Skip to main content

Full text of "La réforme de l'enseignement secondaire"

See other formats


This is a digital copy of a book that was preserved for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 
to make the world's books discoverable online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that 's often difficult to discover. 

Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book' s long journey from the 
publisher to a library and finally to y ou. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prevent abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automated querying. 

We also ask that y ou: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain from automated querying Do not send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a large amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each file is essential for informing people about this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are responsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can't offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
any where in the world. Copyright infringement liability can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full text of this book on the web 



at |http : //books . google . corn/ 




A propos de ce livre 

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec 
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en 
ligne. 

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont 
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 
trop souvent difficilement accessibles au public. 

Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 

Consignes d'utilisation 

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 

Nous vous demandons également de: 

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 

+ Ne pas supprimer r attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. 

À propos du service Google Recherche de Livres 

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 



des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse ] ht tp : //books .google . corn 




\ 




1 



LA 



X 



cT 



-> 



/^ 





1 



LA 



X 



^. 



6^ 



1 



/^ 



La Réfotme 

de 

r Enseignement 

secondaire 



I 



p,^ 



ALEXANDRE RIBCX?^ 

Député, Président de la Commission de l'Enseignement. 



La Réforme 



de 



■ r Enseignement 



secondaire 




Librairie . Armand Colin 

Paris, 6, rue de Mézières 



\ . 



ALEXANDRE mBOT 

Député '— - 
Président de la Ck)minission de rEnseigncinent 



La Réforme 



de 



l'En s e ign emen t 

secondaire 




Armand Colin et C", Éditeurs 

Paris, 5, rue de Mézières 



1900 

Tous droits réserTés 



AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS 



La Chambre des députés a chargé la Commission 
de l'enseignement présidée par M. Ribot de faire une 
enquête sur l'enseignement secondaire. Du 17 jan- 
vier au 27 mars 1899, la Commission a entendu 
196 dépositions dont le recueil forme deux volumes 
ixiià'' à deux colonnes*. Elle a demandé au ministre 
de rinstruclion publique de faire établir, par les 
inspecteurs d'académie, un r elevé général de la popu- 
lation de tous les établissements d'enseignement 
secondaire. C'est pour la première fois qu'une sta- 
tistique complète de l'enseignement libre a été 
dressée*. Un grand nombre de membres de l'Univer- 
sité ont ^épondu^ar écrit à l'appel de la Commission ; 
leurs dépositions ont été analysées et publiées'. Enfin 
la Commission a voulu associer h, l'enquôte lesCham- 

1. L'administration du Journal officiel a mis en vente une édi- 
tion plus compacte en un volume (prix : 3 fr. aux bureaux du 
journal). 

2. Cette statistique forme le tome UI de L'Enquête; elle est suivie 
des observations des recteurs et des inspecteurs sur les causes des 
changements qui se sont produits, depuis vingt ans, dans la popu- 
lation des divers établissements. 

3. T. IV de l'Enquête. 

33S511 



J 



YIII AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS. 

bres de commerce et les Conseils généraux. Leurs 
réponses forment le dernier volume des Documents 
de Tenquôte*. 

Tout le monde a rendu justice à l'esprit dans 
lequel l'enquête a été dirigée. Aucune critique -ne 
s'est élevée d*aucun côté. Voici en quels termes le 
Temps a apprécié Tœuvre de la Commission : 

L'enquête ordonnée par la Chambre des députés sur la 
crise de notre enseignement secondaire, et conduite par 
M. Ri bot avec tant d*autoritô et de persévérance, restera 
l'une des plus intéressantes et des plus fructueuses 
qu'aient enregistrées nos annales parlementaires. 

Les dépqsition_s recueillies par la Commission ont été 
imprimées en deux gros volumes que nous avons sous les 
yeux et qui sont bien la lecture la plus attachante que 
1 on puisse faire. On ne peut encore pjNèjug er ni les pro- 
positions que la Commission soumettra à la Chambre, ni 
les mesures législatives que celle-ci décrétera. Il n'est pas 
admissible qu'un si immense effort, tant de lumières et 
tant de bonnes volontés n'aient pas quelque résultat utile 
et fécond pour l'éducation nationale. Mais dût la Chambre 
se montrer encore line fois impuissante ou timide, nous 
n'hésitons pas à déclarer que les deux volumes dont nous 
parlons resteront, pour l'avenir, un précieux répertoire 
des opinions les plus autorisées sur le difficile problème 
de l'enseignement public, de ses rapports avec l'enseigne- 
ment libre et de son lien avec toutes les questions qui se 
posent aujourd'hui dans la vie sociale et économique du 
pays. Il convient de les signaler à l'attention d'autres 

1. T. V de VEnquélr, 



AVERTISSEMENT DES EDITEURS. IX 

encore que des députés. Il n est personne parmi les gens 
cultivés, aucun citoyen ^ucieu x de notre avenir national 
qui n*y puisse trouver^tout ensemble ,une instruction très 
substantielle et parfois un plaisir très délicat. C'est l'élite 
des esprits en France qui d jfile devant nous et vient 
déposer dans la plus grave comme la plus difficile des 
causes : la formation des générations nouvelles à la vie 
qui les attend demain. 

Souvent on a vanté, et avec raison, les grandes enquêtes 
parlementaires qui se sont faites à toutes les époques de, 
crise et se font périodiquement encore chez nos voisins 
d'outre-Manche. Chaque fois c'est tout un côté de leur 
\ie sociale ou industrielle, ou politique qu'ils fouillent 
jusqu'au fond, et dont ils examinent impartialement et 
vérifient tous les ressorts. Celle que la Commission de la 
Chambre française vient, en quelques mois, de mener à 
bonne fin a la même envergure et mérite d'éveiller parmi 
nous la même attention. 

Il serait prématuré d'en vouloir au pied levé donner un 
résumé complet ou en déduire des conclusions générales. 
Il y a là non seulement une statistique à faire des opi- 
nions émises, mais encore une appréciation et une classi- 
fication de ces opinions qui demandera beaucoup de 
temps et de réflexion. Il faut se contenter aujourd'hui 
d'une vue générale sur cet ensemble de documents pour 
en faire sentir la richesse et le prix. 

On en jugera tout d'abord par l'étendue du question- 
naire ou programme que la Commission s'était tracé avant 
de commencer ses travaux. Elle n'a rien voulu laisser 
dans l'ombre. Elle a fait porter la lumière de son enquête 
sur tous les coins et recoins du problème. Statistique 
comparative des élèves des établissements secondaires de 



X . AVEUTISSEMENT DES EDITEURS. 

tout ordre, rapports de ronseigncment classique et de 
l'enseignement moderne, organisation de l'un et de 
l'autre, sanctions respectives, lien de l'enseignement 
secondaire avec le primaire et le supérieur, régime des 
lycées et collèges, internats, formation des professeurs, 
examens et baccalauréat, étude des langues vivantes, 
réforme des programmes et des méthodes, autonomie et 
décentralisation, etc. On voit que c'est toute une encyclo- 
pédie pédagogique, mais une encyclopédie parlée et 
vivante, à laquelle ont collaboré les hommes les plus 
illustres, les plus libres ou les plus compétents. 

Faut-il citer des noms? Depuis les membres les plus 
distingués de l'Institut jusqu'aux professeurs les plus 
humbles et les plus méritants de nos collèges, on y trouve 
tous les noms qui honorent soit les lettres et la science 
françaises, soit la dignité professionnelle du professorat. 
On a tour à tour entendu MM. Gréard, Bertheldt, Lavisse, 
Wallon, Paris, Boissier, Bréal, Jules Lemaître, Brunetière, 
tous ceux qui sont ou les défenseurs des anciennes huma- 
nités ou les promoteurs des idées nouvelles. Ajoutez-y 
des philosophes comme MM. Boutroux, Lachelier, Fouillée 
ou Séailles, des hommes politiques et d'expérience parti- 
culière, comme MM. Léon Bourgeois, Poincaré, Goblet, 
Hanotaux, Buisson. Mais vouloir les nommer tous ce serait 
faire un dénombrement d'Homère. L'intéressant de cette 
enquête, c'est qu'à une déposition dans un sens succède 
une déposition en sens contraire. Pour cette fois, les 
rangs des Grecs et des Troyens sont mêlés et confondus. 

La Commission — et nous* ne saurions trop l'en louer 
— s'est affranchie de toute idée d'exclusion et de tout 
esprit d'élroitesse. Si elle ne pouvait tout voir, elle a voulu 
tout entendre. Avec les représentants de l'enseignement 



AVERTrSSEMENÏ DES ÉDITEIUS. XI 

public, elle a convoqua ctnix do TonsoignenuMit privô, 
soit laïque soit congrùganiste. Le clergé no saurait se 
plaindre. Depuis Mgr Mathieu, arclievc^que de Touloiiso, 
jusqu'au Mve Abel, en passant par le P. Didon, les ahhi^s 
Pêclienard et Baliiïol et en général les directeurs des 
maisons les plus considérables, l'opinion, si importante 
à connaître, de cette partie de la nation a été largement 
consultée et a pu se manifester en pleine liberté. Le» 
représentants des sociétés d'ag»*iculture et des chambres 
de commerce ont eu la parole ù leur tour. Ajoutez-y, ce 
qui viendra un peu plus tard, les dépositions écrites des 
proviseurs, inspecteurs, professeurs de lycées ou de 
collèges, les délibérations des conseils généraux, en (lu 
une statistique rigoureuse de renseignement secondaire 
public et privé, arrêtée au ol décembre 1898, et vous 
aurez une idée de la masse et de la diversité des rensei- 
gnements recueillis par la commission. 

La tâche de la Conimission n'était pas seulement 
de procéder à une enquête. Elle devait en dégager 
les résultats. C'est ce qu'elle a fait en adoptant une 
série de résolutions qui ont été communiquées nu 
ministre de l'Instruction publique et acceptées par 
lui sur les points essentiels. M. Ribot, président de 
la Commission, s'est chargé de faire ressortir, dans 
une introduction générale, l'esprit des réformes que 
propose la Commission. 

Nous publions aujourd'hui cette introduction en 
lui donnant son véritable titre « Réforme de l'en- 
seignement secondaire », et en la faisant suivre du 



N 



XII AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS. 

texte des résolutions de la Commission de l'ensei- 
gnement. On trouvera dans un appendice de larges 
extraits des dépositions faites au cours de l'enquête 
par MM. Berthelot, Lavisse, Boutmy, Poincaré et 
Léon Bourgeois. Ainsi qu'on le verra, M. Ribot a sou-' 
vent fait allusion à ces témoignages, où sont ré- 
sumées la plupart des idées qui se sont fait Jour 
dans l'enquête et qui ont servi de point de départ 
aux réformes projetées. 



LA RÉFORME 

DE 

L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 



RlBOT. -~ REFORME E5SE16N. SECOND. 



AVANÏ-PROPOS 



L'enquôle que nous avons faite n'est pas une 
œuvre de parti. Nous avons recherché avec une 
entière sincérité, en appelant à nous tous les hommes 
qui pouvaient nous aider de leur expérience, les 
causes du malaise de l'enseignement secondaire. 
Que ce malaise existe, qu'il y ait de l'incertitude 
dans les esprits, cela saute aux yeux. Les réformes 
opérées depuis vingt-cinq ans dans l'enseignement 
secondaire n'ont pas eu la même fortune que celles 
qui ont renouvelé nos Universités et donné une si 
vive impulsion à nos écoles primaires. La création 
de l'enseignement moderne a soulevé une forte oppo- 
sition, qui n'a pas encore désarmé. L'affaiblissement 
des études classiques, menacées dans leurs anciens 
privilèges, est devenue une source d'inquiétudes. 
On n'a pu entreprendre la réforme du régime des 
lycées sans que de vieilles habitudes aient été trou- 
blées et sans qu'il en soit résulté un certain ébran- 
lement. 






4 REFORME DE L'ENSEIG>'EMENT SECONDAIRE. 

Nous ne sommes pas seuls, d'ailleurs, à souffrir 
de ce malaise. Partout, il se fait dans les idées sur 
Téducation secondaire une évolution qui n'est que 
la suite de l'évolution économique et sociale de Tan- 
cien monde. Le nombre des familles qui cherchent 
a s'élever par l'instruction au-dessus du niveau 
commun s'accroît de plus en plus. La culture tradi- 
tionnelle ne peut suffire à tous ces nouveaux venus. 
11 faut diversifier et assouplir de plus en plus les 
types d'instruction. En môme temps que l'enseigne- 
ment secondaire s'est étendu, les sciences ont pris 
un essor prodigieux. Les découvertes faites depuis 
un siècle ont changé la vie des peuples et ouvert des 
perspectives tout à fait inconnues. Des mondes nou- 
veaux ont été explorés et conquis. Le développement 
rapide de pays éloignés est pour l'Europe un sujet 
de préoccupations. 

La concurrence qui surgit de toutes parts n'exige- 
t-elle pas une éducation plus appropriée à la lutte? 
N'est-il pas nécessaire de développer les facultés de 
volonté et d'action, plus encore que d'a/finer l'intel- 
ligence? L'assimilation plus complète des connais- 
sances positives et l'entrée plus rapide dans la vie 
ne sont-elles pas, de plus en plus, une des conditions 
du succès *? 

Dans les pays où h Gouvernemenl lient k's clefs 
iBiincrce de lîonlcauXi l- Y, i% 51K 




à 



AVA>T-PROPOS. 5 

des professions libérales et des emplois publics, le 
régime auquel les examens et les concours soumet- 
tent la jeunesse n'a-t-il pas une influence dépri- 
mante? La tendance à modeler les esprits d'après un 
type uniforme ne contribue-t-elle pas à leur enlever 
quelque chose de leur originalité et de leur initia- 
tive? 

Yoilà les questions qui sont agitées partout. 

La crise n'est donc pas limitée à notre pays. Mais 
elle se compliqué, en P'rance, de la lutte toujours 
ouverte entre l'enseignement public et l'enseigne- 
ment privé. Cette lutte a pris chez nous un carac- 
tère qu'elle n'a dans aucun pays, sauf qn Belgique. 
La liberté d'enseignement aboutit en France à un 
partage du monopole entre TÉtat et l'Église catho- 
lique. Les initiatives individuelles sont étouffées. 
Nous n'avons pas tous les bienfaits de la liberté et 
nous en avons tous les «inconvénients, pour ne pas 
dire tous les périls. La question de l'internat est 
devenue pour l'État une source d'embarras qui 
n'existent pas ailleurs, tout au moins au même degré. 
La question du baccalauréat, des grades universi- 
taires, des concours d'admission aux écoles est d'au- 
tant plus vivement discutée chez nous que notre 
organisation sociale, notre amour des . fonctions 
publiques et les dispenses que la loi militaire attache 
à certains diplômes font plus vivement sentir les 



b 



6 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

inconvénients et le caractère artificiel de tous ces 
modes de sélection. 

Faut-il ajouter que nous ne pouvons aborder les 
problèmes qui touchent à l'éducation sans une cer- 
taine inquiétude qui tient à. des causes plus géné- 
rales? Ce n'est pas seulement l'éducation qui tra- 
verse, en France, une crise. Nous souffrons des 
contradictions qui existent entre notre état social et 
notre état politique, entre les habitudes d'esprit qui 
nous rattachent au passé et le besoin pressant 
que nous éprouvons de nous adapter à une exis- 
tence nouvelle, entre nos aspirations nationales et 
les conditions de l'équilibre qui s'établit dans le 
monde, par suite des changements opérés dans la 
répartition des forces et du développement de la 
population. Ces incertitudes et ces contradictions 
ont obscurci, dans l'âme de la jeunesse, l'idéal 
p qui a servi de flambeau aux anciennes générations. 
I Nous avons le sentiment qu'un grand effort est 
\ nécessaire pour nous mettre d'accord avec nous- 
\ mêmes, pour garder notre rang et pour mainte- 
\ nir notre supériorité économique. 
^ Nous a ccuso ns volontiers de nos propres défgtil- 
Ijances l'éducation que nous avons reçue, comme 
si l'éducation était le seul facteur du dévelop- 
pement national, comme si elle n'était pas elle- 
même la résultante d'un ensemble de traditions et 



AYANT-PROPOS. 7 

d'influences héréditaires. Cependant notre système 
d'éducation est, dans une certaine mesure, respon- 
sable des maux de la société française. La Révo- 
lution, qui a renouvelé tant de choses, n'a pas eu 
le temps de donner à la France un système d'édu- 
cation secondaire. Avec l'Empire, nous avons repris 
et nous gardons encore les cadres, déjà vieillis à la 
fin du xvin® siècle, d'un enseignement qui ne répon- 
dait plus au caractère et aux besoins du pays; c'est 
pourquoi la question de l'enseignement secondaire 
est encore à cette heure un des problèmes les plus 
complexes et, par certains côtés, les plus brûlants 
que nous ayons à résoudre. 

L'œuvre d'une Commission d'enquête n'est pas 
de faire elle-même les réformes dont elle voit et 
dont elle montre la nécessité. Elle doit se borner à 
tracer les directions générales. Au Gouvernement il 
appartient d'étudier les réformes dans leurs détails 
et de ménager les transitions nécessairesr. L'organi- 
sation des lycées, les plans d'études, le baccalauréat 
ont été, jusqu'à ce jour, réglés non par des lois, 
mais par des décrets ou des arrêtés du ministre pris 
sur l'avis du Conseil supérieur de l'Instruction pu- 
blique. Nous n'avons donc pas rédigé, de toutes 
pièces, un projet de loi sur l'instruction secondaire. 
Notre tâche a consisté à dégager des conclusions de 
l'ensemble de l'enquête. Avant de vous les commu- 



8 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

nîquer, nous avons conféré avec M. le ministre de 
rinstruction publique, qui nous a prêté durant 
l'enquête son concours le plus empressé. Nous 
avons eu la bonne fortune de constater que sur 
beaucoup de points essentiels nous étions d'accord 
avec lui. 

L'esprit dans lequel la Commission s'est acquittée 
de sa mission ressortira des conclusions mômes 
auxquelles elle est arrivée ; mais peut-être n'est-il 
pas inutile de mettre en lumière dans cette in- 
troduction les idées principales qui nous ont diri- 
gés et de préciser les causes qui placent aujour- 
d'hui l'enseignement public dans une situation dif- 
ficile, vis-à-vis de l'enseignement privé. Hâtons-nous 
d'ajouter que ces causes ne sont pas de celles qu'une 
volonté énergique et persévérante ne puisse faire 
disparaître sansf porter atteinte [a la liberté d'ensei- 
gnement. Nous voulons maintenir à l'enseignement 
public sa prééminence. Mais, pour y parvenir, il n'est 
pas besoin de recourir à des mesures d'exception. Il 
suffit de nous rendre compte des maux dont souffre 
l'Université, d'écouter ses plaintes et de lui donner 
les moyens qu'clli^ ré^Junie pour soutenir la concur- 
'^mcfîdô ses rivaux. 




PREMIÈRE PARTIE 



RÉGIME DES LYCEES 



CHAPITRE PREMIER 

Esprit général de la réforme à opérer 

dans les lycées. 

De l'autonomie des lycées. 



Moins d'uniformité, moins de bureaucralie, un 
peu de liberté : c'est le vœu général qui se dégage 
de l'enquête. Les lycées étouffent sous la centrali- 
sation. On n'a faitJ depuis dix ans, que la rendre 
plus pesante. On s'est appliqué à enlever aux provi- 
seurs ce qui restait de leur initiative. Il n'est pas 
une académie, pas un lycée d'où ne s'élève une 
plainte, partout la môme et partout aussi vive 

A l'origine, le lycée a été une institution dépen- 
dant de l'État, placée sous sa seule autprité; mais 
Fourcroy, en présentant la loi du 30 germinal an X, 
semblait admettre que tous les lycées ne devaient 
pas être uniformes*. On voulait laisser à la consti- 

1. « Les localités, la population, les ressources, les habitudes, les 
dispositions pour diverses connaissances, les besoins variés, comme 
le sol et l'industrie, exigent impérieusement uae diversité d.ins les 
genres et le nombre des sciences enseignées. » 



12 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

(ution de chaque lycée une certaine souplesse pour 
s'adapter à la vie de la région. Mais la centrali- 
sation, sans contrepoids, du régime impérial, devait 
tendre à tout ramener sous le niveau d'une règle 
uniforme, à effacer toutes les dissemblances, toutes 
les originalités. 

Aussi, après plus de quatre-vingts ans de ce ré- 
gime, le lycée a-t-il perdu jusqu'aux derniers ves- 
tiges d'autonomie. Nos lycées n'ont pas d'histoire. 
a Une triste uniformité, a dit un proviseur, règne 
dans nos maisons*. » Ce sont des lieux de pajâsage 
où des hommes, trop souvent étrangers les uns aux 
autres et trop souvent inconnus de la ville qu'ils 
habitent, remplissent momentanément des fonctions 
réglées par les instructions venues de Paris. 

Quand un établissement n'a pas de vie propre, la 
solidarité entre tous ses membres ne peut que s'gf- 
faiblir. Chacun est plus tenté de s^enfermer dans 
son compartiment spécial, dans sa besogne restreinte. 
C'est le mal dont on se plaint partout. Le proviseur 
se cantonne trop dans son administration, le pro- 
fesseur dans sa classe, le répétiteur dans la surveil- 
lance des élèves. Ils remplissent leurs fonctions avec 
zèle et dévouement; mais ils n'ont pas assez de liens 
norauxt une action commune assez soutenue, un 
'èi collectif assez puissant. 

Imposition rlc H. IJalimicr, t. I, p. 559. 





RÉGIME DES LYCÉES. i3 

Le lycée n'a pas de budget, ou, du moins, ce qu'on 
appelle de ce nom n'est qu'un compte administratif 
de recettes et de dépenses sur lesquelles le proviseur 
n'a aucune action, non plus que le bureau d'admi- 
nistration. L'autonomie financière des lycées n'est 
qu'une illusion. Toutes les dépenses sont réglées par 
le ministre ou par les bureaux. Un proviseur ne peut 
pas de lui-même décider qu'on achètera un livre ou 
un instrument de physique. Il ne peut pas donner 
une gratification, si minime qu'elle soit, à un ser- 
viteur. Le prix de la pension, les frais d'études sont 
fixés en dehors de lui. On les élève, sans prendre son 
avis, quand le budget est en déficit. Le lycée perd 
des élèves; on revient sur la mesure prise, mais 
tout se fait et se défait à Paris. Le prqviseur n'est 
qu'un fonctionnaire — qui doit obéir. On lui a 
enlevé le droit, auquel il tenait beaucoup, d'accorder 
quelques remises ou quelques réductions de pension 
ou de frais d'études*. C'était pour lui un moyen de 
retenir des élèves, de tenir compte de certaines si- 
tuations que seul il peut connaître; cela n'était pas 
inutile à son autorité morale. X 

En ce qui concerne l'enseignement, la liberté du 
proviseur et des professeurs est à peu près nulle, lis 
n'ont pas à s'inquiéter de savoir si les plans généraux 
d'études ne devraient pas, dans une certaine mesure, 

1. Ce droit vient de lui être rendu par une décision du ministre. 



44 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

s'assouplir aux nécessités locales. Non seulement les 
programmes sont arrêtés, dans tous leurs détails, 
par le Conseil supérieur de l'Instruction publique, 
mais le nombre des chaires est fixé par le ministre, 
sans que les établissements aient voix au chapitre. 
11 y a tel grand lycée* qui voudrait instituer des 
cours spéciaux de préparation aux écoles de com- 
merce. Il n'en a ni la liberté ni les moyens. Dans 
d'autres lycées, on pourrait faire des économies im- 
portantes, si l'enseignement était mieux distribué. 
Il faudrait n'être pas enchaîné à une règle uniforme, 
et pouvoir tirer le meilleur parti des ressources 
dont on dispose. La centralisation, quand elle de- 
vient excessive, est de tous les régimes le plus coû- 
teux. 

Ce n'est pas seulement l'enseignement qui est 
réglé d'une manière uniforme. La discipline, l'emploi 
du temps, la vie intérieure des établissements sont 
aussi les mêmes partout. 

' Comment veut-on que, dans ces conditions, les 
assemblées des professeurs soient réellement vi 
vantes? Jules Simon s'était flatté de l'espoir qu'il 
sortirait de ces réunions des idées de réformes. 
Elles se meurent partout, faute d'aliment. 

L'évolution qu'il s'agit d'accomplir a été fort bien 

1. Enquête. Déposition du proviseur du lycée Charlemagne, t. I, 
p. 571. 



f 

\ 



r 



RÉGIME DES LYCÉES. 15 

indiquée dans Tenquôte*. II faut substituer a un 
organisme trop fortement centralisé qui paralyse 
toute initiative, qui faitde chaque lycée une entreprise 
de l'Etat, sans racines propres, sans personnalité 
véritable, un système plus large, plus souple et plus 
vivant. C'est une réforme nécessaire. Elle est, n'en 
doutons pas, difficile à réaliser. Il ne faut pas seule 
tnent modifier un organisme et des règlements, mais 
surtout changer des traditions et des habitudes. 

Personne ne demande que les lycées puissent se 
gouverner à leur guise. L'État, qui paye les dé- 
penses, doit rester le maître. Il y a peu d'empresse- 
ment de la part des Conseils généraux à revendiquer 
la faculté d'entretenir des établissements d'enseigne- 
ment secondaire. Les villes mômes, qui ont des 
collèges, sont trop disposées à se décharger sur 
l'État. C'est la tendance naturelle dans notre pays. 
Les ressources manquent aux départements comme 
aux communes. Puis, l'État accepte volontiers que 
les villes ou les départements aient toutes les charges; 
mais il^ne leur laisse aucune initiative*. A-Paris, on 
a créé pour les écoles primaires supérieures une 
Commission mixte qui fait des propositions au mi- 
nistre, quand il y a des directeurs ou des professeurs 

1. Voir notamment les dépositions de MM. Lavisse, L. Bourgeois 
et R. Poincaré. Appendice, p. 216, 268, 247. 

2. Enquête, Conseil général de la Gironde, de l'Allier, etc.... 



16 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

à nommer. Mais le collège RoUin est administré 
comme un lycée, avec cette seule différence que c'est 
la Ville de Paris qui paye le déficit*. 
" Comment s'étonner que beaucoup de villes cher- 
chent à rejeter sur l'État le fardeau des dépenses? 
Elles y sont d'autant plus incitées que l'État a pris à 
sa charge le personnel des écoles primaires, des 
écoles primaires supérieures, des Facultés, et que 
seuls les collèges communaux sont entretenus par 
les communes, avec l'aide de l'État. 

Ce n'est pas à dire qu'on ne puisse intéresser les 
Conseils généraux au développement de l'enseigne- 
ment secondaire. Ils ont presque tous répondu avec 
empressement aux questions qui leur ont été sou- 
mises et ils ont exprimé le désir que les rapports 
annuels des inspecteurs d'académie sur la situation 
de l'enseignement secondaire dans chaque départe- 
ment leur fussent communiqués. Mais, tant que les 
budgets départementaux resteront ce qu'ils sont au- 
jourd'hui, l'État devra pourvoir aux dépenses de 
l'enseignement dans les lycées et, de plus en plus, à 
celles de l'enseignement dans les collèges commu- 
naux. 

L'enseignement secondaire ne peut donc pas être 
décentralisé et il ne saurait être question de créer 
odes établissements complètement autonomes. Mais, 

1. Enquête. Déposition de M. Emile Clairin, t. II, p. 296. 



RÉGIME DES LYCÉES. 17 

si la centralisation implique Tunité de direction et 
d'esprit général, elle peut se concilier avec une cer- 
taine souplesse dans les ressorts et une certaine 
variété dans les moyens d'exécution. Là où elle 
aboutit à supprimer les initiatives, à multiplier les 
règlements et la paperasserie administrative, elle est 
en train de se détruire elle-même par l'exagération 
de ses défauts naturels. ^ 

Une première réforme à opérer, c'est de séparer le 
pensionnat de la maison d'enseignement proprement 
dite. On metl^ra ainsi de la clarté dans les budgets. 
Le prix de la pension doit être l'équivalent, aussi 
exact que possible, de ce que coûtent la nourriture, 
l'entretien et la surveillance des pensionnaires. L'État 
ne doit faire aucune perte ni aucun bénéfice sur ces 
dépenses. Il est désirable que ce prix de la pension, 
au lieu d'être^ixé arbitrairement comme il l'est 
aujourd'hui, ne varie que pour s'adapter aux exi- 
gences des familles et aux habitudes de chaque ré- 
gion. Le budget du pensionnat, devant se suffire à - 
lui-même, peut être remis à l'initiative du proviseur 
et du bureau d'administration de chaque établisse- 
ment, sous le contrôle du recteur. Voilà, d'un seul 
coup, l'administration supérieure déchargée du 
souci de régler tous les détails de ce budget, le pro- 
viseur délivré d'une tutelle presque humiliante et le 
bureau d'administration appelé à discuter un véri- 

RIBOT. — RÉFORME ENSEIGN. SECOND. 2 



M 



18 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIIŒ. 

table budget. Les membres de ce conseil qui sont 
des représentants de la région s'efforceront davan- 
tage de travailler à la prospérité du lycte. 

Beaucoup de personnes demandent que l'inlernat 
subisse une complète transformation. C'est seule- 
ment en créant cette sorte d'autonomie qu'on peut 
faciliter certaines expériences et ménager certaines 
transitions. Tant que l'internat sera, dans les mains 
de rÉIat, une source de revenus pour le budget, un 
moyen de diminuer les dépenses de renseignement, 
toute réforme profonde sera impossible. On vou- 
drait, par exemple, voir se constituer, autour du 
lycée, ou même dans le lycée, des familles élargies, 
groupées sous la direction de professeurs*. Cela 
s'éloigne beaucoup du type actuel. On n'y peut 
arriver que par des essais partiels. Le régime nou- 
veau, plus souple que lancien, se prête à toutes les 
améliorations, à toutes les transformations. 

Quant au budget de la maison d'enseignement, du 
lycée proprement dit, l'idée la plus simple serait de 
le rattacher directement au budget de l'État, comme 
on a fuit pour les dépenses de l'enseignement pri- 
maire et pour les traitements des professeurs des 
Facultés. 

Cette solution aurait l'inconvénient de supprimer, 

4. Dépositions de M. Léon Bourgeois et de M. Boutmy. Appen- 
dice, p. 273, 235. 



RÉGIME DES LYCÉES. il) 

en ce qui concerne la maison d'enseignement, tout 
caractère d'autonomie. Il faudrait s'y résigner, si 
nous n'entrevoyions pas le moyen de donner à cette 
autonomie, qui n'e§t actuellement qu'une apparence, 
quelque degré de réalité. Ne peut-on pas décider 
qu'à l'avenir l'État, au lieu de payer simplement les 
déficits des lycées, accordera à chacun .d'eux, pour 
un certain nombre d'années, une subvention fixe à 
laquelle s'ajoutera le produit des frais d'études 
payés par les familles? Cet ensemble de recettes cou- 
vrira les dépenses des traitements du corps ensei-» 
gnant et les frais de l'enseignement. On laissera aux 
proviseurs, assistés du Conseil des professeurs, l'ini- 
tiative de proposer au ministre les créations, sup- 
pressions ou transformations de chaires et d'em- 
plois qui seront nécessaires pour tirer le meilleur 
il parti du budget et pour en assurer l'équilibre. Les 

chefs d'établissement et leurs collaborateurs seront 
intéressés à l'augmentation du nombre des élèves ; 
ils pourront donner plus de développement aux 
cours spéciaux, et créer des enseignements complé- 
mentaires. 
I L'ensemble des subventions accordées aux lycées 

' formera un chapitre du budget, de sorte que le con- 

trôle parlementaire pourra s'exercer sur des prévi- 
sions de dépenses et non pas seulement, comme 
aujourd'hui, sur des faits accomplis. 



I 



CHAPITRE II 
De Tautorité des proviseurs. 

Le proviseur est le chef de la maison. C'est la loi 
de Tan X qui le dit. En fait, son autorité a été dimi- 
nuée de plus en plus par l'habitude qu'a prise l'Ad- 
ministration de régler elle-même les plus petits 
détails*. 

Tout le monde reconnaît pourtant que la prospé- 
rité d'un lycée dépend surtout du proviseur. Il per- 
sonnifie le lycée et c'est lui surtout que connaissent 
les familles. Un bon proviseur est chose^issez rare. 
11 faut que, par la science, les grades mômes, il soit 
l'égal des meilleur^ professeurs du lycée. C'est à 
cette condition que ses conseils et sa direction sont 
facilement acceptés. Il doit avoir le caractère ferme, 
être de manières aimables et de tenue parfaite. 

Beaucoup de professeurs qui pourraient remplir ces 
conditions refusent d'être proviseurs, parce qu'ils ne 

1. Enquête. Voir notamment la déposition de M. l'abbé Follioley» 
t. I, p. 475 et suivantes. 



AUTOIIITÉ DES PROVISEURS. 21 

veulent pas échanger leur indépendance- contre les 
ennuis d'une situation pleine de responsabilités et 
dépourvue d'initiative. Il faut donc relever les fonc- 
tions du proviseur par des avantages pécuniaires* et 
en ne lui mén^^ant pas la considération dont il a 
besoin. N'est-il pas singulier qu'on n'ait pas songé 
à lui donner un rang dans les cérémonies publiques, 
partout où il n'existe pas une Faculté? Pourquoi est- 
il si rarement décoré? Ce ne sont là que des signes 
extérieurs de la dignité de la fonction. Ils ont leur 
importance dans un pays comme le nôtre. Mais ce 
qui est encore plus essentiel, c'est de restituer au 
proviseur tous les attributs de l'autorité d'un chef 
d'établissement. Il doit nommer directement à tous 
les emplois subalternes. Il doit avoir un mot 5 dire, 
un avis à donner sur toutes les nominations qui se 
font dans l'établissement. 

Quand on a trouvé un bon proviseur, il faut lui 
laisser le temps de gagner la confiance des familles, 
d'asseoir fortement son autorité morale. Malheùreu 
sèment on déplace les proviseurs plus souvent que 
les directeurs des contributions ou les receveurs des 
postes. En vingt ans, à Auch, il y a eu six provi- 
seurs. Il en est de même dans la plupart des lycées. 

1. Dans le système que recommande la Commission, le traite- 
^ jnent du proviseur sera augmenté d'une indemnité inscrite au 

budget du pensionnat. Cette indemnité pourra être proportionnée au 
! temps qu'ii aura passé dans un mêmei^cée. 



22 RÉFORME DE L'ENSEIGNEME?îT SECONDAIRE. 

« En quinze ans, dit le recteur de Caen, j'ai vu 
passer vingt-huit proviseurs dans huit lycées et au 
moins un nombre double de principaux dans dix- 
huit collèges. » M. l'abbé FoUioley aous a appris 
qu'il y avait eu, avant lui, au lycée de Nantes, vingt- 
cinq proviseurs en quatre-vingts ans. Un proviseur 
ne reste, en moyenne, que trois, ans dans un lycée. 
Comment veut-on que ces hôtes passagers se créent 
des relations dans le pays, obtiennent la considéra- 
tion et attirent des recrues à l'Université ? Dans les 
établissements libres, quand on a un bon directeur, 
on le garde pendant quinze ou vingt ans. 

Le mal est plus grand aujourd'hui qu'il n'était il 
y a vingt-cinq ans. Il tient à des causes générale?. 
Tous les services publics en sont atteints. Celte in- 
stabilité est la ruine de l'Administration :'non seule- 
ment elle désorganise les services, tnais encore elle 
développe chez les fonctionnaires l'inquiétude, le 
besoin continu de changement, l'habitude de mettre 
en jeu les influences politiques. Personne ne de- 
mande qu'un proviseur soit inamovible, mais est-il 
nécessaire de le déplacer si souvent? Ne peut-on 
lui tenir compte du temps qu'il passe dans un 
lycée, plutôt que des voyages qu'il fait de lycée en 
lycée? C'est l'esprit du règlement qui a supprimé les 
catégories des lycées et créé les traitements person- 
n^' 'obstine dans les anciennes pratiques. 



À 



AUTORITÉ DES PROVISEURS. 23 

Le proviseur a besoin qu'on Tencourage à prendre 
certaines initiatives, à n'ôlre pas trop effrayé de sa 
responsabilité. Nous avons entendu le proviseur d'ua 
lycée, établi aux environs de Paris ; c'est un admi- 
nistrateur distingué. Mais il a peur de sa responsa- 
bilité à ce point qu'il ne laisse pas les élèves sans 
une surveillance de tous les instants. Il craint que 
s'il arrive un accident les tribunaux correctionnels 
ne lui infligent une condamnation. La loi vient 
d'être réformée. Mais les habitudes sont prises : 
le proviseur avoue qu'il agira de même dans 
l'avenir. 

A quoi sert-il d'avoir un parc de dix ou quinze 
hectares, si les élèves n'en ont pas la jouissance? 
C4ela ne sert qu'à donner aux enfants une vue agréa- 
ble. Dans ces conditions, un internat à la campagne 
ressemble trop à l'internat dans les villes. Croirait- 
on qu'on impose à ces enfants des promenades sur 
les chemins, en rangs, le dimanche et le jeudi? Ces 
promenades sont une corvée pour les élèves et pour 
les répétiteurs- On demande au proviseur si les 
enfants, au moins les plus jeunes, n'ont pas la faci- 
lité de se livrer au jardinage. C'est un agrément 
pour des enfants et un moyen d'éducation. Personne 
n'y a songé. «Cela pourrait avoir des avantages, dit 
le proviseur ; mais j'ai fait ce qu'ont fait mes prédé- 
cesseurs.» Voilà le mot qui explique tout. L'initiative 



24 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

personnelle est étouffée sous les règlements, sous les 
habitudes prises. 

Dans les grands lycées, le proviseur est le cheC 
d'une administration, beaucoup plus que le direc- 
teur d'une maison d'éducation. La Commission des 
réformes de 1888 avait demandé que ces lycées fus- 
sent dédoublés. On n'a pas tenu compte de son vœu. 
Le lycée Janson de Sailly, par exemple, devait avoir 
1200 élèves; il en a plus de 1900. Comment le 
proviseur, malgré l'assistance du directeur du petit 
collège, peut-il connaître ses élèves ? Il a beaucoup 
de peine déjà à connaître son personnel de profes- 
seurs et de répétiteurs. « Je le vois le plus souvent 
que je peux, dit-il ; mais s'il me fallait seulement 
consacrer tous les jours une minutera chacun, il me 
faudrait trois heures consécutives.» Ces trois heures, 
il ne les a pas. Tout son temps se passe, comme 
celui d'un ministre, à recevoir des visites. « Je 
reçois les familles, c'est une des exigences du lycée. 
Il y a environ 30000 visites par an. Je reçois de 
8 h. 1/2 à midi et de 2 à 6 heures.» Quel temps lui 
reste-t-il pour connaître les élèves ? 

II explique que, tous les matins, il rassemble « a 
ce qu'on peut appeler le rapport », le censeur et les 
survcUlanls généraux. Tous les incidents de la veille 

ssent sous ses yeux; on l'entretient des élèves 
ont mérité une attention particulière. C'est ainsi 




AUTORITÉ DES PROVISEURS. 25 

que parle un colonel de son régiment. Il connaît, lui 
aussi, par le rapport quotidien, les hommes qui ont 
clé frappés la veille de punitions. Mais un proviseur 
doit avoir d'autres moyens d'étudier le caractère, de 
suivre le développement de ses élèves. 

Les plus belles réformes ne seront qu'une appa- 
rence tant qu'on n'aura pas réussi à mettre des pro- 
viseurs, ayant une grande autorité morale, à la tête 
de lycées ne comptant pas, en moyenne, plus de 
trois à quatre cents élèves. On veut que nos lycées 
ne gardent plus trace du régime de la caserne. Mais, 
pour traiter des enfants comme de petits hommes, 
il faut être sûr de sa propre autorité et ne pas crain- 
dre les responsabilités. Un inspecteur général* a 
dit, dans l'enquête, que bien des choses qui pa- 
raissent hardies, comme de laisser à eux-mêmes les 
grands élèves, pour les habituer à la liberté, exigent, 
pour être tentées avec succès, beaucoup d'autorité 
de la part des proviseurs. C'est la vérité. Tout le 
monde demande qu'on prépare mieux la transition 
entre le collège et la vie libre, que le lycée soit une 
école de liberté et de responsabilité. Comment veut- 
on que les proviseurs enseignent aux jeunes gens 
l'initiative, si on ne commence par les obliger eux- 
mêmes à faire preuve d'initialive, à ne pas fuir les 
responsabilités? 

1. Enquête. M. Ernest Dupuy, t. I, p. 145. 



26 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

C'est sur le proviseur, bien plus que sur les règle- 
ments et les instructions générales, qu'il faut comp- 
ter pour donner à l'éducation physique toute fa 
place. D'immenses progrès ont été faits. Il y a 
vingt-cinq ans, les élèves des lycées avaient deux 
heures de récréation et ne faisaient d'exercice le 
dimanche et le jeudi qu'en se promenant, en rangs, 
dans les rues et sur les chemins. L'usage de l'eau 
leur était presque interdit : ni bains, ni douches 
froides. Il ne s'agit pas de faire de nos jeunes Fran- 
çais des Anglais. Les jeux trop violents ne convien- 
nent pas à notre race, plus fine, dans sa vigueur 
élégante, que la race anglo-saxonne. C'est à faire des 
Français qu'il faut s'appliquer. L'éducation a été, 
pendant des siècles, une violence à leur nature pleine 
de gaieté, de bonne humeur primcsaulière. Elle se 
ressent encore trop de ses origines. Cependant nos 
lycées se transforment peu à peu. Les recteurs cons- 
tatent qu'ils ont, sous le rapport de l'éducation phy- 
sique, une supériorité déjà marquée sur la plupart 
des établissements libres. C'est une supériorité qu il 
convient d'assurer et de développer encore. L'enquête 
contient des témoignages intéressants à cet égard. Les 
jeunes gens ont pris goût aux exercices corporels. Ils 
u cilm^eni pas île la libeiLc qu'on eoiii menée à leur 
laisser de s'organiser, de sedisciplincreux-jnêmes. Un 
aU£pout beaucouppour tirer parlide ces asso- 




AUTORITÉ DES PROVISEURS» 27 

dations et les faire tourner en moyens d'éducation. 

Qu'on réduise la durée des heures de travail à six 
heures pour les enfants les moins âgés et à huit 
heures pour les autres. Ce sera une mesure excel- 
lente. Mais il faut que l'enfant apprenne à se servir 
de ses heures de loisir, à agir davantage par lui- 
même, à se conduire comme une personne respon- 
sable. C'est encore le proviseur qui peut seul diriger 
cette partie si délicate de l'éducation, en intervenant 
discrètement par ses conseils et par son exempU», 
en donnant à la maison tout entière le ton qui con- 
vient, en développant autour de lui les influences 
morales. 

Comment n'a-t-onpas songé encore à établir, dans 
chaque lycée, de grandes salles où les élèves pour- 
raient se réunir le soir, après leur travail, pour se 
livrer à des lectures ou à des conversations fami- 
lières? Ils se sentiraient là chez eux. Rien n'est plus 
Iroid, plus banal que los études de nos lycées. On 
devrait mettre un peu d'amour-propre, môme de 
coquetterie^ orner ces salles de gravures, démou- 
lages et de livres. Le proviseur viendrait souvent à ces 
léunions du soir. Son autorité s'y montrerait plus 
familière et plus souriante. Les professeurs pren- 
draient aussi peu à peu l'habitude de s'y mêler à leurs 
élèves. 

Il y a sur ce point, comme sur tant d'autres, de 



ti8 RÉFORME DE L'ENSEIGÎSEMENT SECONDAIRE, 

vieux préjugés à dissiper, d'anciennes défiances à 
faire tomber. En présentant la loi du 11 floréal an X, 
Fourcroy disait que les professeurs ne s'occuperaient 
que de leurs travaux et de leurs leçons. « Ils n'en 
seront point détournés par des détails administratifs ; 
ils n'auront la discipline des élèves que dans leurs 
classes et par rapport aux devoirs qu'ils leur donnent 
à faire. Aucun soin étranger aux études et aux pro- 
grès des élèves ne les empêchera de se livrer à leurs 
louables et pénibles fonctions; les muses veulent 
posséder tout entiers et sans partage les hommes qui 
s'attachent à elles. » Sous ce langagv3 prétentieux, 
on voit surtout la crainte que les professeurs, en 
s'occupant de l'éducation des élèves en dehors de la 
classe, ne portent ombrage au proviseur. C'est une 
vue étroite qu'on retrouve dans les rapports de quel- 
ques recteurs. « Les proviseurs, dit l'un d'eux, 
verraient d'un œil jaloux cette intrusion des profes- 
seurs dans la vie tout à fait intime de la maison. Où 
est le proviseur qui sollicitera les proïesseurs de 
joindre leur action à la sienne, qui leur proposera de 
venir en étude, aux récréations, aux promenades? 
A la tête de chacune de nos maisons, il faudrait un 
apôtre, il n'y a la plupart du temps qu'un fonction- 
naire. » 

On n'a pas besoin d'être un apôtre pour com- 
prendre que l'intervention pllis fréqi^cnte et fanii- 




AUTORITÉ DES PROVISEURS. 29 

lière des professeurs dans la vie des élèves aurait 
des avantages pour tout le raonde. Beaucoup de pro- 
fesseurs se montrent déjà disposés à sacrifier un 
peu le culte des muses pour remplir plus complète- 
ment leurs fonctions d'éducateurs ; ils donnent un 
bon exemple*. 

Que fait-on pour les encourager? On s'étonne que 
les professeurs ne consacrent au lycée que le temps 
prescrit par les règlements. Mais a-t-on songé seule- 
ment à leur réserver un cabinet de travail dans 
le lycée? Y a-t-il même partout des bibliothèques ^ 
où ils puissent se livrer à des recherches person- • 
nelles ? 

Dans les lycées les plus considérables, où le pro- 
viseur ne peut pas s'occuper de tous les élèves, on a 
songé à lui adjoindre, sous le nom de dire^t^urs 
d'études, des professeurs qui continueraient d'en- 
seigner, mais qui suivraient de plus près un groupe 
d'élèves pendant un certain nombre d'années. L'idée 
peut être bonne. Elle a besoin d'être mûrie par l'expé- 
rience. Aussi avons-nous demandé qu'on en fît ' 
l'essai dans quelques lycées. Ce ne sont pas des n 
fonctionnaires nouveaux, mais une fonction nou- 
velle qu'il s'agit, dans noire pensée, d'instituer. 



1. Dans les collèges plus encore que dans les lycées, cette ten- 
dance se fait jour. « Je vois, dit le recteur de Nancy, des collèges 
où les professeurs quittent à peine leurs élèves. » 



30 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Mais tout ce qu'on pourra tenter, dans celte 
direction, ne sera vraiment efficace que si le provi- 
seur trouve en lui-même et. dans l'autorité relevée 
de ses fonctions la force de faire converger au même 
but tous les efforts, de donner au lycée l'unité dont 
il a besoin et, pour tout dire, d'en faire une véritable 
personne morale. 




CHAPITRE m 
De la question des répétiteurs. 

La situation des répétiteurs a beaucoup changé. 
C'était le point faible dans l'organisation des lycées 
et des collèges. Nommé par le proviseur, po uvan t 
êt re con gédié par lui à toute heure, chargé d'un 
service parfois accablant, Iç maître d'études était un 
fonctionnaire sacrifié, pour qui ni les professeurs ni 
les élèves n'avaient d'égards. Il reste malheureuse- 
ment plus qu'un souvenir de l'ancienne condition 
faite aux répétiteurs/ Comme le dit ^ recteur de 
.Bordeaux, il faudrait déraciner le préjugé déplorable 
que toute fonction autre que celle du professeur 
dans sa chaire est une fonction humble et subati. 
terne. Le répétiteur a pu conquérir, à force de tra- 
vail, le grade de licencié : il sent et on lui rappelle, 
à chaque instant, qu'entre lui et le professeur il y a 
une démarcation profonde. Les fonctions d'enseigne- 
ment et les fonctions de surveillance des études n,e 
s 3 confondent jamais. A peine se rapprochent-elles 



a. 



\ 



52 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

dans des contacts toujours passagers. Le professeur 
ne considère pas le répétiteur comme un collabora- 
teur qui doit préparer sa tâche et la continuer dans 
l'étude. 11 devrait s'entretenir fréquemment avec lui 
du caractère, des efforts, des progrès des élèves. II 
néglige trop souvent de le faire. 

Le répétiteur souffre de cet isolement. Le profes- 
sorat, dans les collèges, lui était ouvert, autrefois, i; 
plus largement. Aujourd'hui, presque toutes les v 
issues se ferment devant lui. Il y a près de 1600 ré- ' 
pétiteurs dans les lycées* : plus d'un tiers sont | 
licenciés, les autres sont bacheliers. I M ais on n'ar - l 
rive h être répétiteur dans un lycée qu'après avoir | 
passé dans un collège. Il y a, dans les lycées et les 

^ collèges réunis, 2319 répétiteurs. Combien ont 
obtenu, dans le cours de la dernière année, un 
emploi de professeur? 80 seulement. Voyez quelles 
chances a un répétiteur de devenir professeur, et 
combien de temps il devra attendre sa nomination. 
Plus de la moitié des répétiteurs des lycées ont de 

n dix à vingt ans, et plus de 100 d'entre eux ont plus 
^ de vingt ans de services. 

Cette situation ne tend pas à s'améliorer. On a 
trop multiplié les agrégés*. Les professeurs des col- 

1. 1574 en 1898. 

2. Si l'on supprime l'agrégation de grammaire, comme on l'a 
demandé depuis longtemps, il sera facile de réserver aux simples 



i 



DES RÉPÉTITEURS. 33 

lèges qui ne sont pas agrégés ne peuvent plus que 
difficilement arriver dans un lycée comme chargés 
de cours. En 1898, sur 157 chaires vacantes dans 
les lycées, 26 seulement ont été données à des pro- 
fesseurs de collèges pourvus de la licence. Le répéti- 
torat devient donc une impasse. 

Il ne suffit pas de relever matériellement la situa- 
tion des répétiteurs. On leur a donné des traitements 
! égaux à ceux des professeurs de collège ; toutefois, 

^^ on déduit de ces traitements, pour la fixation de 

I leur retraite, le prix de leur logement et de leur 

nourriture, même quand ils ne sont ni nourris ni 
logés au lycée. Cela n'est pas équitable. Mais plus la 
I condition matérielle des répétiteurs s'est améliorée, 

I plus ils souffrent de ce qu'on n'utilise pas mieux 

P" leurs aptitudes. 

i Tout le monde convient qu'on ne tire pas d'eux un 

^ parti suffisant. Ce n'est pas l'intention qui a manqué 

\[ aux auteurs de la réforme. « Les répétiteurs, dit le 

décret du 28 août 1891, concourent à l'éducation et 

à l'enseignement. » Mais, en fait, le répétiteur n'a 

aucune part à l'enseignement. Ce qu'on lui demande, 

i ;. c'est de maintenir l'ordre dans l'étude, au réfectoire, 

vT dans les récréations et au dortoir. Un licencié à qui 

V 

\\ licenciés un plus grand nombre de chaires des classes de grain- 

^V maire dans les lycées. Cela n'aurait, pour les élèves eux-mêmes, 

que des avantages. 

BIBOT. — RÉFORM. ENSEIGI(. SECOND. 3 



t 



34 REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

011 impose, pendant dix ou quinze ans, ces fonctions 
subalternes est découragé à l'âge de trente ou qua- 
rante ans. Il finit par s'aigrir et devient un mécon- 
tent. 

Serait-il impossible de faire une réalité du décret 
du 28 août 1891 en associant véritablement les répé- 
titeurs à l'enseignement? Beaucoup de professeurs 
semblent peu favorables à ce qu'ils .appellent une 
confusion des fonctions d'enseignement et des fonc- 
tions de surveillance *. Mais tout le monde n'est pas 
de cet avis. M. Léon Bourgeois a très bien montré 
tout ce que ces distinctions trop absolues ont d'arti- 
ficiel et de dangereux. On cherche de toutes parts à 
résoudre le problème. Le recteur de Besançon vou- 
drait, par exemple, qu'on confiât aux répétiteurs, à. 
titre de stage, les enseignements qui sont le plus à 
leur portée. C'est aussi l'avis du recteur de Clermonl, 
de celui de Bordeaux. « Que de cours, dit un inspec- 
teur d'Académie S soit de langues vivantes, soit 
d'histoire et de géographie, soit de sciences, pour- 
raient être faits par des répétiteurs pourvus de 
licences.... Ils gagneraient en ascendant moral, 
seraient soumis à l'inspection et pourraient être 
proposés pour les classes de collèges. » VoicV 

1. Enquête. Délibération de la Société d'enseignement secon- 
daire, t. IV, p. 363. 

2. Enquête. Déposition de l'inspecteur d'académie de la Manche, 
t. IV, p. 57. 



DES RÉJÉTITEURS. 55 

comment s'exprime un autre inspecteur d'académiô, 
celui de la Marne : « On ne sait pas associer les 
répétiteurs à l'enseignement. La plupart sont jeunes, 
intelligents, cultivés. Ils ont foi dans leurs fonctions 
d'éducation. Nous leur confions, d'une façon un peu 
dédaigneuse, des fonctions de pure surveillance.... Il 
ne serait pas impossible de faire des échanges de 
fonctions entre le professeur et le répétiteur. En 
tout cas, rien n'empêcherait le répétiteur d'entrer 
dans l'esprit de l'enseignement du professeur. j> 
Des proviseurs, comme celui de Douai, iraient jusqu'à 
charger plus spécialement le professeur des cours et 
le répétiteur des exercices pratiques. Il s'en faut 
que tous les professeurs soient hostiles à celte colla- 
boration du répétiteur et du professeur *. 

Un répétiteur, neflt-il qu'une ou deux classes par 
semaine, ne sera plus un simple surveillant. Qu'on 
lui donne le titre de professeur stagiaire. C'est le 
nom qui lui convient, parce qu'il marque que sa 
situation actuelle n'est pas une carrière, mais la 
préface des fonctions qu'il doit un jour remplir. On 
s'habituera à voir en lui un futur pi^ofesseur. Il sera 
de plain-pied avec les membres du corps enseignant. 
Plus tard, devenu professeur, il ne croira pas que ce 
serait abaisser la dignité du professeur que de se 

1. Voir nolamment ce que dit à ce sujet l'assemblée des proies- 
seurs du lycée de Lorient. Enquête, t. IV, p. 271. 



36 REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

mêler, après la classe, aux études et aux récréations 
des élèves. 

Cette question des répétiteurs se lie étroitement à 
celle du stage que nous voudrions imposer à tous 
les aspirants au professorat. Pour mieux effacer des 
distinctions surannées, nous serions même d'avis de 
fondre les uns et les autres en une seule catégorie, 
sous le titre de professeurs stagiaires. 

Le service du dortoir est aujourd'hui la partie la 
plus pénible des fonctions du répétiteur. On pour- 
rait la rendre moins désagréable en changeant la 
disposition matérielle des dortoirs, en réservant 
aux maîtres une chambre d'où ils exerceraient leur 
surveillance. Cela se fait au collège Rollin et dans 
quelques lycées. Mais il y a une réforme plus radi- 
cale à opérer : c'est de distinguer nettement les 
fonctions de répétiteur, ou plutôt de professeur sta- 
giaire, de celles de surveillant. Tout ce qui concerne 
la discipline du pensionnat doit être placé sous 
l'autorité exclusive du proviseur. Celui-ci doit pou- 
voir choisir, soit parmi les professeurs stagiaires, 
soit en dehors d'eux, les surveillants des dortoirs et 
des réfectoires. Il est responsable vis-à-vis deâ 
parents. Son autorfté doit être aussi large que pos- 
sible*. En principe, les surveillants ne seront pas 
des fonctionnaires de l'État; ils seront rémunérés 

1 Enquête. Diiposilion de M. BéJorcz, t. II, p. 74 



DES RÉPÉTITEURS 37 

par une indemnité sur le budget du pensionnat. 

Les professeurs stagiaires, les maîtres élémen- 
faires qui accepteront les fonctions de surveillance 
pourront cumuler cette indemnité avec leur traite- 
ment. Une des questions les plus irritantes sera ainsi 
résolue dç la manière la plus simple et la plus pra- 
tique. Ce sera même une cause d'économie pour le 
budget. Il sera facile de supprimer des emplois de 
répétiteurs ou professeurs stagiaires, dès que ceux-ci 
ne seront plus astreints au service de nuit, si ce 
n'est de leur propre consentement*. 

C'est au fond, la solution qu'indiquait Jules Simon, 
quand il écrivait : « Il faudrait revenir à l'idée de 
diviser les maîtres en deux ordres; les uns qui 
seraient surtout surveillants et les autresqui seraient 
presque professeurs * » . 

1. Le nombre des répétiteurs est trop considérable dans la plupart 
des lycées. On peut citer tel lycée qui n'a pas plus de soixante pen- 
sionnaires et où il y a huit répétiteurs. En moyenne, on compte 
dans les lycées un répétiteur pour douze internes (pensionnaires et 
demi-pensionnaires). Dans les collèges, il n'y a qu'un répétiteur 
pour dix-sept internes. 

2. Réfoi-me de l'enseignement secondaire^ p. 249. 



DEUXIÈME PARTIE 



DE L'ENSEIGNEMENT 



CHAPITRE IV 
Des origines de renseignement moderne. 

