommage de
" sincère attachement et de respectueux dévouement. —
" P.— M. D."
Le livre a été imprimé en France. En France même il a
produit un effet déplorable. Malheureusement, tous les
Français de France ne connaissent pas i'Acadie, eux qui,
de leur propre aveu, ne connaissent même pas l'Europe.
EDUCATEURS DU PEUPLE
Le "Mémoire"' vengeur du comité de prêtres du diocèse
de Québec contient plus de quarante passages montrant
que le prêtre irlandais est insubordonné, inapte à conduire
des peuples, mais très propre à semer la discorde. Parmi
ces passages, il y a des pages entières. Ce n'est point sur
des suppositions que se basent les auteurs : ils ont en main
les archives de l'Archevêché de Québec, des documents de
la Propagande à Rome. Très souvent c'est dans les écrits
mêmes des prêtres irlandais qu'ils trouvent les preuves de
ces qualités fort... négatives !
VOIX d'acadie 155
Si l'on objecte qu'aujourd'hui, les prêtres et les évêques
irlandais, nés sur ce continent, n'ont plus la même menta-
lité que ceux d'alors qui venaient directement d'Irlande, les
faits quotidiens, ici et aux Etats-Unis, répondent haute-
ment "que le naturel d'un peuple ne se détruit pas." Inutile
d'essayer de citer ces faits à commencer des Fénians, pas-
sant par les Knights of Columbus pour arriver aux Walsh,
aux Fallon et tutti quanti. L'agitation intense aux Etats-
Unis et ici en faveur du " Home Rule." Les moyens em-
ployés dans ces différents états d'âme de l'Irlandais. Et si
l'on veut des faits plus précis, citerai-je ce curé irlandais
de la plus grande paroisse française du Nouveau-Brunswick
annonçant " en chaire," cette année 1911, une séance ré-
créative payante d'une Société mixte soi-disant catholique,
dont le profit devait aller en Irlande par le " Home Rule ?
Et ce même prêtre, le 9 avril 1911, interdisant du haut de
la chaire aux Sociétés catholiques françaises de donner au-
cune séance récréative payante si ce n'est pour l'église et
pour les écoles ! Quelles écoles? — Les écoles catholiques
françaises de la paroisse où, il y a quelques mois, de con-
cert avec des traîtres et les ennemis du nom français, ses
Hiberniens unis aux Orangistes, il a fait supprimer pres-
que totalement l'enseignement de . la langue française.
(Trois années furent supprimées sur les quatre obtenues
deux ans auparavant).— Oeuvre de discorde s'il en fut, et
qui divise aujourd'hui encore la paroisse ! — Faut-il dire ce
qui se trame, aujourd'hui encore, grâce à ces mêmes in-
fluences, pour supprimer la seule année d'enseignement de
la langne française qui nous reste dans les écoles catholi-
ques françaises 1
Quant à l'interdiction des séances récréatives payantes
portée par ce curé, ni le droit ecclésiastique ni le droit
civil ne permettent de formuler cette interdiction dans les
conditions où elle a été formulée. Les Sociétés catholiques
françaises de cette paroisse soumettent toujours au prêtre
français les pièces à jouer et le programme des séances.
C'est leur devoir — tout leur devoir — . Elles n'ont point à
156 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
s^inquiéter du veto de leur curé tant que la morale est sau-
vegardée.
L'Irlandais est le même en IQII qu'il était en l8oo. Une
rivière peut-elle remonter à sa source pour changer son
cours ? Peut-on changer le naturel d'un peuple qui, s'il
n'oublie rien des persécutions qu'il a subies dans son pays,
n'apprend rien, dans le pays de liberté où il se trouve
transplanté, au contact des autres peuples si ce n'est à les
opprim.er à son tour, lui qui était né esclave.
Les Ecossais des Provinces Maritimes en savent quelque
chose ; mais eux, du moins, ne se laissent pas béatement
piétiner cemme le fait le peuple français d'Acadie — de
presque par toute l'Amérique du Nord ! —
■4^ ^ ^
Ma santé m'ayant forcé à prendre un certain temps de
repos, je passai trois mois de l'été dernier aux Etats-Unis,
partie dans le Maine, partie en Pennsylvanie. Ce voyage
fut très fructueux... pour moi. Je pus voir de mes yeux,
entendre de mes oreilles, bien des choses relativement à la
persécution atroce de l'assimilateur à l'égard de nos frères
les Franco-Américains. Mais je puis constater aussi les
effets merveilleux que produit l'union surtout pour une
cause juste.
J'eus l'honneur et le bonheur à Biddeford, cette jolie
ville si française qui a une église et deux prêtres de notre
sang, de notre langue, pour ses milliers de fidèles, de voir
les principaux défenseurs de la cause française, MM. Du-
pré, avocat, A. J. Béland, le vaillant secrétaire de M. Dupré,
marchand en gros et en détail, Dr Geo. C. Précourt, membre
du comité de la Cause nationale, et d'autres.
M. l'avocat Dupré me fit entendre qu'il avait tout espoir
de voir réussir les démarches des nôtres tant à Rome qu'à
la Législature du Maine. En ce moment, ils jouissent gran-
dement, je n'en doute pas, de leur superbe victoire à Rome,
quelles que soient les résistances intempestives de leur or-
dinaire. Grâce à l'énergie de M. l'avocat Dupré et son co-
mité, elle est donc finie aux Etats-Unis cette hideur qui
VOIX d'acadie 157
avait nom : " Corporation Sole " ! On n'eût pu plus juste-
ment l'appeler " Incorporation of Soûls") — machine dirigée,
sous n'importe lequel de ces deux noms, contre les âmes de
ceux que l'on prétendait assimiler à tout prix, au nom de
Dieu.
Cette décision de Rome ne doit-elle pas s'appliquer, de
jure et de facto, dans bien des paroisses des Provinces Mari-
times où sévit le même abus — entre autres à Moncton —
sous le nom de "Corporation Episcopale " ? Ou nous fau-
dra-t-il, à notre tour, recourir à Rome pour provoquer le
même décret en notre faveur?...
La soif des jouissances est largement démontrée chez les
fils de la verte Erin par le " Mémoire " vengeur des prêtres
de Québec : il y en a des pages entières. J'ai entendu moi-
même, durant mon séjour aux Etats-Unis l'été passé, dans
bien des églises desservies par des prêtres irlandais, de
terribles menaces à ceux qui ne donneraient point ou pour
l'église ou pour les écoles catholiques prétendument... ou
le " Home Rule " ? L'office terminé, le curé passait lui-même
avec un sac, un homme recueillant dans un plateau ce que
chacun voulait y mettre. Le curé avait l'œil sur chaque
don... Il faisait bien voir quand ce don lui plaisait ou non !
En Pennsvlvanie, une jolie, poputeuse et assez riche pa-
roisse— mais presque entièrement peuplée d'Italiens — est
dirigée par un prêtre italien : on sait que le Pape lui-même
a donné l'ordre au Délégué Apostolique d'accorder ou de
faire accorder aux Italiens des prêtres de leur race quand
certaines conditions se rencontrent. Cette belle paroisse
est voisine de deux autres, irlandaises, mais bien moins
payantes ? Les Irlandais la convoitent donc avec grande
envie, vous le pensez bien. Ils crurent se la faire attribuer
en employant un moyen dénoncé déjà par le " Mémoire"
vengeur : tant il est vrai qu'ils sont toujours les mêmes et
le resteront. Ils noircirent le prêtre italien auprès de Mgr
Falconio, incriminant sa conduite privée... Mgr Falconio
leur répondit à peu près : " Pourquoi ne faites-vous pas ces
mêmes dénonciations contre ceux d'entre vous qui le mé-
158 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
ritent ? Je suis Italien : la paroisse du prêtre incriminé est
italienne; il y restera."
^ ^ ^
Vous allez, mon cher Directeur, fonder une nouvelle pu-
blication à laquelle je souhaite tout le succès possible, la
plus grande diffusion, particulièrement en Acadie où l'on
commence à apprécier votre indomptable vaillance, vos
nobles efforts pour nous garder Français. Je voudrais être
le premier parmi mes compatriotes à vous donner un en-
couragement, bien modeste, mais encouragement tout de
même. Sous ce pli vous trouverez un mandat- poste pour
mon abonnement d'un an à votre nouvelle publication dès
qu'elle paraîtra.
Bravo à vous, succès et prospérité à vos œuvres.
Valentin-A. Landry.
Novembre 191 1.
-:o:-
Les dewx Filles de Maître Bienaimé
(SCENES N ORIVf A.IM DES)
PAR
Marie Le Mière
(Suite)
C'était si commun cela, si " campagnard " ! Et pourtant, au
fond, elle en avait tant envie ! . . Juste à ce moment, cinq ou
six dames, habillées de mousselines et de linons, passèrent en
riant, escaladèrent, sans aucune fausse honte, les primitives
montures. . La femme du médecin, la sœur du pharmacien,
la fille du notaire : toute la haute société du bourg! Oh ! bien,
Léa n'avait plus à se contraindre ; d'un mouvement vif où
éclatèrent sa jeunesse et sa grâce, elle saisit l'une des tiges de
fer, et, dédaignant le marchepied, s'élança près de Mathilde,
sur un coursier rouge, à l'air féroce ; un signal retentit, la
musique se lit plus enti-aînante, et bientôt la rondo folle du
manège emporta Léa dans son tourbillon.
Les bêtes apocalyptiques tournaient au son de la vielle
enragée, sous l'œil des spectateurs qui s'amusaient de la bigar-
rure des toilettes, et admiraient les rangées de filles en bon-
net, amazones bien droites, bien sages, tenant à deux mains,
comme un cierge, la tige métallique, et laissant leur jupe
flotter en queue de poisson dans le courant d'air.
Léa, malgré sa vanité, fut d'abord tout entière à l'agréable
sensation d'allégement et de vitesse. Elle cherchait, dans la
foule, le groupe des Chaumel, et s'étonnait de ne plus l'aperce-
voir, quand, soudain, elle eut un tel soubresaut, qu elle faillit
tomber à bas de son cheval.
— Mathilde, cria-t-elle, en touchant le bras de sa sœur, ma
tante Amélie !
— Tu rêves !
160 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
— Non, non, regarde... Au premier rang. . La dame en
chapeau mauve. Elle nous a vues ! elle me fait signe !
Et Léa, frémissante, saluait de la tête, de la main. Par
bonheur, le tour allait finir tout de suite ! Au premier signal
de l'arrêt, elle se laissa glisser, n'y pouvant plus tenir ; mais,
étourdie encore, elle chancela, et Mme Lagarde dut étendre le
bras pour prévenir une chute.
— Oh ! ma tante, comme je vous remercie d'être venue !
Quelle surprise ! quelle joie, mon Dieu !
Un remous de la multitude les avait repoussées loin du
manège, d'où Mathilde se préparait en ce moment à des-
cendre.
— Bonjour, bonjour, mignonne, répétait Amélie, entraînant
Léa par la main, je constate que ton indisposition ne t'a pas
fait perdre tes exquises couleurs. Te voilà aussi rose que ta
robe ! Et comme tu t'amusais tout à l'heure, aux chevaux de
bois !
— Que voulez-vous ?. . balbutia Léa; faute de mieux. .
Une voix masculine, inconnue, s'éleva près d'elle :
— Je ne cherche que depuis une heure et j'ai déjà trouvé !
Allons, je n'ai pas la main trop malheureuse !
Mme Lagarde se retourna, et, pendant deux secondes, sem-
bla changée en pierre.
Si Léa l'eût regardée alors, elle eût compris que l'appari-
tion la prenait au dépourvu et n'entrait point dans le pro-
gramme ; mais Léa pouvait-elle s'arrêter à cette observation ?
Quelle stupeur ! Quel rêve ! Un Monsieur élégant comme un
prince avec ses cheveux frisés, ses gants jaunes, et le monocle
qui lui donnait un air si distingué, s'inclinait devant elle,
chapeau bas, et Mme Lagarde disait :
— Léa, c'est mon beau-fils, Roger Daubreuil.
— Mademoiselle, je vous présente mes hommages.
Jamais pareille phrase, jamais pareil salut ne s'étaient
adressés à la fille de Bienaimé Brissot ; la tête lui tourna,
comme à la descente du manège. Elle voulut répondre quel-
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIM^ 161
que chose qui rentra dans sa gorge. Les joues brûlantes, les
yeux cillant dans la lumière crue, elle s'accrocha de nouveau
à la main de sa tante, en répétant à tout hasard :
— Que je suis heureuse . . que je suis heureuse de vous re-
voir !
Boger considérait avec un mélange d'étonnement profond
et d'admiration amusée, la petite créature qui restait idéale-
ment fine, souple et jolie dans sa rougeur et son embarras.
— Comment se fait-il . . interrogeait Amélie, très contrariée
au fond, mais dissimulant à cause de sa nièce,
C'est qu'elle n'aimait pas du tout les coups de théâtre dans
la vie. Elle voulait bien étudier les chances de réussite,
mais non pas s'avancer imprudemment, et elle n'entendait
point que Koger intervînt avant l'heure, au risque de brouiller
toutes les cartes. Il fallait néanmoins faire bonne conte-
nance ! c'était, pour le moment, la seule diplomatie possible.
— Qu'est-ce que six lieues pour mon bijou d'auto, mon hi-
rondelle ! On ne voyage pas ; on part et on arrive, répondit
le jeune homme, pensant, comme toujours, pour la galerie, et-
promenant des yeux narquois sur les passants qui le dévisa-
geaient- Figurez- vous que les naturels du pays en sont en-
core à la frayeur superstitieuse devant ces machines-là ! Je
crois, ma parole ! qne j'ai vu une bonne femme se signer.
Au rire complaisant dont Roger soulignait ses propres pa-
roles, un rire frais, perlé, fit écho ; Léa s'était complètement
ressaisie, et levait vers le jeune Daubreuil son petit nez fin
ses roses pompon et ses yeux dorés.
— Depuis tantôt. Mademoiselle, reprit-il, intérieurement
flatté de cette admiration ingénue, je marche de découverte
en découverte, et d'écrasement en écrasement. Ce n'est pas
une assemblée, c'est un étoufibir. Ça ne manque pas d'intérêt
malgré tout. Il y a de la couleur locale, du pittoresque. J'ai
rencontré des types primitifs à mettre sous verre dans un
musée d'antiquités ! Les femmes ne sont pas jolies . . à part
162 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
quelques exceptions d'autant plus charmantes que la règle
générale l'est moins !
Léa rougit derechef, et se mit à tourmenter les glands de
son ombrelle. Vraiment il n'y avait que les Messieurs de
Paris pour savoir tourner les compliments d'une façon si in-
génieuse et si discrète. Devant le trio défilaient des couples
campagnards : les jeunes filles tenaient le bras de leurs " bons
amis, " beaux gars en blouse, fiers comme des Artabans.
Et voilà que Louis Chaumel pa§sa, seul, à dix pas de Mme
Lagarde ; il avait l'air préoccupé, et semblait chercher quel-
qu'un ou quelque chose ; mais la robe rose de Léa, cachée par
l'ample jupe de la tante, n'attira point l'attention du jeune
cultivateur.
— Oh ! là là ! quel colosse ! fit Roger avec sa verve mo-
queuse ; est-ce un toucheur de bœufs ? il devrait monter sur
les tréteaux, pour lutter avec l'Hercule vert de là-bas.
Une impression pénible glissa sur la jeune fille ; elle eut
envie de dire : c'est notre voisin, notre ami . . Elle n'osa
pas. . Et tout à coup Louis Chaumel lui parue lourd, inélé-
gant et vulgaire sous le complet gris qu'il portait ordinaire-
ment les dimanches d'été.
— Ma chère petite, reprit Amélie, étreinte par une gêne in-
définissable, et fatiguée de rester debuut dans cette atmos-
phère de feu, as-tu fait le tour du champ de foire ? As- tu ex-
ploré tous les coins ?
Rocrer saisit la balle au bond.
— M'est-il permis de vous ofirir mon bras. Mademoiselle,
pour vous conduire où il vous plaira d'aller ?
Cela, c'était l'apothéose !
Transportée, grisée, ravie, Léa posa vivement le bout de
ses doigts sur la manche du Parisien, en répondant avec un
élan irréfléchi :
— Où vous voudrez ! Cela m'est égal !
M&rie Le Mière. A
{A suivre.)
CHRONIQUE FINANCIERE.
Une bonne affaire pour nos amis
C'est grâce à l'appui constant de nos abonnés si la Revue
Franco-Américaine a pu faire face aux menaces, aux ennuis
et aux coups de jarnac montés par ceux qui méditent notre
perte et, jusqu'aujourd'hui, nous n'avons pu qu'offrir de la
reconnaissance à nos amis. C'est peu, si vous voulez, mais
enfin nous n'avons pas pu faire d'avantage. Toutefois, il
se présente actuellement, pour ceux de nos lecteurs qui
voudront en profiter,une occasion tout à fait exceptionnelle,-
et cela sans courir de risques, - d'acquérir des valeurs qui
seront quintuplées d'ici peu de temps. C'est en effet dans
l'intention de faire bénéficier nos amis, que nous nous
sommes rendus acquéreurs de 300,000 parts d'une com-
pagnie minière située en plein centre de Cobalt, ayant des
travaux considérables de commencés et une perspective des
plus encourageantes. C'est donc après s'être complètement
renseignés sur "The Malouf Mines, Limited" que nous
avons acquis ces 300,000 parts pour les offrir à nos amis.
Nous en céderons 150,000 à 20 cents la part, et 150,000 à 25
cents.
Nous sommes donc en état de vous dire que nous déte-
nons une valeur de tout premier ordre et qui se trouve entre
les mains de compatriotes honorables et avertis. Voulez-
vous en profiter .? . . . alors faites votre chèque payable au
pair à Montréal, à l'ordre de "The Malouf Mines, Limited"
et adressez-le, en mentionnant le nombre de parts que vous
voulez acheter à La Revue Franco-Américaine. D'un autre
côté, seriez- vous prêts à placer quelques dollars dans l'en-
treprise et désireriez-vous payer dans quelque temps } vous
n'avez qu'à faire votre chèque et le dater comme vous l'en-
164 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
tendrez, à condition que ce ne soit pas après le 1er mars
prochain, 1912. Les mines de Cobalt ont déjà enrichi un
bon nombre de nos compatriotes ; vous devez en connaître
dans votre entourage, pourquoi ne profiteriez-vous pas de
l'occasion unique qui se présente à vous aujourd'hui. "La
Revue Franco-Américaine" a audelà de 50,000 lecteurs.
Cela veut dire que vous devrez être prompts à vous décider,
tout en étant prudents, si vous voulez posséder quelques-
unes des 300,000 parts dont nous avons pris le contrôle
pour vous. "•
Un mot maintenant de Cobalt et de ses richesses. Voici
comment les mines furent découvertes : un forgeron à
l'emploi du chemin de fer de Témiscamingue et Nord
Ontario frappa une veine d'argent qui courait à la surface
du sol. La nouvelle se répandit comme une traînée de
poudre, et six mois plus tard le pays était couvert de pros-
pecteurs, et une petite ville portant le nom du minerai que
l'on avait découvert était fondée. Cela avait lieu en 1903.
En 1910, grâce aux expéditions, aux entreprises nom-
breuses, attirées par la richesse du pays, la production
totale du minerai d'argent dans la région de Cobalt attei-
gnait déjà $50,000,000. Et dans ce calcul je ne compte pas
le minerai de deuxième classe qui est en quantité énorme
sur les décharges de mines en exploitation, et qui, dans
un avenir rapproché, sera exploité à son tour, avec de gros
profits. Les mineurs ont d'abord accordé leur attention au
minerai le plus riche. Voici, du reste, les détails du rende-
ment de Cobalt pour les dernières cinq années (cantons de
Bucke et Coleman, Ont.)
1906
expédition
de
5856 tonnes de minerai
1907
t(
1485 1
it ((
1908
it
25362
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1909
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35000
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40000
H (l
donnant de $300 à $6ooo la tonne.
I
CHRONIQUE FINANCIÈRE 165
Voilà, assurément, des preuves manifestes de la richesse
phénoménale de la région. Mais cela veut-il dire que tous
les propositions minières qui viennent de Cobalt sont éga-
lement bonnes ? Pas le moins du monde.
Cette région, comme tous les grands centres miniers, du
reste, a fourni le prétexte à sa bonne part de spéculations
véreuses ; elle a produit ce qu'en termes du métier on
appelle des wild cats et des mines dans la lune. A part
cela, il y a eu certain nombre d'organisations qui ont vendu
du stock sur des minerais loués de voisins complaisants,
d'autres qui, possédant d'excellentes mines, n'ont pas
réussi parce que les organisateurs, grisés par l'assurance
d'une fortune très probable, ont mangé en folles dépenses
le capital souscrit par le public, afin d'arracher à la terre
les trésors qu'elle cachait dans son sein. Du reste, on
connaît le dicton : argent vite gagné, argent vite dépensé.
Le malheur dans tout cela, c'est que certains organisateurs
prennent pour de l'argent vite gagné, des capitaux qu'on
leur avait confiés, non pas pour faire des épattes ou de
l'esbrouffe, mais pour développer la mine dans laquelle on
avait acheté des actions.
C'est de ce genre de spéculation, on le comprend, que
vient cet esprit de défiance avec lequel on est instinctive-
ment porté à accueillir une proposition minière. Et on n'a
pas tout à fait tort. Pourtant, ceci n'empêche pas que l'in-
dustrie minière soit encore à peu près îa seule qui permette
de réaliser de très gros profits sans donner prise à la cri-
tique. Comme je le disais dans ma dernière chronique, il
faut savoir saisir par les cheveux une occasion... qui a des
cheveux, ou plutôt, il faut savoir s'intéresser à une mine
qui en est une véritable.
C'est dans ce choix qu'apparaît bien l'opportunité et l'u-
tilité des conseils que je donnais le mois dernier au sujet
des placements à faire dans l'industrie minière. Il faut sa-
voir s'intéresser à une entreprise qui offre le maximum de
chances de succès en même temps que le minimum de
risques. C'est, du reste, une règle de gros bon sens qui
s'applique à toutes les entreprises.
166 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Je lisais tout dernièrement dans les journaux l'avis par
lequel une compagnie de Cobalt déclarait un dividende
mensuel de 5%, c'est-à-dire 6o% par année, avec un bonus,
en plus. Cela prouve bien que l'industrie minière, et en
particulier celle de Cobalt, offre des chances de succès qui
valent bien qu'on y risque quelque chose. Du reste, en
prenant toutes les précautions voulues, le risque ne s'étend
plus guère que sur la marge des profits, c'est-à-dire que ce
qui, dans une mine sérieuse, est incertain, ce n'est pas le
dividende, mais le chiffre que ae dividende va atteindre.
C'est là qu'entre en ligne de compte la compétence de ceux
qui sont chargés de diriger l'entreprise. "Rien de trop",
voilà la devise qui devrait être inscrite sous les yeux de
tous les directeurs miniers. C'est avec les économies faites
raisonnablement sur le coût d'une exploitation, qu'on arron-
dit un dividende.
J. A. LEFEBVRE.
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' zaïne de chaque mois.
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par la noste. L'abonnement, invariablement payable d'avance, devra être fait par
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chèque payable à l'ordre de la Revue Franco-Américaine et au pair à Montréal,
ou bon postal.
Quand on se sert de son chèque personnel, ajouter 15 cents pour l'échange..
Pour changement d'adresse, mentionner l'ancienne et écrire bien lisiblement
la nouvelle adrc se et joindre 10 cent^ en timbres-poste.
Taux d'annonces: 20 cents par ligne agathe. Pour contrats d'annonces,
s'adressera: LA REVUE PRANCO-ArdERÎCAîNIS, 2487 case pos-
tale, Montréal.
The Malouî Mines, umited
53 RUE SAINT-JACQUES
Capital autorisé - - - - $200,000
Capital déjà souscrit - - - $100,000
Cette mine est située dans le cœur de Cobalt,
à 3 et 1-2 milles du chemin de fer Témiscam.in^e
& Northern, Ontario. Un chemin public du gouver-
nement longe la propriété.
Actuellement, les actions qui restent à vendre
sont à 20 cents, prises par lots de 25 au moins.
Aux prévoyants nous conseillons d'acheter immé-
diatement tandis que c'est le temps. Faites vos
paiements par chèque payable au pair à Montréal
ou par mandat-poste, à l'ordre de la compagnie.
Pour plus amples informations, analyses de mi-
nerais, description de la mine, rapports des ingé-
nieurs sur les opérations, etc., s'adresser à la com-
pagnie qui s'empressera de fournir tous les rensei-
gnements.
BI^ANC DE SOUSCRIPTION.
Messieurs,
Je, soussigné, souscris pour
parts entièrement acquittées et non assessables du
Capital-Actions de The MALOUF MINES Limit-
ed, pour lesquelles vous trouverez ci-inclus la som-
me de (S ) dollars
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Adresse
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DANSEREAU.— Code du Poker 10 .11
DAOUST.— Cent vingt jours de service actit) (cam-
pagne du N. O., 1885) 50 .56
BOURASSA.— Grande Bretagne et Canada, in-8 15 .20
BURTIN.— Catherine Tékakwita,in-12 20 .22
BORTHWICK.— History of the eight Montréal pri-
sons^, édition limitée, non misedansle com-
merce, 1 vol. relié, franco 1.50
POITRAS.— Refrains de jeunesse, franco 25
FERLAND.— L.e Canada chanté, i vols, in-8 illustrés 1.30 franco 1.40
DOUCET.— Contes du vieux temps, 1 vol. in-8 75 .83
BIBAUD.— Histoire du Canada, tome lit, 1878 75 .85
BIBAUD.~Un mariage forcé,(épuigé).... 10 .12
Noëll906, 05 .06
Méprise ^ 05 .06
BOIS (l'abbé).— L'Isle d'Orléans, vol. in-8, quelques
exemplaires seulement 50 .56
JODOIN & VINCENT.— Histoire de Longueuil 1.50 1.65
bERLAND.— Histoire du Canada, 2 vols, in-8 2.50 2.75
TASSÉ.— Discours de Sir G. -E. Cartier 3.00 3.40
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TANGUA Y.— Dictionnaire Généalogique, 7 vols, in-8 18.00
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canadiennes, les Nouvelles Soirées, l'Opinion publique,
le Monde illustré, la Revue canadienne, le Foyer domes-
tique, l'Album de la Minerve, la Revue de Montréal, le
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de; i<a
Revue Franco-Américaine
Case postale 2487, MONTRÉAL.
estimées, )iOll,OUOjutiy."" vernement,
ont été réalisés Jans la propriété des villes de l'Ouest en 1909.
Avez-v(.us partieipé à ces énormes bénéfices? Etes- vous celui qui a réa-
lisé un profit ou le malheureux qui en a e . a chance, mais ne pussédait pas
assez rie jug-ement pour risquer le marché? Une personne digne de sympa
thic, c'est celle qui dit : "Il y a cinq ou dx ans, j'ai acheté telle ou telle
propriété pour $100 ou $500 et elle vaut maintenant $:0,00()." Allez-vous
dire dans cinq ans d't»,,>jourdhui que voua avez acheté des lots à Poe, Alta.,
à|50ou310ti chacun, q c vouh avez réalit-é de §1,000 à $10,000 pour avoir
acheté une propriété dans c< tte ville on l'an d^ grâce 1911 ?
POE UN FUTUR ^ ENTRE COMMERCIAL.
Poe est situé sur la Y<.çr,n" principale dxi Grand-Tronc-Pacifique Pntre
Edmonton et Saskatoon. dans l'un des plus beaux districts agricoles et de»
plus peuplés de l'Ouest Canadien, possédant de riches mines de charbon ; si-
tué près de rivières et de lacs à proximité des forète. Ces ressources natu-
relles assurent aux habitants de cette ville, un coût peu élevé de la vie, et
d'une jErrande activité commerciale, chos<'s essentielles pour l'érection d'une
gi'ande ville, créant ainsi une propriété foncière de grande valeur
POE UN CENTRE DE MANUFACTURES.
Ce site de la ville et le territoire contigu a toutes les choses exigées par
les manufacturiers pou^ l'installation de grandes upines ou de grosses entre-
prises de tous Ket:rcs emplcj^ant un grand nombre de personnes. Lesriviiîres
et les lacs fournissent l'eaxi, les mines et les forêts fournissent 1.- combustible
et le matériel de conslru<^tion à bon rnarc'-'é, les terres agricoles fournissent
les produits de la ferme, de sorte que les habitan s peuvent vivre à un vrai
bon marché.
Déjà plus de 20D Icts out été vendus, et plusieurs de ces lots oot déjà
changé de mains avec une auji-mentation substannelle. La plupart de ces
lots ont été "chetés par des hom'ues d'atiàires de tout le Canada, qui main-
tenant bénéficient de leur prévoyance.
Le site de Li ville c st haut et sec et très propice à la ■construction.
L'OPPORTUNITE
ne signifie rien si vous ne possédez pas le courage d'agir. Vous pouvez pos-
séd':'r une grande sag- sse, voyager beaucoup et voir ainsi t'entes sortes de
chances de fair'- de l'argent, mais à moins que vous n'ayez le courage d'agir
sur votre pi'opre juge uent et vutre propre sagesse, ces qualités ne vous sont
d'aucune utilité.
1 e-i lots de Poe sont un bon placen.ent aux prix actuels. La ville est for-
cée de eranriir vite. Grâco aux conditions faciles de paiement, vous avez la
possibilité d'acheter.
LES TITRES TOFRENS.
NoTS possédons la ville de Poe sous le système des titres Torrens. Avec
ce système, le titre est garanti par le gouvcTnement, dès lors absolument si\r.
PRIX ET TERMES.
Les prix des lots sont de .Ç50 à $100 chacnn, et on peut les acheter aux
conditions de 10 pour cent compt?nt. la balance en dix-huit paiements égaux
mensuels ; ou le quart comptant et la balance en six, douze ou dix-huit mois.
INFORMATIONS.
Nous avons publié une circulaire attrayante donnant toutes les informa-
tions relatives à la ville et à ses perspectives, avec une carte montrant les
lots à vendre. Si voxis désirez recevoir cette jolie circulaire, détachez le cou-
pon c'-joint et adressez-nous le par le prochain courrier.
Poe est une bonne ville nouvelle où vous pouvez allez faire des afl^aires
ou pratiquer une profession.
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Et MAUJfiE vous NOOS IttSTfROKS ftMK/B'
POLITIQUE, LITTERAIRE, ARTISTIQUE
(HEBDOMADAIRE)
C'est le titre d'une publication que la " Revue
Franco- Américaine" va entreprendre pour répondre
au désir de tous les amis de la cause qu'elle défend.
Nous l'avons annoncée le mois dernier, et nous
avons déjà pour notre future publication une liste
d'abonnés fort respectable. Nous en remercions très
cordialement nos amis pour l'empressement qu'ils
mettent à nous seconder dans cette nouvelle entre-
prise. Qu'ils continuent la propagande dans leur en-
tourage, parmi leurs amis qui sont aussi les nôtres.
Le "Gaulois" publiera son premier numéro dans
quelques semaines.
Nous avertissons ceux qui désirent en posséder
la série complète, de ne pas tarder à nous envoyer
leur abonnement dès maintenant.
IvC "GAUIyOIS", revue littéraire, politique et
artistique. Grand format.
Questions d'actualité, traitées au point de vue
des intérêts canadiens-français. — Feuilletons irré-
prochables. — Une revue qui intéressera tous les
membres -de la famille et pourra être mise entre tou-
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l'œuvre de
La Revue
Franeo-
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régulier et vous
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paraît le premier de chaque mois et
s'occupe spécialement, sans se mêler à la
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'"OUS n'avez pas le temps ni le moyen de com-
battre, comme vous le voudriez, pour conser-
ver les droits acquis à notre nationalité, alors, par
votre «souscription à notre œuvre, vous aurez au
moins fait une partie de votre devoir.
T A Revue Franco-Américaine devrait se trouver
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profession, avocats, médecins, notaires, etc., dans
tous les presbytères et couvents. Elle devrait être
le ralliement, le signe infaillible que vous avez à
faire avec un patriote chaque fois que vous la verrez
dans une famille d' origine fî ançaise.
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Téléphone Main 3496 2487, case postale, Montréal
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POUR MONTREAI. ET DISTRICT
RETOUR
DES
MONTAGNES ROCHEUSES
M. A. O. Wheeler, F. R. G. S., directeur du Club Alpin du Canada,
vient de revenir à Vancouver d'un été passé dans les Montagnes Rocheu-
ses dans le voisinage du Passage Yellowhead, et il est très impressionné
de son voyage.
Dans une entrevue, M. Wheeler a ^it : " Ce fut l'impression générale
que les Montagnes Rocheuses du Canada atteij.inent leur plus grande
hauteur non loin au nord de la ligne de frontière. Kn ces dernières
années l'on a beaucoup entendu parler du Mont Robson, qui domir.e la
région du Passage Yellowhead, mais l'opinion générale était qu'il n'y
avait rien dans les environs qui valait la peine d'être vu, et que le Grand-
Tronc-Pacifique passerait dans une région très peu intéressante au point
de vue du touriste ou de l'alpiniste.
On ne se trompait pas sur le Mont Robson. Il est sans doute, comme
l'a déclaré l'un des alpinistes les plus expérimentés et les plus habiles du
jour, le Dr Norman Collie, l'une des montagnes les plus magnifiques au
monde, qu'il soit vu du sud, la vue la plus familière, ou du superbe lac
Berg, il est encore suprême. Sur le circuit de cent milles du grand
massif, on a trouvé de tous côtés des barrières de neige, des ■ grands
champs couverts de neige, des chutes de glace, des torrents impétueux,
des chutes d'eau, des prairies de fleurs et de vast-ïs étendues de belles
forêts noires. Beaucoup des sommets ont reçu des noms des arpenteurs,
mais ils sont légions, et cela prendra beaucoup d'années avant qu'ils
soient connus familièrement comme montagnes individuelles."
En parlant du glacier Robson, qui est du côté Est de la monstrueuse
montagne, M. Wheeler a dit : "Nous avons été stupéfiés de voir qu'une
chose aussi superbe, aussi grandiose existait. A nos pieds coulait la
grande rivière de glace, chaque crevasse, chaque glaçon apparaissait
clairement. Droit en face s'éle/ait le massif, sa hauteur nette de la base
au sommet était de 8,000 pieds. Des superbes prairies au haut de la
Vallée Resplendissante on comptait vingt-cinq sommets inconnus et sans
nom. On voyait partout des lacs qui offraient peut-être le charme le
plus caractéristique de toutes les Montagnes Rocheuses.
Au sommet du Passage Yellowhead, le parti de M. Wheeler érigea
un monument limitant la frontière entre l'Alberta et la Colombie
Anglaise, à l'intersection de la Grande Division. Sur la colonne dressée,
qui est entourée d'un tas de pierres, sont inscrits les mots "Colombie
Anglaise" sur le côté ouest, et " Alberta " sur le côté Est, et au bas
"3727-9S Dieds," étant l'altitude du sommet au point où la colonne est
établie." '
La construction sur la section incomplète du Grand-Tronc-Pacifique,
depuis Tête-Jaune en se dirigeant à l'ouest vers Aider, dans la Vallée
Bulkley, a été commencée, il y a quelques semaines, par les entrepre-
neurs, MM. Foley, Welch & Stewart. Les opérations sont astreintes à
la route le long de la fourche Sud du Fraser, entre Tête-Jaune et Fort
George.
Le Grand^Tronc
HORAIRE DES TRAINS PASSAGERS
QUITTANT LA GARE BOxMAVENTURE
JUSQU'A NOUVEL ORDRE.
7.16 A.M.— (Tous les jours) pour Richmoad et gares intermédiaires.
7.26 A.M.— (Tous les"} ours, dimanche excepté) pour I^aprairie, Heramingford, Ste-
Martine Jet., Howiclc, Ormstown, Huntiugdon, Fort Covingtou et Mas-
sena Springs.
8.00 A. M.— (Tous les jours) pour Richmond, Sherbrooke, Port'.and ; tous les jours,
dimanche excepté, pour L,évis (Québec.)
8.30 A.M.— (Tous les jours) pour Coteau Jet., Glen Robertson, Alexaudria, Ottawa,
Valleyfield et les points sur la division d'Ottawa.
8.31 A. M.— (Tous les jours) pour 8t-Jean, St. Albans, Burlington, Springfield, Boston
et New-York via V. C. R'y.
8.35 A.M.— (Tous les jours) pour St-Jeau, Rouses Point, Plattsburg, Troy, Albany et
New-York via Cie D. & H.
8.51 A.M. — (Tous les jours, dimanche excepté) pour Chambly, Marieville, Farnham,
Granby et Waterloo via V. C. R'y.
9.00 A. M. —(Tous les jours) "International Limitée" pour Cornwall, Brockville,
Kingston, Toronto, Hamiltou, Niagara Falls, Buffalo, Détroit, uhicago
et tous les points à l'ouest.
9.45 A.M. — (Tous les jours) pour Vaudreuil, Cornwall, Prescott, Brockville, King-
ston, Belleville, Toronto et gares intermédiaires.
1.35 P. M. — (Tous les jours, dimanche excepté) pour St-Jean, Iberville, St. Albans,
Burlington et White River Jet.
3,00 P.M. — (Tous les jours, dimanche excepté) pour St-Jean, Rouses Point, Platts-
burg, Troy, Albany ft New-York.
3.55 P.M. — (Tous les jours, dimanche excepté) pour Ste-Anne, Coteau Jet., Valley-
field, Glen Robertson, Alexandria, Ottawa et les points sur la division
d'Ottawa.
4.16 P.M. — (Tous les jours, dimanche excepté) pour St-Hyacinthe, Richmond, Lévis
(Québec), SherbrooTke et Island Pond.
4.20 P.M. — (Tous les jours, dimanche excepté) pour Vaudreuil, Valleyneld, Cornwall,
Brockville et gares intermédiaires.
4.21 P. M.— (Tous les jours, dimanche excepté) pour Laprairle. Heramingford, Ste-
Martine Jet., Howick, Ormstown, Huntingdon et Fort Covington.
4.50 P.M. — (Tous les jours, dimanche excepté) pour St-Jean, Rouses Point, et gares
intermédiaires.
4,55 P.M. — (Tous les jours, dimanche excepté) pour Chambly, Marieville, Farnham,
Frelighsburg. Granby et Waterloo.
5.20 P.M. — (Tous les jours, dimanche excepté) pour St-Hyacinthe, et gares inter-
médiaires.
5.30 P. M. —(Tous les jours, dimanclie excepté) pour St-Jean, Iberville et St-Aîbans.
6.25 P.M.— (Tous les jours, dimanche excepté) pour St-Lambert, Chambly, Marie-
ville et St-Césaire.
7.25 P. M. —(Tous les jours) pour St-Jean, Rouses Point, Plattsburg, Troy, Albany
et New-York via Cie D. & H.
7.30 P.M.— (Tous les jours) pour Cornwall, Brockville, Kingston. Belleville et To-
ronto.
8.00 P.M. — (Tous les jours) pour Coteau Jet., Alexandria, Ottawa et les points sur
la division d'Ottawa.
8. 15 P. M.— (Tous les jours) pour St-Hyacinthe, Richmond, Lévis, (Québec), »Sher-
brooke, Island Pond et Portland.
8.30 P. M.— (Tous lesjours) pour St-Jean, St-Albans, Burlington, Springfield, Boston
et New-York via V C. R'y.
10.30 P.M. —(Tous lesjours) pour Brockville, Kingston, Toronto, Hamiltou, .Viaga-
ra Falls, Buffalo, London. Détroit, Chicago et tous les points à i'ouest.
Pour billets, taux, mappes, indicateurs, wagons-lits, et toute autre information,
s'adresser au bureau de la compagnie, 130 rue St-Jacques, Tél. Main 6905, ou à la
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Montréal, Manchester, Nashua,
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Montréal, Toronto, Détroit et Chi-
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Un montant de $2.00 paiera un abonnement d'un an à la
REVUE FRANCO-AMERICAINE.
L'abonnement et le renouvellement des étrennes chaque mois.
Il n'y a pas de meilleur moyen de se rappeler aux amis.
ï
L'ILLUSTRATION
Supplément de "La Revue Franco-Américaine"
ol. VIII. No 3.
Montréal, 1er Janvier 1912
M. LUDGER GrAVEI.
Président de la Société des Artisans Canadiens-Français.
M. U. H. Dandurand
MM. Dandurand, Marcil et Laval lée
sont candidats à la mairie de Montréal.
Cette pléthore de candidats cana-
diens-français pourrait peut-être induire
le maire irlandais actuel, M. Guerin, à
se faufiler pour un nouveau terme.
Pendant que l'on se battrait entre nous,
il ferait sanctionner par une minorité,
devenue majorité, ses histoires de
course aux successions, de drapeau
irlandais sur l'hôtel-de-ville, de voyage
du collier du maire, etc., etc.
M. Gko. Marcil
Les portraits que nous reproduisons ici gra-
tuitement, nous ont été fournis par les candi-
dats eux-mêmes. Certains compareront la po-
pularité du candidat avec la grandeur du por-
trait. "D'autres diront ; qui s'agrandit sera
rapetissé, qui se rapetisse sera agrandi
M. I,, A. Lav ALLÉE
G C
© y
O
Pi
ivE Mont Hardisty
Chaîne de montagnes rocheuses, le long de la rivière Athabaska,
sur le parcours du Grand-Tronc-Pacifique.
Au bord^du^Lac Maligne,
Survie parcours du Grand-Tronc-Pacifique.
Avis à nos abonnés
A portir du 1er mai 1912 Je prix d'abonnement à
LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
sera uniforme, tant pour le Canada que pour l'étranger,
soit iii^2.00 par aneée.
De plus la Revue se voit obligée de
RETRANCHER DE LA LISTE
ceux de ses abonnés qui n'auront pas payé leurs arré-
rages et (jui ne paieront pas davance pour l'année
1912-1918.
EN VOICI LE POURQUOI :
Environ 200 amis de la Revue négligent chaque an-
née de payer à temps leur abonnement et par là nous
forcent à tenir des livres. Conséquence : en dehors de
ces 200 amis, 800 à 400 individus qui se sont abonnés
par lettre — et qui doivent être habitués à faire ce petit
jeu avec tous les journaux — en profitent pour ne jamais
payer. Depuis la fondation de la Revue nous avons,
par ee ])rocédé, perdu
A^u-delà de $2,000
Nous trouvons que c'est trop et nous avons décidé de
prendre le seul moyen radical : l'abonnement payable
d'avance. Que nos vrais amis, retardataires ou négli-
gents, ne se formalisent pas, mais qu'ils songent à ce
qu'ils feraient s'ils étaient à notre place.
LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
B
onne année !
L'apparition de l'année nouvelle est le signal de réjouis-
sances sans nombre auxquelles nous nous empressons de
nous joindre. Et nous voulons croire qu'à cette époque si
admirablement dominée par l'effusion des sentiments affec-
tueux, par le triomphe de l'universelle bonté, les amis de
la Revue auront pour agréable l'expression des vœux très
sincères que nous formons pour leur bonheur et la réalisa-
tion de leurs plus chères espérances.
Formés à la même école batailleuse et patriotique, soli-
daires des mêmes revendications et aussi des luttes parfois
ardentes que ces revendications soulèvent, aussi peu sou-
cieux d'éviter les coups que l'amour de la vérité nous attire
que peu désireux de tenter, par un faux amour de la paix,
le moyen pusillanime des temporisations ruineuses, nous
croyons répondre à un désir universellement ressenti, en
convoquant la grande famille de nos lecteurs et amis au-
tour de l'idée qui noivs réunit depuis quatre ans et en les.
invitant à formuler pour une cause chère les souhaits qu'ils,
se sont déjà faits les uns aux autres.
Du reste, on ne lutte pas impunément pour le triomphe,
d'un idéal commun. Il coule de l'ensemble des sacrifices
faits, des dangers courus ensemble, des défaites mêmes
essuyées sans découragement, une source profonde de sym-
pathie, qui relie plus étroitement les cœurs après avoir
consacré l'union harmonieuse des esprits.
L'œuvre poursuivie avec ardeur et, aux yeux de plusieurs,
avec acharnement, par la REVUE FRANCO-AMERICAINE,
a subi, je ne le cache pas, des assauts terribles pendant
l'année qui vient de s'écouler. Mais, comme on me l'a fait
observer plus d'une fois, les situations les plus compliquées
ne sont jamais si près de leur solution définitive que lors-
qu'elles paraissent le plus tendues. Et c'est bien ce qui
fait entrevoir à travers les événements des derniers jours
168 LA REVUE FRANCO-AMTtRICAINE
la marche lente, mais toujours sûre, de la vérité et du droit
vers le triomphe final.
Sans doute, si nous faisions la revue de nos questions
nationales pour en calculer le progrès, nous serions tentés
de dire que beaucoup de causes ont succombé sous des
coups moins terribles et moins nombreux que les assauts
livrés contre les points réputés les plus forts de notre orga-
nisation nationale. Est-ce la première fois que les conseils
des pusillanimes ont prévalu } Nous tenons encore pour
cette doctrine qu'il n'y a pas de djoit contre le droit. Et,
pour ma part, je ne constate pas sans un sentiment irré-
pressible de satisfaction que les am.is de la " petite paix"
en sont encore réduits, malgré l'autorité de leur voix ou l'é-
clat de leur nom, à discuter l'opportunité de certaines pa-
roles ou le ton de certains actes. Cela prouve que si la vé-
rité met du temps à se faire jour, elle reste, en dépit de
tout, solidement assise et inébranlable sur ses positions. La
Providence se chargera bien de faire le reste. Aux patriotes
de ne pas oublier que si la Providence ne ménage pas sa
protection à ceux qui l'invoquent, elle veut aussi que l'on
s'aide.
Et quel autre. souhait plus pratique peut se dégager de
ce qui précède, si ce n'est un souhait de courage, de fermeté
d'initiative ? C'est le souhait qui demeure, c'est celui que
nous aimerons à retrouver demain, avant de reprendre
notre tâche interrompue par le culte donné aux sereines
joies de nos foyers ; c'est celui que nous voudrons revoir à
l'aube des luttes qui s'annoncent, ouvriers de la foi, ouvriers
de la race, arrêtés en prière devant un berceau portant sur
un peu de paille le Roi du monde; c'est lui qu'il vous
plaira d'entendre, pasteurs avant de reprendre vos hou-
lettes, écrivains avant de reprendre vos plumes, poètes
avant de reprendre vos lyres, patriotes avant de reprendre
le sillon que vous creusez avec espoir dans le vaste champ
du Maître !
J.-L. K.-Laflamtne.
.e givre
Depuis un mois il neige à flots. La nuit dernière
Il a plu. Maintenant sous la froide lumière
Du soleil hivernal le givre immaculé
Etincelle aux rameaux du grand bois constellé.
Quel séduisant tableau ! quelle vaste féerie !
Chaque fourré devient une cristallerie ;
Et les blancheurs du lait, de la nacre, du sel,
De l'onyx, de l'argent, de la nappe d'autel,
Sur les branches du pin, du chêne et de l'érable
S'entremêlent dans une harmonie ineffable.
Parfois des rayons d'or frappent l'arbre qui luit,
Et l'on dirait alors qu'au milieu de la nuit
Une fée a touché du bout de sa baguette
Les fûts de la forêt solitaire et muette.
En a fait les piliers d'une église sans nom;
On songe au merveilleux temple de Salomon,
Aux trésors apportés du Pérou par Pizarre.
Parfois sur ces piliers d'agate et de carrare
Une ombre passe et fait s'évanouir soudain
Le vif scintillement de ce nouvel Eden.
Et le bois assombri, que nul souffle n'agite.
Devient la grotte où pend la blanche stalactite;
Le soleil, mi-voilé d'un nuage blafard.
Entre d'épais massifs glisse un tremblant regard,
Tandis qu'aux alentours un feu d'apothéose
Sur les rameaux vitreux met une lueur rose
Projetant sur la neige un reflet de vermeil.
Mais un nuage encor nous cache le soleil :
Le morne clair-obscur des vieilles basiliques
Filtre à peine à travers les fûts mélancoliques
Du temple indescriptible habité par l'Hiver;
Puis tout à coup des traits lumineux fendent l'air,
170 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Et, frappés par ces traits comme par un bolide.
Le frimas étoile, le glaçon translucide.
Reprennent leur éclat; et notre œil éblou
S'enivre de nouveau d'un spectacle inouï.
Que ne saurait décrire aucune langue humaine
Quel prodige !... Toujours une nouvelle scène
Du long panorama dessiné par le gel
Se déroule au sommet du grand bois solennel.
Comme un drapeau géant tissé de blanche soie
Sous la mitraille d'or du soleil qui flamboie.
Tantôt, aux vifs rayons qui pleuvent du ciel bleu,
L'immensité s'embrase : on croirait que le feu
Dévore, comme en juin, la forêt centenaire.
Tantôt, dans plus d'un arbre inondé de lumière.
Par un mystérieux et magique travail,
La branche se transforme en rameau de corail.
Tantôt le chêne altier, qu'hier tordait Eole,
Prend l'aspect d'une immense et riche girandole
Tout ce que le ciseau patient du sculpteur
Dans le marbre glacé sait créer d'enchanteur
En ciselant le lis, le lotus et l'acanthe,
Scintille sous les arcs de la forêt géante.
Tout ce que le ciseau du maître à l'œil de feu
Peut, comme un blanc reflet de la maison de Dieu,
Déployer sur le mur qui doit porter la fresque.
Est bien pâle à côté de ce tableau dantesque
Mais peut-être demain le grand flambeau des cieux
Fera fondre les fleurs du givre radieux.
Et tout ce vaste éclat de prodige et de rêve
Devra passer ainsi que la jeunesse brève
Qui, reflétant les feux du soleil des amours,
Eblouit un instant et s'éteint pour toujours.
W. Chapman.
Les origines de notre histoire
parlementaire
Lacunes dans les comptes rendus du parlement anglais
au X Ville siècle.— Comment il serait possible de les
combler. — Découvertes faites par M. Paul Mantoux.
—Le français langue des tribunaux en Angleterre
jusqu'en 1731.
Personne ne contestera au Parlement de la Grande-
Bretagne le titre que lui a décerné l'histoire. Cette auguste
assemblée est bien " la mère des parlements." De toutes
les anciennes comices féodales c'est la seule qui se soit
normalement développée. Depuis la conquête normande,
on peut suivre son évolution de siècle en siècle jusqu'à nos
jours. Nous possédons pour cette étude deux documents
précieux : "L'Histoire parlementaire," compilation de Cob-
bett, en trente-six volumes, publiée en 1806, et embrassant
la période de 1058 à 1804, et les comptes rendus parlemen-
taires de Hansard et de ses successeurs, formant une suite
ininterrompue de 1804 jusques à aujourd'hui : (l)
L'historien soucieux de la précision scientifique peut
accepter presque sans réserve les comptes rendus du dix-
neuvième siècle. Us sont suffisants ; les lacunes graves, les
erreurs absolues y sont rares. Oa ne saurait en dire au-
tant de l'histoire parlementaire de Cobbett, et cela pour
plusieurs raisons. Cette œuvre considérable devait néces-
sairement s'appuyer sur des sources plus anciennes, dont
elle n'est en fait qu'une collection ordonnée et jusqu'à un
certain point contrôlée par les compilateurs. Les ''jour-
naux" (procès-verbaux) de la Chambre des Lords et de la
Chambre des Communes, dont la publication commença
(1) lyuke Hansard n'était que l'imprimeur des débats, mais la série
n'en porte pas moins son nom.
172 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
vers le milieu du dix-huitième siècle, — mais dont la série
authentique remonte beaucoup plus loin, — nous donnent
bien le texte des motions et des amendements, ainsi que le
résultat des votes ou divisions ; et à ce point de vue " l'his-
toire parlementaire " est irréprochable. Elle laisse, par
eontre, beaucoup à désirer pour ce qui est des débats pro-
prement dits dans les deux Chambres, jusqu'à la fin du dix-
huitième siècle. L'absence des discours historiques de
certains, grands parlementaires est particulièrement re-
grettable.
Avant le dix-neuvième siècle, celui qui osait publier les
débats du parlement se trouvait par ce fait coupable d'un
délit et passil)le d'amende et d'emprisonnement. Pour être
admis à assister aux séances, il fallait obtenir un permis
spécial et cette faveur était, la plupart du temps, réservée
à de grands personnages, parmi lesquels il faut mention-
ner particulièremenc les diplomates accrédités des puis-
sances étrangères.
Naturellement, le public désirait vivement se tenir au
courant de l'œuvre législative et du mouvement politique.
Aussi, malgré l'interdiction, s'est-il trouvé, à toutes les
époques, mais dans l'avant-dernier siècle surtout, des gens
qui ont transcrit, tant bien que mal, certains discours im-
portants et qui se sont efforcés de fixer la physionomie de
plusieurs séances mémorables. Dans ces comptes-rendus,
imprimés tels quels par Cobbett et ses collaborateurs, les
lacunes sont innombrables. C'est ainsi, pour ne citer
qu'un exemple en passant, que les grands discours du pre-
mier Pitt (Lord Chatham) n'y figurent en aucune façon et
semblent perdus pour la postérité, la censure étant devenue
très sévère à l'époque la plus brillante de sa carrière.
D'autre part, les collaborateurs parlementaires du London
Magazine et du Gentleman' s Magazine^ où sont surtout con-
signés ces articles, n'assistaient pas toujours aux séances à
cause du huis-clos qui excluait souvent le public, et aussi
des huissiers qui connaissaient les nouvellistes et qui les
faisaient sortir sous le moindre prétexte. Ceux-ci se ren-
seignaient comme ils le pouvaient et faisaient souvent
LES ORIGINES DE NOTRE HISTOIRE PARLEMENTAIRE 178
œuvre d'imagination. Ce jugement n'a du reste rien de
désobligeant pour ces écrivains qui, entourés de difficultés
presque insurmontables, ont cependant réussi à produire
une oeuvre historique, précieuse en somme, bien que très
incomplète et souvent inexacte. Dans ces conditions, il
n'est pas surprenant que la plupart des discours qui nous
sont ainsi parvenus paraissent ternes ; mais, d'autre part,
ils s'élèvent parfois à une haute éloquence sous la plume
d'un homme supérieur comme Samuel Johnson, sans être
pour cela plus authentiques. C'est Johnson lui-même qui
nous en avertit sous une forme assez plaisante dans ses
mémoires, (i) Il reste donc acquis que les sources connues
jusqu'à présent des anciens débats du Parlement laissent
beaucoup à désirer.
Regrettables au point de vue général de l'histoire, ces la-
cunes sont vraiment déplorables en ce qui regarde les ori-
gines de la domination anglaise au Canada. On trouve-
rait en effet dans l'histoire parlementaire complète du dix-
huitième siècle la genèse de cette politique qui a préludé à
la conquête, et aussi celle de toutes les anciennes luttes cons-
titutionnelles dans notre pays. Même dans son état in-
complet nous pouvons y relever des faits importants, no-
tamment cette loi si intéressante de l'année 1731 décrétant
" That ail proceedmgs in Courts of Justice shall he in the Efiglish
anguâgeJ' Mesure capitale au point de vue de la langue
dont on devra se servir dans la colonie qui sera conquise
trente ans plus tard. Les adversaires du " bili," dit l'his-
toire parlementaire, affirmaient qu'une telle loi ferait per-
dre la tradition légale tout en multipliant outre mesure le
nombre des avocats. On leur répondait que la tradition
ne courait aucun danger et qu'on saurait bien limiter par
d'autres mesures le nombre des hommes de loi. Et voilà
tout. Ce sont, on le voit, des généralités qui n'éclairent
que faiblement.
(1) Dans la préface des débats rapportés par Henry Cavendish, M. P.
(1768-1771) reconstituant en partie " The Unreported Parliament," il
est dit : " Au moins celui-ci n'était pas exposé à être mis à la porte au
milieu d'un discours."
174 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Pourtant, le seul fait qu'il y eut opposition à l'usage ex-
clusif de la langue du pays dans les plaidoiries, indique
déjà quelle large place le français occupait encore à cette
époque dans la vie publique en Angleterre. Les expres-
sions et les formules parlementaires, celles du Conseil
privé, les vocabulaires aristocratique, militaire, municipal
et surtout judiciaire venaient de source française et la
langue elle-même subsistait jusqu'à un certain point. Avant
1731, disent Pollock & Maitland, dans leur histoire du
droit anglais, on se servait du latin et du français comme
de l'anglais devant les cours de justice.
Séance mémorable, certes, que celle où s'est accomplie
cette espèce de prise de possession de la langue nationale.
La date relativement récente de l'événement explique
peut-être l'exclusivisme absolu et intolérant du parler
qu'on remarque dans certains milieux anglo-saxons. On
a dû pourtant, au cours du débat, faire observer que s'il
était juste et avantageux de s'en tenir à la langue nationale
en Angleterre, il serait, par contre, malheureux d'oublier la
française dont elle dérive en si grande partie. L'anglais
classique, dit-on à Oxford, s'inspire du latin et du français
comme du saxon. Ces sources diverses l'enrichissent et en
font un instrument perfectionné pour la transmission de la
pensée.
Qu'il eût été intéressant de connaître sur ce point l'avis
de Walpole, de Pelham, de Wyndham, de Pulteney et sur-
tout de Chatham, au moment où il se préparait à une lutte
à mort contre la suprématie française, Chatham dont le
geste dominera à jamais la destinée du nouveau monde,
changée par ses efforts.
Mais ce n'est là qu'un point de vue spécial. Nous plaçant
sur un terrain plus élevé, n'est-il pas manifestement im-
portant de pouvoir suivre de très près le fonctionnement
du parlementarisme dans une crise vitale comme celle
provoquée par Chatham ? Bien que gênée par l'ingérence
d'un monarque capricieux, l'institution se révéla puissante
en face du régime absolutiste français soumis à toutes les
influences corruptrices et désorganisants. Nous savons
LES ORIGINES DE NOTKE HISTOIRE PARLEMENTAIRE 175
cela d'une manière générale, mais les détails nous font
défaut.
Afin de pouvoir juger de la portée de l'oeuvre accomplie
plus tard par le groupe constitutionnel canadien, n'est-il
pas essentiel de connaître le fond de la pensée de Chatham
et celle de son fils, plus grand encore ? Ils incarnent tous
deux l'aspiration de ce peuple qui, suivant l'ambassadeur
français Nivernois, " se compare volontiers aux Romains,
qui possède effectivement leur orgueil et leur entêtement,
en même temps que l'âpreté et l'égoïsme des Carthagi-
nois." (l) On connaît l'esprit qui animait alors les vain-
queurs, dont quelques-uns prétendaient pousser les consé-
quences de la conquête du Canada jusqu'à dépouiller les
seigneurs et toute la population du Canada et de l'Acadie
de leurs propriétés en terres (2). La connaissance des dé-
bats qui ont manifesté cet état d'esprit serait utile. On
saurait mieux alors la vraie nature de ces ressentiments que
les Canadiens eurent à vaincre par leur attitude calme et
conciliante, mais ferme et comportant l'adaptation à leurs
besoins de l'admirable instrument de gouvernement que
leur apportait l'Angleterre.
Toute l'histoire, toute la vie nationale canadienne
tiennent ainsi par certains côtés à cette époque
mal connue de l'histoire parlementaire britannique.
Les sources anglaises semblent épuisées. "La vie de
Chatham, dit Lord Roseberry, est extrêmement difficile
à écrire ; à vrai dire on ne pourra jamais l'écrire," (3) Green,
Macaulay, Thackeray et plusieurs autres constatent le
même fait, non seulement pour la carrière de Chatham,
mais pour toute l'histoire parlementaire de 1737 à 1800,
époque qui nous intéresse particulièrement. C'est en 1737
que Chatham entre en scène et que commence le duel tita-
nique qui valut à l'Angleterre la possession de l'Amérique
française. Pour comprendre dans quelles conditions s'est
(1) Archives du ministère des Affaires étrangères, Tome 447 (1763).
(2) (Ibid).
(1) Lord Chatham, his early life and charaeter, London, 1910.
176 LA REVUE FRANCO -AMÉRICAINE
faite la lutte, et nous rendre compte de la situation où s'est
trouvé, à la paix, le groupe français resté dans la colonie,
il faudrait savoir aussi exactement que possible ce qui
s'est passé au Parlement avant et après cette époque.
Or nous constatons que cette période de l'histoire parle-
mentaire est particulièrement difficile à rétablir. De 1730
à I743> les collections du London Magazine et du Gentleman^ s
Magazine sont peu sûres et ne touchent guère aux questions
qui nous intéressent le plus. De 1743 à 1774 la collection
Almon, qui fait suite aux rapports de Samuel Johnson,
laisse encore plus à désirer. Nous arrivons ainsi, toujours
dans les ténèbres, ou plutôt dans un crépuscule historique,
jusqu'à l'époque de l'Acte de Québec (1774) et de l'Acte
Constitutionnel (1791).
Telle est la situation. Comme on le voit, il y a là une
réelle lacune à combler. Est-il possible de reconstituer ces
débats parlementaires qui éclaireraient d'une si vive lu-
mière certains côtés de notre histoire? Peut-être, jusqu'à
un certain point, pouvons-nous répondre. Il existe, en effet,
d'autres sources auxquelles l'on ne semble pas avoir songé
en Angleterre.
Nous savons que les ambassadeurs et certains autres
membres du corps diplomatique se trouvaient parmi les
privilégiés admis aux séances du parlement. Or les am-
bassadeurs ont pour mission de renseigner leurs gouverne-
ments sur ce qui se passe dans les pays auprès desquels ils
sont accrédités. Il devait en être ainsi surtout à cette
époque où les feuilles publiques étaient bien rares et les
comptes rendus officiels inconnus. Deux grands souverains
régnaient alors en Europe : Catherine, en Russie, et Frédé-
ric, en Prusse. Tous deux avaient un intérêt direct à con-
naître par le menu ce qui se passait au Parlement Anglais.
La Prusse, l'Autriche, la Hollande touchaient des subven-
tions pour combattre la France. La France elle-même,
faisant face à l'Europe, devait exiger de son représentant
des renseignements détaillés.
Nos archives n'ont encore rien recueilli à ce sujet.
L'abbé Verreau a dépouillé les années 1761, 1762, 1763 et
LES ORIGINES DE NOTEE HISTOIRE PARLEMENTAIRE 177
1764 des archives du ministère des Affaires étrangères de
France. Mais son travail, bien que fort important, ne
touche en aucune manière aux débats parlementaires
anglais, car il s'est attaehé surtout à l'époque où ces comp-
tes rendus étaient interrompus à cause de la guerre qui
avait naturellemeat mis fin aux relations diplomatiques.
D'autres chercheurs sont allés plus loin et nous savons
aujourd'hui, qu'en France au moins, il existe toute une sé-
rie de comptes rendus parlementaires anglais inédits. Un
écrivain distingué, M. Paul Mantoux, porte à notre atten-
tion dans un livre récent (l) l'importance de la "corres-
pondance politique " dans la série " Angleterre " des Ar-
chives du ministère des Affaires étrangères de France.
Cette correspondance, dit-il, contient de nombreux comptes
rendus du Parlement anglais inégalement repartis parmi
les volumes du XVIIIe siècle. Leur importance historique,
ajoute t-il d'ailleurs, serait médiocre, si nous possédions
d'autre part un texte complet et sûr des débats parlemen-
taires antérieurs au XIXe siècle. Nous avons déjà constaté
que ce texte n'existe pas.
Mais, fait observer M. Mantoux, "si ces comptes-rendus
sont parfois courts et incomplets, la plupart ont, en re-
vanche, la valeur de témoignages directs provenant quel-
quefois de sources officielles et qui, dans tous les cas, n'ont
nullement été empruntés aux publications anglaises." De
nombreux détails sur les séances, sur la manière de s'ex-
primer des orateurs et surtout le fait que les dépêches arri-
vaient hebdomadairement à Paris, tandis que les maga-
zines anglais ne paraissaient que chaque mois, établissent
clairement ce point. En les comparant avec l'œuvre de
Cobbett, on constate que certains débats transmis en France
ne se trouvent pas dans "l'histoire parlementaire," que
d'autres sont plus détaillés et plus précis dans les dépêches
de l'ambassadeur de France. Voilà ce aue révèle un
(1) Notes sur les comptes rendus des séances du parlement anglais du
XVIIIe siècle conservés aux Archives du ministère des Affaires étran-
gères. In-i2. Paris. V. Giard et E. Brière, éditeurs, 1906,
178 LA REVUE FRANOO-AMÉRICAINE
examen sommaire. Le livre de M. Mantoux contient des
extraits fort intéressants mais qui ne touchent pas directe-
ment aux choses canadiennes, car il ne se place pas au
point de vue spécial qui nous occupe.
Il serait certainement fort utile de faire le dépouillement
de ces pièces pour enrichir nos archives, et de consulter
aussi les archives d'autres pays, en autant qu'elles peuvent
être accessibles, pour découvrir la nature des renseigne-
ments qu'on envoyait à Frédéric, à Catherine et à d'autres
souverains. Même si nous n'y tVouvions pas de documents
portant directement sur notre pays, elles offriraient cer-
tainement un grand intérêt au point de vue de l'histoire et
des traditions parlementaires de la Grande-Bretagne qui se
perpétuent et se continuent au Canada comme dans la mé-'
ropole, avec des adaptations et même, disons-le, des amé-
iorations qui ajoutent encore à l'importance et à la saveur
de ces records anciens.
Errdi Bouchette.
-:o:-
Voix d'Acadie
Le travail d'assimilation
TV
L'Irlandais est bien toujours et partout le même. Le
" Mémoire " vengeur du comité de prêtres de Québec, réfu-
tant les calomnies d'OBrien, archevêque de Halifax, contre
l'épiscopat de Québec, montre de façon irréfutable la mau-
vaise foi unie à la méchanceté froide de ces obligés des
Français; Inutile, à ce sujet, de rappeler l'entrevue accor-
dée à l'envoyé d'un journal de Montréal par l'évêque Walsh,
entrevue rapportée dans le numéro de ce journal du / no-
vembre dernier. Mgr Vv^alsh y proteste de son tendre amour
pour les Français. Qu'eût-ce été. Seigneur, s'il les eût
haïs ?... On songe à ce fait conté par M. l'abbé Lacroix, de
Paris, il y a quelques années, dans son livre : Yankees et
Canadiens, publié à la suite du voyage ici fait par ce prêtre
distingué vers 1892, si la mémoire de l'ami qui me cite ce
fait est fidèle. M. l'abbé Lacroix raconte donc qu'au Ca-
nada il a eu l'honneur de faire un assez long trajet en che-
min de fer en compagnie de Mgr Cameron, évêque d'Anti-
gonish. Apprenant que M. l'abbé Lacroix était de Paris,
l'évêque lui dit avoir une grande portion de son troupeau
de langue française. Il protesta de son amour pour la lan-
gue et pour son peuple français (du Walsh tout pur!).
Mais j'appris plus tard," continue M. l'abbé Lacroix, "que
cet évêque persécutait ces Français qu'il m'avait dit tant
aimer. Et si j'eusse connu ce fait avant ma conversation
avec lui, je ne me fusse point fait défaut de lui nanifester
ma surprise et mon indignation." Mgr Cameron était un
des rares Ecossais à l'esprit étroit qui avaient épousé la
haine du Français à l'école de l'Irlandais. On se souvient,
au Canada comme en Acadie, des mauvais traitements que
180 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
cet évêque fit subir aux meilleurs de nos prêtres acadiens
de son diocèse ajoutant foi aux enseignements de l'Ecri-
ture sainte dans son récit du grand prêtre Matathias et de
ses fils les Macchabées. M. l'abbé Guillaume LeBlanc, d'Ari-
chat, mort en 1907, fut sa dernière victime.
En passant, faisons aussi observer que ce fut cette même
méchanceté froide de Mgr Cameron, uni à son métropolitain
l'archevêque O'Brien (toujours !), qui poussa ces deux pré-
lats à enlever à Arichat le siège de l'évêché le 23 août
1886, parce que cette ville était ^trop française, pour trans-
porter ce siège à Antigonish, dans des conditions de véri-
table injustice relativement à certains fonds...
Ce dernier point est aussi dans les traditions constantes
des Irlandais. Lisez, dans le "Mémoire" vengeur, les
vols commis au détriment des nobles Evêques de Québec
"qui n'avaient même pas où poser la tête," par ce Jones,
grand vicaire d'Halifax, prédécesseur de l'Edmund Burke.
Cela commence dès la page 80, puis l'accusation se précise
avec preuves à l'appui pages 90, 91, 92, 93. A la page m,
on prouve clairement le désir de Burke de mettre le grappin
sur l'argent auquel, d'aucune manière, ni comme homme
ni comme prêtre, il ne peut toucher. Voyez ensuite à la
page 119 la haine que voue ce prêtre au prêtre canadien-
français qui a fait échouer d'autres plans de rapine, de
fiibusterie du futur évêque d'Halifax. A la page 133, Mgr
Hubert, évêque de Québec démontre au Burke l'injustice
de ses aspirations. La page 215 laisse planer un soupçon
extrêmement grave sur la probité de ce futur évêque :
" Gardait-il pour lui les dépôts qui lui étaient confiés ? " —
Outre le cas d 'Antigonish, de nos jours, n'avons-nous pas
aussi le cas des sommes envoyées de France pour les en-
fants acadiens et les Micmacs et, détournées de leur but,
allant en Irlande servir à nous préparer d'autres persécu-
teurs.?— Et les évêques assimilateurs des Etats-Unis... —
Mais toutes ces exactions, ces malversations se passent au-
jourd'hui, maintenant, sous nos yeux i Seule, Rome semble
ne voir ni ne comprendre.
Qu'on me permette une petite digression.
VOIX d'acadte 181
Tous les lecteurs de la REVUE FranCO-AmeriCAINE se
rappellent le discours prononcé par l'évêque Fallon devant
tous ses prêtres, il y a quelques mois. Le prélat '^cow-boy "
se vantait, en ce discours, de n'obéir ni à ceux qui sont au-
dessus de lui, ni à plus forte raison à ceux qui sont au-
dessous de sa grandeur. "L'homme est souvent puni par
où il a péché, dit la sainte Ecriture. Que le lecteur savoure
cette petite note datée de Toronto le 14 novembre dernier
et qu'il admire la vaillance (? !) du gnome titubant devant
son évêque comme certain vicaire de l'Ile Saint-Jean de-
vant le Saint-Sacrement. Encore une fois, qu'est-ce que
Dieu devant ces Fallon et ces gnomes 1
Voici cette dépêche :
Toronto, 14 nov. 191 1. — Le Rév. P. J. Gnam, curé de
Wyoming, en a appelé de la décision du juge McWatt,
approuvant Mgr Fallon, évêque de London, de le rappeler
de sa cure. La cause sera plaidée devant la cour de Divi-
sion.
Mgr Fallon a écrit qu'il s'était vu forcé de prendre la dé-
cision de rappeler M. Gnam, à cause de la conduite de ce
dernier qui fréquentait les buvettes et faisait usage de li-
queurs alcooliques.
Si ce gnome était le seul de son espèce !... Hélas ! ils sont
légion...
Non, l'Irlandais n'a pas changé : il est bien toujours et
partout le même. Il présente une caractéristique toute par-
ticulière, propre seulement à cette nation. Nous y sommes
habitués, nous qui sommes nés sur ce continent. Mais l'é-
tranger en est frappé et ne peut en cacher son indignation.
Cette caractéristique, c'est Vart (.? !) de calomnier. J'entends,
tout ce qui a trait à la colomnie. A tout crime, il y a le
prologue (si j'ose m'exprimer ainsi) où l'on trouve les mo-
biles de l'acte, la préméditation, l'étude du plan. Ensuite
l'exécution, à laquelle succèdent le châtiment et la répara-
tion. C'est ici que se distingue le génie... rhauvais de THi-
bernien. Quelle que soit la réfutation de ses calomnies,
quel que soit le rang social de celui qui les a réfutées ; en-
core que le calomniateur ait paru admettre qu'il n'est qu'un
182 LA RJEVUE FRANCO-AMÉRICAINE
impudent menteur, il ne réparera rien. O'Brien a joué mer-
veilleusement ce rôle avec le Cardinal Archevêque de Qué-
bec : il a frayé la voie; les Murphy, les Coleman, les
Devlin et autres Walsh et Fallon ont emboîté le pas. Ils
faussent l'histoire. Ils dénaturent les faits les plus évidents.
Ils ridiculisent les peines et les souffrances de nos saints
missionnaires. Ils croient ternir de leur bave immonde la
blanche hermine de nos Evêques. Ils outragent la Papauté.
Ils blaguent la Divinité par leurs chapel-cars... Eux seuls sont
sacro-saints. Ils veulent être adorés.
Ils construisent ainsi leur Eglise nationale. Il faut bien
que les voies soient préparées au Pontife qui viendra — afin
qu'il trouve la Religion tout à fait dépeuplée sur ce continent
comme dans les vieux pays. L'Arabe dirait: "C'est fatal !"
nous ajouterions : " Grâce à eux..."
ENCORE DES FAITS
Dans nos remarques parues en cette Revue au mois
d'août dernier, nous avons montré comment l'esclave de-
venu libre entend la liberté pour les autres. J'ai parlé du
beau comté français de Kent et j'y reviens. J'ai dit ce qui
se passait lors des élections. Si les magistrales raclées
administrées à ces ivrognes par nos gens ont diminué quel-
que peu les assauts, il n'en est pas moins vrai qu'il se pro-
duit encore des bagarres.
M. Renaud, Français de France, ai-je dit, fut le premier
député fédéral élu par les Acadiens.
Lors d'une de ses campagnes — je ne puis me rappeler la
date exacte, ce qui importe peu du reste — , il revenait cer-
taine nuit de Richibouctou à Bouctouche où il résidait.
Les ennemis, embusqués derrière des arbres, l'attendaient.
Dès que la voiture parvint à leur hauteur, ils tirèrent sur
lui : une balle traversa la manche de son habit.
L'un des principaux citoyens du comté, né à Saint-Louis,
d'une des plus respectables familles d'Acadie, M. Jean
Vautour, homme très capable, obtint par l'entremise du dé-
puté acadien M. Renaud, de sir Georges-E. Cartier, alors
ministre des Postes, la position de percepteur des Postes à
I
VOIX d'acadie 1H3
Richibouctou. C'était aussi le premier Acadien parvenant
à un emploi enviable du gouvernement. Cela ne faisait
point l'affaire des ennemis du nom français. Aussi presque
chaque soir, et durant longtemps, M. Vautour se vit en butte
aux pires traitements. Cachés derrière des murs ou profi-
tant des nuits très obscures, les malandrins lançaient contre
le bureau des pierres énormes, brisant les fenêtres, mettant
en danger les jours de M. Vautour.
Un soir qu'il se rendit en voiture au bureau pour affaires,
un vaurien lui lance une pierre, de près de cinq livres! avec
tant de force qu'elle lui brise sa montre d'or. Le coup,
heureusement, ayant été amorti par la montre, ne fut point
mortel. Et, quoique gravement blessé, M. Vautour se ren-
dit à son bureau.
Il ne pouvait plus hésiter. Il fit donc rapport de tous ces
faits, de l'imminence du danger pour lui, à son chef, sir
Georges-E. Cartier. Immédiatement le ministre lui répon-
dit, lui donnant instruction formelle de tuer le premier qui
oserait encore l'attaquer, lui promettant que le gouverne-
ment le protégerait.
M. Vautour fit faire des affiches contenant cet ordre du
ministre et les fit apposer par toute la ville. " La crainte du
fusil est le commencement de la sagesse" du fusil de la
verte Erin : les attaques contre M. Vautour cessèrent aussi-
tôt.
Le comté de Kent est riche en faits de ce genre— richesse
peu enviable ! Je me permettrai d'en rapporter de temps à
autre si je ne suis pas lapidé d'ici-là.
Voilà les gens qui fournissent ce que leurs évêques ont
baptisé du nom baroque de timber à faire des ministres du
Dieu de paix et d'amour.
Ce n'est pas seulement dans le comté de Kent que se pro-
duisent les actes de sauvagerie dont j'ai donné quelques
exemples. C'est partout. Vous-mêmes, dans la province
de Québec, vous n'en êtes pas exempts. Cela ne vous cor-
rige pas plus que nous, et, tout aussi stupidement que nous,
vous trouvez moyen de pousser ces énergumènes, sous le
prétexte, adorable de bêtise humaine," qu'il faut être
184 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
large..." — C'est ainsi que, doucement mais sûrement, nous
nous suicidons. Nous le savons, nous le voyons, nous le
sentons. Est-ce que ce serait à notre race que s'applique-
rait la parole de Virgile : Ouos vult perdere Jupiter dementatf
— Malheur de vous, en ce cas !...
OU LES COUPS CONTINUENT
Le grand comté de Northumberland ne compte guère
qu'un quart de Français. Je ne m'v arrête pas aujourd'hui,
pour arriver tout de suite au beai^ comté de Gloucester aux
trois quarts et plus français.
Le chef-lieu de ce comté est Bathurst, jolie petite ville où
à l'origine l'Irlandais dominait. Plus au sud se trouve la
paroisse municipale d'Inkerman, mieux connue sous le nom
de Pokemouche. C'est le meilleur centre agricole du comté.
Je fus témoin oculaire de ce que je vais rapporter. J'étais
alors bien jeune.
Dès que l'automne arrive, c'est la coutume de se réunir
plus ou moins nombreux tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre,
afin de passer le plus agréablement possible les longues
veillées. Presque chaque fois, ces réunions toutes paisibles
étaient troublées par les Irlandais pleins de whiskey qui
s'emparaient même avec des violences regrettables des
maisons où s'amusaient les nôtres. Quand les nôtres étaient
prévenus à temps, ils se préparaient en conséquence et re-
cevaient magistralement les assaillants, forts seulement
lorsqu'ils étaient dix contre un. Toute la population de
langue anglaise ne formait pas un quart de la paroisse.
Les Anglais eux-mêmes vivaient en très bonne intelligence
avec les Français et ne prenaient jamais part aux sauvage-
ries de leurs ilotes. Ces attaques des voyous irlandais de-
vinrent si graves, les lois nous protégeaient si peu, la note
des tribunaux était si élevée et les procès duraient si long-
temps, que les Français finirent par où ils eussent dû com-
mencer : s'exercer et se défendre eux-mêmes. La jeunesse
d'alors se mit à l'étude de la boxe, elle s'adonna au pugilat.
Nos jeunes gens devinrent si forts qu'un seul d'entre eux
mettait aisément à mal cinq ou six de ces fier-à-bras. Il ne
VOIX d'acadie 185
fallut pas une génération pour en arriver à ce résultat,
croyez-le bien. Et bientôt, nos jeunes gens prouvèrent par
les a,rguments frappants — si efficaces auprès de nos enne-
mis— que si charbonnier est maître chez soi, les Acadiens
entendaient jouir du privilège du dit charbonnier. Les Ir-
landais, dès lors, commencèrent à réfléchir. Que de horions
ils reçurent pour en arriver à comprendre le précepte de la
sagesse des nations !
A cette époque— il y a un demi-siècle environ — , il n*y
avait à Pokemouche qu'un seul marchand acadien, le pre-
mier jusqu'alors. Désireux de donner une bonne instruc-
tion à ses enfants, il les enseignait lui-même, puis décida
d'en envoyer un au moins à Halifax, les collèges étant
rares alors, aucun de notre langue n'existant encore. Celui
qui fut envoyé à Halifax n'avait pas 20 ans. Il demeura
deux ans à la capitale de la Nouvelle-Ecosse et, à ses études,
joignit un cours extrêmement complet de boxe. Revenu au
foyer paternel, il eut bientôt l'occasion de montrer son sa-
voir-faire et, après quelques rencontres, il devint la ter-
reur des Irlandais. Dans une bagarre quelconque, son nom
seul jeté dans la mêlée par l'un des nôtres amenait la fuite
des assaillants.
C'était un spectacle réjouissant ! Je pourrais citer le nom
de ce brave : qu'il me suffise de vous dire qu'il me touche
de très près. . .
Je passe à un fait assez tragique que je prends entre
cent autres.
Il y a des années. . . pas bien des années, depuis la Con-
fédération, un de nos compatriotes fut nommé par le gou-
vernement fédéral comme officier garde-pêche. Il devait
surveiller les seines. Un dimanche, il en saisit une certaine
quantité qui, on le sut bientôt, appartenaient à quelques fa-
milles irlandaises de la paroisse. Cette saisie, jointe à la
haine du Français choisi à ce poste au lieu d'un des leurs,
exaspéra ces gueux. Ils résolurent donc d'attenter mêm.e à
la vie de l'officier. Ce n'était pas assez. Ils formèrent le
complot de ruiner sa famille.
Cet officier, fermier très à Taise, venait d'achever la
186 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
construction d'une grande et belle grange de quelques mil-
liers de piastres. Un soir, quatre ou cinq de ces ennemis
de tout ordre et de toute liberté se concentrent. Ils ont pu-
bliquement vociféré des menaces de toute sorte contre les
propriétés et la vie de l'officier — grâce à l'excellence de nos
lois, à la protection qu'elles semblent assurer tout spéciale-
ment aux criminels. L'officier et sa famille venaient de se
coucher lorsque le feu éclata soudain aux dépendances.
Les incendiaires menacent du fusil le brave officier, vic-
time de son devoir. En peu de'^temps maison, écuries, re-
mises, récoltes, tout est anéanti : à grande peine la famille
peut-elle échapper saine et sauve.
Une enquête s'ouvre. Ceux qui s'étaient publiquement
montrés comme auteurs du crime sont soupçonnés et arrêtés
mis en prison en attendant un procès. Le procès s'instruit.
Le curé de la paroisse (ce n'était pas un Français), à peine
le crime consommé, le flétrit en chaire, en dénonce les fau-
teurs, disant qu'ils doivent être traduits devant les tribunaux
pour être punis. Il ajoute qu'il connaît les coupables (ce
qui n'était un mystère pour personne).
Ce beau mouvement ne se produisit que cette seule fois.
Y eut-il des menaces faites à ce prêtre 1. . . ou d'autres
raisons ?. . .
Il refusa, depuis lors, de s'occuper aucunement de cette
affaire.
Il fallut choisir le jury. Le shérif a bien le droit de nom-
mer ses hommes — pourvu que le choix soit impartial et
que l'idée de justice domine dans ce choix. — Je dois ob-
server que ce Shérif n'était pas un Anglais : je veux dire
par là que c'était un Irlandais ou un Français. Chose
ignoble, tout le jury fut choisi parmi les Irlandais, il n'y
eut pas un seul, que je sache, de ses membres qui fût
français. Le prêtre de la paroisse avait-il mis la main
à cela 1 , .. Mystère ! . . .
Vous avez déjà prévu l'issue de ce procès scandaleux :
les incriminés furent libérés. . . Voilà nos lois ! — Ce cas
est un cas de pénitencier pour la vie : ces brutes en sorti-
rent presque glorifiées. . . Le gouvernement indemnisa-t-il
VOIX d'acadie 187
son fidèle serviteur ? . . . — Croyez-le, et buvez de l'eau
fraîche si le cœeur vous en dit.
Le curé de la paroisse, s'étant attiré la disgrâce de ses. . .
torcols par un sermon dans lequel il s'oublia au point de
leur rappeler leurs devoirs, prêchait à la grand* riiesse le
dimanche suivant : la servante était, elle aussi, à la messe.
Elle avait préparé la table pour le dîner.
La douce canaille (je ne parle pas de la servante), qui se
tient de préférence au dehors de l'église pendant les offices
pour mieux préparer ou jouer ses tours, se rendit à la grange
du curé, vola, brisa tout ce qui s'y trouvait, passa au pres-
bytère, y mit la table en pièces, cassa plats et soupière, la
vaisselle, saccagea à son goût. Après la messe, ces braves
prirent la fuite sans laisser d'adresse.
La hiérarchie irlandaise affiche ouvertement son mépris
de l'autorité de Rome : l'exemple venant ainsi de ces gens-
là, ils ne doivent pas s'étonner que leurs congénères les
imitent. C'est bien qu'ils récoltent ce qu'ils ont semé.
Par ce qui précède, vous pouvez vous imaginer facile-
ment l'énorme quantité d'excellent "timber" qu'ils possè-
dent pour y tailler des O'Brien, des Walsh ou des Fallon î
V.-A. Landry.
:o:
La politique canadienne et les Cana-
diens-Français.
IL — Questions actuelles.
L— L'exploitation dès préjugés.
Platon était philosophe comme on en rencontre peu de
nos jours. Mais, il se déridait à l'occasion, comme la fois
qu'il écrivit dans "le Politique" que la politique est la
science du gouvernement " des bipèdes sans cornes et sans
plumes." Je ne dis pas que Platon exagère les qualités de
ses contemporains, mais je serais gêné d'avoir autant de
franchise à l'égard des miens.
Cousin est de l'avis de Platon, mais il le dit tout autre-
ment : '* la vraie politique repose sur la connaissance de la
nature humaine." Cela veut dire que l'homme est un bipède,
qu'il a des instincts qu'il faut écouter et des besoins qu'il
ne faut pas contrarier. Il n'est pas que la vraie politique
qui repose sur la connaissance de la nature humaine, l'au-
tre aussi, surtout l'autre, la politique qui n'a pas de qualifi-
catif, celle qui vit de la sottise ambiante. Cette autre, au
lieu d'étudier la nature humaine pour obéir à ses hautes
aspirations, en recherche toutes les faiblesses, les mau-
vaises inclinations et les tendances ataviques afin de s'en
faire un marchepied facile.
Deux grandes races se partagent le Canada. Elles se sont
longtemps combattues, et la paix s'est faite. Toutes deux
devraient vivre en harmonie, dans le respect l'une de l'autre-
Des heurts se produisent périodiquement, toujours causés
par la politique, provoqués par des esprits étroits ou des
gens de mauvaise foi. On peut loyalement différer d'opi-
nion, discuter avec ardeur même, mais on ne devrait ja-
mais supposer chez l'adversaire des motifs qui n'existent
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 189
pas. Or, le rôle d'un bon nombre de nos hommes politiques
et de nos journalistes, depuis une vingtaine d'années, est
précisément celui de tromper une partie du peuple sur ce
que pense l'autre partie.
Depuis la généreuse folie politique de Riel, à tous les
moments d'excitation, il s'est trouvé chez les Anglais et les
Français de=J opportunistes, tels par égoïsme ou servilité,
pour donner aux faits une interprétation fausse et aux
choses un sens qu'elles n'avaient pas. Autrefois, la lutte
entre les partis était plus franche On était ouvertement
anglophobe ou francophobe sur les questions d'intérêt na-
tional. Aujourd'hui, le député orangiste mange devant ses
électeurs tous les Canadiens-Français du Québec et devient
agneau au Parlement, alors que le député opportuniste ca-
nadien-français jure dans son comté qu'il mourrait pour
les siens à les défendre contre l'orangiste et vote aux Com-
munes avec son chef pour n'importe quelle mesure restric-
tive de nos droits.
Sir Wilfrid Laurier s'est employé pendant vingt ans à
soulever les deux races l'une contre l'autre, sous le prétexte
de les rapprocher. Nous ne doutons pas que l'ex-premier
ministre ait désiré sincèrement la fusion des deux groupes
ethniques canadiens. Il a voulu surtout, avant tout, son
succès. Pour l'obtenir, il a posé en conciliateur, auprès de
chacune des deux races, faisant croire à des sentiments
d'hostilité qu'il exagérait, gagnant ses élections dans le
Québec et y édifiant sa popularité avec la vanité nationale,
y cultivant avec soin l'instinct de la peur de l'Anglais re-
présenté faussement comme un ogre, d'un autre côté ama-
douant le fanatisme de quelques francophobes par des con-
cessions et des compromis, se plaisant dans les provinces
anglaises à se dire persécuté par ses compatriotes piour ses
idées sur l'unification du peuple canadien.
On a exploité tous les préjugés de l'électorat sur la ques-
lion des écoles en 1896, lors de la guerre de l'Afrique-Sud,
lors de la création des nouvelles provinces, et lors des der-
nières élections fédérales. Cette vile exploitation continue
dans la presse et sur les tribunes : en Ontario, des députés
190 LA REVUE FRANCO AMÉRICAINE
font croire à leurs commettants, avec Taide des journaux,
que le gouvernement du Canada est aux mains des natio-
nalistes du Québec, alors qu'ici on se plaint d'être gouverné
par le colonel Hughes et le Dr Sproule.
Sans le savoir peut-être, ces exploiteurs des préjugés na-
tionaux, religieux et' politiques, préparent, bien qu'ils po-
sent en prédicateurs de l'esprit canadien, la division com-
plète entre le Canada français et le Canada anglais; ils la
rendent inévitable.
C'est que le préjugé politique est fort lui aussi, plus chez
le Canadien-Français que chez les autres. L'homme qui
tourne le dos à son parti est excommunié, c'est un interdit
politique. Il est bien difficile de ne pas changer de parti
quand on ne veut pas changer d'opinion ; et celui qui est
très attaché à son parti et à son chef doit changer d'opi-
nions vingt fois l'an. Cependant, il y en a qui sont assez
habiles, parmi les chefs, pour ne pas changer de parti tout
en changeant d'opinion. C'est qu'ils font changer d'opi-
nion au parti.