L'enseignement classique, fondé sur l'étude des 
langues anciennes et principalement du latin, a été, 
pendant des siècles, le seul instrument de culture des 
classes élevées. Le latin était encore, au xvii® siècle, 
la clé de tout ce qu'un « honnête homme » doit 
savoir, non seulement en fait de connaissances posi- 
tives, mais en fait de beaux sentiments, de grandes 
pensées, d'actions à imiter ^ Le grec avait été, à l'épo- 
que de la Renaissance, cultivé à Tégal du latin. Mais 
il n'est pas resté longtemps sur la même ligne. Il n'a 
jamais fait»îî6rps, comme le latin, avec le fond même 
de l'éducation. Cela s'explique par plusieurs raisons. 
Il y en a deux principales : l'une que le latin a été 
pendant longtemps la langue courante des savants, 
du monde civilisé ; l'autre que l'Église catholique, 
héritière des traditions et des ambitions de Rome, 

i . Voir les pages curieuses de Macaulay sur le rôle social et scien- 
tifique du latin au xvi*» et au xvii* siècle. 



42 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

a fait du latin sa langue officielle et Ta conservé, 
même après que le monde savant y eût renoncé, 
comme un symbole vivant de son unité. 

Au xviii* siècle, le grec est en décadence, négligé, 
presque oublié. Il n'est plus obligatoire et les élèves 
le dédaignent. Le latin reste en honneur; mais déjà 
on entrevoit, à mesure que grandit l'esprit scientifi- 
que, que la place lui sera de plus en plus disputée 
dans l'éducation. Diderot et Condorcet ont posé har- 
diment la question. A quoi sert-il de passer des an- 
nées à apprendre une langue qui n'est plus qu'une 
langue morte? A cette éducation, toute de forme, qui 
n'enseigne qu'à écrire, n'est-il pas temps de substi- 
tuer réducation positive, celle qui est fondée sur 
l'étude des sciences? Comme le disait le président 
Rolland, la langue française a produit assez de chefs- 
d'œuvre pour que k tentation soit venue de ne plus 
chercher des modèles dans les littératures anciennes. 
Diderot va plus loin. Il se demande si les sentiments 
et les idées qu'on trouve dans ces littératures sont 
ceux qui conviennent au monde nouveau, si les 
ouvrages qui reflètent une civilisation disparue sont 
le meilleur aliment pour l'esprit de la jeunesse. 

L'éducation classique, attaquée de front, subit une 
éclipse passagère. Les plans d'études de Talleyrand 
et de Mirabeau, présentés à l'Assemblée constituante, 
lui font encore une place importante. Celui de Con- 



ORIGINES DE I/ENSEIGNEMENT MODERNE. 43 

dorcet relègue à un rang secondaire l'étude des lillé- 
ratures anciennes. Ce n'est plus qu'un complément, 
au lieu d'être la base de l'enseignement, une sorte 
de luxe et de curiosité. Lakanal etDaunou, en traçant 
le programme des écoles centrales, subissent la 
même influence. Ils se défendent de vouloir retomber 
dans l'erreur de leurs devanciers, qui consistait à 
enfermer tout l'enseignement dans l'étude de deux 
langues anciennes et à sacrifier l'essentiel, c'est-à 
dire les sciences et les arts pratiqi^cs. 

Mais tel est le prestige qu'a conservé l'enseigne- 
ment classique, telle est la force de la tradition que 
l'on revient bien vite aux anciennes disciplines. Le 
Consulat restaure l'étude du latin, en môme temps 
qu'il rend à l'Église catholique sa situation officielle 
et qu'il s'efforce de prendre à l'ancien régime ses 
moyens de gouvernement. Cette réaction se fût sans 
doute accomplie d'elle-même. La Révolution avait 
dépassé le but. Elle avait fait une trop grande violence 
aux habitudes. Rien n'est plus malaisé que de rompre 
avec un système d'éducation. Les hommes qu'il a 
foi'més ne peuvent pas s'habituer à l'idée qu'il n'est 
pas le meilleur pour leurs enfants, comme il l'a été 
pour eux-mêmes. 

Le latin est redevenu, avec les mathématiques, 
l'instrument principal de la culture des classes 
moyennes. 11 a gardé, jusqu'à nos jours, cette situa- 



] 



44 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

tien privilégiée. Toutefois il a été obligé de se dé-* 
fendre de plus en plus contre la poussée de toutes 
les sciences qui, en grandissant, ont donné à notre 
siècle son caractère etj^le mettent au nombre des 
plus grands siècles. Ce n'est pas seulement la physi- 
que, la chimie, les sciences biologiques, qui ont fait 
d'immenses progrès. L'histoire a été tellement renou- 
velée qu'elle aussi semble avoir ses origines tout 
près de nous. Il en est de môme de la géographie. ! 

Les langues étrangères prennent une place de plus I. 

en plus grande, à mesure que des nations voisines 
étendent au loin leur action, s'emparent du commerce ; 

du monde et s'enrichissent d'une littérature nationale. . 

Il n'est pas plus permis à un Français de la fin i 

du XIX® siècle d'ignorer toutes les langues étrangères ! 

qu'il n'était permis à un homme du xvii® siècle "î 

d'ignorer le latin. 

Cette évolution se fait avec des allures plus ou 
moins rapides et avec de fréquents retours. Jamais les 
programmes de l'enseignement secondaire n'ont été 
plus incertains, plus souvent remaniés. On s'éver- 
tue à faire tenir dans ces programmes tout l'ancien 
système d'éducation et tout le nouveau. L'histoire , 

des variations des plans d'études a été tracée de main 
de maître par M. Gréard * : c'est l'histoire d'efforts 
sans cesse renouvelés pour conserver l'unité de 

1. Éducation et instruction; éducation secondaire, t. II. 



ORIGINES DE L'ENSEÏGÏN'EMENT MODERNE. 45 

renseignement secondaire, tout en se prêtant aux 
exigences de plus en plus impérieuses de la culture 
scientifique. 

L'Allemagne a, depuis longtemps, différents types 
d'enseignement. Bien que ces enseignements ne 
soient pas égaux entre eux, au point de vue des 
sanctions, ils ont une durée égale. Ce sont des ensei- 
gnements qui marchent en quelque sorte de pair. 
En Angleterre, à côté de l'enseignement des univer- 
sités, le seul qu'on vise d'ordinaire, il y a l'enseigne- 
ment que donnent les écoles privées et qu'elles 
mettent à la disposition des classes moyennes. Les 
types sont loin d'être uniformes. Chez nous, la ten- 
dance à garder l'unité de l'enseignement classique 
a été si forte que l'enseignement spécial a toujours 
été considéré comme un intrus. Il n'a obtenu sa 
charte qu'en 1865. C'était un enseignement hors 
cadres. On le tolérait, parce que la force des choses 
l'imposait; mais on ne le tolérait qu'à condition 
qu'il eût le sentiment de son infériorité, qu'il n'eût 
pas d'ambitions trop hautes, surtout celle de con- 
duire aux professions libérales. 

La bifurcation établie en 1852 par M. Fourtouln'a 
pas été vue d'un œil plus favorable. Son impopula- 
rité s'explique par cette raison qu'elle rompait l'unité 
traditionnelle, autant que par ses propres défauts 
et par l'esprit dans lequel elle a été appliquée Elle 



46 RÉFORME DE L' ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

répondait pourtant à des nécessités pratiques et 
pédagogiques, si bien qu'elle a été rétablie de fait 
par la création des classes de mathématiques prépara- 
toires. On a vécu sous ce régime pendant un quart 
de siècle. Régime bâtard qui faisait de l'étude du 
latin, jusqu'à la troisième, le centre de l'éducation 
et invitait les élèves à la dédaigner au moment où 
elle était sur le point de. porter le plus de fruits, qui 
imposait à ces mêmes élèves l'étude du grec pendant 
deux ans pour qu il n'en fût plus question dans la 
suite*. 

La création d'un enseignement moderne, condui- 
sant surtDut aux carrières scientifiques, était de- 
puis longtemps dans l'air. On eût pu la conjurer 
ou, tout au moins, la retarder en organisant, comme 
l'ont fait' les Allemands, un cours d'études où les 
langues vivantes et les sciences eussent remplacé 
renseignement du grec*. Des homme^ éminents, 
comme M. Fouillée, sont résolus aujourd'hui à faire 
le sacrifice du grec pour sauver le latin. Mais l'étape 
a été franchie. On ne s'est pas arrêté à cette transac- 
tion, et le jour où l'enseignement hybride des ma- 
thématiques préparatoires a été supprimé Ten- 

1. Projet d'organi$ation de l'enseignement secondaire spécial, 
1891. imprimerie nationale. 

2. M. Boutmy exprime le regret qu'on ait maintenu, en 1880, au 
grec, son caractère obligatoire. En le rendant facultatif, on n'aurait 
pas eu besoin d'organiser l'enseignement moderne. (Le baccalauréat 
et renseignement secondaire, p. 14. Armand Colin et C'°.) 



ORIGINES DE L'ENSEIGNEMENT MODERNE. 47 

seigiiement moderne était prêt à entrer en scène. 

Il fallait fermer les yeux à révidence pour n'être 
pas frappe des signes précurseurs qui annonçaient'-^'^*' 
son avènement. On se i appblle la campagne menée 
par Frary. M. Bréal lui-même, à propos du retentis- 
sant discours de Tempereur d'Allemagne, écrivait 
ce qui suit * : « C'est Tannonce d'un esprit nouveau 
qui se rencontre plus ou moins chez les différentes 
nations de l'Europe et qui est en opposition avec *la 
culture classique telle qu'elle a élé comprise au 
moyèn^ âge, à la Renaissance, au xvi% au xvii® et au 
xvin^ siècle. Le même courant d'idées, qu(îlque "parti 
d'un point opposé de l'horizon politique, règne éga- 
lement chez nous.... Dans ces tendances qui se pro- 
duisent d'une manière indépendante chez les deux 
nations et dont les symptômes se retrouvent encore 
sur d'autres points de l'Europe, on ne saurait mé-/-* 
connaître la suite d'une évolution qui remonte à 
deux siècles et qui, si contestables qu'en soient les 
conséquences extrêmes, mérite toute l'attention du- 
législateur. Au fond, c'est la môme évolution qui a 
produit les littératures modernes et les nations 
modernes. Les gouvernants feront sagement de don- 
ner satisfaction à ces tendances en multipliant les 
types d'instruction.... » 

L'enseignement moderne est donc né d'un mou- 

1. De renseignement des langues anciennes^ p. 01. 



48 . REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

\einent d'idées qui remonte par ses origines au delà 
du xviii® siècle et de la llévolution. En fait, il est 
sorti d'une transformation de l'enseignement spécial 
que V. Duruy avait institué en 1865. Rien n'est 
plus curieux que le mouvement tournant pa,r lequel 
l'enseignement spécial s'est rapproché de l'enseigne 
ment classique, au point de le menacer aujourd'hui 
dans ses positions. Dès 1882, les programmes tracés 
en 1865 par V. Duruy avaient pris plus d'ampleur, 
sans quelle caractère essentiel de l'enseignement 
spécial fût profondément modifié. On avait corrigé 
ce qu'il y avait d'excessif dans les cercles concen- 
triques, porté la durée des études à cinq années 
divisées en deux séries. On avait prévu fort sage- 
ment que le cours supérieur trouverait seulement 
dans les lycées les ressources sans lesquelles il ne 
pouvait exister. V. Duruy avait présidé à cette revi- 
sion prudente. 11 a plus tard manifesté quelque 
inquiétude de voir l'enseignement qu'il avait in- 
stitué s'écarter de plus en plus de son origine et 
tendre à devenir le rival de l'enseignement classique. 
La revision de 1886 se fit dans un esprit tout 
diflérent. « Le nouvel enseignement, disait le projet 
soumis au Conseil supérieur, sera général et clas- 
sique; il devra être organisé de manière à répondre 
aux besoins nouveaux de la société moderne et à 
attirer vers les études secondaires françaises les 



ORIGINES DE L'ENSEIGNEMENT MODERNE. 49 

jeunes gens qui n'ont ni le goût ni le loisir de se 
livrer à l'étude des langues mortes. » Il s'agissait 
donc de faire de l'enseignement spécial un ensei- 
gnement général et classique, au môme titre que 
l'enseignement traditionnel. Aussi toules les cri- 
tiques qui s'ëlèvenl aujourd'hui conlre l'enseigne- 
ment moderne se font-elles jour dès cette époque. 
L'enseignement spécial garde son nom. Mais un pas 
décisif a été franchi. La durée du cours d'études a 
été élevée à six années. Le certificat d'études délivré 
après examen à la fin de la troisième année est 
remplacé par un simple certificat scolaire, afin de 
marquer que les élèves de l'enseignement spécial 
doivent, dutant que possible, suivre jusqu'au bout 
les études. L'enseignement d'une deuxième langue 
vivante devient obligatoire à partir de la quatrième 
année. 

•^ En 1891, l'évolution s'achève. On supprime ce 
qui restait de la division en deux cycles. L'enseigne- 
ment moderne se présente comme devant former 
un tout complet et remplacer les mathématiques 
préparatoires qui viennent d'ôtre supprimées. En 
fait, il ne tient pas cette dernière promesse. Le 
nombre des jeunes gens qui obtiennent des diplômes 
équivalents à l'ancien baccalauréat es sciences a 
diminué de plus d'un quart*. On s'en inquiète : la 

1. Enquête. T. I, p. 305. Déposition de M. Darboux. 

RIBOT. RÉFORME E>'SEIGN. SECOND. 4 



».' 



50 HÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

France ne manque pas de savants, mais elle n'a pas 
assez d'ingénieurs et de praticiens. Elle est, à ce 
point de vue, devancée par l'Allemagne, qui a su 
organiser fortement l'enseignement de toutes les 
sciences auxiliaires de Tinduslrie. Notez qu'on n'a rien 
fait pour faciliter le passage de l'enseignement clas- 
sique à l'enseignement moderne, pas plus que de 
l'enseignement moderne à l'enseignement classique. 
On les a considérés comme deux routes parallèles 
entre lesquelles il faut choisir, à l'âge de dix ans, et 
qu'il faut suivre ensuite jusqu'au bout. C'est un 
reproche qu'on peut adresser à d'autres parties de 
notre système d'instruction. On ne se préoccupe pas 
assez de préparer aux enfants, dont la vocation 
d'abord incertaine se dessine au cours des études, 
les moyens de changer de route. 

Ces origines de l'enseignement moderne expli- 
quent le caractère assez mal défini qu'il a encore 
aujourd'hui et les attaques dont il est l'objet. 
Comme il a pris la place de renseignement spécial, 
on lui demande de rendre tous les services que 
rendait l'enseignement spécial. Il les rend mal, 
parce que les programmes ne lui permettent pas de 
se plier aux proportions modestes de cet enseigne- 
ment. De là tous les reproches que lui adressent les 
chefs d'établissements, les professeurs, les familles 
et les Chambres de commerce. 



CHAPITRE V 

De la suppression de renseignement spécial et 
du tort qu'elle a fait aux lycées et aux col- 
lèges. 



L'opinion qui se dégage, sur ce point, de l'enquête 
est unanime. On ne discute pas, en général, sur le 
mérite de l'enseignement moderne en tsmt, que con- 
ception d'un enseignement de haute culture pouvant 
rivaliser avec l'enseignement classique. C'est à un 
autre point de vue que(^se placent^ les directeurs et 
les inspecteurs d'académi^Ils ont constaté que l'en- 
seignement moderne ne répond pas aux besoins de la 
plupart des collèges et des lycées. Us regrettent 
qu'on ait supprimé l'enseignement spécial. C'est à 
leurs yeux une des causes qui rendent difficile le 
recrutement de la population des collèges. La néces- 
sité a été plus forte d'ailleurs que tous les raisonne- 
ments. L'enseignement spécial se rétablit de lui-i- 
même dans un certain nombre de collèges et de 
lycées.'L'Administration ferme les yeux ou encourage 



52 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

ces tentatives; mais, dans beaucoup d'établisse- 
ments, renseignement moderne fonctionne seul à 
côté de renseignement classique. Les élèves ne le 
suivent que pendant quelques années. Ils en sortent 
avec des connaissances incomplètes et dont ils ne 
peuvent se servir. Que feront-ils des rudiments de la 
langue anglaise et de la langue allemande, de This- 
toire des Mèdes et des Assyriens? Ils ignorent l'his- 
toire de France ; ils ne savent rien de la comptabilité, 
*^ L'enseignement moderne n'était pas fait pour eux. 
On le leur a imposé. Les familles s'aperçoivent des 
lacunes de cette instruction si mal adaptée à leurs 
besoins. Aussi se tournent-elles vers les établisse- 
ments libres, dont l'enseignement, plus souple, se 
plie mieux à leurs exigences. 
Il faudrait citer toutes les pages de l'enquête. 
« La plupart des collèges, dit l'inspecteur du 
Jura, ne peuvent conduire leurs élèves qui, d'ail- 
leurs, ne le désirent pas, jusqu'au baccalauréat 
moderne. En général, on ne dépasse pas la qua- 
trième moderne. Or, si l'enseignement moderne a sa 
valeur, si ses programmes sont combinés de manière 
à donner une culture complète, c'est à la condition 
qu'on les suivra jusqu'au bout. Tronqués, ils ne 
remplissent pas l'objet qu'on se propose.... Dès lors, 
l'enseignement des collèges devient quelque chose 
de superficiel et d'indéterminé dont les effets utiles 



DE L'ANCIEN ENSEIGNEMENT SPÉCIAL. - 55 

ne sont pas très visibles pour nous, a fortiori pour 
les familles. »/^ 

Le principal du collège de Dôle fait entendre la 
môme plainte : « Les familles, dit-il, n'ont pas saisi 
l'utilité qu'il y avait pour les enfants à suivre des 
cours d'allemand et d'anglais pendant dix ou douze 
heures par semaine*. » Dans la Haute-Saône, l'inspec- 
teur constate que la création de l'enseignement 
moderne n'a pas rencontré [auprès des petits com- 
merçants, des petits propriétaires des campagnes, 
les suffrages qu'on espérait. « Nous nous sommes 
trop enfermés dans la conception de deux enseigne- 
ments parallèles, l'un classique, l'autre moderne, 
sans nous soucier des conditions de la vie matérielle 
qu'avaient à envisager nos élèves.... Nous avons fait 
des pertes qui ont profité aux établissements congré- 
ganistes. » 

Le recteur de Bordeaux n'est pas moins affirmatif . 
a La substitution à l'enseignement spécial de l'ensei- 
gnement secondaire moderne a dépeuplé nos col- 
lèges communaux et a permis à des écoles primaires 
congréganistes de se transformer du soir au lende- 
main en établissements secondaires. » De 1887 à 
1898, 40 écoles primaires ont ainsi changé leur état 
civil. 11 suffit, pour ouvrir un établissement secon- 
daire, d'avoir un diplôme de bachelier, Le pavillon 

1. De même ceux d'Arbois et de St-Claude. 



54 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

couvre la marchandise, et celle-ci est souvent de 
qualité très inférieure. Ces établissements comptaient 
près de onze mille élèves. Ils ont gagné à cette trans- 
formation de se rehausser aux yeux des familles et 
d'avoir plus de facilités pour recruter leurs profes- 
seurs. Tandis que les maîtres de l'enseignement pri- 
maire doivent justifier de certains titres de capacité, 
la loi n'exige aucune garantie des professeurs libres 
de l'enseignement secondaire. 

On retrouve la même note dans les académies de 
Caen, de Chambéry et de Clermont. Le recteur de 
Dijon a remarqué que, partout où un directeur de 
collège a eu l'heureuse idée d'organiser un cours de 
trois années équivalante l'ancien enseignement spé- 
cial, il a conservé et môme accru sa clientèle. 11 en 
est de môme dans l'académie de Grenoble. Le Con- 
seil général des Basses-Alpes est frappé du succès 
qu'obtiennent les collèges comme ceux de Manosque 
et de la Seyne, où les programmes de l'enseigne- 
ment moderne ont été adaptés aux besoins de la 
région. Partout ailleurs, les collèges ont perdu une 
partie de leur clientèle. « Sur 80 enfants, écrit le 
principal du collège de Yienne, il y en a 50 qui ne 
veulent pas rester au collège pendant six ans. » 

On relève les mômes plaintes dans l'académie de 
Lille. « Partout, dit l'inspecteur du Pas-de-Culais, les 
écoles libres ont organisé un enseignement moderne 



DE L'ANCIEN ENSEIGNEMENT SPÉCIAL. 55 

qui se rapproche de l'enseignement primaire supé- 
rieur. Le plus souvent, les langues vivantes ont été 
remplacées par des cours de comptabilitér de chi- 
mie agricole... Il y a dans cette orientation déplus 
en plus marquée une indication dont nous pouvons 
faire notre profit. » Le recteur de Lyon tient à peu 
près le même langage. Celui de Nancy n'hésite pas à 
déclarer que l'enseignement moderne de six années 
convient aussi mal que possible au public auquel il 
s'adresse. Il juge « indispensable de revenir sur 
Terreur qui a été commise. » 

Dans la région de Poitiers, l'inspecteur du dépar- 
tement de rindre, favorable à l'enseignement mo- 
derne, est obligé de reconnaître qu'il a fait le vide 
dans le lycée de Châteauroux et dans les collèges. 

« On ne saurait croire, dit-il, combien l'obliga- 
tion d'apprendre d'une manière littéraire deux lan- 
gues vivantes a fait perdre d'élèves à l'enseignement 
moderne de l'État. » Il conseille ce qu'il appelle un 
remède héroïque : réserver renseignement moderne 
aux grands établissements, rétablir partout ailleurs 
un enseignement plus adapté aux besoins des popu- 
lations^ C'est aussi l'avis du recteur de Toulouse 
qui se défend pourtant de toute hostilité contre l'en- 
seignement moderne. Il voudrait que cet enseigne- 
ment ne fût donné que dans les lycées et dans les 

1. De même à la Rochelle. 



56 RÉFORME DE L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

collèges OÙ il peut être sérieusement organisé. La 
suppression de renseignement spécial ne soulève 
pas moins de plaintes dans Tacadémie de Rennes. 
« Beaucoup d'enfants, dit le recteur, ont passé dans 
les établissements libres. » Que le directeur d un 
collège ait Tidce, comme à Saumur, d'y annexer 
une école pratique d'industrie, il gagne plus de cent 
élèves en quelques années, et ces élèves sont presque 
tous des internes. 

Ce seul fait prouve que les établissements publics 
peuvent faire, avec succès, ce que les Frères des 
écoles chrétiennes ont fait sur beaucoup de points 
de la France. Il s'agit de ne pas heurter les désirs 
des familles, et de se plier à leurs besoins. Les élèves 
affluent partout où l'enseignement des collèges a été 
mis à leur portée. 

Voilà, pris sur le vif, l'exemple le plus démonstra- 
tif de ce que produit une centralisation excessive, 
du mal que peuvent faire la manie de l'uniformité 
et notre propension à substituer aux expériences 
locales des conceptions théoriques qui ne s'adaptent 
pas toujours aux faits, ni aux exigences des popu- 
lations. On a cru, en 1891, que l'enseignement 
primaire supérieur était en mesure de remplacer 
l'enseignement spécial. Ce fut une erreur. L'ensei- 
gnement primaire supérieur des garçons comptait 
en 1884 près de 15000 élèves; en 1889, il en 



DE L'ANCIEN ENSEIGNEMENT SPÉCIAL. 57 

avait 17 500. Depuis cette époque, il n'a gagné que 
3500 élèves. Il est aujourd'hui stalionnaire. Comment 
s'en étonner? Les écoles primaires supérieures ont 
été créées au hasard. Tel département de médiocre 
importance en compte cinq ou six, tandis que cer- 
tains départements, des plus riches et des plus peu- 
plés, n'en ont pas une seule. D'ailleurs l'enseigne- 
ment primaire supérieur ne peut pas tenir lieu de 
l'ancien enseignement spécial. Il n'y a pas de diffé- 
rences essentielles dans les programmes. Mais ce 
n'est pas tout qu'un programme; les méthodes, le 
personnel enseignant, surtout la clientèle ont leur 
importance. Beaucoup de parents qui sont pressés 
par le temps veulent néanmoins envoyer leurs en- 
fants au collège. Ces enfants doivent être prêts, dès 
l'âge de seize ans, à commencer leur apprentissage 
dans le commerce, l'industrie ou l'agriculture. Si un 
jeune hqmmequin'apas de fortune se laisse acculer 
à l'obligation d'entrer au régiment, sans avoir pris 
ce premier contact avec les réalités de la vie pra- 
tique, il court le risque, au sortir du régiment, de 
devenir un déclassé. Il doit trouver au collège l'en- 
seignement de courte durée dont il a besoin. On ne 
peut réconduire sous prétexte qu'il y a des écoles 
primaires supérieures ou le renvoyer à l'enseigne- 
ment libre. 
On se rend compte que l'enseignement moderne. 



58 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

tel qu'il est donné dans la plupart des collèges, ne 
peut produire que des résultats insuffisants. Qu'on 
en juge par un seul, chiffre. Sur 8500 enfants qui 
débutent, tous les ans, en sixième moderne, il n'y 
en a pas 3500 * qui vont au terme de leurs études. 
Encore avons-nous compris dans ce calcul les élèves 
des lycées aussi bien que ceux des collèges et des 
établissements libres. 

La part de l'enseignement secondaire, classique 
ou moderne, est d'ailleurs trop considérable, par 
rapport à celle qui est faite à l'enseignement pri- 
maire supérieur ou à l'enseignement professionnel ^. 
On compte chaque année environ 13000 enfants^ 

i. Les élèves de première moderne, dans les lycées et collèges, 
sont au nombre de 968. Ajoutez y 1970 élèves de mathématiques élé- 
mentaires qui sont sortis de l'enseignement moderne; mais ce 
chiiïre est trop fort parce qu'un certain nombre de ces élèves font 
deux années de mathématiques élémentaires. Le nombre des élèves 
de l'enseignement moderne qui sont en première ou dans les classes 
scientifiques s'élève, dans les maisons libres laïques, à une cen- 
taine, et dans les maisons ecclésiastiques à C16. soit au total 
3654 élèves. 

2. Enquête. Voir les dépositions très intéressantes de M. Levas- 
scur et de M. Ghailley-Bert. 

3. Le nombre des élèves qui ont débuté en sixième classique 
en 1898, dans les lycées et collèges, est de 4573. On peut supposer 
que leur nombre est à peu près le même dans les établissements 
ecclésiastiques, puisque l'ensemble des élèves de l'enseignement 
classique est sensiblement égal dans ces maisons et dans les lycées 
ou collèges. 

Le môme calcul appliqué au total des élèves de l'enseignement 
classique dans les maisons laïques et dans les petits séminaires fait 
ressortir un contingent annuel, pour ces établissements, d'environ 
3500 débutants dans les études classiques. 



DE L'ANCIEN ENSEIGNEMENT SPÉCIAL. 59 

qui commencent les études classiques; cela fait, 
avec le contingent de l'enseignement moderne, un 
total de plus de 21 000 élèves qui s'engagent chaque 
année dans le long défilé des études classiques ou 
modernes \ En regard de ces contingents, mettez 
celui des enfants qui fréquentent les écoles primaires 
supérieures^ ou les écoles professionnelles, vous 
verrez qu'entre l'enseignement secondaire propre- 
ment dit et l'enseignement primaire il y a un vaste 
champ qui n'est pas suffisamment occupé. 

Qu'on crée des écoles primaires supérieures, qu'on 
multiplie toutes les formes de l'enseignement pro- 
fessionnel, nous ne pourrons qu'y applaudir. Mais il 
y a une partie de l'ancienne clientèle de l'enseigne- 
ment spécial qui n'ira pas aux écoles primaires su- 
périeures ni aux écoles professionnelles. C'est à elle 
que nous devons songer. 

1. Ceux qui arrivent au but ne sont pas plus de 10 000 à 11 000. 
11 y a en effet tous les ans environ 7500 bacheliers qui sortent de 

l'enseignement classique ou moderne. 11 faut ajouter à ce chiffre celui 
des élèves des petits séminaires qui ne se' présentent pas au bacca- 
lauréat à la fin de leurs études et les élèves de l'enseignement clas- 
sique ou moderne qui entrent dans les écoles spéciales, sans être 
bacheliers. 

2. Les écoles primaires supérieures comptent environ 21 000 élèves, 
et les écoles pratiques du commerce et de l'industrie, ainsi que les 
écoles nationales professionnelles, un peu plus de 4000. 



CHAPITRE VI 
De l'avenir de l'enseignement moderne. 

Faut-il donc supprimer renseignement moderne, 
revenir sur tout ce qui a été fait depuis 1882? La 
plupart des professeurs que nous avons entendus le 
demandent ; la plupart aussi des Chambres de com- 
merce et un assez grand nombre de Conseils géné- 
raux en prennent aisément leur parti. L'enseigne- 
ment moderne leur inspire des inquiétudes. Ils 
voient dans l'abandon du latin le commencement 
d'une décadence de l'esprit français. Former une 
élite dirigeante, tel est le rôle de l'enseignement 
secondaire. Il a, en quelque sorte, le dépôt des tra- 
ditions de la race. Le génie français est fait de ce 
qu'il y a de plus solide et d'universel dans le génie 
de*llome; en même temps que de la vivacité, de 
l'ironie, de la gaieté de l'esprit celtique. Prenons 
garde, nous dit-on, de perdre ce qui, au milieu de 
défaillances inquiétantes, fait enqore sa -supériorité. 
En se séparant de la culture latine, la France se 



AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT MODERNE. 61 

sépare de ses origines, elle va^côiître ses traditions. 
C'est surtout dans le Midi que ces inquiétudes se 
font jour. Écoutez ce que dit M. Poubelle au Conseil 
général de l'Aude : « Les populations méridionales 
seraient les plus directement atteintes par cette 
décadence. Leur civilisation est exclusivement latine. 
Jusqu'au Code civil, leur droit était le droit romain, 
leurs parleri provinciaux gardent toute vive l'em- 
prcUite latine. Les langues espagnole et italienne sont 
plus d'à demi connues de qui sait le latin.... Le latin 
est resté comme une trame qu'a remplie et nuancée 
l'esprit français et c'est au latin qu'il faut demander 
l'explication de notre littérature, de nos lois, de 
notre civilisation. » 

N'exagère-t-on pas quand* on prétend que la civi- 
lisation française est, tout au moirîs au sud de la 

. Loire, exclusivement latine? Certes, la part de l'in- 
fluence romaine a été partout considérable dans la 
formation du caractère de la nation. Mais le génie 
français n'est pas fait d'un seul élément. L'éducation 
que la France a reçue, pendant des siècles, a fini 
par lui faire perdre la mémoire de ses origines. 

^Bien avant la Renaissance il y avait un art français, 
qui avait produit des chefs-d'œuvre incomparables, 
une langue et une littérature françaises, un ensemble 
d'institutions et de coutumes qui ne sont pas venues 
de Rome et où se reflétait le caractère original de 



62 REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

notre race. Nous sommes tout étonnés de voir à quel 
point le culte trop exclusif de lanliquité latine et du 
droit romain avait rendu les hommes du xviii^ siècle 
étrangers aux souvenirs de leur propre histoire. 
C'est au nom des traditions de Rome qu'ils ont eu la 
prétention de fonder une société nouvelle, alors 
qu'ils n'avaient qu'à remonter de quelques siècles 
dans le passé de la France pour se rattacher aux 
véritables origines de nos libertés. De nos jours 
encore, comme le faisait observer un ancien ministre 
de l'Instruction publique*, plus d'un défaut de l'es- 
prit français vient de la superstition que nous avons 
pour le droit romain. Nous demandons qu'on ne 
répudie aucun des éléments qui ont formé la civili- 
sation française. Ce qui, d'ailleurs, a fait la force 
de l'esprit français, c'est qu'il a su, à toutes les 
époques, se renouveler en prenant ce qu'il y avait de 
meilleur en dehors de lui. Il a été comme le creuset 
où se fondent les qualités les plus diverses et d'où 
sortent les idées générales. C'est ce qui a rendu la 
France capable d'exercer une action si extraordinaire 
au dehors et de jouer un rôle unique dans le déve- 
loppement de la civilisation moderne. 

S'agit-il, au surplus, d'éliminer de l'éducation 
française les littératures de Rome et d'Athènes? 
Telle n'a pas été la pensée des créateurs de l'en- 

1. Enquête. Déposition de M. Poincaré. Appendice^ p. 254. 



AVEîîIR DE L'ENSEIGNEMENT MODERNE. 63 

seignement moderne. Ils se sont demandé si l'effort 
infructueux que font tant d'enfants pour déchiffrer 
quelques pages de latin et de grec était le meilleur 
moyen de pénétrer dans ces civilisations antiques, 
d'y puiser des leçons et des exemples. Pour une 
élite, capable d'arriver à lire dans leur texte les 
chefs-d'œuvre anciens, rien ne peut tenir lieu du 
contact direct avec ces chefs-d'œuvre. Mais faut-il 
déclarer incapables de recevoir une culture supé- 
rieure tous ceux qui n'ont pour les langues an- 
ciennes ni goût, ni facilité? 

Aussi bien, l'enseignement moderne a déjà pris 
une trop grande place pour qu'on puisse le détruire. 
Là où il est bien organisé, où il ne se recrute pas 
dans les rebuts de l'enseignement classique, il donne 
des résultats qui ne sont guère inférieurs à ceux que 
peut donner l'étude du grec et du latin *. En revanche, 
quand on se trouve en présence de jeunes gens sor- 
tant d'établissements qui n'ont ni les méthodes de 
l'enseignement secondaire, ni les professeurs ca- 
pables de s'en servir, on est effrayé de leur défaut 
de culture générale. Malgré ces inégalités, des 
hommes, comme M. Lavisse, qui ont été formés par 
la culture antique et qui n'ont pas vu créer l'en- 
seignement moderne sans appréhension, sont deve- 

1. Enquête. Voir les dépositions de MM. Espinas, Langlois, Ba- 
quet, Mercadier et l'avis de la Chambre de commerce de Paris. 



64 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

nus ses défenseurs. M. Boutroux lui-môme, si atUiché 
qu'il soit aux études classiques, est d'avis de garder 
l'enseignement moderne dans les lignes principales, 
sauf à ménager quelques passages avec l'enseigne- 
ment classique, par exemple en y introduisant le 
latin à titre facultatif. Ceux qui le voient à Tœuvre 
dans certains lycées sont frappés de l'animation, de 
la vivacité de cet enseignement. « Il y a là, dit le 
doyen de la Faculté des sciences de Paris, M. Dar- 
boux, une telle vie, qu'il serait malheureux de la 
détruire. » 

Mais comment peut-on, sans détruire l'enseigne- 
ment moderne, donner satisfaction aux collèges et 
aux Chambres de commerce qui réclament un ensei- 
gnement plus pratique et de plus courte durée? 

Nous pensons qu'il faut tout d'abord revenir à la 
division en deux cycles que M. Berthelot, en 1891, 
voulait si justement maintenir et fortifier*. Cette 
division est dans la nature des choses. Il est dérai- 
sonnable de ne pas mettre des étapes sur une route, 
quand on sait que la plupart de ceux qui s'y engagent 
n'iront pas jusqu'au bout. Le premier cycle se rap- 
prochera, dans la plupart des collèges, des pro- 
grammes de l'enseignement primaire supérieur- 
Dans les lycées où les élèves et les professeurs seront 
assez nombreux, on pourra organiser deux sections 

1. Hevue des Deux Mondes du 15 mars 1891. 



AVENIR DE RENSEIGNEMENT MODERNE. C5 

d'études avec des programmes un peu différents, 
les uns plus pratiques, les autres ayant un caractère 
plus général. C'est ici qu'une plus grande liberté 
accordée aux lycées et aux collèges aurait les plus 
heureux résultats. 11 y a déjà un effort, dans certains 
collèges, pour s'affranchir des programmes officiels. 
Partout où ils se sont produits, ces essais d'éman- 
cipation ont réussi. On connaît mieux sur place 
ce qui convient à chaque localité. L'administration 
supérieure devrait, au lieu de tracer des programmes 
uniformes, laisser une large initiative aux princi- 
paux et aux proviseurs assistés des représentants les 
plus autorisés de la région. Elle se réserverait le 
droit de contrôler, d'approuver ou de redresser les 
propositions qui lui seraient faites. Ne craignez pas 
que l'anarchie s'introduise dans les études, La ten- 
dance à l'uniformité sera toujours trop forte dans 
notre pays pour qu'on puisse s'inquiéter de voir 
dégénérer en confusion cette variété des program- 
mes qui commence à s'imposer, en dépit de la cen- 
tralisation et des règlements. 

Ce qu'il faut aussi, c'est établir une communica- 
tion plus facile entre l'enseignement primaire supé- 
rieur et les classes les plus élevées de l'enseigne- 
ment moderne. M. Gréard l'a demandé*. Plusieurs 
Conseils généraux expriment la même idée. « Dans 

4. Enquête, t. I, p. 8. 

BIBOT. — RÉFORNE E5SEIGN. SECOND. 5 



615 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

l'enchaînement de notre organisation scolaire, a dit 
M. Hémon au Conseil général du Finistère, le rôle 
de l'enseignement primaire supérieur paraît in- 
diqué : c'est de recueillir l'élite de l'effectif des 
écoles primaires et de la transmettre aux classes 
supérieures de l'enseignement moderne après une 
nouvelle sélection * . » 

On a fait fausse route en voulant faire servir trop 
tôt l'étude des langues vivantes à la formation litté- 
raire de l'esprit et à la connaissance de la langue 
française. C'est une erreur de penser qu'on peut 
tirer, à cet égard, de l'enseignement de l'anglais ou 
de l'allemand ce que l'on tire de l'enseignement du 
latin. « Il est à peu près admis, disent les Instruc- 
lions de 1890, qu'on appr. nd surtout le latin pour 
mieux savoir le français. C'est déjà un point de vue 
un peu étroit et fort discutable. S'il fallait appliquer 
la même règle aux langues vivantes, mieux vaudrait 
peut-être les rayer du programme.... » 

Il n'est que juste de reconnaître que des progrès 
ont été faits dans la manière d'enseigner les langues 
vivantes. Cependant on se plaint encore de l'insuffi- 
sance des résultats. Le mal vient, comme on l'a re- 
connu*, de ce que les professeurs ne sont pas tous 

1. On retrouve la même proposition dans les délibérations des 
Conseils généraux de la Gironde et de la Meuse. 

2. Enquête. Déposition de M. Bossert, inspecteur général, t. II, 
p. 57. 



AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT MODERNE. 67 

à la hauteur de leur tâche et de ce que les méthodes 
manquent d'unité. Dans l'enseignement des filles, 
les résultats sont meilleurs. Est-ce parce qu'elles ont 
plus d'aptitude pour les langues? N'est-ce pas plutôt 
parce que les collèges de filles, ayant été créés plus 
récemment, n'ont pas à se dégager des \ieilles mé- 
thodes et à se débarrasser d'un personnel suranné? 

L'enseignement du dessin laisse aussi beaucoup 
à désirer, quant aux méthodes et quant à la situation 
des professeurs. Il faudrait lui consacrer plus de 
temps et lui donner une sanction dans les examens. 
La Chambre de commerce de Lyon a fait ressortir, 
avec beaucoup de force, le danger qui menace nos 
industries par suite de l'abandon des études de 
dessin. Il n'y a guère, dit-elle, que les candidats aux 
écoles militaires qui ne se piquent pas de les dédai- 
gner, parce que les programmes d'admission ont mis 
le dessin au nombre des matières du concours. 

D'une manière générale, l'enseignement moderne 
doit surtout se garder d'être une pâle imitation de 
l'enseignement classique. Il doit être moderne, non 
seulement de nom, mais d'esprit, comme l'a de- 
mandé M. R. Poincaré. Pour cela, qu'il s'inspire de 
plus en plus de l'esprit scientifique. La science a in- 
troduit une conception nouvelle du monde, une 
manière nouvelle d'envisager la nature, l'homme 
lui-iqême et les grands faits sociaux et, pour tout 



C8 RÉFORME DE L'E5SE1GNEME.NT SECONDAIRE. 

dire, une philosophie nouvelle du développement 
de l'humanité. C'est cet esprit qui doit être l'âme de 
l'enseignement moderne. On lui reproche avec 
raison de n'avoir pas une physionomie assez tran- 
chée. Placé, comme il l'est partout, à coté de l'en- 
seignement classique, il subit trop son attraction. A 
un enseignement nouveau il faudrait au moins 
quelques établissements qui fussent à lui seul. C'est 
ce que V. Duruy avait demandé sans succès pour 
l'enseignement spécial et ce que réclament, en fa- 
veur de l'enseignement moderne, les Chambres de 
commerce*. 

Sera-t-il jamais l'égal de l'enseignement clas- 
sique? Rien ne s'oppose, croyons-nous, à ce que des 
formes différentes de culture, qui correspondent à 
la diversité des esprits, puissent produire des résul- 
tats équivalents. Ce sont moins les matières de l'en- 
seignement qui importent que la manière dont elles 
sont enseignées. Les programmes n'ont qu'une 
valeur secondaire. Ce qui est essentiel, ce n'est pas 
tel ou tel procédé de culture, mais la culture elle- 
même, pourvu qu'elle soit assez profonde pour 
atteindre les sources mêmes de la vie intellectuelle 

i. Celle de Tourcoing exprime le regret que le lycée, créé en vue 
de renseignement moderne, se transforme peu à peu en établisse- 
ment classique. On sait l'histoire du lycée de Mont-de-Marsan, dont 
V. Duruy avait essayé de faire quelque chose d'original. Lui parti, 
il n'a pas tardé à perdre sa figure : il est devenu un lycée banal 
comme tous les autres. 



AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT MODERNE. 69 

et morale. Pourquoi renseignement moderne n'ou- 
vrirait-il pas, comme l'enseignement classique, les 
professions libérales, la médecine et le droit*? Nous 
ne concevons pas bien, pour notre part, qu'on élève 
à l'entrée de certaines professions des barrières arti- 
ficielles. 11 y a là des préjugés qui nous semblent un 
peu étroits. L'Allemagne les pousse plus loin que nous. 
Chez elle, toutes les fonctions sont, en quelque 
sorte, hiérarchisées, et, si l'on n'a pas passé tel exa- 
men de fin d'études, on ne peut pas entrer dans cer- 
taines carrières, pas plus qu'on ne peut entrer dans 
l'armée sans remplir certaines conditions. Rien de 
semblable n'existe, au môme degré, en Angleterre* 
et encore moins aux États-Unis. On n'a pas besoin, 
en Angleterre, d'avoir appris le grec pour être 
médecin, ni même pour être avocat. Aux États-Unis, 
toutes les carrières sont largement ouvertes. C'est 
à ceux qui veulent y entrer de s'armer pour la 
lutte, de se donner l'éducation la plus forte. S'ils 
ont du loisir et de l'aisance, ils n'y manqiient pas. 
Le goût des éludes libérales s'y répand de plus en 
plus. La contrainte n'y est pour rien. Peut-être ne 
s'en trouve-t-on pas au fond plus mal que de notre 
régime de tutelle et de protection. 

1. La Commission de renseignement s'est prononcée en sens con- 
traire, à une voix seulement de majorité. 

2. Voir Max Leclerc. Les professions et la société en Angleterre 
(Armand Colin et G'*). 



70 RÉFORME DE L'ESSEIOEMEST SECONDAIRE. 

Mais sans rompre avec toutes nos habitudes , ne 
peut-on admettre qu'un candidat justifie, en dehors 
de la connaissance du grec et du latin, de ce degré 
de culture qui est nécessaire à l'exercice de cer- 
taines professions? La difficulté vient de ce que, 
sous le nom d'enseignement moderne, s'abritent des 
enseignements qui n'ont presque rien de commun 
avec lui. C'est* l'objection qui revient à toutes les 
pages de l'enquête. Comment faire ici les distinc- 
tions qui sont indispensables? Le baccalauréat actuel 
est-il un moyen de sélection suffisant? Nous ne le 
pensons pas, mais on peut imaginer telle modifica- 
tion du baccalauréat qui rendrait la solution de 
cette question beaucoup moins difficile*. 

Les défenseurs de l'enseignement classique ne 
peuvent d'ailleurs se faire aucune illusion. L'ensei- 
gnement moderne a forcé les portes de l'École 
polytechnique et de l'École de Saint-Cyr. 11 vient de 
pénétrer à l'École navale. Comment peut-on s'ima- 
giner que le droit et la médecine lui soient toujours 
fermés? L'enseignement classique, au lieu de livrer 
bataille en faveur de ses anciens privilèges, fera 
mieux de regarder en face l'avenir, et de se pré- 
parer à soutenir une concurrence qui ne laisse pas 
que d'être assez menaçante. 

l. Voir ci-a|m^s chap. IX, p. 105 et 106. 



CHAPITRE VII 

Des dangers 

qui menacent l'enseignement classique 

et des moyens d'y remédier. 



L'enseignement classique a gardé une clientèle 
très considérable. II y a, dans les lycées et collèges, 
50000 enfants qui le reçoivent de la sixième à la 
philosophie; autant dans les maisons ecclésiastiques, 
2000 dans les établissements libres laïques, et en- 
viron 22000 dans les petits séminaires, en tout 
84000. Pourtant il y a aujourd'hui moins d'enfants 
qu'autrefois qui se dirigent vers les études clas- 
siques. 

En 1887, le nombre des enfants qui faisaient du 
latin en sixième, dans les lycées et collèges, était 
d'environ 6500. II n'est plus, en 1898, que de 
4600. Mais, autrefois, beaucoup d'élèves quittaient 
le lycée ou abandonnaient les études classiques après 
la quatrième. La clientèle de l'enseignement classi- 
que est aujourd'hui plus fidèle. La plupart de ceux 



72 REFORME DE LEXSEIGSEMEXT SECONDAIRE. 

qui commencent les études classiques les suivent 
jusqu'au bout. C'est ce qui explique que l'ensemble 
des élèves de l'enseignement classique n'ait pas trop 
diminué. 

11 ne pourra pas longtemps se maintenir au ni- 
veau actuel, car l'enseignement moderne fait, cha- 
que année, de nouvelles recrues. Dans les lycées, il 
y a déjà une égalité numérique presque absolue 
entre le contingent annuel qui vient à l'enseigne- 
ment elassique^igt celui qui se dirige vers les études 
modernes*. DansTes collèges, deux tiers environ des 
élèves préfèrent l'enseignement moderne, à l'ensei- 
gnement classique'. L'ensemble de la population de 
l'enseignement classique est po urta nt supérieur 
numériquement à celle de renseignement mo- 
derne. Cela tient à ce que l'enseignement classique a 
une durée plus longue et que les élèves qui le sui- 
vent sont moins portés que ceux de l'enseignement 
moderne à le quitter avant la fin des études. Dans 
les établissements ecclésiastiques, l'enseignement 
classique a gardé une situation prépondérante. Quoi- 
que leur population soit inférieure de 20000 élèves 
à celle des lycées et collèges, ces établissements ont, 

1. Il est entré, en 1898, 2015 élèves en sixième classique et 
2893 en sixième moderne. 

2. Il y a en sixième moderne 3040 élèves, contre 1660 en sixième 
classique, et 3456 élèves en cinquième moderne contre 1507 seule- 
ment en cinquième classique. 






*^'- 
x^'- 

il>*- 



81 

son 
par 
^ne- 
jet à 
^ion 
ria- 
i,au 
âent 
îilre 
)[es- 
')ien 
Ira, 
«Hre 
1 et 
lire 
.' ne 
on 
des 



des 
les 

qui 

■ me 

iHl- 

ins 
.ait 
de 

isi 



74 REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Tant qu'il est resté seul, comme au xvu^ siècle, il 
n'a pas eu à se préoccuper des non-valeurs qu'il 
produit. On s'est plaint, à toutes les époques, que 
beaucoup d'enfants qui sortent du collège y aient 
perdu leur temps. Qu'on relise, par exemple, ce 
qu'écrivait Arnauld au xvn® siècle. Les plaintes sont 
encore plus vives au siècle suivant, parce que les 
études sont en pleine décadence. Depuis la renais- 
sance des études latines, après la Révolution, les 
doléances n'ont pas été moins fréquentes. De bons 
juges affirment que, depuis trente ans, le déclin des 
études classiques n'a fait que se précipiter*. D'autres, 
également compétents, pensent que la faiblesse des 
études n'est pas plus grande qu'autrefois*. Il n'en 
est pas moins vrai que pour la masse des élèves, le 
niveau est au-dessous de ce qu'il devrait être. 11 y a, 
décidément, trop de non-valeurs, un trop grand 
déchet final. Sur 100 enfants qui suivent jusqu'au 
bout la filière, il y en a 52, c'est-à-dire près d'un 
tiers, qui n'arrivent pas à obtenir, môme après un 
ou deux échecs, le diplôme de bachelier ^ Parmi les 
deux autres tiers, combien n'arrivent que par une 
préparation mécanique, par un effort de mémoire! 



1. Enquête. Voir notamment la déposition de M. Gebliart. 

2. Enquête. Voir notamment la déposition de M. A. Croiset. 

3. Statistique communiquée par M. Liard, directeur de l'ensei- 
gnement supérieur. 



AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT CUSSIQUE. '75 

Combien tirent un profit égal ou proportionné à la 
durée des études! 

L'Université ne ferme pas les yeux à l'évidence; 
témoin cette note que nous trouvons au bas de l'/n- 
struction de 1890* sur l'étude des langues anciennes 
et qui est tirée des procès-verbaux de la Commission 
chargée de la préparer : « Si grand, dit la note, est 
le nombre des élèves qui sortent des lycées et col- 
lèges sans être en état de lire un texte latin, grec, 
anglais ou allemand, que notre système d'études 
serait vraiment criminel si ces élèves n'avaient tiré 
cependant quelque sérieux profit des efforts qu'ils 
ont faits et du temps qu'ils ont consumé pour les 
apprendre, sans parvenir à les savoir. » 

Ces quelques lignes seraient un modèle de fine 
ironie, si elles n'étaient plutôt un aveu plein d'in- 
quiétudes. Sans doute, les élèves qui sont restés, sept 
ou huit ans, dans le milieu des études classiques, 
si dépaysés qu'ils y fussent, en ont subi l'influence, 
en ont gardé je ne sais quoi qui les distingue de 
ceux qui n'ont pas passé par cette étamine. Suivant 
le mot du père Didon', ils ont « servi de couverture » 
à leurs camarades, en petit nombre, qui tirent des 
études classiques tout le suc qu'elles renferment. Ils 

1. Instructions concernant les plans d'études de renseignement 
secondaire classique, p. 14. 

2. Enquête, t. 11, p. 462. 



70 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

ont « l'illusion de leur supériorité j>. Mais, quand 
on est réduit à de pareilles défenses, il est clair que 
le péril est grand. Beaucoup d'élèves ne vont au 
lycée classique que par tradition, par vanité, et sur- 
tout parce que les études classiques mènent seules 
à toutes les fonctions et que personne ne veut se 
priver de cette clef qui ouvre toutes les portes. Mais 
que renseignement moderne vienne à forcer les 
résistances, de plus en plus affaiblies, qu'on oppose 
à sa prétention de conduire, lui aussi, à toutes les 
carrières; que, d'autre part, le baccalauréat perde 
un peu de son prestige par suite de l'encombrement 
des carrières libérales et des fonctions publiques, 
l'enseignement classique ne scra-t-il pas, tout à 
coup, déserté? 

Les meilleurs esprits semblent se résigner à ce 
qu'il devienne l'enseignement réservé à une élite de 
plus en plus réduite. Il ne faut pas voir autre chose 
dans la proposition qui nous a été faite de le can- 
tonner dans certains grands lycées*. Qu'on ne s'y 
trompe pas! L'enseignement classique, mis seule- 
ment à la portée d'une clientèle de curieux et de raf- 
finés, ne sera plus ce qu'il a été jusqu'à ce jour, 

1. C'était déjà l'idée de Richelieu (Testament politique). Tocque- 
ville souhaitait aussi que l'enseignement du grec et du latin ne fût 
donné que dans un petit nombre d'universités. 11 voyait même un 
danger, pour une société démocratique, à ce que l'éducation litté- . 
raire fût trop répandue. [Démocratie en Amérique, t. III, ch. XY.) 



/ 



\ 



AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT CLASSIQUE. 77 

l'enseignement des classes moyennes, de la bour- 
geoisie et de tous les éléments jeunes et vigoureux 
qui, sorlis de la démocratie, ont l'ambition de s'éle- 
ver aux emplois supérieurs, aux fonctions diri- 
geantes dans notre société française. C'est une révo- 
lution qui se prépare dans l'éducation secondaire. 

Si elle doit s'accomplir, encore serait-il sage de ne 
pas la précipiter. Le moyen de la conjurer ou de la 
rendre moins dangereuse, ce n'est pas de recourir à 
une protection artificielle et vaine, ce n'est pas non 
plus de chercher de nouvelles méthodes; mais, tout 
simplement, de mieux se servir des méthodes ac- 
tuelles. Les Instructions de 1890 sur la manière 
d'apprendre les langues anciennes sont un modèle de 
bon sens. « Il ne s'agit pas, disent-elles, de faire des 
latinistes et des hellénistes de profession. On demande 
seulement au grec et au latin de contribuer, pour 
leur part, à l'éducation générale de l'esprit.... Il est 
clair que la lecture des textes est le point capital.... 
On ne devra donc pas s'attarder à l'étude de la gram- 
maire ; celle-ci devra être très simple et très soigneu- 
sement graduée suivant l'âge de l'élève. » Surtout 
pas de fausse érudition ! « L'érudition, qui est en soi 
une excellente chose, peut devenir un péril dans 
l'enseignement secondaire, si elle en détruit la sim- 
plicité*. » 

. i. Pages il, 12. 



/ 

/ 



78 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

On ne saurait mieux dire. Ce péril, signalé avec 
tant de justesse, n'a pas toujours été évité. Les gram- 
maires savantes et obscures ont remplacé les anciens 
rudiments. La philologie a envahi l'enseignement. 
L'empereur d'Allemagne s'en est plaint dans son 
discours de 1890. Cependant on nous assure que ce 
n'est pas des gymnases allemands que nous est venue 
cette maladie*. Le sens pédagogique qui n'est que le 
bon sens appliqué à l'éducation, s'est égaré. On se 
complaît dans les curiosités, dans les détails oiseux. 
Depuis qu'on ne fait plus de vers latins, ne s'est-on 
pas imaginé d'enseigner aux élèves les secrets de la 
métrique la plus compliquée'! 

Un certain pédantisme a toujours été la plaie de 
l'enseignement classique. Arnauld s'en plaignait au 
xvii^ siècle. 11 traçait, avec une raison lumineuse, les 
méthodes simples qu'il faut suivre pour enseigner les 
langues anciennes : « ... Ne pas faire apprendre par 
cœur tout ce qu'on appelle règles.... Ce qu'il faut 
surtout, c'est de faire lire de bonne heure les auteurs 
classiques, de revenir tous les jours à cette lecture, 
d'y obliger les élèves, de telle sorte qu'il soit morale- 
ment impossible qu'ils n'entendent pas le latin faci- 
lement et qu'ils n'aient pas lu la plus grande partie 
des auteurs qu'on appelle classiques. » 

1. Enquête. Dépositions de MM. G. Monod et Boutroux. 

2. Enquéle. Déposition de M. Georges Picot. 



AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT CLASSIQUE. 79 

Tous les grands esprits, qui se sont appliqués à la 
pédagogie des études classiques, n'ont fait que répé- 
ter ces leçons de Port-Royal. Qu'on relise la lettre de 
Bossuet au pape Innocent XI sur l'éducation du Dau- 
phin et la lettre de Fénelon à l'Académie française. 
De nos jours, les défenseurs les plus éminents des 
anciennes études se sont attachés à démontrer que 
l'enseignement du latin, allégé de ce qui l'encombre 
inutilement, peut être mené beaucoup plus rapide- 
ment qu'on ne fait d'ordinaire. Voici, par exemple, 
ce que disait, en 1867, Stuart Mill, dans son discours 
à l'Université de Saint-Andrews : « Supposons qu'un 
enfant apprenne le grec et le latin d'après les prin- 
cipes qu'on applique à l'étude des langues vivantes : 
apprentissage du vocabulaire par l'exercice et la ré- 
pétition des mois et au début le moins possible de 
règles grammaticales, — celles-ci s'apprenant six 
fois plus vite quand les cas auxquels elles s'appli- 
quent sont déjà familiers à l'esprit — cet enfant 
d'intelligence moyenne, longtemps avant l'âge où 
finit son temps d'école, serait capable de lire cou- 
ramment et avec intérêt un auteur latin ou grec. » 
L'idéal pour Stuart Mill est de mener de front les 
études littéraires, surtout l'étude de l'antiquité, avec 
l'étude de toutes les sciences, d'être à la fois un clas- 
sique et un moderne. C'est à ce prix seulement qu'on 
est un homme complet. Mais il faut ne pas s'attarder ' 



80 RÉFORME DE L'ENSEKKS'EMENT SECONDAIRE. 

aux routines el laisser de côté tout ce qui est inutile, 
tout ce qui paraissait déjà, il y a deux siècles, un 
embarras et une superfétation. J 

Que de temps pourrait être gagné si on voulait \ 

bien renoncer à ces longues classes de deux heures 
qui ne se défendent guère que par la tradition et par 
les habitudes qu'ont prises les professeurs et qu'ils 
ont tant de peine à changer! Il semble que nous 
soyons toujours au temps où les programmes moins 
chargés ne pressaient pas les maîtres ni les élèves. 