Il se formera un esprit canadien plus large quand la
presse sera plus libre de toutes les puissances d'argent. Si
elle ne le devient pas, cet esprit ne se formera pas. Et les
journalistes anglais devraient étudier davantage le Québec.
Ils n'en connaissent malheureusement ni la langue ni la
mentalité.
Que les orateurs anglais sincères viennent exposer leurs
idées dans nos villes, et que les orateurs français sincères
aillent exposer les leurs dans les villes anglaises. On se
connaîtra plus et mieux. Les préjugés politiques et les
autres disparaîtront. On finira par se convaincre, à force
d'entendre des hommes sincères, que l'esprit de parti n'est
pas le parti de l'esprit.
2.— La représentation des provinces aux Communes et la
part des Canadiens-Français
Le préjugé est comme une hypertrophie du sentiment. P
faut condamner l'hypertrophie, mais non le sentiment.
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 191
Chaque groupe du peuple canadien voudrait avoir une large
part dans la gouverne du pays, la plus large part. C'est
affaire de sentiment, d'un sentiment d'orgueil. L'ambition
n'est pas téméraire tant que le groupe mérite autant d'hon-
neur, et tant qu'il ne lèse pas les droits des autres groupes.
La population de l'Est du Canada voit avec chagrin
l'influence politique augmenter de plus en plus dans l'Ouest.
Les Provinces Maritimes s'en plaignent tout particulière-
ment. D'entre elles, la Nouvelle-Ecosse a fourni des
hommes éminents à la politique canadienne. Sa popula-
tion, comme celle de ses deux provinces sœurs, est stable,
alors que la population des provinces de l'Ouest a augmen-
té de 175 p. c. durant la dernière décade. Résultat : cha-
cune des quatre provinces de l'Ouest gagne cinq députés
par le dernier recensement, et les trois Provinces Maritimes
en perdent cinq. Vous voyez le nœud du problème, qui
intéresse jusqu'à l'Ontario perdant aussi quatre députés :
les provinces de l'Est, qui ont tout fait pour la Confédéra-
tion, vont-elles perdre leur prestige } Va-t-on laisser aux
nouveaux venus le soin de nous gouverner ? Ne convien-
drait-il pas de fixer un minimun de représentation aux
vieilles provinces et un maximum aux nouvelles, afin de
laisser à ceux qui ont une histoire et qui connaissent les
traditions de notre patrie la responsabilité d'en diriger les
destinées ?
Question importante, qui peut devenir épineuse, question
de sentiment, mais d'un sentiment juste. Tôt ou tard elle
sera abordée de front. Nous sommes d'avis que l'article 51
de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, de 1867, est
parfaitement équitable et qu'il doit demeurer ce qu'il est,
la base de l'unité de représentation, c'est-à-dire le soixante
et cinquième de la population du Québec, ne doit pas chan-
ger. Cette unité est actuellement de 30,780 de population.
Chaque groupe de 30,780 habitants a droit à un député.
Le Québec est intéressé au problème de la représenta-
tion aux Communes au même titre, et plus, que les Provinces
Maritimes. Nous sommes la minorité et nous avons besoin
d'avoir toute la représentation à laquelle nous avons droit.
192 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Voici une considération que nous croyons bien neuve et
dont l'étude pourra garder à TEst canadien pour cinquante
ans encore sa prépondérance à Ottawa. Les provinces de
rOuest sont peuplées pour plus de la moitié d'émigrés eu-
ropéens ou américains ; et de ces émigrés près de la moitié
ne sont pas sujets britanniques, n'ayant pas eu le temps de
le devenir ou ne le voulant pas. Et nous ne savons pas
combien passeront aux Etats-Unis ou retourneront dans
leur pays d'origine après avoir fait une petite fortune. Se-
rait-il juste de donner 20 députes de plus à l'Ouest pour
600,000 immigrés qui ne seraient pas sujets canadiens ?
La représentation juste serait basée sur le chiffre de la
population britannique.
D'ailleurs, au point de vue canadien, comme au point
de vue des intérêts de l'Est, l'accroissement rapide de
l'Ouest, s'il fait songer, n'est pas encore un danger. Il le
pourrait devenir si l'immigration continuait à être aussi
mal choisie.
Il y a un peu de jalousie et d'envie dans les craintes des
Provinces Maritimes et de l'Ontario. Remarquons que la
population de l'Ouest n'est pas encore le tiers de la popu-
lation de l'Est, soit 1,650,000 contre 5,425,000.
La Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick et l'Ile du
Prince Edouard gagneraient beaucoup, croyons-nous, à
former une seule province de 907,000 habitants. Cependant,
nous croyons que l'état actuel favorise mieux l'expansion
des Acadiens.
Le meilleur moyen, pour ses provinces, d'augmenter le
nombre de leurs députés, et leur influence par conséquent,
c'est de favoriser l'agriculture et la colonisation. Qu'elles
améliorent le sort des Acadiens assez longtemps traqués,
et ceux-ci leur donneront la population que l'immigration
ne leur donne pas.
Avons-nous, Canadiens-Français, la représentation qui
nous revient aux Communes ?
L'unité de représentation, avons-nous dit, est de 30,000
près, exactement 30,780. La population du Canada est de
7,100,000, plus que moins. La population française se ré-
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 193
partit comme suit : Québec : 1,700,000 (très approximatif
pour 1911); Ontario : 240,000 (1909); Provinces Maritimes :
150,000 (141.661 en 1901 ; l'augmentation que nous suppo-
sons est certainement minorée); les Provinces de l'Ouest :
65,000 (1909) ; soit le total de la population française :
2,155,000.
Nous aurions donc le droit d'élire 67 députés de notre
langue et nous pourrions en élire plus, alors que nous n'en
élisons que 56 sur 221. Nous sommes trop généreux au
Québec, et l'on ne nous rend pas justice dans les provinces
anglaises. Le Nouveau-Brunswick seul nous donne un
nombre de députés proportionnel à notre population fran-
çaise, trois. En Ontario, nous avons deux députés aux
Communes quand nous y avons droit à huit. L'Ouest nous
donne un député au lieu de deux. La Nouvelle-Ecosse
nous doit un gros député, puisque nous y sommes 45,000,
et elle nous oublie complètement. Il est plus juste de con-
fesser que nous nous oublions nous-mêmes.
Demeurons généreux chez nous, c'est exercer une vertu
française ; mais, soyons fermes chez le voisin, pour exercer
une autre vertu française.
3. —L'immigration
La population du Canada s'est accrue de 32 p. c. durant
la dernière décade. C'est évidemment dû à l'immigration
et à la haute natalité chez les Canadiens-Français. Depuis
1901, il nous est venu 1,453,390 immigrants, soit un cin-
quième de notre population totale. En 1901, près d'un
septième de notre population venait de l'étranger. Donc, si
nous n'avons pas payé pour faire venir des immigrants aux
Etats-Unis par la porte du Canada, près d'un tiers de la
population du Canada est étranger à notre histoire, à nos
moeurs, en un mot à l'esprit canadien.
Relativement à leur population, les Etats-Unis n'ont ja-
mais reçu autant d'immigrants que nous. Ils ont eu le soin
de varier, souvent cette immigration, l'appelant tantôt de
TAllemagne, tantôt du Royaume-Uni, tantôt des pays la-
194 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
tins, tantôt de la Russie, afin de permettre à chaque groupe
de s'assimiler au plus tôt. Cependant, ils n'ont pas atteint
leur but : le français est plus parlé qu'on ne le voudrait
dans la Nouvelle-Angleterre et la Louisiane, l'allemand
depuis la Pennsylvanie jusqu'au Kansas, l'espagnol dans
les Etats du Sud. On ne sait pas quelles guerres civiles
attendent encore la grande République.
Réussirons-nous mieux que nos voisins à nous assimiler
les nouveaux venus ? Quant à la langue, l'assimilation est
double, française dans une grossb partie de l'Est et anglaise
dans l'Ouest. Quanta l'esprit national, " canadien avant
tout," il est difficile à l'Européen comme à l'Américain,
surtout à ce dernier qui en est si proche, d'oublier la terre
natale. On arrive ici avec les préjugés de sa patrie, avec
ses haines, et l'on est forcé souvent de se retrouver avec des
ennemis nationaux. Alors les animosités se font jour et se
déterminent. Dans l'Ouest, bien que parlant la même lan-
gue, Anglais et Américains se regardent de travers. Ces
derniers ne se gênent pas, en pleine terre britannique, pour
afficher à la fin de leurs annonces en demande de travail-
leurs l'habituel *'No Englishmen need apply." Ils sont en-
viron 400,000 qui n'auront de reconnaissance pour l'Angle-
terre que si elle leur donne l'occasion un jour de lui tomber
dessus.
Montréal est à la veille d'avoir sa question juive, résultat
d'une immigration insensée. Il s'y trouve une forte colonie,
près de 50,000, d'Israélites, gens qui n'auront jamais d'es-
prit canadien parce qu'ils sont essentiellement cosmopo-
lites. On les a tous dirigés dans la province française afin
de la tondre. Les premiers arrivés, chiffonniers il y a dix
ans, regrattiers il y a huit ans, petits usuriers il y a six ans,
agents véreux ou manufacturiers il y a quatre ans, sont de-
venus gros propriétaires il y a deux ans, et font de la grande
spéculation en 191 1. Dans quelques années, ils seront nos
banquiers, contrôleront nos marchés, et nous nous remue-
rons avec leur permission. Ils ont déjà mis une main plus
large qu'on ne le croit sur notre presse, afin de former
l'opinion publique. Ils se préparent activement à dé-
LA POLITIQUE CANADIENNE 'ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 195
buter dans la politique. Des projets de lois sont déjà
ébauchés.
Les Canadiens- Français ont le devoir de réagir vigou-
reusement contre toute immigration juive, et le pluspromp-
tement possible. Le Juif ne détruira pas notre nationalité ;
c'est comme dissolvant de la morale et ,des mœurs publi-
ques qu'il faut le combattre. Les Anglais sont aussi inté-
ressés que nous à lutter contre la pénétration juive, s'ils ne
veulent pas que la haute finance leur échappe.
C'est avec le flot de l'immigration que notre criminalité
s'est élevée. Dans la seule ville de Montréal où les trois quarts
de la population sont canadiens-français, les trois quarts
des crimes et des délits sont au dossier de l'immigration.
Il fallait avoir du toupet politique et une grande con-
fiance en soi-même pour désirer la fusion de toutes les
races au Canada en un seul tout, et s'acharner à y faire en-
trer tant d'éléments disparates.
De plus l'immigration nous a fourni des bras incapables
du travail de la terre, inhabiles aux emplois de nos indus-
tries, des sujets décharnés et sans vie. Nous n'avons que
faire des épileptiques, des rachitiques et des alcooliques,
qu'ils viennent de la Grande-Bretagne ou des ghettos de la
Russie.
Il ne s'agit pas d'arrêter complètement l'immigration. Ce
qu'il faut arrêter, c'est l'émigration de nos meilleurs sujets
canadiens. L'immigration nous est nécessaire, et nous se-
rions égoïstes si nous ne voulions pas faire bénéficier de
nos richesses les étrangers qui consentent à mener une vie
commune avec nous. Il s'agit tout simplement de restrein-
dre l'immigration et de faire un choix judicieux des immi-
grants.
On a trop négligé jusqu'ici l'immigration française et
belge, celle des montagnards italiens et espagnols.
Il nous faut, qu'on les prenne où l'on voudra, des hommes
sains de corps et d'esprit. Une nation forte ne se forme
pas avec le déchet humain des vieux pays.
(A suivre.)
Louis Gérenval.
Le feront-ils taire ?
Mais oui ! imposera-t-on silence au père Vaughan ? Avec
une inconvenance remarquable le cher père vient ici mettre
les pieds dans le plat avec fracas^ en disant avec éclat :
"Nous pourrions vivre avec moins de politiciens et plus
d'hommes d'Etat. On mêle de tout à la politique. Bien
que cela ne soit pas de mes affaires, une chose me semble
claire : de même que nous aimons qu'il ne se parle qu'une
langue dans nos maisons, ainsi dans cette grande maison
que l'on appelle l'empire britannique, chacun ne devrait
pas considérer seulement comme un privilège, mais comme
un devoir de parler la langue de l'empire." "Sans doute
les autres langues doivent être tolérées, mais la langue
dominante doit être hors de tout doute, la langue anglaise."
Et voilà le refrain de Son Eminence le cardinal Bourne.
Y a-t-il conspiration, oui ou non ?
Voilà un Anglais de Londres, qui est ignorant comme une
carpe en matière d'histoire, et qui vient dire que, dans
l'empire britannique la langue française est tolérée seule-
ment. Mais cet homme devrait penser avant de laisser
chevaucher sa langue à droite ou à gauche. Il ne sait donc
pas que la langue française est officielle au pays. Il n'a
qu'à relire l'Acte britannique de l'Amérique du Nord. Je
ne veux pas refaire l'histoire constitutionnelle de notre
langue. Je veux tout simplement attirer l'attention de cer-
tains prélats romains qui s'alarment lorsque nous protes-
tons contre les assimilateurs. Oui ou non, la langue fran-
çaise est-elle combattue ici 1 Oui ou non, le père Vaughan
a-t-il reçu la mission de venir prêcher l'impérialisme. On,
veut bâillonner les journalistes indépendants qui revendi-
quent nos droits. Voudra-t-on bâillonner d'abord ceux qui
viennent ici répéter de pareilles inepties .''
LE FERONT- ILS TAIRE ? 197
Mgr Sbarretti sera sans doute dans l'allégresse de voir
que de fermes zélateurs continuent ici son œuvre. Nous lui
demandons humblement de faire valoir toute son autorité
auprès des congrégations romaines pour faire cesser les
persécutions contre la race française.
On dit qu'il prend les articles de revues ou de journaux
dans lesquels il est fait mention de son œuvre et qu'il va
les mettre sous les yeux de tel ou de tel prélat en disant :
"Voyez comme on attaque le délégué apostolique." Ce
procédé manque de justice et d'équité. Nous n'avons ja-
mais attaqué la délégation apostolique au Canada. Le
Souverain Pontife, dans sa sagesse, a jugé à propos de
nous donner une marque de sa sollicitude, en nous en-
voyant un délégu"^ permanent ; et cet envoyé nous l'avons
toujours traité avec tout le respect qui est dû à son rang
dans l'accomplissement de ses fonctions. Mais chaque
fois qu'il a voulu mettre son influence au service de la race
qu'il croit supérieure pour humilier la race qu'il suppose
inférieure, nous avons protesté avec énergie, parce que
nous savions bien que Son Excellence outrepassait ses
. pouvoirs. Nous tenons à le lui signifier encore une fois.
Que Mgr Sbarretti ne se froisse pas pour les vérités que
nous sommes obligés de lui signifier. Qu'il répare tout le
mal qu'il a fait à la race française en Amérique, en faisant
taire tous les impérialistes religieux qui viennent ici prê-
cher l'unité de langue. Qu'il dirige tout son zèle pour
nous protéger et qu'il envoie le père Vaughan aux Indes
prêcher la nécessité de ne parler que l'anglais dans cette
portion de l'empire britannique. Les Hindous le rece-
vront sans doute comme il le mérite.
*
* *
M. l'abbé McShane a des visions de Pucelle d'Orléans.
Il s'imagine que la cause du catholicisme sera un jour
défendue dans la bonne ville de Montréal par l'élément
irlandais. Déjà, il entrevoit dans ses rêves la création
d'une cinquantaine de paroisses irlandaises. Ah ! vrai-
198 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
ment, les Canadiens-Français, dont ce monsieur se paie
agréablement la tête en déclamant partout l'habitant de
Drummond et en lisant des lettres écrites par nos compa-
triotes en mauvais anglais, seront tous descendus dans la
tombe ou parleront la langue anglaise, destinée à devenir
l'unique langue de l'Empire. On le dit à nos portes et
nous ne protestons pas avec assez d'éloquence.
Parlons donc plus français. Au lieu d'écrire en mauvais
anglais des lettres que M. l'abbé McShane promène par-
tout pour se moquer de nous, ^écrivons en français; obli-
geons ces messieurs à parler le français.
Au surplus, on pourrait facilement se donner la joie de
déclamer du Chouinard et de démontrer que nos amis les
Anglais commettent des bourdes énormes au sujet de la
langue qui est la nôtre. N'insistons pas pour aujourd'hui.
Michel Renouf.
:o:-
La Nation Franco-Normande au Canada
Par Le VICOMTE FORSYTH DE FRONSAC
II
LA NOBLESSE DE NOM ET DES ARMES
Après le Roi c'est la noblesse. Sans noblesse pas de
monarchie, dit Montesquieu dans son livre " L'Esprit des
Lois." La noblesse est la seconde partie de la constitution.
Au Canada, le XVIIe Article de la Capitulation de Mont-
réal de 1760, signée par M. de Lévis et le Marquis de Vau-
dreuil au nom du Roi de France et contresignée par sir
Jeffrey Amherst au nom du Roi Britannique, dit que "La
Noblesse, les officiers militaires et civils... et tous les habi-
tants tant de ville que de campagne conservent l'entière
possession de leurs privilèges et biens, nobles et bourgeois,
mobiliers et immobiliers, marchandises, fourrures et bat-
teaux." Sauf " les privilèges et biens appartenant au Roi
de France, lesquels passent par cette capitulation au Roi
Britannique." La commission donnée au Marquis de La
Roche, le premier gouverneur, l'autorisa à concéder " aux
gentilshommes et gens de mérite des fiefs en seigneurie au
Canada et autres dignités relevant du Roi, à la charge qu'ils
serviront à l'entretien et défense des dits pays." Article
258, Ordonnance d'Orléans, déclare : " Roturiers et non-
nobles " achetant fiefs nobles ne seront pour ce annoblis
ni mis au rang de nobles de quelque valeur que seront les
biens acquis par eux."
L'étude de la noblesse est bien intéressante : c'est l'his-
toire de la nation, de ses grands faits ; au Canada parmi
les cent vingt noms de la noblesse seigneuriale, c'est la
souche de toute famille illustre.
Avec les registres de cette noblesse conservés de 1604 à
200 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
1763 aux archives de l'intendance au Canada, commencent
les collections héraldiques et généalogiques du Collège
des Armes du Canada.
La noblesse, c'est l'aristocratie en fonction. L'aristocratie,
c'est la race pure aryenne qui a dominé la civilisation de
l'ancien monde.
A Rome, au moins sous l'Empire, l'aristocratie, selon de
Baume, était surtout une caste. C'était un état dans l'Etat.
Le noble avait de nombreux privilèges : il possédait sou-
vent de très grandes propriétés, " mais ce n'était pas exclu-
sivement de la possession de ses privilèges ou de ses vastes
domaines qu'il tenait son rang ; c'était plus encore de sa
famille, du souvenir de l'illustration de ses ancêtres."
Parmi les Gaulois et les Ecossais, dit le même auteur, la
nation se divise en trois classes : celle des nobles ou che-
valiers ; celle des druides et le peuple. Les deux premières
seules exerçaient le pouvoir et tenaient les richesses. La
classe de la noblesse formait la cavalerie, elle exerçait en
outre tous les commandements dans l'armée. La noblesse
était maîtresse dans les assemblées politiques, fournissait
seule les sénateurs et presque tous les magistrats. Elle ne
servait que dans la cavalerie, armée d'élite que César dé-
clarait redoutable. La noblesse était héréditaire, mais
tout homme riche et distingué à un titre quelconque pou-
vait y parvenir, à la condition de se faire accepter d'abord
parmi les soldurii d'un chef, qui ensuite lui facilitait l'ac-
cès à la classe supérieure.
Au-dessus de toutes les institutions sociales de la vieille
Germanie, Tacite place une aristocratie guerrière qui con-
duit la tribu au combat et qui la juge pendant la paix. La
royauté n'est qu'une émanation de cette aristocratie essen-
tiellement mobile comme l'état social de ces jours-là, qui
n'a pas de terres, qui n'a pas de privilèges, "qui ne pos-
sède en propriété que sa gloire et son renom personnel, et
qui les transmet à ses descendants." Ses guerriers gou-
vernent et administrent ceneurrement avec le Roi : ils en
reçoivent des terres à titre de récompense, "mais ils n'ad-
LA NATION FRANCO -NORMANDE AU CANADA 201
mettent pas que le souverain pouvoir soit la propriété ex-
clusive du Roi "
Parmi les Francs, le Prologue de la loi Salique dit que :
l'illustre nation des Francs, constituée par la main de
Dieu, forte dans la guerre, profonde dans le Conseil, d'une
noble stature, d'une beauté primitive de sang et de forme,
plein de courage, de promptitude -jt d'élan, cherchant la
science sous l'inspiration de Dieu, désirant la justice et
gardant l'honneur de race selon ses mœurs, dicte la loi Sa-
lique *'par l'organe des grands, ses chefs."
Les Francs étaient supérieurs à tous les autres peuples,
et leurs nobles étaient leurs capitaines à la guerre et leurs
juges à la paix. Ils restaurèrent l'Empire Romain sur la
base de leur féodalité et instituèrent pour les élites l'ordre
de la Chevalerie.
La féodalité était l'ensemble des lois tt coutumes consti-
tuant la constitution d'Etat, inviolable en soi, qui régirent
l'ordre politique et social en France et au Canada sous l'an-
cien régime. Sous le régime féodal, la royauté ne fut plus
que le centre autour duquel se groupèrent les états féodaux.
Une hiérarchie s'établit, chaque seigneur demandant la
protection et devenant le vassal d'un seigneur plus impor-
tant, et le Roi n'est que le seigneur des seigneurs.
Le contrat d'inféodation par lequel le fief était constitué,
comprenait une double formalité : de la part du vassal,
l'hommage et le serment de fidélité; de la part du seigneur,
l'investiture ou mise en possession du fief. Au Canada les
cérémonies de l'investiture eurent lieu au Château de Saint-
Louis, à Québec. Le vassal devait au seigneur le service
militaire, l'assistance dans l'administration de la justice.
Pour posséder un fief, il fallait être noble. Selon "Le Code
de la Noblesse," p. 141, la féodalité était un ordre régulier
et par ce seul avantage elle l'emportait de beaucoup sur l'é-
poque antérieure. Elle n'avait été constituée ni en vue de
despotisme (puisque c'est sous son empire et souvent de
son propre consentement que le peuple s'affranchit, que la
classe bourgeoise se fortifia), ni en vue de ravilissement
des esprits (puisque c'est de son temps que la langue, les
202 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
mœurs, la littérature et les arts sortirent de la barbarie et
enfantèrent des merveilles), ni en vue de l'égoïsme de la
classe noble (puisque pendant que le peuple s'enrichit et
prospéra à l'ombre des vieux manoirs, les seigneurs féo-
daux s'appauvrirent volontairement pendant deux siècles à
lutter contre les infidèles et dévouèrent généreusement sous
le manteau des croisés, ou sous les côtes des mailles du
chevalier leur existence, leur courage et leur sang à la dé-
fense des opprimés, des misérables et des faibles).
La féodalité déploya de hautes vertus et d'admirables
instincts : elle adoucit les moeurs et, dès qu'elle fut à son
apogée, un dem.i-siècle suffit pour donner à la France une
face nouvelle pour la régénérer, pour guérir les blessures
de cinq siècles de confusion et de désordres. Mais bientôt
éperonnée par la criminelle malice des démagogues, le tocsin
des communes sonna (1792) le glas de la monarchie en
France et les funérailles de l'antique noblesse que la mo-
narchie plus ambitieuse que prévoyante avait laissée sans
force. Déjà mutilée par le feu des batailles, avilée et rui-
née par les courtisanneries royales, démoralisée par les
sophismes voltairiens, elle finit par tomber sous le hideux
couteau révolutionnaire et par emporter avec sa constitu-
tion pour linceul, le salut, la grandeur et l'esprit chevale-
resque de la France.
Martin, le grand historien de France, dit : La féodalité
apporte avec elle un idéal politique; sa théorie est une
hiérarchie guerrière partant du dernier feudataire posses-
seur d'une tour, d'un cheval et d'une armure pour s'élever de
degré en degré jusqu'au Roi, clef de voûte de l'édifice et
chef de cette grande armée de propriétaires soldats, jus-
qu'au Roi dont la couronne ne relève que de Dieu et de son
épée. A tous les degrés de cet ordre de noblesse féodale un
serment réciproque, renouvelé à chaque mutation des per-
sonnes, lie le seigneur et le vassal. Le vassal doit se lever
en armes au ban de son seigneur et siéger comme asses-
seur dans les plaids seigneuriaux ; le seigneur doit proté-
ger le vassal dans la jouissance de son fief envers et contre
tous. Le vassal perd son fief pour félonie envers son sire.
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 203
Le seigneur perd sa suzeraineté s'il vent priver son vassal
induement de son fief ou de ses droits de personne et des
biens. Le vieux droit germanique de se faire justice à soi-
même est reconnu à tous les degrés en cas d'infraction de
serment.
Aujourd'hui en France moderne, une impopularité indélé-
bile pèse toujours sur le souvenir de la féodalité. La che-
valerie, au contraire qui semble n'avoir été pourtant que la
féodalité armée et qui rejetait "dédaigneusement des rangs
de sa milice l'homme étranger à la caste nobiliaire," a
trouvé grâce devant l'opinion du peuple ; son nom est resté
quelque chose de national en France et n'évoque dans la
mémoire populaire que de vagues souvenirs de courage, de
loyauté, de générosité, de foi ardente, d'amour idéal et cons-
tant ; le fantôme chevaleresque apparaît à travers les
nuages du passé abritant sous son écu sans tache les veu-
ves, les orphelins, les opprimés et consacrant sa force à la
défense de la faiblesse et du droit outragé.
Un mot caractéristique, celui de courtoisie, désigne l'en-
semble des qualités qui naissent; c'était en effet dans les
cours d'honneur des châteaux, théâtre des jeux guerriers,
que se développaient cette galanterie, cette bonne grâce,
cette politesse, cette générosité qui faisaient le chevalier
courtois. Le récipiendaire de chevalerie s'agenouillait de-
vant le parrain qui lui devait conférer l'ordre et ciui lui
rappelait brièvement les devoirs guerriers, (lue tout cheva-
lier doit avoir droiture et loyauté ensemble ; il doit proté-
ger les pauvres gens pour que les riches ne les puissent
fouler, et soutenir les faibles pour que les forts ne les puis-
sent honnir. Il se doit éloigner de tout lieu ou gît la trahi-
son ou l'injustice. Lorsque dames ou demoiselles ont be-
soin de lui, il les doit aider de son pouvoir. Les chevaliers
doivent garder la foi inviolablement à tout le monde et
surtout à leurs compagnons ; ils &e doivent aimer, honorer
et assister les uns les autres en toute occasion.
Ceci est en bref l'histoire de la noblesse, le parti princi-
pal de la constitution de l'Etat. Et il est notable que la
noblesse ne naquit ni du Roi, ni du peuple—parce que la
204 LA REVUE FRANCO-AM^JIICAINE
royauté n'est qu'aune émanation de la noblesse" — mais
qu'elle naquit de la race aryenne germanique des Francs,
des Normands et des Goths, qui de sa pureté de sang et
supériorité d'honneur et d'esprit se prolonge en caste avec
ses registres généalogiques et signes héraldiques jusqu'à
nos jours comme la noblesse de nom et des armes.
Les Souches des Famiiles de la Noblesse de nom et des
armes, seigneuriale, consulaire, bourgeoise et alum-
nale dans les Arckives du Collège des Armes du
Canada.
Les descendants de ces
familles en noms de fa-
mille qui désirent enregis-
trer les preuves de leur
noblesse dans les regis-
tres du Collège et recevoir
le diplôme, le bouton et
la décoration de la no-
blesse de l'Ordre Aryen
et Seigneurial, doivent en-
voyer leurs renseigne-
ments au bureau de cette
Revue, adressés au Vi-
comte de Fronsac, maré-
chal de blason, *' Revue
Franco- Américaine> 197,
rue N o t r e-Dame Est,
Montréal.
LAW, DUC D'ARKANSAS
Armes : D'hermine à ia bande de gueules accompagnée de
deux coq 5 du même, l'un en pointe, l'autre en chef, une bor-
dure du même, couronne de duc au-dessus d'une couronne
seigneuriale.
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 205
histoire: Le duché d'Arkansas, créé par le roi Louis
XIV, fut concédé à M. Jean Law, son ministre des finances,
en 1715, qui y envoya quinze cents colons parmi lesquels
était l'ancêtre de Gortschauk le musicien. La famille Law
est bien célèbre et ancienne dans l'histoire du royaume
d'Ecosse, où elle possédait plusieurs baronnies depuis des
siècles. Jean Law, un cadet de cette ancienne et noble fa-
mille avec son frère fondèrent la branche française de
cette famille. Les enfants du célèbre financier de Louis
XV ne laissa pas d'héritiers, mais son frère, un officier gé-
néral des troupes dans l'Inde orientale française, avait
l'honneur de transmettre la gloire du nom illustré par un
maréchal des armées de France sous Napoléon 1er et par
quelques généraux de distinction. Le chef de cette famille
en France porte le titre de marquis de Lauriston.
CAEN, BARON DU CAP TOURMENT
Armes : D'azur à une fleur de lys d'argent, couronne
seigneuriale.
Histoire : Guillaume de Caen, dont le nom est dérivé
d'une seigneurie en Normandie, un fief noble de haute,
moyenne et basse justice, avait Thonneur de porter le titre
de la première baronnie concédée par le roi de France au
Canada, quoiqu'il fût ensuite dépossédé. La postérité ré-
side dans la Guadeloupe.
LIENARD, COMTE DE BEAUJEU
Armes : D'or au lion de sable armé et lampas.sé de
gueules.
Histoire : Cette famille était rangée pendant des siècles et
depuis le IX siècle parmi les grands feudataires de la
France. Le nom de Beaujeu de Beaujolis est renommé dans
l'histoire. De cette famille fut Anne de Beaujeu, reine de
France.
206 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Philippe, comte de Beau/eu, chef du gobelet du Roi, gui-
don des chevaux légers de la garde du Roi et son épouse
Catherine Gobert eurent un fils :
Louis Liénardf comte de Beaujeu, chevalier de St-Louis,
major des troupes envoyées au Canada en l/eo. Il naquti
en 1682 et épousa à Montréal en 1706 Denise T., fille de
Jean B. Migeor, remeuse de L. S. les enfants de la famille
royale. Enfants : I Louise, II Louis J., III Marie J., IV Da-
niel H., V Marie C, VI Charlotte, VII Louise, VIII Louis,
IX Marie J. R, X Jean B. G.
Louis Liinard^ comte de Beaujeu, né en 17 16, fils du précé-
dent, seigneur de Villemonde, lieutenant des troupes,
épousa (Québec 1747) Louise C, fille de François C. Cugnet,
et ensuite Geneviève, fille de Paul J. Lemoyne (1753), de la
famille du baron de Longueuil. Enfants : I Julie L., II Eli-
zabeth G., III Marie L., IV François, V Marie. Le chef
actuel de la famille est Marie, Jules, Georges, Raoul, Mo-
nougahéla Saveuse, vicomte de Beaujeu, et membre du
conseil de l'Ordre Seigneurial. Cette famille a donné au
Canada un des héros de son histoire : Daniel Hyacinthe de
Beaujeu, commandant au fort Duquesne sur l'Ohio, qui dé-
fit le général anglais Braddock et son armée de plus de
2,000 réguliers avec à peine 600 Canadiens-Français et
Peaux Rouges.
*
* -*
LORE
Armes : D'hermine à trois quintefeuilles de gueules.
Couronne seigneuriale.
Histoire : Maison d'origine chevaleresque qui a pris son
nom d'une terre située à trois lieues de Mans et où l'on
comptait cent quarante-sept feux. Elle florissait dès le
treizième siècle, et avait contracté des alliances avec les
plus anciennes familles de l'Anjou, du Poitou, du Maine
et de la Touraine.
LA NATION FRANCO- NORMANDE AU CANADA 207
PREVOST DE ST-FRANCOIS
Armes : Tiercé au l d'azur au croissant d'argent ; au 2
d'or à trois étoiles d'azur ; au 3 de sable à la sirène d'ar-
gent. Couronne seigneuriale.
Histoire : Famille qui a donné Robert Prévost, seigneur
de Montreuil du Péreux, trésorier, receveur général et
payeur des rentes de l'hôtel de ville de Paris. Né vers l'an
1654, ^ut reçu conseiller-secrétaire du Roi, de sa maison et
de la couronne de France et de ses finances. Cette famille
en obtint les provisions le 3 mai 1708.
Jean B. Prévost, sieur de St-François, représentait cette
famille au Canada en 1683, date de son mariage à Beau-
port avec Marie, fille de Martin Giroci. Mais il épousa
ensuite en 1712 à Ste-Famille, Marie G., fille de Jean Sedi-
lot. Son père fut Martin et son srand-père et grand'-
mère furent Pierre, et Charlotte (View) Prévost Montreuil
sur Bois de Vincennes.
*
•* *
DE LA MOTHE DE CADILLAC
Armes : De gueules au lion d'or, la patte dextre surmon-
tée d'une étoile du même au canton dextre de l'écu. Devise :
Hinc lucet, hinc dimicat. Couronne seigneuriale.
histoire : La famille de La Mothe est une des plus an-
ciennes du Vivarais ; elle établit par actes authentiques sa
filiation depuis l'an 1371. Elle a porté jusqu'en 1545 le
nom de Chalendar, époque à laquelle elle a pris le nom de
La Mothe. Lors de la vérification des titres de noblesse,
des jugements, à la date du 7 juillet 1668 et au 1er septembre
1669 la lui confirmèrent sous ce nom dans les provinces du
Languedoc et du Dauphiné. Presque tous les membres de
cette famille ont servi successivement dans les pages de
la Chambre et de la petite écurie et ont tenu des emplois
élevés dans la marine et dans l'armée territoriale. Le titre
de comte a toujours été à la famille qui jouissait, avant
1789, de tous les droits seigneuriaux.
208 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Antoine de La Mothe, sieur de Cadillac, de cette famille,
était capitaine en 1699 commandant le fort Pontchatrain
dans la Louisiane, de laquelle province il devenait gouver-
neur en 1714. Il naquit en 1661, fils de Jean de La Mothe
(frère du marquis de Jourdis) et de Jeanne de Malenfant
(Toulouse). Il épousa à Québec en 1687 Marie Thérèse, fille
de Denis Guyon.
* *
AMYOT DE ST,E-CROlX
Armes : D'azur à la bande d'argent chargée de 5 mou-
chetures d'hermine de sable posées dans le sens de la
bande. Couronne seigneuriale.
Histoire : Cette famille avait donné beaucoup d'hommes
illustres dans la litérature et les arts en France. Elle est
d'origine normande et fut établie à Moyencourt en Nor-
mandie.
Mathieu Amyot, né à Chartres (Normandie) marié au Ca-
nada à Marie, fille de Pierre Miville à Québec en 1650.
Son père et sa mère furent Philippe Amyot (Chartres) et
Anne Convent, fille de Guillaume et d'Antoinette de Long-
val, évêché de Soissons. Par la recommandation du mi-
nistre Talon auprès du Roi, il fut doté de la seigneurie voi-
sine de Ste-Croix. Son fils :
Charles Amyot, seigneur de Vincelette, marchand, né
en 1650, épousa Geneviève, fille de François de Chavi-
gny, sieur de Berchereau-Créancé en Champagne, et de
son épouse Eléonore de Grandmaison. Son fils :
Charles Joseph Amyot, seigneur du Cap St Ignace, épousa
en 1691 Marie Gabrielle, fille de Jean Hautmonay. Issu
de lui fut :
Gabriel J. Amyot, sieur de Hautmonay, qui épousa à Qué-
bec en 1741, Marie, fille de J. B. La Coudray.
*
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 209
AVICE DE LAGARDE
Armes : D'azur à 3 diamants taillés en triangle posés sur
leur pointe. Chaque diamant à 3 facettes. Couronne
seigneuriale.
Histoire : D'une ancienne famille de Poitou, Charles H.
Avice, sieur de Mougon, exempt des Gardes du Roi, co-
lonel de cavalerie, épousa Blanche Colombe de Rasilly
(N.-D. de Niort, Poitiers) et son fils :
Michel M. Avice, seigneur de la Garde au Canada,
épousa à Montréal en 1760 Marie A., fille de Louis Prud'-
homme.
*
AUDET DE BAYEUL
Armes : D'azur à 3 épées d'argent pointes en bas. Cou-
ronne seigneuriale.
Histoire : De cette famille d'Odet ou Audet de Bretagne,
est dérivé :
Louis Audet, sieur de Bayeul au Canada, marié en 1702, à
Contrecœur, à Madeleine, fille de Toussaint Chrétien, et en-
suite en 1702 (Isle de Jersey), à Marie A., fille d'Antoine
Trottier.
*
* *
D'AMOURS DE CHAUFOURS
Armes : D'argent à trois clous de sable surmontés d'un
sanglier du même. Couronne seigneuriale.
Histoire: Mathieu D'Amours, seigneur de Chaufours, un
des grands seigneurs du Canada, né en 1518, marié (Qué-
bec, 1652) à Marie, fille de Nicolas Marsolet. Il fut fils de
Louis D'Amours, conseiller du Roi en son château à Paris,
et d'Elisabeth Tessier (St-Paul, Paris), et la cinquième gé-
nération de François D'Amours, seigneur du Serin (1490),
maître de l'Hôtel de Sa Majesté Louis XII. Un.des frères
de Mathieu (Gabriel) était aumônier de S. M. le Roi Louis
210 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
XIV en 1664, et un autre (Pierre), chevalier et maréchal des
champs. Mathieu avait plusieurs fils dont :
Louis D'Amours^ sieur de Jemsey en Acadie, né en 1655,
épousa en 1686, à Québec, Marguerite, fille de Simon
Guyon.
René D'Amours^ sieur de Clignancourt, né en 1660, épousa
Françoise C, fille de Charles Le Gardeur.
Mathieu D'Amours^ sieur de Preneuse, né en 1657, épousa
Louise, fille de Simon Guyon.
Charles D'Amours, sieur de Louvière, né en 1662 (rivière
St-Jean, Acadie), épousa en 1698, Marie A., fille de François
Genaple, et ensuite à Port Royal, Acadie, Marie A., fille
de Pierre Thibodeau et de n Jeanne Terio.
Bernard d'Amours, sieur de Plaine, officier à Port Royal,
Acadie, marié à une fille de La Borgne de Belleisle.
ADHELMAR DE ST-MARTIN, ETC.
Armes : D'or à 3 bandes d'azur. Couronne seigneuriale.
Histoire : Ancienne famille de Provence de laquelle était
Antoine Adhémar, sieur de St-Martin, notaire royal au
Canada, né en 1740, fils de Michel Adhémar et de Cécile
Dalbe (St-Salvy, d'Alby, haut Languedoc), qui épousa Ge-
neviève, fille d'Antoine Segeot et de Marguerite ruffel, St-
André-des-Arts, Paris. De la même famille aussi en Ca-
nada était :
Gaspard Adhémar, seigneur de Lantagnac, fils d^Antoine,
gouverneur de Manton, Provence, et de Jeanne de Truck.
Il était chevalier et lieutenant, marié (Québec 1720) à Gene-
viève, fille de Mathieu, sieur de Lino.
BOURGONNIERE DE HAUTEVILLE
Armes : De gueules au chevron d'or, accompagné de 3
croissants d'argent. Couronne seigneuriale.
LA NATION FRANCO NORMANDE AU CANADA 211
Histoire : Le premier de cette illustre famille au Canada
fut:
Barthélémy François Bourgonnière, sieur de Hauteville,
secrétaire du gouverneur, né en 1666, fils de Yves Bourgon-
nière, notaire royal de Bayeux, et de Françoise Testu. Il
épousa (Québec 1696) Marie A., fille de Jean Levrard.
RIGAULT, MARQUIS DE VAUDREUIL
Armes : D'argent au lion de gueules, couronné d'or. Cou-
ronne seigneuriale.
Histoire : Les seigneurs de Rigault furent d'une haute,
ancienne et puissante race à St-Papoul, en France.
Jean L. de Rigault, seigneur de Castel-Verdun et de Vau-
dreuil, accompagna les troupes de France au Canada
comme officier supérieur. Il épousa à Québec, en 1690,
Louise E., fille de Pierre de Joybert, seigneur de Soulange.
Ses enfants : I Louis P., II Philippe A., III Pierre, IV Hec-
tor, V François, VI Joseph H., VII Louise E.
Louis Philippe de Rigault, marquis de Vaudreuil, capi-
taine des gardes, né en 1691, fils du précédent, fut succédé
par son frère :
Philippe Anaud de Rigault, marquis de Vaudreuil, der-
nier gouverneur-général du Canada pour le Roi de France
Louis XV en 1/59, naquit en 1705 et épousa Antoinette
Colombel.
Le marquis de Vaudreuil aussi fut gouverneur de la
Louisiane et lorsque la collection Vaudreuil, contenant les
archives du Canada et de la Louisiane de son administra-
tion, fut dotée à la Louisiane par l'héritier du titre dans le
XIX siècle, l'administration anglaise au Canada se félicita
de la perte de cette collection.
*
* *
DE ST-VINCENT, BARON DE NARCY
Armes : Ecartelé aux l et 4 d'or à un bœuf passant de
gueules, clarine du même, au canton senestre d'azur chargé
d'une croix potencée et alésée d'or ; aux 2 et 3 d'or à une
212 LA REVUE FRANCO -AMÉRICAINE
cloche de gueules. Couronne de baron et de seigneur.
Cimier : un bœuf issuant entre deux bannières aux armes
du deuxième. Aussi couronne seigneuriale.
Histoire : Cette famille est ancienne et noble dans la
Champagne et les Pays-Bas.
Pierre de St-Vinceat, baron de Narcy en Champagne,
premier capitaine des troupes du pays, chevalier de St-
Louis, né en Iô6o, épousa Marie Antoinette Ducjard. En-
fants : I Marie H., II Henri A., III Jean C, IV Daniel, V
Elisabeth.
Henri Albert de St- Vincent, fils du précédent baron de
Narcy, officier des troupes à Lorette (Canada) en 1730,
épousa (Québec 1719), Marie M. L., fille du seigneur Jacques
Le Vasseur. Enfants : I Thomas A., II Marie T. E., III
Charles A.
Thomas Antoine de St- Vincent, baron de Narcy, fils du
précédent dont les descendants continuent les titres et les
droits de famille.
TONTY, BARON DE PALUDY
Armes : D'argent à la bande engraillée de sable. Ci-
mier : Un oiseau au naturel affronté de 3 plumes d'autru-
che de gueules comme descendant des comtes Dondi à Ve-
nise. Couronne de baron et de seigneur.
Histoire : Laurent Tonty épousa Isabelle de Liette et son
fils fut :
Alphonse Tonty, baron de Paludy capitaine-comman-
dant le poste de Détroit, né en 1659, marié d'abord (Mont-
réal 1689) à Anne, fille de Pierre Picoté, famille seigneuriale
de Bellestre, et ensuite en 1717 à Marie A., fille de Jacques
Roch La Marque. Enfants : I Marie H., II Louis, III Char-
les II, IV Claude, V Thérèse, VI Pierre A., VII, Marie J.
Charles Henri Joseph Tonty, baron de Paludy, gouver-
neur du fort St-Louis, sur le Mississipi, fils du précédent,
marié (Chambly 1722) à Marie M., fille de Pierre Savourin,
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 213
et ensuite à Louise, fille de Charles Renaud (1732). En-
fants : I Angélique et des autres parmi lesquels a été
transmis le titre de Paludy. Il était le fondateur des
villes de Little Rock et de Preoria, et appelé le " Père d'Ar-
kansas."
(A suivre.)
:o:-
Etud
e sociale
Le Canada est un pays riche et prospère. On le dit par-
tout, même à l'étranger, et nous avons fini par y croire,
lorsque c'est par là que nous aurions dû commencer. Il faut
donc le répéter afin que personne ne l'ignore, surtout ceux
qui ne participent pas à la richesse nationale dans la
mesure qui devrait leur en revenir. Cela pourra les porter
à se demander pourquoi ils ne jouissent pas de toute leur
part de prospérité, et il n'en résultera que du bien au point
de vue social. Il faut savoir de quoi l'on souffre pour y
remédier, et c'est en remontant de l'effet à la cause que l'on
y arrive le mieux.
Nos gouvernants ont le pouvoir de maintenir l'équilibre
économique, et ils doivent le faire de telle sorte qu'aucune
classe de la Société ne soit plus favorisée qu'une autre. Ils
ont souvent la bonne volonté de le faire, mais leurs bonnes
intentions sont aussi souvent faussées par la partisannerie
moutonnière, trop facilement satisfaite. C'est par elle que
nous manquons à notre devoir de les renseigner sur les
besoins réels et pressants. Pour bien diriger il faut bien
connaître, et comment arriver à la vérité économique
lorsque la plupart des électeurs sont des politiciens com-
promis avant d'être des économistes de bonne volonté.
Il y a d'heureuses exceptions et votre excellente Revue
est avec les meilleures. Cependant son nom ne nous rap-
pelle pas moins que la race française en Amérique est par-
tagée en deux grands tronçons. Si nous remontons à l'épo-
que de la séparation, qui s'effectua surtout entre l86oet 1875,
il faut bien dire qu'il ne fut rien fait de pratique pour
enrayer un mouvement que Ton a justement considéré
comme une calamité nationale. Nous aurions dû élever le
principe économique remédiateur à la hauteur d'une ques-
tion nationale; l'on préféra dans le temps en faire une
ÉTUDE SOCIALE 215
question de parti, quitte à en déplorer par la suite les
conséquences néfastes.
Nous avons constaté brièvement sans discuter, voulant
seulement en arriver à formuler un vœu, qui est celui-ci :
C'est que les continuateurs de ceux qui nous donnèrent la
protection, cause principale de la prospérité que nous
constations au début, complètent la grande œuvre des ini-
tiateurs de cette politique bienfaisante, en mettant les
questions de tarif hors du domaine de la politique active
et des débats stériles de parti.
Si le Canada est riche et prospère, la richesse n'est pas
également répartie entre les différentes races qui composent
la nation. Nos compatriotes sont d'excellents travailleurs,
et leur activité contribue grandement au développement
de la richesse nationale. Néanmoins la race française
n'est pas cotée bien haut que nous sachions dans la fi-
nance. Le Star de Montréal donnait à la fin de 1911 une
liste de cent^millionnaires de notre métropole, et dans cette
nomenclature on ne relevait que trois noms français : For-
get, Beaubien et Béique.
Notre nationalité produit peut-être autant qu'une autre
en Canada ; ce qui est certain, c'est que nous sommes-
moins outillés que les autres pour conserver et bénéficie/
des fruits de notre production. La finance, c'est l'argent
des autres, a dit un économiste. La finance en France a
été grandement alimentée par l'épargne populaire, qui a
fait des prodiges. Il faut qu'il en soit ainsi pour les nôtres
dans ce pays, malgré que la situation soit bien différente.
Il y a dans notre ancienne mère-patrie unité nationale,
tandis qu'ici plusieurs nationalités se coudoient sans se fu-
sionner. Mais elles peuvent se coaliser contre une autre et
c'est alors que la vigilance est le prix de la liberté. L'asser-
vissement par le capital est une vassalité qui n'est pas
plus désirable qu'une autre servitude.
Lorsqu'il n'y a point unité de race, il ne peut y avoir
216 LÀ REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
unité d^action financière, et c'est la nationalité qui a le
plus grand nombre d'institutions financières, qui profite
le plus de l'argent des autres. Il faut donc un mot
d'ordre : alors faisons surgir des organisations qui offrent
des placements sûrs et fructueux à l'épargne populaire,
tout en servant à l'accumulation des capitaux. Organi-
sons surtout dans les branches où nous faisons la plus
piètre figure. De plus, ne copions pas trop les institu-
tions étrangères, car notre mentalité étant différente,
nous n'y trouverions pas toujours le succès. Adaptons
plus tôt, et ce qui est mieux, créons ce qui est indispen-
sable à nos besoins actuels, sans cesser d'améliorer et de
perfectionner ce qui existe déjà.
N'oublions pas que dans un pays comme le nôtre,
une race ne peut être maîtresse de ses destinées sans
contrôler les institutions qui reçoivent ses épargnes, et nous
trouverons là le but vers lequel doivent tendre nos efforts.
C'est en cherchant une solution aussi pratique à nos pro-
blèmes sociaux que nous assoirons l'avenir sur des bases
solides. Nous avons tous les éléments nécessaires à la for-
mation d'organisations sérieuses, capables de produire la
plus grande somme de bien. Il ne s'agit que de les réunir
et de les mettre en action. Les grands financiers n'ont pas
toujours le temps de penser aux petits. Pourquoi ces der-
niers ne prendraient-ils pas l'initiative d'œuvres qui con-
tribueront à leur émancipation financière }
Nous terminerons cette courte étude en signalant deux
organisations nouvelles qui promettent beaucoup et qui
tiendront tout ce qu'elles font espérer : l'une est 1' "Epar-
gne Foncière," l'autre est la "Société Hypothécaire.'' Elles
sont le résultat d'une étude approfondie de la situation et
des nécessités présentes. M. P. Bilaudeau eut le premier
l'idée de 1' " Epargne Foncière " et son travail serait peut-
être demeuré à l'état de projet sans les encouragements de
MM. J.-L. K.-Laflamme et J.-A. Lefebvre, qui non seule-
ÉTUDE SOCIALE 217
ment approuvèrent la suggestion mais insistèrent pour
qu'elle prît au plus tôt une forme réelle et active.
L' " Epargne Foncière" est sous demande d'incorpora-
tion et, en attendant les lettres patentes qui en feront défi-
nitivement une corporation, elle a ouvert ses bureaux au
No 71a, rue Saint-Jacques, Montréal. Ceux>de nos amis qui
s'intéressent à l'oeuvre naissante auront de plus amples
informations en s'adressant à la REVUE. Disons de suite
que cette Compagnie se propose de demander à ses adhé-
rents une piastre par semaine pour en faire le placement
sur propriétés foncières, à Montréal. C'Qst un placement
de tout repos et qui produira les meilleurs résultats. Ainsi
celui qui n'a que deux ou trois cents piastres ne peut, dans
l'état actuel du marché foncier, faire une transaction consi-
dérable, mais par 1' " Epargne Foncière,'^ qui réunira la mise
de chacun, l'opération peut se faire avec le plus grand
avantage.
Saint-Sorlin.
■:o:
Revue des faits et des oeuvres
Nos compatriotes de l'ouest américain
Il n'est pas trop tard pour signaler aux lecteurs de la
Revue la quatorzième convention de l'Union des Sociétés
canadiennes-françaises de l'ouest américain, tenue, dans
le mois de septembre, à Iron Mountain (Michigan).
A cette convention on a adopté les taux du Congrès fra-
ternel, qui sont, on le sait, le tarif minimum à exiger par
une société si elle désire se maintenir. La société, à l'ave-
nir, émettra des polices sur la vie de ses membres pour des
sommes variant de $250 à $2,000. Les conventions de la
société auront lieu tous les trois ans le 3e mardi de sep-
tembre. La prochaine convention aura lieu à Alpena,
Mich.
L'Union des sociétés a choisi le bureau suivant :
Chapelain — R. P. Farceau, de Iron Mountain, Mich.
Président— Mathias Filion, d'Escanaba, Mich.
1er vice-président — Emile F. Prince, de Lake Linden,
Mich.
2e vice-président — Ant. Chouinard, de Minneapolis.
Secrétaire — Eusèbe Bertrand, de Marquette, Mich.
Trésorier — Henri Routhier, d'Ishpeming, Mich.
Médecin-réviseur — Dr Charles F. Pequenot, de Détroit,
Mich.
Directeurs— Eugène Ménard, Sault Ste-Marie, Mich.; F.
X. Normand, Iron Mountain, Mich.; F. Cloutier, Calumet,
Mich.
L'Ecole Sociale Populaire
C'est une œuvre canadienne de fondation récente ; elle
est appelée à faire beaucoup de bien, si elle reçoit du pu-
blic l'encouragement qu'elle mérite. L'E. S. P. prit nais-
revije des faits et des œuvres 219
sance à Montréal, en janvier 191 1, dans un congrès inter-
diocésain convoqué par la Fédération générale des Ligues
du Sacré-Cœur; huit diocèses y étaient représentés. L'E-
cole veut " travailler au salut du peuple et à Tamélioration
de son sort, en propageant l'idée d'association catholique,
surtout sur le terrain professionnel." Les œuvres dont elle
cherche à provoquer l'établissement sont : "les caisses ru-
rales et ouvrières, les secrétariats ouvriers ou bourses du
travail, les unions professionnelles, les ateliers d'appren-
tissage, les patronages, les sociétés coopératives, les habi-
tations à bon marché, etc." Parmi les principaux moyens
d'action on remarque : I. les tracts périodiques ; 2. les cer-
cles d'études sociales; 3. les groupes de conférenciers ;
4. les secrétariats sociaux ; 5. les cours de l'Ecole ; 6. le re-
crutement des membres actifs. L'E. S. P. a aussi l'inten-
tion, aussitôt que les ressources le permettront, de fonder
une chaire d'études sociales, une bibliothèque sociale pu-
blique, et d'organiser des journées sociales. " Prêtres et
laïques, a dit S. G. Mgr Bruchési, dans une belle lettre aux
organisateurs, unissez-vous pour étudier les problèmes éco-
nomiques à la lumière de l'Evangile... L'Eglise compte sur
vous et la patrie vous sera reconnaissante, parce que vous
hériterez à brève échéance de la popularité du socialisme."
L'Ecole est administrée par un "Conseil central" et par un
"Bureau de direction." "Les membres d'honneur" se di-
visent en deux catégories : a) " fondateurs," qui contribuent
$500 ou plus ; b) " bienfaiteurs," qui donnent $100 en un ou
plusieurs versements. " Les membres actifs" sont, soit : a)
"correspondants," nommés par NN. SS. les Evêques ; soit
b) "actifs proprement dits," qui prennent part aux travaux
de l'Ecole et paient la contribution annuelle de $1, en re-
tour de laquelle ils reçoivent les grands tracts et sont admis
aux conférences gratuitement. Comme les cercles d'études
peuvent être agrégés à l'E. S. P., nous invitons les cercles
de l'A. C. J. C. à se mettre en communication avec notre
vice-président, Arthur Saint-Pierre, qui est le secrétaire de
l'E. S. P. et se fera un plaisir de fournir tous les renseigne-
220 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
ments désirés. L'adresse du " Secrétariat de l'Ecole So-
ciale Populaire est : 1075, rue Rachel, Montréal.
Retour au catholicisme
A Paris, dans la *' Revue de l'Archiconfrérie de N.-D. de
la Compassion," M. l'abbé Billecocq a dressé le tableau des
principales conversions de protestants anglais au cours de
l'année 1910.
On connaît déjà les plus remarquables parmi ces con-
versions, notamment celle des pasteurs de Brighton entrés
en conflit avec leur évêque sur la question du culte public
à rendre au Saint-Sacrement.
En dehors de ces retours sensationnels opérés à Brighton,
M. Billecocq signale la conversion de onze autres ministres
protestants et donne une longue liste de notables convertis,
parmi lesquels une nièce de M. Asquith, premier ministre,
et de hauts fonctionnaires civils et militaires d'Angleterre.
Après quoi, l'autorité ajoute :
" Après cette énumération des conversions les plus no-
tables, nous pourrions ajouter comme saint Jean dans l'A-
pocalypse : ** après cela je vis une foule immense que per-
sonne ne pouvait compter," car indépendamment des 200
conversions de Brighton, enregistrées ci-dessus, la " Lamp "
de Garrison, de mars dernier, affirme que dans le seul dio-
cèse de Philadelphie, plus de 300 convertis ont été confir-
més en mai 1910; et 1'" Examiner" de Bombay, du 25 fé-
vrier dernier, nous fournit, pour la même année, les conso-
lantes données qu'on va lire.
Et il énumère des conversions globales parmi lesquelles
nous relevons, en décembre, celle de \^ étudiants de St-
Louis aux Etats-Unis. M. Billecocq peut donc conclure
sans vain optimisme :
" L'année 1910 est une de celles qui ont vu le plus de
conversions, et parmi ces retours un grand nombre de la
plus haute importance... Mais ce qui est plus consolant en-
core, c'est de penser que cette statistique est loin d'être
complète et qu'en IQIO il y a eu, en dehors de ces conver-
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 221
sions, un grand nombre d'autres ignorées, qui ont contri-
bué, comme les plus éclatantes, à augmenter dans la région
où elles se sont produites, le prestige de l'Eglise catholi-
que. Le mouvement vers Rome s'accentue tous les jours
davantage, parce que nos frères séparés se rendent de plus
en plus compte de l'impuissance du protestantisme à leur
transmettre intégrale et pure la doctrine de Jésus-Christ."
Français et Allemands au Maroc
La France et l'Allemagne ne se battront pas au sujet du
Maroc. Il fallait bien s'y attendre un peu. Pour une fois,
les diplomates auront suivi le conseil de l'abbé Barthélémy :
" Toute guerre finit par là où elle devrait commencer — la
paix." Ils ont conclu un accord dont voici les articles
essentiels :
L'Allemagne reconnaît à la France le droit d'établir son
protectorat sur le Maroc, que les deux nations vont s'appli-
quer à faire reconnaître par les puissances signataires de
l'acte d'Algésiras.
En ce qui concerne le Maroc, la France consent à respec-
ter la liberté économique et commerciale mentionnée dans
les traités existants.
Comme compensation, la France cède à l'Allemagne en-
viron 250,000 kilomètres carrés de territoire dans le nord
du Congo, voisin du Cameroun.
Le territoire cédé est habité par un million de nègres en-
viron, et son commerce annuel est évalué à 12 millions de
francs.
La nouvelle frontière de la colonie allemande part de la
baie de Monda jusqu'à la rivière Sangha, puis à la rivière
Kandeko et par le Congo rejoint le lac Tchad en suivant
les rivières Oubanghi et Logoué.
La France conserve le droit d'exploiter les lignes de che-
min de fer sur le territoire allemand, afin de réunir les diffé-
rentes parties de ses colonies de l'Afrique occidentale.
L'accord ne touche en rien le Togoland, mais l'Allemagne
cède la partie du Cameroun appelée le Bec de Canard s'é-
tendant de la rivière Chari à la rivière Logoué.
222 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Elle cède tout le territoire réclamé par la France pendant
la longue controverse relative à la délimitation des fron-
tières du Togoland et du Dahomey.
Elle accorde à la France le droit d'établir une ligne de
postes le long de la rivière Benoué et le Mayo Kebbi sur le
territoire du Cameroun. De cette façon les communications
seront assurées entre les bassins du lac Tchad et du Niger.
La France et l'Allemagne acceptent de soumettre au tri-
bunal de la Haye toutes les difficultés qui pourraient surgir
par la suite.
La seule allusion aux droits commerciaux dans les terri-
toires cédés, est l'entente mutuelle de respecter les droits
des compagnies y ayant des concessions.
Et maintenant, si vous lisiez tous les journaux allemands
et français, vous finiriez par croire que des deux côtés on a
fait un marché de dupes !
Plus de biilets à la porte de Téglise
Son Excellence Mgr Diomède Falconio, délégué aposto-
lique à Washington, a adressé à tous les archevêques et
évêques des Etats-Unis, la lettre circulaire dont la teneur
suit :
Délégation Apostolique, à Washington.
Monseigneur,
Plusieurs fois déjà des plaintes m'ont été adressées au
sujet de cette coutume qui existe en maints endroits, de
percevoir à la porte des églises un certain prix d'entrée, de
la part de ceux qui viennent assister à la messe, ainsi qu'à
divers autres offices.
J'ai même appris que dans diverses localités des billets
se vendent habituellement pour entrer à l'église à l'occasion
de plusieurs fêtes, telles que Noël et Pâques. Ces billets
sont exigibles à la porte de l'église.
Une enquête était devenue nécessaire. Elle fut faite, et
il en résulte que les plaintes sus-relatées sont malheureuse-
ment trop vraies. La coutume que nous déplorons est en
vigueur dans différentes paroisses de la plupart des dio-
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 223
cèses. Les Ordinaires intéressés ont d'ailleurs été préve-
nus dûment par moi déjà, de mettre fin à cet état de choses.
Comme la coutume de percevoir de l'argent selon les mé-
thodes précitées est réellement répréhensible, comme cette
coutume a déjà été défendue et condamnée et qu'elle peut
aisément se propager tout en causant davantage de scan-
dale encore, non seulement chez les catholiques, mais aussi
chez ceux qui ne le sont pas, j'ai cru de mon devoir devons
expédier cette lettre-circulaire.
On sait depuis longtemps combien le Saint-Siège a ré-
prouvé sévèrement de telles méthodes. Ces méthodes ont
été condamnées d'une manière très explicite par le Pape
Pie IX en 1862. Non moins explicites que la susdite répro-
bation sont les prévisions adoptées par le second et le
troisième conciles pléniers de Baltimore, sur le même sujet
(cfr. conc. Pién. Balt. Il, No, 397 et conc. Plén. Balt. III,
No. 288). A tout cela, il faut ajouter que la Sacrée Con-
grégation de la Propagande a adressé aux évêques des
Etats-Unis, à la date du 15 août 1869, une lettre disant no-
tamment : *' Praxim pecunias exigendi ad fores ecclesiarum
ut fidèles ingredi possint, et divinis mysteriis adesse. . . pe-
nitus aboleri atque eliminari cupiens, S. Congregatio A.
Tuam nunc in Domino adhortari non desinit, ut omnem cu-
ram conféras, si forte in aliquibus istius diocesis locis con-
suetudinem hujusmodi invaluisse noveris, NE ULLI OM-
NINO COLLECTORES, quando christifideles in ecclesiam
ingrediuntur quo divinis mysteriis adstare, vel verbum Dei
audire possint, ad earumdem ecclesiarum fores ponan-
tur." (i)
Je tiens à vous dire en outre que le 22 mai 1908, Son Emi-
nence le cardinal-préfet de la Propagande, ayant reçu per-
sonnellement des plaintes au sujet de la coutume funeste
qui fait l'objet de la présente lettre, m'ordonna de prendre
des mesures afin de prévenir la répétition d'abus sembla-
(i)Xe ne sont pas les seules règles des conciles de Baltimore restées
lettre morte pour nos évêques américains. L'histoire de la " Corporation
Sole " en est un autre exemple ! (Réd.)
224 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
bles. Conformément à cet ordre, je prévins les évêques
dans les diocèses desquels les dits abus se commet-
taient.
Après tout ce que je viens de dire, Votre Grandeur, qui
considère la dignité de TEglise et le salut des âmes comme
première loi, sera de plus en plus convaincue de la néces-
sité de faire cesser radicalement des faits aussi perni-
cieux.
Conséquemment je vous requiers de donner l'ordre aux
curés de votre diocèse de mettre fin à toutes les coutumes du
genre de celles dont j'ai parlé plus haut, si ces coutumes
existent déjà dans leurs paroisses, et de ne permettre sous
aucun prétexte de les mettre en pratique si elles n'existent
pas.
Je sais parfaitement que dans certaines églises on per-
çoit de l'argent à la porte non à titre de don, mais en paie-
ment des places de banc. Cette habitude elle-même doit
êiire abolie, car en outre qu'elle jette une impression défa-
vorable sur nous et qu'elle a été la cause reconnue de faits
très regrettables, elle se trouve directement et manifeste-
ment opposée à l'esprit de la lettre sus-relatée, émanant de
la Sacrée Congrégation de la Propagande. Dans cette
lettre, en effet, il est dit d'une manière explicite : "Ne ulli
omnino collectores. . . ad ecclesiarum fores ponantur " — que
cette coutume soit donc elle aussi abolie.
Toutefois, afin que le revenu des bancs ne soit pas perdu,
Votre Grandeur pourra mettre en vigueur quelque autre
méthode contre laquelle nulle objection ne puisse s'éle-
ver.
Il n'est point besoin de dire naturellement que la pré-
sente lettre n'empêchera pas la distribution de billets don-
nés gratuitement, lorsque des circonstances spéciales né-
cessiteront leur emploi.
Je suis convaincu. Monseigneur, que Votre Grandeur va
mettre à exécution sans retard ce que je viens d'ordonner
comme un devoir de conscience et qu'Elle va en même
temps annoncer de ma part à son clergé que si, à l'avenir,
d'autres plaintes bien fondées me sont adressées relative-
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 225
ment à des faits du genre de ceux qui ont motivé cette
lettre, le curé responsable sera très sévèrement puni !
Veuillez donc, Monseigneur, m'accuser réception de cette
lettre.
Respectueusement à vous en N. S. J. C.
(Signé) D. FALCONIO,
Délégué Apostolique.
Ouvriers anglais et ouvriers américains
Parmi les arguments sans nombre qui ont été invoqués
par les républicains aux cours des récentes élections lo-
cales aux Etats-Unis, il en est de fort ingénieux. Ainsi,
les républicains qui depuis cinquante ans ont défendu les
théories protectionnistes, se sont surtout appliqués à faire
voir aux ouvriers les effets que pourrait avoir sur leurs sa-
laires la révision du tarif promise par les démocrates. Et
ils concluaient que pour être certains de défaire les démo-
crates aux prochaines élections présidentielles, il fallait,
dès cette année, organiser les forces protectionnistes et en-
voyer des majorités républicaines dans toutes les législa-
tures locales. Et on a suivi ce conseil à tel point que le
'^ Tammany Hall," la grande et longtemps toute-puissante
organisation irlando-démocratique de New- York, a subi
une des plus rudes défaites de son histoire.
On lira avec intérêt cette comparaison établie entre les
ouvriers anglais et les ouvriers américains, qui a été publiée
dans la presse franco-américaine. On attire l'attention des
ouvriers en textile sur les gages payés par deux manufac-
turiers, un anglais et un américain, puis sur la différence
du coût de la vie dans les deux pays, les chiffres donné!:
étant ceux des deux compagnies mises en cause, Joseph
Beun & Fils, de Clayton, Angleterre, et la Compagnie
Greystone, du Rhode Island.
En résumé, on démontrait que sous un tarif protecteur,
l'ouvrier américain reçoit 130 pour cent de plus que l'ou-
vrier anglais, tandis que ses denrées et son loyer ne lui coû-
taient que 52 p.c. plus cher.
226
LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
GAGES COMPARES PAR SEMAINE sSlford*
Woolsorters (day work) $7-79
Men box rainders 4.30
Noble comb minders 4.87
Can gill minders 3.04
Drawers 3.04
Rovers 2.68
Spinning overlookers 7.30
Girl spinners 2,74
DoflFers 2.19
Girl twisters ^ 2.68
Girl warpers 3.16
Weavers 3.85
Weaving overlookers 8.76
Joiners 7.75
Mechanics 7.30
Stokers 6.08
PRIX COMPARES SUR LES
VIVRES
Meilleure farine par 14 livres
Meilleur beurre (Danois) la livre
Meilleure graisse, la livre
Meilleur fromage, la livre
Sucre
Petit raisin sec
Raisin sec ....
Thé de Ceylan
Café
Oignons
Jambon
Lard fumé (Irlandais)
Pommes
Riz
Lait, la pinte
Vinaigre, la pinte
Lait suisse de Nestlé, le bidon
Bananes, la douzaine
*Americain.
Clayton and
Bradford
Prix
Coopératifs
Cents
50.7
34.5
18.2
20.3
5.6
10. 1
14.2
46.6
40.5
2.5
26.4
24.3
6.6
6.6
6.
8.1
II. I
16.
Greystone.
$16.22
8.11
9-63
7.09
7.09
7.09
15-21
6.20
4.56
7.09
8.11
11.37
16.22
15-21
15.21
12.17
Greystone
Prix
Coopératifs
Cents
54-7
*32-4
152
20.3
5-6
12.7
15.2
44-5
28.3
5-
25-3
20.3
3-
9-1
6.
7.1
7-7
12,7
-:o:-
Bibliographie
Pour les missions. — L'Apostolat en Afrique.
C'est un joli volume, illustré, d'une matière abondante, variée et ins-
tructive. Une carte géograpliique bien exécutée ajoute à l'intérêt en
permettant d'étudier ces territoires de missions de l'Afrique du nord,
du Sahara, et de l'Afrique du centre (équivalant en étendue aux ^ de la
Puissance du Canada) confiés aux Pères Blancs et aux Sœurs Blanches.
Domaines immenses, pleins de promesses, mais où tant d'ouvriers, tant
de ressources pécuniaires sont indispensables !
Cet ouvrage, imprimé à Québec, nous semble avoir une note suffisam-
ment canadienne puisqu'il contient une cinquantaine de pages écrites,
sous forme de lettres, par nos missionnaires (plus de 60 déjà) qui sont à
semer le grain de sénevé dans cette terre de désolation. De ce chef la
lecture devrait en être pour nous. Canadiens, d'un intérêt très spécial.
C'est donc un livre qu'il faut lire et que, par conséquent, il faut ache-
ter. Le prix, d'ailleurs, est à portée de toutes les bourses. A nos lec-
teurs, particulièrement à nos lectrices de la Nouvelle-Angleterre, nous
demandons cette modeste contribution à une grande œuvre.
On se le procure à L'Oeuvre des Missions d'Afrique, B. P. 158, Québec,
ou chez les libraires. Prix: 20c. franco, 25c. Cartonné, avec beau mo-
nument du cardinal Lavigerie à Biskra, au recto, et carte géographique,
au verso, 40c ; élégamment relié en percaline, 45c. par 10 exemplaires et
plus, 35 et 40c. version anglaise, 5c. en plus, ajouter 5c. pour recevoir
franco.
POUR VOUS, MESDAMES.— Le R. P. C. Doyon,0. P., a mis en bro-
chure sous ce titre, toute une série d'articles antialcooliques fort instruc-
tifs qu'il a dédiés aux femmes canadiennes, et aux femmes de son pays,
afin qu'elles sachent mieuK garder l'honneur de nos familles, et la géné-
ration de demain saine et vigoureuse, en la préservant de l'alcoolisme
sous toutes ses formes. Connaître le danger, ajoute l'auteur dans sa dé-
dicace, est la première condition pour le combattre avec succès.
Il faut donc lire l'ouvrage antialcoolique du P. Doyon. Dans moins
de 200 pages, il a eniassé une foule de récits intére«sanls et des rensei-
gnements utiles. Voici les titres de quelques-uns des chapitres de cette
brochure: Boissons, Poison ; L'ignorance criminelle; Le préjugé; L'hé-
rédité; La fée verte; La lutte sociale ; Le rôle de la femme ; etc.
228 LA REVUE FRANCO- AMERICAINE
On peut se procurer l'ouvrage du R. P. Doyon en s'adressant à l'au-
teur, Fall River, Mass.
L'unité, 25c. franco, cartonné ; 30c. franco, relié.
ASSURANCES, par Jos. T. Chenard. — Connaissances utiles à tous sur
l'assurance, principalement aux solliciteurs.
150 pages, relié en toile.
Kn librairie |i.oo — Franco $1.05.
IvES Deux FILLES DE MAITRE BIENAIMÉ.— Par Marie LeMière.
Un volume in-12. Prix franco. . 3 francs. Le même, relié toile bleue,
tranches marbrées, 3 fr. 50.
Actuellement en cours de publication par la "Revue Franco- Améri-
caine."
C'est dans le cadre opulent et rutilant de la Normandie, que l'auteur a
placé l'action principale de ce roman qui mérite d'être mis au premier
rang des productions m jdernes de notre littérature.
Maitre Bienaiuié, vieux cultivateur attaché à sa terre, comme à la
mère nourricière qui a donné l'opulence à tous ceux de sa race, a deux
filles aussi dissemblables de caractère qu'elles le sont au physique.
Mathilde est un peu gauche, un peu fruste. Tout chez elle, tient du
père, dont, avec son endurance au travail et son esprit de pondération,
elle est la collaboratrice précieuse. Léa, la cadette, est la vivante anti-
thèse de son aînée. Menue, délicate, belle d'une beauté qu'elle n'ignore
pas, mise en éveil par des lectures dangereuses, elle a, au cœur, des aspi-
rations qui la tourmentent et l'appellent vers un intonnu dont elle
caresse le prestigieux mirage sans en soupçonner les écueils.
Sourde aux bons avis que ne lui marchandent ni sa sœur ni son oncle,
un respectable curé du pays, la pauvrette repousse un honnête cultiva-
teur dont l'amour l'aurait régénérée. Une scène terrible é. late entre le
père et la fille qui fuit la maison paternelle pour ce Paris qui l'attire.
Hélas! la fugue de Léa entraîne de lamen'ables conséquences autant
pour elle-même que pour ceux qu'elle a abandonnés. Ceux qui ont lu ce
roman dans la "Revue Franco-Américaine" seront heureux de se procu-
rer l'ouvrage sous une forme séparée.
Envoi franco contre mandat-poste ou timbres français, non coloniaux,
à l'adresse de M. Henri Gautier, éditeur, 55, quai des Grands-Au-
gustins, à Paris.
MAGALL — Par M. Delly. Un volume in-12. Prix franco . . 3 francs.
Le même, relié toile bleue, tranches marbrées 3 fr. 50.
Pour ouvrir le récit, l'auteur nous place dans une des grandes gares de
Paris; un train vient d'arriver; déjà les voyageurs s'éparpillent dans
tous le» sens ; seuls, dans leur compartiment sont restés une jeune femme
BIBLIOGRAPHIE 229
qui semble dormir et deux enfants en pleurs. La femme a cessé de
vivre; les enfants ne peuvent donner, sur leur identité, que de vagues
indications ; ils s'appellent Fred et Magali Daultey et viennent de
Bombay, où leur père est mort quelque temps auparavant dans des
circonstances tragiques. La mère, Provençale d'origine, rentrait en
France, dans l'espoir d'y trouver l'emploi nécessaire à sa subsistance.
Voilà les pauvres orphelins sans asile, dans une ville oii ils ne con-
naissent personne, mais la Providence veille sur eux ; une voyageuse les
recueille et les fait adopter par la duchesse de Staldiff.
Cette duchesse est hautaine, mais elle a le cœur compatissant. Son
fils, lord Gérald, est loin d'être mauvais, mais il a tout l'orgueil de l'a-
ristocratie anglaise. Magali respecte, en lui, le fils de sa bienfaitrice,
mais elle ne l'aime pas.
Avec les années qui passent, la fillette devient une belle jeune fille.
Bien des sympathies lui vont, mais aussi bien des rivalités lui tendent des
pièges, auxquels elle échappera, grâce à l'intervention de lord Gérald qui,
malgré ses défauts, reste grand seigneur, loyal, inaccessible à la mesqui-
nerie des cabales.
Et une intrigue se noue, intrigue d'un charme captivant et prime-sau-
tier. Par un acte de générosité sublime, lord Gérald gagne le cœur de
l'orpheline et les jeunes gens comprennent enfin qu'un irrésistible attrait
les pousse l'un vers l'autre. Mais, hélas! il faut imposer silence à la
voix du cœur, car un duc de Staldifî, pair d'Angleterre, peut-il épouser
ime pauvre fille, une enfant trouvée?
Et l'action rentre dans le drame. Drame extraordinairemeut émou-
vant, corollaire de cet autre drame qui, plusieurs années auparavant,
coûta la vie au père de Magali.
Quel était le véritable nom de cet artiste qui se faisait appeler Luc
Daultey ? Quelle fut la main criminelle qui le frappa ? Comment saura-
t-on la vérité sur ce drame lointain, et quelle répercussion aura-t-il sur
les destinées de lord Gérald et de Magali ?
Le divulguer serait amoindrir le plaisir qu'on aura à lire ce beau et
bon roman.
Envoi franco contre mandat-poste ou timbres français, non coloniaux,
à l'adresse de M. Henri Gaut^r, éditeur. 55, quai des Grands-Au-
gustins, à Paris.
L'ALMANACH ROLLAND.— Agricole, Commercial et des Familles
pour 1912. Publié par la COMPAGNIE J.-B. ROLLAND & F'ILS,
6 à 14, rue Saint- Vincent, Montréal.
Prix ; 10 cts, franco par la malle, 13 cts.
-:o:
Les deux Filles de Maître Bienaimé
(SCENES NO RIVI A.N DES)
PAR
Marie Le Mière
(Suite)
. . Maintenant, suivie de Mme Lagarde, elle marchait près
de lui, croyant avoir des ailes, ne voyant plus rien, ne saluant
plus personne, tout occupée de celui qui venait de surgir,
comme par miracle, sur sa route. Que lui disait-il ? elle ne
savait plus trop ; elle écoutait la voix, qui était harmonieuse,
avec une pointe légère, très légère, d'accent faubourien . . Elle
riait de confiance aux traits d'esprit que Roger multipliait
sans relâche ; elle s'extasiait devant cette fî^conde intarissable,
et cette désinvolture qu'elle prenait pour le " nec plus ultra "
de la distinction !
— Quel dommage qu'on ne danse pas, fit le petit Monsieur,
encore excité par la musique endiablée qui lui criait en ce
moment dans les oreilles. C'est assez drôle, cette tarentelle !
Puis il fredonna :
— La si do la si do ré, — si si. .
— Ah ! tout cela ne ressemble guère à Paris . . soupira Léa,
penchant, d'un air dolent, sa tête mignonne.
— Tant mieux, cela me change ! déclara le jeune homme
j'ai l'impression d'excursionner dans une autre planète.
— Il en serait de même pour moi, reprit- elle, si je pouvais
aller là-bas. .
— Vous aimeriez Paris ?
— Oh ! Paris ! c'est mon rêve ! exclama Léa, la main sur
son cœur.
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIEN AIMÉ 231
— Je le conçois ! repartit Roger, qui, décidément, se piquait
au jeu ; vous y seriez parfaitement à votre place, et beaucoup
mieux qu'ici !
Léa tressaillit d'allégresse jusqu'au bout de ses petits sou-
liers mordorés. Elle le savait bien, qu'elle n'était pas du tout
campagnarde ! Mais comme il était aimable de le lui dire !
— Ils marchent sur vous, ces olibrius-là ! exclama d'un air
indigné le beau-iils d'Amélie, toisant un gros paysan qui ve-
nait de coudoyer la jeune fille. Ah çà ! sommes-nous chez les
Hurons ! chez les Congolais ? On ne peut pas seulement se
faire comprendre de ces indigènes ! Tantôt, à l'auberge, la
servante me regardait comme une bête curieuse parce que je
demandais un soda !
— Qui, la bête curieuse ? fit Léa, de plus en plus électrisée.
— Mais moi ! s'écria le jeune Daubreuil, éclatant de rire. .
Non ; elle plutôt ! Tiens ! tiens î
Et ses yeux ajoutaient :
— Vous avez de l'esprit. Mademoiselle ! De l'esprit aussi !. .
Allons, c'est complet.
Mme Lagarde voulait intei venir dans la conversation : Ro-
ger ne l'entendait même pas ; prodigieusement diverti par le
piquant de l'aventure, glorieux d'exhiber ses talents et avan-
tages devant des regards si visiblement éblouis ! Il prenait
plaisir encore, tant il était étourdi et fat, à promener en
triomphe, au milieu de ce public pourtant si dédaigné, le plus
joli minois et la plus jolie robe de toute l'assemblée.
Ils longeaient une file de loteries, où s'entassaient en pyra-
mides savantes les bols, les verres les porte-flambeaux, les,
vases à fleurs, spécimens du goût le plus criard.
— Si nous allions tirer ? proposa le Parisien ; ce serait amu-
sant de gagner quelques-unes de ces petites horreurs.
— Des abominations ! renchérit Léa, oubliant qu'elle possé-
dait, sur la cheminée de sa chambre, toute une collection d'ob-
jets de cet acabit. Cela ne fait rien : venez essayer votre
chance.
2^2 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
— Ma chance ! répéta Roger relevant sa moustache d'un air
vainqueur. Elle est tout essayée . . A vous d'abord . .
Une femme très grande, habillée de gris, tournait en ce
moment l'angle de la baraque ; une main s'avança vers la
robe rose, deux exclamations retentirent :
^Léa!
— Mathilde !
Léa se frotta rapidement les yeux : ah ! oui, Mathilde, les
Chaumel ! Où donc les avait-elle laissés ? dans quelle sphère
nébuleuse ? dans quel passé lointain !
La fille aînée de Brissot était haletante et semblait cons-
ternée, égarée. Que voyait-elie, bon Dieu ! Qu'est-ce que cela
voulait dire ? Léa paradant avec des raines coquettes au bras
d'un élégant, d'un inconnu. . et causant, riant avec lui, de fa-
çon à se faire remarquer de tout le monde ! Mais Mathilde
aperçut Mme Lagarde, et crut comprendre ; du reste, Léa, les
prunelles pétillantes, se chargea d'expliquer :
— Tu me cherchais, me voici, avec ma tante et mon cousin !
— Très honoré du privilège ! répliqua Daubreuil avec un
plongeon. D'ailleurs nous sommes en Normandie, et l'on y
cousine à perte de vue ; ce qui n'est pas pour me déplaire.
Mathilde tendit simplement la main au jeune homme, s'in-
forma, en quelques mots, de la santé d'Amélie ; mais quelque
chose d'étrange la serrait au cœur.
— Tu nous en veux, ma bonne fille, de t'a voir enlevé ta
soeur, susurra Mme Lagarde, comme si elle l'eût devinée.
— Mais pas du tout, ma tante, et je resterais bien aussi
avec vous ; seulement, nous ne sommes pas libres. Les voisins
qui vous ont amenées sont bien " en soin " (1) de Léa ; depuis
une demi-heure, ils se demandent où elle est passée. .
— Si tu crois qu'il n'est pas facile de se perdre là-dedans !
interrompit Léa.
— Enfin, l'essentiel est de se retrouver, reprit l'aînée avec
(i) En peine.
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 233
un sourire tant soit peu contraint. Voilà le Salut qui sonne :
vous y venez, ma tante ?
— Impossible, ma chère enfant ! Je le regrette, mais dans
cette atmosphère suffocante, je risquerais de m'évanouir.
— Alors on va être obligé de vous dire " à une autre fois,"
conclut Mathilde de son accent tranquille.
— Mais je n'ai pas besoin de venir au Salut, moi ! protesta
sa cadette, rouge de contrariété.
— Mme Chaumel te garde une place ; tu ne peux pas faire
d'impolitesse. Et puis, manquer le Salut, ce ne serait pas
bien, tu sais ? Ma tante excusera.
— (Jh ! comment donc ! fit Amélie.
Et après un rapide échange d'adieux, Mathilde s'éloigna,
entraînant sa soeur par le poignet.
— Eh bien ! déclara Roger d'un ton admiratif, en voilà une
qui n'y va pas par quatre chemins ! Elle n'est pas mal non
plus, en son genre. . Un magnifique modèle pour Millet. . si
Millet vivait encore. Mais la petite, on va la revoir, dites,
belle-maman ? JSon, ce qu'elle est amusant3 !
— Laissé moi, dit sèchement Mme Lagai de en l'écartant du
geste : j'ai mal à la tête.
Au moins, qu'il lui donnât le temps de coordonner ses
idées ! Devant la tournure brusque, inattendue, que prenaient
les choses, elle avait presque peur. . N'allait-elle donc rap-
porter, de sa fugue à la Salette, que la sensation d'une mi-
graine atroce, et l'impression sourde, irritante, qu'elle avait
déchaîné des événements dont elle ne serait plus maîtresse au
jour où elle prétendrait les diriger ?
. . Abasourdie, comme ceux qui viennent de faire . une
chute, Léa suivait Mathilde en maugréant indistinctement.
Mathilde ne semblait pas entendre. C'est qu'il n'avait pas
du tout l'air sérieux, ce jeune homme ! Ne s'était-il pas mo-
qué de Léa ? Est ce qu'on pouvait savoir ! Enfin, cela n'avait
pas beaucoup d'importance ; on ne le feverrait probablement
jamais.
234 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
— Entre, dit la soeur aînée au seuil de la chapelle ; Mme
Chaumel est à droite, vers le milieu. Moi, je vais acheter un
cierge.
Déjà le Salut commençait, l'autel n'était plus qu'un bloc de
feu, entouré d'un cercle éblouissant par les rangs serrés des
chapes. A genoux contre la grille du chœur, le plus près
possible de la Vierge, Louis Chaumel priait de toute son âme
chrétienne, de tout son cœur simple et profond.
— Notre-Dame-de-la-Salette, protégez celle à qui je pen-
sais, sans m'en douter, quand elle était encore petite ; celle
que j'aime tant, que j'ai aimée toujours ! Bénissez mes pro-
jets, faites-moi heureux pour qu'on soit heureux chez nous !
Rendez-la sérieuse, forte et vaillante comme ma mère, et don-
nez-la moi bien vite pour que je la préserve de tout ce qui
pourrait lui faire du mal.
Absorbé par cette ferveur qui lui mettait les larmes aux
yeux, il ne sentait point passer les minutes. Mais voilà qu'un
frisson parcourut l'assistance, qu'un souffle frémit et gronda,
pareil au grand vent de mer quand il rase les plaines du Co-
tentin. Un prêtre à la physionomie ardente, à l'organe rude
et puissant, venait d'entonner le cantique populaire :
Reine des Normands, nous te saluons !
Vierge immaculée, en toi nous croyons.
On eût dit que la voûte et les murs allaient crouler sous la
poussée tumultueuse des ondes sonores.
Louis se leva tout droit ; sa belle voix grave entraînante,
s'ujiit à l'enthousiaste clameur où semblait re ître la piété
naïve des vieux âges.
Jadis nos aïeux, soumis à ta loi.
Sans rien réserver, t'ont donné leur foi.
A ce moment, la voix de Mathilde Brissot retentit près du
jeune homme. Après avoir offert son cierge, elle était restée
là, pour mieux s'emplir l'âme d'encens et de prière, pour rap-
I
LES DELX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 2^5
porter, au milieu de sa vie austère et laborieuse, plus d'idéal
divin. Le reflet des flambeaux donnait à ses traits une dou-
ceur chaude, allumait des lueurs dans ses grands yeux. Et la
voix mâle et la voix fraîche n'en faisaient qu'une.
Bénis nos travaux ! Donne à nos sillons
Soleil et rosée, et riches moissons.
Louis fut obligé de se taire, tant l'émotion le poignait !
Mais pourquoi Léa n'était-elle point à ses côtés ? Comme il
aurait voulu, en ce moment si beau, la voir, l'entendre, la
sentir là, tout près, vibrante des mêmes émotions, transportée
par la même prière !
Quand la foule, avec un bruit de reflux, s'écoula dans le
jour qui se donait chaudement, Louis chercha en vain la robe
rose .• en vain il se posta près du bénitier. Déjà Mathilde
avait rejoint, sur le seuil, Mme Chaumel et toute sa compa-
gnie.
— Ah! te voilà ? fit la mère de Louis en apercevant la
jeune fille. Ta sœur est sortie avant le Tantum ergo, en me
disant qu'elle étouflîiît, et qu'on la retrouverait d'ici deux mi-
nutes auprès du Calvaire. Je ne la vois pas . . C'est qu'il est
bientôt temps de ratteler !
— Allez où vous avez affaire, Madame Chaumel, répondit
Jiiîathilde, moi, je vais attendre Léa.
Fort contrariée, elle s'assit sur le petit mur, à gauche du
Calvaire. Cette éclipse soudaine l'inquiétait pour des raisons
multiples !
— Mathilde ? appela t-on près d'elle.
Elle se retourna si vivement, qu'elle se piqua la main à la
fausse épine de la clôture.
— Je suis obligé de repartir tout de suite, reprit Louis
Chaumel ; j'ai là deux petites médailles que je viens de faire
bénir ; voulez- vous bien en accepter une pour vous et une
pour votre soeur ?
Oh! celle-ci, comme il eût aimé à la remettre lui-même.
236 LA REVUE rRANCO-AMÉRICAINE
avec des mots qui auraient donné au présent une signification
toute particulière ! mais puisqu'il ne pouvait pas rencontrer
Léa. .
Les joues de Mathilde avait rosi sous leur hâle léger.
— Merci, Louis, répondit-elle ; merci pour nous deux. Vous
êtes bien aimable : elles sont très jolies.
— Ce n'est rien du tout, piotesta le jeune homme ; seule-
ment ces petits souvenirs-là nous portent à prier les uns pour
les autres.
Elle le regarda s'éloigner dans la clarté orangée ; et tout à
coup elle s'en voulut de n'avoir pas su trouver d'autres pa-
roles pour le remercier de sa bonne attention d'ami :
Mais qu'est-ce que Léa faisait donc ? A quoi pensait-elle ?
La multitude s'essaimait par les chemins, le roulement inin-
terrompu des carrioles se mêlait, dans la campagne, aux mu-
gissements des troupeaux. Le soleil se coucha ; un peu de
buée froide flotta dans les creux et Mathilde frissonna sur
l'esplanade déserte. Un appel monta du chemin :
— Mam'zelle Brissot ?
La jeune fille reconnut le valet de la Haie-d'Fpine.
— Mme Chaumel m'envoie vous dire qu'elle vous attend
chez Renard . . C'est-il que Mam'zelle Léa n'est pas encore
revenue ?
— Mais non ! répondit Mathilde humiliée et troublée au
delà de toute expression. Je ne sais pas ce que cela signifie . .
je crois qu'elle était avec des parents . . Pourvu qu'il ne lui
soit rien arrivé. .
La pauvre Mathilde balbutiait au hasard. Elle qui ne s'é-
nervait jamais avait envie de pleurer, et tiraillait le bout de
ses gants de fil. Une crainte folle lui traversa l'esprit :
— Si ma tante l'avait emmenée ! Il ne manquerait plus que
cela ! "
L'homme, perplexe, demeurait planté au pied du mur ; mais
une forme claire apparut là-baa, vers la grille, un pas volti-
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 237
géant effleura l'allée du parterre ; Léa s'élança vers sa soeur,
avec un petit air à la fois évaporé et décidé :
— Je les ai retrouvés ! Et je viens de les mettre en auto.
Ce que c'est agréable, l'auto ! Et M. Daubieuil, en voilà un
chauffeur *' à la hauteur " ! Si tu l'avais vu, ma chère !
— C'est bien, fit MathiMe, mécontente. Mais tâche une
autre fois, de prendre moins de temps pour tes adieux . . Les
Chaumel attendent depuis une heure, avec la voiture attelée ;
c'est ridicule de faire poser les gens comme ça.
— Alors j'ai commis un crime en allant embrasser ma
tante ? répliqua la petite personne, d'un ton provocant. Après
tout, fâche-toi si tu veux : tu auras deux peines !
Et, pirouettant sur ses talons, Léa prit délibérément les
devants, et se mit à fredonner :
" La si do la si do ré. . si si "
. . Pendant ce temps, la voiturette, fanaux allumés, filait
dans la poussière et dans la brume : Koger, dont la sveltesse
avait complètement disparu sous l'accoutrement de chauffeur,
continuait de rompre la tête endolorie de Mme Lagarde assise
à ses côtés.
— J'ai voulu voir, j'ai vu!. . Ah ! ah ! belle-maman, vous
me faisiez des mystères ! savez- vous qu'elle est furieusement
jolie, votre nièce ? tous mes compliments !.. La reine Mab
en personne. Un feu follet enfermé dans un Tanagra !.. Et
pas mal habillée du tout ! Un chic extraordinaire ! Où a-t-
elle pris ça dans le fond de sa campagne ? Du diable si je
m'attendais. .
Vraiment, cela devenait intolérable! Raillait- il? Préten-
dait-il mystifier sa belle-mère ? Ou bien . . était-ce réel, cet
engouement subit, et pouvait-on espérer en faire le fonde-
ment d'un édifice solide qui ne risquât point de s'écrouler un
beau jour. . sur la tête d'Amélie !
238 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
IX
LE MONSIEUR DE PARIS
Léa!
— Tout de suite, papa. .
Maîfre Bienaimé interrompit sa comptabilité laborieuse,
posa ses lunettes sur le registre et se dressa sur le seuil du
petit cabinet ouvrant au pied de son alcôve, et dont il gar-
dait constamment la clé sur lui. ^
Qu'est-ce que vous voulez ? interrogea sa fille, se plantant
au milieu de la cuisine et se balançant sur un pied, comme
une valseuse prête à partir.
—Coupe la viande pour la collation des hommes.
— Oui, papa. .
Kt, s'armant d'un couteau énorme, remuant la tête d'un
air délibéré et légèrement narquois, elle se mit à tailler des
tranches dans le lard rosé, strié de veines blanches et lui-
santes comme des incrustations de marbre, tandis que le
maître de la Closerie surveillait d'un œil scrupuleux les dé-
tails de lopération.
— Hé bien ! Léa, s'écria-t-il tout à coup, il faut dix por-
tions et tu en fais plus de quinze. . Bon, bon ! voilà une
autre affaire ! reprit-il, en la voyant diviser chaque tranche
en deux. Qu'est-ce (jue ça veut dire ? Es tu dans la lune ?
Elle le regardait vaguement, en personne qui ne comprend
pas.
. . Ah ça ! devenait-elle tout à fait folle ? C'est qu'il s'agis-
sait d'ouvrir l'œil ; Maître Bienaimé n'ignorait pas ce qui s'é-
tait passé à l'assemblée, car Mathilde, en évitant toute ré-
flexion capable d'indisposer son père contre sa sœur, avait
cru devoir, néanmoins, raconter l'apparition de Mme Lagarde
et de M. Daubreuii sur le champ de foire. Kt, depuis le 19
septembre, Léa prenait des manières nouvelles, parlait en pin-
çant la bouche, se tournait des chignons extraordinaires et
des frisons qui lui tombaient jusque dans les yeux et dans les
LES DEUX FILLES DE MAITRE BIENAIME 239
oreilles, chantonnait du matin au soir des " do ré mi," des " la
si do," elle qui n'avait jamais appris la musique et n'aurait
peut-être pas seulement pu monter la gamme sur un accor-
déon !
Qu'est-ce qu'Amélie était venue faire à la Salette ? . . Bris-
sot commençait à flairer quelque manœuvre louche. Jamais
encore personne ne s'était joué de lui . . Ah ! il ne faudrait
pas que Mme Lagarde s'avisât d'intriguer à ses dépens : il lui
signifierait, et carrément, qu'il n'est pas du bois dont on fait
les dupes !
Cependant Léa s'était installée de nouveau dans la salle, et
ses petits doigts bruns maniaient un crochet. Léa n'était
point à proprement parler une paresseuse : la sève exubé-
rante qui courait en elle se dépensait volontiers en herbes
folles, mais ne lui permettait pas l'oisiveté complète. Quand
la jeune fille ne lisait pas, ou qu'elle ne s'adonnait point, par
ordre, à l'une de ces besognes qualifiées par elle de " travaux
forcés," elle aimait à confectionner des riens amusants, comme
ce dessus de table composé de rosaces assemblées, en cordon-
net blanc et rouge. Mais il ne fallait pas que son père la
surprît dans cette occupation alors que la corbeille à raccom-
modages débordait de chaussetttes percées !
Un pas retentissait le long du cûemin qui passait sous la
fenêtre ; Léa se retira vivement en arrière du rideau, tandis
que son peloton roulait sous la table. . Si c'était lui, vrai-
ment, et s'il l'apercevait, habillée comme cela ! Lui, à Clair-
ville ! Non, cela ne se pouvait pas ? Et pourtant. . sous le
long pardessus à carreaux, digne d'un insulaire d'outre-Man-
che, elle avait bien cru reconnaître l'allure preste, souple, la
minceur élégante. Mais pourquoi cet attirail qu'il portait sur
le dos. . Décidément, elle se trompait : ce devait être un pho-
tographe.
Le soir, Mathilde, revenant de l'égfise où elle s'était con-
fessée pour la fête du Rosaire, suivait le chemin qui côtoie la
Vérelle. A ce moment des vaches débouchaient, une à une,
240 LA REVUE FRANCO-AMiRIGAINE
d'une " chasse " (1) étroite qui descendait en pente raide :
c'était le troupeau de la Closerie, que deux valets menaient
boire à la rivière.
La file s'allongeait ; les grandes bêtes au pied sûr, à l'allure
tranquille, pesamment balancée, faisaient rouler les cailloux
de la sente ; puis, maintenues par les deux hommes, elles se
massaient au milieu du chemin, avec de lourds remous, des
meuglements profonds. Elles entraient dans l'eau jusqu'à
mi-corps, et les flancs tachetés de roux, de blanc, de noir, fré-
missaient d'aise ; et les mufles roses se relevaient en cadence,
laissant découler, parmi les roseaux, des jets liquides, irisés
par le soleil.
Arrêtée à dix pas, la jeune fille observait ; puis, sans mot
dire, elle passa au milieu du troupeau, écartant de la main
deux ou trois bêtes qui la flairaient.
Au seuil de la ferme, Brissat regardait fonctionner l'appa-
reil à beurre : un baril fixé au mur, et contenant la crème,
barattée par un mécanisme ingénieux qu'un cheval actionnait
en tournant au milieu de la cour, sous la conduite du grand
valet. Le fermier aperçut sa fille et lui trouva une physio-
nomie telle, qu'il rentra instinctivement dans la cuisine, atten-
dant que Mathilde parlât.
— Papa, dit-elle en ôtant son chapeau, où sont donc les
quatre belles génisses que vous aviez achetées à la Mu-
guette (2) ?
— Pourquoi me demandes-tu ça ?
— Parce que je viens de rencontier tout le troupeau, et que
je ne les ai pas vues, répondit la jeune fille, qui délaçait
maintenant ses bottines sur la pierre de l'âtre. . Est-ce que
vous les auriez vendues avant-hier, avec les bœeufs ?
— Pourquoi pas ? Je puis vendre mes bêtes quand ça me
(i) Petit chemin.
(2) Grande foire de mai. Le mois des muguets.
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 241
plaît, j'imagine, fit Brissot d'un ton rogue, en chiffonnant le
rideau de cotonnade rouge.
— C'est que. . voilà. . repiit Mathildd mettant son tablier,
j'aurais cru que ce n'était pas le meilleur moment. Dans
quelques mois, elles auraient pu valoir cent francs de plus
chacune.
Une rougeur montait à son front, tandis qu'elle commen-
çait à tailler la soupe sur le bout de la grande table.
— Je m'y connais peut-être aussi bien que toi, répliqua le
fermier.
— Oh! papa, ce n'est pas pour dire. . seulement, si les
choses n'allaient pas comme vous voulez., si., vous aviez
des ennuis, j'aimerais mieux le savoir, je tâcherais de veiller
de plus près, d'économiser encore . .
La petite servante rentrait avec un panier plein de légu-
mes, et le dialogue se coupa net ; mais Mathilde, malgré son
calme apparent, demeurait confondue ; était-il possible que
son père fût serré de si près !... Une échéance, sans doute, l'a-
vait forcé de réaliser immédiatement une somme considérable,
et il avait emmené ses plus belles bêtes, celles qu'il était sûr
de vendre ! Klle savait bien que l'année n'était pas bonne,
que le commerce allait mal, que les foins et les blés avaient
beaucoup souffert des orages, que, maintenant, la sécheresse,
malencontreuse comme l'avait été la pluie naguère, empêchait,
les regains de pousser. Autrefois, maître Bienaimé se tirait, à
son honneur, de contretemps analogues, mais aujourd'hui !...
Que faire, pourtant ? Il fallait absolument sauvegarder les
apparences, ménager même la susceptibilité ombrageuse du
fermier. Mathilde ne s'offensait pas de cette humeur irri-
table : l'homme qui souffre devient facilement agressif, à
moins d'être un grand chrétien... Et le maître de la Closerie
était si peu chrétien 1 Sa religion se réduisait à une routine,
évidemment meilleure que l'abstention complète, mais si dé-
plorablement illogique ! Tout entier aux préoccupations ter-
restres, il ne se mettait même pas en peine d'établir un équi-
242 LA REVUE FRANCO-AMÉRICIANE
libre quelconque entre les pratiques extérieures qu'il conser-
vait et les théories incohérentes qu'il professait. Ainsi, Maître
Bienaimé allait à la messe du dimanche et rejetait au moins
la moitié des dogmes du Credo ; La Croix, prêtée par le Curé,
et Le Petit Parisien, prêté par l'instituteur, voisinaient fré-
quemment dans sa poche ; en politique, il n'avait pas d'opi-
nion fixe et n'éprouvait pas le besoin de s'en former une ;
souvent l'abbé Brissot avait tenté de l'amènera réfléchir, mais
le fermier répondait invariablement :
— Je ne m'occupe pas de tout ça ; c'est bon pour ceux qui
ont le temps !
Pendant que Mathilde continuait de s'affairer, tout en re-
muant au fond d'elle-même les plus tristes pensées, un jeune
étranger, enveloppé d'un pardessus écossais et suivi d'un ga-
min d'environ treize ans, porteur d'un chevalet, d'un pliant et
d'une boîte assez volumineuse, rôdait autour de la Closerie
qu'il examinait sur toutes ses faces. Après beaucoup d'hési-
tations, de tâtonnements, il finit par découvrir au delà des
étables une barrière non cadenassée, qui fermait un champ
immense, tout doré de soleil.
— Ça va bien ! murmura-t-il.
Des mains de son portefaix improvisé qui l'observait avec
des yeux énormes, il prit l'attirail, puis d'un geste pompeux,
il tendit une pièce de deux francs en disant :
— Tiens, mon brave !
Un gamin de Paris eut répondu : " Merci, mon prince." Le
gamin de Clairville se contenta de rire, d'un rire béat qui lui
fendit la bouche jusqu'aux oreilles, et détala précipitamment
au galop de ses pieds nus.
Le jeune homme s'avança vers le point culminant du
champ et s'installa devant son chevalet, sous un pommier su-
perbe ; la Closerie se présentait à son avantage, derrière cette
masse d'arbres arrondis et fructueux, symbole de richesse et
de prospérité ! Quelle idée ingénieuse il avait eue là ! Cela
lui permettait d'attendre sur place les bonnes inspirations et
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 243
peut-être de se ménager une entrée en matière ! Car, com-
ment se présente-t-on dans ces fermes ? En quelle langue
parle-t-on à ces paysans, êtres aussi énigmatiques, aussi dé-
concertants que les Groënlandais et les Esquimaux ? Poui la
première fois de sa vie, Roger Daubreuil se sentait embar-
rassé. Puis il y avait là-bas des vaches aux yeux hostiles,
aux cornes menaçantes . . Mais bah ! à vaincre sans péril on
triomphe sans gloire ; et le jeune homme, bravement, se mit
à vider ses tubes de couleurs.
Au bout de quelques minutes, il s'aperçut qu'il n'était pas
seul dans le champ : les bêtes, en s'écartant, venaient de dé-
masquer une grande paysanne massive qui évoluait lourde-
ment, près d'une haie, au milieu des cannes (1) qui luisaient
dans l'herbe comme autant de soleils. Elle les prenait une à
une, les déposait dans une petite voiture à bras et finalement,
empoignant les brancards et poussant le véhicule, elle s'a-
vança entre les pommiers dans une coulée de lumière ar-
deate qui faisait flamber ses cheveux roux.
— Oh ' délicieux ! . . Très normand . . pittoresque au pos-
sible !
Zélie lâcha les brancards si violemment, qu'une cruche per-
dit l'équilibre et laissa jaillir sur l'herbe un brusque flot de
lait.
— Arrêtez ! arrêtez ! criait le Parisien, joignant le geste à
la parole ; restez où vous êtes . . Cinq minutes ! Je vous de-
mande cinq minutes pour faire votre portrait.
— Me tirer en portrait ? bredouilla la servante.
Cramoisie, les bras pendants, les mains raides, elle demeu-
rait ébahie devant ce Monsieur qui avait l'air très bien, qui
tombait on ne savait d'où et qu'elle trouvait installé là comme
chez lui.
— Monsieur est photographe ? put-elle dire enfin de sa
voix traînante.
(i) Cruches à lait.
244 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
' — C'est ça ! Je fais de la photographie en couleurs ; oh !
soyez sans crainte, voua n'aurez rien à payer ; c'est pour moi.
Cette fois, l'ébahissement atteignit ce degré redoutable où
il abolit la notion du réel et supprime la pen<^ée ; Zélie, ré-
duite à un état purement passif, laissa Eoger opérer à l'aise
pendant un laps de temps qu'elle ne put mesurer. Subite-
ment, une voix cristalline retentit au seuil du clos :
— Zélie ! on m'envoie vous demander ce que vous faites. .
Tandis que la servante, interdit^ et confuse, balbutiait des
choses inintelligibles, Roger se levait, étouftant une exclama-
tion ravie. Par exemple ! il avait trop de chance : elle ! la
petite fée rose de l'autre jour 1 II est vrai qu'elle n'était plus
en rose : elle portait, juste Ciel 1 un corsage de percale dé-
teinte et une vilaine jupe courte, découvrant une paire de
gros souliers ! Par quel miracle trouvait-elle moyen de rester
aussi jolie, et d'effleurer l'herbe comme avec des escarpins ?
Mais Léa, littéralement abasourdie, presque 'effblée par la
stupeur de cette rencontre et par l'humiliation d'être sur-
prise en pareil négligé, se tenait immobile à dix pas du jeune
homme ; un tumulte d'impressions contradictoires la faisaient
trembler. Elle entendit à peine la phrase de salutation ;
bientôt, pourtant, la joie prit le dessus. Alors, luttant contre
son embarras, décuplé par la présence de Zélie qu'elle n'eût
cependant pas voulu éloigner, Léa s'approcha, minaudant un
peu, avec ce mélange de naïveté et de prétention qui lai était
spécial.
— Bonjour, mon cousin ! fit-elle la main tendue, comment
va ma tante ?
— Elle ne va pas plue mal. Mademoiselle ma cousine, et je
constate avec bonheur que vous n'avez pas changé non plus
depuis l'assemblée !
— Vous dites cela, murmura-t-elle en rougissant, mais je
suis sûre que vous ne m'avez pas reconnue d'abord...
Et i.éa, d'un air très affligé, tiraillait les plis de sa vieille
jupe.
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 245
— Comment donc ! protesta le jeune Daubreuil, vous me
faites l'effet d'être déguisée, voilà ! Et n'est-ce pas la vérité ?
Ne jouez-vous pas. à la fermière, comme les marquises de
Trianon ?
— Merci ! s'écria Léa, ne pouvant contenir l'élan de sa re-
connaissance.
Puis, s'apercevant qu'il la regardait avec étonnement, elle
eut peur d'avoir dit une sottise.
— Alors, reprit-elle d'une voix mal assurée, vous voilà dans
le imys ?
— Comme vous le voyez; je profite de mes vacances pour
explorer la contrée avec mon chevalet, aussi sorcier que mon
automobile aux yeux des bonnes gens ! Je passais tout près
de Clairville, et, ma foi. .
— Vous allez entrer chez nous ? invita Mlle Brissot avec
une certaine gêne, car un vague instinct l'avertissait que la
visite ne serait pas du goût de son père.
— Certes ! répondit le beau -fils d'Amélie, le temps de
réunir tous mes accessoiies, et de les confier. . Ah ça ! je dois
sans doute un dédommagement à cette brave fille, pour la se-
monce qu'elle va s'attirer à cause de moi. Elle a de l'attitude
de la couleur, savez-vous ? Cela a tenté mon pinceau. Mais
je l'ai détournée de sa besogne et de plus, j'ai commis une
violation de propriété ! Ne sont-ce point là deux cas pen-
dables ?
— Je ne crois pas qu'on vous pende, même une fois ! ré-
pliqua-t-elle en riant, de son joli rire si frais.
Mais, sans savoir pourquoi, elle éprouvait un malaise. Du
portrait de Zélie il n'était plus question, et la grande rousse,
libérée de sa contraiute, écoutait curieusement, tout en fai-
sant mine de caler ses cruches avec la paille qui garnissait le
fond de la voiture.
— Ainsi, vous save« peindre ? interrogea Léa.
— Certainement ; j'ai envoyé plusieurs tableaux au Salon.
246 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Roger se gardait bien d'ajouter que ces envois avaient été
impitoyablement exilés du sanctuaire !
— Oh ! montrez donc, s'écria la jeune fille en se glissant
derrière lui. C'est superbe !
Et Léa joignait les mains, en toute confiance, devant le bar-
bouillage où l'œil le plus expérimenté eût été bien en peine
de démêler quoi que ce fût.
Daubreuil rangeait ses tubes avec une lenteur calculée ;
mais la situation devenait de plus en plus embarrassante et
ne pouvait se prolonger. Déjà la rosée perlait au bout des
herbes ; de longues bandes de brume, à l'efiet curieux,
striaient le paysage d'automne ; Zélie finissait par s'éloigner
du côté de la barrière, et Léa répétait :
— Venez-vous à la maison ?
Il fallait absolument qu'il entrât ou qu'il s'en allât... C'était
une alternative fort ennuyeuse ; s'en aller ainsi, c'était ridi-
cule ; entrer... cela ne lui disait rien pour aujourd'hui. Il
avait voulu revoir Léa, qui, décidément, hantait ses rêves ;
il l'avait revue. Que lui importait le reste, cette Closerie
rébarbative, cette Mathilde puritaine, ce fermier qui menait
son monde à la baguette et que Roger se représentait comme
un père tyran ?
L'étourdi se décida brusquement ; tirant sa montre, — un
chronomètre des plus sélect — il exclama :
— Diantre ! six heures un quart ! Désolé, désolé ! C'est la
faute de cette bonne fille ; je dois être à la villa dans une
demi-heure ! On y fait de la musique, ce soir, et l'on compte
sur mon violon !
— Vous jouez du violon ?
— Oh ! je joue un peu de tout, répondit-il, avec le petit
rire satisfait dont il ponctuait presque toujours ses phrases.
Alors, j'aurai l'honneur de m.e présenter une autre fois chez
Monsieur votre père ; d'abord, il est tard, je craindrais de
déranger en tombant ainsi, comme un bolide ... et je ne suis
vraiment pas en tenue de visite !
LES DEUX FILLES DE MAITRE BIENAIMÉ 247
— Eh bien ! au revoir, dit Léa troublée.
— Au revoir ! répéta Roger avec un accent très eigniticatif .
Leurs mains se tendirent à la fois l'une vers l'autre ; quel-
ques secondes après, Daubreuil, chargé de son attirail, arpen-
tait la route en monologuant :
— Ce n'est pas très correct cette façon de s'esquiver sans
avoir salué le " paternel ". Bah ! bah ! ces paysans sont bien
incompétents en la matière !
Léa, cillant comme une personne mal éveillée et se posant
lille questions, rejoignait Zélie qui faisait entrer la voiture
ma la cour de la ferme en disant d'un air bonasse :
— Alors, c'est votre cousin, Mam'zelle ? LTn joli Monsieur,
mr sûr, et qui doit en avoir des écus, pour se promener
)rame ça 1 En voilà encore un qui est plus riche que moi !
X
LA HAIE- d'Épine
Il est près de neuf heures ; dans la grande salle de la Haie-
'Epine, Mme Chaumel tricote sous la lampe, tandis que son
Ils, adossé à la cheminée, feuillette une revue agricole ; ils
>nt seuls dans la vaste pièce à quatre fenêtres qui prend
)ute la largeur de la maison, mais ils sentent, autour d'eux,
['invisibles présences. En cet intérieur patriarcal, chaque
)bjet a son histoire ; les meubles anciens, solides, portent
l'empreinte d'une race, exhalent le parfum des traditions»
L'immense table ronde, qui occupe le milieu, fut souvent
)énie par la main d'un prêtre, pour des agapes oi\ la charité
ïgna toujours, comme en témoigne cet écriteau, cloué sur la
)rte d'entrée :
Hors d'ici médisants dont la langue coupable
Déchire l'honneur des absents;
On ne permet à cette table
Que des entretiens innocents, (i)
(i) Inscription remarquée dans une maison de cultivateurs.
248 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Depuis des minutes, le silence est profond ; on entend cli-
queter les aiguilles du tricot ; Louis Chaumel laisse retomber
la revue qui lui cachait le visage ; ses traits apparaissent, un
peu défaits.
— Vous ne me dites plus rien, reprend- il avec douceur;
est-ce que je vous aurais froissée, maman ?
— Non, mon pauvre garçon, non, répond Mme Chaumel
d'une voix basse et rauque ; seulement, je ne peux pas me
faire à cette idée-là. Cela ressemble si peu à ce que j'espérais.
— Oh ! maman, ne me parlez pkis de fortune ! La fortune.,
j'en ai, malheureusement, plus que ma part, ajouta-t-il, pen-
.sant au frère et à la sœur disparus. Une jeune tille vaut-elle
moins parce qu'elle est moins dotée ? Vous qui v^enez de faire
la prière avec vos domestiques, aux pieds du Crucifix que
voilà, vous qui savez si bien que les plus pauvres gens sont
nos égaux devant Dieu . .
— Tu dis de belles choses, et tu es plus savant que moi,
interrompit la mère avec un mélange d'humilité et d'entête-
ment. Que veux-tu ? j'ai toujours vu, dans les mariages, les
familles s'occuper d'assortir les fortunes comme tout le reste,
et le monde n'en allait pas plus mal, à ce qu'il me semble.
Maître Bienaimé fait valoir les terres de M. de Presly, mai.s
combien a-t-il de vergées à lui ?. . .Avec ça, on prétend, ..il y
a des bruits qui courent. . . Dire que si tu voulais tu aurais
Marthe ! Marthe qui t'irait si bien ! . .
— Mais puisque ce n'est pas elle que j'aime, interrompit
Louis, souffrant réellement de se trouver, pour la première
fois, en conflit d'âme avec cette mère qu'il entourait d'un
culte.
— C'est cela justement ! répliqua Mme Chaumel ; quand je
pense que tu aimes Léa. . . si encore tu m'avais parlé, .d'une
autre. . Mais Léa. . Léa. . Léa. .
Posant son tricot, tenant ses deux mains à plat sur ses
genoux, elle répétait le nom comme pour enfoncer, de force,
l'idée en son esprit.
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 249
— Non, jamais je ne me serais figuré. . . Toi et Léa, mon
pauvre garçon ! Mais c'est le "jour et la nuit " !
— Vous croyez ? fit le jeune homme, attachant sur elle ses
grands yeux tristes.
— Mais quand ça s'est-il fait. . . et comment. . .
— Je ne pourrais pas vous le dire, murmura Louis Chau-
mel, s'accoudant à la cheminée. Elle a toujours été mêlée à
ma vie, si bien mêlée que je ne vois plus du tout ma vie sans
elle, ni dans le passé, ni dans l'avenir. , . Ah ! elle est créée,
celle là, pour mettre la joie et l'animation autour d'elle. Seu-
lement elle a besoin d'être guidée, comme une petite qu'on
tient par la main. . . Je crois qu'avec la grâce du bon Dieu,
je la prendiai comme il faut la prendre... et vous verrez,
maman . .
Ah ! c'était beau, cet enthousiasme juvénile, cette convic-
tion absolue. . Mme Chaumel, impressi* nnée, fixait ce Louis
qui ne doutait de rien parce qu'il aimait ! Oui, plus que cette
grâce, cette fraîcht'ur, ce sourire, il aimait l'âme qu'il avait
soif d'initier et de former. Et il aimait encore, à travers
Léa, sa jeunesse à lui, et son adolescence, tout illuminées de
cette image, tout embaumées de ce parfum. Si Louis n'avait
eu à combattre, chez Léa, que de vagues rêveries, si les
illusions de la jeune fille n'eussent revêtu en ce moment une
forme concrète, la plus séduisante et la plus redoutable, elle
eût pu être facile en efiet, la victoire de l'amour sauveur, de
l'amour chrétien !
Cependant Mme Chaumel hocha de nouveau sa tête, aux
bandeaux noirs bien plaqués sur le front ; elle ressemblait à
tant d'autres mères, qui veulent forcer leurs fils à être heu-
reux comme elles l'entendent, selon un programme qu'elles
ont tracé ; mais elle voulait surtout que Louis fût heureux,
et, à se dire qu'il faisait fausse route, elle sentait une angoisse
la mordre au cœur.
— Tu es tellement pris, soupira-t-elle après une longue
pause, que je passerais peut-être sur la question de fortune.
250 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Mais c'est si étourdi . . c'est si volage ! La vois-tu, chez nous,
perdre son temps en lectures et en toilette, sans vouloir
mettre la main à rien ? Elle te ferait de la peine, va, et tu
regretterais bientôt. .
— Oh ! interrompit Louis, comme vous la jugez mal, la
pauvre petite, pour quelques idées en l'air, quelques paroles
dites sans y penser, dans des moments de contrariété. . Elle
qui est d'une si bonne race, d'une race de travailleurs. .
allons donc ! D'abord, continua-t-il. très graves, si elle m'aime,
elle entrera dans mes idées, à moi*-; elle sait que ma femme
devra faire comme ma mère, et je n'ai pas l'intention de
tromper Léa sur ce que je demanderai d'elle Mais je lui
rendrai la vie si douce, qu'elle n'aura pas envie de la trouver
trop sévère.
Mme Chaumel s'était levée ; Louis alla vers elle, lui saisit
les deux mains, et, d'une voix suppliante :
— D'ailleurs, elle aura une mère ici. . Alors, maman, qu'est-
ce qui lui manquera ?
Elle détourna les yeux en soupirant encore :
— Il est tard, fit-elle ; c'est assez de conversation pour
aujourd'hui.
Le jeune homme eut le cœur serré ; il s'inclina toutefois,
présenta son front aux lèvres qui se refermaient, rigides.
— Bonsoir, maman.
— Bonsoir, mon garçon, répondit-elle avec tristesse ; tâche
de dormir...
Dormir, il n'y songeait guère ; longtemps il erra dans le
jardin, entre les poiriers lourds de rosée. Il savait bien que
sa mère finirait par céder, par sanctionner un choix irrévo-
cable ; mais c'était douloureux, cette lutte, et — il le sentait
parfaitement — jamais Mme Chaumel n'accueillerait Léa
qu'au prix d'un sacrifice.
"Si encore tu me parlais. . d'une autre. . " avait-elle dit ;
son fils n'avait même pas compris.
Dans sa vie austère, parmi ses préoccupations élevées.
LES DEUX FILLES DE MAItRE BIENAIMÉ 251
Louis Chaurael gardait une extrême jeunesse de cœur ; il
voulait, chez celle qui serait sa compagne, l'élan joyeux, la
tendresse épanouie, répondant à ce qu'il pouvait donner lui-
même. Pour lui, Mathilde était comme en marge ; il ne la
regardait pas plus qu'on ne regarde une femme mûre,, ayant
passé l'âge de fonder un foyer. Cette impression, qu'il n'était
pas seul à ressentir, s'expliquait par l'aspect habituel de la
jeune tille, ses allures si calmes, qu'elles la faisaient paraître
indifférente ; son langage un peu lourd, et presque toujours
embarrassé quand il ne s'agissait pas de donner des ordres.
Jamais Louis ne l'avait entendue émettre une idée person-
nelle, traduire un sentiment, une émotion. Elle se connais-
sait trop peu pour savoir se faire connaître ; aussi Louis, tout
en l'appréciant beaucoup comme ménagère et comme fei
mière, n'aurait pas même eu la pensée de chercher en elle le
rayon, le bonheur, le charme... Comment, d'ailleurs, la sépa^
rer de cette Closerie à laquelle elle semblait liée indissoluble
ment ?
Le jeune homme rentrait, et se disposait à faire sa ronde
comme tous les soirs, lorsque, dans le corridor, une main
tremblante lui toucha l'épaule ; il poussa un cri :
— Orand'mère ! Vous n'êtes pas couchée ! Etes-vous ma-
lade ?
— Non, mon petit; seulement. . j'étais en peine de toi.
Doucement, elle le ramenait vers le jardin ; bien qu'il n'y
eût pas de lune, la nuit était très claire ; le ciel, entre les
étoiles, avait une teinte bleuâtre, lumineuse, et Mme Jacques
put observer la physionomie de son petit-fils.
— Je t'ai vu te promener là, tout seul, continua-t-elle, et
t'arrêter, la tête dans la main, comme un homme qui souflTre...
Eh ! tu n'as pas besoin de parler ; à mon âge, on devine bien
des choses. . Mon pauvre Louis, tu souffriras encore, car tu
ne prends pas le bon chemin pour être heureux . .
— Vous aussi, grand'mère ! murmura-t-il sourdement. .
— Tu ne comprends pas ce que je veux dire, interrompit la
252 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
vieille femme, haletant sous le châle de tricot dont elle s'é-
tait enveloppée jusqu'au front. Tu vas au-devant d'un cha-
grin auquel tu ne penses pas du tout, ni ta mère non plus . .
Et je ne peux pas te préserver de ça !...Et pour t'adresser là
où tu n'as que faire, tu passes auprès de celle qui te con-
vient. . qui semble créée et mise au monde exprès pour toi
par le bon Dieu !
— Marthe ! protesta Louis. Comment savez- vous cela,
grand'mère ? Moi, je suis persuadé qu'elle ne voudrait pas.
Il se retourna, car déjà Mme Jacques s'enfonçait dans le
noir du corridor, avec un geste mélancolique.
Ni l'un ni l'autre ne se doutaient qu'à cette heure même, la
paix nocturne de la Closerie était troublée par une discussion
beaucoup plus orageuse. Au pied de l'escalier donnant sur la
cuisine, Maître Bienaimé se tenait debout, les bras croisés ;
Léa, dont les mains étreignaient la boule de la rampe, et dont
le petit corps fondait ses lignes dans l'ombre compacte du
recoin, balbutiait d'une voix coupée de sanglots et cependant
révoltée :
{A suivre.)
M&rie Le Mière.
Savez-vous que la Revue Franco-Américaine,
la plus belle, la mieux illustrée, sort des presses de
L'IMPRIMERIE BILAUDEAU
197 EST, RUE NOTRE-DAME
MONTREAL.
Avez- vous des travaux à faire faire ? oui, n'est-ce
pas ? Alors, venez donc nous voir.
CHRONIQUE FINANCIERE.
Une affaire bien comprise
Les résultats que nous avons déjà obtenus avec notre
offre des actions des Mines Malouf, nous a démontré qu'une
bonne proposition est toujours sûre de rencontrer auprès du
public un accueil favorable. Cela nous a démontré, en
même temps, que la publicité offerte par la Revue Franco-
Américaine est de tout premier ordre et qu'elle s'adresse
surtout à un public averti. C'est un fait qui aura le double
avantage de réjouir nos amis et de faire l'affaire de ceux
d'entre eux qui désirent faire des placements profitables et
qui ont profité de l'offre que nous leur avons faite.
Nous avons déjà dit quel genre d'entreprise c'était que
les Mines Malouf. Situées dans le centre le plus productif
de Cobalt et ayant subi avec succès les épreuves les plus
sévères, elles en sont rendues à une simple question d'ex-
ploitation. C'est-à-dire qu'il ne s'agit plus que sortir du
sol le minerai argentifère qui s'y trouve en quantités
énormes.
Dix compagnies de Cobalt qui se trouvent tout près des
Mines Malouf et exploitent une formation minière identique
produisant l'argent au coût moyen de 7 cents l'once. Or,
l'argent qui est en demande constante sur le marché, à une
valeur moyenne établie de 60 cents l'once. Il suffit pour se
convaincre de ce fait de lire les chroniques financières
quelque peu sérieuses publiées par les journaux On peut
y voir, au chiffre des dividendes déclarés, combien sérieuse
est la proposition que nous avons faite à nos lecteurs qui
ont des capitaux à placer.
254 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Dans cette entreprise, comme dans toutes celles du même
genre, nous conseillons à nos amis d'agir avec toute la
prudence que nous avons déployée nous-mêmes avant
d'accepter le contrôle des 300,000 parts des Mines Malouf
Plus que toute autre, une entreprise minière a besoin de la
confiance absolue, de l'enthousiasme même de ceux qui s'y
intéressent. En résumé, nous voulons des actionnaires
comme ceux qui nous sont venus depuis deux semaines que
notre proposition est sur le marché.
Il ne fait pas de doute que lefs Mines Malouf ne soient
appelées à un succès colossal. Et cela pour une foule de
raisons que^ous ne saurions répéter trop souvent.
Economie dans l'exécution des travaux d'autant plus
grands que l'exploitation n'est pas soumise aux trop coû-
teuses spéculations qui ont exigé des déboursés énormes
avant d'atteindre des profits.
Accès facile de la mine à proximité d'un chemin de fer.
Formation de la roche commune absolument identique
à celles des mines voisines qui paient aujourd'hui de gros
dividendes.
J'en ajoute un autre qui ne manque ni d'intérêt, ni d'im-
portance. C'est que les ouvriers chargés de creuser le
premier puits (lOO pieds de profondeur et de 9 x 6) ont tous
exigé des actions pour une partie de leur salaire.
Ces gens-là ont vu la mine ; ils ont palpé son minerai;
ils l'ont comparé avec celui des mines avoisinantes. Leur
expérience vaut donc quelque chose et ne constitue pas un
mince encouragement à suivre leur exemple.
Le minerai de Malouf est à base d'argent avec une forte
proportion de nickel et de cobalt. C'est la reproduction
exacte du minerai qui a permis à d'autres compagnies, en
extrayant l'argent seul, de réaliser des profits énormes.
Certaines de ces dernières déclaraient tout dernièrement
un dividende mensuel de 5%, ce qui représente un taux
annuel de 6o%.
Dans ces conditions, on peut s'attendre à ce que les Mines
Malouf fassent iparler d'elles, et prochainement, et soulè-
vent un intérêt qui ne sera pas même surpassé par la re-
CHRONIQUE FINANCIÈRE 255
nommée des premières découvertes qui ont été faites à Co-
balt.
Les actionnaires des Mines Malouf n'attendent plus que
leurs ouvriers frappent une première chute d'argent le long
des veines qu'ils ont déjà mises à nu pour calculer sûrement
le chiffre de leurs profits. Les analyses que l'on fait con-
tinuellement sur le minerai sorti de la mine indiquent sûre-
ment que l'on va vers des gisements d'argent natif qui dé-
passeront toutes les prévisions.
Ceux qui sont sages, mais progressifs en même temps, fe-
ront bien de ne pas perdre de vue cette entreprise.
J. A. Lefebvre.
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Taux d'annonces: 20 cents par ligrne agathe. Pour contrats d'annonces,
s'adressera: LA REVUE FRANCO-AMERICAINE, 2487 case pos-
tale, MontpéaL
The Malouî Mines, umited
52 RUE SAINT- JACQUES
Capital autorisé - - - - $200,000
Capital déjà souscrit .- - - $100,000
Cette mine est située dans le cœur de Cobalt,
à 3 et 1-2 milles du chemin de fer Témiscamin^e
& Northern, Ontario. Un chemin public du gouver-
nement loi^ge la propriété.
Actuellement, les actions qui restent à vendre
sont à 20 cents, prises par lots de 25 au moins.
Aux prévoyants nous conseillons d'acheter immé-
diatement tandis que c'est le temps. Faites vos
paiements par chèque payable au pair à Montréal
ou par mandat-poste, à l'ordre de la compagnie.
Pour plus amples informations, analyses de mi-
nerais, description de la mtine, rapports des ingé-
nieurs sur les opérations, etc., s'adresser à la com-
pagnie qui s'empressera de fournir tous les rensei-
gnements.
BLANC DE SOUSCRIPTION.
Messieurs,
Je, soussigné, souscris pour
parts entièrement acquittées et non assessables du
Capital-Actions de The MALOUF MINES Limit-
ed, pour lesquelles vous trouverez ci-inclus la som-
me de(| ) dollars
Nom
Adressé
Date • 19
p. BILAUDEAU J.-L. K.-LAFLAMME J.-A. LEFEBVRE
PRÉSIDENT 8KCKÉTA1KK TRESOKIER
HENRI-H. DECELLES. GERANT
Capital, - - $50,000.00
L'EPARGNE FONCIERE IraiTEE
Siège Social : 7Ia, RUE ST-JACQUES
MONTRÉAL
BUT. — Cette Compagnie reçoit des épargnes pour
les appliquer sur propriétés foncières ;
MOYEN. — On contribue une piastre par semaine
pour former une part de S260, et on peut souscrire
plusieurs parts ;
GESTION. — La Compagnie ne peut distraire
plus de $26. par part, soit 10% du montant à contri-
buer pour frais de recrutement et de gestion ;
PLACEMENT. — Les contributions sont placées
sur biens-fonciers et les revenus sont capitalisés de
la même manière, après . avoir pourvu aux charges
administratives ;
AVANTAGE.— Après avoir contribué $260. à
une piastre par semaine, l'adhérent reçoit une part
de revenus proportionnelle sur toute la masse accu-
mulée, revenus qui lui seront remis tous les trois mois
sa vie durant ;
REVENUS. — Aucun adhérent ne peut recevoir
des revenus dépassant $65. par part la première an-
née, S104. la 2e année, S156. la 3e année, $208. la
4e année, ni plus de $260. après cela en une seule
année.
^DEMANDEZ UNE CIRCULAIRE EXPLICATIVE. "^J
estimées, JlUv,UUU,UuU.^" vernement,
ont été réalisés dans la propriété des villes de l'Ouest en 1909.
Avez-\ ous participé à ces énormes bénéfices ? Eltes-vous celui qui a réa-
lisé un profit 'u le malheureux qui en a e i a chance, mais ne possédait pas
assez de jugement pour risquer le marché? Une personne digne de sympa-
thie, c'est celle qui dit : "Il y a cinq ou dx ans, j'ai acheté telle ou telle
propriété pour $100 ou |500 et elle vaut maintenant $ 0,000." Allez-voua
dire dans cinq ans d'aujourd hui que vous avez acheté des lots à Poe, Alta.,
à $50 ou $100 ehacmi, q -e vous avez réali-é de $1,00^ à $10,000 pour avoir
acheté une propriété dans cette ville en l'an de grâce 1911 ?
POE UN FUTUR CENTRE COMMERCIAL.
Poe est situé sur la ligne principale du Grand-Tronc-Paciflque f ntre
Edmonton et Saskatoon, dans l'un des plu-i beaux districts agr coles et des
plus peuplés de l'Ouest Canadien, possédant de riches mines de charbon ; si-
tué près de rivières et de lacs à proximité des forête. Ces ressources natu-
relle» assurent aux habitants de cette ville, un coût peu élevé de la vie, et
d'une grande activité commerciale, choses essentitlles pour l'érection d'une
grande ville, créant ainsi une propriété foncière de grande valeur
POK UN CENTRE DE kANUFACTURES.
Ce site de la ville et le territoire contigu a toutes les choses exigées par
les manufacturiers pour rinstallation de grandes usines ou de grosses entrc-
priees de tot.s Heures employa: t un grand n<»t».bre de personnes. Les rivières
et les lacs fournissent l'eau, les mines et les forêts fournissent 1 combustible
et le matériel de construction à bon marché, les terres agricoles fou^ni-^sent
les produits de la ferme, de sorte que les habitan s peuvent vivre à un vrai
bon marché.
Déjà plus de 200 lots ont été vendus, et plusieurs de ces lots ont déjà
changé de mains avec une augmentation substanielle. T^a plupart de ces
lots ont été > chetés par des hommes d'ailaires de tout le Canada, qui main-
tenant bénéficient de leur prévoyance.
Le site de la ville est haut et sec et très propice à la constructioD.
L'OPPORTUNITE
ne signifie rien si vous ne possédez pas le courage d'agir. Vous pouvez pos-
séder une grande sag' sse, voyager beaucoup et voir ainsi toutes sortes de
chances de fair.; de l'argent, mais à moins que vous n'ayez le courage d'agir
sur votre propre juge nent et votre propre sagesse, ces qualités ne vous sont
d'aucune utilité.
Le-' lots de Poe sont, un bon placement aux prix actuels. La ville est for-
cée de arrandir vite. Grâce aux conditions faciles de paiement, vous avez la
possibilité d'acheter.
LES TITRES TQTîRENS.
Nous possédons la ville de Poe sous le système des titres Torrens. Avec
oe système, le titre est garanti par le gouvernement, dès lors absolument sûr.
PRIX ET TERMES.
Les prix des lots sont de $50 à $100 chacun, et on peut les acheter aux
conditions de 10 pour cent comptant, la balance en dix-huit i aiements égaux
mensuels ; ou le quart comptant et la balance en six, douze ou dix-huit mois.
INFORMATIONS.
Nous avops publié une circulaire attrayante donnant toutes les informa-
tions relatives à la ville et à ses perspectives, avec une carte montrant 'es
lots à vendre. Si vous désirez recevoir cette jolie circulaire, détachez le cou-
pon ci-joint et adressez-nous le par le prochain courrier.
Poe est une bonne ville nouvelle où vous pouvez allez faire de? affaires
ou pratiquer une profession.
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C'est le titre d'une publication que la '* Revue
Franco- Américaine" va entreprendre pour répondre
au désir de tous les amis de la cause qu'elle défend.
Nous l'avons annoncée le mois dernier, et nous
avons déjà pour notre future publication une liste
d'abonnés fort respectable. Nous en remercions très
cordialement nos amiis pour l'empressement qu'ils
mettent à nous seconder dans cette nouvelle entre-
prise. Qu'ils continuent la propagande dans leur en-
tourage, parmi leurs amis qui sont aussi les nôtres.
Le "Gaulois" publiera son premier numéro dans
quelques semaines.
Nous avertissons ceux qui désirent en posséder
la série complète, de ne pas tarder à nous envoyer
leur abonnement dès maintenant.
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artistique. Grand format.
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des intérêts canadiens-français. — ^ Feuilletons irré-
prochables. — Une revue qui intéressera tous les
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dimanche excepté, pour Lévis (Québec.)
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Valieyfield et les poiuts sur la division d'Ottawa.
8.31 A.M.— ( Tous les jours) pour St-Jean, St. Albaus, Burlington, Springfield, Boston
et New-York via V. C. R'y.
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New-York via Cie D. & H.
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Granby et Waterloo via V. C R'y.
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Kingston, Toronto, Hamiltoa, Niagara Falls, Buffalo, Détroit, hicago
et tous les points à l'ouest.
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ston, Beilevtile, Toronto et gares intermédiaires.
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Buriington et V/liite F<iver Jet,
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burg, Troy, Aibany rt New-York.
3.55 P.M.—( Tous les jours, dimanche excepté) pour Ste-Anne, Coteau Jet., Valiey-
field, Glen Robertson, Alexandria, Ottawa et les points sur la division
d'Ottawa.
4.16 P.M. — (Tous les jours, dimanche excepté) poxir St-Hyacinthe, Richmond, Lévis
(Québec), Sherbrooke et Island Pond.
4.20 P.M.— (Tous les jours, dimanche excepté) pour Vaudreuil, Valieyfield, Cornwall,
Brockville et gares intermédiaires.
4.21 P.M.— (Tous les jours, dimanche excepté) pour Laprairle, Hemmingfod, Ste-
Martine Jet., Howick, Ormstown, Huntingdon et Fort Covingjon.
♦.SO P.M. — (Tous les jours, «limanche exceoté) pour St-jean, Rouses Point et gares
intermédiaires.
4.55 P.M,— (Tous les jours, dimanche excepté) pour Chambly, Marieville, Farnham,
Freiighsburg. Granby et Waterloo.
5.20 P.M. — (Tous les jours, dimanche excepté) pour St-Hyacinthe, et gares inter-
médiaires.
5.30 P.M.— (Tous les jours, dimanche excepté) pour St-Jean, Iberville et St-.\lbans.
6.26 P.''!.— (Tous les jours, dimanche excepté) pour St-Lambert, Chambly, Marie-
ville et St-Césaire.
7.25 P. M. —(Tous les jours) pour St-Jean, Rouses Point, Plattsburg, Troy Aibany
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8.00 P. M. — (Tous les jours) pour Coteau Jet., Alexandria, Ottawa et les points sur
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8.15 P. M.— (Tous les jours) pour St-Hyacinthe, Richmond, Levis, (Québec), Sher-
brooke, Island Pond et Portland,
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Un montant de $2.00 paiera un abonnement d'un an à la
REVUE FRANCO-AMERICAINE.
L/'abonnement et le renouvellement des étrennes chaque mois.
Il n'y a pas de meilleur moyen de se rappeler aux amis.
1
L'IIvIvUSTRATION
Supplément de "La Revue Franco-Amépicaine "
Vol. VIII. No 4.
Montréal, 1er Février 1912
Feu l'abbé Edmond Marcoux.
M. Raymond Poincark, premier ministre de France.
M. Raymond Poincaré nous écrivait, le 8 février 1910, en réponse à une
enquête faite par M. J. A. Lefebvre: " Comme on nous voit en France " :
" J'ai lu avec un vif intérêt le numéro de la Revue Franco- Américaine
que vous avez bien voulu m'envoyer.
" Je vois avec quelle pieuse fidélité les Canadiens-Français conservent le
souvenir de leur origine et avec quelle perfection ils parlent et écrivei
notre langue.
" J'applaudis à tout ce qui peut resserrer les liens qui noiis unissent à èi
et je suis heureux que votre Revue me fournisse l'occasion de leur envoyé
le salut cordial d'un Français d'Europe.
" Croyez à mes sentiments distingués."
La Fecme dans les Eaux Canadiennes
LE LONG DU GrAND-TrONC
Tout le monde est heureux : Monsieur et madame sont enchantés
de leur pêche.
o H
'■5 '^
^ -5
si
o
Les jeunes à la pêche. A qui le plus gros ?
Camp Cochrane sur le G. T. R.
De la truite franche du " Lake of Bays," près de
Dorset, sur le G. T. R.
La pêche an brochet, Rivière aux Français,
le long du Grand-Tronc.
MB^ÊÊfÊÊ^ - ,^.^,|i|briyHn
|^J£^3l2
Un pique-nique à Rose Point, Baie Géorgienne,
le long du Grand-Tronc.
:*X
Fig 156.
Dr He^nri Lasnirr (voir son article)
Avis à nos abonnés
A portir du 1er mai 1912 le prix d'abonnement à
LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
sera uniforme, tant pour le Canada que pour l'étrano-er,
soit $2.00 par année.
De plus la Revue se voit obligée de
RETRANCHER DE LA LISTE
ceux de ses abonnés qui n'auront pas payé leurs arré-
rages et (]ui ne paieront pas d'avance pour l'année
1912'"-1918.
EN VOICI LE POURQUOI :
Environ 200 amis de la Revue négligent chacjue an-
née de payer à temps leur abonnement et par là nous
forcent à tenir des livres. Conséquence : en dehors de
ces 200 amis, 300 à 400 individus qui se sont abonnés
par lettre — et qui doivent être habitués à faire ce petit
jeu avec tous les journaux — ^en profitent pour ne jamais
payer. Depuis la fondation de la Revue nous avons,
par ce procédé, perdu
ALU-delà de $2,000
Nous trouvons que c'est trop et nous avons décidé de
prendre le seul moyen radical : l'abonnement payable
d'avance. Que nos vrais amis, -retardataires ou négli-
gents, ne se formalisent pas, mais qu'ils songent à ce
qu'ils feraient s'ils étaient à notre place.
LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
Les présents
Enfant, je vous donnerai
Pour vos fiançailles
Un clair bleuet azuré
Parmi l'or des pailles;
Et jamais un bleu plus pur
N'aura teint de fleur plus belle,
Sinon dans le vierge azur
De votre prunelle.
Enfant, je vous donnerai
Pour vos épousailles
Un œillet rouge, empourpré
Comme les batailles ;
Et jamais calice en juin
N'aura versé plus de fièvres,
Sinon l'œillet purpurin
De vos jeunes lèvres !
Enfant, je vous donnerai
Pour vos funérailles
Un lis hélas ! expiré
Parmi les broussailles ,-
Et jamais plus belle fleur
N'aura blêmi de la sorte
Si ce n'est dans la pâleur
De ta beauté morte.
Catulle Mendès.
L'horloge du coeur
Oui, mon enfant, c'est très certain :
Dans notre poitrine paisible
Qui fait tic tac, soir et matin,
Se trouve une horloge invisible.
Jadis, avant d'ouvrir vos yeux,
Un ange blanc l'y mit, je pense,
Et chaque nuit il vient des cieux
Pour la remonter en silence.
Bon ange blanc, venez, venez.
Du paradis où Dieu vous loge,
Et, dans le cœur des nouveau-nés,
Faites battre longtemps l'horloge !
Pour que les pères soient joyeux,
Pour que les mères soient bénies,
Et, qu'en souriant, les aïeux
Ferment leurs paupières ternies.
O mon enfant, mon tendre amour,
Puisqu'on ne peut taire ces choses.
Puisque l'horloge sainte, un jour.
Doit s'arrêter sous vos chairs roses.
Priez, priez avec ferveur.
Afin qu'à votre heure dernière.
Quand Dieu reprendra votre cœur
Des mains de l'ange de lumière.
Ce cœur, qui fut si doux au mien,
Soit, sans aigreur, soit sans souillure
Et n'ait battu que pour le bien
Dans votre vie honnête et pure.
Jean Rame&u.
I
Ceux qui partent
Je ne sais plus quel auteur a écrit cette parole de pro-
fonde philosophie : " Nos aînés s*en vont; nous ne les avons
pas assez consultés." Le souvenir vient d'en être éveillé
dans mon esprit par une courte notice que m'adresse M.
Adolphe Poisson à l'occasion de la mort de notre ami com-
mun, feu Tabbé Edmond Marcoux, ancien curé deFichburg,
Mass., déc'^dé, il y a quelques mois, au fond d'une province
de France. Mais le billet de M. Poisson m'a apporté plus
qu'un souvenir. Il m'a aussi apporté un remords, et je m'en
veux de m'être laissé distraire par des occupations, si nom-
breuses qu'elles aient été, du devoir que m'imposaient de-
vant deux tombes à peine fermées quinze années d'une ami-
tié fortifiée par des luttes sans nombre et que rien n'a pu
ébranler. Je devais cet hommage à ceux qui pendant tout
ce temps, au plus fort des batailles livrées pour nos
compatriotes des Etats-Unis, m'ont encouragé par leur ex-
emple, aidé de leurs conseils et, pourquoi ne le dirais-je
pas ? consolé, avec toute l'éloquence de leur foi ardente,
des déboires immérités et des défections les plus injustes.
Aussi comprendra-t-on pourquoi je veux associer dans
une même pensée d'affection la mémoire des deux patriotes
que furent parmi les Franco-Américains l'abbé F. X. Cha-
gnon, ancien curé de Champlain, N. Y., et l'abbé Marcoux,
ancien curé de Fitchburg.
Etablis aux deux extrémités de la Nouvelle-Angleterre,
ces prêtres patriotes formaient comme les traits d'u-
nion indispensables pour maintenir l'unité d'action entre
les Franco-Américains de l'Ouest et de l'Est, le premier en
apportant à son confrère, arrivé plus récemment sur le ter-
rain de la lutte, le fruit de plusieurs années de travail na-
tional, et le second,, vite initié aux besoins de ses compa-
triotes, les ressources d'un intarissable dévouement.
M. l'abbé Chagnon, plus peut-être que M. Marcoux, a
260 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
attiré l'attention des siens. Lancé plus tôt sur une scène où
il devait briller pendant près d'un demi-siècle, initiateur
enthousiaste de nos premières manifestations nationales
aux Etats-Unis, à ce point qu'il a mérité le titre de " Père
des conventions," orateur d'une éloquence enjouée et per-
suasive, écrivain d'une fprce remarquable, il fut pendant
toute une époque le chevalier sans peur que les premières
organisations franco-aaiéricaines suivaient avec entrain, le
conseiller ferme, mais toujours prudent, qui leur assura
plus d'une victoire. Ecrire sa Vie ce serait écrire l'histoire
de l'immigration canadienne-française vers les Etats-Unis.
Autour de son nom rayonnent d'autres noms mêlés aux
luttes des premiers jours, prêtres, avocats, journalistes,
marchands, artisans tous pionniers de lidée française et
catholique, sachant voler aux rudes exigences d'une vie
transplantée en sol nouveau, le temps de semer autour de
leurs paroisses ou de leurs foyers les germes d'un dévelop-
pement que certains combattent avec une frénésie qui res-
semble à la démence.
L'action de M. l'abbé Marcoux, pour s'être exercée plus
particulièrement dans les centres de la Nouvelle-Angle-
terre, n'en a été ni moins suivie ni moins féconde. Con-
vaincu de la justice des revendications de ses compatriotes,
soucieux de perpétuer au milieu d'eux cette glorieuse tra-
dition qui place les prêtres canadiens-français au premier
rang des sauveurs de la race après la conquête, il n'est pas
de sacrifice qu'il n'ait fait, de démarches qu'il ne se soit
imposées afin de faire triompher le droit et de faire aimer
l'Eglise. Les événements qui se sont déroulés dans la Nou-
velle-Angleterre depuis quelques années, devaient se prêter
admirablement à l'exercice de son zèle et lui confier les
plus délicates fonctions.
Je viens de relire le mémoire si fortement agencé qu'il
prépara, à la mort de Mgr Stang, en faveur du choix d'uni
évêque franco-américain pour le diocèse de Fall River. Jej
relis ses lettres nombreuses, que je voudrais citer, où se]
rencontre à chaque ligne la parole vengeresse et apostoli-
que qui défend l'Eglise contre les outrages faits à son nomj
CEUX QUI PARTENT 261
par ceux-là mêmes qu'elle accable de faveurs. Elle est de lui
cette parole, que je citais il y a quelques mois, stigmatisant
la théorie assimilatrice, la théorie de ceux qui, disait-il,
" veulent coudre cette pièce sur la robe sans couture du
Christ."
Hélas! dans la Nouvelle- Angleterre il n'y a pas que les
causes saintes qui soient l'objet d'une douloureuse indiffé-
rence de la part des autorités suprêmes ; ceux qui les dé-
fendent ne sont pas toujours à l'abri des coups des puis-
sants qui profitent d'une longue impunité pour essayer de
tarir dans leur source les sentiments de fierté nationale,
jusqu'aux instincts eux-mêmes de conservation, qui pous-
sent les petits groupes nationaux à demander, en attendant
qu'ils l'exigent, qu'on les laisse vivre.
La mémoire du curé Marcoux, mort en terre étrangère
sous le coup d'une disgrâce imméritée, loin de ceux qui l'ai-
maient, laissera quelque part, je le crois, si la conscience
n'est pas un vain mot, une trace profonde, un remords cui-
sant. La tyrannie peut méconnaître bien des sentiments,
mais un châtiment qui la suit partout, attaché à ses flancs
comme une robe de Nessus, la force d'admirer quand même,
et jusque dans la mort, ceux qu'elle a "pu écraser, mais
qu'elle n'a pas réussi à vaincre.
Les abbés Chagnon et Marcoux ont fait plus que dépen-
ser leurs vies au service de leurs compatriotes. Ils leur ont
légué un grand exemple d'abnégation, de patriotisme et de
foi. Quelle que soit la destinée qui attende les groupes
français delà république américaine, la pensée de ces deux
prêtres patriotes sera invinciblement mêlée, parmi les plus
aimés, aux souvenirs de cette lutte gigantesque soutenue par
un million et demi des nôtres pour leur existence nationale.
Et ce sera une des consolations de l'Eglise d'apprendre
plus tard, quand les vérités américaines auront atteint les
Sept Collines, que, pendant les longues années d'épreuves
traversées par ses enfants les plus fidèles, des héros obscurs,
forts de ses vertus divines, ont prêché l'amour de son nom
aux faibles sollicités par la révolte et dont la longue et
262 LA REVUE FRANCO -AMéRICAINE
douloureuse prière fut si longtemps couverte par la voix
plus forte des politiciens de toute robe.
Je sais bien qu'en dehors d'un groupe relativement res-
treint— ce sont les fidèles — on va trouver à redire sur cette
opinion, très sommaire, du reste, exprimée sur la vie de ces
deux amis disparus. Cela n'enlèvera rien à leur gloire, et
bien moins encore au mérite qu'ils ont eu de comprendre
les besoins véritables de leur race, et surtout de reconnaître
les meilleurs moyens de lutter. Ces critiques, ils n'ont pas
eu besoin de mourir pour en ressentir les atteintes. Habi-
tués à vivre dans un monde qui n'était pas exempt de fai-
blesses, coudoyant les pusillanimes pour lesquels leur cou-
rage était une vivante accusation, mêlés à des jouisseurs
pour lesquels l'austérité de leur vie était une condamnation,
ils ont appris de bonne heure à souffrir les attaques comme
à résister aux louanges.
Chacun d'eux aurait pu faire sienne en l'appliquant à la
situation contre laquelle ils s'efforçaient de réagir, cette
opinion du cardinal Pie sur la société de son époque : " Si
je crois apercevoir les plus coupables d'un côté, disait-il, je
reconnais de l'autre les plus aveugles et les plus incorri-
gibles. Les premiers, du moins, ont la logique du mal; les
autres reculent devant la logique du bien. Malades déses-
pérés, qui invoquent à grands cris le médecin, mais à la
condition de lui dicter ses ordonnances, et de n'accepter
pour régime curatif que celui-là même qui les a réduits à la
dernière extrémité. Naufragés qui voient et qui appellent
le sauveteur, mais résolus à repousser la main qu'il leur
offre tant qu'il n'aura pas attaché lui-même à son cou la
pierre qui les a fait descendre et qui les retient au fond de
l'abîme."
Ils voyaient clair. Aussi je connais nombre de leurs con-
frères qui, dans les paroisses franco-américaines de la
Nouvelle-Angleterre, pensent comme eux et pour qui, leur
départ est regardé comme une calamité nationale. A
chaque départ comme ceux-là, c'est un deuil nouveau et
plus profond devant l'incertitude où les laisse un avenir
bien mal préparé devant un ennemi sans scrupule toujours»
CEUX QUI PARTENT 263
quand il n'est pas scandaleusement appuyé. Cest notre
Grande Armée qui se décime ; ce sont les aïeux qui partent
un à un sans même pouvoir garantir l'intégrité du patri-
moine qu'ils ont fondé. Nos jeunes compatriotes, membres
du clergé franco-américain, n'y songent peut-être pas assez,
mais ils devront compenser par un patriotisme plus intense,
et d'autant plus ardent qu'il sera plus combattu, le relâ-
chement de l'enthousiasme national émoussé par le temps
et des conditions nouvelles.
C'est pour eux que l'exemple des abbés Chagnon et Mar-
coux est d'un prix inestimable. Sans doute, la part des sa-
crifices y paraîtra plus grande que tout le reste, mais ils
bénéficieront aussi des longs travaux accomplis pour eux
s'ils savent tirer parti de ce sentiment profond de soli-
darité qui, dans la vie d'une race, réunit une génération
à l'autre et ne fait que réunir les œuvres du présent à
l'idéal entrevu et poursuivi par les ancêtres.
Certains vont me dire que ceci est beaucoup plus facile
à exprimer en quelques phrases qu'à mener à parfaite
réalisation, que les tendances de notre époque, que les
puissants même qui ont le plus de pouvoir sur
notre destinée — à part celui que nous avons nous-mêmes
et qui est suprême — nous traitent déjà comme si nous n'é-
tions pas, que nos demandes ne sont pas entendues, que
nos persécuteurs sont honorés. Tout ceci peut être vrai
sans enlever une parcelle des devoirs qu'impose à des
hommes de cœur la lutte pour la justice et le droit.
A la fin ce sont toujours ces derniers qui triomphent.
M Paul Bourget l'a dit admirablement, les "vérités se
vengent." Aman ne fut jamais si près de sa ruine que
le jour où il crut avoir dans sa main le sort d'un mendiant,
d'un émigré assis sur les marches du palais d'Assuérus et
qui s'appelait Mardochée.
J.-L. K.-Laflamtne.
R. I. P,
Feu l'abbé Edmond Marcoux
Il y a quelques mois, deux ou trois journaux de la pro-
vince annonçaient en termes très brefs le décès de l'abbé
Edmond Marcoux le II août deraiier à Hyères, dans le midi
de la France où il était allé refaire sa santé chancelante. Il
espérait, et tous ses amis avec lui, grâce au vivifiant soleil
de la Provence, une guérison du mal qui le minait depuis
plusieurs années... Malheureusement son espoir et le nôtre
ont été déçus. Il lutta toutefois pendant un an et demi, ayant
à ses côtés, compagne assidue et dévouée, sa sœur dont
les soins empressés, l'ont aidé à traverser avec courage et
résignation l'agonie qui l'a cloué si longtemps sur son lit
de souffrance. Les sommités médicales de l'endroit furent
appelées auprès de lui, mais la science française se déclara
impuissante devant un mal qui avait pris trop racine.
Averti qu'il n'avait plus à compter que sur l'intervention di-
vine, il vit venir sa fin avec cette sérénité de caractère que
ses amis ont toujours admirée chez lui. Ces amis, ils étaient
nombreux; car, tous ceux qui l'ont connu intimement devi-
naient vite sous son apparance un peu froide qu'il cachait
un cœur qui, une fois donné, restait fidèle à l'amitié jurée.
De taille un peu au-dessous de la moyenne, on remarquait
chez lui une forte ossature qui révélait une force peu ordi-
naire. Ainsi constitué, il n'est point étonnant qu'il eût une
énergie que nul obstacle ne pouvait briser. Aussi sa car-
rière fut très mouvementée dans le cercle restreint que son
caractère de prêtre lui assignait. D'un jugement très sûr,
d'une réserve qui au premier abord pouvait passer pour de
la timidité, il ne s'emballait jamais et, même sur les bancs
du collège, sa façon si pratique et si prudente d'envisa-
ger toute question jetait souvent du froid sur l'enthousiasme
de ses confrères. Sans posséder un esprit caustique sa ma-
FEU l'ABIîÉ EDMOND MARCOUX 265
nière d'exprimer son opinion avait un cachet d'originalité
qui lui attirait assez fréquemment les suffrages. L'abbé
Gingras et moi, déjà tourmentés par la Muse, nous demeu-
rions encore pleins des illusions de la jeunesse que notre
ami Marcoux entrevoyait la vie sous un aspect plus sombre
et se préparait mieux que nous aux luttes de l'avenir. A-t-il
été pour cela plus heureux ? Il est permis d'en douter car
c'est à se dépenser dans une activité plus fébrile qu'il a
abrégé ses jours et privé sa patrie des services qu'il aurait
pu rendre encore. Cette patrie, il l'aimait avec ardeur et
le sort a voulu qu'il se soit éteint à 3,000 milles du sol qui
l'a vu naître et qui ne reverra pas sa dépouille mortelle.
Notre ami repose sur les bords enchanteurs de la Méditer-
ranée, et il ne sera peut-être jamais donné à aucun de nous
d'aller nous agenouiller sur son humble tombe et prier pour
l'ami fidèle dont l'amitié ne devait être rompue que par la
mort cruelle qui l'a enlevé à l'affection de tous ceux qui
l'ont connu.
Il exerça le ministère pendant 20 ans dans la république
voisine et y déploya le plus grand zèle pour les intérêts de
nos compatriotes en butte à tant de misères. Son cœur de
patriote a saigné bien souvent et il s'est usé vite à com-
battre l'action dissolvante des assimilateurs qui paraissent
avoir juré la disparition de notre langue sur le continent
américain. Il lui a été épargné de voir les derniers déve-
loppements que la question de race a provoqués. Son cœur
de catholique et de français en eût souffert. Il ne sera plus
là pour lutter avec ses confrères, mais des œuvres restent
pour perpétuer le souvenir d'un homme qui fut croyant sans
ostentation et patriote sans faiblesse.
Voici quelques notes biographiques sur le regretté dé-
funt :
Né à St-Charles de Bellechasse le 26 octobre 1848, du
mariage de J. B. Marcoux_jet de dame Hermine Turgeon, il
fit ses études au séminaire de Québec et fut ordonné prêtre
par Monseigneur Taschereau le 7 juin 1873. De 1873 à
1885, il occupa au séminaire les charges suivantes : pro-
fesseur, assistant directeur et directeur du petit séminajre
266 LA REVUE FRANCO-AMT^RICAINE
et du pensionnat de l'Université Laval. Il fut aussi biblio-
thécaire de cette dernière institution, aumônier des Frères
des Ecoles chrétiennes et du couvent de Bellevue. Il laissa
Québec en 1885 pour devenir vice-recteur de l'Université
Laval à Montréal, charge qu'il occupa jusqu'en 1889 alors
qu'il fut appelé à exercer le ministère à Champlain, Etat de
New-York. Un an plus tard il était vicaire à Notre-Dame
de North Adams, Mass. En 1893 il était promu à la cure
de St-Raphaël de Williamstown. Cette paroisse lui doit la
construction du presbytère et l'organisation d'une école
paroissiale. En même temps il jetait les fondations d'une
église à Greylock. De St-Raphaël il fut transféré à la pa-
roisse de Indian Orchard, qui lui doit aussi une école pa-
roissiale fondée en 1898. En 1901 il devenait curé de Tlm-
maculée-Conception de Fitchburg, Mass., qu'il a divisée en
1903 pour fonder la nouvelle paroisse de St- François d'As-
sise. Lorsqu'il s'est senti atteint du mal qui devait l'emporter,
il était curé de Mittineague, Mass., endroit de peu d'impor-
tance comparé à la cure qu'il venait de laisser. Il accepta
avec résignation cette déchéance, heureux de souffrir pour la
cause qui lui était si chère. Sa santé n'en fut pas moins
affectée et, sentant ses forces s'affaiblir, il comprit que son
rôle de patriote était terminé et qu'il ne lui restait plus qu'à
lutter contre la maladie et résolut d'aller sous un ciel plus
clément finir une vie consacrée au service de la religion et
de la patrie. Et nous qui lui survivons, nous qui l'avons
aimé, faisons voltiger sur sa tombe lointaine la douce brise
de l'affection et du souvenir.
Monsieur Marcoux a laissé un frère M. François
Marcoux, de Victoriavillè, et trois soeurs, madame Louis
Dallaire, madame veuve Eusèbe Couture et mademoiselle
Priscilla dont les soins et le dévouement ont accompagné
son frère jusqu'à son dernier soupir.
Adolphe Poisson.
Education physique
PAR
LE DR HENRI LASNIER DIRECTEUR
DE
" l'Institut de Physiothérapie "
" Le mouvement c'est la vie,"
disent les savante.
" La paresse est un péché,"
répètent les moralistes.
Et ils ont raison les savants et les mora-
listes ! Voilà un point au moins sur lequel
s'accordent la religion et la science.
" A défaut d'autre foi, d'autre culte, nous
avons foi dans le sport, le culte de la na-
ture."
L'un nous fait plus vaillant, l'autre nous
rend meilleurs.
Regardée sous cet angle, une bibliothè-
que de culture physique devient un com-
mentaire de l'Evangile.
En tout cas, c'est sûrement
l'évangile de ceux qui
veulent bien se porter.
"La Revue Franco-Américaine" veut
que nous promenions ses lecteurs à tra-
vers cette bibliothèque. Nous répondons
à cet honneur avec plaisir, mais nous
prévenons de suite ceux qui vont nous
suivre, que nous n'acceptons ici que le
rôle de guide dans un musée. Nous di-
ExtensioR dm tronc.
Reiion da tronc.
268
LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
rons : voyez ceci, voyez cela. Nous tour-
nerons pour eux les pages s'ils le veulent
bien. Nous soulignerons des passages, ex-
poserons les opinions adverses, ne voulant
accepter la responsabilité d'aucune, par-
dessus tout prenant bien garde de nous po-
ser comme auteur.
En notre temps de confort à outrance, de
chemins de fer, de tramways, d'ascenseurs
Bonne station droit*
(^
^
C:^
et de bien d'autres choses encore qui nous dispensent de
tout exercice, la culture physique est devenue une néces-
sité de tous les âges, de toutes les conditions. C'est le re-
mède à côté des maux de la vie sédentaire, la vraie fon-
taine de Jouvence, qui nous fera recouvrer à l'instant la
souplesse, la jeunesse, la santé, le bonheur.
C'est le secret des vieillards qui ont fourni une carrière
extraordinaire. Gladstone disait que sa hache et sa scie
avaient puissamment aidé dans la gouverne de l'Etat, et que
le placement qu'on fait sur sa santé paie toujours au cen-
tuple.
L'importance d'une bonne éducation phy-
sique n'est plus à faire, et la question devait
naturellement être traitée ici dans une revue
où les idées s'entrechoquent comme les
épées dans une passe d'armes, dans une re-
iB/^/O Je: Ji'péifl
:<^
Fle.xio,n de h-
jamt
EDUCATION PHYSIQUE
269
& bduction des bras eo arrière
vue qui s'est donné poUr mission de
fournir continuellement à nos com-
patriotes des armes de lutte et de dé-
fense. Elle veut leur dire que nous de-
vons plus que tout autre être forts,
pour être calme, mais énergiques, en-
treprenants et résistants dans la lutte
que nous avons à supporter au milieu
des autres races qui nous entourent.
Au point de vue éducatif, la supério-
rité de la culture corporelle sur celle
de l'intelligence seule est éclatante.
Nous avons plus de paresse dans le
muscle que dans le cerveau. Si l'on
veut acquérir les bonnes habitudes, base de toute éduca-
tion rationnelle, c'est par le muscle qu'il f^ut commencer.
Les bonnes habitudes du corps doivent précéder celles de
l'âme.
La culture physique consiste en un ensemble de mouve-
ments et d'exercices méthodiques ayant pour but de faire
travailler chacun des muscles du corps graduellement,
et proportionnellement à l'importance qu'il occupe dans
l'économie.
Elle repose sur la connaissance de l'anatomie et de la
physiologie.
Elle peut se faire uniquement par les ex-
ercices naturels, sans ordre ni méthode. Il
y a des sauvages qui sont des modèles de
développement musculaire. Mais la valeur
finale de leur éducation physique est très
incertaine, étant adaptée aux conditions et
aux nécessités du milieu où ils vivent.
Ceux des civilisés qui n'étant obligés au
travail manuel ont le loisir de prendre une
dose suffisante d'exercice en rapport avec
leur constitution, peuvent sans aucune mé-
thode arriver à un complet développement
par la simple pratique de l'exercice naturel,
270
LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Adduction da ia euissô.
par des travaux manuels. Ils imitent en
cela l'homme vivant à l'état de nature,
mais avec la différence qu'ils font par
plaisir ce que les autres font par néces-
sité.
Ces sujets sont l'exception. En général
les préjugés, les habitudes de la vie mo-
derne sont tels que dès l'enfance, l'acti-
vité est plutôt refrénée qu'encouragée.
Dans nos couvents, ne propose-t-on pas
comme modèle de *' petite demoiselle " la
jeune fille qui, tranquille comme une
image, ne sait que marcher, bien posé-
ment. N'appelle-t-on pas dissipées, gar-
çonnières même celles qui se donnent du mouvement, sont
turbulentes, jouent comme des garçons, comme si au point
de vue des exercices il devait y avoir de
la différence entre fillettes et garçons jus-
qu'à l'âge de quinze ans.
Et dans nos collèges nombreux sont
ceux qui professent pour les exercices du
corps un beau mépris du moyen âge.
Les "forts à bras" comme on les appelle
trop souvent sont tenus en mésestime, on
dit que chez eux " la chair étouffe l'in-
telligence," parce qu'ils se préoccupent
autant et même un peu plus d'avoir une
bonne santé que
d'être un, deux ou
trois numéros plus
rapprochés de la
tête dans les concours de classe.
ce sont ceux-là qui ont
Rotation de la cuisse
on dehors.
Fjg. 26, — Fente en avant
à fond» brasUotizontau^
de côté.
Pourtant
raison.
Tout encourage à la paresse phy-
sique dans notre civilisation.
On cite souvent des exemples de
EDUCATION PHYSIQUE
271
Flexion du pied.
ri-. i6i.
sujets fort bien doués au point de
vue physique. Mais il convient de re-
marquer que ces sujets avaient générale-
ment des dispositions naturelles, et en-
suite que s'ils sont tels c'est qu'ils ont
pratiqué les jeux et les sports qui impli-
quent la marche, la
Rotation de la cuisse
en
course, la natation,
le " grimper," tous
les exercices natu-
rels et leurs dérivés.
Si malgré les difficultés qu'il ren-
contre, l'habitant des pays civilisés
veut, tout en restant fidèle aux con-
ventions et
Flexion latérale du tronc.
obligatio ns
sociales arri-
ver à un dé-
veloppement
physique
complet, ou
simplem e n t
s'entretenir en bonne santé, il
lui faut se soumettre aux deux
principales obligations suivan-
tes :
I? Consacrer journellement à pig. 369. - Conformation défec
la culture du corps un temps SUf- tueuse d'un enfant faible.
272
LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Dos rond. fisant ; 2° régler mieux la dépense de
ce temps pour ne rien faire d'inutile.
L'idéal est d'arriver à produire dans
un temps donné, ou dans le minimum de
temps sans nuire à l'organisme une dose
d'activité à peu près égale à celle que
représenterait une journée entière de vie
au grand air à l'état de nature.
Il ne peut y arriver que par l'éducation
physique, méthodique, scientifique, médi-
"^ cale, que sous la conduite d'un maître et
sous le contrôle d'un médecin qui, par leur collaboration,
mettront plus de précision dans le travail, éviteront le tâ-
tonnement, tout ce qui est inutile, et contrôleront les résul-
tats.
Fig. 219.
Fig. 116.
Fip. 115.
La méthode permet alors de marcher avec certitude vers
le but à atteindre, surtout quand le temps est limité.
Si l'on considère que tout en cultivant le muscle, il faut
corriger certaines difformités, combattre une foule d'afîec-
Fig. 217.
Saul cil liatileur dvcc éi.uii.
EDUCATION PHYSIQUE
273
tions, on comprendra que le rôle du mé-
decin, du chirurgien, de l'orthopédiste,
est ici nécessaire et combien ridicules
les annonces de certains athlètes pré-
tendant que pour n'avoir pas de mus-
cles hypertrophiés à montrer comme
en parade de foire, pour n'avoir pas eu
ses diplômes d'une école militaire
quelconque, un médecin, un homme
quelconque ne peut faire et faire faire
de la bonne culture physique. C'est
dire qu'il n'est pas nécessaire de con-
naître les effets physiologiques sur l'organisme, de connaître
l'anatomie et les agents physiques accessoires qu'on utilise
dans le choix de la méthode appropriée à chaque cas — qu'il
Suspension fléchie.
*ittutj luecesslfs.
suffit de dire, lever la jambe tant de fois comme çâ, comme
moi, et que l'ensemble de connaissances qui caractérisent le'
médecin sont inutiles. Un peu plus on remplacerait le pro-
fesseur de culture physique par un appareil mécanique qui
lèverait des poids, grimperait dans des câbles, comme
certains jouets mécaniques, et on aurait qu'à dire à l'élève :
" Imitez ça."
(A suivre.)
La Nation Franco-Normande au Canada
Par Le VICOMTE FORSYTH DE FRONSAC
III
LA NOBLESSE DE NOM ET DES ARMES
Les règles établies par la noblesse elle-même, contresi-
gnées par le roi, sont incorporées dans le Code de la Noblesse
et régies par le collège des Armes où sont gardés les registres
et le blason des familles. Le consentement de la noblesse
est nécessaire même au Canada, dans le gouvernement
royal. ** Aucun prince carolingien n'est monté sur le trône
sans avoir été formellement reconnu L'aristocratie ne
considère le prince que comme son senior... Cette couronne
n'est pas purement et simplement héréditaire, ni élective :
au début elle est héréditaire " k la condition du consente-
ment des grands." (Glasson, "Histoire de Droit et des
Institutions de la France," tome II, p. 411.)
Depuis la conquête normande la même règle s'applique
en Angleterre et, par le traité de 1763, au Canada. Par
exemple, au temps de Pépin le Pieux, à qui les grands
des Francs avaient offert le trône, le pape Zacharie écrit
par l'interimédiare de l'évêque de Wartzburg que de l'avis
des nobles romains, il serait mieux de donner le nom de roi
à celui qui en avait la sagesse et la puissance plutôt qu'à
celui qui n'avait du roi que le nom sans l'autorité.
Charlemagne lui-même n'était pas seulement empereur
des Romains, il gardait aussi la qualité de roi des Francs
et prit celle de roi des Lombards, mais il '' était surtout et i
toujours le chef de l'aristocratie austrasienne."
Manque de foi et d'hommage à la part d'un noble déroge
de sa noblesse ; manque d'obligation du roi à sa part en-
vers la noblesse déroge de sa royauté.
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 275
Les lois des nobles Francs établis en pays conquis de-
vinrent personnelles. Ce principe de la personnalité a ex-
isté de tout temps chez les Aryens Germaniques. Ils ont
attaché une grande importance à ce système de la person-
nalité des lois, qui s'est prolongé beaucoup plus longtemps
que ne le disent certains savants. Le roi des Lombards,
Ratchie, pçrdit son trône pour avoir voulu régler le régime
des biens vis-à-vis de sa femme Tassia, d'après la loi ro-
maine au lieu d'observer la loi du Lombards. Sous les
Francs, chaque peuple, noble et commun, avait sa loi-lex.
Chaque lex s'applique à tout membre de chaque peuple,
même s'il se trouve en dehors du territoire de ce peuple.
On peut dire que les *' leges," à la différence des capitulaires
" ne sont pas territoriales " — les " lèges " constituent à pro-
prement parler le droit coutumier. "Ainsi la personnalité
des peuples, des races, des nobles, restaient supérieures
aux circonstances et aux localités.
Pour distinguer la noblesse, ses membres portaient des
symboles en écu qui sont leurs marques distinctives par ex-
cellence. La loi donnée par les Etats-Généraux à Angers,
le 17 juin 1487, met ces marques et le droit de leurs pos-
sesseurs en ordre; elle dit : "Que plusieurs princes, rois,
ducs, comtes, barons, et autres nobles hommes pour trans-
mettre leur mémoire à la postérité et pour se faire recon-
naître dans les titres qu'ils avaient mérités par leurs faits
vertueux et leur magnanimité, avaient pris des armes et
des enseignes qui répondaient à ce qu'ils avaient de re-
commandable, lesquelles ils avaient transmises à leurs des-
cendants, afin que par le tableau de leurs belles actions,
leurs hoirs et successeurs fussent plus attentifs à suivre le
chemin de la vertu ; que cet usage, connu de tout le monde
(Note A) — Glasson, Histoire du Droit et des Inst. de la France, tome
I» P- 197. dit que, " jusqu'à l'époque de Constantin, il fut admis sans
difficulté que la coutume pouvait non seulement faire la loi, mais encore
l'abroger". ..." Constantin à son tour, contraire à la coutume, fît pré-
valoir ses capitulaires, mais, " après la conquête de l'empire par les
Francs et les Germains, la force des coutumes fut rétablie." La conserva-
tion du droit coutumier est l'élément distinctif de la constitution légitime.
276 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
avait été particulièrement attaché à la nation française,
que le nom et les armes des Français seraient en honneur
éternel, et, comme l'intention du souverain est de conser-
ver cette coutume, il ordonne qu'il sera fait un catalogue
dans lequel seront inscrites toutes les armes des ducs, prin-
ces, comtes, barons, seigneurs, châlctains et autres gens
nobles dans toutes les provinces et autres jurisdictionsdu
royaume, pays de Dauphiné, comté de Provence et autres
places appartenant; et, comme faute de connaissance de la
science de blason, plusieurs arraes étaient fausses. Sa Ma-
jesté donne pouvoir au roi des armes, au maréchal de Bla-
son, de les voir et visiter en ordre dans le dit catalogue
chacun selon son degré afin que dorénavant ceux auxquels
elles appartiennent, puissent en jouir sans débat ni con-
traint."
L'ordonnance d'Amboise du 26 mars 1555, dit: ''Pour
éviter les suppositions des noms et des armes, défenses
sont faites à toutes personnes de changer leurs noms et
leurs armes sans auparavant avoir obtenu des lettres de
dispense et de permission à peine de I,000 livres d'amende,
d'être punies comme faussaires et dégradées de la noblesse."
L^ordonnance d'Orléans (1579), article 258, dit que la
seule possession du fief ne constitue pas un noble de sang.
C'était parce que autres que les nobles avaient commencé
sous l'encouragement de la cour à acheter des fiefs et des
titres. D'Avenel dit dans son livre "La Noblesse Française
sous Richelieu," p. 305 : "En mettant la noblesse à la por-
tée du premier venu, le souverain l'avilit, et, en l'avilissant
par insoucience ou par calcul, il porta préjudice à la mo-
narchie elle-même, puisque cet ordre était censé y occuper
la première place."
Montesquieu a dit dans "l'Esprit des lois '* que : " Tout est
perdu lorsque la profession lucrative des traitants parvient
par ses richesses à être une profession d'honneur."
Martin dans 1' "Histoire de France," tome XVIII, p. 5, dé-
clare : " Autrefois le noble et le guerrier ne faisaient qu'un...
il n'était plus ainsi depuis longtemps, et rien n'était plus
choquant que de voir un traitant, un usurier acquérir les
LA NATION FRANCO NORMANDE AU CANADA 277
privilèges nobiliaires avec l'argent qu'il avait volé du peu-
ple, tandis qu'un brave officier, pauvre et couvert de bles-
sures, était imposé à la taille comme roturier."
D'Avenel dit: "L'anoblissement par la possession des
fiefs fut regardé comme usurpation de noblesse. Tandis
que la profession des armes continua à anoblir jusqu'au
commencement du XVIIe siècle ceux qui l'exercèrent — même
sans posséder des terres nobles." (p. 8). "Les nobles ser-
vaient à l'armée en grande majorité mais non pas sans ex-
ception, tandis que tous sans exception étaient dispensés
de la taille. S'ils étaient dispensés de la taille, ce n'était
pas parce qu'ils servaient, mais parce qu'ils étaient nobles.'
Le privilège n'était pas la récompense du service rendu
mais " le droit de la naissance " (p. 40). "Les droits hono-
rifiques des nobles à présent sont le port d'armes et le
blason, le privilège d'orner leur chapeau d'un plumet blanc
et le toit de leur demeure d'une girouette : la représenta-
tion comme corps principal du gouvernement, et l'entrée
à la cour royale après la famille Royale — tels étaient les
principaux avantages qu'un gentilhomme tirait de sa qua-
lité" (p. 23).
Une ordonnance dit que : ''Les roturiers acquéreurs des
terres nobles ne puissent en prendre les titres ni obliger les
gentilshommes qui en relevaient, à leur rendre hommage."
Sur diverses remontrances de la noblesse présentées au
Roi par les Etats Généraux tenus à Paris en 1614 parce que
les usurpations continues des titres et des droits nobiliaires,
tendaient à ce qu'il fût établi un juge d'armes lequel dres-
serait des registres universels des familles nobles du
royaume. Sa Majesté créa en titre d'office, par édit du mois
de juin 1615, un juge général d'armes ''nommé parmi les
gentilshommes d'ancienne race. Cette charge fut donnée
d'abord en 1615 à François de Chemières de Saint- Maurice,
qui en 1633, indigna lui-même au Roi Pierre d'Hozier
pour son successeur. Depuis, cette charge s'est transmise
héréditairement dans la famille d'Hozier avec l'agrément
du Roi — [de Miville "Armoriai Historique de la Noblesse
de France," p. 127].
278 LA REVUE FRANCO-AMÉRICIÀNE
Ensuite, l'ordonnance de 1629 enjoignait aux gentils-
hommes de signer " le nom de leur famille " et non celui
de leurs seigneuries.
Un gentilhomme perdait son titre en vendant sa terre,
" tandis qu'il ne pouvait aliéner sa noblesse " [D'Avenel,
" La Noblesse Française sous Richelieu," p. 96.) Mais la
femme noble mariée à un roturier cessait même de jouir
des privilèges de la noblesse — [ibid., p. 114].
Par ces lois on voit la grande nécessité de préserver la
pureté de sang. Les remontrances des députés de la no-
blesse aux Etats Généraux de 1626, dit : "Nous attribuons
la décadence de la noblesse au mélange des races nobles
avec les roturiers ; aux insolentes et trop effrénées ambi-
tions de quelques-uns de leur ordre du siècle passé qui ayant
diminué la bienveillance et accru la défiance des rois en
leur endroit les auraient portés à croire qu'il fallait en
abaisser la puissance par l'élévation du tiers état et par
l'exclusion des charges et dignités dont ils avaient abusé."
[Callet, L' " Administration en France sous Richelieu," p.
123]. Richelieu certifie que : *' La noblesse a été depuis
quelque temps si abaissée par le grand nombre d'officiers
que le malheur du siècle a élevés à son préjudice qu'elle a
grand besoin d'être soutenue contre l'entreprise de tels
gens. L'opulence et l'orgueil des uns accablent la néces-
sité des autres qui ne sont riches qu'en courage, ce qui les
porte à employer leur vie pour l'état dont ces officiers tient
la subsistance " — [ibid., p. 128]. Dans son testament politi-
que pour le roi, Richelieu continue : "Après avoir parlé
séparément des divers ordres dont l'Etat est composé, il ne
me reste rien à dire en gros, sinon qu'ainsi qu'un tout ne
subsiite que par l'union de ses parties en leur ordre et
lieu naturel : aussi ce grand royaume ne peut être florissant
si Votre Majesté ne fait subsister les corps dont il est com-
posé en leur ordre. — Je dis hardiment ce fait, parce qu'il est
aussi important que juste d'arrêter le cours des entreprises
de certains officiers qui, enflés d'orgueil soit à cause des
grands biens qu'ils possèdent ou de l'autorité que leur
donne l'emploi de leurs charges sont présomptueux jusqu'à
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 279
tel point que de vouloir avoir le premier lieu où ils ne peu-
vent prendre que le troisième. Ce qui est tellement contre
la raison et contre le bien de Votre Majesté, qu'il est abso-
lument nécessaire d'arrêter le cours de telles entreprises,
puisque autrement la France ne serait plus ce qu'elle a été
et ce qu'elle doit être, mais seulement un corps monstrueux
qui comme tel ne pourrait avoir de subsistance ni de
durée."
Ainsi, c'est l'histoire qui démontre que l'aristocratie est
un produit et une partie de la constitution de La Nature.
D'abord guidée inconsciemment par les lois organiques d'as-
sociation des semblables dune même race, ensuite, quand
l'aristocratie est devenue forte et intelligente, établie sur
les principes de race, d'honneur, de loyauté, son intelli-
gence, s'affirmant la 'mène à la suprématie dans l'état :
son honneur donne au peuple confiance à son administra^
tion des affaires : sa loyauté envers ses membres l'organise
si puissament que le pouvoir de tous est le pouvoir de
l'un, et les droits et les privilèges de l'un leur deviennent une
cause commune. Finalement sa bravoure et sa stabilité lui
donnent une force qui ne recule jamais devant les diffi-
cultés que ses adversaires lui offrent.