Autre point : l'enfant qui apprend les langues an- 
ciennes passe dans les mains de six maîtres diffé- 
rents. Tous les ans, delà sixième à la philosophie, il 
change de professeur. On voit à cela des avantages. 
Chaque maître, dit-on, a ses qualités propres : l'atten- 
tion et la curiosité de l'enfant sont toujours en éveil. 
Il profite de ces expériences successives. Mais chaque 
maître peut avoir sa méthode, en tous cas, une ma- 
nière différente de se servir des méthodes acceptées. 
Aucun d'eux n'est responsable du résultat d'ensemble. 
C'est là un point de grande importance. A la fin du 
xviii^ siècle, le président Rolland s'en était déjà forte- 
ment préoccupé. Avec une mesure parfaite, il con- 
cluait qu'un maître ne doit pas suivre ses élèves jus- 
qu'à la fin de leurs études. Mais il voulait établir des 
«ortes d'étapes. Ainsi un seul professeur devait con- 
duire les enfants jusqu'au seuil des humanités. C'est 



AVENIR DE L'ENSEIGr^EMENT CLASSIQUE. 81 

une idée analogue qu'exprime Talieyrand dans son 
rapporta l'Assemblée constituante. « La division par 
classes, dit-il, ne répond à rien, morcelle l'enseigne- 
ment, accule tous les ans et pour le même objet à 
des méthodes disparates et par là jette la confusion 
dans la tète des jeunes gens. » Remarquez que l'in- 
stitution de professeurs de latin et de français qui, au 
lieu d'être cantonnés dans une classe, se chargeraient 
d'un groupe d'élèves pour trois ans aurait un autre 
avantage, celui de créer du môme coup ces profes- 
seurs généraux dont M. Léon Bourgeois a si bien 
défini le rôle dans l'enquête*. Le jour où on le voudra, 
aucun enfant n'entrera dans les humanités, sans être 
en état de lire couramment le latin. Talieyrand et 
Mirabeau pensaient qu'en deux ans on peut apprendre 
le latin. Comment trois ans sous un maitre habile ne 
suffiraient-ils pas ? C'est là qu'il faut en venir si on 
veut, comme le dit M. Fouillée, sauver les études 
classiquesy 

Qu'on ne s'arrête pas à l'objection qu'il y a des 
professeurs médiocres et que l'organisation des 

1. a Je voudrais qu'il pût y avoir des professeurs généraux qui 
prissent charge d'un groupe d'enfants et le suivissent pendant deux 
ou trois années. Je crois qu'un cycle de trois ans serait la bonne 
mesure.... Ce maitre serait chargé de la partie principale de l'en- 
seignement et suivrait en même temps le travail de ses élèves dans 
les enseignements donnés par les professeurs spéciaux; il pourrait 
ainsi prendre absolument connaissance de la nature de chacun de 
ses élèves et s'intéresser à leur développement. Il vivrait pour ainsi 
dire avec eux. o Appendice, p. 278. 

RIDOT. — RÉFORME ENSEIGK. SECOND. 6 



82 RÉFORME DE LE>SEIG>*EME:^T SECONDAIRE. 

cours gradués de latin ferait trop ressortir leur fai- 
blesse. Si le système des classes a besoin, pour se 
défendre, d'un pareil argument, il est condamné. Ce 
dont on se plaint justement, c'est qu'en divisant trop 
les responsabilités, on les fasse disparaître et qu'on 
se résigne trop aisément à prolonger le cours des 
études pour ne pas être obligé d'écarter de rensei- 
gnement tel professeur médiocre ou inférieur à sa 
tâche. Il s'agit de marcher au but le plus vite pos- 
sible avec de bons maîtres et non de faire, aux dé- 
pens des élèves, la part de la routine et de l'inca- 
pacité '.^ 

Cdnfîft^ 5 un seul professeur la conduite de l'en- 
fant, au moins pendant ses premières années de 
latin et de grec, a beaucoup plus d'importance à nos 
yeux que de commencer deux ans plus tôt ou plus 
tard à apprendre le latin. La plupart des professeurs 
regrettent qu'on n'enseigne plus le latin dès la hui- 
tième et le grec dès la sixième. Beaucoup pensent 
que ce retard apporté à l'étude du latin a contribué 
à détourner les enfants du lycée ou du collège. La 
statistique ne confirme pas cette opinion. Car, si les 
classes primaires ont perdu beaucoup d'élèves par 
suite de l'ouverture de nombreuses écoles, il n'ap- 
paraît pas que le nombre des enfants ait diminué 

1. Dans la plupart des lycées les élèves auront le choix entre plu- 
sieurs professeui*s. 



AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT CLASSIQUE. 83 

dans les classes de huitième et de septième. L'essen- 
tiel est de ne pas engager un enfant dans Tétude du 
latin quand il n'a pas encore pu se débrouiller dan» 
l'étude de sa propre langue *. 

Une solide instruction primaire doit être le fonde- 
ment de l'éducation classique. Que de plaintes 
n'avons-nous pas recueillies dans l'enquête sur Tin- 
suffisance de celte première instruction chez un trop 
grand nombre d'élèves de l'enseignement secon- 
daire! Nous voudrions que l'enseignement des 
classes élémentaires des lycées et des collègc's se 
rapprochât le plus possible de celui des écoles pri- 
maires. Sous prétexte que les études secondaires 
forment un tout et qu'on ne saurait les commencer 
trop tôt, on dédaigne d'apprendre aux enfants, de 
manière à ce qu'ils ne les oublient jamais, les pre- 
miers éléments de la langue française, de l'arithmé- 
tique, de la géographie. Ce serait un avantage pour 
les enfants eux-mêmes et pour la société française 
que tous ceux qui sont destinés à faire des études 
secondaires voulussent bien, comme aux États- 
Unis, passer d'abord par Técole primaire. Nous n'en 
sommes pas là. Il n'y a pas de pays où les institu- 
tions soient plus démocratiques que dans le nôtre et 
où les mœurs et les habitudes s'éloignent plus, par 

1. Enquête. Voir à cet égard les observations très judicieuses de 
H. rabbé Pasquier, t. H, p. 268. 



84 RÉFOrOIE DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

cerlains côtés, de la véritable démocratie. Sans faire 
violence à ces préjugés, nous devons tendre à sup- 
primer les barrières qui séparent encore renseigne- 
ment primaire et les premiers degrés de l'enseigne- 
ment secondaire. 

Beaucoup de personnes pensent qu'on pourrait 
prolonger l'éducation commune des enfants en retar- 
dant jusqu'à quatorze ans le commencement des 
études de latine Ce serait un grand profit de n'être 
pas obligé de brusquer une séparation qui se fait au- 
jourd'hui avant que les aptitudes des enfants aient pu 
être appréciées. Des Chambres de commerce, en 
assez grand nombre, ont été frappées de ce qu'il y a 
de séduisant dans ce système. Quelques expériences 
ont été faites, trop timidement, en France, au lycée 
Chai lemagne et au collège RoUin. De l'autre côté du 
Rhin, un essai plus étendu se poursuit en ce mo- 
ment dans trente et un collèges, sous l'œil bienveil- 
lant du gouvernement. Pourquoi ne serions-nous 
pas à cet égard aussi hardis que nos voisins? Nous 
demandons qu'on facilite aux élèves de l'enseigne- 
ment moderne et à ceux des écoles primaires supé- 
rieures l'accès de l'enseignement classique, en insti- 
tuant à leur usage des cours préparatoires de latin 
et de grec. Si cela ne peut se faire partout, qu'on 

1. Enquête. Voir notamment les dépositions de MM. Lavisse, 
E. Dupuy et Foncin. 



• AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT CLASSIQUE. 85 

tente du moins l'expérience dans un assez grand 
nombre de lycées, pour qu'elle soit décisive. 

De môme que nous voudrions établir un passage 
de l'enseignement moderne à l'enseignement clas- 
sique, nous souhaitons aussi que les élèves de l'en- 
seignement classique puissent, arrivés au milieu 
de leurs études, se diriger vers l'enseignement mo- 
derne ou vers les hautes écoles commerciales. C'est 
pour cela que nous demandons que le cours des 
études classiques, comme celui des études mo- 
dernes, soit divisé en deux cycles ou en deux de- 
grés. L'idée n'est pas nouvelle. Nous l'avons 
empruntée à tous les plans d'études qui ont été pro- 
posés à l'Assemblée constituante et à la Convention. 

M. Gréard a bien indiqué, dans sa déposition à 
l'enquête, un des défauts de notre système d'in- 
struction secondaire. Il y a trop de cloisons élan- 
ches, trop de barrières artificielles, trop de difficultés 
de communication et de pénétration entre les divers 
enseignements. « Faisons tomber les barrières, 
a-t-il dit, qui séparent soit les degrés, soit les modes 
des études secondaires, l'enseignement moderne de 
l'enseignement classique, l'enseignement primaire 
supérieur de l'enseignement moderne. » C'est un des 
points essentiels de la réforme à entreprendre*. 

1. Enquête, t. I, p. 8. Voir aussi la remarquable déposition de 
M. Buisson. 



86 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Les plans d'études et les méthodes ne sont rien 
sans les maîtres qui doivent les appliquer. Aussi 
faut-il que nous disions un mot de cette absence de 
toute préparation pédagogique des professeurs de 
renseignement secondaire, qui nous a été si vive- 
ment dénoncée, au cours de l'ènquiile. La péda- 
gogie a brillé autrefois, en France, d^un vif éclat. 
Elle n'a jamais été plus nécessaire. Tout ce qui 
touche aux méthodes d'instruction a pris une impor- 
tance capitale. Dans l'enseignement classique, aussi 
bien que dans l'enseignement moderne, il y a beau- 
coup à faire pour en rajeunir l'application. Aussi 
comprenons-nous l'importance que M. Lavisse 
attache à la préparation des professeurs. 11 va jus- 
qu'à faire de cette préparation la base* même de 
toutes les réformes. On se plaint, en général, que 
ce qu'on peut appeler l'entraînement professionnel 
ait été trop négligé dans l'enseignement secon- 
daire. 

« Nous avons tout appris, disait devant nous un 
ancien professeur*, sauf la façon de l'enseigner. » 

L'agrégation a pris, par la force des choses, un 
caractère de moins en moins professionnel et de plus 
en plus scientifique, depuis qu'on n'exige aucun 
stage des candidats. Elle tend à devenir un grade 
des études supérieures, au lieu d'être ce qu'elle 

1. M. Jules Gautier, inspecteur de l'académie de Paris. 



AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT CLASSIQUE. 87 

devrait être, un certificat d'aptitude à l'enseignement 
secondaire*. Dans l'enseignement. littéraire, ce dé- 
faut est particulièrement signalé. Il se retrouve 
aussi dans* l'enseignement des sciences* et dans 
celui des langues vivantes'. 

Comment relever la pédagogie et donner, en môme 
temps, à l'agrégation, un caractère professionnel? 
En exigeant que tous les futurs professeurs fassent 
un stage et obtiennent un certificat d'aptitude péda- 
gogique. Ce n'est pas le lieu d'entrer dans les détails 
d'application. On conçoit que ce stage puisse n'être 
pas organisé de même pour les licenciés qui se pré- 
parent à enseigner dans les lycées ou dans les col- 
lèges, sans passer par l'agrégation, et pour les fu- 
turs professeurs qui ont déjà subi avec succès le 
concours d'agrégation. Nous voudrions que ces der- 
niers fissent, de préférence, leur stage dans un 
lycée établi au chef-lieu d'une Université. Ils pour- 
raient, tout en étant associés dans le lycée à la 
direction des classes et des études, sous la conduite 

1. Enquête. Déposition de M. Léon Bourgeois. Appendice^ p. 284. 

2. « Il y a énormément de professeurs qui ne savent plus pro- 
fesser. Ils savent tout, sauf leur métier, la partie la plus pratique 
de leur métier. » Enquête. Dép. de M. Buquet. T. II, p.505. 

3. « Notre agrégation, et je crois qu'il en est de même de 
toutes, n'a pas un caractère assez professionnel. Je trouve souvent 
des premiers agrégés qui sont de médiocres professeurs. Cela tient 
à ce que nos agrégations sont des concours purement scientifiques 
ou littéraires, sans caractère professionnel. » Enquête. Dép. de 
M. Bossert. T. II, p. 60. 



88 RÉFORME DE LENSEIGNIMENT SECONDAIRE. 

de professeurs expérimentés, recevoir dans des con- 
férences faites à l'Université, d'utiles indications et 
de précieux conseils sur l'emploi des meilleures 
méthodes et sur la manière de remplir leurs devoirs 
professionnels. 

Nous demandons aussi, dans le même ordre 
d'idées, que l'École normale ne soit pas seulement 
une école de hautes éludes, mais encore un véritable 
séminaire pédagogique. Sans renoncer à aucune des 
traditions qui en ont fait un des foyers de la science 
et de la culture littéraire la plus élevée, elle ne doit 
jamais oublier qu'elle a été instituée pour préparer 
des professeurs de l'enseignement secondaire. Ce 
n'est pas assez de leur donner l'instruction la plus 
complète et la plus variée, elle doit aussi les former 
au point de vue professionnel. Cette seconde partie 
de sa tâche n'est pas moins essentielle que la pre- 
mière. 

C'est de l'École normale et des Universités que 
doit partir le mouvement de rénovation des études 
classiques. 



CHAPITRE VIII 
Des programmes. 

« C'est l'uniformité, a dit M. R. Poincaré, qui 
e^traÎIle la surcharge des programmes. C'est elle 
aussi qui crée leur instabilité ^ » Rien n'est plus 
juste. La question est de savoir s'il faut multiplier 
les types d'enseignement ou chercher les moyens 
d'assouplir les programmes, de les adapter aux be- 
soins des enfants et de les mettre en quelque sorte 
à leur taille. 

Bersot s'étonnait, en 1862, qu'on voulût faire 
marcher (ensemble des écoliers pendant dix ans, 
parce qu'ils ont commencé ensemble et que les âges 
sont plus ou moins voisins, sans tenir compte de 
l'ardeur et de la vigueur de l'esprit qui permettent 
aux uns de faire à la course des étapes que d'autres 
font à petits pas. 11 aurait voulu que chaque élève 
pût gagner du temps par son travail et qu'on re- 
nonçât à envisager une classe comme une unité indi- 

1. Appendice, p. 245. 



m RÉFORME DE L'ESSEIGNEMEKT SECONDAIRE. 

visible. Pourquoi un élève avancé dans les lettres et 
arriéré dans les sciences ne pourrait-il pas s'exercer 
avec ses égaux, au lieu de marquer le pas pour 
attendre que les plus faibles rejoignent, ou de s'ef- 
souffler à suivre ceux qui marchent plus rapide- 
ment? Pourquoi aussi ne laisserait-on pas aux 
élèves, sous la direction de leurs maîtres, une cer- 
taine liberté de choisir entre les divers enseigne- 
ments? 

« Nous n'avons pas la prétention, ajoutait Bersot, 
de vivre assez pour voir s'accomplir ces terribles ré- 
formes. Nous croyons pourtant que tout ne restera 
pas tel qu'il est aujourd'hui*. » 

Ces idées, qui semblaient à Bersot quelque peu 
révolutionnaires, étaient celles du ministre de l'In- 
struction publique, V. Duruy*. 11 s'effrayait, lui aussi, 
du fardeau de plus en plus lourd imposé à la jeu- 
nesse par l'accroissement inévitable des programmes. 
Les sciences, les langues vivantes, l'histoire, la géo- 
graphie, le dessin, la musique, la gymnastique, 
prennent, par la force des choses, une place déplus 
en plus grande. Il n'est pas possible de toujours 
ajouter sans retrancher jamais. Autrement l'instruc- 
tion devient superficielle. Mais le moyen de retran- 

i. QuestioHê d'enseignement^ p. 200 à 205. 
2. Rapport à VEmpereur sur la statistique de l'enseignement 
êecondaire en 1865. 



DES PROGRAMMÉE. 91 

cher, c'est de permettre à l'enfant de faire un certain 
choix, c'est aussi de séparer, les cours par nature 
d'études et de répartir les élèves, non plus comme 
aujourd'hui, d'après le numéro de la classe, mais par 
ordre de force dans les facultés principales. € C'est 
un régime, disait-il, dont on entrevoit les difticultés 
d'exécution dans les grands lycées, mais aussi les 
avantages pour les élèves. »/ 

L'enquête que nous venons de faire montre que 
les idées de Bersot et de V.Duruy continuent de faire 
leur chemin. Elles ont de nombreux partisans*. 
M. Compayré, qui est allé en 1893 aux États-Unis, en 
a rapporté des renseignements intéressants sur la 
manière dont les Américains sont arrivés à tempérer 
la rigueur du système des classes et à éviter la sur- 
charge pour les élèves, tout en augmentant, d'année 
en année, la richesse des programmes. Partout, il y 
a des matières obligatoires et d'autres qui sont libre- 
ment choisies par les élèves. On a pris des précau- 
tions pour que cette liberté ne dégénérât pas en anar- 
chie. En règle générale, un élève n'est pas abandonné 
à lui-même. Il doit faire approuver les motifs de son 
option. L'opinion est de plus en plus favorable à ce 
système. 

Nous sommes loin d'appliquer en France les mêmes 

1. Enquête. Voir les dépositions de MM. Lavisse, Foncin, Morel, 
E. Dupuy, Gebliart et surtout celle de M. Maueuvrier. 



92 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

idées. Chez nous, comme en Allemagne*, on meta 
la disposition des familles deux ou trois types d'en- 
seignement. Leur choix doit être fait une fois pour 
toutes. Jl ne leur est pas permis de combiner entre 
eux ces programmes, de prendre ce qui convient à 
un enfant, d'écarter ce qui est inutile ou au-dessus 
de ses forces. Ainsi un enfant qui veut être agricul- 
teur opte pour l'enseignement moderne. 11 ne peut 
pas étudier la chimie, l'histoire naturelle dont il a 
besoin, sans apprendre à fond les mathématiques 
pour lesquelles il n'a peut-être pas d'aptitude. Il est 
tenu d'apprendre, qu'il le veuille ou non, deux lan- 
gues vivantes. Le défaut des programmes officiels, 
c'est qu'ils sont faits pour une moyenne. 11 faudrait 
pouvoir les mettre au point, suivant les besoins des 
élèves et suivant les ressources des établissements. 
Cela n'est peut-être pas aussi difficile qu'il semble à 
première vue. Toutes les matières d'un programme 
n'ont pas la même importance. Il y en a que tout le 
monde s'accorde à juger nécessaires. D'autres peu- 
vent être facultatives. 11 faut que l'examen, placé à 



1. On se plaint aussi en Allemagne du défaut de souplesse des 
types d'enseignement. « L'uniformité, disait le D' Virchow en 1889 
à la Chambre des députés, qui pèse sur tout le système de l'instruc- 
tion publique en Pi-usse, rend impossible toute expérience, tant au 
point de vue des matières que des méthodes de l'enseignement, 
tandis qu'on peut voir, par l'exemple de la Suède et de l'Angleterre, 
quelles formes indéfiniment variées peut revêtir l'éducation de la 
jeunesse sous un régime de liberté. » 



DES PROGRAMMES. 95 

la fin des éludes ou à l'entrée des carrières, ait lui- 
même un programme, rigide en certaines parties, 
souple en d'autres parties. « C'est le système, disait 
V. Duruy, qui est pratiqué en France pour les diplô- 
mes de l'enseignement spécial comme pour le brevet 
supérieur. Ce ne serait donc pas une nouveauté. » 

Les propositions que la Commission soumet à la 
Chambre, à ce sujet, marquent nettement une orien- 
tation. Désormais il y aura des cours gradués pour 
le latin comme pour les langues vivantes. Les élèves 
pourront choisir entre certaines matières. La rigidité 
du système des classes, des programmes et des exa- 
mens s'assouplira dans une large mesure. Cela sup- 
pose, de la part des proviseurs, beaucoup de tact et 
d'autorité. On se heurtera, nous le savons, à des pré- 
jugés tenaces. N'a-t-on pas déjà toutes les peines du 
monde à faire comprendre aux professeurs de lan- 
gues vivantes qu'il est déraisonnable de mettre ensem- 
ble, parce qu'ils appartiennent à la même classe, 
des enfants qui parlent couramment l'allemand ou 
l'anglais, et d'autres qui n'en savent pas un mot ? 

Mais toute réforme — et celle-ci vaut la peine 
d'être tentée — rencontre des résistances. Il faut 
savoir les vaincre; c'est affaire de volonté, de tact, 
de mesure dans les premières applications. 

Nous ne sommes pas frappés seulement de la 
surcharge des programmes, qui s'explique d'elle- 



94 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

même, mais aussi de la dispersion qu'ils impo- 
sent aux efforts des élèves; Ton veut tout en- 
treprendre à la fois et mener de front des 
études dont chacune exigerait, surtout à ses 
débuts, une application presque exclusive : «Voici 
un enfant de huit à dix ans, écrivait en 1884 
M. Gréard, qui n'a pas moins de neuf cours diffé- 
rents par semaine. A peine son attention a-t-elle pu 
commencer à se fixer sur un objet qu'un autre 
l'appelle et le déconcerte. » Cela est toujours vrai. 
Avec beaucoup de finesse M. Gréard ajoutait : 
«Heurement son âge le préserve ; il se sauve par la 
légèreté. Mais, à la longue, il n'échappera pas à ce 
malaise profond qui résulte d'une attention surme- 
née et qui atteint tout à la fois l'intelligence et la 
volonté*.» 

^Nous sommes convaincus que les études seraient 
beaucoup meilleures si Ton procédait rationnelle- 
ment, si l'enfant n'abordait une nouvelle étude 
qu'après avoir fait des progrès suffisants dans les 
études précédentes. La méthode intensive, appliquée 
à la culture de l'esprit, donnerait de tous autres 
résultats que la dispersion actuelle de notre ensei- 
gnement '. Port-Royal ne commençait à apprendre 

1. Éducation et instruction. Enseignement secondaire, t. II, 
p. 144. 

2. Voir, à ce sujet, les observations de M. £. Boutmy. Appendice^ 
p. 240. 



DES PROGRAMMES. 95 

le grec que lorsqu'on savait déjà le latin, mais il 
poussait à fond l'étude de chacune de ces langues. 
Croit-on, pour citer un seul exemple, qu'on n'ap- 
prendrait pas mieux l'anglais ou l'allemand si, au 
lieu de donner à son étude deux heures par semaine 
pendant neuf ans, on lui consacrait un effort consi- 
dérable pendant deux ou trois ans? Pour le dessin, 
le vice du système actuel est si évident qu'il frappe 
les yeux les moins attentifs. Les enfants ne s'inté- j 
ressent pas à des études qu'on leur fait reprendre 
et abandonner sans cesse. 

Qu'on donne donc plus d'élasticité aux program- 
mes, qu'on diminue la dispersion des études, cela 
sera plus efficace que les revisions d'ensemble qu'on 
a si souvent faites pour simplifier les programmes 
et qui n'ont le plus souvent abouti qu'à les surchar- 
ger. 



CHAPITRE IX 
Du baccalauréat. 

A Torigine, le baccalauréat n'est que la coi^stata- 
tion des études faites dans un lycée ou un collège. 
Il n'est pas exigé à l'entrée de la plupart des fonc- 
tions publiques. On peut s'en passer et, de fait, on 
s'en passe. Il y a très peu de bacheliers dans les 
premières années. Mais, peu à peu, le baccalauréat 
devient une barrière qui s'élève à l'entrée de la plu- 
part des fonctions publiques. 

On perd de vue les conditions de capacité qu'il 
faut remplir, l'exacte adaptation du fonctionnaire à 
la fonction. Il est nécessaire au prestige de certaines 
fonctions que ceux qui les remplissent appartenaient 
à une élite. C'est le baccalauréat qui sert de passe- 
port, mais comme il n'y a guère de corps de fonc- 
tionnaires qui ne veuille être de l'élite, on s'est 
trouvé entrai^îsé à exiger le baccalauréat classique, 
le grec et le latin, de fonctionnaires comme ceux de 
l'enregistrement, des contributions directes et des 



DU BACCALAURÉAT. 07 

douanes. D'autant plus qu'il y a une foule de can- 
didats et que c'est un moyen commode de sélection. 
Quand, en 1895, le ministre des Finances Toulut 
admettre l'égalité du baccalauréat moderne et du 
baccalauréat classique pour les candidats aux em- 
plois des régies financières, il se heurta à de vives 
résistances. C'était le discrédit jeté sur ces carrières 
jusque-là honorées. Pourtant on reconnut que la 
mesure était sans inconvénient, si elle s'appliquait 
en même temps à toutes les régies, si on ne créait 
pas d'inégalités. C'est donc une question de rang à 
tenir dans la société et dans la hiérarchie. Le bac- 
calauréat ainsi compris est un des contreforts du 
décret de mes^sidor sur les préséances. Il n'est plus 
une garantie de bonnes études, il est devenu une 
sorte d'institution sociale, un procédé artificiel qui 
tend à diviser la nation en deux castes, dont l'une 
peut prétendre à toutes les fonctions publiques et 
dont l'autre est formée des agriculteurs, des indus- 
triels, des commerçants, de tous ceux qui vivent de 
leur travail et en font vivre le pays. 

La concurrence de plus en plus ardente pour les 
emplois publics fait élever toujours les barrières; 
mais ces barrières s'abaissent d'elles-mêmes, à me- 
sure que le nombre des candidats est plus consi- 
dérable. C'est un cercle vicieux. Le plus sage serait 
de n'attacher aux diplômes qu'une valeur secondaire. 

RIBOT. — RÉFORME ENSEIGN. SECOND. 7 



98 UÉFOKME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIKE. 

Un homme, qui, à dix-huit ou vingt ans, n'a pas 
passé des examens, peut devenir, à trente ou qua- 
rante ans, par la pratique des affaires et par l'édu- 
cation qu'on se donne à soi-même, capable d'aborder 
les tâches les plus difficiles. Il peut être égal et 
même supérieur à ceux qui ont fait des études régu- 
lières et ont subi avec éclat tous les examens. Un 
système qui classe les hommes à vingt ans, d'après 
les diplômes qu'ils ont obtenus, prive l'État du droit 
de choisir ceux qui se sont faits eux-mêmes, et que 
les professions libres ont mis hors de pair*. Appli- 
qué seulement à certaines carrières, comme celle 
d'ingénieur, ce système n'est pas sans inconvénient. 
Étendu à la plupart des emplois publics, il devient 
un danger parce qu'il pousse toute la jeunesse à la 
poursuite de diplômes inutiles, qu'il fausse les idées 
sur le rôle de l'éducation, qu'il affaiblit le ressort 
moral de la nation, en faisant plus ou moins des 
déclassés de ceux qui échouent aux examens et qui 
n'ont pas la force d'entreprendre après coup une 
seconde éducation et en donnant à ceux qui réussis- 
sent l'illusion quils n'ont plus qu'à se mettre sur 
les rangs pour obtenir un emploi public. 
Mais qu'on ne s'y trompe pas : on aura beau 

4. Voir, à ce sujet, les deux volumes de M. Max Leclcrc, sur 
VÉducation et la aociélé en Angleterre et la belle préface de 
M. Boutmy (Annaiid Colin et C'«). 



DU BACCALAURÉAT. 99 

modifier la forme des examens et celle des diplômes, 
changer la nature des épreuves et le jury devant qui 
elles sont subies, abolir le nom du baccalauréat, on 
n'aura rien fait si l'on ne détruit ce préjugé que 
plus un homme a de diplômes et plus il est capable 
de remplir des fonctions publiques, même celles qui 
n'exigent pas des connaissances étendues ni la 
science qui s'apprend dans les livres. On trouvera 
toujours le moyen de revenir, sous une forme ou 
sous une autre, au baccalauréat. Le modeste certi- 
ficat d'études primaires devient lui-môme, sous l'in- 
fluence de nos préjugés sur les diplômes, un bacca- 
lauréat au petit pied qui ne laisse pas d'avoir ses 
inconvénients. Ce sont les habitudes d'esprit, les 
mœurs administratives, les conditions d'entrée dans 
les fonctions publiques qu'il faut modifier. Si l'on 
revisait la liste des emplois pour le§.quels le bacca- 
lauréat est exigé, on serait surpris de voir à quelles 
exagérations on s'est laissé entraîner, sous prétexte 
de relever le niveau de toutes les fonctions et de 
réduire les compétitions. 

Ce n'est pas à dire qu'on ne fera pas une chose 
utile en changeant le nom de l'examen final des 
études secondaires. Ce mot de baccalauréat traîne 
avec lui un cortège d'illusions, de préjugés, d'idées 
fausses. Les mots ont leur puissance. Quand on veut 
briser une tradition, il n'est pas mauvais de toucher . 



100 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

aux signes extérieurs qui tendent à la perpétuer. 

Si attaqué qu'il soit aujourd'hui, le baccalauréat 
a pourtant des défenseurs en grand nombre dans 
rUniversilé et surtout dans l'enseignement libre. 11 
est, pour cet enseignement, tout ensemble, une ser- 
vitude et une garantie. Aussi tous les représentants 
des institutions catholiques, à l'exception du Père 
Didon, ont-ils demandé son maintien. Dans un pays 
comme le nûtre où les études primaires elles-mêmes 
sont suivies d'un examen, d'un certificat délivré au 
nom du Ministre, comment laisserait-on les études 
secondaires sans aucune sanction officielle? Les 
familles ne s'accommoderaient pas d'un régime qui 
abandonnerait à chaque établissement le soin de dé- 
livrer des diplômes n'ayant qu'une valeur incertaine 
et toute morale. En Angleterre même on a senti la 
nécessité d'organiser, sous le contrôle des Univer- 
sités, des examens de fin d'études. 

Ces diplômes ne peuvent pas être délivrés par les 
étttblissement^'eux-mômes, sans un contrôle de l'État. 
La préseiu*e d'un délégué du Ministre serait-elle une 
garantie suflisante? Ce système donnerait de bons 
résultats dans quelques lycées où les études sont 
fortes et où les professeurs se montrent sévères. 
Partout ailleurs le baccalauréat tendrait à devenir 
uuo fonnalité, comme les examens de passage. L'en- 
J|l)l^to approfondie h laquelle s'est livrée la Commis- 



DU BACCALAURÉAT. 101 

sion lui a montré que les professeurs de renseigne- 
ment secondaire sont à peu près d'accord pour 
refuser le présent dangereux qu'on veut leur faire. 
Les Conseils généraux sont aussi, en majorité, peu 
favorables à tout système qui établirait une diffé- 
rence entre les établissements publics et les établis- 
sements libres. 

« Nous préconisons, a dit M. Leporché au Conseil 
général de la Sarthe, le maintien du baccalauréat 
pour tout le monde. C'est à la fois plus équitable et, 
nous ne craignons pas de le dire, plus avantageux 
pour les établissements de l'État. Il ne faut pas 
qu'on puisse dire que, grâce à ce traitement excep- 
tionnel, les établissements libres sont les seuls qui 
puissent faire recevoir des bacheliers et que les 
établissements de l'État avouent implicitement une 
impuissance qui n'existe pas. » 

Convient-il, d'ailleurs, de relâcher encore plus le 
lien qui rattache l'enseignement secondaire à l'en- 
seignement supérieur? M. Jaurès a particulièrement 
insisté sur ce point dans sa déposition. L'argument 
n'est pas sans valeur. Aussi la Commission a-t-elle 
été d'avis presque unanime de laisser aux profes- 
seurs des Facultés la charge des examens de fin 
d'études, sauf à leur adjoindre des membres de l'en- 
seignement secondaire. 

Celte adjonction est une première amélioration 



102 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

qu'il est facile d'apporter au système actuel. Il y en 
a d'autres qui ne sont pas moins nécessaires, ni 
moins urgentes. Le duc de Broglie disait, en 1844, 
dans son rapport à la Chambre des pairs, sur la 
liberté de l'enseignement : « Admettre pêle-mêle aux 
épreuves du baccalauréat les élèves qui ont achevé 
leurs études et ceux qui ne les ont pas achevées, les 
élèves qui ont étudié sous des maîtres dont la posi- 
tion et le grade garantissent la capacité et les élèves 
qui ont étudié sous des maîtres inconnus et peut-être 
ignorants, ce serait abaisser inévitablement le nivcàii 
des examens. » Il faut donc s'informer du lieu où le 
candidat a fait ses études et de la manière dont il les 
a faites. Dans tous les temps et dans tous les pays 
où l'instruction a été comptée pour quelque chose, 
on a considéré la preuve de capacité qui résulte de 
l'examen comme insuffisante à elle seule. On a tou- 
jours exigé une autre preuve plus réelle et plus 
décisive, résultant d'un cours complet d'études dans 
lequel les élèves ont été examinés d'année en année. 
L'épreuve du baccalauréat se trouve, de la sorte, être 
le complément et pour ainsi dire le support de toutes 
les autres. 

En faisant du baccalauréat un examen qui se suffit 
à lui-même, qui ne se lie d'aucune manière à la vie 
scolaire du candidat, on l'a livré à de telles incerti- 
tudes qu'on a fini par revenir à l'idée du certificat 



DU BACCALAURÉAT. 105 

d'éludés. Qu'est-ce autre chose que ce livret scolaire 
dont l'usage, encore facultatif, commence à se géné- 
raliser? Le mot a été dit par un des représentants 
les plus autorisés de renseignement catholique*, et 
il n*a soulevé aucune des protestations qu'il eût fait 
naître il y a un siècle. C'est que la pratique qui s'est 
faite depuis 1850 de la liberté d'enseignement a 
montré combien il y avait, dans l'Université et en 
particulier dans les Facultés, un désir sincère de res- 
pecter cette liberté, d'en faire l'application la plus 
loyale. 

On a bien fait peut-êlre de ne pas heuiler les 
préjugés qui peuvent encore exister dans quelques 
esprits, en établissant le livret obligatoire. Mais il 
faut en rendre l'application assez générale pour 
qu'en fait l'examen de fin d'études, au lieu d'être 
une épreuve isolée, soit comme la vérification des 
notes obtenues par le candidat de ses professeurs. 
11 ne faudrait pas beaucoup de temps aux universités 
pour déterminer le degré de confiance qu'elles 
peuvent accorder à ces certificats d'études, d'après 
leur origine. Le Ministre devra charger, de temps 



1. M. l'abbé Morci, directeur de l'école Saint-Sigisbert, a fait 
remarquer a qu'avec l'usage général et sérieux du livret scolaire 
le baccalauréat n'aurait que peu d'inconvénients ». Pour remplir 
tout son oflice, le livret doit porter les notes, les places, les exa- 
mens de passage et devenir a un véritable certificat d'études ». 
Enquête, t. Il, p. 473. 



104 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

en temps, les doyens ou des professeurs des Facultés 
de faire des inspections dans les établissements 
libres ou publics de la région. Les résultats des 
inspections serviront de contrôle à ceux des examens . 
C'est ainsi que les choses se passent en Angleterre . 
L'examen final redeviendra ce qu'il doit être : la 
sanction d'études régulières et le couronnement 
d'une série d'examens de passage. 

Le baccalauréat a un autre défaut, c'est qu'il 
3uvre et ferme toutes les portes. De là son caractère 
banal et le peu de garanties qu'il offre. Les Facultés 
se plaignent de n'être pas défendues contre l'intru- 
sion de candidats mal préparés. Aussi l'idée de 
remplacer le baccalauréat par des examens à l'entrée 
de chaque faculté et de chaque carrière a-t-elle fait 
beaucoup de chemin dans les meilleurs esprits'. 11 
y a deux difficultés : d'abord on peut craindre que 
CCS examens particuliers n'aient une tendance à 
trop se spécialiser. Toute éducation libérale suppose 
un ensemble de connaissances générales. Puis, les 
examens de carrière ne peuvent remplacer le bac- 
calauréat pour les jeunes gens qui ne se destinent 
ni à une carrière libérale ni aux fonctions publiques . 
Ces objections ont leur force. 11 y a un moyen 



4. Voiries dépositions de MM. Lavisse et Léon Bourgeois {Appen- 
dice, p. 225 et 303) et un article de M. Bmnetière dans la Revue des 
Deux Mondes, du 1" juillet 1899. 



K 



DU BACCAUURÉAT, 105 

assez facile de les désarmer. Commençons par sup- 
primer tous les modes actuels et par faire disparaître 
le nom même du baccalauréat. N'ayons plus qu'un 
seul examen de fin d'études pour les élèves de l'en- 
seignement classique et de l'enseignement moderne. 
Il portera sur un certain nombre de matières obli- 
gatoires et communes à tous les candidats. Mais, 
tout en gardant cette unité fondamentale, Texamen 
pourra se diversifier suivant la vocation et les 
études futures de ceux qui le subissent. Le diplôme 
n'ouvrira l'entrée de telle ou telle Faculté qu'autant 
qu'il portera une mention spéciale. Celle-ci ne sera 
accordée qu'aux candidats ayant répondu d'une 
manière satisfaisante sur certaines matières déter- 
minées. On ne montrera pas les mômes exigences à 
l'égard d'un candidat qui veut entrer à la Faculté 
des lettres qu'à l'égard de celui qui désire être 
admis à l'École de droit ou à la Faculté de méde- 
cine*. L'examen final s'assouplira de manière à 
serrer de plus près la réalité. Il n'y aura plus un 
type banal, mais autant de types que d'études et de 
vocations diverses. Cependant entre tous ces types 

1. Voir la déposition de M. E. Boutmy (Appendice , p. 237) et le 
rapport fait en 1885, au nom de la Faculté des lettres de Paris, par 
M. A. Croiset. L'éminent professeur, frappé de l'insufflsance des 
candidats à la licence es lettres, proposait d'ajouter pour ces can- 
didats une ou deux épreuves au baccalauréat es lettres. Ce qu'on 
peut faire pour la Faculté des lettres, on peut évidemment le faire 
aussi pour les autres Facultés. 



106 RÉFORME DE L'ENSEIGNEME^'T SECONDAIRE. 

subsistera un lien qui suffira à leur donner une cer- 
taine unité. Creusez le problème. Il n'y a pas de 
solution qui concilie mieux tous les intérêts, 
^e niveau des examens s'élèvera, parce que les 
candidats seront obligés de faire preuve, au moins 
sur certaines matières, d'études moins superficielles. 

Les candidats à qui leur diplôme n'ouvrira pas 
de plein droit l'entrée de telle ou telle Faculté pour- 
ront toujours compléter ce diplôme en passant un 
examen sur les matières qui seront exigées. 

Si ce système était établi, on aurait moins d'ap- 
préhension à ouvrir les Facultés de droit et de 
médecine aux élèves de l'enseignement moderne. Il 
dépendrait des examinateurs de vérifier le degré de 
culture de chacun des candidats et de tenir le niveau 
plus ou moins élevé, suivant qu'on craindrait plus 
ou moins d'être débordé. On n'établirait pas a priori 
une équivalence entre le diplôme du baccalauréat 
classique et celui du baccalauréat moderne, ce que 
beaucoup de gens considèrent avec raison comme un 
saut dans les ténèbres. Mais tous les candidats, sans 
distinction d'origine, seraient admis à faire preuve 
d'une culture suffisante pour aborder l'enseigne- 
ment supérieur. Ce ne serait plus l'égalité théorique 
de deux diplômes, mais l'équivalence a posteriori 
d'études faites sous des régimes différents. 



CHAPITRE X 
Des concours pour l'admission aux écoles. 

Pour achever de passer en revue les questions 
générales qui se rapportent à renseignement, il faut 
dire quelques mots des grandes écoles et des con- 
cours qui en ouvrent les portes. C'est un des plus 
gros problèmes qu'on puisse aborder. Ces écoles 
remontent à la Révolution. Elles ont rendu de grands 
services, elles sont populaires, malgré leurs défauts, 
et ceux qui les critiquent le plus ne voudraient pas 
les supprimer. 

Mais on peut regretter que la préparation à ces 
écoles soit devenue ce qu'elle est aujourd'hui, « un 
effort énorme pour connaître le détail des questions 
définies par les programmes et par la routine ou la 
fantaisie des examinateurs » *. Il y a, en effet, à 
côté du programme officiel, celui qui se fait au jour 
le jour, par les examens eux-mômes, par la manière 

1. Berthelot. Revue des Deux Mondes du 15 mars 1891. 



i08 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

dont les questions sont posées^T^es hommes les plus 
compétents nous ont assuré que cette préparation 
tout artificielle est mauvaise pour l'esprit des jeunes 
gens*. On s'en rend si bien compte que les exami- 
nateurs de l'École polytechnique voudraient ne 
prendre que des élèves ayant une seule année de 
mathématiques spéciales. C'est aussi le désir exprimé 
par les généraux qui ont commandé l'École'. M. Joseph 
Bertrand a été examinateur et ensuite professeur à 
J 'École polytechnique. Il s'élève contre la manière 
toute mécanique dont les examens sont pratiqués. 
Il croit que l'ancienne méthode de sélection, moins 
rigoureuse en apparence, était au fond plus juste. 
On s'efforçait de découvrir des esprits propres aux 
hautes mathématiques, plutôt que d'imposer aux 
candidats un énorme effort de mémoire, en multi- 
pliant les questions. 

M. Berthelot est du môme avis. Il critique les ' 
programmes et les procédés de classement adoptés 
pour l'entrée aux grandes écoles militaires ^ « C'est 
là, dit-il, le minotaure, qui dévore chaque année 
une multitude de jeunes gens incapables de résister 
à la préparation à des épreuves si mal combinées 
pour constater la véritable intelligence et la valeur 



1. Enquête. Déposition de M. Darboux, t. I, p. 311 et 512. 

2. Enquête. Déposition de M. L. Lévy, t. II, p. 571. 
5. Lettre au Temps^ 16 janvier 1889. 



DE L'ADMISSION AUX ÉCOLES. 100 

personnelle, mais si propres à faire triompher la 
mnémotechhie et la préparation mécaniquer Les plus 
forts passent malgré tout; mais combien y périssent 
ou sont faussés pour toute leur vie ! Aucun peuple n'a 
adopté dé régime analogue et tous s'accordent à 
regarder le nôtre comme une cause d'affaiblissement 
physique et intellectuel pour notre jeunesse. » 

Le mal s'est développé à mesure que la concur- 
rence devenait plus ardente. Pendant la première 
moitié du siècle, le système est resté presque inof- 
fensif. 11 ne fonctionnait pas encore à outrance. 
Mais quel peut être le remède? 

Quelques-uns, comme Jules Simon, qui a écrit tout 
un chapitre sur ce sujet*, veulent qu'on élève l'âge 
d'admission aux écoles, etque les programmes soient 
faits d'accord entre les ministres de la Guerre et de 
l'Instruction publique. Mais ce ne sont pas tant les 
programmes qui sont mauvais que ce qu'on y ajoute, 
du fait des examens. Élever la limite d'âge, c'est 
donner aux candidats plus de temps pour une prépa- 
ration qui, en se prolongeant, tend à fausser l'esprit, 
à lui enlever tout au moins quelque chose de sa 
fraîcheur. De plus, c'est retarder encore l'entrée dans 
les carrières actives. Un des vices de ce système 
des concours est justement de retenir trop long- 
temps les jeunes gens dans une préparation qui ne 

' 1. Réforme de renseignement secondaire» 



ilO RÉFORME DE L'ENSKIGNEMENT SECONDAIRE. 

les met pas en contact avec les réalités pratiques. 

Nous serions fort tentés d'abaisser, au contraire, 
la limite d'âge, de prendre les candidats non plus 
après une préparation artificielle de deux ou trois 
années, mais au sortir de leurs études, à dix-sept ou 
dix-huit ans au plus tard. Le concours aurait lieu à 
l'école même, pendant toute la durée des études. On 
ouvrirait largement les écoles à tous ceux qui auraient 
fait preuve d'aptitudes à en suivre l'enseignement. 
L'examen serait aussi simple que possible. L'État ne 
promettrait pas de donner des fonctions publiques ou 
des emplois dans l'armée à tous les élèves, mais 
seulement à ceux qui se seraient classés les premiers 
à la sortie. On reviendrait à ce qui se passait à l'ori- 
gine. Les écoles spéciales créées par la Convention 
ne conduisaient pas tous leurs élèves aux fonctions 
publiques ni aux grades dans l'armée. La société n'a 
pas moins besoin que l'État d'hommes ayant fait de 
hautes études scientifiques. L'École polytechnique 
serait la pépinière des écoles professionnelles de l'État 
telles que l'École d'artillerie, l'École des mines ou 
celle des ponts et chaussées. 

C'est un changement auquel nous ne sommes 
peut-être pas suffisamment préparés. Mais ne pour- 
rait-on pas faire un premier pas en soumettant les 
candidats à un examen préliminaire qui serait passé 
à la fin des études? Ce serait un moyen d^affranchir 



DE L'ADMISSION AUX ÉCOLES. Hl 

(les préparations spéciales et prolongées ceux qui se 
font illusion sur leurs chances et sur leurs aptitudes. 
Ils seraient encore assez jeunes pour se retourner 
vers d'autres carrières. On leur rendrait un immense 
service. Les autres feraient une année préparatoire 
après laquelle ils subiraient un concours pour entrer 
dans les diverses écoles. Cette année supplémentaire 
aurait l'avantage de fondre un peu plus les candidats 
de toute origine. Personne ne pourrait s'en plaindre.^ 



1 



I* .^ 



.' 



TROISIÈME PARTIE 



SITUATION COMPAREE 
DE L'ENSEIGNEMENT PUBLIC 

ET 

DE L'ENSEIGNEMENT PRIVÉ 



RIBOT. — RéFOfUlE ENSEIGN. SECOND. 



} 



CHAPITRE XI 

De l'état stationnaire de la population 
des lyoées et des collèges. 



La population des lycées et des collèges ne s'ac- 
croît plus. Elle n'a guère fait de progrès depuis 
vingt ans, et, dans les dernières années, elle a 
marqué une tendance à s'abaissera Cela n'a rien-, 
en soi-même, d'inquiétant. Il y a eu, depuis le com- 
mencement et particulièrement vers le milieu du 
siècle, une poussée si vigoureuse dans l'enseignement 
secondaire, qu'on devait bien s'attendre à un temps 
d'arrêt. D'autant plus que raffaij}lissement de la 
natalité commence à produire ses effets et que les con- 
tingents annuels, où se recrutent les lycées aussi bien 

1. n y a eu, en 1898, une diminution sensible (environ un millier 
d'élèves dans les lycées et collèges réunis). L'augmentation de 
379 élèves qui a été constatée au 5 novembre de cette année (1899) 
est due à l'accroissement du nombre des bourses. Si on défalque, 
en effet, les bourses de l'État, des départements et des communes, 
on trouve que les lycées (non compris ceux de l'Algérie) ont perdu 
par rapport à Tan dernier 466 pensionnaires et 42 demi-pension- 
naires, soit 528 internes, et que le nombre des externes n'a guère 
varié. Les lycées de l'Algérie ont gagné une centaine d'élèves. 



110 UÈFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

que les écoles primaires, ont déjà subi une assez 
forte diminution. 

De 1809 à 1820, l'ensemble des élèves de rensei- 
gnement secondaire a oscillé autour du chiffre de 
50000. On a compté dans ce chiffre tous ceux qui, 
dans les lycées, les collèges ou les institutions, 
faisaient des études classiques ou de simples études 
primaires. En dix ans, de 1820 à 1830, malgré les 
conséquences des désastres de 1814 et de 1815, 
renseignement secondaire a conquis plus de 15 000 
élèves et cet accroissement a surtout profité aux 
collèges de TÉtat et des communes. Survient la 
Révolution de juillet et le progrès s'arrête pendant 
quelques années. De 1830 à 1840, la population sco- 
laire ne s'augmente que de 2 000 élèves et môme les 
collèges publics subissent une légère diminution. /" 

La loi de 1850 donne, tout à coup, un grand élan 
à renseignement privé. Durant la période de 1810 à 
1851, il a gagné plus de 32 000 élèves, tandis que 
renseignement des lycées et des collèges s'accroit, 
asse? péniblement, de moins de 5000 élèves. Les 
années qui suivent, de 1854 à 1865, marquent, au 
contraire, une progression très rapide de Tenseigne- 
moul public. Il y a une augmentation de 19 228 élèves 
dans les lycées et collèges. L'enseignement privé 
reste on arrière, avec un accroissement de 14249 
élèves. Li^s établissements ecclésiastiques profitent 



DE LA CRISE DES LYCÉES. 117 

presque seuls de cette augmentation. Les maisons 
laïques ne font guère que maintenir leurs positions^ 

A partir de 1865, commencé la décadence des mai- 
sons laïques. Elles perdent en onze ans, de 1865 à 
1876, plus de 8000 élèves. Les lycées et les collèges 
tiennent toujours la tête : ils gagnent 13563 élèves, 
Leurs rivaux, les établissements ecclésiastiques, n'en 
gagnent que 11919. Dans l'ensemble, le progrès se 
ralentit. Il s'arrête à peu près de 1876 à 1887. Les 
lycées et les collèges voient leur population s'aug- 
menser encore de 10 671 élèves et les maisons ecclé- 
siastiques gagnent, elles-aussi, 3269 élèves. Mais.ces 
accroissements se font aux dépens des maisons libres 
laïques, qui perdent, en onze ans, plus de 10000 
élèves (11 075). 

Enfin, de 1887 à 1898, la population des établisse- 
ments d'enseignement secondaire a plutôt diminué. 
Elle est en augmentation apparente de 3644 élèves. 
Mais beaucoup d'établissements primaires ont passé 
au cours de cette période dans la catégorie de l'en- 
seignement secondaire. La ruine des maisons laïques 
s'achève rapidement. Elles ont encore perdu 10449 
élèves. Il ne leur en reste que 9725. Les lycées et 
collèges ont vu leurs effectifs baisser légèrement, 
tandis que les maisons ecclésiastiques ont continué 
leur mouvement ascendant. 

Elles ont gagné, dans ces onze années, plus de 



118 RÉFORME DE L'E^'SEIG]NEMENT SECONDAIRE. 

17 000 élèves. Mais ce sont les établissements tenus 
par des prêtres et surtout par les Frères des écoles 
chrétiennes qui ont usé le plus de la faculté de se 
transformer en maisons d'instruction secondaire. 
Plus de 10 000 élèves ont été ainsi transportés en 
bloc de la statistique de l'enseignement primaire 
dans celle de l'enseignement secondaire. Ajoutez 
que le collège Stanislas n'avait pas été compris dans 
les recensements antérieurs à 1898. L'augmentation 
réelle de la population des maisons ecclésiastiques 
est donc loin de correspondre aux apparences. 

Cependant l'enseignement catholique n'a subi, 
sur aucun point, de pertes sérieuses. Il consolide 
presque partout ses positions. Il les étend à Lille, à 
Paris, à Dijon, à Bordeaux, à Lyon, à Poitiers. Au 
contraire, l'enseignement public est en décroissance 
marquée, depuis vingt ans, dans certaines régions. 
Ainsi l'académie de Caen a perdu près de 2000 
élèves. La population est en baisse et la fortune 
publique a beaucoup souffert de la crise agricole. 
L'enseignement ecclésiastique s'y maintient néan- 
moins, et fait même quelques progrès. 

La région de Toulouse n'a pas été moins éprouvée. 
Elle a perdu, depuis 1881, presque la population 
d'un département. La crise économique s'y est fait 
sentir cruellement. Aussi les lycées et collèges ont 
perdu 1156 élèves, tandis que l'enseignement ecclé- 



DE LA CRISE DES LYCÉES. 119 

siastique est demeuré stalionnaire. Les lycées et 
collèges de l'académie de Lille ont 1058 élèves de 
moins qu'en 1879. La perte est ici d'autant plus 
sensible que la population s'est beaucoup accrue et 
que la richesse est en progrès. Les maisons ecclésias- 
tiques ont gagné plus que les lycées et collèges n'ont 
perdu (3253 élèves). 

Dans d'autres régions, la population des lycées et 
des collèges n'a pas cessé heureusement de se déve- 
lopper. Paris est en tête avec une augmentation de 
5580 élèves, deux fois plus considérable que celle 
des maisons ecclésiastiques ou congréganistes (2788 
élèves)'. 

En somme, l'enseignement public garde une 
avance de 20 000 élèves'; mais cet écart tend, 
depuis quelques années, à diminuer. 

Quand on observe de plus près le mouvement de 
la population des lycées et des collèges, on voit qu'ils 
ont moins d'élèves dans les classes primaires*. Cela 
s'explique par la création de nombreuses écoles 
publiques. 11 y avait des collèges et même quelques 
lycées qui tenaient lieu de ces écoles. 

Un autre fait que nous avons déjà constaté dans 

1. L'académie d'Aix a gagné aussi 4 490 élèves, tandis que l'en- 
seignement ecclésiastique ne s'est accru que de 259 élèves. 

2. Nous avons pris la population des maisons ecclésiastiques en 
laissant de côté les petits séminaires. 

5. La perte est de 4500 élèves depuis 1879. 



120 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

les rapports des recteurs et que confirment les sta- 
tistiques, c'est la diminution du nombre des élèves 
qui venaient passer au lycée ou au collège deux ou 
trois années. Il y a douze ans, en 1887, l'enseigne- 
ment spécial recevait en première année, dans les 
collèges, un contingent de 4156 élèves. Au bout de 
deux ans, 41 0/0 de ces élèves avaient déjà aban- 
donné le collège. Ceux qui poussaient les études au 
delà de la quatrième année étaient en très petit 
nombre, à peine 8 0/0. Aujourd'hui, le nombre des 
élèves qui entrent en sixième moderne n'est que de 
3049. La différence est assez considérable. Ces 
jeunes gens s'égrènent encore le long de la route, 
mais beaucoup moins qu'autrefois. Près de la moitié 
vont jusqu'en seconde, c'est-à-dire au delà de la 
quatrième année. Il en est de môme dans les 
lycées*, 
'lilais rien n'est plus remarquable que la décrois- 
sance continue de l'internat ,^ dans les lycées et aussi, 
quoique à un degré beaucoup moindre, dans les 
collèges. En vingt ans, le nombre des pensionnaires 
des lycées a diminué de près d'un quart (23 0/0). Il 
n'y avait plus, au 31 décembre 1898, dans les lycées 
que 13601 pensionnaires, sur une population de 



1. L'enseignement spécial comptait en première année 5217 élèves. 
Il n'y a aujourd'hui que 2893 élèves en sixième moderne. Mais cette 
clientèle est plus stable que celle de l'ancien enseignement spécial. 



DE LA CRISE DES LYCÉES. 121 

52 572 et 10266 dans les collèges sur une population 
de 33 949 élèves. 

Les établissements libres ne subissent pas, en ce 
qui concerne l'internat, la même transformation. 
Il y a bien dans certaines régions une tendance des 
familles à préférer l'externat. C'est pour répondre à 
ce besoin que des externats tenus par des prêtres ou 
des congrégations ont été récemment créés*. Mais ce 
changement n'a rien de précipité dans son allure. 
La statistique montre que les maisons congréganistcs 
sont, après les petits séminaires, obligés en principe à 
ne recevoir que des internes, les établissements qui 
comptent le plus de pensionnaires (55 0/0). Puis 
viennent les établissements diocésains (50 0/0), les 
maisons appartenant à des prêtres séculiers (47 0/0) 
et les maisons libres laïques (45 0/0). Dans les col- 
lèges, la proportion n'est que de 30 0/0 et elle ne 
dépasse pas 26 0/0 dans les lycées. Le contraste est 
tout à fait frappant. 

Si la diminution du nombre des pensionnaires 
dans les lycées n'était que le résultat d'un change- 
ment graduel dans les habitudes des familles, elle 
n'aurait rien d'inquiétant. Peut-être faudrait-il, au 
contraire, s'en réjouir. Elle a malheureusement d'au- 
tres causes. 

1. Enquête. — Déposition de M. Tabbé BatilFol. 



CHAPITRE XII 

De quelques causes de la crise actuelle 
des lycées. 



Ouji^aucoup f^t depuis vingt ans pour changer 
l'aspect dènos lycées, pour donner à l'éducation un 
caractère tout à laJpis plus familial et plus viril, pour 
assurer aux répétiteurs une situation morale plus 
élevée. Cette réforme a été, en elle-même, excel- 
lente. 

Elle a eu, cependant, des contre-coups inattendus. 
L'ardeur des polémiques qui l'ont précédée n'a pas 
été sans influence sur la diminution du nombre des 
élèves dans les lycées. L'internat a été surtout mal- 
mené. On Ta dénoncé, comme si on était maître de 
le supprimer. Qui sait le mal que cette campagne 
imprudente a faite à nos lycées? Il se produit aujour- 
d'hui une sorte de réaction en faveur de l'internat. 
Le recteur de Bordeaux ose écrire' que, « dans l'état 
actuel de la famille, neuffoia sur dix, l'internat vaut 
mieux que l'externat ». Son expérience lui a montré 



DE LA CRISE DES LYCÉES. 123 

qu'à part quelques exceptions, les meilleurs élèves 
sont les internes. La vie du lycée a l'avantage de 
développer, de bonne heure, chez l'enfant des qua- 
lités d'ordre, de régularité, d'endurance. Elle rappro- 
che des enfants de conditions inégales. C'est un 
prêtre, le recteur de l'Institut catholique d'Angers, 
qui en fait la remarque. Mais toutes les familles 
n'apprécient pas également cette fusion que le lycée 
prépare entre les classes de la société. Les déposi- 
tions de certains directeurs de maisons ecclésiasti- 
ques nous montrent qu'une partie de leur succès 
vient précisément de ce qu'ils donnent à ces pré- 
jugés monâkîns des satisfactions que l'Université 
s'interdit de leur accorder*. 