De fait, on était noble, soit d'après sa naissance, soit à
cause des vertus de ses pères, l'illustration de race elle-
même. Il y avait ainsi deux sortes de nobles : (I) les an-
ciens par l'effet du privilège de race attaché depuis un
temps immémorial à leur famille : (II) les nouveaux qui de-
vaient cette dignité à la réputation que s'étaient acquise
leurs derniers ancêtres.
La noblesse ne s'attache pas seulement aux hommes capa-
bles de porter les armes blasonnées : on était noble dès sa
naissance, les femmes comme les hommes, même les jeunes
filles portaient cette qualité. Cette dignité s'acquérait diffi-
cilement. En fait, les familles nobles étaient entourées d'une
haute estime auprès du public. C'étaient leurs membres
qu'on préférait pour les fonctions publiques, à cause du
mérite sur lequel elles sont établies. Envers leurs enne-
mis, comme dit André Lebel dans "Le Connétable de
280 LA REVUE FRANOO-AMÉRÏCAINE
Bourbon, p. 4, ''Le mérite a le droit d'en vouloir à la
sottise qui le néglige ou à la médiocrité qui lui ba:rre la
route."
Lorsque l'aristocratie s'est élevée à cette condition com-
mandante dans l'Etat, consciente de soi-même, elle se pro-
clame la noblesse par pronunciamento d'état. En ceci est
la différence de l'aristocratie et de la noblesse. L'aristo-
cratie est la noblesse en germe, mais elle n'est noblesse
que après développement, elle domine l'état. Alors elle
élève sur son bouclier (son écu blasonné) son chef et le fait
roi. Ce fait accompli, l'état, le royaume éinerge de l'a-
narchie ; l'ordre, la discipline, la confiance succèdent.
Une famille perd la qualité de noble par des mariages
non nobles. Aussi on peut déroger par manque de parole
d'honneur, ou par manque de foi engagée. Un gentilhomme
ne dérogeait pas en faisant le commerce maritime. Henri
IV le déclara formellement pour favoriser l'extension de la
puissance coloniale en Canada et autres pays. En Breta-
gne, par un privilège spécial, les nobles ne dérogeaient pour
aucun commerce; seulement. pendant tout le temps qu'ils se
livraient au trafic, négoce, et usaient de bourses communes
leur noblesse " dormait." Les médecins n'étaient jamais
réputés déroger, et en Dauphiné, ceux qui n'étaient pas no-
bles étaient exempts des payements roturiers, lequel était
un privilège de noblesse.
Un gentilhomme cultivant ses terres et un avocat ne dé-
rogeaient pas non plus.
Quand un gentilhomme avait dérogé en exerçant quelque
charge serviie, il fallait que ses descendants obtinssent des
lettres patentes de rétablissement du collège des Armes.
La domination de la noblesse française était l'épopée du
royaume. "Enthousiasme, dit Renan (Revue des Deux-
Mondes 1906) du beau, l'amour de la gloire, ont disparu avec
la race noble qui incarnait l'âme de la France... Le juge-
ment et le gouvernement des choses sont transportés à la
masse lourde et grossière dont l'esprit est fait d'appétits
purement matériels et de dédain pour le sentiment poétique
d'honneur et de gloire."
LA NATION FRANCO- NORMANDE AU CANADA 281
Avec ses droits, ses privilèges et ses obligations la no-
blesse en Canada se continue sur le modèle de celle de
l'ancien régime e-.i Frap.ce, protégée par le traité de cession
de 1763.
Les Familles de la Noblesse de nom et des armes, sei-
gneuriale, consulaire, bourgeoise et alumnale dans les
Archives du Collège des Armes du Canada.
Les descendants de ces
familles en noms de fa-
mille qui désirent enregis-
trer les preuves de leur
noblesse dans les regis-
tres du Collège et recevoir
le diplôme, le bouton et
la décoration de la no-
blesse de l'Ordre Aryen
et Seigneurial, doivent en-
>^^^H voyer leurs renseigne-
^^1^ ments au bureau de cette
#'' Revue, adressés au Vi-
comte de Fronsac, maré-
chal de blason, *' Revue
Franco- Américaine, 197,
rue Notre-Dame Est,
Montréal.
BE^AUSACQUE DE BOUILLEMONT
Armes : D'azur au château flanqué de 2 tours, sommé d'une
troisième tour sur laquelle flotte une bannière d'argent : le
tout d'argent maço-mé de sable, au lion rampant d'or te-
nant une épée d'argent posée sur le seuil du château. Cou-
ronne seigneuriale.
Histoire : Louis Beausacque, contrôleur et directeur dans
rétendue de la Picardie, et son épouse Geneviève Michel
282 LA REVUE FRANCO-AMiRlCAINE
(St-Firmin, Caôtillon) avait un fils :
Michel H. Beausacque, sieur de Bouillemont en Canada,
né en 1705, marié (Montréal 1729) à Catherine, fille d'Etienne
de l'Argenterie.
* •«-
BRASSARD-DESCHENEUX DE NEUVILLE
Armes : De sable au chevron d'or accompagné de 3
fleurs de lys du même. Couronne seigneuriale.
Histoire : Charles Brassard, descendu d'Antoine Brassard
(France 1609) et de Françoise Méry, eut un fils :
. Joseph Brassard, seigneur de Neuville, de St-Michel et
de Livaudière en Canada, secrétaire de l'intendant, né en
1722, marié (Québec 1752) à Marie A., fille de J. B. Vallée,
CHESNAY DH LOTHALN VILLE
Armes : D'or à un chêne arraché d'azur, le tronc chargé
de 2 épées de gueules passées en sautoire. Couronne sei-
gneuriale.
Histoire : Nicolas Chesnay et Catherine La Ringue (St-
Brieuc, Bretagne) eut un fils :
Bertrand Chesnay, sieur de Lothainville en Canada, né
en 1621, marié (Québec 1656) à Marie M., fille de François
Bélanger, et ensuite à Elisabeth, fille de Charles Aubert.
*
* *
DE FLEURY DESCHAMBEAULT
Armes : D'azur à un rosier d'argent fleuri de 3 pièces de
gueules. Couronne seigneuriale.
Histoire : Jacques de Fleury, seigneur Deschambeault en
Canada,né en l642,futfils de Jacques de Fleury et de Perinne
Gabar (St-Jean de Montagne, Luçon Poitou), conseiller du
Roi, lieutenant au siège ordinaire de la justice royale de
l'isle de Montréal, épousa d'abord Marguerite, fille de Fran-
çois de Chavigny, et ensuite Marguerite R., fille de Pierre
Denys, seigneur de La Ronde.
LA NATION FRANCO -NORMANDE AU CANADA 283
DE SOREL
Armes : D'azur à la croix d'argent. Couronne seigneu-
riale.
Histoire : Cette famille de l'ancienne noblesse a porté
le même blason depuis l'an 1427. Mathieu de Sorel et
Jeanne de Giraud (N.-D. de Grenoble) envoya leur fils :
Pierre de Sorel, en Canada, où il devint seigneur de So-
rel et officier. Il naquit en 1628 et épousa à Québec en
1668 Catherine, fille de Charles Le Gardeur.
DES CAILHAUT DE LA TESSERIE
Armes : D'or au lion de sable. Couronne seigneuriale.
Histoire : Jacques des Cailhaut, sieur de la Tesserie en
Canada, conseiller au conseil souverain à Québec, né en
1624, fils de Samuel Des Cailhaut et de Louise Le Texier
(St-Herbelain, près de Nantes). Il épousa (Québec 1663)
Eléonore de Grandmaison.
DESCHAMPS DE LA BOUTE ILLERIE
Armes : D'azur à 3 roses d'argent. Couronne seigneu-
riale.
Histoire : Jean B. L. Deschamps, seigneur de la Bouteil-
lerie en Canada, né en 1646, fils de Jean Deschamps, sei-
gneur des Landes et d'Elisabeth de Brien (Clipponville,
Rouen) marié l^ à Catherine, fille de Nicolas Macard, et
2^ à Jeanne M., fille de Jean Chevalier.
* *
SABREVOIS DE BLEURY
Armes : D'argent à la fasce de gueules accompagnée de
6 roses du même. Couronne seigneuriale.
Histoire : Jacques de Sabrevois, seigneur de Bleury en
Canada, né en 1667, fils d'Henri Sabrevois de Bleury, sei-
gneur de Sermonville, et de Gabrielle Martin (Châlons),
épousa (Boucherville 1698) Jeanne, fille de Pierre Boucher,
seigneur de Boucherville.
284 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
DELACROIX DE MAUFOIES
Armes : Ecartelé aux i et 4 de gueules, à la croix alésée
d'or; aux 2 et 3 d'argent à une anille de sable. Cimier —
l'anille de sable. Couronne seigneuriale.
Histoire : Hubert Delacroix, seigneur de Maufoies, chi-
rurgien, fils de Dominique, seigneur de Maufoies, et de Ca-
therine Clément (Liège), épousa à Québec, en 1732, Anne,
fille de Jacques Dontaille.
*
* * ^
DE ROY DE LA BARRE
Armes : D'argent au chevron d'or, accompagné de 3 cou-
ronnes du même. Couronne seigneuriale.
Histoire : Jean M. De Roy, sieur de la Barre, fils de
Claude De Roy et de Jeanne Dariveau (Angers), épousa à
Montréal, en 1726, Marie A., fille de Joseph Benoit.
*- *
EURY DE LA PERELLE
Armes : De gueulss à 2 cotices, accompagnés d'un lion
léopardé en chef et une étoile en point, le tout en argent.
Couronne seigneuriale.
Histoire : J^e premier de cette famille au Canada fut :
François Eury, sieur de La Perelle, major de l'Ile Royale,
qui épousa (1721) Charlotte, fille da Charles Aubert, sei-
gneur de la Chenaye.
FAUCHER DE ST-MAURICE
Armes : Tiercé en fasce : aux I et 4 à 3 chausse-trape
d'argent; aux 2 et 3 à 3 molettes d'or; au 3 d'azur à 3 annu-
els d'or. Couronne seigneuriale.
Histoire : Léonard Faucher, sieur de St-Maurice, né en
1646, fils de Barthélémy Faucher et de Sybelle Briant (St-
Maurice, Limoges), épousa à Québec an 1669 Marie, fille de
Pierre Damoys.
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 285
FOURNIER DE ST-CH ARLES
Armes : D'azur au chevron d'or, accompagné de 3 bustes
humains du même.
Histoire : Guillaume Fournier, seigneur de St-Charles
en Canada, né en 1619, fils de Guillaume Fournier et de
Noëlle Gagnon (Couine, Normandie), épousa à Québec en
1654, François, fiille de Guil. Hébert.
*
* *
GIFFARD DE BEAUPORT
Armes : D'argent à la croix de gueules chargée de 5 co-
quilles d'or et cantonnée de 4 lions de gueules armés et
lampassés et couronnés d'or. Couronne seigneuriale.
Histoire : Robert Giffard, seigneur de Beauport en Ca-
nada, médecin, etc., né en 1587, marié à Marie Renouard et
eut des enfants :
Joseph Giffard, seigneur de Targy, marié (Québec 1663)
à Michelle N., fille de Jacques Nau, et ensuite à Denyse,
fille de Jean de Peiras en 1700.
GODFROY DE LINCTOT
Armes : D'azur à 2 chevrons d'argent accompagnés en
chef de 2 molettes d'or et en pointe d'une rose du même.
Couronne seigneuriale.
Histoire : Jean B. Godfroy, seigneur de Linctot, fils de
Pierre, seigneur de Linctot, et de Perette Cavalier (Caux,
Normandie), marié (Québec, 1636) à Marie, fille de Mathieu
Le Neuf, sieur du Hérisson. De ses fils furent :
Louis Godfroy de Linctot, seigneur de Normanville, ma-
rié (Québec l668) à Marguerite, fille d'Etienne Seigneuret,
il était procureur du Roi.
Michel Godfroy de Linctot, sieur Dutort, marié (Montréal,
1664) à Perinne, fille de Pierre N. Picoté, seigneur de Bel-
lestre.
286 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
René Godfroy de Linctot, seigneur de Tonnancour, fils
de Louis, seigneur de Normanville, marié (1693) à Margue-
rite, fille de Séverin Ameau. Il était conseiller du Roi et
ieutenant-général civil et criminel en 1717.
JOYBERT DE MARSAN-SOULANGES
Armes : D'or au chevron surmonté d'un croissant de
gueules et accompagné de 3 roses du même. Couronne
seigneuriale.
Histoire : La famille de Joybert est originairement du
Perche, et d'une ancienneté qui la met parmi la vieille no-
blesse.
Pierre de Joybert, sieur de Marsan-Soulanges, comman-
dant en Acadie, né en 1644, fils de Claude de Joybert et
de Claude Brissier (St-Hilaire de Soulanges, Châlons,
Champagne), était le premier de son nom au Canada. Il
épousa Marie, fille de Louis Theandre Chartier, seigneur
de Lotbinière.
d'estienne
Armes : D'az. à 3 baades d'or. Supports : deux griffons
d'or. Cimier : un buste d'homme avec un chapeau chargé de
quelques plumes en mémoire de ce que l'origine de cette fa-
mille est l'Albanie. Couronne seigneuriale.
Histoire : Estienne en Provence, une des plus anciennes fa-
milles de la province, remonte par titres authentiques à Jacques
D' Estienne qui rendit ses comptes en 1267 comme châtelain
de Bouc et de Pennes. Son fils Pierre D' Estienne et le neveu
de celui-ci furent confirmés dams le titre de chevalier par
Charles II, roi de Sicile et de Jérusalem en 1307, attendu
qu'ils tiraient leur origine d'anciens chevaliers. Leur descen-
dance, qui se divisa en plusieurs branches, dont les principales
sont celles d'Estienne de Chaussegros de Lioux et d' Estienne
de St-Jean, compte plusieurs représentants : Charles, mar-
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 287
quis d'Estienne de Chaussegros de Lioux, général de brigade,
et Ludovic- Joseph, vicomte d'Estienne de St-Jean (1872) Aix,
Bouches-du-Rhône.
Denis d'Estienne, noble, lieutenant dans la marine, aide-
major à Montréal, né en 1670, est le premier de sa famille au
Canada. Il fut fils de Denis D'EvStienne, conseiller du Roi au
parlement de Provence, et de noble dame Françoise Desvoyer
de Clerin. Il épousa à Montréal, en 1691, Jeanne, fille de Ga-
briel Celles- Duclos.
*
* *
de: grasse
Armes : D'or au lion de sable, couronné, lampassé de gueu-
les, écartelé depuis l'alliance avec Marthe de Foix, descen-
dante des rois de France (1535). I Foix et Béarn (aj d'or,
3 pals de gueules(b) or, deux vaches de gueules ; II (Navarre)
de gueules aune chaîne en croix et en sautoir d'or ; III Ara-
gon et Sicile, gironné de 4. (a) Foix (b) d'argent à l'aigle dé-
ployé de sable. IV (Evreux) d'azur, à la bande de gueules
chargée de 3 billettes d'argent entre 3 fleurs de lys d'argent po-
sées I et 2. Couronne seigneuriale.
Histoire : La famille de Grasse est connue dans l'histoire
depuis la fin du Xe siècle ; elle eut titre de principauté sur la
ville et le comté d'Antibes.
Le cartulaire de l'abbaye de Lérins en fait mention depuis
Rodoard, prince d'Antibes (980).
Elle a donné deux chevaliers croisés (1096), des amiraux,
généraux, évêques, gouverneurs de ville, des commandeurs,
etc. , et grands prieurs de Malte.
Elle a été titrée prince d'Antibes 980, comte de Bar 1535,
comte de Grasse 1676, marquis de Grasse 1709.
Elle a formé les branches du Bar, de Mouans, de Boimer,
du Mar, de Cabrés, de Montauroux de St-Nazaire, de Brian-
çon, etc., en Provence (éteintes), et existante, celle de Limer-
mont en Picardie.
Etienne, comte de Grasse, s,' établit en 1708 en Picardie par
288 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
suite de son mariage avec Etiennette d'Hallencourt, dame de
lyimermont. Le neveu du comte de Grasse s'établit près Ba-
thurst, N. B., après la révolution en France.
*
* *
GOURDEAU DE BOILEAU
Armes : D'argent à l'aigle de sable, becqué et armé d'or.
Couronne seigneuriale.
Histoire : Jacques Gourdeau, sieur de Boileau, né en 1624,
fils de Nicolas Gourdeau, procureur au siège royal de Niort
en Poitou, marié (Québec, 1652) à Eléonore de Grandmaison,
veuve de François de Chavigny. Son fils fut :
Jacques Gourdeau, sieur de Grosardière, qui épousa à Qué-
bec en 1691 Marie, fille de François Bissot.
*
* *
LECOMPTE DE LA VIMAUDIERE
Armes : D'argent au chevron de gueules accompagné de 3
corbeaux de sable. Couronne seigneuriale.
Histoire : Samuel Lecompte, sieur de la Vimaudière, chi-
rurgien, né en 1667, fils de Noël Lecompte et de Françoise Le-
tellier(St- Georges, St-Lô, Coutances), marié (Château-Richer
1695) à Anne, fille de Louis Jobidon.
*
* *
LECOMPTE DU PRÉ
Armes : De gueules au chevron d'or accompagné en chef de
2 étoiles du même, et en pointe, d'une tête de lion d'argent.
Couronne seigneuriale.
Histoire : Louis, seigneur Lecompte du Pré, né en 1654,
fils de Charles et d'Anne Defosse, marié (1683) à Marie C,
fille d'Adrien de St-Georges. Descendu de cette famille était
le colonel Lecompte St-Georges du Pré, un des plus vaillants
défenseurs de Québec en 1775.
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 289
LEFKBVRE DUPLESSIS-FABER
Armes : D'azur au chevron d'or surmonté d'une tour d'ar-
gent, accompagné en chef de 2 étoiles d'or, et en pointe, d'une
ancolie du même. Couronne seigneuriale.
Histoire : François Lefebvre, sieur Duplessis-Faber, capi-
taine de la marine, fils de Pierre, maître de l'hôtel du Roi, et
de Marguerite Bassade (St-Jean-en-Grève, Paris) marié (Cham-
plain 1689) à Marie M., fille de François Chosel.
K LE GOUS DE GOUS
K Armes : De sable au lion d'or armé et lampassé de gueules.
Hbvise : " Sans défalloir." Couronne seigneuriale.
I^paistoire : Louis J. Le Gous, seigneur de Gous, chevalier,
'capitaine des troupes, né en 1666, fils de Charles Le Gous et
de Catherine Bonne (St-Gilles,, Bayeux) marié (Québec, 1694)
à Marguerite, fille de Charles Le Gardeur, sieur de Tilly.
*
LE NEUF DU IIERRISON
Armes : De gueules à 3 coUvSsins houppes d'or. Couronne
seigneuriale.
Histoire : Une des familles les plus considérables dans l'his-
toire du Canada.
Mathieu M. Le Neuf, sieur du Herrison, lieutenant-génëraî,
né en 1601, marié (Québec, 1636) à Jeanne Lemarchand. Son
frère :
Jacques Le Neuf, sieur de La Poterie, né en 1606, était gou-
\erneur- général en 1665, et il épousa l^arguerite, fille de René
Le Gardeur. Son fils :
Michel Le Neuf, sieur de la Vallière, marié à Marie F., fille
de Simon Denys, sieur de la Trinité ; son frère :
René Le Neuf, .sieur de Beaubassin en Acadie, lieutenant
de la marine.
(A suivre.)
La lecture des romans
Au moment où deux grands prix littéraires de ^i.ooo viennent d'être
décernés, en France, on ne lira pas sans intérêt cette page remarquable
oii réminent collaborateur de la " Revue Française," René Bazin, expose
si bien les raisons pour lesquelles la sagesse des parents doit interdire
aux trop jeunes gens et aux jeunes fiUes la lecture des romans.
Quel est le public naturel du roman ? A supposer qu'une
œuvre romanesque puisse être lue par tout le monde, est-ce
là une supériorité ou un simple accident ? Y a-t-il là un
idéal dont doive se préoccuper un écrivain, ou bien existe-
il, dans l'idée même du roman, un élément qui détermine
et limite le public auquel s'adresse le romancier? En un
mot, quelle valeur faut-il accorder, esthétiquement, à la fa-
meuse formule du roman "qui peut être mis entre toutes
les mains " ?...
Je crois et je vais essayer de prouver que le roman pour
les jeunes filles ne saurait être autre chose qu'un accident
heureux, dans une littérature qui n'est pas faite pour elles
Pour mieux poser la question, je crois que le roman, par sa
nature, est destiné à ceux-là seuls qui ne sont pas au début
de la vie.
Une des raisons, c'est qu'il est une oeuvre destinée à
peindre les hommes tels qu'ils sont.
Que le roman soit d'abord une oeuvre d'observation, per-
sonne n'y contredira. Sans doute, l'écrivain aura le choix
de son milieu, de ses personnages, de l'intrigue et du dé-
nouement de son drame, mais toujours son récit devra don-
ner quelque figure de la réalité, en produire l'illusion. Or,
la réalité est n^êlée de bien et de mal, et la proportion du
mal dépasse celle du bien. Les situations tragiques sur-j
tout ne supposent-elles pas, presque toujours, une faut
dont elles sont la conséquence ? N'est-ce pas du spectacl
de la lutte contre les plus violentes passions, du contrasté
u
1
LA LECTURE DES ROMANS 291
entre le bien et le mal représentés par des personnages
différents, ou par les tendances différentes du même per-
sonnage, que naîtront les sentiments que l'auteur veut faire
éprouver au lecteur : l'admiration, la crainte, la haine ? L'é-
crivain le plus honnête a-t-il le droit, a-t-il le pouvoir de
chercher ailleurs le principal ressort et l'intérêt de son
œuvre r* Evidemment non. Il doit savoir et il doit lire le
mal. Et, par là, son devoir est tout autre que celui des pa-
rents, qui est de préserver l'enfant de la vue du mal. Ob-
servez comme ils s'y emploient : ils l'écartent des compa-
gnies dangereuses; ils ferment à clef la petite bibliothèque
vitrée; ils s'abstiennent devant lui, non seulement des mots
libres, mais de conversations qui pourraient, tout honnêtes
qu'elles soient, lui donner trop tôt la science du milieu de
la vie; ils veillent à ne l'initier que peu à peu aux préoccu-
pations, aux passions, au langage même des âges qui ne
sont pas venus pour lui. On peut dire que ce petit com-
I battant n'est armé que par degrés, afin que ses armes ne le
I blessent pas lui-même tout d'abord, et qu'il les reçoit une
I à une, comme les enfants des chevaliers d'autrefois, selon
i l'aventure qu'il peut courir. Mais, Si tel est le devoir des
parents, n'aperçoit-on pas qu'on ne peut, sans exagération,
I sans péril pour l'art, en étendre l'obligation aux écrivains ?
Ceux-ci répondront, avec raison, qu'ils n'écrivent pas pour
[des enfants; qu'ils n'ont pas à se préoccuper de l'âge de
I ceux qui les liront ; qu'ils ne sauraient être astreints à pein-
I dre la vie autrement qu'elle n'est, sous prétexte qu'ils au-
jront peut-être des lecteurs ignorants de la vie; ils préten-
I dront, et ils n'auront pas tort, qu'ils sont quittes envers la
i morale s'ils écrivent ce que d'honnêtes gens peuvent hon-
I nêtement et utilement lire.
î II faut ici préciser. La licence de tout dire n'existe pas.
[Je sais bien qu'elle est proclamée, comme un dogme, par
I toute une école de publicistes qui prétendent que l'art n'a
: pas de règle, n'a pas de pudeur et n'a pas de danger. Je
suis d'un avis tout contraire. Je crois que l'art est soumis
' à la loi morale, à laquelle n'échappe aucune manifestation
de l'activité humaine, et qu'il y est d'autant mieux soumis
292 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
que l'œuvre d'art est une œuvre d'enseignement, une leçon,
un acte d'influence et de direction sur autrui. Je crois que
le livre est une puissance extrêmement féconde, soit pour
le bien, soit pour le mal. Et dès lors, pour me renfermer
dans le sujet que j'ai entrepris de traiter, il me semble que
le romancier aura pleinement satisfait à la morale, s'il rem-
plit deux conditions, dont l'une concerne le but et l'autre
les moyens.
Il doit d'abord exprimer ou laisser transparaître une con-
clusion saine. Je ne dis pa§ une conclusion optimiste; je
ne dis pas célébrer le triomphe du bien sur le mal, que nous
ne voyons pas toujours se manifester, hélas ! dans la vie. Je
pense seulement que le livre sera bon si le lecteur, en le fer-
mant, a senti plus vivement le danger, personnel ou social,
de la faute ou de l'erreur que l'auteur a décrite, ou s'il
plus clairement compris la grandeur et la nécessité de li
loi morale à laquelle il est, comme homme, obligé d'obéi^
Sans cela, et si le livre excite l'homme à la révolte, je
vois plus dans l'oeuvre écrite qu'un désordre, que toutes 1<
raisons d'art ne sauraient excuser, car l'art ne peut êtrj
antisocial, antihumain ; il doit être un agent de progrès, e!
une force pour soulever les ârnes ; ou bien il n'est qu'un
danger qui grandit avec le talent de l'écrivain.
Un grand nombre de romanciers ont eu l'intelligence de
cette obligation première et s'y sont conformés. Il y en a
très peu qui se soient proposé, délibérément, de laisser à
ceux qui les lisent une impression finale contraire à la mo-
rale. Mais cette condition ne suffit pas. Je connais, vous
connaissez tous, de détestables livres, qui ont un excellent
chapitre treptième. On citerait, à la douzaine, des romans
qui ont souillé des imaginations, troublé des cervelles et des
coeurs, et qui renferment quatre pages finales de la plus
belle envolée, d'une philosophie acceptable et même ex-
cellente.
C'est que, en effet, une autre règle plus délicate, infini-
ment plus difficile à observer, s'impose à l'écrivain, à celui-
là surtout qui prétend raconter et analyser le monde des
passions humaines. Obligé de dire le mal, il doit en éveil-
LA LECTURE DES ROMANS 298
1er l'idée sans en exciter le désir. Il doit prendre garde
que la peinture, trop complaisamment poussée, d'un senti-
ment mauvais, d'un vice, d'une faute, ne fasse oublier au
lecteur la perversité du sentiment ou de l'acte; il faut qu'il
mesure le danger de l'exemple qu'il crée lui-même, et que,
par une habileté dont le public ne s'apercevra peut-être
pas, sans le dire le plus souvent, il laisse aux manifestations
de la volonté humaine leur caractère de liberté, de mérite
ou de démérite. Règle redoutable ! J'avoue qu'elle est gê-
nante, mais il n'y a rien de facile en art. Il suffit qu'il soit
possible de la suivre, et cela n'est pas douteux. La diffi-
culté n'est pas de citer des exemples, mais de les imiter.
Où commence l'inutile excès d'analyse.? Où la secrète in-
dulgence qui flatte le fond perverti de l'homme ? Où le dé-
tail qui n'ajoutera rien à la valeur du livre et qui risque
d'en altérer le sens et d'en ruiner le bienfait? Toutes les
explications sont ici superflues, tous les commentaires ne
guideraient pas sûrement. Le seul guide qui ne trompera
pas, c'est une conscience affinée, respectueuse des âmes, et,
pour tout dire, le tact chrétien de l'auteur.
Ainsi l'écrivain est lié. Faites attention qu'il est, en
même temps, singulièrement grandi par ses obligations en-
vers la loi morale. Mais que, tout au moins, dans ces li-
i mites, sa liberté soit entière ! Qu'on n'aille pas la restrein-
I dre, sous prétexte que des enfants de quinze ans liront
peut-être ses œuvres Non ; là commencerait un abus tout
à fait condamnable, destructeur de la sincérité, de la beau-
té, de l'art lui-même. Cette liberté, nous la voulons aussi
respectée...
Et c'est pourquoi j'affirmais tout à l'heure que le roman
"pour toutes les mains" est un genre faux. Il écarte de la
i vie un élément qui appartient à la vie et dont le plus hon-
I nête homme ne peut pas ne pas tenir compte. Il conduit
I les auteurs à ces mièvreries dont les petites pensionnaires
I elles-mêmes devinent le mensonge, puisqu'elles ne les re-
I lisent pas. Car, c'est une observation qui fait honneur à
[ rinstinct de la jeunesse : les jeunes filles de vingt ans dé-
! daignent les livres qu'elles ont dévorés en sortant de pen-
294 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
sion. Elles ne savent pas ce qu'est la vie, mais elles sa-
vent que la vie n'est pas dans ces contrefaçons illicites, et
elles sentent qu'on les a trompées. Elles en acquièrent plus
tard la certitude. A quoi bon de pareilles lectures ? A quoi
bon surtout de pareils ouvrages .?...
La lecture du roman ne peut convenir à tout le monde,
parce qu'elle demande une expérience personnelle de la
vie... Ceux qui ont souffert, ignorants ou savants, compren-
dront toujours quelque chose aux récits de la vie. Que les
autres, ceux qui sont ieunes,^ attendent la leçon commune
qu'ils laissent de côté le roman comme une œuvre pour e
vide de sens, écrite dans une langue étrangère. Ils l'ouvrï
ront le lendemain du jour où ils auront pleuré : cela
tarde jamais beaucoup.
René Bazin,
de l'Académie français
i
"1
y La politique canadienne et les Cana-
diens-Français.
4. — L'impérialisme
Il n'y a rien de neuf dans l'impérialisme moderne. Il ressem-
ble à l'impérialisme romain comme celui-ci ressemblait à l'impé-
rialisme des Macédoniens, à celui des Perses, à celui des Baby-
loniens ; comme lui ressemblera l'impérialisme des Japonais.
ly'impérialisme, c'est le pangermanisme, le panslavisme, le
panaméricanisme. C'est toujours une doctrine ou mieux un
idéal politique qui tend, sinon à l'asservissement, du moins à
la dépendance du genre humain, à une nation forte et orgueil-
leuse dont l'ambition n'est jamais assouvie. Le motif en est
tout de vanité et de cupidité. L'impérialisme carlovingien fut
le seul qui eut une fin supérieure. —
Le panbritannisme, si l'on veut permettre le mot, désignerait
bien l'impérialisme anglais, mais en terre britannique plus que"
partout ailleurs, on feint de vouloir laisser aux groupes hété-
rogènes leur entière individualité et l'on évite d'user d'une ex-
pression qui ferait entendre clairement ce que tout homme
averti comprend par impérialisme.
Car, en somme, la lutte est entre l'impérialisme et le natio-
nalisme. Le premier veut l'uniformisation, l'unification, la
fusion, l'alliage de tous les éléments humains. Le second tra-
vaille au développement intensif delà nationalité, presque tou-
jours une minorité combattue, de ses facultés politiques, intel-
lectuelles, commerciales. D'une autre part, l'internationa-
lisme et le nationalisme sont aux antipodes. Cependant, il est
curieux de voir encore une fois comment les extrêmes se tou-
chent. L'impérialiste est un nationaliste exalté, mais puissant,
qui ne voudrait voir sur la terre qu'une nation, la sienne.
L'internationaliste est un impérialiste dont le rêve est de faire
296 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
de rhumanité une nation, une république, une communauté,
avec les caractères que le hasard lui donnera. L'impérialisme
tend à diminuer le nombre des frontières, l'internationalisme, à
les supprimer.
Les petits groupes ethniques tiennent à la vie comme les in-
dividus. Les uns disparaissent complètement comme les dif-
férentes peuplades sauvages de l'Amérique. Les autres sont
condamnés à l'assimilation, par la langue ou par la politique,
comme les différents peuples germaniques et les diverses popu-
lations de l'Italie, autrefois divisés et souvent en guerre, au-
jourd'hui unis par un même esprit national. Les groupes qui
ne sont pas assez forts pour dominer, doivent donc disparaître
ou s'assimiler. C'est la loi de la "lutte pour la vie" : les fai-
bles s'éteignent pour conserver la force de la race. Mais, la
résistance est parfois longue. Par exemple, toutes les pré-
somptions sont en faveur de notre nationalité qui a su pendant
trois siècles défendre son intégrité contre des populations hos-
tiles toujours dix fois plus nombreuses. Voilà la démonstra-
tion d'une force qui assure notre survivance et même notre
droit au chapitre des nations, dans un avenir que notre énergie
fera plus ou moins bref.
La question se pose : Doit-on nous identifier avec l'empire,
ou tendre, lentement, vers l'indépendance politique pour for-
mer une nation, je ne dis pas canadienne, mais canadienne -fran-
çaise? Car, si l'on parle d'un nationalisme canadien, peut-être
pour donner le change, il ne faut pas oublier qu'il y a un na-
tionalisme canadien-français, dont on parle peu, mais qui ex-
iste, et qui est couvert par l'autre.
La grandeur de l'empire britannique a été chantée par tons
les poètes anglais sur toutes les cordes de leur lyre. Débarras-
sée de toute rhétorique, elle est la résultante de cette devise :
"What we iiave we hold, what we hâve not we're after. "
Depuis Elisabeth jusqu'à la fin du règne de Victoria, les deux
plus grands rois de l'Angleterre puisque ses rois ont eu des ca-
ractères de reines, les ministres anglais ont essayé la devise sur
toutes les terres de l'Amérique, de l'Asie, de l'Afrique et de
l'Australasie, avec les succès que l'on connaît. La diplomatie
anglaise a tout fait cela. Il est vrai qu'elle ne s'est pas tou-
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 297
jours exercée dans les chancelleries, qu'elle a beaucoup travail-
lé dans les loges et les salons des banquiers juifs, mais peu im-
porte pourvu qu'elle ait atteint son but. Allons-nous deman-
der compte à l'Angleterre d'avoir fait l'unité italienne pour
dépossédera Pape et affaiblir rAutriche, d'avoir formé l'unité
allemande pour écraser la France, de se faire aujourd'hui des
alliés pour faire peur à l'Allemagne ?
Quelques chiffres nous feront connaître l'état de l'empire
britannique. La superficie terrestre du globe est de 52,500,000
milles carrés, l'empire en comprend environ 12,000,000 soit
près d'un quart. Sa population est de 400 millions, dont 60
millions de population blanche, alors que la population mon-
diale est de 1500 millions. Le commerce de l'empire qui n'é-
tait que de ^170,000,000 en 1800, était de ^1,500,000,000 en
1900. L'Angleterre est le cœur de cet immense empire, re-
cevant par ses nombreuses artères les produits de toutes les la-
titudes.
Il n'est pas d'avantages sans inconvénients. Les colonies
anglaises sont toutes éloignées de la mère-patrie, couvrant de
grandes portions de continents. L'Angleterre, par ce fait, est
autant ;ine puissance continentale qu'une puissance insulaire.
Mais, c'est une puissance continentale sans armée. La guerre
du Transvaal l'a trop démontré.
Alors, comment l'Angleterre va- t-elle défendre ses nombreux
territoires ? Elle va persuader à ses colonies que ses intérêts
sont les leurs, et les colonies vont contribuer à la défense im-
périale en hommes ou en argent, ou même des deux façons.
Et l'on tombe dans la question la plus vive de l'impérialisme
militaire, car il esc aassi politique et commercial.
Après la guerre maritime de sept ans qui lui avait coûté
^90,000,000, l'Angleterre s'était arrogé le droit de taxer les
colonies d'Amérique, afin de s'indemniser des pertes subies à
les défendre. Les gens de Boston l'entendirent de la mauvaise
oreille, et la séparation suivit après une longue guerre. Les
autorités impériales, assagies par le traité de Paris (1783),
acceptèrent la charge complète de défendre les territoires de
l'empire, jusqu'au jour où le contribuable anglais, écrasé sous
les impôts, commença de geindre.
298 LA REVUE FRANCO- AMÉHICAINE
Dès la fin du XVIIIe siècle, Burke avait médité le projet
d'une fédération impériale, mais les préoccupations du temps
ne lui permirent pas de le pousser de l'avant. Son intention
était de soulager le peuple anglais d'un fardeau qu'il s'impa-
tientait de porter, en faisant partager aux colonies les guerres,
mais aussi le gouvernement de l'empire.
Vers 1850, les colonies reçurent la liberté de commerce et
acceptèrent en principe l'obligation de la défense territoriale.
De 1846 à I856, elles font des travaux de fortification. Il fut
question de fédération impériale en Nouvelle-Zélande dès 1852.
Cinq ans plus tard, les représentants des colonies australiennes
à Londres soulevèrent la même question.
En même temps, c'est-à-dire de 1845 à 1875, sous l'influence
surtout de Cobden et de Bright, la ligue de Manchester
(Manchester School) s'eft'orça de faire comprendre au peu-
ple que les colonies étaient à charge à la mère-patrie, et
que le plus tôt qu'elles seraient indépendantes, mieux ce serait
et pour elles-mêmes et pour l'Angleterre
La réaction ne se fit pas attendre contre ces théories subver-
sives à la vie de l'empire. La publication en 1868 d'un ou-
vrage, Greater Britain, par sir Charles Dilke, mort récejnment,
et la fondation, la même année, du Royal Colonial Institute
réveillèrent ou créèrent des sentiments impérialistes. Quel-
ques apôtres entreprirent de faire l'éducation des masses, en
faisant des conférences dans les principales villes. En 1884 se
forma l'Impérial Fédération League, ayant pour but d'assurer
l'unité permanente de l'empire par la fédération de toutes ses
parties pour la défense de leurs intérêts communs, tout en
sauvegardant l'autonomie des parlements locaux. Des hommes
de tous les parties politiques s'y rencontrèrent. Mais ils ne
furent jamais d'accord sur les questions concrètes. Et dix ans
après sa fondation la ligue disparut.
Cependant, la cause de la fédération impériale ne fut pas en-
terrée. Les conférences coloniales de 1887, 1894 (à Ottawa),
1897, 1902, et les conférences impériales de 1907, 1909 et 191 1
semblent avoir rapproché de plus en plus l'Angleterre de ses
colonies. En 1895, celles-ci commencèrent de contribuer aux
dépenses navales de l'empire.
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 299
Mais ie Canada, entraîné par le mouvement général, parait
s'être ressaisi depuis un an. Nous ne discuterons pas ici la
loi du service naval due à M. Laurier, pas plus ses antécé-
dents que ses conséquences. On ne sait plus, à l'heure ac-
tuelle, de quel côté le pa3'S penchera.
Il y a au Canada des impérialistes convaincus et outrés, des
autonomistes constitutionnels, des partisans de l'indépendance
immédiate. Il y a aussi des politiciens qui sont prêts à tout
accepter.
Quelques uns voudraient concilier l'impérialisme et le natio-
nalisme, en demandant pour le Canada qu'il ait sa voix au
chapitre de l'empire, qu'il ait le droit de décider de la guerre
s'il doit y participer. Et ils tombent en pleine fédération im-
périale.
Et voici ce qu'est la fédération impériale, réclamée par lord
Beaconsfield, Forster, lord Roseberry, Young, Parkin, Cuning-
ham, Brassey, etc. On donnerait à l'Angleterre, à l'Ecosse,
à l'Irlande et même aux Galles des parlements locaux auto-
nomes chargés des affaires locales, les colonies gardant leur
status actuel. Puis, on créerait un parlement vraiment im-
périal, représentant le Royaume-Uni et toutes les colonies,
lequel parlement aurait le contrôle de l'armée et de la
marine, des relations avec les puissances étrangères ; des
relations intercoloniales de l'empire, des douanes et des
finances, des postes et de la justice.
ly'Inde, dont le réveil est proche, voudra aussi ses députés
à ce parlement impérial. En supposant que l'unité de repré-
sentation serait de 2,000,000 de population, le parlement comp-
terait 200 députés. C'est-à-dire que nous, Canadiens-Fran-
çais, y serions représentés par un député. Le voyez-vous, ce
député, défendre nos droits contre 199 députés quand nous eu
avons 60 ici qui ne les peuvent défendre contre 1 50 ? Conce-
vez-vous un parlement impérial où l'Angleterre aurait la mi-
norité des députés ? Cro3'ez-vous, par ailleurs, qu'elle puisse
ne pas donner le même droit de représentation à toutes ses co-
lonies ? Et supposant que l'Inde n'y enverrait pas de députés,
ne trouvez-vous pas qu'il serait illusoire d'opposer trois ou
quatre députés à cinquante ou plus ?
300 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINl
I^a fédération impériale peut sourire aux anglochtones. Ce
serait pour eux une apothéose avant la chute de l'empire.
Nous n'y voyons qu'un moyen de fusionner toutes les minori-
tés. Quand l'impérialisme commercial de Chamberlain sera
accepté, ou passera à la fédération impériale proprement dite
par la création d'un parlement qui visera naturellement à l'u-
niformité de législation. Après le servage commercial, écono-
mique, ce sera le servage intellectuel et moral. A moins que
l'empire croule trop tôt, et que nous émergions trop vite au-
dessus des débris. v
Louis Gerenvsi.
(Fin au prochain numéro.)
:o:
Présence d'esprit
Le petit Serquy et Jules Debot, que ses amis appelaient plus
communément Bobo, étaient complètement décavés depuis un
temps immémorial. C'est au point que, sauf les ancêtres du
boulevard, nul ne se rappelait avoir vu de l'argent entre leurs
mains. Ils étaient arrivés à cette situation par des chemins
différents, mais également sûrs. Bobo avait en peu d'années
perdu ou gaspillé un assez mince patrimoine, et quant au petit
Serquy, il n'avait jamais possédé la moindre valeur. Les né-
cessités de l'existence les avaient toujours empêchés, l'un et
l'autre, d'exercer une profession quelconque. On ne connais-
sait pas leurs familles ; d'ailleurs, ils vivaient très bien et ne
se montraient que vêtus avec une extrême élégance. Ils fré-
quentaient aussi la meilleure société. Leur âge était à peu
près le même, quarante ans environ, et leur réputation, sans
être de celles qu'on exige des arbitres en matière d'honneur,
était encore enviable.
Une bonne humeur charmante, une gaieté inaltérable, leur
attiraient des invitations fréquentes, des succès, des relations ;
et on leur pardonnait, grâce à ces agréments personnels, les
' * tapages ' ' incessants qui constituaient leur seule ressource.
Car ils ne subsistaient véritablement plus que de cette va-
riété si délicate et si parisienne de l'emprunt, à laquelle il a
bien fallu donner un nom particulier : le " tapage," en effet,
n'est pas l'emprunt et, tout en étant une opération financière
de la -même famille, il s'en distingue par des traits essentiels.
Si vous demandez, par exemple, une somme d'argent à
quelqu'un, en lui promettant de la lui rendre à une époque
déterminée, vous contractez un emprunt ; si vous vous conten-
tez, au contraire, de dire à un ami ou à une simple connais-
sance ou à un étranger : ' * Prêtez-moi donc une cinquantaine
de louis," sans vous engager aucunement à les lui restituer,
c'est d'un " tapage " qu'il s'agit. Les hommes s'empruntent
302 LA IIEVUE FRANCO-AMÉRICAINE
réciproquement de l'argent dans tous les pays et dans toutes
les conditions, mais on ne ''tape" qu'à Paris, et entre gens
d'un certain monde. L'emprunt est souvent pénible : il vous
place momentanément dans une position inférieure et légère-
ment humiliante. Il n'en est pas de même du tapage, qui
doit être pratiqué avec une large désinvolture et comme si le
fait de taper était une sorte d'hommage à la personne choisie.
Bobo et Serquy excellaient à cet art redoutable. Ils avaient
chacun une méthode fixe dont ils avaient expérimenté la puis-
sance par un long usage. La force du petit Serquy consistait
en un tact surprenant qui lui faisait deviner la minute exacte
où quelqu'un pouvait être tapé : il savait lorsque son client
avait gagné au jeu, il guettait l'air de sa physionomie, il n'a-
busait pas, il se servait de phrases brèves. C'était l'opérateur
discret qui vous arrache une dent d'une poigne solide, au mo-
ment qu'il faut, sans étaler ses instruments. Il ne comptait
plus ses triomphes.
Bobo était le dentiste plein de faconde qui n'attache visible-
ment aucune importance à ce que vous ayez une dent de plus
ou de moins. A ses gestes bon enfant, à sa parole souriante
et douce, les poches s'ouvraient naturellement. Ainsi, tous
les deux, ils menaient une existence facile et joyeuse, exempts
de pessimisme, supportant sans dégoût les échecs passagers et
se fiant aux combinaisons innombrables du hasard. Même,
ils avaient eu dans leur vie de brillantes périodes et jusqu'à
des heures de luxe : les mois qui précédèrent le krach res-
taient dans leur souvenir, puis l'époque du Rio-Tinto. Ils
espéraient toujours que des moments pareils reviendraient, car
leurs destinées suivaient les péripéties de la fortune publique ;
et, après les grands coups de Bourse, on les voj^ait arriver chez
leurs relations, comme des glaneurs.
Mais, depuis quelque temps déjà. Bobo et Serquy traver-
saient une crise assez dure : les affaires n'allaient pas, et ils
étaient les victimes d'une accalmie déplorable. Ils venaient
de passer une semaine avec de vagues pièces de monnaie, pre-
nant leurs repas dans des restaurants indignes, se rencontrant
parfois à la table de quelque gargote, les soirs oîi ils ne
dînaient pas en ville, et échangeaient alors des considérations
PRÉSENCE d'esprit 303
sur la difficulté de la vie à Paris et l'augmentation de toutes
choses. Ils conservaient, cependant, une tenue parfaite vis-à-
vis l'un de l'autre et affectaient de réaliser des économies, en
attendant que les affaires reprissent.
Par une coïncidence fâcheuse, la plupart de leurs clients or-
dinaires jouaient de déveine. Blaclie, le coulissier, qui ** avait
les dix louis faciles," prenait au club la forte culotte; Dick
perdait aux courses une somme énorme. Des accidents ana-
logues frappaient leurs meilleurs camarades. Jamais, peut-
être, ils ne s'étaient trouvés dans des circonstances aussi défa-
vorables.
Enfin, une nuit, Bobo, en traversant la salle de jeu du cer-
cle, comme il avait coutume chaque jour pour savoir les nou-
velles, apprit, par le bruit des conversations, que Boisgenet,
un très gentil garçon, tout jeune, presque un débutant, venait
de tailler ime de ces banques auxquelles l'argot des joueurs
donne le nom pittoresque de " rasoir." Après cet exploit,
Boisgenet avait immédiatement quitté la partie. Bobo se
hâta de regagner son domicile et laissa à son concierge, sur une
de ses cartes, l'ordre de le réveiller à dix heures du matin.
A dix heures et demie, il pénétrait dans l'antichambre de
Boisgenet.
— Monsieur est sorti, dit le domestique.
Bobo murmura un " ah !" de désappointement.
— Mais il rentrera sûrement avant midi : il a des amis à dé-
jeuner.
— Parfait, dit Bobo ; je vais l'attendre au fumoir.
Et il se mit à lire un journal avec tranquillité. Mais il avait
à peine parcouru quelques lignes que le domestique ouvrait la
porte de nouveau et introduisait un visiteur très correct, ganté
de clair, souliers vernis, le sourire aux lèvres. C'était Serquy.
Bobo et Serquy se serrèrent la main en fronçant imperceptible-
ment les sourcils.
— Vous allez bien ?
— Pas mal, et vous?
— Tiens ! comment se fait-il qu'on ne v^ous ait pas v^u au
club, hier soir ? demanda Bobo.
304 *LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Serquy reprit : ,
— Je suis arrivé un peu tard ; on m'a dit que vous veniez de
partir.
—Ah !
— Un silence embarrassé suivit ces paroles ; Bobo et Serquy
connaissaient trop bien l'existence pour conserver le plus léger
doute sur le but de leurs visites ; d'un autre côté, ils étaient
trop corrects pour se permettre des plaisanteries déplacées.
Très résolus à n'abandonner le terrain ni l'un ni l'autre, ils se
regardèrent, froids graves, attentifs. Et ils commencèrent à
causer de choses indifférentes, évitant de prononcer le nom de
Boisgenet, comme s'ils n'étaient pas chez lui. Une demi-
heure s'écoula ainsi.
Tout à coup, la physionomie de Bobo se détendit. Il appela
le domestique :
— Vous êtes bien certain que Monsieur rentrera pour dé-
jeuner ?
— Absolument certain.
^Bien.
lyC domestique disparut. Bobo se tourna vers Serquy.
—Figurez- vous, cher ami... Au fait, je peux vous dire cela,
à vous... Vous connaissez Boisgenet, n 'est- pas ? Quel char-
mant garçon ! Et obligeant... Figurez-vous donc que, le mois
dernier, Boisgenet m'a prêté cent louis... avec une cordialité î
Ah ! les gens qui vous prêtent cent louis quand vous êtes gêné
deviennent rares, allez ! Et je vous avoue que ce matin, en re-
cevant de l'argent de chez moi, j'ai eu un plaisir énorme à
penser : ' ' Tiens ! je vais pouvoir rendre ses cent louis à Bois-
genet ! " Ma foi, il nous fait un peu poser, mais je l'attends
tout de même. Je n'aurais qu'à les reperdre ce soir... Quel
charmant garçon, ce Boisgenet, hein?
— Charmant ! fit l'autre.
Et, comme il était un peu énerve par l'attente, Serquy per-
dit une minute la netteté de son esprit. Il songea naïvement :
" Ça se trouve très bien ; je repasserai après déjeuner." Et,
se levant :
— Ma foi, moi, je venais tout simplement lui demander un
renseignement sur les courses de demain. Je le verrai ce soir,
il sera toujours temps. Au revoir, cher ami.
Et ce fut Bobo qui, cette fois-là, tapa Boisgenet.
Alfred Capus.
Revue des faits et des oeuvres
Le voilà l'parapluie.
De la REVUE FRANÇAISE POLITIQUE ET LITTERAIRE, publiée
à Paris (17, rue C&ssette) :
Votre parapluie a-t-il des fenêtres? Oui, des plaques de
mica fixées dans l'étoffe, entre les baleines, et permettant
devoir devant vous tout en vous protégeant lorsque la pluie
fouette à rencontre ? Vous avez sûrement expérimenté les
inconvénients du parapluie sans fenêtres dans le cas sus-
indiqué. Que se passe-t-il d'ordinaire ? Vous tenez votre
"robinson" le manche parallèle aux " lances de l'averse,"
vous vous coiffez jusqu'aux épaules du dôme opaque, ré-
sonnant et ruisselant, vous courbez l'échiné, vous regardez
le bout de vos caoutchoucs flic-flaquants, vous marchez
vite pour gagner l'abri le plus proche et... vous heurtez un
bec de gaz impassible ou un passant qui vous prodigue des
épithètes désagréables ! Avec le parapluie vitré, rien de
pareil; la pluie bat votre petit carreau de mica sans em-
pêcher la vue ; un œil à ce petit carreau, et plus de collision
fâcheuse. Est-ce pratique ?
Eh bien, à Londres — où un prince russe l'avait dernière-
ment importé — le parapluie vitré n'a eu qu'un succès rela-
tif ! C'est vraiment déconcertant ! Il suffit jadis qu'une in«
vention fût utile pour que l'Angleterre la consacrât. Nos
amis d'outre-Manche se lasseraient-ils de cet honneur.?
Vont-ils, en raison de l'entente cordiale, prier désormais
messieurs les Français de tirer les premiers.? Quoi qu'il en
soit, en ce qui concerne la mise en vogue du parapluie vitré
ils nous ont laissé le champ libre.
Au fait, eût dit Alphonse Allais, si nous avons le champ
libre, nous n'avons plus besoin du parapluie vitré !...
306 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Comment on les traite.
Je retrouve parmi mes notes une découpure du "Devoir,"
de Montréal, au sujet de l'enseignement du français à
Arnprior. Il y est question d'un fait que je tiens à signa-
ler ici, parce qu'il a sa place dans la documentation que la
Revue h ranco Américaine a entrepris de préparer sur les
questions nationales.
Nos compatriotes de Arnprior voulaient obtenir l'ensei-
ment du français dans leur école. Pour être plus sûr que
cela pouvait se faire sans contrevenir à la loi, le curé de
l'endroit s'est informé auprès du ministre de l'Education
des exigences de la loi sur ce point. Vous allez voir com-
ment les choses ont tourné.
Voici la lettre que l'honorable M. Whitney, premier mi-
nistre d'Ontario, a fait écrire à M. l'abbé Chaîne, curé d' Arn-
prior, la semaine dernière, touchant le droit d'enseigner le
français à l'école séparée de la localité.
ONTARIO
Department of Education,
Toronto, July 25th, 191 1.
Rev. and Dear Sir : —
I am directed by the Prime Minister, Sir James Whitney,
to acknowledge your letter of the 2lst, and to state that no
change has been made in the School Law or the Départ-
mental Régulations affecting the study of the French lan-
guage in the schools.
I am directed to point out that the question is one entire-
ly under the control of the Board of Trustées.
I hâve the honor to be,
Your obedient servant,
A. H. COLQUHOUN,
Deputy Minister of Education.
IIEVLE DES FAITS ET DES ŒUVRES 307
Il n'y a pas eu de changement dans la loi ou dans les rè-
glements scolaires quant à l'enseignement du français à
l'école, et toute la question est du ressort des commissaires.
Les Canadiens-Français d'Arnprior avaient demandé du
français à l'école, c'est-à-dire une classe bilingue à l'usage
des élèves commençants. La Commission, présidée par M.
Tabbé Jones, vicaire à Arnprior, déclara que si elle pouvait
légalement accorder la classe, elle le ferait avec un grand
plaisir. La lettre de sous-ministre de l'instruction publique
arriva à temps à la réunion de" la Commission et fut lue en
public. Malgré cela, la commission ne voulut pas de classe
française et déclara que cela augmenterait les taxes, ce
qui est faux. On s'empressa d'engager une institutrice qui
ne sait pas un mot de français, malgré la lettre pourtant
formelle du bureau de l'instruction publique.
Cela donne une bonne idée de la confiance qu'on peut
accorder à certains de nos coreligionnaires en Ontario.
A ceux qui avaient encore des doutes sur ce point, l'hon.
-Vl. Fov s'est chargé depuis de dessiller les yeux!
Un vengeur inconnu.
Un pur hasard m'a fait consulter, il y a quelque temps, à
la bibliothèque du parlement provincial à Québec, la "Vie
du cardinal Pitra," par l'abbé Battandier. C'est un ouvrage
très intéressant. Mais il paraît que certaines conclusions
du livre de l'abbé Battandier n'ont pas plu à tout le monde.
Ainsi, un inconnu qui redoutait sans doute l'influence de
l'historien du vaillant cardinal, a soigneusement collé entre
les pages 704 et 705 du volume, la note suivante copiée au
dactylographe :
" L'abbé Battandier, auteur de la vie du cardinal Pitra,
n'a rien négligé dans les pages qui précèdent pour justifier
le cardinal de s'être opposé ouvertement au pape Léon XIII
dans la direction qu'il donnait à l'Eglise. L'abbé Battan-
dier qui était alors le secrétaire du cardinal, fut un de ceux
qui le poussa avec le plus d'imprudence à commettre l'acte
de révolte qui attira sur lui l'orage terrible que Ton sait. Ce
308 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
coup de foudre n'a pas ramené l'abbé à de meilleurs senti-
ments. Voici en effet ce qu'il vient d'écrire, en parlant de
l'élection du Pape Pie X, dans la correspondance romaine
de la ''Semaine Religieuse" de Montréal (No du 31 août
rÇOSX Qu'il signe Dom Alessandro. Son hostilité à l'é-
gard de Léon XIII perce clairement dans la prétendue
orientation nouvelle que le Pape Pie X imprimerait à l'E-
glise.
" Voici, dit-il, le sens exact de la phrase par laquelle au
conclave le cardinal Sarto itvdiqua le nom qu'il voulait
prendre. — J'ai remarqué, dit-il (je cite le sens et non les
termes) que les pontifes du nom de Pie ont été de saints et
grands papes; de plus ceux qui ont porté ce nom plus près
d« nous ont été les constants adversaires de ceux qui vou-
draient-détruire l'Eglise, et c'est pour cela que je prendrai
le nom de Pie X. Par cette phrase habile, il indiquait un
retour à la politique de Pie IX, et le faisait d'une manière
qui ne pouvait point blesser ceux qui étaient contraires à
ce changement d'orientation."
" La conclusion à tirer de cette supposition, d'ailleurs
toute gratuite, n'est que trop évidente : c'est que la direc-
tion suivie par Léon XIII n'était pas la bonne, puisque le
nouveau pape doit l'abandonner pour suivre une autre
orientation. Pie X serait bien à plaindre s'il n'avait à
Rome d'autre conseiller que l'abbé Battandier."
Et après .? Je conseille à ce collaborateur anonyme de
préparer de nouveaux feuillets pour le reste de l'histoire de
l'Eglise !
Doux pays !
Les journaux illustrés n'ont pas fini de publier des re-
productions des scènes de splendeur qui ont marqué le cou-
ronnement des souverains anglais à Delhi. Et les histoires
de fortune fabuleuse, de diamants géants, de carrosses de
pur argent et d'or fin, abondent toujours dans les légendes
inscrites au bas des gravures. Témoin le compte rendu
suivant au sujet du maharadjah de Baroda, celui-là même
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 309
qui tourna si prestement le dos au roi Georges V et à la
reine Marie après leur avoir rendu hommage.
" Parmi les potentats hindous qui firent escorte aux sou-
verains anglais pendant les fêtes du couronnement, à
Delhi, un des plus riches, sinon le plus riche, fut le maha-
radjah de Baroda, Sajadschi Rao III.
" Il y a quinze ans, les revenus de Sajadschi Rao étaient
déjà estimés à plus de seize millions de roupies.
" Les palanquins de ses cinquante éléphants, que soi-
gnent cinq cents domestiques et cornacs, sont en or et en
argent et littéralement couverts des plus belles pierres pré-
cieuses ; les chabraques et les harnachements se composent
d'un tissu en fil d'or des plus précieux.
" Dans les grandes solennités, le maharadjah de Baroda
porte un collier qui représente une valeur de plus de $1,200,-
000; l'une des pierres de ce collier est un diamant de 125
carats qu'on dit avoir appartenu autrefois à Napoléon 1er.
" Les autres ornements du maharadjah sont évalués à
dix millions.
" Parmi les objets bizarres qui emplissent le palais de
Sajadschi Rao, figure un grand canon en argent massif,
estimé à $400,000.
" Malgré sa fortune fabuleuse, le maharadjah de Ba-
roda ne dépense pas plus de $600,000 par an.
" Ajoutons, en terminant, que dans l'Inde anglaise où
vit ce potentat si riche, des centaines de mille — quand
ce n'est pas des millions — de pauvres diables sont em-
portés par des famines périodiques."
A propos de cardinalat
Il paraît que si ne devient pas cardinal qui veut, il
s'est présenté des cas — il y a passablement longtemps, du
reste, — où le Pape a forcé, au nom de la sainte obéissance,
des ecclésiastiques savants et pieux à accepter la pourpre
romaine. La ''Semaine Religieuse" de Montréal nous
donne là-dessus des renseignements très précieux. Même,
ces renseignements publiés quelques jours seulement après
310 LA REVUE FRANCO-AMiRICAINE
la nomination des cardinaux américains (?) O'Connell,
Farley et Falconio, avaient une saveur tout particulière-
ment délicieuse. Donc, dit la "Semaine Religieuse," il
n'est pas nécessaire de donner son consentement pour être
fait cardinal. En cela le "cardinal " diffère de " l'épisco-
pat," que l'on peut refuser efficacement d'accepter, car ce
dernier est un contrat entre l'Eglise et son pasteur, et il
faut dans ce dernier la volonté d'accepter le lien.
Les papes ont parfois usé des censures pour forcer des
personnes de mérite à accepter^'la distinction du cardinalat
que leur modestie ou la peur de la responsabilité à encourir
leur faisait refuser. On cite les exemples suivants :
Saint Pierre Damien n'accepta que sous le précepte de
l'obéissance le titr'e de cardinal évêque d'Ostie que lui con-
férait Etienne X (1057).
Le Bienheureux Urbain II contraignit par les censures
Bernard Hubert, abbé de Vallombreuse, à accepter le car-
dinalat. Martin V en agit de même avec le Bienheureux
Nicolas Albergati.
Paul III dut contraindre Pierre Caraffa à accepter le car-
dinalat (1534). Ce cardinal fut depuis pape sous le nom de
Paul IV, et, en 1539, usa même des censures contre Frédé-
ric-Grégoire pour lui faire agréer cette dignité.
Paul IV dut commander, au nom de l'obéissance, à Jean
Croppero d'accepter sa nomination, et Pie IV en agit de
même envers Stanislas Osio.
On trouva un cas analogue sous saint Pie V : celui du
cardinal Jérôme Socher, mais celui-ci avait déjà été nommé
cardinal et se refusait à accepter sa nomination.
On a trois exemples identiques sous Clément VIII, l'un
pour le jésuite François Tolet (1593), l'autre pour Baronius
(1596), le troisième pour le Vénérable Bellarmin (l599)-
Tous furent contraints d'accepter en vertu de l'obéissance.
Urbain VIII fit de même à l'égard de son frère, Antoine
Barberini, capucin ; de Pierre de Bérulle, qui était lié par
son voeu de ne point accepter de dignités ecclésiastiques,
et du cardinal de Lugo, jésuite.
Alexandre VIÎ eut à contraindre, en vertu de la sainte
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 311
obéissance, deux jésuites, Pallavicini et Nidardi, à devenir
cardinaux.
Le cardinal Orsini fut élevé à la pourpre contre sa. vo-
lonté par Clément X, et contraint par ordre exprès du pape,
d'accepter cette dignité.
Flaminio Taya et Tabbé Rici furent créés cardinaux par
Innocent XI, mais comme quarante-cinq jours après le con-
sistoire, ils ne s'étaient point décidés à donner leur consen-
tement, le pape les fit venir devant lui et leur ordonna d'a-
jouter au mérite de la modestie celui de l'obéissance.
Avant le ** Grain "
L'Indépendant," de Fall River, Mass., ne voit pas sans
une certaine crainte les fonctions confiées au cardinal
O'Connell, de Boston, dans certaines congrégations ro-
maines. Voici, du reste, ce que dit le journal franco-amé-
ricain :
" Un câblogramme, adressé de Rome à Boston, annonce
que le Pape a nommé le cardinal O'Connell membre des
congrégations du Concile et des Etudes.
" Ces congrégations sont d'une très grande importance-
" En effet, celle du Concile a pour mission non seulement
d'interpréter les canons de l'Eglise et les décrets du Concile
de Trente, mais encore de s'occuper, dans les pays érigés
canoniquement, comme les Etats-Unis, par exemple, des
problèmes, souvent délicats, qui concernent la régie interne
des diocèses.
" Le cardinal O'Cop.nell, d'après le câblogramme dont il
est question plus haut, se dit particulièrement heureux de
sa nomination à la congrégatioa du Concile, et nous le
croyons sans peine, parce qu'il aura plus d'influencé que
jamais dans le règlement de certaines questions qui inté-
ressent au plus haut degré les divers éléments catholiques
de la Répuplique américaine.
" D'autre part, la congrégation des Etudes a la haute
main sur les institutions ecclésiastiques du monde entier.
" Et le cardinal O'Connell a lieu de se féliciter égale-
312 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
ment d'en faire partie, parce qu'il pourra surveiller de près
la formation des prêtres dans la Nouvelle-Angleterre, où il
dépensera la plus grande partie de son zèle, de ses énergies
et de son activité.
" Le temps nous fera connaître dans leurs moindres dé-
tails les nouvelles fonctions du cardinal O'Connell.
" Mais nous avons tenu à en tracer les grandes lignes, afin
de laisser entrevoir à nos lecteurs la situation religieuse
que peut créer aux catholiques américains dont l'anglais
n'est pas la langue maternelle, "-celui qui est appelé à les
exercer."
Au fond, r "Indépendant " a bien tort de s'inquiéter.
Après ce qui vient d'arriver, on peut s'attendre à ce que tout
arrive !
Les Canadiens dans Ontario.
D'ai)rès une étude faite par le "Toronto Star," la popu-
lation française de l'Ontario est aujourd'hui d'au moins
247,000, groupée dans une même partie de la province, et
y ayant la majorité dans quatorze comtés.
L'augmentation de la population française a été cons-
tante depuis le dix-huitième siècle, mais elle s'est surtout
accentuée depuis cinquante ans.
En 185 1, Prescott et Russell avaient une population de
13,357) dont"4,l25 français. Dix ans plus tard, les chiffres
étaient de 22,323 et de 9,447, soit une augmentation de 67
p. c, et de 120 p. c, respectivement en 1881, vingt ans plus
tard, sur une population de 47,939 âmes, il y en avait 24,223
Français, environ la moitié. Vingt ans plus tard, au der-
nier recensement, Prescott et Russell avaient une popula-
tion réunie de $62,201, dont 36,712, presque 60 p. c, françai-
ses. Le présent recensement, croit-on, montrera que la po-
pulation française de ces deux comtés atteindra soixante-
quinze pour cent.
A l'autre bout de la province, le comté d'Essex avait en
1851 une population de 16,817, dont 5,424 Canadiens-fran-
çais. Au dernier recensement, la population totale était
UEVUE DES FATTS ET DES (EU VUES 8 Ui
de 33,418 dans Essex-Nord avec une population française
de 13,208, tandis qu'il n'y avait que 3,177 Français dans
Essex-Sud sur une population de 25,326.
Il est probable que le recensement de 1911 montrera que
la population de la frontière nord de la province s'étendant
jusqu'à celle du Manitoba, est presque exclusivement fran-
çaise. D'ailleurs en 1901 sur une population de 36,551 le
district de Nipissing comptait 15,384 français.
Plaisanterie intempestive.
Remarques inspirées à 1'** Action Sociale/' de Québec,
par les discours du désormais fameux Père Vaughan :
" Nous aurions mieux aimé et avions même décidé de ne
pas parler de la récente manifestation d'opinion du R. P.
Vaughan, touchant la question des langues. Puisque la
presse s'en occupe, il nous faut bien en dire un mot pour
nos lecteurs. Quelques-uns de ceux-ci pensent peut-être
que cette manifestation d'opinion tire à conséquence, et
croient qu'elle vient d'une autorité quelconque, ou au moins
d'un homme très réservé et très soucieux de ne blesser, que
pour des raisons très sérieuses, les légitimes susceptibilités
de ses auditeurs ou de ses lecteurs. La vérité est qu'elle ne
tire à d'autre conséquence que de faire voir une fois de plus
que le R. Père aime volontiers exciter l'étonnement et qu'il
devient de plus en plus coutumier de cette originalité qu'il
affectionne.
" Voici les paroles que les dépêches, non contredites,
rapportent comme étant de cet aimable père, et dont la
première partie est la plus vraie :^
" Nous pourrions vivre avec moins de politiciens et plus d'hom-
mes d'état. On mêle de tout à la politique. Bien que cela ne soit
pas de mes affaires, une chose me semble claire : De même que
nous aimons qu'il ne se parle qu'une langue dans nos rnaisons,
ainsi dans cette grande maison que l'on appelle l'Empire Britan-
nique, chacun ne devrait pas considérer seulement comme un pri-
vilège, mais comme un devoir de parler la langue de l'empire.
314 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Sans doute, les autres langues doivent être tolérées, mais la
langue dominante doit être, hors de tout doute, la langue an-
glaise.'^
" Toute la force de ce raisonnement repose sur cette base
étonnante que l'empire britannique est une grande maison.
Or dans une maison on parle la même langue. Donc... On
pourrait continuer très longtemps le développement de ce
raisonnement.
*' Dans une maison, on vit à la même température : donc
aussi dans tout l'empire. Dans une maison, on mange à la
même table : donc aussi dans tout l'empire.
" Dans une maison, on porte en général le même nom :
donc aussi dans tout l'empire. Dans une maison, on est de
même condition sociale : donc aussi dans tout l'empire.
Dans une même maison, on se lève à la même heure : donc
aussi dans tout l'empire. Dans une même maison, il n'y a
qu'une salle à manger et qu'une cuisine : donc aussi dans
tout l'empire. Dans une même maison, il n'y a qu'un père
et qu'une mère : donc aussi dans tout l'empire.
" Comme on le voit, ce raisonnement est original et amu-
sant. On s'explique qu'il plaise à ce bon père Vaughan,
qui ne manque pas d'originalité et qui aime à amuser son
monde.
" Malheureusement, il aurait pu réfléchir que la plaisan-
terie était ici de mauvais goût, et qu'un prédicateur de son
renom devrait avoir autre chose à faire que de s'amuser à
raviver des difficultés sur lesquelles notre Saint-Père le
Pape aime à voir se faire la paix.
" Il n'a pas réfléchi que sa plaisanterie blessait au cœur
une portion notable des meilleurs sujets britanniques, qui
existent au Canada, de ceux qui défendront le plus long-
temps les droits de la couronne d'Angleterre sur la terre
d'Amérique.
" Si le bon roi Edouard, qui s'amusait parfois des origi-
nalités du P. Vaughan, vivait encore et que le bon Père
l'eût consulté sur l'opportunité de sa plaisanterie, il est
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 315
probable que le roi lui aurait dit : "Oh ! mon père, ne faites
pas cette gaffe."
" Le bon conseil n'a pu être donné. La gaffe est faite.
" Elle excitera le fanatisme de ceux qui en ont déjà trop.
Elle amusera les indifférents. Elle peinera ceux dont la
sensibilité a déjà trop souffert des inutiles vexations dont
notre langue est l'objet.
" Elle fera voir à tous qu'il est singulièrement facile pour
certains hommes d'esprit de paraître parfois tout le con-
traire de ce qu'ils sont.''
La Louisiane — Aperçu généra!.
A lire cette esquisse publiée par A. D'Avesne, officier
d'académie, dans le " Moniteur Acadien" :
" La Louisiane, dont l'hospitalité des habitants est pro-
verbiale, et qui tient à la France et au Canada par les at-
taches les plus saintes de l'histoire et de la religion, avec
son climat idéal et des plus salubres, avec ses immenses
étendues de terres d'une fertilité incomparable, peut à juste
titre revendiquer le nom de " Eden de l'Amérique."
" Cet état, sous la pression énergique autant que désinté-
ressée de tous ceux qui la connaissent ne peuvent qu'aimer
dans toute la force du terme cette véritable terre promise,
passe actuellement par une heureuse période de développe-
ment qui fera, dans un temps très prochain, du vieux " Pé-
lican State " le pays agricole le plus riche qui soit au
monde.
" Le mot '* développemejit " comporte nombre d'interpré-
tations différentes; ici, il a toute son ampleur, et signifie
non seulement l'amélioration des conditions d'existence des
habitants des campagnes de la Louisiane, et le souci d'un
confort inconnu en d'autres pays, mais encore l'application
des merveilleuses inventions de la science moderne à la
culture des produits innombrables qui... (grâce d'une part
à une fertilité dépassant en intensité celle si vantée de la
vallée du Nil)... peuvent être récoltés dans ces terres mer-
316 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
veilleuses qui mériteront bientôt à la Louisiane le nom si
vrai de ''Jardin de l'Amérique."
" Le véritable développement de la Louisiane s'est pres-
que entièrement manifesté dans ces dernières années par
suite de l'affluence de cultivateurs étrangers, qui, appli-
quant le système de " l'intense culture " à des terrains qui
peuvent produire de trois à quatre récoltes par année, ont
obtenu des résultats jusqu'alors inconnus, décuplant ainsi
leur capital initial en quelques années,
" A notre époque, où grâce aux merveilleuses inventions
modernes, les nouvelles se transmettent d'un bout du monde
à l'autre, et sont ensuite communiquées au Public par la
Presse, qui, de jour en jour, à oas de géant, guide de plus
en plus l'opinion publique et dirige l'action des masses, on
peut comprendre qu'un tel mouvement n'eût pu se produire
avec tant d'intensité, si cette même Presse... (qui toujours
si volontiers prête son concours autant désintéressé que gé-
néreux et efficace, à toute entreprise où le bien de l'huma-
nité est en jeu) n'avait apporté son précieux appui à l'œuvre
admirable de faire connaître au monde des travailleurs,
qu'il y avait en Amérique un pays béni de Dieu, où ils pour-
raient sans capital, mais avec du courage, de l'énergie et
quelques connaissances, même élémentaires . d'agriculture,
se créer, pour eux et pour leur famille aimée, un avenir de
bonheur et de prospérité auquel ils n'eussent pu prétendre
sous d'autres cienx.
'* En Louisiane, le fermier peut cultiver non seulement
la canne à sucre et le maïs, mais aussi les oranges, les
figues, les fraises et tous autres fruits tant ceux du Nord
que ceux des pays semi-tropicaux, et encore tous les légu-
mes, tels que : melons d'eau, laitue, concombre, radis, as-
4)erges, pommes de terre, choux, etc., etc.. Les pâturages
y sont merveilleux et l'on peut obtenir de trois à quatre ré-
coltes de foin par année.
" Les bestiaux, bœufs, vaches, moutons, porcs, etc., y
sont élevés en quantité et sans presque aucune dépense
pour le fermier, grâce au climat si doux de la Louisiane
qui permet aux bestiaux de vivre en plein air toute l'année.
REVUE DES FAITS ET DES (El^VRES 317
Les volailles de toutes espèces offrent aussi une magnifique
source de revenus pour le fermier.
" Les terres en Louisiane, peuvent encore, maintenant
être acquises à des prix des plus modérés, deux ou trois fois
moins élevés que ceux demandés dans les Etats du Nord
ou de l'Est, tout en produisant pour le fermier un rapport
annuel trois ou quatre fois supérieur à celui des meilleures
terres du Nord ou de l'Est."
Léon Kemner.
:o:
''The Malouf Mines, Limited."
Le Bureau de direction de " The Malouf Mines Limited"
adresse la lettre suivante :
AUX ACTIONNAIRES,
Le bureau de direction de vôtre compagnie, réuni en assemblée spéciale,
a l'honneur de faite rapport des affaires transigées depuis la dernière as-
semblée générale, et en même temps il saisit l'occasion d'offrir aux acti-
onnaires ses remerciements pour leur encouragement.
L/'élection des officiers actuels eut lieu à l'assemblée générale du 21
juillet 191 1, et nous pouvons vous assurer que cette nouvelle administra-
tion fait tout en son pouvoir pour mener l'entreprise à un succès éclatant.
Uu nouveau contrat a été signé entre un nouvel intermédiaire pour la
vente exclusive de 300,000 actions, dont la moitié à 20 cents et la balance
à 25 cents, et nous vous affirmons que la souscription du stock se fait ra-
pidement..
Et depuis, nous avons rentré un fonds qui nous permettra sous peu de
faire l'achat de nos machineries pour l'installation cette hiver.
l,es actionnaires qui désirent augmenter le nombre de leurs actions,
feront bien de se hâter, car nons ne pouvons pas vous adresser un autre
rapport avant l'assemblée générale. Nous avons l'intention de mettre
uotre stock à la bourse, et ce fait devra en hausser le prix, et en faciliter
la demande incessante.
CONDITIONS: — Toute souscription devra nécessairement être ac-
compagnée d'un mandat de poste, mandat d'express ou d'un chèque ac-
cepté, plutôt que par lettre enregistrée à l'ordre de "The Malouf Mines
L/imited," et adressée au trésorier.
Les deux Filles de Maître Bienaimé
(SCENEIS ISI ORIVl A.IM DES)
PAR
Marie Le Mière
(Suite)
— Est-ce que je pouvais m'y prendre autrement, moi ?
Est-ee que je savais qu'il était-là ? Je ne l'ai pas seulement
reconnu d'abord : demandez à Zélie !
— Je ne t'incrimine pas, reprit le fermier, mais c'est bien le
moins que j'essaie de me renseigner sur les intentions de ceux
qui s'introduisent chez moi et qui causent avec ma fille !
— Comme si je les connaissais, moi, ses intentions ! Est-ce
qu'il me les a dites ! Puisque la barrière était ouverte, il ne
faisait pas grand mal, et quand il aurait écrasé deux ou trois
brins d'herbe, en voilà un malheur !
— Tâche de me parlej: sur un autre ton, et de ne pas dé-
fendre un individu qni s'est conduit comme un mal élevé ! ar-
ticula rudement Brissot, avec ce formalisme très respectable
que professent les paysans du Cotentin, — n'en déplaise aux
Messieurs de Paris.
— Par exemple ! C'est trop fort! s'écria Léa, bondissant
d'indignation.
— On ne rôde pas comme ça autour de la maison des gens !
appuya Maître Bienaimé ; ce n'est pas des " manières" ! Quand
on veut entrer chez moi, j'entends qu'on y entre par la
grande poite.
— Mais puisque c'était pour peindre ! interrompit Léa,
crispée des pieds à la tête, puisque . .
— A qui fera-t-il croire, poursuivit le père en élevant la
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 319
voix, qu'il venait là seulement pour peindre ma servante et
lorgner ma ferme ? Non, non, ce n'est pas à moi qu'il faut
conter des histoires à dormir debout.
— Oli ! s'exclama-t-elle, étendant tragiquement les bras, je
ne peux plus écouter de pareilles injustices î Je m'en vais !
Déjà elle avait disparu dans la spirale étroite, et l'on en-
tendit claquer, en haut, la porte de la chambre.
Les nerfs du fermier tressaillaient comme s'ils eussent été
à nu ; sa face ardente, creusée et pour ainsi dire rongée par
tous les tourments, eût fait mal à voir.
Etaient-ce là, par hasard, des manœuvres d'Amélie ? Cette
idée le vexait si cruellement qu'il se sentait hors de lui.
Il s'arrêta, serrant les poings.
— Surtout, proféra-t-il, que celui-là ne s'avise pas de reve-
nir par les clos ou par ailleurs.. Car je le flanque dehors,
sans plus de cérémonie !
XI
EMPRISE
Hélas ! il était si clair qu'elle s'éprenait, et que, déjà, elle
ne se possédait plus î Pauvre petite tête, grisée par la pre-
mière flatterie, pourtant si vulgaire ! obsédée nuit et jour par
l'image du flatteur.
Ce n'était plus, chez Léa, l'humeur simplement inégale et
[nquiète, laissant place à des éclairs d'enjouement gracieux, à
les mouvements de sensibilité charmante : c'était un détra
(uement universel ! Les qualités natives, les influences héré-
litaires s'annihilaient dans l'hypnotisme produit par le mi-
rage de la ville, par le prestige du luxe et des frivolités, sou
knu du prestige encore plus fascinant d'un attrait romanes-
|ue ! Sur le terrain si bien préparé par la belle-mère, le
)eau-fils s'établissait en maître ; à cette jeune fille très igno-
rante et très exaltée, le premier élégant à la langue dorée,
kux bottines vernies, était apparu comme l'Idéal !
320 LA REVUE FRANCO-AMÉRICIANE
Oh ! combien Louis aurait eu peine à la reconnaître, la
chère petite Léa qu'il rêvait et qu'il aimait !
Elle et son père se heurtaient continuellement, les scènes
pénibles se multipliaient. Et là-bas> à Paris, dans les bureaux
des chemins de fer du Nord, Roger Daubreuil s'ennuyait de
moins en moins et travaillait de mal en pis, car une vision
rieuse et folâtre lui tenait compagnie. Entre ses yeux et les
lettres anglaises qu'il était chargé de traduire, une silhouette
fine dansait, une robe rose flottait, une chevelure d'or s'ébou-
riffait autour d'un visage en fleun
Comme elle l'avait admiré tout de suite, naïvement, abso-
lument ! Le jour où il le voudrait, il se ferait passer près
d'elle pour un héros et un génie ! La délicate et fraîche beauté
de Léa, son élégance innée, — d'autant plus frappante (ju'elle
n'était pas un produit du milieu, — l'entrain sémillant que la
jeune, fille avait montré lors de leur rencontre, l'amusement
de ce demi-cousinage, le plaisir de jouer, dans une vie fémi-
nine, le rôle du Prince Charmant épousant Cendrillon, ou du
chevalier délivrant la belle, achevaient d'expliquer, chez un
être aussi superficiel et frivole, l'entraînement irréfléchi qu'il
éprouvait à cette heure. Et la fortune assez ronde qu'il sup-
posait à Léa contribuait, pour une part, à la détermination
du jeune homme; cependant, il faut l'avouer, cette préoccupa-
tion passait au second plan : le beau- fils d'Amélie était beau-
coup plus léger que vénal, beaucoup plus capricieux qu'insin-
cère, et l'argent lui glissait si rapidement entre les mains,
qu'il n'avait pas le temps d'y attacher son cœur.
Un soir, il sortit de son bureau plus précipitamment que
de coutume, et, sans prendre le loisir de chauflér son auto, il
héla un fiacre pour se faire conduire chez sa belle-mère. De-
puis le retour à Paris, l'état de Mme Lagarde s'aggravait de
façon assez inquiétante ; en ce moment, elle se reposait, éten-
due, dans un petit salon où les stores peints entretenaient un
demi-jour doucement coloré. Enveloppée d'une robe vague,
une brochure à la main, elle lisait la pièce nouvelle.
LES DEUX FILI.es DE MAÎTRE BIENAIMÉ .']21
Le mal qui rongeait Amélie et lui causait parfois d'intolé-
rables souffrances changeait peu à peu les allures compassées
de cette femme, embrumait ses yeux gris et fouilleurs.
— Guite ! appela-t-elle tout à coup.
Une forme blanclie, idéalement flexible, émergea d'un fouil-
lis de capillaires.
— Que désirez- vous, maman ? interrogea la jeune fille.
— Veux-tu arranger mes coussins ?
Marguerite s'inclina gracieusement sur le canapé broclié ;
ses, cheveux blond pâle entouraient de leurs bandeaux un vi-
sage un peu long, au teint laiteux ; sans être jolie, elle avait
un charme doux, sérieux, légèrement mélancolique.
— Oh ! tu n'es pas belle aujourd'hui, Marguerite, fit Amé-
lie, promenant un regard de reproche sur la simple robe de
piqué, sans ruban ni dentelle.
— Qu'importe, maman ! 11 ne va venir personne, et je me
plais tant ainsi !
— Mais moi, repartit Mme Lagarde, j'aime à te voir tou-
jours très bien habillée, ainsi ([u'il convient à une jeune fille
riche !
Kn cet instant où Amélie cessait dâ se contraindre, comme
on sentait en elle la " parvenue ", dans l'acception la plus
affligeante du terme !
— Ne me répétez pas cela", murmura Mlle Daubreuil, avec
un mouvement de sensitive qui se replie.
— Pourquoi donc ? exclama la mère.
La jeune fille ne répondit pas; elle rangeait silencieuse-
ment les divers objets encombrant l'étagère mobile placée
près du canapé : ses yeux rencontrèrent le titre de la brochure
qui reposait maintenant sur la tablette supérieure, et un flot
rose envahit son front pur.
Marguerite, élevée par les religieuses de Notre-Dame, avait
reçu d'elles d'autres principes et d'autres exemples que ceux
de sa mère.
322 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Tandis qu elle retournait à sa broderie, un timbie sonna
par trois fois.
— C'est Roger, soupira Mme Lagarde, dont les sourcils
noirs se foncèrent. Je reconnais sa façon . . Dieu, quel ennui !
On ne peut pas avoir une minute de tranquillité.
Tout de suite, elle quitta sa posture abandomiée, et fixa la
porte par où le jeune homme ne tarda pas à entrer, ganté de
frais, arborant un nœud de cravate inédit.
— On s'embrasse, petite sœur ? fit-il, enlaçant la taille
svelte de Marguerite qui venait de lui ouvrir.
— Tu me décoiffes, grand fou, dit- elle avec un sourire in-
dulgent.
— Eh bien ! quelles nouvelles ? s'enquit Roger, en s'avan-
çant vers sa belle-mère.
— Je te remercie, répondit-elle froidement ; je n'ai pas souf-
fert aujourd'hui. J'ai quelque espoir en mon nouveau ré-
gime. Assieds-toi, je t'en prie, ajouta t-elle, déjà fatiguée de
le voir se trémousser à travers le salon.
— Ah ! ceci me va bien, s'écria le jeune homme, s'installant
commodément dans ua fauteuil, car j'ai l'intention de m'offrir
un entretien sérieux . . Sujet interdit aux demoiselles. Aussi,
ma chère soeur, avec tous les égards qui te sont dus . .
Marguerite, ayant jeté un coup d'oeil à sa mère, plia son
ouvrage et sortit.
— Vous êtes vous occupée de moi ? demanda carrément le
jeune Daubreuil dès qu'elle eut disparu.
Un malaise contracta le visage d'Amélie.
— Un malaise contracta le visage d'Amélie. .
' — Un peu de patience ! reprit-elle : laisse-moi me retour-
ner. Qui m'assure, d'abord, que ce ne soit point là une vel-
léité, comme il t'en a déjà passé maintes fois dans la cervelle ?
— Ça non ! je vous le jure ! Je suis abs Jument pris, ap-
puya Daubreuil ; ça ne se discute pas, c'est un fait.
— Quand je l'admettrais, poursuivit Mme Lagarde, il n'en
resterait pas moins vrai que la situation est difficile ! Mon
LES DEIjX filles DE MAÎTRE BIENAIMÉ â23
frère affecte de m'ignorer, tu le sais très bien, et ta démarche,
au moins intempestive, de l'autre jour, a pu compliquer terri-
blement les choses !
Si Amélie hésitait à ce point, ce n'était nullement par scru-
pule de conscience ou de coeur ! Le bonheur de Roger, le bon-
heur de Léa lui importaient médiocrement, on peut le croire !
Que la paix d'un foyer fût troublée, qu'une jeune fille se ré-
voltât contre l'autorité paternelle, elle n'en avait cure. Elle
désirait seulement .se débarrasser d'un être gênant et d'une
inquiétude suspendue sur sa tête comme une épée de Damo-
clès. Marier Roger : certes, elle ne demandait que cela ! Au
moins failait-il savoir si cette petite possédait assez de for-
tune pour améliorer la situation du jeune homme ; si elle se-
rait capable, une fois mariée, de le retenir dans la course qui
mène à l'abîme . . et peut forcer les proches aux plus désa-
gréables interventions î
— D'abord, continua-t-elle, songeuse, je ne suis pas exacte-
ment renseignée sur l'état des affaires ; il paraît que la mar-
raine de Léa lui a laissé des pièces de terre destinées à lui
constituer une dot. .
— ' )ui, oui, oui ; allez toujours, belle maman ! On le dépla-
cera, le petit capital, on lui fera rapporter 10 et 15 pour cent.
J'ai des amis qui me donneront des " tuyaux " numéro un . .
Cioyez-vous, d'abord, que le bonheur ne fournit pas des ins-
pirations en tout genre ?
— Deviendrais-tu, par hasard, un homme pratique ? fit
Amélie avec scepticisme.
— Je serai sage comme une image ! La perle des maris ! . .
Seulement, pour cela, il me faut votre nièce . . Ma foi ! je se-
rais capable de l'épouser pour ses beaux yeux.
Puis, s'attendrissant :
— Ah! la délicieuse petite Parisienne qu'elle fera!.. Mi-
gnonne et raffinée jusqu'au bout des ongles. Ah ! je la resti-
tuerai, moi, à son élément naturel î Non, mais a-t-on idée de
cloîtrer cette malheureuse enfant dans une ferme, de l'obliger
324 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
à soigner des veaux ! exclama Roger, bondissant sur son fau-
teuil avec une colère subite. Est-ce assez ridicule ! est-ce
assez honteux !
Jamais Mme Lagarde ne l'avait vu si exalté.
— Ne t'emporte pas, ainsi, conseilla-t-elle ; réfléchis plutôt,
mûris tes projets. D'abord, ne l'oublie pas, je ne t'ai rien
promis.
Vous ne m'avez rien promis ! protesta-t-il, le rouge au vi-
sage. Ah ! ça, par exemple..^ J'ai pourtant besoin d'espoir
pour me faire supporter la vie que je mène. Si vous croyez
que c'est folâtre, le rond-de-cuir pendant six heures par jour,
et mon appartement de garçon devant l'hôpital Lariboisière,
dont toutes les fenêtres me regardent comme autant d'yeux
sinistres et menaçants. .
— -Menaçants. .
— Eh oui ! répondit le jeune homme, faisant miroiter le
chaton de sa chevalière, je me dis : " C'est peut-être là que je
mourrai un jour, si la belle- maman n'arrange pas mes affai-
res."
— En vérité !
— J'ai confiance en mes talents, poursuivit Daubreuil, s'ex-
citant à ses propres paroles, mais le courage peut manquer, et
le ressort se détendre. D'abord, si vous me refusez votre
nièce, je tire ma révérence à la Compagnie du Nord, dont j'ai
déjà par- dessus la tête !
— Te refuser ma nièce. . Mais est-ce que je l'ai, voyons ! fit
Amélie, excédée.
— Vous l'aur.z quand vous voudrez ! Les prétendants ne
doivent pas affluer à Clairville : ci oyez- vous que M. Brissot
ne sera pas enchanté de marier sa fille dans ces conditions- là?
Quant à son consentement, à elle, je m'en charge ! déclara
Daubreuil avec une fatuité souveraine.
Quelle alternative ! D'un pareil coup de tête, d'une poussée
d'imagination aussi violente, pouvait-il sortir rien de rassu-
rant ? Par contre, si ce mariage n'avaic point lieu, l'irritation,
J.ES DEUX FILLES DE MAITRE BIENAIME 825
le dépit ne porteraient-ils pas Roger aux plus déplorables fo-
lies ? S'il allait jouer, par exemple. . ou s'enrôler avec des ca-
botins, comme il l'en avait déjà menacée., lui, le frère de
cette Marguerite dont le raffinement et la distinction étaient
appréciés dans un monde supérieur à celui de sa mère. .
Ah ! les conséquences de nos actes vont plus vite que nous,
et nous entraîneiit souvent plus loin que nous le voudrions.
Mme Lagardedut congédier son beau-fils sur des paroles d'es-
poir. Les jours suivants, il revint à la charge avec de telles
instances, qu'il finit par lui arracher une promesse d'agir ! Il
y avait une dot, cela était certain, et le chiffre de la fortune
n'était plus désormais le point capital, car les allures de Ro-
ger ne pouvaient permettre aucun doute : Léa représentait
maintenant la seule chance de salut. Et une chance, même
très hasardeuse, est toujours préprérable à un mal assuré.
— Tu sais, mon ami, conclut la belle-mère, profitant de son
avantage, à la première incartade, j'abandonne tout, et te
laisse seul te tirer d'affaire !
Daubreuil, ravi, promit de se ranger, se confondit en té-
moignage de reconnaissance; il était sincère, d'ailleurs : son
caprice actuel abolissait momentanément tous les autres. A
dater de ce jour, la correspondance clandestine entre la tante
et la nièce devint plus assidue. Mme Lagarde, pressée, ta-
lonnée, ne négligeait cependant aucune de ces précautions qui»
chez elle, étaient instinctives : il n'entrait point dans ses vues
de provoquer un éclat.
— Essaie, disait-elle, de convaincre ton père. Prouve-lui,
sagement, raisonnablement, que rien de bon ne se fait par la
contrainte: qu'en exigeant de toi une besogne incompatible
avec tous tes instincts, il compromet ses propres intérêts •
Dis-lui que, ne voulant pas épouser un homme de la cam-
pagne, il importe que tu te prépares à un autie avenir.
On approchait de la Toussaint ; Clairville s'enveloppait do
brouillard et de mélancolie, la nature se recueillait pour affion-
ter les rigueurs de l'hiver. L'habitude de veiller en commun
326 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
a presque disparu de nos fermes normandes ; depuis long-
temps, à la Cioserie, c'en était fini des longues réunions où
les maîtres et les serviteurs se groupaient autour du même
foyer, pour entendre les histoires de " goubelins ", que les
femmes contaient en filant. Mais, le souper achevé et la
maison remise en ordre, Mathilde et son père se tenaient vo-
lontiers dans la cuisine où il faisait chaud, et d'où la surveil-
lance était toujours facile. Un soir, vers sept heures et de-
mie, la jeune fille cousait, entre l'alcôve et l'âtre, près d'une
lampe à pétrole posée snr une petite table ronde. L'abat-
jour de carton vert projetait un cône de clarté sur la brune
travailleuse, sur l'aire bien balayée où deux chats erraient à
pas de velours, tandis que, le long des murs et au plafond,
l'ombre s'amassaif, semblait reléguer dans des lointains inac-
cessibles les paquets d'oignons et les tranches de lard suspen-
dus aux poutres, les chandeliers d'étain rangés sur la chemi-
née, et laissait à peine deux ou trois reflets de cuivre, tels des
étoiles clignotantes, apparaître ça et là.
Maître Bienaimé, de l'autre côté de la lampe, parcourait nu
journal qu'Eugène regardait vaguement, penché sur son
épaule ; dans un coin, la petite servante cirait des chaussures,
et le frottement cadencé de la brosse, le sifflement du vent
accompagnaient un peu de bruit montant de la cour et des
écuries, où des valets s'activaient encore. Personne ne parlait
dans la grande cuisine, et Mathilde jetait, de temps à autre,
un coup d'œil triste su)- une chaise inoccupée, sur un minus-
cule panier de vannerie laissant traîner un bout de dentelle. .
Elle était partie brusquement, comme cela lui arrivait à cha-
que instant.
Oh ! pourquoi changer ainsi, et faire tant de paine à
ceux qu'on pourrait tant réjour ! Autrefois, pendant les
soirs d'autonnie, elle babillait gentiment, courait par la mai-
son, lutinait les chats ; elle chantait, de sa jolie voix fraîche
et gaie comme celle des merles, de petites chansons appri-
ses au couvent, et qui amusaient tout le monde ; les donies-
LES DEUX FILLES DE MAiXlîE BlENALAlÉ 327
tiques s'arrêtaient pour l'écouter ; le pauvre Eugène lui-même
riait avec les autres . .
Mais Léa s'étudiait maintenant à s'isoler, le plus complète-
ment possible, de son entourage, à marquer, de toutes façons,
les divergences qui existaient entre elle et les siens ! . . Ma-
thilde croyait la voir encore, assise à cette place, tiavaillant
à demi-détournée, l'air à la fois boudeur et dédaigneux sous
sa coiffure savante. . Elle se parfumait très fort, mettait un
chapeau et des gants pour traverser le village ; adieu les ju-
pes courtes, les caracos et les sabots : Léa s'était confectionné,
pour le matin, un peignoir élégant, et ne portait plus que ses
tabliers brodés.
Mathilde étoufia un soupir qui parvint cependant aux
oreilles de son père.
— Où est ta soeur ? interrogea-t-il.
— Dans sa chambre, je pense, répondit la jeune fille d'une
voix un peu lasse.
— Va la chercher ; la lumière d'ici peut servir à tout le
monde ; il n'est pas utile de brûler du pétrole à plaisir.
Mais Léa n'était pas dans sa chambre, et Mathilde l'appela
en vain par tous les coins de la maison.
— Ah ça ! Qu'est ce que ça \ (^ut dire ! exclama le fermier,
jetant sur la table son journal et ses lunettes ; voilà vingt mi-
nutes qu'elle est partie.
Et Maître Bienaimé se rappela que, depuis deux ou trois
semaines, les disparitions subites de Léa se renouvelaient
bien souvent. Qu'étaient-ce que ces mystères ? Qu'y avait-
il au fond de cette révolte ? En aurait-il le coeur net, à la tin !
Il se précipita au dehors ; dans la cour, des ombres se mou-
vaient, une lanterne s'agitait vers les granges ; un flot de lu-
mière brouillée se déversait par le portail de l'écurie, et, dans
l'ouverture cintrée, trois hommes, qui devisaient en gesticu-
lant, se turent tout à coup à l'approche du maître.
— Si vous n'avez plus rien à faire, coucliez-vous et finissez
en ! ordonna-t-il.
328 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Puis il passa, tai)dis qu'on ricanait tout bas derrière lui.
— 11 a la poigne diîre, le patron ! déclarait l'un des domes-
tiques.
— Et moi donc, qu'est-ce que je devrais dire ! répliqua le
grand valet, se rengorgeant d'un air de suffisance ; il m'a fait
travailler aux pommes toute la journée ! mais s'il y revient
je lui signifierai carrément que je ne suis pas là pour ça ! Je
dois rn'occuper du "harnais," moi, pas d'autre chose ; (1) seu-
lement, voilà : il ne veut pas prendre de journaliers autant
qu'il en faudrait, et tout nous retombe sur le dos !
— Ce n'est pas bien, ce que vous contez là.
A ces mots, tous trois se retournèrent, stupéfaits ; la petite
servante portant un broc trop lourd pour elle, venait de sai-
sir une phrase au passage.
— Tiens, la " basse !" (2) fit un gros homme bourru ; tâche
de ne pas nous vendre, ou bien . .
— N'ayez pas de crainte, répondit Maria, levant très haut
son nez retroussé, je ne suis pas une "moucharde," mais je
trouve que vous n'avez j)as à vous plaindre : c'est une bonne
maison, où on a toujours à manger " son content." Si les maî-
tres demandent de l'ouvrage, ils en font, eux les tout pre-
miers. . Ce n'est pas quand ils ont de l'ennui et des difficul-
tés qu'il faut leur crier dessus et se monter contre eux !
— As-tu vu cette gamine ?
Mais Maria s'éloignait, contente et fière de son interven-
tion si désintéressée ! Car, de tous ies membres du person-
nel, c'était sans contredit cette enfant, placée au dernier de-
gré de la hiérarchie, qui peinait le plus et qui gagnait le
moins.
Pondant ce temps, Jules, le plus jeune des "triolets," avait
an été le fermier près de la barrière en lui disant :
— Cherchez- vous Mlle Léa ? Je l'ai vue traverser la cour
voilà un bon quart d'heure, et filer à droite. Elle n'allait pas
loin, probable, car elle n'avait pas seulement de fichu.
LES DEUX FILLES DE MAITRE BIENAIMÉ 329
Léa n'était pas loin, en effet : pourtant elle commençait à
rouver effrayants l'isolement et le silence du petit chemin
creux bordant les vergers de la Closerie; le ciel, très bas,
semblait accrocher ses nuages aux pommieîs, pareils à des
dômes lourds ; de l'autre côté de la sente, un rang de bali-
veaux aux silhouettes tourmentées longeait une prairie où re-
muaient de grandes formes pâles, où tramaient les chaînes
des bestiaux attachés dans les regains.
Au bout d'une minute, une apparition massive, tournant le
coin de la haie, s'avança dans le bruit d'un souffle inégal.
— Donnez ! dit précipitamment Léa, mais une autre fois,
tâchez de mieux choisir votre heure !
— Dame, répliqua la mère Nanette, dont les petits yeux,
pareils à des yeux de chat, luisaient faibleiïient dans l'obscu-
rité, vous vouliez l'avoir aujourd'hui : croyez-vous que c'était
commode avec tout le " remuement " qu'il y a chez vous, rap-
port aux pommes ? . . Merci bien, Marazelle ! toujours à votre
service.
Déjà Léa se sauvait, regardant à droite et à gauche, s'ac-
crochant aux ronces traînantes dont elle écrasait les fruits.
Mais, en débouchant sur la route, elle se sentit saisie par le
poignet, et cria d'effroi, bondissant en arrière.
— D'où viens-tu ? fit à son oreille une voix sifflante.
La jeune fille, clouée au sol, tant par la stupeur que par
cette main nerveuse, ne trouva pas un mot sur ses lèvres.
— D'où viens-tu ? répéta Brissot, l'entraînant dans le ren-
foncement d'une barrière.
— Oh ! mon Dieu ! En voilà. . en voilà. . balbutia-t-elle.
J'étais à deux pas dans le chemin . .
— Avec qui ? interrogea violemment son père.
— Comme si je ne pouvais pas y être toute seule ! répli-
qua-t-elle avec un rire qui voulait être impertinent et qui
sonnait creux.
Une sueur imprégnait la main qui serrait toujours, comme
un étau, les doigts menus.
330 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
— ïu vas parler ! proféra Brissot.
— Eh bien ! fit Léa s'efforçant de braver, j'étais avec Na-
nette Lemaçon, tout bonnement, puisque vous tenez tant à le
savoir. i
— Pouri|uoi la nuit ? Pourquoi en cachette ? On ne se ca-
che pas quand on ne fait pas de mal. Cette femme- là t'a re-
mis quelque chose, alors. . de la part de quelqu'un. .
Cette scène, dans les ténèbres, au milieu des arbres où des
chouettes hululaient, était impressionnante, et Léa tremblait
comme un brin d'herbe.
— Est-ce une lettre ? articula le fermier.
— Lâchez-moi ! lâchez-moi ! s'écria t-elle.
Mais il avait aperçu un carré blanc qui débordait de la
poche du tablier ; Léa, suprise par son père, avait glissé là en
toute hâte, le message mystérieux. Vivement, Brissc^ s'em-
para de l'enveloppe, tandis que sa fille protestait épeidue :
— Voulez-vous bien!.. C'est de ma tante, je vous dis..
C'est de ma tante!
— Ah ! ta tante. . reprit-il sourdement; elle n'a pas honte
d'employer ces moyens-là ! Et toi, tu t'adresses bien pour tes
commissions, petite malheureuse ! Tu veux donc informer
tout le monde que tu reçois des lettres " en arrière " de nous ?
Qu'est-ce qu'elle peut bien croire, la femme Lemaçon ? Et les
autres ? Tu ne sais pas ce que c'est alors, que la réputation
d'une fille ?
Mais Léa ne manifestait aucun repentir, tandis que Bris-
sot, crispé par l'indignation et la colère, reprenait avec elle le
chemin de la maison. Oh ! en la voyant adopter certaines
manières, en l'entendant dire certains mots, il aurait bien du
penser qu'elle ne trouvait pas cela toute seule. . On lui souf-
flait de mauvaises choses . . On était venu chez lui, travailler
contre lui !
Cela surtout était intolérable . . Ainsi, en recevant sa soeur
au mois de mai, il avait introduit le loup dans la bergerie ?
Mais pouvait-il savoir !
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 331
— Ecoute-moi, scanda-t-il, retenant sa fille à l'entrée de la
ferme : je te défends d'écrire jamais à Mme Lagarde, et tu
m'obéiras de gré ou de force. Quant à moi, je lui ferai mon
compliment !
Hélas ! il avait trop peu de foi pour se servir de l'argu-
ment le plus efficace, pour rappeler l'autorité divine, d'où, ce-
pendant, l'autorité paternelle tire toute sa force et toute sa
dignité ! Et Léa, frémissante, furieuse, s'enfuyait vers sa
chambre en sifflant :
— C'est bien ! j'ai mon idée !
XII
l'homme EN BLOUSE
La charrue est au bout du dernier sillon : Louis Chaumel,
haletant sous le tricot marron qui moule ses bras musculeux
d'athlète, se redresse à la tête des chevaux qu'il conduit, et
dilate, au vent froid, sa large poitrine.
Le champ ressemble à une mer brune, dont les flots courts
se seraient figés. C'est du " haut fond," de la bonne terre, bien
meuble, où le soc enfonce mollement, pleinement, sans crier,
et déjà, comme s'il voyait rouler le flot d'or de la récolte, le
jeune laboureur rend grâce a Dieu.
— Du bel ouvrage ! exclame le valet qui tient la charrue,
et voilà qui vous met du sang dans les veines.
C'est que l'effort est bon, par ce temps à la fois glacial et
humide ; on se croirait dans une presqu'île ; un demi-cercle
d'eau borne l'horizon : eau morne, terne, reflétant le gris des
nuages et le noir des bordure-* boisées ; c'est l'inondation pé-
riodique. " Les marais sont blancs," selon l'expression du
pays.
A l'autre extrémité du champ, quelqu'un s'avance suivi
d'un chien, le long d'un sentier pratiqué contre la haie. Louis,
ayant reconnu son voisin, donne l'ordre de ramener la char-
rue et s'approche vivement :
332 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
— Comment ça va-t il chez vous, Maître Bienaimé ?
— Pas mieux que ça, mon garçon, répond Brissot avec une
moue soucieuse.
Ils vont côte à côte : Louis, découvert, aspire énergique-
ment la bise, tandis que son compagnon se recroqueville, fri-
leux, sous une casquette enfoncée jusqu'aux oreilles ; entre
ces deux hommes de même race, le contraste impressionne :
par la faute des événements, plus que par celle de 1 âge, l'un
monte, et l'autre, hélas ! descend . .
— Oui, j'ai entendu dire, reprend le jeune homme avec in-
quiétude, mais ce n'est pas plus grave que la première fois,
sans doute ?
— Il faut espérer. . Une petite crise de faiblesse. . Peut-
être le changement de saison. .
Louis se détourne à demi, le dos à la haie. Quelle force le
décide tout à coup ? Pourquoi ici plutôt qu'ailleurs ? A ce
moment plutôt qu'à un autre ? Il n'en sait rien, mais il sent
qu'il ne peut plus se taire.
— Maître Bienaimé, dit-il d'une voix un peu voilée, j'avais
précisément à vous parler d'elle.
— De qui ? fit le fermier en un sursaut. De Léa ?
— De Léa, répéta Louis plus bas encore.
Et, tout simplement, avec une émotion qui se traduisait
surtout par une pâleur légère, il regarda Brissot dans les
yeux en ajoutant :
— Est-ce que vous voudriez bien me la donner ?
— Comment ? exclama le père, n'osant en croire ses oreilles.
Le beau regard du jeune terrien glissa vers l'horizon, ses
paupières battirent lorsqu'il acheva.
— Je l'aime. . depuis toujours. . Et je vous promets de lui
faire une vie heureuse !
Une grande envolée de corbeaux passait en criant ; ni Louis,
ni son voisin ne les entendirent. Au tumulte des impres-
sions premières avait succédé, chez Brissot, une j^oie telle-
ment impétueuse, qu'il eut la sensation d'en être .cassé.
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 333
Mais, en témoignant ouvertement son bonheur 'devant une
proposition de ce genre, il eût dérogé à tous ses principes et
à toutes ses habitudes ; un peu solennel, il tendit au jeune
homme une main qu'il ne put, cependant, empêcher de trem-
bler.
— Votre mère consent ? interrogea-t-il.
— Elle consent... Vous pensez bien que j'ai commencé par
m'adresser à elle. '•'
— Mon cher ami, reprit Maitre Bienaimé après un silence,
moi, je ne dis pas non, vous savez... Nous verrons ça... On se
connaît, on se convient... Il est un fait certain ; c'est que les
gens comme vous et nous sont pour aller ensemble. Dans
quelques jours, vous viendrez me trouver à la maison, et on
pourra s'entendre pour les affaires.
— Comme vous voudrez, répondit Louis avec la noblesse
de son amour très pur; mais je tiens à vous dire, dès aujour-
d'hui, que, sur ce point-là, il n'y aura jamais de difficulté en-
tre nous!
Et, sur une nouvelle poignée de main, les deux hommes se
séparent.
Maitre Bienaimé, d'abord, poursuit machinalement sa rou-
te; mais la. secousse a été si forte, qu'il est bientôt obligé de
s'asseoir au bout d'une ' 'banque", les pieds allongés dans la
terre labourée qui s'attache à ses sabots . . .
Il promène ses yeux vagues, éblouis, sur les choses qu'il ne
reconnaît plus. Est-ce qu'il rêve ? A-t-il senti l'étreinte de
cette main généreuse ? A-t-il vraiment entendu ces paroles :
''Voulez-vous me la donner?"
Oui, c'est un rêve... Ainsi, le sort lui offrirait une telle re-
vanche? Lui, si cruellement frappé dans sa paternité, il pour-
rait dire "mon fils" au premier propriétaire de Clairville, à
un garçon si beau, si vigoureux, si riche, si honoré ! Il ver-
rait croître, tout près de lui, sa lignée vaillante et prospère !
Peu à peu, des perspectives se découvrent, radieuses, couniie
834 LA REVUE FRANOO-AMÉRTCAINE
en un paysage, quand la brume des lointains s'enlève au so-
leil !
Les coudes sur les genoux, la tête dans les mains, Brissot
murmure :
— Cela sauverait tout, oui, tout !
Une fois lié à Louis Chaumel par des intérêts communs,
ah ! il aurait bientôt fait reculer la mauvaise fortune et do-
miné de haut une situation qui, tout à l'heure encore, lui
semblait si menaçante ! ^
— Voilà qui va la guérir d'un coup, pensa le père de Léa,
et lui faire passer toutes ses idées ridicules. Il s'agit, mainte-
nant, de prendre Ja vie au sérieux. Elle peut se vanter d'a-
voir de la chance, celle-là... plus qu'elle n'en mérite, ajouta-t-
il avec un retour de rancune.
Soudain, une crainte lui vint... une crainte si atrocement
douloureuse qu'il en eut le frisson. Il se leva, cinglé par
une rafale stridente qui lui enfonçait des vrilles dans les
oreilles.
— Bah' bah î je déraisonnne. Ça ne se peut pas ! ça ne
s'est jamais vu !... fit Brissot en haussant les épaules.
Mais c'en était fini du transport qui l'avait arraché, mo-
mentanément, à toutes ses préoccupations, il chercha dans sa
poche un papier froissé: la lettre enlevée à Léa, la nuit, près
de la barrière. Tout en marchant, il parcourut de nouveau
ces lignes tracées à la hâte, et presque insignifiantes en appa-
rence : le nom de Roger n'y figurait point, et Maître Bienai-
mé, malgré sa finesse, était trop paysan, trop peu épistolier
pour savoir lire entre les phrases alambiquées de sa soeur.
Il lui déplaisait cependant qu'Amélie appelât Léa ''ma pauvre
petite", et lui décrivît en termes pompeux les magnificences
de la capitale en hiver !
Le premier mouvement de Brissot avait été d'écrire à Mme
Lagarde pour lui demander de quel droit elle se mêlait de ce
qui ne la regardait pas, dans quel but elle usait de détours
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIEN AIMÉ 335
vilains... Mais si le fermier de la Closerie lisait passablement
et comptait parfaitement, il écrivait fort mal, et pour la ré-
daction de certaines épîtres, on ne saurait emprunter la plu-
me d'autrui.
Pendant que Maître Bienaimé circule, Romano sur les ta-
lons, Léa se blottit encore sous ses couvertures. Elle est dé-
faite et pâle; dans son visage amenuisé, ses lèvres paraissent
fanées, ses yeux fixes ont un reflet vitreux.
Près d'elle, Mathilde, désolée, insiste pour lui faire accepter
un oeuf à la coque.
— Il est tout frais; je viens de le chercher dans le nid ex-
près pour toi.
— Je n'ai pas faim, répond Léa, très sombre.
— Force-toi, le médecin veut que tu manges. Un œuf, ça
se prend bien sans faim, voyons.
Et la pauvre Mathilde ajoute, de son ton, le plus enga-
geant :
— Regarde les jolies mouillettes ! Je les ai arrangées comme
tu les aimes, avec beaucoup de beurre... Allons, un petit effort.
— Je ne peux pas !
Mathilde découragée, pose l'assiette, et s'inclinant, à tou-
cher de ses cheveux noirs les cheveux blonds en désordre :
— Qu'est-ce que tu as ! interroge-t-elle avec une intonation
singulière ?
— Tu le sais ! réplique Léa; je l'ai dit au docteur. C'est
l'air d'ici, ce vent, cette eau... l'ennui surtout... Oh ! cette en-
nui qui me tue...
Et, se redressant désespérément sur son lit :
— Enfin, puisqu'on veut que je meure !
Elle entrait si bien dans son rôle, que, comme les tragé-
diennes de professioQ, elle arrivait facilement à s'illusionner
la première... Mathilde avait frémi : certains iftots ont beau
être exagérés, absurdes, ils font toujours du mal.
— Oh ! Léa, s'écria-t-elle en relevant l'oreiller, peux-tu
dire ! Nous qui t'aimons tant.
336 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
— Si VOUS m'aimiez, vous ne me demanderiez pas des cho-
ses impossibles, vous ne m'imposeriez pas un genre de vie
que je hais !
Sa soeur, déconcertée, malheureuse, la regardait avec tris-
tesse... Que faire î Elle avait essayé cent fois de raisonner
Léa, de lui parler du bon Dieu, du devoir, de la mère dispa-
rue... Elle n'avait trouvé sur ses lèvres que de pauvres phra-
ses balbutiantes... Ah ! la pitié de ne pas savoir dire... de ne
pas pouvoir ouvrir son coeur ! IK était trop lourd, trop dou-
loureux devant de pareilles misères. Mais pourquoi Léa ne
devinait-elle pas ? Pourquoi semblait-elle prendre plaisir à
tourmenter les siens ? Une idée torturait Mathilde :
— Cherche-t-elle à se rendre malade ? Est-ce pour cela
qu'elle refuse de manger?
De fait, Léa ne prenait que ce qui lui était nécessaire
pour ne pas mourir de faim; et, l'afiaiblissement survenant'
les nerfs se déséquilibraient, la fièvre montait tous les soirs,
l'insomnie agitait, pendant la moitié de la nuit, cette enfant
imprudente et romanesque. N'avait-elle pas vu, .dans l'un
de ses feuilletons, rhéroine user du même moyen pour en
arriver à ses fins !
Vers midi, elle se levait, et, demeurant étendue près de sa
fenêtre, elle s'enivrait de mélancolie exaltée, irritait follement
son mal dans la contemplation du paysage d'hiver.
Marie Le Mière.
(A suivre.)
i^Les articles de nos vaillants collaborateurs MM.
Michel Renouf et V. A. Landry nous sont parvenus trop
tard pour publication dans le présent numéro. Ils sont
donc remis au prochain numéro de la ** Revue."
L'ILLUSTRATION
Supplément de "La Revue Franco-Américaine"
'vol. VIII. No 5.
Montréal, 1er MARS 1912
M. W. Chapman
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Des Alpinistes ? Ne devrait-on pas dire plutôt des
Rochensistes ", puisqu'il ne s'agit pas ici des monts al
mais des Montagnes Rocheuses, sur le C. P. R.
pins,
Hôtel sur le C. P. R., près du >Mont Stepliens.
Château I^ake Louise, Ivaggan, Colombie Britannique,
le long du C. P. R., dans les Montagnes Rocheuses.
Débarcadère près du magnifique Hôtel de Banff,
sur le C. P. R.
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Basilique de Ste-Anne de Beaupré.
L/Cs Chutes Niagara, comme on les voit en été.
Avis à nos abonnés
A portir du 1er mai 1912 Je prix d'abonnement à
LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
sera uniforme, tant pour le Canstda que pour l'étranger,
soit $2.00 par année.
De plus la Revue se voit obligée de
RETRANCHER DE LA LISTE
ceux de ses abonnés qui n'auront pas payé leurs arré-
rages et qui ne paieront pas d'avance pour l'année
1912-1913.
EN VOICI LE POURQUOI :
Environ 200 amis de la Revue négligent chaque an-
née de payer à temps leur abonnement et par là nous
forcent à tenir des livres. Conséquence : en dehors de
ces 200 amis, 800 à 400 individus qui se sont abonnés
par lettre — et (jui doivent être habitués à faire ce petit
jeu avec tous les journaux — en profitent pour ne jamais
payer. Depuis la fondation de la Revue nous avons,
par ce procédé, perdu
A^u-delà de $2,000
Nous trouvons que c'est trop et nous avons décidé de
prendre le seul moyen radical : l'abonnement payable
d'avance. Que nos vrais amis, retardataires ou négli-
gents, ne se formalisent pas, mais qu'ils songent à ce
qu'ils feraient s'ils étaient à notre place.
LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
A Percé
(I)
A M. l'abbé J.-Eug'ène Martin
Nous sommes sur le fier plateau du mont Sainte-Anne.
Devant nous, vers le sud, dans la mer calme et plane
—D'où semble s'élever un suave sanglot —
Ainsi qu'un colossal et muet cachalot
Emergeant des flots bleus, l'île Bonaventure
Profile vaguement son contour qui s'azure
A travers les réseaux d'un brouillard opalin
Teinté des feux pâlis du jour à son déclin.
Alentour, par milliers, margots, mauves, marmettes,
Grèbes, macreuses, gods, cormorans et mouettes
Tourbillonnent, pendant que, plus bas, vers le nord,
Sur des bateaux mouillés dans l'onde qui s'endort
En caressant leurs flancs de ses baisers d'écume,
Maints pêcheurs vont tirant, penchés sur l'eau qui fume.
Le poisson que le Golfe agglomère en son lit.
En deçà, près du bord, voisin du mont Joli,
Comme un vaisseau géant qui serait de calcaire
Et tournerait son large éperon vers la tferre.
Entouré de brisants, le fameux Roc percé
Dresse orgueilleusement son sommet élancé.
Et, sous le vol bruyant de lourds oiseaux sans nombre.
Mire au cristal des eaux l'arche géante et sombre
Ouverte dans son flanc poreux et lézardé
Par les constants assauts du grand flot débordé.
A droite, en contre-bas de collines coquettes.
Se dessinent les toits de blanches maisonnettes,
Les replis de chemins bordés d'arbres ombreux,
Des prés où des troupeaux de moutons et de bœufs
Broutent, comme noyés dans l'herbe épaisse et haute.
338 LA REVUE FRANCO-AMÉRICIANE
A gauche, dominant tous les caps de la côte,
Les Murailles, rochers abrupts et sourcilleux.
Semblent dans le lointain les pilastres des cieux,
Et leur hauteur farouche et formidable écrase
Les marins dont la barque approche de la base
De ce clîffoù déjà s'éteint l'ombre du soir.
En arrière, tout près, creusée en entonnoir,
La Grand'Coupe à la fois épouvante et fascine
Le voyageur suivant, à travers la bruine
Qui s'élève du gave à mille pieds sous lui,
La route étroite et sombre, où nul rayon ne luit.
Qu'on dirait cramponnée au tuf de la falaise
Sous le couvert du pin, du cèdre et du mélèze.
Presque à nos pieds, dans l'Anse au contour sinueux.
Le long village, avec ses clochers somptueux.
Ses toits souvent fouettés par la bise bourrue,
Ses files de vignots où sèche la morue,
Resplendit des derniers reflets du soleil d'or
Tombé dans les grands bois lointains du Labrador,
Et fait de vingt maisons bruyamment animées
Monter vers le ciel bleu de paisible^ fumées
Annonçant que bientôt les vieilles en bonnets,
Devant les lourds sarments en feu sur les chenets.
Pour les pêcheurs qu'un vent léger ramène aux grèves.
Sur la table de lin mettront la soupe aux fèves.
Et, par- dessus les flots, par-dessus les forêts.
Les abîmes, les monts, les rocs et les guérets.
Le zénith ouvre ainsi qu'une bannière immense
L'azur éblouissant d'un ciel de la Provence.
Non, nul panorama plus vaste et saisissant
N'a fixé le regard étonné du passant.
Non, jamais l'infini de la mer claire et pure
A 1>£KCÉ 339
N'a mieux séduit l'amant de la grande nature ;
Et le divin pinceau de Salvator Rosa,
Que le feu créateur du génie embrasa,
Nous ferait contempler à peine un reflet terne
De ce site qui tient du Pinde et de rAverne. . .
Et Percé dès longtemps a conquis un renom
Stable comme son île, altier comme son .mont.
Cependant la pénombre envahit la prairie,
La montagne, la mer, le bois. . . La rêverie
Avec elle descend de l'infini des cieux ;
L'astre des souvenirs, moroses ou joyeux,
Eclaire notre esprit, et devant nos prunelles
Défilent sur les eaux galions, caravelles. . .
Et nous voyons Cartier et ses vaillants Bretons
Pénétrer dans le Golfe, au hasard, à tâtons,
Et contempler le Roc — désormais si célèbre —
Que lentement la nuit estivale enténèbre ;
Nous les voyons plonger fiévreusement les yeux
Dans la sombre épaisseur de bois mystérieux
Balançant leurs arceaux aux brises printanières
Et chercher dans ces lieux mornes et solitaires
Une cime où planter pour la première fois
Le drapeau de la France et l'arbre de la Croix.
Sous nos yeux, près d'ici, débarqué du navire
Qui l'amena de France à Percé qu'il admire,
Laval, le grand Laval, au pied d'un humble autel.
Elève l'Ostensoir vers la voûte du ciel.
Puis, sur le front courbé de blancs et de sauvages,
Etend la main qui doit chasser tous les servages,
Et faire luire, au bord du fleuve illimité.
Le labarum du Christ et de la Liberté !
Sous nos yeux, loin, là-bas, les flots tordent leur crête, -
340 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Et, dans toute l'horreur sans nom d'une tempête
Qui semble soulever les ondes jusqu'aux cieux,
La flotte de Walker s'engouffre à l'Ile — aux Oeufs,
Naufrage qui sauva le pays en détresse.
A travers le babil du vent qui nous caresse
Nous entendons gémir les malheureux colons
Oubliés sur le sol inclément des Sablons;
Nous entendons pleurer les fils de l'Acadie,
Victimes de la guerre et de la perffdie,
Entassés dans la cale infecte de trois-mâts
Pour être dispersés sous de lointains climats
Qui les verront traqués compe bêtes de proie ;
Nous entendons aussi vibrer les cris de joie
D'un peuple revenu d'un exil douloureux
Au terroir fécondé par le sang de ses preux
Et loué par la grande et sainte Poésie . . .
Et notre oeil tout rêveur de nouveau s'extasie
Devant les mille aspects frappants ou gracieux
Que déroulent la mer, les champs, les monts, les creux. . .
Soudain, couvrant les bruits indécis de la plage,
Les sons de l'Angélus s'élèvent du village.
Répétés par l'écho de ravin en ravin
Et, dans la grande voix sonore de l'airain.
Le flot d'argent, le pin touffu, la fleur suave,
La falaise, l'écueil, le goémon, l'épave.
Le gouffre obscur, la cime au radieux éclat,
Tout, tout murmure et chante : Ave, Maris Stella !
W. Chapman.
(l) Cette pièce de vers fait partie d'une série de poè-
mes soumis par notre callaborateur au concours de l'Aca-
démie des jeux Floraux et qui lui ont value le prix Leconte
de Lisle.
H
iver
Les grands arbres, le long des prés
Et dans les taillis, sont poudrés
En marquis, jusqu'au bout des branches ;
Et, sous le soleil froid et clair,
Dans les champs, les pommiers ont l'air
De bons bourgeois à têtes blanches.
Pinsons joyeux, merles siffleurs,
Chantez ! Les pommiers sont en fleurs !
Quoi ! vous vous taisez, vieux et jeunes ?
— Les oiseaux ne s'y trompent pas,
L'hiver cache sous ses frimas
Le froid silence et les longs jeûnes.
Sur le bord des ruisseaux gelés.
Les martins-pêcheurs désolés
Grelottent à jeun sous leurs plumes,
Les canards, auprès des étangs.
Ouvrant le bec de temps en temps,
Barbotent en vain dans les brumes.
La voix rauque, le jabot creux.
Les gloutons se plaignent entre eux,
Et, pour tromper la faim cruelle,
Se passent le bec sur le dos.
Puis ils attendent en repos
Le dégel, la tête sous l'aile.
Le houx, couvert de fruits rougis,
Sert de refuge et de logis
A la grive brune qui rôde ;
Le pivert semble s'ébahir
En sentant le froid l'envahir
Sous sa tunique d'émeraude.
342 LA REVUE FRAXCO-AMÉRICAINE
Tous les habitants des halliers
Cherchent des toits hospitaliers :
Les corbeaux ne sont plus farouches,
Et les pauvres petits rebecs
Piquent la vitre à coups de becs
En croyant attraper des mouches.
Sous le firmament nébuleux
Le merle prend des airs frileux :
Il tremble, ce mangeur 4.e pommes !
Les cigales et les grillons
Vont sans doute, sous les sillons,
Trouver les fourmis économes.
Sans mie, sans eau, sans feu ni lieu.
Les créatures du bon Dieu
Semblent chercher qui les assiste ;
Le vent gémit dans les roseaux,
La mort menace les oiseaux.
— Comme parfois l'hiver est triste ! . . .
Paul Harel.
-:o:
Les questions économiques et la politique
nationale
T
Le résultat global du dernier recensement, mettant à
jour un déficit d'un million d'âmes sur les anticipations
officielles, fut une première révélation d'un état de choses
incontestablement surfait au bénéfice des politiciens.
Grande fut donc la déception de ces optimistes intéressés,
tandis que, d'autre part, les hommes au courant des mouve-
ments de la population canadienne n'en éprouvaient au-
cune surprise. En dépit d'un système de dénégation par-
faiternent organisé, ils connaissaient trop bien l'existence
d'une ''émigration considérable" et toujours persistante
vers les Etats-Unis, et d'un courant de retour non moins
" important d'immigrants d'Europe," qui ne font que " pas-
ser," ou ne séjournent que temporairement sur nos rives.
Plus de la moitié du déficit provient de ces deux chefs, la
balance devant être attribuée à l'inscription plusieurs fois
répétée comme " immigrants " de touristes en promenade
au pays d'origine, aux fraudes de la " North Atlantic Trad-
ing Co," et aux exagérations calculées des " boomers " poli-
tiques.
Mais beaucoup plus grave et plus déplorable est la cons-
tatation fourni^ par le mêine recensement d'une " décrois-
sance notable du chiffre de la population agricole, dans
toute la partie est de la Confédération," parallèlement à
une *' élévation équivalente " du prix des choses nécessaires
à la vie.
J'irai plus loin : j'affirme que le recensement de IQII dé-
montre un réel déficit dans le nombre des cultivateufs
considéré d'une manière absolue. La presse libérale nie
le fait, du moins dans son étendue, et se raccroche à un
prétendusurplus de la classe rurale actuelle sur les chiffres
344 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
de 1901. Or, ce surplus, fort minime d'ailleurs, disparaît
entièrement si l'on en déduit — l'accroissement de la popu-
lation des "villages" de campagne, qui est proportionnel
à celui des villes de 2,000 âmes et plus, population que l'on
attribue à tort à la classe des "cultivateurs pratiquants."
Retranchons en effet les hommes de profession, et de mé-
tier, les instituteurs et les rentiers, et tous les citoyens de
ces villages qui ne sont pas des " producteurs agricoles "
proprement dits, mais des "consommateurs," et nous au-
rons là la preuve d'un déficit bien authentique.
L'enquête à faire ne devrait pas nécessairement s'étendre
à toutes les provinces de l'Est limité au Québec, dont la
population, d'ailleurs, sert de base à la représentation des
autres provinces ; le relevé que je suggère fournirait une sta-
tistique suffisant à établir ma prétention " que les chiffres
actuels de la population rurale sont au-dessous de ce qu'ils
étaient en 1901."
Quoi qu'il arrive, l'abandon des campagnes, le déclin
marqué de la production agricole dans un pays jeune
comme le nôtre est certainement un point noir qui dépare
notre horizon économique. L'équilibre social se déplace et
menace de se rompre en causant des pertubations domma-
geables. Déjà l'accroissement anormal du nombre des
" consommateurs " dans les centres arrivant en même temps
que la diminution non moins sensible de "producteurs
agraires" dans les campagnes, a provoqué la hausse du
prix des aliments au point de pouvoir dire que nous sommes
entrés en " pleine crise " de la vie chère. Sans doute, l'ac-
caparement des vivres par les trusts, l'abondance du nu-
méraire en circulation et autres faits de moindre impor-
tance expliquent à un certain point le malaise du jour.
Mais tout le monde s'accorde à reconnaître que la rareté de
certaines denrées en exagère la valeur et que, s'il était pos-
sible, par exemple d'en quadrupler la production, le prix
en fléchirait sensiblement.
A diverses reprises, des hommes éclairés signalèrent
aux autorités fédérales la gravité de la situation ; mais
elles firent la sourde oreille, tandis que la presse reptilienne
LES QUESTIONS ÉONMIQUES ET LA POLITIQUE NATIONALE 345
endormait l'opinion publique en assurant que la dépopula-
tion des campagnes était un phénomène universel sur le-
quel les gouvernements n'avaient aucune action possible.
Aussi la satisfaction publique fut grande lorsque, durant
la dernière campagne électorale, les chefs conservateurs
s'engagèrent à remédier au mal dans la mesure de leurs
attributions. Elle redoubla lorsqu'ils déclarèrent, après
leur triomphe, qu'ils allaient incessamment exécuter cette
partie de leur programme en travaillant à améliorer l'état
présent de " Pagriculture" par des mesures aussi variées
qu'efficaces.
Il serait présomptueux de ma part — et le cadre restreint
d'une simple correspondance m'en interdirait l'entreprise —
de faire l'étude complète des " causes " de dépression de
l'élément agricole dans notre société, ainsi que des
"moyens" de l'enrayer efficacement. Le sujet d'ailleurs
est assez souvent traité et, comme je n'ai d'autre but que
d'être utile aux tenants des principes économiques dont je
désire voir l'application, je me bornerai à quelques aperçus
spéciaux, inspirés surtout par les circonstances.
On admet généralement que les causes de "l'abandon"
des campagnes sont multiples et complexes. On peut les
ranger cependant en deux ordres principaux : causes mo-
rales, causes économiques.
Je ne m'étendrai pas sur les premières. Les hommes ai-
ment le bien-être, la vie facile, le commerce de leurs sem-
blables. Les cultivateurs sont des hommes,... leurs fils vi-
sitent parfois les villes, y rencontrent d'anciens camarades,
s'amusent un brin et s'en retournent, mélancoliques, à leur
isolement sur la terre paternelle. Ils s'ennuient, rêvent
d'une vie plus... vivante et s'en vont. C'est simple comme
un conte de Perrault. Admise, donc, l'influence des causes
morales.
Les causes économiques, pour être moins évidentes de
prime abord, sont tout aussi réelles et effectives que les
autres. Trop souvent on en néglige l'étude, et elles restent
ainsi lettre morte. A part l'ignorance des lois de "l'épar-
gne," elles se résument presque toutes dans la difficulté de
346 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
trouver "les voies de placement" nécessaires à la conser-
vation— de l'élément agricole dans son milieu. Les culti-
vateurs ne savent que faire de "leurs fils," dont l'établisse-
ment, dans un voisinage immédiat, est un problème insolu-
ble. Arrivé l'âge de fonder à leur tour un foyer, les fils,
n'en voyant aucunement les moyens, "s'en vont " aussi.
Bien des fois j'ai soumis à des hommes expérimentés ce
problème d'importance majeure en l'espèce. "Comment,
dans une paroisse dont toutes les terres sont occupées, le
père de quatre ou cinq garçons les établka-t-il comme
fermiers ? " Les " garçons " sont souvent plus "nombreux, et
le pas est d'occurence journalière. Aucune réponse satis-
faisante m'est parvenue jusqu'à présent et je n'en attends
pas, non plus, aussi longtemps que durera le mode d'exploi-
tation actuelle de la propriété rurale.
Je suis un médecin de campagne, porté naturellement à
l'observation des faits et de leurs causes. Depuis plus de
vingt ans, je vis dans un des plus anciens et des plus riches
comtés des environs de Montréal, et j'y poursuis sans relâ-
che une véritable " enquête locale " sur la question qui nous
occupe. Mes études ont abouti aux conclusions suivantes.
Il y a déjà plus d'un demi-siècle que le chiffre de la po-
pulation agricole suit une progression descendante. Il n'at-
teint pas aujourd'hui la moitié de ce qu'il était en 1860.
"Trente mille personnes," au bas mot, sont parties de six
paroisses pour aller résider, les unes, surtout au début de
l'exode, dans les cantons de l'Est et les Etats-Unis, et les
.autres, plus récemment, dans la ville de Montréal ou les
territoires du Nord-Ouest canadien. Fait digne de remar-
que, une partie notable de déracinés n'en est pas moins
restée fidèle à l'agriculture, ce qui démontre que le dédain
de cette dernière n'est pour rien dans leur éloignement du
clocher natal.
A la lumière de ces constatations, je n'hésite pas à affir-
mer que l'amélioration, ou, si l'on veut, la rénovation de
notre système de culture est le remède par excellence à
l'état de choses actuel. Et j'ajouterai que l'administration
fraîohement issue du vote du 21 septembre 191 1 paraissait
LES QUESTIONS ÉCONOMIQUES ET LA }»OITIQUE NATIONALE 347
l'entendre ainsi, lorsqu'elle a manifesté sa résolution de
contribuer à la confection de la voirie, de faire bénéficier
les vieilles provinces des avantages de l'immigration, et,
en général, d'y promouvoir le développement de l'industrie
agricole " en étendant de son côté le régime fécond de la
grande politique nationale," que nous devons au génie de
nos chefs.
Oui, l'application à l'agriculture, mntatis mutandis, des
moyens d'expansion fournis jadis à la grande industrie
manufacturière, tel est l'enchainement logique dans lequel
l'entraîne l'initiative généreuse des derniers jours. Telle
est également la recette indiquée pour "alimenter" à des
conditions raisonnables le *Snarché indigène" crée par
cette politique nationale et pour fournir, d'autre part, aux
travailleurs du sol les facilités de vivre heureux et nom-
breux au sein de la patrie commune.
Au surplus, ne trouve-t-on pas dans l'industrie agricole,
la reine de toutes les autres, et dans les industries connexes
à l'agriculture, le champ d'exploitation le plus vaste, le plus
varié et en même temps le plus stable qui soit au monde .?
Pendant que les industries manufacturières, chimiques, mi-
nérales, etc., disparaissent avec les éléments et la matière
première qui les constituent, l'industrie agricole et ses dé-
rivées puisent dans la terre des sources de vie toujours re-
nouvelées, conservant ainsi une jeunesse perpétuelle.
Formulé en deux propositions, qui pourraient être ré-
duites à une seule, le programme qui s'impose devrait con-
sister " à mettre en vigueur la culture intensive " dans les
régions depuis longtemps établies à l'est de Winnipeg, et,
secondement, à former, sur le même champ d'action, " de
nouvelles colonies agricoles " à même le domaine national,
encore couvert de forêts plus ou moins vierges, — tout en
implantant du coup et partout les industries se rapportant
à l'art agricole, y compris les innombrables industries do-
mestiques en honneur chez les autres peuples.
Afin d'atteindre le but désiré, quatre choses essentielles
se recommandent, chez nous, à l'attention des économistes
et administrateurs des affaires publiques :
348 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
1° — La diffusion ou vulgar'isation de l'enseignement agri-
cole au sein de notre population rurale ;
2° — -L'apport d'une main-d'œuvre abondante et à prix
raisonnable ;
3° La création d'un système de voirie aussi étendu et
complet que possible ;
4° — L'organisation économique de la classe agricole.
Rien d'absolument "nouveau" en fait d'idées dans ce
programme, mais en voir ''l'exécution" serait une chose
au plus haut point nouvelle et intéressante. Aucune partie,
non plus, n'est au-dessus des forces humaines. Une volonté
ferme et persévérante suffirait à réaliser l'entreprise. Les
ressources intellectuelles et matérielles abondent. Alors,
quoi .^.. Mettons-nous à l'œuvre.
Docteur de la Glèbe*
-:o:-
L' Agriculture au Danemark
La cherté des denrées alimentaires. — Le triomphe de la
science et de la méthode. — Ce que nous apprend M.
Eugène Tisserand.
(Article réproduit de L'OUVRIER, 55 quai des Grands-Au-
gustins, Paris, 31 janvier 1912.)
Depuis plusieurs mois, nous ne le savons que trop, les
denrées alimentaires ont beaucoup renchéri. Cela tient
sans doute à des causes variées, d'ordre économique.
Pourtant, il y a un côté scientifique à la question, et M.
Fernand David, rapporteur du budget de l'agriculture, fai-
sait observer avec raison que la production française n'est
pas ce qu'elle devrait être. Elle l'est d'autant moins que la
France, jouissant d'une variété de climats appropriés, est
plus qu'aucun autre pays peut-être en état de s'adonner
avec succès, et facilité, à des industries agricoles plus di
verses et nombreuses. C'est un admirable jardin, propre
L AGRICULTURE AU DANEMARK 349
aux cultures les plus variées, tant d'animaux que de plantes.
Mais il manque la méthode, l'esprit scientifique. La na-
ture ne peut tout faire : il faut l'aider; une organisation est
nécessaire, et nous ne la possédons pas.
Ce qu'on peut faire avec elle est prodigieux, et rien ne le
montre mieux que les mémoires où M. Eugène Tisserand,
directeur honoraire de l'agriculture, a fait connaître les
progrès de l'agriculture danoise.
Le Danemark est quatorze fois plus petit que la France
un peu plus grand que la Bretagne ou la Normandie, et
porte une population à peu près égale à celle de chacune
de ces provinces. Il vit de l'élevage, malgré un climat qui
n'est pas exceptionnellement favorable.
En 1905 — date de la dernière statistique citée par M. E.
Tisserand — il a trouvé le moyen d'exporter :
29,421 chevaux, autant que la France entière, mulets com-
pris ;
122,696 têtes de gros bétail — trois fois plus que la France
110,490,000 kilos de viande de boucherie et de porc salé —
dix-huit fois plus que la France ;
79,400,000 kilos de beurre — quatre fois l'exportation de la
France ;
350 millions d'oeufs environ, alors que la France en im-
porte 130 millions environ.
Le tout représentant près de 500 millions de francs. Et
cela, il faut le répéter, pour un pays quatorze fois moindre
que le nôtre. Il est vrai, l'agriculture et l'élevage sont les
principales industries ; les autres activités industrielles et
commerciales sont peu de chose. On ne pourrait soutenir
que la France doit produire quatorze fois ce que produit le
Danemark. Mais on peut soutenir qu'elle est en état de
produire au moins autant, et sans doute plusieurs fois au-
tant.
De quelle manière le Danemark a procédé pour prendre
dans les industries agricoles la place éminente où il est
parvenu depuis quelques années, M. Eugène Tisserand l'a
raconté de façon très précise.
350 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
A la base, naturellement, il y a eu une évolution impor-
tante des cultures. Quantité de terres non exploitées, landes,
marécages, et le reste, ont été mises en état de produire.
Les landes ont été défrichées, les marécages desséchés, les
terres humides drainées, les terrains sablonneux marnés.
Les bois même se sont accrus (et il ne faudrait pas toucher
à la forêt en France pour augmenter la superficie arable) et
actuellement la superficie du sol danois se décompose de
la façon suivante :
Terres arables et prairies. . . .^ \ .
Forêts et jardins i
Tourbières, marais 1 ^ .
Plages, landes i
Plus des neuf dixièmes du sol sont en culture, pour le
profit ou pour l'agrément.
Il y a donc utilisation aussi complète que possible. Car il
ne faut pas tenir pour inutile la superficie non cultivée : les
tourbières donnent du combustible et les marécages de la
litière pour le bétail.
Utilisation plus intelligente aussi. Le Danemark fait
moins de blé qu'autrefois; il en importe, trouvant plus pro-
fitable de faire des fourrages et d'exporter le beurre et la
viande, avec le prix desquels il achète du blé. Il ne faut
pas vouloir faire toute culture partout, mais adopter celle
qui se fait le plus facilement, et avec le plus de profit.
La culture fourragère a donc pris une extension énorme
au Danemark. Plus des deux tiers de la surface cultivée
sont employés à produire des grains et fourrages pour ani-
maux, dont on vend le lait, la chair, le beurre, les œufs, etc.
L'extension a été bien conduite en même temps ; par la sé-
lection des semences, on a éliminé les espèces inférieures
pour ne conserver que celles dont le rendement est ex-
cellent.
On pourrait croire que les résultats obtenus supposent
une industrialisation de l'agriculture et de l'élevage, leur
concentration entre les mains de quelques grands proprié-
taires, riches et intelligents, ou de Sociétés capitalistes dis-
posant des ressources de la science et de l'argent; de So-
l'agriculture au DANEMARK 35 l
ciétés ou individus représentant le bon tyran, et dirigeant
tout de façon avisée. Il n'en est rien ; dans l'immense ma-
jorité des cas, la propriété est la petite propriété (moins de
10 hectares); on compte 161,540 propriétés de moins de 10
hectares, pour l,20l ayant plus de 120 hectares.
C'est donc que le peuple des cultivateurs doit être parti-
culièrement instruit des choses de son métier. Il l'est, en
effet, et c'est là le point important. Et il consomme de
moins en moins d'alcool, malgré le climat.
L'agriculture danoise est celle que M. E. Tisserand rêve
pour la France : essentiellement scientifique.
L'agriculture est une science, reposant sur des données
très nombreuses et complexes : un agriculteur digne de ce
nom est un homme qui sait beaucoup de choses et de très
diverses, en physique, en chimie, en biologie.
Or, au Danemark, la grande préoccupation a été l'ensei-
ment agricole, théorique et pratique, et la formation d'un
peuple agricole sachant son métier. On a beaucoup fait
pour l'instruction populaire, et surtout on l'a fait de façon
intelligente. Il ne suffit pas de dépenser des millions : il
faut encore les dépenses avec discernement.
C'est ce qui a été fait depuis plus de cent ans " sans ja-
mais perdre de vue les exigences de la vie présente et ré-
elle." Le Danemark a dans ses communes rurales 71 écoles
primaires supérieures, recevant chaque année en moyenne
6,250 garçons et filles.
A côté de ces établissements, il y a les écoles spéciales,
et tout un personnel de conseillerstechniquesdontletem.ps
se passe à parcourir le pays, à enseigner les méthodes nou-
velles, à donner des conseils. Ils sont tous spécialisés : les
uns en ce qui concerne la laiterie, d'autres en ce qui con-
cerne les maladies des plantes, la zoologie et l'entomologie
agricoles, la chimie, l'horticulture, les machines, l'élevage
et le reste. Tous surveillent et conseillent. Il y a des vé-
térinaires aussi, pour la protection des animaux d'élevage.
Grâce à eux, la tuberculose bovine disparaît peu à peu.
D'autres surveillent l'industrie du beurre. On a estimé
avec raison que pour créer au beurre danois un marché il
252 LA REVUE FRANCO -AM^JRIC AINE
fallait avant tout lui faire une réputation, et la lui conser-
ver. De là une législation et une surveillance spéciale sur
la fabrication : même celle de la margarine.
Le beurre danois ne devant pas pouvoir être soupçonné,
la loi défend de^abriquer et entreposer la margarine là ou
se vend et entrepose le beurre. Et ceci encore : elle va
même jusqu'à interdire de marquer sur une margarine le
fait qu'elle contient du beurre, bien que l'addition soit per-
mise, jusqu'à un certain point. Elle a raison, car il ne
manquerait pas d'industriels, à l^tranger, pour vendre la
margarine additionnée de beurre, pour du beurre conte-
nant un peu de margarine.
Toute laiterie a sur le toit une épée de Damoclès : chaque
matin elle peut recevoir l'ordre d'envoyer à un bureau
d'examen et d'expertise un tonnelet de beurre de 20 kilos,
le jour même. Il faut donc qu'elle envoie sa fabrication
courante. Et celle-ci est examinée par une série de spé-
cialistes : examen à la suite duquel on dresse et publie la
liste des "très bons beurres" sur laquelle il est commer-
cialement utile de figurer. Les laiteries dont le beurre a
été reconnu moins satisfaisant reçoivent des observations
et des conseils sur la manière d'améliorer leur production.
On a perfectionné l'industrie des œufs, comme celle du
beurre. Non point en exhortant les poules, ce qui n'eût
servi de rien, mais par une série de mesures intelligentes :
sélection des pondeuses, création d'Unions dont les mem-
bres s'engagent à ne livrer que des œufs frais et à bien te-
nir leurs poulaillers. Bien entendu, l'engagement ne suffit
pas : des inspecteurs vont voir si les poulaillers sont cor-
rects ; et, comme chaque oeuf porte la date de la ponte et
la marque du sociétaire, on examine les produits au hasard.
Et l'oeuf impropre à la consommation coûte ^ francs au
propriétaire, qui peut être exclu de la Société, et dès lors a
de la peine à vendre sa denrée. Il y a 709 sociétés d'ex-
portation organisées sur la base qui précède et comprenant
57,000 membres. Grâce à elles, les oeufs exportés sont de
qualité uniforme, et la marque danoise a pris la valeur
qu'elle possède.
AGRICULTURE AU DANEMARK 353
Même chose pour le porc et le bétail. On a organisé des
abattoirs coopératifs, où l'abatage se fait proprement, où
la viande est inspectée avec soin, puis conservée comme il
convient.
En un mot, tout ce que la science enseigne, et qui inté-
resse l'agriculture et l'élevage, est porté à la connaissance
de tous, et appliqué. Tout est organisé scientifiquement.
L'Etat n'est pas seul à jouer un rôle : celui de l'initiative
privée est considérable. Ainsi, une Société existe dont le
but est d'indiquer le parti à tirer des landes, l'utilisation qui
semble la meilleure : les utilisations plutôt, car la solution
varie selon les conditions. Elle a organisé des champs de
démonstration qui sont d'excellentes leçons de choses. Elle
a pourvu à la création de 70,000 hectares de forêts résineux ;
elle a drainé, desséché, planté, extrait de la marne et fait
les métiers les plus divers. Il n'est guère de pays aussi in-
telligemment et complètement exploité que le Danemark.
* Cela suppose une très forte organisation scientifique du
service de l'agriculture et des sociétés agricoles, et un es-
prit tout particulièrement ouvert chez les agriculteurs : et,
en fait, tout cela existe. Mais aussi les résultats sont là
pour faire voir à quoi l'on arrive avec de la méthode. Le
Danemark vit bien et vend admirablement ses produits au
dehors.
Il est hors de doute que la France qui exporte moins de
bétail, de viande, de beurre et d'oeufs que le Danemark
pourrait en produire beaucoup plus. Evidemment il est
plus facile d'organiser 'scientifiquement un petit pays ho-
mogène, ayant même climat et même sol, qu'un grand pays
hétérogène. Mais ce dernier consiste en réalité en petits
pays, en régions ou provinces naturelles, qui diffèrent par
le sol, la météorologie, la géologie, et les aptitudes. Il suffi-
rait de faire pour chacune d'elles ce qui a été fait pour le
Danemark, de déterminer dans chaque cas la méthode à
suivre et les industries à développer. Est-ce à dire qu'avec
une production très accrue la vie serait moins chère } Il se
peut que non : mais le nombre de ceux qui souffrent de ce
renchérissement serait diminué.
364 LA REYUE FRÀNOO-ÀMÉRICAINE
De toute façon il serait très désirable que l'exemple des
Danois fût suivi en France et que les conseils de M. E.
Tisserand fussent entendus. Nul ne connaît^ la matière
mieux que lui.
Henry de Varigny.
:o:
Voix d'Acadie
A l'assaut de rAssomption Nationale
Jusqu'ici je me suis efforcé de faire constater l'attitude de
l'assimilateur à notre égard et donnant des faits pour prouver
ce que j'avançais. Ces faits ne sont point épuisés, loin de là !
Il en paraîtra en temps et lieu.
Je voudrais aujourd'hui montrer la manière d'opérer de l'as-
similateur pour s'opposer à nos œuvres, pour les détruire s'il
l'eût pu. Combien de gens, en Acadie même, ne savent rien
de ces choses !
La première de nos œuvres, œuvre vitale s'il en fut, c'est
bien I'Assomption, représentant dans l'esprit des fondateurs
le peuple même, tout le peuple acadien. Il s'agit, on le com-
prend, de r ''Assomption Nationale" qui date effectivement
du premier Congrès d' Acadie, tenu à Memramcook en 1881.
A l'instant où fut formée cette ligue de notre peuple, elle
se heurta à une formidable opposition qui pensa la faire som-
brer... Ce n'était pas l'Anglais qui la voulait détruire : ceux
qui se sont mis en travers de son chemîn, ce furent ceux dont la
mission est de diriger les âmes, de répandre parmi les fidèles
du Christ la paix et la concorde. Tout a été tenté ou fait paf
la hiérarchie religieuse pour nous écraser, pour tuer dans
l'œuf le projet de nos chefs. Le clergé acadien entier était
avec nous : nous étions donc supposés marcher droit. Rien
n'}^ faisait : on voulait notre disparition comme peuple.
Je me suis opposé de toutes mes forces à ce qu'on laissât
tomber la Société Nationale aux mains d'une Association quel-
conque, celle-ci se dit-elle même ' ' nationale. ' ' Une Associa-
tion, dont la fin principale est l'assurance de ses membres,
VOIX d'acadie 355
peut manquer, si puissante soit-elle. Tous les jours on en a
des exemples. Que l'élément constituant le Conseil Exécutif
de la Nation se retrempe, se vivifie, se renforce par l'adjonc-
tion de jeunes, c'est dans l'ordre. Mais cela ne signifie point
qu'il faille livrer le peuple aux hasards, aux caprices d'une
compagnie dont l'intérêt est un des principaux mobiles.
Ivorsque la hiérarchie religieuse des Provinces Maritimes
constata le courant qui se formait en Acadie en faveur du re-
lèvement du peuple, des efforts couronnés de succès de nos
chefs pour nous retirer des mains de l'envahisseur, le Métro-
politain de la province ecclésiratique crut frapper notre peuple
de rnort en adoptant, avec empressement, la nouvelle législa-
tion sur l'Instruction publique de la Nouvelle- EcoSvSe ; croyant,
par ce moyen, faire disparaître la langue françaivSe, ne s 'ima-
ginant pas que cette loi pouvait être utilisée par nous et nous
aider au travail de notre émancipation. Un jour, frappant du
pied avec colère, l'archevêque Mgr ConnoUy avait dit :
" Je ferai disparaître la langue française de mon diocèse ! "
Il a disparu, . . la langue française s'étend chaque jour da-
vantage.
AGISSEMENTS DES FRANCOPHOBES
Des requêtes furent adressées de toute part au gouverne-
ment, demandant à ouvrir des écoles françaises. ly'assimila-
teur ne s'attendait point à cela !
Des couvents furent édifiés : il en surgissait de tous côtés.
Les Acadiens prenaient goût à l'instruction, eux qui en
avaient été totalement privés depuis la néfaste dispersion, de-
puis la mise à prix des têtes de leurs admirables missionnaires
français, modèles sublimes et victimes glorieuses du plus pur,
du plus ardent patriotisme.
Les Acadiens avaient fini par comprendre que l'instruction
leur est aussi bonne, aussi nécessaire, aussi profitable qu'aux
Anglais. Ceux-ci, de leur côté, nous donnaient immédiate-
ment toutes les facilités voulues.
La construction des couvents sur les terrains de l'archevêché
(la néfaste Corporation Episcopale en tout semblable à celle de
Walsh : que le digne auteur à la limace me pardonne ! ) met-
356 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
tait, hélas ! ces couvents à la merci de l'assimilateur. Lorsque
tout fut organisé, que l'enseignement progressa, l'Irlandais
vit avec effroi qu'il y avait trop de français enseigné. Il ré-
solut de le faire disparaître au plus vite, et pour cela mit la di-
rection des couvents entre les mains de religieuses irlandaises
avec une ou deux Sœurs pour le français, selon l'importance
de l'établissement.
Ainsi fut-il fait pour les couvents de Sainte- Anne d'Kel Brook,
de Pubnico, dans le comté de Yarmouth ; dans celui de Digby,
pour les couvents de Church Poin^, de Meteghan ; à l'Ile
Royale (Cap- Breton), dans le comté de Richmond, pour deux
couvents. Plus tard, dans le comté d'Inverness, pour deux
couvents. ly'un d'eux, érigé par le zèle de M. l'abbé Fiset avec
le concours dévoué de tous ses paroissiens, vit le même arbi-
traire : tous sous l'épiscopat désastreux de Mgr ConnoUy, le
francophobe.
Le couvent étant construit, il fallait, évidemment, y metttre
des Sœurs institutrices. L'archevêque s'empressait d'impo-
ser ses créatures. Non pas toutes irlandaises, mais la direc-
tion tout entière. Il avait trop peur d'une révolte. Je l'ai
dit, selon l'importance de l'établissement, il octroyait géné-
reusement une, tout au plus deux Sœurs subalternes capables
d'enseigner quelque peu de français. Quelle générosité, quel
amour de la moitié de son peuple catholique ! . . .
C'était trop de condescendance encore. Il y avait trop de
français enseigné. Il diminua — ou supprima — insensiblement
le nombre de Sœurs françaises. . .
Par la suite, en application de la loi nouvelle, ces couvents
eurent mission de tenir l'école publique, qu'il fallait française.
Les pensionnats restèrent sous la coupe de l'assimilateur, et
le français en fut banni. S'il arriva qu'il ne le fut pas totale-
ment, il n'était enseigné que comme le latin dans nos écoles
publiques pour se faire une idée de ce qu'est l'enseignement
du français, aujourd'hui encore, aux grands couvents de la
province ! On voulut même diminuer le nombre d'heures de
classe dans les écoles publiques, afin de donner la prépondé-
rance à la langue anglaise. Mais les syndics veillaient. L'ar-
chevêque dut plier.
VOIX d'acadie 367
Actuellement encore, dans ce diocèse d'Halifax, en bien
des endroits tout français, les Français éprouvent des difficul-
tés sérieuses pour faire enseigner la langue maternelle à leurs
enfants.
II. FAUT LK TUER !
Frustré dans ses secrets espoirs, l'ennemi résolut de frapper
un dernier coup, décisif, croyait-il.
lyC collège de la Pointe-de-l' Eglise (Church Point, N. E.)
allait s'ouvrir sous la direction des excellents Pères Eudistes,
venus de France et presque tous très dévoués à leurs malheu-
reux frères d'Acadie.
L'archevêque Connolly était allé rendre compte de sa ges-
tion à Celui par qui les nations existent et subsistent. Mgr
Hannan, qui lui avait succédé le 20 mai 1877 et s'était montré
juste envers les Acadiens, avait eu à subir lui-même de la part
des siens une persécution qui abrégea ses jours. Il mourait le
17 avril 1882 et était remplacé le 21 janvier 1883 par Mgr
O'Brien, de triste mémoire.
Les 13 et 14 août 1890 se réunissait précisément à la Pointe-
de-l'Eglise, le troisième congrès de l'Acadie. Les évêques de
la province ecclésiastique de Halifax avaient usé de leur pou-
voir pour eu abuser : ils avaient interdit à nos prêtres d'y
assister". Six mille personnes environ y accoururent de toutes
les parties des Provinces Maritimes, et des prêtres acadiens ve-
nus de la Province de Québec.
L'archevêque O'Brien envoya à la Convention une lettre qui
se trouve en entier pages 211 et suivantes de l'ouvrage : " Con-
ventions Nationales des Acadiens, vol. I — Imprimerie du
" Moniteur Acadien," Shediac, 1907. Je me bornerai adon-
ner, de cette lettre " mortuaire," les passages publiés dans le
"Mémoire" vengeur du comité des prêtres de Québec avec
les commentaires autorisés de ces savants auteurs :
L'auteur des ** Memoirs of Bishop Burke " fait de grandes
protestations d'attachement aux Acadiens et à la langue fran-
çaise que ceux-ci tiennent essentiellement à conserver. Si ces
protestations sont sincères — ce que nous espérons, — elles ne
sont pas moins en contradiction avec ce que le même auteur
disait il n'y a pas longtemps. Ceux qui sont au courant de ce
358 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
qui se passe chez nos frères les Acadiens, n'ont pas oublié la
fameuse lettre que Mgr O'Brien a adressée à la grande con-
vention acadienne tenue à la Baie-Sainte-Marie en 1890. En
donnant son approbation à un projet, déjà émis depuis quel-
que temps, de fonder un collège à Sainte- Marie, centre exclu-
sivement acadien, il reléguait le français au dernier rang, ne
préconisait que l'anglais, ne recommandait que l'étude de cette
langue ; si bien qu'on ne peut lire cette lettre sans y voir une
exhortation à l'oubli du français au profit de la langue an-
glaise. Là était, selon lui, l'avenir des Acadiens.
" Ceux qui sont convaincus de ce fait, disait-il, et qui ne
craignent pas d'avouer, en s 'efforçant d'inculquer *'sa"
pensée dans l'esprit de ceux qui doivent en bénéficier, "que
la chose leur soit agréable ou non," sont les vrais guides du
peuple et ses vrais amis ' '
La lecture publique de cette lettre produisit dans la Con-
vention un soulèvement d'indignation générale. Une série de
résolutions furent immédiatement préparées pour protester
contre cette abdication et réclamer l'enseignement de la langue
française. Ces résolutions, au nombre de trois, se lisent comme
suit :
" 1° La convention acadienne décrète qu'il est désirable que
dans toutes nos écoles, soit primaires, soit secondaires, académies
ou collèges, couvents ou pensionnats, la langue anglaise soit
enseignée concurremment avec la langue française, mais qu'en
autant que possible la langue de l'enseignement soit le fran-
çais.
** 2° La convention désire attirer humblement l'attention
des autorités religieuses et laïques sur le fait qu'il existe à la
Nouvelle- Ecosse et à l'île du Prince- Edouard un grand nom-
bre de localités toutes françaises où le français n'est nullement
enseigné dans les institutions d'éducation ; que cet état de
choses est très préjudiciable aux meilleurs intérêts religieux
et matériels des Acadiens ; qu'il est désirable d'y remédier en
encourageant l'enseignement du français à tous les Acadiens,
sans préjudice à renseignement de l'anglais ou de toute autre
langue.
"3° La convention regrette que dans un très grand nombre
de nos couvents, principalement dans les comtés de Digby, de
Richmond et de Yarmouth, la langue française ne soit pas en-
seignée ou ne le soit qu'imparfaitement. Cet état de choses se
voit dans des centres où la majorité et même la totalité des
élèves et des parents sont français. Elle désire attirer respec-
tueusement l'attention des autorités compétentes sur cette re-
grettable lacune. "
VOIX d'acadie 3é9
Ces résolutions proposées en séance solennelle, le 14 août,
furent votées à l'unanimité. Elles produisirent leur effet ; car
c'est depuis lors qu'eut lieu le changement de front que l'on
constate. L'auteur des " Memoirs " en profite pour procla-
mer bien haut dans son opuscule que c'est grâce à ses compa-
triotes que les Acadiens ont eu des prêtres parlant le français
( "speaking their own language " ), p. 142. Qu'il continue à
favoriser de plus en plus l'enseignement de la langue française,
concurremment avec l'anglais, et la formation d'un clergé
acadien, nous serons les premiers à lui en rendre justice.
Le coup décisif de l'archevêque avait raté : la Providence
avait culbuté à plaisir tous ses plans.
EFFETS DE I.A RAGE IRI.ANDAIS
Le collège de Memramcook, fondé dans les larmes et à tra-
vers toutes les difficultés que peut susciter un esprit malfai-
sant ; ce collège, fondé par le vénérable M. l'abbé Lafrance,
un Canadien-Français tout dévoué aux Acadiens, avait vu les
temps les plus sombres, l'évêque de St-Jean, N. B., Mgr Mc-
Sweeny ayant déclaré que s'il autorisait ce collège pour les
Acadiens — la majorité de son troupeau et des sueurs duquel il
vivait grassement — , c'était uniquement pour en faire une
" Ecole de Réforme." Et il ajoutait, avec un sourire que Vol-
taire eût pu lui envier ; " C'est assez bon pour les Acadiens. "
Malheureusement pour lui, on ne peut trouver, dans toutes
les prisons des Provinces Maritimes, UN SEUL ACADIEN
condamné à la Réforme. L'évêque envoya donc à notre pre-
mier établissement d'instruction secondaire ses Irlandais
RÉFORMES de St-Jean : car il en avait une cargaison. Par ce
mo3^en, l'évêque ** empesta" les origines de ce collège : les
effets de cette infection, malgré tout le travail acharné du bon
Père Lefebvre, se font sentir aujourd'hui encore. vSi l'on veut
des témoignages irrécusables de ce que j'avance, je suis prêt à
les donner.
Si ces actes ne sont pas irlandais, qu'on leur trouve un au-
tre qualificatif.
UN JET DE LUMIÈRE
J'ai dit précédemment qu'un journal français ( " l'Evangé-
line") fut fondé en Nouvelle-Ecosse, où le besoin s'en faisait
plus vivement sentir qu'ailleurs.
360 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Comme c'était un journal catholique, le fondateur crut de-
voir aviser de son apparition l'archevêque O'Brien. Avec cette
noble bonté qui caractérise le peuple obligé de la toujours
France, il daigna répondre "qu'il ne voyait pas l'opportunité
d'un journal de langue française en Nouvelle- Ecosse ; que le
clergé irlandais avait fait beaucoup pour les Acadiens à qui
cela devait suffire. ' '
Ce qui éclaire et illustre le livre d'injures qu'il méditait alors
contre l'admirable Episcopat de Qhébec, ses fameux " Me-
moirs of Edmund Bnrke," cet insoumis qui causa la mort d'un
très bon prêtre, M. l'abbé Dufaux. Lisez cela dans le " Mé-
moire vengeur, à la page 130. Voilà le " timber " dont ils
font des êvêques — et dont ils ont le cauchemar de faire un
pape. . . ou un antipape, peu leur importe. . . —
A la Convention générale de la Pointe de l'Eglise, en 1890,
je crois devoir donner les détails suivants :
Mesdames, Messieurs,
En m 'appelant à porter la parole, en cette occasion solen-
nelle, vous savez que vous m'imposez une tâche difficile ; et si
vous ne le savez tous, laissez- moi vous l'assurer à tous. Et si
je n'étais pas mêlé à une œuvre acadienne, qui, je l'espère,
fera sa part de bien dans la Nouvelle- Ecosse et un peu ailleurs,
dans les Provinces Maritimes, je n'oserais pas me rendre à votre
gracieuse invitation.
Quelqu'un a dit chez les anciens que le succès seconde l'au-
dace. Celui-là n'a pas menti.
Messieurs, j'ai toujours cru que nul d'entre nous ne pouvait
se créer une position parmi nos compatriotes d'autre origine
qu'en faisant violence aux circonstances qui nous entourent et
à force d'efforts et de ténacité.
Aussi en fondant le journal " l'Evangéline ' ' que le public
acadien a .si bien encouragé et si bien apprécié jusqu'à ce jour,
il m'a fallu et de l'audace et une persévérance subséquente
dont j'ai connu plus d'une fois les fatigues, les labeurs et les
ennuis.
Si je n'eusse connu la Nouvelle-Ecosse comme je la con-
naissais, jamais je n'aurais songé à me placer à la tête d'une
telle œuvre, comme je le fis en 1887.
Il y a près de trente ans que j 'ai foulé pour la première fois
le sol d'Evangéline.
J'étais à Saulnierville, lorsqu'en 1866, on célébra le cente-
VOIX d'acadie 861
naire de rétablissement du district de Clare, à la Pointe- à- Ma-
jor. Et si, dès cette époque, je n'avais, à coup sûr, aucune
idée d'y jamais fonder un journal, je puis certifier en votre
présence cependant, que l'intérêt que j'éprouvai dès- lors en-
vers les Français de la vieille Acadie fut assez grand et vif
pour m'en faire prendre le dessein, — si tel dessein eût alors
paru réalisable.
Mais ce qui ne paraissait pas réalisable en 1866 est passé à
l'état d'affaires accomplies pour les Acadiens, non seulement
dans le journalisme, mais dans les diverses échelles sociales et
dans les rangs de la milice ecclésiastique.
" En 1864, surgissait l'oeuvre par excellence du collège St-
Joseph, qui a fourni tant d'hommes au commerce, aux pro-
fessions libérales et à l'Eglise.
En 1867, le " Moniteur Acadien," le premier-né dans notre
presse acadienne, paraissait devant le public des provinces ma-
ritimes pour dire haut et fort à tous ceux qui pouvaient le com-
prendre, que pour conserv^er sa langue, il faut que le peuple
non-seulement la parle dans ses entretiens de famille, mais qu'il
doit aussi la lire dans ses lectures du foyer.
En 1885, "Le Courrier des Provinces Maritimes" vit le
jour. J'avais été pendant huit ans inspecteur des écoles au
Nouveau- Brunswick. J'avais eu souvent l'occasion de con-
naître et d'apprendre les vues du clergé au sujet d'une telle
fondation ; je me trouvais, chaque jour, en face dés besoins de
nos populations françaises ; — aussi, de concert avec quelques
nobles et braves compatriotes, je m'intéressai à la fondation
du journal français de Bathurst. J'y pris des actions en grand
nombre, je sollicitai partout des abonnés à la seconde feuille
acadienne française et j'en eus l'administration pendant deux
ans.
Lorsque ce journal fut sur un pied solide et entre les mains
d'un comité qui était capable de le maintenir, comme les évé-
nements l'ont prouvé jusqu'à ce }our, je me dirigeai vers la
Nouvelle-Ecosse. ^
Sur cette vieille plage où fut placé le berceau de la colonie
par Poutrincourt, où Evangéline et Gabriel se déclarèrent
leurs premiers amours et se jurèrent une éternelle fidélité, il
me semblait qu' Evangéline pouvait renaître.
Dieu n'a jamais voué à une devStruction complète ec perma-
nente les races qui se sont multipliées sur la surface du globe.
Pourquoi les idiomes, les traditions et la langue des peuples
persécutés ne pourraient-ils pas revivre là même où ils avaient
semblé périr.
Je vous l'ai déjà dit : je connaissais bien la Nouvelle- Ecosse,
362 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
surtout les deux comités de Digby et de Yarmouth où j'avais
enseigné pendant plusieurs années. Je savais que les nom-
breuses relations commerciales et autres de nos compatriotes
d'ici avec leurs proches voisins limotrophes — les Américains —
étaient préjudiciables à la langue française, parmi les popula-
tions intelligentes qui forment le groupe français établi sur la
Baie Sainte- Marie.
Je savais, de plus, que nos nationaux étaient désireux d'a-
voir au milieu-d'eux un organe français qui serait là pour leur
rappeler leur devoir dans la conservation de ce dépôt sacré
dont nos pères ne voulurent point se départir.
Point de collèges, ni d'académies, il fallait au moins un
foyer quelconque, un centre d'où pourrait sortir la lumière,
quelque faible que fut cette dernière.
Il fallait un messager qui pût se rendre souvent au sein des
familles acadiennes de la Nouvelle- Ecosse, leur parler avec
l'idiome de nos pères, et je crus que nul ne serait mieux reçu
que la poétique et historique Evangéline.
C'est elle qui vous entretiendrait sur le sujet si important de
l'éducation. C'est elle qui parlerait avec connaissance de
cause des notions si utiles de l'hygiène, qui vous fournirait les
renseignements voulus pour faire de vous des agriculteurs pra-
tiques. Elle irait chaque semaine sous vos toits pour vous ra-
conter les nouvelles courantes dans une langue qui semblait in-
terdite dans la presse de notre province depuis que notre pro-
vince et r Acadie existent.
Ce plan me paraissait beau : le projet, malgré toutes les
difficultés qui s'y rattachaient nécCvSsairement, me parut noble,
patriotique, digne d'efforts et de sacrifices.
Pour un moment, il s'éleva quelques petites oppositions,
même parmi les nôtres. Mais, la voix de nos vrais patriotes
laïques et hommes du clergé s'éleva dans une magnifique pro-
testation contre tout esprit de jalousie qui voulait entraver
l'expansion de nos œuvres nationales. Aussi cet antagonisme
fut-il de courte durée.
Il fallait de plus ne pas heurter de front les préjugés des po-
pulations anglaises qui nous entourent. Car l'élément an-
glais de la Nouvelle- Ecosse, sachant que les Acadiens pou-
vaient comprendre les journaux anglais plus aisément qu'ils
ne pouvaient interpréter un journal en leur propre langue, ne
pouvaient pas s'expliquer le but ou l'utilité d'une telle entre-
prise.
Un jour, lorsque je faisais de la propagande à Yarmouth
dans le but de trouver quelques annonceurs pour la feuille que
j'étais à la veille de fonder, un avocat de cette dernière ville
VOIX d'acadie 363
me fit part nettement de ses appréhensions. ** Pourquoi, dit-il,
vouloir fonder un journal en langue française, au milieu de
nous ? Est-ce pour susciter les vieilles animosités que nous
nous efforçons partout d'éteindre? Est-ce pour nous mettre
sans cesse sous les 3'eux des actes d'autrefois dont il ne devrait
plus être fait mention dans nos relations actuelles? S'il en
est ainsi, me dit-il, votre feuille sera une publication dange-
reuse, elle jettera le désordre là où des temps plus heureux et
de meilleures circonstances ont réussi à semer et à entretenir
la bonne entente et la paix."
Non, lui dis-je, mais vous oubliez quelque chose. Si de
meilleures circonstances ont ramené la paix, elles n'ont pas
encore donné aux Acadiens les chances d'éducation qu'elles
vous ont données à vous autres. Car les Acadiens veulent
une éducation dans leur langue à l'égal de la langue anglaise.
Or, c'est l'oeuvre d'un journal. En fondant celui-ci, notre
but est de stimuler nos compatriotes à s'instruire, à s'élever
par l'instruction au niveau de ceux qui les entourent.
IyCS Acadiens sont actifs, industrieux, intelligents ; lorsqu'ils
auront les mêmes facilités que vous, ils n'auront plus droit de
se plaindre et ils en seront par là même plus portés à entrete-
nir la paix • par le fait qu'ils jouiront des mêmes avantages
que vous et qu'ils pourront atteindre le même degré dans l'é-
chelle sociale. Et voilà ce qui explique et détermine la néces-
sité d'un journal.
Non seulemont l'avocat m'a compris, mais tous les Anglais,
Ecossais, Irlandais, etc., de la Nouvelle- Ecosse ont compris
qu'un pareil organe était indispensable au milieu des nôtres.
Eh bien, messieurs, c'est à vous à encourager notre presse
acadienne comme vous l'avez fait jusqu'aujourd'hui, et plus.
Ceux qui président à cette presse, au " Moniteur," au " Cour-
rier," et à r "Evangéline ; ceux qui s'y intéressent directe-
ment ou de près, sont des hommes du paj^s, qui connaissent la
situation du peuple et qui sont par conséquent en mesure de
la sauvegarder.
C'est là leur mission ; s'ils y sont infidèles, à vous de les
censurer ; au contraire, s'ils y consacrent leur énergie et leurs
deniers, il est de notre devoir, par honneur et par reconnais-
sance, de leur donner l'appui qui fera de la presse un levier
puissant pour la cause du bien. — Discours de V. A. Landry.
V. A. Landry.
La Nation Franco-Normande au Canada
Par Le VICOMTE FORSYTH DE FRONSAC
IV
LA NOBIyESSE DE NOM^ET DES ARMES
ETABLISSEMENT DE LA NOBLESSE AU CANADA
lya Noblesse du Canada est la partie la plus faible de la
constitution, quand ses membres ne sont pas unis ! Séparés,
ils sont les premiers à être renversés par des actes inconstitu-
tionels ; mais, unie dans ses membres, la Noblesse est la plus
forte partie de la constitution par son intelligence, par son sa-
voir faire, par la renommée de son passé, par son audace
fondée sur la justice de ses prétentions, et surtout, par la
sympathie que sa cause excite parmi les noblesses étrangères
de toutes les nations civilisées du monde.
Les familles de la Noblesse disparaîtront une à une, si elles
ne s'unissent pas dans leur ordre^ qui doit être pour elles leur
planche de salut. Comme dit M. le juge A. B. Routhier : —
" Il y a dans chaque pays des familles privilégiées qui sem-
blent destinées à marcher toujours à la tête de la société.
Cette constance des honneurs s' attachant à un nom n'est pas
le produit du hasard : elle s'explique par une véritable mission
que la Providence impose à certaines familles, comme à cer-
tains individus, et elle se justifie par la perpétuation du talent
et de l'honneur,"
Sir Wilfrid Laurier, ex-premier ministre du Canada, dit au
jubilé sacerdotal du cardinal Taschereau : ** Quand je vais
dans mon pays natal et que je vois le domaine seigneurial en
ruine, les bois coupés, les jardins rasés, le parc devenu pâtu-
rage, le manoir occupé par un excellent homme mais décidé-
ment trop utilitaire, je me sens pris d'un invincible sentiment
de tristesse, je voudrais encore voir le manoir aux mains de
ses anciens maîtres, dans l'état d'aisance et de splendeur qui
caractérisait jadis leur train de maison."
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 365
Mais tous ces ho aimes n'ont jamais compris le principe or-
ganique de la noblesse. " Ils oublient qu'un potentat, un roi,
un empereur, un autocrate peut bien faire un prince, un duc,
mais qu'il n'est pas en son pouvoir de faire le plus mince gen-
tilhomme : ils oublient qu'il n'y a pas d'autorité sur la terre
qui puisse effectuer qu'un homme ne soit pas le fils de son
père, le petit-fils de son aïeul" — "Revue de la Noblesse,"
tome II, p. 159. Mais ce qu'ils ont dit est en accord avec
l'instinct de race dominatrice et chevaleresque des gentils-
hommes franco- normands qui ont apporté de l'étranger au
Canada leurs droits, leurs coutumes, leurs honneurs et leur
blason héréditaire. S'ils perdent* seigneurie, terre, place à
la cour, ils ne perdent jamais ni race, ni droits, ni naissance,
ni n'est capable quelque souverain que ce soit d'élever par des
titres d'anoblissement des gens serviles et de race inférieure à
leur niveau. Tels sont les droits de race sous l'Empire Germa-
nique établi par Charlemagne, roi des Francs, et perpétué par-
tout en Europe aryen. Sous ses lois, Charles V, dit Charles
Quint, fils de Philippe le Beau, roi d'Espagne (1516), empe-
reur d'Allemagne et des Romains (15 19), organisa les gentils-
hommes de race et des armes venant en Amérique par édict
de 1 540, ayant concédé le premier fief — le duché de Veragua — de
cette noblesse à Colon, petit-fils de Christophe Colomb des-
cendude Colombo, un des Normands qui accompagna Tancrède
en Italie, avant la première croisade. François 1er, roi de
France en 1515, né à Cognac en 1494, filsde Charles d'Orléans,
comte d'Angoulême, qui disputa à Charles Quint la couronne
d'Allemagne- Romaine, qui a mérité les titres glorieux de père
et restaurateur des lettres, projeta aussi la même organisation
de cet ordre de la noblesse aryenne de l'empire dans ses terres
en Amérique, lequel projet fut transmis à ses successeurs les
rois Henri le Grand et Louis Quatorze, qui fortifia la chevale-
rie au Canada par des titres de noblesse et des terres seigneu-
riales.
En 1880, les différentes parties de cet ordre de l'empire de
Charles V et de François 1er en Amérique, étaient confédérées
sous le nom de l'Ordre Aryen et Seigneurial de l'Empire en
Amérique, enregistré dans le collège des Armes du Canada
366 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
lequel collège est le département établi par les rois de France
au Canada. Dans le bureau, de l'intendance pour registres, se
trouvent les titres et les fiefs de noblesse au pays, à présent
sous l'autorité du conseil souverain de cet Ordre Seigneurial.
L'histoire des différents ordres confédérés est à suivre :
Dans la première commission donnée par le roi Henri IV
de France et de Navarre, au marquis de La Roche, son lieute-
nant général et gouverneur au Canada, commença la préro-
gative de la Noblesse au Canada, relevant de la couronne,
mais appartenant au pays, en oi;;donnant au gouverneur de
donner ' * aux gentilshommes et à ceux qu'il jugera gens de mé-
rite, des fiefs, seigneuries, comtés, vicomtes, baronnies et au-
tres dignités relevant de Nous, à la charge qu'ils serviront à
l'entretien et défense des dits paj^s." — Lareau, " Hist. du
Droit Canadien," p. 159. Par cette loi, la noblesse avait la
prérogative de gouvernement général.
Lorsque Richelieu forma la Compagnie des Cent- Associés
pour le gouvernement au Canada, il lui fut accordé par le roi
Louis XIII, toute la Nouvelle- France en pleine propriété, sei-
gneurie et justice, avec la prérogative de donner aux terres
inféodées tels titres, droits et facultés qu'elle jugerait conve-
nables et d'ériger même des duchés, marquisats, comtés, vi-
comtes et baronnies, " sauf confirmation par le Roi. "
La Compagnie ne pouvait songer, néanmoins, à couvrir de
duchés et de marquisats un pays sans habitation ; d'abord elle
y concéda de simples seigneuries. Ily eut vingt-neuf seigneu-
ries accordées à des marchands, à des militaires et à des cor-
porations religieuses, de 1626 à 1663, savoir : dix-sept dans le
gouvernement de Québec, six dans celui de Trois- Rivières et
un pareil nombre dans celui de Montréal. — Garneau, * 'Hist. du
Canada," tome I., p. 171.
Le premier fief noble dont les registres du Canada fassent
mention, est celui de Saint- Joseph, concédé à Louis Hébert en
1626. Mais il paraît que le Cap Tourmente avait été déjà
érigé en baronnie, en faveur de Guillaume de Caen, qui en
avait été ensuite dépossédé.
Pour la noblesse étrangère résidant dans le pays : Dans la
charte de concession de la Compagnie Royale du Canada, fon-
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 367
dée par le roi au mois de mai de l'an mil six cent soixante-
quatre et le vingts deuxième de son règne, il est dit : "La dite
compagnie sera composée de tous ceux de nos sujets qui vou-
draient y entrer, de quelque qualité et condition qu'ils soient,
* ' sans pour cela déroger à leurs noblesse et privilèges. Les
étrangers qui entreront dans la dite compagnie seront réputés
français et régnicoles."
" Pourra la dite compagnie prendre pour ses armes un écus-
son en champ d'azur semé de fleurs-de-lys d'or sans nombre,
l'écu timbré d'une couronne tréflée. Supports : deux sauvages
en grande tenue."
En 1667, Talon, comte d'Orsainville dans l'Ordre Seigneu-
rial du Canada (comté sur le fleuve du Saint-Laurent), admi-
nistrant la province pour le roi, demanda des lettres d'admis-
sion à cette noblesse pour MM, Godefoy, Denys, Lemoyne et
Amyot, quatre des habitants les plus considérables du pays,
Parmi les premiers colons qui vinrent aussi s'établir au Cana-
da dans le 17e et le i8e siècle, plusieurs appartenaient
déjà à la haute aristocratie française. De plus, le roi Louis
XIV, fier de cette noblesse qui, "'au risque des plus grands
périls, essayait de fonder en Amérique une nouvelle France,"
investit ses membres d'une organisation autonome, ** relevant
de la couronne, mais appartenant au pays." Les cérémonies de
l'investiture avaient lieu dans le château de Saint-Louis à Qué-
bec et étaient enregistrées dans le Collège des Armes.