Le système d'éducation de l'Université n'a pas été 
moins attaqué depuis vingt ans que l'internat. Ces 
attaques sont presque aussi anciennes que l'Univer- 
sité elle-môme. Guizot a dit, en présentant le projet 
de la loi de 1836, que « dans l'Université impériale, 
Téducation ne valait peut-être pas l'instruction ». 
Ce mot a fait fortune. On s'en est servi, à toutes les 
époques, contre l'Univefrsité, sans tenir compte des 
profonds changements qui se sont opérés. « Ce n'est 
pas d'aujourd'hui, écrivait déjà en 1844 le duc de 
Broglie dans son rapport à la Chambre des pairs, 

1. Enquête. — Dépositions de M. l'abbé Girodon et de M. l'abbé 
BatitTol. 



124 RÉFORME DE L•E^■SEIG^'EHE^'T SECONDxVIRE. 

qu'oYi dit : il n'y a pas d'éducation dans les collèges. 
Cela s'est dit dans tout temps, cela se dit dans tous 
les pays. Il y a toujours dans l'accusation quelque, 
chose de vraie et quelque chose d'excessif. L'éduca- 
tion publique ne saurait être l'éducation domesti- 
que.... » / 

Un des principaux avantages que l'éducation du 
lycée a sur celle des maisons privées et, en particu- 
lier des maisons ecclésiastiques, c'est justement de 
ne pas tenir l'enfant dans une atmosphère trop fer- 
mée, en serre chaude, de l'élever au contraire en 
plein air « en plein vent, dans un monde où les élé- 
ments variés de la vie morale existent et se tempè- 
rent* ». Elle n'a pas la prétention de prendre l'enfant 
tout entier, de le façonner et de le refondre. 

L'éducation ecclésiastique vise à s'emparer plus 
complètement de l'âme de l'enfant; souvent, il est 
vrai, elle s'arrête à la surface*. 

Thiers opposait, en 1844, la forte éducation du 
lycée, oùricn, disait-il, n'est individuel, qui s'adresse 
à l'esprit comme au cœur des enfants par des moyens 
qui sont communs à tous, à l'éducation des maisons 
privées, où les enfants sont surveillés de plus 
près, soumis à une direction plus personnelle 
et plus attentive. 11 laissait aux familles le soin de 

1. Bersot. — Questions d* enseignement^ p. 189. 

2. Enquête, — Déposition de Mgr Mathieu. 



DE LA CRISE DES LYCÉES. 125 

choisir entre ces deux sortes d'éducation. On doit 
reconnaître que les parents tiennent, plus qu'autre- 
fois, à ce que les enfants reçoivent des soins indivi- 
duels, à ce que les maîtres s'appliquent à distinguer 
la personnalité de chacun d'eux, à suivre leur déve-' 
loppement moral, à les guider dans leurs études*, 
-.^es réformes de 1890 ont élevé la tâche des pro- 
viseurs et de leurs collaborateurs à tous les degrés. 
Elles ont eu pour but de substituer le régime de l'au- 
torité a celui de la contrainte. Comment s'étonner 
qu'elles n'aient pas donné du premier coup tous les 
résultats qu'on en espérait, qu'il y ait eu une période 
de crise partout ou proviseurs et maîtres n'étaient 
pas suffisamment préparés à ce nouveau régime? 
Comment s'étonner surtout que les grands lycées, 
qui comptent trop d'élèves, se prêtent plus difficile- 
ment que les autres à ces transformations, que la 
discipline ait une tendance à s'y relâcher depuis 
qu'elle est moins militaire? 11 eût fallu, pour le 
succès complet de la réforme, que les proviseurs 
eussent partout une autorité et des qualités de di- 
rection qui ne se sont pas toujours rencontrées. 
Ajoutez qu'ils n'ont pas été toujours suffisamment 
aidés dans leur tâche. Les répétiteurs, à mesure que 
s'élève leur situation, supportent plus difficilement 

1 . Enquête. — Déposition de M. Beck, directeur de TÉcole alsa- 
cienne. 



126 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

qu'on ne fasse pas droit à toutes leurs réclamations. 
Leurs rapports avec les proviseurs se sont partout 
tendus, alors que l'unité de vues et d'efforts était 
plus que jamais nécessaire. Certains écarts n'ont pas 
été réprimés assez vite. Les lycées en ont souffert. 

Voilà l'explication de quelques-uns des mécomptes 
que l'Université a éprouvés depuis quelques années. 
Les améliorations qu'elle a introduites dans le ré- 
gime des lycées, dans la discipline, dans la situation 
des répétiteurs, se sont, en partie, retournées contre 
elle. 



L^ 



CHAPITRE XIII 
De rélévation du prix de la pension. 

L'élévation du prix de la pension et des frais d'étu- 
des a été, pour beaucoup, dans la diminution de la 
clientèle des lycées et collèges. C'est un poijit sur 
lequel insistent tous les recteurs et tous les chefs 
d'établissements. Dans bien des régions, la fortune 
publique a baissé. Les familles ne peuvent plus 
s'imposer les mêmes sacrifices pour l'éducation de 
leurs enfants. C'était pour beaucoup d'entre elles 
une sorte de luxe d'envoyer un de leurs fils, tout 
au moins, au lycée ou au collège. On est forcé de 
prendre le chemin de l'école primaire supérieure ou 
de demander à l'enseignement libre des conditions 
plus favorables. 

Guizot avait prévu, en 1836, que l'État aurait à se 
défendre contre la concurrence de l'enseignement 
privé. Il voulait, avec une grande hauteur de vues, 
que rÉtat, pour assurer la prééminence nécessaire 
de son propre enseignement, prît en quelque sorte 



f 

\ 

128 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

les devants en abaissant, autant que possible , le 
prix de la pension dans ses établissements. C'était à 
ses yeux un sacrifice qa'il fallait faire sans hésiter 
et dont l'État ne manquerait pas de recueillir les 
avantages. « Que l'État, disail-il, ne croie pas, en | 

donnant la liberté aux établissements privés, se dé- 
charger d'uYi faradau. Il accepte, au contraire, un 
fardeau immense, car il accepte la nécessité, le de- 
voir de soutenir avec succès, avec éclat, une con- 
currence infatigable.... La prééminence des études 
publiques doit remplacer le monopole. » 

Les familles sont peu portées, en France, à dé- 
penser dans une vuô haute et lointaine, d'autant 
plus que les fortunes sont, en général, médiocres. 
L'enseignement privé exploitera avec ardeur ce pen- 
chant des familles. « Il faut que l'État assure à ses 
frais et complètement, dans les collèges royaux , le 
sort des administrateurs et des professeurs, au point 
que le prix de la pension puisse être notablement 
abaissé. » A cette condition la pleine liberté des 
établissements privés sera sans inconvénient. « Quels 
que soient les sacrifices nécessaires pour atteindra 
le but, ce sera là une dépense sage, prudente, une 
de ces dépenses qui rapportent en ordre public, en 
vraies lumières , en bon état des esprits, infiniment j 

plus qu'elles ne coûtent en argent. »^/ J 

Il semble qu'on ait cherché, au contraire, pen- 



DU PRIX DE U PENSION. 129 

dant longtemps, à réduire le plus possible la pari 
de l'État dans les dépenses de l'enseignement secon- 
daire. Dans les dernières années de l'Empire, la 
subvention de l'État ne s'élevait guère qu'à trois 
millions; les familles payaient presque tout le sur- 
plus des dépenses. Peu à peu le déficit a grossi, par 
suite de l'augmentation du traitement et du nombre 
des professeurs. 

On a cru faire un acle de bonne politique finan- 
cière en élevant tout à coup le prix de la pension. 
Mais cette élévation a coïncidé avec la crise qui 
sévissait dans les campagnes. Le résultat a été, en 
beaucoup d'endroits, désastreux. Au lieu de meitre 
en équilibre les budgets des lycées, on n'a fait 
qu'augmenter le déficit.^ 

11 importe de mettre ces faits en lumière. 

A Marseille, le lycée a perdu J58 internes sur 316. 
Cependant le nombre des internes s'est accru dans 
les pensionnats libres. Les familles ne sont donc pas 
opposées, en principe, à l'internat. Mais le proviseur 
signale les prix trop élevés de la pension. Ils varient 
de 800 à 1000 francs. Beaucoup de familles sont 
allées chercher ailleurs un enseignement qui, d'après 
l'inspecteur d'académie, ne répond pas à leurs pré-, 
fcrences. De môme à Aix, le lycée a perdu, en quel- 
ques années, 104 pensionnaires. 

Dans l'académie de Montpellier, la crise viticole a 

RIBJT. — BÉFORME ENSEIGN. SEC03CD* 9 



150 RÉFOiniE DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

fait de grands ravages. 11 y a 8 collèges dans le seul 
département de rilcrault, sans parler du lycée de 
Montpellier. Tous ces établissements ont perdu une 
grande parlie de leur clientèle. Dans l'Aude, le lycée 
de Carcassonne a vu sa population d'internes tomber 
de 461 à 177. Cette diminution est due surtout, nous 
affirme le recteur, aux mesures prises pour élever le 
prix de la pension au moment où le phylloxéra sévis- 
sait le plus cruellement. 

11 en est de môme dans l'académie de Toulouse. 
« Peu d'habitants de la campagne, dit l'inspecteur 
d'académie, ont aujourd'hui assez d'aisance pour 
entretenir leurs fils pendant les six ou sept années 
que demandent des études classiques ou modernes. » 
Dans l'Aveyron, le nombre des internes est tombé de 
530 à 125. « La clientWe de l'enseignement secon- 
daire est restée la môme; mais elle s'est déplacée. 
Elle est allée chercher des prix moins élevés. » Le 
Gers a beaucoup souffert de la crise agricole. L'inter- 
nat y est atteint comme ailleurs « non pas, dit l'in- 
specteur, que les familles s'en détournent de parli 
pris ; mais il est trop cher pour elles ». Dans le Tarn, 
le lycée d'Albi a perdu 96 internes de 1881 à 1898. 
« Les prix élevés de nos internats, dit l'inspecteur, 
ne sont plus en rapport avec le rendement de la 
terre. » 

Nous entendons la môme plainte dans l'académie 



DU PRIX DE LA PENSCO.N. 131 

de Bordeaux. C'est ainsi que dans le Lol-et-Garonne 
Tinspecteur d'acadéuiie explique que riaternat ne 
répugne pas aux familles, mais que la pension est 
trop élevée. « Dans les écoles primaires supérieures, 
(oui ce qui est destiné à Tinternal est complètement 
rempli. » A Périgueux et dans le reste du départe- 
ment, il y a diminution du nombre des internes. 
« L'Université, dit-on, fait payer trop cher.... L'in- 
ternat était de 500 francs au lycée, en 1892, au mo- 
ment où commençait la crise agricole. On Ta élevé à 
750 et 800 francs. » Les élèves sont allés dans les 
internats que tiennent beaucoup d'instituteurs. Quel- 
ques-unes de ces écoles ont jusqu'à 80 internes. 
Ce sont de petits collèges d'enseignement mo- 
derne. 

A Bordeaux, le lycée n'a plus que 317 pension- 
naires au lieu de 513 qu'il comptait en 1883. « Cette 
diminution a pour cause l'élévation démesurée du 
prix de la pension. » 

Dans la région du centre, le lycée de Guérel, celui 
d'Aurillac sont en baisse pour des causes analogues. 
L'inspecteur d'Indre-et-Loire fait remarquer, de son 
côté, que l'élévation des tarifs, en 1887, a coïncidé 
avec la crise économique. Ainsi, au lycée de Tours, 
le nombre des élèves est tombé subitement de 579 à 
527, puis à 488. Limoges a perdu la moitié de ses 
internes depuis 1881. Les familles ont pris l'habi- 



132 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

tude de placer leurs enfants à prix réduits dans les 
institutions privées. ^ 

Le recteur de Lyon signale, lui aussi, Tinfluence 
désastreuse des prix trop élevés. Au petit lycée de 
Saint-Rambert, il y avait 300 internes; il n'y en a 
plus que 137. Le prix de la pension est de 900 francs 
pour les élèves de sixième et de 800 francs pour ceux 
des classes élémentaires. Le grand lycée a perdu éga- 
lement plus de la moitié de ses internes (309 en 1898 
au lieu de 674 en 1885). « Nos exigences, dit l'in- 
specteur d'académie, découragent les meilleures 
volontés. » 

On trouve la même note dans la région du Sud-Est 
et de l'Est. « C'est la concurrence à bon marché, dit 
l'inspecteur du Jura qui ruine nos établissements. » 
A Besançon, le proviseur insiste sur la difficulté 
qu'éprouve la petite bourgeoisie à payer les prix de 
pension devenus trop élevés. Il ajoute que « la raison 
d'économie a la môme influence sur plus d'un ménage 
d'officiers. » Le lycée de Bar-le-Duc a perdu, en 
vingt ans, 38 pour 100 de son effectif. Les collèges 
n'ont perdu que 14 pour 100, parce que les prix y 
sont moins élevés et plus souples. 

A l'Ouest, les choses se passent de môme. Ainsi, 
dans la Manche, c'est surtout l'internat qui a souffert. 
Le département a perdu 100 000 habitants en un 
demi-siècle. Le recrutement des collèges est devenu 



DU PRIX DE U PENSION. 135 

difficile. Il s'est arrêté en 1885 au début de la crise 
agricole. Mais « c est à partir de 1890, au lendemain 
de l'augmentation des prix de la pension, que la 
diminution s'est accentuée ». Dans l'académie de 
Rennes « le taux de la pension et celui des frais 
d'études sont trop élevés. La situation a souvent ému 
les chefs d'établissements et les bureaux d'admi- 
nistration. Ces relèvements du prix de la pension ont 
été d'autant plus fâcheux qu'ils se sont produits au 
moment où les fortunes ont diminué ». Le lycée de 
Rennes, pour ne citer qu'un exemple, a perdu plus 
de la moitié de ses internes. 

Enfin, la région du Nord, malgré son développe- 
ment industriel, n'échappe pas au sort commun. 
Dans l'Aisne, dans les Ardennes, dans le Pas-de- 
Calais, dans la Somme, nous entendons s'élever les 
mêmes plaintes et les mêmes réclamations. 
Qu'y a-t-il donc à faire? 

Réduire, autant que possible, les frais d'études, de 
manière à permettre aux bureaux d'administration 
des lycées de réduire le prix total de la pension. En 
Prusse, les frais d'études, dans les gymnases, ne 
dépassent pas d'ordinaire 150 francs (120 marks). 
Aussi l'État et les communes supportent-ils une 
charge de près de 29 millions de francs (25 millions 
de marks) sur un budget total de l'instruction secon- 
daire de 54 millions de francs (43 millions de marks). 



154 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Chez nous, les déficils des budgets des lycées ne dé- 
passent pas 12 à 13 millions de francs. Ajoutez à 
cette somme ce que TÉlat paye pour les dépenses des 
collèges communaux et pour les bourses, nous som- 
mes encore assez loin de la somme que la Prusse 
s'impose pour le budget de renseignement secon- 
daire. Si renseignement, à tous ses degrés, est un 
grand service public, l'État doit naturellement 
prendre à sa charge la plus forte partie des dépenses 
de renseignement secondaire, comme il fait pour 
renseignement supérieur, sans aller toutefois jusqu'à 
la gratuité. ^ 
^ Ce sera une charge de plusieurs millions. Mais on 
peut la diminuer par une meilleure organisation de 
l'enseignement dans les lycées. 11 y a beaucoup de 
forces perdues. On a créé trop d'emplois ; les chaires 
ont été multipliées sans qu'il y eût toujours néces- 
sité de le faire. Dans certains lycées, la dispropor- 
tion entre le nombre des élèves et celui des profes- 
seurs et des répétiteurs est tout à fait choquante. On 
peut citer tel lycée où le professeur de sixième qui 
est un agrégé, reçoit un traitement de près de 
6000 francs pour faire la classe à quatre élèves. 
Dans le même lycée, le professeur de cinquième est 
aussi un agrégé. Il a cinq élèves. Quelle nécessité y 
a-t-il de ne mettre que des agrégés dans des lycées 
qui, par leur importance et le nombre de leurs 



DU PRIX DE LA PENSION. 135 

élèves, ne s'élèvent pas au-dessus d'un simple col- 
lège*? V. Duruy, étant ministre de l'Instruction 
publique, trouvait que c'était un abus de mettre sur 
le même pied tous les établissements. « Dans tel 
collège, écrivait-il, où la rhétorique a six élèves, la 
classe dure deux heures comme la rhétorique à 
Louîs-le-Grand. Qu'on fasse la classe plus courte. » 
Le professeur, qui n'a guère de devoirs à corriger, 
pourra aisément faire deux classes, au lieu d'une 
seule. Que serait-ce, ajoutait Duruy, si, au lieu de 
s'obstiner à maintenir la division en classes, jusque 
dans les plus petits établissements, on prenait le 
parti de grouper les élèves d'après leur force? 
Nous aurions de meilleures études et les économies 
de personnel seraient considérables. « Le lycée de 
Mont-de-Marsan, qui avait soixante et un élèves clas- 
siques, a pu marcher en 1864 avec trois professeurs 
de latin et il a eu des succès. ». ■ \^ 

Nous nous sommes trop écartés, depuis vingt- 
cinq ans, de ces idées si sages de V. Duruy. 11 fau- 
drait y revenir. 

1. La démarcation qui existe actuellement entre les lycées et les 
collèges n'a aucune base sérieuse. N'est-il pas temps de préparer 
Tunitication des cadres du pei^onnel de ces établissements, de ma- 
nière que le Ministre puisse, suivant l'importance de telle maison, 
lui donner des agrégés ou des professeurs munis simplement de la 
licence? Voir, à ce sujet, le rapport de M Ermaiit. 



CHAPITRE XIV 

De rinsuifisance du nombre des établissements 
publics d'enseignement secondaire dans cer- 
taines régions et de leur état défectueux. 



Depuis vingt ans, les établissements ecclésias- 
tiques se sont multipliés. Ce grand effort qui se 
poursuit sur tout le territoire a été conduit avec 
beaucoup de méthode et d'intelligence. Les maisons 
sont établies sur des types différents et se mettent à 
la portée de tous les besoins, de tous les goûts et de 
toutes les bourses. Ici, un collège de jésuites où la 
pension est élevée et attire une clientèle riche. Là, 
une maison dirigée par des prêtres séculiers où la 
pension est moins élevée; à côté, le petit séminaire 
qui, grâce à la modicité de la pension, reçoit beau- 
coup d'enfants de la campagne. Dans les grandes 
villes, comme Paris et Lyon, ont été créés des exter- 
nats ecclésiastiques qui conduisent leurs élèves aux 
classes des lycées. Tous ces établissements se sont 
réservé l'enseignement classique. 



INSUFFISANCE DES COLLÈGES. 137 

L'enseignement moderne est donné, le plus sou- 
vent, dans des établissements séparés que dirigent 
les Frères des Ecoles chrétiennes. Il y est associé, 
combiné sous des formes diverses, avec l'enseigne- 
ment primaire supérieur et l'enseignement profes- 
sionnel. Ce type d'établissement, qui est l'union, la 
pénétration réciproque de l'enseignement primaire 
supérieur et de l'enseignement moderne, offre aux 
familles de grands avantages*. En s'accommodant 
aux habitudes du pays et en s'ingéniant à lui offrir 
toutes les variétés d'enseignement pratique, les con- 
grégations étendent peu à peu leur clientèle et font 
une concurrence redoutable aux établissements de 
l'État'. 

Celui-ci a multiplié les lycées, il subventionne les 
collèges communaux; il a créé des écoles primaires 
supérieures et des écoles pratiques de commerce et 
d'industrie. Mais ces efforts n'ont pas été suffisam- 
ment coordonnés. S'il y a, en certains points, une 
abondance trop grande de ressources dont une 
partie reste sans emploi, en d'autres points, souvent 
très importants, l'Etat et les communes n'offrent pas 
aux populations les facilités nécessaires. De grands 
lycées auraient dû être, depuis longtemps, dédou- 
blés. On y étouffe. Voici, par exemple, la ville de 

1. Enquête, — Rapport au Conseil général du Lot-et-Garonne 

2. Enquête. — Rapport au Conseil général du Finistère. 



138 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Lyon; elle n'a qu'un lycée, avec une succursale à 
Saint-Ramberf pour les jeunes élèves. 

Si nous étions en Allemagne, il y aurait dans une 
ville comme Lyon, dix ou douze gymnases ou écoles 
réaies. Le lycée de Lyon acompte jusqu'à! 660 élèves ; 
il n'en a plus que 1 400. Croil-on qu'il puisse suffire 
aux besoins d'une grande ville? Le recteur ne le 
pense pas. « Une des causes principales, dit-il, de 
notre infériorité, réside dans le petit nombre des 
établissements de l'État, alors que nos concurrents 
accroissent chaque année leurs forces, soit en con- 
stituant de nouveaux bâtiments, soit en créant de 
toutes pièces des institutions nouvelles. » Dans la 
seule ville de Lyon, dix maisons ecclésiastiques ont 
été ouvertes depuis 1880. 

L'enseignement public secondaire ne dispose, dans 
le département du Rhône, que du lycée de Lyon et 
du collège de Villefranche. Ces deux établissements 
doivent subir la concurrence de vingt et une mai- 
sons ecclésiastiques et de neuf maisons laïques. Aussi 
n'ont-ils, à eux deux, que 1 585 élèves, tandis que 
tous les autres en ont 2 368, sans compter les petits 
séminaires. Ajoutez que le lycée de Lyon est mal 
installé, dans de vieux bâtiments. On s'occupe d'en 
(M'écr un nouveau. Cela devrait être fait depuis long- 
temps. 

Ce que nous avons vu h Lyon, nous pourrions le 



INSUFFISANCE DES COLLÈGES. 159 

voir dans presque toutes nos grandes villes, à Bor- 
deaux, à Lille, à Marseille. 

Il y a des arrondissements qui n'ont ni un lycée, 
ni un collège communal, ni môme une école pri- 
maire supérieure. Ce sont parfois les arrondisse- 
ments les plus riches et les plus peuplés. Ainsi, dans 
la Meuse, toute la région comprise entre Verdun et 
la Belgique, région très étendue puisqu'elle repré- 
sente à peu près le tiers du département, est abso- 
lument dépourvue d'élablissements d'enseignement 
secondaire ou d'enseignement primaire supérieur*. 
Lechamp est largement ouvert à la propagande des mai- 
sons ecclésiastiques qui s'y sont fortement établies. 

Le Finistère n'est pas mieux partagé. Il n'y a dans 
toute la partie méridionale, sauf le lycée de Quim- 
per, aucun établissement public d'enseignement 
secondaire. On y a créé trois écoles primaires supé- 
rieures, mais elles sont mal placées et se font con- 
currence, tandis qu'ailleurs on manque de tous 
moyens d'instruction en dehors des écoles primaires^^ 

Il y avait, en 1879, quinze collèges communaux 
dans le département du Nord. Cinq ont disparu ; l'un 
d'eux a été transformé en lycée, quatre ont été sup- 
primés, mais ils ne sont morts que pour renaître 



1. ^fiytiéte. — Rapport de M. R. Poincaré au Conseil général de la 
lieuse. 

2. Enquête. — Rapport de M. Hémon au Conseil général du Finistère. 



140 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

SOUS la forme d'établissements ecclésiastiques. On 
compte aujourd'hui vingt-neuf maisons ecclésias- 
tiques, au lieu de douze qui existaient dans le dépar- 
tement il y a vingt ans. Les maisons laïques se fer- 
ment les unes après les autres (il n'en reste que trois 
dans le département). Ce n'est pas l'État qui recueille 
leur succession; elle va aux établissements ecclé- 
siastiques. L'autorité diocésaine, de qui dépendent 
tous ces établissements, étend son réseau sur le 
déparlement. 

Dans l'arrondissement d'Hazebrouck, un des plus 
peuplés et des plus riches, il n'y a qu'un petit col- 
lège communal qui a failli être supprimé, il y a trois 
ans et qui se relève grâce à l'intelligence d'un nou- 
veau principal. Cela ne peut suffire à l'arrondisse- 
ment tout entier ; il n'y a, au chef-lieu, ni collège, 
ni école primaire supérieure. Le collège communal 
a été remplacé par un établissement ecclésiastique 
qui s'est constitué à côté du petit séminaire. Com- 
ment s'étonner que, dans cet arrondissement et dans 
le département tout entier, l'enseignement public 
ait perdu du terrain et que l'enseignement ecclé- 
siastique en ait gagné? 

Ce n'est pas sans inquiétude que nous voyons ainsi 
disparaître des collèges communaux. Sans doute, on 
s'est plaint à toutes les époques de la multiplicité 
des petits collèges et de la dispersion de l'enseigne- 



INSUFFISANCE DES COLLÈGES. 141 

ment secondaire*. Si l'on ne considère que Tintérêt 
des fortes études, peut-être vaudrait-il mieux, en 
effet, réunir les élèves dans de plus grands établis- 
sements, où ils trouveraient toutes les ressources 
d'un enseignement bien organisé. Mais les familles 
tiennent à ne pas se séparer de leurs enfants. On ne 
peut faire violence à leurs habitudes. D'ailleurs, un 
collège peut rendre des services qu'on ne saurait 
attendre d'un lycée. Son organisation peut se plier 
plus aisément aux exigences des populations, com- 
biner et fonder des enseignements variés, pour satis- 
faire à tous les besoins. C'est ce qu'avait bien com- 
pris la loi du 11 floréal an X. La simplicité des 
moyens était le caractère de ces établissements. Plus 
tard, on s'est trop cffbrcéde les modeler sur les 
lycées '. Il faudrait les ramener à une organisation 
aussi simple et aussi souple que possible, leur don- 
ner des maîtres en petit nombre, mais égaux en 
science et en dévouement à ceux des lycées. 

Dans les arrondissements où l'État ne peut pas 
compter sur la participation des communes, il y a 
des mesures à prendre pour que ces arrondissements 
ne soient pas privés de tout établissement public 
secondaire. 



1. Enquête. — Déposition de M. Emile Bourgeois. 

2. V. Duruy. — Rapport de 1865 sur la statistique de Renseigne" 
ment secondaire. 

{ 



142 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Voici une région où il n*y a pas un seul collège 
communal ; les villes se refusent à faire aucun sacri- 
lice, ou bien elles ne veulent pas d'autre enseigne- 
ment que l'enseignement ecclésiastique. C'est à ce 
dernier qu'elles réservent leurs subventions. Que 
peut faire l'État? Créer un lycée, cela coûte trop 
cher. Forcer la résistance des communes, cela n'est 
pas possible dans l'état de la législation. Serait-ce, 
d'ailleurs, bien désirable? Il faut respecter l'indé- 
pendance des communes. Mais ce n'est pas toucher 
à cetle indépendance que de chercher les moyens de 
faire sans leur concours ce qu'elles ont refusé de 
faire. Qu'on s'adresse, à défaut de la commune, au 
département. S'il refuse, à son tour, pour des motifs 
tirés de l'état de ses finances ou pour toute autre 
raison, l'État doit-il s'arrêter et avouer son impuis- 
sance? 

Si on savait que l'État est disposé à lui faciliter sa 
tache, une société pourrait se former pour créer 
l'élablissement universitaire dont le besoin se fait 
sentir. Pourquoi l'État lui refuserait-il la subvention 
que la commune a repoussée ou dédaignée? A 
défaut d'une société locale, un professeur de l'Uni- 
versité se présente; il demande pour lui-même cette 
subvention. Avec le patronage et l'assistance effec- 
tive de l'État, il offre de créer et de diriger un col- 
lège. Il se soumet aux inspections et il accepte les 



LNSUFFISANCe/dES collèges. Uô 

programmes des établissements publics. 11 demande 
au ministère d*auloris(/r quelques professeurs de 
collège à se joindre à liii sans rompre les liens qui 
les attachent à l'Université. Ce collège, d'un nou- 
veau type, sera une heureuse combinaison de Teffort 
d'un particulier et de celui de l'Élat. 11 aura peut- 
être plus de vie propre qu'un collège ordinaire, il se 
pliera mieux aux nécessités locales. Qui sait si nous 
ne trouverons pas dans celte forme nouvelle d'asso- 
ciation un moyen de remédier, en certaines régions, 
5 la ruine des institutions laïques? 

Ce que nous demandons se fait déjà pour les 
cours secondaires des jeunes filles. Là où il trouve 
une municipalité négligente ou hostile, le ministre 
n'hésite pas à accorder la subvention de l'État à une 
institutrice qui offre les garanties nécessaires. 11 n'a 
eu qu'à se féliciter des résultats. Ce ne serait donc 
pas tout à fait une nouveaulé. Qu'on essaye dans un 
certain nombre d'arrondissements. Nous sommes 
heureux d'avoir pu nous mettre d'accord avec M. le 
ministre de l'Instruction publique sur celte question 
dont nous sentons toute l'importance et que nous 
recommandons de toutes nos forces à l'attention de 
la Chambre des députés. 

Quoiqu'on ait beaucoup fait, depuis quelques an- 
nées, pour améliorer les établissements universi- 
taires, au point de vue de leur installation matérielle, 



144 REFORME DE L'ENSEIGiNEMENT SECONDAIRE. 

il y a encore, sur bien des points, des dépenses à 
faille et qu'on ne peut ajourner plus longtemps. Le 
lycée d'Avignon, par exemple, est établi dans des 
bâtiments vieux et incommodes, tandis que l'institu- 
tion rivale offre à sa clientèle une installation pres- 
que luxueuse*. A Nice, le lycée est en décroissance. 
« L'aspect de cette vieille maison, dit l'inspecteur 
d'académie, n'est pas de nature à séduire une clien- 
tèle difficile. » Au contraire, les établissements 
ecclésiastiques de la région doivent, en partie, leux 
prospérité à la supériorité de leur installation maté- 
rielle. 

^Le recteur de Bordeaux explique que les congré- 
gations son; riches et qu'elles consacrent leurs 
recettes au luxe et au confort de leurs maisons. La 
lutte devient de plus en plus difficile pour les éta- 
blissements publics; car les familles ne se contentent 
plus de ce qui leur suffisait, il y a cinquante ans. 
C'est ce que dit aussi le proviseur du lycée de Rouen 
où l'internat subit, depuis quelques années, une 
baisse continue. « Dans un temps, dit-il, où on élève 
si mollement les enfants, la plupart de nos lycées, et 
€eluide Rouen en particulier, ne peuvent pas encore, 
sous le rapport du confort, soutenir la comparaison 
avec les établissements rivaux. » 

Le lycée de Nevers est en déclin. « Son avenir, 

Ik Rapport de l'inspecteur d*académie. 



INSUFFISANCE DES COLLÈGES. 145 

écrit rinspecteur d'académie., paraît fort compromis 
si on ne lui porte un prompt remède, d'abord en le 
reconstruisant, car il menace ruine. » On a con- 
struit, dans la même ville, un établissement libre. 
Le contraste, ajoute l'inspecteur, éclate à tous les 
yeux, entre ces bâtiments neufs et l'état de délabre- 
ment qu'on a signalé tant de fois au lycée. 

A Paris même où des millions ont été si mal em- 
ployés à la construction du lycée Lakanal, qui devait 
avoir six cents pensionnaires et qui n'en a que deux 
cents, le lycée Charlemagne manque d'air et de 
lumière. Il n'a même pas un parloir, ni une entrée 
qui soit digne d'un grand établissement*. 

Si nous voulions parler des collèges, que n'au- 
rions-nous pas à dire encore ' ! 

Nous avons voulu montrer que si l'enseignement 
public est aujourd'hui menacé, cela ne tient pas 
seulement à des causes d'ordre moral, mais aussi à 
des raisons matérielles et financières qui n'échap- 
pent pas à l'action du législateur. 



1 . Enquête. — Déposition du proviseur. 
2. Voir ce que dit à ce sujet M. Botroux. — Enquête, 



t. I, p. 330. 



RIBOT. — RéFORME ESSEIG9. 8EG05D. 10 



CHAPITRE XV 

De quelques causes morales qui rendent 

plus difficile le recrutement des lycées. 

De la liberté d*enseignement. 



"^ Il s'est produit, depuis quelques années, dans la 
clientèle des lycées, des changements qui ont eu 
pour effet d'éloigner de l'enseignement public une 
partie des familles qui lui avaient été les plus fidèles. 
A mesure que l'enseignement public s'est mis, 
comme il devait le faire, à la portée des enfants de 
l'origine la plus humble, qui veulent s'élever par le 
travail et Tintelligence, il j a eu dans une portion 
de la bourgeoisie un mouvement de recul, plus in- 
stinctif que raisonné.. De même que les familles 
riches ou aisées ne veulent pas envoyer leurs enfants 
aux écoles primaires publiques, la bourgeoisie a pris 
peu à peu l'habitude de confier aux maisons. ecclé- 
siastiques secondaires l'éducation de ses fils. Cela 
est devenu une affaire de mode dans beaucoup de 
régions. Il se mêle, d'ailleurs, à ces entraînements 



J 



>N 



DE Li LIBERTE DTNSEIGNEMEST. 141 

mondains quelques calculs intéressés. On suppute 
les avantages des relations que la vie de collège 
peut assurer pour l'avenir. Les congrégations sont 
habiles; elles suivent leurs élèves d'un regard bien- 
veillant et discret. Leur patronage n'est pas inutile 
dans certaines carrières et dans les occasions impor- 
tantes de la vie. L'opinion s'est d'ailleurs répandue 
que l'éducation, dans les maisons ecclésiastiques, 
est l'objet de soins qu'on ne trouve pas dans les 
lycées. Peu à peu les familles qui ont de l'aisance 
ont pris le chemin de ces établissements^ d'autant 
plus que l'influence de la mère, devient de plus en 
plus grande dans tout ce qui touche à l'éducation 
des enfants. 

Des convictions religieuses infiniment respectables 
dirigent souvent le choix des parents. Il s'est fait un 
changement dans les idées d'une partie de la bour- 
geoisie; elle s'est rapprochée de l'Église catholique.. 
La vivacité des querelles religieuses a eu pour ré- 
sultat d'amener une séparation plus tranchée entre 
des familles dont les fils étaient élevés autrefois côte 
à côte au lycée. Jamais la société française n a été 
plus divisée, et ses divisions ont pris un caractère 
social et religieux plus encore que politique. Sous 
l'Empire, il y avait dans les lycées des enfants de 
tous les partis. On tend de plus en plus à se former 
en deux camps. Ce qui faisait autrefois une supério- 



148 RÉFORME DE LENSEIGKEMENT SECONDAIRE 

rité de l'éducation du lycée, cet esprit de large tolé- 
rance, qui a toujours été Thonneur de l'Université 
est traité d'indifférence, parfois même d'irréligion 
d'État ^ Le terrain neutre où se rencontraient toutes 
les croyances, çt où les enfants apprenaient, dès leur 
plus jeune âge, à s'estimer et à se supporter malgré 
la différence des origines et la divergence des opi- 
nions, se rétrécit peu à peu, au grand dommage du 
pays qui ne se reconnaît pas toujours dans les jeunes 
générations.) 

L'Université s'inquiète avec raison de ne plus 
trouver dans les régions moyennes de la société le 
même appui qu autrefois. Des fonctionnaires publics 
eux-mômes, des officiers montrent une tendance à 
préférer à l'éducation de nos lycées celle des mai- 
sons ecclésiastiques. Le gouvernement impérial 
u'ertt pas toléré que les hauts fonctionnaires don- 
nassent avec éclat à leurs subordonnés l'exemple de 
leur dédain pour rUnivei^silé. On peut reprocher au 
gouvernement de la République d'avoir manqué de 
formolé dans ses desseins cl dans^ sa conduite. On a 
confondu, il y a vingt ans, la queslion de la liberté 
de ronseigneuient et celle des congrégations reli- 
gieuses non autorisées. Celte politique n'a réussi 



i. LVniwi^U* a toigours i>?spectê sincèi^raent la liberté de 
couscîouce. Le tènwîjîuajw que ixnie à cet èirartl M. Tabbé Follioley 
esl i^rticiUk^remeiU ^ ciloi\ — En^Hétr, t. I, p. 474, 



DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 149 

. qu'à provoquer une réaction plus marquée en faveur 
des maisons ecclésiastiques*. Tout ce qui ressemble 
à une entreprise sur la liberté des familles est dan- 
gereux, surtout dans un gouvernement qui ne peut 
chercher son point d'appui en dehors de l'opinion 
et qui n'a d'autre fondement que la liberté. Les 
mesures prises en 1880 contre les congrégations 
religieuses n'ont pas eu d'effet durable sur la distri- 
bution de la jeunesse entre les établissements de 
l'État et les établissements ecclésiastiques^TDans les 
dernières années, le gouvernement républicain a 
paru marquer, sinon de l'indifférence, tout au moins 
le désir de ne pas se créer à lui-même des difficultés. 
Il n'a pas rempli tout son devoir; car, s'il est péril- 
leux de procéder, à coups de décrets, en ces ma- 
tières où les influences morales sont plus puissantes 
que la loi elle-môme, il n'est pas permis au gouver- 
nement de se désintéresser. Il doit veiller tout au 
moins à ce que l'éducation donnée par l'État ne 
paraisse pas assurer aux futurs fonctionnaires ou 
aux futurs officiers moins d'avantages, au point de 
vue de leur carrière, que l'éducation donnée dans 
les établissements libres. Suivant le conseil de Ri- 
chelieu, dans son testament politique, il ne doit pas 
permettre que certaines congrégations s'emparent 

1. Enquête, — Voir ce que dit à ce sujet le Conseil général de la 
Gironde, t. V, p. 379. 



150 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

des avenues qui mènent aux fonctions publiques et 
aux grades les plus élevés de Tarméc. C'est une 
afïaîre de gouvernement plutôt que de législation. 
Il y faut beaucoup de tact et de fermeté, un respect 
sincère de la liberté de conscience, en même temps 
que le sentiment le plus élevé des droits et des pré- 
rogatives de rÉlat. 

Nous ne pensons pas que l'État ait rien à gagner 
à se donner les apparences de toucher à la liberté 
d'enseignement ou de ruser avec elle suivant le mot 
d'un ancien ministre de l'Instruction publique*. 
Cette politique n'aurait que des dangers sans com- 
pensation. Quant à revenir au monopole de l'État, 
quant à interdire à l'Église d'enseigner et à rayer 
ainsi d'un trait de plume un demi-siècle de liberté, 
cela est manifestement impossible. L'ancien régime 
a eu la prétention de réserver à l'État le privilège de 
l'enseignement. L'idée catholique était ici d'accord 
avec la raison d'État. Il s'agissait de maintenir dans 
la nation l'unité des croyances religieuses et poli- 
tiques. Ceux qui veulent se servir de la puissance 
publique pour établir l'unité de l'instruction natio- 
nale ne se réclament pas, comme quelques-uns le 
pensent, de la tradition révolutionnaire, mais de la 
tradition catholique. L'Église n'a demandé pour elle- 
môme la liberté que du jour où il lui a été impos- 

1. M. R. Poincaré. Appendice y p. 258. • 



DE LA LIBERTÉ DE>'SEIGÎSEMENT. 151 

sible de mainlenir l'enseignement tout entier sous 
sa main. Seulement, l'ancien régime lui-môme 
admettait une certaine variété de l'éducation sur un 
fonds commun de croyances religieuses et monar- 
chiques. Les universités avaient une grande indépen- 
dance, et à côté d'elles s'étaient établies des congré- 
gations qui couvraient le pays de leurs collèges. 
Cela faisait des rivalités sans fin. Comme le dit 
Thiers dans son rapport de 1844, « si on lit les nom- 
breuses harangues des plus grands magistrats, on y 
trouvera que les corporations accusent les univer- 
sités d'ôtre des corps jaloux, oppresseurs, inspirant 
à la jeunesse de mauvaises mœurs et que l'Univer- 
sité accuse les corps religieux de donner une instruc- 
tion médiocre, de rompre l'unité de l'esprit national, 
quelquefois d'importer en France un esprit étranger. 
Le monde a beau marcher, proclamer avec grand 
bruit qu'il est changé. 11 change, au fond, bien 
moins qu'il ne croit ». 

Le cardinal de Richelieu, dont on nous a rappelé 
le testament politique*, a porté sur ces rivalités un 
jugement qui conviendrait presque à notre époque 
par la profondeur des vues et la part de vérité per- 
manente qui s'y trouve. 11 ne serait pas besoin de 
presser beaucoup ses paroles pour en faire sortir la 
liberté d'enseignement. 

1. Enquête. — Déposition de M. Hanotaux, t. H, p. 551. 



152 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

C'est aussi la liberté qui se trouve au fond de 
toutes les conceptions de la période révolutionnaire*. 
L'État a le devoir d'organiser l'éducation; mais il 
n'en est pas le maître. De fait, à la fin de la Révolu- 
tion, il s'était créé beaucoup d'écoles privées, ù côté 
des écoles centrales instituées par la Convention et 
le Directoire. 

Napoléon a eu la pensée de mettre la main sur 
l'enseignement, avec la volonté d'établir l'unité des 
opinions politiques; « Mon but principal, disait-il 
lui-même au Conseil d'État, est d'avoir un moyen de 
diriger les opinions politiques* »• « Tant qu'on 
n'apprendra pas à l'enfant s'il faut être républicain 
ou monarchiste, catholique ou irréligieux, l'État ne 
sera pas une nation'. » L'Université, telle qu'elle est 
sortie des mains de Napoléon, était une sorte de cor- 
poration qui devait prendre la place, dans la société 
nouvelle, des anciennes corporations religieuses. 
Cette conception pouvait avoir sa grandeur. Elle 
n'en était pas moins une utopie. L'unité morale du 
pays, qui n'était déjà plus qu'une apparence à la fin 
de l'ancien régime, avait été brisée pour longtemps 
par la Révolution. C'était un rêve de penser que 

1. Talleyrand proclame la liberté sous la seule condition d'une 
déclaration aux autorités ; Gondoixet s'y résigne ; Lakanal l'inscrit 
ilans la loi et Daunou en fait un article fondamental de la Constitu- 
tion de Tan III. 

2. Pelet de la Lozère, p. 161 [séance du 11 mars 1865). 

3. Ibid., p. 154. 



DE U LIBERTÉ D'EXSEIGNEMEÎ^T. 153 

r Université serait capable de créer, d'imposer une 
doctrine au pays et de rétablir peu à peu l'unité des 
croyances et des idées politiques. Ce rêve a duré 
à peine quelques années. Car si le monopole n'a pris 
fin qu'en 1850, la conception était bien avant 
ruinée, condamnée par les faits. Chose curieuse, 
c'est la Révolution de juillet, faite en partie contre 
les prétentions de l'Église catholique à la domina- 
tion politique, qui a proclamé la liberté d'enseigne- 
ment. 

Vingt ans ont passé sans que la promesse faite 
par la Charte de 1830 ait été tenue en ce qui con- 
cerne l'enseignement secondaire. Tous les projets 
présentés de 1836 à 1844 ont échoué, mais le prin- 
cipe n'en était pas moins établi. Ces années ont été des 
années de lutte violente contre l'Université. Preuve 
évidente que l'Université n'avait pas réussi à inspirer 
aux générations formées par elle une manière de 
penser commune*. La Révolution de 1848 a proclamé 
de nouveau la liberté d'enseignement et elle l'a 
consacrée par la loi de 1850, aujourd'hui à peu près 
abrogée, mais qui reste comme la charte originelle 
de la liberté d'enseignement dans notre pays. 

Objet de malédictions de la part de ceux qui 
croient à la toute-puissance de l'État, suspecte au 
parti libéral, accueillie sans enthousiasme par ceux 

1. Liard; Enseignement supérieur en France, t. II, p. 75-77. 



154 RÉFORME DE I/E^SEIGXEMEKT SECONDAIRE. 

i\ qui elle a le plus profité, défendue par eux, 
comme une transaction, comme une sorte de pis- 
aller, la loi de 1850 a eu, au moins, ce mérite d'im- 
poser une trêve aux violences de la lutte enlre 
l'Église et TUniversité. On lui reproche avec raison 
de n'avoir pas donné à l'État des garanties suffi- 
santes. L'enseignement libre a été trop visiblement 
placé au rang de rival et presque d'ennemi de l'en- 
seignement de l'État. Comment s'étonner que, depuis 
un demi-siècle, l'Université ait vu avec défaveur 
l'enseignement libre, qu'elle n'ait pas eu pour lui 
cette bienveillance que l'État doit à des collabora- 
teurs*? La loi de 1850 a été une loi de défiance contre 
rUniversité. Celle-ci s'est sentie menacée. Les annôes 
qui ont suivi la première application de cette loi ont 
été, pour l'Université, des années de tristesse, d'in- 
quiétudes et de mesquines persécutions. Il en est 
resté une impression qui ne s'est pas effacée. 

Quoiqu'elle affecte de considérer la loi de 1850 
comme une sorte d'édit de Nantes, l'Église n'a pas 
désarmé. Son action a été moins directe, moins 
ouvertement agressive qu'au temps où elle subissait 
le monopole; au fond, elle n'a guère été moins hos- 
tile aux idées que représente l'Université. Il semble 
môme que les jeunes générations qui sortent des 
lycées et des écoles libres aient moins de points de 

1. Enquête. — Déposition de M. deLapparent, t. II, p. 290. 



DE LA LIBERTÉ D'E^'SE1G^'EME^•T. 155 

contact, aireclcnl de s'ignorer plus qu'autrefois, de 
constituer, au sein de la nation, deux sociétés diffé- 
rentes. 

r^oui cela est vrai. Pourtant tous les hommes 
d'État qui l'eslent maîtres d'eux-mêmes et qui voient 
les choses d'un peu haut pensent que la liberté d'en- 
seignement doit demeurer en dehors de nos que- 
i^elles de parti, que ce serait une suprême impru- 
dence d'y toucher*. 11 faut vivre avec elle, d'abord 
parce qu'elle a de grands avantages, à coté de ses 
inconvénients, et notamment celui d'obliger l'Uni- 
versité à faire des efforts, à ne pas s'endormir dans 
la routine; ensuite, parce qu'un régime de liberté, 
comme la République, ne peut pas mettre dans ses 
fondements aulrc chose que la liberté, sous peine 
de les rendre ruineux et enfin parce que, le vou- 
hU-on, aucun parti n'aurait la force de la sup- 
primer. 

Quand Thiers, dans son rapport de 1844, s'appli- 
quait à organiser la liberté de l'enseignement, il ne 
cachait pas les tendances de son esprit qui l'eussent 
porté vers une solution toute différente. « Nous 
reconnaissons, disait-il, que l'autorité de l'État, 

1. Voir les déclarations de M. Léon Bourgeois {Appendice, p. 26i); 
de M. R. Poincaré (Appendice, p. 258); de M. Jaurès [Enquête, t. II, 
p. 42). M. Jaurès s'est prononcé plus nettement encore en faveur de 
la liberté dnns son discours du 21 juin 4894 à la Chambi*c des 
Députés. 



156 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

poussée jusqu'à jeter la nation tout entière dans un 
seul moule, ne convient ni aux temps modernes, ni 
à. la France. Toutefois, gardons-nous de calomnier 
cette prétention de l'État d'imposer l'unité de carac- 
tère à la nation et de la regarder comme une inspira- 
tion de la tyrannie. Il faut nous tenir dans la vérité 
du temps et de notre pays. » 

Ce qui apparaissait à Thiers, en 1844, comme la 
vérité du temps où il vivait, a-t-il cessé d'être la 
vérité de notre temps? Les divisions sont-elles moins 
profondes? Sommes-nous plus près de voir s'établir 
dans les esprits l'unité morale qui doit servir de 
support nécessaire à l'unité de l'éducation? Qui 
pourrait le penser? Le plus sage est de ne pas remet- 
tre en question la liberté, mais de s'efforcer d'en 
corriger les défauts et d'en tirer le meilleur parti. 



CHAPITRE XVI 

De rinspection des établissements libres. 
Des grades à exiger des professeurs. 



L'État doit respecter la liberté de l'enseignement; 
mais il doit user de tous les moyens légitimes 
d'action qu'il a sur l'enseignement libre, 

11 semble que le gouvernement ait hésité à se 
servir des droits que lui reconnaissait la loi de 1850. 
A-t-il pensé que ces droits étaient insuffisants et 
qu'il valait mieux traiter T'enseignement libre 
comme un étranger? On ne saurait croire, en tout 
cas, à quel point a été poussée cette sorte d'indiffé- 
rence peut-être volontaire. Ainsi 1?JBI}JP§£[ des aca- 
démies n'ont pu nous fournir des OTiirres précis sur 
le nombre des élèves des maisons libres d'enseigne- 
ment. Les indications données par les directeurs 
de ces maisons n'ont pas été vérifiées*. Si les inspec- 
teurs avaient rencontré quelque résistance, il eût été 



1. Cela s'applique aux statistiques antérieures à celle qui a été 
faite au 30 décembre 1898 sur la demande de la Commission. 



158 REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

facile d'obtenir, sur ce point, une modification de 
la loi de 1850. 

Quant à Tinspection, elle a été intermittente, sans 
esprit de suite. On a paru n'y attacher aucune impor- 
tance. C'est au point que la loi de 1850 ayant été 
abrogée par une inadvertance du législateur en ce 
qui concerne l'inspection de l'enseignement secon- 
daire*, on n'a pas songé à demander au Parlement de 
nouvelles disposition. Les inspecteurs n'ont plus le 
droit, à cette heure, d'entrer dans les établissements 
libres d'enseignement secondaire. Ils y vont pour- 
tant, de temps en temps, pour remplir une forma- 
lité. Ils se bornent le plus souvent à vérifier le regis- 
tre qui contient les noms des professeurs et les 
surveillants. Si on lear offre de leur montrer une 
classe, ils font une réponse évasive. 

Cependant l'État peut-il se désintéresser de l'en- 
seignement donné à des milliers d'élèves, paraître 
indifférent ou étranger à leurs études, comme si ses 
droits de puissance publique disparaissaient derrière 
sa fonction d'éducateur? Cette question a donné 
lieu autrefois à de longues discussions. Tous les 
rapports qui ont été faits sur la liberté de l'enseigne- 
ment ont affirmé la nécessité d'un contrôle de l'État. 

1. La loi du 30 octobre 1886, sur l'instruction primaire, a abrogé 
les titres I et II de la loi de 1850 qui ont trait à l'inspection, tn 
avis du Conseil d'État a décidé que cette abrogation s'étend aux 
articles concernant l'enseignement secondaire. 



DE LA LIBERTÉ D'ENSEIG>'EMENT. 159 

Nécessité politique et surtout nèeessité morale, pour 
marquer que l'État n'abdique pas, qu'il entend ne 
pas rompre tous liens entre lui-môme et l'enseigne- 
ment libre. Guizot disait en 1836 : « Tout droit 
appelle une surveillance et le premier devoir de la 
liberté e^t d'accepter la publicité. L'intérieur des 
établissements privés ne saurait donc être inacces- 
sible à la puissance publique. Le ministre pouria les 
faire visiter et inspecter toutes les fois qu'il le 
jugera convenable.... L'État accepte la concurrence 
avec la liberté, mais la prééminence ne cesse pas de 
lui appartenir. Elle lui confère le droit de porter 
partout ses regards, de manifester hautement sa 
pensée et ce droit, c'est pour lui un devoir, dont il 
ne saurait se départir sans altérer la moralité 
publique en abaissant sa propre dignité. » 

Ces fortes paroles montrent l'état d'esprit des par- 
lementaires de la Révolution de Juillet. Ils ne vou- 
laient pas que la concession de la liberté eût les 
apparences d'une abdication. Personne n'a pourtant 
été, en cette matière de l'éducation, plus sincère- 
ment libéral que Guizot. Aucun ministre n'a eu une 
conception plus haute des droits de la conscience et 
des ménagements que l'État doit garder vis-à-vis de 
l'enseignement privé. 

En 1850, après de longs débats, on s'est mis d'ac- 
cord sur une transaction. L'État doit surveiller l'en- 



160 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

seignement au point de vue de la morale et de 
l'obéissance aux lois. Les méthodes doivent demeurer 
libres. Ce droit, ainsi limité, implique le devoir pour 
les inspecteurs de pénétrer dans les classes, de se 
faire remettre les livres, les compositions, d'inter- 
roger les élèves*. 

11 ne semble pas que les représentants de l'ensei- 
gnement libre opposent la même résistance qu'autre- 
fois. C'est qu'en effet la question a deux faces. Si 
l'enseignement libre reconnaît la prééminence de 
l'enseignement de l'État en acceptant l'inspection, il 
gagne du même coup l'avantage de n'être pas traité 
comme un étranger. Les visites des inspecteurs 
sont une garantie, dont il ne manquera pas de se 
prévaloir auprès des familles. Mais ces considéra- 
tions ne sauraient empêcher l'État de remplir son 
devoir. 11 doit à sa propre dignité de le revendi- 
quer hautement et de l'exercer avec mesure et 
fermeté. 

La loi de 1850 s'est montrée aussi peu exigeante 
en ce qui concerne les garanties pédagogiques que 
doivent présenter les professeurs de l'enseignement 
libre. Un diplôme de bachelier, c'est tout ce qu'elle 
exige du directeur. Aucun grade n'est demandé aux 
professeurs ni aux surveillants. On peut voir, par la 

1. Cela résulte de la discussion qui a eu lieu à l'Assemblée légis- 
lative. 



DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 101 

statistique que nous avons publiée*, que la plupart 
des personnes employées dans les pxaiâons ecclésias- 
tiques d'enseignement secondaire n'ont pas de 
diplômes, pas même ceux de l'enseignement primaire. 
La loi peut, sans inconvénient pour la liberté, se 
montrer moins tolérante. Depuis quelques années, 
l'enseignement libre n'éprouve pas les mêmes diflî- 
cultés qu'autrefois à recruter les maîtres pourvus de 
grades universitaires. Les Facultés de l'État ont 
travaillé à faire des licenciés. L'enseignement public 
ne peut leur offrir à tous des chaires dans les lycées 
ou les collèges. Les cadres de l'enseignement libre 
se remplissent peu à peu d'anciens élèveâ-dfiâJiiîlk_ 
versités. C'est ainsi que, d'une manière indirecte, le 
développement de l'enseignement supérieur dans les 
Facultés de l'État tourne au profit de l'enseignement 
libre aussi bien que de l'enseigneincnt public. Il 
n'est pas sûr qu'en élevant ses exigences au sujet des 
grades, l'État ne rende pas service à l'enseignement 
libre en le forçant à élever son niveau et à se rappro- 
cher davantage de l'enseignement public. Ce n'est 
pas une raison de ne pas lui demander les preuves 
de capacité qu'il est juste de lui imposer. 

Que le gouvernement n'abandonne donc aucune 
de ses prérogatives légitimes; qu'il veille à ce que 
les fonctionnaires ne se servent pas contre l'éduca- 

4. Enquête, — Tome III, p. 213. i 

RIDOT. — RÉFORME ENSEIGX. SECOND. 11 



162 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

tion donnée par l'État de l'autorité morale qu'ils 
tiennent de leurs fonctions: qu'il établisse la gratuité 
relative de l'enseignement secondaire; qu'il irivite 
les proviseurs et les bureaux d'administration à 
transformer peu à peu le régime des lycées, en leur 
accordant plus de liberté; qu'il se hâtç de créer les 
établissements qui font défaut et d'améliorer ceux 
qui existent ; que par tout cet ensemble de mesures 
il fasse sentir sa volonté de rendre à l'enseignement 
public sa situation prépondérante. Cela sera plus 
efficace et lui fera, en tout cas, plus d'honneur que 
de s'attarder à chercher des moyens détournés de 
porter atteinte à la liberté d'enseignement. 

/' 
Telles sont les idées générales qui nous paraissent 

se dégager de l'ensemble des témoignages et des 
documents recueillis par la Commission d'enquête ^ 
L'Université est demeurée, à travers toutes nos révo- 
lutions sociales et politiques, une des grandes forces 
morales et intellectuelles du pays. Elle a les défauts 
de toutes les corporations; elle se plie difficilement 
aux changements qu'exigent les conditions nouvelles 
d'une société démocratique ayant moins de loisirs 
que celles qui l'ont précédée et obligée de se pré- 
parer par des méthodes plus rapides et plus souples, 
^ar des procédés plus variés à l'apprentissage de la 



DE LA LIBERTÉ D*E>'SEIGNEMENT. 163 

vie moderne. Mais, à côté de ces défauts, que de qua- 
lités de savoir, de haute probité, de tenue morale ne 
trouve-t-on pas chez elle, associées au sentiment 
profond de tout ce qui fait la dignité d'une démo- 
cratie, de tout ce qu'il faut y conserver de nobles 
aspirations pour Tempôcher de déchoir! 

Elle ne souffre pas seulement de ses propres dé- ^ 
fauts; elle souffre aussi du mal dont sont atteintes 
en France, dans la période de crise qu'elle traverse, 
toutes les institutions. L'affaiblissement général de 
l'autorité a eu, ainsi que le remarquait M. Lavisse,^ 
son retentissement dans le monde universitaire. 
Peut-être s'est-il fai-t sentir là plus encore que dans 
les autres administrations de l'État qui touchent sur- 
tout aux intérêts matériels de la société, qui ne met- 
tent pas en jeu les mômes influences morales, qui 
n'ont pas besoin, au même degré, d'attirer et de re- 
tenir la confiance. Si l'autorité du proviseur n'est 
pas ce qu'elle devrait être, celle du recteur et celle 
du ministre sont également amoindries. On se perd 
dans les détails d'une administration compliquée; 
les vues d'ensemble, les directions données de haut, 
tout ce qui constilue le gouvernement dans le sens 
élevé du mot, manque dç plus en plus.|)e même que 
l'instabilité des chefs d'établissement est la ruine de 
toute autorité dans l'administration, celle des mi- 
nistres rend impossible toute réforme qui exige du 



4G4 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

temps cl de la volonté. On comprend qu'un minisire 
comme V. Duruy, ayant des idées et la passion du 
bien public, ait fait œuvre durable au ministère de 
rinstruction publique. Que peut-on attendre de 
ministres qui ne font que passer? Encore si l'Uni 
versilc avait à sa tête un véritable Conseil de gou- 
vernement, comme elle l'a eu pendant la Restaura- 
tion et pendant les premières années dû Gouverne- 
ment de Juillet; mais le Conseil supérieur de 
l'instruction publique, par sa composition même et 
par le faux air de parlementarisme qu'on s'est 
attaché h lui donner, est tout à fait impropre à ce 
rôle de direction. Les inspecteurs généraux, qui 
devraient être les organes de la volonté du ministre, 
se plaignent de n'avoir plus d'instructions^, d'être 
abandonnés à eux-mêmes. Le ministre, absorbé par 
la politique courante, laisse échapper de ses mains 
les moyens qu'il a de gouverner l'Université. Donner 
aux proviseurs plus d'initiative, assurer aux lycées 
une certaine autonomie, cela ne peut se faire sans 
danger qu'à la condition que le pouvoir central 
soit assez fort pour maintenir l'unité de direction 
dans la diversité des efforts. Le problème^ on le 
voit, n'est pas seulement une question de pédagogie; 

1. Autrefois les inspecteurs généraux recevaient chaque année 
les instructions du ministre avant de commencer leur tournée. Cet 
usage est tombé en désuétude. 



J 



DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT. 165 

il est essentiellement d'ordre général et politique. 
Nous sommes arrives à un moment où le mal 
frappe si violemment tous les yeux qu'il n'est plus 
possible de l'ignorer. C'est peut-être le commence- 
ment de la guérison. La crise dont nous souffrons 
aura, nous l'espérons, des effets salutaires. L'Uni- 
yersité en sortira plus.Jbrte et plus maîtresse d'elle- 
même. C'est une évolution qui se prépare et non 
une décadence qui se précipite. Celte évolution sera, 
en fin de compte, heureuse pour l'Université, si nous 
avons confiance dans la liberté, dans nos propres 
volontés et dans les réserves presque inépuisables 
de force et de dévouement que renferme ce grand 
corps, si souvent attaqué et si digne de notre res- 
pect et de notre reconnaissance. 



CONCLUSIONS ADOPTÉES 



PAR 



LA COMMISSION DE L'ENSEIGNEMENT 



1 

RÉGIME DES LYCÉES 

l"" Le lycée proprement dit doit être distinct du 
pensionnat; en conséquence, il y aura un budget de 
l'enseignement et un budget du pensionnat. 

2*» Le budget du pensionnat doit en principe, se 
suffire à lui-même. ^ 

11 sera considéré comme autonome^ et administré 
par le proviseur et le bureau d'administration, sous 
le contrôle du recteur. 

S*" Le budget de l'enseignement sera alimenté par 
une subvention fixe de l'État, par les frais d'éludés, 
par les revenus de fondations, etc. 

Le proviseur proposera au ministre les créations ou 
suppressions de chaires et d'emplois et toutes les 
mesures nécessaires pour assurer l'équilibre du bud- 
get et pour tirer le meilleur parti des ressources mi- 
ses à sa disposition. 

4'' Les tarifs des frais d'études seront revisés et 
abaissés. 



170 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

5** La situation et l'autorité des proviseurs seront 
i;:elevées. 

Ils ne seront déplacés que dans des cas excep- 
tionnels. 

Ils feront sous l'autorité du recteur,les règlements 
intérieurs sur l'emploi du temps, la discipli- 
ne, etc.... 

Ils nommeront les employés inférieurs. 

Il sera tenu le plus grand compte de leur avis pour 
l'avancement des professeurs et de tous les autres 
fonctionnaires du lycée. 

6° Les fonctions actuelles des répétiteurs seront 
confiées, en ce qui concerne l'enseignement et l'édu- 
cation, à des professeurs ou à des professeurs sta- 
giaires. 

Ceux-ci seront chargés effectivement d'une partie 
de l'enseignement. 

Leur traitement sera inscrit au budget de l'en- 
seignement et soumis à la retenue pour la re- 
traite. 

7° Les fonctions de surveillance du pensionnat 
seront confiées par le proviseur, sous le contrôle du 
recteur, soit à des professeurs stagiaires ou à des 
maîtres élémentaires, de leur consentement, soit à 
d'autres personnes (instituteurs détachés, anciens 
sous-officiers, etc..) et donneront lieu à une indem- 
nité qui sera inscrite au budget du pensionnat et 



CONCLUSIONS. 171 

pourra être cumulée avec les traitements portés au 
budget de l'enseignement. 

8** Il sera institué, à lilre d'essai, dans certains ly- 
cées, des directeurs d'études, pris parmi les profes- 
seurs. 

Ils continueront à enseigner et seront cliargés,sous 
l'autorité du proviseur, de suivre les éludes et l'édu- 
cation d'un certain nombre d'élèves. 

9° La durée totale des heures de classe et d'étude 
sera réduite à six heures pour les enfants de moins 
de douze ans et n'excédera pas huit heures pour les 
élèves de moins de seize ans. 

10° L'éducation physique sera organisée sérieuse- 
menl et aur^a une sanction soit dans les examens de 
fin d'études, soit au point de vue du service militaire. 

11° Dans tous les lycées, il sera établi des salles de 
récréation ou bibliothèques ouvertes,à certaines heu- 
res, aux élèves ainsi qu'aux professeurs et aux mem- 
bres du bureau d'administration. 



II 
COLLÈGES COMMUNAUX 

12° La subvention de l'État accordée aux collèges 
communaux sera augmentée et fixée d'après certaines 



172 RÉFORME DE L-ENSCIG^ElEyf SEC0!IDA1RE. 

règles, en temml compte notamment des faÀillés 
contributives des communes. 

iy Les subventions resteront fixes pendant la du- 
rée des«4faités, aussi bien pour les villes que pour 
l'État. 

Les bonis provenant de Texternat seront mis en 
réserve pour couvrir les déCcits éventuels des années 
suivantes ou employés soit à créer descoui'S spéciaux 
appropriés aux besoins des régions, soit à compléter 
le matériel d enseignement 

14** En cas de refus par une ville de créer un col 
lège dont l'utilité sera reconnue, le minisire de Tln- 
struction publique sera autorisé à passer un trailé 
avec le Département et,à son défaut, avec une société 
ou même un parliculier, élant entendu que les éta- 
blissements ainsi créés auront les mômes program- 
mes que les collèges communaux et seront soumis 
aux mômes inspections. 

Lesprofesseurs mis par l'Université à la disposition 
de ces établissemenls continueront à laire partie des 
cadres et conserveront leurs droits à lavancement 
et à la retraite. 

15^ Les collèges les plus importants pourront être 
pourvus de professeurs agrégés ayant les mêmes trai- 
tements et les mêmes droits à l'avancement que ceux 
des lycées. 
Dans ces mômes établissements, un certain nombre 



CONCLUSIONS. 473 

de professeurs licenciés pourront être assimilés aux 
professeurs licenciés des lycées. 

16° Seront appliquées aux collèges communaux 
les dispositions concernant le régime des lycées (prin- 
cipaux, professeurs stagiaires, durée des classes, 
etc....). 



111 
CONDITIONS D'APTITUDE A EXIGER DES PROFESSEURS 

17** Les futurs agrégés seront assujettis, comme 
tous les aspirants au professorat, avant ou après le 
concours d'agrégation, à un stage en qualité de pro- 
fesseurs stagiaires. 

Ils accompliront leur stage dans un lycée établi 
au chef-lieu d'une université. 

Le titre d'agrégé ne pourra leur être accordé que 
s'ils obtiennenl^ à la suite du ^ge, ^un certificat 
d'aptitude professionnelle. 

18** Il y aura un ^jjxe des professeurs agrégés 
pour chaque ordre d'agrégation. 

Le nombre des places mises au concours sera fixé 
de manière que le cadre ne soit pas dépassé. 

19° L'agrégatif^ de grammaire sera supprimée. 

20° Leschargés de cours recevront le titre de pro- 



174 RÉFORME DE RENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

fesseur, à condition d'ôtre pourvus du certificat 
d'aptitude professionnelle. 

21° L'École normale supérieure sera organisée et 
dirigée de manière à n'être pas seulement une école 
de hautes études, mais un véritable institut pédago- 
gique. 

22° Les professeurs des établissements libres se- 
ront soumis, e;i ce qui concerne les^gràdes univer- 
sitaires, aux mêmes obligations que ceux des collè- 
ges communaux. 



lY 
PLANS DtTUDES — PROGRAMMES 

§1*^''. — DISPOSITIONS GÉNÉRALES 

23° Les programmes ne traceront que des lignes 
générales. 

Les proviseurs, après avis des Conseils de profes- 
seurs et sous l'autorité des recteurs, régleront les 
détails d'application des plans d'études, en tenant 
comple des besoins des élèves et des ressources de 
chaque établissement. 

24° Il y aura dans les programmes de l'enseigne- 
ment classique et de l'enseignement moderne des 
matières obligatoires et des matières à option. 



CONCU'SIONS. 175 

25^ Le système des cours gradin^ sora siibslihu^ 
autant que possible, à celui des classes. 

26° Les proviseurs auront la faculti\ d'organiser 
des cours communs aux élèves de renseignement 
classique et de renseignement moderne. 

27° La durée de chaque cours sera, autant que 
possible, d'une heure seulement. 

§ 2. — KNSEIG.NEMENT CLASSIQUK 

28° L'enseignement classique sera divis 'î en deux 
cycles de trois années chacun. 

29° Le programme du premier cycle comprendra 
l'éducation morale et l'instruction civique, l«i langue; 
française, le latin, une langue vivanlc, l'hintoire, la 
géographie, les éléments des mathémaliqucîi et le 
dessin. 

30° Le latin sera enseigné en trois courn gradué». 

Un seul professeur suivra* autant que possihlr», le» 
élèves pendant ces trois années. 

31" Les éléments du gi'cc seront cnsi;îgnés dan» la 
troisième année. 

Pour les élèves qui se préparent aux écoles »cîen- 
tiGques ou commerciales, l'étude du grec pourra 
ôtre remplacée par des conférences de science» oa di^ 
exercices de langues vivantes. 

52' Le deuxième cycle comprendra, à titre de ma* 



176 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

tières obligatoires, la littérature française, la litlé- 
rature laline, la langue et la littérature grecques, 
l'histoire considérée dans ses grandes périodes et au 
point de vue du développement de la civilisation, la 
géographie, la philosophie et, à titre de matières à 
option, les mathématiques, la physique, la chimie, 
l'histoire naturelle, les littératures étrangères, etc. 
33° Il sera institué dans un certain nombre de 
lycées des cours préparatoires de latin et de grec pour 
permettre aux élèves sortant de' renseignement mo- 
derne ou de l'enseignement primaire supérieur d'abor- 
der le cycle supérieur de l'enseignement classique. 

§ 3. — ENSEIGNEMENT MODERNE 

34° L'enseignement moderne sera divisé, comme 
l'enseignement classique, en deux cycles de trois 
années. 

35° Le programme du premier cycle comprendra 
obligatoirement l'éducation morale et l'instruction 
civique, la langue française, une langue vivante, 
l'histoire, la géographie, les éléments des sciences 
et le dessin. 

Des cours complémentaires pourront être annexés 
au programme* Ils seront appropriés aux besoins 
des futurs commerçants, industriels, agriculteurs, 
suivant les exigences des diverses régions. 



CONCLUSIONS. 177 

36° Le deuxième cycle comprendra les sciences 
mathématiques, physiques et naturelles, la littérature 
française, les langues et les littératures étrangères, 
la philosophie, l'histoire considérée dans ses grandes 
périodes et au point de vue du développement de la 
civilisation, la géographie dans ses rapports avec 
l'économie politique, le dessin, etc. 

Pour répondre aux divers besoins des élèves, il 
y aura des cours obligatoires et des cours à option. 

§ 4. — ejnseigkement des langues vivantes et du dessin 

57° L'enseignement des langues vivantes sera^ 
dans le premier cycle, essentiellement pratique. On 
y consacrera le temps nécessaire pour que les élèves 
^soien t en état de lire, d'écrire et, autant que possi- 
ble, de parler la langue usuelle. 

Les élèves seront répartis en cours, d'après leur 
force. 

Il sera institué, avec le concours des villes et des 
Chambres de commerce, des bourses de séjour à 
l'étranger. 

«58° L'enseignement du dessin sera également 
donné dans des cours gradués. Il lui sera attribué 
un plus grand nombre d'heures et une sanction dans 
les examens. 

niBOT. — BKFOBME ENSEIGX. SECOND. 12 



178 RÉFORME DE L E>SEIGXEMEKT SEGOriDÂlRE. 



EXAMENS DE FIN D'ËTUDES 

39" Il y aura, à la fin du premier cycle, un exa- 
men à | a sui te duquel sera délivré un certificat 
d'études secondaires classiques ou modernes 
(!*' degré). 

Cet examen sera subi devant un jury composé de 
professeurs ou anciens professeurs de Tenseignuient 
secondaire et présidé par un professeur de Tensei- 
;gnement supérieur. 

40** Les divers baccalauréats sei*onl remplacés par 
un diplôme d'études secondaires supérieures qui 
•sera délivré après le deuxième cycle des études 
secondaires classiques ou modernes. 

4V L'examen portera sur un ensemble de ma- 
tières communes à tous les candidats et sur des 
matières à option. 

42° Des règlements détermineront parmi les ma- 
tières à option celles qui sont obligatoires pour l'en- 
Irée dans les diverses Facultés. 

43° Les langues anciennes continueront d'être 
exigées pour l'entrée à la Faculté de droit et à la 
Faculté de médecine '. 

1. Résolution prise à la majorité d'une voix. 



CONCLUSIONS. 179 

W Le diplôme mentionnera les matières à option 
sur lesquelles le candidat aura répondu d'une ma- 
nière satisfaisante et les Facultés dont l'entrée lui 
est ouverte. 

Les candidats à qui leur diplôme ne donne pas 
Taccès à telle ou telle Faculté pourront passer un 
examen complémentaire. 

45° Les examens pour Tobtenlion du diplôme 
d'études secondaires supérieures seront passés de- 
vant un jury composé de professeurs des Facultés 
des lettres et des sciences, auxquels seront adjoints 
des professeurs ou anciens professeurs agrégés de 
l'enseignement secondaire, à condition qu'ils ne 
forment pas -la majorité et qu'ils n'examinent pas 
leurs propres élèves. 

46"* Les doyens ou professeurs des Facultés seront 
chargés par le ministre d'inspecter de temps en 
temps les établissements publics et libres pour s'as- 
surer du niveau de l'enseignement et de la valeur 
des livrets scolaires. 



Yl 
INSPECTIONS 

47° Le personnel de l'inspection (inspections géné- 
rales et inspections régionales) sera renforcé de 



i80 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

manière que tous les établissements puissent être 
visités chaque année. 

48° Dans les établissements publics, Tinspectiou 
portera non seulement sur la valeur des professeurs, 
mais encore sur l'établissement lui-même, considéré 
dans l'ensemble de ses services. 

49° Les inspecteurs généraux seront attachés à une 
même région pendant plusieurs années. 

50° Les établissements libres seront soumis à 
l'inspection. Un projet de loi sera déposé, à bref 
délai, pour régler cette matière. 



\ll 
DISPOSITIONS DIVERSES 

51° Les bourses nationales ne seront accordées 
que dans Tordre de classement résultant d'un con- 
cours ouvert entre les candidats remplissant les 
conditions exigées par les règlements, 

52° Un rapport annuel de l'inspecteur d'académie 
sur l'état de l'enseignement secondaire, dans chaque 
département, sera communiqué par le préfet au 
Conseil général et celui-ci sera appelé à présenter 
les observations qui lui sembleront utiles. 



APPENDICE 



I 



Déposition de M. Berthelot. 

(Extraits.) 

. Quand un lycée a 1200 internes, sans préjudice 

de plusieurs centaines d'externes, il est encombré. Pour 
y maintenir Tordre matériel, on ne peut qu*y adopter des 
règlements étroits et rigoureux, semblables à ceux d'une- 
caserne. En tout cas, il est impossible de faire autre chose 
que suivre la tradition aveuglément, en se conformant de 
point à point aux précédents. Mais, quelles que soient 
la capacité et la bonne volonté des directeurs de ces 
élablissements, ils sont dans Timpuissance de faire 
aucune réforme, ni innovation profonde, ou de transformer 
l'organisation générale de leurs établissements. 

Ces maux ont encore été aggravés lors de Tiustitution 
de renseignement moderne, juxtaposé à renseignement 
classique dans les lycées. Il aurait exigé une initiative et 
des directions nouvelles; or il est à peu près impossible 
de pratiquer dans le même établissement plusieurs 
méthodes d'enseignement. Le résultat était facile à pré- 
voir, c'est rétablissement d'une organisation similaire 
pour l'enseignement classique et pour l'enseignement 
moderne: ce qui rendait à la fois impraticable toute 
réforme dans l'enseignement classique et toute introduc- 



-184 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

tion des systèmes nouveaux qui auraient été nécessaires 
dans renseignement moderne. Loin de là, on les a fait 
tendre tous les deux vers une même uniformité de rou- 
tines, au lieu d'établir entre eux la variété de méthodes 
qui aurait dû exister entre ces deux différents enseigne- 
ments. Il aurait été nécessaire, à mon avis, de consacrer 
à l'enseignement moderne des établissements absolument 
séparés de ceux de l'enseignement classique, régis par 
des règles différentes, avec un personnel de professeurs 
et de répétiteurs recrutés par d'autres procédés et assu- 
jettis à des devoirs dissemblables. / 

Mais, avant de développer mes idées sur ces questions, 
je reviens à la constitution générale des lycées et autres 
établissements d'enseignement secondaire. 

J'aurais voulu, en premier lieu, que l'effectif d'un tel 
établissement ne dépassât pas 400 ou 500 élèves, tant 
internes qu'externes; lorsque ce chiffre serait dépassé, on 
devrait dédoubler. le lycée. J'aurais voulu de plus que 
<îliaque lycée eût une affectation déterminée ; qu'un lycée 
destiné à l'enseignement classique n'eût rien à voir avec 
l'enseignement moderne ; sans quoi , l'enseignement 
classique est paralysé, et l'enseignement moderne frappé 
de stérilité. 

M. le président. — Ce résultat peut s'obtenir dans les 
grands centres; mais il est difficile à réaliser dans les 
.petites villes. 

M. Berthelot. — Quant aux dépenses, je crois qu'elles 
-seraient moindres avec mon système. Ce qui fait que la 
dépense est lourde, c'est d'abord que l'on construit des 
édifices énormes et que l'on institue un personnel pure- 
.ment administratif dont la proportion augmente beaucoup 
plus que celle des élèves. Un lycée de 1200 élèves exige 



APPENDICE. 483 

un monument bien plus coûteux que les trois grandes 
maisons qui suffiraient à trois lycées de 400 élèves formés 
en majorité d'externes; c'est là un fait d'expérience, 
facile à constater partout. En second lieu, l'exagération 
des dépenses résulte de ce que l'on applique partout la 
même organisation administrative et scolaire surannée 
que dans nos établissements d'enseignement classique. 
C'est là une grande faute que l'on a commise dans l'ins- 
tallation de l'enseignement moderne, et non moins, dans 
celle de l'enseignement des jeunes filles. Cette organisa- 
tion a été fidèlement calquée sur l'organisation aujour- 
d'hui de plus en plus défectueuse et arriérée des lycées. 
Il y aurait là beaucoup de doubles emplois à élaguer, à 
simplifier. Mais, en voulant tout mettre sur le même 
niveau, enseignement classique et enseignement moderne, 
sans se donner la peine de réfléchir aux simplifications qui 
sont possibles dans un système datant de plusieurs 
siècles, on est arrivé à compliquer cet antique système 
encore davantage, par l'introduction d'éléments incompa- 
tibles entre eux, et, par suite, à faire obstacle à l'installa- 
tion du nouvel enseignement qui devrait avoir des 
organes plus conformes aux usages de l'industrie 
moderne. 

Nous agissons dans cet ordre d'idées, comme l'admi- 
nistration française le fait malheureusement presque 
partout, en contradiction avec les procédés de la science 
pratique. Aujourd'hui, quand un industriel agrandit ses 
affaires, quand il organise dans son usine une nouvelle 
fabrication, il abandonne ou diminue les autres; il n'en 
conserve dans toute leur étendue ni Je matériel, ni la 
méthode, ni le personnel, ni les frais généraux. Mais il 
reporte une portion de ce matériel et de ces dépenses sur 



186 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

sa nouvelle branche. Or, c'est là ce que l'État ne fait, ni 
pour la Guerre, ni pour la Marine, ni pour Tlnslruction 
publique. L*État n'a cessé ainsi, depuis bien des généra- 
tions, d'ajouter le matériel, le personnel, les dépenses 
des organisations nouvelles à ceux des organisations 
anciennes, sans jamais réduire ces dernières, en raison 
de leur utilité amoindrie. De là résulte que nous n'avons 
jamais pu faire d'économies sur les anciennes, qui 
/ ^aur aient ^u A ire diminuées et parfois supprimées au 
profit des nouvelles. 

Ce n'est pas tout ; nous avons trop souvent conservé 
dans nos organisations nouvelles les défauts des organi- 
sations anciennes, sans nous préoccuper d'adopter pour 
ces dernières un plan nouveau permettant de très grandes 
simplifications, en harmonie avec les méthodes et les 
ressources de la science actuelle. Or c'est ce qu'on a fait 
notamment, à mon avis, pour les lycées, en ajoutant 
l'enseignement moderne à l'enseignement classique pure- 
ment et simplement, c'est-à-dire en réunissant dans un 
même lycée plusieurs ordres d'enseignements qui auraient 
dû être donnés par des méthodes différentes. 

C'est ainsi qu'on est arrivé à grossir les lycées et leurs 
dépenses outre mesure, sans atteindre des résultats supé- 
rieurs à ceux d'autrefois et en paralysant l'effet des 
réformes. 

Aussi, aujourd'hui, qu'arrive-t-il ? Pour prendre quel- 
ques exemples : dans ces lycées démesurés on institue 
deux, trois, jusqu'à quatre et cinq divisions pour une 
même classe, et cela avec une dépense triple ou quin- 
tuple et des rivalités de personne et d'autorité fort nui- 
sibles. Il serait infiniment préférable, au lieu d'un très 
grand lycée, d'en avoir deux ou trois petits, ayant chacun 



APPENDICE. 187 

une seule division. Le professeur, plus libre de ses mou- 
vements, s'intéresserait à ses élèves et les dirigerait 
suivant ses vues personnelles, c'est-à-dire avec beaucoup 
plus de goût et d'efficacité. Il ne serait pas nécessaire 
d'établir partout et surlout de remplir, coûte que coûte, 
des cadres uniformes. 

On ne créerait pas de classe là où il n'y aurait pas 
d'élèves ; on en réunirait au besoin plusieurs, s'il y en a 
peu. On pourrait faire dans des établissements de ce 
genre l'essai d'organisations différentes, essai imprati- 
cable dans un gros lycée, où l'uniformité de la règle 
s'impose. Au contraire, dans de petits lycées, il ne serait 
pas nécessaire d'avoir partout le même moule et de 
remplir les mêmes cases; comme si, en prenant les 
soixante-qualrii cases de l'échiquier comme type d'un 
établissement public, on se croyait assujetti à les remplir 
toujours et à tout prix. 

C'est là un très grand défaut de nos grands lycées, 
défaut auquel, je le répèle, on pourrait remédier en 
empêchant le grossissement indéfini de ces lycées et en 
les dédoublant dès que leur effectif devient trop considé- 
rable. Le résultat serait celui-ci : au lieu de construire 
des édifices colossaux qui coûtent des dizaines de millions 
et dont la construction est subordonnée à des visées 
architecturales au lieu d'être subordonnée à une desti- 
nation purement scolaire, enfin qui ne peuvent plus être 
modifiés et adaptés de temps à autre en vue des destina- 
tions variables de l'enseignement, on instituerait des 
lycées de 400 ou 500 élèves qui pourraient être installés 
dans des constructions beaucoup plus simples, surtout si 
on les faisait à la façon moderne, en pierre et brique, 
faciles à reconstruire suivant les besoins de la science et 



188 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

de la civilisation, qui évoluent sans cesse. On n'aurait 
pas ainsi le scandale de ces grandes forteresses en pierre 
de taille quon a édifiées depuis vingt ans, élernelles 
comme des donjons gothiques ou des cirques romains, 
et qui s'opposent pour des siècles à tout changement 
dans les méthodes scolaires. La salubrité physique et 
morale des élèves et des éducateurs de tout rang y gagne- 
rait singulièrement 

H y aurait encore beaucoup de choses à dire sur 

le régime de l'internat, et sur une association plus étroite 
des professeurs et des répétiteurs dans l'œuvre de l'édu- 
cation. C'est là une des grandes lacunes de noire ensei- 
gnement secondaire, et elle soulève des problèmes 
d'organisation tout à fait dignes de notre intérêt. 

Je crois que le régime de l'internat s'améliorerait 
beaucoup si le nombre des internes était plus restreint, 
parce que les maîtres pourraient exercer sur eux une 
action morale individuelle. Aujourd'hui ils tendent à être 
casernes à la façon de soldats soumis à une discipline 
inflexible et purement collective, dans ces énormes lycées : 
ce qui plie la volonté, mais sans la- convaincre et sans 
faire l'éducation morale. 

« Association des professeurs à l'œuvre de l'éducation 
et situation des répétiteurs. » Ce sont des questions con- 
nexes, auxquelles le remède est fort difficile â apporter 
^ aujourd'hui dans notre enseignement secondaire, parce 
que la vie du professeur a été de plus en plus séparée de 
celle du maître répétiteur. Ce sont malheureusement 
deux mondes entièrement séparés. Le professeur et le 
répétiteur exercent en fait des fonctions absolument 
séparées, comme s'il y avait des cloisons étanches entre 
la carrière des uns et des autres : cet état de choses a eu 



APPENDICE. 180 

pour résultat de créer, de la part des maîtres répétiteurs, 
un état de mécontentement général, fort nuisible à l'Uni- 
versité. Ce n'est pas qu'un semblable état ne puisse se 
concevoir et peut-être même s'excuser sur certains 
points, quoiqu'il soit très injuste sur d'autres; mais il 
importe à la dignité, comme aux intérêts élevés de notre 
société, d'y mettre un terme le plus promptement pos- 
sible, en donnant à la carrière des maîtres répétiteurs les 
issues légitimes- 

En fait, c'est là une question très complexe, mais à 
laquelle on aurait pu, à mon avis, donner une première 
solution au moment de la création de l'enseignement 
moderne, si, par une des fautes les plus graves qui aient 
été commises dans ces dernières années, on n'avait pas 
calqué, pour aller plus vite, l'organisation de renseigne- 
ment moderne sur celle de l'enseignement classique. J'y 
reviendrai tout à l'heure, en parlant plus particulière- 
ment de l'enseignement moderne ; mais je crois devoir 
dire dès à présent que la solution me paraîtrait être de 
se rapprocher de l'organisation adoptée par les établis- 
sements ecclésiastiques et les institutions analogues, dans 
lesquelles ce sont les mêmes personnes, ou plus exacte- 
ment les mêmes catégories de maîtres, qui participent à 
l'éducation des enfants pour ses divers degrés. 

Aujourd'hui, dans nos lycées, le professeur fait ses 
deux heures ou ses quatre heures de classe parfois, et il 
s'en va. En dehors de ces heures réglementaires, il se 
désintéresse de l'éducation de ses élèves. Je ne dis pas 
qu'il soit dans son tort : les professeurs sont des gens 
fort estimables, et j'en compte beaucoup parmi mes 
amis; mais je crois que ce n'est pas là une organisation 
idéale. Je voudrais qu'elle ressemblât un peu à celle de 



190 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

renseignement primaire, où la même personne joue à la 
fois le rôle de répétiteur et celui de professeur; ou bien 
à celle des gymnases allemands où n'existe pas cette 
séparation absolue du maître répétiteur, sorte de non- 
valeur maintenue éternellement, pendant toute sa vie, 
dans une situation inférieure, dont il ne peut jamais 
sortir. C'est là ce qui produit des mécontents, des exas- 
pérés, publiant toutes sortes de journaux, qui ne sont 
certainement pas le type de la bienveillance et de la 
moralité. Mais on doit être indulgent pour des gens vic- 
times du défaut de notre organisation scolaire. 

Pour y porter remède, il faudrait qu'il y existât une 
certaine continuité d'avancement et de grade entre les 
répétiteurs et les professeurs ; de façon que le maître 
répétiteur, s'il est capable, puisse devenir professeur à 
son tour, sans avoir à subir un concours d'agrégation, 
qu'après un certain Age on n'affronte plus guère. 11 fau- 
drait que le répétiteur pût entrer dans le classement sans 
avoir à un certain moment, comme dans une course, à 
sauter la rivière ou à franchir la haie. 

Je voudrais qu'on pût leur faire subir des épreuves de 
capacité professionnelle, répondant aux garanties données 
par l'exercice prolongé de leur profession : à la fois au 
point de vue de leur action morale et disciplinaire sur 
les élèves et à celui de leur talent d'enseignement pro- 
prement dit. 

Sans doute, c'est une organisation qu'on ne devrait 
établir qu'avec prudence et par degrés, avec les études 
et les tâtonnements convenables. Mais il y a urgence à 
tenter une réforme sur ce point, comme sur la plupart de 
tous ceux de notre système général de concours et d'exc- 
raens, dans tous les ordres. 



APPENDICE. 101 

En effet, notre système de concours et d'examens est 
embarrassé, je le répète, de cloisons étanches, qui main- 
tiennent les gens qui n'ont pas franchi dès leurs débuts 
les premières étapes, dans une situation inférieure et 
souvent imméritée, sans jamais leur permettre d'en sortir. 
Quels que soient leurs services professionnels, ils y restent 
emprisonnés toute leur vie; ils s'y aigrissent et prennent 
souvent de mauvais sentiments. 

C'est là une chose funeste pour la société et qui ne se 
produirait pas, s'ils voyaient toujours un avenir ouvert 
devant eux. Il me paraît certain qu'on pourrait faire pour 
les maîtres répétiteurs ce qu'on a commencé à faire, dans 
une certaine mesure, pour les conducteurs des ponts et 
chaussées, auxquels on a ouvert la carrière d'ingénieur 
qui leur était complètement fermée autrefois. 

Je crois précisément que c'est parce que ces barrières 
n'existent pas dans l'enseignement des congréganisles 
qu'il a souvent plus de succès auprès des familles et des 
élèves. C'est pour cela qu'il n'existe pas chez eux cette 
antipathie entre professeurs et répétiteurs, si répandue 
aujourd'hui dans notre enseignement secondaire et qui 
est l'un de ses fléaux. 

Vous voyez qu'il y aurait là toute une réforme dans le 
système de l'agrégation et du recrutement des professeurs. 
Cette réforme, je me borne à l'indiquer. Elle n'a rien de 
chimérique, car l'organisation dont je parle existe en 
France dans l'enseignement privé, ainsi que dans d'autres 
pays; elle n'est donc pas irréalisable et c'est dans ce 
sens que je comprendrais la solution du problème des 
maîtres répétiteurs et de leurs relations avec les profes- 
seurs. 11 ne faudrait pas abaisser les uns, mais élever le 
niveau des autres. 



in RÉFORME DE L*E>SEIG:(EÏ£M SECONDAIRE. 

A cet égard, on a cominis, à mon avis, une faute grave 
en créant toute une classe fermée de maîtres répétiteurs, 
avec une carrière complète, depuis les débuts jusqu'à 
Tâge de la retraite. Rien n'exaspère davantage ces mal- 
heureux; car c'est leur dire que jamais, même à l'âge de 
soixante ans et après trente ou quarante ans de service, 
ils n'arriveront à avoir qu'un traitement et une situation 
misérables. Je sais qu'on leur assure ou qu'on prétend 
leur assurer, par compensation, la situation de provîseure. 
Mais jusqu'à quel point cette prétention est-elle réelle? A 
combien d'entre eux s'appliquera-t-elle et avec quelle 
autorité? Si les maîtres répétiteurs avaient en vue un 
avancement progressif, qui les assimile réellement aux 
professeurs, il n'est pas douteux que l'on pourrait obtenir 
d'eux beaucoup plus qu'aujourd'hui, surtout au point de 
vue moral; et par là même ils participeraient d'une façon 
plus efficace à la fois à l'instruction et à l'éducation des 
enfants 

J'arrive à l'une des questions fondamentales 

soumises à l'examen de la commission : je veux parler de 
l'enseignement classique, en tant que comparé, et en 
quelque sorte opposé à l'enseignement moderne. 

Je suis également partisan du maintien de ces deux 
enseignements, chacun dans sa sphère, et pour l'usage 
des esprits qui lui sont appropriés ; mais il me paraît 
qu'ils doivent être donnés dans des établissements séparés, 
par des professeurs distincts, avec des méthodes et des 
terminaisons — je ne dis pas des sanctions — différentes. 

Entrons dans des explications plus circonstanciées. 

J'estime que l'enseignement classique dans nos sociétés 
est destiné à être de plus en plus réservé à des minorités, 
et qu'en tout cas il est préjudiciable de le rendre obliga- 



I 



APPENDICE. 193 

toire pour la plus grande partie de la jeunesse, comme^ 
on Ta fait trop absolument, par des règlements et des pri- 
vilèges. ^ ^ 

Ce n'est pas là une question d'hostilité personnelle : 
j'ai été un des plus brillanls élèves de l'enseignement 
classique, il n'y a aucune vanité à mon âge à le rappeler. 
Mais je crois que cet enseignement n'est plus autant 
qu'autrefois en harmonie avec les nécessités et les besoins 
pratiques de la société moderne, c'est-à-dire qu'il ne pré- 
pare pas suffisamment aux carrières et aux professions 
utiles à cette société. 

L'enseignement classique ne convient plus guère au- 
jourd'hui qu'aux familles qui désirent pour leurs enfants 
une culture littéraire, plus délicate en quelque sorte, et 
plus esthétique que celle de la majorité : je ne dis ni 
plus morale, ni plus haute au point de vue intellectuel, 
la culture scientifique étant au moins égale à la culture 
littéraire sous ce rapport. Mais un enseignement fondé sur- 
tout sur l'étude des auteurs classiques est devenu un 
instrument insuffisant pour le développement de la grande 
majorité des citoyens des États modernes, et des Français 
en particulier. 

La majorité des hommes désire aujourd'hui posséder 
une culture plus appropriée à la destination pratique de 
la vie moderne. 

En sortant des bancs de l'enseignement secondaire, il 
faut que le jeune homme entre de suite dans la lutte pour 
la vie, et qu'il y entre déjà pourvu de connaissances qui 
lui permettent d'y frayer immédiatement sa route. 

Or l'étude des auteurs anciens, la connaissance de la 
rhétorique et des autres matières fondamentales de l'en- 
seignement classique ne préparent pas suffisamment à 

niBOT. RÉFORXE ESSEIGV. SECOND. 13 



194 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

cette lutte. Par ce viatique des études classiques, on ne 
trou^ une carrière dans la vie moderne que si l'on se 
destine^ 4'enseignement, ou bien si Ton possède pour ces 
études un godU spécial et les espérances d'un talent 
exceptionnel. En dehors de ces conditions, on ne saurait 
s'y livrer sans risques, à moins qu'on ne jouisse d'une 
certaine fortune personnelle. En sortant du lycée, si l'on 
veut entrer dans une carrière pratique, on est donc obligé 
de reprendre toutes ses études et, ce qui est plus grave, 
d'imprimer à son esprit une direction nouvelle, assujettie 
à des méthodes auxquelles la culture classique n'a pas 
façonné les esprits. Telle est la cause qui pousse tant de 
jeunes gens vers les carrières assurément estimables du 
fonctionnariat, par défaut de préparation suffisante aux 
carrières industrielles, agricoles et commerciales. 

L'éducation moderne, au contraire, si elle était conve- 
nablement dirigée, devrait reposer essentiellement sur 
l'étude du français, des langues modernes et des sciences, 
et préparer d'une façon fructueuse aux carrières par les- 
quelles les citoyens peuvent vivre et servir leur patrie 
d'une manière indépendante. 

Je vais examiner à ce point de vue et parallèlement les 
divers problèmes qui concernent l'enseignement moderne, 
comparé à l'enseignement classique, ce dernier reposant 
sur les langues anciennes. 

Nous rencontrons tout d'abord une question générale, 
qui est commune aux deux enseignements : celle des pro- 
grammes, soit pour le cours des études, soit pour les 
baccalauréats qui en forment jusqu'ici la sanction. 

Ces programmes n'ont cessé de faire l'objet des délibé- 
rations du conseil supérieur de l'instruction publique ; 
ils ont été continuellement remaniés depuis vingt ans. Et 



APPENDICE. 195 

cependant l'on n*a cessé de se plaindre de leur surcharge, 
résultant surtout de ce qu'ils sont rédigés et imposés par 
des spécialistes. 

En ce qui touche la surchaiçe des programmes et leur 
existence même, je ne puis que reproduire ici un avis que 
j'ai toujours soutenu, c'est celui de leur suppression 
complète ; mais cet avis n'a point prévalu jusqu'ici. 

Si j'ai soutenu qu'il ne devrait pas y avoir de pro- 
grammes, c'est qu'ils ne me paraissent pas constituer la 
preuve ni d'une capacité, ni d'un développement intel- 
lectuel spécial de la part des candidats : ils prouvent seu- 
lement leur mémoire, et une mémoire souvent soumise à 
une préparation artificielle, qui ne laisse que peu de 
traces après l'examen. On devrait se borner à dire : telle 
année, on enseignera l'histoire ancienne ; telle autre, 
l'histoire romaine ; telle autre, on expliquera les œuvres 
de Virgile ou de Cicéron ; telle autre, l'arithmétique, etc. 

Le professeur serait ainsi libre d'enseigner, sous la 
forme et dans la mesure qui lui conviendraient, les élé- 
ments de l'histoire, ou de l'arithmétique, ou ceux de l'in- 
terprétation, des auteurs anciens ; la réalité et la bonté de 
soh enseignement étant soumises au contrôle, bien en- 
tendu, tant des proviseurs que des inspecteurs, chargés 
de s'assurer s'il fait réellement travailler ses élèves et 
quel est le fruit qu'ils tirent de leur travail. 

A mon avis, le but que doit se proposer le professeur, 
ce n'est pas d'enseigner un à un tous les articles d'un 
programme, détaillé point par point, mais c'est de donner 
à ses élèves une connaissance générale suffisante du sujet 
et surtout d'exciter les esprits des enfants, en éveillant 
leur curiosité et en leur communiquant le goût des choses 
qu'il enseigne, ainsi que le désir de les étudier par eux- 



193 RéFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

mêmes, dans la mesure de leur i\ge et de leur intelligence. 
En les provoquant ainsi à TefTort personnel, soit par 
Tétude de tel ou tel auteur ancien, ou français, ou alle- 
mand, ou autre ; soit par l'étude de Thistoire de telle ou 
telle époque ; soit enfin par l'étude de ces éléments des 
sciences, qui doivent faire l'objet principal de l'enseigne- 
ment moderne et dont les commencements au moins sont 
comportés aussi par l'enseignement classique, en procé- 
dant ainsi, le professeur aura atteint, suivant moi, le but. 
Il l'aura atteint même si l'élève ne s'est attaché qu'à une 
partie des choses qui lui ont été apprises ; il importe seu- 
lement qu'il s'y soit intéressé et qu'il ait fait un travail 
d'assimilation personnelle. Il ne s'agit pas, en effet, d'en- 
tonner en quelque sorte à l'esprit, ou plutôt à la mémoire 
de l'enfant, une multitude d'articles compris dans un pro- 
gramme régulier; comme, dans la « question judiciaire » 
d'autrefois, on entonnait au malheureux patient un cer- 
tain nombre de litres d'eau, destinés à traverser les in- 
testins et à s'évacuer au dehors. 

Non ! il faut intéresser, frapper l'enfant par un certain 
nombre d'idées, de notions qui resteront dans son esprit 
et lui procureront une instruction, c'est-à-dire une culture 
durable. 

J'ai vu discuter et appliquer bien des programmes 
depuis vingt ans, sans qu'on cessât de se plaindre de leur 
surcharge ; et, cependant sans que les professeurs spé- 
ciaux chargés de les reviser cessassent de maintenir cette 
surcharge; invariablement, ils déclaraient pour chacun 
des articles du programme qu'il était indispensable. Ils 
s'attachent avec persistance à démontrer successivement 
l'utilité de chaque article que l'on propose de supprimer 
et la nécessité de l'enseignement intégral de toutes les 



APPENDICE. 197 

parties de chaque science. El, cependant, les mêmes pro- 
fesseurs s*empressent de reconnaître que la plupart des 
élèves qui ont reçu un pareil euseignement ne le repro- 
duisent ensuite aux examens que par un pur exercice de 
mémoire. 

Aussi, que voyez-vous souvent ? J'ai eu plus d'une fois 
les confidences de divers professeurs, à qui leurs élèves 
disaient : « Ne pourriez-vous pas nous dicter votre cours? » 
Les professeurs résistaient et avec raison. Certes, la pra- 
tique des cours dictés devrait ôlre interdite, car c'est 
le moyen d'enlever aux enfants toute initiative; qu'ils 
sachent plus ou moins, peu importe au fond, ils en retien- 
dront toujours quelque chose si vous les avez intéressés, 
et cela suffit. En faisant travailler leur esprit, vous avez 
atteint le but. 

Cela peut se faire d'ailleurs par toutes sortes de voies et 
moyens, que le professeur, s'il est capable, saura con- 
naître ou imaginer, sans qu'il soit besoin de lui prescrire 
un artifice particulier et surtout de faire retenir aux 
enfants, par la pure mémoire, des milliers de noms et de 
dates, sans aucun fruit pour leur développement intellec- 
tuel. 

Ainsi je conclurais à la suppression des programmes 
détaillés de tout ordre, pour les études ou les examens ; 
c'est leur emploi qui frappe d'impuissance l'initiative 
individuelle du professeur et de l'élève. 

il est une autre question, celle des allégements à 
apporter aux programmes, non plus dans le détail de 
leurs articles, mais sous le rapport du nombre et de la 
nature des objets enseignés. On a souvent proposé de 
rendre facultatifs certains enseignements. Cela dépend du 
développement et du caractère qu'on donnera tant à 



108 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

l'enseignement classique qu'à renseignement, moderne. 

Sur la question du grec, par exemple, je commence 
par déclarer que si j'avais quelque préjugé sur le grec, 
ce serait en sa faveur. Je suis un des rares élèves de 
l'Université qui en ont conservé quelque connaissance, 
quoique je ne sois pas spécialiste en cette matière. J'es- 
time que le grec est la plus belle des langues antiques, 
au point de vue littéraire et philosophique. Mais je ne 
puis m'empôcher de constater, avec regret sans doute, 
qu'en fait le grec ne sert à rien dans nos sociétés modernes, 
si ce n'est au point de vue de la culture littéraire, et que 
les élèves de nos lycées ne l'apprennent plus sérieusement 
depuis bien des années. Dans ces conditions, l'enseigne- 
ment du grec ne devrait donc être conservé, à mon avis, 
comme obligatoire, même dans l'enseignement classique 
ancien, si ce n'est pour les jeunes gens ou les familles 
qui désirent avoir cette culture spéciale et qui ont un 
goût suffisant pour s'y adonner de bonne volonté. 

A cet égard, on a fait bien des raisonnements un peu 
puérils pour maintenir quelque utilité pratique au grec. 
Ainsi, on a cherché à établir que le grec servait aux 
médecins. C'est là une opinion que pas un professionnel 
ne prend au sérieux. Un médecin de notre temps n'a pas 
besoin de savoir un mot de grec. Cela ne sert qu'à fabri- 
quer des noms de maladies, ou bien d'instruments pour 
des opérations chimiques ou physiques. Que ces noms 
soient conformes aux règles d'une étymologie rigoureuse 
ou non, peu importe, du moment où l'on s'entend ; dût-on 
faire une construction de mots contraire aux règles, 
comme dans le mot radiographie qui est d'actualité 
aujourd'hui. C'est, en effet, un mot hybride, formé de 
grec et de latin. Mais qu'est-ce que cela fait, pourvu que 



APPENDICE. 199 

tout le monde sache qu'il s applique à un certain phéno- 
mène bien défini? 

En réalité, la suppression du grec s'est déjà opérée 
d'elle-même, et, dans l'enseignement classique, c'est à 
peine si, une fois leurs études terminées, nos jeunes gens 
se rappellent encore l'alphabet grec. 

On s'est demandé encore dans quelle mesure les pro- 
grammes devraient être diversifiés suivant les conditions 
locales de tel ou tel établissement public. Je suis partisan 
de cetle diversité, pourvu qu'on l'applique avec mesure. 
Mais je crois que celte question s'appliquerait à l'ensei- 
gnement moderne, qui professe la langue italienne dans 
les départements frontières de l'Italie, la langue espagnole 
à Bordeaux et à fiayonne, la langue arabe vulgaire en 
Algérie, etc., plutôt qu'à l'enseignement classique. 

J'en dirai autant pour la part d'initiative qu'il convient 
de laisser, dans les matières facultatives, aux professeurs 
et aux conseils établis auprès de chaque maison d'édu- 
cation. 

J'arrive maintenant d'une façon plus particulière à 
l'enseignement moderne. 

L'organisation solide de cet enseignement est une 
chose tout à fait indispensable, étant donnée la direction 
des sociétés et de la civilisation humaine. 

Voici comment je la comprends : 

En premier lieu, quelle doit être la direction générale 
de l'enseignement moderne? Je crois que cette direction 
doit être surtout scientifique; tandis qu'aujourd'hui on 
en a fait, en somme, un second enseignement classique 
d'un ordre inférieur, c'est-à-dire un enseignement litté- 
raire et fondé sur les langues modernes, au lieu de l'être 
sur le grec et le latin. Or c'est là une conception inexacte 



200 REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

à mon avis, et qui paralyse tout l'essor du nouvel ensei- 
gnement et les fiiiits que Ton espérait en tirer. 

L'enseignement moderne, pour être réellement fruc- 
tueux à ses élèves et à la France, doit communiquer à 
ses élèves des connnaissances susceptibles de devenir 
utiles plus tard, c'est-à-dire de leur permettre de con- 
courir, par eux-mêmes et en vertu de leur initiative pro- 
pre, aux progrès incessants des sociétés modernes, pro- 
grès fondés sur les sciences et sur leurs applications. 

Je parle de l'enseignement scientifique en général et 
non de l'enseignement professionnel, qui en découle 
d'ailleurs, et sur lequel je reviendrai tout à l'heure. 

A l'heure actuelle et dans l'état présent de la civilisation 
des races européennes, il faut que l'esprit de nos enfants 
s'habitue de bonne heure aux conceptions et aux mé- 
thodes scientifiques, en un mot à tout l'ensemble des 
idées qui caractérisent la civilisation moderne; ce sont 
ces conceptions, ces méthodes, ces idées qui* devraient 
prédominer dans l'enseignement. A ce point de vue, je 
pense que l'enseignement moderne a été en partie 
faussé. 

A ses débuts, on lui avait donné une forme scientifique 
assez générale, que l'on a restreinte de plus en plus, jus- 
qu'à un degré tel que l'on en a fait une véritable dou- 
blure de l'enseignement classique, en s'imaginant qu'il 
suffisait d'y remplacer les langues anciennes, grec et 
latin, par les langues modernes, l'allemand et l'anglais, 
et, dans certaines régions, par l'italien, l'espagnol ou 
même l'arabe, tout en conservant le caractère essentiel- 
lement littéraire du vieil enseignement classique. 

Sans doute, je suis le premier à reconnaître que l'idée 
d'enseigner ces langues modernes est excellente, mais 



APPENDICE. 201 

non celle d'en faire un enseignement classique et litté- 
raire. 

C'est là le vice peut-être le plus grave de ce nouvel 
enseignement. En effet, une telle conception a eu pour 
résultat non seulement d'y amoindrir le rôle des sciences, 
qui aurait dû être prépondérant, mais d'entraver la con- 
naissance des langues vivantes elles-mêmes. A l'heure 
présente, dans l'enseignement moderne, les élèves n'ac- 
quièrent pas une connaissance réelle, effective, ni de l'al- 
lemand, ni de l'anglais, ni des autres langues modernes. 
On ne leur apprend ni à les parler, ni à les écrire, de 
façon à pouvoir en faire un usage pratique. Au lieu de 
cela on enseigne aux élèves à admirer les beautés litté- 
raires des auteurs allemands et anglais, de la même 
façon et par les mêmes procédés par lesquels on apprend 
aux élèves de l'enseignement classique ancien à admirer 
les beautés littéraires des auteurs grecs et latins. On a 
calqué pour ce prétendu enseignement moderne le moule 
du vieil enseignement classique. 

La chose est arrivée par suite d'une conception 
inexacle de sa destination, et surtout parce que Ton a 
choisi les mêmes professeurs, élevés dans les mêmes 
établissements, c'est-à-dire ayant tous passé par la même 
filière de l'agrégation. 

L'esprit de ces professeurs est rompu ainsi à de cer- 
taines méthodes, en dehors desquelles ils ne compren- 
nent pas leur rôle éducateur. J'ai entendu maintes fois 
des professeurs d'allemand ou d'anglais, qui se considére- 
raient comme déshonorés s'ils apprenaient à leurs élèves 
à parler et à écrire pour l'usage courant les langues qu'ils 
enseignent, a C'est aux maîtres de langues à faire cette 
besogne », et ils la méprisent. 



202 RÉFORME DE LE:iSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

L'idée fondamentale de ces professeurs, fort hono- 
rables et fort instruits d'ailleurs, c'est qu'ils doivent 
enseigner avant tout les auteurs classiques allemands ou 
anglais, c'est qu'ils doivent commenter Gœthe, Shakes- 
peare, Schiller, comme on le fait dans les classes de 
lettres pour les grands auteurs grecs ou latins, Homère, 
Sophocle, Cicéron. 

Il résulte en outre de cette idée fausse ce grave incon- 
vénient que, dans l'enseignement moderne, les profes- 
seurs de langues tendent à fausser notre culture natio- 
nale française, en substituant aux anciens, qui représen- 
tent pour nous des traditions d'origine, la tradition alle- 
mande ou la tradition anglaise. Or il est évident que 
nous ne devons pas prendre comme type la culture alle- 
mande ou anglaise. Certes, je ne veux pas dire que nous 
ne devions pas les faire connaître à nos élèves, mais seu- 
lement à titre secondaire, en les subordonnant, pour la 
France du moins, à une culture purement française, et 
seulement comme conclusion finale de la connaissance 
pratique de l'allemand et de l'anglais, préalablement 
acquise. Tandis qu'au contraire les procédés d'éducation 
suivis aujourd'hui ont pour effet de faire regarder une 
semblable connaissance pratique comme superflue, ou 
du moins accessoire, ainsi qu'elle l'est devenue pour le 
grec et le latin. 

Dans l'enseignement moderne, il doit exister assuré- 
ment une portion littéraire considérable ; mais cette 
portion doit être tirée des auteurs français. 

En un mot, si l'enseigement littéraire cesse d'avoir 
pour base le grec et le latin, il doit avoir désormais pour 
fondement, en France, la langue française. Quant aux 
langues modernes, comme l'allemand ou l'anglais, on 



APPENDICE. 203 

doit, je le répète, rechercher surtout leur utilité pra- 
tique, c'est-à-dire qu'on doit enseigner avant tout à les 
parler et à les écrire. 

Je voyais encore ces jours-ci de gros industriels belges 
qui se plaignaient en disant : a Nous sommes obligés, pour 
nos affaires, de prendre les jeunes gens allemands qui 
nous arrivent, parlant aussi et écrivant le français. C'est 
qu'ils sont capables, quoique moins bien que vos natio- 
naux, de rédiger nos lettres commerciales et de s'entre- 
tenir indifféremment soit dans leur propre langue, soit 
en anglais, soit en français. 

« Au contraire, quand nous prenons un Français, il est 
d'ordinaire incapable d'écrire en allemand ou en anglais 
une lettre d'affaires, ou de soutenir une conversation. » 

Telle est la plainte universelle. 

L'enseignement moderne aurait dû remédier à cet état 
de choses. 

Or qu'a-t-on fait? 

On fait étudier à l'élève pendant huit ans les langues 
allemande et anglaise, et même, au début, on n'en fai- 
sait étudier qu'une seule. 

J'ai été obligé, à cette époque, de me fâcher avec le 
directeur de l'enseignement secondaire , qui ne compre- 
nait pas qu'on pût enseigner à la fois l'allemand et l'an- 
glais, et qui répondait qu'on n'avait pas, dans les classes, 
le temps matériel de le faire. 

Pourquoi ? Parce qu'on avait adopté de point en point 
le programme du vieil enseignement classique et qu'on 
échelonnait l'allemand et l'anglais suivant la même 
méthode que le latin, d'après l'explication de la gram- 
maire et des auteurs réputés classiques. De cette manière, 
il ne restait plus assez de temps pour enseigner deux 



204 RÉFORME DE L'EKSEIGISEMEINT SECONDAIRE. 

langues, pas plus qu'on n'en aurait aujourd'hui pour en- 
seigner à la fois le grec et le latin. 

Il y a là une réforme capitale qu'on ne pourra pas 
entreprendre tant qu'on recrutera les maîtres d'allemand 
et d'anglais d'après les méthodes et programmes usités 
jusqu'ici dans les épreuves des concours d'agrégation. Il 
faut qu'on s'efforce de changer le système actuel. Assu- 
rément les jeunes gens qui se destinent au professorat 
classique sont fort instruits, fort capables; mais ils ont 
pris une direction d'esprit telle qu'à moins d'agir très 
fortement sur eux ou plutôt sur leurs professeurs mêmes, 
on n'obtiendra pas qu'ils modifient leur méthode dans 
l'enseignement des langues. 

Ils possèdent à fond la méthode du vieil enseignement 
classique, et ils l'utilisent fidèlement pour enseigner à 
leurs élèves l'allemand et l'anglais. 

C'est là une marche tout à fait nuisible : c'est l'une 
des fautes capitales qui ont été commises dans l'ensei- 
gnement moderne 

Cette critique de l'enseignement moderne est 

liée à une autre que voici : 

On a voulu calquer l'enseignement moderne sur l'ensei- 
gnement classique, en le distribuant en un nombre 
d'années. 

On a d'abord adopté la môme division en classes et en 
études, c'est-à-dire la même combinaison qui existe dans 
l'enseignement secondaire. On a également adopté la 
même distinction des professeurs et des maîtres répéti- 
teurs. On a par là même inculqué à l'enseignement 
moderne les défauts essentiels de l'enseignement secon- 
daire. Tandis que l'enseignement moderne aurait dû être, 
à mon avis, organisé par des procédés semblables à ceux 



APPENDICE. 205 

de l'enseignement primaire supérieur, où les distinctions 
fâcheuses que je viens de rappeler n'existent pas, au 
moins comme fondamentales. 

C'est là une nouvelle faute capitale qui a été commise 
lorsqu'on a inauguré l'enseignement moderne, il y a dix 
ans, et cet enseignement aura bien de la peine à s'en 
relever. Quand une organisation est faussée dés les 
origines, il s'y crée des situations et des intérêts 
contre lesquels il est presque impossible de réagir en- 
suite. 

La faute est d'autant plus frappante que les congréga- 
nistes, rivaux de l'enseignement de l'État, ne l'ont pas 
commise: ils ont pris simplement leurs écoles primaires 
supérieures, ils les ont développées, et aujourd'hui ils 
arrivent et au niveau du baccalauréat et au développe- 
ment de l'enseignement moderne, d'une ftiçon plus sim- 
ple, plus rapide, et tout aussi fructueuse que notre ensei- 
gnement actuel. Peut-être même leurs élèves savent-ils 
mieux les langues vivantes que les nôtres. 

Je n'ai pas de renseignements suffisamment déve- 
loppés pour insister sur ce dernier point. En tout cas, 
il ne s'agit pas là d'une utopie ; ce que je demande 
est déjà réalisé, à côté de nous, en dehors de l'Université, 
et j'estime que l'Université aurait beaucoup mieux fait 
d'adopter ce système et qu'elle ferait bien, même à l'heure 
présente, de modifier le sien en conséquence. 

Voici une autre faute, très grave également, commise 
dans l'organisation de l'enseignement moderne. Quand on 
l'a organisé, et j'ai assisté à cette organisation, on s'est 
aperçu qu'en lui assurant sa durée légitime, elle compor- 
tait deux années de moins que l'enseignement classique. 
Aussitôt le souci fondamental des dii'ecleurs a été d'ajou- 



206 RÉFORME DE L'E»SEIGNEMENT SECONDAIRE. 

ter deux ans à renseignement moderne, pour qu'il ne pût 
pas Anir plus tôt 

Le souci principal a été de niveler les deux 

enseignements. 

On s*est dit: « Tous les enfants, tous les jeunes gens 
abandonneront l'enseignement classique et passeront par 
l'enseignement moderne, si nous leur ouvrons une route 
plus courte. » Alors on a remédié à ce prétendu inconvé- 
nient, d'une manière artificielle, en ajoutant une série de 
matières diverses aux programmes, ce qui a abouti à 
prolonger les études d'une année. 

Or, il eût été préférable de toute façon que cet enseigne- 
ment moderne comportât deux années de moins, afin que 
les jeunes gens puissent les consacrer aux études pro- 
fessionnelles. 