LES DROITS d'administration LOCALE DE LA NOBLESSE
On ne doit pas confondre la prérogative gouvernementale de
la noblesse, qui était en général à " tenir en tuition et défense
le pays," selon la commission donnée par Henri IV (laquelle
était un ' ' transcriptum " de la prérogative de la noblesse en
France) avec les droits d'administration locale, à savoir :
Le Seigneur canadien était j uge et capitaine dans les limites
de son fief . Il av^ait "la connaissance de toute espèce d'of-
fense, sauf le crime de lèse-majesté divine ou humaine, fausse
monnaie, port d'armes, assemblées illicites, assassinats."
L'application de la prérogative du gouvernement général,
sous le régime français, voit les nobles, les seuls associés dans le
368 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
conseil supérieur du pays, avec les officiers envoyés de France
par le Roi. Il n'y a pas d'exemple de la formation d'un con-
seil gouvernant le pays sans la participation de la noblesse du
pays parmi les membres du conseil, représentant le pays.
Cette prérogative est distincte des droits appartenant aux sei-
gneuries— des droits particuliers.
LA NOBLKSSK sous L'ADMINISTRATION ANGLAISE.
Lorsque le roi d'Angleterre succéda à la souveraineté du
roi de France en 1760, par la capitulation de Montréal, il
promit par son représentant de continuer à la noblesse du
Canada tous ses droits et toutes ses prérogatives qui exis-
taient sous les rois de France. Dans le traité de Paris, de
1763, cédant le Canada du roi de France au roi d'Angle-
terre, il çst stipulé que toutes choses resteraient en "statu
quo," et que les coutumes de Paris seraient le droit cana-
dien comme auparavant. Ces coutumes — la loi commune
de la France — sont celles de qui est dérivée la prérogative
générale de la noblesse, mentionnée dans la commission
d'Henri IV, "à tenir en tuition et défense le dit pays," et
les droits particuliers des seigneurs sur leurs fiefs.
De 1774, et pour plusieurs années, le gouvernement an-
glais au Canada respecta ses obligations vis-à-vis des sei-
gneurs : c'est-à-dire, la prérogative du gouvernement gé-
néral de la noblesse fut reconnu. Avec les officiers de la
couronne envoyés de l'Angleterre dans la suite du gouver-
neur-général, furent associés des seigneurs dans le conseil
établi sur demande des pétitionnaires nobles, lesquelles de-
mandes ayant formé la base de l'Acte de 1774.
Mais après le terme du gouverneur Carleton, lord Dor-
chester, par les luttes néfastes des sectes religieuses, celles
des démagogues du peuple et de la bureaucratie anglaise,
quelquefois tous les trois s'unissant contre la prérogative
et les droits privés de la noblesse, les seigneurs furent
écartés un à un des affaires «publiques ; on commença à
ignorer leur prérogative de gouvernance générale.
Encore une fois, les représentations seigneuriales au Par-
lement britannique réussirent dans l'Acte de 1791, erroné-
LA xNATION FRANCO- NOKMANDE AU CANADA 369
ment appelé " la Constitution de I/QI," où il est dit : Aux
certains droits de représentation dans le conseil supérieur
du pays, l'Acte autorise le roi à ajouter des sièges hérédi-
taires dans ce conseil. Mais les préjugés contre la consti-
tution furent trop grands à la faible intelligence et au sens
éthique de l'administration.
En France, où sous le régime légitime, un tel dévouement
de la part de la noblesse aurait mérité la reconnaissance
de cette monarchie qui fonda l'Ecole royale militaire, en
1757, ne pouvant, comme il est dit dans la lettre de fonda-
tion : ''envisager sans attendrissement que plusieurs mem-
bres de notre noblesse, après avoir consommé leurs biens
pour la défense de l'Etat, leurs fils se trouvassent laissés
sans éducation, eux qui auraient pu servir un jour d'appui
à leurs familles, et qu'ils eussent le triste sort de périr ou de
vieillir dans notre armée, avec la douleur de prévoir l'avi-
lissement de leurs noms dans une postérité hors d'état d'en
soutenir le lustre."
Mais le gouvernement anglais, au lieu de cette reconnais-
sance, sanctionna en 1854, après un long conflit civil en Ca-
nada de toutes les parties anglaise (les descendants des
traîtres anglais de 1775-83), contre la noblesse (loyale à la
couronne en 1775-83), l'abolition de la tenure seigneuriale.
Le préambule de l'Acte Seigneurial est ainsi conçu : "At-
tendu qu'il est expédient d'abolir tous droits et devoirs féo-
daux dans le Bas-Canada, soit qu'ils portent sur le censi-
taire ou sur le seigneur, et d'assurer une compensation au
dernier pour tout droit lucratif qu'il possède aujourd'hui lé-
galement, et qu'il perdra par telle abolition ; et, attendu
qu'en considération des grands avantages qui doivent ré-
sulter pour la province de l'abolition des dits droits et de-
voirs féodaux et de la substitution d'une tenure libre à celle
sous laquelle ont été tenues jusqu'ici les propriétés qui y
sont sujettes, il est expédient d'aider le censitaire à rache-
ter les dites charges, plus spécialement pour ce qui est de
celle qui, tout en pesant le plus lourdement sur l'industrie
et l'esprit d'entreprise, ne peuvent, par leur nature même
être autrement rendues immédiatement rachetables, sans
870 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
oppression ni justice dans beaucoup de cas: à ces causes,
qu'il soit statué," etc.
Cet Acte parle de "justice!" Lorsque la législature
usurpe le droit de renverser la Constitution du pays, les ar-
ticles du traité de cession de 1763 et le gage d'honneur de
1774 entre la noblesse du Canada et la Couronne, un gage
iquî avait tenu le pays " en tuition et défense " contre les
insurgés du dehors et les traîtres du dedans ! La procédure du
gouvernement anglais en Canada, par ce fait,, n'est pas
constitutionnelle; c'est révolutionnaire, mais si les Anglais
aiment mieux assister à la révolution, qu'ils garent à la ré-
volution.
M. Turcotte dit, dans sou " Hist. du Canada sous l'Union,
p. 244-5 " • "Dès le début, les seigneurs jouèrent au Canada
un beau rôle, celui de protecteurs, de conseillers du colon
Ils avaient dans leurs mains l'autorité civile et militaire
qu'ils avaient conquise par leur éducation, par leur position
et par leur fortune. Ils se montrèrent généreux et tolérants
envers leurs censitaires, et ces nobles qualités se transmi-
rent à leurs successeurs dans beaucoup de seigneuries."
Hist., p. 163. M. Papineau (seigneur de Montebello) censu-
ra la conduite de ceux qui agitaient l'abolition de la tenure
seigneuriale. Il soutint que le seigneur était propriétaire
absolu de ses domaines, et prétendit que les cours de jus-
tice avaient toujours décidé que le taux de rente était à la
volonté du seigneur. '' Cette tenure, contre laquelle on a
tant crié, continua-t-il, est fondée sur la sagesse et sur la
justice, et il est absurde de supposer que les seigneurs
peuvent être forcés à concéder leurs terres bon gré mal
gré... L'agitation actuelle " n'a été créée que par des men-
diants de popularité."
La couronne britannique sanctionna cette mesure incons-
titutionnelle, mais la position de la couronne britannique
au Canada n'est pas constitutionnelle elle-même. Selon le
traité de 1763, " la Jcouronne britannique succéda aux pré"
rogatives de la couronne de France sur le pays." Les pré-
rogatives de la couronne de France étaient personnelles et
royales, appartenant au roi, comme roi ; c'est le roi, en
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 371
France, qui nomma les ministres et les gouverneurs, et le
parlement n'avait pas voix dans ces matières. Les pré-
rogatives de la couronne d'Angleterre sont fictives, appar-
tenant ^ux ministres du parlement ; c'est le parlement en
Angleterre qui nomma les ministres, et par les mains de
ses ministres, les gouverneurs. Ea coaséquence, tous les
actes du gouvernement anglais au Canada sont révolution-
naires, illégaux. Ils ont force "de facto," mais pas "de
jure." Le roi doit faire ses nominations au Canada, en
"propria persona," comme roi, selon les prérogatives
dont il a hérité par le traité de cession de 1763, qui est la
loi suprême au-dessus de toute loi de parlement : c'est la
constitution du pays.
La maison de première noblesse en Amérique représen-
tant les empereurs romains ou germaniques dans l'ordre
Aryen et Seigneurial de l'Empire, avec le titre de recon-
naissance le plus grand, est celle de Christophe Colomb,
qui porte le titre de duc de Véragua, amiral héréditaire
des Indes Occidentales et vice-roi, avec la faculté de propo-
ser pour les hauts emplois trois candidats dans chaque pro-
vince, ayant en plus le dixième des revenus royaux en
perles, pierres précieuses, or, argent, épices et autres
denrées.
Colomb serait seul juge dans tous les procès re-
latifs au commerce de ces terres avec l'Espagne, se ré-
servant de fournir le huitième de la dépense de l'expédi-
tion, et recevrait en outre le huitième du bénéfice total.
Ce grand homme, le fondateur de cette maison ducale,
Christophe Colomb, le découvreur de l'Amérique, fut fils de.
Dominico Colombo, et petit-fils de Giovanni Colombo, ap-
paremment originaire de la vallée génoise de la Fontana-
buona. Ses prédécesseurs furent d'une famille respectable
de la bourgeoisie, dont les membres appartenaient à la
" Compagnie des tisserands." Colomb ne reçut dans sa
jeunesse qu'une éducation très élémentaire, mais plus tard
pendant son séjour en Portugal, dans ses voyages, il s'ins-
truisit par ses propres efforts. Il semble qu'il abandonna
l'emploi de tisserand pour se faire marin. Lorsqu'il
372 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
eut conçu son projet de découvrir les pays d'Ouest, il fut
encouragé par Noscanelli, un des plus grands et des plus ins-
truits marins de l'Europe. 11 essaya naturellement de le faire
adopter par le roi du Portugal, mais les Portugais n'en-
trèrent pas dans les vues de Colomb. Celui-ci porta alors
son projet à l'Espagne à la France et à l'Angleterre (1488).
En son dernier appel en 1491, les gens de la cour l'avaient
raillé. Désespéré, il se rendit à Huelva chez un homme
nommé Muliar, époux d'une sœur de sa femme, où il ren-
contra le médecin Garcia Keindez, dé Palos, qui savait un
peu de cosmographie, et, admirant le plan qu'on lui divul-
guait, résolut que le frère Juan Pérez, ancien confesseur
de 1 i reine Isabelle, enverrait une lettre à sa souveraine.
Le frère conféra avec la reine, lui fit partager sa confiance
et revint à la Rabida chercher Colomb, qu'il ramena au
camp de Santa Fe en déc. 1491. Dans le mois de janvier
1492 il décidait une expédition qui devait donner à l'Es-
pagne les domaines les plus vastes. Il partit peu de
mois après la même année avec trois vaisseaux portant 120
hommes d'équipage et officiers. La deuxième fois que Colomb
croisa les mers pour l'Amérique, il amena avec lui 15,000
hommes, un millier de marins, des officiers, 50 pages, 20
lanciers montés, etc.
Christophe Colomb obtint par lettres patentes données à
Burgos, le 23 avril 1497, l'autorisation de constituer un ma-
jorât pour perpétuer dans sa famille son nom, ses armes,
ses titres de noblesse et ses privilèges. Il institua ce majo-
rât, le 22 janvier 1498 au profit de son fils Diego.
Le père de Colomb épousa Suzanne Fontanarossa, origi-
naire de Bisagno dans la banlieue de Gênes, et il en eut
quatre fils (Christofo, Giovanni-Pellegrino, Bartolomeo, et
Diego) et une fille (Bianchinetta).
Des frères de Colomb, " Bartolomeo " fut associé à des en-
treprises et s'établit à Lisbonne, où il était apprécié comme
cartographe et comme marin pratique. Il était cartographe
auprès la reine de France (Anne de Beaujeu), quand son frère
le rappela en 1493. En 1494, il commanda une escadre
destinée à ravitailler son frère. Celui-ci le nomma gouver-
LA NATION FRANCO- NORMANDE AU CANADA 373
neur d'Hispaniola (1494) sénéchal des possessions nou-
velles (1496), titre confirmé par les rois d'Espagne. Il fonda
Saint-Dominique. Il n'eut qu'une fille, Maria, née en 1508.
" Diego," dernier frère de Christofo, né en 1446, mort à
Séville en I5I5> suppléa quelque temps son frère à Hispa-
niolaen 1496. En 1500 il entra dans les ordres. Sa sœur,
"Bianchinetta, épousa Giacomo Bavarello et en eut un fils,
Pantaleone, né en 1490.
"Christofo" lui-même épousa Philippa Moniz et en eut
un fils :
" Diego Colon," né en i486, page de la reine Isabeile en
1498. A la mort de son père, il hérita de ses privilèges, de ses
revenus et du titre d'amiral des Indes. En 1509 il partit pour
l'Hispaniola comme gouverneur général, avec sa femme,
Maria de Toledo. L'empereur Charles V lui rendit en 1520,
son titre de vice-roi des Indes. Mort en 1526, il laissa sept
enfants légitimes. Il épousa Maria de Toledo, fille deFer-
nando, grand fauconnier et commandeur, major de l'Etat
de Léon, frère du duc d'Albe. Ses enfants furent : I Filippa,
m.s.p.(l); II Maria, mariée à Don Sancho de Cardona, amiral
d'Aragon; III Juana, mariée à Don Louis de la Cerda; IV
Isabelle, mariée à Don Jorge de Portugal ; V Loiàs (à sui-
vre) ; VI Cristoval, souche de la branche actuelle des Co-
lomb ; VII Diego, m. s. p. Par ce mariage, les Colomb te-
naient à la famille royale d'Espagne, Maria de Toledo étant
petite-fille de Maria Enriquez, soeur de Juana, mère du roi
Ferdinand le Catholique.
" Louis Colon y Toledo (fils de Diego) Ille amiral des Indes
et 1er duc de Véragua. Son domaine fut définitiveuient fixé
au nouveau monde par l'empereur Charles V de 25 lieues
carrées dans la province de Véragua en Amérique Centrale
avec le titre et les fonctions d'amiral des Indes pour lui et
ses descendants.
Il avait le titre de capitaine-général d'Hispaniola en iS^jO.
"Cristoval Colon, son frère fut successeur du précédent.
Il se maria trois fois : l"* avec Léonore Loazo ; 2° avec
Anna de Pravia ; 3^ avec Madelena de Guzman y Maya,
(l) m. s. p., mort sans postérité.
374
LA REVUE FRANCO-AMIÉRICAINE
tous trois de Saint-Domingo. Par le deuxième mariage, il
eut :
" Diego Colon," qui devint titulaire du majorât, duc de
Véragua, etc., après la mort de son oncle Louis. Il épousa
Filippa, fille cadette de Louis en 1573. Il mourut sans
postérité ; et sa soeur :
"Franciexa Colon y Pravia" épousa Don Diego Ortegon,
juge au tribunal de Quito, Pérou, Amérique du Sud. Elle
résida à Panama en 1574.
Le titre est porté aujourd'hui dans la lignée femelle des-
cendue aussi de la famille de Fitzjames issue du roi
Jacques VII d'Ecosse et II de la Grande-Bretagne, et
Arabella Chnr chil!. Le duc de Véragua demeure actuel-
lement à Madrid, en Espagne.
Les Familles de la Noblesse de nom et des armes, sei-
gneuriale, consulaire, bourgeoise et alumn&le dans les
Archives du Collège des Armes du Canada.
Les descendants de ces
familles en noms de fa-
mille qui désirent enregis-
trer les preuves de leur
noblesse dans les regis-
tres du Collège et recevoir
le diplôme, le bouton et
la décoration de la no-
blesse de l'Ordre Aryen
et Seigneurial, doivent en-
voyer leurs renseigne-
ments au bureau de cette
Revue, adressés au Vi-
comte de Fronsac, maré-
chal de blason, "Revue
Franco- Américaine, 197,
rue Notre-Dame Est,
Montréal.
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 375
FITZJAMES COLON DE LA CERDA, DUC DE VERAGUA
Armes : Ecartelé, I et 4 le blason royal du roi Jacques
VII d'Ecosse, contourné d'une bordure componée des lions
et des fleurs de lis ; 2 et 3 en premier, le blason du royaume
de Castille ; en second, celui du royaume de Léon ; en troi-
sième, onde d'azur à un continent et 29 îles d'or; en qua-
trième, d'azur aux 5 ancres d'or, l'écu enté en pointe
à une bande d'azur accompagnée d'un chef de gueules.
Couronne ducale au-dessus de celle d'un seigneur de l'Em-
pire.
LEPAGE DE RIMOUSKI
Armes : D'argent à l'aigle de sable armé, becqué et épe-
ronné de gueules. Couronne seigneuriale.
Histoire : René Lepage, seigneur de Rimouski, né en
1659, fiis de Germain et petit-fils d'Etienne Lepage et de
Nicole Berthelot (N. D. d'Ouenne, Auxtrre), marié en 1686
à Marie M., fille de Pierre Gagnon. Son fils :
Pierre Lepage, sieur de St-Barnabé, né en 1687, marié au
Château-Richer en 1716 à Marie A., fille de François de
Trépagny.
* *
MARTEL DE LA CHENAYE
Armes : D'azur à un marteau d'argent, couronné d'or, en
pal, accompagné d'un croissant du second. Cimier: Un
lion issuant d'argent, couronné d'or. Couronne seigneuriale.
Histoire : Raymond Martel, sieur de la Chenaye, fils de
Pierre et de Jeanne de La Hargue (Clarence, Rayonne), ma-
rié à Batiscan en 1697 à Marie, fille d'Antoine Trottier.
MOREL DE LA DURANTAYE
Armes : D'argent au léopard de gueules. Couronne
seigneuriale.
Histoire : Olivier Morel, sieur de La Durantaye, né en
1644, fi^s de Thomas et d'AUiesse du Haussay (Gaure,
376 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Nantes) marié à Québec en 1670 à Françoise, fille de Denis
Duquel. Son fils :
Olivier Morel, sieur du Haussay, lieutenant, marié à
Montréal en 1696 à Marie T. Guyon.
NAU DE FOSSAMBAULT
Armes : D'azur au lion d'argent, armé et lampassé de
gueules, couronné d'or, tenant en patte dextre une épée
d'argent. Couronne seigneuriale.
Histoire : Jean Nau, seigneur de Fossambault, né en 1642,
fils de Jacques et de Perinne Clavier (Trinité Moscou, Bre-
tagne), marié à Québec en 1661 à Marie, fille de Nicolas
Bonhomme.
NEPVEU DE NORAYE
Armes : De gueules à 6 billettes d'argent au chef du
même. Couronne seigneuriale.
Histoire : Jean Nepveu seigneur de la Noraye, colonel de
milice, né en 1676, fils de Philippe et de Denyse Sylvestre,
marié à Montréal en 1702 à Marie J., fille de Jacques Pas-
sard, et ensuite en 1704 à Françoise, fille de Jean Legras.
NORMAND DE REPENTIGNY
Armes : D'argent au chevron de sinople, accompagné en
chef de 2 croissants et en pointe d'une tête de Maure tor-
tillée d'argent. Couronné seigneuriale.
Histoire : Jean B. Normand, seigneur de Repentigny, né
en 1717, fils de Charles, fils de Joseph, fils de Pierre, marié
(1786) à Marie, fille de J. B. Richaume.
PAYEN DE NOYAU
Armes : D'argent à 3 tours de sable, la première chargée
d'une rose d'or. Devise : "In arduis fortior." Couronne sei-
gneuriale.
LA NATION FRANCO- NORMANDE AU CANADA 377
La Nation Franco-Normande au Canada
Histoire : Pierre Payen, sieur de Noyau, fils de Pierre,
chevalier de Chevoir, et d'Hélène Vivien (Avraiiches), marié
en 1664 à Catherine J., fille de Charles Lemoyne, baron de
Longueuil à Québec.
* *
PILET DE DIJON
Armes : De gueules à 3 javelots d'or accompagnés en
chef d'une colombe du même. Couronne seigneuriale.
Histoire : Guy Pilet, seigneur de la Valle de Dijon, fils
de Jean et de Claudine de la Pierre (Langres), marié à Qué-
bec en 1694 à Louise, fille de Jean Minot.
*
* *
PIRON DU LONG
Armes : D'argent à 3 fasces de gueules accompagnées de
10 molettes du même. Couronne seigneuriale.
Histoire : Pierre Piron, sieur du Long, né en 1636, fils du
Dr Thomas et de Françoise Bajot (Malicorne, Mans), ma-
rié à Québec en 1663 à Jeanne, fille de Mathieu Lorrion.
Etud
e sociale
Montréal est remarquable à plus d'un titre. Admirable-
ment située au pied du Mont-Royal, sur les bords enchan-
teurs du majestueux St-Laurent, pour nous le plus beau
fleuve du monde, notre cité, ^qui s'étend maintenant en
arrière jusqu'à la rivière des Prairies, au cours très rapide,
devrait être d'une salubrité parfaite.
Vous croyez qu'il en devrait être ainsi ? Ah! détrompez-
vous. Le siècle où nous vivons demande des records en
tout genre'. Montréal a le sien : c'est celui par trop macabre
d'une excessive mortalité. On attrape ce que l'on peut. Il
n'en mérite pas moins de ce fait le surnom peu enviable,
mais suffisamment caractéristique, de "Cité de la Mort."
Sa spécialité est la mortalité infantile.
Saturne dévorait ses enfants : Montréal est satisfait de
les voir mourir prématurément. Cela fait moins de bouches
à nourrir. Puis, la nécropole du Mont-Royal est si vaste
Néanmoins les journaux à nouvelles en font mention au
temps de la canicule. On va même parfois jusqu'à parler
de mesures préventives. Mais la statistique ne nous a point
encore révélé l'efficacité du procédé.
Passons sans insister.
•X- -x-
Montréal est la métropole du Canada.
C'est non seulement 1^ plus grande et la plus populeuse
cité de la Puissance, c'en est encore la plus prospère et la
plus riche. On y compte plus de cent millionnaires. Que
pourrait-il lui manquer pour couronner tout cela }
Rien que l'on sache, puisque Montréal est en même temps
la ville la plus malpropre du continent, ce qui n'est pas peu
dire. Finis coronat opiis ; le couronnement est digne
d'une ville qui se distingue également par ses bicoques in-
salubres. Il est aussi à la hauteur du civisme de ses apa-
thiques habitants.
ÉTUDE SOCIALE 379
Sir Guillaume van Horne, au retour d'une excursion à
Cuba, a pu dire récemment que les rues les plus sales de la
Havane ne Tétaient pas autant que celles de la métropole
du Canada.
Le nom de sir Guillaume a été mentionné en rapport
avec la nouvelle Commission des Parcs. Il connaît son
monde et sait que nous prenons surtout les petites choses
au sérieux. Il a jugé le sujet assez important pour nous
parler sans détour. Cela n'aura pas pour effet de nous é-
mouvoir outre mesure; c'est dès maintenant une affaire
classée avec la mortalité infantile, jusqu'à la prochaine ca-
nicule.
Seulement, pour une fois, la grande presse, d'ordinaire si
avide de détails, a omis de nous dire si l'illustre voyageur
avait retroussé ses pantalons avant de descendre du con-
voi. Elle pourra se reprendre lorsque le futur commissaire
mettra la main à la pâte, pardon, à la boue des parcs, et
nous apprendre alors s'il a retroussé ses manches.
Ne poussons pas plus loin la digression.
* *
Montréal est donc une sale ville.
Une partie de la population s'en réjouira. C'est que, en
dehors du corps échevinal, on compte bel et bien cinquante
mille Israélites. Montréal est une nouvelle terre promise
très hospitalière.
Et dans cette bonne ville, toujours pour se distinguer, on
est surtout hospitalier pour les étrangers. C'est une glo-
riole de plus. Comme noblesse oblige, il faut bien faire en
sorte que tout ce monde-là grouille à l'aise, et il est en
effet bien chez lui.
Max O'Rell, qui voyageait autant que sir Guillaume van
Horne, ne connaissait qu'un pays au monde où il n'y a
point de Juifs : l'Ecosse. Par là, il reconnaissait une
certaine supériorité aux Ecossais. L'auteur de "John Bull
et son Ile" serait, tout comme un vulgaire nationaliste, ab-
solument incompris à Montréal.
380 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
On a entendu dire et répéter que, pour plaire aux Hé-
breux, il faut surtout deux choses : de la malpropreté et de
l'argent à amasser. Montréal leur a offert l'une et l'autre
en abondance.
Mais tout cela ne serait plus qu'une légende, que le pre-
mier échevin d'origine juive va faire disparaître. En effet,
M. Blumenthal s'est empressé de se lever pour demander
que l'on étudie les moyens à prendre pour faire disparaître
les masures et les taudis, qu'on^a pris l'habitude de regarder
comme autant de monuments d'un autre âge.
Il ne restera plus à la bénévole population chrétienne de
la métropole, qu'à attendre la récompense qui échoit inévi-
tablement à tous ceux qui ont la bosse de la résignation
par trop développée : un maître !...
*
* *
Nous en avons déjà plusieurs. Au point de vue spirituel,
les Irlandais le sont depuis longtemps.
Ayons le courage de faire un examen de conscience ci-
vique et de nous demander, en rapport avec le sujet qui
nous occupe, si nous sommes bien ce que nous devrions
être. Si nous l'étions, comment ceux qui, dans l'ordre ré-
gulier des choses, devraient plutôt nous être tributaires
seraient-ils nos maîtres .?
On pourrait s'en rendre compte en faisant une inquisition
sur la propreté de chaque groupe. Et si l'on s'enquiert de
ce chef auprès des Canadiens, que répondront-ils } Qu'ils
sont propres, naturellement, grâce à l'activité de leurs mé-
nagères, et ils n'auraient qu'à ouvrir leurs demeures pour
nous en donner la preuve. N'est-ce pas suffisant ?
Cleanliness is next to godliness, disent les Anglais. Sir
Guillaume van Horne, parlant pour eux, nous a librement
fait connaître leur sentiment. Comme toutes les minorités,
ils subissent ce qu'ils ne peuvent empêcher.
Alors voici qui est fort étrange : la majorité de la popu-
lation de Montréal est propre ; elle comprend toute l'impor-
tance de la propreté, elle la pratique intérieurement en toute
circonstance, et elle tolère sans protester que les rues de la
ville soient aussi mal entretenues !
ÉTUDE SOCIALE 381
Pourquoi ne pas afficher au dehors ce qui se pratique au
dedans ? Pourquoi cette anomalie ?...
On a pu croire, et apparemment avec raison, que c'était
par complaisance pour les Juifs. Pouvions-nous autrement
atténuer notre inconséquence ?...
Maintenant tout cela nous échappe. Voilà que le pre-
mier enfant d'Israël que nous faisons entrer à l'Hô-
tel de Ville, fait un geste énergique pour attester qu'il n'en
est rien. Il veut faire disparaître les taudis : c'est un grand
nettoyage. De là à celui des rues il n'y a qu'un pas. Otte
attitude est aussi étonnante qu'imprévue, en ce qu'elle
tend à dégager la responsabilité sémitique.
Le soufflet est rude, mais il nous reste une autre joue.
* *
Ne pourrait-on pas trouver, au sein d'une grande et po-
puleuse cité comme Montréal, des hommes propres à re-
présenter leurs propres concitoyens proprement, en dehors
des tribus d'Israël .?...
D'abord peut-on conséquemment être dans la vie civique
ce qu'on est dans la vie privée .?... Il faut être de bon compte.
Un brave citadin peut bien vouloir que sa maison soit
propre. Peut-il également souffrir que son mandataire
le soit .^.. Qu'adviendrait-il de celui qui, par inexpérience,
oserait pratiquer ouvertement ce que la majorité professe
privément à cet égard?
On ne le sait que trop !...
Il faut bien être de son temps et de sa ville, accepter les
influences malsaines qui surgissent on ne sait d'où, changer
nos coutumes pour accepter les habitudes malpropres de
tous les saligauds dont Montréal est le refuge !...
Ne faut-il pas subir ce qui nous domine ?
Tant que nous avons pu supposer que la malpropreté de
la ville convenait mieux aux Israélites, nous avions un pré-
texte pour l'accepter d'aussi bonne grâce. A présent qu'on
prévoit qu'il en est autrement, allons-nous continuer à nous
la laisser imposer de la même manière .?...
382 LA REVUE FRANCO-AMÉRICIANE
Nous aimons qu'on nous paye de mots. Nous avons trop
souvent préféré la flagornerie et la hâblerie !... Il n'y a que
les gens de bien qui peuvent entendre toute la vérité, et ci-
viquement nous n'y sommes pas. Pour devenir conséquents
avec nous-mêmes, il faudrait cesser d'être veules. Au point
de vue civique, en sommes- nous encore capables } Notre
force d'inertie est bien grande, et notre esprit public bien
étroit !
N'avons-nous pas trop d'engouement pour les sépulcres
blani:his } Nous nous y attachions parfois jusqu'à ce qu'ils
tombent en pièces. On pourrait tout renverser pour main-
tenir tel faiseur au pinacle, mais on ne donnerait pas un
vote pour la sauvegarde d'une prérogative; on ferait une
révolution pour porter un pygmée quelconque, genre Giroux,
sur le pavois, sans prendre la peine de lever un doigt pour
le maintien d'un principe.
Quoi qu'il en soit, les rues de Montréal n'en restent pas
moins sales, plus sales qu'à la Havane. Devons-nous y
voir une marque indélébile de notre moralité civique } "Les
vices d'autrefois sont les moeurs d'auiourd'hui." Cette pa-
role d'un moraliste serait applicable à notre cas.
La consigne est donc d'être malpropre.
En hiver il y aurait moins raison de l'être. Les cendres
y contribuent beaucoup, et le sel bien davantage : il rend
la neige des rues friable et mouvante comme du sable.
Cette neige devient rapidement noire et infecte ; transpor-
tée par les piétons sur les trottoirs, elle les rend visqueux et
dégoûtants au possible.
Cette malpropreté est bien volontaire. Ce ne sont pas
les moyens qui nous manqueront quand il nous plaira de
nous nettoyer. Le jour n'est pas éloigné où les revenus de
la cité de Montréal atteindront dix millions de piastres
annuellement. C'est beaucoup d'argent ! Ne pourrait-on pas
en distraire un peu plus pour la toilette municipale }...
C'est une vérité de La Palice que, pour tenir la ville plus
propre, il faudrait dépenser plus d'argent à cette fin. Mais
ÉCOLE SOCIAL 383
le plus économe de nos échevins connaît trop bien que
l'argent n'est pas fait pour se gaspiller, du moins de cette
façon !... Et puis, en dépit de leur malpropreté, les rues sont
encore passables en voiture automobile.
Comme toujours, les gens à l'aise peuvent s'en tirer.
Quant aux menues classes, les plus nombreuses, partant les
plus responsables du régime, c'est moins facile mais ce
n'est que justice, la justice immanente des choses.
On n'a que les gouvernements qu'on mérite, même en po-
litique municipale.
On ne peut rien faire de plus.
La sagesse dit bien : Aide-toi, le ciel t'aidera. L'incon-
vénient est qu'il faut s'aider. Mais s'il fallait changer l'état
de choses acceptés si bénévolement, ce serait assez pour
dégoûter le premier venu dénué de tout civisme, n'ayant
du zèle que pour le patronage ; assez, disons-nous, pour le
dégoûter à jamais d'être échevin!...
Heureusement que nous ne sommes pas sauvages à ce
point.
D'ailleurs le changement nous gâterait notre cher Mont-
réal, que nous connaissons si bien, et dont le moindre cloa-
que nous est si familier; notre cité si bien boueuse les jours
de pluie, si bien remplie de poussière les jours de soleil !...
Pourrions-nous jamais consentir à voir disparaître tout
cela .?...
Que deviendrons-nous ?
Grand Dieu! n'avons-nous pas déjà assez d'embarras
pour remplacer seulement un contrôleur ?... Jugez donc s'il
fallait faire maison nette! Non, n'ouvrons point cette boîte
de Pandore !...
Mais M. Blumenthal est là !... Qu*arrivera-t-il ?
S&int-Sorlîn.
Corporation Sole
Nos lecteurs ont encore présents à la mémoire les événe-
ments qui se sont déroulés dans l'Etat du Maine, depuis
une couple d'années, autour d'une question singulièrement
épineuse, la tenure des propriétés paroissiales. Le superbe
plaidoyer de maître Dupré devant le comité des lois du
parlement de l'Etat du Maine, leur a montré une situation
rigoureusement exacte, mais étrange à ce point que beau-
coup, même parmi les amis de la cause, ont refusé d'y voir
autre chose qu'une charge irréfléchie, inspirée par des pré-
jugés sans nombre, par une sorte de sentiment aigri par la
lutte sans trêve soutenue par les nôtres sous la verge de fer
de certains évêques de la Nouvelle-Angleterre.
M. Dupré leur a montré comment, sans avis, les catholi-
ques du diocèse de Portland ont été privés des droits les
plus sacrés sur la simple demande de Mgr Healy. Mais
l'Etat du Maine n'a pas été le seul à être affligé d'un%areil
déni de justice, comme il n'est pas le seul, du reste, a pos-
séder le triste honneur de voir des milliers de citoyens
libres livrés à la curée des despotes assimilateurs.
J'ai souvenance qu'en 1903 se produisit un grand émoi
dans le diocèse de Hartford, Connecticut, à la nouvelle que
la législature de l'Etat venait, en changeant le mode d'é-
lection des syndics paroissiaux, de priver les catholiques du
droit d'exercer un certain contrôle sur les deniers contri-
bués au culte. Et, en relisant les lettres de quelques pa-
triotes qui me font l'honneur de m'écrire leurs impressions
sur l'oeuvre de la REVUE, je retrouve une lettre racontant
au long l'histoire de la législation spoliatrice adoptée par
la législature du Connecticut, à la demande de feu l'évêque
Tierney. Cette lettre est un véritable document historique
que je tiens à vous citer en entier. Elle est écrite par un
témoin oculaire, même plus, par un acteur, hélas ! impuis-
sant contre le nombre, dans ce que je peux bien appeler
CORPORATION SOLE 385
ce nouveau drame qui fait, avec tant d'autres, le fond de la
vie des catholiques franco-américains. Lisons ensemble :
" Oui, mon cher ami, j'étais présent à la législature du Connecticut,
en 1903, lorsque fut changé, par une loi, le mode d'élection de nos syndics
paroissiaux. Je me souviens de tout cela comme si c'était arrivé hier ;
c'est même un drame auquel j'ai pris une part active.
" Tu sais qu'avant 1903 le choix des syndics dans le diocèse de Hartford
se faisait de la façon suivante : le curé convoquait une assemblée de pa-
roisse ; cette assemblée choisissait deux membres d'un comité de trois,
dont le curé était membre ex-officio. Ce comité, composé de deux laïques
et du curé, choisissait ensuite à la majorité des voix les deux sgndics de
la paroisse. Ce système causait, paraît-il, quelques ennuis à certains cu-
rés, surtout dans les paroisses mixtes ou dirigées par des curés européens
la plupart ligués avec l'évêque contre les Franco-Américains. C'est pour
cela que Mgr Tierney demand^. et obtint de la législature une loi con-
fiant le choix des syndics au curé, à l'évêque et à son Grand Vicaire.
" Pendant cette session de 1903 j'avais été très occupé avec un collè-
gue, un " good fellow " qui ne disait pas grand'chose et ne faisais pas
davantage, à surveiller certains projets de loi intéressant notre ville. Le
Bill de Mgr Tierney passa à peu près inaperçu à la chambre basse, puis
au sénat qui l'adopta un jeudi.
" Le dimanche suivant, le curé de Putnam annonça en chaire qu'il
n'aurait plus de trouble avec ses paroissiens pour le choix des syndics,
qu'une loi recomment adoptée par la législature venait d'arranger tout
cela. C'était la première nouvelle qu'on en avait dans tout l'Etat. Le
Dr Orner Larue, présent à la messe, arrivait à Hartford le mardi suivant
et nous partîmes tous deux à la recherche des moyens de conjurer ce
danger qui nous arrivait d'une façon aussi inattendue.
" J'appris alors que le fameux bill n'attendait plus que la signature du
gouverneur pour devenir loi. Avec un peu de travail de notre ami le
sénateur Brown, le bill fut rappelé sans opposition par le sénat, tandis
qu'une résolution demandant la même chose était présentée à la chambre
des députés. Immédiatement, quelques bons Irlandais prétendirent que
cette opposition au bill arrivait après coup et que la chambre n'avait pa»
besoin de se déjuger. On fit alors observer aux députés que le bill soule-
vant une très forte opposition qui se serait certainement manifestée à
l'audience si on lui avait donné la publicité convenable ; que, dans tous
les cas, la chambre basse pouvait fort bien suivre l'exemple du sénat qui
venait d'accorder la reconsidération du projet. Cet avis prévalut.
-' Il y eut une nouvelle audience qui permit à un très grand nombre de
nos compatriotes de protester contre une loi qui leur enlevait tout droit
de représentation dans les affaires temporelles de leurs paroisses. Nos
amis invoquèrent le principe connu : No taxation without représenta-
tion, qui avait poussé les jeunes colonies américaines à prendre les aimes
386 LA REVUE FRANX'O-AMÉRICAINE
et ils firent remarquer que le bill était non vSeulement anti-âmérîcain mais
«le n ,ture à causer des torts considérables à l'Eglise elle-métne.
" Une vive polémique fut soulevée dans les journaux. Pour ma part,
je fus l'objet de visites assez anusantes de la part de certains membres du
clergé irlandais. Un d'entre eux qui se disait chargé de />r£^jr^«/z> m'a-
vertit charitablement que si je ne cessais pas de combattre le bill, c'en
était fait de mon avenir politique. Je lui répondis que mon avenir poli-
tique ne devait plus être considéré lorsqu'il s'agissait d'un principe
comme celui que nous défendions. Le bon abbé ne fut pas sati fait de
ma réponse, mais il a tenu parole avec les siens en mettant un terme à
ma carrière politique, ce dont je ne me plains pas du reste.
" Beaucoup de députés dont certains, irlandais dont les intérêts sont
identiques aux nôtres, m'avaient promis avant l'audience de voter contre
le bill de Mgr Tierne3^ Quelle ne fut pas ma surprise à l'audience de les
entendre parler en faveur de la mesure qu'ils avaient promis de combat-
tre. O consisteficy , ihou art ajewel! L'un d'entre eux auquel je de-
mandais des explications me répondait : " Well, you know, we cannot
come out in open opposition to our priest." Ces braves gens préfèrent
abandonner l'Kglise plutôt que de défendre leurs droits contre leurs curés.
Voilà bien une des causes des millions de défections irlandaises dans l'E-
glise des Etats-Unis.
" Voyons maintenant le bill devant la Chambre. Le jour du vote, il y
avait dans la salle des séances un grand nombre de prêtres, tous des Ir-
landais, venus, paraît-il, pour surveiller le vote des députés dont ils n'é-
taient pas sûrs. Un d'enirc eux était assis près de moi et avait à sa
droite un des députés de New London qui m'avait promis de voter contre
le bill et qui vota pour sous l'œil du Révérend Père. Il me disait, après
la^éance, tout bas et dans l'oreille, qu'il n'avait pas pu refuser de voter
pour le bill à son curé parce que ce dernier l'avait marié.
"le comptais faire certaines observations contre le bill devant les dé-
putés. Le président de la chambre, Michael Kennealy, dont l'origine
n'est pas douteuse, décida qu'il n'y aurait pas de discussion. Le bill fut
adopté. Et je t'assure que les curés n'ont plus de trouble ; ils ne consul-
tent même pas, dans certaines paroisses, ceux qu'ils ont choisis, lorsqu'il
s'agit de dépenser des sommes très considérables,
" Et voilà, mon vieux, comment nous fûmes roulés par cette loi qui
nous laisse piller tous les jours pour la plus grande gloire de Dieu !"
" Et puis, t ens, écoute ceci. Puisque je suis en frais de t'écrire, je pro-
fite de l'occasion pour vous féliciter et vous remercier, toi, tes collègues
et collaborateurs de la Revue Franco- Américaine, pour le travail colossal
que vous faites pour la cause nationale. La REVUE est la meilleure pu-
blication française sur le continent américain !
" Vous faites pénétrer la lumière brillante de la vérité à travers lei
menées ténébreuses des assimilateurs. Vous faites de l'histoire, une be-
sogne rare, mais qui est indispensable pour réveiller nos endormis.
l'eau d'alimentation de la ville de MONTRÉAL 387
*' Je te souhaite tout le succès possible, même jusqu'au miracle. Con-
tinuez votre œuvre admirable, nous avons tous les yeux sur vous et la
Revue."
Cette lettre est un peu longue pour être insérée dans une
note, mais je suis certain que le lecteur ne s'en est guère
aperçu. Quant au couplet de la fin, j'avoue y prendre un
plaisir extrême. Au fait, un ami ne peut guère se montrer
plus aimable tout en nous prouvant que nous ne sommes
pas seuls à faire de l'histoire.
J. L. K.-Laflamme
L'eau d'alimentation de la ville de
Montréal
M. A. Blumenthal, récemment élu échevin de fa ville de
Montréal par le quartier Saint-Louis, à une séance du con-
seil municipal, a posé une question du plus haut intérêt et
qui peut se résumer comme suit :
Sait-on qu'il existe à Montréal des taudis infectes, d'une
malpropreté sans nom, qui sont une menace constante pour
la santé publique ?
La ville de Montréal a-t-elle l'intention d'adopter des
règlements supprimant ce déplorable état de choses ?
M. Blumenthal mérite des félicitations pour son civisme
éclairé. Personne ne peut connaître mieux que lui les tau-
dis dangereux pour la santé publique, parce qu'ils se trou-
vent pour la plupart dans le quartier qui l'a élu.
Voilà un échevin que "l'égoïste et basse hantise de la
réélection ne tient pas au cou comme un carcan," dirait
Allombert. Il n'a pas eu peur d'appeler les choses par
leur nom et de dire, indirectement, leur fait à ses com-
mettants. Bravo î
Mais il y a bien autre chose encore qu'un échevin avisé
pourrait demander au Conseil de Ville. Ceci par exemple :
I. Sait-on que la ville de Montréal puise son eau d'ali-
mentation dans le fleuve Saint-Laurent, à Lachine, en aval
du confluent des rivières Saint-Laurent et Ottawa ?
388 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
2. Sait-on que les rivières Saint-Laurent et Ottawa et
leurs affluents servent d'égouts à un immense territoire
couvert de fermes, d'industries de toutes sortes, de villes
considérables ?
3. Sait-on qu'à part Toronto, dont la population est d'en-
viron 450,000 aujourd'hui et qui atteindra bientôt son pe-
tit million, il y a du côté canadien, sur les rives du Saint-
Laurent, d'autres villes considérables dont la population
augmente toujours, entre autres Niagara, Hamilton, Sainte-
Catherine, Belleville, Kingston, Brockville, Cornwall,
Valleyfield, Beauharnois, etc., etc., et nombre de villes du
côté américain; que sur l'Ottawa se trouvent les villes d'Ot-
tawa, de HuU, Hawkesbury, les villages de Buckingham,
Rigaud, Vaudreuil, Ste-Anne, etc., etc. ?
4. Sait-on que les habitants de ces villes et villages ont
les mêmes nécessités que les habitants de Montréal, et que
leurs égouts débouchent dans les rivières Saint-Laurent et
Ottawa, qui ont leur confluent en amont de la prise d'eau
d'alimentation pour la ville de Montréal }
5. Sait-on qu'à part les matières excrémentielles les eaux
de ces rivières charroient une énorme quantité, qui ira tou-
jours en augmentant, d'eaux usées et contaminées par toutes
sortes de manufactures, de tanneries, de tueries, d'abattoirs,
de pulperies, de fabriques de produits chimiques, etc., si-
tués soit sur les rivières Saint-Laurent et Ottawa soit le
long de leurs affluents ainsi que des déchets innommables
en putréfaction ?
6. Sait-on qu'il existe une brochure intitulée : " Report
on the improved water supply for the City of Montréal
made to His Worship the Mayor and the Commissioners of
the City of Montréal, Montréal, Québec, Hering and^FuUer
Consulting engineers, July 2, 1910 .?"
7. Sait-on que ce rapport contient des assertions qui sont
en flagrante contradiction avec celles incontestables d'ex-
perts universellement connus ?
§. Sait-on que ledit rapport contient des chiffres fantai-
sistes qui porteraient à croire que les messieurs qui l'ont
préparé sont ni compétents, ni même sérieux ?
l'eau d'alimentation de la ville de MONTRÉAL 389
9. Sait-on que Teau d^alimentation de la ville de Mont-
réal, à part d'être polluée, est une eau dure et insalubre ?
10. Sait-on que la ville de Montréal est admirablement
située pour avoir un aqueduc par gravitation ?
11. Sait-on que cet aqueduc par gravitation pourrait
fournir une eau pure salubre, douce et pouvant alimen-
ter plusieurs millions d'habitants ?
12. Sait-on que ce système d'aqueduc par gravitation,
pouvant ainsi fournir toute l'eau nécessaire, coûterait,
moins cher à la ville de Montréal que le système de pom-
page actuel ?
13. (Nombre fatidique). Sait-on que la ville de Montréal
détient le record pour la mortalité de ses habitants ?
Et enfin cet échevin avisé pourrait ajouter :
La ville de Montréal a-t-elle l'intention d'adopter une
mesure mettant fin à ce déplorable état de choses, non pas
par l'établissement d'un filtre qui n'enlèverait rien aux
essences déposées dans son eau d'alimentation actuelle par
ses généreux amis d'amont, mais en allant ppiser aux sour-
ces mêmes des rivières, la belle, bonne et vraie eau du bon
Dieu .?
J. A. Lefebvre.
Réponse à M. C. B. . . demandant des renseignements sur la
Malouf Mines Co., Ltd.
Vous me demandez où se trouve la mine Malouf. Veuillez
relire mes chroniques financières sur cette propriété et vous
y verrez qu'elle se trouve en plein domaine minier de
Cobalt.
Jusqu'aujourd'hui il n'a guère été fait que des travaux
d'exploration et voilà pourquoi les actions ne valent que
25cts. L'exploiiation de la mine va commencer au prin-
temps, m'affirme-t-on. Les directeurs sont à choisir le ma-
tériel nécessaire pour conduire l'entreprise à bonne fin.
Toutes les probabilités sont, au dire d'ingénieurs compé-
tents, pour que la mine renferme les mêmes richesses que
ses voisines, assurant ainsi le même avenir, et puisque vous
désiriez vous intéresser à une mine de Cobalt, à ses débuts,
je ne puis que vous recommander celle-ci, que j'étudie de-
puis longtemps et dont je suis la marche avec le plus grand
soin.
Encore une fois, je crois que l'affaire est bonne. En tout
cas, elle est soutenue par des personnalités marquantes du
monde financier et industriel de Montréal.
J. A. L.
*>
Est-ce orientation nouvelle de TEglise ?
L' "Indépendant, de Fall River, Mass., du 2i février 1912
contient la note suivante :
" Le cardinal O'ConneU et Topera de Boston
Les journaux de Boston publient une lettre du cardinal
O'ConneU à M., Eben-D. Jordan, dans laquelle Son Emi-
nence parle de l'intérêt qu'il porte à l'opéra de Boston.
Il en profite pour transmettre à M. Jordan sa contribu-
tion au fonds prélevé dans l'intérêt de cette institution ré-
cemment menacée de banqueroute.
" Ce serait profondément déplorable, écrit-il, si l'opéra
devait cesser d'exister faute d'encouragement."
Les journaux de la métropole ne mentionnent pas le
montant de la souscription de Son Eminence; mais on a
lieu de croire qu'il est important."
Le cardinal irlandais vient de faire un beau geste, n'est-
ce pas? Mécène jouissait d'un immense crédit auprès d'Au-
guste, empereur des Romains, et il s'en servait pour combler
de bienfaits plus d'un " lyreux," mais onques on ne vit
prince de l'Eglise catholique encourager des œuvres comme
"Carmen" la zingara, Mme "Butterfly," "La Juive," "La
Vie de Bohème, Salomé, de Strauss, Pelléas et Méiisande,
etc. Pour du nouveau, en voilà, et dernier genre, encore.
Evidemment il n'y a pas de nécessiteux catholiques dans
l'archidiocèse de Boston. Toutefois — me sera-t-il permis de
le penser, — Son Eminence aurait pu, avant de faire son
chèque, se renseigner auprès de ses suffragants ; là, sans
doute, on aurait trouvé où placer cet argent : il y a si peu
EST-CE ORIENTATION NOUVELLE Dfi l'EOLLSE ? 391
longtemps que Mgr de Portland fermait les portes de Tor-
phélinat franco-américain de Biddeford.
J'ai peut-être tort de trouver le procédé étrange, car Té-
minent cardinal irlandais fera sa part à chacun. Son
peuple est excessivement généreux, si Ton en juge par la
coupure de r "Etoile," de Lowell, Mass., du II décembre
1911, que je me permets de reproduire :
CADEAU PRINCIER
Les Catholiques de l'Archevêché de Boston
offriront $100,000 au Cardinal
Un cadeau en argent qui s'élèvera à $100,000 sera pré-
senté au cardinal O'Connell, à un magnifique'banquet qui
doit lui être offert à l'hôtel Somerset, à Boston, à son re-
tour de Rome, par les catholiques de l'archevêché de Bos-
ton, afin de montrer leur appréciation du grand honneur
qui leur a été fait par l'élévation de leur archevêque au
cardinalat.
Des blancs de souscriptions sont en circulation parmi
les catholiques. Chaque personne qui contribue donne au
moins $100. Un don de $1500 a été fait et plusieurs de
$1000, et d'autres encore plus nombreux de $500.
La Fédération des Sociétés catholiques dirige la cam-
pagne de souscriptions. On a pensé que quelque chose de-
vrait être fait pour montrer l'appréciation de» catholiques
pour l'honneur fait à l'archevêché, et on a décidé de faire
cette offrande au nouveau cardinal.
Un comité s'occupe de la chose depuis deux semaines, et
les chefs des différentes sociétés catholiques furent invités
à y participer.
Depuis ce temps-là, plusieurs blancs de souscriptions cir-
culent. Malgré qu'il n'y ait pas encore eu d'assemblée du
comité général, pour établir les comptes, on croit qu'on
n'est pas loin des $100,000.
*
* *
N'insistez pas, c'est inutile
On écrit de Providence, R. I. (l) que les évêques de l'ar-
(1) "Le Messager," de Lewiston, 21 février 1912.
392 LA REVUE FRANCO- AMJÉRIC AINE
chidiocèse de Milwaukee viennent de publier une lettre
collective lue au prône dans toutes les églises, dimanche,
le l8 février, au sujet des Polonais catholiques qui deman-
dent à Rome un épiscopat polonais.
Il y aune trentaine d'années, les Allemands obtinrent de
Rome, malgré les prétentions, les exigences des prélats ir-
landais des Etats-Unis, le cardinal ^Gibbons en tête, la
nomination d'évêques de leur race.
Aujourd'hui les Polonais, tout comme les Allemands
d'autrefois, veulent que leurs groupes ethniques soient re-
connus et honorés par Rome.
Inutile de rappeler que les deux races ne s'aiment pas et
que les Polonais n'ont pas à craindre l'arrivée de Guillaume
et de ses Teutons. Aussi l'on se bat ferme et les prélats
allemands, Mgr Messm.er, archevêque de Milwaukee, Mgr
Schwebach, de la Crosse, Mgr Els, de Marquette, Mgr Shin-
ner, de Superior, etc., n'ont-ils rien trouvé de mieux que de
condamner deux journaux pour leur nationalisme et une so-
ciété nationale polonaise pour la défense de leurs droits.
La lettre de Providence qui sent son irlandais d'ici,
prend prétexte pour ajouter :
"Dans tous les cas, cette agitation partielle et ces violen-
ces de langage ne font jamais bonne impression à Rome,
et ce n'est que de Rome que l'on pourra obtenir des résul-
tats durable^
" Pendant que l'on verse des torrents d'éloquence et des
flots de littérature dans nos assemblées, nos fêtes et nos
journaux, les autres, dans le silence et la tranquillité, en-
voient mémoires et statistiques, cadeaux et protestations
de soumission à Rome, et leur travail, quoique moins
bruyant, est bien plus efficace.
" Aujourd'hui, si nous voulons nous faire entendre à Rome
et obtenir ce que nous demandons, il faut aller lentement,
suivre le canal ordinaire, fonder nos réclamations sur des
faits et des chiffres."
Vous avez bien lu " envoient mémoires et statisques (on
" aurait pu ajouter, " secrets," mensonger, perfides), cadeaux
" et protestations de soumission à Rome, etc.," et enfin
EST-CE ORIENTATION NOUVELLE DE l'EGLISE 393
^' cette lettre conseille de "suivre le canal ordinaire." Nous
le connaissons bien ce canal ordinaire, et celui gui donne
le conseil de le suivre sait lui aussi parfaitement à quoi s'en
tenir. Il semble ne pas avoir de débouché pour nous, les
Français d'Amérique. Il y a une écluse qui ne s'ouvre pas
quand nos nautoniers veulent faire parvenir au port nos mé-
moire sefstatistiques publics, nos protestations de soumis-
sion, réclamations appuyées par des faits et des chiffres réels
Quant à nos cadeaux
L'éclusier qui garde actuellement le bassin intérieur où
aboutit le canal, trouve, paraît-il, que ces nautoniers n'ont
pas assez d'expérience, qu'ils sont trop jeunes, qu'ils sont
trop petits et d'avance ils sont condamnés à toujours être
petits, puisqu'aucun d'eux ne peut dire avec la chanson. " Il
grandira car il est espagnol."
* *
*
Les pieds dans les plats
"Le Patriote" de Duck Lake, du 15 février 1912, publie :
De quoi se mêle-t-il?
Le"Tablet, de Londres, au dire de l'impartiale revue
" America," fut " autrefois " une publication catholique
respectable."
Depuis une vingtaine de mois toutefois, c'est-à-dire de-
puis qu'il s'occupe des questions canadiennes, — celles de
l'Ouest surtout — avec la savante compétence d'un rustaud
malappris, il a commis plus de bourdes qu'il ne suffit à
mériter la note sévère qu'on lui applique, très justement,
dans tous les milieux impartiaux où la doctrine tapageuse
de Joe Chamberlain n'est pas érigée sottement à la hau-
teur d'un dogme catholique.
La dernière gaffe du "Tablet " a trait à la brûlante ques-
tion des écoles dans les territoires qui seront prochaine-
ment annexés au Manitoba. Voici ses paroles que l'on ne
s'étonnerait pas de rencontrer dans un journal orangiste,
mais qui détonnent singulièrement dans une feuille catho-
lique, qui passe, à tort ou à raison pour être l'organe du
394 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
cardinal Bourne : " Sur ce point (l'extension des frontières
manitobaines) on ne voit pas bien où pourrait se trouver la
difficulté. Si le Manitoba élargit ses frontières, son système
actuel d'éducation devrait certainement s'étendre au nou-
veau territoire."
Et voilà comment le "Tablet," avec un cynisme écœu-
rant, serait prêt d'un trait de plume à supprimer les droits
catholiques.
La "Tablet vient donc de commettre de nouvelles gaffes.
Dans sa haine du français, il vient de se rendre coupable
d'une criante injustice pour les nôtres. Il semble même se
réjouir de constater que les catholiques seront privés de
leurs droits dans l'hypothèse de l'extension des limites du
Manitoba. Nous signalons tout cet article à l'attention de
Mgr Sbarretti à Rome. Nous savons que Sa Grandeur s'in-
téresse vivement à notre REVUE. Nous la supplions hum-
blement de prendre le " Tablet " et de le porter à la Con-
sistoriale ou à Son Eminence le Secrétaire d'Etat, et d'em-
ployer toute son influence pour faire donner une verte se-
monce à cet organe qui se mêle des choses canadiennes, au
détriment de la foi catholique et des intérêts de la race
française, qui ne veut pas mourir.
Michel Renouf.
Il manque une clause à la loi électorale
de M. Gouin
Le suffrage universel est pratiquement établi dans la
province de Québec par la nouvelle loi amendant la loi
électorale.
Cette loi établit que tout homme gagnant $10 par mois
est électeur. Elle accorde donc le droit de vote à tous les
hommes de la province, exception faite des fainéants et
des vagabonds, sans moyen d'existence connu.
Le vote plural qui existait dans la Province depuis le
temps de l'administration coloniale disparait.
Par cette loi l'évaluation de la propriété donnant droit
IL MANQUE UNE CLAUSE A LA LOI ELETORALE DE M. GOUIN 895
de vote n'est pas nécessaire. Si un père prouve qu'il est
propriétaire, fermier, locataire ou sous-locataire, quelle que
soit la valeur de la propriété, il aura droit de vote, et, avec
lui, ses fils l'auront également. Elle prévoit le cas des pe-
tits-fils demeurant avec leur grand père. Le droit de voter
est accordé aux prêtres, aux professeurs, aux instituteurs,
sur leur titre professionnel, et rien de plus.
La loi prévoit que la loi viendra en vigueur le premier
mars 1913. Ce délai est nécessaire à la confection des
nouvelles listes électorales.
Une clause spéciale établit le principe qu'un électeur n'a
droit de voter qu'une seule fois dans une élection. Il doit
voter dans la division électorale où il a domicile.
Si j'étais député je proposerais une autre clause spéciale
qui serait la suivante :
Le vote sera obligatoire. Tout électeur négligeant ou refu-
sant d'exercer son vote dans une élection sera condamné à
cinq piastres d'amende, pour la première offense et sera
privé de son droit d'électeur pendant dix ans pour chaque
offense subséquente. Toutefois cette clause ne s'appli-
quera pas à l'électeur malade pouvant fournir un certificat
de médecin, ni à celui qui sera, le jour de la votation, à une
distance d'au moins vingt milles du lieu où il doit exercer
son vote.
Cette clause tuerait du coup l'exploitation éhontée du
partisan " convaincu," ce partisan " ardent " et presque
"violent^' qui ne voterait jamais contre son parti — bleu,
blanc ou rouge — mais qui exige, ou sinon il restera chez
lui le jour de la votation : l° qu'on le trimbale de paroisse
en paroisse, chaque fois qu'il y a une assemblée publique;
2^ qu'on le bourre de fruits, lui et ses enfants; 3^ qu'on lui
emplisse ses poches de cigares; 4° qu'on le régale de li-
queurs de toutes sortes, pendant au moins trois semaines
ou un mois, et enfin 5° qu'on lui paie, pour lui et son "che-
val," la journée qu'il perd pour se rendre au bureau de vo-
tation.
En un mot, dans certains comtés, chaque partisan con-
vaincu coûte au malheureux candidat — sans compter les
396 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
ennuis d'une promiscuité énervante — de dix à vingt pias-
tres. Beaucoup plus que celui qui se vend carrément.
Voilà ce que l'on a fait de l'électorat dans certains coins
du pays. C'est la faute des "politiciens."
Ils sont pourtant capables de réparer une partie du mal
qu'ils ont fait, et le moyen c'est de rendre le vote obliga-
toire. Et, quand ils se présenteront devant ce peuple
qu' "ils aiment tant" ils pourront toujours avoir la conso-
lation de se dire en pensant à leurs^partisans " convaincus :
Vous autres, mes vieux, j'ai fini de vous gaver et de me
ruiner pour vous, faites votre devoir de citoyen ou sinon
l'amende ou la déqualification.
Ch&rles Bourg[ouin.
Correspondance
Nous avons reçu la lettre suivante :
Mon cher administrateur,
Penuettez-moi de contribuer au succès de votre œuvre en vous en-
voyant les dix dollars ci-inclus. Prière de ne pas mentionner mon nom.
Vous savez pourquoi. Continuez votre campagne donnez des coups
tant que vous pourrez, car autrement vous en recevrez et par le temps
qui court, et pour nous Canadiens-Français, il vaut mieux, je crois, don-
ner que recevoir. lyaissez les disciples de Jérémie dans leur coin et con-
duisez les autres, ceux qui ont du cœur, conduisez-les au feu. Vous
recevrez des œufs pourris, des crachats, même du dedans, mais vous
ferez votre devoir et peu importe le reste.
Merci pour les dix dollars. Quant aux crachats et aux
œufs pourris, n'ayez crainte, si jamais ils nous atteignaient,
on s'apercevrait que nous avons mis de côté la doctrine
du... "présentez l'autre joue." Les petites intrigues du de-
dans nous laissent froid.
Quelle lutte pourrait-on faire et avec quels résultats !... si
nous avions un millier de patriotes, comme vous, qui sau-
raient de temps en temps mettre la main à la roue, envoyer
quelques dollars.
Merci pour votre encouragement.
L'Administrateur.
" La vraie presse catholique" — " Il vaut
mieux commettre des erreurs que de
subir Tesclavage ''
Feu Martin I. J. Griffin, dont Thabileté et Thonnêtet?
sont si généralement et si hautement proclamées par toute
la presse catholique, écrivit, peu de temps avant sa mort, (l)
un article sur le sujet tant débattu de la "vraie presse ca-
tholique." Cet article posthume est publié dans le numéro
de janvier des " American Catholic Historical Researches
(pp. 36 39).
M. Griffin était le doyen de la presse catholique améri-
caine, un écrivain sans peur, plein de franchise, et ces dé-
tails, rapprochés du fait qu'il est passé là-haut recevoir
sa récompense, ajoutent encore plus de poids aux opinions
qu'il exprime sur le sujet que nous étudions.
Son article est trop long pour être reproduit en entier,
mais nous croyons qu'il est de notre devoir d'en reproduire
les principaux passages :
" La " vraie presse catholique," d'après l'abbé Toomey,(2)
n'est pas établie par des individus, laïques ou clercs, mais
par les évêques — à titre d'organes officiels — ayant à cause
de cela l'Eglise derrière eux — parlant d'autorité — et de ce
fait " portant l'avenir du journalisme catholique."
" Pas du tout, M. l'abbé. Une des raisons pour lesquelles
nos gens n'accordent pas un encouragement généreux
aux journaux qui sont des "organes officiels," c'est qu'ils
supposent que ces journaux ne sont pas libres, qu'ils ne
doivent pas parler autrement qu'on leur permet de le faire,
ou qu'ils ont toujours dans l'idée qu'un prélat a les yeux
rivés sur le rédacteur, ou que le prélat pousse du coude ce-
lui qui écrit.
(i) Voir Review, vol. XVIII, No 23, pp. 690 suiv.
(2) Voir Review, vol. XVIII, No 18, pp. 518, suiv. 624, 647.
398 LÀ REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
" De notre temps, les "organes officiels " ne réussissent
pas mieux que les journaux non revêtus de cette sanction.
On a porté à ma connaissance le cas d'un journal dont Tin-
succès était dû, au dire même de son rédacteur-propriétaire,
au fait qu'il était un "organe officiel" — un fait qui " l'a
tué," c'est l'expression dont il s'est servi. Les gens lui ont
refusé leur patronage parce que c'était l'organe de l'évêque.
Cependant, l'éditeur qui avait placé de l'argent dans l'en-
treprise a fait une perte considérable. Les gens aimaient
l'évêque mais pas sa i)olitique. Voyez !
" Si une vaste majorité " de notre peuple a " été avertie "
de la nécessité d'une presse et n'^ pas été " plus empressée
à reconnaître" sa puissance, même lorsque des évêques et
des prêtres l'ont pressé de le faire, pensez-vous que ce
même peuple sera plus " prompt " à accepter un journal
parce que fondé ou possédé par un évêque, à moins que ce
dernier ne force presque ses prêtres à l'imposer à leurs
ouailles }
" Oh, non ! Les lecteurs catholiques ne sont pas attirés
par cette dénomination " d'organe officiel." Ce titre est un
appas pour la réclame commerciale protestante. Il ne gagne
pas les annonceurs catholiques mieux avisés. Les efforts
que l'on fait, mêm^ de nos jours, pour quasi forcer nos
gens à recevoir les journaux fondés par des évêques ne
sont pas couronnés de succès...
"Un journal revêtu de l'approbation épiscopale peut
être un journal "vraiment catholique," mais cette approba-
tion n'est pas une condition essentielle pour qu'il soit " vé-
ritablement catholique." Le problème. . . c'est de trouver
des gens qui lisent nos journaux. Les lecteurs ne peuvent
pas être attirés par une "approbation épiscopale" ni par
un journal possédé par un évêque ou reconnu comme
" journal diocésain." Le fait qu'il est un " organe officiel "
en fait simplement un porte- voix ou lie la langue à l'expres-
sion de ses idées, de telle sorte qu'il se trouve disqualifié
auprès des laïques intelligents.
" L'opinion personnelle d'un rédacteur n'a pas besoin de
s'écarter du " point de vue catholique " dans un journal qui
est la propriété d'un particulier. Pas plus que dans le jour-
nal d'un évêque une assertion ne devient pas nécessaire-
ment autre chose que V "opinion personnelle du rédacteur,"
parce que souvent les journaux "approuvés" ont des opi-
nions très divergentes au "point de vue catholique " sur les
"questions du jour,"
" Plutôt des erreurs que l'esclavage " a dit l'archevêque
LA VRAIE PRESSE CATHOLIQUE 399
Ryan dans le sermon qu'il a prononcé au jubilé de la
fondation du Siège de Baltimore en 1889, et en se faisant
l'avocat de la liberté des articles de rédaction.. .
" Les évêques ont eu du trouble avec les "organes offi-
ciels.'' Une presse "vraiment catholique" est une presse
libre — la vérité rend libre. S'il ne tient pas qu'à garder sa
situation, un rédacteur s'éraille s'il n'est pas libre et n'ayant
que Dieu et sa conscience comme censeurs de sa pensée.
" Plutôt des erreurs que l'esclavage."
Si M. Griffin a été vraiment un grand journaliste, c'est
qu'il a été honnête et sans peur et qu'il a trouvé les moyens
de créer des organes dans lesquels il a pu exprimer ses
opinions librement. S'il avait été forcé, pour garder une
situation, de se vendre dans une sorte "d'esclavage" intel-
lectuel, il serait mort sans que l'on honore et chante sa mé-
moire, et la grande somme de bien qu'il a accomplie serait
restée, pour une large pan, inaccomplie. " Plutôt des er-
reurs que l'esclavage !"
Donnez-nous une presse catholique libre et sans entraves,
des évêques de la trempe de l'immortel Ketteler pour en-
courager le peuple à la lutte et l'encourager, et la vérité et
la justice triompheront.
Arthur Preuss.
Traduit de "The Catholic Fortnightly Review," Techny,
Ills — Vol. XIX p. 100 et suiv.
Les deux Filles de Maître Bienaimé
(SCENES N ORIV^ AN DES)
PAR
Marie Le Mière
(Suite)
Pourtant, un coup de lumière, et le tableau devenait féeri-
que : le noir et le gris s'évanouissaient dans un ruissellement
de pierreries pâles, une magie de couleurs tendres et de rayons
fondus. Souvent, au coucher du soleil, le marais se chan-
geait en un lac d'or, glacé de mauve, de bleu, de rose ; les
bois lointains, les villages posés au bord de l'eau, les barriè-
res et les poteaux demi-émergés prenaient une teinte légère
et chaude ; les bouquets d'arbres dépouillés, dressés comme
des îlots au milieu de l'étendue calme, avaient tant de finesse
aérienne qu'on eût cru les voir flotter.
Mais qu'importait à Léa toute cette poésie simple, tran-
quille et grande ? Elle ne rêvait que de Paris, Paris, Paris !
Là-bas, on ne sentait pas le froid; on n'entendait ni le vent,
ni la pluie; pendant qu'à la ferme, les vaches, rentrées aux
étables, mugissaient longuement dans le soir, que les sabots
clapotaient parmi les flaques, dans la cour boueuse, la gran-
de cité resplendissait, les équipages roulaient dans l'étincelle-
ment des magasins de merveilles, la foule se pressait vers les
théâtres. C'étaient, de toutes parts, des accords d'orchestre i
des bruissements de soie, des visions d'élégance ; c'était le
torrent de vie ardente,tourbillonnante, où il doit faire bon se
plonger, se griser !..
Le docteur, soupçonnant la vérité, et n'osant la crier tout
haut, de peur de déchaîner un orage, répétait sans cesse :
LES DEUX FILLES DE MAiTllE BIENAIMÉ 401
— Il faut absolument vous remonter le moral, Mademoi-
selle et vaincre votre dégoût pour la nourriture ! Prenez gar-
de ! à votre âge on ne joue pas impunément avec sa santé
si vous alliez tomber dangereusement malade !
Une fois, elle répondit en un rire étrange :
— Tant mieux !
En entendant de pareilles divagations, le fermier serrait
les poings, et finissait par sortir. Ah ! ce n'était guère le mo-
ment de parler de mariage, de transmettre une proposition
sérieuse ; vingt fois déjà il avait ouvert la bouche pour pro-
noncer le nom de Louis Chaumel ; vingt fois il avait reculé
devant la confidence, car, sans se l'avouer, le malheureux a-
vait peur... Oui, peur d'un coup qui jetterait à bas sa conso-
lation et son espoir suprêmes !
Or, un beau jour, Léa se lassa de ce régime et de cette
claustration; à la stupeur générale, elle se leva vers huit heu-
res, accepta ce qu'on lui servit; Maître Bienaimé, assailli par
mille pensées bizarres, l'accueillit d'un air soupçconneux. Elle
voulait sortir au plus tôt, car elle avait son plan : il s'agissait
de trouver un nouvel intermédiaire pour sa correspondance
avec Amélie ! Sa conscience avait beau protester contre ce
mépris, si coupable, des ordres paternels, Léa n'écoutait plue;
elle allait, emportée comme un fétu saisi par un tourbillon !
Mlle Brissot ignorait complètement si son père avait écrit
à Mme Lagarde. Elle le saurait ; elle confierait à sa tante
qu'elle était résolue à en finir, et surtout, surtout, elle en-
tendrait parler encore de ce Roger dont le souvenir ne la
quittait plus !
Oh ! devenir une dame de Paris! épouser un être charmant
qui serait toujours à ses genoux, épiant ses moindres désirs
pour les satisfaire ! se promener fièrement à son bras le lono-
des boulevards étincelants, écouter les choses fines, flatteuses
que seul il savait murmurer et qui faisaient délicieusement sou-
rire ! Etre choyée, idolâtrée, par la tante Amélie ! Vivre dans
un enchantement et dans un triomphe perpétuels !
402 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
En attendant, elle s'autorisait de vagues paroles, arrachées
au médecin, pour mener l'existence la plus vide et la plus
fantasque; quand il faisait beau, elle errait à l'aventure le
long des chemins, et les gens du pays avaient peine à la re-
connaître ! On ne soumet point, sans dommage, son tempéra-
ment à une épreuve comme celle que Léa venait d'imposer au
sien ; ses joues prenaient la matité de l'ivoire, ses orbites se
cernaient largement, son profil mutin s'allongeait, et, ce qui
*était pis, la folle du logis régnait en souveraine sur cet orga-
nisme énervé outre mesure ! A la Closerie, i'air sentait la
tempête : Brissot ne pouvait plus se le dissimuler : sa fille le
ibravait absolument, et une telle situation n'est pas de celle
qui durent...
Par un après midi de pluie et de vent, Mathilde, qui triait
du linge, entendit s'élever du cabinet voisin les voix irritées
de son père et de sa soeur.
Non, c'est inutile, déclarait Léa d'un ton préremptoire ;
il y a des choses qu'on ne m© fera pas faire maintenant !
Qui est-ce qui commande ici ! clama le fermier, assénant
un coup de poing sur la table.
Seio-neur Jésus ! soupira Mathilde, en se relevant aussi
blanche que le linge entassé autour d'elle.
Mais la jeune révoltée répliquait, le verbe haut :
— A l'impossible nul n'est tenu !
L'impossible ! abreuver des veaux de huit jours ! Voilà
qui est dur et fatigant, n'est-ce pas ? Tu es donc devenue une
propre à rien ?
Vous le dites; je ne suis propre à rien ici, parce que ce
n'est pas ma place; j'y suis malade, j'y mourrais, je ne veux
pas y rester et je n'y resterai pas !
Brissot se leva et, tendant le cou, penchant le buste au-
dessus de la table qui craquait sous la pression de ses mains
— Où iras-tu ? proféra-t-il.
— Cela me regarde.
— Et de quoi vivras tu ?
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENATMÉ 403
— Je ne suis pas "sans rien !"
— Tu n'as pas un sou à l'heure qu'il est ! Tu es mineure, et
c'est moi qui dispose de tout, tu entends!
La petite tête orgueilleuse se redressa.
— J'ai les clos que ma marraine m'a donnés pour ma dot !
— Alors tu prétends te marier ! articula Briasot d'une voix
rauque.
— C'est mon affaire.
De pourpre, il devint pâle, d'une pâleur terreuse... Non, il
ne méritait pas d'être ainsi traité par sa fille ! Le respect filial
est toujours une obligation sacrée, même à l'égard des parentt
indignes, et, à plus forte raison, à l'égard d'un homme tel que
Brissot. Si, comme beaucoup de paysans, il ignorait les ten-
dresses de langage et les démonstrations affectueuses, si son
humeur se ressentait souvent de ses chagrins, il n'en était
pas moins un bon père, veillant jalousement sur le bien-être
de ses enfants ; pour eux il avait peiné, sué sang et eau. . Il
ne sut plus se contenir !
— Et si je te mettais dehors tout de suite, à la minute, s'é-
cria-t-il, comment t'y prendrais-tu ? qu'est-ce que tu devien-
drais ?
Elle eut un rire strident, nerveux, et s'échappa, telle qu'elle
était, avec ses pantoufles, son peignoir rouge et son tablier
rose. Cette fois, le fermier n'essaya pas de la retenir ; ses
jambes vacillaient, et il s'écroula, comme assommé, sur une
chaise. .
Elle était déjà loin, dans la campagne : elle marchait, mar-
chait, convulsivement raidie, en proie à une sorte de désespoir,
mêlé d'une farouche résolution.
— Ah ! on verra, murmurait-elle entre ses dents, on verra
qui de nous deux. .
Bientôt, l'eau boueuse qui remplissait les ornières eut im-
prégné les minces chaussures de Léa ; une averse nouvelle
surprit la jeune fille au haut de la côte, mais elle éprouvait
404 LA REVUE FRANCO-AMÉRICIANE
je ne sais quelle sombre joie à sentir les énormes gouttes ruis-
seler sur son cou, inonder son front, transpercer sa robe.
— Tant mieux si je suis mouillée ! pensait-elle ; tant mieux
si j'ai du mal ! Je voudrais tomber là !. . Il faut que cela
finisse d'une façon ou d'une autre !
Inconsciemment, elle tourna sur la droite ; elle avait les
membres glacés et la tête en feu ; à travers le voile blond de
ses mèches voletantes, et le voile gris de la pluie poussée par
masses, le paysage échevelé lui paraissait irréel. Mais, comme
l'ondée redoublait de fureur, elle frissonna et chercha instinc-
tivement un abri.
Au bout de deux minutes, elle aperçut, au bord du chemin
chargé de pierres, un hangar étroit, et se glissa précipitam-
ment sous la toiture de chaume, simplement soutenue par des
piliers de maçonnerie. La bise rageait, le courant d'air était
violent, et Léa rabattit sur sa tête un pan de son tablier.
— . . Vous ! vous ici ! . .
Au son de cette voix, elle tressaille, écarte ses cheveux, et
fixe devant elle un regard insensé. . Un visage connu lui ap-
paraît comme dans un brouillard, un visage anxieux qui se
penche vers le sien.
— Dans quel état, mon Dieu ! et qu'est-ce que vous faites
là, pauvre petite ! reprend Louis Chaumel.
— C'est vrai, murmure Léa, je suis un peu trempée. -
— Un peu. . exclame-t-il, examinant la figure tirée. Mais
vous ne pouvez pas rester comme cela ! vous risquez de vous
tuer.
Elle se tut, pendant qu'il continuait de l'observer avec une
commisération profonde, n'osant la questionner davantage,
mais sachant bien qu'il n'allait pas la laisser là, grelottante et
transie, comme un pauvre oiselet surpris par la tourmente.
— Vous ne reconnaissez donc plus la Haie-d'Epine ? fit-il,
guidant Léa vers l'autre extrémité du hangar, et lui montrant
les toits des écuries.
— Non, je ne savais pas où j 'étais, répondit-elle d'un accent
bizarre, je ne savais pas du tout. .
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 405
— Entrez bien vite chez nous, reprit Louis ; ma mère y est.
Un bon feu et une tasse de café vous réchaufferont . . Excu-
sez ma tenue : je viens d'aider mes gens à finir 1 epandagc.
Par un temps pareil, il ne fait pas bon s'éterniser dehors.
. . Quelques minutes après, sans trop savoir comment, Léa
se trouvait dans la grande salle où, tant de fois elle avait
joué avec Berthe. Pelotonnée au coin de l'âtre flambant,
dans un vieux fauteuil de velours d'Utrecht, elle legardait sa
robe, d'où s'exhalait une buée, et buvait à petits coups dans
une tasse de porcelaine de café que Mme Chaumel venait de
lui apporter.
Là régnait une atmosphère de bien-être, de dignité, de vie
large et simple ; on sentait, dans les détails, un certain souci
de confort inconnu à la Closerie. Une paix immense tombait
des lambris de chêne, des rideaux verts aux plis raides, aux
franges garnies de boules, de quelques gravures évidemment
choisies par un goût délicat, et surtout du Christ ancien,
étendant au-dessus du foyer ses bras qui bénissent et qui
protègent.
Léa remercia en rendant la tasse, et fit un mouvement.
— Ne t'en va pas encore, ma fille, dit Mme Chaumel ;
prends le temps de te sécher comme il faut.
Elle s'éloigna, soupirant imperceptiblement. . On l'enten-
dit, par la porte restée ouverte, aller et venir dans la pièce
contiguë. La fille du fermier, prise d'engourdissement, avait
fermé les yeux. En relevant les paupières, elle aperçut Louis
devant elle. Il avait changé de vêtements ; debout à deux
pas, il la regardait, une lumière intense sur le visage. '
— Léa, dit-il avec une douceur respectueuse, infinie, votre
père ne vous a pas encore parlé de . . de mes idées ?
Très surprise, elle se tendit un peu en avant.
— Je vois que non, poursuivit le jeune cultivateur ; en tout
cas, il m'a permis de vous en parler moi-même, à l'occasion.
Cela ne peut pas vous oftenser, vous me connaissez bien, et
depuis si longtemps ! Léa. . reprit-il très ému, en s'inclinant
406 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
vers elle, je suis trop heureux de vous voir ici . . Dites-moi
que vous voudrez bien y entrer un jour. . en maîtresse. .
votre main dans la mienne.
Les sourcils haussés, les lèvres entr'ouvertes, elle écoutait
avec stupeur.
— Votre femme ! s'écria-t-elle. Vous me demandez de de-
venir votre femme ?
— Oui, Léa, je vous le demande, avec le consentement de
votre père, et devant le bon Dieu qui nous voit . .
— Pas cela, pas cela, je vous en prie ! interrompit- elle en
l'arrêtant du geste.
— Vous dites ?
— C'est impossible, mon pauvre Louis, il n'y a rien de com-
mun entre nous. .
11 la fixait d'un œil étrange et comme vide. . Le coup avait
été si étourdissant, que, d'abord, il n'en sentit pas la douleur.
— Tout nous est commun, au contraire ! exclama-t-il. La
race, le pays, les traditions, les habitudes. . Qu'est-ce que vous
me dites donc ? Qu'est-ce que vous avez ? Remettez-vous,
Léa ; je vous ai prise à l'improviste... j'ai eu tort, peut-être ;
mais vous me permettrez bien de vous expliquer. . .
— Non, non, c'est inutile ! repartit-elle, en se baissant vers
la flamme qui courait et sifflait parmi les bûches ; vous me
parlez de traditions, vous n'avez que le "passé à la bouche...
On ne vit pas pour le passé : on vit pour l'avenir. Il faut
que je voie le monde, à la fln ! J'en ai assez d'être enfermée à
Clairville ; j'ai trop souffert chez nous pour vouloir, en me
mariant, recommencer la même vie ! Je ne Hie marierai que
pour sortir de là !
Le front de Louis se décolorait de seconde en seconde, ses
doigts se crispaient sur le marbre de la cheminée.
— Mais vous ne comprenez pas, Léa ; vous ne comprenez
pas...
Il ne trouvait que cela sur ses lèvres, et répétait sans fin,
avec un peu d'égarement, les pauvres paroles, tandis que, le
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 407
bras à l'accoudoir et la main à la joue, elle présentait au jeune
homme un profil durci, aux arêtes accusées par le vif rayon-
nement du feu. L'idée que son père et Louis s'étaient mis
d'accord pour la faire céder, causait à la jeune fille une irrita-
tion singulière.
— Mais je vous aime, Léa ! repiit-il dans un élan ; je veux
vous rendre heureuse ! Le bonheur, ce n'est pas l'éclat, ni le
luxe, ni l'amusement ; vous valez mieux que cela ; vous sen-
tez bien, allons, que vous êtes faite pour une existence plus
sérieuse, plus utile.
— Je ne suis pas faite pour l'esclavage, répliqua-t-elle, tour-
mentant nerveusement sa petite bague d'argent ; et je sais
qu'une femme, dans la culture, est une esclave et rien de
plus !
Elle était trop excitée pour mesurer la portée de ses mots,
trop influencée par une autre image pour sentir, désormais, le
charme, la valeur, la distinction réelle de l'être simple et fort
qui' lui tendait la main.
— Oh ! s'écria Louis d'une voix étranglée, connue vous êtes
injuste !
Vivait-il réellement cette scène inouïe ? Non cela ne se
pouvait pas... Cette petite créature orgueilleuse, révoltée, à
l'âme désespérément creuse et frivole, non, non, ce n'était pas
elle... Et cet homme qui se tenait là, confondu, en proie à la
déception la plus sanglante et à la souffrance la plus immé-
ritée, non, non, ce n'était pas lui !
— Une esclave ! poursuivit- il sourdement ; est-ce ainsi que
votre père a traité votre mère, que mon père, à moi, a. traité
la mienne ? Si vous me croyez capable de jouer un rôle de
tyran... vous méjugez bien mal, ma pauvre enfant, et vous
me connaissez bien peu....
A cet accent, elle releva la tête, prenant' à demi conscience
du mal qu'elle lui infligeait, vaguement troublée par la révé-
lation de cet amour dont elle ne pénétrait pas l'essence et
dont elle n'était pas digne.
408 LA REVUE FRANCO -ÀNCéRIOAINE
— 11 ne faudrait pas vous chagriner à cause de moi, niur-
mura-t-elle.
— C'est que vous me dites des choses, aujourd'hui... répon-
dit Louis Chaumel avec un douloureux sourire. A^ous me
déconcertez, je ne sais plus où j'en suis.
Et son regard ajoutait, suppliant :
— Par pitié, montrez-vous sous un autre a.spect... Eveillez-
moi du rêve cruel que je fais.
— -Voyez- vous, prononça-t-elle avec emphase, ce n'est pas
ma faute : je ne puis pas supporter la vie terre-à-terre...
Lo jeune homme bondit :
— Moi non plus, Léa ! déclara-t-il avec force ; je veux m'é-
lever, et il faut absolument que je vous emporte avec moi..
Allons, soyez bonne, soyez vous. Ce qui fait la noblesse
d'une existence, c'est le but poursuivi, ce sont les pensées, les
sentiments, vous le savez bien, au fond, dit-il en s'asse^^ant
près d'elle, et en s'emparant de la petite main qui reposait
sur l'accoudoir... Vous voilà plus calme... Ne me répondez pas...
Ecoutez-moi seulement. Vous verrez comme notre vie sera
belle, intéressante, comme nous aimerons le bon Dieu à nous
deux, comme on l'aimera chez nous. De quoi avez-vous peur ?
Est-ce que j'oublierai ({u'on a besoin d'un peu de distraction à
votre âge ? Est-ce que je prétends vous cloîtrer ou vous fati-
guer ? Vous serez ici comme une petite reine ! Vous surveil-
lerez, vous dirigerez... et quand il vous faudra joindre l'ex-
emple au précepte, vous verrez, Léa, (ju'il ne vous en coûtera
pas du tout !,..
Elle fermait à demi les yeux, et il se trompait à l'abandon
lassé de cette attitude...
— Ce n'est certes pas moi qui couperai les ailes à votre es-
prit, continua-t-il en retrouvant son beau sourire jeune. Nous
causerons, nous deux, tant qu'il vous plaira. Habiter un vil-
lage n'est pas s'iiiterdire toute communication avec le reste
du monde ; si cela peut v^ous être agréable, nous suivrons en-
semble le mouvement des idées, des choses actuelles. Allons,
c'est oîii ? conclut-il après un silence. Vous voulez ?
LES DEUX FILLES DE MAITRE BIENAIME 409
— Mais non, je ne veux pas ! s'écria-t-elle, en retirant brus-
quement sa main.
Elle reculait si violemment, que son fauteuil aussi recula
d'une secousse ; ce mouvement la plaça dans l'ombre... Le
jeune homme eut l'impression de la voir diminuer, flotter... de
ne plus trouver devant lui qu'une forme vaine et vide.
— Vous me refusez alors... vous me refusez... balbutia-t-il
presque machinalement.
Oh ! eût-il jamais cru que le don de son cœur, l'hommage
de sa vie serait accueilli de la sorte... qu'elle le repousserait
ainsi, alors qu'il lui ouvrait toute grande sa maison prospère
et bénie, asile de la foi, de l'honneur, des plus saintes ten-
dresses, des plus nobles vertus !
— Oubliez-moi, répondit-elle ; choisissez une femme qui
partage vos goûts : cela ne vous sera pas difficile.
— Je me trompais, alors, fit-il d'une voix hachée ; je me
trompais en pensant que vous auriez confiance en moi... que
vous voudriez bien vous laisser guider, vous laisser aimer
par moi . . croire à une affection, à un dévouement uniques . .
uniques, répétait-il. Et, dans sa bouche, ce mot sonnait
comme un glas.
— C'est donc fini . . fini . . ajouta-t-il sans savoir ce qu'il
disait.
Oui, fini, pauvre Louis Chaumel ; son bandeau se déchirait
sous cette main légère et inconsciente.. Il était bien forcé,
maintenant, de voir Léa telle qu'il ne l'avait jamais vue . .
telle qu'elle était devenue !
— Vous me refusez, et sans me donner aucune raison ! Car
ce ne sont pas des raisons, ces idées de ville, d'ambition et de
mondanité qui vous tournent la tête !
— Dites donc ! exclama Léa, cabrée ; je ne vous permets
pas de me parler comme cela.
Il n'entendit même pas cette réplique ; accoudé sur la table,
il meurtrissait, de ses doigts, son front subitement sillonné.
— Ah ! je souffrirais moins, murmura-t-il, si vous m'aviez
répondu, par exemple, que vous en aimez un autre !
410 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Il disait vrai, car il n'aurait pas eu à constater alors, comme
il venait de le faire, la misère de son illusion, le mensonge de
son mirage ! Mais Léa sentit qu'elle se rapetissait, qu'elle se
ternissait elle-même aux yeux de cet homme, et son dépit fut
tel qu'elle lança audac'ieusement :
— Hé bien ! oui j'en aime un autre ! Un autre qui me pro-
met de la joie et du plaisir, qui me placera dans le milieu
pour lequel je suis faite, qui m'enlèvera, lui, à des travaux
que je déteste, et qui m'emmènera^bien loin... à Paris I
Louis Chaumel tressaillit comme sous une décharge ; cer-
tains bruits étaient parvenus à ses oreilles. . des bruits aux-
quels il n'avait pas voulu croire et qu'elle confirmait. . terri-
blement.
— Ah ! pas cela, interrompit-il, raidi des pieds à la tête,
c'est trop !. . Ne me dites pas que vous repoussez votre meil-
leur ami, votre camarade d'enfance, pour vous laisser prendre
tout de suite aux belles manières du premier monsieur ganté
et parfumé qui vous fait des compliments !
Un nuage rouge s'étendit sur les yeux de Léa : Louis, em-
porté par l'indignation de sa tendresse, avait frappé trop
juste. Elle le toisa du haut en bas ; il lui seyait bien, vrai-
ment, de parler de messieurs gantés et parfumés, lui qu'elle
avait surpris tout à l'heure., dans quelle occupation, dans
quel costume ! Le rapprochement était malheureux ; et, ra-
geuse, la prunelle en feu, Léa répliqua, poussée par on ne sait
quelle folie :
— En tout cas, je n'épouserais jamais un homme en blouse. .
un paysan !
A peine eût-elle ainsi parlé, qu'elle en eut honte ; Louis
Chaumel se levait tout droit, atteint au plus vif, au plus in-
time de son être. Il ne dit rien, mais il lui jeta un regard
inoubliable.
Ainsi, non seulement elle ne voulait pas de son amour . .
mais cet amour, elle le méprisait ! Et pourquoi, pourquoi ?
Elle aussi s'était levée ; il était horriblement pâle ; il lui
LES DEUX FILLES DE MAITRE BIENAIMÉ 411
parut immensément grand avec son visage rigide, sa physio-
nomie presque funèbre. Et soudain elle eut peur de lui.
comme elle aurait eu peur d'un blessé inondé de sang . . En
même temps, elle se rendit compte qu'elle avait traité indi-
gnement celui qui s'était toujours montré si bon pour elle,
qui, tout à l'heure encore, l'avait recueillie et réchauffée à son
foyer !
— Je n'ai pas voulu vous froisser. . essaya-t-elle.
Mais les mots qu'elle avait dits ne sont pas de ceux qui se
réparent. . et, d'une voix qui avait peine à sortir :
— Vous m'avez fait du mal, répondit-il. Que Dieu vous le
pardonne.
Ce fut seulement après plusieurs minutes qu'il s'aperçut
qu'elle était partie. Il restait debout, à la même place, éton-
né de retrouver autour de lui le même aspect des choses . .
Car il lui semblait être devenu très vieux.
Morte, la petite Léa qu'il aimait. . Comme tant d'autres, il
s'était épris d'un rêve, et le deuil de certains rêves est si lourd
qu'il fait fléchir les plus robustes épaules, si noir qu'il met la
nuit dans les yeux . .
Flétris, les chers souvenirs d'enfance. . Défigurées, les ima-
ges naïves qui lui riaient si doucement et l'illuminaient d'es-
poir. . Perdu, tout cela, mutilé, piétiné, comme ces prime-
vères que les enfants cueillent toutes fraîches et qu'on re-
trouve, au bout d'une heure, écrasées par centaines dans la
poussière du chemin.
— Si c'est possible ! répétait, près du jeune homme, une
voix courroucée. Ah ! la sotte et l'ingrate... Refuser un gar-
çon comme toi ! Qu'est-ce qu'elle veut, alors ? Lui faut-il un
prince ? Cela montre ce qu'elle est, va, mon Louis, et je te di-
sais bien que tu lui faisais trop d'honneur. •
Mais elle aurait mieux aimé s'être trompée et ne pas le voir
ainsi, avec cette figure. Dire qu'il souffrait, seigneur ! et à
cause de Léa ! lui si supérieur à elle.
412 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
— Ne la regeefcte pas, surtout ! continuait la mère avec une
intraduisible rancune ; elle n'en vaut pas la peine. C'est une
fille sans cœur, ni plus ni moins !
Elle s'était rapprochée de lui, presque visage à visage ;
mais, en rencontrant ce regard, elle recula, consternée, et ne
sut que murmurer, la main sur l'épaule de son grand fils :
— Mon pauvre petit !
Celui qui soufii-e est toujours un pauvre petit pour sa
mère. . Cette simple parole fut la goutte qui détermina l'ex-
plosion . . Avec un seul sanglot, un de ces sanglots d'homme,
si brefs, si durs, qui brisent et qui déchirent, Louis tomba sur
un siège en balbutiant d'une voix rauquc :
— Oh ! maman...
XIII
MATHILDE
— Vous auriez dû me laisser faire toute seule, Mamzelle
Mathilde ; ça n'a pas de bon sens ! s'écria la petite servante.
Dire que vous étiez debout à quatre heures, et que, depuis,
vous n" arrêtez " pas ! Vous ne vous êtes pas seulement assise
pour dîner. Vous vous tuerez pour sûr, si ça continue !
Toutes deux sortent de la basse-cour où elles ont procédé à
des nettoyages fatigants ; la lumière meurt, les contours s'ef-
facent sous une pluie pareille à une fumée, l'une de ces pluies
fines, obstinées, désespérantes, qui semblent devoir durer éter-
nellement.
— Il faut bien que tout se fasse ! répond simplement la
jeune fille, essuyant du revers de la main les grosses gouttes
de sueur qui découlent jusque sur son col. Et nous sommes
en retard, encore ! Allume vite le feu pendant que j'épluche
les légumes.
Maria s'éloigne en trottinant vers le bûcher, et murmure
entre haut et bas ':
— Il faut que tout se fasse. . Ma foi, il y a des gens qui
ont bien de la bonté ! Celle-là doit travailler double alors,
parce que l'autre ne veut rien faire ?
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 413
Matliilde, ayant pris des légumes plein son tablier, s'est
déjà installée sur une chaise basse, au coin d'une fenêtre dont
elle a relevé le rideau. La cuisine est vide; les " triolets "
sont aux étables. . Le chien hurle lamentablement en tirant
sur sa chaîne, et, à travers le bruit monotone de la pluie, on
distingue les coups sourds du fléau manié par le valet qui bai
les fèves dans la grange... Et la tristesse hivernale oppresse
la fille de la Closerie, rend plus désolantes les images dont
elle est hantée. Comment dire à son père que, dans l'état ac-
tuel des choses, il faudrait absolument une servante de plus !
Mais voilà qu'un autre bruit parvient aux oreilles de Ma-
thilde : une sorte de soupir étoufié ; quelqu'un est là, dans le
réduit entr'ouvert au pied de l'alcôve. La jeune fille se lève
sans lâcher son couteau, elle traverse la cuisine, letenant
d'une main les pans de son tablier bleu. Oh ! qui donc gé-
mit dans cette ombre, à peine éclairée par un vitrage grillé,
où des branches sans feuilles appliquent un rideau noirâtre ?
Qui donc est effondré contre le petit bureau ? Mathilde re-
cule d'effroi. . Son père, est-il possible ! son père. . dans cette
attitude de vaincu !
Elle entre vivement, et referme la porte derrière elle ; il
s'est redressé, par mouvements hachés, et sa fille demeure
confondue devant cette face désespérée.
— Papa, exclame- t-elle d'une voix méconnaissable, y a-t-il
du malheur ?
— C'est elle., c'est toujours elle... Ah! la mauvaise ! Pour
me faire mal... pour le plaisir de me faire mal...
— Léa ? questionne Mathilde, consternée devant cet égare-
ment si insolite, ces yeux brûlés par des larmes de colère et de
douleur.
— Oui, oui, répond-il. Il n'y a rien à lui dire, elle est bu-
tée ! Quand on pense . . quand on pense que son bonheur à
elle, et notre bonheur à tous est là, si près, et qu'elle n'en
veut pas ! conclut Brissot, les dents grinçantes
C'était poignant, ce désespoir d'un travailleur, d'un opiniâ-
414 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
tre, qui avait lutté pendant trente années €tqui échouait con-
tre cet obstacle misérable : la ridicule vanité de sa fille !
— Mais qu'est-ce qu'elle ne veut pas ? dites-moi donc, insis-
tait Mathilde, les yeux élargis et le cœur palpitant.
— Ah ! c'est vrai... tu ne sais pas, toi... bégaya le fermier
dont les lèvres happaient l'air avec effort... C'est Louis, en-
tends-tu ? Louis Chaumel, qui la demande en mariage et
qu'elle refuse... Qu'est-ce (jue tu as ? exclama le père, chan-
geant de ton.
Une plainte tremblante venait^'de retentir; la jeune fiïle
serrait, de sa main droite, sa main gauche ensanglantée : par
suite d'un faux mouvement, elle s'était fait à la paume une
entaille profonde avec le couteau qu'elle tenait encore.
— Tu t'es coupée ? reprenait Brissot.
— Ce n'est rien... ce n'est rien...
Pâle comme la mort, elle avait reculé dans l'angle ; en cette
obscurité, avec ses vêtements sombres, elle ressemblait à une
statue de bronze dont le visage serait de marbre.
— Alors, murmura-t-elle au bout de plusieurs secondes, vous
dites que Léa refuse...
— Cette situation-là, cet homme-là ! continua le fermier,
accentuant farouchement les syllabes ; et sans motif ; car quel
motif raisonnable peut-elle avoir ! Elle sait bien qu'en di-
sant oui, elle me donnerait de la joie... de la joie, appuya-t-il
avec un regret sauvage, cela suffit pour qu'elle dise non !
Comprends-tu, toi ?
— Non, répondit-elle, faiblement, je ne comprends pas...
La tête lui tournait, elle sortit, enroulant machinalement
son mouchoir autour de sa blessure. Oh ! non, ce n'était
rien, ceci. Autre chose lui faisait mal... autre chose saignait
en elle, et saignait à mourir !
Tant mieux, tant mieux ; car il fallait tuer cela tout de
suite, grand Dieu ! Quelle secousse brutale ! quelle lueur d'é-
clair !
Elle défaille à présent, la forte, la vaillante ; elle doit s'ar-
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 415
rêter à l'air, sur le seuil du couloir, sous la vigne-vierge non
encore dégarnie, qui jette au vent des volées de perles ternes.
Elle s'enfonce à demi sous une retombée des rameaux ; quel-
ques feuilles rouges, mouillées, se collent à ses habits, et l'on
dirait d'autres taches de sang.
Est-il possible ? Comment cela s'est-il fait? Ah ! elle l'ignore.
Jamais elle ne s'est donné la peine de s'analyser, jamais, jus-
qu'à ce jour, elle n'a pris garde à un sentiment si bien enra-
ciné, qui avait grandi avec elle... C'était trop profond, cela te-
nait trop fort,.. C'était comme son âme, comme son cœur.
Pouvait-il en être autrement, pauvre généreuse fille ? Con-
naissait-elle un seul homme qui fut comparable à son ami
d'enfance ? Cette image, cette affection s'harmonisaient avec
le meilleur et le plus intime d'elle-même ; quand il parlait
elle l'écoutait, ravie, car il touchait, en elle, des cordes au son
révélateur ; il donnait une forme précise aux belles pensées,
aux belles émotions qui demeuraient chez elle à l'état pres-
que inconscient, et si jamais elle avait pu mettre à nu son
âme, Louis Chaumel y eût reconnu la sienne comme dans le
miroir le plus pur !
Comment elle, la terrienne, n'eût-elle pas aimé le terrien
vibrant et convaincu, qui, partout, autour de lui, prêchait la
fidélité au Sol ? Comme elle, la chrétienne, n'eût-elle pas aimé
le chrétien simple et grand, l'apôtre de toutes les traditions
saintes ?
Et pourtant, cet amour, c'était l'impossible ; et Mathilde
cachait, parmi les feuilles détrempées, son front aussi lourd,
aussi froid que la pierre.
Une ignorante comme moi . . gémit-elle ; une fille . si au-
dessous de lui. Oh ! Seigneur, quelle folie !
Elle ne songe pas, dans son illogisme admirable, qu'une
autre, mille fois moins digne, avait cependant fixé le choix du
jeune homme. Habituée au sacrifice permanent, elle s'est
toujours comptée pour rien, et ne se dit pas plus aujourd'hui
qu'autrefois : " Je me sacrifie." Une vision rapide lui montre
416 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
son père heureux, sa soeur heureuse et guérie des chimères,
la Closerie sauvée. . . Oh ! il le faut ! il le faut ! D'un élan,
elle se dresse, pâle, grave et douloureuse, mais tout entière à
une résolution que rien n'a ébranlée, pas môme la cruelle sur-
prise de son coeur.
Le ciel pleure sur Mathilde ; dans le jour mourant, dans
l'humidité où traînent des odeurs de pommes écrasées, un tin-
tement grêle, entrecoupé, s'étouffe... C'est l'angelus du soir.
Mathilde fait un grand signe de croix.
— Allons ! dit-elle.
. .Léa, dans sa chambre, essayiait une coiffure nouvelle,
mais ses mains tremblaient si fort, qu'elle n'arrivait pas à
placer les peignes et les rouleaux. Elle s'était mise à cette
occupation par une sorte de bravade ; la scène avec Louis l'a-
vait durement secouée, malgré tout, et ce visage de douleur
la poursuivait à la manière d'une insupportable obsession.
Elle se tourna impatiemment vers la porte et ses longs che-
veux lumineux tombèrent en flot sur ses bras, sur ses épaules,
Mathilde entrait sans frapper, sans rien dire, et sa soeur la
reconnut à peine ; jamais elle ne l'avait vue aussi blanche,
avec des yeux aussi brillants.
Dans le rayonnement de l'abat-jour de mousseline acheté
par Léa, elle approchait, légèrement raidie ; elle s'inclina, sai-
sit le poignet qui sortait d'un ruche de guipure, et, d'une voix
basse :
— Léa, murmura-t-elle, ma pauvre petite.. .
— Eh bien ? questionna sa cadette en la dévisageant.
— On me dit une chose que je ne peux pas croire, reprit
Mathilde dont les cils battaient largement et faisaient remuer
des ombres sur l'ivoire doré des joues. . . on me dit que tu re-
fuses Louis Chaumel !
— Ah ! toi aussi ! interrompit sa soeur dont les doigts
avaient des tressaillements nerveux ; on prétend me tyranni-
ser jusque dans mon coeur ; On veut forcer mon inclination ;
on veut m'imposer un mari ! Non, non ! je ne me laisserai pas
faire !
(A suivre.)
L'IIvIvUSTRATION
Supplément de "La Revue Franco-Américaine"
Vol. VIII. No 6.
Montréal, 1er AVRIL 1912
Ivcs Alpinistes dansles^^Montagnes Rocheuses, Canada.
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Troupeau de montons, dans l'Ouest Canadien,
le long du C. P. R.
L^e poisson abonde dans l' Juest Canadien et le pêcheur
le moins expert fait merveilles.
lye grand glacier du ^Slont Selkirk dans les Ivlontagnes
Rocheuses, sur le C. P. R.
Immense verger à Agassiz, Colombie Britannique,
^f^ lontr fin C. P. R.
VI
IvE Printkmps. i^a loiile des neiges.
Dans les Montagnes Rocheuses, le long du C. P. R.
VII
Arrivée de nouveaux colons, à Strathmore, Alberta,
sur le C. P. R.
Intérieur d'un wagon-buffet du C. P. R.
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Les Tapisseries
Dans les murs de chêne ciré,
Dans les vieux canevas de Flandre,
En plus d'un endroit déchirés,
Les quatre saisons, sans comprendre,
Regardent l'eau d'un déversoir,
— Pleurs de laine en éclaboussure —
Qui fuit le long du cadre noir.
Et disparaît sous la bordure.
L'une, parmi ses points vernis,
Balance en des verdures tendres
Des fleurs, des parfums et des nids ;
C'est le printemps joyeux des Flandres
Un paysan mène un rouleau.
Ou la herse à travers la plaine.
Dans les prés et les blés nouveaux
D'où s'exhale une fraîche haleine.
L'autre endort de blanches maisons.
Et l'étang sous un soleil rouge ;
La terre est lourde de moissons,
Dans le bois profond rien ne bouge ;
Mais là, liant le blé jeté.
Sous leurs genoux les moissonneuses
Robustes font chanter l'été
Au son des gerbes lumineuses.
La troisième, dans ses lacis.
Offre des grappes plein la vigne ;
Sous un arbre un passant assis
Voit fuir la route en longue ligne ;
X
418 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Et d'un geste large un semeur,
Sur le sol épand en cadence,
Sous le crépuscule qui meurt,
La graine d'or de l'espérance.
Enfin aux branches de bois mort,
L'hiver descend sa neige lente,
Sous son linceul la terre dort.
Rien ne murmure et rien ne chante :
Un laboureur abandonnant
Le soc qui s'ébrèche à la borne
Sur son cheval passe, inclinant
La tête, comme un spectre morne.
Ainsi d'un coup d'oeil je revois,
Aux laines pâles des années.
Les quatre saisons d'autrefois.
Dans mes souvenirs dessinées.
L'espoir jeune éclos, puis l'amour
Au zénith, puis la feuille morte,
La neige couvrant le labour,
Et le coeur défunt que je porte;
Et, dans l'angle du cadre noir.
Cette eau qui tombe c'est ma vie.
Fuyant, sous l'étreinte du soir,
Le vieux rêve en tapisserie.. .
Jean d'Harcelines.
:o:-
Fonctionnarisme et technologie
Je viens de relire un discours prononcé par le Dr J. M.
Beausoleil le 22 octobre 1896. Ce n'est pas d'hier, comme
vous voyez, mais il me semble que les événements n'ont pas
cessé, depuis bientôt vingt ans, de lui donner raison.
" Grâce au progrès scientifique des cinquante dernières
années, disait M. Beausoleil, l'agriculture, l'industrie, le
commerce se sont développés sur des bases nouvelles par-
faitement sûres. L'économie politique, la science sociale
ont trouvé leurs lois, l'hygiène est devenue une science. La
vulgarisation de ces données a permis à la lumière de pé-
nétrer jusqu'aux plus humbles couches sociales. La presse
a porté sur ses ailes les idées générales qui font la force
des peuples comme celle des individus. La science n'est
plus le partage d^une caste : elle s'esi démocratisée. C'est
elle la colonne lumineuse qui doit nous guider vers la terre
promise, c'est elle la manne du désert!
" Il y a aujourd'hui deux ans, un littérateur français pro-
clamait " la banqueroute de la science." A l'exemple de
cette Athénienne dont parle l'histoire, la science humble,
modeste mais convaincue, répondit dans un sourire délicat •
'' Vous n'êtes pas d'ici."
" S'il est vrai que la science est la compréhension des
rapports, elle ne peut déchoir; et, tant qu'il existera des
chercheurs d'équations, la science vivra et sera honorée.
" Vous n'ignorez pas que les procédés d'analyse ont dé-
rangé bien des calculs faits " à priori," qu'ils ont été la
ruine d'une multiplicité de conventions adoptées sans exa-
men. Le contrôle expérimental, voilà la pierre de touche
de ce qui est.
" Mais, je ne veux pas restreindre ces remarques à une
certaine classe d'études ; au mot science, substituez le mot
" instruction, savoir." Le savoir est le premier besoin de
l'homme ; besoin de tous les jours, en tous les lieux.
420 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
'' L'enfant a droit à une part d'instruction, laquelle doit
concourir à son développement intellectuel, physique et
moral. Il ne s'agit pas ici de lecture, d'écriture, de calcul —
simples instruments — il s'agit d'un enseignement technique
qui lui permette d'accomplir les devoirs de sa carrière."
Culture intellectuelle, culture physique, enseignement
qui permette à chacun des nôtres de remplir les devoirs
de sa carrière, qui lui permette même d'accomplir davan-
tage et le mette en é^at de prendre sa place dans la multi-
tude des situations nouvelles créées par le progrès et les
besoins du temps su^" tous les points du pays.
Et il ne se dégagei"ait que cette pensée de la poussée for-
midable qui s'est ruée contre l'administration fédérale de-
puis l'avènement du nouveau régime, qu'il ne faudrait pas
trop se plaindre des ennuis sans nombre causés par les cher-
cheurs de place aux maîtres du pays. Mais cette pensée
s'en dégage très nettement.
Ceux qui réussissent, ce sont surtout les spécialistes ; et
ils réussissent d'autant mieux que leur nombre, très res-
treint, les protège contre toute concurrence. Il suffit d'ob"
server les développements extraordinaires de nos ressources
nationales dans tous les domaines, pour comprendre que
les sciences appliquées nous conduisent, pour ainsi dire,
par la main. Domaine forestier, mines, explorations géo-
logiques, agriculture perfectionnée, partout nous rencon-
trons le praticien q^e des connaissances spéciales indi-
quent d'avance et font rechercher pour les grandes entre-
prises payantes.
Or, les Canadiens-Français, en tenant compte de certaines
exceptions notables qui, du reste, confirment la règle que
nous voulons établir, n'ont pas assez tenu compte de ce qui
se faisait souvent dans leur propre domaine et n'ont pas
tenu à prendre leur part des progrès qui passaient.
11 faut reconnaître là dedans, sans doute, une question
de tempérament. Je ne sais plus trop quel auteur préten-
dait que nous n'avions pas la tête faite comme les Anglo-
Saxons. Le mot ne manquait pas d'humour, mais il nous
tenait encore trop loin de la solution des problèmes qui
FONCTIONNARISME ET TECHNOLOGIE 421
nous intéressent au même degré que l'une ou l'autre des ra-
ces qui ont planté leur tente à côté de la nôtre.
Placés depuis un siècle et demi au milieu d'un peuple in-
dustriel, négociant, matérialiste avant tout le reste, les nô-
tres se montrent trop lents à sonder le terrain sur lequel ils
marchent, à comprendre les côtés pratiques des efforts
faits dans leur entourage, à acquérir des qualités mû-
ries par un sang qui n'est pas le leur, mais faisant le fond
d'habitudes, de méthodes spéciales dont ils doivent pren-
dre leur part s'ils veulent lutter à armes égales, dans leur
propre pays, avec une race qui a posé avec une brutalité
historique sous tous les cieux le principe très humain du
"struggle for life."
Sans doute, il n'est pas question ici des coutumes an-
cestrales conservées par chacun de nos groupes partout où
nous avons formé un essain.
Ces coutumes qui constituent, en quelque sorte, l'arche
sainte de nos aspirations nationales, où l'on garde religieu-
sement les traits caractéristiques de notre race, sont pour
nous un héritage que* nous tenons de trop haute et vieille
source pour songer un seul instant à en amoindrir l'impor-
tance ou en ternir l'éclat. Grâce à elles nous pouvons offrir
à nos conquérants, dont l'admiration est vaincue, le spec-
tacle sublime et unique dans l'histoire, d'une race résistant
à la propre faiblesse des siens et trouvant dans son coeur
la force de survivre à tous les cataclysmes et de renaître
après les pires défaites.
Mais l'époque où nous vivons, en nous créant des besoins
nouveaux, des concurrents plus aguerris, indique déjà à
notre initiative des voies nouvelles, fournit à notre ambi-
tion des buts nouveaux que nous sommes portés à croire
inaccessibles. Pourtant nous n'avons qu'à tendre la main
pour saisir les armes qui rendront moins pénibles nos com-
bats pour la vie et nous mèneront vers des triomphes in-
soupçonnés. Accepter les faits accomplis devient alors
non seulement uti acte de prudence, mais un signe de sa-
gesse.
On a beau dire, l'évolution sociale se fait avec une force
422 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
irrésistible dans notre siècle d'électrique activité, et le con-
servatisme revêt assez souvent une apparence de rétro-
gression qui est, de longue date, passée de mode. Plus que
jamais on est forcé d'admettre l'axiome que " tout ce qui ne
croît pas décroît."
La condition des classes ouvrières nous offre de ce fait
un exemple tout particulièrement frappant.
En effet, l'ouvrier peut-il raisqnnablement se refuser à
toute idée de perfectionnement dans ses manières de pro-
céder quand son entourage subit sans relâche la poussée
du progrès ? Evidemment non. Autrement il se trouverait
bientôt dans la position de cet homme qui était né un quart
d'heure trop tard et qui n'avait jamais pu rattraper ce quart
d'heure. Le monde, marchant sans lui, le laisserait bien
loin sur la route à caresser des méthodes vieillies, des pro-
cédés dont un passé déjà lointain s'est emparé. A côté de
la machine perfectionnée il faut le travail perfectionné, il
faut l'expérience mécanique de l'ouvrier, cette habileté ma-
nuelle qui, devenant presque un art, sera comme l'éclatante
revanche de l'esprit sur le métal qui semble, de nos jours,
avoir dérobé la pensée de l'homme.
Et les moyens d'atteindre ce résultat.? Il n'y en a qu'un :
l'éducation technique, ce raffinement de l'habileté manuelle
qui en faisant de chacun un maître dans son métier pourra
" constituer l'homme le plus indépendant qui ait jamais
existé." C'est d'ailleurs un point sur lequel tous les écono-
mistes sont d'accord et sur lequel je ne suis pas seul à atti-
rer l'attention de mes compatriotes. La condition particu-
lière où ces derniers se trouvent, surtout aux Etats-Unis où,
dans plusieurs endroits, ils ont le monopole des travaux de
fabrique, leur impose l'obligation d'étudier avec soin cette
nouvelle proposition du problème social. Nous traversons
une époque d'évolution générale, l'industrie soumise aux
données de la science s'avance vers des sommets plus éle-
vés et il faut marcher avec elle. Au reste, nos compatriotes
prolétaires ont déjà subi cette influence entraînante du
progrès et nous les savons aujourd'hui largement représen-
tés parmi ceux qui donnent le ton. Les inventeurs cana-
é
FONCTIONNARISME ET TECHNOLOGIE 423
diens ont fait plus que leur part des inventions qui ont
transformé la mécanique et sont même en train de faire
subir une transformation radicale à l'industrie manufac-
turière qu'ils soutiennent de leurs bras. Il suffirait de géné-
raliser le mouvement.
Un économiste écrivait :
" L'habitude est une seconde nature. On peut même dire
que souvent elle s'implante en place de la nature, qu'elle do-
mine le libre arbitre et lui fait accomplir des actes logi-
quement inexplicables. On trouve des gens qui font le
contraire de ce qu'ils voudraient, et .même qui semblent
s'en plaindre. C'est vrai, disent-ils, mais que voulez-vous ?
C'est l'habitude. On n'en finirait pas si l'on prouvait par
des exemples combien cette force est grande." Mais pour
être grande, cette force n'en est pas plus invincible pour
tout cela. Il suffit d'un peu de bonne volonté pour la do-
miner entièrement et, au besoin, pour la f aire'servir au plus
grand bien de la cause ^qu'elle était tout naturellement en-
cline à combattre. Le but est trouvé, atteignons-le.
Mais que cette longue digression ne nous éloigne pas de
l'idée première de notre article, savoir : l'idée que, jusque
dans le fonctionnarisme, dans les services de l'administra-
tion, règne une sorte de sélection basée sur la compétence
des sujets. C'est ce qu'il ne faut pas oublier même si l'on
jouit de certaines influences qui finissent par nous ouvrir
les portes des ministères. L'oublier serait se condamner
irrémédiablement ;iux postes inférieurs que seuls la politi-
que peut dominer. Ce n'est pas là qu'est la carrière véri-
table.
On me permettra bien, je suppose, d'attirer l'attention de
nos maisons d'éducation là-dessus. C'est un point, du reste,
qui n'est pas négligé par lesjinstitutions anglaises les mieux
réputées du pays. On trouvera, après examen sérieux, que
ce que beaucoup d'entre nous sont tentés de prendre pour du
favoritisme ne tient pas à autre chose qu'à la nature même
des charges à remplir et aux qualifications spéciales qu'il
faut posséder pour les remplir.
Nous ouvrons chaque année des territoires immenses à la
424 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
colonisation, notre exploitation forestière a pris des propor-
tions colossales, chaque jour les chercheurs découvrent dans
nos régions minières des trésors qui jettent le monde dans
rétonnement. Mais tout ceci ne se tait pas sans ouvrir des
horizons nouveaux à ceux que Tavenir tente et que le tra-
vail n'effarouche pas.
Mais la multiplicité des tâches a classifié lentement la
nature des efforts, l'efficacité des services demandés et des
fonctions à remplir. Elle nous a^poussés vers la spécialisa-
tion des connaissances, vers le règne incontesté du spé-
cialiste
C'est de là qu'il faut partir pour arriver à cette émulation
saine qui pousse l'artisan, le mécanique, l'ingénieur, le
chimiste, à exceller dans la sphère qu'il a choisie comme son
domaine. Tout le terrain gagné de cette façon est une vé-
ritable conquête, c'est autant d'ajouté à l'actif d'une race.
C'est un avantage sans égal pour l'Allemagne, pour la
France, que cette réputation qui leur a été faite de posséder
les premiers spécialistes du monde.
Napoléon disait: "J'ai deux cents millions dans mes
coffres et je les donnerais tous pour le maréchal Ney.'' Le
grand empereur, dans ces paroles, lançait le cri suprême
que le monde ne cesse de répéter depuis : "Donnez-nous
un homme!" Nous sommes à l'époque des spécialistes et
nous n'avons plus qu'une route à suivre : être de notre épo-
que, spécialiser. Le monde industriel exige des hommes
supérieurs, dont la main est habile, l'œil exercé, l'intelli-
gence primesautière et bien développée. Soyons ceux-là.
Sans doute un pareil résultat ne peut pas être atteint d'un
seul coup. Il ne s'agit pas de trouver une route nouvelle.
Perfectionnons nos moyens actuels d'action qui sont un
peu comme les grandes routes dont parle Descartes, ces
chemins "qui tournaient entre des montagnes et devien-
nent, peu à peu, si unis, si commodes, à force d'être fré-
quentés, qu'il est beaucoup meilleur de les suivre que d'en-
treprendre d'aller plus droit, en grimpant au-dessus des ro-
chers et descendant jusqu'au bas des précipices." En un
mot, ne soyons pas réfractaires à l'évolution qui nous en-
QUESTIONS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUE NATIONALE 425
traîne et, si c'est possible, soyons au premier rang de ceux
qui répondent à sa puissante impulsion. Le résultat serait
déjà magnifique si la génération actuelle pouvait, un jour,
réclamer l'honneur d'avoir aplani les voies à celle qui la
suivra, et bénie serait-elle si, devenant le Christophe Co-
lomb d'un autre monde, après avoir montré à ses compa-
gnons de voyage les difficultés de la traversée qu'ils font
de conserve, elle leur ouvrait les radieuses perspectives
d'un nouvel avenir.
J.-L. K.-Laflamme.
:o:-
Les questions économiques et la politique
nationale
II
Sans m'attarder à prouver que l'acquisition des connais-
sances techniques a marché prodigieusement dans toutes
les branches de Tactivité humaine, et en admettant aussi
que notre pays possède déjà quelques éléments d'instruc-
tion, j'attaque directement le point faible chez nous, qui
est la situation phénoménalement inférieure de notre classe
agricole sous ce rapport.
Prenant la moyenne, disons même les quatre cinquièmes
des cultivateurs canadiens-français, quelles sont les sour-
ces d'instruction mises à leur portée ? Sorti de l'école de
son village ou de sa concession dans laquelle apprend-il à
lire, pas toujours à signer son nom, "l'habitant" de nos
campagnes trouve à sa disposition, pour ses " études post-
scolaires, d'abord le "Journal d'Agriculture "paraissant
tous les mois, puis la visite annuelle des "expositions" et
des " partis de laboi.r," et, une fois dans sa vie, une excur-
sion, ou pèlerinage à la "ferme expérimentale" d'Ottawa.
J'allais omettre le "Conférencier Agricole," parfois d'un
rare mérite, qui passe une fois l'an, sans bruit, s'adresse à
un auditoire de trente à quarante personnes, souvent moins,
et s'en retourne tout ravi, si d'aventure il a rencontre dans
le nombre "un" cultivateur indiquant par quelques ques-
tions intelligentes qu'il a compris son enseignement. Le
lendemain, tout est oublié. Ah ! si le curé de la paroisse ne
prêchait qu'une fois l'an, quelle couche d'ignorance auraient
ses fidèles en matière religieuse. Et Ton voudrait que nos
cultivateurs possédassent la science agricole avec un en-
traînement aussi rudimentaire !
L'homme "Instruit" subit une préparation autrement sé-
rieuse à l'exercice de ses devoirs professionnels. Après
plusieurs années d'école, huit ans de cours classique, quatre
QUESTIONS lécONOMIQUES ET POLITIQUE NATIONALE 427
ans de cléricature, des examens de plus en plus sévères, il
se croit encore obligé de consulter ses auteurs dans l'exer-
cice de ses fonctions, s'il a le sentiment de ses responsabi-
lités. Le cultivateur, lui, se passe bien de tout cela et vit
'' aussi vieux " que ses ancêtres.
Inutile de surcharger un tableau que tout le monde re-
connaîtra. Comme conclusion, je ne crains pas d'avancer
qu'au moyen du ''système actuel," l'instruction agricole
n'atteint qu'une élite très peu nombreuse et "qu'elle est
nulle pour le commun des mortels." Ainsi que je l'ai dit
plus haut, nous possédons bien quelques éléments d'ins-
truction agricole, et ils pourraient être utilisés tout de suite
pour former un noyau initial " d'enseignement." Que l'on
confie la tâche d'organiser un corps enseignant à des
hommes, pour n'en-citer que deux, comme le Dr Grignon et
M. G. A. Gigault, le père putatif, à ce que l'on dit, de la
doctrine protectionniste appliquée par sir John Mac-
donald ; qu'on mette à leur disposition le capital et le per-
sonnel nécessaires, et, en peu d'années, surgira un institut
agronomique moderne, rappelant ce qui existe, en cette
ligne, aux Etats-Unis et en Europe.
J'ai vu "fonctionner" dans les campagnes françaises et
belges, un admirable " instrument " d'éducation et d'ins-
truction agricole. Il n'est pas trop compliqué et d'imitation
plutôt facile. Les représentants du ministère de l'Agricul-
ture sont chargés " d'acheter," ou simplement "louer," dans
une commune une ferme destinée à vulgariser les pratiques
de culture les plus profitables à la région. Elle est connue
sous le nom de "ferme-école, ou " moniteur." L'intendant
ou gardien est tenu par son contrat, moyennant un prix
arrêté, d'avoir à la disposition des gens tels grains de se-
mence, plants, engrais, échantillons, outils, etc.; de" garder
tels animaux reproducteurs ; de faire l'élevage de telles es-
pèces de volailles, abeilles, etc. Il est tenu de recevoir tous
les ans, pendant une semaine ou plus, "l'ingénieur agri-
cole " ou " conférencier" du gouvernement, qui vient don-
ner sur place un cours d'enseignement pratique aux fer-
miers. D'ordinaire, la partie théorique du cours se donne
428 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
l'avant-midi. Le reste du jour est consacré au dehors, aux
leçons de choses, à la mise en oeuvre des enseignements
reçus le matin. Dans un endroit favorable à la culture de
la pomme, par exemple, le professeur enseignera toutes les
opérations de la pomiculture, depuis l'ensemencement du
pépin dans le sol jusqu'à l'empaquetage du fruit mûr prêt à
l'expédition au marché. Ailleurs, ce sera la culture du ta-
bac, de la tomate, de la pomme' de terre, de la betterave à
sucre, des arbres fruitiers, ou du bois à pulpe, que l'on vul-
garisera. Ailleurs encore, la mise <en conserve des viandes,
légumes, fruits, etc.; puis l'exploitation des déculeries, la
préparation du cidre, du vin, de l'alcool, du sucre de bette-
rave et de tout ce qui regarde la forme "industrielle " de
l'agriculture.
On imagine sans peine les résultats féconds de telles
méthodes, qui, règle générale, n'entraînent pas de frais
exagérés. Sans doute, il en coûterait quelque chose pour
établir le système, d'emblée au Canada, mais il n'est pas
nécessaire de procéder à la vapeur et de tout entreprendre
à la fois. Nul danger, d'ailleurs, de se ruiner à cela ; les avan-
ces faites à l'agriculture rapportent toujours au centuple,
parce que "la terre est le fonds qui manque le moins," au
dire du bon fabuliste. Je partage, en outre, l'opinion de
M. Gilbert, dont je regrette la disparition de la chambre,
de dépenser annuellement, pour les fins agricoles, un nom-
bre "minimum de millions " sur le budget de plus en plus
rondelet, dont le parlement dispose. Que l'on fasse seule-
ment un essai loyal dans le sens proposé : le succès d^une
campagne d'éducation ainsi menée étonnera même ses
promoteurs.
Que de fois ceux qui s'intéressent au développement de
l'industrie agricole en demandant, à "nos habitants" pour-
quoi ils s'enlisent dans la routine et restent étrangers à la
pratique [de la culture intensive, pourtant si profitable à
tous les points de vue, ont reçu cette réponse : "Cher mon-
sieur, je ne demanderais pas mieux que de l'adopter, mais
où trouver la main-d'œuvre indispensable".? L'objection,
fondée sur les faits, est sérieuse et mérite considération.
QUESTIONS lécONOMIQUES ET POLITIQUE NATIONALE 429
Les industriels, les entrepreneurs, les corps de métiers
les grands constructeurs, les bourgeois de chantiers " sont
organisés" pour le recrutement de leur main-d'œuvre.
" Seuls " les cultivateurs s'en raportent au hasard, ou en-
core, de façon exclusive, au... gouvernement. Dans un
pays en pleine croissance comme le nôtre, tous les concours
sont avidement recherchés et utilisés. Trop éloignés au fond
des campagnes pour entrer en concurrence pour la recher-
che de l'aide nécessaire à leurs travaux, ils (les habitants)
commencèrent par substituer " la machine " à l'homme et
par renoncer graduellement aux genres de culture requé-
rant son intervention personnelle et directe. C'est ainsi
que dans mon district, on en est venu à cultiver " surtout
du foin," lequel, en raison du manque de voirie, est destiné
pour la majeure partie à l'exportation étrangère. Cela
n'accommode guère les consommateurs de la métropole voi-
sine, dont le marché est abandonné et le prix des aliments
hors pair.
De cette façon, le même agriculteur peut exploiter deux,
trois, quatre terres ordinaires et plus. Il lui importe peu
de garder ses fils avec lui. Plus que cela ; il acquiert les
propriétés adjacentes à la sienne et en déloge les familles
qui les ont occupées jusqu'ici. Et voilà comment opère le
mécanisme de la "dépopulation rurale." Les gens s'en
vont, non pas précisément parce qu'ils sont trop pauvres,
ou que le sol est ingrat, mais parce qu'ils n'ont plus " leur
place" dans cette organisation sociale modifiée.
La terre est toujours là; la moyenne des fortune^ parti-
culières s'est même élevée ; mais le nombre des citoyens di-
minue et les conséquences économiques de ce mouvement
étrange s'aggravent de jour en jour.
En pratiquant la culture intensive et les diverses indus-
tries agricoles, non seulement l'agriculteur garderait son
fils avec lui, mais il emploierait d'autre main-d'œuvre et
cela durant "toute " l'année. Le moyen, pour le gouverne-
ment, d'encourager ce genre de culture serait de recruter au
sein des villes trop peuplées du Canada, parmi nos compa-
triotes des Etats-Unis et dans les parties pauvres et monta-
430 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
gneuses de l'Europe une classe spéciale de collaborateurs.
Je connais dans le voisinage de Montréal des propriétaires
à Taise, qui n'hésiteraient pas à "avancer" le passage com-
plet d'ouvriers de ferme, tant est vif leur désir de faire de
la culture maraîchère. Organisés en compagnies, le pro-
cédé leur serait d'exécution facile. La même expérience,
tentée par des fermiers de la République Argentine a donné
de bons résultats. Si je ne me trompe certaines sociétés
maritimes transportent, dans des ^conditions identiques, le
personnel nécessité par quelques genres d'ouvrages spé-
ciaux. Et je ne serais nullement surpris de voir, dans un
avenir prochain, des *' moissonneurs "'d'Europe traverser
l'océan pour prendre part aux travaux des récoltes en Amé-
rique et retourner dans leurs foyers, une fois la saison ter-
minée. Beaucoup d'ouvriers et de manoeuvres italiens ac-
complissent déjà cet exploit. Il serait curieux, dans tous
les cas, de soumettre le projet à l'entreprenante compagnie
du Pacifique-Canadien. La part dévolue au gouvernement
en cette affaire serait de favoriser le recrutement de cette
sorte de main-d'oeuvre aux endroits opportuns par des
agents habiles et prudents et d'en opérer ici " le placement
au bénéfice exclusif des cultivateurs livrés à la culture in-
tensive."
Inutile d'ajouter qu'il existe outre mer d'autres catégories
d'émigrants désirables, dont le recrutement pourrait s'ef-
fectuer d'une minière beaucoup plus sensée que celle em-
ployée en France et en Belgique jusqu'à cette date. Ne
s'en tiendrait-il ([u'à ma première suggestion, le gouverne-
ment s'engagerait dans une oeuvre bienfaisante et fort po-
pulaire.
En vain la culture intensive n'aurait plus de secrets pour
" l'habitant" canadien, en vain la main-d'oeuvre lui vien-
drait abondante et peu chère, si les " moyens de communi-
cation " lui faisaient défaut pour transporter les produits de
sa ferme au marché. L'initiative de l'administration fédé-
rale en cette matière est tellement opportune et avanta-
geuse, qu'il n'y a qu'une voix pour l'en louer. La facilité des
rapports en toutes saisons entre le producteur et le con-
QUESTIONS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUE NATIONALE 431
sommateur aura pour effet de supprimer les intermédiaires
et, par là même, d'abaisser le prix des choses nécessaires à
la vie. Les journaux mentionnaient dernièrement que les
oeufs se vendaient soixante centins à Toronto, tandis que,
dans un rayon de quatre ou cinq lieues, on les achetait à la
moitié de ce prix.
Au point de vue de l'établissement et de la multiplica-
tion des industries à la campagne, l'obstacle le plus insur-
montable va disparaître. Jusqu'à présent, la population
rurale envahissait les villes pour se rappiocher des manu-
factures. A l'avenir les industries vont s'installer au sein
des régions cultivées, créant une foule de marchés secon-
daires et offrant à la main-d'oeuvre un emploi toujours à
sa portée. L'habitant des campagnes, "voyant venir à lui "
ce qu'il va d'ordinaire ''chercher" dans les centres, ne
songera plus même à " se déplacer."
Quelle évolution féconde et digne du concours enthou-
siaste de tous les Canadiens !
J'hésiterais à aborder une question d'aussi grande en-
vergure si, dans les circonstances, elle ne s'imposait impé-
rieusement. L'opinion publique attend une initiative de
la part des gouvernants, et tout le monde semble prêt à
l'étudier au point de vue des meilleurs intérêts du pays.
Dans notre province, nous sommes peut-être en retard,
malgré que des hommes éminents comme M. Monk, M. Al-
phonse Desjardins et quelque autres s'en occupent avec
une compétence, un désintéressement et un courage inlas-
sables. L'exemple de l'influence exercée par l'association
des "Grain-Growers " de l'Ouest devrait nous servir d'en-
seignement. Bref la question est à l'ordre du jour.
"Le Canada," disait tout récemment M. Nickle, député
de Kingston, est déjà rendu au point où il doit étudier la
question sociale. La population déserte les campagnes
pour les villes ; les petits fabricants disparaissent devant
les " combines " dont les employés sont froidement remer-
ciés aussitôt que leur capacité de travail diminuç. L'aug-
. mentation du coût de la vie rend le problème de la vieil-
lesse plus angoissant. Le jour du socialisme est arrivé, non
432 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
du socialisme qui s'applique à fruster l'ouvrier du fruit de
son travail, mais d'un socialisme qui veut aider l'homme
lorsqu'il a besoin d'être soutenu."
C'est par l'instruction de "l'épargne" et la pratique de
la "coopération " que l'on atteindra plus sûrement ce but.
Outre les fervents et les apôtres de la cause déjà mention-
née, l'autorité religieuse apporterait, sans doute, son con-
cours puissant à une oeuvre qu'elle apprécie hautement et
ne cesse de recommander en toute occasion.
L'angoissant, problème de la xiépopulation des cam-
pagnes et de la vie chère qui en résulte mériterait bien, à
mon humble opinion, d'être approfondi sous toutes ses
faces " par une commission d'experts," comme il a été fait
ailleurs, spécialement dans les Etats de l'est américain.
Rien n'empêcherait le gouvernement, durant l'intervalle
consacré aux études, de mettre en pratique tous les moyens
remédiateurs sur l'application desquels ne surgit aucune
contradiction.
L'extension du domaine cultivé par l'addition de nou-
velles unités paroissiales dans les "régions décolonisa-
tion " serait l'une des conséquences naturelles de la mise
en pratique des suggestions contenues dans ce trop long
mémoire. Les sociologues de tous les pays n'ont qu'un
sentiment sur la nécessité de créer des colonies d'expan-
sion. Dans l'Est du Canada, elles sont surtout indispen-
sables "pour accroître la production agricole, fournir des
voies de placement aux fils de cultivateurs " des vieux
comtés et " servir de marché" — marché national le plus ex-
cellent de tous, — au commerce et à l'industrie. Ici encore
la coopération peut jouer un rôle prépondérant. Je connais
par expérience qu'il serait possible et pratique d'organiser
un mouvement régulier de colonisation des " anciennes pa-
roisses vers les nouvelles ; " car je sais aussi pertinemment
qu'une forte proportion des cultivateurs n'abandonnent les
anciennes campagnes que pour continuer ailleurs l'exploi-
tation du sol. Il ne s'agit alors que d'un simple essaimage.
Mais â rencontre de cette oeuvre colonisatrice se dresse
un obstacle formidable. Dans toutes les provinces de l'est,
QUESTIONS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUE NATIONALE 433
moins peut-être l'Ile du Prince Edouard, le domaine publi-
que est en possession des gouvernements locaux ; et ceux-
ci l'ont aliéné au profit des grands exploiteurs de la forêt,
qui se croient intéressés à maintenir ce régime aussi long-
temps que possible. Depuis vingt-cinq ans, la lutte entre
le possesseur du bois et le travailleur du sol se poursuit
avec une ardeur croissante et semble approcher de son pa-
roxysme. D'après l'étude des phases qu'elle a suivies aux
Etats-Unis, on peut prévoir que la fin n'en saurait être bien
éloignée chez nous. Au reste, l'histoire nous démontre que
partout, dans le monde, les grandes forêts ont fini par re-
culer devant la civilisation, qui parfois les envahit et les
occupe pacifiquement dans les espaces cultivables.
Les gouvernements provinciaux, tous plus ou moins en-
clins jusqu'à présent à favoriser les prétentions des ma-
gnats du commerce forestier, viennent de recevoir une
dure leçon de choses. Les chiffres du dernier recensement
leur ont révélé qu'en mettant obstacle au peuplement, par
la classe agricole, de leur domaine inculte, ils sont en train
" de perdre leur influence " dans la Confédération. Tandis
que, d'autre part, l'opinion publique éclairée leur reproche,
par le fait de limiter " la production " des aliments fournis
par l'agriculteur, d'affamer les citoyens des villes, qui com-
mencent "à trouver intolérable le régime de la vie chère."
Autrefois les apôtres de la colonisation s'épuisaient à
faire valoir des arguments de propagande d'un ordre élevé,
comme l'intérêt de la civilisation chrétienne, la raison pa-
triotique et philantropique, la noblesse de la carrière agri-
cole, etc. Maintenant, *' c'est le ventre qui va parler ! " et
je suis sûr que les choses iront plus vite, car la faim a des
arguments très éloquents.
Non, le système d'exploitation forestière en vigueur n'est
plus tenable; et, dans le Nord de l'Ontario, la crise en est
au point que l'on réclame la '' sécession," ni plus, ni moins.
Dans Québec, l'on verra bientôt si le pouvoir pourra tou-
jours impunément contrarier *'la vocation des Canadiens-
Français à l'agriculture "
Il me semble pourtant qu'il y aurait moyen de faire en-
484 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
tendre aux marchands de bois que le temps des conces-
sions raisonnables est arrivé et qu'ils ne sauraient davan-
tage s'opposer au peuplement de nos immenses territoires
'dont le vide est une cause de faiblesse pour le pays.
Le cabinet Whitney a pris des mesures de détail pour fa-
ciliter l'installation des colons sur les terres publiques et
en a promis d'autres plus importantes. En face du parti
pris du gouvernement Gouin de tenir le colon impitoyable-
ment en échec, l'opposition de Québec énonce le pro-
gramme de la division des terres publiques en "domaine
cultivable " et en " domaine forestier," de manière à garder
constamment une réserve abondante de lots disponibles
aux défricheurs. Au Nouveau-Brunswick, le cabinet dont
l'hon. M. Hazen était le chef distingué, a pris, en certains
cas, le parti " d'exproprier les droits" des machands de bois
pour^tteindre le même but. Enfin tout le monde sent le
besoin de faire quelque chose pour activer la colonisation.
A cet égard, quel pourrait bien être le rôle du pouvoir
fédéral 1 Peut-être de contribuer au mode de rachat inau-
guré par Thon. M. Hazen. Mais le concours le plus simple
et le plus effectif serait sans doute d'accepter une part gé-
néreuse dans la construction des " chemins de colonisa-
tion." En beaucoup de cas, cette ligne de conduite aurait
pour effet de renverser tous les autres obstacles au progrès
de l'oeuvre. Aide aux grandes routes nationales du pays
établies, ouverture des voies de pénétration au coeur des
régions incultes, telle est la double tâche réservée, dans
mon humble opinion, au gouvernement de la Puissance...
sans parler de la construction des chemins de fer qu'il de-
vrait pousser avec une intensité croissante. Seulement,
qu'on ne l'oublie lamais, le temps est venu " pour les épi-
nettes " de faire place au ** monde civilisé ! "
J'aime autant que personne à conserver la forêt, le ré-
gime des eaux et tout ce qui s'y rapporte. Il est bon, il est
beau, dans une mesure raisonnable, de maintenir les bois
et leur ombrage bienfaisant. Cependant, il ne faudrait pas
être les dupes de ceux qui mettent leur importance au-des-
sus de l'exploitation agricole. Je n'ai d'ailleurs qu'une foi
QUESTIONS T^CONGMIQUES ET POLITIQUE NATIONALE 435
limitée dans la sincérité de ceux qui posent en conserva-
teurs irréductibles de la forêt. Je constate les énormes
quantités de bois soustraites annuellement, pour les besoins
du commerce et de l'industrie, à nos réserves, prétendues
inépuisables. Je vois également les ravages causés par les
incendies, alimentés, quoi qu'on dise, par les déchets en-
flammables qu'abandonne, derrière elle, une exploitation
trop hâtive, au lieu de les détruire prudemment. Je vois
encore l'emploi des méthodes américaines, qui ont été la
ruine des forêts de nos voisins. Déjà les mêmes résultats
se font sentir dans les Cantons de l'Est et sur presque toute
la rive sud du Saint-Laurent. Et, d'après l'autorité du Dr
Fernoy, de l'Université de Toronto, ce n'est plus qu'une
question de temps très court qui nous sépare de l'époque
où les ressources forestières du Canada seront épuisées.
Sous plusieurs rapports, nous paraissons donc suivre les
mêmes phases économiques que les Etats-Unis.
Puisqu'il en est ainsi et qu'il ne faut guère compter sur
les "grands" propriétaires pour la conservation de la fo-
rêt, vaut autant changer de procédé et tenter l'expérience
*' par les petits." C'est-à-dire qu'au lieu d'enrichir à mil-
lions un nombre restreint de privilégiés auxquels on donne
le monopole du bois, on fasse servir nos ressources fores-
tières à l'établissement de toute une population vaillante,
qui accroîtra l'influence et la force de la nation canadienne.
Par une législation et des règlements appropriés, par des
primes et des récompenses sagement distribuées et un en-
seignement attentif, il serait relativement facile d'implan-
ter ici la mode d'exploitation forestière " par la masse du
peuple." Après tout, l'arboriculture n'est qu'une culture un
peu plus longue que les autres et parfaitem.ent à la portée
de nos gens. Elle se pratique depuis des siècles dans toutes
les parties montagneuses de l'Europe qui forment environ
les trois quarts de sa superficie. En outre de leurs grains
et de leurs bestiaux, les cultivateurs auraient tous les ans
"une récolte de bois à vendre " pour subvenir au besoin de
leur famille. J'en surprendrai plusieurs sans doute, en di-
sant que cette pratique est déjà suivie de façon très intel-
436 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
ligente dans la paroisse de Ste-Adèle et maints endroits
de la province. Nos gens, qui ne sont pas plus simples
que les autres, sauraient bien conserver ce qui leur est
avantageux. Et nous verrions fleurir ici les mille petites
industries qui font la richesse de la Suisse, de la Norvège,
du Danemark et de certaines parties de l'Allemagne.
Dr De la Glèbe.
La Nation Franco-Normande au Canada
Par Le VICOMTE FORSYTH DE FRONSAC
V
LA NOBLESSE DE NOM ET DES ARMES
Sous le privilège donné par l'édit de 1664, par le roi
Louis XIV au Canada, " étrangers peuvent y entrer sans
déroger à leur noblesse." Ainsi furent admis les Latour, père
et fils, barons ou baronnets de la Nouvelle-Ecosse dans l'Or-
dre seigneurial du Canada. Par le précédent donné, tous
les autres ordres chevaleresques et nobiliaires ont le même
droit d'enregistrement au collège des Armes du Canada,
parce que le ralliement dans leurs ordres respectifs : I no-
blesse, II bourgeoisie, III plèbe, est le droit que com-
mande la personnalité de la loi. " Telle est la fin première
et principale de l'établissement de la colonie française au
Canada, et sa fin accessoire est de faire connaître aux par-
ties de la terre les plus éloignées du commerce des hommes
sociables la grandeur du nom du roi et la force de ses
armes. Sa Majesté a donc estimé qu'il n'y avait pas de
plus sûr moyen d'arriver à ces deux fins que de composer
la colonie : " de gens capables de la bien conduire par
leurs qualités de personne, et de l'augmenter par travaux
et application à la culture des terres."
Concession seigneuriale.
L'ORDRE DES BARONNETS DE LA NOUVELLE- ECOSSE
Cet ordre fut créé par Jacques VI, roi d'Ecosse, en mai
1611, nommé l'Ordre des Baronnets de la Nouvelle-Ecosse
et établi dans cette province par son fils le roi Charles I, en
1625, " pour avancer la plantation de la Nouvelle-Ecosse en
Amérique et y fonder une colonie." Un domaine territorial
était concédé à chaque baronnet dans la colonie ; le titre de
baronnet était héréditaire ; le concessionnaire devait avoir
438 LA REVUE FRANCO-AMitRICArNE
'' un grand-père paternel qui fusse gentilhomme." Aux
armes de la famille du baronnet furent ajoutés des sup-
poits, et dans l'écu de famille, un écusson portant les armes
de la province, savoir : d'argent au sautoir d'azur, au centre
duquel un écusson plus petit encore des armes d'Ecosse ;
d'or au lion de gueules armé et lampassé, contourné d'une
tressure de fleurs de lys, timbré d'une couronne d'Ecosse,
Avec le costume de vert foncé, les boutons sont plats, do-
rés, et chargés des armes des baronnets de la Nouvelle-
Ecosse. Ils portaient une décoration suspendue d'un ru-
ban d'orange autour du cou, des armes de la province cités
plus haut, entourées de la légende: "Fiat mentis hones-
tae gloria." Les mots de concession du titre dans la
charte, sont : " Praeficimus, constituimus et creamus ei-
demque— in dignitatem, statum et gradum Baronetii — no-
men, titulum, locum et praecedentiam praedicatam," etc.
L'ORDRE ARYEN DE L'EMPIRE (ROMAIN OU
germanique) en AMERIQUE.
Cet ordre était réorganisé en 1879, mais la première as-
semblée n'eut lieu que le 28 octobre 1880. Cet orclre est la
réorganisation de tous les ordres de noblesse formés sur le
continent américain, depuis la première formation ordon-
née par Charles V, empereur allemand des Romains, roi
d'Espagne, grand-duc d'Autriche, etc., lorsqu'il érigea ses
possessions américaines par institut impérial en fief de son
empire romain-germanique. On a ajouté à cet ordre d'au-
tres aristocraties coloniales dont les familles ont possédé
des concessions manoriales ou des titres de considération
honorable, héréditaire, le premier ancêtre en Amérique
étant ou un officier ou un propriétaire, réglé par les lois sur
la dérogation énumérée dans la partie de cet ouvrage sur
la noblesse de France. Le doyen actuel de cet ordre est
Monseigneur le duc de Véragua, qui représente le duché de
Véragua, concédé à son ancêtre, le petit-fils du grand
Christophe Colomb, en Amérique Centrale.
Parmi les titres de cet ordre sont ceux de landgraves et de
caciques de la Caroline, qui, avec des baronnies, furent
concédés, de 1671 à 1686, par le roi Charles II de la Grande-
, LA NATION FRANCO NORftlANDE Al' CANADA 489
Bretagne, avec prérogative de gouvernement sur la Caro-
line du Sud. Le titre de landgrave correspond à celui de
comte, et le titre de cacique, à celui de vicomte.
SEIGNEURS DES MANOIRS MARYLANDIENS
En 1632, lord Baltimore, fondateur et prince Palatin
Maryland, avec plein pouvoir et souveraineté du roi
Charles I, donna les droits et les privilèges à tous ceux
d'assez de considération pour remplir les devoirs des sei-
gneurs manoriaux de la colonie. Ces concessions mano-
riales furent accompagnées de haute, moyenne et basse
^'ustice sur les tenanciers, de commandement militaire du
district et de représentation dans le conseil du seigneur-
palatin, ou de son représentant, le gouverneur.
SEIGNEURS PATRONS
Le titre de seigneur patron, est aussi dans cet ordre, en
section III, charte de la Nouvelle-Néerlande tome I, p. 370,
•'New- York Hist, Coll., 2nd Séries," il dit :
" Que tous ceux, accrédités Patrons de Nouvelle-Néer-
lande, qui dans l'espace de quatre ans après leur don
d'avoir à quelques collèges ou chambres de la* compagnie
des Indes, Occidentales ici (Amsterdam) ou, au comman-
deur ou au conseil là (Amérique), qu'ils sont prêt à y trans-
porter une colonie de cinquante personnes.
" Que du temps qu'ils ont fait annoncer le lieu des pla-
ces où ils se proposent d'établir leur colonie, ils auront la
préférence à toute autre personne à la seigneurie des dites
terres."
" Que les Patrons en vertu de leur pouvoir ont le droit
d'étendre les limites de leurs terres sur quatre lieues de
rivage.
" Qu'ils auront la souveraineté la jouissance de toutes
leurs terres en perpétuité et aussi le commandement mili-
taire avec haute, moyenne et basse justice. Personne n'a le
privilège de pêcher ou de chasser sans le consentement du
patron. Et quand un patron a établi des communes ou des
villes, la commission des magistrats et autres officiers des
dites communes et villes appartient à lui.
440 LA REVUE FRANCO -AMÉRICAINE
'' Ni colon, ni domestique n'a le droit de partir sans la per-
mission du patron."
Le gouverneur de la Virginie, sir Alex. Spottswood
donna le titre de chevalier de fer d'or de cheval aux grands
de cette colonie qui avaient assisté à l'avancement et à la
prospérité de la Virginie.
L'ORDRE DE L'EMPIRE-UNI
Il y a trois parties principales ^dans l'histoire de la
guerre en Amérique, de 1775 à 1783, savoir : I. La partie la
plus noble — celle pour l'indépendance américaine, dont
l'espoir était de conserver les chartes royales des colonies
dans toutes leurs étendues, cette partie peu de nombreuse,
alliée au roi de France, fut renversée presque immédiate-
ment après l'établissement de l'indépendance américaine
par la deuxième partie. IL La partie révolutionnaire et
nivelleuse, qui rêvait une république — l'étiquette d'un pa-
reil mot ne recouvrant que la tyrannie la plus hideuse de
toutes — le despotisme irresponsable des multitudes. Plu-
sieurs des constitutionnels de la partie première se sauvè-
rent en I778*en se ralliant à la troisième partie — la partie
loyaliste. Cette partie avait un esprit d'attachement ser-
vile au gouvernement britannique, même en dépit des ac-
tes tyranniques et inconstitutionnels de ce gouvernement.
Ces plusieurs constitutionnels royalistes ne se ralliaient à
cette partie qu'après que le gouvernement britannique eut
prôné, par l'Acte du Parlement de 1778, de respecter les
droits et les chartes de la constitution des colonies.
En février 1871, sir Henri Clinton, avec l'autorité du Roi,
donna une commission a former un conseil pour les 'Asso-
ciated Loyalists of America," à William Franklin, gouver-
neur de Nev^ Jersey; J. S. Martin, gouverneur de North Ca-
rolina ; général Timothy Ruggles, Massachusetts ; Daniel
Coxe, G. Ludlow^ Edvv^ard Lutwyche, George Romer,
George Léonard, Anthony Stewart et Robert Alexander.
De 1778 à 1782, les ** Loyalistes Associés " formèrent un
gouvernement eux-mêmes dans la province de la Géorgie,
fondé sur l'ancienne constitution de cette province, en
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 441
chassèrent les révolutionnaires et défendirent leur ville prin-
cipale (Savannah) des assauts de leurs ennemis; ils met-
taient en 1780 la province en paix du Roi par leurs com-
missaires et, après la reddition de lord Cornwalllis avec
son armée anglaise à Yorktown en 1782 (un événement qui
termina la guerre), ils offrirent à tenir la province contre
toute aggression révolutionnaire, mais le gouvernement an-
glais avait déjà fait une capitulation de tous ses droits
dans les colonies, jadis anglaises — même dans la Géorgie,
sans le consentement des Loyalistes Associés, qui y étaient
victorieux !
En 1783, et pour plusieurs années, les familles loyalistes
avec des familles royalistes, se réfugièrent au Canada con-
tre la tyrannie de la démocratie triomphant^ dans les an-
ciennes colonies. Unissant avec les royalistes français du
pays en Canada, qui avaient porté les armes et pris une
part principale dans la lutte pour le Roi et la Constitution
de 1775-83, ils obtinrent de la Couronne par TActe (Loya-
liste) de Québec de 1789 un renouvellement de leurs droits
de préséance semblable à un ordre de noblesse dans l'état.
Cet acte dit : " Conseil de Québec, 9 nov. 1789, en pré-
sence du gouverneur lord Dorchester et des conseillers, les
hons. W. Smith, Hugh Finlay, T. Dunn, J. G. C. de Léry,
F. Baby, Charles de Lanaudière, Lecomte Dupré, etc.
" Sa seigneurie intima au conseil que c'est son vouloir
d'accorder " une distinction " aux familles qui avaient
adhérée à l'unité de l'empire et s'étaient ralliées à
l'étendard royal en Amérique avant le traité de sépara
tion de 1783... Le conseil consentit et ordonna que les bu-
reaux des registres des terres de la Couronne (Land-Boards)
prissent soin de conserver un registre de toutes les .personnes
de la dite description afin que leur postérité pût être dis-
tinguée des autres colons." Mais ces registres à présent
sont incorporés avec ceux du Collège des Armes du Canada
et les descendants en noms de famille des officiers de ces
registres appartenant en outre à une famille armoriale
sont admis à la noblesse seigneuriale du pays avec la
" distinction " décrétée par cet acte, de banneret de
442
LA REVUE FRAXCO-AMERICAINE
Québec de TEmpire-Uni sous la présidence héréditaire de
la famille Dorchester. Le président des bannerets depuis
1908 est la baronne de Dorchester, qui a donné une décora-
tion magnifique aux membres des ordres confédérés dans
l'Ordre Aryen et Seigneurial de TErapire et enregistrés au
collège des armes du Canada.
Les Familles de la Noblesse de nom et des armes, sei-
gneuriale, consulaire, bourgeoise et alumnale dans les
Archives du Collège des Armes du Canada.
Les descendants de ces
familles en noms de fa-
mille qui désirent enregis-
trer les preuves de leur
noblesse dans les regis-
tres du Collège et recevoir
le diplôme, le bouton et
la décoration de la no-
blesse de rOrdre Aryen
et Seigneurial, doivent en-
voye,r leurs renseigne-
ments au bureau de cette
Revue, adressés au Vi-
comte de Fronsac, maré-
chal de blason, ** Revue
Franco- Américaine, 197,
rue N o t r e-Dame Est,
Montréal.
DENYS DE LA THIBAUDIERE
Seigneuis d-^ Bonnaventure, de Fronsac, de St-Simon, de
La Ronde, de l.i Trinité.
Armes : De gueules à la grappe de raisin d'argent; L'écu
timbré de la couronne de comte, supporté par deux cerfs.
Couronne seigneuriale.
LA NATION FRANCO-NOKMANDE Al^ ('ANAl)A 443
Histoire : Jean Denys, natif de Honfleur. Il était un des
plus audacieux et expérimentés des navigateurs de France.
En 1504, il avait fait une expédition aux côtes de Brésil;
" il est le premier des Normands qui aborda à Terreneuve
d'une manière authentique." (Dionne. En la Nouvelle
France," p. 10/). Il est Fauteur d'une carte du grand golfe
du Canada (Saint-Laurent) en 1506. On retrouve son nom
dans un manuscrit du XVe siècle, intitulé : "Registre de la
charité et confrérie fondée en l'église Notre-Dame de Hon-
fleur" en 1547. Le nom y paraît de son fils Jehan
de son petit-fils aussi un Jehan et de son arrière-petit-fils,
un autre Jehan. Ce dernier avait un fils, le capitaine Je-
han Denys, marié à Marguerite, fille de David Forsyth,
Seigneur de Dykes en Ecosse et vicomte de Fronsac en
France.
Pierre Denys, un des fils du grand explorateur, s'établit
à Tours en Touraine, et devint intendant des finances de
Tours. Son fils :
Mathurin Denys, sieur de la Thibaudière, était capitaine
des gardes du roi. On raconte que le 7e jour de mai 1589,
le roi Henri III, étant assiégé dans la ville de Tours par le
duc de Mayenne, général de la Ligue, était obligé de faire
marcher tout, même ses gardes, contre le duc, sauf Denys
qui devait garder le roi. Denys fut tué à son poste par les
ennemis. Le roi lui fit l'honneur de sa présence aux
funérailles, le corps de Denys étant accompagné jusqu'au
tombeau à Saint-Symphorien par les gardes rovaux. Il
épousa Mlle Aubert. Son fils :
Jacques Denys, sieur de la Thibaudière, était un officier
de distinction dans l'armée d'Henri III, ayant succédé à son
père dans la garde royale. Il épousa Marie, fille de Hugues
Cosnier de Beseau, dont le fils était Emilien Cosnier, un des
cent gentilshommes du roi. Ses fils :
I Nicolas Denys, né à Tours en 1598. Lui et ses frères
héritèrent du capitaine Jehan Denys, de Honfleur, leur pa-
rent (qui avait épousé Marguerite Forsyth de Fronsac), de
ses droits dans la Nouvelle France. Il partit en 1632
avec une commission militaire dans la suite de Isaac de
444 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Launoy, chevalier de Razzili, vice-amiral de France, ré-
cemment nommé gouverneur de l'Acadie. Il devint gou-
verneur lui-même par commission du roi du 30 janvier
1654. Il établit deux colonies : une à Chedabouctou et
et l'autre à St-Pierre. Il avait la concession de presque
toute l'île du Cap-Breton, hors les établissements militaires.
Charlevoix, dans son histoire de la Nouvelle-France, dit de
lui qu'il était le mieux instruit des gouverneurs du pays. Il
est auteur de la première histoire en français de l'Améri-
que du Nord, ayant publié à Paris en 1672 son ouvrage in-
titulé "Histoire de l'Amérique Septentrionale", et un autre,
" Avec une Histoire Naturelle du Pays." Par recommanda-
tion de Talon, comte d'Orsainville, et intendant de la Nou-
velle-France, le titre de Fronsac lui fut concédé en 1676.
Il épousa, en France, Marguerite de la Faye. De ses deux
enfants : — I Richard, vicomte de Fronsac, gouverneur de
Gaspésie, obtint une concession de quinze lieues sur la Mi-
ramichi, érigée en seigneurie en 1691. Son fils et ses en-
fants périrent d'une épidémie en 1732, et son successeur était
l'honorable Mathieu Forsyth. II Marguerite, fille de Nico-
las, le gouverneur, épousa son cousin, le capitaine James
Forsyth, petit-fils de David Forsyth, Seigneur de Dykes en
Ecosse et de Fronsac en France, à Honfleuren 1650, le titre
de Fronsac reste avec leur postérité.
II Jacques-Denys (frère de Nicolas), capitaine des trou-
pes, quartier-maître général des armées du roi, tué à Can-
die, dans l'armée navale des Vénitiens.
III Henri Denys (frère de Nicolas), tué en Italie dans le
régiment des gardes du roi.
Simon Denys, aussi frère de Nicolas), sieur de la Trinité
en Canada, né à Tours en 1599. Capitaine dans le célèbre
régiment Carignan-Salières envoyé au Canada par le roi
Louis XIV en 1666, enrôlé dans la Noblesse du Canada en
mars 1668, par ordre du roi sur requête de l'intendant royal.
Talon. Il était aussi receveur général pour la compagnie
de la Nouvelle-France à Québec. Il épousa en France, en
1630, Jeanne du Breuil-soeur du sieur du Breuil, procureur
LA NATION FRANCO NORMANDE AU CANADA 445
du roi au Gréniel à Sel de Tours. En seconde noce, il
épousa Françoise du Tertre (1643). Ses enfants :
I Pierre, à suivre.
II Charles, sieur de Vitré.
III Françoise, née en 1644. mariée à Michel Le Neuf,
sieur du Hérisson.
IV Catherine, née en 1646.
V Paul, sieur de St-Simon.
VI Marguerite née en 1651, mariée à Michel Cressé.
VII Barbe, née en 1652, mariée à Antoine Pecody-Contre-
cœur, etc.
Pierre Denys (fils aîné), sieur de la Ronde né à Tours en
163 1). En Canada, il était grand-maître des eaux et forêts.
Il épousa, à Québec, en 1655, Catherine Le Neuf de la Val-
lière, fille de Jacques Le Neuf, sieur de la Poterie, gouver-
neur de Trois-Rivières, qui, après la mort du gouverneur de
Mezie, devint administrateur du pays au nom du roi ; sa
femme était Marguerite Le Gardeur de Tilly. Il est mort
en 1708. Ses enfants :
I Marguerite Renée, née aux Trois-Rivières en 1656, ma-
riée à Thomas de la Nouguère et en seconde noce, à Jac-
ques Alex, de Fleury.
II Jacques, né en 1657.
III Simon Pierre, à suivre.
IV Marie Angélique, née en 1664, mariée à Charles Au-
bert.
V Claude, né en 1663.
VI Françoise, née en 1644, mariée à Guillaume Bonthier
en seconde noce à Nicolas D'Ailleboust, sieur de Menteth,
de la famille du gouverneur.
VII Marie Charlotte, née en 1 668, mariée à Claude de Ra-
mezay, gouverneur de Montréal, où il bâtit le château de
Ramezay en 1705.
VIII Marie-Louise, née en 1671, mariée à Pierre D'Aille-
boust, sieur d'Argenteuil, de la famille du gouverneur.
IX Louis, sieur de la Ronde, né en 1675, marié à Louise
Chartier de Lotbinière (à suivre).
X Anne Ursule, née en 1677, mariée à François Aubert.
446 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
Simon Pierre Denys, chevalier de Bonnaventure, né en
1659, chevalier de l'ordre de St-Louis, capitaine de frégate,
gouverneur de Port-Royal en Acadie en 1689. Il vainquit
les vaisseaux de guerre anglais partout, jusqu'au port de
Boston. Il épousa, en 1686, Geneviève Couillard, de l'Es-
pinay, desEssars, de Beaumont, fille de Louis, sieur de l'Es-
pinay, et en seconde noce, Jeanne Janière, de Homburg.
Son fils :
Claude E. Denys, chevalier de Bonnaventure, chevalier
de St-Louis, amiral de France, et major commandant le
bataillon au Cap-Breton. Il revint en France après la ces-
sion du Canada à l'Angleterre, avec le gouvernement géné-
ral des troupes. Il meurt à Rochefort des suites de bles-
sures reçues au siège de Louisbourg. Il épousa sa cousine,
en 1748, Louise, fille de Louis Denys, sieur de la Ronde, et
de Mlle Louise Chartier de Lotbinière. Son fils :
Claude Charles Denys, chevalier de Bonnaventure, che-
valier de Saint-Louis, capitaine de vaisseau, né le 15 oc-
tobre 1749, électeur de la noblesse d'Aunis en 1789, mourut
en émigration en 1801. Il avait épousé Pélagie de Butler
en 1790. Ses fils :
I Amédie (à suivre).
II Adolphe, né en 1799, mort en 1871.
Amédée Denys, chevalier de Bonnaventure, né en 1796,
chevalier de la Légion d'honneur, et de Charles III d'Es-
pagne. Il épousa Mlle Laurisseau. Ses fils :
I Charles (à suivre).
II Achille, né en 1832, marié à Emilie de Montlaur, de
Bonnecarère, eut trois enfants : 1er Charles, marié à Mlle
de Chauvigny, 2e Marie Louis et 3e Eugénie.
III Eugénie, née en 1832, mariée à M. de Chûner, eut une
fille, Zénobie, mariée en 1886 à M. le comte de Nucheze.
Charles Denys de Bonnaventure, mort en 1871. Trésorier
de la marine en 1830, il épousa Clémence de Villeron de
Courson. Son fils :
Louis Denys de Bonnaventure, né en 1860, marié en 1886
àMarthe de la Ro chelrochrd. Ses enfants :
Jean, né en 1889. Elizabeth, née en 1887.
LA NATION FRANCO-NORMANDE AU CANADA 447
DENYS DE LA RONDE
Louis Denys, sieur de la Ronde, fils de Pierre Denys de
a Ronde et de Catherine Le Neuf de la Poterie, enseigne,
capitaine dans la marine, commandant au Port-Royal en
Acadie ; envoyé auprès des colonies de la Nouvelle-Angle-
terre en 171 1. Il épousa, en 1709, à Québec, Marie Louise,
fille de René Louis Chartier, seigneur de Lotbinière, mem-
bre du Conseil supérieur de Québec. Ses enfants :
I François Paul Denys, sieur de la Thibaudière, né en
1722, officier, marié à Marguerite, fille de Alex. Celles-Du-
clos, sieur du Sailly, juge civil et criminel à Montréal.
II Philippe Denys de la Ronde, capitaine d'un détache-
ment de marins, marié à Québec, en 1753, à Louise Margue-
rite, fille de Jean B. Gaillard, fils de Guillaume Gaillard,
seigneur de Tlsle et comté de St-Laurent.
III Pierre Denys, chevalier de la Ronde, chevalier de
St-Louis, né à Québec le II novembre 1726. major
des troupes envoyées dans la Louisiane. Il épousa
Madeline, fille d'Ignace F. de Broutin, capitaine in-
génieur, envoyé de France dans la Louisiane; il était pa-
rent du marquis de Vaudreuil, dernier gouverneur français
du Canada. Avant son mariage avec de la Ronde, elle
avait épousé le lieutenant Louis Xavier Chalmet de Lino.
Ses enfants :
I Louise, née en 1758 à la Nouvelle-Orléans, mariée à don
André Almonaster y Roxas, natif de Mayrena, Andalousie,
en Espagne, né en 1725, chevalier de l'Ordre royal de Car-
los III, colonel dans la Louisiane, lieutenant royal et acalde
del Cabildo. Son père était don Miguel José Almonaster
et sa mère donna Maria Juanna de Estrada y Roxas, — les
deux de noble naissance. Don Almonaster est enterré en
face de l'autel Saint-François d'Assise, au-dessus d'une
feuille de marbre sur laquelle sont inscrits son nom, le blason
de sa famille, ses honneurs royaux et l'énumération de ses
dons magnifiques. — Il avait fondé la cathédrale St-Louis,
le palais de justice, le presbytère et plusieurs écoles pour
les enfants, et l'hôpital pour les lépreux. Il avait une fille
448 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Michela Leonardo, née en 1/95, mariée à Joseph C. Delfau
de Pontalba, lieutenant dans la marine française, comman-
dant auX Côtes des Allemands sur le Mississipi, après, gé-
néral de division dans l'armée de Napoléon 1er et fils de
Xavier Delfau, baron de Pontalba et officier dans les ar-
mées d'Espagne.
II Marie Thérèse, née en 1759, mariée à don Juan Pieto,
à la Nouvelle-Orléans.
III Marguerite, née en 1761.
IV Pierre Denys de la Ronde, né à la Nouvelle Orléans en
1762, lieutenant dans le régiment royal de la Louisiane,
commandant, civil et militaire de la paroisse St-Bernard,
alcade del Cabildo (1798-1803), colonel du régiment royal
et commandant en chef des troupes de la Louisiane à la
bataille de la Nouvelle Orléans (1814), gagnée par les trou-
pes de la Louisiane contre l'armée anglaise. Le plan de
a bataille fut projeté par lui et ordonné par le général
Jackson. Il était membre de la convention constitution-
nelle de l'Etat en l8l2. Il épousa, en 1788, Eulalie. fille de
Louis Alex. Gerbois, officier dans l'armée française. Ses
enfants :
I Eulalie, née à la Nouvelle Oi léans, en 1788, mariée à Ga-
briel Eréville Villeré, colonel du 3e régiment de la Loui-
siane à la bataille de la Nouvelle-Orléans, fils du major-
général Jacques P. Villeré, 2e gouverneur de la Louisiane.
II Elisabeth Célestes, née en 1792, mariée à Maunse
White, colonel dans la guerre du Mexique de 1846, et sé-
nateur de l'Etat de la Louisiane.
III Keloïse, née 1792.
IV Manette, née en i;99, mariée au général Casimir La-
coste.
V Pépite, née en 1799.
VI Adélaïde Adèle, née en 1803, mariée à Thon. Joseph
Adolphe Ducros.
• Note.— Le régiment royal de la Louisiane fut ordonné
par le roi Charles III d'Espagne en 1764. M. le comte de
Unzaga en était le premier colonel et don J. Estecheria
était son successeur.
L'industrie nationale
Mon cher directeur,
Il n'y a pas que la question irlandaise qui intéresse vos
lecteurs. Ainsi, je reçois à tout propos et à tous moments
les lettres les plus étranges, et aussi les plus intéressantes, sur
diverses matières, qui prouvent jusqu'à l'évidence que dans
tous les domaines de l'activité humaine nous sommes, sans
nous en douter, les artisans de notre propre déchéance. La
question irlandaise elle-même qui nous cause en ce moment
tant de soucis n'a pas d'autre cause que cette apathie inlas-
sable qui nous laisse indifférents devant nos propres intérêts
et qui, depuis des années, nous fait sans cesse tendre le dos à
tous ceux qui veulent bien se donner la peine de nous tondre.
Et Dieu sait si on nous tond ! -Vous avez montré que la crise
dont a souffert l'Université d'Ottawa n'était pas due au seul
esprit envahisseur de l'élément irlandais, mais qu'elle était due
en grande partie à ceux qui, pouvant tout conserver, ont subi
toutes les conquêtes et cédé devant tous les empiétements.
Un journaliste de Montréal^ il 3^ a un peu plus d'un an, a
soulevé une jolie tempête avec un seul article conseillant un
emploi plus judicieux des capitaux canadiens- français comme
force économique nationale, en engageant ses compatriotes à
créer pour leur profit la force financière qui fait en somme
toute l'influence anglaise. Et pourtant il avait raison. Aussi,
pour le combattre a-t-on dû dépasser sa pensée et prendre à la
lettre un conseil qui demandait tout simplement un peu de dis-
cernement dans son application.
Ce qui est vrai du rôle des capitaux canadiens-français ne
l'est pas moins de notre industrie nationale. Du reste, qui dit
industrie dit capital, clientèle, etc.
C'est dans cet ordre d'idées que la lettre suivante trouvée
dans mon courrier, parmi une foule d'autres, pose un problè-
me qui mérite une étude et une publicité que vous ne lui refu-
450 LA REVUE FRAKOO-AMÉRICAINE
serez pas! Il suffit, d'ailleurs, d'exposer une foule de maux
dont nous souffrons pour que le remède^à appliquer saute à l'es-
prit spontanément, sans effort. Et les plus intéressés, les
plus mêlés à la discussion souvent, sontjles premiers à dire :
" Ma foi, nous n'y avions pasj^ensé ! "
Le chef d'une maison canadienne-française importante
m'écrit donc ce qui suit ;
"Monsieur, — Votre franc-parler me porte à attirer votre
attention sur un fait d'une importance considérable. Et quel-
que soit la surprise que cela vous cause, je puis vous assurer
que vous seriez étonné bien davantage si je vous donnais en
même temps tous les chiffres et tous les noms qui en démon-
trent la véracité. Mais le fait est assez connu pour qu'il soit
nécessaire de trop insister. Je me contente d'ajouter les con-
sidérations qui découlent comme de source.
" Par ce temps de croisade d'action sociale où l'on nous
prêche, avec beaucoup de raison, l'union des bonnes volontés
et l'organisation des catholiques, nous croyons de notre devoir,
dans l'intérêt de notre race, pour assurer son développement
économique duquel dépend la prospérité de nos in.stitutions,
pour maintenir la foi dans les âmes et garder la confiance du
peuple envers notre clergé, de signaler un certain état de cho-
ses qui nous peine grandement et faire appel à un esprit de jus-
tice qui sur tous les autres points est rarement pris en défaut.
" Vous n'ignorez pas que notre jeune pays est encore à sa
première période de formation ; que le commerce et l'industrie
chez nous sortent à peine de l'enfance et que les Canadiens-
Français, qui n'ont pas eu comme les Anglais arrivant ici les
capitaux et l'entraînemenc pratique de la mère-patrie pour se
lancer dans les affaires, mais qui ont dû tout improviser, ont
besoin avec toutes leurs ressources, de l'appui, des conseils et
de l'encouragement des leurs, concours indispensable que l'on
trouverait dans un esprit national bien éclairé.
• " Ce qui nous peine c'est de constater que plusieurs commu-
nautés religieuses, des institutions de charité, des fabriques
de nos paroisses des villes et des campagnes de la province de
Québec, qui savent tendre la main et faire appel à la charité
des catholiques de ce pays, surtout des Canadiens-Français, se
servent de l'argent ainsi obtenu pour acheter des maisons an-
glaises protestantes, des francs-maçons et même, sans le sa-
voir, sans doute, des Juifs, lesquels s'enrichissent de nos
efforts ainsi dispersés, augmentent d'autant leur puissance
contre nous et nous ignorent ensuite quand nos maisons pour-
l'industrie nationalf 451
raient leur procurer, à conditions égales, les mêmes mar-
chandises.
" C'est pénible à constater, surtout quand on a travaillé
pendant nombre d'années, de concert avec plusieurs autres
maisons canadiennes-françaises et catholiques, à conquérir
notre place dans le champ de l'activité humaine pour pro-
duire et fournir à toute notre population ce dont elle peut
avoir besoin et en même temps donner de l'ouvrage à nos ou-
vriers, de voir nos efforts paralysés. Et nous qui avons fait
une œuvre nationale autant qu'une entreprise financière mal-
gré des débuts humbles et un capital limité, nous sommes
encore exposés à l'oubli ou au dédain des nôtres plus portés à
s'extasier devant la grandeur et la magnificence d'établisse-
ments anglais, francs maçons ou juifs, qu'à reconnaître et à
encourager l'humble initiative de leurs compatriotes et core-
ligionnaires.
" Nous comprenons, et vous le comprenez de même facile-
ment, que dans de pareilles conditions, nous puissions paraître
inférieurs à nos concurrents anglophones, mais alors, si cette
chose peut être constatée sérieusement, ne serait-ce pas un acte
de charité bien comprise de la part de ces institutions, dont
quelques-unes ont pour mission d'enseigner au peuple, de nous
indiquer en quoi nos produits nationaux sont inférieurs aux
autres. Ne serait-ce pas là une excellente occasion de nous
apprendre ce que nous sommes pardonnables d'ignorer encore,
et de faire ainsi œuvre d'action sociale très utile et très pa-
triotique, avant de s'adresser aux maisons étrangères.
"D'ailleurs, ces maisons étrangères n'ont guère de titres
à ces faveurs, et elles le savent. Aussi font-elles très adroi-
tement et très assidûment le siège de nos communautés. Elles
ne contribuent en rien à ces œuvres, ne soutiennent guère
notre classe ouvrière, pauvre mais honnête, qui chôme dans
nos villes alors que l'argent des catholiques répand l'activité
et l'abondance dans les établissements étrangers. Elles font
miroiter les gros escomptes plus fictifs que réels, emploient
même le plus souvent des Canadiens-Français comme sollici-
teurs et vont jusqu'à offrir, nous le savons, des commissions
souvent considérables au tiers qui veut leur faciliter l'entrée
de nos communautés, quitte à se reprendre sur la quantité, la
qualité ou le prix des articles vendus.
"Si quelqu'un disait que le Canadien-Français n'a pas de
cœur, qu'il est égoïste, elles seraient légions les voix qui
s'élèveraient même dans les milieux où on le méconnaît le plus
dans les questions d'affaires pour opposer à ses détracteurs le
plus énergique démenti. En effet, on ne fait pas en vain appel
452 LA REVUE FRANCO-AMÉRICIANE
aux Canadiens-Français. Nos bourses s'ouvrent toujours à
l'appel de nos pasteurs : riches et pauvres, nous versons géné-
reusement et joyeusement le secours demandé.
"Ce n'est pas à vous, monsieur, que nous apprendrons que
nos communautés religieuses, nos patronages, nos hospices,
en un mot, tous les établissements de charité et d'enseigne-
ment de notre ville sont soutenus en grande partie par ses
négociants.
' ' Les différentes communautés religieuses qui nous sont ve-
nues de l'ancienne mère-patrie ont trouvé chez nous l'accueil
le plus chaleureux et sur ce point je ne chercherai même pas
à rappeler ce que nous avons fait dans ces circonstances. Ce
qui a été fait est assez connu pour nous donner le droit de
demander si nous avons été payés de retour.
* * A force de moisonner on épuise la meilleure terre et si
l'agriculteur ne rend pas au sol ce que des moissons successi-
ves lui ont enlevé il s'expose à de graves conséquences sinon
à la ruine
" Nous admettons volontiers, et nous sommes heureux de le
reconnaître, que les services rendus par nos admirables institu-
tions de charité valent bien les aumônes données. Mais ne
serait-ce pas tarir les sources mêmes de la charité, compro-
mettre la permanence de ces institutions, affaiblir la confiance
dans la sûreté de jugement et l'esprit de justice de ceux qui
les dirigent, que de négliger d'adopter une politique qui serait
à la fois un acte de reconnaissance et une mesure de protec-
tion nationale?
' ' Certains vont se scandaliser de cette franchise avec la-
quelle j 'expose une situation grosse de périls pour notre or-
ganisation sociale. Soyez certain, monsieur, que les plus
prompts à protester ne seront pas les plus prompts à vider
leur bourse dans l'escarcelle du pauvre. J'aurais pu comme
bien d'autres flagorner nos chefs hiérarchiques et miner en
dessous leur autorité ou encore fournir des fonds à ceux qui
les combattent. Ce n'est pas mon genre. Même après cette
lettre on ne s'apercevra pas que la contribution de notre
maison aux œuvres de charité a diminué d'un sou ; on pourra
mêm(î continuer à lire nos annonces dans une foule de publi-
cations qui vont porter leur clientèle ailleurs sans se demander
s'il serait possible de trouver ce qu'il leur faut, même à
chance égale, dans des maisons canadiennes-françaises. Tout
ce que je demande, c'est qu'on apporte un remède à ce que
je crois être un vice de notre organisation. Et c'est parce
que je m'intéresse au splendide mouvement d'action sociale
vers lequel on pousse les Canadiens-Français que je leur de-
l'industrie nationale 453
mande d'exercer V action sociale directe et pratique et d'inau-
gurer enfin pour notre industrie nationale cette coopération
discrète qui a mené le commerce anglais à la conquête du
monde.
"On aura beau dire qu'il n'y a pas de sentiment en affaires,
tout le monde comprend que cette parole n'est pas tout à fait
vraie.
' ' Nos gouvernements, nos corporations municipales nous en
donnent la preuve : les premiers en n'admettant pas de travail-
leurs étrangers ; les seconds en exigeant des entrepreneurs
l'emploi exclusif des ouvriers de leurs villes et d'après une
échelle minima de salaires. Pour notre part, nous croyons
aussi que le titre de canadien-français et catholique est un lien
vsufiisant pour nous unir et nous protéger dans le domaine éco-
nomique tout autant que dans le domaine national."
Cette lettre n'est pas le fait d'un négociant déçu, et si elle
demande quelque chose c'est qu'on y réfléchisse. D'ailleurs
elle fait beaucoup plus que de montrer l'irréflexion en affaires
dans un genre particulier. Elle met le doigt sur une plaie
béante, elle montre un défaut général. Et, pour un négociant
qui a pris la peine de nous écrire ses griefs, il en est cinquante
qui nous ont raconté la même chose en mettant d'autres
acheteurs en cause, et il en est des centaines qui gardent le
silence mais pourraient en dire tout autant.
M. Sylva Clapin a parlé dans ses "Sensations de Nouvelle
France" de notre esprit colonial. C'est cet esprit rétrograde
et routinier qui nous porte à admirer outre mesure nos voisins
et à négliger les moyens qui nous feraient leurs égaux dans le
commerce comme nous sommes leurs égaux dans beaucoup de
choses et leurs supérieurs dans beaucoup d'autres.
Il est un fait que je n'ai jamais pu m 'expliquer. .Plusieurs
grosses fortunes ont été faites dans l'industrie du bois par
des Anglais arrivés sans le sou dans la province de Québec et
cela dans l'espace de quelques années. Parmi ceux qui, dans la
même industrie, et trop souvent à même le domaine national,
s'enrichissent actuellement sous nos yeux, combien de Cana-
diens-Français comptez-vous? Les plus chanceux parmi les
nôtres se contentent encore de ramasser les miettes qui tombent
de la table de spéculateurs qui avant de couper un pied de bois
454 LA REVUE FRANOO-AMiEICAINE
sur les terres de la Couronne n'auraient pas pu acheter une
paire de chevaux à crédit.
Question d'initiativ^e, direz-vous ? Pour une large part, sans
doute ; mais aussi question de prévoyance et de saine précau-
tion. Il n'est pas normal que les négociants canadiens-fran-
çais soient à peu près au même point^ qu'il y a cinquante ans,
que nos industriels soient encore, par notre faute, à la merci
des grandes maisons de la métropole ou encore ;des maisons
anglaises des provinces voisines.
lye projet de remanier le tarif entre le Canada et les Etats-
Unis a mis en branle tout le mécanisme économique de l'Em-
pire. Pourquoi serions-nous moins jaloux de nos propres in-
térêts ? Il est bien sûr qu'ayant à traiter |avec un peuple es-
sentiellement commerçant notre prestige ne pourra que s'ac-
croître par la discrétion sagement [patriotique que nous met-
trons à distribuer nos capitaux et notre clientèle.