Aujourd'hui les jeunes gens qui veulent entrer dans les 
carrières industrielles ou scientifiques y entrent trop 
tard; leur esprit n'a plus la même souplesse, ni la même 
facilité à se prêter aux études professionnelles. Avec les 
deux années que l'enseignement moderne aurait laissées 
disponibles, la place nécessaire était toute trouvée. 

Je n'en veux pour preuve que ce qui s'est passé pour 
les études médicales notamment, ainsi que je viens de le 
rappeler. 

A un moment donné, on s'est aperçu que les jeunes 
gens sortis des lycées n'avaient pas la préparation suffi- 
sante pour entreprendre immédiatement les études médi- 
cales. On a créé alors ce qu'on a appelé le P. C. N., c'est- 
à-dire une année d'études supplémentaires, pour la phy- 
sique, la chimie, les sciences naturelles. 

Voilà bien une année qui aurait dû toujours être poilée 
en diminution de l'enseignement moderne. 



APPENDICE.' 207 

Pour les études agronomiques, il y a aussi un certain 
nombre de matières qu'il faut s'assimiler de bonne 
heure. 

Il en est de même parmi les études industrielles, sur- 
tout pour celles qui exigent certaines connaissances scien- 
tifiques ; je citerai ces industries d'électricité, qui pren- 
nent partout une extension énorme et qui réclament, au 
point de vue pratique, des connaissances scientifiques 
très approfondies. Des écoles d'électricité se sont 
fondées pour ces objets en Suisse et en Belgique. En 
France, on commence d'ailleurs à en organiser. 

Or, ces matières relèvent de l'enseignement moderne. 
C'est là une des raisons pour lesquelles il y aurait eu tout 
profit, je le répète, au point de vue social, à ce que cet 
enseignement demeurât plus court de plusieurs années 
que l'enseignement classique, afin de rendre possibles les 
études professionnelles dès l'adolescence. 

Tout au contraire, on s'est ingénié à allonger l'ensei- 
gnement moderne, sous l'empire de vues un peu étroites, 
et dans la crainte que sa brièveté plus grande ne nuisît 
à l'enseignement classique. 

Telles sont les causes pour lesquelles j'aurais voulu que 
l'enseignement moderne ne fût pas donné dans les mêmes 
établissements, ni par les mêmes méthodes, ni par le 
même personnel que l'enseignement classique ; attendu 
que l'un de ces enseignements réagit d'une manière 
nécessaire sur l'autre, lorsqu'ils relèvent d'un même 
organisme. 

Cet inconvénient ne se serait pas produit si Ton avait 
institué un enseignement moderne autonome. Ce n'est pas 
que je sois très partisan de l'autonomie des lycées ; mais, 
par contre, j'admettrais parfaitement et je voudrais une 



208 RÉFORME DE LXNSEIGSEMENT SECONDAIRE. 

ccriaine autonomie, aussi étendue que possible, pour 
chacun des grands groupes d'enseignement. 

Si cette distinction avait été faile dès l'origine de l'en- i 

seignement moderne, nous aurions eu beaucoup plus de i 

souplesse dans les méthodes, dans le recrutement des ^ 

professeurs, dans les programmes, et la durée plus courte ; 

des études aurait permis plus facilement de les donner ] 

comme base aux enseignements professionnels des gran 
des industries 



II 

Déposition de M. La visse. 

(Extraits). 

Si renseignement secondaire ne subit pas une 

crise proprement dite — le mot serait un peu gros — il 
ressent un très grand malaise, dont les causes sont, les 
unes d'ordre politique et administratif, les autres d'ordre 
pédagogique. 

Les causes politiques sont celles-ci : l'enseignement 
secondaire n'est plus gouverné d'en haut; pour dire ma 
pensée d'un mot, il y a absence du Ministre de l'instruc- 
tion publique; l'action ministérielle ne se fait pas sentir, 
d'abord parce que le ministre ne reste pas longtemps au 
pouvoir et ensuite parce que, exception faite pour deux 
ou trois ministres à qui nous devons une grande recon- 
naissance, il est fort occupé par d'autres affaires que les 
nôtres. La main qui fait jouer les ressorts se dérobant, les 
ressorts jouent mal et se détendent. 
Je vais en donner un exemple : 
Les inspecteurs généraux sont des agents de transmis- 
sion et d'information. Il semble que, au moment où ils 
vont partir en tournée, le ministre 'devrait les réunir 
dans son cabinet, leur donner des instructions, puis les 
réunir à leur retour pour les interroger et recueillir leurs 

RIBOT. — RÉFORME ENSEIGN. SECOND. 14 



210 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

informations. J'ai été, il y a trente ans et plus, attaché 
au cabinet de M. Diiruy, et j'ai toujours vu M. Duruy réu- 
nir les inspecteurs généraux au départ et au retour. 

Aujourd'hui les inspecteurs généraux s'en vont un à un, 
sans s'être con'tef fés sur une direction à donner. Il peut 
arriver, et il arrive que des inspecteurs généraux du 
môme ordre d'études, se succédant dans une même 
classe à un an de distance, donnent des instructions 
absolument contradictoires. 

Les défauts de l'inspection générale sont extrêmement 
graves. L'inspection est très rapide; elle s'occupe rare- 
ment de l'ensemble d'une maison. Il faudrait savoir, 
quand une maison va bien ou mal, quelles en sont les 
raisons. Or les inspecteurs ne rapportent guère que des 
notes individuelles, justes suffisantes pour disculer la 
question de savoir s'il faut donner une promotion ou les 
palmes académiques à tel ou tel. 

L'action des autorités locales, recteurs, inspecteurs 
d'académie, ne se fait guère sentir dans l'enseignement 
secondaire. Les recteurs, depuis la constitution des uni- 
versités, ont fort à faire avec l'enseignement supérieur ; 
les inspecteurs d'académie sont à peu près absorbés par 
l'enseignement primaire. 

Pour ma part, je ne regretterais pas du tout cet affai- 
blissement de l'autorité, si nous avions une liberté orga- 
nisée. 

Or, nous avons les apparences de cette organisation, 
toute une hiérarchie de conseils : conseils de professeurs 
dans les lycées, conseils académiques aux chefs-lieux 
d'académie et, auprès du ministre, conseil supérieur de 
l'instruction publique. Mais les conseils des professeurs, 
pour diverses raisons dont je donnerai quelques-unes 



APPENDICE. 211 

dans un moment, ne sont pas vivants du tout; ils sont 
à peu près inutiles. Je ne connais rien de plus inutile, 
d'autre part, que les conseils académiques; ce sont des 
assemblées où Ton entend des lectures de rapports. Le 
conseil supérieur a beaucoup de défauts. Il est trop stric- 
tement professionnel. Les sessions sont très chargées, 
surtout d'affaires contentieuses et disciplinaires; elles 
sont courtes; il faut se hâter, se bousculer; le plus sou- 
vent, on enregistre ce qui a été préparé et délibéré par 
l'administration. On a rarement le plaisir de sentir que 
Ton fasse bien une bonne besogne. Bref, ce conseil ne 
répond pas aux espérances qu'il avait fait concevoir au 
début. 

Nous sommes donc affligés dans l'Université de France 
d'un faux parlementarisme. Ainsi, ni autorité d'une part, 
ni liberté d'autre part; c'est un régime tout à fait singu- 
lier, mixte, bâtard, et qui suffirait à lui seul pour créer 
le malaise dont nous souffrons. 

A ces maux, quels seraient les remèdes? Une plus 
grande stabilité du pouvoir ministériel; une plus 
grande application du ministre à nos affaires, qui méri- 
tent bien cette application ; une réorganisation des con- 
seils. Je n'insiste pas sur ce dernier point, parce que le 
Parlement doit être saisi de propositions de loi sur la 
réforme des conseils. 

J'arrive aux raisons pédagogiques du malaise de l'en- 
seignement secondaire. 

Tandis que les élèves des écoles primaires et les étu- 
diants des universités sont, pour ainsi dire, des catégo- 
ries précises de personnes, ayant des besoins bien défi- 
nis, les élèves de nos lycées et collèges sont destinés, les 
uns à la vie pratique immédiate, dans l'agriculture, le 



212 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

commerce et Tindustrie, les autres à des éludes supé- 
rieures qui les mèneront aux professions libérales. Il est 
impossible a priori que les mêmes études conviennent 
aux uns et aux autres. Et tout de suite surgit la querelle 
fameuse des anciens et des modernes. Mais, même si Ton 
ne considère que le second des deux groupes de collé- 
giens, celui qui se destine aux professions libérales, c'est 
une question à savoir si Tétude des lettres anciennes doit, 
à perpétuité, leur être imposée comme étant la seule qui 
soit vraiment éducative. 

Sur cette question, qui certainement reviendra souvent 
devant la Commission, je me contenterai de déclarations 
très brèves. 

J'ai assisté à la création, par M. Duruy, d'un enseigne- 
ment destiné aux collégiens qui ne prétendent pas aux 
professions libérales. M. Duruy aimait à raconter com- 
ment l'idée lui en vint. Il visitait, étant inspecteur géné- 
ral, un petit lycée de Bretagne. Dans la classe de qua- 
trième, un enfant, manifestement fils de paysan, paysan 
lui-même et fait pour demeurer paysan, ânonna pénible- 
ment quelques lignes de grec. M. Duruy lui demanda 
quelle était la profession de ses parents et ce qu'il comp- 
tait faire lui-même. Le père était cultivateur et le fils 
voulait lui succéder. Une explication de texte grec par un 
enfant bâti comme était celui-là et destiné à la vie des 
champs était évidemment ridicule. H. Duruy, le soir 
même, dans une lettre adressée au Ministre de l'instruc- 
tion publique, lui traçait le plan d'un enseignement 
secondaire nouveau à l'usage des futurs agriculteurs, 
commerçants ou industriels. 

Devenu ministre, il créa cet enseignement. L'idée en 
était excellente : sur un fonds commun de connaissances 



APPENDICE. 213 

intellectuelles indispensables, placer des connaissances 
pratiques spéciales, variables selon les régions et les pro- 
fessions. M. Duruy se mit à l'œuvre; malheureusement il 
avait tout à faire : rédiger les programmes, former un 
personnel, créer de nouveaux collèges. L'État ne lui donna 
presque pas d'argent. L'Université d'alors lui fit presque 
tout entière une guerre acharnée. Et le nouvel enseigne- 
ment, malgré des prodiges de patience et d'ingéniosité, 
et bien que des résultats considérables eussent été obte- 
nus, ne put être, dès l'origine, bâti à chaux et à sable. 

11 a disparu; à sa place, on a mis l'enseignement 
moderne. Ceci, c'est tout autre chose. C'est un enseigne- 
ment classique traditionnel. 

Je ne conteste en aucune façon la légitimité de l'ensei- 
gnement classique moderne. J'ai eu à ce sujet des pré- 
ventions que l'expérience et la réflexion ont dissipées. La 
langue et la littérature française, — si imparfaitement 
enseignées dans l'enseignement classique gréco-latin, — 
deux langues et littératures modernes, les enseignements 
scientifique, historique et géographique, suffisent assuré- 
ment à donnerauxécoliersunevéritableculture classique, 
intellectuelle et morale. 

Un des arguments le plus souvent produits par les 
défenseurs intransigeants de l'enseignement des langues 
anciennes, c'est qu'il est impossible de bien savoir le 
français si on n'a pas étudié le latin. Quantité de personnes 
ont étudié la latin, qui écrivent mal le français. D'autre 
part, il suffit que des écrivains qui n'ont jamais appris le 
latin écrivent bien le français pour que l'argument soit 
réfuté. Or, parmi les écrivains contemporains, on en 
peut citer qui n'ont pas fait d'études latines, comme 
George Sand et Alexandre Dumas flls. Prévost-Paradol est 



214 RÉFORME DE L'EXSEIGNEMEKT SECONDAIRE. 

entré à l'École normale grâce à sa dissertation française ; 
il avait failli être refusé pour le latin. Dans notre grande 
période classique, La Rochefoucauld ne savait pas le 
latin. 

J'admets donc pour ma part Tégale valeur des deux 
enseignements, par conséquent, le droit de Tun et de 
l'autre aux mêmes sanctions. Les raisons données pour 
interdire les facultés de droit et de médecine aux élèves 
de l'enseignement moderne me semblent être des préju- 
gés que je discuterais volontiers si j'y étais invité. 

Mais voici une objection grave. Cet enseignement clas- 
sique nouveau, pas plus que l'ancien, ne prépare directe- 
ment à la vie pratique. Il dirigera les écoliers vers les 
professions libérales et les fonctions d'État, tout comme 
l'autre. Et le nombre s'accroîtra des candidats à ces fonc- 
tions et professions. Même les modernes auront cet avan- 
tage que, leurs études se trouvant achevées plus tôt, ils 
pourront, avant leurs concurrents de l'ancien enseigne- 
ment, entrer comme étudiants dans les universités. Sur 
ce dernier point on peut répondre que les universités, 
tout comme les grandes écoles, peuvent exiger à l'entrée 
de leurs facultés un âge minimum. Quant au reste, s'il est 
vrai qu'un enseignement qui fait une place beaucoup plus 
grande aux langues et littératures modernes est plus 
pratique, parce qu'il prépare mieux à l'intelligence de 
l'esprit moderne, il est certain qu'il ne remplace pas 
l'ancien enseignement spécial. 

Un enseignement classique entre en concurrence avec 
un autre enseignement classique : voilà la vérité. 

Il n'est pas démontré du tout que le nombre des 
candidats aux fonctions et professions s'en trouvera 
augmenté. Les uns prendront une voie, les autres pren- 



APPENDICE. 215 

dront l'autre. Et, pour conclure, il y aura profit pour la 
communauté à recevoir des esprits également bien culti- 
vés, mais par des moyens différents. Cette variété enrichira 
Fesprit national. 

Reste à refaire l'enseignement spécial. En ce moment 
même, parla force des choses, il se reconstitue dans une 
cerlame mesure par les écoles primaires supérieures. 
Ici il se fait un effort tout à fait curieux et intéressant, 
pour élever l'enseignement primaire jusqu'au niveau de 
l'ancien enseignement spécial. 

Pourquoi un certain nombre de ces écoles ne rece- 
vraient-elles pas le titre de collège? Les mots, les titres 
ont leur importance. Des parents qui hésiteraient à mettre 
leurs enfants dans des écoles appelées écoles seraient 
attirés par ce titre de collège. Il faudrait, bien entendu, 
garder les programmes et le personnel. 

Voici donc quels seraient les trois types de l'enseigne- 
ment secondaire : écoles d'enseignement primaire supé- 
rieur, devenues, avec quelques développements à déter- 
miner, des collèges orientés vers la vie pratique; collèges 
classiques d'enseignement moderne; collèges classiques 
gréco-latins, ceux-ci moins nombreux, mais franchement 
classiques dans le sens ancien du mot. Il y faudrait res- 
taurer l'étude du grec, aujourd'hui à peu près abandon- 
née, ce qui est un grand dommage, car la grande éduca-» 
trice antique, ce n'est pas Rome, c'est la Grèce. La Htté- 
rature latine est presque tout entière une littérature 
d'imitation, elle est très courte; la grande littérature ori- 
ginale et féconde, riche en penseurs, en philosophes 
comme en artistes, c'est la littérature grecque. Il faut 
que l'hellénisme garde sa place dans le grand courant 
intellectuel national. 



SI6 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Entre les trois types de collèges, il sera nécessaire 
d*élablir une communication. La réparlilion des enfants 
entre ces difTérenles maisons ne peut être réglée une fois 
pour toutes, au début des éludes. La vocation d'un enfant 
de huit à neuf ans est inconnue. Dans un pays démocra- 
tique, elle ne peut être déterminée uniquement par la 
fortune des parents : il faut pouvoir prendre dans les 
écoles primaires les enfants capables de recevoir la plus 
haute culture. D'où la nécessité d'une éducation com- 
mune jusque vers l'âge de douze ans. Le régime est très 
praticable. Des maîtres excellents pensent qu'il n'est pas 
nécessaire de commencer de si bonne heure les études 
gréco-latines. Les écoliers préparés par une bonne édu- 
cation primaire feraient de rapides progrès dans ces 
études, et tout le monde ou à peu près est convaincu 
qu'une grande économie de temps pourrait être prélevée 
sur les exercices scolaires comme on les pratique aujour- 
d'hui. 

Après ces observations générales, nécessairement un 
peu vagues, mais qui pourraient être précisées, je vou- 
drais, pour serrer de plus près quelques questions, exa- 
miner Je régime actuel de nos lycées et chercher com- 
ment il pourrait être réformé. 

Pour commencer, le chef de la maison, le proviseur, 
est, à l'heure qu'il est, un personnage diminué. Son auto- 
rité est amoindrie, pour des raisons générales, parce que, 
toute autorité étant affaiblie, il serait bien extraordinaire 
que celle du proviseur fût demeurée intacte. D'autre part, 
quelques tentatives ont été faites pour mettre une autre 
autorité à côté de la sienne, celle des professeurs. Donc, 
autorité amoindrie, mais sans compensation sérieuse. Ce 
que j'ai dit tout à l'heure de l'état général se retrouve 



APPENDICE. 217 

dans chaque lycée : moins d'autorité, rien qui la rem- 
place. Conséquence : plus que Jamais sévit le mal de 
l'individualisme; chacun fait ce qu'il peut, du mieux 
qu'il peut, mais ne s'occupe que de sa tâche personnelle. 
Le corps enseignant d'un lycée n'a pas de vie collective : 
il se compose de personnes simplement juxtaposées. 

Faut-il donc rendre au proviseur l'autorité si grande 
qu'il avait autrefois? Le régime, en un mot, doit-il être 
monarchique ou, au contraire, républicain? 

A l'heure présente, le pur régime monarchique est 
inapplicable dans les lycées, et le régime républicain me 
paraît également impossible parce que les professeurs n'y 
sont pas du tout préparés. Il faudrait donc un mélange 
d'autorité et de liberté : un proviseur qui eût une auto- 
rité réelle, mais qui fût secondé et contrôlé par un con- 
seil sérieux de collaborateurs. Seulement, pour collabo- 
rer, il faut, par définition, avoir quelque chose à faire 
ensemble; or, à l'heure actuelle, on n'a rien à faire 
ensemble pour la raison bien simple que tout est pres- 
crit. Le régime disciplinaire est établi par des règle- 
ments. Dans tous les lycées de France, on se lève à la 
même heure, on se couche à la même heure; mêmes 
heures pour les repas, les classes, les récréations. De 
même, le régime des études, programmes, exercices sco- 
laires, est réglé jusque dans les plus petits détails. 

Alors quelle matière à collaboration? A peu près rien. 
Des hommes sérieux comme sont nos professeurs ne peu- 
vent s'intéresser à des apparences. 

C'est pourquoi un des grands remèdes à la situation 
présente serait la destruction de l'uniformité 

L'uniformité du régime disciplinaire est absurde. 

Il est absurde, par exemple, que dans les pays méridio- 



218 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

nauxles récréations soient aux mômes heures qu*aunord. 
Entre une heure et deux heures, l'été, dans le Midi, les 
élèves ne peuvent se tenir debout dans la cour. Tous les 
lycées ne sont pas situés sous la même latitude que la rue 
de Grenelle, où s'élaborent les règlements applicables à 
Marseille comme à Dunkerque. Et ceci, bien entendu, 
n'est qu'un exemple, entre beaucoup que Ton pourrait 
choisir, de différences possibles dans le régime discipli- 
naire. De même les méthodes d'enseignement, les procé- 
dés pourraient varier. Par exemple, le système rigide des 
classes, qui lie les uns aux autres, pour toutes les matières 
d'enseignement, des élèves de force inégale, ne donne pas 
de si bons résultais qu'on ne puisse en imaginer un autre. 

Supposez une maison établissant son régime sous la 
sauvegarde d'un certain nombre de règles générales, bien 
entendu, et un corps de professeurs délibérant sur une 
matière si importante, engageant sa responsabilité, s'ef- 
forçant toujours vers le mieux, chacun d'eux s'intéressera 
à la maison, qui sera en partie son œuvre. 

En somme, il faudrait donner à nos lycées une certaine au- 
tonomie, comme celle qui a été concédée à nos universités. 

On pourrait aller loin dans cette voie, sans inconvé- 
nients : pourquoi les proviseurs et les professeurs n'au- 
raient-ils pas, comme les facultés, le droit de présenter 
des candidats aux chaires vacantes? 

Le jour où la direction de nos lycées appartiendra aux 
administrateurs et aux maîtres, la maison deviendra 
vraiment éducatrice ; aujourd'hui personne ne se sent la 
charge d'une âme tout entière ; chacun s'enferme dans sa 
tâche délimitée. Une maison éducatrice se proposerait deux 
objectifs essentiels. 

Le premier serait de préparer à l'usage de la liberté 



APPENDICE. 219 

les enfants à mesure qu'ils grandissent. Il est, pour moi, 
inconcevable que le régime de surveillance soit à peu près 
le même pour les élèves de philosophie ou de mathéma- 
tiques spéciales que pour les enfants de sept ou huit ans. 
Nous nous exposons à cette conséquence si périlleuse : des 
jeunes gens surveillés à outrance, dont tous les mouve- 
ments ont été épiés, sont, du jour au lendemain, leurs 
études terminées, jetés dans les rues des villes et exposés 
à tous les abus d une Hberté dont ils n'ont pas fait l'ex- 
périence ! C'est exactement le contraire de ce qui se passe 
en Angleterre, où le collégien est bien plus libre et l'étu- 
diant bien plus surveillé que chez nous. C'est une gageure 
que nous soutenons contre le bon sens, lorsque, après la 
longue contrainte subie au collège, nous lâchons les jeunes 
gens dans cette liberté sans frein ni contrôle. 

Le second objet essentiel est de préparer l'écolier pour 
la société et pour le temps où il vivra. 

Il y a de très vieilles théories sur le désintéressement 
nécessaire des études; elles pouvaient être bonnes pour 
le temps où les Français n'avaient qu'à se laisser vivre 
dans la commune obéissance au roi ; mais n'est-ce pas 
manquer à un devoir élémentaire envers le pays que 
d'élever, sans l'intéresser à la vie qu'il va vivre, un jeune 
homme qui, sortant du lycée à dix-huit ou dix-neuf ans, 
sera, si peu de temps après, un citoyen français? 

Il y aurait un moyen de racheter le désintéressement 
nécessaire d'une partie des études classiques, ce serait de 
donner une plus forte impulsion aux enseignements qui 
guident vers la vie moderne, comme l'histoire et la géo- 
graphie. Sur l'enseignement de l'histoire, si j'avais le 
temps, j'aurais bien des critiques à présenter. C'est une 
grande erreur de croire que l'on puisse sérieusement en- 



220 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

seigner au collège toute riiistoire. Toutes les périodes 
historiques ne sont pas également enseignables. Il en est 
dont les documents sont si complexes et si obscurs qu'ils 
ne peuvent être compris par des écoliers. Sur ces périodes, 
il faut passer vite, se contentant de l'essentiel. Actuelle- 
mentj'enseignement historique pendant toute la classe de 
troisième et une partie de la classe de seconde, est consacré 
au moyen âge. C'est beaucoup trop et pour un résultat très 
mince. 

Pour la très grande majorité des écoHere, et je crois 
que je pourrais dire pour tous, l'histoire du moyen âge, 
sauf les grands faits que Ton pourrait exposer en beau- 
coup moins de temps, est à peu près inintelligible. Il 
serait donc possible de faire de grandes économies sur le 
temps consacré aux Mérovingiens, aux Carolingiens et 
aux premiers Capétiens. Aujourd'hui, dans la dernière 
classe, en philosophie, le professeur n'a vraiment pas le 
temps d'enseigner comme il faudrait l'histoire de 1785 
jusqu'à nos jours. Il donne un long temps au début à 
l'histoire de la Révolution et des campagnes de l'Empire, 
et, forcément, il binisque le reste. J'ai été bien souvent 
atlristé par les réponses que je me suis entendu faire, dans 
l'examen du baccalauréat, à des questions sur les faits histo- 
riques les plus proches de nous et aussi les plus douloureux. 

Le programme de la classe de philosophie se termine 
par de larges questions sur l'histoire de la civilisation au 
xix^ siècle : si l'élève avait le temps de les étudier, il 
serait vraiment préparé à comprendre son siècle; mais il 
n'a pas le temps. 

L'enseignement géographique a fait de grands progrès. 
Nous avons maintenant beaucoup de maîtres capables, et 
cet enseignement est très propre à instruire les enfants 



I ^ 



APPENDICE. 221 

sur beaucoup de phénomènes très importants de la vie 
moderne. Et nous lui donnons une pauvre heure de cours 
par semaine, qui se réduit souvent à trois quarts d'heure 
par les va-et-vient d'une classe à l'autre. 

L'enseignement de l'histoire et de la géographie devrait 
donc avoir pour mission, au collège, de faire connaître 
le monde actuel et de préparer les écoliers à le bien 
comprendre. Mais cette préparation à la vie, on devrait, 
pour ainsi dire, la faire sentir aux écoliers par d'autres 
moyens que l'enseignement régulier. 11 faudrait, quand 
une occasion se présente — un événement contemporain, 
qui ne prêtât pas aux discussions politiques — la saisir, 
pour parler aux élèves des choses de leur temps. 

Par exemple, notre histoire coloniale fournit souvent 
de ces occasions. Quel beau sujet de conférence, pour les 
élèves réunis, que la capture et la défaite de Samory ! 
On aurait dû, dans tous les collèges, réunir les élèves de 
la division supérieure et leur conter cette glorieuse his- 
toire, celte histoire bienfaisante de nos armes et de notre 
civilisation sur ce bandit. D'autres fois, un hardi voyage 
d'exploration, une nouvelle découverte scientifique seraient 
des sujets de conférences. Une fois par quinzaine, il fau- 
drait faire vaquer une classe et réunir tous les grands 
pour des entretiens de cette sorte. Pourquoi ne leur don- 
nerait-on pas aussi en commun des leçons de morale? Je 
me souviens d'avoir lu, dans la Revue universitaire, des 
conseils pour la vie, pratiques et très élevés en même 
temps, donnés par un professeur de philosophie aux 
élèves qui allaient quitter le lycée*, et j'ai su que ces 
leçons avaient été religieusement écoulées. 

1 . Ces pages ont été réunies en un volume : Aux jeunes gens. Quel- 
ques conseils de morale pratique, par P. Malapert (Armand Colin et G'*) . 



222 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Voilà de très intéressantes innovations, comme il pour- 
rait s*en produire, si le collège était une maison plus 
libre qu*aujourd*hui, s*il y avait quelque initiative dans la 
direction intellectuelle et morale des écoliers. 

Il est une autre sorte d'innovation que je ne fais qu'in- 
diquer. Le collège pourrait s'intéresser plus qu'il ne fait 
à la vie de la région, à son histoire, à sa géographie, à 
ses monuments, à son industrie. Il cesserait d'être la 
maison banale que l'on pourrait transporter, sans rien 
changer à sa vie, d'Aix-en-Provence ou de Bayonne, à 
Pont-à-Mousson ou à Lille. En revanche, la région s'in- 
téresserait à lui plus qu'elle ne fait aujourd'hui. 

Pour opérer de tels changements dans nos habitudes, 
il faudra du temps, beaucoup de temps, et nous ne pour- 
rons nous mettre en route qu'après avoir accompli deux 
réformes capitales. 

La première est la destruction de l'uniformité, et, pour 
détruire l'uniformité, il faut d'abord supprimer le bacca- 
lauréat. M. Wallon a donné tout à l'heure la plupart des 
arguments que j'ai produits contre le baccalauréat. Je me 
bornerai donc à les résumer brièvement : 

Je suis l'ennemi convaincu du baccalauréat que je 
considère — passez le mot violent — comme un malfai- 
teur. 

Il provoque à la recherche d'une distinction sociale 
absolument vaine, car c'est bien peu de chose que d'être 
bachelier. 

Il est [une sorte d'appel permanent et bruyant vers les 
fonctions publiques. 11 est le principal conservateur de 
l'uniformité et fait obstacle à toute réforme et à toute (^ 

initiative. Pour les parents, pour les élèves, pour les 
maîtres, il est la loi et les prophètes. 



APPENDICE. 223 

Autres raisons. Le^ professeurs des universités ne sont 
pas de bons juges pour cet examen du baccalauréat. 
M. Wallon pense que tous les professeurs sont compé- 
tents, parce qu'ils ont tous passé par ^l'enseignement se- 
condaire. C'était exact autrefois, cela ne l'est plus au- 
jourd'hui. Beaucoup de jeunes gens sont entrés directe- 
ment dans l'enseignement supérieur et ils ne savent pas 
ce qu'est un collégien, ce qu'on peut lui demander, com- 
ment il faut le lui demander. 

A une des sessions dernières da baccalauréat, un de 
mes collègues faisait expliquer et commenter un texte 
grec par un candidat. Il résulta de l'explication que le 
candidat croyait qu'une déesse — je ne sais plus laquelle 
— avait un temple à Tiièbes : « Comment, lui dit l'exa- 
minateur, vous croyez que cette déesse avait un temple à 
Thèbes? » Le candidat prit l'air contrit d'un homme qui a 
commis une faute grave. Mais, vraiment, le pauvre gar- 
çon avait bien le droit d'ignorer cette chose-là, en ayant 
tant d'autres à apprendre. 

Le professeur d'enseignement supérieur doit être, par 
définition, un spécialiste; il est, par cela même, impropre 
à la fonction d'examinateur pour le baccalauréat. 

Autre4nconvénient très sérieux du régime de l'examen 
comme il est pratiqué : le résultat dépend, pour partie, 
de la chance. Tous les examinateurs, jugent en conscience, 
mais les uns sont très sévères et les autres très indul- 
gents. 

Un candidat, refusé dans telle série, aurait été reçu 
dans telle autre, ou inversement. On peut être à peu près 
certain d'avance qu'une série où se trouve tel examina- 
teur n'aura que 5 ou 6 admissibles sur 25, pendant 
qu'il y en aura 15 dans la série d'à côté. Aussi les candi- 



224 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

dats essayent-ils de se protéger contre la chance par tous 
les moyens. Le plus honnête est la recommandation; ils 
croient tous que (de coup de piston est nécessaire». Nous 
recevons des lettres, avant FeiLamen, où on nous assure 
que nous n'avons « qu*un mot à dire » pour assurer le 
succès, et après, si le succès est venu. Ton nous 
remercie de la bienveillance exceptionnelle des juges 
qu'on a fort bien remarquée. Or, vous pensez bien que, 
hors le cas où une lettre contient un fait précis et qui 
doit être, dans Tintérét de la justice, communiqué aux 
examinateurs, nous ne prêtons aucune attention à ces 
suppliques. Mais le fait que les parents et les élèves 
croient à Tefficacité de ces procédés a sa gravité. Dois-je 
ajouter enfin qu'un trop grand nombre de candidats ont 
recours à la fraude? Certainement, Texamen, comme il 
est pratiqué, est démoralisateur. 

11 faut donc à tout prix porter remède au mal du bac- 
calauréat. La recherche du remède présente des difficul- 
tés, dont la principale est celle-ci : il ne faut pas que 
l'État abandonne son droit de conférer les grades et, 
d'autre part, on ne doit pas prendre de biais la liberté de 
l'enseignement ni ruser avec elle. 

Comment faire? On pourrait supprimer totalement 
l'examen du baccalauréat. Les établissements publics ou 
libres délivreraient, à la sortie, des certificats d'études 
qui vaudraient ce qu'ils vaudraient. On objectera : « La 
plupart des élèves ne travailleront pas. » Mais les bons 
maîtres, qui enseignent bien, obtiendront toujours que 
leurs élèves travaillent. Puis les élèves qui ne travaillent 
que par force ne m'intéressent guère ; le travail contraint 
ne profite pas beaucoup. Et voici une chose que l'on 
oublie toujours : pour forcer une collection d'élèves mé- 



APPENDICE. 225 

diocres à médiocrement travailler, on empêche les meil- 
leurs de bien travailler. 

Au total, la déperdition est très supérieure au profit. 

D'ailleurs, il restera toujours des sanctions aux études 
et des châtiments pour les paresseux. Les paresseux n'en- 
treront pas dans les grandes écoles, qui sont protégées 
par leurs concours à l'entrée. Dans les facultés des uni- 
versités, ils seront arrêtés par le premier examen qu'ils 
rencontreront. 

Mettons que le remplacement du baccalauréat par une 
attestation d'études, délivrée comme il vient d'être dit, 
soit un procédé trop radical. On pourrait constituer dans 
chaque académie des jurys d'État composés d'un profes- 
seur d'université, président, et de professeurs de lycées 
ou de collèges. Ces jurys exerceraient au chef-lieu de 
chaque département. Ils pourraient, sur le vu des notes, 
après renseignements pris sur toutes les études, dispenser 
de tout ou partie de Texamen les meilleurs élèves des 
établissements publics, c'est-à-dire de ceux dont les pro- 
fesseurs sont nommés par l'État, surveillés et inspectés 
en son nom. 

Les mêmes conditions pourraient être faites aux établis- 
sements privés qui auraient un certain nombre de maîtres 
agrégés et qui solliciteraient l'inspection. Les autres élèves 
subiraient devant le jury un examen, mais plus simple, 
plus familier que celui d'aujourd'hui : ceci est une ques- 
tion à étudier. Le jury pourrait s'informer sur les can- 
didats beaucoup mieux que nous ne pouvons le faire 
aujourd'hui avec l'utile mais très imparfait livret scolaire. 
Et ils délivreraient en bien meilleure connaissance de 
cause l'attestation d'études secondaires, qui remplacerait 
le baccalauréat. 

RIBOT. — RÉFORHB E5SEIGN. SECOND. 13 



220 RÉFORME DE LENSEIGXEMEST SECONDAIRE. 

Tout à riieurc M. Wallon a réclamé, au nom de la 
dignité de Tcxamen, contre Texemption de tout examen 
au profit des meilleurs élèves. J'avoue ne pas bien com- 
prendre ce que c'est que la « dignité de Texamcn ». 
L*examen n*est pas une « chose en soi », une sorte de 
puissance existant par elle-même. 11 est un instrument de 
constatation. Si on veut remployer même là où il est 
inutile, voici ce qui peut arriver : 

Au cours de la session d'examen d'octobre-novembre 1 898, 
au moment où j'allais entrer dans une salle où je devais 
siéger, quelqu'un m'arrêta et me dit : « Je suis professeur 
au lycée Coiidorcet; en juillet dernier, le meilleur élève 
de ma classe, le premier, a été refusé. 11 se présente 
aujourd'hui dans la série que vous présidez. Je viens, 
non pas vous le recommander, mais appeler sur lui votre 
attention. » J'examinai le livret scolaire; il était celui 
d'un élève de premier ordre. Que lui était-il donc arrivé 
en juillet? Sa composition de philosophie avait été cotée 16, 
le minimum étant 20. Dans ces conditions, l'écart entre 
la note obtenue et la moyenne était trop grand, le livret 
scolaire n'avait pas été consulté. Tant qu'il y aura un 
examen et une « dignité de l'examen », ces erreurs se 
répéteront : un très bon élève aura pour une fois mal 
composé; il aura eu mal à la tête, que sais-je? Ou bien il 
aura été jugé sévèrement. Et il sera refusé. Le candidat 
dont je parle fut reçu en novembre avec la mention 
très bien et des félicitations; mais il avait été refusé 
en juillet, lui, le premier de sa classe, alors que cer- 
tainement de médiocres élèves et peut-être de mau- 
vais avaient été reçus. Si l'on faisait une enquête au- 
près des proviseurs sur les résultats de l'examen du 
baccalauréat, on constaterait certainement qu'ils sont 



APPENDICE. 227 

souvent injustes et propres à démoraliser les écoliers. 
Supprimons donc le baccalauréat. 
J'arrive, en terminant, à la seconde réforme capi- 
tale. 

Si l'on veut que nos mœurs et habitudes universitaires 
s'améliorent, que nos professeurs se préparent à un rôle 
plus actif dans l'éducation intellectuelle et morale, il faut 
se résoudre à instituer une éducation professionnelle des 
futurs professeurs. Cette éducation n'existe pas. On de- 
vient professeur, parce qu'on est licencié ou agrégé, et 
l'on peut être licencié ou même agrégé et incapable de 
donner un bon enseignement. 

Le concours d'agrégation, parce qu'il est un concours 
dont les places sont très disputées, parce que les pro- 
grammes en sont très chargés de matières difficiles et 
demandent au candidat l'impossible, absorbe toutes ses 
forces et toute son attention. 

11 sait qu'il sera professeur, mais il n'a pas le temps 
d'y penser. Et, quelques semaines après qu'il a conquis 
son titre d'agrégé, il tombe dans un lycée; il ne connaît 
ni les lois, ni les règlements auxquels il doit obéir ; il est 
exposé à se tromper sur ses droits, k méconnaître ses 
obligations, à regimber à tort. C'est le moindre des 
inconvénients. Il peut ne pas savoir enseigner du tout. 
Dans l'enseignement de l'histoire pour ne parler que de 
celui que je connais le mieux, il faut savoir choisir entre 
les faits et les idées, éliminer ceux qui ne sont pas intelli- 
gibles, n'employer que des mots clairs ou qui puissent être 
clairement définis. Autrement, l'enseignement de l'his- - 
toire ne laisse dans les esprits que des notions confuses 
enveloppées dans un verbaHsme vague. Il perd toute 
puissance éducative. Il faudrait que le futur profes- 



228 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

seur fût averti de ces difficultés, habitué à les vaincre. 

A sa tâche d'éducateur moral, le professeur n'est nul- 
lement préparé. Nous avons vu que le régime actuel de 
nos lycées n'est pas propre à lui donner l'idée qu'il a 
charge d'éducation. Rien n'est donc plus urgent, à mon 
avis, que d'instituer une préparation au professorat. Les 
voies et moyens sont à étudier. 

Voici un moyen imparfait, puisqu'il ne s'appUque pas 
à tous les futurs professeurs, mais qui pourrait être appli- 
qué tout de suite, ce qui est un avantage, car la réforme 
est urgente. 

Les agrégés seraient astreints à un séjour d'un an 
dans une grande université dont ils seraient les boursiers. 
Là, ils recevraient une éducation préparatoire. Ils enten- 
draient un certain nombre, un petit nombre de cours : 
un cours philosophique sur l'éducation, dont la nécessité 
est évidente, un cours d'histoire de l'éducation pour leur 
montrer ce qu'elle était aux différentes dates, comment 
elle a évolué, pourquoi une éducation qui convenait à 
une époque n'a plus suffi à une autre. D'un cours pareil 
se dégagerait la grande leçon, qu'une éducation longtemps 
stationnaire peut se trouver en contradiction avec les 
idées et les mœurs et provoquer des résistances et de 
justes réclamations. Le troisième et dernier cours expo- 
serait les systèmes d'éducation pratiqués aujourd'hui 
dans les divers pays. 

Par ces renseignements généraux, l'esprit des can- 
didats au professorat serait enrichi de précieuses con- 
naissances, provoqué à la réflexion, à l'invention person- 
nelle, à l'initiative. 

Ces cours généraux s'adresseraient aux agrégés de 
tous ordres ; aux agrégés de chaque ordre, en particulier. 



APPENDICE. 220 

des conférences seraient faites par des professeurs de 
chaque spécialité. 

Cinq ou six heures de cours ou conférences par 
semaine, pas plus. Il resterait beaucoup de temps aux 
agrégés, qui seraient astreints à assister une ou deux 
fois par semaine à une classe, dans un lycée. Ils se met- 
traient sous la direction d*un professeur et prendraient 
ainsi contact avec l'élève. On n'imagine pas la rapidité 
avec laquelle on oublie ce qu'est un élève. Tous les ans, 
nous faisons faire un petit st^ge dans les lycées, un stage 
ridiculement court, aux candidats à l'agrégation. Quand 
ils reviennent à la Sorbonne, ils rendent compte de leurs 
impressions. Plusieurs nous ont dit que les élèves leur 
avaient paru plus petits, plus enfants, moins intelligents 
qu'ils n'étaient eux-mêmes quand ils étaient au collège. 

Il serait utile, d'une utilité nationale, qu'au cours de 
celte année préparatoire, les futurs professeurs de l'en- 
seignement secondaire fissent la connaissance de l'ensei- 
gnement primaire, en visitant les écoles. Élèves des uni- 
versités, ils connaissent l'enseignement supérieur. Re- 
cevant cette éducation nouvelle, ils connaîtront l'ensei- 
gnement secondaire. Ils n'ont pas le droit d'ignorer le 
tiers ordre, chargé de l'éducation du peuple. 

Malheureusement, il faut le dire, les professeurs des 
différents ordres d'enseignement ne se sentent pas soli- 
daires les uns des autres; il y aurait grand profit pour 
l'éducation nationale s'ils avaient le sentiment de cette 
solidarité. Us auraient l'idée d'une collaboration à une 
cause commune, ils pourraient s'associer dans de com- 
munes entreprises, essayer par exemple plus sérieuse- 
ment qu'on ne fait aujourd'hui « l'extension univer- 
sitaire ». 



230 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Point de doute que ce groupement, dans les grandes 
universités des agi'égésde tous ordres, aurait les effets les 
plus bienfaisants. 

Ces jeunes gens qui, aujourd'hui, vivent chacun pour 
soi, et un à un, pendant leurs études, puis, une fois agré- 
gés, tombent un à un dans la masse universitaire, où ils 
sont comme perdus, auraient une année pour se recueillir, 
se préparer, s'entraîner. Ils prendraient conscience de 
leur mission; nous saurions leur dire comme elle est 
grande et belle. Nous n'avons pas assez d'occasions de le 
leur dire. 

Ce n'est pas Thabitude, en France, de faire appel aux 
sentiments élevés. Toute prédication morale semble 
déplacée dans une bouche laïque. On dirait que l'Église 
seule a le droil de parler aux consciences. Pourtant, 
chaque fois que, dans des conversations avec les étudiants, 
on s'adresse à l'homme, au citoyen; que, familièrement 
et sincèrement, on parle du devoir, on se sent écouté, 
compris, remercié. Cette nouvelle école, qu'il serait si facile 
de fonder — une nouvelle école sans bâtiments bien 
entendu et qui serait seulement une section de l'univer- 
sité, — renouvellerait l'esprit de notre enseignement 
secondaire. 

Telles sont les principales observations que j'avais à 
présenter à la commission de l'enseignement. Je me suis 
tenu dans les généralités; j'aurais beaucoup à dire sur 
les divers points auxquels j'ai touché, notamment sur les 
moyens pratiques à employer pour organiser l'éducation 
dans nos lycées, ce qui est le point essentiel. Mais la 
commission entendra des membres de renseignement 
secondaire bien plus compétents que moi et plus capa- 
bles d'indiquer les voies et moyens d'une réforme. Je 



APPENDICE. 231 

remercie la commission de l'honneur qu'elle m'a fait do 
m'appeler et de m'écouter avec tant de bienveillance. 
Nous espérons beaucoup en elle. L'Université ne se réfor- 
mera pas elle-même. Elle n'a pas, comme je le disais tout 
à l'heure, en parlant de notre faux parlementarisme, le 
moyen de s'entendre sur des idées nouvelles et de les 
appliquer ensuite. Toutes les bonnes volontés, si nom- 
breuses, sont stérilisées dans l'isolement. Nous avons 
besoin de quelques bonnes lois et de quelques invitations 
impératives. Nous les attendons avec impatience el aussi, 
parce que nous connaissons les intentions de la commis- 
sion, avec confiance et espérance.... 



III 

Déposition de M. E. Boutmy. 

(Extraits). 

Il s'agit de l'endre à la réflexion sa place dans 

l'ensemble de l'éducation; mais ce n'est pas tant la médi- 
tation solitaire qu'il convient d'encourager : il faut solli- 
citer la réflexion, l'enhardir, la guider comme par la 
main vers des fins supérieures. Le moyen le plus simple 
et le plus direct est de faire intervenir le professeur dans 
le travail de préparation de l'enfant; il aidera celui-ci à 
bien suivre un raisonnement, à bien saisir une analyse, à 
ne négliger aucune association d'idées pouvant le con- 
duire à une vue complète du sujet. 

Voici donc en principe le régime que je serais tenté de 
proposer : 

« L'acquisition des connaissances » se ferait comme 
aujourd'hui dans les classes. On pourrait seulement, à 
raison de ce que je vais ajouter dans un instant, y modi- 
fier le mode d'enseigner et la manière d'apprendre. C'est 
ainsi que, pour le latin, par exemple, on ferait d'amples 
lectures à l'aide de traductions sans insister sur le mot à 
mot. On aurait de la sorte l'avantage d'avoir lu à la fin de 
la classe trois ou quatre œuvres entières ; le sentiment 
d'ensemble ne serait plus étranger à l'enfant. En regard 



APPENDICE. 233 

de ces classes se placerait une série de cours, un pour 
chacune des matières enseignées. Les devoirs donnés à 
l'élève seraient une page de latin difficile dont il devrait 
.rapporter lanalyse, un chapitre de Montesquieu oh un 
fragnient de Grégoire de Tours sur lequel il devrait avoir 
médité seul; le traité de Guizot sur la propriété du v^ 
au x« siècle ou un opuscule sur la féodalité dont le pro- 
fesseur s'efforcerait par des questions bien dirigées de 
faire définir les termes. Le cours serait essentiellement 
composé d'interrogations successives et échebnnées qui 
iraient d'un bout à l'autre d'un même et grand sujet en 
essayant d'accoucher les esprits, d'armer et de stimuler 
la réflexion, de préciser l'expression Irop souvent vague 
et indécise. Mais le professeur pourrait donner au cours 
telle autre forme plus convenable au but qu'il se propose 
d'atteindre. 

Que si l'on suppose des sujets occupant en moyenne 
l'espace de deux ou trois conférences, on obtiendrait pour 
chaque malière quinze sujets sérieusement approfondis : 
ce serait le bilan de l'année; ajoutons que l'enfant, s'étant 
livré sur tout cet ensemble à des réflexions actives et 
fécondes, aurait pris l'habitude de penser et la garderait 
à l'avenir dans tout ce qu'il entreprend. Cette habitude 
irait croissant en force et en ténacité à mesure qu'il 
avance dans ses classes et l'acheminerait peu à peu vers 
cette méditation solitaire par laquelle l'homme se rend 
vraiment maître d'un sujet. 

Il suffira d'indiquer ici sommairement l'organisation 
pratique dictée par ces considérations. Tous les matins 
seraient occupés par des classes, obligatoires pour tous 
les élèves ; les après-midi par des cours qui seraient facul- 
tatifs. 11 serait tout à fait vain d'imposer à un enfant 



251 IlLFOItME M I;E>SEIGNE1ILNT SECONDAIRE. 

admirabloment doué pour riiistoire, très médiocremenl 
doué pour les mathématiques, le travail ingrat et stérile 
d'une élaboration complémentaire de Taritlimétique et 
de la géométrie. 11 vaut cent fois mieux le laisser se 
vouer de préférence à un ordre de connaissances qui lui 
plaît et où il réussit; il en gardera tout au moins l'amour 
et le goût du travail. Le reste de Thoraire appartiendrait 
aux connaissances spéciales éliminées de la partie obliga- 
toire : au grec, à Tallemand ou Tanglais, aux sciences 
naturelles, etc. L'élève ne suivrait ces cours que s'il le 
voulait bien : il obéirait dans ce cas à une prédilection 
naturelle. 

Je ne saurais dissimuler que Tinconvénient qui a porté 
les chefs de nos établissements à éliminer la réflexion de 
nos études subsisterait, bien qu'amoindri; on ne peut 
exiger de tous les enfants un même résultat moyen pour 
les études à faire dans les cours. Les uns ont l'esprit 
naturellement lucide, les autres ont l'esprit naturelle- 
ment embrouillé et ce ne sont pas pour cela les pires; 
car, à la suite de nombreux efforts, longtemps stériles, 
quelques-uns parviendront à une lucidité supérieure. En 
tout cas les uns apporteront beaucoup pour commencer, 
les autres rien ou peu de chose, sans qu'on puisse s'en 
prendre à ceux-ci d'une inertie naturelle qu'ils ont com- 
battue avec opiniâtreté. Proviseure et professeurs s'obsti- 
neront donc à ne voir dans cette réforme qu'un champ 
ouvert à la paresse déguisée, une restauration du droit à 
l'oisiveté. Mais il faut en prendre son parti; ou bien il 
faut renoncer à rendre à la réflexion sa part ou il faut 
risquer que pour certains celle part soit en partie reprise 
par l'indolence ou la fantaisie. 
L'enfant se trouvera aux prises avec un redoutable 



APPENDICE. 235 

problème au^jseuU-diîs hiimanilés. 11 s'agira de faire un 
choix entre les matières, de décider quelles sont celles pour 
lesquelles il pourra se contenter de renseignement clas- 
sique, quelles sont celles qu'il pourra et devra étudier 
plus complètement dans les cours, quelles sont celles 
enfin qu'il devra ajouter à titre de matières spéciales au 
programme de ses études. On peut se demander si l'en- 
fant est à lui seul capable de résoudre tant de questions 
délicates et on aura bien de la peine à ne pas répondre 
qu'il ne Test pas. Il a..l)esoin d'être guidé, soutenu, 
exhorté par un homme de grande lumière et de 
grande autorité qui l'aura suivi de classe en classe, 
aura appris à le connaître et décidera sans peine 
des branches qu'il doit cultiver de préférence, de 
celles qu'il doit laisser de côté. L'institution des direc- 
teurs d'études dans les lycées amènerait la division de 
toute la clientèle d'élèves en groupes absolument distincts 
des classes. Les enfants appartenant à des classes diffé- 
rentes se grouperaient autour de l'un de ces maîtres qui 
deviendrait leur père spirituel, celui à qui l'on vient faire 
part de ses difficultés et demander conseil. 

C'est lui qui réglerait le plan d'études de ses élèves, 
en retrancherait ou y ajouterait, surveillerait leur tra- 
vail, leur distribuerait des punitions ou des récom- 
penses. 

La création des directeurs d'études parallèlement aux 
professeurs de classes est la grande réforme à introduire 
dans l'enseignement secondaire. U y a deux parties dans 
l'instruction: l'instruction proprement dite et l'éducation. 
L'éducation est sans contredit la première et la plus 
importante des deux ; elle est confiée en ce moment à 
ce qu'il y a de plus infime dans l'enseignement secon- 



236 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

daire : aux maîtres d'études. Il faut qu'elle soit confiée 
à ce qu'il y a de plus excellent; à l'élite des maîtres qui 
jouiront à ce propos d'un supplément de traitement con- 
sidérable. 

La disparition des maîtres d'études et de la régle- 
mentation qui les protège, de ces droits exorbitants 
qui leur donnent le verbe haut avec le proviseur serait le 
grand bienfait résultant de l'instilulion des directeur. Us 
seraient remplacés par des hommes aussi capables et 
plus modestes, choisis par les directeurs eux-mêmes sous 
leur responsabilité ; ils opéreraient sous l'inspiration et 
dans les voies qui leur seraient indiquées par la haute 
autorité à laquelle ils sont soumis. 

Je passe rapidement sur l'organisation des lycées; le 
personnel du professorat enrichi des directeurs d!études, 
serait capable de les diriger sûrement et efficacement; le 
pouvoir central pourrait leur déléguer une partie de ses 
attributions et le lycée apparaîtrait ainsi comme une petite 
république autonome. Mais je laisse de côté tout cela, 
ayant hâte d'en finir, et j'en viens au baccalauréat et à 
son diplôme. 

Le baccalauréat serait double, je veux dire qu'il 
comporterait deux examens distincts. Le premier exa- 
men consisterait en épreuves portant sur les six prin- 
cipales matières enseignées dans les classes. Le second 
examen porterait sur les matières enseignées dans les 
cours. 

D'abord les matières classiques mieux étudiées, pos- 
sédées plus complètement, puis les matières spéciales 
choisies et représentées par le candidat suivant ses pré- 
dilections. Chacune de ces matières donnerait lieu à un 
examen individuel et ces examens pourraient être divisés 



APPENDICE. 237 

et échelonnés à la volonté de Timpétrant. Ce seraient des 
épreuves sérieuses, car le candidat ayant déjà été inter- 
rogé la plupart du temps sur chacune de ces matières, 
sur celles au moins qui constituent 1 enseignement clas- 
sique, il ne passerait que par sa volonté un nouvel 
examen et il ne devrait le vouloir que s'il est en état de 
s y faire remarquer. Ce second examen dégagerait les 
))acheliers vraiment capables de la foule de ceux que 
lassiduité et la régularité auraient suffi pour faire 
réussir au premier examen. 11 donnerait une tête et une 
élite au baccalauréat. 

Il est une chose à laquelle j'attache le plus grand prix : 
c'est la forme du diplôme. Le diplôme ne serait pas ici un 
simple parchemin sur lequel on inscrit qu'un tel est ba- 
chelier, sans dire comment ni pourquoi, sans spécifier les 
matières sur lesquelles il a ou n'a pas répondu. Le par- 
chemin serait indicateur en ceci d'abord que, sur chacune 
des six matières comprenant l'enseignement classique, 
l'élève devrait avoir fait preuve de savoir et qu'aucune 
bonne note ne servirait ^à en atténuer une mauvaise. En 
regard de chaque matière serait placée la note y afférente : 
voilà pour la première partie du diplôme. La seconde, à 
qui on ferait une place sur le même parchemin, com- 
prendrait les matières classiques d'abord, puis les ma- 
tières spéciales. Là aussi, les notes individuelles sui- 
vraient les sujets d'élection présentés par le candidat et 
feraient ressortir l'acquis et les mérites particuliers de 
chacun. 

Le diplôme ne serait plus le procès-verbal d'un essai 
sommaire décelant la quantité d'or et d'argent con- 
tenue dans un mélange ; ce serait le procès-verbal d'une 
analyse complète qualitative et quantitative qui permet- 



258 RÉFOftSIE DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Irait de juger la valeur générale et les valeurs spéciales 
de chaque candidat. 

On vient de voir comment d une seule \Tie générale, 
mais d'une vue dominante et profonde, sont sorties tour 
à tour la réorganisation de renseignement secondaire, la 
refonte de nos lycées et de leur discipline, enfin la 
réforme du baccalauréat et un nouveau libellé de son 
titre. Il faut maintenant dire quelque chose des effets 
indirects de l'opération. Toutes les difficultés qu'on a 
devant soi dans un tel problème se résolvent sans effort. 
Telle est celle qui résulte de la concurrence de renseigne- 
ment libre. Tant que la concurrence de l'enseignement 
libre s'applique à l'acquisition des connaissances, il est 
extrêmement redoutable, il agit par la mémoire, par 
d'autres procédés d'ordre inférieur, il fabrique ainsi à 
peu de frais des bacheliers fort sor tables; il ne pourrait 
lutter au contraire contre l'enseignement officiel dès 
qu'il s'agirait d'imiter l'œuvre inimitable de la réflexion. 
Il faudrait qu'il changeât de voie, qu'il renonçât aux 
petites recettes, qu'il prît l'enseignement par les grands 
côtés. 

Voilà la vraie manière de le décourager et de le 
vaincre : c'est de faire ce qu'il ne pourrait pas faire sans 
se métamorphoser complètement. 

Autre conséquence : Que vont devenir le baccalauréat 
moderne, le baccalauréat classique dans ses diverses sec- 
tions, etc. ? En fait, ils sont supprimés, mais ils ne dispa- 
raissent que pour renaître avec l'aide du second examen, 
de l'examen facultatif. L'élève ajoute aux matières de 
l'examen fondamental, soit la seconde langue vivante que 
n'étudient pas ses camarades, soit les mathématiques 
comme matière d'un examen approfondi, soit les sciences 



APPENDICE. 239 

naturelles. Il se procure ainsi toutes les garanties de 
savoir que lui auraient assuré les deux diplômes. Il n'a 
en plus que le latin, acquisition précieuse qu il pouiTa 
faire vite et sans grande peine, grâce à Tamélioration des 
méthodes. C'est ainsi que l'elTet d'un point de vue juste 
au commencement de cette étude est de tout simplifier, 
tout faciliter. Les nœuds du problème se résolvent d'eux- 
mènies. 

Je ne veux plus maintenant retenir l'attention de la com- 
mission que sur deux points essentiels ; la réduction à une 
seule des deux langues portées au programme et la façon 
d'apprendre avec le moins d'efforts possible cette langue 
unique. 

Pourquoi l'enseignement d'une seconde langue, [outre 
le français, est-il, de l'aveu général, si avantageux pour 
les élèves? 

C'est que les exercices de traduction, en forçant le 
jeune homme à faire passer une idée ou un fait d'un 
idiome dans un autre, l'amènent à analyser cette idée ou 
ce fait, en à concevoir l'exacte nuance, à se travailler l'es- 
prit pour trouver de justes équivalents. Il n'est pas jus- 
qu'aux formes logiques du discours qui ne se prêtent à un 
travail de ce genre. Le latin a un avantage décisif sur 
toutes les autres langues quand c'est le français qu'il s*agit 
d'apprendre. Il l'a par la simplicité de ses manières de 
penser non encore compliquées par le mouvement de la 
civilisation, par l'éloignement de sa syntaxe qui rend 
nécessaire un plus grand effort, par le rapprochement des 
racines qui lui sont communes avec notre langue. Y a-t-il 
lieu de joindre au latin le grec ou toute autre langue pour 
doubler celte influence bienfaisante? Non, évidemment. 
D'abord il faudra une seconde mise en train de l'idiome 



2iO REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONT)AmE. 

nouveau : apprendre les lettres, les déclinaisons, les conju- 
gaisons, etc. Secondement, le grec prendra presque la 
moitié du temps qu'on pourra donner au latin. Les deux 
langues seront apprises, chacune la moitié moins bien 
que si chacune était seule. On arrivera à la fin de 
ses études, bégayant le latin, balbutiant le grec, et n'ayant 
rien retiré que des fruits médiocres d'une étude qui, mieux 
conduile, et appliquée à une seule des deux langues, 
aurait donné les meilleurs résultats. 

La seconde observation que j'ai à faire se relie à la pre- 
mière. Elle se ramène à cette formule très simple, que si 
Ton classe en progression arithmétique le nombre 
d'heures consacrées à chaque langue, TeiTet produit sur 
l'enfant, ou, pour mieux dire, le résultat acquis ressortira 
en progression géométrique. Par exemple, une heure 
donnera un résultat égal à 1 , deux heures un résultat égal 
à 3, trois heures un résultat égal à 6, quatre heures un 
résultat égal à 12, cinq heures un résultat égal à 18. C'est 
ce que l'on ne considère pas assez lorsque l'on fait appren- 
dre à l'enfant trois ou quatre langues ensemble; outre 
(jue bien souvent la multiplicité des idiomes et la variété 
<les grammaires s'embrouillent dans cette jeune tête et 
la rendent à jamais incapable de savoir bien l'un quel- 
conque de ces idiomes. La conséquence est claire. Autant 
(|ue possible, il ne faut apprendre qu'une seule langue à 
la fois et ne la quitter que lorsqu'on la saura assez bien 
pour en tirer le fruit qu'on en attend. 

Il y aurait lieu de donner ici plus d'un détail que 
j'abrège. Je me bornerai à indiquer qu'on pourrait com- 
mencer par une langue vivante dont on poursuivrait 
l'étude intensive et extensive jusqu'à la quatrième; en lui 
faisant occuper avec le français tout le temps des classes, 



APPENDICE. 241 

sauf celles consacrées à l'histoire et aux mathématiques. 
A partir de la quatrième, l'anglais ou Tallemand ne serait 
plus représenté que par une seule heure, suffisante pour 
qu'on ne l'oublie pas et tout le temps de l'horaire appar- 
tiendrait désormais au latin qui n'aurait plus à lutter 
contre la redoutable concurrence du grec. Je crois qu'on 
serait étonné et même émerveillé des résultats d'un chan- 
gement si simple. 



RIBOT. — RÉFORME EKSBIGN. SECOND. 16 



f0 



IV 

Déposition de M. R. Poincaré. 

(Extraits). 

Il est impossible, loi^qu'on envisage l'organisation 

même de l'enseignement de ne pas être frappé d'un fait 
brutal, saisissaat : c'est que l'éducation secondaire en 
France est à la fois isolée de l'instruction primaire et de 
l'instruction supérieure. Il y a, en réalité, trois ordres, 
qui ont des domaines séparés et qui voisinent les uns 
avec les autres sans aucune pénétration réciproque. C'est 
même un des plus merveilleux exemples de la puissance 
des formules dans notre pays : on a groupé sous des 
rubriques distinctes des catégories d'instruction plus ou 
moins arbitraires. Car, enfin, il n'y a pas un enseigne- 
ment primaire proprement dit, un enseignement secon- 
daire et un enseignement supérieur ; ces trois épithètes 
ne répondent pas à des réalités objectives. 

On s'est peu à peu, cependant, accoutumé à mettre 
derrière ces trois mots des idées de plus en plus diffé- 
rentes. On a fini par donner à ces idées une sorte d'exis- 
tence concrète et par admettre qu'il y avait dans l'Uni- 
versité, le lycée et l'école primaire, des enseignements 
séparés par des frontières définies. 



APPENDICE. 243 

On a créé ainsi trois mondes presque inconnus Tun à 
l'autre. Cet étal de choses provoque les conséquences les 
plus fâcheuses. Dans certaines régions, par exemple, on 
a établi l'enseignement moderne — et même ce qu'on a 
appelé le moderne B, c'est-à-dire l'enseignement qui se 
rapproche le plus de l'ancien enseignement spécial — on 
l'a établi à côté de l'école primaire supérieure, qui lui 
fait concurrence. 11 y a des collèges payants aux portes 
d'écoles gratuites où l'on enseigne à peu près les mêmes 
choses. 

' Dans d'autres régions, les lycées ignorent les recrues 
qu'ils pourraient faire dans les écoles primaires élémen- 
taires, soit dans les villes où ils sont installés, soit dans 
les villages voisins. 

Il n'y a pas, comme il le faudrait, accord et union 
entre le lycée et l'école primaire. 

Il semble également qu'il existe une sorte de ligne de 
démarcation infranchissable entre l'enseignement secon- 
daire et l'enseignement supérieur; et, dans les jurys du 
baccalauréat, les professeurs de faculté, qui ont cepen- 
dant à se prononcer sur le résultat d'études secondaires 
et non pas supérieures, restent trop souvent, même au 
cours des examens, professeurs d'enseignement supérieura 
Ils ne consentent pas toujours à s'abaisser au niveau 
d'une épreuve d'enseignement secondaire, au point qu'ils 
dédaignent la plupart du temps, comme vous le savez à 
merveille, la lecture des livrets scolaires des élèves et 
qu'ils préfèrent au témoignage des maîtres ordinaires 
des enfants le hasard, souvent trompeur, d'une constata- 
tion momentanée. 

11 y aurait certainement intérêt, non seulement pour 
l'enseignement secondaire, mais pour les trois ordres 



244 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

d'enseignement, à ce qu'ils ne demeurassent pas ainsi 
parqués dans trois provinces séparées. 

Et pour ne parler ici que de renseignement secondaire, 
il y aurait avantage à ce qu'il prît contact, d'une part 
avec l'enseignement primaire supérieur, avec l'enseigne- 
ment professionnel, et, d'autre part, avec les universités 
régionales. 

Il faudrait, en un mot, coordonner les études — 
comme vous le demandait, je crois, avec grand'raison, 
M. Gréard — de manière à faciliter aux bons élèves des 
écoles primaires supérieures le passage dans l'enseigne- 
ment secondaire, et à établir, d'autre part, la corrélation 
et l'harmonie nécessaires entre l'instruction donnée dans 
les lycées et collèges d'un ressort académique et les cours 
de l'université correspondante, cours variables suivant 
les régions depuis que nous avons créé les universités. 

11 y aurait donc lieu, à mon avis, d'assouplir les formes 
et de diversifier, autant que possible, les types de l'édu- 
cation secondaire. 

Des hommes éminents sont venus, si je ne me trompe, 
devant la commission, défendre le principe d'unité. On 
vous a dit — M. le président a bien voulu me communi- 
quer un certain nombre de dépositions faites devant 
vous — on vous a dit que la diversité de l'enseignement, 
pour peu qu'elle fût exagérée, ne serait pas seulement 
un vice pédagogique, mais un véritable danger national 
et un péril social. On vous a dit qu'il était indispensable 
de donner aux jeunes générations une âme et une pensée 
communes. On a ajouté que l'unité de l'éducation était 
la seule manière de créer, ou, plus exactement, de main- 
tenir un lien social et un lien national. 

Mais bien entendu, quand nous parlons, les uns et les 



APPENDICE. 245 

autres, de variété, de diversité, il ne saurait s'agir d'une 
variété capricieuse et désordonnée; il devrait rester, 
sous la diversité, une unité foncière, essentielle, et des 
parties principales intangibles. 

Qui pourrait songer, par exemple, à sacrifier l'étude 
approfondie de notre langue, de la littérature française 
et de l'histoire de France? Mais si tel lycée, en outre, 
enseigne le grec et le latin, si un autre enseigne le latin 
seul, un troisième l'allemand et l'anglais, d'autres l'alle- 
mand ou l'italien ou l'allemand et l'espagnol, où sera le 
péril? Où sera l'atteinte portée à la solidarité française? 
J'avoue que je ne l'aperçois pas et que les inconvénients 
de cette variété me paraissent chimériques. 

En revanche, les inconvénients de l'uniformité, telle 
qu'elle est aujourd'hui pratiquée, me semblent très réels 
et très graves. 

D'abord, je ne crois pas exagérer en disant que c'est 
l'uniformité qui crée l'instabilité des programmes. 

S'il y avait des types d'enseignement divers suivant les 
établissements, il en résulterait une sorte d'acclimatation 
progressive des enseignements appropriés aux diverses 
régions; il se produirait, à l'intérieur des établissements 
secondaires, des évolutions insensibles, graduelles, en 
conformité des besoins constatés ; il n'y aurait plus de 
ces heurts, de ces à-coups, de ces changements brusques 
qui s'étendent sur tout l'ensemble du territoire et qui 
risquent de bouleverser parfois de fond en comble un 
mécanisme gigantesque, précisément parce qu'ils sont 
généraux. 

En d'autres termes, je voudrais qu'on substituât la 
variété à la variation. 

C'est aussi, à mon avis, l'uniformité qui entraîne la 



210 REFOHUE DE L'ENSEIG^EMEM SECONDAIRE. 

surcharge des programmes. Chaque parcelle des connais- 
sances humaines tend naturellement à pénéirer dans 
l*enseignement, chaque spécialité — et avec raison — se 
trouve avoir ses défenseurs. 

Vous n*ignorez pas comment les choses se passent au 
conseil supérieur de Tinstruction publique. 

On veut réformer les programmes, les alléger, et on 
les surcharge toujours. C'est inévitable, parce qu'on se 
trouve constamment en présence d'une demande nouvelle 
et qu'il y a toujours, pour accueillir cette demande, les 
meilleures raisons à invoquer. Une exclusion absolue ne 
va jamais sans objections et il est difficile, pour ne pas 
dire môme impossible, de mettre au ban de tous les 
lycées et de tous les collèges, certaines notions 'qui sont 
défendues par des spécialistes éminenls. 

On finit ainsi par donner l'hospitalité à toute demande 
nouvelle dans les programmes. 

De là d'énormes compilations encyclopédiques, qui 
sont un peu comme les professions de foi électorales de 
l'enseignement secondaire ; et l'enseignement secondaire 
ne tient pas et ne peut pas tenir toutes les promesses 
qu'il a faites. 

La variété, telle que je la comprends, ne peut pas se 
concevoir, bien entendu, sans un certain degré d'auto- 
nomie des lycées et des collèges. 

Il va de soi que je ne parle pas d'une autonomie abso- 
lue, sans limite, ni contrôle, mais d'une autonomie qui 
ne pourrait s'exercer que sous la sauvegarde de certaines 
règles générales et immuables. 

Donner aux établissements d'instruction secondaire 
l'intensité de vie collective qui leur fait défaut et qui leur 
est, à mon avis, absolument nécessaire; leur inspirer le 



APPENDICE. 24'' 

sentiment de leur existence, sentiment qu'ils n'ont guère 
à l'heure présente ; développer en eux la conscience de 
leur personnalité; en faire des organismes réels, vivants, 
tel est, suivant moi, le but à poursuivre. 
Comment atteindre ce but? 

D'abord, — c'est l'évidence même, — en intéressant à 
l'existence de ces établissements les professeurs. Je 
touche là à une question qui vous a été soumise à plu- 
sieurs reprises, et qui est, à mes yeux, de premier ordre : 
c'est celle de la plus grande fixité possible du personnel 
et de son avancement sur place, dans la mesure où il se 
peut effectuer, — je crois, d'ailleurs, qu'on peut élargir 
de beaucoup cette mesure. > 

Ensuite, autour du lycée ou du collège, il faut, à mon 
avis, développer les sympathies locales, maintenir les 
sollicitudes en haleine. On ne doit pas négliger les con- 
seils municipaux, les conseils généraux, les associations 
d'anciens élèves, dont l'influence est aujourd'hui plus 
théorique que pratique, puisqu'elles n'interviennent pas 
dans le fonctionnement môme des établissements. Il faut 
tenir compte aussi des Chambres de commerce, des. 
Chambres d'agriculture; en un mot, il y a à organiser 
tout un système d'institutions de patronage et de comités 
consultatifs. 

Je n'entre pas dans les détails ; peu importent les pro- 
cédés : l'essentiel est d'accroître la force vitale du lycée 
et du collège en rattachant l'établissement à la région, 
au département, à la commune. 

Cela fait, chaque étabhssement prendra, par la force 
même des choses, une physionomie qui lui sera par- 
ticulière. Chacun se fera ses traditions, chacun 
aura ses succès, son amour-propre; et il s'étabUra, 



*M RÉFORME M L E5SEIG!(E1I£2(T SECO!(DAIR£. 

d'un établissement à l*aiitre, une émulation féconde. 
Le jonis du reste, où les professeurs auront appris à se 
considérer comme les membres d*une sorte de petite cité 
enseignante, ils cesseront d*étre ce qu'ils sont trop sou- 
vent aujourd'hui, c'est-à-dire des fonctionnaires de pas- 
sage, ils aimeront leurs lycées. 

Aujourd'hui ils aiment l'Université, ils sont les servi- 
teurs dévoués et intelligents de l'État; mais ils ne se 
sentent pas attachés à un lycée. Sous le nouveau régime, 
ils voudront assurer la prospérité du lycée ou du collège, 
auquel ils seront désormais plus étroitement liés ; ils ne 
se contenteront pas de faire, conmie aujourd'hui, leur 
classe consciencieusement, ils comprendront mieux qu'ils 
font partie d'un tout, qu'ils ont des devoirs communs à 
remplir et qu'ils collaborent à une œuvre d'ensemble, au 

lieu de poursuivre séparément des œuvres isolées 

Mais la direction et l'autorité du proviseur, c'est 

encore une question dont on vous a beaucoup parlé et 
qui est loin d'être réglée. La situation du proviseur a 
besoin d'être relevée et affermie; tout le monde paraît 
d'accord aujourd'hui sur ce point — c'est peut-être 
même la réforme qui sortira le plus sûrement de l'en- 
quête à laquelle vous procédez- 
Le proviseur ou le principal devraient, en réalité, 
comme le directeur en Allemagne, personnifier l'établis- 
sement, s'identifier avec son lycée ou son collège. 

Il est le représentant des familles dans son établisse- 
ment, il a la responsabilité de l'éducation générale; il 
faut donc qu'il ait — et il ne Fa malheureusement pas 
toujours — une situation morale et matérielle aussi haute 
que possible. 
Il y a des lycées dont la population est trop nombreuse, 



APPENDICE. 24d 

on VOUS a dit que la création en avait été une faute; mais 
peut-être était-il difficile de faire autrement. 

Quoi qu'il en soit, ces lycées existent : il est impossible 
de les diviser, de détruire les bâtiments qui sont con- 
struits, il faut bien profiter de ce que nous avons — 
mais qu'on soulage tout au moins le proviseur, qu'on lui 
donne des auxiliaires, et j'entends par là surtout des 
directeurs d'études, plus encorde que des surveillants 
généraux — qu'on lui assure partout une action plus 
libre et plus indépendante, une véritable suprématie mo- 
rale sur tout son personnel de professeurs. 

Aujourd'hui — ce n'est un mystère pour personne — 
beaucoup de professeurs croiraient déroger en devenant 
proviseurs, d'autant plus que, la plupart du temps et 
sauf exception, on les force à passer par l'échelon du 
censorat. 

Le proviseur est d'ailleurs confiné dans des besognes 
administratives assez médiocres; l'éducation et l'ensei- 
gnement en souffrent l'un et l'autre ; car l'enseignement 
est donné par chaque professeur, pour ainsi dire en 
série de tranches réglementaires, sans aucun souci des 
tranches qui sont servies par le professeur voisin. Quant 
à l'éducation, elle est beaucoup trop souvent abandonnée 
au hasard, le professeur ne cherche pas ou ne cherche 
que trop rarement à pénétrer dans l'intimité des élèves, 
il ne se mêle jamais ou ne se mêle que trop peu à leur 
vie intellectuelle et morale, il corrige leurs composi- 
tions, leur fait réciter leurs leçons, mais n'essaye guère 
de connaître leurs caractères et d'améliorer leur nature. 

Ce n'est pas assez d'avoir de bons proviseurs, il faut 
en avoir d'excellents ; nous en avons déjà, mais tâchons 
d'en avoir partout. 



250 RÉFORME DE LENSEIG>'EMENT SECOSDAIHE. 

Laissons-leur, ainsi qu*aux assemblées de professeurs, 
un peu d'initiative et de liberté pour la détermination des 
règlements intérieurs, et même à mon avis — c'est un 
point, je le sais, sur lequel tout le monde n*est pas d'ac- 
cord, mais j'irai volontiers jusque-là — et même, dis-je, 
pour la proposition, sinon pour l'adoption, des program- 
mes d'enseignement. 

La conclusion sera précisément de ne plus emprisonner 
l'instruction secondaire dans deux ou trois formes déter- 
minées, pour tout l'ensemble du territoire ; il pourra — 
je crois que ce sera excellent — y avoir une infmité de 
variantes. Je disais tout à Theure cependant que cette 
diversité devra, à mon avis, continuer à être dominée par 
quelques types généraux. 

Comment faudra- t-il concevoir ces types? Abandonne- 
rons-nous les études gréco-latines? Modifierons-nous 
l'enseignement moderne? Le garderons-nous en créant, 
à côté, un enseignement d'allures plus professionnelles 
et plus pratiques? 

Voici, en quelques mots, si vous me permettez de vous 
le donner, mon sentiment sur ces questions capitales : 

Je ne verrais pas, quant à moi, sans de très graves 
inquiétudes, disparaître de notre instiiiction secondaire 
les études gréco-latines. Je crois que nous devons con- 
server à l'antiquité notre reconnaissance et, en quelque 
sorte, notre amour filial. Elle est et reste, à mes yeux, 
la grande éducatrice; il serait même fâcheux, suivant 
moi, qu'on réduisît les études classiques au latin, et 
qu'on bannit le grec de tous nos lycées — je dis : de tous 
nos lycées, parce que j'admets les variantes. 

Comme l'a très bien dit M. Gaston Paris, la Grèce est la 
source, et le latin n'est après tout qu'un réservoir où le 



APPENDICE. 251 

flot a passé en sortant de cette source. Mais il ne me 
paraît pas nécessaire de donner renseignement gréco-latin 
dans tous les lycées et collèges sans distinction ; je crois 
môme que cette dissémination, cet éparpillement, affai- 
blissent les études plutôt qu'ils ne les fortifient. Il vau- 
drait mieux les concentrer dans un plus petit nombre de 
lycées et en môme temps les relever. Mais il faut s'en- 
tendre sur le sens de ces mots « fortifier n et « relever». 

Il y a aujourd'hui, dans l'enseignement gréco-latin, 
une tendance, qui vous a été signalée, que nous connais- 
sons tous d'ailleurs et que nous avons tous pu constater : 
je veux parler de la tendance à l'érudition archéologique 
et philologique, que nous paraissons avoir empruntée, je 
ne dis pas aux gymnases allemands — ce serait une 
erreur — mais aux universités allemandes. 

Nos agrégés, qui sont souvent, pour ne pas dire 
presque toujours, des savants, oublient parfois qu'ils 
doivent être des professeurs, quand ils entrent dans le 
collège ou dans le lycée. 

Qu'est-ce que la vertu éducative des littératures an- 
ciennes? Repose-t-elle sur l'étude spéciale de l'histoire, 
des mœurs ou des monuments gréco-latins? Réside-t-elle 
dans la curiosité des détails? 

Elle n'est pas du tout dans ce qui distinguait les civi- 
lisations antiques de la civilisation moderne; elle est tout 
au contraire dans ce qu'il y avait, dans l'antiquité, de 
durable, de permanent, de général et de profondément 
humain. 

Fortifier les études gréco-latines, ce ne serait donc pas 
assurément les faire davantage pencher vers l'érudition 
grammaticale, vers la science épigraphique, vers les 
rc^cherches et les curiosités de linguistique ou de pro- 



'^52 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

sodie; non, ce serait, au contraire, leur restituer — et 
je crois que là est le but à rechercher — leur sens pro- 
fond et leur portée naturelle. 

Certes, je ne suis pas de ceux qui croient que cette in- 
contestable force éducatrice des langues mortes n'appar- 
tienne qu'à elles et je ne juge pas impossible de donner 
en dehors d'elles, aux écoliers une culture intellectuelle, 
classique et morale. Je sais qui3 je heurte, sur ce point, 
le sentiment d'un certain nombre de membres de la com- 
mission et je pense, du reste, qu'à cet égard, mon col- 
lègue et ami M. Bourgeois, qui assiste à cette séance, est 
b.iaucoup mieux qualifié que moi pour donner des expli- 
cations sur l'origine même de l'enseignement moderne et 
sur les conditions dans lesquelles il a été créé. Cet ensei- 
gnement a été — si je ne me trompe — assez attaqué 
devant la commission et il appartiendra à son principal 
créateur de le défendre devant vous. 

Il voudra bien me pardonner d'en dire quelques mots, 
pour bien marquer que nous sommes, sur ce point, 
d'accord avec les principaux chefs de l'Université. 

11 est certain que l'enseignement moderne — et je 
réponds ici à une question que me posait tout à l'heure 
mon ami M. Sauzet — n'a pas eu du tout la prétention 
d'être un enseignement pratique et professionnel, lors- 
qu'on l'a créé, et qu'il n'a pas eu pour objet de remplacer 
l'ancien enseignement spécial ; il ne saurait par consé- 
quent — je reviendrai sur ce point, si vous le pL^mettez 
— nous dispenser d'organiser, à côté de lui, une instruc- 
tion industrielle, commerciale et agricole de sens plus 
pratique. 

Mais la question est desavoir si, entre les études gréco- 
latines et cet enseignement pratique qui est presque 



APPENDICE. 253 

entièrement à créer, qui est tout au moins à ressusciter 
et à développer, il y a avantage ou inconvénient à avoir 
un second type d'enseignement classique comprenant la 
langue et la littérature françaises, deux langues vivantes, 
les sciences, Thistoire et la géographie. ^7 

Je n'hésite pas à dire que, à mon avis, il y a plutôt 
avantages qu'inconvénient ; et je partage, sur ce point, le 
sentiment de M. Lavisse qui disait : « C'est une variété 

qui ne saurait qu'enrichir l'esprit national. » 

L'égalité des sanctions ne serait pas pour m'effrayer. 

Les facultés de droit et de médecine ont fait, devant la 
commission, une belle résistance ; mais M. Ribot se rap- 
pelle mieux que personne le mal que nous avons eu autre- 
fois, lui et moi, à vaincre l'hostilité de l'administration 
de l'enregistrement et de celle des contributions dh^ectes. 
Je crois que s'il ne s'était pas trouvé, au même moment, 
un ministre des finances et un ministre de l'instruction 
publique qui eussent eu, sur ce point, des idées absolu- 
ment concordantes, nous ne serions jamais arrivés à sur- 
monter cette résistance. 

Que l'avocat, le magistrat, le médecin doivent avoir 
une culture générale classique, c'est assurément indénia- 
ble; mais si l'enseignement moderne peut, comme le pen- 
sent MM. Gréard, Lavisse et Perrot, avoir précisément le 
caractère classique, général, universel, pourquoi ne pas 
lui donner indifféremment une issue sur toutes les 
avenues de l'enseignement supérieur? 

M. Brouardel a cru remarquer une certaine infériorité 
chez les étudiants originaires de l'enseignement moderne, 
qui ont pu, grâce à des dispenses, obtenir l'entrée à la 
faculté de médecine. 

Cette expérience est forcément bien incomplète, bien 



254 REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

limitée, c'est là une statistique bien insuffisante ; et celle 
épreuve est démentie par les constatations de ceux qui 
ont été le plus à même d'observer les éludes modernes. 
Je crois qu'aucune expérience, à cet égard, n'est en réalité 
comparable à celle que peut fournir l'honorable M. Gréard. 
Resterait l'objection tirée des nécessités mômes de 
l'enseignement juridique ou de l'enseignement médical. 
En ce qui concerne la médecine, il suffirait que l'étu- 
diant connût l'étymologie des mots usuels. 
On a insisté davantage, en ce qui touche le droit, 
M. le président. — A cause du droit romain! 
M. Raymond Poincaré. — Oui, mais je me refuse à 
comprendre, pour ma part, qu'il soit indispensable, pour 
tout étudiant, de lire et de commenter les Pandecies dans 
le texte ; le droit romain peut s'apprendre autrement, il 
n'a d'ailleurs, aujourd'hui qu'un intérêt historique. Je 
l'ai écarté, quant à moi, lorsque j'ai fait la réforme de 
l'enseignement, de l'une des branches du doctorat ; et je 
ne suis pas sûr que, dans l'autre, il ne pourrait pas être, 
partiellement au moins, remplacé avec avantage par 
l'étude des législations étrangères modernes. 

J'irai jusqu'à dire — c'est un blasphème, mais je 
n'hésite pas à le proférer — que l'influence trop répan- 
due du droit romain formaliste et sacrementel n'a pas 

toujours été sans danger pour l'esprit français 

Je crois vraiment — je vais peut-être un peu loin — 

que si nos Assemblées parlementaires sont aussi byzan- 
tines (On rit), c'est parce que nous avons des habitudes 
romaines de concevoir les discussions juridiques. 

J'accorderais donc volontiers à l'enseignement moderne 
l'égalité des sanctions ; mais je n'entends pas par là que 
cet enseignement soit, dans l'état actuel, irréprochable. 



APPENDICE. 255 

Indépendamment des variantes que pourraient suggé- 
rer les initiatives des établissements, il y aurait sans 
doule à introduire dans cet enseignement et des amélio- 
rations générales. Je ne parle ici que du principe, bien 
entendu; je n'entre pas dans tous les détails. J'indique 
cependant la nécessité évidente de développer la partie 
scientifique. M. Darboux vous a donné sur ce point des 
renseignements précieux. 

A côté de ce type d'enseignement secondaire classique, 
il resterait à organiser mainten^ïl un enseignement 
secondaire pratique plus directement tourné vers la vie. 
La commission connaît les causes de l'échec de la très 
intéressante tentative faite par M. Duruy. Il faut reprendre 
cette idée sur de nouveaux frais et l'adapter aux néces- 
sités actuelles, en se gardant bien de l'étouffer dans un 
cadre trop restreint et trop étroit. 

Nos deux enseignements classiques orientent aujour- 
d'hui nos écoliers vers ce qu'on est convenu d'appeler les 
professions libérales, les carrières administratives, judi- 
ciaires, militaires; or, pourquoi n'y aurait-il pas, dans 
un grand nombre de lycées et collèges, aussi bien que 
dans les écoles primaires supérieures, un enseignement 
professionnel, agricole, industriel, commercial, un ensei- 
gnement qui fût apte à développer davantage les facultés 
actives et qui préparât les jeunes gens plus immédiate- 
ment à la vie moderne? Cet enseignement comprendrait 
l'économie industrielle, le commerce, l'agriculture, les 
sciences appliquées, la chimie pratique, la mécanique 
élémentaire, la géographie coloniale; en un mot, toutes 
les notions qui peuvent servir à développer non seule- 
ment la vie intellectuelle, mais la vie matérielle d'un 
grand peuple; qui sont susceptibles de contribuer à di- 



256 REFOUME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

versifier les goûts des individus et à multiplier les mani- 
feslalions du travail humain. 

Toutes ces notions devraient être non pas, bien entendu, 
réunies, accumulées, mais réparties et classées suivant 
les besoins des régions. 

Les langues vivantes, naturellement, auraient à prendre 
dans cet enseignement une place considérable. 

J'estime, messieurs, que renseignement des langues 
vivantes est encore déplorablement négligé en France ; 
il y a certainement progrès depuis quelques années ; 
mais ce progrès est tout à fait insuffisant, et j*ai été un 
peu étonné, l'autre jour, de constater l'optimisme d'un 
certain nombre de témoins que vous avez entendus 

Si la France veut lutter avec les autres nalions 

d'influence morale, scientifique, industrielle, il faut 
qu'elle consente à regarder un peu par-dessus ses fron- 
tières et qu'elle ne se replie pas aveuglément sur elle- 
même. 

Comment s'apprennent les langues vivantes? Elles 
s'enseignent beaucoup plus par l'oreille que par les yeux; 
et, c'est ce qu'on semble constamment ignorer en France. 
Pourtant, c'est le pays du monde où cette vérité devrait 
être la moins méconnue, car le Français a peut-être plus 
de mal que l'Anglais et l'Italien à entendre et à parler 
d'autres langues que la sienne. Pourquoi I 

Parce qu'il a une langue à peu près sans accent tonique 
ou, tout au moins, à accent terminal uniforme. Au con- 
traire, l'Allemand, l'Anglais, l'Italien ont des langues 
qui se transforment complètement à l'audition, après 
qu'on les a apprises sur le papier. C'est donc une raison 
de plus de former de bonne heure l'oreille de nos enfants. 

Il y a un autre motif d'habituer les élèves à parler les 



APPENDICE. 257 

langues étrangères plus encore qu'à les lire, à les enten- 
dre plus encore qu'à les traduire dans les livres : c'est que 
pour s'accoutumer à penser dans les langues étrangères 
il faut savoir les entendre et les parler. 

Il est en effet établi, et c'est une constatation que 
nous pouvons tous faire sur nous-mêmes — que la plu- 
part des hommes pensent exclusivement des mots parlés. 
Ainsi, lorsqu'une idée nous vient à l'esprit, nous avons 
la sensation du son des mots beaucoup plus souvent que 
la vision des caractères écrits 

Si vous aviez la curiosité délire, sur ce point, des 

choses extrêmement intéressantes, vous n'avez qu'à vous 
reporter aux études de M. Binet et au livre de M. Th. 
Ribot sur les Idées générales. 

Ainsi, la plupart des hommes pensent avec la sensation 
du son; il faut donc, pour que les enfants pensent en 
allemand ou en anglais, qu'ils parlent et entendent ces 
langues. ^> 

J'en conclus que le séjour à l'étranger serait évidem- 
ment très utile et qu'on ne saurait qu'approuver l'insti- 
tution et le développement des bourses de voyage. Mais, 
en dehors même de ce complément d'instruction qui ne 
peut pas être donné à tout le monde et qui, dans tous les 
cas, serait assez dispendieux, le professeur devrait déve- 
lopper dans sa classe, plus qu'on ne le fait aujourd'hui, 
l'usage des conversations. 

On vous a dit que cette méthode se pratiquait dans les 
lycées de jeunes filles, où elle réussit très bien; malheu- 
reusement, elle est encore fort négligée dans les lycées 
de garçons. J'ajoute que, dans quelques étabUsse- 
menls au moins, on pourrait aller plus loin et donner, 
pendant un an ou deux, d'autres enseignements, celui 

RIBOT. — RÉFORME ENSElGlf. SECO.ND. 17 



258 UÉFORME DE L'ENSEIGNE31ENT SECONDAIRE. 

de rhistoire, par exemple, dans une langue vivante. 
C*est ce qui se pratique à l*école alsacienne et, si je ne 
me trompe, dans certains lycées de Russie et d*autres 
pays étrangers. Ce serait, à mon avis, une méthode 
très utile à introduire dans notre enseignement en 
France. 

Si nous établissons ainsi cette variété dans renseigne- 
ment secondais, si nous brisons les cadres trop étroits, 
si nous multiplions les types d'enseignement, en donnant 
plus d'indépendance aux établissements, nous nous trou- 
verons forcément amenés soit à supprimer, soit à modi- 
fier profondément le baccalauréat. 

La commission a entendu de très éloquents adversaires 
de ce diplôme; on lui a tout dit, je crois, contre le bac- 
calauréat, on a fait observer qu'il faussait les études, 
qu'il les abaissait, qu'il encourageait les procédés de 
dressage mnémotechnique, qu'il comportait — ce qui 
est incontestable — un effroyable aléa, qu'il poussait les 
jeunes gens à la recherche d'une vaine distinction sociale, 
enfin qu'il était, avant même l'heure des décorations, le 
premier hochet dont s'amuse, en naissant, l'amour-propre 
français. 

Tous ces reproches sont fondés, et l'on pourrait en 
ajouter d'autres, mais malheureusement il n'est pas facile 
de remplacer le baccalauréat; et la preuve, c'est que 
chaque adversaire de ce diplôme apporte son système 
personnel. 

11 est d'autant plus malaisé de trouver une solution 

satisfaisante, qu'on ne peut pas écarter de l'examen de ce 

problème, déjà fort délicat en lui-même, la question de 

l'enseignement libre. 

Or je suis de ceux qui respectent tout à fait cette liberté 



APPENDICE. 259 

d*enseignement; je me refuse même à ruser avec elle et 
à lui porter atteinte par voie détournée. 

Seulement, en revanche, je trouve que l'État doit avoir 
le légitime souci de ses prérogatives essentielles et qu'il 
ne peut pas renoncjer notamment au>droit souverain de 
la collation des grades. Il n'est donc pas possible de lais- 
ser tous les établissements publics ou privés maîtres de 
délivrer des certificats d'études secondaires, qui seraient 
des attestations de valeur égale et de sanctions identiques 
à celles de l'État. C'est impraticable. 

Du reste, avant la loi de 1850, lorsque les examens du 
baccalauréat se passaient dans les lycées et collèges, de 
nombreux mécontentements — si les renseignements 
que j'ai recueillis sont exacts — étaient provoqués par 
les faveurs et les passe-droits que cette pratique per- 
mettait. 

A tel point que M. de Salvandy fut forcé de mettre fin 
à cet état de choses. 

Je serais porté, en face de toutes ces difficultés, è ad- 
mettre de préférence une combinaison transactionnelle. 

Je n'hésiterais pas à introduire dans les jurys d'examen 
des agrégés, des professeurs d'enseignement secondaire, 
sous la présidence d'un membre de l'enseignement supé- 
rieur. Ce serait, à mes yeux, une occasion entre mille 
de les rapprocher, comme j'en exprimais tout à l'heure le 
désir. 

Je ne verrais môme pas d'inconvénients à ce que le 
lycée ou le collège pût être représenté, auprès de ce 
jury, par un professeur délégué qui serait à même de 
confirmer le témoignage des maîtres des élèves, de com- 
menter le livret scolaire, de forcer les membres du jury 
à le consulter et à en tenir compte. 



260 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

En un mot, j'essayerais d'enlever le plus possible au 
baccalauréat ce qu'il a de chanceux et d'artificiel. 

Ce ne serait pas là le régime parfait; l'idéal serait que 
le baccalauréat ne fût plus qu'un examen de sortie, suc- 
cédant à une série d'examens de passage ; mais je ne vois 
aucun moyen d'organiser toute une série d'examens de 
passage dans les établissements d'enseignement libre. 

On pourrait sans doute dispenser d'une partie de 
répreuve finale les élèves qui auraient subi avec succès 
les examens de passage devant des jurys d'État; mais 
encore celte mesure répugnerait-elle à bon nombre d'es- 
prits attachés à l'idée d'égalité. 

Dans tous les cas, j'inclinerais à supprimer la double 
épreuve de rhétorique et de philosophie, double épreuve 
qui dresse successivement deux barrières factices sur la 
piste des élèves et qui les pousse, deux fois de suite, à 
ramasser toutes leurs force en vue d'un saut générale- 
ment périlleux, et cela au préjudice de toute la partie de 
l'enseignement qui n'aboutit pas à ces deux obstacles. 

Je donnerais à ce baccalauréat réformé, devenu, autant 
que possible, un certificat d'études secondaires, toute la 
souplesse, toute la malléabilité nécessaire pour s'accom- 
moder à la multiplicité d'un enseignement vivifié et ra- 
jeuni. 

Je n'ai pas, bien entendu, la prétention d'indiquer, à 
cet égard, un système ferme, aux lignes rigoureusement 
arrêtées; je me borne, tout au contraire, à en esquisser 
un avec des lignes très flottantes — comme vous le voyez 
— au moyen et à l'aide de quelques idées directrices. 
J'avoue d'ailleurs que, dans une matière aussi contin- 
gente, je me défie beaucoup des théories absolues 



Déposition de M. Léon Bourgeois. 

(Extraits). 

Si l'on regarde de près aux faits qui préoccu- 
pent l'opinion, «il est facile de les grouper sous deux 
points de vue entièrement distincts l'un de l'autre. Les 
uns parlent d'un affaiblissement des études, les autres de 
la diminution de la population des établissements publics. 
Ces deux faits, s'ils sont exacts, proviennent de causes 
tout à fait différentes, et ne peuvent avoir au point de 
vue politique et social la même signification. 

Qu'il y ait un affaiblissement général des éludes, je ne 
le crois pas. Un affaiblissement spécial de certaines 
études, un moindre goût, un moindre succès dans cer- 
tains exercices de l'enseignement littéraire classique, 
peut-être; et encore cela n'est-il pas vrai des élites, des 
élèves chez lesquels existe véritablement la vocation lit- 
téraire. Mais, pour l'ensemble des élèves, on ne peut pré- 
tendre qu'il y ait un abaissement général du niveau des 
études, une moindre culture des intelligences, une pré- 
paration moins complète à la vie de l'esprit. 

J'ai fait de cette question l'examen le plus attentif 
pendant mes deux passages au ministère de l'instruction 
publique. J'ai examiné les avis des recteurs, des inspec- 



262 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

leurs généraux, des présidents des jurys d'agrégation; 
j'ai causé fréquemment avec les maîtres chargés des exa- 
mens de toute nature, du doctorat au baccalauréat, avec 
les correcteurs des copies des concours généraux. 

Et mon sentiment est tout à fait conforme à celui 
qu'exprimait devant vous M. Gréard. Les résultats de 
l'enseignement secondaire peuvent, sur certains points, 
être différents : et cela suffit pour expliquer les plaintes 
de certains professeurs éminents, attachés, c'est leur 
droit, je dirai même leur honneur, à certaines formes 
anciennes de leur enseignement, dont ils ont é[)roiivé la 
valeur, et naturellement défiants de nouveautés dont ils 
n'ont point fait l'épreuve. Mais les résultats, dans l'en- 
semble, ne sont pas moindres, notre jeunesse n'est pas 
inférieure à ce qu'elle était autrefois, l'éclat de l'élite 
n'est point affaibli, et, dans la moyenne de nos élèves, le 
fond, la solidité restent les mêmes, et peut-être peut-on 
constater plus d'aptitude à la réflexion, plus de goût pour 
l'observation personnelle. Suivant le mot de M. Gréard, 
si les esprits peuvent être moins affinés, ils sont au moins 
autant, et sans doute plus nourris, je dirais volontiers 
qu'ils ont plus de maturité qu'autrefois. 

Il est un point, en tout cas, sur lequel je repousse très 
nettement les critiques dirigées contre notre enseigne- 
ment secondaire, c'est celui de la discipline. 

L'état actuel peut être ici, sans crainte, comparé à l'état 
d'autrefois. 

Des résultats remarquables ont été produits par la ré- 
forme de la discipline dans nos établissements, réforme 
que j'ai eu l'honneur de signer, mais dont je puis parler 
librement, car je n'en suis pas l'unique auteur : c'est le 
travail même de l'Université, du conseil supérieur, des 



APPENDICE. 263 

chefs de renseignement qui s*est trouvé résumé dans les 
instructions que j'ai données à cet égard. 

Je ne veux qu'une preuve de ces heureux résultats; 
c'est ce fait que l'on n'entend pour ainsi dire jamais 
plus parler de troubles graves dans aucun de nos établis- 
sements 

On objecte cependant un fait certain, la diminution 

du nombre de nos élèves. Mais il faudrait d'abord tenir 
compte du nombre des élèves qui, autrefois, dans les 
petits collèges, dans les classes élémentaires des lycées, 
venaient à l'enseignement secondaire proprement dit, et 
vont maintenant à l'enseignement primaire supérieur. A 
Paris, notamment, ce sont choses connues : on a créé de 
très belles écoles d'enseignement primaire supérieur qui 
retiekinent autant que possible la clientèle des écoles pri- 
maires, qui sont dirigées par des maîtres de même ori- 
gine que ceux des écoles primaires et en relations directes 
avec eux. 

L'enseignement primaire supérieur trouve là une clien- 
tèle et cherche à la conserver. Quand ces écoles n'exis- 
taient pas, un grand nombre d'enfants qui en avaient fini 
avec l'école primaire et qui avaient les ressources suffi- 
santes pour continuer leurs études venaient prendre, au 
moins dans les classes élémentaires et dans l'enseigne- 
ment spécial, ce complément d'études qu'ils trouvent 
aujourd'hui dans les écoles primaires supérieures. Si on 
pouvait faiie un départ bien exact des sources qui se sont 
ainsi séparées, on apercevrait que la diminution de l'en- 
seignement public est moins grande qu'on ne l'imagine 
au premier abord. 

Mais ce n'est là qu'un point secondaire et il y a, je le 
reconnais, d'autres causes de la diminution de la popula- 



254 REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

tion de nos élablissements universitaires. La principale 
en est dans le développement considérable de Tenseigne- 
ine»t congréganistc. Je dis l'enseignement congréganiste 
et non rcnscignetiient libre, parce que ce sont les con- 
grégations qui détiennent presque tout renseignement 
libre, et que l'enseignement libre laïque a été la véritable 
victime du régime dit de liberté de renseignement insti- 
tué par la loi de 1850. Mon ami M. Poincaré a dit qu'il ne 
croyait pas possible et, en tout cas, bon de porter atteinte 
au principe de la liberté de l'enseignement. Je m'associe 
à ces paroles, et ce que je dis en ce moment n'est pas la 
préface d'une attaque contre le principe même de la 
liberté d'enseignement. J'indiquerai tout à l'heure cont- 
ment j'imagine que peuvent être conciliés ces deux inté- 
rêts généraux et supérieurs, la liberté de l'enseignement 
d'une part, et, de l'autre, l'unité morale du pays, par le 
contrôle nécessaire de l'État sur l'enseignement privé. 
7 Quoi qu'il en soit, les faits sont lA : la loi de 1850 a 
créé dans notre pays, parallèlement à l'enseignement de 
l'Université, un enseignement congréganiste dont le succès 
a été très considérable et dont les élablissements contien- 
nent aujourd'hui une clientèle à peu près égale à la niuitié 
de la clientèle totale. Ce régime a-t-il produit les fruits 
qu'on attend généralement de la liberté? Je crois que les 
défenseurs les plus passionnés de la loi de 1850 n'ose- 
raient le soutenir : ils reconnaîtront avec nous qu'il n'est 
résulté de la loi de 1850 aucun profit pour la véritable 
liberté de l'enseignement, c'est-à-dire pour la liberté des 
méthodes, pour la recherche des procédés nouveaux, pour 
l'initiative des éducateurs, en un mot pour le progrès de 
la science pédagogique. 

M. le président. — Tous les représentants de l'ensei- 



APPENDICE. 265 

gnement libre que nous avons entendus l'ont reconnu, 
mais ils ont dit que la cause en était dans la rigidité des 
examens. 

M. Léon Bourgeois. — C'est possible; mais j'analyse en 
ce moment les faits, et ces faits sont incontestables. On a 
simplement créé un second monopole à côté de celui de 
rUniversité. Tel est le fait brutal. On dit quelquefois que 
c'est le monopole de l'Église catholique opposé au mono- 
pole de l'État. Pour être tout à fait exact, il faudrait même 
dire, non pas « monopole de l'Église catholique », mais 
dans « l'Église catholique, monopole de certaines congré- 
gations ». 

M. le président. — Il y a, dans l'enseignement ecclé- 
siastique, sa4)s parler des petits séminaires, un grand 
nombre d'institutions dirigées par des prêtres sous Tau- 
torité diocésaine. Il est difficile d'avoir des statistiques 
exactes; néanmoins, j'ai fait demander aux inspecteurs 
d'Académie de faire ce départ autant qu'ils le pourraient, 
d'après les renseignements qu'ils ojit à leur disposition, 
de façon à savoir quelle est la part afférente aux congré- 
gations, toutes plus ou moins indépendantes de l'évêque. 
Quelques-unes môme le sont totalement; cela nous a été 
dit dans l'enquête. Les jésuites notamment ferment leurs 
portes aux délégués de l'évoque. 

M. Léon Bourgeois. — Vous dites précisément ce que 
j'allais dire et je suis heureux que vous recueilliez des 
renseignements exacts et des chiffres sur ce point. J'ai 
recueilli, moi aussi, des plaintes d'intéressés qui ne par- 
tagent nullement mes idées politiques générales. J'ai en- 
tendu notamment des évêques se plaindre de la grande 
, importance que prenaient dans leurs diocèses certains 
établissements congréganistes sur lesquels ils n'avaient 



2(36 REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

aucune espèce d'autorité et de contrôle. Ils me disaient 
que leurs maisons périclitaient pendant qu*en face d'eux 
grandissait Tinfluence d'éléments appartenant également 
à la religion catholique, mais ne dépendant pas de Tëglise 
nationale. 

M. le président. — Il n'est pas bien sûr que les con- 
grégations gagnent partout du terrain vis-à-vis de l'autre 
enseignement. 

M. Léon Bourgeois. — Cela dépend des diocèses 

En suivant l'ordre des questions, j'examinerai 

d'abord celle du régime des lycées et collèges. 

J'ai dit que ma solution du problème n'était pas de 
porter atteinte à la liberté de l'enseignement; elle est, au 
contraire, de donner la liberté à l'Université elle-même. 

Voilà le principe que j'indique comme essentiel et dont 
s'inspireront mes réponses successives aux divers points 
du questionnaire. 

Actuellement, il y a un corps qui ne jouit pas de la 
liberté de l'enseignement ; c'est l'Université; elle ne 
s'appartient pas, ne peut pas se réformer, faire facilement 
des expériences, se livrer à des essais. Cela tient à la 
centralisation extrême du régime universitaire. En par- 
lant ainsi, je n'ai pas besoin de le dire, je n'ai aucune 
pensée de critique envers les hommes éminents qui sont 
à la tête de l'Université, nul plus que moi ne rend hom- 
mage à leurs mérites; je les respecte profondément; j'ai 
personnellement et longuement travaillé avec eux; la 
plupart sont mes amis. Je puis dire, d'ailleurs, que je 
crois être d'accord avec eux sur le point qui nous occupe. 
Ils souffrent eux-mêmes de celte centralisation exclusive 
dont ils portent tout le poids. 

Le chef légal de l'Université est bien le ministre de 



APPENDICE. 207 

l'instruction publique, mais les ministres passent vite; 
et si, comme le faisait remarquer M. Poincaré, ils re- 
viennent quelquefois, ils passent rapidement même quand 
ils reviennent. Ils ont donc rarenient ou la compétence 
ou le temps nécessaire pour prendre en mains et mener 
à son terme toute une réforme ; à chaque ministre nou- 
veau viennent des idées nouvelles ; et l'on a cette contra- 
diction d'une centralisation excessive et d'une perpétuelle 
mobilité dans l'autorité centrale : on n'a, en d'autres 
termes, ni le bienfait des libres initiatives, ni celui de la 
continuité des vues. Il y a bien, dit-on, le conseil supé- 
rieur qui représente cette continuité ; oui, mais quelle 
que soit la haute valeur de ses membres, l'organisation 
électorale de ce conseil, le caractère du mandat donné à 
chacun de ceux qui le composent en font une réunion, 
une juxtaposition de spécialistes, plutôt qu'une assemblée 
représentant vraiment les intérêts généraux, le caractère 
national, social de l'Université 

L'unité administrative, la subordination de tous 

les établissements à une règle uniforme sont poîir les 
chefs de l'Université un obbtacle exlraordinaircnient 
puissant : les réformes qu'ils peuvent avoir en vue devant 
s'appliquer inflexiblement à tous les hcées et collèges, 
ils reculent bien souvent eux-mêmes devant toute tenta- 
tive. Ils se disent qu'ils n'ont pas le droit de risquer le 
lendemain de la jeunesse française sur une expérience qui 
sera pi^ut-ôlre bonne, mais qui peut aussi être mauvaise. 
Ils préfèrent donc renoncer à certains progrès plutôt que 
de les entreprendre dans un cadre aussi vaste et dans 
des conditions d'aléa aussi périlleuses. 

Je le répèle, je crois que je serai d'accord avec eux- 
mêmes en proposant de donner le plus de liberté possible 



7 



268 REFORME DE L'ENSEIGNEIIENT SECONDAIRE. 

à rUniversité. J'ai entendu avec pliaisir mon collègue et 
ami M. Poincaré dire que Tune des améliorations qui lui 
paraissaient le plus désirables était de donner une auto- 
nomie aux établissements universitaires. Cest par là qu*il 
faut commencer. 

Venons d'abord au proviseur et au principal. Actuelle- 
ment leur situation est très difficile. Le proviseur, le 
principal n'est pas, dans la haute acception du terme, un 
chef d'établissement. 11 en a le titre, les responsabilités; 
il n'en a pas les pouvoirs, les initiatives, l'autorité. 

C'est un fonctionnaire, subordonné plus étroitement à 
ses chefs administratifs que ses collaborateurs ne le sont 
à lui-môme. Aussi est-ce un fonctionnaire qui passe, et 
qui passe rapidement, dans les maisons où il serait le 
plus nécessaire de s'attacher et de demeurer, dans les 
établissements peu prospères où la clientèle a décru, où 
la concurrence est redoutable. Pour les principaux sur- 
tout, que d'incessantes demandes de changement! 

C'est un fonctionnaire et, dans les grands établisse- 
ments, un fonctionnaire débordé de besogne administra- 
tive. La centralisation, qui rend le ministre légalement, 
parlementairement responsable de tout ce qui passe dans 
chaque maison, a celte conséquence d'obliger le proviseur 
à passer le meilleur de son temps non à diriger cette vie 
inférieure, mais à en rende compte. Ce sont incessam- 
ment des rapports, des notices, des statistiques, une cor- 
respondance sans fin avec inspecteur, recteur ou ministre. 
Comment, dans les très grands lycées, le proviseur 
pourrait-il, ainsi surchargé, suivre chacun des élèves, en 
prendre la charge intellectuelle et morale? 

Ajoutez qu'il n'a aucun pouvoir sur les programmes, il 
n'a aucun droit de modifier, d'assouplir les cadres des 



APPENDICE. 209 

enseignements pour répondre aux besoins, aux vœux de 
la ville, de la région. 11 est enfermé dans son budget 
comme un simple comptable, et l'établissement de ce 
budget, qu'arrête seule Tautorité centrale, n'est pour lui, 
comme Ta fort bien dit M. Poincaré, qu'une opération 
administrative. Ce n'est point ce que doit être le budget 
d'une maison vivante : un travail où ceux qui sont 
chai'gés d'en assurer l'existence et le développement se 
rendent compte des dépenses nécessaires, des recettes 
probables et arrêtent au mieux des intérêts de l'œuvre la 
distribution des unes et des autres. 

Je pense qu'il faut concevoir d'une façon plus large et 
plus libre le rôle du proviseur ou du principal. 11 faut 
que le lycée ou le collège soit mis, comme l'a dit M. La- 
visse, au régime républicain, c'est-à-dire que la vie col- 
lective s'y développe, que l'initiative y soit permise, que 
les maîtres y soient associés à l'action commune, et que 
leur chef, groupant autour de lui tous les éléments 
vivants de la maison, y soit considéré et se considère lui- 
même comme le représentant responsable de cette petite 
société, pouvant se mouvoir dans les limites très larges 
de l'organisation générale de l'enseignement public, et 
ayant, dans ces limites, pleine initiative et pleine autorité. 

En deux mots il faut donner aux établissements une 
autonomie et des chefs responsables. Voilà la première 
réforme à faire. Je vais très loin dans cette pensée. 
J'avoue que l'expérience que nous avons faite de l'auto- 
nomie des universités m'encourage à aller peut-être plus 
loin que ne semblait le proposer M. Poincaré et à ad- 
mettre que ce serait d'un grand profit pour les lycées 
et les collèges que d'en faire de véritables personnes 
morales 



270 UÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

Prenons Texemple du budget. Si ce budget, 

alimenté par les ressources diverses que vous connaissez, 
prix de pension, frais d'études, rétributions diverses, 
subventions des villes, de TÉlat, etc., était mis, sauf un 
droit supérieur d'autorité et de contrôle de l'État, à la 
libre disposition du conseil de rétablissement et géré par 
le proviseur suivant certaines conditions très générales 
seules maintenues par les règlements, je suis assuré que 
cette petite fortune serait employée avec beaucoup plus 
de profit pour tout le monde. 

J'ai plus confiance dans le proviseur entouré de son 
conseil que dans le cbef de tel bureau du ministère pour 
savoir ce qui sera utile à l'enseignement, aux enfants, à 
la maison. 

M. Raymond Poincaré. — J'inclinerais volontiers en ce 
sens. 

M. Léon Bourgeois. — Il y aura, je le répète, certaines I 

règles générales, établies par l'autorité centrale, et qui v 

devront être observées. L'Étal, par exemple, décide que 
les professeui's de telle catégorie doivent avoir un traite- 
ment de telle importance; il y aura donc, de ce chef, une 
partie du budget qui restera invariable. M. le président 
indiquait tout à l'heure, et je suis de son avis, la posb'i- 
bilité de distinguer entre le budget de l'internat et celui 
de l'enseignement. Mais même dans le budget de l'ensei- 
gnement il peut y avoir des parties à laisser à la libre 
disposition du chef d'établissement, par exemple des allo- 
cations à donner pour tel enseignement complémentaire, 
des encouragements au développement de telle étude, 
toutes choses pour lesquelles il faut aujourd'hui en référer 
à l'inspecteur d'académie, puis au recteur, puis à quelque 
bureau du ministère avant d'obtenir une solution. Si 



APPENDICE. 271 

toutes ces questions^pottvaient'Be rêsoigjtre surjlace, les 
lignes générales étant maintenues et les limites du budget 
étant respectées, on gagnerait du temps et on profiterait 
des initiatives. Et j'ajoute qu'on susciterait ces initiatives, 
car on ne se met guère en frais d'idées nouvelles quand 
on n'a aucune somme d'argent à sa disposition pour les 
réaliser. 

En somme, je conçois le lycée ou le collège comme 
devant être une personne morale, ayant sa liberté, sa vie 
propre et collective. J'ajoute que je le voudrais aussi 
étroitement que possible lié à la région dans laquelle il 
se trouve. 

11 n'y a pas assez de communication entre nos établis- 
sements d'enseignement secondaire et la région avoisi- 
nante. A cet égard, l'organisation du collège est préférable 
à celle du lycée; il est, dans une certaine mesure, associé 
à une ville. On pourrait le supposer associé à un dépar- 
tement, à une université. Je trouve ce type supérieur à 
celui de l'État, sans lien moral quelconque avec la région, 
n'ayant à sa tête que des fonctionnaires sans attache dans 
cette région. Je souhaite notamment que dans le conseil, 
à côté des professeurs, on fasse entrer des hommes appar- 
tenant au pays, à la ville, au département, à l'académie 
et, lorsque ce sera possible, à l'Université. Je tiens beau- 
coup à ce que l'enseignement supérieur et l'enseignement 
secondaire se pénètrent réciproquement ; je demanderais 
qu'il y eût une représentation, dans une mesure à déter- 
miner, de l'enseignement supérieur dans les établisse- 
ments secondaires, suffragants pour ainsi dire, de chaque 
université. 

Le conseil ainsi constitué aurait, je crois, au dehors, 
une autorité, une force morale, et, au dedans, une aisance 



272 RËF0R3IE DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

d*allures, une habitude des responsabilités, une moindre 
crainte des petites histoires locales, qui contribueraient 

grandement au développement de rétablissement 

J*en arrive à Tinternat. Si l'on me pose la ques- 
tion de savoir si l'internat doit être supprimé, je répon- 
drai simplement que je n*ai rien à répondre, par la raison 
que cette suppression est impossible. Il est certain qu'on 
ne supprimera jamais l'internat pour un ordre d'enseigne- 
ment qui dure plusieurs années et qui est d'un niveau 
assez élevé pour qu'on ne puisse mettre des établisse- 
ments de cet ordre à la portée des parents dans toutes les 
communes. Il y aura toujours des parents éloignés obligés 
de se séparer de leurs enfants. Il n'y a donc pas même 
lieu d'examiner si l'internat doit être supprimé. 

De plus, il a un avantage que je ne veux pas oublier, 
sans en être un partisan absolu. Il y a eu un peu de pas- 
sion politique dans la guerre qu'on lui a faite et qui a été 
d'une violence injuste. L'internat a certains bons effets 
moraux et sociaux : il mêle entre eux des enfants d'ori- 
gine différente; à quelque classe qu'ils appartiennent, ils 
y vivent en égaux. Le mélange d'enfants de familles riches, 
de petits boursiers et d'enfants de familles pauvres dissipe 
bien des préjugés, abaisse bien des barrières; il permet 
plus tard, dans la vie, de s'estimer et de s'aimer à des 
hommes qui sans cela se seraient ignorés, méconnus et 
peut-être haïs. 

. Jamais ce résultat ne s'obtiendra par l'externat où les 
enfants viennent seulement, pendant la classe, s'asseoir à 
côté de leurs camarades, échangeant à peine quelques 
mots, et s'en retournant ensuite chacun chez soi. Quandy 
on compare *à ce système celui de la vie commune, c^ 
trouve que celui-ci a du bon. 