A ceux qui seraient tentés de croire que nous prêchons de
boycotter les maisons anglaises nous ferons remarquer que
nous ne demandons j rien de tel. Nous ne demandons pas
autre chose pour le commerce canadien-français^que la_|îpart
qui lui revient de droit dans une province aux neuf-dixièmes
canadienne-française, que les nôtres achètent de leurs maisons
canadiennes-françaises, à chance égale, avant d'aller ailleurs
tout comme les Anglais ou les Juifs achètent de leurs compa-
triotes avant de s'adresser à d'autres.
Par exemple, on serait étonné de la comparaison entre les
achats de Québec dans Ontario et les achats d'Ontario dans
Québec.
Dans la province de Québec, les banques canadiennes-fran-
çaises devraient être à la tête de toutes les autres. Qu'est-ce
qui arrive ? Pour $10,000,000, que nous avons dans nos
propres institutions nous en avons $40,000,000, dans les ins-
titutions anglaises. C'est une anomalie. Les affaires iraient
tout aussi bien si les rôles étaient inverses, et dans le com-
merce comme dans les autres sphères nous serions les maîtres
chez nous.
On peut voir que l'industriel qui vient de nous signaler
quelques cas particuliers à son genre de commerce, a soulevé
une question bien autrement grave. Michel Renouf
Encombrement des professions libérales
et le fonctionnarisme
Les journaux nous annonçaient l'automne dernier que les
collèges classiques et les séminaires de la province de Qué-
bec, ont tous été obligés de refuser des élèves à la rentrée
des classes en septembre dernier. Le nombre en était trop
grand et ces maisons trop petites. Ceux qui trouvent que
notre peuple n'a rien à envier aux autres se réjouissent et
crient bien haut cet exemple, mais ceux qui connaissent le
but de cette course à l'instruction classique déplorent sincè-
rement cet état de choses, parce qu'ils savent que tous ces
enfants que l'on dirige ainsi vers nos collèges sont destinés
soit aux professions libérales, soit au fonctionnarisme.
Déjà les professions libérales sont encombrées et il est
pénible de constater dans quelle position difficile se trouve
le jeune médecin, le jeune avocat ou le jeune notaire qui
vient de recevoir ses diplômes.
C'est une plaie de notre époque. C'est un mal endémique
qui affecte tous les petits Canadiens-Français venant au
monde, ou du moins leurs parents joyeux de leur naissance.
Du temps des fées, ces aimables et chimériques-personnes
se réunissaient auprès des berceaux pour mettre sur l'oreil-
ler du nouveau-né un des dons de leur mystérieuse puis-
sance. "Tu seras beau, disait l'une ; riche, ajoutait l'autre ;
bon, gracieux, spirituel, heureux, aimé..." et l'on s'efforçait
à ne pas déplaire à la méchante Carabosse et à ses satel-
lites et de conjurer tout mauvais sort. Toutes les porteuses
de baguettes magiques d'autrefois se confondent aujour-
d'hui en une seule qui dépose, sur le lit minuscule où piaille
le petit bout *de Canadien-Français, tout frais éclos, ce
souhait qui résume tous les bonheurs: "Tu seras instruit :
par conséquent, curé, peut-être, ou encore avocat, notaire,
456 LA REVUE FRANCO-AMERICAINE
médecin, sinon, tu seras pour le moins fonctionnaire, '*écri-
vain au parlement."
Etre curé, avocat, notaire, médecin, fonctionnaire, paraît
à un nombre extraordinaire de familles le but suprême de
la vie humaine et le comble de la félicité. Nourri dans
cette idée, qu'on ne cesse de faire miroiter, l'enfant dès
qu'il a une ambition n'a pas d'autre ambition, et il ne voit
rien d'autre qui pourrait lui convenir, il veut et il sera
monsieur le notaire, monsieur le docteur ou monsieur le
curé.
C'est ce qui fait que les professions libérales sont en-
combrées ; qu'un grand nombre de nullités... médicales ou
légales — grâce aux examens faciles, de parfaits ignorants,
sont reçus médecins, avocats ou notaires — sont obligées de
faire des petites bassesses et mêmes de petites infamies
vivre ; qu'un grand nombre de personnes vont se ruiner pour
devant les tribunaux où elles ont été conduites par des avo-
catsqui n'ont jamais compris un texte de loi ; que des notaires
rédigent des testaments qui sont de véritables nids à pro-
cès et qui aboutissent à la ruine complète des héritiers,
sans toutefois parvenir à déchiffrer devant les cours ce que
l'on a bien voulu dire dans ces testaments ou actes nota-
riés ; qu'un nombre incalculable d'enfants sont expédiés
ad patres par d'obscures ténébrions à qui l'on a permis de se
dire "docteur".
Le tableau est tellement noir que l'on serait tenté de
croire à de l'exagération.
Par leur incompétence ces avocats, ces médecias, ces no-
taires, etc., sont bientôt abandonnés des quelques clients
qui ont cru devoir les encourager, et ils viennent alors se
joindre à l'armée des quémandeurs de place du gouverne-
ment. Pourtant ces derniers sont déjà trop nombreux, car
tout individu mâle et même femelle, puisque certains dé-
partements regorgent de femmes, approchant de sa majo-
rité se considère apte à remplir sur la terre une mission
administrative et accable de ses sollicitations les élus du
pays aux divers degrés, lesquels à leur tour encombrent de
ENCOMBREMENT DES PROFESSIONS LIBÉRALES 457
leurs recommandations les ministres des différents services
du gouvernement.
De deux choses l'une : ou les candidats, augmentés des
ratés des professions libérales, sont nommés ou ils ne le
sont pas. Dans ce second cas, comme ils ne mettent pas
en pratique le principe de Molière : " On désespère alors
qu'on espère toujours", et qu'ils sont convaincus qu'un jour
ou l'autre, ils se réveilleront fonctionnaires, ils négligent
leur métier d'origine, ou ne travaillent plus que juste le
strict nécessaire, quand ils ne vivent pas en parasites aux
crochets de leurs parents. Peu à peu, ils s'étiolent morale-
ment, au moins dans le mépris de l'état qu'ils exercent
momentanément, croient-ils, et dans l'énervement d'une
perpétuelle attente. Que si, plus heureux, ils sont casés,
les voilà manœuvres officiels ou ronds- de-cuir, abandon-
nant la terre nourricière dont, malgré le progrès des ma-
chines, de vastes espaces restent en friche et en forêt,
tandis qu'eux peuplent les villes de leur nullité encom-
brante, les bureaux de leur oisiveté rétribuée et leur fa-
mille de dégénérés.
Pour quiconque a eu à fréquenter, à un titre ou à un autre,
les officines administratives, il est hors de doute que la
somme du travail qu'y s'y accomplit serait aussi bien faite,
sinon mieux, en supprimant deux employés sur trois, et
celui qui resterait serait mieux payé. Résultat : avantage
qui lui donnerait des ressources suffisantes au lieu d'un
salaire de famine qui en fait un crève-la- faim, et économie
de 50% pour le budget. Si vous multipliez cette économie
par le nombre formidable des employés de tous ordres,
vous verrez à quel chiffre vous arriverez.
J'en ai eu des exemples typiques sous les yeux, un entre
autres. Je connais un homme jeune encore, d'extraction
très modeste, qui est employé dans un ministère que je
nommerai pas, pour ne pas nuire à cet estimable bureau-
crate. Il s'en va chaque matin à son bureau à dix heures,
il emporte un roman sous son bras ainsi qu'une botte de
journaux pour charmer ses loisirs certains. A midi il va
dîner. Il rentre à deux heures, fume sa pipe de tabac cana-
458 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
dien en devisant avec ses deux compagnons de bureau,
tandis qu'un quatrième dans un coin les supplie de ne pas
le distraire par leurs histoires. Il a du travail à livrer ;
c'est toujours le même qui a l'ouvrage. Alors mon homme
jeune encore, sommeille pendant quelques minutes et se
plonge ensuite, la conscience tranquille, dans son roman,
jusqu'à cinq heures, où le bureau ferme. Total : cinq
heures de travail apparent pour lesquelles le gouvernement
lui alloue mille piastres par année. Cette somme lui permet
de vivre béatement, uniforménicnt, niaisement, inutilement.
Il a dans son bureau trois collègues dont deux en font tout
autant et émargent pour la même somme ; le quatrième, celui
qui fait le travail, n'a que huit cents piastres par année : on
a oublié de l'augmenter avec les autres, il n'a pas eu le
temps de faire les démarches nécessaires auprès des dépu-
tés, des cabaleurs, des influences qui comptent auprès de
son ministre, et ses compagnons de bureau se sont bien
tenus de l'avertir que le ministre était prêt à augmenter les
salaires, de crainte que leur augmentation en fût diminuée
d'autant. Un seul des quatre, payé deux mille piastres,
serait à l'aise et produirait tout autant. Le Gouvernement,
c'est-à-dire notre bourse, y gagnerait dix-huit cents pias-
tres et nos dignes ronds-de-cuir feraient, comme leurs papas,
des chapeaux, des culottes et des chaussures pour leurs
concitoyens, ce qui serait infiniment plus utile que ce qu'ils
font.
Mais ils ne seraient pas " M. l'employé." Quand ils vont
en congé chez eux, leurs compatriotes ne les salueraient
pas avec déférence, croyant voir en lui un reflet de la puis-
sance publique et, lorsqu'il est à sa sinécure, son père ne
pourrait pas dire avec orgueil : " Mon fils est écrivain au
gouvernement, c'est un monsieur à c't-heure."
Charles Bourguoin
Mensonge de chien
J'avais en lui une confiance aveugle depuis longtemps.
Nous nous aimions. C'était un chien mouton. Il était
blanc, avec une calotte brune. Je l'avais appelé Pierrot.
Pierrot grimpait aux arbres, aux échelles î Fils de bate-
leur, peut-être, il exécutait des tours de force ou d'adresse
inattendus. Il était amoureux d'une boule de bois grosse
comme une bille de billard ; il nous l'avait apportée un
jour, et, assis sur son derrière, il avait dit : " Lance-la-moi
bien loin, dans la broussaille. . , Je la retrouverai, tu ver-
ras !" On le fit. Il réussit à merveille dans son projet. Il
devint alors très ennuyeux ; il disait toujours : " Jouons à
la boule ! "
Il entrait dans le cabinet de travail de son maître, brus-
quement, quand il pouvait, avec sa boule entre les dents, se
mettait debout, les pattes de devant sur la table, au milieu
des paperasses, des lettres précieuses, des livres ouverts :
" Voilà la boule. . . Jette-la par la fenêtre, j'irai la chercher.
Ça sera très amusant, tu verras, bien plus amusant que tes
papiers, tes romans, tes drames et tes journaux ! .. . "
On lançait la boule par la fenêtre. . . Il sortait. . . Mais
non, on l'avait trompé, le bon Pierrot! Et à peine était-il
dehors, que la boule prenait place sur la t^ble, en serre-pa-
pier. Pierrot, au dehors, cherchait, cherchait. . . Puis, reve-
nant sous les fenêtres : *' Eh ! là-haut ! l'homme aux pa-
piers ! Ouah ! ouah ! Voilà qui est un peu fort ! Je ne trouve
rien ! C'est donc qu'elle n'y est pas. . . Si un passant ne l'a
pas prise, alors, pour sûr, tu l'as gardée ! "
Il remontait, fouillait du nez dans les poches, sous les
meubles, dans les tiroirs entr'ouverts, puis tout à coup, de
l'air d'un homme qui se frappe le front, il vous lorgnait :
" Je parie qu'elle est sur la table ! . . ." On se gardait bien de
parier puisqu'elle était, en effet, sur la table. . . D'un coup
d'oeil intelligent, il avait suivi votre regard. . . Il apercevait
460 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
sa boule. . . Pour la cacher encore, on l'enlevait d'une main
brusque... et alors, oh ! alors, bonsoir le travail! C'étaient
des parties de gaieté extravagantes ! Il sautait après la
boule, voulait l'avoir à tout prix, suivait vos moindres mou-
vements, ne vous quittait plus, toujours riant de la queue. . .
Avec cela, bon gardien. C'est ce qu'il faut à la cam-
pagne.
Il me faisait souvent penser à ces hommes métamorpho-
sés en chiens, comme on en voit dans les contes de fée.
L'oeil était d'une humanité tendre, sprofonde, implorante,
et disait : "Que veux-tu.? Je ne suis que ça : une bête à
quatre pattes, mais mon coeur est un coeur humain, meil-
leur même que celui de la plupart des hommes. Le mal-
heur m'a appris tant de choses ! j'ai tant souffert ! je souf-
fre tant encore aujourd'hui, de ne pouvoir t'exprimer, avec
des paroles semblables aux tiennes, ma fidélité, mon dé-
vouement ! . . . Oui, je suis tout à toi, je t'aime. . . comme un
chien ! Je mourrais pour toi s'il le fallait. . . Ce qui t'appar-
tient m'est sacré. . . Que quelqu'un vienne y toucher et l'on
verra ! "
*\
Or, nous nous brouillâmes un jour. Ce fut un gros cha-
grin. Les gens qui croient au chien aveuglément me com-
prendront. Voici ce qui arriva :
La cuisinière avait tué deux pigeons.
— Je les mettrai aux petits pois, s'était-eUe dit.
Elle alla dans une pièce voisine chercher une corbeille
où jeter les plumes de ses pigeons à mesure qu'elle les
plumerait.
Quand elle revint dans sa cuisine, elle poussa un grand
cri. Un de ses deux pigeons s'était envolé ! Elle ne s'était
absentée pourtant que quelques secondes. Un mendiant
sans doute était passé par là, avait fait main-basse sur l'oi-
seau par la fenêtre ouverte. Elle sortit pour chercher le
mendiant imaginaire. Personne. Alors, machinalement,
elle songea : "Le chien!" Et aussitôt, saisie de remords :
"Quelle hoireur, soupçonner Pierrot! Jamais il n'a rien
volé ! Il garderait, au contraire, un gigot tout un jour sans
MENSONGE DE CHÏEN Mil
y toucher, même ayant faim !. . . Du reste, il est là, Pierrot,
dans la cuisine, assis sur son derrière — l'oeil à demi fermé,
bâillant de temps à autre ; il s'occupe bien de mes
pigeons!"
Pierrot était là, en effet, somnolent, avec un grand air
d'indifférence ! Je fus appelé. . .
— " Pierrot ? " Il souleva vers moi sa paupière appesan-
tie. " Eh ! que veux-tu, mon maître } J'étais si bien ! Tiens,
je pensais. . . à la boule ! "
— A la boule }... je suis de votre avis, Catherine ; le chien
n'a pu voler le pigeon. S'il l'avait volé, d'abord, il serait
en train de le plumer, au fond de quelque fossé, pour sûr.
— Regardez-le pourtant, Monsieur. . . Ce chien-là n'est
pas chrétien.
—Vous dites .?
— Je dis que Pierrot, en ce moment, n'a pas l'air franc.
-^Regarde-moi, Pierrot.
Très vite, la tête un peu basse, il grommela :
— Est-ce que je serais ici, bien tranquille, si j'avais volé
un pigeon 1 Je serais en train de le plumer !
Il me servait mon argument. Ceci me parut louche,
— Regarde-moi dans les yeux, comme ça. . .
— A n'en pas douter, il feignait l'indifférence!
— Ah ! mon Dieu, Catherine, c'est lui; j'en suis sûr î^c'est
lui!
Ce que j'avais vu dans les yeux du chien était pénible,
affreusement pénible à mon coeur. Je vous jure, lecteur,
que je suis sérieux.. . J'y avais vu, distinctement, un "men-
songe humain." C'était très compliqué !. . . Il voulait mettre
une "fausse apparence de sincérité dans son regard, et il
n'y parvenait point, puisque cela est impossible même à
l'homme. Ce miracle du Malin n'est, dit-on, possible qu'à
la femme, et encore !
Lui, s'épuisait en efforts vains. Sa volonté profonde de
mentir était, dans ses yeux, en lutte avec la faible apparence
de sincérité qu'il parvenait à créer; mais ce mensonge ina-
chevé était plus tristement révélateur qu'un aveu !
Je voulus en avoir le coeur net, avoir la preuve.
462 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
*
A trompeur, trompeur et demi.
— Tiens, lui dis-je, je te donne ça î . . .
— Je lui offrais le pigeon déparaillé. . . Il me regarde, son-
geant : " Hum ! ça n'est pas possible ! Toi, tu me soupçon-
nes, et tu veux savoir ? Pourquoi me donnerais- tu un pigeon
" aujourd'hui ?" Ça ne t'est jamais arrivé ! ' '
Il le souleva dans sa gueule, et doucement, tout de suite, le
remit à terre.
Il ajouta : " Je ne suis pas une bête ! "
— Enfin, il est à toi !.. . Puisque je te le dis !.. . Je pense
que tu aimes les pigeons ?. . . Eh bien ! en voilà un ! Du reste,
j'en avais deux : il m'en fallait deux !. . . Je ne sais que faire
d'un seul. . . je te répète qu'il est à toi, celui-ci. . ."
Je le flattai de la main, en songeant :
" Canaille ! voleur ! tu m'as trahi comme si tu n'étais qu'un
homme ! Tu es un chien perfide ! Tu as menti à toute une
existence de loyauté, grediu ! ' '
A haute voix, j'ajoutai : " Oh ! le bon chien ! le brave
chien ! l'honnête chien ! Oh ! qu'il est beau ! "
Il se décida, prit le pigeon entre les dents, se leva, et s'en
alla, lentement, non sans tourner de mon côté la tête plusieurs
fois, " pour voir ma pensée véritable.
Dès qu'il fut dehors, sur la terrasse, je fermai la porte à
claire- voie, et je demeurai à l'épier.
Il fit quelques pas, comme résolu à aller dévorer sa proie
plus loin, puis s'arrêta de nouveau, posa encore son pigeon à
terre et ''réfléchit longtemps." Plusieurs fois il regarda la
porte avec son œil faux. Puis il renonça à chercher une ex-
plication satisfaisante, se contenta du fait, ramassa sa proie et
s'éloigna... Et à mesure qu'il s'éloignait, la queue, timide hé-
sitante dans ses attitudes depuis notre conversation, devenait
sincère : " Bah 1 attrapons toujours ça! Personne ne me re-
garde ? Vive la joie' ! Qui vivra, verra ! "
Je le suivis de loin et je le surpris en train de creuser dans
la terre un trou avec ses deux pattes, très actives. I^e pigeon
que je lui avais offert, traîtreusement, était à côté de la fosse. . .
Je grattai la terre moi-même, tout au fond... Le premier pi-
geon était là, volé ! habilement caché !
MENSONGE DE CHIEN 463
J'étais navré. Mon ami Pierrot, revenu aux instincts de
ses congénères, les renards et les loups, enterrait ses provi-
sions. Mais, animal domestique, " il avait appris à mentir !"
Je fis, sous les yeux du menteur, un paquet des grosses
plumes de mes deux pigeons, et je déposai ce plumeau sur ma
table de travail.
Et quand Pierrot m'apportait la boule, en disant d'un air
dégagé : " Eh bien ! voyons, ne pense plus à ça, jouons ! "
j'élevais le petit balai de plumes. . . et Pierrot baissait la tête. . .
la queue se rabattait honteuse, se collait à son pauvre ventre
frémissant. . . La boule lui tombait des dents ! " Mon Dieu !
mon Dieu ! tu ne me pardonneras donc jamais ! "
— Tu ne m'aimais pas, lui dis-je un matin, non, tu ne m'ai-
mais pas, puisque tu m'as trompé, et si savamment !
Je ne sais qui me répondit, avec bonne humeur : " Mais si,
mais si, mon cher, il vous aimait ! et il vous aime encore sin-
cèrement... mais que voulez- vous ? Il aimait aussi le pigeon !...
Il est bien assez puni, maintenant, allez !
Je saisis le petit balai de plumes, et pourtant Pierrot n'eut
pas peur. — " Tu le vois, lui dis-je pour la dernière fois. Pé-
risse le souvenir de ta faute !" Je jetai l'objet dans le feu.
Pierrot, gravement assis, le regarda brûler. . . puis, sans éclat
de joie, sans sauts ni bonds, noblement, simplement, il vint
m'embrasser. . . Quelque chose d'infiniment doux gonfla mon
cœur. C'était le bonheur de pardonner.
Et tout bas, mon chien me disait : " Je le connais, ce bon-
heur-là. . . Que de choses je te pardonne, moi, sans que tu le
saches !"
Jean Aicard,
de V Académie française^
A
nos abonnes
La Revue Franco- Américaine termine, avec le présent
numéro sa quatrième année de publication. Pour ceux qui
connaissent ce que coûte une publication de ce genre, qui
savent les embarras qu'il faut surmonter, qui soupçonnent
les embûches de toutes sortes tendues contre les publications
vraiment courageuses, patriotiques et libres, pour tous ceux-
là quatre années d'existence ininterrompue c'est un succès
colossal. Mais nous avons fait plus que d'exister, nous avons
grandi.
Aussi croyons- nous que nous devons profiter de toutes les
occasions, d'en imaginer au besoin, pour dire à nos fidèles
combien nous leur sommes reconnaissants. Je le disais, au
commencement de l'année, nous avons fini par former une
sorte de famille réunie par les liens les plus étroits. ^
Nous acheminant vers un même but, épris des mêmes
idéaux, si nous avons quelquefois mérité le ieproche de cer-
tains de nos amis ce ne fut toujours que sur les moyens em-
ployés pour atteindre, et jamais sur l'opportunité des luttes à
entreprendre. On rendra, je crois, ce témoignage à notre
journal qu'il a, depuis quatre ans, jeté quelque lumière sur
certaines questions, qu'il a arraché, peut-être avec un peu de
violence, au gré d'un petit nombre, quelques masques
chifionné quelques panaches et vengé, dans tous les cas,
la vérité, le droit, le sens communs outragés.
Dans bien des cas nous avons dû prêter une oreille indiffé-
rente aux conseils que nous donnaient de braves chevaliers
retirés sous leur tente. Nous n'avons pas voulu acheter une
victoire — d'ailleurs fort problématique — en prenant des at-
titudes de vaincus. Notre droit a subi trop d'assaut de la
part d'ennemis cachés, de la part des stratégistes de l'ombre,
A NOS ABONNÉS 465
pour qu'il espère jamais triompher autrement qu'au grand
jour.
On nous prouvera peut-être que nous nous sommes trom
pés ; il sera plus difficile de trouver, en tenant compte des
circonstances, du nombre et du caractère de nos adversaires
que beaucoup d'autres, à notre place, auraient pu faire mieux.
Nous avons fait notre possible, tout notre possible, et en le
faisant nous avons éprouvé la satisfaction d'avoir conscien-
cieusement rempli tout notre devoir.
Pourrons-nous exiger davantage ?
Sans doute, et je le disais plus haut, certains de nos amis
ont pu croire que nous exagérions ; s'ils veulent nous relire,
il s'apercevront que les faits n'ont jamais tardé à établir le
bien-fondé des assertions que nons avions faites. D'autres,
faciles à influencer par les circonstances de temps et de lieux,
ont cru devoir se débarrasser de la tyrannie de l'idée que
nous leurs teinons constamment devant les yeux. Comme la
petite chèvre de M. Seguin, ils ont voulu gravir les hauteurs
escalader la montagne où l'air leur paraissait plus vivifiant
C'est là que le loup les attend et les mangera !
Pour ce qui est de la Revue, elle continuera son œuvre,
avec le même courage, avec la même persévérance. Elle no
doit pas moins aux quelques milliers d'abonnés qui l'ont en-
couragée et qui, Dieu merci, lui restent fidèles.
Elle compte même, avec sa cinquième année qui commen-
cera le mois prochain mettre à exécution certains projets
d'amélioration assez importants. On verra bien.
En attendant, elle rappelle à tous que les abonnements
sont renouvelables le premier mai.
J. L. K.-Laflamme
Revue des faits et des oeuvres
Un monument à La Vérendrye.
On va élever un monument à La Vérendrj^e, ' ' le découvreur
du Manitoba et des immenses plaines qui s'élèvent jusqu'aux
montagnes Rocheuses." Ce monurtient qui va s'élever à St-
Boniface, Mgr Taché de sainte et patriotique mémoire, y avait
songé. En 1877, nous disent les " Cloches" il avait réservé
un terrain qu'il changea plus tard pour un site plus convenable,
en face de l'ancienne académie Provencher. Le 24 juin 1886, il
bénit solennellement les pierres destinées, dans sa pensée, à
former la base du monument. Elles y sont encore et attendent
la colonne et la statue rêvées par le grand archevêque.
Voilà, en peu de mots, le projet que nous annoncent les
" Cloches ' ' et que vient de reprendre, après un quart de siècle,
la ** Société Historique de Saint-Boniface." Un comité a été
chargé de prélever des fonds. C'est le " comité du monument
de La Vérendrye," dont M. Joseph Lecompte est le président
et M. l'abbé Denj^s Lamy est le secrétaire-trésorier.
On saura donc à qui adresser les sou.scriptions que nous re-
commandons d'envoyer très nombreuses et substantielles.
Le ' * Cloches ' ' nous donnent une courte mais intéressante
esquisse biographique du grand découvreur de l'Ouest canadien.
Nous en citerons les principaux passages :
" Né aux Trois- Rivières le 17 novembre 1685, Pierre Gaul-
tier de Varennes, sieur de La Vérendrye, commença ses expé-
ditions vers l'Ouest en 1731 et les continua les années suivan-
tes en établissant des forts au fur et à mesure qu'il pénétrait
plus avant dans les prairies vierges. En 1742, il envoya deux
de ses fils explorer l'extrême Ouest. Ceux-ci se rendirent
jusqu'aux montagnes Rocheuses, dont ils escaladèrent les pre-
miers contreforts. L'intrépide découvreur poursuivit .ses tra-
vaux jusqu'en 1744, époque à laquelle il fut contraint, faute
de ressources et par suite d'intrigues de ses ennemis, de les
revije des faits et des œuvres 467
abandonner, après y avoir consacré les treize meilleures années
de sa vie. Ses découvertes lui avaient coûté une fortune per-
sonnelle et le sang de l'un de ses fils, massacré par les farou-
ches Sioux en 1736, en même temps que le P. Aulneau, de la
compagnie de Jésus, et dix-neuf Français. Son neveu La
Jemmeraye était aussi mort victime de son dévouement la
même année que les martyrs de l'Ile- au- Massacre.
" A l'instar de Christophe Colomb, La Vérendrye ne re-
cueillit de son vivant que des misères et de l'ingratitude. Ses
plus pures intentions furent indignement travesties, et la cour
de France ne reconnut que très tard et qu'imparfaitement son
intégrité et ses mérites. Elle lui accorda en 1748 la croix de
l'ordre militaire de Saint-Louis et le promut au grade de capi-
taine. Il ne devait pas jouir longtemps de ces honneurs. Il
mourut six semaines après à Montréal, au moment où il se
préparait à reprendre le chemin de l'Ouest. Sa dépouille mor-
telle fut déposée dans les cavaux de l'église Notre-Dame."
Le comité du monument, dans la superbe proclamation où
nous venons de découper ce qui précède, fait un appel chaleu-
reux à la générosité de nos compatriotes :
*' Aussi, nous avons la ferme confiance que notre appel sera
entendu des rives du Saint- Laurent comme de toutes les plai-
nes où habitent des frères de La Vérendrye ; des villes opu-
lentes comme des plus modestes villages où se conserve pieuse-
ment le culte de nos gloires nationales. Les groupes français
de l'Ontario et des provinces maritimes, qui luttent comme
nous pour étendre et développer leur influence, seront heureux
de s'associer à leurs frères de Québec, tandis que tous les des-
cendants de sang français de l'Ouest se feront un devoir de
donner un exeuple décisif à ceux qui les entourent et vou-
dront bien à l'occasion leur tendre la main pour assurer le
succès de la grande œuvre. Inutile de déclarer que nous som-
mes tenus en honneur d'ériger un monument digne du héros et
de l'idée qu'il représentera. Il y aura donc du travail pour
tous et pour chacun.
' ' Nous adresserons prochainement un appel spécial à la
vieille France. La Vérendrye fut l'une des gloires de la domi-
nation française au Canada. C'est au nom du Christ qu'il
468 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
planta la croix dans nos plaines, et au nom du Roi très chré-
tien qu'il en prit possession, en y arborant le drapeau fleurde-
lisé.
* * Nous déclarons donc ouverte la liste de souscriptions pour
le monument de La Vérendrye. Qu'on veuille bien adresser
toute offrande, si minime soit-elle, au secrétaire-trésorier qui en
accusera dûment réception."
** Avez-vous des enfants? "
Vous a-t-on posé cette question, au Canada, un jour que
vous faisiez la chasse aux logis ? Sans doute. Il y a, chez
vous, des gens qui vous louent leur maison à la condition que
vous l'habitiez le moins possible. Il y en a aussi à Paris, ce qui
fournit à M. Antoine Redier, directeur de la " Revue Fran-
çaise," un article vengeur que j'ai lu avec délices, et dont
je vais vous citer les principaux passages :
' ' Doux pa3's. Ainsi la société est organisée maintenant de
telle façon que les familles nombreuses, à qui jadis allaient
tous les respects, sont maltraitées, honnies, rejetées comme un
fléau public. On les écarte, parce qu'elles sont une gêne.
Vous, qui n'avez pas d'enfant, qui n'avez pas voulu en avoir
ou qui n'en avez qu'un, parce que vous êtes égoïste et que
vous aimez d'abord votre bien-être et votre tranquillité, il ne
vous suffît pas de bannir les enfants de votre propre foj-er.
vous entendez encore que les autres foyers soient vides comme
le vôtre. Voilà où nous en sommes ! On a tout supprimé, sauf
les appétits. Le goût des jouissances matérielles est la seule
loi qui régisse encore notre civilisation démocratique. Triste
loi, qui conduira rapidement les peuples à la ruine ! Certes les
enfants sont une gêne. Ils donnent des joies, mais on les
paie cher et nos femmelettes et nos égoïstes ne veulent point
s'encombrer de soucis. Il leur faut du bonheur tout de suite.
Ils sont comme ces malheureux qui détruisent les forêts ances-
trales pour vendre beaucoup de bois et mener la grande vie.
Autrefois on plantait des arbres, en songeant aux enfants,
aux arrière-petits-enfants, qui vivraient sous leur ombre. On
travaillait ferme tandis qu'on était jeune et, la vieillesse venue,
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 469
on recueillait le fruit de ses peines quelquefois. En tout cas,
on goûtait le bonheur d'avoir fait son devoir.
" De même, quand on avait fait souche d'une belle lignée,
on se complaisait à voir pousser les enfants de ses enfants et
c'étaient là des joies pures qui faisaient oublier tous les soucis
qu'on avait connus à son entrée en ménage. La vie était plus
belle alors, croyez-le et, si je radote en vous disant tout cela,
mes radotages ont du bon et je n'en rougis point. J'aime
mieux écrire cela que de vous parler du dernier scandale.
Ainsi cette famille Husson, chassée de partout par des lo-
geurs sans entrailles, en fut réduite à essayer de s'installer
aux Tuileries. Il est bien dommage que ce vSoit M. Cochon
qui ait eu à s'occuper de ces braves gens.
" M. Cochon gardera donc son nom et continuera à se dé-
penser pour les locataires malheureux. Il a bien fait de s'in-
tééeSvSer à la famille Husson et nous devons tous méditer sur
ce drame, auquel il a été mêlé. Nous devons nous imposer le
devoir de réagir contre l'état d'esprit abominable de nos con-
temporains. Et, pour commencer, il y a une discipline que
nous devrions tous nous imposer : c'est de ne jamais laisser
passer devant nous, sans protester, un de ces mille propos
qu'on entend maintenant chaque jour, même dans les meilleurs
familles, sur l'ennui d'élever des enfants, sur la joie, égoïste
et monstrueuse, de n'en point avoir.
" Et pour finir ce sermon, je vous dirai que je connais
quelqu'un qui sera fort embarrassé, c'est le magistrat qui pré-
sidera l'audience où comparaîtra le sieur Cochon, si on en
vient à le jeter devant les tribunaux. Je voudrais être là
quand, obligé de l'interpeller, il n'aura pas la ressource, qui
nous sauve tous en pareil cas, de dire : Monsieur Cochon. Je
voudrais être là quand il prononcera :
— Cochon, levez- vous !"
L'obole de la veuve.
Je reçois le touchant billet que voici :
•' L'obole de la veuve peut-elle se répéter ?
" Mais oui ! Veuillez écouter le trait suivant. Il y a peu
de jours, la Supérieure d'une Congrégation de Mission-
470 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
naires recevait d'un prêtre un court billet dont voici' la
substance: "Madame, je vous prie de trouver inclus $1.00
que m'a remise une pauvre femme très malade et mar-
chant évidemment à la mort. En me la confiant, elle m'a
dit : "C'est ma dernière, je voudrais l'offrir pour (telle Mis-
sion) ", et le prêtre ajoutait : Je n'ai point peine à croire
que c'est l'exacte vérité."
" Alors il est donc vrai que de la générosité, de l'excel-
lence, de l'héroïsme du don, toujours le pauvre conservera
la palme.
" Et comme les riches, comme les heureux du monde
semblent peu soucieux de la lui disputer !
" Ils sont légion ceux qui trouveraient profit à creuser
ce problème et qui, pourtant, négligent ou dédaignent de
s'y arrêter :
" N'avoir rien ou peu de chose et donner avec joie, sans
même vouloir se souvenir de l'héroïque aumône prise sur le
nécessaire...
" Avoir beaucoup, donner très peu et garder si durable
mémoire des quelques bribes arrachées à son superflu, sou-
vent par la vanité, par le désir de paraître. . .
" Puis, dire que cet égoïsme et cet endurcissement si humi-
liants, si dangereux, sont chez la plupart le produit de l'es-
prit de lucre, de la passion de l'argent que trop de gens re-
cherchent avec une ardeur inlassable, quand personne, ou
à peu près, n'a la prudence de s'en méfier.
" Et demandons-nous, — la question en vaut la peine, —
pourquoi l'amour des richesses signalé par l'expérience des
siècles, par la sagesse antique, par l'enseignement formel
de l'Evangile, comme la plus redoutable épreuve que puisse
subir la créature mortelle, est-il devenu le but ultime, le
grand amour terrestre ?
" Douloureuse énigme de la destinée de l'homme ! Su-
prême misère du coeur humain ! "
Un exemple à suivre.
Nous recevons de l'association commerciale du district
de Windsor, Ontario, copie de son programme que nous
nous faisons un plaisir de le reproduire :
REVUE DES FAITS ET DES ŒUVRES 471
1. De grouper la classe dirigeante parmi la population
canadienne- française de cette ville et du district, dans le but
d'aider au relèvement et à l'avancement des intérêts commer-
ciaux intellectuels et autres de la race.
2. De faire aimer et respecter la langue française (une des
deux langues officielles de ce pays) d'abord en s'engageant so-
lennellement à s'en servir à l'avenir, non seulement au foyer,
mais publiquement et dans le commerce autant que possible,
ensuite de faire des instances auprès des autorités civiques pro_
vinciales, fédérales, et des compagnies d'utilités publiques, afin
de les amener à donner FAIR PI^AY sous ce rapport à une
partie importante de la population de cette partie de la provin-
ce d'Ontario.
3. D'encourager le développement des talents artistiques de
notre race, ceux qui ont des aptitudes particulières pour la mu-
sique, le chant, la peinture, la sculpture, etc.
4. De coopérer avec tout autre corps commercial ou autre
de ce district dans tout mouvement tendant à l'avancement et
au progrès de notre ville et de notre comté.
5. D'établir des classes du soir et d'inviter la jeunesse à
venir assister à ces cours techniques, commerciaux, etc., afin
de la préparer à lutter avantageusement avec les autres races
qui viennent en contact avec elle.
6. D'encourager le rapatriement des Canadiens- Français
des Etats-Unis, l'immigration française et belge, et d'inviter
cordialement nos compatriotes de la province de Québec à venir
fonder des succursales de leurs institutions dans cette partie
du paj^s.
7. D 'inviter des conférenciers distingués à venir donner des
conférences aux membres de cette association, sur divers sujets
instructifs.
8. D'aspirer et faire des efforts continuels pour la construc-
tion d'un ''Monument National" dans un avenir aussi rappro-
ché que possible.
9. De faire connaître les avantages de la coopération et
d'inciter les membres et autres à s'associer ensemble pour l'ex-
ploitation d'entreprises industrielles, commerciales, agricoles,
etc.
472 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
10. De donner à nos enfants une éducation bilingue ' coû.
te qui coûte", pour leur plus grand bien et celui de notre cher
"Canada"; considérant que la propagation de notre langue
est la plus sûre garantie de l'intégrité politique de notre patrie.
1 1 . D'encourager et de protéger de toutes nos forces nos
vSociétés nationales et de secours mutuels.
12. D'ajouter d'autres questions à notre programme au fur
et à mesure que les circonstances l'exigeront.
13. De faire et d'agir en sorte que cette association soit le
modèle, la lumière et l'inspiratrice de notre élément tout en-
tier dans l'Ouest d'Ontario.
Léon Kemner
-:o:-
La' politique canadienne et les Cana-
diens-Français
III.— NOTRE AVENIR POLITIQUE
Le lichen le plus actif poussé sur le rocher le plus aride
doit continuellement sa vie à la Providence. Alors, de quels
soins celle-ci n'entoure-t-elle pas l'individu raisonnable dont
la destinée est comme infinie comparée à la fin du lichen ?
Et la société l'emportant sur l'individu, parce qu'elle a une
plus grande personnalité morale et qu'elle est une seconde
providence à l'individu, n'est-il pas juste de croire que le Roi
des nations veille avec un œil plus vigilant sur chaque peuple,
cette famille élargie, constituée par la communauté de langue,
de foi, d'aspirations ? Or, le peuple canadien-français paraît
être le peuple choisi de Dieu, son peuple gâté. L'héroïsme et
la sainteté ont protégé son enfance. Son adolescense est pai-
sible et pleine de promesses. Il n'y a pas de secousses dans sa
vie, pas de cette névrose qui caractérise la jeunesse de certains
peuples. Il grandit d'une poussée irrésistible malgré les obs-
tacles, comme ces chênes au cœur dur et fort que le nombre
des arbres d'essence inférieure au milieu desquels ils poussent
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS- FRANÇAIS 473
n'étouffe pas, et dont les racines sont d'autant plus vigoureu-
ses et profondes que le terrain est de pénétration plus difficile.
La mission providentielle de la race française en Amérique
est devenue un lieu commun. Nous y croyons comme nous
croyons à la mission de l'Eglise à travers le monde. Les es-
prits forts peuvent sourire devant l'exposé de ces faits et de
ces théories. Mais passons. Les esprits forts sont de faibles
esprits.
Il est certain que les peuples ont une vocation, comme les
individus, vocation plus ou moins noble, plus ou moins glo-
rieuse et bienfaisante, selon les aptitudes intellectuelles, mo-
rales et physiques d'un chacun. Nous nous plaisons à croire
que les Canadiens- Français marqueront profondément le sol
du Nouveau- Monde, qu'ils y laisseront la trace d'une civilisa-
tion supérieure par sa législation, sa moralité, ses beaux-arts
et sa littérature. C'est du domaine de l'avenir. Ne craignons
pas de placer notre idéal trop haut, n'ayons pas peur des
étoiles. La grandeur du caractère national se mesure à la
hauteur de l'idéal national.
Le citoyen doit ses principaux moyens d'action à son état
civil. Un peuple prend ses libertés et tire son influence de son
état politique. Il est donc du plus grand intérêt d'étudier
l'avenir politique qui nous est ménagé, plutôt celui que nous
devons en conscience nous préparer, car il doit être conforme
à notre vocation. La question n'est pas prématurée ; elle
n'est pas même nouvelle. Il importe de considérer de bonne
heure ce grave problème de notre avenir, dans la paix du mo-
ment, afin de faire en quelque sorte l'éducation des énergies
nationales, de les discipliner pour faire face à toutes les év^en-
tualités.
Jusqu'ici la politique économique du pays n'a jamais été
très tourmentée. Les grandes batailles livrées autour du libre-
échange et du protectionnisme ont eu pour principal but la
conquête du pouvoir. Et nos gouvernements se sont toujours
montrés libre- échangistes ou protectionnistes modérés. Les
chemins de fer ont rencontré chaque fois une forte opposition
à leur projet de construction, et mis en opération, ils ont été
474 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
d'un grand secours au pays, faisant plus pour la colonisation
et l'industrie que l'initiative de nos gouvernants.
Par contre, notre politique sociale est plus agitée. Elle a
des moments de longue accalmie, et d'autres de trouble.
Il n'y a pas à s'en faire un m5^stère, l'entente des deux
races est plutôt apparente que réelle. Elles se tolèrent parce
qu'elles se craignent. Elles ont accepté l'Acte de l'Amérique
Britannique du Nord de 1867, parce que les Anglais espéraient
nous assimiler par leurs institutions commerciales et l'immi-
gration, parce qu'encore nous y voyions la garantie de tous
nos droits. En théorie, on accepte notre constitution comme
un chef-d'œuvre. En pratique, on y fait de larges amputa-
tions au détriment de nos droits les plus incontestables.
Nous nous faisons une guerre de gens très avancés en civili-
sation, sans cuirassés, sans canons, sans fusils. A peine se
donne-t-on encore parfois quelques coups de poing dans les
comtés des provinces anglaises envahis par les nôtres, quand
on y fait des élections municipales ou qu'on y choisit des com-
missaires d'école. Nous nous battons sur des textes de lois,
sur les contradictions de la jurisprudence. La lutte se fait par
l'industrie, par le commerce, par les compagnies d'utilité pu-
blique, par la finance.
Les pro\^inces anglaises sont protestantes. Le Québec est
français et catholique, et sesj! enfants qui s'éloignent veulent
demeurer français et catholiques. C'est un fait qui est la
cause de tous les conflits. Les méthodistes de l'Ontario, les
presbytériens des Provinces Maritimes, les baptistes de l'Ouest
ont .peur du flot montant du catholicisme. Pour eux le péril
canadien- français est plus grand que le péril jaune ou le péril
juif. Malgré les discussions faites pour savoir si le Canada
fut conquis ou cédé en 1759, ils sont convaincus, eux, que les
Canadiens-Français ne sont encore ni conquis, ni vaincus. En
effet, si nous avons capitulé à Québec et à Montréal devant le
nombre et la famine, la langue française et la religion catholi-
que ne capituleront jamais au Canada.
La population anglaise du pays parait avoir renoncé com-
plètement à l'assimilation du Québec. Elle a assez de se dé-
fendre contre nous dans ses propres quartiers. Et là encore.
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 475
elle agit mollement ne pouvant faire plus. Il faut admettre
qu'en certains milieux, surtout dans les Provinces Maritimes,
le fanatisme d'autrefois s'est grandement émoussé ; les princi-
pes de tolérance et de justice ont pris le dessus, et, fait curieux,
plus chez les Anglais protestants que chez les Irlandais catho-
liques. Evidemment, la sympathie ne se commande pas, et
les bienfaits ne l'achètent pas.
Il est reconnu par tous que la minorité anglaise du Québec,
jouit de toutes les libertés. Elle forme presque un état dans
l'état. Au contraire, il n'est pas une province anglaise où la
minorité française n'ait souffert de quelque injustice. Le " fair
play" anglais est l'une des plus grosses farces qu'on ait in-
ventées.
Au Canada, tout divise les deux races : les guerres passées
qu'on n'oublie pas, les injustices présentes, les différences de
religion et de langue, l'éducation domestique et la formation
intellectuelle, les aspirations.
Dans les campagnes électorales, les orateurs des deux partis
et des deux langues se gardent bien cependant de faire des sor-
ties contre le groupe hétérogène. Ils parlent au contraire de
bonne entente, de conciliation, de tolérance. On pourrait
même reprocher aux nôtres de prêcher trop souvent, surtout
en temps de crise aigiie, l'aplatissement devant la majorité.
Donc, les deux races ont des fins ' différentes ; elles suivent
chacune sa voie. L'une ne dominera jamais l'autre au Ca-
nada. La domination française n'est pas à craindre, et per-
sonne ne rêve d'un empire français couvrant toute l'Amérique
Britannique du Nord. La domination anglaise deviendrait un
fait en peu de temps si nous continuions à souffrir de l'immi-
gration et si nous ne formions pas un troisième parti à Ottawa,
un parti nationaliste franchement canadien-français.
Les minorités sont fortes quand elles ont un seul corps et
une seule âme. La Pologne a fait pleurer, gémir, combattre
pour sa cause tout ce que le monde possédait de plus géné-
reux, mais ses divisions et ses jalousies domestiques l'ont
luinée. Ayons toute la générosité, toute l'émotivité de la Po-
logne au service de la liberté religieuse et civile ; mais, gar-
dons-nous de ses vices.
476 LA REVUE FRANCO- AMÉRICAINE
Dans les conversations privées il est parlé de la formation
d'un parti catholique, d'un Centre. Les journaux, même
ouvertement catholiques, ne se pressent pas d'aborder le sujet.
Les Irlandais, ceux qui sont demeurés catholiques, nous étant
obstinément antipathiques et d'ailleurs relativement peu nom-
nombreux au Canada, ce Centre serait composé presque exclu-
sivement de Canadiens- Français. Parti nationaliste ou Centre
catholique, ce serait la même chose.
V.
Le nationalisme seul, sous notre constitution actuelle, peut
nous préserver d'une domination qui peut devenir facilement
outrageante et lourde. Autrement, il nous faudra sortir de la
Confédération. D'ailleurs, il vaut mieux que nous fassions
cette sortie de notre propre initiative que sur l'invitation des
provinces de l'Ouest ou de l'Ontario.
Enrégimenter tous les Canadiens-Français, surtout nos po-
liticiens, dans un parti qui sera toujours un parti de défense et
jamais un parti chef de gouvernement, et sous la conduite
d'un homme qui a porté de rudes coups quoique opportuns,
c'est un travail considérable et pénible qui n'apportera aucun
profit à ceux qui l'entreprendront, mais c'est un travail qui
nous paraît nécessaire. Qu'on fasse d'abord l'éducation du
peuple, par la presse et par la parole, sur cette grave question
de défense nationale. Qu'on traite ensuite comme transfuges
tous ceux qui passeront dans l'autre camp, qui traverseront la
barrière. Ils anront la liberté de "lâcher," nous aurons le
droit de nous en souvenir.
Mais, objectera-t-on, notre rôle à Ottawa se limitera donc à
protéger les droits des minorités, à faire reconnaître ceux que
l'on a méconnus, à veiller à l'impression bilingue des actes du
gouvernement ?
Ce sera beaucoup plus qu'aujourd'hui, puisque notre rôle,
à Ottawa, au point de vue canadien- français, est à peu près
nul. On y veille seulement à avoir un nombre de ministres et
d'employés civils plus ou moins proportionnel à notre popula-
tion. Aucun gouvernement ne négligera les intérêts matériels
dn Québec parce qu'ils sont ceux de tout le Canada. On passe
chez nous pour aller dans l'Ontario et l'Ouest, et pour en sor-
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 477
tir. I^e jour où ces provinces uous jalouseront trop fort nous
n'aurons qu'à établir le protectionisme au Québec pour leur
rendre immédiatement la raison. Et même on nous rendrait
service, croyons-nous, si l'on faisait bande à part, car nous
commencerions de travailler à notre émancipation économique.
Lja grande tâche du moment c'est de rompre l'esprit de parti
chez nous, et, pour 5^ arriver, de renverser les ministères à
chaque faute qu'ils commettront contre nous. Quand nos gens
seront convaincus qu'en somme ils n'ont pas à attendre plus
d'un parti que de l'autre, ils songeront bien à s'unir et à faire
la garde de leurs intérêts. C'est alors que nos concitoyens
d'autres races nous respecteront, car le respect vient de la
crainte.
En tout cas, notre nationalisme, nécessairement canadien-
français (il ne peut pas être double), doit s'exercer principale-
ment au Québec. Le Québec doit être le château-fort, inex-
pugnable, de la race française en Amérique. Nous y sommes
en grande majorité, mais cela ne suffit pas. La population de
la province serait aujourd'hui de 3,000,000, dont les neuf
dixièmes canadiens-français, si nos gouvernants avaient eu le
souci de retenir ici notre population et de favoriser la colonisa-
tion plus en octrois de terres et d'argent qu'en paroles. Nous
pouvons avoir ces 3,000,000 dans les quinze ans à venir. Le
rapatriement, pour atteindre ce chiffre, qui s'impose est celui
de nos compatriotes de l'ouest et du centre des Etats-Unis,
cultivateurs en grand nombre et les plus exposés à "la fusion
dans les bras du Moloch américain. Ceux-là coloniseraient
l'est de la province, et nos vieilles populations conquerraient
le nord. Hâtons-nous de nous emparer des terres qui bordent
le Transcontinental si nous ne voulons pas y voir dans dix ans
une population européenne hétérogène. Au lieu d'aller cher-
cher dans les filatures de la Nouvelle- Angleterre ceux des
nôtres qui ont laissé jadis le sol natal trouvé trop inculte pour
les lancer dans le tourbillon des prairies de la Saskatchewan,
il semblerait plus tratique de les attirer dans nos petites villes
dont l'industrie s'est emparé depuis quelques années. Leur ex-
périence y trouverait un travail rémunérateur, et les industriels
ne seraient plus forcés de vider nos campagnes.
478 LA REVUE FRANCO -AMÉRICAINE
lye mystère de notre politique provinciale, c'est qu'il est en-
core plus difficile de décider le gouvernement à faire de la colo-
nisation pratique que de faire respecter nos droits à Ottawa.
On dirait vraiment que le ministère à Québec est dirigé par un
groupe de spéculateurs anglais jaloux de l'expansion de notre
race, et qui savent que l'accroissement de notre population dé-
pend de notre courage. Et nos colons sont plus courageux
que nos députés. Louis Blanc pensait à eux quand il disait :
Il n'y a que la misère qui soit proli^que. Le colon n'a de joie
que celle de voir le sourire de sa femme et celui de ses enfants-
Il multiplie des bras qui bientôt achèveront' de vaincre la forêt
ou la friche. Bientôt la paroisse est fondée, avec son clocher,
ses magasins, ses petits ateliers. C'est un nouveau débouché
pour le commerce. Les physiocrates ont bien le droit de con-
sidérer la terre comme la grande source de toutes les richesses.
Il faudrait faire encore de l'exploitation de nos forêts et de
nos pouvoirs hydrauliques une œuvre nationale. Nous ne vou-
lons pas aborder ici le nationalisme économique, mais notons
que nous avons le tort de n'y penser pas assez.
Quand le Québec aura doublé sa population, quand il aura
nationalisé son industrie et son commerce, il pourra attendre
les événements politiques et les diriger même sans crainte.
Il est à prévoir que la géographie politique de l'Amérique
du Nord sera complètement changée dans cinquante ans.
Déjà, il se manifeste au Canada des courants d'opinion con-
traires qui cherchent une issue. L'idée annexionniste a perdu
beaucoup de terrain depuis vingt ans. Mais, elle n'est pas
éteinte dans l'Ouest. Cependant, nous ne croyons pas qu'elle
soit une menace. Le Canada reconnaît l'avantage d'être la
possession d'une puissance éloignée. Le joug est plus léger,
et la protection est aussi grande.
L'esprit séparatiste l'emporte de beaucoup sur l'esprit annex-
ionniste dans l'Ouest. Et le Manitoba, la province centrale
du pays, depuis qu'il possède un large débouché maritime sur
la baie d'Hudson, penche plus à l'Ouest qu'à l'Est. On peut
donc s'attendre bientôt à une grande campagne pour demander
la vSortie de la Confédération et former une sorte de Common-
wealth ou d'Union des quatre provinces. Quelques journaux
LA POLITIQUE CANADIENNE 'ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 479
-et quelques orateurs, mécontents contre l'Est, ont fait des in-
sinuations très prononcées. Rien ne s'oppose à ce projet. Le
Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta ont des richesses agri-
coles inépuisables. La Colombie possède en grande quantité
des minerais riches et variés ; ses p êcheries sont abondantes,
ses pouvoirs hydrauliques considérables, ses forêts remplies
d'essences supérieures. Elle deviendra, par son industrie, la
pourvoyeuse de ses trois sœurs. Servie par deux mers, la nou-
velle Union fera des échanges commerciaux avec l'Asie, l'Aus-
tralie l'Amérique latine et l'Europe, sans négliger ses voi-
sins, les Etats-Unis et le vieux Canada.
Les intérêts de l'Est sont solidaires. Tout naturellement,
pour faire contrepoids à l'Union, il faudra revenir à la Con-
fédération de 1867, l'Ile du Prince Edouard en plus. Ce sera
du moins la première pensée des Provinces Maritimes, trop
faibles pour s'isoler, et du Québec. L'Ontario réfléchira grave-
ment et exigera de grosses garanties avant de consentir à rester
dans une Confédération ou l'influence française sera presque
prépondérante. La lutte pacifique continuera plus vive que
jamais entre l'esprit latin et l'esprit saxon. C'est ici que se
prouvera la réelle supériorité de l'un sur l'autre, aux yeux
ébahis de l'Europe. Des forces vierges seront aux prises.
Nous espérons tromper les croyants à " la décadence des races
latines," et à "la supériorité des Anglo-Saxons."
Nous ne rêvons pas. Il faut le dire aux endormis qui ne
voient jamais rien, aux découragés, aux cœurs mous incapa-
bles de tout effort vers un but qui n'est pas personnel ; à ceux
qui croient à l'avenir pour décupler leurs énergies et les invi-
ter à faire raj^onner leurs convictions. Rassurons-les tous par
des chiffres. Us parlent fort et sont toujours compris des gens
pratiques.
Nous comptons pour 29 p.c. dans la population totale du
Canada, pour 39 p. c. dans l'Est, pour 10 p. c. en Ontario,
pour 17 p. c. dans les Provinces Maritimes.
Considérons les victoires passés pour supporter celles de
l'avenir.
Les Anglais avaient jadis occupé Québec, Montréal, la Gas-
pésie, la vallée de l'Outaonais et les Cantons de l'Est, afin de
480
LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
nous étouffer dans une ceinture anglaise et de nous mordre an
cœur. Voyons leur succès par le petit tableau suivant :
Montréal
Québec
^Gaspésie
Vallée
de (1)
rOntaouais
Cantons
de
l'Est (2)
Ang.
Franc
Ang.
Franc
Ang. 1 Franc
Ang.
Franc
Ang.
Franc
1881
37964
60199
72591
68634
4242
1851
31675
50369
82705
26020
56856
99990
163016
17546
18809
18817
24506
40890
56273
57016
V
10292 12056
11957 22495
15015 32693
16688 39540
34066
1871
1891
1901
38374
45914
46408
28871
54539
71387
83705
136319
Nous n'avons pas encore les détails du recensement de 191 1,
ni sous la main quelques-uns du précédent. Mais il appert
évidemment par les chiffres cités que nous avons une force assi-
milatrice et délogeante extraordinaire. En 1850 la population
anglaise de toute la province est de 50 pour cent de^la popula-
tion totale, en 19 10 elle n'est plus que de 20 p. c. Montréal
est aux trois quarts français et deviendra' sous peu la deuxième
ville française du monde.
En 1831 nous comptions pour 10 p. c. dans les Cantons de
l'Est, aujourd'hui nous comptons pour plus de 75 p. c. Alors,
.si nous sommes 150,000 dans les Provinces Maritimes, c'est-à-
dire 17 p. c. de la population totale, pourquoi n'j^ serions-nous
pas la majorité en 1950?
Nous sommes pleinement convaincus que l'Acadie et l'Ile
Saint- Jean redeviendront françaises. Le sang de nos martyrs
et les pleurs de nos déportés n'ont pas fécondé ce sol pour
qu'il appartienne définitivement à des étrangers.
Laissons l'Ouest aux Anglo-Saxons ; laissons- leur même
l'Ontario en entier. Mais, le reste est à nous depuis 1535.
(1) Côté nord seulement : Ârgenteuil, Ottawa (Labelle et de Wright)
Pontiac.
(2) Arthabaska, Brome, Compton, Drummond, Mégantic, Missiquoi,
RiclimonJ, Shefford, Sherbrooke, Stanstead, Wolfe.
LA POLITIQUE CANADIENNE ET LES CANADIENS-FRANÇAIS 4M
Le jour où la Confédération de l'Est et l'Union de l'Ouest
se détacheront de l'Empire britannique, sans secousse vio-
lente, souhaitons-le, les Canadiens-Français occuperont tout
le territoire compris sur le versant nord de l'Ontaouais de-
puis le lac Témiskamingue et la baie d'Hudson, et sur les
deux rives du St-Laurent depuis le lac St-François et la
ligne 45e jusqu'à l'Atlantique, y comprenant cette partie du
Maine enlevée par le traité d'Ashburton (1842).
Les minorités françaises de l'Ouest et de l'Ontario, et
celles des Etats du Sud, républiques ou royaumes sortis des
Etats-Unis, formant des groupes forts cependant, serviront
à maintenir la paix entre les sept ou huit Etats qui se divi-
seront l'Amérique du Nord,
Les Canadiens-Français auront formé le royaume du Ca-
nada ou de Laurentie. Canadiens, tout court, ou Lauren-
tiens, mais Latins toujours, ils seront sur le continent nord-
américain, les héritiers de l'Europe civilisée, défendant par-
tout la justice et la foi chrétienne.
Louis Gerenval.
-:o:-
Sur la ligne du Grand-Tronc- Pacifique
Les principaux officiers du Grand-Tronc-Pacifique viennent
de recevoir une lettre envoyée par un artiste distingué]de New-
York, qui est de retour d'un voyage aux environs des monta-
gnes Rocheuses, sur la ligne du Grand-Tronc-Pacifique. ' ' J 'ai
traversé la Pointe d'acier sur la ligne du Grand-Tronc- Pacifi-
que, de là prenant la direction du lac Maligne, où j'ai trouvé le
plus beau lac. J'ai fait un vo3^age agréable, et j'ai pris plu-
sieurs croquis. De retour je m'arrêtai à Waiuright, pour chas-
ser le canard dans différentes directions et je fus très satisfait.
L'année prochaine j'espère être capable d'y retourner plus tôt
que l'année dernière afin, d'avoir le temps d'examiner d'une
manière plus détaillée votre magnifique contrée.
Les deux Filles de Maître Bienaimé
(SCENES IMORIVfA.NDES)
PAR
Marie Le Mière
(Suite)
Parlant très haut, avec des gestes violents, elle reculait
vers la fenêtre ; Mathilde la vit se coller contre les vitres,
s'accrocher à la poignée, évoquant un oiseau qui se meurtrit
follement aux barreaux de sa cage.
— Que tu es enfant ! soupira l'aînée, de cette même voix
profonde, mouillée par toutes les larmes retenues. ïu ne l'as
donc jamais regardé, celui qui te demande ? Tu ne le vois
donc pas comme il est, si bon chrétien, si intelligent. Et il
t'aime, il t'aime. . répéta-t-elle, les yeux dans la nuit déso-
lée . . Oh ! Léa !
— Je suis maîtresse de mon coeur ! déclama la jeune révol-
tée eu levant les deux bras.
Mais Mathilde les rabattit, ces petits bras tendus vers le
vide et le mensonge ; elle enveloppa de sa généreuse é\reinte
celle que Louis avait choisie ; elle la porta sur le fauteuil de
paille, au chevet de la couchette. Ah ! cette fois, elle savait
se montrer tendre, émue et chaleureuse ; c'est qu'il est des
héroïsmes dont l'effort surhumain descelle les lèvres les mieux
closes, arrache l'âme, pour ainsi dire, et la jette au dehors,
toute vive et palpitante ; Mathilde sortait d'elle-même ; Ma-
thilde trouvait ses mots.
— Ton coeur ! Est-ce que tu le connais seulement ! C'est ta
tête qui s'exalte, qui t'emporte, je ne sais où. . Mais quand tu
auras réfléchi devant le bon Dieu, comme on doit réfléchir sur
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 483
une chose aussi grave, tu comprendras où est ton bonheur et
aussi ton bien. Louis' est un guide ; avec celui-là, tu ne te
perdras jamais. . Entends-tu, Léa, entends-tu ?
Elle s'était mise à genoux pour être au niveau de sa soeur,
et la serrait contre elle, puissamment, comme pour lui commu-
niquer cette confiance absolue. Mais Léa répondait avec un
entêtement passionné :
— Puisque je ne l'aime pas !
— Cela viendrait . . Comment veux-tu que cela ne vienne
pas ? reprit Mathilde dont le visage, maintenant, se colorait
d'une flamme divine. Tu ne sais pas ce que c'est que d'aimer
sérieusement ; il te l'apprendrait, lui. . Et tu devrais être tou-
chée, au moins, car s'il te recherche, c'est bien pour toi . .
— Ah ! oui, sa fortune ! interrompit Léa dans un rire
forcé ; parlons-en, de sa fortune ! De quoi lui sert-elle ? Au-
tant vaut être pauvre que d'être riche dans ces conditions-là.
D'abord, je ne me marierai pas pour de l'argent ; j'épouserai
celui que j'aimerai, et qui m'aimera comme je veux être aimée !
Toujours les phrases de roman. Mais Mathilde, emporté©
par l'impulsion sublime, continuait sans entendre :
— Pense à la bonne maison où tu entrerais ; pense un peu
au bonheur que nous aurions tous. . Oui, tous, appuya-t-elle
lentement, ses grands yeux fermés . . Papa est bien tourmen-
té, sais-tu ? Pour le consoler, tu n'aurais qu'un mot à dire, et
quel mot, Léa ! . .
Frissonnante, elle dut s'arrêter deux secondes. . Oh ! cette
vie splendide, ce lot merveilleux d'honneur, d'affection, de joie
sainte et bénie, était-il possible qu'une autre le dédaignât !
— Léa, supplia-t-elle avec une ardeur épuissante, ne t'en-
tête pas, regarde au fond des choses, demande au bon Dieu
qu'il t'éclaire , . Je ne suis pas seule à t'en prier ! Maman est
là qui te supplie de même . . et aussi ta compagne d'autrefois,
sa soeur à lui . . la petite Berthe que tu aimais tant !
Les yeux fiévreux de Léa se dilataient par degrés devant
cette Mathilde inconnue ; tout à coup, son buste noyé dans
484 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
les grands cheveux s'abattit de côté sur le lit. Elle suffo-
quait, en proie à une crise nerveuse ; à travers le tumulte des
sanglots, des mots perçaient, incohérents.
— Je ne peux pas. . . je te dis. Jamais ! Laisse-moi, Ma-
thilJe ! Mon Dieu. . . mon Dieu... je suis trop malheureuse !
L'aînée, se dominant jusqu'au bout, s'empressa autour
d'elle, la déshabilla comme un petit enfant, la glissa sous les
couvertures. Ainsi, par son héroïque élan, elle n'avait réussi
qu'à déchaîner cet accès maladif !. . . Hélas ! elle ne s'était
point adressée à un esprit sain, à une âme en état normal '
sans parler des lectures qui avaient complètement faussé son
optique, Léa subissait, dans toute son étendue, l'emprise de
ce sentiment déséquilibré qui ne mérite pas le nom d'amour,
et n'est, en somme, qu'une forme de l'adoration de soi-même !...
La mère morte... la petite amie... que pouvaient-elles aujour-
d'hui, ces images éclipsées ? Le bon Dieu ? Léa, depuis cer-
taine rencontre, l'avait bien relégué à l'arrière-plan de sa vie ;
la paix et l'austérité religieuses cadraient trop mal avec sa
hantise actuelle, son désir effréné de jouissance et de clin-
quant.
— J'ai fait tout ce que j'ai pu... tout, mon Dieu! soupira
Mathilde, en sortant de la chambre où Léa, calmée, commen-
çait à s'endormir.
Etourdie, la jeune fille allait au hasard ; sa bougie vacillait
dans sa main ; son visage creusé se plaquait d'ombres lugubres.
— Est-ce moi qui ai parlé ? Est-ce moi qui ai souffert ?
murmura-t-elle en se retenant, égarée, à une saillie de la
cloison.
Mathilde croyait avoir, depuis une heure, vécu toute une
éternité.
XIV
A TOUTE VAPEUR
Les roues de la carriole fendaient lentement la couche de
neige, que les sabots du cheval creusaient de gros trous noirs,
LES DEUX FILLES DE MAITRE BIENAIMÉ 485
et la bise cinglait la jeune fille assise sur le siège, dans l'ou-
verture de la bâche de toile brune. Aussi loin que son re-
gard s'étendit, elle n'apercevait aucune forme vivante dans la
blancheur du ciel et la blancheur de la campagne ; il ne nei-
geait plus, mais un infini de mélancolie s'exhalait de ce pay- .
sage monochrome et glacé.
— Allez ! allez donc ! répétait Mathild», imprimant de lé-
gères secousses aux rênes qu'elle maintenait avec une vigueur
toute masculine.
En tournant au carrefour, elle mit sa main en visière : sur
cette étendue aveuglante, quelque chose de noir voltigeait ;
un prêtre s'avançait à grands pas, alerte et décidé sous son
manteau flottant au vent, et son chapeau qu'il soutenait avec
peine. Déjà Mathilde avait sauté hors de la voiture, relevant
ses jupes mouillées qui claquaient autour d'elle.
— Ah ! te voici, ma bonne enfant ! s'écria l'abbé Brissot
serrant les mains gantées de laine épaisse et cependant tout
endolories par le froid ; seule en route et par un temps pareil !*
— Je rapporte les provisions, mon oncle ; papa est en foire,
et comment envoyer un homme aujourd'hui ! Toutes les bêtes
sont rentrées à cause de la neige, les domestiques sont sur
les dents.
— Je m'en suis aperçu, reprit le curé des Landelles, car je
viens de là-bas.
— Ah ! c'est triste, là -bas... murmura Mathilde, dont les
paupières s'humectaient.
— Triste, appuya le prêtre. Je l'ai raisonnée, je l'ai exhor-
tée... Peine perdue ! On ne sait par où la prendre. Ce n'est
plus Léa... ce n'est» plus du tout Léa ; même au physique, je
ne l'ai pas reconnue !
" Ses nerfs sont montés d'une façon effrayante. Et cette idée
fixe de partir, ce refus de s'expliquer sur ses projets... Il y a
une influence là-dessous ! Ta sœur est soutenue, excitée...
— Attirée, acheva délibérément Mathilde. J'y ai pensé;
mais comment ?
486 LA REVUE FRANCO AMÉRIC AI N^E
— Es- tu sûre qu'elle ne reçoit pas de lettres !
— Peut-on jamais savoir ? répondit sourdement la soeur
aînée. . En tout cas, papa est bien malheureux à cause d'elle...
sans parler du reste ! car les affaires ne vont pas comme il
faudrait, mon oncle. Tenez, le mois dernier, Jean Médéric
est parti ; il n'est pas encore remplacé ; les autres se plaignent
en disant qu'ils ont trop d'ouvrage et qu'ils s'en iront si ça
continue. Il est certain que six hommes et deux femmes, ce
n'est pas assez chez nous !
— Mon Dieu ! soupira le prêtre, dont les traits se tendaient
douloureusement, si je pouvais quelque chose !
Puis, enfonçant dans les yeux noirs son regard à la fois
chaud et scrutateur :
— Et toi ? prononça-t-il.
— Moi ? fit-elle, souriant faiblement et détournant la tête,
je vais, je viens, je cours... comme toujours ; c'est mon sort.
Mais l'abbé ne prit pas le change. Avec son affection pa-
ternelle et sacerdotale, qui lui donnait droit à tous les aveux :
— Mathilde, insista-t-il, ma chère enfant !
— Mon oncle... balbutia-t-elle.
Et, brusquement, elle fondit en larmes.
Il fut navré, mais non surpris ; depuis longtemps il avait
lu dans l'âme candide et forte le secret ignoré d'elle-même ; il
savait qu'en ce moment Mathilde avait au coeur un poids
écrasant comme la pierre d'un tombeau.
— Courage, ma petite fille, murmurait le prêtre ; courage,
pour le bon Dieu, pour les tiens...
Elle essuyait rapidement ses pleurs ; le. disque blafard et
minuscule du soleil apparut un instant là-haut, rendant plus
saisissante encore la pureté glaciale de la solitude.
— Merci, mon T^ncle, repîit-elie ; je veux bien souffrir, moi,
cela ne me fait rien ! Mais papa, tous les miens, notre pauvre
Closerie ! . . Ah ! c'est dur, allez, quand je me dis que, malgré
ma peine, je ne les sauverai pas ! . .
LES DEUX FILLES 1)12 MAITRE BIENAIME 487
Si, ma fille ! répliqua l'abbé avec force. ïu les sauvcias .
une âme sacrifiée est la bénédiction et la protection du foyer.
Prions l'un pour l'autre ; je ne veux pas t'arrêter davantage :
va, Mathilde !
Au moment de s'élancer en voiture, elle se retint, la main
au brancard.
— Et vos affaires, à vous, mon oncle ?
— Rien de nouveau . . A la grâce ! fit l'abbé Brissot avec
un signe vers le ciel.
Et, tandis que la carriole remontait vers Clairville, le curé
des Landelles poursuivait sa route en sens inverse, portant,
par intervalles, les doigts à ses paupières que le souffle de
janvier n'était pas seul à rougir.
Il ne pensait pas, en ce moment, au sol ingrat qu'il défri-
chait, à la paroisse divisée où il s'acharnait sans fin à rétablir
la concorde, au presbytère d'où, bientôt peut-être, il serait
chassé par la haine imbécile de quelques tyranneaux.
— Pauvre enfant ! lépétait-il ; pauvre admirable enfant !
Et il se disait que, dans tout ce drame intime qui boulever-
sait la maison, il y avait un peu, hélas ! de la faute du père...
Chrétien, Bienaimé Brissot aurait pu trouver dans sa foi les
moj^ens d'imposer son autorité méconnue ; il aurait impitoya-
blement proscrit ces feuilletons que l'oncle venait de surpren-
dre entre les mains de sa nièce ; surtout, il aurait laissé Léa
deux ou trois années de plus à ces religieuses qui n'avaient
pas eu le temps d'accomplir en elle une œuvre durable... Mais
le curé des Landelles plaignait trop son frère pour songer à
le blâmer.
. . Là-bas, la cuisine rougeoyait tout entière daris le reflet
d'un superbe feu ; la flamme dansante et chantante mettait
une couronne ardente autour de la vaste *' tuile " frottée de
saindoux, où la main preste de Maria versait la pâte épaisse
faite de lait écrémé et de farine de sarrasin. Eugène se
chauffait, debout, les mains tendues ; une sensation de bien-
être imprégnait sa physionomie d'une quiétude et le bra.sier
488 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
allumait des lueurs phospho-rescentes dans ses cheveux
trop clairs.
Mathilde entra, posa ses paniers à terre ; la neige collée à
ses galoches fondait, traçant sur le ciment un double sillage
noirâtre ; elle approcha du foyer son visage aux lèvres bleuies.
Le profil aux grandes lignes ressortait très rigide sur la nappe
de clarté.
Une fille accablée par une tâche surhumaine, un pauvre
garçon presque idiot, c'était donc là toute la famille du fer-
mier ! Déjà, Léa ne comptait plus ; et ceux qui longeaient le
mur du jardin de la Closerie pouvaient apercevoir, derrière
une fenêtie, un visage trop effilé sous des bandeaux trop gon-
flés, deux 3^eux avides, luisants, fouillant désespérément l'es-
pace.
, Autour de Léa s'amoncelaient des broderies, des dentelles
à peine commencées ; au fond du tiroir de la table, une boîte
soigneusement dissimulée renfermait des lettres et une pho-
tographie représentant un groupe familial : une grande
femme élégante, deux jeunes gens et une jeune fille. Et Léa
passait des heures en tête à tête avec cette correspondance,
maintenant transmise par Mlle Mage, l'institutrice prêteuse de
romans. En un moment d'expansion, elle avait même mon-
tré à cette amie devenue intime la silhouette dégagée, les
traits fins, la moustache conquérante de Roger Daubreuil.
Roger Daubreuil ! Le joli nom et l'idéal personnage ! Avec
quel battement de cœur elle avait lu, dans une missive de sa
tante, la phrase magique dès longtemps pressentie : " Je sais
qui t'adore, ma mignonne, et qui chante tes louanges du ma-
tin au soir ! "
Avec quelle ferveur elle contemplait le portrait de son
pseudo-cousin en murmurant :
— Oh 1 Roger ! Roger ! que vous êtes bon de vouloir me
délivrer !
Elle le parait de toutes les supériorités et de tous les char-
mes ; elle le voyait dans des rôles de héros et de paladin ; elle
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 489
se répétait qu'elle l'aimait, qu elle lui donnait son cœur, ({u'elle
ne pouvait vivre sans lui et qu'elle niouirait si elle ne l'épou-
sait pas ! ! !
Et des projets extravagants s'ébauchaient dans son cerveau.
A la Closerie, la tristesse pesait plus lourde et plus froide que
la neige massée en un bloc sur les toits ; des influences dépri-
mantes jetaient le trouble dans la vaste ruche où résonnait,
naguère si plein, le rythme de la vie ; en dépit des eflbrts de
Mathilde, la désorganisation se glissait partout.
Maître Bienaimé, vieilli de dix ans, commençait à courber
les épaules ; un ressort s'était rompu en lui sous le choc dont
il ne pouvait se remettre. Il devenait de plus en plus impé-
rieux, irascible; il lui arrivait de se tromper de route en al-
lant visiter ses champs. Sa fille l'avait blessé dans tous ses
instincts, heurté dans toutes ses volontés, ses volontés, brisé
dans toutes ses espérances.
Adieu le rayonnement de bonheur qui aurait tout réchauf-
fé, tout rajeuni ! Adieu la sève riche et neuve qui eût infusé
la vie au tronc languissant !
Le dégel vint ; les chaumes de la ferme perdirent leurs
franges de glaçons ; sous les cascades des gouttières, la cour
se changea en un lac miroitant au doux soleil de février. Puis
les troupeaux retournèrent aux herbages, et, dans les belles
nuits froides où les plus purs diamants du ciel scintillent,
montèrent de nouveau les mugissements profonds. Au jar-
din, les perce-neige et les crocus émergèrent timidement du
sol givré ; mais Léa, cette fois, demeura insensible à ces symp-
tômes d'éveil qui l'animaient jadis d'une gaîté exubérante»
Son père avait des crispations quand il apercevait, a l'heure
du dîner, ces yeux à la fois mornes et provocants dans ce
visage de cire ; et lorsque la jeune fille, sans avoir articulé un
mot, se levait avant la fin du repas pour retourner à sa soli-
tude, Brissot fermait son couteau en un claquement sec et
sortait à son tour en murmurant d'une voix sifflante :
— Ça ne peut pas durer ! Ce n'est plus tenable !
490 LA REVUS FRANCO-AMÉRICAINE
De fait, elle était devenue, par sa faute, impropre à toute be-
sogne tant soit peu fatigante ; elle se complaisait en son amai-
grissement, en sa pâleur, et sur sa longue robe, aux plis en-
veloppants, elle jetait une écharpe de soie pourpre qui exagé-
rait encore la décoloration de son teint ; son objectif était de
ressembler à une martyre sentimentale, une de ces créatures
alanguies célébrées par les romantiques de 1830 !
Mathilde ne savait plus où donner de la tête ; la cuisine de
la famille, le raccommodage lui incombaient maintenant, en
sus de tout le reste, et ell« était souvent forcée de veiller très
tard pour achever de repriser les tricots. Léa recommençait
à refuser la nourriture, à renvoyer intact le bol de lait qu'on
lui apportait chaque matin dans sa chambre. Un jour, à table,
après avoir plongé sa cuiller dans l'assiette pleine de potage,
elle se ravisa subitement, repoussa son couvert, éloigna sa
chaise et croisa les bras.
— Eh bien ! Qu'est-ce que ça veut dire ? exclama Maître
Bienaimé assis en face d'elle.
— Vous le voyez.
— Tu vas mangei !
— Je ne mangerai pas.
Jetant violemment sa serviette, Brissot se leva, s'approcha
de sa fille, la saisit par l'épaule.
— Tu v^as manger tout de suite !
—Non !
Léa recula soudain avec un cri aigu : la main du fermier,
sèche, frémissante, venait de la souffleter énergiquement.
- Mathilde se précipita ; Eugène, debout, s'était mis à trem-
bler de tous ses membres ; demi -évanouie d'humiliation et de
rage, Léa se laissait aller à la renverse dans les bras de sa
sœur.
On dut la traîner chez elle, l'étendre sous son édredon.
— Oh ! Léa, gémissait Mathilde, vois-tu ce qui arrive !
Vois -tu ce que tu fais de la maison : un enfer! Mon Dieu !
mon Dieu !
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 401
Elle ne répondait pas, ses dents étaient serrées. Les larmes
refusaient de jaillir et elle ressentait à la gorge, au cerveau,
une terrible compression intérieure. Lorsque Mathilde, une
heure plus tard, rentra sur la pointe du pied, écarta douce-
ment les rideaux, elle demeura terrifiée devant ces yeux de
démente et cette rougeur de feu.
— Tu as de la fièvre, dit-elle ; veux-tu quelque chose ?
— Non.
— Veux-tu que je te déshabille tout à fait ?
• —Non.
La nuit, elle ne dormit pas une seconde : Mathilde, éveillée
elle-même et si malheureuse, l'entendit se tourner et se re-
tourner sans fin. Léa, dans l'obscurité, faisait des gestes et
parlait à mi-voix :
— Non, non je ne le supporterai pas ! Après l'esclavage, les
coups ! Cette fois, la mesure est comble !
Et plus bas, les lèvres tremblantes.
— Oh ! si je pouvais. . si je pouvais. .
L'idée prenait corps, montait, envahissait tout letre ; dans
une sorte de délire lucide, Léa combinait, discutait, avec une
extraordinaire précision de détails.. Tout à coup, elle eut
un sursaut qui fit grincer le fer de sa couchette ; comment
n'y avait-elle pas pensé plus tôt ?. . C'était demain le marché
de Périers, et elle savait que son père devait s'y rendre. Dès
quatre heures et demie, il serait parti . . Alors . . alors . . peut-
être. .
Elle avait la sueur aux trempes ; avec un battement de
coeur si fort qu'il ressemblait à un roulement continu, elle
alluma sa bougie, prit une jupe, un châle, et s'éloigna nu-pieds.
— Où vas-tu ? soupira Mathilde, qui commençait à s'assou-
pir.
— Chercher de l'eau de mélisse.
— 11 fallait me demander. . sais-tu où est la clé, seulement ?
Léa descendait, touchant silencieusement les degrés de bois;
492 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
mais quand elle passa devant la porte de la cuisine, Brissot,
dont le sommeil était très léger, cria du fond de l'alcôve :
— Eh ! là ! qu'est-ce que c'est ?
Elle répéta son mensonge, puis entra dans la salle et se di-
rigea vers un tas de papiers qu'elle fouilla fébrilement. Ayant
découvert ce qu'elle cherchait, elle le dissimula sous son châle,
remonta, tira d'un placard une liasse de journaux de mode et
se remit au lit, s'adossant à son oreiller relevé.
— Es tu plus mal ? interrogea sa soeur.
— Non, je vais lire, puisque je ne peux pas dormir. Dors,
toi ; ne te gêne pas . .
Bientôt deux heures sonnèrent en bas, à la vieille horloge ;
Léa souffla la boucrie, orljssa sous le matelas l'indicateur des
chemins de fer. . Pour oser concevoir un tel, projet, il fallait
vraiment sa totale inexpérience de la vie, son ignorance de la
loi française et des droits paternels, et surtout le degré d'exal-
tation effrayante où elle était parvenue ! Dans son aberration,
elle hésitait d'autant moins et s'absolvait d'autant plus volon-
tiers que Roger Daubreuil n'habitait pas chez Amélie.
. . A quatre heures, résonna la voix stridente du réveille-
matin ; déjà Mathilde se levait pour prendre soin de son père
et le mettre en voiture. Elle se mouvait avec mille précau-
tions à cause de sa soeur qui faisait semblant de dormir pro-
fondément. Mais Léa, dès qu'elle fut seule, sauta hors de sa
couche, poussa le verrou, procéda immédiatement à sa toilette.
Affreusement blanche maintenant, raide et contractée, elle
agissait à la façon d'une somnambule.
Elle entendit partir les deux voitures ; son oreille doulou-
reusement tendue perçut le cahotement pesant de la charrette
emmenant les veaux et les porcs, puis le roulement sourd de
la carriole du maître . . La nuit était noire encore derrière la
buée épaisse et pleurante des vitres. Léa glissa dans son
porte-monnaie quelques pièces d'or, toute sa réserve. Au mi-
lieu de la chambre, une valise bâillait . .
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIMÉ 493
— Ouvre- moi ! cria soudain Mathilde, derrière la porte qui
résistait.
Pas de réponse ; la fille aînée du fermier distingua un peu
de biuit dans la pièce, vit la raie lumineuse qui soulignait le
panneau. Ne pouvant deviner ce que faisait Léa, et renon-
çant à vaincre cet entêtemer^t, elle redescendit, entra dans le
cabinet à linge... Mais le verrou avait joué sans bruit dans
sa gaine. . Léa, retenant son souffle, se penchait sur la rampe...
Les domestiques dormaient encore, sauf celui qui avait ac-
compagné son maître... Mathilde seule était à craindre... Al-
lons! il fallait risquer le tout pour le tout : dans quinze ou
vingt minutes, il serait trop tard.
La jeune fille saisit, en bas, le grincement bien connu d'une
porte d'armoire.
— Elle est au linge ! balbutia-t-elle. Vite, vite !
. . Nul n'aperçut l'ombre furtive qui traversait la cuisine,
où les fenêtres jetaient, ça et là, des pâleurs incertaines ; nul
ne surprit un envolement léger le long des vieux murs !
D'immenses étoiles brillaient dans le carré de ciel découpé
par les toits ; une bouffée chaude, une odeur de lait s'exha-
lèrent des étables, et caressèrent la fugitive en passant dans
l'air limpide et vif du premier matin . .
Le chien n'aboya pas ; à peine remua-t-il dans sa niche de
pierre. Seuls les coqs, chantant dans les poulaillers, trou-
blaient le silence de l'heure. .
Au moment où Mathilde se rendait à la basse-cour, Léa en-
trait à la gare après une course de cinq kilomètres ; elle ne
sentait ni sa fatigue, ni le poids de sa valise, d'ailleurs peu
garnie. Le jour naissait, exquis et pur; la jeune fille se pré-
cipita vers le guichet, en rabattant soigneusement sa voilette
épaisse.
— Un billet de seconde. . aller... Caen. . demanda-t-elle.
Voulant déjouer les soupçons, elle usait de supercherie ; à
Caen seulement, elle prendrait son billet pour Paris, et télé-
494 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
graphierait à sa tante. Mais le chef de gare ne la reconnut
même pas.
Dès qu'elle fut en wagon, une torpeur la gagna, et elle s'a-
bandonna, passive, au train qui s'ébranlait. . Une impression
indéfinissable lui fit ouvrir les yeux. Le soleil se levait,
énorme globe rose, sur les marais séchés par le vent de mars
et traversés par la douce Vérelle enlaçante ; et les teintes dé-
gradées du ciel et de l'eau, le reflet bleuâtre des pâturages
poudrés de gelée blanche, la couleurv vermeille des arbres loin-
tains, des maisons d'où montait la fumée, composaient une
idéale harmonie, chantaient un poème de fraîcheur. La Nor-
mandie féconde, la bonne terre nourricière, envoyait son
adieu, dans son plus clair sourire, à l'ingrate qui la fuyait.
Sentit-elle ? comprit-elle ? Soudain, elle s'étreignit la tête
en murmurant :
— Qu'est-ce que j'ai fait ?
Un effi'oi irraisonné la précipita vers la portière . . Mais le
train filait, filait, comme s'il eût couru vers un abîme. Le sort
en était jeté ! Le souâle grondeur, haletant de l'express, enve-
loppait la jeune fille, et cette vitesse eiYrénée lui donnait le
vertige en la grisant. Plus vite, plus encore»! Plus loin, les
images familières du passé renié, de l'existence haïe ! Et Léa,
fermant les yeux, tendit les deux bras vers Paris.
. . Une heure et demie plus tard, Mathilde, pour la troi-
sième fois, frappait à la porte close.
— Léa, il faut que j'entre à la fin ! J'ai affaire. Pourquoi
ne réponds-tu pas ?
Continuant de prier, de supplier, elle collait son oreille au
bois . . Rien ! Pas le moindre frôlement ! Un silence de mort*
— Si tu ne réponds pas, je fais forcer ! conclut Mathilde
au supplice.
Rien rien ! quelle angoisse, grand Dieu ! Etait-elle éva-
nouie ? était-elle.. La jeune fille se cramponnait à la poi-
gnée ; un froid d'agonie lui glaçait le sang . . . Elle descendit
LES DEUX FILLES DE MAÎTRE BIENAIM^ 495
enfin, se soutenant à peine, et ordonna qu'on allât chercher le
forgeron.
Toute la maison était bouleversée; Zélie accourut du jar-
din, affirmant qu'il y avait encore de la luinièr3 dans la
chambre. Les domestiques ne savaient que dire pour rassurer
leur maîtresse, qui errait çà et là, défigurée et hagarde.
— Et le père qui est parti, pour comble de malheur, chu-
chotaient-ils entre eux.
Le forgeron, ses outils en mains, arriva ; Mathilde et les
deux servantes s'élancèrent avec lui dans l'escalier.
— Peut-on fermer à clé en dedans ? interrogea- 1- il après
quelques secondes d'examen.
— Non : en dehors seulement.
— Alors, c'est du dehors que la porte a été fermée. C'est le
pêne qui tient, ce n'est pas le verrou !
Le long de l'escalier s'étouffaient des rumeurs mystérieu-
ses ; l'ouvrier crocheta rapidement la serrure, et la sœur de
Léa se jeta dans la chambre. Au premier regard, elle res-
sentit l'impression d'un coup épouvantable sur la tête, elle
tourna sur elle-même et serait tombée si Maria ne l'eût re-
tenue.
La bougie achevait de se consumer ; des languettes bleuâtres
léchaient, dans le grand jour, la bobèche de verre. Du linge,
des vêtements traînaient sur la couchette vide, dont les draps
pendaient jusque sur le parquet. Léa s'était enfuie comme un
soufile, comme un esprit ! Elle désertait la vieille maison dont
elle avait été la joie, et, après y avoir déchaîné l'orage, elle y
laissait maintenant les larmes et la douleur.
Le surlendemain, un prêtre, inondé de sueur malgré la
fraîcheur de l'air, pénétrait précipitamment dans le jardin de
la Closerie, et s'approchait d'un homme qui bêchait dans un
coin. L'homme redressa son torse maigre, où le tricot flot-
tait largement, et montra, dans la clarté blanche, une face
plus sombre que la nuit.
946 LA REVUE FRANCO-AMÉRICAINE
— Mon pauvre ami ! s'écria l'abbé, serrant à les briser les
mains pleines de terre.
Mais Brissot, avec des paroles à peine articulées, se déga-
geait de l'étreinte et se remettait farouchement à la besogne.
— Tu es sûr qu'elle est à Paris ? tu n'as pas le moindre
doute ?
— Si je suis sûr ? ricanna le fermier, cassé en deux ; d'a-
bord un garçon de chez Maître Louis l'a reconnue samedi
matin sur la route de la gare. ^
— Eh bien ! alors, fit le prêtre en bondissant, dans deux
jours ta fille sera revenue. Ecris tout de suite 1 Télégraphie !
Use de ton droit, et, au besoin, menace ta soeur.
Le même ricanement étrange sortit de la gorge du paysan.
— Veux-tu que j'aille la chercher ? proposa spontanément
le curé des Landelles. Je la ramènerais, je t'en réponds.
— Je te le défends.
Maître Bienaimé, d'un grand coup, enfonça la bêche jus-
qu'au manche, et, renversé en arrière, raide comme une barre
métallique, il articula :
J'aimerais mieux tout, que de recommencer une pareille
vie. . J'en ai trop enduré ; elle m'en a trop fait voir ! Tant et
si bien qu'on en cause d'un bout à l'autre du pays ! Une fille
qui se moque de moi, qui finirait peut-être par se laisser pé-
rir, ou par me donner des idées. . des idées. . répéta-t-il en
serrant les dents. . Malheur de malheur ! Il y a des moments
où on ne se connaît plus !
L'abbé Brissot considérait son frère . . Pour que l'âme du
fermier s'exhalât en cette plainte sauvage, ah ! il fallait qu'elle
eût longtemps crié seule, et saigné en dedans !
— C'est ta fille, pourtant, dit le prêtre avec miséricorde, et
si elle te revenait. .
— Je la mettrais à la porte ! scanda Brissot, dont toutes
les syllabes partaient sèches comme des coups de feu. Amélie
l'a voulue : elle la gardera I Pour moi, ça n'esfc plus mon
affaire.
^^^ La Revue franco- américaine
R45
t. 8
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