\ 



J 



APPENDICE. 275 

Mais, tel qu'il est organisé, il est loin de répondre au 
type véritable d'éducation en commun que nous devrions 
• désirer. On a eu tort, tout le monde le reconnaît maintenant, 
— les peuples font des expériences comme les hommes, — 
de construire de trop vastes établissements, de chercher à 
attirer la clientèle par des constructions immenses et ma- 
gnifiques. Ces constructions ont été bonnes au point de 
vue de l'hygiène, de l'espace, des dimensions des études, 
des classes, des dortoirs, des jardins : mais le groupement 
des élèves par grandes masses n'aurait point dû être à ce 

point favorisé 

La transformation de l'internat ne doit pas seu- 
lement consister dans des modifications matérielles; elle 
doit être plus profonde et plus complète. Il faut qu'elle 
s'accomplisse, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, dans 
le sens de la vie collective, par d'étroites et continuelles 
communications, d'une part entre tous les maîtres, chefs 
d'établissement, professeurs, répétiteurs, — je laisse de 
côté, en ce moment, les qualificatifs spéciaux, — et d'autre 
part entre ceux-ci et les élèves. On ne pourra y arriver 
qu'en donnant une grande liberté aux établissements 
d'enseignement. Lorsqu'il sera possible à un établisse^ 
ment de s'aménager intérieurement en vue d'une meil- 
leure répartition du personnel enseignant et surveillant ; 
lorsqu'un professeur pourra être autorisé par le conseil 
des professeurs à avoir chez lui des élèves dans l'établis- 
sement même, comme cela se fait dans divers pays et, à 
Paris, à l'école alsacienne; lorsque ces autorisations, qui 
ne pourraient être données d'ensemble, à Paris, parce 
qu'il faut tenir compte des circonstances particulières que 
le ministère, de loin, ne peut apprécier, auront été don- 
nées sur place par des juges éclairés et intéressés au bien 

RIBOT. — RéFORVE ENSEIGN. SEC05D. 18 



274 RÉFORME DE L'E!SSEIGNEME>T SEGO^'DÂIRE. 

de la maison, la transforniatioa que nous souhaitons 
pourra se faire et se fera rapidement. 

En résumé, Tinternat ne peut pas être supprimé : il a 
certains avantages sociaux, il n'est pas d'ailleurs mauvais 
en soi, mais seulement mal organisé; sa transformation 
ne sera possible, en dehors des modifications aux bâti- 
ments, que par la décentralisation et la liberté. 

Cette question touche immédiatement à la suivante: ré- 
forme de F éducation, part plus grande des professeurs dans 
l'œuvre de l'enseignement. C'est le même principe qui ré- 
sout cette autre question : aujourd'hui, toujours par le 
fait d'une trop grande centralisation, nous avons mis en 
deux catégories distinctes le professeur et le répétiteur. 
Il n'y a entre eux aucune communication ; l'un est chargé 
de l'instruction, l'autre de la discipline, et il n'y a per- 
sonne pour relier leurs actions parallèles. Il y a bien le 
proviseur ou principal, mais il est trop loin. Chacun d'eux, 
précisément à cause de cette séparation réglementaire, 
absolue, de leurs deux fonctions, considère l'autre, je me 
garderais bien de dire comme un ennemi, mais comme 
une personne inconnue, étrangère, n'ayant rien à faire 
dans son service à lui. Ne devraient-ils pas au contraire 
se considérer comme des collègues étroitement associés 
pour l'éducation des enfants? Je déplore profondément 
cet état de choses. 

J'ai beaucoup réfléchi sur la question des répétiteurs. 
Elle est complexe et semble presque à tous insoluble. On 
s'est placé successivement à divers points de vue pour 
apporter une réforme à cet état de choses. Mais rien n'est 
plus difficile; ce n'est point un simple problème d'orga- 
nisation administrative, il ne s'agit de rien moins que de 
remplacer le père de famille. 



APPENDICE. 275 

On a dit : Les répétiteurs sont dans une impasse; il 
faut leur donner des débouchés, un avenir dans l'Univer- 
sité; il faut donc s'assurer qu'ils seront capables d'exer- 
cer plus tard d'autres fonctions que celles de maîtres ré- 
pétiteurs. C'est ainsi qu'on a fait inlervenir les grades : 
il faudra qu'ils soient licenciés; parce qu'une fois licen- 
ciés on pourra les nommer professeurs. On a eu alors. 
l'espoir de créer un corps de maîtres pleins d'ardeur et 
d'entrain, passant seulement quelques années dans les 
cadres du répélitoraf, y complétant leurs études, et deve- 
nant ensuite professeurs. 

Mais quels débouchés leur donner? Il n'y a pas que les 
répétiteurs qui aient leur licence : on peut s'y préparer 
librement ou au moyen d'une bourse; et une fois qu'on 
a obtenu une ou deux licences, on réclame sa place dans 
l'enseignement. Le nombre des places a fini par se restrein- 
dre tellement que les deux licences elles-mêmes n'ont 
plus suffi à assurer un poste. Aujourd'hui la concurrence 
est telle, que des agrégés doivent accepter des chaires 
dans les collèges. Et le répélitorat s'est trouyé redevenir 
une carrière sans issue suffisante, avec cette aggravation 
que ses membres, munis de diplômes élevés, ont légiti 
mement accru leurs ambitions et ressenti d'autant plus 
vivement les déceptions inévitables. 

On a dit alors : Le répétitorat doit être une carrière 
se suffisant à elle-même. Je ne suis pas pour le répéti- 
teur âgé, restant répétiteur toute sa vie. Je crois qu'au 
bout d'un certain nombre d'années de cette vie, infé- 
rieure après tout, et très pénible si elle n'est pas éclairée 
par l'espoir d'un au-delà, le fonctionnaire se décourage ; 
il se résigne à tourner sa meule; il se désintéresse de 
toutes choses et même, dans les petites villes, s'aban- 



276 IlEFORME DE L'E.NSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

donne peu à peu. Je ne suis donc pas partisan de la 
carrière fermée du répétitorat, même avec l'emploi de 
surveillant général comme bâton de maréchal ; c'est une 
espérance insuffisante. 

Retournant le problème, je dis : Il n'y a pas de solu- 
tion à la question du répétitorat, considérée comme dis- 
tincte de la question du professorat, parce que la distin- 
ction entre le répétiteur et le professeur est une dis- 
tinction arbitraire, factice, qui ne répond pas à la nature 
des choses; l'éducation des enfants est un tout; il ne 
faut pas de catégories aussi absolues entre les maîtres; 
il faut faire un tout de tous ceux qui collaborent à cette 
tâche de l'éducation. Par conséquent, au lieu de taire 
parmi eux des catégories distinctes, j'admettrais que le 
professeur pût et dût même, dans certains cas, prendre 
des enfants en dehors de la classe et les faire travailler; 
j'admettrais aussi que les répétiteurs pussent contribuer 
à l'enseignement pour certaines parties ; je les chargerais 
de cours complémentaires. Pourquoi ne feraient-ils pas 
des cours de langues vivantes, de sciences élémen- 
taires, etc., s'ils possèdent les licences correspondantes? 

M. le président. — Vous inclineriez h les fondre dans 
le corps des professeurs, à ne plus faire une démarcation 
aussi absolue? Ce seraient des professeurs adjoints. 

M. Léon Bourgeois. — Oui. 

M. le président. — Seulement, vous auriez toujours des 
fonctions de pure surveillance? 

M. Léon Bourgeois. — C'est vrai, et j'arrive précisé- 
ment par là au fond même de la question. 

Les fonctions de surveillance purement matériel le 
devraient être distinctes, à mon sens, des fonctions de disci- 
pline supérieure et d'éducation. 



APPENDICE. 277 

Comment voulez-vous que ce qu'il y a de plus élevé au 
monde, de plus difficile à faire, l'éducation des enfants, 
soit de même ordre, de même nature, considéré comme 
exigeant les mêmes aptitudes et les mêmes capacités 
que le fait matériel de conduire une division de la 
classe au réfectoire, ou de surveiller pendant la nuit 
Tordre du dortoir? 

M. le président. — Ne peut-on pas prendre le parti de 
distinguer nettement ce qui est fonction d'éducation et 
ce qui est simple surveillance? 

M. Léon Bourgeois. — C'est tout à fait mon avis. L'édu- 
cation comporte trois ordres de soins : préparation intel- 
lectuelle, direction morale, surveillance matérielle. Dans 
le système actuel on a ainsi groupé ces trois éléments : 
préparation intellectuelle réservée au professeur, direc- 
tion morale et surveillance matérielle, à l'administration, 
c'est-à-dire en fait au répétiteur. Qui ne voit l'erreur 
commise ? 

C'est la direction morale qui doit être absolument unie 
à la préparation de l'esprit et confiée, si possible, à la 
même personne et, si non, du moins à des personnes de 
même situation, de môme culture, pouvant s'associer 
étroitement à la même tâche. 

La surveillance purement matérielle peut, au contraire, 
être confiée sans dommages à d'autres collaborateurs, 
ayant simplement les modestes et solides aptitudes suf- 
fisantes pour cet objet 

J'arrive maintenant, en ce qui touche toujours l'or- 
ganisation intérieure de nos études, à un point que je 
considère comme très important. 

Je souhaiterais que le professeur, le maître, ainsi que 
je voudrais l'appeler, d'un nom plus large et plus élevé, 



278 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

ne fût pas, comme aujourd'hui, enfermé dans une classe, 
titularisé dans une chaire, où il reste toujours pendant 
un certain nombre d'années, sans pouvoir varier ses 
services, système également mauvais pour le maître et 
pour les élèves; pour le maître qui se borne à répéter 
l'année suivante pour une nouvelle série d'enfants ce 
qu'il a dit l'annnée d'avant à la génération précédente ; 
pour les élèves que ce maître abandonne après les avoir 
eus entre les mains pendant une année, les perdantde vue 
à partir du mois d'août et ne s'intéressant plus à leur 
avenir. 

Je voudrais qu'il pût y avoir, dans l'intérieur des éta- 
blissements, des professeurs généraux, des directeurs 
d'études, — on le proposait tout à l'heure et je suis de 
cet avis, — qui prissent charge en quelque sorte d'un 
groupe d'enfants et le suivissent pendant deux ou trois 
années. Je crois qu'un cycle de trois ans serait la 
bonne mesure. C'est un temps sulTisant pour qu'un lien 
solide s'établisse entre les élèves et le maître. J'ajoute que 
ce temps correspond à la réalité des choses. On se repré- 
sente très bien un même maître suivant ses élèves de la 
sixième à la quatrième, un autre de la troisième à la 
rhétorique, etc. 

Les groupes des élèves de mathématiques et de philo- 
sophie, ceux des divisions préparatoires aux écoles au- 
raient naturellement une organisittion distincte. 

Je vois ce professeur général, ce véritable maître tenant 
précisément du répétiteur et du professeur, chargé pen- 
dant trois ans de suivre les mêmes enfants. Ce maître 
serait chargé de la partie principale de l'enseignement 
et suivrait en même temps le travail des ses élèves dans 
les enseignements donnés d'ailleurs par les professeurs 



APPENDICE. 279 

spéciaux ; il pourrait ainsi prendre absolument connais- 
sance de la nature de chacun de ses élèves et s'intéresse- 
rait à leur développement, il vivrait pour ainsi dire avec 
eux ; il ne serait plus simplement le professeur faisant sa 
classe, c'est-à-dire venant pendant deux heures dicter 
ou corriger des devoirs, faire réciter des leçons, etc., 
sans autre responsabilité supérieure. Le professeur 
général serait responsable, vis-à-vis du proviseur, de 
tout le développement intellectuel et moral de son groupe 
d'élèves; il en serait aussi responsable vis-à-vis des 
familles. 

Une des raisons du succès de l'enseignement congré- 
ganiste sur l'enseignement universitaire, c'est qu'il 
semble que les enfants y soient personnellement mieux 
et plus connus de leurs maîtres que dans les lycées et les 
collèges de l'Université. 

S'il y avait dans l'Université de ces professeurs géné- 
raux, lorsqu'un père de famille viendrait trouver le pro- 
viseur et lui dirait : «Que fait mon enfant? » le proviseur 
répondrait : « Je vais faire venir son professeur général, 
son directeur d'études, et nous allons causer avec 
lui. )) 

Et celui-ci, qui aurait eu toute la vie de cet enfant sous 
les yeux, non seulement pendant l'année scolaire, mais 
pendant deux ou trois ans, qui le connaîtrait comme on 
connaît l'un des siens, donnerait au père de famille l'as- 
surance que quelqu'un veille en sa place et vraiment 
tient en main la direction de son enfant. 

J'ajoute, bien entendu, que ce directeur d'études aidera 
les élèves dans leur travail ou plutôt aura charge de leur 
apprendre à travailler, ce que personne n'est chargé de 
faire en ce moment : le professeur enseigne, le répétiteur 



280 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIUE. 

surveille ; mais nul, à vrai dire, n'est chargé de dire à 
Tenfant comme on doit travailler 

En limitant h cet objet : une classe bien faite, 

toute la tâche du professeur, en renfermant ainsi dans sa 
chaire, sans autre contact avec ses élèves, on risque de 
perdre de vue le but véritable de l'enseignement secon- 
daire qui est la formation de Thomme tout entier. C'est 
d'ailleurs souvent après la classe, en dehors d'elle, dans 
des entretiens personnels, dans des indications sur la 
préparation du travail, etc., que sera seulement l'inter- 
vention utile, que s'exercera l'influence réelle. Ce n'est 
pas, je l'ai déjà dît, en constatant le travail fait, en pres- 
crivant le travail à faire, c'est en aidant à faire le tra- 
vail, en y guidant l'cflbrt, en y suggérant la méthode, 
que le maître peut surtout agir pour la formation des 
esprits. 

Et puis, il y a certaines manières de a faire la classe » 
que j'admire et que je redoute en même temps. Je parle 
de beaucoup de professeurs distingués, brillants même, 
qui y mettent toute leur ardeur et tout leur talent. C'est 
une occasion pour eux de se distinguer personnellement, 
en suivant et en faisant valoir leurs propres goûts, devant 
quelques élèves d'élite auxquels ils se communiquent. 
Mais les autres, dont nous avons cependant la charge? 
Certes, ces professeurs sont très aimés de tous les élèves : 
ils laissent tranquilles les médiocres et les mauvais, et 
les forts sont ravis d'un maître dont ils semblent pai^- 
tager un peu la renommée. Je ne puis m'empécher de 
penser que le but de l'enseignement public, qui doit 
s'adresser à tous, est mieux atteint et le profit pour l'État 
encore plus considérable lorsqu'un professeur plus mo- 
deste parvient à fiiire travailler l'ensemble de ses élèves. 



APPENDICE. 281 

à entraîner la masse, dont il a charge, à lirer de tous ce 
qu'ils peuvent véritablement donner.... 

C'est pour atteindre ce but véritable de l'enseignement 
secondaire que l'institution de professeurs généraux, de 
directeurs d'études me paraît nécessaire, et je voudrais 
que les professeurs considérassent ces fonctions comme 
très hautes et comme socialement supérieures au profes- 
sorat lui-même. 

Messieurs, il est évident que si les professeurs ont 
aujourd'hui cette conception, à mon sens trop étroite, de 
leur rôle, cela tient à la façon dont ils sont préparés eux- 
mêmes à l'enseignement. 

Nous avons tous, à quelque degré, un préjugé particu- 
lier; nous sommes tous d'une certaine profession, d'un 
certain milieu qui nous donne l'habitude de voir les 
choses d'un point de vue spécial. C'est ce que Bacon eût 
appelé « l'idole de notre tribu » . 

Les professeurs n'échappent pas à cette loi : ils sont 
d'ailleurs poussés à certains préjugés professionnels par 
la valeur même des épreuves qu'ils subissent, par le 
caractère des grades qu'ils doivent acquérir pour entrer 
dans l'Université. 

11 est certain que, depuis la guerre, on a cherché à 
élever considérablement dans l'Université ce que j'appel- 
lerai la valeur scientifique des diverses sortes d'enseigne- 
ment. Les grands résultats obtenus par la science alle- 
mande, aussi bien dans le domaine de l'histoire, de 
l'érudition, de l'histoire littéraire, de la philologie que 
dans celui des sciences physiques et naturelles, avaient 
frappé tous les esprits. Ce qu'il y avait de superficiel, de 
purement oratoire dans notre enseignement supérieur avait 
été justement critiqué. De la un mouvement considérable. 



2«2 REFOUME DE LENSEIGNEMEKT SECONDAIRE. 

Mais l'erreur commise a été de confondre, à ce point 
de vue, les nécessités de renseignement supérieur et 
celles de renseignement secondaire. Le premier n'a 
d'autres limites que celles de la science hum.aine; on n'y 
saurait jamais trop exiger l'étendue des connaissances, 
la précision de l'érudition, la profondeur des recherches. 
Tout autre est le caractère de l'enseignement secondaire 
qui, visant un but limité, la formation de l'esprit de la 
moyenne de chaque génération, veut moins d'appareil 
savant et plus de préoccupations purement éducatrices. 

On n'avait pas \u, que chez les Allemands eux-mêmes, 
l'enseignement secondaire était resté fort modeste. 

De Ij, certaines tendances excessives de notre pro- 
gramme vers l'encyclopédie et vers l'érudition. On en est 
bien vite revenu, et les programmes de nos classes — 
tout en demandant, et c'est fort louable, plus d'exactitude, 
moins d'à pau prés que dans le temps de notre jeunesse 
— ont été ramenés à la simplicité convenable. 

La même tendance s'était naturellement manifestée 
pour les programmes des épreuves de l'enseignement 
supérieur. Ici, je l'ai dit, elle est légitime , nécessaire en 
tant que ces épreuves demeurent bien des signes de la 
valeur de cet enseignement, et nous n'avons qu'à nous 
applaudir du niveau élevé des licences, de la valeur des 
thèses de nos doctorats, si nous considérons simplement 
le développement général de la science française. 

Le malheur veut que ce sont ces mêmes grades — au 
moins pour les licences — qui sont en même temps exi- 
gés à l'entrée de tout l'enseignement secondaire. Et tan- 
dis que les programmes de nos études reviennent à la 
modestie dont j'ai parlé, les maîtres destinés à les appli- 
quer ont continué à être poussés par leurs propres 



ArPENDICE. 285 

épreuves, vers l'érudilion, la science approfondie et, par 
par voie de conséquence, vers la spécialisation. 

L'agrégation révèle au plus haut degré cette erreur. 
Elle devrait être non un grade des études supérieures, 
mais un certificat d'aptitude à l'enseignement secondaire. 
. Or elle devient de plus en plus un concours de là plus 
haute difficulté entre candidats aussi savants et aussi 
spécialisés que possible. « Spécialisés, » c'est ce dernier 
mot qui contient la condamnation du système. 

Le professeur d'enseignement secondaire ne doit pas 
être un spécialisé ; dès le jour où il s'est tout à fait spé- 
cialisé, il perd de vue l'objet de l'enseignement secon- 
daire, qui est la préparation générale de l'esprit de l'en- 
fant. 

Et cette tendance à la spécialisation se retrouve par- 
tout : lorsqu'on discute les programmes au conseil supé- 
rieur, ou dans les commissions du ministère de l'instruc- 
tion publique, chacun des divers spécialistes cherche à 
y introduire plus largement les études qui le concernent 
lui-même; il le fait de la meilleure foi du monde, bien 
entendu; s'étant définitivement consacré à cet enseigne- 
ment particulier, il s'imagine que, plus il fortifiera dans 
ce programme cette partie d'enseignement qu'il connaît 
et qu'il aime, plus il fortifiera l'esprit de l'enfant. 

L'agrégation, à mon sens, devrait être profondément 
transformée. 

Beaucoup croient nécessaire de défendre ce concours 
en disant : « L'agrégation est une institution extrême- 
ment utile, parce qu'elle donne au professeur un titre 
d'inamovibilité qui le protège contre les caprices de 
l'administration et contre les retours du sort. » 

C'est bien; mais il n'est pas question de supprimer 



280 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

drions bien, pourtant, qu ils fussent des honnêtes gens à 
la njanièrc du dix-septième siècle, c'est-à-dire qu'ils 
fussent instruits, bien élevés, et qu*ils eussent une culture 
générale de Tesprit. On peut être un homme distingué 
dans ce pays, comme on Test dans beaucoup d'autres, 
sans posséder particulièrement la littérature d*Âthènes et 
de Rome. » 

C'est la nécessité de donner satisfaction à ce besoin 
public qui a été Tune des causes déterminantes de la 
réforme : on Ta oublié aujourd'hui ; mais la réforme était 
indispensable. 

M. le président. — Que devenait l'enseignement spé- 
cial, c'est-à-dire l'enseignement pratique de courte 
durée? 

M. Léon Bourgeois. — En 1891, quand nous avons ^ 

arrêté la réforme, ma pensée était — elle est encore 
aujourd'hui — que cet enseignement pratique dont vous 
parlez devait être simplement le développement de l'en- 
seignement primaire supérieur. 

J'ai déjà donné l'une des raisons qui ont motivé la 
réforme; permettez-moi d'en ajouter une autre: 

Les professeurs de l'enseignement classique se plai- 
gnaient de leur côté de l'abaissement des études ; trop 
d'élèves, sans goût pour les lettres anciennes, encom- 
braient leur enseignement ; on avait cherché à diminuer 
la part du grec et du latin dans l'enseignement classique 
pour y faire entrer, disaient-ils, toute l'encyclopédie ; ils 
demandaient donc qu'on déchargeât leurs classes des 
élèves qui n'avaient pas le goût des lettres anciennes et 
qu'on ramenât les programmes, pour ceux qui continue- 
raient à les suivre, au véritable caractère des humanités 
d'autrefois. 



APPENDICE. 287 

Ainsi, bien des classiques purs étaient loin d'ôtre 
opposés à la création d'un autre enseignemenl. 

M. le président. — Aujourd'hui, dans les lycées et sur- 
tout dans les collèges, on s'aperçoit de la lacune laissée 
par la disparition de renseignement spécial. On s'elîoice 
d'établir un enseignement qui ne serait pas le primaire 
supérieur, bien qu'y ressemblant beaucoup et qui, donné 
par un personnel différent de celui des maîtres de l'en- 
seignement primaire supérieur, aurait encore son 
utilité. 

M. Léon Bourgeois. — Je ne pense pas qu'on puisse 
marquer une différence caractéristique entre cet ensei- 
gnement spécial et l'enseignement primaire supérieur. 
Mais je ne m'opposerai en rien à l'expérience qu'on veut 
faire. 

Je n'ai jamais songé en créant l'enseignement moderne, 
à opposer un type absolu d'enseignement à l'ancien type 
déjà existant ; nous avons voulu commencer à créer, à 
côté du type unique d'autrefois, un type nouveau répon- 
dant à d'incontestables besoins ; nous avons toujours 
admis que l'expérience pourrait révéler d'autres nécessités 
et, plus tard, amener peut-être d'autres essais. 

Il y a, dans l'infinie variété des besoins et des aptitudes 
d'une génération, place pour des enseignements très 
divers, allant du plus élémentaire au plus élevé par des 
degrés insensibles, contenant en commun un certain 
nombre de données fondamentales utiles à tous dans un 
état donné de civilisation, mais s'étendant plus ou moins 
vers tels ou tels ordres de connaissances, suivant la 
nature d'esprit, la portée d'intelligence, le milieu fami- 
lial, la vocation, la destination probable de chacun. C'est 
par des voies très diverses que, dans une démocratie, 



288 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

chacun peut aboutir au sommet. Nous n avons pas cru 
qu'on pût toujours considérer comme faisant seuls partie de 
Faristocratie intellectuelle les esprits préparés par Tétude 
de Fantiquilé ; nons avons pensé, notamment, qu^ 
enseignement largement ouvert sur Thumanilé contem- 
poraine et fortement établi sur la base des vérités dues 
aux découvertes des siècles modernes pouvait donner un 
type de culture générale, différent sans doute, mais non 
pas inférieur. Mais l'idée de créer à ce nouveau système de 
formation des esprits « un monopole » en face de l'an- 
cien monopole classique ne nous est nullement venue. 
Permettez-moi une expression que nul ne prendra en 
mauvaise part : il y a eu là un moyen de libérer un cer- 
tain nombre d'esprits de la gêne qu'on ne peut manquer 
de produire pour eux un type unique de culture arbitrai- 
rement imposé à tous. 

J'accepterai donc, pour mon compte, bien volontiers, 
toute expérience d'autres moyens de culture, aussi variés, 
aussi diversement adaptés que la nécessité des choses 
pourra l'exiger. 

J'intercale ici, pour être plus clair, une observation 
importante à mes yeux; je ne suis pas de ceux qui croient 
à la distriction a priori des études en primaires, secon- 
daires et supérieures. La nature ne connaît pas une classi- 
fication semblable. 11 ne devrait pas y avoir trois cercles 
impénétrables l'un à l'autre : le primaire, le secondaire, 
le supérieur. 

Je pense donc qu'il doit exister un autre type d'ensei- 
gnement que le classique et le moderne. Cet enseignement 
est-il secondaire ou primaire? Je n'en sais rien. Il a une 
destination pratique : voilà ce que je sais seulement. Il 
peut être donné par des maîtres sortis de l'école primaire 



APPE:SDICE. 289 

OH par des professeurs des collèges ou des lycées — cela 
m'est encore indifférent — pourvu qu'il réponde bien à 
son objet. Je crois qu'il y a place pour cet enseignement 
à destination professionnelle, à durée plus courte et, 
j'insiste, à types infiniment variés. 11 existe à Paris, 
notamment dans nos écoles supérieures, et y donne des 
résultats excellents. Je ne vois qu'avantage à le développer 
là où il paraîtra utile 

M. le président. — Vous admettez la nécessité 

de cet enseignement intermédiaire plus pratique et plus 
court entre le primaire et le secondaire et vous êtes d'avis 
en même temps qu'il y a lieu de conserver un enseigne- 
ment de haute culture qui, à côté de l'enseignement 
gréco-latin, rendra des services analogues? 

M. Léon Bourgeois. — Oui, monsieur le président, et 
puisque vous revenez à la question du principe des deux 
enseignements, j'y insisterai de nouveau en quelques 
mots : il y a en effet, pour la création d'une culture 
classique moderne, des raisons qui ne sont pas des rai- 
sons passagères ; je crois, en elTet qu'un enseignement 
forcément un peu verbal, comme l'enseignement gréco- 
latin, ne suffit pas pour répondre à tous les besoins 
intellectuels, moraux et sociaux de notre temps. 

La vertu de l'enseignement classique est très grande; 
je la définis ainsi : il nous donne des idées toutes faites 
dans des formules parfaites : voilà sa force. 

La perfection de ces formules les grave profondément 
dans les esprits, qui en gardent une empreinte définitive; 
mais les idées ainsi acquises et prises désormais pour les 
axiomes de la pensée et de la vie sont-elles toujours vraies 
et les seules vraies, et s'accordent-elles toujours avec la 
conception du monde où vingt siècles de révolutions 

RIBOT. — RÉFORME ENSEIGN. SECOND. 10 



290 HEFOHME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

religieuses, philosophiques et scientifiques ont amené 
rhumanité? 

Elles ont été créées à d autres époques, dans d'autres 
milieux, par d autres civilisations, et elles sont loin d'être 
toujours appropriées à notre civilisation actuelle. 

On nous dit, par exemple, à nous républicains : C'est 
par l'étude de la Grèce et de Rome que se fait l'éducation 
de la liberté politique. Nous pourrions répondre ^ue ce 
n'est pas cette éducation-là que semblent y avoir puisée 
les grands hellénistes et les grands latinistes du xvi^ et 
du xviic siècle. Et c'est qu'en effet, sous la forme magni- 
fique dont ils sont revêtus, les sentiments des hommes 
politiques dans les républiques anciennes sont très diffé- 
rents de ceux qui nous animent aujourd'hui. 

J'ajoute qu'à s'enfermer dans l'étude exclusive de 
l'époque gréco-romaine, on risque de se transmettre, 
sans contrôle suffisant, bien des admirations convenues. 

J'ai reçu récemment d'un des plus distingués secré- 
taires-rédacteurs de la Chambre* un ouvrage des plus 
remarquables : la Vie parlementaire à Rome. C'est l'his- 
toire des luttes de Cicéron contre Catilina et contre Clo- 
dius, reconstituée avec une abondance de détails, une 
précision et une sûreté d'érudition extraordinaires. 11 
faut y voir comment, sous les harangues admirables, il 
ne s'agit nullement d'une lutte entre des principes qui 
divisent les démocrates modernes, mais de rivalités toutes 
personnelles, de querelles entre les partis, les factions 
locales, les ambitions particulières que nous n'aurions 
vraiment pas besoin d'aller chercher si loin si nous 
devions les donner en exemple aux générations de demain. 

Mais je m'arrête, ne voulant pas,* je l'ai dit, instituer 

1. M. MispouLET. Iii-8«, Paris, 1899. 



APPENDICE. 291 

ici un débat théorique et désirant simplement répondre 
aux questions qui intéresseraient particulièrement la 
commission. 

M, le président. — J'en viens tout de suite aux objec- 
tions possibles. 

On prétend que cet enseignement moderne risquera 
toujours, dans la pratique, de se confondre avec l'ensei- 
gnement primaire supérieur, quoique nous fassions. 

Les Frères des écoles chrétiennes commencent à préparer 
des candidats au baccalauréat moderne, et nous allons, nous 
dit-on, voir ainsi des professions où il fallait une culture 
élevée et désintéressée envahis par une couche nouvelUî. 

M. Léon Bourgeois. — Vous touchez là à la question 
du baccalauréat. 

M. le président. — Bien entendu, parce qu'il va de soi 
que si cet enseignement est ce que vous dites, il doit 
mener partout. 

M. Léon Bourgeois. — Je suis tout à fait partisan de 
l'égaUté des sanctions. 

M. le président. — On ajoute que cet enseignement 
étant de durée plus courte et, par là, plus facile, consti- 
tuera une prime pour la désertion des études classiques, 
11 comporte une année de moins. 

M. Léon Bourgeois. — Cela suppose la question du 
baccalauréat résolue. Je suis partisan de la suppression 
de cet examen. L'argument ne me touche donc pas véri- 
tablemenl. Cette question du baccalauréat pèse, en effet, 
bien malheureusement sur tout le problème de l'ensei- 
gnement secondaire. C'est, à tout moment, là que nous 
rencontrons les obstacles à toutes les réformes intérieures 
de cet enseignement. Il faudrait qu'il y eût simplement à 
la fin de chaque série d'études un certificat constatant 



Î92 REFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

qu'elles ont été faites et *bîen faites. On pourrait alors, 
sans autre souci, constituer renseignement secondaire 
en vue de lui-même, l'organiser dans ses divers types, de 
la manière qui paraîtrait la meilleure en soi. Quant à 
rentrée des différentes carrières, on y devrait placer, en 
considérant aussi uniquement l'intérêt de ces carrières, 
les épreuves d'admission ou d'élimination qui seraient 
jugées nécessaires pour en assurer le bon recrutement. 
Un des vices fondamentaux de la situation actuelle est 
de considérer le baccalauréat comme la clef des carrières ; 
cette idée dénature complètement le caractère de l'épreuve 
finale de l'enseignement et par suile le caractère de l'en- 
seignement lui-même. 

Il devrait être une constatation des études faites, alors 
qu'il semble actuellement avoir pour but de constater 
l'aptitude aux études futures. 

Tant que l'épreuve de fin d'études secondaires conti- 
nuera à être regardée comme la clef des carrières, le but 
véritable de l'enseignement secondaire, qui est, la forma- 
tion générale de l'esprit, sera perdu de vue et mille préoc- 
cupations étrangères au bien de cet enseignement influe- 
ront sur son organisation, fausseront son caractère. 

Quand on dit : « Les écoles de frères prépareront trop 
facilement au baccalauréat », on comprend que je réponde : 
Si le baccalauréat n'est plus qu'un certificat de fin d'étu- 
des', l'inquiétude tombe d'elle-même. Il y a, bien entendu, 
à examiner ce que seront les certificats d'études secon- 
daires pour l'enseignement libre. Mais je traiterai plus 
tard cette question. 

M. le président. — Quels résultats l'enseignement mo- 
derne donne-t-il jusqu'à présent? Ils sont très Inégaux à 
ce qu'on dit. 



APPENDICE. 293 

M. Léon Bourgeois. — Il y a, en effet, des résultats 
divers; mais il faut analyser ces résultats et rechercher 
les causes de cette inégalité.... 

M. Raymond Poincaré. — Dans le Nord, l'enseignement 
moderne est très bon ; à Paris, également ; mais il est mau* 
vais dans le Midi. 

M. Léon Bourgeois. — Quelqu'un a dit — M. Seignobos, 
je crois — en parlant de l'enseignement moderne : « Cet 
enseignement rend ce qu'on y a mis ». 

C'est très vrai; dans certaines régions, dans le Midi, 
par exemple, on se destine davantage aux fonctions pu-» 
bliques et on délaisse par là même l'enseignement moderne. 
Le contraire a lieu pour le Nord. 

M. Jacques Piou. — C'est exact. 

M. Léon Bourgeois. — En d'autres termes, dans les 
régions où la richesse économique est moins développée, 
où l'industrie est moins répandue, où les familles se 
tournent de préférence vers les fonctions publiques, l'en- 
seignement classique a gardé presque toute sa clientèle; 
dans le Nord, au contraire, où l'on se dirige plutôt vers 
les carrières commerciales, industrielles et agricoles, 
l'enseignement moderne est prospère. 

D'autre part, il existe beaucoup de lycées où tous les 
élèves intelligents, dont l'esprit paraît supérieur, sont 
encore dirigés de préférence par les proviseurs vers l'en- 
seignement classique; certains chefs d'établissement tien- 
nent encore à honneur de ne laisser aller à l'enseignement 
moderne que les élèves qu'ils considèrent comme de second 
ordre : c'est là une cause très regrettable d'infériorité 
pour le moderne. 

Seconde cause : Ce sont le plus souvent encore des 
professeurs de l'enseignement classique qui sont chargés 



204 REFOUME DE LENSEIGNEMENT SECONDAIHE. 

des classes modernes, et il n'est guère possible de les 
empêcher d*avoir un certain préjugé contre cet enseigne- 
ment. Je ne me plains en aucune façon de leur zèle ni de 
leur dévouement; mais leur préparation antérieure ex- 
plique que, malgré eux, ils ne tirent pas de cet enseigne- 
ment tous les résultats qu'ils obtiendraient avec un autre 
enseignement répondant davantage à leurs habitudes 
d'esprit. 

ïl y a donc contre le plein développement de renseigne- 
ment moderne beaucoup d'obstacles, passagers, j'en suis 
convaincu, mais encore très puissants. Il faut se sou- 
venir qu'il remonte à peine à huit années. Qu'est-ce 
qu'un temps aussi court pour une expérience aussi consi- 
dérable? 

L'enseignement classique, au contraire, a pour lui des 
traditions très fortes et un personnel admirablement pré- 
paré de tout temps. Depuis un siècle, l'École normale, 
avec des maîtres tout à fait éminenls, lui a servi de foyer. 
Il y a donc bien des raisons pour que la lutte soit très 
inégale entre l'enseignement classique, fort de son pres- 
tige, de ses traditions, et donné par des maîtres pas- 
sionnés pour lui, et le moderne, encore en voie d'expé- 
rience et de formation et dont le personnel contient 
encore des éléments divers étrangers à son esprit et par- 
fois prévenus contre lui. 

Et cependant les résultats de cet enseignement sont 
tels que les professeurs qui corrigent les copies du bac- 
calauréat — et qui sont cependant des maîtres d'origine 
classique — reconnaissent qu'il y a diversité, mais 
équivalence entre les élèves des deux enseignements; 
leur valeur peut être considérée comme égale, bien que 
les caractères en soient différents. 



APPENDICE. ti95 

Rappelez-vous le témoignage de M. Langloîs, président 
d'un des jurys du baccalauréat de 1897 : 

« Il m'a semblé, dit-il, que les candidats au bacca- 
lauréat moderne, souvent plus frustes que les autres, 
avaient travaillé davantage; qu'ils avaient moins de 
désinvolture et plus de fond.... J'ai eu l'impression que 
les meilleurs élèves des deux enseignements se valent. » 

I/élève de l'enseignement moderne est sans doute 
moins brillant, mais il a plus de fond; il improvise moins 
facilement que ses camarades de l'enseignement classique; 
il a la faculté de développement beaucoup moins rapide ; 
il est plus court lorsqu'il compose une dissertation ou 
un récit. En revanche, il semble avoir plus de réflexion. 
C'est, vous vous le rappelez, le souhait de M. Boutmy, qui 
demandait a que la part faite à la réflexion dans l'édu- 
cation fût plus grande que celle qui est réservée à l'exé- 
cution ». 

Ainsi, chez l'élève de renseignement moderne, si 
l'aptitude littéraire, je dirai presque l'aptitude verbale, 
est moindre, le travail de la réflexion, le travail personnel, 
paraît être plus considérable. La valeur de l'homme en 
sera-t-elle diminuée? 

M. le président. — Vous ne craignez pas que, le jour 
où le dernier pas aura été franchi, où toutes les portes 
seront ouvertes à l'enseignement moderne, il n'y ait 
abandon de l'enseignement classique, sinon par les futurs 
professeurs, par les prêtres, par tous ceux qui exercent 
un sacerdoce, et qu'il n'y ait rupture avec la vieille tra- 
dition de ce pays et diminution de son patrimoine? Cette 
crainte a été exprimée par un certain nombre de déposants. 

M. Léon Bourgeois. — Je ne crois pas à la désertion 
de l'enseignement classique * le prestige des langues 



296 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

anciennes est loin de disparaître; la culture littéraire 
qu'elles donnent au plus haut point sera toujours prisée 
dans notre pays amoureux des belles-lettres et de beau 
langage. 11 y aura toujours de ce chef une supériorité 
particulière, un affmement, une élégance de Tesprit que 
les familles aisées souhaiteront pour leurs enfants. 

J'ajoute que la crainte d'une diminution du patrimoine 
intellectuel de la France par la diminution du nombre 
des élèves classiques m*a toujours semblé tout à fait chi- 
mérique. 

A mon avis, le patrimoine de la France est assez riche 
pour que notre race puise en elle-même des raisons de 
persévérer dans les voies glorieuses de son génie. Les 
chefs-d'œuvre de notre langue ne sont point inégaux aux 
chefs-d'œuvre antiques. 

Et j'imagine qu'on peut, dans l'étude des grands ora- 
teurs, des grands auteurs tragiques ou comiques, des 
épistoliers et des philosophes de nos xvn*' et xviii^ siècles 
— je ne parle même pas du xix^^ — trouver les éléments 
d'une culture générale qui sera purement nationale et ne 
laissera rien perdre des fortes et charmantes qualités de 
Tesprit français. 

La littérature de la France n'est point, d'ailleurs, la 
seule où il s'agisse de puiser. Dans tout enseignement 
secondaire, nous estimons qu'une place doit être faite 
aux littératures étrangères, et je ne puis comprendre 
pourquoi l'on semble méconnaître la vertu éducatrice des 
grands génies de l'étranger. 

Pourquoi refuser d'étendre nos horizons en ouvrant 
des fenêtres sur l'étranger?.... 

Je ne méconnais pas le profit qu'on peut tirer 

de la connaissance de l'antiquité, ce serait foHe; je crois 



APPENDICE. 201 

bien au contraire que la manière dont on communique 
aux élèves les trésors de cette antiquité est loin de leur 
en faire goûter le charme et connaître tout le prix. 

On ne peut dire en eiïet que nos enfants possèdent 
dans son ensemble un seul des auteurs anciens ; ils étu- 
dient très longuement les éléments de grammaire et de 
syntaxe des langues grecque et latine et ne prennent 
conctact avec les grands écrivains que par la traduction 
difficile, pénible, de quelques lignes de chacun des textes, 
sans arriver jamais à lire couramment un seul de leurs 
chefs-d'œuvre. Est-ce là vraiment les mettre en commu- 
nication avec le génie antique? 

Messieurs, interrogeons-nous franchement nous-mêmes. 
Qui de nous, à moins d'avoir par goût personnel appro- 
fondi depuis la fin de ses études classiques l'étude de la 
langue classique, peut dire qu'il a goûté dans l'original 
les beautés des tragédies de Sophocle ou des dialogues 
de Platon? 11 existe d'excellentes traductions auxquelles 
nous avons eu recours pour bien connaître l'esprit et 
pénétrer le charme des grandes œuvres antiques, et c'est 
de leur lecture que s'est formée vraiment notre opinion 
d'hommes faits sur l'antiquité. Pour moi, j'avoue sincè- 
rement que c'est à la Comédie-Française que j'ai entière- 
ment compris la tragique grandeur d^Œdipe-Roi. Et 
cependant nous avons les uns et les autres fait ce qu'on 
appelle de bonnes études classiques. 

La vérité, c'est que ces éludes sont indispensables à 
un certain nombre seulement. 11 faut qu'il y ait dans 
notre pays des hommes qui continuent à posséder une 
connaissance profonde, vraiment directe, de ces génies 
de la Grèce et de Rome auxquels notre génie à nous a 
tant emprunté. La très haute culture littéraire d'une élite 



298 RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

ost indispensable et, pour la maintenir, un enseignement 
classique non seulement pur et fort, mais plus fort et 
plus pur encore que celui de notre temps, doit être con- 
servé. Mais à vouloir le donner à toutes les classes 
moyennes, on risque à la fois de l'offrir en vain à ceux 
qui n'en ont ni le besoin ni le goût, et de le donner 
incomplet, médiocre, à ceux qui sont faits pour lui. 

Réduisez le nombre des élèves de l'enseignement clas- 
sique, créez des lycées exclusivement classiques à très 
forte organisation, et vous aurez rendu à la cause des 
lettres anciennes un plus grand service qu'en essayant 
d'arrêter dans son développement l'enseignement mo- 
derne, qui répond aux nécessités de l'immense majorité 
de notre jeunesse 

11 n'y a, à mon sens, qu'une objection sérieuse 

à la suppression du baccalauréat, — on l'a formulée ici 
bien souvent, — c'est la question du sort de l'ensei- 
gnement libre. Pour l'enseignement public, l'objection 
n'existe pas. 

M. le président. — Qu'entendez-vous par cette sup- 
pression? Pensez-vous qu'on pourra entrer aux univer- 
sités, -comme en Belgique, sans examen d'État? 

M. Léon Bourgeois. — J'ai dit, au commencement de 
ma déposition, que je croyais possible de concilier le 
principe de la liberté de l'enseignement avec le droit né- 
cessaire de contrôle de l'État sur tout enseignement. 

Ce droit peut s'exercer de deux façons : par la colla- 
tion des grades et par l'inspection dans les établisse- 
ments libres. La collation des grades est chose d'État; 
l'État organise des jurys pour diriger les examens qu'il 
juge à propos de faire passer. Je voudrais que ces exa- 
mens, comme je l'ai dit tout à l'heure, aboutissent à des 



APPENDICE. 299 

certificats d'études et non pas à des certificats d'aptitude 
à un enseignement ou à une carrière supérieure ; je dési- 
rerais, en un mot, qu'ils fussent la constatation des ré- 
sultats acquis dans l'enseignement reçu. 

M. Je président. — Ils n'auraient aucune valeur légale? 

M. Léon Bourgeois. — On pourrait décider qu'à l'en- 
trée de telle ou telle carrière tel certificat d'études fût 
pris en valeur pour une cote de tant de points ; mais je 
voudrais que le diplôme secondaire n'ouvrît par lui- 
môme en aucun cas une carrière ; ce qui fausse l'ensei- 
gnement secondaire, c'est ce lien factice entre les études 
qui doivent être générales et l'entrée dans une carrière 
qui est la spécialisation. 

C'est un jury d'État qui délivrerait les certificats 
d'études. 

Le certificat d'études aurait un objet très déterminé : 
la constatation de la valeur des notes obtenues par l'enfant 
pendant la durée de ses études. 

Dans les établissements de l'État, la chose est facile à 
organiser : on instituerait des examens de passage rigou- 
reux, sans lesquels il ne serait pas possible de passer 
dans une classe supérieure, et le certificat d'études serait 
simplement le dernier des examens de passage. Ces exa- 
mens, même dans les établissements publics, auraient 
lieu sous le contrôle, à mon sens nécessaire, d'une auto- 
rité extérieure à l'établissement. 

Comment serait constitué le jury d'État? Je vous ai- 
parlé du rapport que je voudrais voir s'établir entre les 
universités et les établissements secondaires ; je souhaite- 
rais, par conséquent, que le jury fût composé de profes- 
seurs de l'enseignement secondaire et présidé par un 
professeur de l'Université. Les professeurs de l'enseigne- 



500 UEFOUME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

ment secondaire devraient, bien entendu, ne pas appar- 
tenir à rétablissement. 

J'attacherais de l'importance à ce que ce jury comprît 
des membres égaux en grade aux professeurs de la mai- 
son inspectée, mais désintéressés de l'examen. 

Au moment de sa session, ce jury aurait le droit de 
vérifier l'ensemble des examens de passage de l'établisse- 
ment, d'en contrôler la valeur et la sincérité. 

Pour la délivrance du certificat de fin d'études, il aurait 
le droit de se faire mettre sous les yeux les travaux des 
élèves, leurs copies, leurs compositions, en un mot tous 
les renseignements propres à l'éclairer 

J'établirais le livret scolaire obligatoire pour les 

établissements libres comme pour ceux de l'État. Je suis 
d'avis que le droit de l'État va jusqu'à s'assurer que dans 
tous les établissements d'enseignement — même les éta- 
blissements libres — on se conforme à un certain nombre 
de règles générales que je considère comme nécessaires 
au bien du pays. 

Si les établissements libres veulent présenter des élèves 
pour l'obtention d'un certificat d'études, il faut qu'ils se 
soient mis, vis-à-vis de l'État, dans une situation telle 
que l'État puisse contrôler la valeur de leur enseignement. 

Il faut qu'ils tiennent régulièrement le livret scolaire 
de chaque élève, et il faut que l'État puisse constater la 
sincérité des mentions portées sur ce livret, puisqu'elles 
serviront de base à la décision attribuant plus tard ou 
refusant le certificat de fin d'études à l'enfant. 

Il ne s'agit pas, à ce point de vue, de contrôler la nature 
de l'enseignement, mais de vérifier seulement les consta- 
tations du travail fait, la sincérité des déclarations des 
maîtres. 



APPENDICE. 301 

J'ajoute que l'État a, suivant moi, le droit d'exiger cer- 
taines conditions de capacité des maîtres de l'enseigne- 
ment libre. Un projet de loi en ce sens, déjà voté par la 
Chambre, est, vous le savez, actuellement en discussion 
au Sénat. 

Du moment où l'enseignement n'est pas donné indivi- 
duellement aux enfants par une personne choisie directe- 
ment par la famille, du moment qu'il s'agit d'une maison 
ouverte à tous, ayant une direction, un personnel de maî- 
tres nommés par l'établissement, un enseignement en 
commun, il y a de la part de l'État non seulement droit, 
mais obligation de contrôle. 

Je crois que c'est vous-même, monsieur le président, qui 
avez éclairé ce point pour une comparaison frappante : en 
montrant que l'État, qui n'intervient pas dans les rapports 
d'un médecin avec une famille, est au contraire obligé 
d'exercer une surveillance lorsqu'il s'agit de l'organisation 
des soins en commun dans un hôpital. Même situation, 
même devoir de l'État pour l'enseignement en commun. 

Du moment où vous ouvrez un établissement d'éduca- 
tion au public, vous ouvrez la porte au contrôle de l'État. 

Il ne s'agit pas, par l'obligation du livret scolaire et 
par les conditions de capacité exigées du personnel de 
l'enseignement libre, d'essayer, d'une façon détournée, 
de tuer renseignement privé 

Je retiens simplement l'obligation du livret scolaire 

et le droit, pour l'État, de faire une inspection et de con- 
stater la conformité des renseignements donnés par le 
livret scolaire avec les faits qui se sont passés dans l'éta- 
blissement. 

Grâce à ce contrôle, la délivrance du certificat de fin 
^'études pour les élèves des établissements libres peut être 



302 REFOUME DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE. 

faite par les jurys d'État dans des conditions de connais- 
sance parfaite, puisqu'ils auront sous les yeux non seule- 
ment les notes finales présentées par l'établissement pour 
établir la valeur actuelle de l'élève, mais l'ensemble des 
renseignements que l'inspection annuelle aura donnés 
sur la valeur des noies portées chaque année au livret 
scolaire de l'enfant. 

On a fait cette objection que certaines maisons, consi- 
dérées comme donnant des notes peu sincères et présen- 
tant leurs élèves avec une sorte de certificat de complai- 
sance que le jury devrait en principe rejeter, pourraient 
cependant contenir des élèves qui, individuellement, 
mériteraient d'être admis au certificat. Je réserverai 
volontiers, pour ces cas qui seront bien rares, une sorte 
de recours pour l'élève, un droit à se faire interroger 
directement par le jury. 

M. le président. — Les certificats d'études seraient-ils 
délivrés par les établissements eux-mêmes, sous le con- 
trôle d'un jury d'État ? 

M. Léon Bourgeois. — C'est le jury d'État qui délivre- 
rait les certificats sur les notes présentées par rétablisse- 
ment. Ce jury, d'ailleurs, serait le même pour tous les 
établissements publics ou privés de la région ; il serait 
toujours présidé par un professeur de l'Université, appar- 
tenant à l'enseignement supérieur et placé, par le fait, 
au-dessus de la concurrence des établissements. 

Le jury ne contiendrait jamais, d'ailleurs, un seul pro- 
fesseur de l'établissement même qu'il devrait juger; mais 
il se composerait de collègues, au moins égaux et n'ayant 
aucun intérêt direct dans la maison. 

M. le président. — Vous instituez l'équivalence de ces 
certificats, quelle que soit la maison? 



API»ENDICE. 305 

M. Léon Bourgeois. — Oui, une fois qu'elle est con- 
statée. 

M. le président. — Si, par exemple, une aduiinistra- 
lion de l'Étal exigeait un certificat d'études, on pourrait 
présenter indifféremment celui d'une maison libre ou 
celui d'un établissement de l'État ? 

M. Léon Bourgeois. — Je ne me préoccupe pas ici des 
conditions politiques ou autres que l'État peut mettre à 
l'entrée des carrières publiques. Je me borne à dire ceci : 
là où, parmi les conditions exigées, on trouvera celle du 
certificat de fin d'études secondaires, il n'y aura pas à 
distinguer entre les provenances de ces certificats, puisque 
dans tous les cas — comme aujourd'hui pour le bacca- 
lauréat — c'est l'État qui conférera ce certificat. 

M. le président. — Vous ne donneriez pas un certificat 
unique d'études secondaires ; vous voudriez autant de 
certificats qu'il y aurait de genres d'enseignements? 

M. Léon Bourgeois. — Je voudrais que les certificats 
d'études secondaires fussent aussi variés que possible et 
voici comment je concevrais cette variété : j'admettrais 
que ces certificats ne fussent pas, comme le diplôme du 
baccalauréat, un simple papier portant la mention : « A 
été admis ». Je serais d'avis qu'ils comprissent l'énumé- 
ration réelle des différentes études faites et qu'ils portas- 
sent l'indication de la note obtenue par l'élève. 

C'est un peu la méthode anglaise. Le « colonial service » 
en Angleterre procède, on vous l'a signalé, d'une manière 
très intéressante ; il a, dans son programme, trente-sept 
matières différentes, pour lesquelles le principe de 
l'option est appliqué. Les candidats ont à choisir entre 
sept de ces matières et ils sont admis s'ils ont obtenu 
dans l'une d'entre elles une note assez élevée. 



r,04 REFORME DE L ENSEIGNEMENT SECONDAIHE. 

Sans aller jusque-là, — j'indique cet exemple comme 
direction d'esprit, — j'admettrais que le certificat 
d'études secondaires fût extrêmement varié en ce sens 
qu'un certain nombre de matières élant facultatives, il 
suffit à l'enfant de justifier d'une note de... dans les cinq 
ou six matières qui constituent l'enseignement déterminé, 
pour être reconnu apte à obtenir le certificat. 

Vous voyez la vérité et l'utilité qu'elle présenterait 
pour les établissements dont je souhaite l'autonomie. 

Dans certaines régions, les élablissements peuvent 
avoir besoin de développer l'enseignement dans tel ou tel 
sens ; cela n'empêchera pas les élèves d'obtenir le certi- 
ficat d'enseignement secondaire avec des notes excellentes 
sur des points particuliers, bien qu'ils aient été moins 
fortement préparés sur d'autres points. 

M. le président. — Vous n'attacheriez à aucun de ces 
certificats des conséquences légales, pour l'entrée dans les 
facultés? 

M. Léon Bourgeois. — Je ne leur attacherais aucune 
conséquence obligatoire. 

M. le président. — En fait, comment entrerait-on à la 
Faculté de droit? 

M. Léon Bourgeois. — C'est à l'État de déterminer les 
conditions dans lesquelles on doit entrer dans l'enseigne- 
ment supérieur comme dans les carrières publiques. Je suis 
d'avis qu'en principe les divers certificats d'études secon- 
daires, correspondant aux deux enseignements qui exis- 
tent actuellement, correspondront à une instruction suffi- 
sante pour suivre avec fruit l'enseignement du droit et de 
la médecine. 

Toutefois, si les facultés de droit exigent une faible 
connaissance du latin des élèves qui auront le certificat 



APPENDICE. 305 

d'études secondaires, sans la mention « grec et latin » — 
ce qui correspondrait à notre baccalauréat moderne actuel, 
il suffira d'instituer certaines épreuves à cet effet pour 
l'admission à l'école. Il sera loisible — et j'ajoute facile 
— i ces jeunes gens de préparer pendant un an le peu de 
latin qui serait exigé pour ces épreuves. 

Qui empêcherait encore d'organiser dans les lycées de 
villes, de facultés, des enseignements d'un an, complé- 
mentaires de l'enseignement moderne et permettant 
d'obtenir une « mention pour le latin » en marge du cer- 
tificat de fin d'études? C'est même là un exemple de la 
souplesse infinie que peut prendre ce système débarrassé 
du cadre rigoureux où le baccalauréat enferme tout 
aujourd'hui... 



RIBOT. — RéFOAME ENSEI6IW SECOND. 20 



TABLE DES MATIÈRES 



AVERTISSESIEST DES ÉdITEIUS VU 

AVA^ÏT-PROPOS î 3 

PREMIÈRE PARTIE 
Régime des lycées. 

Chapitre I, — Esprit général de la réforaie à opérer dans 

les lycées. — De rautonomie des lycées. . 41 

— II. — De rautorité des proviseurs 20 

— III. — De la question des répétiteurs 31 

DEUXIÈME PARTIE 
De l'enseignement. 

Chapitre IV. — Des origines de l'enseignement moderne. . . 41 

— V. — De la suppression de l'enseignement spécial 

et du tort qu'elle a fait aux lycées et aux 
collèges 51 

— VI. — De l'avenir de l'enseignement moderne. . . 60 

— VII. — Des dangers qui menacent l'enseignement 

classique et des moyens d'y remédier . . 71 

— VÏII. — Des programmes 89 

— IX. — Du baccalauréat 96 

— X. — Des concours pour l'admission aux Écoles . . 107 



TROISIEME PARTIE 

Situation comparée de l'enseignement public 
et de renseignement privé. 

Chapitre XI. — De l'état stationnaire de la population des 

lycées et des collèges 115 



30« TAULE DES 5IAT1ÈUES. 

CiiàpiTREXII. — Des quelques c^iuses de la crise actnelle des 

lycées 122 

— XIII. — De rélévation du prix de la pension .... 127 

— XIV. — De l'insuffisance du nombre des établisse- 

ments publics d'enseignement secondaire 
dans certaines régions et de leur état 
défectueux 136 

— XV. — De quelques causes morales qui rendent plus 

difflcil'* le recrutement des lycées. — De 

la libctlé d'enseignement 146 

— XVI. — De l'inspection des établissements libres. — 

Des grades à exiger des professeurs ... 157 



CONCLUSIONS ADOPTEES 
PAR LA COMMISSION DE L'ENSEIGNEMENT 

I. — Régime des lycées 170 

IL — Collèges communaux 171 

III. — Conditions d'aptitude à exiger des professeurs. ... 173 

IV. — Plans d'études. — Programmes 174 

V. — Examens de fins d'études 178 

VI. — Inspections 179 

VII. — Dispositions diverses 180 



APPENDICE 

I. — Déposition de M. Berthelot (Extraits) 183 

11. — Déposition de M. Lavisse (Extraits) 209 

III. — Déposition de M. E. Boutmy (Extraits) 232 

IV. — Déposition de M. R. Poincaré (Extraits) 242 

V. — Déposition de M. Léon Bourgeois (Extraits) 261 



41565. — Imprimerie Lahure, 9, rue de Fleurus, Paris. 



AUG 1 8 W 



> ». 



Librairie Armand Co/ln, 5, rua de Mézières, Paris. 

Les Études classiques et la Démocratlei 

par M. Alfred Fouillée, membre de Tlnstitut. ln-18 jésus, 
broch»'^ 3 » 

La Réforme de l'Enseignement par la 

Philosophie, par M. alcred Fouillée. In-18 br. 3 » 

L'Université et ta Société moderne, par 

M. Gustave Lanson. Un volume in-18 jésus, broché. 1 50 

La Liberté de ^Enseignement devant la 

ChambrCi par M. Ed. Aynard. l.n-18 Jésus, br. . 2 » 

L^Enseignement secondaire et la Démo- 
cratie, par M. Francisque Vial, professeur au lycée 
Lakanal. ln-18 jésus, broché 3 50 

Le Baccalauréat et ^Enseignement secon- 
daire {Projet de réforme), par M. E. Boutmy, membre de 
l'Institut, directeur de l'École libre des Sciences politiques. 
Brochure in-16 1 » 

DeTÉducation moderne desjeunesfilles, 

par ]\I. Dugard. Brochure in-16 1 » 

L'Éducation dans l'Université, parM.iiENRi 

Marion, professeur à l'Université de Paris. ln-18 jésus, 
broché 4 » 

ISS-S. — Paris. — Imp. Hemmerlé et Cie.